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PACAL | S. m. (Botan.) grand arbre de l'Amérique ; il croît aux environs de Lima, sur les bords des eaux. On sent assez le ridicule de cette description ; il faudroit qu'il n'y eût dans toute la contrée qu'un grand arbre. On ajoute que les Indiens brûlent le bois du pacal, en mêlent les cendres avec du savon, & s'en servent contre les dartres & feux volages : ce mêlange passe pour en dissiper jusqu'aux vieilles taches.
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PACALE | ou PACALIES, s. f. pl. (Hist. anc.) fêtes qu'on célébroit chez les anciens Romains en l'honneur de la déesse de la Paix. Voyez PAIX.
Alnhelmus, de laud. virg. parlant des fêtes & cérémonies impures des payens, les appelle poenalia. Gronovius s'est imaginé que ce passage étoit fautif, prétendant qu'il n'y avoit point de fêtes de ce nom, mais qu'apparemment il devoit y avoir en cet endroit pacalia, ou peut-être palilia. Voyez PALILIA.
Les anciens, qui personnifioient & même déifioient tout, n'avoient pas oublié la Paix : elle avoit un autel à Rome & un temple magnifique, où on l'invoquoit avec beaucoup de solemnité. Voyez PAIX.
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PACAMO | S. m. (Icthyolog.) nom d'un poisson du Brésil du genre des lamproies, & qu'on prend parmi les rochers. Marggrave vous en donnera la description.
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PAÇAMORES | (Géog. mod.) gouvernement de l'Amérique méridionale au Pérou, dans l'Audience de Quito. L'air y est tempéré, le terrein abondant en bétail, en grains & en mines. (D.J.)
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PACAY | S. m. (Hist. nat. Botan.) arbre du Pérou qui a la feuille du noyer, mais de grandeur inégale, rangée par paire sur une même côte, & croissant en longueur à mesure qu'elle s'éloigne de la tige ; la fleur de l'inga de Pison & du P. Plumier, mais le fruit différent, & la gousse non héxagone, mais à quatre faces, dont les deux grandes ont 16 à 18 lignes, & les deux petites 7 à 8 de longueur variable, depuis un pié jusqu'à quatre pouces, divisée en-dedans en plusieurs loges qui contiennent chacune un grain semblable à une feve plate, enveloppé dans une substance blanche & filamenteuse qu'on prendroit pour du coton, mais qui n'est qu'une espece d'huile prise qu'on mange pour se rafraîchir & qui laisse dans la bouche un petit goût musqué fort agréable, ce qui lui a fait donner le nom parmi les François de pois sucrin. Frez. pag. 155. 156.
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PACCASJETTI | (Hist. nat. Botan.) arbrisseau des Indes orientales, dont les feuilles pulvérisées & appliquées sur les ulceres, dissipent les excrescences & les chairs baveuses ; prises intérieurement, elles sont sudorifiques & diminuent les accès des fievres intermittentes.
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PACEM | (Géog. mod.) bourgade de l'île Sumatra, au royaume d'Achem. Elle étoit autrefois capitale d'un royaume dont s'est emparé le roi d'Achem. Long. 115. lat. 5. 2.
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PACF | ou PAFI, le grand pacfi, s. m. (Marine) c'est la grande voile, la plus basse voile qui est au grand mât.
Pacfi, le petit pacfi, c'est la voile de misene. Voyez VOILE. Etre aux deux pacfis, c'est être aux deux basses voiles. (Z)
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PACHA D'EGYPTE | (Hist. mod.) autrement bacha d'Egypte. La partie de ce pays soumise au grand-seigneur, est gouvernée par un pacha qui a cependant très-peu de pouvoir réel, mais qui semble principalement y être envoyé pour que les ordres du divan, des beys & des ogiacs militaires, soient exécutés par leurs propres officiers. S'il afferme les terres du grand-seigneur, les taxes imposées sur les terres lors de la mort du fermier lui appartiennent. Originairement toutes les terres de l'Egypte appartenoient au grand-seigneur, & la Porte les regarde encore comme de son domaine ; mais le pouvoir du grand-seigneur étant présentement perdu dans ce pays, les terres reviennent au plus proche héritier, qui en reçoit cependant l'investiture du pacha, qui est très-aise d'en traiter avec lui à bon marché. Sa charge demande d'être fort attentif à faire avorter tous les desseins qui peuvent devenir préjudiciables à la Porte ottomane : aussi est-il souvent désagréable au pays, & déposé en conséquence ; mais il ne s'en embarrasse guere, parce que sa personne est sacrée, & que la perte de son poste lui en procure toujours un autre fort considérable. Pocock, description de l'Egypte. (D.J.)
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PACHAA | (Hist. nat. Botan.) plante des Indes orientales ; elle est très-aromatique, ainsi que sa fleur qui est aussi verte que la plante qui la produit.
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PACHACAMAC | S. m. (Hist. mod.) nom que les idolâtres du Pérou donnoient au souverain être qu'ils adoroient avec le soleil & d'autres fausses divinités. Le principal temple de Pachacamac étoit situé dans une vallée à quatre lieues de Lima, & avoit été fondé par les incas ou empereurs du Pérou. Ils offroient à cette divinité ce qu'ils avoient de plus précieux, & avoient pour son idole une si grande vénération, qu'ils n'osoient la regarder. Aussi les rois & les prêtres même entroient-ils à reculons dans son temple, & en sortoient sans se retourner. Les Péruviens avoient mis dans ce temple plusieurs idoles qui, dit-on, rendoient des oracles aux prêtres qui les consultoient. Jovet, histoire des religions. Ferdinand Pizaro tira de grandes richesses du temple de Pachacamac : les ruines qui en subsistent encore donnent une grande idée de sa magnificence.
PACHACAMAC, Vallée de, (Géog. mod.) vallée de l'Amérique méridionale au Pérou, située environ à quatre lieues au sud de Lima. Cette vallée admirable par sa fertilité, étoit fameuse avant la conquête du Pérou, par le riche temple de son idole, qui lui avoit donné son nom. Les Historiens disent que Ferdinand Pizaro tira de ce temple plus de 900 mille ducats en or, sans compter le pillage de ses soldats. Cette vallée est arrosée par une riviere de son nom, qui a son embouchure dans la mer du Sud ; & les rochers de la côte qui sont tout blancs, portent aussi le nom de Pachacamac. (D.J.)
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PACHACAMALI | c'est le même que Pachacamac.
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PACHAMAMA | nom d'une déesse des habitans du Pérou.
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PACHISUS | (Géog. anc.) fleuve de Sicile, selon Vibius Sequester, de fluminib. qui dit que le jeune Pompeius y fut tué ; mais il y a certainement une faute dans le passage de Vibius, car outre qu'aucun auteur ancien n'a connu de fleuve nommé Pachisus, les Historiens nous apprennent que Sextus Pompeius se sauva en Asie & qu'il y fut tué.
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PACHON | (Chronolog.) nom que les Egyptiens donnent au neuvieme mois de l'année. Il commence le 26 Avril du calendrier Julien, & le 7 Mai du Grégorien. (D.J.)
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PACHTLI | S. m. (Hist. mod.) le onzieme & douzieme des dix-huit mois de 20 jours qui composent l'année des Mexicains. Ils nomment encore le onzieme Hécolti, & le douzieme Hiteipachtli.
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PACHYNEO | (Géogr. anc.) Pachynum promontorium ou Pachymus ; promontoire de la Sicile dans la partie orientale de cette île du côté du midi : c'est l'un des trois promontoires qui ont fait donner à la Sicile le nom de Trinacrie. Plutarque parle de ce promontoire ; on le nomme présentement le cap de Passaro. (D.J.)
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PACHYNTIQUES | (Médecine) de , épais, dense, &c. sont des remedes incrassans ou d'une nature épaississante, mais d'ailleurs froids. Ces remedes en se mêlant dans un suc fort délayé en joignent les parties, l'épaississent & le rendent d'une composition plus dense & plus ferme. Blancard. Voyez INCRASSANS.
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PACHYS | S. m. (Médecine) , épais. Hippocrate décrit dans son Traité des maladies intérieures, une indisposition ou plutôt différentes maladies, sous le nom de , maladie épaisse. On fait quatre especes de cette maladie.
On ne trouve point que nos praticiens modernes, ni même ceux d'entre nos anciens qui sont venus après lui, aient décrit aucune maladie particuliere qui fût accompagnée de tant d'accidens à-la-fois, & si peu analogues les uns aux autres, d'où quelques-uns ont inféré, ou que ces maladies ont cessé & n'attaquent plus personne aujourd'hui, ou qu'elles n'ont jamais été, & que ce sont des maladies feintes dont la description est faite à plaisir. Mais ces conjectures n'ont aucune probabilité ; il est beaucoup plus raisonnable de supposer que le livre où ces maladies sont décrites n'est point d'Hippocrate, mais que c'est l'ouvrage des Médecins cnidiens, que l'on accuse d'un défaut fort remarquable dans le livre où l'on trouve la description de la maladie épaisse. Ce défaut est de multiplier les classes de maladies sans aucune nécessité ; c'est à cette multiplication & à cette distinction inutile qu'il faut attribuer l'obscurité dans ce que nous venons de dire du pachys. Le Clerc Hist. de la Med. liv. III. chap. xj.
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PACIAIRE | S. m. (Hist. ecclésiast.) Le concile de Montpellier de l'an 1214, & celui de Toulouse de 1229, appellent paciaires, ceux qui étoient commis par le pape pour faire observer la paix. Clement IV. conféra le nom & la dignité de paciaire dans la Toscane, à Charles I. roi de Sicile. Les échevins des villes ont été paciaires entre les bourgeois.
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PACIFERE | (Art numismat.) Dans une médaille de Marc-Aurele, Minerve est surnommée pacifera ; & dans une de Maximin on lit, Mars paciferus.
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PACIFICATEUR | PACIFICATEUR
Wicquefort cependant met de la différence entre médiateur & pacificateur. La paix ayant été conclue entre l'Angleterre & la France en 1621, les actes furent remis de part & d'autre dans les mains de quelques ambassadeurs qui avoient été employés comme pacificateurs, non comme médiateurs, & ils furent chargés de garder ces actes jusqu'à l'échange des ratifications. De même l'archevêque de Pise, ambassadeur du grand duc de Toscane à Madrid, ne fut jamais regardé comme médiateur dans les conférences de la France avec l'Espagne, quoique les ambassadeurs françois lui eussent permis d'y assister, & de se porter pour pacificateur des différens qui étoient entre les deux nations. Le grand duc n'avoit point offert sa médiation, & la France d'ailleurs n'auroit pas voulu l'accepter. Wicquefort, p. 2. §. 11.
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PACIFICATION | S. f. (Hist. mod.) l'action de remettre ou de rétablir la paix & la tranquillité dans un état.
Dans notre histoire, on entend par édits de pacification plusieurs ordonnances des rois de France, rendues pour pacifier les troubles de religion qui s'éleverent dans le royaume pendant le xvj. siecle.
François I. & Henri II. avoient rendu des édits très-séveres contre ceux qui feroient profession des nouvelles opinions de Luther & de Calvin. Charles IX. en 1561 suivit à cet égard les traces de ses prédécesseurs ; mais les hommes souffriront toujours impatiemment qu'on les gène sur un objet, dont ils croyent ne devoir compte qu'à Dieu ; aussi le prince fut-il obligé au mois de Janvier 1562, de révoquer son premier édit par un nouveau qui accordoit aux Prétendus Réformés le libre exercice de leur religion, excepté dans les villes & bourgs du royaume. En 1563, il donna à Amboise un second édit de pacification qui accordoit aux gentilshommes & hauts-justiciers, la permission de faire faire le prêche dans leurs maisons pour leur famille & leurs sujets seulement. On étendit même ce privilege aux villes, mais avec des restrictions qui le rendirent peu favorable aux Calvinistes ; au lieu qu'on les obligea à restituer aux Catholiques les Eglises qu'ils avoient usurpées. L'édit de Lonjumeau suivit en 1568 ; mais les deux partis qui cherchoient à s'y tromper mutuellement, étant peu de tems après rentrés en guerre, Charles IX. par un édit donné à Saint-Maur au mois de Septembre 1568, révoqua tous les précédens édits de pacification. Cependant la paix ayant été faite le 8 Août 1570, dès le 10 du même mois, ce prince rendit un nouvel édit, qui, aux privileges accordés par les précédens, ajouta celui d'avoir quatre places de sûreté ; savoir, la Rochelle, Montauban, Coignac & la Charité, pour leur servir de retraite pendant deux ans.
Le massacre de la saint Barthelemi & un édit qui le suivit de près, annulla toutes ces conditions ; mais Henri III. en 1576 donna un nouvel édit de pacification, plus favorable aux Calvinistes qu'aucun des précédens ; la ligue qui commença alors, le fit révoquer aux états de Blois sur la fin de la même année ; mais le roi se vit obligé de faire en leur faveur l'édit de Poitiers du 8 Septembre 1577, par lequel en rétablissant à certains égards, & en restraignant à d'autres les privileges accordés par les précédens édits pour le libre exercice de leur religion, il leur accorda de plus d'avoir des chambres mi-parties, & huit places de sureté pour six ans ; savoir, Montpellier, Aiguesmortes, Nyons, Seyne, la Grand'Tour, & Serres en Dauphiné ; Périgueux, la Réole, & le mas de Verdun en Guienne. Mais en 1585 & 1588, la ligue obtint de ce prince la révocation totale de ces édits.
Enfin Henri IV. en 1591, cassa les derniers édits d'Henri III. & en 1598 donna à Nantes ce fameux édit de pacification, qui entr'autres choses permettoit aux prétendus Réformés l'exercice public de leur religion dans tous les lieux où il avoit été fait publiquement pendant les années 1596 & 1597, & leur en accordoit l'exercice particulier à deux lieues des principales villes, pour chaque bailliage où on n'en pouvoit établir l'exercice public sans trouble. Louis XIII. le confirma à Nîmes en 1610, & Louis XIV. en 1652, pendant les troubles de la minorité ; mais il le révoqua en 1656, & le supprima en 1685.
Les Protestans se sont plaints avec amertume de la révocation de l'édit de Nantes, & leurs plaintes ont été fortifiées de celles de tous les gens de bien Catholiques, qui tolerent d'autant plus volontiers l'attachement d'un protestant à ses opinions, qu'ils auroient plus de peine à supporter qu'on les troublât dans la profession des leurs ; de celles de tous les philosophes, qui savent combien notre façon de penser religieuse dépend peu de nous, & qui prêchent sans cesse aux souverains la tolérance générale, & aux peuples l'amour & la concorde ; de celles de tous les bons politiques qui savent les pertes immenses que l'état a faites par cet édit de révocation, qui exila du royaume une infinité de familles, & envoya nos ouvriers & nos manufactures chez l'étranger.
Il est certain qu'on viola à l'égard des Protestans, la foi des traités & des édits donnés & confirmés par tant de rois ; & c'est ce que Bayle démontre sans réplique dans ses lettres critiques sur l'histoire du Calvinisme. Sans entrer ici dans la question, si le prince a droit ou non de ne point tolérer les sectes opposées à la religion dominante dans son état, je dis que celui qui penseroit aujourd'hui qu'un prince doit ramener par la force tous ses sujets à la même croyance, passeroit pour un homme de sang ; que graces à une infinité de sages écrivains, on a compris que rien n'est plus contraire à la saine religion, à la justice, à la bonne politique & à l'intérêt public que la tyrannie sur les ames.
On ne peut nier que l'état ne soit dans un danger imminent lorsqu'il est divisé par deux cultes opposés, & qu'il est difficile d'établir une paix solide entre ces deux cultes ; mais est-ce une raison pour exterminer les adhérans à l'un des deux ? n'en seroit-ce pas plutôt une au contraire pour affoiblir l'esprit de fanatisme, en favorisant tous les cultes indistinctement ; moyen qui appelleroit en même tems dans l'état une infinité d'étrangers, qui mettroit sans cesse un homme à portée d'en voir un autre séparé de lui par la maniere de penser sur la religion, pratiquer cependant les mêmes vertus, traiter avec la même bonne foi, exercer les mêmes actes de charité, d'humanité & de bienfaisance ; qui rapprocheroit les sujets les uns des autres ; qui leur inspireroit le respect pour la loi civile qui les protegeroit tous également ; & qui donneroit à la morale que la nature a gravée dans tous les coeurs, la préférence qu'elle mérite.
Si les premiers chrétiens mouroient en bénissant les empereurs payens, & ne leur arrachoient pas par la force des armes des édits favorables à la Religion, ils ne s'en plaignoient pas moins amèrement de la liberté qu'on leur ôtoit, de servir leur Dieu selon la lumiere de leur conscience.
En Angleterre, par édit de pacification on entend ceux que fit le roi Charles I. pour mettre fin aux troubles civils entre l'Angleterre & l'Ecosse en 1638. Voyez EDIT.
On appelle aussi pacification en Hongrie des conditions proposées par les états du royaume, & acceptées par l'archiduc Léopold en 1655 ; mais ce prince devenu empereur, ne se piqua pas de les observer exactement, ce qui causa de nouveaux troubles dans ce royaume pendant tout son regne.
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PACIFICIS | REGLE DE, (Jurisprud.) Voyez au mot REGLE. (A)
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PACIFIER | v. act. (Gramm.) appaiser, rétablir la paix. Les troubles du royaume ont été pacifiés par les soins de ce ministre.
PACIFIER, SE PACIFIER, (Marine) on se sert de ce terme sur mer. La mer se pacifia ; l'air fut pacifié par un grand calme.
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PACIFIQUE | adj. (Gram.) qui aime la paix. On dit ce fut un prince pacifique. Le Christ dit bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appellés enfans de Dieu. Voilà un titre auquel l'auteur de l'apologie de la révocation de l'édit de Nantes doit renoncer. Un regne pacifique est celui qui n'a été troublé ni par des séditions ni par des guerres. Un possesseur pacifique est celui dont le tems de la jouissance tranquillise & assure la possession. Un bénéfice pacifique celui dont le titre n'est & ne peut être contesté.
PACIFIQUES ou PACIFICATEURS, s. m. (Hist. eccl.) est le nom qu'on donna dans le vj. siecle à ceux qui suivoient l'hénotique de l'empereur Zénon, & qui sous prétexte d'union entre les Catholiques & les Hérétiques, détruisoient la vérité de la foi, exprimée dans le concile de Chalcédoine. Evagre, liv. III. Sanderus, Haer. 103. Baronius A. C. 582. n. 25. Voyez HENOTIQUE.
PACIFIQUES, (Hist. ecclés.) on donna dans le xvj. siecle ce nom à certains anabaptistes qui courant dans les bourgs, se vantoient d'annoncer la paix, & par cet artifice trompoient les peuples. Prateole V. pacif. foedere. Haer. 232.
PACIFIQUES, (Jurisprud.) voyez LETTRES PACIFIQUES, & le mot PACIFICIS.
PACIFIQUE, adj. (Géog.) les Géographes appellent la mer du Sud mer pacifique, mare pacificum, parce qu'elle est, dit-on, beaucoup moins sujette aux tempêtes que l'Océan atlantique ou mer du Nord. Cependant quelques navigateurs assurent qu'elle ne mérite point ce nom, & qu'ils y ont essuyé des tempêtes aussi violentes que dans aucune autre mer. Mais Magellan ayant vogué sur cette vaste mer avec un vent favorable, & y ayant fait un voyage fort tranquille lorsqu'il la traversa pour la premiere fois en 1520, lui donna le nom de mer pacifique, qu'elle a toujours conservé depuis.
Les vents y sont ordinairement si réglés, que les vaisseaux peuvent aller de l'Amérique aux îles Philippines en dix semaines de tems ou environ. Voyez ALISE & VENT. Chambers.
La mer Pacifique en Géographie, s'appelle mer du Sud. Voyez MER DU SUD. L'Océan pacifique ou grande mer du Sud est située entre la côte occidentale d'Asie & d'Amérique ; elle s'étend jusqu'à la Chine & aux îles Philippines.
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PACKBUYS | S. m. (Commerce) on nomme ainsi en Hollande les magasins de dépôt où l'on serre les marchandises soit à leur arrivée, soit à la sortie du pays, lorsque pour quelque raison légitime on n'en peut sur-le-champ payer les droits, ou qu'elles ne peuvent être retirées par les marchands & propriétaires, ou dans quelqu'autre pareille circonstance. Diction. de Comm.
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PACO | S. m. (Minéralog.) c'est ainsi que les Espagnols d'Amérique nomment une substance minérale que l'on tire des mines d'argent du Pérou & du Chily. Elle est d'un rouge jaunâtre, tendre & naturellement brisée par morceaux ; elle est peu riche, c'est-à-dire qu'elle ne produit que très-peu d'argent.
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PACO-CAATINGA | S. m. (Botan. exot.) genre de canne conifere du Brésil qui contient quelques especes distinguées les unes par des fleurs tétrapétales rouges, les autres par des fleurs tétrapétales bleues. Ray, hist. plant.
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PACOBA | S. m. (Hist. nat. Botan.) petit arbre qui croît dans plusieurs provinces des Indes orientales & occidentales ; il s'appelle autrement musa. V. MUSA.
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PACONIA | (Géog. anc.) île sur la côte septentrionale de la Sicile. Ptolémée la place vers l'embouchure du fleuve Bathys. Cluvier juge que cette île est celle que l'on nomme aujourd'hui isola di Fimi, ou isola delle Femine.
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PACOS | S. m. (Zoologie) espece de chameau qui passe si communément pour être une espece de mouton, qu'on l'appelle le mouton des Indes, le mouton du Pérou. Il ressemble fort au chameau nommé glama par les Naturalistes ; mais il est beaucoup plus petit, moins traitable, & même très-revêche.
Ce qui a fait regarder cet animal comme une espece de mouton, c'est qu'il est prodigieusement couvert d'un long poil qui imite de la laine ; sa tête & son col seulement en sont plus garnis qu'il n'y a de laine sur les gros moutons d'Angleterre ; tout le reste de son corps n'est pas moins chargé de poil laineux & très-fin.
Le pacos est un animal si foible, qu'on ne peut l'employer par cette raison à porter aucun fardeau ; mais on le parque comme nos moutons, à cause de son poil laineux & de sa chair qui est délicieuse. (D.J.)
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PACOSEROCA | S. f. (Botan. exot.) c'est une plante du Brésil & de la Martinique, dont parlent Marggrave & Pison ; elle a le port & le feuillage du cannacorus ou de la canne d'Inde, & s'éleve à six ou sept piés. Sa principale tige est droite, spongieuse, verte, & ne produit point de fleurs ; mais il s'éleve à ses côtés & de sa racine, deux ou trois autres petites tiges à la hauteur d'un pié & demi, grosses comme le petit doigt, chargées de fleurs rouges ; il leur succede un fruit gros comme une prune, oblong, triangulaire, rempli d'une pulpe filamenteuse, succulente, de couleur safranée, d'une odeur vineuse, agréable, renfermant des semences triangulaires, jaunâtres, rassemblées en pelotons, contenant chacune une amande blanche. Le fruit de cette plante donne une teinture rouge qui s'efface avec peine ; en y mêlant du jus de citron, cette teinture fait un beau violet. La racine de cette plante bouillie dans de l'eau, fournit aussi une teinture jaune. Les Indiens employent cette plante dans leurs bains. (D.J.)
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PACOTILL | ou PAQUOTILLE, s. f. terme de Commerce de mer, qui signifie un certain poids, volume ou quantité de marchandises qu'il est permis aux officiers, matelots & gens de l'équipage d'embarquer pour en faire commerce pour leur compte. On l'appelle aussi portée, voyez PORTEE. Dictionn. de Comm.
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PACOUZII | S. m. (Botan. exot.) grand arbre du Brésil ; ses feuilles ressemblent à celles du poirier ; sa fleur est blanche, & son fruit est de la grosseur des deux poings, avec une écorce qui a environ un demi-pouce d'épaisseur. On la cuit & on en fait avec du sucre une espece de conserve. (D.J.)
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PACQUING | S. m. (Ornitholog.) petit oiseau des îles Philippines, du genre des passereaux, mais d'un plumage admirable. Il ne vit que de graines, sur-tout de celles de l'herbe.
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PACQUIRES | S. m. pl. (Hist. natur. quadrup.) animaux qui se trouvent dans l'île de Tabago ; ce sont des especes de porcs que les Sauvages ont ainsi nommés ; ils ont le lard ferme, peu de poil, & le nombril sur le dos, à ce que l'on ajoute.
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PACTA-CONVENTA | (Hist. mod. politiq.) c'est ainsi que l'on nomme en Pologne les conditions que la nation polonoise impose aux rois qu'elle s'est choisi dans la diete d'élection. Le prince élu est obligé de jurer l'observation des pacta-conventa, qui renferment ses obligations envers son peuple, & sur-tout le maintien des privileges des nobles & des grands officiers de la république dont ils sont très-jaloux. Au premier coup-d'oeil on croiroit d'après cela que la Pologne jouit de la plus parfaite liberté ; mais cette liberté n'existe que pour les nobles & les seigneurs, qui lient les mains de leur monarque afin de pouvoir exercer impunément sur leurs vassaux la tyrannie la plus cruelle, tandis qu'ils jouissent eux-mêmes d'une indépendance & d'une anarchie presque toujours funeste au repos de l'état ; en un mot, par les pacta-conventa les seigneurs polonois s'assurent que le roi ne les troublera jamais dans l'exercice des droits, souvent barbares, du gouvernement féodal, qui subsiste aujourd'hui chez eux avec les mêmes inconvéniens que dans une grande partie de l'Europe, avant que les peuples indignés eussent recouvré leur liberté, ou avant que les rois, devenu plus puissans eussent opprimé les nobles ainsi que leurs vassaux.
Lorsqu'une diete polonoise est assemblée, on commence toujours par faire lecture des pacta-conventa, & chaque membre de l'assemblée est en droit d'en demander l'observation, & de faire remarquer les infractions que le roi peut y avoir faites.
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PACTE | S. m. pactum, signifie en général un accord, une convention.
Ulpien, dans la loi I. § ff. de pactis, fait venir ce mot de pactio, dont on prétend que le mot pax a aussi pris son origine ; & en effet dans nos anciennes ordonnances le terme de paix signifie quelquefois convention.
Chez les Romains on distinguoit les contrats & obligations des simples pactes ou pactes nuds, appellés aussi pactum solum.
Le pacte nud étoit ainsi appellé quasi nudatum ab omni effectu civili ; c'étoit une simple convention naturelle, une convention sans titre, une simple promesse, qui n'étant fondée que sur la bonne foi & le consentement de ceux qui contractoient, ne produisoit qu'une obligation naturelle qui n'entraînoit avec elle aucuns effets civils. Voyez la loi 23. Cod. de pign. & hyp. & la loi 15. cod. de transact.
Le droit de propriété ne pouvoit être transmis par un simple pacte : ces sortes de conventions ne produisoient point d'action, mais seulement une exception. Voyez OBLIGATION NATURELLE.
Parmi nous on confond le terme de pacte, accord & convention. Tout pacte est obligation, pourvû qu'il soit conforme aux regles. Le terme de pacte est néanmoins encore usité pour désigner certaines conventions.
Pacte appellé in diem addictio, étoit chez les Romains une convention qui étoit quelquefois ajoutée à un contrat de vente, par laquelle les contractans convenoient que si dans un certain tems quelqu'un offroit un plus grand prix de la chose vendue, on rendroit dans un certain tems la condition de celui qui vendoit meilleure par quelque moyen que ce fût ; le vendeur pouvoit retirer la chose vendue des mains de l'acheteur. Voyez le tit. 2 du liv. XVIII. du Digeste.
Le pacte n'est point admis parmi nous pour les ventes volontaires, mais on peut le rapporter aux adjudications par decret qui se font sauf quinzaine, pendant laquelle chacun est admis à enchérir sur l'adjudicataire. Voyez DECRET & RABATTEMENT DE DECRET.
Pacte de famille, est un accord fait entre les personnes d'une même famille, & quelquefois entre plusieurs familles, pour régler entre les contractans & leurs descendans, l'ordre de succéder autrement qu'il n'est réglé par la loi.
L'usage des pactes de famille paroît être venu d'Allemagne, où il commença à s'introduire dans le xiij. siecle, en même tems que le droit romain.
Les anciennes lois des Allemands ne permettoient pas que les filles concourussent avec les mâles dans les successions allodiales.
Lorsque le Droit romain commença d'être observé en Allemagne, ce qui arriva dans le xiij. siecle, la noblesse allemande jalouse de ses anciens usages & de la splendeur de son nom, craignit que l'usage du Droit romain ne fît passer aux filles une partie des allodes : ce fut ce qui donna la naissance aux pactes de famille.
Ces pactes ne sont en effet autre chose que des protestations domestiques, par lesquelles les grandes maisons se sont engagées de suivre dans l'ordre des successions allodiales l'ancien droit de l'empire, qui affecte aux mâles tous les allodes, c'est-à-dire tous les biens patrimoniaux à l'exclusion des filles.
Il est d'usage de fixer dans ces pactes la quotité des dots qui doivent être données aux filles, & pour une plus grande précaution, la famille convient de faire en toute occasion, renoncer les filles à toutes successions en faveur des mâles : ces sortes de pactes sont très communs dans les grandes maisons d'Allemagne.
En France au contraire ils sont peu usités ; nous n'en connoissons guere d'autre exemple parmi nous que celui des différentes familles qui sont propriétaires des étaux de boucherie de l'apport Paris, & des maisons de la rue de Gêvres, entre lesquels, par un ancien pacte de famille, les mâles sont seuls habiles à succéder à ces biens, à l'exclusion des filles ; il y a même droit d'accroissement à défaut de mâles d'une famille au profit des mâles des autres familles.
Ces sortes de pactes ne peuvent produire parmi nous aucun effet, à moins qu'ils ne soient autorisés par lettres-patentes. Voyez Berengarius, Ferrandus, Francisc. Marc. & Charondas en ses réponses.
Pacte de la loi commissoire, est une convention qui se fait entre le vendeur & l'acheteur, que si le prix de la chose vendue n'est pas payé dans un certain tems, la vente sera nulle s'il plaît au vendeur.
Ce pacte est appellé loi, parce que les pactes sont les lois des contrats, & commissoire, parce que la chose vendue, venditori committitur, c'est-à-dire que dans ce cas elle lui est rendue comme si la vente n'avoit point été faite.
L'effet de ce pacte n'est pas de rendre la vente conditionnelle, mais il opere la résolution au cas que la condition prévûe arrive, savoir le défaut de payement du prix dans le tems convenu.
Il n'est pas besoin pour cela que le vendeur ait averti l'acheteur de payer, parce que, dies interpellat pro homine.
Ce pacte étant en faveur du vendeur, il est à son choix de se servir de la faculté qu'il lui donne, ou de poursuivre l'acheteur pour l'exécution de la vente ; mais quand une fois le vendeur a opté l'un ou l'autre des deux partis, il ne peut plus varier.
Le vendeur d'un héritage qui demande la résolution de la vente en vertu d'un tel pacte, peut faire condamner l'acheteur à la restitution des fruits, à moins que l'acheteur n'ait payé des arrhes, ou une partie du prix, auquel cas les jouissances se compensent jusqu'à dûe concurrence.
On ne peut pas demander la résolution de la vente faute de payement, lorsque l'acheteur a fait au vendeur, dans le tems convenu, des offres réelles du prix, ou qu'il a consigné, ou qu'il n'a pas tenu à lui de payer à cause de quelque saisie ou empêchement procédant du fait du vendeur.
Quoiqu'on n'ait pas apposé dans la vente le pacte de la loi commissoire, le vendeur ne laisse pas d'avoir la faculté de poursuivre l'acheteur pour résilier la vente faute de payement du prix convenu.
En fait de prêt sur gage, on ne peut pas opposer le pacte de la loi commissoire, c'est-à-dire stipuler que si le débiteur ne satisfait pas dans le tems convenu, la chose engagée sera acquise au créancier ; un tel pacte seroit usuraire, & comme tel il étoit réprouvé par les lois romaines, lib. ult. cod. de pact. pign. à moins que le créancier n'achetât la chose son juste prix, l. XVI. § ult. ff. de pign. & hyp. Voyez Henrys, tom. I. liv. IV. ch. vj. quest. xlj. & xlij. (A)
PACTE de quotâ litis, est une convention par laquelle le créancier d'une somme difficile à recouvrer, en promet une portion, comme le tiers ou le quart, à quelqu'un qui se charge de lui procurer son payement.
Cette convention est valable quand elle est faite en faveur de quelqu'un qui ne fait que l'office d'ami & qui veut bien avancer son argent pour la poursuite d'un procès.
Mais elle est vicieuse & illicite quand elle est faite au profit du juge ou de l'avocat ou procureur du créancier, ou de quelque solliciteur de procès, parce que l'on craint que de telles personnes n'abusent du besoin que l'on peut avoir de leur ministere pour se faire ainsi abandonner une certaine portion de la créance. Voyez Papon, l. XII. tit. 2. n °. 1. Louet & son commentateur, let. L. s. 2. & Mornac sur la loi 6. § maurus ff. mandati, & sur la loi sumptus ff. de pactis, & la loi si qui advocatorum, cod. de postulando. (A)
PACTE DE SUCCEDER, est la même chose que pacte de famille. Voyez ci-devant PACTE DE FAMILLE.
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PACTION | S. f. (Jurisprud.) signifie convention. Chez les Romains on distinguoit un simple pacte ou paction d'un contrat. Voyez ci-devant PACTE.
Parmi nous le terme de paction n'est guere usité qu'en parlant de certaines conventions qui ne sont pas légitimes, & qu'on appelle pactions illicites. Voyez CONTRAT, CONVENTION. (A)
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PACTOLE | (Géog. anc.) Pactolus, fleuve d'Asie, dans la Lydie ; c'est le Ludon, Lydon flumen de Varron, & le Lydius amnis de Tibulle. Il prenoit sa source dans le mont Tmolus, mouilloit la ville de Sardes & se jettoit dans l'Hermus, qui va se perdre dans le golfe de Smyrne selon Ptolémée, l. V. c. ij. & Strabon, l. XI. p. 526.
Son lit est étroit & sans profondeur, son cours très borné ; mais le canton qu'il traverse est un des plus beaux de la province. Il passe aujourd'hui près des ruines de Sardes ; mais autrefois il couloit au milieu de cette ville, l'une des plus anciennes & des plus riches de l'Asie mineure.
Le Pactole, à peine remarqué de nos jours dans les lieux qu'il arrose, étoit jadis fameux par plusieurs choses, dont la plus considérable est un mêlange de parcelles d'or avec le sable qui rouloit dans son lit. Les auteurs anciens parlent de cette singularité ; les Poëtes sur-tout l'ont célébrée comme à l'envi, & les continuelles allusions que les modernes font au Pactole, lui conservent encore une réputation qu'il ne mérite plus depuis long-tems.
Le Pactole a reçu le nom de Chrysorrhoas, épithete commune autrefois à plusieurs rivieres dont les eaux bienfaisantes fertilisoient leurs bords. Le Pactole la méritoit à ce titre & par une raison plus forte, les paillettes d'or qu'il entraînoit justifioient à son égard le surnom de Chrysorrhoas, lequel pris à la lettre, désigne une riviere qui coule des flots chargés d'or.
Suivant Ovide, Hygin, & Planciades, c'est à Midas, roi de Phrygie, que le Pactole a dû ses richesses. Ce prince avoit obtenu de Bacchus, le don de convertir en or tout ce qu'il touchoit : don funeste, dont il sentit bien-tôt les affreuses conséquences. Pour s'en délivrer il implora la pitié du dieu, qui lui dit de se baigner dans le Pactole, dont les eaux en le recevant acquirent la propriété qu'il perdit. Nous rapportons cette tradition fabuleuse empruntée des Grecs par les mythologues latins, pour montrer qu'il fut un tems où le Pactole passoit pour n'avoir point roulé d'or avec ses eaux. Mais quand a-t-il commencé ? C'est ce qu'il est impossible de déterminer. Hésiode ne fait aucune mention du Pactole, quoiqu'il ait donné dans sa Théogonie une liste de la plûpart des rivieres de l'Asie mineure, dont quelques-unes n'ont qu'un cours très-peu étendu. Homere n'en parle jamais ; ce poëte étoit géographe : auroit-il ignoré que dans le voisinage des lieux où il place l'Iliade, & de ceux mêmes, où selon quelques écrivains, il avoit pris naissance, couloit un fleuve qui, pour nous servir de l'expression de Virgile, arrosoit de son or les campagnes de la Lydie ? Et s'il ne l'ignoroit pas, auroit-il pu négliger cette singularité, si susceptible des ornemens de la poésie ? Ce fut donc long-tems après que les eaux du Pactole commencerent à rouler de l'or, & nous savons seulement que Xerxès I. en tiroit de cette riviere ; elle en fournissoit encore du tems d'Hérodote ; mais enfin la source s'en tarit insensiblement, & long-tems avant Strabon qui vivoit sous Tibere, le Pactole avoit perdu cette propriété.
Si l'on demande de quelle nature étoit cet or, nous répondrons avec l'auteur du traité sur les fleuves, & le scholiaste de Licophron, que c'étoit des paillettes mêlées le plus souvent avec un sable brillant, & quelquefois attachées à des pierres que les courans d'eau enlevoient de la mine. Au rapport de quelques anciens, de Varron entr'autres, & de Dion Chrysostôme, la quantité de ces paillettes étoit comparable à celui qu'on retire des mines les plus abondantes. Le Pactole, à les entendre, fut la principale source des richesses de Crésus ; il en tira la matiere de ces briques d'or d'un si grand prix, dont il enrichit le temple d'Apollon ; mais gardons-nous de prendre au pié de la lettre ces témoignages de deux écrivains, qui n'ont consulté qu'une tradition vague des plus exagérées par les Grecs.
Ils apprirent avec admiration qu'un métal que la nature leur avoit refusé, couloit ailleurs dans les sables d'une riviere : singularité frappante, sur-tout pour des hommes épris du merveilleux. De-là vint la gloire du Pactole. Long-tems après la découverte des mines de la Thrace, le pillage du temple de Delphes, & sur-tout les conquêtes d'Alexandre, rendirent l'or plus commun dans la Grece ; mais la réputation du Pactole étoit faite, elle subsista sans s'affoiblir, & dure encore, du-moins parmi nos Poëtes, dont le langage est l'asyle de bien des faits proscrits ailleurs.
Rabattons donc infiniment du récit des anciens, pour avoir une juste idée des richesses du Pactole, qui toutefois étoient considérables. Si cette riviere n'avoit que détaché par hasard quelques parcelles d'or des mines qu'elle traversoit, elle n'auroit pas mérité l'attention de Crésus & de ses ayeux, moins encore celle des rois de Perse successeurs de Crésus. Les souverains s'attachent rarement à des entreprises dont la dépense excede le profit. Le soin avec lequel les rois de Lydie ramassoient l'or du Pactole, suffit pour montrer que la quantité en valoit la peine.
Le peu de profondeur du Pactole, & la tranquillité de son cours, facilitoient le travail nécessaire pour en retirer les parcelles de ce métal précieux ; ce que les ouvriers laissoient échapper alloit se perdre dans l'Hermus, que les anciens mirent par cette raison au nombre des fleuves qui roulent l'or, comme on y met parmi nous la Garonne, quoiqu'elle ne doive ce foible avantage qu'à l'Ariège, Aurigera, qui lui porte de tems-en-tems quelques paillettes d'or avec ses eaux.
Au reste, celui du Pactole étoit au meilleur titre, car l'auteur du traité des fleuves lui donne le nom d'or darique, monnoie des Perses qui étoit à 23 karats, d'où il résulteroit que l'or du Pactole, avant que d'être mis en oeuvre, n'avoit qu'une 24. partie de matiere hétérogène.
Ajoutons à la gloire du Pactole, que l'on trouvoit dans ses eaux argentines une espece de crystal ; que les cygnes s'y plaisoient autant que dans celles du Caystre & du Méandre ; & que ses bords étoient émaillés des plus belles fleurs. Si l'on étoit assuré que la pourpre, si connue dans l'antiquité sous le nom de pourpre sardique, se teignît à Sardes & non pas en Sardaigne, on pourroit dire encore à la louange des eaux du Pactole, qu'elles contribuoient à la perfection de ces fameuses teintures. Enfin l'on sait que les habitans de Sardes avoient sous Septime-Sévere établi des jeux publics, dont le prix paroit tout-ensemble faire allusion aux fleuves qui embellissoient les rives du Pactole, & à l'or qu'il avoit autrefois roulé dans son lit : ce prix étoit une couronne de fleurs d'or.
Tout a changé de face ; à peine le Pactole est-il connu de nos jours : Smith, Spon, Whéeler, & d'autres voyageurs modernes n'en parlent que comme d'une petite riviere, qui n'offre rien aujourd'hui de particulier, & peut-être nous serions nous borné à le dire séchement, sans les recherches de M. l'abbé Barthélemi, dont nous avons eu le plaisir de profiter. (D.J.)
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PACTOLIDES | (Mythol.) nymphes qui habitoient les bords du Pactole. Voyez PACTOLE.
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PACTYA | (Géog. anc.) ville de Thrace. Ptolémée, liv. I. ch. xj. la met dans la Propontide, & Sophian l'appelle Panido. Ce fut depuis la ville de Cardie jusqu'à celle de Pactye, que Miltiade voulant mettre à couvert des invasions ordinaires le Chersonese où il s'étoit établi avec titre de souverain, fit bâtir une muraille qui fut en divers tems tantôt abattue, tantôt relevée, & enfin rétablie par Dercyllide, général lacédémonien, que ceux du pays avoient fait venir d'Asie. (D.J.)
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PACY | (Géog. mod.) ville de France en Normandie, sur l'Eure, à 3 lieues de Vernon. Long. 19. 3. lat. 19. 1.
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PADAN | S. m. (monnoie du Mogol) un padan de roupies vaut cent courons de roupies, & un couron cent lacks, un nil vaut cent padans ; le lack vaut cent mille roupies.
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PADANG | (Géog. mod.) ville des Indes dans l'île de Sumatra, sur la côte occidentale, au midi de Priaman. Elle est sur une riviere. Long. 113. 40. lat. 5. 10. (D.J.)
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PADELIN | (Verrerie) c'est le grand pot, ou le creuset où l'on met la matiere à vitrifier.
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PADERBORN | (Géog. mod.) ancienne ville d'Allemagne en Westphalie, capitale d'un petit état souverain possédé par son évêque suffragant de Mayence, prince de l'empire qui réside ordinairement à Neuhaus. Paderborn est sur un ruisseau nommé Pader, à 16 lieues N. O. de Cassel, 17 E. de Munster, 15. S. O. de Minden, 154 N. O. de Vienne. Long. 26. 28'. lat. 51. 46'.
L'évêché de Paderborn a été fondé par Charlemagne, & l'empereur Henri II. en a augmenté le temporel. Il est assez fertile quoique ce soit un pays de montagnes. On y trouve des mines de fer, & l'on compte plusieurs villes dans son district.
Ferdinand de Furstemberg, évêque de Munster & de Paderborn, a donné les antiquités de cette ville en 1672, sous le titre de Monumenta paderbornensia. Les allemands curieux peuvent consulter cet ouvrage, qui intéresse peu les étrangers.
Thierri de Niem, natif de Paderborn, dans le xiv. siecle, devint sous-secrétaire du pape Urbain VI. & mourut vers l'an 1417. On a de lui 1°. une histoire du schisme, qui est assez médiocre ; 2°. un journal du concile de Constance, qui est assez partial ; 3°. un traité des droits des empereurs aux investitures des évêques. Le style de cet auteur est dur & desagréable ; mais on trouve plus de fidélité dans sa narration, qu'on ne l'attendroit d'un écrivain qui s'étoit attaché à la cour de Rome. (D.J.)
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PADINATES | (Géog. anc.) peuples d'Italie, selon Pline. Cluvier & le P. Hardouin ont pensé qu'ils demeuroient vers l'embouchure du Panaro dans le Pô, dans l'endroit où est aujourd'hui le bourg de Bodeno.
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PADISCHAH | S. m. (Hist. mod.) en langue turque veut dire empereur ou grand roi. C'est le titre que le grand seigneur donne au roi de France seul, à l'exclusion de tous les autres princes de l'Europe, & même de l'empereur d'Allemagne. La raison qu'on en apporte, c'est qu'il regarde le roi de France comme son parent, & le nomme en conséquence padischah, titre qu'il prend lui-même dans les actes qu'il souscrit. Les Turcs fondent cette parenté sur ce qu'une princesse du sang de France qui alloit à Jérusalem, fut prise par des corsaires, présentée à Soliman, devint sultane favorite, & obtint du sultan qu'il qualifieroit le roi de padischah, & donneroit à ses ambassadeurs le pas sur tous les ministres étrangers.
Le prince Démétrius Cantimir qui rapporte cette histoire, ne balance pas à la traiter de fable ; & en effet il ne s'en trouve aucune trace ni dans les historiens, ni dans les généalogistes. Vican observe que ce titre, qu'il écrit podeshair, fut obtenu par surprise par les François ; mais il s'est fondé sur la tradition populaire dont nous venons de parler. Il suffit de penser que le grand seigneur accorde ce titre au roi en considération de sa puissance, du rang qu'il tient dans le monde, & de la bonne intelligence qui regne entre la cour de France & la porte Ottomane.
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PADOEI | (Géog. anc.) peuples de l'Inde, selon Hérodote, liv. III. ch. lxix. qui dit qu'ils se nourrissoient de chair crue. Tibulle fait aussi mention de ces peuples, liv. IV. éleg. I. v. 145.
Ultima vicinus Phaebo tenet arva Padoeus.
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PADOLIM | (Hist. nat. Botan.) plante des Indes orientales, qui produit une fleur blanche, ainsi qu'un fruit assez agréable qui ressemble à un concombre.
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PADOU | S. m. (Rubanier) espece de ruban fait de soie & de fleuret, qui sert à border des jupes, robes & autres habillemens de femmes. Les Tailleurs en employent aussi dans plusieurs ouvrages de leur métier.
Il y a des padous de toute sorte de couleurs, & même de plusieurs largeurs, qui sont distingués par des numeros 2. 3. & 5.
Le n°. 2 a 9 lignes de largeur.
Le n°. 3 est large de 15 lignes.
Le n°. 5 est d'un pouce & demi.
Le dernier numero qui n'est désigné par aucun chiffre, a au moins trois pouces & demi de largeur : c'est le plus large de tous les padous. Les padous contiennent ordinairement 24 aunes la piece.
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PADOUAN | S. m. (Art numismat.) est le nom que les antiquaires donnent aux médailles modernes faites à l'imitation de l'antique, c'est-à-dire, aux médailles modernes qui semblent frappées au coin de l'antique, & avoir tous les caracteres de l'antiquité. Voyez MEDAILLES.
Ce mot vient d'un célebre peintre italien, qui réussissoit si bien dans la fabrique de ces sortes de médailles, que les plus habiles avoient beaucoup de peine à les distinguer des médailles antiques. Ce peintre fut appellé le Padouan, du nom de Padoue sa ville natale ; son vrai nom étoit Giovanni Carino, ou, selon d'autres, Levis Lee. Il fleurissoit dans le xvij. siecle. Gosher Rink prétend qu'il avoit un associé dans la fabrique de ses médailles, qui s'appelloit Alexander Bassianus. Son fils Octavien, quoique né à Rome, fut aussi appellé le Padouan.
Padouan s'appliqua principalement aux médailles frappées sur les matrices de l'ancien Padouan, & que l'on conserve encore. Cependant on s'en sert en général pour désigner toutes les médailles d'une espece semblable à celles-là.
Le pere Jobert observe qu'en Italie le Padouan, le Parmesan & Carteron en Hollande, ont eu le talent d'imiter parfaitement l'antique. Le Parmesan s'appelloit Laurentius Parmesanus. Il y a eu aussi un autre italien qui a excellé dans ce genre, savoir Valerius Belus Vincentinus ; mais ses médailles ne sont pas si communes que celles des autres. Voyez MONNOIE & MONNOYAGE.
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PADOUE | (Géog. mod.) ancienne & célebre ville d'Italie, capitale du Padouan, qui est une contrée de l'état de Venise, avec une université fondée par Charlemagne, & un évêché suffragant d'Aquilée.
Padoue se nomme en latin Patavium, & en italien Padoua. Les Romains lui accorderent le droit de bourgeoisie, & le pouvoir de choisir ses sénateurs. Elle fut ruinée par Attila. Narsès l'ayant rétablie, les Lombards la détruisirent. Cependant elle jouissoit de sa liberté du tems de Charlemagne & de ses successeurs ; mais la république de Venise s'empara de Padoue & du Padouan au commencement du xv. siecle, & depuis ce tems-là les Venitiens en sont restés les maîtres.
Quoique Padoue se trouve dans le terroir le plus fertile de l'Italie, elle est triste, sale, mal peuplée, mal bâtie, mal pavée. Elle est sur les rivieres de la Brenta & de Bachiglione, à 6 lieues S. E. de Vicence, 16 S. O. de Venise, 90 N. de Rome. Long. suivant Cassini, 29. 36. lat. 45. 28.
Cette ville toute pauvre qu'elle est, a produit de tout tems des gens de lettres illustres. Thomasini vous en instruira dans son Parnasse padouan. Il a lui-même donné deux ouvrages latins estimés, l'un sur l'hospitalité, & l'autre sur les tableaux votifs.
Il auroit bien fait de ne pas oublier dans son recueil Sperone Speroni, poëte de Padoue, mort en 1688 à l'âge de 84. ans. Il mit au jour une tragédie intitulée Canacée, qui peut passer pour une des meilleures pieces dramatiques écrites en italien. Cependant l'action de cette tragédie révolta les beaux esprits d'Italie, parce que Canacée y commet un inceste avec son frere ; mais on a été obligé de condamner la délicatesse italienne, quand on a lu la défense que l'auteur écrivit pour justifier le choix de son sujet ; car la destinée de Canacée est semblable à celle de Phedre.
L'article de Pignorius (Laurent) méritoit, dans le parnasse de Thomasini quelques détails choisis, parce qu'il se distingua, comme antiquaire, dans le xvij. siecle. Il mourut de la peste en 1631 à l'âge de 60 ans. On a de lui un traité complet de servis, eorumque apud veteres ministeriis.
Enfin pourquoi Thomasini obmet-il dans sa liste la fameuse Andreini (Isabelle), née à Padoue sur la fin du xvj. siecle ? Ce fut une des plus belles, des plus spirituelles & des meilleures comédiennes qu'ait eu l'Italie. Elle parloit bien le françois & l'espagnol, chantoit à ravir, & jouoit admirablement des instrumens. Pour complete r son éloge, elle s'illustra par de charmantes poësies imprimées plusieurs fois à Milan & à Venise, & les académiciens de Pavie se firent un honneur d'aggréger cette illustre virtuosa à leur corps. Comme belle & excellente actrice, elle charmoit sur le théâtre & les yeux & les oreilles en même tems. La France vouloit se la procurer, lorsqu'elle mourut d'une fausse couche à Lyon en 1634, dans la quarante-deuxieme année de son âge. Tout le Parnasse en fut en pleurs.
Mais Padoue tirera toujours sa plus grande gloire d'avoir été la patrie d'Asconius Pedianus & de Tite-Live.
Asconius Pedianus le jeune, excellent grammairien, vivoit sous l'empire d'Auguste, & fut ami particulier de Virgile & de Tite-Live son compatriote. C'est à lui que l'on attribue sur diverses harangues de Ciceron, plusieurs remarques qu'il avoit écrites pour ses enfans, & qui lui acquirent beaucoup d'estime. Nous avons perdu une partie de cet ouvrage. Servius expliquant dans la troisieme églogue ces vers :
Dic quibus in terris, & eris mihi magnus Apollo,
Tres pateat caeli spatium non amplius ulnas.
Asconius Pedianus, ajoute-t-il, assure avoir ouï dire à Virgile même, que ces paroles donneroient la torture à tous les grammairiens.
Pline cite Asconius entre les auteurs dont il s'étoit servi pour composer le huitieme livre de son histoire naturelle. La famille Ascania étoit illustre à Padoue, & fut surnommée Pediana. Elle avoit produit des hommes de mérite, entr'autres Asconius Gabinus Modestus, qui fut proconsul, & qui eut l'administration des finances.
Tite-Live naquit à Padoue l'an de Rome 685, & mourut l'an 770 de la fondation de cette ville. Gronovius a donné une excellente édition de ses oeuvres, Amst. 1693, trois vol. in-8 °. & M. Crevier, Paris, 1733, in-4 °. Je me propose de parler ailleurs du mérite de cet excellent historien. Cependant Asinius Pollion prétendoit que le style de Tite-Live se ressentoit de son pays, & qu'on voyoit bien qu'il étoit né à Padoue. Si ce jugement n'est point une injustice de la part de ce fameux romain, il faut avouer que nos plus fins critiques modernes seroient fort embarrassés de découvrir cette patavinité du style de Tite-Live, & qu'ils sont bien éloignés de se connoître en langue latine.
" Mais que de choses ne pourrois-je pas dire sur le mérite particulier de cet illustre auteur ! N'avez-vous jamais lu qu'un citoyen de Cadix, charmé de la réputation & de la gloire de ce grand homme, vint des extrémités du monde pour le voir, le vit, & s'en retourna. Il faut être sans goût, sans littérature, sans émulation, peu s'en faut que je n'ajoute sans honneur, pour n'être pas piqué de cette curiosité, la plus agréable, la plus belle, la plus digne d'un honnête homme ". C'est Pline le jeune qui fait cette réflexion dans une de ses lettres.
Un grand homme, philosophe stoïcien, natif de Padoue, & qui vivoit peu de tems après Tite-Live, est Paetus Thrasea qui écrivit la vie de Caton d'Utique. Cet homme d'une probité austere & intrépide, osa défendre en plein sénat le préteur Sosianus accusé de lese-majesté, & que Neron vouloit perdre. La liberté de Thrasea sauva le préteur : mais Neron fit périr le philosophe ; & sa femme Arria, à l'exemple de sa mere, voulut mourir avec son mari. Elle ne céda à ses instantes prieres, que lorsqu'il lui représenta vivement le devoir qu'elle devoit remplir d'élever Fannia leur fille commune. Il faut lire Tacite, Annal. lib. XIII. cap. lxix. lib. XIV. cap. xij. lib. XV. cap. xx. & xxiij. lib. XVI. cap. xxj. xxij. xxiv. xxxiij. xxxv. Les tableaux de Thrasea sont de la plus grande beauté.
On peut consulter sur Padoue moderne, & les gens de lettres qu'elle a produits, outre Thomasini, Ricoboni, de Gymnasio patavino. Scardeoni, de illust. patav. Patavii, 1560, in-4 °. & ses origin. di Padoua. Angelo Portenari, della felicita di Padua. Cortusio, de novit. Pad. Orsato (Sertorio) istoria di Padoua, & ses monumenta patavina. Orsato étoit né lui-même à Padoue en 1617. Il est connu par son commentaire de notis Romanorum, ouvrage rare, fort estimé, & qui se trouve dans le trésor des antiquités romaines de Graevius. (D.J.)
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PADOUIR | vieux terme de droit coutumier, qui signifie mener ses bestiaux paître dans des landes, ou pâturages communs.
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PADRI | S. m. (Botan. exot.) arbre à siliques du Malabar. Sa fleur est pentapétaloïdale ; ses siliques sont longues, étroites, quarrées & recourbées. La décoction de ses feuilles s'emploie dans les tensions du bas-ventre : son suc mêlé avec celui de limon, est un remede qu'on donne dans les maladies aiguës.
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PADRON | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans la Galice, à l'embouchure de l'Ulla, à 4 lieues de Compostelle. Long. 9. 18. lat. 42. 40. (D.J.)
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PADUS | (Géog. anc.) nom latin du Pô, fleuve d'Italie. Les anciens le nomment premierement Eridanus. Lucain lib. IV. v. 427. lui donne le nom de Padus, dans ce vers :
Sic Venetus, stagnante Pado, fusoque Britannus
Navigat Oceano.
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PAEAN | S. m. (Littérat.) , c'est-à-dire, hymne, cantique en l'honneur des dieux ou des grands hommes. Thucydide donne seulement ce nom aux hymnes que les Grecs chantoient après une victoire en l'honneur d'Apollon, ou pour détourner quelque malheur ; & cette idée est aussi fort juste : ensuite on nomma paeans, paeanes, les cantiques qui étoient chantés par de jeunes gens à la gloire de Minerve dans les panathénées. Il paroît par Zosime, qu'entre les chants séculaires, il devoit y avoir des cantiques & des paeans ; ces deux pieces ne differoient que par le style, qui devoit être plus relevé & plus pompeux dans la seconde que dans la premiere.
Le nom de paean tire son origine d'une avanture qu'Athénée nous a conservée, sur le rapport de Cléarque de Soles, disciple d'Aristote. Il dit que Latone étant partie de l'île d'Eubée avec ses deux enfans Apollon & Diane, passa auprès de l'antre où se retiroit le serpent Python ; le monstre étant sorti pour les assaillir, Latone prit Diane entre ses bras, & cria à Apollon , frappe, mon fils. En même tems les nymphes de la contrée étant accourues, pour encourager le jeune dieu, crierent, à l'imitation de Latone, , ce qui servit insensiblement de refrain à toutes les hymnes qu'on fit en l'honneur d'Apollon.
Dans la suite on fit de ces paeans ou cantiques pour le dieu Mars ; & on les chantoit au son de la flûte en marchant au combat. Il y en a divers exemples dans Thucydide & dans Xénophon ; sur quoi le scholiaste du premier observe qu'au commencement d'une action, l'on invoquoit dans ces paeans le dieu Mars ; au lieu qu'après la victoire, Apollon devenoit le seul objet du cantique. Suidas dit la même chose ; mais enfin les paeans ne furent plus renfermés dans l'invocation de ces deux divinités : ils s'étendirent à celle de quantité d'autres ; & dans Xénophon les Lacédémoniens entonnent un paean à l'honneur de Neptune.
On fit même des paeans pour illustrer les grands hommes. On en composa un où l'on célébroit les grandes actions du lacédémonien Lysandre, & qu'on chantoit à Samos. On en fit un autre qui rouloit sur les louanges de Cratère le macédonien, & qu'on chantoit à Delphes au son de la lyre. Aristote honora d'un pareil cantique l'eunuque Hermias d'Atarne son ami ; & fut, dit-on, mis en justice pour avoir prodigué à un mortel un honneur qu'on ne croyoit dû qu'aux dieux. Ce paean nous reste encore aujourd'hui, & Jules César Scaliger ne le trouve point inférieur aux odes de Pindare ; mais Athénée qui nous a conservé ce cantique d'Aristote, ne tombe point d'accord que ce soit un véritable paean, parce que l'exclamation , qui devroit le caractériser, dit-il, ne s'y rencontre en nul endroit ; au lieu qu'elle ne manque point, selon lui, dans les paeans composés en l'honneur d'Agémon corinthien, de Ptolomée fils de Lagus roi d'Egypte, d'Antigone & de Démétrius Poliorcete. Nous sommes redevables au même Athénée de la conservation d'un autre paean adressé par le poëte Ariphron sicyonien à Hygiée, ou la déesse de la santé. (D.J.)
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PAEANITES | ou PAEONITES, (Hist. nat.) pierre connue des anciens, & entierement ignorée des modernes. On ne nous en apprend rien, sinon qu'elle facilitoit les accouchemens. Il paroît que c'est la même pierre que celle que les anciens nommoient peantides ou pheantides, que l'on croit avoir été une espece de stalactite, spathique & calcaire, produite dans les grottes de la Péonie contrée de Macédoine.
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PAECILIA | S. f. (Ichthyolog.) nom donné par Schomveldt & quelques autres, à une espece de cobitis ou de loche, appellée par Artedi le cobitis bleuâtre, marqué de cinq raies longitudinales sur le corps.
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PAEDARTHROCACÉ | S. m. (terme de Chirurgie) maladie qui consiste dans une carie interne des os, & qui attaque principalement les articulations. Voyez SPINA VENTOSA M. A. Severinus a écrit un traité sur cette maladie.
Ce mot est composé de trois mots grecs, , puer, enfant, jeune personne ; , articulus, articulation ; & , malum, mal, à cause que ce mal attaque principalement les enfans & les jeunes gens, rarement ceux de 25 ou 30 ans, & parce qu'il commence presque toujours par les jointures. (Y)
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PAEDEROS | (Hist. nat.) nom donné par Pline, d'après les Grecs, à l'opale. Voyez cet article. Quelques auteurs ont aussi entendu par-là l'amethyste.
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PAEDEROTA | adj. pris subst. (Botan.) c'est dans le systême de Linnaeus, un genre distinct de plantes dont voici les caracteres. Le calice est une enveloppe de la fleur divisée en quatre segmens, droits, pointus, & qui subsistent après que la fleur est tombée. La fleur est composée d'un seul pétale qui forme un tuyau cylindrique partagé en deux levres ; la levre supérieure est longue, creuse & étroite ; l'inférieure est légérement divisée en trois parties égales : les étamines sont deux filets panchés en bas, & de la même longueur que le calice ; le pistil a un embryon arrondi, & un stile délié de la même longueur que ses étamines : le fruit est une capsule applatie, de figure ovale, fendue & pointue au sommet ; elle consiste en deux loges qui contiennent des graines nombreuses, obtuses & adhérentes aux panneaux de la capsule. (D.J.)
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PAEDOTHYSIE | S. f. (Hist. du Paganis.) , coutume inhumaine pratiquée par quelques payens, de sacrifier aux dieux ses propres enfans pour appaiser leur colere. Nous lisons dans l'Ecriture, que le roi de Moab étant assiégé par les Israélites dans sa capitale, & réduit aux dernieres extrémités, prit son fils aîné qui devoit lui succéder, l'offrit en holocauste sur les murs de la ville, & le siege fut levé. Voyez SACRIFICE, VICTIME HUMAINE, ENFANT, &c.
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PAEDOTRIBA | S. m. (Hist. anc.) officier du gymnase chez les anciens, dont les fonctions se bornoient à enseigner méchaniquement aux jeunes gens les exercices du corps : c'est ce que nous appellerions un prevôt de salle. Les anciens auteurs confondent quelquefois le paedotriba avec le gymnaste, mais Galien établit entr'eux cette différence, que le gymnaste joignoit à la science des exercices un discernement exact de toutes leurs propriétés par rapport à la santé ; au lieu que le paedotriba, peu inquiet sur ce dernier article, bornoit ses connoissances au détail méchanique de ces mêmes exercices, & ses soins à former de bons athletes ; c'est pourquoi Galien compare le gymnaste à un médecin, ou à un général qui prescrivent avec connoissance de cause, & le paedotriba à un cuisinier, ou à un soldat qui se contentent d'exécuter sans rien approfondir. Mém. de l'acad. tome premier.
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PAEMANI | (Géog. anc.) peuples que César de bell. Gall. l. II. c. iv. place dans la Gaule belgique. Sanson croit que c'est le pays de Famene ou de Famine, où est Marche en Famine dans le duché de Luxembourg. D'autres géographes mettent les Paemani dans la forêt d'Ardenne, précisément dans le lieu où est le village de Pémont.
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PAÉNOÉ | S. m. (Bot. exot.) grand arbre de Malabar. On tire de son tronc une gomme résineuse qu'on fait bouillir dans de l'huile en consistance de poix dure. Les Indiens en brûlent quelquefois dans leurs temples, au lieu d'encens. La même résine de cet arbre fondue dans de l'huile de sésame leur sert d'un baume médicinal.
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PAENSAJIE | S. f. (monn. de Perse) c'est une monnoie d'argent qui vaut deux mamoudis & demi, & le mamoudi vaut environ vingt sous de France.
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PAEON | S. m. (Poës. lat.) mesure de la poësie latine. Les anciens versificateurs latins comptoient quatre sortes de piés qu'ils appelloient paeons. On leur donna ce nom parce qu'on les employoit particulierement dans les hymnes d'Apollon, qu'on nommoit paeans. Le premier paean est composé d'une longue & trois breves, comme colligere ; le second est composé d'une breve, une longue & deux breves, comme resolvere ; le troisieme est composé de deux longues, une breve & une longue, comme communicant ; & le quatrieme est composé de trois breves & une longue, comme temeritas. (D.J.)
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PAEONIE | Paeonia, (Géog. anc.) contrée de la Macédoine. Elle tira son nom, suivant Pausanias, de Paeon, fils d'Endimion, qui, vaincu à la course par son frere, en fut si désolé, qu'il abandonna sa patrie, & se retira vers le fleuve Axius. Philippe subjugua les Paeoniens, & Mégabise, qui commandoit pour Darius dans la Thrace, eut ordre d'envoyer dans l'Asie des peuplades de paeoniens aussi-tôt qu'il les eut assujettis. Voici le fait.
Les Paeoniens prétendoient descendre d'une colonie athénienne. Les hommes & les femmes étoient également forts & laborieux. Une avanture assez plaisante, racontée par Hérodote, l. V. mit Darius fils d'Hystaspe, en goût d'avoir des paeoniens & des paeoniennes dans ses états. Un jour qu'il passoit à Sardes ville de Lydie, il apperçut une femme qui en même tems filoit, portoit une cruche & menoit un cheval. La nouveauté du spectacle frappa Darius, & lui fit naître la curiosité d'apprendre le pays de cette femme. On lui dit qu'elle étoit paeonienne ; & sur l'idée avantageuse qu'il se forma d'une nation où le sexe le plus foible & le plus délicat embrassoit à la fois tant de travaux différens, il ordonna à Mégabise qui commandoit pour lui dans la Thrace, d'envoyer en Asie des peuplades de paeoniens. Dès que ce gouverneur eut assujetti ce peuple, il exécuta fidelement l'ordre de son maître.
Les Paeoniens, selon Thucydide, étoient habitués sur le bord du Strymon ; mais par la suite des tems, on confondit les Paeoniens avec les Illyriens, les Thraces & les Getes ; ensorte qu'il semble que ce nom a été une désignation vague donnée à la plûpart des peuples de la nation des Mysiens.
Strabon appelle Paeoniens, une partie des peuples de la Macédoine, & assure que les Pélagons étoient paeoniens. Dion ne veut pas que ce nom soit le même que celui des Pannoniens : cependant plusieurs écrivains les ont confondus ; & vraisemblablement il avoit la même origine, quoique les Romains eussent restraint le nom de Pannonie au pays compris entre le Danube, la Drave & la Save. En un mot, le nom de paeoniens se donnoit à des peuples très-éloignés les uns des autres. Homere joint les Paeoniens aux Léleges & aux Pélasges de l'Asie mineure, sujets de Priam. (D.J.)
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PAEONIENNE | adj. f. (Hist. anc.) surnom qu'on donnoit à Minerve, conservatrice de la santé.
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PAESTANUS SINUS | (Géog. anc.) golfe d'Italie, sur la côte du pays des Brutiens, selon Pline, l. III. c. V. Il prenoit son nom de la ville de Pastum, bâtie sur la côte ; c'est aujourd'hui le golfe de Salerne.
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PAESTUM | (Géog. anc.) ville de Lucanie à l'embouchure du fleuve Silaris. Elle s'appelloit anciennement Posidonia, selon Strabon, liv. I. pag. 251. & elle changea de nom lorsque les Romains y envoyerent une colonie, l'an de Rome 380.
Paestum étoit dans son origine une colonie des Grecs qu'ils consacrerent à Neptune ; & c'est pour cela que Paterculus l'appelle Neptunia. Elle étoit sur la côte du pays des Picentins.
La ville de Paestum n'est plus aujourd'hui qu'un village appellé Pierti dans la Lucanie, c'est-à-dire dans la Calabre. Ce pays étoit autrefois célebre pour ses belles roses qui croissoient deux fois dans l'année. Biferique rosaria Paesti.
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PAESUS | (Géog. anc.) 1. Ville de la Troade, entre Lampsaque & Parium. Strabon, liv. XIII. p. 589. dit que cette ville ayant été détruite, les habitans passerent dans celle de Lampsaque. Homere l'appelle Paesum, Iliad. l. II. v. 828. & Apaesum, l. V. v. 612.
2. Paesus, fleuve de la Troade, selon Strabon, l. XIII. p. 589.
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PAETICA | (Géog. anc.) contrée de la Thrace, entre les fleuves Hebrul & Melana, selon Arrien, l. I. c. xj.
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PAFFENHOFFEN | (Géog. mod.) petite ville de France, dans la basse Alsace, sur la pente d'une montagne, près de la Metter. Elle est à 3 lieues O. d'Haguenau. Long. 26. 20. lat. 48. 46. (D.J.)
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PAG | (Hist. nat.) animal quadrupede du Brésil, qui est à-peu-près de la grandeur d'un chien. Sa peau qui est tachetée de blanc, de gris & de noir, est fort belle ; sa chair a le même goût que celle d'un veau ; sa tête est d'une forme bizarre.
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PAGA | ou PAGAE, (Géog. anc.) ville de la Mégaride en Achaïe ; ce nom donne à entendre que c'étoit dans son enceinte qu'on trouvoit les sources des eaux qui arrosoient le pays. Le mot signifie source, eau qui sort de terre. On voyoit à Paga le tombeau du héros Egialée, fils d'Adraste, qui fut tué à la seconde guerre des Argiens contre Thèbes. Cette ville s'appelle aujourd'hui Livadosta, au bord du golfe de Corinthe, près l'isthme, à 20 milles de Mégra, ou l'ancienne Mégare.
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PAGALLE | S. f. (Marine) autre espece d'armure d'usage aux îles ; c'est une espece de pelle longue de cinq à six piés. C'est peut-être la même chose que la poignée.
PAGALLE, s. f. (Sucrerie) grande spatule de bois semblable à la pagalle ou pagaye des canots, excepté qu'elle est plus petite. On s'en sert pour remuer le sucre quand il rafraîchit afin d'en former le grain.
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PAGANA | ou PAGO, (Géog. anc.) lieu de la Morée. Ce n'est aujourd'hui qu'un bourg, dont la côte forme un cap. Les anciens le nommoient le promontoire de Diane Dyctimne ; & le bourg s'est formé du débris de l'ancienne ville de Las, célebre par les trophées qu'on y éleva pour la défaite des Macédoniens, & par les temples que Castor & Pollux y bâtirent à leur retour de la conquête de la toison.
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PAGANALES | S. f. (Hist. anc.) anciennes fêtes rurales, ainsi appellées parce qu'on les célébroit dans les villages in pagis. Voyez PAYEN.
Dans les paganales, les paysans alloient solemnellement en procession autour de leur village, faisant des lustrations pour les purifier. Ils faisoient aussi des sacrifices dans lesquels ils offroient des gâteaux sur les autels de leurs dieux. Voyez FETE.
Denis d'Halicarnasse & S. Jerôme attribuent l'institution des paganales à Servius Tullius, & la rapportent à un principe de politique de ce prince : car, selon ces auteurs, tous les habitans de chaque village étoient tenus d'assister à ces fêtes, & d'y porter chacun une petite piece de monnoie de différente espece, les hommes d'une façon, les femmes d'une autre, & les enfans d'une autre encore ; ensorte qu'en mettant à part chaque espece différente de monnoie, & en les comptant, celui qui présidoit à ces sacrifices, connoissoit le nombre, l'âge & le sexe des habitans d'un canton, & en faisoit son rapport au prince. Cette maniere de compter prouveroit que l'usage de l'écriture n'étoit pas encore introduit chez les Romains. On célébroit les paganales dans le mois de Janvier, & l'argent que les habitans de la campagne y apportoient, étoit une espece de tribut ou de redevance annuelle envers l'état, à laquelle Servius les avoit assujettis.
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PAGANISME | S. m. (Hist. anc.) religion & discipline des payens, ou adoration des idoles & des faux dieux. Voyez PAYEN & IDOLATRIE.
Les dieux du Paganisme étoient, ou des hommes, comme Jupiter, Hercule, Bacchus, &c. ou des êtres fictifs & personnifiés, comme la Victoire, la Faim, la Fievre, &c. ou des animaux, comme en Egypte, les crocodiles, les chats ; ou des choses inanimées, comme les oignons, le feu, l'eau, &c. Voyez DIEU & ECONOMIE POLITIQUE.
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PAGARANS | (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans l'île de Sumatra des princes particuliers, qui sont ou alliés ou tributaires du roi d'Achem, le plus puissant des souverains de l'île.
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PAGARQUE | S. m. (Hist. anc.) nom donné dans l'antiquité aux magistrats de village, ou à ceux qui avoient quelque autorité dans le plat pays ; tels que peuvent être les baillis, & les procureurs fiscaux des jurisdictions seigneuriales à la campagne. Il en est quelquefois fait mention dans les Novelles, & leur nom vient de , village, & d', puissance, commandement.
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PAGASE | (Géog. anc.) Pagasa, ou Bagasae ; ville maritime de la Magnesie, selon Apollonius. Strabon dit que c'étoit autrefois le port de la ville de Pherae, qui en étoit éloignée de 90 stades. Il nous apprend que les habitans de Pagase furent transférés à Démétriade avec tout le commerce qui se faisoit auparavant dans la premiere de ces villes. On prétend que ce fut à Pagase que les Argonautes s'embarquerent pour aller à la conquête de la toison d'or. Properce le dit dans sa xx. élégie du liv. I. v. 17.
Namque ferunt olim Pagasae navalibus Argo
Egressam longè Phasidos isse viam.
Diodore de Sicile appelle cette ville Pagas. Harpocration & Pline décrivent sa situation & ses dépendances. Pour moi je crois que Volo est l'ancien Pagasa. Voyez VOLO, Géogr. (D.J.)
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PAGAYE | S. f. il faut faire sentir le second a après le g ; c'est une espece de rame dont se servent les sauvages caraïbes pour conduire leurs canots & leurs pirogues. Cette rame, qui n'a guere que cinq piés de long en tout, est faite en forme de grande pelle, étroite & échancrée par le bas, ayant un manche long de trois piés, terminé par une petite traverse servant de poignée, à-peu-près comme on en voit aux cannes en bequilles. Les pagayes caraïbes font construites de bois dur, très-proprement travaillé & bien poli. Celles dont les negres canotiers & les pêcheurs font usage, n'ont ni la légereté ni l'élégance des précédentes, mais elles servent également, soit pour ramer, soit pour gouverner les petits canots. On donne encore le nom de pagayes à de grands couteaux de bois, especes de spatules de trois piés de longueur, servant au travail du sucre. Voyez SUCRERIE. (M. LE ROMAIN. )
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PAGE | S. m. (Hist. mod.) c'est un enfant d'honneur qu'on met auprès du prince & des grands seigneurs, pour les servir, avec leurs livrées, & en même tems y recevoir une honnête éducation, & y apprendre leurs exercices.
On voit par les Mémoires de Philippes de Comines, que les pages qui servoient les princes & les seigneurs de son tems, étoient nobles enfans, qui par-tout suivoient leurs maîtres pour apprendre la vertu & les armes. Le chevalier d'Accily, qui ne vivoit pas de ce tems-là, a dit au contraire :
S'il est beau le fils de Climene,
Quoiqu'elle ait un homme assez laid,
Cela n'a rien qui me surprenne ;
Son page est un garçon bien fait.
Loiseau remarque, dans son traité des Ordres, qu'anciennement les jeunes gentilshommes étoient pages des seigneurs, & les jeunes demoiselles étoient filles-de-chambre des dames ; car, comme nous enseigne fort bien Ragueau, les pages sont paedagogia, sive paedagogiani pueri.
On distinguoit alors deux sortes de pages, savoir les pages d'honneur, & les communs. Les pages d'honneur n'étoient que chez les princes & les souverains, & étoient ordinairement fils de barons ou chevaliers, desquels la fonction est, pour ainsi dire, décrite par Quinte-Curce, l. VIII. haec cohors veluti seminarium ducum praefectorum est ; en effet, quand ils étoient hors de page, ils devenoient bacheliers ou damoiseaux. Bachelier signifie prétendant à chevalerie : damoiseau est le diminutif de dant, qui signifie seigneur, jusqu'à ce qu'étant devenus chefs de maison, ils soient qualifiés seigneurs tout-à-fait. Les pages communs sont issus de simple noblesse, & servent les chevaliers ou seigneurs ; car un simple gentilhomme ne doit point avoir pages, mais seulement laquais qui sont roturiers.
Lancelot dérive le mot page du grec , qui veut dire un enfant. Ménage & Caseneuve le tirent de paedagogium. Cujas & Jacques Godefroi témoignent que les enfans d'honneur étoient nommés chez les Européens paedagogiani pueri. Dans la suite on appella pages & enfans de cuisine, les petits officiers servant à la cuisine du roi. Le président Fauchet dit, que jusqu'au regne des rois Charles VI. & Charles VII. on nommoit pages de simples valets-de-pié ; & que de son tems les Tuilliers appelloient pages certains valets qui portoient sur des palettes les tuiles vertes pour les faire sécher : il ajoute, que c'étoit seulement depuis quelque tems qu'on avoit distingué les pages nobles des pages vilains servant-à-pié, qui ont été nommés naquets ou laquais.
Il est vrai que les pages du tems de l'ancienne chevalerie, se nommoient autrement varlets ou damoiseaux, & qu'ils remplissoient alors l'emploi de domestiques auprès de la personne de leurs maîtres ou de leurs maîtresses ; ils les accompagnoient à la chasse, dans leurs voyages, dans leurs visites ou promenades, faisoient leurs messages, & même les servoient à table : le célebre chevalier Bayard avoit versé à boire & fait les autres fonctions de page auprès de l'évêque de Grenoble.
C'étoit ordinairement les dames qui se chargeoient de leur apprendre leur catéchisme & la galanterie, l'amour de Dieu & des dames ; car l'un ne pouvoit aller sans l'autre, & l'amant qui entendoit à loyaument servir une dame, étoit sauvé, suivant la doctrine de la dame des belles cousines.
On prenoit grand soin de les instruire aux exercices des écuyers & chevaliers, qui étoient les grades auxquels ils devoient aspirer. Ils ne quittoient point l'état de page sans passer par une cérémonie religieuse. Le gentilhomme mis hors de page étoit présenté à l'autel par son pere & sa mere, qui chacun un cierge à la main alloient à l'offrande : le prêtre célébrant prenoit de dessus l'autel une epée & une ceinture qu'il attachoit au côté du jeune gentilhomme, après les avoir bénis. Voyez l'Histoire de la chevalerie, par M. de Saint-Palaye. (D.J.)
PAGES-MOUSSES, GARÇONS, (Marine) ce sont les jeunes gens de l'équipage, apprentis matelots, ou éleves de la navigation. Voyez MOUSSES.
Page de la chambre du ca pitaine, c'est le garçon qui sert le capitaine.
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PAGÉENS | (Géog. anc.) peuple dont les guerres avec les Géraniens ont donné lieu, selon quelques-uns, à la fable des Pygmées. Un savant allemand, nommé Wonderhart, en expliquant cette fable, dit qu'Homere fait allusion à l'histoire des guerres des Pagéens avec les Géraniens, en la représentant sous le symbole des grues & des Pygmées, se fondant en cela sur la ressemblance des noms. Les Poëtes, pour donner le change à leurs lectures, se servoient souvent de semblables figures, & l'artifice de la Poësie consistoit alors à transporter l'histoire des peuples connus dans des pays éloignés : on ne doit cependant pas faire beaucoup de fond sur cette opinion de Wonderhart, parce qu'il n'apporte pas de preuves pour l'établir. (D.J.)
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PAGEL | S. m. (Hist. nat. Ichthyol.) rubellio erythrinus, poisson de mer, que l'on confond souvent avec le pagre ; on le nomme à Rome phragolino, c'est-à-dire petit pagre. Le pagel se retire en hiver dans la haute mer, & il reste sur le bord des côtes pendant l'été ; on en prend rarement quand il fait froid. Ce poisson est d'une couleur rousse tirant sur le rouge ; il a deux taches de couleur d'or & le ventre blanc, les yeux sont grands, l'ouverture de la bouche est petite, & les dents sont rondes, pointues & fort petites ; il ressemble au pagre par la forme du corps, par le nombre & la position des nageoires ; mais il en differe en ce qu'il a le museau plus pointu & plus étroit. Il change de couleur avec l'âge : il devient gris. La chair du pagel est nourrissante & d'assez bon goût ; elle se digere aisément & elle n'est pas visqueuse, comme quelques-uns l'ont dit. Rondelet, Hist. nat. des poissons, premiere part. liv. V. chap. xvij. Voyez POISSON. (I)
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PAGESIE | S. f. (Jurisprud.) quasi tenementum paganorum, est une espece de tenure solidaire, en vertu de laquelle le seigneur peut s'adresser à celui des co-détenteurs qu'il juge à propos, & le contraindre au payement de la totalité des cens & rentes. Cette espece de tenure se trouve spécifiée dans les terriers de plusieurs seigneuries dans le Velay, le Forès, le Bourbonnois, & l'Auvergne ; c'est la même chose que ce qu'on appelle tenir en fraresche dans les pays d'Anjou, Touraine, & Maine, ou que les masures en Normandie. Voyez Henrys. (A)
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PAGIAVELLE | S. m. (Comm.) certain compte de pieces de marchandise, dont on se sert en quelques lieux des Indes orientales, lorsque l'on vend en gros, ce qui est à proportion comme ce que nous appellons une grosse. Voyez GROSSE. Au Pégu les toiles se vendent au pagiavelle de quatre pieces. Diction. de Commerce.
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PAGLION | (Géog. mod.) riviere de Savoie, dans le comté de Nice. Elle a sa source dans les Alpes, & se jette dans la Méditerranée, à l'orient de la ville de Nice. (D.J.)
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PAGNA | S. m. (Hist. nat. Botan.) arbre des Indes orientales. Il est fort élevé, & produit une espece de coton renfermé dans une écorce fort dure, longue d'une palme, & large d'un doigt : ce coton ne se file point, mais on s'en sert pour remplir des coussins & des matelas.
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PAGNE | terme de Rélation, c'est un morceau de toile de coton dont les peuples de la côte de Guinée s'enveloppent le corps depuis les aisselles jusqu'aux genoux, & quelquefois jusqu'au milieu des jambes, & dont les Caraibes à leur imitation se servent aujourd'hui. La pagne fait ordinairement deux tours, & sert également aux hommes & aux femmes ; c'est un habillement de cérémonie, car les peuples de Guinée vont ordinairement tous nuds, & les Caraïbes n'ont que leur camusa. (D.J.)
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PAGNONES | (Art méchan.) pieces de bois qui forment la fusée ou le rouet d'un moulin, & auxquelles les fuseaux sont assemblés.
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PAGO | (Géog.) île de la mer d'Istrie, à une lieue de la côte de Croatie, dont elle n'est séparée que par un canal qui a 3 milles de large ; elle est sujette aux Vénitiens, & pour le spirituel à l'évêque d'Arbe. Elle a 60 milles de tour, & un château pour sa défense. L'air y est froid & le terroir stérile, mais on y trouve des salines qui font son seul revenu. Cette île a été connue de Pline sous le nom de Gissa, les Esclavons l'appellent Pagh. Venise y avoit deux de ses nobles, l'un pour la gouverner, & l'autre pour recevoir le produit. Long. 32. 40. lat. 44.
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PAGODE | S. m. & f. (Archit. asiat.) nom général qu'on donne aux temples des Indiens & des Idolâtres ; c'est un bâtiment qui n'a qu'un seul appentis par-devant, & un autre par-derriere : il y a trois toîts, un qui domine destiné pour l'idole, & les deux autres pour le peuple.
Son principal ornement consiste en des pyramides de chaux & de briques, décorées d'ornemens fort grossiers. Il y en a de grandes, aussi hautes que nos clochers, & de petites qui n'ont que deux toises. Elles sont toutes rondes, & elles diminuent peu en grosseur, à mesure qu'elles s'élevent, desorte qu'elles se terminent comme un dôme : sur celui de celles qui sont basses s'éleve une aiguille de calin, fort pointue & assez haute, par rapport au reste de la pyramide.
On voit encore autour des pagodes d'autres especes de pyramides qui grossissent & diminuent quatre ou cinq fois dans leur hauteur, de telle sorte que leur profil est ondé ; mais ces diverses grosseurs sont moindres à mesure qu'elles sont en une partie plus élevée. Ces pyramides sont ornées en trois ou quatre endroits de leur contour, de plusieurs cannelures à angles droits, qui, diminuant peu-à-peu, à proportion de la diminution de la pyramide, vont se terminer en pointe au commencement de la grosseur immédiatement supérieure, d'où s'élevent d'autres cannelures.
Les plus beaux pagodes sont ceux des Chinois & des Siamois ; les offrandes qu'on y fait sont si considérables, qu'on en nourrit une quantité prodigieuse de pélerins.
Le pagode de Jagranate produit un revenu immense à ceux de son idole. M. de la Loubere a décrit les pagodes de Siam, & les missionnaires ceux de la Chine, qui sont quelquefois incrustés de marbre, de jaspe, de porcelaine, & de lames d'or : on trouve la représentation d'un de ces temples dans l'essai d'Architecture de Fischer.
On appelle aussi pagode l'idole qui est adoré dans le temple élevé à son honneur, & dans ce sens le mot pagode est féminin.
Ce nom pagode tire son origine des mots persans pout, qui veut dire une idole, & de gheda, un temple ; de ces deux mots pout-gheda, on en a formé en françois celui de pagode, en estropiant le nom persan.
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PAGOMEN | S. m. (Calendrier) les Egyptiens & les Ethiopiens donnent ce nom au résidu de cinq jours de leur année, ou de six, si l'année est bissextile ; ils ajoutent ces jours à leur dernier mois, parce qu'ils ne comptent que quatre jours pour chacun.
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PAGON | (Géog. mod.) petite île de la mer du sud, une des îles des Larrons, ou des îles Marianes, entre celle d'Agrignan au nord oriental, & celle d'Amalagnant au midi. On lui donne 14 lieues de circuit : les Espagnols la nomment l'île de Saint-Ignace.
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PAGRE | S. m. (Hist. nat. Ichthyol.) pagrus, poisson de mer qui ressemble à une petite dorade par la forme du corps & par le nombre & la position des nageoires ; mais il en differe par la couleur & par la queue. Voyez DORADE. Le pagre change de couleur en différentes saisons ; il est d'un roux tirant sur le rouge pendant l'été, & il devient bleu en hiver : on le confond avec le pagel quand il a sa couleur rouge ; mais on le distingue aisément en hiver, car le pagel ne change pas de couleur. Le pagre differe encore du pagel en ce qu'il a le museau plus épais, plus arrondi & plus arqué, & le corps plus large & plus rond. Ce poisson vit de petites séches, de coquillages, & d'algue : sa chair est séche, de bon goût, & fort nourrissante. Rondelet, Hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. V. chap. xv. Voyez POISSON. (I)
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PAGRIAE | (Géog. anc.) 1°. ville de la Syrestique de Syrie, dans le territoire d'Antioche, près la ville Gendarum, selon Strabon, liv. XVI. p. 751. & selon Pline, l. V. c. xxiij. mais Ptolémée, liv. V. ch. xv. la met dans la Pierie, province voisine ; c'est aujourd'hui Begras, entre Alexandrette & Antioche, place à demi-déserte.
2°. Pagrae, port de la Sarmatie asiatique, sur le Pont-Euxin.
3°. Pagrae, ville de la Cilicie, selon Cédrène.
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PAGURUS LAPIS | S. f. (Hist. nat.) nom donné par des naturalistes à une pierre qui portoit l'empreinte d'un homard ou d'une cercine de mer.
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PAGUS | (Géog. anc.) ce mot a divers sens, & vient lui-même de , mot dorique, pour , fontaine, parce que, dit Festus, les Pagi prennent à une même fontaine l'eau dont ils ont besoin.
Pagus differe de vicus, en ce qu'il n'exige pas une disposition en forme de rue, & qu'il suffit que les maisons aient un rapport de voisinage entr'elles, quoique dispersées & rangées confusément.
Le pagos des Grecs veut dire une colline, & par conséquent n'est point la même chose que le pagus des Latins. Ainsi, , veut dire, la colline de Mars ; c'étoit le nom qu'on donnoit à l'aréopage d'Athènes, parce qu'elle étoit sur une colline consacrée au dieu de la guerre. On peut voir dans Alde Manuce, lib. III. de quaesit. epist. vij. la différence qui distingue, selon lui les mots castellum, pagus, vicus, opidum, urbs, & villa.
Paganus dans sa signification primitive, signifie un homme qui demeure à la campagne, où il s'occupe à l'agriculture, en un mot un paysan. Comme les gens de la campagne n'ont point cette politesse qui regne dans les villes, il semble que la grossiereté soit leur partage ; c'est dans ce sens que Perse se qualifie lui-même de demi-paysan :
Ipse semi-paganus
Ad sacra vatum carmen adfero nostrum.
Varron, de lingua lat. lib. V. appelle pagantiae feriae, certaines fêtes communes aux gens de la campagne ; au-lieu que paganalia étoient des fêtes particulieres à chaque village. Pline, l. XXVIII. c. ij. nomme pagana lex, une loi par laquelle il étoit defendu aux femmes qui étoient en voyage de tourner un fuseau, ni de le porter à découvert, parce que l'on croyoit que par cette action on pouvoit jetter un maléfice sur la campagne, & nuire aux biens de la terre.
Dans les anciens tems de la république romaine, l'agriculture & l'art militaire n'étoient pas incompatibles, & on voyoit les premiers hommes de l'état conduire eux-mêmes la charrue, de la même main dont ils venoient de gagner une bataille. Mais avec le tems le luxe augmenta les possessions, & la vanité peupla les champs d'hommes serviles, que l'on chargea du travail des terres ; il ne demeura avec eux dans les villages que les pauvres gens qui n'avoient pas de quoi subsister dans les villes.
Comme ces gens-là n'étoient point enrôlés dans les armées romaines ; de-là vint ce contraste que l'on trouve entre les mots miles, un homme de guerre, & paganus, un homme qui ne va point à la guerre. Cette opposition est fréquente dans les Jurisconsultes ; mais elle est bien expressément marquée dans ces vers de Juvenal, Sat. xvj. v. 32.
Citiùs falsum producere testem
Contrà paganum posses, quam vera loquentem
Contrà fortunam armati.
" Le soldat trouvera bien plus tôt un faux témoin contre le villageois, que le villageois n'en trouvera un véritable contre le soldat ".
De paganus nous avons fait les mots de payen & de paganisme, parce que, comme les gens de la campagne, occupés d'un travail pénible, & destitués des secours de l'éducation, qui prépare l'esprit aux matieres de raisonnement, sont toujours plus attachés que les autres aux sentimens qu'ils ont sucés avec le lait, il arriva lorsque la religion chrétienne eut fait de grands progrès dans les villes, que les gens de la campagne conserverent l'idolâtrie long-tems après la conversion des villes. Les mots de paganus & d'idolâtre devinrent alors synonymes, & nous avons adopté ce mot en l'accommodant à notre langue : ainsi nous appellons payens les idolâtres, & paganisme l'idolâtrie, qui est la religion des payens.
Nous avons aussi adopté le mot pagus, mais dans un sens que les anciens lui donnoient semblablement, & nous en avons fait le mot de pays. Les Romains l'ont employé dans le sens de canton ou contrée. La Thrace & l'Arménie étoient divisées en stratégies ou préfectures militaires ; la Judée en toparchies ou seigneuries ; l'Egypte en nomes : de même la Gaule & la Germanie étoient partagées en pagi, cantons : c'est sur ce pié-là que Jules-César dit que les Sueves, peuples de Germanie, étoient divisés en cent cantons, centum pagos.
Samson divise les peuples en grands & en petits. Les grands peuples étoient ce que les anciens ont appellé civitas, & chaque civitas étoit divisée en pagi ; mais il faut aussi remarquer que les grands cantons nommés pagi étoient eux-mêmes divisés en des cantons ou pagi subalternes, qui en faisoient partie. Ainsi pagus Patavus, le Poitou, comprenoit pagus Lausdunensis, le Loudunois ; pagus Toarcensis, le pays de Thouars ; pagus Ratiatensis, le duché de Rets, &c. Ainsi les grands cantons ou pagi du premier ordre, ne sont point différens des cantons appellés civitas, c'est-à-dire des grands peuples ; mais les minores pagi, c'est-à-dire les petits cantons, en différoient beaucoup. (D.J.)
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PAHAN | (Géog. mod.) ville des Indes, dans la presqu'île de Malaca, capitale d'un petit royaume de même nom, qui fournit du poivre & des éléphans ; les maisons sont faites de roseaux & de paille, le seul palais du roi est bâti de bois ; les rues sont pleines de cocos & d'autres arbres. Long. 122. lat. 3. 30.
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PAIANELI | S. m. (Botan. exot.) arbre à siliques du Malabar ; on en compte deux especes ; l'une a la feuille faite en coeur, & le fruit oblong, plat, & contenant une semence membraneuse ; l'autre a les feuilles larges & pointues : on vante beaucoup leurs vertus en cataplasme pour la guérison des ulcères.
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PAIDOPHILE | S. f. (Mythol.) surnom qu'on donnoit à Cérès, qui signifie qu'elle aime les enfans, & qu'elle les entretient ; c'est pourquoi on représente souvent cette déesse ayant sur son sein deux petits enfans, qui tiennent chacun une corne d'abondance, pour marquer qu'elle est comme la nourrice du genre humain. (D.J.)
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PAILLASSE | S. f. (Architecture) on nomme ainsi dans une cuisine & près de la cheminée, un solide de brique ou de maçonnerie, de la longueur d'environ six piés, sur deux ou trois de large, & de neuf à dix pouces de hauteur, sur lequel on entretient les mets dans un degré de chaleur convenable, avant d'être servis sur la table. (P)
PAILLASSE, s. f. terme de Pailleur, ouvrage de grosse toile, creux & fendu par le milieu, qu'on remplit de paille, & qu'on met sur le bois de lit, & sous le matelas ou le lit de plume.
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PAILLASSONS | S. m. (Jardinage) ce sont des especes de claies faites de grande paille avec des perches posées en maille, & attachées les unes aux autres avec de l'osier pour entretenir la paille. Rien n'est si utile que les paillassons pour garantir les couches & les espaliers des vents froids. On les soutient sur les couches par le moyen de perches posées en long & en-travers de la couche en maniere de chassis. (K)
PAILLASSON, (ouvrage de Nattier) piece de natte couverte par-dehors d'une grosse toile, que le peuple en Italie & en Espagne met l'été devant les fenêtres pour se garantir de l'ardeur du soleil. On hausse & on baisse ces paillassons avec des cordes autant qu'on veut. En France on a des stores, des jalousies en bois peint en verd, qui conviennent mieux au climat. (D.J.)
PAILLASSON en terme d'Orfévre, est un amas de nattes de paille tournées en rond en commençant au centre, & finissant à sa circonférence. L'on en éleve plusieurs lits l'un sur l'autre jusqu'à la hauteur qu'on veut ; ces rangs ou lits sont cousus l'un à l'autre avec de la ficelle ; il doit avoir plus de diamêtre que le billot qu'il porte ; il sert à rompre l'effet du marteau lorsque l'on frappe sur l'enclume.
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PAILLE | S. f. (Maréchallerie) c'est le tuyau des gros & menus grains, après qu'ils ont été battus à la grange. Il y a la paille du blé, du segle, de l'avoine. La paille hachée mêlée avec l'avoine, sert dans quelques pays de nourriture aux chevaux : on la hache avec une machine appellée hachoir ou coupe-paille ; la paille pour la litiere est communément sans épis & sans grain.
PAILLE, (Commerce) il se fait un grand commerce de paille pour l'engrais des terres, après qu'elle a été réduite en fumier, & avant ce tems-là pour la nourriture de divers animaux, ainsi que pour des ouvrages de Nattiers, & de Tourneurs-Empailleurs de chaise. On se sert aussi de paille pour les emballages de caisses de marchandises.
PAILLES DE BITTES, (Marine) ce sont de longues chevilles de fer qu'on met à la tête des bittes pour tenir le cable sujet. (Z)
PAILLE, (Métallurgie) c'est un endroit défectueux dans les métaux, qui les rend cassans & difficiles à forger ; on le dit sur-tout du fer & de l'acier.
PAILLE DE FER, (Forgerie) ce sont des especes d'écailles qui tombent de ce métal quand on le forge à chaud. Elles servent à faire le noir, & quelques autres couleurs des Peintres sur verre.
PAILLE, (Jouaillerie) ce mot désigne un défaut qui se trouve dans les pierres précieuses, particulierement dans les diamans ; c'est quelque petit endroit obscur, étroit, & un peu long, qui se trouve dans le corps de la pierre précieuse, & qui en interrompt l'éclat & le brillant. Quelques personnes confondent la paille avec la glace & la surdité ; mais ces trois défauts sont différens ; les pailles diminuent davantage le prix du diamant.
PAILLE, courir à la, (Salines) c'est hâter la cuisson du sel par une addition subite de bois ; ce qui arrive toutes les fois que la formation du sel & partant l'évaporation, a été retardée par quelque cause que ce soit.
PAILLE EN CUL, FETU EN CUL, s. m. oiseau de tropique, oiseau de mer. Il ne se rencontre jamais audelà des bornes de la Zone torride ; c'est ce qui l'a fait nommer par quelques voyageurs oiseau de tropique. Il est à-peu-près de la figure d'un pigeon, mais plus gros & plus vigoureux, ayant des aîles fort grandes lorsqu'elles sont étendues ; il a la tête menue, les yeux assez beaux, le bec bien proportionné, d'une couleur jaune tirant sur le rouge, ainsi que ses pattes qui sont un peu courtes ; son plumage est blanc mêlé quelquefois de petites plumes noires sur les aîles. Du milieu de sa queue qui s'ouvre en éventail quand il vole, sortent deux grandes plumes très-fines, longues d'environ seize à dix-huit pouces, & tellement appliquées l'une contre l'autre, qu'elles ne forment qu'un seul brin apparent ; ce qui lui a fait donner le nom de paille en cul. On en voit qui ont trois de ces plumes un peu écartées l'une de l'autre, formant trois longues queues. Les pailles en cul font leurs nids dans des trous au sommet des plus hauts rochers ; ils vivent de poisson, & prennent leur essor en haute mer, fort loin des côtes ; leur chair est maigre & médiocre au goût.
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PAILLÉ | adj. en termes de Blason, se dit des fasces, peaux, & autres pieces bigarrées de différentes couleurs. Clere en Normandie, d'argent à la fasce d'azur, paillée d'or.
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PAILLER | DU PAILLER, (Maréchal.) c'est de la paille qui ne sert qu'à la litiere.
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PAILLET | S. m. (Serrurerie) petite piece de fer ou d'acier, mince, qu'on place entre la platine & le verrouil pour lui servir de ressort & le tenir en état, lorsqu'il est levé.
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PAILLETTE | ou ÉTAMINE, (Jardinage) voyez ÉTAMINE.
PAILLETTE D'OR, s. f. (Minéralog.) petit grain d'or, qu'on trouve dans le sable des rivieres. Toutes les paillettes d'or ont des formes assez irrégulieres ; elles ont pourtant cela de constant, qu'elles sont de petites lames ; je veux dire, qu'on ne doit pas se les représenter faites comme des grains de sable ; elles ont moins en épaisseur que dans les autres sens. Selon les observations qu'on en a faites, il semble qu'elles sont arrangées par couches, par feuilles dans la mine ; quelquefois elles paroissent feuilletées à la loupe. On ne doit pas non plus les imaginer plus minces que les feuilles des Batteurs d'or ; elles ont une épaisseur qui se laisse appercevoir, & qui est capable de leur donner de la solidité. Leurs figures, malgré leurs irrégularités, tiennent toujours de la ronde ; leurs bords sont aussi arrondis ; ce sont des especes de petits gâteaux ; les frottemens ont abattu leurs angles ; pendant que l'eau les entraîne, elles rencontrent un sable qui les use.
Parmi les paillettes des rivieres de Ceze & du Gardon, on en rencontre quelquefois qui ont une ligne & demie de diamêtre ; mais il y en a davantage qui n'ont qu'une ligne, & même qu'une demi-ligne. Nous en avons de l'Ariége, qui ont deux lignes dans le sens où elles sont les plus grandes ; les paillettes du Rhin sont beaucoup plus petites, & celles du Rhône plus petites encore ; mais on trouve aux plus petites une figure approchante des plus grosses.
On assure pourtant qu'on a quelquefois ramassé dans le Rhône des paillettes grosses comme des grains de millet. Les Allemands en citent tirées de leurs rivieres grosses comme des féves ; mais ce ne sont, pour ainsi dire, que des miettes, si on les compare avec ces gros morceaux d'or trouvés dans le Pérou & le Méxique, & grossis peut-être encore par le récit des voyageurs. Cependant le pere Feuillée, à qui on peut se fier, assure avoir vu une pépite, c'est le nom qu'on donne à ces morceaux, d'une grosseur extraordinaire, du poids de soixante-six marcs & quelques onces, dans le cabinet d'Antonio Porto-Carrero : on en fit voir une en 1716 à l'académie, qui pesoit, dit-on, cinquante-six marcs. Sa figure approchoit de celle d'un coeur ; elle appartenoit à dom Juan de Mur, qui avoit été corrégidor d'Arica. M. Frézier a fait mention de cette pépite dans son voyage. Il en cite aussi une autre de soixante-quatre marcs, qui fut achetée par le comte de la Moncloa, viceroi du Pérou, pour en faire présent au roi d'Espagne. Mais ces pépites paroissent extraordinaires aux habitans des Indes, comme à nous. Ce sont des morceaux de mine entiers, qui sont détachés ou découverts par des torrens rapides ; & nous ne savons pas quelle est la grosseur des morceaux d'or qui fournissent depuis si long-tems nos rivieres de paillettes. Nous verrions peut-être des pépites chez nous, si un coup brusque, un torrent extraordinaire, détachoit à-la-fois ce qui n'est enlevé que par parcelles en plusieurs années. La nature travaille dans de grands laboratoires ; mais peut-être aussi que son laboratoire dans nos montagnes n'est pas en or ; elle en a de toutes matieres. Mém. de l'académie des Sciences, 1718. (D.J.)
PAILLETTE, (Broderie) ce mot se dit des petits grains d'or ou d'argent ronds, applatis & percés au milieu, dont on parseme quelquefois les broderies, les ornemens d'église, & les habits de théatre. On fait aussi des paillettes d'acier qu'on mêle dans les jais blancs & noirs pour des broderies du petit deuil des femmes.
PAILLETTES COMPTEES, en terme de Brodeur au métier ; ce sont des paillettes arrangées l'une sur l'autre comme de l'argent monnoyé. Pour les arrêter ainsi, on fait un point au bord de la premiere en-dehors, un autre dans le trou de cette premiere au bord de la seconde en-dehors, un autre dans le trou de cette seconde en-dedans ; ainsi des autres, en les approchant à l'aiguille l'une sur l'autre.
PAILLETTES COURONNEES, sont en terme de Brodeur au métier, celles qui sont environnées tout-autour d'ornemens ou de points de bouillon. Voyez BOUILLON.
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PAILLEUR | S. m. (Commerce de paille) celui qui vend & fournit de la paille dans les maisons de Paris & autres villes du royaume pour la nourriture des chevaux des particuliers.
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PAILLEUX METAL | (Métallurgie) c'est-à-dire, métal qui a des pailles. C'est un grand défaut pour le fer & pour l'acier d'être pailleux ; car outre que ce défaut les rend cassans, ils souffrent un grand déchet à la forge.
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PAILLIER | S. m. il se dit 1°. de la paille fourragée par des bestiaux, qui ont mangé l'épi & le grain, & qui n'est plus bonne qu'à faire litiere & fumier ; 2°. de l'endroit où l'on nourrit les bestiaux & où l'on porte les pailles & fourrages dont on fait des meulons, pour les conserver jusqu'à ce qu'on les mette en litiere ou fumier.
PAILLIER, (Hydr.) on pratique des pailliers ou repos entre les rampes & avec tournans les escaliers de pierre ou de gazon qui accompagnent une cascade ; on en fait plusieurs de suite dans les rampes un peu longues. (K)
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PAILLONS | S. m. pl. (Jouaillerie) nom que l'on donne à de petites feuilles quarrées de cuivre battu, très-minces, & colorées d'un côté, que l'on met par petits morceaux au fond des chatons des pierres précieuses, & des crystaux.
PAILLON DE SOUDURE, (Orfévrerie) petit morceau de soudure, ou métal mince & allié, qui sert à souder les ouvrages d'orfévrerie. Lorsqu'on veut souder quelque chose, on coupe la soudure par paillons.
PAILLON & PAILLONNER, la vaisselle d'étain, c'est une façon qu'on donne à la vaisselle d'étain fin, après qu'elle est apprêtée avant de la tourner ; pour cela on prépare d'abord le paillon avec un lingot d'étain commun dont on fait tomber avec le fer chaud à souder, une quantité suffisante de gouttes sur une platine de cuivre ; ce qui forme des feuilles d'étain minces, rondes, grandes environ comme des pieces de vingt-quatre sols, plus ou moins. Voilà comme se fait le paillon : il faut dire en passant qu'on emploie de ce paillon dans la teinture de l'écarlate. Autrefois on se servoit d'étain en ratures, c'est-à-dire, ce que les crochets ôtent sur l'étain en le tournant.
On fait ensuite un tampon de filasse qu'on roule en long d'environ un demi-pié & gros comme le poignet pour de grands plats, & moins gros pour de plus petites pieces ; on a soin de le tenir chaud par le bout qui sert, en le mettant sur une petite plaque de fer sous laquelle il y a un petit feu ; cela se fait après avoir allumé du feu de braise de charbon dans une bassine, qui est comme le fond d'une chaudiere dont la hausse est environ de trois ou quatre pouces de haut & applatie sur le bord, & il faut disposer son feu si également, qu'il ne chauffe pas plus d'un côté que de l'autre, & qu'il chauffe plus la circonférence de la piece que son milieu. Ensuite on prend sa piece avec une tenaille à paillonner de la main gauche, & on la met chauffer sur le feu ; on a un morceau de poix-résine dont on enduit sa piece dessus & dessous en frottant par-tout, parce que la résine fond dessus à mesure que la piece s'échauffe ; on prend plusieurs feuilles de paillon qu'on met sur sa piece, & ensuite avec le tampon on promene partout cet étain fondu qui se dilate & s'étend comme un étamage, on retourne sa piece, & on en fait autant dedans comme dessous ; apres quoi on retire doucement sa piece de dessus le feu, & on remet son tampon en place, & on prend une autre piece pour faire de même jusqu'à la fin, observant de maintenir toujours son feu égal ; puis on reprend, s'il est nécessaire, ses pieces l'une après l'autre pour paillonner l'endroit des tenailles qu'on nomme le contre-jet. Ce paillon sert à boucher les gromelures, & empêche les cassures ; c'est un étamage plus subtil & plus difficile à faire que celui des Chauderonniers.
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PAIN | S. m. (Boulangerie) les diverses especes de farine dont les Boulangers font leur pain, sont la pure fleur de farine pour le pain mollet ; la farine blanche d'après la fleur, pour le pain blanc ; les fins gruaux mêlés avec cette derniere, pour le pain bis-blanc ; les gros gruaux, avec partie de farine blanche & de fin gruau, pour le pain bis.
Le pain se fait de farine de mays dans la plus grande partie de l'Asie, de l'Afrique & de l'Amérique ; outre le mays, l'Amérique a encore la racine de cassave, dont le suc récent est un poison, mais dont la racine que l'on en tire fait un pain délicat & nourrissant.
PAIN BIS, en Boulangerie ; est le nom de la moindre espece de pain ; on le fait avec une partie de farine blanche, & des gruaux fins & gros. On y mêle aussi des recoupettes, mais ce n'est que dans les chertés.
PAIN BIS-BLANC, terme de Boulanger, qui signifie le pain au-dessous du blanc, & fait de farine blanche & de fin gruau.
PAIN BLANC, en terme de Boulanger, est le nom qu'on donne au pain fait de farine blanche, & tirée au bluteau d'après la fleur de farine.
PAIN DE BRANE, terme de Boulanger, pour dire, le pain de douze livres.
PAIN CHALAND, en Boulangerie, est un pain très-blanc, fait de pâte broyée.
PAIN CHAPELE, en Boulangerie, est un petit pain fait avec une pâte bien battue & fort légere, assaisonnée de beurre ou de lait.
PAIN CHAPELE, se dit encore parmi les Boulangers, d'une espece de petit pain dont on a enlevé la plus grosse croute avec un couteau.
PAIN DE CHAPITRE, en terme de Boulanger, est une espece de pain supérieure au pain chaland, qu'on peut regarder comme le pain mollet de ce dernier.
PAIN CORNU, nom que les Boulangers donnent à cette espece de pain qui a quatre cornes, & quelquefois plus. C'est de toutes les especes de petit pain celui qui se fait avec la pâte la plus forte & la plus ferme.
PAIN A LA REINE, est chez les Boulangers, un pain fendu, qui ne differe du pain de festin que par l'assaisonnement, qui y est moindre que dans ce dernier. On fait le pain à la reine avec une pâte qui n'est proprement ni forte, ni douce, & qu'on appelle pour cela pâte moyenne. Quelques-uns l'appellent encore pâte bâtarde.
PAIN A LA SIGOVIE, terme de Boulanger, pour signifier une sorte de pain qui a une tête au milieu. Il est fait avec une pâte d'un tiers plus forte & plus dure que celle du pain à la reine.
PAIN PETIT, en terme de Boulanger, est un pain fait avec une pâte plus ou moins légere, selon l'espece de pain, du beurre, du lait ou de levure. Le petit pain se divise en pain à la reine, pain à la sigovie, pain chapelé, pain cornu, &c. Voyez ces termes à leur article.
Quelques Boulangers de Paris font leur petit pain avec les gruaux qu'ils font remoudre : il bouffe en effet davantage ; mais n'est jamais si bon que celui de fleur de farine.
Des façons à donner aux principales sortes de pains en usage parmi nous. Pain d'avoine. Il faut que le levain soit fort ; prendre l'eau un peu chaude, & tenir le four chaud : le bien cuire & long-tems ; & le garder au four suivant la grosseur du pain, parce que le dedans en est toujours gras. Il demande un grand apprêt. La pâte doit en être bien travaillée & bien ronde.
Pain d'orge. Il ne lui faut en levain que le tiers de la masse de la pâte. Trop de levain le rend trop lourd & trop gras en-dedans. Il veut être bien travaillé. On le paîtrit à l'eau douce, parce qu'il semble porter son levain avec lui-même. Il ne lui faut pas beaucoup d'apprêt. Le four doit être chaud. Ce pain porte bien la cuisson.
Pain de seigle. Il faut faire de grands levains, à moitié de la quantité de la pâte ; prendre l'eau fraîche, & faire la pâte forte : donnez bien de l'apprêt, parce que le seigle est toujours doux. Travaillez-le beaucoup. Que votre four soit très-chaud : que le pain y reste long-tems ; cependant selon sa grosseur.
Biscuit de mer. Il faut en levain un bon tiers de la quantité de la pâte. Il faut que ce levain soit bon, naturel, bien fait, fort travaillé ; un four bien chaud, où on le laisse au moins trois heures.
Pain de blé, façon de Gonesse. Ayez de grands levains, & l'eau douce. Faites la pâte forte & bien soutenante. Travaillez-la beaucoup ; ensuite remettez-y un peu d'eau fraîche par-dessus, afin d'éclaircir ou délayer la pâte, & travaillez ensuite. Quand votre pâte sera bien travaillée, tirez-la du paîtrin, & la tournez tout de suite. Il ne faut pas qu'elle entre en levain, mais point du tout. Distribuez-la aux poids que les pains doivent avoir. Tournez les plus petits les premiers ; tournez ensuite les gros. Que les bannes ou sacs soient toujours frais. Que les couvertures soient un peu humides. Que le four soit très-chaud, afin que le milieu soit cuit. Que le four soit plus chaud au premier quartier qu'au dernier. On s'assure de la cuisson presqu'à la main.
Pain en pâte, ou quantité de pâte à employer pour avoir, après la cuisson, un pain d'un poids déterminé. Un pain de quatre livres veut quatre livres onze onces de pâte ; un pain de trois livres, trois livres & demi de pâte ; un pain de six livres, six livres & trois quarts de pâte ; un pain de huit livres, neuf livres de pâte ; un pain de douze livres, treize livres & demie de pâte : voilà à-peu-près la regle en pâte qui détermine le poids après la cuisson.
Gros pain de Paris. Faites la pâte un peu plus douce que celle de Gonesse. Il y en a qui substituent au levain, le levain de biere. Faites du reste, comme au pain précédent.
Pain demi-mollet. Il ne faut en levain qu'un quart de la pâte. Il ne le faut pas laisser trop apprêter. Quand vous le voyez à moitié prêt, vous faites un autre levain de levure de biere. Lorsque vos levains sont prêts, vous aurez votre eau un peu dégourdie, & en quantité proportionnée à la masse de votre pâte. Vous ferez votre pâte un peu ronde ; vous lui donnerez deux ou trois tours. Vous prendrez un peu d'eau fraîche, que vous jetterez par-dessus votre pâte, jusqu'à ce qu'elle vous paroisse assez douce. Vous ne la laisserez point entrer en levain avant que de la tourner. Cela fait, vous la distribuerez ; vous couvrirez vos pains avec de la toile humide, ou des couvertures de laine. Votre pâte ne prenant point l'air, le pain en viendra plus jaune au four. Que votre four ne soit pas si chaud que pour le gros pain. Regardez de tems en tems dans le four, pour voir si votre fournée a assez de couleur. Lorsqu'elle a assez de couleur, vous laissez achever la cuisson à four ouvert.
Pain fendu. Prenez les ratissures du pain demi-mollet. Renforcez-les avec de la farine. Travaillez-les bien ; & distribuez cette pâte en pains de quatre livres, de deux & d'une ; tournez toujours les plus petits les premiers. Fendez ceux-ci avec la main ; les gros avec le bras. Placez-les dans les moules, & les moules au four au premier quartier de la chaleur.
Pain mollet. Prenez de la pâte du pain demi-mollet, le quart de la pâte du pain mollet que vous voulez faire. Ayez du levain fait à la levure de biere. Laissez la pâte un peu entrer en levain ; ensuite distribuez-la. Pour le pain d'une livre cuit, il faut une livre & un quart en pâte ; pour un pain d'une demi-livre cuit, il faut dix onces en pâte. Ayez des planches & des toiles qui s'appellent couches, pour couvrir ; tournez les pains les moins gros les premiers, ensuite les autres. Que votre four ne soit point trop chaud au dernier quartier.
Pain plat, ou autrement dit pain manqué. Prenez de la pâte du pain mollet. Remettez un peu d'eau fraîche & de farine par-dessus. Retravaillez bien la pâte. Battez-la ; mettez-la dans une corbeille ; tenez-la au frais. Tournez les pains que vous en ferez les derniers de tous vos pains. Menagez-leur une place à bouche de four entre vos pains mollets. Quand ils y seront placés, donnez-leur un coup de main pardessus ; & lorsque vous aurez tiré votre premier quartier, vous enfoncerez dans le four ces pains -ci que vous y laisserez achever leur cuisson.
Pain à la reine. Faites un bon levain à levure de biere. Quand il sera prêt, façonnez votre pâte tout ensemble. Après l'avoir un peu travaillée, faites les petits pains, qu'on appelle aussi pains à caffé ; travaillez votre pâte derechef ; battez-la avec la main. Levez-la du paîtrin. Placez-la dans une sebille ; couvrez-la avec des sacs ou bannes. Renforcez le reste de votre pâte avec de la farine. Détournez ensuite une portion pour les pains de sigovie & pour les pains cornus. Cela fait, achevez votre pain à la reine avec du beurre. Le beurre mis, travaillez-le encore un peu ; ensuite tirez la pâte du paîtrin ; couvrez-la pour la faire entrer en levain. Alors revenez au sigovie. Vous en renforcerez la pâte un peu plus qu'au pain à la reine. Vous en tournerez les pains les derniers. Après quoi, de la ratissure du paîtrin, vous faites votre pain cornu avec un peu de beurre. Vous en travaillez la pâte, & vous la mettez dans une sebille. Vous ferez les artichaux de la même pâte que les pains cornus ; les pains cornus les premiers, les artichaux les seconds, les pains à caffé les troisiemes, les pains à la reine les quatriemes, les pains de sigovie les derniers. Vous enfournez les pains à caffé les premiers ; puis les pains cornus, ensuite les artichaux ; après ceux-ci les pains à la reine ; enfin les pains de sigovie qui se trouveront à la bouche du four.
Pain de festin. Ayez un bon levain de levure de biere. Faites-en le tiers de la pâte que vous avez à préparer. Quand il sera prêt, ayez du lait dégourdi seulement ; délayez votre levain avec ce lait : travaillez un peu votre pâte. Ensuite prenez votre beurre & vos oeufs. Ajoutez-les à la pâte. Que la pâte ne soit pas trop douce ; faites-la bonne & ronde. Laissez-la entrer en levain un peu ; puis tournez-la. Tournez les petits pains les premiers. Echauffez votre four doux. Le four chaud, coupez vos pains en s par-dessus ; dorez-les avec des oeufs, & les enfournez. Quand ils auront pris de la couleur, vous laisserez achever la cuisson à four ouvert.
Espiotte. Faites de grands levains ; ayez-en le tiers de la pâte. Que votre pâte soit forte. Après l'avoir un peu travaillée, jettez-y un peu d'eau fraîche. Retravaillez & tournez sur des sacs. Que le four soit bien chaud. Enfournez les pains ronds les premiers, ensuite les longs, & laissez bien cuire ; car ces pains sont toujours gras en-dedans.
Pain de blé noir ou sarrasin. Ayez du levain la moitié de ce que vous ferez de pâte. Prenez de l'eau fraîche au sortir du puits. Faites votre pâte un peu ronde. Après l'avoir un peu travaillée, vous l'arroserez un peu d'eau fraîche ; & la retravaillerez bien. Que votre four soit bien chaud. Vous tournerez vos pains tout de suite, les plus petits les premiers. Vous les couvrirez de sacs humides ; vous répandrez un peu d'eau fraîche sur ces sacs, & vous laisserez votre pâte ainsi disposée, s'apprêter. Ensuite vous enfournerez les pains ronds les premiers.
Pain de blé de Turquie. Ayez du levain le tiers de la quantité de votre pâte : que votre eau soit dégourdie. Faites votre pâte forte. Travaillez-la bien. Tirez-la du paîtrin ; tournez-la tout de suite, non sans l'avoir bien broyée sur le paîtrin ; applatissez les pains ronds. Couvrez-les tous de sacs humides. Que votre four soit bien chaud. Laissez vos pains s'apprêter ; ensuite enfournez. Laissez long-tems au four ; ce pain devient très-jaune.
La bonne façon du pain tient donc à la juste quantité du levain, à la juste quantité d'eau ; sur-tout au travail long qui distribue également le levain & l'eau dans toute la masse, & à la cuisson convenable. Sans levain le pain est matte ; avec le levain sans eau le pain est matte ; avec du levain & de l'eau sans travail, le pain est matte ; avec du levain, de l'eau & du travail, sans juste cuisson, même défaut ; il est encore matte. Ces quatre conditions sont donc nécessaires pour rendre le pain léger & plein d'yeux. Quelle est celle qui y contribue le plus ? cela peut être aussi difficile qu'inutile à décider.
PAIN, (Jurisprudence) dans cette matiere se prend quelquefois pour jouissance. Etre en pain, dans les coutumes de Hainaut & de Mons, c'est être sous la puissance de son pere ; comme être hors de pain, signifie, être hors de cette puissance, mettre hors de pain, émanciper. (A)
PAIN D'ACIER, (Comm.) c'est une sorte d'acier qui vient d'Allemagne ; il est différent de celui que l'on appelle acier en bille.
PAIN D'AFFINAGE, (Fonderie de métaux) c'est ainsi qu'on nomme la petite portion de matiére d'argent qui reste toujours dans le fond de la coupelle ; on l'appelle autrement plaque.
PAIN BENI, (Hist. ecclés.) c'est un pain que l'on bénit tous les dimanches à la messe paroissiale, & qui se distribue ensuite aux fideles.
L'usage étoit dans les premiers siecles du christianisme, que tous ceux qui assistoient à la célébration des saints mysteres participoient à la communion du pain qui avoit été consacré ; mais l'Eglise ayant trouvé de l'inconvénient dans cette pratique, à cause des mauvaises dispositions où pouvoient se trouver les chrétiens, restraignit la communion sacramentelle à ceux qui s'y étoient duement préparés. Cependant pour conserver la mémoire de l'ancienne communion, qui s'étendoit à tous, on continua la distribution d'un pain ordinaire, que l'on bénissoit, comme l'on fait de nos jours.
Au reste, le goût du luxe & d'une magnificence onéreuse à bien du monde, s'étant glissé jusque dans la pratique de la religion, l'usage s'est introduit dans les grandes villes de donner au lieu de pain, du gâteau plus ou moins délicat, & d'y joindre d'autres accompagnemens coûteux & embarrassans ; ce qui constitue les familles médiocres en des dépenses qui les incommodent, & qui seroient employées plus utilement pour de vrais besoins. On ne croiroit pas, si on ne le montroit par un calcul exact, ce qu'il en coûte à la nation tous les ans pour ce seul article.
On sait qu'il y a dans le royaume plus de quarante mille paroisses où l'on distribue du pain béni, quelquefois même à deux grand'messes en un jour, sans compter ceux des confrairies, ceux des différens corps des arts & du négoce. J'en ai vu fournir vingt-deux pour une fête par les nouveaux maîtres d'une communauté de Paris. On s'étonne qu'il y ait tant de misere parmi nous ; & moi en voyant nos extravagances & nos folies, je m'étonne bien qu'il n'y en ait pas encore davantage.
Quoi qu'il en soit, je crois qu'on peut du fort au foible, estimer la dépense du pain béni, compris les embarras & les annexes, à quarante sols environ pour chaque fois qu'on le présente. S'il en coûte un peu moins dans les campagnes, il en coûte beaucoup plus dans les villes, & bien des gens trouveront mon appréciation trop foible ; cependant quarante mille pains à 40 s. piece, font quatre-vingt mille livres, somme qui multipliée par cinquante-deux dimanches, fait plus de 4 millions par an, ci 4000000 liv.
Qui empêche qu'on n'épargne cette dépense au public ? On l'a déja dit ailleurs, le pain ne porte pas plus de bénédiction que l'eau qu'on emploie pour le bénir ; & par conséquent on peut s'en tenir à l'eau, qui ne coûte rien, & supprimer la dépense du pain laquelle devient une vraie perte.
Par la même occasion, disons un mot du luminaire. Il n'y a guere d'apparence de le supprimer tout-à-fait ; nous sommes encore trop enfans, trop esclaves de la coutume & du préjugé, pour sentir qu'il est des emplois du bien plus utiles & plus religieux, que de brûler des cierges dans une église. Néanmoins tout homme éclairé conviendra qu'on peut épargner les trois quarts du luminaire qui se prodigue aujourd'hui, & qui n'est proprement qu'une pieuse décoration. Cela posé, il y a dans le royaume plus de quarante mille églises en paroisses ; on en peut mettre un pareil nombre pour les églises collégiales, couvens, communautés, &c. ce qui fait quatre-vingt mille églises pour le tout. J'estime du plus au moins l'épargne du luminaire qu'on peut faire en chacune à 50 liv. par année ; cette somme, bien que modique multipliée par 80000 églises, produit 4 millions par an. Voilà donc avec les quatre millions ci-dessus, une perte annuelle de huit millions dans le royaume ; & cela pour de petits objets & de menus frais auxquels on n'a peut-être jamais pensé, ci.... 8000000 livres.
Combien d'autres inutilités coûteuses en ornemens superflus, en sonneries, processions, reposoirs, &c. Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum longè est à me. Matt. xv. 8.
La religion ne consiste pas à décorer des temples, à charmer les yeux ou les oreilles ; mais à révérer sincérement le créateur, & à nous rendre conformes à Jesus-Christ. Aimons Dieu d'un amour de préférence, & craignons de lui déplaire en violant ses commandemens ; aimons notre prochain comme nous-mêmes, & soyons en conséquence toujours attentifs à lui faire du bien, ou du moins toujours en garde pour ne lui point faire de mal ; enfin remplissons le devoir de notre état : voilà précisément la religion que Dieu nous prescrit, & c'est celle-là tout juste que les hommes ne pratiquent point ; mais ils tâchent de compenser ces manquemens d'une autre maniere : ils se mettent en frais, par exemple, pour la décoration des autels, & pour la pompe des cérémonies ; les ornemens, le luminaire, le chant, la sonnerie ne sont pas épargnés ; tout cela fait proprement l'ame de leur religion, & la plûpart ne connoissent rien au-delà. Piété grossiere & trompeuse, peu conforme à l'esprit du Christianisme, qui n'inspire que la bienfaisance & la charité fraternelle !
Que de biens plus importans à faire, plus dignes des imitateurs de Jesus-Christ ! Combien de malheureux, estropiés, infirmes, sans secours & sans consolation ! Combien de pauvres honteux sans fortune & sans emploi ! Combien de pauvres ménages accablés d'enfans ! Combien enfin de misérables de toute espece, & dont le soulagement devroit être le grand objet de la commisération chrétienne ! objet par conséquent à quoi nous devrions consacrer tant de sommes que nous prodiguons ailleurs sans fruit & sans nécessité.
PAIN, en terme de Cirier, c'est un morceau de cire plat & rond, à qui il ne manque plus pour être parfaitement blanc, que d'être mis encore une fois sur les toiles. Voyez TOILES, & l'article BLANCHIR.
PAIN, (mettre en) en terme de Blanchisserie, est l'action de former des morceaux de cire plats & ronds, quand la matiere a acquis un certain degré de blancheur. Cela se fait en versant la cire fondue pour la troisieme fois sur des moules nommés pour cela planches à pain. Voyez PLANCHES A PAIN, & l'art. BLANCHIR.
PAIN DE BOUGIE, (Cirerie) c'est la bougie filée que l'on a tortillée ou pliée d'une certaine maniere, pour s'en pouvoir servir plus commodément.
PAIN A CHANTER, (Oublieur) c'est du pain sans levain qui sert à la consécration dans le sacrifice des Catholiques. Il est fait de la plus pure farine de froment entre deux plaques de fer gravées en forme de gaufrier, que l'on frotte un peu de cire blanche, pour empêcher que la pâte n'y tienne. Ce sont les Patissiers-Oublieurs qui font les pains à chanter. Il y a des maîtres qui vivent de ce métier.
PAIN DE CHAPITRE, (terme ecclésiastiq.) on lit dans la satyre Menippée : il n'est que d'avoir un roi légitime, etiam discole, pourvu qu'il nous laisse le pain de chapitre & le purgatoire. On appelle pain de chapitre celui qu'on distribue tous les jours aux chanoines dans quelques églises. Il étoit autrefois si excellent, qu'on appelloit pain de chapitre les meilleures choses. " S'il est question, dit Henri Etienne, de parler d'un pain ayant toutes les qualités d'un bon & friand pain, (voire tel que celui de la ville Eresias, pour lequel Mercure prenoit bien la peine de descendre du ciel, & en venir faire provision pour les dieux, si nous en croyons le poëte Archestrate), ne faut-il pas venir au pain de chapitre, je dis au vrai pain de chapitre, dont celui que vendent à Paris les boulangers, a retenu le nom, mais non la bonté, sinon qu'en partie ". Ainsi l'auteur de la satyre a entendu, sous le nom de pain de chapitre, les grands biens dont les ecclésiastiques sont en possession. Richelet. (D.J.)
PAIN CONJURE, étoit un pain d'épreuve fait de farine d'orge, que les Anglois, Saxons donnoient à manger à un criminel non convaincu, après que le prêtre avoit proféré des imprécations sur ce pain ; persuadés que s'il étoit innocent, le pain ne lui feroit point de mal ; mais que s'il étoit coupable, il ne pourroit l'avaler, ou qu'après l'avoir avalé il étoufferoit. Voyez PURGATION, EPREUVE, &c.
Le prêtre qui faisoit cette cérémonie, demandoit à Dieu dans une priere faite exprès, " que les mâchoires du criminel restassent roides, que son gosier s'étrecît, qu'il ne pût avaler, & qu'il rejettât le pain de sa bouche ". Voyez JUGEMENT DE DIEU, ORDALIE, &c.
PAIN A COUCOU (Botan.) voyez ALLELUIA.
PAIN A COUCOU, ou ALLELUIA, (Mat. médic.) plante. Voyez ALLELUIA, Médec. cette plante a les mêmes qualités extérieures & les mêmes vertus que l'oseille. Voyez OSEILLE, Mat. méd. & Diete.
PAIN DE CRAIE, (Amidonnier) c'est un morceau de craie de forme quarrée, arrondie, long de six pouces, & épais de trois à quatre.
PAIN D'EPICE, est un pain de miel & de farine de seigle. Avant d'employer le miel dans le pain d'épice, il faut qu'il ait bouilli long-tems, & qu'on l'ait bien écumé. On y détrempe la farine de seigle pendant qu'il est encore chaud, avec une espece de gache exprès.
Le pain d'épice peut servir utilement en Chirurgie ; il tient lieu de cataplasme maturatif dans la formation des abscès qui surviennent dans la bouche, à la racine des dents, & aux gencives entre les mâchoires & les joues. On coupe une tranche de pain d'épice, de l'épaisseur d'un écu de six livres, & de la grandeur convenable : on la trempe dans du lait chaud, & on l'applique sur les tumeurs inflammatoires disposées à suppuration. Ce topique n'a aucun désagrément ; il tient sans aucun moyen sur le lieu malade, & il remplit parfaitement les intentions de l'art en favorisant celle de la nature. Voyez MATURATIF & MATURATION, SUPPURATIF & SUPPURATION. Voyez pour le cas particulier, l'article maladies des gencives, à la suite du mot GENCIVES. (Y)
PAIN-D'EPICIER, qui fait & vend du pain d'épice. Les pains-d'épiciers composent une communauté fort ancienne à Paris. Leurs ouvrages étoient fort à la mode avant que les Pâtissiers fussent érigés en corps de jurande : mais la pâtisserie, d'invention plus moderne, & plus variée dans ses ouvrages, a prévalu sur le pain d'épice, quoiqu'il soit beaucoup plus sain que la pâtisserie qui est lourde & pesante.
PAIN FOSSILE, (Hist. nat.) artolithus, pains daemonum ; quelques auteurs ont donné ce nom à des pierres à qui la nature a donné la forme d'un pain. Il s'en trouve de fort grands ensemble dans le voisinage de la ville de Rothweil : on dit qu'il s'en trouve aussi dans les montagnes des environs de Boulogne en Italie. On en a rencontré qui pesoient plusieurs quintaux dans le voisinage d'Ilefeld, près de Nordhausen, dans le Hartz. On assure que dans la grotte de Baumann au Hartz, on voit une cavité semblable à un four, dans laquelle sont plusieurs pains ou gâteaux. Il y a encore plusieurs autres endroits où l'on a trouvé de ces prétendus pains, & même des biscuits fossiles, que quelques personnes ont eu la simplicité de regarder comme des pains pétrifiés ; qui n'ont pris cette forme que par hasard, & qui sont de vrais jeux de la nature propres à amuser ceux qui ne cherchent que le singulier & non l'instruction dans l'histoire naturelle. Voyez Bruckmanni epistolae itinerariae, Centuria I. epist. 66.
PAIN DE LIE, (Vinaigriers) c'est la lie seche que les Vinaigriers tirent de leurs presses, après en avoir exprimé tout le vin pour faire leur vinaigre. Les Chapeliers se servent aussi du pain de lie pour la fabrique de leurs chapeaux. Savary.
PAINS DE LIQUATION, (Métallurgie) ce sont les gâteaux de cuivre qui restent sur le fourneau de liquation, après que le plomb & l'argent en ont été dégagés. On les nomme aussi pieces de liquation. Voyez les articles LIQUATION & CUIVRE.
PAIN DE MUNITION, est à la guerre, le pain qu'on distribue aux troupes en campagne, & qui contient deux rations. Voyez RATION & MUNITIONS. (O)
PAIN DE POURCEAU, (Botan.) cyclamen ; genre de plante à fleur monopétale, ronde, en forme de rosette, & découpée ordinairement en cinq parties recourbées en haut. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit presque rond & membraneux, qui s'ouvre de plusieurs façons, & qui renferme des semences le plus souvent oblongues, anguleuses & attachées à un placenta. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Il contient trente especes, dont la plus commune est nommée cyclamen orbiculato folio, infernè purpurascente, dans les I. R. H. 154.
Sa racine est sphérique, épaisse, charnue, un peu applatie, noirâtre en dehors, blanchâtre en dedans, & garnie de fibres noirâtres. Sa saveur est âcre, piquante, brûlante, désagréable, sans odeur ; ses feuilles nombreuses, presque rondes, portées sur des queues longues d'environ une palme, sont assez semblables aux feuilles de cabaret ; cependant moins épaisses, d'un verd foncé en dessus, parsemé de quelques taches blanches, de couleur de pourpre endessous, un peu sinuées à leur bord.
Ses fleurs panchées vers la terre, sont portées sur des pédicules longs & tendres ; elles sont d'une seule piece en rosette, taillées en maniere de godet, de couleur pourpre clair ou foncé, & d'une odeur suave. Leur calice est partagé en cinq quartiers ; il en sort un pistil attaché à la partie postérieure en maniere de clou ; ce pistil est porté sur un pédicule faisant plusieurs spirales. Après que la fleur est tombée, il se replie jusqu'à ce qu'il touche la terre sur laquelle il croît, & devient un fruit presque sphérique, membraneux, & qui s'ouvre en plusieurs parties. Il renferme des graines oblongues, anguleuses, d'un brun jaunâtre, attachées à un placenta.
Cette graine semée dans la terre ne germe pas, mais elle se change en un tubercule, ou en une racine qui pousse des feuilles. Dans la suite ses fleurs paroissent sur la fin de l'été, ou au commencement de l'automne ; ensuite ses feuilles ayant duré tout l'hiver, se perdent en Avril ou en Mai. On cultive cette plante dans nos jardins. Ses racines sont d'usage. (D.J.)
PAIN DE POURCEAU, (Mat. médic.) la racine de cette plante, qui est sa seule partie usuelle, est d'une saveur âcre, brûlante, désagréable lorsqu'elle est fraîche. Cette saveur disparoit presqu'entierement par la dessication. Cette racine est inodore.
Soit fraîche, soit seche, c'est un très-violent purgatif hydragogue, que les paysans les plus robustes peuvent prendre cependant jusqu'à la dose d'un gros en substance, & jusqu'à celle de demi-once en décoction ; mais même dans ces sujets très-vigoureux, elle excite souvent des inflammations à l'oesophage, & dans tout le trajet intestinal. Voyez PURGATIF.
On se sert aussi extérieurement de cette racine. Elle est comptée parmi les plus puissans résolutifs & apéritifs. Elle possede même ces vertus aussi-bien que la qualité purgative à un degré qui les rend capables de porter leur action jusques sur les parties intérieures, lorsqu'on l'applique sur les régions qui contiennent ces parties. Etant appliquée, par exemple, en forme de cataplasme sur les régions de la rate, elle passe pour en fondre les tumeurs. Si on frotte le ventre avec sa décoction ou son suc, elle lâche le ventre, tue les vers, fait revenir les regles, peut chasser le foetus mort & l'arriere-faix, & a tous les effets propres aux purgatifs violens.
C'est à cette plante que doit son nom l'onguent appellé de arthanita, qui est composé d'ailleurs de tous les purgatifs végétaux les plus violens ; savoir, la coloquinte, le concombre sauvage, le glayeul, la scammonée, le turbith, le garou, l'aloës, l'euphorbe, la maroute ; de plusieurs gommes, résines & d'aromates exotiques les plus âcres, tels que le poivre long & le gingembre ; onguent qui étant appliqué sur le creux de l'estomac, fait vomir, qui vuide puissamment les eaux des hydropiques par les selles & par les urines, si on en frotte la région ombilicale & celle des reins ; qui excite les regles, si on l'applique au pubis & à la région hypogastrique, qui est un insigne fondant des tumeurs skirrheuses, &c. & qui est, malgré toutes ces vertus, un fort mauvais remede. (b)
PAIN DE PROPOSITION, (Critiq. sac.) les pains de proposition étoient des pains qu'on offroit tous les samedis sur la table d'or posée dans le saint : pones super mensam panes propositionis in conspectu meo, Exod. 25. 30. Il devoit y en avoir douze, en mémoire des douze tribus, au nom desquelles ils étoient offerts. Ces pains se faisoient sans levain ; on les présentoit tout chauds chaque jour de sabbat, & en même tems on ôtoit les vieux, qui devoient être mangés par des prêtres, à l'exclusion des laïcs, à qui il étoit défendu d'en manger ; c'est ce qui faisoit appeller le pain de proposition panis sanctus, I. Reg. xxj. 4.
Les anciens Hébreux cuisoient leur pain sous la cendre, & quelquefois on le faisoit cuire avec de la bouse de vache allumée. Voyez encore PROPOSITION, pains de. (D.J.)
PAIN DE RHEIMS, les pains-d'épiciers donnent ce nom à des pains qu'ils font selon la maniere qu'on en fait dans la ville de Rheims, avec de la pâte d'assortiment, que l'on assaisonne d'écorce de citron, d'anis, d'épices, &c.
PAIN DE RIVE, (terme de Boulanger) c'est du pain qui n'a point de biseau, ou qui en a très-peu. Il ne manquera pas, dit Moliere dans son Bourgeois-Gentilhomme, act. IV. scène I. de vous parler d'un pain de rive, relevé de croûtes croquantes sous la dent.
PAIN DE ROSES, en Pharmacie, remede composé avec les roses, ramassées & comme paîtries en forme de pain, que l'on trempe dans le vin ou dans le vinaigre.
On s'en sert dans la diarrhée, dans la dyssenterie, dans le vomissement, & dans les épuisemens des humeurs après les remedes généraux.
On applique avec un heureux succès un pain de roses que l'on a fait tremper dans le vin rouge ; dans le cas d'une indisposition chaude, on le mettra trempé dans une liqueur composée d'oxycrat & d'une eau calmante.
Voici comme on s'en sert :
Prenez encens, mastic, roses, corail rouge ; de chacun un gros : mettez-les en poudre ; saupoudrez-en un pain de roses qui aura trempé dans l'eau-rose avec une troisieme partie de vinaigre, ou dans du vinaigre rosat : appliquez-le chaudement sur le bas-ventre.
On le laisse pendant trois heures sur la partie, que l'on frotte ensuite avec un peu d'huile de lin ou d'amandes douces, ou d'huile rosat.
PAIN DE ROSES, (Parfumeur) on le nomme aussi chapeau de roses ; c'est le marc des roses qui reste dans les alambics après qu'on en a tiré l'eau, l'huile exaltée, & le sel volatil.
PAIN, terme de Potier de terre, c'est proprement la terre en motte telle qu'elle vient chez le potier, qui ne lui a encore donné qu'une façon.
PAIN DE SAVON, (Savonnerie) on l'appelle plus ordinairement table de savon ; c'est du savon dressé dans des moules d'un pié & demi en quarré, & d'environ trois pouces de hauteur ; il y a cependant quelque différence entre la table & le pain de savon, la table s'entendant du savon au sortir du moule, & le pain lorsque la table a été coupée en morceaux. Savary.
PAIN DE SUCRE, (Raffinerie) c'est du sucre affiné, que l'on dresse dans des moules de figure conique, & que l'on vend enveloppé de gros papier bleu ou gris : les pains de sucre pesent 3, 4, 5, jusqu'à 12 livres.
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PAINBOEUF | (Géog. mod.) bourgade de France, dans la Bretagne, sur la rive gauche de la Loire, à 6 lieues au-dessous de Nantes ; c'est-là que les plus gros vaisseaux demeurent à la rade, ne pouvant pas aller jusqu'à Nantes : on n'y voit qu'hôtelleries & cabarets. (D.J.)
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PAINE | S. m. (Hist. mod.) sixieme mois des Coptes, qui répond à notre mois de Juin ; ils l'appellent aussi bauna, & les Abyssins peuni & penni.
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PAINES | ou PESNES, ou PEINES, s. f. (Art méchan.) morceaux de drap ou d'étoffe de laine, dont les Corroyeurs font leur gipon. Voyez GIPONS, Corroyeur.
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PAIPAZOCA | S. m. (Botan. exot.) arbrisseau du Malabar toujours verd. Il porte des baies plates, rondes, velues, contenant quatre noyaux. On fait dans le pays, de ses feuilles, de ses racines, & de son fruit, bouillis dans de l'eau, un apozeme qu'on vante contre la goutte. (D.J.)
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PAIR | (Arithm.) adj. c'est une des branches de la division la plus simple & la plus générale des nombres. Un nombre pair est celui qui se peut exactement diviser par 2.
Tout nombre pair est essentiellement terminé vers la droite par un chiffre pair ou par 0 ; car ceux qui précedent étant tous des multiples de 10 = 5.2, sont conséquemment divisibles par 2, & jusque-là le nombre est pair. Pour qu'il reste tel, il faut donc que le dernier chiffre ait lui-même la propriété, ou du-moins qu'il ne l'altere point, c'est-à-dire qu'il soit pair ou 0.
Un nombre pair devient impair par l'addition ou par la soustraction de l'unité ; car dès-là la division exacte par 2 ne peut plus avoir lieu.
Deux nombres sont dits de même nom, quand ils sont tous deux pairs ou tous deux impairs ; & de différent nom, quand l'un étant pair l'autre est impair. Un nombre pair étant combiné avec un autre nombre quelconque a ; si c'est par addition ou par soustraction, la somme ou la différence sont de même nom que a.
Si c'est par multiplication, le produit est toujours pair.
De-là même il suit qu'un nombre pair ne peut diviser exactement un nombre impair, car il ne peut diviser que ce qu'il a produit.
S'il s'agit d'exaltation & d'extraction, une racine exprimée par un nombre pair donne une puissance de même nom, & réciproquement.
Telles sont les principales propriétés du nombre pair pris en général.
On pourroit demander ici à quel nom il convient de rapporter.... Il est certain qu'il n'est ni nombre pair ni nombre impair, puisqu'il n'est point nombre ni grandeur ; mais à le considérer purement comme signe ou chiffre, on ne peut s'empêcher de reconnoître que tous les caracteres de pair lui conviennent parfaitement.
1°. Il détermine à être pair le nombre qu'il termine.
2°. Il devient impair, & même nombre impair par l'addition ou par la soustraction de l'unité.
3°. Il est, par lui-même, & sans être associé à d'autres chiffres, habile à figurer en certaines progressions arithmétiques, comme dans celle-ci (0. m. 2m. 3m, &c.) & il y figure toujours comme terme pair. En effet, si m est pair, les termes de la progression le sont tous, & par conséquent celui que représente 0 : si m est impair, les termes de la progression ne sont pairs que de deux-en-deux, mais 0 appartient invariablement à la suite des termes pairs.
Mais , ou l'infini, de quel nom sera-t-il ? Dans cette suite, par exemple, (0. 1. 2.... ) le nombre des termes est-il pair ou impair ? On ne peut prendre parti ni d'un ni d'autre côté, qu'on ne s'expose à des objections accablantes. On pourroit dire qu'il n'est ni l'un ni l'autre en particulier, & qu'il est tous les deux ensemble. Si cela n'est pas clair, qu'on fasse attention qu'il s'agit de l'infini.
Ce qu'on ne peut au reste déterminer pour le moins, se détermine avec la plus grande facilité pour le plus. Cette autre suite (-.... -2. -1. 0. 1. 2.... ), infinie des deux côtés, est plus grande que la premiere. Or il est évident que le nombre des termes y est impair, puisqu'elle a un terme du milieu, autour duquel deux termes quelconques, pris à égale distance chacun de son côté, donnent des sommes égales entr'elles.
Il suit que, si l'on supprime le terme 0, les termes restans seront en nombre pair ; mais on n'en peut rien conclure pour le nom particulier de chacune des deux suites opposées prises séparément, parce qu'une somme paire est tout aussi-bien celle des deux impairs que de deux pairs. Article de M. RALLIER DES OURMES.
PAIR OU NON, (Jeux d'hasard) s'il y a quelque chose qui paroisse communément contestable, c'est qu'au jeu de pair ou non, lorsqu'on vous présente une main fermée pleine de jettons, & que l'on vous demande si le nombre en est pair ou non-pair, il vaut autant répondre l'un que l'autre ; car certainement il y a autant de nombres pairs que d'impairs ; cette raison si simple déterminera tout le monde. Cependant à y regarder de plus près, cela ne se trouve plus ainsi, tant ces sortes de questions sur les probabilités sont délicates. M. de Mairan a trouvé qu'il y avoit de l'avantage à dire non-pair plutôt que pair.
Les jettons, cachés dans la main du joueur qui propose le pari, ont été pris au hasard dans un certain tas, que le joueur a pû même prendre tout entier. Supposons que ce tas ne puisse être qu'impair. S'il est 3, le joueur n'y peut prendre que 1 ou 2, ou 3 jettons ; voilà donc deux cas où il prend des nombres impairs, & un seul où il prend un nombre pair. Il y a donc 2 à parier contre 1 pour l'impair, ce qui fait un avantage de 1/2. Si le tas est 5, le joueur y peut prendre trois impairs & seulement deux pairs ; il y a 3 à parier contre 2 pour l'impair, & l'avantage est d'un tiers. De même si le tas est 7, on trouvera que l'avantage de l'impair est 1/4, desorte que tous les tas impairs, les avantages de l'impair correspondans à chaque tas, seront la suite d'1/1, 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, où l'on voit que le tas 1 donneroit un avantage infini, y ayant 1 à parier contre 0, parce que les dénominateurs de toutes ces fractions diminuées de l'unité, expriment le sort du pair contre l'impair.
Si on suppose au contraire que les tas ne puissent être que pairs, il n'y aura aucun avantage ni pour le pair ni pour l'impair, il est visible que dans tous les tas pairs il n'y a pas plus de nombres pairs à prendre que d'impairs, ni d'impairs que de pairs.
Quand on joue, on ne sait si les jettons ont été pris dans un tas pair ou impair, si ce tas a été 2 ou 3, 4 ou 5, &c. & comme il a pu être également l'un ou l'autre, l'avantage de l'impair est diminué de moitié à cause de la possibilité que le tas ait été pair. Ainsi la suite 1/1, 1/2, 1/3, 1/4, &c. devient 1/2, 1/4, 1/6, 1/8, &c.
On peut se faire une idée plus sensible de cette petite théorie. Si on imagine un toton à 4 faces, marquées 1, 2, 3, 4, il est évident que quand il tournera, il y a autant à parier qu'il tombera sur une face paire que sur une impaire ; s'il avoit 5 faces il en auroit donc une impaire de plus, & par conséquent il y auroit de l'avantage à parier qu'il tomberoit sur une face impaire ; mais s'il est permis à un joueur de faire tourner celui de ces deux totons qu'il voudra, certainement l'avantage de l'impair, est la moitié moindre qu'il n'étoit dans le cas où le seul toton impair auroit tourné ; ce qui fait précisément le cas du jeu de pair ou non.
On voit par la suite 1/1, 1/2, 1/3, 1/4, &c. ou par l'autre 1/2, 1/4, 1/6, 1/8, que l'avantage de l'impair va toujours en diminuant, selon que les tas ou le nombre de jettons qu'on peut prendre est plus grand. La raison essentielle en est, que 1 étant toujours la différence dont le nombre des impairs excede celui des pairs dans un impair quelconque, cet 1 est toujours moindre par rapport à un plus grand nombre. Ces joueurs si raffinés, qui ont soupçonné quelque avantage pour l'impair, n'y eussent certainement pas soupçonné cette diminution.
Si l'on vouloit jouer à jeu égal, il faudroit que le joueur qui présente le pari dît si le tas où il a pris les jettons est pair ou impair ; & dans ce second cas quel impair il est. S'il est dit qu'il est pair, il n'en faut pas davantage pour savoir que le pari est égal, quelque pair que ce soit. S'il dit que le tas est impair, il faut qu'il le détermine ; par exemple 7, afin qu'on sache qu'il y a 1/4 de plus à parier pour l'impair, & que celui qui prend ce parti, mette ce 1/4 de plus que l'autre, qu'il mette 4 contre 3, alors le jeu est parfaitement égal. Nous prenons ici 1/4, avantage de l'impair, dans la premiere suite, & non dans la seconde, où il seroit 1/8, parce que cette seconde suppose que le tas puisse être également pair ou impair, ce qui n'est pas ici.
On voit donc que si au-lieu de l'alternative d'un tas pair ou impair ; on supposoit plus de possibilité à l'un qu'à l'autre, ou, ce qui revient au même, 3 tas au-lieu de 2, l'avantage du joueur qui dit non-pair, pourroit diminuer dans un cas, & augmenter dans l'autre. Il diminueroit dans le cas où il pourroit y avoir un seul des 3 tas impair contre 2 pairs ; & il augmenteroit au contraire, s'il y avoit possibilité de deux tas impairs contre un pair ; par exemple, si le joueur qui présente le pari vous disoit, que le tas sur lequel il va prendre des jettons, & où vous avez à dire pair ou non, est 6, 7, ou 8, il est évident que la seule possibilité d'un tas qui seroit 7, où l'avantage 1/4 qui s'ensuivroit à dire impair, doit être divisé par 3 à cause des trois cas possibles, ce qui donneroit 1/12 plus petit que 1/8 ; comme au contraire si les 3 tas possibles étoient 5, 6, & 7, l'avantage étant alors 1/3 dans le premier cas, 0 dans le second, & 1/4 dans le troisieme, on auroit 4/12 plus 0, plus 3/12, qui font 7/12 à diviser par 3, ce qui donneroit 7/36, avantage plus grand que 1/6, & par conséquent que 1/8.
De sorte que l'avantage qu'il y a à dire non-pair dans un nombre de tas possibles quelconques, ou pairs avec non-pairs, ou seulement impairs, sera toujours exprimé par la somme des avantages de chacun des cas possibles, divisée par le nombre des tas, en y comprenant les pairs, s'il y en a, lesquels donnent toujours 0 d'avantage : c'est-là la formule ou la regle générale.
On fait encore cette question, si le joueur qui présente le pari disoit, le tas dans lequel j'ai à prendre ne passera pas un certain nombre de jettons, par exemple 7 ou 12, &c. mais il pourra être plus petit à mon choix ; quel est l'avantage qu'il y a alors à dire non-pair ? Il est évident qu'il sera composé du sort ou de l'avantage de tous les tas possibles, depuis 7 ou 12 jusqu'à un inclusivement : ainsi dans la condition qu'il ne peut passer 7, la regle donnera 1/1, plus 0, plus 1/2, divisés par 7, ce qui fait en tout 25/84, près d'un tiers de la mise de celui qui dit impair. Si le plus grand tas possible avoit été 12, l'avantage eût été moindre, non-seulement parce que le nombre des tas possibles, où le diviseur eût été plus grand, mais encore parce qu'il auroit pû y avoir autant de tas pairs que d'impairs ; il y auroit donc 147/720, ou environ 1/5 d'avantage à dire impair dans cette supposition.
Entre toutes les objections qu'on peut faire contre l'inégalité du jeu de pair ou non, & la maniere ci donnée de l'évaluer, une des plus spécieuses est celle-ci : soit le tas de 3 jettons, selon ce qui a été dit ci-dessus, il y a deux impairs contre un pair, ou 2 contre 1 à parier pour l'impair, & partant 1/2 d'avantage. Cela est vrai, dit-on, à l'égard d'un toton à 3 faces, marquées 1, 2, 3 ; mais il n'en est pas de même du tas des 3 jettons, car je puis prendre chacun de ces jettons seul, ce qui fait trois cas, où tous les trois ensemble, ce qui fait un quatrieme cas, & toujours pour l'impair ; & parce que trois choses peuvent être prises deux-à-deux de trois manieres différentes, il y aura en même tems trois cas favorables pour le pair, ce qui donne à parier 4 contre 3, ou 1/4 d'avantage, & non 1/2, comme il avoit été trouvé.
Mais on doit prendre garde, que de ce que le joueur porte sa main sur le premier, le second, ou le troisieme des jettons du tas, il n'en résulte pas trois évenemens différens, en faveur de l'impair, comme de ce qu'il aura pris le second & le troisieme, ou le premier & le second, n'en fait pas deux en faveur du pair, mais un seul & même évenement, & une même attente pour les joueurs ; car dès que le hasard ou le caprice, ou quelque raison de prudence, a déterminé celui qui porte sa main sur le tas de 3 jettons, pour y en prendre un ou deux, il n'importe lequel des trois il prenne, cela ne change rien au jeu : & pour rendre ceci plus sensible, il n'y a qu'à remarquer que dans le cas où le joueur prendroit sur un tas de 2 jettons, & où l'on convient que le jeu est parfaitement égal, il y auroit inégalité, & 2 contre 1 pour l'impair, si l'objection avoit lieu, puisque par le même raisonnement il pourroit prendre seul l'un ou l'autre des deux jettons pour l'impair, & seulement tous les deux ensemble pour le pair. Le tas de 3 jettons ne donne donc pas quatre possibilités pour l'impair, par rapport au sort & à l'attente des joueurs, mais deux seulement. Les combinaisons, les changemens d'ordre, & les configurations des nombres, sont des spéculations applicables en tout ou en partie, aux questions du hasard & du jeu, selon l'hypothèse, & la loi qui en fait le fondement, & il est clair qu'ici la droite ou la gauche, & le premier & le second jetton, ne m'engagent pas plus l'un que l'autre à les prendre seuls ou accompagnés : ce sont donc des circonstances étrangeres au sort des joueurs dans la question présente.
Il y auroit plusieurs manieres d'introduire l'égalité dans le jeu de pair ou non ; celles qu'on pratique quelquefois se réduisent toutes au cas de 2 jettons, l'un blanc & l'autre noir, comme si le joueur qui présente le pari demandoit blanc ou noir. Hist. de l'acad. des Sciences, année 1728. (D.J.)
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PAIR DE FRANCE | (Jurisprudence) est la premiere dignité de l'état ; les pairs sont les grands du royaume & les premiers officiers de la couronne : ce sont eux qui composent la cour du roi, que par cette raison l'on appelle aussi la cour des pairs.
L'origine des pairs en général, est beaucoup plus ancienne que celle de la pairie, laquelle n'a commencé d'être réelle de nom & d'effet, que quand les principaux fiefs de la couronne commencerent à devenir héréditaires.
Sous la premiere & la seconde race, on entendoit par le terme pares, des gens égaux & de même condition, des confreres.
Il est parlé de pairs dans la loi des Allemands rédigée sous Clotaire.
Dagobert I. donne le nom de pair à des moines.
Le nom de pairs est aussi usité dans les formules de Marculphe, lequel vivoit en 660. On lit dans cet auteur ces mots : qui cum reliquis paribus qui eum secuti fuerant interfecit.
Godegrand évêque de Metz, du tems de Charlemagne, appelle pares, des évêques & des abbés.
Tassillon roi de Baviere, fut jugé au parlement de l'an 788, & les pairs, c'est-à-dire les seigneurs assemblés, le jugerent digne de mort ; il fut par ordre du roi enfermé dans un monastere.
Les enfans de Louis le Débonnaire s'appellerent de même pares, dans une entrevue de l'an 851.
Au x. siecle, le terme de pair commença à s'introduire dans le langage gallo-tudesque que l'on parloit en France ; les vassaux d'un même seigneur s'accoutumerent à s'appeller pairs, c'est-à-dire, qu'ils étoient égaux entr'eux, & non pas qu'ils fussent égaux à leur seigneur. C'étoit un usage chez les Francs, que chacun avoit le droit d'être jugé par ses pairs ; dans les premiers tems de la monarchie, ce droit appartenoit à tout citoyen libre ; mais il appartenoit plus particulierement aux grands de l'état, que l'on appelloit alors principes, parce qu'indépendamment de la peine capitale qui ne se prononçoit que dans une assemblée du parlement, leur sort formoit toujours une de ces causes majeures que les rois ne devoient juger qu'au parlement ; & comme le roi y présidoit, c'est de-là que dans les causes criminelles des pairs, il est encore d'usage au parlement d'inviter le roi d'y venir prendre place.
Chacun dans son état étoit jugé par des personnes de même grade ; le comte étoit jugé par d'autres comtes, le baron par des barons, un évêque par des évêques, & ainsi des autres personnes. Les bourgeois eurent aussi leurs pairs, lorsqu'ils eurent obtenu le droit de commune. La loi des Allemands, rédigée sous Clotaire I. porte chap. xlv. que pour se venger d'un homme on assemble ses pairs, si mittunt in vicino & congregant pares.
Cela s'observoit encore même pour le civil sous la seconde race.
Dans le xj. siecle Geoffroy Martel, comte d'Anjou, fit faire ainsi le procès à Guerin de Craon, parce qu'il avoit fait hommage de la baronie de Craon à Conan duc de Bretagne, & Conan fut condamné quoique absent.
Matthieu Paris, (année 1226) dit : nullus in regno Francorum debet ab aliquo jure spoliari, nisi per judicium parium.
On verra néanmoins dans la suite, que l'on ne tarda pas long-tems à mettre des bornes à ce privilege.
Les Anglois qui ont emprunté une grande partie de leurs lois & de leurs usages de notre ancien droit françois, pratiquent encore la même chose. La grande charte n°. 29. dit : nec super eum (liberum hominem) ibimus, nec super eum mittemus nisi per legale judicium parium suorum. Tous accusés y sont encore jugés par leurs pairs, c'est-à-dire, par des personnes de même état & condition, à la réserve des bourreaux & Bouchers, qui par rapport à la dureté de leur métier ne sont point juges. Cet usage ne vint pas, comme quelques-uns l'ont crû, de la police féodale qui devint universelle à la fin de la seconde race. Elle ne fit qu'affermir le droit de pairie, sur-tout au criminel ; le supérieur ne peut être jugé par l'inférieur ; c'est le principe annoncé dans les capitulaires & puisé dans la nature même.
Au commencement de la monarchie, les distinctions personnelles étoient les seules connues ; les tribunaux n'étoient pas établis ; l'administration de la justice ne formoit point un système suivi, sur lequel l'ordre du gouvernement fût distribué ; le service militaire étoit l'unique profession des Francs ; les dignités, les titres acquis par les armes, étoient les seules distinctions qui pussent déterminer entr'eux l'égalité ou la supériorité. Tel fut d'abord l'état de la pairie, ce que l'on peut appeller son premier âge.
Le choix des juges égaux en dignité à celui qui devoit être jugé, ne pouvoit être pris que sur le titre personnel ou grade de l'accusé.
L'établissement des fiefs ne fit qu'introduire une nouvelle forme dans un gouvernement, dont l'esprit général demeura toujours le même ; la valeur militaire fut toujours la base du système politique ; la distribution des terres & des possessions ; l'ordre de la transmission des biens, tout fut reglé sur le plan d'un système de guerre ; les titres militaires furent attachés aux terres mêmes, & devinrent avec ces terres la récompense de la valeur ; chacun ne pouvoit être jugé que par les seigneurs de fief du même degré.
La pairie étoit alors une dignité attachée à la possession d'un fief, qui donnoit droit d'exercer la justice conjointement avec ses pairs ou pareils dans les assises du fief dominant, soit pour les affaires contentieuses, soit par rapport à la féodalité.
Tout fief avoit ses pairies, c'est-à-dire, d'autres fiefs mouvans de lui, & les possesseurs de ces fiefs servans qui étoient censés égaux entr'eux, composoient la cour du seigneur dominant, & jugeoient avec lui ou sans lui toutes les causes dans son fief.
Il falloit quatre pairs pour rendre un jugement.
Si le seigneur en avoit moins, il en empruntoit de son seigneur suzerain.
Dans les causes où le seigneur étoit intéressé, il ne pouvoit être juge, il étoit jugé par ses pairs.
C'est de cet usage de la pairie, que viennent les hommes de fief en Hainaut, Artois, & Picardie.
On trouve dès le tems de Lothaire un jugement rendu en 929, par le vicomte de Thouars avec ses pairs, pour l'église de saint Martin de Tours.
Le comte de Champagne avoit sept pairs, celui de Vermandois six ; le comte de Ponthieu avoit aussi les siens, & il en étoit de même dans chaque seigneurie. Cette police des fiefs forme le second âge du droit de pairie, laquelle depuis cette époque, devint réelle, c'est-à-dire, que le titre de pair fut attaché à la possession d'un fief de même valeur que celui des autres vassaux.
Il se forma dans la suite trois ordres ou classes ; savoir, de la religion, des armes, & de la justice : tout officier royal devint le supérieur & le juge de tous les sujets du roi, de quelque rang qu'ils fussent ; mais dans chaque classe, les membres du tribunal supérieur conserverent le droit de ne pouvoir être jugés que par leurs confreres, & non par les tribunaux inférieurs qui ressortissent devant eux. De-là vient cette éminente prérogative qu'ont encore les pairs de France, de ne pouvoir être jugés que par la cour de parlement suffisamment garnie de pairs.
Il reste encore quelques autres vestiges de cet ancien usage des Francs, suivant lequel chacun étoit jugé par ses pairs. De-là vient le droit que la plûpart des compagnies souveraines ont de juger leurs membres : telle est aussi l'origine des conseils de guerre, du tribunal des maréchaux de France. Delà vient encore la jurisdiction des corps-de-ville, qui ont porté long-tems le nom de pairs bourgeois. Enfin, c'est aussi de-là que vient la police que tous les ordres du royaume exercent sur leurs membres ; ce qui s'étend jusques dans les communautés d'arts & métiers.
Le troisieme âge de la pairie, est celui où les pairs de France commencerent à être distingués des autres barons, & où le titre de pair du roi cessa d'être commun à tous les vassaux immédiats du roi, & fut reservé à ceux qui possédoient une terre à laquelle étoit attaché le droit de pairie.
Les pairs étoient cependant toujours compris sous le terme général de barons du royaume ; parce qu'en effet tous les pairs étoient barons du royaume ; mais les barons ne furent plus tous qualifiés de pairs : le premier acte authentique où l'on voye la distinction des pairs d'avec les autres barons, est une certification d'arrêt fait à Melun l'an 1216, au mois de Juillet. Les pairs nommés sont l'archevêque de Rheims, l'évêque de Langres, l'évêque de Châlons, celui de Beauvais : l'évêque de Noyon, & Eudes duc de Bourgogne ; ensuite sont nommés plusieurs autres évêques & barons.
Anciens pairs. Dans l'origine tous les Francs étoient pairs ; sous Charlemagne tous les seigneurs & tous les grands l'étoient encore. La pairie dépendant de la noblesse du sang étoit personnelle ; l'introduction des grands fiefs fit les pairies réelles, & les arriere-fiefs formerent des pairies subordonnées ; il n'y eut plus de pairs relativement à la couronne du roi, que les barons du roi, nommés barons du royaume, ou pairs de France : mais il y en avoit bien plus de douze, & chaque baron, comme on l'a dit, avoit lui-même ses pairs.
Les plus anciens pairs sont donc ceux auxquels on donnoit cette qualité du tems de la premiere & de la seconde race, & même encore au commencement de la troisieme ; tems auquel la pairie étoit encore personnelle : on les appelloit alors principes, ou primates, magnates, proceres, barones ; ces différentes dénominations se trouvent employées indifféremment dans plusieurs chartes & anciennes ordonnances, notamment dans un acte où Eudes, comte de Chartres, se plaignant au roi Robert de Richard duc de Normandie, se sert des termes de pair & de prince en un même sens. Boulainvilliers, de la Pairie.
L'origine de la pairie réelle remonte aussi loin que celle des fiefs ; mais les pairies ne devinrent héréditaires, que comme les fiefs auxquels elles étoient attachées ; ce qui n'arriva que vers la fin de la seconde race, & au commencement de la troisieme.
M. de Boulainvilliers, en son histoire de la Pairie, prétend que du tems de Hugues Capet, ceux que l'on appelloit pairs de France, n'étoient pas pairs du roi ; que c'étoient les pairs de Hugues Capet, comme duc de France ; qu'ils étoient pairs de fiefs, & ne se mêloient que du domaine du roi & non du reste de l'état ; le duc de Bourgogne, les comtes de Flandres & de Champagne, ayant de même leurs pairs.
Quoi qu'il en soit de cette opinion, on entend communément par le terme d'anciens pairs de France, les douze barons auxquels seuls le titre de pairs de France, appartenoit du tems de Louis VII. dit le Jeune.
L'institution de ces douze anciens pairs ne doit point être attribuée à Charlemagne ; c'est une fable qui ne mérite pas d'être refutée sérieusement.
Viguier dit qu'avant Louis le Begue, presque toutes les terres du royaume étoient du domaine royal ; le roi en faisant la part à ses sujets comme bon lui sembloit ; mais sous Charles III. dit le Simple, le royaume fut distribué en sept grandes & principales provinces, & en plusieurs moindres & petites comtés, qui dépendoient des grandes seigneuries.
Ces sept principales seigneuries furent données aux maisons les plus puissantes de l'état.
Tel étoit encore l'état du royaume à l'avenement de Hugues Capet à la couronne ; il n'y avoit en tout que sept pairies qui étoient toutes laïques ; savoir, le duché de France, qui étoit le domaine de Hugues Capet, les duchés de Bourgogne, de Normandie, & de Guyenne, & les comtés de Champagne, de Flandres, & de Toulouse. La pairie de France ayant été réunie à la couronne, il ne resta plus que les six autres pairs.
Favin & quelques autres pensent que la pairie fut instituée par le roi Robert, lequel établit un conseil secret d'état, composé de six ecclésiastiques & de six laics qu'il honora du titre de pairs. Il fixe cette époque à l'an 1020, qui étoit la vingt-quatrieme année du regne de ce prince ; mais cet auteur ne s'appuie d'aucune autorité ; il n'a pas fait attention qu'il n'y avoit pas alors six pairs ecclésiastiques : en effet, l'évêque de Langres relevoit encore du duc de Bourgogne sous Louis VII. lequel engagea le duc de Bourgogne à unir le comté de Langres à l'évêché, afin que l'évêque relevât du roi ; ce prince étant alors dans le dessein de faire sacrer son fils Philippe-Auguste, & de rendre cette cérémonie mémorable par la convocation des douze pairs.
Ainsi l'évêque de Langres n'étant devenu propriétaire du comté de Langres qu'en l'année 1179 il est certain que l'époque où on le comptoit pair, ne peut être antérieure à cette époque, soit que Louis VII. ait institué les douze anciens pairs, ou qu'il ait seulement réduit le nombre des pairs, à douze.
Plusieurs tiennent que ce fut Louis VII. qui institua les douze anciens pairs ; ce qui n'est fondé que sur ce que les douze plus anciens pairs connus, sont ceux qui assisterent sous Louis VII. au sacre de Philippe-Auguste, le premier Novembre 1179, & qui sont qualifiés de pairs ; savoir Hugues III. duc de Bourgogne ; Henri le jeune roi d'Angleterre, duc de Normandie ; Richard d'Angleterre son frere, duc de Guyenne, Henri I. comte de Champagne ; Philippe d'Alsace, comte de Flandres ; Raymond vicomte de Toulouse ; Guillaume de Champagne, archevêque duc de Rheims, Roger de Rosay, évêque duc de Laon ; Manassés de Bar, évêque duc de Langres ; Barthélemi de Montcornet, évêque comte de Beauvais ; Gui de Joinville, évêque comte de Châlons ; Baudouin, évêque & comte de Noyon.
Mais on ne peut pas prétendre que ce fut Louis VII. qui eût institué ces douze pairs ; en effet, toutes les anciennes pairies laïques avoient été données en fief long-tems avant le regne de Louis VII. savoir le comté de Toulouse en 802, le duché d'Aquitaine en 844, le comté de Flandres en 864, le duché de Bourgogne en 890, celui de Normandie en 912, le comte de Champagne en 999. Il ne faut pas croire non plus que Louis le jeune eût fixé ou réduit les pairs au nombre de douze, si ce n'est que l'on entende par-là qu'aux onze pairs qui existoient de son tems, il ajoûta l'évêque de Langres qui fit le douzieme ; mais le nombre des pairs n'étoit pas pour cela fixé ; il y en avoit autant que de vassaux immédiats de la couronne ; la raison pour laquelle il ne se trouvoit alors que douze pairs, est toute naturelle ; c'est qu'il n'y avoit dans le domaine de nos rois que six grands vassaux laïques, & six évêques aussi vassaux immédiats de la couronne, à cause de leurs baronies.
Lorsque dans la suite il revint à nos rois d'autres vassaux directs, ils les admirent aussi dans les conseils & au parlement, sans d'autre distinction que du rang & de la qualité de pair, qui appartenoit primitivement aux anciens. Traité de la Pairie de Boulainvilliers.
Quoi qu'il en soit, ces anciennes pairies parurent avec éclat sous Philippe-Auguste ; mais bien-tôt la plûpart furent réunies à la couronne ; ensorte que ceux qui attribuent l'institution des douze pairs à Louis VII. ne donnent à ces douze pairs qu'une existence pour ainsi dire momentanée. En effet, la Normandie fut confisquée sur Jean sans Terre, par Philippe-Auguste ; ensuite usurpée par les Anglois sous Charles VI. & reconquise par Charles VII.
L'Aquitaine fut aussi confisquée en 1202, sur Jean sans Terre, & en 1259, saint Louis en donna une partie à Henri roi d'Angleterre, sous le titre de duché de Guyenne. Le comté de Toulouse fut aussi réuni à la couronne sous saint Louis en 1270, par le décès d'Alphonse son frere sans enfans ; le comté de Champagne fut réuni à la couronne en 1284, par le mariage de Philippe le Bel, avec Jeanne reine de Navarre & comtesse de Champagne.
Lettres d'érection. Les anciens pairs n'avoient point de lettres d'érection de leur terre en pairie, soit parce que les uns se firent pairs eux-mêmes, soit parce que l'on observoit alors peu de formalités dans la concession des titres & dignités ; on se passa même encore long-tems de lettres, après que la pairie eut été rendue réelle. Les premieres lettres que l'on trouve d'érection en pairie sont celles qui furent données en 1002 à Philippe le Hardi, chef de la seconde maison de Bourgogne. Le roi Jean son pere le créa pair de ce duché.
Plusieurs des anciennes pairies laïques étant réunies à la couronne, telles que le comté de Toulouse, le duché de Normandie, & le comté de Champagne, on en créa de nouvelles, mais par lettres-patentes.
Ces nouvelles érections de pairies ne furent d'abord faites qu'en faveur des princes du sang. Les deux premieres nouvelles pairies furent le comté d'Artois & le duché de Bretagne, auxquels Philippe le Bel attribua le titre de pairie en 1297, en faveur de Robert d'Artois, & de Jean duc de Bretagne.
Ce qui est remarquable dans l'érection du duché de Bretagne en pairie, c'est que la Bretagne n'étoit pas contente de cette érection, craignant que ce ne fût une occasion au roi de s'emparer de ce pays ; tellement que le roi donna une déclaration à Yolande de Dreux, veuve du duc Artus, que l'érection en pairie ne préjudicieroit à elle, ni à ses enfans, ni aux pays & coutumes. Boulainv. Hist. des parlemens, tom. I. p. 226.
On érigea dans la suite plusieurs autres nouvelles pairies en faveur des princes du sang, notamment le duché de Normandie, qui fut rétabli par le roi Jean en 1355, en faveur de Charles son fils, dauphin de France, qui fut depuis le roi Charles V.
On érigea de même successivement en pairies pour divers princes de la maison de France, le duché d'Alençon en 1268, celui de Bourbon en 1308, celui d'Orléans en 1345, celui de Normandie, qui fut rétabli en 1355. Il y en eut encore d'autres par la suite. Les princes du sang ne jouissoient point alors du titre ni des prérogatives de la pairie, à moins qu'ils ne possédassent quelque terre érigée en pairie. Les princes non pairs étoient précédés par les pairs, soit que ceux-ci fussent princes ou non, & les princes mêmes qui avoient une pairie, n'avoient à la cour & au parlement d'autre rang que celui de leur pairie ; mais présentement tous les princes sont pairs nés, sans qu'ils ayent besoin de posséder de pairie ; ils précédent tous les autres pairs, ils jouissent tous du titre de pair & des prérogatives qui y sont attachées, quoiqu'ils ne possédent point de terre érigée en pairie ; ce fut Henri III. qui leur donna ce titre de pair né. Ce sont les seuls pairs nés que l'on connoisse parmi nous. Voyez l'hist. de la pairie par Boulainv. tom. I. pag. 58.
Lorsque l'on érigea de nouvelles pairies pour des princes du sang, il subsistoit encore quatre des anciennes pairies laïques ; mais sous Charles VII. il y en eut trois qui furent réunies à la couronne ; savoir, le duché de Normandie en 1465, celui de Bourgogne en 1467, & celui de Guienne en 1468 ; desorte qu'il ne resta plus que le comté de Flandres qui dans la suite des tems a été partagé entre plusieurs souverains, & la portion qui en est demeurée à la France, a été réunie à la couronne ; c'est pourquoi lors du second procès qui fut fait au duc d'Alençon, Louis XI. créa de nouveaux pairs pour représenter la pairie de France assemblée.
Il ne subsiste plus présentement aucune des six anciennes pairies laïques, & conséquemment les six pairies ecclésiastiques sont sans contredit les plus anciennes de toutes les pairies qui subsistent présentement.
Long-tems après les nouvelles créations de pairies faites pour des princes du sang, on en fit aussi en faveur de princes étrangers ; le premier qui obtint cette faveur fut le duc de Nevers en 1549.
Enfin on en créa aussi en faveur d'autres seigneurs, qui n'étoient ni princes du sang, ni princes étrangers.
La premiere qui fut érigée pour un autre qu'un prince, fut celle de Roannes par François I. en Avril 1519, pour Artus de Gouffier, seigneur de Boissy ; mais comme il mourut au mois de Mai suivant, l'érection n'eut pas lieu ; ce qui a fait dire à plusieurs que Guise étoit la premiere terre érigée en pairie en faveur d'un autre que d'un prince du sang, quoique son élection ne soit que de 1527. Mais l'érection du duché de Guise en pairie étoit en faveur d'un prince étranger, & même issu originairement du sang de France. La premiere érection de pairie qui eut lieu en faveur d'un simple seigneur non prince, fut, selon quelques-uns, celle de la baronie de Montmorency en 1551 (Henault) ; mais il s'en trouve une plus ancienne, qui est celle du duché de Nemours, en faveur de Jacques d'Armagnac en 1462. Le parlement n'enregistra ses lettres qu'après plusieurs jussions. Duclos, hist. de Louis XI.
Depuis ce tems, les érections de duchés-pairies en faveur de simples seigneurs non princes, ont été multipliées à mesure que nos rois ont voulu illustrer quelques-uns des seigneurs de leur cour.
Présentement les pairs de France sont :
1°. Les princes du sang, lesquels sont pairs nés lorsqu'ils ont atteint l'âge de 20 ans, qui est la majorité féodale.
2°. Les princes légitimés, lesquels sont aussi pairs nés.
3°. Les pairs ecclésiastiques, qui sont présentement au nombre de sept ; savoir, les six anciens pairs, & l'archevêque de Paris, duc de S. Cloud ; mais le rang de cette pairie se regle par celui de son érection, qui n'est que de 1622.
4°. Les ducs & pairs laïques : ces pairs, suivant la date de leur érection, & l'ordre de leur séance au parlement, sont :
Il y a en outre quelques ducs héréditaires vérifiés au parlement, & quelques ducs par simple brevet, mais les uns & les autres n'ont point le titre de pair, ni aucune des prérogatives attachées à la pairie.
Pairs ecclésiastiques, sont des archevêques & évêques qui possedent une terre érigée en pairie, & attachée à leur bénéfice. Le roi est le seul en France qui ait jamais eu des pairs ecclésiastiques ; les autres seigneurs avoient chacun leurs pairs, mais tous ces pairs étoient laïcs.
Les six anciens pairs ecclésiastiques sont présentement les plus anciens de tous les pairs : il n'y a eu aucun changement à leur égard, soit pour le titre de leurs pairies, soit pour le nombre.
L'article 45. de l'édit de 1695 maintient les pairs ecclésiastiques dans le rang qui leur a été donné jusqu'à présent auprès de la personne du roi dans le conseil, & dans les parlemens.
Pairie mâle, est celle qui ne peut être possédée que par des mâles, à la différence de la pairie femelle, qui est érigée en faveur de quelque femme ou fille, ou qui est créée avec faculté de pouvoir être possédée par les femelles au défaut des mâles.
Pair femelle. Anciennement les femelles étoient exclues des fiefs par les mâles, mais elles y succédoient à leur défaut, ou lorsqu'elles étoient rappellées à la succession par leurs pere & mere ; elles succédoient même ainsi aux plus grands fiefs, & en exerçoient toutes les fonctions.
En effet, dans une charte de l'an 1199, qui est au trésor des chartes, donnée par Alienor reine d'Angleterre, pour la confirmation des immunités de l'abbaye de Xaintes, cette princesse prend aussi la qualité de duchesse de Normandie & d'Aquitaine, & de comtesse d'Anjou.
Blanche, comtesse de Troyes, prenoit aussi la qualité de comtesse palatine.
Mahault ou Mathilde, comtesse d'Artois, nouvellement créée pair de France, signa en cette qualité l'ordonnance du 3 Octobre 1303 ; elle assista en personne au parlement en 1314, & y eut séance & voix délibérative comme les autres pairs de France, dans le procès criminel fait à Robert, comte de Flandres ; elle fit aussi en 1316, les fonctions de pair au sacre de Philippe le Long, où elle soutint avec les autres pairs la couronne du roi son gendre.
Une autre comtesse d'Artois fit fonction de pair en 1364, au sacre de Charles V.
Jeanne, fille de Raimond comte de Toulouse, prêta le serment, & fit la foi & hommage au roi de cette pairie.
Jeanne, fille de Baudouin, fit le serment de fidélité pour la pairie de Flandres ; Marguerite sa soeur en hérita, & assista, comme pair, au célebre jugement des pairs de France donné pour le comte de Clermont en Beauvoisis.
Au parlement tenu le 9. Decembre 1378, pour le duc de Bretagne, la duchesse d'Orléans s'excusa par lettres, de ce qu'elle ne s'y trouvoit pas. Traité de la pairie, pag. 131.
Mais depuis long-tems les pairs femelles n'ont plus entrée au parlement. On a distingué avec raison la possession d'une pairie, d'avec l'exercice des fonctions de pairs : une femme peut posséder une pairie, mais elle ne peut exercer l'office de pair, qui est un office civil, dont la principale fonction consiste en l'administration de la justice.
Ainsi mademoiselle de Montpensier, Anne-Marie-Louise, duchesse de Montpensier, comtesse d'Eu, &c. prenoit le titre de premier pair de France, mais elle ne siégeoit point au parlement. Voyez le Gendre, des moeurs des François ; lettres historiques sur le parlement.
En Angleterre il y a des pairies femelles, mais les femmes qui les possédent n'ont pas non plus entrée au parlement. Voy. le traité de la pairie d'Angleterre, pag. 343.
Premier pair de France. Avant que les princes du sang eussent été déclarés pairs nés, c'étoit le premier pair ecclésiastique qui se disoit premier pair de France. On voit qu'en 1360, l'archevêque de Rheims se qualifiant premier pair de France, présenta requête au parlement de Paris ; le duc de Bourgogne se qualifioit doyen des pairs de France au mois d'Octobre 1380 ; il eut en cette qualité la préséance au sacre de Charles VI. sur son frere aîné duc d'Anjou. On conserve au trésor des chartes un hommage par lui fait au roi le 23 Mai 1404, où il est dit qu'il a fait foi & hommage lige de la pairie & doyenné des pairs de France, à cause dudit duché. Il prit la même qualité de doyen des pairs dans un autre hommage de 1419. Chassanée, en son ouvrage intitulé, catalogus gloriae mundi, lui donne le titre de primus par regni Franciae ; & en effet, dans des lettres de Louis XI. du 14. Octobre 1468, il est dit que le duché de Bourgogne est la premiere pairie, & qu'au moyen d'icelle, le duc de Bourgogne est le premier pair & doyen des pairs ; dans d'autres du même jour, il est dit que, comme premier pair & doyen des pairs de France, il a une chancellerie dans son duché, & un scel authentique en sa chancellerie pour ses contrats, & le roi veut que ce scel emporte garnison de mairs ; mais depuis par une déclaration donnée à Blois par Henri III. au mois de Décembre 1576, registrée le 8 Janvier 1577, il a été réglé que les princes précéderont tous les pairs, soit que ces princes ne soient pas pairs, soit que leurs pairies soient postérieures à celles des autres pairs ; au moyen de quoi le premier prince du sang, autre que ceux de la famille royale, a présentement seul droit de se qualifier premier pair de France : une princesse du sang peut prendre cette qualité, lorsqu'elle a le premier rang entre les princes. C'est ainsi que mademoiselle de Montpensier se qualifioit premier pair de France. Cependant l'archevêque de Rheims, qui est le premier pair ecclésiastique, se qualifie encore premier duc & pair de France. Anselme, tom. II. p. 1. & 47.
Doyen des pairs. C'étoit autrefois le duc de Bourgogne qui étoit le doyen des pairs. Il joignoit cette qualité de doyen avec celle de premier pair, parce que son duché étoit le plus ancien, ayant été institué dès le tems de Charles le Chauve, au festin qui suivit le sacre de Charles VI. encore mineur. Le duc de Bourgogne, doyen des pairs, se mit de fait & de force en possession de la premiere place au-dessous du roi, avant le duc d'Anjou son frere aîné, qui étoit régent du royaume. Hist. de la pairie par Boulainv. tom. I. pag. 103.
Hommage. Les pairs faisoient autrefois deux hommages au roi, un pour le fief auquel étoit attaché la pairie, à cause du royaume, l'autre pour la pairie, & qui avoit rapport à la royauté. Il y a de ces anciens hommages à la chambre des comptes ; mais depuis long-tems le fief & la pairie sont unis, & les pairs ne font plus qu'un seul hommage pour l'un & l'autre. Boulainv. Les rois & autres princes étrangers ne sont pas dispensés de l'hommage pour les pairies qu'ils possedent en France.
Jean Sans-Terre, roi d'Angleterre & duc de Normandie & de Guienne, & à cause de ces deux duchés pair de France, refusant de prêter la foi & hommage à Philippe-Auguste, & étant accusé d'avoir fait perdre la vie à Artus, comte de Bretagne son neveu, ayant été ajourné plusieurs fois, sans qu'il eût aucunement comparu, fut en 1202 condamné à mort par jugement des pairs de France, qui déclarent la Guyenne & la Normandie confisquées sur lui.
Le duché de Guyenne étant retourné depuis au pouvoir du roi d'Angleterre, celui-ci en fit hommage lige & serment de fidélité au roi saint Louis en 1259. Edouard fit pareillement hommage en 1282 pour ce duché, lequel fut confisqué sur lui en 1286. Edouard étant rentré dans ce duché en 1303, fut poursuivi pour la foi & hommage ; on lui donna pour cet effet un sauf-conduit en 1319. Il fit la foi à Amiens la même année, & le 30 Mars 1331 il reconnut que la foi & hommage qu'il devoit à cause de son duché-pairie de Guyenne, étoit un hommage lige ; enfin la Guyenne ayant encore été confisquée en 1378, & donnée à Louis de France, dauphin de Viennois, il en fit hommage au roi le dernier Février 1401.
On voit dans la chronique de Flandre, la forme de l'hommage que le comte de Flandre rendoit au roi ; ce prince s'asseyoit dans sa chaise royale, il étoit autrefois accompagné des pairs de France, & depuis de tels que bon lui sembloit ; le comte marchoit vers lui la tête nue & déceint, & se mettoit un genou en terre si le roi le permettoit ; le roi assis mettoit ses mains en celles du comte, & le chancelier, ou autre que le roi, à ces fins ordonnoit, s'adressant au comte lui parloit de cette sorte : " Vous devenez homme lige du roi votre souverain seigneur, pour raison de la pairie & comté de Flandre, & de tout ce que vous levez & tenez de la couronne de France, & lui promettez foi & hommage, & service contre tous jusqu'à la mort inclusivement, sauf au roi ses droits en autre chose, & l'autrui en toutes ". Le comte répondoit, oui sire, je le promets. Ainsi cela dit, il se levoit & baisoit le roi en la joue ; le comte ne donnoit rien pour relief, mais les hérauts & sergens à marche du roi butinoient la robe du comte, son chapeau & bonnet, sa ceinture, sa bourse, son épée, &c.
On doit sur-tout voir le procès-verbal de l'hommage fait à Louis XII. en 1499 par Philippe, archiduc d'Autriche, pour son comté de Flandre ; l'archiduc vint jusqu'à Arras, où le chancelier de France vint pour recevoir son hommage. Le chancelier étant assis dans une chaise à bras, l'archiduc nue tête se présente à lui disant : " Monseigneur, je suis venu devers vous pour faire l'hommage que tenu suis faire à monseigneur le roi touchant mes pairies de Flandre, comtés d'Artois & de Charolois, lesquelles tiens de monseigneur le roi à cause de sa couronne ". M. le chancelier assis & couvert lui demanda, s'il avoit ceinture, bague ou autre bague ; l'archiduc en levant sa robe qui étoit sans ceinture, dit que non. Cela fait, M. le chancelier mit les deux mains entre les siennes, & les tenant ainsi jointes, l'archiduc voulut s'incliner, le chancelier ne le voulant souffrir, & le soulevant par ses mains qu'il tenoit, lui dit ces mots : il suffit de votre bon vouloir ; puis M. le chancelier lui tenant toujours les mains jointes, & l'archiduc ayant la tête nue, & s'efforçant toujours de se mettre à genoux, le chancelier lui dit : " Vous devenez homme du roi votre souverain seigneur, & lui faites foi & hommage lige pour raison des pairie & comté de Flandre & aussi des comtés d'Artois & de Charolois, & de toutes autres terres que tenez & qui sont mouvans & tenus du roi à cause de sa couronne, lui promettez de la servir jusqu'à la mort inclusivement, envers & contre tous ceux qui peuvent vivre & mourir sans nul réserver, de procurer son bien & éviter son dommage, & vous conduire & acquiter envers lui comme envers votre souverain seigneur, " A quoi fut par l'archiduc répondu : " Par ma foi ainsi le promets & ainsi le ferai ". Ensuite M. le chancelier lui dit : " Je vous y reçois, sauf le droit du roi en autre chose & l'autrui en toutes " ; puis l'archiduc tendit la joue en laquelle M. le chancelier le baisa, & il demanda à M. le chancelier lettres de cet hommage.
Réception des Pairs. Depuis l'arrêt du 30 Avril 1643, qui fut rendu les chambres assemblées, pour être reçu en l'office de pair, il faut être âgé au-moins de 25 ans.
Il faut aussi faire profession de la foi & religion catholique, apostolique & romaine.
Un ecclésiastique peut posséder une pairie laïque, mais un religieux ne peut être pair.
On voit dans les registres du parlement, sous la date du 11 Septembre 1557, que les grand-chambre & tournelle assemblées firent difficulté de recevoir l'évêque de Laon pair de France, parce qu'il avoit fait profession monastique en l'ordre de saint Benoît, il fut néanmoins reçu suivant que le roi le desiroit.
Le nouveau pair n'est reçu qu'après information de ses vie & moeurs.
Il est reçu par la grand-chambre seule ; mais lorsqu'il s'agit d'enregistrer des lettres d'érection d'une nouvelle pairie, elles doivent être vérifiées toutes les chambres assemblées.
Le récipiendaire est obligé de quitter son épée pour prêter serment ; il la remet entre les mains du premier huissier, lequel la lui remet après la prêtation de serment.
Serment des Pairs. Il paroît qu'anciennement le serment des pairs n'étoit que conditionnel, & relatif aux engagemens réciproques du seigneur & du vassal. En effet dans un traité fait au mois d'Avril 1225, entre le roi saint Louis & Ferrand, comte de Flandre, ce comte promet au roi de lui être fidele tant que le roi lui fera droit en sa cour par jugement de ses pairs, quamdiu dominus rex velit facere nobis jus in curiâ suâ per judicium parium nostrorum ; mais il y a apparence qu'à mesure qu'on est venu plus éclairé, on a senti qu'il ne convenoit pas à un sujet d'apposer une telle restriction vis-à-vis de son souverain. On trouve des exemples du serment des pairs dès l'an 1407, dans les registres du parlement, où il est dit, que le 9 Septembre de ladite année, Jean duc de Bourgogne, prêta serment comme pair. La forme du serment qu'ils prêtoient autrefois au parlement, est exprimée dans celui qu'y fit Charles de Genlis, évêque & comte de Noyon, le 16 Janvier 1502 ; il est dit qu'il a fait avec la cour de céans le serment qu'il est tenu de faire à cause de sa dignité de pair, à savoir de s'acquiter en sa conscience ès jugemens des procès où il se trouvera en ladite cour sans acception de personne, ni révéler les secrets de ladite cour, obéir & porter honneur à icelle.
Pierre de Gondy, évêque & duc de Langres, prêta serment le 13 Août 1566 ; mais les registres du parlement disent seulement, que la main mise au pis (id est ad pectus comme ecclésiastique), il a fait & prêté le serment accoûtumé de pair de France.
Pendant long-tems la plûpart des pairs ont prêté serment comme conseillers de la cour. François de Bourbon, roi de Navarre, dit qu'il étoit conseiller né au parlement.
Ce ne fut que du tems de M. le premier président de Harlay que l'on établit une formule particuliere pour le serment des pairs.
Jusqu'au tems de M. de Harlay, premier président, il y a la moitié des sermens des pairs qui sont conçus dans les mêmes termes que ceux des conseillers.
Présentement ils jurent de se comporter comme un sage & magnanime duc & pair, d'être fidele au roi, & de le servir dans ses très-hautes & très-puissantes affaires.
Ils prêtent serment derriere le premier barreau, après avoir ôté leur épée, qui reste pendant cette cérémonie entre les mains du premier huissier.
Présentation des roses. Anciennement les pairs présentoient chacun en leur rang des roses & chapeaux à Mrs. du parlement ; cette présentation se faisoit dans les mois de Mai & de Juin ; chaque pair avoit son jour pour cette cérémonie suivant son ancienneté. Il est fait mention de ces présentations de roses dans les registres du parlement jusqu'en 1586. Voyez aussi le Recueil du pere Anselme, tom. III. p. 525. & 536.
Fonctions des pairs. Les pairs de France ont été créés pour soutenir la couronne, comme les électeurs furent établis pour le soutien de l'empire ; c'est ainsi que le procureur général s'en expliqua les 19 & 26 Fevrier 1410, en la cause des archevêque & archidiacre de Rheims.
Aussi dans une cause plaidée au parlement contre l'évêque de Châlons le 3 Février 1364, le procureur général dit que, " plus les pairs de France sont près du roi, & plus ils sont grands dessous lui de tant ils sont tenus & plus astraints de garder les droits & l'honneur de leur roi & de la couronne de France, & de ce ils font serment de fidélité plus espéciale que les autres sujets du roi ; & s'ils font ou attentent à faire au contraire, de tant sont-ils plus à punir ".
Au sacre du roi les pairs font une fonction royale, ils y représentent la monarchie, & y paroissent avec l'habit royal & la couronne en tête, ils soutiennent tous ensemble la couronne du roi, & ce sont eux qui reçoivent le serment qu'il fait d'être le protecteur de l'Eglise & de ses droits, & de tout son peuple. Boulainv. tom. I. on a même conservé dans cette cérémonie, suivant l'ancien usage, la forme & les termes d'une élection, ainsi qu'on le peut voir dans du Tillet ; mais aussi-tôt après cette action les pairs rentrent dans le devoir de véritables sujets ; ensorte que leur fonction au sacre est plus élevée que celle des électeurs, lesquels font simplement la fonction de sujets au couronnement de l'empereur. Boulainv.
Outre ces fonctions qui sont communes à tous les pairs, ils en ont encore chacun de particulieres au sacre.
L'archevêque de Rheims a la prérogative d'oindre, sacrer, & couronner le roi ; ce privilege a été confirmé aux archevêques de Rheims par le pape Sylvestre II. & par Alexandre III. l'évêque de Laon & celui de Beauvais accompagnent l'archevêque de Rheims lorsqu'il va recevoir sa majesté à la porte de l'église la veille de la cérémonie ; & le lendemain ces deux évêques sont toujours députés, l'un comme duc, & l'autre comme premier comte ecclésiastique, pour aller querir le roi au palais archiépiscopal, le lever de dessus son lit & l'amener à l'église, enfin d'accompagner sa majesté dans toute la cérémonie de l'onction sacrée ; & dans la cérémonie l'évêque de Laon porte la sainte ampoule, celui de Langres le sceptre, & il a la prérogative de sacrer le roi en l'absence de l'archevêque de Rheims ; celui de Beauvais porte & présente le manteau royal ; l'évêque de Châlons porte l'anneau royal ; l'évêque de Noyon la ceinture ou baudrier. Les six anciens pairs laïcs sont représentés dans cette cérémonie par d'autres pairs que le roi commet à cet effet ; le duc de Bourgogne porte la couronne royale & ceint l'épée au roi ; le duc de Guyenne porte la premiere banniere quarrée ; le duc de Normandie porte la seconde ; le comte de Toulouse les éperons ; le comte de Champagne la banniere royale où est l'étendart de la guerre ; le comte de Flandres l'épée du roi.
Anciennement les pairs étoient appellés aux actes publics de leur seigneur pour les rendre plus authentiques par leur souscription, & c'étoit comme pairs de fief, & comme gardiens du droit des fiefs que leur présence y étoit requise, afin que le seigneur ne le dissipât point ; tellement que pour rendre valable une aliénation, un seigneur empruntoit quelquefois des pairs d'un autre seigneur pour l'assister en cette occasion.
Le roi faisoit de même signer des chartes & ordonnances par ses pairs, soit pour les rendre plus authentiques, soit pour avoir leur consentement aux dispositions qu'il faisoit de son domaine, & aux réglemens qu'il faisoit, lorsque son intention étoit que ces réglemens eussent aussi leur exécution dans les terres de ses barons ou pairs.
Ce fut sans doute par une suite de cet ancien usage, qu'au traité d'Arras en 1482, l'empereur Maximilien demanda à Louis XI. pour garantie de ce traité l'engagement des princes du sang, subrogés, est-il dit, au lieu des pairs.
Les pairs sont aussi près du roi lorsqu'il tient ses états-généraux.
Mais la principale cause pour laquelle les pairs de France ont été institués, a été pour assister le roi de leurs conseils dans ses affaires les plus difficiles, & pour lui aider à rendre la justice dans sa cour, de même que les autres pairs de fiefs y étoient obligés envers leur seigneur : les pairs de France étoient juges naturels des nobles du royaume en toutes leurs causes réelles & personnelles.
Charles V. dans des lettres de 1359, portant érection du comté de Mâcon en pairie, ad consilium & juramentum rei publicae duodecim pares qui regni Franciae in arduis consiliis & judiciis assisterint & statuerint.
Tous les pairs en général étoient obligés de juger dans la cour du seigneur, sous peine de saisie de leurs fiefs, & d'établissement de garde, se ainsi n'étoit (disent les assises de Jérusalem) le seigneur ne pourroit cour tenir telle comme il doit, ne les gens avoir leur raison, &c.
Ces pairs de fiefs étoient les juges du seigneur ; il en falloit au moins deux avec lui pour juger, Henault. C'est peut-être de-là que quand le parlement eut été rendu sédentaire à Paris, & que le roi eut commis des gens de loi pour tenir ordinairement le parlement, il fut néanmoins ordonné qu'il y auroit toujours au moins deux barons ou pairs au parlement.
Personne, dit Beaumanoir, pour tel service qu'il eût, n'étoit excusé de faire jugement en la cour ; mais s'il avoit loyale exoine, il pouvoit envoyer un homme qui, selon son état, pût le représenter.
Mais ce que dit ici Beaumanoir des pairs de fief, n'a jamais eu lieu pour les pairs de France, lesquels ne peuvent envoyer personne pour les représenter, ni pour siéger & opiner en leur place, ainsi qu'il fut déclaré dans un arrêt du parlement du 20 Avril 1458.
Séance au parlement. Les pairs étant les plus anciens & les principaux membres de la cour, ont entrée, séance & voix délibérative en la grand'chambre du parlement & aux chambres assemblées, toutes les fois qu'ils jugent à propos d'y venir, n'ayant pas besoin pour cela de convocation ni d'invitation.
La place des pairs aux audiences de la grand'chambre est sur les hauts sieges, à la droite du premier président ; les princes occupent les premieres places ; après eux sont les pairs ecclésiastiques, ensuite les pairs laïcs, suivant l'ordre de l'érection de leurs pairies.
Lorsque le premier banc ne suffit pas pour contenir tous les pairs, on forme pour eux un second rang avec des banquettes couvertes de fleurs-de-lis.
Le doyen des conseillers laïcs, ou autre plus ancien, en son absence, doit être assis sur le premier banc des pairs, pour marquer l'égalité de leurs fonctions ; le surplus des conseillers laïcs se place après le dernier des pairs laïcs.
Lorsque la cour est au conseil, ou que les chambres sont assemblées, les pairs sont sur les bas siéges.
Aux lits de justice, les pairs laïcs précédent les évêques pairs ; les laïcs ont la droite : les ecclésiastiques furent obligés au lit de justice de 1610, de la laisser aux laïcs. M. de Boulainv. croit que cela vient de ce que les laïcs avoient entrée aux grandes assemblées avant que les évêques y fussent admis.
Aux séances ordinaires du parlement, les pairs n'opinent qu'après les présidens & les conseillers clercs, mais aux lits de justice ils opinent les premiers.
Autrefois les pairs quittoient leur épée pour entrer au parlement ; ce ne fut qu'en 1551 qu'ils commencerent à en user autrement malgré les rémontrances du parlement, qui représenta au roi que de toute antiquité cela étoit reservé au roi seul, en signe de spéciale prérogative de sa dignité royale, & que le feu roi François I. étant dauphin, & messire Charles de Bourbon y étoient venus laissant leur épée à la porte. Voyez le président Henault, à l'an 1551.
Cour des pairs, appellée aussi la cour de France, ou la cour du roi, est le tribunal où le roi, assisté des pairs, juge les causes qui concernent l'état des pairs, ou les droits de leurs pairies.
Dès le commencement de la monarchie, le roi avoit sa cour qui étoit composée de tous les francs qui étoient pairs ; dans la suite ces assemblées devenant trop nombreuses, furent réduites à ceux qui étoient chargés de quelque partie du gouvernement ou administration de l'état, lesquels furent alors considérés comme les plus grands du royaume ; ce qui demeura dans cet état jusques vers la fin de la seconde race de nos rois, auquel tems le gouvernement féodal ayant été introduit, les vassaux immédiats du roi furent obligés de se trouver en la cour du roi pour y rendre la justice avec lui, ou en son nom : ce fut une des principales conditions de ces inféodations ; la cour du roi ne fut donc plus composée que des vassaux immédiats de la couronne, qui prirent le nom de barons & de pairs de France, & la cour de France, ou cour du roi prit aussi le nom de cour des pairs ; non pas que ce fut la cour particuliere de ces pairs, mais parce que cette cour étoit composée des pairs de France.
Cette cour du roi étoit au commencement distincte des parlemens généraux, auxquels tous les grands du royaume avoient entrée ; mais depuis l'institution de la police féodale, les parlemens généraux ayant été réduits aux seuls barons & pairs, la cour du roi ou des pairs & le parlement furent unis & confondus ensemble, & ne firent plus qu'un seul & même tribunal ; c'est pourquoi le parlement a depuis ce tems été qualifié de cour de France, cour du roi, ou cour des pairs.
Quelque tems après se firent plusieurs réunions à la couronne, par le moyen desquelles les arriere-vassaux du roi devenant barons & pairs du royaume, eurent entrée à la cour du roi comme les autres pairs.
C'étoit donc la qualité de vassal immédiat du roi qui donnoit aussi la qualité de baron ou pair, & qui donnoit conséquemment l'entrée à la cour du roi, ou cour des pairs ; tellement que sous Lothaire en 964, Thibaud le Trichard, comte de Blois, de Chartres & de Tours, fut exclu d'un parlement, quelque considérables que fussent les terres qu'il possédoit, parce qu'il n'étoit plus vassal du roi, mais de Hugues duc de France.
La cour des pairs fut plus ou moins nombreuse, selon que le nombre des pairs fut restraint ou multiplié ; ainsi lorsque le nombre des pairs fut réduit aux six anciens pairs laïques, & aux six pairs ecclésiastiques, eux seuls eurent alors entrée, comme pairs à la cour du roi ou parlement, avec les autres personnes qui étoient nommées pour tenir le parlement.
Depuis que le parlement & la cour du roi ont été unis ensemble, le parlement a toujours été considéré comme la cour des pairs, c'est-à-dire, comme le tribunal où ils ont entrée, séance & voix délibérative ; ils sont toujours censés y être présens avec le roi dans toutes les causes qui s'y jugent ; c'est aussi le tribunal dans lequel ils ont droit d'être jugés, & auquel ressortit l'appel de leurs justices pairies lorsqu'elles sont situées dans le ressort du parlement.
Le parlement est ainsi qualifié de cour des pairs dans plusieurs ordonnances, édits & déclarations, notamment dans l'édit du mois de Juillet 1644, registré le 9 Août suivant, " laquelle cour, porte cet édit, a rendu de tout tems de grands & signalés services aux rois, dont elle fait regner les lois, & reconnoître l'autorité & la puissance légitime.
Il est encore qualifié de même dans la déclaration du 28 Décembre 1724, registrée le 29 qui porte telle que le parlement est encore aujourd'hui, la cour des pairs, & la premiere & la principale du royaume.
Anciennement les pairs avoient le privilege de ne répondre qu'au parlement pour toutes leurs causes civiles ou criminelles ; mais depuis ce privilege a été restraint aux causes où il s'agit de leur état, ou de la dignité & des droits de leur pairie.
Les pairs ayant eu de tout tems le privilege de ne pouvoir être jugés que par leurs pairs ; c'est sur-tout lorsqu'il s'agit de juger un pair, que le parlement est considéré comme la cour des pairs, c'est-à-dire le tribunal seul compétent pour le juger.
C'est sur-tout dans ces occasions que le parlement est qualifié de cour des pairs.
Le pere Labbé en ses mémoires rapporte un arrêt de 1224, rendu en la cour des pairs contre une comtesse de Flandres ; le chancelier, les grands bouteiller & chambellan, le connétable & autres officiers de l'hôtel du roi y étoient.
Froissard, ch. cclxvij., dit que le prince de Galles, fils d'Edouard III. roi d'Angleterre, ayant voulu exiger du Languedoc un subside considérable, la province en appella à la cour des pairs, où le prince fut cité ; & que n'étant point comparu, il fut réassigné : il y eut en 1370 un arrêt rendu contre lui par défaut, qui confisqua la Guyenne & toutes les terres que la maison d'Angleterre possédoit en France.
Un autre exemple plus récent où il est fait mention de la cour des pairs, est celui d'Henri IV. lequel s'opposant à l'excommunication qui avoit été prononcée contre lui, en appella comme d'abus à la cour des pairs de France, desquels il avoit, disoit-il, cet honneur d'être le premier.
On peut voir dans le recueil du pere Anselme, tome III. les différens exemples de la jurisdiction exercée par la cour des pairs sur ses membres, & ses prérogatives expliquées ci-après au mot PARLEMENT.
Il ne faut pas confondre la cour des pairs, ou cour commune des pairs, avec la cour particuliere de chaque pair : en effet, chaque pair avoit anciennement sa cour qui étoit composée de ses vassaux, ou pairs appellés pares, parce qu'ils étoient égaux entr'eux : on appelloit aussi quelquefois simplement franci, francs, les juges qui tenoient la cour d'un pair, comme il se voit en l'ordonnance de Philippe de Valois, du mois de Décembre 1344.
Présentement ces cours particulieres des pairs sont ce que l'on appelle les justices des pairies ; voyez ci-après l'art. JUSTICE DES PAIRIES.
Cour suffisamment garnie de pairs, n'est autre chose que le parlement ou la cour des pairs, lorsqu'il s'y trouve au moins douze pairs, qui est le nombre nécessaire pour juger un pair, lorsqu'il s'agit de son état.
On en trouve des exemples dès le xj. siecle.
Richard, comte de Normandie, dit, en parlant du différend d'Eudes de Chartres avec le roi Robert, en 1025, que le roi ne pouvoit juger cette affaire, sine consensu parium suorum.
Le comte de Flandres revendiqua de même en 1109 le droit d'être jugé par ses pairs, disant que le roi devoit le faire juger par eux, & hoc per pares suos qui eum judicare debent.
Jean sans Terre, roi d'Angleterre, fut jugé en 1202, par arrêt du parlement suffisamment garni de pairs. Du Tillet, Matthieu Paris, à l'an 1216, dit, en parlant du jugement rendu contre ce prince, pro quo facto condemnatus fuit ad mortem in curiâ regis Francorum per judicium parium suorum.
On voit dans les registres du parlement, que quand on convoquoit les pairs, cela s'appelloit fortifier la cour de pairs, ou garnir la cour de pairs : curiam vestram parisius Franciae vultis habere munitam, 1312 ; curia est sufficienter munita, 1315.
Au procès de Robert d'Artois en 1331, Philippe VI. émancipa son fils Jean, duc de Normandie, & le fit pair, afin que la cour fût suffisamment garnie de pairs ; ce qui prouve que les pairs n'étoient pas seuls juges de leurs pairs, mais qu'ils étoient jugés par la cour, & conséquemment par tous les membres dont elle étoit composée, & qu'il falloit seulement qu'il y eut un certain nombre de pairs ; en effet, dans un arrêt solemnel rendu en 1224, par le roi en sa cour des pairs en faveur des grands officiers contre les pairs de France, il est dit " que, suivant l'ancien usage & les coutumes observées dès long-tems, les grands officiers de la couronne, savoir les chancelier, bouteillier, chambrier, &c. devoient se trouver au procès qui se feroit contre un des pairs, pour le juger avec les autres pairs, & en conséquence ils assisterent au jugement de la comtesse de Flandres. " Henault.
Les pairs ont quelquefois prétendu juger seuls leurs pairs, & que le roi ne devoit pas y être présent, surtout lorsqu'il y avoit intérêt pour la confiscation. Ils firent des protestations à ce sujet en 1378 & 1386 ; mais cette prétention n'a jamais été admise : car quant au jugement unique de 1247, où trois pairs paroissent juger seuls, du Tillet remarque que ce fut par convention expresse portée dans le traité du comte de Flandres ; en effet la regle, l'usage constant s'y opposoient.
Il a toujours été pareillement d'usage d'inviter le roi à venir présider au parlement pour les procès des pairs, au moins quand il s'agit d'affaires criminelles, & nos rois y ont toujours assisté jusqu'à celui du maréchal de Biron, auquel Henri IV. ne voulut pas se trouver. Lettres historiques sur le parlement, tome II. On observe encore la même chose présentement, & dans ce cas le dispositif de l'arrêt qui intervient, est conçu en ces termes : la cour suffisamment garnie de pairs ; au lieu que dans d'autres affaires où la présence des pairs n'est pas absolument nécessaire, lorsque l'on fait mention qu'ils ont assisté au jugement, on met seulement dans le dispositif, la cour, les princes & les pairs présens, &c.
L'origine de cette forme qui s'observe pour juger la personne d'un pair, vient de ce qu'avant l'institution des fiefs, il falloit au moins douze échevins dans les grandes causes ; l'inféodation des terres ayant rendu la justice féodale, on conserva le même usage pour le nombre des juges dans les causes majeures ; ainsi comme c'étoient alors les pairs ou barons qui jugeoient ordinairement, il fallut douze pairs pour juger un pair, & la cour n'étoit pas réputée suffisamment garnie de pairs, quand ils n'étoient pas au moins douze.
Lors du différend entre le roi Louis Hutin & Robert, comte de Flandres, les pairs de France assemblés ; savoir, l'archevêque de Rheims, Charles, comte de Valois & d'Anjou, & Mahaut, comtesse d'Artois, firent savoir qu'à jour assigné ils tiendroient cour avec douze autres personnes, ou prélats, ou autres grands ou hauts hommes. Voyez du Cange, verbo pares, & M. Bouque, tome I. p. 183.
Robert d'Artois, en présence du roi, de plusieurs prélats, barons & autres suffisans conseillers, dit contre Mahaut, comtesse de Flandres, qu'il n'étoit pas tenu de faire ses demandes, que la cour ne fût suffisamment garnie de pairs ; il fut dit par arrêt qu'elle l'étoit, quod absque vocatione parium Franciae, quantum ad praesens, curia parlamenti, maxime domino rege ibidem existente cum suis praelatis, baronibus & aliis ejus consiliariis, sufficienter erat munita. Robert d'Artois n'ayant pas voulu procéder, Mahaut obtint congé. Voyez les registres olim.
Mais pour juger un pair il suffit que les autres pairs soient appellés ; quand même ils n'y seroient pas tous, ou même qu'il n'y en auroit aucun qui fut présent, en ce cas les pairs sont représentés par le parlement qui est toujours la cour des pairs, soit que les pairs soient présens ou absens.
Causes des pairs. Anciennement les pairs avoient le droit de ne plaider, s'ils vouloient, qu'au parlement, soit dans les procès qu'ils avoient en leur nom, soit dans ceux où leur procureur fiscal se vouloit adjoindre à eux, se rendre partie, ou prendre l'aveu, garantie & défense : il est fait mention de cette jurisprudence dans les ordonnances du Louvre, tom. VII. p. 30.
Ce privilege avoit lieu tant en matiere civile que criminelle ; on en trouve des exemples dès le tems de la seconde race : les plus mémorables sont le jugement rendu par la cour des pairs contre Tassillon, roi de Baviere en 788. Le jugement rendu contre un bâtard de Charlemagne en 792. Celui de Bernard, roi d'Italie en 818. Celui de Carloman, auquel on fit le procès en 871, pour cause de rebellion. Celui de Jean sans Terre, roi d'Angleterre, lequel en 1202 fut déclaré criminel de leze-majesté, & sujet à la loi du royaume. Le jugement rendu contre le roi Philippe le Hardi, & Charles, roi des deux Siciles, pour la succession d'Alphonse, comte de Poitiers. Celui qui intervint entre Charles le Bel, & Eudes, duc de Bourgogne, au sujet de l'apanage de Philippe le Long, dont Eudes prétendoit que sa femme, fille de ce roi, devoit hériter en 1316 & en 1328, pour la succession à la couronne, en faveur de Philippe le Long & de Philippe de Valois. Le jugement de Robert d'Artois en 1331. Celui de Charles, roi de Navarre, en 1349. Celui qui intervint entre Charles V. & Philippe, duc d'Orléans.
Jean, duc d'Alençon, fut condamné deux fois à mort par les pairs, pour crime de leze-majesté, savoir le 10 Octobre 1458, & le 14 Juillet 1474 ; l'exécution fut chaque fois remise à la volonté du roi, lequel usa de clémence par respect pour le sang royal.
Il seroit facile d'en rapporter un grand nombre d'autres : on les peut voir dans le recueil du pere Anselme ; mais depuis on y a mis quelques restrictions.
On trouve dans les registres olim, qu'en 1259 l'archevêque de Rheims demanda au parlement, où le roi étoit présent, d'être jugé par ses pairs ; ce qui lui fut refusé. Il y a apparence que l'on jugea qu'il ne s'agissoit pas de la dignité de sa pairie, & que dès lors les pairs, même de France, n'avoient plus le droit de plaider au parlement dans toutes sortes de cas ; mais seulement dans les causes qui intéressoient l'honneur & les droits de la pairie.
En matiere civile, les causes des pairs, quant au domaine ou patrimoine de leurs pairies, doivent être portées au parlement, comme il fut dit par le procureur-général le 25 Mai 1394, en la cause du duc d'Orléans ; ils y ont toujours plaidé pour ces sortes de matieres, lors même qu'ils plaidoient tous en corps, témoin l'arrêt rendu contr'eux en 1224, dont on a déja parlé ci-devant.
A l'égard de leurs causes en matiere criminelle, toutes celles qui peuvent toucher la personne des pairs, comme quand un pair est accusé de quelque cas criminel qui touche ou peut toucher son corps, sa personne, son état, doivent être jugées la cour suffisamment garnie de pairs.
Les pairs ont toujours regardé ce privilege comme un des principaux attributs de la pairie : en effet, au lit de justice du 2 Mars 1386, ils ne réclamerent d'autre droit que celui de juger leurs pairs ; ce qui leur fut octroyé de bouche, & les lettres commandées, mais non expédiées.
Il est dit dans les registres du parlement, que le duc de Bourgogne, comme doyen des pairs, remontra à Charles VI. au sujet du procès criminel qu'on faisoit au roi de Navarre, qu'il n'appartenoit qu'aux seuls pairs de France d'être jugés des pairs leurs pareils. Il prouva en plein parlement, par le témoignage d'un chancelier, & d'un premier & second président au même parlement, que le feu roi avoit reconnu ce privilege ; & l'affaire mise en délibération, il lui en fut décerné acte, & ordonné qu'il en seroit fait registre.
Le premier Décembre 1373, l'évêque de Laon requit d'être renvoyé en parlement, selon le privilege de sa pairie ; ce privilege fut reconnu par l'évêque de Langres le 19 Novembre 1484.
Ce privilege est d'ailleurs confirmé par l'ordonnance du mois de Décembre 1365 ; par celle de 1366 ; celle du mois d'Avril 1453, art. 6. & encore plus récemment par l'édit du mois de Septembre 1610, art. 7. où en parlant des pairs, il est dit que c'est de leur nature & droit que les causes dans lesquelles leur état est intéressé doivent y être introduites & traitées.
Convocation des Pairs. Quoique les pairs aient droit de venir prendre leur place au parlement lorsqu'ils le jugent à propos, néanmoins comme ils y sont moins assidus que les magistrats, il arrive de tems en tems qu'on les convoque, soit pour juger un pair, soit pour quelqu'autre affaire qui intéresse l'honneur & la dignité de la pairie, ou autre affaire majeure pour laquelle il paroît à propos de réunir le suffrage de tous les membres de la compagnie.
L'usage de convoquer les pairs est fort ancien, puisqu'ils furent convoqués dès l'an 1202 contre Jean sans Terre, roi d'Angleterre, duc de Normandie & de Guyenne.
Ils furent aussi convoqués à Melun en 1216 sous Philippe-Auguste, pour décider le différend au sujet du comte de Champagne, entre le jeune Thibaut & Erard de Brienne ; les pairs étoient dèslors distingués des autres barons.
Dans le xiv. siecle, ils furent convoqués deux fois pour le procès du duc d'Alençon : en 1378, pour le duc de Bretagne, quoique la pairie lui fût contestée : en 1386, pour faire le procès au roi de Navarre sous Charles VII : en 1458, pour le procès du duc d'Alençon.
On peut voir dans le pere Anselme plusieurs exemples de ces convocations ou semonces des pairs faites en divers tems, selon que les occasions se sont présentées.
Une des dernieres est celle qui fut faite en 1727 pour le procès du duc de la Force.
Cette convocation des pairs ne se fait plus en matiere civile, même pour leur pairie ; mais elle se fait toujours pour leurs affaires criminelles.
Jusqu'au procès du maréchal de Biron, sous Henri IV. les rois ont assisté au jugement des procès criminels des pairs ; c'est pourquoi il est encore d'usage d'inviter le roi de venir prendre place au parlement lorsque l'on convoque les pairs.
Le cérémonial que l'on observe pour convoquer ou semoncer les pairs, est que pour inviter les princes du sang, lesquels sont pairs nés, on envoie un des greffiers de la grand'chambre, qui parle au prince ou à quelque officier principal de sa maison, sans laisser de billet ; à l'égard des autres pairs, le greffier y va la premiere fois, & s'il ne les trouve pas chez eux, il laisse un billet qui contient la semonce ; quand l'affaire dure plusieurs séances, c'est un autre que le greffier qui porte les billets aux pairs. C'est ainsi que l'on en usa dans l'affaire du duc de la Force ; les pairs furent priés de trouver bon qu'on ne fît que leur envoyer les billets, parce que les greffiers ne pouvoient suffire à tant de courses, sur-tout lorsque les affaires pressoient, ce qui fut agréé par les pairs.
Il y a des occasions, où sans convocation judiciaire, tous les pairs se réunissent avec les autres membres du parlement, comme ils firent le lendemain de la mort de Louis XIV. pour statuer sur le testament de ce prince & sur l'administration du royaume. Lett. hist. sur le parlement.
Ajournement des pairs. C'étoit autrefois un privilege des pairs de ne pouvoir être ajournés que par deux autres pairs, ce que l'on appelloit faire un ajournement en pairie. On tient que cette maniere d'ajourner étoit originairement commune à tous les Francs, qu'elle se conserva ensuite pour les personnes de distinction ; elle subsistoit encore au xiij. siecle en Normandie pour les nobles & pour les évêques.
A l'égard des pairs, cela fut pratiqué diversement en plusieurs occasions.
Sous le roi Robert, par exemple, le comte de Chartres fut cité par celui de Normandie.
Sous Louis le Jeune en 1153, les derniers ajournemens furent faits au duc de Bourgogne per nuntium ; mais il n'est pas dit quelle étoit la qualité de ce député.
Lors du différend que Blanche, comtesse de Champagne, & Thibaut son fils, eurent avec Erard de Brienne & Philippe sa femme, au sujet du comté de Champagne, la comtesse Blanche fut ajournée par le duc de Bourgogne & par deux chevaliers.
Dans un arrêt donné en 1224 contre la comtesse de Flandres, il est dit que c'étoit un privilege des pairs de ne pouvoir être ajournés que par deux chevaliers.
Ducange dit qu'en 1258 on jugea nécessaire un certain cérémonial, pour assigner un évêque, baron du royaume, quand il s'agissoit de sa baronie.
Philippe le Bel fit en 1292 ajourner Edouard I. roi d'Angleterre, à la cour des pairs, par les évêques de Beauvais & de Noyon, tous deux pairs de France.
Ce même Edouard ayant été ajourné en 1295, comme duc de Guyenne, pour assister en personne au procès d'entre Robert, duc de Bourgogne, & Robert, comte de Nevers, touchant le duché de Bourgogne, la publication de l'ajournement fut faite par le sénéchal de Périgord & par deux chevaliers.
Robert d'Artois fut ajourné en 1331 par des chevaliers & conseillers ; cependant l'ordonnance de Philippe VI. du mois de Décembre 1344, porte que quand un pair en ajournoit un autre, c'étoit par deux pairs, comme cela s'étoit déja pratiqué ; mais il paroît aussi qu'au lieu de pairs, on commettoit souvent des chevaliers & conseillers pour ajourner.
En effet, le prince de Galles fut ajourné en 1368, par un clerc de Droit, moult bien enlangagé, & par un moult noble chevalier.
Dans une cause pour l'évêque de Beauvais, le 23 Mars 1373, il fut dit que, suivant les ordonnances & style de la cour, les pairs avoient le privilege de ne pouvoir être ajournés que par deux pairs de lettres ; on entendoit apparemment par-là deux chevaliers en lois.
Ces formalités que l'on observoit pour ajourner un pair, avoient lieu même dans les affaires civiles des pairs ; mais peu-à-peu elles ne furent pratiquées que pour les causes criminelles des pairs ; encore pour ces causes criminelles les ajournemens en pairie ont paru si peu nécessaires, que sous Louis XI. en 1470, le duc de Bourgogne accusé de crime d'état, fut assigné en la cour des pairs par un simple huissier du parlement, d'où est venu le proverbe que sergent du roi est pair à comte ; c'est-à-dire qu'un sergent royal peut ajourner un pair de même que l'auroit fait un comte- pair.
Les pairs sont ajournés en vertu de lettres-patentes, lesquelles sont publiées par cri public : lorsqu'ils font défaut sur le premier ajournement, ils sont réassignés en vertu d'autres lettres ; l'ajournement doit être à long terme, c'est-à-dire que le délai doit être de trois mois, ainsi qu'il est dit dans un traité fait entre le roi Philippe le Bel, & les enfans de Guy, comte de Flandres, & les Flamans.
Rangs des pairs. Autrefois les pairs précédoient les princes non pairs, & entre les simples pairs & les princes qui étoient en même tems pairs, le rang se régloit selon l'ancienneté de leur pairie ; mais par une déclaration donnée à Blois en 1576, en réformant l'ancien usage, il fut ordonné que les princes précéderoient tous les pairs, soit que ces princes ne fussent pas pairs, ou que leurs pairies fussent postérieures à celles des autres pairs, & que le rang des princes qui sont les premiers pairs, se réglât suivant leur proximité à la couronne.
Les nouveaux pairs ont les mêmes droits que les anciens, ainsi que la cour l'observa à Charles VII. en 1458, lors du procès du duc d'Alençon ; & le rang se regle entr'eux, non pas suivant l'ordre de leur réception, mais suivant la date de l'érection de leurs pairies.
L'avocat d'un pair qui plaide en la grand'chambre doit être in loco majorum, c'est-à-dire à la place de l'appellant, quand même le pair pour lequel il plaide seroit intimé ou défendeur.
Les ambassadeurs du duc de Bourgogne, premier pair de France, eurent la préséance sur les électeurs de l'Empire au concile de Basle ; l'évêque & duc de Langres, comme pair, obtint la préséance sur l'archevêque de Lyon, par un arrêt du 16 Avril 1152, auquel l'archevêque de Lyon se conforma ; & à l'occasion d'une cause plaidée au parlement le 16 Janvier 1552, il est dit dans les régistres que les évêques pairs de France doivent précéder au parlement les nonces du pape.
Pair, alimens. Les auteurs qui ont parlé des pairs, tiennent que le Roi seroit obligé de nourrir un pair s'il n'avoit pas d'ailleurs de quoi vivre, mais on ne trouve pas d'exemple qu'aucun pair ait été réduit à cette extrémité.
Douaire des veuves des pairs. En 1306 Marguerite de Hainaut, veuve de Robert, comte d'Artois, demanda contre Mahaut, qui étoit alors comtesse d'Artois, que son douaire fût assigné sur les biens de ce comté, suivant la coutume qu'elle alléguoit être observée en pareil cas entre les pairs de France, au cas que l'on pût vérifier ladite coutume, sinon selon les conventions qui avoient été faites entre les parties ; après bien des faits proposés de part & d'autre, par arrêt donné ès enquêtes, des octaves de la Toussaint 1306, il fut jugé qu'il n'y avoit point de preuve suffisante d'aucune loi ni coutume pour les douaires des veuves des pairs, & il fut dit que ladite Marguerite auroit pour son douaire dans les biens du comté d'Artois, 3500 liv. tournois ; ce qui avoit été convenu entre les conjoints.
Amortissement. Par une ordonnance faite au parlement, de l'Epiphanie en 1277, il fut permis à l'archevêque de Rheims, & autres évêques pairs de France, d'amortir non pas leur domaine ni les fiefs qui étoient tenus d'eux immédiatement, mais seulement leurs arriere-fiefs ; au lieu qu'il fut défendu aux évêques non pairs d'accorder aucun amortissement.
Mais dans les vrais principes, le roi a seul vraiment le pouvoir d'amortir des héritages dans son royaume ; desorte que quand d'autres seigneurs, & les pairs même amortissent des héritages pour ce qui les touche, cet amortissement ne doit pas avoir d'effet ; & les gens d'église acquéreurs, ne sont vraiment propriétaires que quand le Roi leur a donné ses lettres d'amortissement, ainsi qu'il résulte de l'ordonnance de Charles V. du 8 Mai 1372.
Extinction de pairie. Lorsqu'il ne se trouve plus de mâles, ou autres personnes habiles à succéder au titre de la pairie, le titre de la pairie demeure éteint ; du reste la seigneurie qui avoit été érigée en pairie se regle à l'ordinaire pour l'ordre des successions.
Continuation de pairie. Quoiqu'une pairie soit éteinte, le roi accorde quelquefois des lettres de continuation de pairie en faveur d'une personne qui n'étoit pas appellée au titre de la pairie ; ces lettres different d'une nouvelle érection en ce qu'elles conservent à la pairie le même rang qu'elle avoit suivant son érection.
Justices des pairies. Suivant un arrêt du 6 Avril 1419, l'archevêque de Rheims avoit droit de donner des lettres de committimus dans l'étendue de sa justice.
Les pairs ont droit d'établir des notaires dans tous les lieux dépendans de leur duché.
Suivant la déclaration du 26 Janvier 1680, les juges des pairs doivent être licenciés en Droit, & avoir prêté le serment d'avocat.
Ressort des pairies au parlement. Autrefois toutes les affaires concernant les pairies ressortissoient au parlement de Paris, comme les causes personnelles des pairs y sont encore portées ; & même par une espece de connexité, l'appel de toutes les autres sentences de leurs juges, qui ne concernoient pas la pairie, y étoit aussi relevé sans que les officiers royaux ou autres, dont le ressort étoit diminué, pussent se plaindre. Ce ressort immédiat au parlement causoit de grands frais aux justiciables ; mais François I. pour y remédier, ordonna en 1527 que désormais les appels des juges des pairies, en ce qui ne concernoit pas la pairie, seroient relevés au parlement du ressort du parlement où la pairie seroit située, & tel est l'usage qui s'observe encore présentement.
Mouvance des pairies. L'érection d'une terre en pairie faisoit autrefois cesser la féodalité de l'ancien seigneur supérieur, sans que ce seigneur pût se plaindre de l'extinction de la féodalité ; la raison que l'on en donnoit, étoit que ces érections se faisoient pour l'ornement de la couronne ; mais ces graces étant devenues plus fréquentes, elles n'ont plus été accordées qu'à condition d'indemniser les seigneurs de la diminution de leur mouvance.
Sieges royaux ès pairies. Anciennement dans les villes des pairs, tant d'église que laïcs, il n'y avoit point de siege de bailliages royaux. Le roi Charles VI. en donna déclaration à l'évêque de Beauvais le 22 Avril 1422 ; & le 10 Janvier 1453, l'archevêque de Rheims, plaidant contre le roi, allégua que l'évêque de Laon, pour endurer audit Laon un siege du Bailli de Vermandois, avoit 60 liv. chacun an sur le roi ; mais cela n'a pas continué, & plusieurs des pairs l'ont souffert pour l'avantage de leurs villes. Il y eut difficultés pour savoir s'ils étoient obligés d'y admettre les officiers du grand maître des eaux & forêts, comme le procureur du roi le soutint le dernier Janvier 1459 ; cependant le 29 Novembre 1460, ces officiers furent par arrêt condamnés envers l'évêque de Noyon, pour les entreprises de jurisdiction qu'ils avoient faites en la ville de Noyon, où l'évêque avoit toute justice comme pair de France. Dutillet & Anselme. (A)
PAIRS, (Hist. d'Anglet.) le mot pairs, veut dire citoyens du même ordre. On doit remarquer qu'en Angleterre, il n'y a que deux ordres de sujets, savoir, les pairs du royaume & les communes. Les ducs, les marquis, les comtes, les vicomtes, les barons, les deux archevêques, les évêques, sont pairs du royaume, & pairs entr'eux ; de telle sorte, que le dernier des barons ne laisse pas d'être pair du premier duc. Tout le reste du peuple est rangé dans la classe des communes. Ainsi à cet égard, le moindre artisan est pair de tout gentilhomme qui est audessous du rang de baron. Quand donc on dit que chacun est jugé par les pairs, cela signifie que les pairs du royaume sont jugés par ceux de leur ordre, c'est-à-dire par les autres seigneurs, qui sont, comme eux, pairs du royaume. Tout de même un homme du peuple est jugé par des gens de l'ordre des communes, qui sont ses pairs à cet égard, quelque distance qu'il y ait entr'eux par rapport aux biens, ou à la naissance.
Il y a pourtant cette différence entre les pairs du royaume & les gens des communes ; c'est que tout pair du royaume a droit de donner sa voix au jugement d'un autre pair ; au lieu que les gens des communes ne sont jugés que par douze personnes de leur ordre. Au reste, ce jugement ne regarde que le fait : ces douze personnes, après avoir été témoins de l'examen public que le juge a fait des preuves produites pour & contre l'accusé, prononcent seulement qu'il est coupable ou innocent du crime dont on l'accuse : après quoi le juge le condamne ou l'absout, selon les lois. Telle est la prérogative des citoyens anglois depuis le tems du roi Alfred. Peut-être même que ce prince ne fit que renouveller & rectifier une coutume établie parmi les Saxons depuis un tems immémorial.
Le chevalier Temple prétend qu'il y a suffisamment de traces de cette coutume depuis les constitutions mêmes d'Odin, le premier conducteur des Goths asiatiques ou Getes en Europe, & fondateur de ce grand royaume qui fait le tour de la mer Baltique, d'où tous les gouvernemens gothiques de nos parties de l'Europe, qui sont entre le nord & l'ouest, ont été tirés. C'est la raison pourquoi cet usage est aussi ancien en Suede, qu'aucune tradition que l'on y ait ; & il subsiste encore dans quelques provinces. Les Normands introduisirent les termes de juré & de verdict, de même que plusieurs autres termes judiciaires ; mais les jugemens de douze hommes sont mentionnés expressément dans les lois d'Alfred & d'Ethelred.
Comme le premier n'ignoroit pas que l'esprit de domination, dont l'oppression est une suite naturelle, s'empare aisément de ceux qui sont en autorité, il chercha les moyens de prévenir cet inconvénient. Pour cet effet, il ordonne que dans tous les procès criminels, on prendroit douze personnes d'un même ordre, pour décider de la certitude du fait, & que les juges ne prononceroient leur sentence que sur la décision de ces douze.
Ce droit des sujets anglois, dont ils jouissent encore aujourd'hui, est sans doute un des plus beaux & des plus estimables qu'une nation puisse avoir. Un anglois accusé de quelque crime, ne peut être jugé que par ses pairs, c'est-à-dire par des personnes de son rang. Par cet auguste privilége, il se met hors de danger d'être opprimé, quelque grand que soit le crédit de ses ennemis. Ces douze hommes ou pairs, choisis avec l'approbation de l'accusé entre un grand nombre d'autres, sont appellés du nom collectif de jury. (D.J.)
PAIRS BOURGEOIS. Lorsque les villes eurent acquis le droit de commune, & de rendre elles-mêmes la justice à leurs citoyens, elles qualifierent leurs juges de pairs bourgeois, apparemment à l'instar des pairs de fief, qui y rendoient auparavant la justice pour les seigneurs.
PAIRS DE CHAMPAGNE. L'arrêt du parlement de 1388, rendu entre la reine Blanche & le comte de Joigny, fait mention que le comté de Champagne étoit décoré de sept comtes pairs & principaux membres de Champagne, lesquels siégeoient avec le comte de Champagne en son palais pour le conseiller. Ces sept pairs étoient les comtes de Joigny, de Rhetel, Brienne, Portier, Grandpré, Roucy, & Brairé, Traité de la Pairie, page 63.
PAIRS DES ECCLESIASTIQUES ; les cardinaux sont les pairs du pape, soit comme évêque de Rome, ou comme souverain.
Les évêques avoient autrefois pour pairs les dignités de leurs chapitres, qui souscrivoient leurs actes, tant pour les statuts de l'Eglise, que pour les graces qu'ils accordoient.
Pour ce qui regardoit le domaine de l'Eglise & les fiefs qui en dépendoient, les évêques avoient d'autres pairs qu'on appelloit les barons de l'évêque, ou de l'évêché, lesquels étoient les pairs & les juges des causes des fiefs des autres vassaux laïques des évêques. Voyez l'hist. de la Pairie, par Boulainvilliers : on peut voir aussi l'hist. de Verdun, aux preuves, page 88, où il est parlé des pairs ou barons de l'évêché de Verdun, qui étoient au nombre de quatre.
PAIRS DE HAINAULT. Dumées, titre 6, de sa Jurisprudence du Hainault, dit que leur origine est assez incertaine. L'auteur des annales de la province, tient que ces pairs & autres officiers héréditaires, furent institués par la comtesse Richilde & son fils Baudouin, après l'an 1076, lorsque se voyant dépossédés par Robert le Frison, du comté de Flandres où il y avoit des pairs, & voulant faire marcher en même rang leur comté de Hainault, ils instituerent douze pairs, qui étoient les seigneurs d'Avesnes, Lens, Roeux, Chimay, Barbençon, Rebaix, Longueville, Silly, Walincourt, Baudour, Chievres, & Quevy. Il y eut dans la suite d'autres terres érigées en pairies, telle que celle de Berlaymont, qui appartient aujourd'hui au comte d'Egmond.
Les princes rendoient autrefois la justice eux-mêmes ; les pairs étoient leur conseil, auquel on associa les prélats, barons & chevaliers.
Les guerres presque continuelles ne permettant pas aux princes & aux seigneurs de vaquer exactement à rendre la justice, on institua certain nombre de conseillers de robe choisis du corps des Avocats.
Cependant les pairs, prélats, barons, & chevaliers, n'ont pas cessé d'être membres du conseil de Hainault, auquel on donna le titre de noble & souveraine cour de Hainault.
C'est de-là que l'art. 30 de la coutume générale de Hainault, dit qu'en matiere de grande importance, si les parties plaidantes ou l'une d'elles, insistent au renforcement de cour, & qu'il soit jugé nécessaire, les pairs, prélats, nobles, & autres féodaux, seront convoqués pour y assister & donner leur avis.
PAIR DES MONNOIES REELLES, est le rapport qu'il y a entre les especes d'or & d'argent d'un état, & celles des états étrangers, ou le résultat de la comparaison faite de leur poids, titre & valeur intrinseque. Toutes les monnoies en général n'ont point de valeur réelle ; leur valeur est de convention, & dépend de la volonté du souverain : on appelle monnoie réelle, la valeur que la monnoie a par rapport à celle d'un autre pays, & ce rapport est le pair des monnoies.
PAIRS ou PRUDHOMMES, quelques coutumes se servent du terme de pairs, pour exprimer des prudhommes ou gentilshommes choisis à l'effet de faire des estimations. Voyez les Institutes, cout. de Loisel, liv. IV. tit. 3. nomb. 13. & les observations de Lauriere.
PAIRS DE VERMANDOIS ; les chanoines de Saint-Quentin sont appellés pares Viromandiae, & leur doyen est le douzieme des prélats appellés à la consécration de l'archevêque de Rheims.
PAIRS DES VILLES, ce sont les échevins ; ces officiers étant choisis entre les plus notables bourgeois pour être juges de leurs concitoyens, au-moins c'étoient eux qui rendoient autrefois la justice avec les comtes dont ils étoient comme les pairs ou les assesseurs ; & encore actuellement dans plusieurs villes, ils ont conservé quelque portion de l'administration de la justice. Voyez ECHEVINS, & Loiseau, en son Traité des Offices. (A)
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PAIRE | S. f. (Gram.) ce mot signifie deux choses semblables, dont l'une ne se vend guere sans l'autre ; comme une paire de pendans d'oreilles, de bas, de gants, de jarretieres, de souliers, de manchettes, &c. Ce mot se dit aussi de certaines marchandises composées de deux parties pareilles, encore qu'elles ne soient point divisées : on dit en ce sens une paire de lunettes, de ciseaux, de mouchettes, &c. Enfin, ce mot se dit par extension d'une chose seule qui n'est point appareillée. Ainsi on dit une paire de tablettes, une paire de vergettes, pour dire, des tablettes, des vergettes. (D.J.)
PAIRE, en Anatomie, signifie un assemblage de deux nerfs qui ont tiré origine commune de la moëlle allongée, ou de la moëlle de l'épine, & qui se distribuent de-là dans toutes les parties du corps, l'un d'un côté, & l'autre de l'autre. Voyez NERF.
C'est dans ce sens que nous disons les dix paires de nerfs de la moëlle allongée, la premiere, la seconde, la troisieme, &c. les sept paires de nerfs cervicaux, la premiere, la seconde, la troisieme, &c. les douze paires dorsales, la premiere, la seconde, &c. les cinq paires lombaires, &c. Voyez CERVICAL, DORSAL, MBAIREAIRE.
PAIRE VAGUE, ou la huitieme paire, est une très-considérable conjugaison des nerfs de la moëlle allongée ; ils sont ainsi appellés à cause de leur distribution large & étendue dans plusieurs parties du corps. Voyez leur origine, leur cours, leur distribution, sous l'article VAGUE.
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PAIREMENT | adv. (Arithmétique) un nombre pairement pair, est celui qu'un nombre pair mesure par un nombre pair ; ainsi 16 est un nombre pairement pair, parce que le nombre pair huit le mesure par le nombre pair deux, qui est aussi un nombre pair.
Au contraire, un nombre pairement impair, ou impairement pair, est celui qu'un nombre pair mesure par un nombre impair ; tel est le nombre pair 18, que le nombre pair 2, mesure par le nombre impair 9. Voyez NOMBRE & PAIR.
Le nombre pairement pair est divisible exactement par quatre, c'est-à-dire, peut se diviser en quatre nombres entiers égaux ; le nombre pairement impair, ou impairement pair ne l'est point, & n'est divisible exactement que par deux, c'est-à-dire, n'est divisible qu'en deux nombres entiers égaux. (E)
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PAIRIE | voyez l'article PAIR.
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PAIRLE | S. m. (Blason) figure composée de trois latis mouvans des deux angles du chef & de la pointe, & qui se joignent au fort de l'écu, en forme d'y grec, ou espece de pal qui, mouvant du pié de l'écu, se divise en arrivant au milieu en deux parties égales, qui vont aboutir aux deux angles du chef. On dérive le mot pairle, les uns de palirum, parce qu'il en a la figure, n'étant représenté qu'à moitié ; d'autres ou de pergula, perche fourchue dont on se servoit autrefois pour suspendre les lampes & étendre les habits sacrés dans les sacristies ; ou de pariles, parce qu'il est fait de trois branches de longueur égale. Issoudun porte d'azur au pairle d'or, accompagné de trois fleurs de lis mal ordonnées de même.
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PAIS | Voyez PAYS.
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PAISAGE | Voyez PAYSAGE.
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PAISAGISTES | Voyez PAYSAGISTES.
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PAISAN | Voyez PAYSAN.
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PAISIBLE | adj. (Gram.) qui aime le repos & la paix. Il se dit des personnes ; un homme paisible ; une vie paisible.
PAISIBLE POSSESSION, (Jurisprud.) Voyez POSSESSION PAISIBLE.
PAISIBLE, (Maréchal) un cheval paisible est celui qui n'a aucune ardeur.
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PAISSANT | adj. en terme de Blason, se dit des vaches & des brebis qui ont la tête baissée pour paître. Berbisay en Bourgogne, d'azur à une brebis paissante d'argent sur une terrasse de sinople.
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PAISSE | Voyez MOINEAU.
PAISSE DE BOIS. Voyez PINÇON-MONTAIN.
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PAISSEAU | S. f. (Sergerie) c'est une étoffe de laine croisée, une espece de serge qui se fabrique en Languedoc, particulierement à Sommieres, & aux environs.
PAISSEAU, s. m. PAISSELER, v. act. (Gram. écon. rustique) c'est en quelques provinces un synonyme d'échalat. On dit dans ces endroits paisseler la vigne, pour la garnir d'échalats ; & on appelle paisselure, les brins menus de chanvre dont on se sert pour attacher l'échalat au sep.
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PAISSOMME | S. m. (Marine) c'est un bas-fond où il y a peu d'eau.
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PAISSON | S. m. (Jurisprud.) terme ancien, qui vient du latin pascere, & qui est encore usité en matiere d'eaux & forêts, pour exprimer le droit de pacage, ou l'exercice même de ce droit, c'est-à-dire l'acte même de faire paître les bestiaux ; il signifie aussi quelquefois les herbes & fruits que les bestiaux paissent dans les forêts & dans la campagne.
Le réglement général pour les eaux & forêts fait par Henri IV. au mois de Mai 1597, pour éviter les fraudes & les abus qui se commettoient par le passé sous couleur de délivrance d'arbres faite aux marchands adjudicataires de la paisson & glandée pour leur chauffage, ordonne qu'à l'avenir les paissons & glandées soient adjugées, sans qu'aux marchands paissonniens soient délivrés aucuns arbres pour leur chauffage ; mais seulement que ceux qui auront en garde les porcs à leur loge de bois traînant ès forêts ou de bois sec abattu au crochet.
L'article suivant porte, que dans les publications qui se feront des paissons & glandées avant l'adjudication d'icelles, sera comprise la quantité de porcs que pourra porter la glandée de la forêt, suivant l'estimation qui en aura été faite, & que le nombre des officiers usagers, & autres privilégiés ayant droit de paisson, sera restraint à proportion de ladite estimation.
Enfin l'article 35 défend aux usagers, officiers & autres ayant droit de paisson, d'y mettre d'autres porcs que de leur nourriture, sans qu'ils puissent vendre leur droit (de paisson) aux marchands paissonniers, ni que les marchands les puissent acheter d'eux, sous peine d'amende arbitraire & confiscation des porcs, & privation desdits droits & offices pour les usagers, officiers & privilégiés, & contre les marchands, sur peine d'amende arbitraire.
Le titre xviij. de l'ordonnance des eaux & forêts est intitulé, des ventes & adjudication des pascages, glandées & paissons ; il n'est cependant point parlé de paisson nommément dans le corps du titre, mais seulement du cas où il y aura assez de glands & de feines pour faire vente de glandée, & que l'on reglera le nombre des porcs qui seront mis en pacage ou glandée, tant pour les usagers que pour les officiers, ce qui fait connoître que paisson & pacage sont quelquefois synonymes ; & que la glandée est aussi prise le plus souvent pour paisson, parce que le gland est le fruit qui se trouve le plus communément dans les bois, propre à la nourriture des porcs. Voyez PACAGE.
Dans les bois de haute futaye la glandée n'est ouverte que depuis le premier Octobre jusqu'au premier Février ; il n'y a pendant ce tems-là que les propriétaires ou leurs fermiers, & les usagers, qui puissent envoyer des bestiaux dans la futaye. Voyez le titre xviij. de l'Ordonnance de 1669. (A)
PAISSON, s. m. terme de Gantier & de Peaussier, morceau de fer ou d'acier délié qui ne coupe pas, fait en maniere de cercle, large d'un demi-pié ou environ, & monté sur un pié de bois, servant à déborder & à ouvrir le cuir pour le rendre plus doux : les Gantiers disent paissonner, pour signifier étendre & tirer une peau sur le paisson. (D.J.)
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PAITA | (Géog. mod.) petite ville de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans l'audience de Quito, avec un port qui ne peut guère passer que pour une baie. Long. 296. 56. lat. 5. 12.
La ville de Paita est située dans un canton fort stérile, dont le terrein n'est composé que de sable & d'ardoise. Elle ne contient qu'environ deux cent familles ; les maisons n'y sont que d'un étage, & n'ont que des murs de roseaux refendus & d'argille, & des toits de feuilles séches : cette maniere de bâtir, toute légere qu'elle paroît, est assez solide pour un pays où la pluie est un phénomène rare.
L'amiral Anson prit cette ville en 1741, avec cinquante soldats, la brûla, & partit avec un butin considérable qu'il enleva aux Espagnols. (D.J.)
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PAITRE | v. act. (Gramm.) il se dit des animaux, c'est l'action de se nourrir des substances végétales éparses dans les campagnes. Les moutons paissent aux prés, les chevres aux collines, les cochons aux forêts.
PAITRE L'OISEAU, (Fauconnerie) la maniere de le faire est de le laisser manger par poses, & lui cacher quelquefois la chair de peur qu'il ne se débatte ; on lui fait plumer de petits oiseaux comme il faisoit aux bois ; la bonne chair est un peu de la cuisse ou du cou d'une vieille geline ; les entrailles aussi lui dilatent le boyau.
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PAITRIN | S. m. (Boulang.) vaisseau dans lequel on pêtrit & l'on fait la pâte. Les paitrins des Boulangers sont des especes de huches ou coffres de bois à quatre ou six piés, suivant sa grandeur ; car il y en a où l'on peut paitrir jusqu'à vingt & vingt-quatre boisseaux de farine à-la-fois. Dans les petits paitrins, c'est-à-dire dans ceux qui ne peuvent contenir que sept ou huit boisseaux, le couvercle est attaché avec des couplets, & se leve sur le derriere comme aux bahus. Pour les grands, ils ont un couvercle coupé en deux, qui se tire à coulisse, par le moyen d'une piece de bois à rainure qui traverse la largeur du paitrin, & qui étant mobile, s'ôte & se remet à volonté ; près du paitrin se placent deux tables, l'une qu'on appelle le tour, ou table à tourner, & l'autre la table à coucher. (D.J.)
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PAITRIR | ou PETRIR, v. n. (Boulang.) faire de la pâte pour en former ensuite du pain ou des pâtisseries, en les mettant cuire au four ; l'on commence toujours à paitrir la pâte destinée à faire du pain avec les mains ; mais souvent, lorsque l'ouvrage est difficile, & qu'il y a beaucoup de farine, on l'acheve avec les piés, quelquefois nuds, & quelquefois pour plus de propreté, enfermés dans un sac. Cette maniere de paitrir aux piés se fait assez souvent dans les paitrins même s'ils sont grands & solides, mais plus souvent encore sur une table placée à terre, où l'on étend la pâte qu'on veut achever aux piés. Les Pâtissiers en France paitrissent sur une espece de dessus de table mobile, qui a des bords de trois côtés, qu'ils appellent un tour, & quelquefois sur une table ordinaire. Savary. (D.J.)
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PAITRISSEUR | ou PETRISSEUR s. m. (Boulang.) celui qui paitrit dans la boulangerie où l'on fait du biscuit de mer. Les Boulangers sont pour ainsi dire de deux ordres, savoir les paitrisseurs & les gindres ou maîtres de pelle ; ceux-ci sont seuls chargés d'enfourner les galettes ; les autres ne font seulement que pêtrir la pâte & de la dresser en galettes : dans chaque boulangerie il y a deux paitrisseurs & un gindre.
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PAIX | S. f. (Droit nat. politique & moral) c'est la tranquillité dont une société politique jouit ; soit au-dedans, par le bon ordre qui regne entre ses membres, soit au-dehors, par la bonne intelligence dans laquelle elle vit avec les autres peuples.
Hobbes a prétendu que les hommes étoient sans cesse dans un état de guerre de tous contre tous ; le sentiment de ce philosophe atrabilaire ne paroît pas mieux fondé que s'il eût dit, que l'état de la douleur & de la maladie est naturel à l'homme. Ainsi que les corps physiques, les corps politiques sont sujets à des révolutions cruelles & dangereuses ; quoique ces infirmités soient des suites nécessaires de la foiblesse humaine, elles ne peuvent être appellées un état naturel. La guerre est un fruit de la dépravation des hommes ; c'est une maladie convulsive & violente du corps politique, il n'est en santé, c'est-à-dire dans son état naturel que lorsqu'il jouit de la paix ; c'est elle qui donne de la vigueur aux empires ; elle maintient l'ordre parmi les citoyens ; elle laisse aux lois la force qui leur est nécessaire ; elle favorise la population, l'agriculture & le commerce ; en un mot elle procure aux peuples le bonheur qui est le but de toute société. La guerre au contraire dépeuple les états ; elle y fait regner le désordre ; les lois sont forcées de se taire à la vûe de la licence qu'elle introduit ; elle rend incertaines la liberté & la propriété des citoyens ; elle trouble & fait négliger le commerce ; les terres deviennent incultes & abandonnées. Jamais les triomphes les plus éclatans ne peuvent dédommager une nation de la perte d'une multitude de ses membres que la guerre sacrifie ; ses victoires mêmes lui font des plaies profondes que la paix seule peut guérir.
Si la raison gouvernoit les hommes ; si elle avoit sur les chefs des nations l'empire qui lui est dû, on ne les verroit point se livrer inconsidérément aux fureurs de la guerre, ils ne marqueroient point cet acharnement qui caractérise les bêtes féroces. Attentifs à conserver une tranquillité de qui dépend leur bonheur, ils ne saisiroient point toutes les occasions de troubler celle des autres ; satisfaits des biens que la nature a distribués à tous ses enfans, ils ne regarderoient point avec envie ceux qu'elle a accordés à d'autres peuples ; les souverains sentiroient que des conquêtes payées du sang de leurs sujets, ne valent jamais le prix qu'elles ont coûté. Mais par une fatalité déplorable, les nations vivent entr'elles dans une défiance réciproque ; perpétuellement occupées à repousser les entreprises injustes des autres, ou à en former elles-mêmes, les prétextes les plus frivoles leur mettent les armes à la main, & l'on croiroit qu'elles ont une volonté permanente de se priver des avantages que la Providence ou l'industrie leur ont procurés. Les passions aveugles des princes les portent à étendre les bornes de leurs états ; peu occupés du bien de leurs sujets, ils ne cherchent qu'à grossir le nombre des hommes qu'ils rendent malheureux. Ces passions allumées ou entretenues par des ministres ambitieux, ou par des guerriers dont la profession est incompatible avec le repos, ont eu dans tous les âges les effets les plus funestes pour l'humanité. L'histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes & cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. L'épuisement seul semble forcer les princes à la paix ; ils s'apperçoivent toujours trop tard que le sang du citoyen s'est mêlé à celui de l'ennemi ; ce carnage inutile n'a servi qu'à cimenter l'édifice chimérique de la gloire du conquérant, & de ses guerriers turbulens ; le bonheur de ses peuples est la premiere victime qui est immolée à son caprice ou aux vûes intéressées de ses courtisans.
Dans ces empires, établis autrefois par la force des armes, ou par un reste de barbarie, la guerre seule mene aux honneurs, à la considération, à la gloire ; des princes ou des ministres pacifiques sont sans cesse exposés aux censures, au ridicule, à la haine d'un tas d'hommes de sang, que leur état intéresse au desordre. Probus guerrier doux & humain, est massacré par ses soldats pour avoir décelé ses dispositions pacifiques. Dans un gouvernement militaire le repos est pour trop de gens un état violent & incommode ; il faut dans le souverain une fermeté inaltérable, un amour invincible de l'ordre & du bien public, pour résister aux clameurs des guerriers qui l'environnent. Leur voix tumultueuse étouffe sans cesse le cri de la nation, dont le seul intérêt se trouve dans la tranquillité. Les partisans de la guerre ne manquent point de prétextes pour exciter le desordre & pour faire écouter leurs voeux intéressés : " c'est par la guerre, disent-ils, que les états s'affermissent ; une nation s'amollit, se dégrade dans la paix ; sa gloire l'engage à prendre part aux querelles des nations voisines, le parti du repos n'est celui que des foibles ". Les souverains trompés par ces raisons spécieuses, sont forcés d'y céder ; ils sacrifient à des craintes, à des vûes chimériques la tranquillité, le sang & les trésors de leurs sujets. Quoique l'ambition, l'avarice, la jalousie, & la mauvaise foi des peuples voisins ne fournissent que trop de raisons légitimes pour recourir aux armes, la guerre seroit beaucoup moins fréquente, si on n'attendoit que des motifs réels ou une nécessité absolue de la faire ; les princes qui aiment leurs peuples, savent que la guerre la plus nécessaire est toujours funeste, & que jamais elle n'est utile qu'autant qu'elle assure la paix. On disoit au grand Gustave, que par ses glorieux succès il paroissoit que la Providence l'avoit fait naître pour le salut des hommes ; que son courage étoit un don de la toute-puissance, & un effet visible de sa bonté. Dites plûtôt de sa colere, répartit le conquérant ; si la guerre que je fais est un remede, il est plus insupportable que vos maux.
PAIX, TRAITE DE, (Droit Politique) Les conventions qui mettent fin à la guerre, sont ou principales ou accessoires. Les conventions principales sont celles qui terminent la guerre, ou par elles-mêmes comme un traité de paix, ou par une suite de ce dont on est convenu, comme quand on a remis la fin de la guerre à la décision du sort, ou au succès d'un combat, ou au jugement d'un arbitre. Les conventions accessoires sont celles qu'on ajoute quelquefois aux conventions principales pour les confirmer & en rendre plus sûre l'exécution. Tels sont les ôtages, les gages, les garanties.
La premiere question qui se présente ici, c'est, si les conventions publiques, les traités de paix sont celles que les peuples doivent regarder comme les plus sacrées & les plus inviolables, rien n'est plus important au repos & à la tranquillité du genre humain. Les princes & les nations n'ayant point de juge commun qui puisse connoître & décider de la justice de la guerre, on ne pourroit jamais compter sur un traité de paix, si l'exception d'une crainte injuste avoit ici lieu ordinairement : je dis ordinairement, car dans les cas où l'injustice des conditions d'un traité de paix est de la derniere évidence, & que le vainqueur injuste abuse de sa victoire, au point d'imposer au vaincu les conditions les plus dures, les plus cruelles, & les plus insupportables, le droit des nations ne sauroit autoriser de semblables traités, ni imposer aux vaincus l'obligation de s'y soumettre soigneusement. Ajoutons encore, que bien que le droit ordonne qu'à l'exception du cas dont nous venons de parler, les traités de paix soient observés fidelement, & ne puissent pas être annullés sous le prétexte d'une contrainte injuste, il est néanmoins incontestable que le vainqueur ne peut pas profiter en conscience des avantages d'un tel traité, & qu'il est obligé par la justice intérieure, de restituer tout ce qu'il peut avoir acquis dans une guerre injuste.
Une autre question, c'est de savoir si un souverain ou un état doit tenir les traités de paix & d'accommodement qu'il a faits avec des sujets rébelles. Je réponds,
1°. Que lorsqu'un souverain a réduit par les armes les sujets rébelles, c'est à lui à voir comment il les traitera.
2°. Mais s'il est entré avec eux dans quelque accommodement, il est censé par cela seul leur avoir pardonné tout le passé ; desorte qu'il ne sauroit légitimement se dispenser de tenir sa parole, sous prétexte qu'il l'avoit donnée à des sujets rébelles. Cette obligation est d'autant plus inviolable, que les souverains sont sujets à traiter de rébellion une désobéissance ou une résistance, par laquelle on ne fait que maintenir ses justes droits, & s'opposer à la violation des engagemens les plus essentiels des souverains ; l'histoire n'en fournit que trop d'exemples.
Il n'y a que celui qui a droit de faire la guerre, qui ait le droit de la terminer par un traité de paix : en un mot, c'est ici une partie essentielle de la souveraineté. Mais un Roi prisonnier pourroit-il conclure un traité de paix valable & obligatoire pour la nation ? Je ne le pense pas : car il n'y a nulle apparence, & l'on ne sauroit présumer raisonnablement, que le peuple ait voulu conférer la souveraineté à quelqu'un, avec pouvoir de l'exercer sur les choses les plus importantes, dans le tems qu'il ne seroit pas maître de sa propre personne ; mais à l'égard des conventions qu'un roi prisonnier auroit faites, touchant ce qui lui appartient en particulier, elles sont valides sans contredit. Que dirons-nous d'un roi chassé de ses états ? S'il n'est dans aucune dépendance de personne, il peut sans doute faire la paix.
Pour connoître sûrement de quelles choses un roi peut disposer par un traité de paix, il ne faut que faire attention à la nature de la souveraineté, & à la maniere dont il la possede.
Dans les royaumes patrimoniaux, à les considérer en eux-mêmes, rien n'empêche que le roi n'aliene la souveraineté, ou une partie.
Mais les rois qui ne possedent la souveraineté qu'à titre d'usufruit, ne peuvent par aucun traité aliéner de leur chef, ni la souveraineté entiere, ni aucune de ses parties : pour valider de telles aliénations, il faut le consentement de tout le peuple, ou des états du royaume.
3°. A l'égard du domaine de la couronne, il n'est pas non plus pour l'ordinaire au pouvoir du souverain de l'aliéner.
4°. Pour ce qui est des biens des particuliers, le Souverain a, comme tel, un droit éminent sur les biens des sujets, & par conséquent il peut en disposer, & les aliéner par un traité, toutes les fois que l'utilité publique ou la nécessité la demandent, bien entendu que l'état doit dans ce cas là dédommager les particuliers du dommage qu'ils souffrent au-delà de leur quote-part.
Pour bien interprêter les clauses d'un traité de paix, & pour en bien déterminer les effets, il ne faut que faire attention aux regles générales de l'interprétation, & à l'intention des parties contractantes.
1°. Dans tout traité de paix, s'il n'y a point de clause au contraire, on présume que l'on se tient réciproquement quittes de tous les dommages causés par la guerre ; ainsi les clauses d'amnistie générale ne sont que pour une plus grande précaution.
2°. Mais les dettes des particuliers à particuliers déja contractées avant la guerre, & dont on n'avoit pas pu pendant la guerre exiger le payement, ne sont point censées éteintes par le traité de paix.
3°. Les choses mêmes que l'on ignore avoir été commises, soit qu'elles l'ayent été avant ou pendant la guerre, sont censées comprises dans les termes généraux, par lesquelles on tient quitte l'ennemi de tout le mal qu'il nous a fait.
4°. Il faut rendre tout ce qui peut avoir été pris depuis la paix conclue, cela n'a point de difficulté.
5°. Si dans un traité de paix on fixe un certain terme pour l'accomplissement des conditions dont on est convenu, ce terme doit s'entendre à la derniere rigueur ; ensorte que lorsqu'il est expiré, le moindre retardement n'est pas excusable, à moins qu'il ne provînt d'une force majeure, ou qu'il ne paroisse manifestement que ce délai ne vient d'aucune mauvaise intention.
6°. Enfin il faut remarquer que tout traité de paix est par lui-même perpétuel, & pour parler ainsi, éternel de sa nature, c'est-à-dire, que l'on est censé de part & d'autre être convenu de ne prendre jamais plus les armes au sujet des démêlés qui avoient allumé la guerre, & de les tenir désormais pour entiérement terminés.
Je crois, (c'est M. de Montesquieu qui me fournit cette derniere observation) " Je crois, dit-il, que le plus beau traité de paix dont l'histoire ait parlé, est celui que Gélon, roi de Syracuse, fit avec les Carthaginois. Il voulut qu'ils abolissent la coutume d'immoler leurs enfans. Chose admirable ! Après avoir défait trois cent mille Carthaginois, il exigeoit une condition qui n'étoit utile qu'à eux, ou plutôt il stipuloit pour le genre humain. " (D.J.)
PAIX RELIGIEUSE, (Hist. mod. Politique) pax religiosa ; c'est ainsi qu'on nomme en Allemagne une convention ou traité conclu en 1555, entre l'empereur Charles - Quint & les princes & états Protestans, par lequel l'exercice de la religion Luthérienne ou confession d'Augsbourg étoit permis dans tout l'Empire. Les princes Protestans demeuroient en possession des biens ecclésiastiques dont ils s'étoient emparés, sans cependant pouvoir s'en approprier de nouveaux ; tous les Protestans étoient soustraits à la jurisdiction du pape. Cet acte est encore regardé comme faisant une des loix fondamentales de l'empire d'Allemagne. En 1629 l'empereur Ferdinand II. poussé par un zele aveugle, ou peut-être par l'envie d'exercer un pouvoir absolu dans l'Empire, sans avoir égard à la paix religieuse, publia un édit, par lequel il ordonnoit aux Protestans de l'Empire, de restituer aux ecclésiastiques catholiques les biens qui leur avoient été enlevés durant les troubles précédens. Les princes protestans, comme il étoit facile de le prévoir, ne voulurent point se soumettre à une loi qui leur paroissoit si dure, ce qui donna lieu à une guerre civile qui désola toute l'Allemagne pendant 30 ans, & qui ne fut terminée que par la paix de Westphalie en 1648.
PAIX, (Critiq. sacrée) ce mot a dans l'Ecriture une signification fort étendue, & toujours favorable. Il se prend pour alliance, amitié, concorde, bonheur, prospérité. La justice & la paix sont étroitement liées ensemble, dit David, Ps. lxxxiv. 11. en parlant d'un heureux gouvernement. L'Evangile de paix, Eph. ij. 17. c'est l'Evangile de J. C. Etre enséveli en paix, c'est mourir dans la sécurité d'une bonne conscience. On lit dans les Juges vj. 23. ces paroles, que la paix soit avec vous, ne craignez point, vous ne mourrez point ; c'est que c'étoit une opinion commune chez les Juifs, que quiconque avoit vu un ange, devoit s'attendre à mourir bien-tôt.
Ce qui est ferme & stable, est encore appellé du nom de paix ; do ei pacem foederis, Nomb. xxv. 12. c'est-à-dire, je lui fais une promesse irrévocable. Enfin la paix de l'Evangile, signifie le bonheur à venir que J. C. le prince de la paix, promet à tous les fideles. (D.J.)
PAIX, LE BAISER DE, (Hist. eccles.) Le baiser de paix se donnoit dans la liturgie gallicane après la lecture des diptyques, & de la priere qu'on nommoit la collecte. Ce baiser ou cette action de s'embrasser & de se baiser alors, s'appelle aussi paix. L'archidiacre donnoit la paix au premier évêque qui la donnoit au suivant, & ainsi successivement par ordre. Le peuple en faisoit de même, les hommes & les femmes séparément. L'eglise Romaine ne donnoit la paix qu'après la consécration. Le pape Innocent I. reprend ceux qui donnoient la paix auparavant.
PAIX, (Mythol. & Littérat.) Les Grecs & les Romains honoroient la paix comme une grande déesse. Les Athéniens lui dresserent des statues sous le nom d' ; mais elle fut encore plus célébrée chez les Romains qui lui érigerent dans la rue sacrée le plus grand & le plus magnifique temple qui fût dans Rome. Ce temple dont les ruines, & même une partie des voûtes restent encore sur pié, fut commencé par Agrippine, & depuis achevé par Vespasien. Josephe dit que les empereurs Vespasien & Titus y déposerent les riches dépouilles qu'ils avoient enlevées au temple de Jerusalem.
C'étoit dans le temple de la paix que s'assembloient ceux qui professoient les beaux Arts, pour y discuter leurs prérogatives, afin qu'en présence de la divinité, toute aigreur fût bannie de leurs disputes. Ce temple fut ruiné par un incendie sous le regne de l'empereur Commode.
Baronius a raison, de soutenir qu'il n'y a jamais eu à Rome d'autre temple de la paix, & que ce que quelques modernes débitent de celui qui vint à tomber à la naissance de Jesus-Christ, est une pure fable. Il est vrai cependant que cette déesse eut à Rome, avant Vespasien, des autels, un culte & des statues. Ovide dit au I. livre des fastes :
Ipsum nos carmen deduxit pacis ad aram,
Frondibus Actiacis comtos redimita capillos
Pax ades, & toto mitis in orbe mane.
Nous voyons là un autel de la paix ; voici des statues de cette déesse. Dion nous apprend que le peuple Romain ayant fourni une somme d'argent considérable pour ériger une statue en l'honneur d'Auguste, ce prince aima mieux employer cette somme à faire élever des statues au salut du public, à la concorde & à la paix.
La légende pax Augusti, est fréquente sur les médailles de Galba. A la mort de Néron, diverses parties de l'empire s'ébranlerent : Nymphidius Sabinus à Rome, Fonteius Capito en Germanie, Clodius Macer en Afrique, étoient sur le point de causer de grands troubles qui furent prévenus par la mort des rebelles ; ces heureux commencemens donnerent occasion de représenter la paix, brûlant d'une main les instrumens de la guerre, & portant de l'autre les fruits de la tranquillité. (D.J.)
PAIX, (Iconol. & Monum. antiq.) Chez les Grecs la paix étoit figurée par une déesse qui porte à bras ouverts le dieu Plutus, enfant. Chez les Romains on trouve ordinairement la paix représentée avec un rameau d'olivier, quelquefois avec des aîles, tenant un caducée, & ayant un serpent à ses piés. On lui donne aussi une corne d'abondance. L'olivier est le symbole de la paix. Le caducée est le symbole du négociateur Mercure, pour marquer la négociation qui a procuré la paix. Dans une médaille d'Antonin le Pieux, la paix tient de la main droite une branche d'olivier, & brûle de la gauche des boucliers & des cuirasses. Cette idée n'étoit pas nouvelle, mais elle étoit ingénieuse. (D.J.)
PAIX, (Jurisprud.) du latin pacisci. Dans les anciennes ordonnances ce terme est quelquefois pris pour convention. Voyez l'ordonnance de Charles V. du mois de Janvier 1364, tome IV. page 527, & le mot PACTE. (A)
PAIX, ou tréve de Dieu, étoit une cessation d'armes, depuis le soir du mercredi de chaque semaine, jusqu'au lundi matin, que les ecclésiastiques & les princes religieux firent observer dans le tems où il étoit permis aux particuliers de tuer le meurtrier de leur parent, ou de se venger par leurs mains en tel autre cas que ce fût. Voyez FAIDE.
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PAJOMIRIOBA | S. f. (Botan. exot.) nom donné par Pison à un petit arbrisseau légumineux du Brésil, que Tournefort appelle cassia americana foetida, foliis oblongis glabris, en françois le cassier puant, sena occidentalis, odore opii viroso, orobi pannonici foliis mucronatis, glabra. Hort. Lugd. Bat.
Il pousse de sa racine plusieurs tiges, longues d'environ trois piés, ligneuses, vertes, noueuses, divisées chacune en beaucoup de rameaux, & chaque rameau portant huit à neuf feuilles rangées vis-à-vis l'une de l'autre, par paires sur une côte, assez longues, pointues ; ses fleurs naissent au sommet des rameaux, petites, composées chacune de cinq feuilles semblables à celles de la casse, mais plus petites & tout-à-fait jaunes : à ces fleurs succedent des gousses longues de cinq ou six pouces, rondes, un peu applaties, courbées ; elles prennent en mûrissant une couleur brune ; la racine de la plante est longue, grosse de deux pouces, ligneuse, droite, de couleur jaunâtre en-dehors, blanche en-dedans, sans odeur ni goût apparent : ce cassier fleurit toute l'année ; ses feuilles sont purgatives & d'un goût très-desagréable. (D.J.)
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PAJONISTES | S. m. (Hist. ecclés.) nom que les Protestans ont donné aux sectateurs de Pajon : ce Pajon parut parmi les Calvinistes ; il raffina sur l'Arminianisme. Ceux d'entre les ministres que la diversité des sentimens de Calvin sur la grace efficace & la prédestination avoit révoltés, embrasserent ses sentimens, qui furent condamnés à Rotterdam en 1686, dans un synode appellé le synode Wallon.
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PAK | S. m. (Hist. nat. Zoolog.) paca, animal quadrupede, qui a environ un pié de longueur, depuis le bout du museau jusqu'à l'origine de la queue. La tête est grosse ; il a les oreilles petites & pointues, la queue courte & cinq doigts à chaque pié. Le poil est court & rude ; le dessous du corps a une couleur fauve foncée, & le dessous est d'un blanc jaunâtre. Il y a sur les côtés trois bandes étroites & longitudinales d'un blanc jaunâtre. Cet animal se trouve dans la Guyane & au Brésil. On l'a rapporté au genre du lapin. M. Brisson, regn. anim. Le pak est très bon à manger. Voyez Pison, hist. nat. lib. III. (I)
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PAKLAKENS | S. m. (draperie étrang.) sorte de draps qui se fabriquent en Angleterre ; ils s'envoient ordinairement en blanc & non teints ; les pieces sont de trente-sept à trente-huit aunes.
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PAL | voyez MILANDRE.
PAL, s. m. (Charpent.) ou pieux ; c'est une piece de bois longue & taillée en pointe, que l'on fiche en terre pour servir de défense ou de barriere, & pour fermer ou servir de clôture. (D.J.)
PAL, s. m. (Terme de Blason) piece honorable de l'écu ; c'est la représentation du pal ou pieu posé debout qui comprend toute la hauteur de l'écu, depuis le dessus du chef jusqu'à la pointe. Quand il est seul il doit contenir le tiers de la largeur de l'écu ; quand il est nombre impair, on le rétrécit de façon, que si l'on en met deux, ils comprennent deux cinquiemes de l'écu ; si l'on en met trois, ils comprennent les trois septiemes ; & alors on spécifie le nombre des pieces, aussi-bien que celles dont ils sont accotés & chargés.
Il y a aussi des pals cometés & flamboyans qui sont pointus & en ondes. Les cometés sont mouvans du chef, les flamboyans de la pointe. Les pals dans les armoiries sont des marques de jurisdiction. On appelle un écu palé, quand il est chargé également de pals, de métal & de couleur. Contrepalé se dit lorsque l'écu est coupé, & que les demi pals du chef, quoique d'émaux semblables à ceux de la pointe, sont néanmoins différens en leur rencontre ; ensorte que si le premier du chef est de métal, celui qui lui répond au-dessous, doit être de couleur. On l'appelle palissé, quand il y a des pals aiguisés, dont on fait les palissades pour la défense des places. Ducange croit que ce mot vient de pallea, qui signifioit un tapis, ou une piece d'étoffe de soie ; & que les anciens appelloient pales les tapisseries qui couvroient les murailles, & disoient paler, pour dire, tapisser. Ménetrier.
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PAL-A-PLANCHE | S. m. (Arch. hydraul.) dosse affutée par un bout pour être pilotée, & entretenir une fondation, un batardeau, &c. Cet affutement est tantôt à moitié de la planche, tantôt en écharpe, & toujours d'un même sens afin qu'il soit plus solide. On coupe ces dosses en onglet, & à chanfrin, pour mieux couler dans la rainure les unes dans les autres.
On appelle vannes les pal-à-planches, quand on les couche en long du bâtardeau. Voyez le traité des ponts & chaussées, p. 184. Daviler.
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PALA | S. m. (Botan. exot.) grand arbre du Malabar, qui porte des siliques à cinq pieces fort étroites, fort longues, & pleines d'un suc laiteux. Son écorce réduite en décoction, passe pour relâcher le ventre. On la prescrit avec du sel & du poivre pour fortifier l'estomac ; mais elle doit plutôt l'enflammer. (D.J.)
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PALABRE | S. f. (Commerce) On appelle ainsi sur les côtes d'Afrique, particuliérement à Loango de Boirie, à Melindo & à Cabindo, situés sur celles d'Angola, ce qu'on nomme avanie dans le levant, c'est-à-dire, un présent qu'il faut faire aux petits rois & aux capitaines negres, sur le moindre sujet de plainte qu'ils ont réellement, ou qu'ils feignent d'avoir contre les Européens qui font la traite, sur-tout lorsqu'ils se croient les plus forts. Ces palabres se payent en marchandises, en eau-de-vie & autres choses semblables, suivant la qualité de l'offense, ou plutôt la volonté de ces Barbares. Voyez AVANIE, Diction. de commerce. (G)
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PALACIOS | (Géog. mod.) ville ou bourg d'Espagne dans l'Andalousie, sur la route de Séville à Cadix. Long. 12. 24. lat. 37. 4. (D.J.)
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PALADE | S. f. (Marine) mouvement des pales des rames, par lequel, en entrant dans l'eau, elles font avancer le bâtiment. Chaque palade ne fait avancer la meilleure de nos galeres que de dix-huit piés.
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PALADIN | S. f. (Hist. de la Chevalerie) On appelloit autrefois paladins, ces fameux chevaliers errans, qui cherchoient des occasions pour signaler leur valeur & leur galanterie. Les combats & l'amour étoient leur unique occupation ; & pour justifier qu'ils n'étoient pas des hommes vulgaires, ils publioient de toutes parts, que leurs maîtresses étoient les plus belles personnes qui fussent au monde, & qu'ils obligeoient ceux qui n'en conviendroient pas volontairement, de l'avouer, ou de perdre la vie.
On dit que cette manie commença dans la cour d'Artus, Roi d'Angleterre, qui recevoit avec beaucoup de politesse & de bonté les chevaliers de son royaume & ceux des pays étrangers, lorsqu'ils s'étoient acquis par leur défi, la réputation de braves & de galans chevaliers. Lancelot étant arrivé à la cour de ce prince, devint amoureux de la reine Genevre, & se déclara son chevalier ; il parcourut toute l'île ; il livra divers combats dont il sortit victorieux, & se rendant ainsi fameux par ses faits guerriers, il publia la beauté de sa maîtresse, & la fit reconnoître pour être infiniment au-dessus de toutes les autres beautés de la terre. Tristan, d'un autre côté, amoureux de la reine Issorte publioit de même la beauté & les graces de sa maîtresse, avec un défi à tous ceux qui ne le reconnoîtroient pas.
L'amour qui est fondé sur le bonheur attaché au plaisir des sens, sur le charme d'aimer & d'être aimé, & encore sur le desir de plaire aux femmes, se porte plus vers une de ces trois choses, que vers les deux autres, selon les circonstances différentes dans chaque nation & dans chaque siecle. Or dans le tems des combats établis par la loi des Lombards, ce fut, dit M. de Montesquieu, l'esprit de galanterie qui dut prendre des forces. Des paladins, toujours armés dans une partie du monde pleine de châteaux, de forteresses & de brigands, trouvoient de l'honneur à punir l'injustice, & à défendre la foiblesse. De-là encore, dans nos romans, la galanterie fondée sur l'idée de l'amour, jointe à celle de force & de protection. Ainsi naquit la galanterie, lorsqu'on imagina des hommes extraordinaires, qui, voyant la vertu jointe à la beauté & à la foiblesse, furent portés à s'exposer pour elle dans les dangers, & à lui plaire dans les actions ordinaires de la vie. Nos romans de chevalerie flatterent ce desir de plaire, & donnerent à une partie de l'Europe cet esprit de galanterie, que l'on peut dire avoir été peu connu par les anciens.
Le luxe prodigieux de cette immense ville de Rome flatta l'idée des plaisirs des sens. Une certaine idée de tranquillité dans les campagnes de la Grece, fit décrire les sentimens de l'amour, comme on peut le voir dans les romans grecs du moyen âge. L'idée des paladins, protecteurs de la vertu & de la beauté des femmes, conduisit à celle de galanterie. Cet esprit se perpétua par l'usage des Tournois, qui, unissant ensemble les droits de la valeur & de l'amour, donnerent encore à la galanterie une grande importance. Esprit des lois. (D.J.)
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PALAEA | (Géog. anc.) ville de l'île de Cypre, Strabon la place entre Citium & Amathus. Lusignan dit qu'elle se nomme aujourd'hui Pélandre.
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PALAEAPOLI | ou PALAEOPOLIS, (Géog. anc.) ville d'Italie dans la Campanie, & au même endroit où est aujourd'hui la ville de Naples. Palaeapolis étoit, à ce qu'on croit, une partie de l'ancienne Parthénope. On lui donne le nom de Palaeapolis, c'est-à-dire vieille ville, pour la distinguer de Naples, dont le nom vouloit dire nouvelle ville, & qui étoit bâtie tout auprès. C'étoit le même peuple qui habitoit les deux villes, & c'étoit une colonie de Cumes. L'auteur des Délices d'Italie parle de Palaeapolis comme d'une ville détruite, dont le terrein est aujourd'hui renfermé dans Naples. Il dit qu'il falloit que Palaeapolis fût bien grande, puisque depuis l'archevêché jusqu'à S. Pierre à Mazella on voit encore beaucoup de masures, que les antiquaires prétendent être des restes de cette ancienne Palaeapolis. (D.J.)
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PALAEOCHORI | (Géog. mod.) nom moderne de l'ancien Rhus, bourg de l'Attique, dont parle Pausanias. MM. Spon & Whéeler disent qu'on y voit d'anciennes inscriptions, & cela est si vrai, que M. Fourmont y en a encore trouvé de son côté en 1729, une entr'autres fort singuliere, à l'occasion de ces tonnerres qui se firent entendre aux Perses, lorsqu'ils voulurent descendre dans la plaine, quelque tems avant la bataille de Platée. Le prêtre grec à la priere duquel on crut que ces tonnerres avoient grondés, & la patrie des troupes pour lesquelles il prioit, y sont désignées. (D.J.)
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PALAESCEPSIS | (Géog. anc.) ville de la Troade, auprès d'Adramyte. Pline, l. V. c. xxx. & Ptolomée, l. V. c. ij. parlent de cette ville. Strabon, l. XIII. dit qu'elle étoit bâtie au-dessus de Cébrene, auprès de la plus haute partie du mont Ida, & qu'elle avoit reçu ce nom à cause qu'on la pouvoit voir de loin ; il ajoute qu'elle fut depuis transférée 40 stades plus bas, & que la nouvelle ville fut nommée Scepsis, Palaescepsis s'appelle maintenant Elmachini.
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PALAESTINA-AQUA | (Géog. anc.) on trouve ce mot dans un vers d'Ovide, Frastor. l. II. v. 464.
Inque Palaestinae margine sedit aquae.
Il s'agit ici des eaux du Tigre dans l'endroit où il mouille la Sittacene, contrée nommée Palestine par Pline, l. XII. c. xvij. (D.J.)
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PALAIS | S. m. en Anatomie, est la chair qui compose le dedans, c'est-à-dire la partie supérieure & intérieure de la bouche. Voyez BOUCHE.
Du Laurens dit que ce mot vient du latin pali, parce que le palais est enfermé par deux rangs de dents, semblables à de petits pieux, que les Latins nommoient pali.
Le palais est une espece de petite voûte ou ceintre ; il est tapissé d'une tunique glanduleuse, sous laquelle sont un grand nombre de petites glandes visibles, conglomérées, de la grosseur d'un grain de millet à la partie antérieure, avec quantité de petits interstices, dont les conduits excrétoires perçant la membrane, s'ouvrent dans la bouche, mais sont beaucoup plus drues vers le fond, & forment un amas si considérable vers la racine de la luette, que toutes ensemble elles paroissent former une grosse glande conglomérée, que Verheyen appelle en effet glandula conglomerata palatina.
Vers le fond du palais derriere la luette, il y a un grand trou qui tout près de son origine se partage en deux, dont chacun des deux va aboutir à l'une des deux narines. Plusieurs prétendent que le palais est l'organe du goût. Voyez GOUT.
L'os du palais est un petit os quarré, qui forme la partie enfoncée du palais, & se joint à la partie de l'os maxillaire, qui forme le devant du palais. Voyez MACHOIRE SUPERIEURE.
Les os du palais sont au nombre de deux, situés aux parties latérales & postérieures des narines.
On distingue dans ces os deux plans, un petit horisontal, qui fait portion de la voûte du palais des fosses nasales, & est appellée portion palatine ; l'autre grand vertical, qui fait partie des fosses nasales : dans le plan horisontal deux faces ; une supérieure légerement concave dans sa longueur ; une inférieure plate & raboteuse : quatre bords, un latéral interne épais & un peu élevé en-dedans des fosses nasales ; un latéral externe rencontré à angle droit par le plan vertical ; un antérieur déchiré ; un postérieur tranchant légerement échancré, & se terminant à sa partie latérale interne en une pointe.
On remarque dans le plan vertical deux faces ; une latérale interne unie & divisée vers sa partie inférieure par une petite ligne saillante transversale, sur laquelle s'appuie l'extrémité postérieure des cornets intérieurs du nez ; une latérale interne raboteuse & creusée dans sa longueur en forme de gouttiere, qui se termine quelquefois au milieu du bord de rencontre des deux plans par un creux ; d'autres fois ce trou est formé en partie par l'os maxillaire avec lequel il est joint, on l'appelle trou palatin postérieur : quatre bords, un bord inférieur qui rencontre le bord latéral externe du plan horisontal ; à l'angle postérieur de rencontre une grosse éminence, appellée portion ptérygoïdienne ; dans la partie postérieure de cette éminence deux fossettes pour recevoir l'extrémité inférieure antérieure des aîles de l'apophyse ptérygoïde ; dans sa partie antérieure une petite apophyse qui s'engrene dans l'os maxillaire ; au bord supérieur sur la partie antérieure duquel on remarque une apophyse, nommée portion orbitaire, qui est unie à sa face supérieure & postérieur cellulaire, à sa face latérale interne, à la partie postérieure de cette apophyse ; une échancrure qui, avec l'os sphénoïde, forme le trou sphéno-palatin ou ptérygo-palatin ; un bord postérieur terminé par la portion ptérygoïdienne ; un bord antérieur mince, en forme d'angle, & quelquefois replié en dehors, & qui forme la partie postérieure de l'ouverture du sinus maxillaire.
Cet os est articulé avec son pareil, avec l'os sphénoïde, l'os éthmoïde, l'os maxillaire, le vomer & le cornet inférieur du nez. Voyez SPHENOÏDE, ÉTHMOÏDE, &c.
PALAIS, s. m. (Botan.) dans les fleurs, le palais est cette partie qui se trouve entre deux autres, semblables aux mâchoires ; ainsi l'espace qui est compris entre les deux mâchoires de la fleur du mélampyrum, s'appelle son palais.
PALAIS, (Géograph. mod.) petite place forte de France en Bretagne, capitale de l'île de Belle-Isle. Long. 14. 20. lat. 47. 20.
Il ne faut pas confondre ce Palais, capitale de Belle-Isle, avec Palais, village à 4 lieues de Nantes en Bretagne. Ce village, quoique pauvre village, est bien célebre dans l'histoire, pour avoir donné le jour à Pierre Abélard, que sur de fausses apparences d'infidélité les parens d'Héloïse firent cruellement mutiler ; lui qui n'aimoit au monde que cette savante fille, & qui l'aima jusqu'au tombeau ; lui qui étoit un des plus fameux & des plus habiles docteurs du xij. siecle, le plus grand dialecticien, & le plus subtil esprit de son tems.
Ce n'est pas tout, il eut encore à essuyer coup sur coup malheurs sur malheurs, par la jalousie de ses rivaux, & quelquefois par son imprudence. C'est ainsi qu'il lui échappa de dire étant au couvent de S. Denis, qu'il ne pensoit pas que leur S. Denis fût Denis l'Aréopagite, dont il est parlé dans l'Ecriture. L'abbé étant instruit de ces discours hors de saison, déclara qu'il livreroit à la justice du roi celui qui avoit l'audace de renverser la gloire & la couronne du royaume. Abélard se sauva de nuit en Champagne, & se crut trop heureux d'obtenir après la mort de l'abbé de S. Denis la permission de vivre monastiquement loin de Paris.
Il vint au Paraclet, des écoliers l'y suivirent en foule ; & ses ennemis en plus grand nombre lui rendirent dans cet hermitage même la vie tellement amere, qu'il fut sur le point de se retirer hors de la chrétienté ; mais son étoile ne lui permit pas de se procurer ce repos.
On lui fit un procès d'hérésie devant l'archevêque de Sens, & l'on convoqua sur cette affaire l'an 1140 un concile provincial, auquel le roi Louis VIII. voulut assister en personne. S. Bernard étoit l'accusateur, Abélard fut bientôt condamné. Le pape Innocent II. confirma la condamnation, en ordonnant que les livres de l'hérétique seroient brûlés, qu'il ne pourroit plus enseigner, & qu'on l'emprisonnât.
Il étoit perdu sans Pierre le Vénérable, qui, touché de son triste sort & de la beauté de son génie, le reçut favorablement dans son abbaye de Clugny, & lui réconcilia S. Bernard, le promoteur de l'oppression que l'innocence avoit soufferte dans le concile de Sens & à Rome. Mais de si longs malheurs consécutifs avoient tellement délabré la santé d'Abélard, qu'il n'étoit plus tems d'y porter remede. Envain l'abbé de Clugny l'envoya pour le rétablir dans le prieuré de S. Marcel, lieu pur & agréable, situé sur la Saône auprès de Châlons ; il y mourut bientôt après le 21 Avril 1142, à l'âge de 63 ans. Voyez dans Bayle son article, joignez-y les articles Héloïse, Berenger de Poitiers, Amboise, (François), Foulques, & vous aurez dans le même dictionnaire l'histoire complete d'Abélard. (D.J.)
PALAIS, s. m. (Architect.) bâtiment magnifique, propre à loger un roi ou un prince. On distingue les palais en palais impérial, royal, pontifical, épiscopal, cardinal, ducal, &c. selon la dignité des personnes qui l'occupent.
On appelle aussi palais le lieu où une cour souveraine rend la justice au nom du roi, parce qu'anciennement on la rendoit dans les palais des rois.
Selon Procope, le mot palais vient d'un certain grec, nommé Pallas, lequel donna son nom à une maison magnifique qu'il avoit fait bâtir. Auguste fut le premier qui nomma palais la demeure des empereurs à Rome sur le mont qu'on nomme à cause de cela le mont palatin. (D.J.)
PALAIS, (Antiq. rom.) le nom de palais vient du mont palatin à Rome, sur lequel étoit assise la maison des empereurs. De-là les hôtels ou maisons des rois, princes & grands seigneurs, prirent le nom de palais : Nam quia imperii sedes in eo constituta fuit, cujusvis principis aulam, aut splendidi hominis domum, palatium dicimus. Auguste fut le premier qui se logea au mont palatin, faisant son palais de la maison de l'orateur Hortensius, qui n'étoit ni des plus grandes, ni des mieux ornées de Rome. Suétone nous la dépeint, quand il dit : Habitavit posteà in palatio, sed aedibus modicis Hortensianis, neque cultis, neque conspicuis.
Ce palais fut ensuite augmenté par Tibere, Caligula, Alexandre fils de Mammée, & autres. Il subsista jusqu'au regne de Valentinien III. sous lequel n'étant ni habité, ni entretenu, il vint à tomber en ruine. Les seigneurs romains avoient leurs palais, ou plutôt leurs hôtels sous le nom de domus, qui ressembloient par leur grandeur à de petites villes, domos cognoveris, dit Salluste, in urbium modum aedificatas. Ce sont ces maisons que Séneque appelle, aedificia privata, laxitatem urbium magnarum vincentia. Le grand-seigneur de Rome s'estimoit être logé à l'étroit, si sa maison n'occupoit autant de place que les terres labourables de Cincinnatus. Pline dit plus, lorsqu'il assûre que quelques-uns y avoient des vergers, des étangs, des viviers & des caves si vastes, qu'elles passoient en étendue les terres de ces premiers citoyens de Rome que l'on tiroit de la charrue à la dictature. Ces palais contenoient divers édifices, qui formoient autant d'appartemens d'été & d'hiver, ornés chacun de galeries, salles, chambres, cabinets, bains, tous enrichis de peintures, dorures, statues, bronzes, marbres, & de pavés superbes de marqueterie & de mosaïque. (D.J.)
PALAIS GALIENNE, (Antiq.) nom d'un reste d'amphithéâtre que l'on voit près de Bordeaux à la distance d'environ quatre cent pas. Il est le moins bien conservé de tous ceux qui sont en France, si l'on en excepte celui de Lyon ; & ce qui a été détruit, faisoit près de trois quarts de l'édifice : ce qui reste, peut cependant faire juger de son ancienne beauté. Il étoit bâti de petites pierres fort dures toutes taillées, de trois pouces de haut & autant de large sur le parement de la muraille, & rentrant en-dedans d'environ cinq à six pouces. Ce parement étoit entrecoupé d'un rang de trois grosses briques qui regnoit tout à l'entour de chaque côté. Les arceaux des portes étoient aussi entrecoupés de brique, ce qui, pour la couleur, contrastoit agréablement avec la pierre ordinaire, & présentoit un coup - d'oeil symmétrique & varié. Ces matériaux étoient si fortement unis ensemble par leur assemblage & par une certaine espece de ciment, que depuis près de douze siecles il ne s'est détaché aucune pierre de tout ce qui reste d'entier. La solidité, dont on juge que cet édifice devoit être, fait croire que nous l'aurions encore dans son premier état, si l'on n'eût travaillé tout exprès à le détruire. Sa forme étoit elliptique ou ovale. Il y avoit six enceintes, en y comprenant l'arène, c'est-à-dire le lieu où se faisoient les combats d'hommes ou d'animaux. On a trouvé que sa longueur devoit être de 226 piés, & sa largeur de 166.
Comme on n'a découvert aucune inscription qui puisse fixer l'époque de l'érection de ce monument, on ne peut assûrer rien de positif à ce sujet. Le nom de palais galienne qui lui est resté pourroit donner lieu de croire qu'il fut élevé sous le regne de cet empereur.
Une fable, conservée par Rodéric de Tolede, attribue la construction de ce prétendu palais à Charlemagne, qui le destina, dit-il, à Galienne son épouse, fille de Galastre, roi de Tolede : mais l'ignorance seule des derniers siecles a pu accréditer ce conte. La forme du monument ne laisse aucun lieu de douter que ce ne soit un amphithéâtre. Outre cela de vieux titres latins de l'église de S. Severin qui en est voisine, & qui ont plus de 500 ans d'antiquité, lui donnent le nom d'arènes, que la tradition lui avoit sans doute conservé. Voyez le recueil de littérat. tome XII. in -4°. (D.J.)
PALAIS, comte du, (Hist. de France) charge éminente sous la seconde race des rois de France : sous la premiere race, le comte du Palais étoit fort inférieur au maire, quoiqu'il fût cependant le juge de tous les officiers de la maison du roi, & qu'il confondît dans sa personne tous les autres offices que l'on a vû depuis, tels que le bouteiller, le chambrier, &c. Cette charge s'éleva sous la deuxieme race, tandis que celle de maire fut anéantie ; & sous les rois de la troisieme, celle de sénéchal anéantit celle de comte du palais, dont l'idée nous est restée dans le grand-prevôt de l'hôtel. Le connétable, qui ne marchoit qu'après le comte du palais sous la deuxieme race, devint le premier homme de l'état sous la troisieme, & la charge de sénéchal finit en 1191. P. Henaut. (D.J.)
PALAIS, (Jurisprud.) est une maison dans laquelle un roi ou autre prince souverain fait sa demeure ordinaire.
Le palais qui est à Paris dans la cité & dans lequel le parlement & plusieurs autres cours & tribunaux tiennent leurs séances est ainsi appellé, parce que c'étoit la demeure de plusieurs de nos rois jusqu'au tems de Louis Hutin, qui l'abandonna entierement pour y faire rendre la justice.
A l'imitation de ce palais de Paris, on a aussi dans plusieurs grandes villes donné le titre de palais à l'édifice dans lequel se rend la principale justice royale, parce que ces sortes d'édifices où l'on rend la justice au nom du roi sont censés sa demeure.
Les maisons des cardinaux sont aussi qualifiées de palais, témoin le palais cardinal à Paris, appellé vulgairement le palais royal.
Les maisons des archevêques & évêques n'étoient autrefois qualifiées que d'hôtel, aussi-bien que la demeure du roi, présentement on dit palais archiépiscopal, palais épiscopal.
Du reste aucune personne quelque qualifiée qu'elle soit, ne peut faire mettre sur la porte de sa maison le titre de palais, mais seulement celui d'hôtel. (A)
PALAIS, terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Marennes. La description en est faite à l'article SALICOTS.
PALAIS, Saint, (Géog. mod.) petite ville de France dans la basse Navarre, au diocese de Bayonne, sur la Bidouse, à 5 lieues de S. Jean Pié-de-Port, à qui elle dispute l'honneur d'être la capitale de la Navarre. Long. 16. 35. latit. 43. 20.
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PALALACA | S. m. (Ornithol.) oiseau des îles Philippines, qui tient de la hupe, & qui est de la grosseur de nos poules. Le P. Camelli l'a décrit ainsi : Son cri est rude & désagréable : sa tête est brune & hupée ; son bec est assez fort pour percer les arbres, les creuser & y faire son nid. Sa couleur est d'un beau verd, quelquefois nuancé d'autres couleurs. Cet oiseau est, selon les apparences, une espece de grimpereau.
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PALAMOS | (Géog. mod.) petite, mais forte ville d'Espagne, dans la Catalogne, avec un port. Les François la prirent en 1694, & la rendirent en 1697 par la paix de Riswick ; elle est sur la méditerranée à 5 lieues S. E. de Girone, 19 N. E. de Barcelone. Long. 20. 46. latit. 41. 48. (D.J.)
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PALAN | (Marine & Méchan.) assemblage de poulies jointes ensemble de maniere qu'elles soient les unes à côté des autres, ou les unes au-dessus des autres dans la même boîte ou moufle : cet assemblage de poulies avec leur cordage est ce qu'on appelle palan ou caliorne. Pour savoir combien la force est multipliée dans le palan, il n'y a qu'à compter le nombre de branches de la corde qui soutient le fardeau ; car il est aisé de voir que si cette corde a par exemple quatre branches, chacune soutiendra le quart du poids, & que par conséquent la puissance appliquée à l'extrémité d'une de ces branches soutiendra ce même quart. Voyez la manoeuvre des vaisseaux de M. Bouguer, p. 7 ; voyez aussi p. 78 du même ouvrage l'évaluation de l'effet d'un palan lorsque le frottement & la roideur des cordes sont fort considérables. (O)
On se sert du palan pour embarquer & pour débarquer des marchandises & autres pesans fardeaux. Une de ces cordes s'appelle étague, mantel ; & l'autre garant. Le palan, dit un autre auteur, est la corde qu'on attache à l'étai, ou à la grande vergue, ou à la vergue de misene pour tirer quelque fardeau, ou pour bander les étais. Il est composé de trois cordes ; savoir, celle du palan, l'étague & la drisse. Il a des pattes de fer au bout qui descendent en bas. Il a trois poulies, l'une desquelles est double. Celui du mât de misene ne s'en détache jamais, comme étant du service ordinaire.
Grands palans. Ce sont ceux qui tiennent au grand mât.
Palan simple, palan de misene ; ce sont ceux qui sont attachés au mât de misene, & qui servent à haler à abord les ancres & la chaloupe, à rider les haubans, &c.
Palan à caliorne ; c'est la caliorne entiere. Voyez CALIORNE.
Palan à candelette. Voyez CANDELETTE.
Palan d'étai. On entend ceux qui sont amarrés à l'étai.
Palan de surpente.
Palan d'amure ; c'est un petit palan dont l'usage est d'amurer la grande voile par un gros vent.
Palans de bout ; ce sont des petits palans frappés à la tête du mât de beaupré par-dessus, dont l'usage est de tenir la vergue de civadiere en son lieu, & d'aider à la hisser lorsqu'on la met à la place.
Palans pour rider les haubans.
Palans de retraite ; ce sont aussi de petits palans dont les canonniers se servent pour remettre le canon dedans, quand il a tiré, lorsque le vaisseau est à la bande.
Palans de canon. Voyez DROSSE ou TRISSE. (Z)
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PALANCHE | S. f. termes de Porteurs d'eau ; c'est un instrument de bois, long d'environ trois piés, un peu concave dans le milieu, au bout duquel il y a deux entaillures pour y accrocher deux sceaux d'eau, qu'on porte ainsi sur l'épaule. En d'autres endroits on appelle cet instrument chamblon, mot qui, selon les apparences, dérive de celui de chambriere, instrument à porter l'eau. (D.J.)
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PALANÇONS | S. m. pl. (Archit.) morceaux de bois qui retiennent le torchis. Voyez TORCHIS.
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PALANDEAUX | S. m. (Marine) bouts de planches que l'on couvre de bourre & de goudron pour boucher les écubiers & les trous du bordage.
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PALANGRES | S. f. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Brest ; ce sont les moyennes & petites lignes garnies de moyens hameçons entraînées ou cordées à la mer avec lesquelles les pêcheurs prennent diverses especes de poissons saxatiles.
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PALANKA | (Géog. mod.) petite ville de la haute Hongrie, au comté de Novigrad, sur la riviere d'Ibola, à 7 lieues N. de Novigrad, 15 N. de Bude. Long. 36. 58. lat. 48. 3.
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PALANQUE | (Marine) c'est un commandement pour faire servir ou tirer sur le palan.
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PALANQUER | v. a. (Commerce) se servir des palans pour charger les marchandises dans les navires, ou pour les en décharger.
Il y a des especes de marchandises que les matelots des navires marchands sont tenus de palanquer, c'est-à-dire, de charger & décharger, sans qu'ils en puissent demander de salaire au maître ou au marchand. Tels sont, par exemple, les planches, le mairain, & le poisson verd & sec ; ce qui se comprend tout sous le terme de maléage. Ils sont aussi tenus de la décharge des grains, des sels, &c. ce qui s'appelle paléage.
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PALANQUINES | Voyez BALANCINES.
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PALANQUINS | ou PALANKINS, ou PALEKIS, (Hist. mod.) espece de voiture portée par des hommes, fort en usage dans les différentes parties de l'Indostan. Le palankin est une espece de brancard terminé des deux côtés par une petite balustrade de cinq à six pouces de hauteur. Il y a un dossier semblable à celui du berceau d'un enfant. Au-lieu d'être porté par deux brancards, comme nos litieres, ou chaises-à-porteurs, le palankin est suspendu par des cordes à un long morceau de bois de bambou, qui a cinq à six pouces de diamêtre, & qui est courbé par le milieu, & porté sur les épaules de deux ou d'un plus grand nombre d'hommes. Ces voitures portatives sont plus ou moins ornées, suivant la qualité & les facultés des personnes à qui elles appartiennent. Lorsque le tems est mauvais, le palankin se recouvre de toile cirée. Ceux que l'on porte sont couchés sur des coussins & sur des tapis plus ou moins riches. Quand c'est une femme, elle est cachée par des rideaux de toile, ou de quelque étoffe de soie. Ces voitures sont fort cheres ; le bâton de bambou auquel le palankin est attaché, coûte quelquefois jusqu'à 5 ou 600 liv. mais les porteurs se contentent du prix modique de 10 à 12 francs par mois. Les meilleurs palankins se font à Tatta, dans la province d'Azmir, dépendant du grand-mogol.
PALANQUIN, (Marine) c'est un petit palan qui sert à lever de médiocres fardeaux. Il y en a de doubles & de simples.
Palanquins de ris ; ce sont des palanquins que l'on met au bout des vergues des huniers, par le moyen desquels on y amene les bouts des ris, quand on les veut prendre.
Palanquins simples de racage ; on s'en sert pour guinder ou amener le racage de la grande vergue, lorsqu'il faut guinder ou amener la vergue.
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PALANTIU | ou PALLANTIUM, (Géog. anc.) ville de l'Arcadie, selon Etienne le géographe & Trogue Pompée. Elle avoit été premierement ville, elle fut ensuite réduite en village ; mais l'empereur Antonin lui rendit, selon Pausanias, le titre de ville, avec la liberté & la franchise, la regardant comme la mere de Pallanchium ; ville d'Italie, qui devint une partie de la ville de Rome. Tite-Live écrit Palanteum, & Virgile dit Pallanteum.
Pallantis proavi de nomine Pallanteum.
(D.J.)
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PALAPARIJA | S. m. (Ophyologie) espece de serpent de l'île de Ceylan, qui vit sous terre. Il est très-gros, marqué de belles couleurs, entre lesquelles le rouge domine. Ray.
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PALAPOLI | (Géog. mod.) petite ville de la Natolie, dans la Caramanie, sur la côte au nord de l'île de Chypre, presque à l'embouchure d'une petite riviere. Long. 51. 1. lat. 36. 52.
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PALARDEAUX | S. m. (Marine) ce sont des bouts de planches que les calfateurs couvrent de goudron & de bourre, pour boucher les trous qui se font dans le bordage. Quelques-uns appellent aussi palardeaux des tampons qui servent à boucher les écubiers. (Z)
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PALARIA | S. f. (Gymnast. milit.) espece d'exercice militaire en usage chez les Romains ; ils plantoient un poteau en terre, & les jeunes soldats, étant à six pas de distance, s'avançoient vers ce poteau avec un bâton au-lieu d'épée, faisant toutes les évolutions d'attaque ou de défense, comme s'ils étoient réellement engagés avec un ennemi. On peut traduire palaria par palaries. Les pieux enfoncés en terre, s'en élevoient dehors environ de la hauteur de six piés. Chaque soldat muni d'une épée de bois & d'un bouclier tressé d'osier, entreprenant un de ses pieux, l'attaquoit comme un ennemi, lui portoit des coups sur toutes les parties, tantôt avançant, tantôt reculant, tantôt sautant. Ils le perçoient aussi avec le javelot. Il y avoit des femmes qui prenoient quelquefois l'épée de bois & le bouclier d'osier, & qui se battoient contre les pieux. Mais on avoit meilleure opinion de leur courage & de leur vigueur que de leur honnêteté.
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PALATIN | NE, adj. en Anatomie, qui appartient au palais. On remarque trois trous palatins dans les fosses palatines, un à la partie moyenne & antérieure formé par l'union des deux os maxillaires & nommé trou incisif, à cause de sa situation ; deux aux parties latérales externes, formés par l'union des os maxillaires & des os du palais ; on les appelle aussi gustatifs. Voyez MAXILLAIRE, PALAIS, &c.
Portion palatine de l'os du palais. Voyez PALAIS.
Les fosses palatines, ou la voute du palais est formée par la face inférieure des os maxillaires, & celle de la partie inférieure du plan horisontal, de l'os du palais, au moyen de l'union de ces quatre os. Voyez MAXILLAIRE & PALAIS.
L'artere palatine est une branche de la carotide externe.
PALATIN, adj. (Hist. anc.) nom donné à Apollon par Auguste, qui ayant fait bâtir sur le mont Palatin un temple consacré à ce dieu, lui donna le surnom d'Apollo Palatinus, parce que les augures lui avoient déclaré, que telle étoit la volonté d'Apollon. Ce temple fut enrichi par le même empereur d'une bibliotheque nombreuse & choisie, qui devint le rendez-vous des savans. Lorsque l'académie françoise fut placée au louvre, elle fit allusion à cet événement, en faisant frapper une médaille où l'on voit Apollon tenant sa lyre, appuyé sur le trépié, d'où sortoient ses oracles ; dans le fond paroît la principale façade du louvre, avec cette légende, Apollo Palatinus, Apollon dans le palais d'Auguste.
PALATIN, MONT, Palatinus mons, (Géog. anc.) montagne d'Italie, l'une des sept sur lesquelles la ville de Rome étoit bâtie. C'étoit celle que Romulus environna de murailles pour faire la premiere enceinte de la ville. Il choisit ce lieu, parce qu'il y avoit été apporté avec son frere Remus par le berger Faustulus, qui les avoit trouvés sur les bords du Tibre, & qu'il vit d'ailleurs douze vautours qui voloient sur cette montagne, au lieu que Remus n'en vit que six sur le mont Aventin.
Les uns veulent que ce mont fût appellé Palatin, de Palès, déesse des bergers, qu'on y adoroit : d'autres le dérivent de Palatia, femme de Latinus ; & d'autres des Pallantes, originaires de la ville de Pallantium, dans le Péloponnèse, & qui vinrent s'habituer en cet endroit avec Evander.
La maison des rois, qu'on a appellée de-là palatium, c'est-à-dire palais, étoit sur cette montagne. Pausanias, l. VIII. p. 525. dit que les lettres L & N. ayant été ôtées du mot pallantium, on forma le nom de cette maison.
L'empereur Héliogabale fit faire une galerie soutenue de piliers de marbre, qui joignoient le mont Palatin, avec le mont Capitolin. On y a vu dix temples magnifiques, seize autres petits, & quantité de superbes bâtimens, dont on admiroit l'architecture, entr'autres celle du palais d'Auguste ; mais ce quartier de la ville n'a plus aujourd'hui que quelques jardins, qui sont assez beaux. (D.J.)
PALATIN, TEMPLE, (Antiq. rom.) Voyez TEMPLE D'APOLLON.
PALATIN, ELECTEUR, PALATINAT, s. m. (Gram. Hist. mod. Droit public) on appelle en Allemagne électeur palatin, ou comte palatin du Rhin, un prince feudataire de l'empire, dont le domaine s'appelle Palatinat. Voyez PALATINAT. Ce prince jouit de très-grandes prérogatives, dont la plus éminente est celle de faire les fonctions de vicaire de l'empire pendant la vacance du trône impérial dans les contrées du Rhin, de la Souabe & de la Franconie. Ce droit lui a été quelquefois disputé par l'électeur de Baviere ; mais enfin l'électeur palatin d'aujourd'hui a consenti à le partager avec lui. Dans la bulle d'or l'électeur palatin est appellé le juge de l'empereur. Il porte aussi le titre de grand-trésorier de l'empire, il a le droit d'annoblir, & il jouit d'un droit singulier, appellé wildfangiat. Voyez cet article.
Les comtes palatins étoient autrefois des officiers attachés aux palais des empereurs ; ils avoient un chef à qui ils étoient subordonnés ; & les empereurs lui avoient accordé de très-grandes prérogatives, afin de rendre sa dignité plus éminente. On comptoit plusieurs comtes palatins ; il y avoit celui du Rhin, celui de Baviere, celui de Franconie, celui de Saxe & celui de Souabe. Aujourd'hui le titre de comte palatin, en allemand pfalzgraff, ne se prend que par les princes de Sultzbach, de Deuxponts, & de Birckenfeld, qui sont de trois différentes branches d'une même maison. C'est un prince de la premiere de ces branches, qui est actuellement électeur palatins. (-)
PALATIN DE HONGRIE, (Hist. mod.) c'est le titre qu'on donne en Hongrie à un seigneur qui possede la plus éminente dignité de l'état. Les états du pays élisent le palatin ; c'est lui qui a droit de les convoquer ; il est le tuteur des mineurs ; il commande les troupes en tems de guerre. En un mot, il est l'administrateur du royaume. Cette dignité n'est point héréditaire, & elle se perd par mort.
En Pologne les gouverneurs des provinces nommés par le roi, prennent aussi le titre de palatin. (-)
PALATINS, JEUX, (Antiq. rom.) ces jeux furent institués par l'impératrice Livie, pour être célebrés sur le mont palatin, en l'honneur d'Auguste. Les douze prêtres de Mars, ou saliens, furent aussi surnommés palatins. (D.J.)
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PALATINAT | Voyez PALATIN.
PALATINAT, (Géog. mod.) province considérable d'Allemagne, divisée en haut & en bas Palatinat.
Le haut-Palatinat, appellé aussi le Palatinat de Baviere, est entre la Baviere, la Franconie & la Bohème, & appartient au duc de Baviere ; Amberg en est la capitale.
Le bas Palatinat, ou Palatinat du Rhin, ou l'électorat, est borné par l'archevêché de Mayence, le haut-comté de Catzenellebogen, le comté d'Erpach, le duché de Wirtemberg, l'Alsace, le Marquisat de Bade & l'archevêché de Trèves. L'électeur palatin fait tantôt sa résidence à Manheim, tantôt à Heidelberg, & tantôt à Dusseldorff. Il possede encore les duchés de Neubourg, de Berg & de Juliers, la principauté de Sultzbach, & la seigneurie de Ravestein. Le terroir du bas-Palatinat est fertile, arrosé par le Rhin & le Necker. Il y a plusieurs petits états renfermés dans le Palatinat, qui ont leurs souverains particuliers, & indépendans de l'électeur palatin.
Scioppius (Gaspard), l'un des plus redoutables critiques du xvij. siecle, naquit dans le Palatinat, en 1576, & mourut à Padoue en 1649, à 74 ans. Il ne se contenta pas d'écrire avec passion contre des particuliers, il attaqua même le roi Jacques I. & la personne d'Henri IV. Il fit d'autres ouvrages où regne beaucoup d'esprit, de critique & de littérature, mais la bile avec laquelle il déchira tout le monde, rendit sa mémoire odieuse. (D.J.)
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PALATINE | S. f. terme de Marchand de mode ; c'est un ornement qui sert aux femmes pour couvrir leur poitrine, & qu'elles se mettent sur le col. L'on en fait de blonde, de ruban & de dentelle, de chenille, de souci d'hanneton, de nompareil & de fil.
Cet ornement différe selon les modes ; aujourd'hui ce sont plusieurs blondes qui sont montées sur un ruban large d'un doigt, & qui forment plusieurs plis, cela peut avoir trois quarts de long sur quatre doigts de large.
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PALATITE | ou PALATINS, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à l'espece de rubis que l'on appelle rubis balais. Voyez RUBIS.
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PALATO-PHARYNGIEN | en Anatomie, nom de deux muscles du pharynx. Voyez PERISTAPHILO-PHARYNGIEN.
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PALATO-STAPHYLIN | en Anatomie ; nom d'une paire de muscles qui viennent de part & d'autre du bord postérieur du plan inférieur des os du palais, & qui vont en formant un angle s'insérer à la luette.
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PALATRE | S. f. (Serrur.) c'est la piece de fer qui couvre toutes les garnitures d'une serrure, & contre laquelle sont montés & attachés tous les ressorts nécessaires pour une fermeture. (D.J.)
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PALATUA | (Mythol.) déesse qui présidoit au mont Palatin, & qui gardoit sous sa tutele le palais des empereurs. Elle avoit un prêtre particulier nommé Palatinalis, & les sacrifices qu'on lui offroit s'appelloient palatualia.
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PALAZZUOL | ou PALAZOLO, (Géog. mod.) petite ville de Sicile, dans le val de Noto, sur le bord de la riviere Bufaro, à 20 lieues O. de Syracuse. Long. 32. 40. lat. 37. 3. (D.J.)
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PALE | Voyez PALETTE.
PALE, s. f. (Hydr.) est une petite vanne qui sert à ouvrir & fermer la chaussée d'un moulin ou d'un étang pour le mettre en cours. Quand on veut donner l'eau à la roue d'un moulin, on leve une pale qui est différente du déversoir d'un moulin. (K)
PALE D'AVIRON ; c'est le bout plat de l'aviron qui entre dans l'eau.
PALE, s. f. carton quarré couvert d'un côté ordinairement d'une toile de lin, de l'autre de la même étoffe que le reste des ornemens, & qui est alors chargé d'une croix. Il sert à couvrir le calice. On l'appelle aussi volet. On leve la pale ou le volet pour découvrir le calice à la consécration.
PALE, adj. PALEUR, s. f. (Gram.) la pâleur est une nuance de la blancheur. On l'attribue à tout ce qui est blanc, à tout ce qui tient à cette couleur, & qui ne devroit pas l'être, ou qui devroit l'être, ou en tenir moins. Des roses pâles ; un rouge pâle ; un visage pâle ; le soleil est pâle ; ce bleu est pâle. La pâleur est donc presque toujours la marque d'un défaut, excepté en amour, s'il en faut croire M. de Montcrif. On lit dans une de ses romances :
En lui toute fleur de jeunesse
Apparoissoit ;
Mais longue barbe, air de tristesse,
Les ternissoit.
Si de jeunesse on doit attendre
Beau coloris,
Pâleur qui marque une ame tendre
A bien son prix.
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PALÉ | adj. terme de Blason ; on dit qu'un écu est pâlé, quand il est chargé également de pals, de métal & de couleur ; & qu'il est contre-pâlé lorsqu'il est coupé, & que les deux demi-pals du chef, quoique de couleurs semblables à ceux de la pointe, sont néanmoins différens à l'endroit où ils se rencontrent ; ensorte que, si le premier du chef est de métal, celui qui y répond au-dessous est de couleur.
On dit que l'écu est palissé, quand les pals sont aiguisés, & semblables à ceux dont on fait usage dans la défense des places. Briqueville en Normandie, pâlé d'or & de gueules.
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PALÉAGE | S. m. (Marine) c'est l'action de mettre hors d'un vaisseau les grains, les sels & autres marchandises qui se remuent avec la pelle, & l'obligation où les matelots sont de les décharger. Les matelots n'ont point de salaire pour le paléage & le maléage, mais ils en ont pour le guindage & le remuage. (Z)
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PALÉE | S. f. (Hydr.) est un rang de pieux espacés assez près les uns des autres, liernés, moisés, boulonnés de chevilles de fer, & enfoncés avec le mouton, suivant le fil de l'eau, pour porter quelque fardeau de maçonnerie, ou les travées d'un pont de bois. (K)
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PALÉE | S. f. (Marine) c'est l'extrémité plate de la rame ou de l'aviron ; celle qui entre dans l'eau lorsqu'on s'en sert.
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PALEFRENIER | S. m. (Maréchall.) On appelle ainsi un domestique destiné à panser & entretenir les chevaux. Les instrumens propres à son usage sont l'étrille, la brosse, le peigne de corne, l'éponge, l'époussette, le couteau de chaleur, les ciseaux ou le rasoir, le sceau, la pelle, la fourche de bois, le balai de bouleau, le balai de jonc, la fourche de fer, la pince à poil, le bouchon de foin, le cure pié, le couteau à poinçon, &c. Voyez la description & la figure de ces instrumens aux lettres & aux figures qui leur conviennent.
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PALEFROI | S. m. (Maréchall.) cheval de parade & de pompe sur lequel les princes & les grands seigneurs faisoient autrefois leur entrée. Ce mot n'est plus usité. On distinguoit trois sortes de chevaux ; les destruis ou chevaux de bataille, les palefrois ou chevaux de parade, & les roussins ou chevaux de bagage.
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PALEMENTE | S. f. (Marine) nom collectif ; il se dit des rames d'une galere. Quand on veut armer le caiq, les matelots passent sur la palemente en sautant d'une rame à l'autre.
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PALÉMON | S. m. (Mythol.) c'est le Mélicerte des Phéniciens, & le Portumnus des Latins. Les Corinthiens signalant leur zele envers Mélicerte, dit Pausanias, lui changerent son nom en celui de Palémon, & instituerent les jeux isthmiques en son honneur. Il eut une chapelle dans le temple de Neptune, avec une statue ; & sous cette chapelle il y en avoit une autre où l'on descendoit par un escalier dérobé. Palémon y étoit couché, disoit-on ; & quiconque osoit faire un faux serment dans le temple, soit citoyen ou étranger, étoit aussi-tôt puni de son parjure. (D.J.)
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PALEMPUREZ | S. m. (Toile peinte) tapis de toile peinte qui viennent des Indes ; ils portent ordinairement deux aunes & un quart.
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PALENCIA | (Géog. mod.) ville d'Espagne au royaume de Léon, avec un riche évêché suffragant de Burgos. Elle fut bâtie par le roi Sanche le grand dans un terroir fertile, aux frontieres de la Castille, à 17 lieues S. O. de Burgos, 25 S. E. de Léon, 46 N. de Madrid. Long. 13. 26. lat. 42. 11.
Vela, (Joseph) jurisconsulte espagnol naquit dans cette ville en 1588. Quoique ses ouvrages soient très-médiocres, ils ont été imprimés plusieurs fois, & ont un grand débit en Espagne, parce qu'ils roulent principalement sur des matieres ecclésiastiques qu'il a étayées des décisions de la rote de Rome. Les dernieres éditions ont été faites à Genève en 1726 & 1740. Vela mourut à Grenade en 1643, âgé de 55 ans. (D.J.)
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PALÉOCASTRO | (Géogr. mod.) , ville ruinée de l'île de Crete dans les terres, à quelques milles au midi du port de Chisamo. Il est vraisemblable que c'étoit la ville d'Aptere, près de laquelle on voyoit ce fameux champ où les sirenes vaincues par les muses dans un défi de musique, perdirent leurs aîles.
Paleocastrodi Sitia est encore le nom italien d'une forteresse de l'île de Candie.
C'est aussi le nom d'une ville ruinée dans l'ile de Thermie, une des cyclades, à 40 milles de Serfanto. (D.J.)
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PALÉOPOLIS | (Géog. anc. & mod.) ville ruinée de l'île d'Andros dans l'Archipel, une des cyclades, au S. E. de Negrepont.
Les ruines de Paléopolis sont à deux milles d'Arna vers le S. S. O. au-delà du port Gaurio : cette ville qui portoit le nom de l'île, comme l'assurent Hérodote & Galien, étoit fort grande, & située avantageusement sur le penchant d'une montagne qui domine toute la plage ; il en reste encore des quartiers de muraille très-solides, sur-tout dans un endroit remarquable, où, suivant les apparences, étoit la citadelle dont Tite-Live fait mention.
Outre les vieux marbres renversés dans ces ruines, on y trouvoit encore dans le dernier siecle, de belles colomnes, des chapiteaux, des bases, & quelques inscriptions, qui ne sauroient être presque d'aucun usage. Nous tirâmes, dit Tournefort, ce que nous pûmes de celle qui nous parut la moins effacée ; il y est parlé du sénat du peuple d'Andros & des prêtres de Bacchus, ce qui fait conjecturer qu'elle avoit été placée sur les murailles, ou dans le fameux temple de ce dieu, & que conséquemment elle pouvoit marquer la situation de ce bâtiment.
En avançant dans ces ruines, le hasard nous fit découvrir, continue-t-il, une figure de marbre sans tête & sans bras, le tronc avoit trois piés dix pouces de haut, & la draperie en étoit fort belle. Le long d'un petit ruisseau qui fournit de l'eau à la ville, nous remarquâmes deux autres troncs de marbre où le grand goût du sculpteur paroissoit encore. Ce ruisseau fait souvenir de la fontaine appellée le présent de Jupiter ; mais elle s'est perdue dans ces ruines, ou c'est le ruisseau même à qui on avoit donné ce nom.
Quoi qu'il en soit, cette fontaine, au rapport de Mutianus, avoit le goût du vin dans le mois de Janvier, & ne devoit pas être loin de l'endroit des ruines de nos jours, puisque Pline la place proche le temple de Bacchus, mentionné dans l'inscription dont on vient de parler. Le même auteur dit que ce miracle duroit sept jours de suite, & que ce vin devenoit de l'eau si on l'emportoit hors de la vue du temple. Pausanias ne parle point de ce changement ; mais il avance que l'on croyoit que tous les ans pendant les fêtes de Bacchus, il couloit du vin du temple consacré à ce dieu dans l'île d'Andros. Les prêtres sans doute ne manquoient pas d'entretenir cette croyance en vuidant quelques muids de vin par des canaux cachés. (D.J.)
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PALERME | (Géogr. mod.) en latin Panormus ; ville détruite de la Sicile, dans le val de Mazara, avec un archevêché & un petit port. Palerme avant sa destruction par un tremblement de terre, disputoit à Messine le rang de capitale.
Elle étoit sur la côte septentrionale de l'île, au fond du golfe de même nom, dans une belle plaine, à 44 lieues O. de Messine, 68 S. O. de Naples, 96 S. de Rome. Long. 31. 15. lat. 38. 10.
Cette ville s'est glorifiée d'avoir produit sainte Agathe, saint Agathon, religieux bénédictin, élu pape le 11 Avril 679. Giberti (Jean-Matthieu), évêque de Vérone, mort le 30 Décembre 1543. Ce dernier prélat aimoit les lettres, & avoit chez lui une imprimerie, d'où sortit en 1529, une belle édition grecque des homélies de saint Jean Chrisostôme sur les épitres de saint Paul. Antoine dit Palerme, vendit sa maison pour un manuscrit de Tite-Live. Je supprime les noms d'une foule de jésuites & autres moines nés à Palerme, & qui pendant deux siecles ont inondé l'Europe d'ouvrages aujourd'hui ignorés, sur le droit canon, la théologie scholastique, & autres sujets semblables.
Mais Palerme a été la patrie de quelques vrais savans, cités dans la bibliotheca sicula de Mongitore. Je me contenterai de remarquer que quoique l'un d'eux, j'entends Ingrassia (Jean-Philippe), célebre médecin du xvj. siecle, se dise de Palerme dans un endroit de ses ouvrages, c'est apparemment parce qu'on lui avoit donné la bourgeoisie dans cette ville ; car il naquit réellement en 1510 à Rochalbuto, bourgade de la vallée de Demona.
Il a découvert en Anatomie l'étrier, stapedem, petit os de l'oreille, & a décrit la structure de l'os cribreux beaucoup mieux qu'on ne l'avoit fait avant lui. Il s'est encore acquis une haute réputation en Anatomie & en Médecine par divers ouvrages, entr'autres par son commentarium in Galeni librum de ossibus, qui vit le jour après sa mort, Panormi, 1603, & Venetiis, 1604, in-fol.
Il a aussi publié pendant sa vie un livre de tumoribus praeter naturam, tom. I. Neapoli 1553, in-fol. Il promettoit dans ce volume six autres tomes sur cette matiere, mais qui n'ont pas vu le jour. Galien n'a distingué que soixante-une especes de tumeurs, & Ingrassia a presque triplé ce nombre. Il seroit trop long de citer tous les autres ouvrages de ce savant médecin, car il a prodigieusement écrit.
En 1563, Philippe II. roi d'Espagne, le nomma premier médecin de la Sicile & des îles adjacentes, poste qu'il remplit avec honneur : il donna de grandes preuves de son habileté & de son zele pour le bien public en l'année 1575, qu'une furieuse peste affligea la ville de Palerme, & une grande partie de la Sicile. Le sénat de Palerme, pour lui marquer sa reconnoissance, lui assigna 250 ducats aurea par mois ; mais il n'accepta qu'une modique somme pour embellir une chapelle du couvent des dominicains. Il cultivoit les belles-lettres & la poësie dans ses momens de loisir, & mourut fort regretté en 1580, âgé de 70 ans.
On peut consulter sur Palerme, l'ouvrage de Inveges (Augustino), intitulé Palermo antiquo, sacro & nobile, in Palermo 1649, 1650 & 1651, 3. vol. in-fol. complet. (D.J.)
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PALERNODE | S. f. sorte de vers ecclésiastiques, où plusieurs nombres se rejettent au corps principal ; définition qui n'est pas claire.
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PALERON | S. m. (terme de Chaircutier.) c'est la partie du porc qui est jointe au jambon de devant.
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PALÉS | S. f. (Mythol.) divinité des bergers, qui avoit les troupeaux sous sa garde & sous sa protection ; aussi les villageois célébroient à la campagne en son honneur une grande fête qu'on nommoit palilies. Voyez PALILIES.
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PALESTE | S. f. (Mesure anc.) , mesure grecque, que les Latins, au rapport de saint Jerôme, nommoient palmus. Pollux nous apprend que la paleste étoit composée des quatre doigts de la main joints ensemble, & qu'en y ajoutant le pouce dans son état naturel, on avoit la spitame, autre mesure que saint Jerôme nomme en latin palma ; en deux mots, la paleste équivaloit à quatre travers de doigts, & c'étoit la même mesure de longueur que le dochme ou le doron. Voyez MESURES DES GRECS. (D.J.)
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PALESTÉS | (Mythol.) surnom donné à Jupiter, parce qu'Hercule s'étant présenté au combat de la lutte, & n'ayant trouvé personne qui osât se mesurer avec lui, pria son pere de lutter contre lui ; & le dieu eut la complaisance d'accepter le combat, & de se laisser vaincre pour accroître la gloire de son fils.
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PALESTINE | (Géogr. mod.) la Palestine, ou la Terre-sainte, ou le pays de-Chanaan, est un pays d'Asie, aujourd'hui soumis à la Porte Ottomane ; il est sec, désert, entierement dépeuplé, & d'ailleurs couvert par-tout de rochers arides : sans doute qu'il étoit aussi cultivé qu'il peut l'être, quand les Juifs le possédoient. Ils avoient des palmiers, des oliviers, des ruches de miel ; ils avoient porté de la terre sur les rochers pour y planter des vignes, qui donnoient du bon vin ; cette terre liée avec des éclats de rocher, étoit soutenue par de petits murs. Cependant malgré tous les efforts des anciens Juifs, la Palestine n'eut jamais de quoi nourrir ses habitans ; de-là vint qu'ils se répandoient par-tout ; & alors, comme de nos jours, ils alloient faire le métier de courtiers en Asie & en Afrique ; à peine Alexandrie fut bâtie, qu'ils y étoient établis. Il y en avoit huit mille à Rome du tems d'Auguste.
L'état actuel de la Palestine est plus misérable que jamais : on n'y voit que des petites bourgades, villages dépeuplés, & quelques vieux châteaux délabrés. Le plat-pays est la proie des Arabes, qui le courent de toutes parts ; & comme il n'est cultivé & semé qu'en peu de lieux, ils attaquent le voyageur & les étrangers pour en tirer quelque chose. Les garnisons turques sont trop foibles & trop écartées les unes des autres pour réprimer ces brigandages.
Le peu de chrétiens qui se trouvent en Palestine, sont ramassés dans les vallées du Liban, sous leurs évêques maronites. Ils dépendent pour le temporel d'un seigneur arabe, qui se dit emir de Tripoli, & qui est tributaire du Turc. L'anti-Liban est habité par les Druses, gens qui ont une religion différente des Chrétiens, des Turcs, & de tous les autres peuples de la terre.
Toute la Palestine peut avoir 70 lieues d'étendue du midi au nord, sous les trois degrés paralleles 31. 32. & 33. Sa largeur peut être de 30 lieues.
Les pélerins la divisent en trois provinces ; la Judée, la Samarie & la Galilée, gouvernées chacune par un émir, sous le bon plaisir du grand-seigneur, qui, outre cet émir, y entretient deux sangiacs subordonnés au bacha de Damas.
Ces trois émirs sont l'émir de Seide, l'émir de Caesair & l'émir de Gaza ; les deux sangiacs prennent les noms de leur résidence, Jérusalem & Naplouse. Au-delà du Jourdain est ce qu'on appelle le royaume des Arabes ; ce royaume consiste en des déserts immenses, dont le roi est un souverain indépendant, qui ne reconnoît point l'autorité de la Porte.
Suivant le pere Nau, la Palestine comprend aujourd'hui le pays de Gaza, le pays d'Elkahill, ou d'Hébron, le pays d'Elkolds, ou de Jérusalem, le pays de Naplos, ou Naplouse, le pays de Harcté, le pays de Jouret-Cafre-Kanna, ou de Nazareth, le pays de Sapheth, & enfin le pays au-dessus du Jourdain, où il est dangereux de voyager à cause des Arabes qui l'occupent. Il ajoute que ces divers pays forment autant de gouvernemens, dont cependant le nombre n'est point fixe, parce que le grand-seigneur partage quelquefois un gouvernement en deux, & quelquefois il en unit deux en un.
Il faut bien se défier de la description des lieux que l'Ecriture-sainte a rendus mémorables. On nous en a donné des descriptions circonstanciées très-suspectes. Que ne prétend-on point faire voir à ceux qui entreprennent le voyage de la Palestine, & que ne leur produit-on point pour les dédommager de leurs fatigues ? On leur montre d'imagination le lieu où saint Epiphane, né en Palestine vers l'an 320, fonda lui-même un monastere. Ce pere de l'Eglise mourut en 403, âgé de plus de 80 ans. La meilleure édition de ses oeuvres est celle que le pere Petau publia en 1622, in-fol. en grec & en latin avec des savantes notes ; mais dans lesquelles il n'a pu rectifier & les erreurs, & le peu d'exactitude de saint Epiphane dans les faits qu'il rapporte. (D.J.)
PALESTINE, s. f. (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) quatorzieme corps des caracteres d'imprimerie. Sa proportion est de quatre lignes mesure de l'échelle ; voyez proportions des caracteres d'Imprimerie, & l'exemple à l'article CARACTERES.
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PALESTRE | S. f. (Art. gymnast.) palaestra ; lieu où les anciens s'exerçoient pour la gymnastique médicinale & athlétique, à la lutte, au palet, au disque, au jeu du dard & autres jeux semblables ; ce lieu d'exercice s'appelloit palaestra, du mot , la lutte.
Le terrein chez les Grecs & les Romains destiné à cet usage, étoit couvert de sable & de boue, pour empêcher que les athletes ne se tuassent en se renversant par terre. La longueur de la palestre étoit réglée par stades, qui valoient chacun 125 pas géométriques, & le nom de stade s'appliquoit à l'arene sur laquelle on couroit. Vitruve nous a donné dans son architecture, liv. V. ch. xj. la description & le plan d'une palestre.
Les combats même où l'on disputoit de la course & de l'adresse à lancer un dard, ont été nommés palestrae par Virgile dans son Aeneid. lib. V.
Pars in gramineis exercent membra palaestris.
Et quand il veut dépeindre dans ses Géorg. lib. II. v. 531. les jeux de ceux qui habitent la campagne, il dit que le laboureur propose au berger un combat de fleches ; qu'on tire contre un but attaché à un orme, & que chacun d'eux quitte ses habits pour être plus propre à cette palestre :
Pecorisque magistris
Velocis jaculi certamina ponit in ulmo,
Corporaque agresti nudat praedura palaestrâ.
Mais ce qui n'est point une fiction poëtique, & ce qui étoit particulier à Lacédémone, c'est que les filles s'exerçoient dans la palestre aussi-bien que les hommes. Si vous en voulez voir une belle description en vers, Properce vous la donnera dans une de ses élégies du troisieme livre. Cependant vous n'en trouverez point de peinture plus élégante en prose, que celle qu'en fait Ciceron dans ses Tusculanes, où après avoir parlé de la mollesse avec laquelle les autres nations élevoient les filles, il peint les occupations de celles de Sparte. Il leur est bien plus doux, dit-il, de s'exercer dans la palestre, de nager dans l'Eurotas, de s'exposer au soleil, à la poussiere, à la fatigue des gens de guerre, qu'il ne leur seroit flatteur de ressembler aux filles barbares. Il se mêle à la vérité de la douleur dans la violence de leurs exercices ; on les choque, on les frappe, on les repousse, mais ce travail même est un remede contre la douleur.
Pyrrhus a une fois employé bien heureusement le mot palestre au figuré. Comme il ne pouvoit se rendre maître de la Sicile, il s'embarqua pour l'Italie ; & tournant la vue vers cette île, il dit à ceux qui l'accompagnoient : " Mes amis, quelle palestre nous laissons-là aux Carthaginois & aux Romains ! " (D.J.)
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PALESTRINE | (Géog. mod.) autrefois Praeneste, petite ville d'Italie dans la campagne de Rome, avec un évêché, dont l'évêque est un des anciens cardinaux. Elle est sur la pente d'une montagne, à 8 lieues de Rome. Long. 30. 28. lat. 41. 50.
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PALESTRIQUE | EXERCICE (Gymnastiq.) les exercices palestriques sont au nombre de neut ; savoir, la lutte, le pugilat, le pancrace, la course, l'hoplomachie, le saut, l'exercice du disque, celui du trait & celui du cerceau, trochus. On les nommoit palestriques, à cause qu'ils avoient presque tous pour scène cette partie des gymnases appellée palestre, & qui tiroit son nom de la lutte, en grec , l'un des plus anciens de ces exercices. Voyez LUTTE, PALESTRE, & les autres exercices palestriques que je viens de nommer. (D.J.)
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PALESTROPHYLACE | S. m. (Hist. anc.) officier subalterne des palestres ou gymnases, qu'on a mal-à-propos confondu avec le chef ou directeur du gymnase, qui dans les anciens n'est jamais appellé que gymnasiarque ou xystarque. Le palestrophylace ne peut donc être exactement rendu en notre langue que par concierge de la palestre, comme le porte le mot , dont son nom est composé, & qui à la lettre signifie garde, ou gardien, titre que les anciens n'auroient pas donné au gymnasiarque, qu'ils regardoient comme un personnage important, & dont les fonctions passoient pour très-honorables.
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PALET | (terme de Pêche) sorte de pêcherie sédentaire que l'on peut rapporter à l'espece des bas-parcs ou cibaudieres. Ce terme est usité dans le ressort de l'amirauté de Bordeaux.
Les pêcheurs, pour faire cette pêche, choisissent une espece de petite anse dont les deux extrémités forment une hauteur, & laissent un fond plus bas dans le milieu ; autour de cette anse ils plantent des perches ou piquets éloignés les uns des autres de deux brasses en deux brasses, de la longueur d'environ huit ou dix piés, ensorte qu'ils sortent du terrein de six à sept piés au plus. Ils sont placés en demi-cercle, & embrassent un espace de quatre à cinq cent brasses de long ou environ : ces perches ou pieux ne changent point, & restent toujours placés de même, au contraire de ceux qui forment la petite pêcherie du palicot, comme nous l'expliquerons ci-après.
Avant d'étendre le rets pour faire la pêche du palet, les maîtres des pêcheurs qui y sont de parc, & qui pour cet effet fournissent chacun les filets nécessaires à former le contour du palet, viennent visiter le fond du terrein de l'enceinte de la pêcherie, pour voir par les traces qui y restent, si le poisson y fréquente ; ce qu'ils reconnoissent très-bien aux empreintes qui paroissent encore sur le fond après que la mer s'est retirée, distinguant même aisément les diverses especes de poisson qui y peuvent venir paître.
Quand le maître a reconnu qu'on peut y faire la pêche avec succès, les pêcheurs alors font de basse-mer un sillon ou petit fossé d'environ deux piés de largeur sur un au plus de profondeur le long du contour des perches : ils y étendent le rets du palet qui a environ une demi-brasse de hauteur, ordinairement le même que celui de la Seine à la côte, à la différence qu'il n'est ni flotté, ni plombé ou pierré ; le bas du filet est arrêté au moyen de petits crochets de bois d'environ deux piés de long, placés à demi-brasse l'un de l'autre ; ensuite ils ramassent le filet dans le creux de la fosse, & le recouvrent du sable ou de la vase sur laquelle la tente du palet est placée : d'espace en espace on frappe sur la tête de la tente, qui reste libre & posée en-dedans des perches, sept à huit petites lignes que l'on arrête sur le haut d'autant de pieux. Tout ce travail se fait avant que la marée ait commencé à monter dans la tente du palet : à mesure qu'elle monte, elle recouvre ou plutôt efface le sillon qui a été fait, ensorte que le poisson qui est accoutumé d'y venir, ne trouve aucun obstacle pour y entrer, ni aucun changement sur les fonds qui le puisse effaroucher. Pendant que la marée monte, & amene avec elle le poisson, les pinasses des pêcheurs restent un peu éloignées du palet ; & d'abord qu'on a jugé que le poisson a monté, & qu'il est prêt à retourner, ce qui arrive immédiatement au plein de la marée ; autant de pinasse ou de tillolles qu'on a amarré de lignes à la tête du rets, viennent le relever & arrêter le filet de la tente en-haut de toutes les perches, ce qui ferme exactement toute l'enceinte, dont aucun poisson ne peut plus sortir, excepté les petits qui s'échappent au travers des mailles. Pendant que la marée se retire, le poisson se tient dans le fond du palet, où il y a plus d'eau qu'aux côtés qui sont élevés, jusqu'à ce qu'elle soit entierement écoulée : pour lors les pêcheurs ramassent tous les poissons qui se trouvent dans l'enceinte du palet.
Cette pêche est quelquefois si abondante, qu'on a vu prendre d'une seule tente de palet, jusqu'à cent charges de cheval de poisson de diverses especes : on y pêche des bars, des loubines, des sardines, des mulets & de toutes les autres especes de poissons, tant plats que ronds, qui viennent terrer à la côte, surtout durant l'été, & même jusqu'à des marsouins.
Avec des rets ayant les mailles de deux pouces en quarré, comme l'ordonnance l'a déterminé pour les bas-parcs, ces pêcheurs n'en feront pas moins une bonne pêche, & ne détruiront point le frai, ni les petits poissons, comme il arrive souvent.
Il y a autour du bassin d'Arcasson six tentes de palet, où l'on fait la pêche de la même maniere. Trois de ces tentes appartiennent aux pêcheurs de la tête, & sont placées au pié des dunes qui sont vers le cap Ferret, & à la bande du nord de la baie ; les trois autres sont au Pila à l'ouest du Ferret. Ceux qui veulent fournir des filets pour la tente, le peuvent faire, & y sont reçus à part : ces pêcheries sont libres & non exclusives. Il faut un tems calme pour faire cette pêche avec succès, parce qu'alors le poisson de tous genres monte en abondance & en troupe à la côte.
Avec ces rets à larges mailles, cette tente, comme nous venons de l'observer, ne peut être que très-lucrative & avantageuse à ces pêcheurs, parce que les fonds de cette baie sont excellens, ainsi que la qualité des poissons qui s'y prennent.
PALET, à la longue paume, ce sont des battoirs qui ont la queue plus courte que les autres, dont les tiers se servent pour mieux rabattre la bale. Voy. TIERS.
PALET, jeu du, s. m. ce jeu se joue à plusieurs personnes : on ne s'associe point ensemble ordinairement, quoique cela se puisse à la rigueur ; mais chacun est pour soi. On a chacun une pierre assez grande, platte, & ronde, ou un morceau de fer. Quand on a vu à qui joueroit le premier, ce qui se fait ou en jettant une piece de monnoie vers une brique, ou son palet même, le plus près de cette brique est le premier ; les autres selon qu'ils en sont plus près, ont leur rang qu'ils observent toute la partie. Le plus loin d'elle est le dernier & met le but. Quand cela est fait, chacun met la même piece de monnoie sur une autre pierre, qu'on appelle brique dans de certains pays, peut-être parce qu'étant de brique elle est plus commode, & dreu dans d'autres, & chacun joue à son tour. Il faut pour gagner renverser la brique avec son palet, & les liards ou autres pieces qui sont plus près du palet du joueur, ou de ceux qui ont été joués devant lui, que de la brique, appartiennent aux joueurs à qui sont ces palets. Quand tout ce qui n'est point à la brique est ramassé, les choses restent en cet état, & le suivant va jouer son coup ; s'il place son palet plus près des pieces qu'elles ne le sont de la brique, il les gagne ; & s'il en a envoyé quelqu'une vers les autres palets, les maîtres du palet de qui elle est la plus proche, les ramassent, & on rejoue jusqu'à ce que toutes les pieces soient gagnées de cette sorte. Si elles n'ont pas été renversées toutes ensemble de la brique, on y remet celles qui l'ont été. Si le vent, ou l'ébranlement de la terre les en avoient fait tomber, & non le palet, on les y remet encore. Si étant tombées elles touchent la brique toutes ou en partie, on ne peut gagner celles qui y sont appuyées qu'en la chassant. Un palet soutenu par la brique ne peut rien gagner, quand il couvriroit toutes les pieces. Quand deux palets se touchent, ce qu'on appelle vulgairement brûler, ils ne valent plus, & on les releve. Quand l'un de ces deux palets tient à la brique, on ne les releve point ; mais si le joueur dont le palet touche à la brique est à jouer devant l'autre, celui-ci avance son palet à la place du premier. Si les pieces sont l'une sur l'autre, la premiere qui est du côté des palets est plus près d'eux que de la brique, on la ramasse, & toutes celles qui sont trop loin de la brique ; les autres restent. On perd son coup lorsqu'on le joue devant son tour, parce que cela est de conséquence, le jeu pouvant être découvert alors, & les pieces sont plus aisées à gagner.
Le jeu du petit palet se joue avec des écus ou des morceaux de plomb ou de fer applatis, de leur grandeur. Il y a diverses manieres de jouer le jeu du petit palet : à but fixe, quand les joueurs ne changent point ce but de place : à but courant, quand on est convenu de le changer ; au clou, sur le bord d'une table, &c. Le but courant est d'autant plus amusant, qu'on semble ne faire que se promener ; il est même d'un avantage plus égal pour les joueurs ; puisque chacun ayant un jeu différent & une certaine portée où il joue mieux qu'à une distance plus ou moins grande, il peut jetter le but dans cette portée quand il a gagné le coup. Et d'ailleurs, ce but qu'il a jetté peut lui servir de regle pour mesurer son coup, qu'il joue tout de suite : au lieu qu'il est moins aisé de se regler au but fixe, où il y a toujours beaucoup d'intervalles entre les coups, & où l'on ne peut guere se ressouvenir du degré de force qu'on a donné à son palet le coup précédent ; l'habitude & le juste mouvement du bras dépendant moins d'une action fréquente & mécanique, que d'une considération réfléchie de l'effet qu'a produit cette action, il est clair que plus cet effet est éloigné de sa cause, plus il doit être difficile à connoître.
Au clou. Cette maniere est difficile, & demande beaucoup d'adresse : on plante un clou, ou quelque chose semblable, sur une table, sur un coffre, &c. celui qui en approche le plus près avec son palet gagne le coup.
Sur le bord d'une table. C'est sans contredit la maniere de jouer au petit palet la plus difficile ; puisqu'il faut toujours tâcher à mettre le plus près du bord qu'il est possible, & qu'on jette souvent son petit palet à bas.
Dans toutes ces manieres de jouer au petit palet, on peut être plusieurs : il n'y a guere de regles que celles qu'on établit sur les circonstances ; les rangs se prennent quelquefois au gré des joueurs, & quelquefois ils sont déterminés par le plus ou le moins d'éloignement qu'il y a du palet d'un joueur au but. On entend sans doute que ce sont toujours ceux qui mettent leur petit palet plus près de ce but, qui gagnent un, ou plusieurs points, s'ils y ont plusieurs palets. C'est aux joueurs à fixer le nombre des points qu'il faut pour faire une partie.
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PALETOT | S. m. (Ouvrage de Tailleur) c'est un juste-au-corps d'étoffe grossiere & sans manches, qui ne vient que jusqu'au genou, & dont sont vétus les paysans, principalement en Espagne. (D.J.)
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PALETTE | S. f. POCHE, CUILLIER, BEC A CUILLIER, PLAT, PALE, PALE PAUCHE, CUILLIER TRUBLE, POCHE, platea, leucorodius, albardeola, (Hist. nat. Ornithologie) Willughbi, (Pl. XI. figure 3.) oiseau qu'on ne peut confondre avec aucun autre par la forme singuliere de son bec, qui est plat dans toute sa longueur ; il s'élargit à son extrémité, où il a une figure presque ronde à-peu-près comme une cuillier ; ce qui a fait donner à cet oiseau le nom de bec à cuillier. La palette est en entier d'une belle couleur blanche, comme celle du cygne, à l'exception d'un peu de noir qui est sur les premieres des grandes plumes extérieures de l'aîle, & sur les premieres du second rang. On trouve cet oiseau en Europe ; il se perche & niche sur le sommet des arbres qui sont près de la mer ou de quelque fleuve ; il vit de poisson ; ses oeufs ressemblent à ceux de la poule ; ils sont blancs, & ils ont quelques taches de couleur de sang, ou d'un cendré roussâtre. Willughbi, Ornith. Voyez OISEAU. (I)
PALETTE DU MEXIQUE, platea mexicana, Tlauhquechul, oiseau qui ressemble beaucoup au précédent, & qui n'en differe qu'en ce qu'il est d'une belle couleur rouge ou d'un blanc rougeâtre ; le bec a une couleur cendrée ; la tête, le cou, & une partie de la poitrine, sont dégarnis de plumes & blancs ; il y a un large trait noir entre la tête & le cou. On trouve cet oiseau au Méxique sur le bord de la mer ou des fleuves. Willughbi, Ornith. Voyez OISEAU. (I)
PALETTE DU GENOU, voyez ROTULE.
PALETTE, terme de Chirurgie, petit vaisseau d'étain ou d'argent, qui reçoit le sang qu'on tire dans l'opération de la saignée.
On dit que ce mot vient de poëlette ou petite poële, & qu'on le trouve écrit ainsi dans Villon. Dionis écrit poilette, contre l'ancien usage, puisque Paré appelloit palette, l'espece de petite écuelle à une oreille, dont on s'est toujours servi pour mesurer le sang qu'on tire dans la saignée.
Chaque palette doit tenir trois onces, afin qu'on sache au juste la quantité de sang qu'on a tiré. La mesure ordinaire est de trois palettes dans les saignées communes ; on les met sur trois assiettes différentes, ou sur un plat où elles puissent être de niveau.
Il y a des circonstances qui exigent une saignée plus forte, & d'autres où l'on ne tire que deux palettes, & quelquefois une seulement.
Au rapport de Dionis, quand on saigne le roi ou quelqu'un de la famille royale, c'est le premier médecin qui tient la bougie ; il se fait un honneur de rendre ce service, aussi-bien que le premier apoticaire de tenir les palettes. S'il y avoit quelqu'un dans la chambre que le chirurgien ne crût pas de ses amis, il pourroit le faire sortir, parce qu'il ne faut point qu'il ait pour spectateurs des gens qui pourroient l'inquiéter & le chagriner par leur présence : aujourd'hui, continue l'auteur, on n'use plus de ce privilége. Toutes les fois, dit-il, que j'ai saigné madame la dauphine, ou quelqu'un des princes, la chambre étoit pleine de monde, & même monseigneur & les princes se mettoient sous le rideau du lit sans que cela m'embarrassât.
On est dans l'usage d'avoir des palettes numérotées ; ou bien le chirurgien les marque, en mettant un morceau de papier sur la premiere, deux sur la seconde, & trois sur la troisieme.
Dans les saignées du pié on ne se sert point de palettes ; on juge de la quantité du sang tiré, par le tems qu'il y a qu'il sort, comparé avec la grosseur du jet ; par la couleur plus ou moins rouge que l'eau reçoit, & par la teinture que cette eau communique à une serviette qu'on y trempe. Quelques chirurgiens mesurent avec un bâton la hauteur de l'eau, lorsque le pié y trempe. Ils retirent autant d'eau qu'ils veulent tirer de sang ; & après avoir ouvert la veine, ils en laissent sortir jusqu'à ce que l'eau soit au niveau de la marque faite au bâton. Voyez SAIGNEE. (Y)
PALETTE, (Méch.) est la même chose qu'aube dans les moulins à eau. Voyez AUBE.
PALETTE, (Peint.) la palette est une planche de bois qui est ordinairement de figure ovale. On y fait vers le bord un trou de figure ovale, assez grand pour pouvoir y passer tout le pouce de la main gauche, & un peu plus. Le bois de sa palette est d'ordinaire de pommier ou de noyer : on enduit le dessus de la palette, quand elle est neuve, d'huile de noix seccative à plusieurs reprises, jusqu'à ce que l'huile ne s'imbibe plus dans le bois. La palette supporte les couleurs broyées à l'huile qu'on arrange au bord d'en-haut par petits tas ; le milieu & le bas de la palette servent à faire les teintes & le mélange des couleurs avec le couteau qui doit être pour cet effet d'une lame extrêmement mince. Ceux qui travaillent à détrempe ont aussi une palette, mais elle est de fer blanc, pour pouvoir la mettre sur le feu lorsque la colle se fige sur la palette en travaillant.
On dit de certains tableaux, & on l'a dit de ceux de M. le Brun, qu'ils sentent la palette ; ces mots signifient que les couleurs n'en sont point assez vraies, que la nature y est mal caractérisée, & qu'on n'y trouve point cette parfaite imitation, seule capable de séduire & de tromper les yeux ; ce qui doit être un des premiers soins des maîtres de l'art. (D.J.)
PALETTE DU PEINTRE EN EMAIL, c'est un morceau d'agathe ou de verre, sur lequel il fait ses teintes avec son couteau à couleur.
PALETTE, en terme de Doreur sur bois, est une peau à longs poils montée en demi-cercle sur une petite planche de bois, qui entre dans un manche fendu à un bout, & garni à l'autre d'un pinceau. C'est avec cette peau qu'on a mouillée legerement avec la langue, qu'on prend les feuilles d'or, & qu'on les pose sur l'ouvrage. Voyez nos explications & nos Planches du Doreur, où l'on a représenté un ouvrier qui pose de l'or avec la palette sur une bordure montée sur le chevalet.
La palette du Doreur se définit encore un instrument fait de la queue de l'animal qu'on appelle petit-gris. Il sert à prendre les feuilles d'or de dessus le coussinet pour les placer & les étendre sur l'or couleur, si l'on dore en huile, ou sur l'assiette, si c'est en détrempe. (D.J.)
PALETTE, terme dont les Horlogers se servent pour désigner une petite aîle que la roue de rencontre pousse, & par laquelle elle entretient les vibrations du régulateur. Dans l'échappement ordinaire des montres, il y a deux palettes réservées sur la verge du balancier ; elles forment entr'elles un angle droit. Dans l'échappement à levier des pendules, les deux palettes sont sur deux tiges différentes. Voyez ÉCHAPPEMENT, VERGE, & nos Planches d'Horlogerie. (P)
PALETTE, (Imprimerie) les Imprimeurs nomment ainsi l'ustencile avec lequel ils relevent & rassemblent en un tas l'encre sur leur encrier, après qu'ils l'ont broyée, comme le bon usage l'exige. C'est une petite plaque de fer taillée en triangle, montée sur un manche de bois rond : elle sert aussi à prendre l'encre dans le barril en telle quantité qu'on en a besoin, & à la transporter dans l'encrier. Voyez nos Pl. d'Imprimerie & leur explication.
PALETTE, (Instrum. de jeu) petit battoir, ou instrument de bois, qui sert aux enfans à jouer. C'est de cette palette, que plusieurs outils ou instrumens qui servent à divers artisans & ouvriers, ont pris leur nom : quoiqu'il y en ait plusieurs qui n'y ont guere de rapport, soit pour la matiere, soit pour la figure. Savary. (D.J.)
PALETTE, (Poterie) les Potiers de terre fournalistes, c'est-à-dire, ceux qui ont été reçus à la cour des monnoies, pour faire exclusivement tous les fourneaux & creusets qu'on emploie à la fonte des métaux, ont diverses palettes de bois, qui sont presque leurs seuls instrumens pour dresser, battre, & arrondir leur ouvrage.
Les plus grandes de ces palettes sont ovales avec un manche, en tout parfaitement semblables à la palette des enfans ; les autres sont rondes ou échancrées en forme triangulaire ; d'autres enfin sont faites à la maniere d'un grand couteau, & ont une espece de tranchant ; ces dernieres servent à ôter & ratisser ce qu'il y a de trop sur les moules, ou aux ouvrages que les potiers font à la main, comme les fourneaux & les réchaux à blanchisseuses. Savary. (D.J.)
PALETTE, (chez les Potiers, les Faiseurs de creusets, &c.) est un instrument de bois, presque l'unique dont ils se servent pour former, battre, & arrondir leurs ouvrages. Voyez POTIER.
Ils en ont de plusieurs especes ; les plus larges sont de figure ovale avec un manche ; d'autres sont arrondies ou creusées triangulairement ; d'autres enfin ressemblent à deux couteaux larges ; elles servent à couper tout ce qu'il y a de superflu dans les moules de leurs ouvrages.
PALETTE, (Reliure) les Relieurs ont deux instrumens de ce nom : l'un & l'autre sont de petits fers qui servent à dorer.
La palette simple doit être de cuivre ; on l'appelle simple, parce qu'elle n'a qu'un filet : elle est emmanchée de bois. Voyez cet outil dans nos Planches. Il sert à côté des nerfs dans les entre-nerfs.
La palette à queue & des nerfs, est plus large que la palette simple : on l'emploie pour pousser au bas du dos des livres le dessein qui termine l'ornement, & quelquefois à la tête des volumes sur le dos ; c'est pourquoi on la nomme palette à queue ; on s'en sert aussi sur les nerfs. Voyez nos Planches de Reliure.
PALETTE A FORER, (Serrurerie) c'est un instrument qui sert aux Serruriers & autres ouvriers en fer, lorsqu'ils veulent percer ou forer quelque piece. La palette est de bois, de forme ovale, d'un pouce d'épais, avec un manche & quelquefois deux ; le tout d'un pié ou environ de long. Une bande ou morceau de fer de quatre à cinq pouces de longueur, & de quatre à cinq lignes d'épaisseur, percée de quelques trous qui ne la traversent pas tout-à-fait, est attachée dans le milieu de la palette. Lorsque l'ouvrier veut forer, il appuie la palette sur son estomac, & mettant la tête du foret dans l'un des trous de la bande de fer, il le fait tourner par le moyen de l'arçon ou archet, dont la corde passe sur la boîte du foret. (D.J.)
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PALEUR | S. f. (Médec.) obstacle quelconque, qui ne permet pas au sang de passer dans les arteres cutanées, où il passe ordinairement dans la circulation libre ; la nature & les causes de cet obstacle, en font une maladie plus ou moins grave.
La couleur des humeurs & des parties visibles qui est naturellement blanche, & d'un rouge vif & brillant, semblable à celle de la rose, dégénere en pâleur, par le défaut de préparation des humeurs, par le manquement des globules rouges, & par un commencement de corruption. Le changement de couleur s'observe dans le sang, les crachats, le pus, l'urine, & les autres humeurs, soit qu'elles s'écoulent, ou qu'elles croupissent dans leurs vaisseaux.
De-là naît la pâleur, qui accompagne les maladies de l'estomac, des intestins, des visceres, des poûmons. Le relâchement des parties, la foiblesse, la crudité des humeurs, le repos excessif du corps, les inquiétudes de l'esprit, le chagrin, le rallentissement de la circulation, les évacuations trop abondantes, soit des excrémens, soit de l'urine, les fleurs blanches, la gonorrhée, la salivation, causent aussi la pâleur. On observe encore la pâleur dans les femmes qui alaitent trop ; mais la pâleur disparoît dès qu'on a guéri les maladies qu'on vient de nommer par le secours des corroborans, & par l'exercice du corps.
Un commencement de corruption dans les humeurs, produit une plus grande pâleur, comme on le remarque dans le scorbut, la cachexie, le catarrhe, les pâles-couleurs, l'hydropisie, la leucophlegmatie, la passion hystérique, la suppression des mois, la vérole, & dans une longue maladie ; car il n'est guere possible de corriger toute la corruption. Outre les spécifiques propres à ces maladies, il faut employer les antiseptiques corroborans.
La pâleur produite par une trop grande évacuation du sang, qu'on a une fois arrêtée, doit être traitée par des alimens bien nourrissans pris en petite quantité, en même tems que par les stomachiques, & ensuite par les corroborans ; mais celle qui arrive dans la syncope, & qui est causée par un paroxysme fébrile, dont l'accès arrête sur le champ la circulation du sang dans les petits vaisseaux, se dissipe naturellement, ou à la faveur des frictions & des stimulans, si elle duroit trop long-tems. (D.J.)
PALEUR, (Mythol.) les Romains avoient fait un dieu de la pâleur, parce qu'en latin pallor est masculin. Tullus Hostilius, roi de Rome, dans un combat où ses troupes prénoient la fuite, fit voeu d'élever un temple à la Crainte & à la Pâleur ; ce temple fut en effet élevé hors de la ville. On lui donna des prêtres qui furent appellés palloriens, & on lui offrit en sacrifice un chien & une brebis. (D.J.)
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PALI | S. m. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté d'Abbeville ; c'est une sorte de rets ou filet tendu en maniere de haut parc.
Les rets de hauts parcs ou pali, sont de deux sortes ; les plus serrés ont neuf lignes & un pouce en quarré pour la pêche des maquereaux ou roblots, des harengs & autres poissons passagers ; les plus larges mailles ont dix-huit à dix-neuf lignes, & servent à la pêche des soles & autres poissons plats ; c'est plutôt une espece de cibaudiere non flottée ou montée sur piquets ; le pié du rets est enfoui dans le sable, sans quoi il seroit impossible d'arrêter aucun poisson autre que ceux qui se maillent ; ce qui n'arrive point au poisson plat, mais seulement au poisson rond, les premiers ne se prenant qu'au pié du filet, où ils restent à sec de basse marée.
Les rets de bas parcs commencent à être en regle par le soin & la vigilance des officiers du ressort, qui ont fait brûler à Berclk un grand nombre de filets abusifs par leur usage, & par la petitesse de leurs mailles ; ces rets ont leurs mailles de dix-neuf, vingt-une à vingt-trois lignes en quarré ; ces dernieres approchent fort de la police ordonnée par la déclaration de sa majesté du 18 Mars 1727.
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PALIACATE | (Géogr. mod.) autrement Palicat, Palicate, Paléacate, ville des Indes, sur la côte de Coromandel, au royaume de Carnate, sur la route de Masulipatan à Gaudicote, au nord de Madras, dans une plaine sablonneuse & stérile. Les Hollandois y ont un comptoir & un petit fort appellé le fort de Gueldres. Cette ville est peuplée de maures & de gentils. Long. 98. 8. lat. sept. 136. 30.
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PALIBOTHRA | (Géog. anc.) ville de l'Inde, en-deçà du Gange, suivant Ptolémée, liv. VII. ch. iv. cette ville est vraisemblablement la même que la Polibothra de Diodore de Sicile, liv. II. terme qui veut dire une ville dans un fond. (D.J.)
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PALIBOTRE | S. m. (Hist. anc.) nom que les rois de Perse ont long-tems porté dans l'antiquité ; ce nom venoit d'un roi persan très-révéré, dont il étoit le nom propre. Un souverain est bien vain d'oser prendre le nom d'un prédécesseur illustre ; conçoit-il la tâche qu'il s'impose ? la comparaison continuelle qu'on fera de lui avec celui dont il porte le nom ? Mais ce n'est pas la vanité des rois qui leur fait prendre un titre si incommode, & qui leur prescrit leur devoir chaque fois qu'on leur prononce, ou qu'on leur reproche d'y manquer ; c'est la bassesse des peuples qui le leur donne ; ou si ce n'est pas leur bassesse, mais une invitation honnête faite au prince de leur restituer l'homme chéri, le bon maître qu'ils ont perdu ; je les loue de ce moyen, quoiqu'il leur réussisse assez mal. Ce qui me fâche, c'est que l'avenir projettant les siecles les uns sur les autres, réduisant à rien la distance qui les sépare, le nom célebre d'un homme de bien se trouve deshonoré par la multitude des méchans qui l'ont osé prendre après lui ; un seul homme est chargé de l'iniquité d'une infinité d'autres. Les rois de Perse s'appelloient palibotres, comme les rois d'Egypte Pharaon, comme les rois de France aujourd'hui Louis.
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PALICA | (Géog. anc.) ville de Sicile selon Diodore & Etienne le Géographe. On en voit les ruines sur une hauteur au nord oriental du lac appellé Palicinus Fons, & Palicorum lacus ; c'est ce lac que les anciens nommoient stagnum Palicorum ; ils éprouvoient la vérité des sermens, en jettant dans ce lac des tablettes sur lesquelles le serment de celui qui juroit, étoit écrit ; si les tablettes s'enfonçoient, on le regardoit comme un parjure ; & si elles surnageoient, son serment passoit pour véritable. La ville Palica prit son nom d'un temple bâti dans le voisinage, & dans lequel on rendoit un culte aux dieux Palices.
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PALICE | LA (Géog. mod.) petite ville de France dans le Bourbonnois, sur la Besbre, entre Paris & Lyon. Il s'y tient plusieurs foires & marchés ; mais on n'y compte pas 400 habitans. Long. 20. 57. lat. 46. 33.
PALICES, DIEUX, (Mythol.) Palici dii, ces dieux Palices sont fort inconnus. Ils étoient fils de Jupiter & de la nymphe Thalie. Ce maître des dieux, dit la fable, craignant tout des emportemens de Junon, cacha sous terre son amante pendant le tems de sa grossesse. Elle ne reparut qu'après l'avoir fait pere de deux jumeaux. Dans la suite, les habitans de la Sicile les choisirent pour leurs dieux, & leur bâtirent auprès de la ville de Palica un temple magnifique qui en avoit pris son nom. Leur autel devint l'asyle des malheureux, & en particulier des esclaves fugitifs.
Diodore dit que dans le temple de ces dieux, on prêtoit les sermens qui regardoient les affaires les plus importantes, & que la punition suivoit toujours le parjure. La persuasion, ajoute-t-il, où l'on est de la sévérité des divinités qui l'habitent, fait qu'on termine les plus grands procès par la voie seule du serment, & qu'il n'y a point d'exemple que ces sermens aient été violés. Quelquefois on écrivoit son serment, qu'on jettoit dans un bassin d'eau, & le serment surnageant, l'accusé étoit absous. Il y avoit dans le voisinage de Palice, un lac appellé Palicorum stagnum, où l'on imagina d'éprouver de la même maniere la vérité des sermens. Le temple de Trézoene étoit aussi fameux par de pareilles épreuves. On trouve encore au bout de l'orient, dans le Japon, des usages semblables, fondés sur la simplicité des premiers tems, & sur la superstition commune à tous les peuples.
Enfin on juroit en Sicile, le long du fleuve Symethe, par les dieux Palices.
Symaethia circùm,
Flumina, pinguis ubi & placabilis ara Palici.
Aeneid. lib. IX. v. 584.
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PALICOT | ou PETIT PALET, s. m. terme de pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Bordeaux, est proprement une espece de cibaudiere, ou bas parcs. Voyez CIBAUDIERE, BAS PARCS, LETALET.
La pêche du palicot est la diminutive de celle du palet, dont on a fait la description à l'article PALET ; elle n'en differe qu'en ce que les lieux & les fonds du terrein où les pêcheurs la pratiquent, sont variables, & que ceux qui la font, plantent leurs petits pieux à chaque fois qu'ils veulent tendre leurs filets ; pour cet effet, ils embarquent dans une tillole ou pinasse, avec les filets qui doivent servir à la tessure du palicot, les pieux qui leur sont nécessaires. Cette petite tente se fait le long des bords des canaux ou cheneaux, dans les crassats ou petites gorges, dont la baie est toute bordée. Quand les pêcheurs ont reconnu par les traces du poisson, les lieux qu'il fréquente, ils plantent leurs pieux ou petits paux en demi-cercle ; & comme c'est toujours dans des lieux unis & plats, ils forment aux bouts de la tente plusieurs tours de rets qui sont amarrés à la tête des pieux, & arrêtés par le bas avec des crochets de bois de distance en distance, comme le filet du grand palet ; le poisson qui s'en retourneroit par les bouts de la tente se trouve ainsi retenu, parce qu'en suivant toujours le filet pour sortir & rencontrer un passage, il y est insensiblement arrêté jusqu'à la basse mer, qu'il reste alors à sec dans la pêcherie.
Cette pêche avec des rets d'une maille de deux pouces en quarré, ne pourroit faire aucun tort ; mais avec de petites mailles & très-serrées, il est certain qu'elle sera du-moins aussi nuisible que la seine & le coleret. Comme elle se fait sur les fonds plats, soit de sable, soit de vase, qui sont dans les fonds des gorges & des canaux, elle y détruit tout le fretin & le poisson du premier âge qui y éclôt & s'y multiplie d'autant mieux, que les côtes de la grande mer & de la baie ont les bords en talus, & les eaux si profondes, que le petit poisson n'y peut sejourner, en est même chassé & contraint de se réfugier dans le fond du bassin, où les vents ne levent jamais les lames, comme à la côte & à l'entrée des passes, où les tentes du palicot ne se peuvent aucunement pratiquer.
La tente du palicot est la même que les cibaudieres non flottées, ou montées sur piquets des pêcheurs flamands & picards, & les tessures & tessons des pêcheurs bretons. Les uns & les autres font à-peu-près leurs pêches de même, à la différence que les premiers ne se servent point de bateaux, qu'ils font pêche à pié, & qu'ils ne tendent leurs rets qu'aux bords de la grande côte, & souvent même plus à la basse eau, que ne sont placées les pêcheries exclusives construites sur les greves & les sables de la mer.
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PALICOURS | LES (Géogr. mod.) peuples sauvages de la France équinoxiale, entre les rivieres Epicouli & Agairi. Ils sont bien faits & affables envers les étrangers, que la traite du Lamentin attire chez eux.
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PALIER | ou REPOS, s. m. (Archit.) c'est un espace ou une sorte de grande marche entre les rampes & aux tournans d'un escalier. Les paliers doivent avoir au moins la largeur de deux marches dans les grands perrons, & ils doivent être aussi longs que larges, quand ils sont dans le retour des rampes des escaliers.
On appelle demi-palier, un palier qui est quarré sur la longueur des marches. Philibert Delorme nomme double marche, un palier triangulaire dans un escalier à vis.
Palier de communication ; on appelle ainsi le palier qui sépare & communique deux appartemens de plein pié.
Palier circulaire ; c'est le palier de la cage ronde ou ovale, d'un escalier en limace.
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PALIFICATION | S. f. (Archit. hydraul.) c'est l'action de fortifier un sol avec des pilotis. Dans les endroits humides ou marécageux, on enfonce ces pilotis avec un mouton, afin qu'on puisse bâtir dessus en toute sureté.
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PALILICIUM | S. m. (Astronom.) est le nom d'une étoile fixe de la premiere grandeur dans l'oeil du taureau. On l'appelle aussi aldebaran, & ce dernier nom est aujourd'hui plus en usage. Voyez ALDEBARAN & TAUREAU. Voyez aussi ASCENSION & DECLINAISON, vous y trouverez l'ascension droite & la déclinaison de cette étoile pour le milieu de ce siecle.
Pline donne le nom de palilicium aux hyades, dont palilicium est une étoile. Voyez HYADES. Chambers. (O)
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PALILIES | S. f. (Mythol.) fêtes célébrées en l'honneur de la déesse Palès, que les bergers prenoient pour leur divinité tutelaire, & celle de leurs troupeaux chez les Romains. On célébroit tous les ans le 19 Avril ces fêtes dans les campagnes. Ce jour-là les paysans avoient soin de se purifier avec des parfums mêlés de sang de cheval, de cendres d'un jeune veau qu'on avoit consumé dans le feu & de tiges de feves. On purifioit aussi les bergeries & les troupeaux avec de la fumée de sabine & de soufre ; ensuite on offroit en sacrifice à la déesse du lait, du vin cuit & du millet. La fête se terminoit par des feux de paille, & les jeunes gens sautoient par-dessus au son des flûtes, des timbales & des tambours. Ovide qui décrit au long toutes ces cérémonies, liv. IV. des fastes, ajoute qu'à pareil jour, Remus & Romulus avoient jetté les premiers fondemens de Rome. Cependant Manilius & Solin assurent que la premiere construction de cette ville se fit en automne. Quoi qu'il en soit, les palilies étoient fixées au mois d'Avril, & l'on en faisoit aussi la solemnité dans les villes, mais avec moins d'appareil qu'à la campagne, où on les croyoit très-salutaires pour écarter loin des bestiaux les loups & les maladies.
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PALIMBUAN | ou PALEMBAN, (Géograph. mod.) ville capitale d'un royaume de même nom, dans l'île de Sumatra, sur sa côte orientale. Long. 122. 45. lat. mérid. 3. 8.
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PALINDROME | S. m. (Belles Lettres) sorte de vers ou de discours qui se trouve toujours le même, soit qu'on le lise de gauche à droite, soit qu'on le lise de droite à gauche. Voyez RETROGRADE.
Ce mot est grec, , retro currens, courant en arriere, formé des mots , de nouveau, & , course.
On en cite pour exemple un vers attribué au diable.
Signa te, signa temerè me tangis & angis
Roma tibi subitò motibus ibit amor.
Mais des gens oisifs ont raffiné sur lui en composant des vers dont les mots séparés, & sans enjamber les uns sur les autres, sont toujours les mêmes de gauche à droite, ou de droite à gauche. Tel est l'exemple que nous en fournit Cambden.
Odo tenet mulum, madidam mappam tenet anna,
Anna tenet mappam madidam, mulum tenet odo.
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PALINDROMIE | S. f. (Médec. anc.) , de , derechef, & , courir, terme employé par Hippocrate & autres médecins grecs, pour signifier le retour ou reflux contre nature, des humeurs morbifiques, vers les parties intérieures & nobles du corps. Le remede est de les attirer de nouveau aux parties extérieures, d'en corriger la nature, & de les évacuer. (D.J.)
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PALINGENESE | secret pour ramener des choses détruites à leur premier état ; on s'en sert non-seulement à l'égard des corps destitués d'organes, mais encore à l'égard des plantes, & même des animaux.
A l'égard des corps destitués d'organes, les Chimistes prétendent que par leur art, on peut faire revenir un corps qu'on a détruit par le feu, & lui rendre sa premiere forme. Olaüs Borrichius dit que du vif-argent, qu'il avoit tourmenté durant un an entier par plusieurs feux, jusqu'à le réduire en eau, turbith, cendre, reprit sa premiere forme par l'attraction du sel de tartre. Il assure encore que le plomb étant reverberé en mercure, fondu en verre, réduit en ceruse, brûlé en litarge, reprend pareillement sa premiere forme dans un moment, quand on lui applique avec adresse un sel lixiviel. Cela ne peut se faire par ce moyen, mais bien par toute matiere grasse. M. Boyle a reconnu que le nitre se restitue, & se révivifie de maniere qu'après l'avoir fait passer par une longue suite d'opérations, il s'est à la fin retrouvé en son entier poids pour poids.
A l'égard des Plantes, écoutons M. Digby, (De la végét. des Plantes, part. II. p. 64.) grand admirateur des miracles de la palingénésie. " Nous pouvons, dit-il, ressusciter une plante morte, la rendre immortelle, & en la faisant revivre du milieu de ses cendres, lui donner une espece de corps glorifié, & tel, pour ainsi dire, que nous espérons voir le nôtre après la résurrection. Quercetan, médecin du roi Henri IV. nous raconte une histoire admirable d'un certain polonois, qui lui faisoit voir douze vaisseaux de verre, scellés hermétiquement, dans chacun desquels étoit contenue la substance d'une plante différente ; savoir dans l'un étoit une rose ; dans l'autre une tulipe, & ainsi du reste. Or il faut observer qu'en montrant chaque vaisseau, on n'y pouvoit remarquer autre chose, sinon un petit amas de cendres qui se voyoit dans le fond ; mais aussitôt qu'il l'exposoit sur une douce & médiocre chaleur, à cet instant même il apparoissoit peu-à-peu l'image d'une plante qui sortoit de son tombeau ou de sa cendre ; & dans chaque vaisseau les plantes & les fleurs se voyoient ressuscitées en leur entier, selon la nature de la cendre, dans laquelle leur image étoit invisiblement ensevelie. Chaque plante ou fleur croissoit de toutes parts en une juste & visible grandeur, sur laquelle étoient dépeintes ombratiquement leurs propres couleurs, figures, grandeurs, & autres accidens pareils ; mais avec telle exactitude & naïveté, que le sens auroit pû ici tromper la raison, pour croire que c'étoit des plantes & des fleurs substantielles & véritables. Or dès qu'il venoit à retirer le vaisseau de la chaleur, & qu'il l'exposoit à l'air, il arrivoit que la matiere & le vaisseau venant à se refroidir, l'on voyoit sensiblement que ces plantes ou fleurs commençoient à diminuer peu-à-peu, tellement que leur teint éclatant & vif, venant à pâlir, leur figure alors n'étoit plus qu'une ombre de la mort, qui disparoissoit soudain, & s'enveloppoit derechef sous les cendres. Tout cela, quand il vouloit approcher les vaisseaux, se réitéroit avec les mêmes circonstances. Athanase Kircher à Rome m'a souvent assuré pour certain qu'il avoit fait cette même expérience, & me communiqua le secret de la faire, quoique je n'aye jamais pû y parvenir, après beaucoup de travail ". Voici ce secret, qu'on nomme secret impérial, à cause que l'empereur Ferdinand III. qui l'avoit acheté d'un chimiste, le donna au P. Kircher, qui en a publié le procédé dans son mundus subterraneus. Lib. XII. sect. 4. c. v. exper. 1.
1. Prenez quatre livres de graines de la plante que vous desirez faire renaître de ses cendres ; cette graine doit être bien mûre. Pilez-la dans un mortier ; mettez le tout dans un vaisseau de verre, qui soit bien propre, & de la hauteur de la plante dont vous avez pris la graine ; bouchez exactement le vaisseau, & le gardez dans un lieu tempéré.
2. Choisissez un soir, où le ciel soit bien pur & bien serein, & exposez votre graine pilée à la rosée de la nuit dans un large plat, afin que la graine s'impregne fortement de la vertu vivifiante qui est dans la rosée.
3. Avec un grand linge bien net, attaché à quatre pieux dans un pré, ramassez huit pintes de cette même rosée, & la versez dans un vaisseau de verre qui soit propre.
4. Remettez vos graines imbibées de la rosée dans leur vaisseau, avant que le soleil se leve, parce qu'il feroit évaporer la rosée ; posez ce vaisseau, comme auparavant, dans un lieu tempéré.
5. Quand vous aurez amassé assez de rosée, il faut la filtrer, & puis la distiller, afin qu'il n'y reste rien d'impur. Les feces qui restent seront calcinées pour en tirer un sel qui fait plaisir à voir.
6. Versez la rosée distillée & imbue de ce sel sur les graines, & puis rebouchez le vaisseau avec du verre pilé & du borax. Le vaisseau en cet état est mis pour un mois dans du fumier neuf de cheval.
7. Retirez le vaisseau, vous verrez au fond la graine qui sera devenue comme de la gelée ; l'esprit sera comme une petite peau de diverses couleurs, qui surnage au-dessus de toute la matiere. Entre la peau & la substance limoneuse du fond, on remarque une espece de rosée verdâtre, qui représente une moisson.
8. Exposez durant l'été ce vaisseau bien bouché de jour au soleil, & de nuit à la lune. Lorsque le tems est brouillé & pluvieux, il faut le garder en un lieu sec & chaud, jusqu'au retour du beau tems. Il arrive quelquefois que cet ouvrage se perfectionne en deux mois, & quelquefois il y faut un an. Les marques du succès, c'est quand on voit que la substance limoneuse s'enfle & s'éleve, que la petite peau ou l'esprit diminue tous les jours, & que toute la matiere s'épaissit. Lorsqu'on voit dans le vaisseau, par la réflexion du soleil, naître des exhalaisons subtiles, & se former de legers nuages, ce sont les premiers rudimens de la plante naissante.
9. Enfin de toute cette matiere, il doit se former une poussiere bleue ; de cette poussiere, lorsqu'elle est élevée par la chaleur, il se forme un tronc, des feuilles, des fleurs, & en un mot on apperçoit l'apparition d'une plante qui sort du milieu de ses cendres. Dès que la chaleur cesse, tout le spectacle s'évanouit, toute la matiere se dérange & se précipite dans le fond du vaisseau pour y former un nouveau chaos. Le retour d'une nouvelle chaleur ressuscite toujours ce phénix végétal caché sous les cendres.
Pour les animaux, rapportons d'abord à ce sujet un passage de Gaffarel, dans ses curiosités inouies, pag. 100. " M. du Chêne (c'est le même qu'on vient de citer sous le nom de Quercetan), dit-il, un des meilleurs chimistes de notre siecle, rapporte qu'il a vû un très-habile polonois, médecin de Cracovie, qui conservoit dans des phioles la cendre de presque toutes les plantes ; de façon que, lorsque quelqu'un par curiosité, vouloit voir par exemple, une rose dans ces phioles, il prenoit celle dans laquelle la cendre du rosier étoit gardée, & la mettant sur une chandelle allumée, &c.... A présent, continue-t-il, ce secret n'est plus si rare, car M. de Claves, un des excellens chimistes de notre tems, le fait voir tous les jours. D'ici on peut tirer cette conséquence, que les ombres des trépassés, qu'on voit souvent paroître aux cimetieres, sont naturelles, étant la forme des corps enterrés en ces lieux, ou leur figure extérieure, non pas l'ame, ni des fantômes bâtis par les démons, ni des génies, comme quelques-uns ont cru. Il est certain que ces apparitions peuvent être fréquentes aux lieux où il s'est donné des batailles ; & ces ombres ne sont que les figures des corps morts, que la chaleur ou un petit vent doux, excite & éleve en l'air ". Voici quelque chose de plus réel, si tant est qu'on puisse compter sur la vérité du fait. C'est ce que le S. Schot rapporte du chimiste françois, qu'on a déja nommé, de Claves, qui faisoit voir à qui vouloit, la résurrection non-seulement des végétaux, mais celle d'un moineau. Non solum in vegetalibus se praestitisse, sed etiam in passerculo se vidisse, pro certo quidam mihi narravit. Et sunt qui publico scripto confirmarunt, quod hoc ipsum Claveus Gallus, quasi publicè pluribus demonstraverit. M. Digby a fait encore davantage : d'animaux morts, broyés, pilés, il en a tiré de vivans de la même espece. Voici comment il s'y prenoit, & c'est la derniere sorte de palingénésie dont nous ferons mention. " Qu'on lave des écrevisses pour en ôter la terre fretée, qu'on les cuise durant deux heures dans une suffisante quantité d'eau de pluie ; gardez cette décoction ; mettez les écrevisses dans un alambic de terre, & les distillez jusqu'à ce qu'il ne monte plus rien ; conservez cette liqueur, calcinez ce qui reste au fond de l'alambic, & le réduisez en cendres par le réverbératoire, desquelles cendres vous tirerez le sel avec votre premiere décoction ; filtrez ce sel, & lui ôtez toute son humidité superflue ; sur ce sel, qui vous restera fixe, versez la liqueur que vous avez tiré par distillation, & mettez cela dans un lieu humide, comme dans du fumier, afin qu'il pourrisse, & dans peu de jours vous verrez dans cette liqueur de petites écrevisses se mouvoir, & qui ne seront pas plus grosses que des grains de millet. Il les faut nourrir avec du sang de boeuf jusqu'à ce qu'elles soient devenues grosses comme une noisette ; il les faut mettre ensuite dans une auge de bois remplie d'eau de riviere avec du sang de boeuf, & renouveller l'eau tous les trois jours. De cette maniere, vous aurez des écrevisses de la grandeur que vous voudrez " Recueil des secrets, pag. 74, 76. Voilà bien des expériences ; mais peut-on s'en promettre une réussite constante, ou même fréquente ? C'est ce que j'ai peine à croire ; je juge même que la derniere est absolument impossible.
PALINGENESIE, (Critiq. sacrée) régénération ; ce mot est grec, , ne se trouve que dans deux endroits de l'Ecriture, savoir dans saint Mat. ch. xix. v. 28. & dans l'épître à Tite, ch. iij. v. 5. Dans saint Matthieu il signifie la résurrection, & rien n'empêche de prendre ce mot en ce sens ; dans Tite l'ablution de la régénération, , est la purification par le baptême, qui peut être regardé comme le sceau de la résurrection des morts. Dans les écrivains ecclésiastiques, Eusebe, Polycarpe, Théodoret, , veut dire aussi la résurrection. Hésiode appelle , l'âge où tout est renouvellé, c'est l'âge d'or. Le renouvellement de vie du chrétien, est aussi ce que l'on entend par régénération, espece de résurrection dans un sens figuré. (D.J.)
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PALINOD | S. m. (Poësie) espece de poësie, chant royal, & ballade, qu'on faisoit autrefois en l'honneur de la vierge à Caen, à Rouen, & à Dieppe ; mais il n'y a plus que les écoliers & les poëtes médiocres qui fassent des palinods.
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PALINODIE | S. f. (Belles Lettres) discours par lequel on rétracte ce que l'on avoit avancé dans un discours précédent. De-là vient cette phrase, palinodiam canere, chanter la palinodie, c'est-à-dire faire une rétractation. Voyez RETRACTATION.
Ce mot vient du grec , de nouveau, de rechef, & , chanter, ou , chant, en latin recantatio, ce qui signifie proprement un désaveu de ce qu'on avoit dit : c'est pourquoi tout poëme, & en général toute piece qui contient une rétractation de quelque offense faite par un poëte à qui que ce soit, s'appelle palinodie.
On en attribue l'origine au poëte Stesichore & à cette occasion. Il avoit maltraité Hélene dans un poëme fait à dessein contr'elle. Castor & Pollux, au rapport de Platon, vengerent leur soeur outragée en frappant d'aveuglement le poëte satyrique ; & pour recouvrer la vûe, Stesichore fut obligé de chanter la palinodie. Il composa en effet un autre poëme, en soutenant qu'Hélene n'avoit jamais abordé en Phrygie. Il louoit également ses charmes & sa vertu, & félicitoit Menélas d'avoir obtenu la préférence sur ses rivaux.
Les premiers défenseurs de la religion chrétienne, saint Justin, saint Clément, & Eusebe, ont cité sous ce titre une hymne qu'ils attribuent à Orphée : elle est fort belle pour le fond des choses & pour la grandeur des images ; le lecteur en va juger, même par une foible traduction.
" Tel est l'Etre suprême que le ciel tout entier ne fait que sa couronne ; il est assis sur un trône d'or, & entouré d'anges infatigables ; ses piés touchent la terre ; de sa droite il atteint jusqu'aux extrémités de l'Océan, à son aspect les plus hautes montagnes tremblent, & les mers frissonnent dans leurs plus profonds abîmes. "
Mais il est difficile de se persuader qu'Orphée qui avoit établi dans la Grece jusqu'à trois cent divinités, ait pû changer ainsi de sentiment, chanter une semblable palinodie ; aussi la critique range celle-ci parmi les fraudes pieuses qui ne furent pas inconnues aux premiers siecles du christianisme.
La sixieme ode du premier livre des Odes d'Horace, qui commence par ces mots, ô matre pulchra filia pulchrior, est une vraie palinodie, mais la plus mignone & la plus délicate.
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PALINTOCIE | S. m. (Mytholog.) nom tiré du grec , de nouveau, & , du verbe , je mets au monde, par lequel les anciens exprimoient la renaissance, ou la seconde naissance d'un enfant. Il n'y a guere que la fable de Bacchus tiré des entrailles de sa mere expirante, renfermé ensuite dans la cuisse de Jupiter, d'où il sortit à terme, à laquelle on puisse ajouter une pareille expression.
Palintocie est aussi en usage pour signifier la restitution d'une usure, ou le remboursement des intérêts. Les habitans de Mégare, après avoir chassé leur tyran, ordonnerent la palintocie, c'est-à-dire qu'ils obligerent par une loi tous les créanciers à rembourser à leurs débiteurs les intérêts qu'ils avoient reçus de ceux-ci pour toutes les sommes prêtées. Voyez INTERET & USURE.
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PALINURUS | (Géog. anc.) promontoire d'Italie, à l'extrémité du golfe Paestanus, aujourd'hui le cap Palinure, Palenudo, ou Palmiro. Virgile raconte que ce cap a pris son nom de Palinure, pilote d'Enée, qui étant accablé de sommeil, se laissa tomber dans la mer avec son gouvernail. Les flots ayant porté son corps jusqu'au port de Velia, les habitans le dépouillerent & le rejetterent dans la mer, ce qui leur attira une grande peste : peu de tems après, ayant consulté sur ce fléau l'oracle d'Apollon, il leur fut répondu d'appaiser les manes de Palinure ; après cette réponse ils lui dédierent un bois sacré, & lui éleverent un tombeau sur le promontoire voisin, qui a retenu le nom de Palinure.
Et statuent tumulum, & tumulo solemnia mittent,
Aeternumque locus Palinuri nomen habebit.
Aenéid. l. VI. v. 380.
Pline, Mela, Paterculus en parlent ; mais Denis d'Halicarnasse est le seul qui y joigne un port de même nom. (D.J.)
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PALIQUES | S. m. pl. (Mythol.) c'est ainsi que l'on a nommé deux enfans jumeaux que Jupiter eut de la nymphe Thalie. Thalie craignit tellement la colere de Junon, qu'elle pria la Terre de l'engloutir. Elle fut exaucée. Elle accoucha dans le sein de la Terre de deux enfans qui en sortirent un jour par une seconde ouverture. Ces deux enfans appellés paliques de leur renaissance, furent adorés comme des dieux. Il se forma sur la seconde ouverture une fontaine qu'on nomma paliune, & qui étoit en telle vénération, qu'elle servoit à l'épreuve des parjures. L'accusé écrivoit sur des tablettes ce qu'il prétendoit être vrai, & les jettoit dans l'eau ; si elles demeuroient suspendues à la surface, il étoit innocent, si elles alloient au fond, il étoit coupable. On sacrifioit aux dieux paliques des victimes humaines ; toutes ces merveilles se passerent en Sicile, où la coûtume barbare de répandre le sang humain aux autels des paliques, fut abolie avec le tems. Voyez PALICES.
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PALIR | Voyez PALE & PALEUR. Les passions qui viennent presque toutes se répandre sur le visage, y produisent des effets si différens, qu'il ne nous manque que plus d'expérience & de meilleurs yeux pour les y reconnoître comme dans un miroir fidele, & lire sur le front de l'homme l'histoire de son ame, à mesure qu'elle se forme, ses desirs, ses haines, ses aversions, la colere, la peur, l'incertitude, &c. La honte fait rougir ; la crainte fait pâlir.
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PALIS | S. m. (Charpenterie) c'est un petit pal pointu, dont plusieurs arrangés ensemble, font une clôture ou séparation dans des cours, ou dans des jardins. (D.J.)
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PALISSADES | S. f. pl. en terme de Fortification, sont des pieux de chêne épointés, d'environ neuf piés de hauteur, qu'on enfonce de trois dans les terres. On en met sur la banquette du chemin couvert, & on s'en sert aussi pour faire des retranchemens dans les ouvrages qu'on veut disputer à l'ennemi ; on les met à deux pouces ou deux pouces & demi les uns des autres ; les pieux des palissades sont quarrés & rangés en losange, c'est-à-dire qu'ils ont deux angles sur la ligne, un angle du côté de la campagne, & l'autre angle du côté de la place. Les palissades sont debout ou à-peu-près perpendiculaires à l'horison, en quoi elles different des fraises dont les pieux sont posés presque horisontalement. Voyez FRAISE.
Les palissades servent à fortifier les avenues des postes ouverts, des gorges, des demi-lunes, le fond des fossés, les parapets des chemins couverts, & en général tous les postes où l'on craint des surprises & dont les approches sont faciles.
Il y a différens sentimens sur la maniere de planter les palissades. M. le maréchal de Vauban a fait une dissertation sur ce sujet dont on croit devoir donner ici l'extrait.
" On plante les palissades des chemins couverts de quatre manieres différentes.
La premiere & la plus ancienne est celle qui les établit sur le haut du parapet, à deux piés près du bord qu'elle surmonte ordinairement de trois piés & demi ; les meilleures qualités de ces palissades sont d'empêcher les bestiaux d'entrer dans le chemin couvert, & de faire obstacle à ceux qui voudroient insulter les chemins couverts avant l'ouverture des tranchées ; les mauvaises sont, 1°. de servir de mantelet à l'ennemi, & de lui rompre la plus grande partie du feu de la place, quand il est appuyé contre ; 2°. d'être aisée à couper, parce qu'elle se peut aborder de plain pié ; 3°. de ne pouvoir remplacer les rompues dans une attaque sans se mettre à découvert ; 4° d'être fort sujets aux éclats de canon quand l'ennemi vient attaquer le chemin couvert, il en fait rompre ce qu'il lui plaît par ses batteries, pour lui faire des ouvertures sans que les assiégés y puissent remédier ; c'est pourquoi on ne s'en sert plus ".
M. Blondel les avoit condamnés avant M. de Vauban, parce que, dit-il, il est facile d'en rompre avec le canon, telle quantité que l'on veut, & d'en garder ce qu'on juge à propos pour s'en servir à appuyer les fascines & autres matieres que l'on porte pour se couvrir. Les Espagnols les plantoient autrefois de cette maniere, selon que leur reproche M. Coulon : voici ce qu'il dit dans ses Mémoires pour l'attaque & pour la défense.
" De la maniere que les Espagnols mettent leurs palissades, qui étant sur le parapet du chemin couvert, ôtent la moitié du feu de la place, & donnent aux travailleurs la faculté de faire le logement ; quoique naturellement bêtes, les soldats ne savent ce qu'ils font ni où on les mene ; mais dans cette rencontre n'étant question que d'aller en avant, ils marchent avec les ingénieurs & après leurs officiers, jusqu'à ce que la palissade leur donne contre la tête ou contre l'estomac, les oblige à laisser tomber la fascine à leurs piés, ce qui trace le logement, lequel se perfectionne sans peine par le savoir faire des ingénieurs.
La deuxieme, est celle où l'on les plante en dedans le chemin couvert, & joignant le parapet contre lequel elles sont appuyées, & le surmontent de trois piés & demi. Les bonnes qualités de cette deuxieme espece de palissades, sont de pouvoir remplir les rompues à couvert, & d'empêcher les bestiaux & l'insulte prématurée du chemin couvert, comme à la précédente ; du surplus, elle en a tous les autres défauts, c'est pourquoi on ne s'en sert point présentement.
La troisieme, est celles qui sont plantées sur les banquettes, près du bas du parapet, à la distance d'un pié & demi de haut, à mesurer de l'intérieur du linteau au sommet dudit parapet, la pointe surmontant d'un pié ; les bonnes qualités de cette troisieme espece sont, 1°. de ne pouvoir être coupée ; 2°. de ne pouvoir être enlevée que très-difficilement & avec grand péril ; 3°. de ne pouvoir être presque point endommagée du canon, parce que ne pouvant en toucher que les pointes, il n'y fait pas grand éclat, ne déplace jamais les corps des palissades, & ne plonge que très-rarement jusqu'au linteau ; 4°. de pouvoir remplacer & ôter en sureté celles qui viennent à manquer, parce que l'on peut le faire à couvert ; 5°. de ne faire nul embarras dans le chemin couvert, étant jointe au parapet, à qui elle fait même un bel ornement. Elle a pour défaut, 1°. l'arrangement des sacs à terre, qu'on ne sauroit placer qu'en se mettant à découvert, ou en les soutenant avec des especes de chevalets par-derriere ; l'un est difficile & embarrassant & l'autre trop dangereux ; 2°. supposant les sacs à terre arrangés sur le haut du parapet, on ne peut tirer que directement devant soi, parce que l'entre-deux des palissades & les creneaux de sacs à terre ne permettent pas le biaisement du mousquet à droite ou à gauche ; 3°. on lui reproche encore que les barrieres, qui obligent à défiler les gens commandés pour sortir, les font trop découvrir, & empêchent que les sorties ne soient d'un si grand effet, ce qui n'exclut pas cependant les barrieres, puisqu'il est nécessaire d'en avoir, non-seulement pour les entrées & les sorties de la cavalerie, mais encore pour l'infanterie ; ainsi ce défaut ne peut être considéré que comme un défaut mêlé de bonnes qualités : cette maniere de planter les palissades est en usage dans toutes nos places.
La quatrieme maniere est nouvelle, & n'a été pratiquée que dans trois ou quatre sieges, où l'on prétend s'en être bien trouvé. On plante la palissade à quatre piés & demi ou cinq piés près du parapet, dont elle égale la hauteur ; on la coupe par les barrieres & des petits passages de trois piés & demi d'ouverture, de dix toises en dix toises. Cette espece de palissade a pour bonnes qualités, 1°. d'être encore moins sujette aux éclats du canon que la précédente, parce qu'il ne la voit point du tout ; 2°. de ne pouvoir être sautée ni coupée lorsque les assiégés la défendront de pié ferme, car autrement elle seroit plus aisée à couper que la précédente, parce que l'ennemi en se jettant entre la palissade & le parapet, peut y être à demi-couvert par la palissade même ; 3°. la facilité de remplacer les parties rompues à couvert ; 4°. la commodité de l'arrangement des sacs à terre qui se fait aussi à couvert ; 5°. celles des sorties à l'improviste qui peuvent passer par-dessus le parapet & y rentrer de même en s'y jettant ; 6°. le moyen de pouvoir mieux défendre le chemin couvert de pié ferme en se tenant collé contre le derriere de la palissade ; celui-ci est très-hasardeux & peu pratiquable. Ses défauts sont, 1°. d'être fort plongé de front & par les côtés du feu de l'ennemi quand il gagne le haut du parapet ; 2°. d'exposer les gens qui défendent le chemin couvert de pié ferme au feu hasardé du rampart & des demi-lunes qui les protegent ; donc les parapets étant fort en desordre dans le tems des attaques, il est presque impossible que ceux de la place n'en échappent beaucoup sur les leurs quand elle se fait de jour, & à plus forte raison quand elle se fait de nuit, ce qui joint à la quantité de grenades qui tombent là de la part des assiégeans, rendent cette défense extraordinairement dangereuse pendant le jour, & absolument insoutenable pendant la nuit ; 3°. elle expose beaucoup les soldats qui sont entre le parapet & la palissade, tant à l'éclat des grenades qu'au péril de ne pouvoir se retirer à tems, quand l'ennemi sort de ses places d'armes pour l'attaquer ; 4°. les bords du parapet sont en peu de tems étrangement ébranlés par les sorties & la rentrée des troupes qui s'y précipitent plutôt qu'ils ne s'y jettent ; ce défaut est médiocre & facile à réparer. "
M. de Vauban dit avoir vû une autre espece de palissade la campagne d'Hollande, au chemin couvert de Nimegue, sur le haut du parapet : " ce n'étoit, dit-il, que des piés d'arbres branchus, plantés par la tige avec les principales branches, aiguisées comme elles se trouvoient, de trois ou quatre piés de long, recroisés & embarrassés l'une dans l'autre ; elle a cela de commun avec celle des lignes d'Alesia. Elle seroit plus propre à de semblables retranchemens qu'à border un chemin couvert ; elle a tous les défauts de la premiere & seconde espece, c'est pourquoi elle ne mérite pas de tenir place ici.
Il y a des ingénieurs qui doublent les palissades des places d'armes sur les angles rentrans suivant la méthode des troisiemes & quatriemes especes, pour les pouvoir défendre de pié ferme : on prétend s'en être bien trouvé à Grave, Mayence, & en dernier lieu à Keisevert.
Il est sans difficulté que les palissades de la troisieme & quatrieme especes sont les meilleures, mais l'une & l'autre ont de très-grands défauts ; la derniere est à préférer à l'autre, parce qu'on hasarde moins à défendre le chemin couvert de pié ferme à celle-ci ; la place pouvant en certains cas, & en plein jour, hasarder de tirer par-dessus la tête de ceux qui la défendent, parce qu'ils sont plus bas, mais non à l'autre où on est plus élevé. La meilleure défense des chemins couverts n'est pas à mon sens celle de pié ferme, il en coûte trop, & tôt ou tard vous en êtes chassés avec perte : j'aimerois mieux la défendre en cédant les parties plus à portée de l'ennemi, & y revenant après lui avoir fait essuyer une demi-heure ou trois quarts d'heure le feu de la place & des dehors, dont les défenses étant bien bordées & non contraintes, doivent pour-lors faire un grand effet : on pourroit au plus soutenir les places d'armes de pié ferme au moyen des doubles palissades, pendant que le feu de la place agissant à droite & à gauche sur les angles saillans, ne laisseroit pas d'être encore fort dangereux, même de jour, parce que le soldat est maladroit & ne prend pas assez garde où il tire ; c'est pourquoi je tiens que le meilleur parti à prendre, du-moins le plus sûr, est de ne tenir que peu de monde dans le chemin couvert, avec ordre de se retirer aux places d'armes plus voisines de la gauche des attaques, où il faudroit tenir de forts détachemens prêts pour revenir de part & d'autre, les uns par-dessus le glacis, & les autres par le chemin couvert, ce qui sera bon à répéter diversement, tant qu'elles réussiront.
Le vrai parti à prendre en ce fait, est de planter la haute palissade, quand on gasonne le parapet du chemin couvert tout autour de la place, de l'entretenir à perpétuité, & de tenir la basse en reserve dans des magasins ou en piles de charbonnier couvertes de paille, pour ne la planter que dans le tems d'un siege, & seulement quand les attaques seront déclarées, & sur le long du front ; il n'en faudra pas pour cela mettre en provision davantage, je serois même d'avis de ne doubler la palissade qu'aux places d'armes des angles rentrans, comme les seules parties qu'on peut soutenir de pié ferme, ne me paroissant pas qu'il y en ait d'autres que celle-là qui le puisse être ; & quant à la haute palissade, on peut la corriger & la planter en espaçant, tant plein que vuide, un clou coudé avec une pointe élevée de trois pouces, occupant le milieu du vuide, & tenant dans le bois par une autre pointe à-peu-près de pareille grandeur, bien ébarbilée & enfoncée à force dans le linteau, après avoir été précédée d'un petit trou de vilebrequin & battu jusqu'à ce que tout le coude soit entré dans le bois, pour lequel faciliter, il y faut une petite coche avec un fermoir ou ciseau ; la pointe dudit clou s'alignant avec la palissade dont le linteau doit être chevillé à un pié ou cinq pouces plus bas que le sommet du parapet, lequel sommet sera surmonté de neuf pouces par la pointe de la palissade qui sera aussi aiguisée de douze de long, & plantée de six ou huit pouces près du pié du parapet, ensorte que de ladite palissade au sommet, il y ait un pié & demi de distance mesuré horisontalement, l'épaisseur de la palissade non compris ; ce qui fera deux piés d'éloignement du soldat qui tire au sommet du parapet, supposant après que les sacs à terre un peu applatis occupent un pié de large ; le fusil qui en a trois & huit pouces de canon, passera de huit pouces au-delà des sacs à terre, ce qui est ce que l'on peut desirer de mieux en cas pareil ". Dissertation de M. de Vauban, sur la maniere de planter les palissades.
Il est incontestable qu'en ouvrant davantage l'entre-deux des palissades, en aiguisant les pointes de plus loin, & en ne les faisant surmonter le parapet que de neuf pouces, on remédie, ainsi que dit M. de Vauban, aux éclats, au défaut de ne pouvoir assez biaiser du mousquet, & à la difficulté d'arranger les sacs à terre ; cependant dans les dernieres défenses des places, cette méthode n'a pas entierement été suivie ; on a supprimé le clou coudé & on a rapproché les palissades à la distance de quatre pouces les unes des autres.
M. de Coëhorn a donné une nouvelle maniere de palissades, faites ensorte qu'on les peut mettre debout & les baisser quand on veut. Elles sont attachées le long d'un arbre tournant, long environ de deux toises, & enclavé dans les têtes de deux pieux plantés en terre. Il fait grand cas de ces sortes de palissades ; premierement, pour l'épargne, parce qu'on ne les met qu'au tems d'attaque ; secondement, pour ne pouvoir être ruinées par le canon, parce qu'elles ne sont vûes des assiégeans pendant le jour que lorsqu'on donne l'assaut au chemin couvert. Tout ce qu'on peut dire contre ces palissades, c'est que si un poteau ou un pieux vient à être renversé par une bombe, l'espace de quatre toises se trouve sans palissades pendant un certain tems. Traité de la sureté des états par le moyen de forteresses. (Q)
PALISSADES TOURNANTES, sont celles de l'invention de M. Coëhorn, qui se tournent de haut en bas. Voyez PALISSADES.
PALISSADE, s. f. (Jardin) espece de barriere de pieux fichés en terre à claire voie, qu'on fait au lieu d'un petit fossé, aux bouts d'une avenue nouvellement plantée, pour empêcher que les charrois n'endommagent les jeunes arbres.
Palissade de jardin, c'est un rang d'arbres feuillus par le pié, & taillés en maniere de mur le long des allées, ou contre les murailles d'un jardin. Les palissades de charme sont celles qui viennent les plus hautes, & qui s'unissent le mieux. On fait de petites palissades avec de la charmille, des ifs, des buis, &c. pour les allées ; & des palissades à hauteur d'appui, avec du jasmin, des grenadiers, & sur-tout du filaria, qui est très-propre pour les palissades de moyenne hauteur. Il y a aussi des palissades à banquettes, qui n'excedent jamais trois piés & demi. Elles servent à borner les allées lorsqu'on ne veut plus borner toutes les vues d'un jardin. On y met des arbres d'espace en espace, & quand on veut les décorer, on y enclave des ormes à tête ronde.
La hauteur d'une palissade en général, doit être les deux tiers de la largeur de l'allée. Les palissades plus hautes font paroître les allées étroites, & les rendent tristes. Leur beauté consiste à être bien garnies par le bas ; lorsqu'elles se dégarnissent, on y rémedie avec des ifs soutenus d'un petit treillage : on les tond ordinairement des deux côtés à-plomb.
Les utilités des palissades consistent, 1°. à couvrir les murs de clôture, pour boucher en des endroits des vûes désagréables, & en ouvrir d'autres : 2°. à corriger & à racheter les biais qui souvent se trouvent dans un terrein, & les coudes que forment certains murs : 3°. à servir de clôture aux bosquets, cloitres & autres compartimens qui doivent être séparés, & où l'on pratique d'espace en espace des renforcemens le long des allées : 4°. à revêtir le mur d'appui d'une terrasse : 5°. à former des niches qui décorent des jets d'eau, des figures, ou des vases : 6°. enfin à dresser des portiques, & à former des galeries & des arcades.
On appelle palissades crénelées les palissades qui sont couvertes d'espace en espace en maniere de créneaux au-dessus d'une hauteur d'appui, comme il y en a, par exemple, autour de la piece d'eau appellée l'île royale, à Versailles.
Tondre une palissade, c'est la dresser avec le croissant, qui est une espece de faulx. Daviler. (D.J.)
PALISSADE, ARBRE DE, (Hist. nat.) arbre de l'Amérique méridionale, qui se trouve sur-tout à Surinam. Les Indiens s'en servent pour construire leurs cabanes. Il porte des fleurs en si grande abondance, que ses rameaux s'affaissent sous son poids ; ces rameaux ressemblent à des balais de bouleau. Les gousses que produit cet arbre contiennent une graine semblable à du millet.
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PALISSAIRE | PALISSAIRE
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PALISSE | adj. en terme de Blason, se dit d'un rang de palissades représentées sur une fasce, qui s'élevent d'une hauteur considérable, & qui sont aiguisées par le bout d'en-haut, à-travers lesquelles on apperçoit le champ. Voyez nos Pl. hérald.
Il se dit aussi chez nous des pieces à paux au fasce, aiguisées & enclavées les unes dans les autres.
Die Mystinkofe à Lubeck, d'azur à trois troncs écotés d'or, enclos dans une enceinte ronde palissée de même.
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PALISSER | PALISSAGE, (Jardinage) le palissage est l'art de placer & d'attacher sur des murailles, ou sur des treillages, dans un certain ordre, les branches des arbres qui sont plantés à leur pié.
Ce travail se fait au printems, durant la taille & suivant les divers bourgeons qui ont poussé depuis cette taille ; on recommence en été d'attacher chaque branche & chaque bourgeon au treillage, qui couvre le mur, ou à la loque qu'on y a mise.
Le palissage n'est pas plus dans l'ordre de la nature, que la transplantation, la taille & l'ébourgeonnement ; cette opération demande que les arbres soient dans leur liberté, dardant en avant leurs rameaux pour suivre la direction & l'impression de l'air. En effet, on a beau retenir, arrêter, attacher avec du jonc ou de l'osier les bourgeons, ils s'écartent toujours du mur par leurs extrémités. L'air est autant l'élement des branches & des rameaux, que la terre est celui des racines. Les arbres en plein vent ne cherchent qu'à s'étendre ; on les voit passer horisontalement leurs rameaux allongés, en même tems qu'ils élevent leurs cimes vers le ciel, quelques efforts même que l'on fasse, la nature revient à son premier principe. Juvenal, Satyre xiij. v. 239. tamen ad mores natura recurrit. Si vous laissez une année les arbres d'un espalier sans les tailler, les ébourgeonner & les palisser, ils deviendront aussitôt des buissons, ou des arbres de haute tige.
On a deux objets dans le palissage ; le premier, l'utilité ; le second, l'agrément de plaire aux yeux.
L'utilité se tire d'une bonne taille, & procure sûrement l'abondance, une plus prompte maturité, & une fécondité successive & perpétuée dans un arbre.
On n'a d'autre vûe dans le second objet, que de bien étendre les branches d'un arbre, de maniere qu'il couvre exactement toutes les parties d'un mur ; rien ne cause plus de plaisir aux yeux, que de voir la verdure mêlée avec le coloris charmant que prennent les fruits quand ils sont bien gouvernés.
Le palissage contribue à une plus prompte maturité des fruits, la branche étant plus exposée à l'air, aux rosées, & aux pluies fécondes. Au lieu que dans les arbres en buisson, ou à plein vent, l'air passe & traverse de toutes parts ; mais aux espaliers il est brisé, & il n'a point le même jeu ni la même action : ainsi le mur arrête la réverbération du soleil & en fixe la chaleur sur les fruits, qui prennent du goût & de la saveur pour peu qu'ils soient dégagés des touffes de feuilles & de bourgeons : si au contraire ces fruits étoient offusqués par un palissage trop garni, ils ne recevroient pas du soleil cette teinte brillante dont lui seul est capable de les peindre & de les colorer. Il est certain que plus le fruit approche de la muraille, plus il a de goût, & qu'il mûrit plus promptement.
On palisse les arbres ordinairement avec de l'osier ou du jonc, sur des treillages de bois, ou de fil-de-fer, en étendant les branches pour couvrir le mur où elles sont liées ; mais si le mur est enduit de plâtre, on se sert de clous où l'on arrête la branche passée dans un petit morceau d'étoffe appellé loque. De cette maniere le bois ni le fil-de-fer ne blessent point la chair des fruits ; outre que par cet enduit du mur on ne voit point manger les fruits par les lésards, limaçons, perce-oreilles, courcillieres, qui se retirent dans les trous & joints des pierres, inévitables dans les murs qui ne sont point gobetés.
On trouvera la maniere de palisser & d'arranger les branches d'un arbre en espalier à l'article de la TAILLE, où cette méthode sera traitée à fond, suivant les nouvelles découvertes. Voyez TAILLE. (K)
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PALISSO | ou PAISSON, s. m. est un instrument à l'usage des Mégissiers & des Peaussiers. C'est un outil de fer assujetti sur un montant de bois de la hauteur de deux piés & demi. Le fer du palisson est une plaque presque quarrée, d'environ 6 pouces de hauteur & de largeur, mais cependant un peu arrondie par enhaut ; il est aussi un peu aiguisé par en-haut, mais le tranchant en est bien émoussé pour ne point couper les peaux qu'on travaille dessus. Le bois du palisson consiste en un montant un peu massif afin qu'il soit plus solide, & une espece de banquette qui le rend encore plus ferme, en lui donnant plus de base : le palisson est quelquefois même maçonné en terre.
Il y a des palissons doubles auxquels deux ouvriers peuvent travailler à la fois, ils sont même plus solides que les autres, parce qu'ils ont plus de base. Ce sont des especes de bancs, d'environ quatre piés de longueur, des deux extrémités desquels s'élevent deux montans forts, qui sont armés par en-haut d'un palisson chacun.
La maniere de se servir du palisson est de tenir des deux mains les deux bouts de la peau que l'on façonne, & de la frotter fortement de tous côtés sur le taillant du palisson. Voyez la fig.
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PALIURE | S. m. (Hist. nat. Botan.) paliurus ; genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit en forme de bouclier, qui renferme un noyau presque rond ; ce noyau se divise en trois loges dans lesquelles il y a une amande de la même forme. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)
Cet arbrisseau nommé en latin paliurus, & en anglois the christ-thorn, s'éleve quelquefois à la hauteur d'un homme. Sa racine est dure, ligneuse, d'un bois très-ferme ; ses rameaux sont longs & épineux, mais les épines qui se rencontrent proche des feuilles sont plus petites & moins nuisibles que celles des autres endroits ; ses feuilles sont petites, presque rondes, pointues, de couleur verte obscure, & comme rougeâtres ; ses fleurs sont petites, jaunes, ramassées au sommet des branches, composées chacune de 5 petales, disposées en rond dans la rainure d'une rosette qui se trouve au milieu du calice. Cette rosette devient par la suite un fruit fait en forme de bouclier, relevé au milieu, délié sur les bords, & comme entouré d'un feuillet membraneux. On trouve au centre de ce fruit un noyau sphéroïde, divisé en 3 loges, qui contiennent pour l'ordinaire chacune une semence presque ronde, qui a la couleur, le poli luisant & la douceur de la graine de lin.
Cet arbrisseau croît naturellement dans les haies, en Italie, en Provence, en Languedoc ; il se plait aux lieux champêtres, incultes, humides ; il fleurit en Mai & Juin ; son fruit mûrit en autonne, & tient à l'arbre tout l'hiver.
Jean Bauhin & Ray ne sont pas éloignés de penser que notre paliure ne soit le paliure de Théophraste & de Dioscoride. Il n'est guere d'usage dans la médecine ; mais comme il n'y a peut-être aucune espece de rhamnus ou d'arbrisseau armé d'épines plus roides & plus pointues, l'on en fait des haies vives, bonnes pour empêcher les incursions des hommes & des animaux. (D.J.)
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PALIXANDRE | S. m. (Marqueterie) espece de bois violet, propre au tour & à la marqueterie. Ce sont les Hollandois qui envoient cette sorte de bois aux marchands épiciers & droguistes de Paris. Il est ordinairement débité en grosses bûches : le plus beau est celui qui est le plus plein de veines, tant dehors que dedans, & qui a le moins d'aubier.
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PALLA | S. f. (Hist. anc.) c'étoit chez les anciens romains, un manteau que les femmes portoient pardessus la robe appellée stola. Voyez STOLA.
Horace, dans l'art poétique, dit qu'Eschile habilla le premier ses acteurs d'un long manteau qu'il nomme palla. C'étoit un manteau de théâtre, fort long & fort ample, inventé pour donner un air plus noble & plus majestueux à ceux qui jouoient les premiers rôles, soit en hommes, soit en femmes. Mais à Rome, cet habillement ne passa qu'assez tard au théâtre, & lorsque les femmes de condition s'en furent dégoûtées. Voyez MANTE.
On portoit ce manteau sur l'épaule gauche, & le faisant passer de l'autre côté sous le bras droit, on en attachoit les deux bouts sous le bras gauche, sans couvrir la poitrine ni le bras.
Il faisoit beaucoup de plis & de replis, c'est de-là que lui est venu son nom, au sentiment de Varron ; c'est-à-dire qu'il vient du mot , vibro, je frémis, je tremble.
Parmi les Gaulois, les hommes portoient aussi une espece de palla, appellée gallica palla.
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PALLADES | S. f. pl. (Littérat.) jeunes filles que l'on consacroit à Jupiter dans la ville de Thebes en Egypte. On les choisissoit dans les plus nobles familles de la ville, du nombre des plus belles ; & la consécration qu'on en faisoit étoit honteuse, au rapport de Strabon.
Parmi les pallades consacrées par les Thébains à Jupiter ; on distinguoit une jeune fille vierge, des plus nobles & des plus belles, à laquelle il étoit libre d'accorder ses dernieres faveurs à qui elle vouloit jusqu'à-ce qu'elle fût nubile ; alors on la marioit : mais jusqu'à son mariage, on la pleuroit comme si elle eût été morte. (D.J.)
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PALLADIUM | S. m. (Littérature) le mot est grec, latin & françois. C'étoit une statue de Minerve, taillée dans la posture d'une personne qui marche. Elle tenoit une pique levée dans sa main droite, & avoit une quenouille dans sa main gauche ; c'est la description qu'en fait Apollodore : Tzetzès & Eustathe, en parlent à-peu-près de même. On dit qu'elle étoit descendue du ciel près de la tente d'Ilus, dans le tems qu'il bâtissoit la forteresse d'Ilium, & que l'oracle, consulté sur cette statue, ordonna qu'on élevât un temple à Pallas dans la citadelle, & qu'on y gardât soigneusement cette statue ; parce que la ville de Troyes seroit imprenable tant qu'elle conserveroit ce précieux dépôt. Aussi les Grecs instruits de cet oracle, se vanterent d'avoir enlevé le palladium ; cependant Enée éveillé par un songe, dans lequel Hector lui conseilla de chercher un asyle, l'assurant qu'il seroit fondateur d'un grand empire, se rendit à la citadelle, prit le palladium & la déesse Vesta d'une main, & tenant de l'autre son cher Ascagne, il se sauva au-travers des flammes jusqu'au bord de la mer. Là il s'embarqua avec ces tristes dépouilles, & aborda après mille traverses au port de Lavinie. Dès qu'il y fut arrivé, il y déposa dans un temple le palladium & le feu sacré ; l'un & l'autre furent ensuite transportés à Albe, & finalement à Rome, où l'on établit les Vestales, pour garder avec soin des choses si précieuses. La ruine de Troyes sembloit être une bonne preuve de leur foiblesse ; mais pour cacher au peuple l'impuissance du feu sacré & du palladium, on en défendit la vûe :
Nullique adspecta virorum
Pallas in abstruso pignus memorabile templo.
Denis d'Halicarnasse confirme que les Grecs n'emporterent de Troyes qu'un faux palladium, fait par Dardanus sur le modele du véritable. Aussi les Romains étoient si persuadés qu'ils possédoient le vrai simulacre de Pallas, auquel ils attachoient le destin de Rome, que dans la crainte qu'on ne le leur enlevât, ils firent à l'exemple de Dardanus, plusieurs statues toutes semblables, qui furent déposées dans le temple de Vesta ; & l'original fut caché dans un lieu qui n'étoit connu que des ministres du temple & des prêtresses. Clément d'Alexandrie a embrassé ce sentiment dans des recherches assez curieuses qu'il a mises au jour sur le palladium, & qu'il seroit trop long de transcrire ici.
Quoique les Romains se vantassent d'avoir la statue de Pallas tombée du ciel, & qu'ils la regardassent comme le gage de la durée de leur empire, fatale pignus imperii, plusieurs villes leur contestoient la gloire de posséder ce même palladium. La premiere étoit Liris, ancienne ville de la Lucanie, que Strabon croit avoir été une colonie de Troyens, par la raison qu'on y voyoit la statue de la Minerve iliade, . Lavinie, Luccrie, Daulis, Argos, Sparte, & plusieurs autres villes, se glorifioient du même avantage ; mais les Iliens le leur disputerent toujours. Ils prétendoient que le palladium n'avoit jamais été enlevé de Troyes ; & que s'il étoit vrai qu'Enée pour le garantir de l'incendie, l'eût porté à Palaescepsis, il l'avoit bientôt après remis en sa place. Enfin lorsqu'on leur objectoit que suivant Homere, Diomede & Ulysse l'avoient enlevé, ils répondoient que ces deux capitaines n'avoient trouvé dans le temple de Minerve qu'un faux palladium, qu'on avoit mis à la place du véritable, qui dès le commencement du siege de Troyes, avoit été caché dans un lieu inconnu.
Mais une chose fort curieuse sur le palladium, c'est le fait qui est rapporté par Appien d'Alexandrie, par Servius, par Julius Obsequens, & par S. Augustin, qui cite à ce sujet un passage de Tite-Live, qu'on ne trouve plus dans ce qui nous reste de ses ouvrages. Ce fait est que, sous le consulat de L. Sylla, & de L. Pompeius, Fimbria lieutenant de L. Valerius Flaccus, ayant pris & brûlé Ilion sans aucun respect pour ses dieux, on trouva dans les cendres du temple de Minerve, le palladium sain & entier ; prodige dont les Iliens charmés conserverent long-tems le souvenir sur leurs médailles.
Le palladium étoit encore un lieu d'Athènes, où l'on jugeoit les meurtres fortuits & involontaires ; le nombre des juges se montoit à cent. Tout le monde convient que Démophon y fut jugé le premier ; mais on ignore pour quel crime. (D.J.)
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PALLAG | ou PELLAGE, s. m. (Jurisprud.) est un droit dû à quelques seigneurs pour chaque bateau qui aborde en leur seigneurie : quelques-uns veulent que ce droit ait été appellé pellage, quasi appellage du latin, ad litus appellere ; mais il paroît plus naturel que pallage vient de palus, qui signifie un poteau, un pieu, parce que les bateaux qui abordent dans un port, sont attachés à de gros pieux. Voyez ci-après PELLAGE, & le gloss. de Lauriere, au mot pallage. (A)
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PALLANTEUM | (Géog. anc.) ville du Latium, dont les habitans avoient appris d'Evandre leur fondateur à renfermer leur année dans trois mois selon Macrobe, l. I. ch. xij. & Pline l. VII. ch. xlix. & dans quatre mois, selon Plutarque, dans la vie de Numa. (D.J.)
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PALLANTIDES | S. m. pl. (Myth.) les fils de Pallas, frere d'Egée, qui contraignirent Thesée d'abandonner Athènes.
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PALLANTIUS | (Myth.) surnom que l'on donnoit à Jupiter dans la ville de Trapésunte en Arcadie.
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PALLAS | S. f. (Mythol.) Pallas, Minerve, Athenée, sont trois noms d'une même divinité, à ce que prétendent plusieurs mythologistes, tandis que d'autres distinguent Pallas la guerriere, de Pallas déesse de la sagesse, des sciences & des arts. Quoi qu'il en soit, la fable de cette déesse est fort connue. Il y a sans doute un grand intervalle entre Jupiter & Pallas, mais il n'y a personne entre deux ; & de tous les enfans de ce dieu, elle est la premiere par la singularité de sa naissance, étant née de Jupiter seul, sans le secours d'une mere. Aussi Pallas n'étoit-elle autre chose que la vertu, la sagesse, le conseil de Jupiter.
L'antiquité la regardoit comme la divinité tutelaire des villes, où on plaçoit sa statue au haut des forteresses & des temples ; l'histoire compte cinq déesses de ce nom. (D.J.)
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PALLE | Voyez PAL & PALLE, Blason.
PALLE, s. f. (Litur.) Voyez PALE. C'étoit un tapis ou une toilette de soie dont on couvroit l'autel. Après que le prêtre avoit placé sur l'autel ce qu'il avoit à y mettre, il étendoit par-dessus la palle, qui étoit assez grande pour couvrir l'autel entier.
PALLE, PANCHE, (Hist. nat.) Voyez PALETTE.
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PALLENE | (Géog. anc.) 1°. Peninsule de la Macédoine. Elle avance dans la mer Egée entre les golfes Thermaïque & Toronique. Elle s'appelloit anciennement Phlegra. Ptolomée la nomme Patalena.
2°. Pallene étoit un ville de la Macédoine, dans la péninsule de ce nom.
3°. Pallene, montagne de la Macédoine, située dans la même péninsule.
4°. Pallene, étoit un municipe de la tribu d'Antioche dans l'Attique.
5°. Pallene est dans Ovide (Métam. l. XV. fab. 26.) le nom d'une contrée des pays septentrionaux. (D.J.)
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PALL | ou BALLI, (Hist. mod.) c'est le nom que les Siamois donnent à une langue savante, dans laquelle sont écrits les livres de leur théologie, & qui n'est connue que des talapoins ou prêtres siamois. C'est Sommona-Kodom leur législateur, qui passe pour être l'auteur du principal de ces livres ; il est rempli des extravagances les plus grossieres & des contes les plus ridicules.
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PALLIANO | (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans la campagne de Rome, au nord occidental d'Anagni, & à 20 milles au levant de Rome.
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PALLIATIFS | Adj. (Médec.) ce sont les remedes qui assoupissent & calment les douleurs sans en ôter la cause. Tels sont les narcotiques. Ces palliatifs sont d'usage sur-tout dans les maladies incurables. Le lait est palliatif dans la pleurésie pulmonaire.
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PALLIATION | S. f. est l'action d'excuser, d'adoucir ou de déguiser une chose.
C'est pourquoi par palliation on entend en Médecine, l'adoucissement & la modération de la douleur & des symptomes les plus violens ; à quoi on se borne quand on ne peut pas découvrir la cause radicale de la maladie. Voyez PALLIATIF.
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PALLIATIVE | CURE, (Chirurgie) la cure palliative en terme de médecine & de Chirurgie ne désigne point une véritable guérison, mais seulement un soulagement qu'on procure aux malades par des remedes convenables dans un état désesperé. Ces remedes temperent la douleur, moderent les symptomes, mais ne déracinent point la cause ; tel est le cas malheureux des cancers ulcérés.
On met en usage la cure palliative dans plusieurs occasions chirurgicales.
1°. Quand on ne court aucun danger pour la vie du malade, ni pour l'augmentation du mal, en retardant le traitement parfait d'une maladie ; on peut se servir des remedes palliatifs. Par exemple, on remplit le trou d'une dent cariée de feuilles de plomb, pour conserver la dent & empêcher la douleur ; dans une hydrocele par épanchement, on y fait la ponction de tems en tems, ce qui soulage le malade, mais ne le guérit pas : on peut différer d'emporter les skirrhes simples des mammelles, & des autres parties, pourvu qu'on soutienne la partie skirrheuse, qu'on la tienne chaudement, qu'on empêche les progrès du skirrhe, & qu'on purge de tems en tems le malade.
2°. Si la guérison d'une maladie pouvoit causer un mal plus grand, on doit se contenter des remedes palliatifs. Par exemple, les vieux ulceres, les hémorrhoïdes anciennes, & certaines évacuations périodiques, causeroient un très-grand désordre dans l'économie animale, & même la mort, si on guérissoit ces sortes de maladies. C'est pourquoi on se contente d'adoucir le mal par quelques topiques convenables, d'empêcher qu'il ne fasse du progrès, & d'évacuer de tems en tems par la saignée & par les purgatifs une partie de l'humeur.
3°. S'il est possible d'emporter tout le vice local, ou de détruire la cause du mal, il faut employer les remedes palliatifs propres à calmer les accidens, ou à arrêter les progrès de la maladie.
Les fistules à l'anus, qu'on ne peut emporter totalement, celles de la poitrine, & d'autres endroits, où l'on ne peut opérer sans intéresser certaines parties essentielles, sont de cette espece. On se contente d'y faire quelques injections adoucissantes & détersives pour empêcher le séjour du pus, & d'y appliquer un emplâtre de Nuremberg, &c.
Les tumeurs & les ulcères cancéreux ou carcinomateux, dont le vice est dans le sang, ou qui sont adhérens à des parties qu'on doit respecter, ne demandent assurément qu'une cure palliative ; on met sur la tumeur un cataplasme anodin, qu'on fait avec les feuilles de morelle, joubarbe, &c. & on panse souvent les ulcères avec des linges trempés dans l'eau ou le suc de ces plantes, &c.
On panse les scrophules invétérés, la gangrene qui vient d'une cause interne qu'on ne peut détruire, les unes avec l'emplâtre de la mere, celui de Nuremberg, de manus Dei, &c. & l'autre avec le styrax, les spiritueux.
Par tous ces différens moyens, on enleve toujours quelques portions de la cause, on calme les accidens urgens, on s'oppose au progrès du mal ; & comme il n'est pas possible de le guérir, on prolonge au-moins les jours du malade. La Faye. (D.J.)
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PALLIER | v. act. (Gram.) affoiblir, déguiser, excuser, couvrir. Il se dit, dans l'usage ordinaire, des fautes qu'on a commises. Il a pallié sa méprise avec beaucoup d'adresse. Il est dit en médecine d'une maladie dont on a fait cesser les symptomes apparens, sans détruire la cause. Voyez PALLIATIVE CURE.
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PALLI | ou PAILLO, s. m. (Marine) la chambre d'un écrivain sur une galere.
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PALLIOLUM | S. m. (Littérat.) étoit proprement un capuchon qui couvroit la tête & toutes les épaules jusqu'au coude. C'étoit l'ornement des efféminés & des débauchés, comme de Trimalcion dans Pétrone : adrasum pallio incluserat caput. Rutilius Lupus a dit, dans le caractere qu'il a fait d'un homme ivre : palliolo à capite defendens. Il a couvert sa tête d'un capuchon pour se garantir du froid. Les malades s'en servoient aussi ordinairement : c'est pourquoi Séneque écrit à la fin du IV. liv. des questions naturelles : Videbis quosdam graciles, & palliolo focalique circundatos, &c. Vous verrez des gens maigres & exténués de maladies qui portent le capuchon, & qui ont le cou environné de linges, &c.
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PALLITRUM | S. m. (Astron.) étoile de la premiere grandeur, qu'on appelle autrement l'oeil du taureau ou aldebaran. Voyez ces mots.
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PALLIUM | S. m. (Hist. ecclésiast. Jurisprud.) terme emprunté du latin, qui signifie ordinairement un manteau ; il signifie en matiere canonique un ornement que certains prélats ont droit de porter, & qui a probablement pris la place d'un manteau qu'on leur donnoit en cérémonie. C'est apparemment aussi delà qu'il a conservé le nom de pallium.
Cet ornement est formé de deux bandes larges chacune de trois doigts, pendantes devant & derriere les épaules jusqu'à la ceinture, en forme de cercle, enchâssées par les extrémités en des lames de plomb, & tissue avec du fil & de la laine de deux agneaux blancs qui sont bénis sur l'autel dans l'église de sainte Agnès de Rome, le jour de la fête de cette sainte ; il est posé pendant une nuit sur les châsses de S. Pierre & S. Paul, & consacré ensuite sur l'autel de S. Pierre, où les métropolitains, & ceux des évêques qui en ont le privilège doivent le prendre, en prêtant le serment accoutumé.
Le pallium est regardé communément comme la marque de la dignité archiépiscopale ; & en effet le pape Innocent III. dit que le nom d'archevêque est conféré par le pallium, dans le chapitre nisi aux decretales, de autoritate & usu pallii : non tamen, dit-il, deberet se archiepiscopum appellare priusquam à nobis pallium suscepisset, in quo pontificalis officii plenitudo cum archiepiscopalis nominis appellatione confertur.
Le pape Grégoire VII. dans une lettre à l'archevêque de Rouen, se plaint de ce qu'il ne demande pas le pallium ; lui représentant que les archevêques, trois mois après leur consécration, sont obligés, selon le droit, d'en faire la réquisition au saint siege, & leur enjoint que dans la suite il n'ordonne plus d'évêques ni de prêtres, & qu'il n'entreprenne point de consacrer des églises jusqu'à-ce qu'il ait obtenu du saint siege le pallium.
Ce même pape écrivant à un évêque de Vérone, qui lui avoit demandé le pallium, déclare qu'il ne pouvoit lui accorder sa requête, parce que les decrets de ses prédécesseurs papes vouloient que les archevêques allassent en personne à Rome recevoir cet honneur.
Enfin, le concile tenu à Tours en 1583, défend aux archevêques l'administration de leur évêché, avant d'avoir demandé ou obtenu le pallium.
Cependant M. l'archevêque d'Ausch dans l'assemblée du clergé en 1665, au sujet du différend qu'il eut avec M. de Perefixe, archevêque de Paris, prouve, par beaucoup de raisons, que le pallium n'est point la marque essentielle de l'archiépiscopat, qu'il ne distingue point les rangs entre les métropolitains, & ne donne point la perfection ni la derniere main à leur autorité : le pallium, dit ce prélat, n'appartenoit originairement qu'au pape seul ; selon plusieurs auteurs, il a pris son origine des empereurs ; il n'étoit point en usage avant le jv. siecle : il y a six cent ans & plus, que tous les évêques grecs en usent communément en tous les offices de l'église, comme d'un autre ornement.
Les papes en ont accordé l'usage & l'honneur à quelques évêques ; savoir, au cardinal évêque d'Ostie, parce que c'est lui qui consacre le pape élu ; à celui de Pavie, en Lombardie ; à celui de Lucques, en Toscane ; à celui de Bamberg, en Allemagne ; aux évêques de cinq églises de Hongrie, & à celui de Messine, en Sicile ; & en France aux évêques d'Autun & du Puy en Auvergne : ce dernier est appellé en latin Aniciensis episcopus, ce qui a fait croire à quelques uns, que c'étoit un évêque d'Annecy.
A la fin d'un consistoire tenu par le pape, S. S. par une grace particuliere accorda le pallium à l'évêque de Marseille, le 3 Septembre 1731.
Baronius rapporte, qu'en l'an 893, le pape Formosus fut admonesté par Foulques, archevêque de Rheims, de ne plus r'avilir l'honneur & la dignité du pallium, en le communiquant trop librement nonseulement aux primats & archevêques, mais aux premiers évêques qui le lui demandoient.
Le concile de Basle & la pragmatique-sanction défendent aux papes de rien prendre pour le manteau ou pallium, qu'ils avoient coutume de vendre bien chérement aux archevêques métropolitains, ce que quelques-uns n'ont pas laissé de faire encore nonobstant ces decrets.
Le premier évêque de France qui eut le pallium fut Vigile, archevêque d'Arles ; il lui fut accordé par saint Grégoire, à la priere de Childebert ; le pape n'envoyoit alors le pallium aux archevêques du royaume de Bourgogne, que du consentement des empereurs d'Orient ; c'est ce que l'on apprend d'une lettre du pape Vigile à Auxonne, archevêque d'Arles, auquel il dit qu'il doit en informer l'empereur, ainsi que la raison, la fidélité & le respect qu'il lui doit le demandent. Mém. ms. de Dombes par M. Aubret.
Le pape n'accorde pas l'usage du pallium à tous les archevêques ; Alexandre VII. ne voulut jamais accorder cet honneur au cardinal Antoine Barberin, neveu d'Urbain VIII. qui étoit archevêque de Rheims, & qui ne l'eut que du tems de Clément IX. aussi n'a-t-il jamais fait aucune consécration d'aucun évêque son suffragant.
Le droit de pallium n'est pas réel, mais personnel ; un archevêque ou évêque ne peut le céder à un autre, tellement que le pallium doit être enseveli à la mort du prélat qui en jouissoit.
Le pape peut porter le pallium dans toutes les églises où il se trouve.
Il n'en est pas de même des autres évêques ; les primats ne reçoivent le pallium que comme métropolitains, & non comme primats, c'est pourquoi ils ne peuvent porter le pallium hors de leur diocèse, de même que les métropolitains ou autres évêques qui ont droit de pallium par privilege ; ils ne peuvent le porter dans la province d'un autre évêque, à moins que ce ne soit de son consentement.
Le pape peut porter le pallium tous les jours, aulieu que les archevêques & évêques qui ont l'usage du pallium n'en peuvent user qu'en certains jours de l'année ; savoir les jours de Noël & de S. Jean, de S. Etienne, de la Circoncision, de l'Epiphanie, le jour des Rameaux, le Jeudi-saint in coena Domini, le Samedi-saint, les trois fêtes de Pâques & de la Pentecôte, le jour de S. Jean-Baptiste & de tous les apôtres, les trois fêtes de la Vierge, le jour de la Toussaints, celui de la dédicace de l'église, & les principales fêtes propres à chaque église, les jours de l'ordination des clercs, au sacre des évêques, & au jour de l'anniversaire de sa consécration.
L'archevêque ou évêque qui a l'usage du pallium, ne peut dire la sainte messe sans être revêtu du pallium, suivant le canon 4 d'un concile de Mâcon, ce qui ne doit néanmoins s'entendre que des fêtes & autres jours où il a droit de porter le pallium.
Les prélats qui ont le pallium ne peuvent le porter hors le service divin ; ils ne peuvent même le porter à une procession qui sort hors de l'église, quoiqu'ils y assistent vétus pontificalement. S. Grégoire le grand, écrivant à Jean de Ravenne, qui s'attribuoit le droit de porter le pallium hors le service divin, lui représente qu'aucun autre métropolitain ne s'arrogeoit un tel droit, & qu'il doit se conformer à cet égard à la coutume générale, ou produire quelque privilege particulier qui l'en dispense.
Voyez aux decret. le tit. de autor. & usu pallii. La bibliot. canon. t. II. p. 160. Pasquier, recherches de la Fr. liv. III. ch. ix. Fevret, liv. III. ch. iij. art. 16. les lois ecclésiastiques, les mémoires du clergé, & ici les mots ARCHEVEQUES, ÉVEQUES, CONSECRATION. (A)
PALLIUM, dans le Blason, ce mot signifie une espece de croix, qui représente le pallium ou l'ornement archiépiscopal que l'on envoie de Rome aux métropolitains. Voyez sa figure dans nos Planches héraldiq. où il est ainsi blasonné, de gueules au pallium croisé d'argent.
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PALLORIEN | S. m. (Mythologie) espece de prêtres saliens, voyez SALIENS. Les Saliens palloriens servoient le dieu Pâleur : en général les Saliens étoient consacrés à Mars que la pâleur accompagne.
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PALMA CHRISTI | (Jardinage) voyez RICINUS.
PALMA, (Géog. anc.) ville de la plus grande des îles Baléares, selon Ptolomée, l. II. c. vj. Pline, l. III. c. v. & Méla, l. II. c. vij. qui lui donne le titre de colonie. Ambroise Morales dit qu'elle retient son ancien nom, & le P. Hardouin prétend qu'on l'appelle aujourd'hui Mallorca.
PALMA, (Géog. mod.) ville forte d'Italie, dans l'état de Venise au Frioul, avec un port. Cette place est importante pour la défense des Vénitiens contre les Turcs & les Autrichiens. Elle est sur la mer à 3 lieues S. E. d'Udine, 4 N. O. d'Aquilée, 20 N. E. de Venise. Long. 31. latit. 46. 2.
PALMA, golfe de, (Géog. mod.) golfe qui est entre l'île S. Antioche & la terre ferme de Sardaigne. Latit. observée & déterminée par le P. Feuillée, 38d. 59'. 24''. (D.J.)
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PALMAIRE | adj. terme d'Anatomie, est le nom de deux muscles, dont l'un est appellé le long palmaire, & l'autre le court palmaire.
Le long palmaire est situé à la partie interne de l'avant-bras, il prend son origine du condile interne de l'humerus, & s'allongeant en un tendon délié, & passant par-dessus le ligament annulaire, il va s'insérer à la paume de la main, où il forme une large aponévrose, laquelle s'attache fortement à la peau en-dessus & aux parties latérales & inférieures des os du métacarpe en-dessous, & à la premiere phalange des doigts, formant des especes d'étuis par où passent les tendons des doigts.
Le court palmaire ou palmaire cutané est un muscle qui est situé sur la partie supérieure de l'aponévrose du précédent ; il prend son origine de l'os du métacarpe qui soutient le petit doigt, & de celui du carpe qui est au-dessus de tous les autres, & va en passant par la partie supérieure de l'hypothenar, se perdre dans la peau.
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PALMARIA | (Géog. anc.) île sur la côte d'Italie, aux environs de l'embouchure du Tibre, selon Pline, l. III. c. vj. & Pomponius Mela, l. II. c. vij. son nom moderne est Palmerola.
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PALMATI LAPIDES | (Hist. nat.) pierres qui, suivant les anciens Naturalistes, avoient la forme de la paume de la main. On dit qu'il s'en trouvoit en Espagne & en Afrique ; ces dernieres étoient noires & semblables à du marbre. Voyez Plinii Hist. nat. lib. XXXVI. cap. xviij.
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PALMELA | (Géog. mod.) petite ville de Portugal dans l'Estramadure, avec un château bâti sur le roc. Elle est à 2 lieues N. de Sétubal, 7 S. E. de Lisbonne. Long. 9. 27. latit. 38. 30.
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PALMÉO | LE, (Commerce) droit qui se perçoit par le roi d'Espagne sur les balles de marchandises destinées pour l'Amérique, leur volume réduit en palme cubique. Le droit est de 5 réaux & demi par palme cube, & c'est de cette mesure que la taxe a pris le nom de palméo. (D.J.)
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PALMER | S. m. (Hist. mod.) nom anglois qui dans les anciens écrivains en cette langue signifie un pelerin, & quelquefois un croisé, par rapport aux bâtons ou branches de palmier qu'ils portoient après leur retour de la Terre sainte en signe de dévotion. Voyez PELERIN, CROISE, CROISADE.
Il y a à Paris dans l'église des grands Cordeliers une confrairie de Jérusalem, dont on nomme les confreres palmiers, parce que dans les processions ils portent une palme à la main.
PALMER LES AIGUILLES, (Epinglier) c'est les applatir avec un marteau sur l'enclume par le bout opposé à la pointe, pour commencer à en former le chas ou le cul.
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PALMES | en Botanique, bourgeons blancs qui sortent des saules avant la feuille, & de l'expansion desquels les feuilles se forment. Voyez BOURGEON.
PALMES, (Théol.) le dimanche des palmes ou des rameaux, dominica palmarum, c'est le dimanche qui précede immédiatement celui de pâques, & qui est le dernier du carême. Voyez CAREME.
On l'a ainsi appellé dès les premiers tems, à cause de la pieuse cérémonie que les fideles y pratiquoient alors, de porter des palmes en mémoire du triomphe de Jesus-Christ quand il entra en Jérusalem huit jours avant la fête de Paques, lequel est décrit dans S. Matth. chap. xxj. dans S. Marc, chap. xj. & dans S. Luc, chap. xix.
Les anciens ont donné d'autres noms à ce jour ; car 1° on l'a appellé dominica competentium, le dimanche des compétans, parce que ce jour-là les catéchumenes venoient demander à l'évêque la grace d'être admis au baptême, qui se conféroit le dimanche suivant. Voyez BAPTEME & CATECHUMENE.
On leur donnoit aussi alors le symbole, afin qu'ils l'apprissent par coeur, & le récitassent à l'évêque dans la cérémonie du baptème. Voyez SYMBOLE.
2°. On l'appella capitalivium, le dimanche du lavement de tête, parce qu'en ces jours-là on préparoit, en lavant la tête, ceux qui devoient être baptisés à Pâque.
Quelquefois après on l'appella le dimanche d'indulgence, parce que c'étoit la coûtume des empereurs & des patriarches de distribuer des dons ce jour-là. Voyez INDULGENCE.
PALME, l'île de, (Géog. mod.) île d'Afrique, l'une des Canaries & extrêmement fertile. Les Espagnols en firent la conquête en 1460. Elle souffrit beaucoup d'un tremblement de terre en 1677. Long. suivant le P. Noël, 358. 6'. 30''. latit. septent. 27. 35.
PALME, (Littérat. médailles) branche ou rameau du palmier. La palme étoit le symbole de la fécondité, parce que le palmier fructifie continuellement jusqu'à sa mort. C'est pourquoi nous en voyons sur des médailles d'empereurs qui ont procuré l'abondance dans l'empire. La palme étoit aussi le symbole de la durée de l'empire, parce que cet arbre dure long-tems. Enfin la palme étoit le symbole de la victoire, parce qu'aux jours de triomphe on mettoit une palme à la main du victorieux. On dit que César étant sur le point de livrer bataille à Pompée, apprit qu'il étoit sorti tout-à-coup une palme du pié de la statue qu'on lui avoit dédiée au temple de la victoire, ce qu'il prit pour un heureux présage.
PALME, s. m. (Mesure anc. & mod.) mesure dont on fait encore usage en certains lieux. Les Romains en avoient de deux sortes. Le grand palme étoit de la longueur de la main, & contenoit douze doigts ou neuf pouces de roi ; & le petit palme du travers de la main étoit de quatre doigts ou trois pouces. Selon Maggi, le palme antique romain n'étoit que de huit pouces six lignes & demie. Les Grecs distinguoient un palme grand & un palme petit. Le premier comprenoit cinq doigts, & le petit quatre doigts valant trois pouces. Il y avoit outre cela le double palme grec, qui comprenoit huit doigts.
Le palme est différent aujourd'hui, selon les lieux où il est en usage : tels sont ces lieux & ces mesures rapportées au pié du roi.
Palme, appellé pan ou empan. Palme, dont on se sert en plusieurs endroits du Languedoc & de la Provence, qui est de 9 pouces 9 lignes.
Palme de Gènes, palme de 9 pouces 9 lignes.
Palme de Naples, palme de 8 pouces 7 lignes.
Palme de Palerme, palme de 8 pouces 5 lignes.
Palme romaine moderne, palme de 12 onces, qui font 8 pouces 3 lignes & demie.
Il ne faut pas confondre palmus & palma ; ce sont deux choses différentes, palmus, comme nous venons de le dire, est de 4 doigts, & répondoit à la paleste des Grecs : palma est le double, c'est-à-dire de 8 doigts. Voyez Greaver, on the roman foot. (D.J.)
PALME, s. f. (Architect. Décorat.) branche de palmier qui entre dans les ornemens d'Architecture, & qui sert d'attribut à la victoire & au martyre.
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PALMETTE | S. f. (Jardinage) est un petit feuillage à deux traits de buis très-simple, & moins crochu dans son contour que le bec de corbin ; il est très-employé dans les parterres de broderie. Voyez PARTERRE. (K)
PALMETTES, s. m. pl. (Archit. Décorat.) petits ornemens en maniere de feuilles de palmier, qui se taillent sur quelques montures. (D.J.)
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PALMIER | S. m. (Hist. nat. Bot.) palma (Planche XXVIII. fig. 3.) genre de plante. Il y a de grandes différences entre les diverses especes de palmiers, soit pour les fleurs soit pour les fruits ; les unes ont les fleurs monopétales, dans d'autres elles sont polypétales, & parmi celles-ci les unes sont stériles, & les autres fertiles : il se trouve quelquefois dans la même gaîne des fleurs fertiles & des fleurs stériles, mais séparées les unes des autres : il y a aussi des fleurs stériles & des fleurs fertiles qui ont séparément chacune une gaîne : enfin on voit des especes dont les fleurs sont tout-à-fait stériles ; les embryons sont nuds & séparés des fleurs sur la même plante. Les fruits n'ont pas moins de variétés, car dans quelques especes le fruit est mou, charnu, & renferme un noyau très-dur ; dans d'autres especes, les fruits sont secs, durs ou en forme de coques osseuses, revêtues d'une écorce molle ou fibreuse ; ces coques renferment une amande solide ou une amande creuse, qui est remplie d'une liqueur aqueuse.
Le palmier est un genre de plante qui a un tronc droit dépourvû de branches, & dont la racine ne pousse point de rejettons, il est garni au sommet de côtes disposées en rond qui portent de petites feuilles ; ces côtes se dessechent ou tombent par vétusté. Au milieu de ce qui en reste, il en renaît de nouvelles, entre lesquelles s'élevent des gaines qui s'ouvrent de bas en-haut, & qui contiennent des fleurs & des embryons disposés en forme de grappe.
Le palmier differe par ce dernier caractere de certaines especes de fougere en arbre qui ont comme le palmier le tronc simple, qui ne poussent ni branches ni rejettons, & dont le sommet est garni de côtes qui tombent par vétusté, & qui se renouvellent toujours entre celles qui sont restées. Il y a des especes de bananier ou musa, qui ressemblent aussi au palmier, car elles ont le tronc simple & garni au sommet de feuilles disposées en rond, & elles portent des gaines qui renferment des fleurs & des embryons disposés en grappes ; mais le palmier differe de ces especes en ce qu'elles se multiplient toutes par des rejettons qui viennent de la racine. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.
Les principales especes de palmiers sont 1° le palmier dattier ; c'est le palmier par excellence, dont on trouvera par conséquent la description détaillée, qui peut suffire pour les autres especes de palmiers, & abréger cet article. Voyez donc PALMIER DATTIER.
2°. Le palmier nain épineux, palma minor, C. B. P.
3°. Le latanier, nommé par Ray, palma brasiliensis prunifera, folio plicatili, seu flabelliformi, caulice squammato. Voyez LATANIER.
4°. Le chou palmiste, en anglois, the cabbage-tree ; en botanique, palma altissima, non spinosa, fructu pruniformi, minore, racemoso sparso, Sloane, Cat. Jamaïc.
5°. Le palmier oléagineux, palma foliorum pediculis spinosis fructu pruniformi, lacteo, oleoso, Sloane, Cat. Jamaïc. 175. en anglois, the oily palm-tree.
6°. Le grand palmier tout épineux, palma tota spinosa, major, fructu pruniformi, Sloane, Cat. Jamaïc. en anglois, the great maccaw-tree.
7°. Le palmier nain sans épines, à feuilles en éventail & à racines multipliantes, palma humilis, radice repentissimâ, soboliferâ, folio flabelliformi, pedunculo vix spinoso, Boerh. Ind. alt.
8°. Le palmier sang-dragon, palma prunifera, foliis yuccae, è quâ sanguis-draconis, Com. Hort. Amstael. en anglois, the dragon-tree. On le décrira au mot SANG-DRAGON.
9°. Le palmier du Japon, épineux, à feuilles de polypodes, palma japonica, spinosis pediculis, polypodii folio ; Parad. Batav. Boerh. Ind. alt. 270. C'est le palmier dont la fécule desséchée se nomme sagou. Voyez SAGOU.
10°. Le cocotier, palma indica coccigera angulosa, C. B. P. 108. Voyez COCOTIER.
11°. Le palmier vinifere de Thevet, palma vinifera Theveti, J. B. & C. B. P.
12°. Le palmiste franc, ou le palmier royal de Rochefort, palma nobilis, seu regalis, jamaïcensis & barbadensis, Sloane, Cat. Jamaïc. Il y a quantité de palmiers de cette espece.
13°. Le palmier de Malabar, qui ne porte qu'une fois du fruit, & qui est ombragé de feuilles en éventail, pliantes & très-larges, palma montana, Malabarica, semel tantùm frugifera, folio plicatili, flabelliformi, maximo, Hort. Malab.
Toutes les especes de palmiers peuvent être élevées de graînes qu'on semera dans des pots remplis de terre légere : on plongera ces mêmes pots dans un lit de tan ; & quand les jeunes plantes auront poussé, on les transplantera dans d'autres pots, qu'on tiendra dans une serre chaude jusqu'à ce que les plantes ayent acquis quelque force. Il est vrai que ces arbres viennent très-lentement dans nos climats, mais ils ne viennent guere plus vîte dans leur pays natal.
Le palmier nain épineux croît rarement dans sa patrie au-dessus de quatre ou cinq piés, mais il étend ses racines fort loin, & les multiplie si facilement, qu'un grand pays qui n'est pas cultivé en est couvert au bout de vingt ans. Ses feuilles servent à faire des balais de jonc. Cet arbre n'est pas rare en Espagne & en Portugal.
Le chou palmiste croît au contraire à une hauteur prodigieuse, & pousse quantité de feuilles qui s'entrelacent les unes dans les autres. On met ses jeunes tiges en saumure, & on les envoye en Angleterre sous le nom de chou-palmiste.
Le palmier oléagineux abonde sur la côte de Guinée, & dans les îles du Cap-verd, où il s'éleve jusqu'à la hauteur d'un mât de vaisseau. Cet arbre a merveilleusement réussi à la Jamaïque & aux Barbades. Les negres tirent de son tronc une liqueur enivrante, une espece d'huile ou de beurre de la pulpe du fruit, & employent l'écorce du tronc à en faire des nattes pour se coucher dessus.
Le grand palmier épineux pullule dans les îles Caraïbes. Les negres font de son bois leurs javelines & leurs fleches ; ils tirent aussi de son fruit une liqueur qu'ils aiment passionnément.
Le vrai palmier sang-dragon, ainsi nommé, parce qu'on en tire par incision le suc résineux de ce nom, n'est connu qu'à Madere & dans les îles Canaries. Il est vrai que dans nos climats on peut l'élever de graine, mais il ne parvient pas à une grande hauteur, & ne donne point de résine.
Le palmier vinifere de Thevet est célebre par sa verdure perpétuelle, & est cher aux Ethiopiens qui percent son tronc à deux piés de terre, & en tirent une liqueur qui a le goût du vin d'Anjou.
Le palmier royal contient dans la partie supérieure de son tronc une substance médullaire, blanche, tendre, savoureuse, & qui fait un des mets délicats des habitans des îles sous-le-vent.
Le palmier de Malabar a de très-grandes feuilles visqueuses, molles, propres à être pliées comme un éventail, & resserrées dans un très-petit espace.
Tous les palmiers qu'on peut élever dans nos climats méritent de se trouver dans les jardins de plantes exotiques, à cause de leur structure singuliere & de la beauté de leurs feuilles.
Rien n'est plus commun dans les recueils de voyageurs anglois, françois, hollandois, que d'y trouver des descriptions de palmiers d'Asie, d'Afrique & d'Amérique ; mais elles sont ou peu fideles, ou merveilleuses. (D.J.)
PALMIER-DATTIER, (Botan.) arbre célebre par bien des endroits, & peut-être celui dont les auteurs sacrés & profanes ont le plus parlé. Les Poëtes l'ont consacré aux héros & à la victoire. Il sert d'un des plus heureux symboles pour le blason, pour les emblèmes, pour les médailles, & pour les devises. Il est regardé comme le type de l'amour conjugal, de la santé, de la fécondité, & de la conservation des empires. On connoît une médaille d'Adrien, sur le revers de laquelle, Sabine debout, tient une palme de la main droite, & de l'autre une corne d'abondance, accompagnée de deux petits enfans, l'un mâle & l'autre femelle, avec cette inscription, hilaritas populi romani, " le bonheur du peuple romain ". Personne n'ignore que marie Stuart, cette princesse malheureuse, qui ne fut jamais plus digne de grace qu'au moment qu'elle reçut l'arrêt de sa mort, avoit pris pour devise dans sa prison une palme courbée sous le faix, & se relevant, avec ces mots : ponderibus virtus innata resistit, " la vertu sous le poids, ne peut être accablée ".
Si l'on osoit ici mêler quelque chose de plus sérieux à ces idées poétiques, il semble qu'on pourroit dire que le palmier a reçu un nouveau lustre pour nous, depuis qu'il a fourni des vêtemens, de la nourriture, & des remedes à tant de chrétiens & de solitaires, qui ont si long-tems habité les deserts de l'Egypte où il croît en abondance.
Enfin quand l'on examine le palmier en naturaliste, l'on s'apperçoit qu'il mérite à tous égards l'attention du physicien. Son tronc sans écorce, garanti par des queues de branches feuillées, placées symmétriquement ; ce même tronc dans sa vieillesse, portant au sommet des boutons pleins d'une substance médullaire qui, étant enlevée, fait périr l'arbre ; ses grappes branchues sortant des aisselles feuillées, & ayant chacune leur enveloppe ; ses côtes, ses épines, ses fleurs servant à féconder le palmier femelle ; l'ordre de leur production, le fruit qui en vient, ses degrés d'accroissement & de maturité ; tout cela, dis-je, est extrêmement digne de notre curiosité. Mais plus ce qui regarde le palmier-dattier est intéressant, & plus on est avide de le connoître avec exactitude, & de démêler le vrai du faux dans les relations qu'on en a faites. Kaempfer est presque le seul qui ait décrit cette plante avec intelligence, avec fidélité, & en homme du métier ; c'est aussi dans ses mémoires que j'en puiserai la description.
Cet arbre est nommé par les Botanistes, palma ; par excellence, palma major, palma dactilifera ; en anglois, the greater palm ou date-tree ; en allemand, dattel-baum. Il pousse une racine simple, épaisse, ligneuse, & quelquefois deux, selon que le terrein le permet. Elle est environnée vers son collet de menues branches, dont les unes sont tortueuses, simples, nues le plus souvent, & se répandant au loin sur la surface de la terre ; les autres sont garnies de fibres très-courtes, le bois est fibré, ferme & pliant, de couleur rousse foncée, d'une saveur acerbe.
Le tronc de cet arbre est droit, simple, sans branches, cylindrique, un peu moins épais vers le sommet, de grosseur & de longueur différentes selon son âge, desorte cependant que le plus haut surpasse à-peine huit brasses. Il n'a point d'écorce, mais il est garanti, lorsqu'il est jeune, par des queues de branches feuillées, qui restent après qu'on les a coupées, & que l'on appelle chicots. Ils sont placés symmétriquement, au nombre de six, autour du tronc. Lorsque la vieillesse, ou l'injure du tems, les fait tomber, la superficie du tronc est nue, rude au toucher, de couleur fauve, & encore marquée des impressions de l'origine des branches feuillées, de la même maniere que la tige du choux pommé, lorsque ses feuilles sont tombées.
La substance intérieure depuis le sommet jusqu'à la racine, est composée de fibres longitudinales, épaisses, ligneuses, fermes, & cependant si peu unies ensemble par le moyen d'une matiere fongueuse, qu'on peut les séparer avec les doigts. C'est pourquoi le tronc de cet arbre est difficile à couper, par le défaut de solidité. Les troncs d'un an n'ont point de moëlle, mais seulement une espece de nerf ligneux qui se trouve au milieu.
Dans les jeunes troncs, toute la partie intérieure est molle, bonne à manger ; dans ceux qui sont plus avancés, il n'y a que le sommet ; & dans les vieux troncs, il n'y a que les boutons du sommet où se trouve cette moëlle, dont la substance est blanche, tendre, charnue, cassante, douçâtre & savoureuse. Dioscoride l'appelle , terme qui signifie moëlle : Théophraste & Galien la nomment , c'est-à-dire, cerveau. Lorsqu'on coupe cette moëlle, l'arbre meurt, car elle est le germe des nouvelles productions, & le principe des branches qui doivent naître.
Le palmier-dattier est terminé par une seule tête, quoique Théophraste assure, H. Pl. l. II. c. viij. que dans l'Egypte il y en a quelquefois plusieurs ; mais c'est seulement lorsqu' autour de cette tête, il croît un ou deux rejettons, qui grossissent & se fortifient par la négligence du propriétaire.
La tête, selon les différens états de l'arbre, est composée au-moins de quarante branches feuillées, qui font un bel effet, & qui sont placées circulairement ; car au sommet du tronc, il se trouve un grand bourgeon conique, de deux coudées de longueur, grêle, terminé en pointe, & composé de branches feuillées prêtes à se développer ; celles de l'intérieur, & qui ne sont pas encore totalement épanouies, l'entourent immédiatement.
Des aisselles des branches feuillées, sortent des grappes branchues, qui ont chacune leur spathe ou enveloppe, & qui portent des fleurs dans le palmier mâle, & des fruits dans le palmier femelle ; la branche feuillée est longue d'environ trois brasses, composée de feuilles semblables à celles du roseau, disposées sur une côte de chaque côté dans toute la longueur.
Cette côte est applatie vers son origine, & diminue insensiblement jusqu'à son extrémité ; elle est verte, lisse, luisante & jaunâtre à sa base ; elle est de même substance que le tronc, mais moins compacte, entremêlée de fibres plus blanches & plus déliées.
On peut considérer dans la côte trois parties ; l'une en est la base, l'autre qui est nue, & la derniere qui est chargée de feuilles. La base est la partie inférieure de la côte ; elle est attachée & posée sur le tronc en maniere d'écaille, de figure à-peu-près triangulaire, concave intérieurement, mince sur les bords, terminée par un grand nombre de fibres, entrelacées en maniere de tissu, qui sert à réunir les deux bases des côtes intermédiaires du rang supérieur.
La partie nue, qui s'étend depuis la base jusqu'aux premieres feuilles, est cette portion qui reste après la premiere coupe, & qui dans la seconde est retranchée par ceux qui cultivent les palmiers avec soin, de peur qu'elle ne retienne l'eau de la pluie. Pline appelle cette partie du nom de pollex, qui signifie chicot.
La derniere partie de la côte est bordée d'épines des deux côtés, & chargée de feuilles dans toute sa longueur.
Les épines sont les jeunes feuilles qui sortent de chaque côté de la côte : les premieres sont courtes & plus écartées ; les autres sont plus longues & plus près les unes des autres, jusqu'à-ce qu'ayant acquis la longueur d'une coudée, elles prennent peu-à-peu la forme de feuilles. Ces épines sont de la figure d'un cône irrégulier & anguleux, épaisses, dures, en quelque façon ligneuses ; leur superficie est luisante, & d'un verd tirant sur le jaune pâle, creusée en gouttiere à la face supérieure ; leur pointe est arrondie & de couleur brune ; enfin elles s'étendent, & se changent peu-à-peu en feuilles.
Ces feuilles durent toujours ; elles sont aîlées, de la figure de celle du roseau, en très-grand nombre, courtes d'abord, ensuite longues d'un empan, & bien-tôt après beaucoup davantage, placées jusqu'à l'extrémité de la côte, qui est terminée par une pointe. Elles sont soutenues sur des especes de queues ligneuses, épaisses, de la longueur d'environ un pouce, de figure irréguliere & presque quarrée, fortement attachées à la côte, dont on ne peut les arracher qu'avec violence.
Ces feuilles sont situées obliquement sur une même ligne, & alternativement ; elles sont longues d'environ une coudée, larges de deux pouces, de la figure de celles du roseau, fort pointues, pliées en-dessus par le milieu dans toute leur longueur, & d'un verd-pâle des deux côtés. De plus, elles sont dures, tendues, roides, ayant de grosses nervures dans toute leur longueur.
L'enveloppe faite en forme de réseau, est rude, grossiere, composée de fils inégaux, épais, anguleux, un peu applatis, roides. Dans les jeunes palmiers, & sur-tout autour des branches feuillées du sommet, cette enveloppe est épaisse, d'un jaune-foncé & large d'un empan : dans les vieux palmiers, & sur-tout autour des vieilles branches feuillées, elle est d'un roux-noirâtre.
Le palmier qui vient de lui-même des racines d'un autre, comme dans son sein maternel, commence à donner des fruits quatre ans après qu'on l'a transplanté lorsque le terroir est fertile ; & six ou sept ans après, s'il se trouve dans un lieu stérile : mais celui qui vient d'un noyau, est bien plus long-tems à donner du fruit. Le palmier ne porte son fruit qu'au haut de son tronc, & aux aisselles des branches feuillées, qui sont garnies de grandes grappes en forme de balais, lesquelles étant encore jeunes, sont renfermées chacune dans une gaîne presque coriace.
Les Romains donnoient le nom de spadix à ces grappes, & celui de spathae à leurs enveloppes : mots qu'ils ont empruntés de la langue grecque. On ne sauroit distinguer par l'extérieur les grappes du palmier femelle, lorsqu'elles sont encore cachées dans leurs gaînes.
Les palmiers-dattiers, soit mâle, soit femelle, gardent l'ordre suivant dans la production de leurs différentes fleurs. Au commencement du mois de Février, & peut-être plutôt, ces arbres font éclorre leurs boutons dans les aisselles des branches feuillées. Les spathes croissent peu-à-peu, & grossissent tellement, par la quantité de fleurs qu'elles portent, que le mois suivant elles s'entr'ouvrent dans leur longueur, & laissent sortir un corps solide, semblable à une truffe. Ce corps solide, étant dégagé de son enveloppe, prend la figure d'une grappe composée d'un grand nombre de pédicules, qui soutiennent de petites fleurs dans le palmier mâle, & des especes de petites prunes dans le palmier femelle.
Les fleurs servent à féconder le palmier femelle, dont les fruits mûrissent lentement, & seulement dans l'espace de cinq mois. Les spathes durent peu de tems, se fanent, se sechent, & doivent être retranchées par ceux qui cultivent soigneusement ces arbres.
La spathe a la figure d'une masse ligneuse, sa surface externe est couverte d'un duvet mollet, épais, très-court, de couleur rousse-foncée ; sa surface intérieure est blanche, lisse, humide, & en quelque façon muqueuse ; sa substance est semblable à celle d'une écorce sillonnée, fibreuse. Elle est pliante, lorsqu'elle est seche, & semblable à du cuir.
Le tuyau qui recouvre la queue de la grappe, est applati, recourbé, de la figure d'un fourreau de cimeterre, long d'une coudée, gros d'un pouce, large de trois. Le ventre a une coudée de longueur, une palme de largeur, & trois pouces d'épaisseur, lorsqu'il est prêt à s'ouvrir.
La grappe mâle est parsemée de petites fleurs en grand nombre. Elle porte deux cent pédicules, dont les plus courts soutiennent quarante petites fleurs, les moyens soixante, les plus longs quatre-vingt. Ces petites fleurs moins grandes que celles du muguet, sont à trois pétales, d'une couleur blanchâtre, tirant sur le jaune-pâle, & d'une odeur desagréable ; les pétales de ces petites fleurs, sont droits, charnus, fermes ; les étamines sont velues, roides, très-courtes, blanchâtres, terminées par des petits sommets, remplis de poussiere très-fine.
Sur la fin du mois de Février, & au commencement du mois de Mars, les spathes se rompent, les grappes femelles paroissent ; & peu de jours après, ayant quitté leurs enveloppes, elles sont nues, portant les embryons des fruits, enveloppés de deux petits calices, dont l'un est extérieur & plus court, & l'autre qui est intérieur, enveloppe immédiatement le fruit presque tout entier.
Ces embryons sont en très-grand nombre sur une grappe ; ils ressemblent aux grains de poivre pour la grosseur & la rondeur ; leur superficie est luisante & blanche, leur goût est acerbe. Dans le mois de Mai, ces fruits acquierent la grosseur de nos cerises, & ils sont d'une couleur herbacée. Au commencement de Juin, ils ressemblent à des olives pour la figure & la grosseur ; leurs osselets se durcissent, leur chair perd de son humidité, & devient plus solide. Ils mûrissent dans le mois d'Août ; ils ne s'amollissent pas dans toute leur substance, mais ils acquierent d'abord une tache molle comme celle d'une pomme qui se pourrit ; cette tache s'étend peu-à-peu, & toute sa substance qui étoit verte, se change en une pulpe fort douce & d'un goût vineux dans la maturité. On nomme ces fruits dattes. Voyez DATTES.
Le noyau est solide comme de la corne, dur & ferme ; sa superficie est de la couleur des pepins de raisins, & d'un gris plus ou moins délayé ; sa substance interne est panachée à-peu-près comme la noix muscade, de figure longue, & quelquefois en toupie recourbée, convexe d'un côté, & partagée de l'autre dans sa longueur par un sillon. La moëlle qui est dans ce noyau, n'est pas telle que Ray l'a crû, ni telle qu'il s'est persuadé qu'on pouvoit la retirer, lorsqu'on l'a amollie dans la terre.
Le palmier-dattier se plaît dans les pays brûlans, & aime une terre sablonneuse, légere & nitreuse. Il s'éleve du noyau, ou des racines d'un autre palmier. Lorsqu'on seme des noyaux, il en vient des palmiers mâles & femelles : mais lorsqu'on plante des racines, les palmiers qui naissent suivent le sexe de leurs meres-racines.
On plante dans la terre au printems, ou dans toute autre saison, les jeunes pousses de deux ou de trois ans, & on les arrose pendant l'été : on extirpe celles qui pullulent autour du tronc du palmier : on a grand soin d'en ôter les teignes, les fourmis & les sauterelles, insectes fort nuisibles à ces arbres.
Lorsqu'ils sont en état de porter des fleurs, ceux qui les cultivent, doivent travailler à les rendre féconds, & en retirer beaucoup de fruit. C'est pourquoi, sur la fin de Février, ils cueillent au sommet de l'arbre les spathes mâles remplies de leurs fleurs, propres à féconder les grappes femelles. Ils ouvrent ces spathes mâles dans leur longueur, ils en ôtent les grappes, dont les fleurs ne sont pas encore épanouies ; ils partagent ces grappes en de petites baguettes fourchues, & ils les placent sur les grappes femelles.
Les uns employent ces baguettes encore vertes, & les mettent aussi-tôt sur les grappes femelles qui commencent à paroître : d'autres sechent auparavant ces baguettes, & les gardent jusqu'au mois de Mars, tems auquel les matrices sont toutes ouvertes, & deviennent fécondes par une seule & même opération. Ils placent transversalement ces baguettes fourchues au milieu de la grappe femelle, ou bien ils les attachent de façon que les vents ne puissent pas les emporter, mais desorte qu'elles y restent quelque tems, jusqu'à ce que les jeunes embryons aient acquis de la vigueur, étant couverts de la poussiere séminale des petites fleurs, dont sont chargées les baguettes fourchues. Les habitans des déserts réiterent quelquefois cette opération, mais les Perses & les Arabes se contentent d'en faire une seule avec soin.
Les grappes femelles deviennent encore fécondes sans le secours de l'homme, par le moyen de l'air qui transporte la poussiere féconde du palmier mâle sur le palmier femelle : ainsi, quoique les personnes qui cultivent les palmiers, distribuent ces baguettes sur tous les palmiers femelles, ceux qui sont autour des palmiers mâles, reçoivent encore, sans le secours de l'art, la poussiere des fleurs.
Les paysans qui habitent les lieux abondans en palmiers, employent leur tronc, à la place de pieux & de poutres, pour soutenir leurs toits, & servir de charpente à leurs chaumieres ; ils ferment tout le reste grossierement avec des branches feuillées de palmier, sans clous, sans regle, sans art, & sans industrie. Le palmier leur fournit encore quelques meubles nécessaires ; ils font des fagots avec des branches feuillées, des balais avec les grappes, des vases, & des plats avec les spathes ou enveloppes, auxquelles ils donnent la figure qu'ils veulent ; ils font des chaussures & des cordes très-fortes pour leur marine avec les hampes des grappes. Ils se nourrissent de la moëlle du sommet, & tirent grand parti des dattes.
Le palmier-dattier vient de lui-même en plusieurs pays ; il est cultivé dans l'Afrique, où il produit beaucoup d'excellens fruits, aussi-bien que dans la Syrie & la Perse. On le cultive en Grece, en Italie, & dans les provinces méridionales de la France ; mais il y produit rarement des fruits, & ceux qu'il y produit ne mûrissent jamais. Cela ne viendroit-il point de ce qu'il n'y a pas de palmier mâle !
Du-moins Pline, Théophraste, ont dit autrefois, ensuite Prosper Alpin, & Kaempfer, qui par eux-mêmes ont pû faire ces observations, ont confirmé que si un palmier femelle n'a point de mâle dans son voisinage, il ne porte point de fruits, ou que s'il en porte, ils ne viennent jamais à maturité ; ils sont âpres, de mauvais goût, sans noyau, & par conséquent sans germe : aussi, pour faire mûrir ces fruits, & pour les féconder, on a soin ou de planter un palmier mâle dans le voisinage, ou de couper des branches du palmier mâle chargées de sommets épanouis, & de les attacher au-dessous du palmier femelle ; pour lors il produit de bons fruits, féconds, & en abondance.
Ce fait avoit déja été dit à M. Tournefort, en 1697, par Adgi Mustapha, homme d'esprit & curieux. Mais ce ne sont pas les seuls palmiers, sur lesquels cette observation se vérifie. La chose est encore très-sensible sur la plûpart des plantes qui portent les fleurs & les fruits sur différens piés, ou sur différens endroits du même pié, pourvû que l'on ait un très-grand soin de couper les étamines, avant qu'elles aient commencé à se développer ; ou pourvû que l'on tienne les plantes femelles dans des endroits où la poussiere des étamines ne puisse avoir aucun accès.
Je sai qu'on peut objecter ce que dit M. de Tournefort dans la préface de ses institutions botaniques, qu'il a vû un pié femelle de houblon produire des graines dans le jardin du roi, où il n'y avoit point de pié mâle, ni même dans le voisinage, ensorte que les poussieres ne pouvoient être apportées par le vent, que des îles qui sont vers Charenton, où se trouvoient les piés à fleurs les plus proches. Je ne contesterai point l'éloignement, mais je répondrai que quel que soit cet éloignement, il ne nuit en rien, pourvû que le vent puisse apporter les poussieres ; or cela n'est pas impossible. Nous en avons un bel exemple allégué par Jovianus Pontanus, précepteur d'Alphonse, roi de Naples : il raconte que l'on vit de son tems deux palmiers, l'un mâle cultivé à Brindes, & l'autre femelle élevé dans les bois d'Otrante ; que ce dernier fut plusieurs années sans porter du fruit, jusqu'à ce qu'enfin s'étant élevé au-dessus des autres arbres de la forêt, il put appercevoir, dit le poëte, le palmier mâle de Brindes, quoiqu'il en fût éloigné de plus de quinze lieues, car alors il commença à porter des fruits en abondance, & de fort bons ; si donc il ne commença qu'alors à porter des fruits, c'est vraisemblablement parce qu'il commença seulement pour-lors à recevoir sur ses branches, & sur les embryons de ses fruits, la poussiere des étamines, que le vent enlevoit de dessus le palmier mâle. Voilà la seule explication tolérable d'un phénomene qui a bien embarrassé les anciens. Ils ne comprenoient point comment le palmier femelle pouvoit être fécondé par le palmier mâle : ils en attribuoient la cause à la sympathie de ces arbres, sans expliquer comment cette sympathie produisoit des fruits. La Fontaine eût dit aux anciens :
Les mystères de leur amour
Sont des objets d'expérience,
Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour
Que d'épuiser cette science. (D.J.)
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PALMIPEDE | S. m. (Ornitholog.) on appelle ainsi dans l'Ornithologie tout oiseau à pié plat, dont les doigts sont joints par une membrane, comme dans les oies. C'est un genre d'oiseaux qui vivent dans l'eau, & dont les pattes sont faites par la nature pour nager. Les caracteres génériques de ce genre d'oiseaux, sont les suivans : outre la membrane dont je viens de parler, ils ont presque tous les jambes courtes, les cuisses couvertes de plumes à la jointure, les orteils de derriere courts, le croupion moins élevé que les autres oiseaux, le bec large avec une espece d'appendice qui pend par-dessous. (D.J.)
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PALMISTE | S. m. (Botan.) c'est le nom que les Américains des îles Antilles donnent au palmier dont le pays produit différentes especes, parmi lesquelles sont compris le cocotier, le grougrou, le grigri, le dattier & le latanier. On peut consulter sur cette matiere l'ouvrage du pere Plumier minime, qui traite des plantes d'Amérique. Le plus grand & le plus fort de tous les palmiers s'appelle palmiste franc ; il s'éleve droit comme un mât de vaisseau jusqu'à la hauteur de plus de 40 piés, ayant une racine médiocre, peu profonde en terre, mais fortifiée par une multitude de filamens entrelacés les uns dans les autres, formant une motte élevée comme un gros bourrelet autour du pié de l'arbre. Le bois du palmiste est brun, pesant, compacte, plus dur que de l'ébene : il se fend aisément dans sa longueur ; mais ce n'est pas sans rompre des outils qu'on parvient à le couper en-travers. Cette extrème dureté n'existe qu'extérieurement d'environ un pouce & demi dans toute la circonférence de l'arbre, dont l'intérieur n'est qu'un tissu grossier de longues fibres, fermes, souples, serrées & mêlées comme de la filasse, parmi une sorte de moëlle coriace, fort humide, qui devient plus tendre & même très-délicate en s'éloignant du pié de la tige.
Le sommet du palmiste se termine par un faisceau de branches, ou plutôt de fortes côtes disposées en gerbe épanouie, longues de dix à onze piés, diminuant insensiblement de grosseur jusqu'à leur extrémité, un peu courbées en arc, & couvertes d'une pellicule très-lisse ; elles sont soutenues à leur naissance par une espece de réseau composé de longs filets croisés en forme de gros canevas, qu'on croiroit être tissu de mains d'homme ; ces longues côtes sont garnies sur leurs côtés d'un grand nombre de feuilles vertes, longues d'environ deux piés, fort étroites, pointues, partagées d'une seule nervure, & ressemblant à des grandes lames d'épée.
Du milieu des branches & du réseau dont elles sont enlacées, sort une très-grosse & longue gaîne pointue & renflée dans son milieu comme un fuseau, laquelle venant à s'ouvrir, laisse paroître une parfaitement belle gerbe d'une extrème blancheur, composée de plusieurs branches déliées, assez fortes, & chargées de petites fleurs de même couleur, auxquelles succedent des fruits durs de la grosseur d'une noix, & rassemblés en grappe : on n'en fait point d'usage dans les îles.
Le coeur du palmiste renferme dans sa partie la plus voisine des branches, une substance d'une extrème blancheur, tendre, délicate, composée de feuillets minces, plissés comme les plis d'un éventail c'est ce qu'on appelle le chou du palmiste, dont les amateurs de bonne-chere font beaucoup de cas ; ce chou peut se manger crud, comme les artichaux à la poivrade, ou cuit à la sausse blanche, ou au jus ; on le préfere au cardon d'Espagne, & étant frit à la poële, on en fait des bignets délicieux. Voyez CHOU PALMISTE.
Le tronc du palmiste étant fendu en six ou huit parties, & l'intérieur étant bien nettoyé, on en forme des planches grossieres, un peu convexes d'un côté, servant à faire des fortes palissades, à clorre des engards, des magasins & des cases ; & si l'on a besoin de longues gouttieres pour conduire de l'eau, on fend un palmiste en deux, on en sépare avec un outil la partie mollasse, & l'ouvrage se trouve fait.
Les feuilles du palmier s'emploient à couvrir les cases, à faire des nattes, des sacs, des especes de paniers & d'autres petites commodités de ménage.
L'espece de palmier dont on tire une liqueur appellée vin de palme, est particuliere à la côte d'Afrique ; on en trouve cependant quelques arbres dans les îles de l'Amérique.
L'arbre qu'on appelle palmiste épineux, croît beaucoup moins haut que le précédent ; il est aussi plus renflé à son sommet vers la naissance des branches : cette partie & l'entre-deux des feuilles, sont hérissés d'épines longues de trois ou quatre pouces, déliées comme de grosses aiguilles, noires & très-lisses. Le chou que produit ce palmiste est d'une couleur un peu jaune, appétissante ; il a le goût de noisette, & est incomparablement meilleur que celui du palmiste franc.
Presque tous ces arbres, lorsqu'ils sont abattus, attirent de fort loin une multitude de gros scarabées noirs qui s'introduisent sous l'écorce dans la partie la moins dure, y déposent leurs oeufs, & produisent des vers gros comme le pouce, dont les créoles & les habitans se régalent, après les avoir fait rôtir dans des brochettes de bois. Voyez VER PALMISTE.
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PALMULAIRES | ou plutôt PARMULAIRES, s. m. (Hist. anc.) parmularii ; espece de gladiateurs, ainsi nommés, parce qu'outre le poignard dont ils étoient armés, ils portoient au bras gauche un petit bouclier rond, appellé par les Latins parma. Voyez GLADIATEURS & PARMA.
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PALMYRE | (Géog. anc. & mod.) ville de Syrie dans un désert de la Syrie, sur les confins de l'Arabie déserte en tirant vers l'Euphrate. Son nom hébreu est Tadmor, Thamor, ou Tedmor, selon Josephe, antiq. liv. VIII. ch. ij. qui la place à deux journées de la haute Syrie, à un jour de l'Euphrate, & à six de Babylone.
Ptolomée, liv. V. ch. xv. la met dans la Palmyrene, province de Syrie, & Procope aedif. liv. II. ch. xj. la place dans la Phénicie ; ce qui revient au même : car il parle de la Phénicie proche du Liban, qui est plus à l'orient que la Phénicie maritime. Il ajoute que Palmyre, qui avoit autrefois été bâtie dans un désert, se trouvant dans une situation fort commode pour observer les Sarrasins, & pour découvrir les courses qu'ils faisoient sur les terres de l'empire, Justinien la répara, y mit une puissante garnison, la pourvut d'eau, & réprima par ce moyen les irruptions de ces peuples. Cette ville eut le titre de colonie romaine, & Etienne le géographe dit qu'on la nomma quelquefois Hadrianopolis.
Il reste encore de superbes ruines de cette ville, élevée dans un désert, possédée par les rois de Babylone, ensuite devenue capitale d'un état célebre par ses richesses, par la puissance d'Odenat, & par le courage de Zénobie sa femme. Il n'est pas probable que la curiosité du lecteur en demeure-là : les ruines de cette ville sont trop intéressantes pour ne le pas porter à rechercher ce qu'elle a été, quand & par qui elle a été fondée, d'où vient qu'elle se trouve située si singulierement, séparée du reste du genre humain par un désert inhabitable, & quelle a dû être la source des richesses nécessaires pour soutenir sa magnificence. Voilà bien des motifs de curiosité.
L'Ecriture, I. Rois, ix. v. 18. & II. liv. Chron. viij. v. 4. nous apprend que Salomon fit bâtir Tadmor ou Tedmor dans le désert, après qu'il eut fait la conquête du pays d'Hamath-Zoba ; & Josephe nous assure que c'est la même ville que les Grecs & les Romains appellerent par la suite Palmyre, quoique les Syriens conservassent toujours le premier nom. Saint Jérôme pense que Tadmor & Palmyre ne sont que les noms syriens & grecs de la même ville. Ce qui semble fortifier cette opinion, c'est qu'à présent les arabes du pays l'appellent Tadmor. Mais il y a long-tems que tous les édifices que Salomon a pu élever dans ce lieu ne sont plus, puisque Nabuchodonozor détruisit cette Tadmor avant que d'assiéger Jérusalem.
On ne sauroit raisonnablement se persuader que des édifices dans le goût de ceux de Palmyre, soient antérieurs à ceux que les Grecs établirent en Syrie ; aussi n'en est-il point parlé dans l'expédition de Cyrus le jeune, ni dans celle d'Alexandre le grand, ni dans celle du regne de Séleucus Nicanor, qui fit bâtir & réparer tant de lieux en Syrie. L'importance de cette ville, en qualité de place frontiere, a dû être considérable même du tems de Séleucus Callinicus ; cependant l'histoire des Séleucides n'en dit mot.
Si nous examinons à présent l'histoire romaine, nous verrons qu'il n'en est pas encore fait mention quand Pompée fit la conquête de ce pays-là ; ce n'est que du tems de Marc-Antoine qu'il en est parlé pour la premiere fois dans cette histoire. Ce capitaine romain se voyant épuisé d'argent par les dépenses excessives qu'il faisoit en Syrie, & n'ayant pas de quoi payer ses troupes, imagina de donner le pillage de Palmyre à sa cavalerie au lieu de paye, & elle s'y rendit dans l'espérance de s'y enrichir ; mais les Palmyréniens ayant été avertis de bonne heure des desseins d'Antoine, mirent à couvert leurs familles & leurs meilleurs effets de l'autre côté de l'Euphrate, dont ils défendirent si bien le passage avec leurs archers, que l'armée d'Antoine s'en retourna sans succès. Cependant les Palmyréniens outrés du projet du triumvir, prirent le parti de s'unir avec les Parthes, pour se mettre à couvert de l'avarice des Romains.
Les Palmyréniens étoient alors un peuple riche, commerçant & libre. Ptolomée marque les noms des différentes villes de l'état palmyrénien ; mais Pline, l. V. cap. 25. a ramassé en peu de lignes les circonstances les plus frappantes de Palmyre, excepté qu'il ne parle pas des édifices. " Cette ville, dit-il, est remarquable par sa situation, son riche terroir & ses ruisseaux agréables. Elle est environnée de tous côtés d'un vaste désert sablonneux qui la sépare totalement du reste du monde ; & elle a conservé son indépendance entre les deux grands empires de Rome & des Parthes, dont le soin principal est, quand ils sont en guerre, de l'engager dans leurs intérêts. "
Palmyre dans son état florissant, ne pouvoit qu'absolument répondre à cette description. La situation en est belle, cette ville étant au pié d'une chaîne de montagnes à l'occident, & s'élevant un peu au-dessus du niveau d'une vaste plaine qu'elle commande à l'orient. Ces montagnes étoient chargées de monumens funebres, dont plusieurs subsistent encore presqu'en entier, & ont un air vénérable. Elles étoient aussi couvertes de palmiers, de même qu'une partie du désert ; car les palmiers croissent dans les déserts sablonneux les plus arides. Abulfeda fait mention des palmiers aussi-bien que des figuiers de Palmyre, & les négocians anglois qui y allerent d'Alep en 1691, rapportent y en avoir vu plusieurs.
Il n'est point parlé de Palmyre dans le voyage que fit Trajan en cette partie de l'orient, ni dans celui d'Adrien, quoiqu'ils ayent dû passer près de cette ville. On caractérise Palmyre de colonie romaine sur la monnoie de Caracalla. On trouve par les inscriptions qu'elle se joignit à Alexandre Severe dans son expédition contre les Perses. Elle se distingua sous Galien par la politique & les vertus d'Odenat palmyrénien, que l'empereur déclara Auguste, & associa à l'empire. Odenat laissa après lui sa femme Zénobie, si célebre par sa beauté mâle, sa science & ses conquêtes. On sait qu'Aurélien ayant pris Palmyre & fait cette princesse prisonniere, il l'amena à Rome pour orner son triomphe.
Sans doute que Palmyre, après avoir perdu sa liberté, eut un gouverneur romain. Justinien la fit réparer, & depuis lors, on n'apprend plus rien de Palmyre dans l'histoire romaine. On ne sait pas davantage ce qui est arrivé à Palmyre depuis Mahomet. Abulfeda, qui écrivoit vers l'an 1321, est presque le seul qui en parle ; encore fait-il une mention très-succincte de sa situation, de son terroir, de ses palmiers, de ses figuiers, des colomnes anciennes & en assez grand nombre qu'on y voyoit de son tems, de ses murs & de son château. Il est vraisemblable qu'il ignoroit & le nom grec, & l'histoire de cette ville ; il ne l'appelle que Tedmor.
Enfin on connoissoit si peu ses ruines avant la fin du dernier siecle, que si on en eût employé les matériaux à fortifier la place, ce qui auroit pû naturellement arriver, en conséquence d'une guerre entre la Turquie & la Perse, on sauroit à peine aujourd'hui que Palmyre a existé : exemple frappant du fort précaire auquel sont sujets les plus grands monumens de l'industrie & de la puissance humaine !
Mais en 1691 des négocians anglois eurent la curiosité d'aller voir ses ruines. On a publié dans les Transactions philosophiques la relation qu'ils en ont faite avec toute la candeur & la vérité possible. C'est ce que reconnoissent les gens de lettres également habiles & curieux, qui entreprirent en 1751 le voyage exprès de Palmyre : je parle de MM. Dawkins, Wood & Bouvery.
Ces hommes illustres, riches, unis par l'amour qu'ils avoient pour les antiquités & pour les beaux arts, l'habitude où ils étoient de voyager, savans dans le dessein & dans l'art de lever des plans, freterent un vaisseau à leurs dépens, parcoururent les îles de l'Archipel, pénétrerent dans l'Asie mineure, dans la Syrie, dans la Phénicie, dans la Palestine & l'Egypte, pour en voir les endroits les plus remarquables, moins encore pour connoître l'état présent de ce pays, que l'état ancien. Ils se pourvurent de livres, d'instrumens de mathématiques, de présens convenables pour les turcs de distinction, & autres auxquels ils se trouveroient obligés de s'adresser dans le cours de leur voyage.
Ces savans ont copié toutes les inscriptions qu'ils ont rencontrées sur leur route : ils ont plus fait, ils ont même emporté les marbres en Angleterre, toutes les fois qu'ils l'ont pu. Ils ont eu soin de se pourvoir d'instrumens pour creuser la terre ; & ils ont quelquefois employé les paysans à ce travail pendant plusieurs jours avec succès. Enfin de retour dans leur pays, ils nous ont donné les ruines de Palmyre, que le public desiroit avec empressement. Cet ouvrage magnifique publié à Londres en 1753, en anglois & en françois, contient 57 planches de forme d'Atlas, & qui sont admirablement gravées.
Il semble qu'on peut conclure par tout ce qu'ils nous en rapportent, qu'on a dû connoître les sources abondantes & continuelles des richesses de Palmyre, tout aussi-tôt qu'on a trouvé le passage du désert, & que dès le tems auquel le commerce a commencé d'attirer l'attention des hommes, on a dû faire cas de la situation d'une telle ville, qui étoit nécessaire pour entretenir la communication entre l'Euphrate & la Méditerranée, Palmyre n'étant qu'à environ 20 lieues de cette riviere, & à environ 50 de Tyr & de Sidon sur la côte.
Il est probable que les Phéniciens commercerent à Palmyre, & que ses richesses sont dues au commerce des Indes, commerce qui doit avoir considérablement fleuri dans cette ville avant la naissance de Jesus-Christ ; car on trouve par les inscriptions, que vers ce tems-là les Palmyréniens étoient opulens, & donnoient dans le luxe. Aussi Appien les appelle expressément commerçans en marchandises des Indes, du tems de Marc Antoine.
Ainsi les Palmyréniens ont été en état de faire la dépense magnifique de leurs édifices, que les écrivains ont jusqu'ici attribué sans aucune preuve aux successeurs d'Alexandre, ou aux empereurs romains. En effet, le commerce donnoit à Palmyre les richesses de l'orient & de l'occident ; car les caravanes de Perse & des Indes, qui viennent se décharger à Alep, s'arrêtoient alors à Palmyre ; de-là on portoit les marchandises de l'orient qui lui venoient par terre dans les ports de la Méditerranée, d'où elles se répandoient dans tout l'occident ; & les marchandises d'occident lui revenoient de la même maniere. Les caravanes de l'orient les portoient ici par terre en s'en retournant ; desorte que comme Tyr & ensuite Alexandrie avoient eu autrefois tout le négoce de l'orient qui se faisoit par mer, Palmyre eut aussi pendant quelque tems, & seule, tout le commerce qui se faisoit par terre. D'ailleurs ce pays ne pouvoit subsister que par le négoce ; mais la perte de la liberté de ses habitans ayant entraîné celle de leur commerce, la ruine de leur ville a été prompte.
Il est difficile de deviner le siecle des édifices dont on voit les ruines par monceaux, & qui sont gravées dans le bel ouvrage dont nous avons parlé ; mais il est évident qu'ils sont d'une plus grande antiquité, que ceux dont les ruines sont encore élevées en partie. Si ces ruines sont les restes les plus considérables & les plus complete s de l'antiquité que l'on connoisse, cela vient sans doute de ce que le climat est sec, de ce qu'il y a peu d'habitans dans le pays pour les gâter, & de ce qu'étant éloignée des autres villes, on n'a pas pu en employer les matériaux à d'autres usages.
On sait que la religion des Palmyréniens étoit la payenne ; & il paroît par la magnificence extraordinaire du temple du soleil, qu'ils rendoient un grand honneur à cette divinité, ainsi que les peuples de la Syrie dont ils étoient voisins.
On voit par l'histoire & par les inscriptions, que leur gouvernement étoit républicain ; mais il ne reste rien du tout de leurs lois & de leur police. On sait très-peu de choses de leurs coutumes ; leur méthode d'embaumer les corps étoit la même que celle des Egyptiens, & vraisemblablement ils avoient emprunté plusieurs autres coutumes de l'Egypte. Ils tenoient de ce pays-là la pompe extraordinaire des monumens pour leurs morts.
Enfin les Palmyréniens imitoient de grands modeles dans leurs manieres, dans leurs vices & dans leurs vertus. Les coutumes qu'ils observoient dans leurs funérailles venoient d'Egypte, leur luxe de Perse, leurs lettres & leurs arts de Grece ; situés au milieu de ces trois grandes nations, on peut raisonnablement supposer qu'ils en avoient adopté plusieurs autres choses. Qu'il est fâcheux de n'en pas savoir davantage d'un pays qui a laissé des monumens splendides, qui eut pour reine Zénobie, & Longin pour son premier ministre !
Il faut compter entre les monumens de Palmyre, le temple du soleil. Tout son enclos étoit un espace quarré, fermé de chaque côté d'une haute & belle muraille, & orné de pilastres par-dedans & par-dehors. Cet enclos renfermoit le temple environné de plusieurs rangs de colonnes de différens ordres, & d'environ cinquante piés de hauteur. Il n'en reste plus que seize : ces colomnes soutenoient la couverture d'une galerie ; le temple avoit 92 piés de longueur, & 40 de largeur. Ce lieu est changé en une mosquée, avec des ornemens à la mode des Turcs ; c'est-à-dire quelques inscriptions arabes, & des sentences tirées de l'alcoran, entrelacées de quelques feuillages. Tout l'espace de l'enclos est aujourd'hui rempli de méchantes huttes qui servent de demeure à des habitans également pauvres & misérables. Il n'y a peut-être pas de lieu au monde où l'on voie tout ensemble & plus de restes d'une ancienne grandeur, & plus de marques d'une désolation présente.
A la sortie de ce temple, on trouve dans l'espace d'un mille, une prodigieuse quantité de colonnes de marbre, dont quelques-unes sont debout, & les autres renversées dans la derniere confusion. Plus loin on apperçoit un grand nombre de ruines, mais parmi lesquelles on voit encore tant de grandeur, qu'on ne peut douter que Palmyre n'ait été une des plus belles villes de toute l'Asie.
En continuant à marcher du côté du nord, on découvre un obélisque considérable ; c'est une colomne composée de sept grandes pierres, outre son couronnement qui est au-dessus. La sculpture en est fort belle, ainsi que celle de tous les autres endroits. Sa hauteur est de plus de cinquante piés ; & apparemment il y avoit sur le sommet une statue que les Turcs ont mise en pieces. Sa grosseur au-dessus de son piédestal, est de douze piés & demi.
A l'orient & à l'occident de cet obélisque, on voit deux autres colonnes, qui en sont éloignées chacune d'environ un quart de mille. Elles semblent se répondre l'une à l'autre ; & auprès de celle qui est du côté de l'orient, il y en a une autre rompue, d'où l'on juge qu'on en avoit mis un rang tout du long dans cet endroit-là. On a mesuré celle qui est à l'orient, & l'on a trouvé qu'elle avoit plus de 42 piés de haut. Elle est grosse à proportion, & on y lit une inscription en langue grecque.
Cette inscription apprend que ceux qui avoient fait dresser cette colonne, étoient une nation libre, gouvernée par un sénat & par le peuple, & peut-être sous la protection de quelque puissant empire, tel que fut premierement celui des Parthes, & ensuite celui des Romains, qui ont souvent disputé aux Parthes la domination de ce pays-là. Cette forme de gouvernement des Palmyréniens avoit duré jusqu'au tems d'Aurélien qui prit cette ville en 272, sur la célebre Zénobie, la seconde femme du grand Odenat, chef ou prince des Palmyréniens, & qui ne rendit pas son nom moins recommandable.
Odenat avoit vengé sur les Perses la prise de l'empereur Valérien ; il avoit vaincu la plûpart des lieutenans de Sapor, & chassé de la Mésopotamie ce roi victorieux. Ces beaux exploits engagerent Galien à lui conférer la qualité d'Auguste dans les provinces romaines, en-deçà & au-delà de l'Euphrate ; mais ses victoires furent bornées par sa mort. Le perfide Méonius son parent, l'assassina dans un festin l'an 267 ; & l'on soupçonna Zénobie d'avoir consenti à cette action, indignée de la tendresse qu'Odenat témoignoit à son fils Hérode qu'il avoit eu d'une autre femme.
Sans ce crime de cruelle marâtre, dont l'accuse Trebellius Pollion, on pourroit mettre Zénobie au nombre des plus grandes raretés qu'on ait vues sur la terre. Ce fut une belle femme, chaste, savante, courageuse, sobre, & sachant par politique boire beaucoup de vin dans certaines occasions. Voici son portrait : Mulierum omnium nobilissima orientalium foeminarum, & ut Cornelius Capitolinus asserit, expeditissima, vultu subaquilo, fusci coloris, oculis suprà modum vigentibus, nigris, spiritus divini, venustatis incredibilis : tantus candor in dentibus, ut margaritas eam plerique putarent habere, non dentes.
Elle avoit beaucoup contribué aux victoires qu'Odenat remporta sur les Perses, & qui conserverent l'orient aux Romains. Aussi fut-elle honorée de la qualité d'Auguste par le même Galien. Après la mort de son mari, elle se maintint dans l'autorité, & regna d'une maniere très-vigoureuse & très-glorieuse. Elle se mit à la tête de ses troupes, força les Perses d'accepter la paix, & devint la terreur de toute l'Asie. Elle ne put souffrir que les Romains y tinssent aucune place que sous sa protection ; & les barbares ayant fait irruption de tous côtés dans leurs provinces, elle étendit ses conquêtes depuis les bords du Tigre jusqu'à ceux de l'Hellespont, prit le superbe nom de reine d'Orient, après que Zaba, l'un de ses plus grands capitaines, eut achevé de lui assujettir l'Egypte.
Cette princesse dont la valeur soutenue d'une prudence extraordinaire, avoit subjugué tant de provinces de l'Asie, fut enfin obligée de céder aux armes romaines. Aurélien, qui avoit défait les Sarmates, les Marcomans, & chassé tous les Barbares hors de l'empire romain, eut honte qu'une femme usurpât sur lui tant de pays : il se prépara à humilier cette reine ambitieuse. Il n'ignoroit pas sa réputation ni ses exploits. Il savoit qu'elle étoit aimée de ses soldats, respectée de ses voisins & redoutée de ses ennemis, & qu'elle égaloit Odenat en mérite & en courage.
Il marcha donc contr'elle avec toutes les forces de l'empire. Il la vainquit auprès de la ville d'Emese ; mais il lui en coûta ses meilleures troupes. Il mit ensuite le siege devant Palmyre, où cette princesse s'étoit retirée, & où il trouva plus de résistance qu'il ne l'imaginoit. Fatigué de la longueur du siege, & redoutant toujours les événemens que pouvoit amener le courage de Zénobie, il lui écrivit une lettre dans laquelle il lui marquoit que si elle se remettoit entre ses mains, il lui offroit la vie, un état honnête, & un lieu de retraite convenable à son rang. Cette illustre reine avoit trop de coeur pour écouter de pareilles conditions. Voici la réponse qu'elle fit à Aurélien.
" Zénobie, reine de l'Orient, à l'empereur Aurélien. Personne jusqu'ici n'a fait une demande pareille à la tienne. C'est la vertu, Aurélien, qui doit agir dans la guerre. Tu me mandes de me remettre entre tes mains : comme si tu ne savois pas que Cléopatre aima mieux mourir avec le titre de reine, que de vivre dans toute autre dignité. Nous attendons le secours des Perses. Les Sarrasins arment pour nous. Les Arméniens se sont déclarés en notre faveur. Une troupe de voleurs dans la Syrie a défait ton armée. Juge ce que tu dois attendre, quand toutes ces forces seront jointes. Tu rabattras de cet orgueil avec lequel, comme maître absolu de toutes choses, tu m'ordonnes de me rendre ".
Cette lettre n'inspira que de la colere à Aurélien ; il poussa le siege de Palmyre avec vigueur, & Zénobie n'ayant plus d'espérance d'empêcher la prise de sa capitale, en sortit secrettement. Aurélien en fut averti, & la fit suivre avec tant de diligence, qu'on l'atteignit lorsqu'elle étoit déja dans le bac pour passer l'Euphrate : ce fut en 272, & la ville de Palmyre fut prise peu de jours après.
Quoique toute l'armée demandât la mort de Zénobie, Aurélien aima mieux la reserver pour servir d'ornement à son triomphe. Elle fut menée à Rome deux ans après, chargée de pierreries, de fers d'or aux piés, & de chaînes d'or aux mains ; ensuite l'empereur lui permit de passer le reste de ses jours avec ses enfans en personne privée dans une maison qu'il lui donna, & dont on voit encore les ruines près de Tibur.
Mais Aurélien fit mourir les ministres qui avoient assisté Zénobie de leurs conseils. Entre ceux-là, Longin fut extrêmement regretté. On le soupçonna d'être l'auteur de la lettre dont nous avons donné la copie, & sa mort fut aussi glorieuse pour lui qu'honteuse pour l'empereur, dont elle a pour jamais flétri la mémoire. Longin mourut en philosophe, avec une constance admirable, consolant lui-même tous ceux que son malheur touchoit de pitié & d'indignation. Je vais donc achever de faire connoître ce grand personnage.
Il se nommoit Dionysius Longinus Cassius. On ignore le nom & la qualité de son pere ; sa mere étoit soeur du fameux orateur Cornelius Fronto, petit-fils du philosophe Plutarque. Fronton enseigna long-tems l'éloquence dans Athènes avec beaucoup de réputation. Il y mourut, après avoir institué pour héritier son neveu Longin, qui étoit vraisemblablement syrien & natif d'Emèse : c'est pour cela que Zénobie le fit venir à sa cour, & l'admit dans son conseil.
Ce qui donne encore du poids à l'opinion que Longin étoit natif de Syrie, c'est une inscription que le savant Hudson a trouvée dans le comté de Chester, & qui prouve que les Longins étoient citoyens de Samosate en Syrie. Voici cette inscription : Flavius Longinus Trib. Mil. Leg. XX. Longinus filius ejus domo samosata.
Longin employa, comme il nous l'apprend lui-même, dans un fragment conservé par Porphyre, sa jeunesse à voyager avec ses parens, pour s'instruire de plus en plus dans les belles lettres & dans la philologie, en étudiant sous tous les hommes de son tems les plus célebres. Son traité du sublime lui acquit la plus grande réputation, & fut cause qu'on lui donna le droit de revoir & de juger souverainement les ouvrages des anciens. C'est dommage que ce traité du sublime ne soit pas parvenu à nous tout entier, & qu'il s'y trouve même plusieurs endroits défectueux. Néanmoins tout défiguré qu'il est, il nous en reste encore assez pour nous faire concevoir une grande idée de son auteur, & pour nous donner du regret de la perte de ses autres ouvrages de critique. Le nombre n'en étoit pas médiocre. Suidas en compte jusqu'à neuf, dont il ne nous reste plus que le titre assez confus. Zénobie, après l'avoir appellé auprès d'elle pour s'instruire dans la langue grecque, en fit un de ses principaux ministres, & ce rang éminent lui coûta la vie.
Il est vraisemblable que ce fut lui qui engagea la reine de Palmyre à protéger Paul de Samosate, qui avoit été condamné au concile d'Antioche ; & cette protection puissante empêchoit pour lors qu'il ne fût chassé de son église. Il n'en a pas fallu davantage à S. Athanase pour assurer que Zénobie étoit juive de religion. Mais par quelle raison une princesse payenne n'auroit-elle pas protégé un savant qu'on lui recommandoit comme malheureux & opprimé ?
Les anglois qui furent aux ruines de Palmyre en 1691, y recueillirent dès-lors plusieurs inscriptions grecques, & quelques-unes en langue palmyrénienne. On les a communiquées au public, & elles ont été imprimées à Utrecht en 1698, sous le titre de Inscriptiones graecae Palmyrenorum. On y en joignit en même tems quelques-unes en caracteres du pays, dans l'espérance qu'on pourroit déchiffrer ces caracteres pour en faire un alphabet ; mais personne n'a pu encore remplir ce desir, & peut-être que cette recherche doit être mise au nombre des curiosités inutiles.
Il n'en est pas de même de la médaille de la reine Zénobie, trouvée en 1690 dans les ruines de Palmyre, & que M. Vaillant le pere a expliquée dans les mémoires de littérature, tom. II. in -4°.
Cette médaille est de bronze, & de petit moule ; mais quoique le métal n'en soit pas considérable, non plus que la grandeur, la rareté en récompense bien le prix & le mérite. Elle a d'un côté une tête de femme avec cette inscription : CEPT ZHNOBIA CEB. Sa coëffure est à la romaine, comme celles du tems de Salonine, femme de l'empereur Galien ; & quoique cette princesse soit étrangere, elle ne porte pas le nom de reine, ni le diadème. Elle prend le titre d'Auguste qui avoit été accordé à son mari.
M. Seguin est le premier qui nous a donné le portrait de cette illustre conquérante, qu'il a mis dans ses médailles choisies au nombre des plus rares, avec le type de l'espérance au revers. Patin, dans son livre du moyen bronze, y a ajouté un second type de l'image de l'abondance. Tristan avant eux avoit écrit une partie de la vie de Zénobie, quoiqu'il n'eût donné aucun monument de cette héroïne. (D.J.)
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PALMYRÈNE | (Géog. anc.) contrée de la Syrie. Elle étoit grande & peuplée d'un assez grand nombre de villes inconnues pourtant dans l'histoire, à la réserve de Palmyre, qui étoit la capitale, & qui donnoit le nom à la contrée. Ptolomée est le seul des anciens qui nous ait donné le nom des villes de la Palmyrène. Pline, liv. V. chap. xxiv. parle d'un grand désert, qu'il nomme le désert de Palmyrène, Palmyrena solitudo ; ce désert joignoit celui de l'Arabie déserte, & se continuoit jusqu'à l'Arabie heureuse. (D.J.)
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PALO DE LUZ | (Hist. nat. Bot.) Ce mot signifie bois de lumiere. Les Espagnols donnent ce nom à une plante qui s'éleve ordinairement de la hauteur de deux piés. Elle est composée de plusieurs tiges qui sortent d'une racine commune ; ces tiges sont droites & unies jusqu'au sommet, où elles poussent de petits rameaux garnis de feuilles très-menues ; ces tiges sont à-peu-près égales, elles ont environ trois lignes de diametre. Lorsqu'on a coupé cette plante, elle s'allume, quoique toute verte, & donne une lumiere aussi forte que celle d'un flambeau. On trouve cette plante dans le Pérou ; elle croît dans quelques terreins qui se trouvent au haut des cordilieres, & que l'on nomme paramos. Voyez cet article.
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PALOMA-TORCAZ | (Hist. nat.) oiseau des îles Philippines, qui est à-peu-près de la grosseur d'une grive. Son plumage est mêlé de verd, de gris, de rouge & de blanc. Il a une tache d'un rouge vif sur l'estomac ; son bec & ses piés sont de la même couleur.
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PALOMBE | (Diete & Mat. méd.) voyez PIGEON.
PALOMBES ou HELINGUES, s. f. (terme de Cord.) ce sont des bouts de corde qu'on attache par un bout à chaque manivelle, où ils sont retenus par des clavettes, & par l'autre extrémité aux fils de la corde qu'on veut commettre.
L'épaisseur du toupin, l'embarras du chariot, l'intervalle qui est nécessairement entre chaque manivelle, & plusieurs autres raisons, font que les cordages ne peuvent pas être commis jusqu'auprès du chantier. On perdroit donc toutes les fois qu'on commet un cordage, une longueur assez considérable de fils, si on les accrochoit immédiatement à l'extrémité des manivelles ; c'est pour éviter ce déchet inutile qu'on se sert des palombes.
Ces palombes servent très-long-tems, & économisent des bouts de cordage, qui, dans le courant de l'année, feroient une consommation inutile, & néanmoins fort considérable. Voyez l'article CORDERIE.
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PALOMERA | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans l'île de Majorque, au Nord-est de l'île. Les anciens appelloient cette petite ville Palumbaria. Long. 20. 15. lat. 29. 30.
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PALONIER | terme de Charron. Ce sont deux morceaux de bois rond, de la longueur de deux piés, qui sont attachés avec de gros liens de cuir aux extrémités de la volée, & qui servent pour atteler les chevaux. Voyez les Planches du Charron.
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PALONNEAU | S. m. (Charpenterie) C'est un morceau de bois plané, long de deux piés & demi, au bout duquel on met des traits pour tirer le carrosse ou quelque affût d'artillerie. (D.J.)
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PALOS | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans l'Andalousie, avec un méchant port, à l'embouchure du Rio-Tinto, à 20 lieues S. O. de Séville. Long. 11. 32. lat. 37. 8.
C'est de ce méchant port de Palos, que partit Colomb pour la découverte du nouveau monde, le 23 Août 1492, avec une patente de la cour d'Espagne, & trois petits vaisseaux, dont le prieur Pérez, & deux négocians nommés Pinzono, avancerent les frais de l'armement montant à dix-sept mille ducats. (D.J.)
PALOS, CAP DE, (Géog. mod.) cap dans la mer Méditerranée, & sur la côte du royaume de Murcie. Sur le bout de la pointe de ce cap il y a une tour quarrée, & aux environs de la pointe quelques écueils, tant hors de l'eau qu'à fleur d'eau.
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PALOTTE | S. f. (Jurisprud.) est un nom que l'on donna à la paulette, ou annuel, du nom d'un certain Palot qui en fut le second fermier ; mais on l'appelle plus communément paulette. Voyez ANNUEL & PAULETTE. (A)
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PALOURDE | S. f. (Conchyliol.) par Rousselet pelourde ; coquille bivalve, qui n'est point béante. C'est une sorte de came à réseaux fins & serrés, d'un gris clair, rayonnée du centre à la circonférence, traversée de cercles, avec de grandes taches sombres plus foncées que la couleur principale. Ses valves sont ordinairement dentelées & cannelées, parce que l'animal l'est aussi.
Il fait sortir comme la boucarde du côté le plus allongé de sa coquille, un corps membraneux & lisse, qui se divise en sortant en deux tuyaux faits en croissant, minces & blancs, à l'exception de leur extrémité qui est jaune, avec une ouverture garnie de petits poils blancs, qui en se repliant sur eux-mêmes, servent à sceller la bouche de l'animal, & à retenir l'eau dont il est rempli. Ces deux tuyaux, quoique séparés dans toute leur longueur extérieure, se communiquent intérieurement ; de maniere que l'eau de la mer qui s'insinue, soit par le canal inférieur ou par le supérieur, se vuide tout d'un coup, quand l'animal veut se remplir de nouvelle eau. Au moyen de cette opération réitérée, l'animal peut jetter l'eau à près d'un pié de sa coquille. Tout son mouvement consiste à porter en ligne droite une jambe triangulaire de couleur blanche, dans l'endroit où la coquille est située, & à l'opposite des deux tuyaux, sans la replier sur elle-même.
Comme la came est ordinairement dans un fond vaseux, elle ne tend qu'à s'ensevelir & à se cacher dans la vase ; elle tâte d'abord le terrein à droite & à gauche, & à force de mouvement elle s'y enfonce, en repliant sa jambe sous la valve qui touche à la terre.
Si cette opération qui la fait pénétrer un peu avant dans la petite fosse qu'elle a creusée, ne suffit pas, elle fait incliner le côté de sa coquille qui lui répond, & la dresse sur le tranchant des valves ; la jambe n'y peut parvenir qu'à force de s'enfoncer & de tirer à soi sa maison. Un quart-d'heure suffit à peine à cette opération ; il lui faut ensuite peu de tems par son propre poids pour se cacher entiérement. Voyez Dargenville, Conchyl. & les Mem. de l'acad. des Scienc. année 1710. (D.J.)
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PALPABLE | adj. ce qui se peut appercevoir par le sens du toucher. Voyez SENS, UCHERCHER.
Ce mot se dit aussi dans le sens métaphorique. Ainsi on dit : tel raisonnement est palpable, pour dire qu'il est facile à l'esprit de le saisir.
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PALPITATION | S. f. (Médec.) Toute action qui produit un mouvement déréglé involontaire, un peu plus fort que le tremblement, dans un organe animal, vital & particulier, s'appelle palpitation.
Il faut chercher les causes de ce phénomene, ou dans les parties solides, ou dans les fluides, ou dans l'action unanime des uns & des autres.
Les causes organiques qui empêchent le sang de circuler librement dans le coeur, comme l'ossification de ce viscere, la callosité, le calcul, l'excroissance, la tumeur, l'induration, le grumeau, l'ulcere, la concrétion avec le péricarde. Les mêmes maladies des arteres aorte & pulmonaire, les anévrismes & les varices causent aussi une palpitation de longue durée, qui augmente fortement en même proportion que le mouvement musculaire avec un pouls inégal, & une respiration suffoquante. Souvent il est facile d'entendre le mouvement du coeur, & de le sentir extérieurement à la faveur du toucher. Il n'y a guere de remèdes qui puissent guérir cette espece de palpitation ; ceux qui y sont sujets, doivent éviter tout ce qui peut augmenter le mouvement musculaire, de crainte qu'ils ne soient suffoqués par une trop grande quantité de sang amassé dans le coeur.
Mais si dans les fievres aiguës, inflammatoires, érésipélateuses, ou rhumatismales, soit que les parties en question soient attaquées de ces maladies, soit que la fievre y produise une métastase, la palpitation qui y survient est dangereuse, & doit être traitée comme une maladie aiguë.
Les corps trop mobiles, comme ceux des hystériques & des hypochondriaques, pour peu qu'ils s'abandonnent a une seule passion de l'ame, qu'on trouble leur sommeil dans le tems des regles, dans leur suppression & dans les pâles couleurs, tombent dans la palpitation, qui cesse dès qu'on a remédié à leur excessive mobilité.
Les vers qui se trouvent attachés à quelque endroit du corps, sur-tout au péricarde, produisent par leur mouvement déréglé & leur picotement, une palpitation qu'il faut, suivant les auteurs, traiter par le secours des amers.
Le trop grand épaississement d'une humeur qui l'empêche de circuler librement, & qui tend à acquérir un caractere de lenteur, qu'on connoît par la présence d'une fievre aiguë, ou par les marques de celle qui a précédé, cause une très-dangereuse palpitation, dont le traitement consiste dans l'usage des antiphlogistiques.
A l'égard de l'épaississement crud, visqueux, cacochyme, il produit de la même maniere la palpitation par sa trop grande difficulté à circuler ; mais on le connoît aisément aux autres marques dont on a fait mention, & il se dissipe en même tems que ces maladies se trouvent guéries.
Souvent les parties picotées par quelqu'acrimonie, comme dans le scorbut, la goutte, le catarrhe erratique ou repoussé à l'intérieur du corps, tombent dans la palpitation, qu'on doit traiter conséquemment à la connoissance de l'acrimonie.
La palpitation qui suit l'ordre des fievres intermittentes, demande l'usage des fébrifuges ; mais celle qui dure après la guérison de la fievre, & qui provient de foiblesse, ou d'un grumeau laissé dans quelque partie (à quoi il faut avoir égard dans la curation), ne cede point aux fébrifuges ; il faut donc découvrir sa cause, & y appliquer les remedes convenables.
Dans l'affoiblissement des forces, & les évacuations trop abondantes, on a vû naître des palpitations qui ont trouvé leur guérison dans les alimens de facile digestion, & les corroborans.
Souvent aussi la palpitation du coeur & des autres parties, est causée par une sérosité ou une pituite amassée dans la tête ; elle se guérit, dès qu'il se fait quelqu'évacuation par les oreilles ou par le nez.
Presque toutes les évacuations naturelles ou morbifiques supprimées, font naître une palpitation qui se dissipe aussi-tôt par le relâchement du ventre, par la saignée, ou quelqu'autre évacuation artificielle.
La plus dangereuse de toutes les palpitations, est celle qui arrive dans ces sortes de fievres aiguës, qui après l'épuisement des forces, tendent au sphacele. (D.J.)
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PALPLANCHES | S. f. Voyez PAL-A-PLANCHE. On lit, Science des Ing. liv. III. p. 57, que quand on veut garnir les devans des fondemens par des pilots de bordage, on y fait quelquefois des rainures qui se répondent diamétralement, & l'on introduit des palplanches. La largeur des rainures se proportionne à l'épaisseur des palplanches.
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PALSEY | (Géog. mod.) ville d'Ecosse dans la province de Cleydsdale ; elle étoit autrefois renommée par une abbaye de l'ordre de Clugny. Elle est sur le Carl, à 15 lieues d'Edimbourg, 133 de Londres. Long. 12. 40. lat. 56. 30.
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PALTA | S. f. (Hist. nat. Bot.) fruit qui croît au Pérou. Les Espagnols l'appellent poire, les Sauvages palta, de la province où il croît. Il est plus gros que notre poire. Il a la peau mince & unie, & la chair épaisse d'un travers de doigt. Au centre il y a un noyau de la même force que le fruit. La chair est saine & de bon goût. On la permet aux malades avec du sucre. L'arbre qui porte la palta, est désigné par les Botanistes sous le nom de palsifera arbor. Frézier dit que la palta est également grosse par les deux bouts ; que la chair & la peau en sont verdâtres, & qu'on la mange avec du sel & du sucre. Au reste c'est la même chose que l'aguacates. Le noyau rond ou un peu pointu, est de la grosseur d'une châtaigne. La pulpe est molle comme le beurre, & elle en a un goût mêlé de celui de noisette. On la bat pour la manger avec le sucre & le jus de citron : c'est la meilleure maniere de l'apprêter.
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PALUDAMENTUM | S. f. (Antiq. Rom.) C'étoit l'habit militaire du général des armées romaines. Il ne prenoit cet habit qu'en partant de la ville, lorsqu'il avoit reçu la qualité de général d'armée ; & pendant deux siecles & demi les empereurs n'oserent point le porter dans Rome. Galien est le premier qui l'ait porté dans la ville.
Les uns font de cet habillement une cote d'armes, chlamys ; les autres une sorte de manteau qui couvroit l'épaule gauche, & s'attachoit sur la droite avec une agraffe d'or. Peut-être est-il possible de tout concilier, en disant que le paludamentum comprenoit & la cote d'armes, & cette espece de manteau. Quoi qu'il en soit, le paludamentum étoit écarlate & pourpre ; mais il paroît que l'écarlate y dominoit.
Vitellius étant prêt d'entrer dans Rome avec cet habillement, ses amis ne manquerent pas de lui représenter, que ce seroit traiter la capitale de l'empire comme une ville prise d'assaut. Sur leur remontrance, il quitta le paludamentum, pour revêtir la robe consulaire. Ipse Vitellius à ponte Milvio, insigni equo, paludatus, accinctusque, senatum & populum ante se agens, quominus ut captam urbem ingrederetur, amicorum consilio deterritus, sumptâ pretextâ, & composito agmine incessit. Plus de six-vingt ans après, le même cérémonial fut observé lors de la magnifique entrée de Severe, qui se trouve décrite dans l'abrégé de Dion. Ce prince étant venu jusqu'à la porte de la ville en habit de guerre, descendit de cheval, prit la toge, & fit à pié le reste du chemin.
Lucullus si connu par le luxe qu'il introduisit le premier à Rome, où la magnificence de ses bâtimens, de ses équipages, & de sa table, donna l'exemple, avoit tant de paludamenta, qu'il en ignoroit la quantité. Horace lui en donne cinq mille destinés à être apprêtés pour des représentations de théâtre. Les cinq mille sont sans doute une exagération que demandoit le vers ; mais enfin Plutarque lui en donne deux cent, & c'est assez pour qu'on puisse dire avec le poëte, que Lucullus n'en savoit pas le nombre. (D.J.)
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PALUDE | (Géog. mod.) ville d'Asie dans les états du Turc, au gouvernement d'Erzerom, près de l'Euphrate. Elle est située sur une montagne escarpée de tous côtés, & cependant habitée par des mahométans & des chrétiens. Long. 57. lat. 38. 35.
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PALUS-MÉOTIDE | LE, (Géog. anc.) en latin Palus-Maetis, grand golfe ou mer, entre l'Europe & l'Asie, au nord de la mer noire ; avec laquelle le Palus-Maeotide communique, par le moyen d'une embouchure appellée anciennement le bosphore Cimmérien. Les anciens lui ont donné tantôt le nom de lac, tantôt celui de marais. Pline, l. II. c. lxvij. l. V. c. xxij. & Pomponius Mela, l. I. c. i. & ij. se servent indifféremment des mots lacus & palus, pour désigner cette mer. En effet, on pourroit ne la considérer que comme un grand marais, attendu le peu d'eau qu'on y trouve en plusieurs endroits. Lucain dit, l. II. v. 641.
Pigra Palus scythici patiens Maeotica plaustri.
Les Grecs, comme Strabon, l. II. p. 125. le Périple de Scylax & Ptolomée, l. V. c. ix. désignent cette mer par le mot de , qui veut dire un marais.
Depuis l'isthme qui joint la Chersonese Taurique au continent, jusqu'à l'embouchure du Tanaïs, aujourd'hui le Don, le Palus-méotide s'étend du Sud-Ouest au Nord-Est. Strabon lui donne neuf mille stades de circonférence, & le Périple de Scylax juge que sa grandeur répond à la moitié de celle du Pont-Euxin ; mais ni l'un ni l'autre n'ont touché le but, & il ne leur étoit guere aisé de marquer au juste l'étendue d'un endroit peu connu, & habité par des nations barbares, puisqu'aujourd'hui même, tous les Géographes ne sont pas encore d'accord sur la véritable grandeur du Palus-Maeotide. Les peuples qui habitoient sur ses bords, étoient appellés anciennement Maeotae, Maeotici & Maeotidae. Ptolomée en a décrit la côte.
Aujourd'hui le Palus-Maeotide qui se trouve avoir conservé son ancien nom, & qu'on appelle aussi la mer de Zabache, est habité au nord par les petits Tartares, à l'Orient & au Midi, en partie par les Circassiens, & à l'Occident méridional par les Tartares Crimées.
Ce grand golfe ou mer, est situé vers le 60 degré de longitude, & le 46. de lat. septent. On lui donne 200 lieues de circuit. (D.J.)
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PAMBON | S. m. (Hist. nat. Ophyolog.) serpent des Indes, sur lequel on ne lit que des choses vagues dans les lettres édifiantes ; que le venin en est vif ; que les murailles de terre dont les pauvres maisons des missionnaires sont construites, l'attirent ; qu'il est plus commun à Maduré qu'ailleurs, parce qu'il est sacré ; qu'on le revere ; qu'on le nourrit à la porte des temples, & qu'on le reçoit dans les maisons ; qu'on a un remede contre sa morsure, &c. voilà ce qu'on appelle faire l'histoire en voyageur ignorant, & non en naturaliste.
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PAMÉ | adj. m. Terme de Blason, c'est-à-dire, à gueule béante & comme évanouie ; ce mot s'employe particulierement du dauphin d'Auvergne sans langue, & la levre ouverte, pour le distinguer du dauphin de Viennois, qui est représenté vif. Il se dit aussi de l'aigle qui n'a point d'yeux, & qui a le bec si crochu & si long, qu'elle ne peut plus rien prendre pour se nourrir.
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PAMÉE | terme de Brasserie ; il se dit d'une piece qui ne jette plus de guillage.
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PAMER | SE PAMER, v. neut. Voyez PAMOISON.
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PAMIER | ou PAMIEZ, (Géog. mod.) en latin moderne Apamia ; ville de France dans le haut Languedoc, au pays de Foix, avec un évêché suffragant de Toulouse, érigé en 1296. Cette ville a souvent été saccagée, & ne contient gueres aujourd'hui que trois mille ames. Elle est sur l'Auriegue, à 3 lieues N. de Foix, 15 S. de Toulouse, 195 S. O. de Paris. Long. 19. 56. lat. 44. 7.
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PAMISUS | (Géog. anc.) il y a trois fleuves qui portent ce nom ; le premier étoit situé dans le Péloponnèse, ayant son embouchure au fond du golfe de Messénie, il se joignoit avec l'Alphée ; le second étoit un fleuve de Thessalie ; le troisieme étoit dans la basse Moesie. Ptolomée, qui l'appelle Panysus, en met l'embouchure entre Odessus & Mesembria. (D.J.)
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PAMMELIS | S. f. (Mythol.) nom que l'on donnoit à Osiris ; il est formé de , tout, & de , il a soin. Le Dieu qui veille à tout, la nature.
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PAMMETRE | VERS (Poésie) c'étoit une espece de poésie latine fort semblable à nos pieces françoises de vers irréguliers, où l'on employoit des vers de toutes sortes de grandeur, sans aucun retour régulier, & sans aucune combinaison uniforme. Ces vers s'appelloient aussi saturniens, d'une ancienne ville de Toscane nommée Saturnia. (D.J.)
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PAMMILIE | ou PAMYLIES, s. f. pl. (Mythol.) pammilia sacra, fêtes en l'honneur d'Osiris. La fable raconte qu'une femme de Thèbes en Egypte, étant sortie du temple de Jupiter pour aller chercher de l'eau, entendit une voix qui lui ordonnoit de publier qu'Osiris étoit né, qu'il seroit un jour un grand prince, & feroit le bonheur de l'Egypte. Pamila, c'étoit le nom de cette femme, flattée de cette espérance, nourrit & éleva Osiris. En mémoire de la nourrice, on institua une fête, qui de son nom fut appellée Pamylie. On y portoit une figure d'Osiris assez semblable à celle de Priape, parce qu'Osiris étoit regardé comme le dieu de la génération.
L'auteur de l'histoire du Ciel donne à cette fête une origine bien plus simple : le nom des Pamylies, dit-il, ne signifie que l'usage moderé de la langue. Delà là vint la coutume que les Grecs avoient dans les sacrifices, de faire crier & adresser au peuple ces paroles , favete linguis, parcite verbis, abstenez-vous de parler, reglez votre langue ; mais par la suite on prit pour une cérémonie relative au sacrifice, ce qui étoit originairement une excellente leçon de discrétion & de conduite, adressée à tous les assistans : & c'est, ajoute-t-il, parce que les pamylies ou phamylies étoient une leçon propre à rendre les hommes sociables & heureux, que toutes les petites troupes de parens ou d'autres personnes qui vivent en société ont pris en occident le nom de familles.
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PAMOISON | sorte de lipothymie ou de défaillance, dans laquelle le malade perd la force, le sentiment & la connoissance. Voyez LIPOTHYMIE, DEFAILLANCE, &c.
La pamoison peut être occasionnée par tout ce qui altere, corrompt ou dissipe les esprits vitaux ; comme les longues veilles, les douleurs violentes, les grandes & soudaines évacuations, les vapeurs putrides qui s'exhalent des abscès dans les parties nobles, comme il arrive dans la rupture d'une vomique, dans l'ouverture de quelque abscès interne, & qui est un peu considérable.
La pamoison est sur-tout ordinaire dans les malades, qui sont sujets à l'affection hypochondriaque & hystérique. Les spasmes & les irritations du genre nerveux sont la cause de cette espece de pamoison, & les narcotiques joints aux antispasmodiques y produisent des effets salutaires.
La pamoison survient aussi dans les inflammations des visceres ; tels que l'estomac, la matrice, ce qui est occasionné par la trop grande sensibilité de ces parties. La saignée y est alors un remede, mais elle doit être petite & souvent répétée.
Au contraire, lorsque la pamoison est produite par les évacuations immodérées, on doit employer des cordiaux ; tels que la confection d'alkermès, l'orviétan & autres semblables ; le repos & les remedes volatils sont sur-tout utiles, joints aux alimens restaurans ; cette maladie on ce symptome attaque souvent les convalescens.
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PAMPANGA | (Géog. mod.) province de l'île de Luçon, la principale des Philippines, dans la partie méridionale de l'île. Les Zambales, peuples féroces, & les noirs aux cheveux crêpus, comme ceux d'Angola, demeurent dans les montagnes de cette province.
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PAMPE | S. f. (Botan.) partie herbacée, roulée, en forme d'un petit ruban, qui vient attaché au tuyau de la plûpart des grains, lorsqu'un tuyau est pendant par les racines, & qu'il se forme en épi. On dit la pampe du blé, de l'orge, de l'avoine.
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PAMPELONNE | (Géog. mod.) petite ville de France en Languedoc, à 5 lieues d'Alby. Longit. 19. 56. lat. 44. 7.
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PAMPELUNE | (Géog. mod.) en latin Pompeiopolis, ville considérable d'Espagne, capitale de la Navarre, près des Pyrénées, avec une forte citadelle & un riche évêché, suffragant de Burgos ; S. Firmin en est regardé comme le premier évêque. On dit que cette ville fut bâtie par Pompée ; c'est la résidence d'un viceroi. Elle est dans une plaine fertile sur l'Arga, à 17 lieues S. de Bayonne, 35 S. E. de Bilbao, 65 N. E. de Madrid, 30 N. O. de Sarragosse. Long. 16. 10. lat. 42. 40.
Ici mourut en 1253 Thibaut, comte de Champagne, roi de Navarre, si célebre par son amour pour la reine Blanche, mere de S. Louis, par ses poésies & par ses chansons ; M. l'Evêque de la Ravalliere en a donné une édition en 1742. en 2 vol. in -12.
PAMPELUNE, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au nouveau royaume de Grenade ; elle est à 60 lieues de Santa-Fé. Long. 308. 55. lat. 6. 30. (D.J.)
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PAMPHI | S. m. (Hist. mod.) nom du second mois de l'année des Egyptiens ; il se nomme aussi phaopsi, paothi, pampsi & parphi ; il répond à notre mois d'Octobre.
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PAMPHYLIA | (Géog. anc.) contrée de l'Asie mineure ; bornée au nord, par la Pisidie & l'Isaurie ; à l'orient, par la Cilicie ; au midi, par la mer de Pamphylie ; & à l'occident, par la Lycie, selon Cellarius.
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PAMPINIFORME | VAISSEAU (Anatom.) On entend par vaisseaux pampiniformes, les veines & les artères spermatiques, contenues sous une enveloppe commune ; on leur a donné ce nom, parce qu'elles forment un grand nombre de circonvolutions qui paroissent entortillées comme les tendrons de la vigne. (D.J.)
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PAMPRE | S. f. (Arch. décorat.) feston de feuilles de vigne & de grappes de raisin, ou ornement en maniere de seps de vigne, qui sert à décorer la colonne torse ; il y a des colonnes corinthiennes ainsi ornées à la porte du choeur de Notre-Dame de Paris. Daviler.
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PAMPRÉ | adj. (Blason) il se dit de la grappe du raisin attachée à sa branche. Ollier à trois grappes de raisins d'azur pamprées de synople.
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PAN | S. m. (Mythol.) le dieu des bergers, des chasseurs & de tous les habitans des champs ; il étoit fils de Mercure & de Pénélope. Mercure se métamorphosa en bouc pour plaire à Pénélope. Voilà l'origine de ses cornes & de son pié fourchu ; & la naissance du chef de toute la famille des faunes & des satyres. L'accouplement de l'homme avec la chevre ne produit rien ; il n'y a pas d'apparence que celui du bouc avec la femme soit moins stérile : ainsi il est à présumer que tout ceci est purement fabuleux. Il s'appella Pan, à ce que dit un ancien mythologue, parce que Pénélope, moins chaste qu'on ne la fait, rendit heureux tous ses amans dans l'absence d'Ulysse, & que cet enfant fut le fruit de ce libertinage. Epimenide fait naître Pan de Jupiter & de Caliste, & lui donne Arcas pour frere jumeau ; d'autres le croient fils ou de l'air & d'une néréide, ou du ciel & de la terre. Ce dieu n'est pas beau : mais s'il n'est pas le symbole de la beauté ; barbu, chevelu, velu, cornu, fourchu ; il l'est bien de la force, de l'agilité & de la lasciveté. On le représente communément avec la houlette & la flûte à plusieurs tuyaux. On le regarde comme le dieu des chasseurs, quoique son histoire nous le montre plus âpre à la poursuite des nymphes que des animaux. Les Arcadiens le révéroient particulierement ; il rendit parmi eux des oracles. Ils lui offroient du lait de chevre & du miel ; ils célébroient en son honneur les lupercales. Evandre l'Arcadien porta son culte & ses fêtes en Italie. Les Egyptiens ont eu des idées toutes différentes de Pan. Selon eux, ce fut un des généraux d'Osiris ; il combattit Typhon. Son armée ayant été enfermée dans une vallée, dont les avenues étoient gardées ; il ordonna pendant la nuit à ses soldats de marcher en poussant de grands cris, que les échos multiplierent encore. L'horreur de ce bruit inopiné saisit l'ennemi, qui prit la fuite ; de-là vient ce qu'on appelle terreur panique. Polyen attribue à Pan l'invention de l'ordre de bataille, de la phalange, de la distribution d'une armée en aîle droite, en aîle gauche ou cornes, & prétend que c'est de-là que ses cornes lui viennent. Hygien dit que ce fut Pan qui conseilla aux dieux dispersés par les géans, de se métamorphoser en animaux, & qu'il leur en donna l'exemple en prenant la forme de la chevre. Il ajoute que les dieux le récompenserent de son avis en le plaçant au ciel, où il fut la constellation du capricorne. On l'honora tellement en Egypte, qu'on lui bâtit dans la Thébaïde la ville appellée Chemnis ou ville de Pan. On voyoit sa statue dans tous les temples. Le nom de Pan, qui signifie tout, donna lieu à l'allégorie où ce dieu est pris pour le symbole de la nature. Ses cornes sont les rayons du soleil ; l'éclat de son teint désigne celui du ciel ; la peau de chevre étoilée dont sa poitrine est couverte, le firmament ; le poil de ses jambes & de ses cuisses, la terre, les arbres, les animaux, &c. Quant à la fable du grand Pan, voici ce qu'on en lit dans l'ouvrage de Plutarque, intitulé des oracles qui ont cessé : le vaisseau du pilote Thamus étant un soir vers certaines îles de la mer Egée, le vent cessa tout à coup. L'équipage étoit bien éveillé, partie buvoit, partie s'entretenoit, lorsqu'on entendit une voix qui venoit des îles, & qui appelloit Thamus : Thamus ne répondit qu'à la troisieme fois, & la voix lui commanda, lorsqu'il seroit entré à un certain lieu, de crier que le grand Pan étoit mort. On fut saisi de frayeur ; on délibéra si l'on obéiroit à la voix. Thamus conclut que s'il faisoit assez de vent pour passer l'endroit indiqué, il se tairoit ; mais que si le vent venoit à cesser, il s'acquiteroit de l'ordre qu'il avoit reçu. Il fut surpris d'un calme au lieu où il devoit crier ; il le fit, & aussi-tôt le calme cessa, & l'on entendit de tout côté des plaintes & des gémissemens, comme d'un grand nombre de personnes affligées & surprises. Cette aventure eut pour témoins tous les gens du vaisseau ; bien-tôt le bruit s'en répandit à Rome. Tibere voulut voir Thamus ; il assembla les savans dans la théologie payenne ; ils répondirent au souverain, que ce grand Pan étoit le fils de Mercure & de Pénélope. Celui qui fait ce conte dans Plutarque, ajoute qu'il le tient d'Epithersès, son maître d'école, qui étoit dans le vaisseau de Thamus quand la chose arriva. Je dis, ce conte ; car si ce Pan étoit un démon, quel besoin avoit-on de Thamus pour porter la nouvelle de sa mort à d'autres démons ? Pourquoi ces mal-avisés révelent-ils leurs foiblesses à un homme ? Dieu les y forçoit. Dieu avoit donc un dessein ! Quel ? De désabuser le monde par la mort du grand Pan ? ce qui n'eût pas lieu : d'annoncer la mort de J. C ? personne n'entendit la chose en ce sens : au second siecle de l'église, on n'avoit pas encore imaginé de prendre Pan pour J. C. Les payens crurent que le petit Pan étoit mort, & ils ne s'en mirent guere en peine.
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PAN | S. m. (Arch.) c'est le côté d'une figure, rectiligne, réguliere ou irréguliere. C'est aussi le nom d'une mesure du Languedoc & de Provence. Voyez PALME.
Pan coupé. C'est l'encoignure rabattue d'une maison pour y placer une ou deux bornes, & faciliter le tournant des charrois. C'est aussi dans une église à dôme, la face de chaque pilier de sa croisée où sont les pilastres ébrasés, & d'où prennent naissance les pendentifs.
Pan de bois. Assemblage de charpente qui sert de mur de face à un bâtiment ; on le fait de plusieurs manieres, parmi lesquelles la plus ordinaire est de sablieres, de poteaux à plomb, & d'autres inclinés & posés en décharge.
Il y a deux assemblages qu'on appelle pan de bois. L'un qu'on nomme assemblage à brins de fougere, est une disposition de petits potelets assemblés diagonalement à tenons & mortoises, dans les intervalles de plusieurs poteaux à plomb, laquelle ressemble à des branches de fougere, dont les brins font cet effet. L'autre assemblage est dit à losanges entrelacés. C'est une disposition de pieces d'un pan de bois, ou d'une cloison posées en diagonales, entaillées de leur demi-épaisseur & chevillées. Les panneaux des uns & des autres sont remplis ou de briques, ou de maçonnerie enduite d'après les poteaux, ou recouverte & lambrissée sur un lattis.
On arrête les pans de bois, des médiocres bâtimens, avec des tirans, ancres, équerres, & liens de fer à chaque étage. On appelloit autrefois les pans de bois cloisonnages & colombages. Voyez l'art de la Charpenterie de Mathurin Jousse.
Pan de comble. C'est l'un des côtés de la couverture d'un comble. On appelle long pan le plus long côté.
Pan de mur. C'est une partie de la continuité d'un mur. Ainsi, on dit, quand quelque partie d'un mur est tombée, qu'il n'y a qu'un pan de mur de tant de toises, à construire ou à reparer. (D.J.)
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PANACÉE | (Pharmacie) en grec , mot composé de , tout, & d', remede, remede universel, remede à tous maux. Nom fastueux donné à plusieurs remedes tant anciens que modernes, & sur-tout à des préparations chimiques. Parmi le grand nombre de remedes qui portent le nom de panacée, & qui ne sont employés pour la plûpart qu'à titre d'arcane par leurs inventeurs, il y en a deux qui l'ont retenu par préférence, qui sont les panacées par excellence, qui sont des médicamens officinaux, généralement adoptés ; savoir, la panacée antimoniale & la panacée mercurielle. Il y a d'ailleurs des remedes très-ordinaires, très-usuels qui portent le nom de panacée, mais qui sont beaucoup plus connus sous un autre nom ; tels sont la panacée angloise, & la panacée holsatique. Nous allons faire connoître en peu de mots ces quatre panacées dans les articles suivans. Voyez ci-après PANACEE MERCURIELLE.
PANACEE ANGLOISE. C'est un des noms de la magnésie blanche. Voyez MAGNESIE BLANCHE.
PANACEE ANTIMONIALE. Il y a un grand nombre de préparations antimoniales, la plûpart fort mal entendues, qui portent ce nom. On doit mettre dans cette classe celle qui est décrite dans la pharmacopée de Paris, & dans le cours de chimie de Lemery, de laquelle l'intelligent commentateur a porté un jugement aussi sévere que le nôtre.
La panacée antimoniale la plus simple, & qui mérite le titre exclusif, au-moins par la réputation de son auteur ; savoir, la panacée antimoniale de Glauber, n'est autre chose qu'une espece de soufre doré, précipité de la lessive ordinaire d'Hepar antimonii, ou de celle des scories du régule appellé simple ou vulgaire, par la crême de tartre, au-lieu de l'esprit de vinaigre. Des observations suffisantes n'ont pas encore constaté si ce précipité differe dans l'usage du précipité analogue obtenu par le vinaigre distillé.
PANACEE HOLSATIQUE. C'est un des noms du tartre vitriolé. Voyez TARTRE VITRIOLE, sous le mot VITRIOL.
PANACEE MERCURIELLE. Voyez MERCURE, Chimie, & l'article MERCURE & MERCURIAUX, Mat. méd. (b)
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PANACHE | on a donné ce nom à la femelle du paon. Voyez PAON.
PANACHE DE MER, espece de lithophyte. Voyez LITHOPHYTE. La panache de mer ne differe des autres lithophytes, qu'en ce qu'elle forme une sorte de réseau : ses branches latérales au-lieu de sortir de tous les côtés de la tige, ne se trouvent que sur deux côtés opposés l'un à l'autre ; elles se réunissent comme des vaisseaux sanguins qui s'anastomosent ; ensuite elles se séparent & se réunissent plus loin, &c. C'est ainsi qu'elles forment des mailles de réseau qui ont peu d'étendue. (I)
PANACHE, s. f. (Commerce) mesure dont on se sert dans l'île de Samos pour les grains & les légumes secs. La panache pese ving-cinq livres, c'est-à-dire huit ocques ; il faut trois panaches pour faire le quillot, qui pese 75 livres. Voyez QUILLOT, diction. de commerce.
PANACHE, (Archit.) c'est une voute en saillie ouverte par-devant, comme les trompes ; élevée sur un ou deux angles rentrans, pour porter en l'air une portion de tour creuse. C'est ainsi que les dômes des églises modernes sont portées sur quatre panaches élevés sur les angles de la croisée de l'église. Le panache est ordinairement un triangle sphérique terminé par trois arcs, dont deux C B, C A (fig. 21.) sont les arcs doubleaux des travées, & le troisieme A B une corniche, qui sert d'empatement à la tour du dôme. Tous les joints de la panache doivent concourir au centre de la sphère, dont elle fait partie. Ce centre est le point d'intersection des deux diagonales menées des sommets C de l'angle inférieur des quatre panaches. Les joints de lit doivent être paralleles à la corniche A B, & en coupe vers le centre de la sphère. Voyez VOUTE SPHERIQUE. (D)
PANACHE, s. m. terme de Sculpture ; c'est un ornement de plumes d'autruche, qu'on introduit dans le chapiteau de l'ordre françois, & qu'on mettoit au lieu des feuilles d'un chapiteau composé. Cet usage, qui avoit pris d'abord par la singularité, ne s'est pas soutenu. Il est à souhaiter que la bisarrerie des artistes ne le fasse jamais revivre, car c'est un ornement vraiment gothique. (D.J.)
PANACHE, en terme de Chauderonnier ; c'est une espece de fond qui sépare une fontaine sablée en plus ou moins de parties, selon qu'il est plus ou moins répété. Ce fond est percé à son centre, & recouvert d'un couvercle qui le ferme tellement, qu'il n'y a que l'eau qui puisse passer. Voyez nos Pl. du Chauderonnier & leur explic. Une figure montre le couvercle ; une autre montre un autre diaphragme, dont l'usage est de garantir le sable dont la panache est couverte de la chûte de l'eau qui tombe dessus. Voyez la fig. qui représente la coupe d'une fontaine sablée.
PANACHE, PANACHE, (Jardinage) ce sont des rayeures de différentes couleurs qui se mêlent à la couleur principale d'une fleur, & qui la rendent bariolée.
Les anemones, les renoncules, les oeillets, les roses, les tulipes pour être belles, doivent être panachées. On dit cette fleur se panache.
Panache se dit encore de certain feuillage d'un parterre.
PANACHE, terme d'Orfévre & de Potier d'étain ; partie de la tige ou de la branche du flambeau qui est élevée au-dessus du pié, & qui s'étend en forme de petite aîle autour de la tige ou de la branche du flambeau.
Panache, c'est parmi les orfévres en grosserie, la partie qui se voit immédiatement sous le premier quarré d'un bassinet. Voyez BASSINET & QUARRE.
Le panache ne differe du noeud qu'en ce qu'il est quarré par-dessous, & peut être considéré comme la moitié d'un noeud.
PANACHE, s. m. (Plumassier) espece de bouquet de plume qui n'est plus en usage. Les hommes de guerre en portoient sur leurs casques, les courtisans sur leurs chapeaux, & les dames sur leurs coëffures. Ces bouquets ne se mettoient que d'un côté de la tête au-dessus de l'oreille, & étoient relevés avec des aigrettes de héron : c'est d'eux que les maîtres plumassiers de Paris ont pris le nom de maîtres panachers-bouquetiers. (D.J.)
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PANACHRANTE | adj. f. (Hist. ecclésiast.) immaculée. Les Grecs ont donné de tout tems ce titre à la Vierge. Veccus se retira au monastere dédié à la Vierge Panachrante. Fleuri, hist. ecclésiast.
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PANACTUM | (Géog. anc.) lieu fortifié dans l'Attique, selon Pausanias & Thucydide, entre l'Attique & la Boeotie.
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PANADE | S. f. (Diete) pain cuit & imbibé de jus de viande ou de bouillon. On donne le même nom à une tisane faite d'une croute de pain brûlée, & mise à tremper dans l'eau. La premiere panade est une soupe. La seconde une tisane. Ceux qui sauront avec quelle facilité la panade doit entrer en fermentation, & par conséquent se corrompre dans l'estomac, seront très-circonspects sur son usage.
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PANAGE | S. m. (Jurisprud.) dans la basse latinité panagium, est le droit de mener paître des porcs dans les bois & forêts pour y paître le gland. L'ordonnance des eaux & forêts contient un titre des ventes & adjudications des panages, glandées & paissons, & un autre des droits de pâturage & de panage. Ce n'est pas que ces termes panage & pâturage soient synonymes. Celui de pâturage est plus général ; il comprend toutes sortes de paisson, soit dans les champs ou dans les bois, au-lieu que le terme de panage ne se prend que pour la paisson dans les bois & forêts, & singulierement pour la paisson des fruits sauvages : la glandée est une des especes de fruits qui servent au panage des porcs, & les feines en sont une autre. Voyez PAISSON. (A)
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PANAGÉE | S. f. (Mythol.) surnom donné à Diane, parce qu'elle ne faisoit que courir de montagnes en montagnes, & de forêts en forêts : qu'elle étoit tantôt au ciel, & tantôt sur la terre, ou dans les enfers ; & parce qu'enfin elle changeoit sans cesse de forme & de figure ; Panagée signifie celle qui voit tout.
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PANAGIE | S. f. (Hist. ecclésiast. des Grecs) c'est une cérémonie qui se pratique chez les Grecs, dont on voit la description dans Codin, Ducange & Allatius. Quand les moines vont se mettre à table, celui qui sert prend un pain, qu'il coupe en quatre parties ; d'une de ces portions il en coupe encore un morceau en forme de coin, depuis le centre jusqu'à la circonférence ; il remet ce morceau à sa place. Quand on se leve de table, le servant découvre ce pain, le présente à l'abbé, & ensuite aux autres moines qui en prennent chacun un petit morceau. Après cela l'abbé & les moines boivent chacun un coup de vin, rendent graces, & se retirent. Voilà ce que c'est que la panagie dont il est parlé dans les auteurs ecclésiastiques. Cette cérémonie se pratiquoit aussi à la table de l'empereur de Constantinople, comme le rapporte Codin. Dict. de Trevoux. (D.J.)
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PANAIRE | S. m. (Soierie) instrument du métier d'étoffe de soie. C'est une peau de bazanne qui couvre l'envers de l'étoffe. Le panaire sert à garantir l'étoffe à mesure qu'on la roule sur l'ensuple de devant le métier ; il est de veau sans couleur, plié en double ; on l'attache à chaque bout avec une ficelle, à l'un desquels pend un contrepoids afin que l'ouvrier puisse le lever quand il veut.
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PANAIS | S. m. pastinaca, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose & en ombelle composée de plusieurs pétales disposés en rond, & soutenus par un calice, qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences ovoïdes, amples, minces & frangées, qui quittent aisément leur enveloppe. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles sont grandes & aîlées. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE. (I)
On compte deux especes de ce genre de plante, le cultivé & le sauvage ; le panais cultivé, pastinaca sativa latifolia, I. R. H. a la racine longue, plus grosse que le pouce, charnue, jaunâtre ou rougeâtre, nervée au milieu d'un nerf dans sa longueur ; l'odeur de cette racine n'est point désagréable, & est d'un bon goût ; elle pousse une tige à la hauteur de trois ou quatre piés, & davantage, grosse, droite, ferme, cannelée, rameuse, vuide ou creuse.
Ses feuilles sont amples, composées d'autres feuilles assez semblables à celles du frêne, ou du térébinthe, oblongues, larges de deux doigts, dentelées en leurs bords, velues, d'un verd brun, rangées comme par paires le long d'une côte simple, qui est terminée par une seule feuille, d'un goût agréable, & un peu aromatique. Les sommités de la tige & des branches portent de grandes ombelles ou parasols, qui soutiennent de petites fleurs à cinq pétales, jaunes, disposées en rose. Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede des semences jointes deux à deux, grandes, ovales, applaties, minces, légerement cannelées, bordées d'un petit feuillet membraneux, ressemblantes à celles de l'angelique. Cette plante est fort en usage pour la cuisine.
Le panais sauvage, pastinaca sylvestris latifolia, differe du précédent, en ce que ses feuilles sont plus petites, sa racine plus menue, plus dure, plus ligneuse, & moins bonne à manger ; il croît aux lieux incultes, dans les prés secs, sur les collines, & ailleurs, parmi les plantes champêtres.
Il faut prendre garde de confondre les racines de panais avec celle de la ciguë ou cicutaire, auxquelles elles sont semblables tant par la figure, que par le goût douçâtre qui leur est commun. On ne peut éviter surement la méprise, qu'en les levant de terre au printems, lorsque le panais commence à se faire reconnoître par la tige & par les feuilles. (D.J.)
PANAIS, (Diéte & Mat. médic.) panais ordinaire des jardins ou cultivé, & panais sauvage ou petit panais. On n'emploie presque que le premier pour les usages de la cuisine. Cependant les gens de campagne mangent aussi assez communément le second.
Ce n'est que la racine qui est d'usage comme aliment, & presque que la semence dont on se sert comme médicament.
La racine de panais est un de ces alimens qui est à-peu-près indifférent de sa nature, ou qui le devient par l'usage. Il ne manque cependant pas de personnes qui ne sauroient s'accommoder de son goût ni de son odeur. Mais celles-là n'ont pas besoin des préceptes de la médecine pour s'en interdire l'usage. Il faut prendre garde lorsqu'on cueille des racines de panais, & sur-tout de panais sauvage, de ne pas le confondre avec les racines de ciguë, avec lesquelles elles ont beaucoup de rapport, tant par la figure que par le goût. Cette méprise a été souvent funeste ; & il y a quelque apparence que l'observation de J. Ray, & que celle de J. P. Albrecht (éphém. d'Allemagne dec. 3. ann. ij. obs. 206.) qui assurent que les racines de panais qui ont resté en terre plusieurs années sont devenues un poison, qui cause des délires fâcheux & opiniâtres, &c. que ces observations, dis-je, ont été faites sur des vieilles racines de ciguë, que les gens auront mangées pour des racines de panais.
Les semences de panais sont diurétiques, emménagogues & hystériques. On en a fait un secret contre les fievres intermittentes, sur lequel M. Garnier, médecin de Lyon, a publié, il y a quelques années des expériences qui lui ont prouvé que ces semences possédoient en effet une vertu fébrifuge très-marquée. (b)
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PANAMA | ISTHME DE, (Géog. mod.) cet isthme qui resserre entre deux mers le continent de l'Amérique, n'est pas de 25 lieues communes. On voit du haut d'une montagne, près de Nombres de Dios, d'un côté la mer du nord, & de l'autre celle du sud. On tenta dès l'an 1513, de chercher par cette mer du sud de nouveaux pays à soumettre, & l'on en vint à bout. Long. 293d. 33'. 0''. lat. 8d. 58'. 50''. (D.J.)
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PANAN | Voyez PLUMET.
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PANANE | (Géog. mod.) & par M. Delisle Bagani, ville d'Asie dans les Indes, sur la côte de Malabar, au royaume de Calicut, avec un port : elle est entre Calicut au nord & Cranganor au midi. Long. 94. 30. latit. 11. (D.J.)
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PANAPANA | (Hist. nat.) poisson qui se trouve dans les rivieres du Brésil ; il a la peau dure & raboteuse, comme celle du chien de mer. Sa tête est platte & difforme, & comme divisée en deux cornes ou trompes, au bout desquelles ses yeux sont placés. Il paroît que c'est une espece de zigéne.
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PANARA | (Géog. anc.) ville de l'Arabie heureuse, dans l'île de Panchée, selon Diodore de Sicile, l. V. ch. xlij. Il peint les habitans de cette ville comme les plus heureux hommes du monde, & comme les seuls de toute l'île qui vécussent suivant leurs loix, sans reconnoître aucun roi. Ils choisissoient tous les ans trois princes, entre les mains desquels étoit remis le gouvernement de la ville, mais qui n'avoient pas le pouvoir de punir de mort, & qui même étoient tenus de porter les affaires les plus importantes devant le college des prêtres. Les habitans de cette ville se nommoient les supplians de Jupiter Triphylien, dont le temple étoit à 60 stades de Panara. Diodore de Sicile rapporte aussi des merveilles de ce temple. Par malheur l'île Panchée, Panara, la beauté de son gouvernement, le bonheur de ses habitans, & la magnificence du temple de Jupiter étoient également imaginaires, comme nous le verrons au mot PANCHEE. (D.J.)
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PANARÈTE | S. m. (Hist. ecclés.) nom que les Grecs donnent également à trois livres de l'Ecriture, les proverbes de Salomon, la sagesse & l'ecclésiaste. Ce mot est fait de , tout, & de , vertu. Ainsi le panarète ou le livre qui enseigne toute vertu, c'est la même chose.
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PANARIS | S. m. (Chirurgie) tumeur phlegmoneuse, accompagnée d'une douleur très-vive, qui vient à l'extrémité des doigts, ou à la racine & aux côtés des ongles ; ce mot vient du terme grec, . Voyez PARONYCHIE.
Les chirurgiens modernes ont distingué quatre especes de panaris qu'il est à propos de ne pas confondre, parce que chacune d'elles demande un traitement particulier.
La premiere espece a son siége sous l'épiderme ; elle commence par former au coin de l'ongle une petite tumeur qui en fait le tour, & qui pour cela est appellée vulgairement tourniole ; quand il s'y forme du pus on lui donne issue en coupant l'épiderme avec des ciseaux ; cette opération n'est point-du-tout douloureuse, & n'a aucune suite fâcheuse : quelquefois l'inflammation détruit les adhérences naturelles de la racine de l'ongle, qui ne recevant plus de nourriture, est chassé au-dehors par un autre ongle que la nature produit.
La seconde espece de panaris a son siége dans le corps graisseux qui entoure le doigt ; c'est un véritable phlegmon qui commence par une tumeur dure & peu douloureuse ; elle s'échauffe ensuite, s'enflamme, devient fort rouge, & excite une douleur pulsative très-aiguë qui se termine par la suppuration.
La troisieme espece de panaris a son siége dans la gaîne des tendons fléchisseurs des doigts ; en recherchant la structure naturelle des organes affectés, on verra que tout y est un appareil de douleur par la quantité de nerfs qui s'y distribuent. Le pus se manifeste quelquefois près les articulations, & même dans la main par une fluctuation (voyez FLUCTUATION), qu'on ne sent point dans la longueur des phalanges, parce que la gaîne des tendons & les bandes ligamenteuses sont d'un tissu fort serré. La douleur est très-violente & se fait sentir au principe du muscle ; par cette raison, lorsque le pouce est affecté, la douleur ne passe pas la moitié de l'avant-bras ; & quand cette espece de panaris arrive aux quatre derniers doigts, on ressent de la douleur au condile interne de l'humerus, à l'attache fixe des muscles fléchisseurs de ces doigts. L'inflammation se communique fort souvent & forme des abscès au-dessus du ligament annulaire dans les cellules graisseuses qui sont sous les tendons des muscles profond & sublime, & qui recouvrent le muscle quarré pronateur, quelquefois même la continuité de la douleur & les accidens produisent des abscès à l'avant-bras, au bras, & même jusqu'au-dessous de l'aisselle.
La quatrieme espece de panaris est une maladie de l'os & du périoste ; on la reconnoît à une douleur profonde & vive, accompagnée d'une tension & d'un gonflement inflammatoire, qui se borne assez communément à la phalange affectée, & qui ne passe guère le doigt. La fievre, les insomnies, les agitations, & le délire accompagnent plus particulierement la troisieme & la quatrieme espece de panaris.
Les causes des panaris sont externes & internes, une piquure, un petit éclat de bois qui sera entré dans le doigt, une contusion, une brûlure, l'irritation de quelques fibres qu'on aura tiraillés en arrachant quelques-unes des excroissances appellées vulgairement envies, sont les causes externes des panaris ; le virus vénérien, le scrophuleux, & le cancéreux, en sont quelquefois les causes internes.
Quoique les panaris different par leurs sieges & par leurs symptomes, ils présentent les mêmes indications curatives dans le commencement ; la saignée réitérée à proportion de la violence des accidens, la diète, les cataplasmes anodins, émolliens & résolutifs, & tout ce qui est propre à calmer l'inflammation, convient lorsque le mal n'a pas fait encore de progrès considérables : quelques personnes ont été guéries en trempant plusieurs fois le doigt dans de l'eau chaude, & l'y tenant aussi long-tems qu'il est possible. Riviere rapporte dans ses Observations deux cas assez singuliers de personnes attaquées de panaris, qui en furent guéris, l'une par résolution, & l'autre par suppuration en tenant le doigt dans l'oreille d'un chat. La chaleur modérée de cette partie, & la qualité de l'humeur cérumineuse qui exude des glandes peuvent ouvrir les pores du doigt, en relâcher les parties trop tendues par la constriction inflammatoire, & dissiper l'humeur qui y est arrêtée, ou bien en procurer une bonne & louable suppuration, si par l'état des choses la tumeur est disposée à cette terminaison.
Après avoir employé inutilement les remedes anodins & résolutifs, on a recours aux maturatifs. Voyez MATURATIFS. Quand le panaris est de la seconde espece, le pus se manifeste bien-tôt par une petite tumeur avec fluctuation, il faut en faire l'ouverture avec le bistouri ou la lancette. Voyez ABSCES. Quand le panaris est de la troisieme espece, il ne faut pas attendre que le pus se fasse appercevoir ; les accidens sont trop violens, & on risque beaucoup en différant l'ouverture. Il faut y déterminer le malade & le mettre en bonne situation, de maniere qu'il ait le coude appuyé contre quelque chose de ferme : le malade ne pourra retirer sa main si le coude ne peut reculer. Alors on prend un bistouri avec lequel on fend le doigt & la gaîne ; dès qu'on a pénétré jusqu'au tendon, on se sert d'une sonde cannelée fort déliée, qu'on introduit dans la gaîne pour conduire le bistouri qui doit la débrider dans toute son étendue, tant supérieurement qu'inférieurement : l'ouverture qui suffit pour donner issue à la matiere, n'est pas suffisante pour le traitement : il faut en outre couper les deux levres de l'incision pour que les pansemens soient plus commodes & moins douloureux ; on panse la plaie en premier appareil avec de la charpie séche ; on applique des cataplasmes pour procurer la détente des parties & soulager le malade, & l'on en continue l'usage jusqu'à ce que les accidens soient passés & que la suppuration soit bien établie.
On se sert dans la suite des pansemens d'un petit plumaceau trempé dans l'esprit de térébenthine qui s'applique immédiatement sur le tendon, & on fait suppurer les tégumens par les remedes digestifs. Il se fait souvent exfoliation du tendon, & le malade perd la flexion du doigt ; c'est un inconvénient de la maladie, & non la faute de l'opération ni de l'opérateur.
Lorsque l'on fait l'opération à tems, l'ouverture de la gaîne arrête le progrès du mal ; mais si l'étranglement causé par les bandes ligamenteuses qui entrent dans la structure de cette partie n'a pas été détruit avant la formation du pus, il faut prolonger l'incision jusque dans le creux de la main quand il s'y est fait un abscès. S'il y avoit du pus sur le muscle quarré pronateur, il faudroit pour donner issue à la matiere faire fléchir le poignet, & introduire sous le ligament annulaire, par l'ouverture de l'intérieur de la main, une sonde cannelée, au moyen de laquelle on fera une incision qui pénétrera entre les tendons fléchisseurs des doigts, jusqu'au foyer de l'abscès. On passe ensuite un seton de la main au poignet ; c'étoit la pratique de M. Thibaut, premier chirurgien de l'hôtel-dieu de Paris. Si les accidens continuoient & qu'on jugeât qu'ils vinssent de l'étranglement causé par le ligament annulaire commun, il faudroit le couper ; le chirurgien doit avoir dans ce cas la prudence d'avertir que le malade en demeurera estropié, & qu'il ne se détermine à faire cette opération que pour lui sauver la vie. Si les accidens venoient du tendon, on pourroit l'emporter entierement. M. Petit a pratiqué cette opération avec succès, en coupant d'abord l'attache du tendon à la phalange, il le tiroit ensuite de dessous le ligament annulaire, & le coupoit dans son corps charnu.
Lorsque l'affection de la gaîne & du tendon forme un panaris de la troisieme espece, ces parties sont quelquefois affectées consécutivement dans le panaris de la seconde espece, lorsque l'ouverture n'en a pas été faite à propos. Si l'on tarde trop, le pus qui est sous la peau comme dans un abscès ordinaire, la perce ; la partie la plus séreuse dilacere & souleve l'épiderme, & forme une tumeur transparente qui ressemble au panaris de la premiere espece. Lorsqu'on a enlevé l'épiderme, on apperçoit à la peau un petit trou par où le pus sort. Il faut y introduire une sonde cannelée, & à sa faveur ouvrir la tumeur dans toute son étendue, avec les attentions que nous avons décrites. Le séjour du pus a souvent altéré la gaîne & le tendon, & il y a des panaris de la seconde espece dont la matiere est de si mauvais caractere qu'elle altere les os, d'où s'ensuit la perte des doigts.
Pour la quatrieme espece de panaris, on doit mettre en usage dans le commencement les secours indiqués généralement pour calmer l'inflammation ; si la tumeur suppure, on en fait l'ouverture ; on est souvent obligé de faire une incision de chaque côté du doigt ; il est bien rare que le malade conserve la phalange : cet os est si spongieux qu'il est presque toujours altéré jusque dans son centre ; il se sépare par la suppuration des ligamens, après quoi la plaie ne tarde pas à guérir ; pour abréger la cure, on peut faire l'amputation de la phalange ; mais cela étant un peu douloureux, la plûpart des malades préferent la chûte naturelle de l'os ; pour l'accélerer on panse avec la teinture de myrrhe & d'aloës, ou d'autres médicamens exfoliatifs. Voyez EXFOLIATION.
L'appareil après l'opération du panaris se fait en appliquant par-dessus de la charpie, dont on remplit & couvre l'incision, une petite compresse circulaire, une autre en croix de Malthe, compresse dont le plein est posé sur le bout du doigt, & dont les quatre chefs entourent le doigt en-dessus, en-dessous, & aux parties latérales ; on maintient le tout avec une petite bandelette roulée circulairement sur la partie en doloire. Voyez DOLOIRE. Dans les premiers tems on met le bras en écharpe, voyez ECHARPE, & sur la fin de la cure on met le doigt dans une espece d'étui de peau ou de taffetas qu'on appelle un doigtier.
M. Astruc, auteur d'un traité des tumeurs & des ulcères, imprimé à Paris en 1759, chez Cavelier, prétend que les auteurs qui ont multiplié les especes de panaris, n'ont connu ni la nature ni le siége de cette maladie. Il restraint cette dénomination au dépôt d'une très-petite quantité de lymphe roussâtre ou sanguinolente, qui se forme entre la racine de l'ongle & la couche cartilagineuse qui recouvre le périoste, & contre laquelle l'ongle est attaché ; ce léger commencement peut avoir les suites les plus dangereuses, par les accidens qui surviennent, si on ne les prévient pas à tems par la méthode de Fabricius Hildanus. Cet auteur rapporte dans ses Observations, qu'ayant été plusieurs fois appellé dans le commencement du panaris, il se hâtoit de faire sur-le-champ une incision à la peau qui couvre la racine de l'ongle où étoit le mal ; qu'il y découvroit, après avoir raclé la racine de l'ongle, un ou deux petits points ou taches sur l'ongle, & que les ayant ouverts avec la pointe du bistouri, il en sortoit une ou deux gouttes d'une lymphe rousse, ce qui procuroit sur-le-champ la guérison du malade. Gui de Chauliac & Jean de Vigo regardoient le panaris comme une maladie mortelle. Celui-ci dit qu'il n'y connoit point de plus grand remede que d'ouvrir le doigt promptement avant la parfaite maturation de l'abscès. Ambroise Paré s'applaudit d'avoir suivi ce précepte. Après avoir laissé couler le sang, il faisoit tremper le doigt dans du vinaigre chaud, où l'on avoit fait dissoudre de la thériaque. Il regardoit le panaris comme une maladie causée par une humeur vénéneuse. M. Astruc dit que le panaris n'arrive jamais qu'aux gens de travail qui sont exposés à se piquer ou à se coigner les doigts, ensorte que la cause est toujours externe. En n'admettant pour vrai panaris que la tumeur aux environs de l'ongle, suivant la définition, on ne détruit point la vérité des faits & l'existence des maladies qui ont fait établir les différentes especes que nous avons décrites dans cet article, & qu'il est indispensable de connoître & de savoir traiter. (Y)
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PANARUCAN | (Géog. mod.) ville des Indes, capitale d'un petit royaume de même nom, dans l'île de Java, à 10 lieues nord de Palambuan ; le roi du lieu est payen ainsi que ses sujets. Long. 128. 10. lat. 7. 30. (D.J.)
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PANATHÉNÉES | S. f. pl. (Antiq. grecq.) anciennement athénées. Les panathénées, , étoient des fêtes célébrées à Athènes en l'honneur de Minerve, elles furent d'abord instituées en Grece par Erictonius, fils de Vulcain, ou comme d'autres le prétendent, par Orphée.
Divers peuples depuis Cécrops & ses successeurs jusqu'à Thésée, habitoient les différentes bourgades de l'Attique ; chaque bourgade avoit ses magistrats, & dans chaque endroit la police & la justice s'administroient sans nulle dépendance réciproque ; on ne reconnoissoit Athènes pour ville principale qu'en tems de guerre. Thésée parvenu à la royauté, entreprit de lier ces parcelles de gouvernement, jusques-là fort détachées ; il réussit dans son projet ; les villes subalternes s'incorporerent en une seule, & l'auteur de cette réunion mémorable résolut d'en éterniser la mémoire en rétablissant les panathénées ; quelques auteurs même assurent que ce fut lui qui les institua.
Quoi qu'il en soit, on recevoit à ces fêtes, suivant l'intention de Thésée, tous les peuples de l'Attique dans la vûe de les habituer à reconnoître Athènes, où elles se célébroient, pour la patrie commune. Ces fêtes dans leur simplicité & dans leur premiere origine ne duroient qu'un jour ; mais ensuite leur pompe s'accrut, & on leur donna un terme plus long.
On établit alors de grandes & de petites panathénées ; les grandes se célébroient tous les cinq ans, le 23 du mois Hécatombeon, & les petites se solemnisoient tous les trois ans, ou plutôt tous les ans le 20 du mois Thurgelion ; chaque ville de l'Attique, chaque colonie athénienne, dans ces occasions, devoit en forme de tribut un boeuf à Minerve ; la déesse avoit l'honneur de l'hécatombe, & le peuple en avoit le profit : la chair des victimes servoit à régaler les spectateurs.
On proposoit à ces fêtes des prix pour trois sortes de combats ; le premier qui se faisoit le soir, & dans lequel les athletes portoient des flambeaux, étoit originairement une course à pié ; mais depuis elle devint une course équestre, & c'est ainsi qu'elle se pratiquoit du tems de Platon. Le second combat étoit gymnique, c'est-à-dire que les athletes y combattoient nuds, & il avoit son stade particulier, construit d'abord par Lycurgue le rhéteur, puis rétabli magnifiquement par Hérodes Atticus. Le troisieme combat institué par Périclès, étoit destiné à la poésie & à la musique.
On y voyoit disputer à l'envi d'excellens chanteurs, qu'accompagnoient des joueurs de flûte & de cithare ; ils chantoient les louanges d'Harmodius, d'Aristogiton, & de Thrasybule. Des poëtes y faisoient représenter des pieces de théâtre jusqu'au nombre de quatre chacun, & cet assemblage de poëmes s'appelloit tétralogie ; le prix de ce combat étoit une couronne d'olivier & un barril d'huile exquise, que les vainqueurs, par une grace particuliere accordée à eux seuls, pouvoient faire transporter où il leur plaisoit hors du territoire d'Athènes ; ces combats, comme on vient de le dire, étoient suivis de festins publics & de sacrifices qui terminoient la fête.
Telle étoit en général la maniere dont se célébroient les panathénées, mais les grandes l'emportoient sur les petites par leur magnificence, par le concours du peuple, & parce que dans cette fête seule, on conduisoit en grande & magnifique pompe un navire orné du voile ou du peplus de Minerve, & après que ce navire, accompagné du plus nombreux cortége, & qui n'alloit en avant que par des machines, avoit fait plusieurs stations sur la route, on le ramenoit au même lieu d'où il étoit parti, c'est-à-dire au céramique.
On sait que le peplus de Minerve étoit une robe blanche sans manches, brochée d'or, où étoient représentées, non-seulement les mémorables actions de cette déesse, mais encore celles de Jupiter, des héros, & même de ceux qui avoient rendu de grands services à la république. A cette procession assistoient toutes sortes de gens vieux & jeunes, de l'un & de l'autre sexe, portant tous à la main une branche d'olivier pour honorer la déesse, à qui le pays étoit redevable de cet art utile. Tous les peuples de l'Attique se faisoient un point de religion de se trouver à cette fête ; de-là vient son nom de panathénées, comme si l'on disoit les athènes de toute l'Attique. Les Romains les célébrerent à leur tour, mais leur imitation ne servit qu'à relever davantage l'éclat des vraies panathénées. (D.J.)
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PANAY | (Géog. mod.) île d'Asie, d'environ 100 lieues de tour, c'est la mieux peuplée & la plus fertile des Philippines ; elle appartient aux Espagnols. Long. 137. 40-139. lat. 10. 11-30.
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PANBÉOTIES | S. f. (Antiq. grecq.) en grec , fête qui se célebroit dans toute la Béotie. On s'assembloit près de Chéronée au temple de Minerve Ionienne. Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xxij. tom. I. p. 444.
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PANCAL | ou PANCALIER, (Géog. mod.) bourgade de Piémont, dont quelques-uns font une ville, & qui est située à un mille du Pô, à 3 lieues au-dessus de Turin.
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PANCARPE | (Gymnast. athlétiq.) spectacle des Romains où certains hommes forts, hardis & exercés combattoient contre toutes sortes de bêtes moyennant une somme d'argent. Le mot pancarpe signifie proprement un composé de toute sorte de fruits, du grec , tout, & , fruit ; ensuite on l'a donné à ce qui contenoit toutes sortes de fleurs, puis à ce qui étoit composé de diverses choses, enfin par métaphore à ce combat public, où l'on faisoit paroître des animaux de différentes especes. Le lieu de ce spectacle étoit l'amphithéâtre de Rome ; & ces sortes de jeux ont duré jusqu'au tems de l'empereur Justinien, qui régnoit dans le sixieme siecle.
Quelques auteurs confondent le pancarpe avec la sylve ; mais il y a cette différence entre ces deux divertissemens publics, que le pancarpe étoit un combat contre les bêtes qui se faisoit dans l'amphithéâtre ; & que la sylve étoit une espece de chasse, que l'on représentoit dans le cirque. Dans le pancarpe, c'étoient des hommes gagés qui combattoient ; & dans la sylve, c'étoit le peuple qui chassoit au milieu d'une forêt artificielle. (D.J.)
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PANCARTE | S. f. AFFICHE, (Gramm. & Comm.) on le dit plus particulierement de celles qu'on met à la porte des bureaux des douannes & autres lieux & passages où l'on leve quelques droits ou impositions sur les marchandises. Elles doivent contenir la taxe qui en est faite, & souvent le titre en vertu duquel on leve les droits. On appelle fermier de la pancarte celui qui afferme les droits taxés par la pancarte. Diction. de commerce.
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PANCERNES | (Hist. militaire de Pologne) gendarmerie de Pologne. La Pologne est aujourd'hui le seul pays où l'on voie une cavalerie toute composée de gentilshommes, dont le grand duché de Lithuanie fournit un quart ; & cette cavalerie fait la principale force de l'état ; car à peine l'infanterie est-elle comptée. Elle se divise en houssarts & en pancernes : les uns & les autres compris sous le nom commun de towarisz, c'est-à-dire camarades. C'est ainsi que les généraux & le roi lui-même les traite. Un mot produit souvent de grands effets.
Les houssarts sont formés de l'élite de la noblesse qui doit passer par ce service pour monter aux charges & aux dignités. Les pancernes, composés aussi de noblesse, ne different des houssarts que par la chemise de maille en place de cuirasse ; & on ne les examine pas aussi rigoureusement sur leur généalogie. Ce ne sont point des régimens, mais des compagnies de deux cent maîtres appartenantes aux grands de l'état, sans excepter les évêques qui ne faisant pas le service par eux-mêmes, donnent de fortes pensions à leurs lieutenans. L'abbé Coyer. (D.J.)
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PANCHÉE | (Géog. anc.) Panchaea, Panchaïa, île de l'Océan proche de l'Arabie. Diodore de Sicile, l. V. c. xlij. dit qu'elle étoit habitée de naturels du pays, appellés Panchaei, & d'étrangers océanites, Indiens, Crétois & Scythes. Il donne à cette île une ville célebre, nommée Panara, dont les habitans étoient les plus heureux hommes du monde. Voyez PANARA.
Par malheur Panara, le bonheur de ses habitans, & l'île même de Panchée, ainsi que le temple magnifique de Jupiter Triphylien, ont été forgés par l'ingénieux Echemere, que Diodore de Sicile a copié. Echemere peignit cette île comme une terre délicieuse, un paradis terrestre, où se trouvoient des richesses immenses, & qui n'exhaloit que des parfums.
Callimaque presque contemporain du philosophe Messénien ou Tégéates, & sur-tout Eratosthène, mirent eux-mêmes la Panchée au nombre des fables, & prouverent que c'étoit une pure fiction. Polybe en étoit pleinement convaincu. Plutarque déclare que l'île Panchée avoit échappé jusqu'à son tems aux recherches des navigateurs grecs & barbares.
Mais les poëtes n'ont pas cru devoir manquer d'orner leurs ouvrages de cette région imaginaire ; j'en ai pour témoins ces beaux vers de Virgile dans ses Georgiques :
Sed neque Medorum silvae ditissima terra,
Nec pulcher Ganges, atque auro turbidus Hermon,
Laudibus Italiae certent, non Bactra, neque Indi,
Totaque thuriferis Panchaïa dives arenis.
" Cependant ni l'opulente Médie, ni le pays arrosé par le fleuve du Gange, ni les bords de l'Hermus dont les flots roulent de l'or, ni l'Inde, ni le pays des Bactriens, ni la fertile Panchaïe, où croît l'encens, n'approchent pas de nos campagnes d'Italie ". (D.J.)
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PANCHRESTE | S. m. en Médecine, panacée ou remede propre à toutes sortes de maladies. Voyez PANACEE.
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PANCHRISTAIN | S. m. nom que l'on donnoit chez les anciens aux pâtissiers qui faisoient des gâteaux avec le miel, & autres substances douces & sucrées.
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PANCHRUS | S. m. (Hist. nat.) nom donné par quelques anciens auteurs à une pierre, dont il ne nous apprennent rien, sinon qu'on y voyoit toutes les couleurs. Peut-être ont-ils voulu désigner l'opale sous ce nom.
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PANCHYMAGOGUE | S. m. (Médecine) de , tout, , humeur, & , expulser ; nom que l'on donne à quelques extraits cathartiques, qui passent pour avoir la vertu de purger toutes les humeurs : mais ces compositions sont peu fréquentes chez nos Apothicaires. Voyez Hartman in Crollium. Schroder Pharmacop.
Nos hydragogues, le syrop des cinq racines de nos boutiques, l'opiate mésentérique, les pilules aloétiques, les pilules cochices sont aussi efficaces & plus sûres que ces remedes panchymagogues.
PANCHYMAGOGUE, extrait, (Pharmacie) prenez pulpe seche de coloquinte séparée & mondée des semences, une once & demie ; feuilles de sené mondé, d'hellebore noir, de chacun deux onces ; agaric, une once : pilez-les ensemble, ajoutez-y eau de pluie, quantité suffisante ; faites-les macérer pendant deux jours ; passez-les après les avoir fait bouillir légerement ; exprimez le marc ; décantez cette décoction après qu'elle sera reposée ; évaporez-la ensuite au bain marie, à consistance d'extrait : ajoutez-y résine de scammonée d'Alep, une once ; extrait d'aloës, deux onces ; especes diarrhodon abatis, une once ; épaississez le tout au bain marie à consistance d'extrait.
Ce remede est un excellent hydragogue. La dose sera d'un scrupule jusqu'à deux & plus, selon les cas & les circonstances. Ce remede est violent, il demande extrêmement de prudence.
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PANCLADIE | S. f. (Antiq. grecq.) , fête que les Rhodiens célebroient au tems de la taille de leurs vignes. Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 419.
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PANCRACE | S. m. (Art gymnast.) exercice gymnique, formé de la lutte simple & de la lutte composée. Dans cet exercice, l'on faisoit effort de tout son corps, comme l'indique le mot grec. Ainsi la lutte & le pugilat réunis formoient le pancrace. Il empruntoit les secours & les contorsions de la lutte, & prenoit du pugilat l'art de porter les coups avec succès & celui de les éviter. Dans la lutte, il n'étoit pas permis de jouer des poings, ni dans le pugilat de se colleter. Dans le pancrace au contraire, si l'on avoit droit d'employer toutes les secousses & toutes les ruses pratiquées dans la lutte, on pouvoit encore y ajouter pour vaincre le secours des poings & des piés, même des dents & des ongles, & l'on sent que ce combat n'étoit ni moins dangereux, ni moins terrible que les deux autres.
Arrichion ou Arrachion, pancratiaste aux jeux olympiques, se sentant prêt à être suffoqué par son adversaire qui l'avoit saisi à la gorge, mais dont il avoit attrapé le pié, lui cassa un des orteils ; & par l'extrême douleur qu'il lui fit, l'obligea à demander quartier. Dans cet instant même, Arrachion expira. Les Agonothetes le couronnerent, & on le proclama vainqueur tout mort qu'il étoit. Philostrate a fait la description d'un tableau qui représentoit cette avanture.
Le combat du pancrace fut admis aux jeux olympiques dans la xxviij. olympiade ; & le premier qui en mérita le prix, fut le syracusain Lygdanius, que ses compatriotes mettoient en parallele avec Hercule pour la taille.
Pausanias parle dans ses éliaques d'un fameux pancratiaste, nommé Sostrate, qui avoit été couronné douze fois, tant aux jeux néméens qu'aux isthmiques, deux fois aux pythiens, & trois fois à Olympie, où l'on voyoit sa statue du tems de cet historien. (D.J.)
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PANCRAINS | (Marine) voyez MANOEUVRES.
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PANCRATIASTES | S. m. pl. (Hist. anc. gymn.) athletes qui s'adonnoient sur-tout à l'exercice du pancrace. On donnoit quelquefois ce nom à ceux qui réussissoient dans les cinq sortes de combats compris sous le titre général de pentathle, qu'on appelloit aussi pancratie, parce que les athletes y déployoient toutes leurs forces.
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PANCRATIE | S. f. (Littérat.) nom que les Grecs donnoient aux cinq exercices gymniques, qui se pratiquoient dans les fêtes & les jeux ; savoir le combat à coups de poings, la lutte, le disque, la course & la danse. Ceux qui faisoient tous ces exercices, étoient nommés pancratiastes, ainsi que ceux qui y remportoient la victoire. Potter, Archaeol. graec. tom. I. pag. 444.
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PANCRATIEN | VERS, (Littérat.) nom d'une sorte de vers grec, composé de deux trochées & d'une syllabe surnuméraire, comme
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PANCRATIUM | (Botan.) grand narcisse de mer, narcissus maritimus de C. B. & de Tournefort ; c'est une grosse racine bulbeuse, charnue, semblable à la scille, & qui croît au bord de la mer. Elle pousse des feuilles faites comme celles du narcisse, plus longues & plus grosses, du milieu desquelles s'éleve une tige à la hauteur d'environ un pié, anguleuse, portant en sa sommité des fleurs longues, blanchâtres, disposées en étoiles, & d'une odeur douce. Après ces fleurs naissent de petites pommes anguleuses, remplies de semences menues ; cette plante a les vertus de l'oignon de scille, mais beaucoup moindres. (D.J.)
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PANCRÉAS | subs. masc. en Anatomie, nom d'une glande conglomerée, située dans le bas-ventre derriere la partie supérieure de l'estomac, depuis la rate à laquelle elle est attachée par l'épiploon jusqu'au duodenum ; elle reçoit une infinité d'artérioles de la caeliaque, & elle sépare une humeur qui se rend dans un conduit commun, lequel s'ouvre dans le duodenum. Voyez DUODENUM ; voyez aussi Planches anat.
Le pancréas a été ainsi nommé par des anciens, parce qu'il leur a paru n'être composé que de chair, . Suivant Boerhaave, le pancréas est long de près de six pouces, large de deux, & pese quatre onces ; mais toutes ces mesures varient dans différens auteurs. Heister donne au pancréas le poids de trois onces, Warthon de cinq, le D. Haller dit que ce poids peut être plus grand ; au reste tout varie tellement dans divers sujets, qu'il est absolument impossible d'assigner une mesure juste. Le pancréas est situé transversalement, & il a sa grosse extrémité placée derriere la partie supérieure de l'estomac transversalement, par rapport à la rate à laquelle l'épiploon lie ce corps glanduleux ; desorte que sa partie moyenne est très-antérieure, & descend de l'estomac jusqu'au duodenum, où il se prolonge un peu devant cet intestin, jusques-là d'autant plus épais qu'il tient plus la droite. Mais de l'endroit où cette grosse extrémité s'attache à la courbure du duodenum, elle se dilate quelquefois de quelques pouces pour former le petit pancréas de M. Winslow, qu'Eustache & bien d'autres ont vû & représenté non-seulement dans l'homme, mais dans le chien & dans le castor, &c. En général cette glande, la plus considérable du bas-ventre & de tout le corps, est couverte par l'estomac & par la substance cellulaire du mesocolon qui recouvre en même tems le duodenum ; desorte qu'engagé dans sa duplicature, il a le mesocolon & dessous & dessus lui : cette structure s'observe très-bien dans l'homme où le pancréas est d'une grosseur médiocre ; car il est si considérable & d'une étendue si énorme dans les poissons & autres petits animaux, qu'il occupe presque toute la capacité de l'abdomen. Le pancréas d'Asellius n'est point celui-ci ; il a été découvert par Wirsung, & mérite seul le nom de pancréas ; l'autre n'est qu'un amas des glandes conglobées mésentériques.
Le pancréas a plusieurs arteres dont le nombre varie, mais qui viennent toutes de l'artere splénique, continuant leur chemin sous le pancréas vers la rate : il en a encore d'autres où il est voisin du duodenum, de la duodenale, de la gastroépiploïque & de la mésentérique supérieure. Les veines ont une semblable origine ; elles partent de la veine splénique ; de plus il en vient de la duodenale, de la pylorique & de la gastroépiploïque droite.
Les nerfs viennent du plexus sémilunaire du bas-ventre, du plexus mésentérique, des nerfs hépatiques, des spléniques ; ils rampent avec les vaisseaux dans la membrane cellulaire par la propre substance du pancréas, dont chaque grain a son petit faisceau. Les vaisseaux lymphatiques n'y sont pas rares. Ils ont été vûs par Marchettis & par Pecquet. Il ne faut pas les confondre avec les vaisseaux lactés, semés dans le centre du mésentere, comme ont fait Asellius & Veslingius, depuis les anciens qui donnent tous ces vaisseaux lactés au pancréas. Voyez LACTE.
Le pancréas a un conduit formé par tous les rameaux qui partent de tous les petits grains qui le composent ; situé dans la partie moyenne, il en suit presque la direction ; il reçoit un autre rameau de la partie du pancréas, qui descend le long du duodenum, & s'ouvre avec lui dans le canal cholédoque, après avoir traversé toutes les membranes de l'intestin duodenum : ce conduit est quelquefois double ; Hérophile & Eudeme le connoissoient : Maurice Hoffman le fit voir double à Wirsung, dans le poulet-d'inde en 1641 ; & Wirsung l'ayant démontré le premier publiquement, son nom est resté à ce conduit. Voyez WIRSUNG.
C'est par ce conduit que le suc pancréatique est porté dans le duodenum. Voyez PANCREATIQUE & DUODENUM.
Les auteurs praticiens font mention d'abscès au pancréas, mais on ne les a jamais découverts qu'après la mort des malades, & l'on s'en est douté fortement par quelques symptomes du mal, & le pus rendu par les selles. Les tumeurs de cette glande ne peuvent guere s'appercevoir au toucher, à cause de la position de l'estomac qui couvre le pancréas ; cependant on soupçonne l'existence du mal par la difficulté de respirer, par des vomissemens, & par une diarrhée bilieuse, accompagnée de douleurs à la région lombaire.
Au reste, l'Anatomie comparée fournit aux curieux une grande variété sur la forme, la structure, la grosseur, & l'insertion du pancréas dans les divers animaux. Il est d'une étendue si énorme dans quelques poissons, qu'il occupe presque toute la capacité de l'abdomen. Le poisson que M. Perrault appelle lieu, a 440 pancréas, & cinq ouvertures dans l'intestin qui répondent à cinq branches, dont il y en a trois qui ont chacune 80 pancréas, & deux qui en ont chacune 100. (D.J.)
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PANCRÉATIQUE | CONDUIT, (Anatomie) conduit particulier qui se trouve le long du milieu de la largeur du pancréas ; il est très-mince, blanc, & presque transparent. Il s'ouvre par l'extrémité de son tronc dans l'extrémité du conduit cholédoque. De-là le diamêtre de ce trou diminue peu-à-peu, & se termine en pointe du côté de la rate. Les petites branches collatérales sont aussi à proportion un peu grosses vers le tronc, fort déliées vers les bords du pancréas, & toutes situées sur un même plan à-peu-près comme les petites branches de la plante appellée fougere ; ce conduit ressemble à une veine vuide ; sa grosseur approche de celle d'un tuyau de paille.
Maurice Hoffman a découvert le premier à Padoue en 1641 le conduit pancréatique dans un coq-d'inde ; & l'année suivante en 1642, Wirsung l'a découvert dans l'homme ; c'est le témoignage de Thomas Bartholin qui étoit présent ; & son témoignage est si précis, que le conduit pancréatique a été nommé depuis par les Anatomistes conduit de Wirsung.
Ce conduit se trouve quelquefois double dans l'homme, ce qui est commun aux oies, aux canards, aux coqs d'Afrique, aux faisans ; il est triple dans nos coqs, dans les pigeons, dans l'aigle, &c. il n'est pas toujours également étendu selon sa longueur : il traverse les tuniques du duodenum, & s'ouvre dans le canal cholédoque pour l'ordinaire un peu au-dessus de la pointe saillante de l'ouverture de ce canal ; quelquefois il s'ouvre immédiatement dans le duodenum.
Ceux qui se mêlent d'injections anatomiques nous ont appris que c'est par ce canal que tous les points du pancréas, pourvû qu'on ait eu soin de le bien laver auparavant, peuvent être parfaitement remplis de matiere céracée. Formé par la derniere réunion de tous les émissaires qui partent de chaque grain glanduleux, il rampe par la membrane cellulaire dans la circonférence externe du duodenum ; il perce ensuite la tunique musculeuse, & s'ouvre dans la cavité de l'intestin. Son obliquité doit conséquemment empêcher toutes les liqueurs des intestins d'entrer dans le pancréas ; c'est par le conduit de Wirsung que le pancréas souffrant quelque extravasation de sang peut s'en décharger par les selles ; il en faut dire autant de son abscès, aussi-bien que de ceux du foie, dont le pus peut s'évacuer par la même route. (D.J.)
PANCREATIQUE, suc, (Physiolog.) suc lymphatique qui découle du pancréas par le canal de Wirsung dans le duodenum.
Cette liqueur toute simple qu'elle est a produit sur la fin du dernier siecle une hypothèse qui a fait de grands ravages en Médecine, je veux parler de l'hypothèse de Van-Helmont, adoptée & vivement défendue par Sylvius de le Boé, sur l'acidité du suc pancréatique, & sa fermentation avec la bile ; source, à ce qu'ils croyoient, de toutes les maladies aigues & chroniques. La Physiologie & la Pathologie ont longtems porté sur cette chimere que le suffrage, l'éloquence, les leçons & les écrits du fameux professeur de Leyde n'avoient que trop accréditée. Heureusement on est aujourd'hui revenu de son opinion, que je qualifierois de risible, si elle n'avoit été le fondement de pratiques fatales au genre humain.
Le suc pancréatique est réellement une lymphe insipide, claire, abondante, très-semblable à la salive par son origine, sa transparence, son goût, sa nature & les organes qui la filtrent sans cesse ; ce sont de très-petites glandes conglomerées, lesquelles de plusieurs n'en forment qu'une seule. Cette lymphe confondue avec la bile dans le vivant, séjournant dans le même tuyau, se mêlant également avec elle, ou même coulant seulement dans les intestins vuides, n'a aucun mouvement d'effervescence. C'est donc sans raison qu'on a distingué ce suc de la salive, du suc stomacal, & du suc intestinal ; ces liqueurs sont les mêmes ; elles ne sont qu'une eau jointe à une huile fort atténuée & au sel salé.
Le suc pancréatique, que nous venons de décrire, sert beaucoup à la digestion. Son usage est de dissoudre les matieres gommeuses, salines, mucilagineuses, de délayer celles qui sont trop épaisses, de rendre le chyle miscible au sang, de le mettre en état de passer par les vaisseaux lactés, de corriger les matieres âcres, de changer la viscosité, l'amertume & la couleur de la bile, d'adoucir son acrimonie, & de la mêler intimement au chyle : son usage est encore de lubrifier par son onctuosité la partie interne des intestins, de faire les fonctions de menstrue & de véhicule, & finalement de changer les goûts, les odeurs, les qualités particulieres des alimens de façon qu'ils n'acquierent presque qu'une seule & même nature. Il ne s'agit plus maintenant que de dire un mot de la force qui fait couler le suc pancréatique.
1°. Comme l'artere qui porte le sang dans le corps glanduleux du pancréas est près du coeur, l'impulsion du sang est fort considérable ; ainsi comme le sang fournit toujours de nouveaux sucs qui se filtrent, le premier qui a été filtré doit couler nécessairement. 2° Ce suc coulant des petites glandes par des petits tuyaux qui vont aboutir au grand canal du milieu, est exprimé dans le duodenum par le mouvement du diaphragme, par la pression du ventricule quand il est rempli, par la force des muscles de l'abdomen, & finalement par l'action du corps.
On a tâché de calculer par des expériences sur des animaux la quantité de la secrétion de ce suc dans le duodenum pendant un certain espace de tems, afin d'appliquer ensuite à l'homme le même calcul proportionnel. Graaf ayant percé le duodenum d'un dogue, insinua une petite phiole dans le canal pancréatique, expérience très-difficile, & dans huit heures, il y coula une once entiere de liqueur. Schuyl en eut deux onces en trois heures, & Nuck trois onces en vingt-quatre heures ; mais les expériences faites sur des bêtes ne décident de rien, parce que le bas-ventre étant ouvert, les muscles abdominaux ne compriment plus les parties internes, les visceres n'ont plus leur même jeu, les vaisseaux excréteurs sont resserrés par le froid ; en un mot, toute l'économie est troublée par les tourmens de l'animal.
On a donc formé un autre calcul tiré de la grosseur du pancréas de l'homme, relativement aux autres glandes salivaires, qui toutes ensemble sont moins considérables que lui, & cependant suffisent à une secrétion d'environ 12 onces en 24 heures. Il faut en même tems mettre en ligne de compte 1° l'agitation & les secousses que le diaphragme, le ventricule & les muscles du bas-ventre doivent causer au pancréas à cause de leur situation & de leurs mouvemens continuels, au lieu que les glandes salivaires ne sont soumises qu'à la foible action des muscles de la respiration & de la déglutition, qui ne sont pas toujours en jeu : 2° Ajouter au calcul le produit des vapeurs chaudes du bas-ventre, de même que le diamêtre du canal excrétoire du pancréas, qui a communément près d'une ligne dans l'état sain. Il résultera de ces considérations qu'il se doit faire une plus abondante secrétion dans le pancréas, que dans les glandes salivaires réunies toute proportion gardée, desorte que cette secrétion pourroit bien aller à 20 onces en 24 heures.
Mais que devient cette lymphe ? En effet, de 20 onces de suc pancréatique il n'en sort pas deux dragmes par les selles dans l'état naturel, comme le prouvent les excrémens qui sont secs quand on se porte bien ; il faut donc que cette quantité soit reprise ou dans les veines lactées qui charrient toujours une humeur lymphatique, ou dans les veines mésenteriques ; & comme le chemin de la circulation est ici très-court par les arteres, cette humeur sera repompée plusieurs fois en peu d'heures, reportée au coeur, séparée de l'artere coeliaque, & coulera de nouveau dans le duodenum.
De cette abondance du suc pancréatique dans l'état naturel, & de la nécessité dont il est pour la digestion & l'élaboration du chyle, il s'ensuit qu'il peut causer des dérangemens, s'il péche en défaut de qualité ou de quantité. En effet, s'il est trop abondant, les tuyaux excrétoires ne permettant point à la liqueur pancréatique de sortir, les vaisseaux seront plus remplis dans le reste du pancréas, lequel, par cette plénitude, deviendra susceptible d'inflammation. D'un autre côté si le suc pancréatique péche en défaut de quantité, le duodenum ne recevra point la liqueur qui lui est nécessaire pour délayer le chyle, & pour précipiter les excrémens. De plus, la bile sera trop âcre, & pourra causer des diarrhées & des especes de dyssenteries. Enfin, si ce suc séjourne trop dans le pancréas, il tendra à s'alkaliser comme toutes les liqueurs du corps humain. (D.J.)
PANCREATICO-DUODENALE, en Anatomie, nom d'une artere qui se distribue au pancréas & au duodenum, & qui vient de la grande gastrique. Haller, Icon. anat. fasc. II. Voyez PANCREAS GASTRIQUE, &c.
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PANDA | S. f. (Mythol.) déesse qui procure la liberté des chemins. Tatius voulant se rendre maître du capitole, invoqua la divinité qui pouvoit lui en ouvrir la route : lorsqu'il y fut arrivé, il rendit graces à cette divinité ; & ne sachant quel nom lui donner, il l'honora sous celui de Panda. Elle devint la protectrice des voyageurs. La déesse de la paix fut aussi appellée Panda, parce qu'elle ouvroit les portes des villes, que la guerre tenoit fermées : cependant Varron croit que Panda n'est qu'un surnom de Cérès, qui vient à panne dando, celle qui donne le pain aux hommes.
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PANDAEA | (Géog. anc.) contrée de l'Inde en-deçà du Gange. Les femmes y avoient la souveraineté depuis qu'Hercule avoit donné ce pays à sa fille Pandée, qui y étoit née, selon Arrien, in Indicis, p. 321. Ptolomée place quatre villes dans cette contrée. (D.J.)
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PANDALÉON | S. m. (Pharm.) est parmi les Médecins modernes la même chose qu'un électuaire solide, sinon qu'il reste entier ; car le sucre ayant bouilli comme il faut, on le laisse durcir. En l'enfermant dans une boîte, le malade en prend un morceau comme un lambitif. Cette espece de sucre ne differe des bâtons & des tablettes que par sa figure. Blancard.
Ce remede est semblable à un gâteau qui prend la forme de la boîte dans laquelle il est contenu ; il est composé de poudres, de conserves pectorales, de l'orange, de sucre ; on le donne dans le même dessein que le looch. Morelli.
Il paroît qu'on peut faire de ces tablettes plus épaisses que les ordinaires de nos boutiques, dans le dessein de remplir un nombre infini d'indications. Voyez TABLETTES & MEDICAMENS.
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PANDATARIE | (Géog. anc.) île d'Italie dans la mer Tyrrhène, selon Pline, l. III. c. vj. Strabon, l. V. C'étoit autrefois un lieu d'exil où Auguste fit renfermer sa fille Julie. Agrippine y fut aussi reléguée par Tibere, & y mourut. D. Mattheo Egitio prétend que cette île se nomme aujourd'hui Ventotene. (D.J.)
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PANDECTES | S. f. pl. (Jurisprud.) est un nom que Justinien a donné au corps du Digeste, pour exprimer que cette collection renferme toutes les questions controversées, & les décisions, & tout ce qui avoit été extrait des livres des Jurisconsultes. Voyez le titre premier du Digeste, §. 1, à la fin & au mot DIGESTES. (A)
PANDECTES FLORENTINES, sont une édition du Digeste faite à Florence sur un manuscrit célebre & ancien qui est dans cette ville.
Cette édition nous a appris plusieurs choses qui rendent inutile une bonne partie de ce qu'avoient écrit les anciens interprêtes. Voyez ce qui en a été dit au mot Digeste de l'hist. de la Jurisprudence Romaine, par M. Terrasson. (A)
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PANDÉMIE | (Mythol.) surnom de Vénus qui signifie la populaire, ou la déesse après laquelle tout le monde court.
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PANDÉMON | (Antiq. Grecq.) ; c'étoit la même fête que les Athenées. Elle avoit pris ce nom du grand concours de peuple qui se rassembloit pour la célébrer. Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xx. tom. I. p. 422. (D.J.)
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PANDICULATION | S. f. (Médecine) Pandiculation dans un sens général, c'est un violent mouvement des solides qui accompagne ordinairement l'action du bâillement, & qu'on appelle aussi autrement extension. Voyez BAILLEMENT.
Pandiculation, se dit aussi dans un sens plus particulier, de cette inquiétude, de cette extension & malaise, qui accompagne ordinairement le frisson d'une fievre intermittente. Voyez FIEVRE INTERMITTENTE.
On suppose qu'il provient d'une dilatation convulsive des muscles, par laquelle la nature tâche de rejetter quelque chose qui la gêne.
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PANDIE | S. f. (Antiq. Grecq.) , fête des Athéniens en l'honneur de Jupiter. Vous trouverez l'origine de cette fête dans Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xx. tome I. p. 422. (D.J.)
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PANDIONIDE | S. f. une des douze tribus d'Athènes, ainsi nommée du roi Pandion. La tribu pandionide étoit composée de dix peuples ou communautés.
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PANDORE | S. f. (Mythol.) nom de la premiere femme, selon Hésiode. On ne lit point sans plaisir dans sa théogonie, & dans son traité des oeuvres & des jours, tout ce que son imagination lui a suggéré sur les graces de cette premiere femme, & les maux qu'elle a causés dans le monde.
Jupiter, dit-il, voulant se venger du vol que Prométhée avoit fait du feu, résolut d'envoyer aux hommes un mal qu'ils aimassent, & auquel ils fussent inséparablement attachés. Tous les dieux seconderent son dessein. Vulcain forma avec de la terre & de l'eau, paîtris ensemble, une femme semblable aux déesses immortelles ; Minerve la vêtit, & lui apprit les arts qui conviennent à son sexe, celui entr'autres de faire de la toile ; Vénus répandit l'agrément autour de sa tête, avec le desir inquiet & les soins fatigans. Les Graces & la déesse de la Persuasion ornerent sa gorge d'un collier d'or, les Heures lui mirent sur sa tête des couronnes de fleurs ; Mercure lui donna la parole avec l'art des mensonges, & celui d'engager les coeurs par des discours insinuans & perfides. Enfin toutes les divinités de l'Olympe lui ayant fait des dons pour le malheur des hommes, elle reçut le nom de pandore ; composé du mot , qui signifie tout, & de celui de , qui veut dire présent.
Le poëte ajoute, que Jupiter dit à Mercure d'aller présenter Pandore à Epimethée, qui la vit avec des transports d'admiration. En vain Prométhée lui avoit recommandé de ne point recevoir de présens de la part de Jupiter, de crainte qu'il n'y eût caché quelque chose de funeste aux hommes. La vue de cette beauté lui fit oublier un avis de cette importance, & quand il s'en ressouvint, il n'étoit plus tems. Jusques-là les mortels avoient vécu exempts des inquiétudes, & des maladies qui amenent la vieillesse ; mais Pandore ayant levé le couvercle du vase où étoient renfermés les présens des dieux, tous les maux en sortirent en foule, & se répandirent sur la face de la terre. A la vue de ce terrible spectacle, elle se hâta de refermer le vase ; mais il étoit trop tard, & elle ne put y retenir que la seule espérance, qui elle-même étoit prête à s'envoler, & qui demeura sur les bords. C'est donc là le seul bien qui reste aux malheureux mortels ? (D.J.)
PANDORE, s. f. (Luth.) instrument de musique, dont les anciens se servoient, & qui ressemble à un luth. Voyez LUTH.
Isidore fait venir ce nom de son inventeur Pandore ; d'autres de Pan, à qui ils en attribuent l'invention, aussi-bien que celle de la flute.
Il a le même nombre de cordes que le luth ; avec cette différence qu'elles sont de cuivre, & que par cette raison elles donnent un son plus agréable que celles du luth. Ses touches sont de cuivre, comme celles du cistre ; son dos est plat comme celui de la guittare, & les bords de sa table, aussi-bien que les côtés, sont taillés en plusieurs figures de demi-cercle. Ducange observe que Varron, Isidore, & d'autres anciens, en parlent comme d'un instrument de musique qui ne contient que trois cordes, & qui fait qu'il est nommé quelquefois sous le nom de trichordum.
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PANDOSIE | (Géog. anc.) ville grecque fondée par les Eléens dans la Cassopie. Luc d'Holstein dans ses remarques sur l'Italie ancienne de Cluvier, est de l'avis de ceux qui croient que l'ancienne Pandosie étoit au même endroit où se trouve aujourd'hui Mendocino auprès de Cosence. (D.J.)
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PANDOURS | S. f. (Milice mod.) Les pandours sont des sclavons qui habitent les bords de la Drave & de la Save ; ils ont un habit long ; ils portent plusieurs pistolets à la ceinture, un sabre & un poignard.
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PANDROSE | PANDROSE
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PANDYSIE | S. f. (Antiq. Grecq.) , réjouissance chez les Grecs, quand le froid ou l'intempérie de la saison obligeoit les marins de ne pas mettre à la voile ; on juge bien que cette réjouissance ne regardoit que quelques particuliers. Voyez Potter, tome 1. pag. 423.
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PANÉAS | (Géog. anc.) ou Panéade, ville de Syrie, appellée autrefois Lacsem ; puis Dan, depuis la conquête qu'en firent quelques Israëlites de la tribu de Dan ; ensuite Panéas à cause du mont Panius, au pié duquel elle étoit située ; puis Césarée de Philippe, en l'honneur de l'empereur Auguste, à qui Philippe, fils du grand Hérode la consacra. Hérode son pere y avoit fait bâtir, assez long-tems auparavant, un temple magnifique à l'honneur d'Auguste. Enfin le jeune Agrippa changea son nom de Césarée en celui de Hérodiane en l'honneur de Néron. Du tems de Guillaume de Tyr, on l'appelloit Belinas. Elle étoit située à l'endroit où le Jourdain commence à sortir de terre, après avoir coulé quelque espace par des canaux souterrains.
Comme Pline ne connoît point de ville nommée Panéas, mais seulement une contrée ou tétrarchie qui avoit pris son nom de la fontaine Panéas, d'où le Jourdain prend sa source, & qui l'avoit communiqué à la ville de Césarée, le P. Hardouin conclud que Panéas est le nom de la contrée dans laquelle étoit bâtie la ville appellée Césarée de Philippe. Il convient pourtant que cette ville fut nommée Césarée Panéas, du nom de la fontaine Panéas ; & il rapporte à cette occasion l'inscription d'une médaille de Marc-Aurele, où on lit :
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PANÉGYRIARQUE | S. m. (Hist. anc.) magistrats des villes grecques qui présidoient aux fêtes solemnelles & jeux panégyriques. Les panégyriarques étoient aussi des assemblées, fêtes ou especes de foires qui se tenoient à Athènes de cinq en cinq ans.
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PANÉGYRIQUE | S. m. (Belles-Lettres) discours public à la louange d'une personne illustre, d'une vertu signalée, ou d'une grande action. Voyez DISCOURS.
Ce mot est grec, , formé de , tout & d', assemblée, parce qu'autrefois chez les Grecs on prononçoit les panégyriques dans les cérémonies publiques & solemnelles, à l'occasion de quelques jeux ou de quelques fêtes qui attiroient toujours un grand concours de peuples.
Le panégyrique appartient au genre d'éloquence, qu'on nomme en Rhétorique démonstratif. Voyez DEMONSTRATIF.
Pour rendre les anciens panégyriques plus solemnels, on avoit coutume de les commencer par l'éloge de la divinité, en l'honneur de laquelle on célébroit les fêtes ou les jeux. On passoit ensuite aux louanges du peuple ou du pays qui les célébroit, puis à celles des princes ou des magistrats qui y présidoient ; & enfin l'orateur prononçoit les athletes, & les vainqueurs qui avoient remporté le prix dans les exercices du corps.
Le P. de Colonia fait mention de deux méthodes qu'on a suivies dans les panégyriques ; l'une artificielle, suivant laquelle, sans avoir égard à l'ordre des tems ou des faits, on ramenoit toutes les parties de l'éloge à certains chefs généraux. C'est ainsi que dans son oraison pro lege maniliâ, Ciceron rapporte tout l'éloge de Pompée à son habileté dans l'art militaire, à sa vertu, à son pouvoir, & au bonheur qui l'accompagnoit dans toutes ses entreprises.
L'autre méthode qu'il nomme naturelle, est celle où l'on observe l'ordre des tems, ou l'ordre historique. En suivant cette derniere marche, le panégyrique se divise en trois périodes. Le tems qui a précédé la naissance de la personne dont on fait l'éloge, celui dans lequel elle a vécu, & si elle est morte, celui qui s'est écoulé après sa mort. On pourroit ajouter que cette sorte de division paroît plus propre à l'oraison funebre, qui est une espece de panégyrique, qu'au panégyrique proprement dit. Quoi qu'il en soit, elle demande moins de génie, & est beaucoup moins susceptible de variété que la premiere. Aussi voyons-nous que les grands orateurs modernes fondent leurs panégyriques des saints, des rois, des héros sur une ou deux vertus principales, auxquelles ils rapportent, comme à leur centre, toutes leurs autres vertus, & les circonstances glorieuses de leur vie ou de leurs actions. D'ailleurs il faut se garder d'entasser trop de faits dans un panégyrique. Ils doivent être comme fondus dans les réflexions & dans les tours oratoires, ce qui est comme impossible en suivant historiquement l'ordre des tems.
Les lieux communs d'où l'on peut tirer des éloges ou des matériaux pour le panégyrique, sont la famille, le pays, la naissance de la personne qu'on loue, les présages qui ont précédé cette naissance, ses vertus, ses avantages corporels, les qualités de son esprit & de son coeur, ses dignités, son autorité, son opulence, c'est-à-dire, l'usage noble & vertueux qu'elle en a fait, ses grandes actions, la maniere dont elle est morte, & les conséquences qu'on en peut tirer.
Le panégyrique est, dit-on, l'écueil des orateurs ; ceux qui ne roulent que sur des matieres profanes, ou des sujets imaginés, tels que ces déclamations qu'on prononce dans les colleges, ou les discours académiques, comportent toutes sortes d'ornemens : cependant ils ne doivent encore être embellis que jusqu'à une certaine mesure, & la grande difficulté est de s'arrêter à ce point fixe. On surcharge ordinairement son sujet de fleurs qui ne couvrent souvent que du vuide. Dans l'éloquence de la chaire, les sujets sont grands, respectables, féconds par eux-mêmes : cependant la trop grande abondance d'ornemens peut les défigurer, & leur faire perdre de leur majesté naturelle. D'un autre côté le défaut d'ornemens les desseche pour ainsi dire, & cesse de les rendre aussi intéressans qu'ils le seroient, s'ils en étoient revêtus avec mesure & avec discrétion.
Nous avons un recueil d'harangues latines, intitulé, panegyrici veteres, qui renferment les panégyriques de plusieurs empereurs romains. On trouve à la tête celui de Trajan, par Pline, qui le composa par ordre du sénat, & au nom de tout l'empire. L'orateur y adresse toujours la parole au prince, comme s'il étoit présent ; & s'il le fut en effet, (car on en doute), il en couta beaucoup à la modestie de cet empereur, de s'entendre ainsi louer en face & pendant long-tems.... Le style de ce discours est élégant, fleuri, lumineux, tel que doit être celui d'un panégyrique, où il est permis d'étaler avec pompe tout ce que l'éloquence a de plus brillant. Les pensées y sont belles, solides, en grand nombre, & souvent paroissent toutes neuves. Les expressions, quoiqu'assez simples, n'ont rien de bas, rien qui ne convienne au sujet, & qui n'en soutienne la dignité. Les descriptions sont vives, naturelles, circonstanciées, pleines d'images naïves, qui mettent l'objet sous les yeux & le rendent sensible. Tout le discours est rempli de maximes & de sentimens dignes du prince qu'on y loue. M. de Sacy nous en a donné une fort belle traduction.
Dans ce même recueil, dont nous avons parlé, suivent onze autres pieces du même genre ; cette collection, outre qu'elle contient beaucoup de faits qui ne se trouvent point ailleurs, peut être fort utile pour ceux qui sont chargés de faire des panégyriques. La bonne antiquité latine ne fournit point de ces sortes de discours, excepté la harangue de Ciceron pour la loi manilia, & quelques endroits de ses autres harangues, qui sont des chefs-d'oeuvres dans le genre démonstratif, comme dans celles pour Marcellus & pour le poëte Archias. Il ne faut pas s'attendre à trouver la même beauté, ni la même délicatesse dans ces autres panégyriques. L'éloignement du siecle d'Auguste avoit fait déchoir beaucoup l'éloquence, qui n'avoit plus cette ancienne pureté de langage, cette finesse d'expression, cette sobriété d'ornemens, cet air simple & naïf, mais relevé, quand il le falloit, par une grandeur & une noblesse de style admirable. Mais on trouve dans ce discours beaucoup d'esprit, de fort belles pensées, des tours heureux, des descriptions vives, & des louanges très-solides. Rollin, hist. anc. tome 12. pag. 502. & 504.
Parmi nos Panégyristes modernes, M. Flechier est brillant, ingénieux ; Bourdaloue moins orné, mais plus grave & plus majestueux ; le caractere des panégyriques de Massillon sont un mêlange de ce qui domine dans les deux autres.
PANEGYRIQUE est aussi le nom d'un livre ecclésiastique à l'usage des Grecs. On l'appelle ainsi, parce qu'il contient plusieurs panégyriques composés à la louange de Jesus-Christ & de ses saints. On le trouve en manuscrit dans la plupart des églises grecques, mais il n'est pas le même dans toutes ; chaque église ayant des saints qu'elle revere particuliérement, ou les compilateurs de ces sortes d'ouvrages, ayant fait ces recueils selon leur dévotion. Ils sont disposés selon l'ordre des mois, ensorte qu'ils contiennent souvent douze volumes qui répondent chacun à un des mois de l'année.
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PANEGYRIS | S. f. (Antiq. grecq.) , assemblée des Grecs, qui répondoit exactement aux foires des Romains.
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PANEGYRISTE | S. m. (Gram. & Hist. anc. & mod.) magistrat dans les villes grecques, qui célébroit au nom des peuples convoqués & assemblés, les fêtes & les jeux ordonnés en l'honneur des dieux & des empereurs, & qui en faisoit les harangues & les éloges devant l'assemblée.
Il se dit aujourd'hui de cette sorte d'orateurs qui consacrent particulierement leurs talens à immortaliser par leurs éloges les vertus des grands hommes.
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PANELLE | S. f. (Blason) c'est le nom qu'on donne aux feuilles de peuplier. La maison de Schreisbergdorf en Silésie porte de gueules à trois panelles ou feuilles de peuplier d'argent, posées en perle, les queues aboutées en coeur. Menétrier. (D.J.)
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PANELLENES | (Géog. anc.) & Panchaei. Strabon, liv. VIII. pag. 176. & Etienne le géographe, donnent ces noms à tous les Grecs pris en général.
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PANEMUS | S. m. (Calendrier grec) nom donné chez les Grecs à des mois différens.
1°. Panémus étoit, chez les Corinthiens, un mois qui répondoit au mois attique Boédromion, & selon le pere Pétau, à notre mois de Novembre.
2°. Panémus étoit, dans l'ancien calendrier macédonien, le neuvieme mois de l'année : après la conquête de l'Arabie on donna ce nom au sixieme mois.
3°. Panémus étoit le nom béotien du mois athénien, nommé Métagitnion, qui étoit le second de leur année, & qui répondoit en partie au mois de Juillet, & en partie au mois d'Août, selon Potter. Voyez MOIS DES GRECS.
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PANER | verbe act. (Cuis.) c'est couvrir de pain émié seul, ou haché avec de la graisse, des herbes, des épices, une viande qu'on fait cuire sur le gril : on panne des piés de cochon, des côtelettes, une volaille.
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PANEROS | ou PAUSEBASTOS, (Hist. nat.) pierre dont Pline ne nous a transmis que le nom.
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PANES | S. m. pl. (Littérat.) ce sont les mêmes que les satyres, qui reconnoissoient Pan pour leur chef, & qu'on confondoit quelquefois avec lui, comme on peut le justifier par ce vers d'Ausone :
Capripedes agitat cùm laetat protervia Panes.
c'étoient les dieux des chasseurs, des bois, & des champs ; mais souvent on les prenoit pour le symbole de l'effronterie & de l'impudicité. (D.J.)
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PANETERIE | S. f. (Architecture) c'est, dans le palais d'un grand seigneur, le lieu où l'on distribue le pain, & qui est ordinairement au rez-de-chaussée, & accompagnée d'une aide.
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PANETIER | GRAND, s. m. (Hist. de France) le grand panetier de France, étoit autrefois un officier de la maison du roi qui recevoit les maîtres Boulangers, avoit sur eux droit de visite & de confiscation, avec une jurisdiction dans l'enclos du palais nommé la paneterie, laquelle étoit exercée par un lieutenant-général. Les boulangers de Paris lui devoient un certain droit qu'on nommoit bon denier & le pot de romarin.
Cet office du grand panetier étoit possédé par un homme du premier rang ; il jouissoit de prérogatives qui le relevoient au-dessus de ses fonctions ; on voit dans les preuves de l'histoire de Montmorency, qu'en 1333, Burchard de Montmorency étoit panetarius Franciae, & qu'en cette qualité il eut un grand procès avec le prevôt des marchands & les échevins de la ville de Paris, qui soutenant les intérêts des boulangers de cette ville & des fauxbourgs, ne pouvoient souffrir qu'il exerçât la jurisdiction du panetier, ni l'inspection qu'il prétendoit avoir sur eux ; mais il fut maintenu dans tous ses droits.
Du Tillet a fait mention, dans ses recherches, du grand panetier de France, & des seigneurs qui ont possédé cet office ; & après avoir rapporté l'arrêt rendu en 1333, il ajoûte qu'il y en a eu plusieurs autres, entr'autres un provisionel du 2 Mai 1406, par lequel il fut permis au grand panetier d'avoir sa petite justice, &c. à condition de porter au châtelet les contraventions qu'il découvriroit dans les visites, pour punir les coupables : cette charge fut supprimée par Charles VII. ainsi que celle du grand bouteillier. (D.J.)
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PANETIERE | subst. f. sac de berger, espece de grande poche ou de sac de cuir, dans lequel les Bergers mettent leur pain. Panetiere est le mot noble employé par les auteurs dans les églogues & les bergeries ; car les bergers des environs de Paris appellent ce sac gibeciere.
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PANGA | (Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Congo, capitale de la province de Bamba, à 36 lieues de la côte. Long. 32. lat. mérid. 6. 30.
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PANGAEUS | (Géog. anc.) montagne de la Thrace aux confins de la Macédoine, on la nommoit auparavant Caramanius.
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PANGFILS | S. m. (Comm. d'ourdis.) étoffes de soie qui se fabriquent à la Chine, sur-tout dans la province de Nanquin. Elles se vendent presque par assortiment pour l'usage du pays, & le trafic au Japon.
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PANGO | (Géog. mod.) province de l'Afrique au royaume de Congo, bornée N. par le pays de Simdi, E. par le fleuve Barbola, les montagnes du soleil, S. par le pays de Dembo, O. par le pays de Batta.
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PANHELLÉNIEN | (Mythol.) surnom de Jupiter ; il signifie le protecteur de tous les peuples de la Grece. L'empereur Hadrien fit bâtir à Athènes un temple à Jupiter panhellénien, & c'étoit lui-même qu'il prétendoit désigner sous ce nom. Il institua en même tems des fêtes & des jeux appellés panhellénies, de , tout, & de , un grec, que toute la Grece devoit célebrer en commun. Lorsque l'Attique fut affligée d'une grande sécheresse, en punition de la mort d'Androgée, Eaque intercéda pour les Grecs, en offrant des sacrifices à Jupiter panhellénien, dit Pausanias ; d'où il paroît que ce nom est beaucoup plus ancien qu'Hadrien, & que ce prince ne fit que le renouveller, & rebâtir un temple qui avoit autrefois subsisté à Athènes. (D.J.)
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PANIC | S. m. (Botan.) Linnaeus caractérise ainsi le panic, dont il fait un genre distinct de plante graminée. Le calice est composé de plusieurs feuilles, & contient une seule fleur ; les feuilles sont chevelues & inégales dans leurs insertions. La base est formée de deux battans ovales, pointus & très-petits ; la fleur est aussi formée de deux valvules ovales & pointues : les étamines sont trois courts filets capillaires ; les bossettes des étamines sont oblongues, le germe du pistil est arrondi, les stiles sont au nombre de deux très-déliés ; la fleur environne la graine, & ne s'ouvre jamais pour la laisser sortir : la graine est unique, arrondie, & en quelque maniere applatie.
On compte neuf especes de panic ou panis, la plus commune est le panic d'Allemagne, panicum Germanicum, de C. B. P. 27, & I. R. H. 515. Sa racine est forte & fibreuse : elle pousse plusieurs tiges ordinairement à la hauteur de 2 coudées, & plus dans un bon terrein, rondes, solides, garnies de plusieurs noeuds. Ces tiges diminuent insensiblement de grosseur, & leurs sommités viennent à pancher languissamment. Ses feuilles sortent des noeuds, sont arondinacées, plus rudes & plus pointues que celles du millet, plus larges que celles du froment. Au sommet de la tige, est un épi long de 8 à 10 pouces, rond, gros, non divisé comme dans le millet, mais compacte & serré ; composé de grains plus nombreux, mais plus petits que ceux du millet, plus ronds, luisans, enveloppés de follicules blancs, jaunâtres ou purpurins. Dioscoride & Galien ont beaucoup parlé du panic. Les Grecs le nommoient & ; on s'en nourrit en Hongrie & en Bohème, où l'on fait de sa semence mondée des bouillies, des gâteaux & d'autres alimens.
On séme cette plante dans les champs en Allemagne & en Italie : elle demande une terre légere & sablonneuse, & pourtant humide. (D.J.)
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PANICAULT | voyez CHARDON ROLAND.
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PANICAUT DE MER | (Botan.) espece d'éryngium, nommé éryngium maritimum, par C. B. P. 386, I. R. H.
Ses racines sont très-longues, éparses de tous côtés, de la grosseur du doigt ou du pouce, noueuses par intervalle, blanchâtres, douces & agréables, un peu odorantes. Ses feuilles sont très-nombreuses, portées sur de longues queues, quelquefois larges d'une palme, arrondies, presque semblables à celles de la mauve, mais anguleuses à leur bord, & garnies tout autour d'épines dures, épaisses, bleuâtres, d'un goût aromatique. Sa tige est épaisse, haute d'une coudée, fort branchue, un peu rougeâtre à sa partie inférieure, & portant à son sommet des petites têtes sphériques & épineuses, presque de la grosseur d'une noix, entourées ordinairement à leur base de 6 petites feuilles épineuses, de couleur d'un beau bleu, aussi-bien que les têtes : ces fleurs sont semblables à celles du chardon-rolland, & blanchâtres. Cette plante est très-fréquente sur les côtes septentrionales & méridionales. (D.J.)
PANICAUT DE MER, (Mat. med.) quoique les racines du panicaut de mer soient peu en usage dans ce pays, cependant plusieurs personnes les préferent à celles du panicaut vulgaire ou chardon-rolland. Outre les vertus qu'elles ont de commun avec cette derniere plante, J. Rai les croit utiles contre la peste & contre la contagion de l'air, prises le matin à jeun, confites au sucre. Il dit de plus qu'elles sont utiles aux personnes maigres & desséchées, & qu'elles guérissent la vérole. Geoffroi, Mat. med. Voilà bien les Botanistes. (b)
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PANICULE | (Anat.) Voyez PANNICULE.
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PANIER | S. m. (terme génériq.) vaisseau d'osier propre à contenir plusieurs choses, comme diverses marchandises, des fruits, des légumes, du poisson, &c. il se dit aussi de la chose qui y est contenue : un panier de pommes, un panier de cerises, pour dire un panier plein de ces fruits ; ce qu'on nomme aussi une panerée.
Les paniers, suivant leurs usages, sont faits de différentes matieres, & de différentes façons, & ont des formes & des noms qui leur sont propres.
Il y en a à claire-voie, & d'autres pleins, la plupart d'osier ou avec son écorce, ou sans son écorce ; quelques-uns de châtaignier refendu & plat, les uns ronds, les autres longs ; ceux-ci quarrés, plusieurs profonds, d'autres très-plats : enfin il y en a à fond pointu, à fond rond, à fond applati à anse, sans anses, ou avec deux anses ; de fort grands & de très-petits.
Les paniers dont les marchands Merciers se servent pour emballer plusieurs de leurs marchandises, les Epiciers quelques drogues, & les Chapeliers leurs chapeaux, s'appellent des mannes & des mannettes : on appelle aussi manne, le panier quarré que les marchandes de petit-métier portent devant elles.
On nomme dans le négoce des fruits, des cueilloirs, des noguets, des verveux, trois sortes de paniers qu'on y emploie. Le noguet sert aussi aux laitieres à porter sur leur tête la crême & le lait caillé qu'elles vendent en été.
La torquette, le maniveau, & une sorte de panier en forme de manequin, ou comme on disoit autrefois de mannequis, servent dans le commerce du poisson de mer frais.
Le corbillon est le panier des oublieux.
L'inventaire celui des regratieres & petites marchandes, qui portent & crient leurs marchandises par les rues de Paris.
Enfin on appelle des desserts, ces paniers ou corbeilles d'osier fin qu'on employoit autrefois à servir sur table les fruits frais ou confits, & autres ouvrages de sucre, inventés par ces domestiques confiseurs, que dans les grandes maisons on nomme des officiers.
Tous les différens paniers qui ont des noms particuliers, & qui sont de quelque usage dans le commerce, sont expliqués à leurs propres articles.
Quelques artisans se servent de paniers pour porter ou leurs outils, ou leurs ouvrages. Les Serruriers ne vont jamais sans le leur, & les Boulangers de petits pains de Paris, en ont de très-grands à claire-voie, dans lesquels les garçons portent les petits pains dont ils fournissent les tables délicates de la ville. On appelle aussi paniers ou corbeilles, des paniers ronds & plats, dans lesquels les mêmes boulangers dressent leurs grands pains. Savary. (D.J.)
PANIER DE MINERVE, (Littérat. grecq. & rom.) calathus Minervae, comme disoient les Latins. Les Poëtes n'ont pas moins célébré le panier de Minerve, que sa quenouille. C'étoit-là, disent-ils, que la déesse mettoit les pelotons de laine qu'elle avoit filés de ses mains immortelles. Virgile, parlant de Camille reine des Volsques, dit :
Non illa colo, calathisve Minervae,
Foemineas assueta manus.
Cette espece de panier que Pline, lib. XXI. chap. v. compare à la fleur de lys, dont les feuilles vont en s'évasant à mesure qu'elles s'élevent, & qui étoit fait ordinairement de jonc, ou de bois fort léger, servoit aux ouvrieres à mettre leurs laines, & il étoit spécialement consacré à Minerve déesse des arts, sous la protection de qui les Troyens se croyoient destinés à les cultiver dans une profonde paix.
PANIER, (Hist. mod.) bureau de la chancellerie d'Angleterre, qui répond au fisc des romains. Voyez CHANCELLERIE & FISC.
Clerc du panier, qu'on appelle aussi quelquefois garde du panier, est un officier de la chancellerie qui reçoit tous les deniers que l'on paye au roi pour les sceaux des chartres, lettres patentes, commissions & écrits ou ordres. Il accompagne le garde des sceaux dans les tems que se font les paiemens, & il a la garde de toutes les expéditions scellées, qu'il reçoit aujourd'hui dans un sac, mais qui se mettoient autrefois dans un panier, d'où vient l'étymologie de cette charge. Il y a aussi un contrôleur du panier. Voyez CONTROLEUR.
PANIER A OUVRAGE, les paniers à ouvrage ne sont pas nouveaux. Les dames romaines en avoient comme les nôtres ; elles y tenoient leurs fuseaux, leur cannevas, leurs laines : mais leurs paniers n'étoient que d'osier, on les appelloit qualum, mot dérivé du grec , calathus, panier de Minerve. Voyez PANIER DE MINERVE.
Horace dit à Néobule :
Tibi qualum Cythereae puer ales aufert.
" le fils de Cythérée nous a fait perdre le goût de vos toiles & de votre tapisserie ". Nous ne manquons pas de Néobules. (D.J.)
PANIER, (Minéralogie) c'est ainsi qu'on nomme dans les mines de charbon de terre de France, un baquet ovale, garni de cercles de fer, & de quatre chaînes avec leurs boucles, dont on se sert pour tirer le charbon de terre du fond de la mine.
PANIER, (Architec.) morceau de sculpture, différent de la corbeille, en ce qu'il est plus étroit & plus haut, & qui étant rempli de fleurs & de fruits, sert d'amortissement sur les colonnes ou les piliers de la clôture d'un jardin. Les termes, les persans, les caryatides, voyez ces mots, & autres figures propres à soutenir quelque chose, portent de ces paniers. On voit dans la cour du palais della Valle à Rome, deux satyres antiques de marbre, d'une singuliere beauté, qui portent aussi de ces paniers remplis de fruits. Le mot panier vient du latin panis, pain, ou de panarium, parce que le premier usage des paniers fut de porter du pain. (D.J.)
PANIER DE MASSON, est une espece de vase d'osier à claire-voie qui sert à passer le plâtre en gros.
PANIER, (Mode) espece de jupon fait de toile, cousue sur des cerceaux de baleine, placés au-dessus les uns des autres, de maniere que celui d'en-bas est le plus étendu, & que les autres vont en diminuant à mesure qu'ils s'approchent du milieu du corps. Ce vêtement a scandalisé dans les commencemens : les ministres de l'Eglise l'ont regardé comme un encouragement à la débauche, par la facilité qu'on avoit au moyen de cet ajustement, d'en dérober les suites. Ils ont beaucoup prêché ; on les a laissé dire, on a porté des paniers, & à la fin ils ont laissé faire. Cette mode grotesque qui donne à la figure d'une femme l'air de deux éventails opposés, a duré long-tems, & n'est pas encore passée : elle tombe. On va aujourd'hui en ville & au spectacle sans panier, & on n'en porte plus sur la scene, on revient à la simplicité & à l'élégance ; on laisse un vêtement incommode à porter, & dispendieux par la quantité énorme d'étoffe qu'il emploie.
PANIER D'ARBALETE, terme d'Arbalêtier, c'est le milieu de la corde de l'arbalête à jalet, qui est fait en creux & où l'on met la bale ou le jalet lorsqu'on veut tirer.
PANIER, terme de Chandelier, les paniers des chandeliers sont quarrés, afin que les chandelles qu'ils y arrangent, soit pesées en livres, ou autrement, s'y placent plus aisément, qu'il y en tienne une plus grande quantité, & qu'elles se cassent moins. Ils sont ordinairement d'osier blanc, faits par les Vanniers-mandriers, c'est-à-dire ceux qui font les ouvrages de vannerie, clos & non à claire-voie : ces paniers ont des anses comme des paniers communs.
PANIER A CIRE, (Cirerie) on nomme ainsi dans les manufactures pour le blanchissage des cires, de grandes corbeilles rondes à deux anses, qui servent à transporter la cire en grain des magasins à la fonderie : ils sont d'osier blanc, doublés de toile. Chaque panier contient 25 livres de cire.
PANIER, (Econ. rustiq.) il se dit d'une ruche de mouches à miel, pleine de ses mouches.
PANIER DE COCHES, (Messagerie) les coches, carrosses, & autres voitures qui servent à transporter par terre les personnes, les hardes & les marchandises, ont ordinairement quelques paniers, le plus souvent deux, l'un à l'avant & l'autre au derriere de leurs coches & carrosses, où ils enferment les paquets & marchandises qu'on leur confie : on les nomme des magasins.
PANIER DE MAREE, (Chasse-marée) c'est une espece de manequin, de près de 2 piés de hauteur, de 10 à 12 pouces de diamêtre, dans lequel les chasses-marée apportent à la halle de Paris, la marée pour la provision de la ville. Chaque panier, suivant la qualité & grosseur du poisson, est composé d'un certain nombre de chaque espece. Ce sont des paniers que les vendeurs de marée en titre d'office publient, & délivrent au plus offrant & dernier enchérisseur, & sur lesquels ils ont un certain droit réglé par les déclarations du Roi. Savary. (D.J.)
PANIER DE MESSAGER, terme de Cocquetier, les messagers qui font leurs voitures sur des chevaux de somme, appellent paniers deux grandes & profondes corbeilles d'osier, qui pendent des deux côtés des bâts de leurs chevaux, dans lesquelles ils enferment les boëtes & petits paquets de marchandises.
PANIER, (Pêche marine) c'est une espece de manequin d'osier, dont l'on se sert à prendre sur la grève, à basse eau, des crevettes, grenades ou salicots, sortes de petites écrevisses.
PANIER DE VERRE, (Commerce de verre) l'on nomme ainsi dans le commerce du verre à vitre, nonseulement le panier dans lequel se transporte cette marchandise, mais encore la marchandise même qui y est contenue. Chaque panier, qu'on appelle aussi une somme, est composé de 24 pieces ou plats de verre.
PANIER, ANSE DE, terme de Maçon, ils disent qu'une arcade est faite en anse de panier, lorsque le dessus est un peu abaissé, & qu'elle n'est pas faite en plein ceintre, c'est-à-dire qu'elle est en demi-ellipse sur le grand diametre.
PANIER, ANSES DE, (Serrur.) ornemens de serrurerie, formés de deux enroulemens opposés, qui forment un anse de panier dont ils ont pris le nom.
PANIER A CLAIREE, en terme de Raffineur de sucre, est un tissu d'osier, de figure quarrée. Il est environné dans tout son contour, par haut & par bas, de deux cercles de fer, qui sont eux-mêmes soutenus aux milieu du panier par une traverse sur chaque face. Il est suspendu au-dessus de la chaudiere à clairée, sur un brancard de fer qui pose sur ses bords, & recouvert du blanchet. Voyez BLANCHET.
PANIER A ECUME, est un grand panier de deux pieces, dont le tour s'appuie sur le fond qui l'environne par un bord de 8 à 9 pouces de haut. C'est dans ces paniers que l'on passe les écumes. Voyez PASSER LES ECUMES. Il y en a qui sont tout d'une piece avec leur fond. Ceux qui en sont séparés sont plus aisés à transporter & à manier.
PANIER ROND, se dit encore d'un panier rond à deux petites anses, dans lequel on jette les petits morceaux de terre que l'on a grattés avec le couteau au bord des formes en plamotant. Voyez PLAMOTER.
PANIER A TERRE, est un ustensile d'osier à deux poignées : il contient environ cent livres pesant, & sert à porter la terre tremper. Voyez TREMPER LA TERRE.
PANIER, en terme de Vannier, c'est un vase de diverses grandeurs, & qu'on met à différens usages. Il y a des paniers à anses, & d'autres qui n'en ont point, mais seulement une espece de poignée à chaque bout. On appelle plus communément ces derniers mannes. Voyez MANNES. Il y a des paniers à chevaux, des paniers à laitiere, des paniers à bouteilles. Voyez ces mots à leur article.
PANIER A BOUTEILLES, ce sont des paniers dans lesquels le vannier a pratiqué des especes de chambrettes ou séparations, de grandeur à pouvoir tenir une bouteille.
PANIER A CHEVAL. Les Vanniers donnent ce nom à de grands paniers plus longs que larges, & fort profonds, que les chevaux ou autres bêtes de somme portent attachés à leur bât, de chaque côté de leur ventre.
PANIER DE FAISSERIE, ce sont des paniers à jour. On les divise en trois especes : les uns à fond plein ; les autres à fond à jour ; & les derniers à fond plein ou à jour, mais qui sont garnis d'une petite aire seulement par en-bas.
PANIER A LAITIERE, ce sont des paniers quarrés dont les Laitieres se servent pour transporter leurs pots de lait.
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PANIONIES | S. f. pl. (Antiq. grecq.) fête de toute l'Ionie en l'honneur de Neptune. Une armée de jeunes Ioniens qui étoient partis du territoire d'Athènes, ayant chassé les Cariens, les Myliens & les Leleges, de la côte maritime d'Asie qu'ils habitoient, prit possession de tout ce pays, y établit des colonies, bâtit le temple de Diane à Ephèse, & institua la fête appellée , sur le mont Mycalé, en l'honneur de Neptune héliconien. Mycalé est un promontoire de l'Ionie qui regarde Samos du côté du vent du zéphire. C'est en ce lieu que s'assembloient les Ioniens pour offrir un sacrifice, & célébrer cette fête qu'ils appellerent panionies, c'est-à-dire, fête de toute l'Ionie. Une chose remarquable dans cette fête, c'est que si le taureau destiné à être immolé, venoit à meugler avant le sacrifice, ce mugissement passoit pour être un présage de la faveur spéciale de Neptune. Potter, Archaeol. graec. tom. I. pag. 423. (D.J.)
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PANIONIUM | (Géog. anc.) ville de l'Ionie, sur le bord de la mer, près d'Ephèse & de Samos. C'est à Panionium que s'assembloient les douze principales villes de l'Asie mineure, auxquelles Smyrne fut ensuite ajoutée, qui faisoit la treizieme. En voici les noms : Ephèse, maintenant Ajasalouk ; Milet, aujourd'hui Palatscha ; Myus & Lebedos, détruites depuis long-tems ; Teos, village nommé Segest ; Colophon & Priene, qui ne paroissent plus ; Phocée, à-présent Paloea Foja ; Erythres, à-présent le village de Gesmé ; Clazomènes, village de Vourla ou de Kelisman ; Chios, Samos & Smyrne, qui retiennent leur ancien nom.
L'assemblée de ces villes d'Ionie s'appelloit aussi panionium, qui est un mot composé de , tout, & , Ionie, comme qui diroit assemblée de tous les Ioniens. On y célébroit une fête en l'honneur de Neptune héliconien, & les sacrifices qu'on y faisoit à ce dieu, étoient aussi nommés panionies. Cette fête, & par conséquent l'union des treize villes qu'on vient de nommer, subsistoit encore au tems de l'Empereur Trébonianus Gallus, c'est-à-dire, l'an 251 de Jesus-Christ. On a une médaille grecque de ce prince, où la fête est représentée par un autel, auprès duquel est le taureau qui doit être immolé, & qui est environné de treize figures qui paroissent tenir chacune un flambeau. (D.J.)
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PANIQUE | TERREUR, (Littérat.) c'est ainsi, dit Pausanias, qu'on appelle ces frayeurs qui n'ont aucun fondement réel, parce qu'on les croit inspirées par le dieu Pan. Brennus ayant fait une irruption dans la Grece à la tête d'une nombreuse armée de Gaulois, la seconde année de la cent-vingtieme olympiade, s'avança jusqu'à Delphes ; les habitans consternés recoururent à l'oracle ; le dieu leur déclara qu'ils n'avoient rien à craindre, & les assura de sa puissante protection. En effet, continue l'historien, on vit tout-à-coup des signes évidens de la vengeance du ciel contre les barbares : le terrein qu'occupoit leur armée, fut agité de violens tremblemens de terre ; des tonnerres & des éclairs continuels, nonseulement les effrayoient sans cesse, & les empêchoient d'entendre les ordres de leurs généraux. La foudre tomboit sur leurs têtes, & des exhalaisons enflammées les réduisoient en poudre eux & leurs armes.... Mais la nuit leur fut encore plus funeste, car l'horreur des ténébres les agita d'une terreur panique, & leur fit prendre de fausses allarmes. La crainte s'empara de tous leurs sens, & l'épouvante fut si grande, que se divisant en plusieurs pelotons, ils s'entretuoient les uns les autres, croyant se battre contre des Grecs. Cette erreur qui ne pouvoit être qu'un effet de la colere des dieux, dit encore Pausanias, dura jusqu'au jour, & causa à ces barbares une perte de plus de dix mille hommes ; le reste périt en se sauvant. (D.J.)
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PANIS | S. m. panicum, (Hist. nat. Botan.) genre de plante qui ne differe du millet que par l'arrangement des fleurs & des semences qui forment des épis fort serrés. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE & PANIC. (I)
PANIS, (Diete) La semence de cette plante qui est farineuse, a beaucoup d'analogie avec le millet. (Voyez MILLET, & l'art. FARINE, FARINEUX, & PANIC.) La farine qu'elle fournit & qui est mangée dans quelques contrées, comme celle du petit-millet, lui est encore inférieure en beauté. Au rapport de Clusius, on cultive cette plante en Bohème & dans quelques autres provinces d'Allemagne, en Hongrie, &c. où elle fournit un mauvais pain, & des bouillies aux habitans de la campagne ; mais ce n'est là qu'une ressource pour les pays malheureux où on ne peut avoir mieux. (b)
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PANIUM | (Géog. anc.) promontoire d'Europe, sur la côte du Bosphore de Thrace, parallele, selon Pierre Gilles, aux îles Cyanées. Ortelius dit qu'on le nomme aujourd'hui vulgairement Phanorion. Il y a aussi une caverne de Syrie, qui porte le nom de Panium. Elle est située dans la montagne Panéus, près la source du Jourdain ; c'est-là qu'Hérode le Grand fit bâtir un temple de marbre blanc en l'honneur d'Auguste, selon le récit de Josephe, antiq. jud. liv. V. chap. xiij. (D.J.)
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PANMACHION | S. m. (Art gymn.) , nom donné par quelques auteurs à l'exercice du pancrace. Ils ont appellé en conséquence les combattans, . Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xxij. tome I. p. 444. (D.J.)
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PANNE | S. f. (Architect.) c'est dans un bâtiment une piece de bois, qui portée sur les tasseaux & chantignoles des forces d'un comble, sert à en soutenir les chevrons. Il y a des pannes qui s'assemblent dans les forces, lorsque les fermes sont doubles. On nomme panne de brisis celle qui est au droit du brisis d'un comble à la mansarde. Voyez PANNE DE BRISIS. Les pannes sont appellées templa par Vitruve.
PANNE, (Blanchiss.) c'est, en Anjou, une espece de cuvier de bois, dont on se sert pour lessiver les toiles que l'on veut mettre au blanchiment.
PANNE, terme de Chaircutier, graisse de porc qui n'est ni battue ni fondue, mais que l'on bat, & que l'on fond quand on veut faire du sain-doux.
PANNE, (Charpenterie) piece de bois, de six ou sept pouces en quarré, entre deux jambes de force, & entre le faîte & l'entablement, sur laquelle posent les bouts des chevrons qui ne pourroient pas être assez longs, pour aller du haut du toît jusqu'en-bas ; ou assez forts, pour soutenir les lattes & l'ardoise, ou les tuiles.
Comme les pannes sont des pieces de bois posées horisontalement le long des demi-toîts, ensorte que les chevrons supérieurs & inférieurs s'appuient sur elles, chacun par une de leurs extrémités, elles doivent s'opposer à l'effort que fait le toît pour perdre sa rectitude & se fléchir. Mais le plus souvent elles s'y opposent inutilement, & d'autant moins qu'elles tendent elles-mêmes à se fléchir par leur propre poids. Aussi est-il très-commun de voir des toîts qui se démentent & se courbent, d'où s'ensuit la ruine du faîte, & tout ce qu'il est aisé d'imaginer d'inconvénient.
On pourroit faire les pannes plus fortes & d'un plus gros équarrissage ; mais ce remede seroit cher, & chargeroit beaucoup le toît ; il y auroit peut-être encore d'autres remedes que nous obmettons, pour en venir à celui qu'a proposé M. Couplet.
Il faut, selon lui, faire ensorte que la panne ait peu à travailler, que même elle ne travaille point du tout, auquel cas on pourroit absolument s'en passer ; & ce ne sera plus qu'une sûreté de surcroît, qui par conséquent pourra être aussi petite & couter aussi peu qu'on voudra.
Cela se trouvera, si le toît est composé de deux parties distinctes qui soient parfaitement en équilibre, c'est-à-dire, telles que tout l'effort de l'une soit soutenu & contrebalancé par l'autre.
Pour cet effet, on voit d'abord qu'il faut que le toît soit brisé, ou en mansarde. Deux chevrons du même demi-toît, l'un supérieur, l'autre inférieur, qu'on suppose égaux, s'appuieront l'un contre l'autre à l'endroit où le toît est brisé, & on fera la panne qu'on appelle alors panne de brisis. Le chevron supérieur s'appuie par son extrémité supérieure contre un chevron de l'autre demi-toît ; & l'inférieur s'appuie par son extrémité inférieure contre la sabliere. Dans cet état, les deux chevrons s'arcboutent l'un contre l'autre, & il s'agit de les mettre en équilibre.
L'effort vertical du chevron supérieur pour tomber, étant soutenu par le chevron de l'autre côté qui en a un pareil, il ne lui reste que l'effort horisontal, par lequel il tend à faire tourner le chevron inférieur sur son point d'appui de la sabliere, & par conséquent à la renverser de dedans en-dehors ; cet effort est horisontal, & comme il agit sur ce point fixe de la sabliere, il agit d'autant plus puissamment qu'il en est à une plus grande distance ; ce qui se détermine par le lieu où est le centre de gravité du chevron à l'égard de ce point fixe. C'est-là un bras de levier par lequel il faut multiplier l'effort pour avoir l'énergie du chevron supérieur : d'un autre côté, l'inférieur résiste par sa pesanteur à l'effort du supérieur, il a aussi son bras de levier par rapport au même point fixe ; car son centre de gravité, où réside toute sa force pour résister, lui donne aussi une distance à l'égard de ce point, & par conséquent une énergie de même nature que l'autre ; après cela, ce n'est plus l'affaire que de l'algèbre & du calcul, de trouver les expressions des efforts & de leurs bras de leviers, & de prendre les deux énergies pour égales, puisqu'elles doivent l'être dans le cas de l'équilibre cherché. Hist. de l'acad. des Scienc. année 1731. (D.J.)
PANNE DE BRISIS, (Charp.) est celle qui soutient le pié des chevrons à l'endroit où le comble est brisé, & qui reçoit les chevrons du brisis, comme dans les combles en mansarde ou combles brisés. Voyez nos Pl. de Charpente.
PANNES, (Charp.) sont des pieces de bois qui portent par les bouts sur les Arbalêtriers, & qui y sont soutenues, pour les empêcher de glisser, par le tasseau & la chantignole. On les fait porter l'une sur l'autre en les coupant en délardement à demi-bois, pour qu'elles ne fassent qu'une même grosseur. Voyez nos Pl. de Charpente.
PANNE, AILE, BRAS, terme de pêche, usités dans le ressort de l'Amirauté de Marennes. Ce sont les côtés des pêcheries tendues, flottées, ou montées sur piquets.
PANNE, METTRE EN PANNE, (Marine) c'est virer le vaisseau vent devant, & mettre le vent sur toutes les voiles, ou sur une partie, afin de ne pas tenir ni prendre le vent, ce qui se fait quand on veut retarder le cours du vaisseau pour attendre quelque chose, ou laisser passer les vaisseaux qui doivent aller devant ; mais cela ne se fait que de beau tems. Nous mîmes nos voiles d'avant en panne, & notre grand hunier à porter, pour laisser les vaisseaux qui avoient ordre de chasser l'avant.
Etre en panne, c'est ne pas tenir ni prendre le vent.
Etre mis sur panne. Mettre un vaisseau en panne, c'est faire pancher un vaisseau en mettant le vent sur ses voiles sans qu'il fasse de chemin, & cela se fait afin d'étancher une voie d'eau qui se trouve de l'autre bord du vaisseau, du côté que le vent vient.
PANNE, (Manufact.) étoffe de soie veloutée qui tient le milieu entre le velours & la pluche, ayant le poil plus long que celui-là, & moins long que celui-ci. Il se fabrique à-peu-près de même que le velours, & son poil provient d'une partie de la chaîne coupée sur la regle de cuivre. La chaîne & la trame sont de laine, & le poil est de soie.
PANNE, terme d'ouvrier, se dit chez les artisans qui se servent du marteau, de la partie de la masse qui est opposée à la tête & qui va en diminuant.
PANNE, terme de Serrurier & de Taillandier, & autres ouvriers en fer, commandement du maître forgeron. C'est comme s'il disoit : frappez de la panne, ce qui arrive lorsqu'il faut allonger ou élargir le fer.
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PANNEAU | S. m. (Architect.) c'est l'une des faces d'une pierre taillée. On appelle panneau de douelle, un panneau qui fait en-dedans ou en-dehors la curvité d'un voussoir ; panneau de tête, celui qui est au-devant ; & panneau de lit, celui qui est caché dans les joints. On appelle encore panneau ou moule, un morceau de fer-blanc ou de carton, levé ou coupé sur l'épure pour tracer une pierre.
Panneau de fer, morceau d'ornement de fer forgé ou fondu, & renfermé dans un chassis, pour une rampe, un balcon, une porte, &c. Il se fait aussi de ces panneaux par simples compartimens.
Panneau de glace. C'est dans un placard un compartiment de miroirs pour réfléchir la lumiere & les objets, & pour faire paroître un appartement plus long.
Panneau de maçonnerie ; c'est entre les pieces d'un pan de bois ou d'une cloison, la maçonnerie enduite d'après les poteaux. C'est aussi dans les ravalemens des murs de maçonnerie, toute table qui est entre des naissances, plates-bandes & cadres.
Panneau de menuiserie ou de remplage ; c'est une table d'ais minces, collés ensemble, dont plusieurs remplissent le bâti d'un lambris ou d'une porte d'assemblage de menuiserie. On appelle panneau recouvert, le panneau qui excede le bâti, & qui est ordinairement moulé d'un quart de rond, comme on en voit à quelques portes cocheres.
On nomme encore panneaux du bois de chêne fendu & débité en planches de différentes grandeurs, de 6 à 8 lignes d'épaisseur, dont on fait les moindres panneaux de menuiserie.
Panneaux de sculpture ; c'est un morceau d'ornement taillé en bas-relief, où sont quelquefois représentés des attributs ou des trophées, pour enrichir les lambris & placards de menuiserie. On fait de ces panneaux à jour pour les clôtures de choeur, dossiers d'oeuvre d'église, &c. & pour servir de jalousies à des tribunes.
Panneau de vitre ; c'est un compartiment de pieces de verre, dont les plus ordinaires sont quarrées, & les autres sont en tranchoirs ou octogones, en tringlettes, chaînons, &c. On fait aussi des compartimens de pieces de verre distingués par des plates-bandes de verre blanc. Voyez les principes d'architecture &c. par M. Felibien, liv. I. ch. xxj.
Panneau d'ornemens ; espece de tableau de grotesque, de fleurs, de fruits, &c. peint ordinairement à fond d'or, pour enrichir un lambris, un plafond, &c. Daviler. (D.J.)
PANNEAU FLEXIBLE, (Architect.) c'est celui qui est fait sur du carton, du fer-blanc, ou avec une lame de plomb, pour pouvoir être plié & appliqué sur une surface concave ou convexe, cylindrique ou conique.
PANNEAU, terme de Bourrelier ; piece de cuir qui embrasse le dos du cheval ou de la bête de somme, où il y a un lit de paille ou de bourre, & sur quoi sont posés les fûts du bât. (D.J.)
PANNEAU, (Chapelier) c'est une espece de chevalet qui soutient une des extrémités de la corde de l'arçon des chapeliers, & sur lequel pose la chanterelle qui sert à la bander, & à lui donner pour ainsi dire le ton qui fait connoître qu'elle est assez tendue pour faire voguer l'étoffe. Diction. de Commerce.
PANNEAU, terme de chasse, c'est un filet qui, lorsqu'il est tendu, paroît comme un pan de muraille, & dont on se sert pour prendre des lapins, des lievres, des chats, des blaireaux, des renards. On fait des panneaux simples, des doubles & des contremaillés. (D.J.)
PANNEAUX, en terme de Friseur d'étoffes, sont des roues de champ qui ne different du rouet du manege, que parce qu'ils sont placés verticalement. La machine à friser a deux de ces panneaux qui donnent le mouvement aux deux petites lanternes des fers à friser. L'un est à gauche hors le chassis, & à droite dans ce chassis près des traverses ; & tous deux sont montés sur l'arbre de couche. Voyez F E, fig. 3. & 4 de la machine à friser, Pl. de la Draperie.
PANNEAUX, (Marine) c'est l'assemblage des planches qui servent de trappes ou mantelets qui ferment les écoutilles d'un vaisseau. Les panneaux communs s'appellent panneaux à vassoles.
Panneaux à boîte ; ce sont des panneaux qui s'emboîtent avec une bordure qu'on met autour de ces sortes d'écoutilles, au-lieu que les panneaux à vassoles tombent dans les feuillures des vassoles. Voyez ECOUTILLES.
Le grand panneau, c'est la trappe ou mantelet qui ferme la plus grande écoutille, laquelle est toujours en avant du grand mât.
PANNEAU, terme de Sellier ; ce sont deux coussinets pleins de bourre ou de crin qu'on met sous la selle pour empêcher qu'elle ne blesse le cheval. (D.J.)
PANNEAU, terme de Vitrier ; c'est un assemblage de plusieurs morceaux de verre taillés de diverses figures, & attachés les uns aux autres par des plombs à rainures tirés dans le tire-plomb. Les vitrages des églises sont composés de divers panneaux.
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PANNELLES | S. f. (Blason) feuilles de peupliers peintes sur l'écu.
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PANNER | v. act. en terme d'ouvrier en fer ; se dit de l'action de creuser une piece à coups de marteau, dont la panne laisse la forme sur la piece.
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PANNETON | S. m. terme de Serrurerie ; c'est la partie de la clé où sont les dents. Il se dit aussi dans le blason de la même chose.
Il y a des pannetons fendus en roue, en S & en pleine croix ; des pannetons fendus à fond de cuve, avec pleine croix & bâton-rompu.
Il y a le panneton de l'espagnolette. C'est une partie saillante sur le corps de l'espagnolette, qui entre dans l'agrafe posée sur le guichet droit des croisées lorsqu'on ferme. Il sert aussi à fermer le guichet gauche, parce qu'en tournant le poignet de l'espagnolette pour la fermer, il va poser sur ce guichet.
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PANNICULE | PANNICULE
On trouve bien le pannicule charnu dans les quadrupedes, mais non pas dans les hommes, dont les muscles cutanés sont en fort petit nombre, & pour la plûpart d'une fort petite étendue, excepté celui que M. Winslou appelle muscle cutané en particulier ; mais ce muscle même ne sauroit être vraisemblablement regardé comme un tégument commun.
Il n'y a point de membrane commune des muscles qui couvre le corps comme un tégument, attendu que ce ne sont que des expansions particulieres des membranes de quelque muscle, ou des expansions aponévrotiques procédant d'autres muscles.
Les allongemens de la lame de la membrane adipeuse ou cellulaire, peuvent aussi avoir donné occasion à cette méprise, sur-tout dans les endroits où cette membrane est étroitement unie à la membrane propre des muscles. (D.J.)
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PANNOMIE | (Droit ecclésiastiq.) c'est ainsi que s'appelle un recueil des lois ecclésiastiques, dressé par Yves de Chartres, vers l'an 1100. Ce nom est composé de , qui signifie tout, & de , qui veut dire loi ; comme qui diroit collection de toutes les lois ecclésiastiques. (D.J.)
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PANNON | S. m. (Art milit.) étendard à longue queue, qui appartenoit autrefois à un simple gentilhomme. C'est proprement un guidon à placer sur une tente. La banniere étoit quarrée, & quand on faisoit quelqu'un banneret, on coupoit la queue de son pannon, d'où est venu l'ancien proverbe, faire de pannons banniere, pour s'élever d'une dignité à une dignité supérieure. Il y a encore à Lyon des capitaines de quartier, qu'on appelle pannons, & leurs compagnies pannonages. Ce mot vient de pannus, drap.
PANNON GENEALOGIQUE, (Blason) écu chargé des diverses alliances des maisons dont un noble est descendu. Il sert à faire ses preuves. Il comprend les armes du pere & de la mere, de l'ayeul & de l'ayeule, du bisayeul & de la bisayeule. Il est composé de huit, de seize, de trente-deux quartiers, sur lesquels on dresse l'arbre généalogique.
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PANNONIE | (Géog. anc.) Pannonia, ancienne contrée de l'Europe, & qui a toujours été regardée comme une de ses principales parties. Pline liv. III. ch. xxv. dit qu'elle avoit le Danube au nord, & la Dalmatie au midi ; il faut ajoûter qu'elle avoit la haute Moësie à l'orient, & le Norique au couchant. Les Pannoniens habitoient sur le bord du Danube.
Philippe roi de Macédoine, fit de ce pays une de ses premieres conquêtes ; mais les Pannoniens s'étant révoltés, Alexandre le grand les assujettit de nouveau avec l'Illyrie & l'Esclavonie. Les Gaulois conduits par Brennus & Belgius, conquirent depuis la Pannonie sur Ptolomée, surnommé le foudroyant ; mais Jules César enleva une partie de la Pannonie aux Gaulois ; & les Alpes pannoniques par lesquelles il s'en ouvrit le chemin, furent appellées Julies, de son nom. Auguste & Tibere acheverent de soumettre le reste du pays. Les Pannoniens depuis ce tems-là demeurerent tributaires des Romains, jusqu'à la décadence de l'empire, qu'ils furent assujettis par les Goths, & ensuite par les Huns, peuples de la Scythie asiatique, qui ayant passé dans la Sarmatie européenne, ravagerent la plus grande partie de l'Europe sous Valentinien. Quelques auteurs prétendent que ce fut de ces Huns, que la Pannonie reçut le nom de Hongrie, lorsqu'ils s'y furent retirés, après la défaite de leur roi Attila, dans la plaine de Châlons-sur-Marne.
On compte quatre empereurs venus de la Pannonie ; savoir, M. Aurelius Probus, Cn. Messius Decius, surnommé Trajan, Flave Jovien, & Flave Valentinien, fils d'un Gratien, qui vendoit des cordes à Gibale.
La Pannonie fut d'abord divisée par les Romains en haute & basse Pannonie. Ptolomée vous indiquera les bornes & les villes de chacune de ces provinces ; c'est assez pour moi d'ajouter ici, que dans la suite des tems, la haute- Pannonie fut appellée premiere consulaire, & la basse fut nommée seconde consulaire. (D.J.)
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PANNUS | terme de Chirurgie ; maladie de l'oeil, qui consiste en la formation d'une membrane contre nature, qui s'étend sur la partie antérieure de l'oeil, & qui quelquefois couvre la cornée transparente. Voyez ONGLET.
La pannus est une espece d'ongle entrelacé de veines & d'arteres assez grosses. On le nomme ongle variqueux & panniculus ; c'est le sebel des Arabes. (Y)
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PANOMA | (Hist. nat. Bot.) arbre des Indes orientales qui vient de la grandeur d'un coignassier. Sa feuille est semblable à celle de la mauve, & son fruit à une aveline. Son bois est très-purgatif, il est un excellent antidote contre toutes sortes de poisons. On le vante aussi pour les fievres, les coliques, la gravelle & l'hydropisie, &c. Sa dose est depuis un grain jusqu'à un demi-scrupule, que l'on prend dans du bouillon ; les Indiens qui cultivent cet arbre le cachent soigneusement aux Européens.
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PANOMPHÉE | adj. m. & f. (Ant. grecq.) , surnom que les Grecs donnoient à Jupiter, non pas seulement parce qu'il étoit adoré de toutes les nations, ou, pour m'exprimer avec Eustathe, parce que les voix de tous les peuples se tournoient vers lui ; mais sur-tout parce qu'il étoit l'auteur de toutes les divinations, ayant entre les mains les livres du destin, dont il reveloit plus ou moins selon son plaisir, aux prophetes qui parloient par sa voix. Voyez Potter, t. I. p. 263.
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PANONCEAU | S. f. (Arch.) c'est ainsi qu'on nomme une girouette qui a des armes peintes ou évuidées à jour ; c'étoit autrefois une marque de noblesse. (D.J.)
PANONCEAUX, s. m. pl. (Jurisprud.) que l'on appelloit aussi par corruption pénonceaux ou pénoncels, vient du latin pannum, qui signifie un drapeau, un pan, morceau ou lambeau de drap ou de lange qui sert de marque pour désigner quelque chose.
L'usage des panonceaux paroît tirer son origine des brandons ou marques que les Grecs & les Romains mettoient sur les héritages pour annoncer qu'ils étoient hypothéqués.
En France on n'use pas de brandons ni de panonceaux pour marquer qu'un héritage est hypothéqué ; on met des brandons pour marque de saisie.
Les panonceaux royaux sont des placards, affiches ou tableaux, sur lesquels sont représentées les armes du roi.
On appose ces panonceaux sur la porte ou entrée d'une maison ou autre héritage, pour marquer que ce lieu est sous la sauvegarde ou protection du roi, ou bien pour signifier que l'héritage est sous la main de la justice, c'est-à-dire qu'il est saisi réellement.
Les panonceaux royaux sont aussi appellés bâtons royaux, parce que les bâtons royaux sont passés en sautoir derriere l'écu, ou parce qu'on se contente de représenter dans le tableau les bâtons royaux.
Dans plusieurs lettres de sauvegarde les armes du roi étoient peintes.
On mettoit de ces panonceaux sur les lieux qui étoient en la sauve-garde du roi dans les pays de droit écrit.
On en mettoit aussi quelquefois, & en cas de péril imminent, sur les maisons de ceux qui étoient en la sauve-garde du roi, quoiqu'elles ne fussent pas situées dans le pays de droit écrit ; il y a plusieurs exemples de sauve-gardes pareilles, dont les lettres sont rapportées dans le quatrieme volume des ordonnances de la troisieme race.
Présentement l'on ne fait plus à cet égard aucune distinction entre les pays coutumiers & les pays de droit écrit.
Suivant une ordonnance de Louis X. du 17 Mai 1315, & une de Philippe le Long, du mois de Juin 1319, les panonceaux royaux ne doivent être apposés dans les lieux de jurisdiction seigneuriale que dans les cas qui sont réservés au roi, & avec connoissance de cause.
Bacquet dans son traité des droits de justice, ch. 26. n. 11. dit qu'en matiere de saisie-réelle & de criées ; les sergens royaux sont les seuls qui puissent apposer les panonceaux. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, au mot panonceaux.
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PANOPE | S. f. (Mythol.) fille de Nérée & de Doris, étoit une des divinités marines, que les matelots invoquoient le plus fréquemment pendant la tempête, avec Glaucus & Mélicerte ; son nom signifie celle qui donne toutes sortes de secours. (D.J.)
PANOPE, (Géog. anc.) ville de la Phocide, à laquelle Homere dans son Odyssée, A, v. 580, donne le surnom d'agréable pour ses danses.
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PANOPLIE | S. f. (Hist. ecclésiast.) exposition de toutes les hérésies, avec leur réfutation tirée des peres. Euthimius Zigabene, moine, fut l'auteur de la panoplie. Ce fut l'empereur Alexis qui lui ordonna cet ouvrage. Panoplie armure complete de doctrine.
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PANOPOLIS | (Géog. anc.) ville d'Egypte dans la Thébaïde, remarquable par la naissance du poëte grec Nonnus, qui florissoit dans le cinquieme siecle ; on a de lui un poëme intitulé Dionysia.
Horus-Apollon étoit aussi natif de Panopolis. Il enseigna la grammaire à Alexandrie, & ensuite à Constantinople sous l'empire de Théodose. La meilleure édition de ses hiéroglyphes, est celle d'Utrecht, en 1727, in-4 °. en grec & en latin, avec des notes par Jean Corneille de Pauw. (D.J.)
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PANORMIE | S. f. (Hist. mod.) recueil de toutes les loix, de , tout, & de , loi. C'est le titre d'un decret attribué à Yves de Chartres, mais qui n'est pas de lui. Sigebert prétend que Hugues de Châlon en est auteur.
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PANORMUS | (Géog. anc.) nom commun à plusieurs lieux ; 1°. ville de Sicile, sur la côte septentrionale de l'île, dont les Phéniciens passent pour être les fondateurs. De l'aveu de tout le monde, elle est la même que celle que nous nommons aujourd'hui Palerme.
2°. Panormus, ville de l'île de Crete, sur la côte septentrionale, selon Ptolomée, l. III. c. xvij.
3°. Ville de la Macédoine, dans la Chalcidie, selon le même Ptolomée, l. III. c. xiij.
4°. Port & ville de l'Achaïe propre, selon Pausanias, l. VII. c. xxij. Thucydide, l. II. Pline, l. IV. c. xj. Polybe, l. V. p. 102.
5°. Port de l'Attique, près du promontoire Sunium.
6°. Port d'Afrique, dans la Marmarique.
7°. Port de la ville Oricum, sur la mer Ionienne, selon Strabon, l. VII. p. 316, &c. (D.J.)
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PANOS | (Géog. anc.) nom commun à plusieurs lieux ; 1°. à un promontoire de l'île de Rhodes ; 2°. à une ville d'Egypte nommée par Ptolomée, Panopolis ; 3°. à une montagne de l'Attique ; 4°. à un bois sacré, près de l'île de Méroé, & que les Gymnosophistes habitoient.
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PANOSSAKES | S. m. pl. (Comm. d'Afriq.) ce sont des pagnes dont se servent les negres sur la plûpart des côtes d'Afrique : les Européens qui trafiquent sur la riviere de Gambie, en tirent beaucoup du royaume de Cantor, où se font les meilleures ; elles sont rayées de couleur de feu.
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PANOU | (Hist. nat.) oiseau du Brésil, qui est de la grosseur d'un merle, & dont le plumage est noir ; à l'exception de celui qui couvre son estomac, qui est d'un rouge foncé ou sang de boeuf.
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PANQUE | S. f. (Botan. exot.) plante qui croît au Chily, grande contrée de l'Amérique dans la mer du Sud : on se sert de sa tige bouillie, avec le maki & le gonthion, autres arbrisseaux du pays, pour teindre en noir, & sa teinture ne brûle point les étoffes, comme le noir de l'Europe ; cette plante ne se trouve que dans les lieux marécageux ; la feuille est ronde, tissue, comme celle de l'acanthe, & n'a guere moins de deux ou trois piés de diametre : les voyageurs ne nous disent rien de ses fleurs & de ses graines.
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PANQUÉCALUZI | S. m. (Hist. mod.) quatorzieme des dix-huit mois chacun de vingt jours, qui composent l'année des Méxicains.
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PANS-COUPÉS | (Archit.) il y a des escaliers qu'on appelle à pans-coupés à cause que les angles sont coupés, & que la cherche a huit pans.
On appelle aussi pans-coupés toutes figures dont les angles sont coupés.
PAN DE BASTION, (Fortificat.) c'est la partie du bastion terminée par l'angle de l'épaule & par l'angle flanqué.
PAN, mesure de Languedoc & de Provence. Voyez PALME.
PAN DE BOIS, (Charpenterie) clôture de charpenterie, qui sert à séparer des chambres, & à faire des retranchemens.
PANS en terme de Diamantaires, sont les facettes d'un diamant. Ces pans se nomment bizeaux ou pavillons, selon qu'ils sont sur la table ou sur la culasse du diamant.
PAN, s. m. terme de Tapissier & de Menuisier ; ce mot se dit en parlant de lit ; c'est une piece de bois large de quatre pouces, épaisse de deux, & longue conformément au lit. Il y a dans un bois de lit quatre pans : deux de longueur & deux de largeur.
PAN DE RETS, terme de Chasse ; ce sont les filets avec lesquels on prend les grandes bêtes.
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PANSARD | voyez BARBUE.
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PANSE | S. f. (Gram.) il se dit du ventre, lorsqu'il est gros, rond & trop élevé.
C'est aussi le premier des ventricules des animaux ruminants ; il est fort grand.
Il est couvert intérieurement d'une infinité de petites éminences serrées, fermes & solides ; c'est-là que se fait la premiere coction des herbes.
Panse se dit de la partie gonflée d'une lettre, une panse d'a.
PANSE, (Maréchal) les Maréchaux appellent ainsi l'estomac des chevaux.
PANSE, terme de Fondeur de cloches ; on appelle les panses d'une cloche, les endroits où le battant frappe quand elle est en branle. Voyez FONTE DES CLOCHES.
La panse se nomme aussi bord ; c'est pour l'ordinaire l'épaisseur de la panse ou du bord, qui regle l'épaisseur, la hauteur & le diametre d'une cloche.
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PANSELENE | S. m. signifie dans l'Astronomie grecque & dans quelques anciens Astronomes la pleine lune ; ce mot vient des mots grecs , tout, & , lune, parce que dans la pleine lune, on voit toute la partie de cette planete qui est tournée vers la terre. Voyez LUNE. (O)
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PANSEMENT | S. m. PANSER, v. act. terme relatifs à la Chirurgie ; application d'un appareil propre à maintenir une partie en situation, & à contenir les remedes qui lui sont convenables. Voyez APPAREIL.
Les regles générales qu'il faut observer en appliquant les appareils, se réduisent à panser doucement, pour exciter le moins de douleur qu'il est possible ; mollement, c'est-à-dire en n'introduisant point sans nécessité dans les plaies, des tentes, des bourdonnets & autres corps dilatans, dont l'application empêche la réunion & peut occasionner plusieurs autres accidens. Voyez BOURDONNETS.
La troisieme regle prescrit de panser promptement, pour ne pas laisser la partie trop long-tems exposée aux injures de l'air, dont l'impression peut coaguler les sucs & retrécir le diametre des vaisseaux. Il faut pour cette raison, fermer les rideaux du lit du malade pendant qu'on le panse, & tenir auprès de lui du feu dans un réchaud.
Nous allons rapporter, d'après M. de la Faye, ce qu'il dit dans ses principes de Chirurgie, sur la maniere dont on doit exécuter ces regles.... On met d'abord le malade & la partie malade dans une situation commode, pour lui & pour le chirurgien ; on leve les bandes ou bandages & les compresses, sans remuer la partie ; quand le pus ou le sang les ont collés à la partie, on les imbibe d'eau tiéde ou de quelqu'autre liqueur pour les détacher ; si c'est une plaie qu'on panse, on en nettoye les bords avec la feuille de myrthe & avec un petit linge ; on ôte ensuite les plumaceaux, les bourdonnets & les tentes avec les pincettes ; on essuie légerement la plaie avec une fausse tente ou un bourdonnet mollet, ou du linge fin, pour ne causer que le moins de douleur qu'il est possible, & pour ne point emporter les sucs nourriciers ; on a toujours soin de tenir sur la partie ou sur l'ulcère un linge pour les garantir des impressions de l'air ; on fait les injections, les lotions, les fomentations nécessaires ; on applique ensuite le plus doucement, le plus mollement & le plus promptement qu'il est possible, un appareil nouveau, couvert des médicamens convenables ; on fait ensuite le bandage approprié. Voyez BANDAGE.
Les intervalles qu'on doit mettre entre les pansemens doivent être déterminés par l'espece de la maladie, par son état, par les accidens auxquels il faut remédier, & par la nature des médicamens appliqués.
Le premier pansement ou la levée du premier appareil, ne doit se faire à la suite des grandes opérations, qu'après trois ou quatre jours ; à moins que quelque accident, une hémorragie par exemple, n'oblige à le faire plus tôt. Ce premier pansement seroit fort douloureux, si l'on n'attendoit pas que l'appareil, humecté par le suintement ichoreux qui précede la suppuration, puisse se détacher aisément. On panse ordinairement les ulcères tous les vingt-quatre heures, lorsqu'ils sont en bonne suppuration ; si le pus étoit de mauvaise qualité ou s'il se formoit en trop grande abondance, il seroit à-propos de multiplier les pansemens. Dans les plaies simples, les fractures, les hernies, les luxations où la nature doit agir avec tranquillité, il faut panser rarement ; il ne faut pas que le chirurgien qui est l'aide & le ministre de la nature, vienne la troubler dans ses opérations par une curiosité mal placée. Les tumeurs & autres maladies sur lesquelles on applique des cataplasmes doivent être pansés fréquemment, afin de renouveller les médicamens, qui s'alterent ou se corrompent plus ou moins promptement, suivant leur nature. Les maladies qui n'exigent que des fomentations, ne doivent être découvertes des compresses qui les enveloppent, que pour voir les progrès ou la diminution des accidens ; dans ce cas, on renouvelle souvent les fomentations, mais on ne touche point chaque fois à l'appareil, puisqu'il suffit d'entretenir la partie chaude & humide ; la fomentation ayant l'usage d'un bain local. Voyez FOMENTATION.
L'académie royale de Chirurgie avoit proposé pour le prix qu'elle distribueroit en 1734, de déterminer dans chaque genre de maladies chirurgicales, les cas où il convient de panser fréquemment, & ceux où il convient de panser rarement. On trouve sur cette proposition deux mémoires imprimés dans le premier tome des pieces qui ont concouru pour le prix de l'académie royale de Chirurgie, publié en 1753. (Y)
PANSEMENS, (Maréchallerie) c'est le soin qu'on a des chevaux, pour leurs besoins & leur propreté.
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PANSEROTESCH | ou PALUCHE, s. f. épée longue & menue que les hussards portent quelquefois le long du cheval, depuis le poitrail jusqu'à la croupe au défaut de la selle. Ils se servent de cette arme pour piquer, ou comme dit le pere Daniel, embrocher l'ennemi ; il se sert de ce terme, dit cet auteur, parce que cette épée est une espece de broche ; quand ils en usent, ils l'appuient sur le genouil. Ils ne se servent guere de cette arme en France, mais elle fait partie de leur armement dans les troupes de l'empereur. Hist. de la Milice françoise, tome II. p. 518. (Q)
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PANT-SÉE | (Hist. des supplices) nom de l'instrument dont on punit les coupables à la Chine. C'est une grosse canne de bambou, bois dur & massif, fendue à-demi, plate, & de quelques piés de longueur. Elle a par le bas la largeur de la main, & est par le haut polie & déliée.
Lorsque le mandarin tient son audience, il est assis gravement devant une table, sur laquelle est un étui rempli de petits bâtons longs d'un demi-pié, & larges de deux doigts. Plusieurs huissiers armés de pant-sée l'environnent. Au signe qu'il donne, en tirant & jettant ces bâtons, on saisit le coupable, on l'étend ventre contre terre, on lui abaisse le haut-de-chausse jusqu'aux talons ; & autant de petits bâtons que le mandarin tire de son étui, & qu'il jette par terre, autant d'huissiers se succedent, qui appliquent les uns après les autres chacun cinq coups de pant-sée sur la chair nue du coupable. On change l'exécuteur de cinq coups en cinq coups, ou plutôt deux exécuteurs frappent alternativement chacun cinq coups, afin qu'ils soient plus pesans & que le châtiment soit plus rude. Il faut néanmoins remarquer que quatre coups sont réputés cinq ; & c'est ce qu'on appelle la grace de l'empereur, qui comme pere, par compassion pour son peuple, diminue toujours quelque chose de la peine.
Ce n'est pas seulement en siégeant au tribunal qu'un mandarin a le droit de faire donner la bastonnade, il a le même privilege en quelque endroit qu'il se trouve, même hors de son district : c'est pourquoi quand il sort, il est toujours accompagné d'officiers de justice qui portent des pant-sée. Il suffit à un homme du petit peuple qui est à cheval, de n'avoir pas mis pié à terre, ou d'avoir traversé la rue en présence d'un mandarin pour recevoir quatre coups de bâton par son ordre. L'exécution est si prompte, qu'elle est souvent faite avant que ceux qui sont présens s'en soient apperçus. Les maîtres usent du même châtiment envers leurs disciples, les peres envers leurs enfans, & les seigneurs envers leurs domestiques ; avec cette différence, que le pant-sée dont ils se servent, est moins long, & moins large, que celui des huissiers d'un mandarin. (D.J.)
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PANTACHATES | S. f. (Hist. nat.) nom dont quelques auteurs se sont servis pour désigner une agate mouchetée, comme la peau d'une panthere.
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PANTACHUS | (Géog. anc.) Pantagias, Pantacias ou Pantagies, fleuve de Sicile. Ptolomée, l. III. c. iv. place son embouchure sur la côte orientale de l'île, entre le promontoire & la ville de Catane ; & Pline, l. III. c. viij. la met entre Mégaris & Syracuse. Ils se trompent tous deux, selon Cluvier, l. I. c. xj. qui prétend que Virgile a donné la véritable situation de l'embouchure de ce fleuve ; savoir, entre les cavernes des Cyclopes & le golfe de Mégare. L'extrême exactitude qu'a eue Virgile, à marquer la véritable position des lieux de l'Italie & de la Sicile, est cause que Cluvier préfere son sentiment dans cette occasion ; d'ailleurs, on ne peut douter que le Pantagia ne soit la riviere, qui a son embouchure à la gauche du cap de S. Croce, & que les habitans du pays appellent Porcari. La preuve s'en trouve dans ce passage de Virgile.
.... Vivo praeter vehor ostia Saxo
Pantagiae.
En effet, les deux côtés du Porcari sont hérissés de rochers d'environ vingt coudées de hauteur ; la mer remonte dans cette embouchure jusqu'à mille pas, & forme un port propre pour les petits bâtimens.
La qualité que Claudien donne à ce fleuve, qu'il appelle Saxa rotantem, convient aussi au Porcari ; car quoique son cours soit très-petit, cependant lorsqu'en hiver il se trouve grossi par les pluies & par les torrens, qui tombent des collines voisines, il court avec une telle rapidité, qu'il entraîne avec lui une grande quantité de pierres. (D.J.)
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PANTALERIE | (Géog. mod.) autrement dite, Pentelleria ou Pantalaria ; petite île de la mer d'Afrique, située entre la Sicile & la côte du royaume de Tunis ; c'est l'ancienne Cossura dont nous avons quelques médailles, & que les Arabes du voisinage appellent encore Kosra. Cette île qui est d'environ sept lieues de tour, passa de la domination des Carthaginois sous celle des Romains : elle porte des fruits, du vin & du coton, mais elle tire son blé de la Sicile. Long. 30. 5. lat. 36. 50.
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PANTALOO | ou PANTALON, s. m. est le nom d'un ancien habillement dont nos ancêtres se servoient fréquemment, & qui consistoit en des culottes & des bas tout d'une piece. Ce nom vient des Vénitiens, qui introduisirent les premiers cet habit, & qui furent appellés pantaloni de S. Pantaleon, qui fut autrefois leur patron.
Pantalon sur le théâtre est un bouffon ou personnage masqué qui forme des danses grotesques, & qui fait des gestes violents & des postures extravagantes ; ce mot s'emploie aussi pour désigner l'habillement que portent ordinairement ces bouffons, qui est taillé sur la forme de leur corps précisément, & qui est tout d'une piece de la tête aux piés.
C'est pour cela qu'on appelle pantalons de Venise, ceux qui pour leur commodité portent un habit de cette sorte par-dessous d'autres habillemens. Delà on fait pantalonnade, qui se dit ou d'une danse burlesque ou d'un geste ridicule du corps.
PANTALON, terme de Papeterie ; c'est une des moyennes sortes de papier qui se fabrique du côté d'Angoulême. Il est marqué pour l'ordinaire aux armes d'Amsterdam, parce qu'il est presque tout destiné pour être vendu à des marchands hollandois. Voyez PAPIER.
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PANTANUS LACUS | (Géog. anc.) lac d'Italie, dans la Pouille daunienne, dont parle Pline, liv. III. ch. xj. & qu'on croit être présentement Lago di Lesina.
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PANTARBE | S. f. (Hist. nat.) pierre fabuleuse à qui quelques auteurs ont attribué la propriété d'attirer l'or, de la même maniere que l'aimant attire le fer. Ce qui lui a aussi fait donner le nom de magnes aureus. Pline parle d'une pierre nommée amphitane, à qui il attribue la même vertu : l'une & l'autre est entierement inconnue des modernes.
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PANTE | S. f. (Commerce) c'est ainsi qu'on appelle une espece de chapelet composé de plusieurs de ces petites coquilles blanches qu'on nomme porcelaine, qui servent de monnoie dans plusieurs endroits de l'Asie, de l'Afrique, & de l'Amérique.
PANTE, ou PENTE, terme de Tapissier, c'est un morceau d'étoffe qui entoure le lit, & qui a ordinairement de la frange. Il y a trois pantes dans chaque lit : le mot de pante se dit aussi en parlant de dais ; mais dans chaque dais il y a quatre pantes ; car la pante du dais est un morceau d'étoffe qui environne le dais. On dit en parlant des pantes de lit & de dais, la pante de dehors, la pante de dedans, la pante de longueur, la pante de largeur. (D.J.)
PANTES, (Brasserie) ce sont des toiles de crin qu'on attache autour des costieres de la touraille, & qui en recouvrent l'aire.
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PANTENNE | (Marine) voile en pantenne. Voyez VOILE.
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PANTER | v. act. en terme de Cardier, c'est l'action d'arrêter les feuillets dans le panteur, en les accrochant aux pointes dont il est garni par distance dans toute sa longueur. Voyez PANTEUR.
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PANTEUR | S. m. en terme de Cardier ; c'est une espece de métier à-peu-près quarré, dont les deux maîtres brins sont garnis de distance en distance de petits crochets sans pointes, auxquels on arrête les peaux qu'on a percées pour cet effet avec le poinçon. Voyez POINÇON. Ces maîtres brins sont traversés à chaque bout d'un ais de bois qui les approche ou les écarte tant qu'on veut ; ce qui bande plus ou moins la peau. Cet instrument contient le feuillet intérieurement, & on ne l'en ôte point que pour poser la carde sur son bois. Voyez les Planches.
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PANTHÉES | S. m. pl. (Antiq. & Médailles) en latin signa panthea : on appelloit ainsi des têtes ou des statues ornées de symboles de plusieurs divinités réunies ensemble. Les statues de Junon avoient souvent rapport à plusieurs déesses : elles tenoient quelque chose de celles de Pallas, de Vénus, de Diane, de Nemésis, des Parques, &c.
On voit dans les anciens monumens une Fortune aîlée, qui tient de la main droite le timon, & de la gauche la corne d'abondance ; tandis que le bas finit en tête de bélier ; l'ornement de sa tête est une fleur de lotus, qui s'éleve entre des rayons, marque d'Iris & d'Osiris. Elle a sur l'épaule la trousse de Diane, sur la poitrine l'égide de Minerve, sur la corne d'abondance le coq symbole de Mercure, & sur la tête de bélier, un corbeau symbole d'Apollon. On trouve beaucoup d'autres figures panthées parmi les antiques.
Ces dieux étoient peut-être aussi représentés ensemble, pour servir à la dévotion des particuliers qui vouloient honorer plusieurs dieux à-la-fois. Peut-être y a-t-il quelques autres raisons inconnues de ce culte, selon la signification du mot panthée, de , tout, & , dieu. Ces figures devroient en effet représenter les symboles de tous les dieux ; mais on n'en connoît point qui les réunissent tous.
Les médailles nous offrent aussi des panthées, ou des têtes ornées des symboles de plusieurs déïtés. Telle est celle qui se trouve sur la médaille d'Antonin Pie, & de la jeune Faustine, qui est tout ensemble Sérapis par le boisseau qu'elle porte : le soleil par la couleur des rayons : Jupiter Hammon par les deux cornes de bélier : Pluton par la grosse barbe : Neptune par le trident : Esculape par le serpent entortillé autour du manche.
M. Baudelot dans sa dissertation sur les dieux Lares, croit que les panthées doivent leur origine à la superstition de ceux, qui ayant pris pour protecteurs de leurs maisons plusieurs dieux, les réunissoient tous dans une même statue, qu'ils ornoient des différens symboles de chacune de ces déïtés. Il en a fait graver plusieurs pour servir d'exemple & de preuve. Voyez aussi sur les figures qu'on appelle panthées, la dissertation de l'abbé Nicaise, de nummo pantheo Hadriani Augusti, Lugd. 1694. in -4°. (D.J.)
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PANTHEIUM | (Géog. anc.) lieu de l'Attique, à 60 stades d'Ilissus ; c'est ici que croissoit l'olivier nommé callistéphane, & dont on se servoit pour couronner les vainqueurs des jeux olympiques.
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PANTHÉON | S. m. (Antiq. rom.) ce mot veut dire un temple en l'honneur de tous les dieux. Le plus fameux panthéon des Romains, fut celui qu'éleva M. Agrippa gendre d'Auguste, & qui subsiste encore à présent sous le nom de la Rotonde. Ce superbe édifice faisoit un des plus grands ornemens de Rome ; & la description qu'en ont donnée grand nombre d'auteurs anciens & modernes, sert encore d'embellissement à leurs ouvrages. Je ne m'y arrêterai pas par cette raison ; je remarquerai seulement qu'il est de figure ronde, ne recevant le jour que par un trou qui est au milieu de la voute. Il y avoit autour de ce temple six grandes niches qui étoient destinées aux principales divinités. Et afin qu'il n'y eût point de jalousie entr'elles pour la préséance, dit Lucien, on donna au temple la figure ronde. Pline en allegue une meilleure raison ; c'est parce que le convexe de sa voute représente le ciel, la véritable demeure des dieux. Le portique qu'il y avoit devant ce temple, étoit plus surprenant que le temple même : il étoit composé de seize colonnes de marbre granit, d'une énorme grandeur, & toutes d'une pierre. Chacune a près de cinq piés de diametre, sur trente-sept piés de haut, sans la base & le chapiteau. Agrippa ne se contenta pas de faire dorer son panthéon par dedans, mais il le couvrit d'or en-dehors ; desorte que le satyrique avoit raison de s'écrier :
At vos
Dicite pontifices, in sancto quid facit aurum ?
La couverture de cet édifice fut emportée par Constantin dans sa nouvelle capitale ; mais le panthéon a été consacré par les pontifes romains en l'honneur de la Vierge & des martyrs. Il mérite assurément l'admiration des connoisseurs : ceux qui l'ont vu, n'ont qu'à réfléchir sur l'état où leur esprit s'est trouvé la premiere fois qu'ils y sont entrés ; & sans doute, ils se souviendront qu'ils ont été frappés de quelque chose de grand & de majestueux ; au lieu que la vue d'une église gothique, cinq ou six fois plus vaste que le panthéon, ne frappe personne. Cette différence ne peut procéder que de la grandeur de maniere observée dans l'une, & de la médiocrité ou de la petitesse de maniere qui se trouve dans l'autre.
Mais est-il bien certain qu'Agrippa ait fait le panthéon en entier ? On le dit communément ; néanmoins Dion se sert d'une expression qui ne signifie qu'achever, , & l'on remarque encore aujourd'hui, que l'ordre de la corniche ne s'accorde pas avec celui du temple ; qu'elle ne s'enchâsse pas dans le mur par ses extrémités ; mais qu'elle s'en approche à peine comme d'un édifice différent. On trouve encore que l'architecture du portail est mieux entendue que celle du temple, & par conséquent d'un autre tems.
Il est toujours sûr que ce temple a souffert bien des changemens ; Xiphilin le met au nombre des édifices brûlés sous le regne de Titus : Cassiodore le fait réparer par Trajan. Selon la chronique d'Eusebe, il fut encore brûlé par le tonnerre l'an de J. C. 111, le treizieme du regne de Trajan. Les premiers successeurs de ce prince se sont fait à l'envi un honneur d'y travailler. On le trouve réparé par Adrien, par Antonin Pie, par Marc-Aurele, & par Sévere. Il y a apparence que ce dernier fit effacer le nom de tous les autres, pour n'y laisser que le sien, & celui de son fils, avec le nom du fondateur.
Je ne dois pas oublier de remarquer qu'il entroit dans le dessein des portes du panthéon l'arrangement d'une sorte de cloux, qui par la beauté des ornemens de leur tête, contribuoient infiniment à sa magnificence ; l'avarice des hommes les a portés à s'en emparer ; il en reste quelques-uns encore qui sont attachés aux deux ventaux de la porte du panthéon ; & M. de Caylus en a quatre en sa possession ; ils sont de bronze ainsi que les ventaux.
Au reste, il y avoit à Rome un autre panthéon dédié particulierement à Minerve médecine, Minervae medicae. Ce panthéon étoit en-dedans de figure décagone, ou a dix angles bien distingués. Il y avoit vingt-deux piés & demi d'un angle à l'autre ; ce qui donne en tout deux cent vingt-cinq piés. Entre les angles il y avoit par-tout des chapelles rondes en voûte, excepté d'un côté où étoit la porte : ces neuf chapelles étoient pour autant de divinités ; la statue de Minerve étoit en face de la porte, & occupoit la place d'honneur.
On croit que le temple de Nîmes, qu'on dit être de Diane, étoit un panthéon : il y avoit douze niches, dont six restent encore sur pié. C'étoit un temple consacré aux douze grands dieux, que quelques-uns ont appellé pour cela dodécathéon. (D.J.)
PANTHEON D'ATHENES, (Antiq. grecq.) le panthéon d'Athènes ne le cédoit guere en plusieurs points au panthéon de Rome, bâti par Agrippa. Celui d'Athènes a été relevé environ 120 ans après, par l'empereur Adrien. Les chrétiens grecs en firent ensuite une église consacrée à la Vierge, sous le nom de Panegia. Enfin, les Turcs ont changé cette église en mosquée : les chevaux de la main de Praxitele, très-gâtés malheureusement par l'injure des tems, s'y voient encore : Adrien les y fit placer ; mais ils sont réellement de Praxitele, c'est tout dire. (D.J.)
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PANTHERE | S. f. panthera seu pardallis, (Pl. III. fig. 2.) animal quadrupede très-féroce, qui differe du tigre & du léopard par les taches qui sont sur son poil ; au lieu d'avoir sur tout le corps des taches rondes comme le léopard, ou des taches longues comme le tigre, il a sur le dos des taches rondes, & sur le ventre des taches longues. Voyez le regne animal, par M. Brisson, qui donne à cet animal le nom de léopard. (I)
PANTHERE, (Littérat.) c'est l'animal favori de Bacchus, & qu'on trouve souvent représenté sur ses monumens, parce que, dit Philostrate, des nourrices de ce dieu avoient été changées en pantheres, ou selon d'autres, parce que cet animal aime les raisins. La panthere est aussi un symbole de Pan : on croit même que son nom en a été formé. (D.J.)
PANTHERE PIERRE DE, (Hist. nat.) espece de jaspe ou d'agate, remplie de taches noires, rouges, jaunes, vertes, &c. les anciens lui attribuent beaucoup de vertus fabuleuses.
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PANTICAPÉE | Panticapaea, (Géog. anc.) ville de la Chersonese taurique, selon Strabon, liv. VII. p. 309. & Ptolomée, liv. III. c. vj. Pline, l. XVII. c. xxxiij. dit qu'on la nommoit aussi Bosphorium ; ce n'est pas sans raison, puisqu'on la regardoit comme la capitale du Bosphore Cimmérien. Niger veut qu'elle s'appelle aujourd'hui Vospero.
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PANTICAPES | (Géog. anc.) fleuve de la Scythie européenne, qui faisoit la séparation entre les Nomades & les Géorgiens. Peucer dit que c'est présentement le Przypietz dans la Lithuanie. (D.J.)
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PANTIERE | S. f. (Chasse) est un filet qui sert à prendre les oiseaux, principalement les bécasses ; ceux qui s'occupent à cette sorte de chasse, ont soin de faire ébrancher dans une clairiere deux arbres, & d'y ajuster deux branches de maniere qu'elles puissent soutenir la pantiere ; ces branches doivent être garnies de deux poulies ou boucles qui servent à passer les cordes, afin de pouvoir laisser tomber commodément la pantiere suspendue à ces cordes, lorsque quelque oiseau se sera jetté dedans.
On appelle aussi pantiere, certain sac à mailles qui sert aux chasseurs à mettre leur provision de bouche, & pour rapporter le gibier qu'ils ont pris. On la porte ordinairement en écharpe : panteine est la même chose que pantiere.
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PANTINE | S. f. (Soie & Laine) c'est un assemblage plus ou moins considérable d'échevaux, à proportion de leur grosseur. De pantine on a fait pantener. Pantener, c'est attacher des bouts de fil aux pantines, pour empêcher qu'elles ne se mêlent.
PANTINE, (Rubanier) se dit aussi d'un gros écheveau qui en contient lui-même plusieurs petits, qu'il faut avoir soin de séparer pour rendre le poids plus léger, & par conséquent plus facile à tourner pour le dévidage ; il y a plus ou moins de pantines à la balle, le nombre n'en est pas limité.
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PANTINS | (Hist. mod.) petites figures peintes sur du carton, qui par le moyen de petits fils que l'on tire, font toutes sortes de petites contorsions propres à amuser des enfans. La posterité aura peine à croire qu'en France, des personnes d'un âge mûr ayent pû dans un accès de vertige assez long, s'occuper de ces jouets ridicules, & les rechercher avec un empressement, que dans d'autres pays l'on pardonneroit à peine à l'âge le plus tendre.
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PANTOGONIE | S. f. (Géom.) nom donné par M. Bernoulli, à une espece de trajectoire réciproque, qui pour chaque différente position de son axe se coupe toujours elle-même sous un angle constant. Voyez TRAJECTOIRE, voyez aussi les Oeuvres de Jean Bernoulli, tom. II. pag. 600. (O)
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PANTOGRAPHE | S. m. (Art du Dessein) le pantographe ou singe, est un instrument qui sert à copier le trait de toutes sortes de desseins & de tableaux, & à les réduire, si l'on veut, en grand ou en petit ; il est composé de quatre regles mobiles ajustées ensemble sur quatre pivots, & qui forment entr'elles un parallélogramme. A l'extrémité d'une de ces regles prolongées est une pointe qui parcourt tous les traits du tableau, tandis qu'un crayon fixé à l'extrémité d'une autre branche semblable, trace légerement ces traits de même grandeur, en petit ou en grand, sur le papier ou plan quelconque, sur lequel on veut les rapporter.
Cet instrument n'est pas seulement utile aux personnes qui ne savent pas dessiner, il est encore très-commode pour les plus habiles, qui se procurent par-là promptement des copies fideles du premier trait, & des réductions qu'ils ne pourroient avoir sans cela qu'en beaucoup de tems, avec bien de la peine, & vraisemblablement avec moins de fidélité.
Cependant de la maniere dont le pantographe avoit été construit jusques-ici, il étoit sujet à bien des inconvéniens, qui en faisoient négliger l'usage. Le crayon porté à l'extrémité de l'une des branches, ne pouvoit pas toujours suivre les inégalités du plan sur lequel on dessinoit ; souvent il cessoit de marquer le trait, & plus souvent encore sa pointe venant à se briser, gâtoit une copie déjà fort avancée : lorsqu'il falloit quitter un trait achevé, pour en commencer un autre, on étoit obligé de déplacer les regles, ce qui arrivoit à tous momens.
M. Langlois, ingénieur du roi, a très-heureusement corrigé tous ces défauts dans le nouveau pantographe qu'il a présenté à l'académie des Sciences en 1743, & c'est principalement par le moyen d'un canon de métal dans lequel il place un porte-crayon, qui pressant seulement par son poids, & autant qu'il le faut le plan sur lequel on copie, cede aisément & de lui-même en s'élevant & s'abaissant, aux inégalités qu'il rencontre sur ce plan ; à la tête du porte-crayon s'attache un fil, avec lequel on le souleve à volonté, pour quitter un trait & en commencer un autre, sans interrompre le mouvement des regles, & sans les déplacer.
Outre ces corrections, M. Langlois ajuste la pointe à calquer de son pantographe, le porte-crayon, & le pivot des regles, sur des especes de boîtes ou coulisses, qui peuvent se combiner différemment sur ces regles, selon qu'on veut copier en grand ou en petit, plus ou moins, & il rend enfin tous ces mouvemens beaucoup plus aisés en faisant soutenir les regles par de petits piliers garnis de roulettes excentriques. Le pantographe ainsi rectifié est un instrument propre à réduire en grand & en petit toutes sortes de figures, de plans, de cartes, d'ornemens, &c. très-commodément & avec beaucoup de précision & de promptitude. Voyez nos Pl. de Dessein & leur explic.
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PANTOIMENT | S. m. (Fauconnerie) c'est le nom que l'on donne à une maladie qui vient à un oiseau de proie, qu'on appelle asthme, elle lui rend le poumon enflé.
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PANTOI | ou PANTOISE, s. m. & f. (Fauconn.) maladie de trois sortes, l'une qui survient à la gorge des oiseaux de proie, l'autre qui leur vient de froideur, l'autre qui se congrege aux reins & aux roignons ; on dit ce faucon a le pantois ou la pantoise. Ce mal est causé par des humeurs âcres qui tombent du cerveau sur le poumon, le desséchent & alterent les organes de la respiration ; pour y remédier il faut purger l'oiseau avec de l'huile battue & blanchie dans une ou deux eaux, ce qui se fait ainsi : vous prenez une écuelle, ou quelque autre vaisseau percé, vous bouchez le trou avec le doigt, vous versez dans ce vaisseau de l'eau nette, & ensuite de l'huile, & après avoir bien remué & battu les deux liqueurs avec une spatule jusqu'à-ce que l'eau paroisse chargée de ce que l'huile a de plus grossier, vous retirerez le doigt & laisserez couler l'eau, ayant soin de retenir l'huile dans le vaisseau, vous en faites prendre à l'oiseau, & vous le portez sur le poing jusqu'à-ce qu'il ait rendu son remede avec ses émeus ; une heure ou une heure & demie après vous lui donnerez du coeur de veau ou du foie de poule mouillé ; si l'oiseau est bien à la chair, on peut lui faire macérer sa viande dans l'eau de rhubarbe, & lui en donner après l'avoir bien nettoyé, vous continuerez ainsi pendant six ou sept jours, observant de le purger avec une cure de filasse ou de coton le quatrieme jour.
Le pantois se connoit particulierement à ces signes, 1°. si l'oiseau a des fréquens battemens de poitrine ; 2°. lorsqu'il fait mouvoir son balai tantôt haut tantôt bas ; 3°. s'il ne peut émeuter, ou si ses émeus sont petits, ronds & secs ; 4°. si l'oiseau a le bec ouvert, s'il bâille, & s'il ferme le bec en haut ; ce dernier signe est mortel.
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PANTOMATRIUM | (Géog. anc.) promontoire de l'île de Crete, qui selon Niger & Pinel, porte à-présent le nom de Milopotamo. (D.J.)
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PANTOMETRE | S. m. (Géom.) instrument propre à mesurer toutes sortes d'angles, de longueur ou de hauteur. Voyez HOLOMETRE.
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PANTOMIME | S. m. (Jeux scéniq. des Romains) on appelloit pantomimes, chez les Romains, des acteurs qui, par des mouvemens, des signes, des gestes, & sans s'aider de discours, exprimoient des passions, des caracteres, & des évenemens.
Le nom de pantomime, qui signifie imitateur de toutes choses, fut donné à cette espece de comédiens, qui jouoient toutes sortes de pieces de théâtre sans rien prononcer ; mais en imitant & expliquant toutes sortes de sujets avec leurs gestes, soit naturels, soit d'institution. On peut bien croire que les pantomimes se servoient des uns & des autres, & qu'ils n'avoient pas encore trop de moyens pour se faire entendre. En effet, plusieurs gestes d'institution étant de signification arbitraire, il falloit être habitué au théâtre pour ne rien perdre de ce qu'ils vouloient dire. Ceux qui n'étoient pas initiés aux mysteres de ces spectacles, avoient besoin d'un maître qui leur en donnât l'explication ; l'usage apprenoit aux autres à deviner insensiblement ce langage muet. Les pantomimes vinrent à bout de donner à entendre par le geste, non-seulement les mots pris dans le sens propre, mais même les mots pris dans le sens figuré ; leur jeu muet rendoit des poëmes en entier, à la différence des mimes qui n'étoient que des bouffons inconséquens.
Je n'entreprendrai point de fixer l'origine des pantomimes ; Zozime, Suidas, & plusieurs autres la rapportent au tems d'Auguste, peut-être par la raison que les deux plus fameux pantomimes, Pylade & Bathylle, parurent sous le regne de ce prince, qui aimoit passionnément ce genre de spectacle. Je n'ignore pas que les danses des Grecs avoient des mouvemens expressifs ; mais les Romains furent les premiers qui rendirent par de seuls gestes, le sens d'une fable réguliere d'une certaine étendue. Le mime ne s'étoit jamais fait accompagner que d'une flûte ; Pylade y ajouta plusieurs instrumens, même des voix & des chants, & rendit ainsi les fables régulieres. Au bruit d'un choeur composé de musique vocale & instrumentale, il exprimoit avec vérité le sens de toutes sortes de poëmes. Il excelloit dans la danse tragique, s'occupoit même de la comique & de la satyrique, & se distingua dans tous les genres. Bathylle son éleve & son rival, n'eut sur Pylade que la prééminence dans les danses comiques.
L'émulation étoit si grande entre ces deux acteurs, qu'Auguste à qui elle donnoit quelquefois de l'embarras, crut qu'il devoit en parler à Pylade, & l'exhorter à bien vivre avec son concurrent que Mécénas protégeoit : Pylade se contenta de lui répondre, " que ce qui pouvoit arriver de mieux à l'empereur, c'étoit que le peuple s'occupât de Bathylle & de Pylade ". On croit bien qu'Auguste ne trouva point à propos de repliquer à cette réponse. En effet, tel étoit alors le goût des plaisirs, que lui seul pouvoit faire perdre aux Romains cette idée de liberté si chere à leurs ancêtres.
Il falloit que ce peuple se fût mis en tête que l'opération qu'on feroit à leurs pantomimes pour les rendre eunuques, leur conserveroit dans tout le corps une souplesse que des hommes ne peuvent point avoir. Cette idée, ou si l'on veut le caprice, faisoit exercer sur les enfans qu'on destinoit à ce métier, la même cruauté qu'on exerce dans quelques pays sur les enfans dont on ne veut point que la voix mue.
Lucien observe que rien n'étoit plus difficile que de trouver un bon sujet pour en former un pantomime. Après avoir parlé de la taille, de la souplesse, de la légereté, & de l'oreille qu'il doit avoir, il ajoûte, qu'il n'est pas plus difficile de trouver un visage à-la-fois doux & majestueux. Il veut ensuite qu'on enseigne à cet acteur la musique, l'histoire, & je ne sais combien d'autres choses capables de faire mériter le nom d'homme de lettres à celui qui les auroit apprises.
Nous avons nommé pour les deux premiers instituteurs de l'art des pantomimes Pylade & Bathylle sous l'empire d'Auguste ; ils ont rendu leurs noms aussi célebres dans l'histoire romaine, que le peut être dans l'histoire moderne le nom du fondateur de quelque établissement que ce soit. Pylade, ai-je dit, excelloit dans les sujets tragiques, & Bathylle dans les sujets comiques. Ce qui paroîtra surprenant, c'est que ces comédiens qui entreprenoient de représenter des pieces sans parler, ne pouvoient pas s'aider du mouvement du visage dans leur déclamation, ils jouoient masqués, ainsi que les autres comédiens ; la seule différence étoit, que leurs masques n'avoient pas une bouche béante, comme les masques des comédiens ordinaires, & qu'ils étoient beaucoup plus agréables. Macrobe raconte que Pylade se fâcha un jour qu'il jouoit le rôle d'Hercule furieux, de ce que les spectateurs trouvoient à redire à son geste trop outré, suivant leurs sentimens. Il leur cria donc, après avoir ôté son masque : " foux que vous êtes, je représente un plus grand fou que vous ".
Après la mort d'Auguste, l'art des pantomimes reçut de nouvelles perfections. Sous l'empereur Néron il y en eut un qui dansa sans musique instrumentale ni vocale, les amours de Mars & de Vénus. D'abord un seul pantomime représentoit plusieurs personnages dans une même piece ; mais on vit bien-tôt des troupes complete s, qui exécutoient également toutes sortes de sujets tragiques & comiques.
Ce fut peut-être du tems de Lucien que se formerent ces troupes complete s de pantomimes, & qu'ils commencerent à jouer des pieces suivies. Apulée nous rend un compte exact de la représentation du jugement de Paris faite par une troupe de ces pantomimes. Comme ils n'avoient que des gestes à faire, on conçoit aisément que toutes leurs actions étoient vives & animées ; aussi Cassiodore les appelle des hommes dont les mains disertes avoient pour ainsi dire une langue au bout de chaque doigt ; des hommes qui parloient en gardant le silence, & qui savoient faire un récit entier sans ouvrir la bouche ; enfin des hommes que Polymnie, muse qui présidoit à la musique, avoit formés afin de montrer qu'il n'étoit pas besoin d'articuler des mots pour faire entendre sa pensée.
Ces sortes de comédiens faisoient des impressions prodigieuses sur les spectateurs. Séneque le pere, qui exerçoit une profession des plus graves, confesse que son goût pour les représentations des pantomimes, étoit une véritable passion. Lucien qui se déclare aussi zélé partisan de l'art des pantomimes, dit qu'on pleuroit à leur représentation comme à celle des autres comédiens. Saint Augustin & Tertullien font aussi l'éloge de leurs talens.
Cet art auroit eu sans doute beaucoup plus de peine à réussir parmi les nations septentrionales de l'Europe, que chez des Romains, dont la vivacité est si fertile en gestes, qui signifient presque autant que des phrases entieres. Nous ne sommes peut-être pas capables de décider sur le mérite de gens que nous n'avons pas vû représenter, mais nous ne pouvons pas révoquer en doute le témoignage de tant d'auteurs de l'antiquité, qui parlent de l'excellence & du succès de leur art.
Cependant on a vû en Angleterre, & sur le théâtre de l'opéra comique à Paris, quelques-uns de ces comédiens jouer des scenes muettes que tout le monde entendoit. Je sai bien que Roger & ses confreres, ne doivent pas entrer en comparaison avec les pantomimes de Rome ; mais le théâtre de Londres ne possede-t-il pas à présent un pantomime qu'on pourroit opposer à Pylade & à Bathylle ? le fameux Garrick est un acteur d'autant plus merveilleux, qu'il exécute également toutes sortes de sujets tragiques & comiques. Nous savons aussi que les Chinois ont des especes de pantomimes qui jouent chez eux sans parler ; les danses des Persans ne sont-elles pas des pantomimes ?
Enfin il est certain que leur art charma les Romains dans sa naissance, qu'il passa bien-tôt dans les provinces de l'empire les plus éloignées de la capitale, & qu'il subsista aussi long-tems que l'empire même. L'histoire des empereurs romains fait plus souvent mention des pantomimes fameux que des orateurs célebres. Auguste se plaisoit extrêmement à leurs pieces, & Bathylle enchantoit Mécénas. Les Romains épris de tous les spectacles du théâtre, préféroient celui-ci aux représentations des autres comédiens. Dès les premieres années du regne de Tibere, le sénat fut obligé de faire un réglement pour défendre aux sénateurs de fréquenter les écoles des pantomimes, & aux chevaliers romains de leur faire cortége en public : ne domos pantomimorum senator introïret, ne egredientes in publicum equites romani cingerent. Tacit. Annal. l. I. Ce decret prouve assez que les professions chéries dans les pays de luxe sont bien-tôt honorées, & que le préjugé ne tient pas contre le plaisir.
L'extrême passion que le peuple & les personnes du plus haut rang avoient pour ce spectacle, donna lieu de tramer des cabales pour faire applaudir les uns plutôt que les autres, & ces cabales devinrent des factions. Il arriva que les pantomimes prirent des livrées différentes, à l'imitation de ceux qui conduisoient les chariots dans les courses du cirque. Les uns s'appellerent les bleus, & les autres les verts, &c. Le peuple se partagea donc aussi de son côté, & toutes les factions du cirque, dont il est parlé si souvent dans l'histoire romaine, épouserent des troupes de pantomimes.
Ces factions dégénéroient quelquefois en partis aussi échauffés les uns contre les autres, que les Guelfes & les Gibelins peuvent l'avoir été sous les empereurs d'Allemagne. Il falloit avoir recours à un expédient triste pour le gouvernement, qui ne cherchoit que les moyens d'amuser le peuple, en lui fournissant du pain, & en lui donnant des spectacles ; mais cet expédient devenu nécessaire, étoit de faire sortir de Rome tous les pantomimes.
Cependant les écoles de Pylade & de Bathylle subsisterent toujours, conduites par leurs éleves, dont la succession ne fut point interrompue. Rome étoit pleine de professeurs qui enseignoient cet art à une foule de disciples, & qui trouvoient des théâtres dans toutes les maisons. Non-seulement les femmes les recherchoient pour leurs jeux, mais encore par des motifs d'une passion effrénée : illis foeminae, simulque viri, animas & corpora substituunt, dit Tertullien. La plûpart des passages des Poëtes sont tels sur ce sujet, qu'on n'ose même les citer en latin. Galien ayant été appellé pour voir une femme de condition attaquée d'une maladie extraordinaire, il découvrit par les altérations qui survinrent dans la malade, quand on parla d'un certain pantomime devant elle, que son mal venoit uniquement de la passion qu'elle avoit conçue pour lui.
Il est vrai que les pantomimes furent chassés de Rome sous Tibere, sous Néron, & sous quelques-autres empereurs, mais leur exil ne duroit pas longtems : la politique qui les avoit chassés, les rappelloit bien-tôt pour plaire au peuple, ou pour faire diversion à des factions plus à craindre pour l'empire. Domitien, par exemple, les ayant chassés, Néron les fit revenir, & Trajan les chassa encore. Il arrivoit même que le peuple, fatigué de ses propres désordres, demandoit l'expulsion des pantomimes ; mais il demandoit bien-tôt leur rappel avec plus d'ardeur.
Ce qui acheve de prouver à quel point leur nombre s'augmenta, & combien les Romains les croyoient nécessaires, est ce qu'on lit dans Ammien Marcellin, l'an cxc. Rome étant menacée de la famine, on prit la précaution d'en faire sortir tous les étrangers, ceux-mêmes qui professoient les arts libéraux ; mais on laissa tranquilles les gens de théâtre, & il resta dans la ville trois mille danseuses, & autant d'hommes qui jouoient dans les choeurs, sans compter les comédiens : les Historiens assurent que ce nombre prodigieux augmenta encore dans la suite.
Il est aisé de juger que l'ardeur des Romains pour les jeux des pantomimes dut leur faire négliger la bonne comédie. En effet, on vit depuis le vrai genre dramatique décheoir insensiblement, & bien-tôt il fut presque absolument oublié. Cette nation guerriere qui s'étoit vouée au dieu Mars, & qui avoit méprisé les arts & les sciences, perdit avec la liberté toute son ancienne vertu. Les Romains ayant long-tems méconnu ce qu'il y avoit de plus naturel & de plus agréable dans les occupations de l'ame, n'en acquirent que de plus grandes dispositions à passer à des excès opposés. Aussi ne doit-on pas s'étonner, si sentant trop tard la nécessité des beaux-arts, les erreurs de leur esprit s'opposerent souvent à la distinction exacte qu'ils auroient dû faire des expressions les plus essentielles, les plus vraies, & les plus heureuses, d'avec celles qui ne pourroient avoir le même avantage. Cette ignorance de la délicatesse du sentiment, fit sans doute la réputation des pantomimes.
On négligea les expressions de l'organe de la voix, pour ne s'appliquer qu'à celles que pouvoient rendre les mouvemens & les gestes du corps. Ces expressions qui ne pouvoient admettre toutes les nuances de celles des sons, & avec lesquelles on n'eût jamais inventé les sciences spéculatives, firent sous les empereurs une partie de l'éducation de la jeunesse romaine. Les maîtres de cet art frivole recevoient, comme je l'ai dit, des attentions très-marquées du peuple, des chevaliers, des sénateurs & des dames romaines. Les personnes les plus respectables leur rendoient des visites de devoir, & les accompagnoient par-tout. Si cette bonne fortune eut des intervalles de disgraces, ils s'en relevoient avec plus d'éclat. L'empereur Antonin s'étant apperçu que les pantomimes étoient cause qu'on négligeoit le commerce, l'éloquence, & la philosophie, voulut réduire leurs jeux à des jours marqués ; mais le peuple murmura, & il fallut lui rendre en entier ces amusemens, malgré toute l'indécence qui marchoit à leur suite. Pline le jeune loue son siecle d'avoir abandonné ce goût efféminé qui avoit tant amolli le courage du peuple romain ; mais Pline s'abusa dans ses louanges. Rome étoit trop riche, trop puissante, & trop plongée dans la mollesse, pour redevenir vertueuse ; l'art des pantomimes, qui s'étoit introduit si brillamment sous Auguste, & qui fut une des causes de la corruption des moeurs, ne finit qu'avec la destruction de l'empire.
Je me suis bien gardé de tout dire sur cette matiere, je n'en ai pris que la fleur ; mais ceux qui seront curieux de plus grands détails, peuvent lire Plutarque, Lucien, les Mémoires de littérature, l'abbé du Bos, & le traité plein d'érudition de Calliacchi, de ludis scenicis, imprimé à Padoue en 1714, in-4(D.J.)
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PANTOQUIERES | S. f. pl. (Marine) cordes de moyenne grosseur, qui font entrelacement entre les haubans de tribord & de basbord, pour les tenir plus fermes & assurer le mât dans une tempête, sur-tout lorsque les rides ont molli : elles traversent les haubans d'un bord à l'autre.
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PANTOUFLE | S. f. (Ouvrage de Cordonnier) espece de soulier sans quartier, qui n'a ni garniture ni autre enrichissement ; car lorsqu'il y en a, ou qu'au-lieu d'empeigne de cuir ou de peau il y a du velours, du galon, & que le dessus est d'étoffe, on ne l'appelle plus pantoufle, mais mule. (D.J.)
PANTOUFLE, en Chirurgie, instrument ou bandage, de l'invention de M. Petit, pour contenir le tendon d'Achille lorsqu'il est cassé. Voyez rupture du tendon d'Achille, au mot RUPTURE.
Cette pantoufle est de maroquin, fig. premiere, Pl. XXXII. le quartier en est coupé à l'exception d'une bande de deux pouces de largeur au milieu de la partie postérieure. A ce bout de quartier est cousue une courroie de cuir de roussi d'environ 15 lignes de largeur, & de longueur convenable pour s'attacher à la jarretiere.
La jarretiere, fig. 2. est d'une seule piece, mais elle forme deux circulaires de quatre travers de doigt chacun. L'un est pour entourer la partie inférieure de la cuisse ; & l'autre la partie supérieure de la jambe. Chaque circulaire porte extérieurement à une de ses extrémités deux boucles, & est terminé à l'autre par deux petites courroies. Cette jarretiere est de cuir de roussi, & est garnie intérieurement de chamois.
Au milieu de la partie extérieure du circulaire inférieur de la jarretiere, il y a un passant de cuir pour contenir la courroie attachée par un bout au talon de la pantoufle.
Sur le milieu de la partie extérieure du circulaire supérieur de cette jarretiere, est attachée fixement une platine de cuivre, de laquelle s'élevent parallelement deux montans, terminés par deux plaques circulaires, percées pour laisser passer l'essieu d'un treuil. Il y a sur le milieu de ce treuil deux crochets ou boutons, pour retenir l'extrémité libre de la courroie cousue au talon de la pantoufle. Ce treuil a une roue à rochet, dont les dents sont arrêtées par un petit ressort à cri ou à clapette, fig. 3 & 4. On peut, au moyen d'un petit mentonnet, dégager le ressort d'avec les dents de la roue, lorsqu'il est nécessaire de relâcher le pié. Le treuil est percé quarrément dans toute son étendue. En conséquence la manivelle, fig. 5. qui le fait mouvoir, est une tige d'acier quarrée, terminée par une plaque ou tête applatie ; c'est en quelque sorte la clé de l'instrument. Cette clé est mobile & ne reste point à l'instrument.
La fig. 1. Pl. XXXIII. montre cette machine en situation. Son usage est de tenir le pié en extension & la jambe en flexion au degré qu'on le juge convenable. Le circulaire inférieur de la jarretiere, en comprimant les têtes des muscles auxquels le tendon d'Achille appartient, empêche la retraction de ces muscles ; ce qui est important pour la cure. De plus, ce bandage en contenant de la maniere la plus efficace la jambe fléchie & le pié étendu pour les raisons que nous avons déduites en parlant de la rupture du tendon ; ce bandage, dis-je, a l'avantage de laisser la jambe & le talon libres, ensorte qu'on peut appliquer les compresses & autres pieces d'appareil convenables aux accidens & complications de cette rupture, & panser journellement le malade, si le cas le requiert, sans causer le moindre dérangement à la machine contentive : ce qu'on ne peut obtenir dans l'usage du bandage décrit au mot RUPTURE, quoique quelques personnes s'obstinent à le préférer à la pantoufle ; on peut consulter à ce sujet le Traité des maladies des os de feu M. Petit, & le Discours préliminaire de la derniere édition, publiée en 1758, chez Cavelier. (Y)
PANTOUFLE, fer à pantoufle, (Maréchallerie) espece de fer à cheval, forgé de façon qu'il est beaucoup plus épais en-dedans des éponges qu'en-dehors, & qu'il va en talus du côté qu'il s'applique contre la corne, afin que son épaisseur en-dedans chasse le talon & le pousse en-dehors. Il sert à rétablir les talons serrés & encastelés. La ferrure à pantoufle est bonne aussi pour les chevaux qui ont les seimes. Voyez SEIME.
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PANTOUFLIER | S. m. nom que l'on donne en Amérique au marteau. Voyez MARTEAU.
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PANTUN | voyez PENTUN.
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PANUCO | (Géog. mod.) grande province de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, au nord de Mexico, avec un évêché suffragant de Mexico. On y trouve des veines d'or & des salines ; Panuco, sa capitale, est à quelques lieues du golfe du Mexique. Long. 277. 30. lat. 24. (D.J.)
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PANUNGIAN | (Hist. nat.) grand arbre des îles Philippines. Il produit un fruit rouge de la grosseur d'un oeuf de pigeon ; il a la forme d'une pomme de pin ; sa chair est transparente & fort saine.
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PANYASUS | (Géog. anc.) fleuve de la Macédoine. Ptolémée en place l'embouchure chez les Tulantii, entre Dyrrachium & l'embouchure du fleuve Apsus. Le Panyasus des anciens, est le Siomini d'aujourd'hui ; & l'Apsus, est le Chrevesta des modernes.
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PANYSUS | (Géog. anc.) fleuve de la basse-Moesie, dont le nom moderne est Laniza, selon Niger. (D.J.)
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PAON | S. m. (Hist. nat. Ornith.) pavo, oiseau très-beau par ses couleurs : on dit qu'il a été apporté de la Chine en Europe où il est très-commun ; il égale en grosseur un dindon de six mois, il a trois piés huit pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & deux piés onze pouces jusqu'au bout des ongles. Les paons, & sur-tout les mâles, ont un caractere qui les distingue de tous les autres oiseaux ; c'est la longueur des plumes qui recouvrent la queue ; elles sont beaucoup plus longues que les plumes de la queue, même celles du milieu, c'est-à-dire, les plus grandes, ont quatre piés quatre pouces de longueur ; les autres de chaque côté diminuent successivement de longueur jusqu'à la derniere qui est la plus courte ; elles forment plusieurs rangées, & elles sont couchées les unes sur les autres ; celles du milieu de chaque rangée ont toujours plus de longueur que les autres. Le tuyau de toutes ces plumes est blanc, & garni dans toute sa longueur de longues barbes détachées les unes des autres, qui sont d'un beau verd doré, cette couleur change à différens aspects. Les barbes de l'extrémité de ces plumes sont réunies les unes contre les autres, & ont une grande tache que l'on a appellée oeil ; ces taches sont arrondies & ont de très-belles couleurs ; le centre est d'un beau noir luisant, en forme de coeur, entouré d'une couleur verte changeante, qui, à certains aspects, paroît être d'un beau violet ou d'un bleu éclatant ; ce cercle est aussi entouré de deux autres cercles de couleur d'or & de différentes teintes : quelques-unes des plus longues de ces plumes n'ont pas de taches à l'extrémité, & paroissent comme coupées quarrément. Le paon porte ordinairement ces plumes couchées sur celles de la queue, il les éleve souvent perpendiculairement, & les étale en rond de façon qu'elles présentent toutes en-devant les taches dont il vient d'être fait mention. Le bec a un pouce six lignes de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; la longueur de la queue est d'un pié sept pouces ; les aîles étant pliées s'étendent à environ cinq pouces au-delà de l'origine de la queue. La tête, la gorge, le cou & la poitrine, sont d'un verd brillant mêlé d'une teinte de couleur d'or ; ce verd paroît bleu à certains aspects. Il y a de chaque côté de la tête deux longues taches blanches, dont l'une s'étend au-dessus de l'oeil, l'autre qui est la plus courte & la plus large passe pardessous. Cet oiseau a sur le sommet de la tête une hupe composée de vingt-quatre petites plumes, longues de deux pouces, & dont les tuyaux sont blanchâtres & garnis, depuis leur origine jusque vers l'extrémité, de barbes noirâtres & très-éloignées les unes des autres ; l'extrémité de ces plumes est conformée à l'ordinaire, & du même verd doré que la tête ; les plumes du dos & du croupion sont d'un beau verd doré éclatant qui change à certains aspects, & elles ont les bords d'un beau noir luisant ; le ventre & les côtés sont d'une couleur noirâtre mêlée d'un peu de verd doré ; les jambes sont d'un fauve clair. Il y a vingt-quatre grandes plumes dans chaque aîle : les dix premieres sont rousses ; la onzieme a le côté extérieur de couleur noirâtre, mêlée d'un peu de verd doré, le côté intérieur est roux & a des taches noirâtres ; les neuf qui suivent sont noirâtres, & ont un peu de verd doré seulement sur le côté extérieur du tuyau ; les autres sont mêlées de fauve & de noir. Les petites plumes des aîles & les grandes plumes des épaules ont les mêmes couleurs que les quatre grandes plumes intérieures de l'aîle ; il y a seulement une légere teinte de verd doré sur les petites plumes des aîles qui n'est pas sur celles des épaules ; les moyennes plumes de l'aîle sont d'un bleu foncé, qui se change en verd doré à certains aspects ; la queue est composée de dix-huit plumes d'un gris brun, qui ont des taches d'un gris roussâtre sur les barbes extérieures, & sur le bord des barbes intérieures ; les deux plumes du milieu sont les plus longues, les autres diminuent successivement de longueur. Le mâle a sur la partie postérieure de chaque pié un ergot très-gros, fort pointu, & long de neuf lignes.
La femelle differe beaucoup du mâle par les couleurs, elle est aussi plus petite, & elle a les plumes du dessus de la queue beaucoup plus courtes, car elles ne sont pas à-beaucoup-près aussi longues que celles de la queue. Le dos, le croupion, le ventre, les côtés du corps, les jambes, les aîles en entier, & la queue ont une couleur tirant sur le cendré ; le sommet de la tête & la hupe sont de la même couleur, & ont de très-petites taches d'un beau verd brillant ; les deux taches blanches des côtés de la tête sont beaucoup plus grandes que dans le mâle ; la gorge est blanche ; les plumes du cou sont vertes, celles de la poitrine ont la même couleur, à l'exception de l'extrémité qui est blanche. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU. (I)
PAON, (Diete, Mat. méd.) Les paons ne sont que médiocrement estimés à titre d'aliment : on sert pourtant sur nos tables le jeune paon, qu'on appelle communément paoneau. Il est dit dans la premiere addition au chapitre COQ D'INDE, du Traité des alimens de Lemery, qu'on ne laisse pas que d'en manger aux îles de l'Amérique, où on les éleve fort aisément, & où bien des gens les estiment plus que les faisans.
Il paroît par ce qu'en disent les auteurs latins, que cette nourriture étoit inconnue aux anciens Romains, & qu'ils la servirent pour la premiere fois dans leurs festins d'apparat plutôt à titre de mets extraordinaire & recherché, qu'à titre d'aliment agréable. Galien dit que la chair du paon est dure, fibreuse, & de difficile digestion.
On trouve dans les auteurs d'Histoire naturelle & de Diete, un préjugé singulier sur la chair du paon : ils disent qu'elle se conserve pendant un tems très-considérable, sans subir la moindre putréfaction. Aldrovande a écrit qu'on lui avoit présenté, en 1598, un morceau de chair de paon, qui avoit été cuit en 1592, & qui avoit une odeur agréable approchant de celle du fenouil, quoiqu'elle fût un peu vermoulue.
La chair de paon a été louée contre les vertiges, & le bouillon de cette chair contre la pleurésie ; sa langue est vantée contre l'épilepsie ; son fiel est mis par Dioscoride au rang des ophthalmiques ; ses oeufs sont recommandés contre la goutte ; & enfin la fiente de paon est le principal remede qu'on retire de cet animal. Elle est comptée parmi les antiépileptiques les plus éprouvés, soit prise en substance à la dose d'un gros, soit délayée dans du vin, observant soigneusement pendant l'usage les nouvelles lunes, les pleines lunes ; choisissant de la fiente d'un paon mâle pour un épileptique mâle, & celle d'une femelle pour une femme épileptique. Voyez Etmuler & Jean Boacler. (b)
PAON BLANC, pavo albus, c'est une variété du paon ordinaire, dont il ne differe qu'en ce qu'il est entierement blanc.
PAON DE LA CHINE, pavo sinensis, oiseau qui est plus grand que notre faisan : il a les plumes du sommet de la tête d'un brun obscur ; leur extrémité est un peu recourbée en-avant, & cet oiseau les dresse en forme de hupe : il y a entre les yeux & le bec un petit espace dégarni de plumes ; on y voit seulement quelques poils noirs : les côtés de la tête sont blancs ; le cou est brun, & il a des bandes transversales d'un brun plus foncé. Les grandes plumes des épaules, celles de la partie antérieure du dos, & les petites des aîles sont d'un brun obscur, & ont beaucoup de petites taches, semblables à de petits points d'un brun clair & jaunâtre ; chacune de ces plumes a près de son extrémité une tache ronde, d'une belle couleur pourprée qui paroît bleue, verte, &c. à différens aspects, & qui est entourée d'un cercle noir. La partie inférieure du dos & le croupion sont d'une couleur brune avec de petits points d'un brun plus clair ; la poitrine, le ventre & les côtés, ont une couleur brune, obscure, & sont rayés transversalement de noir. Les grandes plumes des aîles sont d'un brun très-foncé, ou noirâtres ; les plumes du dessus de la queue excedent de beaucoup celles de la queue, leur couleur est brune, parsemée de petits points d'un brun clair ; elles ont chacune près de l'extrémité deux taches ovales, une de chaque côté du tuyau, colorées comme les taches du dos, & entourées d'un cercle noir qui est aussi entouré d'une couleur orangée obscure ; les plus longues plumes se trouvent au milieu, les autres diminuent successivement de longueur jusqu'à la premiere qui est la plus courte. Le mâle a deux ergots à chaque pié ; le plus long est placé environ à la moitié de la longueur du pié ; l'autre se trouve plus bas.
La femelle est d'un tiers plus petite que le mâle, elle en differe aussi par les couleurs. La tête, le cou, la poitrine, le ventre, les côtés du corps, les jambes & les plumes du dessous de la queue, sont en entier d'un brun obscur. Les plumes de la partie antérieure du dos, celles des épaules, & les petites des aîles ont la même couleur ; & chaque plume a près de son extrémité une tache ronde, d'un bleu obscur, entourée d'un cercle de couleur orangée obscure : la partie inférieure du dos & le croupion sont d'un brun obscur, parsemé de petits points d'un brun plus clair. Les plumes du dessus de la queue ont à-peu-près les mêmes couleurs que celles du mâle. On trouve cet oiseau à la Chine. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.
PAON DU JAPON, pavo japonensis Aldrovandi, oiseau à-peu-près de la grandeur de notre paon ; il a sur le sommet de la tête une hupe en forme d'épi, en partie verte & en partie bleue, & longue d'environ quatre pouces ; le sommet de la tête & la partie supérieure du cou sont d'un verd semé de petites taches bleues, qui ont dans leur milieu de petites lignes blanches transversales ; le dos est en partie verd & en partie bleu ; la poitrine a les mêmes couleurs que le dos, mais elles sont mêlées d'un beau jaune couleur d'or : toutes ces couleurs changent à différens aspects. Le ventre, les côtés du corps & les jambes, sont d'une couleur cendrée mêlée de taches noires ; les taches du ventre ont de petites lignes blanches ; la couleur des grandes plumes de l'aîle est verte & traversée de lignes noires depuis la racine jusqu'au milieu de leur longueur, ensuite elles sont jaunâtres avec les mêmes lignes noires, enfin l'extrémité est entierement noire. Les plumes du dessus de la queue ne sont pas en aussi grand nombre que dans notre paon ; elles excedent de beaucoup les plumes de la queue ; elles ont le tuyau blanc, & les barbes d'un brun tirant sur la couleur de marron : il y a près de l'extrémité de chacune de ces plumes une tache plus grande que celles de notre paon. Chacune de ces taches a le milieu de couleur d'or, entourée de bleu, & les bords verds.
La femelle differe du mâle en ce qu'elle est plus petite, & qu'elle a le ventre entierement noir & les plumes du dessus de la queue beaucoup plus courtes que celles du mâle. Les plumes de la queue sont vertes, elles ont les bords bleus, & le tuyau blanc. On trouve cet oiseau au Japon. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.
PAON DE MER, avis pugnax, oiseau qui pese à-peu-près cinq onces ; il a environ un pié deux pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité des doigts. La tête est d'un brun cendré, & elle a des taches noirâtres ; le cou est cendré ; les longues plumes des épaules & celles du dos sont en partie brunes ou noires, & en partie blanches ; le ventre & la poitrine sont blancs sans mêlange d'autres couleurs ; la gorge est d'un blanc mêlé de cendré ; les dix grandes plumes extérieures des aîles sont noires, la pointe des autres est blanchâtre ; les plumes du second rang sont de la même couleur que le dos, à l'exception de la pointe qui est blanche ; les autres petites plumes des aîles sont blanches en entier ; les plumes de la queue ont près de trois pouces de longueur.
Cette description a été faite d'après les couleurs des femelles, qui ne varient pas comme celles des mâles.
On a donné à cet oiseau le nom d'avis pugnax, parce que les mâles se battent continuellement les uns les autres, lorsqu'ils sont en amour ; ils font aussi la guerre aux autres oiseaux dans ce tems-là. Les femelles sont plus petites que les mâles, elles se battent rarement. Les mâles ont au cou de longues plumes qui forment une sorte de collier autour de la gorge ; la couleur de ce collier varie, on en voit de blancs, de jaunes, de noirs, de cendrés, & quelquefois de bleus noirâtres. On trouve rarement au printems deux mâles qui soient exactement semblables pour les couleurs ; on dit au contraire qu'ils se ressemblent tous parfaitement en automne après la mue. Ils n'ont plus alors de collier. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU.
PAON, PETIT, ou PAON DE JOUR, papillon diurne de moyenne grandeur, qui a sur les aîles des taches rondes comme le grand paon, dont il ne differe qu'en ce qu'il est beaucoup plus petit.
PAON, GRAND, ou PAON DE NUIT. On a donné ces noms à une phalene, parce qu'elle a sur les aîles des taches rondes, semblables à celles que l'on voit sur les plumes du dessus de la queue du paon ; elle est la plus grande de toutes les phalenes de ce pays-ci. La chenille qui donne cette phalene, se trouve sur le poirier ; elle est verte, & elle a sur le corps plusieurs rangées de tubercules qui sont d'un très-beau bleu.
PAON DU TIBET, pavo tibetanus, oiseau qui est à-peu-près de la grosseur de la pintade ; il a environ deux piés un pouce & demi de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & deux piés un pouce jusqu'au bout des doigts ; la longueur du bec est d'un pouce sept lignes depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées ne s'étendent pas au-delà de l'origine de la queue. Le mâle a deux ergots à la partie postérieure de chaque pié ; le supérieur est le plus petit. Les plumes de la tête, de la gorge, du cou, de la poitrine, du ventre, des côtés du corps, celles des jambes & du dessous de la queue sont grises, & ont de petites lignes noirâtres ; la partie postérieure du dos & le croupion sont de la même couleur grise, & ils ont de très-petites taches blanchâtres ; les plumes de la partie antérieure du dos, celles des épaules & les petites des aîles, sont de couleur grise mêlée de lignes noirâtres & de petites taches blanchâtres ; elles ont toutes aussi de grandes taches rondes d'un bleu éclatant, qui paroît à certains aspects violet ou d'une belle couleur d'or ; les plumes de l'aîle & celles qui recouvrent le dessus de la queue sont du même gris que la partie inférieure du dos ; celles des aîles ont deux taches de même bleu changeant dont il a déja été fait mention, ces taches sont placées l'une au-dessus de l'autre près de l'extrémité de chaque plume ; les plumes du dessus de la queue ont quatre taches de la même couleur bleue, deux de chaque côté du tuyau ; les plumes du milieu de celles du dessus de la queue sont les plus longues ; les autres de chaque côté diminuent successivement de longueur jusqu'à l'extérieure qui est la plus courte ; l'iris des yeux est jaune. On trouve cet oiseau dans le royaume du Tibet. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.
PAON, (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer. On a donné ce nom à une espece de tourd, parce qu'il est d'une belle couleur verte, mêlée de bleu, semblable à celle du cou de l'oiseau qui porte le même nom. Ce poisson ressemble aux autres especes de tourds par le nombre & la position des nageoires. Sa chair est molle, tendre, & un peu visqueuse. Voyez TOURD. Rondelet, Hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. VI. chap. vj. Voyez POISSON.
PAON, en Astronomie, c'est une constellation de l'hémisphere méridional, inconnue aux anciens, & qui n'est point visible dans nos contrées septentrionales. Voyez CONSTELLATION. Chambers.
PAON, (Littérat.) c'est l'oiseau consacré à Junon ; & les Poëtes ont feint qu'elle avoit transporté les yeux d'Argus sur sa queue. Le portrait de cet oiseau a été tracé par Lucien, par Phèdre, & par la Fontaine. Le paon, dit le premier, étale d'un air magnifique l'or & l'azur de son plumage, & dispute avec le printems, à qui produira de plus belles choses. Il fait la roue, il se mire dans sa beauté, dont l'éclat est multiplié par celui de la lumiere. Les cercles d'or qui couronnent l'émail de sa queue, imitent parfaitement l'arc-en-ciel, qui change ses couleurs, selon qu'on le regarde sous divers aspects.
Phèdre fait adresser au paon les louanges les plus flatteuses, par Junon même :
Sed formâ vincis, vincis magnitudine.
Nitor smaragdi collo praefulget tuo,
Pictisque gemmis gemmeam caudam explicas.
La Fontaine enchérit encore sur la cajolerie de la déesse : est-ce à toi, lui dit-elle,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol ?
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies ;
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue, & qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire ?
Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire ?
Les Hébreux ont connu les paons sous le nom de thuchim ; du-moins les interpretes s'accordent assez sur la signification de ce mot. La flotte de Salomon qui alloit à Ophir, a pû en rapporter à ce prince.
Ils étoient d'un grand prix chez les Grecs au rapport d'Athénée, l. XIV. c. xx. & le reproche qu'on fait à Périclès d'en nourrir, prouve assez leur rareté dans la Grece. Hortensius, le rival de Ciceron dans la carriere du barreau, homme magnifique dans ses dépenses, fut le premier, au rapport de Pline, qui fit apprêter des paons à Rome, dans un repas qu'il donna au college des augures.
Enfin, c'est l'oiseau favori des rois d'Angola & de Congo. Il n'appartient qu'à eux d'en entretenir ; & quiconque de leurs sujets en voleroit des plumes, seroit puni par l'esclavage.
Le paon d'Afrique ou de Guinée est nommé par les Naturalistes avis afra ou pavo africanus, & par les François demoiselle de Numidie : c'est un nom fort impropre que les dames lui donnerent sous le regne de Louis XIV. & MM. de l'acad. des Scienc. se crurent obligés de l'adopter.
Saint Augustin s'est imaginé que la chair de cet oiseau ne se corrompt qu'au bout d'un an ; mais dans le pays de sa naissance, elle doit déja se corrompre au bout d'un jour. Il y a dans les écrits de ce pere de l'Eglise plus d'une erreur en physique. (D.J.)
PAON, voeu du, (Hist. de la Chevaler.) les entreprises de guerre & de chevalerie, sur-tout celles des croisades, étoient annoncées & publiées avec un appareil capable d'inspirer à tous les guerriers l'ardeur d'y concourir, & de partager la gloire qui devoit en être le prix. L'engagement en étoit scellé par des actes de religion, & par des voeux dont rien ne pouvoit dispenser.
Le plus authentique de tous les voeux étoit celui que l'on appelloit le voeu du paon ou du faisan. Ces nobles oiseaux, car on les qualifioit ainsi, représentoient par l'éclat & la variété de leurs couleurs, la majesté de leurs rois, & les superbes habillemens dont ces monarques étoient parés pour tenir ce que l'on nommoit tinel ou cour pléniere. La chair du paon ou du faisan étoit, si l'on en croit nos vieux romanciers, la nourriture particuliere des preux & des amoureux. Enfin, selon Matthieu Paris, une figure de paon servoit de but aux chevaliers qui s'exerçoient à la course des chevaux & au maniement de la lance.
Le jour donc que l'on devoit prendre l'engagement solemnel, un paon ou bien un faisan quelquefois rôti, mais toujours paré de ses plus belles plumes, étoit apporté majestueusement par des dames ou par des demoiselles dans un grand bassin d'or ou d'argent, au milieu de la nombreuse assemblée de chevaliers convoqués. On le présentoit à chacun d'eux, & chacun faisoit son voeu sur l'oiseau : ensuite on le reportoit sur une table, pour être enfin distribué à tous les assistans. L'habileté de celui qui tranchoit consistoit à le partager, de maniere que tous pussent en avoir. Les dames ou demoiselles choisissoient un des plus braves de l'assemblée, pour aller avec elles porter le paon au chevalier qu'il estimoit le plus preux. Le chevalier choisi mettoit le plat devant celui qu'il croyoit mériter la préférence, coupoit néanmoins l'oiseau, & le distribuoit sous ses yeux ; & cette distinction si glorieuse, attachée à la plus éminente valeur, ne s'acceptoit qu'après une longue & modeste résistance. Mém. de l'acad. des Inscript. tome XX. (D.J.)
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PAONNE | c'est la femelle du paon. Voyez PAON.
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PAONNEAU | on a donné ce nom aux jeunes paons. Voyez PAON.
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PAOPHI | (Chronol. égypt.) c'est le second mois de l'année égyptienne. Il commence le 28 Septembre de la période julienne. (D.J.)
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PAOUAOUCI | (Hist. mod. superstition) c'est le nom que les habitans sauvages de la Virginie donnent à leurs enchantemens ou conjurations, au moyen desquels quelques Européens mêmes ont été assez simples pour croire que leurs devins pouvoient faire paroître des nuages, & faire tomber de la pluie.
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PAPA | (Géog. mod.) petite ville de la basse Hongrie, au comté de Vesprin. L'archiduc Matthias la prit sur Mahomet III. en 1597. Elle est sur une montagne à 10 lieues S. de Raab, 18 O. de Bude. Long. 35. 45. latit. 47. 20.
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PAPAN | S. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom donné par les habitans des îles Philippines à une grande espece de canard, fort commun sur leurs lacs & leurs marais ; il est si beau, que le P. Camelli l'appelle le canard royal ; cependant on n'en fait pas autant de cas que du canard des mêmes îles, nommé salagasir, & qui n'est pas plus gros que le poing. (D.J.)
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PAPAS | (Hist. ecclés.) nom que les Grecs schismatiques donnent à leurs prêtres, & quelquefois à leurs patriarches ou évêques.
Ce mot signifie pere. Le P. Goar met une distinction & . Il dit que le premier titre est propre au souverain pontife, & que le second convient aux prêtres & même aux clercs d'un rang inférieur. Les Grecs appellent protopapas le premier d'entre les prêtres. Il y a encore aujourd'hui dans l'église de Messine en Sicile une dignité sous le nom de protopapas, que les Grecs y introduisirent probablement lorsque cette île étoit sous la domination des empereurs d'Orient. Le prélat de l'île de Corfou prend aussi le titre de protopapas. Scaliger remarque sur ce sujet que les Ethiopiens appellent les prêtres papasath, & les évêques épiscopasath. Acosta rapporte aussi que les Indiens du Pérou nomment leur grand-prêtre papas. Ducange, Glossar. latinit.
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PAPAUTÉ | S. f. (Jurisprud.) est la dignité de souverain pontife ; on entend aussi quelquefois par le terme papauté le tems pendant lequel un pape a rempli le saint siege, comme quand on dit du pape Prosper Lambertini " que pendant sa papauté il a gouverné paisiblement toute l'Eglise ". (A)
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PAPAY | ou PAPAU, s. m. (Hist. anc. Bot. exot.) genre de plante qui a deux sortes de fleurs ; l'une est un tuyau en forme d'étoile & stérile ; l'autre est en rose, composée de plusieurs pétales. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit charnu qui a la forme d'un melon, & qui renferme des semences le plus souvent striées & recouvertes d'une coëffe. Tournefort, Inst. rei herb. app. Voyez PLANTE.
Son tronc est simple, nud ou sans branches, il n'en part que des pédicules pour les feuilles qui sont découpées, comme celles du ris simple ; sa fleur est mâle, nue, tubulée, divisée en plusieurs endroits, composée de cinq longs segmens étroits, étendus en forme d'étoiles, garnis d'une multitude d'étamines ; elle croît séparément sur une plante mâle.
Il y a une autre plante femelle, où l'extrémité du pédicule s'ouvre, & forme un petit calice dentelé, où l'on remarque la figure pentapétale, ou plutôt celle d'une gousse ou d'une enveloppe sans étamine. Au fond de cette fleur ou de cette enveloppe est placé un ovaire, garni d'un tube ouvert, divisé en cinq endroits, chaque segment forme une espece de branche feuillue qui dégénere en un fruit charnu, cannelé, semblable au melon, dont l'écorce est épaisse, & dont la pulpe couverte par-tout d'une enveloppe contient quantité de semences blanches & striées.
Il y a une grande abondance de papaya à la Chine, dans les provinces de Canton & de Focien : cet arbre y porte beaucoup de fruits attachés à son tronc, & ses fruits sont presque aussi gros que des melons ; la chair en est rousse, molle, & d'un goût agréable. L'on voit quelquefois sur le même arbre des fleurs ouvertes semblables à nos lys, des boutons, des fruits encore verts, & d'autres qui sont jaunes & mûrs. Le papaya sauvage se multiplie de la semence de son fruit lorsqu'il tombe : on en peut voir la figure dans Boym, Flora sinensis. (D.J.)
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PAPE | S. m. (Hist. ecclésiast.) nom grec, qui signifie ayeul ou pere des peres. Il a été commun à tous les prêtres, & on l'a donné aux évêques & aux patriarches. Il est enfin devenu le titre distinctif de l'évêque de Rome. Dans le viij. concile oecuménique tenu à Constantinople en 869, & qui étoit composé de 300 évêques, tous les patriarches y furent appellés papes, & le patriarche de Rome Jean VIII. donna même, par ses lettres & par ses légats, le titre de votre sainteté au patriarche Photius. Saint Augustin écrivant à sa soeur, lui dit : Je crois que vous avez les ouvrages du saint pape Ambroise. Saint Jérôme écrivant à saint Augustin, l'appelle le bienheureux pape Augustin ; & saint Augustin dans une lettre adressée à l'évêque Aurele, le qualifie de très-saint pape & de très-honoré seigneur Aurele. On appella donc ainsi tous les évêques qui pendant long-tems s'intitulerent eux-mêmes papes, peres, pontifes, serviteurs des serviteurs de Dieu, apostoliques, &c. Ce ne fut que vers la fin du xj. siecle que Gregoire VII. évêque de Rome, dans un concile tenu à Rome fit ordonner que le nom de pape demeureroit au seul évêque de Rome, ce que l'usage a autorisé en Occident ; car en Orient on donne encore ce même nom aux simples prêtres.
Constantin donna, non au seul évêque de Rome, mais à la cathédrale qui étoit l'église de S. Jean, mille marcs d'or, & trente mille marcs d'argent, avec mille sols de rente, & des terres dans la Calabre. Chaque empereur augmenta ensuite ce patrimoine. Les évêques de Rome en avoient besoin. Les missions qu'ils envoyerent bientôt dans l'Europe payenne, les évêques chassés de leurs sieges auxquels ils donnerent asyle, les pauvres qu'ils nourrirent, les mettoient dans la nécessité d'être très-riches. Le crédit de la place supérieure aux richesses fit bientôt du pasteur des chrétiens de Rome, l'homme le plus considérable de l'Occident. La piété avoit toujours accepté ce ministere ; l'ambition le brigua. On se disputa la chaire. Il y eut deux anti-papes dès le milieu du quatrieme siecle, & le consul Prétextat, idolâtre, disoit en 466 : Faites-moi évêque de Rome, & je me fais chrétien.
Cependant cet évêque n'avoit d'autre pouvoir que celui que peut donner la vertu, le crédit, ou l'intrigue dans des circonstances favorables. Jamais aucun pasteur de l'Eglise n'eut la jurisdiction contentieuse, encore moins les droits régaliens. Aucun n'eut ce qu'on appelle jus terrendi, ni droit de territoire, ni droit de prononcer do, dico, addico. Les empereurs resterent les Juges suprêmes de tout hors du dogme. Ils convoquerent les conciles. Constantin, à Nicée, reçut & jugea les accusations que les évêques porterent les uns contre les autres, le titre de souverain pontife resta même attaché à l'empire. Quand Théodoric eut établi le siege de son empire à Ravenne, deux papes se disputerent la chaire épiscopale ; il nomma le pape Simmaque ; & ce pape Simmaque étant accusé, il le fit juger par ses missi dominici.
Atalaric son fils régla les élections des papes & de tous les autres métropolitains de ses royaumes par un édit qui fut observé ; édit rédigé par Cassiodore son ministre, qui depuis se retira au mont Cassin, & embrassa la regle de S. Benoît ; édit auquel le pape Jean II. se soumit sans difficulté. Quand Bélisaire vint en Italie, & qu'il la remit sous le pouvoir impérial, on sait qu'il exila le pape Silverius, & qu'en cela il ne passa point les bornes de son autorité, s'il passa celles de la justice.
Dans la déplorable situation où se trouvoit la ville de Rome aux vij. & viij. siecles, cette ville malheureuse, qui mal défendue par les exarques & continuellement menacée par les Lombards, reconnoissoit toujours l'empereur pour son maître, le crédit des papes augmentoit au milieu de la désolation de la ville. Ils en étoient souvent les consolateurs & les peres ; mais toujours sujets, ils ne pouvoient être consacrés qu'avec la permission expresse de l'Exarque. Les formules par lesquelles cette permission étoit demandée & accordée, subsistent encore. Le clergé romain écrivoit au métropolitain de Ravenne, & demandoit la protection de sa béatitude auprès du gouverneur, ensuite le pape envoyoit à ce métropolitain sa profession de foi.
Astolphe, roi des Lombards, prétendit avoir Rome par le droit de sa conquête de l'exarcat de Ravenne, dont le duché de Rome dépendoit. Le pape Etienne II. seul défenseur des malheureux Romains, envoya demander du secours à l'empereur Constantin, surnommé Copronyme. Ce misérable empereur envoya pour tout secours un officier du palais avec une lettre pour le roi Lombard. C'est cette foiblesse des empereurs grecs, qui fut l'origine du nouvel empire d'Occident & de la grandeur pontificale.
Rome tant de fois saccagée par les Barbares, abandonnée des empereurs, pressée par les Lombards, incapable de rétablir l'ancienne république, ne pouvoit plus prétendre à la grandeur. Il lui fallut du repos. Elle l'auroit goûté, si elle avoit pu dès-lors être gouvernée par son évêque, comme le furent depuis tant de villes d'Allemagne, & l'anarchie eût au-moins produit ce bien ; mais il n'étoit pas encore reçu dans l'opinion des chrétiens qu'un évêque pût être souverain, quoiqu'on eût dans l'histoire du monde tant d'exemples de l'union du sacerdoce & de l'empire dans d'autres religions. Le pape Gregoire III. recourut le premier à la protection des Francs contre les Lombards & contre les empereurs. Zacharie son successeur animé du même esprit, reconnut Pepin, usurpateur du royaume de France, pour roi légitime.
On a prétendu que Pepin, qui n'étoit que premier ministre, fit demander d'abord au pape quel étoit le vrai roi, ou de celui qui n'en avoit que le droit & le nom, ou de celui qui en avoit l'autorité & le mérite ? & que le pape décida que le ministre devoit être roi. Il n'a jamais été prouvé qu'on ait joué cette comédie ; mais ce qui est vrai, c'est que le pape Etienne III. appella Pepin à son secours contre les Lombards ; qu'il vint en France, & qu'il donna dans S. Denis l'onction royale à Pepin, premier roi consacré en Europe. Non-seulement ce premier usurpateur reçut l'onction sacrée du pape, après l'avoir reçue de S. Boniface, qu'on appelloit l'apôtre d'Allemagne ; mais Etienne III. défendit sous peine d'excommunication aux François de se donner des rois d'une autre race. Tandis que cet évêque, chassé de sa patrie & suppliant dans une terre étrangere, avoit le courage de donner des lois, sa politique prenoit une autorité qui assûroit celle de Pepin ; & ce prince, pour mieux jouir de ce qui ne lui étoit pas du, laissoit au pape des droits qui ne lui appartenoient pas. Hugues Capet en France, & Conrad en Allemagne firent voir depuis qu'une telle excommunication n'est pas une loi fondamentale.
Cependant l'opinion qui gouverne le monde imprima d'abord dans les esprits un si grand respect pour la cérémonie faite par le pape à S. Denis, qu'Eginhart, secrétaire de Charlemagne, dit en termes exprès, que le roi Hilderic fut déposé par ordre du pape Etienne. On croiroit que c'est une contradiction que ce pape fût venu en France se prosterner aux piés de Pepin & disposer ensuite de la couronne : mais, non ; ces prosternemens n'étoient regardés alors que comme le sont aujourd'hui nos révérences. C'étoit l'ancien usage de l'Orient. On saluoit les évêques à genoux ; les évêques saluoient de même les gouverneurs de leurs diocèses. Charles, fils de Pepin, avoit embrassé les piés du pape Etienne à S. Maurice en Vallais. Etienne embrassa ceux de Pepin. Tout cela étoit sans conséquence ; mais peu-à-peu les papes attribuerent à eux seuls cette marque de respect.
On prétend que le pape Adrien I. fut celui qui exigea qu'on ne parût jamais devant lui sans lui baiser les piés. Les empereurs & les rois se soumirent depuis, comme les autres, à cette cérémonie, qui rendoit la religion romaine plus vénérable aux peuples. On nous dit que Pepin passa les monts en 754 ; que le Lombard Astolphe, intimidé par la seule présence du Franc, céda aussi-tôt au pape tout l'exarcat de Ravenne ; que Pepin repassa les monts, & qu'à peine s'en fut-il retourné, qu'Astolphe, au lieu de donner Ravenne au pape, mit le siege devant Rome. Toutes les démarches de ces tems-là étoient si irrégulieres, qu'il se pourroit faire à toute force que Pepin eût donné aux papes l'exarcat de Ravenne qui ne lui appartenoit point, & qu'il eût même fait cette donation singuliere, sans prendre aucune mesure pour la faire exécuter. Cependant il est bien peu vraisemblable qu'un homme tel que Pepin qui avoit détrôné son roi, n'ait passé en Italie avec une armée que pour y aller faire des présens. Rien n'est plus douteux que cette donation citée dans tant de livres. Le bibliothecaire Anastase, qui écrivit 140 ans après l'expédition de Pepin, est le premier qui parle de cette donation ; mille auteurs l'ont citée, mais les meilleurs publicistes d'Allemagne la refutent aujourd'hui.
Il regnoit alors dans les esprits un mêlange bizarre de politique & de simplicité, de grossiereté & d'artifice, qui caractérise bien la décadence générale. Etienne feignit une lettre de S. Pierre, adressée du ciel à Pepin & à ses enfans ; elle mérite d'être rapportée : la voici : " Pierre, appellé apôtre par Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, &c. comme par moi toute l'Eglise catholique-apostolique romaine, mere de toutes les autres églises, est fondée sur la pierre, & afin qu'Etienne, évêque de cette douce Eglise romaine, & que la grace & la vertu soit pleinement accordée du Seigneur notre Dieu, pour arracher l'Eglise de Dieu des mains des persécuteurs. A vous, excellens Pepin, Charles & Carloman trois rois, & à tous saints évêques & abbés, prêtres & moines, & même aux ducs, aux comtes & aux peuples, moi, Pierre apôtre, &c.... je vous conjure, & la Vierge Marie qui vous aura obligation, vous avertit & vous commande aussi-bien que les trônes, les dominations.... Si vous ne combattez pour moi, je vous déclare par la sainte Trinité, & par mon apostolat, que vous n'aurez jamais de part au paradis ".
La lettre eut son effet. Pepin passa les Alpes pour la seconde fois. Il assiégea Pavie, & fit encore la paix avec Astolphe. Mais est-il probable qu'il ait passé deux fois les monts uniquement pour donner des villes au pape Etienne ? Pourquoi S. Pierre, dans sa lettre, ne parle-t-il pas d'un fait si important ? Pourquoi ne se plaint-il pas à Pepin de n'être pas en possession de l'exarcat ? Pourquoi ne le redemande-t-il pas expressément ? Le titre primordial de cette donation n'a jamais paru. On est donc réduit à douter. C'est le parti qu'il faut prendre souvent en histoire, comme en philosophie. Le saint siege d'ailleurs n'a pas besoin de ces titres équivoques ; il a des droits aussi incontestables sur ses états que les autres souverains d'Europe en ont sur les leurs.
Il est certain que les pontifes de Rome avoient dès-lors de grands patrimoines dans plus d'un pays, que ces patrimoines étoient respectés, qu'ils étoient exemts de tribut. Ils en avoient dans les Alpes, en Toscane, à Spolete, dans les Gaules, en Sicile, & jusque dans la Corse, avant que les Arabes se fussent rendus maîtres de cette île au viij. siecle. Il est à croire que Pepin fit augmenter beaucoup ce patrimoine dans le pays de la Romagne, & qu'on l'appella le patrimoine de l'exarcat. C'est probablement ce mot de patrimoine qui fut la source de la méprise. Les auteurs postérieurs supposerent dans des tems de ténébres que les papes avoient regné dans tous les pays où ils avoient seulement possédé des villes & des territoires.
Si quelque pape, sur la fin du viij. siecle, prétendit être au rang des princes, il paroît que c'est Adrien I. La monnoie qui fut frappée en son nom, si cette monnoie fut en effet fabriquée de son tems, fait voir qu'il eut les droits régaliens ; & l'usage qu'il introduisit de se faire baiser les piés, fortifie encore cette conjecture. Cependant il reconnut toujours l'empereur grec pour son souverain. On pouvoit très-bien rendre à ce souverain éloigné un vain hommage, & s'attribuer une indépendance réelle, appuyée de l'autorité du saint ministere.
On a écrit, on écrit encore que Charlemagne, avant même d'être empereur, avoit confirmé la donation de l'exarcat de Ravenne, qu'il y avoit ajouté la Corse, la Sardaigne, la Ligurie, Parme, Mantoue, les duchés de Spolete, de Bénévent, la Sicile, Venise, & qu'il déposa l'acte de cette donation sur le tombeau dans lequel on prétend que reposent les cendres de saint Pierre & de saint Paul. On pourroit mettre cette donation à côté de celle de Constantin, dont il sera parlé ci-après. On ne voit point que jamais les papes ayent possédé aucun de ces pays jusqu'au tems d'Innocent III. s'ils avoient eu l'exarcat, ils auroient été souverains de Ravenne & de Rome ; mais dans le testament de Charlemagne qu'Eginhart nous a conservé, ce monarque nomme à la tête des villes métropolitaines qui lui appartiennent, Rome & Ravenne auxquelles il fait des présens. Il ne put donner ni la Sicile, ni la Corse, ni la Sardaigne qu'il ne possédoit pas, ni le duché de Bénévent dont il avoit à peine la suzeraineté, encore moins Venise qui ne le connoissoit pas pour empereur. Le duc de Venise reconnoissoit alors pour la forme l'empereur d'Orient, & en recevoit le titre d'hippatos. Les lettres du pape Adrien parlent du patrimoine de Spolete & de Bénévent ; mais ces patrimoines ne se peuvent entendre que des domaines que les papes possédoient dans ces deux duchés. Grégoire VII. lui-même avoue dans ses lettres que Charlemagne donnoit 1200 livres de pension au saint siege. Il n'est guere vraisemblable qu'il eût donné un tel secours à celui qui auroit possédé tant de belles provinces. Le saint siege n'eut Bénévent que long-tems après la donation de l'empereur Henri le Noir vers l'an 1047. Cette concession se réduisit à la ville, & ne s'étendit point jusqu'au duché. Il ne fut point question de confirmer le don de Charlemagne.
Ce qu'on peut recueillir de plus probable au milieu de tant de doutes, c'est que du tems de Charlemagne les papes obtinrent en propriété la marche d'Ancone, outre les villes, les châteaux & les bourgs qu'ils avoient dans les autres pays. Voici sur quoi l'on pourroit se fonder. Lorsque l'empire d'Occident se renouvella dans la famille des Othons au x. siecle, Othon III. assigna particulierement au saint siege la Marche d'Ancone, en confirmant toutes les concessions faites à cette Eglise. Il paroît donc que Charlemagne avoit donné cette Marche, & que les troubles survenus depuis en Italie avoient empêché les papes d'en jouir. Ils perdirent ensuite le domaine utile de ce petit pays sous l'empire de la maison de Souabe.
Dans le xj. siecle, le pape Gregoire VII. prévalut tellement sur l'esprit de Mathilde, comtesse de Toscane, qu'elle fit une donation authentique de ses états au saint siege, s'en réservant seulement l'usufruit sa vie durant. On ne sait s'il y eut un acte, un contrat de cette concession. La coûtume étoit de mettre sur l'autel une motte de terre, quand on donnoit ses biens à l'Eglise. Des témoins tenoient lieu de contrat. On prétend que Mathilde donna deux fois tous ses biens au saint siege. La vérité de cette donation confirmée depuis par son testament, ne fut point révoquée en doute par l'empereur Henri IV. c'est le titre le plus authentique que les papes ayent réclamé : mais ce titre même fut un nouveau sujet de querelles.
La comtesse Mathilde possédoit la Toscane, Mantoue, Parme, Reggio, Plaisance, Ferrare, Modene, une partie de l'Ombrie & du duché de Spolete, Vérone, presque tout ce qui est appellé aujourd'hui le patrimoine de S. Pierre, depuis Viterbe jusqu'à Orviette, avec une partie de la Marche d'Ancone. Henri III. avoit donné cette Marche d'Ancone aux papes, mais cette concession n'avoit pas empêché la mere de la comtesse Mathilde de se mettre en possession des villes qu'elle avoit cru lui appartenir. Il semble que Mathilde voulut réparer, après sa mort, le tort qu'elle faisoit au saint siege pendant sa vie. Mais elle ne pouvoit donner les fiefs qui étoient inaliénables, & les empereurs prétendirent que tout son patrimoine étoit fief de l'empire. C'étoit donner des terres à conquérir, & laisser des guerres après elle. Henri IV. comme héritier & comme seigneur suzerain ne vit dans une telle donation que la violation des droits de l'empire. Cependant, à la longue, il a fallu céder au saint siege une partie de ces états.
Les papes ont éprouvé le sort de plusieurs autres souverains. Ils ont été tantôt grands terriens, & tantôt dépouillés presque de tout. Qu'il nous suffise de savoir qu'ils possedent aujourd'hui la souveraineté reconnue d'un pays de 180 milles d'Italie en longueur, depuis les portes de Mantoue aux confins de l'Abruze le long de la mer Adriatique, & qu'ils en ont plus de 100 milles en largeur, depuis Civita-Vecchia jusqu'au rivage d'Ancone d'une mer à l'autre. Il a fallu négocier toujours, & souvent combattre pour s'assûrer cette domination.
Les papes prétendoient aussi qu'ils avoient eu la souveraineté du comté Venaissin depuis le tems du comte Raymond de S. Gilles, quoique les empereurs, comme rois d'Arles, eussent joui de ce droit, & eussent exercé dans ce comté des actes de souverain. L'empereur Fréderic II. donna l'an 1234 à Raymond le jeune les droits qui appartenoient à l'empire dans les villes & autres lieux de ce comté ; & le pape se vit obligé de le remettre à Raymond le jeune, qui le laissa à sa fille Jeanne & à son gendre Alphonse ; Philippe le Hardi, roi de France, qui fut leur héritier, remit l'an 1273 au pape Gregoire X. le comté Venaissin comme étant un propre de l'Eglise romaine. Depuis ce tems, les papes jouissent de ce comté, ainsi que de celui d'Avignon que Clément VI. acheta 75 ans après, c'est-à-dire l'an 1348 de Jeanne, reine de Sicile, comtesse de Provence, du consentement de Louis de Tarente son mari, pour la somme de 80 mille florins.
Il est à propos de ne pas finir cet article, sans dire un mot de cette célebre donation qu'on dit avoir été faite par Constantin au pape Sylvestre, de la ville de Rome & de plusieurs provinces d'Italie. Hincmar, archevêque de Rheims, qui florissoit vers l'an 850, est le premier qui en ait fait mention. Le pape Léon IX. rapporte cette donation dans une lettre qu'il écrivit en 1053 à Michel, patriarche de Constantinople. Pierre Damien la cite. Anselme évêque de Luques, Yves évêque de Chartres, & Gratien l'ont insérée dans leurs collections.
Il est néanmoins certain que c'est une piece supposée. 1°. Aucun des anciens n'en a fait mention. 2°. Les papes qui ont parlé des bienfaits que les empereurs avoient faits au saint siege de Rome, ou qui ont défendu leur patrimoine temporel, ne l'ont jamais alléguée. 3°. La date de cet acte est fausse, car il est daté de l'an 315 ; & dans l'acte il est parlé du baptême de l'empereur, qui n'étoit pas encore baptisé, même suivant l'avis de ceux qui croient qu'il a été baptisé à Rome. 4°. Le style en est barbare & bien différent de celui des édits véritables de Constantin, & il y a des termes qui n'étoient point en usage de son tems. 5°. Il y a une infinité de faussetés & d'absurdités dans cet édit. Il y est permis au pape de se servir d'une couronne d'or, semblable à celle des rois & des empereurs : or en ce tems-là les empereurs ne se servoient point de couronne, mais de diadême. L'histoire fabuleuse du baptême de Constantin par saint Sylvestre, & sa guérison miraculeuse de la lepre, y sont rapportées comme une chose certaine. Enfin tant de raisons concourent à décrier cette piece, que l'on ne finiroit point si l'on vouloit les exposer toutes.
Il sera plus agréable de rappeller au lecteur la réponse adroite que Jerôme Donato, ambassadeur de Venise à Rome, fit au pape Jules II. Ce pape lui ayant demandé à voir le titre du droit que la république de Venise avoit sur le golfe Adriatique, il lui répondit que s'il plaisoit à sa sainteté de faire apporter l'original de la donation que Constantin avoit faite au pape Sylvestre de la ville de Rome & des autres terres de l'état ecclésiastique, il y verroit au dos la concession faite aux Vénitiens de la mer Adriatique.
Dans les premiers siecles de l'Eglise, les peuples & le clergé conjointement, & quelquefois le clergé seul du consentement du peuple firent librement l'élection du pape à la pluralité des voix. Les empereurs depuis s'attribuerent le droit de confirmer ces élections. Ce droit fut aboli au quatrieme concile de Rome du consentement de Théodoric qui fut, sur la fin de ses jours, usurper lui-même le pouvoir de créer les papes. Les rois goths qui lui succéderent se contenterent de confirmer les élections. Justinien ensuite contraignit l'élu de payer une somme d'argent, pour obtenir la confirmation de son élection ; Constantin Pogonat délivra l'Eglise de cette servitude. Néanmoins les empereurs se conserverent toujours quelque autorité dans l'élection des papes, qu'on ne consacroit pas sans leur approbation ; Louis le Débonnaire & ses successeurs rétablirent les anciennes coûtumes pour la liberté des élections.
Pendant les desordres du x. siecle sous la tyrannie des marquis d'Etrurie & des comtes de Toscanelle, ces hommes puissans créoient & déposoient les papes comme il leur plaisoit. L'empereur Othon, ses fils & petit-fils soumirent de nouveau à leur autorité l'élection des papes, qui dépendoient absolument d'eux. Henri, duc de Baviere, leur successeur à l'empire, laissa la liberté de cette élection au clergé & au peuple romain, à l'exemple des empereurs françois. Conrard le Salique ne changea rien ; mais Henri III. son fils & Henri IV. son petit-fils, se remirent en possession du pouvoir de choisir eux-mêmes, ou de faire élire celui qu'ils voudroient pour papes : ce qui alluma d'horribles troubles dans l'Eglise, fit naître le schisme, & causa la guerre entre les papes & les empereurs au sujet des investitures.
Enfin l'Eglise ayant encore été troublée pendant l'espace d'un siecle par les anti- papes, la liberté des élections fut rétablie sous Innocent II. car, après que le schisme de Pierre de Léon, dit Anaclet, & de Victor IV. eut été éteint, tous les cardinaux réunis sous l'obéissance d'Innocent, & fortifiés des principaux membres du clergé de Rome, acquirent tant d'autorité, qu'après sa mort ils firent seuls l'élection du pape Célestin II. en 1143. Depuis ce tems-là ils se sont toujours maintenus dans la possession de ce droit ; le sénat, le peuple, & le reste du clergé ayant enfin cessé d'y prendre part. Honorius III. en 1216, ou, selon d'autres, Gregoire X. en 1274, ordonna que l'élection se fît dans un conclave, c'est-à-dire un lieu fermé.
Le pape peut être considéré sous quatre sortes de titres : 1°. comme chef de l'Eglise romaine ; 2°. comme patriarche ; 3°. comme évêque de Rome ; 4°. comme prince temporel.
PAPE, ELECTION DU, l'élection des papes a toujours été retenue dans l'Eglise ; mais elle a reçu divers changemens dans sa forme.
Anciennement elle se faisoit par le clergé, les empereurs, & par tout le peuple : au même tems que le pape étoit élu on le consacroit.
Telle fut la forme que l'on pratiqua jusqu'au viij. siecle, vers la fin duquel, si l'on en croit le canon Adrianus (mais qui est tenu pour apocryphe), le pape Adrien I. avec 150 évêques, & le peuple romain, accorda à Charlemagne la faculté de nommer & d'élire seul le souverain pontife.
Charlemagne ordonna que l'élection seroit faite par le clergé & le peuple, que le decret seroit envoyé à l'empereur, & que le nouveau pape élu seroit sacré si l'empereur l'approuvoit.
L'empereur Louis le débonnaire remit l'élection aux Romains, à condition seulement que quand le pape seroit élu & consacré, il enverroit ses légats en France.
Leon VII. remit ce même droit d'élire les papes à l'empereur Othon, & Nicolas II. dans un concile tenu à Rome l'an 1059, confirma le droit que les empereurs avoient d'élire les papes. Mais les empereurs ne jouirent pas long-tems de ce droit, sous prétexte de quelques inconvéniens que l'on prétendoit qui se rencontroient dans ces sortes d'élections. L'empereur Lothaire pour éviter les séditions qui arrivoient fréquemment dans ces occasions, fit une célebre ordonnance, portant que le pape ne seroit plus élu par le peuple ; mais cette ordonnance ne fut point observée.
Les empereurs perdirent donc seuls le droit d'élire le pape. Les papes réserverent au clergé, au sénat, & au peuple de Rome le droit de faire conjointement cette élection, & ils réglerent qu'après l'élection, le pape seroit consacré en présence des ambassadeurs de l'Empire : ce changement arriva sous le pontificat d'Etienne X.
Vers l'an 1126, le clergé de Rome fut déclaré avoir seul droit d'élire les papes, sans le consentement ni la confirmation de l'empereur.
Innocent II. s'étant brouillé avec les Romains qui le chasserent de la ville, les priva à son tour du droit d'élire les papes. Le clergé & le peuple de Rome furent donc exclus de cette élection ; mais ce changement ne fut entierement affermi que sous Alexandre III.
Ce pape en 1160, donna aux cardinaux seuls le droit de faire cette élection, & voulut qu'elle ne fût reputée valable qu'en cas que les deux parts des cardinaux fussent concordantes.
Le concile général de Lyon, tenu sous Grégoire X. & celui de Vienne, tenu sous Clément V. confirment cette forme d'élection, & c'est la même qui se pratique encore présentement.
Elle se fait donc par les cardinaux assemblés à cet effet dans le conclave. Voyez CONCLAVE.
Aussi-tôt après l'élection du pape, il est exalté, c'est-à-dire porté sur les épaules. Etienne III. fut le premier pour qui cela fut pratiqué en 752, & depuis cette coutume a été suivie.
Le second concile de Lyon veut que les cardinaux laissent passer 10 jours après la mort du pape, avant que de procéder à l'élection : après ces 10 jours, les cardinaux présens doivent entrer au conclave, sans attendre les absens. Voyez CONCLAVE.
Ce même concile déclare qu'ils ne sont tenus d'observer aucune des conventions particulieres qu'ils auroient pu faire, même avec serment, pour l'élection d'un pape, attendu qu'ils ne doivent avoir d'autre objet que de donner à l'Eglise celui qui est le plus digne d'en être le chef.
L'élection se fait ordinairement par la voie du scrutin, en mettant des billets dans un calice qui est sur l'autel de la chapelle du conclave.
Pour qu'un pape soit légitimement élu, il faut qu'il ait au moins les deux tiers des voix, autrement on doit recommencer à prendre les suffrages : cela fut ainsi ordonné dès 1179.
Quand les voix sont trop long-tems partagées, il arrive quelquefois que plusieurs cardinaux conviennent d'un sujet, & sortent de leur cellule en publiant son nom. Si tous les autres nomment le même sujet, l'élection est canonique ; mais si quelqu'un des cardinaux garde le silence, on procéde de nouveau par la voie du scrutin.
Quelquefois on a nommé des compromissaires, auxquels on donne pouvoir d'élire un pape.
En 1314 les cardinaux assemblés à Lyon, après la mort de Clément V. étant embarrassés sur le choix d'un pape, déférerent l'élection à la voix de Jacques d'Ossat cardinal, qui se nomma lui-même, en disant, ego sum papa. Il fut appellé Jean XXII.
Depuis Sergius II. qui changea son nom en devenant pape, les successeurs ont coutume de faire la même chose.
La promotion d'un évêque à la papauté fait ouverture à la régale.
Confirmation. Dans tous les tems, les papes ont eu le pouvoir de gouverner l'Eglise aussi-tôt après leur élection ; en conséquence ils ont de ce moment, le droit de conférer tous les bénéfices qui sont à leur collation : ils sont même obligés de le faire dans les collations forcées, lorsqu'ils en sont requis.
Le pouvoir que le pape a dès le moment de son élection, est établi par deux textes précis.
L'un est dans une constitution d'un concile tenu à Rome en 1059, où il est dit que le siege apostolique ayant la prééminence sur toutes les Eglises de la terre, ne peut avoir de métropolitain au-dessus de lui, & que les cardinaux en font la fonction ; qu'ainsi le pape ne peut être confirmé par d'autres : les cardinaux le confirment en l'élisant. La cérémonie de l'élection, & celle de la confirmation, qui sont distinctes & séparées dans les autres évêques, ne sont qu'une seule & même chose à l'égard du pape.
Le second texte qui établit que le pape n'a pas besoin d'autre pouvoir que son élection même, & qu'elle emporte aussi la confirmation, est aux décrétales, cap. licet de elect. & electi potestate.
On trouve cependant qu'après Constantin, les empereurs s'attribuerent insensiblement le droit de confirmer l'élection des papes, & que cela eut lieu pendant plusieurs siecles ; tellement que les papes n'étoient point consacrés avant cette confirmation : pour l'obtenir, ils envoyoient des légats à Constantinople aussi-tôt après leur élection.
L'empereur Justinien fit faire un décret par Virgilius, par lequel il étoit défendu de consacrer le pape élu, que premierement il n'eût obtenu des lettres patentes de confirmation de Justinien, ou de ses successeurs empereurs. Cette coutume fut constamment observée pendant plus de 120 ans, & jusqu'à Benoît II. Durant ce tems il y eut toujours une distance entre l'élection & la consécration des papes, parce qu'il falloit attendre les lettres de confirmation qui étoient octroyées ou par les empereurs, ou par leurs exarques & lieutenans généraux en Italie, avant lesquelles il n'étoit pas permis au pape élu de se faire consacrer, ni de prendre possession de cette dignité ; tellement même que pour cette permission, il falloit que le pape élu donnât à l'empereur 20 liv. d'or.
L'Empire ayant passé aux allemands, quelques empereurs de cette nation jouirent encore de ce droit. Charlemagne ordonna que le pape élu seroit sacré si l'empereur l'approuvoit.
Sous ses descendans plusieurs papes n'attendirent pas cette confirmation, notamment Paschal avec Louis le Débonnaire, auquel Paschal s'en excusa ensuite.
Quelques-uns prétendent que Louis le Débonnaire renonça à ce droit, suivant le canon, ego Ludovicus ; mais ce canon est apocryphe. En effet, Lothaire & Louis II. fils de Louis le Débonnaire, jouirent encore de ce droit, non pourtant sans quelque contradiction ; car le pape Eugène, en 824, refusa de prendre de l'empereur la confirmation de son élection : Lothaire s'en plaignit hautement. Grégoire IV. qui tint le saint-siege peu de tems après, demanda à l'empereur la confirmation de son exaltation.
Mais les empereurs suivans ayant voulu abuser de ce droit, & se rendre maîtres des élections, ils en furent bientôt privés. Adrien III. en 884, ordonna que les papes seroient désormais sacrés sans l'approbation des empereurs. Nicolas II. aida beaucoup à affranchir les papes de la nécessité de cette confirmation. Enfin dans le xij. siecle le clergé de Rome fut déclaré avoir seul le droit d'élire les papes, sans le consentement ni la confirmation de l'empereur.
Couronnement. Le couronnement des papes est une cérémonie qui n'est pas fort ancienne, & qui est plutôt relative à la qualité de prince temporel, qu'à celle de vicaire de J. C. & de successeur de saint Pierre.
Quelques auteurs ont prétendu qu'outre l'élection, il y avoit une cérémonie dont le couronnement est l'image, & que sans cette formalité ceux qui étoient élus ne se disoient point papes, & n'étoient point reconnus pour tels dans l'Eglise.
Quoi qu'il en soit, il est certain qu'Urbain II. se fit couronner à Tours. Ils ne portoient d'abord qu'une seule couronne ; Benoît XII. fut le premier qui porta la triple couronne.
Les Jurisconsultes d'Italie ont introduit l'usage de dater les actes après le couronnement, à l'exemple des empereurs ; cependant on ne laisse pas d'expédier & de dater des provisions avant le couronnement, avec cette différence seulement qu'au lieu de dater ab anno pontificatûs, on met, à die suscepti nobis apostolatûs officii.
Crosse. Anciennement le pape portoit une crosse, comme les autres évêques ; mais sous l'empereur Othon, Benoît renonçant au pontificat auquel il avoit été appellé sans le consentement de l'empereur, remit sa crosse entre les mains de Leon VIII. pape légitime, qui la rompit en présence de l'empereur, des prélats & du peuple.
On remarque aussi qu'Innocent III. trouvoit audessous de sa dignité de porter une crosse qui le confondoit avec les évêques. Cependant on ne peut douter, suivant ce qui vient d'être dit dans l'article précédent, que les papes ne l'eussent toujours portée.
Le pape pour marque de sa jurisdiction supérieure, fait porter devant lui la croix à triple croisillon.
Jurisdiction. Le pape en qualité de chef de l'Eglise a certaines prérogatives, comme de présider aux conciles écuméniques : tous les évêques doivent être en communion avec lui.
Il est nécessaire qu'il intervienne aux décisions qui regardent la foi, attendu l'intendance générale qu'il a sur toute l'Eglise ; c'est à lui de veiller à sa conservation & à son accroissement.
C'est à lui qu'est dévolu le droit de pourvoir à ce que l'évêque, le métropolitain & le primat, refusent ou négligent de faire.
Les papes ont prétendu sur le fondement des fausses décrétales, qu'eux seuls avoient droit de juger même en premiere instance, les causes majeures, entre lesquelles ils ont mis les affaires criminelles des évêques. Mais les parlemens & les évêques de France ont toujours tenu pour regle, que les causes des evêques doivent être jugées en premiere instance par le concile de la province, qu'après ce premier jugement il est permis d'appeller au pape, conformément au concile de Sardique ; & que le pape doit commettre le jugement à un nouveau concile, jusqu'à ce qu'il y ait trois sentences conformes : la regle présente de l'Eglise étant que les jugemens ecclésiastiques qui n'ont pas été rendus par l'Eglise universelle, ne sont regardés comme souverains que quand il y a trois sentences conformes.
Dans les derniers siecles les papes ont aussi voulu mettre au nombre des causes majeures, celles qui regardent la foi, & prétendoient en avoir seuls la connoissance ; mais les évêques de France se sont maintenus dans le droit du juger ces sortes de causes, soit par eux-mêmes, soit dans le concile de la province, à la charge de l'appel au saint siege.
Lorsque le pape fait des decrets sur des affaires qui concernent la foi, nées dans un autre pays, ou même sur des affaires de France, qui ont été portées directement à Rome, contre la discipline de l'église de France, au cas que les évêques de France trouvent ces decrets conformes à la doctrine de l'église gallicane, ils les acceptent par forme de jugement : c'est ainsi qu'en userent les peres du concile de Calcédoine pour la lettre de S. Leon.
Le pape ne peut exercer une jurisdiction immédiate dans les dioceses des autres évêques, il ne peut établir des délégués qui fassent, sans le consentement des évêques, leurs fonctions.
Il est vrai que le concile de Trente approuve que le pape évoque à soi les causes qu'il lui plaira de juger, ou qu'il commette des juges qui en connoissent en premiere instance ; mais cette discipline qui dépouille les évêques de l'exercice de leur jurisdiction, & les métropolitains de leur prérogative de juge d'appel, n'est point reçue en France : les papes n'y sont point juges en premiere instance des causes concernant la foi & la discipline. Il faut observer les degrés de jurisdiction : on appelle de l'évêque au métropolitain, de celui-ci au primat, & du primat au pape.
Il y a seulement certains cas dont la connoissance lui est attribuée directement par un ancien usage : tels que le droit d'accorder certaines dispenses, la collation des bénéfices par prévention, &c. Hors ces cas, & quelques autres semblables qui sont remarqués en leur lieu, si le pape entreprenoit quelque chose sur la jurisdiction volontaire ou contentieuse des évêques, ce qu'il feroit seroit déclaré abusif.
Les papes ont des officiers ecclésiastiques qu'on appelle légats du saint siege, qu'ils envoyent dans les différens pays catholiques, lorsque le cas le réquiert, pour les représenter, & exercer leur jurisdiction dans les lieux où ils ne peuvent se trouver. Ces légats sont de trois sortes ; savoir, des légats à latere, qui sont des cardinaux : le pouvoir de ceux-ci est le plus étendu, ils ont d'autres légats qui ne sont pas à latere ni cardinaux, & qu'on appelle legati missi ; & enfin il y a des légats nés.
Dès que le légat prend connoissance d'une affaire, le pape ne peut plus en connoître. Voyez LEGAT.
Outre les légats, les papes ont des nonces & des internonces, qui dans quelques pays exercent aussi une certaine jurisdiction ; mais en France ils ne sont considerés que comme les ambassadeurs des autres princes souverains. Voyez NONCE & INTERNONCE.
Ce que l'on appelle consistoire est le conseil du pape : il est composé de tous les cardinaux, le pape y préside en personne. C'est dans ce conseil qu'il nomme les cardinaux, & qu'il confere les évêchés & autres bénéfices qu'on appelle consistoriaux. Nous reconnoissons en France l'autorité du consistoire, mais seulement pour ce qui regarde la collation des bénéfices consistoriaux. Voyez CONSISTOIRE.
Les lettres patentes des papes qu'on appelle bulles, sont expédiées dans leur chancellerie qui est composée de divers officiers.
Le pape a encore d'autres officiers pour la daterie, & pour les lettres qui s'accordent à la pénitencerie.
Les brefs des papes sont des lettres moins solemnelles que les bulles, par lesquelles ils accordent les graces ordinaires & peu importantes ; telles que les dispenses des interstices pour les ordres sacrés, &c. Voyez BREF.
Pouvoir du pape. Le pape a incontestablement le droit de décider sur les questions de foi : les decrets qu'il fait sur ce sujet regardent toutes les églises ; mais comme ce n'est point au pape, mais au corps des pasteurs que J. C. a promis l'infaillibilité, ils ne font regles de foi que quand ils sont confirmés par le consentement de l'Eglise. Telle est la teneur de la iv. proposition du clergé, en 1682.
En qualité de chef de l'Eglise le pape préside aux conciles écuméniques, & il est seul en possession de les convoquer, depuis la division de l'empire romain entre différens souverains.
Le pape est soumis aux décisions du concile écuménique, non seulement pour ce qui regarde la foi, mais encore pour tout ce qui regarde le schisme & la réformation générale de l'Eglise. C'est encore un des quatre articles de 1682 : ce qui est conforme aux conciles de Constance & de Basle.
Le pouvoir des papes n'a pas toujours été aussi étendu qu'il l'est présentement.
Les papes doivent à la piété de nos rois de la seconde race les grands domaines qu'ils tiennent en toute souveraineté, ce qui doit les engager à donner de leur part à nos rois, des marques de reconnoissance, & à avoir des considérations particulieres pour l'église gallicane.
Les papes n'avoient au commencement aucun droit sur la disposition des bénéfices, autres que ceux de leur diocèse. Ce ne fut que depuis le xij. siecle qu'ils commencerent à se réserver la collation de certains bénéfices. D'abord, ils prioient les ordinaires par leurs lettres monitoires de ne pas conférer ces bénéfices ; plus souvent ils recommandoient de les conférer à certaines personnes. Ils envoyerent ensuite des lettres préceptoriales pour obliger les ordinaires, sous quelque peine, à obéir ; & comme cela ne suffisoit pas encore pour annuler la collation des ordinaires, ils renvoyoient des lettres exécutoires pour punir la contumace de l'ordinaire, & annuller sa collation. Les lettres compulsoires étoient à même fin.
L'usage a enfin prévalu, & en vertu de cet usage qui est aujourd'hui fort ancien, le pape jouit de plusieurs prérogatives pour la disposition des bénéfices : c'est ainsi qu'il confere les bénéfices vacans en cour de Rome ; qu'il admet les résignations en faveur ; qu'il prévient les collateurs ordinaires ; qu'il confere pendant 8 mois dans les pays d'obédience, suivant la regle des mois établie dans la chancellerie romaine ; qu'il admet seul les réserves des pensions sur les bénéfices.
Les fausses décrétales, composées par Isidore de Séville, contribuerent aussi beaucoup à augmenter le pouvoir du pape sur le spirituel.
Suivant le concordat, le pape confere sur la nomination du roi, les archevêchés & évêchés de France, les abbayes & autres bénéfices qui étoient auparavant électifs par les chapitres séculiers ou réguliers : le pape doit accorder des bulles à celui qui est nommé par le roi, quand le présenté a les qualités réquises pour posséder le bénéfice.
Le roi doit nommer au pape un sujet dans les 6 mois de la vacance ; & si celui qu'il a nommé n'a pas les qualités réquises, il doit dans les 3 mois du refus des bulles en nommer un autre ; si dans ces 3 mois le roi ne nomme pas une personne capable, le pape peut y pourvoir de plein droit, sans attendre la nomination royale. Mais comme en ce cas il tient la place du chapitre dont l'élu étoit obligé d'obtenir l'agrément du roi, il faut qu'il fasse part au roi de la personne qu'il veut nommer, & qu'il obtienne son agrément.
Le concordat attribue aussi au pape le droit de pouvoir conférer, sans attendre la nomination du roi, les bénéfices consistoriaux qui vaquent par le décès des titulaires en cour de Rome ; plusieurs personnes ont prétendu que cette réserve qui n'avoit point lieu autrefois pour les bénéfices électifs, avoit été inserée par inadvertance dans le concordat, & qu'elle ne faisoit point une loi. Néanmoins Louis XIII. s'y est soumis, & il est à présumer que ses successeurs s'y soumettront : bien entendu que les papes en usent comme Urbain VIII. lequel ne conféra l'archevêché de Lyon qui étoit vacant en cour de Rome, qu'après avoir sçu de Louis XIII. que M. Miron qu'il en vouloit pourvoir, lui étoit agréable.
Pour prévenir les difficultés auxquelles les vacances en cour de Rome pourroient donner lieu, le pape accorde des indults, quand ceux qui ont des bénéfices consistoriaux vont résider à Rome. Il déclare par ces indults qu'il n'usera pas du droit de la vacance in curiâ, au cas que les bénéficiers décédent à Rome.
Lorsque le pape refuse sans cause légitime des bulles à celui qui est nommé par le roi, le nominataire peut se pourvoir devant les juges séculiers, qui commettent l'évêque diocésain pour donner des provisions, lesquelles ont en ce cas la même force que des bulles. Ou bien celui qui est nommé obtient un arrêt, en vertu duquel il jouit du revenu, & confere les bénéfices dépendans de la prélature. Cette derniere voie est la seule qui soit usitée depuis plusieurs années : on ne voit pas que l'on ait employé la premiere pour les évêchés depuis le concordat ; cependant si le pape refusoit sans raison d'exécuter la loi qu'il s'est lui-même imposée, rien n'empêcheroit d'avoir recours à l'ancien droit de faire sacrer les évêques par le métropolitain sans le consentement du pape.
Dans les premiers siecles de l'Eglise, toutes les causes ecclésiastiques étoient jugées en dernier ressort par les évêques de la province dans laquelle elles étoient nées. Dans la suite, les papes prétendirent qu'en qualité de chefs de l'Eglise, ils devoient connoître de toutes les affaires, en cas d'appel au saint siege. Après bien des contestations, tous les évêques d'occident ont condescendu au desir des papes, lesquels jugent présentement les appellations interjettées des sentences rendues par les primats, ou par les métropolitains qui relévent immédiatement du saint siege. A l'égard de la France, le pape doit nommer des délégués pour juger sur les lieux des appellations qui sont portées à Rome ; & il ne peut en connoître, même par ses délégués, que quand on a épuisé tous les degrés inférieurs de la jurisdiction ecclésiastique.
Les canonistes ultramontains attribuent aux papes plusieurs autres prérogatives, telles que l'infaillibilité dans leurs décisions sur les matieres qui regardent la foi, la supériorité au-dessus des conciles généraux, & une autorité sans bornes pour dispenser des canons & des regles de la discipline ; mais l'église gallicane, toujours attentive à conserver la doctrine qu'elle a reçue par tradition des hommes apostoliques, en rendant au successeur de S. Pierre tout le respect qui lui est dû suivant les canons, a eu soin d'écarter toutes les prétentions qui n'étoient pas fondées.
On tient en France, que quelque grande que puisse être l'autorité du pape sur les affaires ecclésiastiques, elle ne peut jamais s'étendre directement, ni indirectement sur le temporel des rois ; il ne peut délier leurs sujets du serment de fidélité ; ni abandonner les états des princes souverains au premier occupant, ou en disposer autrement.
Par une suite du même principe, que le pape n'a aucun pouvoir sur le temporel des rois, il ne peut faire aucune levée de deniers en France, même sur le temporel des bénéfices du royaume, à moins que ce ne soit par permission du roi. C'est ce qui est dit dans une ordonnance de S. Louis, du mois de Mars 1268, que le pape ne peut lever aucuns deniers en France sans un exprès consentement du roi & de l'église gallicane ; on voit aussi par un mandement de Charles IV. dit le Bel, du 12 Octobre 1326, que ce prince fit cesser la levée d'un subside que quelques personnes exigeoient au nom du pape pour la guerre qu'il avoit en Lombardie.
Néanmoins pendant un tems les papes ont pris sur les biens ecclésiastiques de France des fruits & émolumens à l'occasion des vacans (ou annates), des procurations, dixmes ou subventions & des biens-meubles des ecclésiastiques décédés ; mais ces levées ne se faisoient que par la permission de nos rois ou de leur consentement, & il y a long-tems qu'il ne s'est rien vu de semblable.
Les papes ont aussi souvent cherché à se rendre nécessaires pour la levée des deniers que nos rois faisoient sur le clergé ; ils ont plusieurs fois donné des permissions au clergé en France de payer les droits d'aide au roi ; mais nos rois n'ont jamais reconnu qu'ils eussent besoin du consentement du pape pour faire quelque levée de deniers sur le clergé, & depuis long-tems les papes ne se sont plus mêlés de ces sortes d'affaires.
Le pape ne peut excommunier les officiers royaux pour ce qui dépend de l'exercice de la jurisdiction séculiere.
Il ne peut pas non plus restituer de l'infamie, remettre l'amende-honorable, proroger le tems pour l'exécution des testamens, convertir les legs, permettre aux clercs de tester au préjudice des ordonnances & des coutumes, donner pouvoir de posséder des biens dans le royaume contre la disposition des ordonnances, ni connoître en aucun cas des affaires civiles ou criminelles des laïcs.
Quoique le pape soit le chef visible de l'église, & qu'il y ait la principale autorité pour tout ce qui regarde le spirituel ; on a toujours tenu pour maxime en France, que son pouvoir n'est pas absolu ni infini, & que sa puissance doit être bornée par les saints canons, par les regles des conciles qui sont reçus dans le royaume, & par les decrets de ses prédécesseurs, qui ont été approuvés parmi nous.
Le pape ne peut donner aucune atteinte aux anciennes coutumes des églises, qui ne sont pas contraires aux regles de la foi & aux bonnes moeurs, & notamment il ne peut déroger aux coutumes & usages de l'église gallicane, pour lesquels les plus grands papes ont toujours témoigné une attention particuliere.
Le pape peut accorder des dispenses d'âge pour certains bénéfices tels que les abbayes & les prieurés conventuels ; mais quand l'âge est fixé par la fondation, le pape ne peut y déroger, sur-tout si le bénéfice est de fondation laïque.
Il n'y a que le pape & ceux qui en ont reçu de lui le pouvoir par quelque indult, qui puissent conférer les bénéfices en commande.
Le pape jouit encore en vertu de l'usage de plusieurs autres droits.
C'est à lui seul qu'il appartient de résoudre le mariage spirituel qu'un prélat a contracté avec son église ; desorte que le siege épiscopal n'est censé vacant que du jour qu'on connoît que la démission, la résignation ou la permutation ont été admises en cour de Rome.
C'est aussi le pape qui accorde des dispenses pour contracter mariage dans les degrés prohibés.
Il dispense ceux dont la naissance est illégitime pour recevoir les ordres sacrés, & pour tenir les bénéfices-cures & les canonicats dans les églises cathédrales, mais cette légitimation n'a point d'effet pour le temporel.
Il se réserve l'absolution de quelques crimes les plus énormes ; mais il y a certaines bulles qui ne sont point reçues en France, telles que la bulle in caenâ Domini, par laquelle les papes se sont réservé le pouvoir d'absoudre de l'hérésie publique.
En France le pape ne peut pas déroger en patronage laïc. Libertés de l'église gallicane, art. 30.
Cependant si le pape accordoit par privilege à un particulier le droit de patronage sur une église, cette concession seroit valable, pourvu que ce privilege eût une cause légitime, & qu'on y eût observé toutes les formalités requises pour l'aliénation des biens ecclésiastiques.
Lorsque le pape ne déroge pas au patronage laïc par sa provision dans les tems accordés au patron laïc, il n'est pas contraire aux maximes du royaume d'y avoir égard, lorsque le patron néglige d'user de son droit. Louet & Solier sur Pastor.
L'autorité du pape pour l'érection d'une fondation en titre de bénéfice n'est pas reçue en France ; l'évêque seul a ce pouvoir. A son refus, on se pourvoit au métropolitain.
Pour ce qui concerne la puissance temporelle du pape, pendant plus de sept siecles le pape n'étoit simplement que l'évêque de Rome, sans aucun droit de souveraineté : la translation du siege de l'empire à Constantinople put bien donner occasion au pape d'accroître son pouvoir dans Rome ; mais la véritable époque de la puissance temporelle des papes est sous Grégoire III. lequel en 740 proposa à Charles Martel de se soustraire à la domination de l'empereur, & de le proclamer consul.
Pepin, fils de Charles Martel, donna au pape l'exarcat de Ravenne, il ne lui donna pas la ville de Rome : le peuple alors ne l'eût pas souffert ; c'est apparemment cette donation de Pepin qui a donné lieu à la fable de la donation prétendue faite au pape Sylvestre par l'empereur Constantin le Grand. Celle de Pepin fut faite du tems de Constantin Copronyme, mais sans son consentement ; il paroît pourtant que c'est cette équivoque de nom qui a servi de fondement à la prétendue donation de Constantin, que l'on imagina dans le xe. siecle.
Sous Charlemagne le pape n'avoit encore qu'une autorité précaire & chancelante dans Rome : le préfet, le peuple & le sénat, dont l'ombre subsistoit encore, s'élevoient souvent contre lui.
Adrien I. reconnut Charlemagne roi d'Italie & patrice de Rome. Charlemagne reconnut les donations faites au saint siege, en se réservant la suzeraineté, ce qui se prouve par les monnoies qu'il fit frapper à Rome en qualité de souverain, & parce que les actes étoient datés de l'année du regne de l'empereur, imperante domino nostro Carolo ; & l'on voit par une lettre du pape Léon III. à Charlemagne, que le pape rendoit hommage de toutes ses possessions au roi de France.
Ce ne fut que long-tems après que les papes devinrent souverains dans Rome, soit par la cession que Charles le Chauve leur fit de ses droits, soit par la décadence de l'empire, depuis qu'il fut renfermé dans l'Allemagne ; ce fut sur-tout vers le commencement du xij. siecle que les papes acheverent de se soustraire de la dépendance de l'empereur.
Boniface VIII. porta les choses encore plus loin ; il parut en public l'épée au côté & la couronne sur la tête, & s'écria : je suis empereur & pontife.
Plusieurs empereurs s'étant fait couronner par le pape, pour rendre cette action plus sainte & plus solemnelle, les papes ont pris de-là occasion de prétendre que le nouvel empereur étoit obligé de venir en Italie se faire couronner ; c'est pourquoi autrefois après l'élection, & en attendant le couronnement, on envoyoit à Rome pour en donner avis au pape, & en obtenir la confirmation. Le pape faisoit expédier des lettres qui dispensoient l'empereur de se rendre en Italie pour y être couronné à Milan & à Rome, ainsi que les papes prétendoient que les empereurs y étoient obligés.
Ces deux couronnemens furent abolis par les états de l'empire en 1338 & 1339 : il fut décidé que l'élection des électeurs suffisoit ; & que quand l'empereur avoit prêté serment à l'empire, il avoit toute puissance.
Cependant les papes veulent toujours que l'empereur vienne à Rome recevoir la couronne impériale, & dans leurs bulles & brefs, ils ne le qualifient que d'empereur élu.
Quelques papes ont même prétendu avoir le droit de disposer des couronnes.
Sylvestre II. érigea le duché de Hongrie en royaume en faveur du duc Etienne, c'est le premier exemple d'une semblable érection faite par le pape.
Léon IX. donna aux Normands toutes les terres qu'ils avoient conquises, & qu'ils prendroient sur les Grecs & sur les Sarrasins.
Urbain II. prétendit que toutes les îles lui appartenoient.
D'autres encore plus ambitieux, tels que Grégoire VII. & Boniface VIII. ont voulu entreprendre sur le temporel des souverains, délier leurs sujets du serment de fidélité, & disposer de leurs états ; mais en France on a toujours été en garde contre ces sortes d'entreprises ; & toutes les fois qu'il a paru quelques actes tendant à attenter sur le temporel de nos rois, le ministere public en a interjetté appel comme d'abus, & les parlemens n'ont jamais manqué par leurs arrêts de prendre toutes les précautions convenables pour prévenir les troubles que de pareilles entreprises pourroient causer.
Voyez les libertés de l'église gallicane, les mémoires du clergé, les loix ecclésiastiques, l'histoire du droit public ecclésiastique, le tableau de l'empire germanique, le traité des mat. bénéf. de Fuet, le recueil de jurisprud. can. de la Combe, la bibliotheque canonique, les définitions canoniques.
Voyez aussi les mots BENEFICES, CHANCELLERIE ROMAINE, CARDINAUX, COUR DE ROME, LEGAT, NONCE. (A)
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PAPECHIEN | voyez VANNEAU.
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PAPEGAI | PAPEGAUT, voyez PERROQUET.
PAPEGAI, s. m. usage, le papegai ou papegaut, comme l'on parle en quelques provinces, est proprement un but, ou, pour mieux dire, un oiseau de bois garni de plaques de fer, & que les habitans d'une ville ou bourgade se proposent d'abattre à coup de fusil : c'est ce qu'on nomme ordinairement l'exercice de l'arquebuse. Le vainqueur ou le roi, c'est-à-dire celui qui abat l'oiseau a, dans plusieurs contrées du royaume, des attributions assignées sur le produit des aides.
Sur quoi j'observe que cet exercice n'étant plus nécessaire, comme il pouvoit l'être autrefois, il conviendroit de le supprimer tout-à-fait ; d'autant plus qu'il est dangereux, à bien des égards, & qu'on en voit souvent arriver des malheurs ; outre que la chasse étant communément défendue aux bourgeois & aux peuples, il leur est inutile, ou même nuisible de contracter une habitude qui peut devenir vicieuse. Cela posé, les attributions faites aux rois de l'arquebuse pourroient devenir beaucoup plus utiles, si l'on en faisoit un encouragement pour les opérations champêtres, que notre ministere s'empresse d'aider & de perfectionner.
Dans cette vue, on pourroit fonder pour prix annuel de l'économie rustique en chaque arrondissement de la campagne, une médaille d'or de cinquante francs, au moins, à prendre sur le produit des aides, ou sur les autres fonds destinés à l'arquebuse ; & cela en faveur des laboureurs & menagers qui au jugement de leurs pareils seront reconnus les plus laborieux & les plus habiles ; & que l'on estimera tant par les productions & les récoltes, que par les entreprises & les inventions nouvelles. Chaque laureat portera sa médaille, comme une marque d'honneur, & cette distinction l'exemptera pendant l'année, lui & toute sa famille, de la milice, des collectes & des corvées. Ceux qui rendront leur médaille, recevront la valeur en argent. Ce genre de récompense paroîtroit mieux employé qu'à l'exercice de l'arquebuse.
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PAPELINE | S. f. (Manufacture) ainsi nommée, à ce que croit Furetiere, de ce qu'elle a d'abord été fabriquée à Avignon, & autres lieux du Comtat, qu'on appelle terre papale ; parce qu'il appartient au pape.
La papeline est une étoffe très-légere, dont la chaîne est de soie, & la trame de fleuret ou filoselle. Il s'en fait de pleines, de figurées & de toutes couleurs. La plûpart de ce que l'on appelle en France des grisettes, ne sont que de véritables papelines. Elles se font à deux, à quatre fils, & même au-dessus ; mais toutes, quelque nom qu'on leur donne, & à tel nombre de fils qu'elles soient travaillées, doivent avoir de largeur ou une demi-aune entiere, ou une demi-aune demi-quart ; & pour les discerner des étoffes de fine & pure soie, elles doivent avoir d'un seul côté une lisiere de différente couleur à la chaîne. Savary. (D.J.)
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PAPELONNÉ | adj. terme de Blason ; ce mot se dit d'une représentation en forme d'écaille ou de demi-cercle qu'on met sur un écu. Le plein de ces écailles tient lieu de champ, & les bords de pieces & d'ornemens.
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PAPESSE JEANNE | (Hist. des papes) c'est après Léon IV. qui mourut en 855, que l'on place la fausse papesse Jeanne. Dans le songe du vieux Pélerin, écrit par Philippe de Maiziere en 1389, la reine Vérité rapporte au ch. lj. du I. liv. qu'une vieille lui dit un jour. En cette cour de Rome je vis regner une femme qui étoit d'Angleterre ; selon M. Lenfant, Jeanne nâquit à Mayence, où elle étoit connue sous le nom de Jean l'Anglois, soit qu'elle fût de famille angloise, soit pour d'autres raisons que nous ignorons. Au reste, la vieille s'adressa mal pour débiter son conte, & la reine Vérité ne dut pas y ajouter foi, non plus qu'à une autre histoire de la même vieille, touchant un évêque de Besançon, lequel, dit-elle, à Rome fut transporté du diable.
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PAPETERIE | S. f. (Archit.) grand bâtiment situé à la chûte d'un torrent, ou d'une riviere rapide où l'on fabrique le papier. Ce bâtiment est distribué en différentes pieces destinées aux usages suivans. D'abord c'est un pourrissoir, lieu où se corrompent & pourrissent les vieux linges dont on fait le papier. Les autres pieces contiennent la batterie, dont l'eau fait agir les maillets armés de tranchans, pour hacher & réduire en bouillie les vieux linges, ce qui forme le moulin à papier ; la cuve où l'on fige les papiers dans les chassis ; l'étendoir où on les fait sécher, & les magasins où on les emballe, & où on les plie. Il y a aussi dans une papeterie des hangars & des fourneaux pour le bois & le charbon, & des logemens pour les ouvriers. Les plus belles papeteries de France sont en Auvergne. (D.J.)
PAPETERIE ; ce mot a deux acceptions, 1°. il signifie l'assemblage de bâtimens & de machines nécessaires pour une manufacture où l'on fabrique le papier ; 2°. il signifie l'art de le fabriquer. C'est dans ce dernier sens qu'il est pris dans cet article.
Les chiffons dont le papier est formé, qu'on appelle aussi drapeaux, passent par un grand nombre d'opérations avant d'être convertis en cette singuliere étoffe que tout le monde connoît, & dont aussi-bien que de celle des chapeaux, presque personne ne connoît la tissure. C'est à expliquer cette formation que cet article est destiné. Nous allons suivre les opérations dans l'ordre où elles se succedent dans les manufactures les plus accréditées. Celle de Langlée près Montargis, qui a des moulins à la hollandoise, est très-considérable par ses bâtimens & sa fabrication. Nous devons à M. Prevost, directeur de cette manufacture, les éclaircissemens qui nous ont mis en état de composer cet article.
Premiere opération. Le chiffon qui doit être de toile, soit lin ou chanvre, & non de laine ou de coton, est recueilli par un grand nombre de personnes qui l'emmagasinent pour le vendre aux manufacturiers ; étant arrivé dans la manufacture, il y subit une premiere préparation, qui est le délissage. Délisser le chiffon, c'est en faire le triage, le séparer en différentes sortes, qu'on appelle superfin, fin, coutures fines, moyen, coutures moyennes, bulle ; une derniere sorte qu'on appelle traces, contient les toiles de plusieurs couleurs dont on ne fait que du papier gris. Pour délisser le chiffon, les femmes chargées de cet ouvrage, s'asseyent sur des bancs, comme la vignette, Pl. I. de Papeterie, qui représente l'attelier des délisseuses, le fait voir, fig. 1 & 2. Elles ont chacune à côté d'elles un crochet a, b, c ; c'est une espece de serpette tranchante par sa partie concave & fixée sur le banc où elles sont assises. Elles se servent de ce crochet pour découdre les différentes pieces de chiffon de différentes qualités qu'elles distribuent dans les caisses A, B, C qu'elles ont devant elles. Chaque caisse, longue d'environ six piés, large de trois, & haute de deux & demi, est divisée en quatre parties par des cloisons ; dans une partie elles mettent le chiffon le plus fin, & qui se trouve sans couture ; dans l'autre le chiffon fin qui a des coutures ; dans une troisieme le chiffon de qualité moyenne ; dans la quatrieme celui de menue qualité, mais qui a des coutures ; quant à la moindre qualité, qu'on appelle bulle, elles le jettent dans des mannes ou paniers qui sont autour des places qu'elles occupent. Pour les traces, qui sont les chiffons dont le tissu est de différentes couleurs, il reste sur le plancher, d'où on le releve pour le porter au dépôt qui contient les chiffons dont on fabrique le papier gris ou lombard. Les ouvrieres qui prennent les chiffons dans les tas du brut, livrent au poids les différentes sortes, superfin, fin, sans coutures, coutures fines, moyen sans coutures, coutures moyennes, bulle, pour être portés dans des cases ou chambres particulieres E entourées de planches. Cet arrangement sert à faire connoître combien ces cases en contiennent en faisant un total de ce qui y est entré chaque jour, & aussi à régler le salaire de ces ouvrieres. C'est pour cela que l'on voit dans le même attelier des balances & des poids.
Comme il arrive que les délisseuses trouvent quelquefois des chiffons dont les différentes pieces sont très-fortement cousues ensemble, ensorte qu'étant assises elles ne pourroient venir à bout de les rompre sur les petits crochets a, b, c de leurs bancs, il y en a un plus grand F fixé solidement à un des poteaux qui soutient le plancher, où travaillant debout, elles sont mieux en état d'employer leurs forces.
Seconde opération. L'attelier que nous venons de décrire est placé au-dessus d'un autre qu'on appelle pourrissoir ; c'est un endroit voûté & d'une grandeur proportionnée à l'exploitation ; on y descend par cinq ou six marches E, ensorte que les fenêtres que l'on voit dans la vignette Pl. II. de Papeterie, sont à l'extérieur presque au niveau du terrein. Cette salle ou cave est divisée en deux parties par une muraille de cinq piés d'élevation ; la plus petite partie K qu'on appelle bacha, dans laquelle on met tremper le chiffon, a vers le fond une ouverture fermée d'une pelle A, par laquelle on laisse écouler l'eau qui a servi à tremper le chiffon, quand il a été suffisamment submergé, & le laisser à sec pour pouvoir le sortir du bacha & le porter dans quelques coins G ou H de la même cave, où on le laisse fermenter pendant deux ou trois mois plus ou moins, suivant la saison, observant de le remuer de tems à autre, pour que tout le chiffon s'échauffe également. On jette le chiffon dans le bacha par une ouverture L pratiquée au haut de la voûte, & qui répond aux cases où il a été mis en dépôt après avoir été délissé. L'eau est portée dans le bacha par un tuyau soûterrein D C, dont on voit le robinet C dans la figure. C'est à celui qui conduit cet attelier à juger du degré de fermentation convenable à la sorte de chiffon, & à la sorte d'ouvrage que l'on en veut faire ; le chiffon trop fermenté ou fusé, comme disent les ouvriers, souffre un déchet considérable dans le moulin.
Troisieme opération. A l'opération de laisser pourrir le chiffon, succede celle de le dérompre ; ce qui se fait dans une salle voûtée ordinairement de plain pié au pourrissoir, à laquelle on donne le nom de dérompoir, & que la vignette de la Pl. III. de Papeterie représente. Ceux qui font cet ouvrage sont des petits garçons ; il sont placés devant des tables ou caisses c c c posées sur des treteaux solides, qui sont aussi fixées aux murailles de la salle ; la planche de devant de cette caisse, a une échancrure demi-circulaire, vis-à-vis de laquelle est plantée verticalement & solidement une faux a, ou plutôt ce n'est que la plus large partie de la lame d'une faux, dont le dos & non le tranchant, est tourné du côté du dérompeur (fig. 1, 2 & 3), qui prend dans un coin de la caisse vis-à-vis de laquelle il est placé, une poignée de chiffons tels qu'ils sortent du pourrissoir, d'où on les apporte dans des mannes (fig. 4 & 5) ; & ayant un peu tordu cette poignée, qu'il tient à deux mains (fig. 1), il l'applique contre le bas du tranchant de la faux, & coulant vers le haut, il parvient à couper cette poignée en plusieurs tronçons qu'il jette dans un autre coin de la même caisse. Comme cette opération dépure en même tems le chiffon d'une partie des ordures qu'il contient, on a la précaution de mettre sur la table une claie d'osier b (fig. 3.) à claire voye, élevée d'un pouce environ sur la table ; sans cela les ordures resteroient dans le chiffon dérompu, c'est-à-dire haché en petits morceaux, comme dans celui d'où elles sont sorties.
Comme on emploie à cet ouvrage des enfans de différentes tailles, le dérompoir doit être fourni de différens billots & planches de bois d d de différentes épaisseurs, pour qu'ils puissent s'exhausser & travailler commodément.
Chaque dérompeur doit être pourvû d'une pierre à aiguiser pour affiler sa faux ; dans le même lieu il y a aussi une enclume f de faucheur, & son marteau e pour servir à battre les faux, dont le tranchant est bientôt émoussé par la rencontre des corps hétérogenes que le chiffon contient.
Description du moulin à maillets. Cette machine représentée dans les Pl. III. IV. V. de la Papeterie, savoir en plan au bas de la Pl. III ; en profil au bas de la Pl. IV, & en perspective dans la vignette de la Pl. V ; est composée d'un arbre A B garni de levées C C C C, qui passant successivement sous les manches des maillets, les élevent pour les laisser retomber ensuite sur le chiffon dont les piles sont remplies. Par cette trituration continuée autant de tems qu'il est nécessaire, le chiffon se trouve atténué au point convenable pour en faire du papier.
Sur l'arbre est fixée une roue à augets E, sur laquelle l'eau est amenée par le coursier F D ; la grandeur de cette roue, qui est variable, dépend de la hauteur de la chûte d'eau ; car si on n'en a pas une suffisante, on construit une roue à aubes, à laquelle le coursier fournit l'eau par-dessous ; on construit aussi dans ce cas, une ou plusieurs pompes, pour fournir aux piles l'eau nécessaire, laquelle y doit être perpétuellement renouvellée.
Les piles sont des creux M M pratiqués dans une forte piece de bois de chêne ou d'orme de 26 pouces de haut sur 24 de large, qu'on appelle aussi la pile ; on pratique autant de ces creux qu'il y a de place pour en former, ou que la quantité d'eau dont on peut disposer pour faire tourner la roue du moulin le comporte ; chacun de ces creux, qu'on appelle proprement pile, a 16 pouces de large & autant de profondeur ; les extrémités qui sont éloignées l'une de l'autre de 3 piés 8 pouces, sont arrondies, & le fond est occupé par une platine de fer fondu ou de fer forgé de 9 pouces de large, 32 de long, sur 2 pouces d'épaisseur, encastrée dans le fond de la pile. C'est entre cette platine représentée séparément (fig. 6. Pl. V.), & la ferrure dont les maillets sont armés, que le chiffon est broyé.
La pile qui est solidement affermie sur les soles G G G est entaillée à sa face inférieure d'environ 3 pouces, pour recevoir les soles qui sont elles-mêmes entaillées de la même quantité pour recevoir la pile ; les soles répondant vis-à-vis des cloisons qui séparent les piles l'une de l'autre, sont espacées à la distance de 4 piés de milieu en milieu ; elles ont 15 pouces de haut, 12 de large, & environ 6 piés de longueur ; elles sont scellées sur un massif de maçonnerie ; & les intervalles qui les séparent sont pavés en pente pour rejetter les eaux qui sortent des piles pendant la trituration.
Sur l'autre extrémité des soles, & parallélement à la pile, est établie une piece de bois L nommée sabliere, à la face supérieure de laquelle sont assemblées des pieces de bois H (Pl. III.) appellées grippes, dans lesquelles les queues des maillets sont assemblées par un boulon qui les traverse, & dont une est représentée séparément, fig. 4. Pl. V. Ces grippes, qui sont accollées deux à deux, ont 27 pouces de long non compris les tenons e e qui entrent dans la sabliere : elles ont 7 pouces d'épais ; & les deux qui répondent vis-à-vis une pile occupent sur la sabliere une longueur de 2 piés 9 pouces. Elles ont chacune à leur partie supérieure deux entailles c c de 3 pouces de large sur 9 ou 10 de longueur, destinées à recevoir les queues des maillets ; elles sont de plus affermies chacune dans la situation verticale par une cheville k, visible dans les trois Planches citées, qui traverse l'épaisseur de la grippe passant par le trou a, & va s'implanter dans la face opposée de la pile. On a donné à ces chevilles le nom de chevilles bastieres. La distance des grippes à la pile est de 22 pouces.
Les queues des maillets ont six piés de longueur, 7 pouces de large & trois pouces d'épais du côté de l'arbre ; trois pouces & demi du côté de la grippe ; les extrémités en sont garnies de frettes de fer ; celle cotée F fig. 2. Pl. V. garantit cette partie de l'usure que le frottement des levées pourroit y occasionner ; & celle cotée H sert à empêcher la queue de se fendre, principalement lorsqu'on fait usage de l'engin, fig. 2. pour relever les maillets.
Le maillet A G, fig. 2. est un morceau de bois de 6 pouces d'équarrissage, & 2 piés 8 pouces de long, y compris la ferrure qui a 5 pouces ; il est percé d'une longue mortaise visible dans la fig. 3, pour recevoir la queue ou manche du marteau, & le coin B qui sert à le fixer sur le manche. La distance de l'extrémité inférieure de la mortaise à l'extrémité E de la ferrure, est de 17 pouces ; ensorte que les maillets reposant sur la platine que nous avons dit être au fond de la pile, il reste encore un pouce de vuide entre la queue du manche du maillet, & le bord supérieur de la même pile.
La ferrure d'un maillet pese environ 25 livres, & est composée d'une frette de fer D de 2 pouces & demi de large & 6 lignes d'épaisseur, & d'un grand nombre de clous tranchans E, dont les extérieurs sont à un seul biseau, & les intérieurs E fig. 3. à deux biseaux. Ils ont 7 ou 8 pouces de long, & sont posés en liaison comme le plan fig. 3. le fait voir ; leur saillie au-dessous de la frette est de trois pouces, & ils sont placés dans des traits de scie que l'on a fait à l'extrémité du maillet avant d'y monter la frette D qui empêche le maillet de fendre.
Chacune des grippes fig. 4. Pl. V. est garnie de deux crochets d, dont les pitons b répondent audessous des entailles c qui reçoivent les queues des maillets. C'est par le moyen de ces crochets que l'on tient les maillets élevés en faisant passer le crochet d sur la queue du maillet, que l'on éleve au moyen du levier ou engin, fig. 5. dont l'étrier M reçoit la partie entaillée L de la queue du maillet. La partie N de l'engin s'applique sous la frette H, & on appuie sur l'extrémité o pour élever le maillet, & retirer par ce moyen les matieres contenues dans la pile.
La fig. 7. est une coupe de la pelle, suivant sa longueur ; A B, la platine ; D E, D E, deux coulisses qui servent de guides au kas, fig. 8. dont on voit le plan en b b au bas de la Pl. III. C, deux ouvertures quarrées par où l'eau s'écoule après avoir traversé le kas ; F E, parties de bois reservées qui séparent les piles les unes des autres ; G G, entailles qui reçoivent les soles : la fig. 8. représente le kas, dont le plan est coté 7. Pl. III. c'est une planche dont la longueur est égale à la profondeur de la pile, & dont la largeur, y compris les deux languettes, est égale à la distance que laissent entr'elles les coulisses D E de la fig. 7. ensorte que le kas puisse y couler à frottement : le kas est percé de deux trous A & B, qui doivent répondre vis-à-vis des ouvertures C de la fig. 7. dans lesquels on a reservé des croisillons pour porter la toile de crin à-travers laquelle l'eau s'écoule ; on voit ces croisillons en A, & la toile de crin en B ; on peut aussi substituer quelques morceaux de forme.
La fig. 9. est une coupe transversale de la pile ; D E est une des coulisses ; m est une des ouvertures C fig. 7. par laquelle l'eau sort après avoir traversé le kas ; cette ouverture est inclinée pour en favoriser l'écoulement.
Les maillets sont dirigés dans leur chûte par des pieces de bois 12, 13, 14, 15, 16, Pl. III. & V. que l'on appelle guides ou grippes de devant, assemblés sur la face supérieure de la pile du côté de l'arbre : les vuides que les pieces laissent entr'elles sont de 3 pouces ; c'est l'épaisseur des queues des maillets en cet endroit ; par cette construction les queues des maillets sont toujours dirigées vers les levées de l'arbre.
L'eau qui vient du coursier F D, Pl. III. & V. est distribuée dans les piles par le canal ou gouttiere de bois, 1, 2, 3, 4, 5, que l'on nomme le grand échenal, qui communique par les gouttieres inclinées 3 4, 3 4, aux fontaines ou bachassons 4, 4, qui communiquent par un trou percé obliquement avec l'intérieur de la pile, comme on peut voir en profil, Pl. IV. ces fontaines ne sont autre chose qu'un creux quarré d'environ demi-pouce de profondeur, dans le milieu duquel on a recreusé une autre cavité aussi d'un demi-pouce de profondeur ; c'est du fond de cette derniere cavité & d'un des angles que part le trou qui conduit l'eau dans la pile : le bord de la cavité supérieure du côté de l'arbre est entaillé pour laisser écouler l'eau superflue hors de la fontaine, qui ne doit être pleine que jusqu'au niveau de la retraite qui distingue les deux cavités.
Le jeu de cette machine est aisé à entendre : l'eau étant lâchée sur la roue, les leviers de son arbre rencontrent en tournant les queues des maillets, les élevent jusqu'à ce que venant à échapper, les maillets retombent par leur propre pesanteur sur le chiffon qui est dans la pile ; le chiffon ainsi trituré pendant une heure ou deux, & dépuré de ses crasses par l'eau continuellement renouvellée des fontaines, laquelle remplit la pile, & sort en traversant le kas, devient enfin la matiere dont on forme le papier.
Un moulin a ordinairement quatre piles, dont une sert pour effilocher le chiffon ; deux autres pour affiner, & la quatrieme dont les maillets ne sont point ferrés, ni la pile garnie de platine, pour détremper la matiere quand on la retire des caisses de dépôt où on la fait passer en sortant des piles à affiner, pour y rester jusqu'à ce qu'elle passe dans la cuve à ouvrer.
Il y a un art à bien disposer les levées sur l'arbre, ensorte que la roue soit chargée le moins qu'il est possible à-la-fois ; il faut que les maillets levent les uns après les autres pour cela : si l'arbre est destiné à un moulin à quatre piles, comme celui dont nous faisons la description (on a représenté seulement trois piles dans les figures), & chaque pile a quatre maillets, ce qui fait seize en tout, & que de plus chaque maillet doive battre deux fois à chaque révolution de la roue ; il faudra, après avoir tracé les cercles qui répondent vis-à-vis des maillets, diviser la circonférence d'un de ces cercles, ou la base du cylindre de l'arbre en seize parties égales, tirer par les points de division des lignes paralleles à l'axe, les intersections de ces lignes & des cercles qui répondent vis-à-vis des maillets, seront les points où il faut placer les levées que l'on discernera en cette sorte ; une des lignes paralleles à l'axe étant prise pour fondamentale, & ayant placé la premiere levée à son intersection avec le cercle qui répond au premier maillet de l'un ou de l'autre côté de l'arbre ; la levée du cinquieme maillet, premiere de la seconde, devra être placée à l'intersection de la seconde ligne & du cinquieme cercle : celle du neuvieme maillet, premier de la troisieme pile, à l'intersection de son cercle & de la troisieme parallele, ainsi de suite, dans l'ordre de la table suivante, où la premiere rangée de chiffres indique les cercles qui répondent aux maillets, & la seconde les paralleles à l'axe, à compter de celle qu'on aura regardée comme la premiere.
Description du moulin à la hollandoise, ou moulin à cylindre. Il y a deux de ces moulins dans la manufacture de Langlée, & désignés dans le plan général, Pl. I. l'un par les lettres E F, & l'autre par les lettres K L ; ils font chacun tourner six cylindres : l'eau leur est fournie par le bassin B G, qui la reçoit par le canal A, qui communique au canal de Loing : elle entre dans les coursiers B D G H, qui traversent le grand bâtiment P R de 64 toises de longueur sur 8 toises de largeur, pour sortir par D & H, qui sont les parties d'aval des coursiers. Voyez l'explication de la Pl. I. des deux moulins dont on vient de parler. L'un est destiné à effilocher les chiffons sortant du dérompoir, & l'autre à les raffiner. On entend par effilocher, le premier broyement des chiffons ; mais comme ces deux moulins ne different ni en construction, ni dans la maniere d'agir, la description que l'on va faire de l'un des deux suffira pour en donner une parfaite connoissance. Ce moulin est représenté dans les Pl. V. VI. VII. VIII. dans lesquelles on a eu l'attention de mettre les mêmes lettres aux parties semblables. La Planche V. est le plan d'un moulin & de ses six cuves à cylindres ; A D la grande roue à aubes, formée de deux cours de courbes de 5 pouces sur 7 de gros, dont on voit l'élévation, Pl. VII. est placée dans son coursier, où l'eau entre du côté de G ; elle a 18 piés de diametre, non compris les coyaux qui supportent les aubes qui sont au nombre de trente-deux ; elles ont 26 pouces de long & 20 de hauteur. Au-devant de la roue est placée en A la pelle par le moyen de laquelle on ferme le coursier lorsqu'on veut arrêter la machine, ainsi que l'élévation, Pl. VI. & le profil, Pl. VII. le fait voir. L'arbre ou axe B C de cette roue a 18 piés de long sur 27 pouces de gros, non compris les renforts dans lesquels s'assemblent les bras des rouets verticaux R r, de 8 piés de diametre : ils font chacun garnis de 49 alluchons ; les courbes dont ils sont formés ont 9 à 10 pouces de gros ; les alluchons de ces rouets engrenent entre les fuseaux des lanternes S S de 5 piés & demi de diametre, chacune garnie de 32 fuseaux ; ces lanternes, y compris les tourtes qui les forment, ont 18 pouces d'épaisseur : les arbres verticaux Y Z, Pl. VI. qui les portent, ont chacun 8 piés de long sur 2 piés d'équarrissage ; ils portent aussi chacun un rouet horisontal de 10 piés de diametre, dont les alluchons au nombre de 72, regardent en en-bas, & engrenent dans les lanternes de fer à sept fuseaux chacune, qui sont fixées sur les arbres de trois des cylindres I, K N, ou M, L, P ; les courbes de ces rouets assemblées les unes aux autres par le trait nommé de Jupiter, ont 8 à 9 pouces de grosseur.
Les arbres verticaux & les rouets horisontaux T t sont maintenus dans la situation convenable par une cage ou beffroi de charpente qui les environne : on voit en F F F F le plan des quatre poteaux qui soutiennent le plancher du beffroi, & de l'autre côté le même beffroi vu par-dessus, où l'on peut remarquer les moises qui embrassent en Y le tourillon supérieur de l'arbre vertical ; on voit aussi en E E E E E E E E E le plan de quelques-uns des poteaux qui soutiennent de fond le plancher & les étages supérieurs qui servent d'étendoir : tous les poteaux & ceux des aîles sont marqués dans le plan général de la manufacture, Pl. I. Autour de chaque beffroi sont rangées trois cuves à cylindres O I H, H K O, H N O, O P H, O L H, H M O, qui ont chacune 11 piés de long de dehors en-dehors, & 6 piés de large aussi de dehors en-dehors posées sur un massif de maçonnerie, ou fort grillage de charpente ; elles sont arrondies intérieurement par différentes mises de bois, comme on voit fig. 8. Pl. VIII. qui contient en grand le développement d'une caisse ; elles sont aussi divisées en deux parties égales par une cloison longitudinale 2 3, &c. de 5 piés 4 pouces de long, 2 pouces d'épaisseur, & 20 ou 22 de profondeur ; tout l'intérieur de chaque cuve à cylindre, le renfort de la cloison, celui de la face extérieure de la cuve, les plans inclinés sont revêtus de lames de laiton cousues ou soudées les unes aux autres, & clouées sur le bois de la cuve.
Le plan incliné ascendant a, & le plan incliné descendant b, dont on voit l'inclinaison marquée par des lignes ponctuées a N b, Pl. VI. se joignent l'un à l'autre par une surface N 2 cylindrique, concave, concentrique à l'axe du cylindre N ; on voit au-dessous de N un espace quadrangulaire qui est l'emplacement de la platine cannelée qu'on voit en perspective, fig. 5. Pl. VIII. & en profil en b x d fig. 10. même Pl. On voit Pl. V, dans les trois cuves I, N, L, le cylindre en place & à découvert ; on voit comment le rouet horisontal T engrene dans les lanternes de fer 4, 4, fixées sur l'arbre des mêmes cylindres, & en P & en M deux cuves dont les cylindres sont recouverts de leurs chapiteaux, & enfin en K une cuve dont le cylindre est ôté pour laisser voir la platine cannelée, dont on a déja parlé, entre les dents de laquelle & celles des couteaux du cylindre, se fait l'effilochage ou affinage du chiffon, qui passe entre la platine & le cylindre en montant par le plan le moins incliné a, descendant ensuite par le plan le plus incliné b, d'où en flottant dans l'eau dont la caisse est toujours remplie, & côtoyant la cloison en 3, il va par c & 2 remonter sur le plan incliné a, & passe un grand nombre de fois entre la platine & le cylindre, qui tourne suivant l'ordre des lettres N 23.
On voit aussi en V le plan d'une des caisses de dépôt, revêtue intérieurement de marbre noir, & en X le plan de la couverture d'une de ces caisses dont on voit l'élévation en V, Pl. VII. d e sont des fosses de 18 pouces environ de profondeur dans lesquelles l'ouvrier descend pour puiser les matieres que les fosses contiennent ; elles répondent vis-à-vis les portes ou volets par lesquels on met ou l'on retire les matieres dans ces caisses, où elles égouttent leur eau par des canaux souterreins, fermées à leur entrée par une grille de fil de laiton, ou un chassis de crin.
Les tourillons des arbres des cylindres roulent sur des palliers de cuivre encastrés dans le milieu de longues pieces de bois O H, qu'on appelle leviers, de 11 piés de long sur 5 & 12 pouces de gros ; chaque cuve en a deux disposés parallelement l'un à l'autre, & appliqués contre les longs côtés de la cuve ; ces leviers sont assemblés à charniere en O, Pl. V & VIII, & soutenus par l'autre extrémité H par un cric, par le moyen duquel on peut élever ou abaisser à volonté l'axe du cylindre pour faire approcher ou éloigner sa surface de la platine cannelée qui est au-dessous, à laquelle il doit être parallele.
La vîtesse de la roue A D qui tourne dans le coursier, & dont on voit l'élévation, Pl. VII. est telle qu'elle fait environ douze tours par minute, ce qui donne par le calcul du rouage que les cylindres font dans le même tems 166 93/343 révolutions sur eux-mêmes, & en une heure 9976 272/343, & en environ cinq heures que dure le broyement 49884 22/343 révolutions.
Description détaillée d'une cuve à cylindre, Planche VIII. La figure 1. est le chapiteau qui recouvre le cylindre ; il a 4 piés 3 pouces de long, 2 piés 8 pouces de large ; sa partie supérieure est percée de deux ouvertures transversales 12, 34, dans lesquelles on fait entrer les chassis, fig. 6. & 7. Le premier est de fil de fer, & entre dans l'ouverture 34 ; le second est de crin, & entre dans l'ouverture 12, & est soutenu par quatre ou cinq pontusaux ou traverses de bois : il sert à retenir les petites parties de chiffon que le premier a laissées passer, & à empêcher qu'elles ne se perdent par la gouttiere du dalot, fig. 2. Il y a aussi une porte 56, que l'on ouvre pour regarder dans le dalot, & qui est tenue fermée par le tourniquet 7. Le dalot, fig. 2. se place en travers de la cuve, fig. 8. l'extrémité f sur la cloison 23 entre 2 & c au-dessus de a, ensorte que sa longueur soit parallele à l'axe du cylindre ; la partie 9 entre dans l'entaille c du chapiteau, & l'autre extrémité h entre dans l'ouverture k du dalot ou entonnoir k l, fig. 3. par lequel l'eau qui est lancée à-travers les chassis à chaque révolution du cylindre dans le canal f h, s'écoule & se perd par des rigoles souterreines.
La figure 4. est le cylindre vu en perspective, à laquelle les fig. 9. & 10. sont relatives. Ce cylindre a 2 piés de diamêtre & 2 piés 3 pouces de long, y compris les rondelles de fer qui terminent ses bases, lesquelles ont 8 lignes d'épaisseur, & sont percées au centre de la croisée d'un trou quarré de 4 pouces de gros pour recevoir l'axe de l'arbre A B, commun au cylindre & à la lanterne de fer A de 16 pouces de diamêtre & 8 d'épaisseur garnie de sept fuseaux aussi de fer. Les tourtes ou platines de cette lanterne sont de fer, & ont 1 pouce d'épaisseur ; les fuseaux y sont fixés par des écrous qui reçoivent l'extrémité des boulons taraudés en vis qui terminent de chaque côté de la lanterne les sept fuseaux dont elle est garnie. Il en est de même des lames ou couteaux qui environnent la surface des cylindres.
Ces lames ou couteaux, au nombre de 27 sur chaque cylindre, sont encastrés de la moitié de leur épaisseur dans le bois qui forme le corps du cylindre, & parallelement à son axe, sont d'une grosseur, & disposés desorte qu'il reste autant de vuide que de plein ; les surfaces extérieures de ces lames qui doivent être concentriques à l'axe du cylindre, sont partagées en deux parties par une gravure longitudinale, comme on voit au profil en a a a, fig. 10.
L'arbre ou essieu a, axe A B du cylindre, fig. 4. & 9. a deux parties parfaitement arrondies, A & B qui sont les tourillons ; ces tourillons sont reçus dans les coussinets A & B, fixés sur le milieu des leviers O A H postérieur, & O B H antérieur, par le moyen desquels & des crics qui soutiennent les extrémités H H de ces leviers, on peut à volonté élever ou abaisser l'axe du cylindre pour disposer sa surface parallelement, & à telle proximité que l'on veut de la platine de cuivre cannelée qui occupe le fond de la cuve, & que la fig. 5. représente en perspective, & dont on voit le profil en b x d, fig. 10. au sujet de laquelle il faut remarquer que les gravures x d sont tournées d'un sens opposé à celles x b ; aussi ne servent-elles pas toutes à-la-fois ; ce seront seulement les gravures x d, si on fait entrer la platine, fig. 5. dans l'ouverture d, fig. 8. savoir la partie e la premiere ; & ce sera entre les gravures du cylindre & les autres gravures x b de la platine que se fera le broyement du chiffon, si on fait entrer l'extrémité d de cette platine la premiere dans l'emplacement du fond de la cuve destinée à la recevoir. Ces platines ont 7 pouces de large & 2 pouces d'épaisseur, & 2 piés 4 pouces de longueur, & ont de chaque côté x d, x b, 6 ou 8 cannelures. Enfin chaque levier est encore retenu près de la cuve par des bandes de fer N N m n, entre lesquelles ils peuvent se mouvoir de haut en bas & de bas en haut, suivant le mouvement du cric H qui soutient une de leurs extrémités ; on insere quelques coins N, que l'on arrête avec un clou pour fixer les leviers & le cylindre à une hauteur convenable & très-près des platines. Chaque cuve a aussi une pelle L, que l'on leve par la poignée K, pour laisser écouler l'eau & la pâte qu'elle contient dans les caisses de dépôt, par des dalots ou rigoles de bois d'une longueur convenable.
Jeu d'une des cuves. Si on conçoit que la platine, fig. 5. est placée dans la cuve, fig. 8. & que le cylindre, fig. 4. soit placé au-dessus, ensorte que ses tourillons reposent sur les paliers ou coussinets des leviers ; que le dalot, fig. 2. soit mis en place, & le chapiteau, fig. 1. par-dessus sa face postérieure sur la cloison, & l'antérieure sur la face antérieure de la cuve, remplie d'eau & chargée d'environ 150 livres de chiffons, que de plus il y ait un robinet qui verse continuellement l'eau du reservoir dans un des angles de la cuve, comme en P, & qu'on le voit dans la Pl. VI. en cet état, le cylindre tournant avec rapidité, suivant l'ordre des lettres a N 2 3, entraînera l'eau & les chiffons par le plan le moins incliné a, & les fera passer entre la platine & le cylindre, pour remonter vers 2, où ils seront lancés vers la voûte du chapiteau, d'où ils retomberont dans la cuve par le plan le plus incliné b, pour rentrer dans la circulation qui se fait autour de la cloison 3 c 2 ; la cause de cette circulation, outre la rotation du cylindre, est la perte d'eau dans une partie, & l'affluence dans une autre.
Mais comme tous les chiffons ne sont pas jettés vers la partie B d du chapiteau qui répond au-dessus du plan incliné b, Pl. VI. d'où ils peuvent retomber dans la cuve, & qu'une partie continue à se mouvoir avec le cylindre, c'est pour les arrêter que l'on met dans l'ouverture 3 4 le chassis de fil de fer, fig. 6. qui laisse passer l'eau qui y est lancée avec les chiffons, & les retient ; ils s'y accumulent, jusqu'à-ce que tombant par leur propre poids vers 3, entre le chassis & le cylindre, ils rentrent ainsi dans la circulation ; le second chassis, fig. 7. retient les petites parties des chiffons que le premier a laissées échapper, & laisse passer l'eau dans le dalot, fig. 2. d'où elle s'écoule & se perd en passant dans le tuyau, fig. 3. par des canaux souterreins, ainsi qu'il a été remarqué ci-dessus. C'est pour suppléer à l'eau qui se perd continuellement, & dont le renouvellement opere le parfait blanchissage du chiffon, que l'on en laisse entrer vers P, où est un robinet par le moyen duquel on peut facilement égaler l'eau qui entre à celle qui sort ; c'est cette eau continuellement remplacée qui, avec la rotation du cylindre, est la cause de la circulation que l'on voit dans les cuves, où le chiffon qui y flotte tourne sans cesse autour de la cloison 2 3, Pl. V. entrant par a sous le cylindre, d'où il sort par b, pour aller par 3 c & 2 rentrer de nouveau sous le cylindre, où il est broyé ou haché à chaque passage entre les dents ou gravures de la platine & celles du cylindre.
La même quantité de chiffons qui ont été cinq ou six heures à être effilochés, demeurent aussi six ou sept heures sous les cylindres raffineurs.
Les ouvriers qui veillent à la conduite des moulins, & qu'on appelle gouvernaux, ont soin de charger les cuves à cylindres, d'y laisser entrer la quantité d'eau convenable ; on fait l'essai de la pâte en en délayant ou étendant une certaine quantité dans un bassin à moitié plein d'eau : on la bat avec un bâton fendu en quatre par une de ses extrémités.
Voici la matiere dont le papier doit être formé parvenue à son point de perfection, soit en se servant de l'un ou l'autre moulin ; ils ont chacun leurs avantages particuliers : car si d'un côté les moulins à cylindres expédient cinq ou six fois plus vîte l'ouvrage, il arrive que les noeuds de fil des coutures échappent fort souvent à l'action des gravures du cylindre & de la platine, ce qui forme des grains sur le papier, & augmente le travail des éplucheuses ; au lieu que dans les moulins à maillets, ces mêmes noeuds sont écrasés, ensorte qu'ils ne forment point d'éminences sensibles sur la surface du papier, où alors on les laisse.
Mais avant d'expliquer comment on ouvre le papier, il faut expliquer l'art de fabriquer les formes sur lesquelles on le leve ; c'est l'ouvrage du formaire qui a emprunté son nom de ses ouvrages. Ce travail est représenté, & une forme de grand raisin dans la Pl. IX. de papeterie.
Une forme, fig. 6. & 8. est composée d'un chassis E F G A, e f g h de bois de chêne que l'on a laissé tremper long-tems dans l'eau, après avoir été débité & séché à plusieurs reprises, pour lui faire perdre entierement sa seve, & faire qu'il soit moins sujet à se déjetter. La grandeur de ce chassis prise en dedans est d'environ deux lignes plus grande sur toutes les faces que la grandeur du papier à la fabrication duquel on le destine, & dont la grandeur est fixée par le tarif que l'on trouvera à la fin de cet article. Ainsi dans l'exemple de la fig. 6. qui est une forme pour le papier dénommé grand raisin, dont les réglemens fixent la grandeur E F à 22 pouces 8 lignes, & la hauteur G E à 17 pouces, le chassis, non compris l'épaisseur des bois, aura 2 lignes de plus sur chaque face, ce qui fera pour la largeur mesurée en-dedans, 23 pouces, & pour la hauteur aussi mesurée en-dedans 17 pouces 4 lignes. Les bois qui forment ce chassis ont environ 8 lignes de large sur 4 lignes d'épaisseur ; les longs côtés G H, E F, sont un peu convexes dans leur milieu, & les petits côtés E G, F H, au contraire un peu concaves.
Les longs côtés du chassis sont percés de vingt trous pour recevoir les extrémités d'autant de barres de sapin M N, m n, fig. 8. dont les extrémités terminées en boulon, comme on voit en F, fig. 3. entrent dans les trous dont on a parlé. Ces barres E de sapin qu'on appelle pontusaux, sont formées à leur partie supérieure en vive arrête C D, comme le tranchant d'un couteau ; c'est sur le tranchant des pontusaux que reposent les fils de laiton qui forment le tamis ou le grillage de la forme, & dont on voit l'empreinte sur tous les papiers en regardant le jour à-travers. Il n'entre aucune sorte de colle dans la fabrication d'une forme ; mais toutes les pieces en sont assemblées & clouées les unes aux autres, soit avec de petites chevilles de bois, ou avec des clous d'épingles de laiton : le fer à cause de la rouille doit en être banni. Pour tisser le tamis ou toile de la forme ; l'ouvrier, après avoir choisi la sorte de fil de laiton dont elle doit être formée, l'avoir fait recuire & couper par tronces aussi longues que le chassis, travaille à les redresser par un moyen fort simple & ingénieux, & qui, s'il étoit plus connu, seroit pratiqué dans d'autres professions que celle du formaire. C'est cette opération que fait l'ouvrier, fig. 2. de la vignette : il tient de la main droite le dressoir c, ou a b c, fig. 2. au bas de la planche, c'est un morceau de bois dont la longueur a b est d'environ 5 ou 6 pouces ; & la largeur de deux ou trois, formé, comme la figure le fait voir, pour pouvoir le tenir commodément. Le dessous du dressoir qui s'applique sur la table, doit être imperceptiblement convexe plutôt que d'être concave, afin que le fil que le dresseur presse entre cet instrument & l'établi, y soit comprimé : alors tenant le fil de laiton de la main gauche qu'il conduit le long de ce fil en l'éloignant de la droite, avec laquelle il promene en long le dressoir sur le fil c d qu'il veut dresser, & qui sert au dressoir comme de rouleau ; il imprime à ce fil un mouvement de rotation qui tord & détord le fil alternativement, & auquel la main gauche doit céder insensiblement, en sorte que l'on sent tourner le fil entre les doigts à mesure qu'ils glissent vers d en s'éloignant de l'établi, au plan duquel le fil doit être tenu parallele. Par cette opération toutes les parties du fil se remettent dans la direction de l'axe vrai, & il est redressé ; ce qu'on connoît lorsqu'étant posé librement sur un plan qu'il déborde d'un pouce ou deux ; si on fait tourner cette partie entre les doigts, le reste du fil qui pose sur la table, tourne sur lui-même sans déplacer, ce qui est la marque d'une parfaite rectification.
Les longs côtés du chassis sont percés dans leur face supérieure d'autant de trous qu'il y a de pontuseaux dans la forme, & deux de plus. Les premiers répondent vis-à-vis les tranchans des pontuseaux, & servent à fixer avec de petites chevilles de bois les extrémités des chaînettes qui regnent le long des vives arêtes des pontuseaux, & qui lient ensemble tous les fils qui composent la trame ou tamis de la forme. Ces petites chevilles traversent aussi les tenons des pontuseaux ; ce qui affermit leur assemblage. Les quatre autres trous qui sont vers les extrémités des longs côtés, servent de même à fixer par une petite cheville de bois un fil de laiton O P o p, qu'on appelle transfil, qui est fortement tendu dans le milieu du vuide qui est entre un des petits côtés & le pontuseau le plus prochain.
Pour tisser la forme, le chassis étant préparé, comme il vient d'être expliqué, le formaire prend un nombre de petites bobines ou fuseaux A B, fig. 3, de la grandeur que la figure fait voir ; chacun de ces fuseaux est chargé d'une quantité de fil de laiton recuit, convenable, & beaucoup plus fin que celui qui forme la toile de la forme, & ayant tordu ou commis ensemble les extrémités de ces fils, comme on voit en C, il fait entrer cette partie dans un des trous N, fig. 6, qui sont à l'extrémité des pontuseaux, où il arrête ce commencement de chaînette avec une cheville de bois ; il en fait autant aux extrémités de chaque pontuseau, le long du côté G H du chassis. Ainsi il faut 40 fuseaux seulement pour les chaînettes qui regnent le long des pontuseaux. Il en faut encore deux autres pour chaque transfil O P, qui sont fixées en P : on voit tous ces fuseaux fig. 6, le long de la ligne K L.
Le formaire, fig. prem. vignette, place le chassis de la forme dans une situation inclinée ; il le tient en cet état par le moyen de deux vis, fourchettes ou mains de fer a b, que la figure 4, fait voir plus en grand ; l'extrémité inférieure terminée en vis entre dans des trous pratiqués à l'établi, & une des fourches supérieures est taraudée pour recevoir une vis, par le moyen de laquelle il comprime entre les fourchettes les petits côtés du chassis qu'il incline à volonté : les choses en cet état, les trans-fils tendus, & tous les fuseaux attachés le long du côté inférieur G H de la forme, & les fils de ces fuseaux écartés l'un de l'autre en forme d'V consonne ; savoir le fuseau A, fig. 3, entre deux pontuseaux postérieurement au plan de la toile, & l'autre B antérieurement au même plan ; le formaire alors prend un des fils de la dressée, & le couche de toute sa longueur dans les V que forment les fils des fuseaux. Ensuite commençant par une des extrémités, il fait faire au fuseau dont le fil est fixé en P, un tour par-dessous le transfil O P, fig. 6, en sorte que le fil de dressée ou de trame demeure lié au transfil ; il prend ensuite de chaque main un des fuseaux A B, fig. 3, & tord l'un sur l'autre par un demi-tour les fils dont les fuseaux sont chargés ; ensorte que le fuseau B, prend la place du fuseau A, & forme un nouvel V destiné à recevoir un nouveau fil de trame m m ; il continue de faire la même opération le long du fil de trame, vis-à-vis de la vive arrête de chaque pontuseau, & finit par faire au transfil qui est à l'autre extrémité, la même opération qu'il a faite au premier. Alors il prend un nouveau fil de dressée, & l'étend dans les nouveaux V que les fils des fuseaux forment, & continue comme il vient d'être expliqué, en étendant parallelement les uns aux autres de nouveaux fils de dressées K L, jusqu'à-ce que la toile ou tamis soit entierement formé.
Il y a environ 28 ou 30 fils de dressées paralleles les uns aux autres dans l'étendue d'un pouce ; ce qui fait en tout 520 fils de dressée pour la forme de grand raisin, haute de 17 pouces 4 lignes, en supposant 30 fils par pouce.
Pour achever la forme, il ne reste plus qu'à tendre fortement les chaînettes le long des vives arêtes des pontuseaux, & de fixer par de petites chevilles de bois leurs extrémités, après que les fils qui les forment ont été commis ensemble, dans les trous du côté supérieur E F de la forme, & à coudre le tamis sur les pontuseaux par un fil de laiton très-délié, qui passant sur les chaînettes, repasse dans les trous dont chaque pontuseau est percé, lesquels sont éloignés l'un de l'autre d'environ six lignes. Ensuite, tant pour recouvrir les extrémités K & L des fils de trame ou de dressée, le long des petits côtés ou de la hauteur de la forme, que pour contenir les chevilles qui assurent les chaînettes aux extrémités des pontuseaux ; on attache avec des clous d'épingle de laiton de petites lames de laiton connu sous le nom de laiton gratté, le long du pourtour du chassis H G E F : on voit en K cette bande de laiton non encore clouée sur toute la longueur du côté G E de la forme. Ces lames embrassent les côtés du chassis qui sont perpendiculaires à ceux sur lesquels elles sont clouées ; ce qui en fortifie l'assemblage, & en cet état la forme est achevée. La figure 6 est la forme vue par-dessus du côté de la vive arrête des pontuseaux, & la fig. 8, la forme vue par-dessous du côté des pontuseaux dont on voit toute l'épaisseur.
A chaque paire de formes (car on travaille avec deux, comme il sera dit plus bas), on adapte un chassis, fig. 5 & 7, dont les feuillures reçoivent la forme, comme le cadre d'un tableau en reçoit la toile. Ce chassis est nommé couverte, & doit s'emboîter avec facilité sur les deux formes égales ; le bois dont les chassis sont formés à environ 8 à 9 lignes de large sur 4 ou 5 d'épaisseur, refeuillé comme le profil m l k, m l k, fig. 3, le fait voir : la partie l m l m, qui s'applique sur le dessus de la forme, recouvre intérieurement d'environ deux lignes, le vuide du chassis de la forme ; ce qui fait que la feuille de papier que l'on y fabrique est de la grandeur fixée par les reglemens, quoique le tamis de la forme soit de 4 lignes plus long & plus large que les dimensions marquées par le tarif ; ensorte que la largeur de la couverte mesurée intérieurement de A à B, est de 22 pouces 8 lignes, & sa hauteur de A en C, aussi mesurée intérieurement, est de 17 pouces, qui sont les dimensions fixées par le tarif pour le papier grand raisin, dont la forme nous sert d'exemple. La figure 5 est la couverte vue par-dessus, & la fig. 7, la même couverte vue par-dessous.
Comme les reglemens prescrivent aux fabriquans de mettre une marque particuliere à leurs papiers, & que d'ailleurs il est d'usage de marquer les papiers, soit d'une aigle éployée, d'une couronne ou grappe de raisin, &c. & même outre le nom du fabriquant, d'y ajouter le millésime : voici comment ces marques se forment.
On prend du fil de laiton ou d'argent de la grosseur de celui des dressées ; on le ploye & contourne de maniere qu'il suive exactement les contours du dessein ou des caracteres que l'on veut représenter. On soude ensemble avec la soudure d'argent & au chalumeau les parties de ces contours qui se touchent, on en fait la ligature avec du fil plus fin, on applique ensuite ces filigrames sur la forme, ensorte que les empreintes se trouvent sur le milieu de chaque demi-feuille de papier où elles paroissent aussi-bien que l'impression des chaînettes & trans-fils, fils de dressées, en regardant le jour à-travers ; on attache toutes ces marques sur le tamis ou toile de la forme, avec des crins de cheval ou du fil de laiton ou d'argent très-délié.
Passons maintenant à l'attelier de la fabrication du papier que la Planche X. représente. La matiere que nous avons laissée dans les caisses de dépôt est transportée dans les cuves à ouvrer par les manouvriers de la manufacture : pour cela ils se servent de brouettes de fer, sur lesquelles sont posés des vaisseaux de bois, tels que celui que la fig. 6, Pl. XII. représente, que l'on nomme bacholle. La cuve à ouvrer, fig. 1. & fig. 6. est de bois ; elle a 5 piés de diamêtre, deux & demi de profondeur, reliée avec deux ou trois bandes de fer, & posée sur des chantiers. Elle est percée en H h d'un trou circulaire de 10 pouces de diamêtre, auquel on adapte en-dedans de la cuve une espece de chauderon de cuivre rouge, dont les rebords sont cloués en-dehors d'environ 20 ou 24 pouces de longueur, sur 15 ou 18 de diamêtre vers la culasse X : dans le chauderon qui sert de fourneau, & où on fait un feu de charbon suffisant ; on fait entrer une grille de fer H h, fig. 6., sur laquelle on fait le feu. Le dessous de cette grille sert de cendrier ; ainsi cette sorte de fourneau que les ouvriers nomment pistolet, est entierement submergé par l'eau que la cuve contient, & qu'il échauffe au point convenable. La partie de la grille qui déborde hors la cuve, est soutenue par une barre de fer K, comme on voit dans la vignette. On voit aussi auprès de la cuve la pelle arrondie qui sert à dégager le cendrier, & à porter le charbon dans le fourneau ; on voit aussi à côté un crochet ou fourgon servant au même usage.
Chaque cuve qui est ronde, est entourée de planches G L D B E K, fig. 6, qui la rendent presque quarrée à sa partie supérieure. Ces planches qui sont un peu inclinées vers la cuve pour y rejetter l'eau qui y tombe, sont rebordées par des tringles de bois de deux pouces de haut, qui empêchent la pâte de se répandre dehors. La place B où se met l'ouvrier fig. prem. est appellée la nageoire de l'ouvrier ; elle a environ 20 pouces de large ; les côtés ont six pouces ; les planches qui forment cette espece de caisse, descendent jusqu'au rez-de-chaussée ; leur sommet se trouve un peu plus haut que la ceinture de l'ouvreur, fig. prem. chaque cuve est traversée par une planche M d, percée de trous, dont l'extrémité M repose sur les rebords des planches qui entourent la cuve. Cette planche qu'on nomme drapeau de cuve, est un peu convexe sur le milieu de sa largeur ; elle a aussi en e une entaille pour recevoir l'extrémité e de la regle a e qu'on nomme planchette, qui est élégie en e, de la moitié de son épaisseur, tant pour que sa surface supérieure affleure celle du drapeau, que pour qu'elle ait un point d'appui qui l'empêche de glisser de a vers e. L'extrémité a de la planchette est soutenue par un petit chevalet a dans l'entaille supérieure duquel elle entre de toute son épaisseur. Enfin, il y a en F un morceau de bois cloué au-dedans de la chaudiere & percé de plusieurs trous, dans l'un desquels on plante un petit morceau de bois f e. fig. prem. qu'on appelle égouttoir, sur lequel un des longs côtés de la forme repose dans une situation inclinée ; l'eau retombe à-travers les trous du drapeau dans la cuve. On voit à côté en A B la presse en profil, que la fig. 5. représente en perspective, & dont on voit le plan en A A, fig. 6.
Chaque presse (il y en a autant que de cuves à ouvrer) sont éloignées de trois piés du bord L D de la cuve, avec laquelle un des montans ou jumelles est joint par des planches L A ou m, fig. prem. qui entrent à coulisse dans la rainure du poteau l qui soutient un des angles des planches qui entourent la cuve, & entre deux tasseaux cloués sur la face d'un des montans de la presse, comme on voit en M b, fig. 6. Ces planches forment ce que l'on appelle la nageoire du coucheur élevée d'environ deux piés audessus du rez-de-chaussée. Ces presses sont composées de deux montans ou jumelles A b, a b, de 12 piés de long, éloignées l'une de l'autre de trois piés & demi, qu'on élégit quarrément sur onze pouces de gros, environ huit piés de long, laissant le bois en grume par les deux extrémités : ce qui forme des renforts qui servent d'embrevement au seuil & à l'écrou. Le seuil c d e a deux piés de large, sur 15 ou 18 pouces d'épaisseur ; sa surface supérieure n'est élevée au-dessus du terrein que d'environ 2 ou 3 pouces ; il est entouré de pierre de taille, dans lesquelles on a pratiqué des gouttieres pour écouler les eaux qui sortent du papier lorsqu'on le presse. L'écrou de bois d'orme a 18 pouces de gros & 5 piés 4 pouces de long, & est assemblé avec les jumelles avec tenons à renfort & boulons à vis C, D. Il y a depuis la face inférieure de l'écrou, jusqu'à la face supérieure du seuil, 5 piés 4 pouces.
Aux faces intérieures opposées des montans, sont pratiquées deux rainures, dont on voit le plan fig. 6, en A A. Ces rainures reçoivent les tenons du plateau G H, suspendu à la tête de la vis P X, par un boulon de fer qu'on appelle moine, dont la tête appuie sous la planche N de bois de cormier, ou autre bois dur, sur laquelle lors de la pression, se fait le frottement de la vis qui est de noyer, & dont la tête a 14 pouces de gros. Cette tête P, est entourée de deux frettes de fer, dont l'inférieure porte une rondelle dentée en rochet, dans les dents de laquelle s'engage le pié de biche 3, 4, qu'on appelle acotay, dont l'usage est d'empêcher la vis de rétrograder lorsqu'on fait une pressée ; l'extrémité 4 de l'acotay est entaillée pour embrasser l'arrête de la jumelle a b, sur laquelle il appuie ; cette jumelle est revétue d'une bande de fer L 5, pour la conserver, & le long de laquelle l'acotay descend à mesure que la vis fait baisser le plateau G H ; l'autre extrémité 3 de l'acotay ou pié de biche est fourchue pour embrasser dessus & dessous l'épaisseur de la rondelle dentée ; ce qui empêche le pié de biche de manquer l'engrenage ; l'acotay est porté dans son milieu sur un morceau de bois K cloué sur le plateau qu'on nomme par cette raison porte-acotay. Il est aussi percé en 2 d'un trou, dans lequel passe la corde 2, 1, qui embrasse l'extrémité 1, du ressort. Ce ressort n'est autre chose qu'un bâton fléxible cloué sur le milieu de la face postérieure du plateau. Enfin, il y a un autre trou vers l'extrémité 4, dans lequel passe la corde par laquelle l'acotay est suspendu au piton L.
Sur le seuil c d de la presse, est un chantier V où posent de niveau deux ou trois pieces de bois Tu, Tu, Tu, qu'on nomme poulains, sur lesquels on pose une forte planche Q qu'on appelle drapan, sur laquelle on couche entre des étoffes de laine les feuilles de papier, à mesure qu'elles sont fabriquées.
Fabrique de papier. Les bras nuds jusqu'au coude, l'ouvreur, figure 1. Pl. X. après avoir brassé & délayé dans l'eau chaude de sa cuve, la quantité de matiere & de qualité convenable à la sorte de papier qu'il veut faire, & dont il a toujours une provision en réserve dans la bachole g qui est à côté de lui ; prend une des deux formes, garnie de sa couverte, par le milieu des petits côtés, & appuyant avec les pouces il fait joindre la couverte sur la forme, il la plonge obliquement à quatre ou cinq pouces de profondeur dans la cuve, en commençant par le long côté qui est tourné vers lui ; après l'immersion il la releve de niveau, par ce moyen il prend sur sa forme comme dans un filet de pêcheur, un grand nombre des parties de la matiere qui flotte & est délayée dans la cuve ; l'eau s'écoule à-travers le tamis de la forme, le superflu de la pâte pardessus les bords de la couverte, & la feuille de papier est faite. C'est de la quantité de matiere que la cuve contient relativement à la même quantité d'eau & de la quantité qu'il en laisse sur sa forme, que dépend le plus ou le moins d'épaisseur de papier ; les parties fibreuses de la matiere s'arrangent sur le tamis de la forme à mesure que l'eau s'écoule à-travers, & l'ouvreur favorise cet arrangement par de petites secousses en long & en large de la forme, pour faire souder les unes aux autres les parties de cette pâte ; ensuite ayant posé sa forme sur la planchette a e, ensorte qu'elle y soit en équilibre, les longs côtés croisés en angles droits par la planchette, il ôte la couverte ou cadre volant, & lance en glissant cette forme du côté du coucheur, qui ayant étendu auparavant sur le drapan Q une piece d'étoffe de laine qu'on appelle flautre qui est de serge, leve de la main gauche cette forme pour en faire reposer un des longs côtés sur l'égouttoir f ; pendant cette opération, l'ouvreur, fig. 1. applique sa couverte ou cadre volant sur une autre forme, & recommence à lever dans la cuve une autre feuille de papier ; le coucheur prend la forme qui est appuyée sur l'égouttoir, & l'ayant retournée c'en-dessus-dessous de la main gauche & amenée devant lui, il la reprend de la main droite par le milieu du long côté qui s'applique sur l'égouttoir, & avec la main gauche qu'il met sur le milieu du côté opposé, il s'incline, applique & appuie la feuille de papier sur la flautre ou étoffe de laine qui couvre le drapan Q. S'étant relevé & ayant retourné la forme, il la glisse & lance le long du drapan de la cuve M d, fig. 6. ensorte qu'elle arrive vis-à-vis de la nageoire de l'ouvreur, qui la reprend & y applique la couverte, après avoir lancé le long de la planchette la seconde forme du côté du coucheur, qui du même tems la releve sur l'égouttoir pour la laisser égoutter.
Pendant que cette forme égoutte, & que l'ouvreur leve une nouvelle feuille de papier sur la forme que le coucheur lui a renvoyé ; celui-ci prend une flautre F sur la planche B C qui est entre les jumelles de la presse & l'étend sur la feuille de papier qu'il a couchée sur la premiere flautre ; c'est cet instant que la vignette représente. L'ouvreur leve sur la seconde forme la premiere qui est sur l'égouttoir, & le coucheur étend une flautre : ces différentes opérations qui s'exécutent avec beaucoup de célérité se réiterent, jusqu'à-ce que toutes les flautres au nombre de deux cent soixante soient employées, ce qui compose une porce ou demi rame.
La porce est composée de dix quais, le quai toujours de vingt-six flautres ; mais quand les papiers sont d'une certaine grandeur, la porce est composée de moins de quais ou quarterons de feuilles de papier, car il en tient vingt-cinq entre vingt-six flautres.
Après que la porce qui est empilée sur le drapan Q, fig. 6. est remplie & qu'il ne reste plus de flautres F sur la planche B E, fig. 6. & que la derniere feuille de papier est couverte du dernier flautre ; les ouvriers après avoir ôté la planche B E, tirent le drapan Q par les poignées qu'on y voit & l'amenent sous le plateau de la presse, en le faisant glisser sur les poulains Tu, Tu, & la porce dont il est chargé. Là, ils mettent dessus un autre drapan q, fig. 3. & par-dessus, la piece de bois p qu'on appelle mise, sur laquelle en abaissant le plateau de la presse au moyen de la vis, & battant fortement à trois, & en dernier lieu avec le tour ou cabestan x y z, dont la corde z s'attache à l'extrémité du levier de 15 piés de long qui entre dans les trous qui sont à la tête de la vis ; ils compriment fortement la porce, ce qui en exprime l'eau & donne plus de solidité au papier, qu'un troisieme ouvrier appellé leveur retire d'entre les flautres.
Le leveur, fig. 3. après avoir avec le coucheur desserré la porce, remis la mise p sur le billot o, scellé en terre vis-à-vis le milieu de la presse ; & après que le coucheur à l'aide de l'ouvreur, a mis le drapan q qui couvre la porce à la place du drapan Q, fig. 5. vis-à-vis de la nageoire du coucheur ; le leveur, disje, aidé du coucheur, prend le drapan qui porte la porce r qui est sous la presse & le place comme on voit en q sur la mise p ; alors ayant remis entre les jumelles de la presse la Planche D E qui repose sur des tasseaux, & dont les extrémités faites en tenons entrent dans les rainures des jumelles ; & cet ouvrier ayant mis devant lui une espece de chevalet de peintre t u qu'on appelle piquet, de 14 pouces de large & de 2 piés & demi de long, dont on voit la partie postérieure, fig. 4. sur les chevilles duquel il place une planche dont il mouille l'extrémité supérieure ; alors ayant levé la premiere flautre & l'ayant jettée sur la Planche D E de la presse, il leve de dessus la seconde flautre la feuille de papier qu'il étend sur la planche à lever, où l'adhérence que l'humidité occasionne la fait tenir ; il continue cette manoeuvre & à placer des feuilles de papier s jusqu'à-ce qu'il ait entierement levé la porce r & qu'il en ait rejetté toutes les flautres sur la planche de la presse, où le coucheur les prend à mesure que l'ouvreur lui donne occasion de les employer pour couvrir les nouvelles feuilles de papier qu'il fabrique, & former par ce moyen une nouvelle porce avec les mêmes flautres qui ont servi à former la premiere. Les opérations des deux premiers ouvriers sont nécessairement liées ensemble ; mais le leveur peut sans inconvénient aller plus vîte que les deux autres, dont la célérité est telle, qu'ils font par jour seize porces, ce qui fait huit rames de papier, composées chacune de cinq cent feuilles ; total 4000 feuilles, non compris dix feuilles qui sont surnuméraires dans chaque porce, ce qui fait 4160 feuilles en tout.
Après que huit porces sont faites, on les presse ensemble, ce qu'on appelle presser en porce blanche M : pour cela on a d'autres presses, dont le seuil K & le sommier P R de 8 piés de long sur 12 pouces de gros, contient deux écroux, ce qui forme deux presses accollées ensemble, les deux montans E F des extrémités, dont on ne voit qu'un seul dans la figure, sont élégis sur 8 pouces de gros, avec renforts audessus & au-dessous du sommier & du seuil, le montant du milieu R H est assemblé haut & bas à queue d'aronde, & avec des coins G ; la table de ces presses de deux piés de large & à deux piés d'élévation au-dessus du rez-de-chaussée, est soutenue par une mise ou bloc de bois L vis-à-vis de la vis M N, à laquelle un plateau est également suspendu : un seul ouvrier suffit pour serrer ces presses, le degré de compression n'étant pas considérable & suffisant seulement pour redresser les porces blanches, c'est-à-dire séparées des flautres par le leveur. Après que les porces ont été pressées, des ouvriers qu'on appelle étendeurs de porces, les étendent sur des cordes dans l'étendoir supérieur qui regne au-dessus du grand bâtiment, & dont on voit l'élévation & le profil, Pl. VI. & VII. c'est ce que fait l'ouvrier, fig. 1. vignette Pl. XII. qui représente les deux étendoirs, supposés de plain-pié ; D D la sellette sur laquelle pose le drapan léger sur lequel la porce est posée ; C C poteaux garnis de morceaux de bois dans les entailles desquels on place les extrémités des perches, dans les trous desquels les cordes sont passées & tendues. Là l'étendeur de porce prend 3 ou 4, ou 5 feuilles à la fois sur son ferlet, outil de bois que la fig. 5. même Planche représente, avec lequel il place sur les cordes les feuilles de papier, ce qu'on appelle étendre en page. On fait état que dans l'étendoir supérieur, on peut y étendre à la fois en page la quantité de 3660 rames, & dans l'étendoir inférieur & les deux aîles qui servent de supplément, la quantité de 1213 rames, feuille à feuille au sortir de la colle, comme nous dirons plus bas.
Après que le papier en page est sec, & qu'il a été recueilli & remis en porces, on le porte à la colle ; c'est la manoeuvre & l'attelier des colleurs que la Pl. XI. représente. F porte du fourneau ou du cendrier ; L fourneau de maçonnerie, sur lequel est montée la cuve K, de 5 piés de diamêtre & 3 de profondeur dans lequel on fait cuire la colle, que l'on met dans le panier E suspendu à une corde par quatre chaînes de fer. La corde est, après avoir traversé la voûte, entortillée sur le treuil horisontal M N, placé dans l'étage supérieur qui sert de magasin pour les colles & autres ustensiles. Ce treuil a comme une espece de devidoir semblable à l'engin des moulins à vent, sur lequel s'enroule une autre corde par le moyen de laquelle on enleve avec facilité le panier E pour le placer ou le déplacer dans la chaudiere K.
Après que la colle, qui est faite avec les rognures des peaux que les Tanneurs-Mégissiers & Parcheminiers, préparent ou employent, que l'on jette dans le panier, fig. 7. on la laisse couler par le robinet G dans la cuve ou bassine H, d'où l'ouvrier, fig. 1. la retire avec les bassins C pour la filtrer à-travers la passoire qui est une piece d'étoffe de laine, posée sur un chassis 1, 2, 3, 4, garni de cordes lâches, ce qui forme une espece de chausse à-travers de laquelle se fait la filtration ; on voit en D ce chassis qu'on appelle couloir, dont la largeur est de 18 pouces & la longueur entre les deux traverses de deux piés, & les cordes sur lesquelles repose la passoire dans laquelle on exprime le résidu à la fin de la filtration.
La colle est reçue dans un grand vaisseau A de cuivre rouge (ainsi que tous les autres vaisseaux de cet attelier), & auquel on a donné le nom de poissonnerie, la longueur est d'environ six piés, la largeur de trois, & la profondeur de deux ; il est posé sur une grille de fer, & ceint par deux ou trois bandes du même métal.
La colle, avant d'être employée à coller le papier, est encore filtrée de même, pour entrer dans les cuves ou mouilloirs u, fig. 2, de cuivre rouge, ayant trois piés de diamêtre, & environ 20 pouces de profondeur, posé sur un trépié de fer de huit pouces d'élevation, sur lequel on place le couloir & la passoire, que l'on ôte ensuite, & sous lequel on met une poëllée de charbon allumé t, pour entretenir la colle dans un degré convenable. Le mouilloir est placé à côté d'une presse a b, ensorte que la colle superflue qui s'écoule des porces collées f sur la table de la presse, coule dans la gouttiere ou cannelure qui environne cette table, & rentre dans le mouilloir par le goulot s, vers lequel toutes les parties de la rigole sont inclinées.
La presse des colleurs est composée de deux montans comme a b ou A B, A B, fig. 4, qui est l'élevation de la presse : les montans des jumelles de 10 piés de long sont élargis sur 7 1/2 piés, & équarris à 10 pouces, ce qui forme des renforts où le seuil C & l'écrou P, trouvent un point d'appui fixe : le seuil a 1 pié d'épaisseur sur 15 pouces de large : l'écrou a 15 pouces de gros ; l'un & l'autre 5 piés 2 pouces de long, ce qui fait que les jumelles sont éloignées l'une de l'autre de trois piés & demi : sur le seuil C de la presse pose un tasseau D qui soutient la table E de la presse, de 8 pouces d'épaisseur, dont la surface supérieure est élevée au-dessus du rez-de-chaussée d'environ deux piés & demi : cette table est assemblée à fourchette & doubles tenons embrevés dans les jumelles, & est entourée d'une rainure d'un demi pouce de large, sur environ autant de profondeur ; l'espace renfermé en-dedans de la rainure a 18 pouces de large, & 27 ou 28 pouces de long. C'est sur cette table que l'on pose les porces F au sortir du mouilloir : on met entre les porces, vers un des angles, de petits morceaux de bois 3, 6, 9 ; on colle ordinairement 12 porces à la fois ; & c'est pour pouvoir les reconnoître & les séparer que l'on met les petits morceaux de bois. Sur les 12 porces on pose un drapan G H, sur lequel, par le moyen de la vis N R, on fait descendre le plateau K L, qui est suspendu en M, à la tête de la vis que l'on tourne avec un levier, comme la figure 3 le fait voir.
Avant de plonger les porces dans la colle contenue dans le mouilloir, on y fait fondre une certaine quantité d'alun & de couperose, & le colleur, fig. 2, ayant pris une des porces en page x, telle qu'elle a été retirée de l'étendoir, & apportée sur la sellette y, & la tenant de la main gauche, une des trois palettes, fig. 6, en-dessous, il plonge cette porce dans la colle, que le mouilloir u contient, observant d'écarter avec la main droite les pages de cette porce, afin que la colle puisse s'introduire entr'elles, & il submerge entierement le côté 3 de la porce, en plongeant sa main dans la colle. Ensuite il enleve cette porce de la main gauche 2, & la tient suspendue verticalement sur le mouilloir, où elle s'égoutte un peu, ce qui fait rassembler les pages ; alors il présente l'extrémité 3 de la porce sur une des palettes, fig. 6, de bois de sapin, capables, par conséquent, de flotter sur la colle ; il laisse porter la porce sur cette palette, & prenant la troisieme, il l'applique sur la porce, qui se trouve saisie entre deux palettes, qu'il comprime de la main droite, & ayant lâché l'extrémité 2 de la porce qu'il tient de la main gauche, il en écarte les pages, & plonge la main dans la colle, comme il a fait de la main droite sur l'autre extrémité ; il releve ensuite de la main droite la porce qu'il tient entre deux palettes, comme fait voir la fig. 5, & l'ayant suspendue pour laisser égoutter & rassembler les pages qu'il avoit écartées pour y laisser introduire la colle, il prend de la main gauche la troisieme palette, avec laquelle & les deux autres il transporte la porce collée sur la table de la presse, & continue de la même maniere jusqu'à-ce qu'il ait passé dans le mouilloir 12 porces ; alors en pressant, comme fait l'ouvrier, fig. 3., il fait sortir le superflu de la colle, qui retombe dans le mouilloir par le goulot s, ainsi qu'il a été dit ci-dessus. Cette opération demande beaucoup d'attention ; car par une trop forte compression, on feroit sortir presque toute la colle. Une rame de grand raisin double, qui pese 35 à 38 livres, prend environ deux livres & demie de colle, c'est-à-dire, qu'elle pese cette quantité de plus après avoir été collée & sechée, qu'avant de passer par cette opération.
La figure 7 de la même Planche fait voir plus en grand le panier que l'on met dans la chaudiere, & dans lequel on fait cuire la colle, par le moyen duquel on retire de la chaudiere les parties inutiles de la colle qui n'ont pas pu fondre. Ce panier, qui est d'osier, entre dans une cage de fer suspendue à la corde du treuil par quatre chaînes ; on y voit aussi la croix de fer qui contient les parties de cette cage, & les empêche de se rapprocher du centre lorsque le papier est suspendu.
Après l'opération de coller le papier, succede celle de l'étendre feuille à feuille, que la Pl. XII. déja citée, représente : pour cela les femmes employées à cet ouvrage, portent aux étendoirs les porces que les coleurs leur délivrent, & les étendent feuille à feuille sur les cordes en cette maniere ; l'ouvriere, fig. 2, tient un ferlet ou T de bois, fig. 5, dont la traverse est aussi longue que le papier a de hauteur, & appliquant cette traverse sur le milieu de la largeur de la feuille de papier, une autre ouvriere, fig. 3, leve une demi-feuille, qu'elle jette sur le ferlet où elle se trouve ployée en deux parties égales, & avec lequel l'ouvriere, fig. 2, l'enleve de dessus la porce, & la place sur une des cordes de l'étendoir.
Comme les perches dans les trous desquelles les cordes sont placées sont à différentes élevations, cet attelier doit être pourvu de bancs, selles, sellettes de différente élevation, tant pour poser les drapans ou ais, sur lesquels les porces sont apportées, que pour exhausser les ouvrieres.
La fig. 4 de la même planche fait voir l'élevation, le plan & le profil d'une des croisées des grilles qui ferment les fenêtres des étendoirs ; A C K E, chassis dormant, dont les côtés G K A C, ainsi que la traverse dormante D F ont une rainure dans laquelle glissent les quatre guichets, comme on voit par le profil qui est à côté : le chassis dormant a aussi des barreaux fixes, assemblés dans les trois traverses, & espacés tant plein que vuide, comme on voit par le plan ; la moitié G H B A de la croisée est fermée, c'est-à-dire, que l'on a poussé les guichets mobiles auprès du montant du milieu, comme le fait voir la partie A B du plan, ensorte que les barreaux des guichets répondent vis-à-vis des intervalles de ceux du chassis dormant : la partie supérieure K H E F de l'autre moitié est ouverte, c'est-à-dire, que les barreaux & les vuides du guichet & du chassis dormant, répondent vis-à-vis les uns des autres, comme la partie B C du plan le fait voir : enfin la partie inférieure du même côté est aussi ouverte, le guichet ayant été ôté pour laisser voir les barreaux f c, f c, du chassis dormant à découvert ; ces barreaux, qui sont en deux parties, sont assemblés dans une entre-toise e, qui est elle-même assemblée dans les montans du chassis dormant ; on voit à côté le guichet séparé composé de deux emboîtures f f, c c, de deux montans f c, f c, d'une entretoise e, de deux barreaux qui s'assemblent dans les emboîtures & l'entretoise. Les emboîtures reçoivent aussi les extrémités des montans dans lesquels l'entretoise est assemblée ; on voit à côté le profil ou la coupe du guichet.
Après que le papier est séché feuille à feuille dans l'étendoir ; on le recueille & on le porte à la salle, où il reçoit les dernieres préparations, qui sont de l'éplucher, le lisser, ployer, compter & mettre en presse, battre & couper. Ce n'est pas que toutes les sortes de papiers passent par toutes ces opérations ; mais toutes se pratiquent dans la salle que la Pl. XII. représente : la fig. 1. est une papetiere qui épluche le papier, c'est-à-dire, qui ôte avec un grattoir les noeuds, bosses, fils, ou autres corps hétérogenes qui peuvent s'y trouver : elle se sert pour cela d'un grattoir a, qu'on voit par terre en b, & forme différentes piles du papier sain, & des papiers cassés, ridés ou autrement défectueux. La fig. 2. est une ouvriere papetiere qui lisse une feuille de papier ; elle est debout devant une table, qu'on appelle tholier ou lissoire, le long du bord de laquelle est attachée avec une tringle de bois une peau de basanne, que l'on voit pendre en f, comme un tablier, & qu'elle releve & étend sur la table. C'est sur cette peau qu'elle étend la feuille de papier, qu'elle frotte ou lisse en tout sens avec un caillou, dont on voit la figure en a à ses piés, & forme deux piles d e, l'une des papiers lissés, & l'autre des papiers qui n'ont pas encore eu cette préparation. La fig. 3. est une petite fille occupée à ployer le papier en deux : elle se sert d'un morceau de bois dur, formé à-peu-près comme la pierre de la liseuse, fig. 2, que l'on appelle aussi pierre, avec laquelle en passant le long du milieu de la feuille dont elle a mis les deux extrémités l'une sur l'autre, elle forme le pli : elle a devant elle deux piles e d de papier ; la premiere, de papier étendu, & la seconde d, de papier ployé, qui passe ensuite entre les mains de l'ouvriere, fig. 4, qui compte les feuilles de papier par 25, pour en former ce qu'on appelle une main ; 20 mains font une rame, qui contient par conséquent 500 feuilles.
La fig. 5 est un ouvrier nommé saleran, qui presse les papiers, soit avant d'être ployés ou après qu'ils le sont, met les mains en rames, qu'il enveloppe de maculatures ou papier grossier, faites avec le frasin ou traces, qui sont les balayures de différens atteliers, par-dessus lesquelles il passe une ficelle en croix ; le papier est alors en état d'être livré & envoyé à sa destination.
Les presses de cet attelier sont très-fortes & sont doubles, c'est-à-dire que le seuil & l'écrou sont communs à deux presses, comme on voit dans la vignette, & la fig. 5. le fait voir. Il y a deux doubles presses accolées parallelement l'une & l'autre, & isolées au milieu de la salle : les deux montans A B, a b, des extrémités de chacune de ces presses ont 12 piés de long, & sont élegis & équarris à 11 pouces sur 9 piés de long, avec renforts, bossages, embrevement dessus l'écrou D d, & sous le seuil, dont la surface supérieure affleure presque le rez-de-chaussée, où il est scellé, aussi-bien que les bossages des extrémités inférieures des montans ou jumelles : le seuil de deux piés de large & de 18 pouces d'épaisseur, aussi-bien que l'écrou D d, 8 piés 9 pouces de long ; l'écrou de bois d'orme a 18 pouces de haut sur 21 de large ; il est percé de trois trous, deux qui sont taraudés pour recevoir les vis qui compriment les piles de papier F f : le troisieme, qui est une mortaise, est entre les deux autres au milieu de la longueur du sommier ; elle reçoit le tenon supérieur en queue d'aronde, qui termine le montant du milieu, où il est arrêté par des clés : le tenon inférieur est de même fixé au seuil par des clés qui entrent par-dessous le seuil, & il y a 6 piés de distance depuis sa surface supérieure jusqu'à la surface inférieure de l'écrou, & 3 piés de distance d'un montant à l'autre : les faces opposées des montans sont à rainure, pour recevoir & servir de guides aux plateaux des presses, entre lesquels & le seuil se fait la compression du papier F f qui y est placé : on ne voit dans la figure qu'un seul montant C E des trois qui composent l'autre double presse parallele.
Le bas de la même Planche, fig. 6 & 7, est le profil & le plan d'une machine, par le moyen de laquelle on fait lever un très-gros marteau, qui sert à battre le papier. Cette machine ou marteau est renfermée dans une cage de charpente, dont les bois ont 6 pouces sur 3 d'épaisseur, & consiste en un arbre, sur lequel est fixée une lanterne A de 12 fuseaux. Cette lanterne, sur l'axe de laquelle est la manivelle, engrène dans une roue B de 96 dents : cette roue en conduit une autre C, & porte aussi un volant 1, 2, 3, qui a 36 dents : l'axe de cette derniere roue porte une noix de cuivre G, qui a trois levées, qui venant successivement à passer, comme les levées de moulins à pilons, sur le rouleau qui est à l'extrémité de la fourchette du manche C D E du marteau, font baisser cette partie, & par conséquent lever le marteau E, mobile au point D, qui en retombant lorsque les levées de la noix G laissent échapper le rouleau, bat le papier posé sur le marbre F, sur lequel on promene le papier pour faire tomber le marteau sur les différens points de la surface, ce qui le rend beaucoup plus uni qu'aucune autre préparation. Le marteau a 6 pouces en quarré à sa base, & 7 pouces de haut : le marbre en a 20, & 18 de haut : il est encastré dans un billot de bois où on peut le caler, pour que la surface soit parallele à celle du marteau : elle est élevée au-dessus du rez-de-chaussée d'environ 3 piés.
Il ne reste plus pour finir cet article, déja fort étendu, qu'à donner le tarif qui fixe la largeur, la hauteur & le poids des différentes sortes de papier qu'on fabrique dans le royaume.
TARIF des grandeurs & des poids des différentes sortes de Papiers qui se fabriquent dans le Royaume, fixé par arrêt du conseil d'état du 18 Septembre 1741.
Le poids fixé pour les rames est le même pour les différentes qualités d'une même sorte, soit fin, moyen, bulle, vanant, ou gros bon, à la livre de seize onces poids de marc.
Toutes les différentes sortes de papiers, dont la hauteur est moindre que neuf pouces & demi, n'ont point de largeur ni de hauteur, ni de poids fixés par les réglemens ; il en est de même des papiers dénommés trasse ou tresse, ou main-brune, le papier brouillard ou à la demoiselle, les papiers gris & de couleur, la serpente, qui seront des largeur, hauteur & poids qu'ils seront demandés. (Article de M. GOUSSIER.)
PAPETERIE, se dit aussi du commerce du papier ; dans ce sens on dit, un tel marchand ne fait que la papeterie : la papeterie est un fort bon commerce.
PAPETIER COLLEUR DE FEUILLES, (Papeterie) c'est un artisan qui fait & fabrique des cartes & cartons de toutes sortes, en collant plusieurs feuilles de papier les unes sur les autres.
On l'appelle aussi papetier travaillant en cuves, à-peu-près de la maniere qu'on fait pour la fabrique du papier ; il se sert ensuite de ces chiffons bien consommés & réduits en une espece de bouillie assez épaisse pour en dresser des cartons de toute grandeur & épaisseur, suivant les ouvrages auxquels ils sont destinés. Il y a à Paris une communauté de maîtres de ce métier.
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PAPHIENNE | adj. (Mythol.) épithete donnée à Vénus, à cause de la ville de Paphos qui lui étoit particulierement consacrée. Elle y avoit un temple magnifique, où cent autels lui sont dressés, dit Virgile, & sur lesquels fume un éternel encens. (D.J.)
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PAPHLAGONIE | (Géog. anc.) Paphlagonia, province de l'Asie mineure ; elle s'étend d'occident en orient, depuis le fleuve Parthenius, qui la séparoit de la Bithynie, jusqu'au fleuve Halys. Au nord elle étoit bornée par le Pont-Euxin, & au midi par la Galatie.
La Paphlagonie, selon Strabon, l. IV. p. 195. étoit le pays de Henetes ou Venetes, d'où l'on croit que sont venus les Vénitiens ; & les Chalybes, selon Pomponius Mela, y habitoient les villes de Synope & d'Amyse. Sous les derniers empereurs de la Grèce on appella cette province, le thème des Paphlagons. Si on la considere dans la main des Turcs, il faut faire attention qu'étant échue aux enfans d'Amur ou d'Omer, qui s'appelloient Spenders ou Spenderes, elle fut nommée Pendérachie, comme si l'on eût voulu dire Spenderachie.
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PAPHLAGONIUS | (Géog. anc.) ruisseau qui coule au pié du mont Ida ; les Poëtes l'ont donné pour un fleuve qui s'étoit formé du sang de Memnon tué par Achille.
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PAPHOS | (Géog. anc.) ville de l'île de Cypre, à l'extrémité occidentale. Ptolomée & Pline connoissent deux villes de ce nom, savoir palaea Paphos, & nea Paphos, la vieille Paphos, & la nouvelle Paphos. Strabon dit qu'elles étoient éloignées l'une de l'autre de soixante stades, & Ptolomée place la nouvelle Paphos entre les promontoires Adamas & Drepanum : il met la vieille Paphos entre les promontoires Drepanum & Zephirium. Cette derniere étoit dans les terres, à dix stades de la mer ; elle avoit cependant un port, & un temple dédié à Vénus paphienne. La nouvelle Paphos avoit été bâtie par Agapenor, & elle avoit pareillement un port & un temple ; ces deux villes étoient dédiées à Vénus, & quand les Poëtes font mention de Paphos, ils ne distinguent point si c'est de la vieille ou de la nouvelle qu'ils entendent parler ; par exemple, Virgile, l. X. vers 86. dit :
Est Paphos, Idaliumque tibi, sunt alta Cythera.
& Horace, liv. I. ode xxx.
O Venus regina Cnidi Paphique,
Sperne dilectam Cypron.
La plûpart du tems néanmoins quand on ne distingue point les villes par leur surnom, on entend la nouvelle Paphos. C'est dans cette derniere que saint Paul convertit à la religion chrétienne le proconsul Sergius Paulus. L'on dit que la prison de cet apôtre étoit aux environs de cette ville, qui porte aujourd'hui le nom de Baffo, ou de Baffa.
La nouvelle Paphos ayant beaucoup souffert d'un tremblement de terre, Auguste la répara, & la nomma de son nom Augusta. Il n'est pas sûr qu'elle ait conservé long-tems ce nom, du-moins aucun ancien monument n'en fait foi. Paphos étoit la patrie de Sopater de Paphos, poëte comique, qui vivoit sous Alexandre, & sous ses deux successeurs, les Ptolomées.
Cette ville étoit plus particulierement consacrée à Vénus que le reste de l'île. Le temple qui y étoit bâti en son honneur, étoit de la plus grande magnificence. La vénération qui y étoit attachée s'étendoit même jusqu'au prêtre, qui en faisoit les fonctions. Plutarque rapporte que Caton fit offrir au roi Ptolomée la grande prêtrise du temple de Vénus à Paphos, s'il vouloit céder Cypre aux Romains, regardant cette dignité comme le dédommagement d'un royaume.
Les ministres des temples de Vénus n'immoloient jamais de victimes, le sang ne couloit jamais sur leurs autels ; on n'y brûloit que de l'encens, & la déesse n'y respiroit que l'odeur des parfums. Elle y étoit représentée sur un char conduit par des amours, & tiré par des cygnes & des colombes. L'or & l'azur brilloient en vain dans le temple de Paphos, leur éclat y cédoit à l'éclat des arts. Les chef-d'oeuvres que des mains immortelles y avoient tracés, attiroient seuls toute l'attention. Ici le ciseau délicat d'un artiste supérieur représentoit la déesse qui vivifie tous les êtres, & qui féconde la nature ; là le pinceau voluptueux inspiroit les feux de l'amour.
La délicieuse situation & les charmes du climat, avoient sans doute contribué à établir l'opinion de ceux qui y avoient fixé l'empire de Vénus, & le séjour des plaisirs.
" On y jouissoit d'un printems éternel ; la terre heureusement fertile y prévenoit tous les souhaits ; les troupeaux y paissoient sans nombre ; les vents sembloient n'y regner que pour répandre par-tout l'esprit des fleurs ; les oiseaux y chantoient sans cesse ; les bois y sembloient harmonieux ; les ruisseaux murmuroient dans les plaines ; une chaleur douce faisoit tout éclorre ; l'air ne s'y respiroit qu'avec la volupté ". (D.J.)
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PAPIER | S. m. (Arts) merveilleuse invention, qui est d'un si grand usage dans la vie, qui fixe la mémoire des faits, & immortalise les hommes ! Cependant ce papier admirable par son utilité, est le simple produit d'une substance végétale, inutile d'ailleurs, pourrie par l'art, broyée, réduite en pâte dans de l'eau, ensuite moulée en feuilles quarrées de différentes grandeurs, minces, flexibles, collées, séchées, mises à la presse, & servant dans cet état à écrire ses pensées, & à les faire passer à la postérité. Voyez l'article PAPETERIE.
Ce mot papier vient du grec , papyrus, nom de cette plante célebre d'Egypte, dont les anciens ont fait un si grand usage pour l'écriture ; nous décrirons cette plante au mot PAPYRUS.
Il seroit trop long de spécifier ici toutes les différentes matieres sur lesquelles les hommes, en divers tems & en divers lieux, ont imaginé d'écrire leurs pensées ; c'est assez de dire que l'écriture une fois trouvée, a été pratiquée sur tout ce qui pouvoit la recevoir ; on l'a mise en usage sur les pierres, les briques, les feuilles, les pellicules, l'écorce, le liber des arbres ; on l'a employée sur des plaques de plomb, des tablettes de bois, de cire, & d'ivoire ; enfin on inventa le papier égyptien, le parchemin, le papier de coton, le papier d'écorce, & dans ces derniers siecles le papier qui est fait de vieux linge ou de chiffons. Voyez Maffei, Hist. diplom. lib. II. Bibl. ital. tom. II. Leonis Allati, Antiq. etrusc. Hug. de Scripturae origine, Alexand. ab Alexand. l. II. c. xxx. Barthol Dissert. de libris legendis.
Dans certains siecles barbares, & dans certains lieux, on a écrit sur des peaux de poissons, sur des boyaux d'animaux, sur des écailles de tortues. Voyez Mabillon de re diplom. l. I. c. viij. Fabricii Biblioth. antiq. c. xxj. &c.
Mais ce sont principalement les plantes dont on s'est servi pour écrire ; c'est de-là que sont venus les différens termes de biblos, liber, folium, filura, scheda, &c. A Ceylan on écrivoit sur des feuilles de tallipot, avant que les Hollandois se fussent rendus maîtres de cette île. Le manuscrit bramin en langue tulingienne envoyé à Oxford du fort saint Georges, est écrit sur des feuilles d'un palmier de Malabar. Herman parle d'un autre palmier des montagnes de ce pays-là, qui porte des feuilles pliées, & larges de quelques piés ; les habitans écrivent entre les plis de ces feuilles en enlevant la superficie de la peau. Voyez Knox, Hist. de Ceylan, l. III. Philosoph. Trans. n °. 155. & 246. Hort. ind. Malab. &c.
Aux îles Maldives, les habitans écrivent aussi sur les feuilles d'un arbre appellé macaraquean, qui sont longues de trois piés, & larges d'un demi-pié. Dans différentes contrées des Indes orientales, les feuilles du musa ou bananier servoient à l'écriture, avant que les nations commerçantes de l'Europe leur eussent enseigné l'usage du papier.
Ray, Hist. plant. tom. II. lib. XXXII. nomme quelques arbres des Indes & d'Amérique, dont les feuilles sont très-propres à l'écriture : de la substance intérieure de ces feuilles on tire une membrane blanchâtre, large & fine comme la pellicule d'un oeuf, & sur laquelle on écrit passablement ; cependant le papier fait par art, même le papier grossier, est beaucoup plus commode.
Les Siamois, par exemple, font de l'écorce d'un arbre qu'ils nomment pliokkloi, deux sortes de papiers, l'un noir, & l'autre blanc, tous deux rudes & mal fabriqués, mais qu'ils plient en livre, à-peu-près comme on plie les éventails ; ils écrivent des deux côtés sur ces papiers, avec un poinçon de terre grasse.
Les nations qui sont au delà du Gange, font leur papier de l'écorce de plusieurs arbres. Les autres peuples asiatiques de-deçà le Gange, hormis les noirs qui habitent le plus au midi, le font de vieux haillons d'étoffe de coton, mais faute d'intelligence, de méthode, & d'instrumens, leur papier est fort lourd & fort grossier. Je ne tiendrai pas le même langage des papiers de la Chine & du Japon, car ils méritent tous nos regards par leur finesse, leur beauté, & leur variété.
On garde encore dans de vieux cloîtres quelques sortes de papiers irréguliers manuscrits, dont les critiques sont fort embarrassés de déterminer la matiere ; tel est celui de deux bulles des antipapes, Romanus & Formose, de l'an 891 & 895, qui sont dans les archives de l'église de Girone. Ces bulles ont près de deux aunes de long, sur environ une aune de large ; elles paroissent composées de feuilles ou pellicules collées ensemble transversalement, & l'écriture se lit encore en beaucoup d'endroits. Les savans de France ont hasardé plusieurs conjectures sur la nature de ce papier, dont l'abbé Hiraut de Belmont a fait un traité exprès. Les uns prétendent que c'est du papier fait d'algue marine, d'autres de feuilles d'un jonc appellé la bogua, qui croît dans les marais du Roussillon, d'autres de papyrus, d'autres de coton, & d'autres d'écorce. Voyez les Mém. de Trévoux, Septembre 1711.
Enfin l'Europe en se civilisant, a trouvé l'art ingénieux de faire du papier avec du vieux linge de chanvre ou de lin ; & depuis le tems de cette découverte, on a tellement perfectionné cette fabrique du papier de chiffons, qu'il ne reste plus rien à desirer à cet égard.
De-là vient que depuis peu, quelques physiciens ont tâché d'étendre les vûes que l'on pouvoit avoir sur le papier, en examinant si avec l'écorce de certains arbres de nos climats, ou même avec du bois, qui auroit acquis un certain degré de pourriture, on ne pourroit pas parvenir à faire du papier, & c'est ce dont quelques tentatives ont confirmé l'espérance. Il étoit assez naturel de soupçonner cette possibilité, puisque long-tems avant l'invention du papier européen, on en faisoit en Egypte avec le papyrus, espece de souchet du Nil, en orient avec le chiffon de toile de coton, & avec le liber de plusieurs plantes. Les Japonois fabriquent aussi différentes especes de papiers, avec l'écorce, & autres parties de leurs arbres ; les Chinois avec leur bambou, avec du chanvre, de la laine blanche, du coton, & de la soie, &c. Busbec nous apprend encore qu'on en fait au Cathay avec des coques de vers à soie. Voyez la lettre iv. de son ambassade en Turquie.
Le chiffon de toile de chanvre ou de lin, n'est qu'un tissu de fibres ligneuses de l'écorce de ces deux plantes, que les lessives & les blanchissages ont débarrassées de plus-en-plus de la partie spongieuse, que les Botanistes appellent parenchyme. M. Guettard a d'abord examiné si ces fibres ligneuses, n'étant encore que dans l'état où elles portent le nom de filasse, ne donneroient pas du papier ; car par-là on rendroit utiles les chenevottes mêmes, ou le tuyau de la plante dont la filasse a été séparée, & il est plus que probable que les filasses d'aloès, d'ananas, de palmiers, d'orties, & d'une infinité d'autres arbres ou plantes, seroient susceptibles de la même préparation. La filasse de chanvre, simplement battue, a produit une pâte dont on a formé un papier assez fin, & qui pourroit se perfectionner.
Mais il faut avouer que nous ne sommes pas aussi riches en arbres & en plantes, dont on puisse aisément détacher les fibres ligneuses, que le sont les Indiens de l'un & de l'autre hémisphere. Nous avons cependant l'aloès sur certaines côtes : en Espagne on a une espece de sparte ou de genêt qu'on fait rouir pour en tirer la filasse, & dont on fabrique ces cordages que les Romains appellent sparton ; on en pourroit donc tirer du papier. M. Guettard en a fait avec nos orties & nos guimauves des bords de la mer, & il ne desespere pas qu'on n'en puisse faire avec plusieurs autres de nos plantes, ou de nos arbres mêmes, sans les réduire en filasse.
Le raisonnement qui l'avoit conduit à fabriquer du papier immédiatement avec la filasse, lui a fait essayer d'en tirer de même du coton, & il y a réussi. Il vouloit s'assurer par-là si le duvet des plantes étrangeres pouvoit donner par lui-même une pâte bien conditionnée, pour travailler avec plus de sureté sur les duvets de celles qui croissent chez nous, telles par exemple, que les chardons ; ou sur celles qui quoiqu' étrangeres, viennent fort bien dans notre climat, comme l'apocyn de Syrte, &c.
La soie de nos vers à soie, est d'un usage trop précieux, & n'est pas à beaucoup près assez abondante chez nous pour être employée immédiatement à la fabrique du papier ; mais nous avons une espece de chenille qu'on nomme commune, & qui ne mérite que trop ce nom, qui file une très-grande quantité de soie. C'est sur cette soie, tout au moins inutile jusqu'à ce jour, que M. Guettard a fait ses expériences, & avec plus de succès qu'il n'eût osé l'espérer : le papier qu'elle lui a donné a de la force, & manque seulement de blancheur.
On a fait en Angleterre du papier avec des orties, des navets, des panais, des feuilles de choux, de lin en herbe, & de plusieurs autres végétaux fibreux ; on en a fait aussi avec de la laine blanche ; ce papier de laine n'est pas propre à écrire, parce qu'il est cotonneux, mais il pourroit être d'usage dans le commerce. Voyez Houghton, Collections, n °. 360. t. II. pag. 418. & suivantes.
En un mot, on est parvenu à faire du papier de toutes sortes de matieres végétables, & d'une infinité de substances que nous rejettons comme inutiles ; je ne doute pas qu'on n'en pût faire encore de boyaux & de tripes d'animaux, même de matieres minérales cotonneuses, puisqu'on en fait de l'amianthe ou de l'asbeste ; mais l'important seroit d'en faire qui coûtât moins que le papier de chiffons, sans quoi toutes les recherches en ce genre ne sont que de pure curiosité.
On peut lire sur le papier Leonis Allatii, antiquitates etruscae ; nigrisoli de chartâ ejusque usu apud antiquos, piece qui est dans la galeria di Minerva ; Mabillon, de re diplomaticâ ; Montfaucon, Palaeographia graeca ; Maffei, Historia diplomatica, ou Biblioth. italiq. t. II. Harduinus, in Plinium ; Reimm. Idaea system. antiq. litter. Bartholinus, Dissertatio de libris legendis ; Polydorus Virgilius, de rer. invent. Vossius, de arte Gram. lib. I. Alexand. ab Alexand. lib. II. cap. 30. Salmuth ad Pancirol. l. II. tit. cclij. Grew, Mus. reg. societ. Prideaux, Connections ; Pitisci, Lexicon antiq. rom. tom. I. voce charta ; enfin le Dictionnaire de Chambers, où l'article du papier est presque complet ; Fabricius indiquera les autres auteurs sur ce sujet dans sa Bibliotheca antiqua.
Les principaux papiers qui méritent notre examen se peuvent réduire au papier égyptien, chinois, japonois, européen, papier de coton, papier d'écorce, papier d'asbeste ; nous nous proposons de traiter de chacun de ces papiers en particulier.
Pour le faire méthodiquement nous parlerons,
1°. Du papier d'Egypte le plus célebre de tous.
2°. Du papier de coton qui lui a succédé.
3°. Du papier d'écorce interne des arbres.
4°. Du papier de la Chine.
5°. Du papier du Japon.
6°. Du papier européen, c'est-à-dire du papier de linge.
7°. De la fabrique du papier marbré en particulier.
8°. Du commerce du papier de linge en général.
9°. Du papier d'asbeste, nommé papier incombustible.
10°. Enfin nous traiterons du papyrus & du parchemin sous leurs lettres particulieres. (Le chevalier DE JAUCOURT ).
PAPIER D'ÉGYPTE, (Arts anciens) c'est ce papier fameux dont les anciens se servoient, & qui étoit fait par art d'une espece de jonc nommé papyrus, qui croissoit en Egypte sur les bords du Nil. Selon Isidore, Memphis a la gloire d'avoir la premiere su faire le papier du papyrus ; & Lucain semble appuyer cette idée, quand il dit :
Nondum flumineas Memphis contexere biblos
Noverat.
Pharsal. liv. III. v. 222.
Ce qu'il y a de bien sûr, c'est que de toutes les matieres sur lesquelles les anciens ont écrit ; il n'en est point qui présente autant d'avantages que le papier, soit par rapport à sa légereté, soit par rapport à la facilité de la fabrique ; c'étoit un présent simple de la nature, & le produit d'une plante qui n'exigeoit ni soins, ni culture. Aussi toutes ces raisons le rendirent d'un usage presque général dans le monde civilisé. Quoiqu'on ait varié les matieres qui peuvent recevoir l'écriture, cependant l'on a toujours préféré pour une chose si nécessaire ce qu'il y avoit de plus commun & de plus facile à transporter ; ainsi, le parchemin, le papier, & les tablettes de cire ont été d'un usage plus constant & plus étendu, & par la même raison le plomb doit avoir eu la préférence sur les autres métaux. Quelques auteurs ont admis sur ces faits un merveilleux que les hommes ont aimé de tous les tems à se persuader. Tel est celui qui a rapporté que l'iliade & l'odyssée avoient été écrites en lettres d'or sur le boyau d'un dragon, long de cent vingt piés. Mais comme les romans conservent toujours des parties d'usage & de vérité, on voit par-là que les anciens ont écrit sur des boyaux, ce qui, dans le fond est fort naturel. On peut avoir écrit des ouvrages sur l'ivoire, mais indépendamment de la rareté dont cette matiere étoit autrefois, les feuilles d'une épaisseur aussi médiocre que la chose est possible, auroient encore produit un poids excessif ; dans la portée des feuilles ordinaires, elles se seroient rompues. Cependant il est certain que les Romains écrivoient sur des tablettes d'ivoire les lettres missives, & souvent leurs affaires domestiques, usage qui s'est même conservé jusqu'à nous.
On ne convient pas du tems où l'on a commencé à se servir du papyrus pour en faire du papier. Varron place cette découverte dans le tems des victoires d'Alexandre le Grand, lorsque ce prince eut fondé la ville d'Alexandrie en Egypte ; mais Pline lui-même réfute le sentiment de Varron, & se fonde sur le témoignage de Cassius Hemina, ancien analyste, qui dit que Cn. Terentius Scribe, travaillant à un fonds de terre qu'il avoit sur le Janicule, trouva dans une caisse de pierre les livres du roi Numa, écrits sur ce papier ; & qu'ils s'étoient conservés jusqu'à ce tems-là, sans pourriture, parce qu'ils étoient frottés d'huile de cedre, quoiqu'il y eût 535 ans qu'ils avoient été mis sous terre. Il rapporte encore que Mucien qui avoit été trois fois consul, assuroit qu'étant préfet de Lycie, il avoit vu dans un temple une lettre sur du papier d'Egypte, écrite de Troye par Sarpedon, roi de Lycie. Mais on a des autorités plus sûres, quoique moins anciennes, qui prouvent que le papier d'Egypte étoit en usage long-tems avant Alexandre le Grand, Guillandin cite Homere, Hérodote, Eschyle, Platon, Anacréon, Alcée, &c.
Pline, liv. XIII. ch. xj. a décrit amplement la maniere dont les Egyptiens faisoient leur papier. Voici ce qu'il en rapporte. On sépare, dit-il, avec une éguille la tige du papyrus en lames ou feuillets fort minces, & aussi larges qu'il est possible, dont on compose les feuilles de papier. Les lames du milieu sont préférées, & ensuite selon l'ordre de la division. On étend les meilleures sur une table, en leur laissant toute la longueur qu'elles peuvent avoir, & coupant seulement ce qui déborde aux extrémités : sur cette premiere feuille déliée, on en étend une autre en travers, & d'un autre sens. L'eau du Nil, dont on les humecte, sert de colle pour les joindre ensemble. On y emploie aussi quelquefois la colle même ; ces feuilles ainsi collées sont mises à la presse, d'où on les retire pour les faire secher au soleil. Après cela, on les joint ensemble, les meilleures d'abord, ainsi à mesure, selon qu'elles diminuent de bonté ; enfin les plus mauvaises ; il n'y en a jamais plus de vingt dans une tige.
Ce papier, avant que d'être lavé, étoit anciennement appellé hiératique, sacré, & ne servoit que pour les livres de la religion. Ce même papier étant lavé prit le nom d'Auguste, & porta celui de Livie sa femme, après avoir été lavé une seconde fois ; ainsi, le papier hiératique descendit du premier rang au troisieme ; un autre, fort semblable, avoit été appellé amphithéatrique, du lieu où on le faisoit : porté à Rome dans la boutique de Fannius, dont les ouvriers étoient fort habiles, il fit de ce papier commun, rendu plus fin par une manoeuvre particuliere, un papier qui surpassoit les autres, & auquel on donna son nom : l'amphithéatrique, qui n'avoit pas été préparé de la même façon, conserva le sien.
La largeur du papier, continue Pline, varie extrêmement ; elle est de treize doigts dans le plus beau, de onze dans le hiératique, de dix dans celui de Fannius, de neuf dans le papier d'amphithéatre, & de moins encore dans celui de Saïs, qui a peine de soutenir le marteau ; la largeur du papier des marchands ne passe pas six doigts. Ce qu'on regarde le plus dans le papier, c'est qu'il ait de la finesse, du corps, de la blancheur & du poli.
L'empereur Claude a privé du premier rang le papier d'Auguste, qui, beaucoup trop fin, ne soutenoit pas la plume du roseau : de plus, sa transparence faisoit craindre que les caracteres ne s'effaçassent les uns les autres, sans compter l'oeil désagréable d'une écriture qui s'apperçoit à-travers la feuille. Il augmenta aussi la largeur de la feuille, qui n'étoit auparavant que d'un pié : les feuilles les plus larges, appellées macrocolla, avoient une coudée de largeur ; mais l'expérience découvrit l'inconvénient, lorsqu'en ôtant de la presse une seule de ces feuilles, un grand nombre de pages se trouverent gâtées ; c'est pourquoi le papier d'Auguste continua d'être en usage pour les lettres particulieres, & le papier livien s'est maintenu dans l'usage où il étoit auparavant ; mais le papier claudien fut préféré à tous les autres dans l'usage général, parce que, sans avoir les défauts du papier auguste, il avoit la solidité du papier livien.
On donne le poli au papier par le moyen de l'ivoire ou de la coquille ; mais les caracteres sont sujets à se détacher. Le papier poli boit moins l'encre ; mais il a plus d'éclat. Quand le papier, dès la premiere opération, n'a pas été trempé avec précaution, il se refuse souvent au trait de celui qui écrit. Ce défaut de soin se fait sentir sous le marteau, & même à l'odeur du papier. Lorsqu'il y a des taches, on les découvre à la simple vue ; mais quand on a rapporté des morceaux pour boucher les trous, les fautes ou les déchirures, cette opération fait boire le papier, & l'on ne s'en apperçoit que dans le moment qu'on écrit. Telle est la mauvaise foi des ouvriers. Aussi prend-on la peine de donner une nouvelle façon à ce papier.
La colle ordinaire se prépare avec la fleur de farine détrempée dans de l'eau bouillante, sur laquelle on a jetté quelques gouttes de vinaigre. Car la colle des menuisiers & la gomme sont cassantes ; mais une meilleure préparation est celle qui se fait avec de la mie de pain levé, détrempé dans de l'eau bouillante, & passée par l'étamine ; le papier devient par ce moyen le plus uni qu'il se peut faire & même plus lisse que la toile de lin. Au reste cette colle doit être employée un jour après avoir été faite, ni plus tôt, ni plus tard ; ensuite on bat ce papier avec le marteau ; on y passe une seconde fois de la colle, on le remet en presse pour le rendre plus lisse & uni, & on l'étend à coups de marteau. C'est ce papier qui donne une si longue durée aux ouvrages écrits de la propre main des Gracques, Tibérius & Caïus ; je les ai vu chez Pomponius Secundus, poëte & citoyen du premier mérite, près de deux cent ans après qu'ils avoient été écrits. Nous voyons communément ceux de Ciceron, Auguste, & de Virgile.
Les savans voudroient bien avoir à leur disposition cette bibliotheque de Pomponius Secundus. Mais que diroit Pline, s'il voyoit, comme nous, des feuilles de papier d'Egypte, qui ont mille & douze cent ans d'antiquité ?
On a vu dans ce détail de la traduction de Pline que pour les différentes especes de papier qui se fabriquoient en Egypte les lames du papyrus trempées dans l'eau du Nil, étoient tissues sur une table ou planche ; mais il faut retrancher le mérite de cette eau comme étant du Nil ; car toute eau de riviere eût été également bonne pour cette premiere préparation, qui consistoit à détremper les lames du papyrus, & à faciliter l'expression du suc qu'elles renfermoient ; mais l'ivoire, la coquille, la dent de loup, l'opération du marteau, &c. étoient dus à la préparation donnée au papier par les marchands de Rome. Pour ce qui est de la colle, comme les Egyptiens en connoissoient l'usage, il est vraisemblable qu'ils l'ont appliqué à celui du papier, dont l'emploi étoit également varié & étendu.
Les papiers d'Auguste, de Livie, de Fannius, d'amphithéatre, enfin tous ceux qui portoient les dénominations romaines, étoient constamment faits avec le papyrus d'Egypte ; mais préparés & travaillés de nouveau à Rome. Le plus grand avantage de ces papiers ne consistoit que dans la façon dont ils étoient battus, lavés, &c. On apperçoit par le récit de Pline, une grande différence dans les grandeurs de chaque feuille, en les comparant au papier fabriqué en Egypte ; on voit même que les papiers travaillés à Rome, sont de mesures variées ; mais en général plus petites. Enfin il ne faut pas douter que la manufacture du papier d'Egypte n'ait été beaucoup perfectionnée en Europe. Cassiodore fait l'éloge des feuilles de papyrus employées de son tems. Il dit qu'elles étoient blanches comme la neige, & composées d'un grand nombre de petites pieces, sans qu'il parût aucune jointure. On avoit perfectionné l'art dont parle Ovide dans le I. liv. des tristes, de polir le papier avec la pierre-ponce.
Mais comme malgré tous ces soins, on ne pouvoit éviter que les feuilles de papier trop fragiles pour se soutenir, ne vinssent à dépérir en peu de tems, sur-tout quand on les employoit à faire des livres ; on s'avisa de les entremêler de feuilles de parchemin sur lesquelles l'écriture étoit continuée, desorte qu'après quatre, cinq, six, ou quelquefois sept feuilles de papier d'Egypte, on mettoit deux feuilles de parchemin. On conserve à l'abbaye de S. Germain des prés une partie des épitres de S. Augustin, écrites de cette maniere sur du papier d'Egypte, entremêlé de feuilles de parchemin. C'est un vieux manuscrit, auquel on donne environ 1100 ans. Les lettres y sont encore en bon état, & l'encre sans s'éteindre a conservé sa noirceur.
Les Egyptiens faisoient dans tout le monde un grand commerce de leur papier ; ce commerce augmenta sur la fin de la république, & devint encore plus florissant sous le regne d'Auguste ; aussi comme le débit de ce papier étoit prodigieux pour les nations étrangeres, on en manquoit quelquefois à Rome ; c'est ce qu'on vit arriver du tems de Tibere ; comme on ne reçut à Rome qu'une petite quantité de papier d'Egypte, cet événement causa du tumulte, & le sénat nomma des commissaires, pour en distribuer à chacun selon ses besoins, autant que la disette le permettoit. Plutarque fait voir combien le trafic de ce papier étoit grand, quand il dit dans son traité Colotès : " Ne faudroit-il pas que le Nil manquât de papyrus avant que ces gens-là cessassent d'écrire " ? L'empereur Hadrien, dans sa lettre à Servien, consul, que Vopisque nous a conservée, met entre les principaux arts qu'on exerçoit à Alexandrie, celui de faire des feuilles à écrire. C'est une ville riche & opulente, dit-il, où personne ne vit dans l'oisiveté. Les uns travaillent en verre, les autres font des feuilles à écrire ; d'autres de la toile : on les voit tous vacquer à toutes sortes de métiers. Il y a là de l'ouvrage pour les goutteux, & pour les aveugles ; ceux mêmes qui ont la chiragre ou la goutte aux mains, n'y manquent pas d'exercice. Sous les Antonins ce commerce continua dans la même forme. Apulée dit au commencement de ses métamorphoses, qu'il écrit sur du papier d'Egypte, avec une canne du Nil ; car c'étoient le Nil & Memphis qui fournissoient la plûpart des cannes dont on se servoit, comme on se sert aujourd'hui de plumes.
Les empereurs se servoient des feuilles de papier d'Egypte pour écrire leurs lettres & leurs mémoires. Domitien, dit Dion, écrivit les noms de ceux qu'il vouloit faire mourir sur une feuille double de philyre ; car, selon Hérodien, ces sortes de feuilles simples étoient fort minces. Le commerce de ce papier étoit si grand vers la fin du iij. siecle, que le tyran Firmus s'étant emparé de l'Egypte, se vantoit qu'il avoit assez de papier & de colle pour nourrir son armée ; c'étoit apparemment du prix qu'il retireroit de la vente de ce papier que Firmus prétendoit être en état de nourrir son armée.
S. Jerome nous apprend que l'usage de ce papier d'Egypte étoit toujours le même dans le v. siecle où il vivoit : Le papier ne vous a pas manqué, dit-il, dans sa lettre à Chromace, puisque l'Egypte continue son commerce ordinaire. Les impôts sur le papier étant trop grands sur la fin du même siecle, ou au commencement du suivant, Théodoric, roi d'Italie, prince modéré & équitable, en déchargea le public. Ce fut sur cela que Cassiodore écrivit la 38 lettre de son XI. liv. où il semble féliciter toute la terre de la décharge de cet impôt, sur une marchandise si nécessaire à tout le genre humain.
Le vj. siecle, selon les PP. Montfaucon & Mabillon, fournit aussi des monumens écrits sur le papier d'Egypte. Ils citent une charte appellée charta plenariae securitatis de l'empereur Justinien ; le P. Mabillon l'a fait imprimer peu de tems avant sa mort avec la forme des caracteres ; ce monument singulier est à la bibliotheque du roi de France.
Le P. Montfaucon dit aussi avoir vu, en 1698, à Venise dans la bibliotheque du procurateur Julio Justiniani, trois ou quatre fragmens de papier d'Egypte, dont l'écriture étoit du même siecle ; mais dont on ne pouvoit rien tirer, parce que c'étoit des morceaux rompus où l'on ne trouvoit aucune suite. Le P. Mabillon parle dans sa diplomatique d'un autre manuscrit, qu'il croit être du même siecle, & qui étoit autrefois de la bibliotheque de M. Petau. Mais le P. Montfaucon n'a jamais pu voir ce manuscrit. Il cite en échange un manuscrit en papier d'Egypte qu'on conserve à la bibliotheque de S. Ambroise de Milan, & qui contient quelques livres des antiquités judaïques de Josephe en latin. Il donne à ce manuscrit à-peu-près la même antiquité ; mais il l'a trouvé en assez mauvais état.
Le même pere dit avoir vu dans la bibliotheque de S. Martin de Tours les restes d'un vieux livre grec écrit sur du papier d'Egypte, & qui lui parut être du vij. siecle. Ce manuscrit n'avoit ni accent, ni esprit.
Il croit encore que l'évangile de S. Marc, qu'on garde dans le trésor de Venise, est écrit sur des feuilles de papier d'Egypte, qui lui ont paru cependant beaucoup plus délicates qu'aucune autre. Il pense que c'est le plus ancien de tous les manuscrits, & qu'on ne hasarde guere en disant qu'il est au plus tard du iv. siecle. Ce manuscrit est presque tout effacé, & si pourri, que les feuilles étant toutes collées l'une contre l'autre, on ne peut tenter de tourner un feuillet sans que tout s'en aille en pieces ; enfin, ajoute-t-il, on n'y sauroit lire deux mots de suite.
On se servoit, selon le même pere, en France, en Italie, & dans d'autres pays de l'Europe, du papier d'Egypte pour des lettres ou des actes publics. Il en reste encore, dit-il, un assez grand nombre dans les abbayes & dans les archives des églises, comme à S. Denis, à Corbie, à l'abbaye de Grasse, & en d'autres endroits.
Il est vraisemblable que l'invention du papier de coton, dont nous parlerons séparément, a fait tomber l'usage du papier d'Egypte ; mais c'est une grande question de savoir dans quel tems on a cessé de faire le papier égyptien : car à présent la papyrotechnia aegyptiaca, la manufacture du papier égyptien est mise au nombre des arts qui sont perdus. Eustathius le savant commentateur d'Homere, assure que même de son tems, savoir, en 1170, il n'étoit plus en usage. Le P. Mabillon soutient à la vérité que l'usage en a duré jusqu'au xj. siecle après J. C. & cite un certain Fredegaire, moine, poëte du x. siecle, qui en parle comme d'une chose qui subsistoit le siecle d'auparavant, c'est-à-dire, dans le ix. siecle ; mais le même P. Mabillon s'efforce de prouver que l'usage en a duré plus long-tems par plusieurs bulles des papes, écrites sur le papyrus dans le xj. siecle. Voyez Mabillon de re diplomat. lib. I. ch. viij.
Cependant le comte Maffei soutient dans son istor. diplomat. l. II. bibl. ital. t. II. p. 251. avec plus de probabilité, que le papyrus n'étoit déja plus en usage avant le v. siecle : il ne regarde point comme authentique les mémoires écrits sur ce papier, & datés postérieurement à ce tems. Les bulles des papes citées par le P. Mabillon paroissent à ce savant avoir été écrites sur le papier de coton ; mais les observations que nous faisons ne se rapportent qu'à l'usage général & public du papier d'Egypte ; car il ne seroit pas étonnant que quelques particuliers eussent continué de l'employer quelques centaines d'années après qu'on avoit cessé de s'en servir communément.
Le même savant italien est dans la persuasion que l'évangile de S. Marc, qu'on conserve à Venise, est écrit sur du papier de coton ; & qu'au contraire, le Josephe de la bibliotheque de S. Ambroise de Milan lui paroît au premier coup d'oeil écrit sur du papier égyptien.
Voilà les principales observations des savans en ce genre. Il n'est guere possible aujourd'hui d'ajouter quelque chose de nouveau sur le papier d'Egypte, à ce qu'en ont dit parmi les anciens Pline, liv. XIII. Théophraste, l. IV. ch. ix. & parmi les modernes Guilaudinus, Scaliger, Saumaise, Kirchmayer, Nigrisoli, le P. Hardouin dans son édit. de Pline, le P. Mabillon dans son ouvrage de re diplomaticâ ; dom Montfaucon dans sa palaeograph. & dans le recueil de littérature ; l'illustre Maffei dans son istor. diplom. & dernierement M. le comte de Caylus, dans les mém. de l'acad. des Inscript. t. XXVI.
Guillardini (Melch.) Papyrus, h. e. commentarius in tria C. Plinii majoris de papyro capita, scilicet, lib. XIII. ch. xj. xij. xiij. Ce traité vit d'abord le jour à Venise en 1572, in -4°. & ensuite à Amberg, en 1613, in -4°. par les soins de Salmuth. C'est le plus savant commentaire qui ait été publié sur cette partie de l'ouvrage de Pline, & on n'en a point encore de meilleur sur aucun autre livre du grand naturaliste de Rome. Guillandin en a restitué très-heureusement plusieurs passages, & par ses propres lumieres, & par l'autorité des anciens auteurs grecs & romains. Il s'est sans doute trompé quelquefois ; mais il a réussi très-souvent dans ses restitutions. Il parle de ce qu'il a vu ; il a fait ses observations dans le pays même, où il a examiné la plante dont il s'agit ; c'est grand dommage qu'après son examen, il n'en ait pas donné de figure, & même qu'il ne l'ait pas décrite ; il eût levé par-là tous les doutes des botanistes modernes.
Scaligeri (Joseph-Just.) animadversiones in Melch. Guillardini comment. de papyro. Les animadversions de Scaliger ont paru pour la premiere fois dans les lectiones bibliothecariae memorabiles Rudolphi Capelli, à Hambourg en 1682. Elles distillent le fiel, la violence & la dureté ; mais elles n'ont pu faire tomber un ouvrage très-estimable par les recherches & l'érudition qui s'y trouvent. Enfin, le savant & ingénieux Maffei a vengé Guillardinus de la plûpart des critiques de Scaliger, de Vossius, & du P. Hardouin.
Saumaise est très-bon à lire au sujet du papier égyptien, dans son commentaire sur la vie de Firmus par Vopiscus, un des historiens qu'on met au nombre des historiae augustae scriptores.
Kirchmayeri (M. Seb.) dissertatio philologica de papyro veterum, Wittebergae 1666. in -4°. c'est un simple extrait de Guillandin, où l'auteur auroit dû mettre plus de méthode & de goût.
La dissertation de Nigrisoli de chartâ veterum ejusque usu, est insérée, comme je l'ai dit ailleurs, dans la galeria di Minerva.
Mais le mémoire curieux de M. le comte de Caylus sur le papyrus d'Egypte a répandu des lumieres sur une chose que le tems rendoit dejà fort obscure, & à l'intelligence de laquelle on ne peut mieux arriver, que par la connoissance de la pratique de l'art. (D.J.)
PAPIER DE COTON, (Arts) On croit que c'est l'invention du papier de coton, qu'on appelle charta bombycina, qui a fait tomber le papyrus d'Egypte en Grece. Ce papier est incomparablement meilleur, plus propre à écrire, & se conserve bien plus longtems. On ne sauroit dire précisément quand on s'est avisé d'en faire de cette matiere. Le pere Montfaucon prouve, par des autorités assez claires, que le papier de coton étoit en usage en 1100.
Ce papier s'appelle en grec , ou , ce qui signifie papier de coton. Quoique se prenne dans les auteurs pour de la soie, il se prend aussi, sur-tout dans le bas age, pour le coton, aussi-bien que . De-là vient que les Italiens appellent encore aujourd'hui le coton, bambaccio.
Ce fut au neuvieme siecle ou environ que l'on commença dans l'empire d'orient à en faire du papier : en voici les preuves. Il y a plusieurs manuscrits grecs, tant en parchemin ou vélin, qu'en papier de coton, qui portent la date de l'année où ils ont été écrits ; mais la plûpart sont sans date. Sur les manuscrits datés on juge plus sûrement, par la comparaison des écritures, de l'âge de ceux qui ne le sont pas. Le plus ancien manuscrit de papier de coton, que le pere Montfaucon ait vû avec la date, est celui du roi, numéroté 2889, qui fut écrit en 1050 ; un autre de la bibliotheque de l'empereur, qui porte aussi sa date, est de l'année 1095. Mais comme les manuscrits sans date sont incomparablement plus nombreux que ceux qui sont datés, ce pere s'est encore exercé sur ceux-là ; & par la comparaison des écritures, il croit en avoir découvert quelques-uns du dixieme siecle, entr'autres un de la bibliotheque du roi, coté 2436. Si l'on faisoit la même recherche dans toutes les bibliotheques, tant de l'orient que de l'occident, on en trouveroit apparemment d'autres, environ du même tems.
Il juge donc que ce papier bombycien ou de coton, peut avoir été inventé sur la fin du neuvieme siecle ou au commencement du dixieme. A la fin du onzieme & au commencement du douzieme, l'usage en étoit répandu dans tout l'empire d'orient, & même dans la Sicile. Roger, roi de Sicile, dit dans un diplome écrit en 1145, rapporté par Rocchus Pirrhus, qu'il avoit renouvellé sur du parchemin une charte qui avoit été écrite sur du papier de coton, in chartâ cuttuneâ, l'an 1102, & une autre qui étoit datée de l'an 1112. Environ le même tems, l'impératrice Irene, femme d'Alexis Comnene, dit dans sa regle faite pour des religieuses, qu'elle avoit fondées à Constantinople, qu'elle leur laisse trois exemplaires de la regle, deux en parchemin, & un en papier de coton. Depuis ce tems-là, ce papier fut encore plus en usage dans tout l'empire de Constantinople. On compte aujourd'hui par centaines les manuscrits grecs de papier bombycien, qui se trouvent dans les bibliotheques curieuses.
Cette découverte fut fort avantageuse dans un tems où il paroît qu'il y avoit grande disette de parchemin ; & c'est en même tems ce qui nous a fait perdre plusieurs anciens auteurs : voici comment. Depuis le douzieme siecle, les Grecs plongés dans l'ignorance, s'aviserent de racler les écritures des anciens manuscrits en parchemin, & d'en ôter autant qu'ils pouvoient toutes les traces, pour y écrire des livres d'église : c'est ainsi qu'au grand préjudice de la république des Lettres, les Polybes, les Dions, les Diodore de Sicile, & d'autres auteurs que nous n'avons plus, furent métamorphosés en triodions, en pentécostaires, en homélies, & en d'autres livres d'église. Après une exacte recherche, faite par le pere Montfaucon, il assure que parmi les livres écrits sur du parchemin depuis le douzieme siecle, il en avoit plus trouvé dont on avoit raclé l'ancienne écriture que d'autres ; mais que comme tous les copistes n'étoient pas également habiles à effacer ainsi ces premiers auteurs, il s'en trouvoit quelques-uns où l'on pouvoit lire au-moins une partie de ce qu'on avoit voulu raturer.
Ce fut donc l'invention de ce papier de coton qui fit tomber en orient le papier d'Egypte. S'il en faut croire Eustathe qui écrivoit vers la fin du douzieme siecle, l'usage de ces feuilles du papier d'Egypte, qu'il appelle , avoit cessé peu de tems avant qu'il écrivit, . Il ne faut pas croire cependant que le papier de coton ait d'abord détruit l'usage de celui d'Egypte. Ces sortes de choses nouvellement inventées, ne s'établissent ordinairement que peu-à-peu.
Le savant grec, qui fit du tems de Henri II. un catalogue des manuscrits grecs de la bibliotheque du roi, appelle toujours le papier bombycien ou de coton, charta damascena, le papier de Damas ; seroit-ce parce qu'il y avoit en cette ville quelque célebre manufacture de papier de coton ? quoi qu'il en soit, voyez Montfaucon, palaeograph. graec. lib. I. c. ij. lib. IV. c. vj. &c. Maffei, Istor. diplomat. lib. II. ou biblioth. italiq. tom. II. (D.J.)
PAPIER D'ECORCE, (Arts) Ce papier des anciens improprement ainsi nommé, étoit fait du liber, ou de la pellicule blanche la plus intérieure qui est renfermée entre l'écorce & le bois de différens arbres, comme l'érable, le plane, le hêtre & l'orme ; mais sur-tout le tilleul, , dont on se servoit le plus communément à ce dessein. Les anciens écrivoient des livres sur cette pellicule après l'avoir enlevée, battue & sechée : on prétend qu'il existe encore quelques-uns de ces livres. Il faut consulter Pline, hist. natur. lib. XIII. c. xj. Harduinus, not. ad eund. Suid. lex. in vox ; Isid. orig. l. VI. c. xiij. Alex. ab Alexand. l. II. c. xxx. Salmuth, ad Pancirol. l. II. t. XIII. p. 252. seq.
Les PP. Mabillon & Montfaucon parlent souvent des manuscrits & diplomes écrits sur écorce, & font une distinction bien positive entre le papyrus dont les Egyptiens se servoient, & le liber ou écorce qui étoit en usage dans d'autres pays : ces deux especes différoient en ce que le papier d'écorce étoit plus épais & plus fragile que le papyrus, & en même tems plus sujet à se fendre & à se casser, au moyen de quoi l'écriture s'écailloit quelquefois ; c'est ce qui est arrivé à un manuscrit sur écorce qui est à l'abbaye saint Germain, où le fond du papier est resté, mais la surface extérieure sur laquelle les lettres ont été tracées, est enlevée en beaucoup d'endroits. Voyez Montfaucon, palaeogr. graec. l. I. c. ij. p. 15. Mabillon, de re diplom. l. I. c. viij. Reimm. idea syst. antiq. litter. p. 311.
Mais le savant Maffei combat tout le système des manuscrits & des chartes écrites sur l'écorce, comme une erreur populaire ; & soutient que les anciens n'ont jamais écrit de diplomes sur l'écorce ; que la distinction que l'on fait des papiers faits de papyrus & d'écorce est sans aucun fondement ; qu'on ne se servoit d'écorce de tilleul que pour faire des tablettes, pour les dypticha ou porte-feuilles & tablettes de poche, sur lesquelles on écrivoit des deux côtés comme cela se fait parmi nous ; avantage qu'on n'avoit pas avec le papier égyptien à cause de sa finesse. Chambers. (D.J.)
PAPIER DE LA CHINE, (Arts) De tous les peuples de la terre, celui chez qui le papier paroît être le plus ancien, ce sont les Chinois ; ils en ont de tems immémorial & de très-beau ; ils en ont d'une grandeur à laquelle toute l'industrie des ouvriers européens n'a pû encore atteindre. Leur beau papier a aussi cet avantage, qu'il est plus doux & plus uni que celui d'Europe. Le pinceau dont les Chinois se servent pour écrire, ne pourroit couler facilement sur un fond un peu raboteux, & y fixer certains traits délicats. Ils ont de tant d'especes de papier, que nous en connoissons en Europe plus de quarante, toutes curieuses par des circonstances particulieres. Enfin, ils en ont de toutes sortes de matieres ; les uns sont faits de pellicules internes ou d'écorce d'arbre, principalement de ceux qui ont beaucoup de seve, comme le mûrier & l'orme, mais particulierement le bambou & l'arbre de coton. A la vérité chaque province a son papier particulier ; celui de Se-Chwen est fait de chanvre ; celui de Fo-Kien est fait de jeune bambou ; celui dont on se sert dans les provinces septentrionales est fait de l'écorce du mûrier ; celui de la province de Che-Kiang, de paille de blé ou de riz ; celui de la province de Kiang-Nam, d'une peau qu'on trouve dans les coques de vers à soie ; enfin, dans la province de Hu-Quang, l'arbre chu ou ko-chu fournit la principale matiere dont on fait le papier.
La maniere de fabriquer le papier des diverses écorces d'arbres, est la même que celle du bambou, qui est une espece de canne ou roseau, creux & divisé par des noeuds, mais beaucoup plus large, plus uni, plus dur, & plus fort que toutes les autres sortes de roseaux.
Pour faire le papier de bambou, on prend ordinairement la seconde pellicule de l'écorce qui est tendre & blanche, on la bat dans de l'eau claire jusqu'à ce qu'elle soit réduite en pâte, que l'on met dans des moules ou formes très-larges, desorte que cela fait des feuilles longues de dix ou douze piés. On le perfectionne en le trempant feuille par feuille dans de l'eau d'alun, qui leur tient lieu de la colle dont nous nous servons, & qui non-seulement empêche le papier de boire l'encre ; mais de plus lui donne ce lustre qui le fait paroître, au premier coup d'oeil, argenté, ou du-moins verni.
Le papier qu'on fait de la sorte est blanc, doux & serré, sans qu'il y ait la moindre inégalité qui puisse arrêter le mouvement du pinceau, ni occasionner le rebroussement d'aucun des poils qui le composent. Cependant quand il est fait d'écorce d'arbres, il se casse plus facilement que le papier d'Europe ; joignez à cela qu'il est plus sujet à prendre l'humidité ; que la poussiere s'y attache, & que les vers s'y mettent en peu de tems. Pour obvier à ce dernier inconvénient, on est obligé de battre souvent les livres, & de les exposer au soleil. Outre cela, sa grande finesse le rendant sujet à s'user, les Chinois se trouvent souvent dans la nécessité de renouveller leurs livres en les faisant réimprimer souvent. Voyez le Comte, nouv. mém. sur la Chine ; Kust. bibl. nov. lib. an. 1697, lettr. édif. & cur. tom. XIX.
Il est bon de remarquer que le papier de bambou n'est ni le meilleur, ni le plus usité à la Chine. Par rapport à la qualité, il cede la primauté au papier fait de l'arbrisseau qui porte le coton, qui est le plus blanc & le plus fin, & en même tems le moins sujet aux inconvéniens dont nous venons de parler, car il se conserve aussi-bien, & dure aussi long-tems que le papier d'Europe. Le docteur Grew croit qu'on trouveroit en Angleterre beaucoup de plantes qui renferment un duvet, lequel très-probablement feroit du papier aussi fin que celui que les Chinois font avec le coton : ce discours fait voir que Grew s'est imaginé mal-à-propos que le papier chinois est fait non pas de l'écorce de l'arbrisseau de coton, mais du duvet ou du coton même. Voyez Grew, mus. reg. soc. part. II.
Le papier dont on se sert le plus communément à la Chine, est celui que l'on fait d'un arbre appellé chu-ku ou ku-chu, que le pere du Halde compare tantôt au mûrier, tantôt au figuier, tantôt au sicomore, & enfin pour augmenter l'embarras, d'autres fois au fraisier, ensorte que nous connoissons moins cet arbre que s'il n'en avoit rien dit du-tout : cette façon d'écrire est familiere à cet auteur, qui est souvent d'une sécheresse extraordinaire au milieu de la plus grande prolixité, & qui n'est jamais plus diffus & moins méthodique, que quand il se propose de mettre de l'exactitude & de l'ordre dans ses écrits. Mais, pour revenir au ku-chu, voici la maniere de le préparer pour en faire le papier : on ratisse d'abord légérement l'écorce extérieure de cet arbre, qui est verdâtre, ensuite on en leve la peau intérieure en longs filets minces, qu'on fait blanchir à l'eau & au soleil, après quoi on la prépare de la même maniere que le bambou.
Il ne faut pas oublier d'observer que dans les autres arbres, ce n'est que l'intérieur de l'écorce qui sert à faire le papier ; mais le bambou, aussi-bien que l'arbre de coton, ont cela de particulier, que non-seulement on employe leur écorce, mais même toute leur substance, par le moyen des préparations suivantes.
Outre les bois des plus larges bambous, on choisit les rejettons d'une année, qui sont à-peu-près de la grosseur du gras de la jambe d'un homme ; on les dépouille de leur premiere écorce verte, & on les fend en petites baguettes de six ou sept piés de long ; on trempe ces baguettes ainsi fendues, dans un réservoir d'eau bourbeuse, jusqu'à ce qu'elles soient corrompues & attendries à force d'avoir trempé. Au bout de quinze jours on les retire, on les lave dans de l'eau nette, on les étend dans un grand fossé sec, & on les couvre de chaux pendant quelques jours. On les retire ensuite, & après les avoir lavé une seconde fois, on les partage en filamens, qu'on expose au soleil pour les sécher & les blanchir. Alors on les jette dans de grandes chaudieres, où on les fait bouillir tout-à-fait ; enfin on les réduit en une pâte liquide par l'action de plusieurs grands marteaux.
Ensuite on prend quelques rejettons d'une plante nommée koteng, on les trempe quatre ou cinq jours dans l'eau jusqu'à ce qu'ils soient en une espece de suc onctueux & gluant, qu'on mêle avec la pâte dont on veut faire le papier, à-peu-près de la même maniere que les Peintres délayent leurs couleurs, ayant bien soin de n'en mettre ni trop, ni trop peu, parce que la bonté du papier en dépend.
Quand on a mêlé le jus du koteng avec le bambou, broyé & battu le tout, jusqu'à ce qu'il paroisse semblable à de l'eau épaisse & visqueuse, on jette le tout dans un grand réservoir, fait de quatre murs élevés jusqu'à hauteur d'appui, & dont les côtés & le fond sont si bien cimentés, que la liqueur ne peut pas en sortir, ni s'imbiber dedans.
Ensuite les ouvriers étant placés aux côtés du réservoir, ils trempent dedans leurs moules, & enlevent la superficie de la liqueur qui dans l'instant devient papier, parce que le jus gluant & visqueux du koteng lie les parties, & rend le papier compact, doux & luisant, qualité que le papier européen n'a pas si-tôt qu'il est fait.
Pour rendre les feuilles fermes, & les mettre en état de supporter l'encre, on les trempe dans de l'eau d'alun : cette opération s'appelle faner, du mot chinois fan qui signifie alun. Voici quelle en est la préparation.
On met dans différentes écuelles pleines d'eau, six onces de colle de poisson, coupée bien menue ; on les fait bouillir en les remuant de tems en tems pour empêcher qu'il ne s'y forme des grumeaux : quand le tout est converti en une substance liquide, on y jette trois quarterons d'alun calciné, que l'on mêle & qu'on incorpore avec.
On verse ensuite cette composition dans un grand bassin, à-travers lequel est attaché un petit bâton rond : alors on serre l'extrémité de chaque feuille avec un bâton fendu d'un bout à l'autre, & dans cet état on trempe la feuille, en la tirant promptement aussi-tôt qu'elle est humectée, & la glissant par-dessus le petit bâton rond ; quand toute la feuille a passé à-travers la liqueur, le long bâton qui tient la feuille par l'extrémité, est attaché dans un trou à la muraille, & la feuille suspendue pour sécher.
A l'égard du moule avec lequel on fait la feuille, c'est une forme inventée de façon qu'on peut la hausser & baisser à volonté ; le fond n'en est pas fait de fil de laiton comme les nôtres, mais de petits filets menus de bambou, passés de distance en distance à-travers des trous pratiqués dans une plaque d'acier ; ce qui les rend aussi fins que s'ils étoient de laiton. On les fait ensuite bouillir dans l'huile, jusqu'à-ce qu'ils en soient imprégnés, afin que le moule entre plus légérement dans l'eau, & n'enfonce pas plus avant qu'il ne faut pour prendre de la matiere suffisamment pour une feuille.
Pour faire des feuilles d'une grandeur considérable, ils ont soin d'avoir un réservoir & un moule proportionnés. Ce moule est soutenu par des cordons qui glissent sur une poulie. Au moment que le moule est élevé, les ouvriers placés à côté du réservoir sont prêts à en ôter la feuille, travaillant ensemble, & chacun ayant ses fonctions réglées. Pour sécher les feuilles qui sont tirées du moule, ils ont une muraille creusée, dont les côtés sont bien blanchis ; à un côté de ce mur est une ouverture par où, au moyen d'un tuyau, se communique la chaleur d'un fourneau qui est auprès ; & à l'extrémité opposée, est un petit vent qui chasse la fumée. Avec le secours de cette espece d'étuve, ils séchent leur papier, presque aussi vîte qu'ils le font.
La maniere d'argenter le papier, est un autre secret qu'ont les Chinois, dont la pratique est de peu de frais, & pour laquelle ils ne se servent pas d'argent, mais ils prennent deux scrupules de glu faite de cuir de boeuf, un scrupule d'alun, & une pinte d'eau claire ; ils mettent le tout sur un feu lent, jusqu'à ce que l'eau soit consumée, c'est-à-dire, qu'il n'en sorte plus d'exhalaisons : alors ils étendent quelques feuilles de papier sur une table bien unie, & appliquent dessus avec un pinceau deux ou trois couches de cette glu ; ensuite ils prennent une poudre faite d'une certaine quantité de talc bouilli, & mêlé avec le tiers de cette quantité d'alun : ces deux drogues sont broyées ensemble, passées au tamis, & mises sur le feu dans de l'eau où on les fait bouillir derechef, ensuite on les fait sécher au soleil, & enfin on les broye. Cette poudre étant passée par un tamis fin, on l'étend également sur les feuilles de papier préparées comme devant ; ensuite on les étend à l'ombre pour les faire sécher : cela fait, on les remet encore sur la table, & on les lisse promptement avec un morceau de coton net, pour enlever le superflu du talc, qui sert une seconde fois au même usage ; avec cette poudre délayée dans l'eau, & mêlée avec la glu & l'alun, ils tracent toutes sortes de figures de fantaisie sur le papier. Voyez le P. du Halde, descript. de la Chine, tom. I.
Anciennement les Chinois écrivoient avec un pinceau de fer sur des tablettes de bambou ; ensuite ils se servirent du pinceau pour écrire sur du satin ; enfin, sous la dynastie des Hans, ils trouverent l'invention du papier 160 ans environ avant Jesus-Christ, suivant le P. Martini. Cette invention se perfectionna insensiblement, & leur procura différentes sortes de papier.
En général, le meilleur dont on se sert pour écrire, ne peut guere se conserver long-tems dans les provinces du sud ; & même nos livres d'Europe, selon le P. Parennin, ne tiennent guere à Canton contre la pourriture, les vers, & les fourmis blanches, qui dans quelques nuits en dévorent jusqu'aux couvertures : mais le même pere assure que dans les parties du nord, sur-tout dans la province de Pékin, le papier quoique mince, se conserve très-long-tems.
Les Coréens eurent bien-tôt connoissance de la fabrique du papier des Chinois, & ils réussirent à le fabriquer d'une maniere plus solide & plus durable ; car leur papier passe pour être aussi fort que de la toile, on écrit dessus avec le pinceau chinois. Si l'on vouloit user des plumes d'Europe, il faudroit auparavant y passer de l'eau d'alun, sans quoi l'écriture seroit baveuse.
C'est en partie de ce papier que les Coréens payent leurs tributs à l'empereur ; ils en fournissent chaque année le palais ; ils en apportent en même tems une grande quantité qu'ils vendent aux particuliers ; ceux-ci ne l'achetent pas pour écrire, mais pour faire les chassis de leurs fenêtres, parce qu'il résiste mieux au vent & à la pluie que le leur. Ils huilent ce papier, & en font de grosses enveloppes. Il est aussi d'usage pour les Tailleurs d'habits ; ils le manient, & le froissent entre leurs mains, jusqu'à ce qu'il soit aussi maniable & aussi doux que la toile la plus fine, & ils s'en servent en guise de coton pour fourrer les habits. Il est même meilleur que le coton, lequel, lorsqu'il n'est pas bien piqué, se ramasse, & se met en une espece de peloton. (D.J.)
PAPIER DU JAPON, (Arts) Le papier est fait au Japon de l'écorce du morus papyrifera sativa, ou véritable arbre à papier, de la maniere suivante, selon Kaempfer à qui seul on en doit la connoissance.
Chaque année, après la chûte des feuilles qui arrive au dixieme mois des Japonois, ce qui répond communément à notre mois de Décembre, les jeunes rejettons qui sont fort gros, sont coupés de la longueur de trois piés au-moins, & joints ensemble en paquets, pour être ensuite bouillis dans de l'eau avec des cendres. S'ils séchent avant qu'ils bouillent, on les laisse tremper vingt-quatre heures durant dans l'eau commune, & ensuite on les fait bouillir : ces paquets ou fagots sont liés fortement ensemble, & mis debout dans une grande chaudiere qui doit être bien couverte : on les fait bouillir, jusqu'à ce que l'écorce se retire si fort, qu'elle laisse voir à nud un bon demi-pouce du bois à l'extrémité : lorsque les bâtons ont bouilli suffisamment, on les tire de l'eau, & on les expose à l'air, jusqu'à ce qu'ils se refroidissent ; alors on les fend sur la longueur pour en tirer l'écorce, & l'on jette le bois comme inutile.
L'écorce séchée est la matiere dont ensuite on doit faire le papier ; en lui donnant une autre préparation qui consiste à la nettoyer de nouveau, & à trier la bonne de la mauvaise : pour cet effet, on la fait tremper dans l'eau pendant trois ou quatre heures ; étant ainsi ramollie, la peau noirâtre est raclée avec la surface verte qui reste, ce qui se fait avec un couteau qu'ils appellent kaadsi kusaggi, c'est-à-dire, le rasoir de kaadsi, qui est le nom de l'arbre ; en même tems aussi l'écorce forte qui est d'une année de crûe, est séparée de la mince qui a couvert les jeunes branches. Les premieres donnent le meilleur papier & le plus blanc ; les dernieres produisent un papier noirâtre d'une bonté passable ; s'il y a de l'écorce de plus d'une année mêlée avec le reste, on la trie de même, & on la met à part, parce qu'elle rend le papier le plus grossier & le plus mauvais de tous : tout ce qu'il y a de grossier, les parties noueuses, & ce qui paroît défectueux & d'une vilaine couleur, est trié en même tems pour être gardé avec l'autre matiere grossiere.
Après que l'écorce a été suffisamment nettoyée, préparée & rangée, selon ses différens degrés de bonté, on doit la faire bouillir dans une lessive claire ; dès qu'elle vient à bouillir & tout le tems qu'elle est sur le feu, on est perpétuellement à la remuer avec un gros roseau, & l'on verse de tems en tems autant de lessive claire qu'il en faut pour abattre l'évaporation qui se fait, & pour suppléer à ce qui se perd parlà : cela doit continuer à bouillir, jusqu'à ce que la matiere devienne si mince, qu'étant touchée légérement du bout du doigt, elle se dissolve & se sépare en maniere de bourre & comme un amas de fibres. La lessive claire est faite d'une espece de cendres, en la maniere suivante : on met deux pieces de bois en croix sur une cuve ; on les couvre de paille, sur quoi ils mettent des cendres mouillées, ils y versent de l'eau bouillante, qui à mesure qu'elle passe au travers de la paille, pour tomber dans la cuve, s'imbibe des particules salines des cendres, & fait ce qu'ils appellent lessive claire.
Après que l'écorce a bouilli de la maniere qu'on vient de dire, on la lave ; c'est une affaire qui n'est pas d'une petite conséquence en faisant du papier, & doit être ménagée avec beaucoup de prudence & d'attention. Si l'écorce n'a pas été assez lavée, le papier sera fort à la vérité, & aura du corps, mais il sera grossier & de peu de valeur ; si au contraire on l'a lavé trop long-tems, elle donnera du papier plus blanc, mais plus sujet à boire, & mal propre pour écrire : ainsi cet article de la manufacture doit être conduit avec beaucoup de soin & de jugement, pour tâcher d'éviter les deux extrémités que nous venons de marquer. On lave dans la riviere, & l'on met l'écorce dans une espece de van ou de crible au-travers duquel l'eau coule, & on la remue continuellement avec les mains & les bras jusqu'à ce qu'elle soit délayée à la consistance d'une laine, ou d'un duvet doux & délicat. On la lave encore une fois pour faire le papier le plus fin : mais l'écorce est mise dans un linge au lieu d'un crible, à cause que plus on lave, plus l'écorce est divisée, & seroit enfin réduite en des parties si menues qu'elles passeroient au-travers des trous du crible & se dissiperoient. On a soin dans le même tems d'ôter les noeuds ou la bourre, & les autres parties hétérogenes grossieres & inutiles, que l'on met à part avec l'écorce la plus grossiere pour le mauvais papier. L'écorce étant suffisamment & entierement lavée, est posée sur une table de bois uni & épais pour être battue avec des bâtons du bois dur kusnoki, ce qui est fait ordinairement par deux ou trois personnes jusqu'à ce qu'on l'ait rendu aussi fine qu'il le faut : elle devient avec cela si déliée qu'elle ressemble à du papier qui, à force de tremper dans l'eau, est réduit comme en bouillie, & n'a quasi plus de consistance.
L'écorce ainsi préparée est mise dans une cuve étroite avec l'infusion glaireuse & gluante du ris, & celle de la racine oreni qui est aussi fort glaireuse & gluante. Ces trois choses mises ensemble doivent être remuées avec un roseau propre & délié jusqu'à ce qu'elles soient parfaitement mêlées, & qu'elles forment une substance liquide de la même consistance ; cela se fait mieux dans une cuve étroite, mais ensuite cette composition est mise dans une cuve plus grande, qu'ils appellent en leur langage fine : elle ne ressemble pas mal à celle dont on se sert dans nos manufactures de papier. On tire de cette cuve les feuilles une à une dans leurs moules qu'on fait de jonc, au lieu de fil d'archal, on les appelle miis.
Il ne reste plus qu'à les faire sécher à propos : pour cet effet, on met les feuilles en piles sur une table couverte d'une double natte, & l'on met une petite piece de roseau, qu'ils appellent kamakura, c'est-à-dire coussin, entre chaque feuille ; cette piece qui avance un peu sert ensuite à soulever les feuilles, & à les tirer une à une ; chaque pile est couverte d'une planche ou d'un ais mince de la grandeur & de la figure des feuilles de papier, sur laquelle on met des poids légers au commencement, de peur que les feuilles encore humides & fraîches ne se pressent si fort l'une contre l'autre, qu'elles fassent une seule masse ; on sur charge donc la planche par degrés, & l'on met des poids plus pesans pour presser & exprimer toute l'eau ; le jour suivant, on ôte les poids : les feuilles sont alors levées une à une avec le petit bâton kamakura, dont on vient de parler ; & avec la paume de la main, on les jette sur des planches longues & raboteuses, faites exprès pour cela, les feuilles s'y tiennent aisément, à cause d'un peu d'humidité qui leur reste encore après cette préparation, elles sont exposées au soleil ; & lorsqu'elles sont entierement seches, on les prend pour les mettre en monceaux, on les rogne tout-autour, & on les garde pour s'en servir ou pour les vendre.
J'ai dit que l'infusion de ris, avec un léger frottement, est nécessaire pour cet ouvrage, à cause de sa couleur blanche, & d'une certaine graisse visqueuse, qui donne au papier une bonne consistance & une blancheur agréable. La simple infusion de la fleur de ris n'auroit pas le même effet, à cause qu'elle manque de cette viscosité qui est une qualité fort nécessaire. L'infusion, dont je parle, se fait dans un pot de terre non vernissé, où les grains de ris sont trempés dans l'eau ; ensuite le pot est agité doucement d'abord, mais plus fortement par degrés : à la fin, on y verse de l'eau fraîche, & le tout est passé au-travers d'un linge ; ce qui demeure, doit être remis dans le pot, & subir la même opération en y mettant de l'eau fraîche ; & cela est répété tant qu'il reste quelque viscosité dans le ris. Le ris du Japon est le plus excellent pour cela, étant le plus gras & le plus gros qui croisse en Asie.
L'infusion de la racine oreni se fait de la maniere suivante : la racine pilée ou coupée en petits morceaux est mise dans de l'eau fraîche ; elle devient glaireuse dans la nuit, & propre à l'usage destiné après qu'on l'a passée au-travers d'un linge. Les différentes saisons de l'année demandent une quantité différente de cette infusion mêlée avec le reste. Ils disent que tout l'art dépend entierement de cela ; en été, lorsque la chaleur de l'air dissout cette colle & la rend plus fluide, il en faut davantage, & moins à proportion en hiver & dans le tems froid. Une trop grande quantité de cette infusion mêlée avec les autres ingrédiens rendroit le papier plus mince à proportion, & trop peu au contraire le rendroit épais, inégal & sec. Une quantité médiocre de cette racine est nécessaire pour rendre le papier bon & d'une égale consistance. Pour peu qu'on leve de feuilles, on peut s'appercevoir aisément si l'on en a mis trop ou trop peu. Au lieu de la racine oreni qui quelquefois, surtout au commencement de l'été, devient fort rare, les papetiers se servent d'un arbrisseau rampant, nommé sane kadsura, dont les feuilles rendent une gelée ou glu, semblable à celle de la racine oreni, mais qui n'est pas tout-à-fait aussi bonne.
On a remarqué ci-dessus que les feuilles de papier, lorsqu'elles sont fraîchement levées de leurs moules, sont mises en pile sur une table couverte de deux nattes : ces deux nattes doivent être faites différemment ; celle de dessous est plus grossiere, & celle qui est au-dessus est plus claire, faite de joncs plus fins qui ne sont pas entrelacés trop près l'un de l'autre, afin de laisser un passage libre à l'eau, & ils sont déliés pour ne point laisser d'impression sur le papier. Le papier grossier, destiné à servir d'enveloppe & à d'autres usages, est fait de l'écorce de l'arbrisseau kadse kadsura avec la même méthode que nous venons de décrire. Le papier du Japon est très-fort, on pourroit en faire des cordes. On vend une espece de papier fort épais à Syriga (c'est une espece des plus grandes villes du Japon, & la capitale d'une province de même nom). Ce papier est peint fort proprement, & plié en si grandes feuilles, qu'elles suffiroient à faire un habit ; il ressemble si fort à des étoffes de laine ou de soie qu'on pourroit s'y méprendre.
Pour rendre complete l'histoire des manufactures de papier du Japon, Kaempfer y joint la description suivante des quatre arbres & des plantes dont on le fait.
1°. L'arbre à papier, en japonois kaadsi, est le principal. Kaempfer le caractérise ainsi : Papyrus fructu mori celsa, sive morus sativa, foliis urticae mortuae, cortice papyrifera.
D'une racine forte, branchue & ligneuse s'éleve un tronc droit, épais & uni, fort rameux, couvert d'une écorce couleur de châtaigne, grosse dedans, où elle tient au bois qui est mou & cassant, plein d'une moëlle grande & humide. Les branches & les rejettons sont fort gros, couverts d'un petit duvet ou laine verte, dont la couleur tire vers le pourpre brun ; ils sont cannelés jusqu'à ce que la moëlle croisse, & sechent d'abord qu'on les a coupés. Les rejettons sont entourés irrégulierement de feuilles à cinq ou six pouces de distance l'une de l'autre, quelquefois davantage : elles tiennent à des pédicules minces & velus de deux pouces de longueur, de la grosseur d'une paille, & d'une couleur tirant sur le pourpre brun. Les feuilles different beaucoup en figure & en grandeur ; elles sont divisées quelquefois en trois, d'autres fois en cinq lobes dentés comme une scie, étroits, d'une profondeur inégale & inégalement divisés. Ces feuilles ressemblent en substance, figure & grandeur, à celles de l'urtica mortua, étant plates, minces, un peu raboteuses, d'un verd obscur d'un côté, & d'un verd blanchâtre de l'autre. Elles se sechent vîte dès qu'elles sont arrachées, comme font toutes les autres parties de l'arbre. Un nerf unique qui laisse un grand sillon du côté opposé, s'étend depuis la base de la feuille jusqu'à la pointe, d'où partent plusieurs petites veines quasi paralleles qui en poussent d'autres plus petites tournées vers le bord des feuilles, & se recourbant vers elles-mêmes. Les fruits viennent en Juin & en Juillet, des aisselles des feuilles aux extrémités des rejettons : ils tiennent à des queues courtes & rondes, & sont de la grosseur d'un pois & un peu plus, entourés de pois pourprés : ils sont composés de pepins qui sont verdâtres au commencement, & tournent ensuite sur le pourpre brun lorsqu'ils mûrissent. Le fruit est plein d'un jus douçâtre : je n'ai pas observé si ces fruits sont précédés par des fleurs.
Cet arbre est cultivé sur les collines & les montagnes, & sert aux manufactures de papier. Les jeunes rejettons de deux piés de long sont coupés & plantés à terre à une médiocre distance environ le dixieme mois ; ils prennent d'abord racine, & leur extrémité supérieure qui est hors de terre séchant d'abord, ils poussent plusieurs jeunes jets qui deviennent propres à être coupés vers la fin de l'année, lorsqu'ils sont parvenus à la longueur d'une brasse & demie, & à la grosseur du bras d'un homme médiocre. Il y a aussi une sorte de kaadsi ou arbre de papier sauvage, qui vient sur les montagnes désertes & incultes ; mais outre qu'il est rare, il n'est pas propre à faire du papier ; c'est pourquoi on ne s'en sert jamais.
2°. Le faux arbre à papier, que les Japonois nomment katsi kadsira, est appellé par Kaempfer en latin, papyrus procumbens, lactescens, folio longo lanceato, cortice chartaceo.
Cet arbrisseau a une racine épaisse, unique, longue, d'un blanc jaunâtre, étroite & forte, couverte d'une écorce grasse, unie, charnue & douçâtre, entremêlée de fibres étroites. Les branches sont nombreuses & rampantes, assez longues, simples, nues, étendues & fléxibles, avec une fort grande moëlle entourée de peu de bois. Des rejettons fort déliés, simples, bruns & velus aux extrémités sortent des branches ; les feuilles y sont attachées à un pouce de distance plus ou moins l'une de l'autre alternativement : elles tiennent à des pédicules petits & minces, & leur figure ne ressemble pas mal au fer d'une lance s'élargissant sur une base étroite, & finissant en pointe, longue, étroite & aiguë. Elles sont de différente grandeur, les plus basses étant quelquefois longues d'un empan, larges de deux pouces ; tandis que celles du haut de l'arbrisseau sont à peine un quart si grandes. Elles ressemblent aux feuilles du véritable arbre à papier en substance, couleur & superficie, sont profondément & également dentées, avec des veines déliées au dos, dont les plus grandes s'étendent depuis la base de la feuille jusqu'à la pointe, partageant la feuille en deux parties égales. Elles produisent plusieurs veines traversieres, qui sont croisées encore par de plus petites veines. Je ne puis rien dire des fleurs ni des fruits, n'ayant pu les voir.
3°. La plante que des Japonois appellent l'oreni, est nommée par Kaempfer alua, radice viscosa, flore ephemero, magno, punico.
D'une racine blanche, grasse, charnue & fort fibreuse, pleine d'un jus visqueux, transparent comme le crystal, sort une tige de la hauteur d'une brasse ou environ, qui est ordinairement simple & ne dure qu'un an. Les nouveaux jets, s'il en vient, après un an sortent des aisselles des feuilles ; la moëlle en est molle, spongieuse & blanche, pleine d'un jus visqueux. La tige est entourée à distances irrégulieres de feuilles qui ont quatre à cinq pouces de longueur, cambrée, d'un pourpre détrempé : les pédicules en sont ordinairement creux, charnus & pleins d'humeur.
Les feuilles ressemblent assez à l'alua de Mathiole, tirant sur le rond, d'environ un empan de diamêtre, composées de sept lobes divisés par des anses profondes, mais inégalement dentées aux bords, excepté entre les anses : les creneaux ou dents sont grands, en petit nombre, & à une moyenne distance l'une de l'autre. Les feuilles sont d'une substance charnue, pleines de jus ; elles paroissent raboteuses à l'oeil, & sont rudes au toucher, d'un verd obscur. Elles ont des nerfs forts qui partagent chaque lobe également, courant jusqu'aux extrémités en plusieurs veines traversieres, roides & cassantes, recourbées en arriere vers le bord de la feuille.
Les fleurs sont à l'extrémité de la tige & des rejettons, & sont d'un pouce & demi de longueur, portées par des pédicules velus & épais, dont la largeur augmente à mesure qu'ils finissent en calice. Les fleurs sont posées sur un calice composé de cinq pétales ou feuilles verdâtres, avec des lignes d'un pourpre brun & velues d'un bord : les fleurs sont aussi composées de cinq pétales ou feuilles d'un pourpre clair, tirant sur le blanc ; elles sont grandes comme la main, & souvent plus grandes : le fond en est fort grand, d'un pourpre plus chargé & plus rouge. Les feuilles des fleurs sont, comme on l'a dit, grandes, rondes & rayées : elles sont étroites & courtes au fond du calice qui est étroit, court & charnu ; le pistil est long d'un pouce, gras, uni & doux, couvert d'une poussiere couleur de chair, jaunâtre, couché sur le pistil comme si c'étoit de petites bossettes ; le pistil finit par cinq caroncules couvertes d'un duvet rouge, & arrondies en forme de globe.
Les feuilles ne durent qu'un jour, & se fanent à la nuit ; elles sont remplacées peu de jours après par cinq capsules séminaires pentagones, faisant ensemble la forme d'une toupie, qui ont deux pouces de longueur, un pouce & demi de largeur, membraneuses, épaisses, tirant sur le noir au tems de leur maturité, que l'on distingue par les cinq capsules où sont contenues un nombre incertain de graines, dix ou quinze dans chacune, d'un brun fort obscur, raboteuses, plus petites que des grains de poivre, un peu comprimées & se détachant aisément.
4°. Le futo-kadsura des Japonois est nommé par Kaempfer, frutex viscosus, procumbens, folio telephii vulgaris aemulo, fructu racemoso.
C'est un petit arbrisseau garni irrégulierement de plusieurs branches de la grosseur du doigt, d'où sortent des rejettons sans ordre, raboteux, pleins de verrues, gersés & d'une couleur brune. L'arbrisseau est couvert d'une écorce épaisse, charnue & visqueuse, composée d'un petit nombre de fibres déliées qui s'étendent en longueur. Si peu qu'on mâche de cette écorce, elle remplit la bouche d'une substance mucilagineuse. Les feuilles sont épaisses, & attachées une à une à des pédicules minces, cambrés, de couleur de pourpre, elles sont placées sans ordre, & ressemblent aux feuilles du telephium vulgare : étroites au fond, elles s'élargissent, finissent en pointe, & sont de deux, trois ou quatre pouces de longueur, un pouce de largeur au milieu au plus ; un peu roides, quoique grasses ; quelquefois pliées vers le dos, ondées, douces au toucher, d'un verd pâle, avec un petit nombre de pointes, en forme de dents de scie à leur bord ; coupées sur la longueur par un nerf traversé de beaucoup d'autres d'une petitesse presque imperceptible.
Les fruits pendent à des queues d'un pouce & demi de longueur, vertes & déliées : ils sont en forme de grappe, composée de plusieurs baies (quelquefois trente ou quarante) disposées en rond, sur un corps tirant sur le rond qui leur sert de base. Les baies ressemblent parfaitement aux grains de raisin, tirant sur le pourpre en hiver lorsqu'elles sont mûres. Leur membrane qui est mince contient un jus épais, quasi sans goût & insipide ; dans chaque baie on trouve deux graines, dont la figure ressemble à un oignon, un peu comprimées là où elles se touchent réciproquement. Elles sont de la grosseur des pepins des raisins ordinaires, couvertes d'une membrane mince & grisâtre ; leur substance est dure, blanchâtre, d'un goût âpre & pourri, très-désagréable au palais. Les baies sont disposées autour d'une base, tirant sur le rond ou ovale, d'une substance charnue, spongieuse & molle, d'environ un pouce de diamêtre, ressemblant assez à une fraise, rougeâtre, d'une rayure relevée en forme de retre, dont les niches paroissent moyennement profondes quand les baies en sont détachées. (D.J.)
PAPIER DE LINGE, c'est là le papier européen, il est nommé papier de linge, parce qu'il se fabrique avec de vieux linge qu'on a porté, qu'on ramasse même dans les rues, & que par cette raison les François appellent vulgairement chiffons ; les manufacturiers nomment ces morceaux de vieux linge drapeaux, drilles, peilles ou pattes.
Ce papier donc se fait avec des haillons de toile de lin ou de chanvre, pourris, broyés, réduits en pâte dans l'eau, ensuite moués en feuilles minces, quarrées, qu'on colle, qu'on seche, qu'on presse, & qu'on met en rames ou en mains pour la vente.
Il faut d'abord observer que les anciens n'ont jamais connu cette sorte de papier. Les libri lintei, dont parle Tite-Live, décad. I. liv. IV. Pline, XIII. c. xj. & d'autres écrivains romains, étoient des livres écrits sur des morceaux de toile de lin, ou de cannevas préparés à ce dessein, de même que nos peintres s'en servent toujours ; c'est ce qu'a démontré Guillandin dans son commentaire sur Pline, Allatius, & d'autres savans. Voyez Salmuth, ad Pancirolum, liv. II. tit. XIII.
Mais ce n'est pas assez d'être sûr que le papier de linge est une invention moderne, on voudroit savoir par quel peuple, & quand cette invention a été trouvée. Polydore Virgile, de inventoribus rerum, l. II. c. viij. avoue n'avoir jamais pu le découvrir. Scaliger en donne sans preuve la gloire aux Allemands, & le comte Maffei aux Italiens. D'autres en attribuent l'honneur à quelques Grecs réfugiés à Bâle, à qui la maniere de faire le papier de coton dans leur pays en suggéra l'idée. Le P. du Halde a cru mieux rencontrer, en se persuadant que l'Europe avoit tiré cette invention des Chinois, lesquels dans quelques provinces fabriquent avec le chanvre du papier à-peu-près de la même maniere que l'Occident ; mais l'Europe n'avoit point de commerce avec les Chinois, quand elle employa le chiffon en papier. D'un autre côté, si l'invention en étoit dûe à des Grecs réfugiés à Bâle, qui s'y retirerent après le sac de Constantinople, il faudroit qu'elle fût postérieure à l'année 1452, dans laquelle cette ville fut prise ; cependant la fabrique du papier de linge en Europe est antérieure à cette époque. Ainsi le jésuite Inchofer, qui la date seulement avec Milius vers l'année 1470, se trompe certainement dans son opinion.
Il est vrai qu'on ne sait rien de précis sur le tems auquel l'Occident commença de faire son papier de chiffon. Le P. Mabillon croit que c'est dans le xij. siecle ; & pour le prouver, il cite un passage de Pierre de Clugny, dit le Vénérable, qui naquit vers l'an 1100. Les livres que nous lisons tous les jours, dit cet abbé dans son traité contre les Juifs, sont faits de peaux de bélier ou de veau, ou de plantes orientales, ou enfin ex rasuris veterum pannorum ; si ces derniers mots signifioient le papier tel que nous l'employons aujourd'hui, il y avoit déja des livres de ce papier au xij. siecle ; mais cette citation unique en elle-même est d'autant plus suspecte, que le P. Montfaucon qui la rapporte, convient que, malgré toutes ses perquisitions, tant en France qu'en Italie, il n'a jamais pu voir ni livre, ni feuilles de papier qui ne fût écrite depuis la mort de saint Louis, c'est-à-dire depuis 1270.
Le comte Maffei prétend aussi que l'on ne trouve point de traces de l'usage de notre papier, antécédente à l'an 1300. Conringius a embrassé le même sentiment dans une lettre où il tâche de prouver que ce sont les Arabes qui ont apporté l'invention de ce papier en Europe. Voyez les acta erudit. Lips. an. 1720.
Je sai que le P. Hardouin croit avoir vu des actes & diplomes écrits sur le papier européen avant le xiij. siecle ; mais il est très-probable que ce savant jésuite a pris des manuscrits sur papier de coton, pour des manuscrits sur du papier de lin. La méprise étoit facile à faire, car la principale différence entre ces deux papiers consiste en ce que le papier de lin est plus fin ; or on sait que nous avons de ce même papier de différens degrés de finesse, & que c'est la même chose du papier de coton. Voyez Maffei, hist. diplom. lib. II. ou la Bibl. ital. t. II.
Mais enfin on cite trop d'exemples de manuscrits écrits sur notre papier dans le xiv. siecle, pour douter que sa fabrique n'ait été connue dans ce tems-là. Le jésuite Balbin parle de manuscrits sur notre papier qu'il a vus, & qui étoient écrits avant 1340. Un Anglois rapporte dans les Transactions philosophiques, que dans les archives de la bibliotheque de Cantorbery il y a un inventaire des biens d'Henri, prieur de l'église de Christ, qui mourut en 1340, lequel inventaire est écrit sur du papier. Il ajoûte que dans la bibliotheque cotonnienne il y a divers titres écrits sur notre papier, lesquels remontent jusqu'à la quinzieme année d'Edouard III. ce qui revient à l'année 1335. Voyez les philos. transact. n°. 288.
Le docteur Prideaux nous assûre avoir vû un registre de quelques actes de Jean Cranden, prieur d'Ely, fait sur papier, & qui est daté de la quatorzieme année d'Edouard III. c'est-à-dire l'an de Jesus-Christ 1320. Voyez Prideaux, Connect. part. I. l. VII. p. 710.
Le même savant panche à croire que l'invention du papier de linge nous vient de l'Orient, parce que plusieurs anciens manuscrits arabes ou en d'autres langues orientales sont écrits sur cette sorte de papier, & que quelques-uns d'entr'eux se trouvent plus anciens que les dates ci-dessus mentionnées. Enfin M. Prideaux juge qu'il est probable que les Sarrasins d'Espagne ont apporté les premiers d'Orient l'invention du papier de linge en Europe.
Quoi qu'il en soit de toutes les conjectures que nous venons d'exposer, il nous importe encore davantage de connoître la maniere de faire le papier de linge. Dans cette vûe, je rapporterai d'abord la méthode des François, qui est la même qu'en Hollande, ensuite j'indiquerai celle d'Angleterre, qui en differe en quelques points.
Après que les chiffons ont été lavés, on les met tout mouillés pourrir dans des manieres de cuves, ou lieux faits exprès, que l'on appelle pourrissoirs, d'où on les tire quand ils sont duement pourris, & propres à être réduits en ouvrage.
Cette premiere préparation d'où dépend en partie la bonté du papier, étant finie, on met les chiffons ainsi pourris dans des especes de mortiers, garnis dans le fond d'une plaque de fer qu'on nomme piles à drapeaux, dans lesquelles par le moyen de plusieurs maillets ou pilons, aussi garnis de fer par le bout, qui tombent alternativement dans chaque pile, & à qui des moulins à eau donnent le mouvement, ils sont réduits en une espece de bouillie ou de pâte, qui est le nom que les ouvriers lui donnent. Cette pâte est ensuite remise de nouveau dans d'autres mortiers qu'on appelle piles à fleurer. Celui qui a le soin des moulins & des piles, s'appelle gouverneur ou gouverneau.
La pâte ainsi disposée, se met dans des especes de caisses de bois, où elle se séche, & d'où on la retire pour la mettre dans des lieux de réserve. Lorsque l'on s'en veut servir pour fabriquer le papier, on la fait passer pour la troisieme fois par un mortier que l'on nomme pile de l'ouvrier, dont les maillets ne sont point garnis de fer : c'est dans cette troisieme pile où elle prend sa derniere façon.
L'on fait ordinairement de trois sortes de pâte ; la commune ou bule, autrement gros-bon ; la moyenne ou vanante ; & la pâte fine, qui servent suivant leur degré de finesse, à faire du papier, ou très-gros, ou médiocre, ou très-fin.
La pâte perfectionnée, ainsi qu'on vient de le dire, se met dans de grandes cuves pleines d'une eau très-claire & un peu chaude, où elle est remuée & brassée à plusieurs reprises avant que de l'employer, afin que l'eau en soit également chargée, & que le papier qu'on en doit faire soit d'une même finesse. Les moules dans lesquels se fait chaque feuille de papier séparément, & l'une après l'autre, se nomment formes. Ce sont de petits chassis de bois quarrés, plus grands ou plus petits, suivant la qualité du papier qu'on fabrique.
Le fond ou chassis, d'un côté est fermé par quantité de menus fils de laiton, très-serrés les uns contre les autres, & joints de distance en distance, par de plus gros fils nommés verjules ou verjures, en deux endroits du fond : justement au milieu de chaque demi-feuille se mettent d'un côté la marque du manufacturier, & de l'autre, une empreinte convenable à la sorte de papier qui se fait, comme des grappes de raisin, des serpens, des noms de Jesus, &c. Comme ces marques ou empreintes sont de fil de laiton, aussi-bien que les verjules, & qu'elles excedent un peu le fond, elles s'impriment dans le papier, & paroissent au jour plus transparentes que le reste. Il y a des manufacturiers assez curieux pour former leurs marques sur les moules avec du menu fil d'argent, en maniere de filigrame.
Pour travailler au papier, chaque forme se plonge dans la cuve pleine de l'eau épaissie par la pâte faite de chiffons : lorsqu'on l'en retire, elle se trouve couverte du plus épais de cette matiere, le plus clair s'écoulant par les intervalles imperceptibles des fils de laiton ; ensorte que ce qui reste se congéle dans l'instant, & devient assez solide pour que le coucheur (ouvrier destiné à cet effet) puisse renverser la feuille de papier sur le feutre ou porce, c'est-à-dire sur un morceau de revèche, ou autre étoffe de laine écrue.
Tandis que le plongeur fait une seconde feuille de papier, en plongeant une seconde forme dans la cuve, le coucheur couvre la premiere d'un second feutre, pour recevoir l'autre feuille qui se fabrique, & ainsi successivement, jusqu'à ce qu'il y ait une pile suffisante de feuilles de papier & de feutres, pour être mises à la presse qui en doit exprimer la plus grande partie de l'eau.
Au sortir de cette presse, l'ouvrier que l'on nomme leveur, leve les feuilles de dessus les feutres, & les met les unes sur les autres sur une planche quarrée appellée le drapant ; puis elles sont remises une seconde fois sous la presse, afin de les bien unir, & d'achever d'en exprimer toute l'humidité. Quand elles ont été suffisamment pressées, on les met sécher sur des cordes dans les étendoirs, lieux où l'air se communique à proportion qu'on le juge nécessaire, par le moyen de certaines ouvertures faites exprès, que l'on ouvre & que l'on ferme par des coulisses.
Lorsque le papier est bien sec, on le colle, ce qui se fait en plongeant plusieurs feuilles ensemble dans une chaudiere de cuivre, remplie d'une colle très-claire, & un peu chaude, faite de rognures de cuir, ou de ratures & morceaux de parchemin, dans laquelle on jette quelquefois de l'alun de glace, ou de la couperose blanche en poudre.
La meilleure colle est celle du parchemin ; mais soit qu'on se serve de l'une ou de l'autre, le saleran ou séleran, c'est-à-dire le chef de la salle où l'on colle & où l'on donne les derniers apprêts & façons au papier, la doit faire bouillir 16 heures, & ne l'employer qu'après l'avoir coulée à-travers d'une chausse ou drapeau.
Après que le papier est bien & duement collé, on le met en presse afin d'en faire sortir le superflu de la colle, puis on tire les feuilles les unes après les autres pour les jetter sur des cordes qui sont dans les étendoirs, ce qui se fait par le moyen d'un instrument de bois de la figure d'un T, que l'on nomme ferlet ; quand les feuilles sont entierement séches on les ôte de dessus les cordes, ce que l'on appelle les ramasser, pour les remettre encore sous la presse.
Lorsqu'elles sont retirées de cette presse, on les trie pour séparer les défectueuses d'avec les bonnes : on les lisse avec une pierre légerement frottée de graisse de mouton, on les plie, on les compte pour en former des mains, & lorsque ces mains sont formées, on les remet de nouveau en presse ; ensuite on les ébarbe (c'est-à-dire que l'on en rogne légerement les extrémités), & l'on les met par rames, chaque rame s'enveloppant de gros papier que l'on appelle maculature ou trace : enfin après qu'elles sont liées d'une ficelle, on les met pour la derniere fois sous la presse, ce qui est la derniere façon qu'on donne au papier, étant pour lors en état d'être vendu ou employé.
Voici présentement la maniere de faire le papier de vieux linge de chanvre & de lin en Angleterre.
Après les avoir préparés, on les apporte dans les moulins à papier, on les sépare en ce qu'on appelle grobin fin, grobin deuxieme, grobin troisieme, car pour le reste, ce sont des chiffons de laine & de lin, que la saleté empêche de reconnoître jusqu'à ce qu'ils ayent été lavés. La façon de les laver, est de les mettre dans un poinçon dont le fond est percé de beaucoup de trous, & qui a sur le côté des grilles faites de fil d'archal qui soit fort : là on remue souvent ces morceaux de linge, afin que la saleté s'en sépare.
Quand ils sont suffisamment lavés, on les met en tas quarrés, & on les couvre bien serrés avec des pieces de grosse toile propre, jusqu'à ce qu'ils suent & s'épaississent, c'est ce qu'on appelle fermentation ; elle se fait ordinairement en 4 ou 5 jours ; si on ne les retiroit pas à-propos, ils pourroient se gâter tout-à-fait, changer de couleur & prendre feu. Quand ils ont bien fermenté, on les tord par poignées, ensuite on les hache avec un instrument de fer tranchant & crochu, qui est stable dans une forme, la pointe en-haut & le tranchant du côté de l'ouvrier, en observant de les tirer à soi, & les couper pieces par pieces d'un pouce & demi de long, ou comme les doigts le permettent.
Les chiffons étant ainsi préparés on les jette dans des mortiers ovales, d'environ 2 piés de profondeur, faits de bon coeur de chêne : au fond de chaque mortier est une plaque de fer épaisse d'un pouce, large de 8, & longue de 30, qui est façonnée en-dedans comme un moule pour un saumon de plomb avec la tête & la queue arrondie : dans le milieu est un lavoir qui a 5 trous, & un morceau de tamis de crin, attaché en-dedans pour empêcher que les marteaux n'y touchent, & que rien n'en sorte, excepté l'eau sale.
Les mortiers sont fournis d'eau jour & nuit par le moyen de petits augets, qui sont eux-mêmes remplis par l'eau d'une cîterne, que leur distribuent des sceaux attachés à chaque rayon d'une roue, tant que la roue tourne.
Les chiffons étant battus dans ces mortiers, deviennent propres à être mis en une presse qui est auprès : on les tire avec de petits sceaux de fer hors de chaque mortier, dont on peut arrêter le marteau sans que les autres cessent d'aller : c'est ce qu'on appelle la premiere matiere.
Cette premiere matiere tirée des mortiers, est mise dans des caisses de bois de 5 piés de haut, semblables à celles dont se servent les marchands de blé, dont le fond est de planches posées de biais, avec une petite séparation dans le milieu pour écouler l'eau. La pâte de chiffons y étant mise, on ôte du couvercle autant de planches qu'il est nécessaire, & on presse cette masse de pâte à force de bras ; le lendemain on y remet encore de la pâte jusqu'à ce que la caisse soit remplie, & là on la laisse mûrir une semaine, plus ou moins selon le tems. Dans tout ce procédé il faut prendre garde qu'il n'y ait point d'instrument de fer sujet à se rouiller, car il teindroit de rouille la pâte, & gâteroit le papier.
Ensuite on met la pâte dans d'autres mortiers, on la bat & on la remet dans des caisses comme devant, & dans cet état on l'appelle la seconde matiere. Il faut entendre la même chose d'une troisieme préparation qui rend la pâte propre à passer encore dans des mortiers, où elle est battue derechef, jusqu'à ce qu'étant mêlée avec de l'eau claire & brassée çà & là, elle paroisse comme la farine délayée dans de l'eau sans aucuns grumeaux.
La pâte ainsi préparée, on la passe encore une fois dans un mortier creux, dont le marteau n'est pas garni de fer. On fait couler continuellement de l'eau dans ce mortier, par le moyen d'un auget, tandis qu'on travaille à la chaudiere. Quand l'eau & la pâte sont absolument incorporées ensemble, on retire la pâte pour la mettre dans la chaudiere, & l'on ôte de la pâte des caisses pour en remettre dans le mortier, & ainsi successivement.
La chaudiere est préparée suivant les regles, quand la liqueur a acquis une telle proportion de pâte que le moule, étant trempé dedans, en emporte autant qu'il en faut pour une feuille de l'épaisseur qu'on la veut. Un moule est une grille quarrée d'un pouce d'épaisseur, dont le fond est fait de fil de laiton, soutenu de petites barres de bois pour empêcher qu'il ne cave, & le tenir parfaitement horisontal ; car s'il creusoit quelque part, une partie de la feuille seroit plus épaisse que l'autre.
Le plongeur trempe ce moule dans la chaudiere, & le retire en le remuant, afin que l'eau qui est dans la pâte s'écoule par la grille : dans cet état il le donne au coucheur, qui couche la feuille sur un feutre posé sur une planche, & met un autre feutre par dessus, & ainsi successivement une feuille & un feutre, une feuille & un feutre jusqu'à ce qu'il y en ait de quoi remplir une pressée, c'est-à-dire environ 6 mains : on fait au moins 20 pressées par jour. Le coucheur ayant fait son office, rend le moule au plongeur, & le plongeur au coucheur successivement.
Quand il y en a plein une presse de fait, le plongeur ou le coucheur donne un coup de sifflet qui fait venir 4 ou 5 ouvriers, dont un tire la pile sous la presse avec deux petits crochets, & les autres la pressent fortement jusqu'à ce qu'il n'y reste plus d'eau, ce qui se fait promptement en 2 ou 3 secousses.
Cela fait, on tire la pile hors de la presse, & on la met au côté droit du siege du leveur : alors le leveur ôte le premier feutre, le rend au coucheur, & met la premiere feuille sur le siege : sur cette feuille il en met une seconde, ensuite une troisieme, & continue de la sorte jusqu'à ce que tout soit levé. Ce tas est laissé là jusqu'au soir : alors on presse une seconde fois tout l'ouvrage du jour, & on le met exactement l'un sur l'autre, de façon que cela ressemble à un monceau de pâte solide.
Après que ce monceau a reçu 2 ou 3 coups de presse, comme ci-devant, le sécheur le retire, le porte dans une chambre faite exprès, & étend 6 ou 7 feuilles ensemble sur des cordes attachées à une machine appellée trible, chaque trible contenant 30 cordes de 10 ou 12 piés de long.
Quand il est séché on le retire, on le met sur un siege à 3 piés : dans cet état on l'adoucit avec les mains, ensuite on le met en monceau de 7 ou 8 piés de haut, dans un lieu bien sec, où il reste jusqu'à ce qu'on le colle, c'est la derniere préparation.
On choisit un jour clair & sec : on met dans une chaudiere 2 barrils d'eau, & quand elle commence à être chaude, on y jette 60 livres de rognures de parchemin, ou raclures de vélin, qu'on y fait bouillir jusqu'à ce qu'elles soient réduites parfaitement en colle, alors on la passe à-travers une chausse, & sur le tout on répand une dose convenable de vitriol blanc, & d'alun de glace réduit en poudre très-fine, dans un vase d'un pié de profondeur : auprès de ce vase on apporte 5 ou 6 rames de papier, on en trempe dans la colle une certaine quantité, à-peu-près autant qu'on en peut prendre à la fois avec les mains, & par un certain maniement vif & prompt, ils font ensorte que chaque feuille est collée. Après cela on met le tout en presse : le tout étant pressé, on l'ôte & on le transporte dans le séchoir, où on l'étend ordinairement feuille par feuille, jusqu'à ce qu'il soit sec. Mais il faut avoir soin que les rayons du soleil ne donnent pas directement dessus, avant que le tout soit sec, car autrement le soleil pourroit faire évaporer la colle. Dès que le papier est entierement sec, on le retire, on l'adoucit, on le polit avec les mains comme auparavant, on le met en pile, on le presse fortement, & on le laisse dans cet état passer la nuit. Le lendemain matin on le retire & on le porte au magasin pour le trier : ce qui est pour le dedans des mains est mis à part, ce qui est dessus pareillement ; ensuite on le presse encore, & on le laisse ordinairement toute la nuit dans cet état.
Le lendemain matin on l'arrange par main de 24 ou 25 feuilles chacune, on le plie, on le met en monceau, & quand il y a une presse pleine, on le presse encore en double tout de suite, & alors on l'arrange en rames de 20 mains chacune, & en ballot de 10 rames chacune. Voyez Hought, collect. tome II. p. 412.
Les feuilles rompues se mettent ordinairement ensemble, & on met deux mains à chaque côté de la rame : cela fait, on les enveloppe avec le papier fait de l'écume de la chaudiere, & dans cet état il est propre à être vendu.
Avec cette pâte dont nous venons de parler, on fait aussi le carton de la même maniere que le papier, excepté qu'il est plus épais. Voyez CARTON.
Avec une certaine sorte fine de ce carton, on fait des cartes pour jouer. Voyez CARTES.
Avec de l'eau, où l'on a jetté différentes couleurs détrempées avec de l'huile & du fiel de boeuf, on fait le papier marbré. Voyez PAPIER MARBRE.
Les manufactures de papier se sont multipliées dans presque toute l'Europe ; cependant la France, la Hollande, Gènes & l'Angleterre sont les pays où on le fait le mieux. En général il dépend beaucoup de la qualité du linge dont on se sert dans les lieux où on fabrique le papier : car selon que l'on porte le linge fin, grossier, ou peu blanc, &c. les morceaux ou chiffons, & conséquemment le papier qui en résulte, doivent avoir les mêmes qualités. C'est pour cela que les papiers de Hollande & de Flandres sont plus blancs que ceux d'Italie & de France, & beaucoup plus que celui d'Allemagne.
La Grande-Bretagne, dans le dernier siecle, tiroit presque tout son papier de l'étranger. Elle ne date son premier moulin de papier, bâti à Dartfort, que de l'an 1588. Un poëte de ce tems-là le consacra par des vers à son honneur : présentement l'Angleterre a compris que la vraie consécration des choses utiles consistoit à les multiplier ; aussi tire-t-elle aujourd'hui peu de papier de l'étranger. Cependant elle pourroit encore perfectionner beaucoup ses papeteries, & les étendre davantage dans les trois royaumes, à l'imitation de la Hollande qui fait le plus beau papier du monde, & en plus grande quantité. (D.J.)
PAPIER, (Chimie, Mat. méd.) on en retire à la distillation à la violence du feu un esprit qui n'est autre chose qu'un alkali volatil, résous, très-foible & très-délayé, & gras ou huileux, provenu en partie du linge & en partie de la colle employée à la préparation du papier, & une huile empyreumatique provenue des mêmes sources. On a érigé en remede particulier cet esprit & cette huile, auxquels c'est assurément faire assez d'honneur que d'attribuer les propriétés les plus communes des esprits alkalis volatils, & des huiles empyreumatiques. Voyez SEL VOLATIL & HUILE EMPYREUMATIQUE.
Tout le monde connoît aussi l'usage de la fumée du papier brûlant, principalement sans flamme, contre les vapeurs hystériques, l'espece de vertige que certaines odeurs causent à beaucoup de sujets, les évanouissemens, &c. Ce secours populaire est souvent très-efficace dans ces cas, & un des meilleurs qu'on puisse employer. (b)
PAPIER MARBRE, (Arts) le papier marbré est un papier peint de diverses nuances, ou de différentes couleurs. Il se fait en appliquant une feuille de papier sur de l'eau où on a détrempé diverses couleurs avec de l'huile & du fiel de boeuf, qui empêche le mêlange : selon la disposition qu'on leur donne avec un peigne, on forme les ondes & les panaches. Voici de quelle maniere se fait le papier marbré en Angleterre.
On prépare un auget de la forme & de la grandeur du papier qu'on veut marbrer, & de 4 doigts de profondeur, fait de plomb ou de bois, bien joint & enduit de façon qu'il puisse contenir la liqueur. Pour la liqueur, on fait tremper un quarteron de gomme adragant pendant 4 ou 5 jours dans de l'eau claire : on la remue de tems en tems, & on y ajoute tous les jours de l'eau nouvelle, jusqu'à ce qu'elle ait un peu moins de consistance que l'huile, alors on la jette dans le petit auget.
Les couleurs qu'on doit appliquer par-dessus sont, pour le bleu, de l'indigo broyé avec du blanc de plomb : pour le verd, l'indigo & l'orpiment, l'un broyé & l'autre détrempé, mêlés & qui ont bouilli ensemble dans l'eau commune : pour le jaune, l'orpiment broyé & détrempé : pour le rouge, la laque la plus fine broyée avec des raclures de bois de Brésil, qui ont été préparées en bouillant une demi-journée. Dans toutes ces couleurs on mêle un peu de fiel de boeuf, ou de poisson, qui a vieilli 2 ou 3 jours. Si les couleurs ne s'étendent pas bien d'elles-mêmes, on y ajoute un peu plus de fiel ; au contraire si elles s'étendent trop, il faut surcharger le fiel & le corriger, en y ajoutant de la couleur sans fiel.
Voici l'opération de marbrer : quand la gomme est bien reposée dans l'auget, on déploie une feuille de papier que l'on détrempe sur la superficie de la liqueur, & on la retire aussitôt afin de l'agiter & de faire monter le sédiment de la gomme vers la surface, & que la liqueur en soit plus universellement imprégnée. Cela fait, & toutes les couleurs étant rangées dans des pots de fayance, sur une table où est aussi placé l'auget, on commence par tremper un pinceau de soies de cochon dans chaque couleur, ordinairement le bleu le premier, & on en répand sur la surface de la liqueur. Si la couleur est bien préparée, elle se dilatera d'elle-même. Ensuite on applique le rouge de la même maniere, mais avec un autre pinceau ; ensuite le jaune, & enfin le verd : pour le blanc, il se fait en répandant par-dessus la liqueur un peu d'eau claire, mêlée avec du fiel de boeuf.
Lorsque les couleurs flottent ainsi sur la liqueur, pour leur donner ces nuances agréables que nous admirons dans le papier marbré, on se sert d'un bâton pointu qu'on enfonce dans la liqueur, en tirant d'un bout à l'autre de l'auget avec adresse, & en faisant que ce bâton agite la liqueur & les couleurs qui surnagent : alors avec un peigne qu'on tient avec les deux mains par la tête, on peigne la surface de la liqueur dans l'auget d'un bout à l'autre, observant seulement de n'enfoncer que les dents. Si cette opération est faite avec un mouvement prompt & uniforme, elle produit ces nuages & ces ondulations, d'où dépend beaucoup la beauté de ce papier.
Si on aime mieux que les couleurs représentent des figures de fantaisie, comme des serpens & autres semblables, cela se fait par le moyen du bâton pointu dont nous avons parlé ci-dessus, en traçant ces figures par-dessus ce qui a déja été peigné ; il faut pour cet effet avoir la main adroite, & agiter la superficie de la liqueur en rond, comme si on vouloit tracer quelque fleur, ou figurer des lettres.
Enfin les couleurs étant dans cet état, l'ouvrier déploie & applique par-dessus une feuille de papier blanc mouillé : cela demande dans l'ouvrier une adresse que l'usage seul peut donner, car il faut que le papier & la surface de la liqueur se rencontrent par-tout. Ensuite avant que les couleurs aient le tems de pénétrer, ce qui arriveroit bientôt, à moins que le papier ne fût fort épais, ils enlevent ce papier avec agilité & d'une même main, & ensuite l'étendant quelque tems sur une planche, ils le suspendent après sur une corde pour le faire sécher. Quand il est suffisamment sec, on le polit avec une pierre de marbre, ou un morceau d'y voire.
Il faut observer qu'on doit renouveller les couleurs de l'auget, & toutes les autres formalités avec le bâton pointu & le peigne, chaque fois qu'on veut appliquer un nouveau papier, parce que chaque feuille de papier emporte toute la couleur qui flotte sur la liqueur. Voyez Kircher, de luce & umbra, lib. X. Merret sur Neri, de arte vitr. ch. xlij. Hought, collect. t. II. p. 419. & seq.
On a essayé quelquefois de rendre le papier marbré plus riche, en mêlant l'or & l'argent avec les couleurs, ce qui a bien réussi principalement pour la bibliothéque des rois de France : cependant la grande dépense a empêché que cette manufacture n'ait eu lieu.
Toute cette opération est tirée de Chambers. Il est surprenant qu'on ne trouve dans Savari aucun détail sur l'art de marbrer le papier. Voyez l'article MARBREUR DE PAPIER, où cet article est décrit plus au long. (D.J.)
PAPIER, COMMERCE DU (Commerce) le papier est un objet d'un grand commerce ; il y en a différentes sortes ; eu égard à la couleur, on le divise en blanc, brun & bleu, &c. Par rapport à la qualité, on le divise en fin, second, bâtard, superfin, &c. Par rapport à l'usage, on le distingue en papier à écrire, à imprimer, à estampes, à cartouches, à patron, de chancellerie, &c. Par rapport aux dimensions, on le divise en moyen, à la couronne, au bonnet, au pot, royal, surroyal, impérial, éléphant, atlas. Par rapport aux pays où on le fabrique, on le divise en Allemand, Lombard, papier d'Hollande, de France, d'Angleterre, de Gènes, &c.
Il paroît que par-tout le papier se vend par rames, excepté dans les manufactures d'Auvergne, où il se vend au poids sur le pié de quatorze onces la livre : chaque rame selon son espece devant être d'un certain poids, suivant les réglemens.
Le papier de France, se divise en grand, moyen & petit. Les petites sortes sont la petite romaine, le petit raisin ou bâton royal, le petit nom de jésus, le petit à la main, &c. qui prennent leur nom de la marque qu'on y empreint en les faisant ; le cartier propre à couvrir par-derriere les cartes à jouer. Le pot dont on se sert pour le côté de la figure : la couronne qui porte ordinairement les armes du controleur-général des finances : celui à la telliere qui porte les armes de M. le chancelier. Le tellier est un double T ; le champy ou papier à chassis ; & la serpente ainsi nommé, à cause d'un serpent dont il est marqué ; comme ce dernier est extrêmement fin, il sert aux éventaillistes.
Les moyennes sortes sont, le grand raisin simple, le quarré simple, le cavalier & le lombard, dont les trois derniers servent pour l'impression ; l'écu ou de compte simple, le quarré double, l'écu double, le grand raisin double, & la couronne double, dont les trois derniers sont appellés doubles, à cause de leur épaisseur : ajoutez à ceux-là, le pantalon ou papier aux armes d'Hollande, & le grand cornet, ainsi appellé à cause de sa marque.
Les grandes sortes sont, le grand jésus, petit & grande fleur de lis, le chapelet, le colombier, le grand aigle, le dauphin, le soleil & l'étoile, ainsi nommés à cause des marques qui y sont empreintes ; ils sont propres à imprimer des estampes & des thèses, même à faire des livres de marchands & à dessiner ; le grand monde est le plus large de tous.
Outre ces papiers que l'on appelle les trois sortes, & qui servent tous à l'écriture ou à l'impression, il s'en fabrique encore d'autres de toutes couleurs, soit collés, soit sans colle, pour envelopper différentes marchandises, & pour d'autres usages.
Indépendamment de la consommation du royaume, il s'en fait aussi des envois considérables dans les pays étrangers, comme dans le Nord, au Levant, & même dans les Indes orientales ; mais cette consommation dans l'étranger est prodigieusement diminuée depuis le commencement de ce siecle ; car on comptoit autrefois cinquante-cinq moulins à papier, travaillans dans la seule province d'Angoumois, & aujourd'hui l'on n'en compte pas trente ; on doit dire la même chose des moulins à papier des autres provinces.
Les réglemens de M. Colbert sur cette fabrique, quoique fort sages en général, auroient aujourd'hui besoin de plusieurs corrections ; mais il faudroit porter principalement ses vûes à l'accroissement des papeteries dans le royaume. Celle de Montargis qui s'étoit élevée il y a trente ans, méritoit d'être soutenue ; il en faudroit établir de nouvelles dans le Lyonnois, & autres provinces voisines. (D.J.)
PAPIER D'ASBESTE, (Arts) ce papier fait d'asbeste, autrement dit de lin incombustible, lapis asbestos, peut supporter le feu sans être endommagé. Le docteur Brukmann, professeur à Brunswick, a imprimé une histoire naturelle de l'asbestos dont on tire ce papier ; & ce qu'il y a de plus remarquable, il a fait tirer quatre exemplaires de son livre sur ce papier, ils sont dans la bibliothéque de Wolfembutel. Voyez Bibl. Germ. t. XIV. p. 190.
La maniere de fabriquer ce papier extraordinaire, est décrite par M. Lloyd, d'après ses épreuves. Il broya une certaine quantité d'asbestos dans un mortier de pierre, jusqu'à ce qu'elle fût réduite en une substance cotonneuse ; ensuite il le passa dans un tamis fin, & par ce moyen le purgea le mieux qu'il put de ses parties terrestres ; car la terre & les pierrettes qu'il n'auroit pas pû enlever auparavant, étant réduites en poudre, passerent à-travers le tamis, & il ne resta que le lin ou coton ; ensuite il porta sa matiere dans un moulin à papier, & la mettant dans l'eau dans un vase assez grand précisément pour faire une feuille avec une certaine quantité ; il la remua suffisamment, & ordonna à l'ouvrier de l'employer à part avec la méthode ordinaire dont on use pour la fabrique du papier à écrire ; il lui recommanda seulement de la remuer toujours avant que de la mettre dans le moule ; parce qu'il considéra que la substance en étant beaucoup plus pesante que celle dont on se sert pour le papier ordinaire ; elle se précipiteroit au fond, si on ne la remuoit pas immédiatement avant de la mettre dans le moule. Enfin, on en fit du papier sur lequel on écrivoit comme sur le papier de chiffons, & l'écriture s'en effaçoit en le jettant dans le feu, d'où on le retiroit sans être plus endommagé que la toile d'asbeste ; mais ce papier étoit grossier & se cassoit fort aisément ; cependant si la chose en valoit la peine, il ne seroit pas impossible en triturant fort long-tems la matiere dans les mortiers, d'en former une pâte aussi fine que celle du papier de linge ; mais comme ce seroit une chose couteuse, on ne doit la regarder que sur le pié d'une invention de pure curiosité. Philos. Trans. n°. 166.
PAPIER, (Ecriture) Le papier à écrire pour être bon doit avoir les qualités suivantes : la premiere & la principale, c'est d'être bien collé, ferme & pesant ; celui qui ne sonne pas clair, qui est mou, foible & lâche au maniement n'est pas bien collé, est conséquemment d'un mauvais usage ; il faut qu'il ait le grain délié, qu'il soit net, uni, sans taches ni rides, afin que la plume coule dessus facilement ; il faut regarder aussi à ce qu'il n'y ait ni filets, ni poils ; ces poils entrant dans la fente du bec de la plume, rendent l'écriture boueuse. Il faudroit encore qu'il fût blanc ; mais le papier le plus blanc n'est pas ordinairement le mieux collé. Tout étant égal d'ailleurs, le plus anciennement fabriqué sera préférable.
Maniere de laver & de vernir le papier pour écrire : il faut avoir du papier de la qualité qu'on vient de prescrire ; on l'étend tout ouvert sur un ais bien net, & après avoir mis du vernis battu, autrement dit, sandarac, dans une écuelle ou terrine, on en frottera légerement toutes les feuilles avec une patte de lievre ; puis ayant mis dans un chauderon bien net six pintes d'eau, mesure de Paris, qui suffiront pour laver une rame ; on fera fondre sur le feu huit onces d'alun de roche, & une once de sucre candi blanc ; & après avoir fait bouillir le tout un bouillon, on le retire de dessus le feu ; & lorsque l'eau est tiede, on en lave le papier feuille à feuille avec une éponge fine, du côté qu'il a été vernis ; on pose ces feuilles les unes sur les autres ; & quand toute la rame est lavée, on la met en presse l'espace d'un demi jour, ou du soir au lendemain ; après quoi, on l'étend sur des cordes feuille à feuille pour qu'il seche ; lorsqu'il est à demi-sec, on le remet une seconde fois en presse pendant quelques jours, afin de le bien étendre ; de-là il passe chez le relieur pour être battu, il ne faut se servir de ce papier que trois ou quatre mois après qu'il a été ainsi préparé. Plus il est gardé, meilleur il est ; le papier battu pour écrire des lettres doit être frotté avec le sandarac, si l'on ne veut pas que l'encre s'épatte.
PAPIER BLANC, terme d'Imprimeur ; c'est le premier côté de la feuille qu'on couche sur la forme pour l'impression.
PAPIER BLEU, (Papeterie) papier qui sert aux Marchands à envelopper différentes marchandises ; le gros papier bleu est employé aux pains de sucre, le fin aux pieces de toile, à couvrir les brochures ou livres en feuilles, &c. il y en a encore de plus fin qui sert à d'autres usages. (D.J.)
PAPIER BRILLANT, ou à fleurs & figures brillantes ; c'étoit une sorte de papier que le sieur Papillon avoit trouvé le secret de rendre très-agréable, soit qu'il l'eût inventé ou qu'il ne l'eût que perfectionné ; voici d'abord ce qu'il faisoit. A deux onces de colle de poisson qu'il mettoit tiédir & fondre, il ajoutoit le double d'amidon qu'il délayoit bien, en tournant jusqu'à ce qu'il n'y eût point de grumeaux & que tout fût bien mêlé ; il laissoit reposer jusqu'au lendemain, que voulant s'en servir, il faisoit derechef tiédir ; puis ayant poncé légerement avec du charbon presque impalpable le dessein piqué qu'il vouloit faire avec un pinceau, & de cette colle ci-dessus & tiéde, il dessinoit toutes les fleurs du dessein piqué : ensuite il semoit dessus du brillant d'une seule couleur qui ne s'attachoit qu'aux endroits où avoit passé le pinceau, & ayant laissé sécher, en époussetant la feuille le brillant ne restoit qu'au dessein ; mais pour mettre sur une feuille plusieurs brillans de couleurs différentes, il se servoit de patrons découpés par parties séparées, couchant à-travers sa colle avec une brosse ou gros pinceau sur la feuille chaque partie ; semée ensuite du brillant de la couleur qu'il vouloit, séchée & époussetée, il procédoit à coucher la colle à-travers un autre patron, & à mettre ensuite un brillant d'une autre couleur, faisant ainsi successivement jusqu'à ce que tous les brillans de différentes couleurs fussent appliqués sur la feuille, laquelle achevée devenoit extrêmement riche : mais il falloit pour employer ce papier le coller très-proprement ; car la colle ordinaire qu'on mettoit par-derriere pour le pouvoir poser, détrempoit assez vîte la colle des brillans, ce qui faisoit barbouiller tout l'ouvrage ; il faisoit aussi de la toile avec mêmes brillans & de la même façon.
PAPIER BROUILLARD, (Papeterie) le papier brouillard ou papier gris, est un papier qui n'a pas été collé, & sur lequel par conséquent l'encre flue & s'étend ; on s'en sert dans les livres de compte, au lieu de sable, pour empêcher l'encre de gâter la feuille opposée ; ce même papier est aussi d'usage chez les Droguistes & Apoticaires pour filtrer les liqueurs, auxquelles la chausse d'Hypocras n'est pas si propre. (D.J.)
PAPIER DE COULEUR tout uni ; c'est un papier qui se fait avec une grosse brosse & de toutes sortes de couleurs ; c'est ordinairement de la couronne bule, qu'on y emploie préférablement au champi, qui n'est pas assez collé, & qui empêcheroit non-seulement les couleurs de paroître vives & belles, mais qui ne manqueroit pas de tacher aux places où il boiroit ces couleurs. Toutes ces couleurs sont liquides & sans corps, la plûpart afin de pouvoir être couchées plus uniment.
Les ouvriers qui font ce papier ont la couleur proche d'eux dans une grande terrine ; & avec une brosse telle que celle des Cartiers, ils prennent de la couleur pour chaque feuille, faisant aller & venir la brosse de tout côté, le moins par goutte & le plus uniment qu'ils le peuvent ; puis ils étalent à mesure ce qu'ils ont fait, continuant à mettre la couleur tant qu'il reste de papier à la main, qu'ils ont déplié & mis devant eux tout en un tas sur la table ou l'établi où ils travaillent. Ce sont les marchands Papetiers qui vendent communément ces papiers tout d'une couleur. Pour faire le jaune, les ouvriers usent de la graine d'Avignon ; pour le rouge, de bois de Brésil, dit de Fernambouc ; pour le bleu, celui de tournesol & l'indigo ; pour le vert, celui de vessie ; pour l'oranger un jaune, mêlangé de mine de plomb ou d'autre rouge ; pour la couleur de bois, de la bistre, du brou de noix ou du jaune de graine d'Avignon, mêlé avec un peu de violet de bois d'inde : ils y employent aussi la terre d'ombre ; le bois d'inde leur sert à faire le violet, qu'ils rendent d'un oeil rougeâtre, y mêlant du rouge de Brésil. Le noir, ils le font, soit avec le noir d'os, soit avec celui d'ivoire ou autre, mais rarement avec celui de fumée, parce qu'il ne se couche pas si bien. Ils font encore quelquefois des rouges différens avec le vermillon & avec la lacque liquide, du vert clair avec du vert de gris, mêlangé avec celui de vessie, & plusieurs autres couleurs, composées suivant qu'ils les éclaircissent ou qu'ils savent les mêlanger. Voyez COULEURS A DETREMPER, LIQUIDES & SANS CORPS, &c.
PAPIER A DESSINER, (Papeterie) papier blanc sur lequel on a passé une éponge imprégnée d'eau de suie ; son usage est pour exempter l'ouvrage du crayon dans les endroits où le papier doit être chargé d'ombres de la couleur de ce papier ; pour les endroits clairs, on les fait dessus avec de la chaux blanche ; élémens de peinture. (D.J.)
PAPIER DOMINOTE. Voyez DOMINO, DOMINOTERIE, DOMINOTIER & RECALEUR.
PAPIER DORE & ARGENTE ; il y a de plusieurs façons de papier doré ; savoir, celui à fleurs ou fonds d'or qui se fait en Allemagne, mais dont l'or n'est que du cuivre, au lieu que celui d'argent fabriqué dans le même pays est d'argent fin ; car celui qui se fait avec de l'étain est d'un oeil si plombé, qu'on n'en fait pas de cas ; ces sortes de papiers se fabriquent à Francfort, à Nuremberg, &c. Le papier doré sur tranche est du papier à lettre.
Le papier doré par petit feuillet & fait d'or fin, sert à plusieurs ouvrages, particulierement dans les couvens de religieuses qui en ornent des reliquaires, de petits tableaux de dévotion & autres choses ; employant aussi au même usage du papier argenté & des cartons dorés sur tranche, fabriqués par petites bandes, avec lesquelles elles exécutent tous ces petits rouleaux dorés qui sont dans les reliquaires & autres ouvrages de leurs mains. Ces papiers, tant dorés qu'argentés, aussi-bien que les cartons qu'on vient de dire, se fabriquent à Paris. Mais à l'égard du papier doré d'Allemagne, on ne l'imite point ici par la grande raison, que tirant le cuivre en feuille de cette contrée, il deviendroit trop cher. Ce papier se fait avec des planches de cuivre jaune évidées, bien en fond, autour des masses & des contours gravés ; les feuilles de cuivre appliquées partout sur la feuille de couleur qu'on veut dorer sont posées sur la planche de cuivre qui doit être chaude, comme à-peu-près le sont les fers dont se servent les Doreurs de couvertures de livres quand ils les employent ; puis passant le tout entre deux rouleaux ou cylindres, tels que peuvent être ceux de la presse en taille-douce, la planche en gaufrant le papier fait attacher l'or ou l'argent dessus, puis la feuille, étalée pour la laisser refroidir & sécher, s'époussette pour en ôter tout l'or des endroits où n'ont point marqué les ornemens, figures & traits de la planche de cuivre, ce qui la perfectionne & la met en état d'être vendue.
PAPIER D'ÉVENTAIL, (Eventaillistes) les Eventaillistes se sont partagés les différentes opérations de leur art ; les uns ne font que des bois d'éventails, les autres les peignent & dorent ; d'autres ne font que peindre les feuilles ; d'autres qui sont ceux dont il est question dans cet article, préparent les papiers que les autres employent : d'autres enfin font commerce, sans travailler par eux-mêmes, quoiqu'ils ayent tous également & indistinctement le droit de travailler à toutes ces sortes d'ouvrages. Ceux qui travaillent au papier, & qu'on pourroit appeller proprement Papetiers éventaillistes, les doublent ; c'est-à-dire, collent ensemble avec une colle légere deux feuilles de papier de serpente, de la qualité qui convient à l'ouvrage auquel elles sont destinées ; cependant une des deux feuilles est toujours plus belle que l'autre & sert d'endroit à l'éventail ; c'est sur ce côté qu'on fait les plus belles peintures. Pour coller ensemble les deux feuilles de papier, on commence par en coller une par les bords sur un cercle de bois vuide, composé d'un demi cerceau & d'une regle, sur lesquels on la colle avec de l'empois ou autre colle de même nature ; on mouille légerement le papier avec une éponge pour que l'humidité le fasse étendre, & séchant comme la peau d'un tambour ; en cet état, on laisse sécher le papier ; lorsqu'il est sec, on applique dessus la seconde feuille enduite de colle du côté qu'elle s'applique à la premiere ; on la lave bien avec une éponge, & on la laisse sécher. Voyez la Planche de l'Eventailliste, dont voici l'explication.
Vignette, femme qui colle des papiers sur des cercles ; papier pour coller.
2. Homme qui apporte le papier.
3. Ouvrier qui colle la seconde feuille de papier qui est l'envers sur la premiere.
4. Ouvriere qui enduit de colle avec un pinceau, la feuille de papier qui doit servir d'envers.
6. Homme qui tient un papier ployé.
7. Ouvrier qui passe le papier à la lisse, qui est faite à-peu-près comme la presse en taille-douce, composée de deux rouleaux entre lesquels passe une table de bois sur laquelle est une platine de cuivre c sur laquelle est un papier d'éventail ; le rouleau supérieur qui est garni de linges est mû par une roue que l'ouvrier fait tourner.
9. & 10. Cercles.
11. Papier collé sur un cercle.
12. Ais sur lequel est un papier collé par les bords avec de la gomme arabique, prêt à peindre.
13. Cercles avec des papiers dessus.
14. Modele d'un éventail ; la gorge.
15. Papier collé sur un ais, sur lequel on a tracé la forme du modele.
16. Table à sabler les papiers, c'est-à-dire les couvrir sur une couleur dont ils ont été enduits d'une poussiere d'or ou d'argent, au moyen d'un sac avec lequel on la répand uniformement sur tout le papier ; le fond de la table qui est entourée du rebord ; le papier ; le sac où est la poussiere. Voyez AVANTURINE.
17. Pile de cercles garnis de papier.
18. Papier rayé sur la forme à salper.
PAPIERS ET ENSEIGNEMENS, (Marine) ce sont tous les papiers & manuscrits qui se trouvent dans un vaisseau ; les papiers & enseignemens du vaisseau échoué.
Papier de cartouche ou de gargousse, c'est de gros papier gris dont on se sert pour faire les gargousses : on le forme sur un moule, puis on l'emplit de mitrailles. (Q)
PAPIER, terme de Miroitier, c'est une longue bande de papier fort, composée de plusieurs morceaux collés ensemble, dont la largeur n'est guère que de sept ou huit pouces, & la longueur proportionnée au volume des glaces qu'on veut étamer, ensorte néanmoins qu'elles les passent de huit ou dix pouces de chaque côté. Ce papier sert à couvrir le bord de devant de la feuille d'étain après qu'elle a été chargée de vif-argent, afin d'y poser la glace, & qu'en la glissant, la feuille ne puisse être endommagée. Savary. (D.J.)
PAPIERS, (Relieure) les Relieurs mettent entre le carton & les feuilles du livre qu'ils relient une ou deux feuilles de papier blanc pour conserver les livres & éviter qu'ils ne se gâtent contre le carton ; souvent ils y mettent du papier marbré dont un feuillet est collé contre le carton, l'autre contre un feuillet de papier blanc.
Quelquefois ils usent de papier doré en place de papier marbré, & d'autres fois de satin ou autres étoffes, comme du tabis ou du maroquin, alors cela s'appelle doubler. Voyez DOUBLER.
PAPIER-REGLE, (Manufacture en soie) pour les desseins d'étoffes, de rubans & galons, c'est du papier imprimé d'après une planche gravée, qui représente seulement un nombre infini de lignes perpendiculaires, toutes coupées par des lignes horisontales sans nombre, ce qui forme une très-grande quantité de quarrés parfaits ; voici comme la chose s'exécute. On prend une mesure de cinq ou six lignes, plus ou moins, suivant la grosseur ou la finesse que l'on veut donner au papier, par ces mesures répétées tant que la planche le peut permettre, tant perpendiculairement qu'horisontalement, on tire des lignes qui donnent par conséquent cinq à six lignes en quarré ; ces quarrés sont à leur tour traversés à égales distances par neuf autres lignes, mais beaucoup plus déliées que les premieres, ce qui forme cent petits quarrés égaux dans chaque quarré qui est marqué par une ligne plus forte, & c'est ce qu'on appelle papier de dix en dix, pour le distinguer de celui qui sert aux Gaziers, & qui est appellé de huit en dix, parce que chaque quarré n'en contient que quatre-vingt petits. On se sert de papier d'une extrême finesse pour les desseins que j'ai appellé représentatifs, voyez PATRON, parce qu'il est plus aisé de donner le contour que l'on souhaite sur ce papier fin, les angles qui terminent chaque quarré étant moins sensibles ; le papier plus gros étant reservé pour les desseins ou patrons, que j'ai appellé au même article desseins démonstratifs : voici la façon dont on se sert pour dessiner sur ce papier. On emplit d'encre tous les petits quarrés qui exprimeront les figures du dessein, qui sont toujours quelques figures d'ornemens, ou de fleurs, même de figures humaines ; les points qui restent blancs marquent les découpés desdites figures, & expriment par conséquent le fond.
PAPIERS ROYAUX, (Politiq. & Comm.) ce sont tous ceux que le roi a créés, & avec lesquels il a payé ses sujets, au défaut d'argent monnoyé ; celui qui trouveroit un bon projet pour l'acquit des papiers royaux, rendroit un service important à l'état ; le crédit du monarque tient à la maniere dont il sortira de cette espece d'engagement.
PAPIER TERRIER, (Jurisp.) on appelle ainsi le registre qui contient toutes les déclarations passées au terrier d'un seigneur censier. Voyez TERRIER & DECLARATION, CENS, CENSIVE.
PAPIER ET PARCHEMIN TIMBRE, est celui qui porte la marque du timbre, & qui est destiné à écrire les actes publics dans les pays où la formalité du timbre est en usage.
Le timbre est une marque que l'on appose aux papiers & parchemins destinés à écrire les actes que reçoivent les officiers publics.
Quelques auteurs le définissent en latin signum regium papyro impressum, parce qu'en effet il représente communément les armes du prince ou quelque autre marque par lui ordonnée selon la qualité particuliere de l'acte & le lieu de la passation.
Le nom de timbre que l'on a donné à ces sortes de marques paroit avoir été emprunté du blason, & tirer son étymologie de ce que le timbre s'imprime ordinairement au haut de la feuille de papier ou parchemin, comme le casque ou autre couronnement, que l'on nomme aussi timbre, en terme de blason, se met au-dessus de l'écu.
Je ne dis pas indistinctement que le timbre s'appose au haut de la feuille, mais seulement qu'on l'appose ainsi ordinairement ; car quoique l'usage soit de l'imprimer au milieu du haut de la feuille, la place où on l'appose n'est point de l'essence de la formalité ; on peut indifféremment le mettre en tête de l'acte, ou au bas, ou au dos, ou sur l'un des côtés, & l'on voit beaucoup de ces timbres apposés diversement aux actes publics.
La prudence veut seulement que l'on ait attention de faire apposer le timbre ou d'écrire l'acte de maniere que l'on ne puisse pas supprimer le timbre sans altérer le corps de l'acte ; & les officiers publics devroient toujours ainsi disposer leurs actes, ce que néanmoins quelques-uns n'observent pas, n'écrivant le commencement de leurs actes qu'au-dessous du timbre, d'où il peut arriver des inconvéniens, & notamment qu'un acte public dont on aura coupé le timbre ne vaudra plus que comme écriture privée, & même sera totalement nul, selon la nature de l'acte & les circonstances, ce que nous examinerons plus particulierement dans la suite.
Au reste, à quelque distance que l'acte soit écrit du timbre il ne laisse pas d'être valable, & la disposition dont on vient de parler n'est qu'une précaution qui n'est pas de rigueur.
En France & dans plusieurs autres pays, on appose la marque du timbre avec un poinçon d'acier semblable à ceux qui servent à frapper les monnoies, excepté qu'il est moins concave ; en d'autres pays, comme en Allemagne, on imprime le timbre avec une planche de cuivre gravée, telle que celles qui servent à tirer les estampes.
En France & dans la plûpart des autres pays où le timbre est en usage, on met de l'encre dans le poinçon pour marquer le timbre ; en Angleterre on ne met aucune couleur dans le poinçon, ensorte que la marque qu'il imprime ne paroit que parce qu'elle se forme en relief sur le papier.
La formalité du timbre paroit avoir été totalement inconnue aux anciens, & les actes reçus par des officiers publics n'étoient alors distingués des écritures privées que par le caractere de l'officier qui les avoit reçus, & par le sceau qu'il y apposoit, qui étoit plus connu que les sceaux des parties contractantes, à cause de la fonction publique de l'officier ; mais du reste ce sceau n'étoit que le cachet particulier de l'officier ; car les anciens n'avoient point de sceaux publics, tels que nous en avons en France, ainsi que l'observe Loyseau, des off. liv. II. chap. iv. n. 10. Les sceaux particuliers dont ils se servoient étoient plutôt de simples cachets que de vrais sceaux ; ils n'avoient pour objet que de tenir lieu de signature, comme cela s'est pratiqué long-tems dans plusieurs pays, & même en France, à cause qu'il y avoit alors peu de personnes qui sussent écrire, & ces sortes de sceaux ou cachets n'avoient aucun rapport avec les timbres dont nous parlons.
Justinien fut le premier qui établit une espece de timbre : cet empereur considérant le grand nombre d'actes que les tabellions de Constantinople recevoient journellement, & voulant prévenir certaines faussetés qui pouvoient s'y glisser, ordonna par sa novelle 44, laquelle fut publiée l'an 537, que ces tabellions ne pourroient recevoir les originaux des actes de leur ministere que sur du papier, en tête duquel (ce que l'on appelloit protocole), seroit marqué le nom de l'intendant des finances qui seroit alors en place, le tems auquel auroit été fabriqué le papier & les autres choses que l'on avoit coûtume de mettre en tête de ces papiers destinés à écrire les originaux des actes que reçoivent les tabellions de Constantinople, ce que l'on appelloit suivant la glose & les interprêtes, imbreviaturam totius contractus, c'est-à-dire un titre qui annonçoit sommairement la qualité & substance de l'acte.
Par cette même novelle l'empereur défendoit aussi aux tabellions de Constantinople de couper ces marques & titres qui devoient être en tête de leurs actes ; il leur enjoignoit de les laisser sans aucune altération, & défendoit aux juges d'avoir égard aux actes écrits sur du papier qui ne seroit pas revétu en tête de ces marques, quelques autres titres ou protocoles qui y fussent écrits.
M. Cujas en ses notes sur cette novelle, examine ce que Justinien a entendu par le protocole qu'il recommande tant aux tabellions de conserver ; les uns, dit-il, veulent que ce soit une grande feuille royale ; d'autres que ce soit une simple note des actes ; d'autres que ce soit un exemplaire des formules dont les tabellions avoient coûtume de se servir : mais ils se trompent tous également, dit M. Cujas, car de même qu'aujourd'hui notre papier a quelque marque qui indique celui qui l'a fabriqué, de même autrefois les papiers dont on se servoit contenoient une note abrégée de l'intendant des finances qui étoit alors en place, parce que ces sortes d'intendans avoient inspection sur les fabriques de papier ; on y marquoit aussi en quel tems & par qui le papier avoit été fabriqué ; ce qui servoit à découvrir plusieurs faussetés.
Loyseau, dans son traité des offices, liv. II. ch. V. n. 82. dit en parlant de la novelle 44, qu'elle nous apprend un beau secret qui avoit été ignoré jusqu'à ce que le docte Cujas l'ait découvert, à savoir qu'elle défend de couper & ôter le protocole des chartes que nous pensons vulgairement être la minute & premiere écriture du contrat ; & de fait les ordonnances des années 1512, & encore celle d'Orléans, article xcxiij. l'usurpent en cette signification, combien qu'à la vérité ce soit la marque du papier où étoit écrite l'année qu'il avoit été fait, laquelle marque Justinien défend de couper, comme on pouvoit aisément faire, d'autant qu'elle étoit en haut du papier, & non pas au milieu, comme celle de notre papier, pour ce, dit-il, que par le moyen de ce protocole ou marque du papier plusieurs faussetés ont été découvertes, ce qui s'est aussi vû quelquefois en France ; partant, dit-il, pour se servir à propos de cette antiquité, il seroit expédient, ce semble, d'ordonner que tout papier seroit marqué, & que la marque contiendroit l'année qu'il auroit été fait, chose qui ne coûteroit rien & empêcheroit plusieurs faussetés, tant aux contrats qu'aux écritures.
Cette origine du papier & parchemin timbrés fut remarquée dans une cause qui se plaida au parlement d'Aix en 1676, entre des marchands de Marseille & le fermier du papier timbré, laquelle cause est rapportée par Boniface en ses arrêts de Provence, tom. IV. l. III. tit. xv. c. ij. le défenseur du fermier du papier timbré faisoit valoir, " que le timbre n'étoit pas nouveau, puisqu'il y en avoit du tems de Justinien en 537, qu'il y avoit des marques pour les protocoles des notaires ; qu'on y marquoit en chiffre l'année en laquelle ils avoient été faits avec le nom comitis sacrarum largitionum, qui étoit alors en exercice ; que Justinien vouloit que le notaire qui avoit commencé le protocole ou la charte achevât de l'écrire, & que le motif & le fondement de Justinien n'avoit été que pour la précaution contre les faussetés, comme il paroit par la novelle 44, suivie par Godefroy ".
Cette origine a aussi été remarquée par M. de Basville, intendant de la province de Languedoc, dans les mémoires qu'il a faits pour servir à l'histoire de cette province, dans lesquels en parlant du domaine il dit que, comme il y a deux généralités dans le Languedoc, il y a aussi deux sous-fermes du domaine, l'une pour la généralité de Toulouse, l'autre pour la généralité de Montpellier, & que dans ces sous-fermes sont compris le papier timbré, les formules & le contrôle des exploits ; & à ce propos il remarque en passant, que le papier timbré n'a pas été inconnu aux Romains, puisqu'on voit par la novelle 44, qu'ils avoient une espece particuliere de papier pour écrire les originaux des actes des notaires, lequel portoit la marque que l'intendant des finances y faisoit apposer, & la date du tems auquel il avoit été fait.
Ainsi quoiqu'il paroisse peut-être d'abord singulier que l'on fasse remonter l'origine du papier timbré jusqu'au tems des Romains, cependant il est constant que cette formalité étoit déja en quelque usage chez eux, puisque les titres, dates & autres marques que l'on apposoit en tête du papier destiné à écrire les originaux des actes des tabellions de Constantinople, étoient une espece de timbre qui avoit le même objet que ceux qui sont aujourd'hui usités en France & dans plusieurs autres pays.
Mais suivant la même novelle de Justinien, cette formalité n'étoit établie que pour les actes des tabellions de Constantinople, encore n'étoit-ce que pour les originaux de ces actes, & non pour les expéditions ou copies, du moins la novelle n'en fait pas mention ; ensorte qu'à l'égard de tous les autres actes passés dans la ville de Constantinople par d'autres officiers publics que les tabellions, & à l'égard de tous les autres actes publics reçus hors la ville de Constantinople, soit par des tabellions, soit par d'autres officiers publics, il n'y avoit jusqu'alors aucune marque sur le papier qui distinguât ces actes des écritures privées.
Cette formalité ne tomba pas en non-usage jusqu'au tems où elle a été établie en France, comme quelques-uns se l'imagineroient peut-être : il paroît au contraire qu'à l'imitation des Romains, plusieurs princes l'établirent peu de tems après dans leurs états, & que nos rois ont été les derniers à l'ordonner.
En effet, du tems des comtes héréditaires de Provence, qui regnerent depuis 915 ou 920 jusqu'en 1481, que cette province fut réunie à la couronne de France, les notaires de ce pays se servoient de protocoles marqués d'une espece de timbre, ainsi que cela fut observé dans la cause dont j'ai déja fait mention, qui fut plaidée au parlement d'Aix en 1676, & est rapportée par Boniface, liv. IV. tom. III. tit. 15. ch. ij. Le défenseur du fermier du papier timbré, pour faire voir que cette formalité n'étoit pas nouvelle, observoit que non-seulement du tems de Justinien les protocoles étoient marqués, mais encore du tems des comtes de Provence, & que Me Jean Darbés, notaire à Aix, avoit de ces anciens protocoles marqués.
Cette formalité fut introduite en Espagne & en Hollande vers l'an 1555.
Le papier timbré est aussi usité dans plusieurs autres états, comme en Angleterre, dans le Brabant & dans la Flandre impériale, dans les états du roi de Sardaigne, en Suede, & il a été introduit dans l'état ecclésiastique, à compter du 1 avril 1741, & dans d'autres pays, comme nous le dirons dans un moment.
Les timbres qu'on appose aux papiers & parchemins destinés à écrire les actes publics ont quelque rapport avec les sceaux publics dont on use aujourd'hui en France & dans plusieurs autres pays, en ce que les uns & les autres sont ordinairement une empreinte des armes du prince, ou de quelqu'autre marque par lui établie, qui s'apposent également aux actes publics, & les distinguent des actes sous signature privée ; cependant il ne faut pas confondre ces deux formalités, entre lesquelles il y a plusieurs différences essentielles.
La premiere qui se tire de leur forme est que les sceaux publics, tels que ceux du roi, des chancelleries, des jurisdictions, des villes, des universités & autres semblables, s'appliquent sur une forme de cire ou de quelqu'autre matiere propre à en recevoir l'empreinte, laquelle est en relief ; il y a de ces sceaux qui s'appliquent ainsi sur l'acte même, d'autres qui sont à double face, & ne sont attachés à l'acte que par les lacs ; au lieu que le timbre n'est qu'une simple marque imprimée au haut du papier ou parchemin.
La seconde différence est que l'on n'appose point de sceau sur la minute des actes publics : cette formalité n'est même pas toujours nécessaire pour donner l'authenticité & la publicité aux expéditions ou copies collationnées des actes publics ; c'est plutôt le caractere & la qualité de l'officier qui a reçu l'acte & sa signature apposée au bas, qui rendent l'acte public : au lieu que dans les pays où le timbre est en usage, pour donner l'authenticité & le caractere de publicité à un acte, soit original, en minute ou en brevet, soit expédition ou copie collationnée, il doit être écrit sur du papier timbré ou en parchemin timbré, si l'acte est de nature à être écrit en parchemin.
La troisieme différence qui se trouve entre les sceaux publics & les timbres, c'est que l'apposition du sceau est la marque de l'autorité publique dont l'acte est revêtu par cette formalité ; tellement qu'en quelques endroits, comme à Paris, le droit d'exécution parée en dépend, & que si un acte public n'étoit pas scellé, il ne pourroit être mis à exécution, quand même il seroit d'ailleurs revêtu de toutes les autres formalités nécessaires : au lieu que le timbre contribue bien à donner à l'acte le caractere de publicité nécessaire pour qu'on puisse le mettre en forme exécutoire ; mais par lui-même il ne donne point ce droit d'exécution parée, qui dépend de certaines formalités qu'on ajoute à celle qui constitue la publicité.
Quoique la formalité du timbre semble n'avoir été établie que pour la finance qui en revient au prince, elle ne laisse pas d'être utile d'ailleurs.
En effet, le timbre sert 1°. à distinguer à l'inspection seule du haut de la feuille sur laquelle l'acte est écrit, si c'est un acte reçu par un officier public, ou si ce n'est qu'une écriture privée.
2°. Le timbre fait respecter & conserver les affiches, publications ou autres exploits, ou actes que l'on attache extérieurement aux portes des maisons ou dans les places publiques, soit en cas de decret, licitation, adjudications ou autres publications, soit dans les exploits que l'on attache à la porte de personnes absentes auxquelles ils sont signifiés ; car comme ces sortes d'actes ne sont point scellés, il n'y a proprement que le timbre qui fasse connoître que ce sont des actes émanés de l'autorité publique, & qui les distingue des écritures privées.
3°. Le timbre annonce la solemnité de l'acte aux personnes qui le signent, & sert en cela à prévenir certaines surprises que l'on pourroit faire à ceux qui signeroient un acte sans l'avoir lu ; par exemple, il seroit difficile de faire signer pour une écriture privée un acte public qui seroit sur papier timbré, parce que l'inspection seule du timbre feroit connoître la surprise.
4°. Le timbre sert aussi à prévenir quelques faussetés dans les dates de tems & de lieu, qui peuvent se commettre plus facilement dans les actes où cette formalité n'est pas nécessaire : en effet, comme il y a un timbre particulier pour chaque état, & même en France pour chaque généralité, que la formule de ces timbres a changé en divers tems, & que l'on ne peut écrire les actes publics que sur du papier ou parchemin marqué du timbre actuellement usité dans le tems & le lieu où se passe l'acte, ceux qui écrivent un acte sur du papier ou parchemin marqué du timbre actuellement usité dans un pays, ne pourroient pas impunément le dater d'un tems ni d'un lieu où il y auroit eu un autre timbre, parce que la formule du timbre apposé à cet acte étant d'un autre tems ou d'un autre lieu, feroit connoître la fausseté des dates de tems & de lieu qu'on auroit donné à cet acte.
La formalité du timbre n'ayant été établie que pour les actes publics, il s'ensuit que tous les actes qui ne sont pas reçus par des officiers publics ne sont point sujets à être écrits sur papier timbré.
Boniface, en son recueil des arrêts du parlement de Provence, tom. IV. l. III. tit. XV. ch. j. & ij. rapporte à ce sujet deux arrêts de la cour des aides & finances de Montpellier.
Au mois de Mars 1655, Louis XIV. étant lors à Paris, donna un édit portant établissement d'une marque sur le papier & le parchemin destinés à écrire les actes reçus par les officiers publics. Cet édit fut enregistré en parlement, en la chambre des comptes & en la cour des aides le 20 du même mois. Il est au cinquieme volume des ordonnances de Louis XIV. coté 3. fol. 69. & il en est fait mention dans le recueil des ordonnances, édits, &c. par M. Blanchart.
Cet édit n'eut aucune exécution ; mais dans la suite le roi voulant rendre le style des actes publics uniforme dans tout son royaume, donna une déclaration le 19 Mars 1673, par laquelle il ordonna qu'il seroit dressé des formules imprimées pour toutes sortes d'actes publics, & que les exemplaires de ces formules seroient marqués en tête d'une fleur de lis, & timbrés de la qualité & substance des actes.
Les formules d'actes ordonnées par cette déclaration n'eurent cependant pas lieu, parce que l'on y trouva trop d'inconvéniens, & le roi donna une autre déclaration le 2 Juillet 1673, registrée au parlement le 10 du même mois, par laquelle en attendant que les formules fussent perfectionnées, il ordonna que les actes publics ne pourroient être écrits que sur du papier ou parchemin timbrés, comme ils devoient l'être pour les formules, avec cette différence seulement que le corps de l'acte seroit entierement écrit à la main ; & c'est de-là que le papier & le parchemin timbrés ont retenu le nom de formule.
Le 4 Juillet de la même année 1673, il fut fait un état des formules dont les papiers & parchemins devoient être timbrés, suivant la déclaration dont on vient de parler.
En exécution de cette déclaration, le papier & le parchemin destinés à écrire les actes publics, furent marqués en tête d'une fleur de lis, & intitulés de la qualité & formule de l'acte auquel il devoit servir ; on y marquoit même en tête & même dans les commencemens, le nom du quartier dans lequel il devoit servir ; précaution qui fut établie pour prévenir plusieurs faussetés qui peuvent se commettre à l'égard des dates. Cette précaution si utile fut dans la suite retranchée, à cause que le papier ou parchemin timbré pour un quartier ne pouvoit pas être vendu pendant le cours du suivant sans marquer la date de ce nouveau quartier, ce qui causoit quelque embarras aux fermiers du timbre.
Le 3 Avril 1674, le roi en son conseil d'état, fit un réglement pour l'usage du papier & parchemin timbré ; ce reglement qui est divisé en vingt articles, explique nommément quels actes doivent être écrits sur papier ou parchemin timbré : il seroit trop long d'en faire ici le détail ; il suffit de dire que ce sont tous les actes émanés des officiers publics, & ce qu'il est surtout important d'observer, c'est que ce réglement prononce la peine de nullité contre lesdits actes publics qui seroient faits sur papier ou parchemin commun. Ce réglement a été enregistré dans les différens parlemens & autres cours, & il s'observe à la rigueur.
Plusieurs cours ayant fait des remontrances au sujet de ce réglement, le droit établi sur le papier & le parchemin timbré fut converti par édit du même mois d'Avril 1674, en un autre sur tout le papier & parchemin qui se consomme dans l'étendue du royaume.
La perception de ce nouveau droit fut différée par arrêt du conseil du 22 Mai 1674 ; & par un autre arrêt du conseil du même jour, le réglement du 3 Avril 1674 fait pour l'usage du papier & parchemin timbré fut confirmé, & en conséquence ordonné que les timbres & actes différens auxquels le papier étoit destiné seroient supprimés, & qu'à l'avenir au lieu d'iceux, tout le papier qui seroit consommé par les officiers & ministres de justice, seroit marqué d'une fleur de lis, & timbré du nom de la généralité où il devoit servir.
Au mois d'Août de la même année le roi donna un édit par lequel il révoqua pleinement celui du mois d'Avril précédent, portant établissement d'une marque générale sur tout le papier & parchemin pour continuer l'usage du papier & parchemin timbré, supprima les différens timbres établis pour chaque formule ou modele d'acte, & ordonna que tous officiers & ministres de justice, & autres assujettis par ses précédens édits, déclarations & réglemens à l'usage du papier & parchemin timbré, se serviroient, à commencer du 1 Octobre 1674, de papier & parchemin timbré, qui seroit seulement marqué d'une fleur de lis & du nom de la généralité dans laquelle il devoit être employé, & les droits en furent arrêtés, non plus selon la qualité & la nature des actes, mais selon la hauteur & la largeur du papier.
En exécution de cet édit, on commença au premier Octobre à se servir de papier & parchemin timbré pour les actes publics.
J'en ai vu de timbré d'une fleur de lis, avec ces mots autour, généralité de Moulins, sur un exploit fait dans ladite généralité le 3 Novembre 1674.
Il y a néanmoins encore plusieurs provinces de ce royaume dans lesquelles la formalité du timbre n'a jamais eu lieu ; telles sont la province d'Artois, la Flandre françoise, le Haynaut françois, la principauté d'Arches & de Charleville, dont le territoire comprend la ville de Charleville, Arches qui en est le fauxbourg, & environ vingt-quatre villages. Il en est de même dans la Franche-Comté, l'Alsace & le Roussillon.
Il n'y en a pas non plus à Bayonne, ni dans le pays de Labour.
Il y a aussi trois principautés enclavées dans la France dans lesquelles on ne se sert pas de papier ni de parchemin timbré ; savoir la principauté souveraine de Dombes, celle d'Orange & celle d'Enrichemont & de Bois-Belle en Berry.
On ne se sert pas non plus de papier ni de parchemin timbré dans les îles françoises de l'Amérique, comme la Martinique, la Guadeloupe, la Cayenne, Marigalante, Saint-Domingue & autres, ni dans le Canada & le Mississipi.
Quoiqu'en général tous les officiers publics royaux ou autres, soient obligés de se servir de papier & parchemin timbré dans les lieux où il est établi, il y a néanmoins quelques tribunaux où l'on ne s'en sert point, quoique la formalité du timbre soit établie dans le pays. 1°. On ne s'en sert pas pour les mémoires ou requêtes que l'on présente au conseil royal des finances, & même les arrêts qui s'y rendent, s'expédient aussi en papier & parchemin commun ; mais quand le conseil ordonne que les mémoires ou requêtes seront communiqués aux parties intéressées, alors la procédure se fait à l'ordinaire, & tout ce qui se signifie doit être sur papier timbré.
2°. On ne s'en sert pas non plus dans les bureaux extraordinaires du conseil, lorsque la commission porte que l'instruction des affaires qui y sont renvoyées, se fera par simples mémoires & sans frais.
3°. Les requêtes que l'on présente à MM. les maréchaux de France pour les affaires d'honneur qu'ils jugent en l'hôtel de leur doyen, se donnent aussi sur papier commun.
4°. Les consuls, vice-consuls & chanceliers, & autres officiers résidant dans les villes & ports d'Espagne, d'Italie, de Portugal, du Nord, des échelles du Levant & de Barbarie, ne se servent aussi que de papier commun, même pour les actes qu'ils envoyent en France, parce que la jurisdiction qu'ils ont dans ces pays n'étant que par emprunt de territoire, ils ne peuvent ni se servir de papier timbré de France, ni de celui de puissance étrangere, dans le territoire de laquelle ils ne sont que par emprunt.
5°. Les ambassadeurs, envoyés, agens, résidens & autres ministres des princes étrangers auprès du roi de France, ne se servent pour les actes qu'ils font ni du papier timbré de leur pays, ni de celui de France, mais de papier commun.
6°. De même les ambassadeurs & autres ministres du roi de France dans les pays étrangers ne se servent que de papier commun.
7°. On ne se sert point de papier ni de parchemin timbré dans les conseils de guerre, même lorsque l'on y juge à mort quelqu'un pour délit militaire.
8°. On ne s'en sert point pour les affaires qui s'instruisent au conseil souverain de Dombes, qui se tient à Paris chez le prince de Dombes par emprunt de territoire.
9°. Les officiers des conseils des princes apanagistes, comme ceux de M. le duc d'Orléans, expédient en papier commun tous les actes qui se font dans le conseil, quoique ces actes soient authentiques, & les quittances du secrétaire des commandemens passent à la chambre des comptes sur papier commun.
Les registres des hôpitaux, tant de Paris qu'autres lieux, même ceux des baptêmes, mariages, sépultures, se tiennent en papier commun, depuis le 1 Janvier 1737, article 15. de la déclaration du 9 Avril 1736 ; mais les extraits doivent être en papier timbré, art. 29.
Les maisons religieuses tiennent aussi leurs deux registres de vêture, noviciat & profession en papier commun, article 25. ibid.
Suivant l'article 1, un des originaux des registres, baptêmes, ondoyemens, cérémonies du baptême, mariages & sépultures, doit être en papier commun.
La décharge de l'apport des registres se donne en papier commun, 18. ibid. & 20.
Voyez l'article 37. qui permet de mettre au greffe des expéditions en papier commun.
Article 38. Les états seront en papier commun.
Quoique le timbre ne soit qu'une formalité, il ne laisse pas d'y avoir plusieurs choses à considérer pour déterminer sur quelle sorte de papier on doit écrire les actes publics.
En effet, on distingue dans les actes trois sortes de formalités, qui se reglent chacune par des lois différentes.
Il y a des formalités qui habilitent la personne, c'est-à-dire qui lui donnent la capacité de contracter, comme l'autorisation du mari à l'égard de la femme dans les coûtumes où elle est requise, le consentement du pere qui est nécessaire en pays de droit pour faire valoir l'obligation du fils de famille en pays de droit écrit : l'observation de ces formalités & autres semblables se regle par la loi du domicile des personnes qui s'obligent, parce que ces formalités ont pour objet de leur donner la capacité de contracter, qui dépend de la loi du domicile.
Il y a d'autres formalités qui concernent la substance de l'acte, telles que l'acceptation dans les donations, qui est une condition que la loi de la situation impose aux biens dont on veut disposer : aussi ces sortes de formalités se reglent-elles par la loi du lieu où les biens sont situés.
La troisieme espece de formalités est de celles qui ne concernent que la forme extérieure des actes : telles sont toutes celles qui ne servent qu'à rendre l'acte probant ou authentique, comme la signature des parties, celle des officiers publics & des témoins, l'apposition du sceau, le contrôle, l'insinuation, & autres semblables.
Ces formalités extérieures ne se reglent point par la loi du lieu où les biens sont situés, ni par la loi du domicile des parties, ni par celle du lieu où les officiers publics qui reçoivent les actes font leur résidence ordinaire, mais par la loi du lieu où l'acte est passé, & cela suivant la maxime, locus regit actum, qui est fondée sur la loi 3. au digeste de testibus, sur la loi 1. au code de emencip. liber. & sur ce que dit M. Ch. Dumoulin sur la loi 1. au code liv. I. tit. I. verbo conclusiones de statutis. Aut statutum, dit-il, loquitur de his quae concernunt nudam ordinationem, vel solemnitatem actûs, & semper inspicitur statutum vel consuetudo loci ubi actus celebratur, sive in contractibus, sive in judiciis, sive in testamentis, sive in instrumentis aut aliis conficiendis.
Il n'y a certainement rien qui soit plus de la forme extérieure des actes que la qualité du papier ou parchemin sur lequel on les écrit ; soit qu'on ne considere que le papier même, si l'acte est écrit sur papier ou parchemin commun ; soit que l'on considere la marque du timbre, s'il est écrit sur papier timbré : car le papier & le parchemin & le timbre que l'on y appose, ne sont point de la substance de l'acte, puisqu'il pourroit subsister sans cela.
C'est pourquoi l'on doit suivre l'usage du lieu où se passent les actes pour déterminer s'ils doivent être écrits sur papier ou parchemin timbré, ou s'ils peuvent être écrits sur papier ou parchemin commun.
Ainsi les notaires, greffiers, huissiers, & autres officiers publics doivent écrire sur du papier ou parchemin timbré les actes qu'ils reçoivent à Paris, & dans les autres endroits où la formalité du timbre est établie.
Ils ne peuvent même pas se servir indifféremment de toute sorte de papier ou parchemin timbré, il faut que ce soit du papier ou parchemin timbré exprès pour le pays, & en particulier pour la généralité dans laquelle ils reçoivent l'acte : ensorte qu'un acte public reçu en France doit non-seulement être écrit sur du papier ou parchemin timbré d'un timbre de France, & non sur du papier marqué du timbre d'un autre état, mais il faut encore qu'il soit écrit sur du papier timbré pour la généralité dans laquelle il est reçu, y ayant autant de timbres différens que de généralités.
Au contraire si l'acte est reçu dans un état ou une province dans lesquels le papier ni le parchemin timbré ne sont point en usage, comme en Flandre, en Haynaut, &c. l'officier public qui reçoit l'acte, doit l'écrire sur papier ou parchemin commun.
Néanmoins un acte écrit sur papier ou parchemin timbré dans un pays où la formalité du timbre n'est pas établie, ne seroit pas pour cela nul, parce que ce qui abonde ne vicie pas.
Les officiers publics qui ont leur résidence ordinaire dans un lieu où l'on ne se sert point de papier timbré, ne laissent pas d'être obligés de s'en servir pour les actes qu'ils reçoivent dans les pays où il est établi.
Et vice versâ, les actes publics reçus dans des pays où le papier timbré n'a pas lieu, doivent être écrits sur papier commun, quand même les officiers publics qui les reçoivent auroient leur résidence ordinaire dans un lieu où l'on se serviroit de papier timbré.
Ainsi les notaires d'Orléans & ceux de Montpellier, les huissiers à cheval & à verge au châtelet de Paris, & autres officiers publics qui ont droit d'instrumenter par tout le royaume, doivent écrire les actes qu'ils reçoivent dans chaque lieu sur du papier marqué du timbre établi pour le lieu, ou sur du papier commun, si le timbre n'est pas établi dans le lieu où ils reçoivent l'acte.
De même un conseiller au parlement ou de quelque autre cour souveraine, qui seroit commis par sa compagnie pour aller faire quelque visite, procès-verbal, enquête, information, ou autre instruction, dans une province du ressort dans laquelle le papier est marqué d'un timbre différent de celui de Paris, comme en Picardie, en Champagne, ou en Touraine, &c. seroit obligé de se servir du papier du lieu où il feroit l'instruction, & par la même raison pourroit se servir de papier commun pour les actes qu'il feroit en Flandre, en Haynaut, &c. ou autres provinces, dans lesquelles il n'y a point de papier timbré.
Et lorsqu'un officier public qui a commencé un acte dans une généralité le continue en d'autres généralités ou provinces, soit par droit de suite, soit en vertu d'une commission particuliere ou autre droit, comme il arrive quelquefois à l'égard des inventaires, procès-verbaux de visite, &c. l'officier doit pour chaque partie de l'acte qu'il reçoit se servir du papier ou parchemin timbré pour le lieu où il reçoit cette partie de l'acte, quand même le commencement de l'acte seroit sur du papier marqué d'un timbre différent, parce que ces différentes parties sont proprement autant d'actes particuliers qui doivent être reçus chacun selon la forme usitée dans le lieu où ils se passent, & par conséquent être écrits sur du papier timbré pour le lieu où on les reçoit, & non pas sur du papier timbré pour le lieu où on a commencé l'acte.
Ce que l'on vient de dire, que toute sorte d'actes doivent être écrits sur le papier dont on se sert dans le lieu où ils sont reçus, s'entend non-seulement des minutes ou originaux des actes, mais aussi des grosses, expéditions & copies collationnées ; si elles sont délivrées dans le lieu où l'acte original a été reçu, elles doivent être écrites sur du papier marqué du même timbre, ou du-moins de celui qui est usité dans le pays au tems de l'expédition ; mais si l'original a été reçu hors du lieu de la résidence ordinaire de l'officier public dans un pays où le timbre est différent de celui qui est usité dans le lieu de sa résidence, les expéditions qu'il en délivre dans le dernier lieu doivent être écrites sur du papier marqué du timbre qui y a cours, parce que le fait de l'expédition ou copie est un nouvel acte qui doit être reçu suivant l'usage actuel du lieu où il se passe.
Ainsi un notaire d'Orléans qui aura écrit sur du papier timbré de la généralité de Paris l'acte qu'il aura reçu dans cette généralité, écrira sur du papier timbré de la généralité d'Orléans les expéditions ou copies qu'il délivrera de cet acte à Orléans.
Par la même raison, ce notaire d'Orléans qui aura écrit sur papier commun un acte qu'il aura reçu en Flandre ou autre pays, dans lequel il n'y a point de papier timbré, sera obligé d'écrire sur du papier timbré de la généralité d'Orléans l'expédition qu'il en délivrera dans cette généralité.
Par une suite du même principe, toutes expéditions ou copies délivrées depuis l'établissement du timbre dans les pays où il a lieu, doivent être écrites sur papier timbré, encore que les minutes ou originaux soient antérieurs à l'établissement du timbre & ayent été reçus sur papier commun, parce que l'expédition ou copie doit être dans la forme usitée au tems où elle est faite, sans considérer en quelle forme est l'original.
Et comme toute expédition ou copie doit aussi être dans la forme usitée dans le lieu où elle est faite, ainsi qu'on l'a déja expliqué ci-devant, il seroit à propos que les officiers publics fissent toujours mention au-bas de la grosse, expédition ou copie, du jour & du lieu où ils l'ont délivrée, ce que la plûpart n'observent pas, sur-tout dans les grosses : néanmoins cela est nécessaire pour connoître si la grosse, expédition ou copie, est dans la forme usitée dans le tems & le lieu où elle a été délivrée ; car elle ne l'est pas toujours dans le même tems, ni dans le même lieu, que la minute ou brevet original de l'acte ; or l'on ne peut juger si l'expédition est dans la forme où elle doit être, sans savoir le tems & le lieu où elle a été délivrée : on peut aussi avoir intérêt de savoir la date d'une grosse, parce que s'il s'en trouve deux, celle qui a été délivrée la premiere a plusieurs droits & privileges que n'a pas la seconde : d'ailleurs il est important de savoir si l'officier public qui a reçu l'acte avoit encore caractere d'officier public lorsqu'il a délivré l'expédition, & pour cela il en faut savoir la date : en un mot, il y a beaucoup d'inconvéniens à ne pas marquer la date & le lieu des expéditions, & il seroit plus régulier de le marquer, puisque le fait de l'expédition est proprement un acte particulier qui doit avoir sa date comme l'original a la sienne, & que l'expédition doit être faite dans la forme usitée dans le tems & le lieu où elle est délivrée.
C'est encore une question de savoir si dans un tems & dans un pays où le timbre a lieu on peut écrire un acte public à la suite d'un autre acte aussi public, reçu sur du papier ou parchemin non-timbré ou marqué d'un ancien timbre qui n'a plus cours.
Cela se pratique quelquefois pour faire mention sur la minute ou sur la grosse d'un acte, d'un payement, d'une décharge, d'une réduction, augmentation ou autre déclaration, qu'il est essentiel d'écrire sur l'acte auquel elle est relative, auquel cas la nécessité de joindre le nouvel acte à l'ancien d'une maniere qu'il ne puisse en être séparé, autorise à écrire le nouvel acte à côté ou à la suite de l'ancien, quoique le papier sur lequel on l'écrit ne soit pas dans la forme usitée au tems où l'on passe le nouvel acte.
Mais si l'on écrivoit à côté ou à la suite d'un acte ancien un nouvel acte qui n'auroit aucune connexité avec l'autre, alors n'y ayant pas de nécessité de joindre ces actes, il n'y auroit aucun prétexte pour s'écarter des regles ordinaires ; ainsi, dans ce cas, lorsque le premier acte auquel on en voudroit joindre un autre, seroit écrit sur du papier non-timbré ou marqué d'un timbre qui n'a plus cours, on ne pourroit pas écrire le nouvel acte sur ce même papier, il faudroit l'écrire sur du papier timbré de la formule actuelle, autrement l'acte pourroit être argué de nullité, pour n'avoir pas été écrit sur du papier de la forme usitée au tems où il a été passé.
Les notaires au châtelet de Paris se sont long-tems servi du même papier & parchemin que les autres officiers publics ; avant 1673, ils écrivoient leurs actes sur papier ou parchemin commun ; & depuis 1673, époque de l'établissement du timbre, ils ont été obligés d'écrire tous leurs actes sur du papier ou parchemin timbré.
La formule du timbre a été changée plusieurs fois, mais la nouvelle formule que l'on introduisoit étoit uniforme pour tous les actes publics, & les notaires au châtelet de Paris se servoient comme tous les autres officiers de papier ou parchemin timbré de la formule usitée au tems de la passation de leurs actes.
Ce ne fut qu'en 1723 que l'on commença à établir un timbre particulier pour les actes des notaires au châtelet de Paris : le roi par sa déclaration du 7 Déc. 1723, registrée le 22 desdits mois & an, en supprimant la formalité du contrôle, à laquelle ils avoient été assujettis comme tous les autres notaires du royaume, ordonna par l'article iij. de ladite déclaration, qu'il seroit établi des formules particulieres pour les papiers & parchemins timbrés qui seroient employés par lesdits notaires pour les brevets, minutes & expéditions des actes qui seroient par eux passés, laquelle formule seroit imprimée à côté de celle de la ferme.
L'article iv. ordonna que tous les actes seroient divisés en deux classes.
La premiere composée des actes simples, & qui se passent ordinairement sans minutes ; savoir, les procurations, avis de parens, attestations, &c. & autres actes qui sont énoncés nommément dans le dit article, & qu'il seroit trop long de détailler ici.
La seconde classe, composée de tous les autres actes non-compris dans la premiere classe.
L'article v. ordonne qu'il sera fait une premiere sorte de formule pour les actes de la premiere classe intitulés, actes de la premiere classe, & que si les parties jugent à propos qu'il reste minute de quelqu'un desdits actes, & qu'il leur en soit délivré des expéditions, lesdites expéditions ne pourront être faites que sur du papier de la même marque.
L'article vj. porte que les minutes des actes de la seconde classe seront écrites sur un papier, intitulé, minute des actes de la seconde classe : & à l'égard des expéditions & grosses qui seront délivrées des actes, que la premiere feuille de celles qui seront faites en papier, sera écrite sur un papier intitulé, premiere feuille d'expédition ; & que si l'expédition contient plus d'une feuille, les notaires se serviront pour les deuxiemes & autres feuilles à quelque quantité qu'elles puissent monter d'un papier intitulé, deuxiemes feuilles d'expéditions.
L'article vij. ordonne que les notaires se serviront de parchemin intitulé de même pour les grosses & expéditions, que les parties desireront leur être délivrées en parchemin.
L'article viij. défend aux notaires au châtelet de Paris de se servir, à compter du premier Janvier 1724, d'autres papiers & parchemins, que ceux de la nouvelle formule, leur enjoint de les employer suivant la nature des actes, & ordonne que cela soit pareillement observé par tous autres officiers & personnes publiques, qui prétendent avoir droit de faire des inventaires & partages dans la ville & fauxbourgs de Paris.
L'article ix. ordonne que les expéditions & grosses dont la date sera antérieure audit jour premier Janvier 1724, seront faites & délivrées en papier ou parchemin timbrés seulement du timbre ordinaire des fermes.
Enfin l'article x. porte que les quittances des rentes sur l'hôtel de ville ou sur les tailles, perpétuelles ou viageres, ainsi que les minutes, grosses & expéditions, des contrats qui ne seroient point encore passés avant le premier Janvier 1724, soient passés & expédiés sur le papier timbré ordinaire des fermes ; & qu'il en soit usé de même pour les copies collationnées par les notaires des grosses & expéditions, dont ils n'auront pas les minutes.
Cette déclaration fut exécutée pendant sept années ; mais l'embarras que la distinction du papier, selon la nature des actes, causoit aux notaires & aux parties contractantes, engagea le roi à donner une autre déclaration le 5 Décembre 1730, registrée en la cour des aides le 15 du même mois, qui supprime, à commencer du premier Janvier 1731, les différentes formules dont l'établissement étoit ordonné par la déclaration du 7 Décembre 1723, sur les différens actes & expéditions des notaires de Paris, & en conséquence commue lesdites formules en une formule uniforme, qui sera établie à compter du premier Janvier 1731 sur tous les papiers & parchemins servant aux actes & contrats qui seront passés à compter dudit jour par les notaires de Paris, brevets, grosses, expéditions, copies collationnées, & extraits desdits actes & contrats, sans aucune distinction des différens actes, ni des premieres & autres feuilles, des grosses, expéditions, copies collationnées ou extraits, laquelle formule sera intitulée, actes des notaires de Paris, & sera imprimée à côté du timbre ordinaire des fermes.
La même déclaration ordonne que les grosses, expéditions, extraits ou copies collationnées des actes & contrats qui auront été passés par lesdits notaires de Paris, à compter du premier Janvier 1724, seront aussi sujets à la nouvelle formule.
Les grosses, expéditions, copies collationnées & extraits des actes & contrats dont la date sera antérieure au premier Janvier 1724, sont dispensés de la nouvelle formule, ainsi que les contrats & quittances des rentes de l'hôtel de ville ou sur les tailles, perpétuelles & viageres, & aussi toutes autres quittances à la décharge de S. M. à condition toutes fois que les pieces justificatives du droit & des qualités de ceux qui donneront lesdites quittances, seront mises sur papiers timbrés de la nouvelle formule.
Cette déclaration porte aussi que les empreintes des timbres de la nouvelle formule, tant du papier que du parchemin, seront déposées au greffe de l'élection de Paris, qui connoîtra en premiere instance des contraventions à sa disposition, & que les appels en seront portés en la cour des aides à Paris.
Cette déclaration est la derniere qui ait été rendue à l'égard des notaires à Paris, & même concernant le papier timbré en général, & elle a toujours eu son exécution.
Les deux déclarations, dont on vient de rendre compte, forment une exception en faveur des notaires de Paris, par rapport à ce que l'on a dit ci-devant que les officiers publics qui ont le droit d'aller recevoir des actes hors du lieu de leur résidence, & même en d'autres généralités ou provinces, sont obligés de se servir du papier usité dans chaque pays pour les actes qu'ils y reçoivent ; car les notaires au châtelet de Paris qui ont droit d'instrumenter par tout le royaume, peuvent, depuis les déclarations de 1723 & 1730, se servir par tout le royaume du même papier & parchemin dont ils se servent à Paris.
Lorsque les notaires au châtelet de Paris vont recevoir des actes en quelque province, dans laquelle il n'y a ni papier timbré, ni contrôle pour les actes des notaires, comme en Artois, ils peuvent écrire les actes qu'ils y reçoivent sur papier commun, parce qu'il n'y a rien qui les oblige à se servir en cette occasion de leur papier particulier : s'ils s'en servoient, l'acte n'en seroit pas moins valable, parce que ce qui abonde, ne vicie pas ; ce seroit seulement une dépense inutile.
Mais s'ils alloient recevoir des actes dans un pays où le papier timbré n'est pas en usage, & dans lequel néanmoins le contrôle des actes des notaires auroit lieu, alors ils seroient obligés de se servir du même papier dont ils se servent à Paris, parce que n'ayant été affranchis de la formalité du contrôle qu'au moyen du timbre particulier apposé au papier sur lequel ils écrivent leurs actes, on prétendroit peut-être que leurs actes y deviendroient sujets dans un tel pays, si ces actes étoient écrits sur papier commun.
Le papier destiné à leurs actes leur est tellement personnel, qu'aucun autre officier public ne pourroit s'en servir, même dans la généralité de Paris dont ce papier porte aussi le timbre général, parce que l'autre timbre particulier qui y est apposé avertit que ce papier ne peut servir qu'aux actes des notaires au châtelet de Paris.
Mais quoique les notaires au châtelet de Paris semblent être obligés par la déclaration du 5 Décembre 1730 de se servir pour tous leurs actes indistinctement de papier timbré de la nouvelle formule établie pour eux, il y a néanmoins quelques actes qu'ils peuvent écrire sur du papier timbré seulement de la formule générale des fermes ; savoir,
1°. Les grosses, expéditions, copies collationnées, & extraits des actes & contrats dont la date est antérieure au premier Janvier 1724, lesquels sont dispensés de la nouvelle formule par la déclaration du 5 Décembre 1730.
2°. Les contrats & quittances de rentes sur l'hôtel de ville ou sur les tailles, perpétuelles ou viageres, & toutes autres quittances à la décharge de Sa Majesté, à condition que les pieces justificatives du droit & des qualités de ceux qui donneront lesdites quittances, seront mises sur papier timbré de la nouvelle formule ; ce qui est ainsi ordonné par la même déclaration du 5 Décembre 1730.
3°. Les copies collationnées que les notaires délivrent des arrêts, sentences, & autres jugemens, & des autres actes qui ne sont pas émanés du ministere des notaires.
4 °. Les notaires au châtelet de Paris peuvent écrire un acte, sujet au nouveau timbre, à côté ou à la suite d'un acte précédent, quoique reçu sur du papier timbré seulement de la formule générale des fermes ou d'un timbre précédent, ou même sur du papier commun, lorsque le nouvel acte a une liaison & une connexité naturelle avec celui auquel on le joint, comme lorsqu'il s'agit de faire mention sur l'original d'un acte, soit en minute ou en brevet, ou sur la grosse, d'un payement, d'une décharge, d'une réduction, augmentation ou autre déclaration, qu'il est important d'écrire sur l'acte auquel elle est relative, ainsi que cela a été remarqué ci-devant par rapport à tous les notaires en général.
Par une suite des principes généraux que l'on a établis à ce sujet, un notaire au châtelet de Paris ne pourroit pas à la suite ou à côté d'un acte ancien, reçu sur du papier qui ne seroit pas revêtu du timbre actuellement usité, écrire un nouvel acte qui n'auroit aucune connexité avec celui auquel on le joindroit ; autrement le nouvel acte pourroit être argué de nullité pour n'avoir pas été écrit sur du papier timbré de la formule particuliere, établie pour les actes des notaires de Paris, qui avoit cours au tems où le nouvel acte a été passé.
L'observation de la formalité du timbre dans les lieux & les cas où elle est requise, est d'autant plus essentielle, que les réglemens qui la prescrivent ne sont pas des lois simplement comminatoires ; ils prononcent formellement la peine de nullité contre tous actes publics, qui devant être écrits sur papier ou parchemin timbré, seroient écrits sur papier ou parchemin commun ; ensorte que l'on ne pourroit pas rendre valable un acte public écrit sur du papier ou parchemin commun, en le faisant timbrer après qu'il a reçu sa perfection par la signature des parties & des officiers publics, & cela même en payant aux fermiers du roi les droits & les amendes ; parce que le fermier ne peut remettre que son intérêt, & ne peut pas relever de la peine de nullité ceux qui l'ont encourue ; car dès que la nullité est encourue, le droit de l'opposer est acquis à tous ceux qui peuvent avoir intérêt d'empêcher l'exécution de l'acte ; & comme c'est une maxime certaine, que l'on ne peut préjudicier au droit acquis à un tiers, il ne dépend pas du fermier de remettre la peine de nullité une fois encourue par l'omission de la formalité du timbre.
Mais pour mieux entendre quel est l'effet de la peine de nullité prononcée par les réglemens qui ont établi la formalité du timbre, il faut d'abord distinguer les actes contentieux des actes volontaires.
Les actes contentieux, comme les arrêts, sentences, ordonnances, & autres jugemens, les enquêtes, informations, procès-verbaux de visite, rapports d'experts, les exploits & autres procédures & instructions qui se font par le ministere des officiers de justice, doivent sous peine de nullité absolue, être écrits sur papier ou parchemin timbré, dans les lieux où la formalité du timbre est établie, ainsi qu'il fut jugé par arrêt rendu à la séance de la chambre des vacations en la conciergerie du palais le 26 Octobre 1753, surveille de saint Simon, saint Jude : voici l'espece de cet arrêt.
La demoiselle Robert, prisonniere pour dettes en la conciergerie, ayant demandé à cette séance sa liberté, en fut déboutée ; elle avoit assisté à la plaidoirie de sa cause aussi-bien que son créancier ; après la prononciation de l'arrêt, elle lui donna un soufflet derriere le barreau : le substitut qui portoit la parole à cette séance pour M. le procureur général, ayant entendu le coup qui venoit d'être donné & le murmure que cela excita, rendit plainte de l'irrévérence commise envers l'audience, & conclut à ce qu'il en fût informé, ce qui fut ainsi ordonné par la chambre ; & comme ces sortes de procès s'instruisent sommairement, on entendit sur-le-champ les témoins qui avoient vû donner le soufflet.
Lorsqu'on en étoit au recolement, le substitut s'apperçut que le greffier qui tenoit la plume, avoit par inadvertance écrit toute la procédure sur du papier commun ; il conclut à ce que toute cette procédure fût déclarée nulle ; & en effet il intervint arrêt conforme à ses conclusions, qui déclara toute ladite procédure nulle, & ordonna qu'elle seroit recommencée, ce qui fut fait sur papier timbré, & cette seconde instruction ayant été achevée en bonne forme, la demoiselle Robert fut condamnée à faire réparation à l'audience, &c.
A l'égard des actes publics volontaires, tels que ceux émanés des notaires, tabellions, &c. il faut distinguer ceux qui ne sont obligatoires que d'une part, d'avec ceux qui sont synallagmatiques, c'est-à-dire qui sont respectivement obligatoires à l'égard de toutes les parties contractantes.
Les actes qui ne sont obligatoires que d'une part, comme une obligation, une quittance, & les actes qui ne forment point de convention, tels que les déclarations, les certificats, & autres actes de cette nature, ne sont pas absolument nuls à tous égards, lorsqu'il leur manque la formalité du timbre : toute la peine de nullité par rapport à ces sortes d'actes, est qu'ils ne sont pas valables comme actes publics, & qu'ils n'ont aucun des effets attachés à la publicité des actes, tels que l'authenticité, l'hypotheque, l'exécution parée ; mais ils sont quelquefois valables comme écriture privée.
En effet, lorsque l'on y a observé la forme prescrite pour les actes sous signature privée, ils sont valables en cette derniere qualité, quoiqu'ils eussent été faits pour valoir comme actes publics.
Mais si ayant été faits pour valoir comme actes publics, ils ne peuvent valoir en cette qualité faute de timbre, ou à cause de quelque défaut essentiel dans l'observation de cette formalité ; & que d'un autre côté ces actes ne soient pas dans une forme telle qu'ils puissent valoir comme écriture privée, c'est alors un des cas où ils sont absolument nuls aux termes des réglemens.
Par exemple, si un notaire reçoit un testament sur papier commun, dans un lieu où il devoit l'écrire sur du papier timbré, ce testament sera absolument nul, & ne vaudra même pas comme testament olographe, parce que, pour être valable en cette qualité, il faudroit qu'il fût entierement écrit & signé de la main du testateur, au lieu qu'ayant été reçu par un notaire, ce sera le notaire ou un de ses clercs qui l'aura écrit.
De même, si un notaire reçoit une obligation sur papier commun, tandis qu'elle devoit être sur papier timbré, elle ne sera pas valable, même comme promesse sous signature privée, parce qu'aux termes de la déclaration du roi du 22 Septembre 1733, registrée en parlement le 14 suivant & le 20 Janvier 1734, tous billets sous signature privée, au porteur, à ordre ou autrement, causés pour valeur en argent, sont nuls, si le corps du billet n'est écrit de la main de celui qui l'a signé, ou du-moins si la somme portée au billet n'est reconnue par une approbation écrite en toutes lettres aussi de sa main.
Cette déclaration excepte seulement les billets sous signature privée, faits par des banquiers, négocians, marchands, manufacturiers, artisans, fermiers, laboureurs, vignerons, manouvriers, & autres de pareille qualité, à l'égard desquels elle n'exige pas que le corps de leurs billets soit entierement écrit de leur main ; ensorte que les obligations passées devant notaires par ces sortes de personnes, & reçues sur du papier commun, lorsqu'elles devoient être sur papier timbré, pourroient valoir comme billets sous signature privée, pourvû que l'acte fût signé de l'obligé.
Pour ce qui est des actes que les parties n'ont point signés, faute de savoir écrire, ou pour quelque autre empêchement, ils sont absolument nuls à tous égards, lorsque les officiers publics qui devoient les recevoir sur papier timbré, les ont reçus sur papier commun, & ces actes ne peuvent valoir même comme écriture privée, parce que les actes sous seing privé ne sont parfaits que par la signature des parties.
A l'égard des actes synallagmatiques, tels que les contrats de vente, d'échange, de société, les baux, & autres actes semblables, qui obligent respectivement les parties contractantes à remplir, chacun de leur part, certains engagemens, lorsqu'ils sont reçus par des officiers publics sur du papier commun, dans un lieu où ils devoient être écrits sur papier timbré, ils sont aussi absolument nuls à tous égards, & ne peuvent valoir même comme écriture privée, encore que les parties contractantes les eussent signés, parce que pour former un acte obligatoire, synallagmatique, sous seing privé, il faut qu'il soit fait double, triple, ou quadruple, &c. selon le nombre des contractans, afin que chacun puisse en avoir un pardevers soi, ce que l'on appelle en Bretagne un autant ; & qu'il soit fait mention dans chaque expédition que l'acte a été fait double, triple, ou quadruple ; ce qui est tellement de rigueur, que l'omission de cette mention suffit pour annuller la convention.
Cette regle est fondée sur le principe, qu'une convention ne peut pas être valable, à moins que chaque contractant ne puisse contraindre les autres à exécuter leurs engagemens, comme il peut être contraint de remplir les siens.
Pour mettre les contractans en état d'obliger les autres d'exécuter leurs engagemens, il faut que chacun d'eux ait par-devers soi un titre contre les autres ; car un acte synallagmatique sous seing privé qui seroit simple, ne formeroit pas un titre commun, quoiqu'il fût signé de tous les contractans, puisque chacun d'eux ne pourroit pas l'avoir en sa possession, & que celui entre les mains duquel il seroit, pourroit le faire paroître ou le supprimer, selon son intérêt, au préjudice des autres contractans qui ne pourroient pas s'en aider.
Or lorsqu'un acte synallagmatique a été reçu par un officier public, pour valoir comme acte public, & que néanmoins il ne l'a reçu que sur papier commun, soit par impéritie ou autrement, quoiqu'il dût le recevoir sur papier timbré, cet acte ne peut valoir que comme écriture privée, parce qu'il n'a point été fait double, triple, ou quadruple, &c. selon le nombre des contractans, & que par conséquent il n'y est pas fait mention qu'il ait été fait double ou triple, &c. d'où il s'ensuit qu'il ne peut être synallagmatique, & qu'il est absolument nul.
En vain prétendroit-on que la minute de cet acte synallagmatique devient un titre commun dont chaque contractant peut ensuite lever des expéditions, & par-là se procurer un titre pour obliger les autres parties à exécuter l'acte de leur part : dès que l'acte synallagmatique n'a pas été reçu par l'officier public sur papier timbré comme il devoit l'être, & que par l'omission de cette formalité l'acte ne peut valoir comme acte public, l'original de cet acte que l'officier public a retenu par-devers lui, ne peut être considéré comme une vraie minute, qui soit un titre commun dont on puisse lever des expéditions, qui servent de titre à chacun des contractans, parce que l'original n'étant pas un acte public, mais seulement un acte privé simple, il pouvoit être supprimé par ceux entre les mains desquels il étoit, & par conséquent ne pouvoit pas devenir obligatoire : le dépôt qui en a été fait chez un officier public, ne peut pas réparer ce vice primordial, ni faire que les expéditions qu'en délivreroit l'officier public, servissent de titre à chacun des contractans, parce que l'acte étant nul dans le principe, ne peut être réhabilité par la qualité du lieu où il est gardé.
Il faut néanmoins excepter de cette regle certains actes que les notaires peuvent recevoir en brevet ; car si ces actes ont été faits doubles ou triples, selon le nombre des parties contractantes, ainsi que cela s'observe ordinairement, & que chaque double soit signé de la partie qu'il oblige ; ces actes qui ne seroient pas valables comme actes publics, s'ils étoient écrits sur du papier ou parchemin commun, dans un lieu où ils devoient l'être sur papier ou parchemin timbré, vaudroient du-moins comme écriture privée, parce qu'ils auroient en eux toutes les conditions nécessaires pour valoir en cette qualité.
En France, depuis quelque tems, on a établi dans chaque généralité où le papier timbré est en usage, une papeterie pour y fabriquer exprès le papier que l'on destine à être timbré ; & dans le corps de ce papier, au-lieu de la marque ordinaire ou enseigne du fabriquant, il y a au milieu de chaque feuille une marque intérieure du timbre extérieur qui doit y être apposé en tête.
La France n'est pas le seul pays où cette marque intérieure du timbre ait été établie, la même chose se pratique dans plusieurs autres états ; & notamment dans la Lorraine & dans le Barrois cela s'observe depuis plusieurs années.
Tout le papier qui se fait dans ces fabriques particulieres est porté au bureau du timbre, & l'on n'en vend point aux particuliers qu'on n'y ait auparavant apposé le timbre extérieur de la généralité pour laquelle il a été fabriqué.
Suivant l'usage qui s'observe actuellement, la marque intérieure du timbre insérée dans le corps du papier timbré, ne paroît pas être absolument de l'essence de la formalité, & à la rigueur il suffit que le papier sur lequel est écrit l'acte public soit timbré au haut de chaque feuille du timbre extérieur qui s'imprime avec le poinçon ou filigrame ; & en effet les officiers publics écrivent quelquefois leurs actes sur du papier commun, & font ensuite timbrer chaque feuille avant de signer & faire signer l'acte ; on fait aussi timbrer les mémoires, criées, encheres, & autres publications ou jugemens imprimés que l'on doit signifier, & tous ces différens actes ainsi timbrés ne sont pas moins valables que ceux qui sont écrits sur du papier marqué, tant du timbre intérieur que de l'extérieur.
Il seroit néanmoins à propos que les officiers publics ne pussent se servir pour les actes de leur ministere que de papier marqué de l'un & l'autre timbre ; car loin que cette répétition du timbre soit inutile, chacun de ces deux timbres a son utilité particuliere.
Le timbre extérieur imprimé au haut de chaque feuille, contribue à donner à l'acte le caractere d'authenticité & de publicité, & fait connoître à l'inspection seule de l'acte, que c'est un acte public & non une écriture privée.
La marque intérieure du timbre qui est dans le corps du papier & faite en même-tems que le papier, sert à assurer que le papier étoit revêtu du timbre extérieur lorsque l'acte y a été écrit, & qu'il n'a pas été timbré après coup, parce qu'on ne délivre à personne du papier fabriqué pour être timbré que le timbre n'y ait effectivement été apposé, ensorte que la marque intérieure du timbre constate d'une maniere plus sure la régularité de la forme de l'acte, que le timbre extérieur qui pourroit frauduleusement être appliqué après coup, pour faire valoir un acte auquel manqueroit cette formalité.
Mais ce qui est encore plus important, c'est que la marque intérieure du timbre peut suppléer le timbre extérieur s'il n'avoit pas été marqué, ou bien s'il se trouvoit effacé ou déchiré ; c'est ce qui a été jugé récemment dans une affaire dont voici l'espece.
Théophile Vernet, banquier à Paris, fut emprisonné pour dettes en vertu de différentes sentences des consuls obtenues contre lui par le sieur le Noir son créancier. Il interjetta appel de ces sentences, & à la séance du 23 Décembre 1732, il demanda sa liberté, prétendant que toute la procédure étoit nulle, sous prétexte que l'exploit du 6 Avril 1728, en quelque façon introductif de l'instance, étoit écrit sur papier non-timbré ; il fit valoir la disposition des réglemens qui ont établi la formalité du timbre, lesquels prononcent la peine de nullité contre les actes émanés d'officiers publics, qui seront écrits sur papier commun.
La copie de l'exploit en question n'avoit réellement aucune marque du timbre extérieur ; mais Vernet étoit forcé de convenir que le quarré de papier sur lequel elle étoit écrite, sortoit de la fabrique des papiers destinés à recevoir l'empreinte du timbre, car en le présentant au jour on en voyoit distinctement la marque : or, disoit le défenseur du sieur le Noir, le papier de cette fabrique particuliere ne sert qu'au bureau du timbre, par conséquent ce n'est pas la faute de l'huissier, mais des buralistes, si le timbre n'y est pas bien marqué, qu'il leur est assez ordinaire en marquant le papier, d'oublier quelquefois de renouveller l'encre que l'on met dans le poinçon ou filigrame du timbre, & de passer une feuille, laquelle ne reçoit l'empreinte du timbre que par la compression du papier, qu'en ce cas cette empreinte faite sans encre s'efface aisément, soit d'elle-même par la longueur du tems, soit en mettant le papier sous presse ; que ce dernier cas sur-tout se vérifie par l'expérience journaliere que nous avons à l'égard des feuilles nouvellement imprimées, où les caracteres des lettres forment du côté de l'impression autant de petites concavités qu'il y a de lettres, & de l'autre côté débordent & paroissent en relief ; mais que la feuille imprimée soit mise sous presse, le papier redevient uni de part & d'autre, & il est difficile que l'on reconnoisse la trace des caracteres qui débordoient, soit d'un côté seulement, soit de tous les deux.
Le défenseur du sieur le Noir ajoûtoit, que lorsqu'on s'apperçoit que le timbre n'est pas marqué, on n'a qu'à reporter la feuille aux buralistes qui ne font pas difficulté de la reprendre ; que l'huissier en écrivant au dos de l'empreinte l'exploit en question ne s'en étoit pas apperçu ; qu'il n'avoit pas examiné si elle étoit plus ou moins marquée ; qu'il étoit dans la bonne foi ; qu'il falloit même observer que Vernet n'avoit relevé ce moyen qu'après plus de quatre ans, c'est-à-dire après s'être ménagé cette prétendue nullité avec le secours du tems, ou plutôt de la presse ; qu'aussi s'appercevoit-on aisément que la place de l'empreinte étoit extrêmement polie, ce qui prouvoit qu'elle n'avoit disparu qu'avec peine ; mais qu'il en falloit toujours revenir au point de fait que le papier étoit émané du bureau du timbre ; que Vernet convenoit lui-même que le papier étoit sorti de la fabrique particuliere destinée au timbre ; que dès-lors que cette fabrique ne sert que pour les bureaux du timbre, il n'y avoit point de nullité, qu'il n'y en avoit qu'autant que les préposés à la distribution du papier timbré pourroient se plaindre de la contravention aux édits & ordonnances intervenus à ce sujet ; que puisque ces commis ne pouvoient se plaindre, & qu'on avoit satisfait aux droits du roi, le sieur Vernet étoit non-recevable.
Cette question de nullité ayant été vivement discutée de part & d'autre, il intervint arrêt ledit jour 23 Décembre 1732, qui joignit au fond la requête de Vernet.
Quelque tems après, Vernet s'étant pourvu sur le fondement du même moyen devant M. de Gaumont, intendant des finances, on mit néant sur sa requête.
Enfin sur le fond de l'appel l'instance ayant été appointée au conseil, entr'autres moyens que proposoit Vernet, il opposoit que toute la procédure étoit nulle, attendu que l'exploit introductif étoit sur papier non timbré.
La question de la validité de l'exploit fut de nouveau discutée. La dame le Noir, au nom & comme tutrice de ses enfans, ayant repris au lieu de son mari, fit valoir les moyens qui avoient déjà été opposés à Vernet. Elle ajouta que l'arrêt rendu contre lui, à la séance du 23 Décembre 1732, étoit un débouté bien formel d'un moyen qui, s'il eût été valable, auroit dû dans le moment lui procurer sa liberté ; qu'à ce préjugé se joignoit encore celui qui résultoit du néant mis sur la requête présentée par ledit Vernet à M. de Gaumont, intendant des finances.
Par arrêt du 22 Août 1737, rendu en la grande chambre, au rapport de M. Bochart de Saron, la cour en tant que touchoient les appels interjettés par Vernet, mit les appellations au néant, ordonna que ce dont étoit appel, sortiroit son plein & entier effet, condamna l'appellant en l'amende : ensorte que l'exploit en question a été jugé valable, & que dans ces sortes de cas, la marque intérieure du timbre supplée le timbre extérieur, soit qu'il n'ait pas été apposé, ou qu'il n'ait pas été bien marqué, & qu'il ait été effacé ou déchiré.
La marque intérieure du timbre fait donc présumer que le papier a reçu le timbre extérieur, & par-là sert à assurer que l'acte a été écrit sur du papier qui étoit déjà revêtu du timbre extérieur, & non pas timbré après coup, ce qui ne laisse pas d'être important ; car puisqu'il est enjoint aux officiers publics, sous peine de nullité des actes qu'ils reçoivent, d'écrire lesdits actes sur du papier timbré, ceux qui sont dépositaires des poinçons du timbre ne doivent pas timbrer un acte écrit sur du papier commun, lorsqu'il est déjà signé & parfait comme écriture privée, pour le faire voir après coup comme écriture publique : si on tolere que le timbre extérieur soit apposé sur un acte déjà écrit, ce ne doit être que sur un acte qui ne soit pas encore signé. C'est pourquoi il seroit à propos d'assujettir tous les officiers publics à n'écrire les actes qu'ils reçoivent que sur du papier marqué des deux timbres ; c'est-à-dire de la marque du timbre qui est dans le corps du papier ; & du timbre extérieur qui s'imprime au haut de la feuille, parce que le concours de ces deux marques rempliroit tous les objets que l'on peut avoir eu en vûe dans l'établissement de cette formalité ; & la marque intérieure du timbre écarteroit tout soupçon & toute difficulté, soit en constatant que le papier étoit revêtu du timbre extérieur lorsque l'acte y a été écrit, soit en suppléant ce timbre extérieur s'il ne se trouvoit pas sur l'acte.
Mais cette précaution ne serviroit que pour les actes qui s'écrivent sur du papier, & non pour ceux qui s'écrivent en parchemin ; parce que la matiere du parchemin n'étant pas faite de main d'homme, on ne peut pas y insérer de marque intérieure, comme dans le papier dont la marque se fait en même tems : lesquelles marques intérieures, soit qu'elles représentent le timbre ou l'enseigne du fabriquant, sont fort utiles & one servi à découvrir bien des faussetés ; aussi y a-t-il beaucoup plus d'inconvéniens à se servir de parche-l min qu'à se servir de papier, non-seulement parce que la destination du parchemin ne peut pas être constatée d'une maniere aussi sûre que le papier, mais encore parce que le parchemin est plus facile à altérer que le papier : ensorte que pour mieux assurer la vérité des actes, il seroit à souhaiter qu'on les écrivît tous sur du papier.
Les ordonnances, édits & déclarations qui ont établi la formalité du timbre, ne se sont pas contentés d'ordonner que tous les actes reçus par les officiers publics soient timbrés. L'ordonnance du mois de Juin 1680, rendue sur cette matiere, a distingué les actes qui doivent être écrits en parchemin timbré, de ceux qu'il suffit d'écrire sur papier timbré. Cette distinction a été confirmée & détaillée encore plus particulierement par la déclaration du 19 Juin 1691.
Ces réglemens prononcent bien une amende contre ceux qui y contreviendroient ; mais ils ne prononcent pas la peine de nullité comme les premiers réglemens qui ont établi la formalité du timbre en général.
Ainsi un acte qui doit être en parchemin timbré ne seroit pas nul, sous prétexte qu'il ne seroit qu'en papier timbré ; parce que tout ce qu'il y a d'essentiel dans la formalité, & qui doit être observé à peine de nullité, c'est que l'acte soit timbré : pour ce qui est de la distinction des actes qui doivent être en parchemin, d'avec ceux qui doivent être en papier, c'est un réglement qui ne concerne en quelque sorte que les officiers publics, qui en y contrevenant, s'exposent aux peines pécuniaires prononcées par les réglemens.
Il y a néanmoins un inconvénient considérable pour les parties qui agissent en vertu de tels actes, c'est que les débiteurs, parties saisies ou autres personnes poursuivies en vertu de ces actes écrits sur papier timbré seulement, tandis qu'ils devroient être en parchemin timbré, obtiennent sans difficulté, par ce défaut de formalité, la main-levée des saisies faites sur eux, sauf aux créanciers, ou autres porteurs de ces actes, à se mettre après en regle. Telle est la jurisprudence que l'on suit à cet égard.
Pour ce qui est des actes qu'il suffit d'écrire sur papier timbré, & que l'on auroit écrit sur parchemin timbré, ou bien de ceux que l'on peut mettre sur papier ou parchemin commun, & que l'on auroit écrit sur papier ou parchemin timbrés, ils ne seroient pas pour cela nuls, parce que ce qui abonde ne vicie pas.
Mais il y auroit plus de difficulté si un acte d'une certaine nature, étoit écrit sur du papier ou parchemin destiné à des actes d'une autre espece ; par exemple, si un notaire écrivoit ses actes sur du papier ou parchemin destiné pour les expéditions des greffiers, & vice versâ ; dans ces cas, la contradiction qui se trouveroit entre le titre du timbre & la qualité de l'acte, pourroit faire soupçonner qu'il y auroit eu quelque surprise, & qu'on auroit fait signer aux parties un acte pour un autre, ou du moins, feroit rejetter l'acte comme étant absolument informe.
De même s'il arrivoit qu'un acte passé dans une généralité fût écrit sur du papier ou parchemin timbré du timbre d'une autre généralité, il y a lieu de croire qu'un tel acte seroit déclaré nul ; & ce seroit aux parties à s'imputer d'avoir fait écrire leur acte sur du papier qui ne pouvoit absolument y convenir, & qu'ils ne pouvoient ignorer être d'une autre généralité, puisque le nom de chaque généralité est gravé dans le timbre qui lui est propre.
Et à plus forte raison un acte reçu par un officier public de la domination de France seroit-il nul, s'il étoit écrit sur du papier ou parchemin sur lequel seroit apposé un timbre étranger, parce que le timbre établi par chaque prince, ne peut convenir qu'aux actes qui se passent dans ses états.
Les poinçons ou empreintes du timbre sont déposés au greffe de l'élection de Paris, laquelle connoît en premiere instance des contraventions aux réglemens ; & l'appel va à la cour des aides. Voyez la déclaration du 5 Novembre 1730.
Sur ce qui concerne le papier & parchemin timbré, on peut encore voir le recueil des formules, du sieur de Nicet, & la nouvelle diplomatique des peres DD. Toussain & Tassin, t. I. où ces deux savans bénédictins ont eu la bonté de rappeller une petite dissertation que je fis sur cette matiere en 1737, & qui fut insérée au mercure de Juin de la même année. (A)
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PAPILLAIRE | en Anatomie, nom qu'on donne à une membrane ou tunique de la langue, qu'on nomme tunique papillaire, membrane papillaire, ou corps papillaire. Voyez LANGUE.
La tunique ou le corps papillaire est le troisieme tégument, placé sous la membrane extérieure qui tapisse la langue & la substance visqueuse qui en est proche par-dessous.
Elle est remplie de nerfs qui viennent de la cinquieme & de la neuvieme paire : au-dessus de cette tunique croissent de petites éminences qu'on appelle papilles ou éminences papillaires. Voyez MAMELON.
Les sels & les sucs des corps agissant sur ces éminences, occasionnent sur elles des ondulations qui se communiquent dans l'instant aux esprits contenus dans les nerfs qui les portent au cerveau. V. GOUT.
PAPILLAIRES, PROCES, (Anat.) sont une dénomination que les anciens donnoient aux nerfs olfactifs, à cause du lieu de leur distribution. Voyez NERF & OLFACTIF.
Le docteur Drake pense que ce nom leur convient mieux dans cette place que celui de nerfs, d'autant qu'ils paroissent plutôt des productions de la moëlle allongée, d'où les nerfs olfactifs tirent leur origine, que des nerfs distincts, de quoi font foi leurs cavités manifestes, & leur communication avec les ventricules. Voyez VENTRICULE.
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PAPILLE | ou CARONCULES PAPILLAIRES DES REINS, (Anat.) sont des amas de petits canaux urinaires, joints ensemble dans la partie antérieure des reins. Voyez REINS & CARONCULES.
Elles se terminent en corps tubuleux, ou tuyaux plus larges, qui répondent au nombre des papilles qui sont ordinairement 12, & on les appelle tuyaux membraneux, parce qu'ils ne sont que des productions de la cellule membraneuse qu'on appelle le bassinet. Voyez BASSINET.
Les papilles servent à filtrer l'urine séparée par les arteres, & à la précipiter par les tuyaux urinaires dans le bassinet. Voyez URINE.
La découverte des papilles nerveuses est dûe aux modernes, & Malpighi paroît être le premier qui les ait vues dans la langue & sous les ongles ; ce sont des éminences sensibles, de différentes figures, qui s'observent dans toute la superficie de la peau, & sont le principal organe du toucher. Voyez TOUCHER.
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PAPILLON | S. m. (Hist. nat.) les papillons sont des insectes aîlés ; ils viennent par métamorphose des chenilles qui ont au plus 16 jambes, ou au moins 8. Les aîles de plusieurs especes de papillons sont très-remarquables par la beauté & par la variété de leurs couleurs : certaines chenilles ont aussi de belles couleurs ; mais on ne peut rien conclure des couleurs d'une chenille pour celles du papillon qui doit être le produit de sa métamorphose.
Tous les papillons ont 4 aîles, qui different de celles de tout autre insecte aîlé, en ce qu'elles sont couvertes d'une espece de poussiere ou de farine colorée, qui s'attache aux doigts lorsqu'on la touche. Ces aîles ont été appellées aîles farineuses ; mais on voit à l'aide du microscope que les molécules de cette poussiere sont des lames qui ont différentes figures, nonseulement sur des aîles de papillons de différentes especes, mais aussi sur divers endroits d'une même aîle. On a donné fort improprement à ces lames le nom de plumes, sans doute parce qu'elles sont placées sur des aîles : le nom d'écaille leur convient mieux. Elles sont plus ou moins allongées ; elles tiennent à l'aîle par un pédicule : l'autre bout est arrondi, ou échancré, ou dentelé plus ou moins profondément ; cependant il y a de ces molécules de poussiere qui ressemblent mieux à des poils qu'à des écailles, car ils ont une tige longue, déliée & divisée par le bout en 2 ou 3 filets. Toutes les lames des aîles des papillons sont régulierement alignées, & se recouvrent en partie les unes les autres, comme les écailles de poissons. Si on enleve les écailles de l'aîle d'un papillon, elle devient transparente, & elle perd ses couleurs ; on y voit des nervures, & il paroît que sa substance a quelque rapport avec les taies des crustacées.
Le corps des papillons a la forme d'une olive, plus ou moins allongée ; il est composé d'anneaux qui sont souvent cachés sous les grands poils & sous les plumes qu'ils portent ; mais outre ces poils ou ces plumes, ils sont couverts d'écailles semblables à celles des aîles : le corcelet est placé au-devant du corps ; les aîles & les jambes y tiennent. Tous les papillons ont chacun 6 jambes, mais il y en a qui ne se servent que des 4 dernieres pour marcher ou pour se soutenir : les 2 premieres, une de chaque côté, au lieu d'avoir un pié terminé par des crochets comme les 4 autres, n'ont que des poils au bout du pié ; elles sont souvent appliquées contre le corps du papillon, & cachées entre de longs poils.
Les yeux des papillons sont placés de chaque côté de la tête, où ils forment une portion de sphere saillante, qui n'est que la moitié d'une sphere, ou un peu plus ou un peu moins de la moitié ; ils sont plus ou moins gros à proportion de la tête. L'enveloppe extérieure de ces yeux est une sorte de cornée luisante ; on y voit souvent des couleurs variées comme celles de l'arc-en-ciel, sur un fond noir, brun, gris, &c. On reconnoit à l'oeil simple que la cornée est pointillée ; mais par le moyen du microscope, toute la surface de la cornée paroît un réseau à mailles régulierement symmétrisé, & le milieu de chaque maille au lieu d'être vuide comme dans un vrai réseau, est relevé en bosse comme une petite lentille : chaque lentille est encadrée dans une maille de matiere pareille à la sienne, & de figure rectiligne à 4 côtés dans quelques yeux, & à 6 dans d'autres. Il est vraisemblable que ces lentilles sont des vrais crystallins, & même il y a quelqu'apparence qu'ils sont accompagnés de tout ce qui est nécessaire à un oeil complet. Les yeux des mouches, des scarabées, & de divers autres insectes, ne different en rien d'essentiel de ceux des papillons. On a calculé qu'il y avoit 3181 crystallins sur une cornée d'un scarabée, plus de 8000 sur celle d'une mouche ; on en a compté 17325 sur chaque cornée d'un papillon : ce papillon auroit donc eu 34650 yeux.
Tous les papillons, & la plûpart des autres insectes aîlés, ont sur la tête deux cornes auxquelles on a donné le nom d'antennes ; elles sont mobiles sur les bases, & elles se courbent en différens sens, parce qu'elles ont grand nombre d'articulations. Les antennes des papillons sont implantées sur le dessus de la tête, près du bord extérieur de chaque oeil.
On peut diviser les papillons en 6 classes, par des caracteres tirés de la forme des antennes. Celles de la premiere classe ont un diamêtre assez égal depuis leur origine jusqu'à leur extrémité, & elles sont terminées par une grosse tête, assez semblable à celle d'une masse d'armes : les naturalistes les ont appellées en latin antennae clavatae. M. de Reaumur les a nommées antennes à masses ou à boutons. Un grand nombre de papillons qui se posent pendant le jour sur des fleurs, ont de ces antennes.
Celles de la seconde classe sont communément plus courtes, par rapport à la longueur du corps du papillon, que celles de la classe précédente ; elles augmentent insensiblement de diamêtre depuis leur origine jusque tout auprès de leur extrémité ; là elles diminuent tout-à-coup de grosseur, & se terminent par une pointe, d'où sort une espece de petite houppe composée de quelques filets. M. de Reaumur a donné à ces antennes le nom d'antennes à massue : des papillons qui se soutiennent en volant au-dessus des fleurs sans qu'on les voye jamais s'appuyer dessus, & qui font un bourdonnement continuel avec leurs aîles, ont de ces antennes en massue.
Les antennes de la troisieme classe different de celles de la seconde, en ce qu'elles sont plus larges qu'épaisses, au lieu que les autres sont plus épaisses que larges ; leur extrémité forme une pointe plus longue, & n'a point de bouquet de poils : d'ailleurs elles sont contournées, & ressemblent à des cornes de bélier. Il y a des papillons communs dans les prairies, qui ont de ces antennes en cornes de bélier.
Les antennes de la quatrieme classe sont terminées par une pointe aiguë, assez semblable à celle des antennes de la troisieme classe ; mais elles en different en ce que peu au-dessus de leur origine elles prennent subitement une augmentation de grosseur qu'elles conservent dans la plus grande partie de leur étendue, c'est-à-dire jusques assez près de leur bout, où elles se contournent un peu pour se terminer en une pointe, qui quelquefois porte elle-même une autre pointe composée de plusieurs filets ou poils extrêmement déliés. Plusieurs especes de très-gros papillons ont de ces antennes, qui sont grosses aussi, mais courtes à proportion de la longueur du corps de l'insecte ; M. de Reaumur les a nommées antennes prismatiques, parce que la plus grande partie de leur étendue est une espece de prisme, qui a pour base un secteur de courbe.
Les antennes de la cinquieme classe sont toutes celles qui ont une figure conique très-allongée, dont la base tient à la tête de l'insecte, ou celles qui au-moins ne sont pas plus grosses près de leur extrémité que dans le reste de leur étendue. M. de Réaumur les a nommés antennes à filets coniques & grénés, parce qu'elles sont formées par une file de grains plus ou moins gros & plus ou moins ronds : ces antennes sont aussi plus ou moins longues.
Les antennes de la sixieme classe ressemblent à des plumes, aussi les a-t-on appellées antennes en plumes. Elles sont composées d'une tige qui diminue de grosseur depuis son origine jusqu'à son extrémité ; cette tige a sur deux côtés opposés des branches latérales : celles qui sont environ au milieu de la tige ont plus de longueur que celles qui se trouvent à l'origine ; celles de l'extrémité sont les plus courtes de toutes : ces branches sont inclinées vers la pointe de la tige. En les voyant au microscope, on les trouve semblables aux barbes d'une plume. Les antennes en plumes sont plus belles sur les mâles que sur les femelles ; elles sont plus fournies de barbes qui se soutiennent mieux, & qui sont plus longues. Le grand paon de nuit a des antennes en plumes.
Plusieurs especes de papillons ont une trompe avec laquelle ils sucent les fleurs ; cet organe manque aux autres, ou au-moins ils n'ont point de trompe apparente. Dans les papillons qui en sont pourvus, elle est placée entre les deux yeux, & roulée comme un ressort de montre ; il y en a de courtes qui ne forment qu'un tour & demi, ou deux tours de spirale ; les plus longues font plus de huit ou dix tours ; mais ce rouleau est en partie caché dans la tête. Lorsque le papillon s'est posé sur une fleur pour la sucer, il déroule sa trompe & la fait entrer dans la fleur jusqu'au fond du calice, il la retire hors de la fleur, & l'y replonge jusqu'à sept ou huit fois avant de quitter la fleur, où il ne trouve sans doute plus de nourriture abondante, pour passer à une autre fleur. On voit des papillons qui insinuent leur trompe dans les fleurs en se soutenant en l'air par le moyen de leurs aîles sans s'appuyer sur la fleur.
Il y a des papillons qui volent pendant la nuit, ou à l'entrée de la nuit, & qui viennent se brûler aux lumieres des chandelles pendant les soirées chaudes de l'été ; on les appelle phalenes ou papillons nocturnes ; ils sont en bien plus grand nombre d'especes que les papillons qui restent tranquilles pendant la nuit, qui ne volent que le jour, & que l'on nomme papillons diurnes. Pourquoi donc ces phalenes, qui semblent fuir la lumiere du jour, viennent-elles à celle des chandelles ? M. de Réaumur a soupçonné que c'est peut-être pour chercher leurs femelles, qu'elles peuvent reconnoître à quelque signe lumineux, qui n'est sensible qu'à leurs yeux : plusieurs de ces phalenes volent aussi pendant le jour dans les bois, & l'on croit que c'est pour s'approcher de leurs femelles qui sont cachées sous des feuilles.
Les papillons diurnes ont des antennes à bouton, en massue, ou en corne de bélier ; celles des phalenes sont prismatiques, à filets coniques ou en plumes. M. de Réaumur a trouvé une trompe dans tous les papillons diurnes qu'il a observés ; mais il n'en a point vu dans plusieurs genres de phalenes. Parmi celles qui sont pourvues d'une trompe sensible, les unes l'ont longue & applatie, les autres l'ont plus courte & plus arrondie. La figure & le port des aîles sont des caracteres propres à faire distinguer plusieurs genres de papillons.
La classe des papillons à antennes en masse ou bouton comprend plus d'especes que les deux autres classes de papillons diurnes prises ensemble ; c'est pourquoi M. de Réaumur a divisé les papillons à antennes à masse ou bouton en cinq classes, qui avec celle des antennes en massue, & celle des antennes en corne de bélier, font en tout sept classes de papillons diurnes.
La premiere classe est composée des papillons qui ont les antennes en masse ou bouton, & qui tiennent le plan de leurs aîles perpendiculaire au plan sur lequel ils sont posés ; le bord inférieur des aîles de dessous embrasse le dessous du corps ; ils se soutiennent & ils marchent sur six jambes, le papillon blanc qui a quelques taches noires, & qui vient de la plus belle des chenilles du chou, est de cette premiere classe.
Les papillons de la seconde classe ne different de ceux de la premiere, qu'en ce qu'ils ne se posent & ne marchent que sur quatre jambes.
Les papillons de la troisieme classe ne different de ceux de la seconde, qu'en ce que les deux premieres jambes sont conformées comme les quatre autres, mais si petites, que l'on a peine à les appercevoir.
La quatrieme classe comprend les papillons qui portent leurs quatre aîles perpendiculaires au plan de position, comme les papillons des trois premieres classes ; mais le bord des aîles inférieures de ceux de la quatrieme se recourbe, embrasse, & couvre le dessus du corps : ils ont six véritables jambes : chacune des aîles inférieures a vers le bout extérieur de sa base un long appendice, qui semble former une queue, aussi ces papillons sont appellés papillons à queue : si ce caractere manquoit, les autres suffiroient pour désigner les papillons de la quatrieme classe.
La cinquieme & la derniere classe des papillons est à antennes à masse ou bouton ; elle renferme ceux qui ont six vraies jambes, & dont les aîles sont paralleles au plan de position, ou au moins ne se redressent jamais assez pour que les deux supérieures s'appliquent l'une contre l'autre au-dessus du corps. La forme des aîles & du bouton des antennes peut encore donner des caracteres pour distinguer les papillons de ces cinq premieres classes.
Ceux de la sixieme ont des antennes en massue ; ils insinuent leur trompe dans les fleurs en se soutenant en l'air, c'est pourquoi on les appelle éperviers, & on leur a aussi donné le nom de papillons-bourdons, parce qu'ils font du bruit en volant. Quand ils s'appuient, ils ont les aîles paralleles au plan de position ; le côté intérieur de leurs aîles est plus court que l'extérieur, & leur corps se termine par de longs poils en forme de queue. Il y a dans cette classe un genre de papillon que l'on peut nommer papillons-mouches, parce que leurs aîles ressemblent en partie à celles des mouches, n'étant pas couvertes en entier de poussiere : la partie qui reste à découvert, est transparente, & a fait donner à ces aîles le nom d'aîles vitrées.
La septieme classe comprend les papillons à antennes en cornes de bélier.
Quoique les especes de phalenes soient beaucoup plus nombreuses que celles des papillons diurnes, M. de Réaumur ne les a divisées qu'en sept classes, mais il a indiqué les caracteres d'un grand nombre de genres pour chacune de ces classes.
La premiere renferme les phalenes à antennes prismatiques ; elles doivent toutes avoir des trompes ; il y a de ces phalenes qui ne peuvent se soutenir en l'air sans agiter leurs aîles avec une grande vîtesse ; elles font beaucoup de bruit en volant.
Ceux de la seconde classe ont des antennes à filets coniques & une trompe.
Les phalenes de la troisieme classe ne different pas de celles de la seconde classe par les antennes, mais on ne leur trouve point de trompe.
La quatrieme classe comprend des phalenes qui ont des antennes en plumes & une trompe.
Les phalenes de la cinquieme classe ont aussi des antennes en plumes, mais elles manquent de trompe.
La sixieme classe comprend les phalenes dont les femelles n'ont point d'aîles sensibles.
Enfin, la septieme classe renferme tous les papillons dont les aîles ressemblent à celles des oiseaux, & paroissent composées de véritables plumes : ils ont des antennes à filets coniques comme des phalenes, cependant ils ne laissent pas de voler pendant le jour : ils font une classe particuliere, qui doit se trouver à la suite de celles des phalenes.
Les caracteres de genres qui se trouvent dans ces différentes classes sont tirés de la grandeur, de la figure & du port des aîles, de la forme & de la grandeur du corps, de la longueur & de la figure des trompes, de la structure des antennes, & des deux barbes ou cloisons charnues entre lesquelles la trompe est logée, des hupes de poils qui se trouvent sur le corcelet, & même sur le corps. Les différentes especes sont distinguées par les couleurs des papillons, par la distribution de ces couleurs, & par quelques-uns des caracteres précédens.
Mais toute méthode arbitraire pour la division des productions de la nature en classes, genres, &c. est sujette à errer : en voici un exemple bien marqué ; le port des aîles qui vient d'être donné comme un des principaux caracteres distinctifs des papillons, n'est pas le même pour le mâle & pour la femelle de certaines especes, desorte que le mâle se trouveroit dans un genre, & la femelle dans un autre ; & ces deux genres seroient bien distingués par les différences qui se trouvent dans le port des aîles de ce mâle & de cette même femelle. Cependant c'est le comble de l'erreur dans une distinction méthodique de rapporter à deux genres differens des animaux qui ne différent que par le sexe. Pour éviter ce grand inconvénient dans la division méthodique des papillons, il faut observer le mâle & la femelle de chaque espece, & lorsqu'il y a des différences dans le port des aîles en faire mention, ou composer dans chaque classe des genres particuliers pour les especes de papillon, qui sont dans le cas dont il s'agit.
Les papillons étant sous la forme de chrysalides, ont toutes leurs parties très-molles ; elles nagent, pour ainsi dire, dans une liqueur qui doit les nourrir & fortifier ; il y a des papillons qui ne restent en chrysalides que dix, quinze, vingt jours, &c. d'autres sont en cet état pendant plusieurs mois, & même pendant une année presqu'entiere. Lorsque les parties du papillon ont pris de la solidité dans la chrysalide, il peut facilement déchirer la membrane qui l'enveloppe ; au moindre mouvement qu'il fait au-dedans elle se fend, & le papillon sort par l'ouverture qu'il se fait : plusieurs fentes concourent à former cette ouverture, & se font toujours dans les mêmes endroits. La tête du papillon est la premiere partie qui paroisse hors de la dépouille ; peu-à-peu il s'en retire en entier, mais il lui faut du tems, car il trouve de la difficulté à se dégager des étuis qui enveloppent chaque partie de son corps en particulier, & qui ne laissent pas de l'arrêter, quoiqu'ils soient très-minces.
Le papillon, au sortir de sa dépouille, reste dessus, ou ne s'en éloigne que très-peu ; ce n'est qu'au bout d'un quart-d'heure ou d'une demi-heure que ses aîles ont toute leur grandeur ; elles sont d'abord extrêmement petites, sans former aucun pli sensible ; elles n'ont que la cinquieme ou la sixieme partie de l'étendue qu'elles doivent prendre, mais elles sont fort épaisses ; à mesure qu'elles s'étendent, leur épaisseur diminue ; durant cette opération les aîles se contournent en differens sens, & paroissent difformes ; l'insecte les agite de tems-en-tems, & les fait frémir avec vîtesse : ce chiffonnement & cette difformité ne sont que passagers ; en un quart d'heure ou une demi-heure la forme des aîles est réguliere, & l'étendue complete . On peut accélerer cette opération en tirant doucement avec les doigts en differens sens l'aîle d'un papillon qui vient de quitter ses dépouilles ; on amincit & on aggrandit cette aîle en un instant. Lorsque cet agrandissement se fait avec le tems nécessaire, l'aîle se séche & se durcit ; elle se durciroit même sans s'aggrandir, si elle trouvoit des obstacles, & ne pourroit plus s'aggrandir après : c'est ce qui arrive aux papillons, dont l'aîle reste pendant quelque-tems en partie engagée dans la dépouille ; la portion de l'aîle qui est exposée à l'air hors de la dépouille, se chiffonne en s'étendant, & se séche sans avoir pu se redresser ; elle est difforme pour toujours.
Les papillons qui, sous la forme de chrysalide, sont renfermés dans des coques de soie, ou de quelqu'autre matiere difficile à rompre, ont plus de peine à sortir de cette coque, qu'à se débarrasser de leur enveloppe qui est au-dedans de la coque, & dont il a déja été fait mention sous le nom de dépouille. Par exemple, il n'est pas possible que le papillon du ver à soie perce le cocon qui est composé d'un tissu de soie, en le comprimant ou en le frappant avec sa tête ; cependant il n'a ni dents, ni serres pour le déchirer : on a cru que ce papillon commençoit par humecter avec une liqueur qui sortoit de sa bouche l'endroit qu'il avoit à enfoncer avec sa tête ; mais on sait que d'autres papillons, qui ont aussi des coques de soie à percer, ne les humectent pas. M. de Réaumur a soupçonné que ces papillons liment la coque avec leurs yeux, qui en effet sont taillés à facettes, comme une sorte de lime. Il y a des coques qui sont naturellement ouvertes par un bout comme une nasse.
Les femelles des papillons, comme celles de presque tous les autres insectes, sont plus grosses que les mâles ; le corps de ceux-ci est plus petit & plus éfilé, & leur partie postérieure est plus pointue. Ces différences sont plus sensibles dans les phalenes que dans les autres papillons ; il y a des phalenes femelles, dont le corps est une fois plus long que celui des mâles, & encore plus gros à proportion de la longueur ; mais la plûpart des papillons, soit mâles, soit femelles, se ressemblent à-peu-près pour les couleurs des aîles.
Les femelles de quantité de genres de phalenes ne vivent que peu de tems ; elles fécondent leurs oeufs par l'accouplement ; elles pondent, & elles meurent sans avoir pris de nourriture ; aussi n'ont-elles ni trompe, ni autres organes pour prendre des alimens. Les papillons du ver à soie sont un exemple de ceux qui perpétuent leur espece sans prendre de nourriture. Les papillons femelles des chenilles à oreilles du chêne, ne volent jamais quoiqu'elles aient de grandes & belles aîles ; elles marchent au sortir de leur fourreau ; mais elles ne vont pas loin, car elles sont lourdes & pesantes : elles restent à deux ou trois piés au plus de distance de leur dépouille, & attendent le mâle, qui, au contraire, est fort vif ; il vole continuellement, mais dès qu'il rencontre une femelle ; il se place ordinairement à son côté droit, de façon que les parties postérieures de leurs corps soient aussi à côté l'une de l'autre ; le mâle allonge & recourbe l'extrémité de cette partie pour la joindre à celle de la femelle : l'accouplement dure souvent une demi-heure, & même quelquefois une heure. La femelle ne s'accouple ordinairement qu'une fois ; peu de tems après elle commence sa ponte ; mais le mâle s'accouple plusieurs fois. Les papillons des vers à soie sont posés dans l'accouplement, de façon qu'ils se trouvent sur une même ligne, ayant les têtes tournées vers des côtés diamétralement opposés, & ne se touchent que vers la partie postérieure de leur corps ; le mâle agite ses aîles avec vîtesse à diverses reprises. Des papillons d'autres especes qui s'accouplent de la même maniere restent toujours tranquilles : il y en a qui se posent sur le corps de la femelle, & il arrive qu'elle prend son essor, & qu'elle emporte le mâle pendant l'accouplement. D'autres sont placés de façon que leur corps fait un angle avec celui de la femelle, &c.
Les oeufs des papillons ont différentes formes ; ceux de la plûpart sont ronds ou arrondis ; il y en a d'applatis, de sphéroïdes, de cylindriques, de coniques, de cannelés, &c. On en voit qui ressemblent à des segmens de sphere, à des barrillets, des timbales ou marmites sans piés, &c. leur couleur est ordinairement blanchâtre ou jaunâtre ; il y en a aussi de plusieurs autres couleurs, & qui changent de couleurs en différens tems, & même de forme & de grandeur ; ces changemens sont causés par ceux qui arrivent à la petite chenille qui est dans l'oeuf. Presque tous les papillons déposent leurs oeufs sur la plante qui peut fournir une bonne nourriture aux chenilles qui en doivent sortir ; on a remarqué qu'ils ne prennent pas tant de précautions pour les chenilles qui marchant aisément peuvent aller chercher leur nourriture au loin. Quelques papillons dispersent leurs oeufs sur les feuilles des plantes ; il y en a qui les arrangent les uns contre les autres en forme de plaques ; ces oeufs sont attachés par une couche de colle dont ils sont enduits en sortant de l'ovaire ; on en voit qui sont enchâssés dans cette colle ; par exemple, ceux qui sont rangés autour d'une petite branche d'arbre en forme de bague ou de brasselet, qui est composée de plusieurs rangs ; on y a compté depuis 300 jusqu'à 350 oeufs. Il y a des papillons qui enveloppent & qui couvrent leurs oeufs de poils pris sur eux-mêmes : ce qu'il y a de singulier, c'est que la partie postérieure de leurs corps leur sert, pour ainsi dire, de main pour placer les oeufs en paquet, pour arracher le poil de leur corps, pour en entourer chaque oeuf, & pour en former sur le tas une couverture, disposée de façon que la pluie coule dessus sans pénétrer jusqu'aux oeufs. Mém. pour servir à l'hist. des insectes, tom. I. & II. Voyez CHENILLE, INSECTE. (I)
PAPILLON, FLEUR EN, (Botan.) les Botanistes appellent fleur en papillon, ou papilionacées, celles qui ont quelque ressemblance à ces insectes lorsqu'il a les aîles étendues. Il y a quatre parties remarquables dans les fleurs en papillon ; le vexillum ou l'étendart, qui est un pétale ou un grand segment droit ; les deux aîles qui forment les côtés ; le carina où est le bassin qui est un pétale ou un grand segment concave ressemblant à la partie inférieure d'un bateau ; ce bassin est quelquefois d'une piece, & d'autres fois il est composé de deux pétales ou segmens, assez fortement attachés l'un à l'autre. De ce genre sont les pois, les fêves, les haricots, la vesce, & les autres plantes légumineuses. (D.J.)
PAPILLON, (Monum. antiq. & Méd.) le papillon est dans les monumens, le symbole de l'ame. On voit à Rome un bas-relief de marbre, représentant un jeune homme étendu sur un lit, & un papillon qui semble, en s'envolant, sortir de la bouche de ce mort, parce que les anciens croyoient aussi-bien que le vulgaire de nos jours, que l'ame sortoit par la bouche ; c'est ce qui fait dire à Homere, au IX. liv. de l'Iliade, que quand l'ame a passé une fois la barriere des dents, elle ne peut plus rentrer.
PAPILLONS, en terme de marchand de modes, sont les extrémités du bonnet qui vont depuis l'oreille jusqu'au bec, plus ou moins en arrondissant, selon la mode & le nom du bonnet.
PAPILLON, le jeu de papillon ; ce jeu n'est pas trop connu à Paris ; il ne laisse pas d'être fort amusant & de demander quelque application ; il est d'un grand commerce. On joue au papillon au-moins trois personnes, & on ne peut guere être plus de quatre. Il faut le jeu de cartes entier ; c'est un désavantage de faire, & c'est toujours la plus basse carte. Celui qui a mêlé les cartes donne trois cartes à chacun & toujours une à une ; quand on joue à trois, comme c'est l'usage le plus ordinaire, on étend & on retourne sept cartes du dessus du talon ; quand on joue à quatre on n'en étend que quatre, afin que le nombre des cartes du talon soit également juste. Après avoir mis au jeu ce qu'on veut jouer, le premier à jouer examine son jeu, & prend sur le tapis les cartes qu'il voit pouvoir convenir avec celles qu'il a.
Il n'y a dans ce jeu que les rois, les dames, les valets & les dix qui puissent être pris, & convenir aux cartes d'une même peinture. Par exemple, les rois par les rois, les dames par les dames, & ainsi du reste.
Cependant, il est de l'habileté du joueur, de prendre par une seule carte plusieurs de celles, qui sont retournées sur le tapis, avec un dix, un quatre, un cinq qui y seroient ; puis qu'outre qu'on leve du jeu plusieurs cartes qui pourroient faire le jeu des autres, on se fait encore un plus grand nombre de cartes qui peuvent servir à gagner les cartes, qui sont payées, comme les joueurs en sont convenus ; mais il n'y a que le premier qui est à jouer qui puisse user de ce droit, sans cela le suivant pourroit s'accommoder des cartes qui sont sur le jeu à votre préjudice, & par préférence.
Une régle générale du jeu de papillon ; c'est que quand c'est à un joueur à prendre, il ne peut le faire à-moins qu'il n'ait dans son jeu une carte qui l'y autorise, & cette carte ne peut prendre du tapis qu'autant de cartes qu'il en faut pour faire le nombre dont elle est. Un huit ne pourroit lever qu'un huit de deux qui seroient sur le jeu ; mais on pourroit prendre deux ou trois cartes avec ce huit, pourvû que leur nombre réuni ne fît pas plus de huit, comme deux trois & un deux, un cinq & un trois, &c. quand on a dans son jeu plusieurs cartes pareilles à celles qui sont sur le tapis, on n'en peut prendre qu'une, & chacun à son tour. Celui qui est en rang pour jouer le premier, n'ayant point dans son jeu de cartes avec lesquelles il puisse en prendre du talon, doit étendre les cartes qu'il a dans la main, & payer au jeu un jetton pour chacun. Quand tous les joueurs se sont défaits de leurs trois cartes, soit par les levées qu'ils ont faites, soit qu'ils aient mis leur jeu bas, ces cartes ne se mêlent plus avec le talon, & restent sur le tapis pour être prises de qui peut s'en accommoder. Celui qui doit faire alors, prend & mêle le talon & donne trois cartes à chacun sans faire couper ; quand le talon est épuisé, & quand toutes les cartes ont été distribuées, celles dont les joueurs ont pû se défaire restant toujours sur le tapis, comme nous l'avons dit, celui qui peut arranger son jeu le premier en jettant ses cartes & en en prenant d'autres sur le tapis, gagne la partie. Si deux joueurs s'en défont dans le même-tems, le plus voisin à gauche de celui qui a donné les cartes gagne par préférence à l'autre, & celui qui a mêlé les cartes gagne de droit devant tous les autres joueurs.
Quant à la façon de payer, nous allons en dire tout ce qui nous sera possible, de plus exact & de plus conforme à l'usage.
Si celui qui étend ses cartes a des as en main, il se fait donner par chaque joueur autant de jettons qu'il avoit d'as. Il en est de même des joueurs qui prennent des as du talon ; ils ont le même droit de se faire payer un jetton chaque as ; mais celui qui en ayant déja un dans sa main en tire un autre du talon, il gagne deux jettons pour chacun. Chaque joueur est obligé de donner quatre jettons à celui qui avec un deux leve deux as du talon, six à celui qui avec un trois leveroit trois as, & huit à celui qui avec un quatre leveroit les quatre as. Un joueur qui auroit trois cartes d'une même maniere & prendroit la quatrieme sur le tapis, gagneroit un jetton de chacun de ses compagnons. Celui qui gagne la partie ou est le dernier à s'étendre, prend pour lui les cartes qui sont sur le tapis & s'en sert à gagner les cartes ; quand il y a cinquante-deux cartes dans le jeu, le jeu est bon quoique ces cartes soient mal assorties. Celui qui a mal donné refait dès qu'on s'en apperçoit, & paye une fiche au jeu ; tout joueur qui joue avant son tour est obligé de s'étendre. Lorsqu'il n'y a plus que trois cartes pour chacun au talon, celui qui fait doit en avertir les joueurs.
On doit toujours favoriser celui qui gagne, en prenant moins de cartes.
PETIT PAPILLON, au jeu de ce nom se dit d'un coup, où un joueur dans le courant de la partie fait ses trois cartes, & gagne un jetton de chacun.
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PAPILLONNÉ | adj. en terme de Blason, se dit d'un ouvrage à écailles ; Arquinvilliers d'hermine, papillonné de gueules.
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PAPILLOTAGE | S. m. terme usité dans l'Imprimerie, ce sont certaines petites taches noires qui se font à peine remarquer, aux extrémités des pages & des lignes ; cela provient souvent d'une platine liée trop lâche, ou du jet trop précipité du tympan, sur-tout si les couplets soit ceux de la frisquette, soit ceux du tympan, sont trop aisés ; le papier épais, lissé ou battu est sujet à papilloter, si on n'y apporte toute l'attention convenable ; la principale est la façon de tremper le papier.
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PAPILLOTE | S. f. terme de Perruquier ; ce sont de petits morceaux de papier, avec lesquels les Perruquiers enveloppent les boucles des cheveux qu'ils ont frisés, afin que ces boucles ne se lâchent point, & qu'elles puissent supporter l'action du fer sans être endommagées par la chaleur.
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PAPILLOTER | défaut d'impression. Voyez PAPILLOTAGE.
La même expression s'employe aussi en peinture ; on dit des ombres & des lumieres, qu'elles papillotent, lorsqu'elles sont distribuées les unes entre les autres par petits espaces, produisant sur un tableau le même effet que les papillotes de papier blanc, éparses sur une tête dont la chevelure est noire.
Si l'on est placé sous un vestibule, au bord duquel il y ait un canal d'eau, éclairé de la lumiere du soleil ; l'image de la surface éclairée de ce canal, portée au plafond du vestibule, le tapissera d'une infinité de petits ronds de lumiere & d'ombre, vacillans & mobiles, comme la surface de l'eau, & fatiguant les yeux ; tel est l'effet d'une peinture qui papillotte.
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PAPIN | MACHINE DE. Voyez DIGESTEUR.
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PAPINIANISTE | S. m. (Gram. Jurisprud.) on appelloit ainsi autrefois ceux qui faisoient leur étude de droit, parce qu'ils s'occupoient cette année à lire les livres de Papinien.
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PAPIO | S. m. (Zoologie) nom donné par les auteurs latins, à ces especes de singes que les Anglois appellent Baboons ; ce sont ceux qui ont de longues têtes de chien avec de longues queues, & qui sont du nombre des cynocephales. (D.J.)
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PAPIRIUS | GROUPPE DE (Sculp. antiq.) fameux grouppe de sculpture antique, qu'on voit peut-être encore à la vigne Ludovèse, & qui représente un événement célébre dans l'histoire romaine, l'aventure du jeune Papirius racontée par Aulu-Gelle, liv. I. ch. ij.
Tout le monde sait, dit M. l'abbé du Bos, que cet enfant étant un jour demeuré auprès de son pere durant une assemblée du sénat, sa mere lui fit plusieurs questions à la sortie, pour savoir ce qui s'y étoit dit, chose qu'elle n'esperoit pas apprendre de son mari ; cependant elle ne put jamais tirer de son fils qu'une réponse, laquelle ne lui permettoit pas de douter, qu'il n'éludât la curiosité. Le sénat, répondit-il constamment, a délibéré, si l'on donneroit deux femmes à chaque mari, ou deux maris à chaque femme ; c'est cet incident qui a donné lieu au proverbe latin, curiae capax praetexta, qu'on employe en parlant d'un enfant qui a beaucoup plus de discrétion qu'on n'en doit avoir à son âge.
Aucun sentiment ne fut jamais mieux exprimé que la curiosité de la mere du jeune Papirius. L'ame de cette femme paroît être toute entiere dans ses yeux, qui percent son fils en le caressant. L'attitude de toutes les parties de son corps, concourt avec ses yeux, & donne à connoître ce qu'elle prétend faire. D'une main elle caresse son fils, & l'autre main est dans la contraction ; c'est un mouvement naturel à ceux qui veulent réprimer les signes de leur inquiétude prêts à s'échapper. Le jeune Papirius répond à sa mere avec une complaisance apparente ; mais il est sensible, que cette complaisance n'est qu'affectée. Quoique son air de tête soit naïf, quoique son maintien paroisse ingénu, on devine à son sourire malin, qui n'est pas entierement formé, parce que le respect le contraint, comme au mouvement de ses yeux sensiblement gêné, que cet enfant veut paroître vrai, mais qu'il n'est pas sincere ; on voit qu'il promet de dire la vérité, & on voit en même-tems qu'il ne la dit pas. Quatre ou cinq traits que le sculpteur a su placer sur son visage, je ne sais quoi qu'on remarque dans l'action de ses mains, démentent la naïveté & la sincérité qui paroissent d'ailleurs dans son geste & sur sa physionomie. (D.J.)
PAPIRIUS AGER, (Géog. anc.) territoire d'Italie, aux environs de Tusculum. Festus pense que ce territoire pourroit avoir donné le nom à la tribu Papirienne.
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PAPISME | PAPISTE, s. m. (Gram. & Hist. mod.) nom injurieux que les Protestans d'Allemagne & d'Angleterre donnent au Catholicisme & aux Catholiques romains, parce qu'ils reconnoissent le pape comme chef de l'Eglise.
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PAPO | (Hist. nat. Botan.) arbre des Indes orientales, il est de moyenne hauteur ; ses feuilles ressemblent à celles du figuier. Son fruit sort comme le coco du haut du tronc, immédiatement au-dessous des branches ; il a la forme d'une figue, mais est beaucoup plus gros ; il est divisé par côtes comme certains melons du goût desquels sa chair approche.
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PAPOAGE | S. m. biens qui viennent du pere ou de l'ayeul, en général les biens qui viennent par droit de parenté. Papoage vient de , ayeul.
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PAPOUL | SAINT (Géog. mod.) en latin du moyen âge, Sancti Papuli fanum ou Pappulum, & quelquefois Pappolum ; petite ville de France dans le haut-Languedoc, avec un évêché suffragant de Toulouse, érigé en 1317. Elle est sur la Lembe, à 12 lieues S. E. de Toulouse, 3 E. de Castelnaudari, 6 N. O. de Carcassonne, 164 de Paris. Long. 19. 46. lat. 43. 20.
Le pape Jean XXII. érigea en évêché l'an 1317. l'abbaye de S. Papoul, qui n'avoit été qu'une simple paroisse dans son origine : il y nomma pour premier évêque Bernard de la Tour, qui étoit alors abbé ; voulant que son successeur à cet évêché fut elû par les religieux de l'abbaye, & par les chanoines de l'église de Castelnaudari, qu'il avoit aussi érigée en collégiale. L'évêché de S. Papoul vaut environ trente mille livres, & comprend seulement cinquante-six paroisses.
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PAPOUS | LA TERRE DES (Géog. mod.) on nomme ainsi du nom de ses habitans, la nouvelle Guinée. Voyez GUINEE.
Ce pays des Papous ou Papouas, découvert, diton, par Saavedra, paroît être une des parties des plus méridionales des terres Australes. Selon le Maire, les Papous sont très-noirs, sauvages & brutaux ; ils portent des anneaux aux deux oreilles, aux deux narines, & quelquefois aussi à la cloison du nez, & des bracelets au-dessus des coudes & aux poignets ; ils se couvrent la tête d'un bonnet d'écorce d'arbre peinte de différentes couleurs ; ils sont puissans & bien proportionnés dans leur taille ; ils ont les dents noires, assez de barbe, les cheveux noirs, courts & crêpus, qui n'approchent cependant pas autant de la laine que ceux des négres ; ils sont agiles à la course ; ils se servent de massues & de lances, de sabres & d'autres armes faites de bois durs, l'usage du fer leur étant inconnu ; ils se servent aussi de leurs dents comme d'armes offensives, & mordent comme les chiens. Ils mangent du betel & du piment, mêlé avec de la chaux. Les femmes sont affreuses, elles ont de vilains traits, de longues mamelles qui leur tombent sur le nombril, & le ventre extrêmement gros. (D.J.)
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PAPPENHEIM | PIERRE DE (Hist. nat.) ce sont des pierres qui se trouvent en Allemagne dans le comté de Pappenheim. Ces pierres sont blanches, feuilletées & remplies de dendrites : souvent on trouve dans ces pierres des empreintes de poissons & d'écrevisses, qui sont entierement entourées de ces mêmes dendrites, qui forment des buissons tout-autour. Plusieurs de ces poissons ont la tête retournée, ce qui semble annoncer une mort violente ; les arêtes sont d'un brun clair. Les écrevisses qu'on y trouve pétrifiées ont des pattes extrêmement longues. On dit qu'il s'en trouve de semblables dans la mer Adriatique.
PAPPENHEIM, (Géogr. mod.) petite ville d'Allemagne, capitale du comté de même nom, entre Octing & Neubourg, en Franconie ; elle est à sept lieues N. O. de Neubourg, treize S. de Nuremberg. Long. 28. 30. lat. 48. 53. (D.J.)
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PAPPÉUS | (Mythol.) c'est ainsi que les Scythes appelloient leur Jupiter le souverain des dieux, à qui ils donnoient la terre pour femme.
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PAPRIMIS | (Géogr. anc.) ville d'Egypte, capitale du nome Papremite. Mars y avoit un culte particulier, & l'hippopotame y étoit regardé comme un animal sacré.
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PAPYRACÉ | adject. (Conchyl.) épithete qu'on donne à une coquille extrêmement mince, & par-là imitant le papier. Nous n'avons dans nos mers que le seul nautile, qui porte le nom de papyracé ; mais on trouve plusieurs sortes de nautiles dans les mers des Indes. Voyez NAUTILE.
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PAPYRACEA | ARBRE, (Botanique) il y a plusieurs palmiers des Indes & d'Amérique, ainsi nommés par nos Botanistes, parce que les Indiens écrivent avec des poinçons sur les feuilles, ou l'écorce de ces sortes d'arbres, qui leur servent de papier ; tel est le palmier d'Amérique nommé tal par les Indiens ; tel est encore le guajaraba de la nouvelle Espagne, & autres ; tout palmier dont l'écorce est lisse, ou dont la feuille est grande & épaisse, peut servir au même usage. Le papier du Japon est fait de la seconde écorce du roseau des Indes nommé bambou, ou de l'écorce d'un mûrier blanc. On peut très-bien écrire sur l'une & l'autre écorce, avant qu'elles soient réduites en papier fin. (D.J.)
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PAPYRUS | S. m. (Botan.) plante appellée papyrus nilotica, par Gerard 37. Emac. 40. Papyrus nilotica, Berd Aegyptiis dicta ; Biblos syriaca quorumdam, Chab. 195. Papyrus Aegyptiaca, C. B. P. 119. Papyrus antiquorum nilotica, Parck. Théat. 1207. Morisson a rangé le papyrus avec raison, parmi les souchets, & l'a nommé cyperus niloticus, maximus, papyraceus, hist. Oxon. 3. 239.
Enfin comme les modernes ont fait de nouvelles découvertes en ce genre, il n'est pas possible de les supprimer ; c'est pourquoi je parlerai dans cet article du papyrus d'Egypte, du papyrus de Sicile, & du papyrus de Madagascar, trois plantes différentes, sur lesquelles j'emprunterai les recherches de M. Bernard de Jussieu, insérées par M. le comte de Caylus, dans son excellente dissertation sur le papyrus en général. Ce morceau curieux & intéressant pour les arts, se trouve dans les mém. de Littérat. t. XXVI. in -4°. Voyez aussi SCIRPUS, Botan.
Mais avant que d'entamer la description du papyrus d'Egypte, il est naturel de dire un mot de l'opinion assez généralement reçue dans l'Europe sur la perte de cette plante. On n'a pas besoin de nouvelles preuves pour savoir que les bruits populaires ne sont pas toujours fondés sur les possibilités physiques ; mais en supposant cette perte possible, on ne pourroit au moins la faire remonter fort haut, car il n'y a pas encore deux cent ans que Guillandin & Prosper Alpin observerent cette plante sur les bords du Nil, & que Guillandin vit les habitans du pays en manger la partie inférieure & succulente de la tige, comme on le pratiquoit anciennement ; particularité qui peut servir à nous faire reconnoître le papyrus, & dont il ne paroît pas que les voyageurs aient profité. Cet usage, & ceux qui sont rapportés par Prosper Alpin, nous apprennent que cette plante n'est pas tout-à-fait inutile, quoiqu'elle ait perdu son principal mérite en cessant d'être employée à la fabrique du papier.
Les changemens survenus dans le terrein de l'Egypte, & les soins des habitans pour profiter des terres qui peuvent être cultivées, ont rendu vraisemblablement la plante du papyrus moins commune ; mais les causes qui peuvent être admises à l'égard de quelques parties du pays, n'ont pû occasionner la destruction entiere du papyrus, d'autant plus qu'étant du nombre des plantes aquatiques, il est à l'abri d'un semblable événement. Le silence des auteurs les plus récens qui ont écrit sur l'Egypte, ne peut être avancé comme une preuve de la destruction entiere du papyrus ; on peut dire pour les excuser, qu'ils ne s'étoient pas proposé cet objet dans leurs recherches, ou que n'étant pas assez instruits, ils l'ont négligé ; mais il est étonnant que M. Maillet, homme de lettres, qui paroît même avoir fait des recherches à ce sujet, n'ait pû découvrir le papyrus, & qu'il l'ait confondu avec le musa, connu en françois sous le nom de figuier d'Adam, & que les Arabes appellent mons, plante qui est très-différente, ce dont il devoit s'appercevoir en lisant Théophraste ou Pline.
Le papyrus, dit Pline, croît dans les marais d'Egypte, ou même au milieu des eaux dormantes, que le Nil laisse après son inondation, pourvû qu'elles n'aient pas plus de deux coudées de profondeur. Il jette une racine tortueuse & de la grosseur du poignet ; sa tige est triangulaire, & ne s'éleve pas à plus de dix coudées ; Prosper Alpin ne lui donne que six ou sept coudées au-dessus de l'eau. Sa tige va toujours en diminuant, & aboutit en pointe. Théophraste ajoute que le papyrus porte une chevelure, un panache, qui forme le thyrse dont parle Pline. Guillandin dit que la racine du papyrus jette à droite & à gauche quantité d'autres petites racines qui soutiennent la plante contre l'impétuosité du vent & le cours du Nil. Selon lui les feuilles de cette plante sont obtuses, & semblables à celles du typha de marais.
Les Egyptiens employoient les racines du papyrus pour du bois non-seulement à brûler, mais encore propre à fabriquer différens vases à leurs usages. De la tige du papyrus entrelacée en façon de tissu, ils construisoient des barques ; & de l'écorce intérieure ou liber, ils faisoient pareillement des voiles, des habillemens, des couvertures de lits & des cordes.
Ces barques ressembloient par leur construction à de grands paniers, dont le tissu devoit être fort serré ; & pour empêcher l'eau de les pénétrer, il faut supposer qu'elles étoient enduites au moins à l'extérieur d'une couche de résine, ou de bitume ; ce qui les mettoit en état de servir à la navigation sur le fleuve, ou plutôt sur son inondation. Le panier dans lequel Moïse enfant, fut exposé, paroît appuyer & confirmer le texte de Théophraste. Cependant quoique Pline parle de navis papyracea, il ne faut pas croire que les vaisseaux fussent faits en entier ex papyro ; c'étoit seulement de petites barques ou canots, dont même une partie étoit de bois d'épine. Les anciens Egyptiens prétendoient que les crocodiles, par respect pour la déesse Isis, qui s'étoit mise une fois sur une barque de papyrus, ne faisoient jamais de mal à ceux qui navigeoient sur des barques de ce roseau.
Le papyrus étoit encore une plante médicinale dont on faisoit usage dans quelques maladies, si nous en croyons Dioscoride. Elle servoit aussi de nourriture aux pauvres gens qui mâchoient le papyrus crud ou cuit, en avaloient le suc, & jettoient le reste : mundum quoque crudum, decoctumque, succum tantùm devorantes, dit Pline : Guillandin nous apprend positivement quelles étoient les parties de cette plante dont les Egyptiens avaloient le suc. Il ne faut pas, dit-il, s'imaginer que les Egyptiens mangent la tige entiere, je les ai vû ne manger que les parties les plus proches de la racine.
Ce récit de Guillandin est conforme au témoignage d'Hérodote ; quand les Egyptiens, dit-il, ont coupé le biblus d'un an, ils coupent la partie supérieure qu'ils employent à différens usages ; ils mangent ou vendent la partie inférieure de la longueur d'une coudée : ceux qui veulent rendre le mets plus délicat, le font rôtir au four ; aussi Dioscoride & Pierius Valerianus se trompent, quand ils disent que l'on mange les racines : la partie du papyrus que mangent les Egyptiens est hors de la terre ; elle est tendre, & pleine d'un suc abondant & agréable ; les Egyptiens l'appellent astus. Eschyle donne à la tige entiere le nom de , c'est-à-dire fruit. Guillandin rapporte encore d'après Horus Apollo, que les Egyptiens exprimoient dans leurs hiéroglyphes l'ancienneté de leur origine par un fagot de papyrus, comme leur premiere nourriture ; on ignoroit en quel tems leurs ancêtres avoient commencé à en manger.
Enfin, & c'est ici le principal usage de cette plante, on faisoit avec les membranes ou les pellicules du papyrus, les feuilles à écrire qu'on nommoit , ou philyria. On les appelloit aussi en grec , & en latin charta ; car les auteurs entendent ordinairement par charta, le papier d'Egypte.
Le papyrus ne portoit point de graine, ni de fruit, mais ce roseau croissoit en si grande quantité sur les bords du Nil, que Cassiodore, liv. XI. ép. 38. la compare à une forêt. Là, dit-il, s'éleve cette forêt sans branches, ce bocage sans feuilles, cette moisson qui croît dans les eaux, aquarum seges, ces ornemens des marécages.
Prosper Alpin est le premier qui nous ait donné une figure du papyrus, que les Egyptiens appellent berd. Quelque mauvaise qu'on puisse la supposer, elle paroît néanmoins convenir à la description de la plante dont parle Théophraste.
Les Botanistes anciens avoient placé le papyrus parmi les plantes graminées ou les chiendents, ignorant à quel genre il devoit appartenir ; ils se sont contentés de le désigner sous le nom ancien de papyrus, dont ils ont fait deux especes, l'une d'Egypte, l'autre de Sicile. Les nouveaux ont cru reconnoître que ces deux plantes étoient une seule & même espece de cyperus ; c'est sous ce genre qu'on la trouve dans les catalogues & histoires des plantes, publiées après l'édition de Morisson, où le papyrus est nommé cyperus niloticus, vel syriacus maximus papyraceus.
En décrivant cette plante, il dit qu'on conserve dans le cabinet de Médecine à Oxford parmi d'autres curiosités, un grand morceau de la tige du papyrus. On a cru aussi reconnoître dans l'ouvrage de Scheuchzer sur les chiendents, les joncs, & les autres graminées, une description du panache que porte le papyrus ; elle est sous la dénomination suivante : cyperus enodis nudus, culmis ervaginis brevibus prodeuntibus, spicis tenuioribus.
Un des pédicules qui soutiennent les épis des fleurs, est représenté à la Planche VIII. fig. 14. Cet auteur a consideré le panache comme formant la plante entiere prise au-dessus de la racine, & les longs pédicules qui portent les épis comme autant de tiges particulieres. Ce panache paroît être celui du papyrus siciliana, que les Botanistes modernes ne distinguent pas du papyrus nilotica. M. Van-Royen a inséré dans le catalogue des plantes du jardin de Leyde le papyrus, & le nomme cyperus culmo triquetro nudo, umbella simplici foliosa, pedunculis simplicissimis distinctè spicatis. M. Linnaeus l'appelle de même.
Dans les manuscrits qui nous restent d'après les lettres & les remarques de M. Lippi, médecin de la faculté de Paris, qui accompagnoit M. du Roule, envoyé du roi Louis XIV. à l'empereur d'Abyssinie, on trouve la description d'un cyperus qu'il avoit observé sur les bords du Nil en 1704. Après avoir parlé des fleurs, il dit que plusieurs épis couverts de quelques jeunes feuilles, sont portés sur un pédicule assez long, & que plusieurs de ces pédicules également chargés venant à se réunir, forment une espece de parasol ; le disque de ce parasol est environné de quantité de feuilles qui couronnent la tige sur laquelle il porte ; la tige est un prisme fort long, dont les angles sont un peu arrondis, & les feuilles représentent parfaitement une lame d'épée, non pas de celles qui font la gouttiere, mais de celles dont le plus grand côté soutient une cannelure. Les racines sont noires & chevelues : il nomme cette plante cyperus niliacus major, umbella multiplici.
Le même Lippi en avoit remarqué une autre espece qui ne s'éleve pas aussi haut, dont la tige & les feuilles étoient les mêmes, & dont les épis formoient plutôt une espece de tête qu'une ombelle ; cette tête étoit fort douce, luisante, & comme dorée, riche, & fort chargée ; elle pose sur de longs pédicules, dont la base se réunit en parasol : il l'appelle cyperus niliacus major, aurea divisa panicula. Ces deux sortes de cyperus ont entr'elles une ressemblance marquée par leurs feuilles, leur tige, le panache en parasol qui les couronne, & les lieux marécageux où elles croissent. La seule différence consiste dans la forme des épis, ce qui sert à les distinguer l'une de l'autre : toutes deux ont quelque rapport avec le papyrus & le sari, tels qu'ils sont décrits par les anciens auteurs ; la premiere pourroit être le papyrus, & la seconde le sari ; mais ce n'est-là qu'une conjecture.
Le papyrus qui croissoit dans le milieu des eaux, ne donnoit point de graines ; son panache étoit composé de pédicules foibles, fort longs, semblables à des cheveux, comâ inutili exilique, dit Théophraste. Cette particularité se montre également dans le papyrus de Sicile ; nous la connoissons encore dans une autre espece de papyrus apportée de Madagascar par M. Poivre, correspondant de l'académie royale des Sciences. Les panaches de l'une & l'autre espece que nous avons, sont dépourvus d'épis, de fleurs, & par conséquent stériles. Bodaeus à Stapel, dans ses commentaires sur Théophraste, a fait représenter la tige & le panache du papyrus en cet état, & le dessein en avoit été envoyé d'Egypte à Saumaise.
Si le papyrus de Sicile dont il s'agit de parler présentement, a été de quelque usage chez les Romains, c'est ce que nous ignorons ; il est nommé papero en Italie, & selon Césalpin pipero : on en trouve la description dans les adversaria de Lobel, qui l'a pris pour le papyrus du Nil. Césalpin dans son ouvrage sur les plantes, n'a pas non plus oublié de le décrire. Ce papyrus de Sicile étoit cultivé dans le jardin de Pise, & n'étoit point le papyrus apporté d'Egypte. Voici la description de Césalpin lui-même.
Le papyrus, dit-il, que l'on nomme vulgairement pipero en Sicile, pousse des tiges plus longues & plus grosses que celles du souchet, cyperus, hautes quelquefois de quatre coudées & à angles obtus : elles sont garnies à leur base de feuilles courtes qui naissent de la racine ; on n'en voit aucune sur la tige lors même qu'elle est entierement développée ; mais elle porte à son sommet un large panache qui ressemble à une grosse touffe de cheveux épars ; il est composé d'un grand nombre de pédicules triangulaires en forme de joncs, à l'extrémité desquels sont placés entre trois petites feuilles, des épis de fleurs de couleur rousse comme dans le souchet. Ses racines sont ligneuses, aussi grosses que celles du roseau, & genouillées ; elles jettent une infinité de branches qui s'étendent obliquement ; par leur odeur & leur saveur, elles approchent de celles du souchet, mais elles sont d'une couleur moins brune ; de leur surface inférieure sortent plusieurs racines menues & fibreuses ; & de la supérieure s'élevent des tiges nombreuses, qui tant qu'elles sont tendres, contiennent un suc doux. Cette plante a été apportée des marais de Sicile dans le jardin de Pise : venit in hortum pisanum ex Siciliae palustribus. Théophraste décrit deux plantes, différentes seulement par leur grandeur, qui ont du rapport avec notre papyrus ; savoir le papyrus & le sari. L'auteur copie ensuite le texte de Théophraste, & donne par extrait celui de Pline, & ce que les anciens ont dit des usages que le papyrus avoit en Médecine.
Le panache du papyrus de Sicile est assez bien représenté, quoique fort en raccourci, dans la seconde partie du Musaeum de Boccone. Ce panache est une touffe ou assemblage d'une très-grande quantité de longs pédicules fort minces, qui naissent d'un même point de division, disposés en maniere de parasol, & qui portent à leur extrémité supérieure trois feuilles longues & étroites, du milieu desquelles sortent d'autres pédicules plus courts, chargés vers le haut de plusieurs paquets, ou épis de fleurs. Micheli, dans ses nova plantarum genera, imprimés à Florence en 1728, a fait graver un de ces longs pédicules de grandeur naturelle ; il est d'abord enveloppé à la base par une gaine qui a un pouce & plus de longueur ; ensuite vers son extrémité supérieure, il supporte trois feuilles longues & étroites, & quatre pédicules où sont attachés les paquets de fleurs ; chaque pédicule de fleurs a aussi une très-petite graine à la base. Enfin, on trouve dans l'agrostographia de Scheuchzer, une description fort détaillée du panache d'une espece de cyperus, qui paroît être celui de la plante de Sicile.
On peut conclure de cet exposé, que le papyrus de Sicile est à peu de chose près, bien connu en Botanique ; il seroit à souhaiter qu'on eût autant de connoissances sûres à l'égard du papyrus d'Egypte. Néanmoins il faut avouer que ces deux plantes ont entr'elles une très-grande affinité, puisqu'on les a souvent confondues, ainsi que le sari & le papyrus nilotica, qui suivant Théophraste, ont un caractere de ressemblance bien marqué, & ne different seulement qu'en ce que le papyrus pousse des tiges fort hautes & fort grosses, qui étant divisées en lames minces, servent à la composition des feuilles de papier ; & que le sari au contraire a ses tiges plus menues, & moins élevées, dont on ne peut faire usage pour la fabrique du papier.
Le papyrus de Sicile vient aussi dans la Calabre & dans la Pouille ; mais on ne doit pas le confondre avec le papyrus qu'on employoit anciennement pour faire le papier ; car, selon Strabon, le papyrus ne croissoit que dans l'Egypte & dans l'Inde, in Aegypto & sola India. La plûpart des botanistes ont cru que la plante de Sicile étoit le sari dont parle Théophraste ; d'autres ont avancé que le papyrus d'Egypte & le sari, étoient une même plante considerée seulement en deux états différens, & relativement à leur plus ou moins de grandeur ; ce qui selon eux, pouvoit dépendre de la qualité du terrein, & de la différence du climat, ou d'autres accidens ; les piés qui croissoient au milieu des eaux, ayant des tiges plus hautes, plus grosses, & un panache en forme d'une touffe de cheveux très-longs, foibles, & sans aucunes graines ; pendant que d'autres piés qui naissoient sur le bord des rivieres, des marais, ou des lacs, portoient des tiges plus basses, plus grêles, & un panache moins long, moins foible, chargé de fleurs & de graines par conséquent.
Ces sentimens offrent néanmoins des difficultés insurmontables ; & l'on peut prouver que la différence du papyrus d'Egypte & du sari, ne dépendoient ni du climat, ni de la qualité du terrein ; on tiroit du papyrus des lames minces, dont on fabriquoit ensuite le papier ; on ne pouvoit pas employer le sari à cet usage. Le papyrus de Sicile ne sauroit semblablement être confondu avec le papyrus des anciens, qui ne venoit que dans l'Egypte ou dans l'Inde.
Enfin, le papyrus de Sicile n'a commencé à être connu des Botanistes que vers les années 1570, 1572, & 1583, tems où ont paru les premieres éditions des ouvrages de Lobel, de Guillandin, & de Césalpin. Il paroît clairement que les anciens n'ont eu aucune connoissance de cette plante. Pline n'en fait aucune mention dans ses livres sur l'Histoire naturelle, ce qui montre que cette plante n'étoit pas en usage à Rome, ni même dans le pays où elle vient naturellement. Il suit encore de son silence à cet égard, qu'il n'avoit pas vu la plante de Sicile ; car il auroit été frappé par la ressemblance qu'elle a avec le papyrus du Nil & le sari, tels que les a décrits Théophraste. Enfin, si Pline eut connu cette plante, il n'auroit pas manqué dans les chapitres où il traite à fond du papyrus du Nil & du sari, de nous apprendre tout ce qu'il auroit pû appercevoir de conforme entre ces différentes plantes.
Parmi plusieurs plantes desséchées en herbier, & recueillies dans les Indes orientales par M. Poivre, il s'est trouvé une espece de papyrus, fort différente de la plante de Sicile : il porte un panache composé d'une touffe considérable de pédicules très-longs, foibles, menus, & délicats comme de simples filets, terminés le plus souvent par deux ou trois petites feuilles très-étroites, mais entre lesquelles on n'apperçoit aucuns épis ou paquets de fleurs ; ainsi le panache auroit été stérile, & n'auroit produit aucunes graines.
Ces pedicules ou filets sont chacun garnis à leur base d'une gaîne membraneuse, assez longue, dans laquelle ils sont pour ainsi dire emboîtés, & ils naissent tous du même point de division en forme de parasol ; le panache est à sa naissance environné de feuilles disposées en rayons, en maniere de couronne. La tige qui le soutenoit, étoit, suivant le rapport de M. Poivre, haute de dix piés & plus, lorsqu'elle croissoit dans l'eau à la profondeur d'environ deux piés, & de forme triangulaire, mais à angles fort mousses ; par sa grosseur elle imitoit assez bien un bâton, qu'on peut entourer avec la main plus ou moins exactement.
Sa substance intérieure quoique moëlleuse, pleine de fibres, étoit solide, de couleur blanche ; par ce moyen, la tige avoit un certain degré de force, & elle résistoit à de petits efforts ; on la plioit sans la rompre, on pouvoit encore s'en servir en guise de canne, étant fort légere ; le même M. Poivre n'en porta point d'autre pendant plusieurs mois de séjour à Madagascar ; cette tige n'est pas dans toute sa longueur également grosse, elle diminue insensiblement de grosseur vers le haut, elle est sans noeuds, & fort lisse ; lorsque cette plante croît hors de l'eau dans les endroits simplement humides, elle est beaucoup plus petite, ses tiges sont fort basses, & le panache qui le termine, est composé de filets ou pédicules plus courts, lesquels, à leur extrémité supérieure, sont partagés en trois feuilles fort étroites, & un peu plus longues que celles qui sont à l'extrémité des filets du panache de la plante, qui a crû dans le milieu des eaux.
De la base de ces trois feuilles, sortent des petits paquets de fleurs rangées de la même façon que celles du souchet ; mais ces petits paquets ne sont point élevés sur des pédicules ; ils occupent immédiatement le centre des trois feuilles entre lesquelles ils sont placés, & y forment une petite tête. Les feuilles qui naissent de la racine & au-bas des tiges, ressemblent à celles du souchet ; cette plante que les Malgaches nomment sanga-sanga, vient en grande abondance dans les rivieres & sur leurs bords, mais particulierement dans la riviere de Tartas, auprès de Foule-Pointe, à Madagascar. Les Malgaches employent l'écorce des tiges pour faire leurs nattes ; ils en font aussi les voiles & les cordages de leurs bâteaux de pêche, & des cordes pour leurs filets.
Cette espece de papyrus jusqu'ici inconnue, & différente du papyrus de Sicile par la disposition de ses paquets de fleurs, nous montre qu'il y a parmi les especes de cyperus, deux sortes de plantes qui peuvent aisément se confondre avec le papyrus des Egyptiens ; soit qu'on les considere du côté des usages particuliers auxquels les habitans des lieux où elles croissent les ont destinées ; soit qu'on compare leur forme, leur maniere de croître, & tous les points par lesquels elles paroissent se ressembler : comparaison qui peut se faire par le moyen des traditions, telles qu'on les a dans Théophraste & dans Pline, & encore à l'aide de la figure & de la description du papyrus du Nil, que Prosper Alpin a données, après l'avoir observé sur les lieux ; mais si l'on a égard au témoignage de Strabon, qui papyrum non nisi in Aegypto & solâ Indiâ gigni pro constanti affirmat, on ne sera pas éloigné de croire que le papyrus de l'île de Madagascar, située à l'entrée de l'Inde, pourroit être le même que celui de l'Egypte.
Quoi qu'il en soit, les habitans de cette île n'en savent tirer aucun profit, tandis que les Egyptiens ont immortalisé leur papyrus par l'art d'en faire ce papier célebre, quo usu maximè humanitas, vita constat & memoria, pour me servir des termes de Pline. Voyez donc PAPIER D'EGYPTE, Arts anciens. (D.J.)
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PAQUAGE | S. m. (Négoce de saline) ce terme se dit de l'arrangement qui se fait du poisson salé dans les gonnes, hambourgs, barrils, & autres futailles, en y foulant le poisson & le pressant bien fort, pour y en faire entrer le plus qu'il est possible.
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PAQUÉ | HARANG, (Commerce) c'est du harang arrangé & mis par lits dans un barril ; ce qui le distingue du harang en vrac, qui est bien enfermé dans des barrils, mais qui n'y est pas arrangé.
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PAQUE DES JUIFS | (Critiq. sacrée) dans la vulgate pascha, en chaldaïque phase, mot qui signifie passage. Cette fête fut établie en mémoire du passage de la mer Rouge, & de celui de l'ange exterminateur, qui tua tous les premiers-nés des Egyptiens, & épargna toutes les maisons des Israélites marquées du sang de l'agneau, est enim phase, id est transitus Domini, Exod. xij. 11.
Voici les cérémonies prescrites aux Juifs pour la célébration de cette fête : dès le dixieme jour du premier mois, qui s'appelloit Nisan, ils choisissoient un agneau mâle & sans défaut qu'ils gardoient jusqu'au quatorze, & ce jour, sur le soir, ils l'immoloient ; & après le coucher du soleil ils le faisoient rôtir pour le manger la nuit, avec des pains sans levain & des laitues sauvages : ils se servoient de pains sans levain, parce qu'il n'y avoit pas de tems pour faire lever la pâte, & sur-tout afin que ce pain insipide les fît ressouvenir de l'affliction qu'ils avoient soufferte en Egypte ; ils y mêloient les laitues ameres, pour se rappeller l'amertume & les angoisses de leur servitude passée.
On leur ordonna de manger un agneau tout entier dans une même maison, ayant les reins ceints, des souliers aux piés & un bâton à la main, c'est-à-dire en posture de voyageurs prêts à partir ; mais cette derniere cérémonie ne fut d'obligation que la nuit de la sortie d'Egypte. On teignoit du sang de l'agneau immolé le haut & les jambages de chaque maison, afin que l'ange exterminateur voyant ce sang, passât outre, & épargnât les enfans des Hébreux.
Enfin ils eurent ordre d'immoler chaque année un agneau mystérieux & d'en manger la chair, afin de conserver la mémoire du bienfait de Dieu, & du salut qu'ils recevoient par l'aspersion du sang de cette victime. Il leur fut défendu d'user du pain levé pendant tout l'octave de cette fête ; & l'obligation de la célébrer étoit telle que quiconque auroit négligé de le faire, étoit condamné à mort. Exterminabitur anima illa de populis suis. Num. ix. 13.
Le mot de pâque signifie dans l'Ecriture 1° la solemnité de pâque, qui duroit sept jours ; 2°. le jour même auquel on immoloit l'agneau le quatorzieme de la lune, Luc xxij. 1 ; 3°. le sabbat qui arrivoit dans la semaine de pâque ou des azymes, ce qui est nommé le parasceve de pâque, Jean xix. 14 ; 4°. l'agneau paschal qu'on immoloit le quatorzieme jour de la lune du premier mois, Luc xxij. 7 ; enfin Jesus-Christ lui-même est appellé notre pâque ou l'agneau paschal, I. Cor. v. 7. (D.J.)
PAQUE DES CHRETIENS, (Critiq. sacrée) la pâque des Chrétiens est la fête qu'ils célebrent tous les ans en mémoire de la résurrection du Christ : on l'appelle pâque à cause de son rapport avec celle des Juifs.
Dans le premier siecle de l'Eglise, les Chrétiens suivoient ordinairement les Juifs pour le tems de la célébration de la pâque : seulement les uns l'observoient le même jour que les Juifs, c'est-à-dire le quatorzieme jour de leur premier mois du printems, appellé Nisan, sur quelque jour de la semaine que tombât ce quatorzieme de la lune, & les autres ne la célébroient que le dimanche d'après. Ceux qui la célébroient le même jour que les Juifs, sans aucun égard au jour de la semaine, prétendoient suivre en cela l'exemple des apôtres saint Jean & saint Philippe, & les autres celui de saint Pierre & de saint Paul, qui avoient toujours, à ce qu'ils disoient, célébré cette fête le dimanche qui suivoit immédiatement le 14 de la lune.
Tandis que ceux de la circoncision qui avoient embrassé le christianisme, & qui pourtant observoient toujours la loi de Moïse, aussi-bien que celle de l'Evangile, entretinrent la communion avec l'Eglise ; cette diversité ne causa point de démêlé. Mais quand ils s'en furent séparés, l'Eglise jugea à propos de s'écarter aussi de leur usage à cet égard ; &, après plusieurs assemblées & plusieurs conciles, on résolut que la pâque ne s'observeroit plus le quatorzieme jour de la lune, comme cela se pratiquoit parmi les Juifs ; mais le dimanche d'après, & tout le monde reçut ce réglement, hormis les Eglises d'Asie, qui prétendoient avoir pour elles l'exemple des apôtres saint Jean & saint Philippe, & le saint martyr Polycarpe qui ne voulut jamais s'en écarter.
Victor, évêque de Rome, les excommunia à cause du refus qu'elles firent de s'y conformer. Tant l'esprit de domination commença promptement à se glisser dans ce siege ! Car ceci arriva dès l'an 197. Mais Irénée & la plûpart des autres chrétiens de ce tems-là blâmerent la conduite de Victor comme téméraire & injuste. Cependant la dispute continua à s'échauffer, & les chrétiens d'Asie qui soutenoient leur ancien usage, quoique traités par les Occidentaux de quartodecimans, parce qu'ils observoient, comme les Juifs, le quatorzieme de la lune, conserverent cet usage, jusqu'à ce qu'enfin au concile de Nicée l'an 325 elles l'abandonnerent ; & cette dispute tomba. Depuis ce tems-là, le premier jour de la semaine, en mémoire de la résurrection de Jesus-Christ arrivée ce jour-là, a toujours été regardé parmi tous les Chrétiens comme le premier de la solemnité de leur pâque.
On a encore beaucoup disputé dans le dernier siecle sur la pâque de Jesus-Christ ; a-t-il mangé l'agneau paschal le même jour que les Juifs, ou même l'a-t-il mangé ? Sans entrer dans ces sortes de discussions qui ne sont point de notre plan, nous nous contenterons de dire que les peres & les auteurs ecclésiastiques ont pensé que Jesus-Christ avoit mangé la pâque le même jour que les Juifs, avant que d'instituer l'Eucharistie qui est la pâque des Chrétiens : cela paroît assez clairement décidé par les textes des trois premiers évangélistes ; & il est aisé d'y rapporter ceux de saint Jean, qui d'abord semblent contraires à ce sentiment, mais qui bien entendus se concilient avec les autres pour établir la même vérité.
Enfin une autre question sur laquelle il y a eu bien de la diversité d'opinions, c'est celle du nombre des pâques que Jesus-Christ a célébrées pendant son ministere. Ce ne sont pas seulement les Valentiniens, qui, au rapport de saint Irénée, croyoient que Jesus-Christ ne célébra que trois pâques depuis son baptême, les autres ont dit quatre pâques, & d'autres ont prétendu qu'il en célébra cinq, & fut crucifié après avoir solemnisé la derniere. La premiere opinion a été suivie par presque tous les anciens ; la seconde est de l'antiquité moyenne ; & la troisieme est des modernes. C'est celle que Scaliger a introduite & défendue. Clément d'Alexandrie, qui a imaginé, comme Tertullien, que notre Seigneur ne prêcha qu'un an, s'est servi, pour le prouver, des paroles d'Isaïe, citées par saint Luc, chap. iv. vers. 19. pour prêcher l'année agréable du Seigneur. D'autres l'ont imité : c'est ainsi qu'une fausse explication d'un passage de l'Ecriture a aveuglé ces savans peres sur le tems de la durée du ministere du Sauveur. (D.J.)
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PAQUEBOT | PAQUET-BOT, PAQUET-BOOT, s. m. (Marine & Commerce) c'est le nom des vaisseaux qui servent au passage de Douvres à Calais, & de Calais à Douvres ; de la Brille à Harwich, & de Harwich à la Brille, d'Angleterre en Espagne, &c. Voyez BOT. (Z)
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PAQUERETTE | S. m. bellis, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons, & dont la couronne est formée de demi-fleurons ; ces fleurons & ces demi-fleurons sont placés sur des embryons, & soutenus par un calice simple & profondément découpé ; les embryons deviennent dans la suite des semences attachées à la couche qui est de forme pyramidale. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PAQUERETTE-MARGUERITE, bellis-leucanthemum, genre de plante qui differe de la paquerette par ses tiges qui sont garnies de branches & de feuilles, du bellidastrum par ses semences qui n'ont point d'aigrettes, & de la marguerite par ses semences plates & comme frangées, & par la couche de la fleur qui est pyramidale. Micheli, nova plantarum genera.
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PAQUET | S. m. (Botan.) Tournefort s'est servi de ce terme, pour exprimer le petit tas de fleurs qui naissent sur l'épi du blé, du chiendent, & autres plantes graminées, parce que leurs fleurs naissent par petits paquets attachés aux dents de la rape de l'épi ; on nomme en latin ces petits paquets, locustae. (D.J.)
PAQUET, s. m. (Commerce) assemblage de plusieurs marchandises qu'on joint, qu'on lie & que l'on enveloppe ensemble ; un paquet d'étoffes, un paquet de bas, un paquet de gants.
Paquet de lettres, ce sont plusieurs lettres missives, soit séparées, soit mises sous une même enveloppe, que l'on met à la poste.
Paquet s'entend aussi du courier qui porte les paquets ; le paquet de Londres, d'Amsterdam n'est pas encore arrivé, pour dire que le courier n'est pas encore venu.
PAQUET, outil d'Arquebusier & autres ouvriers en fer ; c'est une boîte de forte tole qui n'a que trois côtés, dans laquelle on met plusieurs pieces de fer que l'on veut tremper ; on les couvre de suie de cheminée écrasée, & le tout de terre en pâte, puis l'on met cette boîte dans le foyer de la forge, on l'entoure de charbon de bois, & l'on fait bien rougir le tout que l'on jette ensuite dans de l'eau.
PAQUET, terme de Boutonnier, c'est un amas de milanoise, plié sur un moule en touffe, & lié à la bobine, pour servir à des ornemens quelconques. Voyez MOULES.
PAQUET, en terme de Cloutier, d'Epinglier, c'est le nom qu'on donne au fil de fer d'Allemagne. Le paquet n'en contient que cinq livres moins un quart.
PAQUET, dans la pratique de l'Imprimerie, se dit de plusieurs lignes de composition, plus ou moins longues, sans folio & sans signature, liées avec une ficelle, environ de la grandeur d'une page in -8°. ou in -12. & faits de façon qu'ils soient maniables & égaux : il est de bon usage de faire ces sortes de paquets, soit pour serrer, soit pour mettre à part un caractere dont on cesse de se servir : on doit encore supprimer de ces paquets les vignettes, les lettres grises, les fleurons, les titres ou en grosses ou en petites capitales, les lignes de quadrats, & sur-tout séparer le romain de l'italique qui doit être mis en paquet séparé, mais avec les mêmes précautions que le romain.
Aller en paquet se dit des compositeurs, qui font leur composition à-peu-près telle que ci-dessus, c'est-à-dire dispensés des fonctions ordinaires, & qui pour accélerer un ouvrage sont seulement tenus de fournir une quantité de composition, à laquelle le compositeur qui est chargé de mettre en page ajoute les folio & les signatures.
PAQUET, (Reliure) les Relieurs appellent paquet plusieurs volumes tournés tout du même sens & cousus, préparés pour être endossés, & liés ensemble à l'entour, & séparés l'un de l'autre par de petites planches qui en font sortir le dos. On tient ainsi les livres tout le tems qu'on en façonne le dos, depuis qu'ils sont cousus & encartonnés jusqu'à la rognure. Voyez COLLER, TREMPER LES PAQUETS, ENDOSSER.
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PAQUETER | v. act. (Commerce) mettre de la marchandise en paquet. Ce terme est beaucoup moins usité que celui d'empaqueter. Voyez EMPAQUETER.
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PAQUETEURS | S. m. pl. (Commerce) on nomme ainsi en Angleterre ceux qu'on nomme en France emballeurs. Voyez EMBALLEUR. Dict. de comm.
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PAQUETT | ou PAQUERETTE, GRANDE & PETITE, (Mat. méd.) voyez MARGUERITE.
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PAR-DESSUS-DE-VIOLE | S. m. (Lutherie) instrument à cordes & à archet, dont la construction est en tout semblable à celle du dessus-de-viole, au-dessus duquel il sonne la quarte. Voyez VIOLE & la table du rapport de l'étendue des instrumens, & la fig. Pl. XI. de Lutherie, fig. 3.
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PAR-DEVANT | (Charpentier) par-devant & parderriere sont des especes d'entre-toises fort larges qui entretiennent le chassis bas d'une lucarne guitarde, & qui forment une espece de plancher.
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PARA | (Géog. mod.) capitainerie de l'Amérique méridionale au Brésil, sur la riviere des Amazones. Les Portugais y ont bâti une grande ville dont les rues sont bien alignées, les églises belles, les maisons riantes, la plûpart bâties en pierre & en moëllon. Le commerce direct de Lisbonne avec Para d'où il vient tous les ans une flotte marchande, fait la richesse du Portugal.
La latitude de Para, suivant M. de la Condamine, est un degré 28 min. La différence du méridien de Para à celui de Paris est d'environ 3 heur. 42 min. à l'Occident. La déclinaison de l'aiguille aimantée d'un peu plus de quatre degrés Nord-Est. Le pendule fait à Para en 24 heures de tems moyen, 31 ou 32 vibrations plus qu'à Quito, & 50 ou 51 vibrations plus qu'à Pichincha. Il résulte de-là que sous l'équateur deux corps, dont l'un peseroit 1600 liv. & l'autre 1000 livres au niveau de la mer, étant transportés le premier à 1450 toises ; le second à 2200 toises de hauteur, perdroient chacun plus d'une livre de leur poids. Mém. de l'acad. 1745. (D.J.)
PARA, s. m. (Commerce) mesure de contenance dont les Portugais se servent dans les Indes orientales à mesurer les pois, les feves, le ris, les autres legumes secs. Le para pese 22 livres d'Espagne, & c'est la vingt-cinquieme partie du mourais. Voyez MURAIS ou MOURAIS. Dict. de comm.
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PARABOLA | S. f. (Arith. & Alg.) est le nom que Diophante & quelques autres donnent au quotient dans une division. Ce nom n'est plus du tout en usage. Harris. Voyez DIVISION & QUOTIENT.
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PARABOLAN | ou PARABOLAINS, (Hist. ecclés.) nom que les auteurs ecclésiastiques donnent à une espece de clercs, qui se dévouoient au service des malades & spécialement des pestiferés.
On croit que ce nom leur fut donné à cause de la fonction périlleuse qu'ils exerçoient, , car les Grecs appelloient , & les Latins parabolos & parabolarios ceux qui dans les jeux de l'amphithéâtre s'exposoient à combattre contre les bêtes féroces.
Il y a apparence qu'ils furent institués vers le tems de Constantin, & qu'il y en eut dans toutes les grandes églises, sur-tout en Orient. Mais ils n'étoient nulle part en si grand nombre qu'à Alexandrie, où ils formoient un corps de cinq cent personnes. Théodose le jeune l'augmenta encore de cent, & les soumit à la jurisdiction du prefet augustal, qui étoit le premier magistrat de cette grande ville. Cependant ils devoient être choisis par l'évêque, & lui obéir en tout ce qui concernoit le ministere de charité auquel ils s'étoient dévoués. Comme c'étoient pour l'ordinaire des hommes courageux, familiarisés avec l'image de la mort, les empereurs avoient fait des lois extrêmement severes pour les contenir dans le devoir, & empêcher qu'ils n'excitassent des séditions, ou ne prissent part aux émeutes, sur-tout à Alexandrie où elles étoient fréquentes. On voit par le code théodosien que leur nombre étoit fixé, qu'il leur étoit défendu d'assister aux spectacles & aux assemblées publiques, ou même au barreau, à moins qu'ils n'y eussent quelqu'affaire personnelle, ou qu'ils ne fussent procureurs de toute leur société, encore ne leur étoit-il pas permis d'y paroître deux ensemble, & beaucoup moins de s'attrouper. Les princes & les magistrats les regardoient comme une espece d'hommes formidables, accoutumés à mépriser la mort, & capables des dernieres violences, si sortant des bornes de leurs fonctions, ils osoient s'immiscer dans ce qui regardoit le gouvernement. On en avoit eu des exemples dans le conciliabule d'Ephese tenu en 449, où un moine syrien, nommé Barsumas, suivi d'une troupe de parabolains armés, avoit commis les derniers excès, & obtenu par la terreur tout ce qu'il avoit voulu. Cette expérience avoit sans doute donné lieu à la séverité des lois dont on vient de parler. Bingham, Orig. eccles. t. II. l. III. c. ix. §. 1, 2, 3, 4.
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PARABOLE | S. f. en Géométrie ; est une figure qui naît de la section du cône, quand il est coupé par un plan parallele à un de ses côtés. Voyez SECTION & CONIQUE, voyez aussi la fig. 10 des coniques.
M. Wolf définit la parabole, une courbe dans laquelle a x = y 2, c'est-à-dire, dans laquelle le quarré de l'ordonnée est égal au rectangle de l'abscisse & d'une ligne droite donnée, qu'on appelle parametre de l'axe, ou latus rectum. Voyez PARAMETRE.
Donc une parabole est une courbe du premier ordre, dans laquelle les abscisses croissant, les ordonnées croissent pareillement, cela est évident par l'équation a x = y 2 ; conséquemment cette courbe ne revient jamais sur elle-même.
Décrire une parabole. Le parametre A B, (Pl. con. fig. 8.) étant donné, continuez-le jusqu'en C, & de B laissez tomber une perpendiculaire B N ; décrivez ensuite sur les diametres A 1, A 2, A 3, &c. pris à volonté, les arcs de cercle I 1, II 2, III 3, &c. qui coupent la ligne droite B C en 1, 2, 3, 4, 5, &c. B 1, B 2, B 3, B 4, B 5, &c. représenteront les abscisses de la parabole, & B I, B II, B III, B IV, B V, &c. les ordonnées. C'est pourquoi si les lignes B 1, B 2, B 3, &c. sont transférées de la ligne B C, à la ligne B N, & que sur les points 1, 2, 3, 4, &c. on éleve les perpendiculaires 1 I = B I, 2 II = B II, 3 III = B III, &c. la courbe passant par les points I, II, III, &c. sera parabole, & B N son axe.
On peut aussi déterminer géométriquement chaque point de la parabole : par exemple, qu'on demande si le point M est dans la parabole ou non ; tirez une perpendiculaire de M sur B N, & décrivez un demi-cercle, dont le diametre B N, soit tel que P N soit égale au parametre : si ce demi-cercle passe par M, le point M est dans la parabole.
Dans une parabole, la distance du foyer au sommet est égale au quart du parametre ; & le quarré de la demi-ordonnée est quadruple du rectangle de la distance du foyer au sommet par l'abscisse. Voyez FOYER & CONIQUE.
Décrire une parabole par un mouvement continu. Prenant une ligne droite pour un axe, soit f A, fig. 9. = A F = 1/4 a. Fixez au point f une regle D B qui coupe l'axe f D à angles droits. A l'extrémité C d'une autre regle E C attachez un fil fixé par son autre extrémité au foyer ; ensuite faites mouvoir la regle C E B le long de D E, en tenant toujours le fil F M C tendu par le moyen d'un stilet M ; ce stilet décrira une parabole.
Propriétés de la parabole. Les quarrés des ordonnées sont entr'eux comme les abscisses ; & les ordonnées sont en raison sous-doublées des abscisses.
Dans une parabole, le rectangle de la demi-ordonnée par l'abscisse est au quarré de l'abscisse, comme le parametre à la demi-ordonnée. Ces deux propositions sont une suite de l'équation a x = y 2.
Dans une parabole, la soutangente est double de l'abscisse, & la sous-perpendiculaire est sous-double du parametre. Voyez SOUTANGENTE & SOUS-PERPENDICULAIRE.
Quadrature de la parabole. Voyez QUADRATURE.
Les paraboles d'un genre plus élevé sont des courbes algebriques déterminées par l'équation am-1 x = ym par exemple, par a 2 x = y 3, a 3 x = y 4, a 4 x = y 5, a 5 x = y 6, &c. Voyez COURBE.
Quelques-uns les nomment paraboloïdes : si a 2 x = y 3 ; ils appellent la parabole, paraboloïde cubique. Si a 3 x = y 4, ils la nomment paraboloïde biquadratique, ou paraboloïde sursolide. Voyez CUBIQUE ; & ils appellent la parabole de la premiere espece, que nous avons déterminée ci-dessus, parabole apollonienne. Voyez APOLLONIEN.
On doit pareillement rapporter aux paraboles les courbes dans lesquelles a x(m-1) = ym, comme par exemple a x 3 = y 3 ; a x 3 = y 4, que quelques-uns appellent des demi-paraboles. On les comprend toutes sous la commune équation am xh = yt, qui s'étend aux autres paraboles, par exemple, à celles dans lesquelles a 2 x 3 = y 5, a 3 x 4 = y 7.
Dans les paraboles dont l'équation est ym = a(m-1) x ; si toute autre ordonnée est appellée v, & les abscisses qui y correspondent z, nous aurons vm = a(m-1) z, & par conséquent ym : vm : : az(m-1) : ax(m-1) z ; c'est-à-dire, : : x : z ; donc c'est une propriété commune de ces paraboles, que les puissances des ordonnées sont en raison des abscisses. Dans les demi-paraboles ym : vm : : ax(m-1) : az(m-1) = a(m-1) : z(m-1), c'est-à-dire, les puissances des ordonnées sont comme les puissances des abscisses d'un degré plus bas ; par exemple, dans les demi- paraboles cubiques les cubes ordonnées y 3 & v 3, sont comme les quarrés des abscisses x 2, & z 2.
La parabole qui a pour équation a 2 x = y 3, s'appelle ordinairement premiere parabole cubique ; & celle qui a pour équation a x 2 = y 3, seconde parabole cubique ; & en général toute parabole qui a pour équation yt = am xn, s'appelle une parabole du degré t. Par exemple, la parabole dont l'équation est y 3 = a 2 x 3, s'appelle parabole du 5e. degré, &c. Toutes ces paraboles ne peuvent avoir que trois figures différentes, qu'il est bon d'indiquer ici. Car 1°. soit t un nombre pair, & n un nombre impair ; il est certain qu'à une même x positive, il répondra deux valeurs égales & réelles de y ; & qu'à une même x négative, il ne répondra que des valeurs imaginaires de y. Ainsi la parabole aura la même figure B A M, fig. 10, n. 2, sect. con. que la parabole ordinaire ou apollonienne. Voyez APOLLONIEN. 2°. t étant un nombre impair, si n est aussi un nombre impair ; il ne répondra qu'une valeur réelle & positive de y à chaque valeur positive de x, & une valeur réelle & négative de y à chaque valeur négative de x, & la parabole aura la figure B A M, fig. 10, n. 3, 3°. t étant un nombre impair, & n un nombre pair, il ne répondra qu'une valeur réelle & positive de y à chaque valeur tant positive que négative de x, & la parabole aura la figure B A M, figure 10, n. 4. 4°. Enfin, si n & t sont tous deux des nombres pairs, en ce cas m en sera un aussi, & on pourra abaisser l'équation en cette sorte a m/2 X n/2 = y t/2 ou à m X n/4 = y t/4, &c. jusqu'à ce qu'elle retombe dans un des trois cas précédens.
C'est une erreur que de regarder (comme l'ont fait quelques géometres) l'équation a m x n = y t, comme l'équation d'une seule & unique parabole, lorsque n & t sont tous deux pairs. Car, par exemple, soit y 4 = a 2 x 2, cette équation se décompose en ces deux-ci y 2 = a x & y 2 = - a x ; ce qui donne le systeme de deux paraboles apolloniennes, qui ont des directions opposées, & qui se touchent par leur sommet, en tournant leurs convexités l'une vers l'autre. En général l'équation d'une courbe n'appartient proprement à une seule & même courbe que quand on ne peut pas la décomposer en deux ou plusieurs autres équations, sur quoi voyez l'article COURBE ; voyez aussi CONJUGUE.
La parabole ordinaire ou apollonienne n'est qu'une ellipse infiniment allongée ; car dans l'ellipse y y = a x - ; a étant le parametre, & r l'axe ; si l'on suppose que l'ellipse s'allonge infiniment, a sera infiniment petit par rapport à r, & le terme peut être regardé comme nul. Donc alors y y = a x, qui est l'équation de la parabole. Cette courbe a été appellée parabole d'un mot grec qui signifie égaliser, parce que dans cette courbe le quarré de l'ordonnée est égal au rectangle du parametre par l'abscisse, au-lieu que dans l'ellipse il est moindre, & plus grand dans l'hyperbole. Voyez ELLIPSE, &c. (O)
PARABOLE, s. f. (Critiq. sacrée) , ce terme grec que nous avons reçu, signifie communément dans l'Ecriture un discours qui présente un sens, & qui en a un autre que comprennent fort bien les personnes intelligentes. Les paraboles de l'Ecriture sont des instructions détournées, des sentences où il entre des comparaisons, des emblèmes.
Cette maniere d'enseigner par des paraboles, des énigmes, des discours figurés, étoit fort du goût des Orientaux. Les prophetes s'en servoient pour rendre plus sensibles aux princes les menaces & les promesses qu'ils leur faisoient ; ils reprennent aussi souvent les infideles de leur nation sous la parabole d'une épouse adultere. Ils décrivent les violences des peuples ennemis des Juifs, sous l'idée de quelque animal féroce. Nathan reproche à David son crime, sous la parabole d'un homme qui a enlevé la brebis d'un pauvre.
Jesus-Christ adopta l'usage des paraboles, des similitudes, & des discours figurés, dans la plûpart de ses instructions, soit aux Juifs, soit à ses disciples, comme il paroît par la lecture des Evangélistes, sur quoi Clément d'Alexandrie fait une excellente remarque, c'est qu'en ce genre il ne convient pas de presser les termes, ni de demander que l'allégorie soit par-tout soutenue ; mais il s'agit de considérer seulement le sujet principal, & ne faire attention qu'au but & à l'esprit de la parabole.
Selon cette regle, il faut glisser sur les termes lorsqu'ils pechent à certains égards ; par exemple, dans la parabole des talens, Matt. xxv. 24. le serviteur dit à son seigneur, " je sais que vous êtes un homme rude, qui moissonnez où vous n'avez point semé, & qui recueillez où vous n'avez rien fourni " le n'est pas certainement trop bien observé dans ce propos ; car ce n'est pas le langage qu'un serviteur tient à son maître, ou un affranchi à son patron ; mais il doit suffire que le but de la parabole soit de peindre par de telles expressions, quoiqu'outrées, la vaine excuse d'un mauvais serviteur.
Le mot parabole désigne quelquefois une simple comparaison qui montre le rapport de deux choses ; par exemple, " comme il arriva au jour de Noé, autant en sera-t-il au jour de la venue du fils de l'homme ", Matt. xxiv. 37. 2°. il signifie toute similitude obscure, Matt. xv. 15. expliquez-nous votre similitude , dit Pierre à Jesus-Christ ; 3°. une simple allégorie à ce qui se passe pour les convives d'un festin ; 4°. une maxime, une sentence, comme au III. des Rois, iv. 32. où l'auteur dit que Salomon composa trois mille paraboles ; 5°. ce mot se prend dans un sens de mépris ; Dieu menace son peuple de le rendre la risée des autres, tradere in parabolam, ij. Paralip. vij. 20. enfin il signifie un discours frivole, nonne per parabolas loquitur iste ? Ezéch. xx. 49. n'est-ce point des fadaises qu'il nous conte ?
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PARABOLIQUE | adj. (Géométrie) se dit en général de tout ce qui appartient à la parabole ; conoïde parabolique, est une figure solide engendrée par la rotation d'une parabole sur son axe. Voyez CONOÏDE.
Les cercles que l'on conçoit comme les élémens de cette figure sont en proportion arithmétique, & décroissent en s'approchant du sommet.
Un conoïde parabolique est à un cylindre de même base & de même hauteur, comme 1 est à 2 ; & à un cône de la même hauteur & de même base, comme 1 1/2 est à 1.
On appelle courbe de genre parabolique, ou simplement courbe parabolique, une courbe dont l'équation est de cette forme, y = a + b x + c x 3 + e x 3, &c. en tel nombre de termes qu'on voudra ; la considération de ces courbes est souvent utile en Mathématique, on s'en sert entr'autres, 1°. dans la théorie des équations, voyez ÉQUATION & CAS ; 2°. dans la gradation approchée des courbes ; car on peut toujours faire passer une courbe parabolique par tant de points qu'on voudra d'une courbe proposée, puisqu'il n'y a qu'à prendre autant de coëfficiens indéterminés a, b, c, &c. qu'il y a de points proposés ; maintenant la courbure parabolique ainsi tracée differera peu de la courbe proposée, sur-tout si le nombre des points est assez grand, & si les points sont assez proches les uns des autres : or on peut toujours quarrer une courbe parabolique, puisque son élément y d x = a d x + b x d x + c x 2 d x, &c. dont l'intégrale est facile à trouver. Voyez INTEGRAL & QUADRATURE. Donc cette quadrature donnera la quadrature approchée de la courbe.
Pyramidoïde parabolique, est une figure solide dont on peut facilement concevoir la génération en imaginant tous les quarrés des ordonnées d'une parabole placés de maniere que l'axe passe par tous leurs centres à angles droits : en ce cas la somme des quarrés formera le pyramidoïde parabolique.
On en a la solidité en multipliant la base par la moitié de la hauteur : la raison en est évidente, car les plans composans forment une suite ou progression arithmétique qui commence par 0 ; leur somme sera donc égale aux extrêmes multipliés par la moitié du nombre des termes, c'est-à-dire dans le cas présent, égale à la base multipliée par la moitié de la hauteur.
Espace parabolique, c'est l'espace ou l'aire contenu entre une ordonnée entiere quelconque, telle que VV (Pl. des coniq. fig. 8.), & l'arc correspondant V B V de la parabole. Voyez PARABOLE.
L'espace parabolique est au rectangle de la demi-ordonnée par l'abscisse, comme 2 est à 3 ; & à un triangle qui auroit l'abscisse pour hauteur & l'ordonnée pour base, comme 4 est à 3.
Le segment d'un espace parabolique est la portion de cet espace renfermée entre deux ordonnées. Voyez SEGMENT.
Miroir parabolique. Voyez MIROIR & ARDENT.
Fuseau parabolique. Voyez PYRAMIDOIDE. (O)
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PARABOLISMUS | S. m. (Algebre) signifie chez quelques anciens auteurs d'Algebre, la même chose que l'abaissement d'une équation ; ce mot n'est plus du-tout en usage. Voyez ABAISSEMENT.
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PARABOLOIDE | S. m. (Géométrie) c'est ainsi qu'on appelle quelquefois les paraboles de degrés ou de genres plus élevés que la parabole conique ou apollonienne. Quelques auteurs appellent aussi paraboloïde le solide formé par la révolution de la parabole ordinaire autour de son axe. Voyez PARABOLIQUE. (O)
PARABOLOIDE DEMI-CUBIQUE, est le nom que quelques géometres ont donné à une courbe, dans laquelle les cubes des ordonnées sont comme les quarrés des diametres ; on l'appelle plus ordinairement seconde parabole cubique.
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PARABRAMA | S. m. (Hist.) le premier des dieux de l'Inde. Une fois il eut envie de se montrer à la terre, & il se fit homme. Le premier effet de cette envie fut de lui faire concevoir un fils qui lui sortit de la bouche, & qui s'appella Misao. Il ne s'en tint pas là ; il lui en sortit un second de l'estomac qui s'appella Wilme, & un troisieme du ventre qui fut nommé Brama. Avant que de disparoître il fit un état à chacun de ses enfans. Il voulut que l'aîné occupât le premier ciel & dominât sur les élémens & sur les mixtes. Il plaça le second sous son frere, & le constitua juge des hommes, pere des pauvres, & protecteur des malheureux. Il conféra au troisieme l'empire du troisieme ciel, & la surintendance de tout ce qui appartient aux sacrifices & aux cérémonies religieuses. Les Indiens représentent cette trinité de leur contrée par une idole à trois têtes sur un même corps ; d'où quelques auteurs concluent qu'ils ont entendu parler de nos dogmes ; mais ils ont tort, cette théologie ridicule est fort antérieure à la nôtre.
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PARABYSTE | S. m. (Antiq. grecq.) un des cinq principaux tribunaux civils d'Athènes. Le parabyste étoit situé dans un lieu obscur, & on n'y traitoit que des moindres affaires de police. Il y avoit deux chambres de ce nom, que Sigonius place au-dessous de l'héliée, dans le même corps de bâtiment. Les undécemvirs en étoient les présidens ; on en tiroit un de chaque tribu, & on leur donnoit un greffier pour adjoint. Ils jugeoient les petits voleurs, les maraudeurs, les coureurs de nuit, & les filoux ; quand les coupables nioient les faits, on les traduisoit à d'autres tribunaux ; quand ils les avouoient ou qu'ils en étoient convaincus par la déposition des témoins, alors les undécemvirs décidoient du châtiment, mais il ne leur étoit pas permis de juger d'une somme audessus d'une dragme d'argent. Quoi qu'en dise Guillaume Postel dans son traité des magistrats athéniens, le tribunal des avogadors de Venise ne répond pas exactement au parabyste d'Athènes. (D.J.)
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PARACAEMUMEN | ou PARAKIMOMENE, s. m. (Hist. anc.) nom d'un officier de l'empereur de Constantinople : c'étoit le grand chambellan. Les fonctions étoient partagées entre deux personnes ; l'une s'appelloit le chambellan de l'anneau, & l'autre le chambellan de la chambre : le premier répondoit à notre garde des sceaux.
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PARACELLAIRE | S. m. (Hist. ecclés.) celui qui avoit autrefois la fonction de distribuer aux pauvres les restes de la table du pape. Il y avoit plusieurs paracellaires. Le pape Zacharie institua des fonds pour cette sorte d'aumône, qui se faisoit ou de la table du pape ou de son palais.
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PARACENTÈSE | S. f. opération de Chirurgie, connue sous le nom de ponction ; c'est la petite ouverture qu'on fait au bas-ventre des hydropiques pour tirer le fluide épanché dans sa cavité. Voyez HYDROPISIE. Le mot de paracentèse est formé du grec, , cum, avec, & du verbe , pungere, piquer, d'où vient le nom de ponction.
Les anciens se servoient d'une lancette pour faire cette opération ; mais les modernes ont imaginé un poinçon garni d'une cannule, instrument connu sous le nom de trocar, avec lequel on pratique la paracentèse de la maniere la plus simple & la plus sure. Voyez TROCAR.
On a détaillé au mot HYDROPISIE, les signes & symptomes par lesquels on connoissoit l'hydropisie ; mais il ne suffit pas que cette maladie soit caractérisée pour obliger à faire la ponction. Il faut que le bas-ventre contienne une certaine quantité de liquides, pour la faire surement, & que l'administration des remedes internes capables d'évacuer les eaux ait été infructueuse : alors il faut avoir recours à un moyen plus efficace pour procurer la sortie des humeurs épanchées ; la Chirurgie prête ici son secours au médecin, qui y trouve une ressource que la vertu des médicamens lui avoit promise en vain. On s'assure de la collection des eaux par la plénitude du ventre, jointe à tous les signes rationnels qui annoncent l'hydropisie du bas-ventre, & par des signes moins équivoques qui annoncent la fluctuation, en appliquant à un côté du ventre, & frappant modérément le côté opposé pour sentir la colonne d'eau. Voyez FLUCTUATION & ONDULATION.
Lorsque l'opération est déterminée, il s'agit de savoir dans quel endroit on doit la pratiquer. On peut établir ici d'après l'expérience & les meilleures observations, un lieu de nécessité & un lieu d'élection. Si l'ombilic formoit une tumeur aqueuse, comme cela s'est vû quelquefois, quoique très-rarement ; il seroit à propos de percer la peau dans cet endroit, parce que par la seule ouverture de la peau on procureroit l'issue des eaux épanchées. Les personnes attaquées d'une hernie inguinale ou complete , & qui deviennent hydropiques, ont une tumeur aqueuse ; le fluide épanché passe dans le sac herniaire. La ponction des tégumens & de la portion du péritoine, procurera la sortie des eaux plus avantageusement que la perforation de toutes les parties contenantes dans le lieu d'élection, qu'on a fixé précisément au milieu & un peu au-dessous de la ligne qui seroit tirée de l'ombilic, à l'épine antérieure & supérieure de l'os des îles.
Si la maladie a pour cause l'obstruction du foie, on préfere le côté gauche pour l'opération ; & vice versâ si la rate étoit gonflée, ou qu'il y eût quelque skirrhe du côté gauche.
Pour pratiquer l'opération dans le lieu ordinaire, on avoit coûtume de faire asseoir le malade dans un fauteuil : dans cette attitude les eaux se portent dans la partie inférieure du bas-ventre & remplissent le bassin ; il n'est pas possible de tirer la plus grande partie de ce qui se trouve au-dessous du niveau de la cannule. Il est plus à propos de faire coucher le malade sur le bord de son lit un peu panché du côté où l'on opere ; dans cette attitude on remarque, 1°. qu'avec l'attention de presser mollement la circonférence du ventre également dans tous ses points à mesure que l'eau coule, on met presqu'à sec la cavité qui la contenoit ; 2°. que le malade éprouve un soulagement marqué à mesure que son ventre se débarrasse, & qu'on ne voit jamais survenir ces défaillances & ces syncopes effrayantes qui ont porté les auteurs à prescrire qu'on doit tirer l'eau à plusieurs reprises ; précepte inutile par l'absence des causes qui y avoient donné lieu, & précepte dangereux, puisqu'il faudroit ou réitérer les ponctions, ce qui ne seroit pas sans inconvénient, ou laisser une cannule dont le séjour attireroit des inflammations & autres accidens fâcheux.
Lorsque le malade est situé convenablement, un aide applique les deux mains sur la partie du ventre opposée à celle où se doit faire la ponction ; afin de pousser la plus grande partie des eaux de ce côté, & éloigner par-là les parois du ventre des parties qu'elles contiennent, pour mettre ces parties à l'abri de la pointe du trocar. Alors le chirurgien qui a eu le soin d'examiner avec attention, avant que de venir au lit du malade, si le poinçon d'acier de son instrument n'est pas rouillé dans la cannule, & qui a graissé la pointe de l'instrument armé de sa cannule, pour qu'il perce avec plus de facilité & en causant moins de douleur, le chirurgien, dis-je, tend la peau dans l'endroit désigné avec le doigt index & le pouce de la main gauche ; & tenant le manche du trocar dans la main droite, le doigt index de cette main étendu sur la cannule, pour fixer la longueur de l'instrument qui doit pénétrer dans la cavité du ventre, il le plonge en perçant les parties contenues jusqu'à-ce qu'il sente que la pointe est dans le fluide épanché. Il prend la cannule avec les doigts de la main gauche, & retire le poinçon avec la droite. Les eaux sortent par la cannule. Si quelque partie flottante contenue dans le bas-ventre se présentoit à l'extrémité de la cannule, & empêchoit les eaux de sortir librement, on éloigne l'obstacle avec une sonde boutonnée qu'on introduit dans la cannule.
Quand on a tiré les eaux avec les attentions que nous avons indiquées plus haut, il faut ôter la cannule : pour cet effet on applique deux doigts de la main gauche sur la peau de chaque côté de la cannule, qu'on retire facilement avec la main droite, en prenant la précaution de lui faire décrire un demi-tour.
Après l'opération on applique sur l'ouverture une petite compresse trempée dans de l'eau-de-vie, & par-dessus une compresse d'un demi-pié en quarré, à sec ou trempée dans du vin chaud, & on la soutient par un bandage de corps suffisamment serré.
L'opération de la paracentèse ne remédie qu'à l'épanchement actuel, & ne dispense pas de l'usage continué des remedes capables de détruire les causes de l'hydropisie, & d'empêcher un nouvel amas de matieres. Si ces causes ne sont pas de nature à céder aux remedes les mieux indiqués, la paracentèse est un secours palliatif qui prolonge la vie des malades, souvent pendant plusieurs années, en les empêchant d'être suffoqués par la plénitude, & en préservant les visceres de l'atonie qu'ils contracteroient en baignant continuellement dans un fluide épanché contre l'ordre naturel. Il y a des personnes à qui l'on a fait quatre-vingt fois la ponction en dix-huit mois. Quelques personnes ont été guéries radicalement après avoir été percées trois ou quatre fois, quoiqu'elles n'eussent observé aucun régime, ni voulu s'assujettir à l'usage d'aucun remede. On n'approuve pas de telles dispositions dans les malades, mais sans se rendre garant d'une pareille conduite, les faits qui nous l'ont fait connoître peuvent être regardés comme des témoins bien sûrs de l'utilité de l'opération de la paracentèse. Les auteurs de réputation qui ont prétendu décrier cette opération, sans laquelle les meilleurs remedes n'opereroient souvent aucun fruit, ont imprimé par cette fausse prévention une tache à leur nom dans la mémoire des gens raisonnables.
On a donné le nom de paracentèse à toutes les opérations qui s'exécutent par le moyen du trocar, & même par le bistouri, lorsqu'on fait une ouverture pour tirer un fluide quelconque épanché dans les cavités naturelles. L'incision du ventre pour un épanchement sanguin ou purulent, & l'opération de l'empyeme à la poitrine, ont été appellés du nom de paracentèse ; l'étymologie autorise ces dénominations. On fait la ponction au scrotum avec le trocar dans l'hydropisie particuliere de ce sac. V. HYDROCELE.
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PARACENTRIQUE | adj. (Géom.) mouvement paracentrique ; est une expression usitée en Astronomie, & principalement dans l'astronomie ancienne, pour marquer l'approximation & l'éloignement d'une planete, par rapport au soleil, ou au centre de son mouvement.
Ainsi, si une planete en A (Pl. Astron. fig. 24.) se meut vers B, en ce cas SB-SA est le mouvement paracentrique de cette planete.
Sollicitation paracentrique de gravité, ou force centripete, c'est dans quelques anciens auteurs d'astronomie physique, la même chose que vis centripeta ; elle s'exprime en Astronomie, par la ligne A L, fig. 24. tirée du point A, parallele au rayon S B (qu'on suppose ici infiniment proche de S A) jusqu'à ce qu'elle coupe la tangente B L.
Au reste toutes ces expressions de mouvement paracentrique, sollicitation paracentrique, ne sont plus aujourdhui en usage.
Isochrone paracentrique est le nom que l'on donne dans la sublime géométrie, à une courbe, telle que si un corps pesant descend librement le long de cette courbe, il s'éloigne ou s'approche également, en tems égaux, d'un centre ou point donné. Voyez sur la nature de cette courbe, les journaux de Leipsic de 1689 & 1694, & les mém. de l'acad. royale des Sciences de 1699. Voyez aussi ISOCHRONE & APPROCHE.
Le problème de l'isochrone paracentrique, est une généralisation de celui de la courbe isochrone, ou courbe aux approches égales, dans laquelle un corps pesant s'approche également, en tems égaux, de l'horison, ou ce qui revient au même, d'un point infiniment éloigné. Ces deux problèmes furent proposés par M. Leibnitz, comme une espece de défi, aux partisans de l'ancienne analyse, qui n'en purent venir à-bout. MM. Bernoulli les résolurent l'un & l'autre, & M. Huyghens, peu de tems avant sa mort, avoit résolu celui de la courbe isochrone simple. (O)
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PARACHELOITES | (Géog. anc.) Paracheloitae ; peuples de la Thessalie, voisins de la ville de Malia, sur le bord du fleuve Acheloüs, selon Strabon, liv. IX. pag. 434. Tite-Live, liv. XXXIX. ch. xxvj. connoit une ville nommée Paracheloida : elle devoit appartenir aux Paracheloïtes ; car quoiqu'il la place dans l'Athamanie, il ajoute qu'elle avoit été unie à la Thessalie.
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PARACHEVER | terme d'art, c'est la même chose que finir ou mettre la derniere main à un ouvrage. Parachever chez les Doreurs, c'est étendre sur l'argent ou le cuivre qu'on veut dorer, l'or moulu & le vif-argent amalgamés ensemble avec l'avivoir ou le gratte-bosse.
PARACHEVER, chez les Teinturiers, se dit particulierement des noirs qui se commencent avec le guesde, l'indigo & le pastel, suivant leur qualité ; & qui se parachevent en noir avec de la galle & de la couperose.
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PARACHRONISME | S. m. (Chronolog.) c'est une erreur que l'on commet dans la chronologie, ou la supputation des tems, en plaçant un événement plus tard qu'il ne doit être placé. Le parachronisme est opposé à l'anachronisme, qui place l'événement plus tôt qu'il n'est arrivé. (D.J.)
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PARACLET | S. m. (Théolog.) du grec , dérivé de , ou selon une autre prononciation de l'eta en iota, : ce nom signifie un consolateur, un avocat, un défenseur, un intercesseur.
On donne communément le nom de paraclet au S. Esprit, & J. C. le lui a souvent donné, Joann. xiv. 26. xv. 26. xvj. 7. J. C. lui-même se nomme paraclet ou consolateur, lorsqu'il dit en S. Jean, xiv. 16. Je prierai le Pere, & il vous donnera un autre Paraclet. Le même apôtre dit que nous avons un avocat, , auprès du Pere ; or cet avocat & ce médiateur c'est J. C.
Mais le nom de paraclet, comme consolateur, est particulierement affecté au S. Esprit.
PARACLET, (Géog. mod.) abbaye de France en Champagne, sur le ruisseau d'Arduzon, proche de Nogent-sur-seine. On ne trouvera guere d'abbayes dans cet ouvrage, mais qui pourroit taire une abbaye qui doit à Abélard son établissement, & dont Héloïse fut la premiere abbesse : Abélard le plus habile dialecticien de son tems ! Héloïse la premiere de son sexe en érudition, & qui n'étoit pas la derniere en beauté !
On sait qu'Abélard, craignant que ses adversaires ne le livrassent au bras séculier, à cause qu'il avoit soutenu que S. Denis l'aréopagite n'avoit pas converti la France, se sauva sur les terres de Thibaut comte de Champagne, d'où il se choisit une retraite solitaire au diocese de Troyes ; il y bâtit une chaumiere, fit de cette chaumiere un oratoire, & ses écoliers accourant de toutes parts à ce desert, fournirent à leur maître de quoi subsister, & bâtirent l'oratoire de bois & de pierre. Alors Abélard lui donna le nom de Paraclet, pour conserver la mémoire des consolations qu'il avoit reçues dans son hermitage. , veut dire consolateur, & vient de , je console, je prie, j'exhorte.
Mais les ennemis d'Abélard ne le laisserent pas tranquille, & mirent dans leurs intérêts S. Bernard & S. Norbert. Il n'y eut pas moyen de tenir contre de tels adversaires, Abélard leur quitta la partie, & s'en alla en basse-Bretagne, où les moines de l'abbaye de S. Gildas de Ruys, l'appellerent pour leur chef.
Dans cette conjoncture Suger, abbé de S. Denis, chassa du monastere d'Argenteuil les religieuses, prévenu que leur conduite étoit mauvaise. Héloïse qui en étoit supérieure, vint avec ses religieuses au Paraclet, que son ancien mari lui donna avant que de se rendre à Clugny.
Le pape Innocent II. confirma cette donation, en l'année 1131 : & voilà l'origine de l'abbaye de bénédictines du Paraclet. Héloïse en fut la premiere abbesse : chacun, à l'exemple de Mahault comtesse de Champagne, s'empressa à lui faire de grands biens. Les évêques l'aimerent comme leur fille, les abbés comme leur soeur, & les gens du monde comme leur mere.
Cette abbaye jouit aujourd'hui de 15 à 20 mille livres de rente : elle est chef-d'ordre, & a plusieurs monasteres & prieurés dans sa dépendance. Héloïse la gouverna pendant 33 ans, & mourut en 1163.
Les abbesses qui lui ont succédé, ont été assez souvent des plus anciennes maisons du royaume : on doit mettre de ce nombre Jeanne Chabot, quoiqu'elle ait été obligée d'abdiquer sa place, à cause de la religion protestante qu'elle professoit, & qu'elle professa hautement jusqu'à la mort ; sans néanmoins se marier, ni quitter son habit de religieuse.
Comme Héloïse n'entendoit pas seulement la langue latine, mais savoit encore très-bien la langue grecque, elle fit chanter la messe dans cette langue, tous les ans le jour de la Pentecôte, qui étoit la principale fête de l'abbaye du Paraclet, & cet usage s'observe encore aujourd'hui.
Dès qu'Abélard fut mort, elle demanda son corps à l'abbé de Clugny ; l'ayant obtenu, elle le fit mettre au Paraclet, & ordonna, en mourant, qu'on l'enterrât dans le même tombeau. On assure que lorsqu'on ouvrit la tombe pour y déposer le corps d'Héloïse, Abélard lui tendit les bras pour la recevoir, & qu'il l'embrassa étroitement. Une chronique manuscrite décrit le miracle en ces termes : Et ad tumulum apertum Heloisa deportata, maritus ejus, elevatis brachiis, illam recepit, & ità eam amplexatus, brachia sua strinxit.
Grégoire de Tours, hist. lib. I. c. xlij. rapporte un fait semblable de deux personnes mariées, qui demeurerent toujours vierges, & que les habitans du pays (Clermont en Auvergne) nommerent les deux amans. La femme décéda la premiere ; & le mari en l'enterrant se servit de cette priere de l'Ecriture : je vous rends graces, ô mon Seigneur & mon Dieu, de ce que je vous rends ce trésor dans la même pureté qu'il vous a plu de me le confier. La femme se mit à sourire : hé pourquoi, lui dit-elle, parlez-vous d'une chose qu'on ne vous demande pas ! Le mari mourut peu de tems après, & on l'ensevelit vis-à-vis de son épouse, on trouva les deux corps ensemble dans la même tombe.
Il en est surement de ce conte, comme de celui d'Heloïse & d'Abélard. On a même découvert que la volonté de l'abbesse du Paraclet n'avoit point été suivie, & que l'on ne l'avoit point mise suivant ses desirs dans le tombeau de son époux. François d'Amboise nous apprend, qu'étant au Paraclet, il avoit vu le fondateur & la fondatrice couchés l'un auprès de l'autre dans deux monumens séparés. [ Le chevalier de JAUCOURT. ]
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PARACLETIQUE | S. m. (Théolog.) c'est le nom que les Grecs donnent à un de leurs livres d'office, comme qui diroit invocatoire, du grec , invoquer ; parce qu'il contient plusieurs prieres ou invocations adressées aux saints. Les Grecs se servent, pendant les jours de toute l'année, de ce livre, ayant toujours quelque chose dans leur office qui en est tiré. Voyez Leo Allatius, dans sa premiere dissertation sur les livres ecclésiastiques des Grecs.
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PARADA | (Géog. anc.) ville de l'Afrique propre, sur le chemin qui conduisoit de Tapsus à Utique. Scipion brûla cette ville, & traita ses habitans avec la derniere barbarie.
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PARADABATRA | (Géog. anc.) ville de l'Inde, en-deçà du Gange. Ptolomée, lib. VII. ch. j. la place sur le bord de ce fleuve, entre Azica & Pisca.
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PARADE | S. f. (Grammaire) vue ou exposition d'une chose vue dans tous ses avantages, & dans ce qu'elle a de plus beau. Voyez SPECTACLE.
Un lit de parade, est celui sur lequel on expose le corps d'un grand ou d'un prince après sa mort.
On appelloit parade dans les tournois, la marche que faisoient, en bel ordre, les chevaliers dans la lice avant que de commencer le combat.
On a donné aussi le nom de parade à ce que nous appellons aujourd'hui revue d'une troupe, d'un régiment : on disoit alors faire la parade, & monter la parade, comme nous disons aujourd'hui faire l'exercice, & monter la garde.
PARADE, FAIRE LA, (Art milit.) les officiers font la parade, lorsque leur bataillon, leur régiment, ou leur compagnie, ayant ordre de se mettre sous les armes, ils s'y rendent en meilleur état qu'il leur est possible, pour prendre le poste, & tenir le rang qui leur est dû, soit sur le terrein où le bataillon se forme, soit dans la place où l'on s'assemble pour monter la garde, soit devant le corps-de-garde, quand il faut relever la garde, ou bien lorsqu'une personne de qualité est prête à passer. Dict. milit. (D.J.)
PARADE, (Marine) faire la parade ; tous les vaisseaux firent parade, & chacun déploya tous ses pavillons : c'est orner un vaisseau de tous les pavillons qui sont à son bord, & de tous ses pavois. On dit aussi parer, les vaisseaux seront parés de flâmes. (Z)
PARADE, (Maréchallerie) on appelle cheval de parade, celui dont on ne se sert que dans les occasions de cérémonie, & plus pour la beauté que pour le service qu'on en attend.
On appelle la parade, un endroit que le maquignon a désigné pour faire monter le cheval qu'il veut vendre.
La parade, en terme de manege, est la même chose que le parer. Voyez PARER.
PARADE, terme d'escrime, action par laquelle on pare une estocade. Voyez PARER.
Il y a autant de parades différentes, qu'il y a de différentes façons de terminer une estocade, voyez ESTOCADE. Il y a donc cinq parades, qu'on appelle en terme d'escrime, quarte, tierce, seconde, quarte basse & quinte.
PARADE, espece de farce, originairement préparée pour amuser le peuple, & qui souvent fait rire, pour un moment, la meilleure compagnie.
Ce spectacle tient également des anciennes comédies nommées platariae, composées de simples dialogues presque sans action, & de celles dont les personnages étoient pris dans le bas peuple, dont les scenes se passoient dans les cabarets, & qui pour cette raison furent nommées tabernariae. Voyez COMEDIE.
Les personnages ordinaires des parades d'aujourd'hui, sont le bon-homme Cassandre, pere, tuteur, ou amant surané d'Isabelle : le vrai caractere de la charmante Isabelle est d'être également foible, fausse & précieuse ; celui du beau Léandre son amant, est d'allier le ton grivois d'un soldat, à la fatuité d'un petit-maître : un pierrot, quelquefois un arlequin & un moucheur de chandelles, achevent de remplir tous les rôles de la parade, dont le vrai ton est toujours le plus bas comique.
La parade est ancienne en France ; elle est née des moralités, des mysteres & des faceties que les éleves de la basoche, les confreres de la passion, & la troupe du prince des sots jouoient dans les carrefours, dans les marchés, & souvent même dans les cérémonies les plus augustes, telles que les entrées, & le couronnement de nos rois.
La parade subsistoit encore sur le théâtre françois, du tems de la minorité de Louis le Grand ; & lorsque Scarron, dans son roman comique, fait le portrait du vieux comédien la Rancune, & de mademoiselle de la Caverne, il donne une idée du jeu ridicule des acteurs, & du ton platement bouffon de la plûpart des petites pieces de ce tems.
La comédie ayant enfin reçu des lois de la décence & du goût, la parade cependant ne fut point absolument anéantie : elle ne pouvoit l'être, parce qu'elle porte un caractere de vérité, & qu'elle peint vivement les moeurs du peuple qui s'en amuse ; elle fut seulement abandonnée à la populace, & releguée dans les foires & sur les théâtres des charlatans, qui jouent souvent des scenes bouffones, pour attirer un plus grand nombre d'acheteurs.
Quelques auteurs célebres, & plusieurs personnes pleines d'esprit, s'amusent encore quelquefois à composer de petites pieces dans ce même goût. A force d'imagination & de gayeté, elles saisissent ce ton ridicule ; c'est en philosophes qu'elles ont travaillé à connoître les moeurs & la tournure de l'esprit du peuple, c'est avec vivacité qu'elles les peignent. Malgré le ton qu'il faut toujours affecter dans ces parades, l'invention y décele souvent les talens de l'auteur ; une fine plaisanterie se fait sentir au milieu des équivoques & des quolibets, & les graces parent toujours de quelques fleurs le langage de Thalie, & le ridicule déguisement sous lequel elles s'amusent à l'envelopper.
On pourroit reprocher, avec raison aux Italiens, & beaucoup plus encore aux Anglois, d'avoir conservé dans leurs meilleures comédies trop de scenes de parades ; on y voit souvent regner la licence grossiere & révoltante des anciennes comédies nommées tabernariae.
On peut s'étonner que le vrai caractere de la bonne comédie ait été si long-tems inconnu parmi nous ; les Grecs & les Latins nous ont laissé d'excellens modeles, & dans tous les âges, les auteurs ont eu la nature sous les yeux ; par quelle espece de barbarie ne l'ont-ils si long-tems imitée que dans ce qu'elle a de plus abject & de plus désagréable ?
Le génie perça cependant quelquefois dans ces siecles dont il nous reste si peu d'ouvrages dignes d'estime ; la farce de Pathelin feroit honneur à Moliere. Nous avons peu de comédies qui rassemblent des peintures plus vraies, plus d'imagination & de gayeté.
Quelques auteurs attribuent cette piece à Jean de Meun ; mais Jean de Meun cite lui-même des passages de Pathelin, dans sa continuation du roman de la Rose : & d'ailleurs nous avons des raisons bien fortes pour rendre cette piece à Guillaume de Lorris.
On accorderoit sans peine à Guillaume de Lorris, inventeur du roman de la Rose, le titre de pere de l'éloquence françoise, que son continuateur obtint sous le regne de Philippe le Bel. On reconnoit dans les premiers chants de ce poëme, l'imagination la plus belle & la plus riante, une grande connoissance des anciens, un beau choix dans les traits qu'il en imite ; mais dès que Jean de Meun prend la plume, de froides allégories, des dissertations frivoles, appesantissent l'ouvrage ; le mauvais ton de l'école, qui dominoit alors, reparoit : un goût juste & éclairé ne peut y reconnoître l'auteur de la farce de Pathelin, & la rend à Guillaume de Lorris.
Si nous sommes étonnés, avec raison, que la farce de Pathelin n'ait point eu d'imitateurs pendant plusieurs siecles, nous devons l'être encore plus que le mauvais goût de ces siecles d'ignorance regne encore quelquefois sur notre théâtre : nous serions bien tentés de croire que l'on a peut-être montré trop d'indulgence pour ces especes de recueils de scenes isolées, qu'on nomme comédies à tiroirs. Momus Fabuliste mérita sans doute son succès par l'invention & l'esprit qui y regnent ; mais cette piece ne devoit point former un nouveau genre, & n'a eu que de très-foibles imitateurs.
Quel abus ne fait-on pas tous les jours de la facilité qu'on trouve à rassembler quelques dialogues, sous le nom de comédie ? Souvent sans invention, & toujours sans intérêt, ces especes de parades ne renferment qu'une fausse métaphysique, un jargon précieux, des caricatures, ou de petites esquisses mal dessinées des moeurs & des ridicules ; quelquefois même on y voit regner une licence grossiere ; les jeux de Thalie n'y sont plus animés par une critique fine & judicieuse, ils sont deshonorés par les traits les plus odieux de la satyre.
Pourra-t-on croire un jour que dans le siecle le plus ressemblant à celui d'Auguste, dans la fête la plus solemnelle, sous les yeux d'un des meilleurs rois qui soient nés pour le bonheur des hommes, pourra-t-on croire que le manque de goût, l'ignorance ou la malignité, aient fait admettre & représenter une parade, de l'espece de celles que nous venons de définir ?
Un citoyen, qui jouissoit de la réputation d'honnête homme (M. Rousseau de Geneve), y fut traduit sur la scene, avec des traits extérieurs qui pouvoient le caractériser. L'auteur de la piece, pour achever de l'avilir, osa lui prêter son langage. C'est ainsi que la populace de Londres traine quelquefois dans le quartier de Drurylane, une figure contrefaite, avec une bourse, un plumet & une cocarde blanche, croyant insulter notre nation.
Un murmure général s'éleva dans la salle, il fut à peine contenu par la présence d'un maître adoré ; l'indignation publique, la voix de l'estime & de l'amitié, demanderent la punition de cet attentat : un arrêt flétrissant fut signé par une main qui tient & qui honore également le sceptre des rois, & la plume des gens de lettres. Mais le philosophe fidele à ses principes, demanda la grace du coupable, & le monarque crut rendre un plus digne hommage à la vertu en accordant le pardon de cette odieuse licence, qu'en punissant l'auteur avec sévérité. La piece rentra dans le néant avec son auteur ; mais la justice du prince & la générosité du philosophe passeront à la postérité, & nous ont paru mériter une place dans l'Encyclopédie.
Rien ne corrige les méchans : l'auteur de cette premiere parade en a fait une seconde, où il a embrassé le même citoyen, qui avoit obtenu son pardon, avec un grand nombre de gens de bien, parmi lesquels on nomme un de ses bienfaiteurs. Le bienfaiteur indignement travesti, est l'honnête & célébre M. H... & l'ingrat, est un certain P... de M....
Tel est le sort de ces especes de parades satyriques, elles ne peuvent troubler ou séduire qu'un moment la société ; & la punition ou le mépris suit toujours de près les traits odieux & sans effet, lancés par l'envie contre ceux qui enrichissent la littérature, & qui l'éclairent. Si la libéralité des personnes d'un certain ordre, fait vivre des auteurs qui seroient ignorés sans le murmure qu'ils excitent ; nous n'imaginons pas que cette bienfaisance puisse s'étendre jusqu'à les protéger. Lisez l'article ECLECTISME, p. 284. t. V. seconde col.
Cet article est de M. le comte de TRESSAN, lieutenant général des armées du Roi, grand maréchal-des-logis du roi de Pologne, duc de Lorraine & membre des académies des Sciences de France, de Prusse, d'Angleterre, &c.
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PARADIAZEUXIS | S. m. dans la Musique grecque, est, au rapport du vieux Bacchius, l'intervalle d'un ton seulement entre les cordes homologues de deux tétracordes ; & c'est l'espece de disjonction qui regne entre le tétracorde synnemenon & le tétracorde diezeugmenon. Voyez tous ces mots.
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PARADIGME | S. m. ce mot vient du grec , exemplar, dérivé du verbe , manifestè ostendo ; RR. , préposition souvent ampliative, quand elle entre dans la composition des mots ; & , ostendo. Les Grammairiens se sont approprié le mot paradigme, pour désigner les exemples de déclinaisons & de conjugaisons, qui peuvent servir ensuite de modeles aux autres mots, que l'usage & l'analogie ont soumis aux mêmes variations de l'une ou de l'autre espece. Les paradigmes sont des exemples, des modeles pour d'autres mots analogues ; & c'est le sens littéral du mot.
Les paradigmes étant principalement destinés à inculquer la regle générale, par l'image sensible d'une application particuliere proposée comme un objet d'imitation : M. le Fevre de Saumur, avoit raison, sans doute, de desirer que ces modeles fussent présentés aux jeunes gens sous une forme agréable & propre à intéresser leur imagination : il faudroit, selon ses vûes, qu'ils fussent imprimés sur de beau papier, en beaux caracteres, & dans le format de l'in-quarto, afin que chaque article du paradigme n'occupât qu'une ligne, & qu'on ne fut pas obligé d'en renvoyer quelque chose à la ligne suivante.
Ces petites attentions peuvent paroître minutieuses à bien des gens, qui prétendent au mérite de ne voir les choses qu'en grand : mais ce qu'il est permis aux spectateurs oisifs d'envisager ainsi, doit être exécuté dans toutes ses parties par les maîtres ; & les meilleurs sont toujours ceux qui analysent le plus exactement les détails. Qu'il me soit donc permis d'ajouter ici quelques observations qui me paroissent intéressantes sous ce point de vûe. Je les rapporterai sur-tout aux élémens de la langue latine ; & l'on en sent bien la raison.
1. Déclinaison. Il est généralement avoué, qu'il y avoit une barbarie insoutenable dans les anciens rudimens, où les nombres & les cas étoient désignés en latin, singulariter nominativo, &c. comme si les commençans avoient déja entendu la langue dans laquelle on prétendoit pourtant les initier par-là même : on ne sauroit leur parler trop clairement ; & il est singulier qu'on se soit avisé si tard d'employer leur propre langue pour les instruire.
Une autre méprise, c'est d'avoir joint au paradigme d'un nom, celui de l'article du même genre ; haec musa, hujus musae, &c. c'est une imitation maladroite des paradigmes des déclinaisons grecques, où l'article paroît plus nécessaire, d'où cependant il est encore plus avantageux de le retrancher, pour ne pas partager l'attention des commençans en la surchargeant mal-à-propos ; & c'est le parti que vient de prendre le P. Giraudeau jésuite, dans son Introduction à la langue grecque. A plus forte raison doit-on supprimer cette addition superflue dans les paradigmes latins : & si l'on ne veut y présenter aucun nom, sans en faire connoître le genre aux enfans ; que ce soit simplement par l'une des lettres initiales m, f ou n, quand le nom est d'un genre déterminé ; par deux de ces lettres & le mot ou entre deux, s'il est d'un genre douteux, &c. Voyez GENRE.
On a coutume encore de traduire chaque cas latin, en se servant de notre article défini le, la, les, pour les noms appellatifs ; de la préposition de pour le génitif ; de à pour le datif, & de de ou par pour l'ablatif. Cela peut induire quelquefois en erreur, parce que ces cas ne se traduisent pas toujours de la même maniere ; & c'est peut-être ce parallélisme de françois & de latin qui a donné lieu à nos Grammairiens d'imaginer faussement que nos noms ont des cas. Voyez CAS : je voudrois donc que l'on mît simplement après le nominatif singulier, la signification françoise du nom, en parenthèse, en caracteres différens de ceux du latin, sans aucun article, & qu'on en fît autant après le nominatif pluriel, en indiquant la différence d'orthographe qu'exige ce nombre, & marquant soigneusement le genre du françois dans chacun des deux nombres.
Comme il y a autant d'avantage réel à mettre en parallele les choses véritablement analogues & semblables, qu'il peut y avoir de danger à comparer des choses qui, sous les apparences trompeuses de l'analogie, sont véritablement dissemblables ; je crois qu'il pourroit être de quelque utilité de mettre sur deux colonnes paralleles les cas du singulier & ceux du pluriel. Alors pour ne pas occuper trop de largeur, on pourroit mettre la traduction françoise de chaque nombre à la tête des six cas, sous la forme déja indiquée ; & le format in-octavo devient suffisant.
M. Lancelot, dans l'abrégé de sa Méthode latine, avoit imaginé de faire imprimer en lettres rouges les terminaisons qui caractérisent chaque cas : mais il me semble que cette bigarrure n'a d'autre effet que de choquer les yeux, & il paroît que le public, en applaudissant aux autres vûes de ce sage & laborieux grammairien, n'a pas approuvé cet expédient, puisqu'on n'en a fait aucun usage dans aucun des livres élémentaires que l'on a imprimés depuis. Ce sont en effet les explications & les remarques du maître qui doivent fixer l'attention des disciples sur ces différences ; voici donc un exemple de ce que je veux dire par rapport aux noms.
J'ai choisi le nom Mensa (Table), parce qu'il exprime une chose connue de tous les enfans ; au lieu qu'ils apprennent à décliner Musa, sans savoir ce que c'est qu'une Muse ; ou bien il faut les distraire de leur analogie, pour leur donner les notions mythologiques que suppose ce nom : c'est un double inconvénient qu'il faut également éviter, dans les commencemens sur-tout.
Les pronoms personnels ego, tu, sui, peuvent & doivent être présentés sous le même aspect : & les adjectifs mêmes ne demandent d'autres différences, que celles que l'on va voir dans l'exemple suivant.
Si un adjectif a dans plusieurs cas une même terminaison pour plusieurs genres, on peut marquer les genres après chaque terminaison ; par exemple :
Dans cet exemple ; on marque les trois lettres, m, f, n, au premier cas de chaque nombre qui n'a qu'une terminaison pour les trois genres ; les autres qui n'ont également qu'une terminaison sont de même pour les trois genres.
Ce n'est pas assez d'avoir déterminé la forme qui m'a paru la plus convenable pour les paradigmes. L'ensemble du système grammatical adopté dans cet ouvrage, exige encore quelques observations qui auroient dû entrer au mot DECLINAISON ; mais que M. du Marsais ne pouvoit pas prévoir, parce qu'il n'avoit pas les mêmes idées que moi sur les différentes especes de mots. Voyez MOT.
Je regarde comme deux especes très-différentes les noms & les adjectifs ; voyez GENRE, MOT, NOM & SUBSTANTIF, & je crois qu'il n'y a de mots qui soient primitivement & véritablement pronoms, que les trois personnels ego, tu, sui, voyez PRONOM. Je conclus de-là que les déclinaisons doivent être partagées en trois sections : que la premiere doit comprendre les cinq déclinaisons des noms ; la seconde, les trois pronoms déclinés ; & la troisieme, les déclinaisons des adjectifs.
I. La premiere déclinaison des noms comprend ceux qui ont le nominatif singulier en a ou en as, en e ou en es : ainsi après la regle propre à chaque espece, il faut un paradigme de chacune. On ajoutera à la fin, comme en exception, le petit nombre de noms en a qui ont le datif & l'ablatif pluriels en abus, afin que le féminin ne soit pas confondu dans ces cas avec ceux des noms masculins en us ; si mula avoit formé mulis, comme on le forme de mulus, il y auroit eu équivoque.
La seconde déclinaison comprend les noms en er ou ir, en um & en us : voilà trois especes & trois paradigmes. On mettra à la suite la déclinaison de Deus, parce que ce mot étant d'un usage fréquent doit être connu ; & l'on remarquera l'irrégularité des noms propres en ius, de ceux en eus venus du grec, & de ceux qui changent de genre au pluriel.
La troisieme déclinaison ne peut se diviser qu'en deux classes, les noms masculins & féminins dans l'une, & les neutres dans l'autre : mais on fera bien de présenter aux enfans des paradigmes de différentes terminaisons dans chaque classe. Il faut, je crois, ne faire mention que de peu d'exceptions, parce qu'on ne diroit pas tout, ou l'on excéderoit les bornes qui conviennent à des élémens.
Dans la quatrieme déclinaison, il suffira de donner un paradigme en us, & un autre en u ; de décliner ensuite domus qui revient fréquemment, & de remarquer quelques noms qui ont le datif & l'ablatif pluriels en ubus.
La cinquieme déclinaison ne demande qu'un paradigme, & n'a aucune difficulté.
II. Les trois pronoms ego, tu, sui, doivent être déclinés l'un après l'autre, sans aucune regle énoncée ; ce sont trois mots particuliers qui ne servent d'exemple à aucun autre.
III. Il doit y avoir trois déclinaisons des adjectifs, différenciées, comme celles des noms, par le génitif singulier.
La premiere déclinaison comprend les adjectifs dont le génitif singulier est en i pour le masculin, en ae pour le féminin, & en i pour le neutre : l'adjectif masculin se décline comme les noms en er ou ir, ou comme les noms en us de la premiere déclinaison ; l'adjectif féminin, comme les noms en a de la premiere ; & l'adjectif neutre, comme les noms en um de la seconde. Après les paradigmes des deux adjectifs pulcher & bonus, il est bon de remarquer que meus, a, um, fait au vocatif singulier masculin meus ou mi ; que cujus, a, um, suus, a, um, tuus, a, um, & vester, tra, trum, n'ont point de vocatif, & quelle en est la raison (voyez VOCATIF) ; enfin que les adjectifs pluriels ambo & duo sont hétéroclites, & il sera utile d'en exposer les paradigmes parallelement.
Les adjectifs de la seconde déclinaison ont le génitif singulier en ius ou en jus pour les trois genres, & ont d'ailleurs beaucoup d'analogie avec ceux de la premiere.
Ceux dont le génitif est en ius, sont alius, a, ud ; alter, a, um ; alteruter, tra, trum ; ille, a, ud ; ipse, a, um ; iste, a, ud ; neuter, tra, trum ; nullus, a, um ; solus, a, um ; totus, a, um ; ullus, a, um ; unus, a, um ; uter, tra, trum ; uterlibet, utralibet, utrumlibet ; utervis, utravis, utrumvis ; uterque, utraque, utrumque. Ils ont tous le génitif singulier en ius, & le datif en i pour les trois genres ; l'accusatif neutre est semblable au nominatif ; ils n'ont point de vocatif (voyez VOCATIF) ; du reste ils se déclinent comme les adjectifs de la premiere déclinaison. Il est bon de présenter ici les paradigmes de alius, a, ud, de uter, tra, trum, & de solus, a, um, qui sont distingués par des différences qui se retrouvent dans les autres adjectifs de la même classe.
Ceux dont le génitif est en jus se déclinent chacun à leur maniere, si ce n'est que les composés se déclinent comme les primitifs simples ; ainsi il faut détailler les paradigmes de chacun de ceux-ci : ce sont hic, haec, hoc ; is, ea, id, & son composé idem, eadem, idem ; qui, quae, quod, ou, quis, quae, quid ; & à-peu-près douze composés.
Les adjectifs de la troisieme déclinaison ont le génitif singulier en is pour les trois genres, & se partagent en trois especes.
Ceux de la premiere espece n'ont qu'une terminaison au nominatif singulier pour les trois genres, comme nostras (de notre pays), teres (rond), instans (pressant), sapiens (sage), insons (innocent), vecors (lâche), audax (hardi), simplex (simple), felix (heureux), atrox (atroce), trux (cruel). Ils ont le génitif singulier en is ; le datif en i ; l'accusatif en em pour le masculin & le féminin, & semblable au nominatif pour le neutre ; le vocatif est entierement semblable au nominatif ; & l'ablatif est en e ou en i : le nominatif, l'accusatif, & le vocatif pluriels sont en es pour le masculin & le féminin, & en ia pour le neutre ; le génitif en ium, quelquefois en ûm par syncope ; le datif & l'ablatif en ibus. Un seul paradigme peut suffire, à-moins qu'on n'aime mieux en donner un pour les adjectifs qui sont terminés par s, & un autre pour ceux dont la finale est x.
Ceux de la seconde espece ont deux terminaisons au nominatif singulier, l'une pour le masculin & le féminin, & l'autre pour le neutre ; les uns sont en is & en e, comme fortis, m. f. forte, n. (courageux) ; les autres sont en or & en us, comme fortior, m. f. fortius, n. (plus courageux) ; & ceux-ci sont toujours comparatifs. Ils se déclinent comme les adjectifs de la premiere espece, si ce n'est que ceux en is font l'ablatif singulier seulement en i, & que ceux en or ont le nominatif, l'accusatif, & le vocatif pluriels neutres en a, & le génitif en um sans i. Il faut ici deux paradigmes, l'un pour les adjectifs en is, & l'autre pour ceux en or.
Les adjectifs de la troisieme espece ont trois terminaisons au nominatif singulier, er pour le masculin, is pour le féminin, e pour le neutre, comme celeber, bris, bre (célebre). Ils ont le vocatif singulier entierement semblable au nominatif ; du reste ils se déclinent comme les adjectifs en is de la seconde espece. Un seul paradigme suffit ici.
Il peut être utile de donner, après les déclinaisons des adjectifs, la liste de ceux qui sont indéclinables : les principaux sont 1°. les adjectifs pluriels, tot, totidem, quot, aliquot, quotcunque, quotquot, quotlibet, quotvis ; 2°. les adjectifs numéraux collectifs, quatuor, quinque, sex, &c.
On a coutume de regarder comme des pronoms presque tous les adjectifs que je rapporte à la seconde déclinaison, & quelques-uns qui entrent dans les deux autres, comme meus, tuus, suus, cujus, noster, vester qui sont de la premiere, & cujas, nostras, vestras qui sont de la troisieme : mais ce sont de véritables & purs adjectifs, comme je le fais voir ailleurs. Voyez PRONOM.
II. Conjugaisons. Nos anciens rudimens avoient dans les conjugaisons des absurdités semblables à celles des déclinaisons : les dénominations des modes, des tems & des nombres, y étoient en latin ; indicativo modo, tempore praesenti, singulariter, &c. le pronom personnel étoit exprimé à chaque personne ; ego amo (j'aime), tu amas (tu aimes), &c. on regardoit la Grammaire grecque comme un prototype dont il ne falloit pas s'écarter ; & en conséquence on avoit imaginé un optatif latin ; optativo modo, tempore praesenti & imperfecto, singulariter, utinam ego amarem ! (plût à Dieu que j'aimasse !) Voyez OPTATIF.
M. Lancelot, dans l'abrégé de sa Méthode latine, a réformé toutes ces fautes ; il nomme les tems, les modes & les nombres, en françois ; il supprime les pronoms personnels ; il retranche le prétendu optatif. Mais ses paradigmes ne me paroissent pas encore avoir toute la perfection désirable.
1°. Il met en parallele les quatre conjugaisons ; & je crois que cette comparaison ne peut que surcharger inutilement l'attention des commençans : c'est à des observations particulieres, ou orales, ou écrites, à assigner les différences des conjugaisons, & à l'exercice à les inculquer. Il me semble qu'il ne faut mettre en colonnes paralleles que les deux nombres de chaque tems, comme on doit y mettre les deux nombres de chaque nom, de chaque pronom, & de chaque adjectif.
2°. Il confond les tems de l'indicatif & du subjonctif, & met de suite ceux qui ont le même nom dans les deux modes ; après amo, amas, amat, &c. vient amen, ames, amet ; puis on trouve amabam, amabas, amabat, &c. suivi d'amarem, amares, amaret, &c. & ainsi de suite. C'est qu'il regarde les modes en général comme des distinctions arbitraires & peu essentielles, qui se prennent indistinctement les unes pour les autres, & tout au plus comme des sous-divisions purement matérielles des mêmes tems. J'ai apprécié ailleurs ce système (voyez MODE) ; & je crois qu'il est facile de conclure de celui que j'ai établi, que les modes doivent être séparés les uns des autres dans les paradigmes des verbes. J'en ajouterai ici une raison particuliere : c'est que les paradigmes doivent présenter les variations du mot sous les points de vûe les plus propres à fixer les lois usuelles de la Grammaire de chaque langue. Or tous les tems d'un même mode sont soumis aux mêmes lois grammaticales ; & ces lois sont différentes pour les tems d'un autre mode, même pour les tems de même dénomination : il est donc plus raisonnable de groupper, pour ainsi dire, par modes les tems d'un même verbe, que de confondre ces modes dont la distinction est si essentielle pour l'intelligence de la syntaxe.
3°. Le même auteur traduit en françois les tems latins, & il tombe à ce sujet dans bien des méprises. En premier lieu, il traduit en deux manieres certains tems du verbe, qui n'ont en effet que l'une des deux significations ; amarem (que j'aimasse, dit-il, ou j'aimerois) ; amavi (j'aimai ou j'ai aimé) ; amavissem (que j'eusse ou j'aurois aimé) : or, amarem appartenant au mode subjonctif, ne peut pas signifier j'aimerois, ni amavissem, j'aurois aimé ; parce que ce sont des tems du mode suppositif qui manque absolument au latin. Voyez MODE, SUBJONCTIF, SUPPOSITIF. C'est la même méprise par rapport à amavi ; il présente toujours le passé sous le même aspect, & conséquemment il doit toujours être rendu en françois de la même maniere, j'ai aimé : notre j'aimai est un tems qui étoit inconnu aux Romains. Voyez TEMS. En second lieu, le rudiment de P. R. donne tout à la fois un sens actif & un sens passif à chacun des trois gérondifs & au supin en u : c'est une contradiction frappante qu'il n'est pas possible de croire que l'usage ait jamais autorisée : quelques exemples mal analysés ont occasionné cette erreur ; un peu plus d'attention la corrigera ; il n'y a de gérondifs & de supins qu'à la voix active. Voyez GERONDIF, SUPIN.
Je n'ajouterai pas ici toutes les observations que je pourrois faire sur la dénomination & l'ordre des tems ; on peut voir le système que j'adopte sur cette matiere, article TEMS. Je me contenterai donc de présenter quelques tems du verbe amo, sous la forme que je crois la plus convenable pour affecter l'imagination d'une maniere utile.
On peut disposer de même les prétérits & les futurs, au subjonctif comme à l'indicatif, à la voix passive comme à la voix active. Il y a seulement à observer qu'une pareille exposition occupant trop de largeur pour une page in-octavo, on peut prendre le parti de mettre sur la page verso qui est à gauche, les dénominations générales des tems, disposées comme on le voit ici ; & sur la page recto qui est à droite, le pur paradigme du verbe sur les deux colonnes paralleles du singulier & du pluriel.
Dans les tems composés, il y a toujours quelques mots qui sont communs à toutes les personnes : il sera utile de ne les écrire qu'une fois à côté du tems, sur une ligne couchée verticalement. 1°. Cette disposition fera mieux sentir ce qu'il y a de commun & de propre à chaque personne. 2°. Comme l'expédient est également de mise en latin & en françois, il servira à diminuer la largeur du paradigme, qui, sans cela, occuperoit souvent plus d'espace que n'en comporte la page, & forceroit à mettre une seule personne en deux lignes. Voici sous cette forme le futur défini antérieur du même mode :
On distingue communément quatre conjugaisons régulieres des verbes latins, différenciées principalement par la voyelle qui précede le re final du présent de l'infinitif : c'est un a long dans les verbes de la premiere conjugaison, amre (aimer) ; c'est un e long dans ceux de la seconde, monre (avertir) ; c'est un e bref pour la troisieme, legre (lire) ; & c'est un i long pour la quatrieme, audre (entendre). On a coutume de donner trois paradigmes à chacune de ces conjugaisons ; l'un, pour les verbes de terminaison active, soit absolus, soit relatifs ; le second, pour les verbes de la voix passive ; & le troisieme, pour les verbes déponens. Cela est très-bien ; mais il me semble qu'il seroit mieux encore de partager en deux especes les verbes de la troisieme conjugaison, & de mettre dans l'une, ceux qui ont une consonne avant o au présent indéfini de l'indicatif, comme lego, & dans l'autre, ceux qui ont au même tems un i avant o, comme capio : dans ce cas, il faudroit trois paradigmes pour les verbes de la premiere espece, par exemple, lego, legor & sequor ; il en faudroit pareillement trois pour ceux de la seconde, par exemple, capio, capior & aggredior : il me semble que ce n'est pas assez pour les commençans, d'une simple remarque telle que celle du rudiment de P. R. pag. 46.
On a coutume de mettre à la suite des conjugaisons régulieres, les paradigmes des verbes anomaux ou irréguliers, & l'on fait bien ; mais je voudrois qu'on le fît avec plus d'ordre, & que l'on suivît celui des conjugaisons mêmes. Le rudiment de P. R. débute par eo qui est de la quatrieme conjugaison ; viennent ensuite volo, malo, nolo & fero, qui sont de la troisieme ; puis, possum & prosum, qui tiennent au verbe substantif ; & enfin, edo & comedo, qui sont encore de la troisieme : c'est un vrai desordre, & d'ailleurs la liste des anomaux n'est pas complete .
Comme le verbe sum est un auxiliaire nécessaire dans les conjugaisons régulieres, on doit en trouver le paradigme dès le commencement. D'où je conclus que les irréguliers possum & prosum doivent être conjugués les premiers de tous les anomaux. Comme il n'y en a point à la premiere conjugaison, il faut conjuguer ensuite audeo, dont le prétérit est ausus sum ou fui ; & il servira de paradigme à gaudeo, gavisus sum ou fui, à soleo, solitus sum ou fui, &c. Il y a un verbe de la troisieme conjugaison qui suit la même anomalie ; c'est fido, fisus sum ou fui : il faut aussi le conjuguer pour servir de paradigme à ses composés consido, diffido : fio, qui tient lieu de passif à facio dans ses présens, & qui n'a d'autres prétérits ni d'autres futurs, que ceux qu'il emprunte du passif de ce verbe, doit aussi être conjugué ; on peut mettre ensuite la conjugaison active & passive de fero, qui servira de paradigme à tous ses composés, dont il est bon de détailler les tems primitifs, à cause des métamorphoses de la particule composante : puis, le verbe edo, qui sera le paradigme de comedo & exedo : enfin, viendront les trois verbes volo, malo & nolo. Le verbe eo, étant de la quatrieme conjugaison, ne peut être placé qu'ici ; & il sera suivi immédiatement de la conjugaison du défectif memini ; qui sera le paradigme de novi, coepi, odi.
Je n'ajouterai plus qu'un mot qui est général. C'est 1°. qu'au-dessous de chaque paradigme il est bon de donner une liste alphabétique de plusieurs mots soumis à la même analogie, afin de fournir aux commençans de quoi s'exercer sur le paradigme, & en même tems pour leur apprendre autant de mots latins, noms, adjectifs, ou verbes. 2°. Il me semble que la regle particuliere sera placée plus convenablement après le paradigme qu'avant ; elle ne peut être bien entendue qu'en ce lieu, & c'est d'ailleurs l'ordre naturel, les regles analogiques n'étant que les résultats de l'usage. S'il y a donc des regles communes à toutes les déclinaisons des noms ou des adjectifs, ou à toutes les conjugaisons des verbes, il en faut réserver l'exposition pour la fin : ce sont comme les corrollaires de tout le détail qui précede.
Il est aisé d'appliquer aux paradigmes de quelque langue que ce soit, ce que je viens de dire de ceux de la langue latine, en observant ce que le génie propre de chaque langue exige de particulier, soit en plus, soit en moins. (M. B. R. M.)
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PARADIGRAMMATIQUE | LA, (Arts) c'est l'art de faire toutes sortes de figures en plâtre ; les Artistes l'ont très-bien nommée en latin gypsochi ; nous disons en françois sculpteurs en plâtre, terme qui ne vaut pas le mot latin. (D.J.)
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PARADIS | S. m. dans les livres du nouveau Testament & parmi les Chrétiens signifie un lieu de délices, où les ames des justes voyent Dieu, & jouissent d'un bonheur éternel.
C'est ainsi que Jesus-Christ dit au bon larron, Luc xxiij. 43 : Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis ; & que saint Paul, II. Cor. xij. 4. parlant de lui-même en troisieme personne, dit qu'il connoit un homme qui a été ravi en esprit jusque dans le paradis, où il a entendu des paroles qu'il n'est pas permis à l'homme de publier.
Le système de Copernic & de Descartes a nonseulement renversé l'ancienne hypothèse de Ptolomée sur l'ordre & sur la structure de ce monde ; mais il a encore mis dans la nécessité de proposer ailleurs un endroit propre à placer le séjour des bienheureux, qu'on nomme vulgairement paradis. L'on dispute donc raisonnablement dans les écoles sur la situation du paradis céleste où nous devons aller, comme on fait sur celle du terrestre d'où Adam fut chassé. Car enfin depuis que les cieux sont fluides, que la terre & les planetes roulent dans les airs autour du soleil, & que les étoiles que nous voyons sont autant de soleils qui sont chacune le centre d'un tourbillon ; il a fallu que l'empyrée disparût, ou dumoins qu'il s'en allât bien loin d'où il étoit. Quoi qu'il en soit, si l'on place le paradis dans un lieu qui environne tous ces espaces immenses, il me paroît ou que les reprouvés seront bien resserrés au centre de la terre, ou que les élus seront fort au large tout-autour de ce grand monde.
Quelques Théologiens croiront peut-être faire une heureuse & juste application de ces paroles des Pseaumes in sole posuit tabernaculum suum, en disant que c'est dans le soleil où les élus habiteront, & où Dieu manifestera sa gloire. Ils ne font point attention que l'ame de Jesus-Christ jouissoit de la gloire céleste sur la terre, & qu'il étoit, selon leur opinion & leurs termes, voyageur & compréhenseur tout-à-la-fois ; qu'ainsi ce n'est pas le lieu qui fait le paradis, mais le bonheur dont on jouït par la vûe de Dieu, qui étant par-tout, peut aussi se montrer & faire par-tout des bienheureux : d'ailleurs puisqu'ils donnent aux corps glorieux, après la résurrection, l'agilité & la pénétration ; ils ne doivent pas les resserrer dans un endroit particulier. Ils n'auront apparemment ces qualités que pour en faire usage, se transporter librement par-tout, & contribuer à une partie de leur bonheur par la vûe & par la connoissance successive des ouvrages & des opérations du Créateur dans ces espaces immenses.
Quand on veut parler là-dessus, peut-on mieux faire qu'en disant que le paradis n'est pas un lieu, mais un changement d'état. Que s'il est dans le ciel, le ciel n'est autre chose que toute la matiere fluide & immense, dans laquelle roulent une infinité de corps & lumineux & opaques ; desorte que les cieux, l'univers & tous les ouvrages de Dieu sont le paradis & le séjour des bienheureux. C'est pourquoi notre Seigneur dit dans l'Evangile, que les saints auront le royaume des cieux en partage, & qu'ils posséderont la terre, c'est-à-dire que tout l'univers leur appartiendra, ou qu'au-moins ils en auront la jouissance entiere & parfaite.
Les Juifs appellent ordinairement le paradis le jardin d'Eden, & ils se figurent qu'après la venue du Messie ils y jouïront d'une félicité naturelle au milieu de toutes sortes de délices : & en attendant la résurrection & la venue du Messie, ils croyent que les ames y demeurent dans un état de repos.
Les Mahométans admettent aussi un paradis, dont toute la félicité ne consiste que dans les voluptés corporelles. Voyez ce qu'ils en racontent sous les mots ALCORAN, MAHOMETISME.
PARADIS TERRESTRE, jardin des délices dans lequel Dieu plaça Adam & Eve après leur création. Ils y demeurerent pendant leur état d'innocence, & en furent chassés dès qu'ils eurent désobéi à Dieu en mangeant du fruit défendu. Ce mot vient de l'hébreu ou plutôt du chaldéen pardes, que les Grecs ont traduits par celui de , qui signifie à la lettre un verger, un lieu planté d'arbres fruitiers, & quelquefois un bois de haute futaie. Les Perses nommoient ainsi leurs jardins à fruits, & les parcs où ils nourrissoient toutes sortes d'animaux sauvages, comme il paroît par Xénophon, cyroped.
Moïse l'appelle le jardin d'Eden, c'est-à-dire, le jardin des délices, mot dont quelques-uns cherchent l'étymologie dans le grec , voluptas : mais dans l'hébreu, Eden est le nom d'un pays & d'une province où étoit situé le paradis terrestre.
On forme plusieurs difficultés sur sa situation ; quelques-uns, comme Origene, Philon, les Seleuciens & Harmianiens anciens hérétiques, Paul Venitien dans le dernier siecle, ont cru que le paradis terrestre n'avoit jamais existé, & qu'on doit expliquer allégoriquement tout ce qu'en dit l'Ecriture : d'autres l'ont placé hors du monde, quelques-uns dans le troisieme ciel, dans le ciel de la lune, dans la lune même ; d'autres dans la moyenne région de l'air, au-dessus de la terre, quelques autres sous la terre dans un lieu caché & éloigné de la connoissance des hommes, dans le lieu qu'occupe aujourd'hui la mer Caspienne.
Les sentimens de ceux qui l'ont placé sur la terre ne sont pas moins partagés. Il n'y a presqu'aucune partie du monde, dit dom Calmet, où l'on ne l'ait été chercher, dans l'Asie, dans l'Afrique, dans l'Europe, dans l'Amérique, sur les bords du Gange, dans les Indes, dans la Chine, dans l'île de Ceylan, dans l'Ethiopie où sont les montagnes de la lune, &c.
Le sentiment le plus probable, quant à la désignation générale du paradis terrestre, est qu'il étoit situé en Asie ; mais dès qu'il s'agit de déterminer en quelle partie de l'Asie, nouveau partage d'opinions.
Quelques-uns, comme le P. Hardouin, le placent dans la Palestine, aux environs du lac de Genesareth ; un auteur silésien, nommé Herbinius, qui a écrit sur cette matiere en 1688, adopte en partie ce sentiment. M. le Clerc, dans son commentaire sur la Genese, le met aux environs des montagnes du Liban, de l'Anti-Liban, & de Damas vers les sources de l'Oronte & du Chrysorrhoas : mais dans l'une ni dans l'autre de ces deux positions on ne découvre aucun vestige des fleuves qui, selon la description de Moïse, arrosoient le paradis terrestre.
Hopkinson, M. Huet & Bochart placent le paradis terrestre entre le confluent de l'Euphrate & du Tigre, & à l'endroit de leur séparation ; parce que, selon le récit de Moïse, ces deux fleuves sont du nombre de ceux qui arrosoient le jardin d'Eden ; le Phison, ajoutent-ils, étoit le canal occidental du Tigre, & le Gihon le canal occidental du même fleuve qui se décharge dans le golfe persique. Selon eux, l'Ethiopie, une des contrées qu'arrosoient les fleuves, selon Moïse, étoit incontestablement l'Arabie déserte, puisque le même auteur donne le nom d'Ethiopienne à sa femme, qui étoit de ce pays ; & Hévilah, l'autre contrée, doit être le Chusistan, province de Perse, où l'on trouvoit autrefois l'or, le bdellium & l'onyx, dont parle Moïse. La grande difficulté de ce système est que Moïse parle bien distinctement de quatre fleuves, dont chacun avoit sa source dans le jardin d'Eden, & qu'ici l'on ne trouve que deux fleuves qui forment à la vérité quatre branches, mais dont le cours est peu différent, & n'est pas opposé comme l'insinue le texte de la Genèse.
Le P. Calmet & quelques autres critiques fort habiles ont placé le paradis terrestre dans l'Arménie aux sources du Tigre, de l'Euphrate, de l'Araxe & du Phani, qu'ils croient être les quatre fleuves désignés par Moïse. L'Euphrate est bien nettement exprimé dans la Genèse. Le Chidkel est le Tigre nommé encore aujourd'hui Diglito. Le Gehon est l'Araxe, , en grec signifie impétueux, de même que Gehon en hébreu, & l'on reconnoît ce fleuve à ce qu'en a dit Virgile, pontemque indignatus Araxes. Le canton d'Eden étoit dans ce pays-là autant qu'on en peut juger par quelques vestiges qui en sont restés dans les livres saints. Le pays de Chus est l'ancienne Scithie, située sur l'Araxe, & Hévilah ou Chevilah, célebre par son or, paroît avoir donné son nom à la Colchide, aussi renommée chez les anciens par ce même métal que le Phase rouloit dans ses eaux. L'objection la plus spécieuse qu'on fasse contre ce sentiment, c'est que, selon Chardin, le Phison, aujourd'hui le Phazzo, prend sa source dans les montagnes du Caucase, du côté de la partie septentrionale du royaume d'Imiret & assez loin du mont Ararat ; mais comme il faut donner nécessairement une certaine étendue au canton d'Eden pour que quatre grands fleuves puissent y prendre leur source, cette difficulté ne paroît pas fondée. Voyez le comment. de dom Calmet sur la Bible, & sa dissert. particuliere sur le paradis terrestre.
Il y a encore différentes autres opinions sur ce point. Postel prétend que le paradis terrestre étoit placé sous le pole septentrional. Il fonde cette idée sur une ancienne tradition des Egyptiens & des Babyloniens, qui portoit que l'écliptique ou la route du soleil coupoit d'abord l'équateur à angles droits, & par conséquent passoit sur le pole septentrional : d'autres au contraire pensent qu'il n'étoit limité à aucune place particuliere, qu'il s'étendoit sur toute la face de la terre qui n'étoit, disent-ils, alors, qu'une scène continuelle & variée de voluptés jusqu'à-ce qu'elle fût changée par le péché d'Adam. Mais ces deux sentimens sont également incompatibles avec le texte de la Genèse.
Les Orientaux croyent que le paradis terrestre étoit dans l'île de Serendib ou de Ceylan, & qu'Adam ayant été chassé du paradis, fut relégué dans la montagne de Rahonn, située dans la même île, à deux ou trois journées de la mer. Les Portugais nomment cette montagne pico de Adam, ou montagne d'Adam, parce qu'on croit que le premier homme a été enterré sous cette montagne, après avoir fait une pénitence de cent trente ans. Outre ce paradis terrestre, les Musulmans en comptent encore trois autres, un vers Obollah en Chaldée, le second vers le désert de Naoubendigian en Perse, & le troisieme vers Damas en Syrie. D'Herbelot, Biblioth. oriental. p. 378 & 708. Calmet, Diction. de la Bible.
PARADIS, (Critiq. sacrée) ce mot dans son origine signifie un verger, & non un jardin : il ne veut pas dire un jardin de fleurs ou de légumes & d'herbes, mais un enclos planté d'arbres fruitiers, & autres. Ce nom se trouve en trois endroits du texte hébreu. 1° Au second livre d'Esdras, ij. 8. où Néhémie prie le roi Artaxerxes de lui faire donner des lettres adressées à Asaph, gardien du verger du roi, afin qu'il lui fasse donner le bois nécessaire pour les bâtimens qu'il alloit entreprendre. Dans cet endroit, paradis est mis pour un lieu rempli d'arbres propres à bâtir. 2° Salomon, dans l'Ecclésiaste, ij. 5. dit qu'il s'est fait des jardins & des paradis, c'est-à-dire des vergers. 3° Dans le Cantique des Cantiques, iv. 13. il dit que les plants de l'épouse sont comme un verger rempli de grenadiers. Les Grecs, non-seulement les septante, mais même Xénophon & les autres auteurs païens se servent souvent de ce même terme en ce sens-là.
Les septante se sont servis du mot en parlant du jardin d'Eden, ; l'hébreu l'explique par le mot gan. Jamais lieu n'a tant excité la curiosité des hommes que celui-là, je crois qu'il est par-tout où les hommes se font du bien. (D.J.)
PARADIS, (Hist. eccles.) chez les anciens écrivains ecclésiastiques se dit d'une cour quarrée devant les cathédrales, environnée de places ou de portiques soutenus par des piliers, & sous lesquels on peut se promener. Voyez PORTIQUE. Matthieu Paris l'appelle parvisus, parvis. Voyez PARVIS.
PARADIS, BASSIN, (Marine) c'est la partie d'un port où les vaisseaux sont le plus en sûreté. Voyez BASSIN & CHAMBRE. (Z)
PARADIS, oiseau du, (Ornithol.) c'est, selon Linnaeus, un genre particulier d'oiseaux de l'ordre des pies ; leurs caracteres distinctifs consistent à avoir deux plumes particulieres & extrêmement longues, lesquelles ne sont insérées ni aux aîles, ni au croupion.
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PARADISUS | (Géog. anc.) ville de Syrie. Diodore de Sicile, l. XVIII. c. xxxix. nomme cette ville Triparadisus, & la met dans la haute Syrie. Il y avoit aussi en Syrie un fleuve de ce nom, selon Martianus Capella. Pline, l. V. c. xxvij. en met un autre en Cilicie. (D.J.)
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PARADOXE | S. m. en Philosophie, c'est une proposition absurde en apparence, à cause qu'elle est contraire aux opinions reçues, & qui néanmoins est vraie au fond, ou du-moins peut recevoir un air de vérité. Voyez PROPOSITION.
Ce mot est formé du grec , contra, contre, & , opinion.
Le système de Copernic est un paradoxe au sentiment du peuple, & tous les savans conviennent de sa vérité. Voyez COPERNIC.
Il y a même des paradoxes en Géométrie : on peut regarder comme tels les propositions sur les incommensurables & plusieurs autres, &c. on démontre, par exemple, que la diagonale d'un quarré est incommensurable avec son côté, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune portion d'étendue si petite qu'elle soit, fût-ce 1/100000000000 de ligne qui soit contenue à-la-fois exactement dans le côté d'un quarré & dans la diagonale. La Géométrie de l'infini fournit un grand nombre de paradoxes à ceux qui s'y exercent. Voyez ASYMPTOTE, INCOMMENSURABLE, INFINI, DIFFERENTIEL, &c. (O)
PARADOXE ou PARADOXOLOGUE, (Hist. anc.) c'étoit chez les anciens une espece de mimes ou de bateleurs, qui divertissoient le peuple avec leurs bouffonneries. Voyez PANTOMIME.
On les appelloit aussi ordinaires, à cause apparemment que parlant sans étude ou préparation, ils étoient toujours prêts.
Ils étoient encore appellés nianicologices, c'est-à-dire des conteurs de sornettes d'enfant ; & outre cela arétalogices, du mot , un virtuoso, en ce qu'ils parloient beaucoup de leurs rares talens & des merveilleuses qualités qu'ils s'attribuoient.
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PARAETACENE | (Géog. anc.) contrée d'Asie ; on donnoit ce nom, selon Ptolomée, l. VI. c. iv. à toute la partie de la Perside qui touchoit la Médie. Strabon, l. II. p. 80. & l. XI. p. 524. dit que la Paraetacene & la Cossée joignoient la Perside, & s'étendoient jusqu'aux portes Caspiennes. Les habitans de cette contrée, nommée Paraetacae & Paraetaceni, étoient des montagnards adonnés au brigandage.
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PARAETAQUES | (Géog. anc.) peuples dont les anciens Géographes marquent presque tous différemment la position. Selon Pline, ils séparoient le pays des Parthes de la province nommée Aria, c'est-à-dire qu'ils occupoient les montagnes qui servoient de frontieres à ces Parthes & aux Ariens. Selon Ptolomée, les Paraetaques habitoient au nord de la Perse & au midi de la Médie ; & selon Eratosthenes, cité par Strabon, ils s'étendoient vers l'Orient jusqu'aux frontieres du pays des Parthes & celles de la Caramanie : ensorte qu'ils n'étoient séparés des Paraetaques orientaux de l'Asie & du Sacastan que par les déserts de la Caramanie, si même ils ne les habitoient pas ; car les pays les plus stériles ne l'étoient pas pour les Scythes, leurs troupeaux étant accoutumés à se nourrir des plantes seches que la terre produit dans ces plaines arides.
Hérodote & Arrien mettent les Paraetaques dans la Médie. Etienne de Byzance dit qu'il y avoit une ville dans la Médie, appellée Paraetaca ; mais il y a apparence qu'elle étoit seulement dans la Paraetacene, aux confins de la Médie.
Strabon donne une très-grande étendue aux Paraetaques occidentaux, il les joint aux Cosséens ; & après avoir dit que ce sont des montagnards féroces & accoutumés aux brigandages, il ajoute qu'ils s'étendoient au nord jusqu'aux portes Caspiennes, c'est-à-dire jusqu'au nord de la Médie, & dans le voisinage de l'Hyrcanie, & de la partie septentrionale du pays des Parthes : ailleurs il joint ces Paraetaques aux peuples de l'Elymaïde, & dit qu'ils occupoient les montagnes voisines de la Pittacene ou de l'Apolloniatide, c'est-à-dire de la rive orientale du Tigre. Ces Paraetaques avoient conservé dans l'Elymaïde le nom de Saques, & l'avoient donné à un canton de la Susiane, nommé Sagapena, selon Strabon : ce nom nous apprend que les Paraetaques répandus dans les montagnes de la Perse, étoient des Saques ou des Scythes, de la même nation que les Paraetaques du Sacastan, dans la Margiane & dans le Paropamisus. Ainsi l'on conçoit facilement que ces peuples n'avoient eu que le Tigre à traverser pour s'établir dans la Babylonie, & porter leur nom de Saques dans cette île formée par les deux bras du Tigre où sont les deux bourgades, qui sont appellées encore aujourd'hui Sakié par les Arabes.
Il se pourroit même que quelque bande de ces mêmes Saques eût donné son nom à la ville de Sacada sur le Tigre, au midi de Ninive. Selon le témoignage de Strabon, les Saques avoient fait des irruptions dans les pays les plus éloignés de leur premiere demeure qui étoit vers les bords du Jaxartes ; nonseulement ils s'étoient emparés de toute la Bactriane, de la Margiane, & du pays des Parthes, habité par une très-ancienne colonie de Scythes avec laquelle ils s'étoient mêlés, mais ils s'étoient encore étendus de proche en proche jusques dans la Babylonie à l'Occident ; & remontant de-là vers le Nord, ils avoient pénétré jusques dans l'Arménie où ils s'étoient emparés d'une province fertile entre le Cyrus & l'Araxe, à laquelle ils donnerent le nom de Sacassena ; ils avoient aussi fait des courses dans la Cappadoce, & ravagé ce pays jusque sur les bords du Pont Euxin. On célébroit encore du tems de Strabon une fête à Zela, ville du Pont sous le nom de Sacaea, en mémoire d'un avantage remporté par ceux du pays sur les Saques. Voyez SACCEES. (D.J.)
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PARAETONIUM | (Géog. anc.) ville d'Egypte. Ptolomée, l. IV. c. v. la place dans le nome de Libye, entre Apis & Pithys extrema. Strabon, l. XVII. p. 798. dit que cette ville avoit un port, que quelques-uns l'appelloient Ammonia. C'est-là qu'Antoine & Cléopatre laisserent comme en dépôt leurs enfans & leurs trésors après la bataille d'Actium. Justinien fit fortifier Paraetonium, pour arrêter les incursions des Maures ; mais ce prince n'a fait que se ruiner en fortifications inutiles, & dépeupler ses états par un zele furieux. (D.J.)
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PARAGE | S. m. (Jurisprud.) appellé dans la basse latinité paragium, signifioit autrefois la haute noblesse, ainsi que le remarque Ducange ; dans la suite ce terme est devenu usité pour exprimer la parité ou égalité de condition qui se trouve entre plusieurs co-seigneurs d'un même fief.
Parage, ou tenure en parage, est la possession d'un fief indivis entre plusieurs co-héritiers, dont la foi est rendue au seigneur dominant pour la totalité, par l'aîné de ses co-héritiers, que l'on appelle chemier, tandis que les puînés ses co-héritiers, qu'on appelle parageurs dans certaines coutumes, & dans d'autres parageaux, tiennent leur portion indivise du même fief, sous l'hommage de leur chemier ou aîné, sans en faire d'hommage au seigneur dominant, ni à leur aîné, lequel fait seul la foi pour tous, & les garantit sous son hommage.
L'effet de cette maniere de posseder un fief est qu'après le parage fini, dans les tems & suivant les regles que chaque coutume prescrit, les portions que les puînés ont dans les fiefs, cessent de relever directement du seigneur dominant, dans la mouvance duquel elles avoient été jusqu'alors, & se levent pour toujours de la portion possédée par le chemier ou aîné, qui devient dès-lors le seigneur dominant des parageurs ou puînés.
Il est assez difficile de pénétrer quel a été dans l'origine le fondement de cet usage, qui paroît néanmoins avoir été suivi autrefois dans la plus grande partie de la France, comme on le voit par un grand nombre d'actes anciens, par plusieurs dispositions de coutumes, & par ce qui nous reste des ouvrages de nos anciens praticiens.
Ce qui est constant, c'est qu'originairement les fiefs étant considérés comme indivisibles de leur nature, ils ne tomboient point en partage dans les successions ; l'aîné mâle les recueilloit en entier, & l'aînée des femelles, à défaut des mâles, pouvoit aussi y succéder, lorsque la loi de l'investiture le permettoit. Feud. liv. II. tit. 11 & 17.
Cet ancien droit féodal changea dans la suite ; le partage des fiefs fut admis dans les successions, comme celui des aleux ; & alors, pour conserver l'indivisibilité des fiefs à l'égard du seigneur dominant, on imagina les frerages & les parages.
Le frerage étoit le partage entre freres, sous cette condition que les puînés tiendroient en frerage de leur aîné, c'est-à-dire, qu'ils feroient à l'aîné la foi & hommage pour leur portion du fief.
Par l'ancien usage de la France, dit M. de Lauriere en son gloss. au mot frarescheux, quand un fief étoit échu à plusieurs enfans, il étoit presque toujours démembré & diminué, parce que les puînés tenoient ordinairement de leur aîné par frerage leur part & portion, en foi & hommage.
Le parage étoit, comme l'on voit, synonyme du frerage, n'ayant d'abord eu lieu qu'entre freres, enfans d'un pere commun ; il n'avoit aussi lieu d'abord qu'entre les nobles seulement, avant que les roturiers eussent obtenu dispense de tenir des fiefs ; enfin il n'avoit lieu en collatérale que dans les coutumes qui donnent le droit d'aînesse tant en directe qu'en collatérale.
Tel étoit l'ancien droit de presque toute la France ; les aînés ne faisoient la foi & hommage aux seigneurs dominans que pour leur part seulement, & les puînés tenoient la leur en foi & hommage de leur aîné comme ses vassaux ; desorte que ces portions des puînés formoient à l'égard du seigneur dominant des arriere-fiefs : c'est ce que nous apprenons des paroles suivantes d'Othon de Frisinger, de gestis Frederici, lib. II. cap. xxix. Mos in illâ qui penè in omnibus galliae provinciis, quod semper serviori fratri, ejusque liberis maribus seu foeminis paternae hereditatis cedat autoritas, caeteris ad illum tanquam dominum respicientibus.
Mais comme ces frerages, par les démembremens réels qu'ils opéroient, tendoient évidemment à la destruction des fiefs, sous le regne de Philippe-Auguste, Eudes duc de Bourgogne ; Hervé comte de Nevers ; Renault comte de Boulogne ; le comte de S. Pol, Guy de Dampierre, & plusieurs autres grands seigneurs, tâcherent d'abolir cet usage dans leurs terres par un accord qu'ils firent entr'eux, qui fut rédigé en 1209 ou 1210, & auquel Philippe-Auguste voulut bien donner le caractere de loi. Cette ordonnance est rapportée par Pithou, sur l'article 14. de la coutume de Troyes, & dans le recueil des ordonnances du Louvre : elle portoit qu'à l'avenir les puînés ne releveroient plus de leur aîné par les partages des fiefs ; qu'ils releveroient directement des seigneurs, dont les fiefs relevoient avant le partage, & que le cas échéant, où le service seroit dû au seigneur dominant, chacun des co-partageans seroit tenu de l'acquiter à proportion de ce qu'il auroit dans le fief.
Cette ordonnance n'abolit pas le frerage, comme quelques-uns l'ont cru, mais elle en changea l'effet, en réglant qu'à l'avenir les puînés releveroient du seigneur dominant, au lieu qu'auparavant ils relevoient de leur aîné.
D'ailleurs ce réglement, quoique fort sage, & plus conforme à la nature des fiefs, ne fut pas pleinement exécuté. L'ancien usage prévalut en beaucoup d'endroits, notamment dans les domaines du roi, ainsi qu'il est prouvé par les établissemens de S. Louis, chap. xliij. lxx. & lxxiv. qui font mention du parage, comme d'une chose qui étoit d'un usage commun.
C'est ainsi qu'en voulant éviter le démembrement imaginaire qu'opéroit le partage du fief, on en introduisit un autre très-réel, en admettant le parage légal, lequel opere en effet le démembrement le plus formel & le plus caractérisé, puisque d'un fief il en fait réellement plusieurs très-distincts, au détriment du seigneur dominant qui y perd la mouvance immédiate ; & ce fut par la voie du parage que les arriere-fiefs se multiplierent beaucoup.
Le parage continue donc d'être d'un usage commun en France, nonobstant l'accord ou ordonnance de 1209, & il eut cours ainsi jusqu'à la rédaction & réformation des coutumes, dont le plus grand nombre a rejetté le parage.
Celles qui l'ont conservé sont Normandie, Anjou, Maine, Lodunois, Blois, Tours, Poitou, Angoumois, S. Jean d'Angely, l'Usance de Saintes, Bretagne, & quelques autres en petit nombre.
Le chemier ou aîné garantit, comme on l'a déja dit, les puînés sous son hommage. Ils sont seulement tenus de lui fournir l'aveu & dénombrement de leurs portions, afin qu'il puisse fournir un aveu général du fief au seigneur dominant.
Tandis que le parage dure, les puînés contribuent aux charges & devoirs du fief, tels que les frais de l'hommage, le relief, le chambellage, & autres devoirs qui peuvent être dûs.
Le parage n'a lieu que pour la jouissance indivise d'un même fief ; lorsque les puînés ont un fief distinct en partage, il n'y a pas lieu au parage ; la coutume de Poitou l'admet pourtant pour plusieurs fiefs distincts, mais il ne dure que pendant que la succession est indivise.
On divise le parage en légal & conventionnel.
Le parage légal est celui qui est introduit par la loi, & qui a lieu de plein droit, sans qu'il soit besoin de convention ; il n'est admis qu'entre co-héritiers, dont l'aîné devient le chemier, & les puînés les parageurs ou parageaux ; & à la fin de ce parage légal, les portions des puînés dans le fief relevent immédiatement de la portion de l'aîné.
Le parage conventionnel est celui qui se forme par convention entre plusieurs co-héritiers ou co-propriétaires : il ne finit que par une convention contraire, sans jamais altérer ni changer la mouvance du fief à la fin du parage, ensorte que cette espece de parage n'intéresse nullement le seigneur dominant auquel il ne fait jamais aucun préjudice. Cette espece de parage est plus connu dans les coutumes de Poitou, Saintonge & Angoumois, que dans les autres coutumes de parage.
Tout l'effet du parage conventionnel se réduit à charger un des co-héritiers ou co-propriétaires de faire la foi & hommage en l'acquit des autres pour la totalité du fief, & tant que ce parage dure, les mutations n'arrivent, & les droits ne sont dûs au seigneur que du chef du chemier conventionnel, c'est-à-dire, de celui qui par la convention a été chargé de servir le fief ; lorsque ce parage se résout par une convention contraire, tous les portionnaires du fief font la foi au seigneur dominant, chacun pour la portion qu'il a dans le fief.
Le parage, soit légal ou conventionnel, est une espece de jeu de fief, l'un procédant de la loi, l'autre de la convention ; mais ce dernier ne regardant que le port de fief, ne forme pas un véritable jeu de fief.
Suivant le droit commun de cette matiere, il ne peut jamais y avoir de parage légal ou conventionnel, que dans le partage ou acquisition d'un seul & même fief, en quoi l'un & l'autre parage conviennent entr'eux ; mais ils différent en deux points essentiels.
L'un est que le parage conventionnel ne finit jamais, si ce n'est par une convention contraire, au lieu que le parage légal a une fin déterminée ; savoir, lorsque les co-seigneurs du fief sont si éloignés, qu'ils ne peuvent plus montrer ni prouver le lignage : dans quelques coutumes, il finit au sixieme degré inclusivement ; dans d'autres du quatrieme au cinquieme : il finit aussi quand une portion du fief sort de la ligne à laquelle il a commencé.
L'autre différence est, que dans le parage conventionnel le jeu de fief ne concerne que le port de foi, au lieu que le parage légal tend à une sous-inféodation des portions des puînés ; sous-inféodation qui a lieu, lorsque le parage est fini sans que le seigneur dominant puisse l'en empêcher : la coutume de Poitou veut même qu'on l'appelle pour voir le puîné faire la foi à l'aîné ; autrement, lors de l'ouverture de la portion chemiere, le seigneur dominant pourroit exercer tous les droits, tant sur la portion chemiere que sur les portions cadettes.
Dans toutes les coutumes qui n'admettent point expressément le parage, on ne peut l'y introduire, soit dans les acquisitions en commun, soit dans les partages de successions directes ou collatérales, il n'a point lieu au préjudice du roi ni de tout autre seigneur dominant ; car en ce cas ce seroit un parage conventionnel, lequel est encore plus exorbitant du droit commun que le parage légal ; desorte qu'il ne peut avoir lieu s'il n'est expressément admis par la coutume ; ainsi dans ce cas le seigneur seroit en droit de faire saisir le fief entier, & de refuser l'hommage qui lui seroit offert par l'aîné ou autres, dont les co-propriétaires seroient convenus.
Il y a néanmoins deux exceptions à cette regle.
L'une est que si les puînés étoient mineurs, le seigneur seroit tenu de leur accorder souffrance.
L'autre est que dans certaines coutumes, l'aîné est autorisé à porter la foi pour la premiere fois que le fief est ouvert par le décès du pere commun ; mais cela ne tire pas à conséquence pour la suite, & n'opere point un parage.
Le parage conventionnel, suivant l'art. 107. de la coutume de Poitou, se forme par convention, soit par le contrat d'acquisition d'un fief par plusieurs personnes, soit lors de la dissolution de la communauté, suivant l'article 243, où la femme pendant qu'elle s'unit, tient la moitié des acquets en part prenant des héritiers du mari, qui font les hommages pendant l'indivision, soit quand on aliene une partie de son fief à la charge d'un devoir, & de le garantir sous son hommage. Le parage se forme aussi par longue usance, dit l'art. 107, c'est-à-dire, quand un des ayans part au fief a fait & été reçu en hommage pour tous pendant un long-tems.
Il y a deux sortes de parage conventionnel, suivant les coutumes de Poitou, Angoumois & Saint Jean d'Angely : l'une s'appelle tenir en part prenant, ou part mettant : l'autre se dit tenir en gariment.
Tenir en part prenant, part mettant, ou en gariment, c'est tenir par plusieurs propriétaires du même fief à autre titre que successif sous la convention que l'un d'eux fera la foi pour tous les autres, & qu'il les garantira sous son hommage ; & que par ce moyen il couvrira la portion des autres ; ils sont part prenans, parce qu'ils prennent part au fief ; ils sont part mettans, parce qu'ils contribuent au devoir ; ils sont en gariment, parce qu'ils sont sous sa foi.
Tous ceux qui tiennent en part prenant & part mettant tiennent aussi en gariment. Mais il y a une tenure particuliere en gariment qui n'est point en part prenant ni en part mettant, c'est lorsque quelqu'un aliene une partie de son fief à certain devoir, à la charge de la garantir sous son hommage. Celui qui tient cette portion de fief moyennant un devoir est en gariment ; mais il n'est pas en parage : il n'est pas égal à celui dont il tient sa portion ; il est sous lui & dépendant de lui, au lieu que dans le parage légal ou conventionnel tous ceux qui ont part au fief sunt pares in feudo, si ce n'est qu'un seul fait la foi pour tous, tandis que le parage dure.
Les coutumes de parage n'admettent pas à ce genre de tenure toutes sortes de personnes indistinctement.
Suivant l'usage de Saintes, le parage légal n'a lieu qu'entre nobles, parce que le droit d'aînesse, dont le parage n'est qu'une suite & une conséquence, n'y a lieu qu'entre nobles, & par une suite du même principe, l'usance accordant le droit d'aînesse à la fille aînée à défaut de mâles, le parage y a lieu entre filles.
Les coutumes d'Anjou & Maine n'admettent aussi le parage légal qu'entre nobles, & il n'y a lieu principalement qu'à l'égard des filles, parce que les puînés n'y ont ordinairement leur portion qu'en bien faire, c'est-à-dire, par usufruit, au lieu que les filles l'ont par héritage, c'est-à-dire en propriété.
Mais comme le pere ou le frere nobles peuvent donner au puîné sa portion dans le fief par héritage, ils peuvent aussi la lui donner en parage, de maniere que le puîné soit garanti sous l'hommage de son aîné.
Dans l'ancienne coutume de Normandie, le parage avoit lieu entre mâles, aussi-bien qu'entre les femelles ; mais dans la nouvelle, il n'a plus lieu qu'entre filles & leurs représentans, parce que cette coutume n'admet plus le partage des fiefs qu'entre filles.
Cette coutume ne distingue point entre le noble & le roturier ; il en est de même en Poitou, & dans quelques autres coutumes de parage.
Quoiqu'en parage ce soit à l'aîné seul à faire la foi, néanmoins les puînés ne doivent pas souffrir de sa négligence ; desorte que pour couvrir leurs portions ils pourroient offrir la foi, & dans ce cas il seroit juste que le seigneur les reçût à la foi, ou qu'il leur accordât souffrance.
Le parage légal n'a lieu communément qu'en succession directe ; mais dans les coutumes de Poitou, Tours & quelques autres où le droit d'aînesse a lieu en collatérale, le parage a également lieu en collatérale.
La donation faite au fils en avancement d'hoirie, soit en faveur de mariage ou autrement, donne lieu au parage, de même que la succession directe.
Il en faut dire autant du don fait à l'héritier présomptif en collatérale dans les coutumes où le parage a lieu en collatérale.
Le parage légal a lieu, comme on le dit, dans le partage d'un même fief, lorsque l'ainé donne partie de son fief à son puîné, & non lorsqu'il donne à chacun des puînés un fief entier, ou lorsqu'il leur donne pour eux tous un fief autre que le sien.
Néanmoins dans les coutumes de Poitou & Blois il y a une espece de parage pendant que la succession est indivise, l'aîné fait la foi pour tous, & couvre tous les fiefs tant qu'il n'y a point de partage. A Blois, quand la succession se divise, il n'y a plus de parage, au lieu qu'en Poitou, il y a encore parage quand l'aîné donne part aux puînés dans son fief.
Ce n'est que dans les simples fiefs que le parage légal a lieu ; il ne peut y en avoir pour les fiefs de dignité, tels que chatellenie, baronie & autres plus élevés, que les coutumes déclarent impartables, d'autant que la sous-inféodation des portions cadettes qui arrive nécessairement après la fin du parage, dégraderoit ces sortes de fiefs de dignité.
Quelques-uns croyent pourtant que le parage pourroit avoir lieu dans des fiefs titrés lorsqu'ils ne sont pas mouvans du roi, à cause de la couronne, mais seulement à cause de quelque seigneurie appartenante au roi.
Pour ce qui est du parage conventionnel, comme il n'y a point de sous-inféodation à craindre, on peut l'établir même pour des fiefs de dignité, pourvu que ce soit dans une coutume qui admette ce genre de parage.
Quant à la durée coutumiere du parage, les coutumes ne sont pas uniformes.
En Normandie il dure jusqu'au sixieme degré inclusivement.
En Anjou & Maine, il dure tant que le lignage soit assez éloigné pour que les possesseurs des différentes portions du fief puissent se marier ensemble ; ce qui s'entend lorsqu'ils sont au-delà du quatrieme degré, comme du quatrieme au cinquieme. Il en est de même dans la coutume de Lodunois.
Dans la coutume de Bretagne, le parage finit comme le lignage au neuvieme degré.
Dans les coutumes du Poitou, d'Angoumois, de S. Jean d'Angely & usance de Saintes, le parage dure tant que le lignage se peut compter, ce qui est conforme à l'ancien droit rapporté dans les établissemens de S. Louis.
Le parage a plusieurs effets dont les principaux sont :
1°. Que tant que le parage dure, les puînés tiennent leurs portions aussi noblement que leur chemier ou aîné.
2°. Pendant le parage les puînés ne doivent point de foi & hommage à leur aîné ou ses représentans, si ce n'est en Bretagne, où la coutume veut que le juveigneur ou puîné fasse la foi à l'aîné, excepté la soeur de l'aîné, laquelle n'en doit point pendant sa vie ; mais ses représentans en doivent.
3°. L'aîné n'a aucune jurisdiction sur ses puinés, si ce n'est dans quelques cas exprimés par les coutumes.
On dit communément que les puînés ont chacun dans leurs portions telle & semblable justice que leur aîné ; il ne faut pas croire pour cela, comme quelques auteurs l'ont prétendu, que la haute justice qui étoit attachée au fief se divise en autant de portions qu'il y a de puînés, ni que cela forme autant de justices séparées. Il n'y a toujours qu'une seule & même justice qui doit être exercée au nom de tous les copropriétaires, & dont les profits & les charges se partagent entr'eux à proportion de la part que chacun a dans le fief ; c'est en ce sens seulement qu'on peut dire que les puînés ont droit de justice comme leur aîné, ce qui ne signifie pas qu'ils puissent avoir un juge & un tribunal à part ; cette multiplication de justice seroit directement contraire à l'ordonnance de Roussillon, qui veut que les seigneurs auxquels appartient une justice par indivis, n'ayent qu'un seul & même juge.
Les puînés n'ont d'autre justice particuliere dans leur portion que la justice fonciere pour le payement de leurs cens & rentes, laquelle dans les coutumes de parage, est de droit attachée à tout fief.
Le parage fini, les puînés n'ont plus aucune part à la haute justice ; il ne leur reste plus que la basse justice dans leur portion ; & dans ce moment l'aîné a tout droit de haute justice sur eux, puisqu'ils deviennent ses vassaux.
Indépendamment du terme légal que les coutumes mettent au parage, il peut encore finir par le fait de l'homme, soit par le fait de l'aîné, ou par celui des puînés ; savoir, par vente, don, cession, legs, & généralement par toute aliénation hors ligne, soit de la portion aînée, ou des portions cadettes.
Il y a pourtant des coutumes, comme Anjou & Maine, Tours, où le parage ne finit pas quand c'est l'aîné qui aliene sa portion, mais seulement lorsque ce sont les puînés qui alienent.
En Normandie, la vente de la portion aînée ne fait point cesser le parage ; ce n'est que quand la portion d'un puîné est aliénée à un étranger non parager, ni descendant de parager.
Cette même coutume donne trois moyens pour faire rentrer en parage la portion puînée qui a été aliénée à un étranger.
Le premier est quand la portion vendue est retirée par un parager ou descendant d'un parager étant encore dans le sixieme degré.
Le deuxieme & le troisieme sont quand le vendeur rentre dans son héritage, soit en faisant annuller la vente, soit en vertu d'une clause apposée au contrat.
Dans les autres coutumes où le parage finit à un certain degré, on peut le faire revivre par les mêmes moyens, pourvu, dans le cas du retrait, que le retrayant soit encore dans le degré du parage.
La coutume de Tours veut de plus que le retrayant soit l'héritier présomptif du vendeur.
En Poitou, la vente de la portion chemiere fait finir le parage, quand même elle seroit faite à un parent, & à un parageur. Pour conserver le parage, il faut que la chose vienne à titre successif, ou autre titre équipollent, tel que le don en directe.
Dans les coutumes qui n'ont pas prévenu ce cas, il paroît équitable de suivre la disposition des coutumes d'Anjou & Maine, où le sort des puinés ne dépend point du fait de l'aîné.
L'aliénation de la part d'un des puînés fait bien finir le parage à son égard ; mais elle n'empêche pas que les autres puînés ne demeurent en parage jusqu'au terme marqué par les coutumes.
L'acquéreur à l'égard duquel le parage est fini, doit faire la foi à l'aîné, & lui payer les droits. La coutume de Poitou veut qu'il appelle le seigneur dominant de la totalité du fief pour lui voir faire la foi ; s'il ne le fait pas, le parage n'en est pas moins fini ; mais le seigneur dominant, en cas de mutation de la part du chemier, leveroit les droits en entier, comme si le parage subsistoit encore.
Suivant l'art. 140 de la coutume de Poitou, quand le puîné vend sa portion, l'aîné la peut avoir pour le prix, ou en avoir les ventes & honneurs.
Quand le chemier meurt laissant plusieurs enfans fils ou filles, l'ainé, ou aînée, s'il n'y a que filles, succede au droit de chemerage.
Il y a quelques grandes maisons d'Allemagne qui ont emprunté des François l'usage de parage ; & qui le pratiquent depuis plusieurs siecles. L'empereur Rupert de Baviere donna à son fils aîné le cercle électoral par préciput, & voulut qu'il partageât encore également le reste des terres avec ses trois autres freres. Jean-George I. du nom, imita cet exemple, & voulut que ses quatre fils partageassent de la même maniere.
Dans le même pays il y a des seigneurs qui, par le parage, ont seulement le domaine de la terre, sans en avoir la souveraineté ; d'autres en ont la souveraineté aussi-bien que le domaine, comme dans la maison de Saxe ; mais ils n'ont pas pour cela droit de suffrage dans les cercles & dans les dietes générales de l'empire. D'autres ont ce droit avec tous les autres, comme les comtes de Veldentro de la maison palatine.
Schilter, jurisconsulte allemand, qui a fait un traité de paragio & apanagio, dit que tous ceux qui tiennent une seigneurie en parage, peuvent exiger l'hommage de leurs sujets ; mais qu'ils doivent premierement rendre le leur à l'empereur.
Il observe aussi que les cadets auxquels les aînés sont obligés de donner des terres en parage, ne sont point exclus de la succession, comme ceux auxquels on donne un pur apanage ; mais qu'ils sont véritablement héritiers, quoique pour une portion inégale ; que dans la maison palatine la coutume n'est point de donner des purs apanages, mais des terres en parage ; & que parmi les terres du feu électeur palatin, il n'y avoit que le cercle électoral qui ne dût pas se partager.
Voyez le glossaire de Lauriere, au mot parage ; sa préface sur le I. tome des ordonnances. Bechet, en sa digression sur les parages. La dissertation de M. Guyot, & les commentateurs d'Anjou, Maine, Poitou, &c. & autres coutumes, dont on a parlé ci-devant, où le parage est usité. (A)
PARAGE, (Marine) c'est un espace ou étendue de mer sous quelque latitude que ce puisse être. On dit, dans ce parage on voit beaucoup de vaisseaux. Il fait bon croiser à la vue de Belle-Isle & de l'Isle-Dieu ; c'est un bon parage pour croiser sur les vaisseaux qui veulent entrer dans les ports de Bretagne, de Poitou, de Saintonge.
Vaisseaux qui sont en parage, c'est-à-dire, que ces vaisseaux sont en certains endroits de la mer où ils peuvent trouver ce qu'ils cherchent.
Changer de parage ; vaisseau mouillé en parage, c'est-à-dire, que ce vaisseau est mouillé dans un lieu où il peut appareiller quand il voudra. (Z)
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PARAGEAU | S. m. pl. (Jurisprud.) dans les coutumes d'Anjou, Maine, Tours & Lodunois, ce sont les puînés qui tiennent en parage avec l'aîné, que l'on appelle parageur. Voyez ci-devant PARAGE, & ci-après PARAGEUR. (A)
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PARAGENITES | S. m. pl. (Géog. anc.) Paragenitae ; peuples du Péloponnèse. Pline, l. IV. ch. vj. les met dans l'Achaïe. (D.J.)
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PARAGERS | S. m. (Jurisprud.) dans la coutume de Normandie ce sont les puînés qui tiennent en parage avec l'aîné. Voyez PARAGE & PARAGEUR. (A)
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PARAGEUR | S. m. (Jurisprud.) est un terme usité dans les coutumes de parage, & toujours relatif au parage, mais avec cette différence, que dans quelques coutumes, comme Anjou, Maine, Tours, Lodunois, le parageur est l'aîné, les puînés sont appellés parageaux, au lieu que dans les coutumes de Poitou, S. Jean d'Angely, usance de Saintes, Angoumois, les parageurs sont les puînés ; en Normandie, on les appelle paragers. Voyez CHEMIER, CHEMERAGE, JUVEIGNEUR, PARAGE, PARAGEAUX. (A)
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PARAGIÉS | adj. (Hist. mod. Droit public) paragiati principes. On nomme ainsi dans le droit public germanique les princes & états de l'empire, qui étant freres, ont partagé entr'eux les domaines de leur pere, en laissant cependant jouir l'aîné de la maison de certaines prérogatives ; d'où l'on voit que parage n'est pas la même chose qu'apanage.
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PARAGOGE | S. f. (Gram.) du grec , deductio, issue ; mot formé du verbe grec , deducere, mettre dehors : RR. , ex, & , duco. La paragoge est un métaplasme ou figure de diction par l'addition d'une lettre ou d'une syllabe à la fin du mot : amarier, dicier, pour amari, dici ; egomet, tute, quisnam, hicce, pour ego, tu, quis, hic. C'est par une paragoge que les Latins ont formé decem de , septem de , &c. C'est donc une des causes qui contribuent à l'altération des mots, lors de leur passage d'un idiome dans un autre, & quelquefois dans la même langue. (M. E. R. M.)
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PARAGON | S. m. (Langue franç.) vieux mot qui signifie patron, modele ; sur quoi Nicod dit que, paragon est une chose si excellemment parfaite, qu'elle est comme une idée, un sep, & estelon à toutes les autres de son espece, & lesquelles on rapporte & compare à lui, pour savoir à quel degré de perfection elles atteignent. Paragon de chevalerie, de prud-homme, de savoir, & en ce, poursuit-il, qui le voudroit extraire de des Grecs, qui signifie admener, acconduire, ce ne seroit pas hors de propos. Ainsi paragoner veut dire comparer, mettre en parallele ; mais depuis Nicod on a dit parangonner, & parangon ; ces deux mots se disoient encore du tems d'Ablancourt ; enfin ils sont tombés d'usage, & parangon ne se dit aujourd'hui qu'en style de Lapidaire des pierres précieuses excellentes ; ils disent un diamant parangon, un rubis parangon, une perle parangon. (D.J.)
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PARAGONE | S. f. (Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à un marbre noir qui peut servir de pierre de touche.
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PARAGONTICUS | SINUS, (Géog. anc.) golfe sur la côte de la Caramanie, selon Ptolomée, l. V. c. viij. Ortelius croit que c'est le même golfe qu'Arrien, II. Peripl. p. 2. appelle Terabdon. (D.J.)
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PARAGORIQUE | Voyez PAREGORIQUE.
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PARAGOUANT | ou PARAGUANTE, s. f. (Comm.) terme demi-espagnol, qui signifie une gratification que l'on fait aux personnes qui viennent apporter de bonnes nouvelles ou quelque présent considérable.
Paraguante se prend le plus souvent en mauvaise part pour un présent que l'on donne à une personne pour tenter sa fidélité, ou du-moins se la rendre favorable dans des conjonctures d'affaires où l'on a besoin de son crédit. On accuse les intendans & gens d'affaires des grands seigneurs de recevoir quelquefois de pareils présens des marchands. Diction. de Commerce.
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PARAGOYA | (Géog. mod.) grande île de la mer des Indes, entre les Philippines & la mer de Bornéo. Il y a dans cette île un roi tributaire de celui de Bornéo. Long. 131. 40-135. lat. sept. 10. (D.J.)
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PARAGRAPHE | S. m. (Jurisprud.) est un terme dérivé du grec, qui signifie section ou division de quelque partie d'un ouvrage ; il est particulierement usité en droit pour exprimer une section d'un titre ou d'une loi. Les titres des institutes & lois du Code & du Digeste qui sont un peu longues sont divisés en plusieurs articles ou paragraphes. (A)
PARAGRAPHE, caractere d'Imprimerie, ainsi figuré § ; il se met au commencement d'une section ou subdivision qui se fait des textes des lois ; il est employé singulierement dans les ouvrages de droit & de jurisprudence. Voyez Table des caracteres.
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PARAGUAY | HERBE DU, (Botan.) c'est la feuille d'une plante du Paraguay, qui est fort en usage au Chili & au Pérou, comme le thé de la Chine l'est en Europe. On dit que ce n'étoit autrefois que sur les montagnes de Maracayan, éloignées de près de 200 lieues des peuplades du Paraguay, que croissoient naturellement les arbres qui produisent cette feuille. Les Indiens du Paraguay en ont absolument besoin, soit pour leur usage, soit pour l'échanger avec les denrées & les autres marchandises qui leur sont nécessaires. Il leur falloit passer plusieurs mois de l'année à voyager jusqu'à ces montagnes. Leurs peuplades se trouvoient par-là souvent exposées aux irruptions de leurs ennemis. De plusieurs mille qui partoient, il en manquoit un grand nombre au retour : le changement de climat & les fatigues en faisoient périr plusieurs ; d'autres rebutés par le travail, s'enfuyoient dans les montagnes & ne paroissoient plus.
Pour remédier à ces inconvéniens on fit venir de jeunes arbres de Maracayan, que l'on planta aux environs des peuplades. Ces plants réussirent, & de la semence, qui est assez semblable à celle du lierre, on fit bien-tôt des pépinieres ; mais la feuille des arbres cultivés n'a pas la même force que celle des arbres sauvages de Maracayan.
Le roi d'Espagne a accordé aux Indiens des peuplades du Paraguay, d'apporter chaque année à la ville de Sainte-Foy, ou à celle de la Trinité de Buenos-Ayres, jusqu'à douze mille arobes (l'arobe pese vingt-cinq livres de seize onces) de l'herbe du Paraguay : mais ils ne peuvent guère en fournir que la moitié, encore n'est-ce pas de la plus fine & de la plus délicate, qu'on appelle caamini, qui est rare, mais de celle de palos, qui est la plus commune. Le prix courant de cette feuille à Buenos-Ayres, & à la recette royale où se portent les tributs, est de quatre piastres pour chaque arobe ; ainsi ce que les Indiens en portent chaque année monte à environ 24 mille piastres ; l'argent ou les denrées qui reviennent de ce trafic sont partagés également entre les habitans de la peuplade.
J'ai déjà dit que l'herbe du Paraguay étoit la feuille d'une plante fort en usage au Chili & au Pérou ; mais comme on ne la connoit point du-tout en Europe, je vais en donner une description un peu étendue. C'est la feuille d'un arbre de la grandeur d'un pommier moyen, son goût approche de celui de la mauve, & quand elle a toute sa grandeur, elle ressemble de figure à celle de l'oranger, ou à celle de la coca du Pérou ; mais elle y est plus estimée au Pérou même, où l'on en transporte beaucoup, sur-tout pour ceux qui travaillent aux mines. On l'y porte séche & presque réduite en poussiere. Selon le pere del Fecho, jésuite espagnol qui a passé la plus grande partie de sa vie au Paraguay ; il y a trois especes de cette feuille qu'il distingue sous le nom de caacuys, de caamini, & de caaguazu. Le caacuys est le premier bouton qui commence à peine à déployer ses feuilles ; le caamini est la feuille qui a toute sa grandeur, & dont on tire les côtes avant que de la faire griller ; si on les laisse on l'appelle caaguazu, ou yerva de palos.
Les feuilles qu'on a grillées se conservent dans des fosses creusées en terre, & couvertes d'une peau de vache. Le caacuys ne peut se conserver aussi longtems que les deux autres especes, dont on transporte les feuilles au Tucuman, au Pérou, & en Espagne, le caacuys ne pouvant souffrir le transport ; il est même certain que cette herbe prise sur les lieux a une amertume qu'elle n'a point ailleurs, & qui augmente sa vertu & son prix. La maniere de prendre le caacuys, est de remplir un vase d'eau bouillante & d'y jetter la feuille pulvérisée & réduite en pâte. A mesure qu'elle s'y dissout, s'il y est resté un peu de terre elle surnage, & on l'écume ; on passe ensuite l'eau dans un linge, & après l'avoir un peu laissé reposer, on la prend avec un chalumeau : ordinairement on n'y met point de sucre, mais un peu de jus de citron, ou certaines pastilles qui ont une odeur fort douce ; quand on le prend pour vomitif, on y jette un peu plus d'eau & on le laisse tiédir.
La grande fabrique de cette herbe est à la nouvelle Villarica, voisine des montagnes de Maracayan, située à l'orient du Paraguay par les 25d. 25''. de latitude australe ; ce canton est le meilleur de tous pour la culture de l'arbre, mais ce n'est point sur les montagnes même qu'il croît, c'est dans les fonds marécageux qui les séparent : l'arobe de cette herbe vaut vingt-une livres de notre monnoie ; cependant le caacuys n'a point de prix fixe, & le caamini se vend le double de l'yerva de palos. Cette herbe est fort apéritive & diurétique ; l'habitude d'en user fait que les habitans ne peuvent plus s'en passer, & qu'ils ont bien de la peine d'en prendre modérément ; on dit qu'alors elle enivre & cause l'aliénation des sens comme les liqueurs fortes ; cependant les Espagnols trouvent dans cette herbe un remede ou un préservatif contre la plûpart des maladies. (D.J.)
PARAGUAY, le, (Géog. mod.) grand pays de l'Amérique méridionale, dont il n'est pas aisé de marquer l'étendue. Les meilleures cartes que nous ayons du Paraguay, nous ont été données par les Jésuites, mais ils y ont eu moins d'égard à ce qu'on doit appeller proprement Paraguay qu'à ce qui forme la province de leur compagnie, qui porte ce nom ; & qui obéit à un seul provincial.
Cette province comprend quatre gouvernemens, celui du Tucuman, celui de Santa-Cruz de la Sierra, celui du Paraguay particulier, & celui de Rio de Plata. Ces quatre gouvernemens sont soumis pour le militaire au vice-roi du Pérou, pour le civil à l'audience royale de Los-Charcas, & pour le spirituel, à l'archevêque de Chuquisaca, ou la Plata, capitale de Los-Charcas ; car chacun de ces quatre gouvernemens a un évêque suffragant de l'archevêque que je viens de nommer.
Le Paraguay propre est borné au nord par le grand fleuve des Amazones ; au midi, par les terres Magellaniques ; à l'orient, par le Brésil & par la mer du nord ; à l'occident, par le Tucuman, le grand Chaco, la province de Los-Charcas & celle de Santa-Cruz de la Sierra. Il a pour capitale la ville de l'Assomption, & comprend tout ce qu'arrose le fleuve Paraguay, jusqu'à sa jonction avec le Parana.
La premiere découverte en fut faite en 1516 ; dix ans après on y bâtit quelques forts, où l'on mit garnison espagnole. L'air y est doux & salubre ; le terroir produit du blé, des fruits, du coton, des cannes de sucre. Il croît dans un canton de cette province, appellé Maracayan, une herbe singuliere appellée l'herbe du Paraguay. Voyez PARAGUAY, herbe du, (Botan. exot.)
Les Jésuites ont un grand nombre de doctrines ou de missions entre la riviere du Paraguay, au-dessous de l'Assomption & le Parana : ils en ont encore plusieurs le long de l'Uruguay, grande riviere qui vient du nord-est, & se décharge dans Rio de Plata, par les 34d. sud.
Ces doctrines sont des bourgades de deux ou trois mille Indiens, autrefois errans, que les peres ont rassemblés sur les montagnes & dans les forêts ; ils les ont civilisés, leur ont appris des métiers & à vivre du travail de leurs mains. Voyez PARAGUAY, mission du, (Géog. histor.)
Rien ne fait plus d'honneur à leurs missions que d'avoir vaincu, dans ces pays-là, la férocité des sauvages, sans d'autres armes que celles de la douceur ; mais ce n'est pas assez, il faudroit qu'ils leur inspirassent de communiquer avec les Espagnols, & de regarder les rois d'Espagne & de Portugal comme des princes auxquels ils doivent être attachés.
Le pere Charlevoix a fait imprimer une histoire du Paraguay en trois volumes in -4°. Paris 1757 avec figures ; elle est curieuse, mais on y desireroit plus d'impartialité & d'amour pour la vérité. (D.J.)
PARAGUAY, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale, qui se joint avec le Parana vers les 27d. de latitude australe, pour former ce qu'on appelle communément Rio de Plata. Cette riviere sort du lac Xarayez, environ par les 19d. 30'. sud, mais on prétend qu'elle vient de beaucoup plus loin. Quoiqu'elle perde son nom en mêlant ses eaux à celles du Parana, elle en est dédommagée par plusieurs autres rivieres qu'elle reçoit elle-même dans son sein, & par l'honneur qu'elle a de donner son nom à un vaste pays.
PARAGUAY, missions du, (Géog. hist.) c'est ainsi qu'on nomme une suite d'établissemens formés par les Jésuites dans ce grand pays de l'Amérique méridionale qu'arrose le fleuve Paraguay.
L'auteur d'un mémoire sur ce sujet, imprimé à la fin des voyages de Frézier, édition d'Hollande, nous apprend que le premier établissement des Jésuites dans ce pays, a commencé par cinquante familles d'Indiens errans, que les Jésuites rassemblerent sur le rivage de la riviere de Japsur, dans le fond des terres. Cet établissement a tellement prospéré, qu'à s'en rapporter aux Jésuites eux-mêmes dans les mémoires de Trévoux, Octobre 1741, les réductions ou peuplades formées par leurs missionnaires, étoient en 1717 au nombre de trente & une, répandues dans une étendue de pays d'environ six cent lieues, seize sur le bord du Parana, & quinze le long de l'Uraguay, qui se déchargent tous deux dans le fleuve Paraguay. On comptoit alors dans ces peuplades cent vingt-un mille cent soixante-un Indiens.
On assure que ces peuples civilisés occupent les plus belles terres de tout le pays situé à 200 lieues des Portugais paulistes du côté du nord, & vers le sud à 200 lieues de la province de Buenos-Ayres, 180 lieues de celles de Tucuman, & 100 lieues de celles du Paraguay.
Les terres de la mission sont fertiles, traversées par beaucoup de rivieres qui forment nombre d'îles ; les bois de haute futaye, & les arbres fruitiers y abondent ; les légumes y sont excellens ; le blé, le lin, l'indigo, le chanvre, le coton, le sucre, le piment, l'ipécacuanha, le jalap, le mechoacan, les racines pantrabunda, & plusieurs autres simples admirables pour les remedes y viennent. Les savanes ou paturages y sont remplis de chevaux, mules, vaches, taureaux, & troupeaux de moutons : ces peuples sont doux, très-soumis, adroits, laborieux, & font toutes sortes de métiers.
L'auteur du mémoire que nous avons cité, rapporte que dans le tems qu'il écrivoit, ces peuples étoient divisés en quarante-deux paroisses, distantes depuis une jusqu'à dix lieues l'une de l'autre, & s'étendant le long de la riviere du Paraguay. Il y a dans chaque paroisse un jésuite auquel tout obéit, & qui gouverne souverainement. Un seul homme commande de cette façon à quelques mille ames, & cette maniere de gouverner est égale dans toutes les peuplades. A la soumission de ces peuples se joint un désintéressement sans exemple que les Jésuites leur ont inspiré. Il y a dans chaque paroisse de grands magasins où les sujets sont obligés de porter vivres & marchandises, sans rien garder par-devers eux.
La principale fonction des caciques ou officiers de police, est de connoître le nombre des familles, de leur communiquer les ordres du pere, d'examiner le travail de chacun suivant son talent, & de promettre des récompenses à ceux qui travailleront le plus & le mieux. Il y a d'autres inspecteurs pour le travail de la campagne, auxquels les Indiens sont obligés de déclarer tout ce qu'ils recueillent, & tout doit entrer dans les magasins sous des peines rigoureuses. Il y a ensuite des distributeurs pour fournir à chaque famille selon le nombre des personnes, deux fois par semaine, de quoi subsister : les Jésuites veillent à tout avec un ordre infini, pour ne laisser prendre aucun mauvais pié à leurs sujets, & ils en sont bien récompensés par les profits qu'ils tirent du travail de tant de gens.
Les Indiens ne boivent ni vin ni liqueur enivrante, & personne ne peut blâmer cette défense, quand on fait réflexion sur l'énorme abus qu'en font les nations du nouveau monde à qui les Européens en débitent. On inspire à tous les habitans dès la plus tendre enfance la crainte de Dieu, le respect pour le pere jésuite, la vie simple, & le dégoût des biens temporels.
Le gouvernement militaire, dit le même auteur, n'est pas moins bien reglé que le civil ; chaque paroisse donne un certain nombre de soldats disciplinés par régimens, & qui ont leurs officiers : les armes des Indiens consistent en fusils, bayonnettes, & frondes : on prétend que toutes les missions réunies peuvent mettre dix à douze mille hommes sur pié.
Les Jésuites n'apprennent point à leurs Indiens la langue espagnole, & les empêchent, autant qu'il est possible, de communiquer avec les étrangers. Les quarante-deux jésuites qui gouvernent les paroisses sont indépendans l'un de l'autre, & ne répondent qu'au principal du couvent de Cordua, dans sa province de Tucuman. Ce pere provincial visite une fois l'an ses missions. Il fait rendre compte, pendant son séjour, aux Jésuites de chaque paroisse, de la fourniture des magasins, & de la consommation qui en a été faite depuis sa derniere visite. Toutes les marchandises de vente sont transportées des missions à Santa-Fé, qui est le magasin d'entrepôt, & de Santa-Fé à Buenos-Ayres par terre, où il y a aussi un procureur général. C'est de ces deux endroits que l'on distribue ces marchandises dans les provinces de Tucuman, du Paraguay, & de Buenos-ayres, & dans les royaumes du Chili & du Pérou.
Outre le mémoire sur les missions du Paraguay, joint au voyage de Frézier, les jésuites de Trévoux ont donné dans leur Journal, Novembre 1744, l'extrait d'un livre publié sous le nom du célebre Muratori, & intitulé, il christianissimo delle missioni de' Padri della compagnia di Giesu. Venezia, 1743. in-4 °.
Cet ouvrage est tout à la gloire des missions du Paraguay, & paroit venir de la main des Jésuites ; l'auteur dit dans le chapitre xij. que le baptême fait déposer aux enfans sauvages du Paraguay la férocité qui leur est propre ; mais il leur reste une indolence invincible qui les rend incapables de se gouverner eux-mêmes, ensorte qu'ils ont besoin d'être toujours en tutele.
Dans le chapitre xvij. on fait dire à M. Muratori, que rien ne prouve mieux le bonheur qui accompagne la pauvreté volontaire, que le contentement dont jouissent les Indiens du Paraguay, qui n'ont que le pur nécessaire pour vivre, & ne souhaitent rien au-delà. Le corrégidor & son lieutenant sont nommés par le gouverneur, mais ils doivent être choisis dans la bourgade même, & tous les autres officiers sont élus par les Indiens, c'est-à-dire je pense par les Jésuites, puisque les Jésuites sont leurs maîtres.
Il y a des portions de terrein qui se cultivent à frais communs pour les besoins qui surviennent, pour les veuves, les orphelins, les malades, & tous ceux qui doivent être entretenus aux dépens du public. La pêche, la chasse, les fruits qui viennent sans culture, le miel & la cire qu'on recueille dans les bois sont de droit commun. Si quelque calamité afflige une bourgade & fait manquer la récolte, ou la rend insuffisante, toutes les autres y pourvoyent.
L'auteur dit au sujet du gouvernement militaire de ces Indiens, que leurs armes sont déposées dans des magasins, & qu'on ne les leur confie que quand il faut marcher ou faire l'exercice ; enfin l'auteur observe au sujet du gouvernement domestique, que les chefs mêmes des Indiens subissent avec humilité & promptitude les pénitences que leur imposent les missionnaires.
On ne nous apprend point sur quels mémoires M. Muratori a composé son ouvrage ; il est certain que par lui-même il a été bien moins en état de s'instruire du gouvernement du Paraguay, que les voyageurs, quoique ces derniers n'approchent guere que de cent lieues des missions.
Sur le tout, quelque jugement qu'on porte de la conduite, des motifs, & des richesses que les Jésuites possedent au Paraguay, il faut avouer que l'état de leurs peuplades d'Indiens est un chef-d'oeuvre d'habileté, de politique, & qu'il est bien surprenant que des moines européens aient trouvé l'art de ramasser des hommes épars dans les bois, les dérober à leur misere, les former aux arts, captiver leurs passions, & en faire un peuple soumis aux lois & à la police. (D.J.)
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PARAIBA | (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Brésil, dans la capitainerie, & à l'embouchure de la riviere de même nom. Les Hollandois la prirent en 1635 ; mais les Portugais la reprirent sur eux peu de tems après. Le pays de cette province est fertile en arbres qui donne le bois de Brésil ; on y trouve aussi des couleuvres d'une grosseur monstrueuse. M. Couplet dit en avoir tué une qui avoit plus de quinze piés de long, & seize à dixhuit pouces de circonférence ; elle étoit couverte d'écailles noires, blanches, grises, & jaunâtres, qui toutes ensemble faisoient un fort bel effet. Lat. mérid. selon le même M. Couplet, 6 d. 38'. 18''. (D.J.)
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PARAISON | S. f. (Verrerie) partie de l'opération du souffler des bouteilles & des glaces. Voyez l'article VERRERIE.
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PARAISONIER | S. m. (Verrerie) dans les verreries, c'est celui qui est chargé de l'opération qu'on appelle paraison.
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PARALE | S. m. (Hist. anc.) vaisseau qui chez les Athéniens étoit en singuliere vénération, parce que ce fut le seul qui se sauva de la défaite de la flotte Athénienne, par Léandre à la journée d'Aegos Patamos : ceux qui le montoient s'appelloient par distinction paraliens, & leur paye étoit plus forte que celle des autres troupes de marine.
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PARALIPOMENES | S. m. pl. (Hist. sacrée) supplément de ce qui a été omis ou oublié dans quelqu'ouvrage ou traité précédent. Ce mot est grec & dérivé du verbe , praetermitto ; quelques auteurs ont employé le mot subrelictum au lieu de paralipomenon.
Nous donnons ce nom à deux livres canoniques & historiques de l'ancien testament, que les Hébreux appellent libri jannin, verba dierum, les paroles des jours ou les journaux ; mais il ne faut pas les confondre avec les journaux ou mémoires des rois de Juda & d'Israël qui sont cités si souvent dans les livres des Rois & des paralipomenes. Ces anciens journaux étoient beaucoup plus étendus, & les livres mêmes des paralipomenes renvoyent à ces mémoires & en rapportent des extraits fort étendus.
Les deux livres des Paralipomenes sont proprement un supplément aux IV. liv. des Rois, dont les deux premiers s'appellent quelquefois livres de Samuel. Personne ne conteste l'authenticité de ces deux livres, que les Hébreux réduisoient autrefois en un seul ; mais on n'est pas d'accord sur leur auteur, quelques-uns ont cru que c'étoit le même qui a écrit les livres des Rois. Mais si cela étoit, pourquoi tant de différences entre ces deux ouvrages dans les dates, dans les récits, dans les généalogies, dans les noms propres ? D'autres les attribuent à Esdras, aidé de Zacharie & d'Aggée, & d'autres à quelqu'auteur encore postérieur, mais dont le nom est inconnu.
S. Jérôme regarde les paralipomenes comme un morceau très-important pour éclaircir non-seulement l'ancienne histoire des Hébreux, mais encore plusieurs points difficiles relatifs à l'évangile. Hieron. epist. ad Paulin.
Quelques auteurs profanes ont employé le mot paralipomenes pour signifier un supplément ; ainsi Quintus Calaber a donné un ouvrage intitulé, les paralipomenes d'Homere.
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PARALIPSE | S. f. (Rhét.) mot grec qui signifie obmission. La paralipse est dans l'art oratoire, une figure par laquelle on feint de vouloir omettre certains faits, pour les détailler avec plus d'assurance & plus d'éclat. " Je ne vous parlerai pas, Messieurs, de ses injustices (dit Ciceron au sujet de Verrès) : je passe sous silence ses excès ; je tais ses débauches ; je jette un voile obscur sur ses brutalités ; je supprime même ses extorsions depuis son retour de Sicile ; je ne veux vous offrir qu'une peinture légere de ses moindres pillages ".... Cette figure est assez naturelle, & peut s'employer avec adresse, en bonne & mauvaise part. (D.J.)
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PARALLAXE | S. m. en Astronomie ; c'est l'arc du ciel intercepté entre le vrai lieu d'un astre, & son lieu apparent. Voyez LIEU.
Le vrai lieu d'une étoile est ce point du ciel B C, Pl. VI. ast. fig. 27. où un spectateur placé au centre de la terre, comme en T, verroit cette étoile. Le lieu apparent est ce point du ciel C, où la même étoile paroît à un oeil placé sur la surface de la terre, comme en E.
Comme les mouvemens diurnes apparens, tant des planetes que des autres astres se font autour de l'axe de la terre, & non pas autour de l'oeil de l'observateur qui est à sa surface, il est donc nécessaire de reconnoître une inégalité dans la vîtesse apparente des corps célestes, puisque nous ne sommes plus au centre de leur mouvement. Car il est évident que si un mobile quelconque parcourt uniformément la circonférence d'un cercle, il ne sauroit y avoir d'autre point que le centre de ce même cercle, d'où l'on puisse observer son mouvement égal & uniforme. Voyez INEGALITE OPTIQUE. Il en est de même de tous les astres que nous observons dans les cieux ; leurs lieux apparens, tels que nous les appercevons de la surface de la terre, doivent différer de leurs lieux véritables ; c'est-à-dire de ceux que l'on observeroit du centre de la terre.
Cette différence de lieux est ce que l'on appelle parallaxe de hauteur ou simplement parallaxe ; Copernic l'a nommée commutation. La parallaxe est donc un angle, formé par deux rayons visuels, tirés l'un du centre & l'autre de la circonférence de la terre, par le centre de l'astre ou de l'étoile : cet angle est mesuré par un arc d'un grand cercle, intercepté entre les deux points C & B, qui marquent le lieu vrai & le lieu apparent.
La parallaxe de déclinaison est l'arc S i d'un cercle de déclinaison, fig. 28. qui marque la quantité dont la parallaxe de hauteur augmente ou diminue la déclinaison d'une étoile. Voyez DECLINAISON.
La parallaxe d'ascension droite est un arc de l'équateur D d, fig. 28. qui marque la quantité dont la parallaxe de hauteur change l'ascension droite. Voyez ASCENSION & DESCENSION.
La parallaxe de longitude est l'arc de l'écliptique T t, fig. 29. dont la parallaxe de hauteur augmente ou diminue la longitude. Voyez LONGITUDE.
La parallaxe s'appelle aussi quelquefois angle parallactique. Voyez PARALLACTIQUE & ANGLE.
La parallaxe diminue la hauteur d'une étoile, ou augmente sa distance au Zénith ; elle a donc un effet contraire à celui de la réfraction. Voyez REFRACTION.
La plus grande parallaxe est à l'horison : au zénith il n'y a point du-tout de parallaxe, le lieu apparent se confondant alors avec le lieu vrai.
Les étoiles fixes n'ont point de parallaxe sensible, à cause de leur excessive distance, par rapport à laquelle le diamêtre de la terre n'est qu'un point. Voyez ETOILE.
De-là il s'ensuit encore que plus un astre est proche de la terre, plus aussi sa parallaxe est grande, en supposant une élévation égale au-dessus de l'horison. Saturne est si élevé, que l'on a beaucoup de peine à y observer quelque parallaxe. Voyez SATURNE.
La parallaxe d'une planete plus éloignée S, est moindre que celle d'une planete plus proche L, supposant toujours la même distance au zénith, ainsi qu'on l'a observé ci-dessus ; en effet l'angle A L T est > A S T.
Les sinus des angles parallactiques M & S, fig. 30. de planetes, également éloignées du centre de la terre T, sont comme les sinus des distances Z M & Z S ; c'est une suite des premiers principes de Trigonométrie ; les sinus des angles d'un triangle étant entr'eux comme les côtés opposés.
De plus, à distances différentes du centre de la terre, & à même hauteur apparente ou à même distance apparente du zénith, les sinus des parallaxes sont en raison inverse des distances ; c'est encore une suite de ce que par les principes de Trigonométrie, le sinus de la parallaxe est au sinus de la distance apparente au zenith, comme le rayon de la terre est à la distance de l'astre à la terre B.
D'où il est aisé de voir que le sinus de la parallaxe est en général en raison directe du sinus de la hauteur apparente, & inverse de la distance de l'astre à la terre.
Comme la parallaxe de la plûpart des astres est fort petite, on peut en ce cas prendre la parallaxe même au lieu de son sinus ; & l'on peut dire que les parallaxes sont en raison directe des sinus des hauteurs apparentes, & inverse de la distance à la terre.
La doctrine des parallaxes est d'une très-grande conséquence dans l'Astronomie, soit pour déterminer les distances des planetes, des cometes & autres phénomenes célestes, soit pour le calcul des éclipses & pour trouver la longitude. Voyez PLANETE, DISTANCE, LONGITUDE, ECLIPSE.
Il y a différentes méthodes de trouver les parallaxes des phénomenes célestes : voici quelques-unes des principales & des plus aisées.
Observer la parallaxe de la Lune : il faut observer la hauteur méridienne de la Lune avec le plus grand soin qu'il est possible, voyez HAUTEUR, & marquer le moment de ce tems ; on calculera ensuite sa vraie longitude & sa vraie latitude, & par-là on en déterminera la déclinaison, voyez DECLINAISON ; & par sa déclinaison & par l'élévation de l'équateur, on trouvera sa véritable hauteur méridienne. Prenez la réfraction de la hauteur observée, & soustrayez le reste de la hauteur vraie, ce qui en viendra est la parallaxe de la Lune.
Par ce moyen Tycho en 1583, le 12 Octobre, ayant observé la hauteur méridienne de la Lune, qu'il trouva être de 13°. 38', détermina sa parallaxe de 54 min. Voyez LUNE.
Au reste, cette méthode suppose qu'on connoisse assez bien le mouvement de la Lune ; ainsi elle n'est exacte qu'à quelques minutes près.
Observer la parallaxe de la Lune dans une éclipse. Quand il y a une éclipse de Lune, observez le tems où les deux cornes du croissant sont dans le même cercle vertical ; prenez en cet instant les hauteurs des deux cornes : ajoutez la moitié de leur différence à la plus petite hauteur, ou retranchez-la de la plus grande, & vous aurez très-à-peu-près la hauteur visible du centre de la Lune ; mais la hauteur vraie est presqu'égale à la hauteur du centre de l'ombre en ce tems. Or on connoît la hauteur du centre de l'ombre, à cause que l'on connoît le lieu du Soleil dans l'écliptique, & son abaissement au-dessous de l'horison, qui est égale à la hauteur du point opposé de l'écliptique, où est le centre de l'ombre : l'on a par conséquent la hauteur vraie & la hauteur apparente, dont la différence est la parallaxe.
Par la parallaxe AST de la Lune, fig. 30. & par la hauteur S R, trouver sa distance à la terre. La hauteur apparente étant donnée, l'on a la distance apparente au zénith, c'est-à-dire l'angle ZAS, ou par la hauteur vraie, l'angle ATS. Ainsi, puisque l'on a en même tems l'angle parallactique S, & que le demi-diamêtre de la terre AT, est regardé comme 1, on aura par la Trigonométrie la distance de la lune en demi-diamêtres de la terre, en faisant cette proportion, le sinus de l'angle S est au côté opposé 1, comme le sinus de l'autre angle T, est au côté cherché T S.
D'où il suit, selon l'observation de Tycho, qu'en ce tems la distance de la lune à la terre, étoit de 62 demi-diamêtres de la terre. Il s'ensuit encore qu'ayant par la théorie de la lune, le rapport de ses distances à la terre dans les différens degrés de son anomalie ; si l'on trouve, par la regle de trois, ces distances en demi-diamêtres de la terre, la parallaxe est ainsi déterminée aux différens degrés de l'anomalie vraie.
M. de la Hire fait la plus grande parallaxe horisontale, de 1°. 1'. 25'. la plus petite, 54'. 5''. C'est pourquoi la plus grande distance de la lune, quand elle est dans son périgée, est selon lui, de 55 97/100, ou presque 56 demi-diamêtres ; dans son apogée, cette distance est de 63 57/100, ou de 63 1/2 demi-diamêtres de la terre.
M. le Monnier établit la parallaxe moyenne, de 57'. 12''., & j'ai trouvé, par la théorie, qu'elle étoit de 57'. 12''. Mais toutes ces déterminations ont encore besoin d'être fixées plus exactement, soit par la théorie, soit par la connoissance de la figure de la terre.
Observer la parallaxe de Mars. 1°. Supposons Mars dans l'intersection du méridien & de l'équateur, Pl. astron. fig. 31. & qu'un observateur, sous l'équateur en A, observe sa culmination avec quelque étoile fixe. 2°. Si l'observateur étoit au centre de la terre, il verroit Mars & l'étoile ensemble dans le plan de l'horison, ou dans le plan du sixieme cercle horaire. Mais, puisque dans cet endroit Mars a quelque parallaxe sensible, & que l'étoile fixe n'en a aucune, Mars sera vu dans l'horison, quand il parvient au point P, qui est dans le plan de l'horison sensible ; & l'on verra aussi l'étoile dans l'horison, quand elle sera au point R, qui est dans le plan de l'horison vrai. C'est pourquoi observez le tems entre le passage de Mars & celui de l'étoile par le plan du sixieme cercle horaire. 3°. Convertissez ce tems en minutes de l'équateur, par ce moyen vous aurez l'arc P M, auquel l'angle PAM, & par conséquent l'angle AMD est sensiblement égal en nombre de degrés ; & cet angle est la parallaxe horisontale de Mars.
Si l'observateur n'étoit pas sous l'équateur, mais dans un parallele I Q, M. Cassini, à qui nous sommes rédevables de la méthode précédente, nous a donné aussi le moyen d'en faire usage dans ce cas-là, & nous y renvoyons le lecteur.
Si Mars n'est pas stationnaire, mais que par les observations de plusieurs jours on le trouve direct ou retrograde ; il faut déterminer quel est son mouvement à chaque heure, afin que l'on puisse assigner son vrai lieu par rapport au centre, pour un tems donné quelconque.
C'est par cette méthode que M. Cassini trouva que la plus grande parallaxe horisontale de Mars, étoit de 25 secondes, ou un peu moins. Par la même méthode M. Flamstead la trouva d'environ 30 secondes. M. Cassini se sert de la même méthode pour observer la parallaxe de Vénus.
Il faut ici remarquer que l'observation doit être faite avec un télescope, au foyer duquel on ait passé 4 fils qui se coupent à angles droits, A, B, C, D, fig. 45. n° 2. & que l'on doit tourner le télescope jusqu'à ce que l'on apperçoive quelqu'étoile, voisine de Mars, passer au-dessus de quelqu'un des fils, afin que les fils A B, C D, puissent être paralleles à l'équateur, & qu'ainsi A C, B D, puissent représenter des cercles de déclinaison.
Trouver la parallaxe du soleil. La grande distance du soleil rend sa parallaxe très-petite, pour être sensible par une observation immédiate, quelque délicate qu'elle puisse être. Il est vrai que dans la vûe d'y parvenir, les anciens & les modernes ont fait plusieurs tentatives, & inventé plusieurs méthodes. La premiere, qui est celle d'Hipparque, suivie par Ptolomée, &c. étoit fondée sur l'observation des éclipses de l'une. La seconde, étoit celle d'Aristarque, suivant laquelle on faisoit usage des phases de la lune, pour déterminer l'angle sous-tendu par le demi-diamêtre de l'orbite de la lune ou du soleil. Mais ces deux méthodes ayant été trouvées défectueuses ou insuffisantes, les Astronomes sont obligés d'avoir recours aux parallaxes des planetes plus voisines de nous, telles que Mars & Vénus : de la connoissance de leurs parallaxes on déduit aisément celle du soleil, à laquelle il n'est pas possible de parvenir par aucune voie directe.
Car par la théorie des mouvemens de la terre & des planetes, on connoit en tout tems le rapport des distances du soleil & des planetes à la terre ; & les parallaxes horisontales sont en raison réciproque de ces distances : connoissant donc la parallaxe d'une planete, on trouve par son moyen celle du soleil. Ainsi Mars, en opposition au soleil, est deux fois plus près de nous que cet astre. Sa parallaxe sera donc 2 fois aussi grande que celle du soleil : & quand Vénus est dans sa conjonction inférieure avec le soleil, elle est aussi plus près de nous que cet astre, sa parallaxe est donc plus grande à proportion.
Ainsi, par les parallaxes de Mars & de Vénus, le même M. Cassini trouve que la parallaxe du soleil doit être de 10 secondes ; d'où l'on déduit que sa distance est égale à 22000 demi-diamêtres de la terre : selon d'autres astronomes, elle est de 12''. & selon d'autres de 15''.
Nous ne donnons ici que la plus petite partie, & même qu'une légere idée, des méthodes qui ont été publiées par différens astronomes pour trouver la parallaxe des astres. On peut voir dans l'Introductio ad veram astronomiam de Keill, la plupart de ces méthodes ; & M. le Monnier dans la traduction qu'il a donnée de cet ouvrage, a fait quelques remarques utiles & importantes sur ces différentes méthodes.
L'observation du passage de Vénus sur le soleil, que l'on a vu au mois de Juin 1761, doit donner, suivant M. Halley, une méthode de trouver la parallaxe, & la distance du soleil, avec une grande exactitude.
Cette méthode est expliquée dans la traduction de Keill, par M. le Monnier ; & ceux qui en seront curieux peuvent l'apprendre dans cet ouvrage. La plupart des auteurs modernes ont assuré que la parallaxe seroit inconnue jusqu'à ce tems-là, parce que les autres méthodes dont on se sert pour la déterminer, leur paroissent peu exactes. Selon M. le Monnier, ces astronomes n'ont pas sans doute examiné si par d'autres voies on n'y pourroit pas parvenir avec autant de certitude, ou du moins, avec autant de facilité ; car il croit que dans les conjonctions inférieures de Vénus au soleil, lorsque cette planete est périgée (la terre étant au périhélie), & Vénus aux environs de son aphélie, deux observateurs placés sous un même méridien, ou à-peu-près, & à de très-grandes distances sur la surface de la terre, seroient toujours en état de découvrir la parallaxe. Il faudroit tenter, dit-il, de comparer Vénus au méridien, avec quelque étoile qui passeroit à même hauteur dans la lunette immobile, soit d'un quart de cercle mural, soit autrement, puisqu'avec une semblable lunette de 5 à 10 piés, garnie d'un micromêtre, il ne seroit pas impossible de découvrir jusqu'au double de la parallaxe de Vénus. Car pour revenir à la méthode proposée par M. Halley, où il s'agit de déterminer la parallaxe de Vénus, en observant son entrée & sa sortie sur le disque du soleil ; il est à-propos de considérer que non seulement on y suppose deux observateurs, placés sur la surface de la terre & à de très-grandes distances ; mais que d'ailleurs, si le ciel n'est pas assez favorable dans chaque lieu le jour du passage de Vénus, il faudra nécessairement recourir aux observations des jours précédens ou suivans, faites à la lunette immobile, comme on vient de le proposer.
La connoissance exacte de la parallaxe de la Lune est d'une très-grande importance dans l'Astronomie. C'est ce qui a engagé M. de Maupertuis à nous donner en 1741 un petit ouvrage sur ce sujet. Il remarque que la terre n'étant pas sphérique, tous ses demi-diamêtres ne seront plus égaux, & que selon la latitude des lieux où sera placé l'observateur, le demi-diamêtre de la terre qui sert de base à la parallaxe sera différent, & qu'il faudra avoir égard à cette différence. La terre étant un sphéroïde applati vers les poles, aux mêmes distances de la lune à la terre, les parallaxes horisontales vont en croissant du pole à l'équateur ; M. de Maupertuis n'examine point si les déterminaisons qu'on a eu jusqu'ici de la parallaxe, étoient assez exactes pour mériter qu'on eût égard aux différences qu'y produit l'inégalité des demi-diamêtres de la terre, ou pour faire appercevoir cette inégalité. Il se contente de remarquer que jusqu'ici cet élément fondamental de toute l'Astronomie n'a été connu ni avec l'exactitude qu'il mérite, ni avec celle qui étoit possible ; & n'étant connu qu'imparfaitement, on n'a pû l'appliquer à tous les usages auquel il pourroit être utile.
M. Newton avoit proposé de faire entrer l'inégalité des demi-diamêtres de la terre dans la considération des parallaxes de la Lune & dans le calcul des éclipses. D'après la figure de la terre qu'il a déterminée, il nous a donné quelques-unes des parallaxes horisontales ; mais si on considere les erreurs auxquelles sont sujettes les parallaxes de la Lune, déterminées par les méthodes ordinaires, on verra que les différences que M. Newton nous a données pour ces parallaxes ne peuvent guere nous être utiles. M. Newton croyoit cependant qu'on pouvoit découvrir par-là quelle est la figure de la terre. Mais M. de Maupertuis doute que la chose fût possible si on vouloit faire usage des parallaxes horisontales déterminées par les méthodes ordinaires. M. Manfredi avoit aussi entrepris de se servir des parallaxes de la Lune pour déterminer la figure de la terre, comme on le peut voir dans les Mém. de l'Acad. des Sciences de 1734. mais la méthode qu'il propose est si embarrassée & si dépendante d'élémens suspects, que M. de Maupertuis doute qu'on en puisse jamais tirer grande utilité, aussi M. Manfredi lui-même ne la croyoit propre à découvrir l'allongement ou l'applatissement de la terre, qu'en cas que la terre se fût écartée de la figure sphérique, autant que le supposoit la figure allongée vers les poles, que lui donnoit M. Cassini.
Selon M. de Maupertuis, la maniere la plus sûre de déterminer la parallaxe de la Lune, seroit d'observer de deux lieux de la terre, situés sur le même méridien, & séparés d'un assez grand arc, la distance en déclinaison de la Lune à une même étoile ; par-là on déterminera la parallaxe. M. de Maupertuis donne la maniere de déterminer la différence des parallaxes sur la terre & sur le globe, la distance de la Lune au centre de la terre, & enfin, si l'on veut, la figure de la terre même. Les méthodes de M. de Maupertuis donnent le moyen de déterminer plus exactement qu'on ne l'a fait jusqu'ici, les lieux apparens de la Lune, & les triangles qu'elle fait avec deux étoiles quelconques ; ce qui est très-important pour la découverte des longitudes. Voyez LONGITUDE. Voyez aussi la II. & III. partie de mes Recherches sur le systême du Monde, où je donne des méthodes pour corriger le parallaxe de la Lune, par la figure de la terre, en supposant cette figure connue ; mais par malheur elle ne l'est pas encore trop bien. Voyez FIGURE DE LA TERRE.
De la parallaxe des étoiles, par rapport à l'orbite annuel de la terre. Les étoiles n'ont point de parallaxe, par rapport au demi-diamêtre de la terre, néanmoins eu égard à son orbite annuel, il sembleroit d'abord qu'elles doivent avoir quelque parallaxe. Voyez ORBITE.
L'axe de la terre dans son mouvement annuel décrit une espece de cylindre, lequel prolongé jusqu'au ciel des étoiles fixes, y trace une circonférence circulaire, dont chaque point est le pole du monde pour son jour respectif ; desorte que la situation du pole apparent, par rapport à quelqu'une des étoiles fixes, change très-considérablement dans le cours des années.
Si l'on pouvoit déterminer ce phénomene par une observation immédiate, on en concluroit d'une maniere incontestable le mouvement annuel de la terre autour du soleil, & l'on résoudroit la seule objection qui reste, & que Riccioli a fait tant valoir, qui consiste en ce que l'on n'apperçoit pas une telle parallaxe. Voyez TERRE.
Dans cette vûe, M. Hook a essayé de la trouver, en observant les différentes distances d'une étoile fixe au zénith, en différentes parties de l'orbite de la terre : & M. Flamstead a tâché de parvenir au même but, en observant l'approximation & l'éloignement d'une étoile fixe, par rapport à l'équateur en différens tems de l'année, ce qui n'a pas été sans succès ; le résultat de ses observations étant qu'une étoile fixe près du pole, a été trouvée plus voisine de ce pole de 40 ou 45''au solstice d'hiver, qu'au solstice d'été, pendant sept années consécutives.
M. Cassini le jeune, convient que les observations de Flamstead s'accordent avec celles qui ont été faites à l'observatoire-royal ; mais il en nie les conséquences : il dit que les variations dans la distance de l'étoile polaire ne sont pas telles qu'elles devroient être, dans la supposition du mouvement de la terre.
La parallaxe des étoiles ne s'est pas même trouvée d'une seconde dans le grand nombre d'étoiles qui ont été observées jusqu'ici avec d'excellens secteurs, à Wansteed, proche de Londres, & à Paris. Voyez les Transactions Philosophiques & l'ouvrage qui a pour titre, degré du méridien, entre Paris & Amiens, imprimé en 1740. à Paris, chez Guérin. Quand on supposeroit la parallaxe de l'orbe annuel de 42''telle que Flamstead l'a déterminée, on ne peut guere imaginer qu'il n'ait pas pû s'y tromper de 25 m. or, cela posé, la distance des étoiles à la terre diminueroit de la moitié, ou augmenteroit d'un tiers en sus ; mais cet angle de 42 m. observé par Flamstead, ne vient point de la parallaxe de l'orbe annuel. Longtems auparavant M. Picard avoit découvert dans l'étoile polaire ce mouvement d'environ 40''& dès l'an 1680. il avoit publié sa découverte, où il prouvoit qu'un mouvement si singulier dans cette étoile ne pouvoit être causé par le mouvement de la terre dans son orbite, ni par les réfractions. M. Bradley a trouvé depuis un moyen d'expliquer ces changemens apparens dans le lieu des étoiles. Voyez ABERRATION. Voyez aussi NUTATION.
Au reste, M. Horrebow croit avoir fait des observations qui prouvent la parallaxe dont il s'agit, sur quoi nous renvoyons le lecteur à l'Histoire des Mathématiques de M. Montucla, Tom. I. pag. 550. Quoi qu'il en soit & quand même la parallaxe annuelle des étoiles seroit insensible, il s'ensuivroit seulement que leur distance est immense par rapport à celles du soleil ; ce qui peut effrayer l'imagination, mais non la raison.
La parallaxe des étoiles par rapport à l'orbite annuel de la terre est appellée parallaxe de l'orbe annuel ou parallaxe du grand orbe ; cette parallaxe est fort sensible dans les planetes & dans les cometes. Voyez PLANETE & COMETE. (O)
PARALLACTIQUE, adj. (Géom.) se dit de ce qui appartient aux parallaxes, de ce qui sert à mesurer les parallaxes ; ainsi on dit angle parallactique. Voyez ANGLE & PARALLAXE. On dit aussi machine parallactique. Voyez les figures des instrumens astronomiques & leur explication.
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PARALLELE | adj. en Géométrie, se dit des lignes & des surfaces qui sont par-tout à égale distance l'une de l'autre, ou qui prolongées à l'infini ne deviennent jamais ni plus proches, ni plus éloignées l'une de l'autre. Voyez EQUIDISTANT.
Ainsi les lignes droites paralleles sont celles qui ne se rencontrent jamais, quoique prolongées à l'infini.
La ligne O P (Pl. géom. fig. 36) est parallele à Q R.
Les lignes paralleles sont le contraire des lignes convergentes & divergentes. Voyez CONVERGENTE, &c.
Quelques-uns définissent les lignes convergentes, celles qui doivent se rencontrer l'une l'autre à une distance finie ; & lignes paralleles, celles qui ne se rencontrent l'une l'autre qu'à une distance infinie.
Les lignes paralleles sont d'un très-grand usage en Géométrie, soit spéculative, soit pratique ; en tirant des paralleles à des lignes données, on forme des triangles semblables qui servent merveilleusement à résoudre des problèmes de Géométrie : dans les arts, il est presque toujours question de paralleles, les bords opposés d'une table sont paralleles, ceux des carreaux de vitre, des portes, des plafonds, &c. le sont aussi.
Les Géomêtres démontrent que deux lignes paralleles à une même troisieme ligne, sont aussi paralleles l'une à l'autre ; & que si deux paralleles O P & Q R sont coupées par une ligne transverse S T en A & B, 1° les angles alternes internes X Y sont égaux ; 2° l'angle externe U est égal à l'un des internes opposé Y ; 3° que les deux internes opposés Z & Y sont aussi égaux à la somme de deux angles droits.
Il est démontré par les principes d'optique, que si un oeil est placé entre deux lignes paralleles, elles paroîtront convergentes ; & si elles sont assez longues pour que la distance apparente de ces lignes ne soit plus qu'un point à l'oeil, elles paroîtront se réunir totalement. Voyez PARALLELISME des rangées d'arbres.
On décrit des lignes paralleles en abaissant des perpendiculaires égales sur une même ligne, & en tirant des lignes par l'extrémité de ces perpendiculaires ; ou bien, en faisant glisser le long d'une ligne les deux pointes d'un compas, la tête de ce compas décrira une ligne droite parallele à la ligne donnée.
Les plans paralleles sont ceux où toutes les perpendiculaires que l'on tire entr'eux sont égales. Voyez PLAN.
Les rayons paralleles, dans l'Optique, sont ceux qui sont à une égale distance les uns des autres, depuis l'objet visible jusqu'à l'oeil, que l'on suppose pour cela infiniment éloigné de l'objet. Voyez RAYON.
Regles paralleles ; c'est un instrument composé de deux regles de bois, de cuivre, d'airain ou d'acier, A B & C D (fig. 37.) également larges par-tout ; & jointes ensemble par des lames de traverse E F & G H, de maniere qu'elles peuvent s'ouvrir à différens intervalles, s'approcher & s'éloigner, & rester néanmoins toujours paralleles entr'elles.
L'usage de cet instrument est bien sensible ; car l'une des regles étant appliquée sur R S ; si on éloigne l'autre jusqu'au point donné V, une ligne droite A B tirée le long de son bord par le point V, est parallele à la ligne R S.
PARALLELES ou CERCLES PARALLELES, en Géographie, que l'on appelle aussi paralleles de latitude, sont de petits cercles de la sphere, que l'on conçoit passer par tous les points du méridien, en commençant à l'équateur auquel ces petits cercles sont paralleles, & en venant se terminer aux poles.
On les appelle paralleles de latitude, &c. parce que tous les lieux qui sont sous le même parallele ont la même latitude. Voyez LATITUDE. On les nomme aussi simplement paralleles.
PARALLELES DE LATITUDE, en Astronomie, sont de petits cercles de la sphere parallele à l'écliptique, que l'on imagine passer par chaque degré & minute des colures. Voyez LATITUDE.
PARALLELES DE HAUTEUR ou ALMICANTARATHS, ce sont des cercles paralleles à l'horison, que l'on imagine passer par chaque degré & minute du méridien entre l'horison & le zénith, & qui ont leur pole au zénith. Voyez HAUTEUR & ALMICANTARATH.
Les paralleles de déclinaison en Astronomie sont la même chose que les paralleles de latitude en Géographie. Voyez DECLINAISON.
Sphere parallele ; c'est cette situation de la sphere, dans laquelle l'équateur se confond avec l'horison, & les poles avec le zénith & le nadir. Voyez SPHERE.
Dans cette sphere, tous les paralleles à l'équateur sont paralleles à l'horison : & par conséquent les étoiles n'ont point de lever ni de coucher, elles tournent toutes dans des cercles paralleles à l'horison ; & quand le soleil est dans l'équateur, il tourne autour de l'horison pendant tout le jour. Après que cet astre est parvenu au-dessus de l'horison, il ne se couche point du tout pendant six mois ; & lorsqu'il est repassé de l'autre côté de la ligne, il est six mois sans se lever. On fait ici abstraction du crépuscule qui allonge le jour & accourcit la nuit par toute la terre. Voyez CREPUSCULE.
La sphere a cette position pour ceux qui vivent sous les poles, en cas qu'il y ait quelques habitans. Le soleil ne s'éleve jamais au-dessus de leur horison plus que d'une quantité égale à l'obliquité de l'écliptique. Voyez ECLIPTIQUE & OBLIQUITE. Chambers. (E)
PARALLELE, anti, on appelle lignes antiparalleles celles qui font avec deux autres lignes de section souscontraires. Voyez SOUSCONTRAIRE. Ainsi (fig. 44. géom.) les lignes A C, B D, tellement placées que les angles V A C, V B D, soient égaux, sont anti-paralleles. (O)
Nous finirons cet article sur les paralleles, en marquant que la théorie des paralleles est peut-être ce qu'il y a de plus difficile dans la Géométrie élémentaire à démontrer rigoureusement ; la vraie définition, ce me semble, & la plus nette qu'on puisse donner d'une parallele, est de dire que c'est une ligne qui a deux de ses points également éloignés d'une autre ligne. Il suffit ici de deux points ; car deux points donnent une ligne droite ; il faut ensuite démontrer (& c'est-là le plus difficile), que tous les autres points de cette seconde seront également éloignés de la ligne droite donnée, & que par conséquent ces deux lignes ne se rencontreront jamais. Dire qu'une parallele est celle qui a tous ses points également éloignés d'une autre, ou qui prolongée ne la rencontrera jamais, c'est supposer la question ; dire avec de grands géomêtres que deux paralleles sont deux lignes droites qui concourent à une distance infinie, ou vers un point infiniment éloigné, c'est donner une définition bien métaphysique & bien abstraite d'une chose bien simple. J'exhorte les géomêtres, qui dans la suite donneront des élémens, de s'appliquer à cette théorie des paralleles ; avec cette théorie bien démontrée, & de la maniere la plus simple, le principe de la superposition & celui de la mesure des angles au centre du cercle par les arcs compris entre leurs côtés, on pourra faire d'excellens élémens de géométrie, meilleurs, plus simples, & plus rigoureux qu'aucun de ceux que nous connoissons. Voyez GEOMETRIE. (O)
PARALLELES DE LATITUDE, (Géog. mod.) sur le globe terrestre, ces paralleles sont les mêmes que les paralleles de déclinaison sur le globe céleste ; mais les paralleles de latitude dans celui-ci, sont de petits paralleles à l'écliptique, qu'on imagine passer par chaque degré, & par chaque minute des colures, & ils y sont représentés par les divisions du quart de hauteur dans son mouvement autour du globe, quand une de ses extrémités est vissée sur les poles de l'écliptique. (D.J.)
PARALLELE, s. m. (Art orat.) c'est dans l'art oratoire la comparaison de deux hommes illustres, exercice agréable pour l'esprit qui va & revient de l'un à l'autre, qui compare les traits, qui les compte, & qui juge continuellement de la différence ; tel est le parallele de Corneille & de Racine par la Bruyere, & par M. de la Mothe, que je vais donner pour exemple.
Corneille, dit M. de la Bruyere, ne peut être égalé dans les endroits où il excelle ; il a pour-lors un caractere original & inimitable, mais il est inégal. Dans quelques-unes de ses meilleures pieces, il y a des fautes inexcusables contre les moeurs, un style de déclamateur qui arrête l'action & la fait languir, des négligences dans les vers & dans l'expression, qu'on ne sauroit comprendre en un si grand homme ; ce qu'il y a de plus éminent en lui, c'est l'esprit qu'il avoit sublime.
Racine est soutenu, toujours le même par-tout, soit pour le dessein & la conduite de ses pieces, qui sont justes, régulieres, prises dans le bon sens & dans la nature, soit pour la versification qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse.
Si cependant il est permis de faire entr'eux quelque comparaison, & de les marquer l'un l'autre par ce qu'ils ont de plus propre, & par ce qui éclate ordinairement dans leurs ouvrages, peut-être qu'on pourroit parler ainsi : Corneille nous assujettit à ses caracteres & à ses idées : Racine se conforme aux nôtres. Celui-là peint les hommes comme ils devroient être ; celui-ci les peint tels qu'ils sont. Il y a plus dans le premier de ce qu'on admire & de ce qu'on doit même imiter ; il y a plus dans le second de ce qu'on reconnoit dans les autres, & de ce qu'on éprouve en soi-même. L'un éleve, étonne, maîtrise, instruit ; l'autre plaît, remue, touche, pénetre. Ce qu'il y a de plus grand, de plus impérieux dans la raison, est manié par celui-là ; par celui-ci ce qu'il y a de plus tendre & de plus flatteur dans la passion. Dans l'un ce sont des regles, des préceptes, des maximes ; dans l'autre du goût & des sentimens. L'on est plus occupé aux pieces de Corneille ; l'on est plus ébranlé & plus attendri à celles de Racine. Corneille est plus moral, Racine est plus naturel. Il semble que l'un imite Sophocle, & que l'autre doit plus à Euripide.
Le parallele des deux poëtes par M. de la Mothe est plus court, moins approfondi, mais léger, délicat, & agréable.
Des deux souverains de la scene
L'aspect a frappé nos esprits ;
C'est sur leurs pas que Melpomène
Conduit ses plus chers favoris ;
L'un plus pur, l'autre plus sublime,
Tous deux partagent notre estime
Par un mérite différent.
Tour-à-tour ils nous font entendre
Ce que le coeur a de plus tendre,
Ce que l'esprit a de plus grand.
Voilà comme on fait le parallele des grands hommes ; Plutarque a lui-même ouvert cette carriere avec un goût admirable. (D.J.)
PARALLELES, (Fortific.) ce sont des lignes qui sont presque paralleles au côté attaqué de la place. Une attaque en forme demande communément trois paralleles ; on les nomme autrement places d'armes. Ozannam. (D.J.)
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PARALLÉLEPIPEDE | S. m. en Géométrie, c'est un corps ou solide compris sous six parallélogrammes, dont les opposés sont semblables, paralleles & égaux, comme dans la Pl. VI. de Géom. fig. 38.
Quelques-uns définissent le parallélepipede, un prisme dont la base est un parallélogramme. Voyez PRISME.
Propriétés du parallélepipede. Tous les parallélepipedes, prismes, cylindres, &c. dont les bases & les hauteurs sont égales, sont égaux entr'eux.
Un plan diagonal divise un parallélepipede en deux prismes triangulaires égaux ; c'est pourquoi un prisme triangulaire n'est que la moitié d'un parallélepipede de même base & de même hauteur.
Tous les parallélepipedes, prismes, cylindres, &c. sont en raison composée de leur base & de leur hauteur ; c'est pourquoi si leurs bases sont égales, ils sont en raison de leur hauteur ; & si les hauteurs sont égales, ils sont en raison de leurs bases. Voyez MESURE.
Tous les parallélepipedes semblables, c'est-à-dire dont les côtés & les hauteurs sont proportionnels, & dont les angles correspondans sont les mêmes, sont en raison triplée de leur côté homologue ; ils sont aussi en raison triple de leur hauteur.
Tous les parallélepipedes, prismes, cylindres, &c. égaux en solidité, sont en raison réciproque de leur base & de leur hauteur.
Mesurer la surface & la solidité d'un parallélepipede. Déterminez les aires des parallélogrammes I L M K, L M O N, O M K P (voyez PARALLELOGRAMME), faites-en une somme, & multipliez-la par 2 ; le produit sera la surface du parallélepipede.
Ensuite si on multiplie la base I L M K par la hauteur M O, le produit sera la solidité ; supposons, par exemple, L M = 36, M K = 15, M O = 12,
Voyez MESURE. Chambers.
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PARALLÉLIPIPEDE | S. m. Voyez PARALLELEPIPEDE.
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PARALLELISME | S. m. (Géom.) c'est la propriété ou l'état de deux lignes, deux surfaces, &c. également distants l'un de l'autre. Voyez PARALLELE, PARALLELOGRAMME, &c.
PARALLELISME de l'axe de la terre, en Astronomie ; c'est cette situation constante de l'axe de la terre, en conséquence de laquelle, quand la terre fait sa révolution dans son orbite, si l'on tire une ligne parallele à son axe, dans une de ses positions quelconques, l'axe dans toutes ses autres positions sera toujours parallele à cette même ligne ; il ne changera jamais la premiere inclinaison au plan de l'écliptique ; mais il paroîtra constamment dirigé vers le même point du ciel. Ce parallelisme, & les effets qui en résultent, ont été très-bien développés dans les instit. astronomiques, & nous croyons ne pouvoir mieux faire que de transcrire ici tout cet endroit, quoiqu'un peu long, parce qu'il ne nous a pas paru possible de l'abréger, ni de nous expliquer plus clairement.
Le parallelisme de l'axe de la terre doit arriver naturellement, si la terre parcourant son orbite, n'a d'autre mouvement propre que celui de la rotation autour de son axe. Car soit une planete quelconque, dont le centre parcoure une petite portion de son orbite, qu'on peut regarder ici comme une ligne droite A B, fig. 53 astron. cet astre étant en A, si l'on tire un diamêtre C D incliné sous un certain angle à la ligne A B ; il est évident que si cette planete n'a d'autre mouvement que celui selon lequel elle s'avance de A vers B, son diamêtre C D ne doit jamais avoir d'autre direction que selon la ligne d c, parallele au premier diamêtre C D : mais si outre ce mouvement de translation on imagine que la planete en ait un autre de rotation autour de son axe C D, quoiqu'il soit vrai de dire en ce cas que tous les autres diamêtres de cette planete changent continuellement de direction, le vrai axe C D ou c d, est néanmoins exempt de ce mouvement de rotation : il ne sauroit changer sa direction, mais il doit toujours demeurer parallele à lui-même en quelqu'endroit qu'il se trouve.
Le parallelisme de l'axe terrestre & son inclinaison au plan de l'écliptique est la cause de l'inégalité des jours & de la différence des saisons : supposons en effet que l'oeil regarde obliquement le plan de l'orbite de la terre, dont la projection, selon les regles de la perspective, doit paroître alors une ovale ou ellipse, au milieu de laquelle se trouve le soleil en S : si l'on mene par le centre de cet astre la droite S , fig. 54, parallele à la section commune de l'écliptique & de l'équateur, & qui rencontre l'écliptique en deux points & ; il est clair que lorsque la terre paroîtra dans l'un de ces deux points, la ligne qui joint les centres de la terre & du soleil sera pour lors dans la section commune des deux plans ; cette ligne, dis-je, de même que la section commune des plans de l'écliptique & de l'équateur ne doivent former qu'une même ligne droite : elle sera donc en ce cas perpendiculaire à l'axe de la terre, puisque c'est une de celles qui se trouvent dans le plan de l'équateur. Mais cette même ligne droite étant aussi perpendiculaire au plan du cercle, que nous avons dit être le terme de la lumiere & de l'ombre, il suit que l'axe de la terre se trouvera pour lors dans le plan de ce cercle, & passera par conséquent par les poles ; ensorte qu'il divisera tous les paralleles à l'équateur en deux parties égales. La terre étant donc au commencement de , & le soleil paroissant pour lors au commencement du dans la commune section des plans de l'écliptique & de l'équateur, cet astre doit par conséquent nous paroître alors dans l'équateur céleste sans aucune déclinaison, soit au nord, soit au midi, étant à égale distance des poles. Il est encore évident qu'il paroîtra décrire par son mouvement diurne le cercle équinoxial dont nous avons parlé ci-dessus ; de maniere que dans cette situation, la lumiere répandue sur la terre doit se terminer également aux deux poles A & B, & que le grand cercle où se termine cette lumiere, divisera en deux parties égales tous les petits cercles paralleles à l'équateur : mais parce que tous les lieux de la terre sont emportés d'un mouvement uniforme par la rotation qui se fait autour de son axe en 24 heures ; il s'ensuit qu'on y appercevra pour lors les jours égaux aux nuits, chaque point de la surface de la terre demeurant autant prolongé dans les ténebres, qu'exposé aux rayons qui émanent du disque apparent du soleil ; or puisque pendant tout ce tems le jour est précisement égal à la nuit ; on a pour cette raison nommé l'équinoxial, le cercle que le soleil parcourt dans ces tems-là.
Le mouvement annuel de la terre sur son orbite détruit bientôt cette uniformité ; car cette planete étant transportée depuis , , jusqu'en , il arrive pour lors que la section des plans de l'équateur & de l'écliptique, qui reste, comme nous l'avons dit, parallele à elle-même, sans changer de direction, ne passe plus par le centre du soleil, mais s'en écarte peu-à-peu considérablement. Elle forme bien en un angle droit avec la ligne S P, tirée du centre du soleil au centre de la terre ; mais parce que cette ligne S P est dans le plan de l'écliptique, & non pas dans celui de l'équateur, l'angle B P S formé par l'axe de la terre avec la ligne B P n'est plus un angle droit, mais un angle aigu de 66° 1/2 ; c'est-à-dire, égal à l'inclinaison de cet axe sur le plan de l'écliptique. Faisant donc au point P l'angle droit S P L, il est clair que le terme de la lumiere & de l'ombre passera par le point L, & que l'arc B L, ou l'angle B P L, sera de 23° 1/2, savoir égal au complément à 90° de l'angle B P S. Mais faisant aussi l'angle droit B P E, il suit que la ligne P E, sera dans le plan de l'équateur ; d'où l'on voit que puisque l'arc B E est égal à L T, l'un & l'autre étant de 90°, & que l'arc B T de 66° 1/2 leur est commun, les deux autres arcs T E, L B, seront chacun de 23° 1/2, & par conséquent égaux. Il faut faire maintenant E M égal à E T, & décrire par les points T & M les deux paralleles à l'équateur T C, M N qui seront les deux tropiques, dont l'inférieur M N se nomme le tropique du capricorne , & l'autre T C, le tropique du cancer ou de l'écrevisse . Or dans cette situation de la terre, le soleil est à plomb ou perpendiculairement élevé sur le point T, & c'est le tems où il est le plus éloigné de l'équateur, c'est-à-dire dans sa plus grande déclinaison possible vers le pole boréal. Le cercle qu'il paroît pour lors décrire par son mouvement diurne, se trouve dans le ciel directement au-dessus du cercle T C de la terre, & se nomme par conséquent le tropique céleste du : mais la révolution diurne de la terre autour de son axe immobile, est cause que tous les points de la terre qui sont sous ce même parallele à l'équateur, doivent passer successivement par ce point T, où l'oeil apperçoit le soleil perpendiculaire : ainsi le soleil paroîtra pour lors à l'instant du midi à plomb ou vertical à tous les habitans de ce parallele. Enfin, tant que la terre demeurera dans cette situation, il est nécessaire que le cercle qui représente le terme de la lumiere & de l'ombre, se trouve au-delà du pole boréal B, étant parvenu jusqu'en L ; & qu'au contraire il soit écarté jusqu'en F du pole austral A, & cela pendant plusieurs jours. Si l'on décrit donc enfin par les points L & F, les deux paralleles de l'équateur, on aura les deux cercles polaires, qu'on nomme arctique & antarctique, & c'est toute cette région de la terre comprise entre le pole boréal & le cercle polaire arctique K L, qui demeurera pour lors dans un jour perpétuel, malgré la rotation diurne de la terre autour de son axe. Car le soleil répand alors toujours sa lumiere jusqu'à ce cercle polaire qui est tout entier au-delà du terme de la lumiere & de l'ombre, les rayons ne pouvant plus indépendamment de la rotation de la terre, s'étendre au-delà du cercle polaire arctique. Au contraire l'autre région opposée de la terre, laquelle est comprise entre le pole austral & le cercle polaire antarctique, se trouvera pour lors plongée dans de profondes ténebres : on n'y verra plus le soleil, & le jour qu'on aura vu diminuer, ou qu'on a perdu peu-à-peu dans l'espace de trois mois, aura été changé en une nuit continuelle. On voit aussi par-là que dans les autres cercles paralleles compris entre l'équateur & le cercle polaire arctique ou antarctique, il se trouve une partie d'autant plus grande de ces cercles plongée dans la lumiere ou dans la nuit, qu'ils sont plus éloignés de l'équateur ou plus avancés vers les poles. C'est pourquoi dans cette situation de la terre où l'on suppose que le soleil paroît au , il est nécessaire que tous les habitans de l'hémisphere septentrional, depuis l'équateur jusqu'au cercle polaire, jouissent des plus longs jours, & qu'ils n'ayent que des nuits très-courtes, ce qui est à leur égard la saison qu'on nomme l'été ; & qu'au contraire dans l'hémisphere qu'on nomme méridional, les nuits y soient alors fort longues, & que les habitans s'y trouvent dans cette saison qu'on nomme l'hiver, puisque leurs jours sont les plus courts, & que le froid les pénetre alors davantage que les autres saisons de l'année.
Après avoir expliqué pourquoi les lieux de la terre où l'on doit observer les plus longs jours & les nuits les plus courtes, sont ceux qui sont les plus éloignés de l'équateur, il est à propos de considérer que de tous les cercles paralleles, il n'y en a aucun qui soit véritablement un grand cercle, & partant qu'il ne sauroit y avoir que l'équateur qui puisse être coupé en deux également par ce grand cercle que nous avons nommé le terme de la lumiere & de l'ombre : or il suit de-là qu'il n'y a sur la terre que les habitans de l'équateur qui ayent l'avantage de conserver leurs jours égaux aux nuits dans toutes les saisons de l'année.
Supposons en troisieme lieu, que la terre s'avance sur son orbite depuis , , jusqu'au , pendant lequel tems le soleil paroîtra parcourir les signes , & , alors on verra cet astre se rapprocher peu-à-peu de l'équateur, de maniere que la terre étant une fois en , le soleil paroîtra pour lors en , & se trouvera pour lors la seconde fois dans la commune section de l'écliptique & de l'équateur, puisqu'elle s'est toujours avancée dans une situation parallele. C'est pourquoi le soleil doit alors paroître dans le cercle équinoxial, ce qui doit donner encore les jours égaux aux nuits dans toute l'étendue de la surface de la terre, & cela précisément de la même maniere qu'il est arrivé lorsque la terre étoit en , ou que le soleil paroissoit en . Dans ce cas, le terme de la lumiere & de l'ombre passera encore par les deux poles, & l'on a pu remarquer, par ce que nous avons dit jusqu'ici, qu'il n'y a que le pole septentrional B, qui s'est trouvé continuellement éclairé du soleil pendant l'espace de six mois que la terre a employé à parcourir la moitié de son orbite depuis jusqu'en ; & qu'au contraire le pole méridional a été constamment plongé dans l'ombre ou dans la nuit pendant le même intervalle de tems.
Enfin, la terre venant à s'avancer selon la suite des signes , & , c'est-à-dire, le soleil paroissant parcourir les signes , & , il doit s'éloigner peu-à-peu de l'équateur, de maniere que la terre étant une fois parvenue en , le soleil paroîtra pour lors au commencement du de la sphere des étoiles fixes. D'ailleurs, l'axe de la terre n'ayant point changé sa direction, puisqu'il a conservé son parallélisme, la terre se présentera pour lors au soleil avec la même inclinaison de son axe, qu'elle s'y présentoit six mois auparavant, lorsqu'elle étoit au commencement du , mais avec cette différence qu'au lieu que la région renfermée dans le cercle K L, étoit éclairée du soleil lorsque la terre passoit au point de son orbite ; au contraire la terre étant en , cette même région se trouvera entierement plongée dans l'ombre, & enfin celle qui lui est opposée, ou qui est terminée par le cercle F G, se trouvera éclairée du soleil dans toute son étendue, au lieu qu'elle étoit six mois auparavant dans une nuit profonde, parce qu'elle ne recevoit point les rayons du soleil.
De même tous les paralleles qui sont entre l'équateur & le pole septentrional B, seront alors pour la plus grande partie plongés dans l'ombre, au contraire de ce qu'on remarquoit six mois auparavant ; au lieu que vers le pole méridional A, plus de la moitié de la circonférence de ces cercles paralleles sera éclairée du soleil, là où six mois auparavant on a pu remarquer que c'étoit la plus grande partie de la circonférence de ces mêmes cercles qui étoit plongée dans l'ombre. Enfin, le soleil paroîtra pour lors à plomb du vertical aux habitans du tropique M N, comme s'il avoit effectivement descendu à l'égard de la surface de la terre, depuis le parallele ou tropique qui répond à T C, jusqu'à l'autre tropique céleste qui répond à M N, c'est-à-dire selon l'arc C Q N, de 47°. Il n'est pas moins évident que des deux diverses manieres dont la terre se présente au soleil tous les six mois, il en doit résulter cette regle générale ; savoir que dans les lieux de l'hémisphere septentrional ou méridional, compris entre les poles & les tropiques, le soleil doit paroître de 47°. plus près du zénith dans un tems de l'année, que dans l'autre, c'est-à-dire qu'il doit s'approcher du pole, ou monter tous les jours dans le méridien depuis le solstice d'hiver jusqu'à celui d'été, comme s'il ne parcouroit autre chose que l'arc de ce méridien, lequel est d'environ 47°. Il ne faut donc pas s'imaginer pour cela que c'est la terre qui tantôt s'éleve, & tantôt s'abaisse par un mouvement particulier ; au contraire ces changemens n'arrivent que parce qu'elle ne s'éleve ni ne sauroit s'abaisser, mais qu'elle se présente toujours de la même maniere par rapport au reste de l'univers, ou plutôt à l'égard des étoiles. Il n'y a qu'à l'égard du soleil qu'elle est inclinée différemment, parce qu'elle parcourt chaque année (son axe étant dans une inclinaison constante) une orbite à l'entour de cet astre, & qu'elle doit par conséquent lui présenter ce même axe sous différentes obliquités à mesure qu'elle tourne.
On peut faire une expérience assez simple pour mieux comprendre ce que nous venons de dire : elle consiste à exposer dans une chambre obscure un globe à une bougie, qui dans ce cas représentera le soleil ; si l'on prend ce globe pour la terre, & que l'on y marque les poles, l'équateur, le méridien, & quelques-uns des paralleles ; qu'enfin on le suspende de maniere que son axe au lieu d'être perpendiculaire au plan de l'horison, qu'il faut regarder ici comme l'écliptique, il soit incliné de plusieurs degrés ; alors tournant ce globe de maniere qu'un de ses poles regarde le nord, & l'autre le midi, & que la lumiere de la bougie éclaire également l'un & l'autre pole, (il faut tâcher de conserver exactement dans cette opération le parallélisme ou la même position de l'axe) ; on le fera tourner ainsi autour de la circonférence d'un plan circulaire parallele à l'horison, au centre duquel la bougie est immobile ; & dès-lors on pourra observer à loisir la maniere dont le pole, les paralleles, & l'équateur de ce globe seront éclairés ; car il sera facile de remarquer les mêmes phénomenes que nous venons d'expliquer par rapport à la terre & au soleil. Cet article, comme nous l'avons déja annoncé, est entierement tiré de l'Astronomie de Keill, traduite par M. le Monnier.
PARALLELISME des rangées d'arbres. L'oeil placé au bout d'une allée bordée de deux rangées d'arbres, plantés en lignes paralleles, ne les voit jamais paralleles ; mais elles lui paroissent toujours inclinées l'une vers l'autre, & s'approcher à l'extrémité opposée.
De-là les Mathématiciens ont pris occasion de chercher sur quelle ligne il faudroit disposer les arbres, pour corriger cet effet de la perspective & faire que les rangs parussent toujours paralleles. Il est évident que pour qu'ils paroissent tels il ne faut pas qu'ils soient paralleles, mais divergens, c'est-à-dire, plantés sur des lignes qui aillent toujours en s'écartant. Mais suivant quelle loi réglera-t-on leur divergence ? Il est évident que la solution de ce problême dépend d'une question physique encore contestée sur la grandeur apparente des objets. Voyez APPARENT & VISION. Si on savoit bien pour quelle raison deux allées d'arbres paralleles semblent divergentes, ou plutôt si on savoit quelle doit être la grandeur apparente des intervalles de deux suites d'arbres ou d'objets placés sur deux lignes droites ou courbes quelconques, il seroit facile alors de trouver la solution cherchée : car on n'auroit qu'à planter les arbres sur deux lignes, qui fussent telles que la grandeur apparente de l'intervalle entre les arbres fût toujours la même ; mais la question de la grandeur apparente des objets est une de celles sur lesquelles les auteurs d'Optique sont le moins d'accord. Tous ceux qui ont anciennement écrit de cette science, prétendent que la grandeur apparente est toujours proportionnelle à l'angle visuel ; mais cette proposition ainsi énoncée généralement, est évidemment fausse, comme le pere Malebranche l'a remarqué, puisqu'un homme de six piés, vû à six piés de distance, paroît beaucoup plus grand qu'un homme de deux piés, vû à deux piés de distance, quoique l'un & l'autre puissent être vûs sous des angles égaux. Cependant, malgré l'incertitude, ou plutôt la fausseté du principe des anciens sur la grandeur apparente, il y a eu des auteurs qui se sont servis de ce principe pour résoudre le problême dont il s'agit ici. Il est évident que dans cette hypothèse les deux rangs doivent être tels, que les intervalles des arbres opposés ou correspondans, soient apperçus sous des angles visuels égaux.
Sur ce principe, le P. Fabri a assuré sans le démontrer, & le P. Tacquet après lui, a démontré par une synthèse longue & embarrassée, que les deux rangs d'arbres doivent être deux demi-hyperboles opposées.
Depuis, M. Varignon, dans les Mémoires de l'académie des Sciences, en 1717, a trouvé la même solution par une analyse simple & facile. Mais M. Varignon, connoissant le peu de sûreté du principe, s'est contenté de dire que les intervalles des arbres paroîtroient alors sous des angles égaux, & il s'est abstenu de décider si ces intervalles seroient égaux en effet ; c'est-à-dire, que ne pouvant résoudre la question d'Optique, il en a fait une pure question de Géométrie, qui, au moyen de l'analyse, devient fort facile à résoudre. M. Varignon ne s'en tient pas là : il rend le problême beaucoup plus général, & exige non-seulement que les angles visuels soient égaux, mais encore qu'ils croissent ou décroissent en quelque raison donnée, pourvû que le plus grand n'excede point un angle droit. Il suppose que l'oeil soit placé en un point quelconque, ou précisément au commencement des rangées, ou au-delà, ou en-deçà.
Cela posé, il imagine que la premiere rangée soit en ligne droite, & cherche quelle ligne doit être l'autre qu'il appelle la courbe de rangée ; il trouve que ce doit être l'hyperbole, pour que les angles visuels soient égaux. La rangée droite & l'hyperbolique seront vûes à l'infini sous des angles égaux ; & si on ajoute la demi-hyperbole opposée, on aura trois rangées d'arbres, la droite dans le milieu, & toutes trois vûes sous des angles égaux.
Il n'est pas nécessaire que la seconde hyperbole soit l'opposée de la premiere, c'est-à-dire, de la même espece, ou qu'elle ait le même axe transverse. Il suffit qu'elle ait le même centre, son sommet dans la même ligne droite, & le même axe conjugué. Ainsi les deux hyperboles peuvent être de toutes les différentes especes possibles, sans que l'effet soit différent. Voyez HYPERBOLE.
De plus, la rangée supposée droite comme ci-devant, si l'on demande que les arbres soient apperçus sous des angles décroissans, M. Varignon fait voir que si le décroissement est selon une certaine raison qu'il détermine, il faut que l'autre ligne soit une ligne droite parallele.
Mais il va encore plus loin ; & supposant que la premiere rangée est une courbe quelconque, il cherche pour l'autre une ligne qui puisse donner aux deux rangées l'effet que l'on desire, c'est-à-dire, de pouvoir être vûes sous des angles égaux, ou croissans, ou décroissans à volonté.
Nous avons vû dans l'article ALLEE, que M. Varignon, ayant supposé la grandeur apparente proportionnelle au produit de la distance apperçue par le sinus de l'angle visuel, hypothèse en apparence beaucoup plus vraisemblable que la premiere, & qui est celle du P. Malebranche & des meilleurs opticiens modernes (voyez APPARENT), trouve que dans cette hypothèse les deux lignes, pour être vûes paralleles, doivent être convergentes ; & comme cette conséquence est absurde, M. Varignon en conclut qu'il faut rejetter le principe du P. Malebranche. Mais cette conclusion est trop précipitée. En effet, 1°. dans le principe du P. Malebranche, il s'agit de la distance apperçue, & non de la distance réelle qui est beaucoup plus grande. Voyez DISTANCE, VISION, &c. Or M. Varignon, dans ses calculs, fait entrer la distance réelle. 2°. Si au lieu de prendre pour la distance, comme le fait M. Varignon, la ligne menée de l'oeil perpendiculairement à l'allée droite, on prenoit la ligne menée du même oeil à l'allée courbe, alors on trouveroit pour la ligne cherchée une droite parallele à la premiere ; ce qu'il est aisé de prouver. Pour corriger donc l'hypothèse de M. Varignon, en prenant les distances telles qu'il les prend, il faut supposer que les grandeurs apparentes sont proportionnelles aux produits des tangentes des angles visuels par les distances apperçues, dont on ignore la loi.
Voilà tout ce qui a été fait jusqu'à présent sur la question proposée, & on voit que la solution n'en est pas encore fort avancée ; il paroît que l'expérience est le seul moyen sûr de la décider. Cependant s'il nous est permis de hasarder ici nos conjectures là-dessus, nous croyons que les deux rangées d'arbres dont il s'agit, doivent être deux lignes droites divergentes. Voici les raisons qui nous portent à le penser. Quand on regarde une allée d'arbres plantés sur deux lignes paralleles, ces deux allées paroissent se rapprocher & tendre à s'unir, mais chacune des deux rangées conserve toujours l'apparence de ligne droite. Les intervalles entre les arbres opposés paroissent décroissans, non pas précisément parce qu'ils sont vûs sous des angles décroissans, mais parce que les piés des arbres éloignés sont jugés plus proches qu'ils ne sont en effet. Ainsi (fig. 16. Perspect.) l'intervalle C D paroît plus petit que l'intervalle A B, parce que l'intervalle A B, étant fort proche de l'oeil O, est vû à-peu-près à la place où il est, au lieu que l'intervalle C D étant fort éloigné, les points C & D sont jugés plus proches qu'ils ne sont réellement, par exemple, sont jugés en c & en d, desorte que l'intervalle C D ne paroît plus que de la grandeur c d qui est plus petite ; d'où il s'ensuit que l'allée est vûe, non dans le plan véritable A B C D où elle est, mais dans une autre surface A B d c sur laquelle on rapporte les intervalles apparens : or les lignes A c, B d, qui terminent cette surface, sont des lignes convergentes que l'oeil juge droites ; d'où il s'ensuit que la surface A B d c sur laquelle on rapporte les intervalles apparens, est une surface plane. Cette conséquence peut se confirmer par une autre expérience. Il n'y a personne qui n'ait remarqué que dans une galerie longue & étroite, les côtés, le plat-fond & le plancher, paroissent se rapprocher, mais qu'ils paroissent toujours être des surfaces planes, si en effet ils en sont. Ne peut-on pas conclure de-là que la surface sur laquelle on rapporte les intervalles des arbres plantés sur deux rangées quelconques, droites ou courbes, paralleles ou non, est une surface plane ? si cela est, la question n'est plus difficile à résoudre. Car la moindre connoissance des principes de la Géométrie fera voir aisément, que pour que les lignes A B, c d, soient égales, & pour que les lignes A c, B d, soient des lignes droites paralleles, il faut que les lignes A C, B D, soient deux lignes droites divergentes. A l'égard de la quantité de leur divergence, c'est-à-dire, de la quantité dont elles s'écartent l'une de l'autre, cette quantité dépend de la grandeur de l'angle d B D que le plan apparent C A B d fait avec le plan réel A B C D, & c'est à l'expérience à faire connoître cet angle ; cependant, sans s'embarrasser de le chercher, on pourroit découvrir la position des lignes A C, B D, d'une autre maniere, qui consisteroit à attacher en A & en B les extrémités de deux cordes longues & d'une couleur fort remarquable, & à écarter ces cordes l'une de l'autre, en augmentant ou en diminuant successivement leur divergence, jusqu'à ce que l'oeil placé en O les jugeât paralleles.
Ayant la divergence des lignes A C, B D, on auroit réciproquement l'angle d B D du plan apparent & du plan réel ; mais on peut avoir directement cet angle d'une autre maniere, par le moyen de deux rangées d'arbres paralleles : on mettra au pié d'un des arbres les plus éloignés, par exemple en D, une corde de couleur très-remarquable, & on tendra cette corde sur le terrein, en la rapprochant de l'oeil O, jusqu'à ce qu'elle paroisse dans une situation parallele à la rangée A C ; ce qu'il sera facile de juger pour peu qu'on ait de justesse & d'habitude : or si cette corde coupe l'intervalle A B au point V par exemple, on aura A V pour la grandeur apparente de l'intervalle C D, car les lignes D V & C A paroissant paralleles par l'hypothese, les lignes A V, C D, paroîtront égales ; on aura donc A V égal à c d, par conséquent on aura le rapport de c d à A B. Or ce rapport donne l'élévation du plan A B d c, car le rapport de A B à c d est égal à celui de C D à c d, c'est-à-dire, à celui de O D à O d, on connoîtra donc le rapport de O D à O d ; ainsi puisque O D est connu, on connoîtra O d, & par conséquent la position de la ligne B d.
Au reste, pour peu qu'on y fasse d'attention, on verra qu'en supposant même tout ce que nous avons dit ci-dessus exactement démontré, la quantité de la divergence des lignes A C, B D, dépend de la grandeur de l'intervalle A B, & de la hauteur de l'oeil audessus du plan de l'allée. C'est pourquoi une allée d'arbres, qui seroit parallele à un certain point de vûe, ne le seroit plus à un autre. Quoi qu'il en soit, nous souhaitons que les nouvelles vûes que nous venons de donner pour la solution de cette question, excitent les Physiciens à faire des expériences pour vérifier notre principe, & pour donner à cet égard un nouveau degré d'accroissement à la théorie de la vision.
J'avois fini cet article depuis plusieurs années, comme il me seroit aisé de le prouver, lorsque M. Bouguer lut à l'académie des Sciences un écrit sur le même sujet, qui contient au fond les mêmes principes ; & je dis pour-lors de vive voix à l'académie, sans prétendre rien ôter à M. Bouguer, que j'avois trouvé comme lui, & par les mêmes raisons, que les lignes cherchées devoient être deux lignes droites divergentes. Le mémoire de M. Bouguer n'est point encore imprimé au moment où j'ajoute ces dernieres lignes au présent article, c'est-à-dire, en Décembre 1759. (O)
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PARALLÉLOGRAMME | S. m. en Géométrie, c'est une figure rectiligne de quatre côtés, dont les côtés opposés sont paralleles & égaux. Voyez QUADRILATERE.
Le parallélogramme est formé, ou peut être supposé formé par le mouvement uniforme d'une ligne droite toujours parallele à elle-même.
Quand le parallélogramme a tous ses angles droits, & seulement ses côtés opposés égaux, on le nomme rectangle ou quarré long. Voyez RECTANGLE.
Quand les angles sont tous droits, & les côtés égaux, il s'appelle quarré. Voyez QUARRE.
Si tous les côtés sont égaux, & les angles inégaux, on l'appelle rhombe ou losange. Voyez RHOMBE & LOSANGE.
S'il n'y a que les côtés opposés qui soient égaux, & les angles opposés aussi égaux, mais non droits, c'est un rhomboïde. Voyez RHOMBOÏDE.
Tout autre quadrilatere, dont les côtés opposés ne sont ni paralleles ni égaux, s'appelle un trapeze. Voyez TRAPEZE.
Propriétés du parallélogramme. Dans tout parallélogramme, de quelque espece qu'il soit, par exemple, dans celui-ci A B C D (Planches géomet. fig. 41.), la diagonale D A le divise en deux parties égales ; les angles diagonalement opposés B C & A D sont égaux ; les angles opposés au même côté C D & A B sont ensemble égaux à deux angles droits ; & deux côtés pris ensemble sont plus grands que la diagonale.
Deux parallélogrammes, A B C D & E C D F, sur la même ou sur une égale base, & de la même hauteur A C, ou entre les mêmes paralleles A F C D, sont égaux ; d'où il suit que deux triangles C D A & C D F, sur la même base & de la même hauteur, sont aussi égaux.
Il s'ensuit aussi que tout triangle C F D est moitié du parallélogramme A C D B, sur la même ou sur une égale base C D, & de la même hauteur, ou entre les mêmes paralleles ; & qu'un triangle est égal à un parallélogramme qui a la même base & la moitié de la hauteur, ou moitié de la base & la même hauteur. Voyez TRIANGLE.
Les parallélogrammes sont en raison composée de leur base & de leur hauteur. Si donc les hauteurs sont égales, ils sont comme les bases, & réciproquement.
Dans les parallélogrammes & les triangles semblables, les hauteurs sont proportionnelles aux côtés homologues. De-là les parallélogrammes & les triangles semblables sont en raison doublée de leurs côtés homologues, aussi-bien que de leurs hauteurs & de leurs bases ; ils sont donc comme les quarrés des côtés, des hauteurs & des bases.
Dans tout parallélogramme, la somme des quarrés des deux diagonales est égale à la somme des quarrés des quatre côtés.
M. de Lagny regarde cette proposition comme une des plus importantes de toute la Géométrie : il la met au même rang que la fameuse XLVII e. d'Euclide, & que celle de la similitude des triangles ; & il ajoute que le premier livre entier d'Euclide n'est qu'un cas particulier de celle-ci. Car si ce parallélogramme est rectangle, il s'ensuit que les deux diagonales sont égales, & par conséquent que le quarré de la diagonale, ou, ce qui revient au même, le quarré de l'hypothenuse de l'angle droit, est égal aux quarrés des côtés.
Si le parallélogramme n'est pas rectangle, & par conséquent si les deux diagonales ne sont pas égales, ce qui est le cas le plus général, la proposition devient d'une vaste étendue ; elle peut servir, par exemple, dans toute la théorie des mouvemens composés, &c.
Il y a trois manieres de démontrer ce théorème : la premiere, par la Trigonométrie, ce qui demande vingt-une opérations ; la seconde, géométrique & analytique, en demande quinze : M. de Lagny en donne une plus courte dans les mémoires de l'académie ; elle n'en exige que sept. Voyez DIAGONALE.
Mais en supposant la fameuse XLVII e. dont la démonstration est d'un assez petit détail, celle-ci se démontre avec une extrême facilité : car soit A C = D (Pl. de Géom. fig. 25.), D B = d, A B = C D = B, B C = A D = C, B F = A E = y, C F = D E = x, alors D F sera = B + x, & C E = B - x ; on voit bien que A E & B F sont des perpendiculaires. Ceci supposé, il faut démontrer que D D + d d = 2 B B + 2 C C.
Démonst. par la XLVII e. D D = Y Y + B B - 2 B x + x x & C C = y y + x x. Mettant donc C C en la place de Y Y + x x, dans l'équation précédente, on aura D D = B B + C C - 2 B x.
Pareillement d d = Y Y + B B + 2 B X + X X = B B + C C + 2 B X ; par conséquent D D + d d = B B + C C + 2 B X + B B + C C - 2 B X, & réduisant ce dernier membre à sa plus simple expression, on a D D + d d = 2 B B + 2 C C. (C. Q. F. D.)
Trouvez l'aire du parallélogramme rectangle A B C D (fig. 41.) ; trouvez la longueur des côtés A B & A C ; multipliez A B par A C : le produit sera l'aire du parallélogramme. Supposez par exemple A B, 345 ; A C, 333 : l'aire sera 11385.
On trouve l'aire des autres parallélogrammes qui ne sont pas rectangles, en multipliant la base D C (fig. 25.) par la hauteur B F.
Complément du parallélogramme. Voyez COMPLEMENT.
Centre de gravité du parallélogramme. Voyez CENTRE DE GRAVITE & METHODE CENTROBARIQUE. (E)
Quand les Géometres disent qu'un parallélogramme est le produit de sa base par sa hauteur, ils ne veulent pas dire par-là, comme quelques-uns se l'imaginent, qu'une surface est le produit de deux lignes droites ; car on ne multiplie point une ligne droite par une ligne droite, parce qu'on ne multiplie jamais deux concrets l'un par l'autre (voyez CONCRET) ; ce langage des Géometres est une façon de parler abregée, que j'ai expliquée à la fin de l'art. ÉQUATION, tom. V. p. 854. col. 2. (O)
Regle du parallélogramme. On appelle ainsi une regle imaginée par M. Newton, & dont voici l'usage : supposons qu'on ait une équation algébrique ordonnée en x & en y, on demande la valeur de y en x lorsque x = o, & lorsque x = . Pour cela on dispose en cette sorte dans un parallélogramme tous les termes de l'équation, &c. on remplit par des * les
termes qui devroient se trouver dans l'équation & qui ne s'y trouvent pas ; & par le moyen d'une regle qu'on applique à ce parallélogramme, ensorte qu'elle passe par deux ou plusieurs termes qui sont en ligne droite, & qu'elle laisse tous les autres termes au-dessus ou au-dessous, ou à gauche ou à droite, on trouve la solution du problème. Par exemple, dans le cas présent, si x = o, les termes de dessous a, c y, l y 2, &c. tous couverts par la regle, donnent la valeur de y, en faisant a + c y + l y 2 + &c. = o. Si le terme a manquoit, on auroit à la fois b x + c y = o, & c y + l y 2 + m y 3 = o. Si x = , les termes supérieurs h x 5 + m y 3 = o, couverts par la regle, & au-dessous desquels tombent tous les autres, donnent y 3 = . On peut voir dans les usages de l'analyse de Descartes de M. l'abbé de Gua, & dans l'introduction à l'analyse des lignes courbes de M. Cramer, la démonstration, les différens usages, & les applications de cette regle, suivant les cas qui peuvent se présenter, il suffit ici d'en donner l'esprit. Il est bon d'observer que MM. de Gua & Cramer transforment le parallélogramme en un triangle qu'ils appellent analytique, ce qui ne change rien au fond.
En général, la regle appliquée dans les parties supérieures donne les valeurs de y qui répondent à x infinie ; & la regle appliquée aux parties inférieures donne les valeurs de y qui répondent à x = o. Cela est fondé 1°. sur ce que tous les termes inférieurs à la regle sont en général d'un ordre moins élevé que ceux par où la regle passe ; & qu'au contraire tous les termes supérieurs à la regle sont en général d'un ordre moins élevé. 2°. Sur ce que dans tous les termes par où passe la regle, les exposans de x & ceux de y sont en progression arithmétique.
Pour se servir commodément de cette regle, il faut 1°. supposer toutes les cases semblables & d'une égale surface, soit quarrées, soit rectangles. 2°. Imaginer que chaque terme de l'équation soit au centre de la case, & remplir ces centres par des étoiles, ou par quelque autre marque, & les termes vuides par des points. C'est ainsi qu'en a usé M. Cramer, ch. vij. de son ouvrage, auquel nous renvoyons.
Si on vouloit savoir les valeurs de x qui répondent à y = 0, ou à y = , il faudroit coucher le triangle sur la bande sans y, c'est-à-dire, supposer la bande a + b x + c x 2, &c. horisontale, & suivre la même méthode.
Ainsi on n'a qu'à faire passer autant de regles qu'il sera possible par deux ou plusieurs termes qui soient en ligne droite, & supposer que tous les termes soient renfermés au-dedans de ces regles, tous les termes enfilés par chaque regle donneront une équation séparée ; & si le triangle est supposé couché sur la bande des y, les regles supérieures donneront les valeurs de y répondantes à x = , & les inférieures les valeurs de y répondantes à x = 0 : mais si le triangle est couché sur la bande des x, alors les regles supérieures donneront les valeurs de x qui répondent à y = , & les regles inférieures donneront les valeurs de x qui répondent à y = o. Voyez les articles SERIE & SUITE. (O)
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PARALLOGISME | S. m. en Logique ; c'est un raisonnement faux, ou une erreur commise dans la démonstration, quand la conséquence est tirée de principes qui sont faux ou qui ne sont pas prouvés ; ou bien quand on glisse sur une proposition qu'on auroit dû prouver. Voyez ERREUR, RAISONNEMENT, DEMONSTRATION, &c.
Le parallogisme differe du sophisme, en ce que le sophisme se fait à dessein & par subtilité, & le parallogisme par erreur & par défaut de lumiere suffisante & d'application. Voyez SOPHISME.
Cependant MM. de Port-Royal semblent ne mettre aucune différence entre l'un & l'autre. Tous ceux qui ont cherché la quadrature du cercle ont fait des parallogismes. Voyez QUADRATURE.
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PARALOPHIE | S. f. (Anat.) terme énergique employé par Keill & autres Anatomistes, pour désigner en un seul mot la partie latérale la plus basse du col ; ce mot est composé de , proche, & de , éminence du dos ; c'est, selon Keill, la partie latérale la plus basse du col. (D.J.)
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PARALOURGE | S. m. (Antiq. grecq.) , c'étoit chez les anciens Grecs une espece de vêtement, avec une bande pourpre de chaque côté.
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PARALYSIE | S. f. ou PARALYTIQUE, s. m. (Médecine) la paralysie est une maladie caractérisée par une privation plus ou moins complete , plus ou moins générale du mouvement & du sentiment, ou de l'un des deux. Son nom lui vient du grec , resolvo, je résous ; les Latins traduisent quelquefois le mot grec de par resolutio, & même en françois celui de résolution n'est point absolument inusité dans cette signification.
L'idée générale de paralysie en comprend deux especes que l'observation a fait distinguer ; savoir ; la paralysie du mouvement que les Grecs appellent ; & la paralysie du sentiment, qu'ils nomment ; il est assez rare qu'elles se rencontrent ensemble, plus souvent le mouvement est aboli & le sentiment persiste ; il n'y a que quelques exemples de privation de sentiment dans des parties qui conservoient le libre exercice des mouvemens ; on en trouve deux rapportés dans l'Hist. de l'acad. royale des Sciences, l'une & l'autre espece peut être universelle ou particuliere, occuper tout le corps, ou seulement une partie plus ou moins étendue ; on lui a donné le nom de paraplégie, lorsque toutes les parties au-dessous du col sont affectées ; & elle a été appellée hemiplégie, lorsque, comme le nom l'indique, la moitié du corps divisé en deux parties latérales étoit paralysée ; cette espece est celle qui se rencontre le plus communément dans la pratique. On n'a designé sous aucun nom particulier la paralysie qui occupe le visage, les paupieres, le col, le gosier, la langue, les bras, les jambes, les intestins, la vessie, la verge, &c. celle qui a son siége dans l'iris est plus connue & traitée spécialement sous le nom de goutte sereine. Voyez ce mot.
Les symptomes qui constituent la paralysie sont simples, en petit nombre & nullement équivoques ; le mouvement & le sentiment étant des fonctions qui tombent sous les sens ; on s'apperçoit d'abord de leur inexercice, & on juge surement qu'une partie est paralysée, par son insensibilité & son inaptitude au mouvement ; on en est plus assuré dans les parties internes par le dérangement total des fonctions auquel le mouvement & le sentiment sont nécessaires. Lorsque la paralysie est universelle, lorsqu'elle mérite les noms de paraplegie & d'hémiplégie, lorsqu'elle attaque les organes extérieurs des mouvemens musculaires, elle s'annonce clairement au premier coup d'oeil par l'impossibilité où est le malade d'exécuter aucun mouvement, par la flaccidité des parties paralysées, par la convulsion des muscles antagonistes, &c. Dans l'hémiplégie qui s'étend sur le visage, la paupiere du côté affecté est abaissée, les levres sont tiraillées par les muscles de l'autre côté, elles obéissent à leur effort qui n'est point contre-balancé par celui des antagonistes, privés de leur action, la bouche est tournée, en se portant davantage du côté sain, elle défigure le visage & fait un petit gonflement de ce côté ; il y a beaucoup de paralysies qui n'ont d'autre symptome que cette distorsion de la bouche, & qui n'en sont pas moins bien caractérisées ; j'ai vû cependant un médecin qui jouït de quelque réputation, un de ceux qui trouvent le scorbut partout, prendre cette distorsion pour une fluxion scorbutique, quoiqu'à ce signe se joignît encore l'abaissement involontaire de la paupiere du côté opposé qui décidoit bien la maladie, & donner en conséquence pendant très-long-tems, fort inutilement, comme on croira sans peine, du petit-lait avec du syrop anti-scorbutique ; tant le préjugé peut aveugler les hommes & leur faire prendre le change. La paralysie des nerfs optiques se connoît par la coecité ; des nerfs acoustiques, par la surdité ; des nerfs olfactifs & gustatifs, par la perte de l'odorat & du goût ; des nerfs qui servent au tact, par la privation de ce sens. La paralysie des muscles de la langue produit l'aphonie ; celle des muscles du col, sa flaccidité & son abaissement continuel, de côté ou d'autre, ou sa rétraction d'un côté si la paralysie n'occupe que les muscles de l'autre côté ; le sphincter de l'anus & de la vessie paralysés laissent échapper continuellement les excrémens & l'urine, & le défaut d'érection annonce la paralysie de la verge, &c.
La paralysie ne se décide pas pour l'ordinaire tout de suite dans une personne qui se porte bien, les attaques de paralysie primaires ou protopathiques sont très-rares, plus souvent elles sont une suite de l'apopléxie incomplete ment guérie ; lorsqu'elles n'en ont point été précédées & qu'elles dépendent d'une autre cause, elles s'annoncent lentement par des engourdissemens, des stupeurs, des tremblemens dans les parties qui doivent être le siége de la paralysie, par des convulsions plus ou moins générales, par des vertiges, des maux de tête opiniâtres, &c. on voit quelquefois des personnes se coucher en bonne santé, & se réveiller paralytiques ; il est alors très-probable qu'il y a eu une espece d'apopléxie pendant le sommeil, dont la paralysie a été la suite, l'effet, le dépôt, & peut-être la crise.
La paralysie succédant fréquemment à l'apopléxie, il s'ensuit qu'elle reconnoît pour causes toutes celles qui concourent à la production de cette maladie, dont la classe est extrêmement vaste ; voyez APOPLEXIE. Outre ces causes, celles qui l'excitent immédiatement sont très-multipliées ; il n'y a peut-être point d'erreur dans l'usage des six choses non naturelles, point de causes ordinaires de maladie, qui dans des sujets disposés ou dans certaines circonstances n'ayent déterminé la paralysie. Les passions d'ame, sur-tout les chagrins vifs & durables, y disposent très-souvent, comme je l'ai observé ; les chûtes sur la tête & le dos, les luxations ou fractures de l'épine en sont des causes très-ordinaires, & dans ce cas la paralysie a son siége principal dans les extrémités surtout inférieures, dans les intestins & la vessie ; on trouve plusieurs exemples de ces paralysies dans les mémoires des curieux de la nature rapportés par Schubartus, Helwigius, &c. Forestus fait mention d'une paralysie, causée par un coup de pierre sur le cou, lib. X. observ. 95. Wolfangus, Wedelius, dit avoir vû survenir une paralysie des jambes à une bosse ou dislocation lente des vertebres du dos, occasionnée par une chûte, ce qui est extrêmement rare. Le froid violent & continuel, sur-tout joint à l'humidité, produit fréquemment le même effet, telle fut la cause de la paralysie des parties inférieures, observée par Herman Lummius, dans deux ouvriers qui avoient resté long-tems au fond d'un puits, occupés à le nettoyer ; de celle qui survint au gosier d'un apothicaire, pour avoir bû de la biere trop fraîche ; de celle qu'éprouva un jeune homme qui eut l'imprudence de coucher pendant une nuit d'hiver la fenêtre de sa chambre ouverte ; de celle enfin qu'eut aux parties inférieures & au bas-ventre un capucin, qui après s'être purgé se promena les pieds nuds dans un jardin humide, & pendant un tems froid & nébuleux, suivant les observations d'Helwigius ; l'impression subite d'un air trop froid occasionne les mêmes accidens, lorsqu'on s'y expose après s'être échauffé par des débauches, par des excès de liqueurs fermentées, &c. L'hiver est le tems le plus favorable aux paralysies, & les vieillards y sont les plus sujets. L'usage immodéré des liqueurs vineuses, ardentes, spiritueuses, fait aussi un grand nombre de vieillards paralytiques.
La suppression des évacuations sanguines ou séreuses, naturelles, ou excitées par l'art, continuelles ou périodiques ou même fortuites, a produit beaucoup de paralysies ; de ce nombre sont les paralysies qui ont succédé à des regles, des hémorrhoïdes, des vuidanges, des dyssenteries, diarrhées, salivation, sueurs, &c. arrêtées subitement par le froid, la crainte, la frayeur, l'usage déplacé des narcotiques, des astringens, des répercussifs, & à des vieux ulcères, à des fistules qu'on a imprudemment fait cicatriser, à des teignes, des croutes laiteuses, des gales, des dartres, des bouffissures répercutibles ; des maladies locales, même sans évacuation, peut-être aussi sans matiere, ont dégénéré en paralysie, lorsqu'on les a combattues par des topiques répercussifs, ou par d'autres remedes donnés mal-à-propos ou trop précipitamment ; telles sont toutes les maladies arthritiques, rhumatiques, qu'on a vû si souvent donner naissance aux accidens les plus graves entre les mains des charlatans effrontés qui vouloient les guérir. Les évacuations trop abondantes ont quelquefois aussi produit la paralysie : Helwigius raconte, qu'un moine Franciscain fut atteint d'une paralysie universelle à la suite d'une superpurgation qui dura deux jours. On en a vû survenir à différentes maladies, soit par l'effet même de la maladie, soit causée par un traitement peu convenable.
Ragger dit avoir observé une paralysie universelle à la suite de la petite-vérole ; le même auteur rapporte l'exemple d'une hémiplégie qu'avoit excité une ischurie. Schultzius fait mention d'une paralysie semblable produite par une hydropisie ; Resinus Hémilius a observé une paralysie universelle succéder aux fievres intermittentes ; de toutes les maladies non soporeuses, celle qui se termine le plus souvent par la paralysie, c'est la colique, & sur-tout la colique minérale qu'on appelle aussi colique des Peintres ou du Poitou, & plus proprement rachialgie, & qui est principalement produite par l'usage intérieur des préparations du plomb. Voyez COLIQUE. La paralysie dans ce cas affecte les extrémités, & plus ordinairement les extrémités supérieures. Les observations de ces sortes de paralysies sont très-nombreuses ; quelques auteurs ont parlé des coliques bilieuses qui dégénéroient en paralysie, il y a apparence qu'ils ont confondu ces coliques avec la colique minérale, qu'ils ne connoissoient pas ; d'autres sans savoir que cette colique fût une maladie particuliere, l'ont cependant très-bien décrite ; observant que des coliques produites par des vins, altérés avec la litharge, s'étoient terminées par la paralysie ; le mercure donne aussi très-souvent naissance à la paralysie, soit qu'on le prenne intérieurement à trop haute dose, soit qu'on en respire les vapeurs, soit enfin qu'on le manie pendant très-long-tems. On prétend que le simple toucher d'un poisson appellé pour cet effet torpedo, engourdit & paralyse la main. A ces causes, on peut ajouter celles qui sont locales, telles que les fractures, les luxations, les blessures des membres qui sont suivies de leur paralysie. Schultzius rapporte, qu'une saignée mal-faite donna lieu à une paralysie du bras ; suivant l'observation de Cortnummius, une tumeur dans le pli du bras produisit le même effet ; enfin, on a vû des paralysies héréditaires se manifester sans cause apparente dans les peres & les enfans au même âge, telle est celle qu'a observé Olaüs Borrichius, dans un organiste qui refusa d'essayer de la dissiper par aucun remede, parce que son pere qui en avoit été atteint au même âge avoit inutilement employé toutes sortes de remedes.
Quelque différentes & multipliées que soient ces causes, il y a lieu de penser que leur action porte toujours sur le même organe, c'est-à-dire sur les nerfs immédiatement destinés à répandre dans toutes les parties la vie, ou le mouvement & le sentiment ; ils peuvent seuls, par leur altération, occasionner des dérangemens dans l'une ou l'autre de ces fonctions ; mais ne seroit-il pas nécessaire de distinguer deux especes de nerfs, dont les uns donneroient la sensibilité, & les autres la mobilité ; cette distinction paroit indispensable pour expliquer les paralysies dans lesquelles le mouvement subsiste, le sentiment étant aboli ; ou au contraire les parties ayant perdu la faculté de se mouvoir, conservent leur sensibilité. Cette explication assez heureuse, mais gratuite, peut subsister jusqu'à ce qu'on en trouve une autre plus conforme aux lois de l'économie animale, & plus satisfaisante. Pour que les parties puissent sentir & se mouvoir, il faut que les nerfs qui servent à ces fonctions soient libres & entiers depuis la partie jusqu'à leur origine, c'est-à-dire jusqu'au cerveau ou la moëlle allongée qui n'en est qu'une prolongation ; si on les lie, si on les coupe, si on les blesse, si on les comprime, &c. dans leur cours, la partie où ils aboutissent devient sur-le-champ paralytique ; ainsi les causes de la paralysie peuvent agir ou sur la partie même, ou sur les portions intermédiaires des nerfs, ou ce qui est le plus ordinaire, sur leur origine, qui est le siege des sensations ; le dérangement qu'elles produisent dans cette partie, nécessaire pour exciter la paralysie, n'est point connu du-tout ; les différens auteurs se sont d'autant plus attachés à pénétrer ce mystere qu'il est plus difficile à débrouiller ; mais leurs travaux & leurs recherches n'ont servi qu'à prouver encore mieux son impénétrabilité. Les idées qu'ils ont essayé d'en donner sont toutes plus ou moins ridicules, plus ou moins invraisemblables ; quelques-uns avoient assez ingénieusement manié dans ce cas le fluide nerveux, & en le supposant d'une nature électrique avoient donné des explications assez spécieuses, mais qui dans le fond n'ont servi qu'à amuser & à faire disputer dans les écoles, & qui ont fait rire le praticien observateur pour qui elles n'étoient point faites. Je me garderai bien de surcharger cet article du détail des différentes opinions qu'il y a eu sur cette cause prochaine de la paralysie, leur fausseté manifeste m'évite la peine que j'aurois été forcé de prendre si ces théories faites avec plus d'art & voilées sous les apparences de la vérité avoient exigé une réfutation suivie ; & s'il eût été nécessaire de suivre pas-à-pas les auteurs pour montrer leurs parallogismes moins évidens.
Les observations faites sur les cadavres de personnes mortes de paralysies n'ont, comme à l'ordinaire, répandu aucun jour sur le méchanisme de ses causes, & sur les remedes par lesquels il falloit la combattre, elles ont presque toutes fait voir beaucoup de délabrement dans le cerveau & la moëlle allongée ; quelquefois cependant on n'y a trouvé aucun dérangement, le vice étoit dans d'autres parties. Schenckius rapporte une observation qui lui a été communiquée par Jean Bauhin, d'un jeune homme né mélancholique, qui étoit sujet à de fréquentes attaques de paralysie & d'épilepsie, & qui pendant ce tems avoit tout le côté droit en convulsion & le gauche paralysé ; à sa mort & à l'ouverture du cadavre on vit les veines de la pie-mere du côté droit prodigieusement distendues & noirâtres, & un abscès dans la partie correspondante du cerveau. Tulpius, Valleriola, Scultetus rapportent d'autres exemples d'abscès dans le cerveau trouvés dans des personnes paralytiques. R ***** dans ses lettres à Bartholin, qu'on lit parmi celles de cet auteur, fait mention d'un enfant paralytique à la suite d'une fracture du crâne, dans lequel le cerveau s'épuisa en champignon, jusqu'au corps calleux qu'on voyoit d'abord après avoir enlevé le crâne ; dans plusieurs paralytiques on n'a trouvé d'autre cause apparente qu'un amas de sérosités dans le cerveau & la moëlle allongée. Plater, Willis, Bonet rapportent plusieurs exemples de paralysies dépendantes, ou du-moins accompagnées de l'extravasation de sérosités. Brunner dit que dans un hémiplégique il ne trouva qu'un côté de l'origine de la moëlle allongée inondé de sérosités extravasées, & comprimé par des tumeurs. Cet auteur ajoute que dans le cerveau de plusieurs personnes mortes paralytiques il a observé des tumeurs enkistées. Wepfer a fait la même observation dans un jeune homme devenu subitement hémiplégique, & mort peu de tems après ; toute la fosse antérieure du crâne parut à Willis remplie de sang, en partie ichoreux & en partie grumelé ; dans un autre paralytique, qui avoit été auparavant apoplectique, Bartholin trouva tous les ventricules distendus de sang, qui venoit des vaisseaux crevés du plexus choroïde. On lit un grand nombre d'observations semblables dans les recueils & les compilations qu'en ont fait différens auteurs, Bonet, Tulpius, Schenckius, &c. dans les Mémoires des curieux de la nature, dans la Bibliotheque pratique de Manget, où nous renvoyons les lecteurs curieux. Dans quelque espece de paralysie on ne voit ni dans le cerveau ni dans la moëlle allongée aucune espece d'altération ; c'est sur-tout dans les paralysies hystériques & dans celles qui succedent à la colique ; dans le premier cas il n'y a souvent aucun dérangement sensible dans toute la machine ; dans les autres le vice principal est dans les organes du bas-ventre, & sur-tout dans le foie & les visceres qui en dépendent. Volcher-Coiter, dans un de ces paralytiques, ne trouva dans le crâne qu'un peu de sérosité ichoreuse, qu'il présume même avoir été fournie par les vaisseaux qu'il avoit été obligé de couper ; le foie lui parut obstrué, la vésicule du fiel distendue par une bile épaisse & noirâtre, l'estomac rempli de matieres vertes porracées, & le colon mal conformé. Dans un homme sujet à des vomissemens bilieux, & qui après leur cessation essuya une fievre intermittente, & mourut enfin paralytique, Fernel n'observa rien de contre nature qu'une collection de plus d'une livre de bile aux environs du foie. Manget rapporte qu'un vieux buveur étant mort paralytique à la suite d'une jaunisse, il n'apperçut dans le cadavre d'autre altération dans les visceres qu'un skirrhe considérable du pancréas, & la bile extravasée par-tout ; elle étoit épaisse & noire dans la vésicule du fiel, elle enduisoit comme une colle les parois de l'estomac & en occupoit tous les replis, elle avoit teint la liqueur du péricarde, &c.
De toutes ces observations que conclure, sinon qu'on n'est pas plus avancé qu'avant de les avoir faites ; qu'on n'a rien d'assuré à donner sur l'aetiologie de la paralysie, & que par conséquent le parti le plus sage & le plus sûr est de garder le silence plutôt que de débiter des absurdités à pure perte ? tenons-nous en aux seuls faits que nous connoissons, savoir que les nerfs sont affectés ; ne cherchons pas à penétrer le comment : appliquons-nous à bien connoître les causes qui ont agi, pour opérer en conséquence ; regardons le fluide nerveux comme gratuitement supposé & absolument inutile, & les obstructions des nerfs comme insuffisantes & trop peu générales ; si quelquefois cette cause a lieu, & cela peut arriver puisque les nerfs ont des vaisseaux, qu'ils se nourrissent, & vraisemblablement servent à la nutrition de toutes les parties, on peut croire que ce n'est que dans le cas de paralysie avec atrophie.
Nous pouvons cependant tirer quelque parti des observations précédentes pour le prognostic de la paralysie ; elles nous font voir que les causes qui l'excitent souvent agissent en produisant dans des parties essentielles une altération considérable & qu'il est impossible de corriger ; de-là tant de paralysies mortelles, & qui éludent l'efficacité des remedes les plus appropriés ; ce n'est guère que dans les jeunes gens que la paralysie est susceptible de guérison lorsqu'elle est incomplete , & l'effet de quelques causes accidentelles ; celle qui est produite par des coups, des blessures, des chûtes, &c. est incurable lorsqu'elle ne reçoit aucun soulagement des premiers secours qu'on employe, ou qu'on y remédie trop tard, ou que ces causes ont occasionné la luxation des vertebres du dos, & dans ce dernier cas elle est pour l'ordinaire assez promptement mortelle ; les exemples du contraire sont très-rares ; j'ai été le témoin d'une ; lorsque la paralysie occupe le gosier, l'estomac, les intestins, la vessie, les muscles de la respiration, le diaphragme, &c. le défaut des fonctions auxquelles ces parties servent, augmente encore le danger & hâte la mort des malades. Hérophile prétend avoir observé la paralysie du coeur ; lorsqu'elle a lieu la mort succede subitement. Les paralysies avec froid & atrophie sont plus dangereuses ; si le tremblement survient, c'est un très-bon signe qui doit faire espérer la guérison ; on a vû quelquefois la fievre & les passions d'ame vives, sur-tout la colere, l'opérer ; Tite, fils de Vespasien, fut, au rapport des historiens, guéri par la colere d'une paralysie. Fabrice de Hildan raconte qu'un enfant qui avoit le bras paralytique, guérit en se le cassant. Observ. chirurg. cent. III.
Il n'est pas prudent de se fier aux forces de la nature pour la guérison de la paralysie, ni de compter sur des accidens heureux ; cette maladie n'est pas du nombre de celles qui se combattent par leurs propres efforts, au contraire elle s'enracine & s'opiniâtre par le tems, & demande en conséquence des secours aussi prompts que décisifs ; leur effet doit être de rappeller le mouvement & le sentiment dans les parties qui en sont privées, & pour cela de ranimer les nerfs engourdis & de leur redonner le ton, de la force & de l'activité. Les remedes stimulans, nervins, spiritueux, toniques sont les plus propres pour l'ordinaire à remplir ces indications générales ; l'observation dans bien des cas, d'accord avec le raisonnement, justifie leur usage & constate leur succès ; mais comment agissent-ils pour produire ces effets ? Est-ce en secouant la machine, en irritant les nerfs, en augmentant leur vibration, en réveillant le jeu de certains organes, ou en évacuant, en desobstruant, en dissipant les causes de la maladie, &c. c'est ce qu'il n'est ni possible ni utile de déterminer ; dans quelques cas particuliers où il y a pléthore, où la paralysie est dûe à la suppression des excrétions sanguines, la saignée peut avoir lieu ; hors de ces cas où la nécessité est bien marquée, il faut s'abstenir de ce secours indifférent, déplacé, & même très-pernicieux s'il étoit réitéré. On doit attendre un effet plus certain & plus constant des émétiques, des purgatifs forts, des lavemens âcres, souvent répétés, les boissons sudorifiques & purgatives sont très-efficaces ; la double action qui résulte de ces deux différens remedes fait dans la machine une heureuse révolution, y jette une sorte de trouble avantageux ; je me suis servi plus d'une fois avec succès de cette combinaison qui paroit bizarre ; on peut encore employer à l'usage intérieur, les remedes spiritueux, dont on varie l'activité suivant les tempéramens & suivant les cas ; dans cette classe sont les différens esprits & sels volatils, les esprits aromatiques huileux de Sylvius, les huiles essentielles & animales, les eaux spiritueuses aromatiques, & enfin les plantes même qu'on donne en conserve, en poudre, en opiate, en infusion, &c. il faut soutenir & animer l'action de ces médicamens internes par les irritans & fortifians extérieurs, universels & topiques ; tels sont les vésicatoires, les ventouses, l'urtication, les frictions séches faites avec des étoffes de laine, pénétrées de la vapeur des plantes & des résines aromatiques, les linimens avec les baumes nervins & spiritueux, les bains & les fomentations aromatiques ; les stimulans moyens, les érosions sternutatoires, sialagogues, apophlegmatisans, peuvent être employés en même tems & opérer quelques bons effets, soit par l'irritation faite au systême nerveux, soit par l'évacuation qui en est une suite faite par les glandes du nez & de la bouche qui dégagent assez promptement la tête. On trouve dans les écrits des médecins allemands un grand nombre de formules de remedes qu'ils donnent pour éminemment anti-paralytiques ; mais ce sont souvent des remedes indifférens, fatua, tels que leur fameuse teinture de marcassite sulphureuse, par l'esprit de vin si vantée par Cnvëffell, leur poudre préparée avec le cinabre, les os humains, les magisteres de perle, leur baume fait avec la graisse d'ours & la moëlle de jambe de boeuf, &c. ou ce sont des compositions informes de tous les remedes qui ont quelque énergie. De tous les secours les plus appropriés contre la paralysie, les eaux minérales chaudes ou thermales sont ceux qui sont le plus universellement célébrés, & qui méritent le mieux les éloges qu'on en fait. Voyez les articles MINERALES, eaux, & THERMALES. On y voit tous les jours se renouveller les miracles de la piscine probatoire, & s'y opérer des guérisons surprenantes ; on peut les prendre intérieurement, & s'en servir en bains, en douches, & en étuves ; leur principal effet dépend de la chaleur ; dans les cas où l'on ne pourroit pas porter les malades à la source ou se procurer ces eaux, il seroit très-facile de les imiter ou de les suppléer. Les plus renommées en France sont celles de Balaruc, de Bourbonne, de Vichy, de Barége, de Cauterets, &c. Quelques auteurs, avec Willis, regardent le mercure comme un des plus excellens remedes contre la paralysie ; ils rapportent plusieurs observations qui constatent les succès complets de la salivation ; c'est une ressource qu'il seroit imprudent de négliger, sur-tout lorsqu'on a inutilement employé les autres remedes : il en est de même de l'électricité, qui a eu pendant un certain tems beaucoup de réputation ; les expériences que M. Jallabert avoit faites à Geneve l'avoient extrêmement accréditée ; des personnes dignes de foi m'ont cependant assuré qu'ayant fait des informations sur les lieux, elles ne leur avoient pas paru aussi heureuses & aussi favorables à l'électricité que M. Jallabert l'avoit écrit, & celles qu'on fit à Paris n'ayant eu aucun succès, on a tout-à-fait abandonné ce remede ; cependant M. de Sauvage, professeur à Montpellier, assure en avoir obtenu de bons effets, & M. Rast le fils, médecin à Lyon, m'écrivoit il n'y a pas long-tems, qu'une paralytique à qui il l'avoit fait éprouver s'en étoit très-bien trouvée : ainsi il paroit qu'on devroit pour constater les vertus de ce remede & pour en déterminer l'usage, faire de nouvelles expériences, la matiere est assez importante pour reveiller l'attention des Médecins ; on peut toujours employer sans crainte ce secours, parce que s'il ne produit aucun bon effet, il ne sauroit avoir des suites facheuses.
A ce détail sur la paralysie, j'ajouterai deux exemples rares d'une paralysie sans sentiment, & sans destruction des mouvemens de la partie insensible.
L'un est d'un soldat qui fut privé de sentiment depuis l'épaule jusqu'à l'extrémité des doigts de la main : cependant ce même soldat jouoit à la boule, fendoit du bois en y employant les deux bras, sans que celui qui étoit insensible, y fit remarquer ou de la peine ou de la contrainte. Un jour il leva par mégarde avec la main insensible le couvercle d'un poële de fer très-ardent & presque rouge ; il le posa ensuite tranquillement, & il ne s'apperçut point du tout, du-moins par le sentiment, qu'il s'étoit brûlé tout le dedans de la main ; cependant les tégumens internes, les tendons, & le périoste de l'index, en furent détruits : la gangrene se mit à la plaie, & l'on y fit plusieurs incisions, auxquelles il ne sourcilla pas, non plus que lorsqu'on y appliquoit la pierre infernale, il est demeuré estropié de deux doigts.
M. Garcin, correspondant de l'académie des Sciences, est le sujet d'un second exemple de l'espece de paralysie, qui ne tombe que sur les organes du sentiment. Tous ses doigts étoient insensibles, sans être privés de mouvement. Il étoit obligé d'en prendre un soin infini pour les garantir de mille atteintes, auxquelles ils sont continuellement exposés. Cependant, malgré ses soins, il lui arrivoit fréquemment de s'oublier. Un des principaux symptomes de son mal consistoit, en ce que ses doigts étoient toujours plus froids que ne comportoit la température actuelle de l'air, & du reste de son corps ; ils ne pouvoient jamais se réchauffer d'eux-mêmes ; il falloit nécessairement avoir recours à une chaleur extérieure, comme de les appliquer sur la poitrine par-dessous ses habits. Quand il vouloit reconnoître leur état, il les portoit sur son visage, ne les sentant jamais par eux-mêmes ni froids ni chauds. Un jour donc, il avoit trop approché sa main du poîle où il vouloit la réchauffer, & où le feu étoit plus ardent qu'il ne pensoit ; il se brûla les doigts, & ne s'apperçut de sa brûlure que deux heures après, par une grosse vessie qui s'y forma.
Y a-t-il des nerfs qui répondent directement au tact & au sentiment, & qui n'entrent pour rien dans les mouvemens ; & au contraire, &c. Les exemples qu'on vient de lire, ne décident point nettement la question ; mais enfin, dit l'historien de l'académie, rien peut-être ne prouve mieux la nécessité indispensable de nos sens, & de la douleur même, pour la conservation de notre corps, que les suites funestes de la privation du sentiment dans le tact. Le plus subtil physicien, le plus savant anatomiste, l'homme le plus attentif à ce qui peut lui nuire, ne sauroit ordinairement le prévoir avec cette promptitude que l'occasion requiert presque toujours, & avec laquelle le toucher l'en garantit. Encore moins pourroit-il se promettre que rien ne détournera jamais son attention d'un danger qui échappe à tous les autres sens. Histoire de l'académie, année 1743. (m)
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PARAMARIBO | (Géog. mod.) capitale de la colonie hollandoise de Surinam. Lat. sept. 5. 49. (D.J.)
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PARAMESE | S. f. étoit dans la musique des Grecs, le nom de la premiere corde du tétracorde diezeugmenon. Il faut se souvenir que le troisieme tétracorde pouvoit être conjoint avec le second ; alors sa premiere corde étoit la mése ou la quatrieme corde du second, c'est-à-dire, que cette mese étoit commune aux deux.
Mais quand ce troisieme tétracorde étoit disjoint, il commençoit par la corde appellée paramese, qui, au lieu d'être commune avec la mese, se trouvoit un ton plus haut ; desorte qu'il y avoit un ton de distance entre la mese ou la derniere corde du tétracorde meson, & la paramese ou la premiere du tétracorde diezeugmenon. Voyez SYSTEME, TETRACORDE.
signifie, proche de la mese, parce qu'en effet la paramese n'est étoit qu'à un ton de distance, quoiqu'il y eût quelquefois une corde entre deux. Voyez TRITE. (S)
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PARAMETRE | S. m. en Géométrie, est une ligne droite constante dans chacune des trois sections coniques : on l'appelle autrement en latin latus rectum. Voyez LATUS RECTUM.
Dans la parabole V B V, Planche des coniques, fig. 8, le rectangle du parametre A B, & de l'abscisse, par exemple, B 3 est égal au quarré de l'ordonnée correspondante 3 III. Voyez PARABOLE.
Dans l'ellipse & l'hyperbole, le parametre est une troisieme proportionnelle au diamêtre & à son conjugué. Voyez ELLIPSE & HYPERBOLE.
On appelle en général parametre, la constante qui se trouve dans l'équation d'une courbe ; ainsi dans la courbe dont l'équation y 3 = a x y + 4 x 3, a est le parametre, & représente une ligne donnée, on appelle aussi quelquefois cette ligne le parametre de l'équation. Quand il y a plusieurs constantes a, b, c, dans une équation, on peut toujours les réduire à une seule, en faisant b = m a, c = n a, m & n, marquant des nombres quelconques, desorte qu'on peut toujours réduire tous les parametres à un seul ; & si les lignes a, b, c, sont égales, c'est-à-dire, si m = n = 1, &c. les courbes sont alors semblables. Voyez SEMBLABLE. (O)
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PARAMMON | (Mythol.) étoit un surnom de Mercure, comme fils de Jupiter Ammon : les Eléens lui faisoient des libations sous ce nom, au rapport de Pausanias.
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PARAMMONAIRE | S. m. (Hist. ecclés.) dans l'antiquité ecclésiastique ; on appelloit assecla, buccellarius satelles, parammonarius, parammonaire, le paysan qui tenoit à ferme les biens d'une église, le métayer d'une église.
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PARAMOS | (Hist. nat. Géog.) c'est ainsi que les Espagnols du Pérou nomment des espaces de terrein ou des plaines extrêmement froides & communément couvertes de neiges, qui se trouvent entre les sommets des deux chaînes de montagnes qui forment les cordilieres des andes. Quelques-unes de ces plaines qui sont très-élevées sont si froides, qu'elles sont entierement inhabitables, & que l'on n'y voit aucun animal, ni aucune plante.
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PARANA | LE, (Géog. mod.) riviere du Paraguai, qui donne son nom à la province de Parana, & se jette dans Rio de la Plata. La province de Parana, qu'on nomme aussi la terre de la mission des Jésuites, est peuplée de bourgades d'indiens. Les Jésuites ont su se les attacher, & les empêcher d'avoir aucun commerce avec les Espagnols. Ils habitent le pays qui est le long du Parana, au S. O. du Brésil. Une partie de leurs terres & de leurs bourgades ayant été comprise dans les limites fixées en 1756 par les rois d'Espagne & de Portugal, ils ont refusé de se soumettre à la fixation de ces limites. De-là est venue la guerre qui est entre ces indiens du Paraguay, & la couronne de Portugal. (D.J.)
PARANA, (Géog. mod.) grande riviere de l'Amérique méridionale ; elle prend sa source au Brésil, dans un pays qui est fort peu connu, & se joint finalement à la riviere de Paraguay, près la ville de Corientes. Voyez RIO DE PLATA.
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PARANETE | S. f. en Musique, est le nom que plusieurs anciens ont donné à la troisieme corde de chacun des tétracordes, synnemenon, diezeugmenon, & hyperboleon, laquelle d'autres ne distinguoient que par le nom du genre où ces tétracordes étoient employés. Ainsi la troisieme corde du tétracorde hyperboleon, qu'Aristoxène & Alypius appellent, par exemple, hyperboleon diatonos, Euclide l'appelle paranete hyperboleon. (S)
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PARANGON | S. m. (Gram.) vieux mot qui signifioit autrefois comparaison, patron, modele ; parangon de beauté, parangon de chevalerie.
PARANGON, (Architecture) on dit du marbre parangon, pour du marbre noir.
PARANGON GROS, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) est le treizieme des corps sur lesquels on fond les caracteres d'Imprimerie. Sa proportion est de trois lignes quatre points mesure de l'échelle ; il est le corps double de celui de la philosophie. Voyez proportion des caracteres, & l'exemple, à l'article CARACTERE.
PARANGON PETIT, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) dixieme corps des caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est de trois lignes deux points, mesure de l'échelle. Voyez proportions des caracteres d'Imprimerie, & l'exemple, à l'article CARACTERE.
PARANGON, (Bijoutier) ce mot se dit chez les Lapidaires des pierres précieuses, excellentes, & c'est une espece d'adjectif qui ne change point de genre. Un diamant parangon, une perle parangon.
PARANGON, PARANGOINE, (Jardinage) est une fleur qui revient toujours de la même beauté chaque année sans dégénérer.
PARANGON, (Soyerie) c'est ainsi qu'on nomme à Smirne, quelques-unes des plus belles étoffes qui y sont apportées de Venise.
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PARANITES | (Hist. nat.) nom dont les anciens naturalistes se sont servi pour désigner une améthyste d'un violet très-clair, & presque insensible.
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PARANOMASIE | S. f. (Gramm.) similitude de mots. La paranomasie est fréquente dans les langues qui ont une même origine, ou quelqu'autre affinité entr'elles.
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PARANYMPHAIRE | S. m. (Belles-Lettres) personnage chargé de faire les discours des paranymphes. C'est ainsi qu'on le nomme en Angleterre ; en France nous l'appellons paranymphe. Voyez PARANYMPHE.
Dans l'université de Cambridge, il y a une cérémonie pareille à celle qu'on appelle ailleurs paranymphe, & le paranymphaire s'y nomme prévaricateur.
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PARANYMPHE | (Hist. grecq. & rom.) les Grecs appellent paranymphes, ceux qui selon la coutume, conduisoient l'épouse dans la maison de son mari ; ils donnoient le nom de nymphes aux épousées. Les Romains qui observoient la même cérémonie dans la conduite de l'épousée, appelloient pronubus, le conducteur, & pronuba, si c'étoit une femme qui eût cet emploi. Festus a dit, pronubae adhibebantur nuptiis quae semel nupserunt causa auspicii, ut singulare perseveret matrimonium. Et Isidore, liv. IX. pronuba dicta est eo quod nubentibus praeest, quaeque nubantem viro conjungit, ipsa est & paranympha. Cette conduite se faisoit avec des circonstances singulieres.
Je suppose les cérémonies usitées dans les fiançailles, & les sacrifices accomplis suivant la coutume ; le jour ayant cédé la place à la nuit, on se mettoit en état de conduire l'épousée chez son mari, & l'on commençoit par mettre les hardes de l'épousée dans un panier d'osier, que Festus appelle cumerum ; le porteur étoit suivi de plusieurs femmes tenant dans leurs mains une quenouille avec le lin, qu'elles mettoient sur un fuseau ; les parens, les amis, & l'époux, marchoient ensuite, suivis de trois jeunes garçons, vétus d'une robe blanche bordée de pourpre, que l'on appelloit patrini & matrini ; l'un des trois portoit un flambeau allumé, & qui étoit fait d'une branche d'épine blanche, parce que, selon le témoignage de Varron & de Festus, cette espece de bois étoit heureuse, & chassoit les enchantemens que les Romains craignoient beaucoup dans cette occasion.
Si nous en croyons Pline, liv. XVI. chap. xviij. on portoit plusieurs flambeaux, que les amis communs tâchoient d'enlever, de crainte que les mariés n'en fissent un usage de mauvais augure, & qui présageoit la mort prochaine de l'un ou l'autre.
Ce n'est pas encore tout ce que l'on pratiquoit. Pline & Virgile nous apprennent que l'épouse étant arrivée à la porte de la maison, les parens & le mari jettoient des noix aux enfans qui accouroient dans la rue.
Tibi ducitur uxor ;
Sparge, marite, nuces.
C'est Virgile qui le recommande dans son éclogue huitieme, dont Servius a donné plusieurs raisons : les noix, dit-il, étoient consacrées à Jupiter ; on en jettoit aux enfans, pour marquer que le mari abandonnoit les jeux enfantins, pour s'appliquer aux affaires sérieuses. (D.J.)
PARANYMPHE, chez les Hébreux, étoit l'ami de l'époux, celui qui faisoit les honneurs de la noce, & qui conduisoit l'épouse chez l'époux.
Les rabbins disent que le principal devoir du paranymphe parmi les Israëlites, étoit d'observer que l'époux & l'épouse ne se fissent aucune fraude dans ce qui regarde le sang qui étoit la marque de la virginité de l'épouse, & dont parle Moïse, Deuteronom. chap. xxij. 14. & 15. de peur que l'époux ne supprimât le linge où ce sang paroissoit, ou que l'épouse n'en supposât de faux. Parmi les Grecs, le paranymphe gardoit la porte du lit nuptial, & avoit soin de l'économie du repas & des autres réjouissances. Quelques-uns ont crû qu'il en étoit de même chez les Hébreux, & que l'architriclinus, dont il est parlé dans l'Evangile à l'occasion des noces de Cana, & que nous traduisons par intendant ou maître-d'hôtel, n'étoit autre que le paranymphe. S. Gaudence de Bresse assure, sur la tradition des anciens, que pour l'ordinaire ce président ou ordonnateur du festin nuptial étoit pris du nombre des prêtres, afin qu'il eût soin qu'il ne s'y commît rien de contraire aux regles de la religion & à la bienséance. C'étoit lui qui régloit les fonctions des officiers, & la disposition du repas. Il est quelquefois désigné dans l'Ecriture sous le nom d'ami de l'époux, amicus sponsi, Joann. III. . 29. Calmet, Dictionn. de la Bible.
Le nom de paranymphe est commun dans l'histoire bysantine, pour signifier l'officier chargé par l'empereur de conduire & remettre les princesses impériales mariées à quelque prince étranger, sur les terres ou entre les mains de leur époux, & Grégoire de Tours, liv. VI. chap. xlv. donne le nom de paranymphe au duc Bobon, qui fut chargé de conduire en Espagne la princesse Rigunthe, fille de Chilpéric I. mariée au roi des Visigoths.
Il est fait mention du paranymphe dans les capitulaires de Charlemagne, dans les lois des Lombards, & dans les euchologes des Grecs.
On donnoit le nom de paranymphes dans les écoles de théologie de Paris, à une cérémonie qui se faisoit à la fin de chaque cours de licence, & dans laquelle un orateur appellé paranymphe, après une harangue, apostrophoit par rang tous les bacheliers quelquefois par des complimens, & plus souvent par des épigrammes mordantes, auxquelles ceux-ci repliquoient par de semblables pieces. La faculté de Théologie vient tout récemment de réformer cet abus, en réduisant les paranymphes à de simples harangues.
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PARAO | S. m. (Marine) petit bâtiment des Indes que l'on arme quelquefois en guerre, alors ils sont montés de pierriers. Les souverains de quelques contrées s'en servent pour lever le tribut qu'ils exigent des petites îles situées aux environs de leur contrée.
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PARAOUSTIS | (Hist. mod.) c'est le nom que les habitans de la Floride donnent aux chefs qui les commandent, & qui marchent toujours à leur tête. Ils sont les seuls de la nation à qui la polygamie soit permise. Ils ont une très-grande autorité sur les peuples qui leur sont soumis, qu'ils traitent en esclaves, & dont la succession leur appartient ; on leur rend de grands honneurs, même après leur mort ; on brûle leur habitation & tout ce qui leur appartenoit, & les femmes, après les avoir pleurés, se coupent les cheveux pour les semer sur leurs tombeaux. Ces peuples ne connoissent d'autre divinité que le soleil, à qui ils immolent des victimes humaines qu'ils mangent ensuite.
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PARAPET | S. m. (Architect.) c'est un petit mur qui sert d'appui & de garde-fou à un quai, à un pont, à une terrasse, &c. Ce mot vient de l'italien parapetto, garde poitrine. (D.J.)
PARAPET, en Fortification, est une masse de terre à l'épreuve du canon, élevée vers le côté extérieur du rempart, & qui sert à cacher à l'ennemi les soldats qui sont sur le rempart.
Borel nous a donné de Jos. Marie Subresius, une collection curieuse des noms que les anciens & les modernes ont donné à cette espece de parapets. Les Latins les appelloient subarrae & bastiae, d'où sont venus les noms de bastions & de bastille : ils les nommoient aussi pagineumata, loricae & antimuralia. Les Espagnols les appellent barbacanes ; les Italiens parapetti, à cause qu'ils garantissent la poitrine, petto, d'où est venu notre parapet.
On construit des parapets sur tous les ouvrages de la fortification.
Le parapet royal ou celui du rempart, doit être de terre, à l'épreuve du canon, de 18 à 20 piés d'épaisseur, haut de 6 ou 7 piés du côté de la place, & de 4 ou 5 du côté du rempart. Cette différence de hauteur dispose sa partie supérieure en talus, ou plan incliné : l'objet de cette inclination est de mettre le soldat en état de pouvoir tirer sur l'ennemi, en plongeant vers la contrescarpe & le glacis. Voyez REMPART & ROYAL. Chambers.
Au pié du rempart, & du côté intérieur, ou vers la place, est une banquette ou une espece de petit degré, de 2 piés d'élévation, & de 3 piés de largeur. Il sert à élever le soldat pour tirer pardessus le parapet. Voyez BANQUETTE.
Le parapet doit être d'une matiere douce, afin que les éclats ne blessent pas ceux qui en sont proches, lorsque l'ennemi bat la place avec du canon. C'est pour éviter cet inconvénient qu'on ne revêt guere aujourd'hui le parapet de maçonnerie, quoique le rempart en soit revêtu. Il est seulement revêtu de gazons, ou de placage sur les deux tiers de sa hauteur pour talus. Pour cela on éloigne un peu le pié extérieur du parapet du sommet de la muraille, afin qu'elle se soutienne mieux. Ce parapet ainsi construit, donne encore plus de facilité dans un tems de siege pour y percer des embrasures, que s'il étoit revêtu de maçonnerie. Au reste, l'épaisseur du parapet est différente, selon qu'il est plus ou moins exposé aux batteries de l'ennemi. On lui donne ordinairement 3 toises d'épaisseur, parce que l'expérience a fait voir qu'un canon étant tiré de 100 ou 150 toises, son boulet perce 15 ou 17 piés de terre rassise. Si le parapet est de terre sablonneuse, il lui faut une plus grande épaisseur, elle va alors jusqu'à 22 ou même 24 piés ; car alors le boulet s'enterre plus profondément dans une terre de cette espece. On fait quelquefois le parapet de pure maçonnerie, & on lui donne 8 ou 9 piés d'épaisseur, ce qui est suffisant pour qu'il puisse résister au canon ; dans les lieux qui n'y sont point exposés, comme aux endroits où il y a des inondations, des marais, des précipices, ou la mer qui empêche d'en approcher, dans ces sortes de cas, il suffit que le parapet ait 2 ou 3 piés de maçonnerie d'épaisseur, sur 4 de hauteur ; ou bien, si le rempart est bas, on peut lui donner 8 piés de hauteur, & le percer de créneaux de 6 piés en 6 piés.
Le parapet ordinaire a un talus du côté intérieur, du quart de sa hauteur ; le côté extérieur est à-plomb sur le cordon, si le parapet est revêtu de maçonnerie ; s'il est de terre ou de gazon, & que le revêtement du rempart soit de même, il en suit le prolongement, ensorte que ces deux revêtemens ne font qu'un seul & même plan incliné. Voyez TABLETTE, c'est le nom qu'on donne au côté extérieur du revêtement du parapet.
Le parapet du chemin-couvert est l'élévation de terre qui le cache à l'ennemi. Voyez GLACIS.
Le parapet des tranchées est formé de la terre qu'on tire de leur construction, comme aussi de gabions, fascines, &c. Voyez TRANCHEE. (Q)
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PARAPHE | S. m. (Jurisprud.) est une marque & un caractere composé de plusieurs traits de plume, que chacun s'est habitué à faire toujours de la même maniere.
Le paraphe se met ordinairement au bout de la signature, & dans ce cas c'est une double précaution que l'on prend pour empêcher que quelqu'un ne contrefasse la signature.
Quelquefois le paraphe se met seul, & tient lieu de signature, comme quand un des avocats généraux paraphe un appointement avisé au parquet.
Enfin le paraphe sert quelquefois seulement à marquer des pieces, afin de les reconnoître, & pour en constater le nombre ; c'est ainsi qu'un notaire paraphe, par premiere & derniere, toutes les pieces inventoriées, c'est-à-dire qu'il met sur chacune un nombre avec un paraphe qui tient lieu de sa signature, & que ces nombres se suivent tant qu'il y a des pieces, de maniere que sur la derniere le notaire met le nombre, comme trentieme, s'il y en a 30, & on ajoute ces mots & dernier, avec son paraphe.
Le secrétaire du rapporteur paraphe de même par premier & dernier, les pieces de chaque sac d'une instance ou procès.
Quand on remet une piece dans quelque dépôt public, ou que l'on verbalise sur la piece, on la paraphe, ne varietur, c'est-à-dire pour empêcher que l'on ne substitue une autre piece à celle dont il s'agissoit d'abord ; sans quoi l'on ne pourroit point compter sur quelque chose de certain. Voy. APPOINTEMENT, COTTE, INVENTAIRE, SIGNATURE. (A)
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PARAPHERNAL | (Jurisp.) est un bien de la femme qu'elle n'a pas compris dans sa constitution de dot.
L'usage des paraphernaux ou biens paraphernaux, vient des Grecs, le mot paraphernal étant composé de deux mots grecs, , praeter, & , dos, quasi bona quae sunt praeter dotem.
Ulpien dans la loi, si ergo, de jure dot. remarque que les Gaulois appelloient pecule de la femme, peculium, les mêmes biens que les Grecs appelloient parapherna.
Ce même jurisconsulte ajoute qu'à Rome la femme avoit un petit registre des choses qu'elle avoit apportées dans la maison de son mari, pour son usage particulier ; sur lequel le mari reconnoissoit que sa femme, outre sa dot, lui avoit apporté tous les effets mentionnés sur ce registre, afin que la femme pût les reprendre après la dissolution du mariage.
Aulugelle, lib. VII. ch. vj. dit qu'à Rome les femmes avoient trois sortes de biens ; savoir, dotaux, paraphernaux, & les biens particuliers appellés res receptitias, quas neque dabant ut dotem, neque tradebantur parapherna, sed apud se retinebant.
Le mari étoit le maître de la dot, il étoit seulement possesseur des paraphernaux, & n'en jouissoit qu'autant que sa femme le lui permettoit ; quant aux biens particuliers appellés res receptitias, il n'en avoit ni la propriété, ni la possession.
Tel étoit le droit observé dans les mariages qui se contractoient per usum ; mais dans ceux qui se faisoient per coemptionem, le mari achetant solemnellement sa femme, achetoit aussi conséquemment tous ses biens, lesquels en ce cas, étoient tous reputés dotaux : il n'y avoit point de paraphernal.
On ne pratique plus, même en pays de droit écrit, la distinction des biens appellés res receptitias ; tous les biens de la femme y sont dotaux ou paraphernaux, au lieu qu'en pays coutumier, tous biens sont reputés dotaux ; car les biens que la femme se stipule propres, ne sont pas des paraphernaux : cette stipulation de propres n'a d'autre effet que d'empêcher que le fond de ces biens n'entre en communauté.
Tous les biens présens & à venir que la femme n'a pas compris dans sa constitution de dot, sont réputés paraphernaux, soit qu'elle les eût lors de son mariage, ou qu'ils lui soient échus depuis.
On distingue néanmoins deux sortes de paraphernaux.
Les uns sont les biens dont la femme, par contrat de mariage, s'est réservée la jouissance & la disposition : ce sont là les véritables paraphernaux.
Les autres sont tous les biens qui viennent à la femme pendant le mariage, soit par succession, donation ou autres, voyez LEGITIME. On appelle ceux-ci, pour les distinguer des autres, biens adventifs, & la coutume d'Auvergne les appelle biens adventices ; mais ils ne laissent pas d'être compris sous le terme général de paraphernaux.
Les biens paraphernaux peuvent consister en meubles ou en immeubles.
S'ils consistent en meubles, ou effets mobiliers qui ne soient point au nom de la femme, tels que pourroient être des billets & obligations, la femme en les apportant dans la maison de son mari, doit lui en faire signer un état, pour justifier qu'ils lui appartiennent ; car de droit tout est présumé appartenir au mari, s'il n'y a preuve au contraire.
La femme peut se réserver l'administration de ses paraphernaux, & en jouir par ses mains, sans le consentement ni l'autorisation de son mari ; elle peut aussi les engager, vendre & aliéner sans lui, pourvû qu'elle ne s'oblige que pour elle-même.
Ce que l'on vient de dire reçoit néanmoins une exception, pour les pays de droit écrit du ressort du parlement de Paris, dans lesquels la femme peut bien administrer ses paraphernaux, sans le consentement de son mari, mais elle ne peut disposer, vendre, engager, ou donner la propriété sans le consentement de son mari : elle ne peut même, sans son autorisation, intenter aucune action pour raison des jouissances de ses paraphernaux, soit adventifs ou autres.
Quand le mari ne s'est point immiscé dans l'administration des paraphernaux, il n'en est point responsable. La femme peut lui en confier l'administration, & dans ce cas le mari n'étant que mandataire de sa femme, il est comptable envers elle de son administration.
Mais le mari ne peut s'immiscer dans cette administration contre la volonté de sa femme, & celle-ci est tellement maîtresse de ce genre de biens qu'elle peut agir en justice pour en faire le recouvrement, & pour les autres actes conservatoires, sans qu'elle ait besoin de l'autorisation ni de l'assistance de son mari.
On distingue pourtant entre la propriété & les fruits & revenus. Le mari ne peut disposer de la propriété des paraphernaux, sans le consentement exprès de sa femme ; à l'égard des fruits & revenus, le consentement tacite de la femme suffit, parce que le mari est procureur né de sa femme.
Le débiteur des sommes paraphernales peut payer au mari, sur un mandement de la femme, sans qu'il soit besoin que celle-ci ratifie ; il suffit même qu'elle ait remis à son mari ses titres de créances, pour l'autoriser à en faire le recouvrement.
Lorsque le mari a l'administration des paraphernaux, s'il en a employé les revenus à l'entretien de sa famille, il n'en doit aucune restitution à sa femme ; mais s'il en a fait des épargnes, il doit lui en tenir compte.
Les docteurs font néanmoins plusieurs distinctions à ce sujet, entre les fruits naturels, les fruits industriaux & les fruits civils, les fruits extans & fruits consumés ; mais cette discussion nous meneroit ici trop loin, on peut voir toutes ces questions dans le recueil de M. Bretonnier, où il examine les diverses opinions des docteurs à ce sujet, & la jurisprudence des divers parlemens.
Pour ce qui est de l'hypotheque de la femme, pour la restitution des paraphernaux, elle a lieu du jour du contrat de mariage, quand elle y est stipulée, autrement ce n'est que du jour que le mari a reçu les deniers.
La coutume de Normandie, article 394, dit que la femme qui renonce à la succession de son mari, doit avoir ses paraphernaux & son douaire.
L'article suivant dit que les paraphernaux se doivent entendre des meubles servans à l'usage de la femme, comme lits, robes, linges & autres de pareille nature, dont le juge fera honnête distribution à la veuve, eu égard à sa qualité & à celle de son mari, l'héritier & le créancier appellés, pourvû que ces biens n'excedent pas la moitié du tiers des meubles, & où le meuble seroit si petit, qu'elle aura son lit, sa robe & son coffre.
La jurisprudence du parlement de Rouen a fixé ce paraphernal à la valeur du sixieme des meubles.
Ce paraphernal de Normandie est fort hétéroclite ; mais nous avons deux coutumes, savoir celles d'Auvergne & de la Marche, qui admettent les véritables paraphernaux tels qu'ils ont lieu dans les pays de droit écrit ; ce qu'il y a seulement de singulier, c'est que ces coutumes qui sont sous le ressort du parlement de Paris, autorisent la femme à disposer de ses paraphernaux sans l'autorité de son mari, tandis que dans les pays de droit écrit de ce même parlement, la femme ne peut pas le faire sans l'autorisation de son mari, quoique les lois romaines lui en donnassent la liberté. Voyez au code le titre de pactis conventis ; le recueil de Bretonnier, & l'auteur des maximes journalieres au mot paraphernaux, & Argout, titre de la dot, &c. (A)
PARAPHIMOSIS, s. m. en Chirurgie, est une maladie du penis, dans laquelle le prépuce est renversé & gonflé au-dessous du gland, ensorte qu'il n'est plus en état de le couvrir. Voy. PREPUCE & GLAND.
Ce mot est grec, composé du , multùm, beaucoup, & de , obligo, constringo, je serre, j'étrécis, parce que le paraphimosis serre la verge comme un lien.
Cette incommodité est souvent un symptome de maladie vénérienne. Elle peut arriver accidentellement, lorsque le prépuce est naturellement étroit, & qu'on l'a fait remonter avec violence par-dessus la couronne du gland, dont la largeur empêche le prépuce de descendre & de recouvrir l'extrémité de la verge : cela arrive souvent à des enfans dont le gland n'a point encore été découvert, & qui, par fantaisie & par curiosité, font remonter le prépuce par force : cela arrive aussi aux nouveaux mariés, qui font des efforts pour dépuceler de jeunes filles qu'ils auront épousées. Dionis dit qu'il a réduit un paraphimosis à un jeune homme à qui cela arriva le jour de son mariage, & qui accusoit sa femme de lui avoir donné du mal vénérien. L'auteur consola beaucoup ce jeune homme, en lui disant tout ce qui étoit capable de lui faire supporter avec satisfaction la douleur que sa femme lui auroit épargnée, si elle eût été moins sage.
La réduction du prépuce s'obtient différemment, suivant les circonstances. S'il n'y a pas long-tems que le prépuce étrangle le gland, & que l'inflammation de cette partie ne soit pas considérable, la réduction se fait aisément : on jette d'abord de l'eau froide sur la verge & sur les bourses, ou l'on fait tremper ces parties dans un vaisseau qui en contienne. La fraîcheur de l'eau répercute le sang & les esprits, voyez REPERCUSSIFS, & la verge se dégonflant, par ce moyen le malade peut réduire lui-même son prépuce. Si l'inflammation avoit été portée à un certain point, la verge ne se flétriroit point assez pour que le malade pût parvenir à se recouvrir le gland ; il a alors besoin de la main du chirurgien, qui peut réussir par la méthode suivante. Il prend la verge entre les deux doigts indices & du milieu des deux mains, dont les dos regardent le ventre du malade, & il amene le prépuce sur le gland qu'on comprime latéralement avec les deux pouces pour l'allonger. Dionis dit que les deux pouces doivent repousser le gland pour le faire rentrer dans sa bourse ; mais on sent que par cette maniere on rendroit la base du gland plus large, & l'on s'opposeroit à la réduction du prépuce.
Si l'inflammation est grande, il faudra faire des scarifications à la membrane interne du prépuce pour détruire l'étranglement : cette membrane forme des bourrelets séparés par des brides, qui sont des especes de ligatures circulaires ; ce sont ces brides qu'il faut principalement couper ; on passe à cet effet sous chacune d'elles une sonde cannelée très-déliée ; elle sert à conduire la pointe d'un bistouri courbe. Lorsqu'on a détruit toutes les brides, on peut faire des scarifications avec la lancette ou le bistouri sur le bourrelet pour le fendre transversalement, c'est-à-dire suivant la longueur de la verge ; ces incisions donnent issue à une lymphe gangréneuse infiltrée dans le tissu cellulaire qui joint la peau du prépuce à la membrane interne : il n'est pas nécessaire de réduire le prépuce après l'opération ; j'en ai même vû des inconvéniens par la réunion qui se fait au prépuce, & qui a mis des malades dans le cas de l'opération du phimosis bien plus douloureux. Voyez PHIMOSIS. Après l'opération, on peut se contenter d'envelopper la verge avec des compresses trempées dans de l'eau-de-vie camphrée tempérée par un peu d'eau ; on ne risque rien de l'hémorrhagie, il est à propos de laisser dégorger un peu les vaisseaux qui ont été coupés par les incisions ; le sang s'arrête de lui-même au bout d'une demi-heure, ou d'une heure au plus. Vingt-quatre heures après l'opération, on peut lever l'appareil & réduire le prépuce ; si le gland n'a aucune maladie qui exige qu'il soit découvert, comme chancres, poireaux, &c. on termine la cure par des injections détersives, & ensuite par des dessicatives.
Dans le cas de chancres, l'inflammation ne se dissipe pas si facilement, on doit appliquer des cataplasmes anodins sur la partie, & panser avec le même appareil que nous avons décrit pour le panaris, à l'exception de la croix de Malthe, qui doit être percée vis-à-vis de l'orifice de l'urethre. Voyez PANARIS. Il faut mettre ensuite la verge en une situation qui favorise le retour du sang : pour cet effet, il ne faut pas la laisser pendante, mais la coucher sur le ventre, & l'assujettir par une petite bandelette à une ceinture de linge qu'on aura mise autour du corps. (Y)
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PARAPHONIE | S. f. en Musique, est cette espece de consonnance qui ne résulte pas des mêmes sons comme l'unisson, qu'on appelle homophonie, ni de la réplique des mêmes sons, comme l'octave qu'on appelle antiphonie, mais de sons réellement différens, comme la quinte & la quarte. A l'égard de la sixte & de la tierce, les Grecs ne les comptoient pas pour des paraphonies, parce qu'ils les regardoient comme des dissonances. De paraphonie, on a fait paraphone, son paraphone, & paraphoniste, chantre exécutant la paraphonie. (S)
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PARAPHONISTE | S. m. (Hist. ecclés.) chantre, enfant de choeur, selon l'ordre romain. L'anti- paraphoniste est le grand-chantre.
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PARAPHRASE | S. f. PARAPHRASER, v. act.
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PARAPHRASTE | S. m. (Gramm. & Théol.) termes relatifs à une interprétation qui est selon le sens, & non selon les paroles.
C'est l'interprétation de quelque texte en termes plus clairs & plus étendus, par lesquels on supplée à ce que l'auteur auroit dit & pensé sur la matiere qu'il a traitée. Voyez TEXTE.
Colomiès regarde la paraphrase d'Erasme sur le nouveau Testament comme un ouvrage si extraordinaire, qu'il dit sans hésiter que, selon lui, cet auteur étoit inspiré du ciel, quand il composa son ouvrage.
Paraphrase chaldaïque ou chaldéenne, est un terme usité parmi les Critiques & les Théologiens, pour signifier une ancienne version de la Bible faite en chaldéen. On croit communément que l'ignorance où étoit le peuple juif de la langue hébraïque depuis la captivité de Babylone, avoit donné lieu à cette version. Elle n'est ni d'un même auteur, ni du même tems, ni sur tous les livres de l'ancien Testament.
La premiere, qui est du Pentateuque, a été faite par Onkelos le prosélyte, contemporain de Jesus-Christ, selon quelques-uns & que d'autres confondent, ou avec le rabbin Akiba, ou avec le juif Aquila, & que d'autres croyent avoir été cet Onkelos que les Talmudistes dans le traité Gittin qualifient de neveu de l'empereur Tite.
La seconde paraphrase du Pentateuque est, dit-on, de Jonathan fils d'Uziel, mais les savans reconnoissent qu'elle est supposée. Il est vrai qu'on a du même Jonathan une paraphrase sur les livres que les Juifs nomment prophétiques. Quelques critiques ont confondu ce Jonathan avec Théodotien, auteur d'une version grecque. C'est une erreur occasionnée par la ressemblance de l'étymologie des noms. Car Théodotien en grec signifie la même chose que Jonathan en hébreu, c'est-à-dire don de Dieu.
La troisieme paraphrase sur le Pentateuque est le Targum de Jérusalem. Voyez TARGUM. Elle est plus récente que les deux autres, & Schickard la croit du même-tems que le Talmud, c'est-à-dire postérieure de plus de 300 ans à Jesus-Christ.
Outre ces trois paraphrases, il y en a une sur les Pseaumes, sur Job, & sur les Proverbes que les Juifs attribuent à rabbi José, surnommé l'Aveugle ou le Louche. On en voit encore une sur le Cantique des Cantiques, sur Ruth, sur les Lamentations, sur l'Ecclésiaste & sur Esther ; mais l'auteur de celle-ci est incertain. Plusieurs savans pensent que tout ce qu'avancent les rabbins sur l'antiquité de ces paraphrases est fort suspect, qu'elles sont postérieures à saint Jérôme qui n'en parle point, & qui ayant eu grand commerce avec les plus doctes Juifs de son tems, en auroit fait mention si elles eussent existé. Les Juifs modernes les ont en grande vénération, sur-tout celle d'Onkelos qu'on lit dans leurs synagogues : elles éclaircissent le texte hébreu en plusieurs endroits, mais souvent le sens qu'elles donnent n'est pas le vrai sens, & d'ailleurs elles ne sont pas autorisées par l'Eglise. Walton, pref. de la Polyglott. Dupin, dissert. prélim. sur la Bible. De paraphrase, on a fait paraphraser, paraphraste.
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PARAPHRÉNÉSIE | S. f. (Médec. prat.) espece de délire phrénétique, qui a quelques symptomes particuliers, & dont on croit que la cause est aux environs du diaphragme, , d'où lui est venu son nom. Voyez PHRENESIE. L'affection du diaphragme qui passe pour occasionner le plus ordinairement la paraphrénésie, est l'inflammation de ce viscere ; aussi compte-t-on parmi les symptomes qui caractérisent cette phrénésie sympathique, une chaleur vive & une douleur aiguë, rapportées au-bas de la poitrine : à ces signes, on joint, outre un délire violent & continuel, une respiration très-difficile, laborieuse, petite & fréquente, un rire inconsidéré, tumultueux, convulsif, une toux opiniâtre, un hoquet presque continuel, une palpitation très-sensible aux hypocondres, qui sont en même-tems rentrés, & comme repliés en-dedans ; la douleur de tête est moins forte, les yeux moins étincelans, moins hagards, moins furieux, & le visage moins rouge que dans la phrénésie idiopathique, dont le siege est dans la partie même, où se font appercevoir les principaux symptomes.
Quoique l'inflammation du diaphragme soit regardée comme la cause la plus ordinaire de la paraphrénésie, il y a des observations qui démontrent que le diaphragme a pu être enflammé sans produire la paraphrénésie, & que cette maladie a existé sans aucune lésion du diaphragme. Willis dit avoir trouvé dans le cadavre d'une jeune fille morte subitement un abscès considérable au diaphragme ; & cependant il n'y avoit jamais eu la moindre marque de paraphrénésie ; le même auteur raconte aussi avoir vu le diaphragme corrodé & même percé par du pus extrêmement âcre, qui s'étoit répandu d'un abscès formé entre la plevre & les muscles intercostaux, le malade n'éprouva jamais la plus légere aliénation d'esprit. Cet observateur prétend que l'inflammation avoit dû nécessairement précéder dans le premier cas la formation de l'abscès, & accompagner dans le second la corrosion & l'ouverture du diaphragme, d'où il conclud que cette inflammation n'ayant excité aucun délire, cette phrénésie sympathique est un être de raison, qui n'est appuyé & fondé que sur l'autorité & l'erreur de Galien. Les fauteurs du sentiment contraire pourroient répondre qu'il faut pour produire la paraphrénésie une forte inflammation du diaphragme, & même qu'il faut qu'elle ait son siege dans une partie déterminée ; par exemple, dans la partie tendineuse, qui est la plus sensible & la plus irritable, quoi qu'en dise M. de Haller fondé sur des expériences fautives ; ils pourroient ajouter que cet effet suit plus sûrement une maladie inflammatoire, qu'une simple inflammation produite par des agens extérieurs. Voyez INFLAMMATION & MALADIES INFLAMMATOIRES. Ils pourroient aussi soutenir que parce qu'on ne voit aucune trace d'inflammation dans une partie, on concluroit très-inconsidérément qu'elle n'a pas été le siege d'une maladie inflammatoire ; ils ne risqueroient rien à assûrer que sur ces maladies on n'a que des connoissances très-imparfaites & bien peu certaines. On ouvre tous les jours des pleurétiques qui ont succombé à la violence d'un point de côté, ou de la fievre aiguë, &c. & l'on ne trouve dans la plevre, dans les muscles intercostaux, dans les poumons aucun vestige d'inflammation. Ne seroit-on pas bien fondé à croire que les observations cadavériques qu'on a fait sonner si haut, n'apportent pas de grandes lumieres ? Hippocrate, qui en étoit totalement privé, a-t-il moins été le premier & le plus grand des Médecins ? Voyez OBSERVATIONS CADAVERIQUES. Mais en nous en rapportant uniquement à l'observation exacte & réfléchie des symptomes qu'on observe dans beaucoup de phrénésies, nous pouvons nous convaincre que souvent le délire est la suite d'une affection du diaphragme, inflammatoire ou non, que les dérangemens de ce viscere, qui est comme le pivot de la machine, jettent beaucoup de trouble dans l'économie animale, voyez ce mot ; que souvent des phrénésies qu'on croit idiopathiques, dépendent d'un vice de l'action de l'estomac & des intestins : une observation répétée m'a appris qu'il y avoit peu de phrénésies dépendantes d'un vice essentiel & primaire du cerveau : & quoique notre Médecine, assez éclairée pour connoître & dédaigner des explications vagues, mal fondées & ridicules, soit cependant trop peu avancée pour pouvoir donner l'étiologie des délires en général, & sur-tout des délires sympathiques (voyez DELIRE, MANIE, MELANCOLIE & PHRENESIE) ; on peut assûrer en général qu'il y a entre le cerveau & les visceres abdominaux une influence réciproque, un rapport mutuel, très-considérable, dont les effets, à peine soupçonnés par le vulgaire médecin, frappent l'observateur attentif ; que le fameux duumvirat du sublime van Helmont, si peu compris & si hardiment rejetté, n'est pas sans fondement ; & enfin que les liaisons, les communications, les sympathies des nerfs pourront servir à des explications plausibles des phénomenes qu'elles produisent quand elles seront mieux observées, plus approfondies & justement évaluées.
Outre les signes que nous avons rapporté & qui peuvent nous faire distinguer la paraphrénésie de la phrénésie, je suis persuadé, d'après bien des observations, qu'on pourroit tirer beaucoup de lumiere des différentes modifications du pouls ; ses caracteres sont très-différens dans les maladies qui attaquent les parties supérieures & dans celles qui se portent vers les parties inférieures : ce que M. de Bordeu a le premier remarqué, & dont il s'est servi pour établir les deux caracteres généraux primitifs du pouls, savoir le supérieur & l'inférieur. Voyez les recherches sur le pouls, de cet auteur illustre, & dans ce dictionnaire l'article POULS. Lorsque dans une phrénésie on trouve le pouls grand, fort élevé, en un mot supérieur, quoique non-critique, la phrénésie peut être regardée comme idiopathique : lorsqu'au contraire le pouls est inférieur, petit, serré, inégal, convulsif, on peut assûrer que c'est une espece de paraphrénésie, c'est-à-dire une phrénésie sympathique, dont le siege est dans le diaphragme, ou dans l'estomac & les intestins, cette distinction est très-importante, & le signe très-assûré ; j'ai eu très-souvent occasion d'en éprouver les avantages.
On ne peut rien dire en général sur le prognostic de la paraphrénésie, parce que le danger varie suivant tant de circonstances, qu'il faudroit toutes les détailler pour pouvoir avancer quelque chose de positif, le danger est pressant si le diaphragme est réellement enflammé, ce qui est très-rare ; si c'est une simple affection nerveuse, alors l'intensité des symptomes, le nombre, la violence & la variété des accidens décident la grandeur du péril.
La paraphrénésie étant une maladie aiguë, il est évident qu'elle est du ressort de la nature, & qu'elle ne guérira jamais plus sûrement & plus tôt que par ses efforts modérés, soutenus & favorisés suivant l'occurrence des cas ; quelques saignées dans le commencement pourront appaiser les symptomes, calmer la vivacité de la douleur ; l'émétique ne paroît du tout point convenable, il irriteroit le mal au-moins lorsque l'inflammation est forte ; des légers purgatifs, des boissons acidules, nitrées, un peu incisives, des calmans, des anti-phlogistiques peuvent pendant tout le tems d'irritation être placés avec succès, non pas comme curatifs, mais comme soulageant, comme adminicules propres à amuser, à tempérer & préparer le malade. Lorsque la maladie commence à se terminer, qu'on apperçoit quelques mouvemens critiques, il faut suspendre tout secours & attendre que le couloir par où se doit faire la crise, soit déterminé, alors on y pousse les humeurs par les endroits les plus convenables, suivant le fameux précepte d'Hippocrate, quo natura vergit, &c. la paraphrénésie se termine ordinairement par l'expectoration, ou par les selles ; dans le premier cas, on fait usage des décoctions pectorales des sucs bechiques, & par-dessus tout lorsque la crise est lente du kermès minéral, l'expectorant par excellence ; si la maladie paroît vouloir se terminer par les selles, ce qu'on connoît par différens signes, voyez CRISE, & sur-tout par le pouls, voyez POULS ; on a recours aux purgatifs plus ou moins efficaces, suivant que la nature est plus ou moins engourdie. (m)
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PARAPLÉGIE | S. f. (Médec. anc.) , ce mot se prend dans Hippocrate en un sens différent des modernes ; il entend par paraplégie la paralysie d'un membre particulier, précédée d'une attaque d'apopléxie & d'épilepsie. Les modernes entendent par paraplégie la paralysie de toutes les parties situées au-dessous du col, quelle qu'en soit la cause. Ce mot vient de , qui marque ici quelque chose de nuisible, & de , frapper. (D.J.)
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PARAPLÉXIE | en Médecine, voyez PARAPLEGIE.
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PARAPLUIE | S. m. en terme de Boursier, c'est un ustencile qui sert à garantir de la pluie ou de l'ardeur du soleil : c'est pour cela qu'on l'appelle tantôt parapluie, tantôt parasol. C'est un morceau de taffetas étendu sur plusieurs branches de baleine, qui viennent toutes se réunir au même centre en haut de la tige. Ces premieres branches sont soutenues par d'autres plus petites, & qui se rendent toutes à une virole qui environne & glisse le long de cette tige, où elle est retenue par un ressort qu'on enfonce dans un trou pratiqué dans la tige, lorsqu'on veut fermer le parapluie. Voyez TIGE. Voyez les Pl. du Boursier.
Il y en a qui ne sont couverts que d'une toile cirée, & qu'on nomme simplement parapluie, parce qu'ils ne servent qu'à cela ; leur tige est toute d'une piece.
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PARAPOTAMIA | (Mat. médic. des anciens) ce mot a été employé pour désigner l'espece d'oenanthe, dont on faisoit chez les Grecs l'huile oenanthine ; cette espece d'oenanthe étoit la plus odorante de toutes, & croissoit, selon Théophraste, dans l'île de Chypre ; mais tout ce que dit Pline de cet onguent, & qu'il a tiré d'Apollodore dans Athénée, est expliqué avec tant de négligence qu'on n'en peut tirer aucun sens raisonnable.
PARAPOTAMIA, (Géog. anc.) ville de la Phocide, selon Pausanias, l. X. c. iij. Strabon, l. IX. 424. n'en fait qu'une bourgade voisine de Phasséotas sur le bord du fleuve Céphise. Il ajoute que les habitans sont nommés Parapotamii. Il y avoit un pays de l'Arabie qui portoit aussi le nom de Parapotamia, dans le voisinage d'Apamée. (D.J.)
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PARASANGE | S. f. (Mesure itinéraire.) La parasange ou parasangue étoit une mesure fort en usage chez les Perses. Cette mesure étoit originairement la moitié du schoene, c'est-à-dire, de trente stades, dont chacun est de 600 piés grecs. Mais Pline se plaint que les auteurs ne s'accordent pas sur l'étendue que doit avoir la parasange. Les uns, dit Strabon, la fixent à 30 stades, d'autres lui en donnent 40, & d'autres 60. Le savant Dodwel remarque qu'avec le tems on transporta le nom de schoene à la parasange. En effet, puisqu'il y avoit des schoenes de 30 stades, qui sont la mesure de la parasange dans son origine, il y eut des parasanges de 60 stades, qui sont la mesure originelle du schoene. Casaubon cite un fragment de Julien l'architecte, qui dit que la mesure la plus ordinaire des parasanges de son tems, étoit de 40 stades. Il est bien apparent qu'on ne fixa la parasange à 40 stades, qu'après que les Romains se furent introduits dans l'Orient. On la préféra sans doute pour la facilité d'évaluer leurs milles en parasanges, & pour éviter les fractions ; car un parasange de 40 stades (en supposant que par le stade on entend 125 pas géométriques), répond précisément à 5 mille pas romains : or des parasanges de 25, de 30, de 60 stades font nécessairement des fractions toujours incommodes dans les calculs. Enfin, comme c'est l'estimation des peuples qui regle la valeur des mesures de distance, elles ne peuvent manquer de varier sans cesse. Quand les Macédoniens regnerent en Perse, ils abolirent toutes les anciennes mesures, & y substituerent les leurs. (D.J.)
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PARASCENIUM | S. m. (Hist. anc.) chez les Romains étoit une place derriere le théâtre où les acteurs se retiroient pour s'habiller, se deshabiller, &c. plus fréquemment appellée postscenium. Voyez THEATRE.
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PARASCEVE | (Critiq. sacrée) , mot grec qui signifie préparation. Les Juifs donnent ce nom au vendredi, jour auquel ils préparent leur manger du lendemain, parce qu'il n'est pas permis de le faire le samedi. S. Jean xix. 14. dit que le jour auquel Jesus-Christ fut mis en croix, étoit le vendredi de Pâques ; c'est-à-dire, le jour auquel il falloit se préparer au sabbat, qui tomboit dans la fête de Pâques. (D.J.)
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PARASCHE | S. f. (Hist. jud.) portion du pentateuque que les Juifs lisoient chaque jour du sabbat. Ils ne divisoient point les cinq livres de la loi en chapitres, comme nous, mais ils en faisoient cinquante-quatre parties qu'ils nommerent parasche. Chaque sabbat ils en lisoient une, & cette lecture remplissoit l'année. Pendant la persécution d'Antiochus Epiphanès, qui fit brûler le volume de la loi, & en défendit la lecture aux Juifs, ils lisoient quelques versets des prophetes qui avoient du rapport avec la parasche qu'ils auroient dû lire ; mais délivrés de cette tyrannie par les Macchabées, ils reprirent leur ancienne coutume, & ajouterent à la lecture des parasches quelques versets des prophetes, comme ils avoient fait pendant qu'ils avoient été privés de la lecture de la loi. Le mot parasche signifie division. Les Juifs ont donné aux parasches & aux divisions de l'Ecriture, pour nom, le premier mot par lequel elles commencent.
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PARASELENE | S. m. en Physique, signifie fausse lune. C'est un météore ou phénomene sous la forme d'un anneau lumineux, dans lequel on apperçoit quelquefois une image apparente de lune, & quelquefois deux. Voyez METEORE.
Ce mot vient du grec , proche, & , lune.
Pline fait mention de trois lunes qu'on avoit apperçues l'an 632 de la fondation de Rome. Eutrope & Cuspinien nous apprennent que l'on avoit aussi vu trois lunes à Rimini, l'an 234 avant Jesus-Christ. Depuis ce tems on en a vu plusieurs autres, dont Gorcius fait mention dans son traité des Parhélies. M. Cassini parle d'un paraselene qu'il a observé en France en 1693. Ce paraselene n'avoit point de cercles.
Les paraselenes se forment de la même maniere que les parhélies ou faux soleils. Voyez PARHELIE. (O)
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PARASEMUM | S. m. (Antiq. grecq.) ; c'étoit chez les Grecs & les Romains une figure peinte ou sculptée à la proue des vaisseaux, pour les distinguer les uns des autres. Cette peinture ou sculpture représentoit ordinairement quelque animal, comme un cheval, un lion, un taureau, ou quelqu'autre chose inanimée, comme une montagne, un arbre, une fleur.
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PARASIA | (Géog. anc.) contrée de l'Asie. Polybe, l. V. c. lxiv. la place au voisinage de la Perside & de la Médie ; & Strabon dit que les Parasii ou Paraasii étoient des peuples de Médie, qui habiterent pendant quelque-tems avec les Anariaci. (D.J.)
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PARASINUM | (Géog. anc.) ville de la Chersonese taurique. Pline, l. II. c. xcvj. dit qu'on trouvoit dans cette ville une terre vantée pour guérir toutes sortes de blessures.
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PARASITE | S. m. (Gramm.) nous donnons ce nom à ceux qui s'insinuent dans les bonnes maisons pour y trouver une table bien servie.
PARASITE, (Antiq. grec. & rom.) ce nom est odieux depuis long-tems ; mais il étoit autrefois très-honorable : il a eu le même sort que celui de sophiste, & le mauvais usage que l'on en a fait les a également décrédités. Ceux que les Athéniens appelloient , les Romains les nommoient epulones, par rapport à leurs fonctions qui étoient égales.
Le sentiment intérieur que tous les hommes ont eu d'une divinité à laquelle ils étoient redevables des productions de la terre, introduisit l'offrande des premiers fruits que l'on recueilloit pour marquer leur reconnoissance ; pour recevoir ces offrandes dans les temples, il fallut préposer des personnes qui auroient soin de les conserver, de les distribuer au peuple, & de s'en servir pour les festins consacrés à certaines divinités.
Les Grecs nommoient ces prémices , une sainte pâture, parce qu'elles consistoient principalement en blé & en orge ; & celui qui étoit préposé à les recevoir, fut appellé , parasite, de , autour, & de , blé, celui qui a soin du blé, le ministre préposé à recueillir celui qu'on destinoit au culte sacré : ces parasites étoient honorés, & avoient part aux viandes des sacrifices.
Athénée, l. VI. & après lui Samuel Petit, in leges atticas, ont remarqué que presque tous les dieux avoient leurs parasites, lesquels faisoient aussi certains sacrifices avec les femmes qui n'avoient eu qu'un mari. Enfin le lieu où l'on enfermoit les grains offerts aux dieux, étoit appellé .
Les Romains suivirent l'usage des Grecs de recueillir les premiers fruits, & de les porter dans les temples, pour être employés, comme ils l'étoient à Athenes, aux festins des dieux & à la subsistance du peuple. La loi 18. du titre de annuis legatis, nous en fournit un exemple. Un testateur prescrit que celui qui seroit son héritier donnât, après son décès, au prêtre, ou gardien du temple, & libertis, une certaine quantité de grains de ceux qui seroient dans ses greniers. M. Petit prétend qu'il faut entendre le mot libertis, des parasites, parce que dans le tems auquel vivoit ce jurisconsulte, les parasites des temples étoient déja méprisés.
On ne donnoit cet emploi qu'aux affranchis, ou à ceux qui étoient descendus d'un esclave affranchi ; mais il est difficile de découvrir quand & comment ces parasites, dont les fonctions entroient dans le culte du paganisme, commencerent à dégénerer & à tomber dans le décri où ils ont été depuis.
Quoi qu'il en soit, ils s'avilirent en se ménageant l'entrée des grandes maisons par des basses flatteries. Alors on nomma parasites les flatteurs & les complaisans, qui pour se procurer une subsistance agréable, y sacrifioient sans honte la délicatesse & la probité. Les Romains, en les recevant à leurs tables, usoient du droit de les ridiculiser, de les bafouer, & même de les battre. Aussi Gnathon faisant allusion au traitement ignominieux dont on les accabloit, dit dans l'Eunuque de Terence : ego infelix, neque ridiculas iste, neque plagas pati possum. (D.J.)
PARASITES, ou PLANTES PARASITES, en Botanique, ce sont des especes de plantes nuisibles qui croissent sur les arbres, ainsi appellées parce qu'elles vivent & se nourrissent aux dépens des autres. Voyez PLANTES.
Telles sont les mousses, qu'on croyoit anciennement n'être rien autre chose que l'effet de la décomposition du tissu de l'écorce ou une espece de rouille ou de petits filamens sortant de l'écorce. Mais il résulte de plusieurs observations des modernes, que les mousses sont des plantes réelles dont la graine est extrêmement menue, & enfermée dans de très-petites enveloppes, qui se crevant d'elles-mêmes, la graine est emportée au gré du vent, & retenue dans les inégalités des écorces des arbres, où elle prend racine & se nourrit à leurs dépens. Voyez MOUSSE.
M. Vaillant compte au moins 137 especes de ces mousses, toutes dans le voisinage de Paris, qui, avec les lichens & le guy, composent la famille des plantes parasites. Voyez GUY, &c.
Les plus pernicieux de ces parasites pour les arbres qui les portent, sont les lichens, qui paroissent sur l'écorce des arbres en forme de croûte mêlée de jaune & de blanc sale. Voy. MALADIE DES PLANTES.
M. de Ressons nous a donné un remede pour ces maladies dans les mémoires françois de l'académie royale. Il consiste à faire une incision au bois à-travers l'écorce, depuis les premieres branches jusqu'à la terre : l'écorce se rejoint en peu de tems, & est préservée pour toujours nette & exempte de mousses.
Cette ouverture rend le cours de la seve plus libre, & prévient la formation de ces inégalités si favorables à la formation des mousses. Cette incision, ajoute-t-il, se doit faire en Mars & jusqu'à la fin d'Avril, & sur le côté le plus exposé au soleil.
PARASITE COQUILLAGE, (Conchyl.) on appelle coquillages parasites, certains coquillages qui sont crûs sur des autres, ce qui forme des grouppes. Ils sont différens de ceux qui sont adhérens à des coquillages de leur espece, ou à des corps étrangers dont il ne paroît point qu'ils puissent tirer aucune nourriture, comme font les premiers.
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PARASOL | S. m. (ouvrage de Mercerie) toile cirée, ou piece de taffetas coupée en rond, & soutenue sur de petits morceaux d'osier ou de baleine, & sur une baguette tournée, au bout de laquelle il y a un petit bâton tourné, pour allonger le parasol, dont l'usage est de se défendre du soleil en le portant audessus de la tête. On fait aujourd'hui des parasols plians qui sont très-commodes. (D.J.)
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PARASTATE | S. m. (Anatomie) petit corps rond couché sur le dos de chaque testicule. Il s'appelle aussi épididyme. Voyez EPIDIDYME.
PARASTATE, dans l'ancienne Architecture, c'est une espece de pierre ou pié-droit qui sert à appuyer & soutenir une colonne ou une arcade. Voyez PIERRE ou PIE-DROIT.
M. Evelyn fait parastate synonyme à pilastre : d'autres disent que c'est la même chose que anta : Daviler enfin le confond avec pié-droit. Voyez PILASTRE, ANTA, &c.
Parastate, que les anciens appelloient pié-droit, n'étoient qu'une même chose avec antes ; on y peut pourtant mettre cette différence, que le mot antae convient mieux aux pilastres plats, qui ne montrent que la partie de devant, parce que ante signifie devant, & celui de parastate aux pié-droits, qui sont des piliers quarrés qui sortent du mur de la moitié ou des deux tiers du quarré.
Les anciens appelloient temple à parastate celui qui n'avoit point de colonnes au droit des encoignures, mais seulement des pilastres quarrés, nommés parastates, ou antes. Voyez ANTES.
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PARASTREMMA | S. m. (Lexicogr. médec.) , de , tordre, pervertir. Ce seul mot signifie dans Hippocrate, la distorsion convulsive de la bouche, ou de quelqu'autre partie du visage.
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PARASYNANCHE | S. f. en Médecine, c'est une espece d'angine ou d'esquinancie, dans laquelle les muscles extérieurs du gosier sont enflammés. Voyez ANGINE. Ce mot vient de , suffoquer.
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PARAT | S. m. (Comm.) monnoie ; elle vaut en Candie six liards de France, & dix-huit deniers de Provence. Là elle est d'argent, comme dans tous les autres états du grand-seigneur, mais de bas aloi. A la Canée, on en donne quarante-quatre pour l'abouquet, ou piastre d'Hollande, & quarante-deux seulement à Retinio.
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PARATHENAR | S. m. (Anat.) il y a le grand & le petit. Le grand parathenar est un muscle assez long qui forme le bord extérieur du pié. On l'appelle communément, mais improprement hypothenar. Le petit parathenar est un muscle charnu, attaché le long de la moitié postérieure de la partie extérieure du cinquieme os du métatarse. Il se termine sur la tête de l'os à un tendon qui s'insere dans la partie inférieure de la base de la premiere phalange du petit orteil.
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PARATHESE | S. f. (Hist. ecclés.) dans l'église grecque, c'est la priere que l'évêque récite sur les catéchumenes en étendant sur eux les mains pour leur donner la bénédiction, qu'ils reçoivent en inclinant la tête sous les mains du prélat.
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PARATILME | S. m. dans l'ancienne jurisprudence grecque, étoit un nom donné à une sorte de châtiment imposé aux adulteres qui étoient pauvres & hors d'état de payer l'amende ordinaire en pareil cas. Voyez ADULTERE.
Il consistoit à les faire marcher en public avec une rave enfoncée dans l'anus, ce qu'ils appelloient , ou à lui arracher jusqu'à la racine le poil d'autour des parties naturelles, ce qu'ils appelloient , de , déchirer, arracher.
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PARATITLES | S. f. pl. (Jurisprud.) paratitla est un terme dérivé du grec, qui signifie extrait ou abregé sommaire des titres, & breve exposition des matieres.
Justinien s'est servi de ce terme dans la loi 1 au code de veteri jure enucleando, où il permet seulement de faire des paratitles, & non pas des commentaires sur le code & le digeste.
Quelques interpretes, tels que Matthieu Blastares, & après lui la Coste, ont cru que par ce terme de paratitles Justinien avoit entendu un supplément de ce qui pouvoit manquer à chaque titre, & que l'on pouvoit suppléer par les autres titres du corps de droit.
Cujas au contraire, & plusieurs autres, tiennent que les paratitles ne sont, comme on l'a dit en commençant, qu'un abrégé ou sommaire des loix contenues sous chaque titre ; & c'est ainsi que l'on entend communément le terme de paratitles.
On sent assez l'utilité des paratitles, ou traités de droit qui tendent à éclaircir les matieres, à y mettre de l'ordre & de la netteté, & à rapprocher certains objets qui, quoique relatifs, se trouvent dispersés sous differens titres ; mais la défense de Justinien a été mal observée, en ce que les docteurs se sont donnés la liberté de faire des commentaires, qu'ils ont la plûpart déguisés sous la dénomination de paratitles. Voyez CODE, DIGESTE. (A)
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PARATRE | S. m. (Jurisprud.) qu'on appelle aussi beau-pere, est le second mari de la mere, relativement aux enfans qu'elle a de son premier mariage.
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PARAVAS | (Hist. nat. Botan.) plante des Indes orientales qui passe pour très-rafraîchissante & pour purifier les humeurs ; elle est très-rare.
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PARAVENT | S. m. ouvrage d'Ebéniste & de Tapissier ; il est composé d'un bois haut depuis trois jusqu'à six ou sept piés, qu'on appelle chassis. On plie le paravent par le moyen de quelques fiches, en quatre, cinq ou six parties, dont chacune s'appelle feuille, que le tapissier couvre de l'étoffe qu'on desire, & l'embellit comme on veut, pour être mis l'hyver dans un appartement, afin de se garantir du vent de la porte. On vend & achete pour l'ordinaire les paravens par feuille, & il y en a d'une grande beauté. (D.J.)
On donne le même nom à un grand volet de bois placé en-dehors des fenêtres aux maisons de campagne, pour défendre les fenêtres de la pluie & des vents, & servir de défense contre les voleurs. Le paravent s'attache en-dedans au bois de la croisée avec un crochet qui tient au paravent, & un piton qui tient à la croisée.
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PARAY-LE-MONIAL | (Géog. mod.) petite ville de France en Bourgogne, la seconde du Charolois, diocese d'Autun, sur la riviere de Bourbince. Long. 21. 47. lat. 46. 27.
Moreau (Pierre) né à Paray-le-Monial, est mort dans la même ville en 1660 ; il employa une grande partie de sa vie à voyager, & courut souvent de grands risques. Il fut fait prisonnier à Belgrade, & ayant tenté de se sauver, il fut découvert & condamné à être pendu ; mais il obtint sa grace. De retour en France, il fit imprimer à Paris l'histoire des troubles du Brésil (où il avoit demeuré deux ans), entre les Hollandois & les Portugais, depuis 1644 jusqu'en 1648, in -4°. Sa relation du voyage de Roulox Baro, envoyé de la compagnie hollandoise des Indes occidentales, dans la terre-ferme du Brésil, parut à Paris en 1651, in-4 °.
Vavasseur (François) jésuite habile dans la critique, est aussi né à Paray-le-Monial, & mourut à Paris en 1681 à 76 ans. On a de lui un commentaire sur Job ; une dissertation sur la beauté de J. C. & d'autres ouvrages imprimés à Amsterdam, en 1709, in-fol. Il écrivoit bien en latin. On estime sur-tout son traité de ludicrâ dictione, ou du style burlesque. Son style est pur ; ses vers sont corrects, mais il n'étoit rien moins que poëte. Son humeur le dominoit dans la critique, comme il paroît par ses écrits sur la poëtique contre le P. Rapin son confrere, qui le surpassoit, sinon en érudition, du moins du côté de la poësie, de l'esprit & de la politesse. (D.J.)
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PARAZONIUM | S. m. (Art. numismat.) un sceptre arrondi par les deux bouts, comme un bâton de commandement, est appellé par le commun des antiquaires parazonium, ce qui veut dire un poignard, ou une courte épée, que l'on porte à la ceinture. Cependant la figure de ce bâton, & la maniere dont on le tient, ne dit rien moins que cela. Il n'y a qu'à consulter la médaille honor & virtus de Galba, où l'honneur tient ce prétendu parazonium en l'air, un bout appuyé sur le genou ; celle de Tite & de Domitien où l'un & l'autre le tient appuyé sur le flanc, & nullement attaché à la ceinture. Je trouve une médaille d'Antonin Pie dans M. Patin, où le parazonium, qu'il appelle en ce lieu-là scipio, est en-travers sur les deux épaules en forme de carquois. Dans les revers même de Vespasien, où Rome armée porte le parazonium, il n'est point placé à la ceinture, ni de figure à pouvoir être attaché. On ne voit pas non plus qu'on le puisse aisément manier, ni qu'il y ait ce que nous appellons la garde de l'épée, & que les Latins nommoient capulus.
D'ailleurs, on ne sait de quel usage seroit une pareille arme ; s'il est vrai, comme on dit, que c'étoit une petite épée sans pointe. Car malgré la belle moralité qu'on en tire ; savoir, que le prince doit être modéré dans ses châtimens, & ne pas punir avec la derniere rigueur ; l'épée n'est donnée que pour percer & pour tuer. D'ailleurs que devient ce beau sentiment, si on leur met à la main un javelot très-pointu, & quelquefois même par les deux bouts, comme dans la médaille d'Antonin Pie, & dans celle d'Heliogabale ?
Je voudrois bien savoir pourquoi les médailles ne donnent jamais d'épée ni aux empereurs, ni aux soldats mêmes, lorsqu'ils sont représentés en habit militaire : car on ne peut pas dire que cette sorte d'armure fût inconnue aux Grecs & aux Romains. Je répondrois bien, que c'est par la même raison qu'ils n'ont jamais mis d'éperons à leurs statues équestres : mais ce n'est qu'éluder la difficulté. Ce qu'il y a de plus vraisemblable, malgré la prévention, c'est que le parazonium est un bâton de commandement, tel qu'est parmi nous le bâton de maréchal de France.
Voilà pour ce qui regarde le parazonium des médailles ; car je ne voudrois pas nier que dans les auteurs, ce mot ne désigne quelquefois le pugio, l'épée espagnole, gladius hispaniensis, qui devint d'un usage assez général chez les Romains, & qu'on attachoit à la ceinture du côté droit. (D.J.)
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PARC | S. m. (Architect. mod.) c'est un grand clos ceint de murs, où l'on enferme du gibier & des bêtes fauves, comme sangliers, cerfs, chevreuils, &c. On comprend dans le parc tel nombre, telle quantité & qualité de terre que l'on veut, labourables ou pâturages, avec des bois taillis & des futaies.
Les plans qui doivent dominer dans le parc pour la retraite & la bonté du gibier, sont les chênes, pommiers, poiriers, houx, arbousiers, genévriers, & autres arbres & arbrisseaux sauvages portant fruits, dont le gibier se délecte. Il y faut aussi le passage de quelques ruisseaux, ou du moins plusieurs endroits bas, qui puissent recevoir l'eau des pluies, y former des petits étangs, des mares, & rafraîchir le gibier dans les tems de secheresse.
Dans la saison stérile, il y faut jetter pour la subsistance des grosses bêtes, du grain, des fêves, du marc de vin ; il faut semer du foin, de l'orge, de l'avoine, & du sarrasin dans les mauvaises terres du parc. On seme aussi pour le menu gibier de la chicorée, des laitues, & autres herbages de leur goût. Pour que les bêtes sauvages connoissent qu'on leur donne à manger, il faut en avoir quelques autres apprivoisées qui courent avec elles de tous côtés, & qui les amenent à la pâture.
Comme les parcs doivent être ainsi fournis pour mériter ce nom, & que d'ailleurs ils doivent être très-spacieux ; cette magnificence n'appartient qu'aux rois & aux princes : mais c'est un défaut de goût que d'y rechercher trop les alignemens, les allées, les avenues, les décorations & les autres travaux de l'art.
On en vante en vain l'industrie,
Leur ennuyeuse symmétrie
Nous plaît moins qu'un heureux hasard :
On aime des forêts altieres
Où les routes moins régulieres
Offrent plus de diversité.
La nature y tient son empire,
Et partout l'oeil surpris admire
Un désordre plein de beauté.
(D.J.)
PARC DE MOUTONS, (Agricult.) palissade mobile qu'on fait dans les champs pour enfermer les moutons qu'on mene paître en été, dans les lieux éloignés où ils passent la nuit. Les bergers changent leur parc de tems en tems pour fumer les terres l'une après l'autre. Les loups n'attaquent pas les moutons dans leur parc, à cause des chiens qui les gardent.
On parque pour engraisser la terre, sur laquelle on met le parc, soit terre labourable, verger, pâtis, ou même prairie, quand elle n'est point marécageuse. Le fumier de mouton communique à la terre des sels de fécondité qui la ranime, & les brebis qui ne parquent que pendant des nuits douces, ne se trouvent que mieux du changement de gîte.
Ce parc, dans lequel on fait coucher les bêtes à laine, n'est autre chose qu'un quarré grand à proportion du nombre des bêtes, qu'on y enferme dans des grandes claies de bois posées contre des pieux, & soutenues en-dehors par des piquets. Pour faire ces claies, on prend des petites perches du même bois, qu'on choisit plus grosses & plus droites. On les appelle montans, & on les met à un bon pié & demi de distance l'une de l'autre ; on croise les petites perches sur les montans, en commençant par le bas, & quand on en a fait quatre piés de haut, on y laisse un vuide d'un demi-pié, & on recommence au-dessus à entrelacer les perches sur les montans, jusqu'à la hauteur de cinq à six piés, qui est la hauteur ordinaire de chaque claie. Elle a aussi communément sept piés de long, parce qu'on prend des perches de cette longueur : on peut les faire plus longues, en mettant des perches bout-à-bout l'une de l'autre. Le vuide qu'on y a laissé est l'endroit où posent les piquets. Les montans des deux bouts de chaque claie doivent être plus forts que les autres, parce qu'ils soutiennent l'ouvrage. On a soin de les lier fortement avec des bonnes harres, ou avec de l'osier. On fait des claies autant que l'on juge en avoir besoin, selon l'étendue du parc & le nombre des bestiaux.
Les claies étant faites, on les voiture sur le lieu qu'on veut parquer ; & là on fiche des pieux en terre d'espace en espace, en formant le plan du quarré dans lequel on veut enfermer le troupeau. On met les claies entre ces pieux, en commençant par le bout d'une des quatre faces qu'aura le parc. On dresse ces claies en longueur tout le long des pieux, ensorte que si le premier est en-dedans du parc, le second est en-dehors. On continue ainsi jusqu'à-ce que les autres faces soient garnies ; alors, pour mieux soutenir les claies, on les appuie en-dehors avec des piquets de six piés en six piés mis en contre-fiche, & arrêtés à un des montans à l'endroit de la claie qui n'est point entrelacée. Au bas de chaque piquet, il y a un trou dans lequel on met un grand coin qu'on enfonce en terre avec un maillet, c'est ce qui tient les claies en état.
On laisse la derniere claie à un coin du parc, sans être appuyée, pour y servir d'entrée aux troupeaux. le berger a soin de les y enfermer le soir quand il s'y retire, & de bien assurer cette derniere claie. Quand on a fait ainsi un premier parc, on en dresse un second auprès, ensorte qu'un des côtés du premier sert de cloison pour l'autre, qu'on continue comme on a dit.
C'est l'ordinaire de dresser ainsi deux parcs de suite, quand on a bien des terres à parquer, & un bon nombre de troupeaux à y enfermer ; car on les passe alternativement de l'un dans l'autre, pour fumer plus de terre bien vîte ; & ce changement se fait, si l'on veut, deux ou trois fois durant chaque nuit, principalement quand elles sont longues. On laisse les troupeaux dans le premier parc jusqu'à minuit, puis on les fait passer dans l'autre à la pointe du jour, où ils restent jusqu'à ce que le soleil ait dissipé la rosée, qui est préjudiciable à ce bétail, quand il paît l'herbe qui en est mouillée.
Lorsque les bergers parquent, ils font une cabane, soutenue sur des roulettes qu'ils conduisent là où ils veulent. Elle leur sert de retraite pour coucher, leurs chiens veillent à la garde de leurs moutons contre l'insulte des loups. C'est hors du parc que le berger se place avec sa houlette & ses chiens.
Si c'est un pâtis ou pré qu'on parque il n'y a aucune façon à y faire, ni devant ni après ce parcage : mais quand c'est une terre à labour ou à verger, il faut qu'elle ait eu deux ou trois façons avant que d'y parquer. Le fumier y pénétre mieux, fait un effet meilleur & plus prompt, & il en faut beaucoup moins ; & lorsque le parc est retiré du champ & du verger, il faut y donner aussi-tôt un leger labour, afin que les sels de l'engrais que les moutons y ont laissé ne se dissipent point.
On parque depuis la S. Jean jusqu'à la S. Denis, ou la S. Martin & plus tard, selon que la saison & le climat le permettent. Pendant tout le tems que les brebis parquent, le berger doit avoir soin de les traire le soir, afin que le lait ne soit point perdu. Dict. économ. (D.J.)
PARC, en terme d'Artillerie, est le lieu où sont rassemblés toutes les pieces de canon & les munitions de guerre qui sont à la suite d'une armée, soit pour servir en campagne ou pour assiéger une place. Celui qui sert à faire un siege doit être placé hors la portée du canon de la ville : les munitions s'y arrangent différemment que dans l'autre parc, parce qu'il faut en pouvoir disposer à tout moment pour les batteries, au lieu que les autres restent toujours sur les charrettes pour marcher.
La figure du parc d'artillerie est ordinairement celle d'un parallelogramme rectangle, à moins que la situation du terrein n'oblige de lui en donner une autre.
Le commissaire du parc, marque avec des piquets, dit M. de Quincy, l'endroit où se mettra le premier chariot, & il poste le reste sur la même ligne en ordre par brigades, séparées les unes des autres, ensorte que lorsque l'équipage repartira, il le puisse faire sans confusion.
" Il y a, dit le même auteur, des commandans qui veulent que les pieces de canon de la premiere ligne soient d'abord placées, & qui mettent ensuite des chariots qui portent les munitions pour son service. Ils placent la seconde de même, puis les autres, en mettant la moitié pour former la premiere ligne, & l'autre moitié pour former la seconde, prétendant qu'elles partent du parc dans cet ordre avec moins de confusion. D'autres sont d'avis de mettre tout le canon dans le premier rang, & les munitions derriere chaque brigade : le parc se peut lever aussi facilement, & cela fait un meilleur effet. "
Tout cet arrangement dépend au reste du commandement ; ce qu'on y doit principalement observer, c'est que les pieces de canon & les charrettes doivent être à deux pas de distance ; les brigades séparées les unes des autres par un espace de cinq pas, & les lignes par un espace de quarante pas. Lorsqu'il y a des pontons dans l'équipage, on en fait un dernier rang, éloigné aussi de quarante pas de celui qui le précede.
La garde du parc consiste en cinquante hommes tirés des bataillons de Royal-Artillerie, & qui sont postés vis-à-vis le parc, à la distance de 40 ou 50 pas en avant : on en tire des sentinelles pour le parc. Il y en a deux à chaque rang l'épée à la main, & sans armes à feu.
Les bataillons de Royal-Artillerie sont placés à la droite & à la gauche du parc, & les chevaux du charroi vers la droite ou la gauche, environ à 300 pas de distance, dans un lieu commode, & hors de toute insulte.
En campagne, lorsque l'armée est campée en plaine, ou dans un lieu ouvert, l'artillerie se place vis-à-vis le centre de la premiere ligne du camp, à 3 ou 400 pas en avant de cette ligne, si le terrein le permet : autrement on la place derriere le centre de la seconde ligne, à une distance de 2 ou 300 pas de cette ligne.
Il y a ordinairement à cent pas en avant du parc, trois pieces de canon chargées, & toutes prêtes à tirer. On les appelle pieces d'allarmes, parce qu'elles servent à faire revenir promptement les troupes du fourrage lorsqu'il en est besoin, & à donner l'allarme pour faire prendre les armes à toute l'armée, ou pour quelqu'autre chose que le général juge àpropos d'ordonner. Il y a toujours auprès de ces pieces un canonnier avec un boute-feu allumé. (Q)
PARC, (Marine) c'est dans un arsenal de marine le lieu où les magasins généraux & particuliers sont renfermés, & où l'on construit les vaisseaux du prince. Après que la retraite aura été sonnée, personne ne pourra entrer dans l'enclos du parc & des magasins, si ce n'est par un ordre exprès des principaux officiers du port, & pour quelqu'affaire extraordinaire.
Parc dans un vaisseau, c'est un lieu qui est fait de planches entre deux ponts, pour enfermer les bestiaux que les officiers font embarquer pour leurs provisions. L'ordonnance dit, parcs & cages de moutons, volailles & bestiaux.
PARC, (Marais salans) parc ou parquet, se dit de différens bassins ou séparations que l'on fait dans les marais salans pour y recevoir & faire entrer l'eau de la mer dont se fait le sel. Ces bassins ou parquets n'ont guere plus d'un pié de profondeur, & sont séparés les uns des autres par des petites levées de terre entrecoupées d'écluses, pour y recevoir & y retenir l'eau, ou l'en faire sortir ; le fond de chaque parc est uni & battu ; c'est dans ces parcs qu'on met aussi parquer les huitres, où elles s'engraissent & prennent cette couleur verte qui les rend également délicieuse au goût, & agréable à la vue. Savary. (D.J.)
PARC, sub. m. (Pescherie) il y en a de plusieurs sortes. Des bas parcs, qu'on appelle de plusieurs autres noms. Des parcs faits de bois & de filets. Des parcs aux huitres, voyez l'article HUITRE, & la suite de celui-ci. Des parcs doubles & triples. Des parcs à clayonnage par le bas, ou à planches, à ouverture au fond, ou à queue de verveux. Des parcs à carrosse, ou perds-tems. Des parcs de pierre. Des parcs simples & confinant en un filet tendu dans les roches. Des hauts-bas parcs. Des parcs de pierre & de clayonnages à claires voies. Des parcs de claies seulement ou bouchots. Des bouchots de plusieurs sortes, comme les borgnes & autres. Voyez la suite de cet article, où il est parlé de toutes ces pêcheries.
PARCS, BAS-PARCS, que l'on appelle aussi tournées, fourrées, fouresses, courtines, venets ; termes de pêcherie, sont des enceintes de filets de la forme du fer à cheval, tendus sur des pieux enfoncés dans le sable ; l'ouverture du fer à cheval est tournée vers la terre, la convexité vers la mer. Voyez à l'article FOURREES la description des bas parcs.
Parcs faits de bois & de filets. Ils ont la forme des précédens ; mais ils sont construits de clayonnage & de pieux enfoncés dans le terrein qui doit être roche ou marne, pour que le parc soit solide. Cette enceinte est quelquefois d'un double clayonnage. Elle est élevée de deux piés & demi à trois piés. Si le clayonnage est double, l'intervalle en est garni de pierres ou gros galet. D'autresfois il n'y a que le fond du contour qui soit double, pour soutenir en cet endroit la brise des vagues qui viennent s'y rompre. Il doit y avoir au milieu du fond une ouverture de la grandeur prescrite par l'ordonnance. On la ferme durant les saisons marquées.
Autour de l'enceinte il y a de hautes perches de quinze à dix-huit piés, placées à sept à huit piés les unes des autres. Le haut du filet, qui a quinze à seize piés de chûte, est amarré au haut des perches par un tourmort retourné, & le bas est accroché au clayonnage, soit par un tourmort, soit par des chevilles.
Il y a de ces parcs où l'on voit jusqu'à deux ou trois tournées de ces enceintes sur une même ligne. Quelques-uns ont aussi une double chasse.
La chasse est une palissade composée pareillement de perches tendues de filets, garnie d'un clayonnage ; elle va depuis le rivage jusqu'au parc, y guidant & conduisant le poisson. On place ces chasses quand la direction de la marée est parallele au rivage ; ainsi elles croisent la marée, & arrêtent le poisson qui se retire du rivage à mesure que l'eau s'en éloigne, & va dans le parc où la chasse le mene.
On prend dans ces pêcheries toutes sortes de poissons, même les plus grands. Il ne faut pas que les filets, ni la chasse qui forment l'enceinte aient des mailles trop petites ; sans quoi ce sera la perte d'une quantité infinie de petits poissons, à moins qu'ils n'aient une issue par le clayonnage, ou par une ouverture pratiquée au fond du parc.
Les filets doivent avoir quinze lignes par le haut, & onze à douze lignes par le bas ; la chasse, quinze lignes tant en haut qu'en bas.
Les parcs aux huitres, sont des claies posées horisontalement sur des tréteaux & entourées de clayonnages, sur lesquelles on les laisse dégorger après la pêche.
Les parcs doubles & triples ne sont que plusieurs parcs disposés sur la même ligne & croisant la marée.
Il y a des parcs qui n'ont point de clayonnage par le bas ; mais en leur place de petites planches ou ais fort minces sur lesquels le filet est amarré.
Au lieu d'une ouverture ouverte au fond, il y en a qui sont terminés par une queue de verveux.
D'autres, tous semblables du reste, au lieu de la queue de verveux, ont un autre petit parc d'environ quatre piés de hauteur. Ce parc est couvert d'un reseau ; c'est-là ce qu'on appelle un carrosse ou perds-tems. Le reseau empêche le poisson de franchir l'enceinte de ce réduit où il se retire. Le carrosse ou perds-tems communique avec le grand parc par un gorlet de réseau porté par des petites perches, de même que la couverture du petit parc. Les murailles de tous ces parcs ont les mailles de grandeur à discrétion des pêcheurs qui les établissent.
Qu'on y pratique une ouverture, & ils ne feront aucun dommage. Sédentaires, ils ne grattent pas le fond comme la drége.
On forme des parcs de pierres, de grosses masses élevées les unes contre les autres, & si exactement appliquées, que rien ne peut échapper. La forme en est quarrée ou semi-circulaire, irréguliere ; le fond toujours tourné à la mer, & percé, selon l'ordonnance, d'une ouverture de deux piés en quarré couverte d'un grillage de bois à trous en forme de mailles d'un pouce au moins en quarré ; & cela depuis Pâques jusqu'à la S. Remy, & de deux pouces en quarré depuis la S. Remy jusqu'à Pâques.
La mer couvre ces parcs de plusieurs brasses à la marée ; & en se retirant elle laisse le poisson qui vient terrir à la côte dans ces parcs, d'où il ne peut plus ressortir. Les pêcheurs viennent ensuite le prendre avec des petites trubles.
Pour les situer avantageusement, il faut les pousser le plus qu'il est possible à la basse eau. On n'y pêche guere durant les mortes eaux, la mer ne couvrant guere le rivage, & le poisson terrissant moins. Comme il ne s'agit à ces parcs que d'en entretenir les clôtures, on y pêche de gros tems comme de calme. Le calme est même en général peu favorable à la pêche, quelle qu'elle soit.
Des parcs faits à peu de frais, ce sont ceux qui consistent en un filet tendu entre les roches dans des gorges. Des perches placées de distance en distance soutiennent le filet, qui se tend de basse mer, & qu'on laisse abaissé tandis que la mer monte. Au plein de l'eau on le releve, pour retenir le poisson qui est entré de marée montante, & qu'on retire à la basse eau. Voyez dans nos planches des parcs de bois & de filets, & des parcs de pierre.
Parcs de pierres & de clayonnage à claires voies. Cette sorte de pêcherie se fait dans l'amirauté de Port-Bail en Normandie. La côte ou la muraille du sud est faite en partie par une roche ; le reste jusqu'à l'extrémité est continué par des pieux & du clayonnage. La distance entre chaque pieu est remplie de petites tiges de bois, éloignées l'une de l'autre d'environ un pouce & demi, & lacées de pié en pié par des osiers. Le frai, ni aucun poisson du premier âge ne peut entrer. Le côté du nord est précisément établi & continué de la même maniere. C'est une autre roche & du clayonnage fait comme le précédent. En-dedans de l'angle de la pêcherie il y a un petit étranglement en claie, haut d'un pié au plus, commençant à sept ou huit piés en-dedans de l'ouverture de la pêcherie, où il vient aboutir sur les derniers pieux qui sont de chaque côté de l'égoût.
Il y a des parcs construits de claies au lieu de filets, de l'espece des bas parcs ou fourrées ; on les appelle bouchots.
Voici la description du bouchot de l'amirauté de S. Malo. Ce sont deux rangs de clayonnage, élevés à-peu-près de six à sept piés de haut, afin de compenser la pente du terrein, & rendre le haut des clayonnages de niveau avec la partie basse du rivage. Leur extrémité convergente se resserre & forme un passage à peine de quatre piés de largeur, qui devroit être ouvert, selon l'ordonnance ; mais il est fermé d'un panier de clayonnage, que les pêcheurs de ce canton appellent tonne, gonne, gonastre & benastre, qui a une ouverture à la vérité, mais élevée de plus de vingt pouces au-dessus du terrein, ensorte que le frai, la manne ou menasse y reste. A l'ouverture de la gonne, on place encore une petite nasse d'osier si serré, que le plus petit ver n'en échapperoit pas. Ils nomment cet instrument un baschin ou basche. Ainsi tout le frai ou la manne qui monte à la côte vers ces pêcheries, qui ont quelquefois les aîles ou côtés de plus de deux cent toises de long, est perdu sans ressource ; & ces bouchots détruisent plus de petits poissons dans une marée, que cinquante parcs de bois & de filets ne feroient, le terrein occupé par ces pêcheries suffisant seul à un grand nombre de parcs. Voyez nos Planches de Pêche.
Il y a des bouchots qui ont une construction différente.
Le clayonnage du fond, qui est au gorre ou à la passe de la pêcherie, a de même une tonne, gonne ou bourgne. Cette tonne ou gonne se démonte, est quarrée & montée sur un chassis, ensorte que le pêcheur propriétaire ou fermier du bouchot, la change ou l'enleve quand il lui plaît. Elle a cinq ou six piés de haut & trois à quatre de large ; la forme de l'embouchure d'un entonnoir tronqué. L'on engorge l'ouverture d'une nasse qu'on appelle boulet. Le boulet est au bout de la gonne, ou bourgne ; & au bout du boulet on adapte une autre nasse plus petite, qu'on nomme boutron. Les osiers ou tiges qui forment ces nasses sont fort serrés. Les nasses sont entonnées les unes dans les autres. On bouche ensuite le boulet ou boutron avec une torque ou un tampon de paille.
La bourgne est amarrée au gorre ou à la passe, ou égoût du bouchot. Il y a encore de chaque côté un pieu auquel elle est saisie. Les boulets ou boutrons sont aussi pris & resserrés entre deux pieux, & le bout de la derniere nasse ou du boutron est soutenu d'un petit pieu ou d'une pierre.
Voilà la pêcherie la plus nuisible : le frai y entre, n'en sort plus, & périra ou sur les vases ou dans les nasses ou boutrons.
Les pêcheurs des écluses de bois ou bouchots n'ôtent la gonne à leur pêcherie que dans les grandes gelées, parce qu'alors le poisson gagne les grands fonds, & ils ne prennent que des plus petits qui s'enfouissent dans les vases sur lesquelles les bouchots sont placés. Ils cessent encore de pêcher depuis la S. Jean jusqu'à la S. Michel, à cause des araignées de mer & des ordures qui portées à la côte nuiroient plus qu'elles ne profiteroient à leurs pêcheries, s'ils les tenoient fermées. Les pêcheurs de basse-Normandie sont dans le même usage.
En obligeant ces pêcheurs de tenir ouvertes leurs pêcheries depuis le 1 Mai jusqu'au dernier Septembre, en cas qu'on ne les supprime pas tout-à-fait, on ne leur fera garder la police de l'ordonnance qu'un mois de plus.
Les bouchots de Champagne, dans l'amirauté de Poitou, ou des sables d'Olone, ont au-moins chacun trois gorres, passes ou égoûts, ou bourgnes ou bourgnins, dont le bout finissant en pointe, entre dans la nasse appellée boutet, & le bout du boutet s'enguaîne aussi dans une plus petite nasse ou boutron ; & les lignes de bois qui forment ces derniers paniers sont si serrés que rien n'en peut échapper. Ajoutez à cet inconvénient l'étendue de ces pêcheries.
Le bout tronqué des bouchots à trois bourgnes a environ huit à dix piés de large. Le bout tronqué des bouchots à quatre bourgnes, est d'environ douze à treize piés. Les bourgnes sont ordinairement éloignées les unes des autres de deux cent brasses ; les aîles, pannes ou côtés en peuvent avoir soixante, quatre-vingt, cent de longueur. Les pieux du clayonnage sont environ de quatre piés hors de terre vers le rivage, & de cinq piés dans le fond à la mer ; ils différent beaucoup en cela des bouchots de la baie de Cancale, qui sont très-élevés vers le fond ou à la bourgne. Les bouchots de Champagne ont d'ailleurs trois à quatre bourgnes, & ceux de Cancale n'en ont jamais qu'une.
Ces bouchots sont en très-grand nombre sur la côte, & très-irrégulierement distribués. Les fermiers y pêchent avec acons, la seule espece de bateaux plats qui puissent aller à leurs parcs posés sur un fond de vase. Les pannes, rangs ou côtés des clayonnages, ont aussi des mouliers ; ce qui est fort avantageux aux riverains, qui par la vente de ce coquillage sont en état de satisfaire à l'imposition, à leurs maîtres, & d'entretenir la pêcherie qui coûte beaucoup parce que le bois est rare.
Il y a des bouchots à claire voie dans l'amirauté de Coutance d'une structure particuliere. Ils sont formés de pieux haut de trois piés au plus, vers l'angle de la pêcherie ; à mesure qu'ils approchent de l'égoût ou gorre, ils s'élevent davantage. Il y a entre eux quatre à cinq piés de distance ; ils ont deux à trois pouces de diametre. Leurs intervalles sont alors d'un clayonnage dont les tiges sont écartées de dixhuit à vingt lignes, & ne sont arrêtées que par des osiers. Ainsi il n'y peut rester que de gros poisson.
Ces pêcheries n'ont point de benastres. Il y a seulement en-dedans une espece d'étranglement placé vers l'ouverture qui en est resserrée. Il commence à sept ou huit piés de gorre, formé d'un petit clayonnage haut tout au plus de dix-huit pouces, & seulement un peu plus serré que celui des aîles ou côtés.
Nous avons souvent parlé de bourgnes. Il y a des pêcheries qui s'appellent aussi borgnes, ou bornets ou bourgnets, parce qu'elles ont une ouverture non-fermée du côté de la mer, ce en quoi elles different des bouchots qui ont une gonne, tonne ou gonastre, ou benastre de clayonnage. A la place de ces instrumens, c'est un guideau d'une hauteur double du clayonnage vers le fond. Le sac de ce guideau est monté sur des perches de dix à douze piés de haut que les pêcheurs enfoncent dans la vase sur laquelle leur pêcherie est établie.
PARCS HAUTS ET BAS PARCS, terme de Pêche, sorte de pêcherie particuliere aux habitans de S. Valeri en Somme. Pour la faire ils vont dans leurs gobelettes à la fin du Jussant, entre les bancs & l'embouchure de la Somme, aux endroits qu'ils ont reconnus propres. Ils y tendent différens filets de la maniere qui suit. Ils forment une grande enceinte ou parc en fer à cheval. Le fond en est exposé à la mer. A chaque bout ils pratiquent un retour en crochet d'environ six piés de long ; ce crochet est fait avec des piquets de trois à quatre piés de hauteur. Au centre il y a une ouverture de quinze à dix-huit pouces de largeur, qui sert d'issue au poisson qui suit les convolutions du retour en crochet, & qui va se rendre à ce cul-de-sac où la marée en se retirant le laisse à sec.
Le retour en crochet est ou rond ou quarré ; c'est à la volonté du pêcheur. Pour ne pas tendre inutilement, les pêcheurs s'assurent si le poisson donne à la côte, par les traits ou sillage qu'il laisse imprimés sur le sable lorsqu'il se retire avec la marée.
L'enceinte du crochet garnie de rets de bas parcs & de piquets, est montée d'une piece de trente à trente-cinq brasses de chaque côté. Pour la continuer on se sert de hautes perches de quatorze à quinze piés, qui suivent immédiatement les rets de bas parcs. Le pié des grandes perches est du côté de la mer : on les panche un peu vers la terre ; & c'est là-dessus que l'on place les rets de jets qui ont près de trois brasses de haut. Les pêcheurs ne les tendent point de mer basse ; ils se contentent de les arrêter seulement par le pié sur le bas des perches. Ainsi les jets sont en paquets le long de ces perches. Ils sont couverts d'un peu de sable, ainsi que les flottes ; pour les relever à la marée, on a mis au haut de chaque perche une petite poulie sur laquelle passe un cordage frappé sur la tête des jets. On a recouvert les filets de sable, afin que le poisson plat passât plus aisément lorsqu'il monte dans la baie avec la marée.
Les perches qui servent au rets de jets sont toujours dans les bassures entre les bancs ; l'enceinte se continue en y mettant alternativement des rets de bas parcs sur les piquets ou penchans. Ces rets se tendent à demeure, parce que la marée qui survient les couvre facilement, & laisse passer le poisson sans le gêner ; ce qui n'arriveroit pas s'ils étoient tendus sur les hautes perches. Sur celles-ci ils placent des filets ; après ces filets placés sur les hautes perches, ils pratiquent des bas parcs jusqu'à ce que l'enceinte soit toute formée, observant que les crochets ou retours soient de rets de bas parcs montés sur leurs petits piquets.
Lorsque la marée est sur le point de s'en retourner, les pêcheurs hissent les lignes des poulies, dégagent les jets du sable qui les couvre, & les tient élevés à fleur d'eau, tandis qu'ils sont arrêtés au pié des perches, & qu'ils calent par des plombs. Ils restent ainsi tendus jusqu'à ce que la marée se soit retirée.
Ces sortes de pans ne prennent rien qu'au reflux de marée montante. Le fond exposé à la mer est ouvert par la distance des perches de jets, & les crochets des deux bouts regardent la terre.
On prend quelquefois beaucoup à cette sorte de pêcherie, sur-tout du poisson rond. Voyez ces parcs hauts-bas dans nos Planches.
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PARCAGE | S. m. (Jurisprud.) est un droit qui est dû en quelques lieux au seigneur par ceux des habitans qui ont un parc où ils mettent leurs troupeaux. Voyez Despeisses, tom. III. liv. vj. sect. 11. (A)
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PARCEL-MAKERS | S. m. (Comm.) en Angleterre, ce sont deux officiers de la trésorerie qui font les parties des comptes des trésoriers sur lesquels ils employent toutes choses qui ont été levées pour l'usage du roi durant le tems de leur gestion, & les livrent à un des auditeurs de la cour pour les ratifier. Voyez TRESORIERS. Bill des parties, Voyez BILL.
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PARCELLE | S. m. (Gramm.) petites parties d'un tout. Il y a des substances si précieuses que ceux qui les travaillent ont pris toutes sortes de précautions pour n'en pas perdre une parcelle. On dit que l'ame humaine est une parcelle de la divinité. Atque affigit humi divinae particulam aurae, a dit Horace de celui qui s'abrutit par la crapule, ce qui arrivoit quelquefois au bon épicurien lui-même.
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PARCENERS | S. f. pl. (Jurisprud.) c'étoient les soeurs qui partageoient une hérédité ou tenement entr'elles comme cohéritiers. Voyez le troisieme livre des tenures, ch. j. & le glossaire de Lauriere au mot Parceners. (A)
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PARCHASSER | v. act. (Vénerie) c'est chasser une bête avec les chiens courans lorsqu'il y a deux ou trois heures qu'elle est passée. C'est ce que l'on appelle aussi rapprocher.
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PARCHEMIN | S. m. (Botan.) il faut concevoir le parchemin ou le liber comme composé de plusieurs surfaces ou couches cylindriques & concentriques, dont le tissu est réticulaire, & dans quelques arbres réellement extensible en tous sens, parce que les fibres qui le forment sont molles & souples. Tant qu'elles sont en cet état, ou elles sont creuses, & sont des vrais canaux, ou si elles sont solides, leurs interstices sont des canaux. Le suc nourricier qu'elles reçoivent incessamment, & qui s'y arrête en partie, les fait croître en longueur & en grosseur, les affermit, & les rapproche les unes des autres. On peut supposer que les fibres longitudinales sont celles qui croissent le plus. Ainsi le tissu qui étoit réticulaire n'est plus qu'un composé de fibres droites posées verticalement & parallelement les unes auprès des autres, & en un mot, c'est une substance ligneuse. Ce changement est plus grand dans les couches du parchemin les plus proches du dernier aubier, & par conséquent c'est la couche la plus intérieure qui est la premiere à s'y coller, & à devenir un aubier nouveau. (D.J.)
PARCHEMIN, en Commerce, &c. c'est une peau de mouton ou de chevre préparée d'une maniere particuliere qui la rend propre à plusieurs usages, surtout à écrire & à relier les livres. Voyez ECRITURE & RELIURE.
Ce mot vient du latin pergamena, ancien nom de cette manufacture, qu'on dit lui être venu de la ville de Pergame, & dont l'invention est attribuée à Eumenès qui en étoit roi ; quoiqu'à dire vrai, ce prince semble plutôt avoir perfectionné qu'inventé le parchemin ; car les anciens Perses, suivant Diodore, écrivoient toutes leurs histoires sur des peaux, & les anciens Ioniens, au rapport d'Hérodote, se servoient de peaux de moutons & de chevres pour écrire, même plusieurs siecles avant le tems d'Eumenès : nous ne devons pas douter que ces peaux ne fussent préparées pour l'usage auquel on les destinoit, de la même maniere que notre parchemin, quoique probablement avec moins d'art. Voyez Diodore de Sicile, liv. II. pag. 84. Hérod. liv. V. Prid. Connect. part. I. liv. VII. pag. 708.
Le parchemin est ébauché par le tanneur, & fini par le parcheminier ; cela forme un article très-considérable du commerce de la France ; il se fabrique dans la plûpart de ses villes, & indépendamment de la consommation qu'elle en fait au-dedans, elle en envoie une grande quantité au-dehors, sur-tout en Angleterre, en Flandre, en Hollande, en Espagne, & en Portugal.
Celui qu'on appelle parchemin vierge, & que le peuple superstitieux croit être fait de la coëffe dans laquelle sont enveloppés les enfans dans le sein de leur mere, n'est rien autre chose qu'un parchemin plus fin & plus mince que le reste, & qui est propre pour de certains usages, comme pour les éventails, &c. il est fait de peau d'agneau ou de chevreau avortés. Voyez l'article VIERGE.
Maniere de fabriquer le parchemin. Le parchemin est une peau de bélier, mouton, ou brebis, ou quelquefois même de chevre, apprêtée de façon qu'on peut l'employer à différens usages, mais principalement à écrire & à couvrir des livres, registres, &c. L'usage du parchemin est beaucoup plus ancien que celui du papier, & avant l'invention de l'Imprimerie tous les livres s'écrivoient à la main ou sur du parchemin, ou sur du vélin. Le vélin est une espece de parchemin qu'on nomme ainsi, parce qu'il est fabriqué de la peau d'un veau mort-né, ou de celle d'un veau de lait ; mais il est beaucoup plus fin, plus blanc, & plus uni que le parchemin fait avec la peau de mouton ou celle d'une chevre. Les peaux destinées à fabriquer le vélin reçoivent les mêmes façons que le parchemin, à l'exception cependant qu'elles ne passent point par la chaux. On se sert du vélin pour écrire des livres d'église, pour dessiner des généalogies & des plans ; on peint aussi dessus en mignature, on y imprime des images ; enfin on l'emploie encore quelquefois à couvrir de petits livres rares & qu'on estime. Le vélin se fabrique dans les mêmes endroits que le parchemin, c'est-à-dire qu'il est du ressort du parcheminier à qui celui-ci donne la derniere main comme au parchemin ; mais comme l'une & l'autre de ces peaux passent avant par les mains du mégissier qui les dispose & qui leur donne en quelque sorte les façons principales, nous allons en donner un précis, renvoyant pour plus grand éclaircissement à l'article de la Mégisserie.
Aussi-tôt que les peaux ont été levées de dessus les béliers, moutons ou brebis, on les met tremper dans la riviere pendant un jour ou environ, puis on les lave bien afin d'en faire sortir le sang caillé & de nettoyer la laine, après quoi on les laisse égoutter. Lorsqu'elles sont bien égouttées on les étend les unes sur les autres, observant que la laine soit dessous, desorte que le côté de la chair se trouve toujours dessus. Après avoir ainsi arrangé les peaux, on prend un fourgon qui est une espece de bâton, long d'environ trois piés, au bout duquel sont attachés plusieurs petits morceaux de peau en forme de vadrouille que l'on trempe dans de la chaux vive détrempée dans l'eau, & avec quoi on enduit les peaux les unes après les autres, faisant passer le fourgon sur toutes leurs parties, mais seulement du côté de la chair, & à mesure qu'elles sont ainsi barbouillées de chaux, on les plie en deux sur leur longueur la laine en-dehors, & on les empile ainsi pliées les unes sur les autres ; cette façon s'appelle mettre en chaux. Lorsque les peaux n'ont point séché en laine depuis qu'elles ont été levées de dessus les moutons, il suffit de les laisser huit à dix jours en chaux ; mais il faut qu'elles y restent au moins quinze dans les cas où elles auroient séché en laine, vû que la chaux qu'on ne met que pour disposer la laine à quitter plus facilement la peau, agiroit alors beaucoup plus lentement. Les peaux ainsi empilées & enduites de chaux ayant passé le tems que nous venons d'indiquer, on les jette dans l'eau courante, & on les lave jusqu'à-ce que la chaux en soit totalement séparée, & que la laine soit bien nette ; on les met ensuite égoutter en les étendant sur une espece de treteau, & lorsqu'elles sont à demi-seches, on les pose sur le chevalet, afin de les dépouiller de leur laine, ce qui se fait en passant sur toutes leurs parties un bâton rond destiné à cet usage, & qu'on appelle peloire. Avant que de peler ainsi les peaux, on coupe quelquefois la pointe de la laine avec de grands ciseaux, & on la sépare en différens monceaux suivant sa différente qualité. Aussi-tôt que les peaux ont été pelées, on les lave à la riviere afin de les nettoyer, on les laisse ensuite égoutter quelque tems ; après quoi on les met dans un mort-plein, c'est-à-dire dans un plein qui a servi & dont la chaux a presque perdu toute sa force ; on les laisse dans ce mort-plein environ vingtquatre heures ; d'où on les retire ensuite pour les mettre égoutter sur le plein, & c'est ce qu'on appelle laisser les peaux en retraite. Deux jours après que les peaux sont sorties du mort-plein, on les plonge dans un autre plein dont la chaux est moins usée, on les y laisse environ deux ou trois jours, après lesquels on les retire pour les mettre en retraite égoutter comme auparavant, & c'est pendant ce tems qu'on pance le plein, c'est-à-dire qu'on le remue afin que la chaux se délaye bien, & qu'elle ne s'amasse point au fond, on en ajoûte même alors de nouvelle, s'il en est besoin, on les replonge ensuite dans le plein, on réitere cette opération pendant six semaines ou deux mois seulement, pendant les chaleurs de l'été ; mais en hiver il faut les faire passer successivement de plein en plein au-moins pendant trois mois.
Lorsque les peaux ont été suffisamment plamées & qu'elles ont été bien lavées, le mégissier les étend les unes après les autres sur la herse afin de les faire passer par le travail à mouiller ; on appelle herse une espece de grand cadre composé de quatre pieces de bois, savoir deux montans & deux traverses : les deux montans ont environ cinq piés de longueur, trois pouces d'épaisseur, & quatre de largeur ; les deux traverses portent trois piés à trois piés & demi de long, sont de même largeur que les montans, mais elles n'ont tout-au-plus que 2 pouces d'épaisseur ; ces pieces de bois sont emmortoisées l'une dans l'autre par les angles, & sont percées dans leur longueur de trous dans lesquels on passe des chevilles de bois qu'on tourne pour serrer & desserrer selon le besoin, à peu près comme aux instrumens à corde ; ces trous sont à environ quatre pouces de distance les uns des autres.
Pour étendre les peaux sur la herse il faut y faire de petits trous tout-autour, puis passer une petite broche de bois dans deux de ces trous, & continuer ainsi dans toute la circonférence de la peau, observant de faire passer toujours la même broche dans deux trous afin que la peau ne fasse aucun pli, & s'étende plus également ; c'est à ces petites broches qu'on attache une ficelle que l'on noue ensuite aux chevilles de la herse, desorte que lorsqu'on tourne ces chevilles, les ficelles se roidissent, & la peau s'étend de tous les côtés. La peau étant ainsi comme encadrée & tendue sur la herse comme la peau d'un tambour, l'ouvrier l'écharne avec un instrument d'acier très-tranchant qu'il fait passer sur toutes ses parties, du côté où étoit la chair, afin d'enlever celle qui se trouve toujours attachée à la peau lorsqu'on en dépouille l'animal, après quoi il la frotte avec un torchon mouillé, jusqu'à ce qu'elle soit imbibée d'eau, puis il seme dessus du groizon, qui est une espece de pierre blanchâtre réduite en poudre, & avec un bloc de pierre ponce plat par-dessus, il acheve d'enlever le reste de la chair, en faisant passer cette pierre sur toutes les parties de la peau, comme s'il vouloit broyer le groizon qu'il a semé dessus ; lorsque toute la chair est exactement enlevée de dessus la peau, l'ouvrier passe de nouveau le fer par-dessus, puis il la mouille une seconde fois avec le torchon, mais sans la saupoudrer de groizon, & la frotte ensuite avec le bloc de pierre-ponce afin d'adoucir la peau de ce côté & de la rendre égale dans toute son étendue, après quoi il en fait sortir l'eau en passant le fer dessus, & l'appuyant fortement sans cependant en rien enlever, & c'est ce qu'on appelle égoutter la peau ; comme il est très-essentiel qu'elle soit bien égouttée, vû que c'est cette opération qui la rend plus blanche, l'ouvrier passe alors le fer par-dessous, c'est-à-dire du côté où étoit la laine, & par le moyen des chevilles de la herse qu'il tourne, il bande la peau plus fort qu'elle n'étoit & passe encore le fer du côté de la chair afin de l'égoutter entierement ; lorsque le fer, quelque fort qu'on le passe sur la peau, ne fait plus sortir d'eau, & que par conséquent elle est bien égouttée, on y seme une seconde fois du groizon, & avec une peau d'agneau garnie de sa laine, on la frotte en conduisant le groizon & le faisant passer sur toutes les parties de la peau ; c'est cette opération qui acheve d'ôter à la peau toutes les petites inégalités que le fer avoit pu laisser, & lui donne cette fleur blanche qu'on apperçoit sur toute sa superficie.
Lorsque la peau a reçu toutes les façons qu'on vient de détailler & qu'on appelle, comme nous avons dit ci-dessus, le travail à mouiller, on la laisse secher étendue sur la herse, & quand elle est suffisamment seche, on la coupe tout-autour avec un couteau, le plus près qu'il est possible des trous où étoient passées les petites broches, afin qu'il n'y ait point de perte, c'est en cet état qu'on l'appelle du parchemin en cosse ou en croute ; les Mégissiers le livrent ainsi préparé aux Parcheminiers, & le leur envoyent en paquets de trente-six peaux chacun qu'on nomme des bottes de parchemin.
Le parchemin ayant été commencé par le mégissier de la façon que nous venons de détailler, le parcheminier l'acheve de la maniere qui suit. Il attache sur une herse semblable à celle dont se servent les Mégissiers, une peau de veau de la même façon que ceux-ci attachent leurs peaux de moutons ; cette peau s'appelle le sommier, & est fortement tendue par le moyen des chevilles placées autour de la herse, de distance en distance, comme nous l'avons expliqué ci-dessus ; cette peau de veau se couvre ensuite d'une peau de parchemin en croute bien unie, attachée tout-autour & fortement tendue comme la premiere, cette seconde peau s'appelle le contre-sommier ; l'une & l'autre servent de soutien à la peau que le parcheminier se dispose d'apprêter. La herse étant ainsi préparée, l'ouvrier étend dessus une peau qu'il attache par le haut avec un morceau de bois plat par un bout & arrondi par l'autre, & assez semblable pour la grosseur & pour la forme à la molette dont on se sert pour broyer les couleurs ; une rainure profonde de trois pouces & large d'un doigt, pratiquée dans le milieu, du côté qui est applati, & qui le traverse dans toute sa longueur, sert à retenir la peau qui se trouve saisie dans cette rainure avec le sommier & le contre-sommier ; le dedans de cette rainure ou mortaise est garni & comme rembourré d'un morceau de parchemin, afin que cet instrument contienne la peau davantage, & que le fer qu'on passe dessus à force de bras, ne la puisse faire glisser ; on nomme cet instrument un clan ou un gland, nom qu'on lui a peut-être donné de sa forme qui approche effectivement assez de celle d'un gland.
La peau étant ainsi bien contenue & appuyée sur le sommier & le contre-sommier, l'ouvrier la rature à sec avec un fer semblable à celui dont se servent les Mégissiers, à l'exception cependant qu'il est plus fin & plus tranchant ; ce fer porte environ 10 pouces de longueur sur 7 de largeur, & ressemble assez à une beche qui n'auroit point de manche & dont les côtés seroient tant-soit-peu arrondis ; le fil de son tranchant est un peu recourbé afin qu'il morde davantage ; pour se servir de ce fer on l'enchâsse par le dos dans une hoche pratiquée dans un morceau de bois long de douze à quinze pouces, tourné en forme de bobine, un peu plus enflé vers son milieu qui est l'endroit où se trouve la hoche qui enferre l'outil : cette hoche ou rainure est garnie en-dedans d'un petit morceau de parchemin simple ou double, afin que l'outil soit mieux assujetti & qu'il ne vacille point ; les deux bouts de ce morceau de bois servent de poignée, celui d'en-haut que l'ouvrier tient de la main gauche est un peu plus court que l'autre, desorte que cette main dont l'action est de pousser le fer de haut en bas, est d'autant plus sure de son coup qu'elle est plus proche de l'outil ; on fait passer ce fer à force de bras depuis le haut de la peau jusqu'en bas, & on enleve à plusieurs reprises environ la moitié de son épaisseur, tant du côté de la fleur que du côté du dos ; la peau ayant été ainsi raturée à sec sur toute sa superficie, & le plus également qu'il a été possible, on la leve de dessus la herse, & on l'étend sur une espece de banc long de trois piés, large de quinze à dix-huit pouces, couvert dans le milieu d'une peau de parchemin rembourrée, & que l'on nomme selle à poncer, parce que c'est effectivement sur ce banc qu'on fait passer la pierre-ponce sur les deux côtés de la peau, afin d'en faire disparoître toutes les petites inégalités que le fer auroit pu laisser & de l'adoucir : la façon de raturer les peaux à sec sur le sommier est la plus difficile de toutes celles que l'on donne au parchemin : & il est même surprenant comment le parcheminier peut, sans couper la peau, faire couler dessus du haut en bas, en appuyant de toutes ses forces un fer qui coupe comme un rasoir, & dont le tranchant recourbé devroit faire une incision à la peau aussi-tôt qu'on le pose dessus, ce qui arrive cependant très-rarement.
Aussi-tôt que le parchemin est poncé, l'ouvrier lui met sa marque particuliere, & alors il est en état d'être vendu. On le livre ou à la botte contenant trente six peaux, ou au cent en compte ; on se sert de parchemin dans toutes les expéditions de justice, mais pour-lors il faut qu'il soit équarrié, c'est-à-dire coupé sous la regle de différentes grandeurs, suivant les différens usages auxquels il est destiné.
Pour les quittances de ville il doit porter six pouces huit lignes de longueur sur quatre pouces & neuf lignes de largeur.
Pour les quittances de tontine, il doit avoir huit pouces de long sur six de large.
Pour brevets d'apprentissage dix pouces & demi de longueur sur sept de largeur.
Les feuilles du parlement pour procédures portent neuf pouces & demi de longueur & sept & demi de largeur.
Les feuilles du conseil ont dix pouces & demi de long sur huit de large.
Les feuilles de finance qui servent aux contrats, soit de mariage, soit de rente, doivent porter douze pouces & demi de long & neuf & demi de large.
Pour la grande chancellerie on se sert de demi-peaux longues de dix-huit pouces & larges de dix.
Enfin pour les lettres de grace on employe des peaux entieres & équarriées, longues de deux piés deux pouces environ, & larges d'un pié huit pouces. Voyez dans nos Planches de Parcheminier, les figures des outils mentionnés dans cet article, & la représentation des principales manoeuvres.
La regle dont l'ouvrier se sert porte trois piés & demi de longueur, trois pouces de largeur, & trois lignes d'épaisseur ; elle est bordée des deux cotés d'une petite bande de fer qui y est attachée avec de petites pointes à tête perdue, afin que la direction du couteau n'en soit point arrêtée, il pose un genou sur un bout de la regle, qu'il contient par l'autre bout avec sa main, & avec un couteau dont la lame a cinq pouces de longueur & un & demi de largeur, il coupe le parchemin de telle grandeur qu'il est à propos, selon les différentes expéditions auxquelles il le destine ; le tranchant de ce couteau est droit depuis la sortie de son manche jusqu'au bout, comme aux couteaux ordinaires, mais le dos de la lame est arrondi par le bout & finit en pointe d'arc, son manche est environ long de quatre pouces ; les Parcheminiers le nomment couteau à rogner. Le parchemin dont on se sert dans les expéditions de justice & dont nous avons désigné les différentes grandeurs est timbré & marqué d'une marque particuliere à chaque fermier de chaque généralité du royaume, portant outre cela les armes du roi, le nom de la généralité & le prix qu'il doit être vendu ; selon qu'il est plus ou moins grand. On fait aussi du parchemin avec la peau d'un agneau mort-né, mais il est extrêmement mince & ne sert qu'aux ouvrages délicats, comme à faire des éventails ; on le nomme parchemin vierge ; quelques-uns croyent que cette espece de parchemin est fait de la coëffe que quelques enfans apportent en naissant ; mais c'est une erreur que la superstition a enfantée.
PARCHEMIN, RATISSURE DE, (Parcheminier) c'est la raclure du parchemin, ou plutôt cette superficie que les Parcheminiers enlevent de dessus les peaux de parchemin, en cosse ou en croute, lorsqu'ils les raclent à sec avec le fer sur le sommier, pour en diminuer l'épaisseur, afin de le mettre en état de recevoir l'écriture. Les Parcheminiers lui donnent aussi le nom de colle de parchemin, parce qu'elle sert à plusieurs ouvriers, pour faire une sorte de colle très-claire qu'ils employent dans leurs ouvrages. Ceux qui s'en servent le plus, sont les Manufacturiers d'étoffes de laine, pour empeser les chaînes de leurs étoffes ; les Papetiers, pour coller leur papier ; & les Peintres en détrempe ou peintres à la grosse brosse, pour faire tenir le blanc, l'ocre & les autres couleurs, dont ils impriment ou barbouillent les murailles & planchers. La colle de ratures qui se fait pour empeser dans les manufactures les chaînes de serges, doit bouillir pendant environ deux heures, & ensuite se passer dans un tamis ; pour une chaîne de dix à douze livres, il faut environ un seau d'eau & une livre de rature.
Pour faire la colle de parchemin, il faut faire bouillir la rature dans de l'eau claire, plus ou moins de tems, suivant que l'on veut qu'elle soit plus ou moins forte par rapport à l'usage qu'on en veut faire, & ensuite la passer ou couler à-travers une chausse, drapeau ou tamis. Dictionn. de Comm.
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PARCHEMINIER | S. m. (Commerce) ouvrier & marchand qui achete des Mégissiers le parchemin en croûte, & le prépare ensuite pour le mettre en état de recevoir l'écriture, en en ratissant la superficie sur le sommier avec un fer tranchant.
A Paris, les parcheminiers forment une communauté, dont les statuts ont été dressés en 1545 & 1550. sous les regnes de François I. & Henri II. & depuis ont été augmentés par Louis XIV en 1654.
Ces statuts portent entr'autres choses, que nul ne sera reçû maître Parcheminier s'il n'a fait quatre ans d'apprentissage, servi les Maîtres trois ans en qualité de compagnon, & fait chef-d'oeuvre.
Que les fils de maîtres sont exempts de l'apprentissage & du chef-d'oeuvre, & sont reçûs sur le certificat de capacité que leur donneront les Maîtres chez qui ils auront travaillé.
Que les Compagnons qui épousent des veuves ou filles de maîtres, peuvent être reçus sans chef-d'oeuvre, pourvû qu'ils aient fait leur apprentissage.
La communauté des Parcheminiers est régie par deux maîtres, jurés, qu'on renouvelle tous les deux ans, & qui prêtent le serment par-devant le procureur du roi du châtelet.
Quand ces Jurés veulent aller en visite, ils sont obligés de se faire assister par quatre maîtres-jurés Parcheminiers de l'université, qui sont des Parcheminiers distingués qui agissent sous les ordres du recteur dont ils ont pris des lettres.
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PARCHIM | (Géog. mod.) ville d'Allemagne, capitale d'un bailliage dans le cercle de la basse-Saxe, au duché de Meckelbourg, sur l'Elbe. Long. 29. 50. lat. 53. 36. (D.J.)
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PARCHONNIER | S. m. (Jurisprud.) est dit par corruption dans certaines coutumes pour personnier. Voyez ci-après PERSONNIER ; on dit aussi PARTHONNIER.
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PARCLOSES | S. f. (Marine) ce sont des planches qu'on met à fond de cale sur les pieces de bois nommées vitonnieres ; ces planches sont mobiles, & elles se levent quand on veut voir si rien n'empêche le cours des eaux qui doivent aller à l'archipompe.
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PARCOURIR | v. n. (Gramm.) c'est visiter rapidement, j'ai parcouru cette contrée. Quelquefois, l'idée accessoire de rapidité ne s'y joint pas, mais celle au contraire d'exactitude. Parcourir un écrit, c'est y donner un coup d'oeil rapide. Pour juger sainement un ouvrage, il ne suffit pas d'en parcourir les feuillets. On dit, j'ai parcouru des yeux l'assemblée, sans y découvrir celle que j'y desirois.
PARCOURIR les coutures & changer les étoupes, (Marine) c'est les visiter pour calfater où il en est besoin.
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PARCOURS | S. m. (Droit féodal) c'est société, usance & coutume ; ce vieux mot que l'on trouve dans quelques coutumes, signifie société, union, entre certaines villes & certains villages. Le parcours est, selon Ragueau, une ancienne société entre les villes & pays de divers seigneurs, pour la commodité du commerce. Pithou dans ses mémoires a dit ; quant au droit de société, qui a été autrefois entre quelques pays & villes de ce royaume, étant alors sous divers seigneurs pour la commodité du commerce ; il étoit appellé droit de marche, de parcours & entrecours, & non de pariage, comme aucuns ont voulu dire, dont nous avons exemple au parcours ancien de Champagne & de Barrois, &c.
Chopin, dans son traité du Domaine, a fait mention d'une ancienne transaction passée entre l'abbé de Mousson & le duc de Réthel, par laquelle les sujets furent liés & associés les uns avec les autres, & le parcours des hommes d'une seigneurie à l'autre.
Quand le parcours ou l'entrecours, dit M. de Lauriere, étoit fait entre deux seigneurs qui avoient droit de souveraineté, c'étoit une société au moyen de laquelle, les sujets d'un de ces seigneurs pouvoient librement & sans danger de tomber dans la servitude de corps, se venir établir dans l'état de l'autre. Le parcours contracté entre deux seigneurs, étoit fait ou au sujet de leurs étagiers & de leurs hommes de corps, ou des bestiaux de leurs sujets. Quand il concernoit les hommes de condition servile, c'étoit une société au moyen de laquelle l'étagier & l'homme de corps d'un seigneur, pouvoit aller s'établir dans le fief & la justice d'un autre, & prendre femme de sa condition dans la terre de l'autre seigneur, sans danger de formariage. Le parcours pour les bestiaux étoit une société entre deux seigneurs ou deux villages, au moyen de laquelle les sujets de l'un pouvoient mener paître leurs bestiaux dans les vains pâturages de l'autre ; ce parcours est encore en usage. Voyez les coutumes du comté de Bourgogne. De Lauriere. (D.J.)
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PARDALION | (Hist. nat.) quelques auteurs ont employé ce nom pour désigner une agate semblable à la peau d'une panthere.
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PARDAOS | PARDAOS
Ces pardaos ou piastres, car la réale de huit & la piastre sont la même chose, ont un certain prix fixe, au-dessous duquel elles ne baissent jamais ; mais elles haussent assez considérablement, lorsque quelquefois les négocians en veulent amasser des parties considérables pour envoyer à la Chine, où elles sont fort estimées ; on les échange avec de l'or.
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PARDENE | (Géog. anc.) contrée de la Gédrosie ; on donnoit le nom de pardene à tout le milieu de la Gédrosie, selon Ptolomée, l. VI. c. xxj. (D.J.)
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PARDIGLIO | S. m. (Hist. nat.) nom donné par Imperatus à un marbre d'un gris de cendre qui a aussi été nommé marmor palumbinum.
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PARDON | EXCUSE, (Synon.) on fait excuse d'une faute apparente ; on demande pardon d'une faute réelle ; l'un est pour se justifier & part d'un fond de politesse : l'autre est pour arrêter la vengeance, ou pour empêcher la punition, & désigne un mouvement de repentir ; le bon esprit fait excuse facilement ; le bon coeur fait pardonner promptement. Girard.
PARDON, en terme de Droit canon & de Théologie ; est une indulgence que le pape accorde pour la rémission des peines temporelles dûes au péché, & qui doivent être expiées en cette vie par la pénitence, ou en l'autre par les peines du purgatoire. Voyez INDULGENCE & PURGATOIRE.
Le tems célebre pour les pardons est celui du jubilé. Voyez JUBILE.
Pardon se disoit aussi autrefois de la priere que nous nommons l'angelus, & qu'on récite au son de la cloche, le matin, à midi & le soir, en l'honneur de la sainte Vierge, pour obtenir les indulgences attachées à la récitation de cette priere ; c'est pourquoi on lit dans quelques auteurs sonner le pardon pour l'angelus. Voyez ANGELUS.
Pardon, venia, dans les anciens auteurs anglois signifie la maniere de demander pardon à Dieu en se mettant à genoux, ou plutôt une prosternation qui étoit en usage parmi les pénitens. Voyez GENUFLEXION.
C'est ainsi qu'on lit dans Walsingham, pag. 196. rege interim prostrato in longâ veniâ ; & ailleurs ce vers du tems.
Per venias centum verrunt barbis pavimentum.
PARDON, (Théolog.) Les Juifs ont une fête qu'ils appellent jomhacchipout, c'est-à-dire le jour de pardon, qui se célebre le dixieme du mois Tisri, qui répond à notre mois de Septembre : elle est ordonnée au Lévit. ch. xxiij. vers. 27. où il est dit, au dixieme de ce septieme mois, vous affligerez vos ames, &c. Pendant ce jour-là toute oeuvre cesse, comme au jour du sabbat, & l'on jeûne sans manger quoique ce soit.
Léon de Modene remarque, que les Juifs pratiquoient autrefois une certaine cérémonie la veille de cette fête, qui consistoit à frapper trois fois la tête d'un coq en vie, & de dire à chaque fois, qu'il soit immolé au lieu de moi, laquelle cérémonie se nommoit chappara, expiation ; mais elle ne s'observe plus en Italie & au Levant, parce qu'on a reconnu que c'étoit une superstition. Ils mangent beaucoup cette même veille, à cause qu'il est jeûne le lendemain. Plusieurs se baignent & se font donner les trente-neuf coups de fouet nommés malcuth : ceux qui retiennent le bien d'autrui, quand ils ont quelque conscience, le restituent alors. Ils demandent pardon à ceux qu'ils ont offensés ; ils font des aumônes, & généralement tout ce qui doit accompagner une véritable pénitence. Après souper plusieurs se vêtent de blanc, & en cet état sans souliers, ils vont à la synagogue qui est fort éclairée ce soir-là de lampes & de bougies. Là, chaque nation, selon sa coutume, fait plusieurs prieres & confessions pour marquer sa pénitence, ce qui dure au-moins trois heures ; après quoi on va se coucher. Il y en a quelques-uns qui passent toute la nuit dans la synagogue, priant Dieu & récitant des pseaumes. Le lendemain dès le point du jour, ils retournent tous à la synagogue, habillés comme le jour précédent, & y demeurent jusqu'à la nuit, disant sans interruption des prieres, des pseaumes, des confessions, & demandant à Dieu qu'il leur pardonne les péchés qu'ils ont commis. Lorsque la nuit est venue, & que l'on découvre les étoiles, on sonne d'un cor pour marquer que le jeûne est fini : après quoi ils sortent de la synagogue, & se saluent les uns les autres, ils se souhaitent une longue vie. Ils bénissent la nouvelle lune, & étant de retour chez eux, ils rompent le jeûne & mangent. Voyez Léon de Modene, traité des cérémonies des Juifs, part. III. ch. vj. Voyez aussi TROMPETTES.
PARDON, s. m. (Discipl. ecclés.) ce mot signifie l'indulgence que le pape accorde aux Chrétiens pour leurs péchés, moyennant qu'ils aillent à une telle église, à une telle station, &c. Voyez INDULGENCE.
Pasquier se récrie fortement contre le droit que le pape s'attribue, de distribuer des indulgences & des pardons pour les péchés : voici ses propres termes qui regardent les tems de Léon X, & le passage est singulier.
" Ceux, dit-il, qui commandoient aux opinions de Léon X, pape, facile & débonnaire, mettant l'honneur de Dieu sous piés, lui firent exercer libéralité de ses deniers, tirés des pardons, envers une sienne soeur qui en eut le plus grand chanteau, comme nous apprenons de Guichardin, puis envers un, & autres princes....
Alors se tourna le grand pardon en parti, se trouvant quelques prélats, principaux entrepreneurs qui faisoient la maille bonne, sous lesquels y avoit quelques partisans qui savoient ce qu'ils leur devoient rendre pour les provinces qui leur étoient départies.
La procédure que ces messieurs observoient allant faire leurs quêtes, étoit de commencer en chaque paroisse par une procession sous la conduite du curé, ou de son vicaire, suivie d'une célébration de grand'messe du S. Esprit, qui se fermoit par le sermon d'un charlatan, lequel étaloit aux paroissiens de quel fruit étoit le mérite de ce grand pardon, tant aux vivans qu'aux morts, selon le plus ou le moins qu'on contribueroit de deniers ; & lors le pauvre peuple ouvroit sa bourse à qui mieux, pour participer à un si riche butin. Ce fut un or pire que celui de Toulouse, qui causoit seulement la mort à ceux qui le manioient....
Quelques prêcheurs d'Allemagne n'oublierent de se déborder contre cet abus, & sur-tout Martin Luther, religieux de l'ordre de S. Augustin, s'en acquitta dedans la ville de Wittemberg, pays de Saxe, soutenant qu'il n'étoit en la puissance du pape de distribuer des indulgences & pardons. Quelques écoliers sous la qualité de théologiens, soutinrent la querelle du pape, donnant sujet à un moineau de se faire aigle aux dépens de la réputation du S. Siege, & entr'autres un frere Prierias de l'ordre de S. Dominique, demeurant à Rome, se mit sur les rangs ; tellement que deux moines, l'un augustin, l'autre jacobin, entrent en lice, s'attachant aux extrémités ; celui-là voulant terrasser la grandeur du pape, & la réduire au pié des autres évêques & au-dedans de leurs limites ; & celui-ci, au contraire, lui donnant toute puissance & autorité, non-seulement sur les patriarches, archevêques & évêques, mais aussi sur le concile général & oecuménique. Qu'il lui suffisoit de dire, s'il me ploist, il me loist ; c'est-à-dire s'il me plaît, il m'est loisible ; & qu'il falloit considerer, non ce que les papes font, mais ce qu'ils sont ".
Après cela, passant aux désordres de la discipline ecclésiastique & bénéficiale ; Pasquier conclut ainsi cette longue & notable épître : " & nous, au milieu de cette générale débauche, nous pensons exterminer l'hérésie, par nos écrits & nos cris.... c'est faire gerbe de fouarre à Dieu, que de le croire ". (D.J.)
PARDON, (Jurisprud.) est la grace que le prince accorde à celui qui est accusé d'un crime pour lequel il n'échet pas peine de mort, & qui néanmoins ne peut être excusé, comme quand quelqu'un s'est trouvé dans une voie où il est arrivé mort d'homme. Voyez l'ord. de 1670. tit. 16. art. iij. & Voyez LETTRES DE PARDON. (A)
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PARDONNABLE | adj. (Gramm.) qu'on peut pardonner ; il se dit d'une action dont on trouve l'excuse dans les circonstances qui l'ont, ou précédées ou accompagnées, ou suivies.
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PARDONNER | v. act. c'est remettre le châtiment, sacrifier son ressentiment & promettre l'oubli d'une faute. On pardonne la chose, on pardonne à la personne.
Il y a des qualités qu'on pardonne plus difficilement que des offenses.
Il faut bien de la modestie, bien de l'attention, bien de l'art pour arracher aux autres le pardon de la supériorité qu'on a sur eux.
On se pardonne si souvent à soi-même, qu'on devroit bien pardonner quelquefois aux autres.
Des hommes qui ont fait un sot ouvrage, que des imbécilles éditeurs ont achevé de gâter, n'ont jamais pû nous pardonner d'en avoir projetté un meilleur. Il n'y a sorte de persécutions que ces ennemis de tout bien ne nous ait suscitées. Nous avons vû notre honneur, notre fortune, notre liberté, notre vie compromises dans l'espace de quelques mois. Nous aurions obtenu d'eux le pardon d'un crime, nous n'en avons pû obtenir celui d'une bonne action.
Ils ont trouvé la plûpart de ceux que nous n'avons pas jugés dignes de coopérer à notre entreprise, tout disposés à épouser leur haine & leur jalousie.
Nous n'avons point imaginé de vengeance plus cruelle de tout le mal qu'ils nous ont fait, que d'achever le bien que nous avions commencé.
Voilà l'unique espece de ressentiment qui fût digne de nous.
Tous les jours ils s'avilissent par quelques nouveaux forfaits ; je vois l'opprobre s'avancer sur eux.
Le tems ne pardonne point à la méchanceté. Tôt ou tard, il en fait justice.
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PARÉ | adj. (Gramm.) voyez PARER, v.
PARE, adj. (Jurisprud.) du latin paratus, se dit de ce qui est prêt à recevoir son exécution comme un titre paré, c'est-à-dire exécutoire. Voyez TITRE PARE. (A)
PARE, (Marine) c'est-à-dire prêt à faire quelque chose, ou à être manoeuvré, ou à se battre.
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PARE A VIRER | (Marine) c'est un commandement que le capitaine fait à l'équipage, & qu'il répete deux fois à haute voix, quand on est prêt à changer de bord, afin que chacun se prépare à faire comme il faut la manoeuvre de revirement.
Pare à carguer. Parer un banc, parer un danger ; c'est éviter un banc : on dit nous fîmes nord-est pendant quatre horloges pour parer le banc.
Se parer. C'est agir pour se tenir prêt & en état. Nous apperçûmes deux navires au vent à nous, qui avoient le cap sur nous, ce qui fit que nous virâmes pour nous parer.
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PARÉAS | PERRÉAS ou PARIAS, (Hist. mod.) on désigne sous ce nom parmi les habitans idolâtres de l'Indostan, une classe d'hommes séparée de toutes les autres, qui est l'objet de leur horreur & de leur mépris. Il ne leur est point permis de vivre avec les autres ; ils habitent à l'extrémité des villes ou à la campagne, où ils ont des puits pour leur usage où les autres Indiens ne voudroient jamais aller puiser de l'eau. Les Paréas ne peuvent pas même passer dans les villes par les rues où demeurent les Bramines. Il leur est défendu d'entrer dans les temples ou pagodes, qu'ils souilleroient de leur présence. Ils gagnent leur vie à ensemencer les terres des autres, à bâtir pour eux des maisons de terre, & en se livrant aux travaux les plus vils. Ils se nourrissent des vaches, des chevaux & des autres animaux qui sont morts naturellement, ce qui est la principale source de l'aversion que l'on a pour eux. Quelque abjects que soient les Paréas, ils prétendent la supériorité sur d'autres hommes que l'on nomme Scriperes, avec qui ils ne veulent point manger, & qui sont obligés de se lever devant eux lorsqu'ils passent, sous peine d'être maltraités. Ces derniers sont appellés Halalchours à Surate, nom si odieux que l'on ne peut faire une plus grande insulte à un banian que de le lui donner. Ce mot signifie un glouton, ou un homme qui mange tout ce qu'il trouve.
PAREAS, s. m. (Hist. nat. Ophyolog.) nom d'un serpent qu'on trouve en Syrie. Il est tantôt de couleur d'airain, tantôt de couleur noirâtre. La morsure n'en est pas mortelle, & elle est seulement suivie d'inflammation.
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PARÉATIS | S. m. (Jurisprud.) est un terme purement latin, qui signifie obéissez ; ce terme étoit de style dans les mandemens ou commissions que l'on observoit en chancellerie, pour pouvoir mettre à exécution un jugement hors du territoire ou ressort du juge, dont ce jugement étoit émané depuis l'ordonnance de 1539, qui a enjoint de rédiger en françois tous les actes publics ; on a conservé dans le style françois le terme de paréatis, pour désigner ces sortes de mandemens ou commissions.
Il y a des paréatis du grand sceau, c'est-à-dire donnés en la grande chancellerie & scellés du grand sceau, & d'autres paréatis, qu'on appelle du petit sceau, qui se donnent dans les petites chancelleries.
Tous arrêts peuvent être exécutés dans l'étendue du royaume en vertu d'un paréatis du grand sceau, sans qu'il soit besoin de demander aucune permission aux cours de parlement, baillifs, sénéchaux & autres juges dans le ressort desquels on les veut faire exécuter.
Il est néanmoins permis aux parties & exécuteurs des arrêts de mettre ces arrêts à exécution hors l'étendue des parlemens & cours où ils ont été rendus, de prendre un paréatis du petit sceau, c'est-à-dire en la chancellerie du parlement où ils doivent être exécutés, & les gardes-sceaux des petites chancelleries sont tenus de les sceller, à peine d'interdiction sans entrer en connoissance de cause.
La forme d'un paréatis est telle : " Louis par la grace de Dieu, &c. au premier notre huissier ou sergent sur ce requis : te mandons à la requête de N. mettre à dûe & entiere exécution en tout notre royaume, pays, terres & seigneuries de notre obéissance l'arrêt rendu en notre cour de... le... jour de... ci attaché sous le contrescel de notre chancellerie contre tel y nommé, & faire pour raison de ce tous exploits & actes nécessaires, de ce faire te donnons pouvoir sans demander autre permission, nonobstant clameur de haro, charte normande, prise à partie, & autres lettres à ce contraires ; car tel est notre plaisir ", &c.
Les parties peuvent au lieu de paréatis prendre une permission du juge des lieux au-bas d'une requête. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. XXVII. art. vj.
On appelle paréatis rogatoire une commission du grand sceau, que l'on prend pour mettre à exécution un jugement hors de l'étendue du royaume : par cette commission, le roi prie tous rois, princes & potentats de permettre que le jugement émané de France soit mis à exécution dans leur souveraineté, comme il feroit s'il en étoit par eux requis ; & sur ce paréatis, le prince auquel on s'adresse en donne un pour permettre d'exécuter le jugement dans sa souveraineté.
Ces sortes de paréatis rogatoires ne sont pas en usage entre toutes sortes de princes, mais seulement entre ceux qui sont particulierement alliés, & qui se donnent de part & d'autre toutes les facilités possibles pour mettre à exécution dans une souveraineté un jugement rendu dans l'autre, sans que l'on soit obligé de faire juger de nouveau ; c'est ainsi que l'on en use entre la France & la principauté souveraine de Dombes, les jugemens émanés de chaque souveraineté s'exécutent dans l'autre sur un simple paréatis, qui s'accorde par le souverain sur le paréatis ou commission rogatoire donnée par l'autre souverain. (A)
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PAREAU | PAREAUX, PARRES, s. m. (Marine) c'est une sorte de grande barque des Indes, qui a le devant & le derriere fait de la même façon. On met indifféremment le gouvernail dans l'un & dans l'autre, quand il faut changer de bord.
Les parres sont des vaisseaux dont on se sert vers Ceilan, qui ont beaucoup de rapport aux cagues de Hollande. Ce sont des bâtimens de charge qui ne perdent point de vûe les côtes, on s'en sert principalement dans la Tutocosie, aux côtes de Malabar, où les habitans qui vivent de l'industrie qu'ils ont à pêcher les perles, s'appellent parnaes, à cause qu'ils vont à cette pêche avec cette sorte de bâtiment. Les corsaires de Malabar se servent aussi d'un bâtiment à rames, qu'ils nomment parc ou pareau ; ce peut bien être le même. (Z)
PAREAU, est, parmi les Ciriers, une espece de chaudiere profonde & étroite, assez semblable à une fontaine, sur-tout par son couvercle. Il y en a qui sont évasées par le haut, & sans couvercle. Ils servent à faire fondre la vieille cire.
PAREAUX, s. m. pl. (Pêcherie) ce mot signifie en terme de Pêcheurs de gros cailloux ronds, pesans & percés par le milieu, qu'ils attachent le long de la coulure d'en-bas du filet, qu'ils appellent une seine, afin de la parer quand ils l'ont jetté à l'eau, c'est-à-dire pour en arrêter le bas au fond, tandis que le haut flotte à cause des lieges qui le soutiennent. Dict. de Trévoux.
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PARECBASE | S. f. (Rhétor.) , ce terme signifie l'exagération d'un crime, & non pas une digression au sujet de la question qu'on traite ; du-moins c'est l'idée de Vossius.
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PARECHESE | S. m. (Rhétor.) , répétition trop fréquente d'une même syllabe ; par exemple, perire me malis malim modis.
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PARECHIA | (Géog. anc.) ville ou bourg de l'Archipel, le principal de l'île de Paros, sur la côte occidentale vis-à-vis de l'île d'Antiparos. Parechia est bâtie sur les ruines de l'ancienne & fameuse Paros. Long. 43. 13. latit. 37. 3.
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PAREDRE | (Hist. d'Athènes) , les paredres étoient des gens consommés dans les affaires. Quand l'archonte, roi, ou le polémarque n'étoient pas, attendu leur jeunesse, aussi versés dans la connoissance des lois & des coutumes de leur pays qu'on pouvoit le desirer, chacun d'eux choisissoit deux personnes d'âge, de savoir & de réputation, pour siéger avec eux sur le banc & les diriger dans leurs jugemens. Ces paredres ou assesseurs étoient obligés de subir les mêmes épreuves que les autres magistrats, soit pour présider aux assemblées publiques, soit pour être admis dans le sénat. Il falloit en conséquence, après l'expiration de leur charge, qu'ils rendissent compte de leur conduite dans le poste qu'on leur avoit confié. Voyez Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 77. (D.J.)
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PARÉE | S. f. (Gramm. & Jurisprud.) voyez PARCOURS. On dit en prenant le mot parée dans un sens fort différent, une exécution parée ; alors parée pris adjectivement signifie que l'exécution peut servir à contraindre une personne sur le champ, & qu'elle aura son effet, nonobstant opposition quelconque.
PAREE, (Boucherie) la piece parée du boeuf est celle qui se leve à la tête de la surlonge.
PAREES, s. f. partie du fourneau à couler les gueuses. Voyez à l'article FORGES, GROSSES FORGES.
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PARÉGORIQUES | adj. (Médecine) les parégoriques, les épicerastiques & les anodins signifient le même ; ce sont des médicamens qui soulagent la douleur, la cause de la maladie : & la maladie même restant la même, ils produisent cet effet de trois manieres ; 1° par une faculté laxative qui relâche les pores de la peau & les ouvre, par ce moyen la douleur n'en est pas si grande, parce que la peau en est moins tendue ; 2° par une chaleur douce & tempérée, qui résout une portion de la matiere qui causoit une tension dans la partie ; 3° par l'aide de cette chaleur qui réveille la partie, la réchauffe & la remet à son premier état d'équilibre.
Les parégoriques s'ordonnent en linimens, en fomentations. Voyez FOMENTATION.
On les employe sur-tout dans les hémorrhoïdes, dans l'inflammation des parties, où les discussifs & les repercussifs n'ont pas lieu, on employe le lait tiede, l'eau de guimauve coupée avec le lait, &c.
On employe des cataplasmes dans les inflammations. Voyez CATAPLASMES.
On met au rang des parégoriques l'application des poulets, des poumons de mouton tout chaud, les chiens vivans ouverts, l'application de la flanelle trempée dans les fomentations de lait tiede & chaud. Voyez ANODIN, DOULEUR.
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PAREIL | adj. (Gramm.) terme de comparaison, qui excite l'idée de similitude : il se dit des personnes & des choses ; il n'a pas son pareil ; ces deux étoffes sont pareilles.
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PAREIRA-BRAVA | (Hist. nat. Bot.) racine médicinale du Brésil ; c'est la caapeba de Pison, butua, overo brutua Zanoni, butua lusitanica de Geoffroi ; convolvulus brasilianus, flore octopetalo, monacoceus de Ray, hist. II. 1331, &c.
C'est une racine ligneuse, dure, tortueuse, brune au-dehors, rude, toute sillonnée dans sa longueur & dans sa circonférence, comme la racine du thyméléa, d'un jaune obscur intérieurement, comme entrelacée de plusieurs fibres ligneuses ; de maniere qu'étant coupée transversalement, elle représente plusieurs cercles concentriques, coupés de beaucoup de rayons qui vont du centre à la circonférence ; elle est sans odeur, un peu amere, d'une saveur douce, à-peu-près semblable à celle de la reglisse, de la grosseur du doigt & quelquefois du bras d'un enfant.
Les Portugais nous apportent cette racine du Brésil, & ils disent que cette plante est une espece de vigne sauvage. Ils la vantent comme stomachique, cordiale, alexipharmaque, & même comme une panacée ; mais elle a de grandes vertus diurétiques, & elle convient dans plusieurs cas de coliques néphrétiques, & de suppression d'urine ; quand ces maladies viennent d'une lymphe muqueuse, qui engage les couloirs des reins, ou même d'un amas de grains de sable, unis en une masse par une viscosité qui se durcit avec le tems & forme le calcul, alors la racine pareira-brava, en atténuant & dissolvant cette mucosité, ouvre un chemin libre aux urines, sépare les grains de sable & les fait sortir avec les urines. Comme cette racine a la vertu de dissoudre la sérosité visqueuse & tenace, on ne sauroit douter qu'elle ne convienne dans les autres maladies qui naissent du même vice de sérosité, par exemple dans l'asthme humoral causé par une pituite gluante.
La maniere de s'en servir est de la couper par petits morceaux, d'en faire bouillir deux ou trois drachmes dans deux ou trois chopines d'eau, qu'on réduit à une ; on en fait prendre au malade attaqué de difficulté d'urine un verre de demi-heure en demi-heure dans un bain chaud, après des préparations de clysteres & quelquefois de saignées ; on ajoute à sa décoction une petite quantité de syrop des cinq racines apéritives ; cette décoction est encore excellente dans les coliques hépatiques, qui procedent d'une obstruction à l'orifice de la vésicule du fiel ; on en prend un verre de deux en deux heures ; enfin on ordonne utilement la même racine, mêlée avec le baume de copahu dans la gonorrhée après les autres remedes convenables.
Sa dose est jusqu'à demi drachme en substance, & demi-once en infusion ; il n'en faut pas donner une trop grande dose, parce qu'elle exciteroit de l'ardeur dans les reins, & pourroit y causer de l'inflammation.
Geoffroi parle d'une autre espece de pareira, qu'il nomme butua blanc ; c'est la pareirae species secunda de Lockn. Sched. 32. On reçoit aussi cette espece de pareira du Brésil ; c'est une racine dure, couverte d'une écorce plus molle que la précédente, spongieuse, de couleur de chair, ligneuse intérieurement, jaune comme la reglisse, d'un goût un peu amer ; ses vertus passent pour être les mêmes, mais plus foible que celle du butua brun.
M. Amelot, conseiller d'état, est le premier qui ait apporté la pareira en France au retour de son ambassade de Portugal en 1688, comme M. Nicot, ambassadeur dans le même royaume, fut le premier qui nous envoya le tabac, plante fétide & ammoniacale, qui n'a eu que trop de succès. (D.J.)
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PARÉLIE | S. m. voyez PARHELIE.
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PARELLE | (Botan.) voyez PATIENCE, Bot.
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PAREMBOLE | S. f. (Rhétoriq.) , figure de rhétorique, dans laquelle l'idée qui a du rapport au sujet est insérée au milieu de la période. Toute la différence qu'il y a entre la parembole & la parenthèse, selon Vossius, Rhetor. l. V. p. 334. est que la premiere se rapporte au sujet dont on parle, & que la derniere lui est étrangere. Virgile nous fournira un exemple de ces deux figures, savoir 1° de la parembole dans ces deux vers :
Aeneas (neque enim patrius consistere mentem
Passus amor) rapidum ad naves praemittit Achatem.
& 2° de la parenthèse dans ceux-ci.
Ipsique suos jam morte sub aegrâ
(Dî meliora piis, erroremque hostibus illum)
Discissos undis laniabant dentibus artus.
(D.J.)
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PAREMENT | S. m. (Archit.) c'est ce qui paroît d'une pierre ou d'un mur au-dehors, & qui, selon la qualité des ouvrages, peut être layé, traversé & poli au grès. Les anciens, pour conserver les arêtes des pierres, les posoient à paremens bruts, & les retailloient ensuite sur le tas.
Parement d'appui, on nomme ainsi les pierres à deux paremens, qui sont entre les alleges & qui forment l'appui d'une croisée, particulierement quand elle est vuide dans l'embrasure.
Parement de couverture, nom qu'on donne aux plâtres qu'on met contre les gouttieres, pour soutenir le battellement des suites d'une couverture.
Parement de menuiserie, c'est ce qui paroît extérieurement d'un ouvrage de menuiserie, avec cadres & panneaux, comme d'un lambris, d'une embrasure, d'un revêtement, &c. la plûpart des portes, guichets, des croisées, &c. sont à deux paremens. Il y a des assemblages, tels que les parquets qui sont arrasés en leur parement.
Parement de pavé, c'est l'assiette uniforme du pavé, sans bosses ni flaches. Daviler. (D.J.)
PAREMENT, (Coupe des pierres) est la surface de la pierre qui doit paroître après qu'elle est mise en place. C'est la doële dans les voûtes, & la doële & un joint de tête dans les plates-bandes & arcades. Le délit ou lit de pierre ne doit jamais être en parement ; c'est une malfaçon lorsque l'on en trouve. (D)
PAREMENT, s. m. (Manufact.) les Musquiniers ou Tisserans nomment ainsi une sorte de colle faite d'eau & de farine, dont ils enduisent les chaînes de leurs toiles lorsqu'elles sont montées sur le métier, ce qu'ils appellent les parer. Ce terme n'est guere en usage que dans la Picardie ; ailleurs on dit simplement coller la chaîne.
PAREMENS, (Comm. de bois ou triques de fagots) c'est une exploitation de bois de chauffage ; ce sont les plus gros morceaux de bois dont les bucherons ont coutume de parer les fagots qu'ils font, d'où leur est venu leur nom.
PAREMENS, en terme de Marchands de mode, sont, à proprement parler, les garnitures dont on décore le devant des robes & des jupons, soit en falbalas, soit en coquille. Voyez FALBALAS & COQUILLE.
PAREMENT, VOLANT, en terme de Marchand de mode, bandes d'étoffes, de réseaux d'or ou d'argent, attachées seulement par un bord, & qui se jouent sur l'habit au gré des vents & aux moindres mouvemens de la personne.
PAREMENT, terme de Rotisseur, c'est la graisse qui est autour de la panse d'un agneau, & qu'on étend proprement sur les quartiers de derriere pour leur donner plus de grace. (D.J.)
PAREMENT, (Tailleur) c'est l'extrémité de la manche, qui est repliée sur la manche même.
PAREMENT, terme de Fauconnerie & de Vénérie, ce mot en fauconnerie se dit des mailles & de la diversité des couleurs. En vénérie, on appelle parement de cerf une chair rouge, qui vient par-dessus la venaison du cerf des deux côtés du corps. (D.J.)
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PAREMPHIS | (Géog. anc.) ville d'Egypte, selon Etienne le Géographe ; elle est connue par une médaille, qui se trouve dans le trésor de Goltzius.
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PARENCHYME | S. m. en Anatomie, c'est une espece particuliere de substance différente de la chair, dont on supposoit anciennement que plusieurs parties du corps, comme le coeur, les poumons, le foie, la rate, les reins, &c. étoient formées. Voyez CHAIR.
Il est ainsi appellé du grec , effusion, c'est-à-dire engendré par collection ou condensation de sucs.
Erasistrate est le premier qui se soit servi de ce nom, s'imaginant que la substance de ces parties n'étoit pas vasculaire comme le reste, mais composée d'une masse ou d'un coagulum de sang, en stagnation dans les vaisseaux de ces parties. Mais les modernes rejettent cette opinion ; les observations faites par le moyen des microscopes & des injections &c. faisant voir que le coeur est un vrai muscle. Voyez COEUR ; les poumons & la rate, des grappes de vesicules membraneuses & de vaisseaux. Voyez POUMONS & RATE ; le foie & les reins, des amas de glandes, à-travers lesquelles la bile & l'urine se filtrent. Voyez FOIE & REINS.
PARENCHYME DE PLANTES, le Docteur Grew donne ce nom à la moëlle ou pulpe, ou à cette partie intérieure de la plante, à-travers de laquelle on suppose que le suc est distribué. Voyez PLANTE, MOELLE, &c.
Quand on le voit avec un microscope, il ressemble à la moëlle, ou plutôt à une éponge ; c'est une substance poreuse, fléxible & capable de dilatation. Voyez MEDULLA, MOELLE.
Ses pores sont sans nombre & extrêmement petits ; ils reçoivent autant d'humeurs qu'il en faut pour les remplir & les étendre : on suppose que c'est cette disposition de pores qui prépare la plante à la végétation & à l'accroissement. Voyez VEGETATION.
Le parenchyme est blanc d'abord, mais il change de couleur à proportion que la racine devient plus épaisse ; ainsi il devient jaune dans la racine de la parelle, & rouge dans celle de la bistorte. Voyez PLANTE.
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PARENÈSE | S. f. (Théologie) exhortations à la piété. Baillet divise les discours religieux en parénétiques, ascétiques & mystiques.
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PARENETA | (Géog. anc.) contrée d'Arménie, au pays des Chalybes, ou dans celui des Mossyneces ; c'est Strabon qui en parle, l. II. p. 528.
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PARÉNETIQUES | adj. fait de parenèse. Voyez ce mot.
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PARENS | (Critiq. sac.) ce mot se prend dans l'Ecriture pour pere & mere, ancêtres, & pour tout degré de consanguinité ; ajoutez qu'être sans parens, ou sans pere & sans mere, signifie dans l'Ecriture ne les pas connoître. Melchisédec est dit être sans pere & mere, parce que sa famille ne se trouve pas dans les généalogies des livres sacrés.
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PARENSANE | S. f. (Marine) faire la parensane ; les levantins disent faire la parensane, pour dire mettre les ancres, les voiles & les manoeuvres en état de faire route. (Z)
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PARENT | S. m. (Gramm.) c'est un nom qui désigne l'union par le sang. Voyez PARENTAGE, PARENTE, &c.
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PARENTAGE | S. m. (Lang. franç.) nom collectif qui se dit de tous les parens ensemble, & qui signifie quelquefois seulement l'origine ; ce mot étoit fort en usage du tems de Malherbe ; mais il a vieilli en prose, & s'est conservé dans les vers où il est bien plus poëtique que celui de parenté. Voyez PARENTE.
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PARENTALES | LES (Littérat.) les parentales étoient certaines solemnités & banquets que les anciens faisoient aux obséques de leurs parens & amis. L'on voit encore quelque ressemblance de ces cérémonies dans nos anniversaires. (D.J.)
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PARENTÉ | S. f. (Jurisprud.) est le rapport qui est entre les personnes qui sont unies par les liens du sang, comme l'affinité est le rapport qui est entre deux familles différentes qui sont unies par un mariage.
Toute parenté vient de la naissance, & dérive de ce que les personnes descendent d'une même souche.
Mais il faut observer qu'il n'y a que ceux qui sont nés d'un mariage légitime, qui soient parens de la famille de leur pere & mere ; car les bâtards n'ont point de parens, si ce n'est leurs enfans nés en légitime mariage ; & à l'exception de ceux-ci, personne ne leur succede, & ils ne succedent à personne.
On distingue trois sortes de parens, savoir les ascendans, les descendans & les collatéraux.
Les ascendans sont les pere, mere, ayeul & ayeule, & autres plus éloignés en remontant.
Les descendans sont ceux qui sont issus des mêmes ascendans.
Les collatéraux sont ceux qui descendent d'une souche commune, mais non pas des mêmes peres & meres ; tels sont les freres & soeurs, les cousins, l'oncle & le neveu, &c.
Les degrés de parenté sont l'éloignement qu'il y a d'une génération à l'autre : pour les compter, on suit la ligne ou suite des personnes dont on veut connoître la proximité.
La parenté entre les ascendans & les descendans, se compte suivant l'ordre de la ligne directe ascendante & descendante ; & la parenté des collatéraux se compte de même dans la ligne collatérale : de maniere que chaque personne ou génération, fait un degré.
Ainsi le pere & le fils ne sont éloignés que d'un degré, le petit-fils est éloigné de son ayeul de deux degrés ; on ne compte pour celui-ci que deux degrés, quoiqu'il y ait trois personnes, parce que de l'ayeul au petit-fils il n'y a que deux générations, savoir le fils & le petit-fils : on ne compte pas l'ayeul, parce qu'il ne s'agit pas en ce cas de sa génération.
Les degrés de parenté en collatérale se comptent de même par génération, en remontant à la souche commune que l'on ne compte pas.
Ainsi pour trouver le degré de parenté entre deux cousins germains, il faut remonter à l'ayeul ; & comme il y a entre lui & ces deux cousins quatre générations, deux d'un côté & deux de l'autre, savoir les deux fils & les deux petits-fils, qui sont cousins germains, il se trouve que ces deux cousins sont parens au quatrieme degré.
Cette maniere de compter les degrés par générations a lieu pour la ligne directe, tant par le droit civil, que par le droit canon ; mais en collatérale elle n'est observée que suivant le droit civil.
Suivant le droit canon, en collatérale, il faut deux personnes engendrées pour faire un degré, c'est-à-dire que l'on ne compte les degrés que d'un côté ; de maniere que deux collatéraux sont parens entr'eux au même degré, qu'ils sont éloignés de la souche commune ; & si l'un des deux en est plus éloigné que l'autre, c'est cet éloignement où le premier se trouve de la souche commune, qui forme le degré de parenté entr'eux, suivant la regle vulgaire, remotior trahit ad se proximiorem.
En France, on compte les degrés de parenté suivant le droit canon, pour les mariages & pour les récusations des juges.
Pour ce qui est des successions, on ne succedoit suivant le droit romain, que jusqu'au dixieme degré de parenté. L'article 41 des placités de Normandie, porte que l'on ne succede point dans cette province que jusqu'au septieme degré inclusivement ; mais suivant le droit commun, observé en France, on succede à l'infini, tant en directe, que collatérale, tant que l'on peut prouver sa parenté ; quand même on n'en prouveroit pas précisément le degré, le fisc ne succede qu'au défaut de tous les parens.
Le mariage est défendu entre les ascendans & les descendans jusqu'à l'infini.
Il est également défendu entre les collatéraux qui se tiennent lieu entr'eux d'ascendans & de descendans, comme l'oncle & la niéce, la tante & le neveu, &c.
A l'égard des autres collatéraux qui n'ont point entr'eux cette ressemblance de la ligne directe, le mariage est défendu jusqu'au quatrieme degré canonique inclusivement, c'est-à-dire qu'il est défendu jusque & compris les petits-fils des cousins germains.
L'alliance spirituelle qui procede de l'administration, ou réception du sacrement de baptême, ou de celui de confirmation, forme aussi une espece de parenté ou affinité, dont les degrés se comptent de même que ceux de la parenté qui vient des liens du sang. Voyez EMPECHEMENT & MARIAGE.
La parenté fait aussi un empêchement pour être pourvu d'une charge de judicature dans un tribunal où l'on a quelque parent au degré marqué par l'ordonnance ; ces degrés se comptent suivant le droit civil.
L'édit du mois d'Août 1669, porte défense à ceux qui sont parens au premier, second & troisieme degrés, qui sont le pere & le fils, les freres, l'oncle & le neveu, & à ceux qui sont alliés jusqu'au second degré, qui sont le beau-pere & le gendre, & les deux beaux-freres, d'être reçus à exercer conjointement aucun office, soit dans les cours souveraines, ou sieges inférieurs, à peine de nullité des provisions, & des réceptions qui seroient faites, & de la perte des offices.
Le même édit fait défense aux officiers titulaires, reçus & servant actuellement dans les cours & sieges, de contracter alliance au premier degré de beau-pere & de gendre ; autrement, & en cas de contravention, l'édit déclare l'office du dernier reçu vacant au profit du roi.
On peut obtenir du roi des dispenses de parenté, à l'effet d'être reçu officier dans un tribunal où l'on a des parens ou alliés au degré de l'ordonnance ; mais en ce cas la voix des parens & alliés, jusqu'au deuxieme degré de parenté, ne sont compris que pour une, à moins qu'ils ne soient d'avis différent. Voyez l'édit du mois de Janvier 1681, la déclaration du 25 Août 1708, celle du 30 Septembre 1728.
Par rapport aux évocations pour cause de parenté & alliance, voyez le mot EVOCATION. (A)
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PARENTHESE | S. f. on donne le nom de parenthese à une proposition isolée, qui est insérée dans une autre dont elle interrompt la suite, voyez HYPERBATE, n°. 3. Je rapporterai ici un trait de l'oraison funebre de Henri de Bourbon, prince de Condé, part. III. par le P. Bourdaloue : on y verra une parenthese courte, vive, utile, & tenant au fond de la matiere, quoique détachée de la constitution méchanique & analytique du discours principal où elle est insérée. On ne doit se les permettre que de la même maniere. " C'étoit, dit l'orateur, un homme solide, dont toutes les vûes alloient au bien, qui ne se cherchoit point lui-même, & qui se seroit fait un crime d'envisager dans les désordres de l'état sa considération particuliere (maxime si ordinaire aux grands) ; qui ne vouloit entrer dans les affaires que pour les finir, dans les mouvemens de division & de discorde que pour les calmer, dans les intrigues & les cabales de la cour que pour les dissiper ".
On donne encore le nom de parenthese aux deux crochets dont on se sert pour marquer la phrase intervenue dans le discours principal, tels qu'on les voit avant & après les mots ci-dessus (maxime si ordinaire aux grands). Le premier crochet se nomme la parenthese ouverte ; le second, la parenthese fermée. B. E. R. M.
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PARENTIUM | (Géog. anc.) ville d'Italie, dans l'Istrie. Ptolomée, l. III. c. j. la place entre l'embouchure du fleuve Formion & la ville de Pola. Elle a conservé son ancien nom, car on la nomme aujourd'hui Parenzo.
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PARENZO | (Géog. mod.) en latin Parentium ; petite ville d'Italie dans l'Istrie, sur le golfe de Venise, avec un évêché suffragant d'Aquilée, à 24 lieues E. de Venise. Elle se soumit aux Vénitiens en 1267. Long. 21. 31. lat. 45. 23.
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PARÉORON | (Ant. grecq.) ; c'est ainsi que les Grecs nommoient le troisieme cheval de relais, destiné pour être joint à un des autres attelés au char, au cas que dans leurs jeux, un de ces deux chevaux d'attelage vint à être tué. Il est singulier de voir la langue grecque annoblie par des termes recherchés, pour désigner jusqu'aux chevaux de course & de relais qu'ils faisoient paroître dans leurs jeux. (D.J.)
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PARER | v. act. (Gramm.) c'est embellir la chose par des ornemens, ou par une maniere avantageuse de la présenter. On pare une église. On pare sa marchandise. Les femmes en se parant rendent bien aux hommes l'hommage qu'elles en obtiennent. Tout le tems donné à la toilette est perdu pour celle que la nature n'a pas parée. La terre se pare au printems. On dit aussi se parer d'une vertu qu'on n'a pas, ce qui est pis peut-être que de se parer d'un vice qu'on a. Le premier est un hypocrite qui en impose ; le second est un libertin dont la dépravation des moeurs a passé jusqu'au jugement, & qui fait horreur ou pitié. Voyez aux articles suivans quelques autres acceptions du même mot.
PARER UN CAP, (Marine) c'est-à-dire, doubler un cap, passer au-delà, & le laisser à côté. Nous fumes trois jours à parer le cap. Voyez DOUBLER.
Parer quelque chose, c'est la débarrasser & se mettre en état de s'en servir. Parer le cabestan. Parer une barrique de vin pour faire du breuvage.
Parer un cable, c'est mettre un cable en état de s'en servir.
Parer une ancre, c'est mettre une ancre en état de s'en servir, c'est-à-dire, qu'on l'a débarrassée, & qu'elle est prête pour la mouiller. (Z)
PARER, (Manufactur.) Ce mot se dit de quelques préparations que l'on donne à certaines marchandises, pour les rendre plus éclatantes, ou pour les disposer à faire un meilleur service. Les Bonnetiers parent leurs bas, les Marchands & Manufacturiers leurs marchandises, par des eaux qu'ils leur donnent, ou par la maniere de les presser, comme aux tabis, aux taffetas, aux camelots, aux callemandres, &c.
PARER, en terme de Boutonnier, c'est l'action de donner la derniere main à un bouton avec le paroir, pour le rendre plus parfait. Voyez PAROIR.
PARER, terme de Corroyeur, Peaussier & Parcheminier, qui signifie gratter & ratisser la superficie des cuirs ou peaux avec la lunette, ou quelqu'autre instrument d'acier tranchant, & en ôter le superflu pour les rendre plus belles, plus unies, & d'une meilleure vente. Voyez LUNETTE.
Les cuirs & les peaux se parent pour l'ordinaire du côté de la chair ; c'est dans ce sens qu'on dit : un cuir paré. Voyez nos Planches du Corroyeur, qui représentent un ouvrier qui pare un cuir avec la lunette.
PARER, (Escrime) c'est détourner avec son épée celle de l'ennemi, de maniere que l'estocade qu'il porte ne nous touche point.
PARER, terme de Marchands de liqueurs. Ce mot se dit de quelques liqueurs, particulierement des cidres & des poirés ; c'est leur ôter le goût douçâtre qu'elles ont naturellement, & leur en donner un qui approche davantage de celui du vin. Quelques-uns se servent pour cela de l'eau-de-vie.
PARER, en termes de Maréchal, c'est couper les ongles ou la corne d'un cheval avec un boutoir ou paroir, pour rendre la sole unie & propre à être ferrée. Bien parer. Parer le pié sans rencontrer le vif. Le parer est un arrêt relevé du cheval de manege. Ainsi on dit un beau parer, pour dire un bel arrêt bien relevé, & sur les hanches.
PARER, terme de Relieurs. Les Relieurs de livres appellent parer une couverture de veau ou d'un autre cuir, en enlever avec un tranchoir, qu'ils nomment couteau à parer, ce qu'il y a de trop épais sur les bords du cuir, afin qu'ils se collent plus facilement sur le carton. On pare la couverture sur un marbre ou pierre de liais, après que la peau a été mouillée, ratissée & coupée. (D.J.)
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PARERE | S. m. dans le Commerce, terme italien qui commence à être adopté. Il signifie l'avis ou conseil d'un marchand ou négociant ; parce que quand on consulte un marchand sur quelque matiere, il donne sa réponse en italien avec un mi-pare, c'est-à-dire, je pense, il me semble.
La maniere de négocier, sur-tout la méthode des billets de change, étant empruntée des Italiens, la plûpart des villes marchandes, & particulierement Lyon, retiennent l'usage des pareres ; ce sont les avis & opinions des Marchands ou Négocians, qui font foi comme les actes par-devant Notaires, quand ils sont donnés par autorité du juge conservateur, ou sur une consultation particuliere, pour maintenir le droit de celui qui consulte.
M. Savary a donné un excellent traité, intitulé, parere, ou avis & conseils sur les plus importantes matieres du Commerce ; contenant la solution de la plûpart des questions difficiles relatives aux banqueroutes & faillites, lettres & billets de change, billets à ordre sans date ou expression de valeur, blancs-signés, renouvellement de billets de change, celles tirées ou acceptées par des femmes au nom de leurs maris, ou en leur puissance, la minorité du tireur, &c. les différentes sociétés, la compétence des juges & consuls, ensemble plusieurs arrêts des parlemens, rendus en conformité des pareres donnés sur toutes ces sortes de questions. M. Savary des Brulons, son fils, & auteur de la plus grande partie du Dictionnaire de Commerce, a donné en 1715 une nouvelle édition de cet ouvrage avec trente-neuf pareres nouveaux sur diverses questions. Voy. le Dictionnaire de Commerce, au mot PARERE.
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PARERGA | S. m. (Architect.) c'est un terme dont on se sert quelquefois en Architecture, pour signifier des additions ou supplémens faits à l'ouvrage principal, qui lui servent d'ornement.
On s'en sert aussi quelquefois en Peinture, pour exprimer de petits morceaux ou compartimens, placés sur les côtés ou dans les angles du tableau principal.
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PARERMENEUTE | ou FAUX INTERPRETES, s. m. pl. (Théol.) hérétiques qui s'éleverent dans le septieme siecle, & qui interprétoient l'Ecriture selon leur sens, se moquant de l'explication de l'Eglise & des docteurs orthodoxes. S. Jean de Damas, voy. Pratéole, Sanderus, haer. 127.
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PARESSE | S. f. (Morale) nonchalance qui empêche l'homme de travailler, de vaquer à ses affaires, & de remplir ses devoirs.
Un poëte anglois a peint cette reine du monde comme une indolente divinité :
A careless deity
No probleme puzzle his lethargick brain :
But dull oblivion guards his peaceful bed,
And lazy fogs bedew his gracious head.
Thus at full length, the pamper'd monarch lay,
Fatt'ning in case, and slumb'ring life away.
De tous nos défauts, celui dont nous tombons le plus aisément d'accord, c'est de la paresse, parce que nous nous persuadons qu'elle tient à toutes les vertus paisibles ; & que, sans détruire les autres, elle en suspend seulement les fonctions. De-là vient qu'elle regne souverainement dans ce qu'on appelle le beau monde ; & si quelquefois on trouble son empire, c'est plutôt pour chasser l'ennui, que par goût pour l'occupation.
L'esprit contracte aussi facilement l'habitude de la paresse que le corps. Un homme qui ne va jamais qu'en voiture, est bien-tôt hors d'état de se servir de ses jambes. Comme il faut lui donner la main pour qu'il marche, de même il faut aider l'autre à penser, & même l'y forcer ; sans cela, l'homme craignant l'application, soupire vainement après la science qui est pour lui une plante succulente, mais dont il n'a pas le courage d'exprimer le suc. L'esprit ne devient actif que par l'exercice ; s'il s'y porte avec ardeur, il trouve chez lui des forces & des ressources, qu'il ne connoissoit pas auparavant.
Au surplus la paresse de l'esprit & du corps, est un vice que les hommes surmontent bien quelquefois, mais qu'ils n'étouffent jamais. Peut-être est-ce un bonheur pour la société que ce vice ne puisse pas être déraciné. Bien des gens croyent que lui seul a empêché plus de mauvaises actions, que toutes les vertus réunies ensemble. (D.J.)
PARESSE, FAINEANTISE, (Synon.) La paresse est un moindre vice que la fainéantise. Celle-là semble avoir sa source dans le tempérament, & celle-ci dans le caractere de l'ame. La premiere s'applique à l'action de l'esprit comme à celle du corps ; la seconde ne convient qu'à cette derniere sorte d'action. Le paresseux craint la peine & la fatigue, il est lent dans ses opérations, & fait traîner l'ouvrage. Le fainéant aime à être desoeuvré, il hait l'occupation, & fuit le travail. Girard. (D.J.)
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PARESSEUX | adj. (Gramm.) qui ne se porte qu'à regret à remplir ses devoirs. On dit aussi un ventre paresseux, une nature paresseuse. Voyez l'article PARESSE.
PARESSEUX, tardigradus, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) Pl. IV. fig. 3. & Pl. V. fig. 2. animal quadrupede, long d'environ deux piés ; il a la queue très-courte, les jambes de devant plus longues que celles de derriere, & seulement trois doigts à chaque pié, avec des ongles forts & un peu recourbés. Le poil est fort épais, varié de brun & de blanc, & entierement blanc sur la face de cet animal. Les oreilles n'ont point de conque, on ne voit à l'extérieur que l'orifice du canal auditif. Il n'a ni dents incisives, ni canines, mais seulement des molaires. Le paresseux se trouve au Brésil, dans la Guyane, & aux Indes orientales. Il y a dans l'île de Ceylan un autre animal auquel on a aussi donné le nom de paresseux : il n'a que deux doigts aux piés de devant, & trois à ceux de derriere ; ses oreilles sont plates & appliquées contre la tête ; le poil est épais & de couleur incarnate foncée par-dessus le dos, & d'un cendré clair par-dessous le ventre : cet animal n'a point de queue. Regn. anim. par M. Brisson.
Pison rapporte que le paresseux marche si lentement, qu'en quinze jours entiers à-peine pourroit-il aller aussi loin que l'on pourroit jetter une pierre. Il met environ deux jours à monter sur un arbre, ou à descendre ; on ne peut hâter sa démarche ni par des menaces, ni par des coups de fouet ou de bâton. Le museau de cet animal est toujours sale & couvert de salive ; il se traîne sur son ventre sans jamais s'élever sur ses jambes ; il saisit fortement avec ses ongles, & il dort suspendu aux arbres ; on le trouve ordinairement sur leur sommet ; il vit de feuilles sans boire. Hist. nat. Gulielmi Pisonis, lib. V. cap. xxiij. (I)
PARESSEUX, (Maréchallerie) un cheval paresseux, est celui qui ralentit toujours son allure, & qu'il faut avertir incessamment.
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PARETONIUM | (Hist. nat.) nom donné par les anciens naturalistes à une argille très-blanche, lisse & pesante, douce au toucher, friable ou facile à écraser entre les doigts, sans les colorer ; elle ne s'attache que légerement à la langue, & se dissout aisément dans la bouche ; elle est fort visqueuse lorsqu'elle a été mouillée. Il se trouve de la terre de cette espece en Angleterre, dans la principauté de Galles, ainsi qu'en Normandie. Elle seroit très-propre à faire de la porcelaine. Voyez Emmanuel Mendez d'Acosta, natural history of fossils.
Pline a cru que cette substance se formoit de l'écume de la mer congelée & devenue solide, parce qu'on la trouvoit sur les rivages d'Egypte, & de l'île de Crete. Il y a lieu de croire que la mer en baignant des couches de cette terre, la porte sur ces côtes.
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PARÉTUVIER | S. m. (Botan. exot.) c'est un des principaux arbres qui naissent communément dans les Indes occidentales. On le trouve par-tout dans les îles de l'Amérique, & même dans la terre-ferme. Il croît dans les lieux marécageux, sur le rivage de la mer, & le long des rivieres & des torrens qui entrent dans la mer. La principale espece est le parétuvier noir, que les Indiens appellent guaparaiba, nom que Pison lui a conservé. Cet arbre s'éleve à vingt piés de hauteur ; ses feuilles sont semblables aux grandes feuilles du poirier, mais plus longues & plus épaisses. Ses fleurs sont petites, contenues dans des calices oblongs ; il leur succede, après qu'elles sont tombées, des siliques ressemblantes en-dehors au bâton de casse, mais plus courtes, de couleur obscure, remplies d'une pulpe blanche, semblable à la moëlle des os, & d'un goût amer. Les rameaux de cet arbre, après s'être élevés, se courbent jusqu'à terre, où ils prennent racine, s'enlacent les unes dans les autres, se soutiennent, & occupent un grand terrein. (D.J.)
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PAREUR | PAREUR
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PARFAIRE | v. act. rendre parfait, mettre la derniere main, achever, complete r, &c. parfaire un ouvrage, c'est n'y rien laisser à desirer ; parfaire une somme, c'est y ajouter ce qui y manque pour un achat, un remboursement, un acquêt, &c. parfaire le procès de quelqu'un, c'est le conduire jusqu'au jugement définitif.
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PARFAIT | adj. terme relatif à parfaire. Voyez ce verbe.
Il se dit des personnes & des choses ; un homme seroit parfait, une chose seroit parfaite, si on ne leur remarquoit aucun défaut, & qu'ils eussent toutes les qualités possibles, & au plus haut degré.
Il n'y a rien de parfait dans l'art.
Il n'y a rien d'imparfait dans la nature ; tout ce qui est nécessaire dans toutes ses parties est parfait.
L'impossibilité d'atteindre à la perfection, ne nous dispense pas d'y viser. Voyez au mot parfaire, les autres acceptions de parfait. Voyez aussi les articles suivans.
PARFAIT, adj. quelquefois pris substantivement : on dit en termes de Grammaire le prétérit parfait, ou simplement le parfait : ainsi amavi, j'ai aimé, est, dit-on, le parfait de l'indicatif ; amaverim, que j'aye aimé, est celui du subjonctif ; amavisse, avoir aimé, est celui de l'infinitif. On verra (article TEMPS), que celui dont il s'agit ici, est un prétérit indéfini, parce que faisant abstraction de toutes les époques, il peut être rapporté tantôt à l'une, & tantôt à l'autre, selon l'exigence des cas. Quant au nom de parfait dont on l'a décoré, ce n'est pas que les Grammairiens y ayent vu plus de perfection que dans d'autres tems ; ce n'a été que par opposition avec le prétendu prétérit que l'on a appellé imparfait, parce que l'on y démêloit encore, quoique confusément, quelque chose qui n'étoit point passé, mais présent. Voyez PRETERIT. (B. E. R. M.)
PARFAIT, NOMBRE, (Arithmétique) les Arithméticiens appellent nombre parfait, celui dont les parties aliquotes ajoutées ensemble, font le même nombre dont elles sont les parties : ainsi 6 ou 28 sont des nombres parfaits, parce que 1, 2, & 3, qui sont les parties aliquotes du premier, font 6, & que 1, 2, 4, 7, & 14, qui font celles de 28, font aussi 28.
PARFAIT, (Critique sacrée) , ce mot est assez commun dans le nouveau-Testament ; il signifie les Chrétiens qui réunissoient la foi, la lumiere, & les bonnes oeuvres. Parfait, ; dit Clément d'Aléxandrie, est un terme qu'il ne faut pas étendre à tous égards : on est parfait dans une vertu, mais non pas en toutes au même degré ; la nature humaine ne comporte pas cette sorte de perfection. (D.J.)
PARFAIT, terme de Physiologie, quelques écrivains appellent animaux parfaits, ceux qui sont produits par une génération univoque, pour les distinguer des insectes, que ces auteurs prétendent être produits par une génération équivoque. Voyez GENERATION, UNIVOQUE, EQUIVOQUE, &c.
PARFAIT, se dit aussi d'une maladie : il signifie le même que complet & total ; ainsi on dit apopléxie parfaite.
PARFAIT, en Musique, marque ce qui remplit & satisfait l'oreille & l'esprit. C'est dans ce sens, qu'on dit accord parfait, cadence parfaite. Voyez ACCORD, CADENCE, &c.
Nos anciens musiciens divisoient le tems ou le mode par rapport à la mesure, en parfait & imparfait ; &, prétendant que le nombre ternaire étoit plus parfait que le binaire, ils appelloient tems ou modes parfaits, ceux dont la mesure étoit à trois tems ; ce qu'ils marquoient par un O plein, ou barré. Le tems ou mode imparfait, formoit une mesure à deux tems, & ils le marquoient par un O coupé ou un C de cette maniere C ou C. Voyez TEMS, MODE, MESURE, PROLATION, VALEUR DES NOTES, &c. (S)
PARFAIT CONTENTEMENT, terme de Metteur-en-oeuvre, est le nom que l'on donne à un très-grand noeud bouffant de diamant que les dames portent sur l'estomac au haut des pieces de corps.
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PARFILER | v. act. c'est dépecer des morceaux d'étoffes riches, brin à brin, séparer la soie de l'or & de l'argent, rejetter la soie & remplir du fil d'or & d'argent la boîte à parfiler. On parfile aussi des morceaux d'étoffes en soie, sans dorure ; c'est les décomposer, séparer les brins de la trame & de la chaîne, & en remplir la boîte à parfiler. On vend la parfilure d'or ; on fait des jupons, des manteaux de lit ouettés & piqués de la parfilure en soie.
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PARFILURE | S. f. (Passementerie) se dit de tous les endroits de l'ouvrage où se forment les contours des figures du dessein, tant en-dedans qu'en-dehors, & qui sont exprimés par les points noirs & blancs du dessein. Pour entendre ceci, il faut voir ce qui est dit au mot PAS, sur les croisées de la chaîne ; quelle que soit une quantité des rames qui levent, elle est toujours terminée aux deux extrémités par un ou plusieurs points blancs ou laissés, qui en font la terminaison, de même à chaque marche ; c'est cette opposition des pris & des laissés, qui est appellée parfilure. Supposons pour plus de clarté, que les points 1, 2, 3, 8, 9, 10, remplissent une ligne, levent, les points 4, 5, 6, 7, ne leveront pas cette ligne supposée en premiere marche ; venons à la seconde : les points 1, 2, 5, 6, 9, 10, levent, les points blancs 3, 4, 7, 8, ne levant pas, font parfilure entr'eux, & les points noirs qui les touchent, & forment ainsi la parfilure, ainsi des autres. Pour tout dire, en un mot, un point noir ou pris est parfilure d'un point blanc ou laissé qui le suit, de même qu'un laissé est parfilure d'un pris qui le suit.
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PARFONDRE | (Peinture) ce terme de peinture en émail signifie faire fondre également. Les couleurs que l'on applique sur l'émail & sur le verre, doivent se parfondre, c'est-à-dire se mêlanger, s'unir également. (D.J.)
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PARFOURNISSEMENT | S. m. (Jurisprud.) c'est lorsque l'on acheve entierement de fournir quelque chose dont on devoit livrer une certaine quantité, comme des deniers, des grains, ou autre espece. (A)
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PARFUM | S. m. (Composition de parfums) la plûpart des parfums se font avec le musc, l'ambre gris, la civette, le bois de rose & de cedre, l'iris, la fleur d'orange, la rose, le jasmin, la jonquille, la tubéreuse, & autres fleurs odorantes. On y fait encore entrer le storax, l'encens, le benjoin, le girofle, le macis, & autres semblables drogues, que l'on nomme communément des aromates. On compose aussi des sachets parfumés avec des herbes aromatiques, telles que peuvent être la lavande, la marjolaine, la sauge, le thim, la sarriette, l'hyssope, &c.
Autrefois les parfums où entroient le musc, l'ambre gris, & la civette, étoient recherchés en France, mais ils sont tombés de mode, depuis que nos nerfs sont devenus plus délicats. Parfum se prend souvent pour les corps mêmes d'où s'exhalent les parfums ; en ce sens, les meilleurs parfums se tirent d'orient, & des pays chauds. (D.J.)
PARFUM, (Littérat.) les anciens regardoient les parfums non-seulement comme un hommage qu'on devoit aux dieux, mais encore comme un signe de leur présence. Les dieux, suivant la théologie des Poëtes, ne se manifestoient jamais sans annoncer leur apparition par une odeur d'ambroisie. Aussi Hippolite expirant, & entendant une voix qui lui parloit (c'étoit la voix de Diane sa protectrice), s'écrie dans Euripide, " ô divine odeur ! car j'ai senti, déesse immortelle, que c'étoit vous qui me parliez ".
On employoit aussi des parfums sur les tombeaux pour honorer la mémoire des morts ; ainsi Antoine recommande de répandre sur ses cendres du vin, des herbes odoriférantes, & de mêler des parfums à l'agréable odeur des roses.
Sparge mero cineres, & odoro perlue nardo
Hospes, & adde rosis balsama puniceis.
Anacréon avoit dit long-tems auparavant, ode 4, " à quoi bon répandre des essences sur mon tombeau ? Pourquoi y faire des sacrifices inutiles ; parfume-moi plutôt pendant que je suis en vie ; mets des couronnes de roses sur ma tête ". (D.J.)
PARFUM, (Critique sacrée) l'usage des parfums étoit recherché des Hébreux & des Orientaux. Moïse donne la composition de deux especes de parfums, dont l'un devoit être offert au seigneur sur l'autel d'or, & l'autre étoit destiné à oindre le grand-prêtre & ses fils, de même que le tabernacle & tous les vases destinés au service divin. La loi défendoit sous peine de la vie à quelque homme que ce fût, de se servir du premier de ces parfums pour son usage. Il étoit composé de stacte, d'onyx, de galbanum, & d'encens par égale portion ; aequalis ponderis erunt omnia, Exod. xxx. 34. Le parfum d'onction étoit fait de myrrhe, de cinamome, de canne aromatique, de casse, & d'olive, Exod. xxx. 31. Il étoit également défendu de l'employer à d'autres usages qu'à celui de sa destination, & d'en faire pour soi, ou pour les autres. Voyez ONCTION HUILE d '(Critique sacrée.)
Mais les Hébreux avoient d'autres parfums pour leurs usages profanes, tels que ceux qui étoient dans les trésors du roi Ezéchias ; ostendit eis aromata & cellam odoramentorum, & unguenti optimi, Is. xxxix. 2. Judith se parfuma pour paroître devant Holopherne. Le corps du roi Asa fut exposé sur un lit de parade avec beaucoup de parfums : posuerunt eum super lectum suum plenum aromatibus & unguentis meretriciis. Enfin, les Hébreux aimoient tellement les parfums, que c'étoit pour eux une grande mortification de s'en abstenir, & qu'ils ne s'en privoient que dans des tems de calamités. Il paroît par l'Ecriture, que les hommes & les femmes en usoient indifféremment. Les parfums qu'ils employoient pour embaumer leurs morts d'un rang éminent, étoient apparemment composés des mêmes drogues que ceux des Egyptiens, dont les Hébreux avoient pris l'usage des embaumemens. L'usage des parfums pour les morts, fit naître aux vivans l'idée de les employer pour la sensualité. Les femmes chez les Hébreux les prodiguoient sur elles en tems de noces ; c'est ainsi que se conduisit Ruth pour plaire à Booz, & Judith pour captiver les bonnes graces d'Holopherne.
PARFUM, en Médecine & en Pharmacie. Ces compositions n'exhalent pas toujours une bonne odeur ; il y en a d'agréables & de desagréables.
On les divise en parfums liquides & en parfums secs. Les liquides sont comme les eaux de senteur, les cassolettes. Les secs sont comme les pastilles, les baies de genievre qu'on fait brûler dans les chambres des malades, dans les hôpitaux pour corriger le mauvais air.
On parfume les chambres avec l'eau de fleur d'orange, le vinaigre, l'esprit de sel ammoniac, l'esprit-de-vin mis dans une phiole à long col sur un réchaud, pour en répandre plus aisément la vapeur.
Parfum céphalique. Prenez styrax calamite, benjoin, de chacun un gros & demi ; gomme de genievre, encens, de chacun un gros ; gérofle, canelle, de chacun deux scrupules ; feuilles de laurier, de sauge, de marjolaine, de romarin, de chacun demi-gros. Faites une poudre de tous ces ingrédiens que vous jetterez sur les charbons ardens, afin que le malade en reçoive la fumée par le nez.
On en peut faire de pareils pour remplir d'autres indications, pour provoquer les regles, la salivation, &c.
PARFUM, (Tireurs d'or) on nomme de la sorte une composition de divers ingrédiens, dont quelques tireurs d'or & d'argent se servent pour donner le fumage au fil d'argent, afin de le faire passer pour fil d'or, ou fil surdoré ; le parfum est défendu par les réglemens.
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PARFUMÉ | adj. terme qui se dit des choses qui ont reçu l'impression de quelque parfum, comme des gants parfumés, des peaux parfumées. Les François tiroient autrefois d'Espagne & d'Italie des peaux de boucs & de chevres toutes parfumées, dont ils fabriquoient des gants, des bourses, des poches, & autres ouvrages semblables. A présent on ne peut plus les souffrir à cause de leur odeur trop violente, & on en fait assez peu de cas.
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PARFUMER | v. act. se dit de l'action par laquelle on donne l'impression de quelque parfum à quelque corps capable de le recevoir. On parfume des peaux, des gants, de la poudre, de la pommade, des savonnettes, des pâtes, pastilles, essences, &c. avec le musc, l'ambre gris, la civette, &c.
Les pays où on sait le mieux parfumer, sont l'Espagne & l'Italie.
PARFUMER UN VAISSEAU, (Marine) c'est faire brûler du goudron & du genievre, & jetter du vinaigre entre les ponts d'un vaisseau ; les bâtimens & les hommes seront parfumés. (Q)
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PARFUMEUR | S. m. marchand & ouvrier tout ensemble, qui fait, vend, & employe toutes sortes de parfums, de la poudre pour les cheveux, des savonnettes, de la pâte pour les mains, des pastilles, eaux de senteur, essences, gants parfumés, sachets de senteur, pots pourris, &c. Voyez tous ces mots à leur article.
Le métier de Parfumeur étoit fort en vogue chez les anciens grecs & les anciens romains.
A Paris, les maîtres Gantiers composent une communauté considérable ; leurs anciens statuts sont du mois d'Octobre 1190, sous le regne de Philippe-Auguste, confirmés depuis par le roi Jean, le 20 Décembre 1357, & encore le 27 Juillet 1582 sous Henri III. Les statuts dont la communauté se sert présentement, ont été renouvellés, confirmés, & augmentés par Louis XIV. au mois de Mars 1656, par lettres patentes enregistrées au parlement le 13 Mai suivant. Par tous ces statuts, ordonnances, lettres patentes, &c. les maîtres sont qualifiés marchands maîtres Gantiers Parfumeurs.
En qualité de gantiers, ils ont droit de vendre & de faire toutes sortes de gants & mitaines, de tous les cuirs qui se peuvent commodément employer.
Comme parfumeurs, ils peuvent appliquer & mettre sur les gants, & débiter toutes sortes de parfums, & même vendre en détail des cuirs de toute espece, peaux lavées, parfumées, blanches, & autres propres à faire des gants.
Suivant ces statuts, aucun ne peut être reçu marchand gantier parfumeur, qu'après quatre ans d'apprentissage, servi les maîtres pendant trois autres en qualité de compagnon, & fait chef-d'oeuvre.
Les fils de maîtres sont exempts de ces formalités, leur suffisant de faire une légere expérience.
La veuve d'un maître a droit de tenir boutique, & de faire travailler tant qu'elle reste en viduité ; mais il ne lui est pas permis de faire d'apprentif.
A la tête de la communauté, il y a quatre maîtres & gardes jurés, préposés pour tenir la main à l'exécution de ses reglemens, & vaquer aux affaires qui la concernent. Chaque juré demeure deux ans en charge ; ensorte que tous les ans les deux plus anciens en doivent sortir, pour faire place aux nouveaux qui s'élisent devant le procureur du roi au châtelet, par la plus grande & saine partie de la communauté. Les maîtres Gantiers-Parfumeurs ont leur confrairie dans l'église des Innocens : sainte Anne est leur patrone. Cette confrairie fut établie le 20 Juillet 1426, par lettres patentes données à Paris par Henri, roi d'Angleterre, se disant aussi roi de France, dans les troubles arrivés sous le regne de Charles VII.
Quant aux instrumens dont les Parfumeurs se servent comme parfumeurs, ils n'en ont point qui leur soient particuliers. Il en est de même des termes dont ils font usage dans leurs opérations : c'est toujours composer, mêlanger ; ainsi il est aisé de voir que ceux dont on a donné l'explication dans cet article, leur appartiennent comme gantiers, & non comme parfumeurs.
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PARFUMOIR | S. m. c'est un petit coffre de bois garni à son entrée d'une grille qui soutient en l'air ce qu'on veut parfumer. Au bas de ce coffre est une petite ouverture, par laquelle on passe une chaufferette pleine de feu, où l'on met brûler les pastilles. Voyez nos Planches.
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PARGA | (Géog. mod.) ville des états de Venise, sur la côte d'Albanie, vis-à-vis de l'île de Corfou, avec un port commode. Elle est habitée par des Grecs & des Albanois, & est située sur un rocher. Long. 38. 22. lat. 39. 28. (D.J.)
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PARHELIE | S. m. (Physiq.) est un faux soleil ou météore, sous la forme d'une clarté brillante, qui paroît à côté du soleil, & qui est formé par la réflexion de ses rayons sur un nuage qui lui est opposé d'une certaine maniere. Voyez METEORE.
Ce mot est grec, composé de , juxta, proche, & , sol, soleil.
Les parhelies sont ordinairement accompagnés de couronnes ou cercles lumineux : leurs couleurs sont semblables à celles de l'arc-en-ciel ; le rouge & le jaune du côté qui regarde le soleil, le bleu & le violet de l'autre côté. Voyez ARC-EN-CIEL.
Néanmoins on voit quelquefois des cercles entiers sans aucun parhelie, & des parhelies sans cercles.
Leur figure n'est pas aussi parfaitement ronde que celle du soleil ; on leur remarque souvent des angles, ils ne brillent pas non plus tant que le soleil, quoique leur lumiere ne laisse pas d'être quelquefois aussi grande que celle de cet astre. Lorsqu'il en paroît plusieurs à la fois, quelques-uns ont moins d'éclat, & sont plus pâles que les autres.
Garcaeus, dans son livre des météores, a compilé une histoire exacte des parhelies d'après tous les auteurs qui en parlent ; & on voit par cette histoire que les parhelies sont assez communs.
M. de la Hire observa à Paris en 1689 deux de ces parhelies, & M. Cassini autant en 1693. MM. Gray en 1700, Halley en 1702, & Maraldi en 1721, ont décrit ceux qu'ils ont vus, & l'on pourroit en indiquer plusieurs autres. Les quatre parhelies que Scheiner vit à Rome, sont d'autant plus remarquables, que Descartes & Huyghens entreprirent d'en donner l'explication. Les sept soleils qu'Hévelius observa à Dantzick en 1661, doivent être regardés comme un phénomene bien surprenant.
Les parhelies sont quelquefois doubles, triples, &c.
En l'année 1629 on vit à Rome un parhelie de cinq soleils ; & en 1666 on en vit un autre de six soleils à Arles.
Les cercles des parhelies different tant en nombre qu'en grandeur : ils ont cependant tous le même diametre, lequel est égal au diametre apparent du soleil. Il se trouve des cercles qui ont le soleil dans leur centre : ces cercles sont colorés, & leur diametre est de 45 degrés & même de 90. Plus les couleurs de ces cercles sont vives, plus la lumiere du véritable soleil paroît foible.
La matiere des parhelies se trouve dans notre athmosphere. Les raisons que nous en avons données dans l'article Halo, concluent pour les parhelies, les cercles colorés qui les accompagnent n'étant autre chose que des couronnes. Ajoutons-y 1°. que suivant les observations exactes des plus habiles physiciens, le tems n'est jamais parfaitement serein lorsque les parhelies paroissent ; mais l'air se trouve alors chargé d'un brouillard transparent. 2°. Il est rare de voir ces parhelies de deux endroits en même-tems, quoiqu'ils soient tout proches les uns des autres. 3°. On les voit d'ordinaire en hiver, lorsqu'il fait froid ou qu'il gele un peu, tant qu'il regne en même tems un petit vent de nord. 4°. Lorsque les parhelies disparoissent, il commence aussi à pleuvoir ou à neiger, & on voit alors tomber une espece de neige oblongue faite en maniere d'aiguilles. Cependant M. Halley croit que la cause des parhelies est plus élevée que les nuées ordinaires, parce qu'elles paroissent couvertes lorsqu'il survient quelques nuées.
Hevélius, fameux astronome, a observé en 1674 une sorte de parhelie différent des précédens ; au lieu d'être à côté du véritable soleil, il se trouvoit perpendiculairement au-dessus, & cela un peu avant le coucher de cet astre. Les couleurs n'étoient pas non plus celles qu'on remarque ordinairement. Le parhelie & le soleil étoient séparés par une nuée. Ce phénomene fut suivi d'une forte gelée qui couvrit la mer Baltique d'une glace épaisse. M. Cassini en a vu de la même nature en 1693. Il y a aussi des paraselenes. Voyez PARASELENE. Article de M. Formey, qui l'a tiré de l'essai de Physique de Musschenbroeck.
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PARHOMOLOGIE | S. f. (Rhétor.) , c'est la même figure qu'on appelle autrement concession, dans laquelle on cede quelque chose à son adversaire pour avoir plus de droit de nier ce qui est véritablement important. Je n'en citerai qu'un exemple tiré de Cicéron : Sume hoc a judicibus, nostrâ voluntate ; neminem illi propiorem cognatum quam te fuisse, concedimus : officia tua nonnulla in illum extitisse, stipendia vos unâ fecisse aliquandiù nemo negat ; sed quid contra testamentum dicis, in quo scriptus hic est ? (D.J.)
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PARI | S. m. (anal. des Jeux) lorsque deux joueurs A, B, jouent l'un contre l'autre, & que l'espérance du joueur A est à celle du joueur B en raison de m à n, le pari pour le joueur A est aussi au pari pour le joueur B en raison de m à n ; or le nombre m n'est autre chose que le nombre des cas qui peuvent faire gagner le joueur A, & n est le nombre des cas qui peuvent faire gagner B. Par exemple, si un joueur A veut amener 12 avec deux dés, on a m = 1, & n = 35, parce qu'il n'y a qu'un cas qui puisse amener 12, & 35 qui ameneront autre chose. Voyez DE. Ainsi pour parier but à but, c'est-à-dire avec un avantage égal, suivant les regles ordinaires des jeux, il faut que la mise du joueur B soit à celle du joueur A comme 35 est à 1.
De même, si on parie d'amener en six coups un doublet avec deux dés, il est clair que le nombre des coups possibles est (36)6, & que le nombre des coups où il n'y a point de doublets est (30)6 ; d'où il s'ensuit que le pari doit être comme (36)6 - (30)6, c'est-à-dire, comme (6/5)6 - 1 est à 1.
Au reste, ces regles doivent être modifiées dans certains cas, où la probabilité de gagner est fort petite, & celle de perdre fort grande. Sur quoi voyez l'article JEU. (O)
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PARIA | (Géog. anc.) île de la mer de Phénicie. Pline, l. V. c. xxxj. la place vis-à-vis de Joppé. Elle donnoit le nom aux peuples , Pariani, dont parle Josephe, Ant. jud. l. XIV. c. xvij.
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PARIADE | S. f. (Chasse) c'est le tems où les perdrix s'apparient. La chasse est alors séverement défendue.
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PARIADES | (Géog. anc.) montagne d'Asie, selon Pline l. V. c. xxvij. Les manuscrits varient beaucoup sur l'orthographe de ce nom. Les uns lisent Pariadrul, d'autres Pariadrel, d'autres Paryadis. Le pere Hardouin veut qu'on lise Paryadres, comme l'orthographe qui approche le plus des anciens manuscrits. Strabon, l. XI. p. 497. qui a écrit Paryadra, dit que cette montagne fait partie du mont Taurus.
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PARIAGE | S. m. (Jurisprud.) du latin pariatio, qui signifie association, est une espece de société entre le roi ou quelqu'autre grand seigneur, & un autre seigneur moins puissant, lequel recherche la société & la protection d'un seigneur plus puissant que lui, auquel il cede une partie de ses droits, afin de se mettre à couvert des violences qu'il avoit à craindre, & d'avoir lui-même la force en main pour jouir plus surement de la portion qu'il se réserve.
Les pariages ont ordinairement pour objet l'exploitation de la justice, & des droits qui en dépendent, ou la perception de quelques droits seigneuriaux, comme tailles, rentes, bannalités, &c.
Ces associations étoient sur-tout recherchées par les évêques, abbés, & autres seigneurs ecclésiastiques, lesquels pour avoir main-forte entroient en pariage avec le roi ou quelqu'autre grand seigneur laïc.
Tel fut le pariage d'entre le roi & l'évêque de Mende, dont le registre de la cour du 18 Juillet 1369 est chargé. Tel fut encore le pariage d'entre le roi & l'évêque de Cahors pour la jurisdiction commune ; comme aussi par un arrêt des prieurs de la charité & porte S. Leon, du 27 Mars 1405, appert que les pariages des associations faites entre le roi & aucuns de ses sujets, à la charge qu'il ne les mettra hors ses mains, doivent y demeurer, & le roi ne peut les transplanter même en apanage, ou récompense d'apanage : tel fut aussi le pariage de l'an 1263, fait entre l'abbaye de Luxeu, & le comte de Champagne, qui est rappellé par Pithou dans ses mémoires.
Les pariages furent fort fréquens dans les xiij. & xiv. siecles. Ils se faisoient alors en deux manieres, à tems ou à perpétuité. Les premiers étoient limités à la vie des grands seigneurs, avec lesquels les abbés & les monasteres traitoient, & souvent ils étoient renouvellés avec leurs successeurs. Il ne reste plus aucun vestige de ces pariages à tems ; ceux qui étoient à perpétuité sont demeurés dans leur force & vertu, quoique la cause qui les avoit produits ne subsiste plus.
La Rocheflavin, tit. des droits seigneuriaux, décide que le roi qui est en pariage avec un autre seigneur, ne peut vendre ni aliener en aucune maniere sa part, ni rien innover aux clauses & conditions du traité.
Dans les lieux où le roi est en pariage avec quelque seigneur, celui-ci ne peut contraindre les vassaux & emphitéotes communs à lui faire hommage, & passer reconnoissance sans appeller le procureur-genéral du roi, ou son substitut, afin d'obvier aux usurpations que l'on pourroit faire sur les droits du roi.
Quand une justice est tenue en pariage entre le roi & quelque seigneur, le juge doit être nommé alternativement de trois ans en trois ans par le roi & par le seigneur particulier, il en est de même d'une justice tenue en pariage entre deux seigneurs. Ordonnance de Roussillon, art. 25 & 26. Voyez le gloss. de Ducange, celui de Lauriere, la Rocheflavin, Graverol, Cambolas, Guyot. (A)
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PARIAIRE | S. m. (Jurisprudence) signifie celui qui tient en pariage avec quelqu'un ; dans des lettres de Charles VI. du mois de Janvier 1395, il est dit que Bernard de Sanclava étoit seigneur en partie de Montfaucon en Bigorre, & qu'il étoit pariaire de ce lieu avec le roi. (A)
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PARIER | Voyez l'article PARI.
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PARIÉTAIRE | S. f. (Hist. nat. Bot.) parietaria ; genre de plante dont la fleur n'a point de pétales ; elle est composée ordinairement de quatre étamines, qui sortent d'un calice divisé en quatre parties. Cette fleur a la forme d'une cloche, d'un entonnoir ou d'une rosette. Le pistil devient dans la suite une semence, le plus souvent oblongue, & renfermée dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PARIETAIRE, (Mat. méd. & Chimie) la pariétaire est une plante éminemment nitreuse. Voyez NITRE. Elle est du petit nombre de celles dont les vertus médicinales peuvent se déduire évidemment d'un principe chimique bien connu, bien distinct ; & ce principe c'est le nitre.
Le suc & la décoction de cette plante sont apéritifs, résolutifs, diurétiques. On l'employe utilement à ces titres dans les obstructions commençantes, les suppressions d'urine, de gravelle, l'hydropisie, & les maladies chroniques commençantes de la poitrine. Or la vertu du nitre est reconnue dans tous ces cas, & les autres principes constituans de la substance extractive de la parietaire sont & peu abondans & très-inactifs. C'est cette derniere circonstance de sa composition qui rend dans l'usage extérieur la pariétaire vraiment émolliente ; c'est-à-dire capable d'agir principalement à raison de son suc aqueux. Cette plante est employée très-communément & avec succès dans presque toutes les applications extérieures émollientes, comme fomentations, lotions, demi-bains, cataplasmens, &c. La décoction de la pariétaire est aussi un ingredient très-commun des lavemens appellés émolliens. On retire une eau distillée de la pariétaire qui certainement ne retient aucune des vertus de cette plante. (b)
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PARIETAUX | os parietaux, (Anat.) ce sont deux os du crâne, ainsi nommés parce qu'ils forment les parois ou les côtés de la tête. Voyez CRANE.
On les appelle aussi ossa bregmatis & ossa sincipitis.
Ces os ont la figure d'un quarré, & on y distingue 1°. deux faces, une latérale, externe, convexe, unie & polie ; une latérale, interne, concave, inégale & remplie de sillons formés par les battemens de l'artere de la dure-mere : on donne à l'assemblage de ces sillons le nom de feuille de figuier. 2°. Quatre bords, un supérieur, un inférieur, arrondi, taillé en biseau & inégal ; un antérieur & un postérieur inégal. 3°. Quatre angles, un supérieur antérieur, un supérieur postérieur, un inférieur postérieur, un inférieur antérieur, le plus saillant de tous. 4°. Une empreinte demi-circulaire, à deux pouces environ du bord inférieur, face externe. 5°. Un trou le long du bord supérieur près de l'angle postérieur ; ce trou ne se trouve pas toujours. 6°. Une portion de gouttiere le long du bord supérieur, face interne. 7°. Un petit canal ou une gouttiere par où passe l'artere de la dure-mere, situé sur l'angle antérieur inférieur, face interne. 8°. Une petite partie de la gouttiere des sinus latéraux, située sur l'angle postérieur inférieur, face interne.
Ces os sont articulés ensemble par suture sagittale, avec le coronal par suture coronale, avec l'occipital par suture lambdoïde, avec le temporal par suture temporale, & avec le sphénoïde par suture sphénoïdale. Voyez CORONAL, TEMPORAL, &c.
Quelquefois l'os parietal devient monstrueux par son épaisseur. M. Morand a fait voir à l'académie des Sciences le parietal gauche d'un crâne humain, qui avoit neuf lignes & demi d'épaisseur ; il n'avoit point de diploë, & sa substance étoit serrée comme celle de l'ivoire. Du reste, il avoit tous les caracteres d'un parietal, par ses autres dimensions : des vaisseaux de la dure-mere, gravés sur la table interne, ne paroissoient pas en avoir logés de plus gros ; on n'a point su l'origine de cet os singulier par son épaisseur. M. Morand l'avoit reçu d'un de ses amis, qui étoit pour lors employé à l'armée de Westphalie, & qui le lui avoit envoyé comme une piece curieuse. Hist. de l'acad. des Scienc. année 1742. (D.J.)
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PARIEUR | S. m. (Jeu) celui qui parie. Voyez PARI.
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PARILI | S. m. (Botan. exot.) nom d'un grand arbre qui croît au Malabar. Sa racine & ses feuilles passent pour adoucir la salure du sang & des humeurs. On prépare avec les feuilles, & celles du caretti, cuites dans le suc laiteux du cacao, une décoction qu'on applique aux hémorroïdes pour en appaiser les douleurs. (D.J.)
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PARILIES | S. f. pl. (Ant. rom.) en latin parilia ; fêtes en l'honneur de la fondation de Rome. Hadrien étant monté sur le trône, trouva qu'il étoit convenable de célébrer l'anniversaire de la fondation de Rome, par des témoignages publics de vénération & de joie : plein de ce projet, il fit bâtir dans Rome même un temple à la ville de Rome, qui en avoit déja plusieurs dans les provinces, changea le nom de Parilia, qu'on donnoit au jour de sa fondation, en celui de Romana, & ordonna qu'à l'avenir ce jour seroit célebré par des fêtes & par des jeux publics ; c'est ce que nous apprenons d'Athénée. Le sénateur Buonarotti croit que le temple bâti par Hadrien est représenté sur un médaillon de ce prince, où l'on voit un temple à dix colomnes avec un fronton & des statues, ayant de chaque côté une colonne détachée du reste de l'édifice, sur laquelle s'éleve une statue, & pour légende. S. P. Q. R. E. X. S. C.
On ne faisoit aucun sacrifice sanglant le jour des parilies, parce que c'étoit le jour natal de la ville éternelle ; d'où il est aisé de juger, que quelque usités que fussent ces sortes de sacrifices, ils ne laissoient pas d'être toujours, comme ils devoient être naturellement, en quelque sorte d'horreur, puisqu'on croyoit honorer une fête en s'en abstenant. Il falloit donc bien que l'usage s'en fût introduit par politique plus que par dévotion. (D.J.)
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PARILLA | SANTA, (Géograph. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Pérou, audience de Lima, dans la vallée & sur la riviere de Santa, au bord de la mer, à 20 lieues de Truxillo, & 60 de Lima. Long. 300. long. 9.
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PARIMA | LAC DE (Géogr. mod.) lac d'Amérique qui est situé directement sous l'équateur. Il a 305 milles d'Allemagne de longueur de l'est à l'ouest, & dans l'endroit le plus large, cent milles ou environ ; desorte qu'on peut le comparer aux plus grands lacs du monde, s'il n'est pas le plus grand ; cependant il ne reçoit & ne produit point de rivieres.
On peut douter, avec raison, comment ce lac a été formé, si c'est par quelque inondation ancienne de l'Océan, par des sources souterraines, ou par les eaux pluviales qu'il est entretenu : vraisemblablement il y a dans le fond des sources qui suppléent à l'eau qui se perd tous les jours par l'évaporation : car les lacs semblent avoir la même origine que les rivieres ; ils ne different que par la situation, & la quantité d'eau de leurs sources. En effet, qu'une source soit environnée de tous côtés d'un terrein élevé, qu'elle coule sur un lit plat & large, & ne fournisse qu'une petite quantité d'eau, elle ne forme point de courant, & s'évapore à mesure qu'elle sort.
Il n'y a donc réellement de différence entre les sources, les lacs & les rivieres, que dans quelques circonstances : on peut trouver des sources qui ne forment point de courant ; mais on les appelle plus proprement des puits. (D.J.)
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PARIS | (Géog. mod.) ville capitale du royaume de France, située sur la Seine, à environ 90 lieues sud-est de Londres, 95 sud d'Amsterdam, 260 nord-ouest de Vienne, 240 nord-est de Madrid, 270 nord-ouest de Rome, 290 nord-ouest de Constantinople, 340 de Lisbonne, 590 sud-est de Moscou, 300 sud-ouest de Cracovie, 230 sud-ouest de Copenhague, 350 sud-ouest de Stockholm, Long. orient. de Paris à Notre-Dame, 20d. 21'. 30''. latit. 48d. 51'. 20''. long. de Paris à l'observatoire, suivant Cassini, 19d. 51'. 30''. latit. 48d. 50'. 10''.
Paris est une ancienne ville, une des plus grandes, des plus magnifiques & des plus peuplées de l'univers. Elle a produit seule plus de grands personnages, plus de savans, plus de beaux esprits que toutes les autres villes de France réunies ensemble.
On y compte sept cent mille ames, environ 23 mille maisons, un grand nombre d'hôtels magnifiques. Il y a trois palais superbes distingués sur tous les autres ; savoir, celui des Tuileries, du Louvre & du Luxembourg ; celui du Louvre n'est point fini. Chaque roi depuis François I. y a fait travailler plus ou moins. Louis XV. aura peut-être la gloire d'y avoir mis la derniere perfection.
La Seine qui traverse Paris, passe sous plusieurs ponts, entr'autres sous le pont-neuf, qui est le plus beau, soit par sa longueur, soit par sa largeur. Les plus belles places publiques sont la place royale, où l'on voit la statue de Louis XIII. la place Vendôme, où est la statue équestre de Louis XIV. & la place des Victoires, où est la statue pédestre du même roi ; mais on fait actuellement entre les Tuileries & le Cours, une nouvelle place, où l'on a déja placé la statue équestre de Louis XV. on ne peut rien encore prononcer sur la place ; mais quant à la statue, il est décidé que c'est le plus beau monument en ce genre qu'il y ait à Paris.
De toutes les fontaines de Paris, il n'y en a que deux belles, celle des Innocens, & celle de la rue de Grenelle.
On compte dans Paris trois maisons de théâtres qui semblent être des prisons ; 41 paroisses, 11 chapitres ou collégiales, 53 couvents d'hommes, 70 couvents de filles, 12 séminaires, 8 abbayes de filles, & 3 abbayes d'hommes ; sçavoir, S. Victor, S. Martin-des-Champs, & S. Germain-des-Prés.
L'évêché de Paris fut érigé en archevêché en 1622. Les archevêques sont ducs & pairs depuis 1674. La métropole, quoiqu'ancienne, a des grandes beautés, & un choeur richement orné. Les autres églises remarquables sont 1°. Celle de la maison professe des Jésuites, où se trouve les coeurs de Louis XIII. & de Louis XIV. ainsi que le mausolée en marbre du grand Condé. 2°. L'église de la paroisse de S. Roch, nouvellement bâtie. 3°. Celle de la paroisse de S. Sulpice, qui n'est pas encore finie. 4°. Celle du Val-de-Grace, décorée de peintures ; c'est une des huit abbayes de filles qui sont dans la ville. 5°. On a commencé brillamment l'église de sainte Génevieve.
L'université de Paris, célebre dans le monde chrétien, est composée de trente-six colléges, dont dix sont de plein exercice. Il y a deux écoles publiques de Théologie, la Sorbonne & Navarre. Le cardinal de Richelieu a été restaurateur de la Sorbonne, où il a dans la chapelle un superbe mausolée. Le college le plus beau, & qui est de plein exercice, est celui des Quatre-Nations, appellé aussi Mazarin, parce qu'il a pour fondateur le cardinal de ce nom. Les jésuites avoient un vieux college dans la rue S. Jacques, appellé autrefois le college de Clermont, parce qu'un évêque de Clermont l'avoit fondé.
Il y a à Paris six académies royales, l'académie françoise établie en 1635 ; celle des Inscriptions & Belles-lettres, en 1663 ; celle des Sciences, en 1666 ; celle de Peinture & de Sculpture, en 1648 ; celle d'Architecture, en 1671 ; & celle de Chirurgie, en 1748.
Il y a cinq bibliotheques publiques ; celle du roi tient le premier rang dans le monde littéraire par l'étendue des bâtimens, par le grand nombre de livres & de manuscrits, & par son assemblage de médailles, d'estampes, &c.
Il y a trois sortes de prisons, comme si le gouvernement n'étoit pas un ; la prison du roi ; celles du parlement, la conciergerie & le châtelet ; & celle de l'archevêché, l'officialité.
Les principaux hôpitaux sont l'hôtel-dieu, & l'hôpital-général qui en comprend d'autres.
Les célebres manufactures de Paris sont celle des glaces dans le fauxbourg S. Antoine, & celle des Gobelins pour les belles tapisseries, dans le fauxbourg S. Marceau.
Louis XIV. a fait bâtir près de la porte S. Jacques un observatoire consacré à l'Astronomie. Ce noble, utile, grand & simple édifice s'abîmera incessamment, si l'on n'en prévient la ruine prochaine.
Parmi les grands établissemens faits à Paris, on doit mettre celui des Invalides ; c'est un hôtel magnifique fondé par Louis XIV. pour servir de retraite aux officiers & soldats qui ont passé vingt ans au service, ou qui ont été estropiés, & hors d'état de servir davantage. Louis XV. a fait un nouvel établissement plus utile. C'est une école militaire consacrée à l'éducation de cinq cent jeunes gentilhommes, qui sont entretenus & instruits dans toutes les sciences convenables à leur état.
Personne n'ignore qu'il y a dans Paris un grand nombre de jurisdictions, parlement, le plus ancien & le plus étendu du royaume, chambre des comptes, cour des aides, grand-conseil, cour des monnoies, bureau des finances, chambre du domaine, jurisdiction des eaux & forêts, châtelet, Consuls, bailliage du palais, connétablie, maréchaussée, élection, grenier à sel, &c.
On a tenu plusieurs conciles à Paris ; le premier, un des plus considérables, se tint contre les Ariens, en 362. Le roi Gontran assembla, en 575, le quatrieme concile de Paris, pour terminer le différend entre Chilperic & Sigebert ; mais cette assemblée fut sans aucun effet. Le cinquieme concile de Paris fut convoqué en 624 par les soins de Clotaire II. pour la réforme des abus ; 79 évêques y assisterent, & l'on ne reforma rien. Philippe-Auguste fit tenir en 1186 & 1187, deux conciles à Paris pour délibérer sur le moyen de sécourir la Terre-sainte. Dans le dernier, on lui accorda la dixme dite saladine, parce que les deniers en devoient être employés contre le sultan Saladin. Les légats du pape célébrerent, en 1196, un concile dans la même ville, pour contraindre Philippe à quitter Agnès de Méranie. En 1202, on en tint un dans lequel on défendit la lecture d'Aristote. Jean de Nanton, archevêque de Sens, présida au concile de Paris de l'an 1429 pour la réforme de l'office divin, des ministres de l'église, des abbés & des religieux.
La situation de Paris est très-heureuse. Quatre rivieres, l'Yone, la Seine, la Marne & l'Oise lui apportent les denrées des provinces les plus fertiles ; les greniers de la Beauce sont presque à ses portes. La Seine qui depuis qu'elle est sortie de Paris, va toujours en serpentant comme un méandre, & qui, par des contours de près de cent lieues, se rend à la mer qui n'en est pas éloignée de plus de quarante-deux, devient ainsi fort aisée à remonter, & apporte à Paris les commodités & les richesses de la Normandie & de la mer. Cette abondance des choses nécessaires à la vie, a fait accourir à Paris une grande affluence de peuple. La résidence des rois, la proximité de Versailles, la dépendance où l'on est des ministres, le luxe, l'amour des plaisirs ont augmenté cette affluence, qui n'aura bientôt plus de bornes ; mais aussi Paris voit naître dans son sein plus de savans & de grands artistes que tout le reste du royaume.
Passons au détail de la description de cette grande ville.
Nous ignorons le tems de sa fondation, & celui de ses premiers agrandissemens ; cependant Raoul de Presles nous fournira dans la suite quelques faits curieux. Grégoire de Tours nomme seulement les fondateurs des deux églises de S. Pierre & de S. Vincent : desorte que si l'on peut tirer des écrits de cet auteur, quelques éclaircissemens sur l'état de la ville de Paris, ce n'est qu'en rapprochant des passages épars çà & là, en les comparant entr'eux, & avec ce que nous apprenons des écrivains qui ont vécu de son tems, ou qui sont venus après lui.
On lit dans les commentaires de César, l. VI. le premier des auteurs anciens qui a parlé de Paris, qu'il transféra l'assemblée générale de la Gaule dans la ville de Lutece des Parisiens, Lutetia Parisiorum. César la nomme Oppidum, ce qui prouve qu'elle étoit déja la capitale d'un peuple, avant que ce grand capitaine en eût fait la conquête. Le transport de l'assemblée générale de la Gaule à Lutece marque que cette ville avoit pour lors une certaine considération, & des facilités de subsistance, par la fertilité du pays. Aussi les Lutéciens se conduisirent avec beaucoup de courage contre l'armée de Labienus ; ce général s'étant approché de Lutece, les habitans mirent le feu à la ville, c'est-à-dire, selon les apparences, aux maisons qui étoient près de la riviere, rompirent les ponts, & se camperent sur les bords de la Seine, ayant la riviere entr'eux & le camp de l'ennemi. Strabon & Ptolomée, qui ont écrit depuis César, honorent aussi Lutece du nom de ville ; il est vraisemblable que Lutetia est un pur nom gaulois, ou celtique.
On a découvert une inscription du tems de l'empereur Tibere sur une pierre qu'on trouva en 1710 sous l'église métropolitaine de Notre-Dame. On y lit ces mots, Nautae Parisiaci, ce qui doit s'entendre des marchands ou nautonniers de la province des Parisiens, qui formant un corps de communauté à Lutece, avoient consacré ce monument pour conserver à la postérité la mémoire de quelque evénement singulier arrivé sous Tibere, ou pour quelques actions de graces à Jupiter. Voici l'inscription. Tib. Caesare. Aug. Jovi. Optimo. Maximo. Nautae Parisiaci Publicè Posuerunt.
Les Luteciens étoient les habitans de la capitale de la province des Parisiens ; mais on ignore le tems où le nom de la province est devenu celui de la capitale. Les auteurs qui dérivent le mot de Parisii de , & d', peuples sous la protection d'Isis, débitent une pure fiction ; la déesse Isis n'avoit jamais été adorée dans la province des Parisiens, & l'on n'a pas un seul ancien auteur qui le dise.
L'empereur Julien cherchant un asyle dans les Gaules, choisit Paris pour y faire sa demeure ordinaire : voici ce qu'il en raconte lui-même dans le Misopogon.
" J'étois, dit-il, en quartier d'hiver dans ma chere Lutece ; c'est ainsi qu'on appelle dans les Gaules la petite capitale des Parisiens. Elle occupe une île peu considérable, environnée de murailles, dont la riviere baigne le pié. On y entre des deux côtés par des ponts de bois. Il est rare que la riviere se ressente beaucoup des pluies de l'hiver ou de la secheresse de l'été. Ses eaux pures sont agréables à la vûe & excellentes à boire. Les habitans auroient de la peine à en avoir d'autres, étant situés dans une île. L'hiver y est assez doux.... On y voit de bonnes vignes, & des figuiers même, depuis qu'on prend soin de les revêtir de paille, & de tout ce qui peut garantir les arbres des injures de l'air. Pendant le séjour que j'y fis, un froid extraordinaire couvrit la riviere de glaçons... Je ne voulus point qu'on échauffât la chambre où je couchois, quoiqu'en ce pays-là on échauffe, par le moyen des fourneaux, la plûpart des appartemens, & que tout fût disposé dans le mien pour me procurer cette commodité.... Le froid augmentoit tous les jours ; cependant ceux qui me servoient ne purent rien gagner sur moi... Je leur ordonnai seulement de porter dans ma chambre quelques charbons allumés. Le feu tout médiocre qu'il étoit fit exhaler des murailles une vapeur qui me donna à la tête, & m'endormit. Je pensai être étouffé. On m'emporta dehors, & les médecins m'ayant fait rendre le peu de nourriture que j'avois pris sur le soir, je me sentis soulagé. J'eus une nuit tranquille, & fus dès le lendemain en état d'agir " C'est ainsi que sa dureté pour lui-même pensa lui couter la vie.
Il est probable que ce fut du tems de Julien qu'on bâtit le palais des thermes ou des bains, dont on voit encore quelques vestiges à la Croix de fer, rue de la Harpe. Clovis après avoir tué Alaric, roi des Visigoths, y fit sa résidence en 508, selon l'abbé de Longuerue. Son palais étoit sur la montagne, aux environs du lieu où l'on a bâti depuis le college de Sorbonne. Saint Louis, dans ses lettres, témoigne que ce lieu étoit ante palatium thermarum, devant le palais des thermes, d'où l'on voit qu'il subsistoit dès ce tems-là, de maniere à mériter la dénomination de palais.
Raoul de Presles, après avoir parlé de ce palais des thermes, dit dans son vieux langage : " A donc, les gens commencerent à édifier maisons à l'environ de ce chastel, & à eulx logier, & commença celle partie lors premierement à estre habitée ; n'encores, ne despuis long-tems ne fut l'autre partie de Paris devers Saint-Denis, laquelle est à présent la plus grant habitée ; mais y avoit par-tout forests & grands bois, & y faisoit l'en moult d'omicides. Le marchié des bestes étoit par-deçà la rue aux Bourdonnois, ou lieu que l'en dit le siége aux Deschargeurs ; & encore l'appelle l'en la vieille place aux pourceaux ; & à la Croix du tirouoir se tiroient les bestes, & pour ce est appellé la Croix du tirouoir ". (Tirouoir, triouoir pour les bêtes que l'on y triooit.)
" Au carrefour Guillori estoit le pilori où l'on coupoit les oreilles, & pour ce à proprement parler il est appellé le carrefour Guiguoreille. Et la boucherie estoit là où elle est à présent, comme tout hors de la cité ; & c'estoit raison. Et emprez ou Perrin-Gasselin estoit une place où l'on gettoit les chiens. Et encores y a il une ruelle ainsi appellée.
Despuis fut habitée & fermée Paris, jusques-au lieu que l'on dit à Barchet Saint-Mery, où il appert encore le côté d'une porte. Et là fut la maison Bernart des Fossez, où Guillaume d'Orange fut logié, quand il desconfit Ysore qui faisoit siége devant Paris. Cette porte alloit tout droit sans tourner à la riviere, ou lieu que l'en dit, les planches de Mibray. Et là avoit un pont de fust qui s'adressoit droit à Saint-Denis de la Chartre, & de-là tout droit parmi la cité, s'adressoit à l'autre pont que l'en dit Petit-pont.
Et estoit ce lieu dit, à proprement parler, les planches de Mibras, car c'estoit la moitié du bras de Seine, & qui auroit une corde, & la menait de la porte Saint-Martin à la riviere, & de la riviere à la juierie, droit au petit pont de pierre abattu, & de-là à la porte Saint-Jacques, elle iroit droit comme une ligne, sans tourner ne çà ne là.
Après l'en fist le cimetiere ou lieu où est l'église des Innocens, qui étoit lors tout hors & loing de la ville, si comme l'en le faisoit anciennement ; car l'en faisoit & les boucheries & les cimetieres tout hors des cités, pour les punaisiers & pour les corruptions eschiever.
Près de ce cimetiere, l'en commença à faire le marchié, & l'appelloit l'en Champeaux, pource que c'estoit tout champs. Et encores a ce lieu retenu le nom & raison du marchié, premierement y commencierent les gens à faire loges petites & bordes, comme feirent les Bourgueignons quant ils vindrent premierement en Bourgogne. Et puis petit-à-petit y édifierent maisons, & y fist l'en halles, pour vendre toutes manieres de denrées.
Et ainsi crut la ville jusques-à la porte S. Denis, & là fut fermée & fut abattue la vieille muraille, & à présent s'estent la ville jusques-à la bastille S. Denis. Qu'il soit, il appert ; car quand l'église S. Magloire, laquelle fut premierement en la citée, fut transportée au lieu où elle est de présent, elle fut édifiée aux champs ; & se trouve encores qu'en la date des lettres royaux qui furent faites pour-lors, avoit escript : donné en notre église de lez Champiaux près de Paris ".
Après cette exposition des accroissemens & de l'état de Paris, Raoul de Presles parle du château de Begaux à Saint-Mor-des-Fossez, détruit par Maximien, puis il passe à la description du gouvernement de la nation d'après Julius Celsus, & dit qu'elle étoit composée de druides, de chevaliers, & du peuple, duquel l'on ne faisoit point de compte, car ils étoient aussi comme serfs. " Et quant ils se veoient grevez & oppressez par aucun, ils se rendoient au plus fort ".
Raoul de Presles parle ensuite des temples des Parisiens. " A la montagne de Mercure (aujourd'hui Monmartre), fut envoyé, dit-il, par Domitien-Maxence, & mené monseigneur saint Denis & ses compaignons, pour sacrifier à Mercure, à son temple qui là estoit, & dont appert encores la vieille muraille. Et pour ce qu'il ne le voult faire, fut ramené lui & ses compaignons, jusques-au lieu où est sa chapelle, & là furent tous décolez. Et pour celle, ce mont qui paravant avoit nom le mont de Mercure, perdit son nom & fut appellé le mont des Martirs, & encores est.
Ce monseigneur saint Denis fonda à Paris trois églises ; la premiere de la Trinité où est aouré saint Benoist à présent, & y mit moines ; la seconde saint Etienne des Grès, & y fit une petite chapelle où il chantoit ; la tierce Notre-Dame-des-Champs, en laquelle église il demeuroit, & y fut prius ; & ces choses nous avons dit pour montrer l'ancienne création de Paris ".
Au reste, on ne devineroit pas l'ouvrage où se trouve tout le récit de Raoul de Presles, dont on vient de lire l'extrait ; c'est dans le chapitre xxv. du livre V. de ses Commentaires sur la Cité de Dieu de saint Augustin. Cet écrivain naquit vers l'an 1315 ; il fleurissoit sous Charles V. qui eut pour lui une estime particuliere, & estima beaucoup son ouvrage de la Cité de Dieu, dont un des plus anciens exemplaires est celui qui est noté à la bibliotheque royale, n°. 5824, 6835 ; il a appartenu à Louis XII. & les miniatures en sont belles.
Revenons à l'état où étoit la cité de Paris avant le ravage des Normands en 886. On y entroit par deux ponts de bois du tems de l'empereur Julien, comme il nous l'apprend lui-même. Quoique plusieurs passages de Grégoire de Tours donnent à entendre que nos rois avoient un palais dans la cité ; il faut cependant convenir qu'aucun auteur n'en a parlé d'une maniere positive avant le siége de Paris par les Normands. Le palais où demeuroit Julien n'étoit pas dans la cité, mais au midi de la Seine auprès du palais des Thermes : c'étoit dans le palais des Thermes que venoient se rendre les eaux d'Arcueil, par un aquéduc dont il reste encore des vestiges, depuis ce village jusqu'à l'hôtel de Clugny, rue des Mathurins ; & la rue des Mathurins qui fut percée au-travers de ce palais, fut nommée la rue des Bains de César, vicus Thermarum Caesaris.
On a abattu auprès de l'hôtel de Clugny, en 1737, une salle fort exhaussée, sur la voûte de laquelle il y avoit un jardin qui faisoit partie de ce palais ; mais on peut voir encore à la Croix de fer dans la rue de la Harpe, une autre grande salle voûtée, & haute d'environ quarante piés, construite & liée des mêmes matériaux que les restes de l'ancien aquéduc d'Arcueil, dans laquelle il y a une rigole à deux banquettes, couverte d'un enduit de ciment, & d'une construction semblable à des restes de rigole, que M. Geoffroy de l'académie des Sciences a découverts en 1732.
Les bains du palais que Julien habitoit avec toute sa cour, étoient dans cet endroit-là, mais ils n'en formoient qu'une petite partie. Nos rois de la premiere race y firent aussi leur séjour. Childebert se plaisoit à cultiver les jardins qui l'accompagnoient, & qui devoient être situés du côté de l'abbaye de saint Germain, puisque Fortunat nous apprend que c'étoit en les traversant que ce prince se rendoit à cette église.
Charibert dont les moeurs ne se ressentoient en rien de la barbarie de nos premiers rois, céda à la reine Ultrogothe, femme de Childebert, & à ses deux filles, le palais des Thermes, & se retira dans celui de la cité. Les Normands qui brûlerent les maisons du quartier de l'Université, n'épargnerent pas le palais des Thermes ; & c'est au tems de leurs ravages qu'il faut attribuer la destruction de l'aquéduc d'Arcueil. Malgré cela il fut encore la demeure de quelques-uns de nos rois de la troisieme race, & sous Louis le jeune il s'appelloit le vieux palais. Jean de Hauteville, qui vivoit sous le regne de Philippe-Auguste, en fait une description magnifique, aussi-bien que de ses jardins ; il ajoute qu'il s'y commettoit des désordres où la pudeur n'étoit guère épargnée ; l'emplacement des jardins devoit occuper le terrein des rues de la Harpe, Pierre-Sarasin, Hautefeuille, du Jardinet, & autres.
Quoi qu'il en soit de l'étendue précise du palais des Thermes, il est certain qu'il subsistoit encore en 1218, puisque cette année-là Philippe-Auguste le donna à un de ses chambellans avec le pressoir qui y étoit, à condition qu'il le tiendroit du roi & de ses successeurs, moyennant douze deniers de cens. Depuis le regne de ce prince, ce palais éprouva les mêmes changemens qui sont arrivés dans la suite à d'autres palais de nos rois, comme aux palais de saint Paul & des Tournelles, dont les bâtimens furent vendus à différens particuliers, & sur l'emplacement desquels on perça de nouvelles rues.
Les rois de la race des Carlovingiens demeurerent rarement à Paris. Robert, frere du roi Eudes, étant comte ou gouverneur de Paris, s'en rendit le maître absolu, & laissa sa succession à Hugues-le-Grand. Ces princes avoient un palais dans cette ville, dans l'endroit où l'on rend la justice ; auprès étoit une chapelle dédiée à saint Barthelemi, où Hugues-Capet, avant que de parvenir à la couronne, établit pour y faire le service les moines de saint Magloire qui étoient errans, ruinés, & chassés de Bretagne par les Normands.
Hugues-Capet qui fut comte de Paris, ayant été élu roi en 987, & n'ayant presque d'autre domaine que celui dont il avoit hérité de son pere, continua de résider à Paris comme il avoit fait avant que de monter sur le trône, ce qui a été suivi par ses successeurs, qui tous ont été de sa race ; ainsi il y a plus de sept cent cinquante ans que Paris est continuellement la capitale du royaume & la résidence des rois, c'est ce qui l'a fait parvenir au point de grandeur où elle est aujourd'hui, par le moyen des grands fauxbourgs, qui furent bâtis au midi & au septentrion de la Seine, & qui demeurerent tout ouverts plus de deux cent ans après la mort de Hugues-Capet.
Ce fut Philippe-Auguste qui le premier fit fermer de murailles ces fauxbourgs, ce qui forma deux nouvelles villes, l'une du côté du midi, qui fut nommée l'Université, parce que les maîtres qui y enseignoient les sciences s'y étoient établis avec leurs écoliers, quoiqu'il n'y eût point alors de college fondé ; celui de Sorbonne est le plus ancien. Cette enceinte fut considérablement augmentée sous le regne de Charles V. dit le Sage, qui enferma les églises de S. Paul & de S. Germain l'Auxerrois, de S. Eustache, de S. Martin, de S. Nicolas des Champs, & quelques-autres, dans la nouvelle enceinte qu'il fit faire. Du tems de Louis XIII. on enferma les Tuileries & saint Roch dans la ville, & l'on fit bâtir les portes de la Conférence, de S. Honoré, de Richelieu & de Montmartre, lesquelles sont détruites depuis quelques années, celle de la Conférence en 1730, & celle de S. Honoré en 1732.
Parcourons maintenant tous les quartiers de Paris & commençons par le Louvre, le principal ornement de cette grande ville, mais qui demande à être achevé. Du Boulay prétend qu'il avoit été construit dès la premiere race de nos rois ; c'est un sentiment qu'il appuie principalement sur des lettres du roi Dagobert I. dont l'authenticité n'est pas trop reconnue : il est vrai qu'elles sont rappellées dans des lettres moins suspectes de Charles-le-Chauve ; ainsi en admettant ces dernieres on donnera toujours au Louvre une époque bien antérieure au regne de Philippe-Auguste. Il paroît enfin que le château est plus ancien que ce prince ; & Rigord que l'on cite pour prouver que cette maison lui doit son origine, ne dit autre chose, sinon qu'il y fit bâtir cette tour, si connue depuis sous le nom de grosse tour du Louvre. Comme nos rois ont toujours aimé la chasse, cette maison pouvoit bien d'abord avoir été destinée aux équipages de celle du loup, d'où lui seroit venu le nom de Lupara ; si cette étymologie n'est pas vraie, elle n'est pas au-moins contre toute vraisemblance.
Quoi qu'il en soit, si le Louvre ne fut pas commencé, il fut rétabli en 1214 par Philippe-Auguste, hors de la ville, à l'extrémité de la varenne du Louvre. La grosse tour bâtie près du château, sur la riviere, fut nommée la tour du Louvre, elle défendoit l'entrée de la riviere conjointement avec celle de Nesle, qui étoit vis-à-vis. Ce fut dans la tour du Louvre que Ferrand, comte de Flandre, fut mis en prison après la bataille de Bovines, que Philippe-Auguste gagna sur ce comte, son feudataire, qui s'étoit révolté contre lui : cette grosse tour servit depuis à garder les tresors de quelques rois, & fut renversée quand le roi François I. fit les fondemens des ouvrages qu'on appelle le vieux Louvre. Henri II. son fils employa les architectes les plus renommés de son tems, pour rendre ce bâtiment aussi régulier que magnifique.
Les premiers fondemens du palais des Tuileries furent jettés l'an 1564, par l'ordre de la reine Catherine de Médicis, en un lieu fort négligé, où pendant long-tems on avoit fait de la tuile. Elle prit, pour exécuter son dessein, Philibert de Lorme & Jean Bulan, tous deux françois & les plus habiles de ce tems. Il ne fut composé que du gros pavillon quarré du milieu, de deux corps de logis qui ont une terrasse du côté du jardin, & de deux autres petits pavillons qui les suivent. Ces cinq pieces qui forment ce palais, avoient de la régularité & de la proportion. Les faces des deux côtés qui regardent la cour ou la principale entrée par la place du Carrousel, sont décorées d'une architecture de très-bon goût. Le gros pavillon du milieu, couvert en dôme quarré, est orné de trois ordres de colonnes de marbre ; savoir de l'ionique, du corinthien & du composite, avec un attique encore au-dessus. Les colonnes du premier ordre sont bandées & ornées sur les bandes de diverses sculptures, travaillées sur le marbre. Du côté du jardin, ces mêmes ordres ne sont que de pierre. Dans la restauration que Louis XIV. fit faire dans ce palais en 1664 sur les desseins de Louis le Vau, dont François d'Orbay a eu toute la conduite, on ajouta à ce pavillon le troisieme ordre avec un attique, afin que l'exhaussement répondît à tout le reste.
Aujourd'hui toute la face de cet édifice est composée de cinq pavillons & de quatre corps de logis de 168 toises 3 piés de longueur, dont l'architecture est traitée diversement, ce qui n'empêche pas que le tout ensemble n'ait une grande apparence qui embellit infiniment les vûes du jardin des Tuileries, dont l'étendue a été distribuée d'une maniere si ingénieuse, que dans un espace de 360 toises de longueur sur 168 de largeur, on trouve tout ce qu'on peut souhaiter dans les plus charmantes promenades.
Au-delà des Tuileries, sur le bord de la riviere, est le Cours, appellé communément le Cours de la reine. Marie de Médicis le fit planter, pour servir de promenade. Il étoit long de 1800 pas, & composé de trois allées, qui formoient quatre rangées d'ormes, faisant ensemble 20 toises de longueur.
Proche du Guichet, on trouvoit deux églises, dont l'une S. Nicolas du Louvre desservie par des chanoines, & l'autre S. Thomas du Louvre, avec un chapitre dans la rue de ce même nom, sont aujourd'hui réunies sous un même titre.
L'origine de l'église de S. Germain l'Auxerrois, paroisse du Louvre, est inconnue. Il est certain qu'on appelloit simplement du nom de S. Germain dès le vij. siecle l'église qui étoit bâtie à cette place. Il n'y a aucun indice avant le xiv. siecle qu'on y eût honoré S. Vincent. Le bâtiment de cette église, tel qu'on le voit à présent, est de différens siecles.
Le quartier S. Honoré a été ainsi nommé de la rue de ce nom, l'une des plus grandes de Paris, dont l'extrémité donne dans la rue de la Feronnerie. La premiere chose un peu remarquable qu'on distingue ensuite, est la croix du Tiroir ; elle est au coin de la rue de l'Arbre-sec, appuyée sur l'angle d'un pavillon. Son nom a fort varié dans les anciens titres ; tantôt c'est la croix du Traihouer, Trayoir, tantôt la croix du Triouer, Tiroer, & enfin Tiroir. C'est-là que se fait la décharge des eaux d'Arcueil, qui passent sous le pavé du pont-neuf.
En avançant dans la même rue, on trouve l'église des peres de l'Oratoire. Ces peres furent établis à Paris par le cardinal de Berulle le 11 Novembre 1611. Ils logerent d'abord à l'hôtel de Valois, fauxbourg S. Jacques ; ensuite ils vinrent à l'hôtel du Bouchage ; quelque tems après, on jetta les fondemens de leur église. Un peu plus haut de l'autre côté de la rue, on voit l'église de S. Honoré, qui n'a rien de remarquable. Le palais-royal qu'on découvre ensuite, a été bâti de fonds en comble, pour servir de logement au cardinal de Richelieu, & fut nommé de son tems hôtel de Richelieu, & ensuite palais-cardinal.
A peu de distance de-là, vis-à-vis la rue de Richelieu, est l'hôpital des Quinze-Vingts, que S. Louis fit bâtir en 1254 pour trois cent gentilshommes aveugles qu'il ramena de la Terre-sainte, où ils avoient perdu la vûe en combattant contre les Sarrasins. Plus haut de l'autre côté est l'église paroissiale de S. Roch, qui a été extrêmement aggrandie. L'église des Jacobins qu'on rencontre ensuite n'est remarquable que par une chapelle, où est élevé en marbre blanc le tombeau du maréchal de Créqui, mort en 1687. Le couvent des Feuillans qu'on trouve dans la même rue, a toutes les commodités que peut desirer une nombreuse communauté : l'église fut commencée en 1601, & le roi Henri IV. y mit la premiere pierre : Louis XIII. en fit faire le portail l'an 1624. Le couvent des Capucins n'est éloigné de celui des Feuillans que d'un fort petit espace, tout y est très-simple : leur église fut bâtie par les ordres d'Henri III. & son favori, nommé le P. Ange de Joyeuse, qui mourut en 1608, y fut enterré vis-à-vis le grand autel.
Le monastere des filles de l'Assomption est un peu plus avant du même côté. Ces religieuses demeuroient autrefois dans la rue de la Mortellerie, proche de la Grève, où elles étoient hospitalieres ; on les nommoit Haudriettes, à cause d'Etienne Haudri, écuyer du roi saint Louis, qui les avoit fondées pour loger & pour servir les pauvres malades. Cette communauté s'étant accrue dans la suite, & se trouvant resserrée en ce lieu-là, vint s'établir en 1622 dans l'endroit où elle est présentement. C'étoit une place vuide qui s'étendoit jusqu'aux fossés de la ville. Le cardinal de la Rochefoucault introduisit parmi ces religieuses la regle de S. Augustin qu'elles suivent aujourd'hui. Vis-à-vis du monastere de l'Assomption est celui des filles de la Conception ; ce sont des religieuses du tiers-ordre qui l'occupent.
L'hôtel de Vendôme étoit autrefois au lieu que l'on appelle aujourd'hui la place de Vendôme : cette place est de 78 toises de largeur, & 86 de profondeur. La statue équestre de Louis XIV. est posée au milieu sur un piédestal de marbre fort élevé, où sont autour du piédestal quatre inscriptions composées par l'académie des Belles-Lettres, pour-lors des médailles, mais elles ne sont pas modelées sur le bon goût de la Grèce & de Rome. Notre style lapidaire avec son enflure n'est bon qu'à souffler des nains, dit ingénieusement M. J. J. Rousseau.
L'une de ces inscriptions porte, Ludovico Magno, Victori Perpetuo, Religionis Vindici, Justo, Pio, Felici, Patri Patriae.... Quo imperante securè vivimus, neminem timemus, &c. Ce neminem timemus ne respire pas le style lapidaire. D'ailleurs il ne falloit pas faire parler les représentans de la ville, comme parlent de petits bourgeois.
La seconde inscription roule sur la révocation de l'édit de Nantes, sujet de désastres & non de triomphes, de politique mal-entendue & non de gloire religieusement acquise.
La derniere inscription est l'éloge fastueux des conquêtes de Louis XIV. Cette inscription finit par dire : Asia, Africa, America, sensere, quid Marte posset. Bellum latè divisum atque dispersum, quod conjunxerant reges potentissimi, & susceperant integrae gentes, mirâ prudentiâ, & felicitate confecit. Regnum, modò à belli calamitate, sed etiam à metu calamitatis, defendit. Europa, damnis fatigata, conditionibus ab eo latis, laudem acquievit, & cujus virtutem & consilium armata timuerat, ejus mansuetudinem & aequitatem, pacata miratur, & diligit.
Le quartier de la bute S. Roch peut suivre celui de S. Honoré : il a été appellé ainsi à cause d'une haute bute de terre voisine de l'église de S. Roch, qu'on a applanie depuis quelques années pour bâtir plusieurs maisons spacieuses qu'on y trouve en diverses rues. La bibliotheque du roi est dans ce quartier. Voyez BIBLIOTHEQUE, t. II. p. 236.
La rue neuve des Petits-Champs qui commence vers l'église des Capucines, aboutit vers la place des Victoires. La statue de Louis XIV. est au milieu de cette place sur un piédestal de marbre blanc, veiné, de 22 piés de haut, en y comprenant un sous-bassement de marbre bleuâtre. Ce prince a un cerbere à ses piés, & la Victoire derriere lui montée sur un globe. Ce monument a été doré, & on lit sous la figure du roi, Viro immortali. Le tout est accompagné de bas-reliefs, & d'inscriptions latines & françoises trop connues.
L'hôtel de Soissons qui étoit dans ce quartier-là, n'en présente aujourd'hui que l'emplacement. L'église paroissiale de S. Eustache, une des plus considérables de la ville, n'est qu'à quelques pas de l'hôtel. Ce n'étoit d'abord qu'une chapelle sous l'invocation de Ste Agnès, qui dépendoit du chapitre de S. Germain l'Auxerrois. Le bâtiment tel qu'on le voit aujourd'hui fut commencé vers l'an 1530.
La rue S. Denis, l'une des plus fréquentées de la ville, commence au grand châtelet, qui est à l'extrémité du pont-au-change ; c'est en ce lieu que dans un vieux bâtiment se rend la justice civile & criminelle de la prevôté de Paris. La boucherie qui est dans cet endroit étoit autrefois la seule de toute la ville. Elle appartenoit à une communauté de bouchers, dont le crédit étoit si grand sous le regne de Charles VI. qu'il arrivoit souvent de tristes désordres lorsqu'ils étoient mécontens. Ils avoient à leur tête un nommé Caboche, écorcheur de bêtes ; & les principaux d'entr'eux, au rapport de Juvenal des Ursins, étoient les Gois, les Tibert, les Luilliers & les Saintions. C'est apparemment de cette communauté de bouchers que l'église paroissiale de S. Jacques de la Boucherie a reçu son nom.
Le cimetiere des SS. Innocens qu'on trouve près de là est le lieu public de Paris où l'on enterre les morts depuis près de mille ans. Le tombeau le plus singulier que l'on y voit est celui de Flamel qui avoit amassé de grandes richesses, & de Pernelle sa femme ; cependant ils ne sont point enterrés dans ce cimetiere. La fontaine des Innocens, qui est au coin de la rue aux Fers, a été embellie d'une architecture corinthienne en pilastres, ouvrage de Jean Gougeon.
L'église du S. Sépulcre, bâtie en 1326 pour les pélerins du saint sépulcre de Jérusalem qu'on logeoit autrefois quelques jours, est un peu plus loin de l'autre côté de la rue ; c'est à présent une collégiale, dont les chanoines, au nombre de cinq, sont à la collation du chapitre de Notre-Dame.
L'hôpital de S. Jacques qui est vis-à-vis de la rue aux Ours, fut fondé en 1317 par quelques bourgeois de Paris. Le revenu de cet hôpital appliqué aujourd'hui aux Invalides, étoit autrefois employé à loger les voyageurs qui passoient pour aller à S. Jacques de Galice.
On trouve ensuite l'hôpital de la Trinité, fondé par deux freres allemands, pour héberger les pélerins. On y entretient aujourd'hui des enfans orphelins de pere ou de mere, dont le nombre est fixé à cent garçons & trente-six filles. Presque vis-à-vis de cet hôpital est l'église de S. Sauveur, qui doit sa fondation à S. Louis.
La maison des peres de la mission de S. Lazare est dans le fauxbourg. C'étoit autrefois un hôpital destiné à loger ceux qui étoient affligés de ladrerie ; mais cette maladie ayant cessé, la maison de S. Lazare tomba entre les mains du P. Vincent de Paul, instituteur de la mission, qui en a fait le chef-d'ordre de toute la congrégation, d'après des lettres-patentes enregistrées au parlement en 1632.
L'église de S. Méderic, nommé communément S. Merri, étoit anciennement l'église de S. Pierre ; mais depuis la mort de S. Merri, natif d'Autun en Bourgogne & de l'ordre de S. Benoît, elle en a pris le nom. C'est une collégiale desservie par six chanoines & un cheffecier qui en est aussi curé.
Du côté de S. Merri en descendant, on rencontre l'église de S. Julien des Menestriers ; c'étoit jadis un hôpital pour les joueurs de violon. Plus bas, on va à S. Nicolas des Champs, qui étoit anciennement une chapelle de S. Jean, & qui est à présent une paroisse considérable.
A côté de S. Nicolas des Champs, on trouve le prieuré de S. Martin de l'ordre de Clugni ; c'est à Henri I. qu'est dû en 1060 la restauration de ce prieuré, qui donne le nom à la rue ; la nef de l'église est décorée de quatre tableaux de Jouvenet. La maison claustrale, qui est très-grande, a été bâtie dans ces derniers tems.
La porte de S. Martin est un ouvrage de cinquante piés de hauteur & de largeur. L'architecture est en bossages rustiques, vermiculés, avec des sculptures au-dessus des ceintres, & un grand entablement dorique, composé de mutules au lieu de triglifes, sur lequel est un attique. Les desseins de cette porte sont de Bullet.
Le fauxbourg a l'église de S. Laurent pour paroisse. Le lieu où se tient la foire appellé S. Laurent, en est voisin, & les loges que les marchands y occupent appartiennent aux peres de S. Lazare. Vis-à-vis est le couvent des Récollets, derriere lequel on voit l'hôpital de S. Louis, fondé par Henri IV. pour ceux qui étoient attaqués de la peste.
En remontant dans la ville par la même porte S. Martin, on vient à la rue neuve de S. Méderic, & de-là on entre dans la rue S. Avoye, qui prend son nom d'un couvent de religieuses que S. Louis fonda pour de vieilles femmes infirmes ; c'est aujourd'hui une maison de religieuses Ursulines.
Le Temple, ainsi nommé des chevaliers templiers, se trouve à l'extrémité de cette rue qui en porte le nom. Nos rois, après l'extinction des Templiers, donnerent ce bâtiment aux chevaliers de S. Jean de Jérusalem, qui en ont fait leur maison provinciale du grand-prieuré de France ; c'est un lieu de franchise, où se retirent les ouvriers qui ne sont pas maîtres.
L'hôpital des Enfans-rouges est dans ce même quartier, rue Portefoin. Il fut fondé l'an 1554 par Marguerite reine de Navarre, soeur de François I. pour des enfans orphelins, originaires de Paris, ou, comme d'autres auteurs prétendent, des lieux circonvoisins de Paris.
La rue des Billettes a pris son nom d'un couvent que l'on y trouve, & qui fut fondé par S. Louis en 1268. Il y mit des religieux de l'ordre de S. Augustin, qui vivent à présent de leurs revenus. L'hôtel de Guise, aujourd'hui hôtel de Soubise, est peu éloigné de-là ; il occupe un grand terrein. Le couvent des Blancs-manteaux est une maison de religieux de l'ordre de S. Benoît, dont l'église a été rebâtie depuis peu d'années.
De la vieille rue du Temple, on passe dans celle de S. Louis, à l'extrémité de laquelle on entre dans celle du Calvaire, où est le couvent des religieuses de ce nom, fondé en 1636 par le crédit du P. Joseph Leclerc capucin, favori du cardinal Richelieu.
Après la porte de S. Louis, en venant vers la rue des filles du Calvaire, on trouve le réservoir, dans lequel on garde l'eau pour rincer le grand égoût général, afin de garantir la ville de ce côté-là de la mauvaise odeur qui dominoit fortement jusqu'au bas de Chaillot, où les immondices se déchargent dans la riviere. Ce réservoir est un ouvrage utile, qui a été conduit par l'architecte Beausire, & achevé en 1740.
La rue de S. Louis est une des plus belles de Paris, par sa largeur & par sa longueur. On voit dans cette rue l'hôtel Boucherat, dont le jardin est d'une grande étendue. Toutes les maisons des environs sont du xvij. siecle. Ce quartier se termine à la rue S. Antoine, l'une des plus longues & des plus larges de Paris, & dans laquelle les rois faisoient autrefois leurs courses de bagues, leurs joûtes & leurs tournois.
La place de Greve, par où l'on peut dire que commence la rue S. Antoine, étoit anciennement un grand terrein inutile, sur lequel la riviere jettoit quantité de gravier, d'où lui vient sans doute le nom qu'elle porte ; mais depuis que le pavé de Paris a été rehaussé, & que l'on a fait des quais pour renfermer la riviere dans son lit, ses inondations ont été moins incommodes. La place de Greve étoit la seule où l'on donnoit autrefois des spectacles publics de réjouissance ; c'est aujourd'hui dans cette place qu'on exécute la plûpart des criminels condamnés à mort. Sa face principale est occupée par l'édifice qu'on nomme hôtel de ville, grand bâtiment gothique, dont voici l'histoire peu connue.
Ce fut en 1387 que le prevôt des marchands & les échevins allerent pour la premiere fois y tenir leurs assemblées. Cette maison appellée originairement la maison des piliers, parce que des piliers soutenoient la partie qui donnoit sur la place, avoit appartenu à Gui & à Humbert, derniers dauphins du Viennois ; & c'est de-là qu'elle avoit pris son autre nom d'hôtel du dauphin.
Charles V. régent du royaume pendant la prison du roi Jean, jouissoit, en qualité de dauphin, de tous les droits de Humbert. Il donna cet hôtel à Jean d'Auxerre, receveur des gabelles de la prevôté & vicomté de Paris ; & c'est de ce Jean d'Auxerre qu'Etienne Marcel, prevôt des marchands, & les échevins l'acquirent au mois de Juillet 1357, moyennant deux mille quatre cent florins d'or au mouton, valant deux mille huit cent quatre-vingt livres parisis, forte monnoie : ainsi le florin d'or valoit vingt-quatre sols ; & comme il y en avoit cinquante-deux au marc, & que le marc d'or fin vaut à présent sept cent quarante livres neuf sols un denier un onzieme, la premiere acquisition de l'hôtel-de-ville, a couté trente-deux mille cinq cent soixante-trois livres six sols huit deniers cinq treiziemes de notre monnoie. Cette somme étoit alors considérable ; aussi s'empressa-t-on dans le même mois de Juillet, à faire confirmer l'acquisition par le dauphin régent, afin, disent les lettres de confirmation de ce prince, que lesdits prevôt des marchands & échevins, au nom d'icelle, ne puissent être fraudés de si grande somme de florins.
Au reste, il s'en falloit bien que cet édifice contînt tout l'emplacement que l'hôtel-de-ville occupe aujourd'hui. Il est dit dans le contrat de vente qu'il étoit à deux pignons par-devant, & qu'il tenoit d'une part à la maison d'honorable homme & sage sire Dimenche de Chasteillon ; & d'autre part, à la maison de Gilles Marcel, aboutant par-derriere à la ruelle du martrai S. Jean en greve, & par-devant à la place de greve, en la censive du roi. Cette ruelle du martrai étoit la continuation de la rue des vieilles garnisons, qui a long-tems séparé l'hôtel-de-ville de l'église de S. Jean en greve.
L'hôtel-de-ville, qui avoit été l'habitation des dauphins, fut aussi celle de quelques prevôts des marchands. Jean Juvenal des Ursins y demeuroit, lorsque des scélérats, qui avoient voulu l'assassiner, vinrent dans la place de greve nuds en chemise & la corde au cou, lui demander pardon.
On ne songea qu'en 1532 à aggrandir ce bâtiment sous le regne de François I. Les maisons voisines furent achetées dans cette vue ; & le 15 de Juillet de l'année suivante, on jetta les fondemens du nouvel édifice ; ce fut le corps-de-ville en cérémonie qui posa la premiere pierre. Le premier & le second étage ne furent élevés que vers l'an 1549 ; mais l'ordonnance en ayant paru gothique, on en réforma le dessein, qui fut présenté à Henri II. au château de S. Germain en Laye, & que 50 ans après on suivit, sous le regne d'Henri IV ; toute la face du côté de la greve, & le pavillon de l'arcade n'ont été finis qu'en 1606, sous la prevôté de François Miron, qui étoit en même tems lieutenant civil. La tour de l'horloge & la grande salle neuve le furent en 1608, & le pavillon du côté du S. Esprit, en 1612. Sur la porte de l'hôtel-de-ville on a placé la statue équestre d'Henri IV. à demi-bosse en couleur de bronze sur un fond de marbre noir ; cet ouvrage est fort médiocre.
De la greve, après avoir passé sous une arcade, on vient à l'église de S. Jean, & ensuite à celle de S. Gervais, qui est une des anciennes paroisses de Paris. Le portail de S. Gervais passe pour être un des beaux morceaux d'Architecture ; il est composé des trois ordres grecs l'un sur l'autre, le dorique, l'ionique & le corinthien, dont les proportions sont si régulieres, qu'il n'y a rien au-dessus dans les ouvrages modernes les plus somptueux. Les colonnes doriques sont engagées d'un tiers dans le vif du bâtiment, & unies jusqu'à la troisieme partie de leur hauteur ; le reste est cannelé de cannelures à côtes. Celles des autres ordres sont détachées & hors d'oeuvre, & ne sont chargées que des ornemens qui leur sont propres. Ces trois ordres ensemble font une fabrique de 26 toises de hauteur, qui offre à la vue un grand objet ; ce portail fut achevé en 1617, Louis XIII. y mit la premiere pierre.
En poursuivant son chemin dans la rue S. Antoine, on voit l'église qu'on appelloit les grands Jésuites, avant l'extinction de cet ordre en France, dédiée à S. Louis, & fort décorée ; elle a été finie en 1641 ; toute l'architecture est de l'ordre corinthien, & son dôme est le premier qu'on a fait à Paris.
Vis-à-vis de cette église est la rue de la couture ou de la culture sainte Catherine, appellée ainsi d'une église de ce nom, qui fut bâtie du tems de S. Louis, aux dépens de quelques officiers de sa maison, qui faisoient entr'eux une espece de confrairie. On voit dans cette église entr'autres tombeaux, celui de René de Birague, cardinal, aux funérailles duquel assista Henri III. en habit de pénitent, avec tous les seigneurs de sa cour, vêtus de blanc comme lui.
La place royale doit son commencement à plusieurs particuliers qui la firent construire en 1604. Les maisons qui la forment, sont d'une même symmétrie, & elles ne furent achevées qu'en 1660. Cette place occupe le même lieu qui avoit servi de jardin au palais des tournelles, situé du côté du rempart, où François I. & quelques rois ses prédécesseurs, avoient tenu leur cour. Catherine de Médicis le vendit à plusieurs particuliers qui éleverent les maisons que l'on y voit à présent ; & la rue des tournelles, située près du rempart, en a retenu le nom. La place royale est parfaitement quarrée & coupée de trente-six pavillons élevés d'une même ordonnance. L'espace du milieu offre un grand préau enfermé dans une palissade de fer ; c'est là qu'on a placé la statue équestre de Louis XIII. La figure du cheval est un bel ouvrage fait pour Henri II. par Daniel Ricciarelli né à Volterre en Toscane, & disciple de Michel Ange. La figure du roi, faite par Biard, est bien éloignée de répondre à la beauté du cheval. On a dit à ce sujet, que le cheval sur lequel est monté Henri IV. au milieu du pont-neuf, conviendroit à Louis XIII. & que celui de Louis XIII. conviendroit à Henri IV.
La Bastille étoit autrefois une porte de la ville ; cette forteresse bâtie en 1360, sous le regne de Charles VI. est composée de huit grosses tours rondes, jointes l'une à l'autre par des massifs de même hauteur & de même épaisseur, dont le dessus est en terrasse. Entre ces tours on trouve une cour qui sert de promenade aux personnes qui sont les moins resserrées dans cette prison. La porte S. Antoine, qui est à côté de la Bastille, & qui conduit au fauxbourg nommé S. Antoine, fut bâtie sous Henri II. pour servir d'arc de triomphe à ce monarque ; on l'a rouverte & élargie depuis peu d'années. Entre cette porte & le bastion on a fait une rampe, pour rendre l'accès du rempart plus facile aux carrosses qui vont au cours.
Dans le fauxbourg S. Antoine est l'abbaye de ce nom : on commença d'élever cette maison l'an 1193, & elle fut achevée sous le regne de S. Louis, qui assista à la dédicace de l'église, avec la reine Blanche de Castille sa mere. On voit dans la même rue la manufacture où l'on polit & où l'on étame les glaces de miroir ; on les fond à Cherbourg & à S. Gobin.
Un peu au-delà, est le couvent des Picpus, qui fut commencé en 1594. Vincent Massart ou Mussart, parisien, en a été le fondateur, & réforma le tiers-ordre de S. François, que l'on nomme ordinairement les Pénitens, & qui n'étoient auparavant que pour les séculiers. Massart en fit une regle particuliere, & s'établit dans le village de Picpus, dont ces religieux ont reçu le nom, que le peuple leur a donné, malgré tous leurs soins à garder celui de pénitens.
En prenant le chemin de la ville, on passe devant une maison nommée Reuilli. Dom Mabillon rapporte dans sa Diplomatique, que les rois de la premiere race avoient un palais en cet endroit-là, & que ce fut dans ce palais que Dagobert répudia Gomatrude sa premiere femme, à cause de sa stérilité, & qu'il prit en sa place Nantilde, une des suivantes de cette reine ; il n'est resté aucuns vestiges de ce palais.
La premiere chose remarquable que l'on trouve en rentrant dans la ville, est l'arsenal : il fut bâti par Charles V. en même tems que la bastille. C'est dans ce lieu que l'on fondoit autrefois l'artillerie pour la défense du royaume, & l'on y garde encore les poudres & les canons. Au milieu de ce château étoit une tour, qu'on appelloit la tour de Billi. Le tonnerre étant tombé dessus le 19 de Juillet 1538, mit le feu à plus de 200 caques de poudre qu'on y conservoit. Outre que cette tour fut ruinée jusqu'aux fondemens, la violence du feu fut telle que les pierres furent emportées jusqu'à l'église de S. Antoine des champs, & jusqu'à des endroits de la ville fort éloignés. Les fonderies furent bâties en 1549, par ordre d'Henri II. Conservons ici cette belle inscription qu'on lit à la porte d'entrée d'un bâtiment qui bientôt ne subsistera plus :
Aetna hîc Henrico vulcania tela ministrat,
Tela gyganteos debellatura furores.
Les Célestins ont leur couvent tout proche de l'arsenal. Quelques auteurs disent que ce lieu avoit été occupé auparavant par les Carmes de la place Maubert, qui l'abandonnerent afin d'être plus près de l'université, où ils alloient étudier pour obtenir des degrés. Le nommé Jacques Marcel ayant acheté cette place en 1318, y établit les célestins nouvellement venus d'Italie, dans une haute réputation de sainteté de vie. Le roi Charles V. leur donna de très-grands biens, fit construire l'église, & y mit la premiere pierre : cette église est d'une structure tout-à-fait grossiere.
La paroisse de S. Paul, qui est celle de tout le quartier, étoit la paroisse royale du tems que les rois occupoient l'hôtel de S. Paul, ou le palais des Tournelles. Le bâtiment de l'église, qui est d'une maçonnerie épaisse & gothique, fut élevé sous le regne de Charles VII.
Assez près de-là est le couvent des filles de l'Avé-Maria, dans une rue nommée des Barrées. Ces religieuses sont de l'ordre de sainte Claire, & vivent dans une très-grande austérité, ne mangeant jamais de viande, & ne portant point de linge. Outre qu'elles vont nuds piés, sans sandales & sans aucune chaussure, elles ont l'étroite observance d'un silence perpétuel pour lequel le beau sexe n'est point né.
On va de ce couvent là au bord de la riviere, traverser le Pont-Marie, appellé ainsi de Christophe Marie, qui en jetta les fondations en 1613. Le pont est de pierres de taille, & composé de 5 arches, soutenues sur 4 piles & sur 2 culées. Il est couvert de maisons occupées par différens ouvriers ; & il ne fut achevé qu'en 1635 ; mais soit par la faute de l'architecte qui avoit mal construit la pile du côté de l'île Notre-Dame, soit par l'ébranlement que lui donna un trop fort débordement de la riviere, une partie de ce pont fut emportée la nuit, au mois de Mars 1658, & quantité de personnes y périrent ; on a rétabli les deux arches, mais on n'y a pas élevé de maisons.
L'île Notre-Dame où ce pont conduit, a pris son nom de l'église cathédrale, dédiée à la sainte Vierge, à laquelle cette île appartient en propre. Toutes les maisons qu'on y voit ont été bâties dans le dernier siecle ; ce n'étoit auparavant qu'une prairie assez basse, qui servoit de promenade au menu peuple ; toute l'île est revêtue dans son enceinte d'un quai solide de pierre de taille ; les rues qui partagent l'île sont droites & aboutissent à la riviere.
On sort de cette île par le pont de la Tournelle, l'un des trois qu'on a construit pour y arriver ; il est de pierre de taille avec un trotoir de chaque côté pour les gens de pié ; on lui a donné le nom de Tournelle, à cause d'une tour quarrée, qui se trouve sur le bord de l'autre côté de l'île Notre-Dame, & dans laquelle on enferme ceux qui sont condamnés aux galeres, en attendant que la chaîne parte pour Marseille, où ils sont distribués pour le service des galeres de S. M.
La porte de saint Bernard qui se trouve à peu de distance du pont de la Tournelle, a pris son nom du college des Bernardins qui est dans le voisinage ; cette porte toute moderne n'a que huit toises de large.
La rue de Seine, l'une de ce fauxbourg, conduit à celle de saint Victor, où l'on trouve l'abbaye de ce nom. Cette maison est fort ancienne ; Louis-le-Gros, roi de France, y fit élever de grands bâtimens, & lui donna des biens très-considérables : il fit construire une église en 1113 dans le même endroit où il reste encore une chapelle ancienne derriere le choeur. Guillaume de Champeaux, archidiacre de l'église de Paris, & depuis évêque de Châlons, fut le premier qui institua la congrégation de saint Victor, sous la regle de saint Augustin. Les jardins de cette maison sont fort spacieux, & ce qu'elle a de meilleur, c'est une bibliotheque, l'une des plus nombreuses de Paris. L'église de saint Victor fut relevée en 1517, sous François I. & elle n'est pas encore achevée ; au-delà de saint Victor est l'hôpital de la Pitié & celui de la Miséricorde : après ces deux hôpitaux on trouve le Jardin-Royal des plantes.
Louis XIII. a établi ce jardin en 1626. Il est embelli de grandes serres chaudes & froides, & d'un très-beau cabinet d'Histoire naturelle ; on fait chaque année dans ce jardin des cours de Botanique, de Chimie, & d'Anatomie.
On descend de-là vers l'Hôpital-général, appellé la Salpêtriere, vaste maison qui peut renfermer quatre à cinq mille personnes ; son église est dédiée à saint Denis : en montant un peu plus haut, au sortir de la Salpêtriere, on trouve une grande place où l'on tient le marché aux chevaux.
La maison des Gobelins est presque la derniere du fauxbourg saint Marceau, lequel étoit un quartier entierement séparé de la ville, dans le tems que Paris étoit moins étendu qu'il ne l'est aujourd'hui.
L'église de saint Marcel, qu'on voit dans ce fauxbourg, a été fondée par Roland, comte de Blaye, neveu de Charlemagne, qui fit beaucoup de bien aux chanoines qu'il y mit. Cette église étoit autrefois sous le titre de saint Clément ; mais le corps de saint Marcel, évêque de Paris, y ayant été trouvé, elle en prit le nom qu'elle a toujours conservé depuis ; c'est une des quatre collégiales dépendantes de l'archevêché. Pierre Lombard, surnommé le Maître des sentences, est enterré dans le choeur de cette église ; les bacheliers en licence sont obligés d'assister au service solemnel qu'on dit pour lui tous les ans, & ceux qui y manquent sont condamnés à une amende ; il est bon de connoître la durée des folies humaines.
Le couvent des Cordelieres est dans ce quartier. Thibaut VII. comte de Champagne & de Brie le fonda premierement à Troyes, d'où il fut transféré à Paris peu de tems après. Marguerite de Provence, femme de saint Louis, fit commencer l'église, & Blanche sa fille, veuve du roi de Castille, qui y prit le voile, donna de grands biens pour l'augmenter ; ces religieuses sont hospitalieres & suivent l'ordre de saint François : saint Médard est la paroisse de tout ce quartier.
On trouve ensuite l'église de S. André des Ecossois, dans laquelle on a élevé un monument pour y mettre la cervelle de Jacques II. roi d'Angleterre ; c'est une idée bien bizarre.
Le quartier de l'Université, l'un des plus anciens de Paris, occupe un très-grand espace, qui fait presque la quatrieme partie de la cité, il en étoit même séparé autrefois comme un lieu particulier, avec lequel la communication n'étoit pas tout-à-fait libre, parce que les écoliers faisoient souvent des tumultes qu'il n'étoit pas aisé d'appaiser. Philippe-Auguste, avant son départ pour la Palestine, où il alla avec Richard, coeur de lion, roi d'Angleterre, pour faire la guerre aux Sarrasins, ordonna qu'on enfermât ce quartier de murailles, ce qui fut exécuté en 1190. Il fut entouré de fossés profonds, & de murs très-solides, soutenus de tours d'espace en espace avec des portes, qui étoient autant de petites forteresses, à la faveur desquelles on pouvoit se défendre vigoureusement, avant qu'on eût inventé l'artillerie. Il ne reste plus rien de ces murailles, & l'on a comblé les fossés sur lesquels on a élevé des maisons.
Le college des Bernardins qui a donné son nom à la rue, est d'ancienne fondation, & appartient à l'ordre de Cîteaux. L'édifice de l'église est un des beaux gothiques qu'il y ait en France. En sortant des Bernardins, on trouve à main gauche l'église de S. Nicolas du Chardonnet, ainsi nommée à cause que le premier bâtiment fut posé dans un lieu inculte & tout rempli de chardons. Les chanoines de saint Victor à qui ce terrein appartenoit, le donnerent vers l'année 1243, pour y bâtir une paroisse : le séminaire qui est à côté de cette église est le plus ancien de tout Paris. A une petite distance est un autre séminaire dit des Bons-enfans, dirigé par les peres de la Miséricorde de saint Lazare.
La place Maubert, que l'on trouve au bas de la rue saint Victor, a tiré son nom, suivant quelques historiens, d'Albert le grand, qui fut en son tems la gloire de l'Université de Paris. On dit que ce docteur, après avoir enseigné à Cologne, vint ici continuer les mêmes exercices, & que la classe n'étant pas assez spacieuse pour contenir tous les écoliers qui le venoient écouter, il fut obligé de faire ses leçons au milieu de cette place, qui en a été appellé place Maubert, comme qui diroit place de maître Aubert ; c'est aujourd'hui un des marchés de la ville.
Les Carmes qui ont leur couvent dans ce lieu-là, ont été originairement fondés par saint Louis qui les avoit amenés de la Palestine. La reine Jeanne, femme de Philippe-le-Long, leur laissa de très-grands biens par son testament de l'année 1349.
En montant plus haut on va au college de Navarre, fondé l'an 1304, par la reine Jeanne de Navarre, femme de Philippe-le-Bel : la fondation de l'église de saint Etienne du Mont, située au-dessus de ce college, est si ancienne qu'on n'en connoît pas le tems.
De cette église il y a un passage de communication dans celle de sainte Génevieve. Clovis, dit-on, son premier fondateur, la dédia à saint Pierre & à saint Paul, dont elle a long-tems porté le titre : il y mit des chanoines séculiers qui y demeurerent jusqu'à l'onzieme siecle ; comme leur conduite étoit très-irréguliere, Louis-le-Jeune les obligea de vivre en communauté, & de prendre la regle de S. Augustin. On fit venir douze chanoines réguliers de S. Victor pour établir cette réforme, dont l'abbé Suger eut le soin, & la regle de saint Augustin s'y est toujours conservée depuis dans toute sa pureté, ensorte que cette maison est devenue la premiere de cette congrégation en France.
L'abbaye de sainte Génevieve a été souvent ruinée par les Normands & les Danois, dans le tems qu'elle étoit hors de la ville ; mais les Parisiens, dont le zele a toujours été fort grand pour leur patrone, réparoient presque aussi-tôt les dommages que ces barbares y avoient causés. L'an 1483, le vendredi 7 Juin, à neuf heures du soir, le tonnerre tomba sur le clocher, bâti depuis plus de neuf cent ans ; les cloches furent fondues, & ce clocher, qui étoit couvert de plomb, demeura consumé. Le corps de sainte Génevieve est derriere le grand autel, dans une châsse soutenue par quatre colonnes ioniques ; le tombeau de Clovis est dans le milieu du choeur.
L'église de saint Hilaire, paroisse d'une partie de ce quartier, est d'une ancienne fondation. On va delà dans la rue saint Jacques, qui commence au petit Châtelet, à l'extrémité du petit Pont. Le petit Châtelet est une maniere de forteresse antique, composée d'une grosse masse de bâtiment, ouverte dans le milieu, qui servoit autrefois de porte à la ville, aussi-bien que le grand Châtelet, dans le tems qu'elle n'avoit point d'autre étendue que l'île du Palais ; ce bâtiment fut réparé par le roi Robert.
En montant vers la porte où finit la rue S. Jacques est l'église saint Séverin, fort ancienne, puisque le fondateur dont elle porte le nom vivoit du tems de Clovis, qui le fit venir de Savoye pour le guérir d'une fiévre dangereuse, dont il le traita par des prieres, & il se rétablit. L'église de saint Yves est un peu plus haut ; elle fut bâtie l'an 1347, par une confrairie de Bretons qui étoit alors à Paris.
En avançant dans la même rue, on trouve le couvent & l'église des Mathurins, ou Trinitaires. Le couvent fut fondé par saint Louis ; & Robert Gaguin, général de l'ordre, fit bâtir l'église, qu'on a embellie depuis quelque tems. On passe ensuite devant l'église de saint Benoît, dont on dit que saint Denis, évêque de Paris, a été le fondateur. Le bâtiment est fort simple & fort grossier.
De l'autre côté de la rue, se trouve le college royal, qui doit sa fondation à François I. Les professeurs, au nombre de dix-neuf, sont gagés du Roi, & font une espece de corps séparé de l'université, à laquelle ils ne laissent pas d'être soumis.
A quelque distance de là, est la place du puits certain, au haut de la rue Saint-Jean-de-Beauvais. Ce puits fut fait vers l'an 1556 par Robert Certain, pour lors curé de l'église de saint Hilaire, & nommé premier principal du college de sainte Barbe. Cette église a été bâtie dans la censive du chapitre de saint Marcel ; & comme ce chapitre avoit autrefois droit de justice haute, moyenne & basse dans tout ce quartier là, c'étoit au puits certain que se faisoient ordinairement les punitions corporelles, en exécution des sentences de la même jurisdiction, & principalement lorsque quelque criminel avoit été condamné à mort.
En rentrant dans la rue Saint-Jacques, & montant un peu plus haut, on voit le college du Plessis, qui est un des plus beaux de l'université ; le cardinal de Richelieu ayant laissé une somme considérable pour le faire rebâtir. A cinquante pas de ce college, est celui qu'on appelloit encore il y a deux ans, des Jésuites, & qu'on avoit nommé fort longtems, le college de Clermont. Vis-à-vis est le grand couvent des Jacobins, nommés originairement les Freres Prêcheurs, de l'ordre de saint Dominique.
Au sortir des Jacobins, on vient à saint Jacques de Haut-Pas, paroisse de tout ce quartier. Le séminaire de saint Magloire, aujourd'hui gouverné par les peres de l'Oratoire, est presque contigu à cette église. On trouve ensuite le couvent des Ursulines, celui des Feuillantines, & des Carmelites. L'église de ces dernieres est décorée de tableaux des plus grands maîtres ; de la Magdelaine de le Brun, de la Salutation Angélique du Guide ; & toute la voûte de l'église est de Champagne.
Le Val-de-Grace, l'un des plus superbes édifices qu'on ait élevé en France dans le dernier siecle, est situé de l'autre côté des Carmelites, & occupé par des religieuses de l'ordre de saint Benoît, qui avoient été fondées autrefois près du village de Biévre, en un lieu appellé le val profond, & fort incommode à cause des marécages. Elles se logerent en 1621 au fauxbourg Saint-Jacques ; & la reine Anne d'Autriche, pour rendre graces à Dieu de son accouchement de Louis XIV. après 22 ans de stérilité, fit jetter les fondemens du bel édifice, qui porte le nom de Val-de-Grace ; la coupole de cette église peinte à fresque par Mignard, est d'une grande beauté.
En entrant dans la ville par la rue d'enfer, on trouve la maison des peres de l'Oratoire, appellée l'institution, & fondée en 1650 par M. Pinette, secrétaire de Gaston de France, duc d'Orléans.
A peu de distance de-là, en descendant, est le couvent des Chartreux, de la fondation de saint Louis, qui leur donna le vieux château de Vauvert, habité selon les historiens de ce tems-là, par les diables, ensorte que la rue en fut nommée la rue d'enfer ; mais suivant la vérité, & les vieux titres dans lesquels on lit via inferior, ces mots ne signifient autre chose que la rue basse, parce que cette rue étoit plus basse que la rue Saint-Jacques, qu'on appelloit la rue haute, via superior ; c'est aussi pour cette raison que l'église paroissiale de saint Jacques est nommée Haut-pas, ab alto passu. Les Chartreux occupent un terrein qui est plus grand qu'aucun autre des maisons religieuses de la ville & des fauxbourg de Paris. Ce fut de cette maison que Henri III. partit le 15 Mars 1586 avec soixante des nouveaux pénitens dont il étoit l'instituteur, pour aller à pié processionnellement à l'église Notre-Dame de Chartres, d'où ils revinrent deux jours après.
Après avoir passé par l'endroit où étoit la porte de Saint-Michel, qui a été abattue, on entre dans la rue de la Harpe, où se presente la Sorbonne, vieux college rétabli magnifiquement de fond en comble par le cardinal de Richelieu, & en conséquence ce cardinal y a un tombeau magnifique, un des chefs-d'oeuvre de Girardon. La bibliotheque de cette maison est une des plus belles de Paris. On y montre une traduction françoise de Tite-Live, manuscrite, dédiée au roi Jean, & enrichie de mignatures où regne l'or-couleur très-brillant, & dont on ignore la composition.
Après que l'on est entré dans la rue de la Harpe, en traversant la place de Sorbonne, on trouve le college d'Harcourt fondé en 1280 par Raoul d'Harcourt, chanoine de l'église de Paris. Plus bas est l'église paroissiale de Saint-Côme, bâtie en 1212 par Jean, abbé de Saint-Germain-des-Prez. Proche cette église, est la maison de Saint-Côme, destinée à l'étude de l'anatomie chirurgicale. Dans la même rue de la Harpe, sont les ruines du palais des Thermes, dont j'ai déja parlé.
A l'extrémité de la rue de la Harpe, en tournant à gauche, on entre dans celle de Saint-André-des-Arcs, où est l'église paroissiale de ce nom. Ce n'étoit autrefois qu'une petite chapelle au milieu d'un champ planté de vignes & d'arbres fruitiers. Quelques antiquaires croient que cette église a été appellée Saint-André-des-Arcs à cause d'un grand jardin qui étoit proche de-là, où les écoliers alloient souvent s'exercer à tirer de l'arc.
Les quatre portes par lesquelles on entroit de la ville dans le fauxbourg Saint-Germain, savoir la porte à laquelle on donnoit le nom du faubourg, la porte Dauphine, celles de Bussy & de Nesle ayant été abattues, tout ce quartier est devenu un des plus grands de Paris, & au-dessus des plus belles villes de France, tant pour la quantité d'hôtels magnifiques qui le composent, que pour la multitude du peuple qui s'y rencontre.
Ce quartier a pris son nom de l'abbaye royale de Saint-Germain-des-Prez, fondée par le roi Childebert, fils de Clovis. La réforme a été établie dans cette abbaye en 1631. La bibliotheque est une des plus belles du royaume. Cette abbaye étoit autrefois hors de la ville, exposée aux incursions des Normands, entourée de murailles qu'on a abattues pour y bâtir les maisons qu'on voit à présent tout à-l'entour.
Le palais d'Orléans, autrement nommé le palais de Luxembourg, parce qu'il est dans un lieu où étoit un ancien hôtel de ce nom, fait un des grands ornemens du quartier de Saint-Germain. La reine Marie de Médicis, veuve d'Henri IV. a fait bâtir ce palais de fonds en comble. La grande galerie a été peinte par Rubens, qui s'occupa pendant 2 ans à ce travail.
Le petit hôtel de Bourbon est dans la rue de Vaugirard, qui passe devant le palais de Luxembourg ; c'étoit autrefois l'hôtel d'Aiguillon, que le cardinal de Richelieu fit embellir pour la duchesse d'Aiguillon sa niece. Tout proche est le couvent des religieuses du calvaire, de l'ordre de S. Benoît, fondé en 1620 par la reine Marie de Médicis. Dans la même rue on trouve le couvent des Carmes déchaussés, vis-à-vis des murs des jardins du Luxembourg. Il fut fondé en 1611 par les libéralités de quelques bourgeois, qui donnerent une petite maison située en ce lieu-là à des religieux carmes venus d'Italie, pour apporter en France la réforme que sainte Thérese avoit faite en Espagne de l'ordre du Mont-carmel. Ces bons moines n'ont pas mal prospéré.
Le monastere des filles du saint Sacrement, qui est dans la rue Cassette, a été fondé par Marguerite de Lorraine, seconde femme de Gaston de France, duc d'Orleans. Dans la rue parallele qu'on nomme la rue Pot de fer, & qui aboutit dans celle de Vaugirard, se trouve le noviciat des jésuites. Le grand autel de leur église est embelli d'un tableau du Poussin.
L'église de saint Sulpice, paroisse de tout ce vaste quartier, étoit autrefois un bâtiment très-serré, dont on a fait une des magnifiques églises du royaume, mais avec de très-grands défauts. Cette église, qui n'est pas encore finie, a été commencée en 1646, & Gaston d'Orléans y mit la premiere pierre. La maison du séminaire de saint Sulpice est tout proche de l'église ; le platfond de la chapelle a été peint par le Brun.
L'endroit où se tenoit la foire de saint Germain, autrefois fameuse, étoit à l'extrémité de la rue de Tournon. Ce lieu consistoit en plusieurs allées couvertes, disposées dans un quarré de pure & vieille charpenterie, tout rempli de boutiques pendant le carême, de jeux, & de spectacles ; les rues de cet emplacement, au nombre de sept, très-pressées, & très-étroites, se coupoient les unes les autres ; mais charpente, boutiques, marchandises, effets, tout a été consumé dans les flammes par un incendie fortuit, arrivé le 17 Mars 1762, & c'est un grand reproche que peut se faire la police supérieure de cette ville.
Le couvent moderne des Prémontrés est à l'entrée de la grande rue de Seve. Proche de-là, est l'hôpital des petites-Maisons, qui étoit autrefois une maladrerie, & qui fut rebâti vers l'an 1557, par ordre de messieurs de Ville. L'hôpital des Incurables est situé dans la même rue : cet hôpital contient dix arpens de terre, & fut fondé l'an 1634, par le cardinal de la Rochefoucault.
Le couvent des Cordelieres, est dans la rue de Grenelle : ces religieuses qui étoient auparavant dans la rue des francs-Bourgeois, ont acheté l'hôtel de Beauvais qu'elles ont accommodé à leur maniere. En continuant de marcher dans la rue de Grenelle, proche la rue du Bac, on voit une nouvelle & belle fontaine, que la Ville a fait construire en 1739, sous les auspices de M. de Maurepas, & sur les desseins d'Edme Bouchardon, fameux sculpteur.
L'hôtel royal des Invalides, décrit par tant d'auteurs, se trouve au bout de cette rue. Au haut de la rue du Bac, est le séminaire des Missions étrangeres ; de même côté de la mission, est un monastere des filles de la Visitation, qui sont venues s'établir en ce lieu-là en 1673, en quittant la rue Montorgueil, où elles avoient une chapelle, lorsqu'elles furent admises en 1660.
L'hôpital des Convalescens est de ce même côté. Il fut fondé l'an 1652, par Angélique Fraure, épouse de Claude de Bullion, sur-intendant des finances, pour huit pauvres convalescens sortis de la Charité, qui peuvent y demeurer une semaine, afin d'y rétablir leurs forces. On trouve ensuite le noviciat des Dominicains réformés, qui ont fait bâtir dans leur terrein une nouvelle église.
A l'extrémité de la rue S. Dominique, on voit l'hôpital de la Charité : les religieux qui le gouvernent furent établis à Paris l'an 1602, & Marie de Médicis fut leur fondatrice. Près de l'hôpital, est bâtie l'église & les infirmeries pour les malades, où chacun a un lit séparé, établissement sage, & sans lequel toute infirmerie est honteuse.
La rue de l'Université est fort longue, & n'est appellée ainsi qu'à son extrémité du côté du pré aux Clercs ; le long des hautes murailles de l'abbaye de saint Germain, on la nomme la rue du Colombier, à cause qu'il y avoit autrefois dans cet endroit un grand colombier, appartenant aux religieux de cette abbaye. Plus avant au milieu, elle est appellée la rue Jacob, nom dont j'ignore la raison.
La rue Mazarine est parallele à celle de Seine : on la nommoit auparavant la rue des fossés de Nesle. Au sortir de la rue des fossés saint Germain, où est le théatre si médiocre de la comédie françoise, on entre dans la rue Dauphine, pour se rendre sur le quai des Augustins, qui commence au pont saint Michel, & qui finit au pont-neuf. Cette rue qui n'étoit auparavant qu'un grand espace rempli de jardins & de vieilles matieres, au-travers desquelles on la perça, fut appellée rue Dauphine, à cause qu'on la bâtissoit dans le tems de la naissance de Louis XIII. A l'extrémité il y avoit une porte de la ville, qui fut abattue en 1673.
Les grands Augustins ont leur couvent sur le quai ; ils vinrent à Paris vers l'année 1270, sous le nom d'hermites de saint Augustin, & furent logés d'abord près de la rue Montmartre, dans une rue qui en a été appellée la rue des vieux-Augustins. Ces religieux s'établirent ensuite dans la rue des Bernardins, au lieu où est à présent l'église paroissiale de saint Nicolas du Chardonnet ; & enfin, ils s'associerent avec les Pénitens qu'on nommoit Sachets, à cause qu'ils étoient vétus d'une maniere de sac : saint Louis les avoit mis en ce lieu-là sur le bord de la riviere. Les Augustins à qui ces pénitens céderent la place, pour se disperser en diverses maisons religieuses, commencerent à faire bâtir leur église, & elle ne fut en l'état où elle est présentement, que sous le regne de Charles V. dit le Sage. Les assemblées extraordinaires du clergé, se tiennent ordinairement dans les salles du monastere.
Le collége Mazarin est dans l'endroit où étoit autrefois la porte de Nesle ; c'est un collége très-spacieux, dont la bibliotheque est publique. Le tableau du grand autel est de Paul Véronese, & les petits tableaux dans des ronds, sont de Jouvenet.
On voit ensuite l'église des Théatins : ces religieux vinrent en France en 1644, & le cardinal Mazarin leur fondateur, leur laissa en mourant cent mille écus pour commencer leur église. Leur principal institut est de vivre des charités qu'on leur fait ; ils ont été nommés Théatins, de Jean Caraffe, évêque de Théate, qui institua leur ordre en 1524, sous le titre de Clercs réguliers.
Le pont-Royal qui est voisin des Théatins, a été bâti en la place du pont-Rouge, qui n'étoit fait que de bois. Comme les débordemens de la Seine l'avoient souvent emporté, Louis XIV. ordonna que l'on en fit un de pierres, & les fondemens en furent jettés en 1685. Ce pont est soutenu de quatre piles & de deux culées, qui forment cinq arches entre elles ; les deux extrémités du même pont sont en trompe pour en faciliter l'entrée aux carrosses & aux grosses voitures. Il y a des trotoirs des deux côtés pour la commodité des gens de pié : sa longueur est à-peu-près de soixante & douze toises ; sa largeur est de huit toises quatre piés, desquelles on a pris neuf piés pour chaque trotoir, sans compter deux autres piés pour l'épaisseur des parapets.
Le pont Neuf situé vis-à-vis du pont-Royal, offre au milieu une entrée dans l'île du Palais. Henri III. fit jetter les fondemens de ce pont l'an 1578. Henri IV. le fit achever en 1604 ; sa statue équestre y fut érigée en 1614 ; mais le tout ne fut terminé qu'en 1635. La figure du cheval est de Jean Boulogne ; mais elle est trop massive & trop épaisse : la figure du roi est de Dupré.
Après la statue equestre de ce grand prince, on trouve la Samaritaine au bout de ce pont, du côté de saint Germain-l'Auxerrois. Ce bâtiment construit sous le regne d'Henri IV. en 1604, fut détruit en 1712, & reconstruit sans ornemens en 1715. Il contient une pompe foulante & aspirante pour élever les eaux, & en fournir tant au jardin des Tuileries, qu'ailleurs.
La place Dauphine qui est située à la pointe de l'île du palais, vis-à-vis le cheval de bronze, est de figure pyramidale. Les maisons qui la forment furent élevées en 1606, peu d'années après la naissance de Louis XIII. & on la nomma place Dauphine, à cause du titre de dauphin que ce prince avoit alors. On a ouvert de ce côté-là une entrée pour le palais. Cette place & les quais qu'elle a de chaque côté, savoir, le quai des Orfevres, & celui des Morfondus, ont été pris dans un grand terrein, qui faisoit autrefois une partie des jardins du palais, lorsque les rois y tenoient leur cour.
L'église de Notre-Dame, métropolitaine de Paris, est très-ancienne ; mais nous ignorons si la cathédrale de cette ville dans les premiers tems, étoit saint Etienne-des-Grès ou saint Marcel : nous savons seulement que sous les enfans de Clovis, elle étoit à-peu-près où elle est encore aujourd'hui, & que sous le regne de Louis le Débonnaire, il y avoit dans le parvis de Notre-Dame, du côté de l'Hôtel-Dieu, une église de saint Etienne, où se tint un concile en 829. Il en restoit encore des murs du tems de Louis le Gros, que ce prince, dans ses lettres au sujet des limites de la voirie des évêques de Paris, appelle muros veteris ecclesiae sancti Stephani ; c'étoit probablement l'ancienne cathédrale, appellée du nom de saint Etienne dans plusieurs auteurs.
Cette partie de la cité, ne s'étendoit pas plus loin que saint Denis-du-Pas & l'archevêché ; car ce qu'on nomme le terrein, connu du tems de saint Louis sous le nom de la motte-aux-papelards, paroît s'être formé des décombres & des immondices, qu'occasionna la construction du vaste bâtiment de l'église de Notre-Dame. Quant à l'autre partie opposée, elle ne s'étendoit que jusqu'à la rue de Harlai. Au-delà étoient deux îles, l'une plus grande vis-à-vis des Augustins, & l'autre plus petite au bout du quai de l'Horloge. La position de ces deux îles est marquée dans un ancien plan de Paris en tapisserie, dont M. Turgot, prevôt des Marchands, a fait l'acquisition pour la ville.
Je reviens à l'église de Notre-Dame : le roi Robert ne la trouvant pas assez belle, entreprit de la rebâtir, mais elle ne fut achevée que sous le regne de Philippe-Auguste ; l'architecture en est toute gothique. Les dedans en sont fort obscurs ; le choeur est orné de tableaux de la main de Jouvenet représentant la vie de la Vierge à qui l'église est dédiée. Le grand autel a été exécuté par les ordres de Louis XIV. pour accomplir le voeu de son pere. Les anges de métal, de grandeur naturelle, ont été jettés en fonte en 1715 par Roger Schabot ; la croix d'argent & les six chandeliers sont de Claude Balin, fameux orfevre.
L'Hôtel-Dieu situé auprès de Notre-Dame, & qui devroit être hors de la ville, est le plus grand hôpital de Paris ; on y a vû trois à quatre mille malades, qu'on met alors trois & quatre ensemble dans un même lit, pratique d'autant plus funeste, qu'elle multiplie les causes de mort pour ceux qui réchapperoient s'ils étoient seuls dans un lit. On attribue la fondation de cet hôpital à saint Landry, évêque de Paris, qui vivoit sous Clovis II. en 660. De l'autre côté de l'Hôtel-Dieu, est un hôpital des Enfans-Trouvés, rebâti dans ce siecle. Tout ce quartier qu'on appelle la cité, est remplie de rues étroites, & de plusieurs petites églises fort anciennes.
Le palais qui a été autrefois la demeure de nos rois, fut abandonné aux officiers de justice par Philippe le Bel, qui vouloit rendre le parlement sédentaire. Ce prince, pour donner plus d'espace à l'édifice, fit bâtir la plûpart des chambres, & tout l'ouvrage fut achevé en 1313. Cependant il est certain qu'il y avoit de grands bâtimens avant ce tems-là. Clovis y avoit tenu sa cour ; & saint Louis, qui y fit un plus long séjour que les autres rois, y avoit fait faire plusieurs ouvrages. La grande salle a été bâtie sur le plan d'une autre très-ancienne, dans laquelle les statues des rois de France étoient placées tout à l'entour. C'étoit le lieu où ils recevoient les ambassadeurs. Ils y donnoient des festins publics à certains jours de l'année, & même on y faisoit les noces des enfans de France. Cette salle qui fut réduite en cendres au commencement du dernier siecle, est présentement voutée de pierres de taille, avec une suite d'arcades au milieu, soutenue de piliers, autour desquels il y a de petites boutiques occupées par des marchands. La grand'chambre est à côté de la grande salle, & fut bâtie sous saint Louis, qui y donnoit les audiences publiques. Louis XII. la fit réparer comme elle est. La Tournelle, qui est la chambre où l'on juge les criminels, est celle où couchoit saint Louis.
La sainte Chapelle est une église bâtie par le même roi, & dont l'ouvrage fut achevé en 1247. Saint Louis y établit un maître chapelain, qu'on nomme aujourd'hui trésorier, lequel a comme les évêques la qualité de conseiller du roi en tous ses conseils, & le privilege d'officier pontificalement, à l'exception de porter la crosse. Cette église ne dépend que du saint-siege, & assurément elle devroit ne dépendre que du roi.
A quelque distance du palais, est le pont Notre-Dame, le plus ancien & le premier qu'on ait bâti de pierres. Il fut achevé tel qu'on le voit à-présent en 1507, sur les desseins d'un cordelier de Vérone, nommé Joannes Jucundus, qui entreprit l'ouvrage aux frais de l'hôtel-de-ville. Il est chargé de chaque côté, de maisons ornées sur le devant de grands termes d'hommes & de femmes, qui portent des corbeilles pleines de fruit sur leurs têtes.
Au milieu de ce pont, on a dressé deux machines qui élevent de l'eau de la riviere pour la commodité des quartiers de la ville qui en sont éloignés. Les vers suivans de Santeuil y sont gravés en lettres d'or sur un marbre noir :
Sequana, cum primùm reginae allabitur urbi,
Tardat praecipites ambitiosus aquas.
Captus amore loci, cursum obliviscitur, anceps,
Quò fluat, & dulces nectit in urbe moras.
Hinc varios implens, fluctu subeunte, canales,
Fons fieri gaudet, qui modò flumen erat.
Anno M. DC. LXXVI.
Le petit-Pont ainsi nommé, a été plusieurs fois détruit & refait ; les maisons qu'on avoit bâties dessus en 1603, furent détruites en 1718, desorte qu'on a rétabli ce pont sans y reconstruire de maisons.
A côté du pont Notre-Dame, & sur le même canal, on trouve le pont au Change, appellé de ce nom, à cause qu'il y avoit autrefois un grand nombre de changes, ou de changeurs, dans les maisons qui étoient dessus ; ces changeurs faisoient une maniere de bourse dans cet endroit. Ce pont qui étoit de bois, ayant été consumé en 1639 par un furieux embrasement, on le rebâtit solidement de pierres de taille, & on éleva dessus deux rangs de maisons, dont les faces sont aussi de pierres de taille.
A l'autre bout du pont au Change, au coin du quai des Morfondus, est l'horloge du palais, sur laquelle on regle les séances du parlement.
Le pont saint Michel est aussi proche du palais, à l'opposite du pont au Change. Il y a grande apparence qu'il a pris son nom de la petite église de saint Michel, qui est dans l'enclos de la cour du palais, vis-à-vis de la rue de la Calandre. Il a été construit sous le regne de Louis XIII. tel qu'on le voit aujourd'hui, & chargé de maisons de briques & de pierres de taille.
Voilà tout Paris parcouru. J'ai néanmoins oublié de dire dès le commencement, que cette ville souffrit beaucoup en 845 & 856 par les courses des Normands, & qu'ils l'assiégerent en 886 & 890. Elle fut encore ravagée sous le regne de Louis d'Outremer ; & sous celui de Charles VII. les anglois s'en rendirent les maîtres. Non-seulement elle avoit été presque toute brûlée en 585, mais elle éprouva un nouvel incendie en 1034, & une grande inondation de la Seine en 1206.
Si maintenant quelque parisien desiroit encore d'avoir de plus amples détails sur le lieu de sa naissance, il peut consulter un grand nombre d'écrivains, qui depuis long-tems se sont empressés de donner des descriptions prolixes de Paris, & d'éclaircir toute son histoire.
Jean de Hauteville a, je crois, rompu la glace dans un ouvrage intitulé Archithrenius, & publié en 1517, in 4°. Gilles Corroset, imprimeur, & le président Claude Fauchet, suivirent l'exemple d'Hauteville. Nicolas Bonfous augmenta l'ouvrage de Corroset son collegue, & le remit au jour en 1588. Le succès des fastes de Paris, anima Jacques du Breuil, religieux bénédictin de saint Germain-des-Prés, & lui fit entreprendre le théâtre des antiquités de cette ville, qui parut en 1612, in -4°. & c'est la seule bonne édition.
Depuis du Breuil, trois autres grands ouvrages ont été composés pour éclaircir l'histoire de Paris. Le premier, de Claude Malingre, parut en 1640, in-fol. sous le titre d'antiquités de la ville de Paris. Le second, intitulé Paris ancien & moderne, est de Henri Sauval, avocat au parlement. Son ouvrage dans lequel il traite, article par article, de tout ce qui concerne la ville de Paris, a paru long-tems après la mort de l'auteur, savoir, en 1724, en trois volumes in-folio. Le troisieme, commencé par dom Félibien, religieux bénédictin de la congrégation de saint Maur, est une histoire suivie de Paris. Cette histoire a été continuée par dom Lobineau, religieux de la même congrégation, & imprimée en 1725, en cinq volumes in-folio. Le sieur Grandcolas en a fait un abrégé en deux volumes in -12. qui ont été imprimés en 1728, & supprimés aussi-tôt.
Il y a plusieurs autres descriptions particulieres de Paris, comme celle de François Colletet, qui a aussi donné en 1664, en deux volumes in -12. un abrégé des annales & antiquités de Paris. On estime en particulier la description de cette ville, que M. de la Mare, commissaire au châtelet, a mise à la tête de son excellent traité de la police.
La description de Paris par Germain Brice, dont on publie fréquemment de nouvelles éditions, a fait tomber toutes les précédentes ; celles de Jean Boisseau, de Georges de Chuyes, d'Abraham de Pradel, de Claude le Maire, &c. On peut joindre à la description de Brice les vingt-quatre Planches gravées en 1714 par ordre de M. d'Argenson, lieutenant de police, ou mieux encore celles de l'abbé de la Grive à cause de la nouveauté.
Le pere Montfaucon a parlé plusieurs fois de Paris dans son antiquité expliquée. Il y a aussi divers morceaux à ce sujet dans les mémoires des Inscriptions. Ceux même de l'académie des Sciences, contiennent des discussions sur la grandeur de Paris & de Londres ; mais ce que j'aime beaucoup mieux, ce sont les essais sur Paris, par M. de Sainte-Foix.
Ajouterai-je qu'on a aussi une histoire de l'église de Paris, composée par Gerard Dubois, qui parut en deux volumes in-fol. en 1690 & 1710, quoiqu'elle ne finisse qu'à l'an 1283. Enfin, on a publié en six volumes in-fol. l'histoire de l'université de Paris jusqu'en 1600, par César-Egaste du Boulay ; & quoique cette histoire ait été censurée l'an 1667 par la faculté de Paris, cette censure ne lui a fait aucun tort dans l'esprit du public.
Mais j'avoue que les étrangers sont moins curieux des prétendues antiquités de Paris, de sa police, de sa topographie, de l'appréciation de sa grandeur, de l'histoire de son église & de son université, que d'être instruits du caractere & des moeurs actuelles des habitans de cette ville, à cause de la grande influence qu'ils ont sur le reste du royaume, & même sur quelques pays voisins. Je sai que c'est-là ce qui intéresse davantage les gens de goût, & c'est précisément ce qu'aucun écrivain n'a traité. Plusieurs personnes de beaucoup d'esprit, qui pouvoient nous instruire à merveille sur ce sujet, se sont contentées, pour donner une idée du caractere des Parisiens, d'observer en passant que leur portrait étoit calqué sur celui des Athéniens ; mais ils ne sont entrés dans aucun détail pour justifier cette prétendue ressemblance.
Comme je vis, pour ainsi dire, au milieu d'Athènes, ayant fait beaucoup de recueils sur cette ville, je puis tracer le portrait de ses habitans, & mettre le lecteur en état de juger si mes compatriotes ont avec eux de si grands rapports qu'on l'assure, & que je n'ai pas l'esprit d'appercevoir à tort ou avec raison. Quoi qu'il en soit, le tableau que je vais esquisser des moeurs d'Athènes, & qui manque sous ce mot géographique, devient nécessaire, mais d'une absolue nécessité dans cet ouvrage, parce qu'il est indispensable aux gens de Lettres de l'avoir devant les yeux, pour entendre les Orateurs, les Historiens, les Philosophes & les Poëtes, qui y font perpétuellement allusion.
Les Athéniens étoient d'un esprit vif ; ils aimoient mieux, dit Plutarque, deviner une affaire, que de prendre la peine de s'en laisser instruire.
Ils étoient extrêmement polis & pleins de respect pour les dames ; on ne fouilloit point les logis des mariés pendant que leurs épouses y étoient ; & dans un tems de guerre on renvoyoit les lettres que les ennemis écrivoient aux dames d'Athènes, sans les décacheter.
Ils ne portoient que des habits de pourpre & des tuniques de différentes couleurs, brodées à la phrygienne. Les dames sur-tout étoient folles de la parure ; elles mettoient dans leurs cheveux des cigales d'or, à leurs oreilles des figues d'or, & sur leurs robes tous les ornemens qui pouvoient jetter de l'éclat. Elles inventoient tous les jours des modes nouvelles, & alloient se promener à la porte de dipylon, pour les étaler aux yeux de tout le monde.
Elles apprirent aux dames romaines à mettre du rouge & du blanc. Les lacédémoniennes ne se doutoient pas qu'elles fussent belles ; les athéniennes croyoient l'être, parce qu'elles se mettoient d'une maniere qui cachoit habilement leurs defauts. Elles étoient extrêmement blessées, quand des étrangers vantoient en leur présence l'adresse des lacédémoniennes à monter à cheval, leur habit court, leurs étoffes moirées, leurs gazes de Cos, leurs chapeaux de joncs de l'Eurotas, la beauté de leur teint, & la finesse de leur taille. Pour lors desespérées, elles demandoient avec dédain à ces étrangers si c'étoit le brouet noir dont vivoient les lacédémoniennes, qui leur procuroit ces deux derniers avantages.
Elles admettoient les baptes aux mysteres de leur toilette ; c'étoient des prêtres efféminés qui se noircissoient le sourcil, portoient une robe bleue, & vouloient qu'on ne jurât devant eux que par la divinité de Junon. Elles parfumoient leur linge de la plante parthénon, dont les murs du château de leur ville étoient couverts, & elles en avoient toujours des sachets dans leurs poches.
Elles ne manquoient point les fêtes des bacchanales, qui se célébroient en hyver tous les ans par les prêtresses appellées gérares ; & l'été elles alloient se promener tantôt au pyrée, tantôt dans la prairie nommé l'énaeon, entourée de bosquets de peupliers, & tantôt à oegyron : c'étoit le lieu où les paysans d'Icaria représentoient leurs farces à la lumiere ; & le peuple y avoit fait des échaffauds pour y jouir de ce spectacle.
Elles lisoient, pour se former le style, les brochures nouvelles, & toutes avoient dans leurs petites bibliotheques le recueil des pieces de théatre de Cratinus, d'Eupolis, de Ménandre, d'Aristophane, d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide, & sur-tout les poésies de Damophile, de Sapho, & d'Anacréon. Les copistes imaginerent de transcrire pour Athenes tous ces ouvrages en petit format égal, & le débit en fut incroyable.
On recevoit au cynotarge tous les enfans illégitimes, & les meres qui vouloient y venir faire leurs couches ; mais cet établissement utile n'eut pas de succès, parce que peu de tems après sa fondation, l'athénien, naturellement babillard, ne put retenir sa langue ; & la révélation d'un pareil mystere éloigna toutes les filles d'un certain rang, qui se trouvoient malheureusement enceintes, de profiter d'un asyle où le secret étoit hautement violé. Elles prirent des robes lâches pour cacher leur grossesse, ou des breuvages pour faire périr leur fruit, au hasard d'en être elles-mêmes la triste victime ; ce qui n'arriva que trop souvent.
Les Athéniens n'étoient pas seulement babillards, mais pleins de vanité. Ils entretenoient par ce seul mobile un très-grand nombre de domestiques. Les vingt mille citoyens d'Athènes avoient cent vingt mille valets ; quand ils sortoient, ils se faisoient suivre par des esclaves qui portoient des sieges plians, pour que leurs maîtres ne fussent pas obligés de rester trop long-tems debout & de se fatiguer à marcher dans les rues. Ils s'habilloient comme les femmes, d'habits brodés, composoient leur teint comme elles, se frisoient, se parfumoient, mettoient des mouches, se plaignoient de migraine, avoient un miroir de poche, une toilette, un nécessaire.
L'exemple gagnant tous les ordres de l'état, le fils d'un Proëdre, d'un Lexiarque, d'un Telone, se modeloit sur les fils du Polémarque, du Thallassiarque & du Chiliarque. Ils affectoient des manieres enfantines, un langage traînant ; & quand ils arrivoient dans les compagnies, ils se jettoient sur des siéges renversés, qu'ils ne quittoient qu'avec peine pour aller languir & s'ennuyer ailleurs. Ils nommoient ces sortes de visites des usages, des devoirs ; & après les avoir remplis, ils terminoient la journée par se rendre à quelque farce nouvelle, ou chez quelque courtisanne qui leur donnoit à souper.
Ils avoient perdu la mémoire d'Amphiction, de Thésée, des Archontes qui les avoient gouvernés avec sagesse, & ne songeoient qu'aux bouffons, aux danseuses, aux baladines qui pouvoient les divertir. Ils encensoient l'idole du jour, & la fouloient aux piés le lendemain. Sans retenue, sans principes, sans amour du bien public, ils étoient nés pour murmurer, pour obéir, pour porter le joug, pour devenir les esclaves du premier maître ; &, ce qu'il y a de très-plaisant, des esclaves orgueilleux. Ce fut Philippe qui daigna les asservir après la bataille de Chéronée. On ne le craignoit pas à Athènes comme l'ennemi de la liberté, mais des plaisirs. Frequentiùs scenam quam castra visentes, dit Justin. Ils avoient fait une loi pour punir de mort celui qui proposeroit de convertir aux besoins de l'état l'argent destiné pour les théâtres. Philippe renvoya tous les prisonniers, mais il ne renvoya pas des hommes qui lui fussent redoutables.
L'amour excessif de la volupté, du repos & de l'oisiveté, étouffoit chez les Athéniens celui de la gloire, de l'indépendance & de la vertu ; de-là venoit non-seulement leur avilissement en genéral, mais en particulier la négligence de leurs affaires ; le dépérissement de leurs terres, de leurs palais, & de leurs meubles. Les valets vivoient comme les maîtres, & n'avoient soin de rien. Les édifices, les statues & les beaux ouvrages de Périclès, tomboient en ruine. Ils bâtissoient, laissoient périr, & ne réparoient jamais. Ils étoient par leur malpropreté mangés de vers & d'insectes ; le seul appartement de compagnie brilloit de colifichets étalés à la vûe par ostentation, mais tous les autres infectoient : leurs esprits abâtardis par le luxe, ne s'occupoient qu'à avoir autant de connoissances qu'il en falloit pour en faire parade, & disserter légérement sur les modes, les objets de goût, les attributs de la Vénus de Praxitele, ou de la Minerve de Phidias.
Chez eux la plus grande sagesse consistoit à ne point attaquer les lois d'Athènes, à se rendre aux sacrifices, aux fêtes des dieux, à l'assemblée du peuple, au prytanée à l'heure fixe, & avec des habits d'usage. D'ailleurs aisés dans leurs manieres, & libres dans leurs propos, ils donnoient un plus grand prix à ce qu'on disoit qu'à ce qu'on faisoit. Leur foible pour être flatté étoit extrême ; c'est pourquoi les orateurs, avant que d'entamer leur discours, demandoient toujours : Quel avis, Messieurs, peut vous faire plaisir ? Et les prêtres, quels sacrifices vous seroient les plus agréables ?
Ils vouloient être amusés jusque dans les affaires les plus sérieuses. Un de leurs citoyens rendant les comptes de sa gestion, ajoûta : " J'oubliois, Messieurs, de vous dire qu'en me conduisant ainsi, lorsque des amis m'invitoient à un repas, jamais je ne me suis trouvé le dernier à table ". Cette naïveté singuliere fut très-bien reçue, & tous ses comptes lui furent alloués. Cléon, un de leurs magistrats, ayant passé toute la nuit à l'odéum, & n'étant point prêt sur un sujet important qu'il devoit traiter, les pria de remettre l'assemblée à un autre jour, " parce qu'il avoit, dit-il, chez lui grande compagnie qui s'aviseroit de manger son excellent dîner sans l'attendre ". Chacun se mit à rire, & s'en alla gayement, en lui disant qu'il étoit homme de trop bonne compagnie pour en priver ses amis.
L'orateur Stratocle leur ayant annoncé une victoire sur mer, on fit pendant trois jours des feux de joie, & on les continuoit encore quand la nouvelle de la défaite de l'armée navale d'Athènes arriva. Quelques-uns lui en firent de grands reproches sur la place. " Il est vrai, dit-il que je me suis trompé, mais vous avez passé trois jours plus agréablement que vous n'auriez fait sans moi ", Cette répartie calma le chagrin du peuple ; il la trouva plaisante, & quelqu'un fit là-dessus la scholie ou chanson de Stratocle, qu'on mit au rang des chansons joyeuses, & qu'on chanta bien-tôt après dans les carrefours.
Ils ridiculisoient également le bien & le mal ; mais comme le mal étoit ordinaire chez eux, ils y portoient moins d'attention. De plus, ils aimoient à rire, & le mal ne donne point à rire. Aucun autre peuple n'étoit né comme lui pour la plaisanterie & les bons mots. Il y avoit dans Athènes une académie de plaisans, ainsi que des académies de philosophes ; ces sages, comme les appelle Athénée, étoient au nombre de soixante, & s'assembloient dans le temple d'Hercule ; leur institut étoit de raffiner sur les plaisanteries, & leur décision étoit d'un si grand poids, qu'on disoit, les soixante pensent ainsi ; & d'un railleur spirituel, il est de l'académie des soixante. Leur réputation s'étendit si loin en ce genre, qu'ils comptoient parmi les membres de leur corps des têtes couronnées. Philippe de Macédoine leur envoya un talent pour y être aggrégé, & recevoir d'eux les premieres nouvelles des ridicules qu'ils inventeroient contre leurs archontes, leurs prêtres & leurs philosophes.
Ce prince connoissoit parfaitement les Athéniens : il savoit qu'ils étoient malins par contagion, & que rien ne les délectoit autant que la satyre. Ils vouloient voir sans cesse les parodies d'Eschyle, de Sophocle & d'Euripide. Dans le tems que la guerre du Péloponnèse mettoit la république à deux doigts de sa perte, on jouoit au théâtre les nuées d'Aristophane ; & quelque courier ayant apporté la nouvelle que l'armée venoit d'être encore battue, ils demanderent pour se distraire la dixieme représentation des nuées. C'est ainsi qu'ils se consoloient, en s'amusant à prendre le premier homme de la Grece, le vertueux Socrate, pour objet de leurs railleries ; ils allerent même jusqu'à jouer sur leur théatre la femme de Minos. Mais ceux qui gouvernoient étoient fort aises que le peuple athénien s'occupât de frivolités odieuses plutôt que des affaires de l'état. Aussi les archontes permirent dans ces conjonctures qu'on barbouillât les sages à la maniere de Cratinus & d'Eupolis, ce qui fut très-applaudi.
Quelques semaines avant les fêtes sacrées, ils se rendoient en foule au poecilé, pour voir les sauteurs, les baladins, & les gens qui faisoient des tours d'adresse. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'ils alloient à quelques-uns de leurs spectacles pour le seul plaisir d'être vûs ou de s'en mocquer. Le bizarre mêlange des farces de l'un de ces spectacles où on parloit consécutivement la langue athénienne & la langue des barbares, les amusoit beaucoup, parce que les acteurs leur laissoient en sortant l'agrément de les critiquer, pourvû qu'ils revinssent le lendemain à leurs mascarades.
Ils étoient admirateurs enthousiastes de l'odéum, c'étoit un théâtre de mauvaise musique, entouré des logemens de toutes les courtisannes, d'une place publique où l'on vendoit de la farine, & d'un grand portique qu'Ariobarzane roi de Cappadoce, avoit enjolivé. Mais il y avoit à ce théâtre des mimes qui représentoient des gestes indécens, des danses lascives, & des amours criminels. On y célébroit aussi la fête d'Adonis, & tout ce qui s'y passoit étoit le sujet le plus intéressant des conversations.
Outre les fêtes publiques de plaisir, les Athéniens en avoient de particulieres, dont la danse à la suite des repas faisoit le principal objet. Il n'y avoit qu'une seule de leurs danses que Platon approuva ; c'étoit une danse grave & majestueuse, mais les Athéniens n'en faisoient usage que pour la forme. Ils lui préféroient les ménades où les danseurs étoient travestis, toutes les danses folâtres, sur-tout la danse nommée lamprotere, & celle dont parle Homere dans le XVIII. liv. de l'odyssée.
Ils mirent à la mode la danse pyrrhique, non pas la pyrrhique guerriere des Lacédémoniens, mais cette pyrrhique pacifique où les danseurs ne portoient que des thyrses, des bouquets de fleurs, & des flambeaux. Apulée nous en a donné la description, qu'on sera bien-aise de lire ici. Puelli, Puellaequae, virenti florentes aetatulâ, formâ conspicui, veste nitidi, incessu gestuosi, graecanicam saltabant pyrrhicam, thyrsum quatientes, dispositis ordinationibus, indecoros ambitus inerrabant, nunc in orbem rotarum flexuosi, nunc in obliquam seriem connexi, & in quadratam patorem cuneati, & in catervae dissidium separati.
On sait au sujet de la danse, l'histoire d'Hippoclide, qui passoit pour le plus riche, le plus agréable & le plus beau des Athéniens. Clisthène, roi de Sicyone, avoit envie de lui donner sa fille en mariage. Il lui fit une fête magnifique avant que de dresser le contrat, Hippoclide fort content de sa figure, dansa d'un air dégagé, libre & indécent, la danse appellée emmêlée, qui étoit une danse grave & noble : " Fils de Tisandre, lui dit Clisthène, tu as dansé ton mariage hors de cadence " A quoi le jeune homme répondit : Hippoclide ne s'en soucie guère " ; réponse qui devint proverbe à Athènes.
L'oisiveté, les promenades, les spectacles, les danses, formerent dans toute la ville des parties de souper où régnoit la chere la plus délicate. La dépense en ce genre devint si grande, que les Athéniens pour pouvoir la soutenir vendirent leur vaisselle d'argent, & se servirent de la poterie de Samos. Démétrius ayant abandonné à son maître-d'hôtel les restes de sa table, ce maître d'hôtel en deux ans de tems acheta trois terres. Un habile cuisinier se payoit aussi cher qu'à Rome ; on n'estimoit que les repas apprêtés de la main de Moschion. On accordoit le droit de bourgeoisie aux enfans de Chérips, parce que leur pere avoit inventé une nouvelle sorte de ragoût aux truffes de la Grece. Le nom de ce ragoût nous a été conservé par Athénée ; on l'appelloit truffes à l'Alcibiade, ou truffes en surprise.
Quoiqu'on servît à leurs tables les meilleurs vins du monde, ils en buvoient néanmoins très-sobrement, parce qu'ils vouloient que leurs repas fussent assaisonnés de conversations légeres & plaisantes ; ces conversations rouloient sur les nouvelles du jour, les brochures, les spectacles, les amourettes de Thaïs avec Ménandre, & les nouveaux logogryphes formés de vers d'anciens poëtes parodiés. On ne parloit jamais à table de Mégabise, de Rhodes, de Sparte, ni de Philippe que pour un moment, & pour s'en moquer.
Ce que dit Horace de l'envie toujours attachée à la vertu, étoit encore plus vrai à Athènes qu'ailleurs, virtutem incolumen oderunt invidi. Une grande supériorité de mérite en quelque genre que ce fût, affligeoit vivement les Athéniens. Thémistocle, Miltiade, Aristide, Périclès, Socrate, Démosthènes, Démétrius de Phalere, & Phidias, en sont de belles preuves. L'éclat de leur gloire leur suscita mille envieux, sorte d'ennemis également couverts & dangereux. Athénée nous apprend qu'on vit même à la honte des mysteres sacrés, des prêtres de Minerve supplantés par des prêtres de Vénus.
La religion des Athéniens étoit la même pour le fonds que celle des autres grecs, excepté dans quelques points, dont l'intérêt des pontifes avoit sur-tout établi la sainteté. Les Athéniens ne furent point choqués des impiétés qu'Eschyle dans sa tragédie faisoit tenir à Prométhée contre Jupiter, mais ils étoient faciles à effaroucher sur Cérès & ses mysteres. C'est que Jupiter n'appartenoit qu'en général à la religion ; au lieu que Cérès & ses mysteres avoient rapport aux intérêts particuliers de la capitale de l'Attique, & des pontifes puissans qui desservoient les autels de la déesse.
Leur ville étoit remplie de temples, de monumens de piété, de lieux d'amusement & de libertinage. Les Athéniens étoient tout ensemble impies & superstitieux ; ils réputoient le jeudi comme un jour malheureux ; on renvoyoit toute assemblée qui tomboit ce jour-là. On s'enivroit de plaisirs pendant la célébration des thesmophories ; & le troisieme jour qu'elles finissoient, on se rendoit de l'odéum & du théâtre de Bacchus, dans le temple de Minerve, où chacun suivoit les observances religieuses de la journée ; ce qui fait que Plutarque appelle le troisieme jour des thesmophories, le plus triste jour de l'année.
Aux fêtes sacrées d'Eleusis, les femmes passoient douze heures consécutives dans le temple, assises sur des bancs sans prendre aucune nourriture, & tenant dans leurs mains un livre écrit en langue égyptienne avec des hiéroglyphes. Chacun conservoit ce livre dans des peaux teintes en pourpre ; mais comme il n'y avoit que les prêtres qui pussent lire l'écriture hiérogrammatique, le peuple d'Athènes se reposoit superstitieusement sur eux du soin de la déchiffrer.
Les Athéniens établirent aussi par superstition des expiations publiques pour leurs théâtres, & des expiations particulieres pour les crimes & les fautes qu'on avoit commises ; ces dernieres expiations consistoient à se rendre dans le temple du dieu que l'on avoit particulierement offensé, à se laver d'eau lustrale, & en d'autres actes semblables.
L'artisan mettoit une petite piece de monnoie sur la langue de ceux qui venoient de mourir ; mais les gens riches s'imaginoient que pour passer plus commodément la barque fatale, il falloit porter à Caron trois pieces d'argent. La dépense étoit excessive à la mort des grands ; ils vouloient avoir des tombeaux magnifiques avec tous les ornemens que dicte la vanité.
Ce peuple réunissoit en lui tous les contraires ; il étoit dur & poli, civil & médisant ; détracteur des étrangers, & les accueillant avec enthousiasme. Protagoras d'Abdère, Evenus de Paros, Poléen d'Agrigente, Théodore de Bysance, ne sachant plus où se réfugier, firent fortune à Athènes, par la seule raison qu'ils étoient des étrangers.
Les Athéniens devenus sophistes par caractere & par corruption, inventerent la plaidoirie, & en firent un art rusé & lucratif. Périclès se les attacha par le profit du barreau, & Alcibiade les punit rudement par le même endroit, en engageant les Spartiates à fortifier Décélie, parce que ce fort coupoit les revenus de la justice, qui étoient un de leurs grands trafics.
Ciceron se mocque plaisamment de la maniere dont ils opinoient. " Aussi-tôt, dit-il, qu'un de leurs orateurs a fini de parler, ils ne font que lever la main en tumulte, & voilà un decret éclos ". C'est ainsi que se fit le fameux decret (mentionné dans les marbres d'Oxford) qui ordonna la suppression des portefeuilles de Périclès sur les beaux-arts, conjointement avec ceux de toutes les oeuvres de Solon, d'Anaximandre, d'Anaxagore, de Phérécyde, d'Archytas, de Calippe & de Socrate ; recueil que quelques savans disciples de ces grands hommes avoient enfin rassemblés en un corps, & qu'ils avoient transcrits pendant vingt ans sur du beau papyrus d'Egypte avec un soin scrupuleux, une critique éclairée, & une dépense vraiment royale, pour transmettre à la postérité, par des copies fideles & par d'admirables desseins, le dépôt des Sciences & des Arts aussi loin qu'ils avoient été poussés. Le decret qui proscrivoit ce magnifique recueil, avança dans toute l'Attique le regne de la barbarie, qu'une petite poignée de sages avoit tâché jusqu'alors de reculer par leurs écrits.
Quoique les Athéniens marchassent à grands pas vers leur chûte, ils étoient toujours enorgueillis de la supériorité qu'ils avoient eu dans les beaux-Arts, & de celle qu'ils prétendoient avoir encore dans les Sciences. Cependant avec cette prétention singuliere on n'apprenoit aux jeunes gens dans les principales écoles d'Athènes, qu'à chausser le soc & le cothurne, comme s'ils ne devoient être un jour que des comédiens, & que l'étude des Lettres, de la Morale & de la Philosophie fût une chose méprisable. On ne leur expliquoit que des ridicules impertinences, qu'on autorisoit du nom d'un poëte inconnu, & on leur donnoit pour sujets de composition le mont Athos percé par Xerxès, les noces de Deucalion & de Pyrrha, les irruptions des Scythes en Asie, les batailles de Salamine, d'Artémise & de Platée.
Leurs rhéteurs ne s'occupoient qu'à éplucher des syllabes, à couper des phrases, à changer l'orthographe, à appauvrir, à efféminer la langue grecque qui étoit si belle du tems de Démosthène, & à lui donner le ton affété & langoureux d'une courtisanne qui cherche à plaire. Les Athéniens n'en conserverent que la douceur de la prononciation, qu'ils tenoient de la bonté de leur climat, & c'étoit la seule chose qui les distinguoit des Asiatiques.
Leurs philosophes examinoient dans leurs écrits, si le vaisseau qu'on gardoit au port de Phalere, & dont on ôtoit les pieces qui se pourrissoient en en mettant de nouvelles, étoit toujours le même vaisseau, que celui sur lequel Thésée avoit été en Créte, & cette question devint très-sérieuse.
Leurs médecins regardant l'étude de l'art & des observations d'Hippocrate, comme un tems perdu dans la pratique, l'exerçoient empiriquement par deux seuls remedes qui marchoient toujours de compagnie, la saignée & la purgation avec l'hellebore noir, l'une & l'autre jusqu'à l'extinction des forces. Peut-être trouverent-ils que la folie ou la phrénésie dominoit dans toutes les maladies des Athéniens, & qu'on risquoit trop à écouter la nature si étrangement viciée chez ce peuple, & à attendre d'elle quelque crise salutaire.
Dans les portiques & les académies d'Athènes, ce n'étoit que querelles & que divisions, les uns tenant pour les Apollodoréens, les autres pour les Théodoréens ; & l'on ne sauroit croire la haine & l'animosité qui régnoient dans ces deux partis.
Uniquement occupés de questions futiles, ou entierement dissipés par les plaisirs, les Athéniens méprisoient les Sciences d'érudition, joignant une ignorance volontaire à la présomption qui leur étoit naturelle. Ils ne connoissoient rien du reste du monde, & traitoient de fables les négociations Phéniciennes. Josephe ne cite que des traits de leur ignorance & de leur vanité. Un de leurs compatriotes plein d'un juste mépris pour tant de suffisance, leur disoit : " ô Athéniens ; vous n'êtes que des enfans ; vous vivez comme des enfans ; vous parlez comme des enfans ".
Superficiels, & hors d'état de raisonner sur de grands sujets ; ils décidoient de la guerre, de la paix, & des intérêts des Grecs, comme leurs nautodices des litiges de leurs matelots avec les étrangers. Ils jugeoient des alliances qu'ils devoient former, comme de l'accouplement de leurs chiens.
Tournant tout leur esprit vers les objets frivoles & de pur agrément, il n'est pas étonnant qu'ils entendissent moins la navigation, le pilotage, & l'agriculture, que les Tyriens & les Phéniciens. Cette derniere science étoit d'autant plus en vogue chez les fondateurs de Carthage, qu'ils habitoient un pays dont le peu de fertilité naturelle encourageoit leur industrie, pour faire circuler l'abondance dans tous les ordres de l'état, par des moissons qui payoient le laboureur avec usure, & fournissoient au trafiquant un fonds inépuisable d'échanges avec l'étranger. Ils en faisoient encore un exercice volontaire, un amusement utile, & même un objet d'étude. Ils étoient cultivateurs, comme hommes d'état & négocians. Leurs progrès dans la navigation furent grands & rapides, parce qu'ils avoient pour but d'augmenter à la fois leurs richesses personnelles, & les forces de leur état, dont le pouvoir se fondoit en partie sur l'opulence générale, & en partie sur celle de tous les sujets en particulier.
Magon, un de leurs illustres citoyens, avoit composé sur la culture des terres, un traité profond, dont la réputation s'étendit jusqu'à Rome, & Décius Silanus réussit à le traduire. Voilà cependant les hommes que les poëtes & les orateurs d'Athènes, traitoient dans leurs comédies & dans leurs harangues, de barbares, qui écorchoient la langue grecque.
Les vaisseaux de Carthage & de Phénicie parcouroient toutes les mers, dans un tems où les Athéniens ne navigeoient pas au-delà des colonnes d'Hercule ou du Pont-Euxin. Les Carthaginois & les Phéniciens, introduits par la navigation en Egypte, à la cour de Perse, dans toutes les contrées de l'Asie, & jusques dans les Indes, avoient par ces vastes régions des lumieres curieuses & certaines, bien différentes des idées vagues & confuses, que les Athéniens s'en formoient sur les fictions de leurs poëtes, & les romans de leurs gens de lettres oisifs.
Concentrés dans leur capitale, ils ne connoissoient rien au-delà de l'Attique, & se glorifioient néanmoins de l'affluence des étrangers, qui venoient prendre chez eux une teinture d'Atticisme, avant que de passer à Rome.
Non-seulement ils étoient fous en général des délices de leur ville ; mais en particulier, ils auroient tous voulu habiter le quartier nommé Colytos, parce qu'on disoit, que les enfans y commençoient à parler, plus tôt que dans les autres quartiers de la ville, & l'on assuroit qu'on n'y avoit jamais vû d'exemple de mutisme. Les Athéniens entierement opposés aux Lacédémoniens, estimoient infiniment le babil. Loquacité, loquence & éloquence, étoient déja dans leur ancien langage des termes synonymes. Un parlier (on conçoit bien que je traduis ici les mots grecs attiques) désignoit chez eux un orateur éminent, un orateur admirable.
D'ailleurs, ce quartier Colytos avoit été fort embelli par Périclès ; on y voyoit le temple de Minerve & le théâtre de Régille, où se rendoient les poëtes de profession. Epicure, Nicias, Themistocle, Harpalus, Alcibiade & autres grands avoient aussi bâti dans ce quartier de magnifiques palais.
Enfin, les Athéniens après avoir vanté le Colytos avec emphase, louoient ensuite avec autant d'exagération, tous les autres agrémens merveilleux de leur Athènes : connoissez-vous, dirent-ils un jour à Isocrate, une ville au monde, dont le sejour soit plus délicieux & dont les plaisirs soient plus brillans, on sait quelle fut sa réponse : je compare, répliqua-t-il, votre ville à une courtisanne, qui par sa beauté attire bien des galans, quoi qu'aucun ne voulût l'avoir pour épouse ; mais le latin dit bien mieux, & le dit en quatre mots : melior meretrix quàm uxor.
(D.J.)
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PARIS, COMTE DE | (Hist. de France) c'étoit la plus éminente dignité du royaume avant Hugues Capet. En 888, Eudes, comte de Paris, fut proclamé roi, & couronné par l'archevêque de Sens, au préjudice de Charles le Simple. Il mourut à la Fère en 898, âgé de quarante ans, & est enterré à Saint-Denis.
PARIS, POLICE DE (Hist. de France) elle a été établie sous S. Louis vers l'an 1260, par Etienne Boileau, prevôt de cette ville, magistrat digne des plus grands éloges ; il s'appliqua d'abord à punir les crimes : les prevôts fermiers avoient tout vendu, jusqu'à la liberté du commerce, & les impôts sur les denrées étoient excessifs : il remédia à l'un & à l'autre ; il rangea tous les Marchands & Artisans en différens corps de communautés, sous le titre de confrairies ; il dressa les premiers statuts, & forma plusieurs réglemens ; ce qui fut fait avec tant de justice & une si sage prévoyance, que ces mêmes statuts n'ont presque été que copiés ou imités dans tout ce qui a été fait depuis pour la discipline des mêmes communautés, ou pour l'établissement des nouvelles qui se sont formées dans la suite des tems. La famille d'Etienne Boileau, dont le véritable nom est Boylesve, a continué de se distinguer depuis dans la province d'Anjou, où elle subsiste encore aujourd'hui. Henault, Hist. de France.
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PARISIENNE | S. f. (Fondeur de caractere d'Imprimerie) est le premier & le plus petit des corps des caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est de cinq points mesure de l'échelle, son corps double est le petit romain. Ce caractere se nomme aussi sédanoise, parce qu'il a été gravé à Sedan en 1620 pour la premiere fois par Jeannon, graveur & fondeur de cette ville, & avec lequel il imprima en 1625 Publii Virgilii, &c. en un seul petit volume in-32. & en 1633 il imprima avec le même caractere tous les livres de la bible en un volume in-8 °.
En 1634 ou 35 Jacques de Sanlecque, graveur & fondeur de caracteres à Paris, grava un caractere à l'imitation de celui de Jeannon, & il le nomma parisienne du nom de sa ville ; ce qui fait qu'à Paris on a appellé ce caractere parisienne.
En 1740, le sieur Luce, graveur de caracteres pour le Roi, a gravé pour l'imprimerie royale un caractere nommé la perle, plus petit d'un tiers que la parisienne. Comme ledit caractere a été gravé pour le roi, & qu'on n'en a pas encore gravé de pareil jusqu'à présent, cela n'empêche pas que la parisienne ne soit comptée dans l'Imprimerie, comme le premier des caracteres. Voyez l'exemple à l'article CARACTERE.
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PARISIS | (Monnoie) monnoie des ducs ou comtes de Paris : elle étoit ainsi appellée à cause qu'elle portoit le nom de Paris, où elle étoit fabriquée, comme il appert par un denier de Hugues, duc de Paris, gravé dans le Blanc : les comtes de Paris étant devenus rois de France, la monnoie parisis devint monnoie royale ou la monnoie du roi.
La plus ancienne mention que l'on trouve de la monnoie parisis, est dans un titre de S. Denis de l'année 1060, qui étoit la premiere du regne de Philippe I : quam in vadimonio tenebat pretio 60 librarum denariorum parisiensium. La distinction de la monnoie tournois & parisis, a commencé avant le regne de Philippe-Auguste, quoiqu'on ait toujours crû, qu'il avoit introduit cette différence dans nos monnoies. Sous ce prince, la monnoie parisis étoit plus forte d'un quart que la monnoie tournois ; c'est-à-dire que 4 sols parisis en valent 5 tournois. On s'en est servi en France dans les comptes & dans les contrats.
PARISIS D'ARGENT, (Monnoie) Philippe de Valois fit fabriquer cette monnoie ; elle étoit d'argent fin, & pesoit quatre deniers. Elle valoit un sol parisis, ou quinze deniers tournois. Ce prince fut le seul entre nos rois qui fabriqua de ces especes.
Le parisis d'argent avoit cours au même tems que le parisis d'or ; il valoit douze deniers parisis, desorte que le parisis d'argent étoit le sol parisis, comme le gros tournois étoit le sol tournois ; on peut voir dans la table du traité des monnoies, par M. le Blanc, le tems où toutes ces especes ont été fabriquées, leur aloi, leur poids & leur valeur, aussi-bien que celle du marc d'argent. Ces parisis d'argent, ne passerent pas le regne de Philippe de Valois, quoiqu'on ait continué sous les regnes suivans, de se servir de la monnoie parisis, ainsi qu'il paroît par les doubles, & les deniers parisis, que firent faire ses successeurs. (D.J.)
PARISIS D'OR, (Monnoie) les parisis d'or furent ainsi nommés, parce qu'ils valoient une livre parisis, ou vingt sols parisis, lesquels étoient d'argent fin & pesoient quatre deniers ; desorte que les parisis d'or, qui valoient alors vingt sols parisis, ou 25 sols tournois, vaudroient aujourd'hui environ 26 liv. Le parisis d'or fut établi au mois d'Octobre 1330, & il ne dura que jusqu'au premier Février 1336. Cette monnoie étoit nouvelle, & on n'avoit point encore vû en France d'espece d'or qui portât ce nom-là ; on peut en voir la figure dans le traité historique de M. le Blanc.
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PARITÉ | S. f. (Gram.) Voyez l'article PAREIL. La parité suppose ressemblance entre les choses, l'égalité suppose la mêmeté, s'il est permis de s'exprimer ainsi.
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PARIUM | (Géog. anc.) c'étoit une ville de l'Asie mineure, située sur la Propontide, entre Lampsaque & Priapus, dans un territoire fertile, & qui produisoit des vins estimés : elle avoit un bon port ; on fait remonter son antiquité jusqu'aux tems fabuleux. On a dit qu'elle prit son nom de Parius, fils de Jasion : qu'il y habitoit une race d'hommes ophigènes, c'est-à-dire, descendus d'un héros qui avoit été serpent ; & qu'ils avoient la vertu de guérir la morsure des bêtes venimeuses, comme les psylles d'Afrique ; ce qu'il y a de certain, c'est que cette ville fut fondée par les Milésiens, les Erythréens & les habitans de l'île de Paros, d'où elle a pris son nom. Elle s'accrut des ruines de la ville d'Adrastée ; & sous les rois de Pergame, une partie du territoire de la ville de Priapus lui fut soumise.
APIANN sur les médailles, désigne les habitans de Parium ; elle étoit de la province proconsulaire d'Asie ; Auguste en fit une colonie. Pline, l. V. ch. xxvij. ne l'a pas oubliée ; mais il paroît l'avoir confondue avec Adrastée ; elle jouissoit du droit italique, comme Alexandria Troas.
Cette ville ainsi que les autres colonies, étoit gouvernée par un sénat ou conseil, composé de décurions ; ses duumvirs sont marqués sur une médaille, frappée sous Galien. Plusieurs types des médailles de Parium, sont relatifs à l'établissement de la colonie. Voyez PARIUM, MEDAILLES DE (Art numism.)
Strabon nous apprend que le culte d'Apollon & de Diane, fut transféré de la ville d'Adrastée à Parium, & qu'on leur éleva un autel d'une grandeur & d'une beauté extraordinaires ; c'étoit l'ouvrage du célebre Hermocréon. Pline parle aussi de la statue de Cupidon, placée dans cette ville ; elle étoit de la main de Praxitèle, & elle égaloit en beauté la Venus de Gnide.
La colonie rendit les honneurs divins à Jules César & à Auguste : on en trouve la preuve dans une inscription rapportée par Spon & par Wéheler. La même ville donna la naissance au fameux Peregrin, dont Lucien a décrit la mort. Les habitans de Parium lui dresserent des statues, & lui attribuerent la vertu des miracles, & de rendre des oracles.
La ville de Parium étoit dépendante du gouvernement de l'Asie proconsulaire ; mais ce gouvernement ayant été divisé en plusieurs provinces sous le regne de Dioclétien, Parium fut comprise dans la nouvelle province d'Hellespont, dont Cyzique étoit la métropole. Elle eut des évêques suffragans du métropolitain de Cyzique ; on en peut voir la suite dans l'Oriens Christianus du P. le Quien.
Les provinces orientales ayant été partagées en différens thèmes ou départemens militaires, après le regne d'Héraclius ; cette ville nommée alors , fut comprise dans le thème d'obsicion. Cette division subsista sous les empereurs grecs, jusqu'à la grande invasion des Turcs dans cette partie de l'Asie mineure, au commencement du quatorzieme siecle. Un de leurs chefs appellé Carassi s'empara de la Troade, & des pays voisins, & donna son nom à ce canton. On l'appelle encore Liva ou district de Carassi ; il dépend du pachalik d'Anadoli. La ville de Parium étoit encore connue au seizieme siecle du tems du géographe Sophien, sous le nom de Pario. Elle est maintenant détruite, & on en voit les ruines près d'un lieu appellé Kamaris, sur un bassin qui étoit anciennement le port de la ville. (D.J.)
PARIUM, médailles de, (Art numismatiq.) M. l'abbé Belley a expliqué deux médailles singulieres de cette ville. La premiere frappée sous le regne de Commode a pour type du revers un boeuf debout, la tête élevée, qui présente le pié droit de devant à une figure assise, comme pour en recevoir du soulagement ; on lit au-dessus de cette inscription : Deo aesc. sub. Ce type se trouve encore sur une médaille de la même ville, frappée sous Galien, avec l'inscription Deo aesc. mais sans le mot sub.
M. l'abbé Belley propose avec modestie une conjecture très-raisonnable. Esculape le dieu de la Médecine avoit des temples par toute la terre ; on en connoît deux en Mysie, l'un à Pergame, l'autre à Poemanine, ville dont parlent Pline & Etienne de Bysance, dont on a des médailles. Il est très-croyable que les païens invoquoient ce dieu non-seulement pour la guérison des hommes mais encore pour les maladies des animaux. Hiéroclès, dans la préface de son ouvrage sur l'art de panser les chevaux, s'exprime en ces termes : " Invoquons pour obtenir du secours dans cet art Neptune équestre, & Esculape, le conservateur du genre humain, qui prend aussi un grand soin des chevaux ". Les habitans de Nicée firent graver sur une de leurs médailles le symbole de ce double bienfait d'Esculape envers les hommes & les animaux. On voit un cavalier sur un cheval qui, d'un pié formé comme le bras d'un homme, tient le bâton d'Esculape avec l'inscription, , comme le baron de Spanheim l'a déja observé.
On peut croire qu'une maladie sur les bestiaux, semblable à celle qui depuis quelques années a désolé plusieurs régions de l'Europe, se fit sentir sous les regnes de Commode & de Galien dans l'Asie mineure, & en particulier dans le territoire de Parium ; que les habitans de la colonie, pour obtenir la cessation de ce fléau, firent des voeux à Esculape ; que le mal ayant cessé, ils offrirent des sacrifices en action de graces, & qu'ils placerent dans le temple du dieu, suivant l'usage pratiqué alors, un tableau qui représentoit le voeu de la colonie.
Il est bien probable que le type des médailles dont il s'agit a été gravé d'après cette sorte d'ex voto. Les lettres sub sont, selon cette conjecture, les premieres du mot subvenienti ; le terme grec , dans le texte d'Hiéroclès, présente la même idée. Tibulle a dit, en parlant de ces tableaux votifs :
Nunc, dea, nunc succurre mihi : nam posse mederi
Picta docet templis multa tabella tuis.
L'autre médaille singuliere de Parium, frappée sous Galien, représente un arc-de-triomphe : on le voit sur un moyen bronze publié par M. Vaillant, & sur un grand bronze très-rare du cabinet de M. Pellerin. Quelques savans ont cru que c'étoit un monument du triomphe de Galien, qui, dans le sein de la mollesse & de la volupté, eut la vanité de célébrer à Rome une espece de triomphe tandis qu'il laissoit l'empire en proie aux rebelles & aux barbares : mais cette extravagante cérémonie n'attira à Galien que du ridicule ; Rome même ne lui érigea point de semblable monument, & l'arc qu'on y voit encore & qu'on appelle l'arc de Galien, ne porte aucune marque, ni aucun ornement de triomphe ; l'inscription fait connoître que cet édifice fut élevé en l'honneur de Galien & de l'impératrice Salonine, par un particulier nommé Marcus Aurelius, & nullement par autorité publique.
M. l'abbé Belley pense que la colonie de Parium fit élever dans sa ville en l'honneur de Galien, mais pour un sujet tout différent, l'arc-de-triomphe qui est représenté sur ses médailles. L'an 267, les Hérules, nation germanique, sortirent des Palus méotides, traverserent le Pont-Euxin avec une flotte de cinq cent vaisseaux, entrerent dans le Bosphore jusqu'à Bysance où ils furent battus par un général romain, & se retirerent à l'entrée du détroit dans le Pont-Euxin : mais dès le lendemain ayant profité d'un vent favorable, ils rentrerent dans le canal, passerent devant Bysance, & allerent aborder au port de Cyzique ; ils pillerent cette grande ville, ravagerent la côte de la Propontide où étoit située la ville de Parium, passerent le détroit de l'Hellespont, firent le dégât dans les îles de Lemnos & de Scyros, aborderent dans la Grece, où ils prirent & brûlerent Athènes, Corinthe, Argos, Sparte, & mirent à feu & à sang toute l'Achaïe. Les Athéniens les battirent dans un défilé ; mais cet échec n'arrêta pas leurs ravages, ils se répandirent dans l'Illyrie. L'empereur Galien se reveilla de son assoupissement en cette occasion ; il alla en personne secourir ces provinces désolées : il attaqua & vainquit les barbares, & obligea leur chef de se rendre. L'empereur retourna en Italie, & chargea le général Marcien de poursuivre ces Barbares : celui-ci les battit plusieurs fois, & les força de passer le Danube, & de sortir des terres de l'empire. L'Asie mineure, délivrée de ces redoutables ennemis, célébra sans doute la victoire de Galien par des réjouissances publiques. La ville de Parium, qui avoit été exposée à leurs ravages, fit élever alors cet arc-de-triomphe. C'est un édifice composé de trois arcades, sur lequel l'empereur paroît dans un char attelé de deux éléphans au milieu de deux victoires, qui lui présentent une couronne de laurier.
Au reste, il faut savoir que APIN sur les médailles désigne les habitans de l'île de Paros, & APIANN ceux de Parium, dont Auguste fit une colonie. La plûpart des types des médailles de Parium sont relatifs à l'établissement de la colonie ; on y voit le colon ou laboureur traçant avec la charrue l'enceinte de la ville & les limites du territoire ; la louve avec les jumeaux, symbole d'une origine romaine ; le capricorne, symbole d'Auguste ; les enseignes militaires qui furent portées à la tête des vétérans lorsqu'ils furent conduits à ce nouvel établissement, le génie de la colonie.
On a d'autres médailles qui représentent aussi les divinités de Parium ; Apollon & Diane, cette Diane que les anciens appelloient Lucifera. On y voit aussi Cupidon. Enfin le dieu des jardins, qui avoit donné son nom à une ville voisine de Parium, nommée Priapus, paroît aussi sur ces médailles. (D.J.)
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PARJURE | S. m. (Jurisprud.) est le crime de celui qui a fait sciemment un faux-serment ; on entend aussi par le terme de parjure celui qui a commis ce crime.
On appelle également parjure celui qui a fait un faux-serment, en affirmant véritable un fait qu'il savoit être faux, & celui qui a manqué volontairement à son serment en n'accomplissant pas la promesse qu'il a faite sous la foi & la religion du serment.
Il seroit assez difficile de déterminer par les textes de droit, si le crime de parjure est punissable, & de quelle maniere.
En effet, d'un côté la loi derniere ff. de stellion. dit que le parjure doit être puni du bannissement, & la loi 13. au ff. de jure jur. qu'on doit le condamner au fouet ; la loi 47. au code de transactionibus dit qu'il est infâme, & la loi 17. au code de dignitati. qu'il doit être privé de ses dignités ; les lois du code prononcent aussi que le parjure n'est plus reçu au serment, qu'il ne peut plus être témoin, ni agir en demandant.
Mais d'un autre côté, la loi 2. au code de rebus creditis, dit que le parjure ne doit point être puni par le prince, parce que c'est assez qu'il ait Dieu pour vengeur de son crime.
Cependant nos rois n'ont pu souffrir qu'un crime qui offense Dieu si grievement & qui est en même tems des plus préjudiciables à la société civile, demeurât sans punition.
Suivant les capitulaires de Charlemagne & de Louis le débonnaire, la peine du parjure est d'avoir la main droite coupée.
Par l'ordonnance de S. Louis en 1254, qui est rapportée dans le style du parlement, le bénéfice d'appel est dénié à celui qui a été condamné pour crime de parjure, mais elle ne regle point la peine à laquelle il doit être condamné.
L'ordonnance de Charles VII. sur le fait des aides, art. xiv. dit que si le parjurement se prouve, celui qui se sera parjuré, sera condamné en une amende arbitraire envers le roi & envers le fermier, & aux dépens, dommages & intérêts du fermier.
Par l'art. 593. de l'ancienne coûtume de Bretagne, qui est le 638. de la nouvelle, tout homme qui est condamné & déclaré parjure, perd tous ses meubles, & les confisque au profit du seigneur en la justice duquel il est condamné.
L'art. 40. de la même coûtume, qui est le 37. de la nouvelle, porte que tout officier de justice qui est convaincu de parjure est infâme, & incapable d'être juge & de tenir aucun autre office public.
Enfin l'art. 362. de la coûtume de Bourbonnois déclare que si aucun affirme frauduleusement qu'il mene aucune chose par Paris pour gens privilégiés, & il est convaincu du contraire, il est puni comme parjure à l'arbitrage du juge.
On voit par ces différentes lois qu'en France le parjure a toujours été regardé comme un crime très-odieux, & que l'on punit celui qui en est convaincu, mais que la peine en est arbitraire ; quelquefois on condamne en une amende honorable, ou, en tous cas, en une amende pécuniaire envers le roi, & une réparation envers la partie ; tout cela dépend des circonstances.
Mais la recherche de ce crime est assez rare, soit parce qu'il est difficile de prouver que celui qui a commis un parjure l'a fait sciemment, soit parce que, suivant la loi 1. au code de rebus creditis, on ne peut, sous prétexte de parjure, faire retracter le jugement qui a été rendu sur le serment déféré à une partie par son adversaire, ensorte que l'on ne pourroit agir que dans le cas où le serment a été déféré par le juge, & que depuis le jugement l'on a trouvé de nouvelles pieces qui prouvent la fausseté du serment comme il est dit en la loi 31. ff. de jure jurando.
Cependant plusieurs auteurs, entre lesquels est M. d'Argentré, sur l'art. 593. de l'ancienne coûtume de Bretagne, tiennent qu'après la prestation de serment déféré, même par la partie adverse, la preuve du parjure doit être reçue, & le jugement intervenu sur icelui retracté. Si la preuve du parjure est prompte & évidente, comme si un débiteur avoit dénié par serment le prêt qui lui avoit été fait, croyant que la promesse fût perdue, ou qu'un créancier de mauvaise foi eût dénié le payement qui lui auroit été fait & que l'un ou l'autre fut convaincu de mauvaise foi par la représentation de la promesse ou quittance qui auroit été recouvrée depuis.
Mais il faut bien prendre garde que par le canon 5. caus. 22. quaest. v. qui est tiré de S. Augustin, il est expressément défendu de provoquer au serment celui qu'on peut convaincre de parjure aussi-tôt qu'il aura affirmé ; car en ce cas dit ce saint pere celui qui défere le serment, est homicide de son ame & de celui qu'il fait jurer.
Ainsi celui qui ayant en main des promesses, des quittances ou autres pieces pour convaincre sa partie, au lieu de les lui communiquer, les lui dissimuleroit & lui déféreroit le serment malicieusement, pour faire tomber cette partie dans un parjure, seroit lui même très-coupable.
Mais si celui qui a déféré le serment n'avoit pas alors en main la preuve du fait contraire, & que les pieces n'ayent été recouvrées que depuis, il n'encourt point de censure ; ainsi qu'il est dit dans le canon 6. à l'endroit que l'on vient de citer.
Quand la peine prononcée contre le parjure est légere eu égard aux circonstances, & qu'elle n'emporte pas infamie de droit, il y a toujours au-moins infamie de fait, qui fait perdre au parjure la confiance de tous les gens d'honneur & de probité, & l'exclud de toute dignité. Voyez au digeste le tit. de jure jurando. Julius Clarus, lib. V. sentent. Papon, liv. XXII. tit. XII. n °. 10. Boniface, tome V. liv. III. tit. I. chap. xiij. Louet, let. L. som. 4. Journal des aud. tome IV. liv. V. ch. j. Belonneau, sur l'art. 163. de la coûtume de Bretagne ; & Sauvageon, sur ce même article ; Ducange, let. F. où il parle de fide violatâ. (A)
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PARJURER | SE, (Critiq. sacrée) se parjurer a deux sens dans l'Ecriture : ou jurer une chose que l'on croit fausse, faire un faux serment, comme dans S. Matt. ch. v. 33. ou ne pas exécuter ce que l'on a promis avec serment ; c'est alors la même chose que prendre le nom de Dieu en vain, c'est-à-dire sans effet ; car jurer en vain, c'est promettre quelque chose avec serment, & ne pas tenir sa promesse. (D.J.)
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PARKINSONE | S. f. parkinsonia, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur polypétale, anomale, & composée de cinq pétales inégaux ; il s'éleve du fond du calice un pistil, qui devient dans la suite une silique charnue, noueuse, qui renferme dans chaque noeud une semence arrondie. Plumier, Nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE.
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PARLEMENT | (Hist. anc. & mod. & Jurisprud.) ce terme a eu différentes significations, comme on le verra dans les subdivisions qui sont à la suite de cet article, mais la plus ordinaire est que l'on entend en France par ce terme une cour souveraine, composée d'ecclésiastiques & de laïcs, établie pour administrer la justice en dernier ressort au nom du roi, en vertu de son autorité, comme s'il y étoit présent.
Il y a douze parlemens dans le royaume, lesquels, suivant l'ordre de leur création, sont Paris, Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Dijon, Rouen, Aix, Renne, Pau, Metz, Besançon & Douai.
Quand on dit le parlement simplement, on entend ordinairement le parlement de Paris qui est le parlement par excellence & le plus ancien de tous, les autres ayant été créés à l'instar de celui de Paris ; c'est pourquoi nous parlerons d'abord de celui-ci, après quoi nous parlerons tant des autres parlemens de France que de ceux des autres pays, suivant l'ordre alphabétique.
PARLEMENT DE PARIS, est une cour établie à Paris sous le titre de parlement, composée de pairs & de conseillers ecclesiastiques & laïques, pour connoître au nom du roi qui est le chef, soit qu'il y soit présent ou absent, de toutes les matieres qui appartiennent à l'administration de la justice en dernier ressort, notamment des appellations de tous les juges inférieurs qui ressortissent à cette cour.
Ce parlement est aussi appellé la cour du roi, ou la cour de France, la cour des pairs ; c'est le premier parlement & la plus ancienne cour souveraine du royaume.
Les auteurs ne sont pas d'accord sur le tems de l'instruction du parlement.
Les uns prétendent qu'il est aussi ancien que la monarchie, & qu'il tire son origine des assemblées de la nation, quelques-uns en attribuent l'institution à Charles Martel, d'autres à Pepin le Bref, d'autres encore à S. Louis, d'autres enfin à Philippe le Bel.
Il est fort difficile de percer l'obscurité de ces tems si réculés, & de fixer la véritable époque de l'institution du parlement.
Les assemblées de la nation, auxquelles les historiens ont dans la suite donné le nom de parlements généraux, n'étoient point d'institution royale ; c'étoit une coûtume que les Francs avoient apportée de leur pays, quoique depuis l'affermissement de la monarchie elles n'étoient plus convoquées que par l'ordre du roi, & ne pouvoient l'être autrement.
Sous la premiere race, elles se tenoient au mois de Mars, d'où elles furent appellées champ de Mars ; chacun s'y rendoit avec ses armes.
La tenue de ces assemblées fut remise au mois de Mai par Pepin, parce que l'usage de la cavalerie s'étant introduit dans les armées, on crut que pour entrer en campagne, il falloit attendre qu'il y eût du fourrage : de-là ces assemblées furent appellées champ de Mai.
D'abord tous les Francs ou personnes libres étoient admis à ces assemblées ; les ecclésiastiques y eurent aussi entrée dès le tems de Clovis : dans la suite, la nation étant devenue beaucoup plus nombreuse par le mélange des vaincus avec les vainqueurs : chaque canton s'assembloit en particulier, & l'on n'admit plus gueres aux assemblées générales que ceux qui tenoient un rang dans l'état ; & vers la fin de la seconde race, on réduisit ces assemblées aux seuls barons ou vassaux immédiats de la couronne, & aux grands prélats & autres personnes choisies. On lit dans les annales de Rheims que, sous Lothaire en 964, Thibaud le Trichard, comte de Blois, de Chartres & de Tours, fut exclus d'un parlement général, quelque considérables que fussent ces comtés, parce qu'il n'étoit plus vassal du roi, mais de Hugues Capet, qui n'étoit encore alors que duc de France.
Ces assemblées générales formoient le conseil public de nos rois ; on y traitoit de la police publique, de la paix & de la guerre, de la réformation des lois & autres affaires d'état, des procès criminels des grands & autres affaires majeures.
Mais outre ce conseil public, nos rois de la premiere & de la seconde race avoient tous leur cour ou conseil particulier, qui étoit aussi composé de plusieurs grands du royaume, principaux officiers de la couronne & prélats, en quoi ils se conformoient à ce qui se pratiquoit chez les Francs dès avant leur établissement dans les Gaules. On voit en effet par la loi Salique qu'il se faisoit un travail particulier par les grands & les personnes choisies dans les assemblées, même de la nation, soit pendant qu'elles se tenoient, soit dans l'intervalle qu'il y avoit de l'une à l'autre.
Cette assemblée particuliere ne différoit de l'assemblée générale qu'en ce qu'elle étoit moins nombreuse ; c'étoit le conseil ordinaire du prince, & sa justice capitale pour les affaires les plus urgentes, pour celles qui demandoient du secret, ou pour les matieres qu'il falloit préparer avant de les porter à l'assemblée générale.
La différence qu'il y avoit alors entre la cour du roi & le parlement général, ou assemblée de la nation, se trouve marquée en plusieurs occasions, notamment sous Pepin en 754 & 767, où il est dit que ce prince assembla la nation, & qu'il tint son conseil avec les grands.
Mais vers la fin de la seconde race, les parlemens généraux étant réduits, comme on l'a déja dit, aux seuls barons ou vassaux immédiats de la couronne, aux grands prélats, & autres personnes choisies parmi les clercs & les nobles, qui étoient les mêmes personnes dont étoit composée la cour du roi : ces deux assemblées furent insensiblement confondues ensemble, & ne firent plus qu'une seule & même assemblée, qu'on appelloit la cour du roi ou le conseil, où l'on porta depuis ce tems toutes les affaires qui se portoient auparavant, tant aux assemblées générales de la nation, qu'à la cour du roi.
Cette réunion des deux assemblées en une seule & même, se consomma dans les trois premiers siecles de la troisieme race.
Mais, quoique depuis ce tems la cour du roi prît connoissance des matieres qui se traitoient auparavant aux assemblées générales de la nation, l'assemblée de la cour du roi n'a jamais été de même nature que l'autre : car comme on l'a remarqué, l'assemblée de la nation n'étoit point dans son origine d'institution royale ; d'ailleurs ceux qui y entroient, du moins sous la premiere race, & encore pendant long-tems sous la seconde, en avoient le droit par leur qualité de francs ; qualité qu'ils ne tenoient point du roi, au lieu que la cour ou conseil du roi fut formée par nos rois mêmes, & n'a jamais été composée que de ceux qu'ils jugeoient à-propos d'y admettre, ou auxquels ils en avoient attribué le droit, soit par quelque qualité qu'ils tenoient d'eux, comme de barons, de pair ou d'évêque, soit en vertu d'une nomination personnelle.
Ainsi, quoique la cour du roi ait réuni les affaires que l'on traitoit dans l'assemblée de la nation, on ne peut pas dire que ce soit la même assemblée, puisque la constitution de l'une & de l'autre est toute différente.
Au surplus, toutes ces assemblées générales ou particulieres qui se tenoient sous l'autorité du roi, ne portoient pas le nom de parlement.
Sous la premiere race on les appelloit mallus ou mallum, mot qui vient du teutonique mallen, qui signifie parler ; ensorte que mallum étoit la même chose que parlamentum. Voyez le préambule de la loi salique, où il est dit per tres mallos convenientes, &c.
On appelloit aussi ces assemblées concilium seniorum & fidelium ; quelquefois consilium ou synodus, placitum. Grég. de Tours.
Sous la seconde race, on les appelloit encore mallum, placitum generale, synodus, consilium, ou colloquium.
Sous la troisieme race, on leur donnoit pareillement le nom de consilium ou placitum ; & depuis que la cour du roi eut réuni les fonctions de l'assemblée générale avec celles qu'elle avoit auparavant, elle se trouve ordinairement désignée sous les titres de curia regis, curia regalis, curia Franciae, curia gallicana, judicium Francorum ; & en françois la cour le roi, la cour le roi de France, la cour du roi.
Dans la suite, on lui donna aussi le nom de parlement.
Ce terme parlement étoit usité dès le tems de Louis le Gros pour exprimer toute assemblée où on parloit d'affaire. L'avocat Orléans a remarqué que celui qui a fait les gestes de Louis le Gros, dit qu'après le retour de son armée, l'empereur & le roi de France, & les autres princes, collegerunt iterum parlamentum ubi magni barones cum minoribus, sicut antea fecerant convenerunt.
Il dit de même en un autre endroit, que les princes s'assemblerent, & ad illud parlamentum fuit Conradus imperator, &c.
On trouve aussi des exemples que l'on donnoit le nom de parlement à la cour du roi dès le tems de Louis VII. suivant ce qui est dit dans sa vie. Eodem anno, castro vezialici, magnum parlamentum congregavit, ubi archiepiscopi, episcopi & abbates, & magna pars baronum Franciae convenerunt.
Il est dit de Louis VIII. qu'il tint un parlement à Peronne : Ludovicus rex parlamentum indicit apud Peronam ; & en 1227, sous S. Louis, il est dit, rex tenuit parlamentum. Lettres historiques.
On le trouve qualifié de parlement de Paris dans les olim de l'an 1306, nostra curia Parisiensis, & même dès l'an 1291, dans une ordonnance qui y fut faite dans les trois semaines après la Toussaint de ladite année, pro celeri & utili parlamentorum nostrorum Parisientium expeditione sic duximus ordinandum ; & il est à croire que ce surnom de parlement de Paris fut ajouté dès que ce parlement commença à tenir ses séances ordinairement dans cette ville, quoiqu'il n'y fût pas encore absolument sédentaire.
On l'appelloit aussi quelquefois consilium, le conseil du roi ; Joinville l'appelle le conseil juré, parce que ceux qui y étoient admis prétoient serment, à la différence du conseil étroit ou secret, où le roi admettoit ceux qu'il jugeoit à-propos, sans leur faire prêter serment ; le titre de parlement n'empêche pas qu'il n'ait aussi conservé celui de cour : on dit encore la cour de parlement ; le roi en parlant du parlement dit, notre cour de parlement ; & le parlement, en parlant de lui-même, ou en prononçant quelque arrêt dit la cour, ainsi le parlement est toujours la cour du roi & la cour des pairs.
Les anciennes ordonnances l'appellent le souverain consistoire des rois, la cour de France, la cour royale, la cour capitale & souveraine de tout le royaume, représentant sans moyen la personne & la majesté de nos rois, étant en cette qualité le miroir, la source, l'origine de la justice dans l'état sous l'autorité du souverain.
Le parlement de Paris étant autrefois le seul pour tout le royaume, étoit souvent nommé le parlement de France, ou la cour de France : une charte de l'an 1211 le nomme judicium curiae Gallicanae, & dans l'épitaphe de Pierre de Courthardy, premier président, inhumé au Maine en 1512, il est encore nommé parlement de France. Comme le parlement dans son origine étoit le conseil du roi, il conserva aussi pendant long-tems ce nom, on l'appelloit autrefois parlement ou conseil indifféremment, & même lorsque le roi y venoit siéger, ce tribunal n'étoit plus désigné que sous le titre de conseil du roi.
Les assemblées, soit générales ou particulieres des grands du royaume, qui se tinrent sous les deux premieres races, ne furent pas uniformes pour le nombre des personnes qui y étoient admises, ni pour les tems ou les lieux où ces assemblées se tenoient.
Nous n'entrerons point ici dans le détail de tout ce qui concerne les assemblées de cette espece qui se tinrent sous les deux premieres races de nos rois, nous nous contenterons de rapporter ce que dit M. de la Rocheflavin du conseil ou parlement, tel qu'il fut établi par Pepin le Bref, & qui semble avoir servi de modele pour la forme des assemblées qui furent établies au commencement de la troisieme race.
Pepin le Bref, dit cet auteur, ayant résolu d'aller en personne en Italie au secours du pape contre le roi des Lombards ; & voyant qu'il ne pouvoit plus assister aux assemblées qui se tiendroient pendant son absence pour les affaires d'état & de la justice, comme lui & ses prédécesseurs avoient coutume de faire ; que la plûpart des princes & grands seigneurs du royaume l'accompagnant en Italie, ils ne pourroient pas non plus assister à leur ordinaire à ces assemblées ; il ordonna un conseil au parlement composé de certain nombre, gens de savoir & d'expérience, pour en son nom & sous son autorité, connoître & décider des affaires les plus importantes, & rendre la justice souverainement, quoiqu'il fût absent du royaume : il destina le tems le plus voisin des grandes fêtes annuelles pour tenir ces assemblées ; savoir, vers les fêtes de Pâques, la Pentecôte, la Notre-Dame d'Août, la Toussaint & Noël, en mémoire de quoi, lorsque le parlement eut été rendu sédentaire, on conserva pendant long-tems l'usage de prononcer en robes rouges la veille de ces grandes fêtes, les jugemens des enquêtes qui n'acquieroient le caractere d'arrêt & de jugement public que par cette prononciation ; il paroît que dans la suite, voyant l'inutilité de cette prononciation, & que c'étoit un tems perdu, on se réduisit peu-à-peu à prononcer seulement les arrêts qui devoient être plus connus, & qu'il étoit de quelqu'importance de rendre publics. Cette forme a cessé entierement depuis la mort de M. le premier président de Verdun, arrivée le 16 Mars 1627 ; le grand usage de l'impression a donné la facilité de rendre publics les arrêts qui devoient l'être ; l'ordonnance de 1667 a même abrogé formellement les formalités des prononciations d'arrêts & jugemens.
Ils n'avoient point de lieu fixe pour leurs séances. On les assembloit dans le lieu que le roi trouvoit le plus commode, & selon que les affaires le demandoient.
Avant que le parlement eût été rendu sedentaire à Paris, le roi envoyoit presque tous les ans dans les provinces des commissaires appellés missi dominici, lesquels après s'être informés des abus qui pouvoient avoir été commis par les seigneurs ou par leurs officiers, rendoient la justice aux dépens des évêques, abbés & autres seigneurs qui auroient dû la rendre, & rapportoient au roi les affaires qui leur paroissoient le mériter.
Ces grands qui avoient été envoyés dans les provinces pour y rendre la justice, se rassembloient en certains tems, ou pour les affaires majeures auprès du roi, avec ceux qui étoient demeurés près de sa personne pour son conseil ordinaire ; cette réunion de tous les membres de la cour du roi formoit alors sa cour pléniere ou le plein parlement : l'entier parlement, lequel se tenoit ordinairement vers le tems des grandes fêtes ; les séances ordinaires n'étoient communément que des prolongations ou des suites de ces cours plénieres ; mais lorsque le parlement eut été rendu sédentaire à Paris, on cessa d'envoyer ces sortes de commissaires dans les provinces.
L'assemblée des grands du royaume continua d'être ambulatoire après que Pepin fut de retour des deux voyages qu'il fit en Italie, & encore après son décès, sous ces successeurs même, sous les premiers rois de la troisieme race.
Ces assemblées furent aussi convoquées par Charlemagne pour les affaires les plus importantes.
Elles devinrent encore plus recommandables sous le regne de Louis le Débonnaire, & commencerent à se tenir ordinairement deux fois l'an, non pas à jours certains & préfix, comme cela se pratiqua depuis ; mais selon ce qui étoit avisé par l'assemblée avant de se séparer ; on convenoit du tems & de la ville où on se rassembleroit.
Hugues Capet assembla les grands encore plus souvent que ses prédécesseurs.
Cette assemblée des barons ou grands vassaux avoit, comme on l'a dit, pris le nom de parlement dès le tems de Louis le Gros ; mais il paroît qu'elle ne commença à se former en cour de justice, comme elle est présentement, que du tems de S. Louis, vers l'an 1254.
En effet, le plus ancien registre du parlement que nous ayons, qui est le registre des enquêtes, & qui est le premier de ceux qu'on appelle les olim, ne remonte point au-delà de l'année 1254 : car il ne faut pas regarder comme des registres du parlement, ni le registre de Philippe-Auguste, ni le registre intitulé registrum curiae Franciae, qui remonte jusqu'en 1214. Ces registres, qui sont au trésor des chartres, ne sont autre chose que des inventaires des chartres, ordonnances, & autres pieces.
Quelques autres, tels que la Rocheflavin, tiennent que le parlement fut ambulatoire jusqu'au tems de Philippe de Bel ; que ce prince déliberant d'aller en Flandre, & prévoyant qu'il y seroit long-tems, résolut d'y mener son conseil ; mais que ne voulant pas que les sujets fussent sans justice, & sur tout à Paris, ville capitale du royaume, qui étoit dès-lors fort peuplée, & où les affaires se présentoient en grand nombre, & aussi pour le soulagement de son conseil, qui étoit incommodé d'être obligé de se transporter tantôt dans un lieu & tantôt dans un autre, pour rendre la justice, il ordonna, le 23 Mars 1302, que pour la commodité de ses sujets & l'expédition des causes, l'on tiendroit deux parlemens à Paris chaque année.
Quelques personnes peu instruites ont cru que cette ordonnance étoit l'époque de l'institution du parlement, ou du moins que celui dont elle parle étoit un nouveau parlement, qui fut alors établi : il est néanmoins certain que le parlement existoit déjà sous ce titre long-tems avant cette ordonnance, & que celui dont elle regle les séances, & qui a toujours subsisté depuis ce tems, est le même qui étoit ambulatoire à la suite de nos rois, ainsi que l'observa le garde des sceaux de Marillac, dans un discours qu'il fit au parlement.
En effet, l'ordonnance de 1302 parle par-tout du parlement, comme d'un tribunal qui étoit déja établi d'ancienneté : elle parle des causes qui s'y discutent, de ses audiences, de ses rôles pour chaque bailliage, de ses enquêtes, de ses arrêts ; de ses membres : il y est aussi parlé de ses conseillers, qui étoient déjà reçus, & des fonctions qu'ils continueroient ; & il est dit, que si quelque baillif a été reçu membre du parlement ; il n'en fera aucune fonction tant qu'il sera baillif.
Aussi les olim, en parlant de certains usages du parlement sous la date de 1308, disent-ils hoc dudum factum fuisse ; & en 1329 il est encore dit, in parlamento longis temporibus observatum fuisse, ce qui suppose nécessairement qu'il existoit long-tems avant l'ordonnance de 1302.
Cette ordonnance ne fit donc que fixer le lieu & le nombre des séances du parlement ; & en effet les olim disent, en 1308, en parlant d'usages qui s'observoient au parlement, hoc dudum factum ; & en 1329 il est dit in parlamento longis temporibus observatum fuisse. Pasquier fait mention d'une ordonnance de 1304 ou 1305, semblable à celle de 1302 ; mais celle dont il parle, ne paroît qu'une exécution de la précédente.
D'autres tiennent que le parlement étoit déjà sédentaire à Paris long-tems avant 1302.
En effet, dès le tems de Louis le Jeune, les grands du royaume s'assembloient ordinairement dans le palais à Paris pour juger, tellement que le roi d'Angleterre offrit de s'en rapporter à leur jugement, judidicium id palatio Parisiensi subire proceribus Galliae residentibus.
Quelques-uns tiennent que dès le tems de S. Louis le parlement ne se tenoit plus ordinairement qu'à Paris, & qu'il ne devoit plus se tenir ailleurs, & que ce fut ce prince qui donna son palais à perpétuité pour la séance du parlement ; & en effet, la chambre où se tient la tournelle criminelle conserve encore le nom de la salle de S. Louis, comme étant le dernier prince qui l'a occupée.
L'ordonnance de 1291 veut que les avocats soient présens dans le palais, in palatio, tant que les maîtres seront dans la chambre ; ainsi le parlement se tenoit déja ordinairement dans le palais à Paris dès le tems de Louis VII. Nos rois ne lui avoient pourtant pas encore abandonné le palais pour sa demeure : on tient que ce fut seulement Louis Hutin qui le lui céda après la condamnation de Marigny qui avoit fait bâtir ce palais.
Quoi qu'il en soit de cette époque, il est certain que les 69 parlemens qui furent tenus depuis 1254 jusqu'en 1302 ont presque tous été tenus à Paris ; il y en a un à Orléans, en 1254 ; un à Melun, en Septembre 1257 ; des 67 autres, il est dit expressément de 33 qu'ils ont été tenus à Paris, le lieu des autres n'est pas marqué ; mais il est évident que c'étoit à Paris ; car cette omission de lieu qui se trouve uniformément dans les vingt années qui ont immédiatement précédé 1302, se continue de même jusqu'à la fin des olim, qui vont jusqu'en 1318, tems auquel le parlement étoit bien certainement sédentaire ; & cette omission de lieu même, semble une preuve que ces parlemens ont été tous tenus dans le même lieu.
Mais quoique le parlement se tînt le plus souvent à Paris, & que dès 1291 il se trouve qualifié parlement de Paris, ce n'est pas à dire qu'il fût dès-lors sédentaire à Paris. Il y a lieu de croire qu'on ne lui donna pour-lors le surnom de parlement de Paris que pour le distinguer du parlement qui se tenoit à Toulouse ; & si l'on examine bien l'ordonnance de 1291, on verra qu'elle parle seulement des parlemens qui se tenoient à Paris, & que l'on ne doit pas conclure de ces mots, parlamentorum nostrorum parisiensium, que le parlement fût alors désigné ordinairement par le nom de parlement de Paris, étant certain qu'il n'étoit point encore alors sédentaire.
L'ordonnance même de 1302 ne le qualifie pas encore de parlement de Paris, & ne dit pas qu'il y sera sédentaire, mais seulement que l'on tiendra deux parlemens à Paris, c'est-à-dire que le parlement s'assemblera deux fois à Paris. Il paroît néanmoins certain que dès 1296 le parlement se tenoit ordinairement à Paris, & qu'on le regardoit comme y étant sédentaire, puisque cette ordonnance en fixant le nombre des séances du parlement, tant en paix qu'en guerre, que tous les présidens & conseillers s'assembleront à Paris.
Comme depuis quelque tems le parlement s'assembloit le plus souvent à Paris, il ne faut pas s'étonner si dès 1291 le parlement se trouve qualifié de parlement de Paris.
Il est cependant certain que depuis 1291, & même encore depuis, le parlement s'assembloit encore quelquefois hors de Paris.
En effet, dans un accord qui fut fait en ladite année, entre Philippe-le-Bel & l'église de Lyon, il est dit que l'archevêque, le chapitre, & les sujets de l'église ne seront pas tenus de suivre les parlemens du roi, sinon en cas de ressort ; & dans l'article premier il est dit que l'appel du juge des appellations de l'archevêque & du chapitre sera porté par-devant les gens tenant le parlement, à Paris ou ailleurs, ou bien devant deux ou trois personnes du conseil du roi, au choix de l'archevêque & du chapitre.
Le parlement fut tenu à Cachant en 1309.
On trouve aussi au troisieme registre des olim, fol. 120, une preuve qu'en 1311 il fut tenu à Maubuisson près Pontoise ; à la fin de trois arrêts, il y a : actum in regali abbatiâ beatae Mariae juxta Pontisaram, dominicâ post Ascensionem Domini 1311.
Les premiers registres civils du parlement qui contiennent une suite d'arrêts après les olim, ne commencent qu'en 1319, ce qui pourroit faire croire que le parlement ne commença à être sédentaire que dans cette année ; mais comme les registres criminels remontent jusqu'en 1312, il y a lieu de croire que le parlement étoit déjà sédentaire lorsque l'on commença à former ces registres suivis ; on trouve néanmoins encore quelques parlemens qui ont été tenus depuis ce tems hors de Paris, par exemple, en 1314 il y en eut un à Vincennes où le roi le manda à jour nommé, pour y tenir ce jour là sa séance. Il en convoqua aussi un en 1315 à Pontoise pour le mois d'Avril, composé de prélats & de barons ; on y reçut la soumission du comte de Flandre : mais ces convocations faites extraordinairement à Vincennes, à Pontoise, & ailleurs, n'empêchent pas qu'il ne fût déjà sédentaire à Paris dès 1291, & même qu'il ne se tînt ordinairement à Paris dès le tems de Louis VII. ainsi qu'on l'a établi ci-devant.
Quoique le parlement ait eté rendu sédentaire à Paris dès le xviij. siecle, il est néanmoins arrivé en différentes occasions qu'il a été transféré ailleurs.
C'est ainsi qu'il fut transféré à Poitiers par édit du 21 Septembre 1418, par Charles VII. alors régent du royaume, à cause de l'invasion des Anglois, où il demeura jusqu'en 1437 qu'il revint à Paris.
Charles VII. le convoqua aussi à Montargis, puis à Vendôme, pour faire le procès à Jean duc d'Alençon en 1456 ; l'arrêt fut donné contre lui en 1458.
Il fut transféré à Tours par Henri III. au mois de Février 1589, registré le 13 Mars suivant, à cause des troubles de la ligue, & rétabli à Paris par Henri IV. par déclaration du 27 Mars 1594, régistrée le 28 du même mois.
Il fut aussi établi par édit du mois d'Octobre 1590, une chambre du parlement de Paris dans la ville de Châlons-sur-Marne, qui y demeura tant que le parlement fut à Tours.
Les troubles de la minorité de Louis XIV. donnerent lieu à une déclaration du 6 Janvier 1649, portant translation du parlement en la ville de Montargis, mais cela n'eut pas d'exécution.
Le roi étant à Pontoise, donna le 31 Juillet 1652 un édit par lequel il transféra le parlement dans cette ville ; le parlement s'y rendit, mais en petit nombre, le surplus demeura à Paris, l'édit fut vérifié à Pontoise le 7 Août suivant ; par déclaration du 28 Octobre de la même année le parlement fut rétabli à Paris & y reprit ses fonctions le 22.
Le parlement fut encore transféré à Pontoise dans la minorité du roi, par déclaration du 21 Juillet 1720, registrée à Pontoise le 27, il fut appellé à Paris par une autre déclaration du 26 Décembre suivant, registrée le 17.
Les présidens & conseillers des enquêtes & requêtes ayant été exilés en différentes villes le 9 Mai 1753, la grand'chambre fut transférée le 11 du même mois à Pontoise, & le 4 Septembre 1754 tout le parlement fut établi dans ses fonctions à Paris.
Avant que le parlement eût été rendu sédentaire à Paris, il n'étoit pas ordinaire, c'est-à-dire qu'il ne tenoit ses séances qu'à certain tems de l'année. M. de la Rocheflavin en parlant de l'état du parlement sous Pepin-le-Bref, dit qu'il tenoit alors vers le tems des grandes fêtes.
Une charte du roi Robert, dont les lettres historiques sur le parlement font mention, suppose pareillement que le parlement tenoit quatre fois par an, savoir à Noël & à la Toussaint, à l'Epiphanie ou à la Chandeleur, à Pâques & à la Pentecôte.
Cependant les olim ne font mention que de deux parlemens par an, savoir celui d'hiver, qui se tenoit vers les fêtes de la Toussaint ou à Noël, & celui d'été, qui se tenoit à la Pentecôte.
La plûpart de ces parlemens sont même presque stériles pour les affaires ; on peut dire qu'il n'y a rien en 1291 & 1292 ; il n'y a que trois jugemens en 1293, quatre en 1294, un peu plus en 1295 ; & quoique le parlement tînt encore au mois d'Avril 1296, il y a peu de jugemens. Il y eut peu de parlemens en 1297 ; les années 1298, 1299, & 1300 sont peu remplies ; dans un jugement de 1298 on trouve encore le nom des juges, savoir quatre archevêques, cinq évêques, deux comtes, quatre chevaliers, un maréchal de France, un vicomte, un chambellan, & dixhuit maîtres ; le roi n'y étoit pas.
L'ordonnance de 1291 fixe bien les jours de la semaine auxquels on devoit s'assembler tant en la chambre des plaids qu'aux enquêtes & à l'auditoire de droit écrit, mais elle ne dit rien du tems auquel le parlement devoit se tenir.
Par l'ordonnance de Philippe-le-Bel donnée entre 1294 & 1298, tems auquel le parlement n'étoit pas encore rendu sédentaire à Paris, il étoit dit qu'en tems de guerre le roi feroit tenir parlement qui commenceroit à l'octave de la Toussaint ; on choisissoit ce tems afin que les barons pussent y assister à leur retour de l'armée.
En tems de paix, l'ordonnance porte qu'il y auroit deux parlemens, l'un aux octaves de la Toussaint, l'autre aux octaves de Pâques.
Depuis que le parlement eût été rendu sédentaire à Paris, ce qui arriva, comme on l'a dit, vers le tems du xiv. siecle, ses séances étoient d'abord de peu de durée ; mais dans la suite les affaires s'étant multipliées par la réunion de plusieurs baronies à la couronne, par la reserve des cas royaux, par l'utilité que l'on trouva dans l'administration ordinaire de la justice, les séances du parlement devinrent plus longues.
Sous Louis VIII. en 1226, on en trouve jusqu'à six, tant pour affaires publiques que pour les affaires des particuliers. Sous saint Louis il y en avoit presque toujours quatre par an, mais il y en avoit deux qui étoient comme de regle dès le tems des olim, savoir à la Pentecôte & aux octaves de la Toussaint. Les olim remarquent en 1262, comme une singularité qu'il n'y en eût point à la Pentecôte à cause des noces de Philippe, fils du roi, lesquelles furent célébrées à Clermont ; les autres séances se tenoient aussi vers le tems des grandes fêtes, telles que l'Ascension à Noël, à la Chandeleur ; on disoit le parlement de la Chandeleur, & ainsi des autres.
En 1302 on ne trouve que deux jugemens en la chambre du plaidoyer, & douze ou quinze sur enquêtes.
Les deux séances ordinaires fixées à Paris par l'ordonnance du 23 Mars 1302 se tenoient, l'une à l'octave de Pâques, l'autre après l'octave de la Toussaint ; chaque séance ne devoit durer que deux mois. Le rôle de Philippe-le-Bel pour l'année 1306 regle encore de même chaque séance, mais cela ne s'observoit pas toujours régulierement, car il ne tint qu'une fois en 1304 ; & depuis 1308 jusqu'en 1319, où finissent les olim, il n'y eut de même qu'un seul parlement par an.
Aussi l'ordonnance du 17 Novembre 1318 porte-t-elle qu'après toutes les causes délivrées le parlement finira, & que l'on publiera le nouveau parlement ; la séance d'hiver commençoit au mois de Novembre, elle se prolongeoit quelquefois jusqu'au mois d'Avril & même jusqu'au mois d'Août, suivant l'abondance des affaires ; desorte qu'au lieu de quatre, six séances, on n'en distingua plus que deux, celle de la Toussaint ou de la saint Martin, & celle de Pâques ou Pentecôte, lesquelles furent aussi bien-tôt confondues, l'on tient même communément que depuis 1291 les deux parlemens s'étoient réunis en un seul, & continué pendant toute l'année ; que par cette raison les lettres de chancellerie qui devoient être renouvellées à chaque tenue de parlement, selon la regle ancienne, ne se renouvelloient plus qu'après l'an & jour.
Il y eut pourtant encore un reglement en 1214, pour le cas où le parlement tiendroit deux fois par an ; mais l'ordonnance du mois de Décembre 1320 suppose que le parlement duroit toute l'année, & celle de 1344 parle de la tenue de deux parlemens par an, comme d'une chose cessée depuis longues années, cum à magnis retroactis temporibus quibus parlamentum bis in anno quolibet teneri solebat.
Aussi voit-on dans les registres du xiv. & xv. siecles, que la rentrée de Pâques se faisoit sans cérémonie le mercredi, lendemain des trois fêtes de Pâques.
Depuis que le parlement eut été rendu sédentaire à Paris, il ne laissoit pas d'être quelquefois long-tems sans s'assembler ; il n'y en eut point en 1303 ni en 1305, il ne se tint qu'une fois en 1304 ; il n'y en eut point en 1315 ; il y a des intervalles de six ou sept mois, propter guerram, sur-tout sous Philippe de Valois.
La police féodale qui s'établit vers la fin de la seconde race, changea la forme du parlement ; on y admettoit bien toujours les barons, mais on ne donnoit plus ce titre qu'aux vassaux immédiats de la couronne, soit laïcs ou ecclésiastiques, lesquels depuis ce tems furent considérés comme les seuls grands du royaume.
Mais au lieu que l'on donnoit anciennement le titre de pair à tous les barons indifféremment, la pairie étant devenue réelle, on ne donna plus le titre de pair qu'à six des plus grands seigneurs laïques & à six évêques.
Les simples nobles n'entroient pas au parlement, à moins que ce ne fût comme ecclésiastiques, ou qu'ils n'eussent la qualité de maîtres du parlement, titre que l'on donna à certaines personnes choisies pour tenir le parlement avec les barons & prélats.
Les évêques & abbés, qu'on appelloit tous d'un nom commun les prélats, avoient presque tous entrée au parlement, les uns comme pairs, d'autres comme barons.
Les hauts barons laïcs, y compris les six pairs, ne montoient pas au nombre de trente.
A l'égard des évêques barons, ils se multiplierent beaucoup à mesure que le royaume s'accrut par la réunion de différentes provinces à la couronne.
Les barons ou pairs, tant ecclésiastiques que laïques, étoient alors obligés de se trouver assiduement au parlement, pour y juger les affaires qui étoient de leur compétence.
On trouve en effet qu'en 1235 les barons laïcs se plaignoient de ce que l'archevêque de Reims & l'évêque de Beauvais, malgré le devoir de leurs baronies & la loi de leur féauté, ne vouloient pas se rendre au parlement. Cum regis sint ligii & fideles, & ab ipso per homagium teneant sua temporalia in paritate & baronia, in hanc contra ipsum insurrexerunt audaciam, quod in suâ curiâ jam nolunt de temporibus respondere, nec in suâ curiâ jus facere.
Les barons, indépendamment des causes des pairs, jugeoient les affaires de grand criminel : il y en a un exemple dès l'an 1202, pour l'affaire du roi d'Angleterre.
Les affaires dont le parlement prenoit connoissance, se multiplierent principalement par la voie d'appel, qui devint plus fréquente sous Saint Louis, & la décision en devint plus difficile par les ordonnances qu'il fit, & par les formes qui furent établies ; ce qui obligea Saint-Louis d'introduire dans le parlement des gens lettrés, pour aider de leurs lumieres les barons, qui ne savoient la plûpart ni lire ni écrire ; ces gens de loi n'avoient d'abord que voix consultative, mais on leur donna bien-tôt voix délibérative.
Suivant une ordonnance non imprimée qui est au trésor des chartes, & dont on ne trouve pas la date, mais qui ne peut être devant 1284, ni postérieure à 1268, il paroit que le roi avoit dès-lors intention d'insérer tous les deux ou trois ans dans les lettres qu'il donnoit pour l'ouverture de chaque parlement, les noms des barons & des clercs qui auroient entrée au parlement ; ce qui fait croire que dès-lors & même long-tems auparavant, il n'y avoit que les pairs qui eussent conservé le droit d'y entrer par le titre seul de leur dignité.
L'ordonnance de Philippe-le-Bel en 1291, porte qu'il devoit y avoir chaque jour pendant le parlement pour entendre les requêtes, trois personnes du conseil du roi qui ne fussent point baillis ; il nomme ces trois personnes, auxquelles il donne le titre de maîtres : le dernier avoit aussi la qualité de chevalier.
Les baillis & sénéchaux avoient anciennement entrée, séance & voix délibérative au parlement ; mais depuis que l'usage des appellations fut devenu plus fréquent ; ils furent privés de la voix délibérative, comme il paroît par l'ordonnance de Philippe-le-Bel, faite après la Toussaint 1291, qui ordonne de députer du conseil du roi un certain nombre de personnes ; tant pour la grand'chambre que pour l'auditoire de droit écrit & pour les enquêtes, mais que l'on ne prendra point de baillis & sénéchaux.
Les baillis & sénéchaux conserverent cependant leur entrée & séance en la grand'chambre, sur le banc appellé de leur nom banc des baillis & senéchaux, qui est le premier banc couvert de fleurs-de-lis à droite en entrant dans le parquet, mais ils n'avoient plus voix délibérative, & n'assistoient point au parlement lorsqu'on y rendoit les arrêts, à moins qu'ils ne fussent du conseil ; & ceux même qui en étoient devoient se retirer lorsqu'on alloit rendre un arrêt sur une affaire qui les regardoit.
Ils étoient autrefois obligés de venir au parlement, tant pour rendre compte de leur administration, que pour soutenir le bien-jugé de leurs sentences, sur l'appel desquelles ils étoient intimés. Mais il y a déja long-tems que les juges ne peuvent plus être intimés ni pris à partie sans en avoir obtenu la permission par arrêt.
Il est seulement resté de l'ancien usage, qu'à l'ouverture du rôle de Paris, qui commence le lendemain de la Chandeleur, le prevôt de Paris, le lieutenant civil, & la colonne du parc civil, sont obligés d'assister en la grand'chambre ; ils se levent & se découvrent quand on appelle le rôle à la fin de l'audience ; on va aux opinions, & il est d'usage que M. le premier président prononce que la cour les dispense d'assister à la suite de la cause, & leur permet de retourner à leurs fonctions.
Il y a dejà long-tems que les gens du châtelet, au lieu de se placer sur le banc des baillis & sénéchaux, se placent sur le banc des parties, du côté du greffier ce qu'ils font pour n'être pas précédés par le bailli du palais, lequel a droit d'occuper la premiere place sur le banc des baillis & sénéchaux.
Pour entendre & juger les enquêtes, il y avoit huit personnes du conseil, savoir quatre ecclésiastiques & deux laïcs, qui se partageoient en deux colonnes, & travailloient chacun deux jours de la semaine. L'ordonnance de Philippe-le-Bel, donnée entre 1294 & 1298, nomme pour tenir le parlement trois présidens laïcs, savoir le duc de Bourgogne, le Connétable, & le comte de Saint-Paul, & trois présidens prélats ; elle nomme aussi les conseillers ; tant clercs que laïcs, pour le parlement, pour les enquêtes & pour les requêtes.
L'ordonnance de 1304 ou 1306, dont Pasquier fait mention, dit qu'il y aura au parlement deux prélats ; savoir l'archevêque de Narbonne & l'évêque de Rennes ; & deux laïcs, savoir le comte de Dreux, & le comte de Bourgogne ; & en outre 13 clercs & 13 laïcs : le connétable étoit du nombre de ces derniers aux enquêtes ; il y avoit deux évêques & quelques autres ecclésiastiques & laïcs, jusqu'au nombre de dix.
Philippe-le-Long ordonna le 3 Décembre 1319, qu'il n'y auroit plus aucuns prélats députés en parlement, se faisant conscience, dit-il, de les empêcher au gouvernement de leurs spiritualités. Il déclara qu'il vouloit avoir en son parlement gens qui pussent y entendre continuellement sans en partir, & qui ne fussent occupés d'autres grandes occupations ; que cependant les prélats qui étoient de son conseil y resteroient. Il ajouta encore qu'il y auroit au parlement un baron ou deux ; & pour cette fois il y mit le comte de Boulogne. Qu'outre le chancelier & l'abbé de Saint-Denis, il y auroit huit clercs & huit laïcs, quatre personnes aux requêtes & aux enquêtes, huit clercs & huit laïcs jugeurs, & vingt-quatre rapporteurs.
Ce même prince, par son ordonnance du mois de Décembre 1320, dit qu'il y aura au parlement huit clercs & douze laïcs présidens ; ailleurs il les qualifie tous maîtres du parlement ou de gens du parlement ; qu'aux enquêtes il y aura vingt clercs & vingt laïcs, & aux requêtes trois clercs & deux laïcs.
Philippe de Valois, par son ordonnance du 11 Mars 1344, fit le rôle de ceux qui devoient tenir continuellement le parlement, & qui prenoient gages ; savoir pour la grand'chambre trois présidens, quinze clercs & quinze laïcs ; pour la chambre des enquêtes quarante, savoir vingt-quatre clercs & seize laïcs ; & aux requêtes huit personnes, cinq clercs & trois laïcs. Il y avoit beaucoup plus de clercs que de laïcs, parce que l'ignorance étoit encore si grande, qu'il y avoit peu de laïcs qui fussent lettrés.
L'ordonnance de 1344 ajoute qu'il y avoit beaucoup d'autres personnes qui avoient entrée au parlement & qui pouvoient continuer d'y venir, mais sans prendre gages, jusqu'à ce qu'ils fussent nommés au lieu & place de quelqu'un de ceux qui étoient sur le rôle.
Depuis ce tems, il y eut peu de prélats & de barons au parlement, sinon ceux qui y avoient entrée, à cause de leur pairie.
Cependant du Tillet fait encore mention en 1413, de diverses assemblées du parlement, auxquelles assisterent, outre les pairs, plusieurs barons & chevaliers.
Présentement les pairs laïcs sont les seuls qui y représentent les anciens barons.
A l'égard des prélats, il paroît que l'ordonnance de Philippe-le-Long ne fut pas d'abord bien exécutée ; en effet il y eut le 18 Janvier 1461, un arrêt rendu les chambres assemblées, par lequel la cour arrêta que dorénavant les archevêques & évêques n'entreroient point au conseil de la cour sans le congé d'icelle, à moins qu'ils n'y fussent mandés, excepté ceux qui sont pairs de France, & ceux qui par privilege ancien ont accoutumé d'y entrer. L'évêque de Paris conserva ce droit, quoiqu'il ne fût pas encore pair de France ; il en sut de même de l'abbé de Saint-Denis ; peut-être ce privilege venoit-il de Suger, ministre de Louis-le-Gros.
On a vû que dès le commencement de la troisieme race tous ceux qui avoient la qualité de barons, soit laïcs ou prélats, avoient entrée, séance & voix délibérative au parlement ; qu'outre les barons il y avoit des gens lettrés qui commencerent à y être admis sous Saint-Louis.
Mais ceux qui étoient membres du parlement n'y étoient pas toujours de service ; ils étoient souvent employés ailleurs ; les uns étoient retenus pour le conseil étroit du roi, d'autres étoient envoyés à la chambre des comptes, d'autres à l'échiquier de Normandie. Lorsque tous ces membres du parlement étoient réunis, c'est ce que l'on appelloit le plein parlement ou le grand conseil.
Au commencement tous les officiers du parlement avoient toujours des gages ; mais comme ces gages se payoient à raison de chaque jour de service, on les épargnoit quand il y avoit guerre, ainsi qu'il est prouvé par un compte de 1301, & par l'ordonnance de 1321.
Il paroît que dès le commencement de la troisieme race nos rois nommoient ceux qui devoient tenir ordinairement leur justice capitale, appellée depuis parlement.
L'ordonnance de Philippe-le-Bel, donnée entre 1294 & 1298, porte que de deux en trois ans l'on fera enquête sur ceux qui tiendront le parlement.
Dans la suite le roi envoyoit tous les ans le rôle de ceux qui devoient tenir le parlement. L'ordonnance de Philippe de Valois, du 8 Avril 1342, portoit que quand le parlement seroit fini, le roi manderoit le chancelier, les trois maîtres présidens du parlement, & dix personnes, tant clercs que laïcs, du conseil du roi, lesquels ordonneroient selon sa volonté, tant de la grand'chambre du parlement, que de la chambre des enquêtes & de celle des requêtes, & qu'ils feroient serment de nommer les plus suffisans qui fussent dans le parlement, & de dire le nombre de personnes nécessaires pour la grand'chambre, les enquêtes & les requêtes. L'ordonnance du 11 Mars 1344, nomme ceux qui devoient tenir le parlement ; il n'est pas dit à la vérité combien de tems devoit durer leur fonction, mais il paroît qu'elle étoit à vie.
En effet, le roi dit qu'encore qu'il y eût bien d'autres personnes qui avoient été nommées par le conseil pour exercer ces mêmes états, celles qui sont nommées par cette ordonnance seront à demeure pour exercer & continuer lesdits états ; que s'il plaisoit aux autres de venir au parlement, le roi leur permettoit d'y venir, mais qu'ils ne prendroient point de gages jusqu'à ce qu'ils fussent unis au lieu & place de ceux qui étoient élus.
Le roi ordonne en même tems qu'aucun ne soit mis au lieu de l'un de ceux qui avoient été élus quand sa place seroit vacante, que le chancelier & le parlement n'eussent témoigné qu'il fût capable d'exercer cet office. Lorsque Charles VI. prit en main le gouvernement du royaume en 1388, il fit une ordonnance portant que quand il vaqueroit des lieux de présidens ou d'autres conseillers du parlement, il se feroit pour les remplir des élections en présence du chancelier de personnes capables, & des différentes parties du royaume.
Il ordonna la même chose le 7 Janvier 1400 ; cette ordonnance porte seulement de plus que l'on mettroit de bonnes personnes sages, lettrés, experts & notables, selon les places où ils seroient mis, sans aucune faveur ni acception de personnes qu'on y mettroit, entr'autres des personnes nobles qui fussent capables ; & qu'autant que faire se pourroit on en mettroit de chaque pays qui connussent les coutumes des lieux.
Il ordonna encore en 1406 que quand la place d'un officier du parlement seroit vacante, les chambres s'assembleroient, & qu'en présence du chancelier, s'il étoit à Paris & qu'il voulût & pût se trouver à l'assemblée, il y seroit fait pour remplir cette place élection par scrutin de deux ou trois personnes, & que cette élection seroit présentée au roi, afin qu'il pourvût à cette place.
Charles VI. confirma encore ce qu'il avoit ordonné pour l'élection des officiers du parlement, par une autre ordonnance qu'il fit le 7 Janvier 1407.
Mais par les circonstances des tems, cet usage tomba en désuétude, quoiqu'il ait été pratiqué quelquefois dans des tems bien postérieurs, notamment sous Louis XII. & sous Henri III.
Ceux qui étoient pourvus des places de présidens & de conseillers, étoient quelquefois changés, selon les conjonctures ; mais ces places ayant été érigées en titre d'office formé, & Louis XI. ayant ordonné en 1467 qu'il ne seroit pourvu à aucun office sinon en cas de vacance par mort, résignation ou forfaiture, ces offices sont devenus stables & héréditaires.
Si l'on vouloit entrer ici dans le détail de toutes les différentes créations & suppressions qui ont été faites des présidens, conseillers & autres officiers du parlement, ce seroit un détail qui deviendroit fastidieux ; il suffit de dire que cette cour est présentement composée, premierement du roi, qui vient lorsqu'il le juge à propos, soit pour y tenir son lit de justice, soit avec moins d'appareil pour y rendre lui-même la justice à ses peuples, ou pour entendre les avis de son parlement sur les affaires qui y sont proposées.
Les autres personnes qui composent le parlement sont le chancelier, lequel peut y venir présider quand bon lui semble ; un premier président, neuf autres présidens à mortier ; les princes du sang, lesquels sont tous pairs nés ; six pairs ecclésiastiques, dont trois ducs & trois comtes ; les pairs laïcs, les conseillers d'honneur, les maîtres de requêtes, lesquels n'y ont séance qu'au nombre de quatre ; les conseillers tant clercs que laïcs, le greffier en chef civil, le greffier en chef criminel, celui des présentations ; les quatre notaires & secrétaires de la cour, plusieurs autres officiers des greffes pour le service des chambres & autres fonctions, un premier huissier & vingt-deux autres huissiers, trois avocats généraux, un procureur général, dix-huit substituts, & plusieurs autres officiers moins considérables.
Premier président. Dans tous les tems, le roi a toujours été essentiellement le chef & suprème président des grandes assemblées, & notamment de celle qui sous la troisieme race a pris le nom de cour du roi, de cour des pairs & de parlement.
Sous la premiere race de nos rois, le maire du palais présidoit à la cour du roi en son absence, avec plus ou moins d'autorité selon les tems.
Dans la suite, nos rois, en convoquant leur cour, commettoient certaines personnes pour y présider en leur nom.
Le chancelier n'avoit point alors la premiere place ; lorsqu'il venoit au parlement, même avec le roi, il étoit présidé par tous les présidens.
Ceux qui étoient commis pour présider au parlement étoient appellés présidens, & en latin magni praesidentiales : on joignoit ainsi l'épithete magni, pour distinguer les présidens proprement dits des conseillers de la grand'chambre du parlement, que l'on désignoit quelquefois sous les termes de conseillers présidens du parlement, parce que l'on ne choisissoit alors que parmi eux les présidens des enquêtes, qui n'étoient composées que de conseillers rapporteurs & de conseillers-jugeurs.
Il paroît que nos rois en usoient déja ainsi dès le tems de Louis le Gros, suivant une charte de ce prince de l'an 1120, par laquelle il veut que l'abbaye de Tiron ne réponde que devant ses grands présidens à Paris, ou en tout autre lieu où se tiendra son éminente & suprème cour royale.
Il est vrai que plusieurs savans qui ont examiné cette charte, ont estimé qu'elle étoit fausse ; quelques personnes ont même crû que jusqu'en 1344 il n'y avoit point de présidens au-dessus des conseillers, & que le titre de présidens ne se donnoit qu'à ceux que le roi commettoit quelquefois pour décider des contestations, le parlement vacant ou hors le parlement ; mais il y a des preuves suffisantes qu'il y avoit dès le treizieme siecle des présidens en titre au parlement.
En effet, au parlement de 1222, les grands présidens sont nommés après le roi avant M. Louis & M. Philippe, fils du roi ; ce qui fait connoître que le titre de grands présidens ne se donnoit qu'à ceux qui étoient établis en dignité au-dessus des autres personnes qui avoient entrée au parlement.
On voit au fol. 78. verso du second des olim, sous le titre de parlement de 1287, qu'entre ceux qui assisterent à un jugement, le comte de Ponthieu est nommé le premier praesentibus comite Pontivi, & ensuite sont nommées six personnes qualifiées clericis arrestorum, qui étoient des conseillers, & pluribus aliis, dit le registre ; desorte que quoique le comte de Ponthieu ne soit pas qualifié dans le registre de président du parlement, & que dans les registres olim les rangs ne soient pas toujours observés en écrivant les noms de ceux qui étoient présens, il est néanmoins évident que le comte de Ponthieu étant ici nommé le premier & étant d'ailleurs sans contredit le plus qualifié, c'étoit lui qui présidoit alors au parlement ; ainsi l'on peut avec raison le regarder comme le plus ancien des premiers présidens qui sont connus.
L'ordonnance manuscrite concernant le parlement, que Duchesne date de 1296, nomme six présidens, trois laïcs & trois ecclésiastiques ; le Duc de Bourgogne y est nommé le premier, & les présidens y sont bien distingués des conseillers, lesquels y sont appellés résidens.
Cette même ordonnance, en parlant du premier des barons qui présidoient, l'appelle le souverain du parlement ou le président simplement, & comme par excellence.
Dans les registres du parlement, sous la date du 2 Décembre 1313, le premier des présidens est qualifié de maître de la grand'chambre des plaids.
L'ordonnance de 1320 l'appelle le souverain du parlement ; c'étoit le comte de Boulogne qui remplissoit alors cette place.
Il y eut depuis 1320 pendant long-tems défaut de premier président & même de présidens en général. Il est vrai que l'histoire des premiers présidens met dans ce nombre Hugues de Crusy ou Courcy, parce qu'il est qualifié magister parlamenti ; mais ce terme magister ne signifioit ordinairement que membre du parlement, à moins qu'il ne fût joint à quelque autre titre qui marquât une préséance, comme en 1342 où le titre de maître est joint à celui de président, maître président.
Au commencement c'étoit l'ancienneté qui donnoit la préséance entre les présidens, c'est pourquoi celui qui étoit l'ancien ne prenoit pas encore le titre de premier président ; mais depuis que la préséance entre les présidens fut donnée à celui que le roi jugea à propos d'en gratifier, celui qui eut la premiere place prit le titre de premier président.
Le premier qui ait porté ce titre est Simon de Bucy, lequel étoit président dès 1341. Il paroît qu'il y en avoit dès-lors trois, & qu'il étoit le premier ; car en 1343 il est fait mention d'un tiers-président appellé Galerand.
L'ordonnance du 5 Avril 1344 justifie que les présidens étoient perpétuels, au lieu que les conseillers changeoient tous les ans.
Par une autre ordonnance du 11 Mai suivant, il fut nommé trois présidens pour le parlement : Simon de Bucy est nommé le premier, mais sans lui donner aucun titre particulier.
Il est néanmoins certain qu'il portoit le titre de premier président, il est ainsi qualifié dans les lettres du 6 Avril 1350 qui sont au sixieme registre du dépôt, fol. 385. Le roi le pourvoit d'une place de conseiller en son conseil secret, sans qu'il quitte les offices & états qu'il avoit auparavant : videlicet statum primi praesidentis in nostro parlamento. Il étoit en même tems premier maître des requêtes de l'hôtel ; il mourut en 1370 ; on nomma à sa place Guillaume de Seris. Les provisions de celui-ci, qui sont au huitieme registre du dépôt, portent cette clause, quandiu praedictus Guillaume de Seris vixerit humanis ; clause qui confirme que l'office de président étoit dès-lors perpétuel.
En 1458, le premier président se trouve qualifié de grand président, mais ce titre lui étoit commun avec les autres présidens.
On s'est donc fixé au titre de premier président ; & dans toutes les listes des présidens, après le nom du premier, on met ces titres chevalier, premier.
Anciennement, quand le roi nommoit un premier président, & même des présidens en général, il les choisissoit ordinairement entre les barons : il falloit du-moins être chevalier, sur-tout pour pouvoir remplir la premiere place ; & depuis saint Louis il fallut encore long-tems avoir ce titre pour être premier président, tellement que sous Charles V. Arnaud de Corbie ayant été élu premier président, cela resta secret jusqu'à ce que lui & le chancelier d'Orgement eussent été faits chevaliers.
Cela ne fut pourtant pas toujours observé si scrupuleusement : plusieurs ne furent faits chevaliers que long-tems après avoir été nommés premiers présidens ; tels que Simon de Bucy, lequel fut annobli étant premier président ; Jean de Poupincourt fut fait chevalier, & reçut l'accolade du roi : ces magistrats étoient faits chevaliers en lois. Philippe de Morvilliers, quoique gentilhomme, fut long-tems maître & président avant d'être fait chevalier ; & Robert Mauger ne fut jamais qualifié que maître, & sa femme ne fut point qualifiée madame.
Cependant quoiqu'on ne fasse plus depuis longtems de ces chevaliers en lois, & que la cérémonie de l'accolade ne se pratique plus guere, il est toujours d'usage de supposer le premier président revêtu du grade éminent de chevalier ; c'est pourquoi l'histoire des premiers présidens les qualifie tous de chevaliers, même ceux qui ne l'étoient pas lors de leur nomination à la place de premier président, parce qu'ils sont tous censés l'être dès qu'ils sont revêtus d'une dignité qui exige ce titre : le roi lui-même le leur donne dans toutes les lettres qu'il leur adresse, ou le leur donne pareillement dans tous les procès-verbaux d'assemblée, & ils le prennent dans tous les actes qu'ils passent. Le premier président portoit même autrefois sur son manteau une marque de l'accolade ; & l'habit qu'il porte, ainsi que les autres présidens, est l'ancien habillement des barons & des chevaliers : c'est pourquoi le manteau est retroussé sur l'épaule gauche, parce que les chevaliers en usoient ainsi afin que le côté de l'épée fût libre ; car autrefois tous les barons & les sénateurs entroient au parlement l'épée au côté.
L'habillement du premier président est distingué de celui des autres présidens, en ce que son manteau est attaché sur l'épaule par trois letices d'or, & que son mortier est couvert d'un double galon d'or.
Pendant un tems le premier président étoit élu par le parlement par la voie du scrutin ; c'est ainsi qu'Henri de Marle fut élu en 1413, Robert Mauger en 1417, & Elie de Tourestes en 1461.
Matthieu de Nanterre qui avoit été nommé premier président dans la même année, fut destitué en 1465 par Louis XI. lequel l'envoya remplacer Jean d'Auvet, premier président du parlement de Toulouse, qu'il mit à la place de Matthieu de Nanterre ; celui-ci fut depuis rappellé à Paris, & ne fit aucune difficulté de prendre la place de second président, étant persuadé que la véritable dignité des places dépend de la vertu de ceux qui les remplissent.
L'office du premier président est perpétuel, mais il n'est ni vénal ni héréditaire : les premiers présidens avoient autrefois tous entrée au conseil du roi.
Plusieurs d'entr'eux ont été envoyés en ambassade & honorés de la dignité de chancelier des ordres du roi, de celle de garde des sceaux, & de celle de chancelier de France.
En 1691, le premier président obtint les entrées des premiers gentilshommes de la chambre.
Le prieuré de saint Martin-des-champs est obligé, suivant une fondation faite par Philippe de Morvilliers, premier président, mort en 1438, & inhumé dans l'église de ce prieuré, d'envoyer tous les ans, le lendemain de saint Martin avant la messe rouge, par deux de ses religieux deux bonnets quarrés, l'un de velours pour l'hiver, & l'autre pour l'été : l'un des deux religieux qui présentent ces bonnets, fait un compliment dont les termes sont prescrits par la fondation, & un autre compliment en langage du tems présent.
Président du Parlement. En parlant de l'office de premier président, nous avons déja été obligés de toucher quelque chose des autres présidens, dont l'institution se trouve liée avec celle du premier président.
On a observé que, suivant une charte de Louis le Gros, donnée en faveur de l'abbaye de Tiron en 1120, il y avoit des présidens au parlement appellés magni praesidentiales, que l'authenticité de cette charte est révoquée en doute ; mais il est prouvé d'ailleurs qu'il y avoit réellement déja des présidens, qu'il est fait mention de ses grands présidens dans un parlement de 1222.
Il est vrai que dans les quatre registres olim, qui contiennent les délibérations & les arrêts du parlement depuis 1254, jusqu'en 1318, dans lesquels on nomme en plusieurs endroits les noms des juges, on n'en trouve aucun qui ait le titre de président.
La distinction des rangs n'est même pas toujours observée dans les olim, peut-être parce que celui qui tenoit la plume écrivoit les noms des juges à mesure qu'ils arrivoient. Les personnes les plus qualifiées y sont souvent nommées après celles qui l'étoient beaucoup moins. Par exemple, au quatrieme des olim, fol. 180, v °. sous le parlement de 1310, les deux premiers juges qui sont nommés, sont l'archidiacre de Châlons, & le doyen de Saint-Martin de Tours. Diroit-on qu'ils étoient les présidens du comte de Valois & de l'évêque de Constance qui sont ensuite ?
De même dans un arrêt du 11 Février 1317, au troisieme olim, les deux premiers juges sont dominus P. de Dici, dominus Hugo de Celles, les deux derniers sont l'évêque d'Auxerre & le chancelier.
C'est ce qui a fait croire à quelques-uns qu'il n'y avoit point alors des présidens au parlement, que l'on ne donnoit ce titre qu'à ceux que le roi commettoit quelquefois pour décider les contestations, le parlement vacant, ou hors le parlement ; & qu'alors on donnoit à tous ces commissaires le titre de présidens, sans en excepter aucun. C'est ainsi que l'ordonnance de 1302, qualifie de présidens ceux des membres du parlement de Paris, qui étoient députés pour aller tenir le parlement de Toulouse ; & dans le rôle des juges pour l'année 1340, tous les conseillers de la grand-chambre sont appellés praesidentes in magnâ curiâ.
Il paroît néanmoins constant, que dès le tems de Philippe IV. dit le Bel, il y avoit au parlement, outre celui qui y présidoit pour le roi, d'autres personnes qui avoient aussi la qualité de présidens, & qui étoient distingués des autres membres de cette même cour, que l'on appelloit résidens, qui étoient les conseillers.
C'est ce que justifie l'ordonnance françoise concernant le parlement, l'échiquier de Normandie, & les jours de Troyes qui est au trésor des chartes, & que Duchesne date de 1296.
Il est dit, article quatre de cette ordonnance, que tous les présidens, & les résidens du parlement, s'assembleront à Paris, & que de-là les uns iront à l'échiquier, les autres verront les enquêtes jusqu'au commencement du parlement, & qu'à la fin de chaque parlement les présidens ordonneront, qu'au tems moyen des deux parlemens, l'on examinera les enquêtes.
Il est ordonné par l'art. 6, que, au tems de parlement, " seront en la chambre des plaids li souverain ou li président, certain baron (ou certain prélats) c'est à sçavoir le duc de Bourgogne, le connétable & le comte de Saint-Po.
Item, dit l'article suivant des prélats, l'archevêque de Narbonne, l'évêque de Paris, & l'Evêque de.... & les prélats des comptes, quand ils y pourront entendre, & qu'il y aura toujours au parlement au moins un des barons & un des prélats, & qu'ils partageront le tems, de maniere qu'il y en ait toujours au moins deux, un prélat & un baron, & qu'ils régleront eux-mêmes ce département.
Ces deux articles font connoître qu'il y avoit dèslors au parlement des personnes commises par le roi pour y présider, & qui avoient le titre de présidens du parlement ; que ces présidens étoient, selon cette ordonnance, au nombre de six, trois laïcs & trois prélats, sans compter les présidens de la chambre des comptes, qui étoient aussi alors des prélats, & qui avoient la liberté de venir au parlement ; que les présidens laïques étoient des plus grands seigneurs du royaume, & qu'ils avoient la préséance sur les prélats ; que tous ces présidens étoient qualifiés de souverains ou présidens du parlement, comme représentant la personne du roi en son absence : enfin que de six présidens qui étoient commis pour tenir le parlement, il falloit qu'il y en eût toujours au moins deux, un prélat & un baron.
C'étoient les présidens qui faisoient la distribution des conseillers, que l'on appelloit alors les résidens ; ils retenoient les uns en la chambre, c'est-à-dire, en la grand-chambre ; ils en élisoient trois autres pour l'auditoire ou chambre de droit écrit, c'est-à-dire, pour la chambre où se portoient les affaires des pays de droit écrit ; les autres pour ouir les requêtes communes. Les autres présidens & conseillers devoient s'employer aux affaires publiques qui survenoient lorsqu'il leur paroissoit nécessaire.
Les présidens avoient un signet pour signer tout ce qu'ils délivroient. Ce signet étoit tenu par celui qui étoit par eux ordonné à cet effet ; ce qui fait juger que ce signet étoit quelque gravûre qui s'imprimoit.
Il paroît que c'étoient aussi les présidens qui députoient ceux qui devoient travailler aux enquêtes : car il est dit, que si les présidens envoyent ou établissent quelqu'un qui ne soit pas du conseil, (c'est à-dire du parlement) pour faire enquêtes, il jurera en la présence des parties qu'il la fera loyalement.
Enfin par rapport à l'échiquier de Normandie & aux jours de Troyes, il est dit, que si le roi est présent, ce sera lui qui y commettra ; que s'il n'est pas présent, ce seront les présidens qui en donneront dans chaque parlement qui précédera l'échiquier & les grands jours de Troyes.
Philippe le Bel fit une ordonnance après la mi-carême de l'an 1302, portant entr'autres choses, que comme il y avoit au parlement un grand nombre de causes entre des personnes notables, il y auroit toujours au parlement deux prélats & deux autres personnes laïques de son conseil, ou du moins un prélat & un laïc. Il est visible que ces quatre personnes étoient les présidens du parlement.
Le nombre des présidens n'étoit pas fixe ; car en 1287, il n'en paroît qu'un. En 1291, il est fait mention de trois. L'ordonnance de 1296 en nomme six : celle de 1302 n'en ordonne que quatre. En 1304 ou 1305 il n'y en avoit que deux. En 1334 il y en avoit trois : car le roi écrivit d'y en mettre un tiers.
Ils étoient encore en même nombre en 1342, y compris le premier, & tous appellés maîtres-présidens.
Par l'ordonnance du 11 Mai 1344, il fut nommé trois présidens pour le parlement ; savoir, Simon de Bucy qui est nommé le premier ; mais sans lui donner le titre de premier. La Vache est nommé le second ; & le troisieme est de Mereville. C'étoit à eux, & non au parlement, que les lettres de provision de conseillers étoient adressées, comme on voit, au sixieme registre du dépôt, fol. 5.
On voit par une ordonnance que fit Charles V. en qualité de régent du royaume, le 27. Janvier 1350, qu'il y avoit alors quatre présidens au parlement ; mais il ordonna que la premiere place vacante ne seroit point remplie, & que dorénavant il n'y en auroit que trois.
Il y eut souvent de semblables créations de présidens extraordinaires ; mais qui n'étoient que des commissions pour un tems ou à vie, sans que le véritable nombre des présidens fût augmenté.
Il y en avoit quatre en 1364, & cinq en 1394 ; mais la cinquieme charge ne paroît avoir été créée à demeure qu'en 1466.
Il y eut divers édits de suppression & établissement de charges de présidens, & réduction au nombre de quatre.
Le cinquieme fut rétabli en 1576, & le sixieme créé en 1577.
L'ordonnance de Blois renouvella les dispositions des précédens édits pour la suppression des nouvelles charges.
Mais en 1585 on rétablit les présidens qui avoient été supprimés.
En 1594 on créa le septieme, lequel fut supprimé, comme vacant par mort en 1597, & recréé en 1633.
Le huitieme fut créé en 1635.
Dès 1643 il y en avoit eu un neuvieme surnuméraire ; mais il ne fut créé à demeure que dans la suite.
On voit dans les registres du parlement, que la plûpart des présidens à mortier sont qualifiés de messire & de chevalier ; quelques-uns néanmoins sont seulement qualifiés maîtres : c'étoient ceux qui n'avoient point été faits chevaliers.
Présentement tous les présidens à mortier sont en possession de prendre dans tous les actes, le titre de chevalier en vertu de leur dignité, quand ils ne l'auroient pas par la naissance.
Ils prennent aussi le titre de conseillers du roi en ses conseils, parce qu'ils avoient autrefois entrée au conseil du roi.
L'habit de cérémonie des présidens, est la robe d'écarlate, fourrée d'hermine ; & en hiver ils portent par-dessus la robe le manteau fourré d'hermine, retroussé sur l'épaule gauche, & le mortier de velours noir bordé d'un galon d'or. Il y a lieu de penser que ce galon represente un cercle d'or massif que les présidens portoient autrefois, & que c'étoit la couronne des barons.
Le style de Boyer dit, que le mortier est couvert de velours cramoisi, cependant depuis long-tems il est couvert de velours noir.
Autrefois les présidens mettoient ordinairement leur mortier sur la tête, & le chaperon par-dessus : présentement ils portent le chaperon sur l'épaule, & ne mettent plus le mortier sur la tête que dans les grandes cérémonies, comme aux entrées des rois & des reines. Lorsqu'ils sont en robe rouge, ils tiennent leur mortier à la main. Lorsqu'ils sont en robe noire, leur habillement de tête est le bonnet quarré.
Il est d'usage que leurs armoiries soient appliquées sur le manteau d'hermine : le mortier se met au-dessus du casque, lequel pose sur l'écu.
Pour être reçu président, il faut être âgé de 40 ans, suivant l'Edit du mois de Novembre 1683 ; mais le roi dispense quelquefois à 30 ans.
Les présidens à mortier ne font tous, pour ainsi dire, qu'une seule & même personne avec le premier président, que chacun d'eux représente ; chacun d'eux peut en son absence, ou autre empêchement, présider tout le parlement assemblé.
Ne s'étant trouvé aucun président en 1407, Dudeac, conseiller-président aux requêtes, eut des lettres du roi pour aller présider la compagnie.
Jusqu'en 1576, il étoit d'usage que la cour assistoit en corps à leurs obseques.
Conseillers d'honneur. Voyez ci-devant à la lettre C, l'article CONSEILLER D'HONNEUR.
Maîtres des requêtes. Voyez ci-devant à la lettre M, l'article MAITRE DES REQUETES.
Conseillers, sous la premiere & la seconde race de nos rois, & dès le commencement de la troisieme il y avoit dans la cour, au conseil du roi, des francs ou maîtres, autres que les barons & que les évêques, qui y avoient entrée comme barons, à cause des grands fiefs qu'ils possédoient.
Ces francs étoient des personnes libres & ingénues, choisies dans l'ordre des ecclésiastiques & des nobles, autres que les barons, pour concourir avec eux & avec les prélats à l'administration de la justice.
Ces francs furent depuis appellés maîtres, & ensuite conseillers.
Dans les trois siecles qui ont précédé la fixation du parlement à Paris, les conseillers étoient la plûpart des abbés ; il y en avoit fort peu de laïcs, parce qu'on étoit alors dans l'opinion qui a même duré encore long-tems après, qu'il falloit avoir été reçu chevalier pour siéger au parlement. L'ignorance des laïcs, & le goût de la chevalerie, qui étoit alors seule en honneur, put éloigner les laïcs de ces places de sénateurs. On ne vouloit point de laïcs non chevaliers, tellement que les barons ne pouvoient rendre la justice en personne à leurs sujets sans être chevaliers ; desorte que les gens de lettres, peu propres au noviciat de la chevalerie, ne pouvoient devenir sénateurs qu'en se faisant d'église : de-là tant d'ecclésiastiques dans ces trois siecles au parlement.
La preuve qu'il y avoit des sénateurs laïcs dès le commencement de la troisieme race, se tire de ce qu'il y avoit au parlement des chevaliers distingués, des barons & d'autres personnes qui étoient aussi des vassaux du second ordre, c'est-à-dire qui ne relevoient pas immédiatement du roi, lesquels n'auroient pas été admis au parlement sous ce titre de sénateurs.
La reine Eléonor voulant, en 1149, faire dissoudre son mariage avec Louis le Jeune sous prétexte de parenté, le roi y consentoit, si consiliarii sui & Francorum proceres paruissent.
L'ordonnance de Louis VIII. en 1223 les appelle chevaliers de France, per voluntatem & assensum archiepiscoporum, episcoporum, comitum, baronum, & militum regni Franciae.
Dans un parlement tenu en 1225, le sire de Courcy ayant recusé tous les barons, le roi demeura presque seul avec quelques personnes de son conseil, rex quasi solus praeter paucos consilii sui (mansit.) Saint Louis, dans une ordonnance de 1246, dit pareillement, de communi consilio & assensu dictorum baronum & militum : ces chevaliers étoient les sénateurs ou conseillers du parlement. Ainsi S. Louis ne rétablit pas les sénateurs, comme quelques-uns l'ont cru, puisqu'il y en avoit toujours eu, mais il les dispensa d'être ecclésiastiques, en les dispensant aussi d'être chevaliers ; cela, ne se fit même que peu-à-peu ; c'est de-là qu'ils ont conservé le titre de chevalier. On voit dans les registres sous les dates des années 1317, 1364, 1368, 1377, 1384, 1388 & 1459 ; qu'ils sont qualifiés messires & chevaliers, milites. En 1484, on trouve pour la premiere fois un conseiller qualifié, messire, maître.
Il y eut donc sous S. Louis des conseillers laïcs non-chevaliers.
Dans quelques-unes de ses ordonnances, il les appelle prudentes de magnorum nostrorum, & prudentum consilio ; c'étoient les gens lettrés que l'on appelloit alors en françois prud'hommes ou bons-hommes : il est dit dans le préambule des établissemens de saint Louis en 1270, qu'ils furent faits par grand-conseil de sages-hommes & de bons clercs.
Les conseillers au parlement furent nommés les maîtres du parlement, magistri curi ou magistri curiae, on entendoit par-là les gens lettrés qui conseilloient le parlement, ils sont ainsi nommés dès 1282. Suivant le second registre olim, fol. 65. 1°. où le greffier dit qu'il lui fut donné une cédule de la part des maîtres du parlement, ex parte magistrorum, au fol. 76. ils sont nommés magistri curiae ; ce titre étoit commun aux présidens & aux conseillers.
On rapporte même que dès 1287 le parlement voyant que le nombre des cercles ou conseillers qui avoient entrée au parlement, étoit beaucoup multiplié, & que chacun vouloit se placer avant les plus hauts barons, ordonna que ceux-ci reprendroient leurs places, & renvoya les prélats & gens d'église dans un rang qui ne devoit point tirer à conséquence.
Au fol. 78, v °. du second des olim, sous le titre de parlement de 1278, il est parlé des conseillers qui assisterent à un jugement, praesentibus, est-il dit, comite pontivi (c'étoit le président) thesaurario sancti Martini Turonensis, archidiacono, Xanbonensi M. M. Petro de Capella Parisiensis de puteolo Carnotensi, Roberto Frison, Abrissiodarensi reguinal de Barbon, clericis arrestarum, & pluribus aliis. Ces clercs & autres étoient certainement des ecclésiastiques jugeurs & rapporteurs, & les autres qui ne sont pas nommés étoient aussi apparemment des conseillers tant laïques qu'ecclésiastiques.
Il est parlé de ces conseillers dans les registres olim sous l'an 1290, où l'on trouve ces mots consiliarios domini regis clericos, qui font voir que tous ces maîtres étoient encore clercs, & qu'ils avoient dèslors le titre de conseillers du roi.
Dans une ordonnance de Philippe le Bel en 1291, il ordonne que pendant la tenue du parlement il y aura trois personnes du conseil du roi pour entendre les requêtes, il qualifie de maîtres ceux qu'il nomme pour cette fonction, & l'on voit qu'un d'eux étoit chevalier.
L'ordonnance du même prince que l'on croit de l'an 1296 appelle les conseillers présidens comme étant ceux qui faisoient ordinairement le service, les présidens retenoient les uns en la chambre, ils en élisoient trois autres pour l'auditoire de droit écrit, les autres pour ouïr les requêtes communes, d'autres pour les enquêtes.
On a vu que les anciens sénateurs ou maîtres étoient tous chevaliers, mais cela ne fut pas toujours observé ; car dans un arrêt de 1298 rapporté dans les olim, les chevaliers paroissent distingués des maîtres ; il y avoit quatre archevêques, cinq évêques, deux comtes, quatre chevaliers, un maréchal de France, un vicomte, le chambellan, & dix-huit maîtres.
Cependant pour ne pas heurter de front le préjugé qu'on avoit pour la chevalerie, & qu'il falloit que les laïcs en fussent décorés pour siéger au parlement, on imagina dans le xiv. siecle de faire des chevaliers de lecture ou en lois, comme on faisoit des chevaliers d'armes ; c'est ce qui a donné lieu dans la suite à la nécessité de prendre des degrés en Droit, il fallut encore long-tems être chevalier pour être premier président.
Il paroît par l'ordonnance de 1302 ou 1304, qu'outre les présidens il y avoit au parlement treize clercs & treize laïcs, aux enquêtes cinq personnes, tant clercs que laïcs, & aux requêtes dix, mais ils ne sont pas qualifiés de conseillers.
L'ordonnance du 17 Novembre 1318 appelle maîtres du parlement les conseillers, aussi-bien que les présidens ; celles de 1319 & de 1320 les distinguent en deux classes, savoir les jugeurs & les rapporteurs, les jugeurs étoient ceux qui rendoient les arrêts, les rapporteurs étoient ceux qui faisoient le rapport des enquêtes ou preuves.
Dans une déclaration du premier Juin 1334, le roi les qualifie de nos conseillers de nos chambres de parlement.... & des enquêtes.
Dans celle du dernier Décembre 1334, il y a consiliarii nostri.
Il paroît qu'ils ne prirent ce titre de conseillers que lorsqu'ils furent érigés en titre d'office, l'ordonnance du 11 Mars unit en un même corps les conseillers-jugeurs & les conseillers-rapporteurs, & ordonna que tous conseillers seroient rapporteurs & jugeurs.
Le nombre des conseillers clercs & des conseillers laïcs fut d'abord égal, il y en avoit treize de chaque sorte sous Philippe le Bel ; sous Louis Hutin le nombre des laïcs fut augmenté d'un tiers, car il n'y avoit que douze clercs & dix-huit laïcs ; sous Philippe le Long, il y eut vingt clercs & trente laïcs, la chambre des requêtes étoit alors composée de plus de clercs que de laïcs. Voyez ci-après l'article des REQUETES DU PALAIS.
Depuis, Henri III. aux états tenus à Blois en 1479, fixa le nombre des conseillers clercs du parlement de Paris à quarante, y compris les présidens des enquêtes.
Présidens des enquêtes. Anciennement le titre de conseillers-présidens n'étoit donné, comme on l'a déja dit, qu'aux conseillers de la grand'chambre, & non à ceux des enquêtes, parce qu'il n'y avoit alors aux enquêtes que des conseillers-jugeurs & des conseillers-rapporteurs qui ne pouvoient présider à rien, pas même à leur propre chambre, à laquelle présidoient toujours deux conseillers de la grand'chambre, évêques, barons, ou autres qui étoient commis par elle à cet effet à chaque parlement, ou tous les trois ans, jusqu'à ce que les conseillers-jugeurs & rapporteurs ayant été rendus tous égaux entr'eux aux conseillers de la grand'chambre, on commença d'élire les présidens des enquêtes dans l'assemblée de toute la compagnie, dans le nombre de tous les conseillers indifféremment, & dans la même forme que l'on élisoit les conseillers, c'est-à-dire en présentant au roi trois sujets dont il en choisissoit un, auquel il donnoit une commission spéciale de président des enquêtes.
Le nombre de ces présidens fut augmenté à mesure que l'on augmenta celui des chambres des enquêtes, le roi ayant établi deux présidens dans chaque nouvelle chambre.
Ces places de présidens aux enquêtes ne furent que de simples commissions jusqu'à l'édit du mois de Mai 1704, par lequel ces commissions furent supprimées ; & au lieu d'icelle le roi créa quinze offices de ces conseillers présidens aux enquêtes, c'est-à-dire trois pour chaque chambre.
Par édit du mois de Décembre 1755, le roi, en supprimant deux chambres des enquêtes, supprima aussi tous les offices de président des autres chambres des enquêtes à mesure qu'ils viendroient à vaquer, par mort ou par démission, la présidence des enquêtes avoit été attribuée spécialement à un des présidens à mortier pour chaque chambre ; mais par une déclaration du 30 Août 1757, il a été ordonné qu'après l'extinction des offices de président des enquêtes, il seroit commis par S. M. deux conseillers de la cour pour présider en chaque chambre des enquêtes, ainsi qu'il se pratiquoit avant la création de ces offices en 1704. Voyez Joly, Néron, & les derniers édits & déclarations.
Greffier en chef civil. L'établissement de cet office est si ancien, que l'on ne peut en fixer l'époque précise.
Il paroît que dès que le parlement commença à prendre la forme d'une cour de justice, on y envoyoit deux notaires ou secrétaires du roi pour tenir la plume.
En effet, on trouve une ordonnance de l'hôtel du roi faite en 1240, qui porte que N. de Chartres & Robiet de la Marche seront à Paris pour les registres pour les parlemens, & auront chacun six sols par jour & leur retour des chevaux ; ces deux personnes étoient sûrement des notaires du roi.
L'un de ces notaires qui étoit clerc, c'est-à-dire ecclésiastique, tenoit la plume dans les affaires civiles ; l'autre qui étoit laïc, tenoit la plume dans les affaires criminelles.
Ainsi les greffiers du parlement tirent leur origine des notaires ou secrétaires du roi ; c'est de-là qu'ils sont encore obligés d'être pourvus d'un office de secrétaire du roi pour pouvoir signer les arrêts, & c'est ce qui a donné lieu d'unir à la charge de greffier en chef civil une des charges de notaires de la cour.
Les ordonnances de 1291 & 1296 touchant le parlement, ne font mention que des notaires pour tenir la plume.
Il est vrai que les registres olim, sous l'an 1287, font mention de certaines personnes qui y sont qualifiées clericis arrestorum, ce que plusieurs personnes ont voulu appliquer aux greffiers du parlement ; mais il n'est pas question de greffier ni de notaire dans l'endroit du registre, il s'agit des personnes qui avoient assisté à un jugement, entr'autres le comte de Ponthieu, six autres personnes qui sont dénommées & sur lesquelles tombe la qualification de clericis arrestorum, parce que c'étoient des ecclésiastiques qui étoient tous juges & rapporteurs, y a-t-il apparence de prétendre que le comte de Ponthieu, ces six ecclésiastiques présens, & plusieurs autres encore, comme le dit le registre, fussent tous des greffiers ?
Jean de Montluc, que l'on regarde communément comme le premier greffier civil du parlement qui soit connu, étoit ecclésiastique ; il devint greffier en 1257 ; il fut le premier qui fit un dépouillement des arrêts rendus précédemment, & les transcrivit sur un registre ; ce registre qui est le plus ancien de ceux qui sont au parlement, s'appelle le registre des enquêtes, on l'appelle aussi le premier registre des olim ; il commence en 1254, mais Montluc y a rapporté des arrêts rendus avant qu'il exerça l'office de greffier, & ce registre ne commence à devenir vraiment suivi qu'en 1257.
Ainsi le commissaire de la Mare s'est trompé, en disant qu'aussi-tôt que le parlement fut sédentaire, Jean de Montluc ramassa les arrêts contenus, les rouleaux, puisque le parlement ne fut rendu sédentaire à Paris que dans le xiv. siecle, ou au plutôt vers la fin du xiij.
Le premier des olim fait mention de Nicolaus de Carnoto qui avoit recueilli plusieurs arrêts sur des enquêtes dont il avoit par-devant lui les originaux : on pourroit croire que ce Nicolaus de Carnoto étoit le même que N. de Chartres, dont il est parlé dans l'ordonnance de 1240 ; mais ce qui fait juger que N. de Chartres & Nicolaus de Carnoto n'étoient pas le même individu, c'est que Nicolaus de Carnoto exerçoit encore en 1298, comme on le dira dans un moment. Quoiqu'il en soit, il paroît certain que Nicolaus de Carnoto avoit écrit des arrêts auxquels Montluc n'avoit pas assisté, comme il le dit lui-même dans le premier registre olim, fol. 68. année 1270, où il déclare que tout ce qui précede lui a été remis par Nicolaus de Carnoto : praemissa tradidit mihi Nicolaus de Carnoto qui praesens fuerat quia ego non interfui, & ipse habet penes se originalia dictarum inquestarum.
Dans un arrêt de 1260, qui est rapporté dans la seconde partie du registre des enquêtes, fol. 112, Montluc nomme ceux qui eurent part à cet arrêt, il se met aussi de ce nombre, huic determinationi interfuerunt.... Johannes de Montelucio qui scripsit haec ; il paroît par-là que le greffier en chef avoit part aux délibérations, & c'est peut-être de-là qu'il a le titre de conseiller du roi.
Montluc vivoit encore en 1270, comme il résulte des enquêtes qu'il a rapportées sous cette date.
Mais ce ne fut pas lui qui acheva la seconde partie du premier registre olim ou des enquêtes qui va jusqu'en 1273. Lamarre tient que ce fut Gau de Fridus, son successeur, lequel en continuant le registre a fait mention en cet endroit, que Montluc étoit le premier qui eût tiré des rouleaux du parlement les arrêts qui étoient déja transcrits sur ce registre, & que ceux que lui Gau de Fridus y ajoutoit, avoient aussi été écrits en rouleaux du tems de Montluc : inferius, dit-il, continentur & scribuntur quaedam judicia & arresta inventa ut quibusdam rotulis scripta de manu magistri Joannis de Montelucio antequam inciperet arresta ponere in quaternis originalibus inter rotulos parlamentorum de tempore ipsius magistri Joannis reservatis.
Il paroît pourtant que Nicolaus de Carnoto, qui avoit déja fait la fonction de greffier du tems de Montluc, continua de la faire après lui, puisque ce fut lui qui rédigea le second registre appellé registre olim, après lui ce fut Petrus de Biterris.
Les registres olim font mention sous l'an 1287, des clercs, des arrêts clericis arrestorum, ce que quelques-uns ont voulu appliquer aux greffiers du parlement, mais il n'est question en cet endroit que des conseillers ordinaires. Le premier de ces greffiers étoit le greffier civil.
Il est désigné dans l'ordonnance de Philippe V. du mois de Décembre 1320, par ces mots, celui qui tient le greffe ; il devoit, suivant cette ordonnance, donner tous les samedis en la chambre des comptes les condamnations & amendes pécuniaires qui toucheroient le roi : elle veut aussi qu'il enregistre la taxation faite à ceux que l'on enverra en commission, & le jour qu'ils partiront de Paris.
L'ordonnance de Philippe de Valois, du 11 Mars 1344, touchant le parlement, ordonne que le secret de la cour ne soit point divulgué ; & pour cet effet, elle ajoute qu'il seroit bon qu'il ne restât au conseil que les seigneurs & le registreur de la cour : il paroît que l'on a entendu par-là le greffier du parlement, & singulierement le greffier civil.
Le reglement que le roi Jean fit le 7 Avril 1361, pour les gages du parlement, fait mention des trois greffiers du parlement ; savoir, le greffier civil, le greffier criminel, & le greffier des présentations, qui étoit déja établi ; il les comprend tous sous ce titre commun, tres registratores seu grefferii parlamenti.
Depuis ce tems, on leur donna à tous le titre de registrateurs ou greffiers, & peu-à-peu ce titre de greffier prévalut.
On ne laisse pas de les considérer toujours comme notaires du roi ; en effet Charles V. dans le reglement qu'il fit le 16 Décembre 1365, dit que les articles discordés seront signés par les greffiers ou par aucuns de nos autres notaires ; on voit dans les registres du parlement sous la date du 29 Octobre 1421, que Charles VI. unit à l'office de greffier les gages, manteaux & bourses de celui de notaires de la même cour : le pourvu de ce dernier voulut disputer sous Louis XI. au greffier civil les droits qui lui avoient été attribués ; ce procès fut jugé au grand-conseil.
MM. du Tillet exprimoient en latin leur qualité de greffiers par le terme commentariensis, qui signifie celui qui tient le registre. M. Joly dit qu'on les appelloit amanuenses quia manu propria scribebant ; & en effet la plûpart des registres criminels sont intitulés registrum manuale causarum.
Le greffier civil & le greffier criminel du parlement ne pouvant suffire à faire par eux-mêmes toutes les expéditions, prirent des commis pour tenir la plume en leur absence, & pour expédier les arrêts sous leur inspection, se réservant toujours la délivrance & la signature des arrêts : ces commis prirent dans la suite le titre de commis greffier, & même celui de greffier seulement, & dans la suite ils ont été érigés en charge.
Cependant le greffier civil & le greffier criminel ne prirent le titre de greffier en chef que depuis l'édit du mois de Décembre 1636, portant création de greffiers alternatifs & triennaux dans toutes les cours & sieges royaux, dont les deux greffiers du parlement & quelques autres furent exceptés. L'arrêt d'enregistrement les nomme greffiers en chef : il est du 9 Janvier 1640 ; il porte que le roi sera supplié d'excepter les greffiers en chef civil & criminel du parlement, & quelques autres qui y sont nommés, de la création des greffiers alternatifs & triennaux, qui étoit ordonnée par l'édit du mois de Décembre 1639 pour toutes les cours & siéges royaux.
Le célebre Jean du Tillet, qui étoit greffier civil du parlement se qualifioit protonotaire & secrétaire du roi, greffier de son parlement. Les greffiers en chef prennent encore ce titre de protonotaire & secrétaire du roi, soit parce qu'ils tirent leur origine des notaires & secrétaires du roi, dont ils étoient réputés les premiers pour l'honneur qu'ils avoient d'exercer leurs fonctions au parlement, soit parce qu'ils sont les premiers notaires & secrétaires de la cour pour la signature de ses arrêts.
M. du Tillet fut le premier qui eut dispense d'être clerc pour exercer la charge de greffier civil, ce qui est resté depuis sur le même pié.
Le greffier civil avoit anciennement livraison de robes & manteaux, comme les autres membres du parlement ; c'est de-là qu'ils portent encore le même habillement qu'eux ; ils portent non-seulement la robe rouge, mais aussi l'épitoge ou manteau fourré de menu vair : ce manteau est relevé de deux côtés, parce que le greffier doit avoir ses deux mains libres pour écrire, à la difference de l'épitoge des présidens à mortier, qui n'est relevée que du côté gauche, qui est le côté de l'épée, parce que ce manteau est le même que portoient les barons ou chevaliers.
La place du greffier en chef civil, soit aux audiences ou au conseil, est dans l'angle du parquet.
Lorsque le roi vient au parlement tenir son lit de justice, le greffier en chef y assiste revêtu de son épitoge ; il est assis à côté des secrétaires d'état, ayant devant lui un bureau couvert de fleurs-de-lis, & à sa gauche un des principaux commis au greffe de la cour, servant en la grand'chambre, ayant un bureau devant lui ; les secrétaires de la cour sont derriere eux. Voyez le procès-verbal du lit de justice du 22 Février 1723.
Dans les cérémonies le greffier en chef civil marche tout seul immédiatement devant le parlement, & devant lui le greffier en chef criminel & le greffier des présentations.
L'ordonnance de 1296 défendoit aux notaires de la chambre du parlement, & à ceux de la chambre de droit écrit, de rien recevoir, eux ni leur mesnie, c'est-à-dire, ni leurs commis ; il est dit qu'ils demeureront en la pouveance le roi ; la même chose est ordonnée pour les notaires de la chambre de droit écrit.
Les greffiers du parlement qui ont succédé à ces notaires observoient aussi autrefois la même chose : le roi fournissoit un fonds pour payer au greffier l'expédition des arrêts, au moyen de quoi il les délivroit gratis aux parties ; ce qui dura jusqu'au regne de Charles VIII. qu'un commis du greffier qui avoit le fonds destiné au paiement des arrêts s'étant enfui, le roi, qui étoit en guerre avec ses voisins & pressé d'argent, laissa payer les arrêts par les parties, ce qui ne coutoit d'abord que six blancs ou trois sols la piece, mais par succession de tems cela est augmenté comme toutes les autres dépenses.
Le greffier en chef est du corps intime du parlement, jouït de tous les mêmes privileges que les autres officiers du parlement, notamment du droit d'indult, du droit de franc-salé, du committimus, de l'exemption des droits seigneuriaux dans le domaine du roi, tant en achetant qu'en vendant.
Le prieuré de S. Martin de Paris est obligé d'envoyer tous les ans, le lendemain de S. Martin avant la messe rouge, deux religieux de ce prieuré présenter au greffier en chef un écritoire, suivant la fondation faite par Philippe de Morvilliers, premier président, dont on a déja parlé ci-devant.
Le greffier en chef civil est dépositaire des minutes & registres civils du parlement, & des sacs qui sont en dépôt au greffe.
Minutes & registres du parlement. Dans le x. siecle on redigeoit peu d'actes par écrit.
Dans les xj. & xij. siecles les actes sont en plus grand nombre ; mais il y a peu de registres de ce tems ; on ne tenoit même souvent point de note des jugemens, si ce n'est de ceux qui concernoient les ecclésiastiques dont on trouve des chartes ; on recordoit les juges sur la disposition des arrêts rendus ci-devant.
Tous les actes de la cour de France & chartes de la couronne que l'on portoit à la suite de nos rois, furent enlevés par les Anglois en 1194.
Depuis ce tems on prit plus de précautions pour conserver les chartes & minutes du parlement.
Les anciennes minutes étoient écrites en rouleaux, on ignoroit alors l'usage d'écrire en cahiers, on ne faisoit point non plus de registres pour suppléer aux minutes.
Tout ce qu'il y avoit d'anciennes minutes du greffe civil du parlement jusqu'en 1618 a péri dans l'incendie qui arriva cette année au palais : il n'est resté de ce tems que les registres ; c'est pourquoi on a soin de ne point mettre ensemble les minutes & les registres.
Les minutes sont en papier, les registres en parchemin.
Les plus anciens registres sont ceux qu'on appelle d'un nom commun les olim ; il ne s'en trouve présentement que quatre ; mais dans un ancien registre contenant des copies faites très-anciennement de plusieurs arrêts, aussi très-anciens, il se trouve en tête qu'il y avoit cinq anciens registres au-lieu de quatre olim qui restent aujourd'hui.
Le premier, appellé liber inquestarum coopertus pelle viridi, signatus in dorso + ab anno 1256 usque ad annum 1270.
Le second, aussi appellé liber inquestarum signatus in dorso A, incipiens à parlamento anni 1289 usque ad annum 1299 : ce registre ne se trouve plus.
Le troisieme, appellé liber vocatus olim incipiens à parlamento 1274 usque ad annum 1298 ; ce registre est celui auquel convient vraiment le surnom de registre olim, parce qu'il commence par ces mots olim homines de Bayona, &c.
Le quatrieme, appellé liber signatus in dorso C, incipiens à parlamento 1299 usque ad parlamentum 1318 ; c'est le troisieme des olim ; il n'y a plus de C marqué sur le dos.
Le cinquieme est désigné liber coopertus de rubeo signatus in dorso D, & incipiens à parlamento 1299 usque ad annum 1315 ; c'est à présent le dernier des olim.
Il y a certainement des arrêts rendus plus anciennement que ceux qui sont dans les olim, lesquels ne remontent point au-delà de 1254. Du Tillet qui vivoit dans le xv. siecle en a rapporté plusieurs, qui étoient apparemment alors au greffe, mais ils ne s'y trouvent plus.
Le premier des quatre plus anciens registres restans, surnommés les olim, fut rédigé par Jean de Montluc, greffier civil du parlement ; le commencement fut par lui copié sur des enquêtes, recueillies par Nicolaus de Carnoto ; il contient deux parties.
La premiere commence en 1256, & finit en 1272 : elle contient des arrêts intitulés inquestae redditae, ou terminatae, ou deliberatae Parisius in parlamento ; ce sont des arrêts rendus sur enquêtes.
L'autre partie, qui commence en 1254, & finit en 1273, contient des arrêts intitulés arrestationes factae Parisius in parlamento, ou bien arresta consilia & judicia in parlamento, ou bien judicia & consilia facta Parisius in parlamento : il y a pourtant parmi ceux-ci des arrêts sur enquêtes & autres qui avoient été omis du tems de Jean de Montluc.
Le registre olim, qu'on regarde présentement comme le second des anciens registres, parce que celui qui étoit le second est perdu, a été considéré comme le principal, puisqu'il a donné le nom aux autres ; il est mieux écrit, & avec beaucoup plus de décence que le premier ; il contient au commencement des lettres-patentes, ce qui fait croire qu'il a été établi avec plus d'autorité que les autres, & non pas sur différens recueils, comme il est évident que le premier l'a été.
Ce registre olim a été redigé par Nicolaus de Carnoto.
Les différens titres des arrêts qu'il contient de chaque parlement sont judicia, consilia & arresta expedita, ou reddita in parlamento.
Le troisieme des quatre plus anciens registres qui restent contient en 94 feuillets plusieurs tables ou indications de ce qu'il y avoit alors de papiers concernant le parlement, le surplus sont des arrêts.
Il contient beaucoup de pieces intitulées inquestae & processus, d'autres processus seulement.
Le quatrieme des olim est aussi une table d'enquête & de procès.
Ces quatre registres, surnommés olim, contiennent quatre sortes de pieces ; savoir, 1°. des ordonnances depuis 1252 jusqu'en 1273 ; 2°. des arrêts du parlement depuis 1254 jusqu'en 1298 ; 3°. de 1299 en 1318 des enquêtes faites par les baillifs & sénéchaux ; 4°. de 2199 en 1318 des procedures & reglemens.
On ne trouve dans ces quatre registres aucun jugement à mort, ce sont des registres civils, & l'ouvrage d'un greffier clerc, qui ne pouvoit prendre part à des jugemens de cette espece ; ils en rappellent néanmoins quelques-uns, & du reste le civil y est mêlé avec le criminel ; il y a des decrets d'ajournement personnel & de prise de corps.
On ne peut douter que ces registres devinrent au-moins dans leurs progrès les registres authentiques du parlement ; car dans les additions du quatrieme volume, où l'on fait mention des jugemens rendus en 1286 dans les affaires du roi d'Angleterre : on dit videbitur in registro curiae regis Franciae si aliquid fuit ibi scriptum de gardia ecclesiae Wasatensis in causa quae fuit non est diu inter ipsam ecclesiam & senescallum registrata : il y avoit donc dès-lors un registre de la cour, & ce n'étoient pas de simples notes que le greffier faisoit de son chef, & pour sa propre satisfaction ; un peu après on dit encore videbitur judicatum ut curia Franciae, sur la sujetion du vicomte de Fronsac.
Les olim finissent en 1319, plusieurs années après la fixation du parlement à Paris, sans qu'il y ait aucune lacune depuis 1257 jusqu'en 1319.
Les plus anciens registres civils après les olim, commencerent en 1320 ; il n'existe que les années 1320, 1321, 1323 & 1329. Il y a des lacunes considérables dans les années suivantes jusqu'en 1338 ; ils reprennent alors jusqu'en 1354, où les lacunes recommencent. Ce n'est qu'en 1364 qu'ils deviennent très-suivis jusqu'au tems présent, à dix ou douze années près, dont on est ordinairement en arriere pour le travail de la transcription des minutes sur les registres.
Ces registres sont fort étendus ; chaque année en remplit ordinairement 35 à 40 ; la dépense en est considérable, & monte à 6000 liv. par an.
Les anciens registres qui manquent au dépôt, sont perdus, & les minutes même brûlées. On y peut suppléer en partie par les registres criminels qui se suivent fort exactement depuis 1312, & qui contiennent heureusement un grand nombre de pieces importantes qui auroient dû naturellement être placées dans les registres civils.
On a trouvé en 1756 les neuf premiers registres du dépôt civil des enquêtes, dont les huit premiers sont intitulés jugés & arrêts ; le neuvieme est intitulé sur le dos lettres & arrêts.
Ces registres contiennent les jours des rôles, les notes des causes portées au parlement, des commissions, des lettres d'état, les procédures appellées articuli, petitiones, protestationes, & les accords ou transactions, concordiae.
Le premier de ces registres commence en 1319, & finit en 1327.
Le second comprend de 1328 à 1333.
Le troisieme, de 1334 à 1337.
Le quatrieme, de 1338 à 1342.
Le cinquieme, de 1343 à 1345.
Le sixieme, de 1346 à 1350.
Le septieme, de 1351 à 1357.
Il n'y a point de registres pour 1358 & 1359 ; il paroît qu'il n'y eut pas de parlement, à cause des guerres & de la prison du roi Jean, lequel ne revint à Calais qu'au mois de Mai 1360. Le parlement ne recommença que le 13 Janvier de la même année.
Le huitieme registre s'étend depuis 1360 à 1371.
Le neuvieme va depuis 1371 jusqu'en 1394.
Depuis ce neuvieme registre on n'a trouvé au greffe des dépôts que deux registres.
L'un qui commence en 1462, & finit en 1545.
L'autre commence en 1546, & finit en 1648.
Mais on a trouvé au même dépôt dix-huit cahiers en papiers, qui ne contiennent que des listes d'accords depuis 1438 jusqu'en 1461.
Du tems des olim il n'y avoit qu'un seul registre civil, sur lequel on transcrivoit les ordonnances, les arrêts, les délibérations & procès verbaux de la compagnie, les commissions, & même certaines procédures. Dans la suite on fit différens registres, selon les diverses natures d'actes ; desorte que l'on a distingué ces registres en dix classes.
La premiere est composée des quatre registres olim.
La seconde est composée des registres cotés lettres & jugés. Ces registres commencent en 1319, & vont jusqu'en 1364 ; les uns sont intitulés jugés ; les autres, arrêts ; d'autres, lettres & arrêts ; d'autres, lettres, arrêts & jugés ; d'autres enfin, arrêts & jugés. Le tout contient les choses mêlées, y compris les jugés des enquêtes, & uniquement les procès jugés des enquêtes jusqu'en 1514 qu'ils contiennent sous le seul titre de jugés.
La troisieme classe est composée des registres de conseil, & plaidoyés, lesquels ne commencent qu'en 1364.
Le conseil contient les enregistremens d'édits, les receptions d'officiers, les instances jugées, les arrêts sur défaut, les arrêts sur requêtes, en un mot, tout ce qui émane de la chambre du conseil de la grand'chambre.
Les plaidoieries, tous les arrêts d'audiences. Il se trouve un registre intitulé manuale placitorum pour l'année 1364, écrit par Nicolas de Villemur, qui est qualifié clericus regis.
Mais sur ces registres de conseil & plaidoieries il faut observer.
1°. Que le conseil & les plaidoieries n'ont été réunis que dans les onze premiers volumes ; au douzieme il n'y a plus le conseil ; & les plaidoieries forment ci-après une classe particuliere, ensorte que depuis le douzieme volume cette classe n'est intitulée que conseil.
2°. Le conseil en 1636 a été partagé, & on a fait une nouvelle classe ci-après du conseil secret, qui ne contient plus depuis ce tems que les délibérations de la cour, enregistremens d'édits & réceptions d'officiers ; ce qui fera une classe particuliere.
La quatrieme classe est composée des registres de plaidoiries, depuis qu'elles ont été séparées du conseil ; ce qui a commencé en 1395.
Les uns sont intitulés Matinées, lesquels vont depuis le 12 Novembre 1395, jusqu'au 12 Avril 1572.
D'autres sont intitulés Après-dinées, & vont depuis le mois de Juin, 1405 jusqu'en 1570, que l'on a cessé de faire des registres particuliers pour les après-dinées.
Les derniers où tout est réuni, c'est-à-dire, les matinées & après-dinées, sont intitulés Plaidoiries ; ils commencent en 1571.
La cinquieme classe, est celle des registres des après-dinées, dans le tems qu'ils ont été séparés des matinées, comme on l'a dit ci-dessus.
La sixieme classe est composée des registres du conseil secret, depuis qu'on l'a séparé du conseil ordinaire ; ce qui a commencé au 12 Novembre 1636.
Tous les registres dont on a parlé jusqu'ici, ne sont cotés que par premier & dernier ; mais ceux du conseil secret & autres, dont on parlera ci-après, sont cotés par les lettres de l'alphabet, lesquelles sont redoublées & triplées à mesure que le nombre des registres de chacune de ces classes augmente.
La septieme classe est des registres, des ordonnances, contenant les ordonnances, édits, déclarations, & lettres-patentes.
Le premier coté A, intitulé Ordinationes antiquae, comprend depuis 1337, jusqu'en 1415.
Le second coté B, intitulé Livre croisé, comprend depuis 1415, jusqu'en 1427.
Le troisieme coté C, intitulé Liber accordarum ordinationum pictavis, comprend depuis 1418 jusqu'en 1436. Ce sont les ordonnances registrées pendant que le parlement étoit transféré à Poitiers.
Le quatrieme coté D, est intitulé Ordinationes barbinae, les barbines. On croit qu'elles ont été ainsi appellées de quelqu'un nommé Barbin, qui a fait ce registre ; il comprend depuis 1427 jusqu'en 1462.
Les volumes suivans sont tous cotés par les lettres de l'alphabet : le dernier volume des ordonnances de Louis XIV. est coté cinquieme x. On peut juger par-là combien il y a de registres pour les seules ordonnances.
La huitieme classe est composée des registres du parlement séant hors de Paris ou des grands jours tenus par le parlement, savoir.
Du parlement séant à Poitiers. Des arrêts & jugés de 1418 à 1436.
Registres du conseil de même.
Lettres, commissions, &c. depuis 1418, jusqu'en 1429.
Registres de plaidoiries de 1422, à 1436.
Autres registres, conseil, plaidoieries jugés en 1531.
Grands jours tenus à Poitiers. Lettres, arrêts, & jugés en 1519.
Conseil & jugés en 1541.
Conseil, plaidoieries, appointemens, en 1579.
Trois autres de plaidoieries, aussi en 1579.
Un autre conseil, en 1634 & 1635.
Un autre de plaidoyer, de 1634 & 1635.
Un autre de conseil & plaidoyer, en 1667.
Un autre des grands jours, tenus à Poitiers par le parlement lors séant à Tours, en 1454. 1455.
Les lettres royaux de Charles VI. depuis 1412, jusqu'en 1436.
Du parlement tenu à Tours. Jugés de 1590, à 1593.
Conseil de 1589, à 1594.
Plaidoierie de 1589, à 1594.
Du parlement de Châlons. Jugés, conseil, plaidoierie de 1589, à 1594.
Grands jours tenus à Tours. Jugés, conseil, plaidoieries, en 1547.
Grands jours de Moulins. Conseil, jugés, plaidoieries de 1534, à 1550.
Conseil & plaidoierie, en 1596.
Grands jours à Bordeaux. Conseil, plaidoierie, lettres, arrêts & jugés, de 1456, à 1459.
Grands jours en Auvergne. A Montferrand, registres de 1481, à 1520.
A Clermont, conseil & plaidoierie, 1582.
A Riom, conseil & plaidoierie, en 1546.
Les derniers grands jours tenus à Clermont en Auvergne, sont aux minutes en deux liasses sans être reliés.
Parlement de Pontoise, est aussi aux minutes sans être relié.
La neuvieme classe est composée de registres de diverses especes, savoir,
1°. Les registres de la chambre du domaine.
2°. Les registres des amendes.
3°. Les registres d'encheres.
4°. Ceux d'omissions.
5°. Un registre de nouvelle date.
6°. Trois registres intitulés, Concordiae parlamenti, qui sont des tables des transactions en rouleaux homologuées au parlement.
7°. Trois registres criminels, où il y a des choses mêlées, même l'ordre des rôles de la grand'chambre.
La dixieme classe est encore composée de divers autres registres ; savoir, des procès-verbaux de coutumes, le contrat du mariage du roi Louis XIV., le traité de Pyrénées, enregistré le 27 Juillet 1660, les limites de la ville de Paris avec l'abrégé, & les lettres-patentes données à ce sujet.
Il y a encore trois registres in-folio, qui sont un inventaire ou table des rouleaux, dont on parlera ci-après. Il y a pourtant dans ces registres quelques pieces qui sont transcrites tout au long ; il y en a de quatre sortes, savoir, 1°. les accords ou transactions ; 2°. petitiones, les demandes ; 3°. articuli, qui sont les interdits ; 4°. protestationes, qui sont les protestations que l'on faisoit après l'homologation de la transaction.
On ne peut pas dire précisément à quel nombre les registres du parlement montent, attendu que le nombre en augmente tous les jours, à mesure que le travail se continue, il y en a présentement environ 8000 volumes.
Quelques riches bibliotheques possedent des extraits des registres du parlement, c'est-à-dire, des copies des pieces les plus curieuses qu'ils renferment, & une table générale des matieres qu'ils renferment.
Le premier dépouillement & la premiere table qui ayent été faits de ces registres, sont dûs aux soins de Jean le Nain, reçu conseiller au parlement en 1632, puis maître des requêtes, l'un des plus dignes magistrats qui ayent paru dans le xvij. siecle, pere de celui qui mourut doyen du parlement en 1719, & ayeul de l'avocat général du même nom. Jean le Nain, auteur de la table dont nous parlons, mourut le 9 Février, âgé de 85 ans.
Il employa plus de vingt années à ce travail, qu'il fit copier avec beaucoup de soin & de dépense. Il y a plus de 200 volumes de copies d'arrêts, & autres pieces curieuses.
La table des matieres contient 83 volumes infolio ; & il y a un quatre vingt-quatrieme volume qui est la table de la table.
Il y a encore quinze volumes de table alphabétique, qui sont aussi de M. le Nain : cette seconde table est un peu confuse.
Cette collection de M. le Nain n'alloit que jusqu'en 1669 ; mais elle a été augmentée par les soins de quelques personnes qui en possédoient des copies.
On a toujours fait un cas singulier de celle que possédoit M. Ogier, président aux requêtes du palais, à présent ambassadeur en Danemark. Cette copie est la même qui vient de M. le Nain, auteur de ce grand travail ; elle fut achetée des héritiers de l'auteur.
Les copies de cette table & collection se sont depuis multipliées ; mais on n'en connoît point qui soit plus ample que celle dont on vient de parler, ni qui ait des tables plus commodes ; c'est M. de Cotte, maître des requêtes, qui en est à présent propriétaire.
Il y a aussi une collection très-ample des registres du parlement, chez M. de Lamoignon chancelier, & copiée dans une autre forme que celle de M. le Nain.
On fait aussi beaucoup de cas d'une autre collection que possede M. le président de Meinieres.
Outre la table de M. le Nain, il y en a deux autres bien moins considérables, dont on ne connoît pas l'auteur.
L'une qui est en six volumes in-folio, fut faite par ordre de M. Colbert ; celle-ci est très-bonne, & dans ce qu'elle renferme, elle est plus estimée pour l'ordre que la grande table en quatre-vingt-quatre volumes.
L'autre table qui est en deux volumes in-folio, a aussi son utilité.
Greffier en chef criminel. Son établissement paroît aussi ancien que celui du greffier civil ; en effet, on a déja observé en parlant du greffier en chef civil, que dès l'an 1240, il y avoit deux notaires pour les registres, & que les registres olim font mention sous l'an 1288, des greffiers du parlement, clericis arrestorum ; ce qui suppose qu'il y en avoit dès-lors plusieurs. Or il est constant que les deux offices de greffier en chef civil, & de greffier en chef criminel, sont les plus anciens ; celui des présentations n'ayant été établi que quelque tems après.
Il étoit d'autant plus nécessaire d'établir un greffier criminel en même tems qu'un greffier civil, que jusqu'en 1518, la place de greffier civil ne pouvoit être remplie que par des ecclésiastiques, lesquels ne pouvoient point se mêler d'affaires criminelles.
Le quatrieme registre des olim, qui est le troisieme de ceux qui restent folio 27, fait mention sous la date de 1306, d'une enquête que le greffier civil rendit ; ce qui s'entend au greffier criminel, parce qu'il s'agissoit d'une affaire criminelle, reddidi inquaestam quia sanguinis est ; & sous la date de 1312, il est parlé d'une autre enquête que le greffier civil rendit de même à maître Jean du Temple, qui est le premier greffier criminel connu, inquaesta reddita fuit M. J. de Templo quia sanguinis est.
Les registres criminels qui commencent en 1322, font mention de ce même Jean du Temple, lequel y est qualifié de clericus domini regis, c'est-à-dire, notaire du roi, que nous appellons aujourd'hui secrétaire du roi.
Ce même Jean du Temple remplissoit encore la place de greffier en chef criminel en 1320 ; il en est fait mention dans le premier registre après les olim, fol. 27, où il est qualifié monseigneur Jean du Temple ; ce qui fait connoître en quelle considération étoit cet office.
Une ordonnance de Philippe VI. dit de Valois, du 11. Mars 1344, touchant le parlement, en parlant des deux greffiers en chef civil & criminel, les appelle li registreurs de la cour ; il est dit qu'il ne demeurera au conseil que les seigneurs du parlement, & li registreurs de la cour ; ce qui suppose que les deux greffiers civil & criminel, assistoient tous deux en même tems à la chambre du parlement.
Dans un reglement du roi Jean, du 23 Avril 1361, le greffier criminel est compris sous la dénomination des trois registrateurs de la cour, tres registratores, seu grefferii parlamenti.
Le même prince fit le sept Décembre suivant un reglement pour ses notaires ou secrétaires, à la suite duquel est une liste de ceux qu'il avoit retenus, & de ce nombre se trouva le greffier civil, & Me Denis Tite, greffier criminel en parlement ; ainsi ces deux greffiers étoient notaires du roi. C'est ce que confirme encore une ordonnance de Charles V. du 16 Décembre 1364, portant, article 3. que les articles de dépens seront signés par les greffiers de notre parlement, ou par aucun de nos autres notaires.
Depuis l'an 1356 jusqu'en 1418, le greffier criminel de même que les deux autres greffiers, fut appellé greffier & notaire tout ensemble : en 1418 on conféra ces offices de greffiers sans parler de la qualité de notaire.
Lorsque le parlement fut rendu sédentaire à Paris, il n'y avoit d'abord qu'une seule chambre appellée la chambre du parlement, & depuis la grand'chambre où l'on jugeoit le civil & le criminel.
Les deux greffiers, civil & criminel servoient tous les deux à la fois dans cette chambre, pour être toujours prêts à remplir chacun ce qui étoit de leur ministere, c'est pourquoi dans l'édit de 1515 qui rendit la tournelle continuelle, le greffier criminel est encore qualifié greffier criminel de la grand'chambre, & ses gages furent augmentés de 80 liv. à cause de nouveau service, qu'il devoit faire à la tournelle.
Le greffier criminel étoit chargé de recueillir & dresser tout ce qui appartenoit à l'instruction criminelle, & tout ce qui pouvoit y avoir relation, soit arrêts, commissions, enquêtes, informations, soit abolitions, edits, déclarations & lettres-patentes de nos rois sur des matieres criminelles.
Le greffier civil ne pouvoit point se mêler d'affaires criminelles ; tellement qu'en l'absence du greffier criminel, la cour commit un clerc du greffe pour visiter un prisonnier & lui faire le rapport de ses vêtemens, comme on voit au douzieme registre criminel à la date du 18 Mai 1418.
Au contraire, en cas d'absence, maladie, recusation ou autre empêchement du greffier civil, le greffier criminel tenoit la plume, & comme depuis 1312 il avoit son registre à part, il portoit sur ce registre toutes les affaires civiles où il suppléoit le greffier civil ; c'est pourquoi dans les premiers registres criminels on trouve beaucoup d'ordonnances & d'arrêts rendus en matiere civile, entr'autres une érection en duché pairie en faveur de Louis, comte d'Evreux, oncle du roi, des questions de régale & de matiere bénéficiale, notamment au 3 Juillet 1432 à l'occasion d'un bénéfice que possédoit Jean le Maisne ou de Blois, greffier civil, des concessions en faveur des reines de France, les privileges d'établissement de la halle aux blés & de la halle aux draps à Paris, & des concessions en faveur des villes du royaume, &c.
M. de la Rocheflavin, liv. VI. p. 120. dit qu'aux rentrées de la S. Martin, la lecture des ordonnances que l'on fait avant les sentences & celle du rôle des avocats & procureurs est faite par le greffier civil, en son absence par le greffier criminel, & en l'absence de celui-ci par le greffier des présentations.
Au lit de Justice tenu par Louis XIV. le 19 Janvier 1654, Me. le Teneur, greffier en chef criminel tint la place de greffier, ainsi que le porte le procès-verbal de la séance écrit par le greffier civil.
Depuis l'établissement d'une tournelle fixe en 1515, le greffier en chef & criminel a sa place ordinaire dans la grande tournelle dans l'angle, de maniere qu'il est à côté du président, lorsque la cour est sur les bas siéges, il a aussi toujours le droit d'entrer aux assemblées des chambres.
La cour a quelquefois ordonné que certains procès-verbaux des protestations ou autres actes, seroient insérés dans les registres des deux greffes, civil & criminel ; témoin une célebre protestation que l'on trouve au registre criminel, coté 107. à la date du premier Mars 1558, au sujet des lettres-patentes envoyées à la cour pour juger un procès criminel, conjointement avec MM. de la chambre des comptes.
Le greffier en chef criminel a été maintenu dans ses fonctions par plusieurs arrêts, entr'autres un du mois de Février 1401, qui jugea que l'arrêt d'un condamné au pilori appartenoit au greffier criminel.
L'arrêt du 13 Mars 1535 ordonne que toutes les procédures criminelles faites de l'ordonnance de la cour ou par lettres royaux, seront mises au greffe criminel pour y être registrées, distribuées, & les procedures y expédiées ; & dans un autre article, il est dit que, où la cour renvoyeroit une instance criminelle en la tournelle, ou en la grand'chambre pardevant les conseillers laïcs pour y être jugées, audit cas lesdits procès criminels incidemment intervenus ès matieres civiles, seront mis & portés au greffe criminel pour y être enregistrés & distribués, & les expéditions qui s'ensuivront y être faites.
Le réglement fait par la cour le 17 Décembre 1568, qui se trouve dans le registre criminel, coté 121. ordonne que le greffier criminel assistera aux délibérations, & fera registre des arrêts & ordonnances qui interviendront sur icelles à l'encontre des bénéficiers de la nouvelle religion & de tous officiers du roi, tant de judicature qu'autres de la nouvelle religion, & contre ceux qui n'ont fourni & envoyé procuration pour résigner leurs états & offices dedans les vingt jours, &c. & seront les informations, professions de foi & toutes autres procédures, pour raison de ce, portées & registrées au greffe criminel de la cour.
Enfin, le réglement du 3 Mars 1635 a expliqué quelles sont les procédures qui doivent être portées au greffe criminel.
Le greffier en chef criminel ne pouvant pas toujours assister aux audiences & séances du parlement, & vaquer en même tems aux enregistremens, aux expéditions & à la signature des arrêts, choisit pour aides deux commis, qui par succession de tems furent admis à tenir la plume en son lieu & place ; ces commis ayant pris, quoiqu'improprement le titre de greffiers, ce fut ce qui donna lieu d'appeller le greffier criminel greffier en chef criminel, de même que le greffier en chef civil, le greffier criminel est ainsi qualifié dans l'arrêt du parlement du 9 Janvier 1640, dont on a déja parlé à l'article du greffier en chef civil & dans l'édit du mois de Mars 1673 portant création de cette charge en titre d'office, formé & héréditaire, & dans plusieurs autres édits & déclarations.
Dans l'origine, il choisissoit lui-même ses commis ; en 1577 le roi érigea en charge tous les commis de greffe, mais cela ne fut pas exécuté alors pour ceux du parlement.
Sa place, qui jusqu'alors étoit domaniale, fut créée en titre d'office formé & héréditaire par édit du mois de Mars 1673, ainsi que deux principaux commis pour servir à la chambre du conseil, & aux audiences de la tournelle & du petit criminel ; ils prennent le titre de greffiers criminels & des dépôts du grand criminel.
La déclaration du 10 Mai 1675 lui donne le titre de conseiller du roi, greffier en chef du parlement, garde & dépositaire des minutes & autres expéditions du greffe criminel.
Le roi a aussi créé par le même édit en titre d'office héréditaire, un greffier garde-sacs pour le criminel, & un greffier des présentations, & par un autre édit du mois de Décembre 1674 quatre greffiers commis au greffe criminel pour mettre les arrêts en peaux du criminel.
Le greffier en chef reçoit le serment de ses commis en peau ; le parlement les lui renvoie pour cet effet.
Quant aux autres droits & privileges du greffier en chef criminel, l'ordonnance du roi Jean du 7 Avril 1361 dit que les trois greffiers du parlement (dont il est le second) seront payés de leurs gages & de leurs manteaux sur les fonds assignés pour les gages du parlement, lesquels se prenoient alors sur les amendes ; on voit par-là que le greffier criminel avoit droit de manteau, comme les autres membres du parlement.
Il signe en commandement comme les secrétaires du roi & de la cour, tous les arrêts rendus en matiere criminelle, tant en la grand'chambre qu'en la tournelle, aux enquêtes & aux chambres assemblées, ce qui est fondé sur ce que les deux greffiers civil & criminel ont été dans leur origine tirés du corps des notaires ou secrétaires du roi ; c'est pourquoi l'édit d'Octobre 1727 concernant les charges de secrétaires du roi du grand collége, article 11. excepte les greffiers en chef du parlement, de l'obligation d'être secrétaires du roi pour signer les arrêts en commandement.
Dans les cérémonies, il porte la robe rouge comme le greffier en chef civil ; l'édit du mois de Mars 1673 portant création en titre d'office héréditaire de trois greffiers en chef pour le parlement de Paris, dit qu'ils porteront la robe rouge & l'épitoge, deux pour le civil, & un pour le criminel ; ces droits sont énoncés dans leurs provisions, il jouït aussi de tous les mêmes privileges que les autres membres du parlement, tels que la noblesse transmissible au premier degré ; le droit d'indult, le committimus au grand sceau, le droit d'être jugé en matiere criminelle par le parlement, les chambres assemblées.
Il est garde & dépositaire des registres & minutes, autres actes du greffe criminel dont on parlera.
Greffe criminel. Ce depôt contient trois sortes de pieces, savoir des registres, des minutes & les originaux de toutes les lettres de rémission, pardon, abolition, rappel de ban, de galeres, &c.
La plupart des anciens registres criminels sont intitulés registrum manuale causarum criminalium. Le plus ancien commence en 1312, desorte que ces registres remontent plus haut que les registres civils, lesquels ne commencent qu'en 1319. C'est par ce premier registre criminel que l'on peut fixer l'époque certaine du tems où le parlement a été rendu ordinaire. C'est en effet le premier registre qui soit suivi ; car les olim, qui sont les plus anciens registres civils, ne sont proprement qu'une collection de différentes ordonnances, réglemens, arrêts & autres pieces curieuses tirées de divers endroits, au lieu que le premier registre criminel contient des arrêts de tous les mois de l'année : ces registres contiennent les arrêts rendus dans les causes de sang, ou affaires criminelles. Le premier arrêt que l'on y trouve est celui qui ordonna la saisie du temporel de l'évêque de Xaintes, pour l'obliger de relever un interdit.
Ils contiennent aussi les ordonnances rendues en matieres criminelles jusqu'en 1540, notamment celle pour le supplice de la roue.
On trouve même aussi dans ces registres, jusque dans le milieu du xvj. siecle, des ordonnances & des arrêts rendus en matiere civile & de police, comme pour faire arroser les ponts & les rues adjacentes en été, pour la conduite des chartiers & voituriers dans Paris, pour l'entretien du pavé, pour la conservation de la foi catholique, pour la défense des assemblées & des livres hérétiques, des réglemens généraux pour la librairie & imprimerie, pour les marchands du palais, les pages, les clercs, les écoliers, les laquais, pour le port d'armes, & sur beaucoup d'autres matieres : ce qui provient de ce que le greffier criminel tenoit alors la plume dans toutes les affaires où il s'agissoit de réglemens qui prononçoient quelque peine contre les contrevenans.
Ces registres sont tous écrits en parchemin ; ils se suivent sans interruption jusqu'en 1571, qu'ils manquent jusqu'en 1594, où ils recommencent jusqu'en Mai 1599. Ils se continuent sans interruption jusqu'aux dernieres années où l'on en est actuellement ; chaque année remplit ordinairement cinq registres.
On ne peut douter que l'on n'ait enlevé les registres qui manquent depuis 1571 ; mais les minutes sur lesquelles ils ont été faits existent encore, ce qui rend la perte facile à réparer. On connoit à Paris 3 copies de ces registres, dont une à la bibliothéque de S. Victor, une dans celle de feu M. le chancelier Daguesseau, à-présent possédée par M. Daguesseau conseiller d'état, son fils aîné ; l'autre a été léguée à la bibliotheque des avocats au parlement de Paris, par feu Mr. Prevot, avocat. Voyez les lett. hist. sur le parlement, t. II. p. 44.
Les minutes du greffe criminel commencent en 1528. Elles remontent par conséquent plus haut que les minutes du greffe civil ; elles se suivent sans interruption.
Outre les registres & les minutes, on conserve dans ce greffe des liasses de toutes les lettres de rémission, pardon, abolition, rappel de ban & de galeres, & autres semblables ; elles sont rangées par année.
Le dépôt du greffe criminel étoit ci-devant dans des greniers, au-dessus du greffe criminel en chef ; mais ce lieu étant trop resserré, & d'ailleurs peu convenable, trop petit, & que tout y étoit fort mal en ordre, M. Richard, à-présent greffier en chef criminel, ayant obtenu une grande piece dépendante des nouveaux bâtimens qui ont été établis dans la grande galerie des prisonniers, au-dessus des cabinets que l'on a construits pour messieurs, il y a fait transporter en 1748, tous les registres, minutes, & autres pieces du greffe criminel, & on lui est redevable du bon ordre dans lequel ce greffe se trouve présentement par ses soins.
Greffier des présentations, est celui qui est établi pour recevoir les cédules de présentation que les procureurs sont obligés de mettre en son greffe, contenant la comparution qu'ils font en justice pour leurs parties.
Son institution paroît aussi ancienne que celle des greffiers civil & criminel : on l'appelloit comme eux registreur ou registrateur ; on le qualifia ensuite de député aux présentations, enfin de notaire & greffier des présentations.
Si l'une des parties ne compare, ou ne se présente par son procureur, l'autre peut lever au greffe un défaut faute de comparoir : l'expédition de ces défauts appartient au greffier des précautions.
Il recevoit aussi autrefois les présentations au criminel ; mais l'on a depuis établi un autre greffier particulier pour les présentations au criminel.
C'est lui qui fait les rôles ordinaires des causes qui se plaident en l'audience de la grand'chambre : autrefois un de ses commis assistoit en la grand'chambre, en robe noire & en bonnet, pour retirer les rôles qui n'étoient point achevés ; mais présentement cela ne s'observe plus.
Ses privileges sont semblables à ceux du greffier en chef civil & criminel. Voyez Joli, t. I. tit. x. & aux additions.
Notaires secrétaires du roi près la cour de parlement. Dès que le parlement fut rendu sédentaire à Paris, le chancelier envoyoit des notaires ou secrétaires du roi pour faire les expéditions ; ils étoient au nombre de quatre dès 1372, & tous clercs.
Leur principale fonction étoit de faire des collations de pieces ; ils faisoient aussi les extraits des procès, quand les conseillers n'avoient pas le tems.
Présentement leur fonction est de signer les arrêts, en l'absence du greffier en chef.
Ils peuvent aussi faire des collations de pieces comme les autres secrétaires du roi.
Ce sont eux qui reçoivent les inventaires des princes du sang.
Ils sont du corps de la cour, & participent aux mêmes privileges.
Ils portent la robe rouge aux assemblées de chambre & autres cérémonies.
Leur place, en la grand'chambre, est sur le banc qui est au-dessus des présidens.
Premier huissier, il est appellé en latin par du Luc princeps apparitor. Philippe le bel, en 1344, l'appelle l'huissier qui appelle les présentations ; Louis XI. en 1468, l'appelle l'huissier du rôle, ou qui appelle le rôle, parce qu'en effet c'est lui qui appelle les rôles qui étoient faits autrefois par le greffier des présentations.
Il a le titre de maître & la qualité d'écuyer, & jouit de la noblesse transmissible au premier degré, qui a été attribuée à sa charge, par une déclaration du 2 Janvier 1691.
Aux assemblées des chambres, lits de justice & autres cérémonies, il porte la robe rouge.
Il porte aussi dans ces mêmes occasions, & à toutes les grandes audiences de la grand'chambre, un bonnet de drap d'or, rebrossé d'hermine, & au-dessus, à la rose du bonnet, une rose de perles.
Sa place dans le parquet de la grand'chambre, & dans celui de la tournelle, est à côté du greffier en chef.
Il a le droit d'être couvert à l'audience, même en appellant les causes du rôle ; mais quand il entre en la cour, ou qu'il parle aux présidens, il doit ôter son bonnet, ainsi qu'il fut jugé par un arrêt du 18 Janvier 1452, cité par du Luc & Papon.
Un des droits de sa charge est de placer à son choix, la quatrieme cause au rôle de Paris.
C'est lui qui publie tous les rôles à la barre de la cour ; il les expose ensuite au public, à son banc qui est dans la grand'salle, à côté du parquet des huissiers.
C'est lui qui appelle les causes du rôle à l'audience.
Lorsque l'une des parties ne se présente pas, & que l'autre demande défaut à tour de rôle, le premier huissier va à la porte de la grand'chambre appeller la partie défaillante & son procureur, & fait ensuite rapport à la barre de la cour de l'appel qu'il vient de faire.
Il appelloit autrefois les pairs défaillans à la pierre de marbre ; & l'on voit dans l'histoire de Charles VIII. par Jaligny, qu'en 1487 le prevôt de Paris, qui servoit de premier huissier, accompagné d'un conseiller de la cour & du premier huissier, y appella les seigneurs du sang & pairs de France, & qu'enfin fut donné défaut contre eux.
Lors de l'arrêt qui fut donné en 1524, contre le connétable de Bourbon, maître Jean de Surie, premier huissier de la cour, appella le connétable à la barre du parlement, & à la table du perron de marbre, en présence de deux conseillers.
L'ordonnance de Charles VII. de l'an 1446, dit, article xxij. qu'au premier huissier de la cour appartient appeller les parties pour être expédiées ; qu'il jurera expressément de les appeller selon l'ordre du rôle, sans préposer ou postposer autrement une partie à l'autre, par faveur, haine, requête, ni pour commandement qui leur en soit fait par qui que ce soit, ni pour quelque profit qu'ils en puissent espérer.
Il est tenu de rayer les causes expédiées sur le rôle.
Un arrêt du 3 Août 1550, lui défend de souffrir qu'il soit fait aucune addition aux rôles ; il y a cependant eu un tems que l'on donnoit des ordonnances de soit ajouté au rôle ; mais cet usage a cessé.
Pendant l'audience il reçoit les ordres de la cour, soit pour faire faire silence, soit pour faire placer quelqu'un, ou pour quelqu'autre arrangement ; c'est lui qui transmet ces ordres aux autres huissiers, auxquels il ordonne tout haut de faire faire silence.
Lorsqu'un pair prête serment en la grand'chambre, c'est le premier huissier qui lui ôte son épée, & qui la lui remet après la prestation de serment.
Quand la cour marche en corps, le premier huissier marche à la tête de la compagnie après tout le corps des huissiers.
C'est lui qui fait l'ouverture de la foire du Landi à Saint-Denis, le 11 Juin de chaque année.
Les religieux de Saint-Martin des Champs sont obligés de lui donner tous les ans à la rentrée une écritoire & des gants, suivant la fondation de Philippe de Morvilliers, martiniana.
Il jouit de tous les privileges de la cour, notamment du droit d'indult.
Avocats généraux. On ne donnoit anciennement ce titre qu'aux avocats qui se chargeoient des causes des particuliers : on les appelloit généraux pour les distinguer des avocats du roi, qui ne plaidoient que les causes qui intéressoient le roi ou le public ; ces derniers étoient appellés avocats du roi simplement, quoique le procureur du roi au parlement fût dès-lors qualifié de procureur général.
Ils ont été établis à l'instar de ce qui se pratiquoit chez les Romains, où les empereurs avoient un avocat pour eux appellé patronus fisci, dont il est fait mention en la loi 2, au code si adversus fiscum.
Ils partagent aussi avec le procureur général la fonction que faisoient à Rome les censeurs.
Les registres du parlement nous indiquent que dès l'an 1300 Jean de Vassoigne étoit avocat du roi au parlement, & que dans la même année Jean Dubois exerçoit cette fonction.
On trouve au nombre de leurs successeurs le célebre Pierre de Cugnieres, qui introduisit l'usage des appels comme d'abus ; Pierre de la Forest, qui fut depuis chancelier de France.
On donnoit déjà des provisions de cet office dès l'an 1331 ; il y en a au premier registre du dépôt, fol. 201, pour Gérard de Montaigu : les lettres du roi le nomment advocatum nostrum pro nobis & nostris causis civilibus in parlamento nostro praesenti, caeterisque parlamentis futuris.
On voit par-là que la fonction d'avocat du roi étoit dès-lors permanente, & qu'il y avoit deux avocats du roi, l'un clerc, pour les causes civiles, l'autre laïc, pour les causes de sang ou criminelles.
On trouve encore au troisieme registre de dépôt, fol. 82, d'autres provisions d'avocat du roi en 1347, en faveur de Robert le Cocq, au lieu de Pierre de la Forest, & plusieurs autres grands personnages.
L'ordonnance de Philippe de Valois, du 11 Mars 1344, est la premiere qui fasse mention des avocats & procureurs du roi au parlement, auxquels elle ne donne point d'autre titre que celui d'advocati & procuratores regii. Elle nous apprend en même tems que la place des avocats & procureurs du roi étoit alors sur le premier banc appellé depuis banc des baillis & sénéchaux. En effet, il est dit que les jeunes avocats ne doivent point s'asseoir sur le premier banc où les avocats & procureurs du roi, les baillis, sénéchaux & autres personnes qualifiées ont coutume de s'asseoir.
Dans des lettres du roi Jean, du 12 Janvier 1352, il est fait mention de son procureur général & de ses avocats au parlement. Procurator noster generalis, atque advocati nostri dicti parlamenti.
Ainsi, quoique le procureur du roi au parlement prît dès-lors le titre de procureur général, ses avocats avoient simplement le titre d'avocats du roi.
Dans d'autres lettres de Charles V. alors régent du royaume, du mois de Septembre 1358, on voit qu'une information ayant été faite par ordre du roi par le prevôt de Paris, sur une grace demandée par les Couturiers ou Tailleurs, elle fut envoyée au conseil & aux requêtes de l'hôtel, & ensuite communiquée aux procureur & avocat du roi en parlement.
Plusieurs auteurs rapportent de Guillaume de Dormans qu'il avoit été long-tems avocat général au parlement avant d'être avocat du roi. Il est certain en effet qu'il avoit d'abord été avocat pour les parties ; néanmoins dans des lettres du 20 Février 1369, données par Charles V. en qualité de régent du royaume, il le qualifie advocato generali dicti genitoris nostri & nostro. Il nomme ensuite deux autres avocats, auxquels il donne simplement cette qualité, in parlamento parisiensi advocatis. Les avocats du roi ne prenoient pourtant pas encore le titre d'avocat général ; ainsi pour concilier cette contradiction apparente, il faut entendre ce qui est dit de Guillaume de Dormans, qu'il est tout-à-la-fois avocat général, c'est-à-dire des parties, avocat du roi & du dauphin, comme cela étoit alors compatible ; & en effet, par d'autres lettres du même prince, ce même Guillaume de Dormans, & les deux autres avocats dont il est fait mention dans les lettres dont on vient de parler, ne sont tous qualifiés qu'avocats en parlement.
Ce que l'on vient de dire est confirmé par d'autres lettres du même prince, du 28 Mai 1359, dans lesquelles il qualifie feu Me Regnaud Daci, vivant général avocat en parlement, & aussi spécial de monsieur (le roi) & de nous.
Le procureur général du roi s'étant opposé à certaines lettres, Charles V. adressa le 19 Juillet 1367, aux avocat & procureur général de son parlement, une lettre close ou de cachet, par laquelle il leur enjoint de ne point s'opposer à ses lettres ; l'adresse de cette lettre de cachet est en ces termes : A nos bien amés nos advocat & procureur général en notre parlement à Paris. Le titre de général ne tombe encore, comme on voit, que sur son procureur.
Il s'exprime à-peu-près de même dans des lettres du 12 Décembre 1372 : Défendons à notre procureur général & avocat en parlement, &c.
Dans d'autres lettres du 16 Juillet 1378, Me Guillaume de Saint-Germain est qualifié procureur général du roi notre sire, & Me Guillaume de Sens avocat du roi audit parlement.
Les avocats généraux ont été institués non-seulement pour porter la parole pour le procureur général, mais aussi pour donner conseil au procureur général sur les diverses affaires qui se présentent ; c'est pourquoi ils ont le titre de conseillers du roi. On leur donnoit ce titre dès le commencement du xjv. siecle, ainsi qu'on le voit dans le quatrieme registre après les olim, où le roi dit, procuratore nostro advocatisque consiliariis nostris in parlamento super praemissis.... diligenter auditis.
Il paroît que dès leur premiere origine il y en a toujours eu deux ; & que comme les autres officiers de la cour étoient moitié clercs & moitié laïcs, de même aussi l'un des avocats du roi étoit clerc & l'autre laïc.
On trouve en effet dans les registres du parlement, que le 18 Février 1411 le parlement fut mandé par députés au conseil privé qui se tenoit à l'hôtel S. Paul, & que là en présence du roi Charles VI. Me. Jean Duperrier, chanoine de Chartres, un des avocats du roi, proposa contre le cardinal de Pise, à l'occasion de certaines lettres closes que ce cardinal avoit envoyées à Rome au deshonneur & dommage du roi.
Il y en a encore un exemple sur le registre du 23 Novembre 1476. Le roi de Portugal ayant été reçu à Paris, le roi Louis XI. voulut qu'il allât au parlement à l'audience en laquelle François Halle, archidiacre de Paris, avocat du roi, & Pierre de Brabant, avocat en la cour, & curé de Saint Eustache de Paris plaiderent une cause en régale. La chronique dit qu'il faisoit moult bel les ouir.
Outre les deux avocats ordinaires du roi, il y en avoit quelquefois un troisieme : c'est ainsi qu'en 1428 Jean Rabateau ou Rabatelli fut reçu avocat criminel. On pourroit peut-être croire que l'on donnoit ce titre à celui qui étoit lai, parce que son collegue étant clerc, ne pouvoit se mêler des affaires où il échéoit peine emportant effusion de sang ; mais ce qui détruit cette conjecture, c'est que ce même Jean de Rabateau étoit déjà avocat du roi dès 1421 ; desorte qu'en 1428 on ne fit que le commettre spécialement pour les affaires criminelles.
Quelquefois, en attendant qu'il y eût une des deux places d'avocat du roi vacantes, on en commettoit un troisieme, auquel on donnoit le titre d'avocat du roi extraordinaire, tel que fut Philippe Lhuillier, nommé en 1471. L'office dont il étoit pourvu ne fut pourtant supprimé que le 6 Avril 1491. Tel fut encore celui que le roi créa en faveur de Jean Olivier (depuis premier président), lequel au commencement du xvj. siecle fut avocat du roi extraordinaire jusqu'à la mort de Guillaume Volant, qu'il devint ordinaire.
Quelques-uns furent commis pour exercer cette fonction pendant l'absence des titulaires ; c'est ainsi que pendant les troubles de la ligue Pierre de Beauvais, Félix le Vayer, Jean le Maistre & Louis d'Orléans, furent commis en Janvier 1589, pour les affaires du parlement, en place de ceux qui se retirerent.
De même aussi Hugues le Maistre fut nommé en 1589 par le roi, pour exercer à Châlons, où il y avoit une portion du parlement.
Antoine Loisel fut aussi nommé pour exercer cette fonction, lors de la réduction de Paris en 1594.
Mais toutes ces commissions données à un troisieme avocat du roi au parlement, étoient des graces personnelles, & cessoient à la mort des officiers auxquels elles avoient été accordées.
Quelques uns tiennent qu'Antoine Seguier, reçu avocat du roi en 1587, fut le premier auquel le titre d'avocat général fut donné ; cependant Henrys, tom. I. p. 147, dit que ce fut Gabriel de Marillac qui le premier prit ce titre aux grands jours de Moulins, parce qu'il y faisoit aussi la fonction de procureur général. Je trouve même que cette qualité d'avocat général est donnée à Pierre Lizet dans des lettres du 30 Juillet 1556, qui lui permettent de consulter pour les parties dans les affaires où le roi n'aura pas d'intérêt.
Ce qui est de certain, c'est que depuis Antoine Seguier tous les avocats du roi au parlement ont été qualifiés d'avocats généraux ; néanmoins dans le style des arrêts ils ne sont jamais qualifiés qu'avocats dudit seigneur roi.
Les deux premieres places d'avocat général n'ont point été créées en titre d'office ; elles sont presque aussi anciennes que le parlement ; la troisieme fut créée en 1690, pour M. Henry François d'Aguesseau, qui fut depuis procureur général, & ensuite chancelier de France.
Chaque avocat général à sa réception reçoit du corps de ville un compliment, & le présent d'une belle écritoire d'argent.
Le premier avocat général précede le procureur général, comme portant la parole pour lui ; les deux autres marchent après lui.
La place des avocats généraux aux grandes audiences, étoit autrefois sur le banc des baillis & sénéchaux ; ce ne fut que le 9 Février 1589, qu'ils commencerent à se placer sur le banc des secrétaires de la cour, par rapport au président de Verdun, qui tarde audiebat.
Leur place aux petites audiences est derriere le premier banc ou premier barreau.
Ils sont à la tête du barreau, comme étant les premiers dans l'ordre des avocats ; c'est pourquoi ils passent aussi les premiers au serment. M. Talon portant la parole à la grand'chambre le 27 Janvier 1657, disoit que le plus grand avantage des charges qu'ils ont l'honneur d'occuper, c'est celui d'être les premiers dans l'ordre des avocats, d'être à la tête d'un corps si illustre, duquel ils estiment à honneur de faire partie : d'où il conclud qu'ils étoient obligés d'en maintenir les avantages.
Pour ce qui est des fonctions des avocats généraux, ils en ont plusieurs qui leur sont propres, d'autres qui leur sont communes avec le procureur général, & qui appartiennent aux gens du roi collectivement ou concurremment.
En général on peut distinguer deux fonctions qui font tout le partage du ministere public, celle de prendre des conclusions à raison de l'ordre public dans les affaires des particuliers, & celle de plaider pour le roi contre les particuliers dans les affaires du domaine & des droits de la couronne.
Quant au détail de ces fonctions, ou elles sont intérieures & s'exercent dans le conseil particulier du parquet, ou elles sont extérieures, & sont relatives au roi, au parlement, au public, aux parties, au barreau.
Dans l'intérieur du parquet les avocats généraux sont le conseil du procureur général pour donner les conclusions qui sont de son ministere dans les affaires importantes, ils forment avec lui le conseil du gouvernement sur les projets des actes de législation qui doivent être adressés au parlement, tels que les projets de lois, d'édits & déclarations concernant les impositions, & généralement toutes les opérations de justice, police ou finance.
On a coûtume de leur adresser ce projet pour avoir leur avis qu'ils donnent, & déliberent en commun & de concert avec le premier président à qui on adresse toujours en même tems copie des mêmes projets.
Ils forment de même en commun & d'ordinaire avec le même magistrat les projets de réglemens & de réformations qu'ils estiment nécessaires de présenter au roi pour être revétus de son autorité, ou au parlement, pour être mis en forme de réglement concernant la discipline du parlement même, ou celle des siéges inférieurs ou le bien de la police, la poursuite des crimes, & généralement tout ce qui s'introduit au parlement par requête du procureur général.
Dans ce même conseil intérieur du parquet ils sont par la même voie de la communication des ministres ou des parties intéressées, les censeurs & les contradicteurs des privileges & concessions qui s'accordent aux corps ou aux particuliers, pour empêcher qu'il ne s'y glisse rien de contraire aux maximes du royaume, aux ordonnances, aux droits de la couronne, à l'ordre public, à celui des jurisdictions, & aux droits du parlement.
Les fonctions extérieures des gens du roi ont plusieurs branches, comme on vient de l'annoncer.
Relativement au roi, c'est d'aller exécuter auprès de sa majesté les commissions du parlement, demander le jour, le lieu & l'heure, pour les députations, lui expliquer les demandes ou représentations dont la compagnie les charge quelquefois, recevoir de la bouche du roi les réponses à ces demandes, & les ordres verbaux qu'il juge à propos de faire passer à son parlement, qui ne reconnoît aucun autre canal que celui des gens du roi pour recevoir des ordres du roi.
Pour raison de ces fonctions ils ont toujours accès près du roi, en avertissant M. le chancelier lorsqu'il y est, mais sans autre canal que celui du premier gentilhomme de la chambre, ou en son absence, du premier valet-de-chambre ; quant aux ordres par écrit du roi au parlement, ils les reçoivent de M. le chancelier ou des ministres qui les ont expédiés & en sont aussi les seuls porteurs auprès de la compagnie.
Relativement au parlement, leurs fonctions sont de lui rapporter les ordres du roi verbaux ou écrits, d'être chargés par la compagnie des messages & commissions dont on vient de parler, auprès du roi, d'entrer avec le procureur général toutes les fois qu'il y entre, de prendre la parole sur lui pour annoncer ou expliquer les requisitions, requêtes, conclusions, ou ordres du roi qu'il apporte ; de faire la même chose en l'absence du procureur général, en se faisant accompagner par un substitut qui tient à la main les conclusions par écrit, s'il y en a ; de faire la mercuriale alternativement avec le procureur général, droit néanmoins qui n'appartient qu'à l'ancien avocat général ; d'introduire en la cour les maîtres des cérémonies lorsqu'ils viennent l'inviter de la part du roi aux te Deum ou pompes funèbres, ou tous autres gentilshommes envoyés par le roi, ceux qui le sont par les princes ; les officiers de police lorsqu'ils viennent rendre compte avant le carême de l'état de la police & de celui des provisions ; ceux de la ville dans la même occasion & lorsqu'ils présentent chaque année les nouveaux consuls au serment, les mêmes officiers & tous autres lorsqu'ils demandent à être entendus en la cour ou qu'ils sont mandés par elle ; le bâtonnier & anciens avocats lorsqu'il y a lieu de les entendre sur quelque fait qui concerne l'ordre des avocats ; les procureurs de communauté dans des cas semblables, & généralement toute personne qui auroit à parler à la cour ou à recevoir des ordres d'elle. Et toutes les fois que les gens du roi introduisent ainsi quelqu'un auprès d'elle pour quelque cause que ce soit, ils y demeurent pour entendre ce qu'il dit ou ce que la cour lui dit, y prennent séance & prennent les conclusions s'il y a lieu, ou sur le champ, ou après avoir demandé à se retirer au parquet pour en conférer ou pour les rédiger par écrit, en cas que cette forme leur paroisse plus convenable.
Enfin les avocats généraux suivent le parlement dans les marches & cérémonies publiques, mais à quelque distance des derniers conseillers & avec un huissier en particulier ; ils l'accompagnent aussi aux députations, & en se retirant après tous les députés, ils s'approchent du roi tous ensemble pour le saluer en leur particulier ; lorsque la députation est venue pour complimenter le roi, ils font alors un compliment particulier au roi, à la reine, & à chacun de ceux à qui les députés ont adressé celui de la compagnie ; l'usage de ce compliment particulier a commencé sous Louis XIV. auparavant ils disoient seulement en s'approchant du roi, sire, ce sont vos gens ; mais aujourd'hui cet usage est établi, & les gens du roi de toutes les compagnies font pareils complimens à la suite de leurs députés.
Relativement au public, la fonction des avocats généraux est d'assister tous à l'audience des grands rôles & de porter la parole dans toutes les causes qui y sont plaidées, sur quoi depuis long-tems on ne fait plus de distinction des causes sujettes à communication & de celles qui ne le sont pas : c'est une maxime au palais que l'on n'interrompt point le roi quand il parle, c'est-à-dire qu'on n'interrompt point ses gens lorsqu'ils portent la parole.
Les gens du roi sont aussi dans l'usage que lorsqu'un d'entr'eux porte la parole, soit dans une cause ou autre occasion, les autres se tiennent debout s'il est plus ancien qu'eux, & s'il est moins ancien ils se tiennent assis.
Aux grandes audiences les avocats généraux parlent un genou appuyé sur le banc où ils siégent.
C'est aussi une de leurs fonctions relativement au public d'assister par un d'entr'eux le vendredi matin à la grand-chambre, le mercredi & samedi à la grand-chambre & à la tournelle, & plaider de même toutes les causes à toutes ces audiences, d'assister par un d'entr'eux aux audiences de relevée pour requerir la communication des causes & y porter la parole lorsqu'elles sont de leur ministere, d'assister même aux audiences de sept heures en la grand-chambre lorsqu'ils sont avertis de s'y trouver pour des causes sujettes à communication, & à celles des chambres des enquêtes dans les mêmes cas, de tenir le parquet les matins après l'audience de la grand'chambre pour recevoir la communication des causes à plaider ; ils recevoient autrefois ces communications en se promenant dans la grand-salle ; mais depuis qu'on leur a fait construire un parquet, ils y reçoivent les communications.
Les avocats généraux y jugent aussi tous ensemble les conflits entre les chambres du parlement, ou chacun séparément & par forme d'avis, suivant l'ordonnance, les appels d'incompétence & de déni, de renvoi, les nullités de procédures, les affaires renvoyées par un arrêt au parquet.
Enfin ils y reglent les conflits entre le parlement & la cour des aides conjointement avec les gens du roi de cette cour, lesquels à jour convenu se rendent au parquet du parlement, y prennent séance sur le même banc après eux, entendent ensemble avec eux le rapport qui se fait du conflit par un substitut de celle des deux cours où le conflit s'est formé, jugent cependant comme à l'audience en opinant tout haut, les portes ouvertes, à la pluralité des voix des officiers des deux parquets réunis.
Relativement aux particuliers, les avocats généraux ont la fonction de requerir & de prendre communication de toutes leurs affaires sur les grands rôles, & de toutes celles sur les autres rôles où l'église, les communautés d'habitans, les corps laïcs ou ecclésiastiques, les mineurs non pourvûs de tuteurs, le roi ou l'ordre public peuvent avoir intérêt, du-moins au fond ; de requerir dans les causes communiquées ou non à l'encontre de tous particuliers, soit qu'ils soient ou ne soient pas parties dans la cause, sur le champ à l'audience, tout ce qui peut être du bien public, même leur decret ou emprisonnement s'il y a délit, amendes, aumônes, injonctions, défenses, ou autres peines & dispositions, rendre plainte & introduire demandes, poursuites, inscriptions de faux, réglemens, oppositions à arrêts, appels de sentences, & autres procédures qu'ils estiment de leur ministere.
Enfin par rapport au barreau il est des fonctions des avocats généraux de faire un discours aux avocats tous les ans le jour des ouvertures des audiences, de présider à la rédaction des comptes & à l'entretien de leur bibliotheque, de veiller à la discipline & à l'ordre du barreau dans tous les siéges du ressort du parlement, & de regler les contestations qui y surviennent, lorsque les parties s'adressent, comme elles font pour l'ordinaire en pareil cas, aux gens du roi du parlement.
Une fonction relative, en quelque sorte, au même objet, c'est la discipline & l'ordre des facultés de Droit des universités du ressort, qui sont Paris, Rheims, Orléans, Bourges, Angers & Poitiers, objet que les ordonnances ont remis spécialement au premier avocat général ; ces facultés sont obligées de lui envoyer tous les trois mois le double du registre de leurs inscriptions & les lieutenans généraux des siéges, le procès-verbal de leurs descentes aux écoles du Droit, pour constater les noms & la résidence des étudians sur ces registres & procès-verbaux.
Le premier avocat général vérifie le tems d'étude des licentiés qui viennent se présenter pour être avocats ; il leur en délivre son certificat, s'ils le réquierent, pour se faire recevoir en un autre parlement ; ou s'ils veulent être reçus au parlement de Paris, ils se font présenter à l'audience par un ancien avocat un jour de grand rôle, & le premier avocat général se leve & atteste que le licentié qui se présente a satisfait aux ordonnances, qu'ainsi il n'empêche qu'il plaise à la cour le recevoir au serment d'avocat, & il signe au dos des lettres de licence un vû qui contient le détail des inscriptions, interstices, actes & tems d'étude de Droit françois.
Outre toutes ces fonctions il y a plusieurs objets sur lesquels les gens du roi ont un droit, inspection ou autorité spéciale en vertu de titres particuliers, comme la bibliotheque de saint Victor, celle de l'école de Médecine, le collége Mazarin ; ils ont part aussi, avec les trois premiers présidens du parlement, de la chambre des comptes & de la cour des aides, à la fondation des ducs de Nevers pour marier des filles des terres qui appartenoient à la maison de Gonzague, & trois des gens du roi assistent tous les ans, le jour de la S. Louis, au compte qui se rend de l'exécution de cette fondation aux grands Augustins, & y reçoivent chacun cinquante jettons d'argent, & quelques livres de bougie ; le quatrieme n'y assiste pas, parce que la troisieme charge d'avocat général n'a été créée que depuis la fondation.
Les avocats généraux du parlement de Paris ont encore d'autres prérogatives, telles que le titre & les appointemens de conseillers d'état ; ils jouissoient même autrefois de la séance au conseil, & Denis Talon, lorsqu'il quitta sa charge & fut sait conseiller d'état, prit séance au conseil du jour de sa réception d'avocat général ; cependant cela ne se pratique plus, Mrs d'Aguesseau & Gilbert s'étant mis à la queue du conseil.
Cependant les avocats généraux prétendent, à raison de ce titre de conseiller d'état, avoir hors de leurs fonctions, rang de conseillers d'honneur, & passer avant tous conseillers au parlement, & maîtres des requêtes, hors les marches & séances de la compagnie, ce qui fait qu'ils ne se trouvent ni au repas de la saint Martin chez le premier président, ni aux processions & cérémonies de leurs paroisses, ou autres où il y auroit des conseillers au parlement, maîtres des requêtes, ou même des conseillers d'état.
Lorsqu'ils sont dans leur hôtel ou qu'ils vont ailleurs qu'au palais ou en cour, ils sont toujours en simare, comme le chancelier & le premier président.
Procureur général du roi au parlement. En parlant des avocats généraux, nous avons déjà touché quelque chose de certaines fonctions & prérogatives qui sont communes au procureur général ; c'est pourquoi l'on n'ajoutera ici que ce qui lui est de propre.
L'office de ce magistrat a été établi à l'instar du procureur des empereurs romains, appellé procurator Caesaris, qui étoit chargé de veiller aux intérêts du prince & à ceux du public.
Dans les premiers tems de la monarchie, c'étoit quelqu'un des grands du royaume, qui étoit commis pour faire cette fonction quand l'occasion s'en présentoit.
C'est ainsi que, suivant Gregoire de Tours sous Childebert, un évêque étant accusé d'un crime d'état, on convoqua un parlement auquel assisterent tous les évêques, le roi y présidoit, un ancien duc y faisoit la fonction de promoteur ou accusateur, ce qui revient à la fonction de procureur général.
Il est souvent parlé dans les olim de gentes regis.... gentibus domini regis multa proponentibus, mais on n'entendoit pas toujours par-là un procureur & des avocats du roi qui fussent attachés au parlement. Lorsqu'il étoit question de s'opposer ou de plaider pour le roi, c'étoit le plus souvent le prevôt de Paris où les baillifs royaux qui portoient la parole, chacun dans les affaires de son territoire où le roi se trouvoit intéressé ; on en trouve la preuve dans des arrêts de 1252, 1270, 1282 & 1295, où il est dit : senescallo nostro nobis hoc negante ballivo nostro ex unâ parte.
Dans le second registre olim, fol. 40. sous la date de 1277, il est fait mention du procureur du roi : quin procurator domini regis in causâ quam dominus rex habet contrà decanum & capitulum montis Falconis ; mais rien ne dénote que ce procureur du roi fût attaché au parlement, & il y a tout lieu de croire que c'étoit le procureur du roi de quelque bailliage ou sénéchaussée ; & en effet, dans un autre arrêt de 1299, on voit que le procureur du roi de Normandie parla pour le roi : audito procuratore nostro Normanniae. Il y avoit donc dès-lors des procureurs du roi dans les bailliages & sénéchaussées, & ces procureurs du roi venoient au parlement pour y défendre, conjointement avec le bailli ou sénéchal du lieu, les droits que le roi avoit dans les affaires de leur territoire. Philippe-le-Long supprima en 1319 les procureurs du roi, mais pour les pays de droit écrit seulement ; & l'usage de faire parler les baillifs ou les procureurs du roi des bailliages au parlement, subsistoit encore en 1345.
Il paroîtra sans doute assez extraordinaire que le roi n'eût pas dès le treizieme siecle des officiers attachés au parlement, chargés singulierement d'y défendre ses droits & intérêts, puisque le roi d'Angleterre y en avoit comme duc de Guienne ; le comte de Flandres en avoit aussi. Un arrêt de 1283 fait mention du procureur du roi de Sicile, procurator regis Siciliae ; mais pour le roi Philippe le Bel, on ne qualifie celui qui parla sinon en ces termes : verùm parte Philippi regis adjiciens pars regis, &c.
Il y a lieu de croire que le roi avoit son procureur au parlement pour les affaires qui ne regardoient pas les bailliages, telles que celles des pairs & des pairies, de baronage, de régale, &c. & que le procureur du roi au parlement employoit aussi son ministere dans les cas auxquels les baillifs ou procureurs du roi des bailliages ne défendoient pas suffisamment le roi.
En 1312, Simon de Bucy étoit procureur général, procuratore nostro, dit le registre ; c'est le même qui fut depuis premier président, & que l'on regarde comme le premier des premiers présidens.
Aux parlemens de 1312, 1313, 1314, 1317, 1318, & en 1333, le procureur du roi est toujours qualifié procurator regis ou procurator noster, lorsque la cour parle au nom du roi.
Mais dans des arrêts de 1325, 1338, 1344, 1352, 1356, 1377, 1386 & 1403, il est qualifié de procureur général ; & dans le quatrieme registre du dépôt, on trouve une commission du 7 Décembre 1338 où il est dit, à procuratore nostro generali in hâc parte : voilà la premiere occasion où les procureurs du roi sont qualifiés de substituts du procureur général.
Il paroît donc certain qu'il y avoit un procureur du roi au parlement, depuis que ses séances eurent été réglées par l'ordonnance de 1302, car il y en avoit un en 1309, en 1311, & en 1332 : on ne sait si ce ne seroit point le procureur du roi au parlement dont parlent les olim sous l'année 1314 ; il y est dit que pour un jugement on convoqua le procureur & garde de la prevôté de Paris, magister Guillelmus, procurator & custos praepositurae, ce qui pourroit naturellement s'appliquer à Guillaume de la Madeleine qui étoit constamment procureur du roi au parlement en 1319 ; & dans cette présupposition, le procureur du roi auroit été dès-lors garde de la prevôté de Paris pendant la vacance, comme il l'est depuis un tems immémorial ; mais comme les prevôts de Paris ne se nommoient eux-mêmes alors que gardes de la prevôté, le terme procurator pourroit bien n'être ici qu'un synonyme de custos.
Ce qui est de certain c'est que l'ordonnance de 1319 annonce qu'il devoit y avoir alors un procureur du roi au parlement, puisque le roi y ordonne qu'il y en ait en son parlement, qui ait cure de faire avancer & délivrer les propres causes-le-roi, & qu'il puisse être de son conseil avec ses avocats. On trouve en effet que dans cette année Guillaume de la Madeleine faisoit la fonction de procureur du roi au parlement ; c'est le premier qui soit connu pour avoir exercé cette fonction, ceux qui lui ont succédé en cette place sont tous connus ; mais la premiere fois qu'il soit fait mention de procureur général, c'est dans l'ordonnance du mois de Décembre 1344 ; où il est parlé de cet officier sans le désigner par son nom, mais seulement par le titre de son office, procuratore nostro generali praesente : titre qui lui fut donné apparemment parce qu'alors il ne fut plus permis aux procureurs du roi des bailliages de parler au parlement pour le roi, ce qui rendit en effet celui du parlement procureur général ; mais dans les registres du parlement, on ne lui donne uniformément ce titre que depuis 1437. Jusque-là il est presque toujours appellé procureur du roi simplement ; l'ordonnance de 1344 & autres monumens de ce tems n'entendent même ordinairement par le terme de procureurs généraux que les procureurs des parties.
Le titre de procureur général peut aussi venir de ce que le procureur du roi au parlement avoit inspection dans toute l'étendue du royaume ; il n'y avoit même point d'autre procureur du roi que lui à la chambre des comptes & à la chambre du trésor ; il y alloit ou y envoyoit ses substituts.
Il n'y a qu'un seul procureur général au parlement de Paris, à la différence du parlement d'Aix où il y en a eu deux, depuis que ce parlement avoit été créé semestre ; mais les deux charges ont été réunies en une en 1579. Il y en a pourtant eu deux au parlement de Paris en certaines occasions, mais c'étoient des graces personnelles & des officiers extraordinaires dont les charges s'évanouissoient après leur mort.
On a vû à Paris, en certaines occasions, des procureurs généraux établis par commission, tels que Guillaume le Tur qui fut commis en 1417, pendant l'absence de Jean Aguenin ; & du tems de la ligue, Jacques de la Guesle qui tenoit l'office de procureur général, ayant suivi le parlement à Tours, Pierre Pithou fut nommé procureur général à Paris lors de la réduction de cette ville ; & dans le même tems, Eustache de Mesgrigny exerçoit aussi cette fonction à Châlons-sur-Marne où il y avoit une partie du parlement.
Plusieurs d'entre les procureurs généraux ont été élevés aux premieres dignités de la robe, tels que Jean Dauvet & Matthieu Meslé qui devinrent premiers présidens, & M. Daguesseau qui devint chancelier de France.
Le procureur général représente la personne du roi au parlement & dans tout le ressort, à l'effet d'agir en son nom ; car le roi ne plaide jamais en personne, mais par son procureur général.
Il ne prête serment qu'à sa réception & non à la rentrée.
Il doit tenir la main à ce que la discipline établie par les ordonnances & réglemens, soit observée : c'est pourquoi il venoit autrefois de grand matin dans le parquet des huissiers où il avoit une place marquée ; l'hiver, lorsqu'il n'étoit pas encore jour, il avoit sa lanterne en main, suivant la simplicité de ces tems, pour observer ceux qui entroient, & piquoit ceux qui arrivoient tard : il est encore resté de cet usage que c'est lui qui fait les mercuriales alternativement avec le premier avocat général.
Il est assis au milieu des avocats généraux, soit par dignité, soit pour être plus à portée de prendre leur conseil.
Lorsqu'ils déliberent entr'eux au parquet de quelque affaire par écrit, & que le nombre des voix est égal, la sienne est prépondérante, ensorte qu'il n'y a point de partage.
Les avocats généraux portent la parole pour lui, c'est-à-dire, à sa décharge ; ils ne sont cependant pas obligés de suivre son avis dans les affaires d'audience ; & ils peuvent prendre des conclusions différentes de celles qu'il a prises.
Il arrive quelquefois qu'il porte lui-même la parole en cas d'absence ou autre empêchement du premier avocat général, & par préférence sur le second & le troisieme, auxquels, à la vérité, il abandonne ordinairement cette fonction à cause de ses grandes occupations.
Comme la parole appartient naturellement aux avocats généraux, la plume appartient au procureur général ; c'est-à-dire, que c'est lui qui fait toutes les réquisitions, demandes, plaintes ou dénonciations, qui se font par écrit au parlement.
C'est lui qui donne des conclusions par écrit dans toutes les affaires de grand criminel, & dans les affaires civiles appointées qui sont sujettes à communication.
Les ordres du roi pour le parlement, les lettres-patentes & closes, lui sont adressés, ainsi que les ordonnances, édits & déclarations. Il peut aussi-tôt entrer en la cour pour les apporter, &, à cet effet, la porte du parquet qui donne dans la grand'chambre doit toujours être ouverte ; il peut en tout tems interrompre le service pour apporter les ordres du roi, sur lesquels, suivant les ordonnances, le parlement doit délibérer toute affaire cessante.
Les ordonnances le chargent spécialement de veiller à ce que les évêques ne s'arrêtent à Paris que pour leurs affaires.
Pour l'aider dans ses fonctions au parlement, on lui a donné des substituts ; il en avoit dès 1302, l'ordonnance de cette année en fait mention, art. 10 ; il les établissoit lui-même, mais ce n'étoit jamais qu'en cas d'absence ; en 1533 & 1541, on les continua après la mort du procureur général. L'ordonnance d'Orléans & celle de Blois enjoint aux gens du roi d'en prendre le moins qu'ils pourront ; celle de Moulins leur défend de rien prendre : les choses furent sur ce pié jusqu'à l'édit du 6 Juin 1586, par lequel ils furent créés en titre d'office ; ils sont présentement au nombre de dix-huit.
Les procureurs du roi des bailliages & sénéchaussées, & autres jurisdictions du ressort, ne sont aussi proprement que ses substituts, & vis-à-vis de lui on ne les qualifie pas autrement ; il leur donne les ordres convenables pour qu'ils aient à faire ce qui est de leur ministere.
Les procureurs généraux ne doivent point avoir de clercs ou secrétaires qui soient procureurs ou solliciteurs de procès ; il ne leur est pas permis de s'absenter sans congé de la cour ; ils doivent faire mettre à exécution les provisions, arrêts & appointemens de la cour ; ils ne doivent former aucune demande en matiere civile, ni accorder leur intervention ou adjonction à personne, qu'ils n'en aient délibéré avec les avocats généraux ; ils doivent faire mettre les causes du roi les premieres au rôle.
En matiere criminelle, dès qu'ils ont vû les charges & informations, ils doivent sans délai donner leurs conclusions après l'arrêt ou jugement d'absolution ; ils doivent nommer à l'accusé le délateur ou le dénonciateur s'ils en sont requis, les ordonnances leur défendent non-seulement de donner des conseils contre le roi, mais même en général de plaider ni consulter pour les parties encore que le roi n'y eût pas d'intérêt ; ils ne peuvent assister au jugement des procès civils ou criminels de leur siege ; ils doivent informer des vie, moeurs & capacité des nouveaux pourvus qui sont reçus au parlement, & être présens à leur réception, tenir la main à la conservation & réunion du domaine du roi, empêcher que les vassaux & sujets ne soient opprimés par leurs seigneurs, qu'aucune levée de deniers ne soit faite sur le peuple sans commission ; ils doivent avoir soin de la nourriture, entretien & prompte expédition des prisonniers, & pour cet effet visiter souvent les prisons.
Mercuriales, sont des assemblées de toutes les chambres du parlement, dans lesquelles le premier avocat général & le procureur font alternativement un discours pour la réformation de la discipline de la compagnie en général, & spécialement pour la censure des défauts dans lesquels quelques magistrats pourroient être tombés.
On entend aussi quelquefois par mercuriales le discours même qui se fait dans ces assemblées.
Ces assemblées & discours ont été appellés mercuriales, parce qu'on les fait le mercredi.
On les appelloit aussi anciennement quinzaines ou après-dînées, parce que dans l'origine il se faisoit tous les quinze jours après-midi une assemblée de députés du parlement, auxquels le procureur général présentoit un cahier de propositions pour la réformation de la discipline ; les députés en conféroient ensemble, & ce qui leur paroissoit mériter attention étoit porté à l'assemblée des chambres.
Ces mercuriales furent ordonnées par Charles VIII. en 1493, & par Louis XII. en 1498.
Comme on trouva que ces assemblées qui se faisoient tous les quinze jours consommoient trop de tems, François I. par son ordonnance de 1539, art. 130, ordonna qu'elles se tiendroient de mois en mois sans y faire faute, & que par icelles seroient pleinement & entierement déduites les fautes des officiers de ses cours, de quelque ordre ou qualité qu'ils fussent, qu'il y seroit incontinent mis ordre par la cour, & que sa majesté en seroit avertie, & que les mercuriales & l'ordre mis sur icelles lui seroient envoyés tous les trois mois, & le procureur général fut chargé d'en faire la diligence.
Henri II. ordonna aussi en 1551 que les gens du roi seroient tenus de requérir contre ceux de la compagnie qui auroient fait quelque chose d'indigne de leur ministere.
L'ordonnance de Moulins diminua encore le nombre de ces assemblées ; il fut ordonné par l'article 3, que pour obvier & pourvoir à toutes contraventions aux ordonnances, les mercuriales seroient tenues aux cours de parlement de trois mois en trois mois ; il fut enjoint aux avocats & procureurs généraux de les promouvoir & d'en poursuivre le jugement, & de les envoyer incontinent au roi ou au chancelier, duquel soin les présidens du parlement furent chargés.
Enfin Henri III. aux états de Blois ordonna, article 144, que les mercuriales seroient reçues de six mois en six mois dans toutes les cours, & notamment dans les parlemens, les premiers mercredis après la lecture des ordonnances, qui se fait après les fêtes de S. Martin & de Pâques. Le Roi défend à ses cours de vacquer à l'expédition d'autres affaires que les mercuriales n'aient été jugées, déclarant les jugemens qui auroient été donnés auparavant, nuls & de nul effet & valeur ; il est enjoint aux avocats & procureurs généraux & à leurs substituts, sur peine de privation de leurs charges, de les promouvoir, & d'en poursuivre le jugement, & d'avertir promptement Sa Majesté de la retardation ou empêchement d'icelles.
Tel est ce dernier état des mercuriales, c'est-à-dire qu'elles ne se font plus que tous les six mois ; le discours de l'avocat général ou du procureur, roule sur les devoirs de la magistrature, il observe en général quels sont les écueils que les magistrats ont à éviter ; ce discours se fait à huis clos.
Compétence. Le parlement a toujours été le tribunal destiné à connoître des affaires majeures & des causes qui concernent l'état des grands du royaume.
Dans le tems qu'il étoit encore ambulatoire à la suite de nos rois, & qu'il formoit leur grand conseil, on y délibéroit de la paix & de la guerre, de la réformation des lois, du mariage des enfans de nos rois, du partage de leur succession entre leurs enfans, comme cela se pratiqua en 768 entre les deux fils de Pepin ; en 806 sous Charlemagne, entre ses trois fils ; en 813 lorsque le parlement fut assemblé à Aix pour faire passer la couronne à Louis le Debonnaire, & en 816 quand Louis le Debonnaire voulut partager ses états pour le partage qui se fit sous lui en 837 ; enfin pour celui qui fut fait entre Louis le Begue & Louis son cousin.
Philippe Auguste tint en 1190 un parlement pour statuer sur le gouvernement du royaume pendant le voyage qu'il se préparoit à faire à la Terre-sainte ; ce fut dans ce même parlement que ce prince avec le congé & l'agrément de tous ses barons, acceptâ licentiâ ab omnibus baronibus, donna la tutele de son fils & la garde du royaume à la reine sa mere.
Ce fut ce même parlement qui jugea les contestations qu'il y eut entre Philippe le Hardy & Charles, roi des deux Siciles, pour la succession d'Alphonse, comte de Poitiers.
Ce fut lui pareillement qui jugea en 1316 & 1328 la question de la succession à la couronne en faveur de Philippe le Long & Philippe de Valois, & le différend qu'il y eut entre Charles le Bel & Eudes, duc de Bourgogne, à cause de l'apanage de Philippe le Long, dont Eudes prétendoit que sa femme, fille de ce roi, devoit hériter.
Du tems du roi Jean, les princes, les prélats & la noblesse furent convoqués au parlement pour y délibérer sur les affaires les plus importantes de l'état.
Charles V. lui fit aussi l'honneur de le consulter quand il entreprit la guerre contre les Anglois, dont le succès lui fut si glorieux.
Ce fut encore le parlement qui rassembla & réunit les maisons d'Orléans & de Bourgogne, que les desordres du tems avoient divisées.
Cet illustre corps par la sagesse & l'équité de ses jugemens, a mérité de voir courber devant lui, les tiares & les couronnes, & d'être l'arbitre des plus grands princes de la terre. Les Innocents, les Frédérics, les rois de Castille & ceux de Portugal, les Ferdinands, les Maximiliens, les Philippes & les Richards ont soumis leur pourpre à la sienne ; & l'on a vû lui demander la justice, ceux qui la rendoient à plusieurs peuples, & qui ne voyoient au-dessus de leurs trônes que le tribunal de Dieu.
Les ducs & comtes d'Italie, sur lesquels nos rois s'étoient réservé toute souveraineté, ont été plusieurs fois mandés au parlement pour y rendre raison de leur déportement. Tassillon, duc de Baviere, fut obligé d'y venir pour se purger du crime de rebellion qu'on lui imposoit ; on y jugea de même Bernard, roi d'Italie, & Carloman, pour rébellion contre son pere.
Dans des tems bien postérieurs, en 1536, ce fut ce parlement qui décréta d'ajournement personnel l'empereur Charles-Quint.
Edmont rapporte qu'un pape ayant excommunié le comte de Toscanelle Formose, évêque du Port, le pape fit porter au parlement son procès-verbal de ce qu'il avoit fait.
Les rois étrangers y ont quelquefois envoyé leurs accords & contrats pour y être homologués ; & les rois de France eux-mêmes y ont plusieurs fois perdu leur cause quand elle n'a pas paru bien fondée.
Enfin le parlement a toujours connu des affaires les plus importantes.
Il connoît seul des causes qui concernent l'état & la personne des pairs, comme on le dira ci-après en parlant du parlement considéré comme cour des pairs.
Lui seul a la connoissance des matieres de régale dans toute l'étendue du royaume.
Il connoît en premiere instance de certaines matieres dont la connoissance lui a été reservée privativement à tous autres juges.
Il connoît aussi de tems immémorial du bien ou mal jugé des sentences dont l'appel est porté devant lui.
Cette voie étoit usitée dès le tems de la premiere race ; on prenoit quelquefois la voie de la plainte, ou prise à partie contre le juge ; quelquefois on demandoit à fausser le jugement, c'est-à-dire à prouver qu'il étoit faux, & que les premiers juges avoient mal jugé ; mais on se servoit aussi quelquefois du terme d'appellation pour exprimer ces procédures, comme il paroît au quatrieme registre olim, fol. 107, où il est dit, à quo judicato tanquam falso & pravo parlamentum nostrum appellavit ; ce fut ainsi qu'en 1224, il est dit que la comtesse de Flandre appellavit ad curiam regis ; les olim sont pleins d'exemples de semblables appellations verbales & autres.
Il est vrai que ces appels ne furent pas d'abord portés en si grand nombre au parlement, parce que la manie des hauts seigneurs étoit de s'opposer par des violences à ce que l'on appellât de leurs juges au parlement.
On défendit en 1228 au comte d'Angoulême de mettre aucun empêchement à ceux qui voudroient venir au parlement pour se plaindre de lui.
Le roi d'Angleterre, comme duc d'Aquitaine, faisoit pendre les notaires qui en avoient dressé les actes ; il exerçoit des cruautés inouies contre ceux qui les avoient interjettés ; un manifeste de Philippe le Bel qui est à la fin des olim, dit qu'on ne se contentoit pas de les enfermer dans d'étroites prisons, & de mettre leurs maisons au pillage, on les dépouilloit de leurs biens, on les bannissoit du pays, on les pendoit même pour la plûpart ; quelques-uns furent déchirés en quatre parts, & leurs membres jettés à l'eau.
Les seigneurs ecclésiastiques n'étoient pas plus doux que les laïcs ; un évêque de Laon entr'autres dépouilloit de leurs biens ses vassaux, qui appelloient au parlement : un abbé de Tulles les emprisonnoit & mutiloit ; & parce qu'un homme condamné par ses juges à perdre la main gauche, en avoit appellé au parlement, il lui fit couper la main droite : l'abbé fut condamné en 4000 liv. d'amende ; l'évêque eut des défenses de récidiver, avec injonction au duc de Bretagne d'y tenir la main.
Le roi d'Angleterre ayant refusé de comparoître, son duché de Guienne fut confisqué.
Il y a d'autres arrêts semblables contre le comte de Bretagne, celui de Flandres & le duc de Bourgogne.
Grand Chambre. Avant que le parlement eût été rendu sédentaire à Paris, toute la compagnie s'assembloit dans une même chambre, que l'on appelloit la chambre du parlement, ou la chambre des plaids, camera placitorum.
Quelques-uns ont écrit qu'elle s'appelloit aussi la chambre des prélats, ce qui pourroit être venu de ce que l'assemblée étoit principalement composée d'évêques, abbés & autres ecclésiastiques qu'on appelloit tous d'un nom commun les prélats.
Mais il paroît que c'est par une méprise du premier copiste, qui a lû praelatorum pour placitorum, que cette opinion a pris cours ; car la grand-chambre n'a jamais eu ce nom ; tous les monumens du tems l'appellent camera placitorum, chambre des plaids, c'est-à-dire du plaidoyer ; elle est ainsi appellée dans le quatrieme registre olim, fol. 344 ; & dans l'ordonnance de Philippe le Bel en 1291.
M. de la Rocheflavin cite une ordonnance de Philippe le Hardi en 1275, qui fait mention à ce qu'il prétend de la chambre des prélats ; mais cette ordonnance ne se trouve point ; elle n'est point dans le recueil des ordonnances imprimées au louvre.
Cette chambre fut dans la suite surnommée la grand'chambre du parlement, soit parce que l'on y traitoit les plus grandes affaires, soit parce qu'elle étoit composée des plus grands personnages, tels que les princes, pairs, prélats, ducs, comtes, barons, les officiers de la couronne, le chancelier & autres ; & aussi pour la distinguer des chambres des enquêtes & requêtes, & de celles des requêtes qui furent établies peu de tems après que le parlement eut été rendu sédentaire.
Elle fut aussi appellée la chambre du plaidoyé, parce que c'étoit la seule chambre du parlement où on plaidât ; comme elle est encore destinée principalement pour les affaires d'audiences.
On l'a aussi appellée la grand'voûte.
Enfin le vulgaire lui a encore donné le nom de chambre dorée, depuis qu'elle eût été réparée par le roi Louis XII. lequel y fit faire le plafond orné de culs-de-lampe dorés, que l'on y voit encore présentement ; le tableau du crucifix est d'Albert Durer, & le tableau qui est au-dessous réprésente Charles VI. habillé comme sont aujourd'hui les présidens à mortier.
La décoration du surplus de cette chambre a été faite de ce regne en 1722. Les présidens & conseillers de la grand'chambre commencerent le 3 Août à s'assembler en la salle de S. Louis pendant que l'on travailloit à ces ouvrages.
C'est en la grand'chambre que le Roi tient son lit de justice, & que le chancelier, les princes & les pairs laïcs & ecclésiastiques viennent siéger quand bon leur semble.
C'est aussi dans cette chambre que les conseillers d'honneur ont séance, ainsi que les maîtres des requêtes, au nombre de quatre seulement.
La grand'chambre étoit autrefois seule compétente pour connoître des crimes ; la chambre de la tournelle, qui fut instituée pour la soulager, ne connoissoit que des causes criminelles, & non des crimes ; ce ne fut qu'en 1515 qu'elle fut rendue capable de la connoissance des crimes ; aussi du tems que le parlement étoit à Poitiers, il se trouve un reglement rapporté par Pasquier, dans ses recherches, contenant entr'autres choses, qu'en la tournelle se vuideroient les causes criminelles, à la charge toutefois que si en définitive, il falloit juger d'aucun crime qui emportât peine capitale, le jugement s'en feroit en la grand'chambre.
Les ecclésiastiques, les nobles, les magistrats de cours supérieures, & officiers des siéges ressortissans nuement en la cour, ont conservé le droit d'être jugés à la grand'chambre, lorsqu'ils sont prévenus de quelques crimes ; c'est à la grand'chambre seule qu'il appartient de déterminer quels procès doivent être ainsi jugés.
La présentation de toutes les lettres de grace, pardon & abolition appartient à la grand'chambre, encore que le procès soit pendant à la tournelle ou aux enquêtes.
C'est en la grand'chambre que l'on plaide les requêtes civiles, même contre des arrêts de la tournelle.
Les partages qui se font en la grand'chambre en matiere civile, se jugent en la premiere des enquêtes ; & en matiere criminelle, ils se jugent en la tournelle ; les partages de la tournelle vont en la grand'chambre ; ceux des enquêtes vont d'une chambre à l'autre ; & s'il y a partage dans ces chambres, on va à la grand'chambre ; & s'il y avoit encore partage, en ce cas l'affaire est portée aux chambres assemblées où l'arrêt passe à une seule voix, quoique dans les autres chambres il faille que l'avis passe de deux voix en matiere civile pour départager.
La grand'chambre connoît seule des déclarations ordinaires données en exécution des édits, & qui sont scellées en cire jaune.
Elle donne la loi aux officiers du parlement qui poursuivent leur réception, & juge seule les informations de leur vie & moeurs, aussi bien que celles des officiers des sieges de son ressort dont elle envoye l'examen dans les chambres des enquêtes, & en reçoit le serment après que le président de la chambre des enquêtes où le récipiendaire a été renvoyé & les rapporteurs sont venus certifier qu'il a été trouvé capable.
Elle connoît de toutes les lettres accordées par le roi à des particuliers scellées en cire jaune, à la reserve des dispenses d'âge ou de parenté, accordées à ceux qui veulent être reçus en des charges du parlement ; & depuis quelques années, les lettres de présidens, maîtres des requêtes ou conseillers honoraires ont été portées à l'assemblée de toutes les chambres, lorsqu'elles ont été accordées avant les 20 ans de service.
Audiences de la grand'chambre, rôles des bailliages & sénéchaussées, & autres rôles. Les rôles des bailliages, appellés anciennement jours ou tems des baillies, dies senescallorum & baillivorum sont des listes en parchemin des causes de chaque bailliage ou sénéchaussée royale, que l'on plaide au parlement pendant un certain tems de l'année & à certains jours.
L'usage de faire des rôles pour les causes de chaque bailliage & sénéchaussée est fort ancien, il faut qu'il ait commencé presqu'aussi-tôt que le parlement eut été rendu sédentaire à Paris ; ce qui remonte jusqu'au tems de S. Louis.
En effet dans l'ordonnance de Philippe le Bel faite après la Toussaint 1291, il en est parlé comme d'un usage qui étoit déjà établi : les sénéchaux & baillis dit l'art. 7, seront payés de leurs gages à raison des journées qu'ils auront employées à aller & revenir dans leurs baillies aux comptes, & à aller & venir aux parlemens où ils resteront tant que le tems de leur baillie durera, ou tant qu'ils y seront retenus.
Ce même prince par son ordonnance du 23 Mars 1302, régla que les causes des prélats & autres ecclésiastiques, celles des barons & autres sujets seroient expédiées promptement dans l'ordre de leurs bailliages ou sénéchaussées, secundùm dies senescallorum & baillivorum, sans prorogation, à moins que ce ne fut pour juste cause & du mandement spécial du roi ; que si par rapport à l'affluence des affaires, quelque prélat ou baron ne pouvoit pas être expédié promptement, la cour leur assigneroit un jour pour être ouis.
Philippe V. dit le Long fit deux ordonnances, qui contiennent quelques dispositions concernant les rôles des bailliages.
La premiere est celle du 17 Novembre 1318.
Elle ordonne 1°. que tous ceux qui auront affaire au parlement, se présenteront dans le premier ou au plus tard dans le second jour de leur baillie ou sénéchaussée, avant que le siege du parlement soit levé, qu'autrement ils seront tenus pour défaillans.
2°. Que toutes causes, fût-ce de pair ou baron, seront délivrées selon l'ordre des présentations, à-moins que ce ne fût la cause de quelqu'un qui seroit absent pour le profit commun, qu'en ce cas la cause seroit remise au prochain parlement ; ou bien qu'il fut question de causes du domaine de pairies ou baronies que l'on remettroit à plaider en présence du roi.
Que l'on ne commencera point à plaider les causes d'un bailliage ou sénéchaussée, que toutes celles de l'autre ne soient jugées & les arrêts prononcés.
La seconde ordonnance ou Philippe le Long parle des rôles est celle du mois de Décembre 1320 : l'art. 3. ordonne que les sénéchaux, baillifs & procureurs du roi, qui ont accoutumé de venir en parlement, viendront trois jours au plus avant la journée de leurs présentations, & qu'ils se présenteront aussitôt qu'ils seront arrivés ; que le parlement commettra un clerc & un laïc dudit parlement ; lesquels, avec un des maîtres des comptes & le trésorier du roi, entendront en certain lieu les relations de ces sénéchaux, baillifs & procureurs sur les causes & faits qui touchent & peuvent toucher le roi ; que si ces officiers rapportent certaines choses qui ne méritent pas d'être entendues, on leur dira de les souffrir ; qu'à l'égard des autres, les commissaires les publieront & les feront ouïr & juger en parlement. Voilà sans doute l'origine des rôles des bailliages qui se publient à la barre de la cour, lesquels, comme on voit, étoient alors faits par les commissaires nommés pour ouïr le rapport des baillifs & sénéchaux.
Les rôles des provinces se plaident les lundis & mardis, depuis la S. Martin jusqu'à l'Assomption ; il y en a neuf différens, savoir ceux de Vermandois, Amiens & Senlis, qui doivent finir à la Chandeleur ; celui de Paris qui comprend les appels des requêtes du palais, ainsi que ceux du châtelet ; viennent ensuite les rôles de Champagne & Brie, celui de Poitou, celui de Chartres & celui d'Angoumois.
Les jeudis est le rôle des appels comme d'abus, & requêtes civiles.
On a aussi établi des audiences à huis clos les mercredi & samedi pour les oppositions aux enregistremens de lettres-patentes, exécutions d'arrêts, appels en matiere de police, oppositions aux mariages, &c.
Depuis cent ans au plus, il a été établi un rôle pour les causes de séparation, & pour servir de supplément à celui des jeudis.
Après l'Assomption, le rôle des jeudis, & ceux des mercredi & samedi continuent ; mais il se fait un rôle d'entre les deux Notre-Dame, composé de quelques causes importantes & pressées, qui se plaident les lundi, mardi & jeudi : ces dernieres audiences sont aussi à huis clos, & dans les bas sieges : cependant depuis quelques années on y reçoit des avocats au serment, comme aux grandes audiences.
Les grandes audiences qui sont celles des lundi, mardi & jeudi matin se tiennent sur les hauts sieges, les présidens y portent leurs fourrures & mortiers depuis la rentrée jusqu'à l'Annonciation, & ensuite la robe rouge sans fourrure & le bonnet sans mortier.
Aux audiences qui se tiennent sur les bas sieges, ils sont en robes noires.
Outre ces audiences du matin, il y en a deux par semaine de relevée, les mardi & vendredi, qui se tiennent sur les hauts sieges, mais en robes noires, où se plaide un rôle exprès.
Il est d'usage que le président qui la tient fait rappeller le vendredi des mémoires & placets à sa disposition, ou du rôle fait par le premier président.
La premiere & la derniere des audiences de relevée sont tenues par le premier président, le second tient toutes les autres.
L'audience de relevée se tient depuis trois heures jusqu'à cinq ; & avant la Chandeleur à deux heures jusqu'à quatre, à cause du meurtre du président Minard, arrivé en sortant de cette audience qui finissoit en tous tems à cinq heures, ce qui a fait nommer l'audience de relevée qui finit à quatre heures, audience à la minarde.
Les causes qui ne peuvent être plaidées sur les rôles des bailliages, celui des jeudis & celui de relevée, demeurent appointées, à moins que le premier président ne les replace sur un autre rôle ; mais celles des rôles des mercredi, vendredi & samedi ne demeurent pas appointées.
Les audiences du matin durent depuis huit heures & demie jusqu'à dix ; en carême elles ne finissent qu'à onze, parce qu'on alloit autrefois au sermon entre les deux audiences.
Elles sont précédées du rapport des procès depuis six jusqu'à sept, & d'une audience depuis sept pour les causes sommaires & d'instruction ; ce qui dure jusqu'à ce que la cour aille à la buvette.
C'est ordinairement entre les deux audiences du matin que se fait l'apport des lettres-patentes par les gens du roi, requêtes & requisitions de leur part, jugement des informations de vie & moeurs, reception de pairs & d'officiers, audition d'officiers mandés ou du maître des cérémonies ou autres personnes, celle des paranymphes & autres complimens, le serment des consuls, administrateurs d'hôpitaux, &c.
Le service des audiences de la grand'chambre est tellement respectable qu'il ne doit se tenir aucune audience en aucun tribunal qu'à l'heure où elle finit, ce qui fait que les audiences des enquêtes & requêtes ne commencent qu'à dix heures ; celle du châtelet, même celle du grand-conseil, cour des aides & autres tribunaux ne commencent pour la plaidoierie qu'après dix heures, & n'ont auparavant que des expéditions d'instructions & procédures qui se font par les procureurs, ce qui du-moins est le droit & s'observe encore assez pour que l'on puisse reconnoitre la raison & l'objet de ces usages.
A dix heures sont les assemblées de chambres & quelquefois le rapport des procès ; cet usage qui est très-récent s'est introduit depuis que les heures des repas ont changé.
Les rapports se font de grand ou de petit commissaire ; mais cette derniere forme de rapport n'est point en usage en la grand'chambre.
Tous les mois, & même quelquefois plus souvent lorsque le cas le requiert, le premier ou le second président & sept conseillers de la grand'chambre vont à la table de marbre tenir l'audience au souverain avec quatre officiers du siege, qui restent du nombre des juges.
Le plus ancien des présidens à mortier & deux conseillers de la grand'chambre tiennent la chambre de la marée. Voyez ci-devant CHAMBRE DE LA MAREE.
Le parlement vaque depuis le 7 Septembre jusqu'au lendemain de la S. Martin, si l'on en excepte la chambre des vacations, dont il sera parlé ci-après.
La rentrée se fait le lendemain de la S. Martin. 12 Novembre, auquel jour MM. les présidens sont en robes rouges & fourrures tenant leur mortier, MM. les conseillers en robes rouges & chaperons fourrés, & MM. les gens du roi, vêtus de même que les conseillers.
Après avoir assisté à la messe solemnelle du S. Esprit, que la communauté des avocats & procureurs fait dire dans la grand'salle en la chapelle de S. Nicolas, laquelle messe est ordinairement célébrée par quelque prélat, le célébrant prend ce jour séance au parlement, & après les complimens accoutumés, M. le premier président reçoit les sermens des avocats & procureurs.
L'ouverture des grandes audiences se fait à la grand'chambre le premier lundi d'après la semaine franche de la S. Martin par un discours que M. le premier président, & un de MM. les avocats généraux font aux avocats & aux procureurs ; après ces discours, on appelle la premiere cause du rôle de Vermandois.
Le mercredi ou vendredi suivant se font les mercuriales, ainsi qu'on l'a expliqué ci-devant.
Chambre de droit écrit ou auditoire de droit écrit, appellée aussi la langue de droit écrit ou qui se gouverne par le droit écrit, chambre de la langue doc ou de Languedoc, & enfin requêtes de la Languedoc, étoit une chambre ou division du parlement composée d'un certain nombre de membres du parlement qui étoient commis pour juger les affaires desdits pays de droit écrit ; elle fut établie en 1291, lorsque le roi cessa d'envoyer des députés du parlement de Paris à Toulouse pour y tenir un parlement, & que ce parlement de Toulouse fut supprimé & réuni à celui de la Langue doil, c'est-à-dire au parlement de Paris.
L'établissement de cette chambre se trouve dans l'ordonnance de Philippe le Bel donnée après la Toussaint 1291 ; elle porte que pour entendre & expédier les causes & requêtes des sénéchaussées & pays qui suivent le droit écrit, il y aura quatre ou cinq personnes du conseil qui siégeront les vendredis, samedis & dimanches, & autres jours qu'ils trouveront à propos ; Philippe le Bel commet à cette occupation le chantre de Bayeux, Mes Jean de la Ferté, Guy, Camelin, & Me Geoffroi de Villebraine, & pour notaire le doyen de Gerberie.
Telle est l'origine de l'interprete de la cour, qui a encore sa place marquée à l'entrée du parquet de la grand'chambre, à droite en entrant ; sa fonction ordinaire étoit d'expliquer les enquêtes, titres & pieces qui venoient des pays de droit écrit, & qui étoient écrites en langage du pays, que beaucoup des membres du parlement pouvoient ne pas entendre.
L'ordonnance de 1296 fait mention de ceux qui étoient établis par les présidens, à ouir la langue qui se gouverne par droit écrit, & de ceux qui entendoient les requêtes ; & dans un autre article il est parlé de la distribution que les présidens faisoient des résidens ou conseillers dans les différentes chambres ; qu'ils retiendroient les uns en la grand-chambre, enverroient les autres au droit écrit, les autres aux requêtes communes.
L'article 19. dit qu'à ouïr la langue qui se gouverne par droit écrit trois seront élus par les présidens, savoir deux clercs très-bien lettrés, & un lai spécialement pour les causes de sang, c'est-à-dire les affaires criminelles ; ils avoient deux notaires & un signet dont ils signoient leurs expéditions, & le chancelier étoit tenu de les sceller.
L'exercice de cette chambre dut cesser en 1302, lorsque le roi établit un nouveau parlement à Toulouse.
Cependant Pasquier fait mention d'une ordonnance de 1304 ou 1305, où l'on distingue encore les enquêtes de la languedoc des enquêtes de la langue françoise ; qu'aux enquêtes de la languedoc seront le prieur de saint Martin, & jusqu'à cinq.
Il est encore dit que celui qui portera le grand scel du roi ordonnera d'envoyer aux enquêtes, tant de la languedoc que de la langue françoise, des notaires, selon ce qui paroîtra nécessaire pour l'expédition.
Mais cette ordonnance ne se trouve dans aucun dépôt public.
Chambre du conseil. Le parlement ayant été rendu semestre par Henri II. en 1554, ce qui dura jusqu'en 1557, lorsqu'on remit les choses en leur premier état, comme le nombre des présidens & conseillers avoit été beaucoup multiplié, on forma une chambre du conseil souverain où se vuideroient les instances de la grand-chambre appointées au conseil, les présidens de l'un & l'autre semestre présidoient indifféremment en la grand-chambre ou à celle du conseil ; mais celle-ci fut supprimée lorsque le nombre des officiers eut été diminué peu-à-peu par mort & réduit à l'ancien nombre.
Tournelle criminelle, qu'on appelle aussi tournelle simplement, est une des chambres du parlement destinée à juger les affaires criminelles.
Quelques-uns croyent qu'elle a été nommée tournelle de ce que les conseillers de la grand'chambre & des enquêtes y passent chacun à leur tour ; mais la vérité est qu'elle a pris ce nom de ce que les juges qui composent cette chambre tenoient leur séance dans une tour du palais que l'on appelloit alors la tournelle ; il y a lieu de croire que c'est celle où est présentement la buvette de la grand'chambre.
Cette tournelle ou tour servoit dès 1344 aux officiers de la cour à faire certaines expéditions tandis que l'on étoit au conseil en la grand'chambre. L'ordonnance de Philippe de Valois du 11 Mars 1341, voulant que le secret de la cour soit mieux gardé, ordonna qu'il ne demeure au conseil que les seigneurs & le greffier, & que tous les autres aillent pendant ce tems-là besogner en la tournelle ; mais on ne voit point que cette chambre servit à juger les affaires criminelles.
Du tems des registres olim qui commencent en 1254, & finissent en 1318, quoiqu'il y eût déjà un greffier criminel, il n'y avoit que la même chambre pour juger le civil & le criminel que l'on appelloit la chambre du parlement, & que l'on a depuis appellée la grand'chambre ; le greffier criminel tenoit la plume quand le jugement tendoit à effusion de sang ; il avoit depuis 1312 son registre à part. Sous Charles VI. & Charles VIII. la grand'chambre introduisit l'usage de faire juger certaines affaires civiles, & le petit criminel par quelques-uns de ses membres, dans une chambre que les registres appellent la petite chambre de derriere la grand'chambre, c'est ce qui a fait naître depuis sous François I. l'établissement fixe de la tournelle criminelle ; mais jusqu'à l'an 1515 on ne jugeoit à mort qu'en la grand'chambre, la chambre des vacations ne jugeoit elle-même à mort que parce qu'elle prenoit des lettres ad hoc, & elle n'en prend encore que pour cela seul.
Pendant long-tems il n'y eut point de chambre particuliere pour les affaires criminelles, on prenoit un certain nombre de conseillers de la grand-chambre & des enquêtes pour juger les procès criminels en la chambre de la tournelle, laquelle n'étoit point alors ordinaire ; elle ne fut établie en titre de chambre particuliere qu'en 1436, après la réunion du parlement de Poitiers. En effet Bouthillier qui vivoit sous le regne de Charles VI. & qui fit son testament en 1402, ne fait point mention de la tournelle dans sa somme rurale.
Mais elle étoit déjà établie en 1446 ; en effet Charles VII. dans son ordonnance du 28 Octobre de lad. année, article 10. ordonne que le greffier de la cour portera ou envoyera les requêtes criminelles en la tournelle criminelle ou au greffier criminel, pour être par icelle chambre & greffier répondues & expédiées.
Ce n'étoit pas seulement l'instruction qui y étoit renvoyée, car l'article 13. de la même ordonnance parle des procès que l'on y jugeoit.
L'ordonnance qu'il fit au mois d'Avril 1453 ordonne, article 23. qu'à la tournelle criminelle soient expédiés les procès criminels le plus brievement & diligemment que faire se pourra ; mais que si en définitif il convenoit juger d'aucun crime qui emportât peine capitale, le jugement seroit fait en la grand'chambre, & que pendant que le jugement du cas criminel se fera en la grand'chambre, que l'un des présidens & les conseillers clercs aillent en une autre chambre pour travailler aux autres procès & affaires du parlement.
L'article 2. de l'ordonnance de Charles VIII. du mois de Juillet 1493, veut que tous les conseillers de la grand'chambre assistent aux plaidoieries, excepté ceux qui seront ordonnés pour être de la tournelle.
L'article 90. enjoint aux présidens & conseillers qui doivent tenir la tournelle d'y résider & vaquer diligemment.
L'ordonnance du mois d'Avril 1515, qui rendit la tournelle criminelle ordinaire, nous apprend que cette chambre n'avoit coûtume de tenir que les jours de plaidoierie, & qu'avant cette ordonnance il n'étoit pas d'usage, pendant la durée du parlement, de juger à la tournelle personne à mort, quoiqu'il y eut dans cette chambre deux présidens & douze conseillers laïcs, dont huit étoient de la grand'chambre, & quatre des enquêtes, tandis qu'en la grand-chambre tous procès criminels étoient jugés par un président & neuf conseillers.
La tournelle ne jugeoit donc alors que les affaires de petit criminel, & lorsque les conclusions tendoient à mort, le procès étoit porté en la grand'chambre.
Mais comme celle-ci étoit surchargée d'affaires, & qu'elle ne pouvoit vaquer assez promptement à l'expédition des criminels & prisonniers, dont quelques-uns même étoient échappés, François I. par son ordonnance du mois d'Avril 1515, ordonna que dorénavant le parlement séant, les présidens & conseillers qui seroient ordonnés pour tenir la tournelle criminelle, dès qu'ils entreroient en la cour, s'en iroient en ladite tournelle, ainsi que faisoient ceux des enquêtes, sans s'arrêter en la grand'chambre ; & qu'ils vaqueroient & entendroient diligemment au jugement & expédition des procès criminels, soit de peine de mort ou autre peine corporelle, en expédiant premierement les prisonniers enfermés, & ayant égard aux cas qui pour le bien de la justice requierent prompte expédition, & que les arrêts & jugemens qui y seront faits & donnés dans ces matieres auront la même autorité ou vertu que s'ils étoient donnés & faits en la grand'chambre du parlement, sans qu'en ladite tournelle ils puissent expédier aucunes matieres civiles, soit requêtes ou expéditions, à moins que cela n'eût été ainsi en la grand'chambre ; & que pour les autres matieres criminelles elles seront expédiées & jugées, tant en plaidoieries qu'autrement, en la grand'chambre & en la tournelle ; ainsi qu'il y avoit été par le passé, pourvû toutefois que s'il étoit question de cléricature ou d'immunité, au jugement desquels ont accoûtumé d'être les conseillers clercs, & aussi de crimes de gentilshommes, ou d'autres personnages d'état, leur procès soit rapporté en la grand'chambre.
L'ordonnance d'Henri II. du mois de Mars 1549, défend aux conseillers des enquêtes députés à la tournelle, d'aller pendant ce tems en la chambre dont ils sont ordinairement, sous couleur de rapporter quelque requête ; elle défend aux présidens de les recevoir, & à ses conseillers d'assister ailleurs, sur peine de privation de leur office, à moins que pour quelque bonne & raisonnable cause, il fût ordonné par la cour qu'ils assisteroient au jugement & expédition de quelque procès en autre chambre que celle pour laquelle ils seroient ordonnés, députant d'autres conseillers pour servir en leur lieu, dont le greffier fera registre de la permission & ordonnance de la cour.
Cette ordonnance veut aussi que tous les arrêts & jugemens donnés en la chambre criminelle, dite de la tournelle, en matiere civile & civilement intentée, soient déclarés nuls, & que les parties en puissent appeller ; mais dans ces matieres civiles le roi déclare qu'il n'entend pas comprendre les procès criminellement & extraordinairement faits & intentés, lesquels quoique les parties aient été reçues en procès ordinaire, s'instruiront & se vuideront en la chambre criminelle, préférant toutefois à l'expédition les procès des condamnés à mort ou peine corporelle, même ceux où il n'y a que le procureur général partie, & qui sont au pain du roi.
Charles IX. voulant regler les différends qu'il y avoit dans les cours pour la connoissance des causes & procès criminels des gens d'église nobles & officiers, par son ordonnance faite à Moulins en 1566, article 38. ordonna que ces procès introduits en premiere instance au parlement, seront jugés en la grand'chambre, si faire se peut, & si les accusés le requierent ; qu'autrement & sans ladite requisition, ils se pourroient instruire & juger en la chambre de la tournelle, à laquelle il est dit que les instructions seront renvoyées par la grand'chambre, si pour les empêchemens & occupations de celle-ci ces instructions ne peuvent être faites promptement & commodément en la tournelle.
L'ordonnance veut néanmoins qu'au jugement de ces procès criminels qui seront faits en la grand'chambre, assistent les présidens & conseillers de la grand'chambre, les conseillers des enquêtes n'y sont point admis.
Enfin quant aux procès instruits ou jugés en premiere instance hors des cours contre les personnes de la qualité exprimée par cet article, l'ordonnance décide que les appellations interjettées des instructions se pourront juger en la tournelle, nonobstant le débat des parties ; pareillement les appellations des jugemens définitifs, à moins que les personnes condamnées ne demandent d'être jugées en la grand'chambre, auquel cas il y sera procédé comme il est dit d'abord par cet article.
Cet ordre établi pour le service de la tournelle n'a point été changé depuis, l'ordonnance de Blois n'a fait que le confirmer en ordonnant, article 139. que les conseillers, tant de la grand'chambre que des enquêtes des parlemens, qui seront destinés pour le service de la tournelle, vaqueront diligemment à l'expédition des prisonniers & jugemens des procès criminels, sans se distraire à autres affaires, suivant les anciennes ordonnances & réglemens des parlemens.
Cette ordonnance donne seulement un pouvoir un peu plus étendu aux conseillers de grand'chambre sortant de la tournelle, qu'à ceux des enquêtes : en effet, l'article 140 veut que les conseillers des enquêtes, après avoir fait leur service à la tournelle, soient tenus de remettre au greffe trois jours après pour le plus tard, tous procès criminels qui leur auront été distribués, sous peine de privation de leurs gages pour les jours qu'ils auront été en demeure de le faire ; & quant aux conseillers de la grand'chambre, il est dit que les présidens leur pourront laisser tel desd. procès qu'ils aviseront, s'ils voyent que pour l'expédition & bien de la justice il y ait lieu de le faire, dont il sera fait registre au greffe de la cour.
Les présidens & conseillers de la tournelle vont tenir la séance aux prisons de la conciergerie & au parc-civil du châtelet quatre fois l'année ; savoir, la surveille de Noël, le mardi de la semaine-sainte, la surveille de la Pentecôte, & la veille de l'Assomption.
Tournelle civile. Chambre du parlement qui a été établie de tems-en-tems pour l'expédition des affaires d'audience auxquelles la grand'chambre ne pouvoit suffire.
Elle fut établie pour la premiere fois par une déclaration du 18 Avril 1667, composée d'un président & d'un certain nombre de conseillers, tant de la grand'chambre que des enquêtes, pour tenir la séance les lundis, mercredis, jeudis & samedis, & connoître & juger toutes les causes de la somme & valeur de 1000 l. & de 50 l. de rente & au-dessous.
Cette déclaration fut registrée le 20 desdits mois & an.
Comme l'établissement de cette chambre n'étoit que provisionnel, & qu'il parut utile par une déclaration du 11 Août 1669, qui fut registrée le 13, le roi séant en son lit de justice ; il fut créé pour une année seulement une chambre appellée tournelle civile, pour commencer au lendemain de saint Martin, lors prochain, composée de trois & quatre présidens du parlement, qui y serviroient chacun six mois alternativement, de six conseillers de la grand'chambre, qui changeoient de trois en trois mois, & de quatre conseillers de chaque chambre des enquêtes qui changeoient de même tous les trois mois, pour tenir la séance en la chambre S. Louis.
Il fut dit que les ducs & pairs, conseillers d'honneur, maîtres des requêtes & autres officiers qui ont séance en la grand'chambre pourroient pareillement sieger en la tournelle civile.
Le roi donna à cette chambre le pouvoir de juger toutes les causes où il s'agiroit seulement de la somme de 3000 liv. & de 150 liv. de rente & au-dessous, à l'exception des causes du domaine, des matieres bénéficiales & ecclésiastiques, appels comme d'abus, requêtes civiles & causes concernant l'état des personnes, les qualités d'héritier & de commune, les droits honorifiques, les duchés-pairies, reglemens entre officiers, ceux de police & des corps & communautés qui ont leurs causes commises en la grand'chambre.
La jurisdiction de cette chambre fut prorogée d'année en année par diverses déclarations jusqu'en 1691, & supprimée peu de tems après.
Elle fut rétablie par une déclaration de 12 Janvier 1735 pour commencer le lendemain de la Chandeleur ; on lui donna le même pouvoir qu'en 1669 ; elle fut continuée pendant un an, & ensuite supprimée.
Chambres des enquêtes, sont des chambres du parlement où l'on juge les procès par écrit, c'est-à-dire, ceux qui ont déja été appointés en droit, à écrire, produire & contredire devant les premiers juges, à la différence des causes qui ont été jugées à l'audience en premiere instance, dont l'appel va à la grand'chambre ou chambre de plaidoyer, & y est instruit & jugé, quand même cette chambre appointeroit ensuite les parties au conseil, c'est-à-dire, à instruire l'instance par écrit.
Il y a plusieurs chambres des enquêtes ; elles ont été créées, & le nombre en a été augmenté ou diminué selon que l'expédition des affaires a paru le demander.
Le nom de chambre des enquêtes vient de ce que anciennement au parlement de Paris, lorsqu'on avoit ordonné la preuve de quelque fait, soit par titres ou par témoins, les pieces qui étoient représentées, ou les enquêtes qui avoient été faites sur les lieux par les baillifs & sénéchaux, étoient apportées au parlement, qui les renvoyoit devant des commissaires pour les examiner ; on envoyoit aussi quelquefois sur les lieux des commissaires du parlement pour faire les enquêtes, lorsque par quelque raison particuliere elles ne pouvoient être faites par les baillifs & sénéchaux.
Les anciens arrêts du parlement, qui sont dits avoir été rendus ès enquêtes du parlement, étoient ceux qui intervenoient sur les matieres de fait, & qui gissoient en preuve. Les registres olim qui commencent en 1252, contiennent plusieurs de ces arrêts rendus ès enquêtes du parlement : le troisieme de ces registres olim commençant en 1299, & finissant en 1318 est un registre particulier pour les enquêtes faites par les baillifs & sénéchaux, & qui avoient été envoyées au parlement.
Il y a apparence que les baillifs & sénéchaux qui avoient fait ces enquêtes les rapportoient au parlement, ou du moins que les ayant envoyées, elles y étoient rapportées devant des commissaires détachés de la grand'chambre, qui s'assembloient hors de cette chambre pour faire l'examen & le jugé des enquêtes, lequel jugé se rapportoit ensuite à la grand'chambre pour prendre force d'arrêt, être prononcé, scellé, couché dans le registre. Ce fut là le commencement de l'institution de la chambre des enquêtes.
Mais peu de tems après, au lieu de faire faire les enquêtes & le rapport par les baillifs des lieux, on commit des conseillers pour faire les enquêtes & pour en faire le rapport, & d'autres pour les juger. Les commissaires furent donc distingués en deux classes ; les uns furent appellés les jugeurs des enquêtes, ou regardeurs des enquêtes, parce qu'on leur donna le pouvoir de juger les questions de fait ; les autres furent nommés enquêteurs ou rapporteurs d'enquêtes, parce qu'ils faisoient les enquêtes sur les lieux, ou les recevoient & faisoient le rapport des preuves en général, & alors on leur assigna une chambre particuliere pour s'assembler, qu'on appella les enquêtes, c'est-à-dire, la chambre des enquêtes : les procès par écrit étoient tous compris alors sous ce terme d'enquêtes. Les anciens registres du parlement qui contiennent les arrêts rendus sur ces sortes d'affaires sont intitulés les jugés des enquêtes.
L'ordonnance de Philippe le Bel, datée de trois semaines après la Toussaint de l'année 1291, portoit que pour entendre & juger les enquêtes il y auroit huit personnes du conseil du roi qui ne seroient point baillifs, lesquelles se partageroient chaque semaine ; savoir, quatre le lundi & le mardi, & les quatre autres le mercredi & le jeudi ; que s'il y en avoit quelqu'un qui ne pût venir, il suffiroit qu'ils fussent deux ou trois ; que ceux qui seroient commis pour voir les enquêtes, les liroient exactement chez eux, & qu'ils ne viendroient en la chambre des plaids que quand ils seroient mandés.
Ceux qui étoient commis pour les enquêtes devoient les lire exactement chez eux, & ne venir à la chambre des plaids que quand ils y étoient mandés ; c'étoit la chambre des plaids qui leur envoyoit les enquêtes.
Ces enquêtes devoient, suivant l'ordonnance du 23 Mars 1102, être jugées, au plus tard, dans deux ans.
Pasquier dans ses recherches, liv. II. ch. iij. fait mention d'une ordonnance de 1304 ou 1305, suivant laquelle il devoit y avoir cinq personnes aux enquêtes, entre lesquelles sont nommés deux évêques & un autre ecclésiastique.
Du Tillet rapporte une ordonnance ou état du parlement, faite au mois de Juillet 1316 dans lequel, après la liste de ceux qui devoient composer la grand'chambre ; on trouve celle des jugeurs des enquêtes au nombre de huit ; il rapporte aussi une semblable ordonnance ou état du 3 Décembre 1316.
Les affaires se multipliant de jour en jour, Philippe V, dit le Long, ordonna, le 3 Décembre 1319, qu'il y auroit aux enquêtes deux chambres, une pour délivrer toutes les enquêtes du tems passé, l'autre pour délivrer celles qui se feroient à l'avenir ; & que dans ces deux chambres il y auroit en tout huit clercs & huit laïcs jugeurs, & vingt-quatre rapporteurs : ce même prince, par une autre ordonnance du mois de Décembre 1302, regla ainsi l'état de cette chambre ; savoir, qu'il y auroit 20 clercs & 20 laïcs dont 16 seroient jugeurs, & les autres rapporteurs, que les jugeurs viendroient & demeureroient à la chambre, comme messieurs du parlement, & que depuis Pâques jusqu'à la S. Michel ils entreroient l'après dîner.
Le même prince ordonna, en 1320, à ses gens des comptes & trésorier de Paris de payer tous les mois à ses amés & féaux les gens des enquêtes leurs gages, & de leur donner des manteaux ou robes deux fois l'an ; ces manteaux font voir que les gens des enquêtes étoient réputés commensaux de la maison du roi.
Il paroît que l'on ne montoit point alors des enquêtes à la grand'chambre ; c'est ce qui résulte des provisions de conseillers pour la grand'chambre, ou de conseillers pour les enquêtes, qui sont rapportées dans le premier registre du dépôt ; & dans le troisieme, en 1335, fol. 88, 163, 165, 167, 169, 172 ; quatrieme registre, fol. 82 ; cinquieme registre, fol. 6 ; septieme registre, fol. 1.
Il n'y avoit plus qu'une chambre des enquêtes, suivant l'ordonnance du 11 Mars 1344 ; mais elle étoit composée de 40 personnes, 24 clercs & 16 laïcs : on supprima par la même ordonnance la distinction des jugeurs d'avec les rapporteurs, & on leur donna à tous la faculté de faire l'une & l'autre fonction : ils avoient à leur tête deux présidens tirés de la grand'chambre, & lorsque les arrêts étoient rendus dans la chambre des enquêtes, ils devoient être scellés du sceau d'un des présidens, & ensuite étoient portés aux registres de la cour pour y être prononcés, ce qui est tombé depuis long-tems en désuetude ; tout ce qui est reste de l'ancien usage est que, comme les jugés des enquêtes n'étoient point arrêtés par eux-mêmes, & ne le devenoient que par la prononciation publique qui s'en faisoit à la fin du parlement, les chambres des enquêtes n'ont encore ni sceau, ni greffe particulier ; leurs arrêts sont portés au greffe de la grand'chambre, pour y être gardés en minutes, expédiés, scellés & délivrés.
Le nombre des gens des enquêtes étoit encore le même en 1359, si ce n'est qu'il fut ordonné qu'il y auroit en outre tant de prélats qu'il plairoit au roi, attendu que ceux-ci n'avoient point de gages : il y avoit deux huissiers pour la chambre des enquêtes.
Une ordonnance du 17 Avril 1364 fut lue dans les chambres du parlement, des enquêtes & des requêtes.
Quoique les gens des enquêtes fussent devenus jugeurs, on ne laissoit pas de les envoyer en commissions pour faire des enquêtes comme autrefois lorsqu'il y avoit lieu ; mais ce n'étoit qu'à la fin du parlement, & il falloit qu'ils fussent de retour au commencement du parlement suivant.
En 1446, Charles VII. divisa la chambre des enquêtes en deux ; la premiere de ces deux chambres fut alors appellée la grand'chambre des enquêtes, & l'autre la petite. La grand'chambre fut appellée simplement chambre du parlement, comme il se voit dans les registres du parlement, où l'on trouve qu'en l'an 1483, le 25 Juin, la cour tint le parlement en la salle S. Louis ; & la grand'chambre des enquêtes à la tournelle, & la petite en la tour de Beauvais pour l'entrée du roi Charles VIII. François I. en 1521 créa la troisieme. Au mois de Mai 1543, il créa une quatrieme chambre que l'on appella pendant quelque tems la chambre du domaine, parce qu'elle connoissoit singulierement des affaires concernant le domaine du roi : dans la suite, ayant connu de toutes autres affaires indifféremment, on l'appella la quatrieme chambre des enquêtes. Il en fut créé une cinquieme par Charles XI. au mois de Juillet 1568.
Enfin par édit du mois de Mai 1581, il fut créé 20 conseillers au parlement avec intention d'y faire une sixieme chambre des enquêtes ; mais sur les remontrances faites par la cour, l'érection de cette chambre n'eut pas lieu.
Des cinq chambres des enquêtes il ne subsiste présentement que les trois premieres, les deux autres ayant été supprimées par édit du mois de Décembre 1756.
Il y a eu en divers tems, plusieurs nouvelles créations de charges de conseillers du parlement, qui ont été distribués dans les cinq chambres des enquêtes. A l'égard des commissions de présidens aux enquêtes, elles furent créées en même tems que chaque chambre, & mises en charges en 1704, puis en dernier lieu, rétablies en commission, comme on l'a dit ci-devant.
Elles sont présentement composées chacune de deux présidens qui sont nommés par le roi, & choisis parmi les conseillers, & de 32 conseillers, tant laïcs que clercs. Les présidens prennent seulement le titre de président de telle chambre des enquêtes, à la différence des présidens au mortier qui peuvent seuls prendre le titre de présidens du parlement.
Tous les 3 mois on tire de chaque membre des enquêtes, 4 conseillers pour faire le service de la tournelle criminelle, avec ceux qui sont tirés de la grand'chambre : ils vont ainsi chacun successivement à la tournelle, à l'exception des conseillers clercs qui n'y vont jamais ; & lorsqu'il vacque une place de conseiller en la grand'chambre, le plus ancien conseiller des enquêtes monte à la grand'chambre, c'est-à-dire succede à la place qui étoit vacante.
Les conseillers clercs & les conseillers laïcs des enquêtes, ne forment dans leur chambre, & même dans l'assemblée des chambres, qu'un même ordre, c'est-à-dire qu'ils prennent chacun séance suivant l'ordre de leur réception, sans distinction des clercs d'avec les laïcs. Mais lorsqu'il s'agit de parvenir à la grand'chambre, les clercs & les laïcs font chacun un ordre à-part ; de maniere que si c'est une place de conseiller clerc qui vacque en la grand'chambre, il est remplacé par le plus ancien des conseillers clercs des enquêtes, à l'exclusion des conseillers laïcs, quand même il s'en trouveroit un plus ancien que le conseiller clerc qui monte à la grand'chambre.
Le plus ancien conseiller de chaque chambre s'appelle le doyen.
Quoique les chambres des enquêtes ayent été établies principalement pour juger les procès par écrit, on y porte néanmoins aussi quelquefois des appellations verbales, ou des affaires d'audience, soit par connexité, ou qui leur sont renvoyées par attribution, ou autres raisons particulieres. On plaide aussi tous les incidens qui s'élevent dans les procès par écrit, & autres affaires appointées ; c'est pourquoi il y a audience dans chaque chambre deux jours de la semaine.
Les enquêtes connoissent aussi des procès de petit criminel, c'est-à-dire de ceux où il n'y a point eu de conclusions du ministere public, tendantes à peine afflictive ou infamante ; elles peuvent même dans le cours de l'instruction des affaires civiles, decréter de prise de corps, & instruire jusqu'à arrêt définitif. Mais dans les procès de petit criminel portés aux enquêtes, comme on l'a dit ci-dessus, si la chambre estime qu'il y ait lieu de prononcer peine afflictive ou infamante, l'affaire doit être portée à la tournelle, où le conseiller qui en avoit fait le rapport aux enquêtes vient la rapporter, encore qu'il ne soit pas de service actuellement à la tournelle.
Les présidens & conseillers des enquêtes sont du corps du parlement, ils participent aux mêmes honneurs & privileges ; c'est pourquoi ils sont appellés à toutes les assemblées des chambres, soit pour quelque lit de justice, enregistrement d'ordonnance, édit ou autres affaires importantes. Ils portent tous dans les cérémonies la robe rouge & le chaperon herminé ; ils ont les mêmes droits & exemptions que les présidens & conseillers de la grand'chambre.
Les conseillers commissaires aux requêtes du palais peuvent passer aux enquêtes sans changer de charges, en quittant seulement la commission, & montent à leur tour en la grand'chambre, pourvû néanmoins qu'ils ayent passé aux enquêtes trois ans auparavant.
Voyez les anciens registres du parlement ; les ordonnances de la troisieme race, premier & deuxieme volume ; le traité de la police, tom. I. liv. I. tit. xj. ch. iij. les recherches de Pasquier, liv. II. ch. iij. du Tillet, Bouthillet, somme rurale, & aux mots ENQUETES, GRAND'CHAMBRE, PARLEMENT, PRESIDENS, CONSEILLERS ; l'édit de Décembre 1756, & la déclaration de Septembre 1757.
Chambre de l'édit, voyez ci-devant au mot ÉDIT, & au mot CHAMBRE, les articles CHAMBRE mi-partie & CHAMBRE tri-partie.
Chambre des vacations, est une chambre particuliere, que le roi établit tous les ans en vertu de lettres patentes, pour juger les affaires civiles provisoires, & toutes les affaires criminelles, pendant le tems des vacations, ou vacances d'automne du parlement. Dans ces lettres, le roi nomme tous les conseillers de la grand'chambre qui doivent y servir : il y a de semblables chambres dans les autres parlemens & cours souveraines.
La plus ancienne chambre des vacations est celle du parlement de Paris.
Avant que le parlement eût été rendu ordinaire il n'y avoit point d'autres vacations que les intervalles qui se trouvoient entre chaque parlement ; & dans ces intervalles les présidens & conseillers ne laissoient pas de travailler à certaines opérations.
Si l'on en croyoit la charte de Louis le Gros, en faveur de l'abbaye de Tiron, les grands présidens du parlement jugeoient tant en parlement, que hors la tenue d'icelui ; mais on a observé, en parlant des présidens, que l'authenticité de cette charte est révoquée en doute par plusieurs savans.
L'ordonnance de 1296, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, porte qu'au tems moyen de deux parlemens, les présidens ordonneront que l'on rebriche (ce qui signifie intituler & étiqueter), & examine les enquêtes, ce que l'on en pourra faire.
Le parlement fini, on députoit quelques-uns de ses membres à l'échiquier de Normandie, & d'autres aux grands jours de Troyes.
La même ordonnance dit que ceux de la chambre qui n'iront point à l'échiquier, ni aux jours de Troyes, s'assembleront à Paris avant le parlement, pour concorder les jugemens des enquêtes, & que les jugemens qu'ils accorderont seront recordés par eux, devant les autres de la chambre qui n'y auront pas été présens, qu'ils les accorderont avant qu'ils soient publiés aux parties ; que si la chose étoit grave, ils la verront & débattront, mais qu'elle ne sera accordée qu'en plein parlement, & en présence de tous.
L'ordonnance du 23 Mars 1302, article vj. dit, en parlant des prélats & autres ecclésiastiques qui avoient des affaires ecclésiastiques, qu'afin de ne les point détourner de leur ministere, ils seront expédiés promptement, lorsqu'ils viendront au parlement, chacun selon les jours de leurs sénéchaussées ; & volumus, ajoute cet article, quod in parlamento, & extrà per curiales nostros tractentur condecenter & honestè, ut & clericus fieri possit : la même chose est aussi ordonnée pour les barons.
Quelques-uns ont voulu inférer de ces mots, & extrà (parlamentum), qu'il y avoit dès lors au parlement une chambre des vacations, composée des membres mêmes du parlement.
Les olim rapportent en effet des jugemens rendus extra parlamentum, par les grands présidens, ou par les gens des requêtes du palais.
Mais les présidens qui jugeoient hors le parlement, n'avoient aucun rapport à ce que l'on entend aujourd'hui par chambre des vacations, laquelle juge tous les ans depuis le 8 Septembre jusqu'au 28 Octobre, & qui connoît d'une certaine espece d'affaires circonscrites & limitées. Ces présidens ou juges étoient commis par le roi, pour une ou plusieurs affaires particulieres, d'entre certaines parties ; & l'on ne trouve qu'un très-petit nombre de ces commissions depuis 1254 jusqu'en 1318 : il n'y en a point dans le premier ni dans le second des olim.
Il paroît que ces commissaires pour juger extrà parlamentum, n'ont commencé qu'en 1311, parce qu'au lieu de 3 ou 4 parlemens qui se tenoient chaque année, il n'y en eut qu'un dans celle-ci, octavâ brandorum iij. olim, fol. 52.
On voit une seconde commission en 1315, parce qu'alors il n'y eut point de parlement ; c'est-à-dire depuis la S. Martin 1315, jusqu'à la S. Martin 1316. Ces commissaires ne jugerent que trois procès : leur commission est énoncée en ces termes, per nostras mandavimus & commisimus litteras.
Cette commission étoit, comme on voit, établie par des lettres patentes. On tient néanmoins qu'anciennement le parlement ne prenoit point de lettres pour établir la chambre des vacations ; cette chambre en prenoit seulement pour juger les affaires criminelles, & lorsqu'il s'agissoit de juger le fond de quelque droit, le parlement donnoit lui-même quelquefois ces lettres. Cette maniere d'établir la chambre des vacations dura plus de deux siecles ; elle étoit encore la même du tems de François I.
Les olim parlent souvent de la chambre des requêtes, comme étant la chambre où l'on s'assembloit en vacation, & c'est peut-être encore de-là que messieurs des requêtes ne prennent point leurs vacances en même tems que le parlement. On tient communément que tous les tribunaux qui jugent les affaires du roi, & des officiers qui sont à sa suite, n'ont point de vacances, afin que ces sortes d'affaires puissent être expédiées en tout tems, au-moins provisoirement : c'est pour cela que la cour des aides n'en avoit point jusqu'au réglement qui a changé cet usage, lorsque M. le chancelier étoit premier président de cette compagnie. C'est par la même raison que les requêtes du palais entrent toute l'année, dumoins jusqu'à ce que le châtelet soit rentré, afin qu'il soit en état de pourvoir, en attendant, aux affaires les plus pressées, de ceux même qui ont droit de committimus, droit qui n'étant qu'une faculté, & non une compétence nécessaire, laisse au privilégié la liberté de suivre la justice ordinaire, lorsqu'il le veut.
En 1316 la chambre des vacations se tint dans la chambre du plaidoyer ; dans la suite elle se tint plus d'une fois dans la chambre des enquêtes, comme on le voit par les registres du parlement : mais depuis long-tems ses séances sont fixées en la tournelle.
Il n'y eut qu'un parlement en 1317, qui commença à la S. André ; de-sorte qu'il y eut un intervalle considérable entre ce parlement & celui de la Toussaints 1316, ce qui donna lieu à une nouvelle commission, nostris commissariis seu judicibus in hac parte deputatis.... mandavimus, &c. leur arrêt est du 6 Mai 1317.
L'ordonnance du mois de Décembre 1320, porte que le parlement fini, ceux du parlement qui voudroient demeurer à Paris, pour travailler à délivrer les enquêtes prendroient les mêmes gages qu'en tems de parlement.
Le réglement que cette même ordonnance fait pour la chambre des requêtes, porte que ceux qui seront de cette chambre entreront après dîner, depuis Pâques jusqu'à la S. Michel, pour besoigner ; ainsi, non seulement on travailloit aux enquêtes jusqu'à la S. Michel, mais on y travailloit en général pendant tout le tems que le parlement ne tenoit pas.
Il n'y eut point de parlement en 1424, suivant le premier registre du dépôt du parlement, lequel registre est le premier après les olim. Le roi nomma de même des commissaires, vocatis igitur super hoc partibus coram commissariis quos ad hoc duximus deputandos, &c.
Il y en eut de même en 1326, puisqu'au folio 479 du registre dont on vient de parler, il est dit anno domini 1326, non fuit parlamentum, tamen expedita & prolata fuerunt judicata & arresta quae sequuntur.
On ne trouve rien de stable ni d'uniforme dans ces premiers tems sur la maniere dont on devoit se pourvoir pour l'expédition des affaires pendant que le parlement ne tenoit pas.
La guerre ayant empêché d'assembler le parlement en corps, pendant les années 1358, 1359, & jusqu'au 13 Janvier 1360, le roi Jean, par des lettres du 18 Octobre 1358, manda aux présidens qui tenoient le dernier parlement, de juger avec les conseillers les procès qui étoient restés pendants au dernier parlement, jusqu'à ce qu'il y en eût un nouveau assemblé ; & sans pouvoir juger des affaires qui n'y avoient pas encore été portées, à-moins que cela ne leur fût ordonné.
Le pouvoir de cette chambre des vacations fut augmenté par des lettres de Charles V. alors régent du royaume, du 19 Mars 1359, par lesquelles il est dit qu'étant encore incertain quand le parlement pourroit tenir, à cause des guerres, les présidens jugeroient toutes les affaires qui seroient portées devant eux, entre toutes sortes de personnes, de quelque état & condition qu'elles fussent.
On trouve aussi dans les registres du parlement, des lettres accordées le 28 Mars 1364, à un conseiller de cette cour, par lesquelles il est dit que ceux qui le troubleroient dans l'exemption des droits de péages, travers & autres, dont jouissoient les officiers du parlement, pour leurs provisions qu'ils faisoient venir à Paris, seroient assignés devant le parlement ou aux requêtes du palais, si le parlement ne tenoit pas ; & il paroit que l'on accordoit de semblables lettres à tous les conseillers & présidens au parlement qui en avoient besoin.
Charles V. regnant ordonna par des lettres de sauve-garde, accordées à l'abbaye de Fontevrault, au mois de Juin 1365, que les affaires de cette abbaye seroient portées au parlement qui tenoit alors, & aux parlemens suivans, ou devant les présidens lorsque le parlement ne tiendroit pas. Ces lettres laissent néanmoins à cette abbaye le choix de poursuivre ses affaires aux requêtes du palais, soit que le parlement fût assemblé ou non. Ce même privilége fut confirmé dans toute son étendue, par des lettres du mois de Juin 1382.
Les Célestins de Paris obtinrent au mois d'Octobre 1369, des lettres portant mandement aux gens des requêtes du palais d'expédier leurs affaires, soit que le parlement tînt ou non : l'abbaye de Chalis obtint aussi de semblables lettres au mois de Mars 1378 ; & l'église & chapitre de Chartres en obtint de pareilles le 20 Novembre 1380.
Au mois d'Août 1405, Charles VI. ordonna que du jour que le parlement seroit clos & fini jusqu'au lendemain de la fête saint Martin, les présidens du parlement, ou quelques-uns d'eux, ou au-moins l'un des présidens de la chambre des enquêtes, avec tous les conseillers clercs & laïcs, tant de la chambre du parlement que des enquêtes, qui pour lors seroient à Paris, de vaquer au jugement & expédition des procès pendans tant en la chambre du parlement, qu'aux enquêtes, pourvu que les juges fussent en nombre suffisant, & à condition que leurs arrêts seroient prononcés au prochain parlement ; il ordonna aussi que leurs gages leur seroient payés pendant ce tems comme si le parlement siégeoit.
L'établissement de cette chambre fut confirmé par Louis XII. en 1499, & par François I. en 1519.
Cette chambre ne se tient qu'en vertu d'une commission que le roi envoye chaque année.
Le tems de ses séances est depuis la Notre-Dame de Septembre jusqu'à la saint Simon ; dans les autres parlemens & cours souveraines, le tems des vacations est reglé différemment.
Elle est composée d'un président à mortier, & de 24 conseillers, tant clercs que laïcs, dont 12 sont tirés de la grand'chambre, & 12 des enquêtes.
Le parlement rendit un arrêt le 2 Septembre 1754, qui permit d'instruire à l'ordinaire les instances & procès, tant de la grand'chambre que des enquêtes, nonobstant vacations.
En 1755 le parlement fut continué, & il n'y eut point de vacations.
Requêtes du palais sont des chambres établies pour juger les causes de ceux qui ont droit de committimus.
On appelloit anciennement requêtes du palais le lieu où l'on répondoit les requêtes qui étoient présentées au parlement, & où l'on examinoit les lettres qui devoient passer au sceau pour ce parlement, lequel se servoit alors de la grande chancellerie.
Les maîtres des requêtes de l'hôtel du roi recevoient non-seulement les requêtes qui étoient présentées au roi, mais ceux qui servoient en parlement recevoient les requêtes qui y étoient présentées ; si elles étoient de peu de conséquence, ils les jugeoient seuls entr'eux ; ou bien s'ils ne pouvoient s'en accorder par rapport à l'importance ou difficulté de la matiere, ils venoient en conférer à la grand'chambre les après-dînées ou le matin avant l'audience.
Pour cet effet ils étoient tenus de s'assembler à l'heure du parlement, & de demeurer jusqu'à midi, suivant l'ordonnance de Philippe-le-Bel, faite au parlement tenu dans les trois semaines après la Toussaint en 1291, portant réglement, tant sur l'état du parlement, que sur celui de la chambre des enquêtes & des requêtes.
Cette ordonnance veut que pendant tout le parlement pro requestis audiendis, il y ait trois personnes du conseil du roi qui siégent tous les jours ; le roi nomme trois personnes à cet effet, auxquels il donne le titre de magistrat, de même qu'aux membres du parlement : l'un de ces trois députés est aussi qualifié militem, & il commet près d'eux un notaire, aussi qualifié de maître.
Outre ces trois maîtres qui étoient pour les requêtes de la languedouy ou langue françoise, c'étoit le pays coutumier, il y en avoit d'autres pour les requêtes de la languedoc, ou pays de droit écrit. En effet, l'article suivant de la même ordonnance de 1291, dit que pour entendre & expédier les causes & requêtes des sénéchaussées & pays qui sont régis par le droit écrit, il y aura les vendredi, samedi, dimanche & autres jours de la semaine qu'il paroîtra nécessaire, quatre ou cinq personnes du conseil ; & le roi donne cette commission au chantre de Bayeux, & à deux autres personnes qui sont qualifiées comme les premiers magistrats, avec le doyen de Gerberie pour leur notaire ou greffier.
C'est ainsi que cela fut pratiqué jusqu'à ce que le parlement eut été rendu sédentaire à Paris ; car alors ou du-moins peu de tems après, les maîtres des requêtes de l'hôtel du roi étant employés près la personne du roi, & ailleurs pour les commissions qui leur étoient départies, ils laisserent au parlement la connoissance des requêtes qui lui étoient présentées ; & en conséquence quelques-uns des maîtres du parlement furent commis par le roi pour connoître de ces requêtes, comme il paroît par les ordonnances intervenues depuis Philippe-le-Bel jusqu'à Charles VI. & ces maîtres étant tirés du corps de la cour séante au palais, furent appellés les maîtres des requêtes du palais, pour les distinguer des maîtres des requêtes de l'hôtel du roi.
L'ordonnance de 1304 ou 1305, citée par Pasquier, veut qu'il y ait cinq personnes aux requêtes de la languedoc, & cinq aux requêtes de la langue françoise ; il est vrai qu'au lieu de requêtes on trouve le mot d'enquêtes, mais on voit que c'est par erreur, car il est dit auparavant qu'il y aura cinq personnes en la chambre des enquêtes : desorte que ce qui suit concerne les requêtes.
Les maîtres des requêtes du palais restoient en leur siége pour recevoir les requêtes, quoique le parlement fût fini : cela se voit dans les registres olim sous l'année 1310, où il est dit que le roi adressa un mandement aux gens des requêtes du palais, cum finitum esset parlamentum, rex dilectis & fidelibus gentibus suis Parisiis requestas tenentibus mandavit, &c. Il les qualifioit dès-lors d'amés & féaux comme les maîtres du parlement, du corps desquels ils avoient été tirés.
On voit dans le quatrieme olim arrêt devant Noel 1315, que les gens des requêtes du palais sont tous qualifiés de présidens : ils sont nommés au nombre de cinq ; mais dans d'autres séances du parlement ils sont juges & souvent rapporteurs sans être nommés au premier rang.
Il en est encore parlé dans les années suivantes, jusqu'en 1318.
Le 17 Novembre de cette année, Philippe V. dit le long, fit une ordonnance touchant le parlement ; il ordonne par l'article vij. que bonnes personnes & apertes pour délivrer, soient aux requêtes de la languedoc & de la françoise, & qu'en chacun siége des requêtes il y ait trois ou quatre notaires, un de sang (c'est-à-dire pour les lettres de grace), & le remanant des autres, qui par leurs sermens soient tenus d'être aux requêtes tant comme les maîtres des requêtes y seront, sans faillir & sans aller à la chambre, & que par leurs sermens ils ne puissent faire autres lettres tant qu'ils aient lettres de requêtes à faire ; qu'ils apporteront le matin à leurs maîtres des requêtes les lettres qu'ils feront ; que les maîtres les corrigeront s'il y a lieu, & les signeront du signet que l'un d'eux portera comme au chancelier, & les envoyeront au chancelier toutes corrigées & signées pour les sceller ; que s'il y a quelque défaut dans ces lettres, ceux qui les auront passées & signées en seront blâmés ; qu'en chaque siége des requêtes il n'y aura qu'un signet tel que le roi ordonnera, & que les maîtres ne pourront connoître des causes ni des querelles, spécialement du principal des causes qui doivent être discutées en parlement ou devant les baillis ou les sénéchaux ; mais que si une partie s'oppose à la requête à ce qu'aucune lettre de justice ne soit donnée, ils pourront bien en connoître & ouïr les parties, pourvoir s'ils accorderont les lettres ou non : ce réglement fut renouvellé en 1344.
Ce même prince, par son ordonnance du mois de Décembre 1320, fit encore un réglement sur l'état de ses requêtes (les requêtes du palais), savoir qu'il auroit trois clercs & deux laïcs pour ouir les requêtes ; que ceux-ci viendroient le matin à la même heure que ceux du parlement, & demeureroient jusqu'à midi, si besoin étoit.
Que les notaires qui seroient à Paris, excepté ceux qui seroient députés à certains offices, viendroient chaque jour aux requêtes, & employeroient chacun la journée ; que le lendemain chacun rapporteroit les lettres qu'il auroit faites pour lire ès requêtes, & que par son serment il n'en signeroit aucune jusqu'à ce qu'elles y eussent été lûes, ou devant celui par qui elles avoient été commandées.
Que si on donnoit aux maîtres quelque requête qu'ils ne puissent délivrer, ils en parleroient aux gens du parlement quand midi seroit sonné ; & que si la chose demandoit plus mûre délibération, ils en parleroient quand on seroit aux arrêts (c'est-à-dire le jeudi, qui étoit le jour que l'on jugeoit) ; & qu'ils le diroient à celui que la requête concerneroit, afin qu'il sût qu'on ne le faisoit pas attendre sans cause.
Enfin, que ceux des requêtes n'entreroient point dans la chambre du parlement, excepté dans les cas ci-dessus, à-moins qu'ils n'y fussent mandés ou qu'ils n'y eussent affaire pour eux mêmes ou pour leurs amis particuliers ; & qu'en ce cas dès qu'ils auroient parlé ils sortiroient & iroient faire leur office, le roi voulant qu'ils fussent payés de leurs gages par son trésorier, comme les gens du parlement & des enquêtes.
Il n'y eut point de parlement en 1326, mais il y eut des commissaires pour juger pendant cette vacance. Non fuit parlamentum, dit le premier registre du dépôt, tamen expedita & prolata fuerunt judicata quae sequuntur.... certum diem habentes coram gentibus nostris Parisiis praesidentibus.
Il paroît que dès 1341 les gens des requêtes du palais étoient considérés comme une cour qui avoit la concurrence avec les requêtes de l'hôtel. En effet, on trouve des lettres de 1341 ; & d'autres de 1344, adressées " à nos amés & féaux les gens tenant notre parlement, & nos amés & féaux les gens des requêtes de notre hôtel & de notre palais à Paris ".
Lorsque Philippe de Valois fit l'état de son parlement au mois de Mars 1344, il ordonna pour ses requêtes du palais huit personnes, savoir cinq clercs & trois lais ; il régla en même tems que les gens des enquêtes ou requêtes du palais qui seroient envoyés en commission, ne pourroient se faire payer que pour quatre chevaux.
Les maîtres des requêtes du palais, que l'on appelloit aussi les gens des requêtes du palais, ou les gens tenans les requêtes du palais, avoient dès 1358, cour & jurisdiction ; c'est ce qui résulte d'une ordonnance du mois de Janvier 1358, du dauphin Charles, régent du royaume, qui fut depuis le roi Charles V. il declare que personne ne peut tenir cour ou jurisdiction temporelle au palais sans le congé du concierge, excepté les gens des comptes, de parlement & des requêtes du palais, ou aucuns commissaires députés de par eux.
Cette jurisdiction des requêtes s'appelloit aussi l'office des requêtes du palais, comme il se voit dans l'ordonnance du même prince du 27 Janvier 1359, portant entr'autres choses qu'en l'office des requêtes du palais, il y auroit présentement & à l'avenir seulement cinq clercs & trois lais : c'étoit toujours le même nombre qu'en 1344.
Dans ce même tems l'usage des committimus aux requêtes du palais commençoit à s'établir. On voit dans différentes lettres des années 1358 & suivantes, que la sainte-Chapelle avoit ses causes commises aux requêtes du Palais ; & qu'en conséquence des lettres de sauvegarde accordées à l'abbaye de notre-Dame du Vivier en Brie, les affaires de ce chapitre furent d'abord pareillement attribuées en 1358 aux requêtes du palais : qu'ensuite en 1359 on les attribua au parlement, mais avec la clause que quand le parlement ne tiendroit pas, le chapitre pourroit se pourvoir devant les présidens du parlement, ou devant les gens des requêtes du palais. Il y eut dans la suite plusieurs autres attributions semblables.
Il y avoit aussi déja deux huissiers aux requêtes du palais qui faisoient corps avec les autres huissiers du parlement ; ailleurs ils sont nommés sergens des requêtes.
Le reglement que Charles V. fit en Novembre 1364 touchant les requêtes du palais, & qui est adressé à nos amés & féaux conseillers les gens tenans les requêtes en notre palais à Paris, nous apprend qu'ils étoient dès-lors si chargés de diverses causes, touchant les officiers du roi & autres, que le roi leur avoit commises de jour en jour par ses lettres, qu'il crut nécessaire de faire ce reglement pour la prompte expédition des causes en ce siége.
On y remarque entr'autres choses, qu'ils devoient donner leurs audiences les jours que le parlement étoit au conseil, & que les jours que l'on plaidoit au parlement, ils devoient à leur tour être au conseil pour faire les autres expéditions de leur siége.
Que les causes qui n'avoient pû être expédiées le matin, devoient l'être après dîné.
Qu'il y avoit un scel établi pour ce siége qui étoit entre les mains du président ; & quand celui-ci s'absenteroit, il devoit laisser ce scel entre les mains du plus ancien clerc, c'est-à-dire conseiller.
Les requêtes du palais étoient juges de leurs compétences, comme il résulte d'un arrêt du 18 Juillet 1368, qui porte, quand il y aura conflit de jurisdiction entre les requêtes du palais & le prevôt de Paris, il se retirera devant les conseillers des requêtes pour y dire ses raisons, & que ceux-ci décideront.
Charles V. dans des lettres de 1378 pour l'abbaye de Chalis, qualifie les gens des requêtes du palais de commissaires, titre qui est demeuré à ceux des conseillers au parlement qui sont attachés à ce siége.
Du tems de Charles VI. le privilege de scholarité servoit à attirer les procès aux requêtes du palais.
L'exercice de cette jurisdiction des requêtes du palais qui se tenoit par les commissaires du parlement au nom du roi, fut interrompu sous Charles VI. à cause des guerres qu'il eut contre les Anglois, qui commencerent vers l'an 1418, pendant lesquelles Henri V. roi d'Angleterre, qui s'étoit emparé de plusieurs villes du royaume, & entr'autres de celle de Paris, y établit pour les requêtes du palais, un président & quatre conseillers, dont les deux premiers étoient du corps de la cour, & les deux autres généraux des aides.
Durant le cours de ces guerres, le roi ayant établi son parlement & requêtes à Poitiers, ce fut les maîtres des requêtes de l'hôtel du roi qui tinrent les requêtes du palais, comme ils faisoient anciennement jusqu'en 1436, que Charles VII. ayant remis son parlement à Paris, y rétablit aussi la chambre des enquêtes.
En 1473, il ordonna qu'elle seroit composée d'un président & de cinq conseillers, lesquels ne furent point tirés du corps de la cour, comme cela se pratiquoit auparavant.
Ce nombre de six y compris le président, dura jusqu'à François I. lequel par édit du mois de Mai 1544, créa encore pour les requêtes, un président & deux conseillers, auxquels par un édit du mois suivant, il ajouta un autre commissaire ou conseiller ; & dans le même mois, il en créa encore un autre pour être tenu & exercé par un conseiller du parlement.
Charles IX créa aussi en 1567 trois conseillers laïcs pour les requêtes, dont l'un seroit second président.
Les pourvûs de ces offices n'ayant point été tirés du corps de la cour, suivant les anciennes ordonnances, il fut ordonné par lettres-patentes du mois de Mars 1571, que vacation avenant des offices de conseillers des requêtes du palais, ces offices seroient donnés à un des trois plus anciens conseillers de la grand'chambre, que la cour nommeroit & éliroit plus anciens, sans démembrer à l'avenir la commission de l'état de conseiller, suivant l'ancienne coutume.
Il y fut cependant dérogé par un édit de 1574, portant création de quatre offices de conseillers aux requêtes.
Mais sur les remontrances faites par la cour par une déclaration du 6 Mars 1576 : il fut dit que vacation avenant, il ne seroit pourvû aux commissions des requêtes du palais à autres, qu'aux anciens conseillers de la grand'chambre du parlement, par élection & nomination que le corps en feroit.
Depuis, par édit du mois de Juin 1580, Henri III. créa une seconde chambre des requêtes du palais, composée de deux présidens & huit conseillers, aux mêmes droits, privileges & prérogatives que les anciens.
Il y a eu depuis diverses créations & suppressions d'offices de conseillers au parlement, commissaires aux requêtes du palais, par édits & déclarations de Septembre, Mai 1597, 2 Décembre 1599, Décembre 1635, Décembre 1637.
Il a aussi été créé un troisieme office de président dans chaque chambre par édit du mois de Mai 1704.
Depuis l'édit de 1756 & déclaration de 1757, chaque chambre des requêtes du palais est composée de deux présidens & de quatorze conseillers.
Les requêtes du palais sont du corps du parlement, & jouissent des mêmes privileges.
Les présidens & conseillers aux requêtes, assistent aux assemblées des chambres & aux réceptions, les conseillers peuvent en quittant la commission passer aux enquêtes.
Ils sont juges des causes personnelles, possessoires & mixtes, de tous ceux qui ont droit de committimus au grand ou au petit sceau, bien entendu néanmoins qu'ils ne peuvent attirer à leur tribunal que ceux qui sont dans l'étendue du parlement de Paris.
Il est néanmoins au choix des privilegiés, de porter leurs causes aux requêtes de l'hôtel ou aux requêtes du palais, à l'exception des présidens, conseillers & autres officiers des requêtes du palais & de leurs veuves, lesquels ne peuvent en vertu de leur privilege, plaider ailleurs qu'aux requêtes de l'hôtel, comme è contrario les maîtres des requêtes & officiers des requêtes de l'hôtel ne peuvent plaider qu'aux requêtes du palais.
Chancellerie près le parlement. Anciennement le parlement n'avoit point d'autre chancellerie pour sceller ses expéditions, que la grande chancellerie de France.
On voit par l'ordonnance de 1296, que les présidens du parlement avoient alors un signet qui étoit tenu par celui qui étoit par eux ordonné, que ce signet servoit à signer toutes les expéditions qu'ils délivroient, & que ce chancelier étoit tenu de sceller tout ce qui étoit ordonné par la chambre sans y pouvoir rien changer.
Il en étoit de même de tout ce qui émanoit de la chambre de droit écrit & de celle des requêtes qui avoient aussi chacune leur signet ; le chancelier étoit tenu pareillement de sceller tout ce qui étoit délivré sous leur signet.
Quand le parlement tenoit, on ne délivroit point ailleurs les lettres de justice ; l'ordonnance de Philippe V. du 16 Novembre 1318, art. 4. porte qu'il y aura toujours avec le roi deux poursuivans, un clerc & un laïc, lesquels quand le parlement ne tiendra pas, délivreront les requêtes de justice ; & quand le parlement tiendra, ils ne les délivreront point, mais les renverront au parlement ; & soit qu'il y eût parlement ou non, ces deux poursuivans devoient examiner toutes les requêtes avant qu'elles fussent envoyées au grand sceau.
Privileges du parlement. Les privileges de cette compagnie sont en si grand nombre, que nous n'entreprendrons pas de les marquer ici tous ; nous nous contenterons de remarquer les principaux.
Tel est celui de la noblesse transmissible au premier degré ; dès les premiers tems la qualité de conseiller au parlement supposoit la noblesse dans celui qui étoit revêtu de cette place ; car comme le droit de la nation étoit que chacun fût juge pour ses pairs, il falloit être noble pour être juge des nobles, & pour juger l'appel des baillifs, pairs & barons, pour aider aux pairs & aux prélats à rendre la justice, & sur-tout depuis les établissemens de S. Louis, qui étant tirés du droit romain, rendoient nécessaire la connoissance du corps de droit ; on admit au parlement des gens lettrés non nobles, & dans des tems d'ignorance, où l'on ne faisoit pas attention que la dignité de cette fonction conféroit nécessairement la noblesse ; on donnoit des lettres de noblesse à ceux qui n'étoient pas nobles d'extraction, on les faisoit chevaliers en lois ; mais dans des tems plus éclairés, on a reconnu l'erreur où l'on étoit tombé à cet égard, & dans les occasions qui se sont présentées, l'on a jugé que ces offices conféroient la noblesse ; il y en a arrêt dès 1546. Louis XIII. confirma la noblesse du parlement par édits des mois de Novembre 1640 & Juillet 1644.
Les présidens à mortier & les conseillers clercs, jouissoient autrefois du droit de manteaux.
Pour ce qui est des gages du parlement, ils lui furent attribués lorsqu'il devint sédentaire & ordinaire, ce fut en 1322 qu'on en assigna le payement sur les amendes.
Les présidens, conseillers & autres principaux officiers du parlement, jouïssent de l'exemption du ban & arriere-ban, du logement des gens de guerre & de la suite du roi, du droit d'indult, du droit de franc-salé, de l'exemption des droits seigneuriaux, tant en achetant que vendant des biens dans la mouvance du roi, de la prestation de l'hommage en personne, du droit de porter la robe rouge & le chaperon herminé dans les cérémonies, de la recherche des sacs après trois ans.
Les conseillers clercs en particulier, sont dispensés de résider à leurs bénéfices.
Le doyen des conseillers de la grand'chambre & le plus ancien des conseillers clercs de la même chambre est gratifié d'une pension ; aux enquêtes, il n'y a de pension que pour le doyen des conseillers laïcs.
Les conseillers au parlement ont le droit de dresser des procès-verbaux des choses qui se passent sous leurs yeux qui intéressent le service du roi, le public ou la compagnie.
Mais un de leurs plus considérables privileges est celui qu'ils ont d'être, non-seulement jugés par le parlement assemblé, mais même d'être exempts de toute instruction devant aucun autre juge ; ensorte que la plume doit tomber des mains, suivant l'expression ordinaire, dès qu'un conseiller au parlement est impliqué dans la procedure ; le juge doit s'interrompre, fut-ce au milieu d'une déposition, interrogatoire, plaidoierie ou autre acte quelconque de la procedure.
Il y auroit bien d'autres choses curieuses à dire au sujet du parlement & des droits, honneurs, prérogatives & privileges, accordés à ce corps & à chacun de ses membres ; mais ce détail passeroit les bornes que l'on doit mettre à cet article qui se trouve déja assez étendu.
Ceux qui voudront en savoir davantage sur cette matiere peuvent consulter les registres du parlement ; le recueil des ordonnances de la troisieme race, l'ancien style du parlement, Pasquier, Joly, Fontanon, Miraulmont, la Rocheflavin, Chenu, Bouchel, Boulainvilliers, Néron, Coquille, & les mots AVOCATS, COUR, ENREGISTREMENS, ÉTATS, ÉVOCATIONS, INDULT, LIT DE JUSTICE, NOBLESSE, PAIRS. (A)
PARLEMENT D'AIX ou DE PROVENCE, est le septieme des parlemens de France, parce que le rang d'ancienneté n'a pu être fixé, vis-à-vis des autres parlemens, qu'à la date des édits qui ont donné une nouvelle forme à ce tribunal, après l'union de la Provence à la couronne.
Ce tribunal avoit été érigé par Louis II. comte de Provence, le 14 Août 1415, sous le titre de parlement, qui lui est attribué par les lettres patentes.
Le même tribunal fut érigé sous le titre de conseil éminent, par Louis III. comte de Provence, au mois de Septembre de l'année 1424.
Après l'union de la Provence à la couronne, Charles VIII. conçut le dessein de réformer l'administration de la justice dans le comté de Provence. Il avoit envoyé pour cet effet des commissaires qui avoient redigé par écrit plusieurs articles ; mais les voyages de ce prince pour la conquête du royaume de Naples, & les grandes affaires qu'il eut à son retour, empêcherent la conclusion de ce projet.
Louis XII. étant parvenu à la couronne, fit assembler plusieurs grands & notables personnages, tant de son grand conseil que de ses parlemens, & du pays de Provence, par l'avis desquels il donna un édit le mois de Juillet 1501, portant érection de la justice & jurisdiction de la grande sénéchaussée & conseil du comté de Provence, Forcalquier, & terres adjacentes, en cour souveraine & parlement, pour lesdits pays & comté.
Il ordonna que cette cour de parlement seroit tenue par le sénéchal de Provence ou son lieutenant en son absence, un président & onze conseillers, dont il y en avoit quatre ecclésiastiques, & les autres laïcs, tous gens notables, clercs gradués & expérimentés au fait de judicature, qui jugeroient en souverain & dernier ressort toutes causes, procès, & débats, en telle autorité, priviléges, prérogatives & prééminences, qui sont dans les autres cours de parlement du royaume ; qu'il y auroit un avocat & deux procureurs généraux & fiscaux, pour poursuivre & défendre les droits du roi, un avocat & un procureur des pauvres, quatre greffiers, & trois huissiers, qui tous ensemble feroient & représenteroient un corps & collége, qui fut intitulé cour du parlement de Provence.
L'édit de création porte encore que le grand sénéchal du pays présent & à venir, demeureroit à toujours le chef & le principal de ce parlement, & que l'on expédieroit sous son nom & titre tous arrêts & appointemens donnés, & qui se donneroient en ce parlement, & que le président de cette cour présideroit sous le grand sénéchal ou lieutenant en son absence, en la forme & maniere que faisoit le président du parlement du Dauphiné, sous le gouverneur du pays. Le lieutenant de sénéchal n'avoit point de voix au parlement en présence du sénéchal.
Il est dit que le chancelier, les pairs de France, les maîtres des requêtes ordinaires de l'hôtel, les conseillers ordinaires du grand-conseil, & autres qui ont entrée dans les parlemens, auront pareillement entrée dans celui de Provence.
Que les évêques & prélats pourront y prendre séance.
Cet édit de 1501 fut publié ; mais les états de Provence ayant fait à ce sujet des remontrances au roi, il envoya dans le pays deux commissaires qui suspendirent l'assiette du parlement : jusqu'à ce que par sa majesté il en eût été autrement ordonné.
Au mois de Juillet 1502, le roi donna un édit portant confirmation de ce parlement, & qui ordonne que l'édit de 1501 sortiroit son plein & entier effet, & seroit derechef publié ; il y eut un autre édit de confirmation au mois de Février 1504.
L'édit de François I. connu sous le nom d'ordonnance de Provence ; du mois de Septembre 1535, ôta la présidence au grand sénéchal ; il ordonna que les arrêts seroient sous le nom du roi, & mit le sénéchal à la tête des jurisdictions inférieures. Il porte que le siége principal du grand sénéchal seroit dans la ville d'Aix, & qu'il auroit quatre autres siéges particuliers ; qu'il connoîtra en premiere instance des causes exprimées dans l'édit, à la charge de l'appel au parlement ; qu'en qualité de gouverneur, il auroit la même autorité que les gouverneurs des autres provinces ; qu'au parlement il sera assis au lieu & côté que les gouverneurs de Languedoc & autres provinces ont accoutumé. Le grand sénéchal a été supprimé par édit du mois de Mars 1662, & il a été établi un sénéchal dans chaque siége de la province. Depuis ce tems, le gouverneur a pris sa séance au parlement au-dessus du doyen des conseillers.
Les lettres-patentes du 22 Juillet 1544, portent que les officiers du parlement d'Aix, ont droit d'aller aux autres parlemens ; qu'ils y seront reçus fraternellement, & y auront séance suivant l'ordre de leur réception.
Par édit du mois d'Octobre 1647, publié au sceau le 27 Novembre suivant, il fut ordonné que ce parlement seroit tenu par deux séances & ouvertures de semestres ; mais l'établissement du semestre fut supprimé par l'édit du mois de Février 1649.
Ce parlement est formé d'une grand'chambre, d'une chambre tournelle établie par lettres-patentes du 22 Juillet 1544, d'une chambre des enquêtes, créée au mois de Février 1553, supprimée en Mars 1560, créée de nouveau au mois de Décembre 1574 ; d'une chambre des requêtes créée au mois de Janvier 1641, d'une chambre des eaux & forêts, créée au mois de Février 1704. La chambre des requêtes qui avoit été supprimée au mois de Mars 1649, a été unie à celle des eaux & forêts, par édit du mois d'Avril 1705, & réunie ensuite à la chambre des enquêtes, par édit du mois d'Avril 1746.
Par les differentes crues, ce parlement est composé aujourd'hui de dix présidens à mortier, cinquante-six conseillers laïcs, un conseiller clerc, dont la charge ne peut être exercée que par une personne engagée dans les ordres sacrés, & qui soit au moins soûdiacre, suivant l'édit du 30 Juillet 1710 ; de trois avocats généraux, & d'un procureur général, attendu que l'un des deux offices créé par l'édit d'érection du parlement, a été supprimé & réuni en la personne du titulaire actuel, par édit du mois de Novembre 1745, de quatre greffiers en chef, de quatre notaires & secrétaires de la cour, de quatre substituts du procureur général, d'un premier huissier, & de onze autres huissiers. L'avocat & le procureur des pauvres établis dans la création du parlement, subsistent encore, & le procureur des pauvres a le privilége d'occuper dans toutes les jurisdictions.
Ce parlement commence ses séances tous les ans le premier Octobre, auquel jour il prête serment, & procéde au département des chambres ; il finit ses séances le 30 Juin. La chambre des vacations commence les siennes le premier Juillet, & les finit le 30 Septembre. Son ressort s'étend sur toute la Provence, les terres adjacentes & la vallée de Barcelonette, depuis son union à la couronne. Il connoît de l'appel des jugemens des consuls de la nation, établis aux échelles du levant & aux côtes de Barbarie ; il a dans son ressort douze sénéchaussées, savoir celles d'Aix, Arles, Marseille, Toulon, Hyeres, Draguignan, Grasse, Castellanne, Digne, Sisteron, Forcalquier, Brignole, outre la préfecture de Barcelonette, & les siéges d'appeaux.
Les judicatures royales de ce parlement sont Gardanne, Pertuis, Tarascon, Saint-Remy, Antibes, Cuers, les Mées, Saint-Paul de Vence, Moustiers, Apt, Saignon, Saint-Maximin, Correns, le Val, Barjolx, Guillaume, Entrevaux, Colmar, Seyne, Aups, & le Martigues.
Ce parlement jouït du droit d'annexe, en vertu duquel aucune bulle ne peut être exécutée dans son ressort, sans sa permission, paréatis, entérinement, attache ou annexe. Ce droit s'exerce non seulement à l'égard des bulles qui ont besoin de lettres-patentes enregistrées, suivant le droit public du royaume, mais généralement envers tous brefs, rescrits, expéditions pour affaires publiques, ou pour celles des particuliers, & qui sont émanées de la cour de Rome ou de la légation d'Avignon, jubilés, indulgences, dispenses de voeux ou de mariage, dispenses d'âge, collation des bénéfices ; usage fondé sur ce que les ordres des souverains étrangers ne peuvent être exécutés sans un pareatis, & la puissance spirituelle ne doit pas être exceptée de cette regle.
Ce droit est établi sur les monumens les plus authentiques, tant avant qu'après l'union de la Provence à la couronne. Le conseil éminent avoit ordonné en 1432, qu'aucunes lettres émanées d'une puissance étrangere, même spirituelle, ne pourroient être exécutées en Provence sans l'annexe de ce tribunal, à peine de saisie du temporel. L'arrêt fut signifié au syndic des évêques & aux agens du clergé séculier & régulier.
Il est dit dans l'ordonnance de Provence, que la concession des annexes concerne grandement l'autorité, puissance, & prééminence du roi & le soulagement de ses sujets, & comme l'observoit le procureur général du parlement dans une requête présentée au roi en 1653, les appels comme d'abus peuvent bien remédier aux entreprises de la cour de Rome, mais l'annexe peut seule les prévenir en les arrêtant dès leur naissance.
On trouve dans les registres du parlement des lettres que Louis XII. & François I. lui écrivoient pour demander l'annexe en faveur des ecclésiastiques par eux nommés à des bénéfices.
On y trouve aussi divers brefs des papes qui sollicitent l'annexe en faveur des pourvûs par la cour de Rome, deux brefs de Jules II. du 1. Juillet 1504 & 23 Avril 1510, pour l'annexe des provisions de la prévôté d'Arles, que ce pape avoit conféré, & un troisieme de Léon X. en faveur de son vice-légat, du 25 Septembre 1514, signé du cardinal Sadolet. Hortamur in Domino, requirimusque paternè, ut debitae executioni demandare permittatis & faciatis : c'est le style de ces brefs.
Il y a un ancien concordat passé entre le vice-légat d'Avignon & le député du parlement, qui reconnoît le droit d'annexe. Léon X. après l'avoir reconnu par le bref rapporté ci-dessus, voulut y donner atteinte à l'occasion des difficultés que faisoit le parlement d'accorder l'annexe des facultés du cardinal de Clermont, légat d'Avignon ; ce pape employa même l'autorité du concile de Latran pour excommunier & citer les officiers du parlement ; François I. écrivit différentes lettres au parlement, contenant approbation de sa conduite, & promesse de l'appuyer de son pouvoir. Mais ce prince voulant ménager la cour de Rome, après la conquête du Milanois, marqua au parlement de terminer ce différend avec la cour de Rome par un accommodement, dont les conditions furent, que le pape accorda à la demande du député du parlement, l'absolution des censures prononcées dans le concile ; mais ce pape signa en même tems des articles qui conservent le droit d'annexe. Le parlement en a toujours usé depuis, & a puni les contrevenans qui avoient publié dans son ressort quelques bulles non annexées. Divers arrêts de reglemens obligent à faire mention de l'annexe dans les imprimés des bulles, brefs, ou rescrits de la cour de Rome, ou de la légation d'Avignon.
M. de la Rocheflavin en son traité des Parlemens de France, livre XIII. remarque que le parlement de Provence à cause de l'éloignement du roi, a de tout tems accoutumé en l'absence des gouverneurs & lieutenans généraux, en cas de besoin & nécessité & pour le bien public & conservation des villes frontieres, se mêler des finances, permettre les impositions. De quoi se trouvent infinité d'arrêts & délibérations dans leurs registres ; ce que ne font les parlemens de Paris, Normandie, Bourgogne, & Bretagne, à cause de la présence & voisinage du roi ou des gouverneurs des provinces qui pourvoyent suivant les occurrences.
Ce parlement avoit eu de toute ancienneté le commandement de la province, en absence du gouverneur qui venoit le remettre entre les mains de la grand'chambre, lorsqu'il sortoit de la province. Ce droit est établi par plusieurs lettres-patentes, arrêts du conseil, par le reglement fait de l'autorité du roi, entre le parlement & le maréchal de Vitry gouverneur, le 20 Décembre 1633, & par un arrêt du conseil de 1635. Il y est déclaré que l'assemblée des communautés de Provence ne peut être permise que par le gouverneur ou le parlement, ayant en son absence le gouvernement. La grand'chambre a exercé ce droit jusqu'en l'année 1667, en laquelle M. d'Oppede premier président, obtint des lettres de commandant.
L'usage qu'il a fait de son autorité dans le tems de la ligue, lui attira de la part d'Henri IV. un témoignage honorable des services qu'il a rendus à la couronne dans cette conjoncture importante : les lettres patentes de l'an 1594, s'expliquent en ces termes. Déclarons notre cour de parlement de Provence avoir été principal instrument de la réduction de toutes les villes de notre royaume en notre obéissance, ayant véritablement témoigné en cette rencontre une entiere reconnoissance de notre autorité, & montré une constance & fidélité exemplaire à toute la France.
Le parlement est chargé de tous les tems, à chaque paix, d'en ordonner la publication. Louis XIV. se trouvant à Aix en 1660, en donna l'ordre ; le parlement fit publier la paix de Nimegue en 1677 ; il n'avoit point reçu les traités de Riswick & d'Utrecht ; mais il a été rétabli dans ses droits en 1714. La publication de la paix est d'abord faite à l'audience après un discours de l'avocat général, & ensuite dans la ville par le greffier audiencier, précédé de tambours, trompettes, & fourriers du pays, de la maréchaussée, des huissiers, suivi des greffiers & secrétaires de la cour, des principaux officiers du siége, des consuls & officiers de la ville, tous à cheval, en robe ou en habits de cérémonie. (A)
PARLEMENT AMBULATOIRE, est celui qui se tenoit à la suite de nos rois, avant qu'il eût été rendu sédentaire à Paris. Voyez ce qui est dit ci-devant du parlement de Paris.
PARLEMENT A AMIENS, pendant la démence de Charles VI. la reine Isabeau de Baviere son épouse, que le duc de Bourgogne & sa faction qualifioient régente du royaume, établit un parlement à Amiens, dont les arrêts se rendoient au nom de cette princesse en ces termes : Isabelle par la grace de Dieu reine de France, ayant pour l'occupation de monsieur le roi, le gouvernement & administration de ce royaume. La reine avoit aussi fait faire un sceau particulier sur l'un des côtés duquel elle étoit représentée, & sur l'autre étoient les armes de France écartelées de Baviere. Le duc de Bourgogne mit à la tête de ce parlement Philippe de Morvilliers, qui fut depuis premier président du parlement de Paris. Voyez Pasquier, recherch. liv. II. chap. iv. & liv. VI. chap. iij. Mezeray, Henaut, Bruneau, tr. des criées dans son avant-propos. (A)
PARLEMENS ANCIENS, ou plutôt, comme on dit, anciens parlemens, sont ces assemblées de la nation qui se tenoient sous la premiere & la seconde tace de nos rois, & auxquelles on a donné le nom de parlemens généraux. Voyez ce qui est dit ci-devant du parlement en général, & notamment du parlement de Paris, & ci-après PARLEMENS GENERAUX. (A)
PARLEMENT D'ANGLETERRE, (Hist. d'Angl.) le parlement est l'assemblée & la réunion des trois états du royaume ; savoir des seigneurs spirituels, des seigneurs temporels & des communes, qui ont reçu ordre du roi de s'assembler, pour délibérer sur matieres relatives au bien public, & particulierement pour établir ou révoquer des lois. C'est ordinairement à Westminster que s'assemble le parlement de la Grande-Bretagne ; l'auteur de la Henriade en parle en ces termes :
Aux murs de Westminster on voit paroître ensemble
Trois pouvoirs étonnés du noeud qui les rassemble,
Les députés du peuple & les grands, & le roi,
Divisés d'intérêt, réunis par la loi ;
Tous trois membres sacrés de ce corps invincible,
Dangereux à lui-même, à ses voisins terrible :
Heureux lorsque le peuple instruit dans son devoir,
Respecte autant qu'il doit le souverain pouvoir !
Plus heureux lorsqu'un roi doux, juste & politique,
Respecte autant qu'il doit la liberté publique.
Qu'il me soit permis de m'étendre sur ce puissant corps législatif, puisque c'est un sénat souverain, le plus auguste de l'Europe, & dans le pays du monde où l'on a le mieux su se prévaloir de la religion, du commerce, & de la liberté.
Les deux chambres du parlement composent le grand conseil de la nation & du monarque. Jusqu'au tems de la conquête, ce grand conseil composé des grands du royaume seulement, étoit nommé magnatum conventus & praelatorum procerumque conventus. Spelman nous apprend aussi qu'on en appelloit les membres, magnates regni, nobiles regni, proceres & fideles regni, discretio totius regni, generale consilium regni. Les Saxons l'appelloient dans leur langue wittenagemot, c'est-à-dire assemblée des sages. Voyez WITTENAGEMOT.
Après la conquête, vers le commencement du regne d'Edouard I. ou, selon d'autres, dans le tems d'Henri I. il fut nommé parlement, peut-être du mot françois parler ; mais on n'est point d'accord ni sur le pouvoir & l'autorité des anciens parlemens de la grande Bretagne, ni sur les personnes qui le composoient ; & vraisemblablement on ne le sera jamais sur l'origine de la chambre des communes, tant les savans du premier ordre sont eux-mêmes partagés à cet égard.
Les uns prétendent que le parlement ne fut composé que des barons ou des grands de la nation, jusqu'à ce que sous le regne d'Henri III. les communes furent aussi appellées pour avoir séance au parlement. Cambden, Prynn, Dugdale, Heylin, Bradyd, Filmer, & autres sont de cet avis. Une de leurs principales raisons est que le premier ordre ou lettre circulaire pour convoquer l'assemblée en parlement de tous les chevaliers citoyens & bourgeois n'est pas plus ancienne que la 49e année du regne d'Henri III. c'est-à-dire l'an 1217 ; ils ajoutent, pour appuyer leur sentiment, que la chambre des communes fut établie sous le regne de ce prince seulement après qu'il eut vaincu les barons, parce qu'il n'est guere croyable qu'auparavant les barons eussent souffert aucun pouvoir qui fût opposé au leur.
Cependant le célebre Raleigh, dans ses prérogatives des parlemens, soutient que les communes y furent appellées la 17e année d'Henri I. D'un autre côté, le Ch. Edouard Coke, Duderidge, & autres savans se sont efforcés de prouver par plusieurs faits d'un grands poids, que les communes ont toujours eu part dans la législation, & séance dans les grandes assemblées de la nation, quoique sur un pié différent d'aujourd'hui ; car à présent elles font une chambre distinguée, & qui est composée de chevaliers, de citoyens & de bourgeois. Une chose certaine, c'est que sous le regne d'Edouard I. il y a eu une chambre des seigneurs & une chambre des communes, laquelle derniere chambre étoit composée de chevaliers, citoyens & bourgeois.
Le parlement est indiqué par une sommation du roi, & quand la pairie parlementaire fut établie, tous les pairs étoient sommés chacun en particulier, ce qui a fait dire au Ch. Coke que tout lord spirituel & temporel d'âge requis doit avoir un ordre d'ajournement, ex debito instituto. On trouvera la forme de ces sommations dans les Cotton's records, iij. 4.
Anciennement la tenure d'un fief formoit le droit de séance, & tous ceux qui possédoient des tenures per baroniam, étoient sommés d'assister au parlement ; de-là vint que la tenure en la séance au parlement formoit le baron ; mais cette tenure n'étoit pas suffisante pour les autres degrés de qualité au-dessus de celle de baron. Il y avoit pour eux d'autres cérémonies requises, à-moins qu'on n'en fût dispensé par lettres patentes dûement enregistrées.
La premiere sommation d'un pair au parlement differe des sommations suivantes, en ce que dans la premiere sommation le pair est seulement nommé par son nom de baptême & de famille, ne devant posséder le nom & le titre de sa dignité qu'après avoir siégé, & pour-lors seulement le nom de sa dignité devient partie de son nom-propre.
L'ordre de sommation doit émaner de la chancellerie ; il porte que le roi, de avisamento consilii, ayant résolu d'avoir un parlement, desire quod intersitis eum, &c. Chaque lord du parlement doit avoir une sommation particuliere, & chaque sommation doit lui être adressée au-moins 40 jours avant que le parlement commence.
Quant à la maniere de sommer les juges, les barons de l'échiquier, ceux du conseil du roi, les maîtres en chancellerie qui n'ont point de suffrage, & en quoi ces sommations different de celles d'un lord membre du parlement. Voyez le Rég. 261. F. N. B. 229. 4. Inst. 4.
Tout ordre de sommation doit être adressé au sherif de chaque comté d'Angleterre & de la principauté de Galles pour le choix & l'élection des chevaliers, citoyens & bourgeois, qui sont dans l'étendue de leur département respectif ; de même l'ordre de sommation s'adresse au lord gouverneur des cinq ports pour les élections des barons de son district. La forme de ces sommations doit être toujours la même sans aucun changement quelconque, à-moins qu'il n'en soit ordonné autrement par acte du parlement.
Le roi convoque, proroge & casse le parlement. Ce corps auguste est dans l'usage de commencer ses séances avec la présence du roi ou sa représentation. La représentation du roi se fait de deux manieres, ou 1°. par le lord gardien d'Angleterre, the guardian of England, quand le roi est hors du royaume ; ou 2°. par commission du grand sceau d'Angleterre à un certain nombre de pairs du royaume qui représentent la personne du roi, lorsqu'il est dans le royaume, mais qu'il ne peut assister au parlement à cause de quelque maladie.
Dans le commencement on convoquoit de nouveaux parlemens tous les ans ; par degrés leur terme devint plus long. Sous Charles II. ils étoient tenus pendant long-tems avec de grandes interruptions, mais l'une & l'autre de ces coutumes fut trouvée de si dangereuse conséquence, que du regne du roi Guillaume il fut passé un acte, par lequel le terme de tous les parlemens seroit restraint à trois sessions ou trois années, & pour cette raison cet acte fut nommé acte triennal. Depuis, par d'autres considérations à la 3e. année de Georges I. la durée des parlemens a été de nouveau prorogée jusqu'à sept ans. Les parlemens sont convoqués par des ordres par écrit ou lettres du roi adressées à chaque seigneur, avec commandement de comparoître, & par d'autres ordres adressés aux sherifs de chaque province, pour sommer le peuple d'élire deux chevaliers par chaque comté, & un ou deux membres pour chaque bourg, &c.
Anciennement tout le peuple avoit voix dans les élections, jusqu'à ce qu'il fut arrêté par Henri VI. qu'il n'y auroit que les propriétaires de franc-fiefs résidens dans la province, & ceux qui ont au-moins 40 schellings de revenu annuel, qui seroient admis à voter ; personne ne peut être élu qu'il ne soit âgé de 21 ans.
Tout lord spirituel & temporel, chevalier, citoyen & bourgeois, membre du parlement, doit s'y rendre sur l'ordre de sommation, à-moins qu'il ne produise des excuses raisonnables de son absence : sans cela il est condamné à une amende pécuniaire ; savoir un seigneur par la chambre des pairs, & un membre des communes par la chambre basse. Mais en même tems, afin que les membres viennent au parlement en plus grand nombre, il y a un privilege pour eux & leurs domestiques, qui les met à couvert de toutes condamnations, saisies, prises de corps, &c. pour dettes, délits, &c. pendant le tems de leur voyage, de leur séjour & de leur retour : ce privilege n'a d'exceptions que les condamnations pour trahisons, félonie & rupture de paix.
Quoique les droits & qualifications pour les élections soient généralement établies par divers actes du parlement, il faut néanmoins remarquer que ces droits & qualifications des membres du parlement pour les cités, villes & bourgs sont fondées de tems immémorial sur leurs chartres & leurs coutumes. Hobart, 120. 126. 141.
Le roi désigne le lieu où le parlement doit se tenir ; j'ai nommé ci-dessus Westminster, parce que depuis long-tems le parlement s'y est toujours assemblé. Dans ce palais, les seigneurs & les communes ont chacun un appartement séparé. Dans la chambre des pairs, les princes du sang sont placés sur des sieges particuliers, les grands officiers de l'état, les ducs, les marquis, les comtes, les évêques sur des bancs, & les vicomtes & les barons sur d'autres bancs en travers de la salle chacun suivant l'ordre de leur création & leur rang.
Les communes sont pêle-mêle ; l'orateur seul a un siege distingué au plus haut bout ; le secrétaire & son assistant sont placés proche de lui à une table. Avant que d'entamer aucune matiere, tous les membres de la chambre des communes prêtent les sermens, & souscrivent leur opinion contre la transubstantiation, &c. Les seigneurs ne prêtent point de sermens, mais ils sont obligés de souscrire comme les membres de la chambre basse. Tout membre de cette derniere chambre qui vote après que l'orateur a été nommé, & sans avoir auparavant prêté les sermens requis, est déclaré incapable de tout office, & amendé à 500 livres sterlings par le statut 30. carol. II. c. j. Il est vrai seulement que la forme du serment de suprématie a été changée par le stat. 4. an. c. v.
La chambre des pairs est la cour souveraine de justice du royaume, & juge en dernier ressort : la chambre basse fait les grandes enquêtes, mais elle n'est point cour de justice.
Comme l'objet le plus important dans les affaires du parlement concerne la maniere dont les bills ou projets d'actes sont proposés & débattus, nous nous y arrêterons quelques momens.
L'ancienne maniere de procéder dans les bills étoit différente de celle qu'on suit aujourd'hui ; alors le bill étoit formé en maniere de demande qu'on couchoit sur le registre des seigneurs avec le consentement du roi ; ensuite à la clôture du parlement, l'acte étoit rédigé en forme de statut, & porté sur le registre nommé registre des statuts. Cet usage subsista jusqu'au regne d'Henri VI. où, sur les plaintes qu'on fit que les statuts n'étoient point fidélement couchés comme ils avoient été prononcés, on ordonna qu'à l'avenir les bills, continentes formam actûs parliamenti, seroient déposés dans la chambre du parlement. Aujourd'hui donc dès qu'un membre desire d'avoir un bill sur quelque objet, & que sa proposition est agréée par la majorité des voix, il reçoit ordre de le préparer & de l'extraire ; on fixe un tems pour le lire : la lecture faite par le secrétaire, le président demande s'il sera lu la seconde fois ou non ; après la seconde lecture, on agite la question, si on verra ledit bill en comité ou non : ce comité est composé de la chambre entiere ou d'un comité privé, formé d'un certain nombre de commissaires.
Le comité étant ordonné, on nomme un président qui lit le bill article par article, & y fait des corrections suivant l'opinion du plus grand nombre ; après que le bill a été ainsi balloté, le président fait son rapport à la barre de la chambre, lit toutes les additions & corrections, & le laisse sur la table. Alors il demande si le bill sera lu une seconde fois ; quand la chambre y consent, il demande encore si ledit bill sera grossoyé, écrit sur le parchemin, & lu une troisieme fois. Enfin il demande si le bill passera. Quand la majorité des suffrages est pour l'affirmative, le secrétaire écrit dessus soit baillé aux seigneurs, ou si c'est dans la chambre des pairs, soit baillé aux communes ; mais si le bill est rejetté, il ne peut plus être proposé dans le cours de la même session.
Quand un bill passe à une chambre, & que l'autre s'y oppose, alors on demande une conférence dans la chambre-peinte, où chaque chambre députe un certain nombre de membres, & là l'affaire est discutée, les seigneurs assis & couverts, & les communes debout & tête nue ; si le bill est rejetté, l'affaire est nulle ; s'il est admis, alors le bill, ainsi que les autres bills qui ont passé dans les deux chambres, est mis aux piés du roi dans la chambre des pairs ; le roi vient revêtu de son manteau royal & la couronne sur la tête ; alors le secrétaire du parlement lit en sa présence le titre de chaque bill, & à mesure qu'il lit, le secrétaire de la couronne prononce le consentement ou le refus du roi.
Si c'est un bill public, le consentement du roi est exprimé en ces termes, le roi le veut ; si c'est un bill particulier, soit fait comme il est desiré : si le roi refuse le bill, la réponse est, le roi s'avisera : si c'est un bill de subsides, le secrétaire répond, le roi remercie ses loyaux sujets, accepte leur bénévolence, & aussi le veut.
Le bill pour le pardon général accordé par le roi n'est lu qu'une fois.
Il faut encore remarquer que pour la passation d'un bill, le consentement des chevaliers, citoyens & bourgeois doit être fait en personne, au lieu que les seigneurs peuvent voter par procureur ; la raison de cette différence est que les barons sont censés siéger en parlement de droit en qualité de pairs de la cour du roi, pares curtis ; comme il leur étoit permis de servir dans les guerres par procureur, de même ils ont droit d'établir leur procureur en parlement ; mais les chevaliers venant seulement en parlement, comme représentant les barons minors ; & les citoyens & bourgeois, comme représentant les gens de leur cité & bourg, ils ne pouvoient pas constituer des procureurs, parce qu'ils n'y sont eux-mêmes que comme procureurs, & représentans d'autrui.
Quarante membres suffisent pour former la chambre des communes, & huit pour former un comité. Ces membres de quarante & de huit devroient, pour le bien public, être au-moins portés au quadruple chacun, dans un corps composé de plus de 500 députés ; il conviendroit de ne permettre qu'à peu de gens de s'absenter, même dans les débats de particuliers, parce qu'alors les brigues seroient moins faciles, & la discussion de toutes affaires seroit plus mûrement pesée.
Un membre des communes en parlant est debout, découvert, & adresse son discours à l'orateur seul. Si un autre membre répond à son discours, le premier n'est point admis à repliquer le même jour, à moins que cela ne le regarde personnellement. La même personne ne peut parler qu'une fois le meme jour sur le même bill.
Dans la chambre des pairs les membres donnent leurs suffrages, en commençant par le baron le plus jeune & le moins qualifié, & en continuant ainsi par ordre jusqu'au plus élevé ; chacun répond à son rang, ou pour approuver ou pour désapprouver.
Dans la chambre des communes, on donne les suffrages par oui & non ; & quand on doute quel est le plus grand nombre, la chambre se partage : s'il s'agit de faire recevoir quelque chose dans la chambre, ceux qui sont pour l'affirmative sortent ; si c'est quelque chose que la chambre ait déja vu, ceux qui vont pour la négative sortent.
Dans toute division le président nomme quatre orateurs, deux de chaque opinion. Dans un comité de la chambre entiere, elle se partage en changeant de côté, ceux qui consentent, prenant le côté droit de la chaire, & ceux qui refusent, prenant le côté gauche, & alors il n'y a que deux orateurs.
Le nombre des membres dans la chambre des pairs n'est pas déterminé, parce qu'il augmente selon le bon plaisir de S. M. Les membres de la chambre des communes, quand elle est complete , sont au nombre de 553 ; savoir, 92 chevaliers ou gouverneurs de provinces ; 52 députés pour les 25 villes, Londres en ayant quatre ; 16 pour les cinq ports ; 2 pour chaque université ; 332 pour 180 bourgs ; enfin 12 pour la principauté de Galles, & 45 pour l'Ecosse.
Enfin les deux chambres doivent être prorogées ensemble, ou dissoutes ensemble ; car une chambre ne peut pas subsister sans l'autre.
A ces détails, dont les étrangers n'ont peut-être pas une entiere connoissance, il est difficile de ne pas ajouter quelques réflexions.
La chambre des pairs & celle des communes sont les arbitres de la nation, & le roi est le surarbitre. Cette balance manquoit aux Romains ; les grands & le peuple étoient toujours en division, sans qu'il y eût une puissance mitoyenne pour les accorder. Le gouvernement d'Angleterre est plus sage, parce qu'il y a un corps qui l'examine continuellement, & qui s'examine continuellement lui-même ; telle sont ses erreurs qu'elles ne sont jamais longues ; & que par l'esprit d'attention qu'elles donnent à la nation, elles sont souvent utiles. Un état libre, c'est-à-dire, toujours agité, ne sauroit se maintenir, s'il n'est par ses propres lois, capable de correction ; & tel est l'avantage du corps législatif qui s'assemble de tems en tems pour établir ou revoquer des lois.
Les rois d'Angleterre peuvent convoquer un parlement, s'il en est besoin, dans un tems auquel la loi ne les oblige pas de le faire. Ils sont, pour ainsi dire, en sentinelle ; ils doivent observer avec beaucoup de vigilance les mouvemens de l'ennemi, & avertir de ses approches ; mais si la sentinelle s'endort, qu'elle néglige son devoir, ou qu'elle tâche malicieusement de trahir la ville ; ceux qui sont intéressés à sa conservation, ne sont-ils pas en droit de se servir de tout autre moyen pour découvrir le danger qui les menace, & pour s'en préserver ?
Il est certain que c'étoit aux consuls, ou aux autres principaux magistrats de Rome, d'assembler & de congédier le sénat ; mais lorsqu' Annibal étoit aux portes de la ville, ou que les Romains se trouvoient dans quelqu'autre danger pressant, qui ne les menaçoit pas moins que d'une entiere destruction ; si ces magistrats eussent été ivres, insensés, ou qu'ils eussent été gagnés par l'ennemi, il n'y a point de personne raisonnable qui puisse imaginer, qu'on eût dû alors s'arrêter aux formalités ordinaires.
Dans cette occasion chaque particulier est magistrat ; & celui qui s'apperçoit le premier du danger, & qui sait le moyen de le prévenir, est en droit de convoquer l'assemblée du sénat ou du peuple. Le peuple seroit toujours disposé à suivre cet homme, & le suivroit infailliblement, tout de même que les Romains suivirent Brutus & Valerius contre Tarquin, ou Horatius & Valerius contre les décemvirs ; & quiconque agiroit autrement, seroit, sans contredit, aussi fou que les courtisans de Philippe III. & de Philippe IV. rois d'Espagne. Le premier ayant un jour le frisson de la fievre, on apporta dans sa chambre un brasier qu'on mit si proche de lui, qu'il en fut cruellement brûlé ; un des grands s'écria, le roi se brûle ; un autre grand répondit ; c'est très-vrai ; mais comme la personne chargée d'ôter le brasier étoit absente, avant qu'elle fût arrivée, les jambes du roi se trouverent dans un pitoyable état. Philippe IV. ayant été surpris à la chasse d'une tempête mélée de grêle & de pluie, fut attaqué d'un gros rhume & d'une fievre très-dangereuse, parce qu'aucun des courtisans de sa suite n'avoit osé prendre la liberté de lui prêter son manteau pour le garantir pendant l'orage.
C'est encore en vain que les parlemens s'assemblent, s'il ne leur est pas permis de continuer leurs séances, jusqu'à ce qu'ils aient achevé les affaires pour lesquelles ils se sont assemblés ; & il seroit ridicule de leur donner pouvoir de s'assembler, s'il ne leur étoit pas permis de demeurer assemblés jusqu'à l'expédition des affaires. La seule raison pour laquelle les parlemens s'assemblent, c'est pour travailler à l'avancement du bien public ; & c'est en vertu de la loi qu'ils s'assemblent pour cette fin. On ne doit donc pas les dissoudre avant qu'ils aient terminé les objets pour lesquels ils se sont assemblés.
L'histoire des rois d'Angleterre, & sur-tout de ceux qui dans le dernier siecle travailloient sans cesse à s'emparer du pouvoir despotique, justifie bien les réflexions de Sydnei ; en effet, c'est principalement en refusant d'avoir des parlemens, ou en dissolvant ceux qui étoient assemblés, que ces princes tâchoient d'établir leur puissance ; mais ces moyens, qu'ils mirent en usage, leur furent plus nuisibles qu'avantageux. Charles I. en 1628, cassa le troisieme parlement qu'il avoit convoqué, parce qu'il ne vouloit pas se soumettre à ses volontés ; ce qui fit voir, dit Clarendon, la force des parlemens, puisque l'autorité souveraine se porte à la dure idée d'en abolir l'usage, ne pouvant en borner la puissance. C'est donc au parlement qu'il appartient de reprimer les attentats de la politique sur la liberté, & de ménager l'autorité du prince en la modérant.
" Il est vrai, dit M. de Voltaire, dans ses mêlanges de littérature & de philosophie, que c'est dans des mers de sang que les Anglois ont noyé l'idole du pouvoir despotique ; mais ils ne croyent point avoir acheté trop cher leurs lois & leurs privileges. Les autres nations n'ont pas versé moins de sang qu'eux ; mais ce sang qu'elles ont répandu pour la cause de leur liberté, n'a fait que cimenter leur servitude ; une ville prend les armes pour défendre ses droits, soit en Barbarie, soit en Turquie, aussi-tôt des soldats mercénaires la subjuguent, des bourreaux la punissent, & le reste du pays baise ses chaînes. Les François pensent que le gouvernement d'Angleterre est plus orageux que la mer qui l'environne, & cela est vrai ; mais c'est quand le roi commence la tempête ; c'est quand il veut se rendre maitre du vaisseau dont il n'est que le premier pilote. Les guerres civiles de France ont été plus longues, plus cruelles, plus fécondes en crimes que celles d'Angleterre ; mais de toutes ces guerres civiles, aucune n'a eu une liberté sage pour objet. " (Le chevalier DE JAUCOURT )
PARLEMENS, ANTI-, c'est ainsi qu'on appelle les cours souveraines de justice qui furent établies en divers tems & en divers lieux par quelque autorité non-légitime, c'est-à-dire, autre que celle du roi.
Tel fut le parlement établi à Amiens par Jean duc de Bourgogne, du tems de Charles VI. Tel fut pareillement celui que les Anglois firent tenir à Paris depuis 1417 jusqu'en 1436, tandis que le véritable parlement étoit refugié à Poitiers.
Telles furent aussi les chambres souveraines établies par le parti des religionnaires à la Rochelle, à Montauban & à Castres, en 1562 & 1567.
Enfin, pendant les troubles de la ligue, depuis 1589 jusqu'en 1595, toutes les villes de parlement s'étant déclarées pour la ligue, excepté Rennes & Bordeaux ; le roi Henri III. fut obligé d'établir de nouveaux parlemens dans presque toutes les provinces, pour les opposer à ceux qui ne reconnoissoient plus son autorité. Henri IV. continua ces parlemens à Troyes en Champagne, à Tours pour le ressort du parlement, à Carcassonne, & depuis à Beziers, & encore depuis à Castel-Sarrasin, pour le ressort du parlement de Toulouse.
Par les édits de pacification, les arrêts donnés par tous les parlemens & anti-parlemens ont été confirmés, à l'exception de ceux qui concernoient l'état général du royaume. Voyez la Rocheflavin (A).
PARLEMENT DE L'ASCENSION, parlamentum Ascensionis Domini, étoit la séance que le parlement tenoit vers la fête de l'Ascension de N. S. Il en est parlé dans le premier des registres olim, ou des enquêtes dès l'année 1259 : & dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, on trouve un fragment d'ordonnance de Philippe III. à la fin de laquelle il est dit Parisius in parlamento Ascensionis.
PARLEMENT DE L'ASSOMPTION, étoit la séance que le parlement tenoit la veille de la fête de l'Assomption de la Vierge. On trouve dans le recueil des ordonnances de la troisieme race des lettres ou mandemens de Philippe III. dit le Hardi, de l'an 1274, à la fin desquels il est dit, factum fuit hoc statutum Parisius parlamento Assumptionis beatae Mariae Virginis.
PARLEMENT DE BEAUNE ; on donnoit quelquefois ce nom aux grands jours que les ducs de Bourgogne faisoient tenir en la ville de Beaune ; mais l'appel de ces grands jours ressortissoit au parlement de Paris. Il y eut néanmoins un tems où ce parlement de Beaune eut le pouvoir de juger souverainement. Voyez ci-devant PARLEMENT DE DIJON. (A)
PARLEMENT DE BESANÇON, ou comté de Bourgogne ou de Franche-Comté, est le onzieme parlement du royaume. Il a aussi été connu anciennement sous le titre de parlement de Dole & sous celui de parlement de Salins ; dans le tems qu'il siégeoit dans l'une ou l'autre de ces villes.
Il tire son origine de l'ancienne cour ou parlement des comtes de Bourgogne, qui fut substituée aux baillifs généraux de la province.
Cet ancien parlement fut d'abord ambulatoire, comme celui de Paris à la suite du prince, lequel y siégeoit toujours.
On trouve quantité d'arrêts rendus par ce parlement pendant les xj. & xij. siecles sur des contestations particulieres, & principalement pour les droits féodaux & seigneuriaux.
Dans le xiij. siecle, il ne marcha plus régulierement à la suite du prince ; celui-ci assembloit son parlement pendant un certain tems limité dans différentes villes de la province, telles que Dole, Salins, Gray, Arbois, Charriez, & quelquefois à Besançon.
Le prince y siégeoit encore lorsqu'il se trouvoit dans la ville, où il assembloit son parlement ; il y a plusieurs édits & réglemens des années 1340, 1386, 1399 & 1400, qui furent faits dans ces parlemens touchant les procédures & l'ordre judiciaire, les baillifs, les prevôts de la province, les avocats, les greffiers, les procureurs, les sergens, & autres matieres.
En l'année 1421, le parlement, par un édit, ordonna que les avocats seroient gradués, ce qui n'étoit pas nécessaire auparavant pour leurs fonctions ; il fit en la même année un reglement qui fixe la forme de procéder sur les appellations des juges, des vassaux au parlement, tant au civil qu'au criminel.
Philippe le Bon, duc & comte de bourgogne, rendit ce parlement sédentaire à Dole en 1422, & sans changer la forme, les fonctions, ni l'autorité de cette compagnie ; il le composa de sa personne, de celle de son chancelier, d'un président, deux chevaliers, onze conseillers, deux avocats, un procureur général, un substitut, un greffier, & quatre huissiers ; les deux maîtres des requêtes du prince avoient aussi droit d'y entrer.
Gollut, dans ses mémoires historiques de la république Sequanoise, p. 145. dit que " Philippe le Bon donna à ce parlement toutes les puissances de la souveraineté, même d'aviser sur les constitutions du prince, pour les émologuer, publier, surseoir, pour dispenser contre les édits, pour les habiliter, proroger tems, donner restitutions en entier, & enfin de commander ce que le prince commanderoit, sauf pour les deniers publics, légitimation de bâtards, graces pour délits, dérogation à la coutume générale ".
Le parlement renouvella & confirma en 1439 tous les édits & reglemens faits dans les précédens parlemens, en les rappellant par leurs dates ; il en fit de nouveaux en 1442 pour la jurisdiction des baillifs détermina les délais de faire des enquêtes, d'appeller les garans, & renouvella les procédures pour les appellations des juges inférieurs au parlement ; tous ces reglemens furent confirmés par Philippe le Bon le 3 Juin 1448.
En 1450, le parlement fixa, pour les bailliages & prevôtés, le nombre des sergens ou huissiers, qui étoit auparavant indéfini ; l'année suivante, il fit trois édits touchant la promulgation de la coutume en attendant une nouvelle rédaction, & aussi touchant les commis au sequestre, & les obligations sous le scel souverain.
Le 26 Juillet 1452, le duc Philippe confirma les édits précédemment faits par son parlement de Dole.
Le 24 Décembre 1459, le même prince donna une déclaration adressée à son parlement pour la promulgation de la nouvelle rédaction de la coutume qui avoit été augmentée de plusieurs articles, & qui est celle qui s'observe aujourd'hui : cette déclaration fait mention que par des lettres du 11 Mars 1557 il avoit ordonné que l'information & rédaction par écrit de cette coutume seroit faite par six de ses conseillers, dont trois seroient choisis par lui, & les autres seroient nommés par les gens des trois états. Le greffier du parlement fut nommé secrétaire de cette commission : la promulgation de la nouvelle coutume fut faite le 22 Février 1459, en l'assemblée des états généraux de la province, tenue à Salins sur une copie signée du greffier, & scellée du grand sceau du parlement.
En 1460, Philippe le Bon, de l'avis de son parlement alors assemblé, fit un reglement concernant les avocats.
Le même prince, par une déclaration du 16 Mai 1462, prescrivit de nouveau ce qu'il vouloit être observé au comté de Bourgogne pour les procédures & l'ordre judiciaire ; & après avoir fait une collection de tous les édits du parlement, depuis le 10 Mai 1340, il en ordonna l'exécution. Cette déclaration fut publiée au parlement le même jour.
En 1476, après la mort de Charles, duc & comte de Bourgogne, qui fut le dernier des comtes de Bourgogne de la seconde race, Louis XI. conquit la Franche-Comté ; les états de Bourgogne le supplierent d'entretenir les parlemens de Dole & de S. Laurent pour les comtés de Bourgogne, d'Auxonne, & autres terres d'outre Saône, èsquelles d'ancienneté il y avoit toujours eu cour souveraine, pour l'exercer en la même forme & maniere que l'on avoit accoutumé de faire par le passé ; le roi, en établissant le parlement de Dijon pour le duché de Bourgogne, au lieu des grands jours de Beaune, ordonna qu'avec ce les parlemens de Dole & de S. Laurent, seroient dorénavant entretenus souverains, selon que par ci-devant ils avoient été de toute ancienneté, & que ces parlemens se tiendroient en la maniere déclarée par les autres lettres qu'il avoit accordées sur ce aux états.
La ville de Dole ayant été presque entierement ruinée par le siege qu'elle avoit souffert, Louis XI. en retournant de S. Claude & étant à Salins, y transfera le parlement de Franche-Comté, & le rendit semestre pour les deux Bourgognes, n'y ayant point alors de parlement dans le duché de Bourgogne.
Charles VIII. roi de France, étant encore dauphin, & âgé seulement de 10 ans, & ayant été marié le 2 Juin 1483, avec l'archiduchesse Marguerite, âgée de 3 ans, fille de l'empereur Maximilien, laquelle eut en dot la Franche-comté, confirma le parlement de Salins aux états généraux, tenus à Besançon au mois de Décembre.
Ce mariage ne fut point accompli, au moyen de quoi Charles VIII. ne tint la Franche-comté que jusqu'en 1491, qu'il épousa Anne de Bretagne & renvoya l'archiduchesse Marguerite de Bourgogne.
Le parlement étant encore à Salins en 1499, fit un réglement pour les dépens préparatoires, qu'il ordonna être payés incontinent, & non réservés en définitive.
La Franche-comté ayant été rendue à l'empereur Maximilien, qui avoit épousé Marie de Bourgogne, héritiere & fille unique du duc Charles, l'archiduc dit le bel son fils, roi de Castille & comte de Bourgogne, transféra le parlement de Salins à Dole, sur la demande des états généraux de la province, par lettres du dernier décembre 1500.
Après la mort du roi de Castille, arrivée le 25 Septembre 1506, l'empereur Maximilien son pere, & Charles prince d'Espagne son fils, qui fut depuis empereur sous le nom de Charles-quint, confirmerent de nouveau le parlement de Franche-comté dans la ville de Dole, par des lettres du 12 Février 1508, par lesquelles ils ordonnerent que des onze conseillers il y en auroit deux d'église.
L'archiduchesse Marguerite, tante de l'empereur Charles-quint, ayant eu en apanage le comté de Bourgogne, confirma le parlement à Dole, par des lettres du 4 Août 1517.
La Franche-comté étant retournée à l'empereur Charles-quint, après la mort de l'archiduchesse Marguerite, l'empereur confirma aussi le parlement à Dole, par des lettres du 10 Février 1530.
Par d'autres lettres, datées de Tolede, du premier Avril 1538, ce même prince confirma de nouveau le parlement dans la ville de Dole ; & s'il survient (dit-il dans ce diplome) empêchement légitime, les présidens & conseillers le transporteront en tel lieu qu'ils trouveront convenir.
Un an après l'abdication de Charles-quint, Philippe II. son fils roi d'Espagne, étant aux états de Bruxelles, confirma aussi le parlement à Dole, par lettres du 23 Juillet 1556.
Il fut encore confirmé dans cette même ville par des lettres du 21 Octobre 1599, données par les archiducs Albert & Isabelle, auxquels la Franche-comté avoit été donnée à charge de réversion.
En vertu de la faculté donnée au parlement de Dole, dans le diplome de l'empereur Charles-quint, du premier Avril 1538, ce parlement se retira le 16 Août 1630 à Pesme, où il tint ses séances à cause de la peste ; & le 19 Octobre suivant il se retira à la Loye pour la même raison.
Philippe IV. roi d'Espagne, confirma comme ses prédécesseurs, ce parlement à Dole, par des lettres du 20 Mars 1656.
Louis XIV. ayant conquis la Franche-comté, le 14 Février 1668, confirma le parlement ; mais cette province ayant été rendue au mois de Mai de la même année, par le traité d'Aix-la-Chapelle, la confirmation qui avoit été faite du parlement par le roi Louis XIV. donna de l'ombrage au roi d'Espagne, & sur les impressions que lui donna le marquis de Castel Rodrigue, gouverneur du comté, lequel étoit fâché d'avoir été obligé de partager le gouvernement avec cette compagnie, Philippe IV. défendit au parlement de faire aucune fonction jusqu'à nouvel ordre.
Mais le roi Louis XIV. ayant le 15 Mai 1674, conquis de nouveau la Franche-comté, laquelle fut réunie pour toujours à la couronne, le 17 Septembre 1678, par le traité de Nimegue, il confirma le parlement à Dole, par des lettres du 17 Juin 1674, portant que le parlement resteroit à Dole jusqu'à la fin de l'année, pendant lequel tems le roi se réservoit d'aviser en quel lieu de la province il estimeroit le plus à-propos d'établir pour toujours le siege de cette cour, & d'augmenter le nombre de ses officiers.
Ce même prince, par des lettres du 22 Août 1676, transféra le parlement de la ville de Dole dans celle Bezançon, où il est toujours demeuré depuis ces lettres jusqu'à-présent.
Le roi à-présent régnant, à son avénement à la couronne, confirma le parlement à Bezançon, par des lettres données à Versailles le 10 Septembre 1715.
Le nombre des officiers de ce parlement, dans son origine, n'étoit pas fixe ; il ne le fut qu'en 1422, lorsque Philippe le bon le rendit sédentaire à Dole.
Cette cour n'étoit alors composée que de deux chambres, qui se réunissoient quelquefois, lorsqu'il s'agissoit d'affaires importantes.
Le parlement étoit toujours en robe rouge lorsqu'il donnoit audience & qu'il prononçoit les arrêts.
Le président de Bourgogne, que l'on appelloit ainsi parce qu'il étoit alors le seul président du parlement du comté de Bourgogne, étoit toujours à la premiere chambre ; le doyen des conseillers, qui avoit le titre de vice-président, étoit à la tête de la seconde chambre.
Lorsqu'il vaquoit quelque place dans l'une des deux chambres, le parlement présentoit trois sujets au prince, lequel nommoit l'un d'entr'eux, excepté pour la place de président, à laquelle le roi nommoit seul, sans la participation du parlement ; il le consultoit cependant quelquefois à ce sujet.
Les choses demeurerent dans cet état jusqu'en 1679, que Louis XIV. par l'édit du mois de Février, créa deux présidens à mortier, sept conseillers, & établit une troisieme chambre. Le roi nomma les deux présidens & un conseiller ; & le parlement présenta les autres en la forme ordinaire.
Par un autre édit du mois d'Août 1684, le roi créa encore un office de président à mortier auquel il nomma, & trois conseillers qui furent, suivant l'usage, présentés par le parlement. Il créa aussi par le même édit, deux avocats généraux en titre d'office.
Au mois d'Août 1692, le roi confirma l'établissement du parlement de Bezançon pour le comté de Bourgogne, & attribua aux officiers de cette compagnie les mêmes honneurs, prérogatives, prééminences, privileges, franchises, exemptions, dont jouissent les officiers des autres parlemens du royaume. Il établit la vénalité de toutes les charges de ce parlement, & les rendit héréditaires, à l'exception de celles de premier président & de procureur général, & créa par le même édit deux présidens à mortier, un chevalier d'honneur & huit conseillers : il établit aussi près ce parlement une chancellerie, aux officiers de laquelle, par une déclaration du 14 Janvier 1693, il attribua les mêmes droits dont jouïssent tant ceux de la grande chancellerie de France que ceux des autres chancelleries établies près les différentes cours du royaume.
Peu de tems après, par édit du mois d'Avril 1693, il créa encore quinze conseillers & six notaires & secrétaires du roi près ce parlement.
Il y eut au mois de Février 1694, un édit portant réglement pour l'administration de la justice au parlement de Bezançon.
Par un autre édit du mois de Juillet 1704, le roi établit une quatrieme chambre pour les eaux & forêts, & requêtes du palais ; il créa par le même édit deux présidens à mortier, un chevalier d'honneur, deux conseillers présidens des eaux & forêts, & requêtes du palais, huit conseillers laïcs, un conseiller clerc, un avocat général & deux substituts.
La charge de conseiller clerc fut depuis supprimée, par édit du mois de Mars 1708, & convertie en un office de conseiller laïc.
Enfin par un édit du mois de Février 1741, le roi supprima les deux offices de présidens des eaux & forêts, & requêtes, & créa une charge de président à mortier & une de conseiller.
Il y a peu de parlemens qui aient eu un pouvoir aussi étendu que celui de Bezançon, puisqu'à l'exception du droit de donner des lettres de grace, que le souverain se réservoit, le parlement étoit presque maître absolu en tout.
Il partageoit le gouvernement de la province avec le gouverneur, lequel ne pouvoit rien faire d'important sans son avis ; les ordonnances mêmes des gouverneurs étoient sujettes aux lettres d'attache du parlement.
Cette cour avoit même souvent seule tout le gouvernement, & en cas de mort, maladie, absence, ou autre empêchement du gouverneur, elle avoit droit de commettre un commandant en la place du gouverneur.
Outre les affaires contentieuses, le parlement connoissoit pendant la paix, de toutes les affaires concernant les fortifications, les finances, les monnoies, la police, les chemins, les domaines, les fiefs & la conservation des limites de la province.
Pendant la guerre, il régloit la levée des troupes, leurs quartiers, leurs passages, les étapes, subsistances, payemens & revues.
Enfin presque toute l'autorité souveraine lui étoit confiée par les lettres particulieres des souverains, comme il paroît par celles de 1508, 1518, 1530, 1533, 1534, 1542, 1543, 1556, 1577, 1599, 1603, 1613, 1616, 1656 & 1665, qui justifient que cette autorité n'étoit point usurpée, qu'elle étoit approuvée du prince même, lequel n'ordonnoit rien sans avoir consulté le parlement.
Les membres de cette compagnie ont toujours jouï, dès le tems de sa premiere institution, de la noblesse transmissible au premier degré ; elle lui a été confirmée par les déclarations des 24 Octobre 1607, 9 Décembre 1610 & 29 Mars 1665. On voit par les recès des états des seize & dix-septieme siecles, & par la convocation qui se faisoit à ces grandes assemblées, que les membres du parlement y étoient toujours appellés, & admis dans la chambre de la noblesse ; par leur seule qualité de présidens ou conseillers au parlement ; que leurs fils, & autres descendans d'eux, y étoient pareillement admis, comme ils le sont encore dans tous les chapitres nobles de la province.
Louis XIV. s'étant fait représenter les titres justificatifs de cette prérogative de noblesse, ordonna par sa déclaration du 11 Mars 1694, que les officiers de ce parlement continueroient de jouir du privilege de la noblesse au premier degré, tant en vertu des déclarations des anciens souverains du comté de Bourgogne, que par la possession dans laquelle ils étoient, sans que les édits du mois de Mars 1669, & Août 1692, puissent leur préjudicier : ce qui a été confirmé de nouveau, par édit du mois de Mars 1706, & par une autre déclaration du 13 Octobre 1741, rendue en faveur de l'huissier audiencier.
Cette compagnie a toujours été féconde en grands hommes ; elle a donné plusieurs cardinaux à l'église romaine, deux chanceliers à la France, trois à l'Empire, quatre aux Pays-bas, quantité de chevaliers de la toison d'or, & plus de quinze plénipotentiaires ou ambassadeurs en différentes cours de l'Europe.
Ce parlement est composé présentement de quatre chambres ; savoir la grand'chambre, celle de la tournelle, celle des enquêtes, & celle des eaux & forêts & requêtes du palais, dans lesquelles messieurs du parlement servent tour-à-tour.
La grand'chambre est composée du premier président & de trois autres présidens à mortier, trois chevaliers d'honneur, seize conseillers, & quinze honoraires.
La tournelle est composée de deux présidens à mortier, quatorze conseillers & quatre honoraires.
La chambre des enquêtes est composée de deux présidens à mortier, de seize conseillers & de cinq honoraires.
Enfin la chambre souveraine des eaux & forêts & requêtes du palais, est composée de deux présidens à mortier & douze conseillers.
Les autres officiers de ce parlement sont les trois avocats généraux, le procureur général, quatre substituts, un greffier en chef, quatre greffiers au plumitif, qui sont distribués dans les quatre chambres du parlement, & quatre greffiers à la peau, qui sont distribués de même, un greffier des affirmations & présentations, un greffier garde-sacs, un premier huissier & six autres huissiers, un receveur des consignations, un receveur des epices, un contrôleur, un receveur & contrôleur des amendes, deux payeurs des gages.
Les avocats de ce parlement sont au nombre de plus de cent ; le bâtonnier est inscrit le premier sur le tableau, avant le doyen d'âge. Il y a deux avocats désignés spécialement pour les affaires des pauvres, & un pour recueillir les arrêts de chaque chambre du parlement, & un avocat des prisonniers.
Il y a vingt-neuf procureurs.
La chancellerie, établie près de ce parlement, est composée d'un conseiller au parlement qui est garde des sceaux, de quatre secrétaires du roi audienciers, de quatre secrétaires du roi contrôleurs, & de douze autres secrétaires du roi, de quatre conseilles référendaires, un scelleur, deux trésoriers payeurs des gages, un trésorier des émolumens du sceau, un greffier garde minute, deux chauffes-cire, deux portes-coffre & quatre huissiers.
La rentrée du parlement se fait le lendemain de la S. Martin, le surlendemain on fait les mercuriales, & à la séance de relevée, les députés des bailliages de la province font leurs remontrances à la cour sur ce qui s'est passé d'important dans leur ressort pendant le cours de l'année.
Le parlement de Bezançon comprend dans son ressort cinq présidiaux ; savoir, Bezançon, Vésoul, Gray, Salins & Lons-le-Saulnier, réunis aux bailliages de ces mêmes villes, & à chacun desquels ressortissent plusieurs autres bailliages pour les matieres qui sont de leur compétence.
Sous ces présidiaux sont treize bailliages royaux, dont les appels ressortissent immédiatement au parlement. Ces treize bailliages sont distribués sous les quatre grands bailliages de Bezançon, de Dole, d'Amont & d'Aval, outre trois autres judicatures.
Le bailliage de Bezançon est seul ; celui de Dole comprend le bailliage particulier de Dole, & ceux de Quingey & d'Ornans ; celui d'Amont comprend ceux de Vésoul, de Gray & de Baume ; & celui d'Aval ceux de Poligny, de Salins, d'Arbois, de Pontarlier & d'Orgelet : & la grande judicature de S. Claude, qui est à l'instar des bailliages royaux.
Il y a encore d'autres bailliages dont les appels ressortissent nuement au parlement ; savoir, Moyrans, Lure, Luxeuil, Faucogney, Amblans, Fougerolle, S. Loup, Vauvillers & Hollaincour, Blamont & Clermont, Granges, Héricourt & Chatelot.
Il y a aussi sept maîtrises des eaux & forêts, qui ressortissent nuement à la chambre souveraine des eaux & forêts qui est unie au parlement : ces maîtrises sont Bezançon, Vésoul, Gray, Baume, Poligny, Salins & Dole.
Enfin il y a encore quelques justices particulieres qui ressortissent nuement au parlement ; savoir la maréchaussée, la mairie, la vicomté, la monnoie, la justice consulaire. (A)
PARLEMENT DE BORDEAUX, est le quatrieme parlement du royaume.
On l'appelle aussi parlement de Guienne, mais plus ordinairement parlement de Bordeaux.
Les auteurs ne sont pas d'accord sur le tems auquel ce parlement fut institué.
Fontanon en attribue l'institution aux rois Philippe le Bel en 1306, & à Charles VII. en 1444.
Le Caron, Frerot, Duhaillan, Guénois, Joly & Nicolas Gilles, en rapportent l'institution au même roi Charles VII. mais ils ne la font remonter qu'en 1451.
Ducange suppose qu'il fut érigé au mois de Mai 1460.
D'autres, tels que Chopin, le chancelier de l'Hopital & la Rocheflavin, tiennent que ce parlement ne fut institué que par Louis XI. en 1462.
D'autres enfin, tels que le président Boyer, prétendent que ce fut Louis XII. seulement qui en fut le véritable instituteur.
On ne trouve aucune preuve qu'il y eût déja un parlement à Bordeaux en 1306, ni même que le parlement de Paris y tînt des grands jours ; il n'en est fait aucune mention dans les ordonnances avant le tems de Charles VII. & je serois presque tenté de croire que cette prétendue époque de 1306 a été fabriquée par une inversion de chiffres, & que l'on a voulu parler de la jurisdiction souveraine établie à Bordeaux par les Anglois en 1360.
La ville de Bordeaux fut comme le reste de la Guienne pendant long-tems sous la domination des Anglois : le duché de Guienne fut laissé par saint Louis à Henri III. roi d'Angleterre, à condition que lui & ses successeurs seroient pour ce duché vassaux de la couronne de France ; au moyen de quoi les rois d'Angleterre, ducs de Guienne, n'avoient point dans cette province le droit de faire rendre la justice en dernier ressort ; l'appel des sénéchaussées de Guienne ressortissoit alors au parlement de Toulouse, comme il paroît par des lettres de Philippe le Bel de l'an 1306, & de Charles VII. en 1444, concernant le parlement de Toulouse, qui font mention que ce parlement étoit établi pour le Languedoc, pour le duché d'Aquitaine, & pour tous les pays qui sont au-delà de la Dordogne.
Mais Edouard, roi d'Angleterre, qui tenoit prisonnier le roi Jean, le contraignit par l'article 12 du traité de Bretigni, conclu le 8 M ai 1360, de renoncer à tout droit de souveraineté sur la Guienne, dont il fut dit que la propriété resteroit à Edouard.
Il paroît que ce prince étant ainsi devenu maître absolu de toute la Guienne, & singulierement de Bordeaux, établit dans cette ville une justice souveraine qui y étoit encore subsistante en 1451 : c'est apparemment ce qui a fait dire à l'abbé des Tuileries, dans son introduction au dictionnaire de la France, que le parlement de Bordeaux tient la place de la jurisdiction du juge de Gascogne ; c'est ainsi que l'on appelloit anciennement le sénéchal de Guienne, qui jugeoit en dernier ressort pendant la domination des Anglois.
C'est ce que dénotent aussi les lettres-patentes de Charles VII. du 20 Juin de ladite année, confirmatives du traité qui fut fait alors entre le roi d'une part, & les états de Guienne, d'autre part.
Le préambule de ces lettres annonce que le comte de Dunois ayant repris sur les Anglois plusieurs villes & places de Guienne, il avoit été fait plusieurs sommations aux gens des trois états du pays de Guienne & du Bordelois, & aux habitans de Bordeaux, de se remettre sous l'obéissance du roi, & de remettre entre ses mains la ville de Bordeaux & toutes les autres villes que les Anglois tenoient dans ces pays.
Qu'il fut fait à ce sujet un traité entre les commissaires nommés pour le roi, par le comte de Dunois & les gens de trois états des ville & cité de Bordeaux & pays bordelois, en leurs noms, & pour les autres pays de la Guienne qui étoient en l'obéissance des Anglois.
Par le vingtieme article de ce traité, il étoit dit que le roi sera content qu'en ladite cité de Bordeaux il y ait justice souveraine, pour connoître, discuter, & terminer définitivement de toutes les causes d'appel qui se feront en ce pays, sans que ces appels, par simple querelle ou autrement, soient traduits hors de ladite cité : cet article est celui que Joly & plusieurs autres auteurs regardent comme l'institution du parlement de Bordeaux.
Les commissaires du roi promirent de tenir cet article & autres qui y sont joints ; & le roi aimant mieux réduire le pays de Guienne sous son obéissance par traité amiable, que d'y procéder par la voie des armes, ratifia ce traité par les lettres du 20 Juin 1451.
Le mandement qu'il donne à la fin de ces lettres pour leur exécution, est adressé à nos amés & féaux conseillers, les gens tenans & qui tiendront notre parlement & cour souveraine, aux sénéchaux de Guienne, &c. ce qui suppose qu'il y avoit déja un parlement établi à Bordeaux, & qu'il n'y avoit été établi que par les Anglois, puisque les habitans de Bordeaux mettoient dans leurs articles que le roi approuveroit qu'il y eût une justice souveraine dans cette ville.
Cependant l'on ne voit point que ces lettres aient été publiées & enregistrées dans ce parlement ; on trouve seulement qu'elles le furent en la sénéchaussée de Guienne, à la requête du procureur & syndic de la cité de Bordeaux, le 12 Février 1451 ; & dans cette publication il n'est point parlé du parlement.
Le traité de 1451 n'eut point d'exécution, attendu la rebellion que firent les Bordelois l'année suivante 1452 ; au moyen de quoi le parlement que l'on avoit accordé à la ville de Bordeaux n'eut pas lieu alors, ou, s'il y fut établi de l'autorité de Charles VII. en tout cas ce parlement ne subsista pas long-tems, & fut supprimé presqu'aussi-tôt qu'il avoit été établi.
Le parlement de Paris reprit la connoissance des appellations interjettées des sénéchaussées du pays de Guienne, il y tint même de tems-en-tems ses grands jours depuis le 2 Septembre 1456 jusqu'au mois de Septembre 1459, ainsi qu'on le voit au dépôt du greffe en chef civil du parlement de Paris, dans lequel il se trouve deux registres contenans ces grands jours.
Ducange, en son glossaire au mot parlamentum burdigalense, après avoir dit que ce parlement fut d'abord institué par Charles VII. en 1451, ajoute qu'ensuite il fut érigé, erectum fuit, au mois de Mai 1460. La Rocheflavin dit la même chose, & l'un & l'autre remarquent qu'on lui assigna alors pour le lieu de ses séances le château de Lomberieres, ainsi appellé à cause de l'ombrage des arbres qui l'environnoient, & qui étoit la demeure des anciens ducs d'Aquitaine ; mais Ducange suppose que les Bordelois s'étant révoltés, & la ville ayant été reprise, tout ce pays demeura compris dans le ressort du parlement de Paris, jusqu'à ce que Louis XI. à la priere des trois états de Guienne, rétablit le parlement de Bordeaux suivant les lettres du 10 Juin 1462.
Il paroît que cet auteur a entendu parler de la rébellion qui arriva en 1462.
La Rocheflavin dit que Charles VII. étant mort, Louis XI. à l'instante poursuite des états de Guienne, confirma l'institution de ce parlement par des lettres données à Chinon le 12 Juin 1462.
Ce qui est de certain, c'est que le parlement de Bordeaux fut alors rétabli par Louis XI. suivant les lettres rapportées par Chopin en son traité du domaine, liv. II. tit. xv. n. 7. Par ces lettres qui sont en latin, & qui ont été extraites des registres de ce parlement, le roi l'institue, établit & ordonne, il le qualifie curia nostra parlamenti in civitate burdigalensi ; il spécifie que ce n'est pas seulement pour cette ville, mais aussi pour les pays & sénéchaussées de Gascogne, d'Aquitaine, des Landes, d'Agenois, Bazadois, Périgord, Limosin ; il met cette clause, pour tant qu'il nous plaira, quandiù nostrae placuerit voluntati ; il ordonne que les sénéchaussées, bailliages & autres jurisdictions de ces pays, auront leur ressort & dernier recours, ultimum refugium, en ce parlement.
Il dit que ce parlement commencera sa premiere séance le lendemain de saint Martin lors prochain ; qu'il sera tenu par un président laïc, & par un certain nombre de conseillers, tant clercs que laïcs, deux greffiers, & quatre huissiers, ostiarios.
Il donne à ce parlement le même pouvoir & la même autorité qu'avoit celui de Paris dans ces pays.
L'ouverture de ce parlement fut faite par Jean Tudert, premier président, le lendemain de saint Martin de la même année. Entre les conseillers qui furent alors reçus, on remarque l'archevêque de Bordeaux, lequel fut reçu en vertu de lettres comme les autres ; & après son décès l'évêque d'Acqs eut de semblables lettres le 3 Novembre 1467. Cependant depuis longtems les archevêques de Bordeaux sont conseillers-d'honneur-nés au parlement, avec séance & voix délibérative. Ce droit leur fut accordé par un édit du 20 Février 1553. On trouve aussi au nombre des premiers conseillers Blaise de Grelé, que l'on croit être de l'ancienne famille des Grelys, prédécesseurs des comtes de Candale, d'où ces comtes prétendoient tirer la qualité de conseillers-nés dans ce parlement ; mais cela n'a plus lieu depuis longtems.
Le parlement fut donc d'abord établi à Bordeaux en 1462 ; mais comme, le 29 Avril 1469, Louis XI. fut obligé de céder la Guienne à Charles, duc de Berry, son frere, à titre d'apanage ; & que les parlemens ne peuvent pas tenir leurs séances dans les terres possédées à titre d'apanage ; Louis XI. au mois de Novembre suivant, transféra le parlement de Bordeaux à Poitiers, où ce parlement tint ses séances jusqu'à la réunion de l'apanage. Après la mort de Charles, arrivée le 12 Mai 1471, le parlement qui étoit à Poitiers, fut alors de nouveau établi à Bordeaux.
Depuis ce tems, il a aussi quelquefois tenu ses séances en plusieurs autres lieux successivement.
Le 8 Mars 1464, il tenoit ses séances à Saint-Jean-d'Angely, suivant un enregistrement de ce jour où il est dit qu'il y fut tenu certis in causis.
En 1473, la peste fut si violente à Bordeaux, que le parlement se tint à Libourne pendant les mois de Décembre, Janvier & Février.
En 1497, la peste l'obligea pareillement de tenir ses séances pendant quelques mois à Bergerac.
La chronique bordeloise fait mention qu'en 1501 il se tint à Saint-Emylion ; elle ne dit pas la cause de ce déplacement.
Dans le cours de l'année 1515, & pendant une partie de l'année suivante, il fut de nouveau transféré à Libourne à cause de la peste.
Le supplément de la chronique bordeloise fait mention qu'il y étoit pareillement en 1528.
Il se tint encore à Libourne pour la même cause, depuis le premier Août 1546 jusqu'au 18 Janvier 1547.
En 1549, il fut interdit de ses fonctions à l'occasion d'une émotion populaire qui étoit arrivée à Bordeaux pour la gabelle du sel ; & en la place des officiers de ce parlement, le roi envoya le 22 Mai des conseillers du parlement de Paris, & de ceux de Toulouse & de Rouen, pour tenir le parlement à Bordeaux, qu'il composa de deux chambres, l'une pour le civil, l'autre pour le criminel. Mais le 22 Mai de la même année, le roi inclinant aux remontrances de la ville, rétablit le parlement de Bordeaux dans ses fonctions, & les commissaires des autres parlemens furent rappellés.
En 1555, le parlement de Bordeaux, pour éviter le danger de la peste, se tint pour la quatrieme fois à Libourne, depuis le 16 Septembre jusqu'au 6 Janvier 1556.
Au mois de Juin 1578, suivant l'édit de pacification, la chambre tripartie, composée d'un président & de douze conseillers au parlement de Bordeaux, fut établie à Agen ; & en 1582, suivant le dernier édit de pacification, une chambre du parlement de Paris tint pendant quelques mois sa séance aux jacobins de Bordeaux.
La peste étant survenue à Bordeaux en 1653, le parlement fut transféré à Agen, & ensuite à la Réole où il demeura jusqu'au mois de Mai 1654, qu'il fut rétabli à Bordeaux par une déclaration expresse du roi : l'ouverture du parlement se fit le premier Décembre de la même année.
Les émotions populaires qu'il y eut à Bordeaux depuis le 26 Mars 1675, à l'occasion de l'établissement du papier timbré & de quelques nouvelles impositions, donnerent lieu de transférer le parlement à Condom : la déclaration fut publiée le 22 Novembre de la même année.
Il fut depuis transféré à Marmande ; il y étoit le 18 Juillet 1676 & encore le 3 Août 1677, comme il paroît par deux députations que les jurats firent alors vers ce parlement séant à Marmande.
Il fut ensuite transféré à la Réole ; il y étoit au mois de Mai 1678 : on en trouve la preuve dans un recueil d'anciens édits, où celui portant défense de saisir les bestiaux, du mois de Janvier 1678, fut enregistré à la Réole le 29 Mai de ladite année.
Le parlement resta à la Réole jusqu'en 1690, qu'il fut rétabli à Bordeaux sur la demande qu'en avoient faite les jurats, moyennant un don de 400000 liv. Il reprit sa séance à Bordeaux le 13 Novembre ; & depuis ce tems, il a toujours été sédentaire en cette ville.
Le démembrement qui avoit été fait d'une partie du parlement de Paris & de celui de Toulouse, fut confirmé par des lettres du 8 Mai 1464.
Depuis, la ville & gouvernement de la Rochelle & pays d'Aunis, furent rendus au parlement de Paris ; & en récompense, par une déclaration du mois de Mai 1474, le roi donna au parlement de Bordeaux toute la sénéchaussée de Querci. Le pays d'Armagnac qui avoit été d'abord compris dans le ressort du parlement de Bordeaux, fut ensuite attribué à celui de Toulouse, puis rendu à celui de Bordeaux par d'autres lettres du 25 Avril 1474.
L'étendue de son ressort a encore été confirmée par diverses autres lettres postérieures.
François I. ordonna en 1519 que le parlement de Bordeaux tiendroit ses grands jours comme ceux de Paris, de Toulouse & de Rouen.
En conséquence, le 6 Septembre 1533, il fut arrêté qu'un président & tel nombre de conseillers qui seroit avisé, iroient tenir les grands jours à Périgueux, depuis le premier Octobre jusqu'à la fin du mois.
Le 2 Août 1540, on publia les lettres pour en tenir à Agen, depuis le premier Septembre jusqu'au 15 Octobre.
Il paroît que le 8 Juin 1547 il y eut un arrêté pour écrire à M. le chancelier, pour obtenir les provisions nécessaires, à l'effet de tenir les grands jours pour extirper du pays les voleurs & les hérétiques : on ne voit pas si cela eut quelques suites.
En 1567, il tint ses grands jours à Périgueux pendant les mois de Septembre & Octobre.
Henri II. par un édit de 1553, régla que ce parlement précéderoit celui de Dijon.
Charles IX. y tint le 12 Avril 1565 son lit de justice.
Le nombre des officiers de ce parlement a été augmenté par divers édits : il est présentement composé de cinq chambres ; savoir, la grand'chambre, la tournelle, deux chambres des enquêtes, & une chambre des requêtes.
La grand'chambre est composée du premier président & de cinq autres présidens à mortier, des conseillers-d'honneur, dont deux sont conseillers nés, savoir, l'archevêque de Bordeaux & le gouverneur de la province de Guienne, lesquels siegent à la droite des présidens au-dessus des conseillers, deux chevaliers d'honneur, & de vingt-deux conseillers.
La tournelle fut établie en 1519. Elle est composée de quatre présidens à mortier, & de seize conseillers qui sont députés pour ce service pendant toute une année, tant de la grand'chambre que des enquêtes.
Chaque chambre des enquêtes est composée de deux présidens des enquêtes & de vingt conseillers.
La chambre des requêtes est composée de deux présidens & de sept conseillers.
Il y a deux avocats généraux, l'un pour le civil, l'autre pour le criminel à la tournelle, & un procureur général qui a trois substituts.
Il y a deux greffiers en chef & trois secrétaires de la cour, un greffier en chef des requêtes du palais, un greffier des présentations, un pour les affirmations, & un greffier-commis, un autre greffier pour la grand'chambre, deux greffiers des audiences, un pour la tournelle, & un pour chaque chambre des enquêtes.
La chancellerie, établie près ce parlement, est composée d'un garde des sceaux, quatre secrétaires du roi audienciers, quatre secrétaires du roi contrôleurs, douze autres secrétaires du roi non-sujets à l'abonnement & qui ont des gages, un scelleur, onze conseillers référendaires, deux receveurs de l'émolument du sceau, deux payeurs des gages.
Les huissiers du parlement sont au nombre de seize, sans compter le premier huissier, lequel jouït de la noblesse.
Il y a environ cent soixante avocats & soixante-quinze procureurs. (A)
PARLEMENT DES BOURGEOIS DE PARIS, parlamentum, seu parlatorium, vel parloüerium, comme on disoit dans la basse latinité, c'étoit le parloir aux bourgeois, c'est-à-dire le lieu où les bourgeois de Paris s'assembloient pour parler de leurs affaires communes, il est ainsi nommé dans des lettres du roi Jean du mois de Novembre 1350. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tom. IV. pag. 10. (A)
PARLEMENT DE BOURGOGNE, SEANT A DIJON, est le cinquieme parlement du royaume. Le royaume de Bourgogne avoit son parlement ; il en est fait mention dès le tems de Clotaire II. Let. hist. sur le parlement, pag. 109. Cet ancien parlement finit avec le royaume de Bourgogne, c'est-à-dire vers le milieu du xj. siecle.
Philippe-le-Hardi, l'un des fils du roi Jean, & premier duc de Bourgogne de la seconde race, avoit dressé les premiers projets d'un parlement à Bellay & depuis à Dijon.
Ses successeurs, ducs de Bourgogne, formerent deux conseils qu'ils appelloient grands jours, l'un à Beaune & l'autre à Saint-Laurent.
Le parlement qui subsiste aujourd'hui à Dijon a pris la place de ces jours généraux ou grands jours de Beaune & de Saint-Laurent ; les premiers furent institués, vers l'an 1354 par Philippe, duc de Bourgogne, en la ville de Beaune, où plusieurs ducs de Bourgogne tinrent leur cour.
Ces jours généraux de Beaune étoient quelquefois nommés parlement, mais l'appel de ces grands jours ressortissoit au parlement de Paris.
Chassanée qui fut président au parlement de Dijon, dit en son Premium de la coutume de Bourgogne, qu'il ne sait pas en vertu de quel droit le duc Philippe avoit érigé ce parlement, ayant vu, dit-il, plusieurs arrêts du parlement de Paris donnés dans ce même tems pour la Bourgogne ; il ajoute que le duc Philippe étoit lui-même soumis au parlement de Paris en qualité de pair de France, & qu'il a vu d'anciennes lettres qui prouvoient que la chancellerie de Bourgogne avoit été donnée au duc par le roi, & que les lettres scellées du sceau du duc n'avoient point d'exécution pareille qu'en vertu de la concession de cette chancellerie ; mais il est aisé de résoudre la difficulté ; Chassanée en observant que ce parlement de Beaune n'étoit pas souverain sous les ducs de Bourgogne, mais que c'étoit seulement de grands jours sous le nom de parlement, comme en tenoient tous les pairs de France, dont l'appel ressortissoit au parlement de Paris.
La Bourgogne étant retournée à la couronne en 1361 par le décès de Philippe de Rouvre, le roi Jean donna au parlement la permission de juger souverainement ; Arnaud de Corbie, premier président du parlement de Paris, y présida en 1376. Eloge du parlement par de la Beaune.
La Bourgogne ayant été de nouveau donnée en apanage par le roi Jean au plus jeune de ses fils, appellé Philippe-le-Hardi, ce prince & ses successeurs, à l'imitation des anciens ducs de Bourgogne, tinrent leurs jours généraux à Beaune, & depuis ce tems, l'appel de ces jours généraux ressortit au parlement de Paris ; comme il faisoit avant la réunion de la Bourgogne à la couronne.
Il y avoit aussi des grands jours à Saint-Laurent lez Châlons, que l'on qualifioit de parlement, & qui étoient pour le comté d'Auxerre & la Bresse Châlonnoise ; ils avoient pareillement été institués par les anciens ducs de Bourgogne, & eurent le même sort que ceux de Beaune, desorte que l'appel de ces grands jours ressortissoit aussi au parlement de Paris.
Le dernier duc de Bourgogne, Charles-le-Téméraire, ayant été tué devant Nancy, le 5 Janvier 1477, nouveau style, le duché de Bourgogne fut alors réuni à la couronne & n'en a plus été séparé depuis Louis XI. Les principaux des trois états de cette province se retirerent par-devers le roi, & le supplierent, pour le bien de la justice, d'établir dans son duché de Bourgogne & comté de Charolois, baronie de Noyers, & terres enclavées audit duché, une cour souveraine qui fut appellée cour de parlement, fondée & garnie de présidens & douze conseillers & autres officiers en tel nombre de conseillers qu'il y avoit au parlement de Beaune, que l'on souloit nommer les grands jours du duché de Bourgogne, & qu'elle fût de telle prééminence & autorité touchant le fait de judicature & jurisdiction souveraine comme le parlement de Paris, auquel, est-il dit, lesdits grands jours souloient ressortir ; ils demanderent aussi au roi qu'il lui plût entretenir les parlemens de Dole & & de Saint-Laurent pour les comtés de Bourgogne, d'Auxonne, & autres terres d'outre Saône, esquelles, disoient-ils, d'ancienneté il y avoit toujours eu cour souveraine pour l'exercer, comme on avoit toujours fait par le passé. Le roi, par un édit du 18 Mars 1476, vieux style, ou Mai 1477, nouveau style, créa & établit esdits duché & pays dessus dits adjacens, une cour & jurisdiction souveraine, pour être tenue dorénavant sous le titre de parlement & cour souveraine, ayant tout droit de ressort & de souveraineté au-lieu des grands jours ; il ordonna aussi que les parlemens de Dole & de Saint-Laurent seroient entretenus souverains, comme ils l'étoient de toute ancienneté ; & pour tenir chacun desdits parlemens, il ordonna qu'il y auroit avec le président deux chevaliers, douze conseillers en la maniere accoutumée, deux avocats, un procureur fiscal, un greffier, cinq huissiers ordinaires.
Ce nouveau parlement tint d'abord ses séances à Beaune ; mais quelque tems après, cette ville s'étant révoltée, le parlement fut transféré à Dijon par édit du 10 Août 1480, sa séance dans cette ville fut confirmée par un édit du mois de Février suivant.
On voit par cet édit qu'il y avoit déjà deux présidens au parlement du duché de Bourgogne, 2 chevaliers, & 12 conseillers clercs & laïcs, il ordonna que ce parlement se tiendroit, comme il faisoit déjà ordinairement, en la ville de Dijon, qu'il commenceroit le lendemain de la S. Martin d'hiver, comme il avoit commencé dernierement ; il transféra celui du comté de Bourgogne, de Dole à Salins, & ordonna que si par faute de causes le parlement du comte de Bourgogne, finissoit plutôt, les conseillers qui le tiendroient retourneroient à Dijon pour y vaquer aux causes & affaires du parlement du duché de Bourgogne, jusqu'à la mi-Août que commenceroient leurs vacations, comme celle des autres parlemens ; il permit aussi aux parties de comparoître au parlement de Bourgogne par un procureur, au lieu que selon les ordonnances du parlement précédent, il falloit comparoître en personne.
Ce même édit de 1480 contient un ample réglement pour l'administration de la justice au parlement de Dijon ; ce parlement fut cassé par Charles VIII. par édit du mois d'Avril 1485, & réuni au parlement de Paris. Voyez Chopin de dom. lib. II. tit. xv. n. 7. mais il fut rétabli l'année suivante, & ensuite augmenté par Louis XII & fixé à Dijon par une déclaration du 29 Août 1494.
Les fonctions des officiers de ce parlement furent suspendues par une déclaration du 14 Mars 1637, quelques-uns furent rétablis le premier Mai suivant, & le surplus par un édit du mois de Juillet de la même année.
Ce parlement fut encore quelque tems sans fonctions au moyen d'une déclaration du 28 Décembre 1658, qui attribue au grand-conseil tous les procès du ressort de ce parlement ; cette déclaration fut registrée au grand conseil le 3 Février 1659 ; mais par une déclaration du 7 Juin suivant, le parlement de Dijon fut rétabli dans ses fonctions.
Le nombre des officiers de ce parlement a été augmenté & diminué par divers édits & déclarations dont le détail seroit trop long ; il suffit d'observer que cette cour est présentement composée de dix présidens à mortier, y compris le premier président, trois conseillers d'honneur nés, qui sont les évêques de Dijon, d'Autun, de Bellay, deux chevaliers d'honneur, soixante-huit conseillers, dont six clercs & soixante-deux laïcs, non compris le chancelier garde des sceaux de la chancellerie, deux greffiers en chef, & plusieurs commis greffiers, onze huissiers du parlement y compris le premier huissier, & quatre huissiers aux requêtes.
Le parquet est composé de deux avocats généraux & un procureur général, huit substituts.
Il y a environ cent avocats au parlement & soixante & dix procureurs.
Le parlement est distribué en cinq chambres, sa voir la grand'chambre, la tournelle criminelle, la chambre des enquêtes, & celle des requêtes du palais.
La grand'chambre est composée du premier président, de trois présidens à mortier, des conseillers, & chevaliers d'honneur, & de dix-neuf autres conseillers.
La Tournelle fut établie par édit du mois de Juin 1523, qui fut revoqué par déclaration du 13 Août 1527, mais elle fut rétablie par édit du mois de Décembre 1537 ; elle est composée de quatre présidens & de dix-neuf conseillers.
La chambre des enquêtes est composée de deux présidens & de vingt-un conseillers.
La chambre des requêtes du palais fut établie par édit du mois de Décembre 1543, registrée au même parlement le 14 Février suivant ; elle fut supprimée par édit du mois de Septembre 1546, & rétablie par un autre édit donné à Avignon au mois de Janvier 1576 ; elle est présentement composée de deux présidens & de dix conseillers.
Les sieges royaux qui ressortissent à ce parlement, sont le bailliage & chancellerie de Beaune, les siéges de Nuys, d'Auxonne, & de Saint-Jean de Lone, le Bailliage & chancellerie d'Autun, les siéges de Moncenis, de Semur-en-Brionois, le bailliage & chancellerie de Châlons-sur-Saône, le bailliage & chancellerie d'Auxois, & les siéges d'Avalon, d'Arnay-le-duc, de Saulieu, le bailliage & chancellerie de Châtillon, les bailliages de Charolles, de Bourbon-Lancy, de Bourg-en-Bresse, les sieges de Bellay & de Gex ; il y a aussi plusieurs justices seigneuriales qui y ressortissent directement.
La chancellerie établie près le parlement est composée d'un conseiller garde des sceaux, de vingt-deux secrétaires du roi, tant audienciers, contrôleurs qu'autres, deux scelleurs, trois référendaires, un chauffe-cire, un greffier, trois gardes-minutes, & huit huissiers. (A)
PARLEMENT DE BRESSE. Il y eut un parlement créé & établi pour cette province, avec une chambre des comptes, aides & finances, à Bourg-en-Bresse. Pierre de Musy en étoit premier président ; il en prend la qualité dans son contrat de mariage passé devant Gabillon, notaire au châtelet, le 26 Février 1661 ; mais il fut réuni quelque tems après au parlement de Metz, où M. de Musy fut fait président à mortier : il en est parlé dans l'avant-propos du traité des criées de Bruneau. (A)
PARLEMENT DE BRETAGNE ou DE RENNES, est le huitieme des parlemens de France. Il tire son origine des grands jours au parlement, que les comtes de Bretagne & ensuite les ducs, faisoient tenir dans cette province ; on les appelloit à Paris grands jours, & dans la province parlement ; mais c'étoit abusivement, car les pairs n'avoient chez eux que des grands jours, comme en Champagne, les grands jours de Troyes.
On appelloit des juges de seigneurs, devant les juges du comte ou duc de Bretagne séans à Rennes ou à Nantes, lesquels connoissoient des appellations de toute la province aux plaids généraux. On pouvoit ensuite appeller de ces jugemens, ne fût-ce que des interlocutoires, au conseil du duc, & de ce conseil aux grands jours ou parlement.
Dargentré dans son histoire de Bretagne, liv. V. ch. xvij. dit qu'avant le comte Alain III. dit Fergent, lequel mourut le 13 Octobre 1120, il y avoit déjà en ce pays un parlement, que c'étoit une assemblée d'hommes de sens de tous états & conditions, qui étoit convoquée par lettres du comte ou duc chaque année, & souvent plus rarement : que du tems de S. Louis, il y avoit appel de ce parlement à celui de France en deux cas ; le premier pour faux & mauvais jugement ou sentence inique ; le second par faute ou dénégation de droit : le traité fait en la ville d'Angers l'an 1231 y est exprès.
Il y a aussi des lettres de Philippe le Bel du mois de Février 1296, par lesquelles ce prince accorde au duc de Bretagne & à ses hoirs, qu'ils ne pourront être ajournés tant par-devant lui que par-devant ses gens (c'étoit son conseil), par simples ajournemens, qu'en cas d'appel de défaut de droit ou de faux jugemens, ou autres cas dépendans de la souveraineté.
Louis Hutin fit au mois de Mars 1315, une ordonnance à la réquisition du duc de Bretagne, portant entr'autres choses que le roi envoyeroit des commissaires pour informer comment les appellations interjettées des jugemens rendus au duché de Bretagne devoient ressortir au parlement de Paris ; la jurisdiction du duc n'y est point qualifiée de parlement ni même de grands jours. Mais dans des lettres de Philippe de Valois, du mois de Juin 1328, la jurisdiction du duc est qualifiée de grands jours, magnos dies ; & il est dit qu'en Bretagne ces grands jours étoient qualifiés de parlement. Il est dit dans l'exposé de ces lettres que le duc de Bretagne avoit représenté que par coutume ancienne, les appellations des sénéchaux de Bretagne étoient portées au duc ou à ses grands jours, lesquels en Bretagne sont qualifiés de parlement ; qu'ils avoient été introduits d'ancienneté pour cela, suivant qu'ils avoient coutume d'être assignés ; & par ces lettres le roi confirme l'ordre qui s'observoit anciennement, & ordonne que l'appel des grands jours ou parlement de Bretagne ressortira au parlement de Paris, sans que l'on puisse y porter directement les appellations interjettées des sénéchaux de Bretagne.
Cette ordonnance fut confirmée par le roi Jean, au mois de Juillet 1352.
Cette chambre des grands jours, ou parlement de Bretagne, étoit composée d'un président du parlement de Paris, de quelques conseillers du même parlement, qui tenoient en même tems des offices de conseillers au parlement de Bretagne ; il y avoit aussi quelques maîtres des requêtes du conseil du duc de Bretagne.
Ces grands jours devoient se tenir tous les ans, en vertu de lettres que le roi donnoit à cet effet, mais on ne les convoquoit communément que tous les deux ans, & même quelquefois plus rarement ; c'est pourquoi le duc Jean tenant son parlement en 1404 ou 1424, ordonna que toutes appellations qui seroient interjettées de simples interlocutoires qui n'emporteroient pas principal de cause, seroient terminées comme de parlement, une fois l'an, devant son président & son conseil, qui seroit à Vannes ou en quelqu'autre ville de Bretagne.
Les choses demeurent sur ce pié jusqu'au tems de Charles VIII. lequel ayant épousé Anne de Bretagne en 1491, établit un nouveau conseil en Bretagne, au lieu de celui des ducs, & peu de tems après, il mit ses soins à régler les grands jours ou parlement de Bretagne, auxquels ressortissent les appellations de tous les juges inférieurs du pays ; ces grands jours n'avoient pu être tenus depuis long-tems, tant à l'occasion des procès & divisions qui étoient encore dans ce pays, qu'à cause du décès de plusieurs barons, nobles & autres gens dudit pays. Ce prince ordonna donc pour le bien & utilité de ce pays, de faire tenir les grands jours ou parlement, dorénavant audit pays & duché de Bretagne, pour le premier terme, le premier jeudi de Carême, durant jusqu'au samedi de Paques en suivant, qu'on disoit l'an 1493, & de-là en avant de terme en terme, ainsi que Sa Majesté l'ordonneroit & verroit être nécessaire pour le bien de ce pays.
Pour tenir ces grands jours ou parlement, il commit messire Jean de Gonnay pour premier président, avec un second président, & huit conseillers clercs & dix laïcs, un greffier & deux huissiers.
Il régla que les gages & vacations seroient payés aux présidens ordinairement, & aux conseillers clercs & laïcs, pour le tems de leur vacation seulement, cassant & révoquant tous dons, érections & retenues des conseillers & autres officiers des grands jours, faites à d'autres qu'à ceux qui furent pour lors commis.
Depuis voyant le bien & utilité qui étoient avenus de la tenue de ces grands jours ou parlement, il ordonna successivement que ces grands jours seroient tenus ès mois de Septembre 1494 & 1495 ; ce qui fut ainsi exécuté.
Enfin ayant reconnu qu'il seroit avantageux pour ce pays que l'on y tînt les grands jours une fois l'an à un terme nommé & préfix, & que ce seroit occasionner de grands frais s'il falloit chaque année obtenir des lettres du roi pour faire tenir les grands jours, il ordonna par un édit du 27 Novembre 1495, qui fut publié dans l'assemblée des états de la province, que ces grands jours ou parlement se tiendroient une fois chaque année, depuis le premier Septembre jusqu'au 5 Octobre suivant, par les mêmes présidens, conseillers, & autres officiers qui avoient d'abord été commis, lesquels sont dénommés dans cet édit, sans qu'il fût besoin dorénavant d'obtenir d'autres lettres de provision pour la tenue de ces grands jours ou parlement.
La jurisdiction de ces grands jours ou parlement, n'étoit pas souveraine ; il y avoit appel au parlement de Paris ; cependant les exemples en sont rares. Les ducs de Bretagne empêchoient autant qu'il leur étoit possible, que l'on ne prît cette voie ; il y en a pourtant un exemple dans les rouleaux du parlement de Paris en 1461.
Le second mariage d'Anne de Bretagne avec Louis XII. ni celui de François I. avec Claude de France, fille de Louis XII. & d'Anne de Bretagne, ni la réunion même qui fut faite de la Bretagne à la couronne en 1532, n'apporterent encore aucun changement à l'état du parlement de Bretagne. Il arriva seulement que le roi François I. ayant cédé à Henri I. son fils, alors dauphin de France, la jouissance du duché de Bretagne, il ordonna à la priere de ce prince, par des lettres en forme d'édit, que dans les matieres où il seroit question de 1000 livres de rente & au-dessous, ou de 10000 liv. une fois payés, il n'y auroit aucun ressort par appel des grands jours, ou parlement de Bretagne, au parlement de Paris, comme cela avoit lieu auparavant ; mais que les jugemens donnés sur ces matieres sortiroient nature d'arrêt.
Ces lettres ayant été présentées au parlement de Paris pour y être enrégistrées, le procureur général y forma opposition.
Mais François I. étant décédé en 1547, cela leva les obstacles. Henri II. par édit du mois de Septembre 1551, ordonna l'exécution de celui du roi son pere, & néanmoins ayant aucunement égard aux motifs allégués par le procureur dans son opposition, il modifia cet édit, & ordonna que dans les matieres où il seroit question de 150 liv. tournois de rente, & de 3000 liv. tournois à une fois payer, il n'y auroit aucun ressort par appel des jugemens, soit interlocutoires ou définitifs, sur ce donnés par les grands jours ou parlement de Bretagne, au parlement de Paris ; mais qu'ils sortiroient nature d'arrêt exécutoire nonobstant ledit appel.
Cet édit fut enregistré au parlement de Bretagne le 17 Septembre 1551, & dans celui de Paris le premier Octobre 1552.
Mais les grands jours ou parlement de Bretagne, ne furent érigés en cour absolument souveraine, & sous le titre de parlement, que par l'édit du roi Henri II. du mois de Mars 1553. Les motifs exposés dans cet édit sont que la séance des grands jours étoit si breve, qu'elle ne suffisoit pas pour expédier toutes les affaires ; que d'ailleurs ces grands jours n'étant pas souverains, c'étoit un degré de jurisdiction qui ne servoit qu'à fatiguer les parties & éterniser les procès.
Par cet édit Henri II. établit un parlement & siége ordinaire de justice souveraine audit pays & duché de Bretagne, lequel devoit être composé de deux chambres pour être exercé & tenu par quatre présidens & trente-deux conseillers, qui serviroient alternativement, savoir seize non originaires du pays, lesquels ensemble les quatre présidens seroient pris & choisis dans les autres pays de l'obéissance du roi, soit présidens, maîtres des requêtes ordinaires de l'hôtel du roi, ou conseillers des autres cours souveraines, ou autres, & que les seize autres conseillers seroient pris des originaires du pays.
Il créa par le même édit deux avocats pour lui, dont il ne pourroit y en avoir qu'un originaire du pays ; un procureur général, deux greffiers, l'un civil, l'autre criminel ; six huissiers, un receveur & payeur des gages, un receveur des amendes, un garde & concierge pour administrer les menues nécessités.
Chaque chambre devoit être composée de deux présidens, seize conseillers, un des deux avocats du Roi.
Il fut aussi ordonné que ce parlement seroit tenu & exercé en deux séances & ouvertures ; l'une de la ville de Rennes durant trois mois, savoir Août, Septembre & Octobre, & que durant les mois de Novembre, Décembre & Janvier, il y auroit vacations ; que l'autre séance & ouverture se tiendroit en la ville de Nantes, qu'elle seroit de service pendant les mois de Février, Mars & Avril, & les mois de Mai, Juin & Juillet pour les vacations.
La premiere séance pour laquelle furent députés les premier & troisieme présidens, commença au mois d'Août, & la seconde où furent députés les second & quatrieme présidens, commença au premier Février, suivant l'édit.
Et au cas que durant ces deux séances, ou l'une d'icelles, les procès par écrit, appellations verbales, ou autres matieres civiles qui seroient instruites & en état d'être jugées, ne fussent pas décidées durant les trois mois ordonnés pour chacune desdites ouvertures & séances, il est ordonné que les présidens & conseillers procéderont au jugement desdits procès & matieres instruites, avant que de desemparer chacune desdites séances, dont le roi charge leur honneur & conscience, sans néanmoins que lesdits présidens, conseillers & autres officiers, fussent tenus en chacune desdites séances, de vaquer en tout plus de quatre mois.
Il est encore dit que les conseillers & présidens de chacune desdites chambres, moyennant ladite érection, connoîtront & jugeront en dernier & souverain ressort, de tous différends & matieres survenant audit pays, civiles, criminelles, mixtes, leurs circonstances, sequelle & dépendances d'icelles, entre quelques personnes, & pour quelque cause & valeur que ce soit, au nombre des présidens ou conseillers requis par les ordonnances ; comme aussi des matieres de régale, & jurisdictions temporelles des évêques dudit pays, prééminence d'église, contention des ressorts différens des siéges présidiaux, malversation d'iceux, & d'autres juges inférieurs, appellation des jugemens donnés par le grand maître des eaux & forêts, ou ses lieutenans, sans qu'elles puissent ressortir ailleurs par appel ni autrement, pour quelque somme & considération que ce soit, & des autres, selon l'édit de la création des présidiaux qui excéderont 10 liv. de rente, ou 250 liv. une fois payées ; le roi révoquant à cette fin le pouvoir qu'il avoit donné aux présidiaux pour connoître en souveraineté des matieres criminelles par la suppression du conseil, ou grands jours dudit pays ; enfin il donna au nouveau parlement telle autorité, pouvoir, prééminences, honneurs, droits, profits, revenus, & émolumens que les autres cours souveraines & parlemens du royaume, & que l'ancien parlement & conseil dudit pays avoient coutume d'avoir.
En conséquence il supprima par le même édit, l'ancien parlement ou grands jours.
Il ordonna qu'en la chancellerie dudit pays, il y auroit un garde-scel, qui seroit conseiller de la cour, dix secrétaires & un scelleur, comme il y avoit eu de tout tems, un receveur & payeur des gages des officiers de cette chancellerie, quatre rapporteurs & un huissier ; & il supprima tous autres officiers de la dite chancellerie & conseil de ce pays.
Et afin de prévenir toute difficulté sur l'exécution de cet édit, il ordonna qu'il seroit fait un extrait au parlement de Paris, des réglemens, usances, styles & formes qui se doivent garder pour les mercuriales, & toutes autres choses concernant le fait du parlement de Paris, ses officiers & sa chancellerie, pour se régler de même au parlement & chancellerie de Bretagne.
Comme les offices de présidens & conseillers de l'ancien parlement étoient la plûpart tenus par des maîtres des requêtes de l'hôtel du roi, les offices du nouveau parlement furent pareillement déclarés compatibles avec ceux des maîtres des requêtes, avec séance telle que les maîtres des requêtes l'ont dans les autres parlemens, sans avoir égard au rang qu'ils devroient tenir comme conseillers.
L'édit de 1553 ordonna encore que l'un des présidens de la premiere séance de Rennes, avec les huit conseillers originaires de la province, continueroient l'exercice de la justice criminelle pendant les vacations, en appellant avec eux pour parfaire le nombre de dix au moins, tels des conseillers du même parlement, siéges présidiaux, ou autres juges & officiers royaux, ou quelqu'un des plus anciens & fameux avocats des lieux, pour terminer pendant ledit tems les procès criminels, comme il se pratiquoit anciennement au conseil de Bretagne ; & que la même chose seroit observée par la séance établie à Nantes.
Enfin ce même édit ordonne que les évêques de Rennes & de Nantes, auront séance, voix & opinion délibérative au parlement de Bretagne, ainsi que les évêque de Paris & abbé de Saint-Denis l'ont au parlement de Paris, & que tous les autres archevêques ou évêques du royaume y auront séance les jours d'audience & de plaidoierie, uniformément & comme ils l'ont au parlement de Paris.
Cet édit fut enregistré au parlement de Paris le 4 Mai 1554, avec la clause de mandato regis.
Par des lettres-patentes du 26 Décembre 1558, Henri II. autorisa les présidens & conseillers du parlement de Bretagne à visiter toutes les prisons, interroger les prisonniers, comme aussi à visiter les présidiaux, & à y présider, seoir & juger, tant ès jours de plaidoierie que de conseil, sans y prendre aucun profit ni émolument, à visiter les hôpitaux & lieux piteux, pour voir & entendre s'ils sont bien & dûement entretenus & réparés, pour sur leur rapport, être pourvû par la cour.
Les habitans de la ville de Nantes demanderent à François II. que le parlement fût transféré en la ville de Nantes, & que les deux séances fussent unies en une, & tenues dans cette ville.
La ville de Rennes y mit empêchement, ce qui donna lieu à un arrêt du conseil du 19 Mars 1554, par lequel les parties furent renvoyées devant le gouverneur & lieutenant général de Bretagne, pour à la premiere convocation & assemblée ordinaire, enquérir & informer par les voies des gens des trois états, si l'observation de l'érection & séance du parlement dans les deux villes de Nantes & de Rennes seroit plus commode & profitable tant au roi qu'à ses sujets, ou s'il y auroit lieu d'attribuer la séance perpétuelle du parlement en l'une de ces deux villes.
Cependant sans attendre cette information, les habitans de Nantes obtinrent au mois de Juin 1557, des lettres patentes portant translation du parlement, & réunion des deux séances en la ville de Nantes.
La ville de Rennes forma opposition à l'enregistrement de ces lettres, & présenta requête au roi François II. le 4 Décembre 1559, pour demander que l'information qui avoit été ordonnée, fût faite.
La requête renvoyée au duc d'Estampes, gouverneur de Bretagne, le procès-verbal & information, de commodo & incommodo, fut fait en l'assemblée des trois états tenus en la ville de Vannes au mois de Septembre 1560 ; le gouverneur donna aussi son avis ; & sur ce qui résultoit du tout, par arrêt & lettres-patentes du 4 Mars 1561, le roi Charles IX. pour nourrir paix & amitié entre les habitans des deux villes, & accommoder ses sujets de Bretagne en ce qui concerne l'administration de la justice, révoqua les lettres du mois de Juin 1557, contenant la translation du parlement à Nantes, & ordonna que la séance ordinaire de ce parlement seroit & demeureroit toujours en la ville de Rennes, sans que pour quelque cause que ce fût, elle pût être à l'avenir transférée à Nantes ni ailleurs. Il institua & établit ce parlement ordinaire en la ville de Rennes, pour y être tenu & exercé à l'avenir à perpétuité, comme les autres cours de parlement du royaume, à la charge seulement que les habitans de Rennes seroient tenus d'indemniser & rembourser ceux de Nantes, des deniers qu'ils avoient donnés au feu roi Henri II. pour avoir chez eux le parlement.
Cependant comme le parlement tenoit déja sa séance à Nantes, l'exécution de l'arrêt du 4 Mars 1561 souffrit quelque retardement, tant par l'opposition des Nantois qui empêcherent d'abord les commis des greffes d'emporter les sacs & papiers, que par divers autres incidens ; enfin le 24 Juillet 1561 il y eut des lettres de jussion pour enregistrer l'arrêt du 4 Mars, & il fut enjoint au parlement de commencer à siéger à Rennes, le premier Août suivant, ce qui fut exécuté.
Il paroît néanmoins que ce parlement de Rennes fut encore interrompu : en effet, il fut rétabli & confirmé par une déclaration du premier Juillet 1568.
Il ne laissa pas d'être depuis transferé à Vannes par déclaration du mois de Septembre 1675, mais il fut rétabli à Rennes par édit du mois d'Octobre 1689.
Par une déclaration du 23 Février 1584, les séances qui n'étoient que de trois mois, furent fixées à quatre chacune.
Henri IV. par édit du mois de Juillet 1600, ordonna que chaque séance seroit de six mois.
Enfin, par édit du mois de Mars 1724, le roi a rendu ce parlement ordinaire, au lieu de trimestre & semestre qu'il étoit auparavant.
Ce parlement est présentement composé de cinq chambres ; savoir, la grand'chambre qui est aussi ancienne que le parlement, deux chambres des enquêtes, dont l'une tire son origine de la premiere érection du parlement en 1553 ; la seconde fut créée en 1557 ; la tournelle établie en 1575, & les enquêtes du palais en 1581.
L'édit du mois de Mars 1724 avoit ordonné qu'il y auroit deux chambres des requêtes ; mais par une déclaration du 12 Septembre de la même année, il fut ordonné que les deux seroient & demeureroient réunies en une seule.
Par un édit du mois de Février 1704, il avoit été créé une chambre des eaux & forêts près le parlement de Rennes, pour juger en dernier ressort toutes les instances & procès, concernant les eaux & forêts, pêches & chasses ; mais par un autre édit du mois d'Octobre suivant, cette chambre fut réunie au parlement.
On a vû que lors de la création de ce parlement, il n'étoit composé que de quatre présidens, seize conseillers originaires, & seize non originaires, deux avocats généraux, un procureur général, deux greffiers & six huissiers ; mais au moyen de nouvelles charges qui ont été créées en divers tems, il est présentement composé d'un premier président, de neuf présidens à mortier.
Ceux qui ont rempli la dignité de premier président de ce parlement depuis son érection, sont
MESSIEURS,
Les officiers dont le parlement est composé, sont six présidens aux enquêtes, deux aux requêtes, quatre-vingt-quatorze conseillers, douze conseillers-commissaires aux requêtes, deux avocats généraux, un procureur général ; deux greffiers en chef, l'un civil & l'autre criminel, deux greffiers aux enquêtes, un aux requêtes, un garde-sacs, un des affirmations, un premier huissier, & treize autres huissiers, & cinq huissiers aux requêtes ; environ cent quarante avocats & cent huit procureurs.
Tous les conseillers, tant du parlement que des requêtes, sont laïcs, il n'y a point de conseillers clercs, si ce n'est les évêques de Rennes & de Nantes, qui sont conseillers d'honneur nés.
Une partie des charges de conseillers est affectée à des personnes originaires de la province ; l'autre est pour des personnes non originaires ; & suivant un reglement fait par le parlement au sujet de ses diverses charges le 21 Juillet 1683, sur lequel est intervenu un arrêt conforme au conseil du roi le 15 Janvier 1684 registré à Rennes le 3 Juin suivant, il est dit :
1°. Que ceux qui des autres provinces du royaume, sont venus ou viendront s'établir dans celle de Bretagne, autrement que pour exercer dans le parlement des charges de présidens ou de conseillers, & y ont eux ou les descendans d'eux, leur principal domicile pendant l'espace de quarante ans, seront réputés originaires de Bretagne, & ne pourront eux & les descendans d'eux posséder des offices non originaires.
2°. Que ceux qui sont sortis ou sortiront hors de la province de Bretagne, & qui ont eu ou auront dans les autres provinces du royaume, eux ou les descendans d'eux leur principal domicile pendant l'espace de quarante ans, seront réputés non originaires, & ne pourront eux & les descendans d'eux, posséder des offices originaires.
3°. Ceux qui possedent actuellement, ceux qui possederont à l'avenir, & ceux qui ont possedé depuis quarante ans des charges non originaires, seront réputés in aeternum, eux & les descendans d'eux par mâles, non originaires, excepté néanmoins ceux qui ont été pourvûs & ensuite reçûs dans les charges non originaires autrement que comme non originaires, dont les enfans & petits-enfans par mâles pourront posseder les charges de leurs peres & grands peres seulement, immédiatement & sans interruption.
Suivant l'édit du mois de Septembre 1580, & la déclaration du 30 Juin 1705, les charges de présidens aux requêtes du palais & celles de conseillers doivent être remplies, moitié par des françois, l'autre moitié par des originaires.
Il en étoit de même anciennement des deux charges d'avocats généraux, suivant l'édit de création ; mais par une déclaration du 15 Octobre 1714. il a été reglé que ces charges seront possedées indifféremment par des Bretons & par d'autres.
Par une déclaration d'Henri III. du 2 Mai 1575, les présidens & conseillers de ce parlement ont entrée & séance dans toutes les cours souveraines du royaume.
L'ouverture du parlement se fait le lendemain de la S. Martin.
La grand'Chambre est composée du premier président, des quatre plus anciens présidens à mortier & des trente-quatre conseillers les plus anciens en réception.
Chaque chambre des enquêtes est composée de trois présidens & trente conseillers.
La tournelle est composée des cinq derniers présidens à mortier, de dix conseillers de la grand'chambre, & de cinq de chaque chambre des enquêtes, qui servent jusqu'à Pâques, & sont remplacés par un pareil nombre.
Les vacations sont depuis le 24 Août jusqu'à la S. Martin.
La chambre des vacations commence le 26 Août & finit le 17 Octobre.
La chancellerie établie près le parlement de Bretagne est composée de deux conseillers garde des sceaux, qui servent chacun six mois, quatre audienciers, quatre contrôleurs, quinze secrétaires, un scelleur, quatre référendaires, deux payeurs des gages, & un greffier garde-notes.
Voyez Pasquier, la Rocheflavin, Fontanon, Joly, Guenois, le recueil des ordonnances de la troisieme race. (A)
PARLEMENT DE CHALONS. On donna ce nom à une des chambres du parlement de Paris, transféré à Tours pendant la ligue, laquelle fut envoyée à Châlons-sur-Marne pour y rendre la justice. Voyez PARLEMENT DE LA LIGUE & PARLEMENT DE TOURS. (A)
PARLEMENT DE CHAMBERY. Il y a eu autrefois un parlement à Chambery, ville capitale de la Savoie, lequel a pris depuis la dénomination de sénat ; il fut établi par le roi François I. lorsqu'il se fut rendu maître de la Savoie. (A)
PARLEMENT DE LA CHANDELEUR, in parlamento Candelosae, ou octavarum Candelosae, des octaves de la Chandeleur. C'étoit la séance que le parlement tenoit vers la fête de la purification de la Vierge ; il en est parlé dans le premier des registres olim dès l'année 1259, & en 1290 Philippe-le-Bel y fit une ordonnance touchant les Juifs au parlement de la Chandeleur en 1290. (A)
PARLEMENT COMTAL ; c'étoit les grands jours ou parlement du comte de Toulouse ou de Poitiers. Voyez PARLEMENT DE TOULOUSE.
PARLEMENT DU COMTE DE BOURGOGNE, Voyez ci-devant PARLEMENT DE BESANÇON.
PARLEMENT DE DAUPHINE, voyez ci-après PARLEMENT DE GRENOBLE.
PARLEMENT DE DIJON, voyez ci-devant PARLEMENT DE BOURGOGNE.
PARLEMENT DE DOLE, voyez PARLEMENT DE BESANÇON.
PARLEMENT DE DOMBES est la Cour souveraine qui rend la justice en dernier ressort aux sujets du prince.
Les ducs de Bourbon, souverains de Dombes, avoient pour leurs états une chambre des comptes établie à Moulins, où ressortissoient en dernier ressort les appellations des sentences des juges ordinaires & d'appeaux de la souveraineté, pour raison de quoi elle étoit nommée chambre du conseil ; elle étoit sédentaire à Moulins.
Lorsque Charles de Bourbon, connétable de France (qui avoit épousé Susanne sa cousine, fille de Pierre de Bourbon, & lui avoit succédé à sa mort en 1521, tant en vertu de son contrat de mariage qui l'appelloit à la succession d'Anne à défaut d'enfans, que du testament à son profit qu'elle avoit fait en 1519), eut embrassé le parti de l'empereur Charles-Quint, le roi François I. s'empara de la souveraineté de Dombes par droit de conquête en 1523.
Après avoir fait recevoir par le maréchal de la Palisse le serment de fidélité des habitans du pays, sur leur requisition, le roi, par des lettres patentes du mois de Novembre 1523, établit une chambre ou conseil souverain à Lyon, à laquelle il évoqua toutes les causes & appellations du pays & souveraineté de Dombes.
Il composa ce conseil du gouverneur de Lyon (c'étoit alors le maréchal de la Palisse), du sénéchal de Lyon, des lieutenant général & particulier, & de deux docteurs résidens dans la même ville ; il commit son procureur à Lyon pour procureur général, & deux huissiers pour le service de cette chambre ou conseil ; il defendit, pour quelques causes que ce fût, soit civiles, soit criminelles, de traduire les sujets de Dombes en autre cour & jurisdiction que pardevant ledit conseil. Il commit le sénéchal pour garde des sceaux de ce conseil. Le premier scel dont on se servit est encore conservé dans les archives de Dombes ; François I. y est représenté avec cette inscription, sigillum domini nostri Francorum regis, pro supremo Dombarum parlamento.
Les lettres de 1523 furent enregistrées & publiées en l'auditoire de Lyon le 6 Novembre de la même année, en Dombes le 26 du même mois, & à la chambre des comptes de Moulins le 24 Janvier suivant. De ce moment elles eurent leur exécution.
Ce nouveau conseil fut qualifié de parlement dès le mois de Juin 1538, dans des lettres patentes accordées à Me. Jean Godon, pour la renovation du terrier de la seigneurie de Gravin, où l'on lit : Jean Godon.... président en notre cour de parlement & conseil de notre pays de Dombes.
Ce tribunal fut qualifié de parlement après, sans doute, qu'Antoine Dubourg eut été nommé premier président, parce qu'alors il y avoit un président en titre, & qu'il étoit composé d'officiers de robe longue.
Dans des lettres patentes de 1543, 1547 & 1549, il est qualifié tantôt de conseil, tantôt de parlement, comme mots synonymes ; mais il étoit déja reconnu comme parlement, suivant le scel accordé par François I. & tant les arrêts que les enregistremens se donnoient & s'inscrivoient alors à la cour de parlement séant à Lyon.
Le roi François II. dans des lettres patentes du mois de Mars 1559, confirma les offices du parlement de Dombes tels qu'ils subsistoient au tems de son avénement, & les privileges de chacun de ces offices.
La principauté de Dombes ensuite de la transaction du 27 Septembre 1560, fut rendue par François II. à Louis de Bourbon, duc de Montpensier (fils de Louise soeur & héritiere de droit du connétable Charles de Bourbon) & héritier institué par testament que ledit connétable avoit fait en l'année 1521. La transaction confirmée par Charles IX. le 11 Novembre 1661, fut enregistrée au parlement de Dombes le 20 Mars de la même année.
Louis de Bourbon Montpensier prit possession de la souveraineté de Dombes au mois de Mars 1561 ; il rendit le 15 Septembre un édit enregistré le 18 Décembre de la même année au parlement, par lequel il supprima, vacation avenant, l'office de juge d'appeaux établi à Trévoux par le roi François I. & ordonna qu'à l'avenir il n'y auroit plus que deux degrés de jurisdiction, selon la forme ancienne. Il fit une ordonnance pour l'administration de la justice, tant en matiere civile que criminelle, qui contient 24 chapitres & 150 articles ; elle est datée de Champigny du mois de Juin 1581. Louis de Montpensier étant décédé avant l'enregistrement, François son fils & son successeur, donna des lettres patentes au mois de Juin 1583, confirmatives de cette ordonnance, & le tout fut enregistré le 27 Juillet suivant. M. Jérôme de Châtillon, premier président du parlement de Dombes, a fait un commentaire de grande érudition, qui a été imprimé avec cette même ordonnance.
En 1576 le parlement fit un réglement, tant sur la police intérieure du palais, que sur la monnoie, avec supplication à S. A. S. pour avoir des ordonnances sur le fait de la justice. Il y est marqué que la souveraineté se régissoit par le droit écrit. Ce réglement fut confirmé par les lettres patentes du souverain, du 24 Juin 1576, dûement enregistrées.
Le parlement s'est transporté plusieurs fois de Lyon dans la souveraineté de Dombes, pour y tenir les grands jours, ensuite de commission ou lettres patentes du souverain. La premiere fois, le 8 Octobre 1583, il fit publier à Trévoux un réglement pour la police & l'administration de la police au bailliage. Une autre fois au mois d'Octobre 1602, étant à Trévoux pour semblable cause, il rendit deux arrêts de réglement, l'un sur la police générale du pays de Dombes, & l'administration de la justice, tant au bailliage, qu'aux autres jurisdictions ; & l'autre sur la forme des impositions. Ces deux réglemens ont été confirmés par les mêmes lettres patentes du 24 Février 1603, régistrées le 9 Avril suivant. Depuis 1602 le parlement n'a pas tenu les grands jours.
M. le duc du Maine transféra le parlement de Lyon à Trévoux, capitale de la souveraineté, par déclaration du mois de Novembre 1696.
Par une autre déclaration du 15 Septembre 1728, registrée le premier Octobre suivant, il permit aux officiers du parlement de Dombes de posséder des charges hors de la souveraineté, dans les cours du royaume.
Le nombre des officiers du parlement de Dombes a été augmenté en divers tems.
Les lettres patentes de François de Montpensier, prince souverain de Dombes, du 26 Novembre 1582, font mention, outre les présidens, conseillers, avocats & procureur généraux, des secrétaire & greffier, trésorier & payeur, huissier & concierge de ladite cour. Il est présentement composé d'un premier président & de deux autres présidens à mortier, du gouverneur, qui y a séance & voix délibérative après le premier président, de trois maîtres des requêtes, de deux chevaliers d'honneur, de dix conseillers laïcs, de deux conseillers clercs ; du doyen du chapitre de Trévoux, de deux avocats généraux & un procureur général, de deux substituts du procureur général ; de quatre secrétaires de S. A. S., d'un greffier en chef ; d'un premier huissier, quatre huissiers audienciers, & douze procureurs.
Premier président. Lors de l'érection du conseil ou parlement de Dombes, le roi François I. par ses lettres patentes du premier Novembre 1523, nomma à la tête des officiers qui le devoient composer, le maréchal de la Palisse, gouverneur de Lyon, que l'on doit en conséquence regarder comme le premier qui ait été le chef de ce conseil ou parlement.
Dans les lettres ou provisions de premier président de messire Antoine Dubourg, il est dit que le gouverneur.... ne pouvoit pas vaquer au fait de la justice contentieuse ; raison pour laquelle la princesse (Louise de Savoie) nomma un président en titre. Ainsi messire Antoine Dubourg fut le premier qui eut le titre de président du conseil de parlement de Dombes, le 26 Septembre 1534.
Ayant été nommé chancelier de France en 1535, il eut pour successeur dans la dignité de premier président du parlement de Dombes,
Messire Jean Godon, conseiller au grand-conseil, après lequel sont venus successivement,
En 1544, messire Jean Dupeyrat.
En 1549 messire Hugues Dupuis, nommé dans les lettres patentes de François II. au mois de Mars 1559.
Messire Jean Dufournel, en 1562.
Messire Claude Baronnat, en 1568.
Messire Jérôme de Châtillon, en 1571 (c'est lui qui a fait un commentaire sur l'ordonnance de Dombes ; plusieurs auteurs en parlent avec éloge).
Messire Nicolas de Lange, en 1593.
Messire Baltazard de Villars, en 1596 (Il étoit neveu & frere des archevêques de Vienne de ce nom).
Messire Pierre de Seve de Laval (gendre de ce dernier), en 1621.
Messire Guillaume de Seve de Laval (son fils), en 1653.
Messire Barthelemy Mascranny de la Verriere, en 1675.
Messire Pierre de Seve de Laval, en 1682.
Messire Benoît Cachet de Montezan, en 1699.
Messire Antoine Desvioux de Messimy, en 1704, après le décès duquel le prince pourvut une seconde fois du même office.
Messire Benoît Cachet de Montezan, en 1713.
Messire Nicolas Bellet de Tavernost, en 1727.
Messire Louis Cachet de Montezan, en 1730.
Et messire Jean Benoît Cachet, comte de Garnerans, en 1747, qui occupe actuellement cette place.
Le prince a affecté un logement au palais de justice à Trévoux pour le premier président.
Le second office de président fut créé en 1560 ou 1561 ; après avoir été supprimé, rétabli, & encore supprimé, il a été établi par édit du mois de Mars 1636, & a subsisté depuis.
Le troisieme office de président a été créé par édit du mois de Juin 1538.
L'habillement des présidens au parlement de Dombes est semblable à celui des présidens au parlement de Paris.
Il y a eu plusieurs fois des conseillers d'honneur nommés extraordinairement par le prince, tels que messire Jacques Dutour Wuliard de Saint-Nizier, lieutenant général de Bourg, & élu de la noblesse en la province de Bresse, nommé en 1699, & messire Jacques Marie Dutour Wuliard son fils actuellement chancelier de Dombes. Le rang & séance des conseillers d'honneur a toujours été reglé par les lettres ou brevets que le prince leur a accordés. Messire Desvioux de Messimy, ancien procureur général du parlement de Dombes, & messire Aymard de Franchelins, sont actuellement conseillers d'honneur. Le premier a séance immédiatement après les présidens, & le second à son rang de réception.
Maîtres des requêtes. Ces officiers sont au nombre de trois ; le premier office fut créé par édit du mois de Février 1603 ; le second par édit du mois de Juin 1646 ; & le troisieme, par édit du mois de Juillet 1658.
L'habillement des maîtres des requêtes est le même que celui des conseillers au parlement, ainsi que les conseillers d'honneur & honoraires ; ils ne peuvent ni rapporter ni présider ; ils siégent après les présidens. Les maîtres des requêtes honoraires ont rang & séance après le plus ancien des maîtres des requêtes titulaires.
Chevaliers d'honneur. Par édit du mois de Juillet 1646, Gaston d'Orléans, usufruitier de la souveraineté de Dombes pendant la minorité de la princesse Anne Marie Louise sa fille, connue sous le nom de mademoiselle de Montpensier, créa deux offices de chevaliers d'honneur, pareils à ceux qui sont dans aucunes des cours du parlement de France, & notamment en celle de Dijon, par des lettres du 21 Novembre 1648 ; il ordonna que ceux qui seroient issus d'officiers de la cour ne seroient tenus à la preuve de noblesse que de leur ayeul, & que les autres prouveroient leur bisayeul. Cet édit, ensuite des lettres du prince données sur les remontrances du parlement, ne fut enregistré que pour un de ces offices, au moyen de quoi l'autre demeura supprimé.
Ce second office fut rétabli en 1651 ; mais le parlement ayant encore fait des remontrances, l'édit ne fut pas enregistré, & le pourvu ne poursuivit pas sa réception. Enfin il a été de nouveau rétabli par un édit de 1714 qui a été enregistré, & il a subsisté depuis. Les chevaliers d'honneur siégent après le doyen ou plus ancien des conseillers laïcs.
Conseillers. Quatre ont été créés en 1523, lors de l'institution du parlement ; deux en 1524, par Louise de Savoie ; deux autres avant 1559 (puisque les lettres-patentes de cette date, données par François II. font mention de huit conseillers) ; le neuvieme en 1598, & les autres en 1658. Tous les autres offices de conseillers créés en divers tems, ont été supprimés, & il ne reste présentement que dix conseillers laïcs & deux conseillers clercs, dont les offices sont tous de création antérieure à l'arrêt du conseil de 1669.
En l'absence des présidens, le plus ancien des conseillers laïcs préside la compagnie ; les conseillers clercs ne décanisent & ne président point.
Le premier office de conseiller clerc a été créé en 1558, & le second en 1658 ; ces charges ont été plusieurs fois remplies par des comtes de Lyon. Le premier de ces deux offices avoit d'abord été créé pour être uni au doyenné du chapitre de l'église collégiale de Trévoux ; mais par édit du mois de Mars 1609, cet office fut separé & désuni du doyenné du chapitre.
Au mois de Septembre 1663 il fut créé un office de conseiller clerc honoraire au parlement, pour être ledit office uni au doyenné du chapitre ; au décès du premier pourvu, le parlement remontra au prince que par la nomination du doyenné, le chapitre faisoit & nommoit un conseiller, droit qui n'appartient qu'au souverain. Le chapitre céda au prince la nomination du doyen, & l'office de conseiller clerc honoraire en sa faveur, fut rétabli par édit de 1696. Le doyen est reçu sur des provisions du prince ; il doit être licencié ès droits ; il explique la loi & subit l'examen avant sa réception, du jour de laquelle il prend rang & séance parmi les conseillers.
Avocats généraux. Un de ces offices est aussi ancien que le parlement : le premier qui l'ait possédé est messire Claude de Bellievre, pere de messire Pompone de Bellievre, chancelier de France. Le second office a été créé en 1658.
Procureur général. Cet office est aussi ancien que le parlement.
Substituts du procureur général. Ces deux offices ont été créés par l'édit de 1658, & n'ont été remplis qu'en 1673 ; ils jouïssent des privileges ; & l'arrêt du conseil de 1753 fait défense de les inquiéter à ce sujet.
Secrétaire de la cour. Des quatre offices qui subsistent actuellement, le premier a été créé en 1601 ; le second en 1630, & les deux autres en 1658.
Greffier en chef. Cet office est aussi ancien que le parlement, il fut en 1621 réuni au domaine moyennant le remboursement de la finance. Depuis ce tems, les émolumens du greffe ont été donnés à titre de ferme ou compris dans le bail général de la souveraineté jusqu'en 1721, que M. le duc du Maine donna des provisions. Le titulaire peut présenter, pour faire les fonctions en son absence, un sujet qui soit au gré de la cour & dont il est responsable. Il est dépositaire des minutes & registres du parlement. Ces registres ne sont bien suivis que depuis 1560.
Premier huissier. Cet office est fort ancien ; il jouit des privileges, & y a été maintenu par arrêt de la cour des aides de Paris rendu le 30 Août 1746.
Chancellerie près le parlement. Le sceau est tenu par les officiers du parlement à tour de rôle.
Chambre des requêtes du palais. M. le duc du Maine, par édit de Septembre 1698, créa la chambre des requêtes au lieu & place du bailliage de Trévoux & de la jurisdiction des gabelles qu'il supprima, il en attribua les fonctions & les émolumens aux présidens & conseillers du parlement. Les présidens & le doyen des conseillers ont le droit d'y assister & d'y présider sans en avoir obligation, les autres conseillers y servent tour-à-tour par semestre au nombre de trois conformement à l'édit de 1728 ; ces trois commissaires sont nommés & changés tous les six mois par arrêt du parlement.
L'édit qui a établi la chambre des requêtes avoit créé un office d'avocat en cette chambre, lequel a été par un autre édit du mois de Mai 1749 éteint (quant au titre particulier) & réuni (quant aux fonctions & émolumens) aux offices d'avocats généraux du parlement. Ces deux officiers feront alternativement & par semestre à la chambre des requêtes.
Le capitaine des chasses, le maître ès eaux & forêts & le prevôt de la maréchaussée, y ont séance dans les affaires de leur compétence ; les jugemens s'intitulent, la chambre des requêtes, ou plutôt, la cour jugeant avec le prevôt, le capitaine des chasses, ou le maître des eaux & forêts, &c.
Il n'y a point de greffier titulaire à la chambre des requêtes. Le greffe en appartient au domaine, il est compris dans la ferme générale de la souveraineté. Il est loisible aux fermiers à chaque bail de le soufermer ou de le faire exercer par un sujet convenable.
Il n'y a point de chancellerie à la chambre des requêtes, parce qu'il n'y en avoit point aux bailliages qu'elle a remplacé.
Les présidens, maîtres des requêtes, conseillers, avocats & procureurs généraux, les quatre secrétaires, le greffier en chef du parlement jouissent de la noblesse transmissible à leurs enfans au premier degré, tant en Dombes qu'en France. Ce qui leur a été confirmé, de même qu'au conseil souverain de Dombes, par des édits & déclarations des 2 Avril 1571, Mars 1604 & Novembre 1694, pourvu toutefois aux termes de cette derniere déclaration qu'ils ayent servi pendant 20 ans, ou qu'ils décedent dans le service actuel de leurs charges.
Ils ont été maintenus dans la jouissance de tous leurs privileges en France, & des mêmes honneurs & prérogatives des officiers de parlement du royaume par des lettres-patentes de nos rois de 1577, 1595, 1611 & 1644, qui toutes rappellent la création du parlement en 1523. L'exécution de ces lettres a été en 1611 attribuée au grand conseil : depuis ce tems, elles y ont toujours été enregistrées, & il est le tribunal compétent pour raison des privileges du parlement de Dombes.
Ils ont obtenu au conseil d'état du roi le 22 Mars 1669 un arrêt solemnel qui les déchargea de l'assignation à eux donnée par le préposé à la recherche des faux-nobles ; & toutes les fois qu'ils ont été troublés dans la jouissance de leurs privileges, & notamment de la noblesse personnelle ou transmissible, les jugemens du conseil & des intendans ont été conformes à leurs privileges. Les officiers du parlement de Dombes assisterent en 1548 à l'entrée d'Henri II. dans la ville de Lyon, vêtus de grandes robes de satin, damas & taffetas, montés sur des mules harnachées de velours, avec des grandes housses de fin drap noir ; ils n'étoient pas en usage alors de porter la robe rouge, quoiqu'ils en eussent le droit comme les autres parlemens.
La princesse Marie ordonna en 1614 qu'ils porteroient la robe rouge, & en fit la premiere dépense. Ils eurent l'honneur le 22 Décembre 1658, étant ainsi vêtus, de saluer de bout, suivant le certificat donné par M. de Sainctot, maître des cérémonies, le roi, la reine mere, monsieur Philippe de France, & le cardinal Mazarin ; ils allerent ensuite rendre leurs respects à mademoiselle leur souveraine qui étoit à Lyon avec la cour : M. de Seve premier président porta la parole à la tête de la compagnie.
Les conseillers clercs qui ont des canonicats ou dignités en France, ont droit d'y porter, & y portent la soutane rouge les jours de cérémonie.
Louis XIII. par édit de 1621, a ordonné que les officiers du parlement de Dombes auront les mêmes rangs, séance, &c. en France, qu'ont accoutumé d'avoir les officiers des parlemens du royaume, même par-dessus les juges & officiers des jurisdictions subalternes & ressortissantes aux cours de parlement.
Une déclaration de 1642 avoit rendu les offices de Dombes incompatibles avec ceux de France. Louis XIV. revoqua cette déclaration, & permit la compatibilité en 1643.
Les officiers du parlement de Dombes jouissent du droit de committimus, tant aux requêtes du palais que de l'hôtel, en vertu des lettres-patentes accordées par Henri III. en 1577, & autres lettres affirmatives, ils y ont été maintenus par deux arrêts du conseil en 1670 & 1678, publiées pendant la séance du sceau.
Avant la création du bailliage de Dombes, par le roi Henri II., les mêmes juges résidens à Villefranche, étoient pourvus sous différens titres pour la souveraineté & pour le Beaujolois. Les affaires de Dombes ressortissoient à leur parlement lors séant à Lyon, & celles du Beaujolois au parlement de Paris. Il arrivoit souvent que, par méprise ou par affectation, les parties portoient des appellations au parlement de Paris, qui auroient dû être au parlement de Dombes ; ce qui donna lieu au premier huissier ou à son clerc de faire mention du pays de Dombes avec celui de Beaujolois dans le rôle de Lyon ; & comme les clercs du premier huissier copioient tous les ans l'intitulé du rôle sur l'ancien, on y comprenoit toujours mal-à-propos la souveraineté de Dombes.
Le roi Louis XIV. par une déclaration du mois de Mars 1682, registrée au parlement de Paris le 25 Juin suivant, reconnut l'indépendance de la souveraineté de Dombes, & déclara que la mention qui avoit été faite du pays de Dombes dans les rôles des provinces de Lyonnois, Maconnois & autres ressortissans par appel au parlement de Paris, ne pouvoit être tirée à conséquence au préjudice des droits de souveraineté de la principauté de Dombes, & il défendoit au parlement de Paris de comprendre le pays & la principauté de Dombes dans lesdits rôles, ni de souffrir qu'ils y fussent compris à l'avenir ; ce qui depuis ce tems a toujours été exécuté.
Me Bretonnier étoit mal informé lorsque dans ses observations sur Henris, tome II. liv. IV. quest. xxiv. il a avancé qu'autrefois les jugemens du parlement de Dombes étoient sujets à l'appel, & que cet appel se portoit au parlement de Paris. Ces faits ne sont nullement véritables. Les arrêts du parlement de Dombes n'ont jamais été attaqués que par requête civile à ce même parlement, ou par requête en cassation qui se juge au conseil souverain de Dombes. L'erreur du rôle de Lyon a occasionné celle de M. Bretonnier.
Les arrêts du parlement de Dombes sont exécutés en France sur un simple paréatis du juge des lieux. Les arrêts des parlemens & autres jugemens de France s'exécutent en Dombes en vertu d'un paréatis que le parlement donne sur les conclusions du ministere public ; on prend très-rarement des paréatis du grand sceau.
Le service fait au parlement de Dombes par les officiers leur sert pour obtenir toutes sortes d'offices en France, où le service est nécessaire. Telle est la disposition expresse des lettres-patentes de Louis XIV. du mois de Mars 1682, par lesquelles il veut que les officiers du parlement de Dombes qui seront pourvus par le roi d'offices de présidens en ses cours de parlement, ou de maîtres des requêtes ordinaires de son hôtel, y soient reçus & installés, en cas qu'ils ayent servi au parlement de Dombes pendant le tems prescrit par les ordonnances pour les parlemens du royaume, & que le tems du service qu'ils auront rendu ou rendront au parlement de Dombes, soit considéré comme s'il avoit été rendu dans un des parlemens du royaume. Ces lettres-patentes ont eu leur exécution, & il y en a plusieurs exemples.
Le parlement de Dombes est en même tems chambre des comptes & cour des aides, il est la seule cour souveraine du pays.
Il y a plusieurs avocats reçus & immatriculés au parlement de Dombes, & qui y exercent leurs fonctions. Les avocats des autres cours, pour être admis au parlement de Dombes, sont présentés, prêtent serment & sont reçus à l'audience conformément aux ordonnances, réglemens & usages de la souveraineté.
Le parlement siege tous les lundis & mardis ordinairement, & les autres jours de la semaine extraordinairement, lorsque les affaires l'exigent. La chambre des requêtes siege les mercredis & samedis. (A)
PARLEMENT DE DOUAY, appellé aussi parlement de Flandres, est le douzieme parlement du royaume.
Il fut d'abord créé sous le titre de conseil souverain, & établi à Tournai par l'édit du mois d'Avril 1668 ; ce conseil fut composé d'un premier président & d'un autre président, deux chevaliers d'honneur, sept conseillers, un procureur général, un greffier, un premier huissier & quatre autres huissiers ; cet édit fut registré le 8 Juin de la même année.
Le nombre des conseillers ayant été augmenté en 1760, les officiers de ce conseil furent distribués en deux chambres.
En 1686, le roi, par un édit du mois de Février, attribua à ce conseil le titre de parlement.
Tournai ayant été pris par les alliés en 1709, le parlement fut transféré à Cambrai ; & la France leur ayant cédé Tournai & le Tournaisis par le traité d'Utrecht de 1713, le parlement a été transféré à Douay où il est encore présentement.
Les charges de ce parlement furent érigées en titre d'offices héréditaires par un édit de 1693, & le nombre en fut pour-lors augmenté ; le roi leur attribua les mêmes honneurs, autorités, pouvoir & jurisdiction dont jouissent les autres parlemens du royaume.
Le roi avoit créé à Douay par édit du mois de Février 1704 une chambre des eaux & forêts, pêches & chasses, laquelle fut unie au corps du parlement par édit du mois de Septembre suivant, portant création d'une quatrieme chambre au parlement avec de nouveaux officiers ; le nombre des présidens fut augmenté par édits des mois de Décembre 1701, & Février & Septembre 1704, au moyen de quoi il est présentement composé d'un premier président, à la place duquel l'office de garde-scel de la chancellerie établi par ce parlement est attaché, trois présidens à mortier, trois chevaliers d'honneur, deux conseillers clercs, vingt-deux conseillers laïques, un avocat général, un procureur général, un substitut, un greffier en chef, & trois greffiers.
Ces officiers se partagent en trois chambres, dont la derniere est particulierement occupée aux affaires criminelles, & dont les présidens & les conseillers changent tous les quatre mois.
Dans sa premiere institution, son ressort n'étoit pas aussi étendu qu'il l'a été dans la suite, il étoit alors borné aux conquêtes de la campagne de 1667.
La partie du Hainaut qui avoit été cédée à la France par le traité des Pyrénées, & qui consistoit dans les villes, bailliages & dépendances du Quesnoy, d'Avenes, de Philippeville, de Marienbourg & de Landrecies, étoit du ressort du parlement de Metz, auquel la jurisdiction en avoit été attribuée par édits du mois de Novembre 1661 & Avril 1668 ; ces mêmes lieux furent distraits du ressort du parlement de Metz, & attribués au conseil souverain de Tournay par édit du mois d'Août 1678. C'est pourquoi Dumées, dans sa jurisprudence de Hainaut, tit. VI. dit que le parlement de Douay est subrogé à la cour de Mons, & que les chevaliers d'honneur y représentent les pairs de la province, qui n'ont plus aujourd'hui de fonction dans la partie du Hainaut qui est à la France.
Par un autre édit du mois de Mars 1679, le roi attribua encore au conseil de Tournay le ressort des villes d'Ypres, Cassel, Bailleul, Poperingue, Warneton, Warvic, Condé, Valenciennes, Bouchain, Cambrai, Bavai & Maubeuges, & de leurs châtellenies, bailliages, prevôtés, dépendances & annexes qui venoient d'être cédées à la France par le traité de Nimegue.
Au moyen de ces différens accroissemens, le ressort de ce parlement comprend aujourd'hui toutes les conquêtes que Louis XIV. a faites en Flandre, en Hainaut, & dans le Cambraisis, à la réserve de Gravelines & de Bourboutis, qui sont dans le ressort du conseil provincial d'Artois établi à Arras.
Les lieux qui sont présentement compris dans le ressort de ce parlement sont le gouvernement ou la châtellenie de Douay, la châtellenie de Lille, le Cambresis, le Hainaut françois où se trouvent les bailliages de Quesnoy & d'Avennes ; la châtellenie de Bouchain, la ville de Valenciennes & la prevôté, dite prévôté le comte ; les prévôtés de Maubeuges, d'Agimont & de Bavai ; & les villes de Condé, Philippe, Landrecies & Marienbourg, la Flandre flamingante qui forme un présidial, contenant la châtellenie de Bery, les villes & châtellenies de Cassel & de Bailleul.
Un des privileges particuliers de ce parlement est que l'on ne peut point se pourvoir en cassation contre ses arrêts, mais, suivant l'usage du pays, on demande la revision du procès. L'édit du mois d'Avril 1668 vouloit que l'on prît un renfort de huit juges, & qu'à ces revisions assistassent six conseillers au conseil provincial d'Artois, & deux professeurs en droit civil de l'université de Douay ; mais une déclaration du 15 Décembre 1708 a ordonné que les revisions seroient jugées par les trois chambres assemblées.
La chancellerie qui est près de ce parlement, fut créée par le mois de Décembre 1680.
PARLEMENT DU DUC DE BRETAGNE, voyez ci-devant PARLEMENT DE BRETAGNE.
PARLEMENT DE L'EPIPHANIE, qu'on appelloit aussi par corruption, le parlement de la tiphaine, étoit la séance que le parlement tenoit vers le tems de cette fête. Il y a une ordonnance de Philippe III. de l'an 1277, touchant les amortissemens, qui fut faite au parlement de l'épiphanie. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race. (A)
PARLEMENT FINI, c'étoit lorsque le parlement terminoit sa séance actuelle, & se séparoit jusqu'au tems de la prochaine séance. Voyez l'ordonnance du parlement de 1344, & ci-après, NOUVEAU PARLEMENT.
PARLEMENT DES FLAMANS. M. de la Rocheflavin en son traité des parlemens de Flandre, lib. I. c. iv. dit que les Flamans, à l'imitation des François dont ils ont emprunté le terme parlement, appellent encore ainsi l'assemblée qui se fait pour les affaires de l'état ou des particuliers, pour la justice. (A)
PARLEMENT DE FLANDRE, voyez ci-devant PARLEMENT DE DOUAY.
PARLEMENT DE FRANCHE-COMTE, voyez PARLEMENT DE BESANÇON.
PARLEMENT FUTUR, c'étoit la séance qui devoit suivre celles qui l'avoient précédée : on disoit aussi parlement prochain ; il y a des exemples de l'un & de l'autre dans beaucoup de lettres de nos rois, entr'autres dans les lettres du roi Jean, du mois de Novembre 1355, où il dit, mandantes.... gentibus nostris, quae parlamentum nostrum proximum, seu alia futura parlamenta tenebunt, &c. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tom. IV. p. 222. (A)
PARLEMENT DE GRENOBLE, connu anciennement sous le nom de conseil delphinal, fut institué par le dauphin Humbert II. lequel, par une ordonnance du 22 Février 1337, établit un conseil delphinal à S. Marcellin. Ce conseil tint aussi pendant quelque tems ses séances à Beauvoir, mais Humbert II. le fixa dans la ville de Grenoble, le premier Août 1340. Il fut composé pour lors d'un chancelier & de six conseillers : voici la maniere dont s'explique l'ordonnance du dauphin, rapportée par M. de Vaubonnois dans son histoire du Dauphiné, vol. II. p. 391. quodquidem consilium esse debeat de duobus militibus Balliviatus Graisivodani, & quatuor doctoribus seu jurisperitis. Par son ordonnance du 6 Avril de la même année 1340, il donne cet office de chancelier à l'un de ses conseillers qu'il nomme. Cet officier fut chef & président du conseil, ainsi que porte l'ordonnance du premier Août même année, qui cancellarius in agendo per vos habeat primam vocem & sententias proferre teneatur.
Les maîtres, auditeurs des comptes, & trésoriers du dauphin, n'étoient pas, à proprement parler, membres du conseil ; ils avoient leurs fonctions séparées. Les premiers étoient établis pour examiner les comptes de ceux qui recevoient les deniers du domaine ; & les trésoriers pour être les dépositaires des sommes restantes dans les mains des comptables, après leurs comptes rendus. Il y avoit aussi un procureur fiscal delphinal établi pour le recouvrement de ces deniers.
Dans les affaires qui regardoient les comptes & finances du dauphin, le conseil devoit appeller ces officiers, & décider conjointement avec eux, ainsi que porte ladite ordonnance, rapportée dans le second volume de l'histoire du Dauphiné, par M. de Vaubonnois. L'ordonnance du premier Août porte la même chose, & recommande de plus à son conseil de convoquer ces officiers chaque semaine, pour conférer avec eux sur la conservation des droits du dauphin.
Louis II. n'étant encore que dauphin de Viennois, avant son départ pour la Flandre, érigea en 1451, ce conseil sous le nom de parlement du Dauphiné, séant à Grenoble, avec les mêmes honneurs, & droits dont jouïssoient les deux autres parlemens de France. Le roi Charles VII. approuva & confirma cet établissement, par édit du 4 Août 1453 ; ensorte que le parlement de Grenoble se trouve le troisieme parlement de France.
M. le président Henaut remarque dans son abrégé chronologique de l'histoire de France, que le parlement de Bordeaux n'a été établi qu'en l'année 1462.
La question de la préséance du parlement de Grenoble sur celui de Bordeaux, ayant été élevée dans l'assemblée tenue à Rouen en 1617, elle fut décidée par provision en faveur du parlement de Grenoble, par un arrêt du conseil d'état, rapporté tout au long par M. Expilly, dans ses arrêts pag. 161. où cet auteur fait le détail des raisons sur lesquelles cette préséance est fondée, & il cite le témoignage des auteurs Bourdelois qui l'ont reconnue ; il rapporte aussi une précédente décision de 1566, en faveur du parlement de Grenoble prononcée par le chancelier de l'hôpital. Cambolas, lib. V. c. xviij. de ses arrêts, rapporte qu'à la chambre de justice, érigée en 1624, la séance du député du parlement de Grenoble fut réglée par ordre exprès du roi avant le deputé du parlement de Bordeaux.
Dans une assemblée tenue depuis, les députés du parlement de Bordeaux agiterent de nouveau la question de la préséance ; les députés du parlement de Grenoble, qui ne s'y étoient pas attendus, dans la confiance des précédentes décisions, n'ayant pas apporté les titres pour établir leur droit, l'assemblée qui ne pouvoit décider la chose au fonds, faute de ces titres ordonna que les députés des deux parlemens se pourvoiroient au roi ; & néanmoins pour que cette querelle particuliere ne retardât pas les séances de l'assemblée, elle décida par provision que ces députés prendroient alternativement le pas, en observant que celui de Grenoble commenceroit.
Le roi Henri II. en 1556, a maintenu le parlement de Grenoble dans la jouissance des mêmes privileges & exemptions dont jouissoit le parlement de Paris ; & par son ordonnance du 2 Juillet 1556, le roi voulut que ses arrêts pussent être rendus par six conseillers & un président, ou par sept conseillers, à défaut de président.
Dans les premiers tems de son institution, il ne portoit en tête de ses arrêts que le nom du gouverneur de la province : cet usage a été abrogé par nos rois.
Cette compagnie a cela de particulier, que le gouverneur & le lieutenant général de la province soient du corps ; ils marchent à la tête de la compagnie, & précedent le premier président.
Ce parlement est composé au surplus de dix présidens à mortier, y compris le premier président, 2 chevaliers d'honneur, 54 conseillers, dont il y en a 4 clercs, un dans chaque bureau, & 50 laïcs, 3 avocats généraux, & un procureur général. Ces 54 conseillers sont divisés en quatre bureaux, dont 2 sont composés de 14 conseillers, & les deux autres de 13. Les dix présidens sont de service, quatre au premier bureau, y compris le premier président, & deux dans chacun des trois autres bureaux. Les présidens optent chaque année, à l'ouverture du parlement à la S. Martin, le bureau dans lequel ils veulent servir. Il n'y a que le premier président qui soit toujours au premier bureau.
Le garde des sceaux n'a plus de séance au premier bureau ; l'office de conseiller qui étoit uni à celui de garde des sceaux ayant été désuni & supprimé en 1749.
Il n'y a ni tournelle, ni chambre des enquêtes ; ces quatre bureaux roulent alternativement entr'eux. Le premier bureau devient l'année suivante quatrieme bureau, & le second le remplace & devient premier bureau, & les autres avancent dans le même ordre ; mais ils restent toujours composés des mêmes conseillers.
Les archevêques & évêques de la province ont entrée & séance au parlement au premier bureau, & siegent après les présidens, & avant le doyen des conseillers ; mais il n'y a que l'évêque de Grenoble qui ait voix délibérative, les autres n'ont que voix consultative.
Par lettres patentes de 1638, ce parlement fut confirmé dans la jurisdiction des aides dont il avoit jouï précédemment ; & par édit de 1638, le roi la désunit, & créa une cour des aides séparée : mais sur les représentations & oppositions de tous les corps de la province, & des syndics des trois ordres, cette cour fut supprimée en 1658, & sa jurisdiction réunie au parlement.
Ensuite de l'édit de Nantes, il fut créé une chambre mi-partie au parlement de Grenoble, qui fut détruite & supprimée en 1679.
L'union qui a existé entre le parlement & la chambre des comptes jusqu'à l'édit de 1628, qui érigea la cour des comptes, étoit d'une nature bien différente que celle de la cour des aides, le parlement & la chambre des comptes avoient chacun leurs officiers à-part, lesquels, à la vérité dans certaines matieres, se réunissoient pour décider conjointement. Cet arrangement avoit sans doute pris sa source dès l'origine du conseil delphinal.
Le bureau des finances n'a jamais formé corps avec le parlement ; l'on peut s'en convaincre par son édit de création du mois de Décembre 1627, avant lequel il n'existoit pas. Il ne faut pas confondre le bureau des trésoriers d'aujourd'hui avec les anciens trésoriers du Dauphiné, établis principalement pour être les receveurs & gardes du trésor du dauphin ; leurs fonctions n'ont aucun rapport.
En l'absence du gouverneur & du lieutenant général, qui sont membres & chefs du parlement, c'est le premier président, & à son défaut, celui qui préside la compagnie, qui commande dans la province, à moins qu'il ne plaise au roi d'y établir un commandant par brevet particulier, & même si ce commandant par brevet s'absente de la province, celui qui préside la compagnie, dès ce moment reprend le commandement.
Ce privilege est des plus anciens & des mieux confirmés par les souverains du Dauphiné.
Le conseil delphinal avoit ce droit, le parlement l'a conservé ; & nos rois le lui ont maintenu en toutes occasions, dont la relation seroit immense. Aussi le roi regnant, après s'être fait rapporter les titres de son parlement, par ses lettres patentes du 12 Juillet 1716, le maintient & confirme dans la possession de ses anciens privileges, & en conséquence, en tant que de besoin seroit, établit & commet le premier président en sadite cour, & en son absence, celui qui y présidera, pour commander dans toute la province du Dauphiné, tant aux habitans qu'aux gens de guerre ; ordonne à tous ses officiers & autres, de le reconnoître en ladite qualité de commandant toutes & quantes fois que le gouverneur & le lieutenant général de la province se trouveront absens, & sauf le cas où le roi auroit donné des lettres de commission particuliere pour commander les troupes dans ladite province, auquel cas il veut & entend que pareille commission pour commander ne prive pas le premier président, & en son absence celui qui préside, des honneurs qui lui sont attribués, comme commandant naturel en l'absence du gouverneur & du lieutenant général, tel que celui d'avoir une sentinelle à sa porte, & autres, même lorsque le commandant particulier sera à Grenoble.
Les Tribunaux qui sont dans l'étendue du parlement de Grenoble, sont le présidial de Valence, deux grands bailliages, celui de Viennois & celui des montagnes, qui en comprennent chacun plusieurs autres ; la sénéchaussée du Valentinois, qui se divise en deux vice-sénéchaussées, celle de Crit & celle de Montelimart : il y a aussi plusieurs autres justices qui ressortissent immédiatement, comme la justice de la principauté d'Orange.
Premiers présidens. Cette cour n'eut jusqu'en 1541, qu'un seul président ; les premiers ne sont point venus à notre connoissance : on trouve seulement dans des notes de la chambre des comptes, que Adam de Cambrai y fut reçu président le 15 Septembre 1428.
Etienne de Guillon, 16 Novembre 1429.
Guillaume de Corbie, 13 Septembre 1441.
Guillaume de Cousine, 11 Septembre 1442.
Antoine de Bouvier.
François Portier, 29 Juillet 1452.
Jean Palmier, 23 Mars 1483.
Geoffroy Carles, 28 Novembre 1500.
Falos d'Arvilarde, 20 Décembre 1516.
Bonaventure de Barthelemy, 11 Décembre 1533.
Jean Sanson 2 Janvier 1536.
Claude de Bellievre, 3 Juin 1541 ; c'est le premier qui ait été qualifié premier président.
Jean de Truchon, 1556.
Joachim de Bellievre, 23 Décembre 1578.
Ennemond Rabot Dillens, 20 Octobre 1580.
Artus de Prunier, 17 Novembre 1603.
Claude Frere, 20 Juillet 1616.
Louis Frere, 12 Octobre 1640.
Pierre le Goux de la Berchere, 19 Août 1644.
Denis le Goux de la Berchere, 24 Août 1652.
Nicolas Prunier de S. André, 23 Août 1679.
Pierre Pucelle, 10 Février 1693.
Pierre de Berulle, 29 Avril 1695.
Pierre-Nicolas de Berulle, 17 Juillet 1720.
Artus-Joseph de la Poype S. Julin de Grammont, 3 Août 1730.
Honoré-Henri de Piolenc, nommé le 23 Septembre 1739, reçu le 6 Juillet 1740.
Voyez Joly, Guypape, Blanchard. (A)
PARLEMENT DE GUYENNE. Voyez ci-devant PARLEMENT DE BORDEAUX.
PARLEMENT D'HIVER, étoit la séance que le parlement tenoit aux octaves de la saint Martin, de la Toussaint, ou de la saint André, ou aux octaves de la Chandeleur ; on lui donnoit indifféremment tous ces noms de parlement des Octaves de tous les Saints, de saint Martin, sancti Martini hiemalis, de saint André, des octaves de la Chandeleur. Voyez les registres olim, & les lettres historiques sur les parlemens, tom. II. pag. 146. (A)
PARLEMENT DE LA LANGUEDOC ; on donnoit ce nom au parlement qui fut établi à Toulouse par Philippe-le-Hardi en 1280, on l'appelloit ainsi pour le distinguer du parlement de Paris, qu'on appelloit aussi parlement de la Langued'oui, ou Languedoil, parce qu'il étoit pour les pays de la Languedoil, ou pays coûtumier, au-lieu que l'autre étoit pour les pays de la Languedoc, ou pays de droit écrit. Voyez PARLEMENT DE TOULOUSE.
PARLEMENT DE LA LANGUEDOIL ou DE LA LANGUEDOUI ; c'étoit le parlement de Paris que l'on appelloit ainsi pour le distinguer du parlement de la Languedoc ou de Toulouse. Voyez PARLEMENT DE LA LANGUEDOC, & ci-devant PARLEMENT DE PARIS.
PARLEMENT DE LA LIGUE ; on donna ce nom à la portion du parlement de Paris, laquelle tenoit le parti de la ligue, & resta à Paris pendant que le surplus du parlement étoit à Tours & à Châlons. Bussy-le-Clerc, un des factieux de la ligue, ayant mis le premier président de Harlay & plusieurs autres membres du parlement à la bastille, le président Brisson resta dans Paris, & y fit la fonction de premier président. Le roi donna au mois de Janvier 1589, un édit qui transféra le parlement à Tours ; il y eut une des chambres du parlement transférées à Tours, qui fut envoyée à Châlons pour y rendre la justice ; ce fut la portion du parlement restée à Paris ; elle n'étoit pas toute composée de serviteurs aveugles de la ligue, plusieurs avoient ouvert les yeux sur l'erreur de ce parti, quelques-uns ayant cédé à la crainte ou à la nécessité, rougissoient en secret de leur foiblesse, il y en avoit même qui s'étoient toujours montrés bons serviteurs du roi ; ce fut cette portion du parlement qui rendit le fameux arrêt du 28 Juin 1593 pour l'observation de la loi salique, & qui déclara nuls tous traités & actes tendans à faire passer la couronne ès mains de princes & princesses étrangers : les parlemens de Tours, de Châlons, & de Paris furent enfin réunis au mois d'Août 1594. Voyez les registres du parlement & les mémoires de la ligue.
PARLEMENT ou GRAND-CONSEIL DE MALINES, fut établi par Charles-le-Téméraire, duc de Bourgogne, & souverain des Pays-bas, par lettres du mois de Décembre 1473 ; ce parlement subsista jusqu'au décès de ce prince, arrivé le 5 Janvier 1476, vieux style. Voyez la Chronologie d'Artois par Maillart, en tête de son commentaire.
PARLEMENT DE METZ, est le dixieme parlement de France.
Le pays des trois évêchés, Mets, Toul & Verdun, qui compose l'étendue de ce parlement, saisoit anciennement partie du royaume d'Austrasie.
Après la mort du roi Raoul, du tems de Louis d'Outremer, les trois évêchés furent assujettis à l'empereur Othon I. & reconnurent ses successeurs pour souverains.
Les villes de Mets, Toul & Verdun étoient gouvernées par des comtes.
Les causes des habitans des évêchés ressortissoient alors par appel à la chambre impériale de Spire ; mais les appels étoient très-rares à cause des frais immenses que les parties étoient obligées d'essuyer, & des longueurs des procédures de la chambre impériale, qui éternisoient les procès.
Il y avoit d'ailleurs dans ce pays plusieurs seigneurs qui prétendoient être en franc-aleu, & avoir le droit de juger en dernier & souverain ressort.
Les choses demeurerent en cet état jusqu'au tems d'Henri II. lequel en 1552 ayant repris Mets, Toul & Verdun, s'en déclara le protecteur ; ces trois évêchés lui furent assurés par le traité de Cateau-Cambresis en 1559 ; l'empereur Ferdinand les fit redemander à François II. en 1560, mais celui-ci s'en excusa, & dit que l'on n'avoit fait aucun tort à l'empire, & que ces pays étoient du patrimoine de la France.
Henri IV. s'étoit fait assurer ces mêmes pays par le traité de Vervins en 1598, mais les mouvemens qu'il y eut à Mets en 1603, l'obligerent d'y aller en personne, & de s'emparer de la citadelle, dont il chassa le commandant.
Ce prince s'étant ainsi rendu maître de la ville de Mets, y établit un président pour connoître des différends qui pourroient arriver entre les bourgeois & les soldats de la garnison ; cet office subsista jusqu'à la création du parlement en 1633.
Il y avoit déja quelque tems que l'on avoit dessein d'établir un parlement à Mets ; Henri IV. visitant les trois évêchés, fut informé des grands abus qui s'y commettoient en l'administration de la justice, tant pour le peu d'expérience de ceux qui y étoient employés, que pour les usurpations de quelques personnes, qui sous prétexte de prétendus privileges & de titres de franc-aleu, ou de quelques usages & coûtumes injustes & erronées, avoient mis la justice en confusion & desordre, & avoient même osé entreprendre de juger souverainement, non-seulement des biens & fortunes des habitans de cette province, mais aussi de leur vie & de leur honneur, avec confiscation de leurs biens à leur profit particulier.
Ces juges s'étoient même ingérés de donner des graces par faveur aux criminels les plus coupables, ce qui avoit encore enhardi ceux-ci, & leur impunité donnoit occasion à d'autres de les suivre, dont il étoit arrivé de grands inconvéniens, à la désolation de plusieurs familles.
Henri IV. voulant remédier à ces desordres, & faire jouir les habitans de cette province d'une justice & police mieux ordonnée & autorisée, leur promit d'établir dans ce pays une cour souveraine avec plein pouvoir de connoître, décider & terminer en dernier ressort toutes matieres civiles & criminelles ; mais la mort funeste & prématurée de ce grand prince, l'empêcha d'exécuter ce qu'il avoit projetté.
Sur les nouvelles prieres qui furent faites à Louis XIII. par tous les ordres de ces trois villes & provinces, ce prince étant à Saint-Germain-en-Laye, au mois de Janvier 1633, donna un édit par lequel, pour remplir les vûes de son prédécesseur, & donner une meilleure forme à l'administration de la justice dans ce pays, & voulant marquer à ses habitans le ressentiment qu'il avoit de l'affection qu'ils avoient toujours eue pour son service & pour l'accroissement de sa couronne, après avoir mis cette affaire en délibération dans son conseil, où étoient plusieurs princes du sang, & autres seigneurs du royaume, & les premiers & principaux de son conseil, il ordonna :
Que dans les provinces & évêchés de Toul, Mets, & Verdun, il seroit établi une cour souveraine en titre de parlement, dont le siége actuel seroit en la ville de Mets, à cause de la commodité de la situation, de sa grandeur, & de l'affluence du peuple.
Cette cour fut composée d'un premier président, de six autres présidens, quarante-six conseillers, dont six conseillers clercs, un procureur général, deux avocats généraux, quatre substituts du procureur général, un greffier civil, un greffier criminel, un greffier des présentations, auxquels trois greffiers le roi donna le titre de secrétaires de la cour, un greffier garde-sacs des greffes, un contrôleur des greffes civil & criminel, deux notaires & secrétaires de la cour, un maître clerc des audiences, un maître clerc de la chambre du conseil, & un maître clerc du criminel, un premier huissier buvettier, six autres huissiers, un conseiller receveur des consignations, trois conseillers payeurs des gages & receveurs des amendes, vingt-quatre procureurs postulans, un concierge garde des meubles, enfin un concierge garde des prisons.
Cette cour fut établie pour être exercée par semestres, & en deux séances & ouvertures ; le premier président préside dans les deux semestres ; il paroît que cette cour avoit depuis été rendue ordinaire, car le semestre y fut de nouveau établi par édit du mois de Mai 1661, publié au sceau le dernier du même mois.
La premiere séance commence au premier Février, & est composée des quatrieme, cinquieme, & septieme présidens, & de vingt-trois conseillers ; l'autre séance commence au premier Août, & est composée des second, quatrieme & sixieme présidens, & de vingt-trois autres conseillers.
L'édit de création déclare, que les évêques de Mets, Toul, & Verdun, l'abbé de saint Arnould de Mets, & le gouverneur de la ville de Mets, seront tenus pour conseillers laïcs de cette cour, pour y avoir séance & voix délibératives aux audiences publiques, ainsi que les autres évêques & gouverneurs l'ont dans les autres parlemens. La Martiniere en son Dict. géographique, suppose aussi que l'abbé de Goria, & le lieutenant général de Mets, ont de même séance en ce parlement, en qualité de conseillers d'honneur.
Le roi attribue aussi par cet édit au parlement de Mets, les mêmes autorités, pouvoirs, jurisdictions, & connoissance en dernier ressort, de toutes les matieres civiles & criminelles, bénéficiales, mixtes, réelles & personnelles, aides & finances, & autres, sans aucunes en excepter, qu'aux autres parlemens & suivant les mêmes réglemens, lesquels, est-il dit, serviront pour le parlement de Mets.
Il est ordonné nommément que ce parlement connoîtra de toutes les appellations qui seront interjettées des jugemens & sentences rendues en toutes matieres civiles & criminelles, mixtes, réelles & personnelles par tous les juges ordinaires desdites villes & communautés, & de toutes les autres terres & seigneuries appartenantes aux seigneurs, tant ecclésiastiques que temporels, comprises dans l'étendue desdites provinces & anciens ressorts, souverainetés, enclaves d'icelles, tels qu'ils étoient en l'an 1552, notamment des villes de Vic, Moyenvic, Marsal, Clermont, Gorze, Jamets, & Stenay, & autres villes & seigneuries situées dans le bailliage de l'évêché de Mets ; comme aussi des paroisses communes, & tenues en surséance, dépendantes des élections de Langres & de Chaumont-en-Bassigny, en ce non compris celles ressortissantes au parlement de Paris ; & défenses sont faites à tous lesdits juges, de quelque qualité & condition qu'ils soient, d'entreprendre ci-après de juger souverainement & en dernier ressort, avec injonction à eux de déférer auxdites appellations & de ne passer outre au préjudice d'icelles.
Toutes les causes qui se présentent entre les bourgeois de Mets & les soldats de la garnison doivent, suivant le même édit, être traitées en premiere instance au parlement ; & pour l'expédition de ces causes, il doit être donné une audience par semaine, à laquelle audience il doit assister un président & six conseillers pour le moins, lesquels sont tenus de juger ces causes sur-le-champ.
Au moyen de l'institution de ce parlement, le roi supprime l'office & charge de président de Mets, & les autres offices dudit siege furent supprimés.
Il fut dit que les appellations comme d'abus qui seroient interjettées des officiaux des églises de Mets, Toul & Verdun seroient relevées, jugées, & décidées en ce nouveau parlement, selon les maximes qui s'observent en pareille occurrence dans les autres parlemens, spécialement dans celui de Paris.
Et pour accroître l'étendue & ressort de ladite cour, le roi ordonna que dorénavant il seroit permis d'appeller en toutes matieres civiles, criminelles, bénéficiales, mixtes, réelles, personnelles, finances, & autres sentences qui seroient données par les officiers des villes de Mouzon, Chateauregnaud, terres & seigneuries qui en dépendent, nonobstant la souveraineté dont ces juges pouvoient avoir joui jusqu'alors, laquelle souveraineté fut supprimée pour éviter les abus & les inconvéniens qui en étoient arrivés ; il fut seulement permis aux officiers de Mouzon, ainsi qu'à ceux de Mets, Toul, Verdun, & Vic, de juger en dernier ressort dans les cas portés par cet édit.
Les gages des officiers sont ensuite reglés par cet édit.
La disposition suivante leur attribue les mêmes honneurs, autorités, pouvoirs, prééminences, prérogatives, privileges, franchises, immunités, exemptions, droits, fruits, revenus, taxations, profits, émolumens dont jouissent les officiers de même qualité, au parlement de Paris, encore que le tout ne soit exprimé dans cet édit.
Enfin les pourvûs desdits offices furent dispensés pendant trois ans de la rigueur des quarante jours sans payer le droit annuel, après lequel tems ils seroient admis au droit annuel sans faire aucun prêt ni avance, en payant seulement le soixantieme denier de l'évaluation de leurs offices.
Cet édit fut enregistré par le parlement de Mets, le 26 Août 1633, & le même jour fut faite l'ouverture de ce parlement par M. de Bretagne, premier président, avec plusieurs maîtres des requêtes, conseillers au parlement & au grand-conseil, & quelques avocats au parlement, tous destinés à remplir les places des présidens, conseillers, & avocats généraux de ce parlement.
Ce même édit d'établissement du parlement de Mets fut registré en celui de Paris le 20 Décembre 1635.
Le premier acte de ce parlement fut l'enregistrement de l'édit de création qui fut fait à la requisition du ministere public, & sur l'intervention de l'évêque de Mets, lequel y prit séance par son vicaire général au même rang que les ducs & pairs tiennent à Paris. Cela fut fait en présence du maître échevin & des magistrats ordinaires de Mets, qui prirent place dans les bas siéges, des députés du chapitre de la cathédrale de Saint-Arnoult, & autres ecclésiastiques distingués, avec la principale noblesse, & un concours extraordinaire de peuple.
Par un autre édit du mois de Janvier 1633, le roi établit une chancellerie près le parlement, composée d'un garde-sceaux, pour être cet office rempli par un des conseillers au parlement, deux audienciers, deux contrôleurs, deux reférendaires, un chauffe-cire, & deux huissiers garde-portes ; depuis, le nombre de ces officiers a été augmenté par édit du mois de Mai 1661, & est présentement composé du garde des sceaux, de quatre conseillers audienciers, quatre contrôleurs.
Par des lettres-patentes du 10 Mai 1636, le roi ordonna aux officiers du parlement de Mets, de se transporter, huitaine après, en la ville de Toul, pour y faire à l'avenir leurs fonctions ; & ce, sur ce que l'on prétendoit que la ville de Toul étoit plus commode pour les juges & pour les parties.
Ces lettres furent présentées au parlement le 21 Juin ; mais l'assemblée fut remise à six semaines, pour avoir le tems d'inviter les absens. Par un autre arrêt du 21 Juillet suivant, le délai fut prorogé d'un mois à cause des hasards des chemins & périls de la guerre. Enfin par arrêt du 12 Septembre 1636, il fut arrêté qu'il seroit fait des remontrances au roi sur cette translation, & par l'évenement elle n'eut point lieu.
Les treize officiers qui composoient la cour des aides de Vienne-en-Dauphiné, transférée depuis à Bourg-en-Bresse, où elle fut érigée en conseil souverain par édit du mois de Septembre 1658, furent joints au parlement de Mets par lettres-patentes du 11 Juillet 1663, registrées le 6 Septembre suivant, & par les arrêts du conseil intervenus à ce sujet, ils furent conservés dans la prérogative de noblesse, pour eux & leur postérité, & dont jouissoient les officiers des cours souveraines de Dauphiné, dont ils avoient fait partie, ainsi que l'assure de la Roque, dans son traité de la Noblesse, chap. xxxvj. & comme il est dit dans l'avertissement qui est en tête du recueil des privileges du parlement de Dombes.
Ce parlement est présentement composé de trois chambres ; savoir la grand'chambre, la tournelle, & les enquêtes.
Il y a huit présidens outre le premier président, trois d'entr'eux servent en la grand'chambre, trois en la tournelle, & trois aux enquêtes.
Il y a dans chaque chambre quinze conseillers, entre lesquels est un garde du sceau, & un conseiller clerc.
Il y en avoit autrefois six de la religion prétendue réformée.
Le parquet est composé de deux avocats & de deux procureurs généraux, avec quatre substituts.
Le greffe est exercé par trois greffiers secrétaires du roi, l'un pour le civil, & deux pour le criminel.
Il y a 14 huissiers pour le service de ce parlement.
Les avocats sont en nombre suffisant & les procureurs au nombre de 40.
Ce parlement comprend dans son ressort les bailliages & présidiaux de Metz, Toul, Verdun, & Sarlouis ; les bailliages de Sedan, Thionville, Longwy, Mouzon, & Mohon ; les prévôtés bailliageres de Mouzon, Montmedy, Chavancy, Marville ; les prévôtés royales de Dampvilliers, Châteauregnaud, Sierk, Philisbourg, Sarbourg ; & les bailliages seigneuriaux de Vic & de Carignan, dont les appels se portent directement au parlement.
La jurisdiction de ce parlement est fort étendue, cette cour étant en même-tems chambre des comptes, cour des aides & finances, cour des monnoyes, & table de marbre. Elle a toute l'attribution des cours des aides, depuis la réunion de celle qui avoit été créée pour les trois évéchés, & entant que chambre des comptes, cour des aides, sa jurisdiction s'étend en Alsace pour les matieres de sa compétence. Voyez les additions sur Joly, l'état de la France, par Boulainvilliers, le Dictionnaire géographique de la Martiniere. (A)
PARLEMENT DU MEXIQUE, ou NOUVELLE ESPAGNE, que les Espagnols appellent audiences, & que nous appellons parlemens, sont des tribunaux souverains, qui comprennent dans leur ressort plusieurs provinces ; il y a celui de Mexico, celui de Gatimala, & celui de Guadalajarre. Voyez la description du nouveau monde.
PARLEMENT DE NOEL, étoit la séance que le parlement tenoit après Noël, post nativitatem Domini. Il y en a un exemple dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, en 1275. Philippe III. dit le Hardy, y fit une ordonnance touchant les amortissemens, qui est dit facta in parlamento omnium sanctorum post nativitatem Domini. C'est que la séance du parlement commencée à la toussaint, avoit été prolongée jusqu'à noël. Voyez PARLEMENT DE LA TOUSSAINT.
PARLEMENT NOIR, parlamentum nigrum : on entendoit par-là le jugement des barons, qui connoissoient d'un crime capital ; on disoit nigrum quasi lethiferum. Voyez Hector Boethius, lib. XIV. hist. scotor. p. 305. & dans le gloss. de Ducange, placitum lethiferum, & parlamentum nigrum. (A)
PARLEMENT DE NORMANDIE, qu'on appelle aussi parlement de Rouen, parce qu'il tient ses séances à Rouen, ville capitale de la province de Normandie, pour laquelle il a été établi, est le sixieme parlement du royaume.
Il tire son origine de la cour de l'échiquier de Normandie, instituée par Rollo ou Raoul, premier duc de cette province. Cette cour fut érigée en cour souveraine, & rendue sédentaire à Rouen par Louis XII. en 1499. Chopin & Duhaillan prétendent que ce fut seulement en 1501, que cette cour fut rendue sédentaire.
Quoi qu'il en soit, ce ne fut qu'en 1515, que François I. ordonna que le nom d'échiquier, seroit changé en celui de parlement. Voyez ci-devant ECHIQUIER DE NORMANDIE.
Il étoit alors composé de quatre présidens, dont le premier & le troisieme étoient clercs, & les deux autres laïcs ; de treize conseillers clercs, & de quinte conseillers laïcs ; deux greffiers, l'un pour le civil, l'autre pour le criminel ; un huissier audiencier, & six autres huissiers ; deux avocats généraux, & un procureur général.
Lorsque la cour de l'échiquier fut rendue perpétuelle, on la divisa en deux chambres, l'une pour juger le matin, l'autre pour juger de relevée. Cette seconde chambre, est celle qui a été depuis appellée la premiere des enquêtes.
Quelques-uns disent que François I. établit aussi une chambre des vacations en 1519 ; mais il paroît que l'on a voulu parler de la tournelle, dont la chambre fut en effet bâtie dans cette année ; car pour la chambre des vacations, elle ne fut établie qu'en 1547.
Cette cour tint ses séances au château de Rouen jusqu'au premier Octobre 1506, qu'elle commença à les tenir dans le palais dont la construction avoit été commencée du côté de la grand'chambre dès 1499 ; il ne fut pourtant achevé que long-tems après : c'est en ce lieu que le parlement siége encore présentement.
L'archevêque de Rouen & l'abbé de saint Ouen sont conseillers d'honneurs nés au parlement, suivant les lettres de l'an 1507.
Plusieurs de nos rois ont tenu leur lit de justice dans ce parlement.
Charles VIII. y tint le sien le 27 Avril 1485, & y confirma les priviléges de la province, & celui de saint Romain.
Louis XII. y vint le 24 Octobre 1508, étant accompagné des principaux officiers de sa cour.
Le 2 Août 1517, François I. tint son lit de justice à Rouen ; il étoit accompagné du chancelier Duprat, & de plusieurs officiers de sa cour.
Quelques jours après, le dauphin vint au parlement, où on lui rendit les mêmes honneurs qu'au roi même, ainsi que ce prince l'avoit ordonné.
Au mois de Janvier 1518, il accorda à ce parlement les mêmes priviléges dont jouissoit celui de Paris ; & par un autre édit du mois de Février suivant, il l'exempta de l'arriere-ban.
Ce fut dans cette même année, que l'on construisit la chambre de la tournelle.
Henri II. tint son lit de justice à Rouen, le 8 Octobre 1550, accompagné de cardinaux, du roi de Navarre, de plusieurs ducs, du connétable de Montmorency, de l'amiral, du duc de Longueville, du chancelier Olivier, & de plusieurs autres seigneurs.
Charles IX. s'y fit déclarer majeur, étant accompagné du chancelier de l'Hôpital.
En 1523, François I. accorda au parlement l'exemption de la gabelle, & ordonna qu'il seroit délivré à chacun de ses officiers & à sa veuve, autant de sel qu'il en faudroit pour sa maison, sans en fixer la quantité, en payant seulement le prix du marchand, à condition de ne point abuser de ce privilége.
Le chancelier Poyet ayant indisposé le roi contre le parlement de Rouen, cette cour fut interdite en 1540 ; il y eut en conséquence des commissaires nommés pour la tournelle, & un président & douze conseillers envoyés à Bayeux, pour rendre la justice aux sujets de la basse-Normandie ; mais le roi étant revenu des impressions défavorables qu'on lui avoit données contre le parlement de Rouen, leva l'interdiction ; & voulant donner aux officiers de cette cour une marque de la satisfaction qu'il avoit de leur conduite, par un édit du mois de Juin 1542, il leur accorda une exemption générale & perpétuelle de l'arriere-ban ; au lieu que celle qu'il leur avoit accordée en 1518, n'étoit que pour une occasion passagere.
Par un édit du mois de Février 1589, ce parlement fut transféré dans la ville de Caën ; mais il fut rétabli à Rouen par un autre édit du 8 Avril 1594.
Le parlement de Rouen fut encore interdit de ses fonctions en 1639, pour ne s'être pas opposé assez fortement à la sédition excitée par les va-nuds-piés ; on commit en sa place des commissaires du parlement de Paris, ce qui demeura sur ce pié jusqu'en 1641, que le parlement de Rouen fut rétabli par un édit du mois de Janvier de ladite année ; il fut alors rendu semestre : mais en 1649, il fut rétabli sur le pié d'ordinaire.
Au mois de Décembre 1543, le roi créa la chambre des requêtes du palais ; son attribution fut augmentée par un édit de Janvier 1544. En 1560, sur les remontrances des états d'Orléans, cette chambre fut supprimée, ainsi que les autres chambres de même nature, à l'exception de celle de Paris. Les officiers qui composoient cette chambre furent réunis au parlement dont ils avoient été tirés ; mais au mois de Juin 1568, Charles IX. la rétablit.
Au mois d'Avril 1545, François I. établit une chambre criminelle pour juger des affaires concernant les erreurs de Luther ou de Calvin, qui commençoient à se répandre dans le pays. Il y a apparence que cette chambre fut supprimée lorsqu'on établit une chambre de l'édit, en exécution de l'édit de Nantes, du mois d'Avril 1598. Celle-ci fut à son tour supprimée au mois de Janvier 1669, de même que celle du parlement de Paris.
Comme au moyen de cette suppression, on trouva que la chambre des enquêtes étoit surchargée par le nombre de 57 conseillers dont elle étoit composée, outre les deux présidens, il fut donné un édit au mois de Juillet 1680, portant établissement d'une seconde chambre des enquêtes.
Le parlement de Rouen est présentement composé de cinq chambres, savoir, la grand'chambre, la tournelle, deux chambres des enquêtes, & la chambre des requêtes du palais.
La grand'chambre est composée du premier président, & deux autres présidens à mortier, trois conseillers d'honneur nés, qui sont l'archevêque de Rouen, l'abbé de saint Ouen, & le marquis de Pont-Saint-Pierre. Il y a aussi quelquefois d'autres conseillers d'honneur, tel qu'est présentement l'évêque de Séez ; outre ces conseillers d'honneur il y a vingt-huit autres conseillers, dont huit clercs, & vingt laïcs.
C'est en cette chambre que se font depuis 1728 les assemblées générales des députés des différentes cours & autres notables pour les affaires publiques, comme pour les besoins des hôpitaux & autres nécessités.
La tournelle est composée de trois présidens à mortier, de six conseillers de la grand'chambre, de six de la premiere des enquêtes, & autant de la seconde, lesquels changent à tous les appeaux des bailliages.
Chaque chambre des enquêtes est composée de deux présidens à mortier, & de vingt-huit conseillers, entre lesquels il y en a neuf clercs, distribués dans les deux chambres.
La chambre des requêtes du palais est composée de deux présidens, & de onze conseillers.
Il y a un greffier en chef du parlement, & quatre notaires secrétaires du roi près ce parlement, un greffier des affirmations, un greffier de la tournelle, un greffier pour chaque chambre des enquêtes, & aux requêtes du palais un greffier en chef, & un commis greffier.
Le parquet est composé de deux avocats généraux & un procureur général, & neuf substituts, qui font la fonction d'avocats du roi aux requêtes du palais.
Les huissiers du parlement sont au nombre de huit, sans compter le premier huissier ; il y a en outre trois huissiers aux requêtes.
Il y a plus de cent avocats faisant la profession dans ce parlement, & cinquante-six procureurs.
La chancellerie près le parlement de Rouen fut établie par édit du mois d'Avril 1499, lors de l'établissement de l'échiquier, en cour souveraine & sédentaire à Rouen ; & l'office de garde des sceaux fut donné au cardinal d'Amboise ; Georges d'Amboise, cardinal & archevêque de Rouen, & neveu du précédent, lui succéda en cet office.
Au mois d'Octobre 1701, il fut créé une chancellerie près la cour des aides, laquelle par un autre édit du mois de Juin 1704, fut unie à celle du parlement.
Celle ci est présentement composée d'un garde des sceaux, de quatre secrétaires au roi audienciers, de quatre contrôleurs, de deux secrétaires du roi, receveurs & payeurs des gages, huit référendaires, sept gardes minutes, & trois huissiers.
Le parlement de Rouen comprend dans son ressort les sept grands bailliages de Normandie, & ceux qui en ont été démembrés ; ces sept bailliages sont Rouen, Caudebec, Evreux, Andely, Caën, Coutances, & Alençon. (A)
PARLEMENT NOUVEAU ; c'étoit la séance du parlement qui suivoit les précédentes. Les ordonnances du parlement faites en 1344, portent que le parlement fini, l'on publiera le nouveau parlement ; ce qui fait connoître que quand le parlement terminoit sa séance actuelle, il annonçoit & publioit d'avance le tems où il devoit se rassembler. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tome II. pag. 228.
PARLEMENT DES OCTAVES DE LA CHANDELEUR, DES OCTAVES DE LA NATIVITE DE LA SAINTE VIERGE, c'étoient les séances que le parlement tenoit vers le tems de ces grandes fêtes & de quelques autres ; on disoit des octaves, parce que ces séances duroient une, deux ou trois semaines, plus ou moins, selon l'exigence des cas. Voyez PARLEMENT DE LA TOUSSAINT, PARLEMENT DE LA CHANDELEUR.
PARLEMENT AUX OCTAVES DES BRANDONS, c'étoit celui qui étoit ouvert dans la premiere semaine de carême ; on l'appelloit ainsi, parce qu'il commençoit après le premier dimanche de carême, appellé par quelques-uns le dimanche des brandons. Il y en eut un qui commença en ce tems en 1311. Lettr. hist. sur le parlement, tome II. pag. 306.
PARLEMENT DE PASQUES, c'étoit la séance que le parlement tenoit vers les fêtes de paques. Philippe le Bel ordonna en 1304 ou 1305, qu'il y auroit deux parlemens à Paris par chaque année ; l'un desquels commenceroit à l'octave de pâques ; c'est-à-dire après l'octave de pâques ; l'autre à l'octave de la Toussaint, & que chaque parlement ne dureroit que deux mois, le tems de la séance étoit plus ou moins long, selon le nombre des affaires ; à mesure qu'elles se multiplierent, on avançoit le tems de la séance, & l'on tenoit aussi le parlement avant pâques. On distinguoit la séance d'avant pâques de celle qui se tenoit après ; Philippe le Bel fit en 1308 une ordonnance, Parisius in parlamento ante ramos palmarum. On disoit aussi le parlement d'avant pâques fleuri, & le parlement d'après pâques.
PARLEMENT DE LA PENTECOTE, in parlamento pentecostes, c'étoit la séance que le parlement tenoit la surveille de la pentecôte ; il y en a un exemple dès l'an 1273, dans le recueil des ordonnances de la troisieme race. Philippe III. y fit une ordonnance touchant les monnoies ; Philippe le Bel en fit deux au parlement de la pentecôte, en 1287 & 1288.
PARLEMENT DU PEROU, sont des audiences ou conseils souverains, comme ceux du Mexique ; il y a celui de Quito, celui de Lima, celui de Los-Charcas. Voyez la description de l'Amérique.
PARLEMENT DE PIEMONT ; le roi François I. s'étant emparé des états de Savoie & de Piémont, y établit dans chacun de ces pays un parlement ; celui de Piémont fut d'abord établi à Turin, il fut depuis transféré à Pignerol en 1564. Les présidens & conseillers de ce parlement, & ceux de celui de Savoie, avoient entrée, séance & voix délibérative dans les autres parlemens du royaume, suivant une déclaration du 24 Novembre 1549. Ils étoient supprimés en 1559, & devoient être incorporés dans d'autres compagnies ; cependant le parlement de Piémont subsistoit encore à Pignerol en 1564. Voyez les mémoires de la chambre des comptes, coté 2. T, fol. 79. & le 3. A, fol. 73. & le 3. E, fol. 96.
PARLEMENT PLEIN, plenum parlamentum ; c'étoit lorsque les seigneurs étoient au parlement avec les maîtres ou gens lettrés. On disoit plus anciennement cour pléniere, curia solemnis. Il est fait mention du plein parlement dans le second registre olim, fol. 65 recto, in pleno parlamento... praeceptum fuit mihi, dit le greffier, à la suite d'une ordonnance de Philippe le Bel, de l'an 1287, qui est au trésor des chartes ; il est parlé d'une autre ordonnance faite en 1295, in parlamento omnium sanctorum praesente toto parlamento. Depuis ce tems lorsque les pairs ont pris séance au parlement en nombre suffisant pour juger un autre pair, on a dit que la cour étoit suffisamment garnie de pairs. Voyez LIT DE JUSTICE. (A)
PARLEMENT DE PAU, est le neuvieme parlement du royaume. Les anciens princes du pays avoient une cour capitale de justice qui s'appelloit cour majour, où se terminoient en dernier ressort les contestations qui y étoient portées par appel des autres justices, elle étoit composée de deux évêques & de douze barons du pays.
En 1328 Philippe III. comte d'Evreux & roi de Navarre, après la bataille de Cassel, où il accompagnoit le roi Philippe de Valois, retourna dans son royaume de Navarre ; & pour remédier aux désordres qui s'étoient glissés pendant l'absence des quatre rois ses prédécesseurs, ayant assemblé les états à Pampelune, il fit plusieurs belles ordonnances, & en outre établit un conseil ou parlement pour le fait de la justice ; appellé le nouveau fort de Navarre. Sainte-Marthe.
Les choses demeurerent sur ce pié jusqu'en 1519, que Henri II. de la maison d'Albret, & roi de Navarre, commença à Pau un palais, & y établit un conseil souverain pour résider en cette ville.
Il y avoit en outre une chancellerie de Navarre qui étoit aussi une cour supérieure.
De ces deux compagnies, Louis XIII. forma en 1620 le parlement de Navarre & Béarn, résident à Pau.
Au mois de Janvier 1527, Henri II. roi de Navarre, établit une chambre des comptes à Pau, & lui donna pour ressort la basse Navarre, le Béarn, les comtés de Foix & de Bigorre, les vicomtés de Marsan, Tursan, Gavardon & la baronie de Captieux, les vicomtés de Lautrec, de Nebouzan, la baronie d'Aster-Villemure, & les quatre vallées d'Aure.
Le roi Louis XIII. unit à cette chambre des comptes celle de Nerac, pour ne former à l'avenir qu'un même corps, sous le titre de chambre des comptes de Navarre. Cette chambre de Nerac comprenoit outre le duché d'Albret, la comté d'Armagnac & toutes ses dépendances, le pays d'Eaussan, la seigneurie de Riviere-basse, le comté de Fezensaguer & ses dépendances, le comté de Rodeze, & les quatre chatellenies de Rouergue, le comté de Périgord & le vicomté de Limoges.
Par un édit de l'an 1691, le roi fit un nouveau changement dans ces compagnies, en unissant la chambre des comptes au parlement, & lui attribuant en cet état, la connoissance de tout ce qui appartient aux chambres des comptes des autres provinces, même celle des monnoies, dont la chambre des comptes avoit l'attribution dès son premier établissement.
Ce parlement est tout à la fois chambre des comptes, cour des aides & des finances.
Mais comme on avoit été obligé de distraire plusieurs terres & seigneuries du ressort de cette chambre des comptes pour former la jurisdiction des cours souveraines établies à Bordeaux & à Montauban, on a uni au parlement de Pau tout le pays de Soulle, qui dépendoit auparavant du parlement de Bordeaux.
Le parlement de Pau est présentement composé d'un premier président, de sept autres présidens à mortier, de quarante-sept conseillers, de deux avocats généraux, un procureur général, lequel a cinq substituts, un greffier en chef, un premier huissier, & sept autres huissiers de la cour, plusieurs avocats, dont le nombre n'est pas fixe, & vingt-neuf procureurs.
Le parlement est partagé en quatre chambres, ou départemens, savoir la grand'chambre, qui fait le premier bureau, un second bureau, une tournelle & une chambre des comptes & finances. La grand'chambre est composée du premier président, de deux autres présidens à mortier, & de quinze conseillers.
Le second bureau est composé d'un président à mortier & de neuf conseillers.
La tournelle est composée de deux présidens à mortier, & de douze conseillers.
Au département ou bureau des finances, il y a deux présidens à mortier, & onze conseillers.
Le district de ce parlement comprend les évêchés de Lescar & d'Oleron, ce qui embrasse cinq sénéchaussées.
Le Roi est seul seigneur haut justicier dans toute la province ; les seigneurs particuliers n'ont que la moyenne & basse justice ; les jurats ou juges ne peuvent en matiere criminelle, ordonner aucune peine afflictive ; ils ont seulement le pouvoir de former leur avis, & de les envoyer au parlement.
L'appel de leur jugement en matiere civile peut être porté, au choix des parties, ou devant les sénéchaux, ou au parlement.
Ce qui est encore de particulier à ce parlement, c'est que toute partie a droit, en quelque cause que ce soit, de se pourvoir directement au parlement, sans essuyer la jurisdiction inférieure des jurats, ni celle des sénéchaux royaux.
Il y a près de ce parlement une chancellerie.
Elle est présentement composée d'un garde des sceaux, de quatre secrétaires du roi audienciers, de quatre secrétaires contrôleurs ; & de douze secrétaires du roi ; deux tresoriers-receveurs & payeurs des gages, un greffier-garde-minute-receveur des émolumens du sceau, &c.
Les huissiers du parlement servent à la chancellerie chacun à leur tour. Voyez ci-devant au mot CHANCELIER, l'article CHANCELIER DE NAVARRE. (A)
PARLEMENT DE POITIERS, le premier qui porta ce titre fut celui de Bordeaux, lorsqu'il fut transferé de Bordeaux en cette ville par des lettres du mois de Novembre 1469 ; la cause de cette translation fut que la Guienne étoit donnée en apanage à Charles, duc de Berry ; il resta à Poitiers jusqu'au mois de Mai 1472, que l'apanage fut éteint ; après quoi il fut rétabli à Bordeaux. Voyez PARLEMENT DE BORDEAUX.
Sous Charles VI. en 1418, le parlement de Paris fut transféré à Poitiers par le dauphin, lequel s'y étoit retiré. Le parlement ne revint à Paris qu'en 1437.
Le parlement de Paris séant à Tours, fit tenir des grands jours à Poitiers en 1454 & 1455 ; il y en a d'autres tenus en divers tems dans cette même ville par le parlement de Paris, depuis l'an 1519 jusqu'en 1667. Voyez les régistres du parlement de Paris.
PARLEMENT PRESENT, signifioit la séance que tenoit actuellement le parlement. Voyez PARLEMENT FUTUR.
PARLEMENT PROCHAIN, on entendoit autrefois par ce terme, la séance que le parlement devoit tenir vers la fête la plus prochaine, auquel tems le parlement étoit indiqué, & avoit coutume de se tenir. Voyez PARLEMENT FUTUR.
Présentement on entend par parlement prochain, celui qui doit recommencer à la S. Martin de la même année, où il a terminé ses séances le 7 Septembre.
PARLEMENT DE PROVENCE, voyez ci-devant PARLEMENT D'AIX.
PARLEMENT DE RENNES, voyez PARLEMENT DE BRETAGNE.
PARLEMENT DE ROUEN, voyez ci-devant PARLEMENT DE NORMANDIE.
PARLEMENT ROYAL, parlamentum regium ; on donnoit quelquefois ce titre au parlement de Paris, pour le distinguer des grands jours des ducs & des comtes, auxquels on donnoit aussi quelquefois le titre de parlement ; il y en a un exemple dans des lettres de Philippe le Bel, données à Beziers au mois de Février 1335, & dans une ordonnance de Charles V. alors régent du royaume, du mois d'Avril 1358, où le parlement de Paris est nommé parlamentum regium parisiense. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome II. pag. 107, & tome III. pag. 336.
PARLEMENT DE LA SAINT ANDRE, étoit la même chose que le parlement d'hiver, lequel commençoit quelquefois huit jours après la Toussaint, quelquefois le lendemain de la saint Martin, quelquefois seulement à la saint André ou à Noël. Voyez PARLEMENT D'HIVER. (A)
PARLEMENT DE SAINT-LAURENT, n'étoit d'abord autre chose que les grands jours, institués par les anciens ducs & comtes de Bourgogne en la ville de Saint-Laurent-lès-Châlons ; ils étoient pour le comté d'Auxonne & la Bresse châlonnoise ; l'appel de ces grands jours ressortissoit au parlement de Paris.
Le parlement de Dijon a pris la place de ces grands jours, de même que de ceux de Beaune. Voyez PARLEMENT DE DIJON. (A)
PARLEMENT DE LA SAINT MARTIN ou D'HIVER, parlamentum sancti Martini ou sancti Martini hyemalis, étoit la séance que le parlement tenoit à la saint Martin d'hiver : il en est parlé dans le premier des registres olim de 1260, in parlamento sancti Martini hyemalis. Au registre A, fol. 130. col. 2. il est parlé d'une mauvaise coutume qui avoit lieu à Verneuil, & que le roi abolit en 1263 in parlamento sancti Martini. (A)
PARLEMENT DE SAINT-MIHEL, fut établi par les comtes de Bar dans la ville de Saint-Michel ou Saint-Mihel, pour décider en dernier ressort les procès de leurs sujets du Barrois non-mouvant. Louis XIII. ayant soumis la Lorraine à son obéissance, conserva d'abord le parlement de Saint-Mihel ; mais la ville de Saint-Mihel s'étant révoltée contre le roi, pour punir cette ville, par des lettres du mois d'Octobre 1635, il supprima le parlement qui y siégeoit, & attribua sa jurisdiction au conseil souverain de Nanci. Voyez les additions sur Joly, t. I. tit. 64. (A)
PARLEMENT SEANT ou NON-SEANT. Ce mot séant a deux significations différentes : quelquefois il sert à exprimer le tems où le parlement tient ses séances, & où il peut s'assembler à toute heure sans permission particuliere du roi ; quelquefois ce mot séant sert à exprimer comment les membres du parlement sont assis, comme quand on dit que le parlement étoit séant sur les hauts sieges & sur les bas sieges. (A)
PARLEMENT DE SICILE, est proprement une assemblée des états du royaume. En effet, il est composé des trois ordres du royaume : savoir, de l'ordre militaire, qui comprend tous les barons ; l'ordre ecclésiastique, qui renferme tous les archevêques, évêques, abbés, prieurs & chefs de couvens ; & l'ordre domanial, qui comprend toutes les villes royales.
Les Siciliens ne se donnerent au roi Pierre d'Aragon, qu'à condition de les maintenir dans leurs privileges, & qu'il ne pourroit établir aucun impôt sans le consentement du parlement, non pas même lever aucunes troupes.
Quand le roi a besoin d'argent, il fait convoquer le parlement dans une ville choisie par le viceroi. Ceux qui composent les deux premiers ordres, ne pouvant y assister en personne, y envoyent leurs procureurs ; & l'ordre domanial y envoye ses députés, excepté la ville de Palerme & celle de Catane qui y envoyent leurs ambassadeurs.
Lorsque le parlement est ainsi assemblé, on fait la demande de la part du roi, & le parlement accorde ordinairement un don gratuit, proportionné aux besoins de l'état, laquelle somme se leve sur tous les sujets par forme de taxe.
S'agit-il de lever des impôts, le parlement donne son consentement pour les payer pendant un tems.
Pendant ces assemblées, le parlement propose au roi plusieurs lois pour le bien public ; il demande aussi quelque grace ou privilege que le roi lui accorde ordinairement, & ce sont-là les lois du royaume qu'on appelle constitutioni è capitoli del regno.
Toutes les fois que le parlement s'assemble, les trois ordres élisent plusieurs députés, dont la commission dure jusqu'à une nouvelle convocation.
Ces députés forment une espece de sénat qui a le soin de faire observer les privileges, & de faire exécuter tout ce qui a été ordonné par le parlement, comme les dons gratuits & autres impositions.
Il y a un traité des parlemens généraux de Sicile depuis 1446 jusqu'en 1748, avec des mémoires historiques sur l'usage ancien & moderne des parlemens chez les diverses nations, &c. par dom Ant. Mongitore, chanoine doyen de l'église de Palerme. (A)
PARLEMENS SOMMAIRES. On donnoit ce nom anciennement aux instances sommaires ou instructions qui se faisoient à la barre de la cour en six jours de tems, en conséquence d'une requête qui étoit présentée à la cour à cet effet. Ces instructions avoient lieu dans les affaires de peu de conséquence ou qui requéroient célérité. Elles ont été abrogées par l'article 2. du titre 11. des délais & procédures de l'ordonnance de 1667, mais il y avoit déja long-tems que ces instructions n'étoient plus qualifiées de parlemens sommaires ; le terme de parlemens étoit pris en cette occasion pour instruction verbale. Voyez le dictionnaire de droit de Ferrieres, au mot Instances sommaires. (A)
PARLEMENT DE LA TIPHAINE, voyez ci-devant PARLEMENT DE L'ÉPIPHANIE.
PARLEMENT DE TOULOUSE, est le second des parlemens du royaume.
Si l'on en croit la chronique manuscrite de Bardin, auteur qui a écrit vers le milieu du quatorzieme siecle, le roi Robert ou le roi Henri (car il ne dit pas lequel) fit tenir un parlement à Toulouse en 1031, auquel assisterent l'archevêque de Bourges, le comte Eudes, Amelius, évêque d'Albi ; Guifred, évêque de Carcassonne ; deux abbés, deux chevaliers, deux jurisconsultes, & un scribe ou greffier, dont il rapporte le nom.
Il ajoute que ceux-ci, après avoir fait serment sur les évangiles, rendirent divers arrêts, & statuerent entr'autres choses :
1°. Que quand les vicomtes & les viguiers ordonneroient le gage de duel, & que la partie condamnée à l'accepter en appelleroit au comte, elle auroit la liberté, après le jugement de ce dernier, d'en appeller au roi ou à son parlement, à raison de l'hommage.
2°. Que le comte de Toulouse qui prétendoit la dixme sur celle que levoit l'évêque de cette ville, fourniroit des preuves de son droit au prochain parlement.
3°. Que les officiaux ecclésiastiques seroient soumis aux ordonnances du parlement.
4°. Que la guerre qu'avoient fait naître les différends qui étoient entre Berenger, vicomte, & Guifred, archevêque de Narbonne, seroit suspendue.
5°. Qu'on payeroit les anciens péages, & que les vicaires ou viguiers supprimeroient les nouveaux.
Ce qui pourroit donner quelque poids à ce que dit cet auteur au sujet de ce parlement qu'il suppose avoir été tenu à Toulouse, est qu'à la tête de son ouvrage il a déclaré qu'il a puisé tous les faits qu'il rapporte dans les anciens monumens ; que tous les prélats dont il fait mention comme ayant assisté à ce parlement vivoient en 1031 ; & que vers le même tems Berenger, vicomte de Narbonne, eut en effet un différend avec Guifred, archevêque de cette ville.
Mais les savans auteurs de l'histoire générale de Languedoc, qui rapportent ces faits d'après Bardin, t. II. p. 161. les réfutent solidement, & soutiennent que tout ce que dit Bardin de ce prétendu parlement, tenu en 1031, n'est qu'une fable ; qu'en effet le terme de parlement dont on se sert pour exprimer une cour de justice, celui d'arrêt, & plusieurs autres qu'il emploie, n'étoient point encore alors en usage, & ne le furent que long-tems après.
Ils observent que d'ailleurs Bardin se contredit en ce qu'il suppose que dans ce parlement où assista Guifred, évêque de Carcassonne, qui effectivement vivoit alors, on y agita une affaire qu'avoit Hilaire, évêque de cette ville, contre Hugues de Gaigo, & Arnould de Saissac, seigneur du diocèse.
Ce qu'on peut inférer de plus vraisemblable du récit de Bardin, suivant les historiens de Languedoc, c'est qu'en 1031 le roi, en qualité de souverain, envoya des commissaires à Toulouse pour y tenir en son nom les assises & y rendre la justice, & que les prélats & les seigneurs dont Bardin rapporte les noms furent chargés de cette commission ; mais ces assises ne peuvent être considérées comme l'origine du parlement de Toulouse.
La même chronique de Bardin porte que le roi Louis le Gros fit tenir un parlement en 1122 dans l'abbaye de saint Benoît de Castres, & qu'Alphonse, comte de Toulouse, y fut ajourné pour rendre hommage de ce comté. Il en est de même des parlemens que l'on suppose avoir été tenus dans l'abbaye de Clairac, en 1138 ; à Lavaur, en 1194 ; dans l'abbaye de Sorezre, en 1273 ; & à Montpellier, en 1293. Tout cela paroît encore avancé sans preuve, & réfuté par les historiens du Languedoc.
La premiere justice supérieure qu'il y ait eu à Toulouse, qualifiée de parlement, ce furent les grands jours établis par les comtes de Toulouse, pour juger en dernier ressort dans l'étendue de leurs domaines.
Quelques-uns ont cru que ces grands jours n'avoient été établis que par Alphonse, comte de Poitou, en 1266.
Mais il paroît que ces grands jours, ou parlement comtal de Toulouse, étoient plus anciens, puisque Aufrérius, président aux enquêtes de Toulouse, a écrit, dans son style du parlement, tit. des arrêts, qu'environ l'an 1207, M. Arnault de Montagu, Laurent Vicini, & Jean de Veseuva, conseillers-clercs, avoient fait certaines compilations d'arrêts donnés par la cour de parlement de Toulouse.
Et en effet il est certain que les comtes de Toulouse & les autres grands vassaux de la province, depuis qu'ils se furent emparés des droits régaliens, se maintinrent toujours dans l'usage de juger sur les lieux & en dernier ressort leurs sujets & vassaux, sans que le conseil du roi prît connoissance de leurs affaires.
Alphonse, comte de Toulouse, ayant succédé du chef de Jeanne sa femme au comté de Toulouse, & aux autres domaines que possédoit le comte Raimond VII. il jugea à propos d'avoir un parlement pour tous ses domaines à l'exemple du roi saint Louis son frere : il tenoit ce parlement dans le même lieu où il tenoit sa cour, y jugeoit par appel toutes les principales affaires de ses états, & évoquoit toutes celles qui lui étoient personnelles.
Ce prince étant à Long-Pont où il faisoit alors sa demeure, nomma en 1253 des commissaires pour tenir son parlement à la quinzaine de la fête de tous les Saints ; ce qui prouve qu'il avoit établi ce parlement dès son avénement au comté de Toulouse, & qu'il en tenoit les séances à sa cour.
Mais comme outre le comté de Toulouse il tenoit aussi l'Auvergne avec le Poitou, il choisit, par permission du roi saint Louis, la ville de Paris pour y tenir ses grands jours, ou parlement auquel il faisoit assigner tous ses sujets : autrement il lui eût fallu en avoir dans chaque province dont il étoit seigneur, ce qui lui auroit été incommode & de dépense.
Ces grands jours étoient nommés parlement, du nom que l'on donnoit alors à toute assemblée publique où l'on parloit d'affaires.
Du Tillet dit qu'au trésor des chartes il y a un registre des jugemens, délibérations & ordonnances du conseil de M. Alphonse de France, comte de Poitou, frere de saint Louis & pair de France, tenu à Paris depuis l'an 1258 jusqu'en 1266, lequel conseil y est appellé parlement & d'autres fois comptes. Il se tenoit par assignation comme celui du roi ; car il y a parlement dudit comte de la Toussaint de l'an 1269, un autre de la Pentecôte.
On trouve dans les preuves de l'histoire de Languedoc, tome III. p. 507. un acte de 1264, dans lequel il est fait mention du parlement de Toulouse. Le comte de Rhodès avoit présenté une requête au trésorier de l'église de saint Hilaire de Poitiers, qui étoit un des membres du parlement de Toulouse : le trésorier répondit qu'il en délibéreroit au prochain parlement : dixit se deliberaturum in proximo parlamento dom. comitis Pictaviensis, Tolosae.
Dans un autre acte de l'an 1266, il en est fait mention sous la dénomination de colloquium. Ce parlement fut convoqué par des lettres datées de Rampillon, la veille de saint Barnabé. Alphonse y établit pour présidens Evrard Malethans, chevalier, connétable ou gouverneur d'Auvergne ; Jean de Montmorillon, chevalier & prêtre poitevin ; & Guillaume de Plapape, archidiacre d'Autun, avec pouvoir de choisir eux-mêmes leurs assesseurs ou conseillers, tant clercs que laïcs. Il est fait mention de ce parlement dans des lettres d'Alphonse, datées du dimanche après la fête de saint Barnabé, apôtre, l'an 1266, par lesquelles il ordonne à Evrard Malethans, chevalier, son connétable d'Auvergne, d'entendre Jean seigneur de Châtillon : " vous lui rendrez justice, dit ce prince, jusqu'à notre parlement qui se tiendra le lendemain de la quinzaine de la fête de tous les Saints ; & vous aurez soin de nous faire savoir, à notredit futur parlement, ce que vous aurez fait ".
Tandis que le comte de Toulouse tenoit ainsi son parlement à Paris ; les peuples, les sujets, étoient obligés de faire de grands voyages pour aller soutenir leurs causes d'appel. C'est pourquoi les habitans de Toulouse lui firent des remontrances en 1268 au sujet de leurs libertés & privileges, & lui demanderent entr'autres choses qu'il établît sur les lieux des personnes intelligentes pour juger en dernier ressort les causes d'appel qui étoient portées devant lui. Alphonse, acquiesçant à leur demande, confirma les divers articles des privileges & libertés des Toulousains, ensorte qu'il paroît qu'il établit à Toulouse avant sa mort un tribunal supérieur, pour y décider sans appel les affaires du pays.
Cependant ce parlement fut encore depuis tenu quelquefois en d'autres endroits ; c'est ainsi qu'en 1283 Alphonse le tint à Carcassonne.
On ne peut pas douter qu'il n'y eût appel de ce parlement comtal à la cour de France ; c'étoit la loi générale pour toutes les cours de baronies ou de pairies, quelque nom qu'on leur donnât. On voit même que le parlement de Paris, sous le regne de S. Louis, étendit sa jurisdiction dans les sénéchaussées de Beaune & de Carcassonne ; on en trouve des preuves dans l'histoire de Languedoc, 1258, 1262, 1269 & 1270.
Le comté de Toulouse ayant été réuni à la couronne en 1272 (a) par la mort d'Alphonse sans enfans, il fut établi avec plus de solemnité un parlement dans le Languedoc sous Philippe le Hardi. Ce premier établissement fut fait par maniere d'accord & de contrat. Pour l'obtenir, les états généraux accorderent au roi 5000 moutons d'or ; la premiere séance commença le mercredi après l'Octave de Pâques de l'an 1280.
Philippe le Hardi fit pour Toulouse ce qu'il faisoit pour l'échiquier de Normandie ; il députa des membres du parlement de Paris pour présider en son nom.
Ce parlement fut supprimé quelques années après ; mais il fut rétabli à Toulouse en 1287 par Philippe le Bel, & tint ses séances dans cette ville jusqu'en 1291, qu'il fut encore supprimé & réuni au parlement de Languedoc, c'est-à-dire, au parlement de Paris.
Ces députés n'étoient pas en aussi grand nombre qu'à l'échiquier ; ils n'étoient que trois, un abbé & deux maîtres, qui se qualifioient clerici domini regis tenentes pro domino rege parlamentum. On les appelloit aussi les seigneurs tenans le parlement de Toulouse, dominorum tenentium parlamentum Tolosae ; mais eux-mêmes se nommoient simplement tenans pour le roi le parlement de Toulouse, ou députés pour le roi à l'effet de tenir le parlement, tenentes parlamentum Tolosae pro eodem domino rege, ou bien qui pro domino rege deputati fuerint ad tenendum parlamentum.
Ils étoient donc députés pour tenir le parlement au nom du roi ; on trouve les noms de ces trois députés dans deux arrêts de 1287 & 1290 donnés en ce parlement.
Quoique les jugemens émanés de ce tribunal fussent dès-lors qualifiés d'arrêts, arresta, l'on n'en doit pas conclure que ce fût une cour souveraine ; car les jugemens des grands jours ou conseil de Champagne, ceux de l'échiquier & du parlement ducal de Bretagne étoient de même qualifiés d'arrêts ou jugemens, arresta, judicia & consilia, & praecepta dierum trecensium, & suit istud arrestatum, &c. & il est également constant que l'on en pouvoit appeller au parlement de Paris.
On forma même dans ce parlement une chambre pour les affaires du pays de droit écrit, qu'on nomma auditoire du pays de droit écrit ou chambre de la Languedoc ; mais cet auditoire ne fut établi que dans le tems où le parlement de Toulouse étoit réuni au parlement de Paris.
La cour souveraine de parlement qui subsiste présentement à Toulouse, fut instituée par Philippe le Bel en 1302. Son ordonnance du 23 Mars de ladite année, qui porte que le parlement se tiendra deux fois l'année à Paris, ordonne aussi que le parlement se tiendra à Toulouse : at quod parlamentum apud Tolosam tenebitur, si gentes terrae praedictae consentiant quod non appelletur à praesidentibus in parlamento praedicto.
La Rocheflavin suppose qu'après ces mots, apud Tolosam tenebitur, il y a ceux-ci, sicut teneri solebat temporibus retroactis ; mais ils ne se trouvent pas dans cette ordonnance, telle qu'elle est à la chambre des comptes & au trésor des chartes, & dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, imprimées au louvre.
La Rocheflavin remarque que suivant l'ordonnance du 23 Mars 1302, le parlement ne devoit tenir à Paris que deux fois l'année, qui étoient à Noël & à la Chandeleur ; au lieu qu'en parlant du parlement de Toulouse, Philippe-le-Bel ordonne qu'il tiendra sans en limiter le tems : d'où la Rocheflavin conclud qu'il devoit tenir ordinairement & continuellement : la raison de cette différence peut être selon lui qu'alors le parlement de Toulouse s'étendoit non-seulement au Languedoc, mais par toute la Guienne, Dauphiné & Provence, avant l'érection des parlemens de Bordeaux, Grenoble & Aix, comme il se lit dans les registres de celui de Toulouse. Desorte que pour l'expédition du grand nombre des affaires & des procès, auxquels les habitans de ce climat sont, dit-il, naturellement plus adonnés, il étoit nécessaire que le parlement y fût ordinairement séant, au lieu que le parlement de Paris étoit soulagé par le proche voisinage de l'échiquier de Rouen, & des grands jours de Troyes en Champagne, dont il est parlé dans cette même ordonnance de 1302, & qui étoient en effet d'autres parlemens pour la Normandie, Champagne & Brie.
Sur ces mots, si gentes terrae consentiant, la Rocheflavin remarque que les gens des trois états du pays de Languedoc ne voulurent consentir à l'érection de ce parlement, qu'avec pacte & convention expresse avec le roi qu'ils seroient régis & gouvernés, & leurs procès & différends jugés suivant le droit romain, dont ils avoient coutume d'user.
L'ordonnance du 23 Mars 1302, n'avoit sait proprement qu'annoncer le dessein d'établir un parlement à Toulouse ; ce n'étoit même proprement qu'une députation de présidens du parlement de Paris que le roi se proposoit d'y envoyer pour y tenir le parlement & y juger souverainement, comme on l'a fait depuis en Normandie. Ce devoit être le parlement de France qui auroit tenu successivement ses séances à Paris, à Toulouse, & ensuite en Normandie ; il est vrai que les barons de Toulouse y auroient siégé, mais la souveraineté de jurisdiction ne devoit être vraiment attachée qu'aux députés de la cour de France qui y auroient présidé ; c'est pourquoi l'ordonnance de 1302 dit, si gentes terrae consentiant quod non appelletur à praesidentibus ; preuve certaine que les précédens parlemens n'étoient pas souverains du tems des comtes. Les auteurs de l'histoire de Languedoc
(a) On croit que c'est 1271, Voyez les annales de Toulouse, l'histoire du Languedoc par dom Vaissette.
ont cru que cette ordonnance étoit demeurée sans exécution.
Mais il y eut dans la même année un édit exprès pour l'établissement d'une cour souveraine de parlement à Toulouse.
On voit dans le préambule de l'édit, que cet établissement fut fait à la priere des trois états de Languedoc, & dans la vûe d'illustrer la ville de Toulouse. Le roi de sa certaine science, puissance & autorité royale, institue une cour de parlement à Toulouse pour tout le Languedoc & duché d'Aquitaine, & pour les pays qui sont au-delà de la Dordogne.
Cette institution est faite avec la close quandiu tamen placuerit nostrae voluntati.
Le roi ordonne qu'à cette cour de parlement toutes les cours de sénéchaussées, bailliages, rectories, vigueries, judicatures, & autres jurisdictions quelconques des pays de Languedoc & d'Aquitaine, & des autres pays qui sont au-delà de la Dordogne, auront leur ressort & dernier recours, ultimum refugium.
Que ce parlement ou cour commencera sa premiere séance le lendemain de la saint Martin d'hiver lors prochain, ou tel autre jour qu'il sera indiqué par sa majesté.
Qu'il sera tenu par quatorze personnes, savoir deux présidens laïcs & douze conseillers, six clercs & six laïcs, des pays de la Langued'oy & de la Languedoc, avec deux greffiers & huit huissiers.
Qu'un des présidens sera pour les causes civiles, l'autre pour les affaires criminelles.
Que les gens de ce parlement pourront juger au nombre de neuf ou dix, & que dans les affaires criminelles un président & cinq conseillers pourront juger en appellant avec eux tel nombre de conseillers laïcs qu'ils jugeront à-propos. Mais le nombre de juges nécessaires a varié ; car anciennement on jugeoit à sept, & depuis long-tems & présentement on ne peut plus juger au parlement de Toulouse qu'au nombre de dix, soit au civil ou au criminel.
Qu'il n'y aura aucun appel de leurs jugemens.
Enfin il leur donne le même pouvoir qu'au parlement de Paris.
Il fut aussi établi dans le même tems un procureur du roi pour ce parlement.
Le roi fit lui-même l'ouverture de ce parlement le 10 Janvier 1302, à huit heures du matin ; il étoit vêtu d'une robe de douze aunes de drap d'or frisé, sur un fond rouge broché de soie violette, parsemée de fleurs de lis d'or, & fourrée d'hermine.
Il partit du château Narbonnois où il logeoit, accompagné des princes & seigneurs de sa cour, avec lesquels il se rendit à un grand sallon de charpente que la ville avoit fait construire dans la place de saint Etienne, pour y tenir le parlement.
Le roi y étant entré monta sur son trône ; & ceux qui avoient droit de s'asseoir prirent les places qui leur étoient destinées ; ensuite le roi dit que le peuple du pays de Languedoc l'ayant humblement supplié d'établir un parlement perpétuel dans la ville de Toulouse, il avoit consenti à ses demandes aux conditions insérées dans les lettres d'érection, desquelles il commanda qu'on fît la lecture.
Le chancelier s'étant levé, & ayant fait une profonde révérence au roi, fit une harangue fort éloquente, après laquelle il donna à lire les lettres patentes au grand secrétaire de la chancellerie, puis il lui remit le tableau où étoient écrits les noms de ceux qui devoient composer le parlement de Toulouse.
Le secrétaire les ayant lûes tout haut, le roi fit dire à ces officiers de s'approcher, & ils reçurent des mains des hérauts leurs habits de cérémonie.
On donna aux présidens des manteaux d'écarlate fourrés d'hermine, des bonnets de drap de soie bordés d'un cercle ou tissu d'or, des robes de pourpre violette, & des chaperons d'écarlate fourrés d'hermine.
Les conseillers laïcs eurent des robes rouges avec des paremens violets, & une espece de soutane de soie violette par-dessous la robe, avec des chaperons d'écarlate parés d'hermine.
Les conseillers clercs furent revêtus de manteaux de pourpre violette étroits par le haut, où il n'y avoit d'ouverture qu'aux endroits de mettre la tête & les bras. Leur soutane étoit d'écarlate & les chaperons aussi.
Le procureur du roi étoit vêtu comme les conseillers laïcs.
Le greffier portoit une robe distinguée par bandes d'écarlate & d'hermine.
Tous ces officiers ainsi vêtus, prêterent le serment au roi, ayant leurs deux mains sur les évangiles écrits en lettres d'or.
Après la prestation des sermens, le chancelier fit passer les magistrats dans les sieges qui leur étoient destinés, & le roi leur fit connoître en quoi consistoit leur devoir par un discours très-éloquent, dont le texte étoit erudimini qui judicatis in terram.
Ce discours fini, les hérauts congédierent l'assemblée par le cri accoutumé.
Quelques jours après, la compagnie commença ses séances dans le château Narbonnois, que le roi lui donna pour y rendre la justice, sans en ôter néanmoins le gouvernement au viguier de Toulouse, qui continua d'y faire sa demeure, avec la garnison ordinaire pour la défense du château.
Les subsides extraordinaires que le roi faisoit lever en Languedoc, sans que les états de la province y eussent consenti, ayant occasionné une révolte presque générale, le parlement soutint tant qu'il lui fut possible l'autorité du roi : mais enfin il fut contraint de se retirer à Montauban.
Le roi irrité contre les Languedociens, & singulierement contre les Toulousains, par un édit de l'an 1312, supprima le parlement de Toulouse, l'unit & en incorpora les officiers à celui de Paris.
Il est pourtant fait mention en divers endroits d'un parlement tenu à Toulouse par Charles IV. en 1324, & d'un prétendu parlement tenu dans cette même ville en 1328 ; enfin on trouve que Philippe de Valois tint son parlement à Nîmes en 1336, mais le premier & le dernier de ces parlemens n'étoient apparemment que des commissions émanées du parlement de Paris ; le second, c'est-à-dire celui de 1328, ne paroît pas bien prouvé.
Le parlement de Toulouse souffrit donc une éclipse qui dura plus d'un siecle ; car il ne fut rétabli dans cette ville que par des lettres du dauphin régent du royaume du 20 Mars 1419 ; ce ne fut même que le 49 Mai 1420 que le parlement fut installé à Toulouse.
Par cette seconde érection il n'y eut qu'un président, qui étoit l'archevêque de Toulouse, onze conseillers & deux greffiers ; il n'y eut point alors de procureur général, attendu que les lettres n'en faisoient point mention.
Par édit du 23 Septembre 1425, le parlement de Toulouse fut transféré à Beziers, à cause de la peste qui étoit à Toulouse, & pour repeupler la ville de Beziers qui avoit soutenu un long siége contre le comte de Clermont, & la dédommager de tout ce qu'elle avoit souffert lorsqu'elle fut prise.
Mais le parlement ne demeura pas long-tems à Beziers : en effet, par des lettres patentes du 7 Octobre 1428, Charles VII. le réunit une seconde fois à celui de Paris, lors séant à Poitiers ; & en exécution de ces lettres patentes, le parlement de Toulouse ordonna lui-même le 4 Avril 1429, le renvoi à Poitiers de toutes les causes dont il connoissoit.
Ce changement fut occasionné par les guerres civiles que causerent les factions des ducs de Bourgogne & d'Orléans, à la faveur desquelles les Anglois occuperent toute la Guienne & la plus grande partie du ressort du parlement de Toulouse.
Pendant ces différentes réunions du parlement de Toulouse à celui de Paris, les officiers du parlement de Toulouse continuerent l'exercice de leurs offices au parlement de Paris. On en trouve des preuves authentiques, 1°. dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tom. I. page 320, où l'on voit que Gilles Gamelin, qui étoit certainement conseiller au parlement de Toulouse lorsqu'il fut réuni à celui de Paris en 1291, exerça d'abord après cette réunion son office au parlement de Paris. 2°. Dans l'acte de réunion de 1428, rapporté tome IV. de la nouvelle histoire de Languedoc, page 434, où il est dit : Praesidentibus, consiliariis & officiariis nostris, qui dictum parlamentum, Biterris tenere consueverunt.... injungimus.... se ad dictam villam nostram Pictaviensem transferant suorum officiorum debitum in dicta nostra parlamenti curia Pictaviensi, per quam eos adhoc admitti volumus secundum ordinem & antiquitatem institutionis eorumdem exercituros.... cum registris suis.
Lorsque les Anglois furent chassés de Guienne, & que le parlement qui avoit été transféré à Poitiers eut été remis dans la capitale du royaume par édit du mois d'Août 1436, Charles VII. érigea un nouveau parlement pour le Languedoc par édit du 18 Avril 1437 ; il envoya d'abord dans ces pays des commissaires généraux sur le fait de la justice, avec pouvoir de juger souverainement sur certaines matieres. Quelque tems après il donna cette commission aux généraux de Montpellier ; & enfin, par édit donné à Saumur le 11 Octobre 1443, il rétablit un parlement à Toulouse pour être stable dans cette ville.
Cet édit fut envoyé au parlement de Paris par des lettres patentes du 4 Février 1443 : on le trouve dans les registres dudit parlement, intitulé : Ordin. Barbinae, coté D. fol. 111. Il ne fut lû & publié à Toulouse que le 4 Juin 1444.
Ce nouveau parlement fut composé comme l'ancien, de deux présidens & de douze conseillers, six clercs & six lais.
L'ouverture de ce parlement fut faite par des commissaires du parlement de Paris, envoyés par le roi, l'un desquels étoit le premier président ; après lui siégeoit le lieutenant général au gouvernement du Languedoc, l'archevêque de Toulouse, les évêques de Rieux & de Lavaur, & l'abbé de Saint-Sernin de Toulouse, avec un maître des requêtes de l'hôtel, & Jacques Coeur, conseiller & argentier du roi ; commis & envoyés pour l'établissement du parlement, & pour être en nombre suffisant, ils appellerent & admirent par provision du roi pour conseillers laïcs, le juge-mage de Nîmes, le juge criminel de Carcassonne, le trésorier général du Languedoc, & le juge du petit scel de Montpellier.
La déclaration donnée à Melun par Charles VII. en 1454, porte " que les présidens & conseillers de chacun des parlemens de Paris & de Toulouse doivent être tenus & réputés uns, & recueillir & honorer les uns & les autres, & comme faisant tous un parlement.... sans souffrir pour cause des limites d'iceux parlemens, avoir entr'eux aucune différence ". Il accorda par cette déclaration aux conseillers du parlement de Paris, le privilége d'avoir séance dans tous les autres parlemens du royaume, sans que ceux des autres parlemens eussent le même droit sur celui de Paris, à l'exception des conseillers du parlement de Toulouse, auxquels il permit d'avoir séance au parlement de Paris, suivant la date de leur réception.
Ce parlement ayant donné un arrêt contre quelque habitant de Montpellier, & Geoffroy de Chabannes, qui étoit lieutenant du duc de Bourbon, gouverneur du Languedoc, en ayant empêché l'exécution, le parlement décréta de prise de corps le sieur de Chabannes, & trois autres personnes qui lui étoient attachées.
Cette conduite déplut tellement au roi, qu'il interdit le parlement & le transféra à Montpellier au mois d'Octobre 1466.
Les trois états avoient déjà demandé que ce parlement fût tenu alternativement dans les trois sénéchaussées de la province ; & le syndic de la sénéchaussée de Beaucaire lut en 1529 dans l'assemblée des états, des lettres du 21 Septembre 1467, suivant lesquelles le parlement de Toulouse devoit être ambulatoire, & résider pour un tems dans cette sénéchaussée. Les états convinrent même de demander l'exécution de ces lettres, mais le capitoul de Toulouse s'y opposa, prétendant qu'il y avoit des lettres contraires ; sur quoi on lui ordonna d'en rapporter la preuve aux états suivans, & les choses en demeurerent là.
Mais pour revenir à la translation qui fut faite du parlement de Toulouse à Montpellier en 1466, les généraux des aides, qui étoient en ce tems-là du corps du parlement, eurent le même sort, & furent transférés avec lui à Montpellier.
Deux ans après il fut rétabli à Toulouse, où il revint avec les généraux des aides ; mais ces derniers retournerent peu de tems après à Montpellier, où ils furent depuis érigés sous le titre de cour des aides, laquelle est demeurée dans cette ville.
L'établissement de ce parlement fut confirmé par Louis XI. le 2 Octobre 1461 ; il l'a encore été en dernier lieu par un édit du mois de Janvier 1705, dans le préambule duquel il est dit que sa majesté veut maintenir dans toute son étendue l'ancienne jurisdiction d'un parlement qui est le second tribunal de sa justice par son ancienneté, par le rang qu'il tient entre les autres parlemens du royaume, & l'un des plus dignes de l'attention & des graces du roi, par son zele pour son service, & par sa fidélité inviolable.
Le 4 Août 1533, François I. tint son lit de justice à Toulouse, accompagné des princes & des seigneurs de sa cour.
Charles IX. tint aussi son lit de justice dans ce même parlement, le 5. Février 1565, étant accompagné de même de plusieurs princes & seigneurs.
En 1589, s'étant soustrait de l'obéissance du roi Henri III. ce prince le transféra de Toulouse dans telle ville du ressort qu'il jugeroit à-propos ; & peu de tems après Henri IV. le transféra à Carcassonne, de-là il fut transféré à Béziers. Cependant la plûpart de ces officiers continuerent de rendre la justice à Toulouse, & demeurerent attachés au parti de la ligue ; ils s'opposerent aux entreprises du duc de Joyeuse, & se retirerent la plûpart à Castel-Sarrasin. Ceux de Béziers se réunirent avec ceux de Castel-Sarrasin, & tous enfin se réunirent à Toulouse, enregistrerent l'édit de Folembray, & se soumirent au roi Henri IV.
Le 2 Novembre 1610, Louis XIII. confirma les officiers de ce parlement dans leurs fonctions, droits & priviléges : il y avoit alors six présidens & environ cent conseillers.
Le duc d'Uzès, & les autres pairs dont les pairies sont situées dans le ressort de ce parlement, lui présentoient autrefois des roses, comme cela étoit alors d'usage ; les comtes de Foix, d'Armagnac, de Bigorre, de Lauraguais, de Rouergue, & tous les autres seigneurs des grandes terres de Languedoc, lui rendoient cet hommage. Les archevêques d'Ausch, de Narbonne & de Toulouse n'en étoient point exempts. La qualité de président des états, & celle de pere spirituel du parlement, ne dispensoient point ces deux derniers de cette redevance. Enfin les rois de Navarre, en qualité de comtes de Foix, d'Armagnac, de Bigorre, & de Rhodez ; Marguerite de France, fille du roi Henri II. soeur de trois rois & reine elle-même, comme comtesse de Lauraguais, lui ont rendu le même honneur.
Ce parlement a toujours passé pour un des tribunaux des plus séveres & des plus integres du royaume : on croit que c'est cette réputation qui lui valut l'honneur de juger plusieurs illustres coupables, tels que Pierre de Rohan, maréchal de France, dit le maréchal de Gié, & le maréchal de Montmorency, lequel ne fut point jugé par une commission, comme l'a avancé M. le président Hénault.
L'attachement inviolable de cette cour, & son zele pour la religion catholique, ont éclaté dans toutes occasions.
Ce parlement est présentement composé de six chambres, savoir la grand'chambre, la tournelle, trois chambres des enquêtes & celle des requêtes.
La grand'chambre & la tournelle sont de la premiere institution du parlement ; du-moins la tournelle fut-elle établie presqu'aussi-tôt après le rétablissement du parlement, en 1444, ainsi que l'atteste M. de la Rocheflavin.
Il y eut cependant une déclaration du 17 Septembre 1491, pour l'établissement de cette chambre, apparemment pour en regler le service.
La grand'chambre est composée du premier président, de quatre présidens à mortier, 24 conseillers clercs, & 19 conseillers lais.
Le gouverneur de Languedoc & celui de Guienne ont entrée & séance au parlement de Toulouse après que leurs lettres ou provisions y ont été enregistrées.
L'archevêque de Toulouse est conseiller né du parlement, en vertu de lettres patentes accordées par Charles IX. en 1563 au cardinal d'Armagnac, archevêque de cette ville, pour lui & pour ses successeurs à l'archevêché.
L'abbé de Saint-Sernin a aussi obtenu le titre de conseiller né de ce parlement, en vertu de lettres patentes.
Il y a encore deux charges en titre nommées épiscopales, qui ne peuvent être remplies que par deux évêques du ressort, & pour lesquelles on prend des provisions du roi.
Il y a aussi deux chevaliers d'honneur qui ont séance avant le doyen.
La tournelle est composée de cinq présidens à mortier, & de treize conseillers.
La premiere chambre des enquêtes fut établie le 12 Juin 1451 : on députa un président & six conseillers pour la tenir. On voit au premier registre que le.... Juin 1451, Guy Lassere, président aux enquêtes, étoit au conseil en la grand'chambre. La seconde chambre des enquêtes fut créée par François I. par l'édit du mois de Mai 1542, enregistré au cinquieme livre des ordonnances. La troisieme chambre fut établie en 1690 ; sa premiere séance fut en 1691.
Chaque chambre des enquêtes est composée de deux présidens & de 20 conseillers, & plus, suivant le département qui en est fait dans chacune de ces chambres.
Il y a un procureur général & trois avocats généraux, un greffier en chef civil, un greffier en chef criminel ; un greffier des présentations ; un premier huissier & 15 autres huissiers ; environ 130 avocats, 108 procureurs au parlement.
La chambre des requêtes fut d'abord établie par édit du mois de Février 1543 ; elle fut supprimée par un autre édit du mois de Janvier 1547, & les officiers de cette chambre réunis au corps du parlement. Elle fut depuis rétablie par édits du mois d'Avril 1558, & composée de deux offices de président, de huit conseillers, un greffier, deux huissiers ; elle fut de nouveau supprimée par édit du mois de Juillet 1560 ; enfin elle fut rétablie par édit du mois de Novembre 1573. Elle est présentement composée de deux présidens, de 15 conseillers, d'un avocat & procureur du roi, & d'un autre avocat du roi pour le département des eaux & forêts, & six huissiers.
La chancellerie établie près ce parlement, est composée d'un garde des sceaux & de conseillers-secrétaires du roi ancien collége, audienciers-contrôleurs au nombre de neuf, & douze autres secrétaires du roi non sujets à l'abonnement, & qui ont des gages, dont un scelleur, un receveur de la chancellerie, deux trésoriers-payeurs des gages, neuf conseillers du roi rapporteurs référendaires ; six greffiers-gardes minutes, & huit huissiers qui font concurremment les exploits pour le parlement & pour la chancellerie.
Le ressort de ce parlement s'étoit étendu peu-à-peu par diverses ordonnances, sur les provinces de Languedoc, de Guienne, de Dauphiné & de Provence : les états de ces différens pays y avoient consenti à condition qu'ils seroient regis par le droit écrit, & qu'ils ne pourroient être tirés de leur ressort pour aller plaider ailleurs. Mais les parlemens de Bordeaux & de Provence ayant été établis dans la suite, l'on démembra de celui de Toulouse les sénéchaussées de Gascogne, de Guienne, des Landes, Agénois, Bazadois, Périgord, Saintonge, &c. ensorte que le parlement de Toulouse ne comprend plus en son ressort que les sénéchaussées & présidiaux de Toulouse, Beaucaire, Nîmes, Carcassonne, le Puy en Velay, Montpellier, Beziers, Limoux, Villefranche de Rouergue, Rhodez, Cahors, Castelnaudary, Montauban, Ausch, Leïtoure, Pamiers, Figeac, Lauferte, Uzès, sénéchal ducal ; Martel, partie du ressort, mais non le siége ; le siége royal d'Appeaux du comté de Castres, & le bailliage de Mende. (A)
PARLEMENT DE TOURS, c'étoit la portion du parlement de Paris, laquelle, pendant la ligue, étant demeurée attachée au parti du roi, fut transférée à Tours par édit du mois de Février 1689. Voyez PARLEMENT DE CHALONS & PARLEMENT DE LA LIGUE. (A)
PARLEMENT TRIENNAL, c'est l'espace de trois ans, pendant lesquels ceux qui ont été élus pour tenir le parlement en Angleterre exercent cette commission, après quoi on élit d'autres personnes. Voyez PARLEMENT D'ANGLETERRE.
PARLEMENT DE TOURNAY. Voyez PARLEMENT DE DOUAY.
PARLEMENT DE LA TOUSSAINT, parlamentum omnium Sanctorum, étoit la séance que le parlement tenoit après la Toussaint. On trouve dans le premier des régistres olim des arrêts rendus in parlamento omnium Sanctorum en 1259, 1260. Il y a une ordonnance de 1265, touchant le cours des estelins, au bas de laquelle il est dit, facta fuit haec ordinatio in parlamento omnium Sanctorum, anno, &c. Il paroît que ce parlement avoit été tenu à Melun ; car il est dit en parlant de l'ordonnance, fuit primo scripta Meloduni. Cette séance du parlement, qui commençoit après la Toussaint, duroit au-moins huitaine, & se prolongeoit quelquefois pendant une ou deux autres semaines, comme il paroît par l'ordonnance que Philippe le Bel fit touchant ce parlement en 1291, à la fin de laquelle il est dit, qu'elle fut faite dans les trois semaines après la Toussaint, actum Parisius in parlamento quod incepit in tribus hebdomadis post festum omnium Sanctorum ; la séance se prolongeoit même quelquefois jusqu'à Noël & encore par-delà. Voy. PARLEMENT DE NOEL.
PARLEMENT DE TURIN. Voyez PARLEMENT DE PIEMONT.
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PARLEMENTAIRE | S. m. (Gram. & Hist.) c'est dans les troubles de l'état celui qui est attaché au parti du parlement, contre celui de la cour. Alors il s'agit des intérêts de la nation que le parlement & le roi veulent, mais qu'ils entendent mal l'un ou l'autre. Pour l'ordinaire, lorsqu'il y a deux factions, la faction des parlementaires & la faction des royalistes, les premiers pourroient prendre pour devise pour le roi, contre le roi.
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PARLEMENTER | v. n. (Gram. & Art milit.) il se dit des assiégés qui demandent aux assiégeans à traiter des conditions auxquelles ils ouvriroient leurs portes. C'est quelquefois de leur part un moyen de gagner du tems, de ralentir les opérations, & de donner aux alliés le moyen de secourir.
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PARLER v | n. c'est manifester ses pensées au-dehors, par les sons articulés de la voix. Cependant quelquefois on parle par signes. Ce mot a un grand nombre d'acceptions différentes. On dit cet homme parle une langue barbare. Il y a des gens qui semblent parler du ventre. Les pantomimes anciens parloient de tous les points de leur visage & de toutes les parties de leur corps. Dieu a parlé par la bouche des prophêtes. Les rois parlent par la bouche de leurs chanceliers. Cette affaire transpire, on en parle. Les siecles parleront long-tems de cet homme. Cécile, vous avez été indiscrette, vous avez parlé. Venez ici, parlez. A qui pensez-vous parler ? On parle peu quand on se respecte beaucoup. N'en parlez plus, oublions cette affaire. Je parlerai de vous au ministre. Il y a peu de gens qui parlent bien. La nature parle ; le sang ne sauroit mentir. Cela parle tout seul. Nous parlerons guerre, littérature, politique, philosophie, armées, belles-lettres. Les tuyaux de cet orgue parlent mal. Je veux que la femme parle dans cet acte. Les murs ont des oreilles ; ils parlent aussi. Son silence me parloit. On apprend à parler à plusieurs oiseaux. On avoit appris à un chien à parler ; il prononçoit environ trente mots allemands. Voyez l'article PAROLE.
PARLER AUX CHEVAUX, (Maréchal) c'est faire du bruit avec la voix. Lorsqu'on approche les chevaux dans l'écurie sans leur parler, on risque souvent de se faire donner des coups de pié.
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PARLEUR GRAND | (Lang. françoise) cette expression grand parleur, renferme deux choses, selon le P. Bouhours, un défaut & une habitude. Qui dit grand parleur, dit un homme qui parle trop, qui parle souvent mal-à-propos, qui parle en l'air, qui parle pour parler : on ne dit pas d'un homme qui ne dit rien que de sensé, qui ne dit rien d'inutile, qu'il soit un grand parleur, quoiqu'il parle beaucoup ; on ne le diroit pas même d'un homme, qui dans une ou deux rencontres, auroit tenu de longs discours contre sa coutume, on se seroit trouvé en humeur de parler plus qu'à l'ordinaire. Grand parleur, marque une habitude ; & il ne faut pas s'en servir dans les endroits où il n'est question que d'un acte, comme on fait des célebres écrivains en traduisant, orantes nolite multum loqui ; ne soyez pas grands parleurs dans vos prieres, au lieu de dire, ne parlez pas beaucoup dans vos prieres : soyez courts dans vos prieres.
On dit bien c'est un grand parleur, ce sont de grands parleurs ; mais dans une occasion particuliere. On n'exhorte guere les gens à n'être pas grands parleurs ; on les exhorte à parler peu, du moins on ne dit ordinairement grand parleur, que pour marquer un homme qui est sujet à parler beaucoup, &c.
L'auteur anonyme des réflexions sur l'usage présent de la langue françoise approuve la distinction du P. Bouhours ; mais il prétend que si en parlant en général des prieres qu'on a coutume de faire tous les jours, je dirois qu'il ne faut pas être grand parleur dans ses prieres, je m'expliquerois bien ; parce que c'est comme si je disois, qu'il ne faut pas se faire une habitude de parler beaucoup dans ses prieres, qui est une expression qu'on ne sauroit reprendre dans cette occasion, comme dans l'autre exemple ; parce qu'il s'agit ici de toutes les prieres généralement, & par conséquent d'un grand nombre d'actes, qui étant réiterés, peuvent former une habitude. (D.J.)
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PARLIERS | S. m. pl. (Jurisprud.) qui sont aussi quelquefois appellés emparliers, ou avant-parliers ; signifie quelquefois les avocats. Voyez les assises de Jerusalem, les coutumes de Beauvaisis, & le glossaire de la Thaumassiere, qui est ensuite.
Au style de Liége & ailleurs, ce sont les procureurs des parties litigantes. Voyez le glossaire de Lauriere.
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PARLOIR | S. m. dans les couvens de religieuses, c'est un petit espace ou cabinet où l'on parle aux religieux & religieuses à travers une espece de fenêtre grillée. Ce mot vient du verbe parler.
Autrefois il y avoit aussi des parloirs dans les couvens de religieux, où les novices avoient coutume de converser ensemble dans les heures de recréation ; mais il y avoit au-dessus des endroits pour écouter, d'où les supérieurs pouvoient entendre tout ce qu'on disoit. On en voit encore de pareils dans l'abbaye de S. Germain des prés.
Dans l'ordre des Feuillans, le parloir est un petit réduit, ouvert de tous côtés, situé à chaque extrémité du dortoir, où les moines parlent ensemble ; car il ne leur est pas permis de parler dans le dortoir. Voyez FEUILLANS.
PARLOIRS AUX BOURGEOIS, (Jurisprud.) c'étoit l'ancienne maison commune de ville où les bourgeois de Paris s'assembloient pour parler de leurs affaires.
Il y a eu deux maisons de ville appellées de ce nom.
La premiere étoit située dans la ville entre S. Leufroy & le grand Châtelet.
La seconde étoit au bout de l'université derriere les jacobins de la rue S. Jacques ; celle-ci étoit encore sur pié en 1504 ; elle fut cedée aux jacobins, & a été renfermée dans leur monastere. L'hôtel-de-ville fut ensuite transporté à la grève dans l'endroit où il est présentement. Voyez les antiquités de Sauval, tom. II. & III.
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PARMA | (Hist. anc. arme défensive des anciens) c'étoit un petit bouclier. Voyez BOUCLIER.
Polybe écrit que le parma étoit épais, rond, de trois piés de diametre, à l'usage des troupes armées à la légere & des cavaliers ; aussi Servius sur l'énéïde, & Virgile lui même, en fait mention comme d'une piece d'armure légere, en comparaison de celui qu'on appelloit Clypeus, quoique plus grande que le pelta. Voyez BOUCLIER & PELTA.
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PARME | LE DUCHE DE, (Géog. mod.) province d'Italie, bornée nord par le Pô : qui la sépare du Crémonese, nord-est par le Mantouan, est & sud-est par le duché de Modene, sud par la Toscane, ouest par le duché de Plaisance ; c'est un pays délicieux & fertile, dont jouit la maison d'Espagne. Parme en est la capitale. (D.J.)
PARME, (Géog. anc. & mod.) ville d'Italie, capitale du duché de même nom, avec une citadelle, un évêché suffragant de Bologne, & une université. Elle est sur la riviere de Parme, à 12 lieues S. E. de Crémone, 14 S. O. de Mantoue, 29 N. O. de Modene, 12 S. E. de Milan. Long. suivant Des Places & de la Hire, 28, 19. lat. 44d. 44'. 50''.
Cette ville est très-ancienne, & a eu l'avantage de conserver toujours le même nom sans aucun changement. Les Romains, avant & après Auguste, & les Italiens d'aujourd'hui, la nomment Parma. Elle est située dans une plaine, sur l'ancien chemin romain nommé voye flaminienne. Elle fut faite colonie romaine, en même tems que Modene, l'an 579 de Rome, & la 184 avant J. C. sous le consulat de M. Claudius Marcellus, & de Quintus Fabius Labeo. Cette ville souffrit beaucoup durant le triumvirat, par les infames cruautés des gens du parti d'Antoine. Cicéron parle d'eux avec horreur après avoir peint les Parmesans comme les plus honnêtes gens du monde. Auguste étant monté sur le trône, envoya de nouveaux colons à Parme, qui en prit par reconnoissance, le surnom de Julia Augusta Colonia.
Il paroît que dans la suite des tems, Parme éprouva les mêmes révolutions que Plaisance, après la destruction de l'empire d'Occident. Les Lombards s'en emparerent d'abord, ensuite les Visconti de Milan, le marquis d'Este, les Sforce, Louis XII., le saint Siege, les Farneses, & l'infant dom Carlos.
Cassius, qui conspira contre César, étoit de Parme. Après la journée de Philippes, il suivit le parti de Pompée, ensuite celui d'Antoine, & après la bataille d'Actium il se retira à Athenes, où Varus le fit tuer, l'an 723 de Rome, par ordre d'Octavien. Horace appelle Cassius toscan, etrusci Cassi, parce que la ville de Parme étoit anciennement de la Toscane, comme l'ont remarqué Cluvier, Lambin, Cruquius & M. Masson.
Je me rappelle que parmi les modernes, Vic (Enée), antiquaire du xvj. siecle, étoit natif de Parme. Nous avons de lui les médailles des empereurs & des impératrices, depuis Nerva & Plautine, jusqu'à Lucius Verus & Salonine ; elles sont gravées avec propreté, mais par malheur il y en a plusieurs de fausses.
Les citoyens de Parme prétendent que Macrobe (Aurelius Macrobius), qui vivoit sur la fin du iv. siecle, étoit de leur ville ; mais il avoue lui-même qu'il n'étoit pas né dans un pays où l'on parlât latin. Nous savons du-moins qu'il fut un des grands maîtres de la garde-robe de Théodose, comme il est aisé de le voir par un rescrit adressé à Florent, sur le rang de ceux qui possédoient cet office. Ses saturnales sont un agréable mélange de critique & d'antiquité, mais le style est d'un siecle où la pureté de la langue latine étoit perdue. Quoiqu'il ait copié Plutarque & Aulu-Gelle en beaucoup de choses, il ajoute aussi du sien quelques singularités qui justifient son érudition. On a encore de lui des commentaires sur le traité de Ciceron, intitulé le songe de Scipion, qu'il a traduit en grec, & que Pontanus & Meursius ont enrichi de leurs notes. (D.J.)
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PARMÉNIDÉENE | PHILOSOPHIE, ou PHILOSOPHIE DE PARMENIDES, (Hist. de la Philosophie) Parménide fut un des Philosophes de la secte Eléatique. Voyez ce que nous en avons dit à l'article ELEATIQUE, SECTE. Selon lui, la Philosophie se considéroit ou rélativement à l'opinion & à la sensation ; ou relativement à la vérité. Sous le premier point de vûe, la matiere étant en vicissitude perpétuelle, & les sens imbécilles & obtus, ce que l'on assûroit lui paroissoit incertain, & il n'admettoit de constant & d'assûré que ce qui étoit appuyé sur le témoignage de la raison : c'est-là toute sa logique. Sa métaphysique se réduisoit au petit nombre d'axiomes suivant. Il ne se fait rien de rien. Il n'y a qu'un seul principe des choses. Il est immobile & immuable : c'est l'Etre universel : il est éternel ; il est sans origine ; sa forme est sphérique ; il est le seul Etre réel : le reste n'est rien ; rien ne s'engendre, rien ne périt. Si le contraire nous paroît, c'est que l'aspect des choses nous en impose. Sa physique n'est guere plus étendue, ni plus savante. Il regardoit le froid & le chaud comme les principes de tout. Le feu ou le chaud, c'est la même chose. La terre ou le froid, c'est la même chose. Le feu est la cause efficiente ; la terre est la cause matérielle. La lune emprunte du soleil sa lumiere, &, à proprement parler, elle brille du même éclat. La terre est ronde : elle occupe le centre : elle est suspendue en un équilibre, que sa distance égale de tout ce qu'on peut regarder comme une circonférence, entretient. Elle peut être ébranlée, mais non déplacée. Les hommes sont sortis du limon, par l'action du froid & du chaud. Le monde passera ; il sera consumé. La portion principale de l'ame réside dans le coeur.
Il s'occupa beaucoup de la dialectique, mais il ne nous reste rien de ses principes, on lui attribue l'invention du sophisme de Zénon, connu sous le nom d'Achille.
Platon nous a laissé un dialogue intitulé, le Parménide, parce que le philosophe Eléatique y fait le rôle principal. Voici les principes qu'on y établit.
Il y a en tout unité & multitude. L'unité est l'idée originelle & premiere. La multitude ou pluralité est des individus ou singuliers.
Il y a des idées ou certaines natures communes qui contiennent les individus qui en sont les causes, qui les constituent & qui les dénomment.
Il y a des especes, & c'est une unité commune dans chaque individu qui les constitue.
Les individus ou singuliers ne peuvent ni se concevoir, ni être conçus relativement à l'espece que par l'unité commune. Autre chose est l'espece, autre chose les individus. L'espece est l'unité qui les comprend.
Ces idées sont dans notre entendement comme des notions ; elles sont dans la nature comme des causes.
Les idées dans la nature donnent aux choses l'existence & la dénomination.
Il n'y a rien qu'on ne puisse réduire à l'unité de l'idée ; ces choses en elles-mêmes sont donc réellement invisibles.
Il y a l'idée du beau, c'est la même que celle du bon ; il y a les choses ou leurs idées.
La premiere est Dieu : les autres sont les especes des choses dans l'ordre de la nature.
Il y a dans ces idées secondaires une sorte d'unité, le fondement des singuliers.
L'espece distribuée en plusieurs individus séparés est une, toute en elle, non-distincte d'elle.
Son étendue a plusieurs individus, ne rend point son idée divisible. L'idée a son essence en soi, l'individu a son idée propre : l'idée, comme telle, n'est donc pas un simple rapport.
Les notions que nous avons sont conformes aux idées des choses ; elles rendent leurs formes éternelles ; mais ce ne sont que des images, & non des êtres réels, c'est le fondement du commerce de la nature & de l'entendement.
La premiere idée archetipe a ses propriétés, comme d'être simple ou une, sans parties, sans figure, sans mouvement, sans limites, infinie, éternelle, cause de l'existence des choses & de leurs facultés, supérieure à toute essence, diffuse en tout, & circonscrivant la multitude dans les limites de l'unité.
Les idées secondaires ont aussi leurs propriétés, comme d'être unes, mais finies, d'exister à la vérité dans l'entendement divin, mais de se voir dans les individus, comme l'humanité dans l'homme : elles sont unes & diverses, unes en elles-mêmes, diverses dans les singuliers : elles sont en mouvement & en repos ; elles agissent par des principes contraires, mais il est un lien commun de similitude qui lie ces contraires ; il y a donc quelque chose d'existant qui n'est pas elles : elles agissent dans le tems, mais quelle que soit leur action, elles demeurent les mêmes.
Toute cette métaphysique a bien du rapport avec le système de Leibnitz, & ce philosophe ne s'en défendoit guere.
On peut la réduire en peu de mots à ceci. L'existence differe de l'essence ; l'essence des choses existantes est hors des choses : il y a des semblables & des dissemblables. Tout se reporte à certaines classes & à certaines idées. Toutes les idées existent dans une unité ; cette unité, c'est Dieu. Toutes les choses sont donc unes. La science n'est pas des singuliers, mais des especes ; elles different des choses existentes. Puisque les idées sont en Dieu, elles échappent donc à l'homme ; tout lui est incompréhensible & caché ; ses notions ne sont que des images, des ombres.
Nous craignons que Platon n'ait fort altéré la philosophie de Parménide. Quoiqu'il en soit, voilà ce que nous avons cru devoir en exposer ici, avant que de passer au tems où les opinions de ce philosophe reparurent sur la scène, élevées sur les ruines de celles d'Aristote & de Platon, par un homme qui n'est pas aussi connu qu'il le méritoit, c'est Bernardinus Telesius.
Telesius naquit dans le royaume de Naples, en 1508, d'une famille illustre. On lui reconnut de la pénétration : on l'encouragea à l'étude des lettres & de la philosophie ; & l'exemple & les leçons d'Antoine Telesius son oncle ne lui furent pas inutiles. Il passa ses premieres années dans les écoles de Milan. De-là il alla à Rome, où il cultiva tout ce qu'il y avoit d'hommes célebres. La nécessité de prendre possession d'un bénéfice qu'on lui avoit conféré, le rappella dans sa patrie. Il y vivoit ignoré & tranquille lorsqu'elle fut prise & saccagée par les François. Telesius fut jetté dans une prison où il auroit perdu la vie, sans quelques protecteurs qui se souvinrent de lui & qui obtinrent sa liberté. il se réfugia à Padoue, où il se livra à la poésie, à la Philosophie & à la Morale. Il fit des progrès surprenans dans les Mathématiques, il s'attacha à perfectionner l'Optique, & ce ne fut pas sans succès. De Padoue il revint à Rome, où il connut Ubald Bandinelli & Jean della Casa : il obtint même la faveur de Paul IV. De retour de Rome, il épousa Diane Sersali qui lui donna trois enfans. La mort prématurée de sa femme le toucha vivement, & le ramena à la solitude & à l'étude des sciences auxquelles les affaires domestiques l'avoient arraché. Il relut les anciens ; il écrivit ses pensées, & il publia l'ouvrage intitulé, de natura juxtà propria principia. Cet ouvrage fut applaudi ; les Napolitains l'appellerent dans leurs écoles. Il céda à leurs sollicitations, & il professa dans cette ville la nouvelle doctrine : il ne s'en tint pas là ; il y fonda une espece d'académie. Ferdinand Carafe se l'attacha. Il étoit aimé, honoré, estimé, heureux ; lorsque des moines qui souffroient impatiemment le mépris qu'il faisoit d'Aristote dans ses leçons & ses écrits, s'éleverent contre lui, le tourmenterent & lui ôterent le repos & la vie. Il mourut en 1588 ; il publia dans le cours de ses études d'autres ouvrages que celui que nous avons cité.
Principes de la physique de Telesius. Il y a trois principes des choses ; deux agens & incorporels, c'est le froid & le chaud ; un instrumental & passif, c'est la matiere.
Le chaud mobile de sa nature est antérieur au mouvement d'une priorité de tems, d'ordre & de nature ; il en est la cause.
Le froid est immobile.
La terre & toutes ses propriétés sont du froid.
Le ciel & les astres sont du chaud.
Les deux agens incorporels, le froid & le chaud, ont besoin d'une masse corporelle qui les soutienne, c'est la matiere.
La quantité de la matiere n'augmente ni ne diminue dans l'univers. La matiere est sans action ; elle est noire & invisible de sa nature ; du reste propre à se prêter à l'action des deux principes.
Ces deux principes actifs ont la propriété de se multiplier & de s'étendre.
Ils sont toujours opposés, & tendent sans cesse à se déplacer.
Ils ont l'un & l'autre la faculté de connoître & de sentir non-seulement leurs propres actions, leurs propres passions mais les actions & les passions de leur antagoniste.
Ils ont d'abord engendré le ciel & la terre : le soleil a fait le reste.
La terre a produit les mers, & les produit tous les jours.
C'est à la chaleur & à la diversité de son action & de l'opposition du principe contraire qu'il faut attribuer tout ce qui différencie les êtres entr'eux.
Il nous est impossible d'avoir des notions fort distinctes de ces effets.
Le ciel est le propre séjour de la chaleur : c'est-là qu'elle s'est principalement retirée, & qu'elle est à l'abri des attaques du froid.
Des lieux placés au-dessous des abysmes de la mer servent d'asyle au froid ; c'est-là qu'il réside, & que la chaleur du ciel ne peut pénétrer.
La terre a quatre propriétés principales, le froid, l'opacité, la densité & le repos.
De ces quatre principes deux président tranquilles dans ses entrailles, deux autres se combattent perpétuellement à sa surface.
Ce combat est l'origine de tout ce qui se produit entre le ciel & la terre, sans en excepter les corps qui la couvrent & qu'elle nourrit.
Ces corps tiennent plus ou moins du principe qui après domine dans leur formation.
Le chaud a prédominé dans la production du ciel & des corps célestes.
Le ciel & les astres ont un mouvement qui leur est propre. Ce mouvement varie ; mais ces phenomenes ne supposent aucune intelligence qui y préside.
Le ciel est lucide de sa nature : les astres le sont aussi, quoiqu'il y ait entr'eux plusieurs différences.
Les plantes ne sont pas sans une sorte d'ame : cette ame est un peu moins subtile que celle des animaux.
Il y a différens degrés de perfection entre les animaux.
L'ame de l'homme est de Dieu. C'est lui qui la place dans leur corps, à mesure qu'ils naissent : c'est la forme du corps ; elle est incorporelle & immortelle.
Tous les sens, excepté celui de l'ouie, ne sont qu'un toucher.
La raison est particuliere à l'homme : les animaux ne l'ont pas.
Ceux qui désireront connoître plus au long le systême de Telesius, & ce qu'il a de conforme avec les principes de Parménide, peuvent recourir à l'ouvrage du chancelier Bacon ; ils y verront comment des efforts que le froid & le chaud font pour se surmonter mutuellement & s'assembler, la terre pour convertir le soleil, & le soleil pour convertir la terre ; efforts qui durent sans cesse & qui n'obtiennent point leur fin, sans quoi le principe du repos ou celui du mouvement s'anéantissant, tout finiroit : comment, dis-je, le froid & le chaud ayant des vicissitudes continuelles, il en résulte une infinité de phénomenes différens.
Ces phénomenes naissent ou de la force de la chaleur, ou de la disposition de la matiere, ou de la résistance ou du concours des causes opposées.
La chaleur varie en intensité, en quantité, en durée, en moyen, en succession.
La succession, varie selon la proximité, l'éloignement, l'allée, le retour, la répétition, les intervalles. En s'affoiblissant la chaleur paroît avoir quelque chose de commun avec le froid & en produire les effets.
C'est à la chaleur du soleil qu'il faut principalement attribuer les générations.
Cet astre atteint à toutes les parties de la terre, & n'en laisse aucune sans chaleur.
Il raisonne du froid, comme il a raisonné du chaud.
Il y distingue des degrés & des effets proportionnés à ces degrés : ces effets sont les contraires des effets du chaud.
Jettant ensuite les yeux sur la matiere subjuguée alternativement par les deux principes, il y apperçoit la propriété d'augmenter, de diminuer & de changer la chaleur.
Ou la chaleur y préexistoit, ou non ; si elle y préexistoit, elle s'accroît de celle qui survient.
Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse : ce qui précede suffit pour montrer combien on peut déduire d'effets d'un si petit nombre de principes, & combien aussi il en reste d'inexplicables.
Mais ce qui jette particulierement du ridicule sur les idées de Telesius, c'est que la terre, ce point de l'espace devient le théâtre d'une guerre qui décide de l'état de l'univers.
Ce philosophe est moins à louer de l'édifice qu'il a bâti, que du succès avec lequel il a attaqué celui qui subsistoit de son tems.
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PARMESAN | FROMAGE, (Diete) c'est le nom qu'on donne à un fromage fort estimé des Italiens, qui se fait dans le Parmesan, d'où l'on en transporte dans toutes les parties de l'Europe. Ce pays est rempli d'excellens pâturages étant arrosé par le Pô. Les vaches y donnent beaucoup de lait, au point qu'un laboureur qui a cinquante vaches peut faire quelquefois jusqu'à cent livres de fromage par jour. On compte du fromage Parmesan de trois especes ; le fromaggio di forma a deux palmes de diametre & environ sept à huit pouces d'épaisseur. Le fromaggio di robiole & le fromaggio di robiolini, sont moins grands. On colore quelquefois ces fromages avec du safran ; pour manger ce fromage dans sa bonté, il faut qu'il ait été gardé pendant trois ou quatre ans.
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PARNAGE | S. m. (Jurisprud.) est la même chose que panage. Voyez ci-devant PANAGE. (A)
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PARNASSE | S. m. (Géog. anc.) en latin Parnassus ou Parnasus, selon Ptolomée, liv. III. c. xv. voilà
Ce mont & son double sommet
Qui s'alloit cacher dans la nue,
Et sur qui Virgile dormoit.
Cette montagne de la Phocide étoit consacrée aux Muses, à Apollon & à Bacchus. Les Grecs modernes la nomment licaoura.
Presque tous les poëtes lui donnent deux sommets. Lucain, l. V. vers. 73. dit :
Parnassus gemino petit aethera colle.
Mons Phoebo, bromeoque sacer.
Et Ovide, Métamorph. liv. I. vers. 316.
Mons ibi verticibus petit arduus astra duobus.
Nomine Parnassus, superat que cacumine nubes.
Ce fut sur le Parnasse qui tiroit son nom du héros Parnassus, fils de Neptune & de la nymphe Cléodore, que Deucalion & Pyrrha se retirerent du tems du déluge, disent les mythologues ; & c'est vers le lieu où étoit la ville de Delphes, aujourd'hui Castri, que l'on peut justifier le nom de biceps, ou à deux sommets qu'on a donné à cette montagne. De l'entre-deux de ces sommets sort la fontaine Castalienne dont l'eau faisoit devenir poëtes ceux qui en buvoient.
M. Spon rapporte que cette fontaine coule dans le roc où elle fait de belles cascades. Au fond de l'entre-deux du rocher, ajoute-t-il, nous apperçumes trente piés au-dessus de notre tête une grande ouverture ; c'étoit là l'antre des nymphes que les poëtes appelloient antrum Corycium ; l'eau de la fontaine est excellente, le soleil pouvant à peine y donner un quart d'heure en tout le jour, à cause de la hauteur de la roche, qui est derriere & aux deux côtés. Au-dessous de la source de cette fontaine, il y a un bain quarré, à trois ou quatre degrés taillés dans le roc.
M. Spon fut curieux de visiter la cîme de deux croupes du Parnasse, où il ne trouva que des rochers aussi anciens que le monde ; sans aucun autre bâtiment, qu'une dixaine de huttes de bergers ; ensuite poursuivant son chemin sur le Parnasse en tirant vers le nord, il avança cinq ou six milles dans des fonds de vallons & de bocages de pins, propres à la solitude que demande la poésie. Du reste, c'est un terroir sec & stérile ; ce qui nous apprend que les anciens ne logeoient pas les Muses dans des pays gras & fertiles, dont le séjour délicieux auroit corrompu l'austérité des moeurs.
Après ces valons, notre voyageur entra dans une plaine de sept ou huit milles de tour, où il vit quelques terres labourées ; ensorte qu'il avoit peine à croire qu'il fut sur une haute montagne. Il s'arrêta quelque tems auprès d'une belle source, qui pousse deux ou trois bouillons de la grosseur de la tête, & fait en sortant un ruisseau de sept à huit piés de large ; qui roule deux ou trois cent pas parmi les cailloux, & se va jetter dans un marais au milieu de la plaine.
Cette plaine s'étend jusqu'au pié du Licaoura, qui est ordinairement couvert de neiges toute l'année ; il y a de cet endroit encore pour deux heures à monter jusqu'au sommet ; desorte que le Parnasse est une des plus hautes montagnes, non-seulement de la Grece, mais du monde. On le découvre de la forteresse de Corinthe, qui en est éloignée de plus de soixante milles. S'il étoit détaché des montagnes voisines comme le mont Athos, il paroîtroit de plus loin. Il a de tour une grande journée de chemin, & n'est habité que vers le bas. Le Parnasse a au midi la montagne de Cyrphis ; au levant la montagne d'Hélicon ; au nord, la plaine où étoit autrefois Etatea & la riviere Cephissus ; & au couchant, la plaine Salona.
Je regrette la perte de la description du mont Parnasse qu'avoit fait la Guilletiere, il est peu d'écrivains plus agréables, & M. Spon ne l'a point remplacé. (D.J.)
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PARNASSIDES | (Mythol.) surnom qu'on donnoit aux Muses, à cause du séjour qu'elles faisoient, dit-on, sur le parnasse.
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PARNASSIE | PARNASSIA, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de pétales inégaux, frangés & disposés en rond. Le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit membraneux & le plus souvent ovoïde, qui n'a qu'une seule capsule & qui renferme plusieurs semences oblongues attachées au placenta, qui sont au nombre de quatre. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Ses feuilles sont arrondies & disposées circulairement ; le calice est composé de cinq pétales, la fleur est en rose, seule sur chaque tige, & composée de feuilles de différentes grandeurs & frangées ; l'ovaire se change en un fruit de figure conique, partagé en trois ou quatre loges faites en forme de bassin, & remplies de semences fort menues. Tournefort ne compte qu'une seule espece de parnassie, qu'il nomme parnassia palustris & vulgaris, I. R. H. 246. C'est le gramen parnassi flore albo simplici, C. B. P. 309.
Cistus humilis, palustris, hederae folio, perfoliata, nostras. Pluken, Almag. 108.
Ses feuilles sont pointues comme celles des violettes, mais plus petites. Il s'éleve d'entr'elles plusieurs tiges, longues comme la main, menues, anguleuses, portant au sommet une seule fleur en rose. Sa racine est d'un blanc rougeâtre, & d'un goût astringent : cette plante croît aux lieux humides, fleurit au mois d'Août, & passe pour rafraîchissante ; on lui a donné le nom de parnassie, à cause de son rapport à une plante de ce nom, dont parle Dioscoride, & qui croissoit sur le mont parnasse. (D.J.)
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PARNA | ou PERNAU, (Géog. mod.) petite ville de l'empire Russien, dans la Livonie ; elle a été prise & reprise autrefois par les Suédois, les Polonois & les Moscovites. Elle est près de l'embouchure de la petite riviere de Parnau ou Pernau, à 10 lieues S. O. de Revel, 32 N. E. de Riga. Long. 42. 2. lat. 58. 26.
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PARNES | (Géog. anc.) montagne de l'Attique, au-dessus d'Eleusis & d'Acharnoe. Stace, Theb. liv. XII. vers. 620. dit :
Dives & Oegaleos nemorum Parnesque benignus
Vitibus & pingui melior Lycabessus olivâ.
Le sommet de cette montagne étoit couvert de bois & rempli de bêtes sauvages ; le bas étoit planté d'arbres fruitiers & de vignes. Athenée, l. V. écrit parnetha pour parnes.
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PARNI | (Géog. anc.) peuples de la Margiane. Ptolomée, l. VI. c. x. les place au-dessous des Massagètes ; & Strabon, l. XI. p. 508. dit que les nomades que l'on trouvoit à la gauche en entrant dans la mer Caspienne, étoient appellés dax par les Romains, & surnommés pani.
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PARNOPIUS | (Mythol.) surnom donné à Apollon dans l'Attique, parce qu'il avoit délivré le pays des sauterelles dont il étoit infecté. Les Athéniens en reconnoissance de ce bienfait, lui éleverent une statue de bronze, faite de la main de Phidias, avec cette inscription à Apollon Parnopius, en grec, sauterelles. (D.J.)
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PAROCHETEUSIS | S. f. (Lexicog. Medicin.) , de , & , de , tuyau ou conduit ; Hippocrate employe ce mot pour signifier une dérivation ou le détour qu'on fait prendre aux humeurs qui coulent sur une partie, ou qui s'y arrêtent, en les déterminant vers une autre qui n'en est pas éloignée.
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PAROCHUS | S. m. (Littérat.) parochi étoient ceux qui à Rome, fournissoient aux princes & aux ambassadeurs étrangers, ce qu'on leur donnoit aux dépens du public pour leur subsistance, & qui dans les provinces, fournissoient aux magistrats qui passoient, le sel, le bois, le foin, &c. c'est pourquoi Cicéron dans une de ses lettres, appelle Sextius parochum, un hôte banal, parce qu'il s'empressoit ordinairement pour loger chez lui les étrangers de distinction qui venoient à Rome.
Les dépenses que faisoient les parochi soit à Rome, soit dans les provinces, pour défrayer les ambassadeurs ou ceux qui voyageoient par autorité publique, se prirent d'abord sur l'état ; ensuite on établit un impôt public pour y subvenir. Ces sortes de commissaires furent nommés parochi, d'un mot grec qui signifie fournir. Le même terme veut dire aussi dans les auteurs un hôte qui loge, qui traite, qui fait les frais d'un festin. (D.J.)
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PARODIE | S. f. (Belles Lettres) maxime triviale ou proverbe populaire. Voyez ADAGE, PROVERBE. Ce mot vient du grec & , via, voie, c'est-à-dire qui est trivial, commun & populaire.
Parodie, , parodus, se dit aussi plus proprement d'une plaisanterie poétique, qui consiste à appliquer certains vers d'un sujet à un autre pour tourner ce dernier en ridicule, ou à travestir le sérieux en burlesque, en affectant de conserver autant qu'il est possible les mêmes rimes, les mêmes mots & les mêmes cadences. Voyez BURLESQUE. C'est ainsi que M. Chambers a conçu la parodie, mais ses idées à cet égard ne sont point exactes.
La parodie a d'abord été inventée par les Grecs de qui nous tenons ce terme, dérivé de & , chant ou poésie. On regarde la batrachomiomachie d'Homere comme une parodie de quelques endroits de l'Iliade, & même une des plus anciennes pieces en ce genre.
M. l'abbé Sallier de l'académie des belles-lettres, a donné un discours sur l'origine & le caractere de la parodie, où il dit en substance que les rhéteurs grecs & latins ont distingué différentes sortes de parodies. On peut, dit Ciceron, dans le second livre de l'orateur, insérer avec grace dans le discours un vers entier d'un poëte ou une partie de vers, soit sans y rien changer, soit en y faisant quelque leger changement.
Le changement d'un seul mot suffit pour parodier un vers ; ainsi le vers qu'Homere met dans la bouche de Thétis pour prier Vulcain de faire des armes pour Achille, devint une parodie dans la bouche d'un grand philosophe, qui peu content de ses essais de poésie, crut devoir en faire un sacrifice au dieu du feu. La déesse dit dans Homere :
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PARODIQUE | (Géométr.) degrés parodiques ; dans une équation, c'est le nom que quelques anciens auteurs d'algebre donnent aux différens termes qui se suivent sans interruption dans une équation ordonnée, du second, du troisieme, du quatrieme degré, &c. & dont les exposans croissent ou décroissent en progression arithmétique. Voyez ÉQUATION.
Ainsi x 3 + a x 2 + b x 1 + c = 0, est une équation du troisieme degré, où il ne manque point de termes, qui a tous ses degrés parodiques, & où les exposans descendent sans interruption, en progression arithmétique, 3. 2. 1. Au lieu de se servir de cette expression, pour indiquer de pareilles équations, on dit ordinairement que l'équation a tous ses termes. Voyez TERME. (O)
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PAROENNE | S. f. (Rhétoriq.) figure du genre de la parabole ; elle est seulement plus concise & plus serrée.
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PAROFFERTE | S. f. (Jurisprud.) terme de Coutume, synonyme à présentation ou offre. Voyez OFFRE.
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PAROI | S. f. (Gramm.) mot suranné qui signifie muraille ; il vient de paries : l'Ecriture appelle les hypocrites des parois blanchies. On distingue dans les fourneaux à fondre la mine-de-fer, de fausses parois.
PAROIS, PARIETES, en Anatomie ; c'est un terme dont on se sert pour exprimer les clôtures ou membranes qui ferment les parties creuses du corps, surtout celle du coeur, du thorax, &c. Voyez. COEUR & THORAX.
Les parois des deux ventricules du coeur ne sont pas d'une même force & d'une même épaisseur, le gauche l'emporte sur le droit à cause de ses fonctions qui sont de faire passer le sang dans toutes les parties du corps, au lieu que le droit ne le fait couler que dans les poumons. Voyez VENTRICULE.
PAROI, (Hydr.) se dit de tous les côtés intérieurs ou bords d'un tuyau.
PAROIS, (Eaux & Forêts) se dit dans les forêts de plusieurs arbres qui sont marqués seulement du marteau de l'arpenteur entre des piés corniers, qui séparent les différentes coupes d'un bois, ou les bois de différens propriétaires. (D.J.)
PAROIS DU SABOT, (Maréchal) on appelle ainsi l'épaisseur des bords de la corne. Voyez SABOT.
PAROIR, s. m. en terme de Boutonnier, il ne differe du traçoir, ou de l'outil à tracer, qu'en ce qu'il est plus fini & plus creux, & qu'il sert à parer les moules, voyez MOULE. Il y en a de toutes les grandeurs de bouton ; mais sa forme ne change jamais. V. TRAÇOIR.
PAROIR, en terme de Chauderonnier, sont des petites lames tranchantes & diversement taillées, & montées à chaque bout d'un long bâton dont on se sert pour gratter les pieces qu'on veut étamer, & blanchir celles qui sont neuves. Voyez BLANCHIR. Voyez les Pl. du Chauderon.
PAROIR, (Corroyeur) est un instrument sur lequel les Corroyeurs, & autres ouvriers en cuir, parent les peaux qu'ils préparent. Le paroir est une sorte de chevalet, à la partie supérieure & à la traverse duquel est étendue une corde sous laquelle on engage un bout du cuir, qui par l'autre bout est attaché avec une tenaille à la ceinture de l'ouvrier : par ce moyen l'ouvrier peut lâcher à son gré la peau, à mesure qu'il la ratisse avec la lunette. Voyez CORROYER, & nos Planches du Corroyeur, avec leur explication. Cette tenaille est dentée pour mieux retenir le cuir entre ses machoires ; les deux branches qui s'écartent l'une de l'autre, sont serrées par le moyen d'une boucle ou anneau (Voyez TENAILLE A BOUCLE), sur lequel passe un cordon qui s'attache à la ceinture de l'ouvrier, ensorte que plus il tire la tenaille à lui, plus il fait serrer le cuir par les machoires de la tenaille.
PAROIR, (Maréchal) instrument avec lequel les Maréchaux parent les piés des chevaux : on l'appelle aussi boutoir.
PAROIR, terme de Tonnelier, c'est un outil de fer dont ces ouvriers se servent pour parer en-dedans les douves d'une futaille assemblée. Cet instrument est fait de même que l'essette, à l'exception qu'il n'a point de marteau, & que son manche de bois est plus court que celui de l'essette ; il n'a pas plus de 5 ou 6 pouces de longueur.
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PAROISSE | S. f. (Théolog.) qui signifie proprement prochaine demeure, & en latin parochia.
C'est une portion d'un diocèse, d'un district, une certaine étendue de pays gouvernée par un prêtre en titre, qu'on nomme curé. Voyez DIOCESE & CURE.
Selon le P. Thomassin il ne paroît pas par les monumens ecclésiastiques des trois ou quatre premiers siecles, qu'il y eût alors de paroisses, ni par conséquent de curés. On ne voit pas, dit-il, le moindre vestige d'église alors subsistante, où l'évêque ne présidât point. S. Justin dit nettement, dans sa seconde apologie, que le dimanche les fideles de la ville & de la campagne s'assemblent dans le même lieu, & que l'évêque y offre le sacrifice de l'eucharistie, qu'on le distribue à ceux qui se trouvent présens, & qu'on l'envoie aux absens par les diacres. Le texte de S. Justin ne porte pas précisement l'évêque, mais le président de l'assemblée, & ç'auroit bien pu être un simple prêtre. Quoi qu'il en soit, cet auteur ajoute que ce ne fut que vers la fin du iv. siecle qu'on commença à ériger des paroisses en Italie. Il reconnoît pourtant que dès le tems de Constantin il y avoit à Alexandrie des paroisses établies à la ville & à la campagne. S. Epiphane nous apprend qu'il y avoit dans cette capitale de l'Egypte, plusieurs quartiers nommés laures, nom qu'on donna depuis aux monasteres, dans chacun desquels il y avoit une église, où résidoient plusieurs prêtres, mais dont un seul étoit le président. S. Athanase ajoute, que dans les grands villages il y avoit des églises & des prêtres pour les gouverner, & il en compte dix dans le pays appellé Maréotes. Il dit enfin qu'aux jours de fête les plus solemnels les curés d'Alexandrie ne célébroient point la messe, mais que tout le peuple s'assembloit dans une église pour assister aux prieres & aux sacrifices offerts par l'évêque. Discipline ecclés. part. I. l. I. ch. xxj. & xxij.
Bingham, qui a davantage approfondi ce qui concerne l'origine & l'institution des paroisses, montre qu'elles sont devenues nécessaires à proportion que le christianisme s'est étendu. En effet, à mesure que le nombre des fideles s'est accru, il a fallu multiplier celui des églises & des ministres pour célébrer les saints mysteres, conférer les sacremens & administrer l'eucharistie, sur-tout dans les grandes villes. Les mêmes raisons qui ont engagé à former de nouveaux diocèses & à multiplier les évêques, ayant également porté ceux-ci à ériger les paroisses, & à en confier le gouvernement à des prêtres éprouvés, de-là il conclut que dès le tems même des apôtres, ou dumoins dans les premiers siecles, on avoit érigé des paroisses dans les grandes villes, telles que Jérusalem & Rome ; puisqu' Optat nous apprend que dans cette derniere ville, il y avoit déjà quarante églises ou basiliques avant la persécution de Dioclétien, c'est-à-dire avant la fin du iij. siecle. Les moindres villes avoient, selon lui, leurs églises paroissiales, gouvernées par des prêtres & des diacres, situées à la campagne dans des villages ou hameaux, où les fideles se rassembloient dans les tems de persécution avec moins de danger qu'ils n'eussent fait dans les villes, comme il paroît par les conciles d'Evire & de Néocésarée, tenus vers ce tems-là, d'où il s'ensuit qu'au-moins les paroisses, soit à la ville, soit à la campagne, ont été établies d'assez bonne heure, non pas toutes à la fois, mais selon l'exigence des cas & la prudence des évêques. Le concile de Vaison, tenu en 542, fait expressément mention des paroisses de campagne, & accorde aux prêtres qui les gouvernent le pouvoir de prêcher. On les établit de même & successivement, selon le besoin, dans le reste des Gaules & dans les pays du Nord. Quant à l'Angleterre, Bingham observe que du tems des Saxons le nom de paroisse y étoit inconnu dans le sens où nous le prenons aujourd'hui : car alors il signifioit un diocèse entier, ou le district soumis à la jurisdiction d'un évêque. Ce ne fut qu'après la mission du moine S. Augustin, & sous le pontificat d'Honorius IV. archevêque de Cantorberi, ou même sous Théodose son successeur, vers l'an 680, qu'on érigea des paroisses dans les villes & les villages ; & en 694 on avoit déjà assigné aux curés les dixmes & autres pareils revenus pour leur propre subsistance.
Il avoue cependant que dans les grandes villes, telles que Rome, Alexandrie, &c. les paroisses n'étoient pas gouvernées par des curés en titre, mais par des prêtres que les évêques tiroient de leur clergé, & qu'ils changeoient ou révoquoient selon leur volonté. Il paroît que c'est aussi le sentiment de M. de Valois, dans ses notes sur le xv. ch. du I. liv. de Sozomene. Le P. Petau pense au contraire qu'ils étoient attachés chacun au service d'une église particuliere. La coutume que soutiennent Bingham & M. de Valois, avoit encore lieu à Constantinople du tems de Justinien, où trois nouvelles églises construites dans l'enceinte de cette ville, n'avoient point encore de prêtres propres ou de curés, mais étoient gouvernées par des prêtres qu'on y envoyoit de la grande église.
D'abord les paroisses n'avoient point de revenus propres à elles, mais les offrandes qu'on y faisoit, les dixmes, rentes ou autres biens à elles appartenans par acquisition, donation ou autrement, étoient mis entre les mains de l'évêque qui se chargeoit de pourvoir à l'entretien des paroisses, & à la subsistance des prêtres qui les desservoient. Depuis, ces biens furent abandonnés aux églises paroissiales & aux curés, à condition d'en payer une portion chaque année ou à l'évêque, ou à l'église matrice, c'est-à-dire à la cathédrale ou à la métropole ; de-là les dons ou droits qu'on nomma cathédratiques & pentecostales. Voyez CATHEDRATIQUE & PENTECOSTALE.
Cela dura dans l'église grecque jusqu'au milieu du cinquieme siecle ; dans celle d'occident, les évêques d'Espagne furent les premiers qui au concile de Brague, tenu en 572, remirent aux paroisses la troisieme partie du revenu qu'eux, évêques, avoient coutume de retenir, & l'appliquerent à l'entretien du luminaire & aux réparations, se réservant seulement deux sols pour l'honoraire de leur visite, duos solidos. Dans les églises des Gaules & de Germanie, les evêques se réserverent encore assez long-tems le quart du revenu des paroisses, comme on voit par les capitulaires de nos rois. Les évêques d'Angleterre imiterent ceux d'Espagne ; mais Bingham ne fixe point l'époque de l'abolition de l'ancien usage. Il remarque seulement que les évêques de l'île de Man, qui n'avoient plus gueres de commerce avec ceux d'Angleterre, n'abandonnerent pas de même leurs anciens droits. Bingham, orig. ecclés. t. III. l. IX. c. viij. §. 1. 2. 3. 4. & seq.
Aujourd'hui, parmi nous, les revenus tant fixes que casuels des paroisses, sont distingués de ceux des curés ou vicaires perpétuels, qui gouvernent ces paroisses en titre, & ils sont administrés du consentement des curés & des paroissiens, par des receveurs comptables, qu'on nomme marguilliers. Voyez MARGUILLIERS, OECONOMES, DEFENSEURS.
PAROISSE, (Jurisprud.) les marques qui distinguent les paroisses des autres églises sont les fonts baptismaux, le cimetiere, la desserte de l'église faite par un curé, & la perception des dixmes. Il y a néanmoins quelques-unes de ces marques qui sont aussi communes à d'autres églises ; mais il n'y a que les paroisses qui soient régies par un curé.
Les droits des paroisses sont que les fideles doivent y assister aux offices & instructions ; que pendant la grande messe paroissiale on ne doit point célebrer de messes particulieres ; que chacun doit rendre le pain béni à son tour, s'acquiter du devoir paschal dans sa paroisse ; que le curé de la paroisse, ou celui qui est commis par lui, peut seul administrer les sacremens aux malades ; enfin que chacun doit être baptisé, marié, & inhumé dans la paroisse où il demeure actuellement. Les registres que les curés sont obligés de tenir des baptêmes, mariages & sépultures, sont ce que l'on appelle vulgairement les régistres des paroisses.
Autrefois les curés avant de dire la messe, interrogeoient les assistans, pour savoir s'ils étoient tous de la paroisse ; s'il s'en trouvoit d'étrangers, ils les renvoyoient dans leur église.
Trois choses peuvent donner lieu à l'érection des nouvelles paroisses.
1°. La nécessité & l'utilité qu'il y a de le faire, par rapport à la distance des lieux, l'incommodité que le public souffre pour aller à l'ancienne paroisse, & la commodité qu'il trouvera à aller à la nouvelle.
2°. La requisition des personnes de considération, la charge par ces personnes de doter la nouvelle église.
3°. La requisition des peuples, auxquels on doit procurer tous les secours spirituels autant qu'il est possible.
Avant de procéder à une nouvelle érection, il est d'usage de faire une information de commodo & incommodo.
Dix maisons sont suffisantes pour former une paroisse ; le concile d'Orléans, tenu dans le sixieme siecle, & celui de Tolede, l'ont ainsi décidé.
C'est à l'évêque à procéder à la division & érection des paroisses.
La direction des paroisses dépendantes des monasteres, exempts ou non exempts, appartient à l'évêque diocésain privativement aux religieux.
Les anciennes paroisses qui ont été démembrées pour en former de nouvelles, sont considérées à l'égard de celles ci, comme meres-églises, ou églises matrices ; & les nouvelles paroisses sont quelquefois qualifiées de filles ou fillettes à l'égard de l'église matrice.
Quelques paroisses ont aussi des annexes & succursales.
Il y avoit autrefois des paroisses personnelles, & non territoriales, c'est-à-dire que la qualité des personnes les attachoit à une paroisse, & le curé avoit droit de suite sur ses paroissiens. L'exemple le plus singulier que l'on trouve de ces paroisses qui étoient personnelles, est celui des églises de Sainte-Croix & de Saint-Maclou, de la ville de Mantes. Suivant une transaction passée entre les deux curés, l'église de Sainte-Croix étoit la paroisse des nobles & des clercs ; dès qu'un homme avoit été tonsuré, il devenoit dépendant de cette paroisse, & quand même il venoit à se marier, lui & toute sa famille demeuroient toujours attachés à la même paroisse ; mais cette transaction fut avec juste raison déclarée abusive par arrêt du grand conseil de l'année 1677, qui ordonna que ces deux paroisses seroient divisées par territoire, & l'exécution en fut ordonnée par un autre arrêt du 31 Mai 1715.
Une maison bâtie sur les confins de deux paroisses est de celle en laquelle se trouve la principale porte & entrée de la maison.
L'union de plusieurs paroisses ensemble ne peut être faite que par l'évêque ; il faut qu'il y ait nécessité ou utilité, & ouïr les paroissiens.
On fait au prône des paroisses la publication de certains actes, tels que les mandemens & lettres pastorales des évêques.
Les criées de biens saisis se font à la porte de l'église paroissiale.
On appelle seigneur de paroisse celui qui a la haute justice sur le terrein où l'église paroissiale se trouve bâtie, quoiqu'il ne soit pas seigneur de tout le territoire de la paroisse.
Voyez le decret de Gratien, tit. de parochiis, &c. Rebuffe, sur le concordat, tit. de collationibus, § statuimus ; l'auteur des définitions canoniques, la bibliotheque canonique, les lois ecclésiastiques, les mémoires du clergé, & le code des curés. Voyez aussi les mots ANNEXE, CURE, CURE, DIXME, EGLISE, MESSE, PAIN BENI, PAROISSIAL, PAROISSIEN, SUCCURSALE, UNION. (A)
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PAROISSIAL | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui appartient à la paroisse, comme office paroissial, la messe paroissiale. Voyez CURE, MESSE, OFFICE. (A)
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PAROITRE | verb. act. & auxil. se montrer, se faire voir, se manifester, avoir les apparences, &c. Il se dit des personnes & des choses. Il se leve dès que le jour paroît. Il va paroître un livre. Il a paru de nos jours des fanatiques bien singuliers. Les ennemis ont paru sur la côte. Il a voulu paroître dans cette circonstance, & cette folie l'a jetté dans une dépense ruineuse. Jamais la maxime de paroître honnête, savant, au lieu de l'être, ne fut plus suivie qu'aujourd'hui. Cette province a été surchargée d'impôts, & il y paroît bien. Un sceptique dit cela me paroît ; un dogmatique, cela est. Il n'osera paroître au spectacle.
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PAROLE | S. m. (Gramm.) mot articulé qui indique un objet, une idée. Il n'y a que l'homme qui s'entende & qui se fasse entendre en parlant. Parole se dit aussi d'une maxime, une sentence. Le chrétien doit compter toutes ses paroles. Cet homme a le talent de la parole comme personne peut-être ne l'eut jamais. Les paroles volent, les écrits restent. Les Théologiens appellent l'Evangile la parole de Dieu. Donner sa parole, c'est promettre. Estimer sur parole, c'est estimer sur l'éloge des autres. Porter des paroles de mariage, & en entamer les propositions, c'est la même chose.
PAROLE ENFANTINE, (Lang. franç.) nous appellons au propre paroles enfantines, ces demi-mots par lesquels les enfans qui n'ont pas encore l'usage libre de leur langue, expriment leurs pensées. Rien n'est plus joli que de converser avec eux dans ces premieres années où ils commencent à prononcer à moitié plusieurs mots, dont la prononciation imparfaite donne une grace infinie à tous leurs petits discours, dimidiata verba, dùm tentant integra pronuntiare, loquelam ipso offensantis linguae fragmine dulciorem, auscultantibus praebent. Mais ce langage imparfait, ce ton enfantin, cette voix à demi-basse, que quelques jolies femmes affectent d'imiter, est ridicule quand on n'est plus dans cet âge tendre où la nature en faisoit tout le charme. C'est ainsi que les mines dans un âge avancé, sont des grimaces.
PAROLE, (Critique sacrée) en hébreu dabar ; ce mot se prend dans l'Ecriture, outre le sens propre, pour doctrine, pour parole de Dieu, pour la prédication de cette parole, pour une promesse ; ma promesse, verbum, ne sera pas vaine. Ce même mot se trouve encore employé pour menace, avertissement, ordonnance, volonté, priere, sentence, &c. (D.J.)
PAROLES DE MAUVAIS AUGURE, (Littérature) male ominata verba. Les Grecs avoient une crainte superstitieuse sur certaines paroles de mauvais augure. Proférer des paroles de cette espece, s'appelloit . Cette superstition régnoit particulierement dans les sacrifices, où le héraut avoit grand soin d'avertir de s'abstenir de tout mot qui portât malheur. C'est ce que l'on doit entendre par favere linguis, qui signifie autant, s'abstenir de tout terme malencontreux, que se taire. L'attention à n'en point laisser échapper s'observoit ailleurs qu'au temple. Démosthènes dans la harangue contre Leptine, parlant de l'ancienne splendeur d'Athènes, y employe le mot , dont il s'agit ici de déterminer la vraie signification : l'orateur athénien dit, " alors la république jouissoit d'une pleine opulence ; mais aujourd'hui elle doit seulement se promettre qu'un jour elle en jouira ; car c'est ainsi qu'il faut parler, & non présager rien de sinistre. Le scoliaste grec l'explique de la sorte ; & cependant Wolfius traduit , conviciari, invectiver. Mais Casaubon redresse justement le traducteur.
Nous aurions le catalogue des paroles où l'usage attachoit un mauvais augure, si l'ouvrage que Suétone avoit composé, de male ominatis verbis, fût parvenu jusqu'à nous. On peut, faute de mieux, consulter sur ce point, Artémidore, liv. III. chap. xxxviij. c'est peut-être ce genre de superstition qui pour éluder le mot de mort, a fondé en latin les formules, si quid humanitus contigerit ; si vivere desierit. Nous disons aussi, si Dieu l'appelle à lui, si Dieu dispose de lui, mais il faut convenir que le mot vixit, il a vécu, a une toute autre grace que le terme françois, il est mort. (D.J.)
PAROLES DE PRESENT, (Jurisprud.) sont une déclaration que deux personnes, après s'être présentées à l'église & à leur curé, feroient devant un notaire, qu'ils se prennent pour mari & femme.
Ces sortes de déclarations sont présentement nulles, & il est défendu aux notaires de les recevoir. Voyez le mot MARIAGE. (A)
PAROLES, c'est le nom qu'on donne en Musique au poëme sur lequel le compositeur travaille, & en général au texte, vers ou prose, qui répond aux notes de la musique. Ainsi on dit d'un opéra que la musique en est passable ou bonne ; mais que les paroles en sont détestables. Il arrive rarement qu'on dise le contraire. Voyez OPERA. (S)
PAROLE, adj. dans l'Art militaire, se dit d'un prisonnier de guerre qui obtient la liberté de retourner dans son pays, ou vers ceux de son parti, après avoir promis de revenir dans un tems prescrit, s'il n'est point échangé ; on dit qu'il s'en va sur sa parole. Chambers.
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PAROLI | S. m. FAIRE PAROLI ; (jeu de Pharaon) c'est jouer le double de ce qu'on a joué la premiere fois ; on appelle paroli de campagne, celui que fait un joueur avant que sa carte soit venue, comme s'il avoit déja gagné. Les banquiers doivent être bien exacts & vigilans à prendre garde qu'on ne leur fasse des parolis de campagne, autrement ils seroient bientôt débanqués s'ils se reposoient sur la bonne foi de certains joueurs qui ne sont pas scrupuleux. Acad. des jeux. (D.J.)
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PARONOMASE | ou PARONOMASIE, subst. f. (Littérature) figure de Rhétorique, dans laquelle on se sert à dessein de mots dont le son est à-peu-près le même, quoiqu'ils présentent un sens fort différent.
Ce mot est formé du grec , proche, & , nom ; c'est-à-dire proximité ou ressemblance de deux noms.
Ainsi l'on dit, ces peuples sont nos ennemis, & non nos amis. Cicéron dit à Antoine dans une de ses Philippiques : cum in gremio... mentem & mentum deponeres & Atticus, consul ipse parvo animo & pravo, facie magis quam facetiis ridiculus ; & ces phrases de S. Pierre Chrysologue, monachorum cellulae jam non eremiticae, sed arematicae, & ailleurs, hoc agant in cellis quod angeli in coelis. C'est ce que nous appellons jeux de mots : ceux que nous avons cités comme exemples & non comme modeles, perdroient en françois le sel qu'y ont prétendu mettre leurs auteurs, & qui pour le bon goût, est un sel bien affadi.
Les Grecs aimoient volontiers cette figure, ainsi Hérodote dit , quae nocent, docent ; & Apollodore, peintre célebre, avoit mis à un de ses ouvrages cette inscription :
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PARONS | ou PACRONS, s. m. (Faucon.) ce sont les peres & meres de tous les oiseaux de proie.
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PARONYCHIE | S. m. (Hist. nat. Botan.) paronychia, genre de plantes à fleurs sans pétales, composées de plusieurs étamines qui sortent d'un calice en forme de bassin découpé en cinq parties terminées par une sorte de capuchon. Le pistil devient dans la suite une semence arrondie & renfermée dans une capsule pentagone qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)
Dans ce genre de plantes la racine est vivace, le calice est fait en forme de godet, & divisé en cinq parties qui ont la figure d'un capuchon. La fleur consiste en cinq étamines ; l'ovaire qui est placé au centre du calice produit un tube droit, & se change avec le calice en un fruit pentagone qui ne contient qu'une seule semence. Les fleurs sont entourées d'une infinité de paillettes fort minces, argentées, & disposées circulairement. Tout cela donne un aspect agréable à cette plante, & lui a valu en françois le nom de renouée, argentée. Tournefort en compte six especes, & met à la tête la paronychie d'Espagne, paronychia hispanica, I. R. H. 507 ; en anglois, the white small knot-grass.
Elle pousse des tiges longues d'environ demi-pié, nouées & éparses, & couchées à terre. Ses feuilles sont semblables à celles du polygonum, mais plus petites & plus courtes. Sa fleur a plusieurs étamines, soutenues par un calice découpé en cinq quartiers, & terminé par une maniere de capuchon. Ce calice devient quand la fleur est tombée, une capsule relevée de cinq côtes, laquelle renferme une semence orbiculaire. Sa racine est longue, assez grosse, divisée en plusieurs petites branches ligneuses & blanches. On estime cette plante astringente. Elle croît dans les pays chauds aux lieux pierreux & montagneux. (D.J.)
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PARONYME | S. m. (Grammaire) Aristote appelle paronyme tout ce qui reçoit sa dénomination d'un autre mot qui est d'une différente terminaison ; par exemple, justus & juste sont des paronymes, parce que l'un & l'autre dérivent du mot justitia. A proprement parler les paronymes sont des mots qui ont quelqu'affinité par leur étymologie. Les scholastiques les appellent en latin agnominata, & en parlent dans la doctrine des anté-prédicamens.
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PAROPAMISUS | (Géog. anc.) montagne d'Asie, qui selon Arien, faisoit partie du mont Taurus. Elle donnoit son nom à une contrée nommée Paropamisadarum regio. On lit dans les anciens écrivains Paropamisus, Parapamisus. Strabon & Pline ont la derniere ortographe ; Arien & Quinte-Curce gardent la premiere, que suivent presque tous les modernes.
Les anciens nous apprennent que les Macédoniens pour faire plaisir à Alexandre, donnerent à cette montagne le nom de Caucase ; cependant non-seulement Quinte-Curce & Arien, mais encore Strabon & Ptolomée distinguent le Caucase du Paropamisus, car dans la description de cette contrée, ils font mention de l'une & de l'autre de ces montagnes. Mais ils different entr'eux par rapport à la situation.
Paropamisus, ou Paropanisus, est aussi le nom d'un fleuve de Scythie, selon Pline, liv. IV. c. xiij. Le P. Hardouin croit que c'est aujourd'hui l'Oby.
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PAROPTESE | S. f. (Lexicog. médicin.) , de ; je rôtis ; c'est une maniere de provoquer la sueur en approchant le malade d'un feu de braise vive, ou en l'enfermant dans une étuve.
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PAROPUS | (Géogr. anc.) ville de Sicile, selon Ptolomée, liv. I. chap. xxiv. qui la place sur la côte septentrionale, près d'Himerre. Frazel juge que cette ville est présentement Colisano.
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PAROREA | (Géog. anc.) ville de l'Arcadie, selon Pausanias, l. VIII. ch. xxvij. Pline, l. IV. ch. vj. nomme ses habitans Paroreatae. Il ne faut pas les confondre avec les Parorei, peuple de la Macédoine, ou de l'Epire, selon Strabon.
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PAROS | ILE DE, (Géog. anc.) île de l'Archipel, & l'une des Cyclades. Elle est située entre l'île de Naxie à l'orient, & celle d'Antiparos à l'occident. Pline, l. IV. ch. xij. a bien remarqué la grandeur de l'île de Paros, en assurant qu'elle n'est que la moitié de celle de Naxos ou Naxie, à laquelle il donne 75 milles de tour ; sur ce pié-là, Paros n'en doit avoir que trente-six ou trente-sept, mesure ordinaire du pays.
On y compte environ quinze cent familles, taxées ordinairement à 4500 écus de capitation. Il est vrai que cette île est bien cultivée : on y nourrit beaucoup de troupeaux ; le commerce y consiste en froment, orge, vin, légumes, sésame, & toile de coton. Avant la guerre de Candie on y recueilloit beaucoup d'huile ; mais l'armée vénitienne brûla tous les oliviers de Paros, en neuf ou dix ans qu'elle y séjourna.
Cette île est pleine de perdrix & de pigeons sauvages. La viande de boucherie y est bonne, & les cochons n'y manquent pas : on y mange de même que dans les autres îles d'excellens petits moutons nourris dans les maisons avec du pain & des fruits. Les melons y sont délicieux. Il pleut peu dans cette île ; & le coton, la vigne, & les figuiers périroient sans les rosées qui sont très-abondantes.
Les habitans de Paros ont toujours passé pour gens de bon sens, & les Grecs des îles voisines les prennent souvent pour arbitres de leurs différends. Cela rappelle le souvenir du choix que les Milésiens firent autrefois de quelques sages Pariens, pour mettre une forme de gouvernement dans leur ville ruinée par les séditions. Ces Pariens visiterent la campagne de Milet, & nommerent administrateurs de la ville les habitans, dont les terres leur parurent les mieux cultivées : persuadés, avec raison, que ceux qui prenoient grand soin de leurs biens, ne négligeroient pas les affaires publiques.
Paros, capitale de l'île, étoit la plus grande ville, selon Etienne le Géographe, & la plus puissante des Cyclades. Lorsque les Perses sous les ordres de Darius, passerent en Europe pour faire la guerre aux Athéniens, Paros embrassa le parti des Asiatiques, qu'elle secourut de troupes pour la bataille de Marathon. Miltiade couvert de gloire après cette grande journée, obtint des Athéniens une puissante flotte, & les assura qu'il meneroit cette armée dans un pays d'où elle rapporteroit de grandes richesses. Paros fut assiégée par mer & par terre ; mais ce siege fut glorieux aux Pariens : car Miltiade, qui étoit le plus grand capitaine de son tems, n'eut pas la gloire de les soumettre. Thémistocle, après la bataille de Salamine, rendit Paros tributaire d'Athènes. Si l'on veut remonter plus haut, on trouvera encore des choses considérables qui regardent l'île de Paros.
Peut-être que Sésostris, ce grand roi d'Egypte, qui se faisoit appeller le roi des rois, & le seigneur des seigneurs, reçut la soumission de cette île, & de la plûpart des Cyclades, c'est-à-dire, de quelques autres de l'Archipel, rangées presque en maniere de cercle autour de la fameuse Délos. Les Phéniciens posséderent ces îles, puisqu'ils furent les premiers maîtres de la mer de Grece ; mais il est mal-aisé de concilier Thucydide & Diodore de Sicile sur le tems où les Pariens s'établirent dans ces îles. Thucydide prétend que Minos en chassa ces peuples, & Diodore, au contraire, avance qu'ils n'y étoient venus qu'après la guerre de Troye, & qu'ils avoient obligé les Crétois de s'en retirer.
Il paroît que le fameux monument d'Adule, décrit exactement par Côme d'Egypte, topog. Christ. de Mundo, l. II. & si bien illustré par dom Bernard de Montfaucon, que les Cyclades, & Paros par conséquent, ont été sous la domination des Ptolomée, rois d'Egypte ; car ce monument dressé sous Ptolomée Evergete III. fait mention de ces îles.
De la domination des Egyptiens elles tomberent sous celle d'Athènes. Mithridate fut le maître des Cyclades pendant peu de tems : obligé de céder au bonheur de Sylla, comme dit Florus, à la valeur de Lucullus, à la grandeur de Pompée, il prit le parti de se retirer vers le nord. Les Romains resterent paisibles possesseurs d'Athènes & de l'Archipel, dont les îles furent érigées en provinces, avec la Lydie, la Phrygie & la Carie. Cette province fut ensuite sous un pro-consul, jointe à l'Hellespont, & à l'Asie mineure.
Les empereurs grecs posséderent l'Archipel à leur tour ; ensuite Paros passa dans la main de deux nobles vénitiens Marc Sanudo & François Venier, qui fut obligé de céder l'île de Paros à Barberousse, capitan bacha sous Soliman II.
On ne voit plus à Paros que de misérables faiseurs de salieres & de mortiers, au lieu de ces grands sculpteurs, & de ces habiles architectes qui ont autrefois rendu le marbre de cette île plus célebre que celui des îles voisines : car cette belle pierre n'est pas moins commune à Naxie & à Tine ; mais on y manqua dans un certain tems d'habiles gens pour la mettre en oeuvre, au lieu que le marbre de Paros devint si fameux, que les plus habiles sculpteurs n'en employoient pas d'autre.
Strabon, l. X. a raison de dire, que c'est une excellente pierre pour faire des statues : & Pline, liv. XXXVI. ch. v. admiroit qu'on en fût venu chercher d'Egypte, pour en décorer le frontispice de ce célebre labyrinthe, qui passoit pour une des merveilles du monde.
A l'égard des statues, les plus habiles gens conviennent que le marbre d'Italie est préférable à celui de Grece. Pline soutient avec raison que celui de Luna est bien plus blanc. Le marbre Grec est à gros crystallins, qui font de faux jours, & qui sautent par petits éclats, si on ne le ménage avec soin ; au lieu que celui d'Italie obéit au ciseau, parce qu'il a le grain beaucoup plus fin & plus uni. Peut-être le marbre grec seroit-il plus doux, si on creusoit à Paros jusqu'à une certaine profondeur. On trouve aussi dans ces quartiers-là une pierre fort dure, semblable au porphire, mais dont les taches sont pâles. Il est vrai qu'il faudroit ouvrir ces carrieres pour en connoître les beautés. Qui auroit jamais cru qu'on trouvât une représentation de Silene dans celles de Paros, si l'on n'avoit fouillé bien avant pour découvrir cette merveille ?
Archilochus, ce fameux auteur des vers ïambes, se distingua parmi les beaux génies de Paros. Il étoit contemporain de Tarquin le Superbe, & fleurissoit sous la quinzieme olympiade, 720 ans avant J. C. Ce poëte soutint à Olympie l'éclat de sa réputation, par l'hymne en l'honneur d'Hercule, dont Pindare, & plusieurs anciens, nous ont transmis la mémoire. La musique & les paroles étoient de sa composition ; on admira son habileté dans l'un & l'autre genre, & il reçut de la main des juges une couronne, qui d'ordinaire étoit la récompense de la vertu. Tout le monde sait que Lycambe lui ayant promis sa fille en mariage, & lui ayant manqué de parole, Archiloque fit contre lui des vers ïambes si piquans, qu'il se pendit de désespoir ; c'est là-dessus qu'Horace dit, que la rage inspira ce poëte. Ayant été chassé de Lacédémone pour la licence de quelques-unes de ses poésies, il prit le parti des armes, & fut tué dans un combat par un nommé Coracus. Pline, l. VII. c. xxix. prétend que l'oracle de Delphe blâma le meurtrier d'un homme si rare par son génie.
On ignore le nom de cet excellent homme de Paros, qui dressa le plus beau monument de chronologie qui soit au monde, & dont nous n'obmettrons pas l'article dans cet ouvrage. (D.J.)
PAROS, CHRONIQUE DE, (Chronol.) Voyez MARBRE DE PAROS, où vous trouverez l'histoire de cette célebre chronique, gravée sur du vrai marbre il y a plus de deux mille ans, & conservée sur ce marbre presque jusqu'à nos jours.
C'est un monument dont l'autorité mérite la plus grande considération, non-seulement à cause de son antiquité, qui n'est que de cent cinquante ans moins reculée que celle du plus ancien historien dont les ouvrages nous soient parvenus ; mais encore parce que c'est un original, auquel on ne peut reprocher les altérations & les vices qui se rencontrent dans tous les autres ouvrages d'histoire & de chronologie, qui ne nous ont été transmis que par une succession de copies toujours d'autant plus suspectes, qu'elles sont éloignées de la source d'où elles sont parties.
C'est une remarque de M. Gibert, qui prouve dans les mémoires de l'académie des Inscriptions, tome XXIII. que les fautes légeres qu'a pu peut-être commettre Selden, & ceux qui l'ont secondé dans la lecture de cette chronique précieuse, ne sont ni en grand nombre, ni telles qu'elles puissent diminuer l'autorité de ce marbre, je ne dirai pas sur celle des auteurs postérieurs incontestablement moins instruits, mais sur celle de plusieurs écrivains antérieurs, qui ne se sont pas occupés, qui ont fait l'unique objet du chronographe de Paros ; enfin sur celle de tous les manuscrits, que la nature même, & l'ignorance d'une longue suite de copistes rendront toujours bien plus suspects qu'une inscription originale, dont la copie nous a été fournie par un des plus savans hommes du dernier siecle.
PAROS, MARBRE DE, (Hist. nat.) Parium marmor, lychnites. C'est le nom que les anciens donnoient à un marbre d'un beau blanc, très-compacte, susceptible de prendre le plus beau poli, d'une dureté médiocre, & composé d'un amas de particules très-brillantes, qui sont des petites lames ou feuillets luisans de spath, étroitement liés les uns aux autres, c'est à cela qu'on peut reconnoître le marbre de Paros.
Les anciens regardoient le marbre de Paros comme le plus beau & le plus propre à faire des statues. L'île de Paros n'est point la seule où il se trouve, il y en a encore des carrieres dans celles de Naxos & de Tinos ; mais on ne les exploite plus. Il nous reste encore plusieurs statues antiques faites avec le marbre de Paros.
On a quelquefois confondu le marbre blanc de Carrare avec celui de Paros ; mais il est d'un grain plus fin que ce dernier.
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PAROTIDES | S. f. pl. en Anatomie ; ce sont deux grosses glandes situées derriere les deux oreilles, qui remplissent l'espace qui est entre l'angle postérieur de la machoire inférieure, & l'apophyse mastoïde. Voyez GLANDE & OREILLE.
Ce mot est composé du grec , proche, & , oreille ; elles sont de l'espece conglomerée ; & par divers canaux excrétoires, qui enfin se réunissent en un, versent une humeur qu'elles séparent du sang artériel, qu'on nomme salive, dans la bouche, par deux vaisseaux formés de plusieurs branches unies à l'issue de ces glandes, & qui vont se rendre le long de la joue à la troisieme dent molaire. Voyez SALIVE & SALIVAIRE.
PAROTIDES, on donne aussi le nom de parotides à une tumeur inflammatoire ; c'est-à-dire, accompagnée de rougeur, chaleur, douleur & pulsation, dont la glande parotide est attaquée. Ces tumeurs sont ordinairement malignes & critiques ; elles surviennent à la suite des fievres malignes & pestilentielles. Les parotides bénignes sont plutôt oedémateuses qu'inflammatoires ; elles sont ordinaires aux enfans, & connues plus particulierement sous le nom d'oreillons. Voyez OREILLONS.
Les parotides inflammatoires demandent, sur-tout lorsqu'elles sont critiques, à être déterminées à la suppuration. Dès qu'on s'apperçoit, après l'usage des maturatifs, d'un point de fluctuation au centre de la tumeur, on peut & l'on doit l'ouvrir sans différer. La continuation des cataplasmes émolliens & résolutifs procurera la résolution de la circonférence de la tumeur, concurremment avec la fonte suppuratoire qui se fait au centre.
On se presse de faire l'ouverture des parotides enflammées, pour empêcher l'engorgement du cerveau, par la compression que ces glandes engorgées font sur les jugulaires. Quelques auteurs prescrivent l'application d'une pierre à cautere pour entamer cette glande & y attirer forcément la suppuration.
Dans les virus vénériens & scrophuleux, les glandes parotides deviennent skirrheuses par l'épaississement de la lymphe, à quoi le froid extérieur auquel ces glandes sont exposées, ne laisse pas de pouvoir beaucoup contribuer. La résolution de ces tumeurs dépend de l'efficacité des remedes internes, appropriés à la destruction du principe virulent. Les émolliens, les discussifs & les fondans extérieurs sont fort utiles. Si la parotide venoit à suppurer à la suite d'un engorgement vénérien, comme la tumeur s'est formée lentement & par congestion, on n'est pas obligé d'avoir recours aux moyens prompts que prescrit le traitement méthodique de la parotide critique à la suite d'une fievre aiguë. Il faut laisser le pus se former comme dans les bubons des aines, dont la parotide ne differe alors que par la situation du mal. Le pus peut être résorbé sans inconvénient pendant l'usage des antivénériens ; & s'il séjourne dans la tumeur, lorsqu'elle est bien en maturité, une légere incision à la partie déclive suffit pour évacuer le pus. L'attention du chirurgien éclairé est seulement de ne pas attendre que les tégumens soient émincis au point de ne pouvoir être conservés.
La cure des parotides ouvertes est la même que celle des abscès. Voyez ABSCES, ULCERES, DETERSIFS, &c. (Y)
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PAROXYSME | REDOUBLEMENT, ACCES, (Gram. Synonim. Médec.) ces trois mots confondus chez les Grecs, & compris sous le nom générique de ont été distingués dans le langage latin & françois de la Médecine ; ils ont chacun leur signification, leur usage & leur application propres. On les employe en général pour désigner dans les maladies intermittentes le tems auquel les symptomes reviennent ou augmentent ; mais on a restreint l'usage des mots, paroxysme & accès, aux maladies où l'intermittence est complete , pour exprimer le retour absolu des accidens qui avoient cessé tout-à-fait de se faire sentir ; redoublement se dit des maladies continues dans lesquelles on observe une alternative de bien & de mal ; & on donne proprement ce nom à l'augmentation des symptomes ; c'est en ce sens qu'on dit fievres putrides avec redoublement : le mot latin qui lui répond est exacerbatio. Ces fievres méritent une attention particuliere, & exigent quelques variétés dans le traitement. Voyez FIEVRE.
Quoique paroxysme & accès appliqués aux maladies intermittentes complete s, paroissent & soient en effet dans la rigueur synonymes, cependant on ne s'en sert pas indistinctement ; il n'y a point de regle qui fixe leur usage particulier, l'habitude & l'oreille en décident : il y a des noms de maladies intermittentes qui semblent souffrir avec peine d'être placés à la suite de l'un ou l'autre de ces mots : l'oreille d'un médecin seroit blessée du son ingrat de ces mots mal acostés : paroxysme de fievre, accès d'hystéricité ; on doit dire, un accès de fievre & un paroxysme d'hystéricité, d'épilepsie, ou encore mieux un paroxysme hystérique épileptique, &c. Le mot accès est un peu plus général ; il s'applique mieux aux différentes maladies ; il est surtout consacré dans les fiévres intermittentes ; on le dit aussi de la goutte.
Le retour des paroxysmes, des accès, des redoublemens est périodique ou erratique, c'est-à-dire, il a lieu dans des tems, des jours, des heures fixes & déterminées, ou ne suit aucune espece d'ordre. Voyez PERIODIQUE, FIEVRE.
Il s'est élevé sur le retour des paroxysmes, redoublemens, &c. une grande question qui a long-tems agité les écoles ; le but de ces fameuses discussions étoit de déterminer la cause de ces retours : la décision de ce problème étoit intéressante ; mais quelles ténebres ne falloit-il pas dissiper ? Il est peu de matieres qui soient enveloppées dans une plus profonde obscurité : les médecins les plus sages & les plus éclairés l'ont bien senti ; ils ont sincerement avoué avec l'ingenu Sydenham leur ignorance sur cet article ; rangeant cette question avec un grand nombre d'autres, dont la nature semble nous avoir refusé la connoissance : cet aveu prouve en même tems & la difficulté de l'entreprise, & les lumieres de ces médecins ; que ceux qui pourroient blâmer mon silence, dit fort judicieusement l'Hippocrate anglois, nous expliquent pourquoi un cheval parvient au dernier point d'accroissement à l'âge de sept ans, & l'homme à vingt-un ? Pourquoi telle plante fleurit au mois de Mai, & telle autre au mois de Juin, &c. &c. Les myopes, à qui une vue extrémement courte ne laisse pas même le pouvoir d'atteindre jusqu'aux bornes de leur horison, les imaginent placées à des distances considérables : les demi-savans, dont ils sont l'emblème, trop peu éclairés pour connoître les limites de la sphere de leur connoissance, croyent tout découvrir, tout savoir, tout expliquer, rien n'échappe à leur prétendue sagacité ; il n'est rien dont ils ne trouvent quelques raisons ; ils en ont cherché sur le fait dont il s'agit dans la théorie scholastique ou boerrhaaviene jamais stérile, jamais en défaut ; ils ont donné leurs explications ; on nous dispensera de les rapporter ici. Voyez MATIERE MORBIFIQUE, FIEVRE, MECHANICIENS, &c. Mais dans une matiere aussi embrouillée, que pouvoit-on attendre d'une théorie si foible, si bornée & si fausse ? Ce qu'on en a eu ; des erreurs & des absurdités, qui ont malheureusement quelquefois influé sur la pratique de leurs auteurs au grand désavantage des malades ; quoique nous ne voulions hasarder aucune explication, nous ne pouvons nous dispenser d'avertir que nous sommes convaincus après plusieurs observations, que les nerfs jouent dans ce cas un très-grand rôle ; mais leur jeu, leur action, leur méchanisme, leur sympathie, encore peu connus, demandent les yeux éclairés d'un observateur attentif. (m)
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PARPAILLOTS | S. m. pl. (Hist. mod.) nom qu'on a donné autrefois en France aux prétendus réformés, qu'on y appelle aussi huguenots ou calvinistes. Si l'on en croit l'auteur d'une lettre imprimée en 1681, à la fin d'un écrit intitulé la politique du clergé de France, l'origine de ce nom vient de ce que François Fabrice Serbellon, parent du pape, fit décapiter à Avignon, en 1562, Jean Perrin, seigneur de Parpaille, président à Orange, & l'un des principaux chefs des calvinistes de ces cantons-là. Cette dénomination fut renouvellée pendant le siege de Montauban sous Louis XIII. & le même peuple s'en sert encore pour désigner les sectateurs de Calvin.
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PARPAI | ou PARPAING, s. m. terme de Maçonnerie, qui se dit d'une pierre de taille qui traverse toute l'épaisseur d'un mur, ensorte qu'il ait deux paremens, l'un en-dedans, l'autre en-dehors. On dit qu'une pierre fait parpain, quand elle fait face des deux côtés, comme celle des parapets.
Parpain d'appui ; on nomme ainsi les pierres à deux paremens qui sont entre les alleges, & forment l'appui d'une croisée, particulierement quand elle est vuide dans l'embrasure.
Parpain d'échiffre, mur rampant par le haut, qui porte les marches d'un escalier, & sur lequel on pose la rampe de pierre, de bois ou de fer.
La coutume de Paris, art. 207, oblige les bourgeois à mettre des jambes parpaignes sous les poutres qu'ils veulent faire porter à un mur mitoyen.
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PARPEGME | (Astronom. anc.) machine astronomique d'usage chez les Syriens & les Phéniciens, pour montrer les solstices par l'ombre d'un stile.
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PARPIROLLE | S. f. (Monnoie de billon) petite monnoie de Savoie fabriquée à Chambery. C'est une espece de sol qui est de billon, c'est-à-dire, de cuivre tenant deux deniers d'argent. (D.J.)
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PARQUER | v. act. Voyez l'article PARC.
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PARQUES | S. f. pl. (Mythol.) déesses infernales, dont la fonction étoit de filer la trame de nos jours. Maîtresses du sort des hommes, elles en regloient les destinées. Tout le monde sait qu'elles étoient trois soeurs, Clotho, Lachésis, & Atropos ; mais les Mythologues ne s'accordent point sur leur origine. Les uns les font filles de la Nuit & de l'Erebe ; d'autres de la Nécessité & du Destin ; & d'autres encore de Jupiter & Thémis. Les Grecs les nommoient , c'est-à-dire les déesses qui partagent, parce qu'elles regloient les évenemens de notre vie ; les Latins les ont peut-être appellées Parcae, du mot parcus, comme si elles étoient trop ménageres dans la dispensation de la vie des humains, qui paroît toujours trop courte ; du-moins cette étymologie est plus naturelle que celle de Varron, & supérieure à la ridicule anti-phrase de nos grammairiens, quod nemini parcant.
Leur nom particulier désigne leurs différentes fonctions ; car comme toute la destinée des hommes qu'on disoit être soumise à la puissance des Parques, regardoit ou le tems de la naissance, ou celui de la vie, ou celui de la mort ; Clotho, la plus jeune des trois soeurs, présidoit au moment que nous venons au monde, & tenoit la quenouille ; Lachésis filoit tous les évenemens de notre vie ; & Atropos en coupoit le fil avec des ciseaux : toutes assistoient aux couches, pour se rendre maîtresses de la destinée de l'enfant qui alloit naître.
Les Lexicographes vous diront que Clotho vient du verbe grec , filer ; Lachesis de , tirer au sort ; & Atropos de , immuable, ou bien, qui change tout, qui renverse tout : cette épithete convient bien à la parque, qui renverse souvent l'ordre des choses, lorsqu'elle enleve des gens qui par leur jeunesse ou par leur vertu, sembloient dignes d'une longue vie.
Ce n'est pas tout, les Poëtes nous peignent, selon la variété de leur imagination, ce ministere des Parques ; tantôt ils les exhortent à filer des jours heureux pour ceux que le Destin veut favoriser ; tantôt ils nous assurent qu'elles prescrivent elles-mêmes le tems que nous devons demeurer sur la terre ; tantôt ils nous apprennent qu'elles se servent à leur volonté de la main des hommes mêmes, pour ôter la vie à ceux dont les destinées sont accomplies. Selon Hésiode, elles sont les maîtresses absolues de tout le bien & le mal qui arrive dans le monde. D'autres mythologues soumettent les Parques aux ordres de Pluton ; mais l'opinion la plus générale, est que les Parques servoient sous les ordres du Destin, à qui les dieux & Jupiter même étoient soumis.
Les Philosophes à leur tour donnent aux Parques des fonctions différentes de celles que leur assignent les Poëtes & les Mythologues. Aristote dit que Clotho présidoit au tems présent, Lachésis à l'avenir, & Atropos au tems passé. Platon représente ces trois déesses au milieu des spheres célestes avec des habits blancs couverts d'étoiles, portant des couronnes sur la tête, & siégeant sur des trônes éclatans de lumiere, où elles accordent leur voix au chant des syrènes : c'est-là, dit-il, que Lachésis chante les choses passées, Clotho celles qui arrivent à chaque instant ; & Atropos celles qui doivent arriver un jour. Selon Plutarque, Atropos placée dans la sphere du soleil, répand ici bas les premiers principes de la vie ; Clotho qui fait sa résidence dans la lune, forme les noeuds éternels ; & Lachésis, dont le séjour est sur la terre, préside aux destinées qui nous gouvernent.
On représentoit ces déesses sous la figure de trois femmes accablées de vieillesse, avec des couronnes faites de gros flocons de laine blanche, entremêlés de fleurs de narcisses ; une robe blanche leur couvroit tout le corps, & des rubans de la même couleur nouoient leurs couronnes ; l'une tenoit la quenouille, l'autre le fuseau, & la troisieme les ciseaux pour couper le fil, lorsque le tems de la mort, que Virgile appelle le jour des Parques, étoit arrivé. Le grand âge de ces déesses dénotoit, selon les Moralistes, l'éternité des decrets divins ; la quenouille & le fuseau apprenoient que c'étoit à elles à en regler le cours ; & le fil mystérieux marquoit le peu de fond que l'on pouvoit faire sur une vie qui tenoit à si peu de chose. Ils ajoutent, que pour filer des jours longs & heureux, les Parques employoient de la laine blanche, mais qu'elles usoient de laine noire pour une vie courte & malheureuse : les couronnes qu'on leur mettoit sur la tête, annonçoient leur pouvoir absolu sur tout l'univers.
Pausanias place auprès du tombeau d'Ethéocle & de Polynice une des trois Parques, à laquelle il donne un air farouche, de grandes dents, des mains crochues, en un mot une figure effroyable ; c'est pour nous apprendre qu'on ne pouvoit rien imaginer de plus affreux que la destinée de ces deux malheureux freres, dont les jours avoient été filés par la plus barbare des Parques.
Mais le même Pausanias nomme trois Parques bien différentes de celles dont on vient de parler. La premiere & la plus ancienne est, dit-il ; Vénus-Uranie, c'étoit elle bien mieux que Clotho qui présidoit à la naissance de l'homme, suivant ce dogme de la philosophie payenne, que l'Amour, le plus ancien de tous les dieux, est le lien des principes du monde. La seconde Parque, dit le même auteur, se nomme Tuché ou la Fortune, à l'occasion de laquelle il cite Pindare. Ilithye étoit la troisieme.
Comme les Parques passoient pour des déesses inexorables, qu'il étoit impossible de fléchir, on ne crut pas qu'il fût nécessaire de se mettre en dépense pour les honorer ; car on ne fête guère ceux qui ne nous font que le bien qu'ils ne peuvent s'empêcher de nous faire ; cependant elles avoient quelques temples dans la Grece ; les Lacédémoniens leur en avoient élevé un à Lacédémone auprès du tombeau d'Oreste ; les Sicyoniens leur en avoient dédié un autre dans un bois sacré, où on leur rendoit le même culte qu'aux Furies, c'est-à-dire qu'on leur immoloit des brebis noires. Dans la ville d'Olympie, il y avoit un autel consacré à Jupiter conducteur des Parques, auprès duquel ces déesses en avoient un autre ; mais si ces sortes d'hommage n'étoient pas capables de les toucher, peut-être que celui que leur a rendu un de nos poëtes modernes auroit eu plus de succès, quoique Catulle assure qu'il n'est jamais arrivé à personne de fléchir ces divinités inexorables.
Lanificas nulli tres exorare sorores.
Contigit.
Néanmoins Rousseau ose tenter cette entreprise, & se transportant en esprit aux enfers, il implore la faveur des Parques pour M. le comte du Luc, dans des vers qui semblent dictés par la tendresse du sentiment : voici les prieres qu'il leur adresse.
Corrigez donc pour lui vos rigoureux usages,
Prenez tous les fuseaux qui pour les plus longs âges
Tournent entre vos mains :
C'est à vous que du Styx les dieux inexorables
Ont confié les jours, hélas trop peu durables,
Des fragiles humains !
Si ces dieux, dont un jour tout doit être la proie,
Se montrent trop jaloux de la fatale soie
Que vous leur redevez ;
Ne délibérez plus, tranchez mes destinées.
Et renouez leur fil à celui des années.
Que vous lui reservez.
Ainsi daigne le ciel toujours pur & tranquille
Verser sur tous les jours, que votre main nous file
Un regard amoureux !
Et puissent les mortels, amis de l'innocence,
Mériter tous les soins que votre vigilance
Daigne prendre pour eux.
C'est ainsi qu'au-delà de la fatale barque.
Mes chants adouciroient de l'orgueilleuse Parque
L'impitoyable loi.
Lachésis apprendroit à devenir sensible,
Et le double ciseau de sa soeur inflexible
Tomberoit devant moi.
Si vous voulez encore de plus grands détails, lisez la dissertation de M. l'abbé Banier dans les mémoires des Inscriptions. (D.J.)
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PARQUET | S. m. (Jurisprud.) est un terme de pratique, qui dans sa premiere origine signifioit seulement une petite enceinte, comme au châtelet l'enceinte de l'audience de la prevôté a été nommée parc civil ; dans l'usage présent on a donné à ce terme différentes significations, & il y a plusieurs sortes de parquets, savoir.
Parquet de la grand'chambre, c'est l'enceinte qui est renfermée entre les siéges couverts de fleurs de lys. Il n'est permis qu'aux princes du sang de croiser le parquet, c'est-à-dire de le traverser debout pour aller prendre leur place sur les hauts sieges ; les autres juges passent par des cabinets.
Parquet des gens du roi, est le lieu où les gens du roi s'assemblent pour recevoir les communications, entendre plaider les causes dont ils sont juges ou qui leur sont renvoyées, & pour entendre le rapport qui leur est fait par leurs substituts, & enfin pour vaquer aux autres expéditions qui sont de leur ministere.
Quelquefois on personnifie le parquet, & par ce terme on entend les gens du roi eux-mêmes & leurs substituts.
Parquet des huissiers, est le vestibule qui est au-devant de la porte par où l'on entre ordinairement dans la grand'chambre du parlement, c'est le lieu où se tiennent les huissiers en attendant que l'on ouvre l'audience.
Grand & petit parquet de cour de Rome, sont deux endroits où se tiennent divers officiers de la daterie pour faire leurs expéditions. Voyez DATERIE.
PARQUET, (Marine) c'est un petit retranchement fait sur le pont avec un bout de cable, ou d'autres grosses cordes : on met dans ce retranchement des boulets de canon, pour les tenir tous prêts quand on en a affaire.
C'est aussi le retranchement où l'on tient les boulets dans un magasin ; le commissaire général de l'artillerie de la marine doit tenir la main à ce que les canons & les mortiers qu'on tire des vaisseaux qu'on désarme, soient portés où ils doivent être ; que les canons de fonte soient séparés de ceux de fer, & rangés par calibres ; que les boulets soient mis dans leurs parquets, & les bombes & les grenades chargées, séparées de celles qui ne le sont point. (Z)
PARQUET, (Architect.) c'est dans une salle où l'on rend la justice, l'espace qui est renfermé par la barre d'audience. Voyez BARRE D'AUDIENCE.
Parquet de menuiserie, c'est un assemblage de trois piés & un pouce en quarré, composé d'un chassis, & de plusieurs traverses croisées quarrément ou diagonalement, qui forment un bâti appellé carcasse, qu'on remplit de carreaux retenus avec languettes dans les rainures de ce bâti ; le tout à parement arasé. On fait des parquets dans les pieces les plus propres d'un appartement, ou quarrément ou diagonalement ; il est entretenu par des frises, & arrêté sur des lambourdes avec des clous à têtes perdues ; on appelle aussi le parquet de menuiserie feuille de parquet, & on donne le nom de parquet flipoté, à un parquet qui a plusieurs trous, noeuds, ou autres défauts, recouverts de flipot. Daviler. (D.J.)
PARQUET, (Menuiserie) ce mot se dit aussi en Menuiserie, de l'assemblage de bois qu'on applique sur le manteau d'une cheminée, ou le trumeau d'un mur, pour y mettre ensuite des glaces de miroir.
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PARQUETER | v. act. (Architect.) c'est couvrir de parquets un plancher.
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PARRAIN | S. m. (Hist. ecclés.) on nomme parrain celui qui présente un enfant au baptême, le tient sur les fonts, répond de sa croyance, & lui impose un nom. Ce sont les persécutions des premiers siecles qui donnerent occasion à l'institution des parrains, que l'on prit comme des témoins du baptême. On eut encore pour motif de les engager à instruire ou à faire instruire leurs filleuls ou filleules des mysteres de la religion. Ce ne fut pas seulement aux enfans qu'on donna des parrains, on obligea même les adultes d'en prendre. Il est vrai que cela ne fut ni général ni de longue durée ; mais on peut faire la même remarque de plusieurs autres usages, qui sur ce point ont été soumis aux variations.
On appelloit un parrain, pater lustralis, lustricus parens, sponsor, patrinus, susceptor, gestator, offerens. Avant l'institution des parrains, les peres & meres présentoient leurs enfans au baptême ; on a pu pendant un certain tems avoir plusieurs parrains ; aujourd'hui on ne peut en avoir qu'un de chaque sexe ; celui du sexe féminin se nomme marraine. Il y a aussi des parrains pour la confirmation ; toutes ces choses ne sont que des institutions humaines & passageres. (D.J.)
PARRAINS, (Hist. mod.) on donnoit le nom de parrains aux seconds qui assistoient aux tournois, ou qui accompagnoient les chevaliers aux combats singuliers.
Il se pratiquoit encore un usage semblable dans les carrousels où il y avoit deux parrains, & quelquefois davantage dans chaque cadrille.
Les parrains des duels étoient comme les avocats choisis par les parties pour représenter aux juges les raisons du combat. Voyez COMBAT & DUEL.
Dans l'inquisition de Goa on nomme parrains des gens riches & considérables, dont chacun est obligé d'accompagner un des criminels à la procession qui précede l'autodafé. Voyez INQUISITION.
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PARRHASIE | (Géog. anc.) Parrhasia, ville de l'Arcadie, où l'on célébroit des fêtes en l'honneur de Jupiter Lycien. Homere, Pausanias, Etienne le géographe en font mention ; le dernier ajoute qu'on l'appelloit aussi Parmasia ; quelques auteurs la nomment différemment. Il y avoit une montagne du même nom, selon Hesychius, & c'est des neiges de cette montagne dont parle Ovide, Fast. l. II. v. 276. dans ce vers.
Atque Cyllene, Parrhasiaeque nives.
Stace, Theb. liv. VII. v. 163. nous apprend qu'il y avoit une forêt, à laquelle cette montagne donnoit son nom.
Parrhasia est aussi le nom qu'Euripide donne à la contrée où se trouvoit la ville Parrhasie. (D.J.)
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PARRICID | ou PATRICIDE, s. m. (Jurisprud.) dans sa signification propre, est un homicide commis par quelqu'un en la personne de ses pere & mere, ayeul ou ayeule, & autres ascendans.
On appelle aussi parricide tout homicide commis en la personne de ceux qui nous tiennent lieu de pere & mere, comme les oncles & tantes, grands-oncles & grand'tantes.
On qualifie pareillement de parricide tout attentat commis sur la personne du roi, parce que le souverain est regardé comme le pere de ses peuples.
Enfin on comprend encore sous le terme de parricide tout homicide commis en la personne des enfans, petits-enfans, & autres descendans en ligne directe, & généralement de ceux auxquels nous sommes si étroitement unis par les liens du sang ou de l'affinité que l'homicide en est plus dénaturé, comme quand il est commis en la personne d'un frere ou d'une soeur, d'un beau-pere ou d'une belle-mere ou d'un beau-fils ou d'une bru, d'un gendre, d'un parrain ou d'une marraine, d'un filleul ou d'une filleule, &c.
Solon interrogé pourquoi il n'avoit point prononcé de peine contre les parricides dit, qu'il n'avoit pas cru qu'il pût se trouver quelqu'un capable de commettre un crime si énorme.
Cependant les autres législateurs de Grece & de Rome ont reconnu qu'il n'y a que trop de gens dénaturés capables des plus grands forfaits.
Caracalla ayant tué son frere Geta entre les bras de Julie sa mere, voulut faire autoriser son crime par Papinien ; mais ce grand jurisconsulte lui répondit, qu'il étoit encore plus aisé de commettre un parricide que de l'excuser.
Suivant la loi pompeia, rapportée en la loi 9. ff. ad leg. pompeiam, & en la loi unique au code de his qui parentes vel liberos occiderunt, celui qui étoit convaincu du crime de parricide étoit d'abord fouetté jusqu'à effusion de sang, & après enfermé dans un sac de cuir avec un chien, un singe, un coq, & une vipere, & en cet état jetté dans la mer ou dans la plus prochaine riviere, & la loi rendant la raison de ce genre de supplice, dit que c'est afin que le parricide qui a offensé la nature par son crime soit privé de l'usage de tous les élémens, savoir de la respiration de l'air, étant encore vivant, de l'eau étant au milieu de la mer ou d'une riviere, & de la terre qu'il ne peut avoir pour sa sépulture.
Parmi nous ce crime est puni du dernier supplice, & la rigueur de la peine est augmentée selon les circonstances & la qualité des personnes sur lesquelles ce crime a été commis ; ainsi le parricide qui est commis en la personne du roi, qui de tous les crimes de ce genre est le plus détestable, est aussi puni des tourmens les plus rigoureux. Voyez LEZE-MAJESTE.
Il n'y a que la fureur procédant d'un dérangement d'esprit qui puisse faire excuser le parricide ; dans ce cas même on ordonne toujours que l'auteur du parricide sera renfermé & gardé par les soins de ses parens.
Le fils parricide est exclus de la succession de son pere, attendu l'indignité qu'il a encourue à l'instant de son crime.
Les enfans du fils parricide ne sont pourtant pas exclus de la succession de leur ayeul.
Le crime de parricide se prescrit comme les autres, par vingt ans ; & par trente ans, lorsque le jugement de contumace a été exécuté en effigie. Voyez Desmaisons & Jovet, & les mots CRIME, ENFANT.
La question la plus délicate qu'on fasse sur cette matiere, & dont j'ai promis la solution au mot DEFENSE DE SOI-MEME, c'est si un fils qui tue son pere ou sa mere à son corps défendant est coupable de parricide.
Je remarque d'abord que les lois peuvent à cause des inconvéniens, punir tout fils qui aura tué son pere ou sa mere, même à son corps défendant. En effet, comme on doit présumer qu'un tel cas sera fort rare, il n'est pas à propos d'en faire une exception, qui pourroit donner lieu de laisser impuni un véritable parricide ; mais à considérer la chose en elle-même : voici l'avis de M. Barbeyrac.
" 1°. Si un pere est poussé à tuer son fils par un mouvement dont il n'est pas le maître, ensorte qu'il ne sache ce qu'il fait, toutefois il vaut mieux se laisser tuer alors, que de tremper ses mains dans le sang de son pere.
2°. Lorsqu'on a quelque sujet de craindre qu'un pere ne se porte avec quelque connoissance & quelque délibération à mettre en danger notre vie, il n'y a rien qu'on ne doive faire pour éviter les moindres occasions de l'irriter, & il faut s'abstenir de bien des choses qu'on auroit plein droit d'exécuter s'il s'agissoit de tout autre.
3°. Mais si après n'avoir rien négligé de ce côté-là, on se voyoit infailliblement exposé à perdre la vie par la main de celui qui, plus que personne, est tenu de contribuer à notre conservation ; comme en ce cas-là on peut, si l'on veut, se laisser tuer par un accès de tendresse & de considération pour celui de qui l'on tient la vie, je ne crois pas non-plus qu'on fût coupable de meurtre & de parricide, si l'on se défendoit jusqu'à tuer l'agresseur ".
Le droit de défendre sa vie est antérieur à toute obligation envers autrui ; & un pere qui s'oublie jusqu'à entrer dans un si grand excès de fureur contre son propre fils, ne mérite guère que celui-ci le regarde encore comme son pere. Le fils innocent est alors bien digne de compassion, puisque pendant que le pere témoigne avoir renoncé aux sentimens de la nature, il ne peut lui-même, sans une grande répugnance, suivre en cette occasion le penchant naturel qui porte d'ailleurs chacun avec tant de force à se conserver soi-même. Aussi ce cas arrivera-t-il très-rarement ; & un fils, à moins que d'être aussi dénaturé que son pere, ne se défendra que foiblement, quand il verra que la défense ne peut qu'être fatale à l'agresseur qu'il voudroit sauver quoiqu' indigne. Mais enfin il suffit que la chose soit possible : & ainsi la question ne doit ni être omise sous prétexte qu'on peut abuser de la décision, ni décider sur ces préjugés éblouissans, que forme la relation de pere & de fils. Les devoirs qui naissent de cette relation sont réciproques ; & si la balance est plus forte d'un côté que de l'autre, il ne faut pas qu'elle tombe toute de ce côté.
Les principes du droit naturel, bien examinés, fourniront toujours dans les cas les plus rares & les plus épineux, comme celui-ci, de quoi marquer les justes bornes de chaque devoir, & concilier ensemble ceux qui semblent se choquer.
Au reste, les lecteurs curieux peuvent consulter encore Gundling, Jus nat. Werner, Dissert. jus nat. Gribner, Jurisp. nat. Voet, in Pandectas, &c. ils ont même la plûpart soutenu l'affirmative purement & simplement, sans les précautions & les restrictions que nous avons établies au préalable. Il y a dans Sophocle un passage que Grotius n'a pas oublié dans ses Excerpta ex veter. com. & trag. on y fait dire à Oedipe, que quand même il auroit connu son pere lorsqu'il le tua à son corps défendant, il ne pourroit pas être regardé comme coupable. (D.J.)
PARRICIDE, (Littérat.) il n'y avoit point de loi contre ce crime à Athènes, Solon n'ayant pu croire que personne fût capable de le commettre. Il n'y en avoit point encore à Rome avant l'an 652 de sa fondation, quoiqu'on trouve qu'un Lucius Ostius le commit peu de tems après la premiere guerre punique, sans que Plutarque, qui rapporte ce fait, en dise la punition. Selon Pausanias, c'est d'avoir dans l'autre monde son propre pere qui l'étrangle ; il y avoit un tableau de Polygnote, qui représentoit ainsi le supplice d'un fils dénaturé, qui avoit maltraité son pere. Mais l'an 652 de Rome, un Publicius Maléolus ayant tué sa mere, donna occasion d'en régler la peine dans ce monde. Ce fut d'abord d'être noyé, cousu simplement dans un sac de cuir de boeuf. Ce genre de supplice fut ordonné par Tarquin le Superbe, pour un prêtre qui avoit révélé le secret des mysteres. Apparemment qu'on l'appliqua aux parricides, pour les distinguer des autres criminels, autant qu'ils devoient l'être, en les châtiant comme les plus grands impies ; car l'impiété chez les Romains, étoit le manque de respect pour son pere & sa mere. Enfin, Pompée consul pour la seconde fois, en confirmant la loi qui avoit réglé cette peine, y ajouta qu'on mettroit un chien, un coq, un singe & des serpens, le tout en vie, dans le même sac avec le criminel, avant que de le noyer.
Mais quoique le nom de parricide, s'appliquât proprement chez les Romains à ceux qui avoient tué leur pere ou leur mere, il faut savoir qu'une loi de Numa, avoit étendu ce crime jusques à ceux qui de mauvaise foi, & de propos délibéré, ôteroient la vie à quelque homme que ce fut ; c'est pourquoi Ciceron donna cette odieuse épithete à Catilina, à cause des trames indignes qu'il brassoit pour abîmer sa patrie, qui étoit la mere commune de tous les citoyens romains. (D.J.)
PARRICIDIUM, (Hist. anc.) nom donné par un decret du sénat au jour où les conjurés avoient poignardé Jules César, qu'on avoit appellé pere de la patrie, pater patriae. Une inscription que nous a conservé Reinesius au sujet de la mort de Caïus Agrippa, que la colonie de Pise avoit choisi pour son protecteur, nous fait conjecturer que le sénat avoit ordonné qu'à pareil jour tout le monde prît le deuil, que les temples, les bains publics, les cabarets fussent fermés ; qu'il fût défendu de faire des noces, des festins, ni de donner des spectacles ; mais au contraire enjoint aux dames de mener grand deuil, & aux magistrats d'offrir un sacrifice solemnel aux mânes du défunt. Il est constant que si la colonie de Pise honora ainsi la mémoire du petit-fils d'Auguste, le decret du sénat pour la mort de César, mentionné par Suétone, ne dut pas obliger les Romains à de moindres témoignages de regret.
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PARSEMER | v. act. (Gram.) répandre çà & là. Le manteau du roi est parsemé de fleurs-de-lys ; son discours est parsemé de fleurs : je verrai les chemins encore tout parsemés de fleurs, dont sous ses pas on les voit semés.
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PARSIS | (Hist. moderne) nom que l'on donne dans l'Indostan aux adorateurs du feu, ou sectateurs de la religion fondée en Perse par Zerdust ou Zoroastre. Les Parsis qui se trouvent aujourd'hui dans l'Inde, sont venus de Perse, comme leur nom l'indique ; leurs ancêtres se sont réfugiés dans ce pays pour se soustraire aux persécutions des Mahométans arabes & tartares qui avoient fait la conquête de leur patrie. Ils sont vétus comme les autres indiens, à l'exception de leur barbe qu'ils laissent croître ; ils se livrent ordinairement à l'agriculture & à la culture de la vigne & des arbres. Ils ne communiquent point avec ceux d'une autre religion, de peur de se souiller ; il leur est permis de manger des animaux, mais ils s'abstiennent de faire usage de la viande de porc & de celle de vache, de peur d'offenser les Mahométans & les Banians. Ils ont une grande vénération pour le coq ; leurs prêtres, qu'ils nomment darous, sont chargés du soin d'entretenir le feu sacré que leurs ancêtres ont autrefois apporté de Perse ; ce seroit un crime irrémissible que de le laisser éteindre. Ce ne seroit pas un péché moins grand que de répandre de l'eau ou de cracher sur le feu ordinaire qui sert dans le ménage. Il est pareillement un objet de vénération pour les Parsis ; & il y auroit de l'impiété à l'entretenir avec quelque chose d'impur. Leur respect pour le feu va jusqu'au point de ne pas vouloir l'éteindre avec de l'eau, quand même leur maison seroit en danger d'en être consumée : par la même raison ils ne consentiroient jamais à éteindre une chandelle. En un mot, il ne leur est jamais permis de rien faire pour éteindre le feu ; il faut qu'il s'éteigne de lui-même. Les Parsis regardent le mariage comme un état qui conduit au bonheur éternel ; ils ont en horreur le célibat, au point que, si le fils ou la fille d'un homme riche viennent à mourir avant que d'avoir été mariés, le pere cherche des gens, qui pour de l'argent consentent à épouser la personne qui est morte. La cérémonie du mariage des Parsis consiste à faire venir deux darous ou prêtres, dont l'un place un doigt sur le front de la fille, tandis que l'autre place le sien sur le front de l'époux. Chacun de ces prêtres demande à l'une des parties, si elle consent à épouser l'autre ; après quoi ils répandent du ris sur la tête des nouveaux mariés ; ce qui est un emblème de la fécondité qu'ils leur souhaitent. Les Parsis n'enterrent point leurs morts ; ils les exposent à l'air dans une enceinte environnée d'un mur où ils restent pour servir de proie aux vautours. Le terrein de cette enceinte va en pente de la circonférence au centre : c'est-là que l'on expose les morts, qui dans un climat si chaud, répandent une odeur très-incommode pour les vivans. Quelques jours après qu'un corps a été exposé dans cet endroit, les amis & les parens du défunt vont se rendre au lieu de la sépulture ; ils examinent ses yeux ; si les vautours ont commencé par lui arracher l'oeil droit, on ne doute pas que le mort ne jouisse de la béatitude ; si au contraire l'oeil gauche a été emporté le premier, on conclud que le mort est malheureux dans l'autre vie. C'est aux environs de Surate que demeurent la plûpart des Parsis de l'Indostan.
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PART | adj. (Astrol.) Ce terme, en Astrologie, se dit d'un aspect qui est dans le degré précisément qui forme l'aspect. Un trine partil, se dit de celui de 120 degrés. Le soleil, par exemple, est en trine partil de la lune, lorsqu'il est au douzieme dégré du Lion, & que la lune est au douzieme degré du Sagittaire ou d'Ariès ; parce que dans l'un & dans l'autre cas, ils sont éloignés l'un de l'autre de 120 degrés, qui est justement la tierce partie du zodiaque, ce qui forme par conséquent le trine parfait & partil.
Le quadrat partil se fait lorsque deux astres sont précisément éloignés l'un de l'autre de 90 degrés. Le sextil, lorsqu'ils sont éloignés de 60 degrés.
L'opposition partile se fait lorsqu'ils sont distans de la moitié du cercle, c'est-à-dire, de 180 degrés ; & la conjonction partile, lorsqu'ils sont précisément au même degré du zodiaque. Les astrologues ne laissent pas de nommer tous les aspects partils, lorsqu'ils ne sont éloignés de la précision que de trois ou quatre degrés, principalement lorsque la plus véloce des planetes applique à l'autre. Trévoux (D.J.)
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PARTAGE | S. m. (Jurisprud.) est la séparation, division, & distribution qui se fait d'une chose commune entre plusieurs co-propriétaires qui jouissoient par indivis.
On peut partager des meubles meublans, des grains, des deniers, & autres choses mobiliaires ; on partage aussi des immeubles, soit réels ou fictifs.
Personne n'est tenu de jouir par indivis, quelque convention qui ait été faite de ne point demander de partage, parce que la communauté de biens est ordinairement une source de discussions.
Quand les choses sont indivisibles de leur nature, comme un droit de servitude, un droit honorifique, &c. ou qu'elles ne peuvent commodément se partager, si les co-propriétaires ne veulent plus en jouir en commun, il faut qu'ils s'accordent pour en jouir tour-à-tour, ou qu'ils en viennent à la licitation. Voyez LICITATION.
Le partage se fait en formant différens lots proportionnés au droit que chacun a dans la chose.
On peut faire cette opération à l'amiable ou par justice.
La maniere de procéder à un partage à l'amiable, c'est de convenir devant un notaire du nombre des lots qu'il s'agit de faire, de ce qui doit entrer dans chaque lot, & de la destination de chacun des lots.
Lorsqu'on ne s'accorde pas sur la destination des lots, on les tire au sort.
Le partage s'ordonne par justice, lorsque les copropriétaires ne s'accordent pas sur la nécessité ou possibilité du partage, ou sur les opérations qui sont à faire en conséquence. Alors on nomme des experts pour priser les biens, & pour procéder ensuite au partage ; les experts font les lots, & ces lots sont tirés au sort.
Celui qui a fait des frais pour parvenir au partage, peut obliger ses co-héritiers d'y contribuer chacun pour leur part & portion ; il a même un privilége pour répéter ces frais sur les biens qui font l'objet du partage.
La bonne foi & l'égalité sont l'ame de tous les partages ; desorte que si l'un des co-partageans souffre une lésion du tiers au quart ; il peut revenir contre le partage, en obtenant dans les dix ans des lettres de rescision.
Le partage n'est que déclaratif, c'est-à-dire, qu'il n'est pas censé attribuer un droit nouveau à celui qui demeure propriétaire de la part qui auroit pû avoir un autre co-propriétaire ; parce que chacun d'eux a un droit indivis à la totalité. C'est par cette raison, que le partage entre co-propriétaires ne produit point de droit au profit du seigneur ; mais il faut pour cela qu'ils soient co-propriétaires, en vertu d'un titre commun, comme des co-héritiers, des co-acquéreurs, & non quand ils sont co-propriétaires en vertu de titres différens, comme quand un étranger a acquis les droits d'un des héritiers.
Dans toutes sortes de partages, les lots sont garans les uns des autres, en cas d'éviction. Voyez au code les titres communis dividundo, familiae erciscundae, & communia utriusque judicii.
Partage de communauté, est la division des meubles & autres effets mobiliers & des conquêts immeubles, qui étoient communs entre deux conjoints.
Ce partage n'a lieu qu'après la dissolution de la communauté, laquelle arrive par le décès de l'un des conjoints ; ainsi le partage se fait entre le survivant & les héritiers du prédécédé.
Pour donner lieu à ce partage, il ne suffit pas qu'il y eût eu communauté stipulée par contrat de mariage, ou établie de plein droit par la coutume ; il faut encore que la femme ou ses héritiers n'ayent pas renoncé à la communauté ; car en ce cas, il n'y a plus de partage à faire ; tous les biens de la communauté appartiennent au mari ou à ses héritiers.
Il y a encore deux cas où le partage n'a pas lieu ; l'un est lorsque la femme a été déchue par un jugement de droit qu'elle avoit en la communauté pour cause d'indignité, comme pour crime d'adultere ; l'autre cas est lorsqu'il est dit par le contrat de mariage, qu'en cas de prédécès de la femme, ses héritiers seront exclus de la communauté.
Lorsqu'il n'y a point d'obstacle au partage de la communauté, elle se partage en l'état qu'elle se trouve lors de la dissolution, c'est-à-dire, que l'on prend les biens en l'état qu'ils sont, & avec les dettes qui sont à la charge de la communauté.
On fait une masse de tous les meubles qui se trouvent existans, & de tous les autres effets mobiliers, de tous les conquêts immeubles, & de tout ce qui a dû entrer en la communauté, suivant le contrat de mariage.
Sur cette masse chacun reprend d'abord ses propres remplois de propres & récompenses ; ensuite le survivant préleve son préciput, s'il y en a un porté par le contrat de mariage ; après quoi, le surplus se partage par moitié entre le survivant & les héritiers du prédécédé.
Quoique la femme ait ordinairement moitié de la communauté, on peut stipuler par contrat de mariage, qu'elle n'en aura qu'un tiers ou un quart.
Pour ce qui est des dettes de communauté, on les préleve sur la masse, ou bien l'on en fait deux lots, & chacun se charge d'acquiter le sien. Voyez les traités de la communauté de Renusson & de le Brun, & le mot COMMUNAUTE.
Partage définitif, est celui qui est fait à demeure & irrévocablement, à la différence du partage provisionnel, qui n'est fait qu'en attendant que l'on puisse procéder à un partage général & définitif.
Partage provisionnel, est celui que l'on fait provisoirement, soit de certaines choses en attendant que l'on puisse partager le surplus, ou même de tout ce qui est à partager, lorsque l'on n'est pas en état d'en faire un partage irrévocable, comme il arrive lorsqu'il y a des absens ou des mineurs ; car quand ceux qui étoient absens reparoissent, ils peuvent demander un nouveau partage. Il en est de même des mineurs devenus majeurs ; cependant si le mineur n'est point lésé, le partage provisionnel demeure définitif.
Partage de succession, est celui qui se fait entre cohéritiers, à l'effet que chacun d'eux ait la part & portion qui doit lui revenir de la succession.
Il se trouve quelquefois dans les successions des effets qui n'entrent point en partage, tels que les titres & papiers, portraits de famille, & pieces d'honneur qui demeurent en entier à l'aîné.
Tels sont aussi certains biens qui ne sont pas sujets à rapport. Voyez ci-après PRELEGS & RAPPORT.
Quand les héritiers ne s'accordent pas à l'amiable pour le partage, il se fait devant le juge du lieu où la succession est ouverte.
Le juge renvoye quelquefois les parties devant un notaire pour procéder au partage, ou bien devant des experts.
Dans les partages, les meubles se reglent suivant la loi du domicile du défunt.
Les immeubles se partagent suivant la coutume du lieu où ils sont situés ; c'est pourquoi l'on dit communément qu'il se fait autant de partages que de coutumes ; ce qui ne signifie pas que l'on doive faire autant d'actes de partages qu'il y a de coutumes dans lesquelles il se trouve des biens de la succession, mais que chaque coutume regle le partage des biens de son territoire, ensorte que les biens de chaque coutume se partagent souvent d'une maniere toute différente, selon la disposition des coutumes.
Les successions se partagent en l'état qu'elles se trouvent ; ainsi le partage ne comprend que les biens existans, & avec les dettes & les charges telles qu'elles se trouvent au tems de l'ouverture de la succession.
Il y a des coutumes telles qu'Anjou & Maine, où l'aîné fait les lots & les cadets choisissent.
En Touraine, c'est l'aîné qui fait le partage, mais les puînés ont la liberté de faire ce qu'on appelle la refente, c'est-à-dire de diviser en deux la part que l'aîné avoit gardée pour lui, & d'en prendre la moitié au lieu du tiers qu'il leur avoit donné.
Dans les autres coutumes, les lots se font par convention ou par le ministere des experts ; & quand les cohéritiers ne s'accordent pas sur le choix des lots, ils le tirent au sort.
Tout premier acte entre cohéritiers est réputé partage, c'est-à-dire qu'il a la même faveur, qu'il ne les oblige point à payer des droits seigneuriaux, & qu'il peut être rescindé pour lésion du tiers au quart.
Quand le partage entre cohéritiers a le caractere d'une transaction, il ne peut être rescindé quelque lésion qu'il y ait, à-moins qu'il n'y ait eu du dol ou de la force.
La garantie du partage entre cohéritiers est du jour de l'addition d'hérédité.
Les créanciers particuliers de l'héritier n'ont droit de se venger que sur les biens qui sont échus en partage à leur débiteur. Voyez Domat, part. II. l. I. tit. IV. Bouvot, tome II. Jovet, au mot partage ; le Prêtre, du Luc, Carondas, Papon, Barry & le Brun.
Partage d'opinions, c'est lorsque les juges sont divisés en deux avis différens, de maniere qu'il y a autant de voix d'un côté que de l'autre, ou du-moins qu'il n'y en a pas assez d'un côté pour l'emporter sur l'autre.
Les établissemens de S. Louis, ch. xxxvij. portent que quand les jugeurs sont partagés, le juge prononce en faveur de la franchise ou de l'accusé ; il y avoit pourtant d'autres cas où le juge devoit mettre l'affaire au conseil ; & quand le seigneur, en cas de partage, ne donnoit pas de conseil, l'affaire étoit dévolue aux juges supérieurs.
Suivant une ordonnance faite par Philippe III. en 1277, touchant la maniere de rendre les jugemens en Touraine, il y avoit partage d'avis, lorsque plus de deux chevaliers étoient d'un avis contraire à celui des autres jugeurs.
L'ordonnance de 1539, art. 126, porte qu'il ne se fera dorénavant aucun partage ès procès pendans aux cours souveraines, mais que les présidens & conseillers seront tenus de convenir en une même sentence & opinion, à tout le moins en tel nombre qu'il puisse s'ensuivre arrêt & jugement avant de vaquer, & entendre à autre affaire ; & pour empêcher le partage, l'article suivant veut & ordonne que quand il passera d'une voix, le jugement soit conclu & arrêté.
La déclaration de la même année, donnée en interprétation de cette ordonnance, veut que les procès pendans ès parlemens & cours souveraines ne soient point conclus qu'ils ne passent de deux voix & opinions, ainsi qu'on l'observoit d'ancienneté.
L'article 126. de l'ordonnance de Blois veut que quand un procès se trouve parti au parlement, soit en la grand'chambre ou chambre des enquêtes, il soit incontinent & sans délai procédé au département de ce procès ; & à cette fin, il est enjoint aux présidens des chambres de donner promptement audience au rapporteur & au compartiteur sans aucune remise, afin que le même jour qu'ils se seront présentés, les procès soient mis sur le bureau, pour être départagés & jugés incontinent.
En matiere criminelle, il n'y a jamais de partage, parce qu'en cas d'égalité de voix, c'est l'avis le plus doux qui prévaut.
Il étoit d'usage dans quelques présidiaux qu'il falloit deux voix de plus pour départager ; mais par une déclaration du 30 Septembre 1751, registrée le 10 Décembre suivant, il a été ordonné que dans les jugemens des présidiaux au premier chef de l'édit, la pluralité d'une seule voix formera dorénavant le jugement, sans qu'il puisse y avoir de partage que dans le cas où il se trouvera un nombre égal de suffrages.
Le partage sur un procès empêche l'évocation, suivant un arrêt du conseil du 5 Septembre 1698.
Au parlement de Douay, en cas de partage, on confirmoit la sentence des premiers juges ; cela ne s'observe plus, si ce n'est en cas d'appel en pleine cour des conseillers commissaires aux audiences ; dans ce même parlement une seule voix départage. Voyez l'instit. au dr. belgique de Ghewiet. Voyez VOIX PREPONDERANTE. (A)
PARTAGE, s. m. (Archit. hydraul.) c'est le lieu le plus élevé d'où l'on puisse faire couler les eaux, & d'où on les distribue par le moyen de canaux, ruisseaux, &c. en différens endroits. Voyez ABREUVER & BASSIN DE PARTAGE.
On appelle point de partage le repaire où la jonction des eaux se fait.
Partage d'héritage. C'est la division d'un héritage que font par lots ou égales portions, les arpenteurs & architectes experts entre plusieurs cohéritiers. Lorsque, dans cet héritage, il y a des portions qui ne peuvent être divisées sans un notable préjudice, comme les bâtimens, on fait une estimation de leur excès de valeur, pour être ajouté au plus foible lot & être compensé en argent.
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PARTAGER | v. act. (Gram.) qui désigne l'action de faire le partage. Voyez l'article PARTAGE.
PARTAGER LE VENT, (Marine) c'est prendre le vent en plusieurs bordées, à-peu-près égales, tantôt d'un côté & tantôt de l'autre.
Partager le vent, partager l'avantage du vent, c'est louvoyer sur le même rhumb de vent que celui à qui on le veut gagner, ou qui le veut gagner sur vous, & ne point parvenir à le gagner, quoique sans le perdre aussi, c'est-à-dire sans tomber sous le vent, mais se maintenir toujours l'un & l'autre. (Z)
PARTAGER LES RENES, (Maréchal) c'est prendre une rêne d'une main, & l'autre de l'autre, & conduire ainsi son cheval.
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PARTANCE | S. f. (Marine) c'est le tems qu'on part de quelque lieu ; c'est aussi le départ même ; nous avons toujours de belles partances ; coup de partance ou de partement ; signal de partance. C'est le coup de canon sans bale qu'on tire pour avertir qu'on est sur le point de mettre à la voile : notre amiral tira le coup de partance. Etre de partance, c'est être en état de partir. Banniere de partance, c'est le pavillon qu'on met à la poupe pour avertir l'équipage qui est à terre, qu'il ait à venir à bord pour appareiller : c'est une banniere bleue chez les Hollandois ; arborer la banniere de partance. (Z)
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PARTEMENT | (Navigation) c'est la direction du cours d'un vaisseau vers l'Orient ou l'Occident, par rapport au méridien d'où il est parti ; ou bien, c'est la différence de longitude entre le méridien sous lequel un vaisseau se trouve actuellement, & celui où la derniere observation a été faite. Excepté sous l'équateur, cette différence s'estime suivant le nombre de milles contenu dans un degré du parallele où est le vaisseau. Dans la navigation de Mercator, le partement est toujours représenté par la base d'un triangle rectangle, où la route est l'angle opposé à cette base & la distance l'hypoténuse. Dans la carte du même auteur, le rayon est la distance comme le sinus de la route est au partement. Mais, excepté à de très-petites distances, cela est fort sujet à l'erreur ; car si la distance & la différence de latitude sont représentées par l'hypoténuse d'un triangle plan rectangle, le partement ne sera point la base de ce triangle, ainsi que le veut M. Hodgen dans son système des Mathématiques. Saverien. (D.J.)
PARTEMENT, (Artificier) on donne ce nom aux fusées volantes qui sont un peu moins grosses que les marquises, c'est-à-dire d'environ dix lignes de diametre ; celles qui n'en ont que huit s'appellent petit partement, suivant M. d'O : elles sont plus grosses suivant L. de S. Remi, les premieres sont de quinze, & les autres de treize à quatorze.
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PARTENAY | (Géog. mod.) Pertiniacum, ou Pertinaculum en latin du moyen âge, petite ville de France dans le Poitou, chef-lieu d'un petit pays appellé la Gatine, sur la Thoue, à 6 lieues au nord de S. Maixant, & à 6 au midi de Thouars. Long. 17. 15. lat. 46. 40. (D.J.)
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PARTERRE | PARTERRE
On appelle aussi parterre la collection des spectateurs qui ont leurs places dans le parterre ; c'est lui qui décide du mérite des pieces : on dit les jugemens les cabales, les applaudissemens, les sifflets du parterre. Ainsi M. Despréaux a dit dans un Epigramme :
Mon embarras est comment
On pourra finir la guerre.
De Pradon & du parterre.
PARTERRE, s. m. (Jardinage) est un terrein plat, uni & découvert, où l'on a tracé différens traits ; planté ordinairement en buis, imitant la broderie, ou que l'on a partagé en plusieurs compartimens de gazon.
On distingue de cinq sortes de parterres, les parterres de broderie, les parterres de compartiment, les parterres à l'angloise, ceux de pieces coupées ou découpées, & les parterres d'eau.
Les parterres de broderie tirent leur nom de l'imitation de la broderie que forment les traits de buis dont ils sont plantés.
Les parterres de compartiment sont ainsi appellés à cause que le dessein se répete par symmétrie de plusieurs côtés ; ils sont mêlés de pieces de broderie & de gazon qui forment un compartiment.
Ceux à l'angloise plus simples ne sont remplis que de grands tapis de gazon d'une piece, ou peu coupés, entourés ordinairement d'une plate-bande de fleurs. La mode qui vient d'Angleterre, leur a fait donner ce nom.
Les parterres de pieces coupées ou découpées sont différens de tous les autres, en ce que les plates-bandes de fleurs qui les composent sont coupées par symmétries, sans aucun gazon ni broderie, & que le sentier qui les entoure sert à se promener, sans rien gâter au milieu de ces parterres.
A l'égard des parterres d'eau, leurs compartimens sont formés par plusieurs bassins de différentes figures, ornés de jets & de bouillons d'eau ; ce qui les rend très-agréables à la vûe, mais ils sont peu de mode présentement.
Les parterres de broderie & de compartiment décorent les places les plus proches d'un bâtiment. Ceux à l'angloise les accompagnent, ou se pratiquent au milieu d'une salle dans un bosquet ou dans une orangerie ; ces derniers se nomment parterres d'orangerie.
Les parterres de pieces coupées ou découpées servent encore à élever des fleurs, d'où ils prennent le nom de parterres fleuristes.
Les parterres sont composés de différens desseins, tels que des rinceaux, des fleurons, des becs de corbin, nilles, noeuds, naissances, feuilles de réfend, compartimens, volutes, chapelets, agraffes, graines, palmettes, culots, dents de loup, attaches, guillochis, enroulemens, rosettes, treffles, panaches, puits, massifs, coquilles, cartouches, plates-bandes & sentiers.
La broderie d'un parterre ne doit être ni trop pesante, ni trop légere, c'est le bon goût & l'expérience qui décideront de la juste proportion qu'on lui doit donner.
Le parterre, représenté dans la Planche IV. est d'un dessein & d'un goût nouveau, c'est un seul tableau rempli de beaucoup de gazon pour se conformer au goût dominant, la broderie en est très-légere, & se lie avec les pieces de gazon des enroulemens, des plates-bandes & de la grande piece du bout, orné d'une figure qui est posée à l'enfilade des allées du bois d'enhaut ; des plates-bandes larges avec des ormes & des vases sur leurs dés dans les échancrures pratiquées le long de ces plates-bandes, ce qui les rend très-riches & très-nouvelles, accompagnent les aîles de ce parterre.
Quant à la maniere de le tracer & de le planter, consultez les articles TRACER & PLANTER. (K)
PARTERRE D'EAU, (Archit. hydraul.) compartiment formé de plusieurs bassins de diverses figures, avec jets & bouillons d'eau, ou par un ou deux grands bassins. On voit à Chantilly des parterres d'eau de la premiere espece, & au-devant du château de Versailles des parterres de la seconde.
PARTERRES, (Soieries) espece de satin ou de damas ; on les nomme ainsi, parce qu'ils sont semés de fleurs, qui par leur diversité, représentent assez bien l'émail d'un parterre. Ils ont été inventés en France & imités à Amsterdam, mais avec moins de goût & de finesse.
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PARTHANUM | (Géog. anc.) ville de la Vindelicie, citée dans l'itinéraire d'Antonin. Simler dit que c'est à présent Partenkirch.
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PARTHENIASTRUM | S. m. (Botan. exot.) genre de plante dont voici les caracteres. Ses fleurs sont radiées, faites en forme de disque, & composées de plusieurs fleurons ; mais elles sont stériles. Les demi-fleurons, qui ont la forme d'un coeur, sont remplacés par des semences noires, lesquelles ne sont couvertes par aucun duvet. On peut ajouter que le calice est d'une seule piece, & découpé jusqu'au bas en cinq parties.
Miller compte deux especes de partheniastrum, la premiere appellée partheniastrum artemisiae folio, flore albo, acad. royale des Sciences, croît sans culture dans la Jamaïque & dans quelques autres contrées de l'Amérique. La seconde nommée partheniastrum helenii folio, Hort. elth. croît dans plusieurs endroits des Indes espagnoles, d'où ses semences ont été apportées en Europe. Elles sont toutes deux annuelles. (D.J.)
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PARTHÉNIE | S. f. (Mythol.) ou la vierge, surnom qu'on donnoit à Minerve, parce qu'on prétendoit qu'elle avoit toujours conservé sa virginité. Les Athéniens lui consacrerent sous ce nom un temple qui étoit un des plus magnifiques édifices qu'il y eût à Athènes : il subsiste encore aujourd'hui pour la plus grande partie, au rapport de Spon qui dit l'avoir vu. On l'appelloit le Parthénon, c'est-à-dire le temple de la déesse vierge, ou bien l'Hécatompédon, ou le temple de cent pas, parce qu'il avoit cent piés en tout sens. La statue de la déesse étoit d'or & d'ivoire, dans l'attitude d'une personne debout & toute droite, tenant une pique dans sa main, à ses piés son bouclier, sur son estomac une tête de méduse, & auprès d'elle une victoire haute d'environ quatre coudées. Voyez PARTHENON.
Ce surnom de Parthénie est aussi donné quelquefois à Junon, quoique mere de plusieurs enfans, à cause de la fable qui disoit que cette déesse en se baignant tous les ans dans la fontaine de Canathos, recouvroit sa virginité. Cette fable a été fabriquée sur les mysteres secrets qu'on célébroit en l'honneur de la déesse. (D.J.)
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PARTHÉNIEN | ENFANT, (Littér.) ce mot a plusieurs significations, que l'on peut voir dans les dictionnaires grecs, mais il signifie dans Diodore de Sicile, les enfans nés en l'absence des maris. L'histoire grecque nous apprend que les Lacedémoniennes ne se croyoient pas déshonorées de donner des citoyens à la patrie en l'absence de leurs maris, quand ils y consentoient eux-mêmes. Justin, liv. III. dit que les soldats retenus au service par leur serment, envoyerent à leurs femmes ceux de leurs camarades qui n'avoient pas juré comme eux. (D.J.)
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PARTHÉNIES | S. f. pl. (Poésies greq.) hymnes ou cantiques ainsi nommés, parce qu'ils étoient composés pour des choeurs ou des troupes de jeunes filles () qui les chantoient dans certaines fêtes solemnelles, & en particulier dans les daphnéphories qu'on célébroit tous les ans en Béotie à l'honneur d'Apollon Isménien. Dans ces fêtes, des choeurs de jeunes filles marchoient en procession, portant des branches de laurier, & chantant des parthénies en équipage de suppliantes ; ces parthénies n'étoient pas l'ouvrage des mauvais poëtes, c'étoient les plus fameux lyriques, tels que Alcman, Pindare, Simonide, Bacchylide, qui les composoient à l'envi. Il est parlé de ces parthénies dans la comédie des oiseaux d'Aristophane, dans Plutarque sur la musique, & ailleurs. (D.J.)
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PARTHENIUM | S. m. (Botan.) nom donné par Linnaeus à un genre de plante très-étendu, qui comprend non-seulement les parthenia de quelques botanistes, mais encore le partheniastrum de Dillenius, & l'histerophorus de Vaillant. Voici le caractere de ce genre de plantes : le calice commun est très-simple, composé de cinq pétales étendus, arrondis & égaux ; la couronne de la fleur est composée & convexe ; les demi-fleurons sont nombreux, & ceux qui sont hermaphrodites se trouvent placés dans le centre : les fleurs hermaphrodites sont monopétales, tubuleuses, droites, avec les bords divisés en cinq segmens : elles ont cinq filets capillaires de la longueur de la fleur, & qui servent d'étamines. Le pistil a un germe placé sous le calice, & à peine visible : le stile est très-délié, plus court que les étamines, & sans stigma. Dans les fleurs femelles, le germe du pistil est contourné, & de forme applatie ; le stile est très-menu, & de la longueur de la fleur. Il n'y a point d'autres fruits que le calice, lequel reste sur la plante. La graine des fleurs hermaphrodites est stérile ; ces fleurs sont rangées en forme de tête, de maniere que chaque fleur femelle a deux fleurs hermaphrodites qui lui sont adossées. Voyez Linnaei gen. plant. pag. 455. Dilenn. gen. 13. Hort. elth. 22. Vaillant, A. G. 1720. pag. 1719. (D.J.)
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PARTHENIUS | (Géog. anc.) 1°. fleuve de l'Asie mineure, selon Ptolomée, liv. II. c. j. Arrien, Péripl. I. p. 14. le donne pour borne entre la Bithynie & la Paphlagonie. Les Grecs, selon M. Tournefort, voyage du Levant, tom. II. lettre xvj. ont conservé le nom de cette riviere, car ils la nomment Partheni ; mais les Turcs l'appellent Dolap.
Cette riviere n'est point aujourd'hui bien grande, quoique ce fut une de celles que les dix mille appréhendoient de passer. Mais si Strabon revenoit au monde, il la trouveroit aussi belle qu'il l'a décrite. Ses eaux coulent encore parmi ces prairies qui lui avoient attiré le nom de vierge. Denis de Bysance auroit mieux fait de faire passer les eaux de cette riviere au travers de la campagne d'Amastro, que par le milieu de la ville où elle n'arrive point, aussi croit-il que le nom de vierge lui fut donné à l'occasion de Diane que l'on adoroit sur ses bords. Les citoyens d'Amastro l'avoient représentée sur une médaille de Marc-Aurele. Le fleuve a le visage d'un pauvre homme couché, tenant un roseau de la main droite, avec le coude appuyé sur des rochers d'où sortent ses eaux.
Pline n'a pas bien connu la position de ces côtes, car il a placé la riviere Parthénius bien loin de-là d'Amastro, & même plus loin que Stephanus.
2°. Parthenius, fleuve de l'île de Samos.
3°. Parthenius, fleuve de Cilicie près de la ville d'Archiala.
4°. Parthenius, promontoire au voisinage d'Héraclée.
5°. Parthenius, port d'Italie, appellé le port des Phocéens, selon Pline, liv. III. c. v. Solin, c. xx. p. 12. dit que ces peuples l'avoient bâti.
6°. Parthenius, montagne du Péloponnèse. Strabon, liv. VIII. la met au nombre des montagnes les plus considérables du pays, & dit qu'elle s'étendoit depuis la Tégéatide jusqu'à l'Argie. Virgile, dans sa sixieme églogue, parle des bois qui étoient sur cette montagne :
Non me nulla vetabunt
Frigora Parthenios canibus circumdare saltus.
(D.J.)
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PARTHÉNOLOGIE | S. f. c'est la partie de l'oeconomie animale relative aux filles. Ce mot est composé du grec , fille, & , traité.
Schurig, médecin à Dresde, a donné un traité in -4°. intitulé, Parthenologia & de mulieribus, imprimé à Dresde, 1729.
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PARTHÉNON | S. m. (Antiq. greq.) ce mot signifie proprement l'appartement des filles, qui chez les Grecs étoit l'endroit de la maison le plus reculé ; mais on donna le nom de parthénon au temple de Minerve qui étoit dans la citadelle d'Athènes. On le nommoit ainsi parce que Minerve étoit par excellence , vierge. Le parthénon avoit coûté dix mille talens attiques, c'est-à-dire, plus de quarante millions de notre monnoie, à raison de 187 livres sterling 10 shellins le talent. (D.J.)
PARTHENON, étoit aussi le neuvieme des mois célestes de Methon, d'Euctemone & de Callipe, ainsi appellés des signes où étoit alors le soleil. Le parthénon étoit le mois de la vierge.
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PARTHÉNOPE | S. f. (Mythol.) c'est le nom d'une des syrènes. Elle avoit pris son poste dans la baie de Naples, d'où vient que cette ville fut autrefois appellée Parthenopé. Strabon dit que la syrène Parthenopé fut enterrée à Dicéarchie, qui est la ville de Pouzzol d'aujourd'hui.
PARTHENOPE, (Géogr. anc.) île de la mer de Thyrrhène, selon Ptolomée, liv. III. c. j. C'est aujourd'hui Palmosa, selon Léandre. Selon d'autres, c'est Betente, Bentilies, ou Ventotienne. Cette différence vient de ce que la description que Ptolomée donne des îles du golfe de Naples, ne répond pas juste à la situation présente des lieux.
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PARTHÉNOPOLIS | (Géog. anc.) 1. ville de Macédoine. Le concile de Chalcédoine la met dans la premiere Macédoine.
2. ville de Bithynie qui, selon Pline, liv. V. ch. xxxij. ne subsistoit plus de son tems.
3. ville de la Moesie inférieure. Eutrope, liv. VI. ch. viij. la compte parmi celles que Lucullus subjugua sur le Pont.
4. ville de la Carie, dont il est parlé dans le concile de Chalcédoine. (D.J.)
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PARTHICAIRE | S. m. (Gramm. & comm. anc.) marchand de peaux ou fourrures parthiques.
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PARTHIE | Parthia, (Géog. anc) contrée d'Asie, bornée au nord par la grande Médie & par l'Hyrcanie ; à l'orient par l'Asie ; au midi par la Caramanie déserte, & à l'occident par la Paratacène, où, selon Ptolomée, liv. VI. c. v. par la Médie. Cette contrée étoit appellée par les Grecs Parthyaea & Parthyene, & par les Latins Parthyene, & souvent Parthia. Les peuples sont nommés Parthiaei par les Grecs, & Parthi par les Latins.
Sous les rois de la Perside, & sous ceux de Syrie de la race de Macédoine, la Parthie ne fit pas grande figure dans le monde. Elle étoit ordinairement tributaire de quelque souverain du voisinage, & on la comprenoit sous l'Hyrcanie, selon Strabon, qui fait entendre qu'elle étoit pauvre, couverte de bois & de montagnes. Quinte-Curce, liv. IV. ch. ij. dit que du tems d'Alexandre, cette contrée étoit peu considérable ; mais que du tems qu'il écrivoit, elle commandoit à tous les peuples qui habitoient au-delà de l'Euphrate & du Tigre jusqu'à la mer rouge.
Les Macédoniens méprisoient ce pays à cause de sa stérilité qui ne lui fournissoit pas de quoi faire subsister leurs armées.
Arsacès fut le fondateur de l'empire des Parthes. Cet empire se rendit si puissant, qu'il eut l'avantage de tenir tête assez long-tems aux Romains. Il fut établi 250 ans avant Jesus-Christ, & dura environ 480 ans sous les Arsacides, nom qui fut aussi donné aux peuples qui leur étoient soumis. L'empire des Parthes finit vers l'an 227, sous le regne d'Artaban, qui fut tué par Artaxerxès roi de Perse.
Ptolomée partage la Parthie en différentes portions. Celle qui joignoit l'Hyrcanie s'appelloit Comisène ; celle qui étoit au midi de la Comisène s'appelloit Parthiene ou Parthie propre ; une autre portion se nommoit Choroane ; une autre la Parantaticène, & une autre la Tabiene ; mais ces noms ne sont guere connus. Il suffit de dire que les Parthes, peuples sortis de la Scythie, habiterent une grande région d'Asie, qui comprenoit la Parthie propre, l'Hyrcanie & la Margiane, où sont à-présent le Corasan occidental, le Masanderan ou Tabristan, le Ghilan & une grande partie de l'Irac-Agemi. (D.J.)
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PARTHIQUE | adj. (Gramm.) de Parthes. Les Romains donnerent ce surnom aux vainqueurs des Parthes. Les fourrures parthiques étoient fort estimées à Rome. Les jeux parthiques furent institués par Adrien en mémoire de la victoire de Trajan sur les Parthes.
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PARTI | S. m. (Gramm.) il se dit de la chose à laquelle on se détermine. Quel parti avez vous pris ? de rester ou d'aller ? Il a pris le parti le plus doux, celui de l'église. Vous avez pris un parti violent. Il est quelquefois synonyme à avantage. J'en saurai tirer bon parti. Voyez ses autres acceptions aux articles suivans.
PARTI (Hist. mod.) est une faction, intérêt ou puissance que l'on considere comme opposée à une autre. Voyez FACTION.
Les François & les Espagnols ont été long-tems de partis opposés.
L'Angleterre depuis plus d'un siecle est divisée en deux partis. Voyez WIG, TORY.
L'Italie a été déchirée pendant plusieurs siecles par les partis des Guelphes & des Gibelins. Voyez GUELPHES & GIBELINS.
PARTI, dans l'Art Militaire, est un corps de troupes, soit de cavalerie ou d'infanterie, ou de tous les deux, commandé pour quelque expédition.
Un parti de cavalerie a enlevé un grand nombre de bestiaux. Suivant les lois militaires de France, ceux qui vont en parti doivent avoir un ordre par écrit de l'officier qui commande, & être au moins au nombre de vingt, s'ils sont fantassins, ou de quinze, si c'est de la cavalerie ; autrement on les regarde comme des voleurs. Chambers.
Il est nécessaire que le général envoie des partis dans tous les environs de son camp, & dans les chemins par où l'ennemi peut venir, afin d'être instruit de toutes ses démarches. On appelle partisans, les officiers qui commandent les partis. Il faut qu'ils ayent une grande connoissance du pays pour se soustraire aux recherches de l'ennemi, & regagner le camp en sûreté.
Le général envoie aussi des partis dans le pays ennemi pour en tirer des contributions. Voyez CONTRIBUTION, GUERRE & PETITE GUERRE.
Tout officier qui va en parti doit être muni d'un ordre du général en bonne forme, sans quoi lui & sa troupe sont regardés comme voleurs, ou gens sans aveu, & punis comme tels. Il faut que le parti soit au moins de vingt-cinq hommes d'infanterie, ou de vingt cavaliers ou dragons ; sans ce nombre, s'ils sont pris, l'ordonnance du 20 Novembre 1710 veut qu'ils soient réputés voleurs, & punis de la même maniere.
Les partisans ne doivent tirer aucun rafraîchissement des lieux où ils passent, qu'en payant de gré-à-gré. Ils ne doivent disposer des effets pris sur l'ennemi qu'après qu'il en a été dressé un procès-verbal par le prevôt de l'armée. Ceux qui en disposent auparavant, sont réputés voleurs, & les particuliers qui les achetent, recéleurs. Même ordonnance que ci-dessus. (Q)
PARTI, en termes de Finance, traité que l'on fait avec le roi, recouvrement de deniers dont on traite à-forfait. Le parti du tabac, le parti de la paulette. Ce terme ne se dit guere en ce sens que des termes du roi. Dict. de Comm.
PARTI-BLEU (Art. milit.) c'est ordinairement une petite troupe de huit ou dix soldats de différens régimens, qui courent dans le pays ami comme dans celui de l'ennemi pour piller le paysan. Ces gens sont communément sans chef ; & sous prétexte que la maraude aura été permise à certains égards, ils commettent les derniers brigandages. Aussi des soldats attrapés ainsi en parti, sont pendus sans rémission. (Q)
PARTI en Blason, est un terme dont on se sert pour exprimer qu'un champ ou écusson est divisé & partagé en plusieurs parties. Voyez CHAMP, ÉCUSSON.
En France, ceux qui savent le blason, dont nous empruntons ce mot, n'ont qu'une sorte de parti, le même que notre parti en pal, qu'ils nomment simplement parti ; mais chez nous ce mot s'applique à toute sorte de partitions, & on ne s'en sert jamais sans y ajouter quelques mots pour caractériser la partition particuliere que l'on entend.
Ainsi nous avons parti en croix, en chef, en pal, en fasce, en bande droite, en bande gauche, en chevron, &c. Voyez ECARTELER.
L'inclination de nos ancêtres, comme l'observe de la Colombiere, étant fort portée aux faits d'armes & de Chevalerie, ils étoient dans l'usage de conserver leurs armes coupées & fracassées, comme des marques honorables de leurs exploits courageux ; & ceux qui se sont trouvés aux actions les plus chaudes, étoient distingués par le plus de coupures & de brisures qui paroissoient sur leurs écus. Pour en perpétuer la mémoire, dit le même auteur, ils les faisoient peindre sur leurs boucliers, & par ce moyen les faisoient passer à la postérité. Et quand le blason devint un art, & que les officiers reçurent ordre de choisir leurs armoiries, ils donnerent à ces coups des noms convenables à leur nature, & en prescrivirent quatre dont tous les autres sont tirés : savoir parti (en anglois) ; parti en pal, coupé (en anglois) ; parti en face, tranché (en anglois) ; parti en bande droite, & taillé (en anglois) ; parti en bande gauche. Voyez COUPE, TRANCHE, &c.
Parti en pal, c'est quand l'écusson est divisé perpendiculairement en deux par une coupure dans le milieu depuis le sommet jusqu'en bas. Voyez PAL, &c.
Parti en fasce, C'est quand l'écusson est coupé à-travers le milieu de côté en côté. Voyez FASCE.
Parti en bande droite, c'est quand la coupure descend depuis l'angle supérieur de l'écusson du côté droit jusqu'à l'angle inférieur qui lui est opposé. Voyez BANDE.
Parti en bande gauche, c'est quand la coupure descend de l'angle gauche supérieur à-travers l'écusson jusqu'à l'angle inférieur qui lui est opposé.
De ces quatre portions ont été composées quantité d'autres de formes différentes & extraordinaires.
Spelman observe dans son Aspilogie, que les divisions dont on se sert à-présent dans les écussons, étoient inconnues sous le regne de l'empereur Théodose ; qu'elles ont été introduites dans le tems de Charlemagne, ou après ; qu'elles étoient peu en usage chez les Anglois sous le regne d'Henri II. roi d'Angleterre, mais beaucoup sous celui d'Edouard III.
La section droite de haut en bas, observe le même auteur, est appellée en latin palaris, à cause de sa ressemblance avec un poteau ou palus ; & il y a souvent deux armoiries entieres sur les côtés, celle des maris à droite, & celle des femmes à gauche. La section directe en-travers étant à la place d'une ceinture, est appellée baltica, &c.
Quand l'écusson est parti & coupé, on le nomme écartelé. Voyez QUARTIER & ECARTELE.
On appelle parti l'un de l'autre, lorsque l'écusson entier est chargé de quelque piece honorable coupée par la même ligne qui coupe l'écusson. Il y a une regle qui demande qu'un côté soit de métal, & l'autre de couleur : ainsi, il porte de sable parti d'argent, un aigle éployé parti de l'un sur l'autre. Bailleul d'hermine parti de gueules.
PARTI, (jeu) On dit au lansquenet faire le parti, donner le parti, lorsqu'il n'y a pas d'égalité dans les cartes, que celle du joueur est double : alors il est obligé de jouer trois contre deux, parce qu'il lui reste en main trois cartes en gain, & qu'il ne lui en reste que deux en perte. On joue quelquefois le parti forcé, c'est-à-dire qu'on est obligé de prendre & de donner le parti.
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PARTIAIRE | S. m. (Jurisprudence) se dit de ce qui fait partie de quelque chose, ou de quelqu'un qui a une part dans quelque chose : par exemple dixme partiaire, ou perciere, celle qui consiste dans la dixieme, onzieme ou douzieme gerbe. Voyez DIXME.
Fermier partiaire est celui qui rend au propriétaire une partie des fruits en nature, pour tenir lieu des fermages. Voyez METAYER. (A)
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PARTIAL | adj. PARTIALITé, s. f. (Gramm.) il se dit d'un juge lorsqu'il panche à juger plus favorablement pour un côté que pour le côté opposé, par des raisons qui ne sont pas prises de l'équité rigoureuse. On dit aussi en général, vous avez apporté de la partialité à l'examen de cette question : vous vous êtes montré partial dans cette question.
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PARTIBUS IN | (Hist. ecclésiast.) c'est un terme latin que l'usage a rendu françois. On appelle un évêque in partibus, celui auquel on a donné un titre d'évêché dans un pays occupé par les infideles. On sous-entend toujours infidelium, & même on l'y ajoute quelquefois. Cet usage de donner des évêchés in partibus, commença lorsque les Sarrasins chasserent les Chrétiens de Jérusalem & de l'Orient ; l'espérance de reconquérir ce pays-là, fit qu'on continua de nommer des évêques dans les lieux où il y en avoit eu, & cela a servi depuis aux coadjutoreries ; car on ne peut être coadjuteur sans être évêque, puisqu'un coadjuteur ordonne, confirme & fait toutes les autres fonctions épiscopales. Ainsi quand le roi nomme un coadjuteur, il le fait en même tems évêque in partibus. (D.J.)
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PARTICIPANT | adj. qui partage avec d'autres quelques bénefices ou émolumens.
En Italie on distingue les officiers participans comme protonotaires, &c. qui ont quelque fonction réelle, d'avec les officiers honoraires qui n'ont qu'un titre sans aucune fonction ni emploi. Voyez PROTONOTAIRE.
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PARTICIPATION | S. f. (Gramm.) On dit, vous avez terminé cette affaire sans la participation de vos supérieurs : alors il est synonime à consentement, à communication, à conseil, consultation, &c.
PARTICIPATION, lettres de participation, (Hist. ecclés.) lettres que donne un ordre religieux à un séculier pour participer aux prieres & bonnes oeuvres de l'ordre.
PARTICIPATION, (Commerce) On appelle dans le commerce société en participation une des quatre sociétés anonymes que font les marchands. Voyez SOCIETE.
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PARTICIPE | S. m. (Gram.) le participe est un mode du verbe qui présente à l'esprit un être indéterminé désigné seulement par une idée précise de l'existence sous un attribut, laquelle idée est alors envisagée comme l'idée d'un accident particulier communicable à plusieurs natures. C'est pour cela qu'en grec, en latin, en allemand, &c. le participe reçoit des déterminaisons relatives aux genres, aux nombres & aux cas, au moyen desquelles il se met en concordance avec le sujet auquel on l'applique ; mais il ne reçoit nulle part aucune terminaison personnelle, parce qu'il ne constitue dans aucune langue la proposition principale : il n'exprime qu'un jugement accessoire qui tombe sur un objet particulier qui est partie de la principale. Quos ab urbe discedens Pompeius erat adhortatus. Caes. I. civil. Discedens est ici la même chose que tum cùm discedebat ou discessit ; ce qui marque bien une proposition incidente : la construction analytique de cette phrase ainsi résolue, est, Pompeius erat adhortatus eos (au lieu de quos) tùm cùm discedit ab urbe ; la proposition incidente discessit ab urbe est liée par la conjonction cùm à l'adverbe antécedent tùm (alors, lors) ; & le tout, tùm cùm discessit ab urbe (lorsqu'il partit de la ville), est la totalité du complément circonstanciel du tems du verbe abhortatus. Il en sera ainsi de tout autre participe, qui pourra toujours se décomposer par un mode personnel & un mot conjonctif, pour constituer une proposition incidente.
Le participe est donc à cet égard comme les adjectifs : comme eux, il s'accorde en genre, en nombre, & en cas avec le nom auquel il est appliqué ; & les adjectifs expriment comme lui des additions accessoires qui peuvent s'expliquer par des propositions incidentes : des hommes savans, c'est-à-dire, des hommes qui sont savans. En un mot le participe est un véritable adjectif, puisqu'il sert, comme les adjectifs, à déterminer l'idée du sujet par l'idée accidentelle de l'évenement qu'il exprime, & qu'il prend en conséquence les terminaisons relatives aux accidens des noms & des pronoms.
Mais cet adjectif est aussi verbe, puisqu'il en a la signification, qui consiste à exprimer l'existence d'un sujet sous un attribut ; & il reçoit les diverses inflexions temporelles qui en sont les suites nécessaires : le présent, precans (priant) ; le prétérit, precatus (ayant prié) ; le futur, précaturus (devant prier).
On peut donc dire avec vérité que le participe est un adjectif-verbe, ainsi que je l'ai insinué dans quelque autre article, où j'avois besoin d'insister sur ce qu'il a de commun avec les adjectifs, sans vouloir perdre de vûe sa nature indestructible de verbe ; & c'est précisément parce que sa nature tient de celle des deux parties d'oraison, qu'on lui a donné le nom de participe. Ce n'est point exclusivement un adjectif qui emprunte par accident quelque propriété du verbe, comme Sanctius semble le décider (min. I. xv.) ; ce n'est pas non plus un verbe qui emprunte accidentellement quelque propriété de l'adjectif ; c'est une sorte de mot dont l'essence comprend nécessairement les deux natures, & l'on doit dire que les participes sont ainsi nommés, quoi qu'en dise Sanctius, quòd partem (naturae suae) capiant à verbo, partem à nomine, ou plutôt ab adjectivo.
M. l'Abbé Girard (tom. I. disc. II. pag. 70) trouve à ce sujet de la bizarrerie dans les Grammairiens : " Comment, dit-il, après avoir décidé que les infinitifs, les gérondifs & les participes sont les uns substantifs & les autres adjectifs, osent-ils les placer au rang des verbes dans leurs méthodes, & en faire des modes de conjugaison " ? Je viens de le dire ; le participe est verbe, parce qu'il exprime essentiellement l'existence d'un sujet sous un attribut, ce qui fait qu'il se conjugue par tems : il est adjectif, parce que c'est sous le point de vûe qui caractérise la nature des adjectifs, qu'il présente la signification fondamentale qui le fait verbe ; & c'est ce point de vûe propre qui en fait dans le verbe un mode distingué des autres, comme l'infinitif en est un autre, caractérisé par la nature commune des noms. Voyez INFINITIF.
Priscien donne, à mon sens, une plaisante raison de ce que l'on regarde le participe comme une espece de mot différente du verbe : c'est, dit-il, quòd & casus habet quibus caret verbum, & genera ad similitudinem nominum, nec modos habet quos continet verbum (lib. II. de oratione) : sur quoi je ferai quatre observations.
1°. Que dans la langue hébraïque il y a presque à chaque personne des variations relatives aux genres, même dans le mode indicatif, & que ces genres n'empêchent pas les verbes hébreux d'être des verbes.
2°. Que séparer le participe du verbe, parce qu'il a des cas & des genres comme les adjectifs ; c'est comme si l'on en séparoit l'infinitif, parce qu'il n'a ni nombres, ni personnes, comme le verbe en a dans les autres modes ; ou comme si l'on en séparoit l'impératif, parce qu'il n'a pas autant de tems que l'indicatif, ou qu'il n'a pas autant de personnes que les autres modes : en un mot, c'est séparer le participe du verbe, par la raison qu'il a un caractere propre qui l'empêche d'être confondu avec les autres modes. Que penser d'une pareille logique ?
3°. Qu'il est ridicule de ne vouloir pas regarder le participe comme appartenant au verbe, parce qu'il ne se divise point en mode comme le verbe. Ne peut-on pas dire aussi de l'indicatif, que nec modos habet quos continet verbum ? N'est-ce pas la même chose de l'impératif, du suppositif, du subjonctif, de l'optatif, de l'infinitif pris à part ? C'est donc encore dans Priscien un nouveau principe de logique, que la partie n'est pas de la nature du tout, parce qu'elle ne se subdivise pas dans les mêmes parties que le tout.
4°. On doit regarder comme appartenant au verbe tout ce qui en conserve l'essence, qui est d'exprimer l'existence d'un sujet sous un attribut (voyez VERBE) ; & toute autre idée accessoire qui ne détruit point celle-là, n'empêche pas plus le verbe d'exister, que ne font les variations des personnes & des nombres. Or le participe conserve en effet la propriété d'exprimer l'existence d'un sujet sous un attribut, puisqu'il admet les différences de tems qui en sont une suite immédiate & nécessaire (voyez TEMS). Priscien, par conséquent avoit tort de séparer le participe du verbe, par la raison des idées accessoires qui sont ajoûtées à celle qui est essentielle au verbe.
J'ajoûte qu'aucune autre raison n'a dû faire regarder le participe comme une partie d'oraison différente du verbe : outre qu'il en a la nature fondamentale, il en conserve dans toutes les langues les propriétés usuelles. Nous disons en françois, lisant une lettre, ayant lû une lettre, comme je lis ou j'ai lû une lettre ; arrivant ou étant arrivé des champs à la ville, comme j'arrive ou j'étois arrivé des champs à la ville. En grec & en latin, le complément objectif du participe du verbe actif se met à l'accusatif, comme quand le verbe est dans tout autre mode : , diliges Dominum Deum tuum (vous aimerez le Seigneur votre Dieu) ; de même, , diligens Dominum Deum tuum (aimant le Seigneur votre Dieu). Perizonius (sanct. min. I. xv. not. 1.) prétend qu'il en est de l'accusatif mis après le participe latin, comme de celui que l'on trouve après certains noms verbaux, comme dans quid tibi hanc rem curatio est, ou après certains adjectifs, comme omnia similis, caetera indoctus ; & que cet accusatif y est également complément d'une préposition sous-entendue : ainsi de même que hanc rem curatio veut dire propter hanc rem curatio, que omnia similis, c'est secundum omnia similis, & que caetera indoctus signifie circa caetera indoctus, ou selon l'interprétation de Perizonius même, in negotio quod attinet ad caetera indoctus ; de même aussi amans uxorem signifie amans ergà uxorem ou in negotio quod attinet ad uxorem. La principale raison qu'il en apporte, c'est que l'accusatif n'est jamais régi immédiatement par aucun adjectif, & que les participes enfin sont de véritables adjectifs, puisqu'ils en reçoivent tous les accidens, qu'ils se construisent comme les adjectifs, & que l'on dit également amans uxoris & amans uxorem, patiens inediae & patiens inediam.
Il est vrai que l'accusatif n'est jamais régi immédiatement par un adjectif qui n'est qu'adjectif, & qu'il ne peut être donné à cette sorte de mot aucun complément déterminatif, qu'au moyen d'une préposition exprimée ou sous-entendue. Mais le participe n'est pas un adjectif pur ; il est aussi verbe, puisqu'il se conjugue par tems & qu'il exprime l'existence d'un sujet sous un attribut. Pour quelle raison la syntaxe le considéreroit-elle comme un adjectif plûtôt que comme verbe ? Je sais bien que si elle le faisoit en effet, il faudroit bien en convenir & admettre ce principe, quand même on n'en pourroit pas assigner la raison : mais on ne peut statuer le fait que par l'usage ; & l'usage universel, qui s'explique à merveille par l'analogie commune des autres modes du verbe, est de mettre l'accusatif sans préposition après les participes actifs. On ne trouve aucun exemple où le complément objectif du participe soit amené par une préposition ; & si l'on en rencontre quelqu'un où ce complément paroisse être au génitif, comme dans patiens inediae, uxoris amans, c'est alors le cas de conclure que ce génitif n'est pas le complément immédiat du participe, mais celui de quelqu'autre nom sous-entendu qui sera lui-même complément du participe.
Usus vulgaris, dit Perizonius lui-même (ibid.) quodammodo distinxit, participii praesentis significationem ratione constructionis, seu, prout genitivo vel accusativo jungitur. Nam patiens inediae quum dicunt veteres, videntur significare eum qui aequo animo saepius patitur vel facile potest pati : at patiens inediam, qui uno actu aut tempore volens nolens patitur. Il dit ailleurs (Min. III. x. 2.) : Amans virtutem adhibetur ad notandum... praesens illud temporis momentum quo quis virtutem amat ; at amans virtutis usurpatur ad perpetuum virtutis amorem in homine aliquo significandum.
Cette différence de signification attachée à celle de la syntaxe usuelle, prouve directement que l'accusatif est le cas propre qui convient au complément objectif du participe, puisque c'est lui que l'on employe, quand on se sert de ce mode dans le sens même du verbe auquel il appartient ; au lieu que quand on veut y ajoûter l'idée accessoire de facilité ou d'habitude, on ne montre que le génitif de l'objet principal, & l'on sous-entend le nom qui est l'objet immédiat, parce qu'en vertu de l'usage il est suffisamment indiqué par le génitif : ainsi l'on devine aisément que patiens inediae signifie facilè patiens omnia incommoda inediae, & que amans virtutis veut dire de amore amans omnia negotia virtutis. Alors patiens & amans sont des présens pris dans le sens indéfini, & actuellement rapportés à toutes les époques possibles : au lieu que dans patiens inediam & amans virtutem, ce sont des présens employés dans un sens défini, & rapportés ou à une époque actuelle, ou à une époque antérieure, ou à une époque postérieure, selon les circonstances de la phrase. Voyez TEMS & PRESENT.
Eh ! il faut bien convenir que le participe conserve la nature du verbe, puisque tout verbe adjectif peut se décomposer, & se décompose en effet par le verbe substantif : auquel on joint comme attribut le participe du verbe décomposé. Que dis-je ? le système complet des tems auroit exigé dans les verbes latins neuf tems simples, savoir trois présens, trois prétérits, & trois futurs ; & il y a quantité de verbes qui n'ont de simples que les présens : tels sont les verbes déponens, dont les prétérits & les futurs simples sont remplacés par le prétérit & le futur du participe avec les présens simples du verbe auxiliaire ; & comme on peut également remplacer les présens par celui du participe avec les présens simples du même verbe auxiliaire : voici sous un seul coup-d'oeil l'analyse complete des neuf tems de l'indicatif, par exemple, du verbe precor.
Les verbes les plus riches en tems simples, comme les verbes actifs relatifs, n'ont encore que des futurs composés de la même maniere ; amaturus sum, amaturus eram, amaturus ero : & ces futurs composés exprimant des points de vûe nécessaires à la plénitude du système des tems exigé par l'essence du verbe, il est nécessaire aussi de reconnoître que le participe qui entre dans ces circonlocutions est de même nature que le verbe dont il dérive ; autrement les vûes du système ne seroient pas effectivement remplies.
Sanctius, & après lui Scioppius, prétendent que tout participe est indistinctement de tout tems ; & M. Lancelot a presque approuvé cette doctrine dans sa méthode latine. La raison générale qu'ils alleguent tous en faveur de cette opinion, c'est que chaque participe se joint à chaque tems du verbe auxiliaire, ou même de tout autre verbe, au présent, au prétérit, & au futur. Je n'entrerai pas ici dans le détail immense des exemples qu'on allegue pour la justification de ce système : cependant comme on pourroit l'appliquer aux participes de toutes les langues, j'en ferai voir le foible, en rappellant un principe qui est essentiel, & dont ces Grammairiens n'avoient pas une notion bien exacte.
Il faut considérer deux choses dans la signification générale des tems ; 1°. un rapport d'existence à une époque, 2°. l'époque même qui est le terme de comparaison. L'existence peut avoir à l'époque trois sortes de rapports ; rapport de simultanéité, qui caractérise les présens ; rapport d'antériorité, qui caractérise les prétérits ; & rapport de postériorité, qui caractérise les futurs : ainsi une partie quelconque d'un verbe est un présent quand il exprime la simultanéité de l'existence à l'égard d'une époque ; c'est un prétérit, s'il en exprime l'antériorité, & c'est un futur, s'il en exprime la postériorité.
On distingue plusieurs especes ou de présens, ou de prétérits, ou de futurs, selon la maniere dont l'époque de comparaison y est envisagée. Si l'existence se rapporte à une époque quelconque & indéterminée, le tems où elle est ainsi envisagée est ou un présent, ou un prétérit, ou un futur indéfini. Si l'époque est déterminée, le tems est défini : or l'époque envisagée dans un tems ne peut être déterminée que par sa relation au moment même où l'on parle ; & cette relation peut aussi être ou de simultanéité, ou d'antériorité, ou de postériorité, selon que l'époque concourt avec l'acte de la parole, ou qu'elle le précede, ou qu'elle le suit : ce qui divise chacune des trois especes générales de tems indéfinis en actuel, antérieur & postérieur. Voyez TEMS.
Cela posé, l'origine de l'erreur de Sanctius vient de ce que les tems du participe sont indéfinis, qu'ils font abstraction de toute époque, & qu'on peut, en conséquence, les rapporter tantôt à une époque & tantôt à une autre, quoique chacun de ces tems exprime constamment la même relation d'existence à l'époque. Ce sont ces variations de l'époque qui ont fait croire qu'en effet le même tems du participe avoit successivement le tems du présent, celui du prétérit, & celui du futur.
Ainsi l'on dit, par exemple, sum metuens (je suis craignant, ou je crains), metuens eram (j'étois craignant, ou je craignois), metuens ero (je serai craignant, ou je craindrai) ; & ces expressions marquent toute ma crainte comme présente à l'égard des diverses époques désignées par le verbe substantif, époque actuelle désignée par sum, époque antérieure désignée par eram, époque postérieure désignée par ero.
Il en est de même de tous les autres tems du participe : egressurus sum (je suis devant sortir), c'est-à-dire, actuellement ma sortie est future ; egressurus eram (j'étois devant sortir), c'est-à-dire par exemple, quand vous êtes arrivé ma sortie étoit future ; egressurus ero (je serai devant sortir), c'est-à-dire par exemple, je prendrai mes mesures quand ma sortie sera future : où l'on voit que ma sortie est toujours envisagée comme future, & à l'égard de l'époque actuelle marquée par sum, & à l'égard de l'époque antérieure marquée par eram, & à l'égard de l'époque postérieure marquée par ero.
Ce ne sont donc point les relations de l'époque à l'acte de la parole, qui déterminent les présens, les prétérits & les futurs ; ce sont les relations de l'existence du sujet à l'époque même. Or tous les tems du participe étant indéfinis, expriment une relation déterminée de l'existence du sujet à une époque indéterminée, qui est ensuite caractérisée par le verbe qui accompagne le participe. Voilà la grande regle pour expliquer tous les exemples d'où Sanctius prétend inférer que les participes ne sont d'aucun tems.
Il faut y ajouter encore une observation importante. C'est que plusieurs mots, participes dans l'origine, sont devenus de purs adjectifs, parce que l'usage a supprimé de leur signification l'idée de l'existence qui caractérise les verbes, & conséquemment toute idée de tems ; tels sont en latin, sapiens, cautus, doctus, &c. en françois, plaisant, déplaisant, intriguant, intéressé, poli, &c. Or il peut arriver encore qu'il se trouve des exemples où de vrais participes soient employés comme purs adjectifs, avec abstraction de l'idée d'existence, & par conséquent, de l'idée du tems : mais loin d'en conclure que ces participes, qui au fond ne le sont plus quoiqu'ils en conservent la forme, sont de tous les tems ; il faut dire au contraire qu'ils ne sont d'aucun tems, parce que les tems supposent l'idée de l'existence, dont ces mots sont dépouillés par l'abstraction. Vir patiens inediae, vir amans virtutis, c'est comme vir fortis, vir amicus virtutis.
Il n'y a en grec ni en latin aucune difficulté de syntaxe par rapport au participe, parce que ce mode est déclinable dans tous ses tems par genres, par nombres & par cas, & qu'en vertu du principe d'identité il s'accorde en tous ses accidens avec son sujet immédiat. Notre syntaxe à cet égard n'est pas aussi simple que celle de ces deux langues, parce qu'il me semble qu'on n'y a pas démêlé avec autant de précision la véritable nature de chaque mot. Je vais tâcher de mettre cette matiere dans son vrai jour : & sans recourir à l'autorité de Vaugelas, de Ménage, du pere Bouhours, ni de M. l'abbé Régnier, parce que l'usage a déja changé depuis eux ; je prendrai pour guide MM. d'Olivet & Duclos, témoins éclairés d'un usage plus récent & plus sûr, & sur-tout de celui de l'académie françoise où ils tiennent un rang si distingué : ils me permettront de consulter en même tems la Philosophie qu'ils ont eux-mêmes consultée, & d'employer les termes que les vûes de mon système grammatical m'ont fait adopter. Voyez les opuscules sur la langue françoise, & les remarques de M. Duclos sur la Grammaire générale.
On a coutume de distinguer dans nos verbes deux sortes de participes simples ; l'un actif & toujours terminé en ant, comme aimant, souffrant, unissant, prenant, disant, faisant, voyant, &c. l'autre passif, & terminé de toute autre maniere, comme aimé, souffert, uni, pris, dit, fait, vû, &c.
Art. I. " Le participe (actif) dit le pere Buffier (Gramm. franç. n °. 542.), reçoit quelquefois avant soi la particule en ; comme en parlant, en lisant, &c. c'est ce que quelques-uns appellent gérondif. N'importe quel nom on lui donne, pourvû qu'on sache que cette particule en devant un participe actif signifie lorsque, tandis que ".
Il me semble que c'est traiter un peu cavalierement une distinction qui intéresse pourtant la Philosophie plus qu'il ne paroît d'abord. Les gérondifs, en latin, sont des cas de l'infinitif (voyez GERONDIF) ; & l'infinitif, dans cette langue & dans toutes les autres, est un véritable nom, ou pour parler le langage ordinaire, un vrai nom substantif (voyez INFINITIF). Le participe au contraire est un mode tout différent de l'infinitif ; il est adjectif. Le premier est un nom-verbe ; le second est un adjectif-verbe. Le premier ne peut être appliqué grammaticalement à aucun sujet, parce qu'un nom n'a point de sujet ; & c'est pour cela qu'il ne reçoit dans nul idiome aucune des terminaisons par lesquelles il pourroit s'accorder avec un sujet : le second est applicable à un sujet, parce que c'est une propriété essentielle à tout adjectif ; & c'est pour cela que dans la plûpart des langues il reçoit les mêmes terminaisons que les adjectifs, pour se prêter, comme eux, aux lois usuelles de la concordance. Or il n'est assurément rien moins qu'indifférent pour l'exactitude de l'analyse, de savoir si un mot est un nom ou un adjectif, & par conséquent si c'est un gérondif ou un participe.
Que le verbe terminé en ant puisse ou ne puisse pas être précédé de la préposition en, M. l'abbé Girard le traite également de gérondif ; & c'est un mode, dit-il (vrais princ. disc. VIII. tom. ij. pag. 5.), " fait pour lier (l'événement) à un autre événement comme circonstance & dépendance ". Mais que l'on dise, cela étant vous sortirez, ou cela posé vous sortirez ; il me semble que étant & posé expriment également une circonstance & une dépendance de vous sortirez : cependant M. l'abbé Girard regarde étant comme un gérondif, & posé comme un participe. Son analyse manque ici de l'exactitude qu'il a tant annoncée.
D'autres grammairiens, plus exacts en ce point que le pere Buffier & l'abbé Girard, ont bien senti que nous avions gérondif & participe en ant ; mais, en assignant des moyens méchaniques pour les reconnoître, ou ils s'y sont mépris, ou ils nous en ont laissé ignorer les caracteres distinctifs.
" Nos deux participes AIMANT & AIME, dit la Grammaire générale (part. II. ch. xxij.), en tant qu'ils ont le même régime que le verbe, sont plutôt des gérondifs que des participes ". Il est évident que ce principe est erronné. Nous ne devons employer dans notre Grammaire françoise le mot de gérondif, qu'autant qu'il exprimera la même idée que dans la Grammaire latine d'où nous l'empruntons ; & ce doit être la même chose du mot participe : or en latin, le participe & le gérondif avoient également le même régime que le verbe ; & l'on disoit legendi, legendo ou legendum libros, legens ou lecturus libros, comme legere ou lego libros. D'ailleurs, il y a assurément une grande différence de sens entre ces deux phrases, je l'ai vû parlant à son fils, & je l'ai vû en parlant à son fils ; c'est que parlant, dans la premiere est un participe, & qu'il est gérondif dans la seconde, comme on en convient assez aujourd'hui, & comme je le ferai voir tout-à-l'heure : cependant c'est de part & d'autre le même matériel, & c'est de part & d'autre parlant à son fils, comme on diroit parler à son fils ou il parloit à son fils.
M. Duclos a connu toutes ces méprises, & en a nettement assigné l'origine ; c'est la ressemblance de la forme & de la terminaison du gérondif avec celle du participe. " Cependant, dit-il (rem. sur le ch. xxj. de la II. part. de la Gramm. gén.) quelque semblables qu'ils soient quant à la forme, ils sont de différente nature, puisqu'ils ont un sens différent. Pour distinguer le gérondif du participe, ajoute-t-il un peu plus bas, il faut observer que le gérondif marque toujours une action passagere, la maniere, le moyen, le tems d'une action subordonnée à une autre. Exemple : en riant, on dit la vérité. En riant, est l'action passagere & le moyen de l'action principale de dire la vérité. Je l'ai vû en passant. En passant, est une circonstance de tems ; c'est-à-dire, lorsque je passois. Le participe marque la cause de l'action, ou l'état de la chose. Exemple : les courtisans préférant leur avantage particulier au bien général, ne donnent que des conseils intéressés. Préférant, marque la cause de l'action, & l'état habituel de la chose dont on a parlé ".
J'oserai cependant remarquer 1°. que quand ces caracteres conviendroient incontestablement aux deux especes, & qu'ils seroient incommunicables, ce ne seroit pas ceux que devroit envisager la Grammaire, parce que ce sont des vûes totalement métaphysiques, & qui ne tiennent en rien au système de la Grammaire générale : 2°. qu'il me semble que le gérondif peut quelquefois exprimer la cause de l'action & l'état de la chose ; & qu'au contraire on peut énoncer par le participe une action passagere & le tems d'une action subordonnée. Par exemple, en remplissant toujours vos devoirs & en fermant constamment les yeux sur les désagrémens accidentels de votre place, vous captiverez enfin la bienveillance de vos supérieurs : les deux gérondifs en remplissant & en fermant expriment l'état habituel où l'on exige ici que soit le subalterne, & ils énoncent en même tems la cause qui lui procurera la bienveillance des supérieurs. Que l'on dise au-contraire, mon pere sortant de sa maison, des inconnus enleverent à ses yeux le meilleur de ses amis ; le mot sortant a un sujet qui n'est qu'à lui, mon pere, & c'est par conséquent un participe ; cependant il n'exprime qu'une action passagere, & le tems de l'action principale, qui est fixé par l'époque de cette action subordonnée. L'exemple que j'ai cité dès le commencement d'après César, quos ab urbe discedens Pompeius erat adhortatus, sert encore mieux à confirmer ma pensée : discedens est sans contredit un participe, & il n'exprime en effet qu'une circonstance de tems de l'événement exprimé par erat adhortatus. Or les caracteres distinctifs du gérondif & du participe doivent être les mêmes dans toutes les langues, ou les Grammairiens doivent changer leur langage.
Je crois donc que ce qui doit caractériser en effet le gérondif & le participe actif, c'est que le gérondif, dont la nature est au fond la même que celle de l'infinitif, est un véritable nom ; au lieu que le participe actif, comme tout autre participe, est un véritable adjectif. De-là vient que notre gérondif peut être employé comme complément de la préposition en, ce qui caractérise un véritable nom ; en riant, on dit la vérité : que quand la préposition n'est point exprimée ; elle est du-moins sous-entendue, & qu'on peut la suppléer ; allant à la campagne je l'ai rencontré, c'est-à-dire, en allant à la campagne je l'ai rencontré : enfin, que le gérondif n'a jamais de sujet auquel il soit immédiatement appliqué, parce qu'il n'est pas dans la nature du nom d'avoir un sujet. Au contraire notre participe actif est toujours appliqué immédiatement à un sujet qui lui est propre, parce qu'il est adjectif, & que tout adjectif suppose essentiellement un sujet auquel il se rapporte.
Notre gérondif est toujours simple, & il est toujours au présent ; mais c'est un présent indéfini qui peut s'adapter à toutes les époques : en riant, je vous donne un avis sérieux ; en riant, je vous ai donné un avis sérieux ; en riant, je vous donnerai un avis sérieux.
Au contraire notre participe actif admet les trois différences générales de tems, mais toujours dans le sens indéfini & relativement à une époque quelconque : donnant est au présent indéfini ; ayant donné est au prétérit indéfini ; devant donner est au futur indéfini ; & par-tout c'est le participe actif.
M. Duclos prétend qu'en beaucoup d'occasions le gérondif & le participe peuvent être pris indifféremment l'un pour l'autre ; & il cite en exemple cette phrase : les hommes jugeant sur l'apparence, sont sujets à se tromper : il est assez indifférent, dit-il, qu'on entende dans cette proposition, les hommes en jugeant ou les hommes qui jugent sur l'apparence. Pour moi je ne crois point du tout la chose indifférente : si l'on regarde jugeant comme un gérondif, il me semble que la proposition indique alors les cas où les hommes sont sujets à se tromper, c'est en jugeant, in judicando, lorsqu'ils jugent sur l'apparence ; si jugeant est un participe, la proposition énonce par-là la cause pourquoi les hommes sont sujets à se tromper, c'est que cela est le lot ordinaire des hommes qui jugent sur l'apparence : or il y a une grande différence entre ces deux points de vûe ; & un homme délicat qui voudra marquer l'un plûtôt que l'autre, se gardera bien de se servir d'un tour équivoque ; il mettra la préposition en avant le gérondif, ou tournera le participe par qui, conformément à l'avis même de M. Duclos.
Il n'est plus question d'examiner aujourd'hui si nos participes actifs sont déclinables, c'est-à-dire, s'ils prennent les inflexions des genres & des nombres. Ils en étoient autrefois susceptibles ; mais aujourd'hui ils sont absolument indéclinables. Si l'on dit, une maison appartenante à Pythius, une requête tendante aux fins, &c. ces prétendus participes doivent plutôt être regardés comme de purs adjectifs qui sont dérivés du verbe, & semblables dans leur construction à quantité d'autres adjectifs, comme utile à la santé, nécessaire à la vie, docile aux bons avis, &c. C'est ainsi que l'académie françoise elle-même le décida le 3 Juin 1679 (opusc. pag. 343.), & cette décision est d'une vérité frappante : car il est évident que dans les exemples allégués, & dans tous ceux qui seront semblables, on n'a égard à aucune circonstance de tems, ce qui est pourtant essentiel dans les participes.
Au reste l'indéclinabilité de nos participes actifs ne doit point empêcher qu'on ne les regarde comme de vrais adjectifs-verbes : cette indéclinabilité leur est accidentelle, puisqu' anciennement ils se déclinoient ; & ce qui est accidentel ne change point la nature indestructible des mots. Les adjectifs numéraux quatuor, quinque, sex, septem, &c. & en françois, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, &c. plusieurs, ne sont pas moins adjectifs, quoiqu'ils gardent constamment la même forme : les verbes de la langue franque ne laissent pas d'être des verbes, quoique l'usage ne leur ait accordé ni nombres, ni personnes, ni modes, ni tems.
Si la plûpart de nos grammairiens ont confondu le gérondif françois avec le présent du participe actif, trompés en cela par la ressemblance de la forme & de la terminaison ; on est tombé dans une méprise toute pareille au sujet de notre participe passif simple, que l'on a confondu avec le supin de nos verbes actifs, parce qu'ils ont aussi le même matériel.
Je ne doute point que ce ne soit, pour bien des grammairiens, un véritable paradoxe, de vouloir trouver dans nos verbes un supin proprement dit : mais je prie ceux qui seront prévenus contre cette idée, de prendre garde que je ne suis pas le premier qui l'ai mise en avant, & que M. Duclos, dans ses remarques sur le ch. xxj. de la II. part. de la Gramm. gén. indique assez nettement qu'il a du-moins entrevû que ce système peut devenir probable. " A l'égard du supin, dit-il, si nous en voulons reconnoître en françois, je crois que c'est le participe passif indéclinable, joint à l'auxiliaire avoir ". Ce que dit ici cet habile académicien n'est qu'une espece de doute qu'il propose ; mais c'est un doute dont ne se seroit pas avisé un grammairien moins accoutumé à démêler les nuances les plus délicates, & moins propre à approfondir la vraie nature des choses.
Ce n'est point par la forme extérieure ni par le simple matériel des mots qu'il faut juger de leur nature ; autrement on risqueroit de passer d'erreur en erreur & de tomber souvent dans des difficultés inexplicables. Le, la, les, leur, ne sont-ils pas quelquefois des articles & d'autres fois des pronoms ? Si est adverbe modificatif dans cette phrase : Bourdaloue est si éloquent qu'il enleve les coeurs ; il est adverbe comparatif dans celle-ci : Alexandre n'est pas si grand que César ; il est conjonction hypothétique dans celle-ci : si ce livre est utile, je serai content ; & dans cette autre : je ne sais si mes vûes réussiront. La ressemblance matérielle de notre supin avec notre participe passif, ne peut donc pas être une raison suffisante pour rejetter cette distinction, sur-tout si on peut l'établir sur une différence réelle de service, qui seule doit fixer la diversité des especes.
Il faut bien admettre ce principe dans la Grammaire latine, puisque le supin y est absolument semblable au participe passif neutre, & que cette similitude n'a pas empêché la distinction, parce qu'elle n'a pas confondu les usages. Le supin y a toujours été employé comme un nom, parce que ce n'est en effet qu'une forme particuliere de l'infinitif (voyez SUPIN) : quelquefois il est sujet d'un verbe fletum est (avoir pleuré est) on a pleuré (voyez IMPERSONNEL) ; d'autres fois il est complément objectif d'un verbe, comme dans cette phrase de Varron, me in Arcadiâ scio spectatum suem, dont la construction erga me scio spectatum suem in Arcadiâ, (je sais avoir vû), car la méthode latine de P. R. convient que spectatum est pour spectasse, & elle a raison ; enfin, dans d'autres occurrences, il est complément d'une préposition du-moins sous-entendue, comme quand Salluste dit, nec ego vos ultum injurias hortor, c'est-à-dire, ad ultum injurias. Au lieu que le participe a toujours été traité & employé comme adjectif, avec les diversités d'inflexions exigées par la loi de la concordance.
C'est encore la même chose dans notre langue ; & outre les différences qui distinguent essentiellement le nom & l'adjectif, on sent aisément que notre supin conserve le sens actif, tandis que notre participe a véritablement le sens passif. J'ai lû vos lettres : si l'on veut analyser cette phrase, on peut demander j'ai quoi ? & la réponse fait dire j'ai lû ; que l'on demande ensuite, lû quoi ? on répondra vos lettres : ainsi lû est le complément immédiat de j'ai, comme lettres est le complément immédiat de lû. Lû, comme complément de j'ai, est donc un mot de même espece que lettres, c'est un nom ; & comme ayant lui-même un complément immédiat, c'est un mot de la même espece que j'ai, c'est un verbe relatif au sens actif. Voilà les vrais caracteres de l'infinitif, qui est un nom-verbe (voyez INFINITIF) ; & conséquemment ceux du supin, qui n'est rien autre chose que l'infinitif sous une forme particuliere (voyez SUPIN).
Que l'on dise au contraire vos lettres lues, vos lettres étant lues, vos lettres sont lues, vos lettres ayant été lues, vos lettres ont été lues, vos lettres devant être lues, vos lettres doivent être lues, vos lettres seront lues. &c. On sent bien que lues a dans tous ces exemples le sens passif ; que c'est un adjectif, qui dans sa premiere phrase, se rapporte à lettres par apposition, & qui dans les autres s'y rapporte par attribution ; que par-tout c'est un adjectif mis en concordance de genre & de nombre avec lettres ; & que c'est ce qui doit caractériser le participe qui, comme je l'ai déjà dit, est un adjectif-verbe.
Il paroît qu'en latin le sens naturel & ordinaire du supin est d'être un prétérit : nous venons de voir il n'y a qu'un moment le supin spectatum, employé pour spectasse, ce qui est nettement indiqué par scio, & justement reconnu par Lancelot. J'ai présenté ailleurs (IMPERSONNEL) l'idée d'une conjugaison, dont on a peut-être tort de ne rien dire dans les paradigmes des méthodes, & qui me semble établir d'une maniere indubitable que le supin est un prétérit ; ire est (on va) ire erat (on alloit), ire erit (on ira) sont les trois présens de cette conjugaison, & répondent aux présens naturels eo, ibam, ibo ; itum est (on est allé), itum erat (on étoit allé), itum erit (on sera allé), sont les trois prétérits qui répondent aux prétérits naturels ivi, iveram, ivero ; enfin eundum est (on doit aller), eundum erat, (on devoit aller), eundum erit (on devra aller), sont les trois futurs, & ils répondent aux futurs naturels iturus, a, um sum, iturus eram, iturus ero : or on retrouve dans chacune de ces trois especes de tems, les mêmes tems du verbe substantif auxiliaire, & par conséquent les especes doivent être caractérisées par le mot radical qui y sert de sujet à l'auxiliaire ; d'où il suit qu'ire est le présent proprement dit, itum le prétérit, & eundum le futur, & qu'il doit ainsi demeurer pour constant que le supin est un vrai prétérit dans la langue latine.
Il en est de même dans notre langue ; & c'est pour cela que ceux de nos verbes qui prennent l'auxiliaire avoir dans leurs prétérits, n'en employent que les présens accompagnés du supin qui désigne par lui-même le prétérit ; j'ai lu, j'avois lu, j'aurai lu, comme si l'on disoit j'ai actuellement, j'avois alors, j'aurai alors par-devers moi l'acte d'avoir lu ; en latin habeo, habebam, ou habebo lectum ou legisse. Ensorte que les différens présens de l'auxiliaire servent à différencier les époques auxquelles se rapporte le prétérit fondamental & immuable, énoncé par le supin.
C'est dans le même sens que les mêmes auxiliaires servent encore à former nos prétérits avec notre participe passif simple, & non plus avec le supin, comme quand on dit en parlant de lettres, je les ai lues, je les avois lues, je les aurai lues, &c. La raison en est la même : ce participe passif est fondamentalement prétérit, & les diverses époques auxquelles on le rapporte, sont marquées par la diversité des présens du verbe auxiliaire qui l'accompagne ; je les ai lues, je les avois lues, je les aurai lues, &c. c'est comme si l'on disoit en latin eas lectas habeo, ou habebam, ou habebo.
Il ne faut pas dissimuler que M. l'abbé Regnier, qui connoissoit cette maniere d'interpreter nos prétérits composés de l'auxiliaire & du participe passif, ne la croyoit point exacte. " quam habeo amatam, selon lui, gramm. fran. in -12 p. 467. in -4°. p. 493. ne veut nullement dire que j'ai aimée ; il veut seulement dire que j'aime (quam habeo caram). Que si l'on vouloit rendre le sens du françois en latin par le verbe habere, il faudroit dire quam habui amatam ; & c'est ce qui ne se dit point. "
Mais il n'est point du tout nécessaire que les phrases latines par lesquelles on prétend interpréter les gallicismes, ayent été autorisées par l'usage de cette langue : il suffit que chacun des mots que l'on y employe ait le sens individuel qu'on lui suppose dans l'interprétation, & que ceux à qui l'on parle conviennent de chacun de ces sens. Ce détour peut les conduire utilement à l'esprit du gallicisme que l'on conserve tout entier, mais dont on disseque plus sensiblement les parties sous les apparences de la latinité. Il peut donc être vrai, si l'on veut, que quam habeo amatam, vouloit dire dans le bel usage des Latins que j'aime, & non pas que j'ai aimée ; mais il n'en demeure pas moins assuré que leur participe passif étoit essentiellement prétérit, puisqu'avec les prétérits de l'auxiliaire sum il forme les prétérits passifs ; & il faut en conclure, que sans l'autorité de l'usage qui vouloit quam amavi, & qui n'introduit pas d'exacts synonymes, quam habeo amatam auroit signifié la même chose : & cela suffit aux vûes d'une interprétation qui après tout est purement hypothétique.
Quelques-uns pourront se défier encore de cette distinction du supin actif & du participe passif, dont le matériel est si semblable dans notre langue, qu'ils auront peine à croire que l'usage ait prétendu les distinguer. Pour lever ce scrupule je ne répéterai point ce que j'ai déjà dit de la nécessité de juger des mots par leur destination, plutôt que par leur forme ; je me contenterai de remonter à l'origine de cette similitude embarrassante. Il paroît que nous avons en cela imité tout simplement les Latins, chez qui le supin laudatum, par exemple, ne differe en rien du participe passif neutre, desorte que ces deux parties du verbe ne différent en effet que parce que le supin paroît indéclinable, & que le participe passif est déclinable par genres, par nombres & par cas ; ce dont nous avons retenu tout ce que comporte le génie de notre langue.
La difficulté n'est pas encore levée, elle n'est que passée du françois au latin ; & il faut toujours en venir à l'origine de cette ressemblance dans la langue latine. Or il y a grande apparence que le participe en us, qui passe communément pour passif, & qui l'est en effet dans les écrivains qui nous restent du bon siecle, a pourtant commencé par être le prétérit du participe actif ; desorte que comme on distinguoit alors, sous une forme simple, les trois tems généraux de l'infinitif, le présent amare, le prétérit amavisse ou amasse, & le futur amassere, voyez INFINITIF ; de même distinguoit-on ces trois tems généraux dans le participe actif, le présent amans (aimant), le prétérit amatus (ayant aimé), & le futur amaturus (devant aimer) : on peut même regarder cette convenance d'analogie comme un motif favorable à cette opinion, si elle se trouve étayée d'ailleurs ; & elle l'est en effet tant par des raisons analogiques & étymologiques que par des faits positifs.
La premiere impression de la nature dans la dérivation des mots, amene communément l'uniformité & la régularité d'analogie : ce sont des causes subordonnées, locales ou momentanées, qui introduisent ensuite l'anomalie & les exceptions : il n'est donc pas dans l'ordre primitif que le supin amatum ait le sens actif, & que le participe qui lui est si semblable, amatus, a, um, ait le sens passif ; ils ont dû appartenir tous deux à la même voix dans l'origine, & ne différer entr'eux que comme différent un adjectif & un nom abstrait semblable au neutre de cet adjectif, par exemple l'adjectif bonus, a, um, & le nom abstrait bonum. Mais il est constant que le futur du participe actif, amaturus, a, um, est formé du supin amatum, & d'ailleurs que ce supin se trouve par-tout avec le sens actif : il est donc plus probable qu'amatus, a, um, étoit anciennement de la voix active, qu'il n'est croyable qu'amatum ni amaturus ayent appartenu à la voix passive.
Ce premier raisonnement acquiert une force en quelque sorte irrésistible, si l'on considere que le participe en us a conservé le sens actif dans plusieurs verbes de conjugaison active, comme successus, juratus, rebellatus, ausus, gavisus, solitus, moestus, confisus, meritus, & une infinité d'autres que l'on peut voir dans Vossius, anal. IV. 13. ce qui est le fondement de la conjugaison des verbes communement appellés neutres-passifs, voyez NEUTRE ; verbes irréguliers par rapport à l'usage le plus universel, mais peut-être plus réguliers que les autres par rapport à l'analogie primitive.
On lit dans Tite-Live, lib. II. c. xlij. Moti irâ numinis causam nullam aliam vates canebant publicè privatimque, nunc extis, nunc per aves consulti, quàm haud ritè sacra fieri. Le Clerc, art. crit. part. I. sect. I. c. x. n. 2. cite ce passage comme un exemple d'anomalie, parce que selon lui, vates non consuluntur extis & avibus, sed ipsi per exta & aves consulunt deos. Il semble que ce principe même devoit faire conclure que consulti a dans Tite-Live le sens actif, & qu'il l'avoit ordinairement, parce qu'un écrivain comme Tite-Live ne donne pas dans un contresens aussi absurde que le seroit celui d'employer un mot passif pour un mot actif ; mais le Clerc ne prenoit pas garde que les participes en us des verbes neutres-passifs ont tous le sens actif.
Outre ceux-là, tous les déponens sont encore dans le même cas, & le participe en us y a le sens actif ; precatus (ayant prié), secutus (ayant suivi), usus (ayant usé), &c. Il y en a plusieurs entre ceux-ci, dont le participe est usité dans les deux voix, & l'on peut en voir la preuve dans Vossius, anal. IV. 11. mais il n'y en a pas un seul dont le participe n'ait que le sens passif.
Telle est constamment la premiere impression de la nature : elle destine d'abord les mots qui ont de l'analogie dans leur formation, à des significations également analogues entr'elles ; si elle se propose l'expression de sens différens & sans analogie entr'eux, quoiqu'ils portent sur quelque idée commune, il ne reste dans les mots que ce qu'il faut pour caractériser l'idée commune, mais la diversité des formations y marque d'une maniere non équivoque, la diversité des sens individuels adaptés à cette idée commune. Ainsi, pour ne pas sortir de la matiere présente, le verbe allemand loben (louer), fait au supin gelobet (loué), & au prétérit du participe passif gelobter (ayant été loué) : lob est le radical primitif qui exprime l'action individuelle de louer, & ce radical se retrouve par-tout ; la particule prépositive ge, que l'on trouve au supin & au participe passif, désigne dans tous deux le prétérit ; mais l'un est terminé en et, parce qu'il est de la voix active, & l'autre est terminé en ter, parce qu'il est de la voix passive.
Il est donc à présumer que la même régularité naturelle exista d'abord dans le latin, & qu'elle n'a été altérée ensuite que par des causes subalternes, mais dont l'influence n'a pas moins un effet infaillible : or comme nous n'avons eu avec les Latins un commerce capable de faire impression sur notre langage, que dans un tems où le leur avoit déjà adopté l'anomalie dont il s'agit ici, il n'y a pas lieu d'être surpris que nous l'ayons adoptée nous mêmes ; parce que personne ne raisonne pour admettre quelque locution nouvelle ou étrangere, & qu'il n'y a dans les langues de raisonnable que ce qui vient de la nature. Mais nonobstant la ressemblance matérielle de notre supin actif, & du prétérit de notre participe passif, l'usage les distingue pourtant l'un de l'autre par la diversité de leurs emplois, conformément à celles de leur nature : & il ne s'agit plus ici que de déterminer les occasions où l'on doit employer l'un ou l'autre, car c'est à quoi se réduit toute la difficulté dont Vaugelas disoit, remarq. clxxxiv. qu'en toute la grammaire françoise il n'y a rien de plus important ni de plus ignoré.
Pour y procéder méthodiquement, il faut remarquer que nous avons, 1°. des verbes passifs dont tous les tems sont composés de ceux de l'auxiliaire substantif être & du participe passif, 2°. des verbes absolus, dont les uns sont actifs, comme courir, aller ; d'autres sont passifs, comme mourir, tomber, & d'autres neutres, comme exister, demeurer ; 3°. des verbes relatifs qui exigent un complément objectif ; direct & immédiat, comme aimer quelqu'un, finir un ouvrage, rendre un dépôt, recevoir une somme, &c. 4°. enfin des verbes que M. l'abbé de Dangeau nomme pronominaux, parce qu'on répete, comme complément, le pronom personnel de la même personne qui est sujet, comme je me repens, vous vous promenerez, ils se battoient, nous nous procurons un meilleur sort, &c. Chacune de ces quatre especes doit être considerée à part.
§. 1. Des verbes passifs composés. On employe dans la composition de cette espece de verbe, ou des tems simples, ou des tems composés de l'auxiliaire être : il n'y a aucune difficulté sur les tems simples, puisqu'ils sont toujours indéclinables, du moins dans le sens dont il s'agit ici, & l'on dit également je suis, j'étois, ou je serai aimé ou aimée, nous sommes, nous étions, ou nous serons aimés ou aimées, dans les tems composés de l'auxiliaire, il ne peut y avoir que l'apparence du doute, mais nulle difficulté réelle ; ils résultent toujours de l'un des tems simples de l'auxiliaire avoir & du supin été, qui est par conséquent indéclinable, ensorte que l'on dit indistinctement j'ai ou nous avons été, j'avois ou nous avions été, &c.
Pour ce qui concerne le participe passif qui détermine alors le sens individuel du verbe, il se décline par genres & par nombres, & se met sous ce double aspect, en concordance avec le sujet du verbe, comme seroit tout autre adjectif pris pour attribut : mon frere a été loué ; ma soeur a été louée ; mes freres ont été loués, mes soeurs ont eté louées, &c.
§. 2 Des verbes absolus. Par rapport à la composition des prétérits, nous avons en françois trois sortes de verbes absolus : les uns qui prennent l'auxiliaire être, les autres qui employent l'auxiliaire avoir, & d'autres enfin qui se conjuguent des deux manieres.
Les verbes qui reçoivent l'auxiliaire être sont, suivant la liste qu'en a donnée M. l'abbé d'Olivet, opusc. p. 385, accoucher, aller, arriver, choir, déchoir, (& échoir), entrer, (& rentrer), mourir, naître, partir, retourner, sortir, tomber, (& retomber), venir & ses dérivés (tels que sont avenir, devenir & redevenir, intervenir, parvenir, provenir, revenir, survenir, qui sont les seuls qui se conjuguent comme le primitif.) Les prétérits de tous ces verbes se forment des tems convenables de l'auxiliaire être & du participe des verbes mêmes, lequel s'accorde en genre & en nombre avec le sujet. Cette regle ne souffre aucune exception ; & l'usage n'a point autorisé celle que propose M. l'abbé Regnier, gramm. franc. in -12. p. 490. in -4°. p. 516. sur les deux verbes aller & venir, prétendant que l'on doit dire pour le supin indéclinable, elle lui est allé parler, elle nous est venu voir, &c. & qu'en transposant les pronoms qui sont complémens, il faut dire par le participe déclinable, elle est allée lui parler, elle est venue nous voir, &c. De quelque maniere que l'on tourne cette phrase, il faut toujours le participe, & l'on doit dire aussi, elle lui est allée parler, elle nous est venue voir : il me semble seulement que ce tour est un peu plus éloigné du génie propre de notre langue, parce qu'il y a un hyperbate, qui peut nuire à la clarté de l'énonciation.
Les verbes absolus qui reçoivent l'auxiliaire avoir sont en beaucoup plus grand nombre, & M. l'abbé d'Olivet (ibid.) prétend qu'il y en a plus de 550 sur la totalité des verbes absolus qui est d'environ 600. Les prétérits de ceux-ci se forment des tems convenables de l'auxiliaire avoir & du supin des verbes mêmes, qui est toujours indéclinable.
Enfin les verbes absolus qui se conjuguent avec chacun des deux auxiliaires, forment leurs préterits avec leur participe déclinable, quand ils empruntent le secours du verbe être ; ils les forment avec le supin indéclinable, quand ils se servent de l'auxiliaire avoir. Ces verbes sont de deux sortes : les uns prennent indifféremment l'un ou l'autre auxiliaire ; ce sont accourir, apparoître, comparoître & disparoître, cesser, croître, déborder, périr, rester : les autres se conjuguent par l'un ou par l'autre, selon la diversité des sens que l'on veut exprimer ; ce sont convenir, demeurer, descendre, monter, passer, repartir, dont j'ai expliqué ailleurs les différens sens attachés à la différence de la conjugaison. Voyez NEUTRE.
§. III. Des verbes relatifs. Les verbes relatifs sont des verbes concrets ou adjectifs, qui énoncent comme attribut une maniere d'être, qui met le sujet en relation nécessaire avec d'autres êtres, réels ou abstraits : tels sont les verbes battre, connoître, parce que le sujet qui bat, qui connoît, est par là-même en relation avec l'objet qu'il bat, qu'il connoît. Cet objet, qui est le terme de la relation, étant nécessaire à la plénitude du sens relatif énoncé par le verbe, s'appelle le complément du verbe ; ainsi dans battre un homme, connoître Paris, le complément du verbe battre c'est un homme, & celui du verbe connoître, c'est Paris.
Un verbe relatif peut recevoir différens complémens, comme quand on dit rendre gloire à Dieu, gloire est un complément du verbe rendre, & à Dieu en est un autre. Dans ce cas l'un des complémens a au verbe un rapport plus immédiat & plus nécessaire, & il se construit en conséquence avec le verbe d'une maniere plus immédiate & plus intime, sans le secours d'aucune préposition ; rendre gloire, je l'appelle complément objectif ou principal, parce qu'il exprime l'objet sur lequel tombe directement & principalement l'action énoncée par le verbe. Tout autre complément, moins nécessaire à la plénitude du sens, est aussi lié au verbe d'une maniere moins intime & moins immédiate, c'est communément par le secours d'une préposition ; rendre à Dieu, je l'appelle complément accessoire, parce qu'il est en quelque maniere ajouté au principal, qui est d'une plus grande nécessité. Voyez REGIME. Les Grammairiens modernes, & spécialement M. l'abbé d'Olivet, appellent le complément principal, régime simple, & le complément accessoire, régime composé.
Après ces préliminaires, on peut rétablir comme une regle générale, que tous les verbes dont il s'agit ici forment leurs prétérits avec l'auxiliaire avoir ; & il n'est plus question que de distinguer les cas où l'on fait usage du supin, & ceux où l'on employe le participe.
Premiere regle. On employe le supin indéclinable dans les prétérits des verbes actifs relatifs, quand le verbe est suivi de son complément principal.
Seconde regle. On employe le participe dans les prétérits des mêmes verbes, quand ils sont précédés de leur complément principal ; & le participe se met alors en concordance avec ce complément, & non avec le sujet du verbe.
On dit donc, j'ai reçu vos lettres par le supin, parce que le complément principal, vos lettres, est après le verbe j'ai reçu ; & reçu doit également se dire au singulier, comme au pluriel, de quelque genre & de quelque nombre que puisse être le sujet. Mais il faut dire, par le principe, les lettres que mon pere a reçues ou qu'a reçues mon pere, parce que le complément principal que, qui veut dire lesquelles lettres, est avant le verbe a reçues ; & le participe s'accorde ici en genre & en nombre avec ce complément objectif ou principal que, indépendamment du genre, du nombre, & même de la position du sujet mon pere.
Titus avoit rendu sa femme maîtresse de ses biens, par le supin ; il ne l'avoit pas rendue maîtresse de ses démarches, par le participe : c'est toujours le même principe, quoique le complément principal soit suivi d'un autre nom qui s'y rapporte. Ce seroit la même chose, quand il seroit suivi d'un adjectif : le commerce a rendu cette ville puissante ; c'est le supin ; mais il l'a rendue orgueilleuse ; c'est le participe.
Lorsqu'il y a dans la dépendance du préterit composé un infinitif, il ne faut qu'un peu d'attention pour démêler la syntaxe que l'on doit suivre. En général il faut se servir du supin, lorsqu'il n'y a avant le prétérit aucun complément ; j'ai fait poursuivre les ennemis : & il ne peut y avoir de doute, que quand il y a quelque complément avant le prétérit. Des exemples vont éclaircir tous les cas.
Je l'ai fait peindre, en parlant d'un objet masculin ou féminin au singulier ; je les ai fait peindre, au pluriel : c'est le ou la du premier exemple, & les du second, qui sont le complément principal du verbe peindre, & non de j'ai fait ; j'ai fait a pour complément l'infinitif peindre. Communément quand il y a un infinitif après fait, il est le complément immédiat & principal de fait qui est alors un supin.
Les vertus que vous avez entendu louer ; les affaires que vous avez prévu que vous auriez : dans chacun de ces deux exemples, que, qui veut dire lesquelles vertus ou lesquelles affaires, n'est point le complément du préterit composé ; dans la premiere phrase, que est complément de louer ; dans la seconde, que est complément de vous auriez ; c'est pourquoi l'on fait usage du supin.
Je l'ai entendu chanter, par le supin, en parlant d'une cantate, parce que la qui précéde n'est pas le complément du prétérit j'ai entendu, mais du verbe chanter qui est ici relatif. Au contraire, en parlant d'une chanteuse, il faut dire, je l'ai entendue chanter, par le participe, parce que la qui précede le prétérit en est le complément principal, & non pas de chanter qui est ici absolu.
En parlant d'une femme on dira également je l'ai vu peindre, par le supin, & je l'ai vue peindre, par le participe, mais en des sens très-différens. Je l'ai vu peindre, veut dire, j'ai vu l'opération de peindre, elle ; ainsi la qui précede le préterit n'en est pas le complément ; il l'est de peindre, & peindre est le complément objectif de j'ai vu, qui, pour cette raison, exige le supin. Je l'ai vue peindre, veut dire, j'ai vu elle dans l'opération de peinture ; ainsi la qui est avant le prétérit, en est ici le complément principal, c'est pourquoi il est nécessaire d'employer le participe. On peut remarquer en passant que peindre, dans la seconde phrase, ne peut donc être qu'un complément accessoire de je l'ai vue ; d'où l'on doit conclure qu'il est dans la dépendance d'une préposition sousentendue, je l'ai vue dans peindre, ou comme je l'ai déja dit, je l'ai vue dans l'operation de peindre : car les infinitifs sont de vrais noms, dont la syntaxe a les mêmes principes que celle des noms. Voyez INFINITIF.
Le mot en placé avant un prétérit en est quelquefois complément ; mais de quelle espece ? C'est un complément accessoire ; car en est alors un adverbe équivalent à la proposition de avec le nom indiqué par les circonstances : Voyez ADVERBE & MOT. Ainsi il ne doit point introduire le participe dans le prétérit, & l'on doit dire avec le supin, plus d'exploits que les autres n'en ont lu, & en parlant de lettres, j'en ai reçu deux.
L'usage veut que l'on dise, les chaleurs qu'il a fait, & non pas faites ; la disette qu'il y a eu, & non pas eue. " Une exception de cette nature étant seule, dit M. l'abbé d'Olivet, & si connue de tout le monde, n'est propre qu'à confirmer la regle, & qu'à lui assurer le titre de regle générale ". Opusc. page 375.
§. IV. Des verbes pronominaux. Tous les verbes pronominaux forment leurs prétérits par l'auxiliaire être ; & l'on y ajoute le supin, si le complément principal est après le verbe ; au contraire, on se sert du participe mis en concordance avec le complément principal, si ce complément est avant le verbe.
1°. Elle s'est fait peindre, avec le supin, parce que peindre est le complément principal de fait, & que le pronom se, qui précede, est complément de peindre & non de fait ; c'est comme si l'on disoit, elle a fait peindre soi.
Elle s'est crevé les yeux, avec le supin, parce que les yeux est complément principal de crevé, & que se en est le complément accessoire ; elle a crevé les yeux à soi.
Elle s'est laissé séduire, & non pas laissée, parce que se n'en est pas le complément principal, mais de séduire qui l'est lui-même de laissé : elle a laissé séduire soi.
Pour les mêmes raisons il faut dire, elle s'est mis des chimeres dans la tête : elle s'est imaginé qu'on la trompoit ; elle s'étoit donné de belles robes, &c.
2°. Voici des exemples de participe, parce que le complément principal est avant le verbe.
Elle s'est tuée, & non pas tué, parce que le pronom est complément principal du préterit ; c'est comme si l'on disoit, elle a tué soi. Par les mêmes raisons, il faut dire, elles se sont repenties ; ma mere s'étoit promenée ; mes soeurs se sont faites religieuses ; nos troupes s'étoient battues long-tems.
Il faut dire, elle s'est livrée à la mort, & par un semblable principe de syntaxe, elle s'est laissée mourir, c'est-à-dire, elle a laissé soi à mourir ou à la mort.
Les deux doigts qu'elle s'étoit coupés ; parce que le complément principal du préterit c'est que, qui veut dire lesquels deux doigts, & ce complément est avant le verbe. De même faut-il dire, les chimeres que cet homme s'est mises dans la tête ; ces difficultés vous arrêtent sans cesse, & je ne me les serois pas imaginées ; voilà de belles estampes, je suis surpris que vous ne vous les soyez pas données plûtôt.
Cette syntaxe est la même, quelle que soit la position du sujet, avant ou après le verbe ; & l'on doit également dire ; les lois que les Romains s'étoient prescrites ou que s'étoient prescrites les Romains ; ainsi se sont perdues celles qui l'ont cru ; comment s'est élevée cette difficulté ? &c.
Malherbe, Vaugelas, Bouhours, Regnier, &c. n'ont pas établi les mêmes principes que l'on trouve ici ; mais ils ne sont pas plus d'accord entr'eux qu'avec nous ; &, comme le dit M. Duclos, Rem. sur le ch. xxij. de la II. part. de la Gramm. gén. " ils donnent des doutes plutôt que des décisions, parce qu'ils ne s'étoient pas attachés à chercher un principe fixe. D'ailleurs, quelque respectable que soit une autorité en fait de science & d'art, on peut toujours la soumettre à l'examen ".
Ainsi l'usage se trouvant partagé, le parti le plus sage qu'il y eût à prendre, étoit de préferer celui qui étoit le plus autorisé par les modernes, & sur-tout par l'académie, & qui avoit en même tems l'avantage de n'établir que des principes généraux : car, selon la judicieuse remarque de M. l'abbé d'Olivet, Opusc. page 386, " moins la Grammaire autorisera d'exceptions, moins elle aura d'épines ; & rien ne me paroît si capable, que des regles générales, de faire honneur à une langue savante & polie. Car supposé, dit-il ailleurs, pag. 380, que l'observation de ces regles générales nous fasse tomber dans quelque équivoque ou dans quelque cacophonie ; ce ne sera point la faute des regles ; ce sera la faute de celui qui ne connoîtra point d'autres tours, ou qui ne se donnera pas la peine d'en chercher. La Grammaire, dit-il encore en un autre endroit, pag. 366, ne se charge que de nous enseigner à parler correctement. Elle laisse à notre oreille, & à nos réflexions, le soin de nous apprendre en quoi consistent les graces du discours ". (B. E. R. M.)
PARTICIPE, (Jurisprud.) en matiere criminelle signifie celui qui a eu quelque part à un crime ; un accusé a quelquefois plusieurs complices, participes, fauteurs & adhérens. On entend par complices ceux qui ont commis le crime conjointement avec l'accusé, ou qui savoient d'avance qu'il devoit le commettre, les participes sont ceux qui ont eu part, autrement, par exemple, ceux qui ont vendu ou fourni sciemment du poison ou des armes pour faire mourir quelqu'un. Voyez ACCUSE, CRIME, DELIT. (A)
PARTICIPE, en termes de finances, est celui qui a part secrettement dans un traité ou dans une ferme du roi. La différence qu'il y a entre un traitant & un participe, consiste en ce que le traitant s'engage au roi, s'oblige sous son nom à être la caution de l'adjudicataire, & que le participe n'a part à la ferme que par un traité secret qu'il fait avec le traitant, & non pas avec le roi. Voyez TRAITANT.
PARTICIPE, en terme de commerce de mer, signifie celui qui a part au corps d'un vaisseau marchand. Ce terme, aussi-bien que celui de parsonnier, veut dire sur la Méditerranée, la même chose que co-bourgeois sur l'Océan. Voyez CO-BOURGEOIS.
PARTICIPE, se dit aussi dans le Commerce, tant en gros qu'en détail, d'une des quatre sociétés anonymes que les marchands ont coutume de faire entr'eux. On la nomme aussi société en participation. Les associés ne s'y obligent point les uns pour les autres, mais chacun en son propre & privé nom. Souvent elles ne sont que verbales, quelquefois elles se font par écrit, mais presque toujours en ce cas par lettres missives. Rarement elles contiennent plus d'un article, ne se faisant ordinairement que pour l'achat ou la vente, comme momentanées, de quelques marchandises. Aussi ne durent-elles qu'autant que l'occasion de négoce qui les a fait naître subsiste. Dict. de comm.
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PARTICIPER | v. n. (Gram.) avoir part à quelque chose. Un associé participe à tous les droits d'une société ; il en partage les profits & en supporte les pertes. Id. ibid. On participe aux prieres, aux aumônes, à une affaire, &c.
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PARTICULAIRE | S. m. (Hist. ecclésiast.) dans les anciens monasteres on appelloit de ce nom celui qui distribuoit la portion aux religieux.
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PARTICULARISER | v. act. (Gram.) c'est entrer dans le détail des circonstances d'un événement qu'on raconte, d'une affaire qu'on rapporte, d'un objet dont on parle.
Particulariser une affaire en matiere criminelle, c'est en poursuivre la vindicte contre un seul coupable, à l'exclusion de ses complices. En ce sens, particulariser c'est commettre une injustice.
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PARTICULARISTE | S. m. (Hist. ecclésiast.) nom que quelques théologiens controversistes donnent aux défenseurs de la grace particuliere, c'est-à-dire, à ceux qui soutiennent que J. C. n'est mort que pour le salut des seuls prédestinés, & non pour tous les hommes en général. Voyez GRACE & PREDESTINATION.
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PARTICULARITÉ | S. f. (Gramm.) circonstance particuliere, secrette, d'un événement, d'une affaire. Le détail des particularités marque l'homme instruit.
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PARTICULE | S. f. (Gram.) ce mot est un diminutif de partie ; & il signifie une petite partie d'un tout. Les Grammairiens l'ont adopté dans ce sens, pour désigner par un nom unique toutes les parties d'oraison indéclinables, les prépositions, les adverbes, les conjonctions & les interjections ; parce qu'elles sont en effet les moins importantes de celles qui sont nécessaires à la constitution du discours. Quel mal y auroit-il à cette dénomination, si en effet elle ne désignoit que les especes dont le caractere commun est l'indéclinabilité ? " C'est qu'elle ne sert, dit M. l'abbé Girard, vrais princip. tom. II. disc. 13, pag. 311. qu'à confondre les especes entr'elles, puisqu'on les place indifféremment dans la classe des particules, malgré la différence & de leurs noms & de leurs services, qui les font si bien connoître ". Je ne prétends point devenir l'apologiste de l'abus qu'on peut avoir fait de ce terme ; mais je ne puis me dispenser d'observer que le raisonnement de cet auteur porte à plein sur un principe faux. Rien n'est plus raisonnable que de réunir sous un seul coup d'oeil, au moyen d'une dénomination générique, plusieurs especes différenciées & par leurs noms spécifiques & par des caracteres propres très-marqués : on ne s'avise point de dire que la dénomination générique confond les especes, quoiqu'elle les présente sous un même aspect ; & M. Girard lui-même n'admet-il pas sous la dénomination générique de particule, les interjectives & les discursives ; & sous chacune de ces especes d'autres especes subalternes ; par exemple, les exclamatives, les acclamatives & les imprécatives sous la premiere espece ; & sous la seconde, les assertives, les admonitives, les imitatives ; les exhibitives, les explétives & les précursives.
Le véritable abus consiste en ce qu'on a appellé particules, non-seulement les mots indéclinables, mais encore de petits mots extraits des especes déclinables : il n'est pas rare de trouver, dans les méthodes préparées pour la torture de la jeunesse, la particule SE, les particules SON, SA, SES ou LEUR ; & l'on sait que la particule ON y joue un rôle important. C'est un abus réel, parce qu'il n'est plus possible d'assigner un caractere qui soit commun à tous ces mots, & qui puisse fonder la dénomination commune par laquelle on les désigne : & peut-être que la division des particules adoptées par l'académicien est vicieuse par le même endroit.
En effet, les particules interjectives, que tout le monde connoît sous le nom plus simple d'interjections, appartiennent exclusivement au langage du coeur, & il en convient en d'autres termes ; chacune d'elles vaut un discours entier : Voyez INTERJECTION : & les particules discursives sont du langage analytique de l'esprit, & n'y sont jamais en effet que comme des particules réelles de l'énonciation totale de la pensée. Qu'y a-t-il de commun entre ces deux especes ? De désigner, dit-on, une affection dans la personne qui parle ; & l'on entend sans contredit une affection du coeur ou de l'esprit. A ce prix, particule & mot sont synonymes ; car il n'y a pas un mot qui n'énonce une pareille affection & ils ont un caractere commun qui est très-sensible, ils sont tous produits par la voix.
M. l'abbé de Dangeau, qui faisoit son capital de répandre la lumiere sur les matieres grammaticales, & qui croyoit, avec raison, ne pouvoir le faire avec succès, qu'en recueillant avec scrupule, & comparant avec soin tous les usages, a rassemblé sous un seul coup d'oeil les différens sens attachés par les Grammairiens au nom de particule. Opusc. pag. 231 & suiv.
" 1°. On donne, dit-il, le nom de particule à divers petits mots, quand on ne sait sous quel genre ou partie d'oraison on les doit ranger, ou qu'à divers égards ils se peuvent ranger sous diverses parties d'oraison.... 2°. On donne aussi le même nom de particule à des petits mots, qui sont quelquefois prépositions & quelquefois adverbes.... 2°. On donne aussi le même nom de particule à de petits mots qui ne signifient rien par eux-mêmes, mais qui changent quelque chose à la signification des mots auxquels on les ajoute : par exemple, les petits mots de ne & de pas.... 4°. On doit donner le nom de particule principalement à de petits mots qui tiennent quelque chose d'une des parties d'oraison, & quelque chose d'une autre, comme du, au, des, aux.... 5°. On donne encore le nom de particule à d'autres petits mots qui tiennent la place de quelques prépositions & de quelque nom, comme en, y & dont.... 6°. Les syllabes ci, là & dà, ainsi que les enclitiques ne, ve, que des Latins, & l'enclitique des Grecs, sont aussi des particules.... 7°. Il y a d'autres sortes de particules qui servent à la composition des mots, & comme elles ne font jamais de mots à part, on les nomme des particules inséparables, comme re, de, des, mes, dis, &c.... Tous ces différens usages des particules, & l'utilité dont il est de connoître la force qu'elles ont dans le discours, pourroit faire croire que ce ne seroit pas mal fait de faire de la particule une dixieme partie d'oraison ".
Il paroît évidemment par cet extrait de ce qu'a écrit sur les particules le savant abbé de Dangeau, qu'il y a sur cet objet une incertitude singuliere & une confusion étrange dans le langage des Grammairiens ; & j'ajoute qu'il y a bien des erreurs.
1°. Donner le nom de particule à certains petits mots, quand on ne sait sous quel genre ou partie d'oraison on les doit ranger ; c'est constater par un nom d'une signification vague, l'ignorance d'un fait que l'on laisse indécis par malhabileté ou par paresse. Il seroit & plus simple & plus sage, ou de déclarer qu'on ignore la nature de ces mots, au lieu d'en imposer par un nom qui semble exprimer une idée, ou d'en rechercher la nature par voies ouvertes à la sagacité des Grammairiens.
2°. Regarder comme particules de petits mots qui à divers égards peuvent se ranger sous diverses parties d'oraison, ou qui sont, dit-on, quelquefois prépositions & quelquefois adverbes ; c'est introduire dans le langage grammatical la périssologie & la confusion. Quand vous trouvez, il est si savant, dites que si est adverbe ; & dans je ne sais si cela est entendu, dites que si est conjonction : mais quelle nécessité y a-t-il de dire que si soit particule ? Au reste, il arrive souvent que l'on croit mal-à-propos qu'un mot change d'espece, parce que quelque ellipse dérobe aux yeux les caracteres de syntaxe qui conviennent naturellement à ce mot : le mot après, dit M. de Dangeau, est préposition dans cette phrase, Pierre marche après Jacques ; il est adverbe dans celle-ci, Jacques marchoit devant, & Pierre marchoit après : c'est une préposition dans la derniere phrase comme dans la premiere, mais il y a ellipse dans la seconde, & c'est comme si l'on disoit, Jacques marchoit devant (ou plutôt avant) Pierre, & Pierre marchoit après Jacques. On peut dire en général qu'il est très-rare qu'un mot change d'espece ; & cela est tellement contre nature, que si nous en avons quelques-uns que nous sommes forcés d'admettre dans plusieurs classes, ou il faut reconnoître que c'est l'effet de quelque figure de construction ou de syntaxe, que l'habitude ne nous laisse plus soupçonner, mais que l'art peut retrouver, ou il faut l'attribuer à différentes étymologies : par exemple, notre adverbe si vient certainement de l'adverbe latin sic, & notre conjonction si est sans altération la conjonction latine si.
3°. Je ne crois pas, quoique M. de Dangeau le dise très-affirmativement, que l'on doive donner le nom de particule à nos petits mots du, des, au, aux. La Grammaire ne doit point juger des mots par l'étendue de leur matériel, ni les nommer d'après ce jugement ; c'est leur destination qui doit fixer leur nature. Or les mots dont il s'agit, loin d'être des particules dans le sens diminutif que présente ce mot, équivalent au contraire à deux parties d'oraison, puisque du veut dire de le, des veut dire de les, au veut dire à le, & aux veut dire à les. C'est ainsi qu'il faut les désigner, en marquant que ce sont des mots composés équivalens à telle préposition & tel article. C'est encore à-peu-près la même chose des mots en, y & dont : celui-ci est équivalent à de lequel, de laquelle, de lesquels, ou de lesquelles : les deux autres sont de vrais adverbes, puisque le mot en signifie de lui, d'elle, de cela, de ce lieu, d'eux, d'elles, de ces choses, de ces lieux ; & que le mot y veut dire à cela, à ces choses, en ce lieu, en ces lieux : or tout mot équivalent à une préposition avec son complément, est un adverbe. Voyez ADVERBE.
4°. Enfin je suis persuadé, contre l'avis même de l'habile grammairien dont j'ai rapporté les paroles, que ce seroit très-mal fait de faire des particules une nouvelle partie d'oraison. On vient de voir que la plûpart de celles qu'il admettoit avec le gros des grammairiens, ont déja leur place fixée dans les parties d'oraison généralement reconnues, & par conséquent qu'il est au moins inutile d'imaginer pour ces mots une classe à part.
Les autres particules, dont je n'ai rien dit encore, & que je trouve en effet très-raisonnable de désigner par cette dénomination, ne constituent pas pour cela une partie d'oraison, c'est-à-dire, une espece particuliere de mots : & en voici la preuve. Un mot est une totalité de sons devenue par usage, pour ceux qui l'entendent, le signe d'une idée totale : voyez MOT : or les particules, que je consens de reconnoître sous ce nom, puisqu'il faut bien en fixer la notion par un terme propre, ne sont les signes d'aucune idée totale ; la plupart sont des syllabes qui ne deviennent significatives, qu'autant qu'elles sont jointes à d'autres mots dont elles deviennent parties, desorte qu'on ne peut pas même dire d'aucune que ce soit une totalité de sons, puisque chacune devient son partiel du mot entier qui en résulte.
Au lieu donc de regarder les particules comme des mots, il faut s'en tenir à la notion indiquée par l'étymologie même du nom, & dire que ce sont des parties élémentaires qui entrent dans la composition de certains mots, pour ajouter à l'idée primitive du mot simple auquel on les adapte, une idée accessoire dont ces élémens sont les signes.
On peut distinguer deux sortes de particules, à cause des deux manieres dont elles peuvent s'adapter avec le mot simple dont elles modifient la signification primitive, les unes sont prépositives, ou préfixes, pour parler le langage de la grammaire hébraïque, parce qu'elles se mettent à la tête du mot ; les autres sont postpositives, ou affixes, parce qu'elles se mettent à la fin du mot.
Les particules que je nomme prépositives ou préfixes, s'appellent communément prépositions inséparables ; mais cette dénomination est doublement vicieuse : 1°. elle confond les élémens dont il s'agit ici avec l'espece de mots à laquelle convient exclusivement le nom de préposition : 2°. elle présente comme fondamentale l'idée de la position de ces particules, en la nommant la premiere ; & elle montre comme subordonnée & accessoire l'idée de leur nature élémentaire, en la désignant en second : au lieu que la dénomination de particule prépositive ou préfixe n'abuse du nom d'aucune espece de mot, & présente les idées dans leur ordre naturel. On ne sauroit mettre dans ces termes techniques trop de vérité, trop de clarté, ni trop de justesse.
Voici dans l'ordre alphabétique nos principales particules prépositives.
A, ou ad, particule empruntée de la préposition latine ad, marque, comme cette préposition, la tendance vers un but physique ou moral. On se sert de a dans les mots que nous composons nous-mêmes à l'imitation de ceux du latin, & même dans quelques-uns de ceux que nous avons empruntés : aguerrir (ad bellum aptiorem facere), améliorer (ad melius ducere), anéantir (réduire à néant, ad nihilum) ; avocat que l'on écrivoit & que l'on prononçoit anciennement advocat (ad alienam causam dicendam vocatus). On se sert de ad quand le mot simple commence par une voyelle, par un h muet, par la consonne m, & quelquefois quand il commence par j ou par v : adapter (aptare ad), adhérer (haerere ad), admettre (mettre dans), adjoint (junctus ad), adverbe (ad verbum junctus), &c. Dans quelques cas, le d de ad se transforme en la consonne qui commence le mot simple, si c'est un c ou un q, comme accumuler, acquérir ; un f, comme affamer ; un g, comme aggréger ; un l, comme alaiter ; un n, comme annexer ; un p, comme applanir, appauvrir, apposition ; un r, comme arranger, arrondir ; un s, comme assaillir, assidu, assortir ; un t comme attribut, atténué, &c.
Ab ou abs, qui est sans aucune altération la préposition latine, marque principalement la séparation ; comme abhorrer, abjuration, ablution, abnégation, abortif, abrogé, absolution, abstinence, abstrait, abusif, &c.
Anti marque quelquefois la priorité, & alors il vient de la préposition latine ante, comme dans antidate ; mais ordinairement nous conservons le latin en entier, antécesseur. Plus souvent il vient du grec , contrà, & alors il marque opposition : ainsi le poëme immortel du cardinal de Polignac, dont M. de Bougainville a donné au public une excellente traduction, porte à juste titre le nom d'Antilucrece, puisque la doctrine du poëte moderne est tout-à-fait opposée au matérialisme absurde & impie de l'ancien. Voyez ANTI.
Co, com, col, cor & con, est une particule empruntée de la préposition latine cùm (avec) dont elle garde le sens dans la composition. On se sert de co devant un mot simple qui commence par une voyelle ou par un h muet ; coadjuteur, coéternel, coincidence, coopération, cohabiter, cohéritier. On employe com devant une des consonnes labiales b, p, ou m ; combattre, compétiteur, commutation. On se sert de col, quand le mot simple commence par l ; collection, colliger ; collusion : le mot colporteur n'est point contraire à cette regle, il signifie porteur au col. On fait usage de cor devant les mots qui commencent par r, correlatif, correspondance. Dans toutes les autres occasions on se sert de con ; concordance, condenser, confédération, conglutiner, conjonctif, connexion, conquérir, consentir, conspirer, contemporain, convention.
Contre, servant comme particule, conserve le même sens d'opposition qui est propre à la préposition ; contredire, contremander, contrevenir : contrefaire, c'est imiter contre la vérité ; contrefait veut quelquefois dire, fait contre les lois ordinaires & les proportions de la nature ; contretirer une estampe, c'est la tirer dans un sens opposé & contraire. Mais dans contresigner, contre veut seulement dire auprès.
Dé sert quelquefois à étendre la signification du mot ; elle est ampliative, comme dans déclarer, découper, détremper, dévorer : d'autres fois elle est négative & sert à marquer la suppression de l'idée énoncée par le mot simple, comme dans débarquer, décamper, dédire, défaire, dégénéré, déloyal, démasqué, dénaturé, dépourvu, déréglement, désabuser, détorse, dévaliser.
Dés est toujours négative dans le même sens que l'on vient de voir ; désaccorder, désennuyer, déshabiller, déshérité, déshonneur, désintéressement, désordre, désunion.
Di est communément une particule extensive ; diriger, c'est regler de point en point ; dilater, c'est donner beaucoup d'étendue ; diminuer, c'est rendre plus menu, &c.
Dis est plus souvent une particule négative ; discordance, disgrace, disproportion, disparité. Quelquefois elle marque diversité ; disputer (disputare) signifie littéralement diversa putare, ce qui est l'origine des disputes ; distinguer, selon M. l'abbé de Dangeau, (Opusc. p. 239.) vient de dis & de tingere (teindre), & signifie proprement teindre d'une couleur différente, ce qui est très-propre à distinguer ; discerner, voir les différences ; disposer, placer les diverses parties, &c. Dans diffamer, difficile, difforme, c'est la particule dis dont le s final est changé en f, à cause du f initial des mots simples, & elle y est négative.
E '& ex sont des particules qui viennent des propositions latines é ou ex, & qui dans la composition marquent une idée accessoire d'extraction ou de séparation : ébrancher, ôter les branches ; écervelé, qui a perdu la cervelle ; édenter, ôter les dents, effréné, qui s'est soustrait au frein ; élargir, c'est séparer davantage les parties élémentaires ou les bornes ; émission, l'action de pousser hors de soi ; énerver, ôter la force aux nerfs ; épousseter, ôter la poussiere, &c. exalter, mettre au-dessus des autres ; excéder, aller hors des bornes ; exhéréder, ôter l'héritage ; exister, être hors du néant ; exposer, mettre au dehors ; exterminer, mettre hors des tems ou des bornes, &c. Il ne faut pas croire au reste, comme le donne à entendre M. l'abbé Regnier, (Gramm. franç. in-12. p. 545. in-4°. pag. 574.) que ce soit la particule é qui se trouve à la tête des mots écolier, épi, éponge, état, étude, espace, esprit, espece, &c. & de plusieurs autres qui viennent de mots latins commençant par s suivie d'une autre consonne, scholaris, spica, spongia, status, studium, spatium, spiritus, species, &c.
La difficulté que l'on trouva à prononcer de suite les deux consonnes initiales, fit prendre naturellement le parti de prononcer la premiere comme dans l'alphabet, es ; & dès lors on dit, & l'on écrivit ensuite, escolier, espi, esponge, estat, espace, esprit, espece, &c. l'euphonie dans la suite supprima la lettre s de la prononciation de quelques-uns de ces mots, & l'on dit écolier, épi, éponge, état, étude ; & ce n'est que depuis peu que nous avons supprimé cette lettre dans l'orthographe : elle subsiste encore dans celle des mots espace, esprit, espece, parce qu'on l'y prononce. Si cet e ne s'est point mis dans quelques dérivés de ces mots, ou dans d'autres mots d'origine semblable, c'est qu'ils se sont introduits dans la langue en d'autres tems, & qu'étant d'un usage moins populaire, ils ont été moins exposés à souffrir quelque altération dans la bouche des gens éclairés qui les introduisirent.
La particule en, dans la composition, conserve le même sens à-peu-près que la préposition, & marque position ou disposition : position, comme dans encaisser, endosser, enfoncer, engager, enlever, enjeu, enregistrer, ensevelir, entasser, envisager : disposition, comme dans encourager, endormir, engrosser, enhardir, enrichir, ensanglanter, enivrer. Lorsque le mot simple commence par une des labiales b, p ou m, la particule en devient em ; embaumer, empaler, emmailloter : & l'abréviateur de Richelet, M. l'abbé Goujet, péche contre l'usage & contre l'analogie, lorsqu'il écrit enmailloter, enmancher, enménager, enmener.
In est une particule qui a dans notre langue, ainsi qu'elle avoit en latin, deux usages très-différens. 1°. Elle conserve en plusieurs mots le sens de la préposition latine in, ou de notre particule françoise en, & par conséquent elle marque position ou disposition ; position, comme incarnation, infuser, ingrédient, inhumation, initier, inné, inoculation, inscrire, intrus, invasion ; disposition, comme inciter, induire, influence, innover, inquisition, insigne, intention, inversion. In & en ont tellement le même sens, quand on les considere comme venues de la proposition, que l'usage les partage quelquefois entre des mots simples qui ont une même origine & un même sens individuel, & qui ne différent que par le sens spécifique : inclination, enclin ; inflammation, enflammer ; injonction, enjoindre ; intonation, entonner. 2°. In est souvent une particule privative, qui marque l'absence de l'idée individuelle énoncée par le mot simple : inanimé, inconstant, indocile, inégal, infortuné, ingrat, inhumain, inhumanité, inique, injustice, innombrable, inoui, inquiet, inséparable, intolérance, involontaire, inutile. Quel que puisse être le sens de cette particule, on en change la finale n en m devant les mots simples qui commençent par une des labiales b, p, ou m ; imbiber, imbu, imbécille, impétueux, imposer, impénitence ; immersion, imminent, immodeste : n se change en l devant l, & en r devant r ; illuminer, illicite ; irruption, irradiation, irréverent.
Mé ou més est la même particule dont l'euphonie supprime souvent la finale s : elle est privative, mais dans un sens moral, & marque quelque chose de mauvais, le mal n'étant que l'absence ou la privation du bien. M. l'abbé Regnier (pag. 562. in-12, ou pag. 589. in-4°.) a donné la liste de tous les mots composés de cette particule usitée de son tems, & il écrit mes par-tout, soit que l'on prononce ou que l'on ne prononce pas s : en voici une autre un peu différente ; je n'ai écrit s que dans les mots où cette lettre se prononce, & c'est lorsque le mot simple commence par une voyelle ; j'ai retranché quelques mots qui ne sont plus usités, & j'en ai ajoûté quelques-uns qui sont d'usage : mécomptes, mécompter ; méconnoissable, méconnoissance, méconnoître ; mécontent, comme mal-content, (voyez les Remar. nouv. de Bouhours, tome I. pag. 271.) mécontentement, mécontenter ; mécréant ; médire, médisance, médisant ; méfaire, méfait ; mégarde ; méprendre, méprise ; mépris, méprisable, méprisant, mépriser ; mésaise comme malaise ; mésalliance, mésallié ; mésestimer ; mésintelligence ; mésoffrir ; messéance, messéant comme malséant ; mesuser ; mévendre, mevente. Les Italiens employent mis dans le sens de notre més ; & les Allemands ont miss qui paroît être la racine de notre particule. Voyez le Gloss. germ. de Wachter, proleg. sect. V.
Par ou per est une particule ampliative qui marque l'idée accessoire de plénitude ou de perfection ; parfait, entierement fait ; parvenir, venir jusqu'au bout ; persécuter comme persequi, suivre avec acharnement ; peroraison, ce qui donne la plénitude entiere à l'oraison, &c. La particule latine per avoit la même énergie ; c'est pourquoi devant les adjectifs & les adverbes elle leur donnoit le sens ampliatif ou superlatif : periniquus, très-injuste ; perabsurdè, d'une maniere fort absurde, &c.
Nous avons encore plusieurs autres particules qui viennent ou de nos prépositions, ou des prépositions latines, ou de quelques particules latines : elles en conservent le sens dans nos mots composés, & n'ont pas grand besoin d'être expliquées ici : en voici quelques exemples : entreprendre, interrompre, introduire, pourvoir, prévoir, produire, rassembler, rebâtir, réassigner, réconcilier, rétrograder, subvenir, subdélégué, soumettre, sourire, survenir, traduire, transposer.
Je remarquerai seulement sur la particule re ou ré, que souvent un même mot simple reçoit des significations très-différentes, selon qu'il est précédé de re avec l'e muet, ou de ré avec l'é fermé : repondre, c'est pondre une seconde fois, répondre, c'est répliquer à un discours ; reformer, c'est former de nouveau, réformer, c'est donner une meilleure forme ; repartir, c'est répliquer, ou partir pour retourner, répartir, c'est distribuer en plusieurs parts.
On peut lire avec fruit sur quelques particules prépositives, les Remarques nouvelles du pere Bouhours, tom. I. pag. 257, 298 & 556.
Le nombre de nos particules postpositives n'est pas grand : nous n'en avons que trois ci, là & da. Ci indique des objets plus prochains, là des objets plus éloignés : de-là la différence de sens que reçoivent les mots, selon qu'on les termine par l'une ou par l'autre de ces particules, ceci, cela ; voici, voilà ; celui-ci, celui-là ; cet homme là.
Da est ampliatif dans l'affirmation ouida ; & c'est le seul cas où l'usage permette aujourd'hui de l'employer. Cette particule étoit autrefois plus usitée comme affirmative : il avoit une épée da, c'est un habile homme da. Plus anciennement elle s'écrivoit dea ; & Garnier dans sa tragédie de Bradamante, commence ainsi un vers :
Dea, mon frere, hé pourquoi ne me l'aviez vous dit ?
Il y avoit donc une suite de diphtongue : sur quoi je ferai une observation que l'on peut ajouter à celles de Ménage. C'est que dans le patois de Verdun, il y a une affirmation qui est vie dia, & quelquefois on dit pa la vie dia ; ce que je crois qui signifie par la vie de Dieu, ensorte que vie dia c'est vie de Dieu, ou vive Dieu. Or dia & dea ne different que comme i & e qui sont des sons très-approchans & souvent confondus : ainsi rien n'empêche de croire que da n'est affirmatif qu'autant qu'il prend Dieu même à témoin. (B. E. R. M.)
PARTICULES est aussi un terme de Théologie, dont on se sert dans l'Eglise latine pour exprimer les miettes ou petits morceaux de pain consacré, qu'on appelle dans l'Eglise greque.
Dans l'Eglise greque, il y a une cérémonie particuliere, nommée , des particules, dans laquelle on offre certains morceaux de pain non consacré en l'honneur de la Vierge, de S. Jean-Baptiste, & de plusieurs autres saints. On donne aussi à ces particules le nom d'oblation, .
Gabriel, archevêque de Philadelphie, a donné un petit traité, , dans lequel il s'efforce de faire voir l'ancienneté de cette cérémonie, parce qu'il en est fait mention dans les liturgies de S. Chrysostome & de S. Basile.
Il y a eu sur cette matiere une dispute considérable entre les Théologiens réformés & les catholiques. Aubertin & Blondel expliquent un passage de la théorie de S. Germain, patriarche de Constantinople, où il parle de la cerémonie des particules comme d'une chose en usage de son tems. En faveur des Catholiques, MM. de Port-royal contestent l'explication ; mais M. Simon, dans ses notes sur Gabriel de Philadelphie, tâche de faire voir que ce passage est une interpolation, parce qu'il ne se trouve point dans les anciens exemplaires de S. Germain ; & par conséquent que la dispute n'a point de fondement.
PARTICULE, s. f. (Physique) partie très-petite d'un corps ; c'est de l'assemblage & de l'union de plusieurs de ces parties que sont composés les corps naturels.
Particule dans la nouvelle Philosophie est employé par quelques auteurs dans le même sens qu'atome dans l'ancienne Philosophie d'Epicure, & que corpuscule dans la Philosophie moderne. Voyez ATOME & CORPUSCULE.
Néanmoins d'autres auteurs les distinguent, & disent que particule est l'assemblage & l'union de deux ou plusieurs corpuscules ou atomes primitifs & physiquement indivisibles ; & que corpuscule ou petit corps est l'assemblage ou la masse de plusieurs particules.
Au reste, cette distinction n'est pas fort nécessaire, & dans la plûpart des ouvrages de Physique particule est employé comme synonyme à corpuscule.
Les particules sont donc comme les élémens des corps ; c'est leur arrangement différent & leur contexture, avec la différence de cohésion, qui constitue les différentes sortes de corps, durs, mous, secs. liquides, pesans, légers, &c. Voyez ÉLEMENT & COHESION.
Les particules les plus petites ou les corpuscules s'unissent, suivant les Newtoniens, par l'attraction la plus forte, & composent des particules plus grosses dont l'union est plus foible, & plusieurs de ces parties réunies ensemble forment des particules encore plus grosses dont l'union est toujours plus foible ; & ainsi par différens degrés jusqu'à ce que la progression finisse par les particules les plus grosses, desquelles dépendent les opérations chimiques & les couleurs des corps naturels, & qui, en s'unissant, composent les corps des masses sensibles. Voyez MATIERE, COULEUR, ATTRACTION & COHESION.
Les Epicuriens s'imaginoient que la cohésion de ces particules de matiere se faisoit par le moyen des atomes accrochés, les Péripatéticiens au contraire par le simple repos de ces parties les unes auprès des autres ; c'est aussi le sentiment des Cartésiens. Voyez DURETE. Chambers.
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PARTICULIER | adj. (Gramm. & Logique) qui concerne l'espece ou l'individu ; l'on dit le système de l'individu ne doit pas être préféré à celui de l'espece, & particulier s'oppose à général. Il est doux, après avoir vécu dans le tumulte des affaires, de retourner à la vie particuliere ; & particulier s'oppose à public. L'Eglise admet un jugement particulier ; & particulier s'oppose à universel. Un particulier de cet endroit a fait une belle action ; & l'idée de particulier est relative à celle de collection. Cet homme est particulier, il est synonyme à bizarre, & s'oppose à ordinaire & commun. Dans cette maison chacun a sa chambre particuliere, & il s'oppose à commune. Les assemblées particulieres sont illicites, & il est correlatif de publiques. Il faut connoître les circonstances particulieres d'une affaire pour en décider, & il s'oppose à ordinaires & communes. L'aimant a une vertu particuliere, ou qui lui est propre. Quand il se dit d'une liaison, il en marque l'intimité ; d'un officier, il en marque la subordination ; d'un événement, il en marque la rareté ; d'un goût, il en marque la vivacité, &c.
PARTICULIER, (Jurisprud.) se dit de ce qui ne touchant qu'une personne ou une chose est opposé à universel ou général, par exemple, l'héritier particulier n'a pas un droit si étendu que l'héritier universel ; il en est de même du legs particulier opposé au legs universel. Une substitution universelle ou générale est opposée à une substitution particuliere, qui ne porte que sur certaines choses ou sur certaines personnes, le lieutenant général d'une jurisdiction a la prééminence sur le lieutenant particulier. (A)
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PARTIE | S. f. (Métaphysique) c'est une quantité qui, prise d'un tout, lui est inférieure, & combinée avec ce dont elle a été prise, redevient égale au tout. On reconnoît pour axiomes les propositions, qui affirment que tout est plus grand que sa partie, que toutes les parties réunies sont égales au tout, & qu'enfin le tout & ses parties prises ensemble peuvent être substitués réciproquement l'un à l'autre.
On distingue entre partie aliquote & partie aliquante. Partie aliquote, c'est celle qui étant répétée un certain nombre de fois, fait une somme précisément égale au tout. Partie aliquante, c'est celle dont la répétition ne produit jamais qu'une somme inférieure ou supérieure au tout. Trois est partie aliquote de douze, parce que répété quatre fois, il produit exactement ce nombre ; mais trois n'est que partie aliquante de seize, car cinq fois trois sont quinze, & six fois trois sont dix-huit, deux nombres, l'un audessus, l'autre au-dessous de seize.
Tout nombre moindre est partie d'un plus grand. Ce qui est partie d'une partie, est par-là même partie du tout. Les parties égales de tous égaux, sont égales entr'elles.
Les parties des tous sont actuelles ou simplement possibles. Une partie actuelle, c'est celle qui a ses bornes déja distinctes & déterminées. Une partie possible, c'est celle qu'on peut désigner arbitrairement. Les parties d'une montre par exemple, ont chacune leur grandeur & leur figure déterminée, qui en font l'actualité ; mais une masse de plomb ou une regle de bois n'ont encore que des parties possibles, & les ouvriers qui les employeront peuvent les former à leur gré. Le continu conçu d'une maniere abstraite n'offre que des parties possibles. Il y a une étendue entre Berlin & Paris : je la conçois d'abord en général comme continue, & alors je ne détermine point combien de lieues séparent ces deux villes. Mais ensuite, en faisant attention aux villes, villages, rivieres, campagnes, montagnes, bois, & autres choses interposées, les parties actuelles se tracent sous mes yeux, & en les comparant à une mesure commune, j'assigne la distance de ces deux lieux. Dans les contigus au contraire les parties sont toutes faites.
PARTIES D'ORAISON, (Gram.) voyez DISCOURS, LANGUE, ORAISON.
PARTIE, en Anatomie, est un terme général dont on se sert pour nommer chaque partie du corps, & les parties de ces parties. Le foie est une partie organique, dont une partie est située dans l'hypocondre droit, & l'autre dans l'épigastre. Les parties secrettes ou naturelles, que le peuple appelle les parties honteuses, sont celles qui servent à la génération.
PARTIES GENITALES DE L'HOMME, qui comprennent le pénil & les testicules. Voyez PENIL, TESTICULE, GENERATION, &c.
Bracton dit que l'amputation de ces parties étoit félonie ou un crime capital, suivant le droit commun, soit que ce fût du consentement du patient ou non. Voyez EUNUQUE & CASTRATION, comme il paroît par ce passage.
" Henri Hall & A. sa femme ont été arrêtés & enfermés dans la prison de l'Evilchester, comme accusés d'avoir coupé les parties génitales de Jean Moine, que ledit Henri a surpris avec sadite femme A. ". Rot. claus. 13. hen. III.
PARTIES EGALES, (Pharmacie) expression dont on se sert dans les prescriptions des remedes composés & qui n'a pas besoin d'être définie : l'égale quantité se détermine toujours par le poids. Cette expression s'abrege dans les formules par les lettres initiales des deux mots P. E. & en latin P. Ae. partes aequales. (b)
PARTIE DE FORTUNE, dans l'Astrologie judiciaire, est l'horoscope lunaire, ou le point dans lequel est la lune dans le tems que le soleil est dans le point ascendant de l'Orient.
Le soleil dans son ascendant est supposé donner la vie, & la lune donne l'humide radical, & est une des causes de la fortune ; dans les horoscopes, la partie de fortune est représentée par un cercle divisé en croix.
PARTIE, (Jurisprud.) en terme de palais signifie tout plaideur ; l'avocat ou le procureur, en parlant de son client, l'appelle sa partie ; ce qui vient de ce que dans l'ancien style où les plaidoyers étoient relatés, dans les jugemens on disoit ex parte N....
Partie adverse est celui qui plaide contre un autre, le défendeur est la partie adverse du demandeur, & vice versâ.
Partie civile, en matiere criminelle, c'est celui qui se déclare partie contre celui qu'il accuse d'avoir commis un crime.
On l'appelle partie civile, parce qu'en concluant sur la plainte, il ne peut demander qu'une réparation civile des intérêts civils ; c'est à la partie publique à prendre des conclusions pour la vengeance & la punition du crime.
Celui qui a rendu plainte n'est pas pour cela réputé partie civile ; car si la plainte ne contient pas une déclaration expresse que le plaignant se porte partie civile, elle ne tient lieu que de dénonciation, ordonnance de 1670, tit. III. art. 5. & néanmoins si la plainte est calomnieuse, le plaignant peut être poursuivi comme calomniateur.
Pour pouvoir se porter partie civile, il faut avoir un intérêt personnel à la réparation civile du crime, comme sont ceux qui ont été volés, ou bien l'héritier de celui qui a été tué ; ceux qui n'ont à reclamer que pour l'intérêt public, peuvent seulement servir d'instigateurs & de dénonciateurs.
Quand la partie civile est satisfaite, elle ne peut plus agir, il n'y a plus que le ministere public qui puisse poursuivre la vengeance du crime, bien entendu qu'il y ait un corps de délit constant. Voyez ACCUSATION, CRIME, DELIT, DENONCIATION, INTERETS CIVILS, PLAINTE, REPARATION CIVILE.
Partie comparante est celle qui se présente en personne, ou par le ministère de son avocat ou de son procureur, soit à l'audience, soit devant le juge ou autre officier public pour répondre à quelque interrogation ou assister à quelque procès-verbal. Voyez Partie défaillante.
Parties contradictoires, c'est lorsque les deux parties qui ont des intérêts opposés & qui contestent ensemble se trouvent l'une & l'autre en personne, ou par le ministere de leur avocat ou de leur procureur devant le juge & prêtes à plaider ou à répondre s'il s'agit d'interrogation, ou pour assister à un procès-verbal. Voyez ci-devant Partie comparante, & ci-après Partie défaillante.
Partie défaillante, est lorsqu'une des personnes qui plaident ou qui sont assignées pour comparoître devant un juge, commissaire ou autre officier public, fait défaut, c'est-à-dire ne comparoît pas en personne, ni par le ministere d'un procureur.
Partie intervenante, c'est celle qui de son propre mouvement se rend partie dans une contestation déja pendante entre deux autres parties.
Parties litigantes, sont ceux qui sont en procès ensemble.
Parties ouïes, c'est lorsque les parties qui plaident ensemble ont été entendues contradictoirement. Ces termes parties ouïes sont de style dans les jugemens contradictoires, où ils précedent ordinairement le dispositif.
Partie plaignante est celui qui a rendu plainte en justice de quelque tort ou grief qu'on lui a fait. Voyez PLAINTE.
Partie principale est celui qui est le plus intéressé dans la contestation ; cette qualité se donne aussi ordinairement à ceux entre lesquels a commencé la contestation pour les distinguer de ceux qui ne sont que parties intervenantes.
Parties publiques, c'est celui qui est chargé de l'intérêt public, tels que sont les avocats & procureurs généraux dans les cours, les avocats & procureurs du roi dans les autres sieges royaux, les avocats & procureurs fiscaux dans les justices seigneuriales, & autres personnes qui ont un caractere pour exercer le ministere public, comme le major dans les conseils de guerre. Voyez AVOCAT FISCAL, AVOCAT GENERAL, GENS DU ROI, MINISTERE PUBLIC, PARQUET, PROCUREUR GENERAL, PROCUREUR DU ROI, PROCUREUR FISCAL. (A)
PARTIES CASUELLES, (Jurisprud.) On entend par ces termes, la finance qui revient au roi des offices vénaux qui ne sont pas héréditaires.
On entend aussi quelquefois, par le terme de parties casuelles, le bureau où se paye cette finance. Le trésorier des parties casuelles est celui qui la reçoit.
Les officiers de judicature & de finances, auxquels le roi n'a pas accordé l'hérédité, doivent payer aux parties casuelles du roi, au commencement de chaque année, l'annuel ou paulette, à fin de conserver leur charge à leurs veuve & héritiers, & aussi pour jouir de la dispense des 40 jours qu'ils étoient obligés de survivre à leur résignation, suivant l'édit de François I. sans quoi la charge seroit vacante au profit du roi ; ce qu'on appelle tomber aux parties casuelles. Ceux qui veulent racheter un tel office, le peuvent faire moyennant finance ; ce que l'on appelle lever aux offices parties casuelles. Le prix des offices est taxé aux parties casuelles, voyez PAULETTE.
Le droit qui se paye aux parties casuelles, a quelque rapport avec celui que l'on appelloit chez les Romains, casus militiae, qui se payoit aux héritiers pour les milices vénales & héréditaires, dont il est parlé en la novelle 53, ch. v. Ce n'est pourtant pas précisément la même chose. Voyez Loyseau, des Offices, Liv. II. ch. viij. n. 31. & suiv.
Les princes apanagistes ont leurs parties casuelles pour les offices de l'apanage auxquels ils ont droit de pourvoir.
M. le chancelier a aussi ses parties casuelles pour certains offices qui sont à sa nomination.
Il y a de même certains offices de la maison du roi qui tombent dans les parties casuelles des grands offices de la couronne dont dépendent ces offices. (A)
PARTIES, (Commerce). On nomme ainsi dans le commerce, tant en gros qu'en détail, aussi-bien que parmi les artisans & ouvriers, les mémoires des fournitures de marchandises ou d'ouvrages qu'on a faits pour quelqu'un. Voyez MEMOIRE.
Parties arrêtées ; ce sont des mémoires au bas desquels ceux à qui les marchandises & ouvrages ont été livrés & fournis, reconnoissent qu'ils les ont reçus, qu'ils sont contens du prix, & promettent d'en faire le payement, soit que le tems de faire ce payement soit exprimé, soit qu'il ne le soit pas ; cette reconnoissance met les marchands & ouvriers à couvert de la fin de non-recevoir, & leur donne contre les débiteurs une action qui subsiste trente années.
Partie d'apoticaire, est le nom qu'on donne à des mémoires enflés, & où les ouvrages ou marchandises sont estimés beaucoup au-delà de leur juste valeur.
Parties simples, parties doubles, termes de marchands, négocians, banquiers, teneurs de livres, &c. Ils se disent des différentes manieres de tenir les livres de commerce & de dresser des comptes. Voyez COMPTES, LIVRES DE MARCHANDS, &c. diction. de commerce.
PARTIES DOUBLES, (Comm. Fin) l'ordre des parties doubles distingue une recette d'une autre recette, une dépense d'une autre dépense, l'argent des autres effets, la nature & le sort de ces divers effets. Chaque article dans les parties doubles, opere tout-à-la-fois recette & dépense ; c'est d'où elles prennent leur nom : ainsi il porte avec soi la vérification & la balance. Quelqu'étendue que l'on suppose à un compte général, on peut en un instant, & d'un clin d'oeil, former un compte particulier du plus léger article, en suivant son issue : compte qui sera lumineux sans coûter des efforts & des recherches pénibles. Dès-lors il seroit possible chaque jour, de compter d'une caisse, où tout l'argent du Royaume entreroit. Les Italiens ont imaginé ce bel ordre ; ils s'en servent même généralement dans le détail des biens de campagne qu'ils font valoir : & si l'on y prenoit garde, par-tout où il se fait de grandes consommations, quelqu'immense qu'en fût le détail, il seroit facile de se procurer une connoissance intime & journaliere de chaque emploi.
Pendant longtems les négocians ont été les seuls à adopter cet usage, parce qu'il leur importe de connoître à chaque heure du jour leur situation véritable. Ils seroient bientôt ruinés, si leurs caissiers ou comptables se trouvoient chargés de debets inconnus, ou s'ils pouvoient faire valoir à leur inscu quelque somme jusqu'au moment de la reddition des comptes. " Cette même exactitude, disoit en 1607 Simon Stevin de Bruges à M. de Sully, n'est pas moins intéressante pour un prince. " Cependant son inexécution dans le maniment des affaires jusqu'à ce jour, a presque réduit en problème cette question, savoir si entre deux points donnés, la ligne droite est plus courte que la ligne courbe. (D.J.)
PARTIE DE MUSIQUE, est le nom de chaque voix ou mélodie séparée, dont la réunion forme l'harmonie ou le concert. Pour constituer un accord, il faut au-moins que deux sons se fassent entendre à-la-fois ; ce qu'une seule voix ne sauroit faire. Pour former une harmonie ou une suite d'accords, il faut donc plusieurs voix ; le chant qui appartient à chacune de ces voix, s'appelle partie, & la collection de toutes les parties s'appelle partition. Voyez PARTITION.
Comme un accord complet est composé de quatre sons, il y a aussi dans la Musique quatre parties principales, dont la plus aiguë s'appelle dessus, & se chante par des voix de femmes, d'enfans ou de musici ; les trois autres sont la haute-contre, la taille & la basse, qui toutes appartiennent à des voix d'hommes. On peut voir dans nos Pl. de Musiq. l'étendue de voix de chacune de ces parties, & la clé qui lui appartient. Les notes blanches montrent les sons pleins où chaque partie peut arriver, tant en haut qu'en bas ; & les croches qui suivent montrent les sons où la voix commenceroit à se forcer, & qu'elle ne doit former qu'en passant.
Plusieurs de ces parties se subdivisent en deux, quand on compose à plus de quatre parties. Voyez DESSUS, TAILLE, BASSE, VOIX.
Il y a aussi des parties instrumentales. Il y a même des instrumens, comme l'orgue, le clavessin, la viole qui peuvent faire plusieurs parties à la fois. En général on divise aussi la musique instrumentale en quatre parties, qui répondent à celles de la musique vocale, & qui s'appellent dessus, quinte, taille & basse. On en trouvera aussi les clés & l'étendue. Pl. de musiq. Mais il faut remarquer que la plûpart des instrumens n'ont pas des bornes précises dans le haut, & qu'on les peut faire démancher autant qu'on veut, aux dépens des oreilles des auditeurs ; au lieu que dans le bas ils ont un terme fixe qu'ils ne sauroient passer, & qui est la note que j'ai marquée.
Il y a des parties qui ne doivent être chantées que par une seule voix, ou jouées que par un seul instrument ; & celles-là s'appellent parties récitantes. D'autres parties s'exécutent par plusieurs personnes, chantant ou jouant à l'unisson, & on les appelle parties de choeur.
On appelle encore partie, le papier de musique sur lequel est écrite la partie séparée de chaque musicien. Quelquefois plusieurs chantent ou jouent sur le même papier ; mais quand ils ont chacun le leur, ce qui se fait ordinairement dans les grandes musiques, on peut dire en ce sens, qu'il y a autant de parties que de concertans. (S)
PARTIE, (écriv.) Ce mot est aussi en usage dans l'écriture pour exprimer le vice ou la beauté d'un caractere ; comme voilà de bonnes ou de mauvaises parties, des parties maigres, plates, pleines, bien touchées, &c.
PARTIES SIMILAIRES, (Jard.) sont les parties d'une même nature, tissure & substance qui se trouvent dans une graine, telles que la cuticule, le parenchyme ou la chair, & la racine séminale.
Parties dissimilaires, sont celles qui étant de différente nature, sont composées de diverses especes, telles qu'on les remarque dans une plante ; savoir, la racine, le tronc, les feuilles, les fleurs & les fruits.
Parties ligneuses ; ce sont les parties même du bois telles que la tige intérieure & l'écorce.
PARTIE DE JEU, c'est une convention en conséquence de laquelle le jeu finit ; & celui qui se trouve alors avoir l'avantage, marque & gagne. La partie est composée d'un certain nombre de tours de jeux, de points, de coups, &c. Ainsi au billard la partie est ordinairement de seize points, à-moins qu'un des joueurs ou tous les deux ne se soient interdit quelques uns des coups ordinaires du jeu de billard, auquel cas la partie n'est que de douze points.
Au trictrac la partie est de douze points.
Au piquet de cent points.
Au piquet à écrire de vingt-quatre rois.
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PARTIR | v. n. (Gram.) Ce verbe, relatif à la translation d'un lieu fixé dans un autre, a un grand nombre d'acceptions. Ainsi l'on dit, les couriers partent à différens jours & à différentes heures, selon les différens lieux de leur destination. J'estime peu la vie, je ne crains ni la mort ni ses suites : je suis toujours prêt à partir. Cet homme part de la main, il n'y a qu'à lui faire signe. Lâchez la bride à ce cheval, & il partira sur le champ. Il prend son fusil, le coup part, l'homme est mort. Toutes ces idées partent d'un cerveau creux. Cet ouvrier ne laisse pas partir son ouvrage de son attelier qu'il ne soit parfait, ni ce commerçant la marchandise de sa boutique qu'elle ne soit bien payée. Partez, dit le maître en fait-d'armes à son écolier. Le carrier qui sépare la pierre avec le marteau & le coin, la fait partir du coup qui la fend. Ils ont toujours maille à partir ; ou ils se querellent pour des riens. Partir en Blason, voyez PARTI.
Ce cheval a le partir prompt, il a de la grace au partir. Ces musiciens ne sont pas partis ensemble, & cela a fait un très-mauvais effet. Il y a eu un tems où lorsqu'il arrivoit à nos Musiciens de partir à tems, & de rencontrer l'accord, c'étoit un hasard si heureux, qu'ils en étoient tout émerveillés.
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PARTISAN | S. m. (Gramm.) Celui qui a embrassé le parti de quelqu'un ou de quelque chose : il y eut un tems où l'on pensa traiter ici les partisans de la musique italienne comme des criminels d'état. Chaque auteur a ses partisans. Je suis grand partisan des anciens ; mais cela n'empêche pas de rendre justice aux modernes, & je ne brûle point la Jérusalem délivrée aux piés de la statue de Virgile, ni la Henriade aux piés de la statue d'Homere.
PARTISAN, s. m. c'est dans la guerre, un officier qui commande un détachement de troupes pour la petite guerre. Voyez PARTI, GUERRE & PETITE GUERRE.
Un partisan intelligent & entendu dans la guerre, produit de grands avantages à l'armée ; il en éloigne les partis ennemis : il instruit le général de toutes les démarches de son adversaire ; il sert à étendre les contributions, à gêner & à harceler l'ennemi dans tous ses mouvemens. Il faut de grands talens pour bien s'acquiter de cette fonction, & sur-tout savoir suppléer par l'art & la ruse à la force ; en un mot, comme le dit sur ce sujet un auteur du mêtier, " il faut beaucoup de pénétration & d'intelligence pour saisir le noeud & la difficulté d'une entreprise ; de la prudence & de la justesse dans le choix des moyens propres à l'exécution ; du secret & de la circonspection dans la conduite ; de la grandeur d'ame & de l'intrépidité à la vue du péril ; enfin une présence d'esprit en toute rencontre, jusques dans le feu de l'action même. (Q)
PARTISAN, (Finances) on peut définir les partisans, des hommes qui bâtissent si vîte leur fortune aux dépens du public, qu'on en voit le faîte aussi-tôt que les fondemens. Ce sont ces pâtres qui habitent les sables voisins du Palmyre, & qui devenus riches par des traités avec l'état, achetent du plus pur sang des peuples, des maisons royales pour les embellir encore & les rendre plus superbes. Ces gens-là, dit un écrivain célebre, exigeroient des droits de tous ceux qui boivent de l'eau de la riviere ou qui marchent sur la terre ferme. Ils trafiqueroient des Arts & des sciences, & mettroient en partis jusqu'à l'harmonie.
La ressource utile pour un tems très-court, mais dangereuse pour toujours (j'entends celle de vendre les revenus de l'état à des partisans qui avancent de l'argent) est une invention que Catherine de Médicis apporta d'Italie, & qui peut contribuer plus qu'aucune autre aux malheurs de ce beau royaume. Les gros gains que font les partisans, en achetant du prince les subsides qu'il impose, sont nuisibles au monarque & au peuple ; ces gens-là sont également prêteurs & cautions ; ensorte qu'ils fournissent toujours la majeure partie des fonds, & le profit de leurs avances sert encore à grossir la masse de leurs biens : l'argent cherche l'argent, & chacun conçoit que les partisans possédant des capitaux immenses gagnés dans le cours d'un petit nombre d'années ; ils sont en état d'acquérir les papiers les plus avantageux, d'en faire un monopole ; enfin d'ajouter chaque jour quelque nouveau degré à leur fortune & à leurs dépenses. (D.J.)
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PARTITIF | VE, adj. ce terme est usité en Grammaire pour caractériser les adjectifs, qui désignent une partie des individus compris dans l'étendue de la signification des noms auxquels ils sont joints ; comme quelque, plusieurs, &c. Les grammairiens latins regardent encore comme partitifs, les adjectifs comparatifs & superlatifs, les adjectifs numéraux, soit cardinaux, comme un, deux, trois, &c. soit cardinaux, comme premier, second, troisieme, &c. parce qu'en effet tous ces mots désignent des objets extraits de la totalité, au moyen de la qualification comparative, superlative ou numérique, désignée par ces adjectifs. Plusieurs de nos anciens auteurs, il ne s'agit pas ici de tous nos anciens auteurs, mais d'une partie indéterminée qui est désignée par l'adjectif plusieurs, qui par cette raison est partitif. Deux de mes amis ; il s'agit ici, non de la totalité de mes amis, mais d'une partie précise déterminée numériquement par l'adjectif cardinal ou collectif deux, qui est partitif.
Il me semble, que ce qui a déterminé les Grammairiens à introduire le nom & l'idée des adjectifs partitifs, c'est le besoin d'exprimer d'une maniere précise une regle que l'on jugeoit nécessaire à la composition des thèmes. Ger. Vossius dans sa syntaxe latine à l'usage des écoles de Hollande & de West-Frise, s'explique ainsi, pag. 194. edit. Lugd. Bat. 1645. Adjectiva partitiva.... & omnia partitivè posita regunt genitivum pluralem, vel collectivi nominis singularem : ut, quis nostrûm... sapientum octavus... ô major juvenum... optimus populi romani... sequimur te sancte Deorum. Mais cette regle-là même est fausse, puisqu'il est certain que le génitif n'est jamais que le complément d'un nom appellatif, exprimé ou sous-entendu : voyez GENITIF. Et il y a bien plus de vérité dans le principe de Sanctius : (Minerv. II. 3.) ubi partitio significatur, genitivus ab alio nomine sub intellecto pendet. Il indique ailleurs ce qu'il y a communément de sous-entendu après ces adjectifs partitifs ; c'est ex ou de numero (Ib. IV. 3.) : on pourroit dire encore in numero. Ainsi les exemples allégués par Vossius s'expliqueront en cette maniere : quis de numero nostrûm ; in numero sapientum octavus ; ô major in numero juvenum ; optimus ex numero hominum populi romani ; sequimur te sancte in numero Deorum, & peut-être encore mieux, sancte supra caeteram turbam Deorum. Voyez SUPERLATIF.
Des modernes ont introduit le mot de partitif dans la Grammaire françoise, & y ont imaginé un article partitif. La Touche, le P. Buffier, M. Restaut ont adopté cette opinion ; & il est vrai qu'il y a partition dans les phrases où ils prétendent voir l'article partitif, comme du pain, de l'eau, de l'honneur, de bon pain, de bonne eau, &c. Mais ces locutions ont déjà été appréciées & analysées ailleurs, voyez ARTICLE ; & ce qu'elles ont de réellement partitif, c'est la préposition de qui est extractive. Pour ce qui est du prétendu article de ses phrases, ces Grammairiens sont encore dans l'erreur, & je crois l'avoir démontré. Voyez INDEFINI. (B. E. R. M.)
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PARTITION | S. f. (Gramm. Bell. Lett.) partitio, partage, division, ou distribution de quelque chose Voyez DIVISION, DISTRIBUTION.
Partitions oratoires, est le nom qu'on donne aux dialogues de Ciceron sur l'éloquence, entre cet orateur & son fils, parce que le discours y est pour ainsi dire, partagé ou divisé entr'eux.
PARTITION DU BAROMETRE (Physiq.) on appelle ainsi la division que l'on a faite en sept parties des deux pouces de différence qu'il peut y avoir entre le plus haut & le plus bas du mercure, il ne monte jamais plus haut que vingt-neuf pouces, & ne descend jamais plus bas que vingt-sept. Ces deux pouces de différence sont divisés en vingt-quatre lignes ; mais en outre on les partage encore en sept partitions, dont chacune dénote le tems qu'il doit faire, lorsque le mercure y est monté ou descendu. La partition du milieu est inscrite du nom de variable, parce qu'ordinairement le tems est changeant & variable, lorsque le mercure s'arrête en cet endroit. Cette partition du milieu en a trois au-dessous ; les trois supérieures en montant sont inscrites du beau tems, du beau fixe & du très-sec ; & les trois inférieures en descendant sont inscrites de pluie ou vent, de beaucoup de pluie & de tempête. Traité du Barometre (D.J.)
PARTITION, en Musique, est la collection de toutes les parties d'une piece, par laquelle on voit l'harmonie qu'elles forment entr'elles. On écrit toutes ces parties l'une au-dessous de l'autre, chacune sur sa portée avec la clé qui lui convient, commençant par les parties les plus aiguës, & mettant la basse audessous du tout ; & on les arrange de maniere que chaque mesure d'une partie soit placée perpendiculairement au-dessus & au-dessous de la mesure correspondante dans les autres parties, & enfermée entre les mêmes barres prolongées, afin qu'on puisse voir d'un coup d'oeil le rapport de tout ce qui doit s'entendre à-la-fois, comme dans cette disposition, une seule ligne de musique comprend autant de portées qu'il y a de parties, on embrasse toute cette ligne par un trait de plume qu'on appelle accolade, & qui se tire à la marge au commencement de la ligne ; ainsi, quand on veut suivre une seule partie, après avoir parcouru la ligne jusqu'au bout, on ne passe pas à celle qui est immédiatement au-dessous, mais on regarde quel rang cette partie occupe dans son accollade : on va dans l'accollade qui suit chercher la portée correspondante ; & l'on y trouve la suite de la même partie.
L'usage des partitions est indispensable pour composer. Il faut aussi que celui qui conduit un concert ait la partition sous les yeux pour voir si chacun suit régulierement sa partie, & remettre ceux qui peuvent manquer. Elle est même utile à l'accompagnateur pour bien suivre l'harmonie ; mais quant aux Musiciens concertans, on donne ordinairement à chacun sa partie séparée, étant inutile pour lui de voir celle qu'il n'éxécute pas.
Partition est encore parmi les facteurs d'orgue & de clavecin, une regle pour accorder l'instrument, en commençant par une corde ou un tuyau de chaque son dans l'étendue d'un octave ou un peu plus, prise vers le milieu du clavier, & qui serve de terme de comparaison à l'accord de tout le reste.
Voici comment on s'y prend pour former sa partition.
On prend d'abord sur l'instrument dont je parlerai au mot TON, un son pour servir de base ou de terme à tous les autres ; & à l'unisson ou à l'octave de ce son ; on accorde le c sol ut qui appartient à la clé du même nom, & qui se trouve à-peu-près dans le milieu du clavier ; on accorde ensuite le sol quinte de cet ut, puis le ré quinte de ce sol ; ensuite on redescend à l'octave ré, à côté du premier ut ; on remonte à la quinte la, puis encore à la quinte mi ; on redescend à l'octave de mi, & l'on continue de même montant de quinte en quinte & redescendant à l'octave, aussi-tôt qu'on s'éloigne trop ; on s'arrête quand on est parvenu au sol dièse.
Alors, on reprend le premier ut, & l'on accorde son octave aiguë ; puis la quinte fa de cette octave en descendant ; l'octave aiguë de ce fa ; le si bémol quinte de cette octave ; enfin à la quinte de ce si, le mi bémol dont l'octave aiguë doit faire la quinte avec le la bémol ou sol dièse accordé précédemment. Quand cela arrive, la partition est juste ; elle est fausse quand ces deux sons ne se trouvent pas d'accord, à peu de chose près, ce qui arrive infailliblement, quand on ne suit pas les regles dont je donne le principe, & que j'explique au mot TEMPERAMENT.
La partition bien faite, le reste est très aisé à accorder, puisqu'il n'est plus question que des octaves & des unissons de tout ce qui y est contenu. (S)
PARTITION, (Orgue) c'est le fondement de l'accord ; elle a été ainsi nommée, parce qu'elle partage l'octave en tons & en demi-tons, la partition de l'orgue se fait sur le prestant, elle comprend l'étendue d'une douzieme depuis la clé d' f ut fa, jusqu'à l'ut à l'octave de celui de la clé de c sol ut. Toute la partition se fait au moyen des octaves que l'on accorde juste, & des quintes que l'on accorde juste & que l'on diminue ensuite ; ensorte que le battement soit en-dessous.
Le fondement de la partition est le ton rendu par un tuyau d'un pié, à l'unisson duquel on accorde l'ut de la clé ou du milieu du clavier ; ce ton est à la double octave du ton fixe des musiciens, qui est le son rendu par un tuyau de quatre piés ouvert. Après avoir accordé le ton ut de la clé de c sol ut, on accorde tous les tons compris dans la partition, en cette maniere, & comme ils sont marqués dans la fig. 68 Pl. d'Orgue. Les notes rondes de cette figure marquent les tons sur lesquels on accorde, & les noires ceux que l'on accorde, ainsi sur le ton ut de la clé de c sol ut, on accorde son octave au-dessus ut, laquelle doit être juste ; on reprend ensuite l'ut de la clé sur lequel on accorde le sol de la clé de g ré sol. Cet accord est une quinte que l'on doit baisser peu après l'avoir accordé juste : toutes les quintes que l'on accorde en-dessus, c'est-à-dire, lorsque la note que l'on accorde en quinte est au-dessus de celle sur laquelle on accorde, comme dans cet exemple ; on doit baisser la note sol un peu au-dessous de la vraie quinte, ce qui produit un battement assez sensible dans les dessus & peu marqué dans les basses. Lorsque les quintes que l'on accorde vont en descendant ou sont en-dessous, elles ont leur battement en-dessus ; comme par exemple la quinte fa ut, on doit hausser la note fa qui est celle que l'on accorde un peu au-dessus du ton où elle fait sa quinte juste avec l'ut, & cela afin dans les deux cas de diminuer l'intervalle d'une note à l'autre, ce qui est un tempérament que les quintes exigent dans le systême diatonique tempéré, selon lequel on accorde les orgues & les clavecins. Après que le sol de la clé de g ré sol est accordé & tempéré, comme il convient, on accorde son octave en-dessous sol ; sur ce sol, on accorde la quinte ré en-dessus, le battement de cette quinte doit être en-dessous sur le ré ; on accorde la quinte la dont le battement doit de même être en-dessous.
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PARU | S. m. (Ictyolog.) poisson fort singulier du Brésil ; il est large, plat, arrondi, long de cinq ou six pouces, ayant six nageoires, & entr'autres une sur le ventre derriere l'anus. Chacune de ces nageoires s'étend jusqu'à la queue, & celle du dos est plus longue que celle du ventre. Sa tête est fort petite, ainsi que son museau ; ses écailles sont partie noires, partie jaunes, ce qui le fait paroître de couleur noire tachetée de demi-lunes jaunes ; il est fort bon à manger. Marggrave, hist. du Brésil.
PARU, (Géog. mod.) ville capitale d'un royaume de même nom, sur les côtes du Malabar. Les chrétiens de S. Thomas qui habitoient cette ville, étoient ceux qui avoient le plus d'aversion pour l'Eglise romaine. Lorsque l'archevêque Menezes y alla en 1599 pour les engager à reconnoître le pape, ils ne purent souffrir qu'il les exhortât à recevoir la confirmation. Ils dirent que leurs évêques ne leur en avoient jamais parlé, que ce n'étoit pas un sacrement établi par Jesus-Christ, & qu'ils ne permettroient jamais que l'archevêque mît la main sur le visage de leurs femmes & de leurs filles. La Crose, hist. du Christian. des Indes, &c. pag. 109 & 110. (D.J.)
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PARURE | S. f. se dit en général de tout ce qu'on ajoute à une chose pour l'embellir & la faire valoir.
La terre s'ouvre au printems & se pare de fleurs.
Il entre des considérations très-subtiles dans l'entente & le goût de la parure.
On dit une parure de diamans.
Des chevaux doivent être de même parure ; parure se prend ici pour la ressemblance de la taille & du poil.
La parure des peaux est ce que l'on en retranche.
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PARVENIR | v. neut. (Gram.) arriver au lieu où l'on se proposoit d'aller. On ne parviendra jamais jusqu'au pole ; on en est empêché par la rigueur du froid, les neiges & les glaces. S'il est difficile d'atteindre au souverain bonheur, c'est qu'il est impossible de parvenir à la souveraine perfection. C'est un secret auquel on ne parviendra pas. Ce discours parvint aux oreilles du prince, qui eut la petitesse de s'en offenser. Les cris de l'innocent se perdent dans les airs, & ne parviennent pas jusqu'au ciel. Il est parvenu aux plus hautes dignités, & son élévation a été funeste à l'état, qu'il a mal gouverné, & à la considération dont il jouissoit. On a reconnu son incapacité. Il est rare qu'on parvienne par des voies honnêtes. Il est encore plus rare qu'un parvenu soit un homme traitable.
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PARVIS | S. m. (Archit.) c'étoit devant le temple de Salomon, une place quarrée entourée de portiques. Par imitation on donne aujourd'hui le même nom à la place qui est devant la principale face d'une grande église, comme par exemple le parvis de Notre-Dame à Paris.
PARVIS, (Critiq. sacrée) atrium en latin, chazer en hébreu ; il signifie dans l'Ecriture la cour d'une maison. Petrus verò sedebat foris in atrio, Mat. xvj. 69. Item la salle d'une maison, Esth. vj. 5, de plus, la maison entiere : cum fortis armatus custodit atrium suum, Luc. xj. 21. Il signifioit aussi l'entrée de quelque lieu que ce fût : in atrio carceris, Jérém. xxxij. 2 & 12. Mais il marque le plus ordinairement les grandes cours du temple de Jérusalem, qu'on appelloit le parvis des Gentils, parce qu'il étoit permis aux gentils d'y venir ; la seconde cour dite parvis d'Israël, parce que tous les Israëlites, pourvu qu'ils fussent purifiés, avoient droit de s'y présenter ; ensuite le parvis des prêtres, dans lequel eux & les lévites exerçoient leur ministere ; le peuple n'entroit dans cette derniere cour, que lorsqu'il présentoit quelque victime, sur la tête de laquelle il devoit mettre les mains en l'offrant au Seigneur.
Ce mot désigne encore la ville d'Enon, située aux confins de la terre promise & de Damas, Ezéch. xlvij. 17. Enfin il se prend pour la ville même de Jérusalem ; stantes erant pedes nostri in atriis tuis Jerusalem, Ps. 121. 2. (D.J.)
PARULIE, s. f. terme de Chirurgie ; tumeur inflammatoire qui survient aux gencives ; elle se termine quelquefois par suppuration ; & lorsqu'à l'occasion de la carie de l'os maxillaire, il survient excroissance fongueuse, on l'appelle apulie. Voyez à la fin de l'article GENCIVES, les maladies auxquelles ces parties sont sujettes.
Le mot de paruli vient du grec , juxtà, proche, & de , ginciva, gencive.
La saignée, & les décoctions émollientes qu'on tient dans la bouche, peuvent procurer la résolution des parulies bénignes ; l'application d'une figue grasse, ou d'un morceau de pain d'épice, favorise la suppuration. Voyez PAIN D'EPICE. Il ne faut pas différer l'ouverture d'une parulie, de crainte que l'érosion de la matiere ne s'étende jusqu'à l'os maxillaire, & ne devienne la cause d'accidens. Les lotions vulneraires & détersives conviennent après l'ouverture de la tumeur.
Les fistules qui succedent aux parulies sont ordinairement entretenues par la carie d'une dent, & l'extraction de cette dent en est le remede essentiel. Voyez FISTULE. (Y)
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PARYPATE | S. f. (Musiq. ancienne) nom d'une ancienne note ou corde de la tétracorde qui touchoit à celle de l'hypate. Comme celle-ci étoit la principale, ou le son principal, suivant Martianus Capella, il résulte que la parypate étoit la sous-principale.
Le nom de parypate étoit donné à cette seconde note quand on considéroit la tétracorde séparément des autres ; mais quand on les considéroit réunies, cette corde prenoit quelquefois le nom de trite.
Parypate-hypaton ; c'étoit dans l'ancienne échelle greque de musique, la seconde note de la tétracorde hypaton, & répond au c fa ut de l'échelle de Guido.
Parypate-meson, étoit la seconde note de la tétracorde meson, & répond au f fa ut de l'échelle de Guido. Wallis Append. Ptolem. Harm. pag. 157.
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PAS | POINT, (Synon.) pas énonce simplement la négation. Point appuie avec force & semble l'affirmer. Le premier souvent ne nie la chose qu'en partie ou avec modification. Le second la nie toujours absolument, totalement & sans réserve. Voilà pourquoi l'un se place très-bien devant les modificatifs, & que l'autre y auroit mauvaise grace. On diroit donc n'être pas bien riche & n'avoir pas même le nécessaire ; mais si l'on vouloit se servir de point, il faudroit ôter les modificatifs, & dire n'être point riche, n'avoir point le nécessaire.
Cette même raison fait que pas est toujours employé avec les mots qui servent à marquer le degré de qualité ou de quantité, tels que beaucoup, fort, un, & autres semblables. Que point figure mieux à la fin de la phrase devant la particule de, & avec le mot du tout, qui au lieu de restraindre la négation, en confirme la totalité.
Ce n'est pas assez de dire que pour l'ordinaire les Philosophes ne sont pas riches ; il faut ajouter que dès qu'il s'agit d'acquérir des richesses aux dépens de la probité, ils n'en veulent point à ce prix. Regle générale, on doit employer la particule négative point, quand elle a la signification de jamais.
Toutes les fois que les particules pas ou point font des pléonasmes, il faut les retrancher. Le P. Bouhours a quelquefois fait cette faute. " Il en est, dit-il, de Tancrede dans la Jérusalem délivrée, comme de Sancerre dans la princesse de Cleves ; leur affliction est plus naturelle au commencement qu'elle ne l'est pas dans la suite. Maniere de bien penser. Voyez les remarques de Vaugelas sur pas & point, tom. II. avec les notes de Thomas Corneille. (D.J.)
PAS D'ANE, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons, & la couronne de demi-fleurons ; les fleurons & les demi-fleurons sont placés sur des embryons & soutenus par un calice profondément découpé. Les embryons deviennent dans la suite des semences qui sont garnies d'une aigrette, & attachées à la souche. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les fleurs naissent avant les feuilles. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PAS D'ANE, (Médecine) il est pectoral, propre pour les rhumes où les crachats sont épais, visqueux ; c'est un béchique expectorant, détersif, il adoucit les ulceres de la poitrine ; il est bon pour purifier le sang ; on se sert de ses fleurs & de sa racine. On en fait un sirop, une conserve, dont on fait usage dans les affections de la poitrine, telles que la toux, la pleurésie, & autres.
PAS, (Géogr.) est en général une mesure déterminée par l'espace qui se trouve entre les deux piés d'une personne qui marche. Voyez MESURE.
Le pas ordinaire est de deux piés & demi ; plusieurs le font cependant de trois piés ; le pas géométrique, ou le pas allemand, appellé aussi le grand pas, est de cinq piés. Voyez PIE.
Les anciens milles romains & les milles italiens modernes sont de mille pas, mille passus. La lieue françoise est de trois mille pas ; la lieue allemande est de quatre mille pas. Voyez MILLE, LIEUE, &c. Chambers. (E)
Pas se dit aussi du pié d'un animal ; j'ai remarqué le pas d'un loup.
PAS, (Droit politiq.) ce terme se dit des divers degrés de prééminence entre les princes ; ils sont assez connus, & ne peuvent intéresser essentiellement leurs sujets ; aussi toutes les disputes sur le pas & les préséances dans un congrès pour la paix, ne font qu'arrêter par des difficultés frivoles, la célérité de conventions très-importantes au bien public. (D.J.)
PAS D'ARMES, en Chevalerie ; est une place que les anciens chevaliers entreprenoient de défendre ; par exemple, un pont, un chemin, &c. par lequel on ne sauroit passer sans combattre la personne qui le garde. Voyez CHEVALIER, CHEVALERIE, MONESONES.
Les chevaliers qui défendoient le pas pendoient leurs armes à des arbres, à des poteaux, à des colonnes, &c. élevées pour cet usage ; & quiconque étoit disposé à disputer le passage, touchoit une de ces armoiries avec son épée, ce qui étoit un cartel que l'autre étoit obligé d'accepter ; le vaincu donnoit au vainqueur le prix dont ils étoient convenus avant le combat.
On appelloit aussi pas d'armes le combat ou défi qu'un tenant ou seul, ou accompagné de plusieurs chevaliers, offroit dans les tournois contre tous venans ; ainsi en 1514, François, duc de Valois, avec neuf chevaliers de sa compagnie, entreprit un pareil combat appellé le pas de l'arc triomphal, dans la rue Saint-Antoine à Paris, pour les fêtes du mariage de Louis XII. & le tournois où Henri II. fut blessé à mort en 1559, étoit aussi un pas d'armes, puisqu'il est dit dans les lettres de cartel, que le pas est ouvert par sa majesté très-chrétienne, &c. pour être tenu contre tous venans dûement qualifiés. Le funeste accident qui mit ce prince au tombeau, a fait cesser ces dangereux divertissemens.
PAS DE VIS, est la distance qui se trouve entre deux cordons ou trois immédiatement consécutifs de la spirale qui forme la circonférence de la vis. Cette distance se mesure non par la perpendiculaire menée sur les deux tours ou cordons voisins, mais elle s'estime suivant la longueur de la vis. Voyez VIS. (O)
PAS DE SOURIS, dans la Fortification, sont les halliers ou degrés qu'on pratique aux angles saillans & rentrans de la contrescarpe pour monter du fossé dans le chemin couvert. (Q)
PAS DE CAMP, (le) est celui dont on se sert ordinairement pour mesurer les différens espaces nécessaires pour camper & pour mettre les troupes en bataille. Ce pas est de trois piés de roi.
Outre le pas de camp, il y en a trois autres, que l'ordonnance du 6 Mai 1755 a établis pour les mouvemens des troupes. Ces pas sont le petit pas, qui est d'un pié mesuré d'un talon à l'autre ; le pas ordinaire, qui est de deux piés, & le pas redoublé, qui se fait une fois plus vîte que les précédens.
Le petit pas & le pas ordinaire doivent se faire chacun dans l'intervalle d'une seconde, pendant laquelle on peut prononcer distinctement un, deux. Dans ce même tems on fait deux pas redoublés.
Le petit pas, l'ordinaire & le redoublé peuvent être directs ou obliques. Ils sont directs lorsque la troupe marche directement devant elle, & obliques lorsque les soldats s'avancent par le côté.
Le petit pas rend la marche grave & majestueuse ; l'ordinaire la rend propre à durer long-tems ; à l'égard du pas redoublé, il convient lorsqu'il faut tomber avec vivacité sur l'ennemi ; comme il se fait avec une fois plus de vîtesse que les autres, on ne peut s'en servir que pour parcourir un espace trop court, pour fatiguer les troupes & les mettre hors d'haleine.
Les soldats doivent être exercés à exécuter ensemble ces différens pas, de la même maniere que si toutes les parties de la troupe ou du bataillon n'avoient qu'un seul & même mouvement. Le bruit des instrumens peut servir très-utilement à faire acquérir cette justesse & cette précision aux soldats ; mais les fréquens exercices peuvent aussi y suppléer. Thucydide dit que dans la bataille de Mantinée, gagnée par Agis sur les habitans de cette ville, les Lacédémoniens s'avancerent posément au son de la flute, dont il y avoit plusieurs entremêlées dans les bataillons, non pour chanter l'hymne du combat, mais pour marcher d'un pas égal & comme en cadence, de peur de rompre les rangs, comme il arrive d'ordinaire aux grandes armées. (q)
PAS, terme de Manege, est une certaine maniere dont un cheval peut se mouvoir & avancer. Voyez CHEVAL.
Il y a trois sortes de pas naturels au cheval, savoir le pas proprement dit, ou le marcher, le trot, & le galop ; quelques-uns y ajoutent l'amble, parce que ce dernier pas est naturel à quelques chevaux. Voyez TROT, GALOP, AMBLE, &c.
A l'égard des pas artificiels. Voyez AIRS.
Les chevaux qui mêlent leurs pas, c'est-à-dire par exemple le marcher & l'amble, &c. sont rarement bons ; leur défaut vient d'un tempérament bouillant & inquiet, & quelquefois aussi d'une foiblesse de reins ou de jambes.
Pas se dit plus particulierement de l'espece de marcher tranquille, où un cheval leve en même tems les jambes diamétralement opposées, une devant & l'autre derriere, ce qui est le mouvement du trot. Voyez TROT.
PAS, s. m. pl. (Architect.) petites entailles, par embrevement, faites sur les plate-formes d'un comble, pour recevoir les piés des chevrons. (D.J.)
PAS D'UNE PORTE, (Architect.) c'est précisément la pierre qu'on met au-bas d'une porte entre ses tableaux, & qui differe du seuil, en ce qu'elle avance au-delà du nud du mur en maniere de marche.
PAS, (Arpentage) mesure dont on se sert pour arpenter les terres ; le pas d'arpentage à la Martinique est de trois piés & demi de la mesure de Paris ; à la Guadeloupe & aux autres îles Antilles françoises il n'est que de trois piés.
PAS, terme de Carrier, signifie chaque tour que le gros cable fait sur l'arbre de la roue d'une carriere ; ainsi lorsque les carriers d'en-bas crient à ceux d'enhaut de lâcher un pas pour débrider, ils veulent faire entendre qu'il faut lâcher un tour de roue pour débrider la pierre qui a été mal bridée, & la brider plus surement. (D.J.)
PAS, (Charpenterie) est un embrevement dans les sablieres & plateformes pour recevoir le pié des chevrons.
PAS, en terme de Danse, se dit des différentes manieres d'y conduire ses pas en marchant, en sautant & en pirouettant : voici le nom des principaux pas de danse.
Le pas se prend en général pour une composition faite sur un air ; ainsi on dit il a fait un beau pas sur une telle chaconne, sur une telle gigue. Au propre c'est un mouvement d'un pié d'un lieu à un autre, ce qui se fait en cinq manieres, quand on porte également les deux piés ou en-avant, ou en-arriere, ou de côté.
Le pas droit est un pas qui se fait en ligne droite.
Le pas grave ou ouvert, se dit lorsqu'on écarte en marchant un pié de l'autre en décrivant un demi-cercle.
Le pas battu, est lorsqu'on passe une des jambes par-dessus l'autre, ou par-dessous, avant que de poser le pié à terre, ou qu'on bat d'une cuisse contre l'autre.
Le pas tourné est lorsqu'on fait un tour des jambes, ou qu'on décrit un cercle entier avec le pié en-avant ou en-arriere ; il s'appelle aussi tour de jambes.
Le pas tortillé est lorsqu'on fait mouvoir un pié sur une ligne parallele à celui qui est posé à terre, & qu'en le posant à terre on le remet à angle droit ; ou autrement, c'est lorsqu'en partant on met la pointe du pié en-dedans, & en le posant on la remet en-dehors ; il se fait de la hanche.
On appelle pas avec mouvement, ceux que l'on fait avec les plis des genoux.
Le pas relevé ou neuf, se fait lorsqu'après avoir plié au milieu du pas, on se releve en le finissant.
Pas balancé, ou balancement, se fait lorsqu'on se jette à droite avec mouvement sur la pointe du pié, pour faire ensuite un coupé ; on l'appelle demi-coupé.
Pas coupé, c'est lorsqu'après avoir fait un pas avec mouvement, on en fait un autre plus lent, de quelque maniere qu'il soit.
Pas dérobé, est lorsque les deux piés se meuvent en même tems dans un sens opposé.
Pas glissé, est lorsqu'on fait un pas plus grand qu'il ne doit être naturellement ; car sa grandeur naturelle & déterminée est la largeur des épaules.
Pas chassé, ou simplement chassé, c'est lorsqu'on plie avant que de mouvoir le pié.
Pas tombé, se dit lorsqu'on ne plie qu'après avoir posé le pié qu'on a mu.
Les pas mignardés se font quand le mouvement des piés suit les dimensions qui sont sur les notes de musique, comme lorsqu'on étend les cinq minimes blanches en dix minimes noires.
Il y a aussi des pas qu'on appelle pas de courante, de bourrée, de menuet, de gavotte, de branle, de canarie, de traquenart, de bocane, de sissonne, de ballet, &c. danser les cinq pas.
Les pirouettes, les sauts, les cabrioles, les demi-cabrioles & fleurets sont mis au rang des pas. Voyez les à leur ordre.
PAS DE MENUET, (Danse) ce pas est composé de quatre autres, qui par leur liaison n'en font qu'un ; il a trois mouvemens & un pas marché sur la pointe du pié. Le premier mouvement est un demi-coupé du pié droit & un du gauche. Le second est un pas marché du pié droit sur la pointe, & les jambes étendues. Le troisieme enfin, est qu'à la fin de ce pas, on laisse poser doucement le talon droit à terre pour laisser plier le genou, qui par ce mouvement fait lever la jambe gauche qui se passe enavant, en faisant un demi-coupé échappé ; ce troisieme mouvement fait le quatrieme pas du menuet : mais comme ce pas demande trop de force dans le coup-de-pié, on a trouvé le moyen de l'adoucir.
Pas du menuet adouci. Il se commence par deux demi-coupés, le premier du pié droit, & le second du pié gauche ; ensuite deux pas marchés sur la pointe des piés ; savoir l'un du droit & l'autre du gauche, ce qui s'exécute dans le cours de deux mesures à trois tems dont l'une s'appelle cadence, & l'autre contre-cadence.
On peut encore le diviser en trois parties égales. La premiere est pour le demi-coupé ; la seconde pour la deuxieme, & les deux autres pas marchés pour la troisieme.
Ce pas se fait ensuite en plaçant le pié gauche devant. Alors on apporte le corps dessus, en approchant le pié droit auprès du gauche à la premiere position, là on plie sans poser le pié droit à terre ; on pose le même pié devant soi à la quatrieme position, & l'on s'éleve du même tems sur la pointe du pié en étendant les deux jambes l'une près de l'autre. On pose ensuite le talon droit à terre afin d'avoir plus de fermeté, & l'on plie du même tems sur le droit, sans poser le gauche que l'on passe devant jusqu'à la quatrieme position, comme on a déjà fait du pié droit. Du même tems on se leve en-dessus, & l'on marche les deux autres pas sur la pointe des piés, l'un du droit & l'autre du gauche ; mais au dernier il faut poser le talon à terre afin de prendre le pas de menuet avec plus de fermeté.
A l'égard des demi-coupés, il faut ouvrir exactement les genoux & tourner la pointe fort en-dehors, en faire plusieurs de suite en-avant pour en contracter l'habitude ; s'élever également pour faire succéder ces deux mouvemens ; après s'être elevé au second demi-coupé, ne pas laisser tomber le talon afin de faire une liaison avec les deux pas marchés ; & au dernier, qui est du pié-gauche, laisser poser le talon à terre pour reprendre un autre pas.
Le pas en-arriere se fait à-peu-près de la même maniere que le pas en-avant, excepté qu'au premier demi-coupé du pié droit, on laisse la jambe gauche étendue devant soi, & que l'on plie en même tems sur le droit. Pour le second pas, on approche le talon gauche du pié droit, ou on l'arrête en pliant jusqu'à la derniere extrémité qu'on le passe derriere soi pour se relever.
Le pas de côté. Il y en a de deux sortes, l'un qui se fait à droite & qui est nommé ouvert, & l'autre qui se fait à gauche. Dans le premier, on porte le premier pas à la seconde position ; il se fait de même que le pas en-arriere, dont il ne differe que dans le chemin ; l'arriere se fait en reculant sur une même ligne droite ; & celui de côté se fait sur une ligne horisontale en allant à droite. L'autre pas de côté se fait en revenant du côté gauche, il n'est différent du droit qu'en ce qu'il est croisé, quoiqu'il se fasse sur une même ligne, mais en revenant de droite à gauche, le corps étant sur le pié gauche, on plie dessus ; on croise ensuite le droit devant jusqu'à la cinquieme position ; alors on se leve, & la jambe suit & s'étend à côté de la droite, les deux talons l'un contre l'autre. De-là on pose le talon droit & l'on plie dessus les pointes tournées en-dehors : ensuite le pié gauche jusqu'à la deuxieme position, où l'on se leve sur la pointe les jambes bien étendues sans poser le talon, & l'on fait après deux pas.
PAS D'ANE, terme d'Eperonnier, sorte de mords qu'on donne aux chevaux qui ont la bouche forte. (D.J.)
PAS DUR, terme de fabriquant en gase, c'est la partie du métier du gasier, où répond une des trois marches, & qui sert à foncer, c'est-à-dire à baisser la soie ; on l'appelle pas-dur, parce qu'il est le plus pesant & le plus difficile à faire mouvoir. Voyez GASE ; l'autre pas s'appelle pas doux.
PAS, (Horloger) c'est en Horlogerie chaque tour, que fait la fusée, ou chaque tour que fait la chaîne ou la corde autour de la fusée ; les fusées ont ordinairement sept pas, ou sept pas & demi. (D.J.)
PAS D'ANE terme d'Horlogerie, c'est un petit ressort oblong qui a une fente qui va depuis l'extrémité de sa longueur jusqu'au milieu. Voyez la fig.
Ce ressort est courbé, comme on peut voir dans nos Planches d'Horlogerie : son usage est de presser deux pieces, deux roues, &c. l'une contre l'autre, de façon cependant qu'on puisse les faire tourner l'une sur l'autre d'un mouvement assez doux.
Supposant, par exemple qu'on veuille faire tenir ensemble les deux pieces A, C D E R étant l'arbre de la roue C D qui passe au-travers de l'autre A B, on l'entaille de chaque côté de l'axe, de façon que l'épaisseur I I ne soit pas plus grande que la fente du ressort, & que la distance I E entre le haut de l'entaille & le plan de la roue A B soit moindre que la hauteur R T de la convexité du ressort ; ensuite tournant sa concavité vers la roue A B, on le fera entrer sur l'arbre, c'est-à-dire on fera entrer cette partie I I dans sa fente, & on la poussera jusqu'au milieu de sa longueur : par ce moyen ces deux roues seront pressées l'une contre l'autre par l'élasticité du ressort, de façon qu'elles pourront tourner indépendamment l'une de l'autre avec assez de facilité. Voyez REVEIL, &c.
PAS, (Rubanier, Passementier, Ourdisseur) On entend par ce mot toute levée de chaine opérée par l'enfoncement d'une marche, laquelle levée donne passage à la navette. Il faut expliquer cette opération, relative au passage du patron sur lequel roule presque toute la méchanique de ce métier. Un patron dont toute la largeur est de huit dixaines sur le papier reglé, fait en tout 80 rames, dont on verra le passage à l'article PASSAGE des rames, où l'on expliquera seulement le passage d'une seule, ce qui suffira pour toutes : que ce patron soit de six retours ; & pour se faire une idée du mot pas la plus succinte & la plus claire qu'il est possible, il faut entendre que tous les points noirs de la largeur du patron sont autant de rames qui levent sur cette premiere marche & qui occasionnent la levée d'autant de parties de la chaîne, qui donne par conséquent passage au premier coup de navette ; la seconde marche fera lever de même les rames de la seconde ligne du patron, & ainsi des autres. Observez sur cette seconde marche, & sur toutes les autres, que comme elles se trouvent alternativement seconde eu égard à chaque premiere, que tous les points qui sont noirs sur chaque premiere, sont blancs sur chaque seconde, ce qui fait la liaison de la trame & la formation du dessein par les croisées des parties de la chaîne, & ce qui en produit les différens contours. Cette opération des points noirs & blancs doit faire aisément comprendre à tout homme sensé que toutes les rames qui ne levent point sur un pas sont censées & effectivement restent en repos : ce repos ne laisse pas d'opérer son effet en dessous de l'ouvrage, qui par conséquent n'a point d'envers, puisque ce qui vient d'être fait en-dessus va se faire de même en-dessous. Les croisés dont on vient de parler se nomment parfil ou parfilure (Voyez PARFILURE) ; il faut se souvenir que ce qui vient d'être dit des deux premieres lignes du patron, doit s'entendre de deux en deux, de même de toutes les autres qui les suivent jusqu'à la fin du patron.
PAS, terme de Tisserand ; c'est le passage du fil dans la lame. Etre hors du pas, c'est prendre un fil pour un autre ou en échapper un sans le prendre.
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PASARGADE | Pasargade, (Géog. anc.) ville de la Perside, selon Pline, l. VI. c. xxiij. Plutarque in Artaxer. dit que le roi Artaxerxès s'y fit sacrer selon la coutume, par les prêtres. Il ajoute que dans cette ville il y a un temple de la déesse qui préside à la guerre : on peut conjecturer que c'étoit la même que Minerve. Il falloit que celui qui devoit être sacré entrât dans ce temple, que là il quittât sa robe, & qu'il prît celle que l'ancien Cyrus portoit avant que de devenir roi, & qu'on y gardoit avec beaucoup de vénération. Après avoir mangé une figue seche, il mâchoit des feuilles de térébinthe, & il avaloit un breuvage composé de vinaigre & de lait. M. Dacier remarque sur cet endroit de Plutarque, que Cyrus le grand bâtit la ville de Pasargades, & qu'il lui accorda de grands privileges, parce qu'il avoit défait dans ce lieu-là Astyage, & acquis le royaume par sa victoire. Ptolomée nomme cette ville Pasacarta. On trouve encore quelques vestiges de ce nom dans celui qu'elle a aujourd'hui ; car selon le P. Lubin on la nomme Darabegerd, ou, comme disent les Arabes, Valasegerd. (D.J.)
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PASCAGE | PASCAGE
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PASCHAL | adj. qui concerne la pâque des juifs ou des Chrétiens. Voyez PASQUES.
L'agneau paschal est un agneau que les juifs mangent debout, les reins ceints, tenant un bâton à la main, en mémoire de la délivrance du peuple d'Israël de la servitude d'Egypte.
Canon paschal, voyez CANON.
Cierge paschal, voyez CIERGE.
Lettres paschales dans l'histoire ecclésiastique, c'étoient des lettres circulaires que le patriarche d'Alexandrie écrivoit à tous les métropolitains, pour leur notifier le jour qu'on devoit célébrer la fête de Pâques.
Tems paschal est un tems d'allégresse dans l'Eglise catholique, en mémoire de la résurrection de Jesus-Christ. Il dure depuis la fête de Pâques jusqu'à la veille du dimanche de la Trinité inclusivement. Il est marqué par un office plus court, & par les chants de joie alleluia, qui se rencontrent plus fréquemment dans toutes les offices qu'en tout autre tems.
Rentes paschales, c'étoient des rétributions ou revenus annuels que le clergé inférieur payoit autrefois à l'évêque ou à l'archidiacre à leurs visites de Pâques. On les appelloit aussi rentes synodales. Voyez CATHEDRATIQUE & SYNODATIQUE.
PASCHAL, cycle, (Chronolog.) est la même chose que la période Dyonisienne ou Victorienne (Voyez PERIODE), au bout de laquelle la fête de Pâques retombe au même jour dans l'ancien calendrier.
Terme paschal est le jour de la pleine lune Paschale, c'est-à-dire la pleine lune qui précede immédiatement le dimanche de Pâques. Ce terme paschal se trouve en cherchant l'âge de la lune, au 21 de Mars (Voyez LUNE), & en comptant de-là jusqu'au 14 de la lune. (O)
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PASCHIONI | glandes de Paschioni, (Anatomie) Ce médecin italien nous a laissé un traité sur la dure-mere ; il a fait la description de quelques glandes conglobées placées aux environs du sinus longitudinal, auxquelles on a donné son nom.
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PASCHMAKLYK | (Hist. mod.) Ce nom qui est turc, signifie sandale ; c'est ainsi qu'on nomme le revenu assigné à la sultane Validé ou sultane mere de l'empereur regnant. Il est ordinairement de mille bourses, ou de quinze cent mille livres argent de France.
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PASENDA | (hist. mod.) c'est le nom que l'on donne parmi les Indiens à une secte de Bramines ou de prêtres qui fait profession d'incrédulité. Ces sectaires regardent le vedam, le shaster & le pouran, c'est-à-dire les livres qui contiennent la foi indienne, comme de pures rêveries ; ils nient l'immortalité de l'ame & la vie future ; ils se livrent, dit-on, à toutes sortes d'excès ; commettent sans scrupule les incestes & les impuretés les plus abominables, & se mettent au-dessus de l'opinion des hommes : ce sont-là les couleurs sous lesquelles les ennemis des pasendas les représentent. De leur côté ils traitent d'hypocrites les partisans des sectes les plus austeres, & prétendent qu'ils ne cherchent qu'à se faire applaudir & considérer par leur conduite sévere ; cependant ils sont obligés de cacher leurs sentimens, de peur d'exciter le zele fougueux des bramines leurs adversaires, qui en plusieurs occasions ont fait faire main basse sur les sectaires dont nous parlons.
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PASHAUNA | (Hist. nat.) nom donné par les Indiens à une espece de pierre composée de fibres, qu'ils font calciner & qu'ils pulvérisent ensuite pour la mêler avec du lait ; ils regardent ce mêlange comme un excellent remede contre la pierre. On sait que l'eau de chaux est d'un très-bon usage pour cette maladie.
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PASINA | (Géogr. mod.) c'est ainsi qu'écrit la nouvelle carte de l'empire Russien, au lieu de Piasida ; c'est un pays de l'empire Russien, dans la Tartarie moscovite. On ne sait rien encore de ce pays, sinon qu'il est traversé par la riviere qui lui donne son nom, & qui va se perdre dans la mer Glaciale, environ à 30 lieues de l'embouchure du fleuve Jéniséa. (D.J.)
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PASIPHAÉ | S. f. (Mythol.) fille du soleil & de la nymphe Perséïs, épousa Minos, second roi de Crete. Elle a passé pour la fille du soleil, parce qu'elle étoit savante dans la connoissance des simples, & dans la composition des poisons.
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PASITHÉE | S. f. (Mytholog.) fille de Jupiter & d'Eurynomé, étoit, selon quelques-uns, la premiere des trois Graces, & avoit pour soeurs Euphrosine & Egiale. Junon ayant une faveur à demander au dieu du sommeil, lui promit avec serment de lui donner en mariage Pasithée, la plus belle des Graces, s'il satisfaisoit à sa demande. Cicéron dit que Pasithée avoit un temple proche de Lacédémone, dans lequel les magistrats de cette ville alloient de tems en tems s'enfermer la nuit, pour y recevoir durant le sommeil des oracles véritables. On donne aussi le nom de Pasithée à une des cinquante Néréïdes. (D.J.)
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PASMÉ | adj. en terme de Blason, se dit d'un dauphin sans langue, & qui a la bouche ouverte. Comtes de Forès & Dauphins d'Auvergne, d'or au dauphin pâmé d'azur.
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PASQUES | S. f. (Théolog.) fête solemnelle célébrée chez les Juifs le quatorzieme jour de la lune d'après l'équinoxe du printems. Voyez FETE.
Les anciens Grecs & Latins ont appellé cette fête pascha, non du grec , souffrir comme l'ont imaginé faussement Lactance & quelques autres peres ; mais de l'hébreu pesach ou pasach, qui signifie passer. Le but de cette fête étant de rappeller le passage de l'ange exterminateur qui mit à mort tous les premiers nés des Egyptiens, & épargna ceux des Israëlites dans la nuit qui précéda leur sortie d'Egypte.
D'autres ont avancé qu'elle avoit été instituée en mémoire du passage de la mer Rouge, mais sans fondement, puisqu'elle fut célébrée & nommée pour la premiere fois avant que les Hébreux se fussent mis en marche pour sortir de l'Egypte, & par conséquent plusieurs jours avant le passage de la mer Rouge.
On peut voir dans l'Exod. chap. xij. toutes les cérémonies que Moïse prescrivit pour la célébration de la Pâque : l'obligation de la faire étoit telle, que quiconque auroit négligé ce devoir étoit condamné à mort : Exterminabitur anima illa de populis suis, Num. jx. 23. Mais ceux qui avoient quelqu'empêchement légitime, comme de voyage ou de maladie, ou de quelqu'impureté volontaire ou involontaire, par exemple ceux qui avoient assisté à des funérailles, ou qui s'étoient trouvés souillés par quelqu'accident, devoient remettre la célébration de la pâque au second mois ecclésiastique, ou au 14 du mois Jiar, qui répond à Avril & Mai : on en voit un exemple frappant sous Ezechias II. Paralip. xxx. 2. & 3.
Leon de Modene, cérem. des Juifs, part. III. ch. iij. décrit fort au long les cérémonies que les Juifs modernes observent dans la célébration de la pâque. Elle dure huit jours, suivant une ancienne coutume du Sanhedrin ; les deux premiers & les deux derniers jours sont solemnels : on ne peut pendant leur durée ni travailler ni traiter d'affaires ; il est néanmoins permis de toucher au feu, d'apprêter à manger, de manier de l'argent, &c. Pendant ces huit jours il est défendu aux Juifs d'avoir chez eux du pain levé ni aucun levain : ensorte qu'ils ne mangent alors que du pain sans levain ou azyme. Dès le soir de devant la veille de fête, le maître de chaque maison cherche par-tout pour voir s'il n'y a point de pain levé ; sur les onze heures du jour suivant, on brûle du pain levé, pour marquer que la défense de ce pain est commencée ; incontinent après on s'applique à faire des azymes qu'on appelle mazzoth. Quelques-uns font de ces gâteaux avec des oeufs & du sucre, pour les personnes délicates ou malades ; ils les nomment mazza aschiras, c'est-à-dire riche gâteau sans levain. Le quatorzieme jour de Nisan, veille de la pâque, les premiers nés des familles ont coutume de jeûner, en mémoire de ce que la nuit dont la suivante est l'anniversaire, Dieu frappa de mort tous les premiers nés des Egyptiens. Le soir ils vont à la priere, & mangent ensuite l'agneau avec du pain sans levain & des herbes ameres ; tenant en main des tasses de vin, ils récitent les malheurs que leurs peres souffrirent en Egypte, les merveilles que Dieu opéra pour les en délivrer, & finissent par le pseaume 112 & les suivans, qui sont des pseaumes de louange ou d'action de graces ; ensuite ils soupent & récitent encore des pseaumes, ce qu'ils réiterent le lendemain & recommencent les deux derniers jours.
Les rabbins ajoutent encore d'autres détails, tant sur la recherche du pain levé, que sur la façon du pain azyme, mais si petits & si ridicules, que nous ne croyons pas devoir en charger ce Dictionnaire : on les trouvera exposés fort au long dans celui de la Bible de dom Calmet, tome III. lettre P. au mot Pâque.
Pour fixer le commencement du mois lunaire, & par conséquent la fête de Pâques qui se célébroit le 14 de la lune de Mars, les rabbins, & entr'autres Maimonides, enseignent que leurs ancêtres avoient placé des sentinelles sur le sommet des montagnes, pour observer le moment de l'apparition de la nouvelle lune, & qu'aussi-tôt que ceux-ci l'avoient vûe, ils couroient en diligence en donner avis au sanhedrin, qui dépêchoit des couriers aux villes voisines, pour les avertir que la néomenie commençoit. Mais outre qu'on ne trouve nulle trace de cet usage dans l'Ecriture, ni dans Philon, ni dans Josephe, il paroît d'ailleurs certain que les anciens Hébreux ne se servoient pas de mois lunaires, ce qui détruit la prétention des rabbins.
Les Grecs, & même quelques docteurs catholiques, prennent occasion du xij. chap. de S. Jean, v. 1. 12. & suiv. & du xviij. chap. du même évangéliste, de conclure que l'année même de sa mort Jesus-Christ anticipa le jour marqué dans la loi pour célébrer la pâque ; le P. Lamy entr'autres a soutenu ce sentiment. D'autres, comme le P. Calmet, dissertation sur la derniere pâque de Notre Seigneur, ont prétendu que la derniere année de sa vie Jesus-Christ n'avoit pas fait la pâque, du moins que les Juifs ne l'avoient faite que le vendredi, jour de sa mort, & qu'il étoit mort sur le calvaire à la même heure que les Juifs immoloient dans le temple la victime paschale ; ensorte que la figure & la réalité se rencontrerent & s'exécuterent ensemble comme à point nommé. On cite pour ce sentiment Tertull. contr. jud. c. viij. l'auteur des questions orthodoxes, sous le nom de S. Justin martyr, quest. 65. S. Chrysostome, homel. 82. in Joann. S. Cyrill. d'Alex. liv. XII. in Joann. Théophyl. S. Epiphane & plusieurs autres peres & théologiens.
D'autres, comme le P. Hardouin, ont prétendu que les Galiléens avoit fait cette année-là la pâque le jeudi, de même que Jesus-Christ, & que les Juifs l'avoient faite le vendredi ; mais le sentiment le plus suivi dans l'Eglise chrétienne, tant greque que latine, est que Jesus-Christ a fait la pâque légale le jeudi au soir, de même que tous les autres Juifs ; & outre les trois évangélistes S. Matthieu, S. Luc & S. Marc, qui sont favorables à ce sentiment, il est fondé sur la tradition la plus constante.
Le nom de pâque se prend dans l'Ecriture en divers sens ; 1°. pour le passage de l'ange exterminateur ; 2°. pour l'agneau paschal ; 3°. pour le repas où on le mangeoit ; 4°. pour la fête instituée en mémoire de la sortie d'Egypte & du passage de l'ange exterminateur ; 5°. pour toutes les victimes particulieres qu'on offroit durant la solemnité paschale ; 6°. pour les pains sans levain dont on usoit pendant toute l'octave de Pâque ; 7°. pour toutes les cérémonies qui précédoient & accompagnoient cette cérémonie ; 8°. pour Jesus-Christ immolé comme l'agneau paschal pour la rédemption du genre humain. Calmet, Dictionnaire de la Bible.
Pour trouver la fête de Pâque dans chaque année, il faut d'abord connoître l'épacte de cette année, ce qui donnera la nouvelle lune de chaque mois, & par conséquent en y ajoutant 13 jours, le jour de la pleine lune après le 21 de Mars. Le dimanche qui suit le jour de la pleine lune, & qu'on trouve par le moyen de la lettre dominicale, est le jour de Pâque. Voyez EPACTE, LETTRE DOMINICALE, CALENDRIER, FETES MOBILES.
Si la pleine lune tombe le 22 de Mars, & que le lendemain soit un dimanche, ce dimanche est le jour de Pâque ; c'est le plûtôt que le jour de Pâque puisse arriver. Si la pleine lune est le 20 de Mars, la pleine lune suivante ne peut tomber que le 18 Avril ; & si ce 18 est un dimanche, Pâque tombera au dimanche suivant, qui est le 25 Avril : c'est le plûtard qu'il puisse arriver, & ce dernier cas arrive rarement. Depuis la réformation du calendrier, Pâque a été le 25 Avril en 1666 & 1734.
Si la pleine lune tombe le 21 même de Mars, le dimanche suivant est le jour de Pâque. (O)
PASQUE-CLOS, pascha clausum, signifie l'octave de Pâque ou le dimanche d'après Pâque, qui fait la clôture de cette solemnité. Dans quelques anciens actes d'Angleterre on en trouve quelques-uns datés die N. post pascha clausum, & entr'autres le premier statut de Westminster de la troisieme année d'Edouard I. qui porte avoir été fait lendesmenda de la close de Pasche, c'est-à-dire le lundi d'après la semaine de Pâque.
Cette expression de Pâque-clos est aussi en usage en France dans les provinces, pour exprimer le dimanche de Quasimodo, ou le dimanche de l'octave de Pâque. Voyez QUASIMODO.
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PASQUIN | S. m. (Hist. mod.) est une statue mutilée qu'on voit à Rome dans une encoignure du palais des Ursins ; elle tire son nom d'un savetier de cette ville, fameux par ses railleries & ses lardons, dont la boutique étoit le receptacle d'un grand nombre de fainéans qui se divertissoient à railler les passans.
Après la mort de Pasquin, en creusant devant sa boutique on trouva une statue d'un ancien gladiateur bien taillée, mais mutilée de la moitié de ses membres : on l'exposa à la même place où on l'avoit trouvée, au coin de la boutique de Pasquin, & d'un commun consentement on lui donna le nom du mort.
Depuis ce tems-là on attribue à la statue toutes les satyres & les brocards ; on les lui met dans la bouche, ou on les affiche sur lui, comme si tout cela venoit de Pasquin ressuscité. Pasquin s'adresse ordinairement à Marforio, autre statue dans Rome, ou Marforio à Pasquin, à qui on fait faire la réplique.
Les réponses sont ordinairement courtes, piquantes & malignes : quand on attaque Marforio, Pasquin vient à son secours ; & quand on l'attaque, Marforio le défend à son tour, c'est-à-dire que les satyriques font parler ces statues comme il leur plaît. Voyez PASQUINADE.
Cette licence qui dégénere quelquefois en libelles diffamatoires, n'épargne personne, pas même les papes, & cependant elle est tolérée. On dit qu'Adrien VI. indigné de se voir souvent en bute aux satyres de Pasquin, résolut de faire enlever la statue pour la précipiter dans le Tibre ou la réduire en cendres, mais qu'un de ses courtisans lui remontra ingénieusement que si on noyoit Pasquin, il ne deviendroit pas muet pour cela, mais qu'il se feroit entendre plus hautement que les grenouilles du fond de leurs marais ; & que si on le brûloit, les Poëtes, nation naturellement mordante, s'assembleroient tous les ans au lieu de son supplice, pour y célébrer ses obseques, en déchirant la mémoire de celui qui l'auroit condamné. Le pape goûta cet avis, & la statue ne fut point détruite. Le même motif peut la conserver long-tems.
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PASQUINADES | S. f. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme à Rome les épigrammes, les bons mots. & les satyres que l'on fait, soit contre les personnes en place, soit contre les particuliers qui donnent prise par quelque vice ou par quelques ridicules. Le nom de pasquinade vient de ce qu'on attache communément des papiers satyriques à côté d'une vieille statue brisée que les Romains ont appellé Pasquin, dans la bouche de qui les auteurs mettent les sarcasmes qu'ils veulent lancer à ceux qui leur déplaisent. Les souverains pontifes eux-mêmes ont été très-souvent les objets des bons mots de Pasquin. Quelquefois on lui donne un interlocuteur, c'est une autre statue que le peuple appelle Marforio, & qui est placée vis-à-vis de celle de Pasquin.
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PASQUIS | est la même chose que le pascage. Voyez PASCAGE. (A)
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PASSACAILLE | S. f. (en Musique) est une espece de chaconne, dont le chant est plus tendre & le mouvement plus lent que dans les chaconnes ordinaires. Voyez CHACONNE. (S)
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PASSADE | S. f. (en terme de Manége) est le chemin ou la piste que le cheval trace en passant & repassant plusieurs fois sur une même longueur de terrain. Comme cela ne peut se faire sans changer de main, les passades sont différentes selon la différente maniere de changer de main & de fermer la passade, c'est-à-dire de tourner pour repartir & revenir sur la piste.
Passade d'un tems en pirouette ou demi-pirouette, est un tour que le cheval fait d'un seul tems de ses épaules & de ses hanches. Passade ou demi-volte de cinq tems, est un demi-tour que le cheval fait au bout de la volte en cinq tems de galop. Passades furieuses, ou à la françoise, sont des demi-voltes en trois tems, en marquant un demi-arrêt : on s'en sert dans un combat singulier. Passades relevées, sont celles dont les demi-voltes se font à courbettes.
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PASSAGE | S. m. se dit en général de l'action d'un corps qui se meut d'un lieu dans un autre : je l'ai tiré au passage.
Il se dit encore en général d'un chemin pratiqué d'un lieu dans un autre.
PASSAGE, s. m. en terme d'Astronomie, se dit proprement d'une planete qui passe sur le soleil.
Le passage de la lune devant une étoile s'appelle plus proprement occultation de cette étoile par la lune. Voyez OCCULTATION.
Mercure & Vénus dans leur passage sur le soleil, paroissent comme des taches noires ou obscures.
Les passages de Mercure sur le soleil sont assez fréquens ; depuis l'invention des grandes lunettes, c'est-à-dire depuis 1610, on en a déja observé onze. Voy. MERCURE. La premiere de ces observations fut faite à Paris par Gassendi, le 7 Novembre 1631, & comme le dit ce philosophe ; selon le voeu & l'avertissement de Kepler ; car Kepler avoit prédit ce passage, & en avoit publié ou écrit l'année précédente, qui fut celle de sa mort. Il est vrai que le même auteur avoit rapporté dans son optique d'après une ancienne histoire de la vie de Charlemagne, qu'en 807 ou 808 la planete de Mercure fut vue dans le soleil comme une petite tache noire pendant huit jours ; mais le fait est manifestement faux ou équivoque, cette planete ne pouvant demeurer tout au plus que 5 à 6 heures sur le disque solaire ; & quoique, selon Kepler, il faille lire huit fois, octoties, au lieu de 8 jours, octo dies, on sait aujourd'hui qu'il n'est pas possible que dans un si court intervalle Mercure passe 8 fois ni même 2 fois sur le soleil. Ainsi il y a apparence que l'on avoit pris pour Mercure une grosse tache qui parut alors dans le soleil. Il devroit y avoir eu trois autres passages de Mercure par le soleil en 1615, 1618 & 1628, tous visibles de quelque endroit de la terre, & celui de 1618 a pu même se voir de divers lieux de l'Europe. Mais ou l'on n'étoit point en ces tems-là assez au fait de la théorie de Mercure, ou on ne se tenoit pas assez assuré de ces sortes de phénomenes pour se préparer à les observer, moins encore pour aller les chercher dans des pays éloignés. Shakerley, astronome anglois, fut le premier qui alla exprès à Surate en 1651, pour y observer un passage de Mercure sur le soleil, qui ne devoit arriver que de nuit en Europe. Ce fut la seconde des neuf observations ; elle fut suivie de six autres en 1661, 1677, 1690, 1697, 1723, 1736, 1743, 1753, & enfin la derniere a été en 1756. Nous en aurions cinq ou six de plus si on avoit imité le zele de Shakerley.
Tous ces passages de Mercure par le disque du soleil, tombent dans le commencement de Mai ou de Novembre, leur retour se trouvant jusqu'ici renfermé dans ces limites. Ces retours ont aussi différentes périodes de six à sept ans, de dix, de treize, &c. mais qui reviennent les mêmes après un certain nombre d'années conformément à la théorie de M. Halley, le premier qui ait approfondi cette matiere.
Les passages de Vénus sur le soleil ne sont pas à beaucoup près si fréquens. Il paroît que le premier qu'on a observé a été le 3 Décembre 1639, & l'observation est rapportée dans l'astronomie philolaïque de Bouillaud. On en a eu un autre en 1761, & M. Halley a averti les Astronomes de s'y préparer à cause de l'usage qu'on pourra en faire pour déterminer la parallaxe du soleil.
Les observations des passages de Mercure & de Vénus sur le soleil, sont très-utiles pour déterminer différens points de la théorie de ces planetes. On trouve dans les Institutions astronomiques de M. le Monnier, un mémoire de M. Picard sur ce sujet. Hist. acad. des Scienc. 1743, & les Inst. de M. le Monnier. Voyez MERCURE & VENUS.
Passage se dit aussi lorsqu'une planete ou une étoile passe par le méridien, ou par quelque autre cercle. Voyez CULMINATION & MERIDIEN. (O)
PASSAGES, INSTRUMENS DES, (Astron.) est un instrument qui sert à observer les ascensions droites des astres. Il peut servir aussi pour regler les pendules, en observant l'instant auquel le soleil passe au méridien. Messieurs Roemer & de Louville furent des premiers à le proposer pour observer les passages des planetes & des étoiles fixes, soit par le méridien, soit par le premier vertical ; mais il leur manquoit dans ce tems-là beaucoup de choses, desorte que l'on peut dire que ce n'est que depuis une vingtaine d'années qu'on lui a donné une entiere perfection.
Cet instrument est composé principalement voyez la fig. 1. d'une lunette fixée à angles droits sur un axe horisontal très-solide, avec lequel elle tourne dans le plan du méridien, & d'un autre axe vertical O C, sur lequel les supports du premier sont solidement adaptés. Ainsi on voit clairement qu'au moyen de ces deux axes, on peut observer les astres dans toutes sortes de verticaux, & à toutes sortes de hauteurs dans leur passage par le méridien : c'est ce qu'on reconnoitra encore plus clairement par la description suivante.
La fig. 1. représente une lunette A B, d'environ 2 piés, dont le tuyau cylindrique entre exactement & peut tourner en même tems dans un autre cylindre creux ab, perpendiculaire à l'axe M N. Toutes ces pieces sont de cuivre bien écrouï, principalement les deux cones tronqués G H I K, E F O L, que l'on a fait creux en-dedans afin de les rendre plus légers. Les extrémités cylindriques de cet axe sont solides & d'une matiere dure qui peut exactement s'arrondir au tour. C'est de la perfection à laquelle on peut parvenir en travaillant ces deux extrémités cylindriques de l'axe, que dépend toute la justesse de l'instrument. Au foyer commun X de l'objectif & de l'oculaire est placé le réticule de la fig. 2. ce qui se pratique par le moyen d'un petit tube, fig. 4. que l'on fait entrer dans le tuyau de la lunette, où il demeure arrêté lorsque le réticule est parvenu en X, c'est-à-dire au foyer du verre objectif. Ce petit tube est construit de maniere que la piece qui porte le réticule, & dont la fig. 3. représente le profil, puisse couler librement à droite ou à gauche : mais comme il est nécessaire d'assujettir cette piece afin de centrer la lunette, on se sert pour cet effet d'une vis, dont la tête en forme de chape, est retenue dans un trou cylindrique pratiqué en Z, fig. 1 au tuyau de la lunette. Cette chape est recouverte d'une platine percée d'un petit trou par où l'on introduit la clé ou tourne-vis quarré V. Comme cette vis ainsi contretenue ne peut avancer ni reculer, son écrou, & par conséquent le réticule dont l'écrou fait partie, doit se mouvoir toutes les fois que l'on tournera la clé. De cette maniere le réticule a la liberté de parcourir tout l'espace ombré que l'on apperçoit dans la fig. 5. c'est-à-dire l'espace que lui laisse l'épaisseur de l'anneau applati, qui est soudé à l'extrémité du petit tube de la fig. 4. Comme il est nécessaire qu'il y ait au foyer de la lunette au moins deux fils qui soient arrêtés, l'un dans une situation verticale, & l'autre dans une situation horisontale, on voit d'abord qu'il est facile d'y parvenir en tournant la lunette A B dans le cylindre creux ab, jusqu'à ce qu'un même objet, que je suppose que l'on appercevra à l'horison sous le filet vertical, paroisse suivre exactement ce filet lorsqu'on roulera peu-à-peu la lunette au-tour de son axe horisontal M N : on arrêtera pour lors cette lunette dans le cylindre creux ab, par le moyen de deux viroles ou anneaux brisés CC, DD, qui faisant ressort, peuvent s'ouvrir ou se resserrer à volonté par le moyen d'une petite vis. Il faut aussi remarquer que ce cylindre creux ab est fendu vers ses extrémités en deux endroits diamétralement opposés, comme on le voit dans la fig. 12. desorte qu'on le resserre peu-à-peu à mesure qu'on tourne la petite vis de chaque anneau CC, DD. Du côté de l'objectif on a pratiqué à l'extrémité du tuyau, la coulisse gg, où l'on fait entrer l'extrémité de la piece, R, fig. 6. laquelle sert à éclairer par reflexion, les fils de la lunette pendant la nuit. On a renversé la 1. fig. afin de la faire voir par-dessous, & que par conséquent on y puisse mieux distinguer toutes les parties de la lunette, comme aussi la maniere dont le demi-cercle de la fig. 12. y est attaché. Ce demi-cercle, qui sert à pointer la lunette, en plein jour, aux planetes ou aux étoiles fixes dont la hauteur est connue, n'est représenté dans cette premiere figure, que comme une simple regle de cuivre attachée avec deux vis de part & d'autre proche les deux viroles CC, DD.
Il nous reste maintenant à expliquer comment on place cet instrument, ensorte que son axe soit horisontal, & que sa lunette puisse rouler dans un plan vertical ou perpendiculaire à l'horison, & comment on peut le faire mouvoir successivement dans tous les azimuths, sans que son axe ou sa lunette souffre aucune inclinaison.
La figure 12. représente l'instrument en entier, attaché avec quatre vis contre l'appui d'une fenêtre ou balcon destiné aux observations que l'on fait chaque jour du passage des astres par le méridien. Il est beaucoup plus avantageux, principalement lorsqu'on veut observer dans les verticaux, d'attacher cet instrument à une barre de fer verticale terminée par trois empatemens soudés en plomb sur un plancher voûté ou sur une terrasse ; mais de quelque maniere qu'il soit arrêté, soit contre une piece de bois, soit contre un mur, on peut toujours s'en servir, en le vérifiant à chaque observation, si c'est en plein jour, ou bien en prenant les passages des étoiles voisines de la lune ou des autres planetes que l'on observera pendant la nuit. On apperçoit dans la figure 12. la maniere dont l'axe A B est placé sur les deux coussinets qui sont à l'extrémité supérieure des deux montans A B, C D, attachés à une même piece de laiton B C. L'arbre de fer E F G est aussi attaché à angles droits à la piece B C ; ainsi les quatre pieces A B, B C, E F G, C D, ne forment qu'un même corps solide supporté en G par la piece O P Q a b c d, & retenu par le collet K I L. Les deux montans A B, C D, sont inclinés vers l'oeil de l'observateur ensorte qu'ils s'écartent d'environ 30°. de la ligne verticale, ce qui fait qu'on y peut observer tous les passages des astres depuis l'horison jusqu'au zénith.
L'axe A D doit toujours être dans une situation parfaitement horisontale ; ce à quoi l'on parvient au moyen d'un des coussinets qui peut hausser ou baisser autant qu'il est nécessaire, ce que l'on determine par le secours d'un niveau à l'esprit-de-vin, suspendu librement sur les tourillons qui sont aux deux extrémités de l'axe. La figure 7. représente la construction particuliere du coussinet mobile, sur lequel on voit le bout de l'axe qui ne porte qu'en deux points t t, l'écrou x étant immobile ; par le mouvement de la vis qui a la liberté de hausser ou de baisser, on fait monter ou descendre le coussinet entier a b c d y. Il y a à l'extrémité supérieure du montant W une rainure pratiquée de façon que la piece a b y e d puisse y glisser exactement.
Le niveau à esprit-de-vin enchâssé de la maniere représentée dans la figure 8. se peut mettre parallele à l'axe horisontal par le moyen de la vis R T ; mais cela n'est pas absolument nécessaire d'abord, on saura bien le reconnoître, en mettant l'axe parfaitement horisontal par la pratique suivante. Il faut premierement mettre le niveau sur les tourillons de cet axe, comme dans la figure 12. & hausser ou baisser le coussinet mobile jusqu'à ce que l'extrémité de la bulle d'air du niveau réponde à un index ou à un trait délié marqué sur le tuyau ; ensuite on changera le niveau bout par bout, ensorte que celui des crochets qui portoit, par exemple, à droite sur l'un des tourillons de l'axe, soit pour-lors à gauche sur l'autre tourillon ; si alors la bulle d'air revient au même endroit du tuyau marqué par l'index, l'on sera assuré que l'axe est parfaitement horisontal ; si elle n'y revient pas, on haussera ou baissera le coussinet mobile, jusqu'à ce que la bulle d'air ait parcouru la moitié de l'espace compris entre les deux différens points où elle s'étoit arrêtée sur le tuyau pendant la vérification, & alors l'instrument sera parfaitement rectifié quant à la position de l'axe horisontal. La raison de la méthode de vérification que nous venons de donner est trop évidente pour qu'il soit nécessaire de s'y arrêter, quoique M. Smith, dans son traité d'Optique, p. 323, en donne une longue démonstration ; car il est clair, 1°. qu'un niveau à l'esprit-de-vin qui ne seroit pas monté de façon que la bulle fût au milieu lorsqu'il seroit sur un plan horisontal, auroit toujours cette propriété que la bulle s'arrêteroit au même point lorsque ce niveau seroit sur ce plan, & par conséquent qu'en retournant bout par bout le niveau sur l'axe des tourillons, & observant si la bulle revient au même point, on est sûr de reconnoître si cet axe est horisontal, car cette pratique revient à retourner le niveau sur un plan horisontal ; 2°. qu'en supposant le tube qui contient l'esprit-de-vin courbé, quoique fort peu, en portion de cercle (ce que l'on observe ordinairement), le milieu de la distance entre le point le plus haut & le point le plus bas où se trouve la bulle dans les différentes positions du niveau, est celui où elle doit s'arrêter lorsque l'axe sera horisontal.
Quand l'axe A D de rotation est une fois horisontal, il faut nécessairement que l'axe de la lunette parcoure un cercle vertical, autrement ces deux axes ne seroient pas exactement perpendiculaire, l'un à l'autre ; & dans ce cas la lunette ne décriroit plus un grand cercle de la sphere. Nous avons déja exprimé la maniere dont on peut faire mouvoir le réticule qui est au foyer de la lunette, c'est pourquoi lorsqu'il y aura quelque erreur, c'est-à-dire, lorsque ses deux axes seront inclinés l'un à l'autre, l'on corrigera cette erreur en faisant mouvoir le réticule de la moitié de la différence observée dans la lunette pointée à l'horison, avant & après le retournement que je suppose que l'on aura fait. Si, par exemple, l'instrument étant dans sa situation ordinaire & sa lunette pointée au midi, l'axe de cette lunette est incliné à l'orient : en retournant bout pour bout les extrémités de l'axe de rotation, de maniere que celui qui porte en A se trouve à la place de celui qui étoit en D, l'axe de la lunette paroîtra pour-lors incliné vers l'occident ; ce qui fera connoître par conséquent le double de l'erreur qui lui convient : en un mot, l'axe de rotation & l'axe de la lunette seront exactement à angles droits, lorsqu'avant & après le retournement, le fil de la lunette paroîtra répondre au même objet de l'horison.
Il n'est pas moins évident que cet instrument doit parcourir les verticaux, si l'on peut parvenir à mettre l'arbre E F G dans une situation verticale ; mais il faut faire ensorte que cet arbre soit bien rond vers ses deux extrémités, c'est-à-dire, au-dessous de E F & vers sa pointe G ; car supposons qu'il soit dirigé vers quelque objet à l'horison ; par exemple, à celui que l'on aura reconnu dans le méridien du côté du sud, en faisant parcourir à la piece A B E G F C D un demi-cercle, ensorte que la lunette pointe du côté du nord, on reconnoîtra facilement si l'arbre ne panche pas du côté de l'orient ou du côté de l'occident, puisque, dans ce mouvement, le niveau qui est resté suspendu sur les tourillons fera connoître le double de l'erreur ou de l'inclination de l'arbre E F G ; c'est pourquoi faisant mouvoir les vis H M, c'est-à-dire, les vis (fig. 9.), on fera glisser la piece
, & changer peu-à-peu la situation de l'arbre, jusqu'à ce qu'il ne panche plus à l'orient ni à l'occident. L'on voit encore dans cette même figure 9. une autre vis qui sert à faire avancer la piece , afin de retrécir le trou cylindrique de la piece
par où passe l'arbre vertical, qui ne porte par conséquent qu'en trois endroits de ce trou cylindrique. L'écrou brisé qui appartient à la vis ou , est représenté dans la figure supérieure qui est le profil de l'autre.
Lorsqu'on est une fois assuré que l'arbre E F G n'incline plus à l'orient, ou à l'occident, il faut aussi s'assurer s'il ne panche pas vers le septentrion ou vers le midi, ce qui se pratique en dirigeant successivement la lunette à l'orient & à l'occident : car si la bulle d'air du niveau paroît changer de position, on corrige l'erreur ou l'inclination de l'arbre, en faisant parcourir à cette bulle la moitié de l'espace ou de la différence observée ; puisqu'en tournant la vis V, on peut reculer ou avancer la piece G, & par conséquent rectifier l'inclinaison de l'arbre E F G. Cette piece G se voit dans un plus grand détail (fig. 10.), où la vis étant contretenue fait mouvoir, lorsqu'on la tourne, son écrou , & par conséquent la piece qui soutient l'arbre vertical E F G.
Si après toutes ces vérifications, l'on fait enfin parcourir à la lunette le tour de l'horison, & que la bulle d'air du niveau paroisse fixe, c'est-à-dire, précisément au même endroit du tube, l'arbre vertical E F G, de même que l'axe horisontal A D, n'auront pour lors aucune inclinaison : c'est pourquoi l'instrument étant en cet état, si l'on éleve la lunette de plusieurs degrés au-dessus de l'horison, & que par le moyen de quelque vis on l'arrête immobile à cette hauteur, tous les astres qui passeront par son filet horisontal du côté de l'orient, seront précisément à même hauteur lorsqu'ils reparoîtront passer au même endroit du filet du côté de l'occident ; ainsi les observations de l'heure du passage de ces astres au filet horisontal, donneront à la pendule l'heure de leurs vrais passages au méridien, & par conséquent leurs différences en ascension droite, ce que l'on pourra vérifier un grand nombre de fois par rapport aux étoiles fixes. Mais parce qu'il suffit d'observer un astre, dont la déclinaison est septentrionale, deux heures avant & deux heures après son passage au méridien pour en déduire le tems de son arrivée au plan de ce cercle, il suit qu'étant une fois donnée la différence en ascension droite de deux étoiles fixes éloignées d'environ soixante degrés, si l'on observe encore la premiere de ces deux étoiles à l'orient & à l'occident pour connoître l'heure vraie de son passage au méridien, l'on en déduira fort exactement l'heure à laquelle la seconde étoile passera au méridien le même jour, & par ce moyen l'on fixera dans ce plan la lunette de l'instrument des passages. On fixe cette lunette dans le plan du méridien en serrant les vis Z Y de la piece X I Q ; car l'instrument ne sauroit alors parcourir les azimuths, ni s'écarter du midi à l'orient ou à l'occident, à-moins qu'on ne tourne peu-à-peu les vis R S. Quand donc on aura arrêté cette lunette dans le plan du méridien, & qu'on aura reconnu le point de l'horison qui lui répond, s'il arrivoit quelques changemens à la direction de l'instrument, causés par le chaud ou le froid, ou par le mouvement du mur contre lequel il est attaché ; on pourra le rétablir facilement en dirigeant la lunette à l'horison, & faisant mouvoir les vis R S, jusqu'à ce que l'objet qui est au méridien, paroisse coupé en deux également par le fil vertical qui est au centre de la lunette. Il faut bien remarquer qu'on ne doit serrer les vis Z Y, que lorsqu'on a presque entierement interrompu le mouvement autour de l'arbre vertical par le moyen de la vis N. Il est encore nécessaire que ce même arbre soit arrondi à l'endroit du cylindre creux X T, & même il peut y être taillé tout autour en X, afin que l'extrémité cylindrique de la petite vis X y soit retenue, qu'elle soutienne la piece X Y T Z Q, & l'empêche de retomber sur la branche horisontale O P à laquelle elle doit demeurer parallele : les figures 11. représentent cette piece plus en grand & avec tout le détail nécessaire. On a été obligé de construire deux différentes échelles, dont la premiere convient aux figures 2. 3. 4. 5. 6. 7. 9. 10. & 11. & l'autre aux figures 1. & 8. Voyez l'optique de Smith, pag. 321. & l'histoire céleste de M. le Monnier de l'acad. royale des Sciences, pag. 77.
PASSAGE, LE, des rivieres par les armées, est une des principales opérations de l'art militaire : elle souffre beaucoup de difficulté lorsque le général opposé est rusé & vigilant, & qu'il ne néglige aucune des attentions nécessaires pour n'être point surpris.
On passe les rivieres à la guerre pour pénétrer dans le pays ennemi, pour combattre l'armée opposée, pour se retirer & se mettre en sûreté à l'abri de la riviere lorsque les circonstances l'obligent, soit par la perte d'une bataille ou la grande supériorité de l'ennemi.
Les rivieres qu'il faut passer sont grandes ou petites ; celles qui ont des gués se passent à gué ; les autres se passent sur les ponts lorsqu'il s'en trouve dans le lieu du passage : mais comme les ponts construits sur les rivieres sont en petit nombre ; que d'ailleurs s'il s'en trouve qui puissent favoriser le passage, l'ennemi ne manque guere de les détruire pour en empêcher l'usage, on est obligé d'y suppléer par des ponts de bateaux ou des pontons, ou par des radeaux. Voyez PONT DE BATEAUX, PONTONS & RADEAUX.
Lorsqu'il n'y a point d'ennemis à combattre, le passage des rivieres est toujours facile, soit qu'on le fasse à gué ou sur des ponts de bateaux, supposant qu'on a toutes les différentes choses nécessaires à leur construction. Mais lorsqu'il s'agit de traverser une riviere en présence de l'ennemi qui employe tous ses soins & ses forces pour s'y opposer ; il y a alors beaucoup de précaution à prendre pour éluder les difficultés qu'il peut opposer. Il faut joindre ensemble la ruse & la force pour lui faire prendre le change sur le lieu où l'on a dessein de passer ; faire ensorte de lui donner de l'inquiétude & de la jalousie sur plusieurs endroits, afin de l'engager par-là à partager son armée en plusieurs parties, qui opposent alors bien moins de résistance que si elle étoit réunie.
Quoiqu'il soit plus facile de défendre le passage d'une riviere que de le forcer, parce que l'armée qui veut l'empêcher est bien moins gênée dans ses manoeuvres & ses mouvemens que celle qui veut traverser la riviere ; il arrive cependant que celui qui l'entreprend réussit presque toujours. La raison en est sans doute qu'on ignore la plûpart des avantages de la défense ; qu'on ne pénetre pas assez les desseins de l'ennemi, & qu'on se laisse tromper par les dispositions simulées qu'il fait dans un endroit, tandis qu'il effectue le passage dans un autre lieu sur lequel on n'a eu aucune attention.
Le premier objet de celui qui veut faire passer une riviere à son armée sur une riviere non-guéable, doit être d'en connoître bien exactement les deux bords, ainsi que la nature du terrein qui se trouve de part & d'autre. Il doit s'informer si la riviere est sujette à grossir tout d'un coup par les pluies ou la fonte des neiges dans certaines saisons de l'année, ou bien par des écluses dont l'ennemi pourroit se servir pour rompre les ponts, & augmenter ainsi la difficulté du passage.
A l'égard des lieux les plus propres au passage de la riviere, ce sont ceux où les bords n'ont point d'escarpement ; où ils font au contraire une espece de pente insensible où l'armée peut arriver aisément, & se mettre en bataille de l'autre côté dans une position avantageuse pour résister à l'ennemi.
Les endroits où la riviere fait une espece de coude, ou d'angle rentrant, sont très-favorables pour le passage, ainsi que ceux qui sont au confluent de la riviere qu'on veut passer, & d'une autre riviere navigable. Dans le premier cas la disposition de la riviere donne lieu de protéger le passage, ou la construction du pont par un feu d'artillerie qui découvre une plus grande partie du terrein opposé ; & dans le second, on a la commodité d'assembler les bateaux hors des yeux & de la portée de l'ennemi, & de les faire descendre promptement & sans obstacle dans l'endroit où il s'agit de construire les ponts.
Lorsqu'il y a des îles dans la riviere, elles peuvent encore servir à faciliter le passage, sur-tout si elles sont boisées. On joint d'abord le terrein de l'île par un pont qui y aboutit ; on gagne ensuite le bord opposé par un autre pont, qui, étant protégé du feu de l'artillerie que l'on établit dans l'île, & de la mousqueterie, s'acheve sans grandes difficultés.
Comme le passage d'une armée qui défile sur un seul pont demande bien du tems, que d'ailleurs il peut arriver que le pont se rompe par quelqu'accident, dans le tems, qu'il n'y a encore qu'une petite partie de l'armée de passé, ce qui exposeroit cette partie à être battue par l'ennemi, sa communication avec l'autre partie se trouvant ainsi coupée ou interrompue, il est à propos pour éviter ces inconvéniens, de faire ensorte d'avoir assez de bateaux pour construire deux ponts à la fois, à peu de distance l'un de l'autre.
Lorsqu'on a tous les bateaux & les ustenciles nécessaires pour la construction d'un pont, on le fait très-promptement, sur-tout si l'ennemi n'est pas en force sur la rive opposée pour en empêcher. M. le chevalier de Folard dit, dans son commentaire sur Polybe, avoir vu faire un pont de cinquante pontons sur le Rhin, qui fut achevé en moins de huit heures. Cette opération ne se fait pas toujours avec la même diligence ; elle dépend des circonstances plus ou moins favorables du terrein, des obstacles qu'on éprouve de la part de l'ennemi, & particulierement de l'habileté de celui qui conduit ou dirige cet ouvrage. Voyez PONT DE BATEAUX.
Quelque vivacité que l'on apporte à la construction du pont sur lequel on veut passer une riviere, l'ennemi, pour peu qu'il veille avec attention sur les démarches de son adversaire, peut toujours en être informé ; & comme le passage des troupes exige du tems, il lui est facile de tomber promptement sur les premieres troupes parvenues de l'autre côté de la riviere, & de les culbuter dedans. Pour ne point être exposé à cet inconvénient, on ne manque jamais, soit qu'on passe les rivieres à gué, ou sur des ponts de bateaux, de protéger le passage par des batteries établies sur le bord de la riviere, & lorsqu'il y a quelques troupes de parvenues à l'autre bord, on fait, sans différer, un retranchement pour les couvrir & les mettre en état de résister aux attaques des différens corps que l'ennemi peut envoyer pour empêcher ou inquiéter le passage. On aggrandit ensuite ce retranchement à mesure que le nombre des troupes qui y arrivent devient grand ; ensorte que toute l'armée puisse s'y réunir ou s'y assembler, & se porter de-là dans les lieux que le général juge à-propos de lui faire occuper.
Si l'ennemi est en bataille de l'autre côté de la riviere que l'on veut passer, il n'est guere possible de réussir dans cette entreprise, à-moins qu'on ne trouve le moyen de l'en éloigner par un grand feu d'artillerie, sécondé de celui de la mousqueterie, si la largeur de la riviere n'excede pas la portée du fusil. Lorsqu'elle a plus d'étendue, on peut placer des fusiliers dans des bateaux, dont les bords soient assez élevés pour former une espece de parapet, derriere lequel les soldats puissent tirer à couvert des coups de l'ennemi. Ces bateaux étant protégés par le feu du canon, & bien garnis de soldats, assurent la construction du pont, & ils empêchent que l'ennemi ne puisse en interrompre le travail.
Si l'ennemi s'est fortifié sur le bord opposé de la riviere par de bons retranchemens, le passage est alors presque impossible dans cet endroit, à-moins qu'on ne trouve des situations sur le bord que l'on occupe, propres à établir des batteries qui foudroyent & labourent tout le camp de l'ennemi, & qui ne lui permettent pas d'y demeurer.
Comme le terrein n'offre pas toujours des positions aussi avantageuses pour les batteries, ce qu'on a de mieux à faire en pareil cas, c'est de chercher à tromper l'ennemi. Pour cet effet, on feint d'abandonner l'entreprise pour aller chercher un passage où il y ait moins d'obstacles à vaincre. On fait marcher l'armée avec tout l'attirail des ponts, & l'on se met en devoir de faire le passage dans des lieux éloignés du pont ; mais on laisse secrettement un bon corps de troupes dans les environs, avec ordre de profiter du départ de l'armée ennemie pour assûrer la tête du pont, si elle prend le parti de suivre celle qui veut forcer le passage.
Si l'ennemi abandonne sa position, les troupes qu'on a laissé pour observer se hâtent de passer dans de petits bateaux pour aller occuper le bord opposé, & s'y retrancher ; l'armée revenant ensuite pour protéger la construction du pont, peut par ce moyen effectuer le passage de la riviere sans grandes difficultés. Si au contraire l'ennemi reste toujours en force dans le même endroit, on cherche à faire le passage dans quelqu'autre lieu plus favorable qu'on a reconnu pour cet effet. Quand on craint qu'il ne vienne s'y opposer, on reste avec la plus grande partie de l'armée vis-à-vis de lui, en faisant toujours les démonstrations nécessaires pour lui faire croire qu'on veut s'obstiner à forcer le passage dans cet endroit. Pendant ce tems-là, les troupes qu'on a détachées pour chercher & tenter un autre passage, peuvent, en usant de beaucoup de diligence, passer la riviere dans le lieu où elles présument de trouver moins d'obstacles, & lorsqu'elles ont formé un bon retranchement à l'autre bord, & même du côté qu'elles occupoient d'abord pour mettre les deux issues du pont à l'abri des entreprises des détachemens de l'ennemi, l'armée alors marche à cet endroit où l'on acheve de construire le pont, & de faire passer les troupes malgré les efforts que l'ennemi peut faire par les détachemens de son armée pour s'y opposer. Comme il n'est guere possible qu'il garde également une grande étendue du cours de la riviere, les petits corps qu'il peut poster en différens endroits ne sont pas suffisans pour empêcher le passage : il faut qu'il leur envoye du secours. Si ce secours forme un corps considérable, la lenteur ou la pesanteur de sa marche donne le tems de se fortifier contre lui avant son arrivée. Si au contraire ce corps est petit, sa marche est plus légere & plus prompte, mais aussi il est plus aisé de se mettre en état de lui résister.
On voit par-là, qu'en rusant un peu avec l'ennemi, & en calculant le tems de la durée, les différentes manoeuvres qu'il peut faire, on peut avec de l'adresse & de la diligence le tromper & traverser les rivieres malgré les soins qu'il peut prendre pour s'y opposer. C'est ce que l'expérience fait voir tous les jours à la guerre.
Les précautions nécessaires pour passer les rivieres à gué, sont à-peu-près les mêmes que lorsqu'il s'agit de les passer sur des ponts. Il faut seulement avoir soin de bien faire reconnoître les gués avant que de commencer le passage, & s'assurer que l'ennemi ne les a ni gâtés, ni rompus.
Lorsque la riviere que l'on passe à gué est fort rapide, M. le marquis de Santa-Crux conseille de mettre au-dessus des gués quelques escadrons de cavalerie qui, en se tenant bien fermes & bien serrés, rompent ainsi la force du courant que l'infanterie traverse par ce moyen avec plus de sureté & moins de danger. Ce même auteur observe qu'il est à-propos que l'infanterie interrompe de tems-en-tems son passage, & que les escadrons au-dessus se retirent pour un peu de tems, afin de donner un écoulement libre aux eaux de la riviere, dont le cours étant en partie arrêté pendant un tems considérable, pourroit par sa force entraîner ces escadrons & l'infanterie qui se trouveroit dans la riviere.
" Quelques auteurs, & en particulier Vegece, veulent que l'on mette aussi un peu au-dessous des gués, des escadrons qui y demeurent fermes, afin que le fantassin qui auroit été entraîné par l'eau, puisse s'arrêter à ces escadrons & se sauver. Cet expédient a été mis en pratique par plusieurs généraux. Il me paroît pourtant que cette cavalerie au-dessous du gué arrêtera l'eau, & par conséquent que l'espace entre les deux troupes au-dessus & au-dessous du gué deviendra plus difficile à passer. Je crois donc qu'il seroit seulement à-propos de prendre ce parti, lorsque la difficulté ne vient pas de la hauteur des eaux, mais uniquement de la rapidité du courant ; ou du moins il ne faut pas si fort doubler les rangs de la cavalerie, portée audessous du gué où passe l'infanterie, que le cours de l'eau en soit arrêté. Le plus sûr, au lieu de ces rangs de la cavalerie au-dessous du gué, seroit de faire traverser des cordes arrêtées sur les bords par de bons pieux, & soutenues au milieu par des tonneaux bien calfatés, afin que la corde ne s'enfonce pas lorsque les fantassins qui auront été entraînés par l'eau viendront à la prendre. A cette corde seront attachées plusieurs autres cordes qui pendront dans la riviere, avec des morceaux de bois ou de liege au bout pour que ces mêmes fantassins puissent plus facilement les voir & les saisir.
Quelque sorte de troupes que ce soit qui passe un gué rapide, elle doit le passer sur un front aussi grand que le gué le permet, & se tenir côte-à-côte les uns avec les autres pour mieux résister à la force du courant, pour passer plus vîte & se trouver déja rangées à mesure qu'elles sortent à l'autre bord. Les bataillons ou les escadrons ne doivent pas marcher si serrés de la tête à la queue qu'en arrêtant trop le courant des eaux, ils en augmentent la profondeur. La meilleure maniere de prendre les gués est de couper un peu vers le haut, excepté que pour chercher le fond bas, il ne faille s'écarter de cette regle. Réfléx. milit. par M. le marq. de Santa-Crux, tom. II. "
Lorsqu'on est parvenu à passer une riviere de quelque maniere que ce soit, on ne doit rien négliger de tous les avantages que ce terrein peut procurer pour s'y mettre promptement en état de défense ; car il est certain que si l'on a en tête un ennemi actif & courageux, il ne manquera pas de tomber brusquement sur les troupes qui ont passé la riviere pour forcer le retranchement qui couvre le pont & interrompre le passage. Des troupes valeureuses & bien conduites ont dans ce cas, quel qu'en soit le nombre, un grand avantage dans l'action : elles peuvent être soutenues & secondées de celles qui les suivent, au lieu que celles de l'armée qui passe la riviere & qui sont parvenues à la traverser, ne reçoivent que des secours lents & tardifs ; elles sont d'ailleurs totalement perdues pour peu qu'elles soient poussées & enfoncées, inconvénient auquel les autres sont moins exposées. Comme l'ennemi néglige souvent de profiter du premier instant pour attaquer les troupes qui passent une riviere, il n'est pas étonnant que ce passage réussisse presque toujours, en effet, s'il hésite un moment, s'il délibere & qu'il temporise un tant soit peu pour commencer son attaque, lorsqu'il n'y a encore qu'une petite partie de l'armée de passée, il donne le tems de se mettre en état de lui résister, de le combattre, & même de lui faire quitter le terrein.
Lorsqu'une armée se trouve obligée de passer une riviere pour s'éloigner de l'ennemi, elle doit prendre de grandes précautions pour qu'il ne vienne point la troubler & la combattre pendant cette opération. Non-seulement les ponts doivent être couverts des deux côtés de la riviere par de grands retranchemens bien garnis de troupes ; mais il faut encore que l'armée se renferme elle-même dans des especes de lignes du côté de l'ennemi, qui la mettent en état de lui résister, s'il veut l'inquiéter dans le passage de la riviere. Ces lignes peuvent être formées par une espece d'enceinte de plusieurs rangs de redoutes qui se soutiennent les unes & les autres, de maniere que les troupes en se retirant, s'en trouvent couvertes & protégées jusqu'aux ponts ou au bord de la riviere. Les troupes qui gardent ces redoutes les abandonnent à mesure que l'armée se retire : lorsqu'elle est presque entierement passée, elles occupent le retranchement qui couvre les ponts, & lorsqu'on a commencé à les rompre, elles gagnent le bord opposé dans des bateaux particuliers préparés pour les recevoir.
Cet article deviendroit d'une longueur excessive, si l'on vouloit entrer dans tout le détail dont le passage des rivieres est susceptible. On s'est borné à donner ici ce qu'il y a de plus général sur cette importante matiere : ceux qui voudront des observations plus détaillées pourront avoir recours aux auteurs militaires, particulierement au commentaire sur Polybe, par Mr. le chevalier Folard, tom. IV. & V. pag. 56. & 142. aux réflexions Militaires de M. le marquis de Santa-Crux, tom. II. pag. 282. à l'Ingénieur de campagne, par M. le chevalier de Clairac, page 165. &c.
On trouvera dans ces différens ouvrages, les principaux moyens qu'on doit employer à la défense du passage des rivieres. Nous remarquerons seulement ici que pour le faire avec succès, il faut s'appliquer à pénétrer les desseins de l'ennemi, & à bien reconnoître les endroits où le passage doit lui être le plus facile & le plus avantageux ; ce sont sur ces lieux qu'il faut veiller avec la plus grande attention, sans se négliger néanmoins sur les autres endroits. On ne doit point trop étendre son armée pour garder à la fois une grande étendue de riviere ; il suffit d'avoir de bons postes ou des redoutes de distance en distance dans les lieux où l'on présume que l'ennemi peut tenter le passage, de faire ensorte de n'être point surpris, & de s'attacher à bien démêler ses mouvemens feints des véritables. Lorsqu'on a bien pris toutes les précautions que la science de la guerre suggere à cet égard, on peut rendre le passage d'une riviere très-difficile à l'ennemi. Il est important de convenir de signaux avec les différens postes qui gardent le bord de la riviere, & même avec les habitans des villages voisins, pour être informé promptement de toutes les démarches de l'ennemi. Si malgré les troupes qu'on lui oppose, il veut forcer le passage dans un endroit, il faut s'y retrancher & s'y bien épauler contre le feu de son artillerie ; la cavalerie doit être assez éloignée pour n'en avoir rien à craindre, de cette maniere elle est en état d'agir avec plus de force & d'impétuosité, lorsqu'il s'agit de lui donner ordre de charger.
Si malgré les obstacles qu'on oppose à l'ennemi, il parvient, sous la protection du feu de son artillerie, à établir ses ponts & à commencer de faire passer ses troupes ; on ne doit pas pour cela abandonner la défense du passage, mais tomber courageusement & sans délibérer, sur les premieres qui l'ont franchies, pour les culbuter dans la riviere ou leur faire regagner leurs ponts : comme l'ennemi ne peut les soutenir que difficilement, une attaque vigoureuse ne peut guere manquer de réussir. Si on ne peut parvenir à les chasser entierement, on retarde au moins le passage, & l'on se soutient ainsi pendant tout le jour. Lorsque la nuit est venue, & qu'il y a lieu de craindre que l'ennemi ne se trouve trop en force, le matin pour qu'on puisse lui résister, on se retire pour aller occuper un poste avantageux à peu de distance, où l'on puisse lui en imposer ou le gêner dans les opérations qu'il a dessein d'exécuter.
Quand on défend une riviere qui peut se passer à gué, il faut avoir soin de rompre & de garder les gués : on y jette pour cet effet des chausses-trapes, des arbres avec toutes leurs branches, bien amarrées avec de forts piquets dans le fond de la riviere, des madriers attachés de même & bien lardés de grands clous dont la pointe sort en-dehors, &c. (Q)
PASSAGE DU FOSSE le, (Fortification) est dans l'attaque des places le chemin qu'on pratique dans le fossé pour parvenir au pié de la breche, soit que le fossé soit sec ou plein d'eau.
Le fossé sec se passe à la sappe, en s'épaulant du côté des parties des ouvrages par lesquels il est flanqué ou défendu. On forme vers ce côté un parapet de fascines, de barriques, ou vieilles futailles, de gabions, &c.
C'est dans le passage du fossé sec que l'ennemi a le plus d'avantage pour l'exécution de toutes les chicanes qui peuvent le retarder.
Le passage du fossé plein d'eau se fait en le comblant de fascines dans la largeur de 12 ou 15 piés. Pour cet effet, après avoir rompu la contrescarpe, on fait ranger dans toute l'étendue de la descente un nombre d'hommes suffisant pour en occuper la longueur, étant placés à deux piés de distance les uns des autres. Les hommes sont adossés au parapet de la descente, & ils se passent des fascines de main en main jusqu'à l'ouverture du débouchement, ou à la tête du passage. Le sappeur qui est en cet endroit jette les fascines dans le fossé, & il s'en forme en même tems un épaulement du côté de la place qui a vue sur le passage.
Après avoir jetté un assez grand nombre de fascines pour s'avancer de quelques pas dans le fossé & se couvrir, il continue d'en jetter la quantité nécessaire pour le comblement du fossé en cet endroit.
On pose les fascines de différens sens, & on en fait différens lits qu'on couvre de terre pour les faire enfoncer plus aisément. On pique aussi tous ces différens lits de fascines par de longs piquets, afin qu'ils soient liés ensemble plus solidement. A mesure que le passage avance, on fait avancer l'épaulement, sans lequel le travail ne pourroit se faire qu'avec un très-grand péril.
Lorsque le passage se trouve plongé du feu du parapet de la place qui est vis-à-vis, ou de quelqu'autre endroit, on fait ensorte de s'en parer en se couvrant avec une montagne de fascines, ou par quelqu'autre expédient ; mais quel qu'il puisse être, dans ce cas le passage du fossé est toujours fort difficile & fort périlleux.
Après avoir dit un mot des passages des fossés secs & pleins d'eau dormante, il reste à parler de ceux qui sont remplis par un courant, & de ceux qui sont secs, mais qu'on peut remplir d'eau quand on le veut. Ces sortes de fossés sont fort difficiles à passer, à-moins que l'on ne puisse détourner le courant, en lui donnant un cours dans la campagne, différent de celui qui le fait passer dans les fossés de la ville, ou qu'on ne puisse parvenir à rompre les écluses qui retiennent les eaux que l'ennemi conserve pour inonder le fossé.
Il y auroit bien des choses à dire pour entrer dans tout le détail du travail qu'il faut faire pour le passage de ces sortes de fossés ; nous n'en donnerons ici qu'une idée.
Supposant que les fossés soient remplis d'eau par un courant, ou autre riviere à laquelle on ne puisse pas donner un autre cours, ce qui s'appelle saigner le fossé, il faudra jetter à l'ordinaire dans le fossé une grande quantité de fascines chargées de terre & de pierres, bien liées ensemble par de forts & longs piquets, & avancer ainsi le passage jusqu'à ce qu'on ait retréci le fossé à une largeur de 20 à 30 piés, sur laquelle on puisse mettre de petites poutres qui joignent le pont de fascines aux décombres de la breche. On peut encore se faciliter le comblement du fossé, & par conséquent un passage, en faisant passer le mineur dans ces décombres, & en lui faisant faire une mine qui fasse sauter une partie du revêtement de la face attaquée dans le fossé.
Si l'ennemi a des retenues d'eau dont il puisse disposer pour détruire tous les logemens du fossé, lorsqu'il ne pourra plus s'y défendre, il faut pendant le siége tâcher de ruiner les écluses, c'est-à-dire, les solides de maçonnerie, ou les travaux de charpente qui servent de barriere à ces eaux. On les peut détruire en jettant une grande quantité de bombes sur les endroits où l'on sait qu'elles sont placées. Si l'on peut parvenir à les rompre, on donnera un libre cours à l'eau, & l'on travaillera après son écoulement au passage du fossé, comme si l'eau étoit dormante ; s'il n'y a plus qu'un petit courant, on laissera un passage pour son écoulement, comme on vient de le dire précédemment.
Tout ce travail est fort long, fort difficile, & fort périlleux ; il ne peut absolument se faire qu'autant qu'il est protégé d'un grand feu, non-seulement de toutes les batteries du chemin couvert, & de celle des ricochets, mais encore de celui des logemens du glacis, & de ceux du chemin couvert.
Tout ce que nous venons de dire pour le passage du fossé en général, tant pour les fossés des dehors que pour ceux du corps de la place.
Nous avons supposé qu'ils étoient revêtus, mais s'ils ne l'étoient point, la descente en seroit plus facile. On pourroit la faire dans son talud, & le passer ensuite comme nous avons dit.
Dans tout ce détail nous n'avons point parlé des cunettes, espece de petit fossé de trois ou quatre toises de large, & dans lequel il y a toujours de l'eau, qu'on pratique quelquefois dans le milieu du grand ; la cause de notre silence à son sujet, c'est qu'il ne peut guere augmenter la difficulté du passage du fossé dans lequel il se trouve construit. Dès qu'on est parvenu au bord de la cunette, on y jette des fascines pour la combler, comme dans le fossé plein d'eau. Son peu de largeur donne assez de facilité pour la combler ; elle n'augmente la difficulté du passage du fossé, que lorsqu'il se trouve dans le fossé des caponnieres qui la commandent & l'enfilent. Alors pour faire le passage de la cunette, il faut nécessairement chasser l'ennemi de ces caponnieres ; & c'est ce qu'on peut faire avec les bombes & les pierriers, & en faisant un feu continuel dessus, du logement du chemin couvert.
On se servoit autrefois pour le passage d'un fossé plein d'eau qu'on n'avoit pu saigner, d'un pont flottant de la largeur du fossé sur lequel on faisoit une galerie large de quatre ou cinq piés en-dedans, & haute de cinq à six tout compris. Elle étoit couverte en dos d'âne avec des peaux de vaches fraîches dessus, ou du fer blanc, pour empêcher que les feux d'artifices de l'ennemi ne l'endommageassent. La disposition de sa couverture en dos d'âne servoit à faire couler dans le fossé tout ce qu'on jettoit dessus.
Lorsque le fossé étoit sec, on construisoit une pareille galerie dans la largeur du fossé pour arriver au pié de la breche ; mais elles ne sont plus en usage à présent. Elles servoient particulierement à faire arriver le mineur plus sûrement au pié de la breche pour s'y attacher. Il y parvient aujourd'hui ou par une galerie souterraine qu'il conduit sous le fossé, si la nature du terrein le permet, ou à la faveur de l'épaulement qui couvre le passage du fossé. Lorsque le fossé est plein d'eau, & que son passage est fort avancé, le mineur fait ensorte de gagner le pié de la breche, soit à la nage, soit par le moyen d'un radeau. Dès qu'il y est arrivé il s'enterre très-promptement dans les décombres de la breche. Voyez ATTACHEMENT DU MINEUR. (q)
PASSAGE, (Hist. mod.) dans l'ordre de Malte, est le droit de réception que payent les membres qui y entrent, & qui n'est pas le même pour tous. Le passage d'un chevalier est de 250 écus d'or pour le trésor de l'ordre, & de douze écus blancs pour le droit de la langue, soit qu'il soit reçu chevalier d'âge ou page du grand-maître. Le passage d'un chevalier reçu de minorité est de mille écus d'or pour le trésor, & de cinquante écus d'or pour la langue. Celui des servans d'armes est de deux cent écus d'or pour le trésor, & de douze cent blancs pour la langue, & le passage des diaco est de cent écus d'or, avec douze écus blancs pour le droit de la langue. Autrefois on rendoit ces sommes aux présentés, quand leurs preuves n'étoient pas admises à Malte ; mais l'usage aujourd'hui est qu'elles demeurent acquises au trésor, dès qu'elles sont une fois consignées. Voyez MALTE.
PASSAGE, dans le Commerce, ou droit de passage, est un impôt que plusieurs princes exigent par le moyen de leurs officiers ou de leurs fermiers, dans de certains détroits ou lieux resserrés de leurs territoires, soit par terre ou par mer, de tous les vaisseaux, chariots, & voitures de toute espece, & même quelquefois des personnes ou passagers qui entrent dans les ports, ou qui en sortent, &c.
Le passage du Sund, (ce fameux détroit qui communique de la mer Germanique à la mer Baltique) est le passage le plus célebre qui soit en Europe. Les revenus en appartiennent au roi de Danemark, & se payent à Elseneur ou à Cronembourg. Voyez SUND. Les Suédois étoient exempts de ces droits par la paix de 1658 ; mais ils y ont été assujettis de nouveau par celle de 1720. Les François y jouissent aussi de quelque exemption qui ne regarde pas les droits, mais seulement la visite de leurs vaisseaux & marchandises, & le tems du payement pour lequel il leur est accordé trois mois. Dictionnaire de Commerce.
Passage, est aussi un droit que l'on paye pour le transport par mer des personnes & marchandises. On le nomme autrement fret. Voyez FRET. Idem.
PASSAGE, (Architect.) c'est dans une maison une allée différente du corridor, en ce qu'elle n'est pas si longue.
Passage de servitude, c'est un passage dont on jouit sur le terrein d'autrui, par convention ou par prescription.
Passage de souffrance, passage qu'on est obligé de souffrir en vertu d'un titre.
PASSAGE, en Musique, est un trait de chant fort court, composé de plusieurs petites notes ou diminutions, qui se chantent ou se jouent très-légerement. C'est ce que les Italiens appellent passo. Voyez BRODERIE. (S)
PASSAGE, se dit en Peinture, de la lumiere & des couleurs : on dit ces passages de couleur, de lumieres, sont charmans ; de beaux passages.
Passages de lumiere, se dit d'une ombre ou demi-teinte extrèmement légere, placée entre des masses de lumieres, & qui loin de les séparer semblent les réunir, en servant comme de route à l'oeil pour passer facilement de l'une à l'autre.
Passage de couleur, se dit de l'espace qui se trouve dans un tableau entre deux couleurs différentes, & qui par degrés insensibles participe autant de l'une que de l'autre. Il est à remarquer que passage, en ce cas, ne seroit que fonte de couleur, si ces couleurs qui le forment, n'étoient pas ce qu'on appelle de beaux tons. On ne se sert jamais du terme de passage, sans l'épithete de beau ; ainsi de beaux passages, en ce cas, signifient toujours fonte ou passage de beaux tons de couleur.
Passage de couleur, se dit encore de celles qui restent distinctes, ne se perdant point ensemble par degrés insensibles, & qui par leur accord, font passer l'oeil de l'une à l'autre d'une façon satisfaisante.
PASSAGE, terme de Manége ; le passage se fait lorsque le cheval en tournant ou marchant de côté, croise les jambes, un peu moins celles de derriere que celles de devant ; & pour faire le passage des voltes bien proportionné, il faut que les jambes de devant fassent un cercle à-peu-près de la longueur du cheval, & celles de derriere un autre plus petit des deux tiers.
La méthode du passage est si bonne, qu'elle habitue le cheval à obéir franchement à la main, à la bride, & aux talons ; en un mot, à exécuter promptement & sans répugnance tout ce qu'on exige de lui.
PASSAGE, terme d'ouvriers en cuir, qui signifie la préparation que l'on donne aux peaux en les passant dans différentes drogues, afin de les adoucir & de les rendre maniables & propres à être employées à différentes sortes d'ouvrages. Voyez PASSER.
PASSAGE DU PATRON, (Rubanier) est la même chose que le passage des rames. Voyez PASSAGE DES RAMES.
PASSAGE DES RAMES, (Rubanier) voici la maniere de les passer ; on dit ailleurs que le porte-rames de devant contient neuf rouleaux dont voici l'usage : on prend neuf rames ; savoir, six de figure, & trois de glacis, qui seront mises alternativement sur chacun, de la façon qu'il va être expliqué. Supposez que la premiere rame d'un patron fasse un pris, un laissé, un pris deux fois, deux laissés, deux pris, un laissé, un pris trois fois, deux laissés, deux pris, un laissé, un pris, deux laissés & le dernier pris ; je passe la rame de la premiere haute-lisse, puis la seconde haute-lisse faisant un laissé, je passe la rame à côté de la bouclette de cette seconde haute-lisse ; qui fait un pris dans la bouclette, ensuite la troisieme haute-lisse faisant un pris, je passe la rame dans la bouclette de cette haute-lisse. La quatrieme faisant un laissé, je passe à côté de la bouclette de cette quatrieme ; la cinquieme qui fait un pris, doit être prise dans la cinquieme haute-lisse ; la sixieme & septieme haute-lisse faisant deux laissés, il faut de même que la rame passe à côté des bouclettes de ces deux hautes-lisses ; la huitieme & neuvieme font deux pris, la rame doit passer dans les bouclettes de ces deux hautes-lisses ; la dixieme fait un laissé ; la onzieme un pris trois fois alternativement ; il faut faire comme ci-dessus consécutivement, ce qui mene jusqu'à la quinzieme haute-lisse incluse ; la seizieme & dix-septieme haute-lisse faisant deux laissés, je passe la rame à côté des bouclettes de ces hautes-lisses ; la dix-huitieme & dix-neuvieme faisant deux pris, la rame est passée dans les bouclettes de ces deux hautes-lisses ; la vingtieme faisant un laissé, je passe à côté de la bouclette ; la vingt-unieme faisant un pris, je passe la rame dans la bouclette de celle-ci ; la vingt-deuxieme & vingt-troisieme faisant deux laissés, la rame se passe à côté des bouclettes des vingt-deuxieme & vingt-troisieme hautes-lisses ; enfin la vingt-quatrieme qui fait un pris, je passerai la rame dans la bouclette de cette vingt-quatrieme, ce qui achevera le passage de cette rame, que vous passerez ensuite sur le premier rouleau & à travers la premiere grille du porte-rame de devant, vous attacherez une pierre à cette rame, qui y restera jusqu'à ce que toutes les rames du patron soient ainsi passées & arrangées sur les différens rouleaux, & à-travers les différentes grilles de ce porte-rames, en attachant toutes ces rames à la pierre, pour les tenir ensemble assujetties par le poids de cette pierre, & les empêcher par ce moyen de se dépasser : ce qui vient d'être dit pour cette rame, doit s'entendre de toutes les autres dont on ne parlera plus, pour éviter les répétitions. Après avoir passé cette premiere rame, on passe la seconde rame suivant l'ordre indiqué par le patron, & de la même maniere que la premiere, cette seconde rame se porte sur le second rouleau, mais dans la même grille que la premiere : de même la troisieme, & ainsi de suite jusqu'à la sixieme inclusivement ; on passe ensuite les trois rames de glacis de la même façon que les six autres : ces trois rames se portent sur les trois derniers rouleaux, & toujours dans la même grille. Elles doivent être attachées à une pierre séparée, où l'on attachera de même toutes les rames de glacis qui seront toujours sur les trois derniers rouleaux ; c'est-à-dire, les plus proches du battant, & cette opération s'appelle course de rames ; ensuite on pousse une grille pour donner passage à neuf autres rames qui vont suivre ; ces neuf rames que l'on va passer, doivent être prises du second retour, puis les neuf autres d'un troisieme retour, & toujours de même tant qu'il y aura de retours, observant de pousser une nouvelle grille après le passage de neuf rames ; on voit qu'après ces différens passages qu'il n'y a encore que neuf rames du patron de passées ; savoir, six de figure, & trois de glacis, puisque l'une n'est que la répétition de l'autre. Rendons-nous plus clair : supposons un patron à six retours, il est certain que la premiere rame du second retour n'est supposée que la continuation de la premiere rame du premier retour ; la premiere du troisieme retour de même, & ainsi des autres, jusqu'à la premiere du sixieme retour ; cette continuation supposée de la premiere rame se prouve de ce que ce sera toujours la même marche & la même haute-lisse qui la feront lever ; conséquemment ayant passé trente-six rames de figure, & dix-huit de glacis qui font cinquante-quatre, il est aisé de voir que, puisqu'il y a six retours, & divisant trente-six rames par six retours, il vient six rames de figures ; de même divisant les dix-huit rames de glacis par les six retours, il vient trois rames de glacis, qui font en tout neuf rames de passées ; ces neuf rames étant ainsi passées, on en prend neuf autres du premier retour ; on fait de même qu'aux neuf premieres, on continue jusqu'au bout, observant toujours après les six premieres rames passées, d'en prendre trois de glacis lorsque l'ouvrage en porte : lorsqu'il n'y a point de glacis, les neuf rames sont par conséquent toutes de figure, & se passent, comme il vient d'être dit ; il faut observer que l'on doit passer les rames de glacis lorsqu'elles ne travaillent point en glacis, comme les rames de figures avec lesquelles elles doivent être, c'est-à-dire, que lorsqu'une rame de glacis ne fait point glacis, elle doit être passée tout de même que la rame de figure, afin que la levée qu'elle devroit faire si elle travailloit, se confonde avec la figure ; mais lorsqu'elle travaille elle-même en glacis, il faut la passer suivant son propre patronage : il faut encore observer que la premiere rame des six de figure, doit porter avec elle la premiere des trois rames de glacis ; la seconde de figure se passe seule ; la troisieme porte la seconde de glacis ; la quatrieme se passe seule ; la cinquieme porte la troisieme de glacis, & la sixieme se passe seule, & ainsi de toutes les autres.
PASSAGE, terme de Fauconnerie ; on dit faucon de passage, c'en est une espece ; on appelle oiseau de passage tous ceux qui ne viennent dans le pays que dans certain tems de l'année.
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PASSAGER | adj. (Gram.) qui passe vîte, qui ne dure qu'un instant. Les joies de ce monde sont passageres. C'est une ferveur passagere qui tient quelquefois à l'ennui d'un tempérament qui fait effort pour se développer dans l'un & dans l'autre sexe, ou qui s'étant développé porte à de nouveaux besoins dont on ignore l'objet, ou qu'on ne sauroit satisfaire, qui entraîne tant de jeunes & malheureuses victimes de leur inexpérience au fond des cloîtres où elles se croyent appellées par la grace, & où elles ne rencontrent que la douleur & le désespoir.
PASSAGER, s. m. (Gram.) celui qui passe d'un lieu à un autre, par une voiture d'eau ou de terre. On n'admet des passagers sur les vaisseaux, qu'après la cargaison. On appelle en mer passagers ceux qui payent fret pour leurs personnes & leurs hardes. Au Levant on les appelle pelerins.
PASSAGER, v. n. (Manege) c'est exécuter des passages. Voyez PASSAGE, MANEGE.
PASSAGERS OU PASSAGE, s. m. (Hist. ecclésiast.) hérétiques qui vouloient qu'on observât la loi de Moïse dans toute la rigueur. Ils croyoient à la Trinité. Ils condamnerent les peres & toute la doctrine de l'Eglise romaine. Ils furent condamnés en 1184 dans une constitution du pape Lucius III. faite au concile de Vérone.
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PASSAGE | ou PASSAGER UN CHEVAL, en termes de Manége, c'est le promener au pas & au trot. Passager un cheval sur les voltes, passager la volte. Passager la tête à la muraille, c'est mener son cheval de côté, la tête vis-à-vis & près de la muraille du manege.
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PASSAIE | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans le Guipuscoa, près de S. Sebastien, avec un port ; le roi d'Espagne y tient une escadre. Long. 15. 42. lat. 43. 25. (D.J.)
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PASSALORYNCHITES | S. m. (Hist. ecclésiast.) anciens hérétiques du xj. siecle, sectateurs de Montan, qui faisoient consister toute leur perfection ou à ne point parler, se fondant sur ces paroles du pseaume 140. Pone, Domine, custodiam ori meo & ostium circumstantiae labiis meis ; ou à mettre leur doigt devant leur nez pour se fermer la bouche, & marquer leur application pendant la priere. S. Jérôme atteste qu'il y en avoit encore de son tems en Galatie. Baronius, annal. Fleury, hist. ecclés. tom. I. liv. IV. n °. 6.
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PASSANDAU | S. m. (Fortification) c'est une ancienne piece de canon de 8 livres de balle, laquelle pesoit 3500 livres. (Q)
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PASSANT | adj. on dit un lieu passant, une rue passante, lorsqu'on y passe beaucoup ; un passant, de celui qui passe ou dans une rue, ou sur une route, ou dans une ville. Voyez PASSER. Passant se prend aussi substantivement. Un passant est celui qui passe. M. Piron a employé dans son épitaphe le mot passant & comme participe, & comme substantif.
Ami passant, qui desirez connoître
Ce que je fus. Je ne voulus rien être.
Je vécus nul ; & certes je fis bien.
Car après tout bien fou qui se propose,
De rien venu, s'en retournant à rien,
D'être en passant ici bas quelque chose.
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PASSARON | (Géog. anc.) lieu de l'Epire dans la Molosside. De toute ancienneté, dit Plutarque in Pyrrho, les rois d'Epire avoient accoutumé de tenir une assemblée dans ce lieu ; & après avoir fait un sacrifice à Jupiter Martial, ils prêtoient serment à leurs sujets, & recevoient le serment d'eux. (D.J.)
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PASSARVANT | ou PASSAROEVAN, (Géogr. mod.) ville des Indes, dans l'île de Java. Long. 134. 30. lat. mérid. 7. 30.
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PASSAS-DEL-SOL | (Com. de raisins) on nomme ainsi à Grenade en Espagne, les raisins qu'on fait secher simplement au soleil, sans les y avoir préparés auparavant, en les passant par une sorte de lessive. Ceux à qui on donne cette préparation, se nomment passas de lexia, raisins de lessive ; en général les uns & les autres se nomment des passarilles, qui est un terme de Languedoc. Dictionnaire de commerce. (D.J.)
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PASSAVANT | (Géog. mod.) nom de trois bourgades en France, que quelques géographes nomment petites villes ; l'une de ces bourgades est dans l'Anjou, à 3 lieues de Montreuil-Bellay ; l'autre est en Champagne, au diocèse de Châlons ; & la troisieme dans la Franche-Comté, à 6 lieues de Besançon.
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PASSAW | (Géog. mod.) ancienne ville d'Allemagne dans la basse-Baviere, avec un évêché suffragant de Saltzbourg. C'est une ville impériale sous la protection de son évêque, qui est prince de l'Empire. Il s'y fit en 1552 un traité inutile pour pacifier les agitations qui troubloient alors l'Allemagne. Le duc de Baviere battit près de cette ville les Impériaux ; en 1703. Elle est divisée en trois parties le long du Danube, au confluent de l'Inn & de l'Illz, qui, avec les montagnes, lui font une enceinte naturelle, sa position est à 25 lieues de Ratisbonne, 32 de Munich, 54 de Vienne. Long. 31. 9. latit. 48. 26.
L'évêché de Passaw est considérable, & doit son origine à l'ancien archevêché de Lorch, lequel étant tombé en décadence en 597, celui de Passaw fut fondé à sa place. L'évêque Jean-Dominique, comte de Lamberg, obtint en 1728, de Benoît XII. une bulle qui l'exemptoit de la jurisdiction de l'archevêque de Salzbourg, & Clément XII. confirma cette bulle en 1732. L'évêque de Passaw est seigneur temporel, & jouit environ de 40 mille écus d'Allemagne de revenu. (D.J.)
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PASSE | voyez MOINEAU.
PASSE, s. f. (Mar.) c'est un canal ou largeur de mer, ou passage entre deux terres ou entre deux bancs, par où passent les vaisseaux pour entrer dans un port ou dans une riviere. Dans les îles de l'Amérique, au lieu de dire passe, on dit débouquement. Nous nous trouvâmes entre l'île & un rocher, où il n'y avoit que la passe d'un navire. Entrer dans une passe.
PASSE, s. f. terme de Faiseurs de bonnets ; c'est un devant de bonnet de femme.
PASSE, en terme de Broderie au métier ; est un point qui commence au haut de la nervure d'une feuille (voyez NERVURE), à droite ou à gauche, & qui tombe en se couchant un peu sur le trait de crayon qui borde la feuille, ainsi en continuant d'un côté à l'autre & pressant ses points autant qu'il est nécessaire.
PASSE, terme de Teinturier, ce mot se dit de la derniere façon qu'on donne à certaines couleurs en les passant légerement dans une cuve de Teinture. On donne une passe de cochenille aux gris tannés. (D.J.)
PASSE, en Fauconnerie ; c'est la mangeaille de l'oiseau de proie.
PASSE LE CERF, (Vénerie) passe, passe, passe, passe, terme dont les piqueurs se servent lorsqu'ils voyent le cerf après avoir rappellé les chiens.
PASSE, terme de Billard ; c'est un fer à deux branches, arrondi par le haut, & dont les branches entrent dans la table du billard. Le passe se place au milieu du tapis vers le haut de la table. La passe est mise pour rendre le jeu de billard un peu plus difficile, en obligeant de jouer en bricole, lorsqu'il se trouve précisément sur la ligne qui va de l'une à l'autre bille.
PASSE, au breland, à la bête, & autres jeux ; c'est le jeu courant, ce que l'on met à chaque coup toutes les fois que les cartes sont mêlées.
PASSE, terme de jeu de mail ; petit fer rond en forme d'arc, qui est à chaque bout d'un jeu de mail, pour y faire passer la boule d'un seul coup.
PASSE, TIRER A LA, au jeu du mail ; c'est faire passer entre deux branches de fer plantées en terre une petite boule d'acier par le moyen d'une leve. Voyez LEVE.
PASSE, ESTOCADE DE, (Escrime) est une botte qu'on exécute en passant le pié gauche devant le droit : on s'en sert contre un ennemi qui recule.
On fait ainsi une botte de passe, 1°. aussi-tôt qu'on a détaché une estocade quelconque, si l'on n'en a pas frappé l'ennemi, qu'il n'ait pas paré, il faut passer le pié gauche devant le droit, & le placer à deux longueurs de pié de distance d'un talon à l'autre, le pié droit ne doit point bouger, & le gauche doit être en-dehors. 2°. Placez le corps & les bras dans la position où ils doivent être après avoir allongé la premiere estocade. Nota. Qu'il ne faut jamais porter l'estocade de passe en dégageant.
PASSE AU COLLET ou CROC EN JAMBE, (Escr.) est une action par laquelle on fait tomber l'ennemi. On fait la passe au collet à un escrimeur qui vous désarme. Voyez DESARMEMENT.
Exemple. Dans le moment qu'un escrimeur saisit votre épée pour vous désarmer, portez votre pié gauche en avant comme à l'estocade de passe, voyez ESTOCADE DE PASSE ; tournez le bout du pié gauche en-dedans, & passez-le derriere le talon du pié de l'escrimeur, portez votre main gauche à son collet. Etant ainsi placé, vous le pousserez de la main gauche vivement en arriere, tandis que votre pié gauche pressera le sien en avant. Nota, qu'il faut exécuter promptement & avec adresse.
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PASSÉ | S. m. (Gramm.) il se dit de toute la durée qui s'est écoulée, jusqu'au moment où l'on parle. La vieillesse fatigue le présent des éloges du passé.
PASSE, s. m. (Broderie) point de broderie par lequel on forme sous un ouvrage le même dessein que dessus. Il differe du point épargné en ce que le dessein ne se fait que d'un côté.
PASSE, (Jardinage) se dit d'un fruit qui ayant passé le tems de sa maturité, devient insipide, mou ou cotonneux. On peut encore le dire d'une fleur qui n'est plus dans sa beauté.
PASSE EN SAUTOIR, en terme de Blason, se dit des choses qui sont mises en forme de croix de S. André. Angenoust en Champagne, d'azur à deux épées passées en sautoir d'argent, les pointes en haut, les gardes & les poignées d'or.
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PASSE DE BOUT | Voyez ci-devant PASSE-AVANT.
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PASSE VELOURS | ou QUEUES DE RENARD, (Jardin.) est une espece d'amaranthe à qui les Jardiniers ont donné le nom de queue de renard à cause de la figure de sa fleur disposée en épi & rampante, d'une couleur rouge, livide, avec des feuilles longuettes presque rouges, & une tige de la même couleur. On prétend que cette fleur, qui fleurit en automne, ressemble au velours. Elle est peu estimée, & on ne la met guere dans les parterres. Elle donne une petite graine luisante comme les autres amaranthes, & vient en pleine terre. (K)
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PASSE VOGUE | S. m. (Marine) c'est un effort que l'on fait de ramer plus grand qu'à l'ordinaire. (Z)
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PASSE-AVANT | S. m. (Jurisprudence) terme usité en matiere d'aides pour exprimer un billet que donnent les commis aux recettes des bureaux des douannes ou des entrées, portant permission aux marchands & voituriers de mener leurs marchandises plus loin, soit après avoir payé les droits, ou pour marquer qu'il faut les payer en un autre bureau, ou qu'elles ne doivent rien, lorsqu'elles ne font que passer de bout sans être commercées dans le lieu ; & dans ce dernier cas, le billet se nomme aussi passe de bout Voyez le dictionnaire des aides, au mot passe de bout. (A)
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PASSE-CARREAU | S. m. (Tailleur) est une espece de triangle de bois d'environ quinze pouces de longueur, & d'un pouce & demi de grosseur en quarré, mais dont un des côtés est un peu arrondi ; les Tailleurs se servent du passe-carreau pour passer les coutures au fer.
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PASSE-CHEVAL | S. m. terme de Marine, espece de bateau plat qui accompagne ordinairement les coches ou autres bateaux, dans lequel on passe les chevaux quand il faut changer de tirage.
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PASSE-CORDE | S. m. outil de Bourrelier, dont les ouvriers se servent pour passer une corde ou laniere de cuir au-travers de plusieurs couroyes qu'ils veulent coudre ensemble. Voyez les figures Pl. du Bourrelier. Le petit trou qui est vers la pointe a le même usage que celui des aiguilles à coudre. Voyez AIGUILLE.
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PASSE-MEZE | S. m. (Danse) sorte de danse sur un chant à l'italienne, qui servoit autrefois d'entrée aux basses danses. Elle consistoit à faire quelques tours par la salle, & à la traverser ; ce mot est italien, passa mezzo, comme qui diroit, passe par le milieu.
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PASSE-MUR | S. m. (Art milit.) c'est le nom qu'on donnoit autrefois à une piece de canon de seize livres de balle, & qui pesoit environ 4200 livres ; une piece de pareil calibre se nomme aujourd'hui coulevrine. Voyez COULEVRINE. (Q)
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PASSE-PAR-TOUT | S. m. instrument de ceux qui travaillent aux carrieres d'ardoise. Voyez le mot ARDOISE.
PASSE-PAR-TOUT, terme de Bucheron, espece de grande scie dont les dents sont fort entr'ouvertes & détournées, & qui n'a que deux morceaux de bois à chaque bout pour lui servir de bras ; les bucherons & ceux qui debitent le bois dans les forêts, s'en servent à scier les plus gros arbres. (D.J.)
PASSE-PAR-TOUT, s. m. terme de Graveur, planche qui a une ouverture au milieu, dans laquelle on enchâsse une autre planche gravée exprès, où est le poteau, ou le chiffre, ou les armes de quelqu'un. (D.J.)
PASSE-PAR-TOUT, s'entend dans l'usage de l'Imprimerie, de certains corps de lettres gravées en bois, ou composées de petites vignettes de fonte, dont le milieu étant percé & ne désignant aucune lettre, donne la faculté d'y suppléer une lettre de fonte telle que l'on veut. Exemple.
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PASSE-PAROLE | S. m. (Art. milit.) est un commandement donné à la tête de l'armée, & de-là communiqué à la queue en passant de bouche en bouche. Chambers.
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PASSE-PIÉ | S. m. sorte de danse fort commune, dont la mesure est triple, se marque 3/8, & se bat à un tems. Le mouvement en est plus vif que celui du menuet, le caractere de l'air à-peu-près semblable, & les mesures de chaque reprise y doivent être divisées de même en nombre de pairement pair ; mais l'air du passe-pié doit toujours commencer sur la croche qui précede immédiatement le frappé. (S)
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PASSE-PIERRE | S. f. (Jardinage) est encore nommée perce-pierre, c'est la seconde espece du fenouil marin ; cette plante est haute d'un pié, & s'étend en large ; ses feuilles étroites & d'un gout salé, sont divisées par trois, ses fleurs placées à la sommité de ses branches sont jaunâtres, disposées en ombelle & donnent de la graine. Cette plante croît dans les pays chauds, sur les rochers, & aux bords de la mer, parmi les pierres d'où elle semble sortir.
La passe-pierre des jardins ne differe que par le goût qui est moins salé ; on la confit dans du vinaigre. Elle se multiplie de graine, & de talles enracinées ; mais elle craint le plein air & le grand froid, ce qui la fait semer dans des caisses transplantées le long des murs abrités, & exposés au midi ou au levant.
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PASSE-POIL | S. m. (Passement.) petit galon propre pour des ameublemens, autrement appellé galon à clouer, il sert encore dans les ornemens d'église ; dans ce petit ouvrage la chaîne est de fil & la trame de soie, il est peu frappé étant fait à la platte navete.
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PASSE-SOIE | S. m. instrument à l'usage de ceux qui font des bas au métier. Voyez l'article BAS AU METIER.
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PASSE-TALON | (Cordon.) est le cuir qui couvre le talon de bois du soulier. Voyez les Planches de Cordonnier-Bottier.
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PASSE-TOUR | especes de jacinte. Voyez JACINTE.
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PASSE-VOLANS | ou FAUX SOLDATS, (Art. milit.) ce sont des gens supposés enrôlés quoiqu'ils ne le soient pas, que le capitaine ou le colonel font passer en revue pour faire voir que leur compagnie est complete , & pour en employer la paie à leur profit. Chambers.
En France les passe-volans qui sont reconnus dans les rangs des compagnies d'infanterie, cavalerie ou dragons, lors des revues d'icelles, doivent avoir le nez coupé sur le champ sans rémission par l'exécuteur de la haute-justice. Ordonnance de Louis XIV. du 1. Juin 1676. (q)
PASSE-VOLANT, (Marine) c'est un faux matelot qu'un capitaine ou maître de vaisseau fait passer en revue pour faire trouver son équipage complet.
Lorsque M. de Pontchartrain entra dans la marine, il fit ordonner qu'il n'y auroit que les vaisseaux portant seize canons qui pourroient naviger aux îles de l'Amérique. Pour satisfaire à un ordre si gênant, on mit des canons de bois appellés passe-volans.
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PASSEBALLE | ou PASSEBOULET, s. m. (Art. milit.) c'est une planche de bois, de fer, ou de cuivre, qui est percée en rond pour le calibre que l'on veut, ensorte qu'un boulet y puisse passer en effleurant seulement les bords. Quand le passeballe a un manche, on se contente de le présenter sur les boulets l'un après l'autre.
On peut encore faire une autre sorte de passeboulet avec une planche trouée & posée sur une espece de chevalet. (Q)
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PASSEDROIT | S. m. (Politique) les princes, ou ceux qui sont les distributeurs de leurs graces, commettent des injustices que l'on nomme passedroits ; lorsqu'ils accordent des récompenses, des grades, des dignités à des personnes qu'ils veulent favoriser, au préjudice de celles qui par leurs services ou par la carriere qu'elles avoient embrassée, avoient droit d'espérer ces graces. Les récompenses sont entre les mains des souverains, des moyens puissans pour exciter dans leurs sujets l'amour de la patrie & de leurs devoirs. Rien n'est donc plus contraire aux intérêts d'un état, que de priver ceux qui en ont bien mérité des avantages qui leur sont dûs. La douleur causée par cette privation devient encore plus sensible lorsqu'ils voyent qu'on leur préfere des hommes qui n'ont d'autre titre que la faveur & l'intrigue. De telles injustices détruisent l'émulation & l'énergie nécessaires dans les personnes qui servent leur pays. Des intriguans parviennent à des places dont ils sont incapables, & le mérite réel, qui ne sait point s'abaisser à la flatterie & aux pratiques sourdes, est écarté, ou demeure enseveli dans une obscurité qui le rend inutile à la patrie.
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PASSÉE | S. f. (Basse-lisserie) c'est l'aller & le venir de la flûte qui leur sert de navette, entre les fils de la chaîne de leur ouvrage levés ou baissés par le moyen des marches des lames & des lisses.
PASSEE, (Mégisserie) les mégissiers appellent une passée, deux douzaines de peaux de moutons qu'ils plongent tout-d'un-coup dans une espece de grande huche, remplie d'une mixtion propre à leur faire prendre le blanc.
PASSEE, chez les faiseurs de papier de tapisserie, est l'action de passer sous la presse en taille-douce un nombre de feuilles blanches à contr'épreuves & des maculatures entr'elles. J'ai fait une passée, je vais en faire une autre. D'où l'on voit que la passée s'entend aussi du paquet d'épreuves de papier blanc & de maculatures qu'on a passées ou qu'on va passer sous la presse. Aucun dictionnaire n'a parlé de ces passées des gravures en bois. Voyez PAPIER DE TAPISSERIE à l'endroit de leur impression. Voyez aussi CONTR'EPREUVES & MACULATURES.
PASSEE, s. f. (terme de Perruquier) c'est environ trois douzaines de cheveux qu'on tresse sur les soies lorsqu'on fait quelque perruque. Les apprentis perruquiers commencent par apprendre la passée.
PASSEE, (Vénerie) est le lieu où le cerf a passé. Passée est aussi un grand filet qu'on tend entre deux. grands arbres dans les clairieres de bois taillis où l'on a remarqué que passent les bécasses ; c'est la même chose que pantierre.
PASSEES, terme de Tailleur, qui signifie des fils qu'on passe des deux côtés de l'ouverture d'une boutonniere pour la former. Les boutonnieres ordinaires n'ont que deux passées, une de chaque côté : mais les boutonnieres d'or ou d'argent en ont quelquefois jusqu'à quinze, parce qu'elles se font ordinairement fort larges.
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PASSEMENT | S. m. (Bas au métier) une des opérations du faiseur de bas au métier. Voyez l'article BAS AU METIER.
PASSEMENT, qu'on nomme plus communément dentelle, (Boutonnier) c'est un ouvrage d'or, d'argent, de soie ou de lin filé, qui se fabrique sur un oreiller avec des épingles, en suivant les traits d'un dessein ou patron placé dessous l'ouvrage, Voyez DENTELLE.
Il n'y a aucune différence entre le passement pris en ce sens, & la dentelle, que les matieres employées. Du reste les points sont les mêmes, s'exécutent & s'enchaînent également.
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PASSEMENTERIE | S. f. (Art méchanique) art d'exécuter un grand nombre de petits ouvrages désignés sous le nom générique de passemens ; tels que rubans, galons, dentelles à l'oreiller, au fuseau, à l'épingle, à la main, houpes, bourrelets, campanes, crépines, bourses, tresses, ganses, nattes, bracelet, rênes, guides, cordons, chaînes, éguillettes, ceintures, tresses, lacets, rézeaux, cordonnets, canetilles, bouillons, frisons, guépiers, &c. Voyez l'article PASSEMENTIER. Voyez aussi pour la fabrique de ces différens petits ouvrages, leurs articles particuliers.
Nous n'exposerons ici que les manoeuvres les plus générales, & nous n'entrerons dans le détail que des grandes machines du passementier.
De l'ourdissage & de l'ourdissoir. L'ourdissage étant la premiere préparation qui doit être donnée à la soie, ou autres fils qui doivent composer la chaîne des rubans, galons, &c. nous commencerons par démontrer cette opération.
Ourdir une chaîne, n'est autre chose que de rassembler une certaine quantité de fils, sur une machine ressemblante à un grand dévidoir, & les disposer de façon, qu'on puisse les prendre les uns après les autres, lorsqu'il est question de les passer en lisses ou autre endroit, sans qu'ils soient croisés dans toute la longueur de la chaîne. La quantité de fils de chaque piece de rubans ou galons, est proportionnée à la largeur de ce même ruban ou galon.
Lorsque les fils sont portés sur l'ourdissoir, ils sont rapprochés ou contenus d'une main, & attachés de l'autre à une cheville de l'ourdissoir sur laquelle ils viennent se ranger côte à côte. Il s'en forme une poignée qui descend en ligne spirale, & environne tout l'ourdissoir de ses tours également espacés. L'ouvrier qui ourdit, doit avoir soin de ménager par l'insertion de ses doigts, les séparations des fils qui doivent aider au jeu de la chaîne, ainsi qu'il est démontré dans la premiere Planche ; c'est ce qui s'appelle encroiser, ou enverger les fils.
La figure premiere de cette Planche, est un ourdissoir 1 ; 2. arbre tournant avec six aîles ; 3. traverses qui maintiennent les aîles ; 4. les aîles ; 5. les fils attachés à une cheville, & distribués sur l'ourdissoir jusqu'à ce qu'ils arrivent sur une autre cheville ; 6. la lanterne de l'ourdissoir ; 7. le blin ou ploc, servant à conduire les fils qui s'ourdissent du haut en-bas, & du bas en-haut, au moyen d'une échancrure qui entre dans le pilier du batis de l'ourdissoir, & d'une double corde, dont un bout s'enroule sur l'arbre de l'ourdissoir, au-dessous de la lanterne ; & l'autre est attaché à une piece fixée sur le pilier, de façon que quand la corde s'enroule, le blin monte, & lorsqu'elle se déroule il descend. Les fils qu'on ourdit sont arrêtés de façon qu'ils ne peuvent monter ni descendre, qu'en conformité du mouvement du blin qui les retient en ce sens, & leur laisse seulement la liberté de s'enrouler sur l'ourdissoir ; 8. ouvrier qui ourdit ; 9. manivelle attenante à une roue cavée, sur laquelle passe une corde qui enveloppe l'ourdissoir, au moyen de laquelle on le fait tourner ; 10. banque pour porter les rochets sur lesquels est divisée la soie qu'on veut ourdir ; 11. l'ourdisseur & l'ourdissoir en ouvrage.
Du retors. La facon de retordre est très-étendue ; c'est par elle qu'on fait les millerets, les cordonnets à deux, trois boucles ; les graines d'épinard, les grains d'orge, &c. en un mot, tous les colifichets destinés à l'ajustement des dames.
La figure 2. représente un rouet destiné à toutes les opérations ; 1. la selle du rouet ; 2. les montans ; 3. trou de la petite roue ; 4. trou de la traverse qui porte le croissant ; 5. la grande roue ; 6. la petite roue ; 7. l'axe qui traverse la petite roue ; 8. la fusée de l'axe ; 6. le dessus des montans ; 10. l'épaisseur des deux montans ; 11. le croissant taillé pour recevoir les molettes ; 12. la traverse & son tourillon pour retenir le croissant dans les deux montans ; 13. une mollette ; 14. le crochet de la mollette ; 15. les deux tenons pour tenir la traverse attachée aux montans ; 16. les deux petits tenons servant au même usage ; 17. les deux traverses du pié de biche ; 18. les deux joues du pié de biche ; 19. poignée pour appuyer la main du tourneur ; 20. manivelle pour tourner le rouet ; 21. petite plaque de cuivre qu'on met entre la mollette & la piece qui la porte pour éviter que le feu n'y prenne par le continuel frottement.
Du lissage ou lecture des desseins. Cette opération étant une des plus importantes de la Passementerie, il s'agit d'expliquer la façon de lire les desseins, c'est-à-dire, de les incorporer dans les cordages & hautes-lisses, de façon qu'avec la marche simplement, l'ouvrier fasse lever les fils de la chaîne qui doivent former la figure dans le galon ou ruban.
La figure 3. indique un galon fabriqué, dont le dessein représenté par la figure 4. n'en montre que la moitié. L'autre moitié est formée dans la fabrication, par le retour de l'ouvrier sur ses pas, c'est-à-dire, en venant finir au même endroit par où il a commencé ; ce qui est appellé en terme de l'art répétition de retour.
La figure 5. indique un dessein translaté, différent de celui de la figure 4. qui est au naturel. On appelle dessein translaté, le même dessein porté de dessus un papier reglé bien serré, tel que celui de la figure 4. sur un autre papier beaucoup plus grand dans ses quarrés, & sur lequel la figure est plus étendue, quoique cependant elle ne contienne que les mêmes quarrés, mais plus grands : le dessein est appellé patron.
Les petits carreaux représentés sur le patron, figure 6. indiquent la quantité de cordes qui doivent composer le dessein. Les grands carreaux qui en contiennent douze petits en hauteur, & dix en travers, sont appellés dixaines. De façon que le dessein ou patron, figure 6. contenant huit dixaines, de dix carreaux en travers, exige quatre-vingt cordes de rames pour former la figure 3. ou échantillon du galon. Les dixaines contenues dans le même patron, en hauteur qui sont au nombre de six, indiquent un pareil nombre de retours. Le retour n'est autre chose que partie de la poignée de quatre-vingt cordes attachées ensemble à un levier, pour donner l'extension aux cordes qui y sont attachées. Ces cordes sont passées dans les hautes-lisses, ainsi qu'il est représenté, par exemple, dans le patron, figure 6. La premiere corde à gauche qui est marquée, est passée dans la premiere maille de la haute-lisse. Les deux autres qui sont au-dessous & en blanc, sont laissées. La quatrieme qui est marquée, est prise & passée dans la premiere maille à gauche de la quatrieme haute-lisse ; les quatre autres en blanc sont laissées. La neuvieme marquée & passée dans la premiere maille de la neuvieme haute-lisse ; la dixieme & onzieme blanche laissées. La douzieme enfin prise, ce qui compose le premier cours du premier retour, ainsi des autres.
Si le patron ne contient que quatre-vingt cordes, les hautes-lisses n'ont besoin que de quatre-vingt mailles chacune, quoiqu'elles ne soient pas toutes employées ; attendu que les cordes vuides ne sont point passées. Toute la dixaine en travers, contenant huit grands carreaux, compose un retour, lequel étant fini de passer, les cordes sont arrêtées & liées, pour commencer le second retour de la même façon que le premier. Le nombre des marches doit être conforme à celui des hautes-lisses : toutes les cordes du rame sont attachées d'un côté aux mailles du corps dans lesquels les fils sont passés, & de l'autre côté aux bâtons de retour. Les bâtons de retour sont faits pour faire bander la partie des cordes de rames qui est attachée à un fil de fer qui forme une espece d'arcade liée à ce même bâton, au moyen d'une corde qui vient répondre à côté de la main droite de l'ouvrier quand il travaille. La partie de cordes attachée au bâton de retour étant bandée ; lorsque l'ouvrier enfonce une marche pour faire lever la haute-lisse, toutes les cordes bandées qui sont passées dans les mailles de cette même lisse, doivent nécessairement lever, ainsi des autres.
Les douze marches qui donnent le mouvement aux douze hautes-lisses étant passées, on tire un autre retour qui fait partir le précédent, & conséquemment bander d'autres cordes de rames ; après quoi on recommence les douze marches jusqu'à la fin, ainsi des autres. Outre les marches des hautes-lisses, qui ne sont destinées uniquement que pour la figure, il y a encore quatre marches plus ou moins, qui sont destinées dans les rubans façonnés, à faire lever simplement une partie de la chaîne pour faire le corps de l'étoffe.
Dans les galons où il y a du glacé, c'est-à-dire, des parties assez larges de dorures, pour qu'elles ayent besoin d'être liées par un fil de la couleur de la dorure ; on passe dans les hautes-lisses deux rames pour la figure, & une corde simplement pour le glacé. Les parties de glacés sont marquées sur le patron, ainsi qu'il est démontré dans la figure 6. c'est-à-dire trois carreaux blancs & un noir. Voyez aussi la figure 7. pour la façon de passer les rames 1. pour le glacé, & 2. pour la figure.
La figure 8. fait voir l'ouvrier qui passe son patron pardevant ; 1, 2. deux cordes qui suspendent la planche 3. sur laquelle il est assis ; le patron attaché au battant ; 5. le porte-rames de derriere, à-travers duquel passent les cordes de rames qui forment le retour ; 6. les cordes renversées sur le porte-rames ; 7. la main gauche de l'ouvrier passée dans les hautes-lisses, suivant les pris & les laissés que fait son patron, & qui reçoit de cette main la rame que lui présente la main droite. Il ramene cette rame en retirant sa main avec elle : cette rame ainsi passée, sera mise en son lieu sur le porte-rames de devant, ainsi que les autres qui lui succederont.
La figure 9. fait voir la façon de passer le patron par-derriere, façon la plus commode ; 1. 2. marquent les cordes qui suspendent la planche 3. sur laquelle l'ouvrier est assis ; 4 la traverse où est attaché le porte-rames de derriere ; 5, 6. les rames en un trousseau attendant que l'ouvrier les prenne à mesure pour les passer ; 7. la main droite de l'ouvrier ; 8. espece de pierre sur le devant du porte-rames, où sont attachées toutes les rames de glacé qui sont passées sur les trois derniers rouleaux dudit porte-rames ; 9. autre pierre où sont attachées les rames de figure qui sont passées sur les six premiers rouleaux.
La figure 10. représente un homme qui nomme les rames que l'ouvrier doit prendre par la lecture qu'il lui fait du patron, ce qui ne se pratique guere.
La figure 11. démontre un porte-rames de devant garni de ses neuf rouleaux & de ses grilles 1. 2. 3. 4. qui sont de menues ficelles qui entourent les porterames, & dont on ne voit ici que quelques rangées. Ces grilles peuvent être reculées ou avancées, suivant la nécessité ; elles servent à passer entr'elles les différentes courses de rames, qui, sans cette précaution, se confondroient ensemble sur le porte-rames ; au lieu que par cet arrangement, chaque rame se trouve comme dans sa cellule particuliere. Ce qui non-seulement fait éviter la confusion, mais aide encore beaucoup au jeu de rames.
La figure 12. montre l'action de passer une rame dans la maille ou boucle de la haute-lisse.
Figure 13. montre un échantillon de galon d'or ou d'argent, tel qu'il sort de dessus le métier.
Figure 14. montre le dessein de l'échantillon ci-dessus sur papier réglé.
Figure 15. montre le dessein translaté, ou disposé à être lû.
Du métier battant pour les livrées. Le métier battant qui est démontré, figure 16. est le même que celui qui sert à différens ouvrages de retour ; il n'y a de différent que les allonges des potenceaux ou de la cantre pour les soies qui forment le velours.
Ces allonges sont des pieces qui supportent une quantité de roquetins chargés de soie des différentes couleurs des livrées qu'on se propose de faire. Ces roquetins sont quelquefois au nombre de cent cinquante, rangés par huit sur chaque broche qui traverse lesdites allonges. Chaque roquetin a son poids particulier ; ce poids doit être modéré, & il faut le diminuer à mesure que chaque roquetin l'employe. L'usage de ces roquetins est de porter chaque branche de velours séparément, laquelle est toujours également tendue. Au lieu que si les mêmes branches étoient sur un seul rouleau, celles qui ne travaillent pas souvent lâcheroient, tandis que celles qui travaillent beaucoup ne pourroient pas supporter la force du poids.
La façon de faire les galons de livrée est la même que celle de faire des velours ciselés. Voyez l'article VELOURS CISELE. Les retours forment la figure, & ne font lever que la quantité de branches de velours indiquée par le dessein sur laquelle on passe un fer, dont un côté est armé d'un tranchant qui coupe toute la soie dont il étoit couvert, ce qui forme le velours.
La figure 17. représente 1. les allonges garnies de roquetins ; 2. la traverse du métier, sur laquelle sont appuyées les allonges ; 3. les supports ou piés des allonges ; 4. les poids des roquetins ; 5. les branches de velours qui sortent de dessus les roquetins ; 6. les potenceaux qui portent les ensouples de fond ; 7. les poids de ces mêmes ensouples ; 8. dessus des potenceaux portant les roquetins de lisiere & de fond ; 9. quantité de fils de laiton tournés en ligne spirale, dont chaque boucle arrête une branche de velours, & les tient toutes à égale hauteur.
La figure 18. montre, 1. les cables sortans des arcades, 2, 3, 4, & qui forment par leurs ornemens différentes figures ou ornemens sur la livrée du roi.
La figure 29. représente un autre galon ; 1, 2, les couteaux pour couper les velours ; 3, 4, 5, lisiere du galon.
La figure 20. représente un autre galon garni de six couteaux.
La fig. 21. est le métier du rubanier battant ; 1. les quatre piliers ; 2. les deux barres de long & leurs écharpes ; 3. le chassis qui les couronne ; 4. le chevalet garni de ses poulies ; 5. 6. le banc posé sur les deux piés ou siege sous lequel sont enchâssées les marches ; 6. le pont qui sert à couvrir les retards des marches ; 7. la poitriniere & son rouleau ; 8. les bretelles attachées d'un bout à la poitriniere, & de l'autre à la traverse du haut du métier, servant à soutenir l'ouvrier ; 9. le bandage servant à donner plus de poids au battant ; 10. le battant garni de son peigne ; 11. le porte-rame de devant & ses rouleaux ; 12. le porte-rame de derriere, aussi garni de ses rouleaux ; 13. les deux potenceaux portans les ensouples sur lesquels sont enroulées les soies de la chaîne. Le potenceau à la gauche de l'ouvrier reçoit dans ses mortoises un châssis où sont enchassés les retours, ordinairement au nombre de vingt, tous traversés par une broche de fer. Chaque retour, ou bâton de retour, a à un de ses bouts, une quille pour le faire lâcher lorsqu'on ne veut plus qu'il agisse. Au potenceau à droite sont attachés plusieurs rouleaux sur lesquels glissent les tirans des retours. 14. La planchette mobile qui est emmortoisée au pilier de derriere à droite, & qui sert par sa mobilité à recevoir sous son côté le retour, & le tenir bandé pendant qu'il travaille ; 15. les deux travers de lames garnis de vingt-six lames, qui servent par leur mouvement qu'elles reçoivent des marches, à hausser ou baisser les hautes-lisses ; 16. les hautes lisses au nombre de vingt-quatre ou vingt-six ; 16 bis, les fuseaux ou aiguilles de plomb ou de fer, suspendues sur les poulies du chatelet ; 17. l'ensouple de devant avec sa roulette & son chien ; 18. & 19. la passette à passer en peigne les soies de la chaîne ; 20. les marches au nombre de vingt-six ; 21. les boutons & tirans des retours ; 22. les rames qui sont ordinairement au nombre de cent soixante ficelles attachées à l'arcade de chaque retour, viennent traverser (méthodiquement & suivant le dessein à faire) les mailles des hautes-lisses, & passer ensuite à-travers la grille du porte-rame de devant, & se terminer par des noeuds où sont attachées les lissettes avec leurs maillons, dans lesquels sont passées les soies de la chaîne, lesquelles lissettes portent à leurs extrémités des fuseaux de fer ou de plomb, pour les faire retomber par leurs poids ; 23. les navettes ou sabots à deux tuyaux ou canons ; idem 23. sabot à un canon ; 24. les canons hors des navettes ; 25. figure du chevalet qui est suspendu aux deux grandes traverses du métier qui sert à soutenir l'ouvrage, & l'empêche de vaciller ; 26. les cremaillieres attachées sur chacun des piliers de devant ; elles servent à avancer ou reculer, au moyen des ficelles 27. le porterame de devant, suivant la sécheresse du tems ou son humidité ; 28. la grande passette ou fil de laiton, tourné spiralement dans les boucles duquel sont passées les soies de la chaîne, & qui la tient en largeur ; 29. le crochet ou valet servant à ramasser les navettes ; 30. l'aune.
La fig. 22. le métier du ruban figuré. A l'égard du corps du métier, c'est toujours le même pour toutes sortes d'ouvrages ; celui-ci n'a de particulier que le bricoteau que l'on voit attaché au chatelet, & qui sert pour la levée des pas lorsqu'ils se trouvent trop lourds. Il y a quelquefois deux bricoteaux.
La fig. 23. quatre hautes lisses particulieres que les bricoteaux font lever.
La fig. 24. représente la levée de la fig. 1. & 2. C'est le fond.
La fig. 25. fait voir la figure du fond 1. pendant que la figure 2. est en-bas. C'est précisément pour les coups ou levées de fond que sont faits les bricoteaux.
La fig. 26. le bricoteau & toutes ses dépendances, détaché & seul.
Des retours. La manoeuvre des retours est assez ingénieuse, pour en parler séparément. Imaginez des pieces de bois, ou bâtons quarrés & applatis, attachés au derriere du métier : ils sont tous percés uniformément au tiers de leur longueur pour pouvoir être enfilés dans une broche ou boulon de fer qui traverse le chassis dans lequel ils sont posés : chaque bâton porte à l'extrémité qui est à main gauche du métier, une quille pour le faire lever par son propre poids, lorsqu'il ne faut pas qu'il travaille : l'autre extrémité doit être assez longue pour pouvoir venir s'arrêter sous la planchette lorsque l'ouvrier le tirera pour le faire travailler ; cette extrémité est terminée un peu anguleusement, & telle qu'on la voit en A, fig. 27, ce qui sert à lui donner plus de facilité à se loger sous la planchette lorsqu'il travaille. B fait voir l'arcade qui est de gros fil-de-fer ou d'archal, & qui sert à attacher les rames, voyez RAMES. C est le trou dont on a parlé plus haut, D est une ficelle pour porter la quille E, voyez QUILLE. La fig. 28 fait voir le même bâton dans la situation où il est lorsqu'il ne travaille pas, au lieu que dans la fig. 27. il est sensé travaillant, & arrêté sous la planchette G, qui le tient ferme, ce qui fait que les rames qu'il tient sont roides ou bandées, & par conséquent en état d'être levées par les hautes lisses à mesure que les marches les feront lever. L'action du retour dans la rubanerie est de faire le même effet que celui de la tireuse dans les étoffes de fabrique. On a déja dit que par le moyen des rames prises ou laissées, c'est-à-dire passées ou non dans les hautes lisses, le dessein du galon ou ruban se trouvoit incorporé dans l'une & dans l'autre partie. Lorsque le dessein est passé & le métier monté, toutes les rames sont lâches, de façon qu'encore que l'ouvrier, par le moyen de la marche, voulût faire mouvoir les hautes lisses, afin de faire lever la partie des rames qui est passée dans chacune, &, suivant que le patron l'a exigé, il s'ensuivroit que la rame étant lâchée ne feroit lever aucun fil, ni aucune lissette, conséquemment point de figure dans l'ouvrage. L'action du retour est donc de donner une extension mesurée à la partie des rames qui est attachée ou bouclée à l'arcade de son bâton. Pour lors l'ouvrier foulant les 22 marches ou 24 de hautes lisses les unes après les autres, chacune haute-lisse faisant lever la partie tendue des rames qui sont passées dans ses boucles, les rames levent les lissettes dans lesquelles est passée la soie qui doit former le dessein de l'ouvrage, & l'ouvrier à chaque marche passe un coup de navette qui en fait le corps & la figure, les autres rames passées dans les mêmes hautes lisses, attachées aux autres bâtons de retour, ne donnant aucun mouvement aux lisses & à la soie attendu leur défaut d'extension. Après que l'ouvrier a fini son cours de 24 marches, il a fait une partie de son dessein, mais il n'est pas achevé ; s'il le recommençoit encore, il feroit la même chose encore qu'il vient de faire, puisque les mêmes rames qui ont levé leveroient de nouveau, & on auroit la même partie de dessein qui a déja été faite. C'est pour pouvoir faire une autre partie ou suite du même dessein, que l'ouvrier tire un autre retour par le moyen du tiran F, qui va aboutir auprès de sa main droite. Ce retour ainsi tiré fait reculer la planchette mobile, & détend le retour précédent auquel il succede. Il roidit à son tour les rames qu'il contient pour les mettre en état de lever les lissettes qui leur sont attachées, lorsque l'ouvrier recommençant son cours de marches fera mouvoir les hautes-lisses dans lesquelles elles sont passées, tandis que toutes les rames des autres retours étant lâchées, se trouvent par conséquent hors d'état de lever les mêmes lissettes, ne pouvant y avoir que les rames de ce retour, actuellement tendu ou bandé, qui puissent les lever. Après que ce retour a fait sa fonction qui se trouve achevée par le cours des marches, l'ouvrier tire un autre retour, & ainsi des autres alternativement jusqu'au dernier, qui étant achevé, il recommence par le premier & continue toujours de même. On comprend aisément que lorsque l'ouvrier tire à lui un nouveau retour, le bout de ce retour coupé obliquement venant à toucher la face de la planchette sous laquelle il doit se loger, la fait mouvoir en reculant : ce mouvement que fait la planchette est cause que le retour qu'elle contenoit, en état de travailler ou tendu, s'échappe & fait place à celui que l'ouvrier tire pour occuper la place qu'il quitte.
Des allonges des potenceaux. C'est ce qu'on appelle cantre dans le velours ciselé ou à jardin, &c. ces allonges sont deux longues pieces de bois que l'on attache sur la traverse de derriere du métier, audessous des potenceaux ; elles sont posées obliquement, c'est-à-dire que le bout est beaucoup plus élevé que celui qui porte sur la traverse. Cette obliquité est nécessaire, pour que les différentes soies des roquetins ne traînent point les unes sur les autres ; ces allonges sont percées de quantité de trous dans leur longueur pour passer les broches qui portent les roquetins ; ces allonges sont aussi soutenues par différens supports qui appuient à terre : voici l'usage de ces allonges. Lorsqu'on fait du velours ou galons de livrée, il faut que toutes les branches de ce velours soient mises à part sur quantité de petits roquetins enfilés par sept ou huit dans les broches des allonges ; cette séparation est nécessaire, parce que si toutes ces branches étoient ensemble sur la même ensouple, celles qui ne travailleroient pas lâcheroient, tandis que celles qui travailleroient & dont l'emploi consiste à sept aunes de longueur pour une, lâcheroient extraordinairement ou à proportion des coups en travers qu'elles resteroient sans travailler, ce que l'on évite en les séparant, chaque branche contenue dans un maillon, ne pouvant lâcher à cause de son poids. Il y a quelquefois cent cinquante roquetins, plus ou moins, sur ces allonges. Chaque roquetin a son poids particulier, qui est un petit sac de toile attaché avec une ficelle dont les deux bouts liés ensemble enveloppent deux fois la moulure du roquetin, qui par ce moyen demeure arrêté, & donne la liberté au roquetin de rouler. Ce petit sac de toile contient quantité de petites pierres dont on diminue le nombre à mesure que le roquetin se vuide, afin que le poids soit toujours égal. Il faut encore que chacune de ces branches destinées à faire le velours, porte elle-même un petit poids, au bout duquel est une petite boucle ou maillon de verre dans lequel passe cette branche. L'usage de ces petits poids est que, lorsque l'ouvrier enfonce une marche, le pas qu'il ouvre fait lever la partie de ces branches choisie par le dessein, ainsi que la partie de la chaîne qui convient ; ces branches obéissent à la levée, & lorsqu'il quitte cette marche, le pas baissant feroit lâcher les mêmes roquetins si tous les petits poids ne tenoient la branche en équilibre, puisque le roquetin ne peut se rouler, mais bien se dérouler lorsqu'il est tiré enavant : chacun de ces petits poids s'appelle freluquet. Voyez FRELUQUET.
Dans les velours ciselés de toute espece, chaque roquetin a un seul poids, qui est une balle de plomb proportionnée au même roquetin qui est enroulé à plusieurs tours sur une partie cavée du roquetin, ce qui évite l'embarras d'un double poids, attendu qu'à mesure que le roquetin se déroule dans la fabrication, la ficelle de la balle s'enroule aussi, & lorsqu'elle est à la hauteur du roquetin elle passe par-dessus sa cavité, & par ce moyen se trouvant toujours suspendue, elle ne cesse de tenir le roquetin tendu, ce qui vaut mieux que les deux poids.
La fig. 29. montre une ouvriere qui épluche un ruban.
La fig. 30. ouvriers qui passent un ruban au moulin avec le moulin. Ce moulin est composé des deux roues de bouis bien unies, entre lesquelles on fait passer un ruban ou un galon pour lui donner le lustre.
La fig. 31. est la lanterne à fumer le galon pour lui donner plus de couleur. On enroule le galon d'or sur un devidoir, tel qu'il est représenté 32. & 33 ; on le suspend ensuite sur un brasier, dans lequel on fait brûler des ingrédiens qui donnent une belle couleur à l'or ; tels que les plumes de perdrix, les rognures d'écarlate &c. en observant que le cabinet soit bien fermé & qu'il n'y entre pas d'air. Les ordonnances défendent de fumer l'or, parce que cette préparation lui donne une couleur qui disparoît aussi-tôt qu'il a pris l'air.
La fig. 34. représente le métier coupé & vû par le côté, depuis le porte-rame de devant jusqu'à l'extrémité du derriere, excepté les potenceaux.
1. L'un des quatre piliers ; 2. la grande traverse & son gousset ; 3. la grande barre du chassis ; 4. partie du chatelet avec ses deux broches ou boulons de fer, chargé seulement de deux poulies ; 5. &c. 11. le porterame de devant & ses rouleaux, suspendu d'un côté au métier comme il doit être de l'autre ; 12. le porterame de derriere, aussi garni de ses rouleaux ; 13. le chassis enmortoisé dans la traverse à gauche du derriere du métier, qui porte au moyen de son boulon, seulement un retour avec sa petite arcade 14. pour en voir la situation ; 15. le porte-lame & ses deux broches ; il n'y a d'enfilé dedans qu'une seule lame, dont l'extrémité passe comme on voit, dessous la broche de l'autre côté ; ce qui l'empêche de remonter lorsque la haute-lisse descend ; toutes les autres se posent ainsi alternativement, mais en sens contraire ; 16. une seule haute-lisse avec sa platine 17 vue de profil, & suspendue aux deux poulies du chatelet.
La fig. 35. le métier coupé par la moitié, & dont on ne voit que les principales parties de derriere.
1. Deux piliers de derriere ; 2. parties des deux traverses ; 3. partie du chassis qui le couronne ; 4. partie du chatelet portant dans ses deux broches quatre poulies 5. où sont suspendues deux hautes-lisses vues de face avec leurs platines ; 15. partie du porte-lame, & ses deux broches, où sont enfilées seulement deux lames dans leur situation naturelle ; 16. deux hautes-lisses, dont on voit les bouclettes dans le milieu.
La fig. 36. les vingt-quatre lames enfilées dans leurs broches, & détachées du porte-lame, & dans leur position naturelle ; on observera seulement que, lorsqu'il est nécessaire pour de certains ouvrages, l'enfilage des lames est souvent varié, c'est-à-dire que quelquefois elles sont enfilées, une d'un côté, deux de l'autre, trois de celui-ci, une de celui-là.
La fig. 37. est le métier à frange ; 1. les montans du métier ; 2. le chassis & ses goussets ; 3. les montans de devant coupés à l'endroit de la poitriniere ; 4. l'ensouple de devant avec sa roulette & son chien ; 5. le bandage, qui dans le métier est par-derriere, & sert à faire lever alternativement la luisante & les chaînettes qui ornent la tête des franges ; 6. les lisses au nombre de deux, qui au lieu de bouclettes comme dans les autres lisses, portent ici des maillons de cuivre jaune, à-travers lesquels maillons passent les soies de la chaîne ; 7. les potenceaux pour porter les ensouples de la chaîne ; 8. les marches au nombre de trois, savoir deux pour le pié droit & une pour le gauche ; 9. les portes-lisses ; ils sont pour ce métier au nombre de quatre, enfilés dans une broche de fer pour faire agir les lissettes ; 10. poids de l'ensouple de derriere ; 11. poids pour retenir l'ensouple de devant.
La fig. 38. est un ourdissoir long, qui est un chassis de la longueur d'une aune & demi & de six piés de haut, appliqué en talus contre le mur. Les deux montans sont garnis de chevilles d'espace en espace pour porter les soies. Sur la barre de traverse d'en-haut, il y a pareillement deux autres chevilles pour l'encroix ou envergeure ; 2. l'ourdisseur ; 3. la roulette ou rateau pour porter les rochets de soie.
La fig. 39. est une femme 1. qui guipe.
La fig. 40. une femme qui peigne l'ouvrage à mesure.
La fig. 41. la frange en longueur pour être guipée.
La fig. 42. le métier, mais plus en grand, & la façon de tenir le moule pendant le travail.
La fig. 43. est le métier à frange, coupé dans cette figure pour en voir le dedans.
1. Les montans dont ceux de devant sont coupés à la poitriniere ; 2. la mortoise du montant de devant, pour recevoir la poitriniere ; 3. les traverses d'embas ; 4. piece de bois percée & appliquée sur la traverse du milieu pour recevoir les bouts de l'ensouple de devant ; 5. les montans du siege ; 6. la broche qui enfile les marches, & qui passe elle-même à-travers les montans ; 7. les trois marches, dont deux pour le pié droit & l'autre pour le pié gauche ; 8. la lame percée & fixe, à-travers laquelle passent les tirans des lissettes ; 9. les deux lames mobiles qui servent à faire mouvoir les lisses ; elles sont fixées & arrêtées par le moyen d'une broche de fer à la traverse du milieu à gauche, & peuvent ainsi être tirées contre bas par les tirans des marches ; 10. les deux lisses. Voyez la fig. 3. 11. les deux lissettes que l'on voit mieux dans la fig. 4. 12. le porte-lisse & ses quatre poulies, dont les deux des extrémités font agir les lisses, & les deux du milieu font agir les lissettes ; 13. le bandage attaché à l'extrémité du derriere des traverses d'enhaut ; 14 le bandoir avec sa poulie mobile pour faire agir les lissettes ; 15. deux traverses emmortoisées dans les deux montans de derriere, & échancrées pour recevoir les bouts des porte-potenceaux ; 16. les traverses d'en-haut.
La fig. 44. 1. le métier tout monté, tel que le tourneur le livre ; 2. façon d'attacher le porte-chandelier.
La fig. 45. 1. le porte-lisse vû de face ; 2 les tenons pour entrer dans les mortoises de la traverse ; 3. la broche de fer pour porter les poulies ; 4. les quatre poulies, dont les deux plus petites font agir les lisses, & les deux autres les lissettes ; 5. les tirans des lisses & lissettes ; 6. une des deux lisses enlisseronnée, garnie de ses maillons de cuivre jaune, & dont on voit une maille détachée & plus détaillée à côté, & dont voici les parties ; 7. une partie du lisseron d'en-haut & d'en-bas, vue de profil ; 8. la ficelle qui forme ladite maille ; 9. le maillon de cuivre jaune plat & percé de trois trous ; 10. la soie de la chaine qui passe à-travers le trou du milieu du maillon ; 11. les tirans d'en-bas qui vont s'attacher aux lames.
La fig. 46. la lissette sans être enlisseronnée, & qui contient moins de mailles que la lisse ; 1, 2. les tirans d'en-haut & d'en-bas, auxquels sont attachées les mailles enmaillonnées ; 3, 4. les mailles de petite ficelle passées dans la tête & dans la queue des maillons ; 5, 6. les maillons.
La fig. 47. le doigtier & le poucier ; 1. le doigtier qui est de figure cylindrique percé par les deux bouts, & de cuivre jaune ; il y a une arrête aiguë en saillie dans toute sa longueur, & il se met dans le doigt index de la main droite, & ne doit pas passer la seconde phalange de ce doigt ; son usage est de frapper la trame chaque fois que l'ouvrier l'a passé à l'entour du moule ; il y en a de plus ou moins fort ; 2, 2. fait voir suivant l'ouvrage, l'arrête aigue dont il est parlé ci-dessus ; 3, 3. le poucier qui est de cuir ou de chamois, sert à mettre dans le doigt, que l'or ou la soie coupent assez ordinairement.
La fig. 48. montre la chenille 1. sortant de dessus le métier sans être encore découpée ; 2, 2. la chenille dans sa perfection.
La fig. 49. fait voir un moule festonné propre à faire de la frange de pareille figure.
La fig. 50. un moule uni. 1, Un échantillon de frange qui a été fait sur ledit moule.
La fig. 51. un moule festonné, & coupé positivement comme il faut pour travailler.
La fig. 52. montre un échantillon de frange faite sur le moule.
La fig. 53. un peigne pour peigner la frange après l'équipage.
De la chenille. Pour fabriquer la chenille, on ourdit cinq fils de soie, & deux fils de chanvre retors alternativement. On passe les 5 fils de soie dans une dent du peigne fort serrée, & les deux fils retors dans une autre dent plus large ; & cela autant qu'on veut faire de bandes de chenille.
La fig. 54. indique six bandes. On travaille ensuite la piece montée comme un ruban uni. Quand elle est achevée, on coupe la piece dans sa longueur entre les deux fils retords qui se défilent fort aisément, & donnent les cinq fils de soie garnis de la trame qui y est arrêtée, & dont la longueur excede les extrémités, attendu la place qu'occupoient les deux fils, & la largeur des dents. Lorsque toutes les bandes sont parfaitement coupées dans leur longueur, elles sont plates, comme il paroît aux extrémités de la fig. 55. On les passe pour lors sur un rouet à filer pour les retordre. Cette opération leur donnant plus de consistance, la chenille se trouve parfaitement formée.
Du métier à la basse-lisse. On appelle, dans la passementerie, ouvrage à la basse-lisse ou plate-navette, ce qui est fait sans battant, dont la trame par conséquent n'a pas besoin d'être serrée pour donner du corps ou de la force à l'ouvrage. Ordinairement dans les ouvrages à la basse-lisse la chaîne est infiniment plus forte que la trame.
La fig. 56 représente un échantillon de passe-poil, ou espece de galon propre à clouer sur les meubles. 1, 2, marque la chaîne.
Les deux figures ovales 57. & 58. qui sont à côté, font voir deux plattes navettes vues par leurs deux côtés. Les plattes navettes sont de bouis en plein, de cette forme, à l'exception de l'ouverture 1, 2, qui passe d'outre en outre pour recevoir le canon de la trame 3. percé longitudinalement jusqu'au centre de l'épaisseur, pour donner passage au bout de la brochette 4. & seulement percé horisontalement aussi dans l'épaisseur, pour recevoir l'autre bout de la brochette, qui, étant juste à la longueur de cette ouverture, ne peut sortir par conséquent de son lieu ; 5, 5, est une armure de fer du côté que la trame sort de la navette, & dont voici la necessité. Comme la plate navette fait ici l'office du battant, en frappant continuellement contre la trame, elle s'useroit trop vîte, & n'auroit pas même assez de coup, si elle n'étoit simplement que de bouis sans armure : cependant, dans les ouvrages extrémement légers, & dont il faut que la trame ne soit seulement qu'approchée, on s'en sert sans armure ; 6. fait voir les trous par où passe la trame contenue sur le canon ; 7, fait voir une petite cavité qui répond au trou 8. pour insérer le bout de la trame ; 9. le dos de la plate navette, mais vu par derriere ; 10. le ventre de la même navette, aussi vu par derriere ; 11. le dos vu dans toute son épaisseur ; 12. les quatre piliers montans du métier à la basse-lisse & à la plate navette ; 13. le chassis qui fait le couronnement ; 14. le porte-lisse attaché sur ledit chassis ; 15. les traverses & leurs goussets ; 16. le siege sur ses deux montans ; 17. la poitriniere ; 18. le rouleau de la poitriniere ; 19. l'ensouple de devant ; 20. les porte-potenceaux & les deux potenceaux ; 21. les ensouples de derriere ; 22. les lames attachées à la traverse seulement par un bout ; 23. les poulies du porte-lisses ; 24. la broche qui enfile les poulies.
La fig. 57. fait voir la maniere de tenir l'ensouple 1, 1, lorsque l'on ploye une piece relevée de dessus l'ourdissoir ; 2, le rateau à-travers lequel passe la soie de l'ensouple pour être mis en large sur l'ensouple du ployoir 3.
La fig. 58. est le vergeon qui passe au-travers du bout de la piece.
La fig. 59. est le même vergeon vu seul. Ce vergeon de bois est de la même forme & figure que l'entaille de l'ensouple dans laquelle il doit entrer ; 1. est l'ensouple de laquelle on vient de parler, avec son entaille ; 2. est le bâton à tourner, dont la ficelle entortillée à l'entour de l'un des bouts de l'ensouple, sert à la faire tourner sur le ployoir ; 3, 4, la passette qui est ordinairement de cuivre très-mince ou de fer blanc ; 5. la même passette dans l'action de passer, au moyen de son échancrure, les soies au travers du peigne 6. qui est attaché au battant ; 7. fait voir le rateau dégarni de son dessus ; 8. les chevillettes qui doivent entrer dans les trous 9. pour tenir le rateau arrêté avec son dessus.
De la nompareille. Cet ouvrage est une espece de petit ruban dont on fait quantité d'agrémens de mode pour les dames, quelquefois aussi pour les vestes des hommes. C'est une espece de ruban fort étroit qui ne contient point de trame, & dont les fils par conséquent ne sont pas liés. Pour faire la nompareille, on enroule 60 fils de soie sur un roquetin, & on forme un certain nombre de roquetins, dont la quantité est ordinairement de vingt, dont on garnit une banque, telle qu'elle est représentée par la fig. 60. Cette banque est placée à une certaine distance d'un moulin 1, 1, dont la roue inférieure est de cuivre, & celle de dessus de bouis. Devant le moulin est placé une espece de rateau 2, 2, pour recevoir les branches de soie de 60 fils, destinés à former la nompareille. Lorsqu'il s'agit de faire la nompareille, on fait chauffer beaucoup la roue, & à proportion des couleurs destinées, après quoi on passe les branches entre les deux roues tournées par deux forts hommes, & arrêtées de façon qu'elles ne puissent vaciller. Il faut prendre garde de ne point arrêter le moulin quand la roue de cuivre est chaude, parce qu'elle brûleroit celle de bouis. C'est pourquoi cet ouvrage doit être conduit par une personne entendue. Chaque branche de soie doit être enveloppée de papier, tant pour empêcher que les bouts de soie ne se collent aux roues, que pour donner la facilité à les recevoir de l'autre côté. Après qu'on a passé plusieurs branches, & qu'elles se trouvent dans la corbeille marquée 3, on les releve séparément, ainsi qu'il est représenté par la fig. 4. & on les met sur des bobines pour achever leur préparation. Cet ouvrage, qui n'a acquis en passant au moulin qu'une espece de consistance par l'applatissement des 60 fils de soie, qui ne sont point liés, & qui pourroient se désunir, est ensuite gommé. Les rognures de parchemin mêlées avec de la gomme arabique forment la composition pour le second apprêt, qui est indiqué par une bobine marquée 5, mise à la banque, dont le bout de nompareille, en se déroulant par le tirage du dérouloir 6, passe dans le vaisseau 7 pour se changer de gomme, étant conduit par la main 8. qui tient une petite verge de cuivre, dont les bouts portent contre les surfaces inférieures du vaisseau. à une certaine élevation suffisante pour laisser passer librement la nompareille, qui doit toujours y passer à plat pour éviter le tors ; elle est enroulée à mesure par le dévuidoir appellé séchoir, qu'une personne fait tourner avec le pouce de la main droite, pendant que de la gauche elle conduit le bout en l'arrangeant sur le dévidoir chaque tour, l'un à côté de l'autre, & non jamais l'un sur l'autre, crainte qu'ils ne se collent ensemble. On passe une poële de feu sous le dévidoir pour sécher la nompareille, comme on le voit dans les figures, après quoi la nompareille est levée sur la main de bois pour la plier, étant perfectionnée par cette derniere opération.
Fig. 61. deux ouvriers qui séparent les branches de nompareille au sortir du moulin.
Fig. 62. une femme qui tourne le dévidoir pour recevoir la nompareille gommée.
Fig. 63. ouvrier qui conduit la nompareille sur le dévidoir.
Fig. 64. ouvrier qui gomme la nompareille.
Fig. 65. ouvriere qui tire la nompareille quand elle est gommée.
Du tors. Tordre est l'action de joindre plusieurs brins d'or, d'argent ou soie ensemble, pour n'en former qu'un seul ; ce qui se fait en diverses façons par le moyen du rouet à retordre & à détordre. Il y a plusieurs sortes de retords, dont les parties sont connues sous les noms de milanoise, graine d'épinards, cordons pour les galons à chaînettes, retors pour les franges, guipures pour les livrées, cordonnets pour les agrémens, cordonnets à broder, cablés pour les galons, grisettes pour les galons, frisés pour les galons, & la gance ronde pour faire des boutonneries mobiles, or ou argent. Il est nécessaire de traiter chacune de ces sortes d'ouvrages séparément en commençant par la milanoise.
1°. De la milanoise. Elle se fait ainsi. On tend une longueur de soie à volonté, attachée d'un bout à la molette du pié-de-biche du rouet. Lorsqu'elle est ainsi attachée, le retordeur forme sa longueur en s'en allant à l'autre bout de la longueur, pendant lequel tems le rouet est tourné modérément de droite à gauche ; étant parvenu au bout de la longueur, il attache l'autre bout à l'émérillon du pié. Cette longueur est de plusieurs brins unis ensemble, suivant la grosseur que doit avoir la milanoise ; par ce moyen ces brins se tordent ensemble, & n'en forment plus qu'un seul. Lorsque l'ouvrier connoît que cette longueur a acquis assez de tord, le rouet est arrêté ; & pour lors il attache à l'émerillon un moyen retors de la même matiere fait à part ; après, le rouet est remis en mouvement dans le même sens que la premiere fois ; le retordeur avance en approchant très-doucement du côté du rouet, en conduisant la premiere couverture de la longueur, c'est-à-dire, que la soie qui s'y enroule prend sur la longueur tendue la figure spirale, dont les tours sont à peu de distance des uns aux autres. Arrivé au rouet, le tourneur cesse, & le retordeur attache encore à la mollette une autre quantité de brins de soie, mais plus fine que les premieres, puisque ce sont les seules que l'on verra, & les autres se trouvant toutes couvertes par celle-ci : il s'en retourne pour aller rejoindre le pié ; mais en marchant bien plus lentement que la seconde fois, puisqu'il faut que les tours de cette derniere couverture soient si près après, qu'aucune partie de ce qui est dessous ne paroisse. Ces tours sont arrangés de façon qu'ils forment une égalité parfaite, qui dépend de l'exactitude de cette derniere couverture ; puisque s'il y avoit du vuide, on appercevroit le fonds : si au contraire les tours se trouvoient tellement entassés les uns sur les autres, l'ouvrage seroit difforme, & employeroit trop de matiere. La milanoise sert à embellir les ameublemens, à broder, à orner les têtes des franges. Dans toutes les opérations qui vont suivre, cette égalité est absolument nécessaire, puisqu'elle dépend de l'habileté de l'ouvrier, & d'elle la perfection de l'ouvrage. Ce qui vient d'être dit de cette longueur doit s'entendre de toutes les autres : on dira seulement qu'il est à propos de donner le plus d'étendue qu'il est possible à ces longueurs pour éviter le déchet occasionné par la multiplicité des noeuds. Ce travail se fait ordinairement dans de longs jardins pour avoir plus de place pour les longueurs. Voyez les Pl.
2°. De la graine d'épinards. C'est tout un autre travail. Il y a deux sortes de graines d'épinards, 1°. celle en or ou argent, & celle en soie dans laquelle il y a différence de travail : celle en or ou argent se fait ainsi. Un brin de filé de certaine grosseur, appellé filé rebours, parce qu'il a été filé à gauche, est attaché à l'émerillon, & conduit à la molette du pié-de-biche du rouet ; où étant attaché, on y joint un autre brin de filé droit, mais bien plus fin que l'autre, qui va servir par le moyen du tour à droite du rouet, à couvrir le premier tendu, par des tours en spirale, comme la premiere couverture de la milanoise. Il est essentiellement nécessaire que les deux brins de filé, dont on vient de parler, ayent été filés en sens contraire, parce que s'ils étoient du même sens, le tors qu'on donne ici se trouvant en rebours du tors de l'autre détordoir, celui-ci feroit écorcher le filé. La graine d'épinards sert à former la pente de certaines franges pour les carrosses des ambassadeurs, pour les dais, pour les vestes, &c. La graine d'épinards en soie se fait d'une autre façon. On attache une quantité de brins de soie (contenue sur différens rochets qui sont à une banque), à une des molettes du croissant 1, 2 en a du rouet, fig. 66. cette branche est ensuite passée sur une coulette tournante b, que tient le tourneur du rouet. Après, cette même branche est passée sur une autre coulette tournante 3, fixée en 4 sur le montant 5 du rouet, puis encore passée sur une même coulette 6, que tient encore le tourneur ; il recule ainsi jusqu'à l'endroit fixé de la longueur, en déroulant à mesure les soies de la banque qui est posée sur le pié du rouet, par le moyen des coulettes qu'il tient à chaque main : on aura par ce moyen quatre longueurs d'une seule opération, comme on voit dans les fig. Lorsque le tourneur est arrivé au bout de sa longueur, le retordeur, qui est à présent tourneur, coupe les soies de la banque, au moyen d'une lame de couteau placée dans le même montant ; & le bout coupé est attaché à la quatrieme molette du croissant : les deux autres longueurs de la coulette 3 sont coupées le plus juste qu'il est possible au même couteau, & attachées à la deuxieme & troisieme molette de ce croissant. Le retordeur fait agir lui-même le rouet à gauche : & donne un retors convenable ; après quoi il prend les mêmes soies de la banque, mais en plus petite quantité, qui sont posées de la même façon sur les coulettes dont on a parlé, puis coupées & attachées aux mêmes molettes ; alors le rouet est tourné à droite. Ce mouvement contraire opérant deux retors différens, forme ce qu'on appelle graine d'épinards en soie, pour faire la pente des franges à carrosses & autres. Voyez les Pl.
3°. Du cordon pour les galons à chaînettes. Il est fait de même, excepté que les quatre longueurs ne sont point redoublées comme à la graine d'épinards : ici les quatre longueurs, étant attachées à leurs molettes, sont torses à droite convenablement, après quoi elles sont unies ensemble en cette sorte ; la branche de la deuxieme molette est unie à celle de la quatrieme, & celle de la troisieme à la premiere ; & le tourneur passant sa branche de la coulette gauche sur la droite, le tout ne forme plus qu'une seule branche, mais double en longueur, quoiqu'attachée à deux molettes : on lui donne un second retors, mais à gauche, suivant la nécessité ; & voilà le cordon fini : il sert à former les différentes chaînettes & les galons des carrosses. Voyez les Pl.
4°. Du retors pour les franges. Il est fait de la même façon que le cordon : à l'égard de la tension des quatre branches, voici ce qu'il y a de différent. Les deux branches de la coulette du rouet sont coupées & attachées aux molettes 2 & 3 du croissant, puis retorses à droite ; après le retors suffisant, le rouet étant arrêté, les deux branches 2 & 3 sont nouées ensemble & posées sur la coulette du rouet, & la quatrieme branche détachée de sa molette, est relevée au rouet à main sur une bobine : ainsi les quatre branches ne forment plus qu'une longueur, mais ayant un noeud au milieu, ce retors servira à faire des franges pour les garnitures de carosses, tours de jupe, &c. Voyez les Pl.
5°. Des guipures pour les livrées. Elles se font en mettant certaine quantité de brins de soie du rateau à la molette du pié-de-biche ; le retordeur va à l'émerillon pendant que le rouet tourne à droite : après le retors convenable, il attache la branche au crochet de l'émerillon, & il prend un brin de grosse soie & plusieurs de fine ; le gros brin est passé & conduit entre le doigt auriculaire & l'annulaire de la main gauche, & les brins de soie fine, moitié d'abord par les doigts annulaire & medius, puis l'autre moitié par le medius & l'index ; par conséquent le gros brin est toujours couché le premier sur la longueur tendue, puis recouvert tout de suite par les deux parties qui le suivent ; desorte que ce que le gros fait à lui seul, par rapport à la distance, les deux parties le font à elles deux au moyen de l'ouverture qu'on a fait remarquer ; arrivé à la molette, les brins sont coupés ; le rouet tourné en sens contraire pour éviter le vrillage, l'ouvrage est achevé. Cette guipure sert à orner les livrées qui, comme celle du roi, sont ornées de pareilles guipures. Voyez les Pl.
6°. Des cordonnets pour les agrémens. Ils se font ainsi. 1°. Le retordeur ayant attaché plusieurs brins de soie pris au rateau qu'il a à la ceinture, à une molette du pié-de-biche, il va joindre l'émerillon, pendant que le rouet est tourné à droite ; où étant arrivé, il attend que le retors soit suffisant ; puis faisant arrêter le rouet, il coupe cette longueur, & l'attache au crochet de l'émerillon : il prend une certaine quantité de brin de soie, mais plus fine & par conséquent plus belle, qu'il attache de même à ce crochet ; il fait tourner le rouet à droite, & conduit cette soie près-à-près, pour couvrir exactement la premiere longueur tendue ; & étant arrivé à la molette, il coupe la soie, & fait détordre ladite longueur pour empêcher le vrillage ; cette longueur est relevée à l'ordinaire par le rouet à main. Ce cordonnet sert à faire quantité d'ouvrages de modes pour la parure des dames. Voyez les Pl.
7°. Des cordonnets à broder. Ils ont la même fabrique que celui dont on vient de parler, excepté qu'au lieu de soie, ils sont faits de fils retors, autrement d'épinai ; la branche tendue étant de plus gros fil que celui qui la couvre à claires voies, comme à la premiere ouverture de la milanoise. Ce cordonnet sert pour la broderie en linge. Voyez les Pl.
8°. Des cablés pour les bords coquillés du galon. Ils ont ceci de particulier, qu'on prend trois bouts de filé or ou argent qui sont contenus sur le rateau qu'on attache à trois molettes différentes du croissant ; étant attachées, le retordeur va joindre l'émerillon ; & lorsqu'il y est parvenu, il coupe ces trois branches qu'il noue ensemble ; & les attachant au crochet de l'émerillon, il passe les doigts de la main gauche entre les trois branches, & fait tourner le rouet à droite ; ces trois brins s'unissent ensemble derriere sa main, & pour lors l'émérillon tourne à gauche seulement dans ce seul ouvrage ; car dans tous les autres il tourne du même sens que le rouet. Etant arrivé au rouet, il quitte ces brins qu'il tenoit, & les unit à la même molette ; puis il envoie le tourneur arrêter l'émerillon, pendant que lui tourne le rouet à gauche suffisamment, & ensuite il tourne à droite pour éviter le vrillage. Le cablé sert à orner les bords des galons, &c. qui se fabriquent au métier. Voyez les Pl.
9°. Des grisettes pour les coquillages des bords des galons & autres ouvrages. Elles se font de cette maniere.
Le retordeur prend une certaine quantité de brins de soies qu'il a à son rateau, qu'il attache à une molette du pié-de-biche ; puis il fait tourner à gauche en allant joindre l'émerillon : y étant arrivé, le rouet cesse pendant qu'il coupe sa longueur ; & l'attachant au crochet de l'émérillon, il reprend une quantité moins considérable de soie, mais bien plus fine, qu'il attache de même au même crochet ; puis il fait encore tourner à gauche, en recouvrant le dessous près-à-près : il arrive à la molette, & fait cesser le rouet ; ensuite il va à vuide à l'émerillon, ou étant, il prend un brin de clinquant battu de son rateau, dont il couvre le tout près-à-près, & sans aucun vuide, en allant joindre la molette du pié-de-biche, où étant, après avoir fait cesser le tournage ; puis retourne à l'émerillon, & prend un brin de soie très fine qu'il attache encore au crochet de l'émerillon, & fait tourner le rouet à droite, en retournant à la molette. Ici ces tours sont éloignés l'un de l'autre de l'épaisseur d'une ligne. Cette derniere opération ne sert qu'à empêcher la lame de battu qui y a été mise auparavant, de s'écorcher, ou, si cela arrivoit, le brin de soie couché dessus empêcheroit l'accident d'aller plus loin. Les grisettes servent encore à former le dedans des coquillages que l'on met sur les bords des galons. V. les Pl.
10°. Du frisé. Il est fait de cette maniere. 1°. Le retordeur prend une certaine quantité de brins de soie sur le rateau qu'il attache à la molette du pié-de-biche, & fait tourner à gauche en allant joindre l'émerillon, ou lorsqu'il est arrivé, il coupe cette branche & l'attache au crochet ; ensuite faisant venir le tourneur à l'émérillon pour le retenir, le retordeur va rejoindre la molette ; puis attachant quantité de soie moins considérable de la même soie à la molette, il s'en retourne joindre l'émérillon, en conduisant les soies le long de la longueur déja tendue ; il reprend l'émerillon de la main du tourneur qui s'en va à son tour à la molette, & tourne le rouet à droite. La diversité de ces deux différens tournages fait que la premiere longueur tendue couvre la seconde, ce qui forme une spirale parfaite dans toute cette longueur ; ensuite le retordeur attache une lame de clinquant battu au crochet de l'émerillon, & fait tourner à droite : cette lame remplit juste les cavités de cette spirale (ce qui forme une diversité de couleurs de ce battu) ; & le frisé sert de trame pour enrichir les rubans figurés, & les galons à plusieurs navettes. Voyez les Pl.
11°. De la ganse ronde. Voici la maniere de la faire. On prend sur le rateau telle ou telle quantité de brins de filé que l'on attache à la molette du pié-de-biche ; le retordeur tend sa longueur sans faire tourner le rouet ; & étant arrivé au bout de cette longueur, il fait tourner le rouet à droite, tenant le bout de la longueur : lorsqu'il apperçoit qu'elle a acquis le retord convenable, il fait venir à lui le tourneur qui apporte deux coulettes, dont le retordeur prend une de la main gauche, tenant toujours le bout de la longueur de la droite, il passe la branche sur la coulette, & tient toujours des mêmes mains ; puis le tourneur passe l'autre coulette entre celle du retordeur ; le bout tenu par la main droite, le tourneur va joindre (avec cette coulette portant la branche) la molette, le retordeur le suit à mesure & selon le besoin, avec ceci de particulier, que le tourneur avance d'un mouvement triple à celui du retordeur qui le suit : le tourneur étant arrivé à la molette, il attache la branche double de la coulette à la molette où est déja attaché le bout par lequel on a commencé, par ce moyen cette branche devient triple ; le retour de son côté joint ensemble les trois extrémités qu'il tient ; pour lors la coulette lui devient inutile, elle n'a servi, ainsi que l'autre, que pour la conduite ; après cela il fait tourner à gauche jusqu'au retors suffisant pour cette liaison. Cet ouvrage ainsi achevé, sert à faire des boutonnieres mobiles sur les habits des officiers qui ont cela dans leurs ordonnances. Voyez les Pl.
De la maniere de faire les peignes & les lisses. 1. La canne ou roseau ; 2. façon de couper la canne avec la serpette ; 3. la serpette ; 4. l'établi sur lequel on travaille ; 5. les traverses qui lui servent de support ; 6. la canne prête à être employée ; 7, 8, 9, poupées sur lesquelles sont montés les rasoirs pour dégrossir la canne ; 10. les piés des poupées ; 11, 12, 13. les rasoirs ; 14. la poupée de l'établi ; 15. la piece de fer qui y est fixée ; 16. autre piece de fer comme la précédente ; 17. la grande poupée ; 18 le trou par où passe la vis ; 19, 20. la vis portant la mâchoire qui retient la piece de fer ; 21, 22, l'écrou de la vis ; 23. la batte de fer pour serrer les dents ; 24. les deux jumelles. 25. peigne monté sur son métier ; 26. les jumelles ; 27. deux pelotes de fil enduit de poix pour tirer les dents ; 28. la batte ; 29 le peigne dans sa perfection ; 30. poinçon pour égaliser les dents ; 31. racloir pour unir les dents sur la surface du peigne ; 32. piece pour ouvrir les dents, la fourchette pour compasser les dents ; 33. peigne dont on a ôté une partie des dents ; 34. dents qui ont resté ; 35. place des dents qu'on a ôtées, où on peut en mettre d'autres.
Du travail des lisses. 1. le lissoir, composé de deux grandes pieces de bois posées sur les montans ; 2, 3. les côtés plats des deux piéces précédentes. Ce côté opposé & qui forme le dedans porte une grande rainure ou coulisse dans toute la longueur où entrent les traverses 4, 4, 4, 4. ces pieces sont percées dans toute leur longueur & épaisseur de petits trous qui passant d'outre en outre donnent passage aux chevillettes de fer qui fixent les traverses à la distance nécessaire, comme dans les métiers à tapisseries ; 5. le bout de ficelle appellé chez les fabriquans d'étoffe d'or cristelle, chez les drapiers moillet, au-tour duquel sont arrêtées les mailles des lisses ; 6. l'autre bout de la ficelle tendu par une pierre qui lui sert de poids ; 7. la selle sur laquelle sont arrêtés les montans du lissoir ; 8. les piés de la selle ; 9. montre la tête de la lisse formée sur la ficelle ; 10, 11. le fuseau garni de fil pour faire le corps de la lisse ; 12. le même lissoir pour les hautes-lisses ; 13. les quatre piés : 14 espece de coffre pour recevoir les différens ustenciles ; 15. traverse fixe du lissoir ; 16. traverse mobile du même ; 17. la moitié ou un côté de la haute-lisse fini ; 18. ficelle dont est composée la haute-lisse ; 19. bobine sur laquelle est devidée la même ficelle ; 20. haute-lisse finie, & qui n'est pas montée ; 21. haute-lisse achevée, & montée sur ses lisserons ; 22, 23. démonstration de la forme de la maille ; 24. lisse achevée & montée sur les lisserons. 25. colisse ou petite boucle dans laquelle entre le fil pour le tenir arrêté.
Explication de plusieurs termes usités en Passementerie, dont quelques-uns ont pû être omis dans le cours de l'ouvrage, & d'autres sont expliqués plus au long à leurs articles. L'arbre du moulin est une piece de bois ronde, quarrée, ou octogone, longue de quatre à cinq piés avec ses mortoises percées d'outre en outre pour recevoir les douze traverses qui portent les aîles du moulin ou ourdissoir. Cet arbre porte en haut dans son centre un boulon de fer long de huit à neuf pouces, & qui lui sert d'axe. L'extrémité d'en bas porte une grande poulie sur laquelle passe la corde de la selle à ourdir. Il a encore au centre de son extrémité d'en-bas un pivot de fer qui entre dans une grenouille de cuivre, placée au centre des traverses d'en bas ; c'est sur ce point que tourne l'ourdissoir lors de son travail. Voyez SELLE A OURDIR. L'arcade est un morceau de fer plat, haut de trois à quatre lignes, augmentant depuis son extrémité jusqu'au centre, où il a à-peu-près le tiers de la largeur de plus, pour fournir l'espace nécessaire pour percer trois trous ronds qui donnent passage aux guipures qui servent à la livrée du roi, ou autres qui portent de pareille guipure. L'arcade est une espece d'anneau de gros fil d'archal, attaché au milieu & sur l'épaisseur du retour. Voyez RETOUR. L'annelet est un petit anneau d'émail ou de verre d'une ligne plus ou moins de diametre, qui sert à revétir les différens trous des navettes ou sabots, pour empêcher, lors du passage, les soies, & les fils d'or ou d'argent de s'écorcher. Voyez NAVETTE & SABOT. Les ardoises, ce sont les ardoises telles qu'on s'en sert pour les bâtimens, servant de poids aux hautes-lisses. Voyez PLATINES. Attacher les rames, c'est l'action de fixer les rames à la rade du bâton de retour. On prend deux longueurs de ficelle à rame, de quatre aunes chacune, lesquelles on plie en deux sans les couper ; à l'endroit du pli, il se forme une boucle double dans laquelle on passe deux fois les quatre bouts des deux longueurs des ficelles, qui par ce moyen se trouvent arrêtées doublement à la rame, ce qui fait quatre rames attachées ensemble d'une seule opération. Voyez RAMES. L'armure est une petite piece de fer mise aux 2 bouts de la navette, dans des petites échancrures faites exprès : l'usage de l'armure est de conserver la navette à ses extrémités lorsqu'elle tombe. Voyez NAVETTE.
Les agrémens, sont tous les ouvrages de modes servant à l'ornement des robes des dames. Ces agrémens sont faits avec une machine semblable à celle qui sert aux Perruquiers pour tresser les cheveux. Il est inutile de détailler la façon dont se font tous les agrémens, parce que tous les jours il en paroit de nouveaux ; on employe encore les agrémens à l'ornement des vestes pour hommes : ils ont autant de noms qu'on veut leur en donner.
Le battant c'est le chassis qui porte le peigne pour frapper la trame. Le bandage du battant, est une espece de grosse poulie platte, percée de plusieurs trous dans sa circonférence. Ces trous servent à introduire à choix & suivant le besoin, dans l'un d'eux, un bâton ou bandoir qui tient & tire à lui la corde attachée au battant lorsque le métier travaille, ce qui fait que l'ouvrier n'a pas besoin de l'amener lui-même pour frapper la trame. Voyez la Planche. Les bretelles sont deux bouts de sangle attachés d'une part au chassis du métier, & de l'autre à la poitriniere, pour soutenir & soulager l'ouvrier lorsqu'il travaille. Les broches ou boulons de fer ; il y en a de diverses sortes, comme celles qui enfilent les marches, les planches du pont, les lames, les poulies du chatelet, les roquetins, &c. La brochette est une petite portion de baleine, ou autre bois, très-ronde & très-mince, pour tenir les tuyaux dans les navettes & sabots. Le bâton à tourner est un simple bâton servant à tourner l'ensouple quand on plie la piece dessus. Le blin est une piece de bois échancrée dans toute sa hauteur juste à l'épaisseur du pilier de la lanterne ou bâtis de l'ourdissoir ; l'échancrure est garnie de deux petites arêtes pour entrer juste dans les rainures du pilier, & pouvoir par ce moyen descendre & monter le long de ce pilier sans sautiller, ayant soin de le frotter avec du savon. Les boulons, ou poulies dans d'autres ourdissoirs, qui peuvent tourner, servent à donner plus de facilité pour le passage des soies à mesure qu'elles s'enroulent sur l'ourdissoir. Ce blin porte encore sur l'extrémité de devant une petite verge de verre ou de fer bien poli pour empêcher que les soies, qui passent dessus, ne s'écorchent contre sa vive-arrête. Le côté qui reçoit les soies est évidé afin d'en diminuer le poids, qui le feroit pancher & l'empêcheroit de monter & descendre sans vaciller, étant toujours en équilibre. Ce blin porte une petite poulie qui répond vis-à-vis une autre qui est au haut du pilier. Une ficelle, dont un bout est fixé sur la branche de l'arbre du moulin ou ourdissoir, vient passer sur la poulie du pilier où est fixé le blin, & ensuite passer sous la poulie de ce même blin, & va se terminer de son autre bout près de la poulie du pilier à un clou, dans les ourdissoirs de la rubanerie ; & dans ceux de la fabrique d'étoffes, à un axe de fer attenant à une roulette arrêtée par un chien, au moyen de laquelle, & en la tournant, on enroule la corde sur cet axe d'une ligne, plus ou moins, pour faire varier la position des fils sur l'ourdissoir, & empêcher que les derniers fils ne soient plus lâches que les premiers. On conçoit aisément qu'en faisant tourner l'ourdissoir il faut que ce blin descende à mesure que la corde se déroulera de dessus la broche, & qu'en le tournant en sens contraire il remontera ; le blin arrange, par les différentes montées & descentes, les soies que l'on ourdit, & cela sans confusion, puisque pendant que l'ourdissoir fait un tour, le blin monte & descend assez pour donner de l'éloignement aux soies que l'on ourdit, & leur faire prendre la figure spirale qu'elles doivent avoir nécessairement par le mouvement du blin, & c'est à quoi il est uniquement destiné. La botte est une livre de soie teinte, de quinze onces, prête à être mise en oeuvre. La boutique est l'attelier où sont les métiers & ustenciles propres à cette profession. La bourre ou bourrue, soie inégale. Le bandoir est un bâton qui passe dans la poulie ou noix du bandage. Voyez BANDAGE. Le bois est une petite bobine qui porte l'or ou l'argent filés. Le billot est un bois long & très-poli, servant à contenir la soie des pieces ourdies lorsqu'on les leve de dessus l'ourdissoir : les fabriquans d'étoffes l'appellent cheville. Le boucle, se dit du velours à boucle ou frisé qui n'est point coupé. Les bouclettes, c'est l'endroit où la ficelle des lisses, hautes ou basses, est traversée dans le milieu par une autre ficelle qui en fait la partie inférieure, ce qui forme la maille dans laquelle on passe la rame ou le fil de soie, lequel se trouvant arrêté par la jonction des deux parties de ficelle, il est contraint de lever lorsque les lisses levent. Le boèse, se dit lorsque l'ouvrage n'est pas frappé. Voyez FRAPPE FORT. Le boiteux, est lorsque le ruban se trouve d'une couleur différente à un bord qu'à l'autre : c'est ce qu'on appelle ruban boiteux ; le boiteux se dit encore lorsque le dernier retour n'a pas autant de marches que les autres. Les boutons de retour, ce sont des moitiés de vieux rochets dans lesquelles sont passés les tirans ou cordes des retours, pour que l'ouvrier puisse les tirer plus aisément. Les branches, sont des portions de chaîne de différente couleur, ou d'une seule, contenue sur chacun des roquetins servant à faire le velours des galons de livrée. Les bords dentelés. Voyez DENTS DE RATS. La bobine, est une espece de rochet, mais plus léger. Le banc ou la selle à ourdir, est destinée à asseoir l'ourdisseur & pour porter la manivelle qui fait tourner l'ourdissoir. Cette manivelle est passée dans une grande roue cavée qui doit être parallele à celle du moulin ; sur cette poulie est passée une corde à boyau, qui après être croisée dans son milieu, va passer sur la poulie du moulin ; par le moyen de ce croisement le moulin tourne du même sens que la manivelle : si la corde lâche par la secheresse, on recule ce banc ; si le contraire arrive, on le rapproche. Voyez OURDISSOIR ; dans la grande fabrique la corde passe sur les aîles de l'ourdissoir, afin qu'il y ait plus de facilité à le tourner. La banque, chez les fabriquans, est l'instrument à porter les rochets destinés à l'ourdissage ; il y en a à seize, à trente-deux, & à soixante rochets, les plus ordinaires sont à quarante. La batte, est un instrument de fer uni & égal dans toute sa longueur, servant à la fabrique des peignes. Les bricoteaux, sont une ou deux pieces détachées, & enfilées dans la broche qui répond aux marches du pié gauche de l'ouvrier ; le bricoteau est simplement pour soulager l'ouvrier dans les rubans ou galons façonnés. Lorsqu'il est question de faire lever les parties opposées à la figure, ou qui font corps de l'ouvrage, ou qui le perfectionnent à l'envers, par exemple, dans un ruban broché, l'envers ressembleroit à celui des étoffes d'or & d'argent, si l'ouvrier n'avoit pas le soin après avoir passé ses navettes de figure, de faire lever toute la piece ensuite, ne reservant que les fils nécessaires pour lier la trame, qui étant passée dessous couvre toutes les boucles & couleurs qui ont passé précédemment, & rend par ce moyen l'envers du ruban très-uni. Les fuseaux qui sont levés par les bricoteaux pesent jusqu'à cinquante, soixante livres, indépendamment de la résistance que cause l'extension des chaînes ; pour-lors il faut deux bricoteaux au lieu d'un. Le bas métier, est celui sur lequel on fait de petits ouvrages ; il peut se porter sur les genoux. Voyez AGREMENS.
Le chatelet est un petit assemblage de bois qui, sur deux boulons de fer, soutient les poulies qui font mouvoir les hautes lisses. Les poids & contrepoids sont une ou plusieurs pierres attachées à une corde assez longue pour qu'elle fasse trois ou quatre tours sur la moulure de chaque ensouple de chaîne. Le poids donne l'extension convenable aux chaînes, & le contrepoids attaché à un bout de la même corde qui tient le poids, empêche que la corde ne glisse & ne touche terre, si ce n'est lorsqu'on le leve quand le poids est trop haut & qu'on veut le faire baisser. Le contrepoids doit être infiniment plus leger que le poids. La chaîne se dit de toutes les soies, fils, &c. qui viennent de dessus les ensouples de derriere, & servent avec la trame à former le corps de l'ouvrage. Le chassis sont quatre barres de bois assemblées à mortaises & tenons, qui arrêtent par le haut les quatre piliers du métier. La corde à encorder est une corde double laquelle on enroule sur l'ensouple de devant pour ménager la soie, jusqu'à ce qu'il y ait suffisamment d'ouvrage fait pour le rouler au lieu & place de la corde ; elle sert encore pour conduire les fins de chaîne autant près qu'il est possible quand les pieces finissent. Le petit chevalet est une planchette étroite suspendue par deux ficelles, servant à tenir stable l'ouvrage sous le pas de l'ouvrier. Le canon ou tuyau, petit canon percé d'outre en outre d'un trou rond & égal qui sert à recevoir la brochette de la navette ou sabot dans laquelle il doit entrer ; son usage est d'être rempli dans chaque ouvrage de ce qui compose la trame, voyez TRAME. Le couteau à velours est assez connu par ce qui précede ; il doit être si égal dans la partie qui passe dessous la soie des roquetins, que cette même partie doit être passée à la filiere jusqu'au couteau, c'est-à-dire à une filiere brisée. Cette égalité est nécessaire pour que le velours soit uni, sans quoi il seroit rempli d'inégalités, ce qui s'appelle écheller en terme de l'art. Le congé est la permission donnée à un maître par un autre, d'occuper un compagnon qui aura quitté le dernier. La casse est une espece de peigne d'acier & de corne, dont on ne se sert plus aujourd'hui, les véritables peignes tout d'acier étant infiniment au-dessus pour la force & la durée. Le contre-marcher est l'action de revenir sur ses pas, tant par la marche que par le retour dans un ouvrage façonné. La coignée est un outil pour frapper les ouvrages forts de la basse-lisse, au défaut du doigtier. Les charges, voyez POIDS & CONTREPOIDS. La coulette est un instrument pour enfiler les bobines, canons, &c. que l'on veut tracanner ou survuider. Chommer, c'est cesser de travailler faute de matiere ou autre chose. La centaine est un lien qui est formé du fil de l'écheveau, & qui l'arrête & le serre dans un endroit. La couronne est une piece de l'ourdissoir assez inutile, parce que la broche du moulin qu'elle retient passant au-dessous dans la croisée de la cage, est suffisamment arrêtée. Les cremailleres sont des machines pour allonger ou raccourcir les rames. Les contrepoids, voyez POIDS ; il y a des petits contrepoids qui servent à retenir les fils du glacé. Le cours des marches se dit de l'action de marcher toutes les marches qui composent son ouvrage. La course de rame, c'est le passage de la quantité de rames dont un retour est composé. Les coquilles sont des agrémens qui se font sur les galons. Le clinquant est une lame d'or ou d'argent très-en usage aujourd'hui dans les galons. Couché se dit de la trame où la dorure qui passe au-travers de l'ouvrage est bien tendue également. Le carton sert à tenir les navettes d'un ouvrage qui en est chargé par la figure. Le canon à devider ou canon percé dans lequel on fait un trou en travers, sert à retenir le bout de la broche des ouvriers ou ouvrieres qui devident à la main. Le déchet est la diminution sur la marchandise à ouvrer ou ouvrée.
Démonter, c'est dépasser un patron pour en passer un autre. Doigtier, voyez la planche. Deux coups, dans le galon, se dit de l'action de rapporter le troisieme coup de navette au premier, & le quatrieme au second, pour donner plus de brillant au galon, & couvrir plus aisément la soie de la laine avec la duite. La duite, c'est ce qui passe au-travers de la chaîne, soit trame ou filé pour faire corps d'ouvrage. La dent de rat est un ornement pour le galon. Devider, c'est l'action de mettre la soie sur des rochets ou canons ; on devide au rouet à quatre guindres ou avec la main : le rouet à quatre guindres conduit quatre rochets ; & avec la main on ne peut en mener qu'un.
L'ensouple de devant est une piece de bois ronde sur laquelle s'enroule l'ouvrage à mesure qu'il se travaille. L'ensouple de derriere est une piece de bois sur laquelle est enroulée la chaîne. La molette est une espece de peigne de bois ou rateau, servant à mettre les soies en largeur sur les ensouples. Emprunter, c'est faire servir la bouclette d'une haute lisse à plusieurs rames quand le patron ou le dessein le permet. L'épingle est un petit outil de fer ou de laiton, servant à faire le velours frisé ou qui n'est pas coupé. Eplucher, remonder, c'est nettoyer toutes les soies qui entrent dans les différens ouvrages. L'écheveau se dit de la soie qui n'est pas devidée. L'écagne est un écheveau partagé en une ou plusieurs parties, lorsqu'il se trouve trop gros ; cette opération facilite le devidage. Etoffes s'entend de toutes les matieres qui servent à la fabrication des rubans, galons, &c. Eraille, écorchure, se disent lorsque la lame du filé est enlevée de dessus la soie. Ce mot se dit encore des ouvrages fabriqués qui ont des écarts ou inégalités faites avant ou après la fabrication. Effilés, voyez FRANGES. L'échantillon est une petite longueur de quelqu'ouvrage que ce soit, laquelle est suffisante pour montrer le dessein. L'estissu ou les estisseuses sont des petites broches de fer servant à porter les roquetins, rochets & canons qu'on veut faire tourner. Les effiloques, sont des franges que les mauvais ouvriers font aux lisieres de leurs ouvrages ; c'est encore toutes les soies doublées, soit organsin ou trame, dont un bout a manqué sur le moulin, & qu'on a laissé courir sans le reprendre à l'endroit où le second brin avoit cassé. Encroiser, enverger, c'est passer les fils sur des verges de façon qu'alternativement il y en ait un dessous & un dessus, pour qu'on puisse les prendre de suite quand on les passe dans les maillons & dans les lisses, Encroix, chevilles plantées pour ranger les fils.
Les fleurs-de-lis sont un ornement qui garnit les lisieres des différens ouvrages. Les fleurs, des imitations de toutes les fleurs naturelles, ou autres exécutées dans l'ouvrage. Frapper fort, c'est frapper avec le battant l'ouvrage, autant que la force qu'on veut lui donner l'exige. Fourché se dit lorsqu'un patron est tellement symmétrique que les deux côtés se ressemblent parfaitement. Il y a des fourchés à pointe & des fourchés à chemin ; les fourchés à pointe exigent que les deux lissettes du milieu se joignent & n'en composent qu'une pour ainsi dire ; les deux lissettes de la rive ou du côté de la lisiere se répondent aussi, de façon qu'elles ne forment qu'une espece d'arc. Les fourchés à chemin sont différens ; ils ne font point de pointe, & la lissette du bord répond à celle du milieu dans l'autre moitié de l'ouvrage. Les franges sont des ornemens de la rubanerie ; il y en a de plusieurs façons. Le freluquet est un petit poids pour tenir en raison les branches de velours, différent de celui qui tient le roquetin arrêté. Voyez allonges des potenceaux. Les fuseaux, dans la fabrique des aiguilles, sont une espece de broche quarrée servant à faire tomber la lissette à laquelle chaque fuseau est attaché. Les fuseaux sont de fer dans la rubanerie, & dans la fabrique les aiguilles sont de plomb. Leur longueur dans les uns & les autres est de neuf à dix pouces. Le filé s'entend du fil d'or ou d'argent qu'on employe dans les ouvrages de rubanerie. Le fond se dit des chaînes de livrée qui forment le corps de l'ouvrage. Il y a deux sortes de fond, le gros fond & le fond fin ; le gros fond & la figure levent ensemble, & le fin fond leve séparément. La fougere est un agrément. Le franger est un ouvrier qui fait la frange. La figure se dit des soies des chaînes de couleur qui figurent dans l'étoffe suivant le dessein ; dans le galon de livrée elles forment le velours de différente couleur ; & dans le ruban elles forment une figure à laquelle on donne le nom de simpleté, doubleté, tripleté, &c. à proportion des différentes figures entassées les unes sur les autres. La ficelle est une corde fine. Frapper se dit de l'action du battant qui avec le secours du peigne approche & force le coup de trame ou la duite qui vient d'être lancée. Faire la trame, c'est l'opération de mettre la trame sur le tuyau qui entre dans la navette ou sabot. Le fil à lisse est celui dont on fait les lisses & lissettes, &c.
Galons, il y en a d'or ou d'argent. Les grilles, sont des tours de ficelles, qui sont posées & gancées sur le devant des deux portes-rames ; dans la grande fabrique ce sont des planchettes percées également, dont les trous qui sont très-petits contiennent chacun une corde. Les gardes sont des bandes de fort papier pliées en trois qui servent à le tenir fixe dans le battant ; ensorte qu'il ne peut aller ni à droite, ni à gauche. Elles servent encore à garnir les vuides qui se trouvent entre le peigne & les lames du battant, au-travers desquels la navette pourroit passer ; il y en a qui sont de toile cirée. On donne encore le nom de gardes à deux morceaux de bois bien polis, qui terminent le peigne de chaque côté & qui ont la même largeur de la dent. La galle s'entend de toutes les inégalités qui se trouvent, tant sur l'ouvrage, qu'aux lisieres, ce qui désigne un très-mauvais ouvrier. La grosse s'entend, de 12 douzaines d'aunes ou 144 aunes. Le galonnier se dit quoiqu'imparfaitement, des Rubaniers-Frangers, Passementiers, &c. Voyez TISSUTIERS, RUBANIERS. Le guiper est l'action de donner la derniere préparation à la frange qu'on appelle guipée. Le guipoir est un petit instrument de fer en forme de petite broche de la longueur de 5 à 6 pouces, & terminé en haut par une pointe extrèmement déliée, tournée en crochet recourbé. On prend la boucle du filé de la frange, on y introduit le crochet qu'on fait tourner, & on tord le fil double qui forme la frange ou une partie. Le glacis ou glacés, ce sont des soies qui n'ont d'autre usage que celui de lier la dorure dans des endroits où la largeur la feroit boucler.
Le harnois est l'assemblage des hautes-lisses. Les hausses sont des morceaux de bois servant à hausser les potenceaux, les hautes-lisses, voyez LISSES.
Jour, ouvrages à jour, est un terme qui n'est propre qu'au galon. Les lisses qui servent à passer les chaînes sont de fil fin de Flandre ; il y a des lisses à maillons, des hautes-lisses, voyez la fig. Planche. Les lames sont de petites barres de bois que les marches font baisser, par le moyen des cordes attachées à l'une & à l'autre ; elles sont plates & enfilées par leur tête dans deux broches ou petits boulons de fer qui traversent leur chassis arrêté sur les traverses du métier. Dans la fabrique, on les appelle contre-marches, parce qu'elles operent ensemble ; il y a autant de lames que de marches. Les lisserons sont des morceaux de bois, plat & mince, sur lesquels sont tendues les lisses. La lanterne de l'ourdissoir, se dit des quatre grands piliers qui composent la cage. La longueur s'entend des soies de la chaîne, depuis les ensouples de derriere jusqu'aux lisses ou lissettes. La lisiere se dit des bords ou extrémité de quelque ouvrage que ce soit. Une livrée est tout galon uni ou façonné servant à mettre sur les habits des domestiques. Les laissés ce sont tous les points blancs d'un patron, qui désignent les hautes-lisses qu'il faut laisser ; c'est-à-dire qu'il faut passer les rames à côté des bouclettes & non dedans. La largeur se dit de l'ouvrage à commencer, même de celui qui est commencé. Le larder se dit, lorsque la navette ne passe pas précisément entre les deux parties levées & baissées, & qu'elle prend l'une des deux qu'elle devroit laisser ; on doit dépasser les coups de navette & les repasser sur le même pas. La levée s'entend de toute portion de chaîne que les lisses ou lissettes font lever, tantôt en grande quantité, tantôt en partie, suivant le passage du patron. Lache se dit d'un ouvrage qui est peu frappé, ou tout ce qui lâche dans les soies de la chaîne pendant le travail. Lâché se dit d'un ouvrage fait avec un extrème soin. Lancer la navette, c'est passer la navette en travaillant ; on commence toujours à passer la navette par la main gauche, afin qu'elle se trouve du même côté quand le retour est fini, & que la main droite ait la liberté de tirer le retour qui suit celui qui vient d'être achevé. Les lacs sont des ficelles attachées aux marches & aux lames, pour les faire mouvoir ou baisser. Un lacet est tout ce qui concerne le métier, & qui est propre à lacer le corps des femmes & enfans ; il y en a de plusieurs especes, de plats, carrés & ronds. Voyez GANCE. Les luisans sont une portion de chaîne qui leve pendant un certain nombre de coups de navette, & baisse ensuite une fois pour la tenir liée. La lame percée est une barre étroite & mince comme une lame, voyez LAME, attachée par les deux bouts dessus ou dessous les deux barres le long du métier à frange, percée de plusieurs trous pour donner passage aux tirans des lissettes au nombre de deux ; elles ont chacune un noeud juste à l'endroit où ils doivent s'arrêter dessous la lame percée. Ces noeuds n'empêchent pas que ces tirans ne puissent baisser, quand ils sont tirés par les marches, mais ils empêchent de remonter au-delà du noeud, sans quoi le bandage de derriere qui les fait mouvoir entraîneroit tout à lui. Les lissettes à luisans & à chaînette pour les franges & galons, voyez ce qui precéde.
Les marches sont des bois minces, étroits & longs de 4 à 5 piés, au nombre de 24 & 26 plus ou moins, percées & enfilées par un bout dans une broche ou boulon de fer qui s'attache lui-même sous le pont du métier, voyez PONT. Par l'autre bout, elles portent les tirans des lames, & les tirans servent à faire baisser les lames, voyez LAMES. Il faut qu'il y ait autant de hautes-lisses qu'il y a de marches à un métier, puisque chaque marche tire sa lame, qui à son tour tire sa haute-lisse. La maille, on entend par ce mot, chacun des tours de fil ou de ficelle qui compose les hautes-lisses ou lissettes, pour arrêter le fil de soie ou la rame, & la faire lever quand il est nécessaire. Le maillon est un petit morceau de cuivre jaune, plat, & percé de trois trous dans sa longueur. Il fait l'effet de la maille, des lisses & lissettes, mais non celui des hautes-lisses qui doivent être libres & ouvertes par-dessus, afin que la rame ne soit point arrêtée. Le métier battant se dit de tout métier garni de ses ustensiles, & auquel il ne manque rien. La manivelle s'entend de tout ce qui sert à faire tourner quelque chose que ce soit avec la main. Monter le métier, c'est particulierement y passer le patron. La marque est un fil de chaîne qui indique un galon tramé de faux. Les moules à franche sont des planchettes de bois mince, de différente hauteur & largeur, suivant celle qu'on veut donner aux franges.
La navette est un instrument de bouis que tout le monde connoît. La navette plate est de bouis, comme la navette, mais de forme différente, voyez les figures. Les noeuds se dit d'une quantité déterminée de rames qui doivent être attachées à une même lissette. Le nuancé, nué se dit des différentes couleurs qui, par gradation, viennent du clair à l'obscur. Nuance, id. Les noeuds, on employe ce mot, lorsqu'on ajoute une piece au bout de celle qui finit, & que l'on veut que l'ouvrage soit d'un même morceau, il faut bien avoir soin de couper les fils de longueur inégale, afin que les noeuds ne se trouvent pas tous en un même tas, ce qui, outre la difformité de l'ouvrage, rendroit encore le travail difficile. La nompareille, voyez ce qui précede.
L'ourdissoir long n'est plus d'usage que pour les frangers. L'ourdissoir rond ou moulin, voyez ARBRE. Ourdir, c'est l'action d'assembler une quantité plus ou moins considérable de fils de soie pour en former une chaîne.
Les platines sont des plaques de plomb ou d'ardoise suspendues à chaque lisseron des hautes-lisses, pour les faire retomber quand le tirant la fait hausser. Les poulies, il y en a de grandes & de petites. Les potenceaux, il y en a deux, ils se posent à mortoises sur deux traverses qui sont elles-mêmes enmortoisées dans les piliers de derriere du métier, servant au moyen de deux échancrures à porter les différentes ensouples, sur lesquelles sont les soies de la chaîne. Le patron, on entend par ce mot en général tout ce qui représente les ouvrages de rubanerie, exécutés sur le papier réglé, soit le dessein qui les fait voir au naturel, ou celui qui est translaté & rendu propre à être monté sur le métier. Le papier réglé, pour les desseins de rubans & galons est un papier imprimé d'après une planche gravée qui représente un nombre de lignes perpendiculaires, toutes coupées par des lignes horisontales, ce qui forme une quantité de quarrés parfaits. Le patroneur ou dessinateur est celui qui fait les desseins de rubanerie, & qui les imagine. La passette est un très-long fil de laiton tourné en spirale, qui forme par ce moyen une continuité d'anneaux de trois à quatre lignes de diametre éloignés les uns des autres d'une demi-ligne environ, dans lesquels anneaux on fait passer une certaine quantité de fils de suite, afin qu'ils puissent être conduits sans contrarieté dans les lisses & lissettes. La passette est une petite plaque de cuivre très-mince pour passer les fils de la chaîne dans le peigne. Pris s'entend de plusieurs façons, premierement de tous les points noirs du patron, à la différence des points blancs qui sont appellés laissés ; en second lieu, de la haute lisse qui reçoit la rame dans la maille ou bouclette : ainsi on dit la septieme haute lisse, ou telle autre fait un pris ; conséquemment un patron passé est une alternative de pris & de laissés, suivant l'indication du patron. Le pont est une planche de la largeur du métier, attachée sur deux montans d'un pié environ de haut, il se met au bout du métier du côté du siege, il sert comme d'échelon à l'ouvrier pour monter sur le métier, il sert encore à recevoir dans sa cavité la broche ou boulon où sont enfilées les marches. Le poucier est un petit doigt de peau pour mettre les doigts, pour empêcher qu'ils ne se coupent par le passage continuel des filés d'or ou d'argent que l'ouvrier emploie. Le passage des rames est l'action de passer les rames dans les hautes lisses ; cette partie a été expliquée. Le passage du patron, idem. La parsilure se dit du contour des figures du dessein, tant en-dedans qu'en dehors, exprimés par les points noirs & blancs du dessein, & qui font la distinction des fleurs, feuilles ou fruits dessinés, & autres figures. Le pas, on entend par ce mot toute levée de chaîne opérée par l'enfoncement d'une marche, laquelle levée donne passage à la navette. Les portelisses sont un chassis emmortoisé & posé sur les grandes traverses du haut du métier : les deux grandes pieces de ce chassis peuvent s'approcher ou se reculer au moyen de deux petites traverses qui les unissent ; le chassis peut lui-même s'approcher & se reculer du battant en le faisant glisser sur les mortoises le long des grandes traverses du métier. Pantine, gros écheveau de soie qui en contient plusieurs petits ; quatre pantines composent une main à Lyon. La portée, c'est dans l'ourdissage du ruban la descente & la remontée du blin : quand on ourdit à 16 rochets, la portée est de 32 fils, savoir 16 de la descente & 16 de la montée : dans la grande fabrique, on ourdit ordinairement à 40 rochets, ce qui fait que la portée est toujours comptée pour 80 fils, 40 pour la descente & 40 pour la montée. Pieces, voyez CHAINE. Le peigne est une piece composée d'une quantité de petites dents de roseaux liées avec égalité, dans lesquelles dents on passe les fils de chaîne : les drapiers appellent le peigne rot : il peut se faire que le peigne qui est un composé de roseaux, ait donné lieu au nom de rot : il y a des peignes de différentes quantités de dents, comme aussi de plus ou moins serrés, suivant que l'ouvrage plus ou moins délicat le demande.
La quille est une petite buche de bois arrondie, que l'on attache avec une ficelle à l'extrémité des bâtons de retour pour leur servir de poids, & le faire remonter lorsque l'ouvrier tire un nouveau retour après qu'il a fait travailler le précédent. Les rames sont de longues ficelles de moyenne grosseur attachées aux arcades des bâtons de retour : on en met jusqu'à 160 à chacune de ces arcades ; ainsi lorsqu'il y a 20 retours à un métier, il y a par conséquent 3200 : cette rame, comme toutes les autres, doit être assez longue pour passer au-travers du porterame de derriere, ensuite à-travers les hautes lisses, puis traverser le porte-rame de devant & descendre encore environ un pié & demi plus bas que le porterame, pour pouvoir y attacher les lissettes qu'elles doivent faire hausser.
Le rochet est une espece de canon tourné, ayant à ses deux bouts des rebords pour empêcher que la soie ne s'éboule. Le roquetin est un petit rochet qui contient les branches de soie, servant à faire le velours du galon de livrée.
Le sabot est une navette un peu plus grosse & plus grande que la navette, qui ne s'élance jamais au-travers de l'ouvrage, qui n'est propre que pour contenir des matieres préparées pour faire les ornemens des bords du galon, comme cordonnets, bleches, &c. il faut deux sabots au galon, un de chaque côté. Le système est une espece de galon très-léger, dont la dorure ne paroît que d'un côté. La sangle est le lien qui passe sur les reins de l'ouvrier, le tient ferme sur son métier. Souder, c'est nouer une nouvelle piece à celle qui finit. Sur un pié, se dit lorsque sur un patron il n'y a que douze marches écrites au lieu de vingt-quatre.
Trois coups, dans le galon où l'on veut épargner le filé, en ne le faisant paroître qu'un coup en dessous contre deux en-dessus, l'ouvrier marche à trois coups, c'est-à-dire partant de la main gauche, il va à la droite, de cette droite il retourne à la gauche, & enfin de cette gauche à la droite où il change de marche pour repartir de la main droite, & continue de même : par ce moyen il y a toujours un coup endessous contre deux en-dessus ; ce qui forme un envers. La tenure ou tenue se dit des bourillons de fils de soie qui se retiennent & empêchent de lever. Tramer fin, c'est diminuer la trame pour faire l'ouvrage plus délicat, mais aussi plus long. Les tirans sont des ficelles attachées aux lames, pour faire monter & descendre les hautes lisses. Tordre, c'est attacher une nouvelle piece à celle qui tient. Tisser est l'action de fabriquer la frange, c'est-à-dire faire la frange sur le moule. Le tourneur ; c'est un enfant occupé à faire tourner le rouet à retordre, ou à aller & venir, suivant le besoin, tantôt pour tenir les longueurs, tantôt pour tenir ou arrêter l'émerillon. Toutes ces actions sont expliquées à l'article TORDRE.
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PASSEMENTIER | S. m. (Art méchaniq.) ouvrier & marchand qui fait & vend des passemens ou dentelles. Les autres ouvrages que peut fabriquer le passementier sont des guipures, des campanes, des crespines, des houpes, des gances, des lacets, des tresses, des aiguillettes, des cordons de chapeaux, des boutons, des cordonnets, des rênes, des guides & autres ouvrages & marchandises semblables.
Les Passementiers forment à Paris une communauté assez considérable, dont les nouveaux statuts du mois d'Avril 1653, sont composés de quarante-quatre articles tirés des anciennes ordonnances qu'ils avoient obtenues d'Henri II. le 22 Mars 1558.
Suivant ces statuts, ils sont qualifiés maîtres passementiers, boutonniers, enjoliveurs.
Pour être admis à la maîtrise dans cette communauté, il faut avoir fait cinq années d'apprentissage, servi les maîtres quatre ans en qualité de compagnon, & avoir fait chef-d'oeuvre.
Les fils de maîtres sont exempts de toutes ces formalités ; ils ne sont obligés qu'à une seule expérience ; ils ne peuvent cependant obliger des apprentis qu'après avoir atteint l'âge de dix-huit-ans.
Lorsqu'après avoir fait apprentissage, un compagnon épouse une fille de maître, il peut, après le mariage consommé, être reçu sur une simple expérience ; & ce mariage l'exempte de quatre ans de compagnonage & du chef-d'oeuvre.
Les veuves demeurant en viduité, jouissent du privilege des maîtres, & peuvent continuer les apprentis commencés par leur mari, mais ne peuvent point en prendre de nouveaux.
Aucun maître ne peut faire ni vendre des passemens & autres ouvrages de son métier, qu'ils ne soient faits de bonne & loyale étoffe ; & il n'est pas permis de mêler de l'or ni de l'argent faux parmi du fin, quand même il en seroit requis.
La communauté est gouvernée par quatre jurés, dont on en élit deux tous les ans ; desorte que ces jurés restent deux ans dans leurs fonctions.
Les jurés ne peuvent intenter procès, ni entreprendre aucune affaire de la communauté ; sans avoir fait assembler tous les anciens bacheliers du jurande, pour prendre leur avis, & se déterminer à la pluralité des voix.
Les jurés sont obligés, quinze jours après être sortis de charge, de rendre leurs comptes de dépense & de recette en présence des nouveaux jurés & des anciens bacheliers de jurande.
Il y a peu d'ouvriers en France qui aient droit de fabriquer & de vendre plus de sortes de marchandises, & d'employer plus de matieres différentes que les Passementiers-boutonniers.
1°. Ils peuvent fabriquer & vendre toute sorte de passemens & dentelles, sur l'oreille, aux fuseaux, aux épingles & à la main, d'or & d'argent fin ou faux, de soie, de fil de toutes couleurs, fins ou communs, grands ou petits.
2°. Toutes sortes de passemens & dentelles, pleins ou à jouer, de noueure & à la main, garnis & enjolivés.
3°. Toutes sortes de houpes & campanes coulantes & arrêtées, montées sur moules & bourrelets, noués & à l'aiguille, pour garnir différentes especes d'ouvrages, soit pour les ornemens des églises, ou pour les ameublemens.
4°. Toutes sortes de crêpines grandes & petites, doubles & simples.
5°. Toutes sortes de bourses nouées, au crochet & à la main, pleines & à jour, garnies & non garnies.
6°. Toutes sortes de tresses à gros & petits points, ganses rondes, quarrées & à l'Italienne, pratiques à coeur & sans coeur, nattes à petits coeurs, bracelets, rênes, guides & cordons, chaînes & tours-de-cou, aiguillettes tressées, signets de livres ; ceintures d'aubes & de soutanes, tresses, lacets, ganses & rézeaux, cordons & rabats, & tous autres enjolivemens qui se font sur le boisseau, à la jatte & au fuseau.
7°. Toutes sortes de cordons de chapeaux, bonnets, toques & affulemens ; comme cordons à l'angloise, à jonchées, à la turque, à la moresque, à l'arménienne, à l'indienne, à olives & boutons, à lanterne, à cordelieres, à deux, à trois & à quatre branches ou plus ; cordons à filets ronds & demi-ronds, plats & demi-plats, quarrés, à cannetilles & cartisannes, cordons d'or & d'argent trait faux & façonnés au crochet, cordons d'or & d'argent fin, cordons d'or & d'argent faux filé, cordons de crin & de cheveux, cordons à boutons, cordons encadenacés, cordons façon de broderie, enrichis & enjolivés, qui se façonnent à l'aiguille, aux doigts, au crochet & au dé.
8°. Toutes sortes de cordons & cordonnets qui se façonnent au rouet ; comme ganses, cannetilles pleines & creuses, chaines & chaînettes, frisons satinés & chevillés, bouillons, frisures, guipures plates & rondes, guipures à dentelles or & argent grapé & frisé, milanoises, millerets, cartisannes, frisades & toutes autres sortes de retords & enjolivemens qui se font au rouet, guipoir, crochet, au moulin, chevalet, sabot, émérillon, & à la molette.
9°. Toutes sortes de pots, vases & pommes de lits pleins & à jours, cousus & collés, garnis & chamarrés de passemens & tissus de rubans figurés & non figurés.
10°. Toutes sortes de bouquets après le naturel, guirlandes, éventails, fer de collets montés & porte-fraises, noeuds, roses, ceintures, guirlandes & galans, noeuds & aigrettes garnis, & enjolivés, houpes battantes, masques, chaînes encadenacées, chapelets garnis de boutonnieres & de galans, chapeaux de fleurs après le naturel, coëffures & affulemens montés sur fer, cuivre, baleine, laiton ; fond de cartes & cartons, campanes encollées, roses & rosettes servant à garnir & enjoliver les habits, bouquets, coëffures & affulemens qui se font avec la pince & le glissoir, au rouet, à l'aiguille & au dé.
11°. Toutes sortes de ceintures, de noueures, lassures de tresses au crochet, pleines & à jour, rondes & quarrées, plates & demi-plates, au boisseau, aux fuseaux, à la jatte, à la rêne & au chevalet, garnies de fer ; chevilles, boucles, portes, boutons & autres enjolivemens.
12°. Enfin toutes sortes de bordures & harnois de chevaux, de noueures, lassures pleines & à jour, rondes, quarrées, plates, garnies & enjolivées de toutes façons.
Les Passementiers-boutonniers peuvent employer dans leurs différens ouvrages toutes sortes d'étoffes d'or & d'argent tant fin que faux, de soie, fleuret, filoselle, fil, laine, coton, crin, cheveux, cuivre, laiton, baleine, fer-blanc, bois, paille, talc, verre, jais, émail, parchemin, vélin brodé, enluminé & doré, toque, taffetas, satin, velours, gaze, tabis & toutes autres sortes d'étoffes, pourvu que le faux ne soit point mêlé avec le fin, comme il a été déja dit.
Il est encore permis aux maîtres passementiers-boutonniers de garnir toutes sortes de sacs, toilettes, porte-manteaux, valises, fourreaux de pistolets, & de faire toutes sortes de moules à boutons ; comme glands, poires, vases, pommes, olives, coulans, boutons plats & chevilles, émérillons, molettes, & tous autres moules qui se font tant à l'arçon qu'au rouet servant à leur métier : il leur est permis aussi de se servir, pour leur travail, de toutes sortes d'outils, machines & engins, à l'exception seulement de la haute & basse-lisse, la marche, le peigne, la tire & la navette.
Les passementiers-boutonniers ont choisi S. Louis pour leur patron, & leur confrérie est établie dans l'église des grands Augustins.
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PASSEPORT | (Hist. mod.) c'est une permission ou des lettres d'un prince ou d'un gouverneur, qui accordent un sauf-conduit ou la liberté de passer, d'entrer & sortir de leur territoire librement & sans être inquiété.
Le passeport proprement dit, ne se donne qu'aux amis ; on donne des sauf-conduits aux ennemis. Voyez SAUF-CONDUIT.
Pasquier prétend que passeport a été introduit aulieu de passepartout. Balzac rapporte un passeport bien honorable qu'un empereur accorda à un philosophe ; il est conçu en ces termes : " S'il y a quelqu'un sur terre ou sur mer, assez hardi pour inquiéter Potamon, qu'il examine s'il est assez fort pour faire la guerre à César ".
Passeport signifie aussi la permission accordée par le prince de faire amener ou transporter des marchandises, des meubles, &c. sans payer les droits d'entrée ou de sortie.
Les marchands se procurent quelquefois de pareils passeports pour certaines sortes de marchandises ; & on les accorde toujours aux ambassadeurs & aux ministres pour leurs bagages, équipages, &c.
Passeport est aussi souvent employé pour une permission qu'on obtient de faire amener ou emporter des marchandises réputées comme contrebande, & déclarées telles sur les tarifs, &c. comme l'or, l'argent, les pierres précieuses, les munitions de guerre, les chevaux, les blés, le bois, &c. après avoir payé les droits.
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PASSER | v. n. (Gram.) terme relatif au mouvement d'un lieu dans un autre, sans aucun égard ni à celui d'où le mouvement se fait, ni à celui où il est dirigé, mais seulement à l'endroit où il se fait, ou bien à celui qui le voit & en juge. Le verbe passer a une infinité d'acceptions qui se reconnoissent par les phrases où il est employé ; exemples. Le cerf a passé par cet endroit. Ils ont passé debout ou sans s'arrêter. Passer du papier sur le feu pour le sécher. Ce malade ne passera pas l'hiver. Ce manteau m'a passé deux années. Il passe mal son tems. Les plaisirs passent vîte. La vie se passe. La beauté & la jeunesse se passent. Cette étoffe se passera. Ces sortes de couleurs passent. Rien ne passe comme les modes. Ces fruits, ce vin, ce fromage, ces mets sont passés. Des raisins passés. Les raisins passent, on n'en voit plus guere. Il vous passe de toute la tête. Il étoit homme de bien, je ne sais comment il a commis cette action, cela me passe. Le madrigal ne passe guère dix à douze vers. Elle a passé tant de fois sa chemise pardessus sa tête. Il y a des physiciens qui ont prétendu que la poussiere dont l'air est rempli passoit à-travers le verre. La vertu ne passe pas toujours des peres aux enfans. Le nom de quelques hommes de ce siecle passera à la postérité. Ses succès ont passé mes espérances. Quelques opinions des anciens qu'on regardoit comme des erreurs, passent maintenant pour des vérités constantes. Il y a des vieillards qui ont de la peine à se passer de femmes. Je me passe de peu. Il faut bien en passer par-là. Il y a des considérations au-dessus desquelles je ne saurois passer, elles m'arrêtent tout court. Passez le préambule, allez à la chose. Vous me trouverez intraitable, je ne vous passerai rien. Racontez toujours les choses comme elles se sont passées ; tous ces traits d'imagination qui embellissent un récit sont autant de petits mensonges. Cette monnoie ne passera pas. Je vous passerai cette piece pour deux pistoles. On dit encore passer par les mains, passer par les armes, passer sur le ventre à quelqu'un, passer tout d'une voix, passer un acte, passer d'un objet à un autre ; passer au feu, à la calandre, à la filiere, à la claye, en blanc, en carton, au tamis, à la chausse, au filtre, au chamois, à l'alembic ; passer maître, passer licentié, la plume par le bec, l'éponge, passer le but, &c. Voyez les articles suivans.
PASSER, (commerce) terme qui dans le commerce & chez les artisans a diverses significations déterminées par les mots auxquels il est joint.
Passer maître, se dit de la réception d'un apprentif à quelque maîtrise après les examens qu'il faut subir, ou les chefs-d'oeuvre qu'il faut faire pour entrer dans les six corps marchands & dans les communautés des arts & métiers ; on dit en ce sens, il va se faire passer ou il est passé marchand orfevre, épicier, drapier, &c. maître tapissier, serrurier, &c.
Passer son ordre, terme de banque & de commerce de change, c'est mettre son ordre au dos d'une lettre ou billet de change en faveur de quelqu'un, c'est-à-dire déclarer qu'on les cede à celui dont le nom est exprimé dans l'ordre, & qu'elles lui doivent être payées. Voyez ORDRE & ENDOSSEMENT.
Passer debout, en terme de commerce, c'est transporter des marchandises à-travers d'un état, d'une province, d'une ville, ou par quelque bureau sans les y arrêter, décharger ni déballer pour y être visitées ou pour en payer les droits ; pour cela les marchands doivent prendre des acquits. Voyez ACQUIT & PASSE-DEBOUT.
Passer des marchandises en fraude, c'est les faire entrer ou sortir par d'autres endroits que par ceux où les bureaux sont établis pour le payement des droits, afin de les frauder & de ne les pas payer.
Passer en haut, c'est la même chose que passer en fraude, mais ce terme n'est d'usage ordinaire qu'en Espagne, & particulierement à Cadix, où il se dit des marchandises que les nations qui ont part au commerce de l'Amérique avec les Espagnols ont coutume de faire entrer sans en payer les droits, qui se montant à vingt-trois pour cent, engagent les étrangers à les frauder, d'autant plus que le garde que les officiers de la douanne envoyent sur les vaisseaux pour visiter les marchandises est complice de la fraude, & que lorsqu'elle est découverte on en est quitte pour payer les droits ordinaires.
Passer, se dit aussi du cours des monnoies dans le commerce ; les pistoles d'Espagne passent sur le pié des louis de France, c'est-à-dire sont reçues pour la même valeur.
Passer, se dit encore des étoffes, des modes, des marchandises : cette étoffe est passée, c'est-à-dire qu'elle a perdu son lustre. Cette mode est passée, elle n'est plus en vogue. Ces vins sont passés, ils ont perdu leur force pour avoir été trop gardés. Dictionn. de commerce.
PASSER PAR LES BAGUETTES, (Art. milit.) est un supplice infamant pour les soldats. Celui qui le mérite passe les épaules nues, entre deux rangs de soldats, armés de baguettes, qui le frappent en passant. Voyez CHATIMENS MILITAIRES. (Q)
PASSER SOUS LE BEAUPRE (Marine) Ce navire a passé sous notre beaupré, c'est une maniere de parler qui veut dire qu'un vaisseau a passé fort près de l'avant d'un autre. On regarde en mer comme une civilité de ne passer pas sous le beaupré d'un autre quand on peut y passer. On dit passer au vent d'un vaisseau, lorsqu'on lui gagne le vent. (Z)
PASSER, terme de Dessinateur, qui dessine à l'encre de la Chine ; on dit passer un dessein à l'encre, c'est-à-dire en tracer les lignes avec de l'encre de la Chine ou carmin sur le trait au crayon.
PASSER, terme d'Apoticaire, c'est épurer quelques liqueurs ou matieres liquides en les coulant à-travers d'une chausse d'apoticaire & de chimiste, ou d'un sas ou tamis, ou enfin en les filtrant à-travers du papier brouillard ; le vif-argent se passe à-travers la peau de chamois. (D.J.)
PASSER, (Corroyeur) est un terme qu'on employe pour signifier plusieurs apprêts & façons qu'on donne à plusieurs sortes de marchandises.
On passe les cuirs en suif, en huile, en alun, en sumac, en mégie, &c.
Passer les cuirs en suif de chair & de fleur, c'est les imbiber de suif bouillant par les deux côtés ; c'est ainsi que les Corroyeurs apprêtent les vaches & les veaux à chair grasse.
Passer les cuirs en suif de fleur, & en huile de chair, c'est la maniere de passer les vaches & les veaux à chair blanche ; les moutons passés en noir ne se passent ainsi qu'à chair blanche.
Passer des cuirs en suif du côté de la fleur seulement, & ne mettre ni suif ni huile du côté de la chair, c'est la maniere de passer ce que les Corroyeurs appellent la vache dure.
Passer en huile du côté de chair, & en alun du côté de fleur ; c'est l'apprêt que les Corroyeurs donnent aux vaches, veaux & moutons qu'ils veulent corroyer en rouge, jaune & verd.
Passer en sumac, c'est se servir du sumac pour donner aux veaux noirs des Corroyeurs une couleur orangée du côté de la chair. Voyez pour tous ces mots l'article CORROYER.
Passer en mégie, c'est donner à un cuir tous les apprêts qui sont de la profession des Mégissiers. Voyez MEGIE.
PASSER PAR LA FILIERE, terme d'épinglier & d'Aiguillier, qui signifie réduire en fil de différens échantillons le leton & l'acier dont ces ouvriers se servent pour faire des épingles & des aiguilles, en les faisant passer successivement par tous les trous d'une filiere, à commencer par les plus grands & finissant par les plus petits.
PASSER PAR LA FARINE, (Cuisine) ce terme signifie parmi les Cuisiniers l'action d'enduire une piece de farine en la plongeant dans un vase où il y en a.
Passer par la poële, c'est mettre une piece dans du beurre, du saindoux, ou du lard, fondus dans une poële sur le feu.
PASSER A LA CLAIE, (Jardinage) c'est séparer par le moyen d'une claie les pierres de la bonne terre. On a donc pour cet effet une claie qu'on soutient par-derriere avec quelques échalas ; cependant le jardinier prenant sa terre avec sa pelle, la jette à force contre cette claie, si bien que la bonne terre passe au-travers, & les pierres tombent en bas du côté du jardinier ; ensuite on les ôte de-là pour continuer à passer ainsi toute la terre dont on a besoin. Dictionn. oeconom. (D.J.)
PASSER EN BLANC, terme de Monnoyeur, c'est passer les lames de métal dont on doit fabriquer les especes entre les rouleaux du laminoir, avant de les avoir fait recuire ; il n'y a que les lames d'argent & de cuivre qui se passent en blanc ; les lames d'or ne se passent point sans être recuites. (D.J.)
PASSER LE POIL, en terme de Plumassier, c'est arranger les plumes & les mêler ensemble, ensorte qu'il y ait peu ou point d'intervalle entr'elles, & qu'elles semblent n'en faire qu'une.
PASSER EN CARTON, (Reliure) les Relieurs passent en carton, lorsque le livre étant cousu, ils prennent les bouts des ficelles auxquelles les feuilles sont cousues, & les passent dans les trois trous qu'ils ont faits aux cartons vis-à-vis chaque ficelle : les bouts des ficelles sont arrêtés en-dedans en croix ; cela fait on coupe l'excédent des bouts de ficelle.
Passer en parchemin. Les relieurs mettent plusieurs bandes de parchemin sur le dos des livres, ces bandes sont de la largeur des entre-nerfs, & on en passe la moitié entre le carton & le livre ; l'autre moitié reste sur le dos pour y être collée. On appelle ces parchemins des gardes, & on en met des deux côtés du carton, sur-tout à la tête & à la queue, mais quelquefois entre tous les nerfs. Voyez GARDE.
Passer en mord. Après que les Relieurs ont défouetté les livres, ils passent le plioir du côté du coupant, tout le long de l'endroit où la couverture joint le carton au dos ; & en même tems ils soulevent le carton pour voir si le carton n'est pas gêné, cela fait, on met le livre secher jusqu'à ce que la couverture n'ait plus d'humidité, ce qui s'appelle secher les plats.
PASSER PAR LA CALANDRE, (Manufact.) se dit des étoffes de soie & de laine, & des toiles de diverses couleurs & fabriques, qu'on met sous les plaques de la machine qu'on appelle une calandre, pour lui faire prendre des ondes.
PASSER LA CLAIREE, en terme de raffineur, c'est l'action de nettoyer entierement la matiere, & de la délivrer de toutes les saletés qui n'ont pu être enlevées avec les écumes. Quand ces écumes sont parfaitement blanches, on verse le syrop de la chaudiere dans un bassin à clairée, voyez BASSIN A CLAIREE. Ce bassin a en bas un commencement de tuyau dans lequel on enfonce une dale qui conduit la matiere dans un panier couvert du blanchet, voyez BLANCHET, d'où elle tombe dans la chaudiere à clairée. Voyez CHAUDIERE A CLAIREE.
PASSER, v. act. (Teinture) c'est teindre les étoffes toutes faites, ou les matieres dont elles doivent être tissues & fabriquées, comme de la soie, de la laine, du fil, &c.
PASSER PAR LA FILIERE, (Tireur d'or & autres ouvriers) on passe par la filiere, de l'or, de l'argent, du cuivre, du léton, de l'étain, du fer ; c'est réduire en fil de différens échantillons & grosseurs, tous ces métaux, en les tirant successivement à-travers des trous, plus grands d'abord, & ensuite plus petits d'une filiere d'acier. (D.J.)
PASSER AU JEU, c'est n'être pas du jeu pour ce coup ; n'en pas courir les hasards. Il y a des jeux où l'on ne revient plus quand on a passé. Il y en a d'autres où l'on peut revenir. Au breland, par exemple, le premier peut être du jeu, ou passer ; s'il a passé, il ne peut rentrer qu'un autre ne soit du jeu. Si tous les autres joueurs passent après le premier, le premier a passé sans retour ; l'avantage que le premier a de passer, c'est d'imposer la loi à ceux qui jouent après lui, & qui lui donneront lieu de revenir ; son désavantage, c'est de perdre la passe, quand il avoit jeu de jouer, & qu'il a passé.
PASSER LE, terme de relation, c'est-à-dire marché ou bazar. Le passer de Bender-Abazzi, ville de Perse d'un grand négoce, est une grande place toute voûtée avec des boutiques autour, & une allée ou corridor au milieu pour la commodité du commerce. C'est là que l'on étale les marchandises les plus précieuses, & que les Banians, les plus habiles négocians de l'Asie, tiennent leur banque, & font leur négoce.
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PASSERAGE | S. f. genre de plante, décrit sous le nom de lepidium. Voyez LEPIDIUM.
Son fruit ressemble à la pointe d'une pique ; il est plein de semences qui sont pour la plûpart d'une figure oblongue. Tournefort compte cinq especes de ce genre de plante.
La passerage vulgaire cultivée, lepidium vulgare latifolium, I. R. H. 216. en anglois the common great. broad leaved dittander, a la racine de la grosseur du pouce, blanchâtre, rampante sur la terre, d'une saveur âcre & vive, mais qui disparoît bientôt. Ses tiges sont nombreuses, hautes de deux coudées, menues, cylindriques, lisses, remplies de moëlle, branchues, couvertes d'une poussiere d'un verd de mer, qui se dissipe aisément. Ses feuilles sont alternes, longues, larges, pointues, semblables à celles du citronnier, molles, lisses, grasses, d'un verd foncé, dentelées à leurs bords, celles qui sortent de la racine & du bas de la tige, sont portées sur de longues queues.
Ses fleurs naissent au sommet des tiges & des rameaux, petites, en croix, composées de quatre pétales blancs, ramassées en bouquets, nombreuses & portées sur des pédicules fort grêles. Il s'éleve de leur calice un pistil qui se change en un fruit très-petit, applati, pointu en forme de pique, partagé en deux loges par une cloison mitoyenne, & remplies de menues graines oblongues & rousses.
PASSERAGE, (Mat. méd.) passerage vulgaire ou des boutiques ; & passerage sauvage ou cresson sauvage.
Ces deux plantes sont de la classe des plantes qui portent des fleurs en croix, ou crucifere de Tournefort, & sont comptées parmi les principaux antiscorbutiques. Elles contiennent abondamment le principe propre aux plantes de cette classe, c'est à-dire l'alkali volatil spontané, & une huile essentielle. Ces principes les rendent très-analogues au cochlearia & au cresson ; aussi les traite-t-on pour les usages pharmaceutiques, de la même maniere que ces deux plantes, & les employe-t-on dans tous les cas avec elles, ou en leur lieu. Voyez COCHLEARIA & CRESSON.
Les feuilles & les racines de l'une & l'autre passerage étant pilées avec du beurre ou du sain-doux, & appliquées sur les cuisses & sur les jambes, passent pour appaiser très-efficacement les douleurs de sciatique. (b)
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PASSERAT | voyez MOINEAU.
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PASSEREAU | voyez MOINEAU.
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PASSERIES | S. f. pl. (Commerce) on nomme ainsi une espece de traité ou convention de commerce qui s'observe même en tems de guerre entre les frontaliers françois & espagnols, c'est-à-dire, entre les sujets des deux couronnes qui en habitent les frontieres du côté des Pyrénées, à qui il est permis en tout tems de commercer ensemble par les portes ou passages de ces montagnes exprimées dans la convention.
C'est à Seix, lieu qui dépend du diocèse de Riez en Languedoc, qu'aboutissent les portes ou passages privilégiés, entr'autres ceux de Danla, de Sulan, & de Martelat.
L'origine du traité des passeries, ni l'époque de son commencement ne sont pas bien certaines. On en trouve des vestiges dès l'an 1315, & depuis Charles VIII. jusqu'à présent, les rois de France ont confirmé les frontaliers dans ce privilege. Sous Louis XII. le traité qui avoit reçu quelques atteintes, fut renouvellé dans l'assemblée de Brat, où se trouverent les députés des lieux intéressés, tant de France que d'Aragon, où les passeries sont en usage.
Les principaux articles de ce traité qui s'observent encore aujourd'hui, mais qui se renouvellent tous les ans, consistent :
1°. Dans la liberté de transporter toutes sortes de marchandises qui ne sont pas de contrebande, & dans celle du passage des hommes & des bestiaux dans les limites convenues, & par les portes nommées.
2°. Dans la stipulation, qu'au cas que l'un des deux rois n'en voulût pas la continuation, les frontaliers seroient tenus de s'en avertir réciproquement trente jours avant que de commettre aucun acte d'hostilité de part ou d'autre.
3°. Dans la faculté & permission de faire arrêter dans toute l'étendue des passeries les criminels de l'un ou l'autre royaume qui voudroient se retirer par les portes & routes des montagnes, pour se mettre à couvert des poursuites de la justice ; mais ce dernier article ne s'observe pas fidelement. Dict. de Comm.
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PASSERINE | S. f. passarina, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale, campaniforme, tubulée, divisée en quatre parties, & garnie d'étamines & de sommets. La partie antérieure de cette fleur devient dans la suite une semence renfermée dans la fleur même, & qui y adhere. Pontederae Anthologia. Voyez PLANTE.
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PASSET | S. m. (Commerce) nom d'une mesure romaine. Le passet est une mesure de bois qui contient cinq palmes ; elle est faite de plusieurs pieces, qui jointes ensemble soit par des clous, soit à charnieres, peuvent se plier & se porter commodément.
PASSETS, s. m. pl. terme de marchands : les passets ou rayons, sont des séparations qui forment comme des especes d'armoires que les Marchands mettent dans leurs boutiques & magasins pour placer les marchandises en bon ordre, chacune dans leur espece & qualité, comme les velours avec les velours, les satins avec les satins, &c.
Il faut que les passets & rayons soient couverts de papier blanc collé sur le bois, & qu'il y ait un rideau de toile par-devant qui puisse se tirer, afin de tenir les marchandises proprement, & particulierement quand elles sont précieuses. On dit des armoires à passets, des armoires à rayons.
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PASSETTE | S. f. (Ouvriers en soie) c'est un très-long fil de laiton tourné en spirale, qui forme par ce moyen une continuité d'anneaux de trois à quatre lignes de diametre ; chaque tour de la spirale n'est éloigné de son plus proche que de demi-ligne seulement, & quelquefois moins. Cette spirale est fixée sur un menu morceau de bois rond & un peu applati de son côté, par un fil contrelacé dans chacun des anneaux, & qui tourne à l'entour de la passette ; les bouts de ce morceau de bois doivent excéder d'un pouce de chaque côté ; ils doivent aussi être fendus perpendiculairement dans toute leur épaisseur, pour recevoir de chaque bout une menue ficelle qui sert à la suspendre à volonté, soit en l'attachant aux traverses du mêtier, ou aux potenceaux ; son usage est de tenir les soies de la chaîne écartées à mesure qu'elles se déroulent de dessus les ensuples de derriere, pour éviter qu'elles ne se confondent toutes ensemble ; ce qui se fait de cette façon. On met plusieurs brins de soie de la chaîne, mais en petite quantité, dans chaque intervalle que laisse entr'eux les anneaux de la passette ; ce qui se continue ainsi jusqu'au bout ; pour cela on tient la passette un peu plus exhaussée que le propre niveau de la chaîne, en la faisant glisser en-haut le long des deux ficelles qui la suspendent ; ce qui étant fait, on passe une aiguille de même fil de léton, mais droite dans les anneaux de la passette, en observant que ladite aiguille passe pardessus, & non par-dessous les soies que la passette contient ; le bout de cette même aiguille est bouclé par l'un de ses bouts, pour empêcher qu'elle ne puisse traverser la passette d'outre en outre. Ensuite on descend cette passette au niveau à-peu-près des ensuples de derriere ; elle sert par ce moyen à disposer les soies ainsi écartées à se présenter aux lisses ou lissettes, & cela sans confusion ; il y a quelquefois quatre ou plus de passettes ensemble, mais diversement disposées, suivant la quantité des différens corps de chaîne nécessaires à l'ouvrage. Voyez les Pl. du Passementier.
PASSETTE à passer en peigne, (Ouvriers en soie) est une petite plaque de cuivre, ou même de fer-blanc très-mince, arrondie & échancrée par les bouts ; l'arrondissement y est nécessaire pour que les angles de cette passette ne soient point en risque de casser, d'écorcher les dents du peigne à-travers lequel il faut qu'elle passe ; la petite échancrure y est encore plus nécessaire, puisque c'est ce qui constitue l'unique usage de ce petit outil. Voici cet usage : lorsque l'ouvrier veut passer en peigne les soies de la chaîne, qu'il a auparavant passées en lisses ou en lissettes, & dont il a laissé passer un bout capable d'excéder le battant qui porte le peigne, il est question de les passer en peigne ; ce qu'il fait de cette maniere. Après avoir décidé de la largeur de son ouvrage par la quantité de dents qu'il doit occuper, une autre personne qui lui aide, & qui peut être assise sur le siége, dans la posture à-peu-près de celle qui devroit travailler, introduit la passette dans la premiere dent du peigne que l'ouvrage doit contenir ; l'ouvrier qui passe, & qui est debout devant le côté droit du métier, insere dans cette échancrure de la passette, la quantité nécessaire de brins de soie de la chaîne, & cela par-derriere le battant qui est le devant des lisses ; son aide tire à soi la passette, & ce qu'elle contient avec la main droite, les soies qui sont assez longues pour excéder le battant, sont reçues par la main gauche qui les tient en reserve, jusqu'à ce que le tout soit ainsi passé. La passette après ce premier passage est mise dans la dent d'à côté de celle-ci, en tirant toujours du côté droit, & ainsi alternativement jusqu'à la fin de cette opération. Cette passette n'est destinée qu'à ce seul & unique usage.
PASSETTE, est parmi les Tireurs d'or, une portion du cercle dont une extrémité se termine en forme d'anneau conique, pour laisser passer le fil sous les roues du moulin.
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PASSEURS D'EAU | (Commerce) ce sont à Paris des bateliers établis par les prevôt des Marchands & échevins, pour passer d'un bord de la Seine à l'autre les bourgeois & particuliers avec leurs hardes, marchandises, &c.
Ces bateliers composent une espece de communauté qui a ses statuts, ses apprentifs, son chef-d'oeuvre ; mais qui n'a eu de lettres-patentes que sur la fin du xvij. siecle, qu'ils furent érigés en titre d'office sous le nom de maîtres officiers passeurs d'eau. Voyez BATELIERS, Dictionnaire de Commerce.
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PASSEVIN | S. m. (Physiq.) instrument de Physique qui sert à séparer deux liqueurs de différente pesanteur. Cette séparation se fait ordinairement avec de l'eau & du vin. L'instrument étant composé de deux bouteilles de verre A, B, jointes par un tuyau ou un cou commun étroit, on verse d'abord du vin par l'ouverture C, jusqu'à ce que la bouteille B soit pleine, ensuite on remplit d'eau la bouteille A ; alors l'eau pressant sur le vin, plus léger que cette premiere liqueur, l'oblige à monter & à venir se placer au-dessus d'elle. Cet effet se manifeste d'une façon agréable à la vue. On voit le vin se filtrer au-travers de l'eau comme une espece de fumée. (D.J.)
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PASSEWALCK | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne au cercle de la haute Saxe, dans les états de l'électeur de Brandebourg, sur l'Ucker. Long. 38. 30. lat. 35. 29.
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PASSIBLE | adj. (Gramm. & Théolog.) qui peut souffrir la peine & sentir le plaisir : le corps de J. C. ressuscité n'étoit plus passible.
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PASSIF | VE, adj. On dit en Grammaire verbe passif, voix passive, sens passif, signification passive, Ce mot est formé de passum, supin du verbe pati (souffrir, être affecté). Le passif est opposé à l'actif ; & pour donner une notion exacte de l'un, il faut le mettre en parallele avec l'autre ; c'est ce qu'on a fait au mot ACTIF & à l'article NEUTRE, n. II. init.
Je ferai seulement ici une remarque : c'est qu'il y a des verbes qui ont le sens passif sans avoir la forme passive, comme en latin perire, & en françois périr ; qu'il y en a au contraire qui ont la forme passive, sans avoir le sens passif, comme en latin ingressus sum, & en françois je suis entré, enfin que quelquefois on employe en latin dans le sens actif des formes effectivement destinées & communément consacrées au sens passif ; comme fletur, que nous rendons en françois par on pleure. Car fletur n'est appliqué ici à aucun sujet qui soit l'objet passif des larmes, & ce n'est que dans ce cas que le verbe lui-même est censé passif. Ce n'est qu'un tour particulier pour exprimer l'existence de l'action de pleurer, sans en indiquer aucune cause ; fletur, c'est-à-dire flere est (l'action de pleurer est) : on prétend encore moins marquer un objet passif, puisque flere exprime une action intransitive ou absolue, & qui ne peut jamais se rapporter à un tel objet. Voyez IMPERSONNEL.
Nous faisons quelquefois le contraire en françois, & nous employons le tour actif avec le pronom réfléchi, pour exprimer le sens passif, au lieu de faire usage de la forme passive ; ainsi l'on dit, cette marchandise se débitera, quoique la marchandise soit évidemment le sujet passif du débit, & qu'on eût pu dire sera débitée, s'il avoit plu à l'usage d'autoriser cette phrase dans ce sens. Je dis dans ce sens, car dans un autre on dit très-bien, quand cette marchandise sera débitée j'en acheterai d'autre. La différence de ces deux phrases est dans le tems : cette marchandise se débitera, est au présent postérieur, que l'on connoît vulgairement sous le nom de futur simple, & l'on diroit dans le sens actif, je débiterai cette marchandise : quand cette marchandise sera débitée, est au que l'on regarde communément comme futur composé, & quelques-uns comme futur du mode subjonctif, & l'on diroit dans le sens actif, quand j'aurai débité cette marchandise.
Cette observation me fait entrevoir que nos verbes passifs ne sont pas encore bien connus de nos Grammairiens, de ceux même qui reconnoissent que notre usage a autorisé des tours exprès & une conjugaison pour le sens passif. Qu'ils y prennent garde : se vendre, être vendu, avoir été vendu, sont trois tems différens de l'infinitif passif du verbe vendre ; cela est évident, & entraîne la nécessité d'établir un nouveau systême de conjugaison passive. (B. E. R M)
PASSIF, (Jurispr.) signifie ce qui est souffert. Un droit passif de servitude est lorsqu'on est obligé de souffrir que quelqu'un exerce une servitude sur son héritage. Un droit actif de servitude est celui que l'on exerce sur autrui. Voyez SERVITUDE. (A)
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PASSIGNIANO | (Géog. mod.) petite ville d'Italie dans le Pérugin, sur le lac de Pérugia. Long. 29. 50. lat. 43. 12.
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PASSIONNER | PASSIONNé, (Gram.) le verbe est peu d'usage à l'actif, & l'on ne dit guere passionner son chant, passionner sa déclamation, passionner une affaire. Se passionner, c'est se préoccuper fortement & aveuglément : les gens à imagination se passionnent facilement. Il est difficile de ne pas se passionner pour la chose, lorsqu'on y prend un grand intérêt. Il ne me déplaît pas dans le sens que lui a donné un auteur lorsqu'il a dit, j'ai su jouer une de ces langueurs qui touchent, & j'ai vû quelquefois qu'on se passionnoit à mon rôle. On dit un amant passionné, un style passionné, un regard passionné, un ton passionné. Les femmes du monde sont libertines & froides, les femmes recluses & dévotes sont sages & passionnées. Je suis passionné pour la musique, pour la danse, pour la peinture. Il est passionné des richesses ; il est passionné de cette femme.
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PASSIONS | S. f. pl. (Philos. Logique, Morale) Les penchans, les inclinations, les desirs & les aversions, poussés à un certain degré de vivacité, joints à une sensation confuse de plaisir ou de douleur, occasionnés ou accompagnés de quelque mouvement irrégulier du sang & des esprits animaux, c'est ce que nous nommons passions. Elles vont jusqu'à ôter tout usage de la liberté, état où l'ame est en quelque maniere rendue passive ; de-là le nom de passions.
L'inclination ou certaine disposition de l'ame, naît de l'opinion où nous sommes qu'un grand bien ou un grand mal est renfermé dans un objet qui par cela même excite la passion. Quand donc cette inclination est mise en jeu (& elle y est mise par tout ce qui est pour nous plaisir ou peine), aussi-tôt l'ame, comme frappée immédiatement par le bien ou par le mal, ne modérant point l'opinion où elle est que c'est pour elle une chose très-importante, la croit par-là même digne de toute son attention ; elle se tourne entierement de son côté, elle s'y fixe, elle y attache tous ses sens, & dirige toutes ses facultés à la considérer ; oubliant dans cette contemplation, dans ce desir ou dans cette crainte presque tous les autres objets : alors elle est dans le cas d'un homme accablé d'une maladie aiguë ; il n'a pas la liberté de penser à autre chose qu'à ce qui a du rapport à son mal. C'est encore ainsi que les passions sont les maladies de l'ame.
Toutes nos sensations, nos imaginations, même les idées intellectuelles, sont accompagnées de plaisir ou de peine, de sentimens agréables ou douloureux, & ces sentimens sont indépendans de notre volonté ; car si ces deux sources de bien & de mal pouvoient s'ouvrir & se fermer à son gré, elle détourneroit la douleur, & n'admettroit que le plaisir. Tout ce qui produit en nous ce sentiment agréable, tout ce qui est propre à nous donner du plaisir, à l'entretenir, à l'accroître, à écarter ou à adoucir la peine ou la douleur, nous le nommons bien. Tout ce qui excite un sentiment opposé, tout ce qui produit un effet contraire, nous l'appellons mal.
Le plaisir & la peine sont donc les pivots sur lesquels roulent toutes nos affections, connues sous le nom d'inclinations & de passions, qui ne sont que les différens degrés des modifications de notre ame. Ces sentimens sont donc liés intimement aux passions ; Ils en sont les principes, & ils naissent eux-mêmes de diverses sources que l'on peut réduire à ces quatre.
1°. Les plaisirs & les peines des sens. Cette douceur ou cette amertume jointe à la sensation, sans qu'on en connoisse la cause, sans qu'on sache comment les objets excitent ce sentiment, qui s'éleve avant que l'on ait prévu le bien ou le mal que la présence & l'usage de cet objet peut procurer ; ce que l'on en peut dire, c'est que la bonté divine a attaché un sentiment agréable à l'exercice modéré de nos facultés corporelles. Tout ce qui satisfait nos besoins sans aller audelà, donne le sentiment de plaisir. La vûe d'une lumiere douce, des couleurs gaies, sans être éblouissantes, des objets à notre portée, des sons nets, éclatans, qui n'étourdissent pas, des odeurs qui n'ont ni fadeur ni trop de force, des goûts qui ont une pointe sans être trop aiguë, une chaleur tempérée, l'attouchement d'un corps uni ; tout cela plaît parce que cela exerce nos facultés sans les fatiguer. Le contraire ou l'excès produit un effet tout opposé.
2°. Les plaisirs de l'esprit ou de l'imagination forment la seconde source de nos passions : tels sont ceux que procure la vûe ou la perception de la beauté prise dans un sens général, tant pour les beautés de la nature & de l'art, que pour celles qui ne sont saisies que par les yeux de l'entendement, c'est-à-dire celles qui se trouvent dans les vérités universelles, celles qui découlent des lois générales, des causes fécondes. Ceux qui ont recherché le principe général de la beauté, ont remarqué que les objets propres à faire naître chez nous un sentiment de plaisir, sont ceux qui réunissent la variété avec l'ordre ou l'uniformité. La variété nous occupe par la multitude d'objets qu'elle nous présente ; l'uniformité en rend la perception facile, en nous mettant à portée de les saisir rassemblés sous un même point de vûe. On peut donc dire que les plaisirs de l'esprit, comme ceux des sens, ont une même origine, un exercice modéré de nos facultés.
Recourez à l'expérience ; voyez dans la Musique, les consonnances tirer leur agrément de ce qu'elles sont simples & variées ; variées, elles attirent notre attention ; simples, elles ne nous fatiguent pas trop. Dans l'Architecture, les belles proportions sont celles qui gardent un juste milieu entre une uniformité ennuyeuse & une variété outrée qui fait le goût gothique. La Sculpture n'a-t-elle pas trouvé dans les proportions du corps humain cette harmonie, cet accord dans les rapports, & cette variété des différentes parties qui constituent la beauté d'une statue ? La peinture est assujettie aux mêmes regles.
Pour remonter de l'art à la nature, la beauté d'un visage n'emprunte-t-elle pas ses charmes des couleurs douces, variées, de la régularité des traits, de l'air qui exprime différens sentimens de l'ame ? Les graces du corps ne consistent-elles pas dans un juste rapport des mouvemens à la fin qu'on s'y propose ? La nature elle-même embellie de ses couleurs douces & variées, de cette quantité d'objets proportionnés, & qui tous se rapportent à un tout, que nous offre-t-elle ? une unité combinée sagement avec la variété la plus agréable. L'ordre & la proportion ont tellement droit de nous plaire, que nous l'exigeons jusque dans les productions si variées de l'enthousiasme, dans ces peintures que font la Poésie & l'Eloquence des mouvemens tumultueux de l'ame. A plus forte raison l'ordre doit-il regner dans les ouvrages faits pour instruire. Qu'est-ce qui nous les fait trouver beaux ? si ce n'est l'unité de dessein, l'accord parfait des diverses parties entr'elles & avec le tout, la peinture ou l'imitation exacte des objets, des mouvemens, des sentimens, des passions, la convenance des moyens avec leur fin, un juste rapport des façons de penser & de s'exprimer avec le but qu'on se propose.
C'est ainsi que l'entendement trouve ses plaisirs dans la même source de l'esprit & de l'imagination ; il se plait à méditer des vérités universelles qui comprennent sous des expressions claires une multitude de vérités particulieres, & dont les conséquences se multiplient presqu'à l'infini. C'est ce qui fait pour certains esprits les charmes de la métaphysique, de la Géométrie & des sciences abstraites, qui sans cela n'auroient rien que de rebutant. C'est cette sorte de beauté qui fait naître mille plaisirs de la découverte des lois générales que toute la nature observe avec une fidélité inviolable, de la contemplation des causes secondes qui se diversifient à l'infini dans leurs effets, & qui toutes sont soumises à une unique & premiere cause.
L'on peut étendre ce principe de nos plaisirs, & sa privation, source de nos peines, sur tous les objets qui sont du ressort de l'esprit. On le trouvera partout ; & s'il est quelques exceptions, elles ne sont dans le fond qu'apparentes, & peuvent venir ou de préventions arbitraires, sur lesquelles même il ne seroit pas difficile de faire voir que le principe n'est point altéré, ou de ce que notre vûe est trop bornée sur des objets fins & délicats.
3°. Un troisieme ordre de plaisirs & de peines sont ceux qui en affectant le coeur font naître en nous tant d'inclinations ou de passions si différentes. La source en est dans le sentiment de notre perfection ou de notre imperfection, de nos vertus ou de nos vices. De toutes les beautés, il en est peu qui nous touche plus que celle de la vertu qui constitue notre perfection ; & de toutes les laideurs, il n'en est point à laquelle nous soyons ou nous devions être plus sensibles qu'à celle du vice. L'amour de nous-mêmes, cette passion si naturelle, si universelle, & qui est, on peut le dire, la base de toutes nos affections, nous fait chercher sans cesse en nous & hors de nous, des preuves de ce que nous sommes à l'égard de la perfection ; mais où les trouver ? Seroit-ce dans l'usage de nos facultés convenable à notre nature ? ou dans un usage conforme à l'intention du Créateur ? ou au but que nous nous proposons, qui est la félicité ? Réunissons ces trois différentes façons d'envisager la félicité, & nous y trouverons la regle que nous prescrit ce troisieme principe de nos plaisirs & de nos peines. C'est que notre perfection & la félicité consistent à posséder & à faire usage des facultés propres à nous procurer un solide bonheur, conforme aux intentions de notre auteur, manifestées dans la nature qu'il nous a donnée.
Dès-lors nous ne pouvons appercevoir en nous-mêmes ces facultés, & sentir que nous en faisons un usage convenable à notre nature, à leur destination & à notre but, sans éprouver une joie secrette & une satisfaction intérieure, qui est le plus agréable de tous les sentimens. Celui-là au contraire qui regardant en lui-même n'y voit qu'imperfection & qu'un abus continuel des talens dont Dieu l'a doué, a beau s'applaudir tout haut d'être parvenu par ses désordres au comble de la fortune, son ame est en secret déchirée par de cuisans remords qui lui mettent sans cesse devant les yeux sa honte, & qui lui rendent son existence haïssable. En vain pour étouffer ce sentiment douloureux, ou pour en détourner son attention, il se livre aux plaisirs des sens, il s'occupe, il se distrait, il cherche à se fuir lui-même ; il ne peut se dérober à ce juge terrible qu'il porte en lui & partout avec lui.
C'est donc encore un usage modéré de nos facultés, soit du coeur, soit de l'esprit, qui en fait la perfection ; & cet usage fait naître chez nous des sentimens agréables, d'où se produisent des inclinations & des passions convenables à notre nature.
4°. J'ai dit que l'amour de nous-mêmes nous faisoit chercher dans le bonheur des preuves de notre perfection : cela même nous fait découvrir une quatrieme source de plaisirs & de peines dans le bonheur & le malheur d'autrui. Seroit-ce que la perception que nous en avons quand nous en sommes les témoins, ou que nous y pensons fortement, fait une image assez semblable à son objet pour nous toucher à-peu-près comme si nous éprouvions actuellement le sentiment même qu'elle représente ? Ou, y a-t-il quelque opération secrette de la nature qui nous ayant tous formés d'un même sang, nous a voulu lier les uns aux autres en nous rendant sensibles aux biens & aux maux de nos semblables ? Quoiqu'il en soit, la chose est certaine ; ce sentiment peut être suspendu par l'amour-propre, ou par des intérêts particuliers, mais il se manifeste infailliblement dans toutes les occasions où rien ne l'empêche de se développer : il se trouve chez tous les hommes à la vérité en différens degrés. La dureté même part quelquefois d'un principe d'humanité ; on est dur pour le méchant ou pour ceux qu'on regarde comme tels dans le monde, dans la vûe de les rendre bons, ou pour les mettre hors d'état de nuire aux autres. Cette sensibilité n'est pas égale pour tous les hommes ; ceux qui ont gagné notre amitié & notre estime par de bons offices, par des qualités estimables, par des sentimens réciproques ; ceux qui nous sont attachés par les liens du sang, de l'habitude, d'une commune patrie, d'un même parti, d'une même profession, d'une même religion, tous ceux-là ont différens droits sur notre sentiment. Il s'étend jusqu'aux caracteres de roman ou de tragédie ; nous prenons part au bien & au mal qui leur arrive, plus encore si nous sommes convaincus que ces caracteres sont vrais. De-là les charmes de l'Histoire, qui en nous mettant sous les yeux des tableaux de l'humanité, nous touche & nous émeut à ce point précis de vivacité qui fait naître les sentimens agréables. De-là en un mot toutes les inclinations & les passions qui nous affectent si aisément par une suite de notre sensibilité pour le genre humain.
Telles sont les sources de nos sentimens variés suivant les différentes sortes d'objets qui nous plaisent par eux-mêmes & que l'on peut appeller les biens agréables ; mais il en est d'autres qui nous portent vers les biens utiles, c'est-à-dire vers des objets qui sans produire immédiatement en nous ces biens agréables, servent à nous en procurer ou à nous en assurer la jouissance. On peut les réduire sous trois chefs : le desir de la gloire, le pouvoir, les richesses. Nous avons vû déjà que tout ce qui semble nous prouver que nous avons quelque perfection, ne peut manquer de nous plaire : de-là le cas que nous faisons de l'approbation, de l'amour, de l'estime, des éloges des autres : de-là les sentimens d'honneur ou de confusion : de-là l'idée que nous nous formons du pouvoir, du crédit qui flattent la vanité de l'ambitieux, & qui, ainsi que les richesses, ne sont envisagés par l'homme sage que comme un moyen de parvenir à quelque chose de mieux.
Mais il n'arrive que trop souvent que l'on desire ces biens utiles pour eux-mêmes, en confondant ainsi le moyen avec la fin. L'on veut à tout prix se faire une réputation bonne ou mauvaise ; l'on ne voit dans les honneurs rien au-delà des honneurs mêmes ; l'on desire les richesses pour les posséder & non pour en jouir. Se livrer ainsi à des passions aussi inutiles qu'elles sont dangereuses, c'est se rendre semblable à ces malheureux qui passent leur triste vie à fouiller les entrailles de la terre pour en tirer des richesses dont la jouissance est reservée à d'autres. Il faut en convenir, cet abus des biens utiles vient souvent de l'éducation, de la coutume, des habitudes, des sociétés qu'on fréquente qui font dans l'ame d'étranges associations d'idées, d'où naissent des plaisirs & des peines, des goûts ou des aversions, des inclinations, des passions pour des objets par eux-mêmes très-indifférens. A l'imitation de ceux avec qui nous vivons, nous attachons notre bonheur à l'idée de la possession d'un bien frivole qui nous enleve par-là toute notre tranquillité ; nous le chérissons avec une passion qui étonne ceux qui ne font pas attention que la sphere de nos pensées & de nos desirs est bornée-là.
En indiquant ainsi l'abus que nous faisons de ces biens utiles, nous croyons montrer le remede, & assurer à ceux qui voudront bien ne pas s'y arrêter, la jouissance des biens & des plaisirs agréables par eux-mêmes.
(Jusqu'ici nous avons trop fait d'usage d'un petit mais excellent ouvrage, sur la théorie des sentimens agréables, pour ne pas lui rendre toute la justice qu'il mérite).
II. Quand nous réfléchissons sur ce qui se passe en nous à la vûe des objets propres à nous donner du plaisir ou à nous causer de la peine, nous sentons naître un penchant, une détermination de la volonté, qui est quelque chose de différent du sentiment même du bien & du mal. Il le touche de près, mais c'est une maniere d'être plus active, c'est une volonté naissante que nous pouvons suivre ou abandonner, au lieu que nous n'avons aucun empire sur cette premiere modification de l'ame qui est le sentiment. C'est ce penchant, ce goût qui nous détermine au bien ou à ce qui nous paroît l'être, & que nous nommons attachement ou desir, suivant qu'on possede le bien ou qu'on le souhaite ; c'est lui qui nous retire du mal ou de ce que nous jugeons être tel, & qui, si ce mal est présent, s'appelle aversion, s'il est absent, éloignement. C'est ainsi que le beau ou ce qui nous plaît, nous affecte d'un sentiment qui à son tour excite le desir & fait naître la passion. Le contraire suit la même marche.
L'admiration est la premiere & la plus simple de nos passions ; elle mérite à peine ce nom ; c'est ce sentiment vif & subit de plaisir qui s'excite chez nous à la vûe d'un objet dont la perfection nous frappe. On pourroit lui opposer l'étonnement, si ce mot n'étoit restreint à exprimer un pareil sentiment de peine qui nait à la vûe d'une difformité peu commune, & l'horreur en particulier que cause la vûe d'un vice ou d'un crime extraordinaire. Ces passions sont pour l'ordinaire excitées par la nouveauté ; mais si c'est par un mérite plus réel, alors l'admiration peut être utile. Aussi un observateur attentif trouve souvent dans les objets les plus communs autant & plus de choses dignes de son admiration, que dans les objets les plus rares & les plus nouveaux.
L'admiration ou l'étonnement produisent la curiosité ou le desir de connoître mieux ce que nous ne connoissons qu'imparfaitement ; passion raisonnable & qui tourne à notre profit, si elle se porte sur des recherches vraiment utiles & non frivoles ou simplement curieuses ; si elle est assez discrette pour ne pas nous porter à vouloir connoître ce que nous devons ignorer ; & si elle est assez constante pour ne pas nous faire voltiger d'objets en objets, sans en approfondir aucun.
Après ce qui a été dit sur les plaisirs & les peines, je ne sais si l'on peut mettre la joie & la tristesse au rang des passions, ou si l'on ne doit pas plûtôt regarder ces deux sentimens comme la base & le fond de toutes les passions. La joie n'est proprement qu'une réflexion continue, vive & animée sur le bien dont nous jouissons ; & la tristesse une réflexion soutenue & profonde sur le mal qui nous arrive. On prend souvent la joie pour une disposition à sentir vivement le bien, comme la tristesse pour la disposition à être sensible au mal. Les passions qui tiennent à la joie semblent être douces & agréables : celles qui se rapportent à la tristesse sont fâcheuses & sombres. La joie ouvre le coeur & l'esprit, mais elle dissipe. La tristesse resserre, accable, & fixe sur son objet.
L'espérance & la crainte précedent pour l'ordinaire la joie & la tristesse. Elles se portent sur le bien ou le mal qui doit probablement nous arriver. Si nous le regardons comme fort assuré, nous sentons de la confiance ; ou au contraire si c'est le mal, nous tombons dans le desespoir. La crainte va jusqu'à la peur ou à l'épouvante quand nous appercevons tout-à-coup un mal imprévû prêt à fondre sur nous, & jusqu'à la terreur si outre cela le mal est affreux. Il n'y a point de nom pour exprimer les nuances de la joie en des circonstances paralleles.
Le combat entre la crainte & l'espérance fait l'inquiétude ; disposition tumultueuse, passion mixte, qui nous fait souvent prévenir le mal & perdre le bien. Quand la crainte & l'espérance se succedent tour à tour, c'est irrésolution. Si l'espérance l'emporte, nous sentons naître le courage ; si c'est la crainte, nous tombons dans l'abattement. Quand un bien que nous espérons se fait trop attendre, nous avons de l'impatience ou de l'ennui. Quelquefois même, en nous persuadant que la crainte d'un mal est pire que le mal même, nous sommes impatiens qu'il arrive. L'ennui vient aussi de l'absence de tout bien, mais plus souvent encore du défaut d'occupations qui nous attachent. La joie d'avoir évité un mal que nous avions un juste sujet de craindre, ou d'avoir obtenu un bien long-tems attendu, se change en allegresse. Mais si ce bien ne répond pas à notre attente, s'il est au-dessous de l'idée que nous en avions, le dégoût succede à la joie, & souvent il est suivi de l'aversion.
Toute bonne action porte avec elle sa récompense, en ce qu'elle est suivie d'un sentiment de joie pure qui se nomme satisfaction ou contentement intérieur. Au contraire, la repentance, les regrets, les remords, les sentimens qui s'élevent dans notre coeur, à la vûe de nos fautes.
La joie & la tristesse ne s'en tiennent pas là ; elles produisent encore bien d'autres passions. Telle est cette satisfaction que nous ressentons en obtenant l'approbation des autres, & sur-tout de ceux que nous croyons être les meilleurs juges de nos actions, & que nous désignons sous le nom de la gloire. La tristesse au contraire, que nous éprouvons quand nous sommes blâmés ou désapprouvés, s'appelle honte. Ces affections de l'ame sont si naturelles & si nécessaires au bien de la société, qu'on a donné le nom d'impudence à leur privation ; mais poussées à l'excès, elles peuvent être aussi pernicieuses qu'elles étoient utiles, renfermées dans de justes bornes. On en peut dire autant du desir des honneurs, qui est une noble émulation quand il est dirigé par la justice & la sagesse, & une ambition dangereuse quand on lui lâche la bride. Il en est de même de l'amour modéré des richesses, passion légitime si on les recherche par des voies honorables, & dans l'intention d'en faire un bon usage, mais qui poussé trop loin, est avarice, mot qui exprime deux passions différentes, suivant qu'on desire avec ardeur les richesses, ou pour les amasser sans en jouir, ou pour les dissiper.
Comme l'on n'a point de nom propre pour désigner cet amour modéré des richesses, l'on n'en a pas non plus pour marquer un amour modéré des plaisirs des sens. Le mot de volupté est en quelque sorte affecté à cette sorte de plaisirs. Le voluptueux est celui qui y est trop attaché ; & si le goût que l'on a pour eux va trop loin, on appelle cette passion sensualité.
Il en est encore de même du desir raisonnable ou excessif des plaisirs de l'esprit ; il n'y a pas de terme fixe pour les désigner. Celui qui les aime & qui s'y connoît, est un homme de goût ; celui qui les sait procurer est un homme à talent.
Toutes ces passions se terminent à nous-mêmes, & portent sur l'amour de soi-même. Cet état de l'ame qui l'occupe & l'affecte si vivement pour tout ce qu'il croit être relatif à son bonheur & à sa perfection. Je le distingue de l'amour propre en ce que celui-ci subordonne tout à son bien particulier, se fait le centre de tout, & est à lui-même son objet & sa fin ; c'est l'excès d'une passion qui est naturelle & légitime quand elle demeure dans les bornes de l'amour de soi-même, qu'elle laisse à l'ame la liberté de se répandre au-dehors, & de chercher sa conservation, sa perfection & son bonheur hors d'elle, comme en elle. Ainsi l'amour de soi-même ne détruit point, mais il a une liaison intime & quelquefois imperceptible avec ce sentiment qui nous fait prendre plaisir au bonheur des autres, ou à ce que nous imaginons être leur bonheur ; il ne s'oppose pas à toutes les autres passions qui se répandent sur ceux qui nous environnent, & qui sont tout autant de branches de l'amour ou de la haine. Celle-ci est cette disposition à se plaire au malheur de quelqu'un, & par une suite naturelle, à s'affliger de son bonheur. On hait ce dont l'idée est desagréable, ce qu'on considere comme mauvais ou nuisible à nous-mêmes, ou à ce que nous aimons. Si quelquefois on croit se haïr, ce n'est pas soi-même que l'on hait ; c'est quelque imperfection que l'on découvre en soi, dont on voudroit se défaire. La haine devroit se borner aux mauvaises qualités, aux défauts ; mais elle ne s'étend pas trop sur les personnes.
L'admiration jointe à quelques degrés d'amour, fait l'estime. Si la vue des défauts ne produit pas la haine, elle fait naître le mépris.
La peine que l'on ressent du mal qui arrive à ceux que l'on aime, ou en général à nos semblables, c'est la compassion ; & celle qui résulte du bien qui arrive à ceux que l'on hait, c'est l'envie. Ces deux passions ne s'excitent que quand nous jugeons notre ami ou celui pour qui nous nous intéressons, indigne du mal qu'il éprouve, & celui que nous n'aimons pas, du bien dont il jouit.
La reconnoissance est l'amour que nous avons pour quelqu'un, à cause du bien qu'il nous a fait, ou qu'il a eu intention de nous faire. Si c'est à cause du bien qu'il a fait à d'autres, ou en général pour quelque bonne qualité morale que nous aimons en lui, c'est faveur. La haine que nous sentons envers ceux qui nous ont fait tort, c'est la colere. L'indignation porte sur celui qui fait tort aux autres. L'une & l'autre sont souvent suivies du desir de rendre le mal pour le mal, & c'est la vengeance.
III. Si nous étions les maîtres de nous donner un caractere, peut-être que considérant les abîmes où la fougue des passions peut nous entraîner, nous le formerions sans passions. Cependant elles sont nécessaires à la nature humaine, & ce n'est pas sans des vues pleines de sagesse qu'elle en a été rendue susceptible. Ce sont les passions qui mettent tout en mouvement, qui animent le tableau de cet univers, qui donnent pour ainsi dire l'ame & la vie à ses diverses parties. Celles qui se rapportent à nous-mêmes, nous ont été données pour notre conservation, pour nous avertir & nous exciter à rechercher ce qui nous est nécessaire & utile, & à fuir ce qui nous est nuisible. Celles qui ont les autres pour objets servent au bien & au maintien de la société. Si les premiers ont eu besoin de quelque pointe qui réveillât notre paresse, les secondes, pour conserver la balance, ont dû être vives & actives en proportion. Toutes s'arrêteroient dans leurs justes bornes, si nous savions faire un bon usage de notre raison pour entretenir ce parfait équilibre ; elles nous deviendroient utiles, & la nature avec ses défauts & ses imperfections, seroit encore un spectacle agréable aux yeux du créateur porté à approuver nos vertueux efforts, & à excuser & pardonner nos foiblesses.
Mais il faut l'avouer, & l'expérience ne le dit que trop ; nos inclinations ou nos passions abandonnées à elles-mêmes apportent mille obstacles à nos connoissances & à notre bonheur. Celles qui sont violentes & impétueuses nous représentent si vivement leur objet, qu'elles ne nous laissent d'attention que pour lui. Elles ne nous permettent pas même de l'envisager sous une autre face que celle sous laquelle elles nous le présentent, & qui leur est toujours la plus favorable. Ce sont des verres colorés qui répandent sur tout ce qu'on voit au-travers la couleur qui leur est propre. Elles s'emparent de toutes les puissances de notre ame ; elles ne lui laissent qu'une ombre de liberté ; elles l'étourdissent par un bruit si tumultueux, qu'il devient impossible de prêter l'oreille aux avis doux & paisibles de la raison.
Les passions plus douces attirent insensiblement notre attention sur l'objet ; elles nous y font trouver tant de charmes, que tout autre nous paroissant insipide, bientôt nous ne pouvons plus considérer que celui-là seul. Foibles dans leur principe, elles empruntent leur puissance de cette foiblesse même ; la raison ne se défie pas d'un ennemi qui paroît d'abord si peu dangereux ; mais quand l'habitude s'est formée, elle est surprise de se voir subjuguée & captive.
Les plaisirs du corps nous attachent d'autant plus facilement, que notre sensibilité pour eux est toute naturelle. Sans culture, sans étude, nous aimons ce qui flate agréablement nos sens ; livrés à la facilité de ces plaisirs, nous ne pensons pas qu'il n'en est point de plus propres à nous détourner de faire un bon usage de nos facultés ; nous perdons le goût de tous les autres biens qui demandent quelques soins & quelqu'attention, & l'ame asservie aux passions que ces plaisirs entraînent, n'a plus d'élevation ni de sentiment pour tout ce qui est véritablement digne d'elle.
Les plaisirs de l'esprit sont bien doux & légitimes, quand on ne les met pas en opposition avec ceux du coeur. Mais si les qualités de l'esprit se font payer par des défauts du caractere, ou seulement si elles émoussent notre sensibilité pour les charmes de la vertu & pour les douceurs de la société, elles ne sont plus que des syrenes trompeuses, dont les chants séducteurs nous détournent de la voie du vrai bonheur. Lors même que l'on ne les regarde que comme des accessoires à la perfection, elles peuvent produire de mauvais effets qu'il est dangereux de ne pas prévenir. Si l'on se livre à tous ses goûts, on effleure tout, & on devient superficiel & léger ; ou si l'on se contente de vouloir paroître savant, on sera un faux savant, ou un homme enflé, présomptueux, opiniâtre. Combien n'est-il pas d'autres dangers dans lesquels les plaisirs de l'esprit nous entrainent ?
Rien ne paroît plus digne de nos desirs, que l'amour même de la vertu. C'est ce qui entretient les plaisirs du coeur ; c'est ce qui nourrit en nous les passions les plus légitimes. Vouloir sincérement le bonheur d'autrui, se lier d'une tendre amitié avec des personnes de mérite, c'est s'ouvrir une abondante source de délices. Mais si cette inclination nous fait approuver & embrasser avec chaleur toutes les pensées, toutes les opinions, toutes les erreurs de nos amis ; si elle nous porte à les gâter par de fausses louanges & de vaines complaisances, si elle nous fait surtout préférer le bien particulier au bien public, elle sort des bornes qui lui sont prescrites par la raison ; & l'amitié & la bienfaisance, ces affections de l'ame si nobles & si légitimes, deviennent pour nous une source d'écueils & de périls.
Les passions ont toutes, sans en excepter celles qui nous inquietent & nous tourmentent le plus, une sorte de douceur qui les justifie à elles-mêmes. L'expérience & le sentiment intérieur nous le disent sans cesse. Si l'on peut trouver douces, la tristesse, la haine, la vengeance, quelle passion sera exempte de douceur ? D'ailleurs chacune emprunte pour se fortifier, le secours de toutes les autres ; & cette ligue est réglée de la maniere la plus propre à affermir leur empire. Le simple desir d'un objet ne nous entraîneroit pas avec tant de force dans tant de faux jugemens ; il se dissiperoit même bientôt aux premieres lueurs du bon sens ; mais quand ce désir est animé par l'amour, augmenté par l'espérance, renouvellé par la joie, fortifié par la crainte, excité par le courage, l'émulation, la colere, & par mille passions qui attaquent tout-à-tour & de tous côtés la raison ; alors il la dompte, il la subjugue, il la rend esclave.
Disons encore que les passions excitent dans le corps, & sur-tout dans le cerveau, tous les mouvemens utiles à leur conservation. Par là elles mettent les sens & l'imagination de leur parti ; & cette derniere faculté corrompue, fait des efforts continuels contre la raison en lui représentant les choses, non comme elles sont en elles-mêmes, afin que l'esprit porte un jugement vrai, mais selon ce qu'elles sont par rapport à la passion présente, afin qu'il juge en sa faveur.
En un mot, la passion nous fait abuser de tout. Les idées les plus distinctes deviennent confuses, obscures ; elles s'évanouissent entierement pour faire place à d'autres purement accessoires, ou qui n'ont aucun rapport à l'objet que nous avons en vue ; elle nous fait réunir les idées les plus opposées, séparer celles qui sont les mieux liées entr'elles, faire des comparaisons de sujets qui n'ont aucune affinité ; elle se joue de notre imagination, qui forme ainsi des chimeres, des représentations d'êtres qui n'ont jamais existé, & auxquels elle donne des noms agréables ou odieux, comme il lui convient. Elle ose ensuite s'appuyer de principes aussi faux, les confirmer par des exemples qui n'y ont aucun rapport, ou par les raisonnemens les moins justes ; ou si ces principes sont vrais, elle sait en tirer les conséquences les plus fausses, mais les plus favorables à notre sentiment, à notre goût, à elle-même. Ainsi elle tourne à son avantage jusqu'aux regles de raisonnement les mieux établies, jusqu'aux maximes les mieux sondées, jusqu'aux preuves les mieux constatées, jusqu'à l'examen le plus sévere. Et une fois induits en erreur, il n'y a rien que la passion ne fasse pour nous entretenir dans cet état fâcheux, & nous éloigner toujours plus de la vérité. Les exemples pourroient se présenter ici en foule ; le cours de notre vie en est une preuve continuelle. Triste tableau de l'état où l'homme est réduit par ses passions ! environné d'écueils, poussé par mille vents contraires, pourroit-il arriver au port ? Oui, il le peut ; il est pour lui une raison qui modere les passions, une lumiere qui l'éclaire, des regles qui le conduisent, une vigilance qui le soutient, des efforts, une prudence dont il est capable. Est enim quaedam medicina : certe ; haec tam fuit hominum generi infensa atque inimica natura, ut corporibus tot res salutares, animis nullam invenerit, de quibus hoc etiam est merita melius, quod corporum adjumenta adhibentur extrinsecus, animorum salus inclusa in his ipsis est. Tusc. iv. 27.
PASSION DE JESUS-CHRIST, (Critique sacrée) l'opinion commune des anciens sur l'année de la passion de J. C. est que ce fut la seconde année de l'olympiade 202, la 76 année julienne, & Tibere finissant la 17 de son empire. Ils ont cru aussi en général que Notre Seigneur se livra aux Juifs le 22 Mars, qu'il fut crucifié le 22, & ressuscita le 25. Cette opinion se trouve dans un fragment du concile de Césarée de Palestine tenu l'année 198, lequel fragment Bede a rapporté. Les raisons qui appuient cette opinion sont bien frivoles. Les évêques de ce concile supposent que Jesus-Christ ressuscita le 25 de Mars, parce que c'est l'équinoxe du printems, &, selon eux, le premier jour de la création du monde. Le pere Pétau dit là-dessus qu'on sait que les raisons des peres du conciles ne sont pas tout-à-fait vraies, ni censées être des articles de foi. Beausobre. (D.J.)
PASSIONS, dans l'Eloquence, on appelle ainsi tout mouvement de la volonté, qui causé par la recherche d'un bien ou par l'appréhension d'un mal, apporte un tel changement dans l'esprit, qu'il porte une différence notable dans les jugemens qu'il porte en cet état, & que ces mouvemens influent même sur le corps. Telles sont la pitié, la crainte, la colere ; ce qui a fait dire à un poëte :
Impedit ira animum ne possit cernere verum.
La fonction de la volonté est d'aimer ou de haïr, d'approuver ou de desapprouver. Par l'intime liaison qu'il y a entre la volonté & l'intelligence, tout ce qui paroît aux yeux de celle-ci fait impression sur celle-là. L'impression se trouvant agréable, la volonté approuve l'objet qui en est l'occasion ; elle le desapprouve quand l'impression en est désagréable. Cette volonté a différens noms, selon les mouvemens qu'elle éprouve & auxquels elle se porte. On l'appelle colere, quand elle veut se vanger ; compassion, quand elle veut soulager un malheureux ; amour, quand elle veut s'unir à ce qui lui plaît ; haine, quand elle veut être éloignée de ce qui lui déplaît ; & ainsi des autres sentimens. Quand ces especes de volontés sont violentes & vives, on les appelle plus ordinairement passions. Quand elles sont paisibles & tranquilles, on les nomme sentimens, mouvemens, passions douces ; comme l'amitié, l'espérance, la gaieté, &c. Les passions douces sont ainsi nommées parce qu'elles ne jettent point le trouble dans l'ame, & qu'elles se contentent de la remuer doucement : il y a dans ces passions autant de lumiere que de chaleur, de connoissance que de sentiment.
On peut rapporter toutes les passions à ces deux sources principales, la douleur & le plaisir ; c'est-à-dire à tout ce qui produit une impression agréable ou desagréable. D'autres les réduisent à cette division de Boëce, lib. X. de Consol. philosop.
Gaudia pelle,
Pelle timorem,
Spemque fugato
Nec dolor adsit.
Les philosophes & les Rhéteurs sont également partagés sur le nombre des passions. Aristote, au II. liv. de sa Rhétorique n'en compte que treize : savoir la colere & la douceur d'esprit, l'amour & la haine, la crainte & l'assurance, la honte & l'impudence, le bienfait, la compassion, l'indignation, l'envie & l'émulation ; auxquelles quelques-uns ajoutent le desir, l'espérance & le désespoir.
D'autres n'en admettent qu'une, qui est l'amour, à laquelle ils rapportent toutes les autres. Ils disent que l'ambition n'est qu'un amour de l'honneur, que la volupté n'est qu'un amour du plaisir : mais il paroît difficile de rapporter à l'amour les passions qui lui paroissent directement opposées, telles que la haine, la colere, &c.
Enfin les autres soutiennent qu'il n'y en a qu'onze ; savoir, l'amour & la haine, le desir & la fuite, l'espérance & le désespoir, le plaisir & la douleur, la peur, la hardiesse & la colere. Et voici comment ils trouvent ce nombre : des passions, disent-ils, les unes regardent le bien, & les autres le mal. Celles qui regardent le bien sont l'amour, le plaisir, le desir, l'espérance & le désespoir : car, aussi-tôt qu'un objet se présente à nous sous l'image du bien, nous l'aimons : si ce bien est présent, nous en recevons du plaisir ; s'il est absent, nous sommes touchés du desir de le posséder : si le bien qui se présente à nous est accompagné de difficultés, & que nous nous figurions, malgré ces obstacles, pouvoir l'obtenir, alors nous avons de l'espérance ; mais si les obstacles sont ou nous paroissent insurmontables, & l'acquisition de ce bien impossible, alors nous tombons dans le désespoir. Les autres passions qui regardent le mal, sont la haine, la fuite, la douleur, la crainte, la hardiesse & la colere : car, si un objet se présente à nous sous l'image du mal, aussi-tôt nous le haïssons ; s'il est absent, nous le fuyons ; s'il est présent il nous cause de la douleur ; s'il est absent, & que nous voulions le surmonter, il excite la hardiesse ; si nous le redoutons, comme trop formidable, alors nous le craignons ; mais s'il est présent, & que nous voulions le combattre, il enflamme la colere. C'est ainsi qu'on trouve onze passions, dont cinq regardent le bien & six le mal. Il faut pourtant supposer que nonobstant ce nombre, il s'en trouve encore comme un essain d'autres, qui prennent leur origine de celles-là, comme l'envie, l'émulation, la honte, &c.
Est-il nécessaire d'exciter les passions dans l'éloquence ? Question aujourd'hui décidée pour l'affirmative, mais qui ne l'a pas toujours été, ni partout. Le fameux tribunal de l'Aréopage regardoit dans un orateur cette ressource comme une supercherie, ou, si l'on veut, comme un voile propre à obscurcir la vérité. " Un hérault, dit Lucien, a ordre d'imposer silence à tous ceux dont il paroît que le but est de surprendre l'admiration ou la pitié des juges par des figures tendres ou brillantes. En effet, ajoute-t-il, ces graves sénateurs regardent tous les charmes de l'éloquence, comme autant de voiles imposteurs qu'on jette sur les choses-mêmes, pour en dérober la nature aux yeux trop attentifs ". En un mot, les exordes, les peroraisons, un ton même trop véhément, tous les prestiges qui operent la persuasion, étoient si généralement proscrits dans ce tribunal, que Quintilien attribue une partie de l'avantage qu'il donne à Cicéron sur Démosthène dans le genre délicat & tendre, à la nécessité où s'étoit trouvé celui-ci, de sacrifier les graces du discours à l'austérité des moeurs d'Athènes. Salibus certe & commiseratione, qui duo plurimum affectus valent, vincimus ; & fortasse epilogos illi (Demostheni) mos civitatis (Athenarum) abstulerit.
Mais l'éloquence latine, sur laquelle principalement la nôtre s'est formée, non-seulement admet les passions, mais encore elle les exige nécessairement. " On sait, dit M. Rollin, que les passions sont comme l'ame du discours, que c'est ce qui lui donne une impétuosité & une véhémence qui emportent & entraînent tout, & que l'orateur exerce par-là sur ses auditeurs un empire absolu, & leur inspire tels sentimens qu'il lui plaît. Quelquefois en profitant adroitement de la pente & de la disposition favorable qu'il trouve dans les esprits, mais d'autres fois en surmontant toute leur résistance par la force victorieuse du discours, & les obligeant de se rendre comme malgré eux. La peroraison, ajoute-t-il, est, à proprement parler, le lieu des passions ; c'est-là que l'orateur, pour achever d'abattre les esprits, & pour enlever leur consentement, employe sans ménagement, selon l'importance & la nature des affaires, tout ce que l'éloquence a de plus fort, de plus tendre & de plus affectueux ".
Elles peuvent & doivent même avoir lieu dans d'autres parties du discours, & on en trouve de fréquens exemples dans Cicéron. Outre les passions fortes & véhémentes auxquelles les Rhéteurs donnent le nom de , il y en a une autre sorte qu'ils appellent , qui consiste dans des sentimens plus doux, plus tendres, plus insinuans, qui n'en sont pas pour cela moins touchans ni moins vifs, dont l'effet n'est pas de renverser, d'entraîner, d'emporter tout, comme de vive force, mais d'intéresser & d'attendrir en s'insinuant jusqu'au fond du coeur. Les passions ont lieu entre des personnes liées ensemble par quelque union étroite, entre un prince & des sujets, un pere & des enfans, un tuteur & des pupilles, un bienfaiteur & ceux qui ont reçu un bienfait, &c.
Les Rhéteurs donnent des préceptes fort étendus sur la maniere d'exciter les passions, & ils peuvent être utiles jusqu'à un certain point ; mais ils sont tous forcés d'en revenir à ce principe, que pour toucher les autres, il faut être touché soi-même :
Si vis me flere, dolendum est
Primum ipsi tibi. Art. poét. d'Horace.
On sent assez que les mouvemens forts & pathétiques seroient mal rendus par un discours brillant & fleuri, & qu'il ne doit s'agir de rien moins que d'amuser l'esprit quand on veut triompher du coeur. De même dans les passions plus douces, tout doit se faire d'une maniere simple & naturelle, sans étude & sans affectation ; l'air, l'extérieur, le geste, le ton, le style, tout doit respirer je ne sais quoi de doux & de tendre qui parte du coeur & qui aille droit au coeur. Pectus est, quod moveas, dit Quintilien. Cours des belles-lettres, tom. II. Rhétorique selon les précept. d 'Aristote, de Cicéron, de Quintilien. Mém. de l'acad. des belles-lett. tom. VII. Traité des études de M. Rollin, tom. II.
PASSIONS, en Poésie, ce sont les sentimens, les mouvemens, les actions passionnées que le poëte donne à ses personnages. Voyez CARACTERE.
Les passions sont, pour ainsi dire, la vie & l'esprit des poëmes un peu longs. Tout le monde en connoit la nécessité dans la tragédie & dans la comédie : l'épopée ne peut pas subsister sans elles, Voyez TRAGEDIE, COMEDIE, &c.
Ce n'est pas assez que la narration dans le poëme épique soit surprenante, il faut encore qu'elle remue, qu'elle soit passionnée, qu'elle transporte l'esprit du lecteur, & qu'elle le remplisse de chagrin, de joie, de terreur ou de quelqu'autres passions violentes ; & cela pour des sujets qu'il sait n'être que fictions. Voyez EPIQUE & NARRATION.
Quoique les passions soient toujours nécessaires, cependant toutes ne sont pas également nécessaires ni convenables en toute occasion. La comédie a pour son partage la joie & les surprises agréables ; au contraire la terreur & la compassion sont les passions qui conviennent à la tragédie. La passion la plus propre à l'épopée, est l'admiration ; cependant l'épopée, comme tenant le milieu entre les deux autres, participe aux especes de passions qui leur conviennent, comme nous voyons dans les plaintes du quatrieme livre de l'Enéïde, & dans les jeux & divertissemens du cinquieme. En effet, l'admiration participe de chacune : nous admirons avec joie les choses qui nous surprennent agréablement, & nous voyons avec une surprise mêlée de terreur & de douleur celles qui nous épouvantent & nous attristent.
Outre la passion générale qui distingue le poëme épique du poëme dramatique, chaque épopée a sa passion particuliere qui la distingue des autres poëmes épiques. Cette passion particuliere suit toujours le caractere du héros. Ainsi la colere & la terreur dominent dans l'Iliade, à cause qu'Achille est emporté, & , le plus terrible des hommes. L'Enéide est remplie de passions plus douces & plus tendres ; parce que tel est le caractere d'Enée. La prudence d'Ulisse ne permettant point ces excès, nous ne trouvons aucune de ces passions dans l'Odissée.
Pour ce qui regarde la conduite des passions, pour leur faire produire leur effet, deux choses sont requises ; savoir que l'auditoire soit préparé & disposé à les recevoir, & qu'on ne mêle point ensemble plusieurs passions incompatibles.
La nécessité de préparer l'auditoire est fondée sur la nécessité naturelle de prendre les choses où elles sont, dans le dessein de les transporter ailleurs. Il est aisé de faire l'application de cette maxime : un homme est tranquille & à l'aise, & vous voulez exciter en lui une passion par un discours fait dans ce dessein ; il faut donc commencer d'une maniere calme : & par ce moyen vous joindre à lui, & ensuite marchant ensemble, il ne manquera pas de vous suivre dans toutes les passions par lesquelles vous le conduirez insensiblement.
Si vous faites voir votre colere d'abord, vous vous rendrez aussi ridicule, & vous ferez aussi peu d'effet qu'Ajax dans les Métamorphoses, où l'ingénieux Ovide donne un exemple sensible de cette faute. Il commence sa harangue par le fort de la passion & avec les figures les plus fortes, devant ses juges qui sont dans la tranquillité la plus profonde.
Sigeia torvo,
Littora prospexit, classemque in littore, voltu ;
Protendensque manus, agimus, proh Jupiter ! inquit,
Ante rates causam, & mecum confertur Ulisses.
Les dispositions nécessaires viennent de quelque discours précédent, ou du moins de quelque action qui a déja commencé à émouvoir les passions avant qu'il en ait été mention. Les orateurs eux-mêmes mettent quelquefois ces derniers moyens en usage. Car quoiqu'ordinairement ils ne remuent les passions qu'à la fin de leurs discours, cependant quand ils trouvent leur auditoire déja ému, ils se rendroient ridicules en le préparant de nouveau par une tranquillité déplacée. Ainsi la derniere fois que Catilina vint au sénat, les sénateurs étoient si choqués de sa présence, que se trouvant proche de l'endroit où il étoit assis, ils se leverent, se retirerent & le laisserent seul. A cette occasion Cicéron eut trop de bon sens pour commencer son discours avec la tranquillité & le calme qui est ordinaire dans les exordes. Par cette conduite il auroit diminué & anéanti l'indignation que les sénateurs sentoient contre Catilina, au lieu que son but étoit de l'augmenter & de l'enflammer ; & il auroit déchargé le parricide de la consternation que la conduite des sénateurs lui avoit causée, au lieu que le dessein de Cicéron étoit de l'augmenter. C'est pourquoi omettant la premiere partie de sa harangue, il prend ses auditeurs dans l'état où il les trouve, & continue à augmenter leurs passions : Quousque tandem abutere, Catilina, patientiâ nostrâ ? quamdiu nos etiam furor iste tuus eludet ? quem ad finem sese effraenata jactabit audacia ? Nihil ne te nocturnum praesidium palatii, nihil urbis vigiliae, nihil timor populi, nihil, &c.
Les poëtes sont remplis de passages de cette sorte, dans lesquels la passion est préparée & amenée par des actions. Didon dans Virgile commence un discours comme Ajax, Proh Jupiter ! ibit hic, ait, &c. mais alors les mouvemens y étoient bien disposés : Didon est représentée auparavant avec des appréhensions terribles qu'Enée ne la quitte, &c.
La conduite de Seneque à la vérité est tout-à-fait opposée à cette regle. A-t-il une passion à exciter, il a grand soin d'abord d'éloigner de ses auditeurs toutes les dispositions dont ils devoient être affectés. S'ils sont dans la douleur, la crainte, ou l'attente de quelque chose d'horrible, &c. il commence par quelque belle description de l'endroit, &c. Dans la Troade, Hécube & Andromaque étant préparées à apprendre la mort violente & barbare de leur fils Astianax, que les Grecs ont précipité du haut d'une tour, qu'étoit-il besoin de leur dire que les spectateurs qui étoient accourus de tous les quartiers pour voir cette exécution étoient, les uns placés sur des pierres accumulées par les débris des murailles, que d'autres se casserent les jambes pour être tombés de lieux trop élevés où ils s'étoient placés, &c. Alta rupes, cujus è cacumine, erecta summos turba libravit pedes, &c.
La seconde chose requise dans le maniement des passions, est qu'elles soient pures & débarrassées de tout ce qui pourroit empêcher leur effet.
La polymythye, c'est-à-dire, la multiplicité de fictions, de faits & d'histoires est donc une chose qu'on doit éviter. Toutes aventures embrouillées & difficiles à retenir, & toutes intrigues entortillées & obscures, doivent être écartées d'abord. Elles embarrassent l'esprit, & demandent tellement d'attention, qu'il ne reste plus rien pour les passions. L'ame doit être libre & sans embarras pour sentir : & nous faisons nous-mêmes diversion à nos chagrins en nous appliquant à d'autres choses.
Mais les plus grands ennemis que les passions ont à combattre, ce sont les passions elles-mêmes : elles sont opposées, & se détruisent les unes les autres ; & si deux passions opposées, comme la joie & le chagrin, se trouvent dans le même sujet, elles n'y resteront ni l'une ni l'autre. C'est la nature de ces habitudes qui a imposé cette loi : le sang & les esprits ne peuvent pas se mouvoir avec modération & égalité comme dans un état de tranquillité, & en même tems être élevés & suspendus avec quelque violence occasionnée par l'admiration. Ils ne peuvent pas rester dans l'une ni dans l'autre de ces situations, si la crainte les rappelle des parties extérieures du corps pour les réunir au-tour du coeur, ou si la rage les renvoye dans les muscles & les y fait agir avec une violence bien opposée aux opérations de la crainte.
Il faut donc étudier les causes & les effets des passions dans le coeur pour être en état de les manier avec toute la force nécessaire. Virgile fournit deux exemples de ce que nous avons dit de la simplicité de la préparation de chaque passion dans la mort de Camille & dans celle de Pallas. Voyez ENEIDE.
Dans le poëme dramatique le jeu des passions est une des plus grandes ressources des poëtes. Ce n'est plus un problème que de savoir si l'on doit les exciter sur le théâtre. La nature du spectacle, soit comique, soit tragique, sa fin, ses succès démontrent assez que les passions font une des parties les plus essentielles du drame, & que sans elles tout devient froid & languissant dans un ouvrage où tout doit être, autant qu'il se peut, mis en action. Pour en juger dans les ouvrages de ce genre, il suffit de les connoître, & de savoir discerner le ton qui leur convient à chacune ; car comme dit M. Despréaux :
Chaque passion parle un différent langage,
La colere est superbe & veut des mots altiers,
L'abattement s'explique en des termes moins fiers.
Art. poét. ch. III.
Ce n'est pas ici le lieu d'exposer la nature de chaque passion en particulier, les effets, les ressorts qu'il faut employer, les routes qu'on doit suivre pour les exciter. On en a déja touché quelque chose au commencement de cet article & dans le précédent. C'est dans ce qu'en a écrit Aristote au second livre de sa Rhétorique, qu'il faut en puiser la théorie. L'homme a des passions qui influent sur ses jugemens & sur ses actions ; rien n'est plus constant. Toutes n'ont pas le même principe ; les fins auxquelles elles tendent sont aussi différentes entr'elles que les moyens qu'elles employent pour y arriver se ressemblent peu. Elles affectent le coeur chacune de la maniere qui lui est propre ; elles inspirent à l'esprit des pensées relatives à ces impressions ; & comme pour l'ordinaire ces mouvemens intérieurs sont trop violens & trop impétueux pour n'éclater pas au dehors, ils n'y paroissent qu'avec des sons qui les caractérisent & qui les distinguent. Ainsi l'expression, qui est la peinture de la pensée, est aussi convenable & proportionnée à la passion dont la pensée elle-même n'est que l'interprete.
Quoiqu'en général chaque passion s'exprime différemment d'une autre passion, il est cependant bon de remarquer qu'il en est quelques-unes qui ont entr'elles beaucoup d'affinité, & qui empruntent, pour ainsi dire, le même ton ; telles que sont, par exemple, la haine, la colere, l'indignation. Or pour en discerner les diverses nuances, il faut avoir recours au fond des caracteres, remonter au principe de la passion, examiner les motifs & l'intérêt qui font agir les personnages introduits sur la scène. Mais la plus grande utilité qu'on puisse retirer de cette étude, c'est de connoître le coeur humain, ses replis, les ressorts qui le font mouvoir, par quels motifs on peut l'intéresser en faveur d'un objet, ou le prévenir contre, enfin comment il faut mettre en profit les foiblesses mêmes des hommes pour les éclairer & les rendre meilleurs. Car si l'image des passions violentes ne servoit qu'à en allumer de semblables dans le coeur des spectateurs, le poëme dramatique deviendroit aussi pernicieux qu'il est peut-être utile pour former les moeurs. Princ. pour la lect. des Poët. tom. II.
PASSION, (Méd. Hyg. Pathol. Thér.) le desir, l'inclination pour un objet, qui est, qui peut être, ou qui paroît être agréable, avantageux, utile ; & l'éloignement, l'aversion que l'on a pour des objets qui sont désagréables, désavantageux, nuisibles, ou qui paroissent tels, sont des sentimens, des affections intérieures, que l'on appelle passions ; lorsqu'ils sont accompagnés d'agitation forte, de mouvemens violens dans l'esprit.
Dans toutes les passions, on est affecté de plaisir ou de joie, de peine ou de tristesse, de chagrin, de douleur même ; selon que le bien desiré ou dont on espere, dont on obtient la possession, est plus considérable, peut contribuer davantage à procurer du plaisir, du bonheur ; ou que le mal que l'on craint, dont on souhaite l'éloignement, la cessation, ou dont on souffre avec peine l'idée, l'existence, est plus grand, plus prochain, ou plus difficile à éviter, à faire cesser.
Ainsi on peut distinguer les passions en agréables & en désagréables, en joyeuses & en tristes, en vives & en languissantes. Voyez PASSIONS, Morale.
Les passions sont une des principales choses de la vie, que l'on appelle dans les écoles non-naturelles, qui sont d'une grande influence dans l'économie animale, par leurs bons ou leurs mauvais effets ; selon qu'on se livre avec modération à celles qui, sous cette condition, peuvent se concilier avec les intérêts de la santé, telles que les plaisirs, la joie, l'amour, l'ambition ; ou que l'on se laisse aller à toute la fougue de celles, qui ne sont pernicieuses que par l'excès, telles que le tourment de l'amour, de l'ambition, la fureur du jeu ; ou que l'on est en proie à tous les mauvais effets de celles qui sont toujours contraires de leur nature au bien de la santé, au repos, à la tranquillité de l'ame, qu'elle exige pour sa conservation ; telles que la haine inquiete, agitée, la jalousie portée à la vengeance, la colere violente, le chagrin constant. Voyez NON-NATURELLES (choses) Hygiene.
On ne peut donc pas douter que les fortes affections de l'ame ne puissent beaucoup contribuer à entretenir la santé ou à la détruire selon qu'elles favorisent ou qu'elles troublent l'exercice des fonctions : la joie moderée rend, selon Sanctorius, la transpiration plus abondante & plus favorable, & lorsqu'elle dure long-tems, elle empêche le sommeil, elle épuise les forces : l'amour heureux dissipe la mélancholie ; l'amour non-satisfait cause l'inappétence, l'insomnie, les pâles-couleurs, les opilations, la consomption, &c. La haine, la jalousie produit de violentes douleurs de tête, des délires : la crainte & la tristesse donnent lieu à des obstructions, à des affections hypocondriaques ; la terreur, à des flux de ventre, des avortemens, des fievres malignes ; il n'est pas même sans exemple qu'elle ait causé la mort.
L'excès ou le mauvais effet des passions, des peines d'esprit violentes, est plus nuisible à la santé que celui du travail, de l'exercice outre mesure : s'il survient à quelqu'un une maladie pendant qu'il est affecté d'une passion violente ; cette maladie ne finit ordinairement qu'avec la contention d'esprit qu'excite cette passion, & la maladie changera plûtôt de caractere que de se dissiper.
Ainsi, lorsqu'une maladie résiste aux remèdes ordinaires, qui paroissent bien indiqués & employés avec la méthode convenable ; le médecin doit examiner s'il n'y auroit point d'affection extraordinaire de l'ame qui entretienne le désordre des fonctions, & rende les remedes sans effet : souvent cette sorte de complication, à laquelle on ne fait pas assez d'attention, est aussi importante à découvrir que celle du mal vénérien, ou du virus scrophuleux, ou de l'affection du genre nerveux en général, &c. que l'on cherche plus ordinairement. Tout le monde sait comment Erasistrate, célebre médecin de Seleucus Nicanor, découvrit que la maladie de la langueur des plus rebelles de son fils Antiochus Soter, n'étoit causée que par l'amour extrème qu'il avoit conçu pour sa belle-mere.
C'est par l'effet des passions, des contentions, des peines d'esprit dominantes dans les peres de famille, dans les personnes d'affaire, dans les gens d'étude fort appliqués à des réflexions, à des méditations, à des recherches fatigantes, que les maladies qui leur surviennent sont, tout étant égal, plus difficiles à guerir que dans ceux qui ont habituellement l'esprit libre, l'ame tranquille.
Les personnes d'un esprit ferme, qui savent supporter patiemment tous les maux de la vie, qui ne se laissent abattre par aucun évenement, qui ne sont tourmentés ni par les desirs pressans, ni par l'espérance inquiete, ni par la crainte industrieuse à grossir les objets, guérissent aisément de bien des maladies sérieuses, souvent même sans les secours de l'art ; parce que la nature n'est point troublée dans ses opérations ; tandis que des personnes timides, craintives, impatientes, foibles d'esprit, ou d'une grande sensibilité, éprouvent de plus grandes maladies & des plus difficiles à guérir, même par l'effet de petites causes morbifiques, & rendent inefficaces par ces différentes dispositions analogues les remedes les mieux employés.
On voit des blessures peu considérables devenir très-longues à guérir, à cause de la crainte, souvent mal fondée, dont les malades sont frappés pour les suites qu'elles peuvent avoir, & des plaies de la plus grande conséquence guéries en peu de tems, à l'égard des malades fermes & patiens, qui savent endurer le mal qu'ils ne peuvent éviter, & ne se laissent pas aller à la frayeur, au désespoir, comme d'autres, dont la disposition physique les y porte malgré eux ; tant il est vrai que notre façon de penser, de sentir, d'être affecté ne dépend pas de la volonté, puisqu'elle est assujettie elle-même, aux différentes impressions que l'ame reçoit, par différentes causes tant externes qu'internes. Voyez FIENUS, de viribus imaginationis.
La maniere de traiter les maladies qui proviennent des passions violentes ou qui sont compliquées avec elles, consiste principalement à mettre, autant qu'il est possible, les personnes affectées dans une disposition morale, entierement opposée à la passion dominante, en leur inspirant les vertus dont ils ont besoin, en les rappellant à la raison par le moyen de la religion, de la philosophie, selon qu'on les connoît susceptibles de l'un ou de l'autre de ces secours moraux, en les portant à la patience, pour les aider à supporter les maux inévitables de cette vie ; à prendre courage pour résister à l'adversité, aux chagrins ; à s'armer de prudence pour prévenir les malheurs que l'on craint ; à prendre le parti de la tranquillité, pour ne pas être affectés des troubles, des desavantages que l'on ne peut pas empêcher ; ainsi des autres sentimens que l'on tâche d'insinuer pour dissiper les peines d'esprit que l'on voit être la principale cause des maladies dont il s'agit, qu'un médecin, homme de sens, qui sait manier le raisonnement à propos, entretenir, amuser les malades, en se mettant à la portée de chacun, parviendra à guérir plus surement & plus agréablement, souvent même sans aucun remede de conséquence, & seulement avec ceux auxquels il fait prendre confiance ; tandis qu'un autre médecin, sans les mêmes ressources, n'employera les remedes les plus nombreux & les plus composés, que pour faire prendre la plus mauvaise tournure aux maladies de cette espece. Medicina consolatio animi ; c'est-là une des grandes qualités que doivent donner à l'art ceux qui l'exercent avec habileté.
Mais si on ne peut pas réussir par les exhortations, par les consolations aidées, soutenues par les artifices qu'il doit être permis d'employer à cet égard, pour parvenir à changer l'imagination : on ne doit pas se flatter de réussir par le seul moyen des remedes physiques, de quelque nature qu'ils puissent être ; à moins que ce ne soit l'action même desirée, à l'égard de l'objet de la passion, comme la satisfaction en fait d'amour, la vengeance en fait de haine : encore peut-on considérer les moyens comme opérant plus moralement que physiquement : d'ailleurs, tout ce que l'on pourroit tenter en ce genre, seroit absolument inutile, & ne feroit souvent qu'aigrir le mal, excepté l'usage des anodins, qui n'en corrige pas la cause, mais qui en suspend les effets, & contribue par le repos & le sommeil qu'il procure, à empêcher l'épuisement des forces par la dissipation des esprits trop continuée.
Les compositions médicinales que l'on voit dans les pharmacies, sous les noms spécieux d'exhilarans, d'anti-mélancholiques, confortatifs, pour le coeur, pour l'esprit, de calmans, &c. ont été imaginés plus pour l'ostentation que dans l'espérance, tant-soit-peu fondée sur l'expérience, de leur faire produire les effets desirés dans les maladies de l'ame : comme c'est le plus souvent la force de l'imagination qui les produit, ce ne peut être qu'un changement à cet égard qui les guérisse, en tant que les passions sont satisfaites, ou que les objets qui les produisent cessent d'affecter aussi vivement, ou que l'état du cerveau auquel est attachée l'idée dominante qui entretient le desordre, est succédé par une nouvelle modification : ce qui est très-rarement l'effet des secours de l'art. Ainsi, dans la langueur, le délire érotique, la fureur utérine, c'est le coït lorsqu'il peut être praticable, qui est ordinairement le moyen le plus sûr de guérison pour ces maladies : Non est amor medicabilis herbis. Voyez EROTOMANIE, fureur utérine.
Cependant la durée du trouble dans l'économie animale causée par les passions, est souvent suivie de vices dans les solides & les fluides, qui sont comme des maladies secondaires, auxquelles il est bien des remedes qui peuvent convenir, & même devenir nécessaires ; surtout lorsque la maladie primitive dégénere, comme il arrive le plus souvent, en affection mélancholique, hypochondriaque ou hystérique ; alors les bains, les eaux minérales appropriées, une diete particuliere pour faire cesser la trop grande tension du genre nerveux, pour corriger l'acrimonie, l'échauffement du sang ; le changement d'air, le séjour de la campagne, l'exercice, l'équitation, la dissipation en tous genres, par le moyen de la musique, des concerts d'instrumens, de la danse, &c. sont des secours très-efficaces pour changer la disposition physique qui fatigue l'ame ; pour faire succéder des idées différentes par la diversion qu'ils operent, en causant des impressions nouvelles, sont des secours que l'art fournit & que l'on employe souvent avec les plus grands succès. Voyez MELANCHOLIE.
Mais pour éviter ici un plus grand détail sur-tout ce qui a rapport aux effets des passions dans l'économie animale, aux maux qu'elles y causent, & à la maniere d'y remédier ; on renvoie à l'excellente dissertation de Baglivi : De medendis animi morbis & instituenda eorumdem historia, comme à une des meilleures sources connues où l'on puisse puiser à cet égard, telle qu'est aussi le chapitre second de l'Hygiene d'Hoffman : philosophiae corporis humani viri & sani, lib. II. de animae conditione motus vitales vel conservante, vel destruente ; & sa dissertation de animo sanitatis & morborum fabro.
PASSION, (Peint.) telle est la structure de notre machine, que quand l'ame est affectée d'une passion, le corps en partage l'impression ; c'est donc à l'artiste à exprimer par des figures inanimées cette impression, & à caractériser dans l'imitation les passions de l'ame & leurs différences.
On a remarqué que la tête en entier prend dans les passions des dispositions & des mouvemens différens ; elle est abaissée en avant dans l'humilité, la honte, la tristesse ; panchée à côté dans la langueur, la pitié ; élevée dans l'arrogance ; droite & fixe dans l'opiniâtreté ; la tête fait un mouvement en arriere dans l'étonnement, & plusieurs mouvemens réitérés de côté & d'autre dans le mépris, la moquerie, la colere & l'indignation.
Dans l'affliction, la joie, l'amour, la honte, la compassion, les yeux se gonflent tout-à-coup ; une humeur surabondante les couvre & les obscurcit, il en coule des larmes, l'effusion des larmes est toujours accompagnée d'une tension des muscles du visage, qui fait ouvrir la bouche ; l'humeur qui se forme naturellement dans le nez devient plus abondante ; les larmes s'y joignent par des conduits intérieurs ; elles ne coulent pas uniformément, & elles semblent s'arrêter par intervalles.
Dans la tristesse, les deux coins de la bouche s'abaissent, la levre inférieure remonte, la paupiere est abaissée à demi, la prunelle de l'oeil est élevée & à moitié relâchée, desorte que l'intervalle qui est entre la bouche & les yeux est plus grand qu'à l'ordinaire, & par conséquent le visage paroît allongé.
Dans la peur, la terreur, l'effroi, l'horreur, le front se ride, les sourcils s'élevent, la paupiere s'ouvre autant qu'il est possible, elle surmonte la prunelle, & laisse paroître une partie du blanc de l'oeil au-dessus de la prunelle, qui est abaissée, & un peu cachée par la paupiere inférieure ; la bouche est en même tems fort ouverte, les levres se retirent, & laissent paroître les dents en haut & en bas.
Dans le mépris & la dérision, la levre supérieure se releve d'un côté, & laisse paroître les dents, tandis que de l'autre côté elle fait un petit mouvement comme pour sourire, le nez se fronce du même côté que la levre s'est élevée, le coin de la bouche recule ; l'oeil du même côté est presque fermé, tandis que l'autre est ouvert à l'ordinaire ; mais les deux prunelles sont abaissées, comme lorsqu'on regarde du haut en bas.
Dans la jalousie, l'envie, les sourcils descendent & se froncent, les paupieres s'élevent, & les prunelles s'abaissent ; la levre supérieure s'éleve de chaque côté, tandis que les coins de la bouche s'abaissent un peu, & que le milieu de la levre inférieure se releve, pour rejoindre le milieu de la levre supérieure.
Dans les ris, les deux coins de la bouche reculent & s'élevent un peu ; la partie supérieure des joues se releve ; les yeux se ferment plus ou moins ; la levre supérieure s'éleve, l'inférieure s'abaisse, la bouche s'ouvre, & la peau du nez se fronce dans les ris immodérés.
Les bras, les mains & tout le corps entrent aussi dans l'expression des passions ; les gestes concourent avec les mouvemens de l'ame ; dans la joie, par exemple, les yeux, la tête, les bras, & tout le corps sont agités par des mouvemens prompts & variés ; dans la langueur & la tristesse, les yeux sont abaissés, la tête est panchée sur le côté, les bras sont pendans, & tout le corps est immobile : dans l'admiration, la surprise & l'étonnement, tout mouvement est suspendu, on reste dans une même attitude. Cette premiere expression des passions est indépendante de la volonté ; mais il y a une autre sorte d'expression qui semble être produite par une reflexion de l'esprit, & par le commandement de la volonté, & qui fait agir les yeux, la tête, les bras & tout le corps.
Ces mouvemens paroissent être autant d'efforts que fait l'ame pour défendre le corps ; ce sont au moins autant de signes secondaires qui répetent les passions, & qui pourroient les exprimer ; par exemple, dans l'amour, dans les desirs, dans l'espérance, on leve la tête & les yeux vers le ciel, comme pour demander le bien que l'on souhaite ; on porte la tête sur le corps en avant, comme pour avancer en s'approchant la possession de l'objet desiré ; en étend les bras, on ouvre la main pour l'embrasser & le saisir ; au contraire dans la crainte, dans la haine, dans l'horreur, nous avançons les bras avec précipitation, comme ce qui fait l'objet de notre aversion ; nous détournons les yeux & la tête, nous reculons pour l'éviter, nous fuyons pour nous en éloigner. Ces mouvemens sont si prompts, qu'ils paroissent involontaires ; mais c'est un effet de l'habitude qui nous trompe, car ces mouvemens dépendent de la réflexion, & marquent seulement la perfection des ressorts du corps humain, par la promptitude avec laquelle tous les membres obéissent aux ordres de la volonté.
Mais comment faire des observations sur l'expression des passions dans une capitale, par exemple, où tous les hommes conviennent de paroître n'en ressentir aucune ? Où trouver parmi nous aujourd'hui, non pas des hommes coleres, mais des hommes qui permettent à la colere de se peindre d'une façon absolument libre dans leurs attitudes, dans leurs gestes, dans leurs mouvemens, & dans leurs traits ?
Il est bien prouvé que ce n'est point dans une nation maniérée & civilisée, qu'on voit la nature parée de franchise qui a le droit d'intéresser l'ame, & d'occuper les sens ; d'où il suit que l'artiste n'a point de moyens dans nos pays, d'exprimer les passions avec la vérité & la variété qui les caractérisent ; cependant pour donner aux peintres une idée de quelques-unes des passions principales, M. Watelet a cru pouvoir les ranger par nuances, en suivant l'ordre que leur indique le plus ordinairement la nature. M. le Brun avoit déja ébauché ce sujet ; mais M. Watelet l'a enrichi de nouvelles réflexions, dont je vais orner cet article.
Pour commencer par les passions affligeantes, les malheurs ou la piété sont ordinairement la cause de la tristesse. L'engourdissement & l'anéantissement de l'esprit en sont les suites intérieures. L'affaissement & le dépérissement du corps sont ses accidens visibles. La peine d'esprit est une premiere nuance. On peut ranger ainsi les autres, qui se ressouvenant toujours que dans ce qu'on appelle la société polie, il n'est guere d'usage de démontrer extérieurement les nuances qu'on va indiquer, & qu'on indiquera dans la suite sous chaque passion.
La peine d'esprit rend le teint moins coloré, les yeux moins brillans & moins actifs ; la maigreur succéde à l'embonpoint ; la couleur jaune & livide s'empare de toute l'habitude du corps ; les yeux s'éteignent ; la foiblesse fait qu'on se soutient à peine ; la tête reste panchée vers la terre ; les bras, qui sont pendans, se rapprochent pour que les mains se joignent ; la défaillance, effet de l'abandon, laisse tomber au hasard le corps, qui par accablement enfin, reste à terre, étendu sans mouvement, dans l'attitude que le poids a dû prescrire à sa chûte.
Quant aux traits du visage, les sourcils s'élevent par la pointe qui les rapproche ; les yeux presque fermés se fixent vers la terre ; les paupieres abattues sont enflées ; le tour des yeux est livide & enfoncé ; les narines s'abattent vers la bouche ; & la bouche elle-même entr'ouverte, baisse ses coins vers le bas du menton ; les levres sont d'autant plus pâles que cette passion approche plus de son période. Dans la nuance des regrets seulement, les yeux se portent par intervalles vers le ciel, & les paupieres rouges s'inondent de larmes qui sillonnent le visage.
Le bien-être du corps & le contentement de l'esprit produisent ordinairement la joie, l'épanouissement de l'ame l'accompagne ; les suites en sont la vivacité de l'esprit & l'embellissement du corps. Divisons cette partie en nuances.
Satisfaction.
Sourire.
Gaieté.
Démonstrations, comme gestes, chants & danses.
Rire qui va jusqu'à la convulsion.
Eclats.
Pleurs.
Embrassemens.
Transports approchans de la folie, ou ressemblans à l'ivresse.
Les mouvemens du corps étant, comme on vient de le dire, des gestes indéterminés, des danses, &c. on peut en varier l'expression à l'infini. La nuance du rire involontaire a son expression particuliere, surtout lorsqu'il devient en quelque façon convulsif : les veines s'enflent ; les mains s'élevent premierement en l'air, en fermant les poings ; puis elles se portent sur le côté, & s'appuient sur les hanches ; les piés prennent une position ferme, pour résister davantage à l'ébranlement des muscles. La tête haute se panche en arriere ; la poitrine s'éleve ; enfin, si le rire continue, il approche de la douleur.
Pour l'expression des traits du visage, il en faut distinguer plusieurs.
Dans la satisfaction le front est serein, le sourcil sans mouvement reste élevé par le milieu ; l'oeil net & médiocrement ouvert laisse voir une prunelle vive & éclatante ; les narines sont tant-soit-peu ouvertes ; le teint vif, les joues colorées & les levres vermeilles : la bouche s'éleve tant-soit-peu vers les coins, & c'est ainsi que commence le sourire. Dans les nuances plus fortes, la plûpart de ces expressions s'accroissent. Enfin dans le rire & les éclats, les sourcils sont élevés du côté des tempes, & s'abaissent du côté du nez ; les yeux sont presque fermés, ils se relevent un peu par les coins, & en les enlevant en haut ; il s'ensuit de-là que les joues se plissent, s'enflent, & surmontent les yeux, enfin les narines s'ouvrent : les larmes, par cette contraction générale, rendent les paupieres humides, & le visage animé se colore.
Parcourons de même les nuances de la passion que fait éprouver à l'ame & au corps, le mal corporel en différens degrés.
La sensibilité paroît être la premiere. Après elle viennent
Les signes extérieurs de ces affections sont des crispations dans les nerfs, des tremblemens, des agitations, des pleurs, des étouffemens, des lamentations, des cris, des grincemens de dens ; les mains serrent violemment ce qu'elles rencontrent ; les yeux arrondis se ferment & s'ouvrent avec excès, se fixent avec immobilité ; la pâleur se répand sur le visage ; le nez se contracte, remonte ; la bouche s'ouvre, tandis que les dents se resserrent ; les convulsions, l'évanouissement & la mort en sont les suites.
L'ame dans les souffrances extrèmes paroît éprouver un mouvement de contraction, elle se retire, pour ainsi dire, & tous ses esprits se concentrent. Les efforts qu'elle fait produisent l'égarement & le délire ; enfin, l'abatement & la perte de la raison font naître une espece d'insensibilité.
Il est un autre ordre de mouvemens qu'occasionnent le plus ordinairement la paresse & la foiblesse, tant du corps que de l'esprit.
C'est de-là que naissent.
Les effets intérieurs de cette passion sont l'avilissement de l'ame, sa honte & l'égarement de l'esprit.
Les effets extérieurs fournissent des contrastes dans les gestes, des oppositions dans les membres, & une variété d'attitudes infinies, soit dans l'action, soit dans l'immobilité.
Pour le visage, voici ce que M. le Brun a remarqué. Dans la frayeur, le sourcil s'éleve par le milieu : les muscles qui occasionnent ce mouvement sont fort apparens ; ils s'enflent, se pressent & s'abaissent sur le nez qui paroît retiré en haut, ainsi que les narines ; les yeux sont très-ouverts, la paupiere supérieure est cachée sous le sourcil ; le blanc de l'oeil est environné de rouge ; la prunelle est égarée du point de vue commun, elle est située vers le bas de l'oeil, les muscles des joues sont extrémement marqués, & forment une pointe de chaque côté des narines : la bouche est ouverte : les muscles & les veines sont en général fort sensibles ; les cheveux se hérissent ; la couleur du visage est pâle & livide, sur-tout celle du nez, des levres, des oreilles & du tour des yeux.
L'opposition naturelle de ces mouvemens sont ceux-ci qui naissent de la force de l'ame, de celle du corps, & que l'exemple, l'amour-propre, la vanité & l'orgueil fortifient.
Les effets intérieurs de ces mouvemens nuancés sont la sécurité, la satisfaction, la générosité. Les effets extérieurs, quelquefois assez semblables à ceux de la colere dans l'action n'en ont cependant pas les mouvemens convulsifs & désagréables, parce que l'ame conserve son assiette. Une forte tension dans les nerfs ; une attitude ferme dans l'équilibre & la pondération sans abandonnement ; une attention prévoyante, une contenance impérieuse, caractérisent dans des degrés plus ou moins marqués les nuances que je viens de parcourir.
Le courage embellit ; il met les esprits en mouvement ; il répand une satisfaction intérieure qui rend les traits imposans, & qui donne à tout le corps un caractere intéressant & animé au-dessus de l'habitude ordinaire.
On peut regarder la contradiction, la privation, la douleur occasionnée par une cause telle que la jalousie, l'envie & la cupidité, comme les sources qui produisent l'aversion depuis sa premiere nuance jusqu'à ses excès. On en peut établir ainsi les passages.
Les effets intérieurs de ces nuances sont principalement le refroidissement de l'ame, l'irritation de l'esprit & son aveuglement, ensuite l'avilissement & l'oubli de soi-même ; enfin le crime que suivent le repentir, les remords & les furies vangeresses.
Les expressions extérieures de ces nuances sont très-différentes & très-variées. Cependant jusqu'à l'indignation, les gestes sont peu caractérisés. Le corps n'éprouve que des mouvemens peu sensibles, s'ils ne sont décidés par les circonstances ; & ces circonstances sont tellement indéterminées, qu'on ne peut les fixer.
Le corps entier dans les dernieres nuances, contribue à servir la passion. Ainsi, l'indignation produit les menaces, l'action est déterminée à s'approcher de celui qui en est l'objet : le corps s'avance, ainsi que la tête qui s'éleve vers celle de l'ennemi à qui l'on annonce son ressentiment ; les bras se dirigent l'un après l'autre vers le même point ; les mains se ferment, si elles ne sont point armées ; le visage se caractérise par une contraction des traits, comme dans la colere : le reste des nuances est tout action.
Quelqu'un desireroit peut-être que M. Watelet eût joint ici quelques esquisses d'une passion non moins violente que les autres, mais dont les couleurs sont regardées comme plus agréables, & les excès moins effrayans : je pourrois bien, dit-il lui-même, parcourir les nuances de cette passion, la timidité, l'embarras, l'agitation, la langueur, l'admiration, le desir, l'empressement, l'ardeur, l'impatience, l'éclat du coloris, l'épanouissement des traits, un certain frémissement, la palpitation, l'action des yeux tantôt enflammés, tantôt humides, le trouble, les transports, & l'on reconnoîtroit l'amour ; mais, continue-t-il, lorsqu'il s'agiroit de suivre plus avant cette route séduisante, la nature elle-même m'apprendroit, en se couvrant du voile du mystere, que la reserve doit être aux arts, ce que la pudeur est à l'amour(D.J.)
PASSION, (Médecine) ce mot est fort usité en Médecine, comme synonyme à affection ou maladie ; il répond à un mot grec, , maladie, ou il peut être formé du latin, patior, je souffre ; c'est en ce sens qu'on dit, passion coeliaque, passion hypocondriaque, hystérique, passion iliaque, &c. Voyez tous ces mots aux articles COELIAQUE, HYPOCONDRIAQUE, HYSTERIQUE, ILIAQUE, &c.
PASSION, en Blason, croix de passion, est une croix à laquelle on donne ce nom, parce qu'à l'imitation de celle sur laquelle notre Sauveur est mort, elle n'est point croisée dans le milieu, mais vers le haut, avec les bras courts en proportion de la longueur du côté d'en-haut. Voyez CROIX.
PASSION DE JESUS-CHRIST, ordre de la, (Hist. mod.) ordre de chevalerie fondé vers l'an 1380, en Angleterre, par le roi Richard II. & en France par Charles VI. lorsque ces princes eurent formé le dessein de reconquérir la Terre-sainte. Leur but étoit qu'en se rappellant les circonstances & la fin de la passion de Jesus Christ, les croisés vécussent avec plus de piété & de régularité que n'avoient fait la plûpart de ceux qui les avoient précédé dans de semblables entreprises. Il y eut plus de onze cent chevaliers qui firent les trois voeux, & l'on accorda au grand-maître une autorité qu'un prince auroit enviée.
Dans les solemnités ils devoient porter un habit de pourpre qui descendoit jusqu'aux genoux, avec une ceinture de soie, & sur la tête une capuche ou chaperon rouge. Leur habit ordinaire étoit couvert d'un surtout de laine blanche, sur le devant duquel étoit une croix de laine rouge, large de trois doigts. On recevoit aussi dans cet ordre des veuves qui devoient soigner les malades, mais il ne subsista pas ; il y a même des auteurs qui disent qu'on en demeura au simple projet. Supplém. de Morery, tom. II.
PASSION, cloux de la, (Blason) on appelle ainsi une figure particuliere de cloux, qu'on suppose faits comme ceux dont on crucifia Notre Seigneur, pour les différencier des autres cloux ordinaires. Les Machiavelli de Florence, portent d'argent à la croix d'azur, onglée de quatre cloux de la passion. Ménétrier. (D.J.)
PASSIONS, terme de Peintres-Doreurs, on nomme ainsi dans le commerce des peintres & doreurs de Paris, certaines bordures ordinairement de bois uni, qui servent à enquadrer des estampes d'une grandeur déterminée. Ces bordures portent 6 pouces 7 lignes de haut, sur 5 pouces 6 lignes de large ; elles s'appellent passions, parc que les premieres estampes pour lesquelles on en fit, représentoient la passion de Notre Seigneur. (D.J.)
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PASSOIRE | S. f. (Ustencile de Cuisine) sorte de vaisseau rond ou oval, fait de métal ou de terre, qui est percé de plusieurs trous, & qui a d'ordinaire un manche : on s'en sert pour passer des bouillons, & toute autre liqueur qu'on veut avoir pure. (D.J.)
PASSOIRE (Blanchiss. de cire) elle est longue & étroite ; elle leur sert lorsqu'ils grêlonent la cire à mettre sur la grélouoire, pour empêcher que les ordures de la cire fondue n'y tombent, elle est de cuivre, longue de plus d'un pié, large de sept à huit pouces ; & profonde d'autant. (D.J.)
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PASSUM | S. m. (Diete) vin de raisins secs, c'est-à-dire fait de raisins secs, ou de raisins que l'on laisse sur la vigne jusqu'à ce que la chaleur du soleil les ait extrêmement flétris : les anciens se servoient beaucoup de ce vin dans les maladies, mais nous ne les connoissons pas aujourd'hui.
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PASTA | (Lexicog. médic.) , espece de gruau fait avec des légumes & de la farine, ou-bien un potage épaissi avec de la fleur de farine. (D.J.)
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PASTEL | S. m. (Hist. nat. bot.) isatis, genre de plante à fleur en forme de croix, composée de quatre pétales. Le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit en languette applatie sur les bords ; ce fruit s'ouvre en deux parties : il n'a qu'une capsule, & il renferme une semence ordinairement oblongue. Tournefort. Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Le pastel & le vouëde ne sont qu'une seule & même plante, nommée pastel en Languedoc, & vouëde en Normandie. Tournefort compte trois especes de ce genre de plante, dont nous décrirons la commune à larges feuilles, isatis sativa, vel latifolia, S. R. P. en anglois, the broad leaved woed.
Elle pousse des tiges à la hauteur de trois piés, grosses comme le petit doigt, rondes, roides, lisses, rougeâtres, se divisant vers leurs sommités en beaucoup de rameaux revêtus d'un grand nombre de feuilles rangées sans ordre, oblongues, larges comme celles de la langue de chien, sans poil, de couleur verte foncée, & quelquefois tirant sur le verd de mer. Ses rameaux sont chargés de beaucoup de petites fleurs à quatre pétales jaunes, disposées en croix, attachées à des pédicules menus. Quand ces fleurs sont passées, il naît en leur place des petits fils coupés en languettes, & applatis sur les bords, de couleur noirâtre, contenant chacun une ou deux semences oblongues ; sa racine est longue d'un pié & demi ou de deux piés, grosse en haut comme le pouce, & diminuant peu-à-peu, ligneuse, blanche ; on cultive le pastel particulierement en Languedoc & en Normandie : son goût est amer & astringent ; on fait avec le suc des feuilles de cette plante précieuse, une pâte seche qu'on appelle aussi pastel, & dont les teinturiers font un grand usage. Voyez PASTEL, Teinture.
Je me rappelle à l'occasion du pastel, que Cambden, le chevalier Temple, & plusieurs autres, prétendent que la grande-Bretagne tire son nom du mot brith, qui en langage breton signifie du pastel, parce que les anciens Bretons avoient coûtume de se peindre le corps avec le suc de cette plante, qui leur rendoit la peau bleue. Je ne crois pas que cette étymologie soit la véritable, quoique le fait soit certain. Ces anciens peuples se faisoient dans la peau, comme font aujourd'hui les sauvages, des incisions qui représentoient des fleurs, des arbres, des animaux, ensuite en y faisant couler du jus de pastel, ils donnoient à ces figures une couleur bleue qui ne s'effaçoit jamais, c'est ce qui leur tenoit lieu de parure, & que Tertullien appelloit Britannorum stigmata. Leurs successeurs sont bien différens : ils ne se peignent point le corps, mais ils cultivent soigneusement la plante du pastel à cause de son profit, car un arpent de terre où l'on a semé sa graine, rapporte depuis dix jusqu'à trente livres sterling par an. (D.J.)
PASTEL, peinture au, (Peinture mod.) c'est une peinture où les crayons font l'office des pinceaux ; or le mot de pastel qu'on a donné à cette sorte de peinture, vient de ce que les crayons dont on se sert sont faits avec des pâtes de différentes couleurs. L'on donne à ces especes de crayons, pendant que la pâte est molle, la forme de petits rouleaux aisés à manier ; c'est de toutes les manieres de peindre celle qui passe pour la plus facile & la plus commode, en ce qu'elle se quitte, se reprend, se retouche, & se finit tant qu'on veut.
Le fond ordinaire sur lequel on peint au pastel est du papier dont la couleur la plus avantageuse est d'être d'un gris un peu roux ; & pour s'en servir plus commodément, il faut le coller sur un ais fait exprès d'un bois léger. Le plus grand usage que l'on tire du pastel, est de faire des portraits ; on est obligé de couvrir toujours cette peinture d'une glace fort transparente qui lui sert de vernis.
Les crayons mis en poudre imitent les couleurs,
Que dans un teint parfait offre l'éclat des fleurs,
Sans pinceau le doigt seul place & fond chaque teinte ;
Le duvet du papier en conserve l'empreinte,
Un crystal la défend ; ainsi de la beauté
Le pastel a l'éclat & la fragilité.
Watelet.
Aussi a-t-on vu long-tems avec peine, que cette agréable peinture, qui ne tient aux tableaux que par la ténuité de ses parties, fut sujette à s'affoiblir & à se dégrader par divers accidens inévitables. Des peintres célebres étoient parvenus à la fixer ; mais ils étoient dans la nécessité de redonner après l'opération, quelques touches dans les clairs, pour leur rendre tout leur éclat. Enfin le sieur Loriot a trouvé en 1753 le moyen de fixer, d'une maniere plus solide, toutes les parties d'un tableau en pastel, & même de n'en point changer les nuances. Il peut par son secret faire revivre quelques couleurs qui ont perdu leur vivacité ; l'académie de Peinture & de Sculpture, paroît avoir approuvé par ses certificats, la nouvelle invention de cet artiste. (D.J.)
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PASTENAGUE | TARERONDE, TOURTOURELLE, s. f. (Hist. nat. Icthiolog.) pastinaca, poisson de mer du genre des raies. Voyez RAIE. Il est plat, cartilagineux, lisse & sans écailles ; il a sur la queue, environ au milieu de sa longueur, un aiguillon long, pointu & garni de chaque côté de dents comme une scie ; on prétend que les piquûres de cet aiguillon sont dangereuses ; la queue est fort longue, lisse, flexible, & assez semblable à celle d'un rat. Le museau de ce poisson se termine en pointe, les yeux sont situés sur la face supérieure de la tête, & la bouche est en-dessous ; elle est petite & dégarnie de dents, les mâchoires sont rudes & dures ; ce poisson n'a qu'une très-petite nageoire à la queue ; ses excrémens sont verds comme du jus de poireau : il vit dans les lieux fangeux près du rivage : il se nourrit de poisson ; sa chair est molle & d'assez mauvais goût. Rondelet, Hist. nat. des poissons, premiere part. liv. XII. chap. j. Voyez POISSON. (I)
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PASTEQUE | S. m. anguria, (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui ne differe des autres plantes cucurbitacées qu'en ce que ses feuilles sont profondément découpées, & que son fruit est bon à manger. Tournefort. Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)
PASTEQUE, (Botan.) Voyez CITROUILLE.
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PASTEUR | S. m. (Gramm. & Théol.) dans un sens littéral signifie un berger, un homme occupé du soin de faire paître les troupeaux. Dans l'antiquité on a par analogie appliqué ce nom aux princes ; Homere dit que les rois sont les pasteurs des peuples, parce qu'ils doivent veiller à la félicité de leurs sujets.
Dans l'ordre de la religion pasteur signifie un homme consacré à Dieu d'une maniere spéciale, ayant autorité & jurisdiction sur toute l'Eglise, comme le pape, ou sur une portion considérable des fideles, comme les évêques, ou sur une moindre portion, comme les curés. On distingue les premiers pasteurs, c'est-à-dire le pape & les évêques, des pasteurs du second ordre. Les premiers ont seul droit de décider dans les matieres de dogme & de discipline, les autres ont celui d'enseigner, mais avec subordination aux premiers pasteurs. Voyez CURE.
PASTEUR, livre du, (Théol.) le livre du pasteur tel que nous l'avons aujourd'hui est divisé en trois livres, dont le premier est intitulé visiones, le second mandata, & le troisieme similitudines. Le premier, dans l'édition qu'en a donné M. Cotelier, est sousdivisé en quatre visions, qui contiennent chacune plusieurs apparitions. L'auteur qui est Hermas, raconte dans la premiere que son pere ayant vendu une jeune fille à Rome, le hazard fit qu'il la vit ensuite & l'aima comme sa soeur : que quelque tems après l'ayant vu se baigner dans le Tibre, il souhaita en lui-même d'avoir une femme aussi belle & aussi sage, rien de plus, ajoute-t-il, nihil ultra : mais qu'un jour il vit le ciel ouvert, & cette femme dans le ciel qui lui reprochoit d'avoir péché à son occasion, du-moins par concupiscence. Il falloit qu'Hermas fût bien dévot pour trouver un péché dans un pareil souhait, son livre est je crois le premier livre de dévotion qui ait été fait, & par conséquent le premier qui a commencé d'altérer la religion, & de mêler aux vérités chrétiennes les visions d'un cerveau creux. Il voit ensuite une autre femme plus vieille qui lui dit les mêmes choses que la premiere, & qui ajoute qu'elle lui a été envoyée pour l'avertir du mauvais gouvernement de sa famille & de ce qu'il ne corrigeoit pas assez ses enfans. Ce dernier avertissement étoit plus raisonnable, & pouvoit être donné avec plus de fondement ; car les gens qui s'amusent à des visions sont plus sujets que les autres à négliger l'essentiel de leur devoir.
Dans la seconde vision, la même vieille lui apparoît pour lui reprocher le trop grand babil de sa femme : mais il étoit lui-même bien babillard de parler & d'écrire de telles bagatelles : elle disparoît ensuite après lui avoir promis bien des révélations, parce que c'étoit peut-être son goût & celui de son siecle, goût qui se renouvella du tems de sainte Brigite. La vieille femme n'a pas sitôt disparu qu'un jeune homme se présente sur les rangs pour instruire Hermas que cette femme qu'il vient de voir est l'Eglise qui a pris la figure d'une vieille, parce qu'elle a été créée la premiere, & que le monde a été fait pour elle. Cette Eglise avoit donné à Hermas un livre avec ordre de le copier, & d'en donner un exemplaire à Clément pour l'envoyer aux églises, & un à la veuve Grapte pour l'enseigner aux veuves & aux orphelins.
Dans la troisieme vision, c'est la même Eglise qui lui paroît accompagnée de six jeunes hommes dans une espece de pavillon couvert d'un voile de fin lin, où il y avoit des bancs pour s'asseoir. Aussi-tôt qu'elle fut entrée, elle dit aux jeunes gens d'aller bâtir, & resta seule avec Hermas, à qui elle ne permit jamais de s'asseoir à sa droite, malgré les instances qu'il en fit ; parce que cette place appartenoit aux martyrs qui avoient beaucoup souffert pour J. C. Hermas lui fait à cette occasion une question niaise, qui surprend quand on fait attention que cet auteur vivoit du tems des martyrs & des persécutions, & qui feroit douter que tout ce qu'on nous conte dans les martyrologes ne tînt beaucoup plus d'une pieuse fiction, que de la vérité de l'histoire ; car il en parle comme s'il les ignoroit entierement : Dico ei domina, vellem scire quae sustinuerunt : audi, inquit, feras, bestias, flagella, carceres, cruces. Pendant qu'il s'entretient avec l'Eglise, il s'apperçoit que les six jeunes hommes bâtissent sur l'eau une tour quarrée avec des pierres quarrées, dont les jointures ne paroissent pas. Qu'une infinité d'autres hommes apportent à ces nouveaux mâçons des pierres qu'ils tirent de la terre ; dont celles qui se trouvent de figure quarrée & dont les jointures conviennent, sont employées dans l'édifice la tour, & les autres sont rejettées. Parmi celles-ci, il y en a qui roulent sur les eaux sans pouvoir s'enfoncer, d'autres roulent dans le desert, les autres sont brisées en morceaux & jettées bien loin, quelques-unes enfin sont seulement mises au pié de la tour, & entre ces dernieres il y en a de belles, blanches & polies, mais rondes. Hermas, après avoir tout remarqué, demande à la vieille l'explication de la tour & de tout ce qu'il voit. Elle lui répond que ces révélations ont leur fin, & qu'elles sont déja accomplies, mais qu'il est un homme importun qui ne cesse de demander des révélations ; enfin que la tour est l'Eglise : que les six hommes qui bâtissent sont les six principaux anges du Seigneur ; que le grand nombre de ceux qui apportent les pierres sont d'autres anges employés à l'édification de l'Eglise ; que les premieres pierres quarrées sont les apôtres, les évêques, les docteurs & les ministres qui ont été unis dans la doctrine de Jesus-Christ, avec la jointure desquels les autres pierres doivent s'accorder ; que les autres pierres qu'on apporte de la terre sont les hommes qui doivent entrer dans ce bâtiment ; que celles qui se trouvent propres & bien taillées sont les véritables fideles ; que celles qui roulent sur les eaux sont celles qui refusent ou qui different de recevoir le baptême, parce qu'il faut renoncer à ses cupidités ; que celles qui roulent dans le desert sont les hommes qui, après avoir connu la véritable religion, doutent encore, & croyent trouver quelque chose de meilleur par leur science, desorte qu'ils errent dans les lieux solitaires & peu fréquentés ; que les pierres brisées & jettées bien loin, sont les scélérats & les endurcis ; que celles qui sont mises auprès de la tour sans être employées, sont les pécheurs qui ont besoin de faire pénitence ; que celles qui sont blanches & rondes sont les riches, qui ont la candeur de la foi, mais qui ne veulent pas renoncer à leurs richesses, elles ont besoin d'être taillées pour entrer dans le bâtiment qui est de pierres quarrées ; que la tour enfin est bâtie sur l'eau, parce que nous sommes sauvés par l'eau, il veut dire le baptême.
Dans la quatrieme vision, il conte que se promenant un jour dans la campagne, il vit une grande poussiere, ce qui lui fit croire que c'étoit un troupeau de bêtes que l'on conduisoit, mais qu'elle augmenta si fort, qu'il crut enfin qu'il y avoit quelque chose d'extraordinaire. En effet il vit une bête d'une grandeur prodigieuse, & d'une figure épouvantable : il remarqua sur sa tête quatre couleurs, le noir, le rouge, l'or & le blanc. Ayant passé au-delà de la bête, non pas sans une extrème peur, il vit la vieille femme qu'il avoit déja vûe dans les autres visions, à qui il demanda ce que signifioit cette bête & ces couleurs, & comment ce monstre ne l'avoit pas dévoré. Elle lui répondit que le noir signifioit le monde, le rouge le siecle présent, l'or les élus en ce monde, & le blanc l'état de gloire ; que l'ange qui veille sur les bêtes, nommé Higrin, l'avoit conservé. Voilà, à peu-près, ce que contient le premier livre.
Le second livre est intitulé mandata, parce qu'il contient des commandemens au nombre de douze ; ils sont donnés à Hermas par un ange qu'il nomme Pasteur, & qui se nomme ainsi lui-même, ego sum pastor cui traditus es. C'est peut-être de-là que le livre a pris le nom de pasteur. Ces commandemens sont de croire en Dieu, de faire l'aumône sans distinction, d'éviter le mensonge, la médisance, l'adultere, la tristesse, de résister à la cupidité, d'être d'un esprit égal, de demander avec foi & sans hésiter.
Il y a quelque chose de remarquable dans le quatrieme commandement touchant la dissolution du mariage & la pénitence. Il prétend qu'un homme dont la femme est adultere péche en la gardant avec lui ; à-moins qu'il n'en ignore le crime ; dès qu'il en est instruit, il doit la renvoyer, & ne point se remarier à une autre ; il ajoute qu'il en est de même à l'égard de la femme envers son mari. Pour ce qui est de la pénitence, il dit qu'on n'y est reçu qu'une fois. Les paroles de l'auteur sur ces articles méritent d'être rapportées tout-au-long : Et dixit illi, Domine, si quis habuerit uxorem fidelem in Domino, & hanc invenerit in adulterio, numquid peccat vir, si convivit cum illa ? Et dixit mihi quandiu nescit peccatum ejus, sine crimine est vir vivens cum illa. Si autem scierit vir uxorem suam deliquisse, & non egerit poenitentiam mulier, & permaneat in fornicatione sua, & convivit cum illa vir, reus erit peccati ejus & particeps moechationis ejus. Et dixit illi : quid ergo si permanserit mulier in vitio suo ? Et dixit, dimittat illam vir, & vir per se maneat : quod si dimiserit uxorem suam & aliam duxerit, & ipse moechatur. Et dixi illi, quod si mulier dimissa poenitentiam egerit & voluerit ad virum suum reverti, nonne recipitur à viro suo ? Et dixit mihi : imò si non receperit eam vir suus, peccat & magnum peccatum sibi admittit. Sed debet recipere peccatricem quae poenitentiam egit, sed non saepè ; servis enim Dei poenitentia una est.... hic actus similis est in viro & in muliere. Le Sr Hermas prétend encore dans ce même endroit qu'un homme ne peut pas garder une femme idolâtre, ni une femme chrétienne demeurer avec un mari idolâtre ; ce qui est contraire à la doctrine de l'apôtre S. Paul. Dans le sixieme commandement, il semble dire qu'il y a deux génies qui nécessitent l'homme. Dans le troisieme, où le mensonge est défendu, il pleure ses péchés en avouant qu'il n'a fait autre chose que mentir : son livre en est une belle preuve.
Le troisieme livre, intitulé similitudines, contient des comparaisons analogiques, des choses spirituelles, avec des naturelles, qui sont expliquées à Hermas par le pasteur ou l'ange qui lui parle. Par exemple, que les riches sont appuyés sur les prieres des pauvres, comme la vigne est soutenue par l'ormeau ; de la même façon qu'on ne peut pas distinguer pendant l'hiver un arbre verd d'avec un arbre sec, aussi pendant cette vie on ne peut pas distinguer le juste d'avec le pécheur. Dans le cinquieme chapitre, il est parlé du véritable jeûne, qui consiste à observer les commandemens de Dieu. Dans le neuvieme, enfin c'est une vision d'un édifice à-peu-près semblable à celui de la troisieme vision du premier livre.
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PASTICHE | S. m. (Peint.) tableau peint dans la maniere d'un grand artiste, & qu'on expose sous son nom. Les pastiches, en italien pastici, sont certains tableaux qu'on ne peut appeller ni originaux, ni copies, mais qui sont faits dans le goût, dans la maniere d'un autre peintre, avec un tel art que les plus habiles y sont quelquefois trompés. Mais d'abord il est certain que les faussaires en Peinture contrefont plus aisément les ouvrages qui ne demandent pas beaucoup d'invention, qu'ils ne peuvent contrefaire les ouvrages où toute l'imagination de l'artiste a eu lieu de se déployer. Les faiseurs de pastiches ne sauroient contrefaire l'ordonnance, ni le coloris, ni l'expression des grands maîtres. On imite la main d'un autre, mais on n'imite pas de même, pour parler ainsi, son esprit, & l'on n'apprend point à penser comme un autre, ainsi qu'on peut apprendre à prononcer comme lui.
Le peintre médiocre qui voudroit contrefaire une grande composition du Dominiquain ou de Rubens, ne sauroit nous en imposer plus que celui qui voudroit faire un pastiche sous le nom de Georgéon ou du Titien. Il faudroit avoir un génie presque égal à celui du peintre qu'on veut contrefaire, pour réussir à faire prendre notre ouvrage pour être de ce peintre. On ne sauroit donc contrefaire le génie des grands hommes, mais on réussit quelquefois à contrefaire leur main, c'est-à-dire leur maniere de coucher la couleur, & de tirer les traits, les airs de tête qu'ils répétoient, & ce qui pouvoit être de vicieux dans leur pratique. Il est plus facile d'imiter les défauts des hommes que leurs perfections. Par exemple, on reproche au Guide d'avoir fait ses têtes trop plates : elles manquent souvent de rondeur, parce que leurs parties ne se détachent point & ne s'élevent pas assez l'une de l'autre. Il suffit donc, pour lui ressembler en cela, de se négliger & de ne point se donner la peine de pratiquer ce que l'art enseigne à faire pour donner de la rondeur à ses têtes.
Jordane le Napolitain, que ses compatriotes appelloient il fapresto ou dépêche-besogne, étoit, après Teniers, un des grands faiseurs de pastiches, qui jamais ait tendu des pieges aux curieux. Fier d'avoir contrefait avec succès quelques têtes du Guide, il entreprit de faire de grandes compositions dans le goût de cet aimable artiste, & dans le goût des autres éleves de Carrache. Tous ses tableaux qui représentent différens événemens de l'histoire de Persée sont peut-être encore à Gènes. Le marquis Grillo, pour lequel il travailla, le paya mieux que les grands maîtres dont il se faisoit le singe, n'avoient été payés dans leur tems. On est surpris en voyant ces tableaux, mais c'est qu'un peintre qui ne manquoit pas de talens ait si mal employé ses veilles, & qu'un seigneur génois ait fait un si mauvais usage de son argent.
Il est bien plus aisé d'imiter les portraits & les paysages que l'ordonnance, parce qu'il ne s'agit que de contrefaire la main. La copie qu'André del Sarto fit du portrait de Léon X. peint par Raphaël, trompa Jules-Romain lui-même, quoique ce peintre en eût fait les habits.
Le Loir (Nicolas) copioit si bien à force d'étude les paysages du Poussin, qu'il est difficile de distinguer la copie d'avec l'original.
On rapporte que Bon Boullogne saisissoit à merveille la maniere du Guide. Il fit un excellent tableau dans le goût de ce maître, que monsieur, frere de Louis XIV, acheta sur la décision de Mignard pour un ouvrage du peintre italien ; cependant le véritable auteur ayant été découvert, Mignard déconcerté dit plaisamment pour s'excuser, " qu'il fasse toujours des Guides, & non pas des Boullognes ".
Pour découvrir l'artifice des pastiches, on n'a guere de meilleur moyen que de les comparer attentivement avec l'expression & l'ordonnance du peintre original, examiner le goût du dessein, celui du coloris & le caractere du pinceau. Il est rare qu'un artiste qui sort de son genre ne laisse échapper quelques traits qui le décelent. (D.J.)
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PASTILLE | S. f. (Parfumeur) est une pâte que les Parfumeurs font de gomme adragant, de clous de gérofle, de benjoin, brouillés avec l'eau de senteur ou commune. On en fait de bonnes à manger, d'autres qui ne sont propres qu'à brûler pour répandre une odeur agréable.
Les anciens aimoient les pastilles ; ils avoient des personnes qui en trafiquoient. Martial, l. II. p. 88, fait mention d'un Cosmus fameux par ses pastilles.
Ne gravis Hesterno fragres, fescenia, vino,
Pastillos Cosmi luxoriosa voras.
Il ajoute qu'on a beau avoir dans la bouche des pastilles pour corriger la mauvaise odeur de son haleine, & qu'il se fait un mélange qui la rend encore plus insupportable.
Quid quod olet gravius mixtum diapasmate virus ?
Atque duplex animo longius exit odor.
Cette apostille n'est pas vraie, parce qu'il y a des pastilles de bouche qu'on mange, qui adoucissent la mauvaise haleine, & qui servent à la santé. Telles sont les pastilles de cachou. (D.J.)
PASTILLE, en terme de Confiseur ; c'est une espece de pâte de sucre, dont on dresse des porcelaines pour les desserts ; il y a plusieurs sortes de pastilles qui prennent leur dénomination de la matiere principale qui entre dans leur composition, comme pastilles de canelle, de violette, &c.
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PASTO | S. JUAN DE (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale dans Popayan. Long. 303. lat. 1. 30. (D.J.)
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PASTOPHORE | S. m. (Antiq. greq.) les pastophores étoient des especes de prêtres, ainsi nommés par les Grecs, à cause de leurs longs manteaux, ou parce qu'ils étoient employés à porter le lit de Vénus, , dans certaines cérémonies ; mais ils pratiquoient la médecine en Egypte. Clément d'Aléxandrie dit, en parlant des quarante-deux livres sacrés de Mercure égyptien, qu'on gardoit avec tant de soin dans les temples d'Egypte, qu'il y en avoit six appartenant à la Médecine, & que l'on les faisoit étudier aux pastophores, pour l'exercice de cet art. Le premier traitoit de la structure du corps ; le second, des maladies en général ; le troisieme, des instrumens nécessaires ; le quatrieme, des médicamens ; le cinquieme, des maladies des yeux ; & le sixieme, des maladies des femmes. Les pastophores, selon Diodore de Sicile, promettoient de se conformer aux préceptes de cet ouvrage sacré ; alors si le malade périssoit, on ne leur en attribuoit point la faute ; mais quand ils s'étoient écartés des ordonnances, & que le malade venoit à mourir, on les condamnoit comme des meurtriers. Les autres trente-six livres de Mercure ne regardoient point la Médecine, ils ne concernoient que la philosophie égyptienne ; les sacrificateurs & les prophetes en faisoient leur étude.
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PASTOPHORIE | (Critiq. sacrée) en grec : on dérive ce mot de , atrium, thalamus, porticus, portique, chambre, vestibule ; ou de , qui signifie un grand voile que l'on mettoit aux portes des temples, sur-tout en Egypte. Les prêtres qui avoient soin de lever ce voile pour faire voir la divinité, étoient appellés pastophores ; & les appartemens où ils logeoient attenant le temple, pastophoria. Isaïe xxij. donne pareillement ce nom aux logemens des prêtres qui étoient autour des galeries du temple de Jérusalem. On appella aussi pastophorium la tour sur le haut de laquelle le sacrificateur en charge sonnoit de la trompette, & annonçoit au peuple le sabbat & les jours de fêtes. Ce mot passa depuis aux Chrétiens, qui appellerent pastophoria les appartemens joignant les grandes églises, où se tenoient les prêtres qui les desservoient, & où les fideles leur portoient des offrandes, soit pour leur entretien, soit pour d'autres besoins. Quelques auteurs ont imaginé que chez les chrétiens pastophorium signifioit un ciboire, parce qu'il est ordonné dans un endroit des constitutions apostoliques, qu'après la communion des hommes & des femmes, les diacres portent les restes dans le pastophorium ; mais outre que l'usage des ciboires étoit inconnu dans ce tems-là, ce terme veut dire la chambre, l'appartement qui étoit voisin du temple. (D.J.)
Le nom de pastophorie a encore diverses acceptions. Cuper prétend que c'étoit une habitation où demeuroient les prêtres destinés à porter en procession la châsse, l'image, ou la représentation des dieux. D'autres ont crû que c'étoit une petite maison, où demeuroient ceux qui avoient la garde des temples. M. Lemoine convient que c'étoit chez les payens, comme chez les chrétiens une cellule à côté des temples, où l'on portoit les offrandes, & où l'évêque les distribuoit. (D.J.)
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PASTORALE | POESIE (Poésie) on peut définir la poésie pastorale, une imitation de la vie champêtre représentée avec tous ses charmes possibles.
Si cette définition est juste, elle termine tout d'un coup la querelle qui s'est élevée entre les partisans de l'ancienne pastorale, & ceux de la moderne. Il ne suffira point d'attacher quelques guirlandes de fleurs à un sujet, qui par lui même n'aura rien de champêtre. Il sera nécessaire de montrer la vie champêtre elle-même, ornée seulement des graces qu'elle peut recevoir.
On donne aussi aux pieces pastorales le nom d'églogue ; en grec, signifioit un recueil de pieces choisies, dans quelque genre que ce fût. On a jugé à propos de donner ce nom aux petits poëmes sur la vie champêtre, recueillis dans un même volume. Ainsi on a dit les églogues de Virgile, c'est-à-dire le recueil de ses petits ouvrages sur la vie pastorale.
Quelquefois aussi on les a nommés idylles. Idylle, en grec , signifie une petite image, une peinture dans le genre gracieux & doux.
S'il y a quelque différence entre les idylles & les églogues, elle est fort légere ; les auteurs les confondent souvent. Cependant il semble que l'usage veut plus d'action & de mouvement dans l'églogue ; & que dans l'idylle, on se contente d'y trouver des images, des récits ou des sentimens seulement.
Selon la définition que nous avons donnée, l'objet ou la matiere de l'églogue est le repos de la vie champêtre, ce qui l'accompagne, ce qui le suit. Ce repos renferme une juste abondance, une liberté parfaite, une douce gaieté. Il admet des passions modérées, qui peuvent produire des plaintes, des chansons, des combats poétiques, des récits intéressans.
Les bergeries sont à proprement parler, la peinture de l'âge d'or mis à la portée des hommes, & débarrassé de tout ce merveilleux hyperbolique, dont les poëtes en avoient chargé la description. C'est le regne de la liberté, des plaisirs innocens, de la paix, de ces biens pour lesquels tous les hommes se sentent nés, quand leurs passions leur laissent quelques momens de silence pour se reconnoître. En un mot, c'est la retraite commode & riante d'un homme qui a le coeur simple & en même tems délicat, & qui a trouvé le moyen de faire revenir pour lui cet heureux siecle.
Quand le ciel libéral versoit à pleines mains
Tout ce dont l'abondance assouvit les humains ;
Et que le monde enfant n'avoit pour nourriture
Que les mets apprêtés par les soins de nature.
Tout ce qui se passe à la campagne, n'est donc point digne d'entrer dans la poésie pastorale. On ne doit en prendre que ce qui est de nature à plaire ou à intéresser ; par conséquent, il faut en exclure les grossieretés, les choses dures, les menus détails, qui ne font que des images oisives & muettes ; en un mot, tout ce qui n'a rien de piquant ni de doux. A plus forte raison, les événemens atroces & tragiques ne pourront y entrer : un berger qui s'étrangle à la porte de sa bergerie, n'est point un spectacle pastoral ; parce que dans la vie des bergers, on ne doit point connoître les degrés des passions qui menent à de tels emportemens.
La poésie pastorale peut se présenter, non-seulement sous la forme du récit ; mais encore sous toutes les formes qui sont du ressort de la poésie. Ce sont des hommes en société qu'on y présente avec leurs intérêts, & par conséquent avec leurs passions ; passions plus douces & plus innocentes que les nôtres, il est vrai, mais qui peuvent prendre toutes les mêmes formes, quand elles sont entre les mains des poëtes. Les bergers peuvent donc avoir des poëmes épiques, comme l'Athis de Ségrais ; des comédies, comme les bergeries de Racan ; des tragédies, des opéras, des élégies, des églogues, des idylles, des épigrammes, des inscriptions, des allégories, des chants funèbres, &c. & ils en ont effectivement.
On peut juger du caractere des bergers par les lieux où on les place : les prés y sont toujours verds ; l'ombre y est toujours fraîche ; l'air toujours pur ; de même les acteurs & les actions dans la bergerie doivent avoir la plus riante douceur ; cependant comme leur ciel se couvre quelquefois de nuages, ne fût-ce que pour varier la scène & renouveller par quelques rosées, les vernis des prairies & des bois ; on peut aussi mêler dans leurs caracteres quelques passions tristes, ne fût-ce que pour relever le goût du bonheur, & assaisonner l'idée du repos.
Les bergers doivent être délicats & naïfs ; c'est-à-dire que dans toutes leurs démarches & leurs discours, il ne doit y avoir rien de désagréable, de recherché, de trop subtil ; & qu'en même tems ils doivent montrer du discernement, de l'adresse, de l'esprit même, pourvû qu'il soit naturel.
Ils doivent être contrastés dans leurs caracteres, au moins en quelques endroits ; car s'ils l'étoient partout, l'art y paroîtroit.
Ils doivent être tous bons moralement : on sait que la bonté poétique consiste dans la ressemblance du portrait avec le modèle ; ainsi dans une tragédie Néron peint avec toute sa cruauté, a une bonté poétique.
La bonté morale est la conformité de la conduite avec ce qui est, ou qui est censé être la regle & le modele des bonnes moeurs. Les bergers doivent avoir cette seconde sorte de bonté aussi-bien que la premiere. Un scélérat, un fourbe insigne, un assassin seroit déplacé dans la poésie pastorale. Un berger offensé doit s'en prendre à ses yeux, ou bien aux rochers ; ou bien faire comme Alcidor, se jetter dans la Seine, sans cependant s'y noyer tout-à-fait.
Quoique les caracteres des bergers ayent tous à-peu-près le même fonds, ils sont cependant susceptibles d'une grande variété. Du seul goût de la tranquillité & des plaisirs innocens, on peut faire naître toutes les passions. Qu'on leur donne la couleur & le degré de la pastorale, alors la crainte, la tristesse, l'espérance, la joie, l'amour, l'amitié, la haine, la jalousie, la générosité, la pitié, tout cela fournira des fonds différens, lesquels pourront se diversifier encore selon les âges, les sexes, les lieux, les évenemens, &c.
Après tout ce qu'on vient de dire sur la nature de la poésie pastorale, il est aisé maintenant d'imaginer quel doit être le style de la poésie pastorale ; il doit être simple, c'est-à-dire que les termes ordinaires y soient employés sans faste, sans apprêt, sans dessein apparent de plaire. Il doit être doux : la douceur se sent mieux qu'elle ne peut s'expliquer ; c'est un certain moëlleux mêlé de délicatesse & de simplicité, soit dans les pensées, soit dans les tours, soit dans les mots.
Timarette s'en est allée :
L'ingrate méprisant mes soupirs & mes pleurs,
Laisse mon ame désolée
A la merci de mes douleurs.
Je n'espérai jamais qu'un jour elle eût envie
De finir de mes maux le pitoyable cours ;
Mais je l'aimois plus que ma vie,
Et je la voyois tous les jours.
Il doit être naïf :
Si vous voulez venir, ô miracle des belles,
Je veux vous le donner pour gage de ma foi,
Je vous enseignerois un nid de tourterelles ;
Car on dit qu'elles sont fideles comme moi.
Il est gracieux dans les descriptions.
Qu'en ses plus beaux habits, l'aurore au teint vermeil
Annonce à l'univers le retour du soleil,
Et que devant son char ses legeres suivantes
Ouvrent de l'Orient les portes éclatantes ;
Depuis que ma bergere a quitté ces beaux lieux,
Le ciel n'a plus ni jour, ni clarté pour mes yeux.
Les bergers ont des tours de phrase qui leur sont familiers, des comparaisons qu'ils employent sur-tout quand les expressions propres leur manquent.
Comme en hauteur ce saule excede les fougeres,
Aramynthe en beauté surpasse nos bergeres.
Des symmétries.
Il m'appelloit sa soeur, je l'appellois mon frere ;
Nous mangions même pain au logis de mon pere :
Et pendant qu'il y fut, nous vécumes ainsi,
Tout ce que je voulois, il le vouloit aussi.
Des répétitions fréquentes.
Pan a soin des brebis, Pan a soin des pasteurs,
Et Pan me peut venger de toutes vos rigueurs.
Dans les autres genres, la répétition est ordinairement employée pour rendre le style plus vif ; ici il semble que ce soit par paresse, & parce qu'on ne veut point se donner la peine de chercher plus loin.
Ils employent volontiers les signes naturels plutôt que les mots consacrés. Pour dire il est midi, ils disent : le troupeau est à l'ombre des bois ; il est tard, l'ombre des montagnes s'allonge dans les vallées.
Ils ont des descriptions détaillées, quelquefois d'une coupe, d'une corbeille ; des circonstances menues qui tiennent quelquefois au sentiment : telle est celle que se rappelle une bergere de Racan.
Il me passoit d'un an, & de ses petits bras
Cueilloit déja des fruits dans les branches d'enbas.
Quelquefois aussi elles ne font que peindre l'extrème oisiveté des bergers ; & ce n'est que par-là qu'on peut justifier la description que fait Théocrite d'une coupe ciselée où il y a différentes figures.
En général on doit éviter dans le style pastoral tout ce qui sentiroit l'étude & l'application, tout ce qui supposeroit quelque long & pénible voyage ; en un mot tout ce qui pourroit donner l'idée de peine & de travail. Mais comme ce sont des gens d'esprit qui inspirent les bergers poétiques, il est bien difficile qu'ils s'oublient toujours assez eux-mêmes pour ne point se montrer du tout.
Ce n'est pas que la poésie pastorale ne puisse s'élever quelquefois. Théocrite & Virgile ont traité des choses très-élevées : on peut le faire aussi bien qu'eux, & leur exemple répond aux plus fortes objections. Il semble néanmoins que la nature de la poésie pastorale est limitée par elle-même : on pourra, si l'on veut, supposer dans les bergers différens degrés de connoissance & d'esprit ; mais si on leur donne une imagination aussi hardie & aussi riche qu'à ceux qui ont vécu dans les villes, on les appellera comme on le voudra ; pour nous nous n'y voyons plus de bergers.
Nous avons dit une imagination hardie : les bergers peuvent imaginer les plus grandes choses, mais il faut que ce soit toujours avec une sorte de timidité, & qu'ils en parlent avec un étonnement & un embarras qui fasse sentir leur simplicité au milieu d'un récit pompeux. " Ah, Mélibée ! cette ville qu'on appelle Rome, je la croyois semblable à celle où nous portons quelquefois nos agneaux ! Elle porte sa tête autant au-dessus des autres villes, que les cyprès sont au-dessus de l'osier ". Ou, si on veut absolument chanter & d'un ton ferme l'origine du monde, prédire l'avenir, qu'on introduise Pan, le vieux Silène, Faune, ou quelqu'autre dieu.
Les bergers n'ont pas seulement leur poésie, ils ont encore leurs danses, leur musique, leurs parures, leurs fêtes, leur architecture, s'il est permis de donner ce nom à des buissons, à des bosquets, à des côteaux. La simplicité, la douceur, la gaieté riante, en font toujours le caractere fondamental ; & s'il est vrai que dans tous les tems les connoisseurs ont pû juger de tous les arts par un seul ; ou même, comme l'a dit Séneque, de tous les arts par la maniere dont une table est servie, les fruits vermeils, les châtaignes, le lait caillé, & les lits de feuillages dont Tityre veut se faire honneur auprès de Moelibée, doivent nous donner une juste idée des danses, des chansons, des fêtes des bergers, aussi bien que de leur poésie.
Si la poésie pastorale est née parmi les bergers, elle doit être un des plus anciens genres de poésie, la profession de berger étant la plus naturelle à l'homme, & la premiere qu'il ait exercée. Il est aisé de penser que les premiers hommes se trouvant maîtres paisibles d'une terre qui leur offroit en abondance tout ce qui pouvoit suffire à leurs besoins & flatter leur goût, songerent à en marquer leur reconnoissance au souverain bienfaiteur ; & que dans leur enthousiasme ils intéresserent à leurs sentimens les fleuves, les prairies, les montagnes, les bois, & tout ce qui les environnoit. Bientôt après avoir chanté la reconnoissance, ils célébrerent la tranquillité & le bonheur de leur état ; & c'est précisément la matiere de la poésie pastorale, l'homme heureux : il ne fallut qu'un pas pour y arriver.
Il y avoit donc eu avant Théocrite des chansons pastorales, des descriptions, des récits mis en vers ; des combats poétiques qui, sans doute, avoient été célebres dans leur tems ; mais comme il survint d'autres ouvrages plus parfaits, on oublia ceux qui avoient précédé, & on prit les chefs-d'oeuvres nouveaux pour une époque au-delà de laquelle il ne falloit pas se donner la peine de remonter. C'est ainsi qu'Homere fut censé le pere de l'épopée, Eschyle de la tragédie, Esope de l'apologue, Pindare de la poésie lyrique, & Théocrite de la poésie pastorale. D'ailleurs on s'est plu à voir naître celle-ci sur les bords de l'Anapus, dans les vallées d'Elore, où se jouent les zéphirs, où la scene est toujours verdoyante & l'air rafraîchi par le voisinage de la mer. Quel berceau plus digne de la muse pastorale, dont le caractere est si doux !
Théocrite dont nous venons de parler, naquit à Syracuse, & vécut environ 260 ans avant J. C. Il a peint dans ses idylles la nature naïve & gracieuse. On pourroit regarder ses ouvrages comme la bibliotheque des bergers, s'il leur étoit permis d'en avoir une. On y trouve recueillis une infinité de traits, dont on peut former les plus beaux caracteres de la bergerie. Il est vrai qu'il y en a aussi quelques-uns qui auroient pu être plus délicats ; qu'il y en a d'autres dont la simplicité nous paroît trop peu assaisonnée ; mais dans la plûpart il y a une douceur, une mollesse à laquelle aucun de ses successeurs n'a pu atteindre. Ils ont été réduits à le copier presque littéralement, n'ayant pas assez de génie pour l'imiter. On pourroit comparer ses tableaux à ces fruits d'une maturité exquise, servis avec toute la fraîcheur du matin, & ce léger coloris que semble y laisser la rosée. La versification de ce poëte est admirable, pleine de feu, d'images, & sur-tout d'une mélodie qui lui donne une supériorité incontestable sur tous les autres.
Moschus & Bion vinrent quelque tems après Théocrite. Le premier sut célebre en Sicile, & l'autre à Smyrne en Ionie. Si l'on en juge par le petit nombre de pieces qui nous restent de lui il ajouta à l'églogue un certain art qu'elle n'avoit point. On y vit plus de finesse, moins de choix, moins de négligence ; mais peut-être qu'en gagnant du côté de l'exactitude, elle perdit du côté de la naïveté, qui est pourtant l'ame des bergeries. Ses bois sont des bosquets plutôt que des bois ; & ses fontaines sont presque des jets d'eau. Il semble même que ce soit sinon un autre genre que celui de Théocrite, au-moins une autre espece dans le même genre. On y voit peu de bergerie, ce sont des allégories ingénieuses, des récits ornés, des éloges travaillés, & qui paroissent l'avoir été. Rien n'est plus brillant que son idylle sur l'enlevement d'Europe.
Bion a été encore plus loin que Moschus, & ses bergeries sont encore plus parées que celles de ce poëte. On y sent par-tout le soin de plaire ; quelquefois même il y est avec affectation. Son tombeau d'Adonis, qui est si beau & si touchant, a quelques antithèses qui ne sont que des jeux d'esprit.
Si on veut rapprocher les caracteres de ces trois poétes, & les comparer en peu de mots, on peut dire que Théocrite a peint la nature simple & quelquefois négligée ; que Moschus l'a arrangée avec art, que Bion lui a donné des parures. Chez Théocrite l'idylle est dans un bois ou dans une verte prairie ; chez Moschus elle est dans une ville ; chez Bion elle est presque sur un théâtre. Or quand nous lisons des bergeries, nous sommes bien-aises d'être hors des villes.
Virgile, né près de Mantoue de parens de médiocre condition, se fit connoître à Rome par ses poësies pastorales. Il est le seul poëte latin qui ait excellé en ce genre, & il a mieux aimé prendre pour modele Théocrite que Moschus ni Bion. Il s'y est attaché tellement, que ses églogues ne sont presque que des imitations du poëte grec.
Calpurnius & Némésianus se distinguerent par la poësie pastorale sous l'empire de Dioclétien ; l'un étoit sicilien, l'autre naquit à Carthage. Après qu'on a lu Virgile, on trouve chez eux peu de ce moëlleux qui fait l'ame de cette poésie pastorale. Ils ont de tems en tems des images gracieuses, des vers heureux ; mais ils n'ont rien de cette verve pastorale qu'inspiroit la muse de Théocrite.
Nous venons de transcrire avec un grand plaisir un discours complet sur la poésie pastorale, dont on a établi la matiere, la forme, le style, l'origine & le caractere des auteurs anciens qui s'y sont le plus distingués. Ce discours intéressant est l'ouvrage de l'auteur des Principes de littérature ; & nous croyons qu'en le joignant aux articles BUCOLIQUE, EGLOGUE & IDYLLE, le lecteur n'aura plus rien à désirer en ce genre. (D.J.)
PASTORALE, s. f. (Musique) chant qui imite celui des bergers ; qui en a la douceur, la tendresse, le naturel. C'est aussi une piece de musique faite sur des paroles qui dépeignent les moeurs & les amours des bergers.
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PASTORICIDES | S. m. (Hist. eccl.) nom d'une secte du premier siecle. On appella ces hérétiques pastoricides, parce que leur rage se tournoit particulierement contre les pasteurs qu'ils tuoient. Jovet range le pastoricide parmi les anabatistes d'Angleterre.
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PASTRANA | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans la nouvelle Castille, avec titre de duché, sur le Tage. Long. 15. 4. lat. 40. 26.
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PASTRUMA | (terme de relation) les voyageurs au Levant nous disent que le pastruma est de la chair de boeuf cuite, dessechée & mise en poudre, que les soldats turcs portent à l'armée, pour la dissoudre avec de l'eau, & en faire une espece de potage. (D.J.)
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PAT | (Jeu des échecs) ce terme du jeu d'échecs se dit lorsque l'un des joueurs n'étant pas en échec, ne sauroit jouer qu'il ne se mette en échec. Le pat differe du mat. On est mat, & l'on a perdu quand on ne peut pas sortir d'échec ; mais on est pat, lorsqu'on ne peut pas jouer sans se mettre en échec, & alors on recommence la partie, ni l'un ni l'autre n'ayant gagné. Si le roi ne peut jouer sans se mettre en échec, il est pat, & la partie est à refaire.
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PATA | S. m. (Ornith.) nom que les Portugais du Bresil donnent à un des plus beaux & des plus gros canards de l'Amérique ; il est presque de la grosseur d'une oie. Les Brésiliens l'appellent Ipecati-apoa. Voyez IPECATI-APOA.
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PATAC | S. m. (Comm.) monnoie d'argent, qui vaut un double. On dit aussi patar.
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PATACA-CHICA | (Comm.) monnoie fictive usitée parmi les Algériens, & qui vaut 232 aspres, dont 15 font un réal d'Espagne, & 24 font un dupta qui vaut environ six livres argent de France. Le témin fait la huitieme partie d'un pataca-chica. Une piastre mexicaine ou de Séville, dont 20 doivent faire une livre, fait trois pataca-chicas & sept témins.
Le karout est un demi témin ou quatorze aspres.
Pataca-gorda, monnoie fictive des Algériens, qui fait 696 aspres. Voyez l'article précédent.
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PATACH | S. m. (Comm. de potasse) cendre gravelée qui se fait d'une herbe qu'on brûle, qui se trouve aux environs de la mer Noire & des châteaux des Dardanelles ; elle sert pour faire le savon & pour dégraisser les draps, mais elle n'est pas estimée : celles de la côte de Syrie, & sur-tout de Tripoli, sont meilleures.
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PATACHE | S. f. (Marine) c'est un petit vaisseau de guerre qui est destiné pour le service des grands navires, & qui mouille à l'entrée d'un port pour aller reconnoître ceux qui viennent ranger les côtes. Ainsi la patache sert de premiere garde pour arrêter les vaisseaux qui viennent à entrer dans les ports. Le corps-de-garde de la patache doit être composé de son équipage, ou de soldats détachés à cet effet. Les fermiers généraux ont aussi des pataches qui se tiennent à l'entrée des ports pour avoir inspection sur ceux qui entrent. On dit pataches de fermes & bacs, bateaux & chaloupes de gouverneur.
Patache d'avis ou frégate d'avis, c'est un petit vaisseau qui porte les paquets à l'armée. (Z)
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PATAGAU | S. m. (Conchyliolog.) coquille bivalve qui est une espece de came. Le patagau differe cependant beaucoup de la came ordinaire ; il est plus grand, moins rond, plus lisse ; il est chargé de taches jaunes, blanches, noires : une seule trompe de différente couleur, & d'environ quatre pouces de long lui donne toute sorte de mouvement. Quoiqu'il ne paroisse former qu'un tuyau, il est cependant partagé intérieurement en deux par une espece de cloison, & chaque tuyau a son trou particulier qui se voit à l'extrémité de la trompe. Le supérieur qui rejette l'eau à trois piés de distance, est plus étroit que l'inférieur par où elle entre, & l'orifice des deux tuyaux est garni de petits poils blancs ; ce long tuyau sans le secours d'une autre jambe, sert au coquillage à se mouvoir, & fournit à tous ses besoins, sans pouvoir avancer ni reculer, mais seulement s'enfoncer dans la vase. Les bords de la coquille sont tapissés de deux membranes épaisses qui l'environnent, elles sont blanches & très-unies, sans franges ni déchiquetures. (D.J.)
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PATAGON | S. m. (Monnoie) Quelques-uns prononcent pattacon ; monnoie de Flandres faite d'argent qui a cours à-peu-près sur le pié de l'écu de France de soixante sols ; ils ne se reçoivent présentement qu'au poids dans les hôtels des monnoies, suivant le prix fixé par les ordonnances. Les diminutions du patagon sont les demi & les quarts.
Outre les patagons de Flandre, il s'en fabriquoit aussi autrefois quantité en Franche-comté, quelques-uns au poids & au titre de ceux de Flandre, c'est-à-dire pesant vingt-deux deniers, & tenant de fin dix deniers sept grains, & quelques autres un peu plus forts, comme ceux qui avoient une croix à feuillage couronnée d'un côté, & de l'autre les armes de Bourgogne, qui pesoient vingt-deux deniers douze grains, & tenoient de fin dix deniers quatorze grains. (D.J.)
PATAGONS LES, (Géog. mod.) peuples de l'Amérique méridionale, dans la terre magellanique. Leurs bornes du côté du nord ne sont gueres connues : on les étend ordinairement jusque vers la riviere de los Camarones, & d'autres les poussent jusqu'à la riviere de la Plata. Du côté de l'orient ils sont bornés par la mer du Nord, au midi par le détroit de Magellan, & à l'occident par la Cordiliere de los Andes.
Ce pays s'appelloit Chiqua avant que Fernand Magellan l'eût nommé le pays des Patagons, quand il vit des géants au port de Saint Julien ; ces prétendus géants n'étoient au fond que des hommes très-grands, & qui auroient eu environ huit piés par le rapport des mesures modernes au pié de roi.
Les Patagons sont couverts de peaux d'animaux assez grossierement cousues. L'air de ce grand pays est différent selon son éloignement du pôle antarctique ou de la ligne ; mais en genéral il est plutôt froid que chaud.
Les Indiens patagons voyagent en portant avec eux leurs cabanes & tous les ustenciles du ménage ; ces cabanes ne consistent qu'en quelques piquets, dont une partie se met debout, & le reste en-travers de l'un à l'autre, & le tout est couvert de peaux de cheval. Ils marchent le jour, campent la nuit. La chair de cheval est presque leur unique nourriture ; les uns la mangent crue, les autres la font griller. Ce qu'ils nomment ville est une habitation qui consiste en cabanes petites, basses, irrégulieres, éloignées entr'elles de trois piés au plus, & séparées par une petite palissade à hauteur d'appui. Ils reconnoissent un chef dont la parure consiste en un tablier d'étoffe pendu à sa ceinture, & un bonnet de plume d'autruche qui lui sert de diadème.
Le continent des Patagons abonde en pâturages & en chevaux. Les Patagons, au-moins ceux que nous avons vûs, dit l'auteur célebre du voyage à la mer du Sud, ont communément cinq à six piés de haut ; leur teint est de couleur olivâtre ; ils ont le nez & les yeux petits : leur naturel est fort doux. Leur roi ou chef n'a sur ses sujets d'autres prérogatives que d'être exempt de toute espece de travail. Dans les festins il est confondu avec ses sujets ; & quand l'ivresse est de la partie, ils en viennent aux mains avec lui comme avec un autre.
Ces Indiens n'ont proprement aucune demeure fixe ; lorsque leurs chevaux ont consommé les pâturages d'un canton, ils transportent leurs cabanes & leurs effets dans un autre : cette transmigration se fait plusieurs fois dans l'année. Leurs habitations sont dispersées dans une grande étendue de pays ; chaque bourgade est composée d'un très-petit nombre de cabanes ; la bourgade même capitale est bien inférieure aux plus médiocres villages d'Angleterre pour le nombre d'habitations.
Ils ont quelque foible notion de la divinité ; ils rendent une façon de culte à la lune & au soleil. Le jour de la nouvelle lune ils s'assemblent en corps, & font une espece de procession autour de leurs cabanes ; celui qui marche à la tête porte un cerceau garni de sonnettes de cuivre & de plumes d'autruche ; fait pirouetter de tems en tems ce cerceau, & à ce signal toute la troupe pousse de grands cris. Cette cérémonie dure environ une demi-heure.
On fait le même usage du cerceau auprès des mourans ; mais si-tôt que le malade est mort, on l'ensevelit bien vîte dans une peau de cheval avec tous les effets qui lui appartiennent, arcs, fleches, &c. On le porte tout de suite à quelque distance de l'habitation, & on le jette dans une fosse ronde qu'on a creusée exprès, & que l'on comble aussi-tôt.
Leur deuil consiste à rester seuls quelque tems, & à ne parler à personne ; pendant cette retraite, on leur envoie leur nourriture. Ils craignent extrêmement les spectres & les revenans, & par cela même ils sont sujets à en voir quantité. Ils les chassent autant qu'ils peuvent en frappant à grands coups sur les peaux de cheval dont leur cabane est entourée.
La polygamie leur est inconnue ; lorsque leur femme est en couche, l'entrée de sa cabane est interdite à tout le monde jusqu'à ce qu'elle en sorte elle-même portant son enfant entre ses bras. Aussi-tôt qu'elle en est délivrée, on enveloppe l'enfant d'une peau de mouton, on le couche sur une espece de civiere, dont le fonds est garni de la même peau ; on lui lie les bras & les jambes avec des especes de courroies contre le bois de la civiere, afin qu'il ne puisse pas tomber ; on suspend cette machine par les quatre coins : cette maniere d'emmailloter doit avoir des avantages, car les Patagons sont bien faits ; mais ils ont tous le derriere de la tête applati, ce qui vient sans doute de leur usage de tenir les enfans couchés sur le dos, sans autre oreiller que le bois de la civiere.
Dans les premiers mois après la naissance, les meres menent tous les matins leurs enfans à la riviere, & les y plongent. Cette pratique les rend si insensibles au froid, qu'au fort de l'hiver ils courent tout nuds sur la neige & la glace.
Les Patagons, hommes & femmes, portent des colliers & des brasselets de grains garnis de grelots : ils vont en course tous les printems, & employent l'été à chasser & à prendre des chevaux sauvages avec un noeud coulant, en quoi ils sont d'une adresse surprenante.
Les Patagons qui habitent les contrées voisines de la montagne des Cordilieres sont très-belliqueux, & haïssent mortellement les Espagnols, & leur font une guerre continuelle ; ils sont comme les autres de haute taille, & d'un teint basané ; leurs armes sont la lance & la fronde, qu'ils manient avec beaucoup de dextérité. Ils se dispersent en différens partis dans ces vastes plaines, ayant chacun leur chef ou cacique, & montent à cheval comme à-peu-près nos houssards d'Europe. Leurs étriers sont un morceau de bois percé d'un trou pour y mettre le bout du pié ; leurs brides sont de crin, & le mords est de bois.
Ils n'ont point de demeures fixes, sont errans, & par-là même inaccessibles aux Espagnols ; ils font de tems en tems des courses sur les frontieres espagnoles, enlevent le bétail & les habitans ; mais de tous les prisonniers qu'ils font, ils ne gardent que les femmes & les enfants pour en faire des esclaves, & tuent le reste. (D.J.)
PATAGON TERRE DES, (Géog. mod.) On donne le nom de terre des Patagons à cette partie de l'Amérique méridionale qui est au sud des établissemens des Espagnols & qui s'étend depuis ces colonies jusqu'au détroit de Magellan. La partie orientale de ce pays est remarquable par une particularité qui ne se trouve dans aucune autre contrée de notre globe connue ; c'est que quoique tout le pays qui est au nord de la riviere de la Plata soit rempli de bois & d'arbres de haute futaie, tout ce qui est au sud de cette riviere est absolument dépourvû d'arbres, à l'exception de quelques pêchers que les Espagnols ont plantés & fait multiplier dans le voisinage de Buenos-Ayres ; desorte qu'on ne trouve dans toute cette côte de quatre cent lieues de longueur, & aussi avant dans les terres que les découvertes ont pu s'étendre, que quelques chétives broussailles. Le chevalier Narboroug, que Charles II. envoya exprès pour découvrir cette côte & le détroit de Magellan, & qui en 1670 hiverna dans le port Saint-Julien & dans le port Désiré, assure qu'il ne vit pas dans tout le pays un tronc d'arbre assez gros pour en faire le manche d'un couperet. Voyage de G. Anson, in -4°. Amsterdam 1749. (D.J.)
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PATAGONULA | S. f. (Botan.) genre de plante dont voici les caracteres dans le système de Linnaeus. Le calice particulier de la fleur est extrèmement petit ; il se partage en cinq segmens, & demeure après que la fleur est tombée. La fleur consiste en un seul pétale ovoïde dont le bord est découpé en cinq parties aiguës. Les étamines sont cinq filets de la longueur de la fleur ; leurs bossettes sont simples. Le germe du pistil est oval & pointu. Le stile est très-délié, & légérement fendu en deux ; il reste aussi après la chûte de la fleur. Les stigmates sont simples. Le fruit est une capsule pointue, ovoïde, placée sur un large calice formé de cinq longs segmens, légérement découpés dans les bords. Les graines de cette plante sont encore inconnues, mais la structure du calice qui porte la capsule, est seule suffisante pour la distinction de ce genre de plante. (D.J.)
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PATAGRUM | S. m. (Hist. anc.) galon d'or dont on bordoit les tuniques à l'échancrure du col. Le clavus au contraire étoit attaché en long sur la tunique.
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PATAIQUES DIEUX | ou Pataeques, (Mythol.) images de certains dieux que les Phéniciens mettoient sur les proues de leurs vaisseaux. Hérodote, l. IV. les appelle ; Bochard dérive ce mot du phénicien ; Scaliger n'est point de cet avis. M. Morin le tire du grec , animal qui étoit l'objet du culte des Egyptiens, & qui de-là peut avoir été honoré par ses voisins. M. Elsner, mémoires de Berlin, t. II. a observé qu'Hérodote n'appelle pas Pataeci des dieux, mais ceux qui avoient obtenu cette dignité de la libéralité d'Hesychius, de Suidas, & d'autres anciens lexicographes qui les ont placés à l'éperon des vaisseaux, au lieu qu'Hérodote les plaçoit à la proue. Scaliger, Bochard & Selden se sont donnés bien des tourmens sur cette matiere. Le discours de M. Morin dans les mémoires de l'académie des Inscriptions, tome I. n'apprend rien de plus ; & toutes les étymologies du mot même sont chimériques. M. Elsner croit que les Pataci étoient les mêmes que les dioscures, non pas Castor & Pollux inventés par les Grecs, mais les dioscures orientaux d'une plus haute antiquité. Hérodote dit que les Pataci ressembloient à de petites statues de Vulcain. Pausanias leur donne environ un pié de hauteur. On les regardoit pour être les protecteurs de la navigation. (D.J.)
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PATALA | (Géog. anc.) île des Indes à l'embouchure du fleuve Indus. Arrien nous apprend qu'on la nomme aussi Delta, à cause de sa figure triangulaire. Il y avoit dans cette île une ville qui portoit le même nom. (D.J.)
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PATALÈNE | S. f. (Mythol.) divinité romaine qui présidoit aux blés lorsqu'ils commencent à faire paroître leurs épis. Le peuple lui donnoit le soin de les faire sortir heureusement. Arnobe parle d'une divinité à-peu-près semblable, qu'il nomme Patella & Patellana. (D.J.)
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PATAMAR | (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne dans l'Indostan ou dans les états du grand-mogol, à des messagers qui vont d'une ville à l'autre.
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PATANE | ou PATANS, (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme les restes de l'ancienne nation sur qui les Mogols ou Tartares monguls ont fait la conquête de l'Indostan. Quelques auteurs croyent que leur nom leur vient de Patna, province du royaume de Bengale au-delà du Gange ; mais d'autres imaginent avec plus de vraisemblance que ce sont des restes des Arabes, Turcs & Persans mahométans, qui vers l'an 1000 de l'ere chrétienne, firent la conquête de quelques provinces de l'Empire sous la conduite de Mahmoud le Gaznévide. Les Patanes habitent les provinces septentrionales de l'empire Mogol ; ils sont courageux & remuans, & ont eu part à la révolution causée dans l'Indostan par le fameux Thamas-Kouli-Kan, usurpateur du trône de Perse.
PATANE ou Patany, (Géog. mod.) royaume des Indes dans la presqu'île de Malaca, sur la côte orientale, entre les royaumes de Siam & de Paha. Les habitans sont en partie mahométans & en partie payens. Les Chinois font avec eux un grand commerce ; on n'y distingue que deux saisons, l'hiver & l'été ; l'hiver dure pendant les mois de Novembre, Décembre & Janvier, pendant lesquels il pleut sans cesse. Les bois sont remplis d'éléphans, de sangliers & de guenons. Le royaume, dit Gervaise, releve du roi de Siam ; & est gouverné par une reine qui ne peut se marier, mais qui peut avoir des amans tant qu'elle veut. La lubricité des femmes y est si grande, que les hommes sont contraints de se faire de certaines garnitures pour se mettre à l'abri de leurs entreprises. C'est là, c'est aux Maldives, c'est à Bantan, que la nature a une force & la pudeur une foiblesse qu'on ne peut comprendre ; c'est-là, dit M. de Montesquieu, qu'on voit jusqu'à quel point les vices du climat laissés dans la liberté, peuvent porter le désordre. Long. 119. lat. 7. (D.J.)
PATANE, ou Patany, (Géog. mod.) ville des Indes dans la presqu'île de Malaca, sur la côte orientale du royaume de Patane, dont elle est capitale. C'est une des villes fortes des Indes orientales ; elle a un port & est peuplée de Patanois qui sont mahométans, de Chinois & de Siamois. Long. 119. lat. 7. 34.
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PATANQUIENS | Pantochins, voyez PANTOQUINS.
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PATANS | (Géog. mod.) peuples des Indes dans les états du grand-mogol. Ils habitent les montagnes de Dhely & d'Agra.
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PATARASSE | ou MAL-BETE, s. f. (Marine) c'est une espece de ciseau à froid dont on se sert pour ouvrir les joints d'entre deux bordages quand ils sont trop serrés, afin de mieux faire la couture. (Z)
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PATARE | Patara, (Géog. anc.) ville d'Asie dans la Lycie, dont elle étoit capitale, selon Tite-Live, l. XXXVII. c. xv. Elle avoit un temple célebre dédié à Apollon Pataréen ; ce temple étoit aussi riche que celui des Delphites, & l'oracle des deux temples passoit pour mériter la même croyance. Horace, l. III. ode 4. le dit.
...... Qui Lyciae tenet.
Dumeta, natalem que silvam,
Delius & patareus Apollo.
On ne consultoit l'oracle de Patare que dans les six mois de l'hiver : durant les six mois de l'été l'oracle étoit à Delphes. C'est ce que Virgile explique dans l'Enéïde, l. IV. v. 143.
...Ubi hibernam Lyciam, Xantique fluenta
Deserit, ac Delum maternam invisit Apollo.
La ville de Patare étoit située dans la peninsule, qu'Etienne le géographe appelle la Chersonese des Lyciens. C'étoit, selon Tite-Live, liv. XXXVII. c. xvij. & l. XXXVIII. c. xix. une ville maritime qui avoit un port. Ptolomée Philadelphe après avoir accru Patare, la nomma Arsinoé, du nom de sa femme, mais cette ville ne laissa pas que de conserver toujours son ancien nom, sous lequel elle fut plus connue que sous celui d'Arsinoé. Elle devint avec le tems un évêché suffragant de Myre.
Acésée, brodeur de Patare, s'immortalisa par son adresse à l'aiguille. C'est lui qui fit le voile nommé pour la Minerve d'Athènes ; c'est encore lui qui fit l'ouvrage de ce genre que les Delphiens consacrerent à Apollon, & l'on écrivit dessus que Minerve elle-même par sa faveur divine avoit dirigé le travail de l'ouvrier, & avoit conduit ses mains. (D.J.)
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PATARINS | PATERINS, ou PATRINS, s. m. (Hist. ecclésiast.) hérétiques qui s'éleverent dans le xij. siecle, & suivoient une partie des erreurs des Vaudois & des Henriciens. Ils soutenoient que Lucifer avoit créé toutes les choses visibles ; que le mariage est un adultere ; que ce fut une illusion que Moïse vit un buisson ardent, & diverses autres impostures qui furent condamnées en 1179 dans le concile général de Latran, sous Alexandre III. avec les erreurs des Cathares, & de divers autres hérétiques. On tire leur nom du mot latin pati, qui veut dire souffrir, parce qu'ils affectoient de tout souffrir avec patience, & se vantoient encore d'être envoyés dans le monde pour consoler les affligés : ce qui fut cause qu'on les appella les consolés ou consolateurs en Lombardie, & les bonshommes en Allemagne. Baronius, A. C. 1179. Sponde, A. C. 1198. n. 28. Sander. haer. 147.
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PATAVINITÉ | S. f. (Belles-Lettres). Chez les critiques, c'est une faute qu'on reproche à Tite-Live, & qu'il a tirée de Padoue sa patrie, qu'on appelloit autrefois Patavium. Asinius Pollion, comme nous l'apprend Quintilien, a taxé Tite-Live de patavinité. Les critiques se sont donné des peines infinies pour découvrir en quoi consistoit cette patavinité.
Paul Beni, professeur d'Eloquence dans l'université de Padoue, croit que ce mot doit s'entendre du penchant que cet historien avoit pour le parti de Pompée. Mais Pollio lui auroit-il reproché un penchant dont il n'étoit pas exempt lui-même ? Pignorius pense que la patavinité consiste en ce que Tite-Live a retenu l'orthographe vicieuse de ses compatriotes de Padoue, qui écrivoient sibe & quase pour sibi & quasi : ce qu'il prouve par plusieurs anciennes inscriptions.
Le P. Rapin regarde la patavinité comme une mauvaise prononciation qui choquoit les oreilles délicates de ceux qui étoient à la cour d'Auguste, & qui sentoit la province.
Morhof croit que c'étoit une certaine tournure de style, & quelques phrases particulieres aux Padouans. Tout ce que nous en savons de certain, c'est que c'étoit une faute de langage reprochée à Tite-Live, mais non un défaut de sentiment ou de moeurs. Très-probablement c'est une de ces délicatesses qui sont perdues dans une langue morte. M. Balzac ne pouvoit pas mieux rendre son radoteur ridicule, qu'en supposant qu'il se glorifioit d'avoir découvert ce que c'étoit que la patavinité reprochée à Tite-Live par Pollion.
Dan. Georg. Morhof a fait un traité intitulé, de patavinitate liviana, imprimé à Kiell en 1685, où il explique doctement l'urbanité & la péregrinité de la langue latine.
Pollion, dit M. Rollin, prétendoit découvrir dans le style de Tite-Live de la patavinité, c'est-à-dire apparemment quelques termes ou quelques tours qui sentoient la province. Il se peut faire qu'un homme né & élevé à Padoue eût conservé, s'il est permis de parler ainsi, un goût de terroir, & qu'il n'eût pas toute cette finesse, cette délicatesse de l'urbanité romaine, qui ne se communiquoit pas à des étrangers aussi facilement que le droit de bourgeoisie ; mais c'est ce que nous ne pouvons pas appercevoir ni sentir. Hist. anc. tom. XII. p. 300.
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PATAY | (Géog. mod.) petite ville ruinée de France, dans la Beauce, au diocèse de Chartres, élection de Châteaudun. Les Anglois y furent défaits en 1429, & Talbot prisonnier. Long. 19. 18. lat. 48. 5. (D.J.)
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PATE | S. f. (Boulanger) farine pétrie & préparée pour faire du pain. La farine pétrie dont on fait le pain est ordinairement levée ou avec du levain de pâte, si c'est du gros pain, ou quelquefois avec de la mousse ou écume de biere, si c'est du pain léger & mollet.
Avant de pétrir la pâte, on prépare le levain, c'est-à-dire, qu'on met un morceau de pâte aigrie & réservée à cet usage, ou une partie de levûre de biere dans une petite partie de la farine qu'on veut pétrir ; & qu'après avoir pétris ensemble avec de l'eau chaude, on laisse fermenter.
Cette premiere pâte suffisamment levée, se mêle avec le reste de la farine en la délayant de même avec de l'eau chaude, qu'on met en moindre ou plus grande quantité, suivant la température de l'air, moins si le tems est doux, plus s'il est froid.
La pâte réduite à une certaine consistance qui se regle suivant que le pain doit être ferme ou léger, on la coupe avec le coupe-pâte ; on la pese à la balance ; si ce sont des boulangers qui pétrissent, on la tourne sur le tour, & on la dresse sur la table à coucher, où on la laisse jusqu'à ce qu'elle soit assez levée, & propre à mettre au four.
On pétrit ordinairement la farine, & on la réduit en pâte avec les mains, en la repliant plusieurs fois, & en la foulant avec les points fermés ; ce qui se fait dans des pétrins, ou des bacquets.
Quelquefois pour certaines sortes de pain, lorsqu'elle est en consistance de bonne pâte, on la pétrit encore avec les piés dans un sac. Dans cette maniere de pétrir, au lieu de replier la pâte, on la coupe avec le coupe-pâte, & l'on en met les morceaux les uns sur les autres. Dictionnaire du Ménage. Voyez l'article PAIN. (D.J.)
PATE BATARDE ou FERME, (chez les Boulangers) est une pâte que l'on a bassinée avec du lait ou de l'eau, pour faire le gros pain. On l'appelle ferme, parce qu'on la pétrit plus dure, & avec moins d'eau que la pâte molle. On fait du pain de pâte ferme d'une, de deux, de trois, de quatre, de six, de huit, & de douze livres. Il est défendu aux Boulangers d'en faire & d'en exposer dans leur boutique, de cinq, de sept, de neuf, de dix, & de onze livres.
PATE MOLLE, c'est en Boulangerie, une pâte légere & délicate, dont on fait le pain mollet. Pour la rendre telle, quand elle a acquis une certaine consistance, on la coupe avec les mains, c'est-à-dire, on la sépare en lambeaux que l'on jette les uns sur les autres, & que l'on bat ensuite à force de bras ; ce que l'on continue de faire jusqu'à ce qu'elle soit seche à un certain point.
PATE, (Commerce de lingots) dans l'Amérique espagnole, on nomme pâte, les barres d'argent qui n'ont point été quintées, c'est-à-dire, qui n'ayant point été portées aux bureaux du roi pour y payer le droit de quint, n'ont point la marque qui en doit justifier le payement.
Les pâtes ou barres non quintées, sont du nombre des contrebandes ; il s'en fait cependant un grand commerce, à cause du gain certain qu'on y trouve ; mais elles sont sujettes à beaucoup de friponneries, les essayeurs en Espagne n'ayant pas toute la bonne foi possible, & d'ailleurs étant très-mal-habiles ; ce qui doit obliger les étrangers de s'en charger avec beaucoup de précaution. Savary. (D.J.)
PATE, en Confiserie, c'est un terme dont on se sert pour exprimer une préparation de quelque fruit, faite en en broyant la chair avec quelque fluide, ou autre mixtion, jusqu'à ce qu'elle ait quelque consistance, l'étendant ensuite sur un plat, & la séchant avec du sucre en poudre, jusqu'à ce qu'elle soit aussi maniable que de la pâte ordinaire. Voyez CONFITURE. Ainsi l'on fait des pâtes d'amandes, des pâtes de pommes, d'abricots, de cerises, de raisins, de prunes, de pêches, de poires, &c.
PATE, terme de Cordonnier, ils appellent pâte, la colle de farine de seigle dont ils se servent pour coller les cuirs des patons avec l'empeigne de leurs souliers & autres ouvrages de cordonnerie.
PATE DE VERRE, (Gravures en pierres fines) les Artistes employent le mot de pâte, qui est le terme dont se servent les Italiens, pour exprimer ces empreintes de verre, nommées par les anciens obsidianum vitrum. La langue françoise ne fournit pas d'autre terme propre ; & celui de pâte est déja consacré. Quelques-uns néanmoins les appellent des compositions de pierres gravées factices.
Les pâtes de verre, à la matiere près, ont de quoi satisfaire les curieux autant que les originaux ; puisqu'étant moulées dessus, elles en sont des copies très-fideles. Ceux qui ont crû que c'étoit une invention moderne, sont dans l'erreur : les anciens ont eu le secret de teindre le verre, & de lui faire imiter les différentes couleurs des pierres précieuses. L'on montre tous les jours de ces verres antiques coloriés, sur lesquels il y a des gravûres en creux ; & l'on en voit aussi qui rendent parfaitement l'effet des plus singulieres camées. Je ne mets point en doute que quelques-uns de ces verres n'ayent été travaillés à l'outil ; comme les pierres fines ; ce qui me le persuade, c'est ce que dit Pline, que l'on gravoit le verre en le faisant passer sur le tour ; mais je n'en suis pas moins convaincu, que les anciens ayant su mettre le verre en fusion, ils ont dû mouler des pierres gravées avec le verre, à-peu-près comme on le fait aujourd'hui ; & que c'est ainsi qu'ont été formées cette grande quantité de pâtes antiques qui se conservent dans les cabinets.
Cette pratique qui peut-être avoit été interrompue, fut remise en vogue sur la fin du quinzieme siecle. On trouva pour lors à Milan un peintre en miniature, nommé François Vicecomité, qui possédoit le secret des plus beaux émaux, & qui contrefaisoit à s'y tromper, les pierres gravées par le moyen des pâtes de verre. Il s'en est toujours fait depuis en Italie ; mais on est redevable à S. A. R. monsieur le duc d'Orléans régent, de la découverte d'une maniere d'y procéder & plus expéditive, & plus parfaite. Ces pâtes ont le transparent & l'éclat des pierres fines ; elles en imitent jusqu'aux couleurs ; & quand elles ont été bien moulées, & que la superficie est d'un beau poli, elles sont quelquefois capables d'en imposer au premier aspect, & de faire prendre ces pierres factices pour de véritables pierres gravées. Entrons dans les détails d'après Me. Mariette.
Comme l'extrème rareté des pierres précieuses, & le vif empressement avec lequel on les recherchoit dans l'antiquité, ne permettoient qu'aux personnes riches d'en avoir & de s'en parer, il fallut emprunter les secours de l'art, pour satisfaire ceux qui manquant de facultés, n'en étoient pas moins possédés du désir de paroître. Le verre, matiere utile & belle, mais qui étant commune, n'est pas autant considérée qu'elle le devroit être, offrit un moyen tout-à-fait propre à remplir ces vûes. On n'eut pas beaucoup de peine à lui faire imiter la blancheur & le diaphane du cristal, & bien-tôt en lui alliant divers métaux, en le travaillant, & en le faisant passer par différens degrés de feu, il n'y eût presque aucune pierre précieuse, dont on ne lui fit prendre la couleur & la forme. L'artifice sut même quelquefois se déguiser avec tant d'adresse, que ce n'étoit qu'après un sérieux examen, que d'habiles jouailliers parvenoient à discerner le faux d'avec le vrai. L'appât du gain rendoit les faussaires encore plus attentifs, & accéléroit leurs progrès ; aucune profession n'étoit plus lucrative que la leur.
Pour imposer avec plus de hardiesse, & plus sûrement, ils avoient trouvé le secret de métamorphoser les matieres précieuses, en des matieres encore plus précieuses. Ils teignoient le crystal dans toutes les couleurs, & sur-tout dans un très-beau verd d'émeraude : jusques dans les Indes on imitoit le béril avec le crystal. D'autres fois on produisoit de fausses améthystes, dont le velouté pouvoit en imposer, même à des connoisseurs : ce n'étoit cependant que de l'ambre teint en violet.
Le verre ainsi colorié ne pouvoit manquer d'être employé dans la gravure ; il y tint en plus d'une occasion la place des pierres fines, & il multiplia considérablement l'usage des cachets. J'ai déja dit que les anciens avoient non-seulement gravé sur le verre, mais qu'ils avoient aussi contrefait les pierres gravées en les moulant, & en imprimant ensuite sur ces moules du verre mis en fusion. J'ai remarqué que dès le quinzieme siecle, les Italiens étoient rentrés en possession de faire de ces pâtes ou pierres factices ; j'ajoute ici que les ouvriers qui y furent employés dans les derniers tems, n'ayant pas eu apparemment assez d'occasions de s'exercer, ne nous avoient rien donné de bien parfait. Peut-être ne connoissoient-ils pas assez la valeur des matieres qu'ils employoient. Le verre qui doit être moulé, la terre qui doit servir à faire le moule, sont des matieres analogues, toujours prêtes à se confondre, & à s'unir inséparablement, lorsqu'on les expose à un grand feu. Cette opération peu considérable en apparence, pouvoit donc devenir l'objet des recherches d'un excellent chimiste ; & M. Homberg ayant été chargé par S. A. R. monsieur le duc d'Orléans, de travailler à la perfectionner, il ne crut pas qu'il fût au-dessous de lui de s'y appliquer.
Après différens essais, après avoir répété plusieurs expériences, auxquelles le prince voulut bien assister, il parvint enfin à faire ces pâtes avec tant d'élégance, que les connoisseurs mêmes pouvoient y être trompés, & prendre quelquefois les copies pour les originaux. En exposant ici la façon de procéder de M. Homberg je ne fais presque que transcrire le mémoire de cet habile physicien, qui est inseré parmi ceux de l'académie royale des Sciences de l'année 1712.
Le point essentiel étoit de trouver une terre fine qui ne contînt aucun sel, ou du-moins fort peu, & avec laquelle il fût possible de faire un moule qui pût aller au feu sans se vitrifier, ni sans se confondre avec le morceau de verre amolli au feu, ou à demi-fondu, qui devoit être appliqué sur ce moule, & recevoir l'empreinte du relief qui avoit été formée. La chose devenoit d'autant moins aisée, que le verre ne differe des simples terres, qu'en ce que l'un est une matiere terreuse qui a été fondue au feu, & que l'autre est la même matiere terreuse, qui n'a pas encore été fondue, mais qui se fond aisément, & qui s'unit avec le verre, si on les met l'une & l'autre ensemble dans un grand feu. Si donc on n'use pas de précautions dans le choix & l'emploi de la terre, le moule & le verre moulé se collent si étroitement dans le feu, qu'on ne peut plus les disjoindre ; & la figure qu'on avoit eu intention d'exprimer sur le verre, se trouve alors détruite.
Une matiere terreuse à laquelle on auroit fait perdre ses sels par art, soit en y procédant par le feu, soit en y employant l'eau, comme sont par exemple la chaux vive, & les cendres lessivées, seroit encore sujette aux mêmes inconvéniens, car ces terres conservent en entier les locules qui étoient occupés par les sels qu'elles ont perdus ; & ces locules sont tous prêts à recevoir les mêmes matieres qui les remplissoient, quand elles se présenteront. Or comme le verre n'a été fondu ou vitrifié qu'au moyen d'une grande quantité de sel fondant que l'art y a joint, pour peu qu'on l'approche dans le feu d'une terre d'où l'on a emporté les sels, il s'insinuera promptement dans ses pores, & l'une & l'autre matiere ne feront qu'un seul corps.
Il n'en est pas ainsi des matieres terreuses qui naturellement ne contiennent rien ou très-peu de salin ; elles n'ont pas les pores figurés de maniere à recevoir facilement les sels étrangers, sur-tout quand ces sels sont déjà enchâssés dans une autre matiere terreuse, comme est le verre, & qu'on ne les tient pas trop long-tems ensemble dans un grand feu ; car il est vrai qu'autrement la quantité de sel qui est dans le verre, serviroit immanquablement de fondant à cette derniere sorte de terre, & ils se fondroient & se vitrifieroient à la fin l'un par l'autre.
Persuadé de la vérité de ces principes, M. Homberg examina avec attention toutes les especes de terres ; & après en avoir fait l'analyse, il s'arrêta à une certaine sorte de craie qu'il trouva très-peu chargée de sel, & qui par cette raison lui parut plus propre qu'aucune autre matiere pour l'accomplissement de son dessein. Cette craie qu'on nomme communément du tripoli, sert à polir les glaces des miroirs, & la plûpart des pierres précieuses. On en connoît de deux especes : celle qui se tire de France est blanchâtre, mêlée de rouge & de jaune, & quelquefois tout-à-fait rouge ; elle est ordinairement feuilletée & tendre. Le tripoli du Levant, plus connu sous le nom de tripoli de Venise, est au contraire rarement feuilleté : sa couleur tire sur le jaune ; on n'en voit point de rouge, & il est quelquefois fort dur.
Qu'on se serve de l'un ou de l'autre, il faut choisir celui qui est tendre & doux au toucher comme du velours, & rejetter celui qui pourroit être mêlé d'autre terre, ou de grains de sable. Mais on doit sans difficulté donner la préférence au tripoli de Venise ; il est plus fin, & par conséquent, il moule plus parfaitement que le tripoli de France : outre cela le verre ne s'y attache jamais au feu, ce qui arrive quelquefois au nôtre. Cependant comme il est rare & cher à Paris, on peut pour épargner la dépense, employer à-la-fois dans la même opération, les deux sortes de tripoli, en observant ce qui suit.
Chacune des deux especes de craies exige une préparation particuliere : on pile le tripoli de France dans un grand mortier de fer ; on le passe par un tamis ; & on le garde ainsi pulvérisé pour s'en servir, comme on le dira bien-tôt, au lieu que le tripoli de Venise demande à être gratté légerement, & fort peu à-la-fois, avec un coûteau ou avec des éclats de verre à vitre. Il ne suffit pas de l'avoir ensuite passé par un tamis de soie très-délié & très-fin, il faut encore le broyer dans un mortier de verre, avec un pilon de verre. Ce dernier tripoli étant particulierement destiné à recevoir les empreintes, plus il sera fin, mieux il les prendra.
Les deux tripoli ayant été ainsi réduits en poudre, on prend une certaine quantité de celui de France, qu'on humecte avec de l'eau, jusqu'à ce qu'il se forme en un petit gâteau, quand on en presse un peu avec les doigts ; à-peu-près comme il arrive à la mie de pain frais, lorsqu'on la pétrit de même entre les doigts. On remplit de ce tripoli humecté un petit creuset plat, de la profondeur de sept à huit lignes, & du diametre qui convient à la grandeur de la pierre qu'on a dessein de mouler. On presse légerement le tripoli dans le creuset, puis on met pardessus une couche de tripoli de Venise en poudre seche assez épaisse pour pouvoir suffire au relief qui doit y être exprimé.
La pierre qu'on veut mouler étant posée sur cette premiere couche, de maniere que la superficie gravée touche immédiatement la superficie du tripoli, on appuie dessus, en pressant fortement avec les deux pouces ; & l'on ne doit point douter que l'impression ne se fasse avec toute la netteté possible ; car elle se fait sur le tripoli de Venise, & ce tripoli a cela de propre, qu'il est naturellement doué d'une légere onctuosité ; & que lorsqu'on le presse, ses petites parties qui, comme autant de petits grains, étoient divisées, se réunissent, & se tenant collées ensemble, forment une masse dont la superficie est aussi lisse que celle du corps le mieux poli. On applatit, ou bien l'on enleve avec le doigt, ou avec un couteau d'ivoire, l'excédent du tripoli qui déborde la pierre. En cet état, on laisse reposer le moule jusqu'à ce qu'on juge que l'humidité du tripoli de France a pénétré celui de Venise, qui comme on a vû, a été répandu en poudre seche, & qu'elle en a lié toutes les parties. Avec un peu d'habitude, on saura au juste le tems que cela demande. Il convient pour lors de séparer la pierre d'avec le tripoli ; pour cela on l'enleve un peu avec la pointe d'une aiguille enchâssée dans un petit manche de bois, & l'ayant ébranlée, on renverse le creuset ; la pierre tombe d'elle-même, & le sujet qui y est gravé reste imprimé dans le creuset. On réparera, s'il est nécessaire, les bords du tripoli que la pierre auroit pû déchirer en les quittant, & on laissera sécher le creuset dans un lieu fermé, où l'on sera assuré que la poussiere n'entrera point, & ne pourra point gâter l'impression qu'on vient d'achever.
Il est sur-tout d'une grande importance, qu'il ne soit absolument resté aucune portion de tripoli dans le creux de la pierre qu'on a moulé, & que le dépouillement de cette pierre se soit fait dans tout son entier, quand elle s'est séparée du tripoli : autrement l'impression du verre se feroit imparfaitement ; tout ce qui seroit demeuré dans la pierre formeroit autant de vuides dans la copie. Il faut donc y regarder de près ; & si l'on remarque quelque partie emportée, quelque déchirure, on recommencera une nouvelle empreinte sur le même tripoli, qui pourra servir, supposé qu'il soit encore moite.
Si le moule est en bon état, & lorsqu'on sera assuré que le tripoli dont le creuset est rempli est parfaitement sec, on prendra un morceau de verre de quelque couleur qu'on voudra, il n'importe ; mais il est pourtant à propos qu'il imite autant qu'il est possible, la couleur des agates, des jaspes, des cornalines, des améthystes, ou de quelques-unes des pierres fines qu'on choisit ordinairement pour graver. On le taillera de la grandeur convenable, on le posera sur le moule, ensorte que le verre ne touche en aucun endroit la figure imprimée, car il l'écraseroit par son poids. On approchera du fourneau le creuset ainsi couvert de son morceau de verre, & on l'échauffera peu-à-peu jusqu'à ce qu'on ne puisse pas le toucher des doigts sans se brûler. Il est tems pour lors de le mettre dans le fourneau, qui doit être un petit four à vent, garni au milieu d'une moufle, au-tour de laquelle il y aura un grand feu de charbon, ainsi que dessus & dessous.
On pourra mettre un ou plusieurs creusets sous la moufle, selon sa grandeur ; on bouchera l'ouverture de la moufle avec un gros charbon rouge, & on observera le morceau de verre. Quand il commencera à devenir luisant, c'est la marque qu'il est assez amolli pour souffrir l'impression : il ne faut pas tarder à retirer le creuset du fourneau, & sans perdre de tems, on pressera le verre avec un morceau de fert plat, pour y imprimer la figure moulée dans le creuset. L'impression finie, on aura attention de remettre le creuset auprès du fourneau, dans un endroit un peu chaud, & où le verre à l'abri du vent, puisse refroidir peu-à-peu ; car le passage trop subit du chaud au froid, le feroit surement peter, & y occasionneroit des fentes ; & même afin de prévenir cet accident, qui arrive souvent peu de tems après l'opération, particulierement quand le verre est un peu revêche, on ne doit pas manquer d'en égruger les bords avec des pincettes, aussi-tôt que tout-à-fait refroidi, le verre aura été ôté de dessus le creuset.
Tous les verres ne sont pas cependant sujets à cet inconvénient ; il n'y a pas d'autres regles pour les connoître, que d'en imprimer deux ou trois morceaux, qui enseigneront assez la maniere dont il faudra les traiter : ceux qui sont les plus durs à fondre, doivent être préférés ; ils portent un plus beau poli, & ne se rayent pas si facilement que les tendres.
Si l'on est curieux de copier en creux une pierre qui est travaillée en relief, ou de mettre en relief une pierre qui est gravée en creux, on pourra s'y prendre de la façon suivante. On imprimera en cire d'Espagne ou en soufre, le plus exactement qu'il sera possible, la pierre qu'on veut transformer. Si elle est gravée en creux, elle produira un relief ; & si c'est un relief, il viendra un creux : mais comme en faisant ces empreintes, on ne peut empêcher que la cire ou le soufre ne débordent, il faudra avant que d'aller plus loin, abattre ces balevres, & ne laisser subsister que la place de la pierre, dont on unira le tour avec la lime, ou avec un canif. Le cachet ou empreinte étant formé, on le moulera dans un creuset rempli de tripoli, de la même maniere que si on vouloit mouler une pierre, & l'on imprimera de même au grand feu dans ce moule, un morceau de verre, en observant tout ce qui a été prescrit ci-dessus. On enseignera dans la suite la maniere de faire les empreintes en soufre.
Quant à celles qui seront faites en cire d'Espagne, on les appliquera sur de petits morceaux de bois, ou sur du carton fort épais, pour empêcher qu'elles ne se tournent ; car s'il arrivoit que la carte ou le papier sur lesquels elles auroient été mises, pliassent dans le tems qu'on les imprime sur le tripoli, la cire d'Espagne se fondroit, & le tripoli venant à s'insinuer dans ces fentes, on ne pourroit éviter que l'impression en verre ne fût traversée de raies, qui la défigureroient horriblement, ou qui feroient penser que la pierre qui a fourni le modele, auroit été cassée.
Enfin pour que la pierre contrefaite imite plus parfaitement son original, il est nécessaire de lui faire avoir une forme bien réguliere, & qu'elle soit exactement ronde, ovale, &c. Pour cet effet on la fera passer sur la meule, l'usant sur son contour aux endroits qui ne seroient pas unis. La pâte de verre ainsi perfectionnée, on la monte en bague, ou on la conserve dans des layettes, comme les véritables pierres gravées ; & l'on peut assurer que, pour ce qui concerne le travail du graveur, elle fait à peu-près le même plaisir, & sert aussi utilement pour l'instruction que ces dernieres. Je dois avertir qu'au lieu de creuset, il y a des gens qui employent un anneau de fer, ce qui revient au même ; cet anneau dure plus long-tems, & c'est l'unique avantage qu'il peut avoir sur le creuset.
Soit que le verre représente un relief, soit qu'il se charge du travail de la gravure en creux, on ne peut, en suivant le procédé dont on vient de rendre compte, qu'imiter une pierre d'une seule couleur, & jamais on n'exprimera les variétés & les différens accidens de couleurs d'un camée. Voilà cependant ce que les anciens ont sû faire dans la plus grande perfection ; & l'on doit regretter la perte d'un secret si propre à multiplier des ouvrages aussi excellens que singuliers.
On voit des pierres factices antiques, qui semblent être de véritables agates-onyx. Je ne parle point de ces sardoines-onyx, où pour contrefaire cette espece de pierre fine, qui quand elle étoit régulierement belle, n'avoit point de prix, un ouvrier patient & adroit, colloit ensemble trois petites tranches d'agates fort minces & parfaitement bien dressées, l'une noire, la seconde blanche, & la troisieme rouge, & le faisoit si habilement, que les joints ne paroissant absolument point, & les agates ayant été bien assorties pour les nuances, il n'étoit presque pas possible d'appercevoir la fraude, & de s'en garantir. Eh ! qui sait si dans les sardoines-onyx que nous admirons, il ne s'en trouve pas quelqu'une d'artificielle, & où l'on a usé anciennement de la supercherie que je viens de faire observer ? Mais ce n'est pas ce qu'il s'agit d'examiner présentement ; il n'est question que des pâtes qui ont été jettées dans des moules, & avec lesquelles les anciens ont si heureusement imité les camées.
Il n'étoit guere possible de pousser plus loin que le firent les Romains, l'art de contrefaire les camées, & je pense que si l'on veut les égaler, il faut de toute nécessité pénétrer leur manoeuvre, & la suivre de point en point. Qu'on cherche tant qu'on voudra, qu'on fasse diverses tentatives, qu'on multiplie les expériences, il n'y aura jamais que la matiere seule de la porcelaine qui soit convenable pour rendre avec une apparence de vérité, les figures en bas-relief, qui dans les agates naturelles, se détachent en blanc sur un fond de couleur ; & il ne faut pas desespérer, si l'on s'y applique sérieusement, qu'on n'y réussisse à la fin. Quelques essais assez heureux, semblent l'annoncer & le promettre.
Nous avons vû cependant quelques personnes tenir une autre route, & en soudant ensemble des tranches de verre diversement colorié, à peu-près comme les anciens en avoient usé avec l'agate, entreprendre de faire des camées factices presque semblables aux véritables. Ils ont cru que l'imitation se feroit avec d'autant plus de succès, que les morceaux de verre qu'ils employoient étant mis dans un creuset avec de la chaux, du plâtre ou de la craie, appellée blanc d'Espagne ou tripoli (en observant de poser alternativement un lit de chaux ou de plâtre, & un lit de verre), & étant poussés à un feu très-violent, perdent leur transparence, & deviennent même à la fin tout-à-fait opaques, & bons à être travaillés sur le rouet comme l'agate. Ces morceaux de verre ainsi calcinés, on en prend deux, l'un blanc & l'autre de couleur, on les applique l'un contre l'autre, & les mettant ensemble en fusion sous la moufle, les deux tranches s'unissent en se parfondant, & n'en font plus qu'une, conservant cependant chacune leur propre couleur. Si l'on veut s'épargner cette peine, on peut prendre quelque morceau de ces verres peints, que la peinture n'a pas pénétré entierement, & dont elle n'a même teint que la moitié de la substance : on le calcinera, en le présentant encore au feu sous la moufle, & il en sortira devenu un corps opaque, moitié blanc & moitié colorié dans son épaisseur, & qui fera le même effet que les deux verres unis ensemble. Mais avant que de se servir des uns ou des autres, il faut faire passer ces verres sur la roue du lapidaire, & manger de la surface qui est blanche, & qui est destinée à exprimer les figures de relief du camée, jusqu'à ce qu'elle soit réduite à une épaisseur aussi mince qu'une feuille de papier.
La matiere étant préparée, le fourneau bien allumé, & la pierre qu'on a dessein d'imiter ayant été précédemment moulée dans un creuset & sur du tripoli, de la maniere qu'il a été enseigné ci-devant, prenant garde que l'empreinte ne doit pas offrir un relief, mais un creux, on pose sur ce moule le verre du côté qu'il montre une superficie blanche ; on l'enfourne sous la moufle, & au moment que la fusion commence à se faire, on l'imprime sans rien changer dans le procédé dont on a déja rendu compte. Pour derniere opération, on découpe sur le touret, & avec les mêmes outils dont on se sert pour la gravure en pierres fines, tout le blanc qui déborde le relief, & qui l'environne, & qui étant fort mince, part sans beaucoup de difficulté ; en découvrant ainsi tout-autour le second lit du verre, on forme un champ aux figures, qui paroissent alors isolées, & de demi-relief sur un fond de couleur, comme dans les véritables camées.
S'il n'étoit question que d'une simple tête, qui ne fût pas trop difficile à chantourner, on pourroit commencer par mouler cette tête, & l'imprimer ensuite en relief sur un morceau de verre teint en blanc ; puis faisant passer ce verre imprimé sur la roue du lapidaire, on l'useroit par-derriere avec de l'émeril & de l'eau, jusqu'à ce que toute la partie qui fait un champ à la tête se trouvât abattue, & qu'il ne restât absolument que le relief ; & si après cette opération, il y avoit encore quelque petite partie du champ qui fût demeurée, on l'enleveroit avec la lime, ou avec la pointe des ciseaux.
Cette tête ainsi découpée avec soin, on l'applique sur un morceau de verre teint en noir, ou autre couleur ; on l'y colle avec de la gomme liquéfiée, & quand elle y est bien adhérente, on pose le verre sur du tripoli, & on l'y presse comme s'y on l'y vouloit mouler ; mais au lieu de l'en retirer, comme on fait quand on prend une empreinte, on laisse sécher le moule, toujours couvert de son morceau de verre, & en cet état, on l'enfourne sous la moufle, on presse le verre avec la spatule de fer, lorsqu'il est en fusion, & le reste se fait ainsi qu'il a été expliqué ci-devant. La gomme qui attachoit la tête sur son fond se brûle pendant ce tems-là, & s'évapore ; & les deux morceaux de verre, celui qui forme le relief & celui qui doit lui servir de champ, n'étant plus séparés par aucun corps étranger, ils s'unissent étroitement en se fondant, sans qu'on puisse craindre que dans cette action le relief souffre la moindre altération, puisque le tripoli dans lequel il est enfoncé, & qui l'enveloppe de toutes parts, lui sert comme d'une chape, & ne lui permet pas de s'écarter.
Cette derniere pratique paroît plus simple que la précédente ; on n'y est pas obligé d'emprunter le secours d'instrumens, qui ne peuvent être bien maniés que par un graveur ; mais elle ne laisse pas d'avoir ses difficultés ; & l'une & l'autre deviennent d'une exécution qui demande beaucoup de patience & d'adresse. Il faut encore avouer que le blanc, quelque soin & quelques précautions qu'on ait prises, n'est jamais bien pur & bien opaque ; il est presque toujours bleuâtre, & laisse entrevoir la nuance du verre qui est en-dessous. (D.J.)
PATE, voyez BISCUIT.
PATE en terme de pain d'épicier, est un appareil ou composition de miel ou de farine, dont on fait le pain-d'épice. Voyez PAIN D'EPICE. Il y a de plusieurs sortes de pâtes qui peuvent néanmoins se réduire à trois principales ; pâte d'assortiment, pâte dure & pâte en gros. Voyez chacun de ces mots à son article. Cette pâte a cela de particulier, qu'elle ne se leve point comme les autres especes de pâtes, & peut se garder un tems considérable sans se gâter. Les ouvrages qu'on en fait quand elle est nouvellement faite, ne valent pas à beaucoup près, ceux qu'on fait de vieille pâte.
Pâte d'assortiment est une pâte qui tient le milieu entre la pâte dure & la pâte à gros, pour la fermeté & la consistance. On en fait des ouvrages assez considérables, des pains de deux, de trois, de quatre sols, &c.
La pâte dure est une sorte de pâte très-ferme, dont on se sert à faire les mêmes ouvrages, tels que ces figures d'hommes & de femmes que l'on voit fort communément, &c.
Pâte à gros ; c'est une pâte molle, fine, & fort légere, dont on fait les gros pains-d'épice. Voyez GROS.
PATE, (Papeterie) espece de bouillie dont se fabrique le papier. Elle est faite de vieux chiffons, ou morceaux de toile de chanvre & de lin, que l'on appelle drapeaux, beilles, chiffes, drilles, & pâtes.
Pâte venante, on appelle pâte venante, la pâte de moyenne qualité faite des vieux drapeaux & chiffons de toile de lin ou de chanvre, qui ne sont pas les plus fins ; c'est avec la pâte venante que se font les papiers de la seconde sorte.
PATE, en terme de Patisserie ; c'est une composition molle, de farine pétrie avec de l'eau, du lait, du beurre, & autre chose semblable, dont on fait une espece d'enveloppe à la viande & aux fruits, qu'on veut faire cuire au four. La pâte est la base & le fondement des gâteaux, tourtes, & autres ouvrages de pâtisserie. Voyez PATISSERIE.
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PATÉ | S. m. en terme de Pâtissier ; c'est un ouvrage de Pâtisserie, une préparation de quelque viande particuliere, comme boeuf, venaison, agneau, ou autre chose semblable bien assaisonnée, mise en pâte & cuite au four. On fait aussi des pâtés de veau, des pâtés de cerf, des pâtés de roignons, de moëlle, &c.
PATES CHAUDS, ce sont des pâtés que les Pâtissiers appellent ainsi, parce qu'on les sert chauds, & après y avoir introduit une sauce en les tirant du four.
PATE ou PATEE, terme de Blason, dont on se sert pour désigner une croix, petite à son centre, & qui s'élargit vers les extrémités. Voyez les Pl. du Blas. Il porte de sable à la croix pâtée d'argent, du nom de croix. Prantauroux, d'argent, à la croix patée d'azur.
PATE, en terme de boutonnier, c'est un marteau de bois, plus ou moins plat & grand, couvert d'une semelle de chapeau sur lequel on pose le bouillon. Les poids inégaux du chapeau l'empêchent de couler, ce à quoi sa forme ronde est assez sujette. Voyez BOUILLON. Le pâté s'arrête sur le bord élevé de l'établi, par deux cloux à crochets enfoncés dans le corps du paté, la pointe renversée en en-bas.
PATE, terme de Brocanteur, ce sont plusieurs petites curiosités qu'on assemble pour vendre ou acheter en bloc, parce qu'elles ne sont pas assez considérables pour les estimer & évaluer en particulier. Il y a quelquefois dans l'achat de ces sortes de patés, de petits hasards favorables. (D.J.)
PATE, (Jardinage) les Terrassiers disent d'un terrein un peu élevé, tel qu'une bute, qu'on a dessein de couper, qu'ils ont un paté ou crête de terre à araser.
PATE, (Orfevre-Joaillier) c'est l'assemblage de plusieurs especes de pierres de nature & forme différentes, que l'on expose en vente ; on appelle cela communément, vendre ou acheter un paté de pierres.
PATE DE CHEVEUX, terme de Perruquier, c'est une quantité de cheveux mis & fortement roulés sur des bilboquets, pour leur donner la frisure, qu'on enferme dans la pâte faite avec cette partie de la farine qui est la moindre de toutes, qu'on appelle des recoupettes, après qu'ils ont été bouillis & sechés.
Les Perruquiers pour faire leur paté ; dressent leurs cheveux entre deux feuilles de papier, & les Patissiers y mettent la pâte qu'ils font cuire dans leur four, jusqu'à ce qu'elle ait à-peu-près les trois quarts de sa cuisson.
PATE, (Géog. mod.) royaume d'Afrique dans le Zanguebar, sur la côte de Mélinde. La capitale est dans une île du même nom, qui ferme la baie de Formose du côté du midi ; cette ville est à un degré de latitude méridionale. (D.J.)
PATEE, s. f. terme de Rotisseur, les Rotisseurs & les Poulaillers appellent patée, une pâte qu'ils font avec des recoupes de son, dont ils donnent à manger à la volaille pour l'engraisser. (D.J.)
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PATELENE | S. f. (Mytholog.) déesse champêtre, qui présidoit à la sortie de l'épi des grains.
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PATELETTE | S. f. (en Bourserie) c'est une patte de cuir qui couvre le dessus de la cartouche ou de la giberne.
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PATELIERS | S. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques du xvj. siecle, qui disoient que Jesus-Christ étoit dans l'Eucharistie comme un lievre dans un pâté.
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PATELLAIRES | S. m. (Mytholog.) nom que les Romains donnoient aux dieux à qui l'on n'offroit pas dans des pateres, mais dans d'autres vases appellés patelles.
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PATELLE | Voyez LEPAS & COQUILLE.
PATELLE, s. f. (Conchyliolog.) genre de coquille dont voici les caracteres ; c'est une coquille univalve, convexe, toujours attachée naturellement à un rocher ou à quelqu'autre corps dur ; son sommet est quelquefois pointu, quelquefois applati, d'autres fois obtus, d'autres fois droit, dans d'autres recourbé, & dans d'autres percé.
On nomme en anglois la patelle the limpet ; en françois elle a divers noms, suivant les lieux ; on l'appelle oeil de bouc dans quelques-uns de nos ports ; arapede en Provence, berdin ou bertin en Normandie, jamble en Poitou & dans le pays d'Aunis, bernicle en d'autres endroits : on pourroit fort bien lui conserver en françois son nom latin de lepas, tiré du grec.
Cette coquille, comme je l'ai dit, est toujours adhérente au rocher ou à quelque autre corps dur. Cette adhérence lui sert de seconde valve pour la préserver des injures du tems ; ce qui fait qu'Aldrovandus & Rondelet ont mis mal-à-propos la patelle parmi les bivalves, mais ils n'ont été en cela suivis par aucun auteur.
M. Dargenville établit sept classes de patelles ; 1°. celles dont le sommet est pointu ; 2°. celles dont le sommet est applati ; 3°. celles dont le sommet est chambré en dedans ; 4°. celles dont le sommet est fait en crosse ; 5°. celles dont le sommet est percé ; 6°. celles qui sont faites en étoiles à sept pointes qui partent du sommet, & qui saillent dans l'extrémité du contour ; 7°. celles dont le sommet est recourbé avec des stries profondes & noueuses appellées concholepades.
Dans la classe des patelles à sommet pointu, on nomme les especes suivantes ; 1°. la patelle à sommet pyramidal & en pointe ; 2°. à sommet pyramidal cannelé ; 3°. à sommet de couleur cendrée ; 4°. à sommet poli, mais c'est une beauté qu'on lui donne en la polissant ; 5°. la patelle qui a dix côtés élevés.
Dans la classe des patelles à sommet applati, on distingue les suivantes ; 1°. la patelle cannelée & marbrée ; 2°. la patelle imitant le bout d'un mamelon ; 3°. la patelle déchirée dans le contour de ses stries ; 4°. la patelle rayée de stries chevelues ; 5°. la patelle raiée & à pointes blanches ; 6°. la patelle nommée le bouclier d'écaille de tortue ; 7°. le bouclier de tortue à taches rouges ; 8°. la patelle rayée de rouge & de blanc ; 9°. la patelle à oeil de bouc ; 10°. la patelle de rubis ; mais on ne voit bien cette couleur que quand la coquille est travaillée & opposée à une forte lumiere.
Dans la classe des patelles dont le sommet est chambré en dedans, on estime les especes suivantes ; 1°. celle qui est de forme longue avec un bec ; 2°. la ronde à stries & à volutes : elle est très-rare ; 3°. le bonnet chinois ; 4°. la patelle dont le sommet est allongé régulierement avec une languette intérieure qui sort du milieu ; on nomme cette patelle le cabochon ; 6°. la patelle à demi-cloison ; 7°. celle dont la pointe est faite en bonnet de dragon.
Dans la classe des patelles dont le sommet est fait en crosse, on compte, 1°. la patelle au sommet en crosse allongée ; 2°. celle à mamelons rougeâtres ; 3°. celle qui est cendrée en-dehors, couleur de rose en-dedans.
Dans la classe des patelles dont le sommet est percé, on met les suivantes ; 1°. la patelle faite en treillis ; 2°. celle qui est à grandes stries ; 3°. celle dont les stries sont menues comme des cheveux ; 4°. celle qui est de forme oblongue, avec deux trous réunis qui forment un ovale allongé : en la polissant on lui donne un rouge admirable, & en n'ôtant que la premiere écaille, elle est seulement de couleur cendrée.
La sixieme classe n'offre guère que l'espece que nous avons désignée.
Les sept classes présentent d'autres concholépas à stries moins profondes. Le concholépas est une patelle des plus singulieres, car on la prendroit pour une moitié de bivalve, & il n'y a que le manque de charniere qui puisse convaincre qu'il dépend de la famille des patelles.
Dans la septieme classe de patelles dont on vient de parcourir les especes, la patelle ronde à stries & à volutes, est une des plus rares, comme nous l'avons remarqué ; elle n'est cependant qu'une variété de celles qui sont chambrées.
La patelle nommée le bouclier d'écaille de tortue, est encore une des rares par sa grandeur, la nacre de son intérieur, & la beauté de ses taches rouges.
Fabius Columna ne distingue que quatre especes de lépas : le lépas ordinaire, parce qu'il est très-commun à Naples ; sa figure est ovale & sa couleur cendrée. Le grand lépas exotique qui vient d'Espagne, dont la coquille dure, épaisse, & à stries relevées, forme des angles & des dentelles autour de sa base. La troisieme espece s'appelle lepas sylvestre ; c'est un petit coquillage d'une ovale inégale, de couleur cendrée, avec quelques filets & des zones sur sa robe ; il est troué dans le haut, & c'est par où sortent ses excrémens. Columna appelle la quatrieme espece patella regalis, la patelle royale ; elle est nacrée en-dedans, & percée de plusieurs trous, avec une écaille raboteuse. On voit assez par ce détail, que l'énumération des especes de patelles faite par Columna, n'a point l'exactitude qu'on devoit attendre d'un naturaliste aussi consommé qu'il l'étoit ; mais parlons du coquillage.
Les voyageurs connoissent la patelle ; il y en a peu qui ne se soient fait un plaisir de la détacher du rocher pour juger de son goût ; plusieurs peuples voisins de la mer en font leur nourriture ordinaire. On la trouve par-tout attachée au rocher, & l'animal occupe le fond de sa coquille, où il tient fortement par plusieurs liens. Si on le renverse, on remarque qu'une partie de son corps n'est pas revêtue de coquille : il sort de sa partie supérieure un petit corps allongé fait en poire, avec une ouverture en forme de bouche, garnie de lèvres, de mâchoires, & de dents, dont il est armé vers la partie la plus pointue. Les deux cornes avec deux points noirs qui sont ses yeux placés sur leur côté intérieur, lui servent à tâter & à reconnoître le terrein ; c'est par ce canal qu'il suce ses alimens ordinaires, qui sont du limon, de petits vermisseaux, & de l'algue marine. Les excrémens sortent au-dessus de la tête, par l'anus, à côté des parties de la génération, à peu de distance de ces deux cornes. Une grosse partie charnue qui est au milieu lui sert à se mouvoir : on lui connoît un mouvement lent & progressif, nécessaire pour respirer, & aller chercher sa nourriture sur les rochers qu'il a coûtume de parcourir. On le voit en effet se détacher, en élevant sa coquille de deux ou trois lignes, & ramper sur une espece de mamelon ou de base charnue, foncée en couleur : son mantelet est garni de trois rangs de filets applatis qui forment une frange tout-au-tour.
Le corps de la patelle tient à sa circonférence par un cartilage très-simple. On le détache du rocher avec un instrument tranchant & pointu, qui coupe surement le nerf qui l'y attachoit. Il se détache cependant de lui-même pour aller chercher sa nourriture. Ce testacé peut, sans sortir de sa place, élever sa coquille d'une ligne & demie, & la rabaisser de même. La partie sur laquelle il marche est plus solide que les autres ; cette base paroit remplie d'une infinité de petits grains, comme si elle étoit chagrinée ; ce ne sont cependant que de petites cellules remplies d'eau & de glu, dont l'animal se sert alternativement à se coller sur une pierre, & à s'en détacher en délayant cette colle. Voyez la Conchyliologie de M. Dargenville, & les Mémoires de l'académie des Sciences. (D.J.)
PATELLE ou PATELLANE, s. f. (Mytholog.) nom propre d'une déesse des anciens Romains ; on dit qu'elle veilloit aux blés, lorsqu'ils commençoient à monter en épis ; c'est celle qui le faisoit sortir heureusement, mais Arnobe employe ces deux divinités différentes, l'une qui préside aux choses ouvertes, l'autre aux choses à ouvrir.
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PATELLITES | S. f. (Hist. anc.) nom donné, par quelques naturalistes, à une petite coquille ronde & plate, pétrifiée : quelques auteurs croyent que c'est le lépas pétrifié, & que les pierres numismales sont des coquilles de cette espece aussi-bien que les pierres appellées nummuli Bratensburgici ; peut-être même les pierres lenticulaires sont-elles des coquilles de cette espece pétrifiées : on les nomme aussi porpites.
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PATENE | S. f. (Hist. ecclés.) dans l'église romaine, vase sacré en forme de petit plat d'or ou d'argent qui sert à la messe à mettre l'hostie, & à donner à baiser au clergé & au peuple quand ils vont à l'offrande.
Selon quelques-uns on la nomme patene à patendo, & si l'on en croit Columelle, c'étoit un nom général pour désigner toute sorte de vase plat & large. Dans les premiers tems ces patenes n'étoient souvent que de verre, mais souvent aussi d'argent ou d'or, même pendant les persécutions, mais elles étoient d'un volume beaucoup plus considérable qu'elles ne sont aujourd'hui, car c'étoient de grands bassins du poids de quarante-cinq marcs, & communément de trente. Fleury, moeurs des Chrétiens, n°. xxxvj.
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PATENOTRE | S. f. (Théolog.) terme dont on se sert pour exprimer un chapelet, parce qu'entre les grains dont il est composé, il y en a de distance en distance de plus gros les uns que les autres, sur lesquels on récite le Pater noster ou l'Oraison dominicale, au lieu que sur les petits on ne dit que l'ave Maria, ou la Salutation angélique. Voyez CHAPELET.
PATENOTRES, s. m. pl. (Arch.) petits grains en forme de perles rondes, qu'on taille sur les baguettes.
PATENOTRE, adj. terme de Blason. Une croix patenotrée, est une croix faite de grains, comme celle qui est représentée dans les Pl. du Blason. Voyez CROIX. Cette croix doit être peinte afin que la sphéricité des grains paroisse, & qu'on puisse les distinguer des besans, &c.
PATENOTRERIE, s. f. (Comm. de chapelets) marchandises de chapelets, ainsi dites, parce que les grains qui les composent sont nommés vulgairement patenôtres.
Le négoce de la patenôtrerie est assez considérable en France, particulierement à Paris, où il fait partie de celui de la mercerie.
L'ouvrier qui enjolive & vend toutes sortes de chapelets, se nomme patenôtrier.
PATENOTRIER, s. m. (Emailleur) ouvrier qui fait & vend des patenôtres. Il y a dans Paris trois communautés différentes de patenôtriers, les uns se nomment patenôtriers-boutonniers d'émail, verre, & crystallin ; on les appelle plus ordinairement émailleurs ; ils ont été réunis en 1706 à la communauté des maîtres Verriers marchands de fayance. Voyez ÉMAILLEUR.
Les autres sont appellés patenôtriers en bois & corne, & ne travaillent que sur ces matieres. Enfin le troisieme corps est celui des patenôtriers en ambre, jay & corail. Suivant les titres que leur donnent leurs statuts, il est clair que le jay, l'ambre, & le corail sont les seules matieres qu'ils doivent employer : cependant comme c'est un maître de leur corps qui a inventé la maniere de faire les perles fausses, telles qu'on les fait actuellement en France, il semble qu'il est bien difficile, & même injuste, de leur interdire la faculté de les fabriquer, du-moins concurremment avec les émailleurs, à qui il appartient de faire le grain de verre qui forme la perle.
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PATENTES | LETTRES, s. f. pl. (Jurisprud.) Voyez au mot LETTRES, l'article LETTRES-PATENTES.
PATENTES DE SANTE, (Marine) Voyez LETTRES.
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PATER | S. m. (Mytholog.) ce nom est souvent donné à Jupiter, parce qu'il étoit regardé comme le pere des dieux & des hommes. Les poëtes grecs & latins le donnent presque toujours à Bacchus, & tous, jusqu'aux Historiens, l'appellent le pere Bacchus. Voyez LIBER. (D.J.)
PATER, (Soierie) espece de petites poulies toutes unies, qui sont un peu plus larges que les poulies du cassin, & passées dans la cage du cassin, à chaque deux rangs de poulies.
Quand la cage du cassin est bien serrée, les paters empêchent que les poulies ne soient gênées, & tiennent les lames de la cage solidement arrêtées, parce que la force du serrement ne porte que sur les paters.
PATER NOSTER, nom qu'on donne communément à l'oraison dominicale, ou priere que J. C. enseigna à ses apôtres, parce qu'en latin elle commence par ces deux mots pater noster.
PATER NOSTER, (Géog. mod.) îles de la mer des Indes, au sud de l'île des Célebes ; elles ont été ainsi nommées à cause d'un grand nombre de roches qui les environnent, comme des grains de chapelet. Elles abondent en blé & en fruits. (D.J.)
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PATERE | S. f. patera, (Littér.) instrument des sacrifices ; on les employoit à recevoir le sang des taureaux & autres victimes qu'on immoloit, ou pour verser du vin entre les cornes des victimes. C'est ainsi que Didon, dans Virgile, tenant d'une main la patere, la versa entre les cornes de la vache blanche ; il paroît par-là que les pateres devoient avoir un creux capable de contenir quelque liqueur. (D.J.)
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PATERNEL | adj. (Jurispr.) se dit de ce qui appartient au pere, ou qui vient de son côté, comme l'autorité paternelle, la puissance paternelle, un parent paternel, le bien paternel, la succession paternelle, un propre paternel, le côté paternel, la ligne paternelle. Voyez COTE, LIGNE, PROPRE, PUISSANCE, SUCCESSION, & le mot MATERNEL. (A)
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PATERNIENS | S. m. (Hist. ecclésiast.) hérétiques qui semerent leurs erreurs dans le iv. siecle. Ils étoient disciples de Symmaque le Samaritain, & soutenoient entr'autres choses que la chair étoit l'ouvrage du démon ; mais loin de la mortifier, ils se plongeoient dans toutes sortes de voluptés. S. Aug. des hérés. ch. lxxxv.
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PATERNITÉ | S. f. (Gram. & Théol.) qualité d'un pere ou sa relation à l'égard de son fils. Voyez PERE & FILS.
Dans le mystere de la sainte Trinité il y a une relation immédiate entre la paternité du pere & la filiation du fils. Voyez TRINITE.
Les Théologiens ont disputé long-tems sur la question, si la paternité a un caractere réel & spécifique qui distingue absolument le pere d'avec le fils, ou si c'est une pure relation d'économie & de subordination. D'un côté, si l'on suppose que la paternité ne puisse pas être communiquée au fils, & qu'elle continue une distinction réelle & positive, il semble qu'on tombe dans le trithéisme. Voyez TRITHEISME.
Si, d'un autre côté, on ne considere la paternité que comme un mode ou un terme d'ordre & d'économie, il n'y a point de différence essentielle & intrinseque entre le pere & le fils, & l'on confond les personnes. C'est donner dans le sabellianisme. Voyez SABELLIANISME.
Pour éviter ces écueils & les erreurs, il suffit de reconnoître, avec les Théologiens catholiques, que la paternité est une perfection relative à la personne du pere, & non à la nature divine ; qu'elle est réelle, tant à raison de son sujet, qui est le pere, qu'à raison de son terme, qui est le fils ; & que, quoiqu'elle soit incommunicable au fils, elle ne fait pas de Dieu le pere, un Dieu différent de Dieu le fils, parce que elle ne tombe pas sur l'essence ou sur la nature divine, dès-lors plus de trithéisme. Du même principe il s'ensuit que la paternité n'étant pas un mode de simple subordination ; mais une relation réelle qui a un terme à quo, & un terme ad quem, on ne sauroit confondre ces deux termes ; & par conséquent point de sabellianisme, puisque le pere en tant que personne, est réellement distingué par sa paternité du fils, en tant que celui-ci est aussi personne divine.
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PATERNUM | (Géog. anc.) ville d'Italie dans la grande Grece, sur la côte occidentale, vers le cap appellé aujourd'hui Capo dell' Alice, dans l'endroit où commence le golfe de Tarente. On veut qu'elle ait été appellée anciennement Crimisa & Chone, & qu'elle ait été bâtie par les Enotriens, quoique Strabon attribue sa fondation à Philoctete.
Lorsque les Sarrasins firent irruption en Italie, la ville de Paternum fut détruite de fond en comble ; & dans la suite on bâtit dans le même lieu une nouvelle ville, connue aujourd'hui sous le nom de Ziro. On ne peut douter que Paternum n'ait été un des plus anciens évêchés d'Italie, puisque son évêque Abundantius fut un des trois légats que le pape Agathon envoya au concile de Constantinople. La commune opinion est, qu'après la destruction de cette ville par les Sarrasins, le siege épiscopal fut transféré à Umbriatico. Aujourd'hui même la ville de Ziro est la résidence de l'évêque d'Umbriatico.
PATER PATRATUS, (Antiq. rom.) on appelloit ainsi le chef & le premier du college des féciaux. C'étoit lui qui, après avoir prononcé de certaines paroles lançoit une fleche ou un dard sur le territoire de l'ennemi lorsqu'on vouloit lui faire la guerre ; on nommoit ce premier acte d'hostilité clarigatio, terme qui vient de clarus, quia clarâ voce bellum indicebatur. Voyez FECIAL.
Voici présentement la maniere dont Plutarque en parle dans ses questions romaines : " Pourquoi le premier des féciaux est-il nommé pater patratus, ou le pere établi, nom qu'on donnoit à celui qui a des enfans du vivant de son pere, & qu'il conserve encore aujourd'hui avec ses privileges ? Pourquoi les préteurs leur donnent-ils en garde les jeunes personnes que leur beauté met en péril ? Est-ce parce que leurs enfans les obligent à se retenir, ou que leurs peres les tiennent en respect ? ou bien parce que leur nom même les retient ; car patratus veut dire parfait ; & il semble que celui qui devient pere du vivant de son pere même, doit être plus parfait que les autres ? Ou peut-être est-ce que comme, selon Homere, il faut que celui qui prête serment & fait la paix, regarde devant & derriere, celui-là peut mieux s'en acquiter, qui a des enfans devant lui auxquels il est obligé de pourvoir, & un pere derriere avec lequel il peut délibérer " ?
Le pater patratus étoit élu par le suffrage du college des féciaux ; c'étoit lui qu'on envoyoit aussi pour les traités, pour conclure la paix, & qui livroit aux ennemis les violateurs de la paix & des traités. A cause du violement du traité fait devant Numance, dit Cicéron, le pater patratus livra, par un decret du sénat, C. Mancinus aux Numantins. (D.J.)
PATER, terme de Cordonnier ; c'est coller les cuirs des ouvrages de cordonnerie avec une sorte de colle qu'on appelle pâte.
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PATEUX | adj. (Gram.) il se dit de tout ce qui a pris la consistance moëlleuse de la pâte, ainsi de l'encre devient pâteuse par l'évaporation. Il y a des fruits pâteux, des couleurs pâteuses, une qualité de salive qu'on appelle pâteuse ; le palais dans les malades est pâteux.
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PATHÉTIQUE | LE (Eloquence, Poësie, Art. orat.) le pathétique est cet enthousiasme, cette véhémence naturelle, cette peinture forte qui émeut, qui touche, qui agite le coeur de l'homme. Tout ce qui transporte l'auditeur hors de lui-même, tout ce qui captive son entendement, & subjugue sa volonté, voilà le pathétique.
Il regne éminemment dans la plus belle & la plus touchante piece qui ait paru sur le théâtre des anciens, dans l'Oedipe de Sophocle ; à la peinture énergique des maux qui désoloient le pays, succede un choeur de Thébains qui s'écrie.
Frappez Dieux tout puissans, vos victimes sont prêtes !
O mort écrasez nous ! Dieux tonnez sur nos têtes !
O mort ! nous implorons ton funeste secours,
O mort, viens nous sauver, viens terminer nos jours.
C'est là du pathétique. Qui doute que l'entassement des accidens qui suivent & qui accompagnent, surtout des accidens qui marquent davantage l'excès & la violence d'une passion, puisse produire le pathétique ? Telle est l'ode de Sapho.
Heureux qui près de toi, pour toi seule soupire, &c.
Elle gele, elle brûle, elle est sage, elle est folle, elle est entierement hors d'elle-même, elle va mourir ; on diroit qu'elle n'est pas éprise d'une simple passion, mais que son ame est un rendez-vous de toutes les passions.
Voulez-vous deux autres exemples du pathétique ? Prenez votre Racine, vous les trouverez dans les discours d'Andromaque & d'Hermione à Pyrrhus : le premier est dans la iij. scene du III. acte d'Andromaque.
Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez, &c.
Et le second dans la v. scene du IV. acte.
Je ne t'ai point aimé, cruel, qu'ai-je donc fait ?
Rien encore ne fait mieux voir combien le pathétique acquiert de sublime, que ce que Phedre dit, act. IV. scene vj. après qu'instruite par Thésée qu'Hippolyte aime Aricie, elle est en proie à la jalousie la plus violente.
Ah ! douleur non encore éprouvée !
A quel nouveau tourment je me suis reservée, &c.
Enfin, la scene entiere ; car il n'y a rien à en retrancher ; aussi est-ce, à mon avis, le morceau de passion le plus parfait qu'il y ait dans tout Racine.
Mais c'est surtout le choix ou l'entassement des circonstances du grand objet qui forme le plus beau pathétique ; & je ne doute pas que ce qui se trouve dans l'oraison funebre du grand Condé, par M. Bossuet, au sujet de la campagne de Fribourg, ne soit par la maniere dont les circonstances y sont choisies & pressées, un exemple de la sublime éloquence. Je suis fâché que la longueur du morceau m'empêche de le rapporter ; & je me contenterai de mettre ici cette peinture si vive & si pathétique de l'effet de la mort de M. de Turenne. C'est M. Fléchier qui parle dans l'oraison funebre de ce grand homme. " Je me trouble, messieurs, Turenne meurt : tout se confond ; la fortune chancelle ; la victoire se lasse ; la paix s'éloigne ; les bonnes intentions des alliés se rallentissent ; le courage des troupes est abattu par la douleur, & ranimé par la vengeance ; tout le camp demeure immobile ; les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite, & non pas aux blessures qu'ils ont reçues ; les peres mourans envoyent leurs fils pleurer sur leur général mort. L'armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs funebres ; & la renommée qui se plaît à répandre dans l'univers les accidens extraordinaires, va remplir toute l'Europe du récit glorieux de la vie de ce prince, & du triste regret de sa mort ". (D.J.)
PATHETIQUE, adj. en Musique, est une maniere expressive & passionnée, capable d'exciter la pitié, la compassion, la douleur & les autres passions qui resserrent le coeur ; dans ce sens nous disons le style pathétique, un sujet pathétique, un chant pathétique.
Le genre chromatique est très-propre pour le pathétique ; il en est de même des dissonances ménagées avec art, & des mouvemens lents & variés. (S)
PATHETIQUES OU TROCHLEATEURS, en Anatomie ; c'est la quatrieme des dix paires de nerfs qui sortent de la moëlle allongée. Voyez nos Planches anatomiques, & leur explication. Voyez aussi l'article NERF.
Les pathétiques sont les plus petits nerfs du cerveau ; ils ont leur origine dans la partie inférieure de la moëlle allongée derriere les natès & les testès. Voyez NATTES & TESTES.
On les appelle pathétiques, parce qu'ils servent à exprimer dans les yeux différentes passions ; quelques-uns les nomment aussi amateurs, amatorii, à cause du grand usage que les amans en font.
Ils se distribuent au muscle grand oblique de l'oeil, qu'on nomme aussi trochleateur. Voyez OBLIQUE.
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PATHISUS | (Géog. anc.) fleuve de la Dacie, selon Pline, l. IV. ch. xij. c'est le Tibisene de Ptolomée, liv. III. ch. vij. & le Parteiscus d'Ammien Marcellin, l. XVII. p. 108. aujourd'hui on le nomme la Teissa & le Tibisc.
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PATHOGNOMONIQUE | adj. en Médecine ; c'est un signe essentiel & caractéristique, ou un symptome particulier à quelque maladie, & qui en est inséparable, & même qui en est le siege. Voyez SYMPTOME. Mais la vérité est qu'il n'y a rien dans toute la médecine qui réponde à l'idée d'un pathognomonique ; la maladie & les symptomes sont trop compliqués ; nous ne pouvons juger de la premiere par quelque signe particulier, mais seulement par le concours de plusieurs. Voyez SIGNE & DIAGNOSTIQUE.
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PATHOLOGIE | S. f. (Méd. Pathol.) ce mot signifie littéralement discours sur la maladie ; il est dérivé du grec, composé de , maladie, affection, & discours. On a donné ce nom à cette partie de la medecine théorique, dont l'objet particulier est l'état malade. Dans cet état les pathologistes distinguent trois choses, la maladie proprement dite, la cause & le symptome ; c'est sur cette distinction que porte la division générale de la pathologie en nosologie, aitiologie & symptomatologie ; l'étymologie de ces mots indique assez leur usage & leur signification. Voyez ces articles.
Si moins attachés aux discussions frivoles des mots, on examine avec plus d'attention les choses, on s'appercevra que la nosologie & la symptomatologie ne doivent pas être distinguées, parce que la maladie la plus simple n'est qu'un symptome, & celle qui est composée n'est qu'un concours de symptomes. Voyez MALADIE, SYMPTOME. C'est une absurdité que de prétendre considérer & définir la maladie dépouillée de ses symptomes : cette abstraction métaphysique, absolument déplacée dans les sciences de faits, ne serviroit qu'à obscurcir la connoissance des maladies en éloignant les phenomenes qui les caractérisent, & la rendroit incertaine en la pliant aux loix variables de théorie : donnons un exemple pour rendre plus sensible le ridicule d'une pareille méthode. On propose de définir une pleurésie, & d'en déterminer le caractere ; que mettant à part tous les symptomes, on essaie de donner une définition pathologique, c'est-à-dire, empruntée des causes ; pourra-t-on se conformer ici aux premieres regles de Logique qui exigent que la définition tirée des qualités sensibles, connues, bien avérées, répande de la clarté sur le sujet qu'on définit. La cause de la pleurésie ayant lieu dans l'intérieur de la machine, dérobée aux témoignages des sens, est une matiere de discorde parmi les pathologistes. Ils ne sont pas encore venus à-bout de décider en quoi consistoit le vice qui détermine les symptomes de la pleurésie, s'il affecte les vaisseaux ou le sang ; chacun a là-dessus un sentiment plus ou moins éloigné du vrai, tot capita, tot sensus, ils ne sont pas même d'accord sur le siege de cette maladie : ainsi semblables aux constructeurs de la tour de Babel, qui parloient différentes langues, ces médecins définiront chacun cette maladie suivant l'idée qu'ils se sont faite de la cause & de son siege ; l'un dira la pleurésie est une maladie qui consiste dans l'obstruction des vaisseaux du poumon, produite par un sang tendant à la putréfaction : l'autre, que son caractere doit se tirer de la disproportion qui se trouve entre le diametre de ces vaisseaux & la masse des humeurs ; un troisieme prétendra que la pleurésie n'est que l'augmentation de la fermentation du sang dans les vaisseaux de la plevre ou du poumon ; un quatrieme soutiendra que le vice caractéristique est l'hérence du sang dans les vaisseaux de la plevre, qui entoure & revêt intérieurement les côtés ; un cinquieme placera cette hérence dans les muscles intercostaux ; un autre dans la membrane externe du poumon, &c. ainsi tous donneront leurs idées pour caractere de cette maladie ; après avoir long-tems disputé sans s'entendre pour soutenir leurs sentimens, ils réussiront à détruire les systêmes de leurs adversaires sans venir à-bout d'affermir sur leurs ruines les fondemens de leur doctrine ; tous enfin auront raison, parce que tous auront eu tort. Qu'on juge sur cet exemple que nous pourrions généraliser, quelles lumieres, quelle solidité, quels avantages tireroit la pathologie de ces principes s'ils étoient adoptés ; & combien l'histoire des maladies dressée en conséquence seroit simple, juste & conforme à la réalité ; mais parlons sérieusement, & opposons à ces inconvéniens les avantages des définitions symptomatiques, qu'on appelle aussi pratiques, parce qu'elles servent seules au praticien ; nous allons voir à l'instant tous ces théoristes animés d'intérêts différens, & parlant divers idiomes, se réunir au lit du malade. Lorsqu'il sera question de déterminer les symptomes essentiels de la pleurésie, ils vous diront tous que cette maladie est formée par l'ensemble des symptomes suivans : une fievre aiguë, difficulté de respirer, toux & point de côté : à ce portrait personne ne méconnoîtra la pleurésie, parce qu'il est formé sur des traits que tout le monde peut appercevoir, & qu'on observe en effet dans toutes les pleurésies. C'est ainsi qu'on doit traiter la pathologie ; c'est ainsi qu'elle étoit enseignée par Thémison, le chef des méthodistes, par Thessalus, Caelius Aurelianus, auteur célebre par l'exactitude de ses descriptions & la bonté de ses diagnostics ; c'est sur le même plan qu'est travaillée l'excellente pathologie méthodique de M. de Sauvages, professeur fameux de l'université de Montpellier, & que sont disposées ses classes de maladies. Voyez MALADIES.
En réunissant la nosologie & la symptomatologie, les pathologistes ne devroient pas en distinguer la seméiotique ; elle est renfermée nécessairement dans ces deux parties : la séméiotique de la santé ne doit point être séparée de la physiologie ; & celle qui traite des signes généraux de l'état malade doit être traitée par le détail qu'on fait des symptomes dans la pathologie, parce qu'en fait de maladie, comme en santé, tout symptome devient signe aux yeux du médecin éclairé ; il sait par ses phénomenes apparens pénétrer dans l'intérieur du corps, & y découvrir les dérangemens plus cachés ; il paroît ainsi très-naturel, après qu'on a exposé quelques symptomes généraux, de demontrer tout-de-suite quel parti on peut en tirer pour le diagnostic ou le prognostic des maladies. Cette application fixe & occupe plus agréablement l'esprit de l'étudiant, que la sécheresse des questions pathologiques isolées ne peut manquer de rebuter.
Nous n'entrons ici dans aucun détail sur la classification des maladies, sur les divisions ultérieures des causes & des symptomes, Voyez NOSOLOGIE, AETIOLOGIE, SYMPTOMATOLOGIE, & sur-tout l'article MALADIE, où cette matiere est discutée à fond. Les auteurs qui ont écrit sur la pathologie sont Galien, les Arabes, qui l'ont farcie de beaucoup de mots & d'idées inintelligibles : Fernel, Sennert, Riviere, Gorter, Hoffman, Wedelius, Boerhaave, Nenter, Juncker, de Sauvages, Fizes, Lacaze, &c.
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PATHOS | S. m. (Belles-Lettres) , mot purement grec, qui signifie les mouvemens ou les passions que l'orateur excite ou se propose d'exciter dans l'ame de ses auditeurs. De-là vient le mot de pathétique. Voyez PATHETIQUE.
On dit que le pathos regne dans un discours quand il renferme plusieurs de ces tours véhémens qui échauffent & qui entraînent l'auditeur comme malgré lui. On employe aussi quelquefois ce mot au lieu de force ou énergie. Voyez ENERGIE.
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PATI | (Géog. mod.) petite ville de Sicile, dans le golfe de même nom, avec un évêché suffragant de Messine, & un port. Elle fut bâtie par le comte Roger, après la défaite des Sarrasins. Long. 32. 50. lat. 38. 12.
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PATIBULAIRES | PATIBULAIRES
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PATIENCE | S. f. (Hist. nat. botan.) lapathum, genre de plante qui ne differe de celui de l'oseille qu'en ce que la patience n'a pas un goût acide. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)
Cette plante, autrement nommée parelle, est l'espece de lapathum, appellé par Tournefort lapathum hortense sativum, folio oblongo, I. R. H. 504. en anglois, the common garden dock with oblong leaves.
Sa racine est droite, longue, fibreuse, jaune en-dedans. Sa tige est noueuse, haute de deux à trois coudées, & quelquefois davantage. Ses feuilles sont oblongues, à pointe obtuse, semblables à celles du lapathum sauvage, mais plus grandes & plus molles. Ses fleurs sont placées par anneaux le long des branches ; elles sont petites, sans pétales, composées de six étamines vertes, courtes, garnies de sommets droits & blancs, qui sortent d'un calice à sept feuilles, comme dans l'oseille. Leur pistil se change en une graine triangulaire, enveloppée d'une capsule membraneuse composée de trois grandes feuilles du calice. On cultive cette plante dans les jardins ; elle est rarement d'usage.
Les autres especes de patience employées en Médecine, sont 1°. la patience rouge, lapathum folio acuto rubente, I. R. H. 504. 2°. Les patiences sauvages, qui se distinguent seulement par la variété de la figure de leurs feuilles. 3°. La grande patience, autrement dite rhubarbe des moines. 4°. La patience des Alpes, à feuilles arrondies, qu'on nomme rhubarbe bâtarde. Voyez RHUBARBE BATARDE, UBARBE DES MOINESINES. (D.J.)
PATIENCE, (Mat. méd.) patience des jardins ou parelle ; 2°. patience ou parelle sauvage ; 3°. patience d'eau ou parelle des marais.
Ces trois plantes sont regardées comme ayant à-peu-près les mêmes vertus. La premiere est cependant fort peu employée, parce qu'elle possede ces vertus dans un degré très-inférieur. Les deux autres sont d'un usage assez fréquent. Il y a même plusieurs especes de patience sauvage qu'on employe indifféremment dans les boutiques. Ce sont les racines de toutes ces plantes dont on se sert presque uniquement en Médecine.
Ces racines lâchent doucement le ventre ; & l'on croit que leur action laxative est suivie d'une légere adstriction. Elle est mise au rang des principaux apéritifs ou desobstruans. On l'employe très-fréquemment à ce titre dans les aposemes & dans les bouillons qu'on fait prendre dans les obstructions de la rate, & dans celles du foie. Mais on s'en sert principalement soit de la maniere que nous venons de dire, soit sous forme de tisane contre toutes les maladies de la peau, contre les affections rhumatismales & arthritiques, contre les obstructions invétérées, les affections oedémateuses, sur-tout celles qui suivent les fievres intermittentes, &c. Ces remedes sont d'un usage presqu'universel dans le traitement méthodique de la gale. On en prépare aussi des cataplasmes & des lotions contre la même maladie ; mais ces remedes extérieurs sont communément beaucoup trop foibles, & ne peuvent être regardés que comme une ressource vaine & inspirée par une timide inexpérience : car les préparations de soufre & celles de mercure sont les vrais spécifiques de la gale. Voyez GALE, SOUFRE, & l'article MERCURE, & MERCURIAUX. Et ces secours efficaces ne demandent pas plus, peut-être moins que les repercussifs plus doux, d'être précédés par des remedes généraux ou préparatoires convenables.
Les racines de ces plantes sont aussi très-recommandées contre le scorbut.
On les employe encore utilement dans l'usage extérieur, comme résolutives, détersives, astringentes.
Les feuilles de ces plantes peuvent aussi être employées aux mêmes usages extérieurs.
On fait entrer les racines fraîches dans les décoctions simples ou composées à la dose d'une once ou de deux ; & seches à la dose d'un gros jusqu'à trois.
La racine de patience sauvage entre dans l'onguent pour la gale, dans la décoction anti-scorbutique & dans l'orviétan, selon la dispensation de la pharmacopée de Paris.
Cette même pharmacopée chasse cette racine de l'onguent martiatum ; on ne devine pas trop pourquoi, plutôt que celle d'aulnée, de valeriane & de bardane qu'elle a retenues. (b)
PATIENCE, muscle de patience en Anatomie. Voyez RELEVEUR.
PATIENCE, (Morale) la patience est une vertu qui nous fait supporter un mal qu'on ne sauroit empêcher. Or on peut réduire à quatre classes les maux dont notre vie est traversée. 1°. Les maux naturels ; c'est-à-dire, ceux auxquels notre qualité d'hommes & d'animaux périssables nous assujettissent. 2°. Ceux dont une conduite vertueuse & sage nous auroit garantis, mais qui sont des suites inséparables de l'imprudence ou du vice ; on les appelle châtimens. 3°. Ceux par lesquels la constance de l'homme de bien est exercée ; telles sont les persécutions qu'il éprouve de la part des méchans. 4°. Joignez enfin les contradictions que nous avons sans cesse à essuyer par la diversité de sentimens, de moeurs & de caracteres des hommes avec qui nous vivons. A tous ces maux la patience est non seulement nécessaire, mais utile ; elle est nécessaire, parce que la loi naturelle nous en fait un devoir, & que murmurer des événemens, c'est outrager la Providence ; elle est utile, parce qu'elle rend les souffrances plus légeres, moins dangereuses & plus courtes.
Abandonnez un épileptique à lui-même, vous le verrez se frapper, se meurtrir & s'ensanglanter ; l'épilepsie étoit déja un mal, mais il a bien empiré son état par les plaies qu'il s'est faites : il eût pû guérir de sa maladie, ou du moins vivre en l'endurant ; il va périr de ses blessures.
Cependant la crainte d'augmenter le sentiment de nos maux ne réprime point en nous l'impatience : on s'y abandonne d'autant plus facilement, que la voix secrette de notre conscience ne nous la reproche presque pas, & qu'il n'y a point dans ces emportemens une injustice évidente qui nous frappe, & qui nous en donne de l'horreur. Au contraire, il semble que le mal que nous souffrons nous justifie ; il semble qu'il nous dispense pour quelque tems de la nécessité d'être raisonnables. N'employe-t-on pas même quelque sorte d'art pour s'excuser de ce défaut, & pour s'y livrer sans scrupule ? ne déguise-t-on pas souvent l'impatience sous le nom plus doux de vivacité ? Il est vrai qu'elle marque toujours une ame vaincue par les maux, & contrainte de leur céder ; mais il y a des malheurs auxquels les hommes approuvent que l'on soit sensible jusqu'à l'excès, & des événemens où ils s'imaginent que l'on peut avec bienséance manquer de force, & s'oublier entierement. C'est alors qu'il est permis d'aller jusqu'à se faire un mérite de l'impatience, & que l'on ne rénonce pas à en être applaudi. Qui l'eût crû, que ce qui porte le plus le caractere de petitesse de courage, pût jamais devenir un fondement de vanité ?
PATIENCE, (Critiq. sacrée) ce mot appliqué à l'homme dans l'Ecriture, se prend pour la constance dans les travaux & les peines, Luc. xxj. 19. Pour la persévérance dans les bonnes oeuvres, Rom. ij. 7. pour une conduite réglée, qui ne se dément point. Prov. xix. 11. (D.J.)
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PATIENT | S. m. en Médecine, est une personne qui est sous la direction d'un médecin ou d'un chirurgien, pour être guéri de quelque maladie.
Agent & patient. Voyez l'article AGENT.
Malade est plus usité que patient ; le terme malade est rendu plus communément par celui d'aeger, quoique patient & aeger soient à peu près la même chose ; cependant on se sert peu du mot de patient en françois dans le langage ordinaire.
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PATIN | S. m. (Arts) en hollandois schaats ; morceau de bois applati, plus grand que le pié, terminé en une pointe recourbée, & qui est garni dessous d'un fer lisse, de la largeur d'environ un pouce pour pouvoir couper la glace. On applique ce morceau de bois ferré sous le milieu de la semelle des souliers, & on l'attache fermement avec des courroies sur le cou du pié : on s'en sert de cette maniere, pour fendre la glace en courant ; c'est une invention ingénieuse, mais qui demande de l'adresse, de la jeunesse, de l'habitude & beaucoup d'exercice pour en pouvoir faire usage. Tout le monde sait qu'en hiver dans toute la Hollande, de chaque village, bourg, ville & province batave, le peuple sort en foule & vient se rendre aux lieux où les branches du Rhin étendent leurs longs canaux. Les Hollandois volent sur des patins retentissans, courent en équilibre ceintré, & s'exercent de mille manieres différentes, surpassant par la rapidité de leur course les chevaux même les plus legers. Tout vit alors, tout est en joie dans ces climats tristes & glacés. (D.J.)
PATIN, (Hist. de Lapponie) les Lapons suédois se servent pour courir sur la neige de patins de bois de sapin fort épais, longs d'environ deux aunes, & larges d'un demi-pié. Ces patins sont relevés en pointe sur le devant, & percés dans le milieu pour y passer un cuir qui tient le pié ferme & immobile. Ils courent sur la neige avec tant de vîtesse, qu'ils attrapent les animaux les plus légers à la course. Ils portent un bâton ferré, pointu d'un bout, & arrondi de l'autre. Ce bâton leur sert à se mettre en mouvement, à se diriger, se soutenir, s'arrêter ; & aussi à percer les animaux qu'ils poursuivent. Ils descendent avec ces patins les fonds précipités, & montent les montagnes escarpées. Les patins dont se servent les Samoïedes sont bien plus courts, & n'ont que deux piés de longueur. Chez les uns & les autres les femmes s'en servent comme les hommes. Ce que nous nommons patins des Lapons, s'appelle raquette au Canada. Voyez RAQUETTE. (D.J.)
PATIN, s. m. (Hydr.) ce sont des pieces de bois que l'on couche sur les pieux dans les fondations où le terrein n'est pas solide, & sur lesquels on assure les plate-formes pour fonder dans l'eau.
On appelle encore patins des pieces couchées à plat servant de piés dans la construction de plusieurs machines.
PATINS, (Brasserie) sont de petits morceaux de bois de deux pouces en quarré, & la longueur de la largeur des planches du faux fond de la cuve-matiere. Ils servent à soutenir ce faux fond distant du fond de leur épaisseur. Voyez CUVE-MATIERE.
PATIN, (Charpent.) ce qui est posé sur une assise de pierre, ou un mur sur lequel porte une autre piece debout, comme le patin d'un escalier qui en porte l'eschifre.
PATIN, (Cordon.) espece de souliers de femme fort hauts & garnis de liege. Ils ajoutent à la taille.
PATINS, les Imprimeurs nomment patins ou sabots, deux pieces de bois presque quarrées, de deux piés sept à huit pouces de long sur seize à dix-huit pouces de perimetre, couchées de champ, qui, au moyen de mortaises reçoivent & retiennent d'aplomb les deux jumelles d'une presse d'Imprimerie. Voyez nos Pl. d'Imprimerie.
PATIN, (Maréchall.) on appelle ainsi un fer de cheval sur lequel on a soudé une espece de demi-boule de fer concave. Il sert dans plusieurs accidens & maladies, comme aux chevaux éhanchés, à ceux qui ont fait quelque effort d'épaule, ou qui se sont entr'ouverts.
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PATINA | PATINA
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PATINE | S. f. (Arts). Il n'y a point de mot françois pour exprimer cette belle & brillante couleur de vert-de-gris que le cuivre ne prend pas toujours ; l'agrément de cette couleur pour l'oeil, & la difficulté de la rencontrer (car tous les cuivres ne s'en chargent pas également), la rendent très-recommandable aux Italiens, qui la nomment patina, comme on ose ici le faire d'après eux, & par l'exemple de M. le comte de Caylus. " Il doit être permis, dit-il avec raison, d'adopter un mot étranger au moins dans la langue des arts ". Or l'Encyclopédie en est le dictionnaire. (D.J.)
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PATIRA | S. m. (ustencile de Tailleur). C'est un petit tapis fait de lisieres qu'ils étalent sur l'établi, & sur lequel ils posent l'étoffe qu'ils veulent repasser avec le carreau, afin que l'action du carreau n'applatisse point trop les boutonnieres.
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PATIS | S. m. (Ornithol.) petit oiseau de mer décrit par Oviedo, & qui semble être le même que celui dont parle Hoier dans sa lettre à Clusius. Il est un peu plus gros que notre moineau, rase délicatement la surface de l'eau, & passe pour présager la tempête prochaine.
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PATISSERIE | S. f. (terme de Cuisine) ouvrage de cuisine fait avec de la pâte qui se cuit ordinairement au four. On appelle aussi pâtisserie l'art d'assaisonner & dresser toutes les préparations de pâtes que font les pâtissiers.
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PATISSIER | S. m. (Art méchaniq.) celui qui fait & qui vend de la pâtisserie.
La communauté des Pâtissiers n'est pas une des moins anciennes de Paris, les maîtres prennent la qualité de maîtres de l'art de Pâtissier & Oublayer.
Les statuts qui leur ont été donnés par Charles XI. en 1566, en conséquence de l'ordonnance d'Orléans, consistent en trente-quatre articles, tirés en partie des anciens & en partie des nouveaux. L'enregistrement au parlement des lettres-patentes de ce prince est du 10 Février de l'année suivante.
Les jurés sont au nombre de quatre, dont deux s'élisent chaque année, ensorte qu'ils sont toujours deux ans en charge.
Outre les jurés, il y a un clerc de la communauté chargé des fonctions ordinaires à ces sortes d'officiers, & encore institué pour l'ordre qui se doit observer dans la distribution des garçons aux maîtres qui en ont besoin, qui tous doivent s'adresser à ce clerc, les uns pour trouver maître, les autres pour avoir des garçons.
L'apprentissage est de cinq années consécutives ; trois mois d'absence sans le su du maître, cassent & annullent le brevet quelque tems que l'apprenti ait servi.
Le chef-d'oeuvre est d'obligation à tous aspirans à la maîtrise. Il consiste pour la pâtisserie en cinq plats faits & cuits en un seul jour à la discrétion des jurés ; & pour l'oublayerie, en cinq cent de grandes oublayes ou oublies, trois cent de supplications, & deux cent d'estriers qu'il peut faire un autre jour, mais dont il faut qu'il prépare la pâte lui-même.
Les garçons ou serviteurs sont tenus de servir chez les maîtres le tems dont ils sont convenus, autrement il est fait défense aux autres maîtres de les prendre à leur service, à-moins que le premier maître n'y consente.
Les veuves en viduité peuvent tenir boutique, & jouir des autres droits des maîtres à la réserve de faire des apprentis, pouvant toutefois achever celui que leur mari auroit commencé.
Outre les visites que les jurés doivent faire chez les maîtres, ils ont encore droit de visitation sur les fromages de Brie, les oeufs & le beurre, & il leur est permis de les lottir entr'eux.
Le pain à chanter, grand & petit, fait à Paris ou ailleurs, ne peut être exposé en vente par les maîtres Pâtissiers qui s'appliquent à cette sorte de pâtisserie, qu'il n'ait été vû & visité par les jurés.
Les maîtres sont conservés dans leurs droits de mesurer leur blé à la halle à l'heure accoutumée, parce que l'article 19. porte que le plus beau blé n'est pas trop bon pour faire pain à chanter messe, & à communier où le corps de notre Seigneur est célébré.
Il est défendu aux maîtres de vendre aucunes pieces de pâtisseries mal-conditionnées & réchauffées : il n'appartient qu'aux Pâtissiers de faire toutes les pieces de four pour les festins, nôces, &c. qui se donnent dans la ville & fauxbourgs de Paris.
Il est défendu aux Pâtissiers d'aller au devant des marchands & laboureurs pour acheter leurs grains, ni d'en acheter ailleurs que sur les ports. Il leur est encore défendu d'acheter plus que six septiers de blé & autant de farine, à peine de confiscation du surplus.
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PATMO | ou PATHMOS, (Géog. anc. & mod.) île de l'Archipel, située entre les îles de Nicaria & de Samos, au nord occidental de la premiere & au nord oriental de la seconde, & entre les îles de Naxie & de Narcio, au midi occidental de la premiere & à l'orient de la seconde.
L'île de Patmos, aujourd'hui nommée Patino, célebre par l'exil de l'apôtre S. Jean pendant 18 mois, est un des plus méchans écueils de l'Archipel ; elle est découverte, sans bois & fort seche, quoiqu'elle ne manque pas de roches, ni de montagnes, dont la plus élevée s'appelle Ste Hélie. Cette île ne produit que peu d'orge, de froment & de vin ; mais elle a beaucoup de gibier, perdrix, lapins, cailles, tourterelles, &c. tout son négoce consiste dans l'industrie des habitans, qui, avec une douzaine de caïques ou plusieurs autres petits bateaux, s'en vont chercher du blé en terre-ferme, & même jusques sur les côtes de la mer Noire, pour en venir charger des bâtimens françois. Il est surprenant que dans un si pauvre pays les maisons y soient aussi-bien bâties que dans les lieux où il y a du commerce, & leurs chapelles sont toutes voûtées.
Cette île n'a que dix-huit milles de tour, mais si l'on parcouroit les recoins de cap en cap, on excuseroit bientôt Pline, qui lui donne trente lieues de circonférence. Il n'y a guere plus de trois à quatre cent personnes dans Patmos ; les Corsaires ont contraint les habitans d'abandonner la ville, qui étoit au bord de la Scala, & de se retirer à deux milles & demi sur la montagne, autour du monastere de S. Jean, qui est une espece de citadelle solidement bâtie, & dans laquelle il y a toujours une cinquantaine de caloyers.
Les femmes de Patmos sont assez jolies, mais le fard qu'elles mettent les défigure horriblement ; néanmoins ce n'est pas leur intention, car depuis qu'un marchand de Marseille en a épousé une pour sa beauté, elles s'imaginent, dit Tournefort, qu'il n'y a point d'étranger qui descende dans l'île, qui n'y vienne faire la même emplette.
Patmos est éloigné de 60 milles des îles de Cos, de Stampalie & de Mycone ; elle est à 18 milles de Léro, à 45 milles de Nicaria, & à 60 de Samos. Il n'y a ni turc, ni latin dans l'île ; un grec y fait la fonction de consul de France, quoiqu'il n'ait ni pouvoir, ni patentes pour prendre cette qualité. Long. de Patmos 44. 15. latit. 37. 20. (D.J.)
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PATNA | TERRE DE, (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme une terre bolaire d'une couleur jaunâtre, très-fine & très-douce au toucher, dont on fait dans les Indes orientales une poterie assez belle, extrèmement légere & fort mince ; on en fait sur-tout des bouteilles assez grandes pour contenir plusieurs pintes d'eau, qui, dit-on, s'y rafraîchit très-promptement & contracte un goût très-agréable ; ce fait est pourtant contesté par quelques personnes qui n'ont rien apperçu de semblable. On assûre que les femmes indiennes aiment beaucoup à mâcher cette espece de terre, qui est un absorbant, ce qui sembleroit prouver qu'il entre une portion de terre calcaire dans la terre de Patna.
PATNA, (Géog. mod.) ville des Indes, près du bord oriental du Gange, capitale de la province de son nom, dans les états du grand-mogol. Les Hollandois y ont une loge, & la compagnie des Indes un comptoir, qui dépend de celui de Chandernagor. Long. 103. 15. latit. 25. 55. (D.J.)
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PATOIS | (Gramm.) langage corrompu tel qu'il se parle presque dans toutes les provinces : chacune a son patois ; ainsi nous avons le patois bourguignon, le patois normand, le patois champenois, le patois gascon, le patois provençal, &c. On ne parle la langue que dans la capitale. Je ne doute point qu'il n'en soit ainsi de toutes les langues vivantes, & qu'il n'en fût ainsi de toutes les langues mortes. Qu'est-ce que les différens dialectes de la langue greque, sinon les patois des différentes contrées de la Grece ?
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PATON | S. m. terme de Cordonnier, petit morceau de cuir qu'on met en-dedans au bout de l'empeigne du soulier, afin de conserver la forme. (D.J.)
PATON, en terme de Potier, c'est une motte de terre ordinairement plus petite que les ballons, mais qui n'en differe cependant que parce qu'elle ne contient que ce qu'il faut de terre pour faire une partie de telle ou telle piece, comme un manche, une oreille, &c. Voyez MANCHE, OREILLE & BALLONS.
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PATOWMEK | (Géog. mod.) riviere de l'Amérique septentrionale, dans la Virginie. Elle a son embouchure large de quelques milles, & porte des bateaux à plus de 100 milles d'éloignement.
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PATRAS | (Géog. mod.) ville de la Morée, dans le duché de Clarence, avec un archevêque grec. Les Turcs l'appellent Badra ou Balabatra. Elle a été bâtie en partie sur les ruines de l'ancienne Patrae. Aux beaux temples de Cybele & d'Atys, de Diane, de Minerve Panachaïde, d'Apollon, de Vénus & de Bacchus Calydonien, ont succédé de chétives mosquées, de pauvres églises greques, & des synagogues de juifs qui font tout le commerce de cette ville.
Les Vénitiens la prirent en 1687, & la nommerent Néopatria. Ils l'ont gardée jusqu'en 1716. L'air en est malsain, mais les jardins de Patras abondent en grenades, en citrons & en oranges excellentes. Elle est près de la mer, à 8 lieues S. O. de Lépante, 34 N. O. de Misitra. Long. 39. 32. latit. 38. 20.
Chilon, célebre athlete, né à Patras, gagna deux couronnes aux jeux olympiques, une dans les Delphiques, quatre dans les Isthmiens, & trois dans les Néméens. Il fut tué dans une bataille, comme le marque son épitaphe rapportée par Pausanias. Ce fut, selon cet auteur, du tems de Lysippe qui fit la statue de Chilon, c'est-à-dire dans la bataille de Chéronée contre Philippe roi de Macédoine, où les Achéens furent défaits avec les autres Grecs, la troisieme année de la cx. olympiade, & 338 ans avant Jesus-Christ. (D.J.)
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PATRIA | (Géog. mod.) petite ville ou bourg de la Campanie, dans le royaume de Naples, au sud du lac qu'on nomme Lago di Patria, en latin Linterna palus, par où le Clanio (le Clanis des Latins) vulgairement appellé l'Agno, se décharge dans la mer Tyrrhénienne. Long. 31. 36. latit. 40. 51.
Au Nord de l'embouchure du Clanio étoit l'ancienne Linternum, & conséquemment le tombeau du grand Scipion, sur lequel on a bâti la tour qu'on nomma torre di Patria. J'ai donné l'origine curieuse de ce nom bizarre, en parlant de Linternum. Voyez LINTERNUM. (D.J.)
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PATRIARCHAL | adj. (Gramm. & Hist. ecclésiast.) se dit de tout ce qui a rapport à un patriarche, comme dignité, jurisdiction patriarchale, siege patriarchal, &c.
PATRIARCHAL, (Topog. ecclés.) Titre de dignité dans l'Eglise, & que l'on a donné aux évêques des premiers siéges épiscopaux. Ce mot patriarchal vient du grec , en latin patrum princeps, c'est-à-dire le prince des peres. Il ne commença à la vérité à être en usage que long-tems après le concile de Nicée, mais la chose même subsistoit auparavant, puisque ce concile approuve la discipline de l'ancien gouvernement ecclésiastique ; en ordonnant que l'évêque d'Alexandrie étendroit sa jurisdiction sur l'Egypte, la Lybie & la Pentapole ; parce que, dit ce concile, l'évêque de Rome en usoit de la même maniere. On voit par-là, que dès les premiers commencemens de l'Eglise, il y avoit des patriarches distingués des métropolitains. Voyez PATRIARCHES.
J'ajouterai seulement, que le gouvernement politique de l'Eglise, n'a jamais connu que cinq patriarchats ; savoir, le patriarchat de Rome, le patriarchat de Constantinople, le patriarchat d'Alexandrie, le patriarchat d'Antioche, & le patriarchat de Jérusalem. (D.J.)
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PATRIARCHAT | étendue de pays soumise à la jurisdiction d'un patriarche. Voyez PATRIARCHE.
Ce nom a été donné à ce qu'on appelloit anciennement diocèse, c'est-à-dire plusieurs provinces qui ne faisoient qu'un corps sous une ville plus considérable qui étoit gouvernée par un même vicaire. L'Eglise s'étant établie suivant la forme de l'empire, a de même fait un corps des églises de ces provinces sous la jurisdiction de l'évêque de la principale ville, appellé exarque ou patriarche. Voyez EXARQUE & PATRIARCHE.
Il y avoit en Orient cinq diocèses de cette nature : l'Egypte sous l'évêque d'Alexandrie, l'Orient proprement dit sous celui d'Antioche, l'Asie sous celui d'Ephese ; le Pont & la Thrace qui, dans les premiers tems, n'avoient pas d'évêques qui eussent une jurisdiction sur tout le diocèse. Depuis, la ville de Bysance ayant été érigée en ville royale, & nommée Constantinople, devint la capitale d'abord du diocèse de Thrace, ensuite du Pont & de l'Asie même ; & on attribua aussi à l'évêque de Jérusalem, par honneur pour la ville qui avoit été le berceau de la religion chrétienne, quelques provinces de la Palestine. Ensorte qu'il y eut quatre patriarchats en Orient : celui de Constantinople qui eut le second rang, celui d'Alexandrie, celui d'Antioche & celui de Jérusalem. En Occident, il n'y avoit que celui de Rome qui, selon Rufin, s'étendoit sur les provinces suburbicaires, c'est-à-dire sur dix provinces du continent d'Italie & de quelques îles adjacentes ; depuis il s'étendit sur l'Illyrie, la Macédoine, & quelques parties de l'Occident, mais jamais il ne s'est étendu sur tout l'Occident ; car le primat de Carthage qui avoit sous lui plus de 500 chaires épiscopales, étoit regardé comme le patriarche de toute l'Afrique.
Le patriarchat d'Alexandrie avoit sous lui les provinces de l'Egypte, de la Pentapole, de la Lybie & de la Marmarique. On ne sait sur quel fondement le P. Morin y ajoute toute l'Afrique, ni pourquoi M. de Valois en retranche la Pentapole qui faisoit partie de l'Egypte ; sur laquelle le second concile général étend & fixe la jurisdiction du patriarche d'Alexandrie, solam Aegyptum regat.
Celui d'Antioche ne s'étendoit pas sur toute l'Asie, comme l'a prétendu le P. Morin, mais dans son origine il étoit borné à la seule ville d'Antioche, ensuite sur la Cilicie, & enfin sur les quinze provinces qui formoient l'Orient proprement dit : on voit par les actes du second concile oecumenique, tenu à Constantinople, que l'église d'Antioche n'avoit sous sa jurisdiction ni le Pont, ni l'Asie, ni la Thrace. C'est encore sans raison que M. de Valois soustrait à la jurisdiction du patriarchat d'Antioche, quelques-unes des quinze provinces, qui composoient le comté d'Orient, par exemple, la Phénicie, la Palestine, la Cilicie & l'île de Chypre : il est constant par l'histoire ecclésiastique que l'évêque d'Antioche étoit patriarche de toutes ces provinces.
Baronius prétend que l'église de Jérusalem ne fut érigée en patriarchat qu'au cinquieme concile général en 549, mais il est constant que ce fut au concile de Chalcédoine en 451, où Maxime d'Antioche & Juvenal de Jérusalem ayant eu une vive dispute sur l'étendue de leur jurisdiction respective, les peres du concile déciderent ainsi : Antiochiensium sanctissima ecclesia duas Phenicias & Arabiam sub propria potestate habeat. Sanctissima vero christi resurrectio ibidem tres Palestinas habeat. Jusqu'aux croisades, le patriarchat de Jérusalem ne fut composé que des trois Palestines, & des métropoles de Césarée, de Scythoples & de Petra ; & depuis les croisades, le pape Innocent II. y ajouta la premiere Phénicie, au lieu de la troisieme Palestine qu'on n'avoit pu reconquérir sur les Sarrasins.
Le patriarchat de Constantinople ne comprenoit d'abord que la Thrace & le Pont, mais la faveur des empereurs, jointe à l'ambition des évêques, en étendit bientôt la jurisdiction au-delà de ses bornes, tant en Europe qu'en Asie, car il se soumit la Thessalie, la Macédoine, la Grece, l'Epire, l'Illyrie, la Bulgarie, & presque tout ce qui étoit en Europe de l'empire d'Orient. Les papes reclamerent souvent contre ces innovations & ces démembremens, mais presque toujours sans succès, & ç'a été un des principaux sujets de division entre l'Eglise latine & l'Eglise greque.
Au reste, quoique ces cinq grands patriarchats s'étendissent sur un grand nombre de provinces, tant en Orient qu'en Occident, il ne faut pas croire que toutes les églises du monde dépendissent de leur jurisdiction, puisqu'il y en avoit plusieurs qui étoient autocéphales, qui se gouvernoient par leurs conciles principaux ou nationaux, & dont les métropolitains étoient ordonnés par les évêques de la province.
Enfin l'établissement du plus ancien des patriarchats ne remonte pas plus haut que la fin du iij. siecle : car les actes du premier concile de Nicée, tenu en 325, sont le premier monument où il soit fait mention du patriarchat de Rome, & l'institution de tous les autres est certainement postérieure. Thomassin, discipline de l'Eglise, Dupin, de antiq. ecclés. discipl.
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PATRIARCHE | S. m. (Hist. & Théolog.) chez les Hébreux, on donne ce nom aux premiers hommes qui ont vécu, tant avant qu'après le déluge, auparavant Moïse, comme Adam, Enoch, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Juda, Lévi, Simon & les autres fils de Jacob, & les chefs des douze tribus. Les Hébreux les nomment princes des tribus ou chefs des peres, Rosché abot.
Ce nom vient du grec , qui signifie chef de famille. La longue vie & le grand nombre d'enfans étoit une des bénédictions que Dieu répandoit sur les patriarches.
Depuis la destruction de Jérusalem, les juifs dispersés ont encore conservé ce titre parmi eux ; du-moins ceux de Judée dans les premiers tems l'ont donné au chef qu'ils élurent, ceux d'au-delà de l'Euphrate ayant donné au leur celui de prince de la captivité. Le premier gouvernoit les juifs qui demeuroient en Judée, en Syrie, en Egypte, en Italie & dans les provinces de l'empire romain. Le second avoit sous sa conduite ceux qui habitoient la Babylonie, la Chaldée, l'Assyrie & la Perse.
Ils mettent une grande différence entre les patriarches de la Judée & les princes de la captivité de Babylone, appellant ceux-ci rabbana & les autres rabban, nom qui n'est qu'un diminutif du premier. Ils soutiennent que les princes de la captivité descendoient de David en ligne masculine, au lieu que les patriarches n'en sortoient que par les femmes, & qu'au reste, ceux-ci ont commencé cent ans avant la ruine du temple, & qu'ils ont toujours joui d'une grande autorité, même pour le civil. Mais outre que les Amorrhéens, princes très-jaloux de leur pouvoir, ne l'auroient pas souffert, Josephe & Philon ne disent mot de ces prétendus patriarches ; les rabbins eux-mêmes sont partagés sur le nombre de ces patriarches dont la dignité fut abolie dans le cinquieme siecle ; ensorte que presque tout ce qu'ils en racontent est destitué de preuves solides. Basnage, Hist. des Juifs, tom. II. liv. IV. c. iij. Calmet, Dictionn. de la Bible, tom. III. lettre F, pag. 137.
PATRIARCHE, terme d'hiérarchie ecclésiastique. C'est un évêque qui a le gouvernement immédiat d'un diocèse particulier, & qui étend son pouvoir sur un département de plusieurs provinces ecclésiastiques. Voyez DIOCESE.
Les patriarches sont par rapport aux métropolitains, ce que les métropolitains sont par rapport aux évêques. Voyez EVEQUE & METROPOLITAIN.
Les critiques ne sont pas d'accord sur le tems auquel on doit rapporter l'institution des patriarches. Le pere Morin & M. de Marca, soutiennent qu'ils sont de droit divin & d'institution apostolique ; mais ce sentiment n'est pas fondé. Il paroît au contraire, que l'autorité patriarchale n'est que d'institution ecclésiastique ; elle a été inconnue dans le tems des apôtres & dans les trois premiers siecles ; on n'en trouve aucune trace dans les anciens monumens. S. Justin, S. Irénée, Tertullien, Eusebe n'en parlent point. D'ailleurs, la supériorité des patriarches sur les autres évêques & même sur les métropolitains, est trop éclatante pour avoir demeuré si long-tems ignorée, si elle eût existé. Enfin, quand le concile de Nicée, can. 6. accorde la dignité de patriarche à l'évêque d'Alexandrie, il ne dit pas qu'elle doive sa naissance à l'autorité apostolique ; il ne l'établit que sur l'usage & la coutume.
D'autres disent que les Montanistes furent les premiers qui décorerent de ce titre les chefs de leur église : que les Catholiques le donnerent ensuite à tous les évêques, & qu'ensuite on le reserva aux seuls évêques des grands sieges. Socrate & le concile de Chalcédoine le donnent à tous les évêques des villes capitales des cinq diocèses d'Orient. Il fut aussi donné à S. Léon dans le concile de Chalcedoine ; enfin, on l'a restraint aux évêques des cinq principaux sieges de l'Eglise, Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche & Jérusalem. Ce nom a été peu usité en Occident, & donné quelquefois à des métropolitains, à de simples évêques, comme les rois Goths & Lombards le donnerent à l'évêque d'Aquilée, & comme on le donna vers le tems de Charlemagne à l'archevêque de Bourges, qui n'a rien conservé des droits de cette dignité que celui d'avoir un official primatial auquel on appelle des sentences rendues par l'official métropolitain. Les Maronites, les Jacobites, les Nestoriens, les Arméniens & les Moscovites ont aussi des patriarches, ainsi que les Grecs schismatiques.
Voici quels étoient autrefois les principaux droits des patriarches ; aussi-tôt après leur promotion ils s'écrivoient réciproquement des lettres, qui contenoient une espece de profession de foi, afin d'unir toutes les Eglises par l'union des grands sieges. C'est dans le même esprit qu'on récitoit leurs noms dans les diptiques sacrés, & qu'on prioit pour eux au milieu du sacrifice ; on ne terminoit les affaires importantes que par leur avis. Dans les conciles écuméniques, ils avoient un rang distingué, & quand ils ne pouvoient y assister en personne, ils y envoyoient leurs légats ; c'étoit à eux qu'il appartenoit de sacrer tous les métropolitains qui relevoient de leur siege.
Le concile de Nicée donne même à l'évêque d'Alexandrie le droit de consacrer tous les évêques de son ressort, suivant l'usage de l'église romaine : on appelloit des jugemens des métropolitains au patriarche ; mais il ne prononçoit sur ces appellations, quand les causes étoient importantes, que dans le concile avec les prélats de son ressort. Les canons de ces conciles devoient être observés dans toute l'étendue du patriarchat. Le huitieme concile général, can. 17. confirme deux droits des plus considérables attachés à la dignité des patriarches, l'un de donner la plénitude de puissance aux métropolitains en leur envoyant le pallium ; l'autre de les convoquer au concile universel du patriarchat, afin d'examiner leur conduite & de leur faire leur procès. Mais le quatrieme concile de Latran sous le pape Innocent III. diminua les droits des patriarches, en les obligeant à recevoir le pallium du saint siége, & à lui prêter en même tems serment de fidélité, à ne donner le pallium à un métropolitain de leur dépendance, qu'après avoir reçu leur serment d'obéissance au pape ; & enfin en ne leur permettant de juger des appellations des métropolitains, qu'à la charge de l'appel du saint siege. Thomassin, Discipl. de l'Eglise, part. II. liv. I. c. iv. Dupin, des antiq. ecclés. discipl.
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PATRIARCHIES | PATRIARCHIES
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PATRICE | PATRICIAT, PATRICIEN, s. m. (Jurisprud.) sont des titres d'honneur & de dignité qui ont été la source de la noblesse chez plusieurs peuples.
L'institution du titre de patrice vient des Athéniens, chez lesquels au rapport de Denis d'Halicarnasse, le peuple fut séparé en deux classes, l'une qu'il appelle patricios ; l'autre , c'est-à-dire populaires, le menu peuple.
On composa la classe des patriciens de ceux qui étoient distingués par la bonté de leur race, c'est-à-dire, dont la famille n'avoit aucune tache de servitude ni autre, & qui étoient les plus considérables d'entre les citoyens, soit par leur nombreuse famille ou par leurs emplois, & par leurs richesses. Thésée leur attribua la charge de connoître des choses appartenantes au fait de la religion & au service de Dieu, d'enseigner les choses saintes ; il leur accorda aussi le privilege de pouvoir être élus aux offices de la république & d'interpréter les lois.
Solon ayant été élu pour reformer l'état qui étoit tombé dans la confusion, voulut que les offices & magistratures demeurassent entre les mains des riches citoyens ; il donna pourtant quelque part au menu peuple dans le gouvernement, & distingua les citoyens en quatre classes. La premiere composée de ceux qui avoient 500 minots de revenu, tant en grains que fruits liquides. La seconde, de ceux qui en avoient 300, & qui pouvoient entretenir un cheval de service, c'est pourquoi on les appella chevaliers ; ceux qui avoient 200 minots formoient la troisieme classe, & tout le reste étoit dans la quatrieme.
Romulus, à l'imitation des Athéniens, distingua ses sujets en patriciens & plébéïens ; après avoir créé des magistrats, il établit au-dessus d'eux le sénat auquel il donna l'inspection des affaires publiques ; il composa cette compagnie de cent des plus distingués & des plus nobles d'entre les Citoyens. Chacune des trois tribus eut la faculté de nommer trois sénateurs, & chacune des 30 curies qui formoit chaque tribu fournit aussi trois personnes habiles & expérimentées ; Romulus se reserva seulement le droit de nommer un sénateur qui eut la premiere place dans le sénat.
Les membres de cette auguste compagnie furent appellés senatores à senectute, parce que l'on avoit choisi ceux qui, par rapport à leur grand âge, étoient présumés avoir le plus d'expérience, on leur donna aussi le titre de patres, peres, soit par respect pour leur âge, soit parce qu'on les regardoit comme les peres du peuple ; de ce titre patres se forma celui de patricii que l'on donna au cent premiers sénateurs, & selon d'autres aux 200 ou 300 premiers & à leurs descendans ; on les appelloit patricii, quasi qui & patrem & avum ciere poterant ; ils étoient les seuls auxquels Romulus permit d'aspirer à la magistrature, & qui exercerent seuls les fonctions du sacerdoce jusqu'en l'année 495 de la fondation de Rome.
Ils étoient obligés de servir de patrons aux plébéïens, & de les protéger dans toutes les occasions.
Les cruautés exercées par les patriciens contre les plébéïens, pour se venger de ce que ceux-ci tâchoient d'anéantir leur autorité, donnerent lieu à la loi agraire, concernant le partage des terres.
La loi des douze tables avoit défendu aux patriciens de contracter mariage avec des plébéïennes, mais cette disposition fut bien-tôt supprimée par le peuple.
Il fut seulement encore défendu par la loi papia, pappaea, aux patriciens d'épouser celles des plébéïennes qui n'étoient pas de condition libre, ou qui exerçoient des métiers vils & deshonorans, tel que celui de comédienne, les filles qui se prostituoient ou qui favorisoient la prostitution, les filles surprises en adultere avec un homme marié, & les femmes répudiées pour le même crime.
Le nombre des familles patriciennes qui n'étoit d'abord que de cent, s'accrut dans la suite considérablement par les diverses augmentations qui furent faites au nombre des sénateurs.
Romulus lui-même, peu de tems après l'établissement du sénat, créa encore cent sénateurs ; d'autres disent que ce fut Tullus Hostilius.
Quoi qu'il en soit, ces 200 premiers sénateurs furent appellés patres majorum gentium, chefs des grandes familles, pour les distinguer des 100 autres sénateurs qui furent ajoutés par Tarquin l'ancien, que l'on appella patres minorum gentium, comme étant chefs de familles moins anciennes & moins considérables que les premieres.
Ce nombre de 300 sénateurs fut long-tems sans être augmenté, car Brutus & Publicola, après l'expulsion des rois, n'augmenterent pas le nombre des sénateurs ; ils ne firent qu'en remplacer un grand nombre qui manquoient.
Ceux qui furent mis par Brutus & autres qui vinrent ensuite, furent appellés patres conscripti, pour dire que leur nom avoit été inscrit avec celui des premiers ; & insensiblement ce titre devint commun à tous, lorsqu'il ne resta plus aucun des anciens sénateurs.
Gracchus étant tribun du peuple, doubla le nombre des sénateurs, y mettant 300 chevaliers. Sylla y fit encore une augmentation ; César en porta le nombre jusqu'à 900, & après sa mort les duumvirs en ajouterent encore ; desorte qu'il y en avoit jusqu'à 1000 ou 1200 du tems d'Auguste, lequel les réduisit à 600.
Du terme patres, qui étoit le nom que Romulus donna aux premiers sénateurs, se forma celui de patricii, que l'on donna aux descendans des 200 premiers sénateurs, ou selon quelques autres, des 300 premiers ; on leur donna le titre de patricii quasi qui patrem, avum ciere poterant ; & en effet, dans les assemblées du peuple, ils étoient appellés chacun en particulier par leur nom, & par celui de l'auteur de leur race.
Les familles sénatoriennes, autres que celles qui descendoient des 200 premiers sénateurs, ne tenoient pas d'abord le même rang ; cependant insensiblement tous les sénateurs & leurs descendans furent mis dans l'ordre des patriciens, du-moins Tite-Live remarque que les choses étoient sur ce pié du tems d'Auguste.
Quant aux privileges des patriciens, Romulus avoit attribué à eux seuls le droit d'aspirer à la magistrature.
Ils exercerent aussi seuls les fonctions du sacerdoce jusqu'en l'année 195 de la fondation de Rome.
Les patriciens tiroient la considération dans laquelle ils étoient, de deux sources ; l'une de la bonté & ancienneté de leur race, ce qu'on appelloit ingenuitas & gentilitas ; l'autre étoit la noblesse, laquelle chez les Romains ne procédoit que des grands offices ; mais cette noblesse n'étoit pas héréditaire, elle ne s'étendoit pas au-delà des petits enfans de l'officier.
Mais peu-à-peu les patriciens déchurent de presque tous leurs privileges ; les plébéiens, qui étoient en plus grand nombre, firent tout décider à la pluralité des voix ; on les admit dans le sénat, & même aux plus hautes magistratures, & aux charges des sacrifices ; desorte qu'il ne resta plus d'autre prérogative aux patriciens que l'honneur d'être descendus des premieres & des plus anciennes familles ; & la noblesse, à l'égard de ceux qui étoient revêtus de quelque grand office, ou qui étoient enfans ou petits-enfans de quelque grand officier.
La chûte de la république, & l'établissement de l'empire, affoiblirent & diminuerent nécessairement l'autorité des familles patriciennes dans les affaires politiques ; mais cette révolution ne les dégrada point d'abord, & elles se soutinrent à peu-près dans toute leur pureté & leur considération, jusqu'au tems où les Grecs d'Europe, d'Asie & d'Alexandrie, inonderent Rome ; il se fit alors une étrange confusion de familles romaines avec les étrangers.
Cette confusion augmenta encore lorsque les empereurs ne furent plus de familles proprement romaines.
Tacite dans le XI. liv. de ses annales, rapporte que l'empereur Claude mit au nombre des patriciens, tous les plus anciens du sénat, ou ceux qui avoient eu des parens distingués ; il ajoute qu'il restoit alors bien peu de ces anciennes familles que Romulus avoit appellées patres majorum gentium ; même celles qui y avoient été substituées par César, suivant la loi cassia, & par Auguste par la loi brutia, étoient aussi épuisées. On voit par-là combien il s'introduisit de nouvelles noblesses, tant sous César & sous Auguste, que par la création de Claude.
Les guerres civiles qui agiterent l'empire entre Neron & Vespasien, acheverent sans doute encore de détruire beaucoup d'anciennes familles.
Sous l'empire de Trajan, combien d'espagnols ; sous Septime Severe, combien d'afriquains ne vinrent pas s'établir à Rome ; & s'y étant enrichis, firent par leur fortune disparoître les nuances qui séparoient le patricien & le plébéien. Les guerres civiles occasionnées par les différens prétendans à l'empire, & qui épuisoient le plus beau & le plus pur sang de Rome : ces hordes de barbares que les divers concurrens appelloient imprudemment à leur secours, qui soumirent enfin ceux qui les avoient employés à soumettre les autres, & devinrent les maîtres de ceux dont ils auroient toujours dû être les esclaves : la bassesse des sujets qu'une armée élevoit tumultuairement à l'empire, & qui montés sur le trône, donnoient les premieres charges de l'état aux compagnons de leur ancienne fortune, nés comme eux dans l'obscurité : enfin l'anéantissement de la dignité de consul qui ne fut plus qu'un vain nom depuis la chûte de la republique, & sur-tout depuis les Antonins jusqu'à Justinien, après lequel cesse l'ordre chronologique des consuls, ces places étant d'ailleurs souvent occupées par des Grecs, témoin Dion l'historien, Cassiodore & autres ; tout cela fit insensiblement éclipser les familles patriciennes de Rome à mesure que les honneurs passoient aux étrangers.
Mais la principale époque de l'anéantissement des familles patriciennes, fut la prise de Rome par Totila, roi des Goths, l'an 546, ce barbare fit abattre une partie des murailles de cette ville, força le peuple à se retirer dans la Campanie, & emmena à la suite de son armée toute la noblesse, c'est-à-dire toutes les familles qui étoient alors réputées patriciennes. Rome fut absolument deserte pendant plus d'un an ; Belisaire y ramena des habitans, mais le second siége par Totila en fit encore périr une grande partie ; ce qui échappa de citoyens distingués, se retira à Constantinople auprès de Justinien. Enfin pour repeupler Rome dans les premiers tems qui suivirent ces desastres, les pontifes & les magistrats furent réduits à y appeller indifféremment Juifs, Goths, Huns, Lombards. Il est bien difficile après tant de ravages & de massacres suivis d'un tel mélange, de reconnoître encore les restes des anciennes familles vraiment patriciennes.
Le peuple qui habite le mont-Esquilin, aux environs de Sainte-Marie-Majeure, prétend descendre seul des anciens Romains ; rien n'est plus pauvre & en même tems plus fier, on ne voit personne de ce quartier servir comme domestique ; ces gens méprisent même ceux qui habitent le coeur de la nouvelle ville.
On reconnoît généralement à Rome que les habitans du Trastevere ont plus d'esprit que ceux des autres quartiers ; ils se donnent aussi l'honneur de tenir aux anciens Romains ; mais ils ne font pas attention qu'au tems de la république, leur quartier étoit inhabité ; qu'après l'établissement de l'empire sous Vespasien, il ne fut habité que par des Juifs ; que depuis plus de 800 ans, toutes les séditions ont commencé par le Trastevere, & que le peuple de ce quartier se regarde comme un peu différent du reste de la ville, tellement, qu'en passant la riviere, ils disent qu'ils vont à Rome.
Les familles de Rome qui passent pour très-anciennes sont les Colonna, Orsini, Conti, Savelli, Frangipani, & quelques autres ; presque tout le reste est famille papale.
Sous les empereurs, notamment lorsque le siége de l'empire fut transféré à Constantinople, Constantin le Grand, pour remplacer les anciens patriciens, inventa une nouvelle dignité de patrice, ou pere de la république, qui n'étoit plus attachée à l'ancienneté ni à l'illustration de la race, mais qui étoit un titre personnel de dignité que l'empereur accordoit à ceux qu'il vouloit honorer, ce patriciat ou dignité patricienne surpassoit toutes les autres. Les empereurs donnoient ordinairement aux patrices le gouvernement des provinces éloignées. Lors de la décadence de l'empire romain, ceux qui occuperent l'Italie n'osant prendre le titre d'empereurs, s'appelloient patrices de Rome ; cela fut très-ordinaire jusqu'à Augustule, & à la prise de Rome par Odoacre, roi des Herules. Il y eut aussi des patrices dans les Gaules, & principalement en Bourgogne & en Languedoc ; quand les Francs conquirent les Gaules, ils y trouverent la dignité patricienne établie. Actius qui combattit Attila, est appellé le dernier patrice des Gaules ; le titre de patrice fut envoyé à Clovis par l'empereur Anastase après la défaite des Wisigoths. Le pape Adrien fit prendre le titre de patrice de Rome à Charlemagne avant qu'il prit la qualité d'empereur. Les rois Pepin, Charles & Carloman, furent aussi appellés patrices de Rome par les papes ; ils ont aussi donné le titre de patrice à quelques autres princes & rois étrangers. (A)
PATRICES, Dieux (Mytholog.) patricii dii ; il y avoit huit dieux que les anciens appelloient patrices : Janus, Saturne, le Génie, Pluton, Bacchus, le Soleil, la Lune, & la Terre.
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PATRIE | S. f. (Gouvern. politiq.) le rhéteur peu logicien, le géographe qui ne s'occupe que de la position des lieux, & le léxicographe vulgaire, prennent la patrie pour le lieu de la naissance, quel qu'il soit ; mais le philosophe sait que ce mot vient du latin pater, qui présente un pere & des enfans, & conséquemment qu'il exprime le sens que nous attachons à celui de famille, de société, d'état libre, dont nous sommes membres, & dont les lois assurent nos libertés & notre bonheur. Il n'est point de patrie sous le joug du despotisme. Dans le siecle passé, Colbert confondit aussi royaume & patrie ; enfin un moderne mieux instruit, a mis au jour une dissertation sur ce mot, dans laquelle il a fixé avec tant de goût & de vérité, la signification de ce terme, sa nature, & l'idée qu'on doit s'en faire, que j'aurois tort de ne pas embellir, disons plutôt ne pas former mon article de réflexions de cet écrivain spirituel.
Les Grecs & les Romains ne connoissoient rien de si aimable & de si sacré que la patrie ; ils disoient qu'on se doit tout entier à elle ; qu'il n'est pas plus permis de s'en venger, que de son pere ; qu'il ne faut avoir d'amis que les siens ; que de tous les augures, le meilleur est de combattre pour elle ; qu'il est beau, qu'il est doux de mourir pour la conserver ; que le ciel ne s'ouvre qu'à ceux qui l'ont servie. Ainsi parloient les magistrats, les guerriers & le peuple. Quelle idée se formoient-ils donc de la patrie ?
La patrie, disoient-ils, est une terre que tous les habitans sont intéressés à conserver, que personne ne veut quitter, parce qu'on n'abandonne pas son bonheur, & où les étrangers cherchent un asyle. C'est une nourrice qui donne son lait avec autant de plaisir qu'on le reçoit. C'est une mere qui chérit tous ses enfans, qui ne les distingue qu'autant qu'ils se distinguent eux-mêmes ; qui veut bien qu'il y ait de l'opulence & de la médiocrité ; mais point de pauvres ; des grands & des petits, mais personne d'opprimé ; qui même dans ce partage inégal, conserve une sorte d'égalité, en ouvrant à tous le chemin des premieres places ; qui ne souffre aucun mal dans la famille, que ceux qu'elle ne peut empêcher, la maladie & la mort ; qui croiroit n'avoir rien fait en donnant l'être à ses enfans, si elle n'y ajoute le bien-être. C'est une puissance aussi ancienne que la société, fondée sur la nature & l'ordre ; une puissance supérieure à toutes les puissances qu'elle établit dans son sein, archontes, suffetes, éphores, consuls ou rois ; une puissance qui soumet à ses loix ceux qui commandent en son nom, comme ceux qui obéissent. C'est une divinité qui n'accepte des offrandes que pour les répandre, qui demande plus d'attachement que de crainte, qui sourit en faisant du bien, & qui soupire en lançant la foudre.
Telle est la patrie ! l'amour qu'on lui porte conduit à la bonté des moeurs, & la bonté des moeurs conduit à l'amour de la patrie ; cet amour est l'amour des lois & du bonheur de l'état, amour singulierement affecté aux démocraties ; c'est une vertu politique, par laquelle on renonce à soi-même, en préférant l'intérêt public au sien propre ; c'est un sentiment, & non une suite de connoissance ; le dernier homme de l'état peut avoir ce sentiment comme le chef de la république.
Le mot de patrie étoit un des premiers mots que les enfans bégayoient chez les Grecs & chez les Romains ; c'étoit l'ame des conversations, & le cri de guerre ; il embellissoit la poésie, il échauffoit les orateurs, il présidoit au sénat, il retentissoit au théatre, & dans les assemblées du peuple ; il étoit gravé sur les monumens. Cicéron trouvoit ce mot si tendre, qu'il le préféroit à tout autre, quand il parloit des intérêts de Rome.
Il y avoit encore chez les Grecs & les Romains, des usages qui rappelloient sans cesse l'idée de la patrie avec le mot ; des couronnes, des triomphes, des statues, des tombeaux, des oraisons funebres ; c'étoient autant de ressorts pour le patriotisme. Il y avoit aussi des spectacles vraiment publics, où tous les ordres se délassoient en commun ; des tribunes où la patrie, par la bouche des orateurs, consultoit avec ses enfans, sur les moyens de les rendre heureux & glorieux. Mais entrons dans le récit des faits qui prouveront tout ce que nous venons de dire.
Lorsque les Grecs vainquirent les Perses à Salamine, on entendoit d'un côté la voix d'un maître impérieux qui chassoit des esclaves au combat, & de l'autre le mot de patrie qui animoit des hommes libres. Aussi les Grecs n'avoient rien de plus cher que l'amour de la patrie ; travailler pour elle étoit leur bonheur & leur gloire. Licurgue, Solon, Miltiade, Thémistocle, Aristide, préféroient leur patrie à toutes les choses du monde. L'un dans un conseil de guerre tenu par la république, voit la canne d'Euribiade levée sur lui ; il ne lui répond que ces trois mots, frappe, mais écoute. Aristide, après avoir longtems disposé des forces & des finances d'Athènes, ne laissa pas de quoi se faire enterrer.
Les femmes spartiates vouloient plaire aussi-bien que les nôtres ; mais elles comptoient frapper plus surement au but, en mélant le zele de la patrie avec les graces. Va, mon fils, disoit l'une, arme-toi pour défendre ta patrie, & ne reviens qu'avec ton bouclier, ou sur ton bouclier, c'est-à-dire vainqueur ou mort. Console-toi, disoit une autre mere à un de ses fils, console-toi de la jambe que tu as perdue, tu ne feras pas un pas qui ne te fasse souvenir que tu as défendu la patrie. Après la bataille de Leuctres, toutes les meres de ceux qui avoient péri en combattant, se félicitoient, tandis que les autres pleuroient sur leurs fils qui revenoient vaincus ; elles se vantoient de mettre des hommes au monde, parce que dans le berceau même, elles leur montroient la patrie comme leur premiere mere.
Rome qui avoit reçu des Grecs l'idée qu'on devoit se former de la patrie, la grava très-profondément dans le coeur de ses citoyens. Il y avoit même ceci de particulier chez les Romains, qu'ils méloient quelques sentimens religieux à l'amour qu'ils avoient pour leur patrie. Cette ville fondée sur les meilleurs auspices, ce Romulus leur roi & leur dieu, ce capitole éternel comme la ville, & la ville éternelle comme son fondateur, avoient fait sur les Romains une impression extraordinaire.
Brutus pour conserver sa patrie, fit couper la tête à ses fils, & cette action ne paroîtra dénaturée qu'aux ames foibles. Sans la mort des deux traitres, la patrie de Brutus expiroit au berceau. Valerius Publicola n'eut qu'à nommer le nom de patrie pour rendre le sénat plus populaire ; Menenius Agrippa pour ramener le peuple du mont-Sacré dans le sein de la république ; Véturie, car les femmes à Rome comme à Sparte étoient citoyennes, Véturie pour désarmer Coriolan son fils ; Manlius, Camille, Scipion, pour vaincre les ennemis du nom Romain ; les deux Catons, pour conserver les lois & les anciennes moeurs ; Cicéron, pour effrayer Antoine, & foudroyer Catilina.
On eût dit que ce mot patrie renfermoit une vertu secrette, non-seulement pour rendre vaillans les plus timides, selon l'expression de Lucien, mais encore pour enfanter des héros dans tous les genres, pour opérer toutes sortes de prodiges. Disons mieux, il y avoit dans ces ames greques & romaines, des vertus qui les rendoient sensibles à la valeur du mot. Je ne parle pas de ces petites vertus qui nous attirent des louanges à peu de frais dans nos sociétés particulieres ; j'entends ces qualités citoyennes, cette vigueur de l'ame qui nous fait faire & souffrir de grandes choses pour le bien public. Fabius est raillé, méprisé, insulté par son collegue & par son armée ; n'importe, il ne change rien dans son plan, il temporise encore, & il vient à bout de vaincre Annibal. Régulus, pour conserver un avantage à Rome, dissuade l'échange des prisonniers, prisonnier lui-même, & il retourne à Carthage, où les supplices l'attendent. Trois Décius signalent leur consulat en se dévouant à une mort certaine. Tant que nous regarderons ces généreux citoyens comme d'illustres foux, & leurs actions comme des vertus de théatre, le mot patrie sera mal connu de nous.
Jamais peut-être on n'entendit ce beau mot avec plus de respect, plus d'amour, plus de fruit, qu'au tems de Fabricius. Chacun sait ce qu'il dit à Pyrrhus : " Gardez votre or & vos honneurs, nous autres Romains, nous sommes tous riches, parce que la patrie, pour nous élever aux grandes places, ne nous demande que du mérite ". Mais chacun ne sait pas que mille autres Romains l'auroient dit. Ce ton patriotique étoit le ton général dans une ville, où tous les ordres étoient vertueux. Voilà pourquoi Rome parut à Cynéas, l'ambassadeur de Pyrrhus, comme un temple, & le sénat une assemblée de rois.
Les choses changerent avec les moeurs. Vers la fin de la république, on ne connut plus le mot patrie que pour le profaner. Catilina & ses furieux complices, destinoient à la mort quiconque le prononçoit encore en Romain. Crassus & César ne s'en servoient que pour voiler leur ambition, & lorsque dans la suite ce même César, en passant le Rubicon, dit à ses soldats, qu'il alloit venger les injures de la patrie, il abusoit étrangement ses troupes. Ce n'étoit pas en soupant comme Crassus, en bâtissant comme Lucullus, en se prostituant à la débauche comme Clodius, en pillant les provinces comme Verrès, en formant des projets de tyrannie comme César, en flatant César comme Antoine, qu'on apprenoit à aimer la patrie.
Je sais pourtant qu'au milieu de ce désordre, dans le gouvernement & dans les moeurs, on vit encore quelques Romains soupirer pour le bien de leur patrie. Titus Labienus en est un exemple bien remarquable. Supérieur aux vues d'ambition les plus séduisantes, l'ami de César, le compagnon & souvent l'instrument de ses victoires, il abandonna sans hésiter, une cause que la fortune protégeoit ; & s'immolant pour l'amour de sa patrie, il embrassa le parti de Pompée, où il avoit tout à risquer, & où même en cas de succès, il ne pouvoit trouver qu'une considération très-médiocre.
Mais enfin Rome oublia sous Tibere, tout amour de la patrie ; & comment l'auroit-elle conservé ? On voyoit le brigandage uni avec l'autorité, le manege & l'intrigue disposer des charges, toutes les richesses entre les mains d'un petit nombre, un luxe excessif insulter à l'extrême pauvreté, le laboureur ne regarder son champ que comme un prétexte à la vexation ; chaque citoyen réduit à laisser le bien général, pour ne s'occuper que du sien. Tous les principes du gouvernement étoient corrompus ; toutes les lois plioient au gré du souverain. Plus de force dans le sénat, plus de sureté pour les particuliers : des sénateurs qui auroient voulu défendre la liberté publique auroient risqué la leur. Ce n'étoit qu'une tyrannie sourde, exercée à l'ombre des lois, & malheur à qui s'en appercevoit ; représenter ses craintes, c'étoit les redoubler. Tibere endormi dans son île de Caprée, laissoit faire à Séjan ; & Séjan ministre digne d'un tel maître, fit tout ce qu'il falloit pour étouffer chez les Romains tout amour de leur patrie.
Rien n'est plus à la gloire de Trajan que d'en avoir ressuscité les débris. Six tyrans également cruels, presque tous furieux, souvent imbécilles, l'avoient précédé sur le trône. Les regnes de Titus & de Nerva furent trop courts pour établir l'amour de la patrie. Trajan projetta d'en venir à bout ; voyons comment il s'y prit.
Il débuta par dire à Saburanus, préfet du prétoire, en lui donnant la marque de cette dignité, c'étoit une épée : " prends ce fer, pour l'employer à me défendre si je gouverne bien ma patrie, ou contre moi, si je me conduis mal. Il étoit sûr de son fait ". Il refusa les sommes que les nouveaux empereurs recevoient des villes ; il diminua considérablement les impôts, il vendit une partie des maisons impériales au profit de l'état ; il fit des largesses à tous les pauvres citoyens ; il empêcha les riches de s'enrichir à l'excès ; & ceux qu'il mit en charge, les questeurs, les préteurs, les proconsuls ne virent qu'un seul moyen de s'y maintenir ; celui de s'occuper du bonheur des peuples. Il ramena l'abondance, l'ordre & la justice dans les provinces & dans Rome, où son palais étoit aussi ouvert au public que les temples, sur-tout à ceux qui venoient représenter les intérêts de la patrie.
Quand on vit le maître du monde se soumettre aux loix, rendre au sénat sa splendeur & son autorité, ne rien faire que de concert avec lui, ne regarder la dignité impériale que comme une simple magistrature comptable envers la patrie, enfin le bien présent prendre une consistance pour l'avenir ; alors on ne se contint plus. Les femmes se félicitoient d'avoir donné des enfans à la patrie ; les jeunes gens ne parloient que de l'illustrer ; les vieillards reprenoient des forces pour la servir ; tous s'écrioient, heureuse patrie ! glorieux empereur ! tous par acclamation donnerent au meilleur des princes un titre qui renfermoit tous les titres, pere de la patrie. Mais quand de nouveaux monstres prirent sa place, le gouvernement retomba dans ses excès ; les soldats vendirent la patrie, & assassinerent les empereurs pour en avoir un nouveau prix.
Après ces détails, je n'ai pas besoin de prouver qu'il ne peut point y avoir de patrie dans les états qui sont asservis. Ainsi ceux qui vivent sous le despotisme oriental, où l'on ne connoît d'autre loi que la volonté du souverain, d'autres maximes que l'adoration de ses caprices, d'autres principes de gouvernement que la terreur, où aucune fortune, aucune tête n'est en sureté ; ceux-là, n'ont point de patrie, & n'en connoissent pas même le mot, qui est la véritable expression du bonheur.
Dans le zele qui m'anime, dit M. l'abbé Coyer, j'ai fait en plusieurs lieux des épreuves sur des sujets de tous les ordres : citoyens, ai-je dit, connoissez-vous la patrie ! L'homme du peuple a pleuré, le magistrat a froncé le sourcil, en gardant un morne silence ; le militaire a juré, le courtisan m'a persifflé, le financier m'a demandé si c'étoit le nom d'une nouvelle ferme. Pour les gens de religion, qui comme Anaxagore, montrent le ciel du bout du doigt, quand on leur demande où est la patrie, il n'est pas étonnant qu'ils n'en fêtent point sur cette terre.
Un lord aussi connu par les lettres que par les négociations, a écrit quelque part, peut-être avec trop d'amertume, que dans son pays l'hospitalité s'est changée en luxe, le plaisir en débauche, les seigneurs en courtisans, les bourgeois en petits maîtres. S'il en étoit ainsi, bien-tôt, eh quel dommage ! l'amour de la patrie n'y régneroit plus. Des citoyens corrompus sont toujours prêts à déchirer leur pays, ou à exciter des troubles & des factions si contraires au bien public. (D.J.)
PATRIE, (Critiq. sacr.) ce mot dans l'Ecriture ne désigne pas seulement le pays natal, mais le pays où l'on a été élevé, Matt. xiij. 54. Quelquefois tout pays ou ville quelconque, Ecclés. xvj. 5. Enfin le séjour du bonheur est nommé la patrie céleste, Héb. xj. 14.
PATRIE, DIEU DE LA, (Litt.) dii patrii, les anciens nommoient ainsi les dieux particuliers de chaque ville, ceux qui y avoient été toujours adorés, & dont le culte n'y avoit point été apporté d'ailleurs, comme Minerve à Athènes, Junon à Carthage, Apollon à Delphes. (D.J.)
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PATRIMOINE | S. m. (Jurisprud.) se prend quelquefois pour toute sorte de bien ; mais dans sa signification propre il se dit d'un bien de famille ; quelquefois même on n'entend par-là que ce qui est venu à quelqu'un par succession ou donation en ligne directe.
PATRIMOINE DU ROI, c'est son domaine particulier. Voyez au mot DOMAINE. (A)
PATRIMOINE DE SAINT PIERRE, (Hist. ecclés. & politiq.) dans le tems de la décadence de l'empire romain, c'est-à-dire, lorsque les Goths, les Ostrogoths, les Lombards, &c. se furent rendus les maîtres de l'Italie, l'Eglise romaine, soit par achat, soit par la générosité des princes & des seigneurs, acquit des terres, non-seulement en Italie, mais encore en Sicile & dans d'autres parties éloignées de l'Europe. L'Eglise de Rome ne posséda point d'abord ces terres à titre de souveraineté, & souvent les empereurs de Constantinople & les rois lombards les confisquoient, comme ils auroient pû faire les biens de leurs sujets, lorsqu'ils étoient mécontens de la conduite des papes. Ces biens que possédoit l'Eglise furent appellés le patrimoine de saint Pierre ; ils furent dans la suite considérablement augmentés par les bienfaits de Pepin, roi de France, qui après avoir vaincu les Lombards, donna au souverain pontife l'exarchat de Ravenne, dont l'empire d'orient avoit été dépouillé depuis peu de tems. Charlemagne, après avoir détruit la domination des Lombards en Italie, enchérit encore sur les bienfaits de son pere Pepin ; il donna au pape plusieurs villes & provinces, qui font aujourd'hui, avec la ville de Rome dont les papes se sont peu-à-peu rendus les maîtres, ce que l'on appelle l'état de l'Eglise, où le pontife exerce l'autorité souveraine. Il est vrai que les Ultramontains, c. à. d. les flateurs & les partisans outrés du pouvoir du S. siege font remonter son indépendance beaucoup plus haut, & prétendent que les terres soumises à l'Eglise lui appartiennent en vertu de la fameuse donation de Constantin, par laquelle ce prince, en recevant le baptême, donna en 324 au pape Silvestre la souveraineté de Rome & de toutes les provinces qui composent l'état de l'Eglise en Italie. Actuellement la saine critique n'ajoute aucune foi à cette prétendue donation de Constantin ; & pour sentir que cette piece est supposée, on n'a qu'à faire attention que Constantin ne fut point baptisé à Rome ; qu'en 324 il étoit à Thessalonique ; & que d'ailleurs les différentes copies que l'on montre de sa donation ne sont rien moins que conformes les unes aux autres. On conserve dans la bibliotheque du Vatican une copie de cette donation, qui differe grandement de celle que le moine Gratien a rapportée. Voyez Giannone, Hist. de Naples.
PATRIMOINE DE S. PIERRE, LE (Géog. mod.) province d'Italie, dans les états du pape, d'environ 14 lieues de long sur 12 de large. Elle est bornée N. par l'Orviétan & l'Ombrie, & par la Sabine & la campagne de Rome ; S. par la mer ; O. par le duché de Castro & par la mer. Elle renferme, outre le patrimoine particulier, le duché de Bracciano, & l'état de Ronciglione. Viterbe en est la capitale. Cette province est fertile en blé, en vin & en alun.
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PATRIMONIAL | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui vient par succession, & quelquefois en général de tout ce qui est in bonis, & que l'on possede héréditairement. C'est en ce sens qu'on dit communément que les justices sont patrimoniales. Voyez JUSTICES, HEREDITE ; voyez aussi PATRIMOINE PROPRE, SUCCESSION. (A)
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PATRIOTE | S. m. (Gouvern.) c'est celui qui dans un gouvernement libre chérit sa patrie, & met son bonheur & sa gloire à la secourir avec zele, suivant ses moyens & ses facultés. Si vous voulez encore une définition plus noble :
The patrio is one
Who makes the welfare of mankind, his care,
Tho' still by faction, vice, aud fortune crost,
Shall find the generous labour was not lost.
Servir sa patrie n'est point un devoir chimérique, c'est une obligation réelle. Tout homme qui conviendra qu'il y a des devoirs tirés de la constitution de la nature, du bien & du mal moral des choses, reconnoîtra celui qui nous oblige à faire le bien de la patrie, ou sera réduit à la plus absurde inconséquence. Quand il est une fois convenu de ce devoir, il n'est pas difficile de lui justifier que ce devoir est proportionné aux moyens & aux occasions qu'il a de le remplir, & que rien ne peut dispenser de ce qu'on doit à la patrie tant qu'elle a besoin de nous, & que nous pouvons la servir.
Il est bien dur, diront des esclaves ambitieux, de renoncer aux plaisirs de la société pour consacrer ses jours au service de sa patrie. Ames basses, vous n'avez donc point d'idée des nobles & des solides plaisirs ! Croyez-moi, il y en a de plus vrais, de plus délicieux dans une vie occupée à procurer le bien de sa patrie, que n'en connut jamais César à détruire la liberté de la sienne ; Descartes, en bâtissant de nouveaux mondes ; Burnet, en formant une terre avant le déluge ; Newton lui-même, en découvrant les véritables lois de la nature, ne sentirent pas plus de plaisir intellectuel, que n'en goûte un véritable patriote qui tend toutes les forces de son entendement, & dirige toutes ses pensées & toutes ses actions au bien de la patrie.
Quand un ministre d'état forme un plan politique, & qu'il sait réunir pour un grand & bon dessein les parties qui semblent les plus indépendantes, il s'y livre avec autant d'ardeur & de plaisir, que les génies que je viens de nommer, se sont livrés à leurs recherches ingénieuses. La satisfaction qu'un philosophe spéculatif tire de l'importance des objets auxquels il s'applique, est très-grande, j'en conviens ; mais celles de l'homme d'état, animé par le patriotisme, va bien plus loin ; en exécutant le plan qu'il a formé, son travail & ses plaisirs s'augmentent & se varient, l'exécution, il est vrai, en est souvent traversée par des circonstances imprévues, par la perfidie de ses faux amis, par le pouvoir de ses ennemis, mais la fidélité de quelques hommes le dédommage de la fausseté des autres. Les affaires d'état, me dira-t-on, sont pour celui qui s'en mêle une espece de loterie ; à la bonne heure, mais c'est une loterie où l'homme vertueux ne sauroit perdre. Si le succès lui est favorable, il jouïra d'une satisfaction proportionnée au bien qu'il aura fait ; si le succès lui est contraire, & que les partis opprimans viennent à prévaloir, il aura toujours pour consolation le témoignage de sa conscience, & la jouissance de l'honneur qu'il s'est acquis.
Lorsque la fortune eut préparé les événemens pour abattre la république romaine, Caton, par sa vertu, en arrêta pendant quelque tems l'écroulement. S'il ne put sauver la liberté de Rome, il en prolongea la durée. La république auroit été détruite par Catilina, soutenu de César, de Crassus & de leurs semblables, si elle n'avoit été défendue par Ciceron, appuyée par Caton & quelques patriotes. Je crois bien que Caton marqua trop de sévérité pour les moeurs de Rome qui depuis long-tems étoit abandonnée à la plus grande corruption ; il traita peut-être maladroitement un corps usé : mais si ce citoyen patriote & vertueux se trompa dans ses remedes, il a merité la gloire qu'il s'est acquise par la fermeté de sa conduite, en consacrant sa vie au service de sa patrie. Il auroit été plus digne de louanges, s'il avoit persisté jusqu'à la fin à en défendre la liberté ; sa mort eût été plus belle à Munda qu'à Utique.
Après-tout, si ce grand homme presque seul a balancé par son patriotisme le pouvoir de la fortune, à plus forte raison plusieurs bons patriotes dans une action libre, peuvent par leur courage & leurs travaux défendre la constitution de l'état contre les entreprises de gens mal intentionnés, qui n'ont ni les richesses de Crassus, ni la réputation de Pompée, ni la conduite de César, ni le manege d'Antoine, mais tout-au-plus la fureur d'un Catilina & l'indécence d'un Clodius.
Quant à moi, qui par des événemens particuliers, n'ai jamais eu le bonheur de servir la patrie dans aucun emploi public, j'ai du moins consacré mes jours à tâcher de connoître les devoirs des patriotes, & peut-être aujourd'hui suis-je en état de les indiquer & de les peindre au fonds : Non is solus reipublicae prodest qui tuetur reos, & de pace belloque censet ; sed qui juventutem exhortatur, qui in tantâ bonorum praeceptorum inopiâ, virtute instruit animos ; quid ad pecuniam, luxuriamque cursu ruentes, prensat ac reprehendit : is in privato publicum negotium agit. (D.J.)
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PATRIOTISME | S. m. (Gouvern.) c'est ainsi qu'on appelle en un seul mot l'amour de la patrie, voyez PATRIE.
Rome, Athènes & Lacédémone dûrent leur existence & leur gloire au patriotisme, toujours fondé sur de grands principes, & soutenu par de grandes vertus : aussi est-ce à ce feu sacré qu'est attachée la conservation des empires ; mais le patriotisme le plus parfait est celui qu'on possede quand on est si bien rempli des droits du genre humain, qu'on les respecte vis-à-vis de tous les peuples du monde. L'auteur de l'Esprit des Lois étoit pénétré des sentimens de ce patriotisme universel. Il avoit puisé ces sentimens dans son coeur, & les avoit trouvés établis dans une île voisine, où l'on en suit la pratique dans tous les pays de sa domination ; non pas seulement au milieu de la paix, mais après le sort heureux des victoires & des conquêtes. (D.J.)
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PATRIPASSIENS | ou PATROPASSIENS, s. m. (Hist. ecclés.) nom qu'on donna en occident aux Sabelliens, parce qu'ils ne croyoient pas que ce fût Dieu le Fils, mais Dieu le Pere qui eût souffert & qui eût été crucifié.
Le concile d'Antioche tenu par les Eusébiens en 345, dit que les Orientaux appelloient Sabelliens ceux qui étoient appellés Patripassiens par les Romains. Le nom même de Patripassiens est une raison qu'il allegue de leur condamnation, ajoutant qu'on ne les nommoit ainsi que parce qu'ils rendoient Dieu le Pere passible.
Mais cette hérésie venoit de plus loin, elle devoit son origine à Praxéas, qui sur la fin du second siecle, enseignoit que Dieu le Pere tout-puissant étoit le même que Jesus-Christ, qui avoit été crucifié. Un nommé Victorin enseigna la même erreur au commencement du troisieme siecle. L'un & l'autre convenoient que Jesus-Christ étoit Dieu, qu'il avoit souffert & étoit mort pour nous ; mais ils confondoient les Personnes divines, & nioient au fond le mystere de la Trinité ; car par le Pere, le Fils & le Saint-Esprit, ils n'entendoient pas trois Personnes, mais une seule Personne sous trois noms, & qui étoit autant le Pere que le Fils, & le Fils que le Pere. Tertullien a écrit expressément contre Praxéas.
Hermogene ayant adopté l'erreur des Patripassiens, on donna à ceux-ci le nom d'Hermogéniens, puis de Noétiens, de Noétus autre hérésiarque ; ensuite celui de Sabelliens, de Sabellius le Libyen son disciple ; & parce que ce dernier étoit de Pentapole dans la Libye, & que son hérésie y fut fort répandue, on l'appella l'hérésie, ou la doctrine pintapolitaine.
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PATRIQUES | S. m. pl. (Hist. anc.) sacrifice que faisoient autrefois les Perses à l'honneur du dieu Mythra. Les patriques étoient la même chose que les mythriaques. V. MYTHRIAQUES. Ces fêtes s'appellerent patriques, du sacrificateur auquel on donnoit le nom de pater.
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PATROCLE | (Géog. anc.) île de Grece sur la côte de l'Attique. Pausanias, liv. I. ch. j. qui la met près de Laurium, dit qu'elle étoit petite & déserte : il ajoute qu'on la nommoit Patrocli insula, parce que Patrocle général des galeres d'Egypte, la surprit, & la fortifia lorsqu'il fut envoyé au secours des Athéniens par Ptolomée fils de Lagus. Etienne le géographe connoît aussi cette île. On la nomme aujourd'hui Guidronisa, c'est-à-dire l'île aux ânes. Elle est à une lieue & demie du cap Colonne, (l'ancien promontoire de Sunium.) Wheler dit qu'il croît dans cette île beaucoup d'ébène, & c'est pourquoi on l'appelle aussi Ebanonsii. (D.J.)
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PATROE | (Géog. anc.) ville du Péloponnèse, sur la côte occidentale de l'Achaïe, près de l'embouchure du fleuve Glaucus, selon Pausanias, liv. VII. ch. xviij. Pline dit qu'elle a été bâtie sur un très-long promontoire, à l'opposite de l'Etoile & du fleuve Evenus. Son premier nom fut Aroe ou Aroa. Lorsque Patréus l'eut aggrandie, elle prit le nom de son bienfaiteur, en conservant néanmoins son ancien nom ; car ils se trouvent joints ensemble sur les médailles avec le titre de colonie romaine.
Nous avons une médaille d'Auguste, sur laquelle on lit, Col. A A Patrens. ce qui signifie Colonia Augusta Aroë Patrensis. Les écrivains de l'histoire bysantine nomment cette ville Patroe veteres, pour la distinguer d'une autre ville que Grégoras & Nicétas appellent Patroe novae. Pausanias parle d'un théâtre & d'une quantité de temples qui étoient à Patroe, mais il n'en reste pas même des ruines. Sa citadelle étoit célebre par son temple de Minerve Panachaïde, c'est-à-dire protectrice de l'Achaïe, dont Patroe étoit la principale ville. Elle avoit proche du port un temple dédié à Neptune, & un autre à Cérès.
Ce dernier étoit remarquable par une fontaine où l'on alloit consulter l'événement des maladies, ce que l'on faisoit en suspendant un miroir avec une ficelle. Le derriere du miroir touchoit l'eau, & la glace nageoit dessus. On regardoit alors dedans, & l'on y voyoit différentes images, selon que le malade devoit guérir de son mal ou en mourir.
L'oracle du Forum étoit quelque chose de plus singulier : c'étoit une statue de Mercure, & une autre de Vesta ; il falloit les encenser, & allumer les lampes qui pendoient tout à l'entour : ensuite on dédioit à la droite de l'autel une médaille de cuivre du pays, & l'on interrogeoit la statue de Mercure sur ce que l'on vouloit savoir ; il falloit après cela s'en approcher de fort près, comme pour écouter ce qu'elle prononceroit, & s'en aller de-là hors du forum, les oreilles bouchées avec les mains. La premiere voix que l'on entendoit étoit la réponse de l'oracle.
La ville de Patroe avoit plusieurs autres temples, savoir de Vénus, de Minerve, de Diane Limnatide, & de Bacchus, surnommé Calydonien, à cause que sa statue avoit été apportée de Calydon, qui étoit une petite ville vis-à-vis d'Aroa. Le nom moderne de Patroe est Patras. (D.J.)
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PATRON | S. m. (Jurisp.) cette qualité se donne en général à celui qui en prend un autre sous sa défense.
C'est en ce sens que les orateurs & avocats ont été appellés patroni, de même que les seigneurs dominans à l'égard de leurs vassaux.
Quand la quantité de patron est relative à celle d'affranchi, on entend par-là celui qui a donné la liberté à quelqu'un qui étoit son esclave, lequel par ce moyen devient son affranchi.
Quoique l'affranchi soit libre, celui qui étoit auparavant son maître conserve encore sur sa personne quelques droits, qui est ce que l'on appelle patronage. Ce droit est accordé au patron en considération du bienfait de la liberté qu'il a donnée à son esclave.
Ce droit s'acquiert en autant de manieres que l'on peut donner la liberté à un esclave.
Le patron doit servir de tuteur & de défenseur à son affranchi, & en quelque façon de pere ; & c'est de-là qu'on a formé le terme de patron.
L'affranchi doit à son patron soumission, honneur & respect.
Il y avoit une loi qui autorisoit le patron à reprendre l'affranchi de son autorité privée, lorsque celui-ci ne lui rendoit pas ses devoirs assez assidument ; car il devoit venir au moins tous les mois à la maison du patron lui offrir ses services, & se présenter comme prêt à faire tout ce qu'il lui ordonneroit, pourvu que ce fût une chose honnête & qui ne fût pas impossible ; il ne pouvoit aussi se marier que suivant les intentions de son patron.
Il n'étoit pas permis à l'affranchi d'intenter un procès au patron, qu'il n'en eût obtenu la permission du préteur, il ne pouvoit pas non plus le traduire en jugement par aucune action fameuse.
Le droit du patron sur ses affranchis étoit tel qu'il avoit le pouvoir de les châtier, & de remettre dans l'état de servitude ceux qui étoient réfracteurs ou ingrats envers lui ; & pour être réputé ingrat envers son patron, il suffisoit d'avoir manqué à lui rendre ses devoirs, ou d'avoir refusé de prendre la tutele de ses enfans.
Les affranchis étoient obligés de rendre à leur patron trois sortes de services, opera ; les unes appellées officiales vel obsequiales ; les autres fabriles : les premieres étoient dûes naturellement en reconnoissance de la liberté reçue ; il falloit pourtant qu'elles fussent proportionnées à l'âge, à la dignité & aux forces de l'affranchi, & au besoin que le patron pourroit en avoir : les autres appellées fabriles, dépendoient de la loi, ou convention faite lors de l'affranchissement ; elles ne devoient pourtant pas être excessives au point d'anéantir en quelque sorte la liberté.
Les devoirs, obsequia, ne pouvoient pas être cédés par le patron à une autre personne, à la différence des oeuvres serviles qui étoient cessibles.
Le patron devoit nourrir & habiller l'affranchi pendant qu'il s'acquitoit des oeuvres serviles, au lieu qu'il n'étoit tenu à rien envers lui pour raison des simples devoirs, obsequia.
Il ne dépendoit pas toujours du patron de charger d'oeuvres serviles celui qu'il affranchissoit, notamment quand il étoit chargé d'affranchir l'esclave, ou qu'il recevoit le prix de sa liberté, ou lorsque le patron avoit acheté l'esclave des propres deniers de celui-ci.
Le patron qui souffroit que son affranchie se mariât, perdoit dès ce moment les services dont elle étoit tenue envers lui, parce qu'étant mariée elle les devoit à son mari, sans préjudice néanmoins des autres droits du patronage.
Celui qui celoit un affranchi étoit tenu de faire le service en sa place.
C'étoit aussi un devoir de l'affranchi de nourrir le patron lorsqu'il tomboit dans l'indigence, & réciproquement le patron étoit tenu de nourrir l'affranchi lorsqu'il se trouvoit dans le même cas, autrement il perdoit le droit de patronage.
Le patron avoit droit de succéder à son affranchi lorsque celui-ci laissoit plus de cent écus d'or ; il avoit même l'action calvisienne pour faire révoquer les ventes qui auroient été faites en fraude de son droit de succéder.
Le droit de patronage s'éteignoit lorsque le patron avoit refusé des alimens à son affranchi, ou lorsqu'il avoit remis l'affranchi dans la servitude pour cause d'ingratitude, ou enfin lorsque le prince accordoit à l'affranchi le privilege de l'ingénuité, ce qui ne se faisoit que du consentement du patron : cette concession d'ingénuité s'appelloit restitutio natalium ; quelquefois on accordoit seulement à l'affranchi le droit de porter un anneau d'or, jus aureorum annulorum, ce qui n'empêchoit pas le patronage de subsister.
Mais dans la suite cela tomba en non-usage ; tous les affranchis furent appellés ingenui, sauf le droit de patronage.
Le patronage se perdoit encore lorsque le fils ne vengeoit pas la mort de son pere, l'esclave qui découvroit les meurtriers avoit pour récompense la liberté.
La loi Aelia sentia privoit aussi du patronage celui qui exigeoit par serment de son affranchi qu'il ne se mariât point.
Enfin le patronage se perdoit lorsque le patron convertissoit en argent les services qu'on lui devoit rendre, ne pouvant recevoir le prix des services à venir, sinon en cas de nécessité & à titre d'alimens. Voyez au ff. & au code les titres de jure patronatus, & au ff. le tit. de operis libertorum, &c.
En France où il n'y a plus d'esclave, il n'y a plus de patronage.
Dans les îles de l'Amérique où il y a des esclaves, les maîtres peuvent les affranchir ; & l'édit du mois de Mars 1685, appellé communément le code noir, ordonne à ces affranchis de porter un singulier respect à leurs anciens maîtres, à leurs veuves & à leurs enfans ; ensorte que l'injure qu'ils auront faite soit punie plus griévement que si elle étoit faite à une autre personne : du reste, l'édit les déclare francs & quittes envers eux de toutes autres charges, services & droits utiles que leurs anciens maîtres voudroient prétendre, tant sur leurs personnes que sur leurs biens, en qualité de patrons ; & l'édit accorde à ces affranchis les mêmes privileges qu'aux personnes nées libres. (A)
PATRON, en matiere bénéficiale, est celui qui a bâti, fondé ou doté une église, en considération de quoi il a ordinairement sur cette église, un droit honorifique qu'on appelle patronage.
Pour acquérir les droits de patronage par la construction d'une église, il faut l'avoir achevée ; autrement celui qui l'auroit finie en seroit le patron.
On entend quelquefois par fondateur d'une église, celui qui l'a bâtie & dotée, quelquefois aussi celui qui l'a dotée simplement.
Celui qui dote une église, dont le revenu étoit auparavant très-modique, acquiert aussi par ce moyen le droit de patronage pour lui & pour ses héritiers.
Mais tout bienfaiteur d'une église n'est pas réputé patron ; il faut que le bienfait soit tel, qu'il forme la principale dote d'une église.
Pour être réputé patron, il ne suffit pas d'avoir donné le fonds ou sol sur lequel l'eglise est bâtie, il faut encore l'avoir dotée.
Néanmoins, si trois personnes concourent à la fondation d'une église, que l'un donne le sol, l'autre y fasse construire une église, & le troisieme la dote, ils jouïront tous trois solidairement du droit de patronage, mais celui qui a doté l'église a le rang & la préséance sur les autres.
Il peut encore arriver autrement qu'il y ait plusieurs co-patrons même d'une église ; savoir lorsque plusieurs personnes ont succédé à un fondateur.
Le droit de patronage peut aussi s'acquérir par concession, desorte que si l'évêque diocésain ou le pape accordoit par privilege, à un particulier, le droit de patronage sur une église, cette concession seroit valable, pourvu qu'elle eût une cause légitime, & qu'on y eût observé toutes les formalités nécessaires pour l'aliénation des biens d'église.
Un patron peut aussi céder son droit, soit à son co-patron, ou à une autre personne, ou à une communauté.
Mais il ne peut pas céder son droit de présentation pour une fois seulement ; il peut seulement donner procuration à quelqu'un pour présenter en son nom.
Le droit de patronage s'acquiert de plein droit par la construction, dotation ou fondation de l'église, à moins que le fondateur ou dotateur n'ait expressément renoncé à ce droit ; il est cependant plus sûr de le stipuler dans le contrat de fondation, afin que les patrons & leurs héritiers puissent en faire plus aisément la preuve en cas de contestation ; il est même absolument nécessaire en Normandie de le stipuler, suivant l'art. 142. de la coutume de cette province.
Si celui qui a bâti, fondé ou doté une église n'a jamais usé du droit de patronage, ni ses héritiers ou autres successeurs après lui, & que la fondation soit ancienne, on présume qu'ils ont renoncé à ce droit ; neanmoins dans le doute, le droit de celui qui a bâti, fondé ou doté est favorable.
Lorsque l'église est absolument détruite, ou que la dote est entierement dissipée & perdue, celui qui fait reconstruire l'église, ou qui la dote de nouveau, du consentement de l'évêque diocésain, y acquiert un droit de patronage, au cas que les anciens fondateurs ou dotateurs auxquels appartenoit le patronage, ne veuillent pas faire la dépense pour la rebâtir ou pour la doter une seconde fois.
Anciennement, lorsqu'un droit de patronage étoit contesté entre deux seigneurs laïcs ou ecclésiastiques, & que les titres ni les autres preuves n'offroient rien de clair, on avoit recours au jugement de Dieu, de même que cela se pratiquoit dans toutes sortes d'autres matieres sacrées ou profanes. L'évêque de Paris & l'abbé de S. Denis se disputant le patronage sur un monastere, & Pepin le Bref ayant trouvé la question fort ambiguë, les renvoya à un jugement de Dieu par la croix. L'évêque & l'abbé nommerent chacun un homme de leur part ; ces hommes allerent dans la chapelle du palais, où ils étendirent leurs bras en croix : le peuple attentif à l'événement parioit tantôt pour l'un tantôt pour l'autre ; enfin l'homme de l'évêque se lassa le premier, baissa les bras, & lui fit perdre son procès. C'est ainsi que l'on décidoit alors la plûpart des questions.
Le droit de patronage est laïc, ecclésiastique ou mixte.
Le patronage laïc est réel ou personnel. Voyez ci-après PATRONAGE.
Tout droit de patronage, soit laïc ou ecclésiastique, est indivisible ; il ne se partage point entre plusieurs co-patrons, ni entre les héritiers ni autres successeurs d'un patron laïc ; ainsi ceux qui ont droit au patronage ne peuvent pas présenter chacun à une partie de bénéfice ; ils doivent présenter tous ensemble, ou alternativement : s'ils nomment tous ensemble, celui qui a le plus de voix est préféré, bien entendu que si ce sont des co-héritiers qui nomment, les voix se comptent par souches & non par tête.
Les co-patrons peuvent convenir qu'ils présenteront alternativement, ou que chacun présentera seul aux bénéfices qui vaqueront dans certains mois.
Le patronage réel suit la glebe à laquelle il est attaché ; desorte que si cette glebe est un propre, il appartient à l'héritier des propres ; si la terre est un acquêt, le droit passe avec la terre à l'héritier des acquêts.
Si la terre est partagée entre plusieurs héritiers, il se fait aussi une espece de partage du patronage, c'est-à-dire, qu'ils n'y ont droit chacun qu'à proportion de ce qu'ils ont de la terre ; par exemple, celui qui en a les deux tiers nomme deux fois, tandis que l'autre ne nomme qu'une fois.
Cette espece de division de l'exercice du droit de patronage se fait par souches & non par tête.
Il y a des coutumes, comme Tours & Lodunois, où l'aîné mâle a seul par préciput tout le patronage, quoiqu'il n'ait pas tout le fief ; ce sont des exceptions à la regle générale.
Quand les mâles excluent les femelles en collatérale, celles-ci n'ont aucun droit au patronage réel.
Mais si le patronage est attaché à la famille, il suffit pour y participer d'être du même degré que les plus proches parens, & l'on ne perd pas ce droit quoiqu'on renonce à la succession.
Quelquefois le patronage est affecté à l'aîné de la famille, quelquefois au plus proche parent, auquel cas l'aîné n'a pas plus le droit que le puîné ; tout cela dépend des termes de la fondation.
Le pere présente à tous les bénéfices dont le patronage, soit réel ou personnel appartient à son fils, tant que celui-ci est sous sa puissance.
Il en est de même du gardien à l'égard du droit de patronage appartenant à son mineur, parce que ce droit fait partie des fruits, lesquels appartiennent au gardien ; desorte que s'il s'agissoit du patronage réel attaché à un héritage roturier dont il n'auroit pas la jouïssance, comme cela se voit dans quelques coutumes où le gardien ne jouït que des fiefs, il ne jouiroit pas non plus du droit de patronage attaché à une roture.
L'usufruitier, la douairiere, le preneur à rente ou à bail emphitéotique jouïssent pareillement du droit de patronage attaché à la glebe dont ils sont possesseurs : le mari présente aussi au bénéfice qui est tenu en patronage réel de sa femme, à moins qu'elle ne soit séparée de biens, & autorisée généralement pour l'administration de ses droits, ou que le patronage ne soit attaché à un paraphernal dans les pays où la femme a la libre disposition de ces sortes de biens.
Le seigneur dominant qui jouit du fief de son vassal en vertu d'une saisie féodale faute de foi & hommage, exerce le droit de patronage réel ; mais il ne peut pas user de ce droit lorsqu'il jouit du fief de son vassal pour l'année du relief, ni lorsque la saisie féodale est faite faute d'aveu seulement, parce qu'elle n'emporte pas perte de fruits.
Les fermiers conventionnels, sequestres, commissaires aux saisies réelles, le fermier judiciaire, les créanciers saisissans & opposans dans une terre à laquelle est attaché le droit de patronage, ne peuvent pas présenter, le propriétaire a seul ce droit tant qu'il n'est point dépouillé par une vente ou adjudication.
Les engagistes ne jouissent pas du patronage, à moins que le contrat d'engagement n'en contienne une clause expresse ; pour ce qui est des apanagistes, le roi leur accorde toujours le droit de présenter aux bénéfices non-consistoriaux ; mais pour les bénéfices consistoriaux, ils n'en ont pas la présentation, à moins qu'elle ne leur soit expressément accordée.
Le patronage réel ou personnel ne peut être vendu ni transporté séparément par échange pour un bien temporel, ce droit étant spirituel de sa nature.
Mais il change de main, de même que l'héritage auquel il est attaché, soit par succession, échange, vente, de maniere qu'il est compris tacitement dans la vente ou autre aliénation du fond, à moins qu'il ne soit expressément réservé.
Il peut néanmoins arriver qu'en vendant la glebe à laquelle le patronage étoit attaché, on se réserve le droit de patronage, auquel cas ce droit, de réel qu'il étoit, devient personnel.
Le droit de patronage personnel est compris dans la vente que le patron fait de tous ses biens, droits, noms, raisons & actions.
En transigeant sur un droit de patronage contentieux, on ne peut pas convenir que l'un des contendans aura le patronage, & que l'autre percevra sur l'église quelque droit temporel ; car cette convention seroit simoniaque.
Le droit de patronage qui appartient conjointement à des personnes laïques & ecclésiastiques est réputé laïc, & en a toutes les prérogatives.
Lorsque le droit est alternatif entre de telles personnes, c'est-à-dire, que le laïc & l'ecclésiastique présentent tour-à-tour ; en ce cas le patronage est ecclésiastique pour le tour du bénéficier, & laïcal pour le tour du laïc.
Dans ce même cas, si le droit est alternatif, le pape peut prévenir dans le tems du patron ecclésiastique ; mais si le droit demeure commun, & qu'il n'y ait que l'exercice qui soit divisé, le pape ne peut user de prévention, même dans le tour de l'ecclésiastique.
Quand un patron laïc cede à l'église son droit, s'il est personnel, il en devient ecclésiastique ; s'il étoit réel, il demeure laïcal.
Un ecclésiastique qui a droit de patronage à cause de sa famille ou de quelque terre de son patrimoine, est réputé patron laïc, parce que l'on considere la qualité du droit, & non celle de la personne.
Dans le doute, le droit de patronage est réputé laïcal, parce qu'on présume que les bénéfices ont été fondés par des laïcs, s'il n'y a preuve au-contraire.
Le droit de patronage consiste en trois choses ; savoir la faculté de nommer ou présenter au bénéfice, jouir des droits honorifiques dans l'église, se faire assister dans sa pauvreté des revenus du bénéfice.
Pour jouir des droits honorifiques en qualité de patron, il faut avoir le patronage affectif, c'est-à-dire, la présentation au bénéfice, ou du-moins avoir le patronage honoraire, supposé que le patron ait cédé le droit de présentation à quelque église.
Les droits honorifiques consistent dans la préséance à l'église, aux processions & aux assemblées qui regardent le bien de l'église, à avoir le premier l'eau-benite, l'encensement, le pain-béni, le baiser de la paix, la recommandation aux prieres nominales, un banc permanent dans le choeur, & une litre ou ceinture funebre autour de l'église, tant au-dedans qu'au-dehors.
Dans l'église la litre du patron se met au-dessus de celle du haut-justicier ; au-dehors, c'est celle du haut-justicier, qui est au-dessus.
Il faut observer en cette occasion que les armoiries & litres ne prouvent point le droit de patronage, si elles ne sont mises à la clé de la voute du choeur ou au frontispice du portail.
Le droit de mettre des armoiries dans une église est personnel à la famille du fondateur, il ne passe point à l'acquéreur lors même que celui-ci succede au droit de patronage.
Le patron peut rendre le pain-béni tel jour qu'il juge à propos, quoiqu'il ne demeure pas dans la paroisse.
Quand le patronage est alternatif, celui qui nomme le premier a les premiers honneurs ; l'autre le suit immédiatement.
Le seigneur haut-justicier n'a les honneurs dans l'église qu'après les patrons, mais hors de l'église il les précede.
Le patron jouit aussi des autres droits honorifiques, quand même il auroit cédé à l'église son droit de présentation.
Le droit de sépulture au choeur est même imprescriptible contre le patron.
La présentation au bénéfice est, comme on l'a déja dit, le principal droit attaché au patronage ; elle se fait par un écrit passé devant notaire. Voyez ce qui en est dit ci-après au mot PRESENTATION.
Quand il s'agit d'une église conventuelle, dont le chef doit être choisi par la voie de l'élection, suivant le droit commun, le patron n'a point d'autre droit que celui d'approuver cela, à moins qu'il ne se soit expressément réservé le pouvoir de disposer de la premiere dignité, ou d'assister à l'élection, ou que sa qualité ne lui donne un droit particulier pour nommer.
Les bénéfices ou patronages laïcs sont exempts de graces expectatives.
Un dévolut obtenu sans le consentement du patron laïc ne peut lui préjudicier, à moins que le patron sachant l'indignité ou l'incapacité du pourvu n'ait négligé de présenter.
Pour résigner en faveur, permuter, ou charger d'une pension ou bénéfice en patronage laïc, il faut le consentement du patron avant la prise de possession, sous peine de nullité.
Une démission faite entre les mains du patron sous le bon plaisir du collateur, est valable.
Le patronage ecclésiastique s'acquiert par 40 ans de possession, lorsque pendant ce tems on a présenté de bonne foi, & sans être troublé par un autre patron, ni par le collateur ordinaire, sur-tout s'il se trouve des présentations successives qui ayent été admises, mais le droit de patron n'est pas prescrit par trois collations faites sans la présentation du patron.
Un patronage mixte peut devenir purement laïc, ou purement ecclésiastique, lorsque l'un ou l'autre de ces co-patrons laisse prescrire son droit.
On tient communément que le droit de patronage laïc est imprescriptible ; mais il s'éteint par la renonciation expresse ou tacite du patron en faveur de l'église, par la destruction totale de l'église, par l'extinction de la famille à laquelle ce droit étoit réservé, ou lorsque le patron a été homicide du titulaire, ou qu'il devient collateur du bénéfice. V. aux décrétales le tit. de jure patronatûs, Vanespen de jure patronatûs, de Roye, Ferrieres, Drapier, de Hericourt. V. aussi les mots DROITS HONORIFIQUES, TITRE, NOMINATION, PATRONAGE, PRESENTATION. (A)
PATRON, (Marine) c'est le maître ou le commandant d'un bâtiment marchand. Ce mot de patron est levantin ; sur l'Océan on dit maître.
Patron de barque ou de quelqu'autre petit bâtiment, c'est la qualité que l'on donne à ceux qui commandent ces sortes de petits bâtimens. On dit patron de bâtimens, bateaux & gabares.
Patrons de chaloupes, c'est ainsi que l'on appelle certains officiers mariniers qui servent sur les vaisseaux de guerre françois, à qui l'on donne la conduite des chaloupes & des canots. On dit patron de chaloupe & patron de canot. (Z)
PATRON, (Arts & Métiers) modele & dessein sur lequel on fait quelques ouvrages. Ce mot ne signifie quelquefois qu'un morceau de papier, de carton ou de parchemin, taillé & coupé de certaine maniere, sur lequel quelques artisans reglent leur besogne. Les Tailleurs, par exemple, ont de ces sortes de patrons pour la coupe des différentes pieces de leurs habits : les Cordonniers pour tailler les empeignes & les quartiers de leurs souliers ; & les marchandes du palais, & autres ouvrieres qui travaillent en linge de femme, pour dresser & couper les coëffures & engageantes, suivant les différentes modes qui ont cours, ou qu'elles imaginent. Il y a encore quantité d'autres ouvriers qui se servent de ces sortes de patrons. Savary.
PATRON DE CHEF-D'OEUVRE, (Aiguiller) c'est ainsi que les statuts des maîtres Epingliers de la ville de Paris appellent le modele ou échantillon des épingles sur lequel l'aspirant à la maîtrise doit travailler pour être reçu. Voyez EPINGLIER.
PATRON, en terme de Cardier, n'est autre chose qu'une planche de la forme d'un feuillet (voyez FEUILLET), mais un peu plus grande, sur laquelle il s'appuye quand on passe la pierre, &c. il sert de contrepoids pour empêcher les pointes de sortir endessous quand on les frappe par-dessus, & pose lui-même sur le bloc, voyez BLOC. Voyez Pl. d'Epinglier.
PATRON, (Dessein). Les patrons sont des desseins sur lesquels les ouvriers en points & en dentelles à l'aiguille travaillent à leurs ouvrages. On le dit pareillement des desseins des dentelles au fuseau, soit d'or, d'argent, de soie ou de fil, & des broderies.
PATRON DE HOLLANDE, (Lingerie) sorte de linge ouvré qui vient de Flandres.
PATRON, (Manufacture). Ce mot dans les manufactures d'étoffes d'or, d'argent & de soie figurées, est le dessein fait par le peintre, & rehaussé de couleurs, qui sert à monter le métier, & à représenter sur l'ouvrage les différentes figures de fleurs, d'animaux & de grotesques, dont le fabriquant veut l'embellir. La beauté & la nouveauté des patrons servent beaucoup au débit des étoffes.
PATRONS, (Luth.) ce sont différens morceaux de bois d'après lesquels on travaille la plûpart des pieces d'un instrument de musique ; il y a des patrons pour les violons, les violes, les guittares, les mandores, &c.
PATRON, (Rubanier) on entend par ce mot en général tout ce qui représente les desseins des ouvrages de rubanerie exécutés sur le papier réglé, soit le dessein qui le fait voir au naturel, ou celui qui est translaté & rendu propre à être monté sur le métier ; c'est ce qu'il faut expliquer plus en particulier. Le dessein que j'appelle simplement représentatif, est celui qui fait voir le trait & l'effet du dessein, c'est-à-dire par lequel on en voit les différens contours & leurs parties, ce que l'on pourroit en appeller le portrait ; l'autre que j'appelle démonstratif, est celui qui par l'arrangement méthodique des points qui le composent, le rend propre à être exécuté sur le métier, ce qui s'appelle plus proprement patron. Je vais détailler ces deux sortes le plus clairement qu'il sera possible : le dessinateur, autrement appellé patronneur, après avoir mis son idée de dessein sur le papier réglé & s'y être fixé, l'arrange suivant l'ordre qui doit être observé par l'ouvrier qui le montera, c'est-à-dire que par cet ordre, que l'on doit suivre très-exactement & sans en omettre quoi que ce soit, on aura la maniere de passer les rames comme elles sont prescrites par ce patron, qui marque, à la faveur de cet arrangement, les hautes lisses qu'il faut prendre & celles qu'il faut laisser (ce qui s'entend par les points noirs du patron qui sont sur le papier, & qui marquent les hautes lisses à prendre, & aussi par les points blancs qui marquent les hautes lisses qu'il faut laisser) ; on aura, dis-je, la maniere de passer les rames qui rendront l'ouvrage capable de parvenir à sa perfection.
PATRON, MODELE ou DESSEIN, (Tailleur) sur lequel on fait quelqu'ouvrage.
Les patrons des Tailleurs sont des morceaux de papier, de parchemin ou de carton, taillés d'une certaine maniere, sur lesquels ces ouvriers se reglent pour la coupe des différentes pieces des habits. Les Tailleurs n'ont besoin que d'un patron de chaque piece qui entre dans la composition des ouvrages de leur métier. Le patron sert uniquement à donner aux différentes pieces d'un habit la figure qu'elles doivent avoir. A l'égard de la largeur & de la longueur différente de ces pieces, c'est au tailleur à suivre les mesures qu'il a prises sur le corps de la personne qui l'employe.
PATRON, (terme de Vitrier) Les Vitriers appellent patron ou table à patron, une table de bois blanchie sur laquelle ils tracent & dessinent avec de la pierre noire les différentes figures des compartimens d'après lesquels ils veulent couper les pieces de leurs panneaux ; cette table, qui est ordinairement de 4 à 5 piés de long & de 3 à 4 de large, est mobile & couvre la futaille où ils jettent le groisil.
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PATRONAGE | S. m. (Jurispr.) signifie le droit qui appartient au patron.
Chez les Romains le patronage étoit le droit que le maître conservoit sur l'esclave qu'il avoit affranchi. Voyez ci-devant PATRON.
Parmi nous, le patronage en matiere bénéficiale est le droit qui appartient sur une église à celui qui l'a fait construire ou qui l'a fondée & dotée. Voyez ci-devant PATRON.
Patronage alternatif est celui qui appartient à plusieurs co-patrons, & qu'ils exercent tour-à-tour.
Patronage aumôné à l'église est celui qui a été donné à l'église à titre d'aumône, ad obsequium precum. Voyez AUMONE & FRANCHE-AUMONE.
Patronage ecclésiastique est celui qui appartient à un bénéficier, ou à quelque chapitre ou communauté ecclésiastique.
Patronage effectif est celui qui donne droit de présenter au bénéfice. Voy. ci-après patronage honoraire.
Patronage honoraire, c'est lorsque le patron a cédé à quelqu'église le droit de présentation au bénéfice, & qu'il ne s'est réservé que les droits honorifiques.
Patronage laïc, est celui qui appartient à un laïc, soit qu'il soit attaché à une glebe ou non.
Patronage mixte est celui qui étant laïc dans son origine, a été aumôné à l'église.
Patronage personnel est celui qui est affecté à une certaine personne ou à une famille, à la différence du patronage réel qui est attaché à une glebe.
Patronage réel. V. ci-devant patronage personnel. (A)
PATRONAGE CLIENTELAIRE, étoit la protection que les patrons ou grands devoient à leurs cliens ou protégés, & le droit que ces mêmes patrons avoient sur leurs cliens, en considération de la protection qu'ils leur accordoient.
Corbin distingue quatre sortes de patronage ; le premier est celui dont on vient de parler ; le second est celui dont on a parlé au mot PATRON ; le troisieme est celui que les seigneurs se retiennent sur leurs domaines en les donnant : il comprend dans cette classe tout ce qui regarde les devoirs des vassaux & des censitaires, serfs & autres sujets envers leur seigneur ; le quatrieme est le patronage ecclésiastique dont on parlera ci-après.
Le patronage clientelaire fut établi par les lois de Romulus, suivant lesquelles les patriciens devoient pour ainsi dire servir de peres aux plébéïens, patroni quasi patres.
Chaque plébéïen se choisissoit dans l'ordre des patriciens un patron ou protecteur : celui-ci aidoit le plébéïen de ses conseils ; il le dirigeoit dans ses affaires, prenoit sa défense dans les tribunaux, & le délivroit des charges publiques.
Les plébéïens par un juste retour étoient obligés de doter les filles de leurs patrons, de les aider de services & d'argent lorsqu'il s'agissoit de quelque imposition publique, ou pour obtenir quelque magistrature.
Ces devoirs des plébéïens envers leurs patrons, firent donner aux premiers le nom de cliens, clientes quasi colentes.
Ce n'étoient pas seulement les particuliers qui avoient des patrons ; les colonies, les villes alliées, les nations vaincues, se choisissoient pareillement quelque praticien pour être le médiateur de leurs différends avec le sénat.
Chaque corps de métier avoit aussi son patron.
Plusieurs d'entre ces patrons exercerent toujours gratuitement leur ministere ; leurs cliens leur faisoient pourtant quelquefois des présens, lesquels n'ayant d'autre source que la libéralité & la reconnoissance, furent appellés honoraires.
Mais il y en eut qui rançonnerent tellement leurs cliens, sous prétexte des avances qu'ils avoient faites pour eux, que l'on fut quelquefois obligé de faire des reglemens pour reprimer l'avidité de ces patrons.
Cet ancien patronage diminua insensiblement à mesure que le nombre des jurisconsultes augmenta.
On donna le nom de patrons à ces jurisconsultes, parce qu'à l'exemple des anciens patrons ils répondoient aux particuliers sur les questions qui leur étoient proposées, & prenoient en main leur défense ; & par la même raison, ceux qui s'adressoient à ces jurisconsultes, furent appellés leurs cliens.
Voyez Aulugelle, liv. V. ch. xiij. Grégorius Tolosanus, liv. XIV. ch. x. Corbin, & l'hist. de la jurispr. rom. de M. Terrasson. (A)
PATRONAGE, (Peinture) sorte de peinture faite avec des patrons qui sont découpés dans les endroits où les figures que l'on veut peindre doivent recevoir de la couleur. Les patrons sont faits pour l'ordinaire de papier fin qu'on imbibe de cire fondue sur le feu, & qu'on ouvre ensuite dans les endroits nécessaires. Les couleurs dont on se sert peuvent être à détrempe ou à huile, suivant la nature de l'ouvrage.
Les cartes à jouer sont peintes de cette maniere. On écrit les grands livres d'église avec des patrons de lames de laiton.
On fait aussi, par le moyen du patronage, une espece de tapisserie sur des cuirs dorés ou argentés, sur des toiles ou sur des étoffes blanches ou teintes de quelque couleur claire. Dictionnaire des beaux-arts.
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PATRONE | (Marine). Voy. GALERE-PATRONE.
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PATRONIDE | (Géog. anc.) ville de la Phocide, entre Titora & Elatée, selon Plutarque in Sylla, qui est le seul ancien qui en fasse mention. Ce fut auprès de cette ville qu'Hortensius joignit Sylla, qui étoit allé au-devant de lui avec son armée. (D.J.)
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PATRONIUS | PATRONIUS
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PATRONNER | en Peinture, c'est, par le moyen d'un papier ou d'un carton découpé & à pieces emportées qu'on applique sur une toile ou autre chose, imprimer sur cette chose avec de la couleur les mêmes figures que celles qui sont découpées sur le carton : c'est ainsi que se font les cartes à jouer. On a autant de différens patrons pour patronner les figures ou les ornemens, que l'on a de couleurs à y mettre.
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PATRONNEU | ou DESSINATEUR, s. m. (Rubanier) est celui qui imagine les desseins (s'il est assez heureux pour savoir dessiner, ce qui manque trop généralement à une grande quantité, qui par ce défaut sont contraints de butiner sur autrui), ou au-moins qui les range sur le papier réglé de façon à être exécutés sur le métier. Il doit connoître parfaitement toute la méchanique de ce métier pour être en état de juger par avance de l'effet que doit produire son patron ; ses méprises occasionnent toujours divers accidens, soit par l'inexécution du dessein par lui projetté, ou qui lui a été donné, soit par la perte du tems de l'ouvrier, qui après avoir employé plusieurs jours à passer son patron, ne peut venir à bout de sa perfection, par quelque faute qui s'y sera trouvée, & qui oblige de recourir à lui ; perte du tems qui retombe toujours sur le maître ; qui sans compter la dépense, manque souvent par ce rétardement de remplir ses engagemens, ce qui lui est ordinairement d'un préjudice considérable. Le patronneur doit encore être fidele, c'est-à-dire qu'il ne doit point communiquer les desseins qui lui sont confiés, en les vendant à d'autres, ou vendant à plusieurs ceux qui viendroient de son propre fonds ; desorte qu'un maître qui se croiroit l'unique possesseur de ce dessein, a quelquefois vu paroître l'ouvrage dans le public avant qu'il en eut été seulement fait un échantillon chez lui. Il seroit à souhaiter que chaque fabriquant fût lui-même son propre dessinateur, qui parlà s'épargneroit une dépense toujours à pure perte, & l'empêcheroit au-moins d'être la proie de ces ames vénales, s'il en est encore, qui n'ont rien de sacré que leur propre intérêt.
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PATRONYMIQUE | adj. les noms patronymiques sont proprement ceux qui étant dérivés du nom propre d'une personne, sont attribués à tous ses descendans. R. R. , gen. , contr. , pater, & , nomen ; c'est comme si l'on disoit, patrium nomen. Selon cette étymologie il sembleroit que ce nom ne devroit être donné qu'aux descendans immédiats de la personne dont le nom propre est radical, comme quand Hector, fils de Priam, est appellé Priamidos, ou Aenée, Anchisiades, &c. mais on les applique également à toute la descendance ; parce que le même homme peut être réputé pere de tous ceux qui descendent de lui, & c'est ainsi qu'Adam est le pere commun de tous les hommes.
On a étendu encore plus loin la signification de ce terme, & l'on appelle noms patronymiques, ceux qui sont donnés d'après celui d'un frere ou d'une soeur, comme Phoronis, c'est-à-dire Isis Phoronei soror ; d'après le nom d'un prince à ses sujets, comme Thesides, c'est-à-dire Atheniensis, à cause de Thésée, roi d'Athènes ; d'après le nom du fondateur d'un peuple, comme Romulides, c'est-à-dire Romanus, du nom de Romulus, fondateur de Rome & du peuple romain. Quelquefois même par anticipation, on donne à quelques personnes un nom patronymique tiré de celui de quelque illustre descendant, qui est considéré comme le premier auteur de leur gloire, comme Aegidae, les ancêtres d'égée.
La Méthode grecque de P. R. liv. VI. ch. iv. fait connoître la dérivation des noms patronymiques grecs ; & la petite Grammaire latine de Vossius, edit. Lugd. Bat. 1644. pag. 75. explique celle des noms patronymiques de la langue latine.
Il faut observer que les noms patronymiques sont absolument du style poëtique, qui s'éloigne toujours plus que la prose de la simplicité naturelle. (B. E. R. M.)
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PATROUILLE | S. f. en terme de Guerre, c'est une ronde ou une marche que font la nuit les gardes ou les gens de guet, pour observer ce qui se passe dans les rues, & veiller à la sûreté & à la tranquillité de la ville ou du camp. Voyez GARDE, RONDE, &c.
Une patrouille consiste généralement en un corps de cinq ou six soldats détachés d'un corps de garde, & commandés par un sergent. Chambers. Dans les places où il y a de la cavalerie, on fait faire des patrouilles par des cavaliers détachés du corps de garde. Il est important aussi, dans les quartiers, d'avoir des patrouilles qui rodent continuellement du côté de l'ennemi pour s'instruire de ses démarches. Voyez QUARTIER. (Q)
PATROUILLE, (Boulang.) autrement & ordinairement écouvillon, espece de balai fait de vieux drapeaux, dont on se sert pour nettoyer l'âtre du four avant d'y mettre le pain.
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PATROUS | (Mytholog.) surnom de Jupiter : ce dieu avoit à Argos, dans le temple de Minerve, une statue en bois, qui outre les deux yeux, comme la nature les a placés aux hommes, en avoit un troisieme au milieu du front, pour marquer que Jupiter voyoit tout ce qui se passoit dans les trois parties du monde, le ciel, la terre & les enfers. Les Argiens disoient que c'étoit le Jupiter Patrous qui étoit à Troie, dans le palais de Priam, en un lieu découvert, & que ce fut à son autel que cet infortuné roi se réfugia après la prise de Troie, & auprès duquel il fut tué par Pyrrhus dans le partage du butin, la statue échut à Sténelus, fils de Capanée, qui la déposa dans le temple d'Argos. (D.J.)
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PATTALIA | S. m. (Zoolog. anc.) ce mot dans Aristote & les autres anciens naturalistes grecs, ne signifie qu'un cerf de deux ans. Les interprêtes d'Aristote ont en général traduit le mot grec par le mot latin subulo, c'est-à-dire daguet ou jeune cerf, qui a les cornes sans andouillers ; mais ce terme latin est très-vague, au lieu que le mot grec est fixe, pour ne distinguer aucun autre animal que le cerf de deux ans.
Pline & les auteurs latins en général se servent à la vérité du mot subulo pour un jeune cerf ; mais ils l'employent encore plus souvent pour signifier cet animal imaginaire nommé la licorne. (D.J.)
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PATTE | PATTE
PATTE DE LION, (Hist. nat. Botan.) nom vulgaire ou genre de plante appellé filago par Tournefort ; c'est cette espece qui est nommée filago alpina, capite folioso. Dans C. B. P. gnaphalium alpinum, magno flore, capite oblongo ; en anglois, the alpine small cudweed with foliaceous heads ; cette petite plante croît sur le sommet des Alpes ; ses feuilles sont oblongues, cotonneuses ; ses tiges sont simples, hautes de quelques pouces, garnies de feuilles, & portant au sommet des fleurs disposées en maniere de rose ; de leur centre sortent quatre ou six têtes noirâtres, écailleuses, qui renferment plusieurs fleurons, contenant des graines menues & aigrettées ; il ne faut pas confondre la patte de lion avec le pié de lion. Voyez PIE DE LION, (Botan.) (D.J.)
PATTE D'OYE, (Hist. nat. Botan.) chenopodium, genre de plante dont la fleur n'a point de pétales ; elle est composée de plusieurs étamines qui sortent d'un calice profondément découpé. Le pistil devient dans la suite une semence presque ronde, applatie & renfermée dans une capsule en forme d'étoile, qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. En voici les caracteres : selon Ray, son calice est divisé en quatre ou cinq parties, avec des découpures profondes. Il s'éleve huit ou dix étamines du fond ; l'ovaire est garni d'un long tuyau fourchu, étendu, qui dégenere quand il est mûr en une semence sphérique, plate, renfermée sous une espece d'étoile à quatre ou cinq pointes.
Selon M. de Tournefort, la fleur n'a point de pétales, mais elle est seulement composée d'une multitude d'étamines qui sortent du calice à plusieurs feuilles : le pistil devient une graine sphérique, applatie, contenue dans une capsule faite en étoile, & qui lui a servi de calice.
Le même botaniste établit seize especes de ce genre de plante dont aucune n'a besoin de description particuliere ; il suffit d'ajouter que leurs feuilles sont longues, larges, sinueuses, & communément d'une odeur forte. La Patte d'oye commune croît le long des vieilles murailles, sur les chemins, aux lieux déserts & incultes ; comme on en craint les effets, on n'en fait point usage en Médecine, non plus que des autres especes. (D.J.)
PATTE, (Architect.) petit morceau de fer plat, droit ou courbé, fendu ou pointu par un bout, & à queue d'aronde par l'autre, qui sert à retenir les placards & chambranles des portes, les chassis dormans des croisées, & les lambris de menuiserie.
Patte en plâtre, c'est une patte dont la queue est refendue en crochet. (D.J.)
PATTE D'UNE ANCRE, sont les extrémités de la croisée ou de la partie courbe, faites en forme de triangles. Voyez ANCRE & CROISEE.
PATTE DE LIEVRE, en terme de Batteur d'or, est en effet une patte de cet animal, dont ils se servent pour ramasser les petites parcelles d'or éparses dans leur peau, sur leur pierre, ou qui excedent les livrets de papier dans lesquels on met l'or battu pour le conserver.
PATTE, terme de Boucher, ce mot signifie chez les étaliers-bouchers, de petits crochets à queue d'hirondelle, qu'ils clouent en plusieurs endroits de leurs boutiques, pour y attacher avec des allonges, la viande, à mesure qu'ils la dépecent.
Ils nomment aussi pattes, des chevilles de bois de cinq ou six pouces de long, avec un mantonnet au bout qu'ils scellent en plâtre, & qu'ils employent au même usage.
PATTE, en terme de Boursier, est une partie d'étui qui sert à le fermer, en s'ouvrant environ vers le milieu de l'étui où elle s'agraffe ou se boutonne.
PATTE D'OIE, (Charpenterie) c'est une enrayure formée de l'assemblage des demi-tirans, qui retiennent les chevets d'une vieille église ; tel est l'assemblage du chevet des églises des peres Chartreux, des Cordeliers, &c. à Paris.
On se sert aussi du terme de patte d'oie, pour exprimer la maniere de marquer par trois hochets, les pieces de bois avec le traceret.
Patte d'oie de jardin, division de trois ou plusieurs allées qui viennent aboutir à un même endroit, & qu'on enfile d'un point de vûe quand on est au centre ; il n'y a rien de plus agréable & de plus utile que cette décoration dans une grande forêt.
Patte d'oie de pavé, c'est l'extrémité d'une chaussée de pavé, qui s'étend en glacis rond, pour se raccorder aux vaisseaux d'en-bas. (D.J.)
PATTE, terme de Chaudronnier, morceau de fer qu'on scelle pour faire tenir la plaque du feu au contre-coeur de la cheminée.
PATTE, en terme de Fondeur de cloches, est la partie inférieure de la cloche qui se termine en s'amincissant. Voyez l'article FONTE DES CLOCHES.
PATTE, en terme de Filassier, c'est la racine de la filasse qui est plus épaisse, plus dure, & moins aisée à peigner & à fendre.
PATTE DE LIEVRE, (Ecrivain) on se sert dans l'Ecriture de la patte de cet animal pour ôter la sandarac de dessus le papier. Voyez le volume des Planches & la table de l'Ecriture, Instrumens de l'Ecriture.
PATTE DE LOUP ou LISSOIR, (Ecrivain) se dit dans l'Ecriture d'un instrument concave extérieurement, propre à adoucir le papier d'un trop gros grain, ou raboteux, ou dur. Voyez le volume des Planches & la table de l'Ecriture, Instrument de l'Ecriture.
PATTE, terme de Mineur, (Fortification) quand on creuse un puits dans un terrein qui n'est point de bonne consistance, & qu'on est obligé de coffrer, l'on pose des chassis horisontalement, pour retenir les planches à mesure que l'on approfondit. Les extrémités des pieces du premier chassis qui est au bord du puits, excédant de dix ou douze pouces, pour appuyer sur les terres fermes ; ces appuis se nomment oreilles. Or pour que tous autres chassis que l'on met ensuite, puissent se soutenir, on accroche le second au premier avec des bouts de planches cloués l'un à l'autre : on accroche ainsi le troisieme au second, & le quatrieme au troisieme ; & ce sont ces bouts que les Mineurs appellent pattes. Dictionnaire de l'ingénieur, par M. Belidor. (d)
PATTES, (Jardinage) c'est le nom que l'on donne aux oignons des anémones. Voyez ANEMONES.
PATTES DANS L'ORGUE, sont dans l'abrégé de l'orgue, les fiches de fer F I, D K, (fig. 21, Pl. d'orgue) applaties & percées d'un trou à leurs parties antérieures F D, & rivées après avoir traversé le rouleau B C ; il y a deux pattes à chaque rouleau de l'abrégé. Voyez ABREGE.
Pattes, ce sont aussi des pieces semblables à celles de l'abrégé, mais plus grandes, fixées dans les rouleaux des mouvemens : la patte qui est à la partie inférieure du rouleau s'appelle patte du clavier ; & celle qui est au haut du rouleau dont la direction est perpendiculaire à celle de la patte inférieure, s'appelle patte du baton quarré de la bascule. Voyez MOUVEMENS de l'orgue, & la fig. 1. 1. Pl. d'orgue.
PATTE, (outil pour la Musique) petit instrument à plusieurs pointes, qui sert à régler les papiers de musique, & à faire plusieurs raies tout-d'un-coup. (D.J.)
PATTES DE BOULINE, (Marine) ce sont des cordages qui se divisent en plusieurs branches au bout de la bouline, pour saisir la ralingue de la voile par plusieurs endroits, en façon de marticles. Ces pattes répondent l'une à l'autre par des poulies.
Pattes d'ancre, ce sont deux pattes de fer triangulaires qui sont soudées sur chaque bout de la croisée de l'ancre, & recourbées pour pouvoir mordre dans la terre.
La patte d'ancre tourne, c'est quand la patte quittant le fond tourne en-haut, & que le jas va toucher le fond.
Laisser tomber la patte de l'ancre, c'est mettre l'ancre perpendiculaire à la mer, afin de la tenir toute prête à être mouillée.
Pattes de voiles, morceaux quarrés de toile qu'on applique aux bords des voiles proche la ralingue, pour les renforcer, afin d'y amarrer les pattes de boulines.
Pattes d'anspects, ce sont des pattes de fer qu'on met au bout d'un levier pour servir à mouvoir les gros fardeaux.
Pattes d'oie, voyez MOUILLER EN PATTE D'OIE. (Q)
PATTE, (Serrurerie) on donne communément ce nom à tout morceau de fer plat d'un bout & à pointe de l'autre, qui sert à sceller quelque chose dans un endroit. Il y a des pattes de différentes formes, selon les différens usages.
PATTE, en terme de Raffineur, est proprement le gros bout plat d'un pain de sucre qui lui sert d'assiette.
PATTE, en terme de Vergettier, c'est un morceau de bois percé, dans les trous duquel doivent être poissés les loquets avec de la poix de Bourgogne fondue.
PATTES, en terme de Blason ; ce sont les griffes ou les extrémités des piés, sur lesquelles les animaux marchent.
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PATTU | PATU, voyez PIGEON PATU.
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PATULCIUS | (Mythol.) surnom de Janus, dont parle Ovide dans ses fastes. On le lui donnoit, ou parce qu'on ouvroit les portes de son temple pendant la guerre, ou plutôt parce qu'il ouvroit l'année & les saisons, c'est-à-dire qu'elles commençoient par la célébration de ses fêtes. (D.J.)
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PATURAGE | voyez ci-devant PASCAGE.
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PATURE | voyez ci-devant au mot PASCAGE.
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PATURON | PATURON
Cette partie doit être courte, principalement dans les chevaux de moyenne taille, parce que les longs paturons sont foibles, & ne peuvent pas si bien résister à la fatigue.
Le joint du paturon est la jointure qui est au-dessus du paturon.
Le joint est sujet à être couronné après le travail, c'est-à-dire à avoir une enflûre par-dessous la peau en forme de cercle, large d'un tiers de pouce.
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PATZINACAE | (Géog. anc.) peuple de la Scythie du nombre de ceux qu'on appelloit Basilii. Ils habitoient au-delà du Danube, dans les plaines qui s'étendent depuis le Boristhène jusqu'à la Pannonie. Suidas appelle ce peuple Patrinacitae. Selon Cedrene, il étoit divisé en treize tribus, qui composoient une nation si nombreuse, qu'aucun peuple Scythe ne pouvoit lui résister. (D.J.)
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PATZISIRANDA | (Hist. nat. Botan.) plante de la Floride, dont les feuilles ressemblent, dit-on, à celles du poireau, excepté qu'elles sont plus longues & plus déliées ; son tuyau est une espece de jonc noueux & plein de pulpe ; il s'éleve d'une coudée & demie de haut ; sa fleur est petite & étroite ; sa racine est fort longue, déliée & remplie de noeuds, comme un chapelet ; ces noeuds deviennent noirs, & se durcissent au soleil ; ils ont une odeur aromatique. Les sauvages tirent des feuilles de cette plante un suc dont ils se frottent, afin de se fortifier. On regarde ces feuilles réduites en poudre, comme un grand remede contre la pierre de la vessie, & les obstructions des reins ; on les prend dans des bouillons pour les maux de poitrine. On l'applique extérieurement sous la forme d'un emplâtre, pour arrêter le sang, pour fortifier l'estomac, & pour les douleurs de l'utérus.
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PAU | (Géog. mod.) ville de France, regardée comme capitale du Béarn, avec un parlement, une chambre des comptes, & une cour des aides, unies au parlement, une sénéchaussée, un hôtel des monnoies. Elle est sur une hauteur, au pié de laquelle passe le Gave Béarnois, à 10 lieues O. de Tarbes, 12 S. d'Aire, 39 S. de Bordeaux, 167. S. O. de Paris. Long. suivant Cassini, 17d. 22'. 30''. lat. 43d. 15'.
Henri IV. naquit à Pau, le 13 Décembre 1553, dans le château qui est au bout de la ville. " La France n'a point eu de meilleur ni de plus grand roi ; il unit aux sentimens les plus élevés une simplicité de moeurs charmante, & à un courage de soldat, un fond d'humanité inépuisable. Il rencontra ce qui forme & ce qui déclare les grands hommes, des obstacles à vaincre, des périls à essuyer, & sur-tout des adversaires dignes de lui. Enfin, comme l'a dit un de nos grands poëtes, il fut de ses sujets le vainqueur & le pere ".
Il ne faut pas lire la vie de ce monarque dans le P. Daniel qui ne dit rien de tout le bien qu'il fit à la patrie ; mais pour l'exemple des rois, & pour la consolation des peuples, il importe de lire ce qui concerne les tems de ce bon prince, dans la grande histoire de Mézerai, dans Péréfixe, & dans les mémoires de Sully. Le précis que M. de Voltaire en a fait dans son histoire générale, est aussi trop intéressant pour n'en pas transcrire quelques particularités.
Henri IV. dès son enfance, fut nourri dans les troubles & dans les malheurs. Il se trouva à 14 ans à la bataille de Moncontour ; rappellé à Paris, il n'épousa la soeur de Charles IX. que pour voir ses amis assassinés autour de lui, pour courir lui-même risque de sa vie, & pour rester près de trois ans prisonnier d'état. Il ne sortit de sa prison que pour essuyer toutes les fatigues & toutes les fortunes de la guerre. Manquant souvent du nécessaire, s'exposant comme le plus hardi soldat, faisant des actions qui ne paroissent pas croyables, & qui ne le deviennent que parce qu'il les a répétées ; comme lorsqu'à la prise de Cahors en 1599, il fut sous les armes pendant cinq jours, combattant de rue en rue, sans presque prendre de repos. La victoire de Coutras fut dûe principalement à son courage ; son humanité après la victoire devoit lui gagner tous les coeurs.
Le meurtre, de Henri III. le fit roi de France ; mais la religion servit de prétexte à la moitié des chefs de l'armée & à la ligue, pour ne pas le reconnoître. Il n'avoit pour lui que la justice de sa cause, son courage, quelques amis, & une petite armée qui ne monta presque jamais à douze mille hommes complets ; cependant avec environ cinq mille combattans, il battit à la journée d'Arques auprès de Dieppe, l'armée du duc de Mayenne, forte de plus de vingt-cinq mille hommes. Il livra au même duc de Mayenne la fameuse bataille d'Ivry ; & gagna cette bataille, comme il avoit gagné celle de Coutras, en se jettant dans les rangs ennemis, au milieu d'une foret de lances. On se souviendra dans tous les siecles des paroles qu'il dit à ses troupes : " Si vous perdez vos enseignes, ralliez-vous à mon pennache blanc, vous le trouverez toujours au chemin de l'honneur & de la gloire ".
Profitant de la victoire, il vint avec quinze mille hommes assiéger Paris, où se trouvoient alors cent quatre-vingt mille habitans ; il est constant qu'il l'eût prise par famine, s'il n'avoit pas permis lui-même par trop de pitié, que les assiégeans nourrissent les assiégés. En vain ses généraux publioient sous ses ordres des défenses sous peine de mort, de fournir des vivres aux Parisiens ; les soldats leur en vendoient. Un jour que pour faire un exemple, on alloit pendre deux paysans qui avoient amené deux charrettes de pain à une poterne, Henri les rencontra en allant visiter ses quartiers : ils se jetterent à ses genoux, & lui remontrerent qu'ils n'avoient que cette maniere de gagner leur vie : allez en paix, leur dit le roi, en leur donnant aussi-tôt l'argent qu'il avoit sur lui ; le Béarnois est pauvre, ajouta-t-il, s'il en avoit davantage, il vous le donneroit. Un coeur bien né ne peut lire de pareils traits sans quelques larmes d'admiration & de tendresse.
Le duc de Parme fut envoyé par Philippe II. au secours de Paris avec une puissante armée. Henri IV. courut lui présenter la bataille ; & c'est alors qu'il écrivit du champ où il croyoit combattre, ces deux lignes à la belle Gabrielle d'Estrée : " Si je meurs, ma derniere pensée sera à Dieu, & l'avant-derniere à vous ". Le duc de Parme n'accepta point la bataille : il empêcha seulement la prise de Paris ; mais Henri IV. le côtoyant jusqu'aux dernieres frontieres de la Picardie, le fit rentrer en Flandres, & bientôt après il lui fit lever le siege de Rouen.
Cependant les citoyens lassés de leurs malheurs, soupiroient après la paix ; mais le peuple étoit retenu par la religion ; Henri IV. changea la sienne ; & cet évenement porta le dernier coup à la ligue ; il est vrai qu'on a depuis appliqué les vers suivans à la conduite de ce prince.
Pour le point de conviction
Au jugement du Ciel un chrétien l'abandonne ;
Mais souffrez que l'homme soupçonne
Un acte de religion
Qui se propose une couronne.
On voit assez ce qu'il pensoit lui-même de sa conversion, par ce billet à Gabrielle d'Estrées : c'est demain que je fais le saut périlleux ; je crois que ces gens-ci me feront haïr S. Denis, autant que vous haïssez.... Personne ne fut plus affligé de l'abjuration de Henri IV. que la reine Elisabeth. La lettre qu'elle écrivit alors à ce prince est bien remarquable, en ce qu'elle fait voir en même tems son coeur, son esprit, & l'énergie avec laquelle elle s'exprimoit dans une langue étrangere : " Vous m'offrez, dit-elle, votre amitié comme à votre soeur. Je sais que je l'ai méritée, & certes à un très-grand prix. Je ne m'en repentirois pas, si vous n'aviez pas changé de pere ; je ne peux plus être votre soeur de pere ; car j'aimerai toujours plus chérement celui qui m'est propre que celui qui vous a adopté ".
La conversion d'Henri IV n'augmentoit en rien son droit à la couronne, mais elle hâta son entrée dans sa capitale, sans qu'il y eût presque de sang répandu. Il renvoya tous les étrangers qu'il pouvoit retenir prisonniers ; il pardonna à tous les ligueurs. Il se reconcilia sincerement avec le duc de Mayenne, & lui donna le gouvernement de l'île de France. Non-seulement il lui dit, après l'avoir lassé un jour dans une promenade : " Mon cousin, voilà le seul mal que je vous ferai de ma vie ". Mais il lui tint parole, & il n'en manqua jamais à personne.
Il recouvra son royaume pauvre, déchiré, & dans la même subversion où il avoit été du tems des Philippe de Valois, Jean & Charles VI. Il se vit forcé d'accorder plus de graces à ses propres ennemis qu'à ses anciens serviteurs, & son changement de religion ne le garantit pas de plusieurs attentats contre sa vie. Les finances de l'état dissipées sous Henri III. n'étoient plus qu'un trafic public des restes du sang du peuple, que le conseil des finances partageoit avec les traitans. En un mot, quand la déprédation générale força Henri IV. à donner l'administration entiere des finances au duc de Sully, ce ministre aussi éclairé qu'integre trouva qu'en 1596 on levoit 150 millions sur le peuple, pour en faire entrer environ 30 dans le trésor royal.
Si Henri IV. n'avoit été que le plus brave prince de son tems, le plus clément, le plus droit, le plus honnête homme, son royaume étoit ruiné : il falloit un prince qui sût faire la guerre & la paix, connoître toutes les blessures de son état & connoître les remedes ; veiller sur les grandes & petites choses, tout réformer & tout faire ; c'est ce qu'on trouva dans Henri. Il joignit l'administration de Charles le Sage à la valeur & à la franchise de François I. & à la bonté de Louis XII.
Pour subvenir à tant de besoins, Henri IV. convoqua dans Rouen une assemblée des notables du royaume, & leur tint ce discours digne de l'immortalité, & dans lequel brille l'éloquence du coeur d'un héros :
" Déjà par la faveur du ciel, par les conseils de mes bons serviteurs, & par l'épée de ma brave noblesse dont je ne distingue point mes princes, la qualité de gentilhomme étant notre plus beau titre, j'ai tiré cet état de la servitude & de la ruine. Je veux lui rendre sa fortune & sa splendeur ; participez à cette seconde gloire, comme vous avez eu part à la premiere. Je ne vous ai point appellés, comme faisoient mes prédécesseurs, pour vous obliger d'approuver aveuglément mes volontés, mais pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre, pour me mettre en tutele entre vos mains. C'est une envie qui ne prend guere aux rois, aux victorieux & aux barbes grises ; mais l'amour que je porte à tous mes sujets, me rend tout possible & tout honorable. "
Au milieu de ces travaux & de ces dangers continuels, les Espagnols surprirent Amiens. Henri, dans ce nouveau malheur, manquoit d'argent & étoit malade. Cependant il assemble quelques troupes, il marche sur la frontiere de Picardie, il revole à Paris, écrit de sa main aux parlemens, aux communautés, pour obtenir de quoi nourrir ceux qui défendoient l'état : ce sont ses paroles. Il va lui-même au parlement de Paris : " Si on me donne une armée, dit-il, je donnerai gaiement ma vie, pour vous sauver & pour relever l'état ".
Enfin, par des emprunts, par les soins infatigables & par l'économie du duc de Sully, si digne de le servir, il vint à bout d'assembler une florissante armée. Il reprit Amiens à la vûe de l'archiduc Albert, & de-là il courut pacifier le reste du royaume, à quoi il ne trouva plus d'obstacle, le pape qui lui avoit refusé l'absolution, quand il n'étoit pas affermi, la lui donna quand il fut victorieux. Il conclut à Vervins la paix avec l'Espagne, & ce fut le premier traité avantageux que la France fit depuis Philippe-Auguste.
Alors il mit tous ses soins à faire fleurir son royaume, & paya peu-à-peu toutes les dettes de la couronne, sans fouler les peuples. La justice fut réformée ; les troupes inutiles furent licenciées ; l'ordre dans les finances succéda au plus odieux brigandage ; le commerce & les arts revinrent en honneur. Henri IV. établit des manufactures de tapisseries, & de petites glaces dans le goût de Venise. Il fit creuser le canal de Briare, par lequel on a joint la Seine & la Loire. Il aggrandit & embellit Paris. Il forma la place royale : il fit construire ce beau Pont où les peuples regardent aujourd'hui sa statue avec tendresse. Il augmenta S. Germain, Fontainebleau, & sur-tout le Louvre où il logea sous cette longue galerie qui est son ouvrage, des artistes en tout genre. Il est encore le vrai fondateur de la bibliotheque royale, & en donna la garde à Casaubon, en lui disant : " Vous me direz ce qu'il y a de meilleur dans tous ces beaux livres ; car il faut que j'en apprenne quelque chose par votre secours ".
Quand dom Pedre de Tolede fut envoyé par Philippe III. en ambassade auprès de Henri, il ne reconnut plus cette ville qu'il avoit vûe autrefois si malheureuse & si languissante : " c'est qu'alors le pere de famille n'y étoit pas, lui dit Henri, & aujourd'hui qu'il a soin de ses enfans, ils prosperent ". Les jeux, les fêtes, les bals, les ballets introduits à la cour par Catherine de Médicis dans les tems même de troubles, ornerent sous Henri IV. les tems de la paix & de la félicité.
En faisant ainsi fleurir son royaume, il fut le pacificateur de l'Italie. Le Béarnois, que les papes avoient excommunié, leur fit lever l'excommunication sur Venise. Il protégea la république naissante de la Hollande, l'aida de ses épargnes, & contribua à la faire reconnoître libre & indépendante par l'Espagne. Déja, par son rang, par ses alliances, par ses armes, il alloit changer le systême de l'Europe, s'en rendre l'arbitre & mettre le comble à sa gloire, quand il fut assassiné au milieu de son peuple par un fanatique effréné, à qui il n'avoit jamais fait le moindre mal. Il est vrai que Ravaillac, qui trancha les jours de ce bon roi, ne fut que l'instrument aveugle de l'esprit du tems qui n'étoit pas moins aveugle. Barriere, Châtel, le Chartreux nommé Ouin, un vicaire de S. Nicolas-des-Champs, pendu en 1595, un tapissier en 1596, un malheureux qui étoit ou qui contrefaisoit l'insensé, d'autres dont le nom m'échappe, méditerent le même assassinat : presque tous jeunes gens & tous de la lie du peuple, tant la religion devient fureur dans la populace & dans la jeunesse ! de tous les assassins que ce siecle affreux produisit, il n'y eut que Poltrot de Méré qui fut gentilhomme.
Quelques auteurs se sont appliqués à exténuer les grandes actions de Henri IV. & à mettre en vûe ses défauts. Ce bon prince n'ignoroit pas les médisances que l'on répandoit contre lui, mais il en parloit lui-même avec cette ingénuité & cette modération qui confondent la calomnie & diminuent les torts. Voici ses propres paroles tirées d'une de ses lettres à Sully.
" Les uns me blament d'aimer trop les bâtimens & les riches ouvrages ; les autres la chasse, les chiens & les oiseaux ; les autres les cartes, les dez & autres sortes de jeux ; les autres les dames, les délices & l'amour ; les autres les festins, banquets, sopiquets & friandises ; les autres les assemblées, comédies, bals, danses & courses de bague, où, disent-ils, pour me blâmer, l'on me voit encore comparoître avec ma barbe grise, aussi réjoui, & prenant autant de vanité d'avoir fait une belle course, donné deux ou trois dedans, & cela disent-ils en riant, & gagné une bague de quelque belle dame, que je pouvois faire en ma jeunesse ; ni que faisoit le plus vain homme de ma cour. En tous lesquels discours je ne nierai pas qu'il n'y puisse avoir quelque chose de vrai ; mais aussi dirai-je que ne passant pas mesure, il me devroit plutôt être dit en louange qu'en blâme, & en tout cas me devroit-on excuser la licence en tels divertissemens qui n'apportent nul dommage & incommodité à mes peuples par forme de compensation de tant d'amertumes que j'ai goûtées, & de tant d'ennuis, déplaisirs, fatigues, périls & dangers, par lesquels j'ai passé depuis mon ordonnance jusqu'à 50 ans.
L'Ecriture n'ordonne pas absolument de n'avoir point de péchés ni défauts, d'autant que tels infirmités sont attachés à l'impétuosité & promptitude de la nature humaine ; mais bien de n'en être pas dominés, ni les laisser regner sur nos volontés, qui est ce à quoi je me suis étudié ne pouvant faire mieux. Et vous savez par beaucoup de choses qui se sont passées touchant mes maîtresses (qui ont été les passions que tout le monde a cru les plus puissantes sur moi), si je n'ai pas souvent maintenu vos opinions contre leurs fantaisies jusqu'à leur avoir dit, lorsqu'elles faisoient les acariâtres, que j'aimerois mieux avoir perdu dix maîtresses comme elles, qu'un serviteur comme vous, qui m'étiez nécessaire pour les choses honorables & utiles ".
Ceux donc qui reprochent encore amèrement à Henri IV. ses amours, ne font pas réflexion que toutes ses foiblesses furent celles du meilleur des hommes, & qu'aucune ne l'empêcha de bien gouverner.
On sait d'ailleurs que, dans plusieurs occasions, il eut la force de se démêler des pieges qu'on lui tendoit par de belles filles, dans le dessein de le surprendre. Catherine de Médicis lui demandant à la conférence de S. Brix ce qu'il vouloit. Il lui répondit en regardant les filles qu'elle avoit amenées : Il n'y a rien là que je veuille, madame ; lui faisant voir par ce discours qu'il ne se laisseroit plus piper à de semblables appas.
Les deux femmes qu'il épousa successivement lui causerent bien des chagrins domestiques. Sa seconde femme, Marie de Médicis, fut l'une des princesses contre lesquelles il avoit formé des objections, en examinant avec Rosni quelle femme lui conviendroit. J'ai à citer là-dessus un fort long passage ; néanmoins je suis assuré qu'il paroîtra court aux lecteurs curieux, parce qu'il est écrit d'une maniere amusante, & qu'il est rempli d'idées fort solides de ce prince sur le choix d'une femme. Voici donc ce qu'il dit à ce favori, Mém. de Sully, t. II. p. 112.
" Desorte qu'il semble qu'il ne reste plus pour l'accomplissement de ce dessein, sinon de voir s'il y aura moyen de me trouver une autre femme si bien conditionnée, que je ne me jette pas dans le plus grand des malheurs de cette vie, qui est, selon mon opinion, d'avoir une femme laide, mauvaise, & despite, au lieu de l'aise, repos & contentement que je me serois proposé de trouver en cette condition : que si l'on obtenoit les femmes par souhait, afin de ne me repentir point d'un si hasardeux marché, j'en aurois une, laquelle auroit entr'autres bonnes parties, sept conditions principales ; à savoir, beauté en la personne, pudicité en la vie, complaisance en l'humeur, habileté en l'esprit, fécondité en génération, éminence en extraction, & grands états en possession. Mais je crois, mon ami, que cette femme est morte, voire peut-être n'est pas encore née, ni prête à naître ; & partant voyons un peu ensemble, quelles filles ou femmes dont nous ayons ouï parler seroient à desirer pour moi, soit dehors, soit dedans le royaume.
Et pour ce que j'y ai déja, selon mon avis, plus pensé que vous, je vous dirai pour le dehors que l'infante d'Espagne, quelque vieille & laide qu'elle puisse être, je m'y accommoderois, pourvû qu'avec elle j'épousasse les Pays-Bas, quand ce devroit être à la charge de vous redonner le comté de Béthune.
Je ne refuserois pas non plus la princesse Arabella d'Angleterre, si, comme l'on publie que l'état lui appartient, elle en avoit été seulement déclarée présomptive héritiere ; mais il ne me faut pas attendre à l'une ni à l'autre, car le roi d'Espagne & la reine d'Angleterre sont bien éloignés de ce dessein-là.
L'on m'a aussi quelquefois parlé de certaines princesses d'Allemagne, desquelles je n'ai pas retenu le nom ; mais les femmes de cette région ne me reviennent nullement, & penserois, si j'en avois épousé une, devoir avoir toujours un lot de vin couché auprès de moi, outre que j'ai ouï dire qu'il y eut un jour une reine de France de cette nation qui la pensa ruiner ; tellement que tout cela m'en dégoûte.
L'on m'a parlé de quelqu'une des soeurs du prince Maurice ; mais outre qu'elles sont toutes huguenotes, & que cette alliance me pourroit mettre en soupçon à Rome & parmi les zélés catholiques, elles sont filles d'une nonain ; & quelqu'autre chose, que je vous dirai une autrefois, m'en aliene la volonté.
Le duc de Florence a une niece qu'on dit être assez belle ; mais étant d'une des moindres maisons de la chrétienneté qui porte titre de prince, n'y ayant pas plus de 80 ans, que ses devanciers n'étoient qu'au rang des plus illustres bourgeois de leur ville, & de la même race de la reine-mere Catherine qui a tant fait de maux à la France & encore plus à moi en particulier, j'appréhende cette alliance, de crainte d'y rencontrer aussi mal pour moi, les miens & l'état.
Voilà toutes les étrangeres dont j'estime avoir été parlé. Quant à celles de dedans le royaume, vous avez ma niece de Guise, qui seroit une de celles qui me plairoit le plus, nonobstant ce petit bruit que quelques malins esprits font courir, qu'elle aime bien autant les poulets en papier qu'en fricassée : car, pour mon humeur, outre que je crois cela très-faux, j'aimerois mieux une femme qui fît un peu l'amour qu'une qui eût mauvaise tête, de quoi elle n'est pas soupçonnée ; mais au contraire d'humeur fort douce, d'agréable & complaisante conversation, & pour le surplus de bonne maison, belle, de grande taille, & d'apparence d'avoir bientôt de beaux enfans, n'y appréhendant rien que la trop grande passion qu'elle témoigne pour sa maison, & sur-tout ses freres qui lui pourroient faire naître des desirs de les élever à mon préjudice, & plus encore de mes enfans, si jamais la régence de l'état lui tomboit entre les mains.
Il y a aussi deux filles en la maison du Maine, dont l'aînée, quelque noire qu'elle soit, ne me déplairoit pas, étant sages & bien nourries, mais elles sont trop jeunettes. Deux en celle d'Aumale, & trois en celle de Longueville, qui ne sont pas à mépriser pour leurs personnes, mais d'autres raisons m'empêchent d'y penser. Voilà ce qu'il y a pour de princes.
Vous avez après une fille en la maison de Luxembourg, une en la maison de Guimené, ma cousine Catherine de Rohan, mais celle-là est huguenotte, & les autres ne me plaisent pas ; & puis la fille de ma cousine la princesse de Conty, de la maison de Lucé, qui est une très-belle fille & bien nourrie, seroit celle qui me plairoit le plus, si elle étoit plus âgée ; mais quand elles m'agréeroient toutes, pour si peu que j'y reconnois, qui est-ce qui m'assurera que j'y rencontrerai conjointement les trois principales conditions que j'y desire, & sans lesquelles je ne voudrois point de femme ? A savoir, qu'elles me feront des fils, qu'elles seront d'humeur douce & complaisante, & d'esprit habile pour me soulager aux affaires sédentaires & pour bien régir mon état & mes enfans, s'il venoit faute de moi avant qu'ils eussent âge, sens & jugement, pour essayer de m'imiter : comme apparemment cela est pour m'arriver, me mariant si avant en l'âge.
Mais quoi donc, Sire, lui répondit Rosni, que vous plaît-il entendre par tant d'affirmatives & de négatives desquelles je ne saurois conclure autre chose sinon que vous desirez bien être marié, mais que vous ne trouvez point de femmes en terre qui vous soient propres ? Tellement qu'à ce compte il faudroit implorer l'aide du ciel, afin qu'il fît rajeunir la reine d'Angleterre, & ressusciter Marguerite de Flandres, mademoiselle de Bourgogne, Jeanne la Loca, Anne de Bretagne & Marie Stuart, toutes riches héritieres, afin de vous en mettre au choix ; car, selon l'humeur que vous avez témoignée, parlant de Clara Eugénie, vous seriez homme pour agréer quelques-unes de celles-là qui possédoient de grands états. Mais laissant toutes ces impossibilités & imaginations vaines à part, voyons un peu ce qu'il faut faire, &c ".
Disons à présent un mot de la mere d'Henri IV. dont Pau est aussi la patrie.
C'est à la naissance de ce fils & dans le plus fort des douleurs que Jeanne d'Albret, héroïne digne d'admiration à tant d'autres égards, fit encore paroître un courage singulier. Le roi de Navarre son mari promit de lui remettre son testament dès qu'elle seroit accouchée, à condition néanmoins que dans l'accouchement elle lui chanteroit une chanson, afin, dit-il, que tu ne me fasse pas un enfant pleureux & rechignant. La princesse s'y engagea & eut tant de force sur elle-même, que, malgré ses vives douleurs, elle tint parole, & chanta en son langage béarnois la chanson du pays, qui commence par ces mots : Noste-Donne deou cap deou pon, adjouda me in aqueste houre ; c'est-à-dire, Notre-Dame du bout du pont, aidez-moi à cette heure.
Jeanne d'Albret présenta Henri IV. à l'âge de quatorze ans au prince de Condé son beaufrere, & le voua tout jeune qu'il étoit à la défense de la cause commune, avec toutes ses bagues & joyaux qu'elle engagea pour les fraix de l'armée. Elle fit, en mourant à l'âge de 44 ans, & non sans soupçon d'avoir été empoisonnée, un testament qui contenoit des choses admirables en faveur de ce fils, qui depuis sa tendre enfance remplissoit déja les hautes espérances qu'elle en avoit conçues. Je n'en veux pour preuve qu'une de ses reparties à l'âge de 15 ans, reparties que son auguste mere nous a conservées dans un recueil imprimé in-12 en 1570, sous le titre d'Histoire de notre tems.
Catherine de Médicis, de concert avec le cardinal de Lorraine, avoit envoyé vers la reine de Navarre le sieur de la Motthe-Fénelon, pour la détourner de joindre ses forces à celles que les Réformés assembloient en 1568, sous le commandement du prince de Condé. Un jour que la Motthe-Fénelon s'adressant au prince de Navarre, affectoit de paroître surpris de ce que si jeune encore il prenoit parti dans une querelle qui ne regardoit que le prince de Condé & les Huguenots qui faisoient la guerre au roi : " Ce n'est pas vraiment sans raison, repartit avec vivacité le jeune prince, puisque sous le prétexte de la rebellion qu'on impute faussement à mon oncle & aux Huguenots, nos ennemis ne se proposent pas moins que d'exterminer toute la branche royale de Bourbon ; ainsi nous voulons mourir ensemble les armes à la main, pour éviter les frais du deuil ".
Enfin, je le répete, on ne lit pas la vie de ce grand roi sans admiration, ni sa mort tragique arrivée en 1610, sans attendrissement. Les bons princes sont dans l'histoire, ce qui fixe le plus nos regards & notre amour.
Les habitans de Pau desiroient dernierement d'avoir dans leur ville une statue d'Henri IV. On leur a donné celle de Louis XIV. au-bas de laquelle ils ont mis dans leur jargon : Celui-ci est petit-fils de notre bon roi Henri. (D.J.)
PAU, (Hist. mod. Art militaire) lorsque les Tartares Monguls firent la conquête de la partie septentrionale de la Chine en 1232 ; ils employoient une machine appellée pau dans les siéges. Il y en avoit de deux especes : l'une servoit à lancer des pierres, & s'appelloit ché-pau ou pau à pierres ; l'autre servoit à lancer du feu, & s'appelloit ho-pau ou pau à feu. Le pere Gaubil jésuite missionnaire, n'ose décider si ces paus étoient de vrais canons semblables aux nôtres ou à nos pierriers ; cependant il paroît convaincu, que les Chinois ont eu l'usage de la poudre 1600 ans avant qu'elle fût découverte en Europe ; ces peuples faisoient usage d'abord de morceaux de bois creusés ou de canons de bois pour jetter des pierres.
PAU, s. m. (Mesure de longueur) c'est une espece d'aulne dont on se sert à Loango, & dans quelques-autres lieux de la côte d'Angola, en Afrique.
Il y a à Loango trois sortes de paux, le pau du roi & de son premier ministre, le pau des fidalgues ou capitaines, & le pau des particuliers. Le pau du roi a 28 pouces de longueur, & égale trois macoutes. C'est à ces différens paux que les Européens qui font la traite des negres, mesurent les étoffes & les toiles qu'ils donnent en échange des esclaves & des autres marchandises, comme poudre d'or, morfil, cire, &c. qu'on tire de la côte d'Angola. (D.J.)
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PAUL | SAINT (Géogr. mod.) ou plûtôt SAN-PAOLO, ville de l'Amérique méridionale au Brésil, dans la capitainerie de Saint-Vincent. C'est une espece de république indépendante des Portugais, composée de bandits de différentes nations. Ils payent cependant un tribut au roi de Portugal ; on ne les connoît guere, parce qu'on ne peut pénétrer dans le pays à cause des bois & des montagnes inaccessibles qui les environnent. Long. 333. 50. lat. mérid. 23. 15.
Il y a une autre San-Paolo, bourgade de l'Amérique méridionale, sur le bord méridional de la riviere des Amazones, à trois journées à l'est de Peyas. Le pape Benoît XIV. a érigé en 1745 un évêché dans cette bourgade. (D.J.)
PAUL, SAINT (Géog. mod.) petite ville de Provence, à deux lieues O. de Nice, trois d'Antibes. Long. 24. 58. lat. 40.
Il y a un autre Saint-Paul en Artois, à six lieues d'Arras, & à neuf de Saint-Omer.
PAUL TROIS CHATEAUX, SAINT (Géog. mod.) petite ville de France au bas-Dauphiné, capitale du Tricastinois, avec un évêché suffragant d'Arles, dont S. Sulpice fut le premier évêque. Elle est située au penchant d'une colline sur les frontieres de la Provence, à une lieue du Rhône, 5 S. E. de Viviers, 7 S. de Montelimar, 135 de Paris. Longit. suivant Cassini 22. 30'. 30''. lat. 44. 20. (D.J.)
PAUL, cathédrale de Londres, SAINT (Arch. mod.) cette magnifique cathédrale n'étoit devant l'incendie de Londres, qu'un triste & déplorable bâtiment qui servoit d'écurie ; mais le chevalier Wren en a fait un temple plein de grandeur & de majesté ; & il ne tint pas à lui de le rendre encore plus superbe, lorsque le préjugé pour les cathédrales modernes l'obligea de concilier le mieux qu'il put le goût gothique avec celui de la belle architecture.
Le dessein ayant été approuvé, & une taxe sur le charbon fournissant les fonds nécessaires pour l'exécution, il commença à y travailler en 1675. Il fallut d'abord écarter les ruines de l'ancien édifice, & l'architecte signala son génie par l'heureuse application qu'il fit de la poudre-à-canon & du bélier des Romains, pour renverser des restes de tours & de murailles massives. Comme il se proposoit de construire un édifice durable, il ne voulut pas bâtir, ainsi que ceux qui l'avoient précédé, sur de foibles fondemens. Gêné cependant par une place étroite, il le fut encore par les pierres qu'il se vit obligé d'employer. Les carrieres de Tivoli fournirent au Bramante des colomnes pour le temple de S. Pierre à Rome. Il les fit de neuf piés de diametre, surpassant ainsi de près du tiers les plus grosses colomnes que l'antiquité nous a laissées ; ensuite manquant de pierres assez grandes pour les corniches, il en diminua les proportions.
Le chevalier Wren ne trouvoit pas en Angleterre de pierres pour les colomnes de plus de quatre piés de diametre. Il ne changea point néanmoins, comme le Bramante, les proportions établies dans les dimensions de ses colomnes ; mais il en fit deux rangs, & varia leurs ordres.
Le dôme n'exigea pas des attentions moins fines, pour ramener aux regles de l'antiquité cette invention des siecles postérieurs. La modicité des fonds assignés pour l'ouvrage, l'impatience des habitans de voir cet édifice achevé, causerent encore de grands désagrémens à l'architecte. Il eut cependant le plaisir, après avoir posé la premiere pierre de son temple en 1675, de faire poser la derniere par son fils en 1710, & de finir en 35 ans la seconde église de l'univers. (D.J.)
PAUL, EPITRES DE SAINT (Critiq. sac.) tout le monde les connoît, & leur authenticité n'a point été révoquée en doute. Quant au style, S. Irénée, liv. III. ch. viij. y a remarqué de fréquentes hyperboles. Origène, en confirmant cette remarque, ajoute qu'il y a dans le style de cet apôtre quantité de façons de parler peu usitées, des phrases & des tours qui ne sont pas grecs. La premiere de toutes les épîtres de S. Paul est la premiere aux Thessaloniciens, & la derniere de toutes est la seconde à Timothée, qu'il écrivit durant sa prison ; mais l'épître aux Romains est la premiere en ordre dans notre recueil, & elle l'étoit déja dans le troisieme siecle. L'occasion de cette épître fut, selon Pierre, martyr, l'entêtement des Juifs, qui ne voulurent pas que S. Paul annonçât l'Evangile aux Gentils, parce qu'ils croyoient que les promesses n'appartenoient qu'à la nation juive ; mais quand les Juifs virent que les apôtres étoient réunis pour adresser publiquement la vocation aux Payens, ils se retrancherent à prétendre au moins qu'il falloit leur imposer le joug de la loi. S. Paul s'attache donc à prouver dans cette épitre, que les cérémonies de la loi ne sont point nécessaires, & que l'homme n'est point sauvé par leur pratique.
L'épître aux Hébreux est rangée la derniere dans notre canon. On a lieu de présumer que du tems de Clément d'Alexandrie, cette épître passoit généralement en Orient pour être de S. Paul, mais il n'en étoit pas de même de l'église latine : au moins paroît-il par S. Jérôme, que de son tems les Latins ne recevoient point cette épître qui portoit, dit-il, le nom de S. Paul. On la donnoit à S. Clément, romain. Quoi qu'il en soit, les Hébreux auxquels elle est adressée, sont les juifs de la Palestine, ainsi nommés pour les distinguer des juifs dispersés parmi les Grecs.
Quant à ce qui regarde la vie de S. Paul, elle ne doit point entrer dans cet ouvrage : nous remarquerons seulement qu'il est douteux si cet apôtre a été deux fois à Rome ; cependant Cappel, dont la chronologie apostolique est la plus ingénieuse, & autant qu'on en peut juger, la plus exacte, le prétend de même que l'ancienne tradition. C'est à Rome que l'apôtre souffrit le martyre, sous Néron, dans la persécution de cet empereur contre les Chrétiens, à l'occasion de l'incendie de cette ville qu'il leur impute. Or, comme cet incendie arriva l'an 10 de Néron, & environ la 64 de Notre-Seigneur, il faut que S. Paul ait été mis à mort dans ce tems-là. (D.J.)
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PAULA | (Géog. mod.) ou PAOLA, petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure proche la mer, dans un terroir fertile & cultivé. Elle est la patrie de S. François, fondateur des Minimes, qu'on nomme à Paris les bons hommes. C'est cet hermite qui ferma les yeux de Louis XI. roi de France, & qui a été ensuite canonisé par Léon X. en 1519. Long. 32. 10. lat. 41. 15.
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PAULADADUM | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la terre de Malte, ou terre de S. Paul. Voyez ces articles.
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PAULETTE | S. f. (Jurisprud.) est un droit que les officiers de judicature & de finance payent aux parties casuelles du roi au commencement de chaque année, afin de conserver leur charge à leur veuve & à leurs héritiers, sans quoi elle seroit vacante au profit du roi en cas de mort.
Ce droit se paye aussi pour jouïr de la dispense des quarante jours que les officiers devoient survivre à leur résignation, avant l'édit du 12 Septembre 1604, appellé l'édit de Paulet ou de la paulette.
La paulette fut ainsi nommée de Charles Paulet, secrétaire de la chambre du roi, qui fut l'inventeur & le premier fermier de ce droit.
On l'a aussi appellée la palote, d'un nommé Palot qui en eut le bail après Paulet.
Mais le vrai nom de ce droit est annuel. Il fut établi d'abord par arrêt du conseil du 7 Septembre 1604, sur lequel le 12 du même mois il y eut une déclaration en forme d'édit, qui ne fut d'abord publiée qu'en la grande chancellerie, & depuis elle a été enregistrée dans les parlemens. Elle fut revoquée par Louis XIII. le 15 Janvier 1618, & rétablie par lui le dernier Juillet 1620.
La paulette, dans son origine, n'étoit que de quatre deniers pour livre ; elle a depuis été augmentée & diminuée selon les tems. Depuis 1618 elle est du soixantieme denier du tiers de l'évaluation de l'office.
Quoique ce droit ne s'exige pas, il doit se payer tous les ans ; desorte que si le titulaire mouroit dans une année pour laquelle il n'auroit pas payé la paulette, sa charge tomberoit aux parties casuelles ; mais les héritiers présomptifs & les créanciers ont la liberté de payer le droit pour celui qui néglige de le faire.
L'ouverture du bureau pour le payement de l'annuel ou paulette, se fait à certain jour fixé par le réglement, & le bureau est fermé à l'expiration du délai ; de maniere que passé ce tems, l'on n'est plus admis pour cette année au payement de la paulette.
On fit en 1638 un bail de la paulette pour neuf ans, & depuis ce tems le bail s'en renouvelle de même tous les neuf ans. Il faut dans les trois premieres années du bail payer, outre la paulette, le prêt. Voyez ci-après le mot PRET.
Par un édit du mois de Décembre 1709, le roi ordonna le rachat de la paulette, & dispensa les officiers de la rigueur des quarante jours ; mais la paulette fut rétablie pour neuf ans par déclaration du 9 Août 1722, à compter du 1 Janvier 1723 ; ce qui a été continué depuis de neuf ans en neuf ans par divers arrêts & déclarations.
Mais les officiers des cours souveraines ont été exceptés de la paulette par l'édit de 1722.
En 1743 les trésoriers de France, les contrôleurs généraux des finances & des domaines & bois, les notaires, procureurs & huissiers des justices royales, ont été obligés de racheter la paulette ; en 1745 on a fait la même chose pour les grands-maîtres & officiers des maîtrises, pour les élections & greniers à sel. Voyez Loiseau, en son Traité des Offices, & Brillon, au mot Annuel. (A)
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PAULIAGUET | (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France, dans la haute Auvergne, au diocèse de Saint-Flour.
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PAULIANISTES | S. m. pl. (Hist. ecclés.) Paulianistae, nom que l'on donna dans le troisieme siecle de l'Eglise, aux hérétiques sectateurs de Paul de Samosate, élu évêque d'Antioche en 262.
Cet hérésiarque nioit avec Sabellius la distinction des Personnes dans la Sainte-Trinité, & soutenoit avec Artemon, que le Verbe étoit descendu en Jésus-Christ, & qu'après avoir opéré par lui ce qu'il s'étoit proposé, il étoit remonté vers son Pere. Il distinguoit en Jesus-Christ deux Personnes ; savoir, le Verbe, Fils de Dieu, & le Christ, qu'il soutenoit n'avoir point été avant Marie ; mais avoir reçu le nom de Fils de Dieu pour récompense de ses oeuvres saintes. De ces principes il concluoit que dans l'Eucharistie le sang de Jesus-Christ étoit corruptible. Il altéroit essentiellement la forme du baptême, ne le conférant point au nom du Pere & du Fils, &c. & ses disciples en usoient de même. Aussi le concile de Nicée les distinguant des autres hérétiques qui ne corrompoient pas la forme de ce sacrement, ordonna que ceux qui de l'hérésie des Paulianistes rentreroient dans l'Eglise seroient rebaptisés.
Paul de Samosate fut d'abord condamné dans un concile tenu à Antioche même en 264, par S. Denis d'Alexandrie ; & il abjura son hérésie de peur d'être déposé : mais y étant retombé peu après, il fut de nouveau condamné & déposé par un nouveau concile qui s'assembla à Antioche en 270. Les Paulianistes subsistoient encore du tems du pape Innocent I. & de S. Chrysostome ; mais Théodoret assure que du sien, leur secte étoit entierement éteinte. Baronius, Annal. Dupin, Bibl. des auteurs eccl. des trois premiers siecles.
Cette secte fut renouvellée dans le neuvieme siecle par un certain Abraham qui lui donna son nom, & combattue par Cyriaque, patriarche d'Antioche.
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PAULICIENS | S. m. pl. (Hist. eccl.) branche des anciens Manichéens, ainsi appellés du nom d'un certain Paul, qui s'en fit chef en Arménie dans le vij. siecle. On les trouve aussi nommés par corruption dans quelques auteurs, Publicani, Populicani & Poblicani. Ces hérétiques, par leur nombre, & par la protection de l'empereur Nicephore, devinrent formidables à l'empire d'Orient. Outre l'erreur des deux principes co-éternels & indépendans l'un de l'autre, qui est la base du Manichéisme, ils avoient la croix en exécration, & l'Eucharistie en horreur ; ils condamnoient le culte des martyrs, & ne rendoient de respect au livre des Evangiles que lorsqu'il ne portoit pas empreinte l'image de la croix.
L'impératrice Théodora, tutrice de Michel III. ordonna en 845, qu'on travaillât efficacement à convertir ces hérétiques, ou qu'on les chassât de l'empire, s'ils résistoient avec opiniâtreté. Plus de cent mille d'entr'eux périrent par les supplices, le reste alla se rendre aux Sarasins. Mais un siecle après ils firent la guerre à l'empereur Basile le Macédonien : ils envoyerent même en Bulgarie des missionnaires qui y semerent l'erreur manichéenne, qui de-là se répandit peu après dans le reste de l'Europe. Voyez BULGARES & MANICHEENS, Bossuet, Hist. des Variat. tom. II. liv. xj. pag. 229.
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PAULIEN | SAINT, ou SAINT PAULIAN, (Géog. mod.) autrefois ville & présentement bourg de France en Auvergne, au diocese du Puy, dans l'élection de Brioude. Je ne parle de ce bourg, que parce qu'on croit que c'est l'ancienne Revessio Vellavorum, autrement dite Vellava civitas, Vellavorum civitas, capitale du peuple Vellavi, & siége de l'évêché de ce peuple ; cette ville ne fut nommée civitas Vetula que dans le ix siecle. (D.J.)
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PAULIENNE | ACTION, (Jurisprud.) on appelloit ainsi chez les Romains l'action qui étoit donnée aux créanciers pour faire révoquer les aliénations que le débiteur avoit faites en fraude de leurs créances. Voyez ACTION. (A)
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PAULINIA | S. f. (Hist. nat. Botan.) nom d'un genre de plante, qui, dans le système de Linnaeus, renferme la seriana & le cururu du P. Plumier ; en voici les caracteres : le calice particulier de la fleur est composé de quatre feuilles ovales & déployées ; il reste quand la fleur est tombée. La fleur consiste aussi en quatre pétales oblongs, & faits en coeur ; ils demeurent déployés, & sont deux fois aussi grands que les feuilles du calice. Les étamines forment huit filamens simples & courts. Leurs bossettes sont petites ; le germe est à trois cornes obtuses & contournées. Les stiles, au nombre de trois, sont très-courts, & fins comme des cheveux ; les stygmates sont simples & larges ; le fruit est une grande capsule à trois cornes, composée de trois côtes, & contenant trois loges, dans chacune desquelles est une simple semence ovale. La différence entre le cururu & la seriana du P. Plumier, est que cette derniere produit des graines dans la base des loges où elles sont renfermées, & le cururu, dans des loges particulieres. Linnaei, gén. plant. p. 170. Plumier, gen. 25.
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PAUME | S. f. en Anatomie, est le dedans de la main ; c'est ce que les Médecins appellent, en terme d'Anatomie, métacarpe, & ce qu'on appelle en latin vola. Voyez MAIN & METACARPE.
PAUME, s. f. (Littérat.) exercice fort en usage parmi les Romains, parce qu'il contribuoit chez ce peuple guerrier à rendre leurs corps souples, forts & robustes ; Ciceron, Horace, Plaute, Martial, & plusieurs autres auteurs de l'ancienne Rome, en parlent de même. Pline, l. III. épit. 1. décrivant la maniere de vivre de Spurina, remarque que dans certaines heures du jour, il jouoit à la paume long-tems & violemment, opposant ainsi ce genre d'exercice à la pesanteur de la vieillesse. Plutarque nous apprend que Caton, après son dîner, alloit jouer régulierement à ce jeu dans le champ de Mars. Le jour même qu'il essuya le refus mortifiant de la part du peuple, qui lui préféra un compétiteur indigne pour la charge de consul, il n'en donna pas un moment de moins à cet exercice. Les personnes délicates s'en abstenoient, sur-tout après avoir mangé, & elles avoient raison. Horace étant en voyage avec Mécenas, Virgile, & quelques autres personnes choisies de la cour d'Auguste, Mécenas & les autres s'en allerent après dîner jouer à la paume, mais Horace & Virgile, dont le tempérament ne s'accordoit point avec les grands mouvemens que ce jeu demande, prirent le parti de dormir.
Lusum it Maecenas, dormitum ego Virgiliusque.
Namque pila lippis inimicum, & ludere crudis.
Lib. I. sat. 5.
Les Romains avoient plusieurs manieres de s'exercer à la paume, selon les différentes balles dont ils se servoient pour ce jeu. Ces balles étoient de quatre sortes, follis, trigonalis, paganica & harpastum ; la premiere étoit un ballon semblable à celui dont on joue encore aujourd'hui. On le poussoit du bas, s'il étoit gros ; & du poignet, s'il étoit petit. La balle trigonale, pila trigonalis, n'étoit qu'une petite balle, que trois joueurs placés en forme de triangle, se renvoyoient l'un à l'autre ; on appelloit pila paganica, la paume villageoise, une balle couverte de cuir, & remplie de plumes, qui n'étoit ni si grosse que le ballon, ni si petite que la trigonale, mais fort serrée & fort dure. La quatrieme sorte de balle, nommée harpastum, étoit fort petite ; on la poussoit en l'air, & on tâchoit de l'arracher à celui qui l'avoit attrapée ; mais nous entrerons dans de plus grands détails au mot SPHERISTIQUE.
Ce que nous appellons le jeu de paume, est fort différent de tout cela.
Pasquier rapporte que l'an 1424 vint à Paris une fille nommée Margot, qui jouoit au jeu de paume de l'avant & de l'arriere-main, mieux qu'aucun homme, ce qui étoit d'autant plus étonnant, qu'alors on jouoit seulement de la main nue, ou avec un gant double. Dans la suite quelques-uns mirent à leur mains des cordes & tendons pour renvoyer la balle avec plus de force, & de-là on imagina la raquette. Le nom de paume, ajoute-t-il, a été donné à ce jeu, parce que, dans ce tems-là, son exercice consistoit à recevoir & à renvoyer la balle de la paume de la main. (D.J.)
PAUME, LE JEU DE, ce jeu est fort ancien ; & si l'on en croit quelques auteurs, Galien l'ordonnoit à ceux qui étoient d'un tempérament fort replet, comme un remede pour dissiper la superfluité des humeurs qui les rend pesans & sujets à l'apoplexie : quelques-uns disent que c'étoit le jeu de la pelote, mais comme cette pelote n'étoit autre chose qu'une balle, on croit qu'ils se sont trompés.
Quoi qu'il en soit, on peut dire que le jeu de la paume est un exercice fort agréable & très-utile pour la santé.
Ce jeu se compte par quinzaines en augmentant toujours ainsi le nombre, en disant, par exemple, trente, quarante-cinq, puis un jeu qui vaut soixante. On ne sait point positivement la raison de cela. Il y en a qui l'attribuent à quelques astronomes, qui sachant bien qu'un signe physique, qui est la sixieme partie d'un cercle, se divise en soixante degrés, ont cru à cette imitation devoir compter ainsi les coups du jeu de paume ; mais comme cette raison souffre quelques difficultés, on ne s'y arrêtera point comme à une chose certaine.
Le jeu de la paume, proprement parlant, est un jeu où l'on pousse & repousse plusieurs fois une balle avec certaines regles.
Pour commencer une partie à la paume, on tourne d'abord une raquette pour voir à qui sera dans le jeu ; celui qui n'y est pas doit servir la balle sur le toit en la poussant de de-là avec la raquette, & le premier coup s'appelle une dame ; voyez DAME : le reste se joue à l'ordinaire.
Si l'on n'est pas convenu de ce qu'on joue, il faut le dire au premier jeu ; celui qui gagne la premiere partie garde les gages. Les parties se jouent en quatre jeux, & si l'on vient trois à trois, on est à deux de jeu. Voyez A DEUX DE JEU. On peut jouer aussi en six jeux si l'on veut, mais alors il n'y a point d'à deux de jeu, si ce n'est du consentement des joueurs.
Il faut aussi, avant de commencer à jouer, tendre la corde à telle hauteur qu'on puisse voir le pié du dessus du mur, du côté où est l'adversaire ; & le long de cette corde est un filet attaché, dans lequel les balles donnent souvent.
S'il arrive par hasard qu'en jouant, la balle demeure entre le filet & la corde, & qu'elle donne dans le poteau qui tient la corde, le coup ne vaut rien.
Il n'est pas permis en poursuivant une balle d'élever la corde.
Ceux qui jouent à la paume ont ordinairement deux marqueurs. Ce sont proprement des valets de jeux de paume qui marquent les chasses. Ces marqueurs marquent au second bond, & à l'endroit où touche ce bond. Ils doivent encore avertir les joueurs tout haut qu'il y a chasse, & dire chasse, ou deux chasses si elles y sont, & à tant de carreaux, & à tel carreau la balle la gagne. Voyez ces mots à leur article.
Si les joueurs disent chasse morte, elle demeure telle, si les marqueurs ne leur répondent qu'il n'y en a une ; d'où l'on voit que le principal emploi des marqueurs est de dire au juste l'état du jeu de part & d'autre, & de rapporter fidelement les sentimens des spectateurs lorsqu'il survient quelque contestation. Ces voix se doivent recueillir tant pour l'un que pour l'autre joueur, sans prendre parti pour aucun, à peine de perdre leur salaire & d'être chassés du jeu.
Les joueurs de leur côté se doivent rapporter à la bonne foi des spectateurs, lorsqu'il se présente quelque coup douteux dans leur jeu, puisqu'il n'y a point d'autres juges qui les puissent jouer : ils s'en rapporteront même aux marqueurs, s'il n'y a qu'eux qui les puissent juger, lesquels diront leur sentiment sans craindre qu'on leur en veuille du mal.
On joue, pour l'ordinaire, partie, revanche & le tout, & l'on ne peut laisser cette derniere partie que pour bonne raison, comme à cause de la nuit, ou autre semblable.
Pour lors celui qui perd doit laisser des frais, & une partie de l'argent qu'on joue pour le tout, & l'autre pour la moitié.
Si c'est en deux parties liées qu'on joue, on ne peut les quitter non plus que les parties n'y consentent ; & en ce cas, chacun doit donner de l'argent pour le tout, & choisir un jour pour l'achever.
La chasse se marque par-tout où la balle a fait son second bond dans quelqu'endroit du jeu où elle tombe.
Tout joueur qui touche une balle, de quelque maniere que ce soit, perd un quinze.
Si, par inadvertance ou par oubli les marqueurs disoient une chasse pour une autre, ou donnoient celle d'un joueur à l'autre, cela ne peut point préjudicier aux joueurs, parce que la premiere chasse doit toujours se jouer devant l'autre.
Quand on a mal servi on recommence, à moins qu'on ne joue qui fault & boit.
Qui met sur l'ais de volée en servant, ou sur les cloux qui le tiennent, gagne quinze, de même lorsqu'il met dans la lune. Voyez LUNE & VOLEE.
On perd quinze pour dire pour rien trop tard. Voy. POUR RIEN. Celui qui sert ne peut pas le dire ; qui fait trois chasses rend tout son coup faux : depuis le service, une balle sortie hors les murailles, & qui y rentreroit après qu'on auroit joué dessus, le coup ne vaudroit rien.
Un joueur qui a quarante & fait deux chasses, ne perd point son avantage, mais il doit gagner au-moins la derniere de ces chasses pour avoir le jeu.
Si l'autre joueur avoit pour lors trente, & qu'il gagnât la premiere chasse, ils n'auroient aucun avantage l'un sur l'autre ; & l'autre qui gagneroit la derniere n'auroit qu'avantage. On ne perd rien pour se tromper en comptant moins de ce qu'on a fait, quinze, trente ou même un jeu, supposé que la partie ne fût point finie, car on perdroit ce dont on se méprendroit à la fin de la partie, si on laissoit jouer après cette méprise.
PAUME, JEU DE LA LONGUE ; ce jeu se nomme ainsi parce qu'on y joue dans une grande place qui n'est point fermée. Cette place est une grande rue, large, spacieuse & fort longue : il y a des villes où ces jeux sont dans des grands patis, ou de longues allées d'arbres. Au reste, il n'importe où ces jeux soient, pourvu que le terrein en soit uni, ou bien pavé, parce que lorsqu'il faut courir à la balle, il seroit dangereux de faire un faux pas, si le sol étoit inégal. On joue plusieurs à ce jeu, comme trois, quatre, cinq contre cinq. On se sert de battoirs de différentes grandeurs. Voyez BATTOIRS. On sert à la longue paume avec la main, & non pas avec le battoir, comme à la courte. Les parties sont de trois, de quatre, de cinq, & quelquefois de six jeux, selon les conventions qu'on fait.
C'est un grand avantage d'avoir au jeu un bon serveur qui ait le bras fort, afin qu'en jettant la balle avec roideur, ceux du parti contraire ne puissent l'attraper, auquel cas ils perdent quinze.
Quand on ne pousse point la balle jusqu'au jeu, on perd quinze au profit des autres joueurs. Les chasses à la longue paume se marquent à l'endroit où s'arrête la balle en roulant, & non pas où elle frappe.
Lorsqu'une balle qu'on a poussée du toit est renvoyée au-delà du jeu, le côté de celui qui l'a renvoyé gagne quinze.
Qui touche, de quelque maniere que ce soit, la balle qu'un des joueurs de son côté a poussée, perd quinze.
Quand un de ceux qui sont au renvoi repousse une balle de leur adverse partie, il est permis aux autres de la renvoyer ou de l'arrêter avec le battoir, pour l'empêcher de passer le jeu du côté du toit, afin que la chasse soit plus longue.
Toute balle poussée hors le jeu est autant de quinze que celui qui l'y pousse perd.
Toute balle qui tombe à terre est bonne à pousser du premier bond ; le second ne vaut rien.
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PAUMELLE | S. f. (Métiers) les Cordiers nomment paumelle, une lisiere de drap que le cordier a dans sa main, & dans laquelle il tient le fil pour arrêter le tortillement que la roue imprime, jusqu'à ce qu'il ait bien disposé le chanvre qu'il file ; elle empêche que la main du fileur ne soit coupée par le fil.
Les corroyeurs & les Marroquiniers appellent paumelle, un morceau de bois à manicle, plat, plus long que large, dentelé par-dessus, que l'on tient d'une main par le moyen d'une espece de manicle.
Les Oiseleurs entendent par paumelle, une machine composée de plusieurs pieces, sur laquelle on met un oiseau en vie pour meuter lorsqu'il n'a point de queue, & qu'on ne peut s'en servir aux verges.
Paumelle est encore une espece de panture de porte qui s'attache sur le bois, & qui tourne sur un gond. Trevoux. (D.J.)
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PAUMER | v. neut. (Marine) les Levantins se servent de ce terme pour dire se touer en halant à force de bras.
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PAUMET | S. m. (Marine) c'est un dé concave qui tient à un cuir à la paume de la main du voilier, & il s'en sert pour tourner son aiguille lorsqu'il coud les voiles. (Z)
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PAUMIER | S. m. ouvrier qui fait des raquettes & des balles, & autres choses servant au jeu de paume. Ce sont aussi les paumiers qui tiennent les jeux de paume, & qui fournissent aux joueurs des balles & des raquettes.
Il y a dans Paris une communauté de maîtres Paumiers, raquetiers, faiseurs de esteufs, pelotes & balles. Leurs statuts sont de l'année 1610.
Cette communauté est gouvernée par quatre jurés qui reçoivent les apprentis, & font des visites tous les mois. On élit deux de ces jurés chaque année, & ils sont deux ans en charge.
L'apprentissage est de trois ans, & le brevet doit être porté aux jurés huit jours après sa passation pour être enregistré.
Les aspirans à la maîtrise doivent faire chef-d'oeuvre, à l'exception des fils de maîtres.
Les veuves jouïssent des mêmes privileges que leurs maris, tant qu'elles restent en viduité ; elles peuvent continuer les apprentis commencés par leurs maris, mais non en obliger de nouveaux.
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PAUMILLE | S. f. (Fauconnerie) c'est une machine composée de plusieurs pieces sur laquelle on met un oiseau en vie pour meuter.
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PAUMILLON | S. m. (Agriculture) partie de la charrue qui tient l'épars où sont ordinairement attachés les traits des chevaux ou des boeufs qui tirent la charrue.
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PAUMURE | S. f. terme de Chasse, c'est le sommet des têtes de cerf, où le bois se divise en plusieurs branches, qui étant au nombre de cinq, représentent la paumure de la main. (D.J.)
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PAUPIERE | S. f. (Anatomie) les paupieres sont une espece de voiles ou rideaux placés transversalement au-dessus & au dessous de la convexité antérieure du globe de l'oeil. Il y a deux paupieres à chaque oeil, une supérieure & une inférieure. La paupiere supérieure est la plus grande & la plus mobile dans l'homme. La paupiere inférieure est la plus petite, & la moins mobile des deux. Les deux paupieres de chaque oeil s'unissent sur les deux côtés du globe. On donne aux endroits de leur union le nom d'angles, & on appelle angle interne, ou grand angle, celui qui est du côté du nez ; & angle externe, ou petit angle, celui qui est du côté des tempes.
Les paupieres sont composées de parties communes & de parties propres ; les parties communes sont la peau, l'épiderme, la membrane cellulaire ou adipeuse. Les parties propres sont les muscles, les tarses, les cils, les points ou trous ciliaires, les points ou trous lacrymaux, la caroncule lacrymale, la membrane conjonctive, la glande lacrymale, & enfin les ligamens particuliers qui soutiennent les tarses. De toutes ces parties des paupieres, les tarses & leurs ligamens en sont comme la base. Voyez TARSES, ligamens ciliaires, &c.
Les bords de chaque paupiere en leur entier, sont formés par le bord du tarse, & la rencontre de la membrane interne avec la peau de l'épiderme. Ce bord a une petite largeur plate, depuis deux ou trois lignes de distance de l'angle interne des paupieres, jusqu'à l'angle externe, vers lequel sa largeur va en diminuant. Cette largeur qui n'est que l'épaisseur applatie des paupieres, est taillée obliquement, desorte que quand les deux paupieres se touchent légerement, elles forment avec la surface du globe de l'oeil, un canal triangulaire.
Le bord applati de chaque paupiere est garni d'une rangée de poils qu'on appelle cils ; ceux de la paupiere supérieure sont courbés en-haut, & plus longs que ceux de la paupiere inférieure qui sont courbés en-bas. Les rangées sont du côté de la peau ; elles ne sont pas simples, mais plus ou moins inégalement doubles & triples. Les poils sont proportionnément plus longs vers le milieu des paupieres, que vers les extrémités, & il ne s'en trouve point ordinairement à la distance marquée de l'angle interne.
Le long du même bord des paupieres, vers la membrane interne, ou du côté de l'oeil, paroît une rangée de petits trous, qu'on peut appeller trous ou points ciliaires.
On compte ordinairement deux muscles aux paupieres ; un propre ou particulier à la paupiere supérieure, nommé muscle releveur de cette paupiere ; & un commun aux deux paupieres, appellé muscle orbiculaire des paupieres, lequel on subdivise différemment. Voyez ORBICULAIRE & RELEVEUR.
La paupiere supérieure dans l'homme a beaucoup plus de mouvement que la paupiere inférieure. Les petits clignotemens simples qui arrivent de moment en moment, dans les uns plus, dans les autres moins, se font à la paupiere supérieure alternativement par le releveur propre, & par la portion palpébrale supérieure du muscle orbiculaire. Ils se font aussi alternativement & en même tems à la paupiere inférieure du muscle orbiculaire, mais très-peu à cause du petit nombre des fibres palpébrales inférieures.
Ces mouvemens légers, sur-tout celui de la paupiere supérieure, ne sont pas si faciles à expliquer, conformément à la vraie structure. Les mouvemens qui font tout-à-fait froncer les paupieres, & qu'on fait ordinairement pour tenir un oeil bien fermé, pendant qu'on regarde fixément avec l'autre, peuvent être assez clairement expliqués par la simple contraction de toutes les portions du muscle orbiculaire. Ces derniers mouvemens font aussi abaisser les sourcils, desorte qu'on peut les mouvoir en trois différentes manieres ; savoir en-haut par les muscles frontaux, en-bas, par les muscles orbiculaires, & en-devant par les muscles sourciliers.
La peau des paupieres est plus longue chez les Orientaux que chez les autres peuples ; & cette peau est comme on sait d'une substance semblable à celle du prépuce ; mais quel rapport y a-t-il entre l'accroissement de ces deux parties si éloignées.
Les paupieres, dit Cicéron, qui sont les ouvertures des yeux, ont une surface douce & polie, pour ne les point blesser ; soit que la peur de quelque accident oblige à les fermer ; soit qu'on veuille les ouvrir. Les paupieres sont faites pour s'y prêter, & l'un & l'autre de ces mouvemens ne leur coûte qu'un instant. Elles sont, pour ainsi dire, fortifiées d'une palissade de poils, qui leur sert à repousser ce qui viendroit attaquer les yeux quand ils sont ouverts, & à les clôre dans le tems du sommeil paisible.
Pour mettre dans un plus grand jour l'usage de ce beau voile, je remarquerai trois choses. 1°. Que les paupieres consistent en une peau mince & flexible, mais forte, par où elles sont plus propres à nettoyer & à défendre en même tems la cornée. 2°. Leurs bords sont fortifiés par un cartilage mol & flexible ; par ce moyen elles remplissent mieux leurs fonctions, se ferment & s'ouvrent plus facilement. 3°. De ce cartilage s'éleve cette palissade de poils durs & roides, d'un grand usage pour garantir l'oeil contre les injures du dehors, pour détourner les petits corpuscules, pour empêcher la lumiere trop vive, &c. & en même tems pour laisser au-travers de leurs interstices un passage suffisant aux rayons qui partent des objets pour venir jusqu'aux yeux.
Ajoutons qu'afin d'empêcher que l'air de dehors ne desseche la premiere surface de la prunelle qui y est exposée, & qu'il ne s'y fasse une espece d'épiderme comme à tout le reste du corps, il y a une humeur que l'oeil a toujours en reserve dans des glandes cachées sous les paupieres, & qu'il envoye par des conduits particuliers vers leurs bords, afin que passant & repassant souvent sur le globe de l'oeil, comme elles font, il soit toujours humecté par cette humeur qui y est répandue ; elle produit sur l'oeil le même effet que le vernis sur les tableaux, donnant à leurs couleurs plus d'éclat & de vivacité.
Cette action des paupieres sert encore à nettoyer & à essuyer l'oeil, en emportant la poussiere, & les autres petits corps qui peuvent s'attacher à cet organe, & l'incommoder. Cet usage a paru de telle importance à la nature, que les brutes n'ayant pas le moyen de se frotter les yeux comme l'homme qui a des mains, elle leur a donné une troisieme paupiere, qu'elle a mis en-dedans sous les deux autres ; ensorte que cette paupiere se glissant au-travers, va de droit à gauche, & de gauche à droite, pendant que les deux autres se haussent & se baissent pour pouvoir essuyer l'oeil en tout sens. C'est à cette paupiere que sont attachées les glandes qui fournissent l'humeur huileuse qui est répandue sur la cornée pour la nettoyer.
Le singe est le seul entre toutes les bêtes, qui de même que l'homme n'a point cette troisieme paupiere ; parce qu'ayant des mains comme lui, il s'en peut servir pour se frotter les yeux, & en faire sortir ce qui les incommode.
Les organes qui font remuer cette paupiere des animaux, ont une méchanique bien industrieuse ; elle consiste dans une corde qui passe dans une poulie, & qui étend sur l'oeil une membrane, comme on tire un rideau devant une fenêtre ; mais il faut beaucoup plus d'artifice pour cette action, qu'il n'y en a dans celle de la poulie ; parce que pour étendre cette membrane, il est nécessaire que le muscle qui la tire fasse un fort long chemin, ce qui est difficile à un muscle, qui ne peut être guere long, à cause du peu d'espace qu'il a pour se loger.
Les poissons n'ont point ordinairement cette troisieme paupiere : le poisson appellé morgan, qui est une espece de galeus, l'a située autrement que les autres animaux ; car elle est tirée en-bas par ses fibres propres, & relevée en-haut par un muscle. Cette paupiere se trouve aussi dans les poissons, qui comme le veau marin sortent quelquefois de l'eau pour venir sur terre ; peut-être c'est parce que l'oeil des poissons qui sont toujours dans l'eau, n'a pas besoin de paupiere qui le conserve & le garantisse de la poussiere qui vole en l'air, à laquelle l'oeil du veau marin qui demeure long-tems sur terre, est exposé.
On n'est pas maître du mouvement des paupieres, c'est ma derniere remarque ; aussi est-ce avec raison qu'autrefois à Rome, on prit pour un prodige la fermeté d'un gladiateur qui retenoit le mouvement de ses paupieres, & s'empêchoit de siller les yeux quand il vouloit, lorsqu'on lui portoit des coups au visage ; car quoique le mouvement des paupieres soit libre, il devient à la longue nécessaire, & très-souvent involontaire. On n'est pas maître de tenir les paupieres levées lorsque le sommeil est pressant, ou que les yeux sont fatigués ; ce n'est pas cependant une chose particuliere aux yeux ; la nature a fait les organes des piés & des mains soumis à notre volonté, quoique notre volonté n'en dispose pas toujours. Qu'un homme tienne dans sa main quelque chose de précieux, & qu'il veut conserver au péril de sa vie ; s'il vient alors à broncher inopinément, étant abordé par un voleur, il lâchera ce qu'il tient pour mettre les mains au-devant de lui. La volonté n'est point la maitresse d'un mouvement automatique qui va directement à notre conservation(D.J.)
PAUPIERE, maladie des (Médecine) Les paupieres sont sujettes à plusieurs maladies dont nous parcourons les principales ; & nous renvoyons les autres sous leurs articles particuliers.
Les enfans viennent quelquefois au monde avec les paupieres d'un oeil, ou des deux yeux, unies ensemble en tout ou en partie. Il est vrai que c'est un jeu rare de la nature, & beaucoup plus commun par accident ou maladie, que par vice de conformation. Mais quelle qu'en soit la cause, on ne sauroit croire combien il est essentiel de charger de l'opération un chirurgien qui ait de l'expérience, de l'adresse, & la main sûre pour ne point endommager l'oeil. Nous parlerons de cette concrétion des paupieres à la fin de cet article.
Les paupieres sont fort sujettes à des tubercules & excroissances de différentes grandeurs & figures. Si l'excroissance est petite, rouge, dure, immobile & située au-dessus des cils, on l'appelle orgeolet, à cause qu'elle a la figure d'un grain d'orge. Quelquefois cette petite tumeur est située en-dehors de la peau, & quelquefois au-dedans de la paupiere. Voyez ORGEOLET.
Si le tubercule est mobile, on l'appelle chalaze ; s'il est en forme de vessie remplie d'une humeur aqueuse, on le nomme hydatide. S'il est fait comme un grain de grêle, on le nomme grêle, en grec . C'est une petite tumeur blanche, raboteuse, plus dure & plus colleuse que l'orgeolet, naissant à la partie extérieure & intérieure des paupieres, & renfermant une humeur qui ressemble en consistance à du tuf, ou à du gravier ; on traite ce mal de même que l'orgeolet.
Quelques-uns de ces tubercules tiennent de la nature de l'atherome, du stéatome, & du méliceris ; mais la plûpart sont de l'espece enkistée, les uns tenant à la peau par une racine fort mince, & les autres ayant une base fort large. Ces tubercules ne sont pas à craindre quand ils ne causent aucune douleur ; cependant ils demandent une attention particuliere lorsqu'il s'agit de les enlever par une incision, à cause de l'extrême délicatesse de la paupiere. Les tubercules qui pendent à une racine peuvent être extirpés par le moyen de la ligature, ou en les coupant sur le champ avec des ciseaux.
Les verrues qui viennent aux paupieres ne different des tumeurs dont on vient de parler, qu'en ce qu'elles défigurent la partie, & offensent souvent la vue. Ces verrues ont une racine grosse ou petite ; on les extirpe par le moyen de la ligature ou du bistouri, de même que les autres verrues ; mais quand elles deviennent noirâtres ou livides, on ne doit pas y toucher, parce qu'on a tout lieu d'appréhender la gangrene.
Les paupieres s'enflent ou se relâchent souvent au point de défigurer la partie, & de nuire à la vue. Cette maladie procede toujours ou de la paralysie du muscle releveur de la paupiere, ou du relâchement de la peau qui est au-dessus. Il vient quelquefois aux paupieres une tumeur oedémateuse ou aqueuse qui empêche l'oeil entierement de s'ouvrir ; il faut exactement distinguer ce cas du précédent, puisqu'on y remédie aisément par des cathartiques, des diurétiques, & des sudorifiques, & en appliquant sur la partie une compresse trempée dans de l'esprit-de-vin camphré, ou dans de l'eau de chaux. Lors au contraire qu'elle est causée par un relâchement de la peau, il convient d'employer des remedes corroboratifs, comme un emplâtre d'huile noire de tartre, mêlée avec de la cire ou du baume du Pérou, de l'eau de la reine de Hongrie, de l'esprit de vers-de-terre, & autres choses semblables. Supposé que ces remedes ne réussissent point, le mieux qu'on puisse faire est de retrancher une portion suffisante de la peau relâchée, pour la raccourcir & la faire rentrer dans son état naturel ; mais cette opération délicate a rarement du succès.
Ce qu'on nomme mutilation de la paupiere, en grec , est une maladie de l'oeil, dans laquelle le bord de la paupiere est fendu, ou consommé en partie ; ensorte que les angles de part & d'autre de cette fente, même les bords, se retirent & se renversent. C'est une espece d'éraillement de la paupiere produit par une plaie, un ulcere, ou autre maladie. Quelque petite que soit cette fente ou cette mutilation de la paupiere, le mal est incurable ; la paupiere a trop peu d'épaisseur pour pouvoir être retaillée, & soutenir une ou deux aiguilles, autant de tems qu'il en faudroit pour procurer l'union.
Le trachome des Grecs, qu'on appelle en françois dartre des paupieres, est une ulcération des paupieres, accompagnée de rougeur, de prurit, d'âpreté, d'inégalités, de ficosités, de fentes, & de duretés dans la partie interne de l'une & de l'autre paupiere ; on en fait trois especes, ou plûtôt trois degrés différens.
Le premier est, quand en renversant les paupieres, on voit qu'elles sont en-dedans rouges, inégales, âpres, & que le malade se plaint d'une démangeaison cuisante ; on appelle cette espece dasites. Le second est quand ces symptomes sont plus violens, & qu'il se forme aux paupieres de petits tubercules, à-peu-près comme des pepins de figue ; alors le mal prend le nom de ficosis, ficosa palpebra. Le troisieme est quand la maladie est si invétérée, que la partie interne des paupieres est ulcérée avec des fentes & des duretés calleuses : les Grecs nomment cette espece de dartre calleuse des paupieres, thilosis, & les latins callositas palpebrae ; pour la cure, voyez TRACHOME.
Le dérangement des cils des paupieres qui se tournent quelquefois en-dedans, & irritent les yeux par de vives douleurs accompagnées d'inflammations, est un mal qui se nomme trichiase. Voyez TRICHIASE.
Le renversement & retirement des paupieres, qui ne couvrent pas suffisamment l'oeil, se nomme ectropium & lagophthalmie. Voyez-en les articles, & joignez-leur la dissertation savante de Keeckius sur l'ectropium, car elle mérite d'être consultée.
Quand les paupieres sont collées l'une à l'autre, ou contre l'oeil même, quelle qu'en soit la cause, cette maladie s'appelle concrétion des paupieres, & par les Grecs, , mot composé de , jointure, & de , paupiere. Celse ainsi que Paul Eginete en ont parlé. On distingue bien aisément cette concrétion d'un accident passager qui arrive aux yeux par l'intervention de quelque matiere glutineuse, sans qu'il y ait une véritable coalition, comme on le voit quelquefois dans la petite vérole & dans l'ophthalmie.
Quelquefois les paupieres sont tellement collées l'une contre l'autre, qu'on ne sauroit du tout ouvrir l'oeil, tantôt cet accident n'arrive qu'à un oeil, d'autres fois à tous les deux. Il arrive aussi quelquefois que la paupiere s'unit avec la conjonctive, & cela plus ou moins fort, à proportion du nombre de fibres entre lesquelles se fait la coalition. Ces sortes de maux viennent aux yeux quand cette partie ou la paupiere qui la couvre, ont été maltraitées par la petite vérole, ou à la suite d'une violente inflammation, ou d'une brûlure, sur-tout si elle a été faite avec de la poudre à canon, ou en un mot de toute autre exulcération de quelque nature qu'elle soit. Il n'est pas sans exemple de voir des enfans naître avec cette défectuosité, & des hommes sains d'ailleurs la contracter à l'occasion d'excroissances charnues à l'un ou l'autre angle de l'oeil. Heister dans sa chirurgie a vû l'un & l'autre arriver.
Le même auteur ajoute qu'il a vû les paupieres collées à la cornée, ce qui est difficile à concevoir ; en tout cas c'est un fait rare, & dans lequel il ne peut guere arriver qu'on en guérisse sans perdre la vue : en général la guérison de la coalition des paupieres est très-incertaine. Un des cas où il est plus difficile de décoller la paupiere de dessus l'oeil, c'est lorsque le mal est causé par une brûlure. Ce qu'on peut tenter de mieux alors, est de faire force injections, d'introduire dans les yeux des médicamens humectans & émolliens, propres à les tenir toujours humides & mobiles, & à empêcher les parties enflammées de se coller l'une contre l'autre.
Quand la coalition des paupieres est une suite de la petite vérole, il est difficile de la détacher sans que l'oeil en souffre par des cicatrices irremédiables, mais quand à l'occasion de la petite vérole, ou d'une inflammation aux yeux, il arrive, ce qui n'est pas rare, que les paupieres s'attachent l'une à l'autre pendant le sommeil, par l'intervention de quelques humeurs gluantes, qui empêchent le malade d'ouvrir les yeux, alors le remede est simple. On se gardera bien de lui ouvrir les yeux de force, mais on délayera ses humeurs avec facilité par des injections d'eau tiede, & en bassinant la partie avec du lait chaud, au moyen de quoi les paupieres ne manqueront pas de s'ouvrir.
Mais dans toutes les occasions où pour remédier à la concrétion des paupieres il est besoin de l'opération, on ne sauroit trop, comme je l'ai dit, en charger une main habile, sure & expérimentée. Il faut aussi que le même chirurgien après avoir opéré, tâche d'empêcher par des précautions convenables, que les paupieres ne s'attachent de nouveau. Un des bons moyens pour y parvenir, est de mettre entre deux un petit linge très-fin, ou une feuille d'or enduite d'huile d'amandes douces ; on les y laisse quelques jours jusqu'à ce qu'on n'ait plus à craindre de nouvelle coalition. Cependant comme il arrive souvent que la personne incommodée ne peut rien souffrir entre sa paupiere & son oeil, il faut alors se contenter de lui instiller dans l'oeil un collyre d'eau de plantain, de tuthie & de sucre de saturne, & réitérer souvent cette instillation ; en même tems le malade aura soin de frotter doucement, & remuer lui-même ses paupieres, en les écartant de tems-en-tems avec les doigts.
Je finis par une remarque sur la concrétion des paupieres ; c'est qu'il n'en faut point faire l'opération sur les enfans, par l'impossibilité qu'il y a de les engager à tenir les yeux ouverts. Il faut donc attendre d'eux un âge raisonnable, d'autant plus que cette maladie n'est pas du nombre de celles qui se rendent plus fâcheuses par le cours de quelques années. Je renvoye toujours le lecteur sur les maladies de l'oeil à Maître-Jan ; & c'est en particulier sur les maladies des paupieres qu'on se plait à voir sa candeur & son amour pour la vérité. (Le Chevalier DE JAUCOURT ).
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PAUPOIRE | S. m. (Verrerie) plaque de fonte comme le marbre, de huit à neuf lignes d'épaisseur. Elle est placée à terre ; & c'est là-dessus que le maître souffle & forme la paraison avant de la mettre dans le moule.
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PAUSAIRE | S. m. (Hist. anc.) officier de l'ancienne Rome, qui régloit les pauses que l'on devoit faire dans les pompes ou les processions solemnelles. Voy. PAUSE.
Dans ces sortes de cérémonies il y avoit des stations fréquentes à des endroits préparés à ce dessein, & dans lesquels on exposoit les statues d'Isis & d'Anubis.
On appelloit mansiones ces sortes de repos ; c'étoit l'office du pausaire de les régler.
Suivant une inscription citée par Saumaise, il paroît que les Romains avoient une espece de college, ou un corps de pausaires. Voyez COLLEGE.
Le nom pausaire, pausarius, se donnoit aussi à un officier des galeres romaines, qui faisoit le signal aux rameurs, & qui marquoit le tems & les pauses, afin qu'ils pussent tous agir de concert & ramer ensemble. Voyez GALERE.
On se servoit pour cela d'un instrument de musique. Hyginus dit que dans le vaisseau des Argonautes Orphée faisoit cet office avec son luth.
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PAUSANIES | S. f. pl. (Antiq. grec.) fêtes accompagnées de jeux où les seuls citoyens de Sparte étoient admis pour disputer le prix. Cette fête tiroit son nom de Pausanias général des Spartiates, sous les ordres duquel les Grecs vainquirent Mardonius à la fameuse bataille de Platée. Depuis ce tems il y eut toujours un discours en l'honneur de ce grand capitaine. Potter. Archaeol. greq. liv. II. chap. xx. t. 1. pag. 424. (D.J.)
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PAUSE | S. f. (Gramm.) cessation d'action, ou repos momentané. On fait une pause en parlant, en lisant & en travaillant à quoi que ce soit.
PAUSES, s. m. pl. (Marine) ce sont des bateaux fort larges & fort longs, dont les étrangers se servent à Archangel en Moscovie, pour porter les marchandises à bord.
PAUSE, en Musique, est un intervalle de tems qui se doit passer en silence. Voyez SILENCE, TACET.
Le nom de pause peut s'appliquer à des silences de différentes durées ; mais communément il s'entend de la valeur d'une mesure pleine.
La pause se marque par un demi-bâton, qui partant d'une des lignes de la portée, descend jusqu'à la moitié de l'espace compris entre cette ligne & la ligne qui est immédiatement au-dessous. Quand on a plusieurs pauses à marquer, alors on doit se servir des figures dont j'ai parlé au mot BATON.
A l'égard de la demi-pause, qui vaut une blanche ou la moitié d'une mesure à quatre tems, elle se marque comme la pause entiere, à la différence que la pause tient à une ligne par le haut, & que la demi-pause y tient par le bas. Voyez la figure de l'une & l'autre, Pl. de Musique.
Il faut remarquer que la pause vaut toujours une mesure juste, dans quelque espece de mesure qu'on soit ; au lieu que la demi-pause a une valeur fixe & invariable, qui est la blanche ; desorte que dans toute mesure qui vaut plus ou moins d'une ronde ou de deux blanches, on ne doit point se servir de la demi-pause pour marquer une demi-mesure, mais des autres silences qui en expriment la juste valeur. Voyez SILENCE, SOUPIR, DEMI-SOUPIR, &c.
Quant à cette autre espece de pause connue dans nos anciennes musiques sous le nom de pauses initiales, parce qu'elles ne se plaçoient jamais qu'immédiatement après la clé, & qui servoient non à exprimer des silences, mais à déterminer le mode ; ce nom de pause ne leur fut donné qu'abusivement & mal-à-propos. Voyez BATON, MODE. (S)
PAUSE, en terme de Batteur d'or, est proprement le tems qu'on employe à battre l'or suffisamment pour le retirer d'un outil, apparemment parce que l'ouvrier est censé avoir frappé sans relâche.
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PAUSEBASTOS | S. m. (Hist. anc. des pierres préc.) nom d'une pierre précieuse consacrée à Venus, & qu'on appelloit aussi paneros ; il semble que c'étoit une très-belle agate.
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PAUSICAPE | S. m. (Hist. d'Athènes) , espece de punition chez les Athéniens ; c'étoit une machine ronde dans laquelle on mettoit le col du patient de telle maniere, qu'il ne pouvoit pas lever sa main vers sa tête. Potter. Archaeol. grecq. t. I. p. 131.
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PAUSILYPE | (Géogr. mod.) en latin Pausilypus, en italien monte di Posilipo, montagne du royaume de Naples, dans la Campanie, délicieuse, fertile en vins délicats, & en toutes sortes d'excellens fruits. Elle regarde d'un côté la mer de Pouzzol, & de l'autre la ville de Naples, dont elle forme le petit golfe, en s'avançant dans la mer vis-à-vis la petite île de Nisida, qui semble en avoir été détachée. Vedius Pollio y avoit une belle maison de plaisance au bord de la mer ; on en voit encore des restes. Il la légua à Auguste au rapport de Dion ; pas loin de-là étoient les réservoirs de Lucullus, & un temple octogone de Neptune, que le vulgaire appelle l'école de Virgile ; vis-à-vis est un écueil que les Poëtes ont appellé euploca, qui veut dire heureuse navigation, aujourd'hui la caïola, à cause de sa figure qui ressemble à une cage. Sannazar a son tombeau dans l'église des servites de Pausilype. Mais le plus singulier de cette montagne, c'est qu'elle est percée par une grotte longue d'un mille, haute de 40 ou 50 piés, & large d'environ 3 toises, ce qui fait que deux carrosses y peuvent passer de front ; cette grotte creusée en forme de chemin, abrege la route de Naples à Pouzzol, sans être contraints d'aller par mer, & de monter ou descendre cette montagne ; le chemin est uni, & quand il pleut, on se trouve à couvert, mais on y est étouffé par la poussiere, on y est privé du jour ; il faut se coller contre le mur pour n'être pas heurté par ceux qu'on rencontre dans la même route ; & s'il arrive quelqu'accident aux voitures & aux chevaux, il est difficile d'y remédier, faute de lumiere ; cependant bien des gens sont assez fous que de passer par cette grotte ; on prend la droite, c'est-à-dire la montagne quand on sort de Naples, & la gauche, c'est-à-dire, le côté de la mer, quand on y va.
On ignore l'auteur de cet ouvrage ; on sait seulement qu'Alphonse, premier roi de Naples & d'Aragon, y fit faire des soupiraux, élargir le chemin, & en facilita l'entrée, qui étoit comme murée de ronces & d'épines. Pierre de Tolede, viceroi de Naples sous Charles V. fit aussi réparer le même ouvrage. Quand on est arrivé au bout de cette grotte, on marche une centaine de pas entre de hautes murailles pratiquées dans le rocher, qui finit à un village.
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PAUSULOE | (Géog. anc.) ville d'Italie dans le Picenum, selon la carte de Peutinger. Pline, l. III. ch. xiij. appelle le peuple Pausulani ; & Cellarius, géogr. ant. l. II. c. ix. dit que la ville Monte del' Olmo a été bâtie sur les ruines de celle de Pausulae. (D.J.)
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PAUSUS | S. m. (Mythol.) c'étoit le dieu de la cessation du travail : l'opposé de Mars & de Bellone.
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PAUTALITORUM | (Géog. anc.) peuples qui habitoient la ville de Pautalia, que Ptolomée, l. III. c. xj. place dans la Thrace. Ils sont aussi connus par une médaille de l'empereur Antonin-Pie, que cite Adolphe Occo. On lit encore sur l'inscription d'une médaille de l'empereur Severe, ce mot . Cependant les interpretes de Ptolomée au lieu de Pautalia, lisent Pantalia. (D.J.)
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PAUTARING | (Hist. nat.) espece de citron qui croît dans l'île de Ceylan, & qui est de la grosseur des deux poings.
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PAUTKAS | S. f. (Commerce des Indes) toiles de coton des Indes. Il y en a diverses sortes, qui ont différentes longueurs & largeurs, suivant leur qualité.
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PAUTONNIER | S. m. (Commerce & Finance) celui qui est commis pour la perception des droits de pontenage ou pontonage qui se levent sur les marchandises. Voyez PONTENAGE & PONTONNIER. Dict. de Commerce.
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PAUTZKE | ou PUTZKO, ou PARDUBITZ, (Géog. mod.) petite ville de la Prusse polonoise, dans la Pomerellie, à 10 lieues de Dantzig. Long. 36. 6. lat. 54. 42.
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PAUVRE | PAUVRETE, (Critique sacrée) en grec , , en latin pauper, paupertas. Ces mots se prennent ordinairement dans l'Ecriture pour un état d'indigence qui a besoin de l'assistance d'autrui, faute de pouvoir gagner sa vie par le travail. Moïse recommande qu'on ait un soin particulier de telles personnes : il voulut qu'on les appella aux repas de religion que l'on faisoit dans les temples ; qu'on laissât exprès quelque chose dans les champs, dans les vignes, & sur les arbres pour eux. Lévit. xix. 9. & 10. Il ordonna qu'on fît une réserve commune dans les années sabatiques & au jubilé, en faveur de tels pauvres, de la veuve & de l'orphelin.
Le nom de pauvre se prend aussi pour celui qui est humble, affligé. Job. xiv. 16. Ps. lxxxj. 3. Prov. ix. 10. Dans tous ces passages ce terme signifie un homme qui contrit de ses fautes demande à Dieu le secours de sa miséricorde. Ce mot désigne encore un homme méprisable par ses sentimens. Vous dites, je suis riche & je n'ai besoin de rien ; & vous ne voyez pas que vous êtes pauvre, aveugle & nud.
Les pauvres en esprit que Jesus-Christ dit heureux, Matth. v. 3. ou simplement les pauvres, comme on lit dans S. Luc, sont ceux qui ne sont point possédés de l'amour & de la convoitise des richesses. Ce ne sont pas les pauvres en général qui sont heureux, mais ceux qui le sont pour l'évangile ; ceux qui ont sacrifié les honneurs & les richesses de ce monde pour acquérir les vrais biens, à cause de la justice, comme s'exprime Clément d'Alexandrie, strom. lib. IV. page 484. (D.J.)
PAUVRE CATHOLIQUE, (Hist. ecclés.) nom de religieux. C'est une branche des Vaudois ou pauvres de Lyon, qui se convertirent en 1207, formerent une congrégation qui se répandit dans les provinces méridionales de la France, & qui après s'être accrûe de quelques autres Vaudois, se fondit en 1256 dans les hermites de S. Augustin.
PAUVRES DE LYON, voyez VAUDOIS.
PAUVRES DE LA MERE DE DIEU, congrégation fondée en 1556 par un gentilhomme espagnol nommé Joseph Casalanz. Leur fonction premiere fut de tenir les petites écoles à la campagne ; dans la suite ils entrerent dans les villes & y enseignerent les Humanités, les langues anciennes, la Théologie, la Philosophie & les Mathématiques. Ils furent protégés depuis leur institution jusque dans les tems les plus voisins des nôtres, par tous les souverains pontifes. Ils ont l'habit des Jésuites, excepté que leur robe s'attache par-devant avec trois boutons noirs de cuir, & que leur manteau ne descend qu'aux genoux. Ils sont au nombre des mendians.
PAUVRES VOLONTAIRES, (Hist. ecclés.) ordre qui parut vers la fin du xjv. siecle. La regle de S. Augustin devint celle de ces religieux en 1470. Ils étoient tous laïcs, ne recevoient point de prêtres, ne savoient pas lire pour la plûpart, travailloient de différens métiers, servoient les malades, enterroient les morts, ne possédoient rien, vivoient d'aumônes, se levoient la nuit pour prier, &c. Il y a long-tems qu'ils ne subsistent plus.
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PAUVRETÉ | S. f. (Mythol.) Il paroît par le Plutus d'Aristophane qu'elle avoit été personnifiée & mise au rang des dieux. Les habitans de Gadara l'honoroient d'un culte particulier, parce qu'ils la regardoient comme la mere de l'Industrie & de tous les arts. Platon lui donne l'amour pour fils ; Plaute la fait fille de la débauche, parce que ceux qui s'y livrent aboutissent assez souvent à la pauvreté. (D.J.)
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PAUXI | (Ornithol.) oiseau de l'Amérique, décrit par Nieremberg, & qui paroît être le même que le mitu du Brésil, décrit par Marggrave. Toute la différence est que le pauxi au lieu de crête, a une espece de fraise ou de protubérance charnue à la base du bec ; cette fraise est toute cartilagineuse, & d'un beau bleu pâle.
PAUXI, (Calendr. egyptien) nom du dixieme mois de l'année égyptienne. Il commence le 26 Mai du calendrier Julien.
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PAVAGE | S. m. (Commerce) on appelle en quelques provinces de France, particulierement en Bretagne droit de pavage, un droit qui se leve sur certaines marchandises à l'entrée des villes, pour la réparation & entretien de leur pavé. Voyez PAVE.
Le droit de pavage de la ville de Nantes est de deux deniers par charrette, & d'un denier par somme. Dictionn. de Commerce.
PAVAGE, (Jurisprud.) se disoit quelquefois anciennement pour péage. Voyez PEAGE.
PAVAGE, s. m. terme de Paveur ; il se dit de l'ouvrage qui se fait avec du pavé, aussi-bien que de l'action de celui qui pave.
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PAVANE | S. f. (Orchestriq.) danse grave, venue d'Espagne, où les danseurs font la roue l'un devant l'autre, comme les paons font avec leur queue, d'où lui est venu ce nom. C'étoit une danse sérieuse que les gentilshommes dansoient avec la cape & l'épée ; les gens de justice avec leurs longues robes ; les princes avec leurs grands manteaux ; & les dames avec les queues de leurs robes abaissées & traînantes : on l'appelloit le grand bal, parce que c'étoit une danse majestueuse & modeste. Il s'y faisoit plusieurs assiettes de piés, passades & fleurets, & des découpemens de piés pour en modérer un peu la triste gravité. La tablature de la pavane est décrite dans Thoinot Arbeau, en son Orchésographie. Cette danse n'est plus en usage ; elle est trop sérieuse pour plaire à la vivacité des jeunes gens ; les contre-danses sont plus de leur goût, & c'est tout naturel. (D.J.)
PAVANE, (Musiq.) la pavane est un chant à deux tems : on la divise en grande & en petite ; celle-ci n'a que douze mesures en tout, de quatre en quatre mesures. Il faut qu'il y ait un repos & une cadence ; la grande a trois parties, qui se terminent par des cadences différentes ; la seconde partie doit avoir deux mesures de plus que la premiere, & doit être plus gaie ; la troisieme doit avoir deux mesures de plus que la seconde, & avoir encore plus de gaieté.
La pavane est du genre des sonates, & elle est comprise dans la seconde espece des sonates que les Italiens appellent sonata da camera, sonate de chambre. Voyez SONATE.
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PAVATE | S. f. (Hist. nat. Botan. exot.) arbrisseau des Indes, haut suivant Acosta, de huit à neuf piés, médiocrement rameux, gris, chargé de peu de feuilles semblables aux petites feuilles de l'oranger, sans queue, d'une belle couleur verte. Sa fleur est petite, blanche, composée de quatre pétales, portant au milieu une étamine blanche qui finit en pointe verte. Cette fleur ressemble en figure au chévrefeuille, & en a l'odeur ; cette plante croît le long des rivieres Mangate & Cranganor ; les Indiens s'en servent beaucoup en Médecine. (D.J.)
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PAVÉ | S. m. (Archit. rom.) pavimentum, terme qui chez les Latins, signifie le sol d'une place de quelque matiere qu'il soit fait ; plâtre, terre, sable, gravois, cailloux, brique, carreaux de terre cuite, marbre, & autre nature de pierres, pourvû que ledit sol ait été affermi, battu & frappé, & consolidé sur la superficie de la terre ou d'un plancher, pour en produire une croûte & un plan ferme, servant à porter ce qui doit reposer ou passer par-dessus : pavimentum enim, dit Vitruve, est solidamentum sive incrustatio quam gradiendo calcamus.
Selon Isidore, les Carthaginois voisins de Barbarie, ont été les premiers qui ont pavé leur ville de pierres ; ensuite à leur imitation, Appius-Claudius Caecus fit paver la ville de Rome 188 ans après l'expulsion des rois ; c'est ce qu'on nomma la voie Appienne. Enfin, les Romains entreprirent les premiers de paver les grands chemins hors de leur ville, & insensiblement ils ont poussé cet ouvrage presque par tout le monde : per omnem penè orbem vias disposuerunt, comme parle le même Isidore.
Les Romains eurent deux manieres différentes de paver leurs grands chemins ; les uns se pavoient de pierres, & les autres étoient cimentés de sable & de terre-glaise. Les premiers étoient à trois rangs, à ce que l'on a observé dans les vestiges qui en sont restés ; celui du milieu qui servoit aux gens de pié étoit un peu plus élevé que les deux autres, de façon que les eaux ne s'y pouvoient arrêter. On le pavoit à la rustique, c'est-à-dire de gros carreaux de pierre à joints incertains, au lieu que nos pavés sont équarris ; les deux autres rangs étoient couverts de sable lié avec des terres grasses, sur quoi les chevaux marchoient fort à l'aise. D'un intervalle à l'autre, on trouvoit sur les bordages de grosses pierres dressées à une hauteur commode, quand on vouloit monter à cheval ; parce que les anciens n'avoient pas l'usage des étriers. On trouvoit encore les colonnes milliaires sur lesquelles on voyoit écrites les distances de tous les lieux, & le côté du chemin qui menoit d'un lieu à un autre ; ce fut une invention de C. Gracchus.
Les chemins pavés de la seconde maniere, c'est-à-dire seulement de sable & de terre-glaise, étoient en dos d'âne, tellement que l'eau ne s'y pouvoit arrêter, & le fond étant aride & prompt à sécher, ils demeuroient toujours nets de fange, & sans poussiere. On en voit un dans le Frioul que les habitans nomment le posthume, lequel va dans la Hongrie, un autre sur le territoire de Padoue, qui partant de la ville même aboutit aux Alpes.
Aurelius Cotta eut la gloire de faire paver la voie Aurélienne l'an 512 de la fondation de Rome. Flaminius fut l'auteur de la voie Flaminienne, & la voie Emilienne fut exécutée par les ordres d'Emilius. Les censeurs ayant été établis firent des ordonnances pour multiplier les pavés des grands chemins, en déterminer les lieux, l'ordre & la maniere. Passons à la construction des pavés intérieurs des édifices de Rome.
Les pavés qu'ils formoient sur des étages de charpente, s'appelloient contignata pavimenta, & les étages contignationes. Le premier soin des ouvriers étoit de faire ensorte que nulle partie de leur pavé ne s'avançât sur les murs ; mais que l'ouvrage entier fut assis sur la charpente, de peur que le bois venant à se retirer par la sécheresse, ou à s'affermir par le poids de la mâçonnerie, ne produisît des fentes au pavé tout le long de ladite mâçonnerie ; c'est ce que Vitruve a détaillé clairement, consultez-le.
Les pavés de planchers, qu'ils appelloient coaxationes ou coassationes, se faisoient de planches de l'espece de chêne nommé esculus, à cause qu'elle est moins sujette à se cambrer ; & même pour les défendre contre la vapeur de la chaux qui se mêle aux matieres que l'on jette dessus, ils les couvroient d'un lit de fougere ou de paille, comme les laboureurs en mettent sur leurs tas de blé, pour empêcher le grain de souffrir l'humidité de la terre.
C'étoit sur ce premier lit de fougere ou de paille, que les ouvriers posoient & asseyoient leur mâçonnerie par quatre différentes couches. La premiere étoit composée de pierres ou cailloux, liés ensemble avec chaux & ciment. Cette premiere couche de mâçonnerie qui faisoit la fondation de l'ouvrage, se nommoit statumen.
La seconde couche de mâçonnerie se faisoit de plusieurs moilons ou pierrailles, cassées & mêlées avec de la chaux ; c'étoit-là ce qu'ils appelloient rudus ; & si cette matiere étoit de pierres brisées qui n'eussent jamais servi, ils appelloient cette matiere rudus novum, & la mêloient en parties égales avec de la chaux vive ; si cette matiere provenoit de décombres qui avoient déja été mises en oeuvres, elle se nommoit rudus redivivum. On ne mêloit que deux parties de chaux à cinq de cette matiere ; & l'application qu'on en faisoit à coup de hie & de battoir pour l'affermir, applanir & égaliser, s'appelloit ruderatio : il falloit que tout ce terrassement, tant de cailloux que de décombres, eut au moins neuf pouces d'épaisseur, après avoir été suffisamment battu & massivé.
Sur ce terrassement, on faisoit pour troisieme couche un ciment, composé d'une partie de chaux, contre trois de brique ou de pots cassés, ou de tuiles battues. On étendoit ce ciment sur la rudération, comme une couche molle, pour y asseoir la quatrieme couche de pavé qui servoit de derniere couverture à l'ouvrage entier, & qu'on nommoit par cette raison, summa crusta.
Les Architectes donnoient à la troisieme couche de leur mâçonnerie le nom de nucleus, qui signifie ce qui est de plus tendre & bon à manger dans les noix, les amandes & les autres fruits à noyaux ; cette comparaison se trouve assez conforme à ce vers de Plaute.
Qui è nuce nucleum esse vult, frangat nucem.
Ainsi la couche de ciment appellée par les Architectes nucleus, est la plus tendre & la plus molle partie du pavé, qui se trouve entre les deux parties plus dures, qui sont la rudération par-dessous, & les carreaux de la derniere couche par-dessus.
Enfin, les Romains enrichis des dépouilles des nations, paverent les cours de leurs palais, leurs salles, leurs chambres, & lambrisserent même leurs murailles de mosaïque ou de marqueterie. La mode en vint à Rome sous Sylla, qui en fit usage dans le temple de la Fortune de Préneste. Ces pavés étoient faits de petites pierres de diverses couleurs, jointes & comme enchâssées dans le ciment, représentant différentes figures, par leur arrangement & par la variété de leurs couleurs. On donna à ces sortes de pavés le beau nom de musaea, musia ou musiva, parce qu'on attribuoit aux Muses l'invention de ces ouvrages ingénieux, & qu'ils représentoient quelquefois ces aimables déesses. (D.J.)
PAVE, s. m. (Architect. mod.) Ce mot a deux significations : d'abord c'est l'aire pavée sur laquelle on marche, & en second lieu la matiere qui l'affermit, comme le caillou, le gravois, avec mortier de chaux & de sable, le grès & la pierre dure, comme on va l'expliquer.
Pavé de briques, pavé qui est fait de briques posées de champ & en épi, semblable au point d'Hongrie, tel est le pavé de la ville de Venise ; ou de carreau barlong à six pans figurés, comme les bornes de verre adossées : c'est ainsi qu'étoit pavé l'ancien Tibur à Rome.
Pavé de grès, c'est un pavé qu'on fait de quartiers de grès de huit à neuf pouces, presque de figure cubique, dont on se sert en France pour paver les grands chemins, rues, cours, &c.
On appelle pavé refendu le pavé qui est de la demi-épaisseur du précédent, & dont on pave les petites cours, les cuisines, écuries, &c. Et pavé d'échantillon, celui qui est de grandeur ordinaire, selon la coutume de Paris.
Le pavé de grès est le meilleur : l'usage en a été introduit à Paris & aux environs par le roi Philippe Auguste, l'an 1184.
Pavé de marbre, pavé qui est fait de grands carreaux de marbre en compartimens, qui répondent aux corps d'architecture & aux voûtes des bâtimens ; tel est le pavé des belles églises nouvelles.
Il y a aussi du pavé de cette espece qui est fait de petites pieces de rapport de marbre précieux, en maniere de mosaïque. On voit de ce pavé dans l'église de S. Marc de Venise.
Pavé de moilon, pavé fait de moilons de meuliere posés de champ, pour affermir le fond de quelque grand bassin ou piece d'eau.
Pavé de pierre, pavé qui est fait de dalles de pierre dure à joints quarrés, posés d'équerre ou en losanges, à carreaux égaux avec plates-bandes, comme le pavé de l'église des Invalides ; ou de quartiers tracés à la sauterelle, & posés à joints incertains, ainsi qu'étoient les pavés des voies Flaminienne, Emilienne, &c. à Rome.
Pavé de terrasse, pavé qui sert de couverture en plateforme, soit sur une voûte ou sur un plancher de bois. Les pavés qui sont sur les voûtes sont ordinairement de dalles de pierre à joints quarrés, qui doivent être coulés en plomb ; & ceux qui sont sur le bois sont de grès avec couchis pour les ponts, de carreaux pour les planches, & enfin d'aires ou couchis de mortier, fait de ciment & de chaux, avec cailloux & briques posés de plat, comme les Orientaux & les Méridionaux le pratiquent sur leurs maisons.
Pavé poli ; nom général qu'on donne à tout pavé bien assis, bien dressé de niveau, cimenté, mastiqué, & poli avec le grès. Daviler. (D.J.)
PAVE, s. m. (Terme générique). Ce mot se dit des marbres, pierres de liais, pierres communes, ardoises, carreaux de fayance & de terre ; enfin de toutes les matieres semblables propres à cet usage qu'on employe avec le plâtre & le ciment, pour couvrir & rendre unis & solides les planchers du bâtiment, soit du rez-de-chaussée, soit des étages d'en haut, ou sur les toîts plats & les terrasses.
PAVE DES GEANS, (Hist. nat. Minér.) en anglois giants causeway, en latin basaltes, vel basanos maximus hibernicus. C'est ainsi qu'on nomme un amas prodigieux de pierres noires très-dures qui toutes affectent la forme de colonnes ou de prismes à plusieurs côtés. Ces colonnes sont formées par l'assemblage de plusieurs pierres jointes les unes aux autres par des especes d'articulations, qui font que les différens morceaux dont une colonne est composée s'emboîtent les uns dans les autres.
Ces pierres ainsi formées par la nature, présentent aux Naturalistes un phénomene des plus curieux : on peut en juger par la description que nous allons donner d'après les auteurs anglois & irlandois qui en ont parlé ; & pour la rendre plus sensible, on a cru devoir mettre sous les yeux du lecteur une planche dans laquelle on peut voir l'aspect général que présente l'amas singulier de ces pierres, & les détails de chaque colonne. Voyez la suite des Pl. d'Hist. nat.
Le pavé des géants, ou l'assemblage de ces colonnes prismatiques dont nous parlons, se voit en Irlande, dans le comté d'Antrim, au nord de ce royaume, à environ huit milles au nord-est de la ville de Coleraine ; il y forme une espece de triangle irrégulier, dont un des côtés a environ 120 yards ou aunes d'Angleterre de longueur ; le second peut avoir 220 aunes ; le troisieme côté de ce triangle a près de 300 aunes. Cette espece de pavé va se perdre en pente douce dans la mer, sans qu'on sache jusqu'où il s'étend. Dans le tems des hautes marées cet amas de colonnes est couvert d'eau à la hauteur de 60 piés ; les eaux en se retirant forment une espece de cascade très-agréable à la vûe, & laissent voir à découvert les sommets des colonnes, qui étant à-peu-près de niveau, présentent le coup-d'oeil d'un pavé.
Les côtes de la mer dans ces environs sont fort escarpées ; jusqu'à une très-grande distance elles paroissent composées d'un assemblage de colonnes pareilles à celles qui forment le pavé des géans : on en trouve aussi à plusieurs milles en avant dans les terres en différens endroits, & en général les rochers qu'on y trouve, ainsi que sur le bord de la mer, paroissent avoir de la disposition à prendre une forme prismatique ou de colonne ; mais ces roches grossieres n'ont point la perfection & le poli des colonnes qui composent le pavé des géants, cependant elles offrent un coup-d'oeil semblable à celui de vieux portiques, ou d'un assemblage de pilastres gothiques.
On rencontre en plusieurs endroits des amas ou des grouppes de ces colonnes, placées à côté les unes des autres perpendiculairement à l'horison ; l'amas le plus remarquable est celui que les gens du pays nomment les orgues : ce nom lui a été donné à cause du coup-d'oeil qu'il présente. C'est une rangée de 60 colonnes sur une file ; quelques-unes sont tombées, & en laissent voir d'autres derriere elles. La plus élevée de ces colonnes a environ 40 piés de hauteur ; ce sont des prismes héxagones dont les côtés sont inégaux, & dont le diametre est d'environ deux piés. Les jointures ou articulations dont chaque colonne est composée, sont à environ 9 pouces les unes des autres, & chaque colonne avoit 40 à 50 de ces jointures.
La partie de cet endroit singulier à qui l'on donne proprement le nom de pavé des géans, est un amas de plusieurs milliers de prismes ou de colonnes de différentes grandeurs : on y en compte jusqu'à 30 mille ; la plûpart sont perpendiculaires à l'horison. Toutes ces colonnes sont anguleuses, mais elles n'ont point le même nombre de côtés, & les côtés d'une même colonne n'ont point les mêmes dimensions. Toutes les colonnes sont jointes exactement les unes aux autres, & se touchent par leurs côtés, sans laisser d'intervalles vuides entr'elles. La distance qui est entre les grandes est entierement remplie par de plus petites, dont les côtés sont plus étroits. Quelques-unes de ces colonnes sont plus élevées que les autres, d'autres sont plus courtes & comme rompues ; cependant il y a des endroits où toutes les colonnes étant égales, forment, lorsqu'on les regarde, un aspect uni comme celui d'un pavé. En creusant on a trouvé qu'elles sont en terre précisément de même que hors de terre.
Ces colonnes sont entierement unies, lisses, & comme polies à leur surface extérieure ; elles sont de différentes hauteurs : leurs diametres ont depuis 15 jusqu'à 26 pouces, & mesure commune, environ 20 pouces ; cependant chaque colonne conserve le même diametre & les mêmes angles dans toute sa longueur. Toutes les colonnes sont prismatiques, mais ces prismes n'ont point les mêmes figures ; il y en a de triangulaires, de quadrangulaires, de pentagones, d'exagones, d'éptagones, d'octogones, & de neuf côtés. Les prismes de trois, de quatre, de huit & neuf côtés sont rares ; mais ceux de sept côtés sont les moins communs de tous : les pentagones sont les plus ordinaires. Les côtés par lesquels les colonnes ou prismes se touchent ou se joignent les uns aux autres, sont égaux, c'est-à-dire, ces côtés ont la même largeur ; & chaque prisme est environné d'autant de prismes qu'il a lui-même de côtés, excepté pourtant ceux qui sont sur les bords, qui ont plusieurs côtés à nud. Jamais deux colonnes n'ont tous leurs côtés égaux ; les unes auront un côté de 8 pouces, un autre de 17, un autre de 13, de 18, de 14, &c.
Ce qu'il y a de plus merveilleux dans ces pierres, dont l'assemblage forme le pavé des géans, & ce qui leur donne un caractere unique, c'est que, comme nous l'avons déja fait remarquer, ces colonnes sont composées de plusieurs jointures ou especes d'articulations qui s'emboîtent les unes dans les autres ; pour cet effet, chaque morceau ou jointure a dans son milieu une partie convexe ou une éminence qui s'adapte parfaitement à une partie concave d'une autre articulation, & ainsi de suite : de cette maniere chaque articulation a une convexité d'un côté, & une concavité de l'autre ; cette convexité & cette concavité sont garnies d'un rebord qui a autant d'angles que la colonne a de côtés, & qui s'engrainent exactement sur la concavité & sur les angles de l'articulation suivante. On peut voir dans la Planche, fig. A, que ces articulations forment comme une couronne antique. La fig. B. est une autre articulation sur laquelle la premiere s'adapte. Les convexités & les concavités ne sont point égales dans les articulations d'une même colonne ; elles varient pour le diametre, & sont plus ou moins sphériques : il y en a qui forment presque un quart de sphere, d'autres sont beaucoup moins prominentes, & paroissent presque plates ; mais les articulations qui sont les unes sur les autres, ne laissent pas de se joindre toujours très-exactement.
Il y a des colonnes dont toutes les articulations ont leurs parties convexes à la partie supérieure, c'est-à-dire tournées vers le ciel, d'autres ont leurs parties concaves tournées vers ce même côté : quelques articulations, en petit nombre, ou deux convexités à la partie supérieure & à la partie inférieure. Voyez la figure C. Alors les articulations qui la reçoivent en-dessus & en-dessous sont concaves.
Ces différentes articulations dont les colonnes sont composées, se séparent avec assez de facilité les unes des autres ; cependant elles s'emboîtent assez exactement pour que l'on puisse en enlever deux à-la-fois sans qu'elles se détachent. La séparation des colonnes dans l'endroit où les articulations se joignent, n'a pas plus que l'épaisseur d'un fil ; il y a des colonnes sur lesquelles dans l'espace de trois piés on ne remarque point de séparation, la colonne paroît continuer dans cet espace ; parmi les colonnes qui composent le pavé des géans, on en a même trouvé une de douze piés qui n'avoit aucune articulation. On a observé que les divisions des colonnes sont plus éloignées les unes des autres à mesure que la colonne est plus proche de la terre, où elle prend pour ainsi dire racine.
On a déja fait remarquer que l'on trouvoit en Irlande des amas de colonnes semblables, non-seulement sur le bord de la mer, mais encore dans l'intérieur du pays. Le docteur Molyneux a observé, 1°. que plusieurs de ces colonnes sont plus grandes que celles qui se trouvent dans le pavé des géans sur le bord de la mer ; il y en a qui ont jusqu'à deux piés & demi de diametre. 2°. Les colonnes que l'on trouve dans l'intérieur du pays sont ou triangulaires ou quadrangulaires, ou pentagones ou exagones ; mais on n'y en voit point d'eptagones ni d'octogones comme dans le pavé des géans. 3°. Les articulations qui forment les colonnes de l'intérieur du pays, n'ont point de convexités ni de concavités comme les autres, elles se joignent simplement par des surfaces planes, un peu inclinées à l'horison ; elles ne sont jointes que par leur pesanteur, & peuvent se séparer très-facilement.
La pierre dont toutes ces colonnes sont composées, est d'une très-grande dureté, elle donne des étincelles lorsqu'on la frappe avec le briquet. Sa couleur est d'un beau noir, luisant & comme poli ; le tissu en est très-serré, & la pierre est assez brillante dans la fracture ; elle est fort pesante ; elle ne se calcine point au feu ordinaire, qui lui fait prendre une couleur ferrugineuse. A un feu violent cette pierre se vitrifie, & lorsqu'on la mêle avec de la soude, elle donne un verre noir comme le verre de bouteilles.
Cette pierre, par sa couleur & par sa dureté, est très-propre à faire des pierres de touche pour essayer les métaux. On ne peut point l'employer dans les bâtimens, parce qu'elle résiste aux outils des tailleurs de pierres. Le comté d'Antrim est le seul endroit connu où cette pierre si singuliere se trouve. Voyez Emmanuel Mendez Dacosta, natural history of fossils, pag. 252, & 55.
Telle est la description qu'on nous donne du fameux pavé des géans : elle mérite toute l'attention des Naturalistes, & rien n'est plus propre à nous donner une idée de la crystallisation. Il paroît que les colonnes ou prismes qui composent ce pavé sont de la même nature que la pierre prismatique qui se trouve en Misnie, & qui est connue sous le nom de pierre de stolpe ; & il est à présumer que la pierre d'Irlande a les mêmes propriétés. Mais ce qui distingue cette derniere de toutes les autres, ce sont les articulations qui la composent. Voyez STOLPEN, pierre de, Voyez TOUCHE, pierre de.
PAVE, REVERS DE, terme de Paveur ; ils appellent revers de pavé, le côté du pavé dont la pente aboutit au ruisseau ou égoût des rues.
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PAVEMENT | S. m. (Archit.) on se sert de ce terme pour exprimer & l'action de paver & l'espace pavé en compartiment de carreaux de terre cuite, de pierre ou de marbre. (D.J.)
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PAVENTIA | (Mythol.) divinité romaine, à laquelle les meres & les nourrices recommandoient les enfans, pour les garantir de la peur. Selon quelques-uns, on menaçoit de cette déesse les enfans pour les contenir : ou bien on l'invoquoit pour se délivrer de la peur.
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PAVER | v. act. (Archit.) c'est asseoir le pavé, le dresser avec le marteau, & le battre avec la demoiselle. On dit paver à sec lorsqu'on assied le pavé sur une forme de sable de riviere, comme dans les rues & sur les grands chemins ; pavé à bain de mortier, lorsqu'on se sert de mortier, de chaux & de sable, ou de chaux & de ciment, pour asseoir & maçonner le pavé, comme on fait dans les cours, cuisines, écuries, terrasses, aqueducs, pierrées, cloaques.
Repaver, c'est manier à bout le vieux pavé sur une forme neuve, & en mettre de neuf à la place de celui qui est cassé.
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PAVÉSADE | S. f. (Art. milit.) vieux mot que Borel rend assez bien par palissade ; les pavesades étoient de grandes claies portatives, derriere lesquelles les archers tiroient.
Le P. Daniel les représente sous la figure d'un bouclier ; mais M. Folard dit que les pavesades étoient des mantelets de claies qu'on rangeoit du camp aux travaux les plus proches du corps d'une place, derriere lesquels les soldats à couvert ouvroient un petit fossé pour les maintenir droits & fermes. On les rangeoit dans ce fossé qu'on couvroit ensuite de terre ; on les appelloit des pavesades ou tallenas, parce qu'elles servoient à couvrir : mais cela ne veut pas dire que ce fussent des vrais pavois. Procope & Anne Commene font mention de ces sortes d'ouvrages dans leur histoire. Salignac dit aussi qu'au siege de Metz le duc de Guise fit mettre des pavesades du côté des brêches. Polybe de Folard, tom. II. (D.J.)
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PAVÉSAN | LE ou LE PAVESE, (Géog. mod.) contrée d'Italie dans le Milanez, entre le Milanez propre au nord, le territoire de Bobio au sud, le Lodesan à l'est, & Saumeline à l'ouest ; c'est un territoire extrêmement fertile, dont Pavie est la capitale. Voyez PAVIE.
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PAVESSIER | ou PAVESCHEUR, s. m. (Art. mil.) ancienne milice ainsi appellée du pavoi dont elle étoit armée.
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PAVEUR | (Maçonnerie) ouvrier qui employe le pavé, qui en couvre les grands chemins, les rues, les places publiques, &c.
Les maîtres Paveurs composent à Paris une des communautés des arts & métiers. Leurs premiers statuts leur furent donnés sous le regne de Louis XII. le 10 Mars 1501, par Jacques d'Estonville, garde de la prévôté de cette capitale, sur le vu & les conclusions des gens du roi du châtelet.
Les outils nécessaires aux Paveurs de grand échantillon, sont une pelle, une pince, divers marteaux, entr'autres un marteau à refendre, un autre à paver, un troisieme à fouiller la terre, un épinçoir, une demoiselle & un niveau.
A l'égard des ouvrages du petit échantillon, on y employe outre quelques-uns des outils précédens, plusieurs outils de maçons, comme la truelle, l'auge, la hachette, le rabot pour corroyer le mortier, l'oiseau pour le porter, & peu d'autres semblables.
Tous ces outils sont décrits & expliqués à leurs propres articles.
PAVEUR, ANGLE DE, (Archit.) c'est la jonction de deux revers de pavé, laquelle forme un ruisseau en ligne diagonale dans l'angle rentrant d'une cour.
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PAVIA | S. f. (Botan.) genre de plante que Boerhaave & Linnoeus ont ainsi caractérisée. Ses feuilles sont conjuguées, mais disposées de façon que celles de dessous se croisent avec celles de dessus. L'extrémité du pédicule se change en un long calice cylindrique, de même couleur que la fleur, & divisée en six segmens. Il s'éleve du dedans du calice une fleur irréguliere à cinq feuilles, disposée de maniere que ces cinq pétales forment une fleur d'une seule piece, découpée en deux levres ; car les deux pétales supérieures forment le casque ; les deux côtés, la gueule ; & celui de dessous, la barbe. La fleur renferme huit étamines, dont chacune est garnie d'un sommet, & les fleurs sont disposées en épis. L'ovaire qui est au fond du calice pousse un long pistil de figure cylindrique & de couleur rouge, & se change en fruit partagé en trois loges qui renferment des semences sphériques. Boerhaave ne compte qu'une espece de pavia, qui est la pavia americana, castaneae folio, du P. Plumier.
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PAVIE | (Géogr. mod.) ancienne ville d'Italie au duché de Milan, & la capitale du Pavesan, avec un évêché suffragant de Milan. On ne diroit pas aujourd'hui qu'elle a été le séjour de plus de vingt rois, & la capitale de leur royaume. Elle est sur le Tésin, à 8 lieues S. de Milan, 10 N. O. de Plaisance, 25 E. de Gènes. Long. 26. 40. lat. 45. 10.
Pavie est la patrie de quelques hommes de lettres, entr'autres de Boëce, Lanfranc, Cardan (Jérôme), Menochius (Jean Etienne), & de Guidi (Charles-Alexandre).
Boëce, un des meilleurs écrivains latins de son tems, nâquit au v. siecle, & fut élevé au triste consulat de Rome en 487, 510 & 511. On l'accusa, en 523, de vouloir soustraire cette ville au pouvoir des Goths, par l'assistance des Grecs. Il fut arrêté avec son beau-pere Symmaque, & conduit à Pavie, où il eut la tête tranchée par ordre de Théodoric, l'an 524. Il nous reste de lui les cinq livres sur la consolation de la philosophie, qu'il composa pour adoucir la rigueur de sa prison.
Lanfranc, après avoir étudié à Bologne, devint prieur de l'Abbaye du Bec, ensuite abbé de S. Etienne de Caën, d'où il fut tiré par Guillaume I. pour être placé sur le siege de Cantorbéry en 1070. Il écrivit contre Béranger, & mourut en 1089.
Cardan, né en 1501, est connu par un grand nombre d'ouvrages recueillis en 1663, en 10 volumes in-folio. C'est un mélange de sujets où regne beaucoup d'esprit, d'érudition, de vanité, de faux jugemens & d'extravagance. Plein de crédulité à l'Astrologie judiciaire, on dit qu'il se laissa mourir de faim, pour accomplir son horoscope, le 21 Septembre 1576. Son livre de la subtilité, que Jules Scaliger a si fort dénigré, est le seul ouvrage de Cardan, qui puisse être lu.
Menochius, né en 1576, se fit jésuite en 1593, à 17 ans, & mourut à Rome en 1656, à 80 ans. Il a mis au jour un commentaire sur l'Ecriture-sainte, dont la meilleure édition est celle du P. Tournemine, en 1719, 2 vol. in-fol.
Guidi, est mort comblé de biens à Frescati, le 12 Juin 1712, à 63 ans. On a de lui des poésies italiennes très-estimées. (D.J.)
PAVIE, (Jardinage) espece de pêche. Voyez PECHER.
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PAVIERS | S. m. pl. (Marine) c'est ainsi qu'on nomma quelquefois les bords du vaisseau qui servent de péribole ou de garde-fou.
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PAVILLON | S. m. en Anatomie ; c'est l'extrémité de la trompe de Fallope, qui est proche de l'ovaire, elle est évasée comme le pavillon d'une trompette, & bordée d'une espece de frange. Voyez TROMPE DE FALLOPE.
PAVILLONS, dans l'Art militaire, sont les corps particuliers de casernes destinés au logement des officiers. Ces parties se nomment les pavillons des officiers. Voyez CASERNES. (Q)
PAVILLON, en terme de guerre, se dit aussi quelquefois d'une tente élevée sur des mâts ou piliers, pour se loger dessous en tems d'été. Voyez TENTE. Chambers. (Q)
PAVILLON, se dit aussi des drapeaux, des étendarts, des enseignes, des bannieres, &c. que les auteurs confondent souvent, & prennent l'un pour l'autre. Voyez DRAPEAU, ENSEIGNE, ÉTENDART, &c.
La mode de porter des pavillons en pointe, comme ils sont aujourd'hui, vient des Arabes mahométans, lorsqu'ils s'emparerent de l'Espagne ; jusqu'alors toutes les couleurs étoient étendues sur des traversiers, comme les bannieres des églises, d'où vient qu'on disoit en latin vexilla quasi vella, un diminutif de vela, voiles.
Tous les pirates, le long des côtes de l'Atlantique & de Barbarie portent des pavillons hexagones ; ils sont de gueule, chargés d'un marmot turc, coiffé de son turban ; quoique cela soit contraire à leur loi, qui leur défend de faire aucune image d'homme, ayant opinion que ceux qui en font seront tenus au jour du jugement de fournir une ame à ces figures & qu'à faute de le faire ils seront damnés.
Mais il paroît que ce portrait est celui de Hali Sulficar, gendre de Mahomet, dont les Africains tiennent le parti, lequel ordonna que son portrait seroit représenté sur les drapeaux, se croyant si redoutable aux chrétiens, que le seul aspect de son image les mettroit en fuite : ainsi que nous l'apprend Leunclavius. (Q)
PAVILLON, s. m. (Marine) c'est une banniere, ordinairement d'étamine, qu'on arbore à la pointe des mâts, ou sur le bâton de l'arriere, pour faire connoître la qualité des commandans dans les vaisseaux, & de quelle nation ils sont. Le pavillon est coupé de diverses façons, & chargé d'armes & de couleurs particulieres, tant pour le discernement des nations, que pour la distinction des officiers généraux d'une armée navale. Par ordonnance de 1670 & 1689, il est reglé, que quand l'amiral en personne sera embarqué, il portera le pavillon quarré blanc au grand mât ; le vice amiral, le pavillon quarré blanc au mât d'avant ; le contre-amiral, ou premier lieutenant général, ou chef d'escadre qui en fera la fonction, le pavillon quarré blanc au mât d'artimon, chaque pavillon ayant un quart de battant plus que de guindant. Les chefs d'escadre portent une cornette blanche avec l'écusson particulier de leur département, au mât d'artimon, lorsqu'ils sont en corps d'armée ; mais ils le portent au grand mât quand ils sont séparés & qu'ils commandent en chef. Le battant de leur cornette doit avoir quatre fois le guindant. Elle doit être fendue par le milieu, des deux tiers de sa hauteur, & les extrémités se doivent terminer en pointe. Il est défendu aux vaisseaux particuliers françois de porter le pavillon blanc, qui est affecté aux navires du roi ; les pavillons sont ordinairement d'étamine. Aux navires vaincus ou menés en triomphe, on attache les pavillons aux haubans ou à la galerie de l'arriere, on les laisse traîner & pancher vers l'eau, & tels vaisseaux sont toués par la poupe.
Les pavillons d'amiral, vice-amiral, & contre-amiral, & les cornettes ne doivent être portés que lorsqu'ils sont accompagnés ; savoir, l'amiral de vingt vaisseaux de guerre ; le vice-amiral & contre-amiral, de douze, dont le moindre doit porter trente-six pieces de canon, & les cornettes de cinq. Les vice-amiraux, lieutenans généraux, & chefs d'escadre qui commandent un moindre nombre de vaisseaux, doivent porter une simple flamme. Lorsque plusieurs chefs d'escadre se trouvent joints ensemble dans une même division ou escadre particuliere, il n'y a que le plus ancien qui doive arborer la cornette, les autres portent une simple flamme. Les capitaines commandant plus d'un vaisseau portent une flamme blanche au grand mât, qui a de guindant la moitié de la cornette, & qui ne peut être moindre que de dix aunes de battant. Il n'est arboré sur les navires de guerre françois aucun pavillon, flamme ni enseigne de poupe, que de couleur blanche, soit pendant la navigation ou les combats ; il leur est seulement permis de la couleur rouge & autres pour les signaux. L'officier général commandant en chef porte, tant dans les ports & rades qu'à la mer, une enseigne blanche à l'avant de sa chaloupe, pour le distinguer des autres officiers qui la portent à la poupe. Voyez l'Ordonnance de 1680, liv. III. tit 2. En général les vaisseaux chrétiens portent le pavillon quarré, & les vaisseaux turcs portent le pavillon fendu & coupé en flamme.
Tous les vaisseaux peuvent à l'occasion, mettre une enseigne ou pavillon de poupe, & un de beaupré ; mais il n'y a que l'amiral qui porte le pavillon au grand mât. Il porte encore une flamme au-dessous, si l'armée est divisée en plusieurs escadres, qui aient chacune leur amiral particulier. Voyez AMIRAL. Le vice-amiral porte le pavillon au mât d'avant ; & le contre-amiral au mât d'artimon.
Le pavillon de l'arriere mis en berne, marque ordinairement que quelqu'un qui est hors du vaisseau, est rappellé à bord, ou qu'on a un pressant besoin de quelque chose.
Le pavillon à mi-mât marque qu'il y a quelque personne considérable morte dans le vaisseau. Lorsque Wilte Cornelisz de Wit, vice-amiral de Hollande, fut tué dans la bataille du passage du Sond, qui se donna entre les Suédois & des Hollandois, l'an 1658, & que les Hollandois gagnerent ayant forcé le passage, le vaisseau de ce vice-amiral périt dans le tems que les Suédois s'en rendoient maîtres, & il ne leur en resta que le corps de Wilte de Wit. Le roi de Suede fit revêtir ce corps de satin blanc, fit couvrir son cercueil d'un magnifique drap mortuaire avec les armes du défunt, le fit mettre dans une galiote peinte de noir, où il n'y avoit pour pavillon que des flammes noires, & le renvoya au lieutenant-amiral général de Wassenaar, ou d'Opdam. Le chevalier Barclei, vice-amiral de l'escadre blanche d'Angleterre, ayant été tué, & son vaisseau ayant été pris dans un combat entre les Anglois & les Hollandois, au mois de Juin 1666 ; son corps fut renvoyé à Londres dans une galiote qui portoit un pavillon noir & une flamme noire.
Lorsqu'un équipage se mutine contre les officiers, & qu'il se rend maître du vaisseau, ainsi qu'il arrive quelquefois dans les voyages d'un long cours, les révoltés ont coutume de ne mettre que le pavillon de beaupré, & ils ôtent tous les autres : le pavillon blanc se met pour signal de paix, & le pavillon rouge pour signal de combat.
Les vaisseaux vaincus, qu'on conduit dans les ports des victorieux, ont leur pavillon à l'arriere où ils traînent en oüaiche, c'est-à-dire la pointe en l'eau, ensuite on les pend en des églises ou en d'autres lieux publics. Le pavillon amiral du comte de Bossu, général des Espagnols, pend encore dans l'église de Hoom. Tous les signaux qu'on a coutume de faire en Europe par le moyen des pavillons, les Chinois les font par le moyen de deux bâtons, perches, ou gaules qu'ils tiennent dans leurs mains, & par ces signaux ils se font fort bien entendre de tous ceux qui peuvent les voir.
Le commandant en chef d'une armée navale des Provinces-Unies, porte le pavillon au grand mât ; le second officier général porte au mât d'avant ; & le troisieme le porte à l'artimon, chacun ayant une flamme au-dessous.
Les simples navires de guerre ne portent point de pavillons, mais seulement de doubles girouettes, à-moins qu'ils ne soient à la tête de quelque flotte de vaisseaux marchands pour l'escorter. Autrefois ils portoient des pavillons aux mâts, mais on a jugé à propos de cesser cet usage, pour éviter les différends dans un tems où les étrangers paroissent si chatouilleux sur un point de peu de conséquence pour le bien de l'état. Dans les armées navales, le pavillon du grand mât s'arbore par le commandant ou officier qui est du plus ancien college. Le premier officier du second college, c'est-à-dire de celui qui suit en ancienneté, porte le pavillon au mât d'avant, & l'officier du troisieme college le porte au mât d'artimon : & afin de bien connoître les vaisseaux, & sous tous quels chefs ils sont rangés, chacun porte sa flamme au même mât où son chef a la sienne.
Il n'y a point de regle générale pour la grandeur des pavillons, chacun en use à son gré à cet égard.
Les navires de guerre du premier & du second rang des Provinces-Unies ont des pavillons de poupe de quinze cueilles & dix-huit aunes de battant. Les pavillons de beaupré sont de dix cueilles & de sept aunes de battant. Les flammes sont de vingt-cinq ou trente aunes de battant, & les girouettes de quatre aunes & de quatre cueilles & demi ou de cinq. Les navires de guerre du troisieme rang ont des pavillons de douze cueilles & de quinze aunes de battant ; des pavillons de beaupré de six cueilles & de sept aunes de battant ; des flammes comme celles des vaisseaux des deux premiers rangs, des girouettes de trois cueilles & demie ou de quatre, & de trois aunes de battant.
Les navires du quatrieme & du cinquieme rang portent des pavillons, des flammes & des girouettes comme ceux du troisieme rang.
Les navires du sixieme rang ont des pavillons de neuf cueilles, & de dix aunes de battant ; des pavillons de beaupré de quatre cueilles & demie, & de cinq aunes de battant ; des flammes de vingt-cinq aunes, des girouettes de trois cueilles ou trois cueilles & demie, & de deux aunes & demi de battant.
Les navires du septieme rang ont des pavillons de sept cueilles & demie, & de neuf aunes de battant ; des pavillons de beaupré de trois cueilles, & de quatre aunes de battant ; des flammes de vingt-cinq aunes ; des girouettes de deux cueilles & demie ou de trois, & de deux aunes de battant. Quand les vaisseaux doivent faire voyage, on les pourvoit ordinairement de deux grands pavillons, & de deux de beaupré ; de deux flammes & de six girouettes.
Outre les pavillons ci-dessus spécifiés, l'amiral prend encore un pavillon de douze cueilles & un de neuf cueilles, avec un ou deux pavillons de beaupré ; une flamme ou deux, un pavillon blanc, une flamme bleue, une rouge & une jaune, pour faire des signaux.
Quelquefois dans les flottes particulieres des Provinces-Unies, les vaisseaux portent tour-à-tour le pavillon au grand mât, & des feux pendant la nuit. Pour tromper ses ennemis & les surprendre, on arbore des pavillons étrangers. Les rois défendent ordinairement aux navires qui portent leurs pavillons, de les baisser devant qui que ce soit, ou de saluer les premiers ; c'est pourquoi les vaisseaux qui appartiennent aux têtes couronnées s'évitent en mer, autant qu'il est possible.
On voit souvent au mât d'artimon des vaisseaux marchands de petits pavillons où sont les armes du lieu de la ville où le maître fait son domicile ; & au mât d'avant les armes du lieu où demeurent les affréteurs.
PAVILLONS, (Marine) après avoir défini les pavillons en général & les différens usages qu'on en fait à la mer, il faut faire connoître ceux que les diverses nations arborent le plus communément à la mer : pour cet effet il faut voir les Pl. XVII. XVIII. XIX. & XX. où ils sont tous employés avec la description convenable à chacun. (Z)
PAVILLON, en terme de Blason, signifie une couverture en forme de tente, qui revêt & enveloppe les armoiries des différens rois & des souverains qui ne dépendent que de Dieu & de leur épée.
Les auteurs héraldiques de France disent qu'il n'y a que les monarques souverains qui puissent porter le pavillon entier & dans toutes ses parties.
Il est composé de deux parties ; du comble, qui est son chapeau, & de la courtine, qui en fait le manteau. Les rois électifs, ou soumis à quelque dépendance, doivent, selon les Héraldistes, ôter le dessus, & ne laisser que les courtines. Voyez MANTEAU.
L'usage des pavillons & des manteaux dans les armoiries, est venu des anciens lambrequins qui se sont trouvés quelquefois étendus en forme de couvertures, & retroussés de part & d'autre.
D'autres prétendent que cet usage est venu des anciens tournois, où l'on exposoit les armes des chevaliers sur des tapis précieux, sur des tentes & des pavillons, que les chefs des quadrilles y faisoient dresser, pour se mettre à couvert jusqu'à ce qu'ils entrassent en lice.
PAVILLON, (terme d'Architecture) de l'italien paviglione, tente, s'entend de tout bâtiment isolé, d'une médiocre capacité, dont le plan est de forme quarrée, comme sont ceux de Marly ; flanqués comme ceux des Quatre-Nations ; ou ronds, comme celui de l'Aurore dans les jardins de Seaux : ces pavillons sont ordinairement couverts d'un seul comble, à deux égoûts, ou en dôme, ou à l'imperial.
On appelle encore pavillon les avant-corps que forment les extrémités angulaires d'un bâtiment, soit sur la rue, soit sur les jardins ; tels que sont ceux du palais du Luxembourg, & ceux du château du Louvre qui est flanqué de quatre pavillons.
On affecte quelquefois que ces pavillons soient plus élevés que le reste du bâtiment, ce qui joint à leur saillie, les fait, par le secours de l'optique, paroître encore plus élevés qu'ils ne le sont réellement.
PAVILLON, en terme de Chaudronnier, c'est le bas évasé en forme d'entonnoir, qu'on remarque dans une trompette & dans un cor-de-chasse : il est composé de trois pieces taillées en triangle, & soudées l'une sur l'autre par le moyen de plusieurs entailles. Voyez la fig. du cor-de-chasse, Pl. de Luth. & de Chaud.
PAVILLON, en terme de Diamantaire, ce sont les faces principales qui occupent la culasse d'un brillant. Elles sont ordinairement au nombre de six qu'on appelle pans, & qui se divisent par en-bas en plusieurs petites facettes ecoupées pour rabattre les arêtes des faces principales.
PAVILLON, (Ferblanterie) ce mot se dit chez les Ferblantiers de la partie évasée dans l'entonnoir qui sert à recevoir les liqueurs.
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PAVILLONNÉ | adj. (Blason) le Blason se sert du terme pavillonné pour exprimer l'émail du pavillon d'une trompe ou d'un cor-de-chasse, ou d'un autre instrument semblable, lorsque le pavillon est d'un autre émail que le reste. Quand l'embouchure du cor-de-chasse est différente, on dit qu'il est enguiché ; & quand le pavillon ou la grande ouverture de l'autre bout se trouve d'un autre émail, on dit qu'il est pavillonné. On appelle encore pavillonné & pavillonnées, les châteaux & tours où il y a une girouette ; & on exprime leur émail lorsqu'il est différent de la tour ou château. La maison de Laidet Calissane porte de gueule à une tour ronde pavillonnée d'or. Murviel porte dans ses armes, au deuxieme & troisieme quartier d'or, à un château sommé de trois dongeons pavillonnés d'azur. Ménétrier. (D.J.)
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PAVO | en Astronomie, voyez l'article PAON.
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PAVOASAN | (Géog. mod.) petite ville d'Afrique, dans l'île de S. Thomé, sur le bord de la mer, avec une forteresse, un évêché suffragant de Lisbonne, & un port. Elle est peuplée d'italiens, de françois, d'espagnols & de portugais. Long. 23. 30. lat. mérid. 30. (D.J.)
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PAVOIS | S. m. (Art milit.) espece de grands boucliers, dont les anciens se servoient pour se couvrir dans l'attaque des places contre les traits de l'ennemi. On appelloit aussi ces pavois des larges. Ceux qui portoient ces grands boucliers s'appelloient pavesieux du tems de Charles VII. le P. Daniel, dans son Histoire de la milice françoise, rapporte une note tirée de Monstrelet, laquelle porte que pavesieux c'étoient porteurs de pavois, grands écus à couvert de quoi les arbalétriers rebandoient. Ce qui fait voir que les pavois, ou les targes, étoient portés par des gens particuliers destinés à cet effet, qui n'étoient que pour targer, ainsi qu'on parloit alors, c'est-à-dire pour couvrir les autres qui travailloient ou qui tiroient des fleches. Hist. de la milice françoise. (Q)
PAVOIS, PAVESADE, PAVIERS, BASTINGUE ou BASTINGURE, (Marine) c'est une tenture de frise ou de toile, que l'on tend autour du plat-bord des vaisseaux de guerre, & qui est soutenu par des pontilles, pour cacher ce qui se passe sur le pont pendant un combat : on s'en sert aussi pour orner un vaisseau dans un jour de réjouissance. Les pavois des Anglois sont rouges. Pour ceux de France & des Hollandois, voyez BASTINGUE ou BASTINGURE. (Z)
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PAVOISER | PAVIER SES NAVIRES, SE PAVOISER, (Marine) c'est entourer le bord d'un vaisseau d'un tour de drap ou d'une toile large d'une aune, c'est-à-dire aune de France, ce qui se fait aux jours de réjouissance & de combat, tant pour l'ornement que pour ne pas laisser voir les soldats. Quelques-uns veulent que cela vienne d'une coutume des anciens, qui, lorsqu'ils avoient envie de combattre, rangeoient leurs pavois sur les bords de leurs vaisseaux, afin de pouvoir se cacher derriere. (Z)
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PAVONIUS LAPIS | (Hist. nat.) quelques naturalistes ont donné ce nom au jaspe verd.
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PAVOR | (Mythol.) les Romains avoient personnifié la peur, & Tullus Hortillius lui fit une statue comme à un dieu, pour qu'il épouvantât les ennemis de Rome.
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PAVORIENS | (Antiq. rom.) on donnoit ce nom à une partie des Saliens, ou prêtres de Mars, ceux qui étoient destinés au culte de la déesse Pavos. (D.J.)
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PAVOT | papaver, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée le plus souvent de quatre pétales disposées en rond ; le pistil sort du calice qui est de deux feuilles, & devient dans la suite un fruit ou une coque, tantôt ovoïde, tantôt oblongue, & garnie d'un chapiteau. Dans quelques especes il y a sous ce chapiteau une sorte de soupirail qui s'ouvre & qui laisse voir la cavité du fruit, elle a dans sa longueur différentes feuilles ou petites lames qui servent comme de placenta, à une grande quantité de semences le plus souvent arrondies & très-menues qui y sont attachées. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)
Voilà cette plante si singuliere, par sa propriété merveilleuse & incompréhensible, de calmer nos passions, d'adoucir nos maux, nos douleurs, & d'endormir nos déplaisirs dans une douce ivresse.
Tournefort compte quarante-quatre especes de pavot ; nous en décrirons seulement trois, le blanc, le noir, & le rouge ou sauvage.
Le pavot blanc, en anglois the white poppy, est nommé par les Botanistes papaver hortense, semine albo, sativum, Dioscoridis, album Plinii C. B. P. 170. Ray, Hist. I. 853. Tournef. I. R. H. 237. Boerh. Ind. alt. 279.
Il porte un grand nombre de feuilles longues, larges, d'un verd blanchâtre, & fort découpées par les bords ; sa tige est ronde & unie, elle s'éleve à la hauteur de cinq ou six piés ; elle est environnée de feuilles plus courtes & plus larges que celles des autres pavots : elle se divise vers son sommet en trois ou quatre branches, qui portent chacune à leur extrémité une tête ronde, inclinée d'abord, mais qui se redresse à mesure que la fleur s'ouvre.
La fleur est composée de quatre feuilles blanches, larges, renfermées dans une couple de cosses vertes & membraneuses, qui tombent aussi-tôt que la fleur est éclose. Après que cette fleur est tombée, ce qui se fait en peu de tems, les vaisseaux séminaux prennent une grosseur considérable, ils ont souvent autant de diametre qu'une grosse orange ; ils sont ronds, & portent à leur partie supérieure une couronne dentelée. Ces vaisseaux séminaux sont divisés en plusieurs capsules membraneuses, aux côtés desquelles est attachée une petite semence.
Toute la plante est pleine d'un lait amer, dont l'odeur est fort désagréable & malfaisante. On seme ce pavot dans les champs & dans les jardins. Il fleurit en Juin, & on en recueille les têtes sur la fin de Juillet. C'est de ces têtes qu'on tire l'opium, dont le meilleur nous vient de Turquie, où il y a une grande quantité de ces pavots semés dans les champs de la Natolie.
On fait de ces têtes de pavot, seches, infusées & bouillies dans de l'eau, le sirop de meconium & le diacod. Ses graines sont rafraîchissantes & bienfaisantes dans la strangurie & les fievres aiguës.
Le pavot noir, cultivé des jardins, est le papaver hortense semine nigro, sylvestre Dioscoridis, nigrum Plinii. C. B. P. p. 170. Ray, Hist. I. 853. Tourn. I. R. H. 237. Boerh. Ind. alt. 279.
Ce pavot n'est pas si haut que le blanc, mais il lui ressemble à tous les autres égards. La grande différence est dans la fleur qui est dans celui-ci purpurine avec le fond noir, & dans les têtes, qu'il a plus petites que le blanc, & qui contiennent une semence noire.
Les racines de l'un & de l'autre sont empreintes d'un lait amer, branchues, & périssent lorsque la semence est mûre. On cultive le pavot noir dans les jardins, à cause de l'agréable variété de sa fleur qui est grande, tantôt simple, tantôt double, frangée ou non-frangée. On fait entrer ses feuilles dans les onguens pour la brûlure & dans le populeum. Il fleurit en Juin, & se seme de lui-même dans les jardins.
Le pavot rouge des champs, autrement dit pavot sauvage ou coquelicot, est le papaver erraticum, majus, (Dioscoridis, Theophrasti, Plinii, C. B. P. 170. Tourn. I. R. H. 238. Boerh. Ind. alt. 279.)
Sa racine est simple, grosse comme le petit doigt, blanche, garnie de quelques fibres, amere au goût.
Les feuilles sont rudes, velues, vertes-brunes, découpées çà & là comme celles de la chicorée, velues & dentelées en leurs bords. Les tiges sont hautes d'une coudée, rameuses, hérissées de poils clair-semés, mais un peu roides.
Ses fleurs naissent aux sommets des tiges larges, d'un rouge foncé, à quatre pétales, avec des taches noires au fond de chaque pétale, & si foiblement attachées qu'elles tombent au moindre vent.
Elles sont suivies de petites têtes grosses comme des noisettes, oblongues & couvertes d'une couronne dentelée ; ces têtes sont divisées en plusieurs cellules qui renferment des semences menues, noirâtres ou d'un rouge obscur. Ses tiges & ses feuilles sont pleines d'un suc jaunâtre amer, d'une odeur forte, mais moindre que celle des deux premieres especes.
Cette plante croît partout dans les champs, le long des chemins, & principalement parmi les blés qu'elle releve par la vivacité de la couleur de ses fleurs. Elle fleurit en Juin & Juillet. Sa graine semée dans les jardins donne une infinité de variétés.
PAVOT, (Mat. méd.) on se sert en Médecine de trois especes de pavots ; le pavot blanc ou à fleur & semences blanches, le pavot noir ou à semences noires, & le pavot rouge ou coquelicot.
Pavot blanc. La seule partie de cette plante qu'on employe en Médecine est son fruit, ou cette espece de coque de la figure & à-peu-près de la grosseur d'un oeuf, qui contient les semences de cette plante, & qui est connue dans l'art sous le nom de tête de pavot.
C'est précisément des têtes de pavot blanc, cultivé dans la Natolie & dans quelques contrées voisines, en Perse, &c. qu'on retire l'opium. Voyez OPIUM.
Les têtes de pavot de notre pays fournissent par la décoction une substance qui ne differe de ce fameux extrait que par le degré d'activité, & qui n'a besoin pour produire les mêmes effets que d'être employée en une dose beaucoup plus considérable. La variété des climats produit cette différence très-considérable, mais sans détruire entierement la qualité spécifique ou absolue.
L'extrait du pavot que l'on cultive dans les régions tempérées de l'Europe est un narcotique léger, mais sûr : & l'on n'employe la substance extractive des pavots que pour cette qualité.
C'est communément sous la forme de sirop simple que l'on donne cette matiere. On la donne aussi assez souvent sous celle de décoction.
Sirop de pavot. Prenez des têtes de pavot seches, coupées par morceaux, & dont on a ôté les semences, une livre ; eau commune, suffisante quantité pour pouvoir faire bouillir pendant un quart d'heure, & avoir environ une livre de liqueur de reste. Après cette courte & légere coction, passez & exprimez fortement à la presse, ajoutez deux livres de sucre, clarifiez au blanc d'oeuf, & cuisez à consistance de sirop.
Cette maniere de préparer le sirop de pavot est fort éloignée de celle qui est décrite dans toutes les pharmacopées, où il est ordonné d'employer une quantité immense d'eau qu'il faut consumer, soit par une très-longue décoction de têtes, soit par une très-longue cuite, après qu'on a ajouté le sucre. Dans la pharmacopée de Paris, par exemple, on demande par une livre des têtes de pavots, seize livres d'eau & quatre livres de sucre : il faut par conséquent dissiper à-peu-près quatorze livres d'eau dans l'une & dans l'autre coction. Dans la méthode que nous venons de proposer, & qui est d'après les vûes de M. Rouelle, il faut à peine quatre livres d'eau, dont une partie se dissipe pendant la décoction des têtes, & une plus grande partie est imbibée dans leur substance, d'où on la retire ensuite par une forte expression chargée presque à saturation, ou dumoins très-chargée de matiere extractive. M. Rouelle prétend que la longue décoction des têtes de pavot gue cuite de la liqueur qu'elle fournit requise pour réduire cette liqueur en consistance de sirop ; que ces opérations, dis-je, sont non-seulement inutiles, mais même nuisibles, en ce qu'elles dénaturent la composition propre de l'extrait. Il soutient que son sirop, préparé par une décoction d'un quart d'heure des têtes de pavot, & par la cuite sirupeuse qui demande la moindre évaporation qu'il est possible, est beaucoup plus narcotique que celui qui est préparé, selon la pratique directement contraire qui est la plus suivie. Mais quand même cette prétention ne seroit pas confirmée par l'expérience, il est toujours incontestable qu'une petite quantité d'eau & une très-courte application de ce menstrue étant suffisante pour extraire du pavot sa partie médicamenteuse, il est plus commode, plus conforme aux regles de l'art, essentiellement mieux d'opérer cette extraction avec ces circonstances, que d'appliquer une quantité superflue de menstrue, & de l'appliquer trop longtems. Pour ce qui regarde la quantité d'eau à dissiper par la cuite du sirop, il est clair que la proportion est d'autant plus parfaite, tout étant d'ailleurs égal, c'est-à-dire la quantité de matiere dissoute dans la liqueur étant la même, que cette quantité de l'eau à dissiper est moindre.
Le sirop de pavot est un des remedes le plus communément employé toutes les fois que les narcotiques légers sont indiqués. Voyez NARCOTIQUE. Sa dose ordinaire est depuis deux gros jusqu'à six.
Le sirop de pavot blanc est aussi connu dans les boutiques sous le nom de sirop de meconium, & sous celui de sirop de diacode.
La décoction d'une grosse tête de pavot ou de deux petites se donne assez communément, au lieu d'une dose commune de sirop.
Les semences du pavot blanc sont émulsives, & contiennent par conséquent de l'huile par expression. Le suc émulsif & l'huile nue de ces semences ne participent en rien de la qualité assoupissante du pavot. Cette distinction de vertu est très-anciennement connue : elle est notée dans Dioscoride ; Mathiole en fait mention. M. Tournefort rapporte qu'on fait à Gènes des petites dragées avec des semences de pavot, dont les dames mangent une grande quantité, sans en éprouver aucune impression assoupissante. Geoffroi rapporte tous ces témoignages, auxquels il ajoute son propre sentiment. Il est fort singulier que toutes ces autorités & l'expérience n'ayent pas détruit le préjugé qui regne encore ; & que dans presque tous les livres de Médecine, même les plus modernes, on trouve les semences de pavot expressément demandées dans les émulsions qu'on prétend rendre plus tempérantes, plus calmantes. Il est plus singulier encore que Geoffroi lui-même conclue de son assertion contre la vertu calmante des semences de pavot, que ses semences sont propres aux émulsions destinées à appaiser le bouillonnement des humeurs, &c. Nous en concluons au contraire que ces semences n'y pourroient être propres que par les qualités très-communes de la matiere émulsive ; & que, comme d'ailleurs ces semences sont, par leur petitesse, d'un emploi moins commode que les grosses semences émulsives, telles que les amandes douces, &c. il ne faut jamais préparer des émulsions avec les premieres, que quand on manque absolument des dernieres. Les têtes de pavot entrent dans les trochisques béchiques noirs, & dans l'huile de Mandragore ; les semences dans le sirop de tortue, & la poudre diatragacanti frigidi ; les feuilles dans le baume tranquille ; le sirop dans les pilules de styrax, le looch blanc, les tablettes béchiques, &c.
Le pavot noir est fort employé en Médecine. Il y a pourtant des apothicaires qui prennent indifféremment les têtes de pavot noir, comme celles de pavot blanc, pour la préparation du sirop de diacode, & des médecins qui ont observé que la vertu narcotique de ces deux especes de pavot étoit à peu-près la même.
L'huile par expression connue dans plusieurs provinces du royaume sous le nom d'huile d'oeillet ou d'oeillette, & employée par le peuple dans ces pays sans le moindre inconvénient aux mêmes usages auxquels on employe plus généralement l'huile d'olive, cette huile, dis-je, est retirée des semences de pavot noir. Cette observation prouve absolument pour l'huile de pavot noir, & concourt à prouver par analogie pour l'huile de pavot blanc que ces substances ne sont point narcotiques.
Les feuilles de pavot noir entrent dans l'onguent populeum & dans le baume tranquille : elles ne sont d'aucun usage, non plus que celles de pavot blanc dans les descriptions magistrales.
Le pavot rouge ou coquelicot ne fournit à la Médecine que les pétales de ses fleurs.
Ces pétales sont de l'ordre des substances végétales qu'il faut dessecher le plus promptement, c'est-à-dire par le secours de la plus grande chaleur qu'il soit permis d'employer. Voyez DESSICATION. Si on laisse languir leur desséchement, elles se noircissent très-promptement, & prennent un goût & une odeur de moisi.
Les fleurs de coquelicot sont regardées comme très-adoucissantes, très-pectorales, comme légerement diaphorétiques & comme un peu calmantes. On employe assez communément leur décoction legere, ou leur infusion théiforme à titre de tisane dans la toux opiniâtre & seche, dans les fluxions de poitrine, les pleurésies, & même dans la petite-vérole.
On retire une eau distillée des fleurs de coquelicot, qui doit être rangée dans la classe de celles qui sont parfaitement inutiles. Voyez EAU DISTILLEE.
On en prépare une conserve & un sirop dont la vertu est analogue à celle de la décoction, mais qui ne permettant pas par leurs formes d'être données en aussi grande quantité, lui sont absolument inférieurs.
Les fleurs de coquelicot entrent dans la décoction pectorale de la pharmacopée de Paris. (b)
PAVOT CORNU, glaucium, (Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de quatre pétales disposées en rond. Le pistil sort du calice, qui est de deux feuilles, & devient dans la suite une silique longue & ronde, qui n'a qu'une seule capsule traversée par des valvules adhérentes à une cloison qui occupe le milieu de la silique dans toute sa longueur. Cette silique renferme des semences le plus souvent arrondies ; il y a quelques especes de ce genre dont le fruit qui n'a qu'une seule capsule s'ouvre en quatre parties. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Cette espece qu'on appelle en particulier pavot jaune cornu, est le glaucium flore luteo, I. R. H. 254. Boerhaave, Ind. alt. 305. papaver corniculatum luteum, , Dioscoridis & Theophrasti sylvestre, keratitis Plinii, C. B. P. 171. en anglois the yellow corned poppy. Galien dit que cette plante est détersive ; mais qu'il ne faut l'employer que pour manger les chairs baveuses des ulceres.
Sa racine est grosse comme le doigt, longue, jaunâtre en-dedans, & donnant un suc jaune. Elle pousse des feuilles amples, charnues, grasses, épaisses, velues, découpées profondément, dentelées en leurs bords, & comme crépées, de couleur de verd de mer, se couchant à terre, & attachées par de grosses queues.
Sa tige ne s'éleve que la seconde année ; elle est fort dure, nouée, glabre, divisée en plusieurs rameaux, poussant de ses noeuds de petites feuilles legerement découpées.
Ses fleurs naissent au sommet, larges, grandes comme celles du pavot cultivé, composées chacune de quatre pétales, disposées en rose, de couleur jaune doré.
Lorsque cette fleur est passée, il paroît un fruit en silique, long comme le petit doigt, grêle, rude au toucher, contenant des semences arrondies & noires.
Toute la plante est empreinte d'un suc jaune & teinte en jaune ; elle est en même tems de mauvaise odeur, d'un goût amer, & croît aux lieux maritimes sablonneux.
J'ai eu mes raisons pour décrire cette plante, qui pourroit devenir fatale à ceux qui ne la connoîtroient pas, & qui du-moins l'a déjà été en Angleterre. On en cite un exemple dans les Trans. philos. n. 242, & le récit en est assez singulier pour mériter d'être extrait.
Dans une maison de laboureurs de la province de Cornouailles, on mit par erreur de la racine de cette plante, au lieu de celle du panicaut de mer, dont les pauvres gens du pays font communément des especes de fouasses ou gâteaux. Dès que le maître de la maison eut mangé de celui-ci tout chaud, il fut saisi d'un violent délire, dans lequel tous les objets lui paroissoient jaunes ; ensorte qu'il prenoit les ustensiles de sa maison pour être autant d'ustensiles d'or. Son valet & sa servante qui mangerent après lui du même gâteau éprouverent aussi les mêmes symptomes ; saisis d'un délire d'ivresse qui leur ôta la raison, ils se deshabillerent, entrerent tout nuds dans une chambre où beaucoup de monde se trouvoit, & se mirent à danser dans cet attirail de la simple nature.
Un enfant au berceau à qui l'on avoit donné un petit morceau du gâteau de pavot cornu, en éprouva de légeres convulsions avec assoupissement ; mais il se rétablit au bout de peu de jours. La nature guérit aussi les autres malades par un grand cours de ventre qui succéda promptement, & accompagné de violentes tranchées. Leur folie étoit telle dans le commencement de ce bénéfice naturel, qu'ils s'imaginoient que leur garderobe étoit de l'or le plus pur. Il semble que ce délire singulier provenoit sur-tout de l'idée qu'ils avoient dans le cerveau de cette plante, dont les racines les avoient empoisonnés. J'ai déjà dit en la décrivant, que ses fleurs sont grandes, en rose, d'un beau jaune, que tout le suc de ce pavot est jaune, & qu'il teint en jaune. (D.J.)
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PAWHATA | ou POWHATAN, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique septentrionale dans la Virginie. Sa source est dans les montagnes de Monacaus ; & après avoir couru une centaine de milles, elle se décharge dans le golfe de Chesapeak.
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PAX-JULIA | (Géog. anc.) ville de la Lusitanie, aujourd'hui la ville de Béja, où l'on a déterré plusieurs monumens antiques, & entr'autres l'inscription suivante, qui se lit toute entiere dans la place du marché.
L. Aelio. Aurelio. Commodo.
Imp. Caes. Aeli.
Hadriani. Antonini. Aug.
Pii. P. P. Frilio
Col. Pax-Julia. D. D.
Q. Petronio Materno.
C. Julio. Iuliano. II. Vir. (D.J.)
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PAXAE | ou PAXI, (Géog. anc.) nom de deux îles inhabitées que Polybe, l. II. c. x. & Pline, l. IV. c. xij. mettent entre les îles de Leucade & de Corcyre. Elles sont à cinq milles de la derniere de ces îles, & on les nomme aujourd'hui Paxu & Antipaxu. Ce sont deux petites îles, car la plus grande, qui est l'île de Paxu, n'a pas 10 milles de tour.
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PAXOS | (Hist. nat.) espece de fruit des îles Philippines, qui ressemble par sa forme à des olives ; son goût est très-agréable lorsqu'il est mûr : on le mange aussi verd après qu'il a été confit dans du vinaigre.
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PAYABLE | adj. (Gramm. & Commerce) qui doit être payé ou acquité dans un certain tems ou à certaines personnes.
Une lettre de change payable à vûe, est une lettre de change qui doit être acquittée sur-le-champ dans le moment qu'elle est présentée. Voyez LETTRE DE CHANGE.
Une lettre payable à jour préfix ou jour nommé, est celle qui doit être payée à un certain jour fixe marqué dans la lettre.
Une lettre payable à tant de jours de vûe, est celle qu'on doit acquiter dans un certain nombre de jours désignés par la lettre, à compter du jour de son acceptation. Voyez VUE & ACCEPTATION.
Une lettre payable à une ou plusieurs usances, est celle qui doit être payée en autant de fois trente jours qu'il y a d'usances marquées dans le corps de la lettre à compter du jour de sa date, chaque usance étant de trente jours. Voyez USANCE & DATE.
Un billet payable au porteur, est un billet dont le payement doit être fait à la premiere personne qui le présente, sans qu'il soit besoin d'ordre ni de transport. Voyez BILLET.
Un billet payable à un tel ou à son ordre, est celui qui doit être payé à la personne dénommée dans la lettre qui en a donné la valeur, ou telle autre en faveur de qui il aura passé son ordre au dos du billet. Voyez ORDRE.
Un billet payable à volonté, est un billet qui n'a point de tems limité, & dont on peut exiger le payement quand on le juge à-propos.
Un billet payable en lettres ou billets de change, ou en autre papier, est celui qui doit être acquité en bonnes lettres ou billets de change, ou tel autre papier désigné dans le billet & dans le tems qui y est marqué.
On dit qu'une obligation, une promesse, une assignation, un mandement, &c. est payable, pour exprimer que le tems ou terme du payement est échu, & qu'on peut l'aller recevoir. Dictionnaire de Commerce.
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PAYAMOGO | (Géog. mod.) place fortifiée d'Espagne dans l'Andalousie, sur les frontieres du Portugal, à quatre lieues sud de Moura. Long. 10. 34. lat. 38. 2. (D.J.)
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PAYAS | S. m. pl. (Comm. du Levant) soies blanches ou cotons filés qu'on tire particulierement d'Alep.
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PAYASSES | (Géog. mod.) petite ville de Turquie dans la Caramanie, sur le golfe d'Alexandrette, à quatre lieues de cette ville. Long. 55. 6. lat. 35. 30.
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PAYCO HERVA | (Botan. exot.) c'est une espece de plantain du Pérou. Monard prétend que sa poudre prise dans du vin appaise les douleurs néphrétiques qui proviennent de flatuosités. (D.J.)
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PAYE | S. f. (Gramm. & Art milit.) ce que l'état donne au soldat par jour pour prix de son service.
PAYE DE LA MILICE ROMAINE (Art militaire des Romains) solde en argent que la république donnoit par jour à chaque soldat, cavalier ou centurion romain.
L'Histoire nous apprend que jusqu'à l'an de Rome 347, tous les citoyens romains avoient été à la guerre à leurs dépens ; il falloit que chacun tirât de son petit héritage de quoi subsister, tant en campagne que pendant le quartier d'hiver ; & souvent quand la campagne duroit trop long-tems, les terres, sur-tout celles des pauvres plébéïens, demeuroient en friche. De-là étoient venus les emprunts, les usures multipliées par les intérêts, & ensuite les plaintes & les séditions du peuple. Le sénat, pour prévenir ces désordres, ordonna de lui-même & sans qu'il en fût sollicité par les tribuns, que par la suite les soldats seroient payés des deniers du public, & que pour fournir à cette dépense, il se feroit une nouvelle imposition dont aucun citoyen ne seroit exempt. Trois ans après, l'an de Rome 350, on assigna une solde particuliere pour les gens de cheval, & ce fut la premiere fois que la cavalerie commença à être payée des deniers publics. A l'égard des alliés, ils étoient obligés de servir sans solde, mais on leur fournissoit le blé & l'orge gratis.
La paye d'un fantassin étoit deux oboles par jour, c'est-à-dire trois sols romains, selon l'estimation de Juste-Lipse. Les centurions avoient double solde, & les cavaliers recevoient une drachme valant 20 sols romains. Les troupes sur cette paye étoient obligées de se nourrir & de se fournir d'habits, ensorte, dit Polybe, que si les soldats recevoient quelque chose du questeur, on ne manquoit pas de le rabattre sur leur paye. Dans la suite, environ l'an 600 de Rome, C. Sempronius Gracchus pendant son tribunat, fit une loi par laquelle on fournit aux troupes des habits sur le trésor public. Jules-César qui avoit besoin de soldats pour ses vûes ambitieuses, leur fit de nouvelles faveurs. Enfin Auguste porta la solde des fantassins à un denier, & donna le triple aux cavaliers. Tirons une réflexion de ce détail.
Un soldat romain avoit donc un denier par jour sous Auguste, c'est-à-dire sept sols & demi d'Angleterre. Les empereurs avoient communément vingt-cinq légions à leur solde, ce qui, à raison de cinq mille hommes par légion, fait cent vingt-cinq mille hommes. De cette maniere la paye des soldats romains n'excédoit pas la somme de 16 cent mille livres sterlings. Cependant le parlement d'Angleterre dans la guerre de 1700, accordoit communément deux millions 500 mille livres sterlings pour la solde de ses troupes, ce qui fait 200 mille livres sterlings audelà de la dépense de Rome. Il est vrai que les officiers romains recevoient une très-petite paye, puisque celle du centurion étoit seulement le double de la paye d'un soldat, qui d'ailleurs étoit obligé de se fournir d'habits, d'armes & tentes, objets qui diminuoient considérablement les autres charges de l'armée : tant ce puissant gouvernement dépensoit peu en ce genre, & tant son joug sur le monde entier étoit facile à supporter ! Cette réflexion nous semble d'autant plus vraie, que l'argent après la conquête de l'Egypte paroît avoir été à Rome en aussi grande abondance qu'il peut l'être à-présent dans les royaumes les plus riches de l'Europe. (D.J.)
PAYE, s. f. (Poids) poids dont la pesanteur est du double du clain ; on évalue le clain à douze grains de ris : ainsi la paye pese 24 grains.
PAYE, (Monnoie) monnoie courante à Ormus dans le Sein Persique. Elle vaut dix besorch ou liards du pays, qui sont de petites especes de monnoies d'étain ; quatre payes font le sourdis.
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PAYELLE | S. f. (Ustencile de Salines) grande chaudiere dont on se sert en Flandres pour le raffinage du sel. Elles sont plates, de 12 à 15 piés en carré, & d'un pié de profondeur. Le sel gris qu'on y raffine y perd beaucoup de son acrimonie, mais rien du tout de son grain.
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PAYEMENT | S. m. (Commerce) c'est la décharge d'une dette, ou en payant en argent, ou par lettres de change, &c. Voyez DETTE, &c.
Prompt payement, c'est un terme vulgaire en Angleterre & à Amsterdam, dont on fait usage quand un débiteur acquite ce qu'il doit avant l'expiration du terme accordé par le créancier.
L'excompte ordinaire pour un prompt payement sur la plûpart des marchandises est de un pour cent. Voy. EXCOMPTE, DEDUCTION, &c.
Payement se dit aussi du tems qu'un débiteur a obtenu de ses créanciers pour les payer plus facilement : on dit en ce sens qu'il doit les satisfaire en quatre payemens égaux, de six mois en six mois, dont le premier commencera tel jour.
Payement signifie encore certains termes fixes & arrêtés, dans lesquels les marchands, négocians & banquiers doivent acquiter leurs dettes, ou renouveller leurs billets.
Il y a à Lyon quatre payemens de la sorte ; savoir, le payement des Rois, qui commence au premier Mars, & dure tout le mois ; le payement de Pâque, qui commence le 1 Juin & dure tout le mois ; le payement d'Août, qui commence le 1 Septembre & dure tout le mois ; & le payement de Toussaint, qui commence au premier Décembre & dure tout le mois. Quoiqu'à Paris, Bordeaux, Rouen, Tours, Rheims, & autres villes commerçantes du royaume, il n'y ait pas de payemens reglés, cependant elles se conforment assez à l'usage de Lyon, de faire les payemens de trois mois en trois mois. Voyez sur la police de ces payemens, le diction. de Commerce.
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PAYEN | S. m. (Théolog.) adorateur des faux dieux ; on l'appelle autrement gentil ou idolâtre.
Baronius fait venir le mot paganus de pagi, villages, parce que quand les Chrétiens commencerent à devenir les maîtres des villes, les Payens furent obligés par les édits de Constantin & de ses enfans, de se retirer dans les villages. Saumaise prétend que ce mot vient de pagus, qu'il suppose signifier originairement la même chose que gens, c'est-à-dire nation ; c'est pour cela, selon lui, que nous disons indifféremment payens ou gentils. Voyez GENTILS.
M. l'abbé Fleury donne au mot payen une autre origine : il remarque que lorsque l'empereur Constantin partit d'Antioche, en 350, pour aller contre Maxence, il assembla toutes ses troupes, & leur déclara que ceux d'entre les soldats qui n'avoient pas reçu le baptême, eussent à le recevoir sur le champ, ou à se retirer & à quitter son service. Ceux qui prirent ce dernier parti, peuvent, dit cet auteur, avoir été appellés pagani, payens : car paganus, en latin, signifie proprement un homme qui ne porte point les armes, & est opposé à miles, soldat. Dans la suite ce même nom peut avoir été étendu à tous les Idolâtres. Peut-être encore, ajoute-t-il, ce mot vient-il de pagus, village, parce que les paysans sont restés plus long-tems attachés à l'idolatrie que les habitans des villes. Voyez IDOLATRIE.
PAYENS, s. m. pl. terme de Potiers, ce sont deux pieces de bois qui ont diverses hoches ou entailles de distance en distance, sur lesquelles l'ouvrier pose ses piés de chaque côté lorsqu'il tourne quelque vase, ou quelques autres ouvrages de poterie, sur la girelle de la grande roue. (D.J.)
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PAYER | v. act. (Gram. & Com.) action par laquelle on s'acquite de ce qu'on doit, on se libere d'une dette. Voyez DETTE.
Payer le prix d'une chose achetée, c'est en donner le prix convenu.
Payer comptant, c'est payer sur le champ & dans le moment que la marchandise est livrée.
Payer en papier, c'est donner en payement des lettres ou billets de change, des promesses ou autres semblables effets, sans donner aucun argent ou marchandise.
Payer en marchandises, c'est donner de la marchandise au lieu d'argent ou de papier, pour se décharger d'une dette qu'on a contractée.
Se payer par ses mains, c'est se payer par soi-même sur les deniers ou effets qu'on a entre les mains, appartenans à son débiteur. Diction. de Com.
PAYER, se dit des choses inanimées qui doivent un certain droit & pour lesquelles on l'acquite : l'eau-de-vie paye tant par pipe à l'entrée de Paris. Id. ibid.
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PAYERNE | (Géog. mod.) Paterniacus en latin du moyen âge ; petite ville de Suisse au canton de Berne, sur la Broye, dans une belle campagne, chef-lieu d'un gouvernement du même nom. Les Bernois l'enleverent au duc de Savoie en 1536. On lit sur une des portes de Payerne l'inscription suivante : Jovi. O. M. genio loci, fortunae reduci, Appius Augustus, dedicat. Long. 25. 30. lat. 47. 10. (D.J.)
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PAYEUR | S. m. (Commerce) celui qui paye ou qui s'acquite des sommes qu'il doit.
On appelle bon payeur celui qui acquite ponctuellement ses dettes, lettres de change, billets, promesses, &c. & au contraire mauvais payeur, celui qui refuse ou fait difficulté de payer, qui souffre des protêts, des assignations, ou qui laisse obtenir contre lui des sentences pour gagner du tems. Dictionnaire de Com.
PAYEUR DES RENTES, (Finance) officier préposé à l'hôtel-de-ville pour l'acquit des rentes constituées sur la ville.
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PAYS | S. m. (Gram.) ce mot désigne un espace indéterminé ; il se dit encore de différentes portions plus ou moins grandes de la surface de la terre.
Il se prend aussi quelquefois en figures, & l'on dit, les modernes ont découvert dans les sciences bien des pays inconnus aux anciens.
PAYS, ILES, (Géog. mod.) les îles pays sont des îles de la mer des Indes, au sud des îles Marianes. Elles ne furent connues de nom qu'en 1696 ; & nous ne les connoissons que par une lettre du P. le Clain jésuite, inserée dans les lettres édifiantes, t. I. p. 114. & suiv.
Ce pere dit, qu'étant arrivé à la bourgade de Guivam, dans l'île de Samal ; la derniere & la plus méridionale des Pintados orientaux, il y trouva vingt-neuf des habitans de ces îles pays, que les vents d'est qui regnent sur ces mers depuis le mois de Décembre jusqu'au mois de Mai, y avoient jettés, à 300 lieues de leur pays. Ils s'étoient embarqués sur de petits vaisseaux au nombre de trente-cinq personnes, pour passer à une île voisine, qu'il leur fut impossible de gagner, ni aucune autre de leur connoissance, à cause d'un vent violent qui les emporta en l'autre mer, où ils voguerent deux mois sans pouvoir prendre terre, jusqu'à ce qu'enfin ils se trouverent à la vûe de la bourgade de Guivam, où un guivamois qui étoit au bord de la mer, leur servit de guide, & les fit entrer au port le 28 Décembre 1696. La structure de leur petit vaisseau, & la forme de leurs voiles qui sont les mêmes que celles des îles Marianes, firent juger que les îles Pays n'étoient pas fort éloignées de ces dernieres.
Ceux qui échouerent à la bourgade de Guivam, étoient à demi-nus. Le tour & la couleur de leur visage approchoit du tour & de la couleur du visage des habitans des Philippines, quoique leur langue fût fort différente. Les hommes & les femmes n'avoient qu'une espece de ceinture sur les reins & les cuisses, & sur les épaules une grosse toile liée pardevant, & pendant négligemment par-derriere. La femme de la bande qui paroissoit la plus considérable, avoit plusieurs anneaux & plusieurs colliers qu'on jugeoit être faits d'écailles de tortue. Ils n'avoient aucune connoissance de la divinité, ni des idoles ; tout leur soin étoit de chercher à boire & à manger, quand ils avoient faim ou soif ; ils ne connoissoient aucun métal, & leurs cheveux qu'ils laissent toujours croître, leur tomboient sur les épaules. (D.J.)
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PAYS-BAS | LES, (Géog. mod.) contrée d'Europe composée de dix-sept provinces, situées entre l'Allemagne, la France & la mer du nord. Les dix-sept provinces sont les duchés de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg, de Gueldres, le marquisat d'Anvers, les comtés de Flandres, d'Artois, de Hainaut, de Hollande, de Namur, de Zéelande, de Zutphen, les seigneuries de Frise, de Malines, d'Utrecht, d'Overissel & de Groningue ; l'archevêché de Cambrai & l'évêché de Liege y sont encore enclavés. Huit de ces provinces qui sont vers le nord, ayant sécoué la domination espagnole, formerent une république qui est aujourd'hui la plus puissante de l'Europe, & qu'on connoît sous le nom de Provinces-Unies. Voyez PROVINCES-UNIES.
On a vérifié dans le conseil espagnol en 1693, que l'Espagne, depuis Charles V. c'est-à-dire en moins de 150 ans, avoit dépensé plus de 1873 millions de livres, à 28 livres le marc, pour conserver les Pays-Bas, indépendamment des revenus du pays qui y ont été consumés. Si à ces revenus du pays l'on ajoute ce qu'il en a coûté depuis 1663 jusques en 1715, on trouvera que l'Espagne auroit gagné plus de 1900 millions, ou 100 millions de livres de rente annuelle, à 28 livres le marc, à abandonner les Pays-Bas, lorsque Charles V. alla fixer son séjour en Espagne. (D.J.)
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PAYS REUNIS | (Géog. mod.) nom que l'on donne à un grand nombre de fiefs, divisés en fiefs relevant des évêchés de Metz, Toul & Verdun ; en fiefs compris dans la basse Alsace, & en fiefs mouvans des comtés de Chini.
PAYS DES TENEBRES, (Géog. mod.) contrée de la grande Tartarie, dans la partie la plus septentrionale de cette région. On lui a donné le nom de ténebres, à cause que pendant une partie de l'hiver les grands brouillards qu'il y fait, empêchent que le soleil n'y paroisse. Il s'y trouve beaucoup d'hermines, & de renards. Les habitans vivent presque comme des bêtes, & ne reconnoissent ni lois, ni rois, ni chefs. (D.J.)
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PAYSAGE | S. m. (Peinture) c'est le genre de peinture qui représente les campagnes & les objets qui s'y rencontrent. Le paysage est dans la Peinture un sujet des plus riches, des plus agréables & des plus féconds. En effet, de toutes les productions de la nature & de l'art, il n'y en a aucune que le peintre paysagiste ne puisse faire entrer dans la composition de ses tableaux. Parmi les styles différens & presqu'infinis dont on peut traiter le paysage, il faut en distinguer deux principaux : savoir le style héroïque, & le style pastoral ou champêtre. On comprend sous le style héroïque, tout ce que l'art & la nature présentent aux yeux de plus grand & de plus majestueux. On y admet des points de vûe merveilleux, des temples, des sépultures antiques, des maisons de plaisance d'une architecture superbe, &c. Dans le style champêtre au contraire, la nature est représentée toute simple, sans artifice, & avec cette négligence qui lui sied souvent mieux que tous les embellissemens de l'art. Là on voit des bergers avec leurs troupeaux, des solitaires ensevelis dans le sein des rochers, ou enfoncés dans l'épaisseur des forêts, des lointains, des prairies, &c. On unit fort heureusement le style héroïque avec le champêtre.
Le genre du paysage exige un coloris où il y ait de l'intelligence, & qui fasse beaucoup d'effet. On représente quelquefois dans des paysages des sites incultes & inhabités, pour avoir la liberté de peindre les bisarres effets de la nature livrée à elle-même, & les productions confuses & irrégulieres d'une terre inculte. Mais cette sorte d'imitation ne sauroit nous émouvoir que dans les momens de la mélancholie, où la chose imitée par le tableau peut sympathiser avec notre passion. Dans tout autre état le paysage le plus beau, fut-il du Titien & du Carrache, ne nous intéresse pas plus que le feroit la vûe d'un canton de pays affreux ou riant. Il n'est rien dans un pareil tableau qui nous entretienne, pour ainsi dire ; & comme il ne nous touche gueres, il ne nous attache pas beaucoup. Les peintres intelligens ont si bien senti cette vérité, que rarement ils ont fait des paysages deserts & sans figures. Ils les ont peuplés, ils ont introduit dans ces tableaux un sujet composé de plusieurs personnages, dont l'action fût capable de nous émouvoir, & par conséquent de nous attacher. C'est ainsi qu'en ont usé le Poussin, Rubens & d'autres grands maîtres, qui ne se sont pas contentés de mettre dans leurs paysages un homme qui passe son chemin, ou bien une femme qui porte des fruits au marché ; ils y placent ordinairement des figures qui pensent, afin de nous donner lieu de penser ; ils y mettent des hommes agités de passions, afin de reveiller les nôtres, & de nous attacher par cette agitation. En effet, on parle plus souvent des figures de ces tableaux, que de leurs terrasses & de leurs arbres. La fameuse Arcadie du Poussin ne seroit pas si vantée si elle étoit sans figures. Voyez sur ce paysage, l'article du Poussin, au mot PAYSAGISTE. (D.J.)
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PAYSAGISTE | S. m. (Peinture) peintre de paysage. Voyez PAYSAGE.
Les écoles italiennes, flamandes, & hollandoises sont celles qui ont produit le plus grand nombre d'excellens artistes en ce genre de peinture.
Les sites de l'Albane sont agréables & piquans. Le Bassan se fit admirer par la vérité qui regnoit dans ses paysages ; il suivit toujours l'étude de la nature qu'il sut exprimer, après l'avoir connue dans les lieux champêtres qu'il habitoit. Peu de peintres ont mieux touché le feuillage que le Bolognese. Borzoni (François-Marie) né à Gènes en 1625, & mort dans la même ville en 1679, a fait aussi connoître ses talens en ce genre par ses neuf grands paysages peints à huile, qu'on voit dans le vestibule du jardin de l'Infante.
Annibal Carrache ne se distingua pas seulement par un goût de dessein fier & correct, il sut aussi s'occuper du paysage, & y excella ; ses arbres sont d'une forme exquise, & d'une touche très-légere. Les tableaux du Giorgion sont d'un goût supérieur pour les couleurs & les oppositions. Le Guaspre a montré un art particulier à exprimer les vents, à donner de l'agitation aux feuilles des arbres, enfin à représenter des bourasques & des orages. Le Lorrain, à force d'études, devint un grand paysagiste dans l'expression des objets inanimés, mais manquant de talens pour peindre les figures, la plûpart de celles qu'on voit dans ses ouvrages, sont d'autres artistes. Le Mola a des sites du plus beau choix, & sa maniere de feuiller les arbres est charmante. Le Mutin prit beaucoup en ce genre de la maniere flamande, car les Italiens n'ont pas autant recherché l'art du feuiller que les Flamands ; il accompagna donc ses tiges d'arbres de tout ce qu'il croyoit les devoir rendre agréables, & y jetter de la variété ; mais les plus grands paysagistes qu'on connoisse sont sans doute le Titien & le Poussin.
La plume du Titien, aussi moëlleuse qu'elle est expressive, l'a servi heureusement lorsqu'il a dessiné des paysages. Indépendamment de sa belle façon de feuiller les arbres sans aucune maniere, & d'exprimer avec vérité les différentes natures de terrasses, de montagnes, & de fabriques singulieres, il a encore trouvé le secret de rendre ses paysages intéressans, par le choix des sites & la distribution des lumieres : tant de grandes parties ont fait regarder le Titien comme le plus grand dessinateur de paysages qui ait encore paru.
Le Poussin a su de plus agiter nos passions dans ses paysages comme dans ses tableaux d'histoire. Qui n'a point entendu parler, dit l'abbé Dubos, de cette fameuse contrée qu'on imagine avoir été durant un tems le séjour des habitans les plus heureux qu'aucune terre ait jamais portés. Hommes toujours occupés de leurs plaisirs, & qui ne connoissoient d'autres inquiétudes ni d'autres malheurs que ceux qu'essuient dans les romans, ces bergers chimériques dont on veut nous faire envier la condition.
Le tableau dont je parle représente le paysage d'une contrée riante ; au milieu l'on voit le monument d'une jeune fille morte à la fleur de son âge ; c'est ce qu'on connoit par la statue de cette fille couchée sur le tombeau, à la maniere des anciens, l'inscription sépulchrale n'est que de quatre mots latins : je vivois cependant en Arcadie, & in Arcadiâ ego. Mais cette inscription si courte fait faire les plus sérieuses réflexions à deux jeunes garçons, & à deux jeunes filles parées de guirlandes de fleurs, & qui paroissent avoir rencontré ce monument si triste en des lieux, où l'on devine bien qu'ils ne cherchoient pas un objet affligeant. Un d'entr'eux fait remarquer aux autres cette inscription en la montrant du doigt, & l'on ne voit plus sur leurs visages, à-travers l'affliction qui s'en empare, que les restes d'une joie expirante. On s'imagine entendre les réflexions de ces jeunes personnes sur la mort qui n'épargne ni l'âge, ni la beauté, & contre laquelle les plus heureux climats n'ont point d'asyle. On s'imagine ce qu'elles vont se dire de touchant, lorsqu'elles seront revenues de leur premiere surprise, & l'on l'applique à soi-même, & à ceux à qui l'on s'intéresse.
La vûe du paysage qui représente le déluge, & qui orne le palais du Luxembourg, nous accable de l'évenement qui s'offre à nos yeux, & du bouleversement de l'univers. Nous croyons voir le monde expirant, tant il est vrai que le Poussin a aussi-bien peint dans les paysages tous les effets de la nature, que les passions de l'ame dans ses tableaux d'histoire.
Le célebre Rubens est encore, dans son école, le prince du paysage, & l'on peut dire qu'il l'a traité aussi supérieurement que personne ; ce genre de peinture a été singulierement goûté par les Flamands & les Hollandois, & leurs ouvrages le prouvent assez.
Brugel (Jean) surnommé Brugel de velours, s'est servi du pinceau avec une adresse infinie pour feuiller les arbres. Il a su mettre dans ses paysages des fleurs, des fruits, des animaux & des voitures, avec beaucoup d'intelligence.
Bril (Matthieu) avoit déjà fait connoître son goût pour traiter le paysage, quand il mourut à Rome âgé de 34 ans ; mais son frere Paul le surpassa de bien loin. Ses tableaux en ce genre sont recommandables par des sites & des lointains intéressans par un pinceau moëlleux, par une touche légere & par une maniere vraie de rendre tous les objets ; on lui trouve seulement un peu trop de verd dans ses tableaux.
Juanefeld (Hermand) est un maître par l'art de peindre les arbres, par ses figures d'animaux, & par sa touche spirituelle. On a aussi de ce charmant artiste des paysages gravés à l'eau-forte, & qui font beaucoup d'effet.
Van-der-Meer (Jean) a orné ses paysages de vûes de mer, & de figures, dessinées avec esprit ; mais son frere de Jonghe le surpasse de beaucoup dans la peinture des animaux qu'il mit dans ses paysages, surtout des moutons dont il représente la laine avec un art tout-à-fait séduisant ; ses figures, ses ciels, ses arbres, sont d'une maniere supérieure ; on ne distingue point ses touches, tout est fondu & d'un accord singulier.
Van-Uden (Lucas) né à Anvers en 1595, mort vers l'an 1660, est mis au rang des célebres paysagistes. Une touche légere, élégante & précise, caractérise sa maniere ; ses ciels ont un éclat brillant, ses sites sont agréables & variés, la vûe se perd dans les lointains qu'il a su représenter : on croit voir les arbres agités par le vent, & des figures élégamment dessinées, donnent un nouveau prix à ses tableaux.
Berghem (Nicolas) est un des grands paysagistes hollandois ; il plait sur-tout par des effets piquans de lumiere, & par son habileté à peindre les ciels.
Breenberg (Bartholomé) a orné ses paysages de belles fabriques qu'il avoit dessinées pendant son séjour en Italie : ses petites figures sont d'un svelte admirable.
Griffier (Jean) s'est particulierement attaché à rendre ses paysages brillans, en y représentant les plus belles vûes de la Tamise.
Poélemburg (Corneille) a souvent orné les fonds de ses paysages des ruines de l'ancienne Rome ; son pinceau est doux & moëlleux ; le transparent de son coloris se fait singulierement remarquer dans la beauté de ses ciels.
Potter (Paul) a rendu avec beaucoup d'art les différens effets que peut faire sur la campagne l'ardeur & l'éclat d'un soleil brûlant ; les animaux y sont peints avec la derniere vérité, & le grand fini de ses paysages les a fait rechercher avec une sorte d'avidité ; cependant ils ne disent rien à l'esprit, parce qu'il n'y a placé qu'une ou deux figures, & ses sites sont pauvres, parce qu'il n'a peint que les vûes de la Hollande, qui sont plates & très-peu variées.
Ruysdall (Jacob) né à Harlem en 1640, est un des fameux paysagistes du pays. Il s'est attaché à représenter dans ses tableaux des marines ou des tempêtes ; ses sites plaisent, son coloris est vigoureux, & ses figures sont communément de la main de Van-Ostade.
Wauwermans orna ses paysages de chasses, d'altes, de campemens d'armées, d'attaques de villages, de petits combats, & d'autres sujets dans lesquels il pouvoit placer des chevaux qu'il dessinoit parfaitement. Ses tableaux sont précieux par le tour spirituel des figures, par la fonte des couleurs, par un pinceau flou & séduisant, par l'entente du clair obscur, enfin par un précieux fini.
Les paysages de Van-Everdin (Adrien) sont recherchés en Hollande par la liberté de la touche, & par le goût de ce maître.
Zacht-Leeven (Herman) né à Roterdam en 1609, mort à Utrecht en 1685, a fait des paysages très-piquans par le choix des sites, par la beauté de son coloris, & par l'art avec lequel il a représenté des lointains légers, qui semblent fuir & s'échapper à la vûe.
Enfin tous les Vanderveldes se sont plus ou moins distingués dans les paysages ; on aime les petites figures naïves dont ils les ont ornés.
Quant à ce qui regarde les artistes de la Grande-Bretagne, comme rien n'est si riant que les campagnes de l'Angleterre, plus d'un peintre y fait un usage heureux des aspects charmans qui s'y présentent de toutes parts. Les tableaux de paysage y sont fort à la mode & fort bien payés, ensorte que ce genre y est cultivé avec un grand succès. Il n'y a pas beaucoup d'artistes flamands ou hollandois qui soient fort supérieurs aux peintres de paysages qui jouïssent aujourd'hui en Angleterre de la premiere réputation. (D.J.)
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PAZZY | (Géog. mod.) ville de la Romanie, près de Gallipoli, avec un évêché suffragant d'Héraclée ; elle est sur la mer. Long. 44. 34. lat. 40. 30. (D.J.)
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PÉ | S. m. en terme de Vannier, c'est un montant d'osier, autour duquel on passe l'osier dans les ouvrages de mandrerie.
PE écaffé, c'est un pé que les Vanniers appellent ainsi, parce qu'il est fort mince & applati par un bout, par lequel il doit environner le moule de la piece.
PE taillé, est parmi les Vanniers un pé fort aigu par un bout, & qui se pique dans le fond d'un ouvrage de vannerie.
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PÉ-TONG | (Hist. nat. Minéral.) les jésuites, missionnaires à la Chine, disent que l'on trouve dans la province de Yun-Nan une espece de métal, appellé pé-tong par les Chinois ; on ne nous apprend rien sur ce métal, sinon qu'il est blanc à son intérieur, ainsi qu'à son extérieur, & que d'ailleurs il a beaucoup de rapport avec le cuivre ordinaire. Peut-être cette substance n'est-elle qu'une pyrite arsénicale dont la couleur est blanche, mais elle n'a aucune des propriétés du cuivre.
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PÉAGE | S. m. (Hist. rom.) les Romains pour fournir aux dépenses de l'état, imposerent un tribut général sur toutes les marchandises que l'on transportoit d'un lieu en un autre, & que l'on appelloit portorium, ce qui revient à notre péage.
On ignore dans quel tems les Romains ont commencé d'exiger des droits sur les marchandises en passant sur leurs terres, parce qu'ils ont été longtems sans avoir ni commerce, ni liaisons avec leurs voisins. On ne fait point encore si Ancus-Martius, qui a ouvert le premier le port d'Ostie, y établit un droit sur les marchandises qui y seroient apportées ; il faut pourtant que les péages eussent été établis sous les rois, puisque Plutarque, Denis d'Halicarnasse, & Tite-Live, ont remarqué que Publicola abolit les péages, ainsi que plusieurs autres charges dont le peuple étoit opprimé. Mais la république ayant étendu sa domination de toute part, elle fut obligée, de soutenir plusieurs guerres, pour conserver ce qu'elle avoit acquis, & par l'ambition d'augmenter ses conquêtes, de rétablir non-seulement ces anciens subsides, mais même d'en imposer de nouveaux sur tout ce que l'on portoit à Capoue, à Pouzolles, & dans le camp qui avoit autrefois été affranchi de toutes sortes de droits. Ainsi Rome & toute l'Italie se virent accablés de péages, jusqu'au tems où Caecilius Metellus, étant préteur, les abolit, selon le témoignage de Dion Cassius, par une loi agréable au peuple, mais mal reçue par les sénateurs, & par la plûpart des grands qui haïssoient Metellus.
Cet affranchissement subsista néanmoins dans l'Italie jusqu'à la destruction de la république & de la liberté ; car au rapport de Suétone, Jules-César renouvella tous ces subsides, qu'Auguste ne manqua pas de confirmer. Il est vrai que si nous en croyons Tacite, Néron eut quelque envie d'éteindre le tribut appellé portorium, mais cette envie ne dura guere, il l'étouffa presque dans sa naissance.
Au reste, on comprend aisément que portorium étoit originairement un tribut imposé sur tout ce qui entroit dans les ports de la république ; à portu, portorium dictum. (D.J.)
PEAGE, s. m. (Jurisprud.) est un droit qui se paye au roi, ou à quelqu'autre personne, par permission du roi, pour le passage des personnes, bestiaux, marchandises, sur un pont, chemin, ou riviere, ou à l'entrée de quelque ville, bourg, ou autre lieu.
Les péages reçoivent différens noms, selon l'objet particulier pour lequel ils se perçoivent, comme barrage, pontonage, passage, travers : on appelle aussi le péage billette ou branchiete, à cause du billot ou branche d'arbre où l'on attache la pancarte.
Le roi peut seul établir des péages, & les seigneurs hauts-justiciers n'ont pas ce droit ; & si quelques-uns ont des péages dont on ne rapporte pas le titre primitif, c'est que la longue possession fait présumer qu'il y en a eu originairement une concession du roi, & tous ceux qui ne sont pas établis de l'autorité du roi, doivent être abolis.
L'ordonnance des eaux & forêts, tit. des péages, a supprimé tous les droits de cette espece qui ont été établis depuis cent ans sans titre ; & à l'égard de ceux qui étoient établis avant les cent ans, par titres légitimes, & dont la possession n'aura pas été interrompue, elle a ordonné que les seigneurs propriétaires justifieroient de leur droit & possession.
L'article 5. de ce même titre rejette les droits de péage, même avec titre & possession, si les seigneurs qui les levent ne sont obligés à aucune dépense pour l'entretien des chemins, bacs, ponts, & chaussées.
Celui qui a droit de péage dans un lieu, ne peut, sans permission du roi, transférer le bureau de son péage en un autre endroit, ni établir de nouveaux bureaux sans permission.
Les seigneurs qui ont droit de péage sont obligés d'avoir une pancarte contenant le tarif du droit, & de la faire mettre en un lieu apparent, afin que le fermier ne puisse exiger plus grand droit qu'il n'est dit, & que les passans ne puissent prétendre cause d'ignorance du péage.
Il y a un bureau du conseil établi pour l'examen & la représentation des titres des propriétaires des droits de péages, passages, pontonages, travers, & autres qui se perçoivent sur les ponts, chaussées, chemins, rivieres navigables, & ruisseaux y affluans, dans toute l'étendue du royaume.
Les droits de péage ont été établis, dans l'origine, pour l'entretien des ponts, ports, passages, & chemins, & même pour y procurer aux marchands & voyageurs la sureté de leurs personnes & effets : c'est pourquoi anciennement, lorsque quelqu'un étoit volé sur un chemin où le seigneur haut justicier avoit droit de péage, ce seigneur étoit tenu de rembourser la perte ; cela fut ainsi jugé par arrêt donné à la Chandeleur 1254 contre le sieur de Crevecoeur ; & en 1269 contre le seigneur de Vicilon ; en 1273 contre le comte de Bretagne ; & en 1285 contre celui d'Artois.
On voit aussi, par un arrêt de la Toussaint 1295, que le roi faisoit rembourser de même le détroussement fait en sa justice.
Mais quand le meurtre ou vol arrivoit avant soleil levé, ou après soleil couché, le roi ou autre seigneur n'en étoit pas responsable.
Cette garantie n'a plus lieu depuis que les seigneurs n'ont plus la liberté de mettre sous les armes leurs vassaux & sujets, & que le roi a établi des maréchaussées pour la sureté des chemins.
Quelques coûtumes prononcent une amende au profit du seigneur contre ceux qui ont fraudé le péage ; cela dépend des titres & de la possession.
Les péages sont droits domaniaux & non d'aides & de subsides. Voyez les coûtumes d'Anjou, Maine, Lodunois, Touraine, Bourbonnois, la Marche ; le Gloss. de Lauriere au mot péage ; des Pommiers sur l'article 154. de la coûtume de Bourbonnois. (A)
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PEAGER | S. m. (Jurisprud.) est celui qui fait la recette du droit de péage. Voyez ci-devant PEAGE. (A)
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PEAKS | (Hist. mod. Commerce) les sauvages de la Virginie se servent au lieu de monnoie, de différentes parties de coquilles polies, & formées en petits cylindres percés, d'une couleur brune ou blanche, de la longueur de quatre ou cinq lignes, & enfilés. Il y a de ces cylindres qu'ils nomment runtis ; les roënokes sont des fragmens de petoncles. Les Anglois reçoivent le peak brun, qui est le plus cher, sur le pié de 18 sols ou pennys, la verge ou l'aune.
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PEA | ou PAEAN, s. m. (Belles Lettres) c'étoit originairement un cantique en l'honneur d'Apollon & de Diane, qui renouvelloit le souvenir de la victoire remportée sur le serpent Python par ce dieu, dont étoit aussi l'un des surnoms, emprunté de la force de ses rayons ou de ses traits, exprimée par le verbe , frapper. Ces cantiques étoient caracterisés par cette exclamation qui en étoit comme le refrein, & qui signifie proprement décoche tes fleches, Apollon. On les chantoit pour se rendre ce dieu favorable dans les maladies contagieuses, que l'on regardoit comme des effets de sa colere.
Cette notion des peans est relative à toutes les étymologies qu'on donne de ce nom, Festus le faisant venir de , frapper. Hesychius de , , je guéris ; & d'autres de cette exclamation , , courage, mon fils, que Latone répétoit à Apollon pendant qu'il combattoit le serpent Python.
Dans la suite on fit de ces paeans ou cantiques pour le dieu Mars, & on les chantoit au son de la flûte en marchant au combat. Il y en a divers exemples dans Thucydide & dans Xenophon, sur quoi le scholiaste du premier observe, qu'au commencement d'une action l'on invoquoit dans ces peans le dieu Mars ; au lieu qu'après la victoire, Apollon devenoit le seul objet du cantique. Mais enfin, ces cantiques ne furent plus renfermés dans l'invocation de ces deux divinités ; ils s'étendirent à celle de quantité d'autres & dans Xenophon, hist. graec. lib. IV. Les Lacédémoniens entonnent un pean à l'honneur de Neptune.
On en fit même pour illustrer les grands hommes ; Athenée parle de ceux où l'on célébroit les louanges de Lysandre le Lacédémonien, & qu'on chantoit à Samos, & celles de Cratere le Macédonien qu'on chantoit à Delphes. Aristote honora d'un pareil cantique l'eunuque Hermias son ami ; & il fut, dit-on, mis en justice pour avoir prodigué à un mortel un honneur qui n'étoit dû qu'aux dieux. Ce pean nous reste encore aujourd'hui, & Jules-César Scaliger ne le trouve point inférieur aux odes de Pindare ; mais Athenée qui nous a conservé ce cantique d'Aristote, ne tombe point d'accord que ce soit un véritable pean, parce que l'exclamation qui devroit le caracteriser ne s'y rencontre en aucun endroit ; au lieu qu'elle ne manque point dans les peans composés en l'honneur de Ptolomée, fils de Lagus, roi d'Egypte, d'Antigone, & de Démetrius Poliorcete. Nous sommes redevables au même Athenée de la conservation d'un autre pean adressé par le poëte Ariphron Sicyonien à Hygiée, ou la déesse de la santé. Recherches sur les peans, par M. Burette, mém. de l'Acad. des Bell. Lettr. tom. X. pag. 301 & 302.
PEAN ou PEON, est aussi le nom d'une sorte de pié dans les vers des anciens ; on l'appella ainsi, dit-on, parce qu'il dominoit dans les hymnes ou cantiques nommés peans. Mais Quintilien le nomme peon, & en attribue l'invention à un médecin appellé peon. Ce pié consistoit en quatre syllabes, dont trois devoient être breves & une longue ; mais celle-ci pouvoit être disposée de quatre manieres. 1°. Avant toutes les breves, comme dans dlgr ; 2°. après une breve, comme dans sprb ; 3°. après deux breves, comme lns ; 4°. après toutes les breves, comme dans tmrts. Voyez PIE.
PEAN, (Géog. mod.) ville de la Gorée, capitale de la province de Péando, sur la mer de la Chine. Les Japonois s'en emparerent sur les Chinois en 1592. (D.J.)
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PEANGE | voyez ANGE.
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PEAT | S. m. (Hist. nat.) les Anglois donnent ce nom à une espece de tourbe ou de limon, formé par la pourriture des végétaux. Humus palustris.
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PEAU | S. f. en Anatomie, c'est un plexus réticulaire ou un corps de vaisseaux, situé immédiatement sous la cuticule ou l'épiderme.
Les vésicules de la peau contiennent une liqueur muqueuse : Malpighi & d'autres pensent que la couleur de la peau vient de la teinture de cette liqueur ; ils se fondent sur ce que la peau des negres est blanche, & leur sang rouge, &c. & que la seule chose qui leur soit particuliere en cette partie est la couleur de cette liqueur. Voyez NEGRE.
La peau est composée de fibres qui lui sont propres, ou suivant Stenon, elle est formée des productions des tendons des parties subjacentes, qui se terminent en une infinité de mamelons pyramidaux, entrelacés d'un nombre innombrable de fibres nerveuses & d'autres vésicules, qui forment ce que l'on appelle un parenchyme, voyez PARENCHYME ; c'est par le moyen de ces mamelons que la peau devient l'organe du toucher. Voyez MAMELONS, PAPILLES.
La peau généralement est liée aux parties subjacentes par la membrane adipeuse, & par les vaisseaux qui lui sont propres, les veines, les artères, les nerfs, &c. son usage est de couvrir & d'envelopper tout le corps, d'être un émonctoire général pour la matiere de la transpiration, & d'être l'organe du toucher. Voyez TRANSPIRATION, TOUCHER.
Les maladies de la peau sont la gale, la lepre, la petite vérole, la rougeole, le pourpre & les inflammations érésipélateuses. Voyez GALE, VEROLE, LEPRE, &c.
PEAU, PORES DE LA (Scienc. microscop.) chaque partie de la peau humaine est pleine de conduits excrétoires ou de pores qui évacuent continuellement les humeurs superflues du fluide qui circule. Pour voir ces pores, il faut couper un morceau de la peau extérieure, aussi mince qu'il sera possible, avec un rasoir bien tranchant ; immédiatement après, vous couperez du même endroit un second morceau que vous appliquerez au microscope ; & dans une partie qui ne sera pas plus grande qu'un grain de sable, vous appercevrez un nombre innombrable de pores aussi clairement que vous pourriez distinguer autant de petits trous formés par une aiguille fine sur le papier, si vous le présentiez au soleil. Les écailles de l'épiderme empêchent qu'on ne voie distinctement les pores, à-moins qu'on ne les sépare avec un couteau, ou qu'on ne les coupe de la maniere précédente ; mais si l'on prépare de cette maniere un morceau de la peau qui est entre les doigts ou sur la paume de la main, & si on l'examine au microscope, on verra avec beaucoup de plaisir la lumiere à-travers les pores.
M. Leeuwenhoëck tâche de donner quelque légere idée du nombre incroyable de pores qui sont sur le corps humain. Il suppose qu'il y a cent vingt pores dans une ligne, qui n'est que la dixieme partie d'un pouce ; cependant pour n'être pas à l'étroit, il ne calcule que sur le pié de cent ; un pouce de longueur en contiendra donc mille, & un pié douze mille ; selon ce calcul, un pié quarré en contiendra cent quarante-quatre millions, & supposant que la surface d'un homme de taille moyenne est de 14 piés quarrés, il y aura sur sa peau deux mille & 16 millions de pores.
Pour avoir une notion encore plus claire de ce nombre prodigieux de pores, par l'idée que nous avons du tems ; supposons avec le P. Mersenne, que chaque heure est composée de soixante minutes, chaque minute de soixante secondes ou de soixante battemens d'une artère ; il y a donc dans une heure 3600 battemens, dans vingt-quatre heures 86400, & dans un an 31536000 ; mais il y a environ soixante-quatre fois autant de pores dans la surface de la peau d'un homme, & par conséquent, il faudroit qu'il vêcût soixante-quatre ans pour n'avoir qu'un seul battement pour chaque pore de sa peau.
Le P. Nathaniel Grew observe, que les pores par lesquels nous transpirons, sont plus remarquables en particulier aux mains & aux piés ; car si on se lave bien les mains avec du savon, & si l'on examine seulement avec un verre ordinaire la paume de la main ou les extrémités, & les premieres jointures du pouce & des doigts, on y trouvera une infinité de sillons paralleles entr'eux, d'une égale grandeur, & à distances égales. Une fort bonne vûe pourra sans aucun verre appercevoir sur ces sillons les pores en ligne droite ; mais si on les observe avec un bon verre, chaque pore paroîtra comme une petite fontaine, avec la sueur qui en transpire claire comme de l'eau de roche ; & si on la frotte, on verra sortir immédiatement après une autre goutte.
En faisant réfléxion à cette multitude d'orifices audessus de la peau, nous avons lieu de croire que les petits insectes, comme les puces, pous, cousins, &c. ne font pas de nouvelles ouvertures avec leurs instrumens déliés, mais qu'ils ne font que les insinuer dans les vaisseaux de la peau pour en sucer le sang & les autres humeurs qui leur servent de nourriture. (D.J.)
PEAU des negres, (Anatomie) les Anatomistes ont cherché dans quelle partie de la peau résidoit la couleur noire des negres. Les uns prétendent que ce n'est ni dans le corps de la peau, ni dans l'épiderme, mais dans la membrane réticulaire qui se trouve entre l'épiderme & la peau ; que cette membrane lavée & tenue dans l'eau tiede pendant fort longtems ne change pas de couleur, & reste toujours noire ; au lieu que la peau & la sur-peau paroissent être à-peu-près aussi blanches que celles des autres hommes.
Le docteur Towns & quelques autres ont prétendu que le sang des negres étoit bien plus noir que celui des blancs, & par conséquent que la couleur des negres vient de celle de leur sang ; ce qui n'est pas confirmé par l'expérience.
M. Barrere dans une dissertation sur la couleur des negres, imprimée à Paris en 1741, pense avec M. Winslow, que l'épiderme des negres est noir, & que s'il a paru blanc à ceux qui l'ont examiné, c'est parce qu'il est extrèmement mince & transparent, mais qu'il est réellement aussi noir que de la corne noire, qu'on auroit réduite à une aussi petite épaisseur. Ils assurent aussi que la peau des negres est d'un rouge brun approchant du noir ; ce qui ne nous paroît pas trop vrai.
Cette couleur de l'épiderme & de la peau des negres est produite, selon M. Barrere, par la bile qui dans les negres est noire comme de l'encre ; il prétend s'en être assuré sur plusieurs cadavres de negres qu'il a eu occasion de disséquer à Cayenne ; mais en ce cas la bile des negres de Cayenne seroit bien différente de la bile des negres que nous voyons en Europe ; car la bile de ceux-ci n'est point différente de celle des blancs, & il n'est pas vraisemblable qu'elle le soit à Cayenne ; d'ailleurs il faudroit supposer que la bile est toujours répandue également sur la peau des negres, & qu'elle se sépare naturellement dans l'épiderme en assez grande quantité pour lui donner cette couleur noire, autre supposition qu'on ne sauroit admettre. Enfin, en supposant que c'est le sang ou la bile qui donnent cette couleur à la peau des negres, on pourroit encore demander pourquoi les negres ont la bile ou le sang noir, en prenant les mêmes alimens que les blancs, en changeant de climat, en vivant en Suede, en Danemarck, &c.
M. de Buffon croit que la même cause qui nous brunit trop lorsque nous nous exposons au grand air & aux ardeurs du soleil, cette cause qui fait que les Espagnols sont plus bruns que les Allemands, les Maures plus que les Espagnols, fait aussi que les negres le sont plus que les Maures. Il pense donc que la chaleur du climat est la principale cause de la couleur noire, & que la différence des zones fait la différence des blancs & des noirs.
Lorsque cette chaleur est excessive, comme au Sénégal & en Guinée, les hommes sont tout-à-fait noirs ; lorsqu'elle est un peu moins forte, comme sur les côtes orientales de l'Afrique, les hommes sont moins noirs ; lorsqu'elle commence à devenir un peu tempérée, comme en Barbarie, au Mogol, en Arabie, &c. les hommes ne sont que bruns ; & en effet, lorsqu'elle est tout-à-fait tempérée, comme en Europe & en Asie, les hommes sont blancs, & les variétés qu'on y remarque viennent de la maniere de vivre.
Lorsque le froid devient extrème, il produit quelques effets semblables à ceux de la chaleur excessive. Les Samoïedes, les Lapons, les Groenlandois sont fort basanés. Les deux extrèmes se rapprochent ici ; un froid très-vif & une chaleur brûlante produisent le même effet sur la peau, parce que l'une & l'autre de ces deux causes agissent par une qualité qui leur est commune ; cette qualité est la sécheresse qui dans un air très-froid peut être aussi grande que dans un air chaud ; le froid comme le chaud doit dessécher la peau, l'altérer & lui donner cette couleur basanée que l'on trouve dans les Lapons.
Suivant ce système, le genre humain n'est pas composé d'especes essentiellement différentes entre elles : il n'y a eu originairement qu'une seule espece d'hommes qui s'étant multipliée & répandue sur toute la surface de la terre, a subi différens changemens par l'influence du climat, par la différence de la nourriture, par celle de la maniere de vivre, par les maladies épidémiques, & aussi par le mélange varié à l'infini des individus plus ou moins ressemblans ; que d'abord ces altérations n'étoient pas si marquées, & ne produisoient que des variétés individuelles ; qu'elles sont ensuite devenues variétés de l'espece, parce qu'elles sont devenues plus générales, plus sensibles & plus constantes par l'action continuée de ces mêmes causes ; qu'elles se sont perpétuées, & qu'elles se perpétuent de génération en génération, comme les difformités ou les maladies des peres & meres passent à leurs enfans ; qu'enfin comme elles n'ont été produites originairement que par des causes accidentelles & extérieures, elles pourroient devenir différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui, si ces mêmes causes venoient à varier dans d'autres circonstances & par d'autres combinaisons.
Mais si la noirceur dépendoit de la chaleur du climat, les habitans des régions situées sous la zone torride devroient être tous noirs ; cependant on a découvert un continent entier au nouveau monde, dont la plus grande partie des terres habitées sont situées sous la zone torride, & où cependant il ne se trouve pas d'hommes noirs, mais de plus ou moins basanés, ou couleur de cuivre ; on auroit dû trouver dans la Guyane, dans le pays des Amazones & dans le Pérou, des negres, ou du moins des peuples noirs, puisque ces pays de l'Amérique sont situés sous la même latitude que le Sénégal, la Guinée & le pays d'Angola en Afrique ; on auroit dû trouver au Brésil, au Paraguai, au Chili, des hommes semblables aux Cafres, aux Hottentots, si le climat ou la distance du pole étoit la cause de la couleur des hommes.
On peut répondre à cette difficulté qu'il fait moins chaud sous la zone torride en Amérique, que sous celle d'Afrique ; & cela est certain. On ne trouve de vrais negres que dans les climats de la terre où toutes les circonstances sont réunies pour produire une chaleur constante & toujours excessive ; cette chaleur est si nécessaire non-seulement à la production, mais même à la conservation des negres, qu'on a observé dans nos îles où la chaleur, quoique très-forte, n'est pas comparable à celle du Sénégal, que les enfans nouveau-nés des negres, sont si susceptibles des impressions de l'air, que l'on est obligé de les tenir pendant les neuf premiers jours après leur naissance, dans des chambres bien fermées & bien chaudes ; si l'on ne prend pas ces précautions, & qu'on les expose à l'air au moment de leur naissance, il leur survient une convulsion à la mâchoire, qui les empêche de prendre la nourriture, & qui les fait mourir.
M. Littre, qui fit en 1703 la dissection d'un negre, observa que le bout du gland qui n'étoit pas couvert du prépuce, étoit noir comme toute la peau, & que le reste qui étoit couvert étoit parfaitement blanc. Cette observation prouve que l'action de l'air est nécessaire pour produire la noirceur de la peau des negres ; leurs enfans naissent blancs, ou plutôt rouges, comme ceux des autres hommes, mais deux ou trois jours après qu'ils sont nés, la couleur change, ils paroissent d'un jaune basané qui se brunit peu-à-peu, & au septieme ou huitieme jour ils sont déja tout noirs. On sait que deux ou trois jours après la naissance, tous les enfans ont une espece de jaunisse ; cette jaunisse dans les blancs n'a qu'un effet passager, & ne laisse à la peau aucune impression ; dans les negres au contraire elle donne à la peau une couleur ineffaçable, & qui noircit toujours de plus en plus.
Mais cette jaunisse & l'impression actuelle de l'air ne paroissent être que des causes occasionnelles de la noirceur, & non pas la cause premiere ; car on remarque que les enfans des negres ont dans le moment même de leur naissance, du noir à la racine des ongles & aux parties génitales : l'action de l'air & la jaunisse serviront, si l'on veut à étendre cette couleur, mais il est certain que le germe de la noirceur est communiqué aux enfans par les peres & meres ; qu'en quelque pays qu'un negre vienne au monde, il sera noir comme s'il étoit né dans son propre pays ; & que s'il y a quelque différence dès la premiere génération, elle est si insensible qu'on ne s'en est pas apperçu. Cependant cela ne suffit pas pour qu'on soit en droit d'assurer qu'après un certain nombre de générations, cette couleur ne changeroit pas sensiblement ; il y a au contraire toutes les raisons du monde pour présumer que comme elle ne vient originairement que de l'ardeur du climat & de l'action longtems continuée de la chaleur, elle s'effaceroit peu-à-peu par la température d'un climat froid, & que par conséquent si l'on transportoit des negres dans une province du nord, leurs descendans à la huitieme, dixieme ou douzieme génération, seroient beaucoup moins noirs que leurs ancêtres, & peut-être aussi blancs que les peuples originaires du climat froid où ils habiteroient. Histoire natur. de l'homme, tome III. (D.J.)
PEAU des insectes, (Hist. nat. des Insect.) vêtement extérieur que la nature a donné à tous les insectes ; ce vêtement couvre tout leur corps, en lie les parties, les contient dans la place qui leur est assignée.
La peau n'est pas de la même qualité chez tous les insectes, il s'en faut de beaucoup. Ceux dont le genre de vie ne les expose ni à des compressions, ni à des frottemens violens, comme sont les chenilles & plusieurs sortes de vers, ont la peau fort délicate & fort tendre. Quelques-uns en ont plusieurs l'une sur l'autre, à-peu-près comme les différentes peaux d'un oignon. La peau de la plûpart des insectes a des pores si petits pour l'usage de leur transpiration, qu'on a de la peine à les appercevoir. D'autres cependant ont les pores de la peau très-larges. Il y a certaines chenilles à cornes dont les pores sont si ouverts, que non-seulement ils donnent passage aux oeufs que des petits ichneumons pondent dans leur corps, mais de plus les vers nés de ces oeufs peuvent sortir par ces mêmes pores, sans que la peau en paroisse blessée.
Les insectes qui rampent dans les trous, dans les fentes où ils sont exposés à un frottement assez rude, ont la peau plus dure que les autres ; celle de quelques-uns est écailleuse.
La peau sert aux insectes d'un manteau pour les couvrir contre les injures de l'air : elle est pour eux de la même utilité que les écailles sont pour les poissons, les coquilles pour les insectes des coquillages, les plumes pour les oiseaux, & le poil pour la plûpart des quadrupedes.
Comme les insectes sont d'ordinaire très-petits, l'ardeur du soleil auroit bien-tôt desséché l'humidité intérieure de leurs corps, & épuisé leurs esprits animaux, s'ils n'avoient pas été revêtus d'une peau dure qui les mît à couvert de cet inconvénient.
Elle est l'organe du mouvement de ceux qui n'ont ni piés ni aîles : en l'étendant & la resserrant successivement, par le moyen des muscles ou des anneaux, ils se transportent d'un lieu à un autre.
On sait qu'il y a des animaux qui chaque année changent de peau ; ainsi plusieurs insectes muent, & meme un grand nombre de fois.
Puisque la peau des insectes, de même que celle des autres animaux, varie extrèmement, & qu'on en trouve parmi les uns & les autres qui l'ont tendre, dure, robuste, lisse, chagrinée, coriasse, épaisse, mince, velue, rase, épineuse, &c. il résulte que ce n'est pas dans la qualité de la peau qu'il faut chercher des caracteres propres à distinguer les insectes des autres animaux ; mais ce seroit plutôt dans la mutation de cette peau qu'on pourroit chercher ces caracteres ; c'est du-moins une chose remarquable, que les quadrupedes, les oiseaux & les poissons ne quittent jamais leur peau, & que la plûpart des insectes, de même que des reptiles, en changent plusieurs fois. (D.J.)
PEAU, maladie de la, (Médec.) les maladies de la peau sont toutes caractérisées par quelque éruption plus ou moins sensible, plus ou moins élevée qui en change la couleur, détruit la souplesse, dérange le poli & l'uniformité ; ces éruptions sont quelquefois des boutons ou petites tumeurs élevées au-dessus de la surface de la peau ; d'autres fois ce sont de simples taches qui n'offrent aux yeux qu'une altération dans la couleur, sans élévation sensible ; dans quelques cas ce sont des écailles qui recouvrent la peau, &c. Voyez ERUPTION, EXANTHEME, ECAILLE, TACHE, PUSTULE, &c. Les maladies de la peau peuvent se distinguer en chroniques & en aiguës : cette distinction est très-bien fondée & très-importante. Dans la premiere classe on doit ranger la lepre, la gale, les dartres, la teigne, l'éléphantiase, &c. Parmi les maladies aiguës on compte principalement la petite-vérole, la rougeole, les fievres scarlatines, miliaires, pourprées, érésipellateuses, &c. Voyez tous ces différens articles. Outre ces maladies dont le principal symptome se trouve à la peau, il y en a beaucoup d'autres qui sont accompagnées d'une affection de la peau, d'éruption, de taches, &c. mais cette affection n'est que symptomatique ; elle ne constitue pas des maladies particulieres, & n'accompagne pas même toujours & essentiellement celles auxquelles elle se joint : telles sont parmi les maladies aiguës ces fievres dans le cours desquelles il survient des petits boutons, des taches quelquefois critiques : tel est aussi dans la classe des chroniques le scorbut, qu'accompagne souvent & que caractérise très-bien l'éruption des taches noirâtres ou livides, en différentes parties du corps ; voyez SCORBUT : telle est, ou mieux telle étoit la vérole dans les commencemens de son invasion. Pendant le siege de Naples, elle se manifestoit principalement par de larges pustules qui couvroient & défiguroient la peau ; voyez VEROLE ; enfin on peut ajouter à ces maladies un grand nombre d'éruptions cutanées, extrêmement variées qui n'ont point de caractere spécifique ni de nom particulier ; & qu'on ne peut pas exactement rapporter à aucune des maladies nommées. Il y a tout lieu de penser que toutes ces variétés sont accidentelles & dépendantes d'un concours fortuit de circonstances, de la différence de tempérament, de régime, de climat, de pays, de l'idiosyncrasie, &c.
L'aetiologie des maladies de la peau a fourni un champ vaste aux explications de théoriciens Boerhaavistes ; c'est là qu'ils ont fait jouer un grand rôle aux acrimonies imaginaires du fameux Boerhaave ; & l'on ne sauroit disconvenir que cette doctrine ne soit en ce point fondée sur quelques apparences : car enfin, disoient-ils, l'acrimonie de l'humeur qui forme par son séjour & sa stagnation les différentes éruptions, est manifestée par les douleurs, les démangeaisons qu'elle excite sur la peau. N'est-il pas visible que les parties globuleuses de la lymphe sont transformées en petits corps pointus, en aiguilles extrêmement fines qui agacent, irritent & piquotent les filets nerveux qui s'insinuent dans leurs tissus, qui tendent à en désunir les molécules, & produisent par cette action la démangeaison & la douleur qui accompagnent assez fréquemment les maladies éruptives : or, poursuivent-ils avec la même sagacité, l'acrimonie manifeste de cette humeur décele infailliblement l'acrimonie du sang, & sur-tout de la lymphe dont elles dérivent ; car principiatum redolet naturam principii ; il est très-probable qu'un peu d'épaississement de la lymphe se joint à son âcreté ; ce second vice sert admirablement pour la faire arrêter, croupir, s'accumuler dans les petits vaisseaux : pour les distendre, les dilater, les élever en tumeur, produire les exanthèmes ou les taches. Telle est la théorie générale des maladies de la peau, ou éruptives. Le lecteur éclairé nous dispensera facilement de lui montrer le faux, le vague, l'arbitraire & le ridicule de ces principes : il lui est facile d'appercevoir que, quelle que soit la nature des humeurs qui forment ces exanthèmes, le tissu de la peau n'a qu'à être plus tendre, il sera plus sensible, plus irritable, & plus ou moins désagréablement affecté par des causes ordinaires. Il sent fort-bien que toutes ces acrimonies ne sont si variées & si multipliées, & n'existent même que dans la spéculation de quelques oisifs spéculateurs : il voit d'ailleurs que quand même la matiere de la transpiration seroit âcre, ce seroit une mauvaise raison que d'attribuer la même acreté au sang & à la lymphe. L'axiome allégué, vrai dans quelques occasions, est un pur sophisme dans le cas dont il s'agit. L'épaississement de la lymphe n'est pas mieux fondé, & cette froide explication de la formation des tumeurs, démontre dans ses auteurs une connoissance bien peu exacte de l'oeconomie animale, de la marche des liqueurs, de l'action des vaisseaux, de leur vice & de leur méchanisme ; mais enfin, si l'on n'avoit que ces défauts à reprocher à cette théorie, le mal ne seroit pas grand, & absurdités pour absurdités, celles-là pourroient aussi-bien passer que tant d'autres qui ont été dites ou avant ou après ; & nous aurions toujours l'avantage d'avoir, en avançant, une erreur de moins à craindre ; plus on a fait de fautes, & moins on nous en laisse à faire. Mais ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que ces principes erronés ont donné lieu à des conséquences pernicieuses ; une fausse théorie a établi une mauvaise pratique, surtout dans le traitement des maladies chroniques de la peau. Si toutes les humeurs sont âcres, a-t-on dit, si leur acrimonie est la base, le fondement & la cause premiere de ces maladies, il n'y aura qu'à la détruire. pour en faire cesser les effets. Jettons donc dans le sang des médicamens aqueux, doux, mucilagineux, nous noyerons les sels, adoucirons leur âcreté, envelopperons & engaînerons, pour ainsi dire, leur pointe ; en même tems les vaisseaux enduits par ces sucs gras, onctueux, seront moins susceptibles d'irritation ; défendus par ce bouclier, ils seront à l'abri des picotemens de ces globules pointus, ils résisteront à leur action, aux efforts plus foibles qu'ils font pour pénétrer dans leur tissu, alors aussi la quantité de liquide aqueux qui servira de véhicule à ces médicamens, délayera la lymphe, & le sang diminuera sa cohésion, le voisinage des globules ; par ce moyen ces deux vices fondamentaux du sang seront efficacement corrigés ; les humeurs seront édulcorées & rendues plus fluxiles, par conséquent plus de stagnation, plus d'engorgement & plus de tumeur, en même tems plus d'irritation, plus de picotement, & par là même, cessation entiere de la démangeaison & de la douleur ; & par une suite nécessaire ultérieure, le calme le plus parfait, l'harmonie & l'uniformité sont rétablies dans l'oeconomie animale. Voilà comme ces médecins guérissent dans leurs cabinets & leurs consultations : les indications sont très-naturelles, les remedes répondent exactement aux indications ; mais malheureusement le succès n'y répond pas ; c'est un fort joli roman, mais il n'a rien de réel ; les situations sont bien ménagées, bien amenées ; mais elles sont imaginées : les caracteres sont bien soutenus, mais ils sont faux, ils n'existent pas dans la nature. L'observation s'accorde ici avec la raison pour détruire de fond en comble cet édifice superbe & régulier. Tous les bouillons adoucissans de poulet, de grenouilles, de limaçon, &c. ne font que passer sur l'estomac de ces malades, ils ne touchent rien du tout à la maladie ; il en est de même du lait, remede si vanté, si célebre, si souvent & si vainement employé dans ces maladies. J'ai par-devers moi plusieurs observations qui constatent l'inefficacité de ces médicamens. Voyez LAIT.
Je ne m'arrête pas davantage à réfuter ces systèmes produits de l'imagination : qui vult videre videat. Je n'ajouterai que quelques remarques pratiques sur la nature & le traitement de ces maladies, remarques fondées sur l'observation, & conformes à la raison.
1°. Les maladies aiguës de la peau sont ordinairement une espece de dépôt critique qui purge la masse du sang infecté, salutaire par son siege aux parties extérieures, & par la fievre qui les accompagne ; elle en est le remede le plus prompt, le plus sûr, &, pour mieux dire l'unique : la petite vérole peut servir d'exemple. Voyez ce mot.
Les maladies chroniques privées du secours de la fievre, exigent les secours de l'art ; elles ne guérissent pas sans remedes. Il y en a qui dépendent d'une cause spécifique particuliere, qui ne peut être combattue & détruite que par des remedes spécifiques, particuliers ; la Médecine rationnelle est bien peu avancée sur ce qui les regarde ; le peu de lumieres qu'on a est du à l'empirisme : telles sont la vérole, la gale, le scorbut, ce n'est pas le théoricien qui a trouvé en raisonnant le mercure, le soufre, le cochléaria ; c'est le hasard qui les a découverts inopinément à l'empirique étonné.
3°. Toutes les affections cutanées, opiniâtres, souvent périodiques, dépendent sans doute immédiatement, de même que toutes les maladies de la peau, d'un vice dans la transpiration. Quelques faits bien appréciés font penser que les dérangemens dans l'action du foie, dans la sécrétion de la bile, sont les causes très-ordinaires du vice de la transpiration. Nous ne prétendons pas expliquer le méchanisme, la façon d'agir de ces causes ; nous avouons notre ignorance là-dessus, & cet aveu nous le faisons sans peine & souvent : il nous paroît préférable à des opinions hasardées ou bâties sur des fondemens peu solides ; nous ne saurions adopter ni comme vérité, ni même comme simple hypothèse, le sentiment de ceux qui voudroient faire refluer la bile mal séparée & excernée, excreta, en petite quantité du foie dans le sang, & de-là dans les vaisseaux cutanés où elle corrompt, infecte la matiere de l'insensible transpiration, en diminue la quantité. Cette marche nous paroît trop peu conforme aux lois bien approfondies de l'oeconomie animale. La fausseté de cette théorie ne nous semble point équivoque ; elle se sent, mais elle n'est pas démontrable.
4°. C'est dans ces maladies que le médecin doit agir, la nature est insuffisante ; la méthode la plus sûre est de rétablir & de favoriser la transpiration ; c'est l'indication qui se présente d'abord, magis obvia ; les bains domestiques un peu chauds sont très-appropriés ; ils guériroient seuls, si le vice n'étoit qu'à l'extérieur, si la transplantation seule péchoit ; mais ils n'operent jamais une guérison complete ; je me suis servi avec un succès surprenant d'un remede composé avec le soufre & le mercure doux, dans une teigne invétérée, qui avoit été long-tems traitée inutilement, par tous les remedes que la médecine & la superstition suggerent. Les extraits amers sont très-appropriés, celui de fumeterre est regardé presque comme spécifique. On les donne ordinairement avec du petit-lait, auquel on pourroit substituer, sans risquer de perdre beaucoup de vertu médicamenteuse, l'eau simple ou aiguisée avec un peu de sucre, de nitre ou de sel de Glauber ; l'aloës joint au tartre vitriolé a opéré des guérisons merveilleuses : ces remedes un peu actifs, irritans, réussissent mieux & sans inconvéniens, quand on les tempere par l'usage des bains d'ailleurs avantageux ; les purgatifs résineux, cholagogues, ne doivent point être négligés, leur action n'est point indifférente dans ces maladies, elle est sur-tout nécessaire chez les enfans. Les eaux minérales sulphureuses sont encore un secours très-assuré ; l'on éprouve de très-bons effets de celles qui sont acidules, salées, ferrugineuses & légerement purgatives. Quelqu'efficaces que soient ces différens médicamens, que le médecin éclairé peut varier suivant les circonstances, il faut y joindre un régime convenable : on peut tirer des observations que l'illustre & patient Sanctorius a eu la générosité de faire, suspendu pendant trente ans dans sa balance, quelques canons diététiques à ce sujet. Ce médecin, ami de l'humanité, a marqué soigneusement les alimens qui diminuoient ou augmentoient la transpiration ; il faut choisir ceux qui la favorisent, évitant avec attention ceux qui l'interrompent ; tels sont les laitages, tel est sur-tout la chair de cochon, dont l'usage, peu modéré, passe pour être une des causes les plus ordinaires des maladies de la peau, & sur-tout de la lepre : les lois politiques des Juifs, d'accord avec celles de la Médecine, avoient défendu cet aliment à ces peuples sujets à la lépre, & en avoient même fait un point de religion qui subsiste encore, pour les contenir plus surement.
5°. Enfin il est très-essentiel d'avertir les malades d'écarter avec soin la main meurtriere du chirurgien imprudent, d'éviter avec la derniere circonspection toute application extérieure, tout remede qui pourroit agir en quelque façon sur la peau ; il n'y a point de milieu, si le remede n'est pas inutile, il sera pernicieux, il ne sauroit faire du bien ; le plus grand mal qui puisse résulter & qu'on ait à craindre, c'est l'action de ces topiques que le charlatan, prometteur effronté, distribue sans connoissance, & que le peuple ignorant & crédule achete & employe avec confiance ; les mauvais effets de ces remedes sont terribles & prompts. Ils dissipent assez bien l'affection de la peau ; ils font disparoître les pustules, les exanthèmes, & c'est de cette cessation trop prompte que vient tout le danger. Combien de morts soudaines ont suivi ces sortes d'inconsidérations ; tous les livres sont pleins des funestes accidens qu'attire cette sorte de crédulité ; il n'y a personne qui n'ait vu ou entendu conter quelqu'événement semblable ; & cependant l'on est toujours la dupe de ces médecins subalternes fertiles en promesses, l'espérance de la guérison prévaut à la crainte du danger. On espere facilement ce qu'on desire avec ardeur, & il n'est point d'affaires où l'on cherche moins à fonder ses espérances que dans ce qui regarde la santé, aussi n'y en a-t-il point où l'on soit le plus souvent trompé. (m)
PEAU, (Médec. Séméiotiq.) l'état de la peau variant dans bien des maladies & dans plusieurs circonstances de ces maladies, peut sans doute, & doit nous éclairer sur leur nature, leur marche & leur terminaison ; tout phénomene peut être un signe aux yeux attentifs d'un habile observateur. Voyez SEMEIOTIQUE, SIGNE. La peau du visage est celle qui change le plus ordinairement dans les maladies, & c'est surtout sa couleur qui est altérée ; les signes qu'on tire de ces changemens, sont exposés aux articles FACE, VISAGE, COULEUR, PALEUR, &c. Il ne nous reste qu'un mot à dire sur l'état de la peau en général considerée comme signe.
Tant que subsiste cette admirable harmonie entre toutes les parties du corps, leurs vies & leurs actions, qui constitue proprement la santé, l'organe extérieur ou la peau, contrebalance avec efficacité la résistance & les efforts des puissances internes, & il est à son tour soutenu & comme repoussé par leur action opposée ; cet organe plus actif que ne le croit le commun des médecins, dans une tension continuelle, les nerfs, les vaisseaux, les glandes, &c. dont il est composé sont vivans, animés, & exercent leur fonction avec uniformité ; des liquides de différente nature, poussés par l'action du coeur & des gros troncs continués, ou plutôt attirés, & pour ainsi dire sucés par l'action propre & combinée des plus petits rameaux, les parcourent, circulent dans leur cavité, s'épanchent par les ouvertures des vaisseaux exhalans, sont ensuite dissipés ou repris par les tuyaux absorbans, ils humectent & lubréfient tous ces solides, & servent enfin à mille différens usages ; un des principaux effets qui résulte de cet amas d'humeur & de vaisseaux est l'insensible transpiration qui purifie le sang, & le délivre du superflu d'acide qu'il contenoit ; je dis acide, & j'ai des observations particulieres qui justifient ce mot ; voyez TRANSPIRATION. L'exercice complet de toutes ces fonctions se manifeste par le bien-être général, & en particulier par les qualités de la peau, qui est alors sensible, modérement chaude, molle, souple, humectée, & d'une couleur particuliere propre, qu'on appelle couleur de chair. Lorsque quelque dérangement local ou intérieur trouble & empêche cet exercice ; la peau s'en ressent, & son état varie plus ou moins, 1°. dans quelque cas le sentiment devient plus aigu, plus fin, au point même d'être affecté désagréablement par les objets familiers du toucher : tout le corps est d'une sensibilité exquise ; c'est le cas des rhumatismes universels, voyez RHUMATISME : si l'affection est particuliere & sans rougeur, sans chaleur, sans tumeur, c'est un simple rhumatisme ; si les autres phénomenes s'y rencontrent, il y a inflammation, voyez ce mot ; dans d'autres maladies le contraire arrive, le sentiment diminue ou se perd, la peau est insensible ; cette privation de sentiment générale ou particuliere, parfaite ou incomplete , forme les différentes especes de paralysie & d'engourdissement, voyez ces mots & SENTIMENT. Ces maladies ne sont pas restreintes à la peau, elles peuvent affecter d'autres parties.
2°. La chaleur de la peau augmente dans presque toutes les fievres ; à ce seul signe, bien des médecins jugent de la présence de cette maladie ; ils en ont même fait un signe pathognomonique de la fievre, mais c'est à tort ; ce signe généralisé est trompeur, même dans leur façon inexacte de compter la fievre, on croit que c'étoit un des principaux signes dont se servoit Hippocrate pour la reconnoître, faisant peu d'usage du pouls. Voyez FIEVRE. Cette chaleur de la peau est très-sensible dans les fievres ardentes, dans les fievres bilieuses, dans les fievres lentes hectiques, sur-tout dans la paume de la main ; au reste cette chaleur peut être âcre ou humide, selon que la peau est séche ou humectée. Voyez CHALEUR. La peau devient froide, ou perd de sa chaleur naturelle dans les syncopes, dans quelques fievres malignes ; dans les fievres lipiries la peau est froide, & le malade se sent brûler ; au contraire dans le commencement de plusieurs accès de fievre, pendant le tems du froid, le malade tremble, frissonne, gele de froid, & cependant la peau est trouvée brûlante par les assistans. Voyez FROID, FIEVRE, &c. Quoique la peau fournisse ces signes, c'est moins comme peau, comme tégument, que comme partie extérieure.
3°. La peau perd de sa souplesse, de sa douceur, de son humidité dans un grand nombre de maladies, au commencement de presque toutes les fievres elle devient séche, inégale & raboteuse ; ces défauts s'observent dans des degrés très-hauts pendant le reste des fievres malignes ; la peau ressemble à du cuir tanné ; c'est un signe qu'il ne se fait presque point, ou très-peu de transpiration ; tant que la peau reste dans cet état, on ne peut s'attendre à aucun mieux durable, il ne se fait ni crise, ni coction ; mais dès qu'il commence à se dissiper, on peut en tirer un favorable augure, c'est une marque que l'harmonie commence à se rétablir, que la nature long-tems affaissée & presque vaincue reprend le dessus ; l'exercice des fonctions recommence, le jeu, la vie & l'action des vaisseaux se renouvelle, les humeurs reprennent leur cours, la transpiration est rappellée, la peau s'humecte & redevient molle & souple comme auparavant ; alors la coction est faite ; la crise est prochaine ; & on peut assurer qu'elle sera salutaire, & que le malade ne tardera pas à entrer dans une heureuse convalescence ; c'est de tous les signes celui qui me fait le plus de plaisir dans les fievres malignes ; des qu'il paroît, les malades sont hors d'affaire ; la peau seroit-elle l'organe le plus affecté dans ces maladies ? Les vésicatoires qui en reveillent le ton sont bien efficaces. Dans les phthisies, les fievres lentes hectiques, la peau est pour l'ordinaire sur la fin seche & raboteuse, la transpiration se fait mal ; les sueurs abondantes qui épuisent le malade ne rendent pas la peau plus souple & plus humectée ; ce n'est qu'en rétablissant la transpiration qu'on guérit surement ces malades ; & il n'est pas aisé d'y réussir, sur-tout avec les laitages & autres remedes lents & affadissans de cette espece, qui diminuent encore la transpiration ; on s'apperçoit du succès des remedes qu'on donne quand la peau s'humecte, s'adoucit, & devient souple & huileuse. C'est toujours par-là que commence leur guerison ; remarque qu'il est important d'approfondir & de mettre en exécution.
4°. La couleur de la peau varie très-souvent ; cet effet est plus fréquent & plus sensible au visage où la peau est plus fine ; le changement de couleur y est excité par la moindre émotion, par la plus légere passion subite ; le visage, lorsqu'il n'est pas encore instruit à feindre, est le miroir de l'ame, & le dépositaire indiscret de ses secrets ; mais il perd à bonne heure cette prérogative ; & lors même qu'il la conserve, on a trouvé le moyen de voiler son changement de couleur par le masque de rouge & de blanc dont on le recouvre. Voyez VISAGE, PASSION. Les maladies font aussi changer la couleur : dans les phrénésies, les fievres ardentes, le visage est rouge, animé ; la peau du reste du corps prend aussi une couleur plus rouge ; dans les défaillances, pendant le froid des fievres intermittentes, dans les maladies de langueur, la peau de tout le corps pâlit, mais moins que celle du visage. Il y a des maladies dont le principal symptome se tire de la décoloration de la peau ; elles sont comprises sous le nom prétendu générique d'ictere ou jaunisse ; voyez ces mots. La peau y prend diverses teintes de jaune, de verd, de brun & de noirâtre ; les jeunes filles pressées par des desirs, effets du besoin naturel, qu'elles ne doivent ou ne peuvent pas satisfaire, sont sujettes à une maladie qui tire son nom & son caractere de la décoloration de la peau : on l'appelle pâles-couleurs, febris alba amatoria. Voyez PALES-COULEURS.
5°. Enfin l'éruption de taches, d'exanthèmes, de pustules, changent & alterent en même tems la couleur, l'égalité & la souplesse de la peau, il en résulte différentes maladies qu'on peut voir aux articles particuliers & sur lesquelles on peut consulter l'article précédent ; nous observerons seulement que dans les maladies aiguës, lorsque l'éruption paroissant, diminue la violence des symptomes, on doit les regarder comme un bon signe ; si au contraire les accidens ne sont point calmés, elle augmente le danger ; la nature & la couleur des exanthèmes peut encore concourir à le rendre plus pressant ; par exemple, si elles sont en grand nombre, d'un mauvais caractere, livides, noirâtres, &c. V. FIEVRES ERUPTIVES. (m)
PEAU, (Critiq. sacrée) pellis ; ce mot signifie d'ordinaire dans le vieux Testament, la peau qui couvre la chair, & les os de tout animal ; il se prend aussi pour le corps entier, pour la personne, Habac. xl. 26. & au figuré pour des tentes, parce qu'elles se faisoient de peaux de bêtes. Pelles terrae Madian turbabuntur ; Habac. iij. 7, l'effroi se mettra dans les tentes des Madianites. (D.J.)
PEAU, terme de marchands & artisans ; ce mot en général se dit particulierement de cette dépouille de l'animal qui est différemment apprêtée ou préparée par les Pelletiers, Tanneurs, Mégissiers, Chamoiseurs, Peaussiers, Corroyeurs, Parcheminiers, Maroquiniers, Gantiers, &c.
Les maroquins se font avec des peaux de boucs & de chevres, ou d'un autre animal à-peu-près semblable, que l'on nomme menon. Le parchemin se fabrique d'ordinaire avec des peaux de béliers, de moutons, de brebis, & quelquefois de chevres. Le vélin, qui est aussi une espece de parchemin, se fait de la peau d'un veau mort-né, ou d'un veau de lait. Le vrai chamois se fabrique de la peau d'un animal de même nom, que l'on appelle aussi isard, & il se contrefait avec des peaux de bouc, de chevre & de mouton. Les basannes sont des peaux de béliers, moutons ou brebis, passées en tan ou en redon, & quelquefois en mégie.
Les fourrures ou pelleteries se font de peaux de martres, d'hermines, de castors, de tigres, de loutres, de vautours, de cygnes, de petits gris, de fouines, d'ours, de putois, de lapins, de lievres, de renards, de chats, de chiens, d'agneaux, &c. dont on conserve le poil, en les préparant d'une maniere particuliere.
Les peaux de boucs & de chevres en poil, qu'on a cousues & disposées d'une maniere propre à pouvoir contenir des liqueurs, se nomment simplement boucs, & quelquefois outres. Quand elles n'ont été employées qu'à transporter des huiles, on peut encore les passer en chamois, au lieu de les laisser sécher & se perdre. Savary. (D.J.)
PEAU, (Jardinage) la peau des fruits est la superficie qui enveloppe leur chair ; c'est leur épiderme.
PEAU de chagrin, (Comm. du Levant) à Constantinople la peau de chagrin est faite de la partie de derriere de la peau de cheval, mule ou âne du pays ; on la prépare & on la tanne ; & lorsqu'elle est devenue souple & maniable, on l'étend sur un chassis, & on l'expose au soleil ; après cela, l'on répand sur cette peau de la graine de moutarde qu'on a soin de repasser plusieurs fois avec la main, & cette graine, aidée de la chaleur du soleil, éleve le grain qui se durcit ensuite. Ces peaux sont grises ordinairement, mais on les teint de la couleur qu'on veut. La partie de derriere de l'animal est plus propre que toutes les autres pour être mise en chagrin. Diction. du commerce. (D.J.)
PEAU humaine passée, (Arts mod.) on peut passer la peau humaine comme celle des quadrupedes. Cette préparation consiste dans une lessive composée de 2 livres ou plus de sel commun, de 4 onces de vitriol commun, & de 8 onces d'alun ; on fait fondre le tout dans trois pintes d'eau presque bouillante. On y plonge la peau après l'avoir dépouillée de la graisse. On l'agite pendant une demi-heure, & on la laisse reposer pendant vingt-quatre heures dans la même eau. Ensuite on renouvelle cette eau, & on n'en retire la peau que deux jours après avoir éprouvé qu'elle blanchit lorsqu'on souffle dessus. Enfin on la fait sécher à l'air sans l'exposer au soleil. M. Suë, chirurgien de Paris, a donné au cabinet du roi une paire de pantoufles faites avec de la peau humaine, préparée selon ce procédé, qui n'a point détruit les poils de cette peau, ce qui prouve bien que les poils sont implantés profondément dans une capsule bulbeuse, revêtue en-dedans d'une membrane qui enveloppe la bulbe.
La peau humaine passée, selon le procédé dont on vient de parler, reste d'une consistance ferme, assez lisse sur sa face extérieure, quoique les sillons qui environnent les mamelons en forme de losanges irréguliers, y paroissent plus profondément gravés que dans le naturel ; la surface intérieure est inégale, &, pour ainsi dire, laineuse, parce qu'il y reste presque nécessairement des feuillets de la membrane adipeuse. (D.J.)
PEAUX d'Espagne, ou PEAUX de senteur, (Parfum.) ce sont des peaux bien passées, puis parsemées de différentes odeurs dont on faisoit autrefois des gants, des corps de jupes, des pourpoints, des poches, &c. Ces sortes de peaux parfumées qui s'envoyent presque toutes d'Espagne, & qui ont eu si fort la vogue en France, ne sont plus d'usage ; elles faisoient une portion du négoce des marchands Merciers, Parfumeurs & Gantiers.
PEAUX fraîches, terme de Mégissier, nom qu'ils donnent quelquefois aux maroquins façon de Barbarie qui se fabriquent à Rouen.
PEAU verte, (Corroyerie) on nomme peaux vertes les peaux qui n'ont point encore reçu de préparation, étant telles qu'elles ont été levées de dessus le corps des animaux.
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PEAUSSERIE | S. f. marchandise de peaux & de cuirs, comme marroquins, chamois, basannes, bufles, vaches de Russie, veaux, moutons, & autres sortes d'animaux, passées & toutes préparées à être employées à divers autres ouvrages.
Le commerce de la peausserie est fort considérable en France, & sur-tout à Paris où il y a des marchands qui ne vendent rien autre chose que de la peausserie. Ce négoce fait partie de la mercerie.
PEAUSSERIE, signifie aussi l'occupation & le négoce des artisans, qu'on appelle Peaussiers, avec cette différence que ceux-ci préparent & vendent les peaux ; & que les Merciers les achetent toutes préparées pour les revendre aux particuliers.
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PEAUSSIER | S. m. en Anatomie, est un muscle mince & membraneux, situé sous la peau qui environne le col.
Il est assez large dans son origine, & sort de la partie supérieure du muscle deltoïde & du grand pectoral au-dessous de la clavicule. Il est uni fortement au pannicule charnu, dont on ne peut le séparer que difficilement ; c'est pourquoi on les confondoit autrefois, & il s'insere obliquement de chaque côté à la mâchoire inférieure & à la commissure des deux levres en passant sous le triangulaire ; au moyen de quoi il recouvre presque tout le masseter, & il tire en en-bas & de côté toutes ces parties.
PEAUSSIER, marchand qui vend ou qui prépare les peaux. On distingue à Paris deux sortes de Peaussiers.
Les uns sont des marchands Merciers, qui se sont attachés uniquement au commerce de la peausserie : la qualité de peaussier ne leur convient qu'improprement, puisqu'ils sont du corps des Merciers, qu'ils se gouvernent par les statuts des Merciers, & qu'ils n'ont de commun avec les Peaussiers que le trafic de peaux, qu'ils font en vertu de l'article xij. de leurs statuts qui leur permet ce négoce. Voyez MERCIERS.
Les autres Peaussiers qui seuls méritent ce nom sont des artisans chez qui les peaux passent en sortant des mains des Chamoiseurs & des Mégissiers, qui les mettent en couleur, tant de chair que de fleur, & qui ensuite en font plusieurs sortes d'ouvrages qu'ils vendent en gros & en détail.
Ce sont des artisans qui levent de dessus les peaux de moutons, cette espece de cuir léger ou pellicule, appellée cuir de poule ou canepin, dont les Gantiers font des gants, & les Evantaillistes des évantails. Voyez CANEPIN.
Ces artisans ont été érigés en corps de jurande, & obtenu du roi Jean leurs premiers statuts en 1457, qui leur donnent la qualité de maîtres Peaussiers, Teinturiers en cuir & Calçonniers de la ville, fauxbourgs, banlieue, prévôté & vicomté de Paris.
Ces statuts contiennent trente-sept articles, dont dix reglent les marchandises qu'ils peuvent fabriquer & vendre seuls ou concurremment avec d'autres ; & les vingt-sept autres regardent la discipline des maîtres entr'eux, & ce qui concerne les jurés, les maîtres, les apprentis, les visites & le lottissage.
A l'égard des marchandises & des ouvrages propres aux Peaussiers, il n'appartient qu'à eux de mettre en teinture & couleur sur fleur ou sur chair, à froid ou à chaud, ou par simple brossure, toutes sortes de peaux de quelque passage qu'elles ayent été apprêtées ; ce qui comprend les cuirs blancs passés en mégie, les cuirs tannés, les cuirs passés en huile ou en galle, toute sorte de peaux, comme veaux, moutons, chamois, agneaux, chevreaux, cerfs, biches, chevreuils, dains, porcs, chiens, &c. à la réserve néanmoins des gros cuirs & des vaches tannées. Ce sont eux aussi qui levent le canepin sur toutes sortes de peaux, comme de moutons, agneaux, chevreaux, &c.
Sur les contestations qui se sont élevées entre les Peaussiers d'une part, & les Boursiers & Corroyeurs d'autre part, il est intervenu plusieurs arrêts qui ont réglé les limites de chacun de ces métiers.
Ceux rendus entre les Peaussiers & les Corroyeurs, dans les années 1657, 1669 & 1695, maintiennent les Corroyeurs dans la possession de corroyer & baudroyer seuls en suif, graisse & huile, toute sorte de cuirs & de les mettre en couleur ; & les maîtres Peaussiers teinturiers dans le droit de vendre toutes sortes de cuirs, tant mis en teinture que ceux qui seront par eux apprêtés & mis en couleur en sortant de chez les Tanneurs & Mégissiers, ou qu'ils auront achetés aux halles, défendant aux Corroyeurs de passer aucunes peaux en alun ; & aux Peaussiers de vendre aucunes peaux telles qu'ils les achetent des Tanneurs & Mégissiers, ni de corroyer ou baudroyer aucuns cuirs en suif, graisse, & l'huile.
Les contestations entre les Peaussiers & les Boursiers furent réglées par deux arrêts rendus en 1664 & 1667, qui firent défenses aux Peaussiers de faire ni débiter caleçons, camisoles de chamois & autres ouvrages mentionnés dans l'article vj. de leurs statuts, avec permission seulement de les laver & repasser quand ils ont servi.
La communauté des Peaussiers est régie par deux grands jurés, deux maîtres de confrairie, deux petits jurés, & le doyen des maîtres ; les six premiers s'élisent à la pluralité des voix, le dernier est de droit, c'est le plus ancien des maîtres qui ont passé par les charges. Tous les ans on élit un grand juré, un maître de confrérie & un petit juré.
Suivant les statuts des Peaussiers, chaque maître ne peut obliger qu'un apprenti à-la-fois, dont l'apprentissage est de cinq ans, & deux ans de service chez les maîtres après l'apprentissage fini.
Tout aspirant à la maîtrise est obligé de faire le chef-d'oeuvre ou l'expérience, s'il n'est fils de maître.
Les veuves restant en veuvage jouïssent de tous les privileges des maîtres, à l'exception de celui de faire des apprentis : elles peuvent cependant achever celui que leur mari aura commencé.
L'apprenti qui quitte son maître avant ses cinq ans expirés, est déchu de tout droit à la maîtrise ; & ne peut pas même répéter l'argent qu'il auroit avancé à son maître en passant son brevet.
Enfin pour la sûreté & conservation des titres, papiers, &c. de la communauté, on les enferme dans un coffre à trois serrures, dont le doyen, l'ancien juré & l'ancien maître de confrérie ont chacun une clé.
Comme tout l'art des Peaussiers se réduit à teindre les peaux de fleur & de chair, & même à teindre la même peau d'une couleur de fleur & d'une autre de chair, & que ces ouvriers font difficulté de découvrir ce qu'ils appellent le secret de leur métier : il n'est pas possible de rapporter ici la maniere dont ils s'y prennent pour teindre les peaux.
Les Peaussiers reçoivent les peaux toutes façonnées en sortant des mains des Mégissiers, la premiere préparation qu'ils y font, c'est de les passer sur le paisson ou palisson, sans doute pour les adoucir, en ouvrir les pores, & les disposer à recevoir la teinture qu'ils leur donnent immédiatement après. Voyez PALISSON.
Quand les peaux sont teintes, on les étend sur des cordes pour les faire sécher, on les détire, & ensuite on les attache sur une espece de herse pour les assujettir, leur donner la derniere façon, qui est de les adoucir & d'en coucher le duvet d'un même côté ; cette opération se fait par le moyen de la lunette. Voyez LUNETTE.
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PEAUTRÉ | adj. (Blason) il se dit en terme de blason, de la queue des poissons, lorsqu'elle est d'autre couleur que le corps. Porte d'argent au dauphin versé de sable, allumé, barbé & peautré d'or. Peautre est un vieux mot de notre langue, qui veut dire une barque, une chaloupe.
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PEC | HARENG, terme de vendeur de marée, un hareng pec est un hareng fraîchement salé, qui se mange crud, de même que les anchois.
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PECCANT | adj. en termes de Médecine, c'est une épithete que l'on donne aux humeurs du corps, quand elles pechent en quantité ou en qualité, c'est-à-dire quand elles sont morbifiques, ou en trop grande abondance. Voyez HUMEUR.
La plûpart des maladies ne viennent que d'humeurs peccantes, qu'il faut évacuer ou corriger par des altérans & par des spécifiques. Voyez MALADIE, &c.
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PEC | ou PECHIA, (Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans la partie occidentale de la Servie sur le Drin-blanc. C'est le lieu de la résidence du patriarche grec. Long. 38. 40. lat. 41. 12. (D.J.)
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PECHE | S. f. (Art méch.) c'est l'art de prendre le poisson. On distingue les pêches relativement aux lieux, aux instrumens & aux poissons. Aux lieux, il y a la pêche à la mer, la pêche à la riviere, aux embouchures, sur les greves, entre les roches ; aux instrumens, il y a la pêche à la ligne, aux filets, avec bateaux, à pié ; aux poissons, il y a la pêche aux huitres, aux harengs, à la baleine, au thon, &c.
Les pêches en pleine mer avec rets & filets flottans à fleur d'eau ou entre deux eaux, se font avec rets, drivettes, drivonettes aux harengs ; les sannets, les manets aux maquereaux ; les orphilieres aux orphies ou grandes aiguilles ; les muletieres dérivantes, les rets à barres, les colliers à mulets, surmulets, & autres poissons passagers ; les trameaux flottans & dérivans ; les lignes flottées, flottantes & dérivantes ; le grand libouret à la mer, au maquereau, & toutes sortes de poissons de la même espece ; les lignes ou cordes dérivantes entre deux eaux ; les cordes ou lignes flottées à piles roulantes à la surface de l'eau.
Les pêches en pleine mer aux rets & filets couverts sur le fond, se font aux trameaux dérivans & courans, & aux lignes ou cordes courantes.
Les instrumens à la mer traînant sur les fonds, sont les dragues, le chalut, les rets traversiers de toute espece, les cortes ou cauches. Les autres instrumens servant à la pêche en mer, sont les grandes candelettes ou chadieres, les rateaux ou grandes fischures aux poissons plats ; les rateaux aux moules, les fouannes, les dards, les tridens & les fischures aux poissons ronds.
Les rets sédentaires & par fonds à la mer, sont les folles ou grands rieux, les grands rets, les demi-folles, les canieres, les roussetieres, les petits rieux, les macrolieres ou rets à macreuses & aux poissons plats ; les trameaux sédentaires ou séants ; les tramaillons & les petits trameaux ; les marsaiques & petits trameaux ; les rets à hareng, les bretellieres, les cibaudieres à la mer ; les picots ou rets sédentaires à la mer & aux embouchures ; les jets ou picots aux poissons plats ; les grosses, moyennes & petites cordes.
Les instrumens sédentaires à la mer sont les paniers, les nasses, les caziers entre roches.
Les rets & filets flottés, & instrumens sédentaires servant aux pêches de pié à la côte, sur les greves, sur les sables & entre les roches, sont les folles ou grands rieux de pié, les demi-folles, ou flûtes ou petits rieux ; les trameaux ou tramaillades de pié, les ansieres, les canieres, les rets de roche, les flottés ou cibaudieres, les haranguieres ou étalieres flottées, les manets de pié, les rets à roblots & sansonnets ; les orphilieres sédentaires, les muletieres, les vas-tu-viens-tu, espece de muletiere roulante ; les macrolieres, les courtines, les berres à poisson plat & macreuses ; les rets à marsouins, espece de rets entre roches ; les rets entre roches traversés, les rets à croc, les jets ou rets à plis, especes de picots à pié ; les verveux de toute espece, les tonnelles, les gonnes de filets, les cordes ou lignes, les trajets, les trainées simples de toute espece.
Les filets non flottés, & les rets montés sur piquets à la côte & aux bancs de sable, & découvrant à toutes les marées, sont les folles ou grands rets, les demi-folles, les rieux, les trameaux, les ravoirs ou rets entre l'eau, simples & tramaillés, les bas-parcs, les fourets, les venets, les grandes tournées, espece de bas-parcs, les haranguieres, les hauts-parcs, les hautes pentieres, les nattes ou palis, les parcs ouverts, les carosses ou perd-tems, les hauts-bas-parcs de perches & de filets ; les verveux avec pannes & aîles de toute espece, les cordes ou lignes de toute espece.
Les instrumens de pié à la côte pour la pêche sédentaire sur les greves & entre les roches, sont les verveux de toute espece, les tonnelles & gonnes de clayes, les caudrelles ou caudelettes à salicots ; les guideaux à bas étaliers, les basches ou savenelles, espece de guideaux ; les nasses ou bouteilles, les clayes, les paniers & les casieres.
Les instrumens de main de pêcheurs à pié à la côte, sur les greves & entre les roches, sont les lignes à la pêche, les grands havenets ou harençaux, les havenets aux aiguilles ou lançons ; les bouteux ou bouts de quievres à salicots ; les grands bouteux ou grenadieres, les carreaux, les huniers ou les échiquiers, les éperviers, les furets, les saveneaux ou bichettes, les trables ou grands lanets, les buchotiers, les petits lanets, les rieulets, les petits bouteux ou bouquetons à sauterelles ; les grands rateaux, les fischures à poissons plats, les fouannes ou fischures de toute espece ; les petites fouannes en trident barbellées, les crocs & crochets, les digons ou picots, les bêches & palots, les fiches & aiguilles pour la pêche aux couteaux, les étiquettes ou petits couteaux pour les moules.
Les rets & filets dérivans & flottans aux embouchures des rivieres dans les eaux salées, sont les alosiers, les vergues, les verveux, les rets verguans, les trameaux, les faintiers ou verveux, ou trameaux aux feintes, pucelles & fausses aloses ; les cahoutiers ou vergueux, ou petits trameaux pour la pêche des petites pucelles, les tramaux ou tramaillons aux éperlans, &c.
Les filets, rets & instrumens traînans aux embouchures des rivieres, permis par l'ordonnance de 1669, & défendus par celle de 1681, sont les seines à saumons & aloses, les seines claires & à grandes mailles ; les seines drues ou épaisses, ou de moyennes mailles ; les tramaillons aux éperlans, les dranguilles ou driguelles claires & épaisses, les cordes ou lignes aux ains de fer, les petits applets, les cordes aux épines ou épinettes, les lignes aux éperlans, les éperviers ou furets, les gorres ou gorets aux verveux, les nasses & bouteilles aux éperlans, les nasses & bouteilles ou petits lamprions, les nasses de toute espece.
Les pêches abusives & défendues à la mer sont la peige ou grande seine, la tramaillée traînante sur les fonds, la grande seine à la mer, les seines aux saumons traînantes.
A la côte avec bateaux, sont la grande seine ou traînée à deux bateaux, la seine à bateau & à pié, la savre ou seinette aux aiguilles & lançons, les picots traînans, & toute autre sorte de filets & de rets lorsqu'on les traîne à la côte, au bord & sur les greves.
A pié, sont la traîne, seine, coleret ou dranet ; les seinettes aux aiguilles, les bouteux ou bouts de quievre, pendant un tems limité ; le carreau, le hunier, l'échiquier, la herse au poisson plat ; le rateau endenté de fer pour la même pêche, les bouquetons & savenets pour les sauterelles & la maniguelle.
Il y a différentes sortes d'appâts ; ils sont ou de chair, ou de poisson, ou de viande fraîche, ou de viande salée, ou des insectes, ou des vers marins, ou des vers de terre, ou des rocailles, ou des coquillages, ou des entrailles, ou des oeufs de poisson.
Il y a de faux appâts ; il y en a d'empoisonnés & défendus. Presque toutes les sortes d'appâts sont à l'usage des pêcheurs à la ligne ou corde garnie d'hameçon ; on amorce seulement diversement, selon la pêche qu'on pratique.
Il y a des lieux, comme en Picardie, Flandre & Normandie ; où les appâts sont toujours les mêmes ; c'est de la chair de toutes sortes de poissons.
Ceux de Bretagne coupent aux premiers poissons qu'ils prennent un petit morceau vers le haut de la queue, au bas du dos ; ces poissons mutilés n'en sont pas moins de vente.
Les poissons un peu gros dont les pêcheurs se servent pour garantir les hameçons des lignes, sont coupés de biais, ensorte que l'ain ou hameçon en est couvert, excepté la pointe que les pêcheurs nomment le barbillon, qui ne permet pas au poisson de rejetter l'appât qu'il a pris, ce qui arriveroit si l'appât étoit mal placé.
L'hameçon des pêcheurs normands s'appelle par les Bretons claveau ; la garniture ou l'appât se nomme acq en Normandie & Picardie, & bocte, amorce, en Bretagne.
Les appâts en poissons sont le hareng frais, la sardine fraîche, franche, galisse, le seclant, ou celan, ou celenie, ou fausse alose, l'orphie, grande aiguille, bécasse de mer ; le lançon ou l'aiguille, ou l'aiguillette, le crados ou grados en Normandie ; prêtres, prêtros ou éperlan bâtard en Bretagne ; la blanche ou le blaquet, l'aillet, l'avrillet, petit poisson du premier âge, qu'on appelle aussi en Normandie melu & saumonelle, & nonat en Provence ; le petit poisson rond de toute espece, les morceaux de la chair de toutes sortes de poisson, la chair de poisson cuit, les poissons mols sans sang, comme la seiche, margate, en Bretagne, le pic en Gascogne, le cornet ou calmar, la petite seiche.
De tous les appâts, les plus estimés pour les pêcheurs à la ligne, sont les harengs frais, ceux sur-tout qu'on appelle gais ou vuides d'oeufs & de laitance, les célants ou célennis, les sardines, les lançons ou aiguilles.
On attire avec ces appâts des poissons de toute espece, ronds & plats excepté la sole.
Un hareng frais fait cinq ou six appâts pour les rayes, huit ou dix pour les autres poissons, à proportion de leur grandeur.
La blanche ou la melie nouvellement éclose, se place au nombre de cinq à six sur un même hameçon ; il n'en faut qu'une ou deux quand elle est grande : on les place sur l'hameçon par les yeux.
Tous les petits poissons ronds du premier âge sont encore un appât, lorsque les précédens, qui sont de la premiere qualité, manquent : on a recours dans le besoin à la seche & aux cornets ; les cornets sont plus estimés que la seche. Le pêcheur ne prend que le corps & les piés du cornet. On ne pêche avec cet appât que la raie & le merlan.
Le cornet est excellent pour la pêche de la morue. Si les Terreneuviers en avoient à discrétion, leur cargaison seroit bientôt faite ; ils en trouvent quelquefois dans le ventre des morues qu'ils ont prises, & ils en garnissent leurs ains ou claveaux avec succès.
On se sert des oeufs & des entrailles des poissons pour appâts. On en boette, ou fait la résure, rare ou vague pour la sardine ; cela la fait élever des fonds & donner dans les filets qui dérivent à fleur d'eau.
Les entrailles de morue & d'autres poissons voraces, sont bonnes pour ces poissons.
On attire les fauquets ou happe-foies, & autres oiseaux de mer, avec les foies des poissons.
On fait la pêche aux sardines avec les oeufs des morues & des maquereaux salés : on en apporte en quantité des salaisons de Terre-neuve ; il en vient aussi de Norvege.
Ce sont les oeufs de morues & de maquereaux que l'on appelle resure.
Parmi les vers marins & de terre dont on fait des appâts, il y a les vers noirs ou francs, les vers rouges ou bâtards, les vers blancs qu'on appelle bourelottes en Bretagne, les vers de terre.
Les meilleurs & les plus estimés sont les vers francs qui servent toujours pour la pêche des soles, qui ne mordent qu'à cet appât, qui attire aussi les limandes, les carrelets & autres poissons plats.
La sole ne va aux vers francs que quand ils sont vivans & frais ; il faut que ces vers soient gros, afin d'en faire deux appâts.
Les vers blancs ne servent qu'aux pêcheurs bretons.
Les vers rouges sont moins bons.
On n'employe le ver de terre que faute d'autre appât ; cependant il est propre à la pêche de l'anguille.
Les appâts qu'on fait avec les coquillages sont en grand nombre ; il y a le pitaud ou la folade, le bredin, ou brelin, ou bernicle, ou lappe.
Le pitaut ou la folade tirée de sa coquille, garnit un hameçon ; c'est le moindre des appâts frais.
Le brelin sert à la pêche du merlan & de la limande. Le pêcheur amorce d'abord avec de la chair de poisson salé, puis il ajuste sur la pointe de l'ain un brelin tiré de sa coquille.
Il y a aussi les crabes, les salicots ou grosses chevrettes, les barbeaux, les creviches, les petites crevettes, les grenades, les sauterelles, les esquires, &c.
On écrase les crabes & on les attache au ret qui sert de sac à l'instrument de la pêche aux salicots, grosses chevrettes & aux petites.
Le meilleur appât des pêcheurs normands pour les mêmes poissons, est le poltron & le craquelot.
Le crabe poltron est celui qui a quitté sa coque nouvellement, & qui est encore mol.
Le craquelot est celui dont la coque n'a pas encore sa dureté.
Le salicot & la chevrette servent d'appât à plusieurs especes de poissons ronds. Ceux qui font la pêche du maquereau avec le libouret ou la ligne au plomb, en amorcent leurs hameçons ; les rayes grises en sont friandes.
Quand on amorce un ain avec la chevrette ou sauterelle de mer, on en met plusieurs sur un hameçon.
On se sert en appât de poisson salé, parce qu'on n'en a pas toujours de frais. On sale pour cet usage le hareng, le celant ou seclant, ou celerin, ou fausse sardine, & la sardine.
Le hareng gai ou qui n'a ni laitance ni oeufs, est le meilleur d'entre les poissons qu'on peut saler, surtout après qu'il a frayé.
La pêche avec le poisson salé est communément ingrate : on arme le corps de l'hameçon de poisson salé, & la pointe d'un peu de boeuf frais.
On emprunte encore des appâts du boeuf, de la vache, du cheval, de l'âne, du chien, & d'autres animaux frais ou salés. On employe à cet usage le foie, les poumons & les entrailles.
On ne fait avec le chien que la pêche du crabe, & cet appât encore ne sert-il qu'à l'entrée des ports & aux petites baies. C'est un amusement d'enfans & de désoeuvrés.
Les navigateurs amorcent en pleine mer pour les requins & autres poissons voraces, de morceaux de lard blanc.
Les faux appâts se font avec des morceaux de liege taillés de la figure d'un poisson, & recouverts de la peau d'un petit poisson écorché, ou d'une toile blanche rayée de bleu sur le dos, ou d'une pierre blanche ou d'une pelote de marne, &c.
On fait usage de ces appâts pour la pêche des oiseaux marins.
Le pêcheur basque prend le thon à la ligne avec le liege recouvert de la toile rayée de bleu. Cette pêche se fait à la côte lorsque la mer est agitée.
Ceux qui pêchent le crabe & le homard avec des paniers, des casieres, des bouraques & autres instrumens, y pendent des petits morceaux de pierre blanche.
Les appâts & instrumens défendus sont ceux qui tendent à détruire le poisson, comme les sacs de toile & de serpilliere, avec les chevrettes & autres poissons corrompus. Le sac détruisoit le frais, & l'appât infectoit le poisson.
Les appas empoisonnés, sont la chaux vive, la noix vomique, la noix de cyprès, la coque de levant, la momie, musc & autres drogues qui enyvrent & étourdissent le poisson.
Il faut y joindre l'herbe qu'on appelle l'alrese.
La pêche de riviere se fait à-peu-près avec les mêmes instrumens, la ligne, le verveux, le filet, l'épervier, &c.
Ce sont aussi les mêmes appâts, le ver, les entrailles des animaux, les morceaux de viande, &c.
Voyez toutes ces différentes pêches, tant de mer que de riviere, à leurs articles particuliers.
PECHE DES COQUILLAGES, (Conchyliol.) Il y a cinq manieres de pêcher les coquillages ; savoir à la main, au rateau, à la drague, au filet, & en plongeant.
Quand la mer se retire, on marche sur la grève, & l'on prend les huitres & les moules à la main, rien n'est plus ordinaire au Havre, à Dieppe, & en Angleterre : quand les huitrieres & les moulieres ne découvrent point, on prend des bateaux, & l'on se sert de la drague ; il y en a qui foulent le sable avec les piés, pour faire sortir les coquillages qui s'ensablent après le reflux.
Pietro della Valle, fameux voyageur, rapporte qu'en pêchant lui-même dans la mer Rouge, il prit une si grande quantité d'huitres, de limaçons, & d'autres coquillages, qu'il en remplit quatre à cinq caisses. Il dit que ces coquilles naissent dans les fonds & dans les cavités, qui sont en grand nombre dans le golfe Arabique, & que les pêcheurs descendent dans l'eau avec leur chemise, qui ne leur vient qu'au bas de l'estomac, & les prennent à la main, l'eau étant si claire que l'on découvre tout ce qui est au fond.
Le rateau est un instrument de fer garni de dents longues & creuses, emmanché de perches proportionnées à la profondeur du fond où l'on pêche ; c'est ainsi que l'on prend les moules.
La drague est un autre instrument de fer, qui a ordinairement quatre piés de long sur dix-huit pouces de large, avec deux traverses. Celle d'en bas est faite en biseau, pour mordre sur le fond, & enlever l'huitre attachée au rocher : elle porte ou traîne avec soi un sac dont le dessus est ordinairement un réseau de cordage ; & par-dessous on substitue uu cuir, ou bien on fait les mailles du dessous du sac de lanieres de cuir, qui étant gluant de sa nature, glisse mieux au fond de l'eau. On descend la drague avec un cordage proportionné à la profondeur où sont les coquillages. En Amérique la drague a six piés en quarré, & on y attache des cordages suivant la profondeur de l'eau ; c'est par leur moyen qu'on tire la drague à bord, & c'est la meilleure maniere de pêcher les coquillages, & la plus usitée.
On se sert de différentes especes de filets dans les ports de mer, pour pêcher le poisson. Parmi les ordures qu'amènent les filets des pêcheurs, il se rencontre des coquillages & des productions marines, qu'ils rejettent ordinairement dans la mer. On a trouvé de cette maniere à Marseille & à Toulon, des coquillages & des mousses très-curieuses.
On pêche à Toulon, à vingt ou trente piés de bas, avec des crocs de fer, les pinnes marines toutes grises, & qui n'ont pas les belles couleurs de celles de Messine, de Corse, & de Majorque. Les manches de couteau se prennent dans le golfe de Tarente, & autres ports de mer, dans les trous qu'ils font dans le sable, où l'on jette du sel pour les faire sortir ; mais le meilleur moyen d'avoir de beaux coquillages, est d'employer les plongeurs, comme on fait dans les Indes. (D.J.)
PECHE, (Jurispr.) la pêche & la chasse sont les deux manieres d'acquérir que les hommes aient eu, l'une & l'autre furent le premier art que la nature enseigna aux hommes pour se nourrir.
La pêche continua d'être permise à tout le monde par le droit des gens, non-seulement dans la mer, mais aussi dans les fleuves, rivieres, étangs & autres amas d'eau.
Le droit civil ayant distingué ce que chacun possédoit en propriété, il ne fut plus permis de pêcher dans les étangs & viviers d'autrui, mais seulement dans la mer & dans les fleuves & rivieres dont l'usage appartenoit au public.
La pêche qui se fait, tant en pleine mer que sur les grèves, est toujours demeurée libre à tout le monde, suivant le droit des gens : mais nos rois ne la permettent à leurs sujets dans les mers qui avoisinent leur domination, qu'avec les filets permis ; & il est défendu aux pêcheurs qui arrivent à la mer, de se mettre & jetter leurs filets en lieux où ils puissent nuire à ceux qui se seront trouvés les premiers sur le lieu de la pêche, ou qui l'auront déjà commencée, à peine de tous dépens, dommages & intérêts, & de cinquante livres d'amende. Ordonnance de la Marine, liv. V. tit. 1. & 2. article 9.
Pour ce qui est des fleuves ou rivieres navigables, comme en France la propriété appartient au roi, c'est à lui seul aussi qu'appartient le droit de pêche.
Les anciennes ordonnances permettoient à chacun de pêcher à la ligne dans les fleuves & rivieres navigables, parce que cela n'étoit regardé que comme un amusement ; mais comme insensiblement on abuse des choses les plus innocentes, & qu'il y auroit une infinité de gens oisifs qui pêcheroient continuellement & dépeupleroient les rivieres, il n'est plus permis de pêcher, même à la ligne, dans les fleuves & rivieres navigables & autres eaux qui appartiennent au roi, à-moins d'être fondé en titre spécial, ou d'être reçu maître pêcheur au siege de la maîtrise des eaux & forêts, à peine de cinquante livres d'amende, & de confiscation du poisson, filets & autres instrumens de pêche, pour la premiere fois, & pour la seconde, de cent livres d'amende, outre pareille confiscation, même de punition plus sévere s'il y échet.
Pour être reçu maître pêcheur, il faut avoir au-moins l'âge de vingt ans.
Les maîtres pêcheurs de chaque ville ou port dans les lieux où ils sont au nombre de huit & au-dessus, doivent élire tous les ans aux assises du maître particulier, un maître de communauté pour avoir l'oeil sur eux, & avertir les officiers des maîtrises des abus qui se commettent ; & dans les lieux où il y en a moins de huit, ils doivent convoquer ceux des deux ou trois plus prochains ports ou villes, pour faire entr'eux la même élection.
Les maîtres pêcheurs & autres personnes qui peuvent avoir le droit de pêcher dans les fleuves & rivieres navigables, & autres eaux appartenantes au roi, sont obligés d'observer les regles qui ont été faites pour la police de la pêche dans ces sortes d'eaux.
Ces regles sont, premierement, qu'il est défendu de pêcher aux jours de dimanches & fêtes, à peine de cinquante livres d'amende & d'interdiction pour un an.
En quelque tems que ce soit, la pêche n'est permise que depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher.
Les arches des ponts, les moulins & les gords où se tendent des guideaux, sont les seuls endroits où l'on peut pêcher la nuit comme le jour, pourvû que ce ne soit en des jours ou tems défendus.
Il est défendu de pêcher dans le tems de frai, excepté la pêche aux saumons, aux aloses, & aux lamproies ; le tems de frai pour les rivieres où la truite abonde, est depuis le premier Février jusqu'à la mi-Mars & autres depuis le premier Avril jusqu'au premier Juin.
Il n'est pas permis de mettre des bires ou nasses d'osier au bout des guideaux pendant le tems de frai, on peut seulement y mettre des chausses ou sacs du moule de dix-huit lignes en quarré, & non autrement, mais après le tems du frai, on peut y mettre des nasses d'osier à jour, pourvû que les verges soient éloignées les unes des autres de douze lignes au-moins.
Les engins & harnois de pêche défendus par les anciennes ordonnances, sont le bas orborin, le chiffre garni, le valois, les amendes, le pinsoir, le truble à bois, la bourache, la charte, le marchepié, le cliquet, le rouable, le clamecy, fascines, fagots, nasses pelées, jonchées, & lignes de long à menus hameçons.
L'ordonnance de 1669 y a joint les grilles, tramails, furets, éperviers, chalons, sabres, & tous autres qui pourroient être inventés au dépeuplement des rivieres.
Elle défend aussi d'aller au barandage & de mettre des bacs en riviere.
Elle défend en outre de bouiller avec bouilles ou rabots, tant sous les chevrins, racines, saules, osiers, terriers, & arches, qu'en autres lieux, ou de mettre lignes avec échets & amorces vives ; comme aussi de porter des chaînes & clairons dans les batelets, d'aller à la fare ou pêche à grand bruit, ou de pêcher dans les noües avec des filets, & d'y bouiller pour prendre le poisson ou le frai qui auroit pû y être porté par le débordement des rivieres.
Il est pareillement défendu à tous mariniers & bateliers d'avoir à leurs bateaux ou nacelles aucuns engins à pêcher, permis ou défendus.
On doit rejetter dans les rivieres les truites, carpes, barbeaux, brêmes & meûniers qu'on a pris, quand ils n'ont pas au moins six pouces entre l'oeil & la queue ; & les tanches, perches & gardons qui en ont moins de cinq.
Il est défendu d'aller sur les étangs, fossés & mares lorsqu'ils sont glacés, pour en rompre la glace, & pour y faire des trous, & d'y porter des flambeaux, brandons & autres feux pour voler du poisson.
L'ordonnance défend aussi, sous peine de punition corporelle, de jetter dans les rivieres aucune chaux, noix vomique, coque-de-levant, momie, & autres drogues ou appâts.
Pour le rempoissonnement des étangs, le carpeau doit avoir six pouces au moins, la tanche & la perche quatre & le brocheton tel échantillon qu'on veut ; mais on ne doit le jetter aux étangs, mares & fossés qu'un an après leur empoissonnement, ce qui doit être observé pour les étangs, mares & fossés des ecclésiastiques & communautés, de même que pour ceux du roi.
Les ecclésiastiques, seigneurs, gentilshommes & communautés qui ont droit de pêche dans les rivieres navigables sont tenus d'observer & de faire observer l'ordonnance par leurs domestiques & pêcheurs. Les communautés d'habitans qui ont droit de pêche dans les rivieres navigables, sont obligés de l'affermer, parce que si chacun avoit la liberté d'aller pêcher, cela dégénereroit en abus.
La pêche, dans les petites rivieres non-navigables, appartient au seigneur haut-justicier.
Celle des étangs, fossés, mares, appartient à ceux qui en sont propriétaires. Voyez l'ordonnance des eaux & forêts, tit. 31. & la conférence sur cette ordonnance. (A)
PECHE, (Jardin) fruit à noyau, très-connu, qui vient sur le pêcher. Les pêches varient pour la grosseur, la forme, la couleur & le goût selon les différentes especes de pêchers. On distingue ces fruits en pêches proprement dites, qui quittent le noyau, & qui ont la chair tendre, molle, succulente, & d'un goût relevé ; & en pavies ou brugnons qui ne quittent pas le noyau, & qui ont la chair dur & seche.
Les pêches se divisent aussi en pêches lisses & pêches veloutées : ces dernieres sont en plus grand nombre ; on les différencie encore par les couleurs. Il y a des pêches jaunes, des pêches blanches, & des pêches rouges. Les curieux ne font cas que de quinze ou vingt sortes de pêches ; mais en donnant dans la médiocrité, on pourroit en rassembler jusqu'à quarante especes pour avoir une plus grande variété & une suite de fruits qui se succederoient pendant quatre mois. La pêche veut être mangée crue ; elle perd de sa qualité en passant sur le feu, aussi n'en fait-on guere usage dans les offices qu'en la mettant à l'eau-de-vie : la Médecine ne tire de services que des feuilles & des fleurs du pêcher, & de l'amande qui est dans le noyau de son fruit. Voyez PECHER.
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PÉCHÉ | S. m. (Théol.) peccatum, est en général toute infraction des regles de l'équité naturelle & des lois positives, de quelque espece qu'elles soient.
Saint Augustin, dans son livre XXII. contre Fauste le manichéen, définit le péché, une parole, une action, ou un désir contre la loi éternelle ; peccatum est factum, vel dictum, vel concupitum contra aeternam legem ; définition, que saint Thomas & la plûpart des autres théologiens ont adoptée, mais elle ne convient pas au péché originel.
Le même pere définit encore le péché, voluntas retinendi vel consequendi quod justitia vetat & unde liberum est abstinere ; mais cette définition n'est pas plus exacte que la premiere, par rapport aux enfans.
Aussi la plûpart des théologiens définissent le péché une désobéissance à Dieu, ou une transgression volontaire de la loi, soit naturelle, soit positive, dont Dieu est également l'auteur.
On distingue plusieurs sortes de péchés. 1°. du côté de l'objet, des péchés de la chair & des péchés de l'esprit : par péchés de la chair on entend ceux qui ont pour objet quelque délectation charnelle, comme la gourmandise, la luxure ; par péchés de l'esprit, ceux qui se passent dans l'intérieur, comme l'orgueil, l'hérésie, &c. 2°. Eu égard aux personnes que le péché offense, on distingue des péchés contre Dieu, contre le prochain, contre soi-même. 3°. On le divise encore en péchés de pensée, de parole, & d'action, en péchés d'ignorance & de foiblesse, & péchés de malice.
Mais les divisions les plus connues, sont celles qui distinguent le péché originel & le péché actuel. Le péché originel est celui que nous tirons de notre origine, que nous apportons en naissant, & dont Adam notre premier pere nous a rendu coupables : on dispute beaucoup sur sa nature, & sur la maniere dont il passe des peres aux enfans. Voyez ce que nous en avons dit sur le mot ORIGINEL.
Le péché actuel est celui que nous commettons par notre propre volonté : on le divise en péché de commission & péché d'omission ; par péché de commission on entend celui qui est opposé à un précepte négatif, comme l'homicide, qui est opposé à ce commandement, vous ne tuerez point. Le péché d'omission est celui qui est contraire à un précepte affirmatif, comme de manquer de respect à ses parens est une action opposée à ce précepte, honorez votre pere & votre mere ; ou pour s'expliquer plus clairement, le péché de commission consiste à faire ce que la loi défend, & le péché d'omission à ne pas faire ce qu'elle prescrit.
Enfin, le péché actuel, soit de commission, soit d'omission, se sous-divise en péché mortel & en péché véniel. Le péché mortel est une prévarication qui donne à l'ame la mort spirituelle en la privant de la grace sanctifiante, & en la rendant sujette à la damnation. Le péché véniel est une faute qui affoiblit en nous la grace de la justification sans la détruire, & qui nous soumet à la nécessité de subir quelques peines temporelles pour en obtenir la rémission.
Quelques-uns, parmi les Protestans, ont cru que la différence entre les péchés mortels & véniels tiroit son origine de la qualité des personnes qui les commettoient ; que tous les péchés d'un juste, quelqu'énormes qu'ils puissent être, étoient véniels ; que ceux d'un pécheur, quelques légers qu'ils fussent, étoient mortels. D'autres en ont fait dépendre la différence de la pure volonté de Dieu ; mais il est clair, 1°. que tous les péchés des justes ne leur ôtent pas toujours la grace, & que tous les pécheurs n'offensent pas Dieu dans toutes les occasions avec le même degré d'énormité ; 2°. qu'il y a des péchés, qui par eux-mêmes portent simplement quelqu'atteinte à la vie spirituelle en diminuant le feu de la charité, & d'autres qui par leur propre nature éloignent ce feu sacré & donnent la mort à l'ame.
Il n'est pas facile au reste de décider toujours avec précision quand un péché est mortel ou véniel. L'examen de l'importance du précepte violé, l'inspection du degré de consentement que donne à la mauvaise action celui qui la commet, la considération du tort & du scandale que portent à quelque membre de la société, ou à toute la société, les fautes commises, sont autant de moyens qui contribuent à faire connoître & à spécifier la grandeur & l'énormité des péchés.
Les Stoïciens prétendoient que tous les péchés étoient égaux entr'eux ; on peut voir comment Ciceron, dans ses paradoxes, réfute l'absurdité de cette opinion.
Les anciens Gnostiques & les Manichéens imaginoient un mauvais principe auteur du péché. Calvin n'a pas fait difficulté de l'attribuer à Dieu ; de dire que Dieu y excitoit & y poussoit l'homme. Les Catholiques reconnoissent que l'homme est libre, que c'est par sa seule & propre détermination qu'il pêche, & qu'alors il est justement repréhensible d'avoir commis ce qu'il pouvoit ne pas faire, ou négligé ce qu'il devoit & ce qu'il pouvoit faire.
PECHE, (Critique sacrée) c'est dans le vieux Testament la transgression de la Loi. Les casuistes hébreux ont des mots propres pour distinguer ces diverses transgressions ; Chataoth, comprend les péchés commis contre les préceptes affirmatifs ; Aschamat, marque les péchés commis contre les préceptes négatifs ; Schegaga, désigne les péchés d'ignorance, d'oubli, d'omission, &c. Cependant dans l'Ecriture le mot péché, se prend tantôt pour une transgression légere de la Loi, I. Joan. j. 8. tantôt pour un péché très-grave, comme l'idolâtrie, Thren. j. 8.
Péché veut dire aussi la peine du péché : si tu fais mal, la peine de ton péché, peccatum, s'en suivra, Gen. iv. 7. Il signifie la concupiscence, Rom. vij. 20. Il se met pour la victime offerte en expiation du péché ; celui qui ne connoissoit point le péché, a été fait victime ; peccatum pour le péché, II. Cor. v. 21. De même dans Osée, iv. 8. ils se nourriront des victimes, comedent peccata ; que mon peuple offre pour le péché. Enfin, ce terme se prend pour maladie. Rom. v. 12. (D.J.)
PECHE à mort, (Critiq. sacrée) on cherche quel est ce péché, dont S. Jean dit qu'il est à la mort, I. ép. v. 16. Il semble que c'est l'idolâtrie : ce qui confirme cette idée, selon les judicieuses remarques d'un critique moderne, c'est 1°. que la Loi divine condamnoit l'idolâtrie à la mort, sans aucune miséricorde ; 2°. que l'apôtre, au . 20. remarque que J. C. est venu pour faire connoître le seul vrai Dieu ; 3°. & qu'enfin, au . 21. l'apôtre finit son épitre par ce précepte : mes petits enfans, gardez-vous des idoles. Cependant quand l'apôtre parle d'un péché à mort, il n'entend pas la mort éternelle ; comme si Dieu avoit prononcé contre le chrétien qui tomboit dans l'idolâtrie, qu'il seroit condamné sans miséricorde à la mort éternelle, sans qu'il pût obtenir sa grace par sa repentance. Le . 16. fait voir qu'il ne s'agit que de la mort temporelle. Les Chrétiens priant pour les malades, & demandant à Dieu leur guérison, ils l'obtenoient aussi, comme on le voit par S. Jaques, ch. v. . 14. & suivans. S. Jean a en vûe cette coutume, & dit, qu'il n'ordonne point aux Fideles de prier pour la guérison de ceux qui tomboient dans l'idolatrie ; parce que c'est-là un péché qui mérite la mort, & auquel sont condamnés ceux qui ont connu le seul vrai Dieu. On ne demandoit point à Dieu la vie de ces gens-là : mais on ne les privoit pas de l'espérance du salut, s'ils s'adressoient à J. C. avec une sincere repentance. Ainsi donc le péché à mort, dans S. Jean, seroit l'idolâtrie. Le péché contre le S. Esprit, paroît être le blasphème ou l'outrage fait au S. Esprit, en attribuant contre la conscience, les miracles à la vertu des démons ; c'est le dernier excès de l'impiété. Le péché irrémissible de l'auteur de l'épître aux Hébreux, c'est vraisemblablement l'apostasie entiere. (D.J.)
PECHE ORIGINEL, (Critique sacrée) la tradition a bien varié sur le péché originel. Clément d'Alexandrie n'a point connu ce péché, comme on le voit par la maniere dont il explique les paroles de Job, ch. xiv. 4. selon la version des Septante, & celui du Ps. lj. . 7. Pour le dernier, il prétend que David parle d'Eve la mere du genre humain, qui n'eut des enfans que depuis qu'elle fût tombée dans la transgression. Voyez Stromat. lib. III. pag. 488. & 489. Mais Origène, disciple de Clément d'Alexandrie, abandonna l'opinion de son maître, & soutint que les hommes naissent pécheurs, comme on le voit dans son commentaire sur S. Matt. dans son homélie xiv. sur S. Luc, dans l'homélie xviij. sur le Levit. & dans sa réponse à Celse, lib. IV. p. 191. Le lecteur peut consulter là-dessus les notes de Spencer. Dans le dernier ouvrage d'Origène, il cite en saveur de son opinion, le passage de S. Paul aux Romains, ch. v. 14. Mais au lieu qu'il y a dans les exemplaires, & c'est en effet la bonne leçon, qui n'ont point péché à la ressemblance de la transgression d'Adam, Origène a lu qui ont péché à la ressemblance, &c. Au fond, la raison d'Origène étoit, que les ames qui ont existé avant les corps, avoient péché avant que d'être incorporées. Beausobre, Remarques critiques, (D.J.)
PECHE VOLONTAIRE, (Critique sacrée) ; il semble que ce péché soit celui dans lequel on persévere malgré les remontrances, Hébr. x. 26. Il est beau à un homme, dit l'auteur de l'Ecclésiaste, lorsqu'il est repris de son péché, de se répentir ; car il évitera par ce moyen le péché volontaire, ch. xx. 7. En effet, celui qui se repent lorsqu'on lui fait connoître sa faute, prouve qu'il a été surpris ; & s'il est véritablement repentant, il évite la rechûte ou le pêché volontaire ; puisqu'il n'ignore plus ni la nature de l'action, ni sa propre foiblesse. (D.J.)
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PECHECAL | terme de relation, nom que les Indiens donnent aux inondations qui arrivent chez eux dans un certain tems de l'année. Ce sont des débordemens causés par les grandes pluies, & par la fonte des neiges qui sont sur les montagnes. Le plat pays en est couvert, & les rivieres en sont enflées, comme le Nil, lorsqu'il se déborde en Egypte. Cette inondation arrive tous les ans aux Indes pendant les mois de Juillet, Août, Septembre & Octobre. (D.J.)
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PECHEM | S. m. (Mat. med. des anciens) nom donné par les grecs modernes à la racine qu'Avicenne & Sérapion appellent behem. La description qu'ils en font, leur distinction en pechem rouge & blanc, les vertus qu'ils leur prodiguent, sont celles du behem dans les auteurs arabes. Myrepse qui traite de cette plante, en rapporte les mêmes choses qu'Avicenne, & nommément que le pechem étoit une racine ligneuse, extrêmement ridée sur toute sa surface, à cause de la grande humidité de sa tissure, qui s'exhaloit en la faisant sécher très-promptement. D'ailleurs on voit bien que le pechem est formé de behem, en changeant le b en p, ce qui est arrivé fréquemment, & en aspirant h en x ou ch, ce qui n'est pas moins commun. (D.J.)
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PECHER | S. m. persica, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Ce pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit charnu presque rond, & sillonné dans sa longueur. Ce fruit renferme un noyau qui a sur sa surface de petites fosses assez profondes, & qui renferme une amande oblongue. Ajoutez aux caracteres de ce genre le port de chacune des especes. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)
PECHER, persica, (Jardinage) petit arbre qui est venu très-anciennement de Perse, & que l'on cultive dans tous les climats tempérés de l'Europe, pour l'excellence de son fruit. Il ne s'éleve guere qu'à douze ou quinze piés ; il se garnit de beaucoup de rameaux, qui s'élançant toujours plus d'un côté que de l'autre, dérangent bientôt la forme de l'arbre. Son écorce est roussâtre, il fait peu de racines ; ses feuilles sont longues, étroites, lisses, dentelées, pointues & placées alternativement sur la branche. Ses fleurs tantôt grandes, tantôt petites, selon l'espece de pêche, sont aussi d'un rouge plus ou moins foncé. Le fruit qui les remplace est communément rond, assez gros, charnu, & ordinairement couvert de duvet ; mais il est diversement coloré, soit en-dehors, soit en-dedans, suivant les différentes variétés. La diversité s'étend aussi sur le goût des pêches qui sont excellentes pour la plûpart. Elles renferment un noyau très-dur, sillonné en-dehors, & lisse en-dedans : qui couvre une amande d'un goût amer.
La pêche est le premier, le plus beau & le meilleur des fruits que l'on cultive dans ce royaume, où depuis un siecle, on a fait la découverte de la plûpart des bonnes especes de cet arbre, c'est par la semence qu'on a obtenu ces excellentes variétés dans les pepinieres des environs de Paris ; & si on s'appliquoit également à semer dans les différentes provinces les noyaux des bonnes especes de pêches qui sont connues, la diversité des terreins procureroit bien d'autres nouveautés dans ce genre.
Le pêcher est très-aisé à multiplier & à élever ; mais sa culture est ce qu'il y a de plus difficile dans le jardinage. Il faut tout l'art du jardinier, & tous ses soins pour conserver cet arbre dans sa force, & le soutenir dans sa beauté. On n'est pas même encore parfaitement d'accord sur la meilleure façon de le conduire : nulle comparaison à faire à cet égard, du pêcher avec les autres arbres fruitiers, que l'on releve, & qu'on repare assez aisément ; au lieu que si l'on a négligé le pêcher, il est presqu'impossible de le rétablir. Il est d'ailleurs sujet à quantité de maladies auxquelles il est très-difficile de remédier ; ensorte que le plus court moyen est souvent de remplacer par un nouvel arbre celui qui a été négligé, ou qui est languissant.
Il est très-aisé, comme je l'ai dit, de multiplier le pêcher ; ce n'est pourtant pas en semant les noyaux de pêches, qui ne produiroient pour la plûpart que des plans bâtards, dont les fruits seroient dégénérés ; & ce ne seroit que par un pur hasard que l'on obtiendroit par ce moyen quelques bonnes especes de pêches. Mais il est d'usage dans les pepinieres, d'élever cet arbre en le greffant sur le prunier de damas, qui est propre pour les terreins humides ; ou sur l'amandier qui convient aux terres légeres. On le greffe aussi quelquefois sur l'abricotier, qui donne de beaux fruits, mais qui n'est pas de durée, & très-rarement sur le sauvageon de pêcher ; parce que, malgré qu'il fasse un bel arbre bien vigoureux, il est trop sujet à la gomme.
Tous les terreins qui sont propres à la vigne, conviennent au pêcher : on peut juger par-là du sol qu'il lui faut. On voit assez communément cet arbre réussir par-tout, au moyen des préparations de terre, par lesquelles on supplée à la sécheresse des lieux élevés, & en exhaussant des parties de terrein dans les endroits bas & humides.
Si le terrein est de bonne qualité, il faudra le faire défoncer de deux à trois piés de profondeur, sur six de largeur ; mais il faudra s'arrêter aussi-tôt que l'on trouvera la glaise ou le tuf ; car il n'y a rien à gagner en les perçant pour y substituer de bonnes terres : en évitant un inconvénient, on se jetteroit dans un plus grand. On ne doit pas même se rebuter à la rencontre du tuf ou de la glaise, s'il y a par-dessous un pié & demi environ d'épaisseur de bonne terre. Dans le cas où le terrein de la surface se trouveroit trop léger, trop sec, trop sablonneux, trop usé, en un mot, de mauvaise qualité, on y fera rapporter des terres neuves de pâturage.
Le succès du pêcher dépend principalement de l'exposition : il faut le midi aux pêches tardives, & le levant suffira pour celles qui sont précoces ; ensuite pour la situation, le milieu des côteaux, ce qu'on appelle mi-côte, est ce qu'il y a de plus avantageux ; après cela, tout le reste de la pente des montagnes ; puis les vallons & tout le plat-pays en général ; enfin, les sommets des montagnes sont ce qu'il y a de plus défavorable, par rapport à ce qu'une telle situation est plus exposée qu'aucune autre aux intempéries de toutes sortes.
Les pêches de la meilleure qualité réussissent si rarement en plein vent, qu'on a généralement pris le parti de les mettre en espalier contre des murs garnis de treillage. Si ces murs n'ont que neuf à dix piés de hauteur, ils ne sont propres à recevoir que des pêchers de basse tige, qu'il faudra espacer de quinze à vingt piés, selon la qualité du terrein. Mais si les murs étoient élevés de douze piés & plus, on pourra mettre des demi-tiges de cinq piés entre les premiers pêchers, sans augmenter leur intervalle.
L'automne est la vraie saison de planter les pêchers ; on ne sauroit s'y prendre trop tôt, dans quelque terrein que ce soit. Ainsi dès que la séve sera arrêtée, aux environs du vingt Octobre, il sera aussi avantageux de faire cette plantation, qu'il résultera d'inconvéniens en la suspendant, & encore plus en la différant jusqu'au printems. On se dispensera d'en rapporter ici toutes les raisons qui sont sans nombre, & qui engagent fortement à conseiller, & même à recommander cette diligence.
Pour être sûr d'avoir les bonnes especes de pêches que l'on desire, il faudroit avoir pu les faire élever chez soi ; mais comme chacun ne se trouve pas arrangé pour cela, & qu'on n'est pas toujours en disposition d'attendre la venue de ces arbres, on est forcé le plus souvent de s'en rapporter à autrui. On trouve toutes les bonnes especes aux environs de Paris ; la plûpart à Orléans, & on a commencé à en élever dans presque toutes les provinces du royaume. Il y a si souvent de l'inconvénient à tirer ces arbres de loin, faute de prendre quelques précautions, qui ne consisteroient qu'à bien garnir de mousse tout le vuide qui se trouve entre les racines après que les arbres ont été liés en paquets : minutie qu'on trouvera peu digne d'être relevée dans un grand ouvrage comme celui-ci ; mais qui est le seul moyen de conserver la fraîcheur des arbres dans une longue route. Dès qu'ils seront arrivés à leur destination, il ne faudra différer de les planter, qu'au cas qu'il fît un tems de neige ou de gelée, ou bien que les terres fussent trop humides. Il vaudra mieux déposer alors les arbres dans un lieu sain & abrité, après en avoir mouillé modérément les racines. Mais dès que la saison sera convenable, on déballera les arbres ; on rafraîchira les racines en coupant leur extrémité jusqu'au vif. Cette coupe se fera de biais, & en-dessous de maniere qu'elle puisse porter sur la terre en plaçant l'arbre dans le trou. On ôtera tout le chevelu, & on retranchera toutes les racines qui seront écorchées, rompues ou viciées ; puis pour former la tête, on coupera toutes les branches latérales de la tige principale, que l'on rabattra en biais à sept ou huit pouces au-dessous de la greffe. On fera ensuite aux places marquées dans le terrein, que l'on suppose préparé d'avance, des trous suffisans pour l'étendue des racines. On y placera les arbres de façon qu'ils soient un peu inclinés vers le mur ; qu'ils en soient éloignés de quatre à cinq pouces ; que la coupe le regarde, & que la greffe puisse excéder de deux ou trois pouces le niveau du sol. On fera jetter autour de l'arbre la terre la plus meuble, la plus legere, & la meilleure que l'on fera entrer avec les doigts entre les racines ; & après que le trou sera rempli & qu'on aura assuré le terrein en appuyant médiocrement le pié autour de l'arbre, on y fera jetter une charge d'eau pour lier la terre aux racines. Mais si la plantation n'a été faite qu'au printems, il faudra envelopper la tige des arbres de grande paille, en couvrir la terre au pié, & arroser le tout modérément chaque semaine dans les tems de hâle & de sécheresse. Quand on verra que les pêchers commencent à pousser, on découvrira leur tige, & on les laissera aller cette premiere année à leur gré en prenant soin pourtant d'attacher au treillage les nouveaux rejettons, à mesure qu'ils prendront une force & une longueur suffisante.
La culture du pêcher, qui consiste principalement à le tailler, à l'ébourgeonner & à le palisser, fait le point le plus important, & en même tems le plus difficile du jardinage. C'est ici la pierre d'achoppement des jardiniers, c'est le premier trait qui manifeste leur talent, c'est la plus grande perfection de leur art, & la seule sur laquelle il faille les examiner, les suivre, les diriger principalement. La taille des autres arbres fruitiers n'est rien en comparaison de celle du pêcher. Ce n'est pas qu'il ne faille aussi les entendre & les conduire ; mais la grande différence vient de ce qu'on peut réparer les autres fruitiers, quoiqu'ils aient été long-tems négligés ou traités par une main ignorante ; au lieu que si on a négligé ou mal conduit un pêcher seulement pendant une année ou deux, il est presque impossible de le rétablir. Pour discuter suffisamment cet article, il faudroit un examen & un détail qu'on ne peut se promettre dans un ouvrage de cette nature : on se contentera des principaux faits.
Le pêcher veut être soigné & suivi pendant la plus grande partie de l'année ; c'est-à-dire, depuis la chûte des feuilles jusqu'après la récolte du fruit ; il faut à cet arbre des attentions habituelles pour le préserver des intempéries, le conserver dans sa beauté, l'entretenir dans sa force, & pour le faire durer & prospérer. Je suivrai l'ordre des saisons pour indiquer les différens soins de culture qu'on doit employer, & présenter d'un coup d'oeil les diverses opérations qui sont nécessaires pour remplir cet objet.
La taille est le premier soin de culture qu'il faille donner au pêcher. Cette culture est même indispensable à son égard, & il faut de plus qu'elle soit exactement ; car si on néglige de tailler cet arbre pendant un an seulement, il se trouve élancé, dégarni, & détérioré au point qu'il n'est souvent pas possible de le rétablir en trois années ; & si on l'a abandonné deux ou trois ans, il n'y a presque plus moyen d'y remédier, ni à plus forte raison, d'en former un bel arbre. On peut tailler le pêcher depuis la chûte des feuilles jusqu'au premier mouvement de la seve ; mais d'attendre que les arbres soient en fleur, ou que le fruit soit noué pour les tailler, c'est le plus grand abus qui puisse résulter de la négligence du jardinier. On doit commencer par les arbres les plus foibles, & finir par les plus vigoureux. C'est encore un autre abus de croire que les arbres taillés sont plus sujets à être endommagés par les intempéries qui arrivent si ordinairement au retour du printems. On est assez généralement d'accord qu'il n'y a pas plus d'inconvénient pour les arbres taillés que pour ceux qui ne le sont pas. Avant de faire agir la serpette, on doit dépalisser l'arbre & le nettoyer de toute saleté & des insectes. Il faut ensuite distinguer les jeunes arbres jusqu'à l'âge de six ans, de ceux qui sont dans leur force ou qui sont sur le déclin. On doit en général se régler sur la force de l'arbre pour le retranchement & l'accroissement des branches. Si l'arbre n'a qu'un an, & qu'il n'ait poussé que foiblement, on le réduira à deux branches ou à quatre, également partagées sur les côtés, & on les taillera à cinq ou six pouces. Mais si l'arbre a poussé vigoureusement, on pourra leur laisser jusqu'à huit à dix pouces de longueur. Dans les années suivantes la grande attention doit se porter à tenir la balance de façon que l'un des côtés de l'arbre ne soit pas plus chargé que l'autre. Si l'arbre est foible, il faut le rabattre du milieu ; si la seve se porte trop abondamment sur l'un des côtés, il faut accourcir ce côté pour donner de la force à l'autre. En général toute la force de l'arbre doit se porter sur deux ou trois maîtresses branches distributrices de toute la garniture. On peut donner tous les ans à ces fortes branches douze ou quinze pouces de taille, quelquefois deux piés, & jusqu'à deux piés & demi, à la maniere des jardiniers de Montreuil, du reste on doit réduire les autres depuis six jusqu'à huit pouces. On croit communément que le pêcher n'a que douze ou quinze ans de vie ; mais quand il a été bien conduit, ce n'est encore là que le tiers de sa durée & le commencement de ses grandes forces, qui peuvent se soutenir pendant autant de tems, après quoi on peut regarder le reste de sa durée comme un état de retour dont le soutien dépend entierement de l'art & des soins du jardinier. C'est la taille bien entendue qui contribue le plus à la durée du pêcher. Elle consiste, pour les pêchers qui sont dans leur force, à ne pas trop charger l'arbre de branches, & cependant à le tenir bien garni. Après avoir examiné l'état de l'arbre, on commence à retrancher les branches, altérées & usées ; puis celles qui sont trop grosses ou trop petites, à l'exception des petits bouquets ou brindilles qui sont propres à donner les plus beaux fruits ; mais on doit conserver tout ce qui est nécessaire à entretenir la garniture de l'arbre. Enfin de toutes les branches qui ont poussé sur celle qui a été taillée l'année précédente, on ne laisse que la plus basse. Après cela on vient à la taille : si l'arbre se trouve fatigué pour avoir trop donné de fruit, on le ménage en accourcissant, si c'est le contraire, on allonge la taille jusqu'à huit pouces. C'est encore sur l'espece du pêcher qu'il faut se régler à cet égard. Quant aux pêchers qui sont sur le déclin, on ne sauroit trop les ménager, les tailler court, & ne conserver que les meilleures branches : mais en travaillant à la conservation de l'arbre & à sa fructification, on doit chercher en même tems à lui donner de la beauté, & à le rendre agréable, en faisant ensorte qu'il soit suffisamment garni de branches jusqu'au pié, qu'il fasse régulierement l'éventail, & qu'il n'occupe que la place qui lui a été destinée.
La beauté du pêcher consiste principalement à ce qu'il soit palissé proprement & avec ordre ; aucune branche n'en doit croiser d'autres, à moins qu'on n'y soit nécessité pour garnir un vuide. On se sert d'osier pour le premier palissage au printems, & du petit jonc de marais pendant l'été.
Mais le grand point pour avoir du fruit, c'est de veiller à la conservation du pêcher ; sans quoi, il arrive souvent que les frimats détruisent toutes les belles espérances qu'avoit donné la fleur. Le meilleur secret que l'on ait trouvé pour garantir ces arbres, est de former tout le long des murs au-dessous du chaperon, une espece d'avant-toit, composé de paillassons d'environ deux piés de largeur, supportés par des potences que l'on attache contre le mur pour un tems, depuis le mois de Février jusqu'au mois de Mai, cette couverture défend le haut des arbres, & l'on supplée dans les tems menaçans par d'autres paillassons pour garantir le bas.
Dès la fin d'Avril on doit commencer une autre opération à laquelle il faut encore revenir à la fin de Mai, après que le fruit est noué ; c'est l'ébourgeonnement qui, quoique des plus importans, est souvent négligé. Il consiste à retrancher par la seule action du pouce, les jeunes pouces qui paroissent déplacées, foibles ou surabondantes. On regarde comme déplacées celles qui viennent en-devant, ou qui poussent par derriere. On juge que les nouvelles pousses surabondent, lorsqu'il y en a sur chaque branche plus de deux ou trois que l'on conserve dans les places avantageuses, & on supprime le reste. L'ébourgeonnement doit être fait par un jardinier intelligent, parce qu'on y peut faire de grandes fautes, qui ne pourront se réparer que très-difficilement. Néanmoins c'est principalement de cette opération bien entendue que dépendent la vigueur, la durée & la fertilité du pêcher.
Il est encore d'autres soins de culture qu'on pourroit prendre après l'ébourgeonnement, comme de pincer certaines branches nouvelles, & d'en arrêter d'autres. Mais comme les sentimens & la pratique sont très-opposés sur ce point, les uns soutenant que ces seconds soins sont absolument nécessaires, & les autres prétendant qu'il faut laisser agir la nature ; on se dispensera d'entrer ici dans aucun détail à ce sujet.
Il en sera de même de la culture des pêchers relativement au remuement de la terre ; je n'en parlerai que pour en représenter l'inutilité. Quand on cultive les plates-bandes qui sont au pié de ces arbres, c'est moins pour les favoriser que pour y mettre des légumes. Mais on ne voit pas que les herbes, bonnes ou mauvaises, sont tout ce qu'il y a de plus pernicieux aux arbres. Elles interceptent au-dehors les petites pluies, les rosées, les vapeurs, &c. & elles pompent avidement du dedans, les sucs, les sels & l'humidité de la terre, ensorte qu'on doit regarder les légumes & toutes les herbes, comme le fléau des arbres. Je me suis bien convaincu que rien n'est plus avantageux aux pêchers que de faire regner une allée sablée jusque contre la palissade & le mur, sans autre soin que d'en ratisser l'herbe exactement. Je vois dans plusieurs endroits des pêchers ainsi traités depuis vingt ans, qui ont fait des progrès étonnans, & qui sont d'une beauté admirable.
La taille que l'on a fait en hiver au pêcher, & l'ébourgeonnement au printems, obligeant sa seve à se porter vigoureusement dans les branches qui ont été conservées, exigent de fréquens palissages. Le premier se fait au mois de Juin, sans autre choix, retranchement ni sujetion, lorsque l'ébourgeonnement a été bien fait, que de bien espacer, étendre & tourner les branches, de façon qu'elles garnissent l'arbre agréablement, & que le fruit soit couvert de feuilles autant qu'il se pourra ; un mois ou six semaines après il faudra un second palissage fort facile, & qui ne consistera qu'en un lien de plus à toutes les branches qui se seront allongées, & à rabattre tout ce qui contrariera la beauté de la forme. Il y a quelquefois des arbres vigoureux qui demandent une troisieme revue au mois de Septembre.
Il est des terreins legers qui exigent que l'on arrose les pêchers dans le tems de hâle & de sécheresse. Dans ce cas, il faut faire donner à chaque arbre une charge d'eau tous les quinze jours, faire mettre de la grande paille à leur pié, & même en garnir les tiges des pêchers.
Les fruits demandent aussi des attentions. Après avoir ôté, quand ils sont noués & débourrés, tous ceux qui sont venus de trop (car on prétend qu'un pêcher de bonne stature n'en doit porter que soixante), on aura soin, dès qu'on s'appercevra que les pêches commencent à changer & à prendre de la blancheur, de les découvrir peu-à-peu à trois fois, de quatre jours en quatre jours, en ôtant quelques feuilles, afin que recevant la plus forte impression du soleil, elles puissent se colorer, se mûrir & se perfectionner. La parfaite maturité des pêches se reconnoît lorsqu'en les touchant légerement elles restent dans la main.
Les pêches sont souvent endommagées par quantité d'insectes. Dès le printems le bouton à fleur est attaqué par une chenille verte que l'on trouve derriere les branches, & qu'il faut détruire. Lorsque les murs sont mal crépis, les loirs, les mulots, les rats, les souris & les musaraignes s'y réfugient & entament tous les fruits à mesure qu'ils commencent à mûrir. On peut détruire ces animaux nuisibles à force de tendre aux approches des souricieres & des quatre de chiffre. La défectuosité des murs occasionne aussi le dégât des fourmis qui ne s'attachent & ne font de mal qu'autant que l'arbre est infecté de pucerons, dont l'excrément mielleux les attire. Il faut commencer par détruire les pucerons en coupant le bout des branches, & en ôtant toutes les feuilles qui en sont couvertes. A l'égard des fourmis, on en détruit une grande quantité en mettant au pié de l'arbre un pié de boeuf frais dont on égraille la peau sans l'ôter. Bientôt il est couvert de fourmis que l'on fait périr en trempant le pié de boeuf dans l'eau. Les perce-oreilles endommagent souvent les grosses & petites mignones ; on peut prendre ces insectes avec des onglets de mouton, où ils aiment à se refugier. Enfin pour se débarrasser des mouches-guêpes & autres insectes de ce genre, on n'a pas trouvé d'autre moyen, que de leur suppléer d'autres fruits plus communs, qui puissent les attirer par leur douceur & leur mollesse.
Les végétaux comme les animaux sont sujets à des maladies. Le pêcher en a sur-tout une qui lui est particuliere. Il est souvent endommagé par les vents roux qui occasionnent une nielle, un brouis, que l'on nomme la cloque. Les feuilles s'épaississent & se recoquillent en devenant rougeâtres & galeuses. Cet état désagréable est encore plus nuisible à l'arbre & au fruit. On détruit ce mal en coupant tous les bouts des branches, & toutes les feuilles qui en sont infectées. La gomme est une autre maladie qu'il faut bien se garder de négliger. Dès qu'on s'en apperçoit nul autre remede que de couper la branche au-dessous de l'écoulement. Mais si le mal empire & s'étend jusqu'à un certain point, le plus court est d'arracher l'arbre. Il en est de même lorsqu'il vient à être atteint d'une espece de glu noirâtre qui couvre tout le pêcher : ce mal est occasionné par une seve corrompue qui s'extravase & qui est si contagieuse, qu'il faut faire enlever promptement l'arbre qui en est infecté. Enfin, il arrive quelquefois que dans les mois de Juin & Juillet il tombe sur les pêchers une nielle blanche & contagieuse qui endommage l'arbre & le fruit ; le remede est de raccourcir les branches à mesure qu'elles sont atteintes.
Le pêcher, à plusieurs égards, est de quelque usage en médecine. Ses feuilles, & ses fleurs sur-tout, sont purgatives ; on s'en sert en infusion : on en fait encore un syrop fort usité, qui est aussi vermifuge, ainsi que l'huile tirée par expression des amandes du fruit. Voyez le mot PECHE.
On distingue le fruit du pêcher en pêches, pavies, & brugnons. Les pêches sont les plus estimées, parce qu'elles ont la chair tendre, molle, succulente, d'un goût relevé, & qui quitte le noyau. Les pavies au contraire, ayant la chair dure & séche, qui tient au noyau, & ne meurissant que rarement dans ce climat ; on n'en fait cas que dans les pays chauds, où elles réussissent beaucoup mieux que les pêches. Il en est de même des brugnons. Les curieux ne font cas que de quinze ou vingt sortes de pêches qu'on peut rassembler jusqu'au nombre de quarante, en donnant dans la médiocrité pour avoir une plus grande variété. On connoît de quarante sortes de pavies pour le moins, dont il n'y en a qu'une ou deux qui réussissent dans ce climat. Il y a aussi de huit ou dix sortes de brugnons ; ce fruit est lisse, & la chair tient au noyau, mais il n'y en a qu'une espece dont on fasse quelque cas aux environs de Paris. La nature de cet ouvrage ne permet pas d'entrer dans le détail de toutes les especes de pêches que l'on cultive ; on se contentera de rapprocher ici quelques variétés du pêcher qui se font remarquer par leur agrément ou leur singularité.
1°. Le pêcher blanc est ainsi nommé à cause de ses fleurs qui sont blanches, ainsi que la peau & la chair du fruit.
2°. Le pêcher à fleurs doubles mérite d'être cultivé pour l'agrément, ses fleurs étant grandes, très-doubles, & d'une vive couleur de rose, sont de la plus belle apparence ; mais son fruit est tardif & d'une bien médiocre qualité.
3°. La pêche-amande. Le fruit de cet arbre tient de la pêche & de l'amande, mais beaucoup plus de cette derniere que de la premiere. Sa feuille est lisse, la fleur précoce, le noyau sans sillons par-dessus, & l'amande est douce ; toute l'analogie que ce fruit peut avoir avec la pêche ne consiste qu'en ce que la pulpe ayant plus d'épaisseur que celle des amandes ordinaires, devient succulente en mûrissant ; mais elle conserve une amertume qui est désagréable.
4°. La pêche noix. Ce fruit n'a d'autre mérite que la singularité. L'arbre qui le produit s'éleve moins que le pêcher ; sa feuille est plus grande ; sa fleur est d'un rouge vif & foncé ; son fruit, qui est lisse, conserve toujours la couleur verte de la noix, même dans sa maturité, qui n'arrive qu'à la fin d'Octobre ; mais il est assez d'une mauvaise qualité.
5°. Le pêcher nain. C'est en effet un très-petit arbrisseau, qui ne s'éleve guere qu'à un pié & demi ; ensorte qu'on peut très-bien le tenir dans un pot moyen : c'est ce qui en fait tout le mérite. Son fruit ne prend point de couleur, il mûrit tard, il est petit & d'un goût très-médiocre.
6°. Le pêcher nain à fleur double. Comme cet arbre est stérile, les Botanistes ne sont nullement d'accord sur le genre d'arbre auquel on doit le réunir. Les uns le rangent avec les pêchers, d'autres avec les amandiers, d'autres enfin avec les pruniers. Quoi qu'il en soit, cet arbrisseau s'éleve à trois ou quatre piés ; il se charge au mois d'Avril d'une grande quantité de fleurs assez larges & très-doubles ; elles sont d'un rouge pâle en-dessus, & blanches en-dessous. Le grand soleil les décolore & les fait passer trop vîte : cela doit engager à mettre cet arbrisseau à l'exposition du nord, où les fleurs auront plus de vivacité, & se soutiendront pendant un mois. Il est robuste ; on peut le tailler en palissade, & le multiplier par la greffe sur les mêmes sujets que le pêcher ordinaire, il vient difficilement de branches couchées.
On pourra consulter sur les bonnes especes de pêches le catalogue des RR. PP. Chartreux de paris, & l'essai sur l'agriculture de M. l'abbé Nolin ; & pour la culture du pêcher, le traité de M. de Combe, & un mémoire de M. l'abbé Roger qui a été inséré dans le journal économique du mois de Février 1755. Article de M. d'AUBENTON le subdélégué.
PECHER, (Diete & Mat. médic.) le fruit & les fleurs sont les seules parties de cet arbre dont nous ayons à faire mention.
Le fruit que tout le monde connoît sous le nom de pêche, est un des plus salutaires, comme des plus délicieux de tous ceux que mangent les hommes. Il se trouve cependant parmi les anciens médecins, des auteurs d'un grand nom, tels que Galien & Paul d'Egine, qui en ont condamné l'usage ; mais leur autorité est rendue à-peu-près nulle par les autorités contraires ; par celle de Dioscoride & de Pline par exemple ; & l'observation constante décide en faveur du sentiment que nous avons embrassé. Les pêches les plus fondantes, ou pêches proprement dites, & celles qui portent le nom de brugnons, qui sont les unes & les autres de l'espece dont la chair n'adhere point au noyau, & qui sont les plus parfumées, sont encore plus salutaires, se digerent plus aisément, plaisent davantage à l'estomac que celles qu'on appelle communément pavies, dont le parenchyme est toujours plus serré, & qui sont ordinairement moins parfumées & d'un goût moins relevé. La meilleure façon de manger la pêche, c'est de la manger crue, soit avec du sucre, soit sans sucre ; viennent ensuite la compote & la marmelade. La pêche confite à l'eau-de-vie ou à l'esprit de vin, ne vaut absolument rien ; elle est toujours échauffante & indigeste, parce qu'elle devient coriace par cette préparation, qui exige d'ailleurs qu'on la prenne avant sa maturité. Cette observation doit porter à croire qu'il vaut mieux boire sur la pêche de l'eau que du vin, contre l'opinion & la coutume.
On a long-tems & très-anciennement pensé que la pêche étoit un poison en Perse, que l'on croit être le sol natal du pêcher. Columelle rapporte cette opinion, & Pline la réfute. Il est très-vraisemblable qu'une pêche sauvage est un très-violent purgatif. L'analogie déduite de la vertu des feuilles & des fleurs du pêcher, qui peuvent être regardées comme à peine altérées par la culture & par le climat, tandis que le fruit est absolument dénaturé par ces deux causes ; cette analogie, dis-je, fournit une violente présomption, si l'on se rappelle sur-tout les observations qui ne manquent pas sur une foule de faits semblables, sur beaucoup de substances végétales naturellement vénéneuses, adoucies par la culture & par le changement de climat.
Les fleurs du pêcher fournissent à la médecine un de ses purgatifs les plus usités, sur-tout pour les enfans. C'est leur infusion, & plus souvent encore un sirop simple préparé avec cette infusion, qu'on employe ordinairement. On les donne aussi, mais fort rarement en substance, mangées fraiches sous forme de salade, ou préparées avec le sucre sous la forme de conserve. Tous ces remedes rangés dans la classe des purgatifs doux, ne laissent pas que d'avoir une certaine activité, de causer des tranchées dans différens sujets, & de produire même l'effet hydragogue. Les fleurs s'ordonnent par pincées dans les infusions purgatives ; & la dose du syrop est depuis demi-once jusqu'à trois & quatre onces.
Les fleurs de pêcher passent encore pour un bon vermifuge, qu'on peut donner utilement aux enfans dans la double vue de tuer & de chasser les vers.
Il faut remarquer que les fleurs de pêcher ne doivent pas être soumises à la décoction ; elles sont du nombre des substances dont la vertu purgative réside, au moins en partie, dans les principes volatils. Voyez DECOCTION, INFUSION, RGATIFATIF. (b)
PECHER, v. act. Voyez l'article PECHE.
PECHER, PECHEUR, (Marine) pêcher une ancre ; c'est rapporter un ancre du fond de l'eau avec celle du vaisseau, lorsqu'on l'a relevé ; ce qui arrive quelquefois lorsqu'on mouille dans des rades fort fréquentées. Pêcher un bris de naufrage.
PECHER, (Géogr. moderne) ou Pakir, selon M. de l'Isle, ville de l'Arabie heureuse, située au bord de la mer, dans le royaume de Fartague selon les uns, & selon d'autres au royaume de Caresen.
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PECHERIE | S. f. (Pêche & Commerce) lieu où l'on fait la pêche ; il se dit aussi des plages de la mer orientale ou occidentale, & même de quelques rivieres où l'on pêche des huitres perlieres.
Les pêcheries d'orient sont celles de l'île de Bahren dans le golfe Persique, de Carifa vis-à-vis Bahren, sur la côte de l'Arabie heureuse ; de Manar, sur les côtes de l'île de Ceylan, & de quelques endroits de celles du Japon. Les pêcheries des Indes d'occident sont toutes dans le golfe du Méxique, le long de la côte de terre ferme de l'Amérique ; entr'autres à la Cubagua, à l'île de la Marguerite ; à Comogore, à Rio de la Hacha, & à Sainte-Marthe. Enfin les pêcheries d'Europe, qui sont les moins considérables, sont le long des côtes d'Ecosse ; mais ces dernieres perles sont la plus grande partie baroques. (D.J.)
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PÊCHETEAU | voyez BAUDROIE.
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PÊCHEUR | S. m. celui qui fait métier de la pêche. Voyez l'article PECHE.
PECHEUR, (Gramm. & Théolog.) celui qui commet le péché. Voyez l'article PECHE.
PECHEUR, voyez MARTIN-PECHEUR.
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PÉCHINIENS | S. m. pl. (Géogr. anc.) Pechini ; peuples d'Ethiopie sous l'Egypte. Ptolomée, l. IV. c. viij. les place entre le fleuve Astapode, & le mont Garbatus. Les Péchiniens, selon toute apparence, sont les Pygmées d'Homere. Il y a lieu de croire que c'est la ressemblance du nom & la petite taille de ce peuple, qui ont donné occasion aux Grecs de les appeller des Pygmées, du mot , le poing, ou plûtôt de celui de , qui signifie une coudée, & qui a tant de conformité avec le nom des Péchiniens. Les Poëtes n'ont pas toujours cherché des rapports si marqués, pour en faire le fondement de leurs fables. Ils avoient appris par le récit de quelques voyageurs, que les Péchiniens étoient d'une petite taille ; que les grues se retiroient en hiver dans leur pays, & que ces peuples s'assembloient pour les détruire. Quel fond à un poëte grec pour une fable aussi jolie que celle des Pigmées ! mais ce n'est pas la seule conjecture qui puisse établir cette opinion ; beaucoup d'autres très-fortes, qu'il seroit trop long de rapporter, contribuent à faire voir que tout ce qu'on a publié des Pygmées, convient parfaitement aux Péchiniens.
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PECHLARN | (Géogr. mod.) ville d'Allemagne dans la basse Autriche, sur la rive droite du Danube, à l'endroit où la riviere d'Erlaph se jette dans ce fleuve. La ressemblance du mot Erlaph avec celui d'Arélape ou Arlape, fait croire que Pechlarn est l'Arélape des anciens, mot qui vient par corruption de Ara lapidea ; comme le Danube est fort large dans cet endroit, les Romains y tenoient une flotte. Pechlarn appartient à l'évêque de Ratisbonne ; elle est à deux milles au-dessous d'Ips, & à un grand mille de Melek. Long. 33. 24. lat. 48. 14.
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PECHTEMAL | S. m. (terme de relation) c'est un tablier rayé de blanc & de bleu, dont les Turcs se couvrent dans le bain, & qu'ils mettent autour du corps, après avoir ôté leurs habits.
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PECK | S. m. (Mesure de continence) mesure dont on se sert en Angleterre pour mesurer les grains, graines, légumes, & autres semblables corps solides.
Le peck tient deux gallons à raison d'environ huit livres, poids de trois le gallon. Quatre pecks font un boisseau ; quatre boisseaux un comb ou carnok ; deux carnoks une quarte, & dix quartes un lest, qui tient 5120 pintes ; ce qui revient à environ autant de livres poids de trois.
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PECOULS | S. m. pl. (Terme d'Imagers) les pécouls, autrement nommés petits bassins, sont des bordures de bois unies, qui servent à encadrer des estampes d'une grandeur déterminée.
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PECQUET | RESERVOIR DE (Anat.) Pecquet naquit à Dieppe, & s'est illustré par la découverte du réservoir du chyle, qui porte son nom.
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PECTEN | S. m. en Botanique ; c'est le grain du bois de toutes sortes d'arbres. Voyez BOIS & ARBRE.
PECTEN, en Anatomie, est usité par quelques auteurs pour exprimer l'endroit des os pubis, ou la partie inférieure de l'hypogastre, ordinairement recouverte de poils.
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PECTINAL | adj. (Icthyolog.) c'est le nom qu'on donne aux poissons dont l'arrête imite les peignes, tels que la sole, la plie, la limande, le flez, le flételet, le carrelet, le picot, &c. On fait une classe particuliere des poissons pectinaux. (D.J.)
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PECTINEUS | en Anatomie ; c'est un des muscles de la cuisse ; il est ainsi nommé parce qu'il vient de la partie antérieure des os pubis. Voyez Pl. Anatom. Il se termine au-dessous du petit trochanter.
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PECTINITE | (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme la coquille appellée peigne, en latin pecten, lorsqu'elle est fossile ou pétrifiée. Voyez PEIGNE.
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PECTORAL | en Anatomie ; est le nom de deux muscles, dont l'un s'appelle le grand pectoral, & l'autre le petit pectoral. Le grand pectoral occupe presque toute la partie antérieure de la poitrine ; il est charnu & demi-circulaire, & il vient de la clavicule, du sternum & des cartilages de six ou sept côtes supérieures, & recouvre une grande partie de la poitrine, il va s'insérer par un tendon court, mais fort & large à la ligne saillante qui répond à la grosse tubérosité de l'humerus, entre le biceps & le deltoïde. Voyez nos Pl. d'Anat.
Vers leur insertion, ses fibres se croisent. Celles qui viennent de la clavicule sont du côté inférieur du tendon ; & celles qui viennent des côtes inférieures, sont du côté supérieur du tendon.
Les Naturalistes observent une manifestation particuliere de la providence, par rapport à la grandeur & à la force du muscle pectoral en différens animaux. C'est par l'action de ce muscle que se fait principalement le vol des oiseaux ; c'est pourquoi il est beaucoup plus large & plus fort dans les oiseaux que dans tous les autres animaux, qui ne sont pas faits pour voler. Voyez OISEAU.
Borelli observe que dans l'homme les muscles pectoraux égalent à peine la cinquantieme ou la soixante-dixieme partie de tous les autres muscles ; mais dans les oiseaux, ils sont très-grands ; par leur étendue & par leur pesanteur, ils égalent ou même ils surpassent tous les autres muscles de l'oiseau pris ensemble. Voyez VOLER.
Le petit pectoral vient de la seconde, troisieme, quatrieme, cinquieme des vraies côtes, & s'attache à l'apophyse coracoïde de l'omoplate.
PECTORAL, se dit en matiere médicale, des médicamens qui sont salutaires dans les maladies de la poitrine, & ces remedes sont ou atténuans & expectorans dans l'épaississement du sang des vaisseaux pulmonaires & de l'humeur bronchiale, ou épaississans & incrassans dans l'acrimonie de ces mêmes fluides. Voyez BECHIQUES.
On nomme pectorale toute composition qui est faite de remedes pectoraux ; ainsi l'on dit, apozeme pectoral, julep pectoral, looch pectoral, potion pectorale. Voyez BECHIQUE, RHUME & TOUX.
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PÉCULAT | S. m. (Jurisprud.) c'est le crime de ceux qui détournent les deniers qui se levent sur le public.
Il fut ainsi nommé chez les Romains, parce que leurs monnoies portoient l'empreinte de quelques figures d'animaux, appellés en latin pecus.
Marc Caton se plaignant que de son tems le péculat demeuroit impuni, disoit que ceux qui voloient les particuliers passoient leur vie dans les prisons & dans les fers ; mais que ceux qui pilloient le public, vivoient dans l'opulence & dans la grandeur.
Cependant chez les Romains ceux qui étoient convaincus de ce crime, étoient punis de mort, & ils ne pouvoient obtenir d'abolition : ce qui n'a pas lieu parmi nous.
Ce crime se commet par les receveurs & officiers qui ont le maniement des deniers, ou par les magistrats & autres officiers qui en sont les ordonnateurs.
Il se commet par diverses manieres, comme par omission dans la recette des comptes, faux & doubles emplois dans la dépense ; par des levées & exactions de deniers, faites outres & par-dessus les sommes contenues aux commissions du roi ; par la délivrance de doubles contraintes, pour une même somme que l'on fait payer deux fois sans en donner d'acquit ou autrement ; en cachant au peuple la remise que le roi lui a fait de certaines impositions pendant un tems, & exigeant ces impositions ; en exigeant des redevables de gros intérêts pour les délais qu'on leur accorde ; en employant dans les comptes des pertes de finance qui sont supposées ; en portant en reprise des sommes comme si elles n'avoient point été reçues, quoiqu'en effet elles l'ayent été ; en levant des deniers sans commission du roi ; enfin en retardant les payemens, & se servant des deniers pour leur profit particulier.
Ceux qui ont prêté leur nom, aide & secours à ceux qui ont commis ces malversations, se rendent coupables du même crime.
Anciennement en France, ce crime étoit puni de mort comme chez les Romains ; Bouchel en son traité de la justice criminelle, en rapporte plusieurs exemples, antérieurs même à l'ordonnance de François I. dont on va parler.
Cette ordonnance qui est du mois de Mars 1545, porte que le crime de péculat sera puni par confiscation de corps & de biens, par quelques personnes qu'il ait été commis ; que si le délinquant est noble, il sera outre ladite peine privé de noblesse, & lui & ses descendans, déclarés vilains & roturiers : & que si aucuns comptables se latitent & retirent du royaume sans avoir rendu compte, & payé le reliquat par eux dû, il sera procédé contr'eux par déclaration de même peine que contre ceux qui ont commis le crime de péculat.
Mais depuis cette ordonnance, il y a eu bien peu d'exemples de personnes punies de mort pour crime de péculat.
Il y a eu néanmoins en divers tems des commissions générales & établissement de chambres de justice pour la recherche de ceux qui avoient malversé dans les finances ; mais presque toutes ces poursuites ont été terminées par des lettres d'abolition accordées moyenant certaine somme.
Louis XIII. par édit du mois d'Octobre 1624, donna grace & abolition à tous les coupables ou complices du crime de péculat, qui avant que d'être accusés & prévenus, viendroient à révélation des fautes commises par eux ou leurs complices, restitueroient ce qu'ils auroient mal pris, & donneroient mémoires & instructions contre ceux qu'ils auroient déférés ; mais au mois de Novembre suivant, il y eut une déclaration qui exempta de la recherche ceux qui avoient traité avec le roi ; & par deux édits des mois de Juillet 1665 & Août 1669, on voit que la peine du péculat n'est plus que pécuniaire.
Une chose à remarquer pour la preuve de ce crime, c'est qu'un témoin singulier est reçu & fait foi, pourvu qu'il y ait plusieurs témoins singuliers qui déposent des faits semblables. Voyez Papon, l. XXII. tit. 2. Despeisses, tom. II. tr. des Causes criminelles, part. I. tit. 12. sect. 2. art. 7. (A)
PECULAT, s. m. (Art. milit. des Rom.) Je n'envisage ici le péculat que comme un larcin militaire, qui a trop souvent regné depuis que la guerre exerce ses déprédations. La fameuse loi Julia comprit sous le péculat, non-seulement le larcin des deniers publics, mais encore tout ce qui étoit sacré, ou qui appartenoit à la république : tel étoit le pillage fait sur les ennemis. Elle régloit la punition du crime selon les circonstances. Elle punissoit les uns par la déportation, & les autres par la confiscation de leurs biens. On fut obligé, sur la fin de la république, de fermer les yeux sur la punition du péculat militaire. En vain Caton se plaignit de la licence des soldats & des généraux. " Les voleurs, dit-il, des biens de nos citoyens sont punis ou par prison perpétuelle, ou par la peine du fouet ; & ceux qui volent le public jouïssent impunément de leurs larcins dans la pourpre & dans la tranquillité ". Mais alors tout le monde étoit coupable de péculat.
On commettoit même ce crime dans les commencemens de la république, quand on s'arrogeoit quelque chose de ce qui avoit été pris sur les ennemis. Ciceron, pour rendre le péculat dont il accusoit Verrès, plus odieux, lui impute d'avoir enlevé une statue qui avoit été prise dans un pillage ennemi. Non-seulement on punissoit les généraux & les gouverneurs comme coupables de péculat, mais encore les soldats qui n'apportoient pas ce qu'ils avoient pris ; car on exigeoit d'eux, en recevant le serment accoutumé, qu'ils garderoient fidelement le pillage sans en rien détourner ; & c'est sur le fondement de ce serment dont la formule est rapportée par Aulugelle, liv. XVI. ch. iv. que le jurisconsulte Modestin a décidé, ff. ad l. Jul. peculat. que tout militaire qui dérobe le pillage fait sur les ennemis, est coupable de péculat.
Nous ne sommes pas aujourd'hui si séveres ; nonseulement le soldat ne remet rien aux généraux de ce qu'il a pris dans un pillage, mais les généraux eux-mêmes ne rendent compte de leurs pillages ni aux princes, ni à l'état. Cependant ils ne sont pas tous dans le cas de Scipion l'Africain accusé devant le peuple de péculat. Ce grand homme, à qui sa conscience ne reprochoit rien, se présenta dans le champ de Mars, & sans daigner entrer dans la justification de son innocence : " Romains, dit-il, ce fut dans un semblable jour que je vainquis Amilcar & les Carthaginois. Suspendons nos querelles, & rendons-nous au capitole pour remercier les dieux protecteurs de la patrie. Quant à ce qui me regarde, ajouta-t-il, si depuis ma tendre jeunesse jusqu'à ce jour, vous avez bien voulu m'accorder des honneurs particuliers, j'ai tâché de les mériter, & même de les surpasser par mes actions ". En finissant ces mots, il tourna ses pas vers le capitole, & tout le peuple le suivit. (D.J.)
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PÉCULE | S. m. (Jurisprud.) c'est ce qu'un fils de famille, un esclave ou un religieux amasse par son industrie, ou acquiert de quelqu'autre maniere, & dont on lui laisse l'administration.
L'invention de pécule vient des Romains. Le pécule, peculium, a été ainsi appellé, quasi pusilla pecunia, seu patrimonium pusillum, ou plutôt quasi res peculiaris, chose propre au fils de famille ou autre qui a ce pécule.
Il n'y avoit originairement dans le droit qu'une sorte de pécule pour les fils de famille & pour les esclaves. Le pécule des uns & des autres étoit une légere portion des biens du pere de famille ou du maître que celui-ci consentoit qui demeurât séparé du reste de ses biens, & pour le compte du fils de famille ou de l'esclave.
Il étoit au pouvoir du maître d'ôter à l'esclave le pécule entier, de l'augmenter ou de le diminuer : tout ce que l'esclave acquéroit étoit au profit du maître.
Il en étoit aussi de même anciennement des fils de famille ; mais dans la suite on distingua le pécule de ceux-ci du pécule des esclaves.
La division la plus générale du pécule du fils de famille, est en pécule militaire & pécule bourgeois, militare & paganicum.
Le pécule militaire se divise en castrense & quasi castrense.
On appelle pécule castrense, ce qui a été donné au fils étant au service militaire par ses parens ou amis, ou ce qu'il a lui-même acquis au service, & qu'il n'auroit pas pû acquérir s'il n'avoit été au service ; car ce qu'il auroit pû acquérir autrement n'est pas réputé pécule castrense.
On entend par pécule quasi castrense, ce qui vient au fils de famille à l'occasion de la milice de robe.
On distingue quatre sortes de pécule quasi castrense, savoir :
Le clérical, que les ecclésiastiques acquierent au service de l'église : l. cum lege, cod. de episc. & cler.
Le pécule appellé palatinum, qui est celui que les officiers du palais, c'est-à-dire, de la maison du prince y ont acquis. L. unic. cod. de pecul.
Le pécule forense, du barreau, est celui que les magistrats, les avocats & autres gens de justice acquierent à l'occasion de leurs dignités ou professions. L. ult. cod. de inoff. test.
Le pécule littéraire est celui que les professeurs des sciences & médecins acquierent dans leur profession. Ibid.
Le pouvoir des fils de famille sur le pécule castrense & quasi castrense, est absolu & entierement indépendant de la puissance paternelle ; ils en peuvent dispenser entre vifs & à cause de mort, ils peuvent même en disposer par testament. §. 1. 2 & 3. instit. quibus non est permissum fac. test. ff. & eod. tit. de castr. pecul. L. ult. de inoff. test.
Le pécule bourgeois, paganum, est ce qui vient au fils de famille autrement que par le service de robe ou d'épée ; il est de deux sortes, le profectice & l'adventice.
Le profectice est celui qui vient des biens du pere.
Le pécule adventice est celui qui vient de la mere, des parens maternels, & de toute autre maniere que des biens du pere.
Tous les anciens droits du pere de famille sur le pécule profectice, subsistent encore par-tout où la puissance paternelle a lieu ; mais il n'a plus que l'usufruit du pécule adventice, la propriété en appartient au fils.
Il y a même cinq cas où le pere n'a pas l'usufruit de pécule adventice : savoir, 1°. lorsque le fils a accepté une succession contre la volonté du pere. 2°. Lorsqu'on a donné un esclave au fils, à condition de lui donner la liberté. 3°. Quand les biens ont été donnés au fils, à condition que le pere n'en auroit pas l'usufruit. 4°. Dans le cas où le pere a partagé avec un de ses enfans la succession d'un autre enfant. 5°. Lorsque le pere sans juste cause a fait divorce avec sa femme. 117. 118. & 134.
Le pere avoit anciennement le tiers du pécule adventice pour prix de l'émancipation qu'il accordoit au fils de famille ; mais Justinien, au lieu du tiers en propriété, lui a donné la moitié en usufruit, de sorte que le fils en conserve seul toute la propriété. (A)
PECULE d'un religieux, qu'on appelle aussi côte morte, est ce qu'un religieux possede en particulier lorsqu'il a quitté la vie commune pour posséder ou desservir une cure, ou autre bénéfice, c'est un pécule clérical sur lequel ce religieux a pendant sa vie, & tant qu'il est hors de son couvent, un pouvoir aussi étendu que le fils de famille l'a sur le pécule castrense & quasi castrense ; mais il ne peut disposer de ce pécule par disposition à cause de mort.
Les conciles, les papes, les peres de l'Eglise se sont toujours élevés contre les religieux qui affectoient de posséder quelque chose en particulier. Le concile de Trente en contient de séveres défenses ; le pape Clément VIII. a confirmé les decrets de ce concile, & ordonné qu'ils seroient observés à la rigueur. Les conciles provinciaux de France y sont conformes, & les institutions d'ordre de tous les âges ont toutes à cet égard le même voeu.
Mais M. de Cambolas prétend que la rigueur des lois qui condamnent le pécule, ne doit avoir lieu que pour les religieux qui étoient arctioris regulae ; & M. Bignon dit qu'il faut se mesurer selon nos moeurs & notre façon de vivre, la plûpart des religieux ayant beaucoup relâché de l'observance de l'austérité de leur regle, sur-tout à l'égard de la propriété & de la possession, qu'on la leur a permise tacitement en leur laissant la jouissance entiere séparée des bénéfices particuliers.
Tout ce qu'un religieux acquiert dans les emplois dont il est chargé, appartient à l'abbé & au monastere ; mais si le religieux est pourvu d'un bénéfice cure, son pécule ou côte morte doit être distribué aux pauvres de la paroisse & à la fabrique. Telle est la jurisprudence du parlement de Paris. Il y a cependant des arrêts du grand-conseil qui adjugent ce pécule du religieux curé à son monastere. Voyez le traité du pécule par Gerbais, la biblioth. can. les mémoires du clergé. (A)
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PÉCULIER | ERE, adj. m. & f. (Lang. franç.) c'est un de ces mots expressifs que nous avons laissés perdre, & qui ne se trouvent que dans nos anciens auteurs. Henri Etienne est du nombre de ceux qui s'en servent le plus souvent ; il l'a répandu par-tout dans son apologie pour Hérodote. Je me contente de cet exemple, " il est à présumer que les siecles qui précédent le nôtre ont eu leur lourderie propre & péculiere. " (D.J.)
PECULIER, (Jurisprud.) se dit de celui qui a un pécule, comme un esclave péculier, peculiatus ; il en est parlé au digeste, liv. XII. tit. l. II. §. 4. l. II. §. 2. (A)
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PECULIUM | Voyez PECULE.
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PÉCUNE | S. f. (Littérat.) S. Augustin en a fait une divinité réelle des Romains, quoique Juvenal qui devoit être mieux instruit que l'auteur de la cité de Dieu, eût dit : " Funeste Richesse ! Tu n'as point de temples parmi nous ; mais il ne nous manque plus que de t'en élever & de t'y adorer, comme nous adorons la paix, la bonne foi, la vertu, la concorde ".
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PECUNIA | (Droit romain) suivant les jurisconsultes romains, le mot pecunia signifie non-seulement l'argent comptant, mais encore toutes sortes de biens, meubles & immeubles, droits même ou prétentions ; voyez pour preuve, le Digeste, liv. L. titre de la signification des mots & des choses. Ulpien ; Hermogène, &c. (D.J.)
PECUNIA, se prend quelquefois, dans les anciens livres de droit anglois, pour le bétail, & quelquefois pour d'autres biens & marchandises, de même que pour de la monnoie ou de l'argent. Voyez BIENS que l'on possede en propre.
Lorsque Guillaume I. réforma les lois d'Edouard le confesseur, il fut ordonné que viva pecunia, les biens vivans, c'est-à-dire le bétail, ne seroit acheté ou vendu que dans les villes, & qu'en présence de trois témoins jugés capables.
Ainsi dans le grand terrier d'Angleterre, le mot pecunia se prend fort souvent pro pecude, de même que pâture ad pecuniam villae.
Pecunia ecclesiae se prenoit autrefois pour les biens de l'église, soit en fonds, soit en meubles.
Pecunia sepulchralis.... c'étoit anciennement un argent que l'on payoit au prêtre, à l'ouverture d'un tombeau ou d'une fosse pour le bien & le repos de l'ame du défunt ; & que les anciens Anglo-Saxons appelloient la part de l'ame & animae symbolum.
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PÉCUNIAIRE | adj. (Gram. & Comm.) ce qui concerne la pécune ou l'argent monnoyé ; on appelle amendes pécuniaires, celles qui se payent en argent monnoyé. C'est par ces sortes d'amendes qu'on punit la contrebande & les contraventions, soit aux reglemens des manufactures, soit aux statuts des communautés des Arts & Métiers. Dictionn. de comm.
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PÉCUNIEUX | adj. (Gram. & Comm.) celui qui a beaucoup d'argent comptant ; ce terme est toujours usité, quoique le mot pécune d'où il est dérivé ne soit plus d'usage. Id. ibid.
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PÉDA | (Géog. anc.) par Tite-Live, liv. II. ch. xxxix. Pedum, ville du Latium, dont il dit que Coriolan s'empara. Pline, liv. III. ch. v. met les Pédaniens, Pedani, au nombre des peuples dont les villes étoient tellement détruites, qu'on n'en voyoit pas même les ruines. On croit communément que Péda étoit entre Tivoli & Palestrine. (D.J.)
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PEDAEUS | (Géog. anc.) fleuve de l'île de Cypre. Ptolomée, liv. V. ch. xiv. place son embouchure sur la côte orientale de l'île, entre le promontoire Padalium & Salamis. Au lieu de Pedaeus, les interpretes de Ptolomée lisent Pediaeus. (D.J.)
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PÉDAGNE | S. m. terme de mer ; c'est une espece de marche-pié sur lequel en voguant, demeure toujours le pié du forçat qui est enchaîné. (D.J.)
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PÉDAGOGUE | S. m. (Littérat.) les Grecs & les Romains appelloient pédagogues, les esclaves à qui ils donnoient le soin de leurs enfans pour les conduire par-tout, les garder & les ramener à la maison. C'est pourquoi dans le Phormion de Terence, Phaedria qui n'avoit d'autre consolation que de suivre sa maîtresse, sectari in ludum, ducere & reducere, est appellée pédagogue ; on trouve dans Gruter plusieurs inscriptions antiques de ces pédagogues, dont la fonction ne consistoit guere que dans ce genre de surveillance. Nous avons étendu en françois avec assez de raison la signification du mot pédagogue, en donnant ce nom à un maître chargé d'instruire, de gouverner un écolier, & de veiller sur sa conduite ; mais en même tems par le peu de cas que nous faisons de l'instruction de la jeunesse, il est arrivé qu'on est obligé d'ajouter quelque épithete à ce mot pour le faire recevoir favorablement.
PEDAGOGUE, (Critiq. sacrée) , au propre, maitre, précepteur, conducteur d'enfans. S. Paul dit aux Galat. iij. 24 & 25. La loi étoit un pédagogue, &c. métaphore qui signifie que la loi a donné aux Juifs les premieres connoissances du vrai Dieu, & les a conduit à J. C. ensorte qu'à présent nous ne sommes plus comme des enfans, sous l'empire de la loi. Le même apôtre dit dans la 1. ép. aux Corinthiens, 4. 15. pour leur rappeller les sentimens qu'ils lui devoient. Quand vous auriez dix mille maîtres, en J. C. vous n'avez pas néanmoins plusieurs peres. S. Paul étoit le pere des Corinthiens, nonseulement parce qu'il leur avoit enseigné le premier la doctrine de l'Evangile, mais aussi parce qu'il formoit leur ame, & les instruisoit avec une affection paternelle ; ce que ne faisoient pas les autres docteurs qui étoient venus vers eux après lui. (D.J.)
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PÉDAIRE | SENATEUR, (Antiq. rom.) on nommoit sénateurs pédaires, les jeunes sénateurs qui suivoient un sentiment ouvert par les anciens, & se rangeoient de leur avis. Les sénateurs pédaires étoient ceux qui n'avoient point passé par les magistratures curules : comme ceux qui avoient eû cet honneur opinoient les premiers, les pédaires ne formoient point ordinairement d'avis, & se contentoient de marquer leur opinion, en se rangeant du côté de celui dont ils suivoient le sentiment, ce qui s'appelloit pedibus in sententiam ire ; aussi disoit-on qu'un avis pédaire étoit une tête sans langue.
Je dis que ces sénateurs n'opinoient point ordinairement, parce que cet usage a eu ses exceptions. On lit dans une lettre de Cicéron, que Servilius le fils, qui n'avoit encore été que questeur (ce qui étoit le premier degré de magistrature) opina, & que sur son avis, on ajouta un article au sénatus-consulte.
Ce Bassus, cité par Aulu-Gelle, dit que les sénateurs pédaires alloient au sénat à pié, au lieu que les autres s'y faisoient porter dans leurs chaises curules ; cela se peut, mais outre l'autorité de Varron & de Festus, il paroît par Cicéron, que tous les sénateurs alloient au sénat à pié ; ceux qui étoient incommodés s'y faisoient porter en litiere, & César même lorsqu'il fut dictateur, n'y alloit point autrement.
Enfin, Aulu-Gelle prétend que les senatores pedarii avoient droit d'entrer au sénat & d'y opiner, quoiqu'ils ne fussent point encore proprement sénateurs, parce qu'ils n'avoient point encore été aggrégés à ce corps par les censeurs ; mais cette idée ne s'accorde pas avec la signification du mot pedarii. De plus, comme Dion nous apprend que les censeurs avoient aggrégé au sénat tous ceux qui avoient passé par les magistratures ; il s'ensuit qu'il n'y auroit point eu alors de ces sénateurs pédaires, & cependant on ne peut pas douter qu'il n'y en eût, puisque nous apprenons de Cicéron, que ce furent proprement les sénateurs pédaires qui formerent le decret qui étoit contraire à Atticus. (D.J.)
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PÉDALE | CLAVIER DE, c'est le clavier A B, fig. 1. 18. 19. Planche d'orgue, placé au-bas de l'orgue au lieu où l'organiste a ses piés, & avec lesquels il abaisse les touches de ce clavier, qui pour cela est nommé pédale. Cette dénomination est connue aussi aux jeux & tuyaux que le clavier fait parler. Voyez JEUX, & la table du rapport des jeux & leurs articles particuliers.
Pour faire un clavier de pédale, on fait d'abord un chassis A B, C D, fig. 18. de bois d'Hollande, qui est du bois de chêne, dont les Hollandois font commerce. La barre C D a environ deux pouces de largeur sur un pouce & demi d'épaisseur : elle a une rainure ou gravure à sa partie supérieure & intérieure, qui sert à recevoir les bouts des touches parallelement à cette barre, & sur le derriere du chassis est une barre I de deux pouces environ d'équarissage, percée de plusieurs trous dans lesquels sont enfoncées des chevilles de fer b b b, entre lesquelles les touches f g peuvent se mouvoir verticalement : cette barre, avec les chevilles, s'appelle le guide. Il y a encore une autre barre c d, large de quatre ou cinq pouces & épaisse d'un, qui sert de point d'appui aux ressorts d e qui renvoyent les touches contre le dessus du clavier. Toutes ces pieces doivent être assemblées à queue d'aronde dans les côtés A C, C D, épais d'un pouce & demi, & hauts du côté du guide d'environ six pouces, & seulement de deux du côté de la barre C D pour que le dessus soit en glacis.
Les touches sont des barres de bois f g épaisses d'un pouce & larges de deux : elles entrent par leurs extrémités g dans la rainure que nous avons dit être à la partie intérieure de la barre C D, & elles y sont retenues par des pioches, voyez PIOCHES ; à l'autre extrémité de la touche on ajuste des pattes f h percées d'un trou pour recevoir le fil de fer de l'abrégé. Aux orgues où il n'y a point de positif, on ne met point de pattes aux touches du clavier de pédale, mais on fait les touches plus longues & en pointe par l'extrémité f, où on met un anneau qui sert au même usage que le trou qui est aux pattes ; au-dessous de chaque touche on fait un trou, dans lequel on fait entrer la pointe du ressort d e, dont l'autre extrémité appuie sur la barre c d qui lui sert de point fixe ; ce qui fait que toute l'action du ressort se porte sur la touche, & tend à la relever lorsque le ressort a été comprimé en l'abaissant.
Le dessus du clavier que nous avons dit être en glacis vers la partie antérieure est une planche a b, c d, fig. 19. orgue, percée d'autant de trous qu'il y a de touches. Ces trous ou mortaises sont, savoir ceux des tons ou intervalles naturels de quatre pouces de long sur un pouce de large, & répondent perpendiculairement & sur la partie moyenne de la touche ; & ceux des feintes ou demi-tons seulement de deux pouces de long sur un pouce de large, & répondent vers l'extrémité de la touche du côté de la patte, ainsi qu'on peut le voir dans la fig. 16. Lorsque les mortaises sont faites, on pose le dessus du clavier sur le chassis, & on l'y fixe avec des visses, ensuite on fait les hausses qui sont des morceaux de bois d'un pouce d'épais sur autant de long, à un tiers de pouce près que les mortaises ont de longueur ; elles doivent, celles des tons, se lever au-dessus de la table du clavier au-moins d'un pouce, & celles des feintes de deux lorsqu'elles sont ajustées, on les colle sur les touches avec lesquelles elles ne font plus qu'une même piece. Il suit de cette construction qu'en posant le pié sur une hausse & la faisant baisser, on fait baisser la touche qui tirera par sa patte h le fil de fer ou la targette de l'abregé, & que lorsqu'on lâchera le pié, le ressort d e, fig. 18, qui a été comprimé par l'abaissement de la touche, cessant de l'être, le relevera & restituera les choses dans leur premier état. (D)
PEDALE DE BOMBARDE, jeu d'orgue, ainsi appellé, parce que ce sont les piés de l'organiste qui le font parler en appuyant sur le clavier de pédale. Voyez CLAVIER DE PEDALE.
Ce jeu est d'étain, si la bombarde est de ce métal, ou il est de bois, si les basses de la bombarde en sont, & il sonne l'unisson de la bombarde ou de seize piés : s'il y a ravalement au clavier de pédale, les tuyaux qui répondent aux touches du ravalement, descendent dans le trente-deuxieme pié. Voyez BOMBARDE, & la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue.
PEDALE DE TROMPETTE, jeu d'orgue que les piés de l'organiste font parler en appuyant sur les touches du clavier de pédale, il ne differe de la trompette dont il sonne l'unisson des basses & des basses-tailles, qu'en ce qu'il est de plus grosse taille. S'il y a ravalement au clavier de pédale, il descend à l'unisson de la bombarde ou du seize-pié. Voyez la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue.
PEDALE DE HUIT ou PEDALES DE HUIT PIES, jeu d'orgue que les piés de l'organiste font parler en appuyant sur les touches du clavier de pédale. Voyez CLAVIER DE PEDALE. Ce jeu qui est de bois & ouvert par le haut, sonne l'unisson des basses & des basses tailles du bourdon de huit piés. S'il y a ravalement au clavier de pédale, le ravalement descend dans le seize-pié à l'unisson du bourdon ou de la montre de seize-pié. Voyez la table de l'étendue & du rapport des jeux de l'orgue.
PEDALE DE QUATRE ou DE QUATRE PIES, jeu d'orgue que les piés de l'organiste font parler en appuyant sur les touches du clavier de pédale. Voyez CLAVIER DE PEDALE. Ce jeu qui est de bois, sonne l'unisson des basses & des basses tailles du prestant ou de la flutte. S'il y a ravalement au clavier de pédale, il descend à l'unisson du bourdon de huit ; comme ce jeu est ouvert par en-haut, on le tourne d'un tourniquet pour l'accorder. Voyez TOURNIQUET, & les fig. 51. & 52. Pl. d'orgue, & la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue.
PEDALE DE CLAIRON, jeu d'orgue que les piés de l'organiste font parler en appuyant sur les touches du clavier de pédale. Ce jeu sonne l'octave audessus de la pédale de trompette, & l'unisson des basses & des basses tailles du prestant & du clairon ou de quatre piés. S'il y a ravalement au clavier de pédale, les tuyaux du ravalement descendent à l'unisson des basses de la trompette, dont ce jeu qui est d'étain & à anche ne differe qu'en ce qu'il est de plus grosse taille. Voyez la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue. (D.)
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PÉDALIENS | (Géog. anc.) peuples anciens des Indes. Coelius, l. III. c. xxix. dit qu'ils étoient si persuadés que la justice faisoit la premiere de toutes les vertus & constituoit la félicité de l'homme, qu'ils ne demandoient aux dieux dans leurs sacrifices & dans leurs prieres que de ne s'éloigner jamais de l'équité. Quels beaux sentimens dans toute une nation !
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PEDALIUM | (Géogr. anc.) promontoire de l'île de Cypre, selon les exemplaires latins de Ptolomée, l. V. c. xiv. Quelques-uns néanmoins portent Pedasium. On croit que c'est Cabo de Griego.
Pedalium est encore une ville de l'Asie mineure sur le Pont-Euxin, près de Sinope, selon Ortelius. (D.J.)
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PÉDANÉ | pedaneus, (Jurisprud.) se dit en parlant d'un juge qui rend la justice de plano, c'est-à-dire qui n'a point de siege élevé. Voyez ci-après JUGE PEDANEE. (A)
PEDANEE, juge, (Hist. rom.) juge inférieur à Rome qui n'avoit ni tribunal, ni prétoire. On confond ordinairement les juges pédanées des Romains dont il est fait mention dans le code Justinien l. III. tit. III. avec les juges des seigneurs, que Loiseau appelle juges sous l'orme ; ce sont pourtant deux caracteres bien différens ; les juges pédanées étoient parmi les Romains des commissaires choisis & nommés par le préteur pour juger les différends des particuliers, lorsqu'il ne s'agissoit pas d'une affaire importante. On les appelloit pédanées, parce qu'ils étoient assis en jugeant sur un simple banc ou siege fort bas, qui ne les distinguoit point de ceux qui sont sur leurs piés ; ainsi on les nommoit pedanei judices. Ils n'avoient ni le caractere, ni le titre de magistrats. Ceux qui étoient revêtus de la magistrature jugeoient sur une espece de trône élevé, & cette maniere de rendre la justice faisoit connoître la différence qu'il y avoit entre le magistrat & le juge pédanée.
Aulu-Gelle a confondu les juges pédanées avec les sénateurs pédaires qui donnoient leur avis sans parler, mais en se rangeant du côté de ceux dont ils suivoient l'opinion. Voyez PEDAIRE. (D.J.)
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PÉDANT | S. m. PÉDANTERIE, s. f. (Gramm. Belles-Lettres) Un pédant est un homme d'une présomption babillarde, qui fatigue les autres par la parade qu'il fait de son savoir, en quelque genre que ce soit, & par l'affectation de son style & de ses manieres.
Ce vice de l'esprit est de toute robe ; il y a des pédans dans tous les états, dans toutes les conditions, depuis la pourpre jusqu'à la burre, depuis le cordon bleu jusqu'au moindre bonnet doctoral. Jacques I. étoit un roi pédant.
Il est vrai néanmoins que le défaut de pédanterie est particulierement attaché aux gens de college, qui aiment trop à étaler le bagage de l'antiquité dont ils sont chargés. Cet étalage d'érudition assommante a été si fort ridiculisé, & si souvent reproché aux gens de lettres par les gens du monde, que les François ont pris le parti de dédaigner l'érudition, la Littérature, l'étude des langues savantes, & par conséquent les connoissances que toutes ces choses procurent. On leur a tant répété qu'il faut éviter le pédantisme, & qu'on doit écrire du ton de la bonne compagnie, qu'enfin les auteurs sérieux sont devenus plaisans ; & pour prouver qu'ils fréquentent la bonne compagnie, ils ont écrit des choses & d'un ton de très-mauvaise compagnie. (D.J.)
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PÉDASE | Pedasa, (Géog. anc.) ville de la Carie, selon Strabon, l. XIII. p. 611. Athénée dit que Cyrus donna cette ville à son ami Pirhareus.
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PEDATURA | (Art. milit. des anc.) Ce mot dans les antiquités romaines désigne un espace proportionnel d'un certain nombre de piés pour le campement des troupes. Hyginus dit dans son traité de castrametatione : meminerimus itaque ad computationem cohortis equitatae milliariae pedaturam ad mille trecentos sexaginta dari debere. Or la pédature étoit un espace qu'on accordoit à une compagnie de troupes des provinces, formée de cavaliers & de fantassins ; mais cet espace n'étoit pas égal à celui d'un corps uniforme d'infanterie du même nombre d'hommes ; il devoit être moins grand, selon Hygin, de 360 piés. Ainsi la proportion qu'il établit de la différence d'espace qu'on doit donner à un cavalier vis-à-vis d'un fantassin dans la formation d'un camp, est comme deux & demi est à un. (D.J.)
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PEDENA | (Géog. mod.) ancienne petite ville d'Italie en Istrie, à 15 milles des Alpes, avec un évêché suffragant de Gorcie. Elle est entierement dépeuplée, & appartient à la maison d'Autriche. Long. 32. lat. 45. 30. (D.J.)
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PEDENCARN | (Hist. nat.) nom d'une pierre que l'on dit d'un blanc tirant sur le jaune, remplie de petits points luisans, blancs & noirs.
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PEDEROS | (Bot. anc.) Pline, l. XXII. c. xxxjv. dit que le pederos est une espece d'acanthus, en françois branche-ursine. Cette plante, selon Pausanias, croissoit à l'air aux environs du temple de Vénus à Sicyone, & nulle part ailleurs, ni même dans aucun autre endroit de la Sicyonie. Ses feuilles, ajoute-t-il, sont plus petites que celles du hêtre, plus grandes que celles de l'yeuse, de la même figure que les feuilles de chêne, noirâtres d'un côté, blanches de l'autre, en un mot pour la couleur assez semblables aux feuilles du peuplier blanc. (D.J.)
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PEDES | (Littér.) Ce mot dans l'architecture navale des Romains, signifie les cordages qui sont aux deux côtés des voiles pour les tourner, les serrer & les lâcher, selon que le vent change, comme le dit Servius sur cet endroit de Virgile :
Unà omnes fecere pedem, pariterque sinistros,
Nunc dextros solvere sinus.
Et c'est à cela que Catulle fait allusion, lorsqu'il dit :
Sive utrumque Jupiter
Simùl secundus incidisset in pedem.
Cette signification vient du grec , qui signifie la même chose, parce que ces cordages s'attachoient au pié du mât.
Pedibus aequis, dans Cicéron, lib. XVI. epist. 6. signifie les voiles étant également tendues des deux côtés, comme elles sont lorsqu'on a le vent arriere, & c'est ce que Virgile exprime par aequatis velis :
Sensit & aequatis classem procedere velis.
(D.J.)
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PEDESTRE | STATUE, voyez STATUE.
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PÉDIADE | Pediadis, (Géog. anc.) contrée d'Asie. Elle faisoit partie de la Bactriane, & le fleuve Oxus la traversoit, selon Polybe, hist. l. X.
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PEDIAS | (Géog. anc.) municipe de l'Attique, dont les habitans étoient nommés Pédiaciens. Aristote politic. c. v. & Plutarque in Solone, en font mention. (D.J.)
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PÉDICULAIRE | S. f. pédicules, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, anomale, en masque, divisée en deux levres : la supérieure a la forme d'un casque, & l'inférieure est divisée en trois parties. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou, à la partie postérieure de la fleur, & devient dans la suite un fruit qui s'ouvre en deux parties, & qui se divise en deux loges : ce fruit renferme des semences oblongues ou applaties & frangées. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
C'est un grand genre de plante, qui dans le système de Tournefort contient trente especes, dont nous décrirons la principale, qu'on nomme en françois pédiculaire des prés, pedicularis pratensis, purpurea. I. R. H. 172, & en anglois the common meadow yellow rattle, and cockscomb.
D'une petite racine blanche, unique, qui pousse seulement de côté quelques rejettons, & qui n'entre pas profondément en terre, par une tige seule pour l'ordinaire, s'élevant à la hauteur d'un pié, épaisse, roide, douce, quarrée, droite, menue, legere, quelquefois parsemée de taches & de traits noirs, mais d'une couleur de pourpre au sommet. Cette tige se divise en plusieurs branches placées en opposition, & embrassées par deux feuilles sans pédicules, larges à la base de la plante, mais allant toujours en diminuant à mesure qu'elles sont plus proches du sommet, de la largeur d'un doigt, pointues par le bout, dentelées sur les bords, semblables à la crête d'un coq, ayant toutes une veine remarquable qui s'étend à chaque découpure à droite & à gauche : du milieu des feuilles sortent de petites branches deux à deux, & plantées en opposition. Au sommet de la tige & des branches naissent de petites fleurs fort serrées les unes contre les autres en forme d'épi ; leur pédicule est fort court, leur calice est gros, rond, un peu applati, & coupé aux quatre extrémités en quatre segmens pointus. Elles n'ont qu'une feuille jaune, d'une figure assez semblable à celle d'un chaperon ; elles contiennent & cachent à la vûe un style foible, avec quatre étamines.
Lorsqu'elles sont tombées, le calice s'enfle, forme une assez grosse vessie, qui renferme & comprime un vase séminal assez grand, divisé au milieu en deux cellules qui contiennent beaucoup de semences fort pressées, & environnées d'une bordure membraneuse d'une couleur cendrée. Lorsque la semence est mûre, les cellules membraneuses se rompent & s'ouvrent ; elles sont luisantes lorsqu'elles sont seches.
Cette plante fleurit au mois de Juin, & sa semence mûrit très-promptement ; à peine est-elle mûre, qu'elle tombe, & la plante se seche jusqu'à la racine même.
Elle croît particulierement dans les paturages secs, & quelquefois dans les champs labourés ; elle n'est d'aucune utilité dans aucun endroit, & on la traite par-tout comme une mauvaise herbe. (D.J.)
PEDICULAIRE, maladie. La maladie pédiculaire, en grec de , poux, est une maladie fort ordinaire aux enfans & à quelques adultes. Les poux naissent des lentes ou oeufs, lorsqu'ils se trouvent exposés à la chaleur ; cette multiplication est inconcevable.
On compte quatre especes de poux qui attaquent le corps humain. 1°. Les pediculi, qui fatiguent plus par leurs piés que par leur morsure : ceux-ci naissent principalement sur la tête des enfans qui ont la gale ou la teigne, ou des adultes qui ne se peignent pas.
2°. Les morpions qui s'attachent sous les aisselles, aux paupieres, aux parties de la génération. Voyez MORPIONS.
3°. Les gros poux qui infectent le corps & s'engendrent dans les habits des personnes malpropres ; ils sont gros, oblongs, épais, & se terminent en pointes.
4°. Les cirons ou ceux qui s'engendrent, selon quelques-uns sous l'épiderme des mains & des piés ; ils sont de figure ronde comme les oeufs de papillon, & quelquefois si petits, qu'ils échappent à la vûe. Ils excitent en rampant sous l'épiderme des demangeaisons insupportables ; quelquefois ils percent la peau & y excitent des pustules. On les appelle acari, cirones & pedecelli.
Traitement & préservatif. Le moyen le plus sûr de prévenir la maladie pédiculaire, est de tenir le corps dans une grande propreté, & de se peigner souvent ; quand ils viennent à la tête après s'être peigné souvent on la lavera avec la lessive suivante :
Lessive contre les poux. Prenez absinthe, staphisaigre, marrube de chacun une poignée ; petite centaurée demi-poignée ; cendres de chêne cinq onces ; faites-en une lessive dans laquelle vous ferez dissoudre sel commun deux onces ; sel d'absinthe une once.
Ou servez-vous de l'onguent suivant. Prenez huiles d'amandes ameres, de rue & de baies de laurier, de chacun demi-once ; staphisaigre en poudre, mirrhe de chacun deux gros ; aloës en poudre, un gros ; lard salé deux onces : mêlez-les avec un peu de vinaigre. Ou prenez lard salé, huile de baies de laurier, savon noir, de chacun demi-once ; vif-argent éteint avec la salive, un scrupule ; myrrhe, aloës ; de chacun demi-gros ; staphisaigre, deux scrupules ; savon de France, deux gros : réduisez-les dans un mortier en forme d'onguent.
On peut faire beaucoup d'autres onguents dans la même indication.
Etmuller conseille de se laver la tête avec une lessive dans laquelle on a fait bouillir de la semence de staphisaigre, & l'oindre avec le liniment suivant :
Liniment pour les poux. Prenez huile d'aspic, deux gros ; huile d'amandes ameres, demi-once ; onguent de nicotiane, six gros : mêlez & faites un liniment qui tuera ces vermines dans une nuit.
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PÉDICULE | S. m. (Botan.) c'est proprement le petit brin qui soutient la fleur ; & le brin qui soutient la feuille s'appelle queue.
Les fleurs conserveront long-tems leur fraîcheur après qu'on les aura cueillies, si l'on fait tremper leurs pédicules dans l'eau. Un grand secret pour conserver des fruits pour l'hiver, c'est de cacheter leurs pédicules avec de la cire. Le cerises qui ont le plus court pédicule sont estimées les meilleures. Le pistil de la fleur devient fort souvent le pédicule du fruit. Voyez PISTIL.
PEDICULES MEDULLAIRES, en Anatomie. Voyez PEDUNCULES.
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PEDICULI | (Géog. anc.) Voyez POEDICULI.
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PEDIÉEN | adj. (Antiq. d'Athènes) citoyen d'un des quartiers d'Athènes ; cette ville étoit divisée en trois quartiers différens ; une partie étoit sur le penchant d'une colline, une autre sur le bord de la mer, & une autre dans un lieu plat, située entre les deux premieres. Ceux qui habitoient dans ce quartier du milieu s'appelloient , Pédiéens, ou comme dit Aristote, Pédiaques. Ces quartiers faisoient souvent des factions différentes ; Pisistrate se servit des Pédiéens contre les Diacriens, ou ceux du quartier de la colline. Du tems de Solon, quand il fallut choisir une forme de gouvernement, les Diacriens vouloient qu'il fut démocratique ; les Pédiéens demandoient une oligarchie, & les Paraliens, ou ceux du quartier du port désiroient un gouvernement mixte. Ce mot vient de , une plaine, un lieu plat, parce qu'en effet ce quartier étoit un lieu plat. Voyez Athènes ancienne de la Guillotiere.
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PEDIEUX | en Anatomie ; c'est le second des muscles extenseurs du pié, d'où lui est venu son nom. Voyez PIE & EXTENSEUR.
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PEDILUVE | S. m. (Médecine) ce n'est autre chose que des bains pour les piés, dont la composition est la même que pour les bains ordinaires ; on s'en sert d'autant plus volontiers qu'ils demandent moins d'étalage ; on les compose d'eau pure sans addition, ou pour corriger la pesanteur ou la dureté de l'eau, on y mêle de la lessive, du son de froment, ou des fleurs de camomille ; bien que les lavemens des piés s'appliquent aux parties les plus basses & les plus éloignées, leur vertu se répand cependant & se communique au loin, & ils appaisent des maladies dont le siége est dans des parties fort éloignées ; car l'application des liqueurs chaudes aux piés, relâche, ramollit les fibres nerveuses, tendineuses & musculeuses, dont ils sont composés, & qui sont entremêlées des vaisseaux. Les pores & les vaisseaux qui étoient auparavant resserrés se dilatent, le sang y aborde & les liqueurs y passent plus aisément ; ce qui fait que le sang qui se portoit avec impétuosité vers d'autres parties, se jette sur des parties latérales au grand soulagement du malade. Les bains des piés agissent par leur chaleur tempérée sur le sang ; & les humeurs qui passent par les vaisseaux des piés pendant qu'ils sont dans l'eau, ils les divisent & les délayent, les font couler avec plus de vîtesse : de-là vient que si l'eau des bains des piés est trop chaude, elle augmente la raréfaction du sang & le battement des arteres ; mais ces bains ne conviennent pas dans tous les cas ; ainsi dans les regles qui sont imminentes, ou qui coulent actuellement, ils sont douteux pour leur effet, ils peuvent diminuer ou augmenter l'écoulement, par la dérivation trop grande du sang qu'ils produisent dans l'artere aorte descendante, & même par la révulsion qu'ils occasionnent dans les tuyaux collatéraux des arteres qui vont à la matrice, ils ne manqueroient pas d'occasionner une suppression. C'est ce qui se voit par l'expérience des femmes imprudentes qui s'exposent par-là à des maladies fâcheuses.
Les bains des piés sont excellens dans tous les cas où il faut procurer une dérivation des humeurs des parties supérieures vers les inférieures ; ainsi ce remede est efficace dans le vertige, dans l'apoplexie, dans l'épilepsie imminente, dans les maladies soporeuses & convulsives, dans les spasmes & dans les affections spasmodiques, dans les douleurs de tête, dans la migraine ; mais si les maladies ne sont pas occasionnées par des engorgemens des vaisseaux, ou par une pléthore locale du cerveau ou de ses parties voisines, ou par une élasticité & rigidité trop grande des fibres nerveuses, ce remede devient inutile ; ainsi lorsque ces maladies ne sont que des symptomes d'autres maladies, telles que l'indigestion, la sabure, la cacochylie, les vers, les affections spasmodiques dans les visceres du bas-ventre, c'est en vain que l'on tenteroit les lavemens des piés, la révulsion ne seroit que pernicieuse, & d'ailleurs la cause persistant, ces symptomes ne seroient point abattus. V. BAIN. (m)
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PEDIR | (Géog. mod.) ville des Indes, capitale d'un royaume de même nom, dans l'île du Sumatra. Le roi d'Achem s'en est emparé. Long. 214. 15. lat. 5. 40.
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PEDOMETRE | ou COMPTE-PAS, s. m. (Arpent.) instrument de méchanique fait en forme de montre, composé de plusieurs roues qui s'engrainent l'une dans l'autre, & qui sont dans un même plan, lesquelles par le moyen d'une chaine ou courroie, attachée au pié d'un homme ou à la roue d'un carosse, avancent d'un cran à chaque pas ou tour de roue ; desorte que par le moyen de cet instrument, on peut savoir combien on a fait de pas, ou mesurer la distance d'un endroit à un autre. Voyez ODOMETRE. Chambers. (E)
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PEDONNE | S. f. (Manufact. en soie) petit bouton d'ivoire ou de buis attaché au bout du fer rond du velours frisé, & qui dans le velours coupé, se met alternativement au bout de chaque virgule de laiton. Voyez nos Planches de soierie.
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PÉDOTRIBE | S. m. (Antiq. greque) le pédotribe, , en latin paedotriba, formoit les jeunes gens aux exercices gymnastiques, sous les ordres du gymnasiarque, qui en étoit le premier maître. C'étoient deux offices très-différens l'un de l'autre, quoique le savant Prideaux les ait confondus. Nous les voyons expressément distingués par les auteurs & sur les marbres. Ce n'est donc pas une question ; mais la matiere fournit des détails curieux, recueillis par Van-Dale. Le gymnasiarque, surintendant du gymnase, n'étoit en charge que pour un an ; dans quelques endroits même, on en changeoit tous les mois ; le pédotribe lui étoit subordonné ; c'étoit un officier subalterne : mais sa charge étoit à vie, ; il tient toujours sur les marbres, un des derniers rangs parmi les ministres du gymnase. Quoiqu' attaché particulierement aux éphebes, le pédotribe étendoit aussi ses fonctions sur la classe des enfans, son nom seul en fournit la preuve ; mais on trouve le fait nettement prononcé dans plusieurs passages formels, entr'autres dans Aristote & dans l'Axiuchus, dialogue communément attribué à Platon. Enfin le pédotribe bornoit son emploi subalterne au détail méchanique de la formation de ses éleves ; & comme cet emploi demandoit de la pratique & de l'expérience, on le donnoit à vie.
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PÉDOTROPHIE | S. f. (Médec.) nourriture des enfans, de , génitif , enfant & , nourriture ; la pédotrophie est une partie de la Médecine fort négligée, & sur laquelle on suit par-tout une assez mauvaise routine ; un bon traité sur cette matiere deviendroit précieux & l'on a lieu de juger qu'il seroit bien reçû du public, puisqu'il a tant goûté le poëme latin de M. Scevole de Sainte-Marthe, sur la maniere de nourrir les enfans à la mamelle. Ce poëme intitulé paedotrophia, & publié en 1584, fut imprimé dix fois pendant la vie de l'auteur, & environ autant de fois depuis sa mort. Il fut lû & interprété dans de célebres universités de l'Europe, presque avec la même vénération qu'on a pour les auteurs anciens.
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PEDRA FRIGOA | (Hist. nat.) nom que les Portugais donnent à des pierres dont ils font usage dans la médecine, & à qui, ainsi que les Malabares, ils attribuent la vertu de rafraîchir. Ils en ont quatre especes : la premiere est jaune mélée de blanc, de bleu, de rouge & de verd ; elle est d'une dureté médiocre, cependant on peut aisément la pulvériser ; il y en a des morceaux qui sont parsemés de grenats & de rubis. La seconde espece est verte, & elle ressemble à du jaspe poli, mais elle est fragile, & composée de lames & de fibres faciles à écraser. La troisieme est blanchâtre, & semblable à du talc. La quatrieme est très-blanche, & plus compacte que les autres. On s'en sert dans les maladies inflammatoires, dans les fievres chaudes, & contre la morsure des bêtes venimeuses. Extérieurement on la mêle avec des jus d'herbes pour les inflammations des yeux & des autres parties du corps ; on se sert pour cela indifféremment de l'une de ces sortes de pierres ; cependant on croit que celle qui est verte est la plus propre contre les maux de reins. Il paroît que ces pierres sont calcaires & absorbantes. Voyez Ephemerides nat. curios. Decad. II. anno. 1.
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PEDRACA | PEDRACA
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PÉDRO | (SAN) Géogr. mod. 1°. petite ville d'Espagne dans la vieille Castille, sur l'Arlauza, au-dessous de Lerma vers le levant.
2°. Pédro (san) port de l'Amérique méridionale sur la côte orientale du Brésil, à l'embouchure de Rio grande. Long. 325. lat. mérid. 32.
3°. Pedro (san) ville de l'Amérique septentrionale au gouvernement de Honduras, à 30 lieues de Valladolid, & à 11 du port de Cavallos.
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PEDUM | (Géog. anc.) petite ville du Latium, située entre Préneste & Tivoli, proche de l'aqueduc appellé Aqua Claudia, un peu au-dessous de Scaptia. Tibulle avoit une maison de campagne qui lui étoit restée des biens de son pere, au territoire de Pedum, mais la ville ne subsistoit plus au rapport de Tite-Live. Pline, liv. III. chap. v. ajoute que les Pédaeniens, Pedaeni, sont du nombre des peuples, dont les villes étoient tellement péries, qu'on n'en voyoit pas même les ruines. (D.J.)
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PEDUNCULES | ou PEDICULES, subst. masc. en Anatomie ; nom de deux petites bandes médullaires fort blanches, très-courtes, au moyen desquelles la glande pinéale est attachée comme un petit bouton au bas des couches des nerfs optiques. Voyez PINEALE, &c.
On donne aussi ce nom aux branches de la moëlle allongée. Voyez BRANCHE & MOELLE ALLONGEE.
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PÉEBLES | (Géogr. mod.) ville d'Ecosse, capitale de la province de même nom, autrement dite Ewedale. Il y a, dit-on, dans cette ville trois églises, trois portes, trois rues & trois ponts. Elle est agréablement située sur le bord septentrional de la Twede, à 7 lieues N. E. d'Edimbourg, 102 N. de Londres. Long. 14. 28. lat. 55. 54.
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PÉER | (Géogr. mod.) petite ville de l'évêché de Liége, au comté de Lootz. Long. 23. 10. lat. 51. 8. (D.J.)
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PÉETERMANN | (Commerce) espece de biere blanche extrèmement chargée de grain, & peu fermentée, qui se brasse à Louvain dans le Brabant ; elle est d'un goût assez agréable, mais elle enivre fortement, & nuit, dit-on, beaucoup à ceux qui en font un usage très-fréquent ; on prétend qu'elle contribue à engourdir le cerveau des jeunes gens qui vont faire leurs études dans l'université de Louvain.
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PEGAE | (Géog. anc.) 1°. ville de l'Achaïe, dans la Mégaride ; 2°. ville de l'Hellespont, selon Ortelius ; 3°. ville de l'île de Cypre ou de la Cyrénie, selon Etienne le géographe.
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PÉGANÉLÉON | S. m. (Pharm. anc.) terme employé par les anciens pour désigner de l'huile, dans laquelle des feuilles & des fleurs de rue ont été infusées pendant un certain tems au soleil. (D.J.)
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PÉGASE | S. m. (Mythol.) Hésiode nous dit que c'est du sang de Méduse, à qui Persée coupa la tête, qu'étoit né pégase, ce cheval aîlé, si utile aux poëtes, soit par lui-même, soit qu'ils le montent pour prendre leur vol vers le ciel, soit par la fontaine d'Hippocrène qu'il fit sortir de terre d'un coup de pié, & dans laquelle ils puisent à longs traits les fureurs divines qui les agitent. Voilà la fable ; M. Fourmont en a donné dans les Mém. de littérat. une explication presque démontrée, en remettant seulement cette fable en langue phénicienne.
Méduse n'étoit autre chose, qu'un des cinq vaisseaux de la flotte de Phorcis, prince Phénicien, roi d'Itaque. La tête de Méduse étant une fois coupée, c'est-à-dire le commandant du vaisseau tué, il sortit du vaisseau, Chrysaor, célébre ouvrier en métaux, & le Pégase.
Le chef de la Méduse, en achetant de l'or des Africains, avoit attiré de chez eux un ouvrier qui sçût le mettre en oeuvre ; cela étoit fort à sa place. Le pégase est en ancien grec pagase : devons-nous l'aller chercher bien loin ; & pendant qu' est la finale grecque, dire avec Bochart & M. le Clerc, que pegasos s'est formé de pagasous, fraeni equus, ce qui est encore contre les regles de la grammaire phénicienne ou hébraïque, qui n'admet point une semblable transposition ? Pagasos sans détour & sans violence, est manifestement le pacasse : lorsque les Romains virent pour la premiere fois l'éléphant, ils l'appellerent bos ; de même le pacasse sorti de la Méduse, parce qu'on l'avoit apprivoisé, & que l'on montoit dessus comme sur les chevaux, fut appellé cheval. Les dénominations empruntées pour les choses extraordinaires sont de tous les tems & de toutes les langues ; & une marque que c'étoit un animal sauvage, c'est qu'il s'échappa, qu'il ne fut rattrapé que par Bellerophon, qu'il tua Bargylle, l'ami de Bellerophon, qu'il le blessa lui-même, & disparut. Mém. de Littérat. tom. III. (D.J.)
PEGASE, (Art numismat.) l'auteur de la science des médailles a remarqué que pégase est le symbole de Corinthe, où Minerve le donna à Bellerophon pour combattre la Chimère ; il se trouve aussi sur les médailles des villes d'Afrique & sur celles de Sicile, depuis que les Carthaginois s'en furent rendus maîtres, parce qu'on tenoit que ce cheval est né du sang de Méduse qui étoit Africaine. Syracuse en particulier, qui avoit une étroite alliance avec Corinthe, marquoit ses médailles d'un pégase. (D.J.)
PEGASE, s. m. en Astronomie, est une constellation de l'hémisphere septentrional ; on la désigne par un cheval aîlé. Voyez CONSTELLATION.
Pégase a selon le catalogue de Ptolomée, vingt étoiles ; selon Tycho, dix-neuf ; & dans le catalogue Britannique, quatre-vingt-treize. (O)
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PÉGASIDES | S. f. (Mythol.) surnom des Muses, pris du cheval pégase qui fut comme elles habitant de l'Hélicon.
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PÉGASIEN | senatus-consulte (terme de jurisp. rom.) le sénatus-consulte pégasien ordonnoit que l'héritier fidei-commissaire retiendroit le quart du fidéi-commis. Le trébellien le déchargea des actions actives & passives ; ensuite on les a confondus sous le nom de quarte trébellianique ou falcidie.
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PEGASOE | (Géog. anc.) cap de la Magnésie, ainsi nommé, dit le Scholiaste d'Appollonius, de ce que le navire Argo y fut construit ; il y avoit en cet endroit-là un temple d'Apollon, qui a fait donner à ce dieu par Hésiode le nom de Pégasien : ce fut-là que les Argonautes s'embarquerent ; & le lieu où se fit l'embarquement a depuis porté le nom d'Aphetae, ainsi que le disent positivement Strabon & Stephanus. (D.J.)
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PÉGÉES | S. f. pl. (Mythol.) nymphes des fontaines ; c'est la même chose que les nayades, & leur nom a la même origine que pégase. (D.J.)
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PEGMA | S. m. (Théat. des Rom.) c'étoit une sorte de grande machine théatrale, qu'on levoit & qu'on abaissoit par le moyen de certains ressorts, & qui avoit plusieurs étages ; ensorte qu'il n'est pas surprenant qu'un homme tombant du haut en-bas, se rompit quelque bras ou quelque jambe, comme il arriva à un joueur de flûte. Juvenal en parle dans la Satire 4. v. 122. sic pugnas silicis laudabat & ictus, & pegma, & pueros inde ad velaria raptos ; il louoit de cette sorte les combats des gladiateurs de Cilicie, les terribles coups qu'ils se portoient, & les enfans que la machine (le pegma) tenoit suspendus en l'air ; on voit par ce passage, qu'on plaçoit sur le pegma des gladiateurs, des enfans, des musiciens ; en un mot, qu'on se servoit de cette machine pour produire aux yeux des spectateurs, les illusions propres à les émouvoir.
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PEGMARES | S. m. (Hist. anc.) nom que donnoient les Romains à certains gladiateurs, de même qu'à certains artistes.
Les anciens donnoient quelquefois en spectacle une sorte de machines mouvantes appellées pegmata ; c'étoient des échaffauds diversement ornés, qui avoient quelque ressemblance à ceux de nos feux d'artifice. Ces échaffauds étant des machines qui jouoient en bascules, ils lançoient en l'air la matiere dont ils étoient chargés, & entr'autres des hommes que l'on sacrifioit ainsi aux amusemens du public ; ou bien ils les précipitoient dans des trous creusés en terre, où ils trouvoient leur bucher ; ou encore ils les jettoient dans les antres des bêtes féroces.
On appelloit pegmares, non-seulement les infortunés que l'on sacrifioit ainsi, mais encore ceux qui construisoient les machines & qui les faisoient jouer.
Suivant Casaubon, on mettoit le feu à l'échaffaud ; & les pegmares étoient obligés de se sauver à-travers les flammes & les débris de la machine.
Lipse dit seulement que les pegmares étoient certains gladiateurs qui combattoient sur des échaffauds que l'on élevoit dans cette intention, on les appelloit aussi petauristae, c'est-à-dire hommes qui volent en l'air. Voyez GLADIATEUR.
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PEGNA-MAÇOR | (Géog. mod.) petite ville de Portugal, dans la province de Beira, au midi de Sabagal, & à l'orient de Cobilliana ; elle est défendue par un château. Long. 20. 25. lat. 40. 24.
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PEGNAFIEL | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la vieille Castille, sur le Dovere, au-dessous de Roa. Il se tint dans cette ville un concile l'an 1302, elle est à 7 lieues sud-est de Valladolid. Long. 15. 52. lat. 41. 30. (D.J.)
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PEGNAFLOR | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans l'Andalousie, sur la rive droite du Guadalquivir ; on croit que c'est l'ancienne Ilipula des Turdetains.
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PEGNARANDA | (Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la vieille Castille, capitale du duché du même nom, à 14 lieues sud d'Olinedo. Long. 12. 57. lat. 40. 52.
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PÉGNITZ | (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, en Franconie ; elle tire sa source d'un bourg qui porte son nom, & qui est au midi de Bareith. Elle traverse le territoire de Nuremberg, baigne la ville, & va se perdre dans la riviere de Rednitz. (D.J.)
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PÉGOMANCIE | (Divinat.) mot composé de , fontaine, & divination ; divination par l'eau des fontaines ; elle se faisoit de différentes manieres, soit en y jettant un certain nombre de pierres, dont on observoit les divers mouvemens, soit en y plongeant des vases de verre, & examinant les efforts que faisoit l'eau pour y entrer en chassant l'air qui les remplissoit auparavant ; mais la divination par le sort des dez, à la fontaine d'Apon, près de Padoue, étoit la plus celebre des especes de pégomancie.
A cette fontaine un seul coup de dez décidoit des bons & des mauvais succès pour l'avenir, selon le nombre de points plus ou moins forts qu'on tiroit. Ce fut-là que Tibere conçut les plus hautes espérances, avant que de parvenir à l'empire ; car à son passage pour l'Illyrie, étant venu consulter sur ses destinées, l'oracle de Gérion, qui étoit aussi dans le voisinage de Padouë, ce dieu le renvoya au sort de la fontaine d'Apon, où ayant jetté des dez d'or, ils lui présenterent au fond de l'eau le plus haut nombre de points qu'il pouvoit desirer. Suétone remarque ensuite, qu'on voyoit encore ces mêmes dez au fond de la fontaine. Claudien assure qu'on y appercevoit aussi de son tems les anciennes offrandes qu'y avoient laissées quelques princes.
Tunc omnem liquidi vallem mirabere fundi,
Tunc veteres hastae regia dona micant.
Lucain donne le titre d'augure au prêtre qui en avoit l'intendance. Théodoric, roi d'Italie, fit depuis fermer de murailles le lieu où étoit cette fontaine, à cause de sa grande réputation, ob loci celebritatem, dit Cassiodore. (D.J.)
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PÉGONSE | S. f. solea oculata, (Hist. nat. Icthiolog.) poisson de mer qui est une espece de sole à laquelle il ressemble par la forme du corps, & par le nombre & la position des nageoires ; on le distingue aisément de la sole, parce qu'il a sur le dos de grandes taches semblables à des yeux ; les écailles sont si fortement attachées à la peau, qu'on est obligé de faire tremper ce poisson quelque tems dans de l'eau pour pouvoir les enlever. Voyez SOLE. Rondelet, Hist. nat. des poissons, I. part. liv. XI. ch. xj. Voyez POISSON.
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PÉGU | LE, (Géog. mod.) royaume d'Asie, sur la côte occidentale du royaume de Bengale, à l'embouchure des rivieres d'Ava & de Pégu : ce royaume après bien des révolutions, est tombé sous la puissance du roi d'Aracan, qui réunit aujourd'hui les royaumes de Tangut, d'Aracan, d'Ava & de Pégu ; & parce que le souverain de tous ces états réside à Ava, il en porte le nom.
Les cartes des Géographes ordinaires défigurent tellement le pays d'Ava, de Pégu, &c. que le pere Duchats, jésuite, dit qu'il ne le reconnut point dans leurs cartes. Ajoutez qu'il n'y a guere de pays dans l'Orient dont nous soyons aussi mal instruits ; cependant c'est un vaste empire commerçant, & très-peuplé.
On dit que les points principaux de leur religion, sont de ne point tuer, de ne point voler, d'éviter l'impudicité, de ne faire aucun déplaisir à son prochain, de lui faire au contraire tout le bien qu'on peut. Avec cela, ils croyent qu'on se sauvera dans quelque religion que ce soit.
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PEGU | (Géog. mod.) ville située au royaume & sur une riviere de même nom, étoit la capitale de l'empire de Pégu, avant qu'il fût tombé sous la puissance du roi d'Aracan. Aujourd'hui ce prince ne tient à Pégu qu'un vice-roi. Presque toutes les maisons de cette ville sont bâties de cannes & de roseaux. Long. 114. 36. lat. 17. (D.J.)
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PEGUNTIUM | (Géog. anc.) ville de la Dalmatie. Ptolomée, l. II. ch. xvij. la place sur la côte, entre Epetium & Onaeum, Pline, l. III. c. xxij. écrit Piguntiae. On croit que c'est présentement Almiza. (D.J.)
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PÉHUAME | (Hist. nat. Botan.) plante de la nouvelle Espagne, qui est sur-tout très-commune dans le Méchoacan. C'est une espece de convolvulus dont les feuilles sont fort petites & de la forme d'un coeur ; ses fleurs sont les mêmes que celles des aristoloches. Sa racine est rougeâtre à l'extérieur ; elle est âcre & odorante ; elle guérit, dit-on, le mal vénérien, & plusieurs la croyent préférable à la salse-pareille & au quinquina.
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PEIGNE | S. m. (Conchyliolog.) en latin pecten, en anglois scallops ; genre de coquille bivalve fermant exactement de tous côtés, & rayée en forme d'un peigne dont on se sert pour peigner des cheveux ; elle est plate, élevée, garnie de deux oreilles, quelquefois d'une seule & quelquefois aussi sans oreille. Elle n'est attachée que par un tendon. Sa valve supérieure est ordinairement un peu applatie, quoique l'inférieure soit creuse. Il y a cependant des peignes dont les deux écailles sont élevées & convexes. Les stries ou cannelures ne servent qu'à donner à cette coquille différentes dénominations. Jonston fait une classe particuliere des peignes, en les appellant conchae imbricatae, striatae, longae, coralinae, rugatae, fasciatae ; mais ils ont tout cela de commun avec d'autres coquillages qui ne sont point des peignes. Celle-ci a tiré son nom des stries longitudinales dont sa surface est couverte, qui ressemblent aux dents d'un peigne.
Conformément au caractere que nous venons de donner de ce genre de coquille, on peut distribuer ses especes sous trois classes distinctes.
Dans la classe des peignes qui sont garnis de deux oreilles, on met les especes suivantes : 1°. le peigne rouge, nommé le manteau ducal rouge ; 2°. le manteau ducal jaune ; 3°. le peigne couleur de corail garni de beaux boutons ; 4°. le peigne bariolé, nommé coquille de S. Jacques ; 5°. le peigne jaune, appellé coquille de S. Michel ; 6°. le peigne orangé de la mer Caspienne ; 7°. le grand peigne rougeâtre ; 8°. le peigne bariolé, bleuâtre ; 9°. le peigne rouge, profondément cannelé ; 10°. le peigne appellé l'éventail ou la sole ; il est brun sur la coquille supérieure, & blanc sur la coquille inférieure ; 11°. le peigne tacheté par-dessus, & blanc par-dessous ; 12°. le peigne à côtes & jaunâtre, avec la levre rebordée ; 13°. le peigne à coquille également creuse ; 14°. le peigne en forme de poire ; 15°. le beau peigne, nommé la vierge par Rumphius ; 16°. le peigne nommé par le même amusium ; il est fait en table lisse & polie ; 17°. le peigne à coquille inégale, bariolé de taches fauves.
Dans la classe des peignes qui n'ont qu'une oreille, on distingue les especes suivantes ; 1°. le peigne noir, épineux : il est par-tout couvert de pointes aiguës ; 2°. le peigne épineux, rouge ; 3°. le peigne épineux, gris ; 4°. le peigne épineux, jaune ; 5°. le peigne épineux, bariolé ; 6°. le peigne épineux, orange ; 7°. le peigne blanc & tout uni.
Dans la classe des peignes qui n'ont point du tout d'oreilles, on compte les especes suivantes : 1°. le peigne appellé la ratissoire ou la rape, en anglois the file-cockle ; 2°. le peigne oblong, blanc & raboteux ; 3°. le peigne à côtes jaunes, & découpé dans son contour ; 4°. le peigne bariolé, avec un pourtour déchiré ; 5°. le peigne épais, chargé de cordelettes bariolées de bleu, de jaune & de brun ; 6°. le peigne uni & bariolé ; 7°. le peigne rond & blanc, nommé sourdon, en anglois the common-cokle.
Parmi les peignes de ces trois especes, on estime particulierement celui qui imite par son rouge la couleur du corail : de grandes stries cannelées, sur lesquelles sont des tubercules élevés & creux, le coupent dans toute son étendue ; ses oreilles sont inégales, & ses bords sont régulierement chantournés.
Le manteau ducal rouge est également beau dessus & dessous ; le travail grené de ses stries, les bords orangés de ses oreilles, & le chantournement de ses contours le font rechercher des curieux.
Le peigne appellé la rape ou la ratissoire, est remarquable par les éminences qui suivent ses stries, & qui le rendent fort rude au toucher ; ce peigne est tout blanc, & n'a point d'oreilles.
En un mot, la famille des peignes est une des plus agréables qu'on ait, en fait de coquilles, pour la beauté des couleurs. Parlons de l'animal.
Ce coquillage a deux grandes membranes brunes qui s'attachent chacune à une des pieces de la coquille ; de leur contour sortent dans l'eau de la mer une multitude prodigieuse de poils blancs, assez longs pour déborder les valves. L'intervalle est garni de petits points noirs, ronds & brillans. L'intérieur des deux membranes renferme quatre feuillets fort minces, chargés transversalement de stries très-fines. Il se voit, au-dessus de ces quatre feuillets, une petite masse molle & charnue qu'on peut croire être le ventre ou les entrailles. Elle cache, sous une pellicule assez mince, une espece de pié, dont la pointe regarde le centre de l'animal. Cette partie est ordinairement de la même nuance que celle qui l'enveloppe ; mais dans le tems du frai, elle se gonfle, change de couleur, & devient d'un jaune foncé : quelque tems après elle diminue, maigrit & reprend son ancienne teinte.
Voici le mouvement progressif de ce coquillage sur terre. Lorsque le peigne est à sec, & qu'il veut regagner la mer, il s'ouvre autant que ses deux valves peuvent le lui permettre ; & étant parvenu à un pouce ou environ d'ouverture, il les referme avec tant de vîtesse, qu'il communique aisément à sa valve inférieure un mouvement de contraction par lequel elle acquiert assez d'élasticité pour s'élever & perdre terre de deux à trois pouces de haut : il importe peu sur quel côté de la coquille il puisse tomber ; il suffit de savoir que c'est par cette manoeuvre réitérée qu'il avance toujours vers le but qu'il s'est proposé. Cependant si le peigne étoit attaché à quelque corps étranger par le grand nombre de filamens ou de poils qui s'implantent sur la surface de ses deux valves, il est vrai qu'alors il n'auroit point de mouvement progressif ; mais c'est un cas assez rare, excepté dans le pétoncle.
La progression de cet animal dans l'eau est bien différente. Il commence par en gagner la surface sur laquelle il se soutient à-demi plongé : il ouvre alors tant-soit-peu ses deux coquilles, auxquelles il communique un battement si prompt & si accéléré, qu'il acquiert un second mouvement ; on le voit du moins en réunissant ce double jeu, tourner sur lui-même très-vîte de droite à gauche ; par ce moyen il agite l'eau avec une si grande violence, qu'au rapport de Rondelet, elle est capable de l'emporter, & de le faire courir sur la surface des mers.
On sent bien que ceux qui sont attachés à plusieurs corps étrangers ne jouïssent d'aucun des mouvemens dont nous venons de parler. Voyez sur les peignes, Lister, Dargenville, & les Mémoires de l'académie des Sciences. (D.J.)
PEIGNE, s. m. (terme de Boulang.) les Boulangers qui font le biscuit de mer, appellent quelquefois peigne, un petit instrument dont ils se servent à faire plusieurs figures sur leurs galettes ; son véritable nom est une croisoire.
PEIGNE, dans l'art de la Corderie, est un instrument composé de six ou sept rangs de dents de fer à-peu-près semblables à celles d'un rateau ; ces dents sont fortement enfoncées dans une planche de bois de chêne fort épaisse.
Il y a quatre sortes de peignes différens : ceux de la premiere grandeur, voyez les Pl. d'Agric. ont les dents de 12 à 13 pouces de longueur, quarrées, grosses par le bas de 6 à 7 lignes, & écartées les unes des autres de 2 pouces par la pointe. Ces peignes ne sont pas destinés à affiner le chanvre, mais seulement à former les peignons. On les appelle peigne pour les peignons.
Les peignes de la seconde grandeur, appellés peignes à dégrossir, ont les dents longues de 7 à 8 pouces, grosses de 6 lignes par le bas, & écartées les unes des autres de 15 lignes par la pointe. Ces peignes servent à dégrossir le chanvre, & à en séparer la plus grosse étoupe.
Le peigne de la troisieme grandeur, nommé peigne à affiner, a les dents de 4 à 5 pouces de longueur, de 5 lignes de grosseur par le bas, & éloignées les unes des autres de 10 à 12 lignes. C'est sur ces peignes qu'on affine le chanvre, & que le second brin se sépare du premier.
Enfin il y a des peignes qui ont les dents plus courtes, plus menues & plus serrées que les précédens ; on les nomme peignes fins. On se sert de ces peignes pour préparer le chanvre destiné à faire de petits ouvrages plus délicats.
Il faut remarquer 1°. que les dents des peignes doivent être rangées en échiquier ou en quinconce, & non pas sur une même ligne ; autrement plusieurs dents ne feroient que l'effet d'une seule.
2°. Qu'elles doivent être taillées en losange, & posées de maniere que la ligne qui passeroit par les deux angles, coupât perpendiculairement le peigne dans sa longueur : par ce moyen les dents résistent mieux aux efforts qu'elles ont à souffrir, & refendent mieux le chanvre. Voyez l'article CORDERIE.
PEIGNE, (Draperie) Voyez l'article MANUFACTURE EN LAINE ; c'est une partie du métier.
PEIGNE, (terme d'Hautelisserie) instrument dentelé dont se servent les Hautelissiers pour battre & serrer leurs ouvrages. Il est de bois dur & poli, de 8 à 9 pouces d'épaisseur du côté du dos, d'où il va toujours en diminuant jusqu'à l'extrémité des dents. On s'en sert à la main.
Le peigne des basselissiers est à-peu-près de même, hormis qu'il y a des dents des deux côtés. Les uns & les autres sont ordinairement de buis ou d'ivoire.
PEIGNE, (Lainage) sorte d'instrument en forme de grande carde de fer, dont les dents sont longues, droites & fort pointues par le bout. On s'en sert dans les manufactures de lainage à peigner la laine destinée pour faire la chaîne de certaines étoffes. C'est cette laine ainsi peignée que l'on appelle ordinairement estaim. On se sert aussi de peignes dans quelques autres manufactures, pour peigner diverses sortes de matieres, comme bourre de soie, chanvre, &c. Ces sortes de peignes sont en quelque maniere semblables à ceux qui sont d'usage pour la laine, mais ils sont plus petits. (D.J.)
PEIGNE, instrument à l'usage du marbreur. C'est une barre de bois plate dans laquelle sont enfoncés des fils de fer d'environ deux doigts de longueur. Le peigne sert à mêler les couleurs qui nagent à la superficie de l'eau gommée dans le bacquet.
Les marbreurs se servent de trois différentes sortes de peignes, savoir le peigne au commun, le peigne à l'Allemagne, & le peigne à frison. Le peigne au commun est celui dont on se sert pour le papier marbré ordinaire, c'est-à-dire, pour celui qui n'est que veiné, il a cinq à six rangs de dents.
Le peigne à l'Allemagne sert pour le papier marbré qui imite celui que l'on fabrique en Allemagne. Ce peigne n'a qu'une rangée de dents.
Le peigne à frisons est celui dont on se sert pour marbrer le papier dont les relieurs font usage pour la relieure des livres. On l'appelle peigne à frisons, parce que ses dents sont placées alternativement l'une d'un côté, l'autre de l'autre, de maniere que le marbreur en tournant le poignet, arrange les couleurs en cercles ou frisons. Ce peigne n'a qu'une seule rangée de dents, qui en forme deux par leur situation oblique qui en tourne les pointes les unes d'un côté, les autres de l'autre. Voyez l'article MARBREUR & les Planches.
PEIGNES, les Maréchaux appellent ainsi des gratelles farineuses qui viennent aux paturons du cheval, & qui y font hérisser le poil sur la couronne.
Peigne de corne, instrument dont les Palefreniers se servent pour peigner les crins & la queue des chevaux.
PEIGNE, (Rubann.) à l'usage de ce métier ; il y en a de quantité de sortes : il faut, avant de les détailler, parler de la maniere dont on les fabrique. Ils sont faits de canne de Provence, qui est proprement le roseau ; mais celui de ce pays est le seul propre à cet usage. La canne est d'abord coupée entre ses noeuds, & forme des longueurs, puis elle est refendue avec une serpette ; ces refentes se font à plusieurs reprises, pour parvenir à la rendre assez étroite pour l'usage auquel on la destine : ces différens éclats sont étirés sur les rasoirs des poupées : ces poupées de figure cylindrique, qui portent sur l'établi, doivent être à leur base comme à leur sommet, ce qui leur donne plus d'assiette, & les empêche de varier sur l'établi. Elles sont de bois tourné, & ont au centre de leur base une queue qui passe dans des trous percés à l'établi ; la face supérieure qui est très-unie, porte au centre une lame d'acier très-tranchante, en forme de rasoir, qui y est fichée debout : à côté de ce rasoir est aussi fichée une piece de fer plate non tranchante, qui est aussi debout comme le rasoir, & qui l'approche de très-près en lui présentant une de ses faces plates ; cette piece est placée de façon qu'il n'y a entr'elle & le rasoir que la place nécessaire pour passer une dent ou éclat de canne ; cette piece de fer dirige le passage de la dent contre le rasoir, & par conséquent ne doit laisser entr'elle & lui que la distance proportionnée à l'épaisseur que l'on veut donner à la dent ; il y a donc de ces poupées dont les fers sont en plus grande, d'autres en plus petite distance, puisqu'il y a des dents plus ou moins épaisses : il y a encore de ces poupées dont il faut que les deux pieces dont on parle, soient fort écartées, puisqu'il faut que la dent passe entr'elles à plat pour en unir les bords ; la dent, par cette opération, est mise en 2 lignes de largeur environ ; cet étirage se fait en plaçant la dent (qui est encore de toute la longueur que les noeuds de la canne l'ont permis), entre les deux fers de la poupée, tenant la dent avec la main droite, pendant que la gauche posée de l'autre côté des fers, ne fait que la tenir en respect. Il faut observer que c'est le côté intérieur de la canne qui passe sur le rasoir, puisqu'on ne touche jamais à son côté extérieur & poli. Cette dent est déchargée par ce moyen de tout son bois & n'en est presque plus que l'écorce. Après ce premier passage sur le rasoir, la dent est retournée bout pour bout pour repasser encore contre le rasoir ; car le bout tenu par la main droite n'a pu y passer : ceci bien entendu, il faut parler du fil qui servira à la construction du peigne. Ce sont plusieurs brins de fil unis ensemble, en telle quantité qu'on le juge à propos, puisque c'est de cette grosseur que dépend l'éloignement plus ou moins grand des dents, suivant la nécessité ; ainsi il est de conséquence de savoir proportionner cette grosseur. Ces fils ainsi unis & tortillés ensemble sont graissés avec de la poix, & sont de très-grande longueur, l'opération que l'on verra en son lieu en employant beaucoup : ces fils sont ensuite mis en paquets pour attendre l'usage. Il en faut de bien des grosseurs différentes, ayant aussi quantité de grosseurs de peignes, ainsi qu'il en sera parlé. Il faut à-présent faire connoître les jumelles. Ce sont de petites tringles de bois d'hêtre, larges de 5 à 6 lignes sur une ligne d'épaisseur, & de 4 piés, 4 piés & demi de long ; on n'en fait point de plus longues, leur foiblesse ne le permettant pas. S'il s'agissoit d'avoir des peignes plus longs, puisqu'on en fait qui ont 6 piés & plus, on en joint plusieurs ensemble par le moyen de la colle forte ; ces tringles si minces ont un côté de leur épaisseur qui est plat, & c'est celui-ci qui formera le dedans ; l'autre côté est arrondi autant que cette épaisseur peut le permettre, desorte que les extrémités en sont presqu'aiguës. Lorsqu'on veut faire un peigne d'une longueur donnée, il faut quatre de ces jumelles unies deux-à-deux, mais plus longues que la longueur déterminée ; on en verra dans peu la nécessité. Deux de ces jumelles sont unies ensemble & de leurs côtés plats, au moyen de petites échancrures aux bouts, & d'une ligature. On les place sur la piece de fer plate fixée invariablement sur la poupée qui entre dans les trous de l'établi, l'autre bout est attaché de même & placé sur une piece de fer reçue dans la machoire portée par une vis qui passe par le trou de la poupée, qui se place elle-même à volonté dans différens trous de l'établi, suivant la longueur dont on a besoin ; ces quatre jumelles sont tendues roides & égales par le moyen de la noix. On ne doit point craindre qu'elles cassent par la grande tension où elles ont besoin d'être pour acquérir plus de rectitude, pourvu que le tirage soit direct & égal. Ceci étant ainsi disposé, on mesure avec l'instrument appellé compartissoir, pour voir si la distance est la même, ce qui se fait en conduisant cet instrument dans l'espace que laissent entr'elles les jumelles ; si le peigne est d'une grande longueur, on y laisse ce compartissoir lié légerement aux jumelles à une distance convenable, pour laisser la jouïssance à l'ouvrier : lorsqu'on en approche de trop près par le travail, on le recule, & toujours de même ; par-là on conserve l'égalité de l'ouverture que la trop grande longueur pourroit faire varier ; on voit qu'il faut avoir différens compartissoirs, suivant les différentes hauteurs des peignes, car c'est lui qui donne cette hauteur. Si l'ouvrier a plusieurs peignes à faire de petite ou de moyenne longueur, il peut les faire sur de longues jumelles, en interrompant le travail par une petite distance d'un peigne à l'autre ; il s'épargnera par là la peine & le tems de monter & démonter plusieurs fois ; les choses en cet état, l'ouvrier fait plusieurs tours avec le fil à l'entour des jumelles qu'il échancre un peu avec la serpette, pour éviter que ce fil ne glisse ; il en fait autant avec un second fil qui est de son côté, en le faisant tourner de dedans en dehors ; au lieu que le premier fil tourne de dehors en dedans ; ces tours de fil sont frappés avec une batte, qui demeure ainsi placée dans les jumelles pendant tout le travail qui va suivre ; après cela, l'ouvrier place une premiere dent, qui donnera entre les jumelles la juste ouverture pour le logement convenable de la denture. Cette premiere dent est un morceau de canne épais, plié en deux, les deux extérieurs du bois se touchant ; cette dent se pose à plat contre les tours de fil qui viennent d'être faits. Si on n'a pas assez d'épaisseur, on remplit l'entre-deux intérieur de cette dent avec les menues parcelles qui sont sorties de la canne par l'opération des rasoirs, & cela tant qu'il le faut ; cette dent parvenue à son point d'épaisseur, est fixée contre le fil par plusieurs tours de ce même fil recroisés plusieurs fois & frappés avec la batte ; ensuite on met une autre dent, mais bien moins épaisse ; celle-ci est posée sur son champ, & de même entourée de plusieurs tours de fil, & toujours frappés avec la batte ; toutes ces précautions servent beaucoup à la perfection du peigne : après tout ceci, on pose les dents qui composent le peigne ; l'une après l'autre, & toujours après un tour de chaque fil, dont l'un, comme il a été déja dit, & qui est le premier, se passe du dehors en-dedans, & le second du dedans en-dehors ; c'est-à-dire, qu'il jette le paquet par-dessus les jumelles, qui retombe sur l'établi, après avoir passé par l'ouverture entre les jumelles. A l'égard du paquet qui est du côté de l'ouvrier, comme ses deux mains se trouvent voisines, il le reçoit de la main gauche ; puis roidissant avec la main gauche, & à la fois les deux bouts ainsi passés, il a la main droite libre pour frapper avec la batte contre ce tour des deux fils ; puis il place une autre dent, & fait de même jusqu'au bout. Il est bon d'observer dans cette position des dents, qu'elles se posent toutes sur le champ, & le poli du même côté. Ce poli extérieur de la canne se trouve ainsi placé du côté gauche de l'ouvrier, puisqu'après avoir passé sa dent à plat d'abord dans les jumelles, il la releve ensuite pour la placer sur son champ, ayant le poli du côté du pouce droit. On voit aussi qu'il ne frappe jamais sur la dent qu'il seroit en danger de casser, mais bien contre le fil qui forme ainsi les séparations de la denture. Ce fil, au moyen de la poix dont il est enduit, & du coup de batte, se tient comme collé sur les jumelles. On concevra sans doute que les dents sont plus longues qu'il ne faut, puisqu'il faut que l'ouvrier les tienne par le bout en-dehors des jumelles de son côté, elles passent de même inégalement de l'autre côté, cela comme elles se trouvent, ou que l'ouvrier apperçoit un défaut à l'un ou à l'autre bout ; car il faut que ces dents n'en ayent aucun ; il ne lui est pas possible d'en employer de trop courtes puisqu'elles ne pourroient être arrêtées par le fil ; on voit la nécessité de l'égalité de ce fil, puisque s'il devenoit plus gros ou plus fin, la denture seroit dérangée, dérangement qui peut avoir encore plusieurs autres causes ; d'abord par la différente grosseur des fils, par la différente épaisseur des dents, ou par la différente pression des coups de batte. L'ouvrier a plusieurs moyens pour s'appercevoir si son égalité est toujours la même : premierement, il forme lui-même ses fils avec toute la justesse qu'il sait leur être nécessaire ; il s'appercevroit de l'inégalité de l'épaisseur des dents en en mettant une certaine quantité qu'il sait devoir être contenue dans l'espace du compartissoir. A l'égard des coups de batte, la grande habitude de l'usage réglant sa force, il parvient à les donner toujours égaux ; s'il s'apperçoit que quelque dent gauchisse, il y remedie avec un petit instrument de fer plat appellé retroussoir, qu'il introduit dans le peigne pour redresser ce défaut. Toutes les dents qui composent le peigne étant ainsi posées, il termine le tout comme quand il a commencé. Il coupe les jumelles avec une petite scie à main devant les pieces de fer, c'est-à-dire dans les dedans. Il a été dit qu'il falloit que les jumelles fussent plus longues que les peignes que l'on veut faire avec : voici pourquoi ; si on ne donnoit que la longueur juste à ces jumelles, il ne se trouveroit pas assez de chasse pour le jeu de la batte, ou pour l'introduction des dents, l'excédent donne cette place nécessaire. Le peigne en cet etat, & débarrassé de ses liens est brut, on commence par le débrutir, par couper avec la serpette tous les bouts des dents qui sortent des jumelles, on les coupe à l'uni du fil, prenant garde de ne point couper ce fil avec ; ensuite les dents se trouvant toujours un peu raboteuses & inégales entr'elles, il faut les unir toutes, ce qui se fait avec l'instrument appellé couteau à ratir. On pose le tranchant de cet outil à plat sur la denture en l'amenant à soi jusqu'auprès du fil, puis on coupe les bavures à fleur de ce fil ; ce qui étant fait haut & bas, devant & derriere, avec un autre petit instrument tranchant appellé évidoir, qu'on introduit entre chaque dent aussi haut & bas, devant & derriere, ou ébarbe tout ce qui peut être resté aux bords de chaque dent, enfin il n'y doit rien rester de superflu ; après quoi on le polit ; puis l'on couvre le fil dont on a tant parlé, avec de petites bandes de papier blanc collées, qui s'y appliquent en tournant depuis une superficie des dents jusqu'à l'autre, & le voilà enfin fini. J'ai dit, en commençant, qu'il y avoit de bien des sortes de peignes, je vais en détailler quelques-unes pour en donner une idée : premierement pour le ruban ; ils sont petits & extrèmement fins ; d'autres plus longs & d'une denture plus grosse, sont pour le galon, la grandeur & grosseur variant suivant les différens ouvrages qui y seront posés ; il y en a de deux en deux, ce qui se fait au moyen de ce qu'après avoir placé deux dents comme à l'ordinaire, on fait plusieurs tours de fil à l'entour des jumelles avant d'y en placer deux autres, & cela se continue de même ; ceux-ci sont pour la chenille : enfin on en fait jusqu'à 6 piés de long & davantage, & qui contiennent jusqu'à 11 ou 12 cent dents ; ceux-ci sont pour les Ferandiniers & Tisserans qui les appellent rot. Voyez les Pl. du Passementier.
PEIGNE, instrument du métier d'étoffes de soie. Le peigne est un petit cadre de deux pouces & demi de hauteur sur la longueur dont on veut la largeur de l'étoffe, il est garni de petites dents qui sont faites en acier bien poli, ou de la pellicule du roseau ; les baguettes qui forment le cadre dans la hauteur du peigne, sont liées avec un fil pour tenir les dents en raison.
Le travail des peignes pour la manufacture d'étoffes d'or, d'argent & de soie. La façon dont les peignes sont faits étant suffisamment démontrée dans l'article de Passementerie, voyez les Planches, on ne donnera l'explication que de ceux qui sont faits avec du fil de fer, lesquels sont appellés communément peignes d'acier.
Pour fabriquer les peignes de cette espece, on choisit du fil de fer proportionné à la largeur de la dent qui convient, & à son épaisseur, le nombre des dents de peigne pour les étoffes étant depuis douze & demi jusqu'à trente de compte, ce qui signifie depuis 500 dents jusqu'à 1200 dans une même largeur de 20 pouces environ. Il est évident que plus un peigne est fourni des dents, plus elles doivent être minces & étroites, conséquemment que le fil de fer doit être proportionné. On passe ce fil de fer sous la meule, c'est-à-dire, entre deux rouleaux d'acier semblables à ceux qui servent à battre ou écacher l'or & l'argent. Quand le fil de fer est applati jusqu'au point convenable, on le passe dans une filiere de mesure pour la dent qu'on desire, qui ne lui laisse que sa largeur & son épaisseur, après quoi on coupe le fil de fer de la longueur de 9 pouces ou de trois dents ; on met ces parties dans un sac de peau avec de l'émeri & de l'huile d'olive, ensuite on le roule sur une grande table où elles se polissent. L'opération finie, on coupe ces parties à trois pouces de longueur, & on monte le peigne de la même façon que ceux dont les dents sont de roseau. Mais comme les peignes de cette espece seroient éternels, pour ainsi dire, s'ils ne manquoient pas par le lien, qui n'est qu'une quantité de fils poissés, plus ou moins grosse, selon la largeur ou le resserrement qu'il faut donner à la dent ; les Anglois ont trouvé le secret de les faire aussi justes sans se servir de liens ni de jumelles, qui sont deux baguettes entre lesquelles les dents sont arrêtées avec le fil. Cette façon de monter les peignes est d'autant plus singuliere, qu'ils en ont encore plus d'égalité, le défaut ordinaire des peignes d'acier étant de n'avoir pas les dents rangées aussi également que l'etoffe l'exigeroit, soit par le défaut de l'inégalité du fil, soit par celui qui le fait, qui ne frappe pas avec la même justesse.
Quand les Anglois veulent monter un peigne de quelque compte qu'on le desire, ils ont soin d'avoir autant de dents de refente que de dents ordinaires pour le peigne, toutes du même calibre ; on donne le nom de dents de refente à celles qui n'ont que deux pouces de longueur, & celui de dents ordinaires, à celles qui en ont trois, parce que les deux jumelles en retiennent ordinairement un demi-pouce de chaque côté. Sur une bande de fer polie de deux pouces moins deux ou trois lignes de large, & de longueur de deux piés plus ou moins, ils commencent à poser de champ une dent ordinaire & une dent de refente, & continuent alternativement jusqu'à ce que le nombre de dents que le peigne doit avoir soit complet, ayant soin de laisser un demi-pouce de chaque côté entre les dents ordinaires pour celles de refente. Le nombre de dents complet, on le resserre avec une vis, jusqu'au point de jaune ordonné pour la largeur des étoffes, qui ordinairement est de 20 pouces pour celles qui sont des plus riches & des plus en usage.
Les dents étant bien arrêtées, ils bordent un côté avec de la terre battue, de façon qu'ils puissent jetter une composition d'étain & de cuivre à un demi-pouce d'élevation, & arrêter toutes les dents ordinaires qui se trouvent prises dans la matiere. Ce côté fini, ils font la même opération de l'autre, après quoi ils lâchent la vis, qui donne la liberté aux dents de refente de tomber & de laisser un vuide de la largeur de leur calibre, après quoi ils polissent & unissent ou égalisent des deux côtés la composition, qui, par la façon dont on vient d'expliquer, ne retient que les dents dont la longueur étoit supérieure à celles de refente. Il n'est pas possible de faire des peignes plus justes, & s'il se trouvoit quelques défauts dans ceux-ci, ce ne seroit que dans le cas où la dent de refente ne seroit pas de calibre, ce qui ne sauroit arriver. Avant cette derniere façon de faire les peignes justes, il arriveroit que l'inégalité des dents causeroit un défaut essentiel dans l'étoffe fabriquée, sur-tout dans l'unie ; en ce que l'étoffe fabriquée rayoit dans sa longueur, ce qui ne se rencontroit pas dans le peigne de canne ou roseau travaillé de même, attendu que dans ce dernier la flexibilité de la dent se trouve rangée par l'extension du fil de la chaîne ; au lieu que la roideur de cette même dent dans le premier, rangeant les fils avec la même inégalité qui lui est commune, il s'ensuit un défaut irréparable ; de façon qu'il convient beaucoup mieux pour la perfection de l'étoffe, que la chaîne range la dent du peigne, que si cette même dent range la chaîne.
PEIGNE DE VENUS, scandix ; (Bot.) genre de plante à fleur en rose & en ombelle composée de plusieurs pétales disposés en rond, & soutenue par un calice qui devient dans la suite un fruit composé de deux parties qui ressemblent chacune à une aiguille, & qui renferment une semence. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PEIGNE, en terme de Cornetier, se dit d'un ustencile de toilette dont l'usage est de faire tomber la poudre de la tête & de démêler les cheveux. Il y en a encore de buis & d'os dont personne n'ignore l'usage. Les peignes se font d'un morceau degalin taillé de la largeur, grosseur & épaisseur qu'on veut leur donner. Quand ces morceaux sont dressés, on les place sur l'âne où on fait les dents. Voyez DRESSER & ANE.
PEIGNE, parmi les ouvriers qui travaillent de la navette, est une sorte de chassis long & étroit, divisé en une grande quantité de petites ouvertures. Ces ouvertures sont formées par des menus fils d'archal, ou par des petites lames de roseau fort minces, attachées à égale distance, & fort près les unes des autres, entre deux especes de tringles de bois, appellées les jumelles du rot.
Ces petits espaces ou ouvertures que forme la distance des fils de fer ou lames de roseau, sont appellées les dents ou broches du peigne : c'est dans ces ouvertures que les Tisserands & autres ouvriers qui se servent de ce peigne font passer les fils qui composent la chaîne des toiles, &c. & autres ouvrages de navette.
Les deux grosses dents ou morceaux de bois qui sont placés aux deux extrémités du peigne sont appellées les gardes.
Le peigne est enchâssé dans le bas de la partie mobile du métier appellé la chasse ou le battant ; & il doit être aussi long que la toile qu'on veut fabriquer doit avoir de largeur. Le peigne est aussi appellé un rot à cause de ces petits morceaux de roseau dont ils sont composés pour l'ordinaire. Voyez CHASSE.
PEIGNE d'une futaille ; les Tonneliers nomment ainsi l'extrémité des douves, à commencer depuis le jable. On dit, remettre un peigne à une piece de vin, c'est-à-dire, enter une allonge à une douve qui s'est rompue à l'endroit du jable.
PEIGNE, préparer un, (Tabletier-peigner) ce terme préparer un peigne signifie amorcer les dents avec le carrelet, c'est-à-dire, faire sur le peigne, après qu'il est mis en façon, la premiere ouverture de chaque dent, pour ensuite les achever avec l'estadiou.
PEIGNE, est un instrument de Vergettier, dont les dents de fer sont montées à quelque distance les unes des autres sur un fût de bois. Il sert à démêler les soies, le chiendent, &c.
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PEIGNER | v. act. (Gram.) c'est en général démêler avec le peigne. Voyez l'article PEIGNE & les articles suivans.
PEIGNER le chanvre, terme de Corderie, qui signifie achever de nettoyer & affiner le chanvre en le passant sur les peignes. C'est la derniere façon qu'on donne au chanvre avant que de le filer. Voici comment se fait cette préparation. Le peigneur prend une poignée de chanvre par le milieu de sa longueur, & fait faire au petit bout de cette poignée un ou deux tours autour de sa main droite, desorte que les pattes, & un tiers de la longueur pendent en bas : alors il serre fortement la main, & faisant décrire aux pattes du chanvre une ligne circulaire, il les fait tomber avec force sur les dents du peigne à dégrossir, & il tire à lui, ce qu'il répete en engageant le chanvre de plus en plus dans les dents du peigne, jusqu'à ce que ses mains soient prêtes à toucher aux dents.
Par cette opération le chanvre se nettoie des chenevottes & de la poussiere, il se démêle, se refend, s'affine, & celui qui étoit bouchonné ou rompu reste dans le peigne, de même qu'une partie des pattes : je dis une partie, car il en resteroit encore beaucoup, si l'on n'avoit soin de la moucher. Voyez MOUCHER le chanvre.
Le peigneur donne ensuite au côté de la pointe qui étoit entortillée autour de sa main la même préparation qu'il a donnée à la tête.
Ce n'est point assez que le peigneur ait préparé la tête & la queue du chanvre, il doit avoir grand soin que le milieu soit bien peigné pareillement.
A mesure que le peigneur a préparé des poignées de premier ou de second brin, il les met à côté de lui, & un autre ouvrier, les prend, les engage peu-à-peu dans les dents du grand peigne destiné à faire les peignons ; cet ouvrier a soin de mêler le court avec le long, & d'en rassembler suffisamment pour faire un peignon. Voyez l'article CORDERIE.
PEIGNER, AJUSTER, (Jardinage) se dit d'un oeillet qui est épanoui ; quand il ne retourne pas bien ses feuilles, & qu'elles ne sont pas bien arrangées, on les met alors dans leur vraie place avec les doigts bien nets & sans sueur.
PEIGNER LA LAINE, (Manufacture de lainage) c'est la tirer ou la faire passer à travers les dents d'une espece de grande carde que l'on nomme peigne, pour la disposer à être filée. Lorsque la laine a passé par le peigne, & qu'elle a été peignée, on l'appelle laine estaim ; & quand elle a été filée après avoir été peignée, on lui donne le nom de fil d'estaim. (D.J.)
PEIGNER, en terme de Vergettier, est une opération par laquelle ils démêlent, à l'aide d'un peigne, les soies, le chiendent & la bruyere, & en ôtent tous les petits brins qui sont inutiles dans leurs ouvrages.
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PEIGNEUR | S. m. terme de Corderie, ouvrier qui nettoie & affine le chanvre en le passant par les peignes. Un bon peigneur peut préparer jusqu'à 80 livres de filasse par jour.
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PEIGNIER | S. m. (Arts méchaniq.) ouvrier qui fait des peignes. Les Peigniers font une communauté dans la ville de Paris.
Ils sont qualifiés par leurs statuts maîtres peigniers, tabletiers, tourneurs & tailleurs d'images.
Ces statuts furent donnés, ou plutôt renouvellés en 1507, confirmés par Henri III. en 1578, par Henri IV. en 1600, & enfin par Louis XIV en 1691.
Suivant ces statuts, un maître ne peut avoir qu'un apprenti à la fois, à moins que ce ne soit un fils de maître auquel cas il peut en avoir deux.
L'apprentissage est de six ans.
Le fils de maître n'est point tenu de faire chef-d'oeuvre, ni même une expérience pour être reçu maître ; il n'a besoin que du témoignage des jurés. Tout autre aspirant est tenu au chef-d'oeuvre.
L'apprenti étranger, c'est-à-dire, qui a fait son apprentissage dans quelqu'autre ville du royaume où il y a maîtrise, doit, pour être reçu maître à Paris, justifier de son apprentissage, & avoir servi encore trois ans chez les maîtres.
Enfin cette communauté est régie par des jurés, dont l'élection & les visites se font de même que dans les autres communautés.
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PEIGNOIR | S. m. (Lingerie) espece de manteau de toile blanche & fine baptiste ou mousseline, que les femmes mettent sur leurs épaules le matin lorsqu'elles sont en deshabillé, & qu'on les peigne ; quelquefois les peignoirs sont ornés de dentelles. (D.J.)
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PEIGNON | S. m. ou CEINTURE, terme de Corderie ; c'est un paquet de chanvre affiné & suffisamment gros pour faire un fil de la longueur de la filerie, & que les fileurs prennent autour d'eux, ou qu'ils attachent à une quenouille.
Un peignon doit peser à-peu-près une livre & demie ou deux livres, si c'est du premier brin ; & deux livres & demie ou trois livres, si c'est du second brin. Cette différence vient de ce que le fil fait avec le second brin est toujours plus gros que celui qui est fait avec le premier brin de chanvre ; & qu'outre cela il y a plus de déchet quand on file le second, que quand on file le premier brin. Voyez l'article de la CORDERIE.
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PEIGNONS | terme de Lainage, sorte de laine d'une très-mauvaise qualité, qui ne sont proprement que les rebuts, ou plutôt ce qui reste des laines qui ont été peignées avant que d'être filées, pour faire la chaîne de certaines sortes d'étoffes. (D.J.)
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PEILLES | S. f. terme de Papeterie, c'est un des noms qu'on donne aux vieux chiffons de toile de lin & de chanvre, qu'on employe à la fabrique du papier. Voyez PAPIER.
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PEILLIER | S. m. celui qui ramasse dans les rues des peilles ou chiffons : on le nomme plus ordinairement chiffonnier. Voyez CHIFFONNIER.
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PEINA | (Géog. mod.) en latin du moyen âge Poynum castrum ; petite ville d'Allemagne, au cercle de la Basse-Saxe, dans l'évêché de Hildesheim. Il s'y donna une bataille sanglante en 1553, entre l'électeur Maurice de Saxe qui y fut tué, & le marggrave de Brandebourg. Elle est sur le ruisseau de Fuse, à trois milles de Brunswig. Long. 28. 16. lat. 57. 17. (D.J.)
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PEINDRE | v. act. & neut. c'est appliquer des couleurs sur une superficie plate, de façon qu'elles représentent un objet quel qu'il soit.
Peindre, signifie quelquefois simplement embellir de divers ornemens une chambre, un cabinet, une galerie, &c. J'ai fait peindre mon cabinet, ma chambre, ma galerie.
Peindre, se dit encore, mais improprement, des gros ouvrages concernant les bâtimens. Il faut peindre ce lambris, ce berceau, cette balustrade de fer, pour empêcher qu'elle ne se rouille : il faudroit dire barbouiller.
On dit je me fais peindre, pour exprimer qu'on fait faire son portrait. J'apprends à peindre ; je veux peindre cette ombre ; il a une belle tête à peindre, c'est-à-dire il a un beau caractere de tête, le visage d'un beau coloris.
Voyez sur les diverses manieres de peindre, l'article PEINTURE.
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PEINE | S. f. (Gramm.) on donne en général ce nom à toute sensation, de quelque espece qu'elle soit, qui nous rend notre existence désagréable : il y a des peines de corps & des peines d'esprit. Le dernier degré de la peine, c'est de résigner sincerement l'être souffrant à la perte de la vie, comme à un bonheur. Y a-t-il plus de peines que de plaisirs dans la vie ? C'est une question qui n'est pas encore décidée. On compte toutes les peines ; mais combien de plaisirs qu'on ne met point en calcul ?
PEINE, (Droit naturel, civil & politique) on définit la peine, un mal dont le souverain menace ceux de ses sujets qui seront disposés à violer les lois, & qu'il leur inflige actuellement & dans une juste proportion, lorsqu'ils les violent, indépendamment de la réparation du dommage, dans la vûe de quelque bien à venir & en dernier ressort, pour la sureté & la tranquillité de la société.
Nous disons, 1°. que la peine est un mal, & ce mal peut être de différente nature, selon qu'il affecte la vie, le corps, l'estime, ou les biens : ce mal peut consister dans quelque travail pénible, ou bien à souffrir quelque chose de fâcheux.
Nous ajoutons en second lieu, que c'est le souverain qui dispense les peines ; non que toute peine en général suppose la souveraineté, mais parce que nous traitons ici du droit de punir dans la société civile, & comme étant une branche du pouvoir souverain. C'est donc le souverain seul qui peut infliger des peines dans la société civile, & les particuliers ne sauroient se faire justice à eux-mêmes, sans se rendre coupables d'un attentat contre les droits du souverain.
Nous disons en troisieme lieu, dont le souverain, &c. pour marquer les premieres intentions du souverain. Il menace d'abord, puis il punit, si la menace n'est pas suffisante pour empêcher le crime. Il paroit encore de-là que la peine suppose toujours le crime, & que par conséquent on ne doit pas mettre au rang des peines proprement ainsi nommées, tous les maux auxquels les hommes se trouvent exposés, sans avoir commis antécédemment quelque crime.
Nous ajoutons, 4°. que la peine est infligée indépendamment de la réparation du dommage, pour faire voir que ce sont deux choses très-distinctes, & qu'il ne faut pas confondre. Tout crime emporte avec soi deux obligations ; la premiere, de réparer le tort que l'on a fait ; la seconde de souffrir la peine, & le délinquant doit satisfaire à l'une & à l'autre. Il faut encore remarquer là-dessus, que le droit de punir dans la société civile, passe au magistrat, qui en conséquence peut, s'il l'estime convenable, faire grace au coupable : mais il n'en est pas de même du droit d'exiger la satisfaction ou la réparation du dommage ; le magistrat ne sauroit en dispenser l'offenseur, & la personne lésée conserve toujours son droit, ensorte qu'on lui fait tort si l'on empêche qu'elle n'obtienne la satisfaction qui lui est dûe.
5°. Enfin, en disant que la peine est infligée dans la vûe de quelque bien, nous indiquons par-là le but que le souverain doit se proposer dans l'infliction des peines ; & c'est ce que nous expliquerons plus particulierement dans la suite. Nous observerons auparavant que les peines sont ou civiles ou criminelles ; les premieres sont pécuniaires, on en est quitte en payant une certaine somme convenue ou reglée par les usages. Les criminelles sont légales ; mais avec cette différence que les unes sont capitales, & les autres ne le sont pas. On appelle peines capitales, celles qui emportent la perte de la vie, ou la privation des droits civils, qu'on appelle mort civile. Les peines qui notent d'infamie, ou qui privent d'une partie du bien que l'on a, ne sont point reputées peines capitales dans le sens propre de ce terme.
Le souverain, comme tel, est non seulement en droit, mais encore il est obligé de punir le crime. L'usage des peines, bien loin d'avoir quelque chose de contraire à l'équité, est absolument nécessaire au repos public. Le pouvoir souverain seroit inutile, s'il n'étoit revêtu du droit, & armé de forces suffisantes pour intimider les méchans par la crainte de quelque mal, & pour le leur faire souffrir actuellement, lorsqu'ils troublent la société par leurs désordres ; il falloit même que ce pouvoir pût aller jusqu'à faire souffrir le plus grand de tous les maux naturels, je veux dire la mort, pour réprimer avec efficace l'audace la plus déterminée, & balancer ainsi les différens degrés de la malice humaine par un contre-poids assez puissant.
Tel est le droit du souverain ; mais si le souverain a droit de punir, il faut que le coupable soit dans quelque obligation à cet égard ; car on ne sauroit concevoir de droit sans une obligation qui y réponde. En quoi consiste cette obligation du coupable ? Est-il obligé d'aller se dénoncer lui-même de gaieté de coeur, & s'exposer ainsi volontairement à subir la peine ? Je réponds que cela n'est pas nécessaire pour le but qu'on s'est proposé dans l'établissement des peines, & qu'on ne sauroit raisonnablement exiger de l'homme qu'il se trahisse ainsi lui-même ; cependant cela n'empêche pas qu'il n'y ait ici quelque obligation.
1°. Il est certain que lorsqu'il s'agit d'une simple peine pécuniaire, à laquelle on a été légitimement condamné, on doit la payer sans attendre que le magistrat nous y force : non seulement la prudence l'exige de nous, mais encore les regles de la justice, qui veulent que l'on répare le dommage, & qu'on obéisse à un juge légitime.
2°. Il y a plus de difficulté pour ce qui regarde les peines afflictives, & sur-tout celles qui s'étendent au dernier supplice. L'instinct naturel qui attache l'homme à la vie, & le sentiment qui le porte à fuir l'infamie ne permettent pas que l'on mette un criminel dans l'obligation de s'accuser lui-même volontairement, & de se présenter au supplice de gaieté de coeur ; & aussi le bien public, & les droits de celui qui a en main la puissance du glaive, ne le demandent pas.
3°. C'est par une conséquence du même principe, qu'un criminel peut innocemment chercher son salut dans la fuite, & qu'il n'est pas précisément tenu de rester dans la prison, s'il s'apperçoit que les portes en sont ouvertes, ou qu'il peut les forcer aisément ; mais il ne lui seroit pas permis de chercher à se procurer la liberté par quelque nouveau crime, comme en égorgeant ses gardes, ou en tuant ceux qui sont envoyés pour se saisir de lui.
4°. Mais enfin, si l'on suppose que le criminel est connu, qu'il a été pris, qu'il n'a pu s'évader de la prison, & qu'après un mûr examen il se trouve convaincu du crime, & condamné en conséquence à en subir la peine ; alors il est obligé de subir cette peine, de reconnoître que c'est avec justice qu'il y est condamné, qu'on ne lui fait en cela aucun tort, & qu'il ne sauroit raisonnablement se plaindre que de lui-même, beaucoup moins encore pourroit-il avoir recours aux voies de fait pour se soustraire à son supplice, & s'opposer au magistrat dans l'exercice de son droit. Voilà en quoi consiste proprement l'obligation d'un criminel à l'égard de la peine ; voyons à-présent plus particulierement quel but le souverain doit se proposer en infligeant les peines.
En général, il est certain que le souverain ne doit jamais punir qu'en vûe de quelque utilité. Faire souffrir quelque mal à quelqu'un, seulement parce qu'il en a fait lui-même, & ne faire attention qu'au passé, c'est un pure cruauté condamnée par la raison ; car enfin, il est impossible d'empêcher que le mal qui a été fait, n'ait été fait. En un mot, la souveraineté est fondée en dernier ressort, sur une puissance bienfaisante ; d'où il résulte que lors même que le souverain fait usage du droit de glaive, il doit toujours se proposer quelque avantage, quelque bien à venir, conformément à ce qu'exigent de lui les fondemens de son autorité.
Le principal & dernier but des peines, est la sureté & la tranquillité de la société ; mais comme il peut y avoir différens moyens de parvenir à ce but, suivant les circonstances différentes, le souverain se propose aussi en infligeant les peines, différentes vûes particulieres & subalternes, qui sont toutes subordonnées au but principal dont nous venons de parler, & qui s'y portent toutes en dernier ressort. Tout cela s'accorde avec la remarque de Grotius, " Dans les punitions, dit-il, on a en vûe ou le bien du coupable même, ou l'avantage de celui qui avoit intérêt que le crime ne fût pas commis, ou l'utilité de tous généralement ".
Ainsi le souverain se propose quelquefois de corriger le coupable, & de lui faire perdre l'envie de retomber dans le crime, en guérissant le mal par son contraire, & en ôtant au crime la douceur qui sert d'attrait au vice, par l'amertume de la douleur. Cette punition, si le coupable en profite, tourne par cela même à l'utilité publique : que s'il persévere dans le crime, le souverain a recours à des remedes plus violens, & même à la mort.
Quelquefois le souverain se propose d'ôter aux coupables les moyens de commettre de nouveaux crimes, comme en leur enlevant les armes dont ils pourroient se servir, en les enfermant dans une prison, en les chassant du pays, ou même en les mettant à mort. Il pourvoit en même tems à la sureté publique, non seulement de la part des criminels eux-mêmes, mais encore à l'égard de ceux qui seroient portés à les imiter, en les intimidant par ces exemples ; aussi rien n'est plus convenable au but des peines que de les infliger publiquement, & avec l'appareil le plus propre à faire impression sur l'esprit du commun peuple.
Toutes ces fins particulieres des peines, doivent donc toujours être subordonnées & rapportées à la fin principale & derniere, qui est la sureté publique, & le souverain doit mettre en usage les unes ou les autres, comme des moyens de parvenir au but principal ; ensorte qu'il ne doit avoir recours aux peines rigoureuses, que lorsque celles qui sont moindres sont insuffisantes pour procurer la tranquillité publique.
On demande si toutes les actions contraires aux loix peuvent être légitimement punies. Réponse. Le but même des peines, & la constitution de la nature humaine, font voir qu'il peut y avoir des actes vicieux en eux-mêmes, qu'il n'est pourtant pas convenable de punir dans les tribunaux humains.
Et 1°. les actes purement intérieurs, les simples pensées qui ne se manifestent par aucun acte extérieur préjudiciable à la société ; par exemple, l'idée agréable qu'on se fait d'une mauvaise action, les desirs de la commettre, le dessein que l'on en forme sans en venir à l'exécution, &c. tout cela n'est point sujet aux peines humaines, quand même il arriveroit ensuite par hasard que les hommes en auroient connoissance.
Il faut pourtant faire là-dessus deux ou trois remarques : la premiere est que si ces sortes d'actes vicieux ne sont pas sujets aux peines humaines, c'est parce que la foiblesse humaine ne permet pas pour le bien même de la société, que l'on traite l'homme à toute rigueur : il faut avoir un juste support pour l'humanité dans les choses qui quoique mauvaises en elles-mêmes n'intéressent pas considérablement l'ordre & la tranquillité publique. La seconde remarque, c'est que quoique les actes purement intérieurs ne soient pas assujettis aux peines civiles, il n'en faut pas conclure pour cela que ces actes ne soient pas soumis à la direction des lois civiles. Enfin il est incontestable que les lois naturelles & la religion condamnent formellement ces sortes d'actions.
2°. Il seroit très-rigoureux de punir les fautes légeres que la fragilité de la nature humaine ne permet pas d'éviter, quelque attention que l'on ait à son devoir ; c'est encore là une suite de cette tolérance que l'on doit à l'humanité.
3°. Il faut nécessairement laisser impunis les vices communs, qui sont une suite de la corruption générale, comme l'ambition, l'avarice, l'ingratitude, l'hypocrisie, l'envie, l'orgueil, la colere, &c. Car un souverain qui voudroit punir rigoureusement tous ces vices & autres semblables, seroit réduit à régner dans un desert ; il faut se contenter de punir ces vices quand ils portent les hommes à des excès éclatans.
Il n'est pas nécessaire de punir toujours les crimes d'ailleurs punissables ; il y a des cas où le souverain peut faire grace, & c'est dequoi il faut juger par le but même des peines.
Le bien public est le grand but des peines : si donc il y a des circonstances où en faisant grace on procure autant ou plus d'utilité qu'en punissant, alors rien n'oblige précisément à punir, & le souverain doit user de clémence. Ainsi, si le crime est caché, qu'il ne soit connu que de très-peu de gens, il n'est pas toujours nécessaire, quelquefois même il seroit dangereux de le publier en le punissant : car plusieurs s'abstiennent de faire du mal plûtôt par l'ignorance du vice que par la connoissance & l'amour de la vertu. Cicéron remarque sur ce que Solon n'avoit point fait des lois sur le parricide, que l'on a regardé ce silence du législateur comme un grand trait de prudence, en ce qu'il ne défendit point une chose dont on n'avoit point encore vu d'exemple, de peur que s'il en parloit, il ne semblât avoir dessein d'en faire prendre envie, plûtôt que d'en détourner ceux à qui il donnoit des loix.
On peut considérer les services personnels que le coupable a rendus à l'état, ou quelqu'un de sa famille, & s'il peut encore actuellement lui être d'une grande utilité ; ensorte que l'impression que feroit la vûe de son supplice, ne produiroit pas autant de bien qu'il est capable lui-même d'en faire. Si l'on est sur mer, & que le pilote ait commis quelque crime, & qu'il n'y ait d'ailleurs sur le vaisseau aucune personne capable de le conduire, ce seroit vouloir perdre tous ceux du vaisseau que de le punir. On peut aussi appliquer cet exemple à un général d'armée.
Enfin l'utilité publique, qui est la mesure des peines, demande quelquefois que l'on fasse grace, à cause du grand nombre des coupables. La prudence du gouvernement veut que l'on prenne garde de ne pas exercer d'une maniere à perdre l'état, la justice qui est établie pour la conservation de la société.
Il y a beaucoup d'autres considérations à faire sur les peines ; mais comme le détail en seroit très-long, je me contenterai de couronner cet article par quelques-unes des principales réflexions de l'auteur de l'esprit des Loix sur cette importante matiere.
La sévérité des peines est, dit-il, toute entiere du génie du gouvernement despotique, dont le principe est la terreur ; mais dans les monarchies, dans les républiques, dans les états modérés, l'honneur, la vertu, l'amour de la patrie, la honte & la crainte du blâme, sont des motifs réprimans qui peuvent arrêter bien des crimes. Dans ces états, un bon législateur s'attachera moins à punir les fautes qu'à les prévenir ; il s'appliquera plus à donner des moeurs, qu'à infliger des supplices. Dans les gouvernemens modérés, tout pour un bon législateur peut servir à former des peines. N'est-il pas bien extraordinaire qu'à Sparte une des principales fût de ne pouvoir prêter sa femme à un autre, ni recevoir celle d'un autre, de n'être jamais dans sa maison qu'avec des vierges ? En un mot, tout ce que la loi appelle une peine, est effectivement une peine.
Il seroit aisé de prouver que dans tous ou presque tous les états d'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure que l'on s'est rapproché ou éloigné de la liberté. Le peuple romain avoit de la probité ; cette probité eut tant de force, que souvent le législateur n'eut besoin que de lui montrer le bien pour le lui faire suivre. Il sembloit qu'au lieu d'ordonnances, il suffisoit de lui donner des conseils.
Les peines des lois royales, & celles des lois des douze tables, furent presque toutes ôtées dans la république, soit par une suite de la loi Valérienne, soit par une conséquence de la loi Porcia. On ne remarque pas que la république en fût plus mal réglée, & il n'en résulta aucune lésion de police. Cette loi Valérienne, qui défendoit aux magistrats toute voie de fait contre un citoyen qui avoit appellé au peuple, n'infligeoit à celui qui y contreviendroit que la peine d'être réputé méchant.
Dès qu'un inconvénient se fait sentir dans un état où le gouvernement est violent, ce gouvernement veut soudain le corriger ; & au lieu de songer à faire exécuter les anciennes lois, on établit une peine cruelle qui arrête le mal sur-le-champ. Mais on use le ressort du gouvernement : l'imagination se fait à cette grande peine ainsi qu'elle s'étoit faite à la moindre ; & comme on diminue la crainte pour celle-ci, l'on est bientôt forcé d'établir l'autre dans tous les cas. Les vols sur les grands chemins étoient communs dans quelques états : on voulut les arrêter : on inventa le supplice de la roue qui les suspendit quelque tems ; depuis ce tems, on a volé comme auparavant sur les grands chemins.
Il ne faut point mener les hommes par les voies extrèmes ; on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. Qu'on examine la cause de tous les relâchemens, on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes, & non pas de la modération des peines. Suivons la nature qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau, & que la plus grande partie de la peine soit l'infamie de la souffrir ! Que s'il se trouve des pays où la honte ne soit pas une suite du supplice, cela vient de la tyrannie, qui a infligé les mêmes peines aux scélérats & aux gens de bien. Et si vous en voyez d'autres où les hommes ne sont retenus que par des supplices cruels, comptez encore que cela vient en grande partie de la violence du gouvernement, qui a employé ces supplices pour des fautes légeres. Souvent un législateur qui veut corriger un mal, ne songe qu'à cette correction : ses yeux sont ouverts sur cet objet, & fermés sur les inconvéniens. Lorsque le mal est une fois corrigé, on ne voit plus que la dureté du législateur ; mais il reste un vice dans l'état, que cette dureté a produit : les esprits sont corrompus, ils se sont accoutumés au despotisme.
Une preuve de ce que les peines tiennent à la nature du gouvernement, peut encore se tirer des Romains, qui changeoient à cet égard de lois civiles à mesure que ce grand peuple changeoit de lois politiques. Les lois royales faites pour un peuple composé de fugitifs, furent très-séveres. L'esprit de la république auroit démandé que les décemvirs n'eussent pas mis ces lois dans les douze tables ; mais des gens qui aspiroient à la tyrannie, n'avoient garde de suivre l'esprit de la république. En effet, après leur expulsion, presque toutes les lois qui avoient fixé les peines furent ôtées : on ne les abrogea pas expressément ; mais la loi Porcia ayant défendu de mettre à mort un citoyen romain, elles n'eurent plus d'application. Presque toutes les lois de Sylla ne portoient que l'interdiction de l'eau & du feu ; César y ajouta la confiscation des biens, parce qu'il en avoit besoin pour ses projets. Les empereurs rapprocherent les peines de celles qui sont établies dans une monarchie ; ils diviserent les peines en trois classes : celles qui regardoient les premieres personnes de l'état, sublimiores, & qui étoient assez douces : celles qu'on infligeoit aux personnes d'un rang inférieur, medios, & qui étoient plus séveres ; enfin celles qui ne concernoient que les conditions basses, infimos, & qui furent les plus rigoureuses.
Il est essentiel que les peines aient de l'harmonie entr'elles, parce qu'il est essentiel que l'on évite plutôt un grand crime qu'un moindre, ce qui attaque plus la société que ce qui la choque moins. Un imposteur qui se disoit Constantin Ducas, suscita un grand soulevement à Constantinople. Il fut pris & condamné au fouet ; mais ayant accusé des personnes considérables, il fut condamné comme calomniateur à être brûlé. Il est singulier qu'on eût ainsi proportionné les peines entre le crime de lèse-majesté & celui de calomnie.
C'est un grand mal parmi nous de faire subir la même peine à celui qui vole sur un grand chemin, & à celui qui vole & assassine. Il est visible que pour la sûreté publique il faudroit mettre quelque différence dans la peine. A la Chine les voleurs cruels sont coupés en morceaux, les autres non : cette différence fait que l'on y vole, mais que l'on n'y assassine pas. En Moscovie, où la peine des voleurs & celle des assassins sont les mêmes, on assassine toujours : les morts, y dit-on, ne racontent rien. Quand il n'y a point de différence dans la peine, il faut en mettre dans l'espérance de la grace. En Angleterre on n'assassine point, parce que les voleurs peuvent espérer d'être transportés dans les colonies, non pas les assassins.
C'est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime : tout l'arbitraire cesse : la peine ne dépend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose ; & ce n'est point l'homme qui fait violence à l'homme. Il y a quatre sortes de crimes ; ceux de la premiere espece choquent la religion ; ceux de la seconde, les moeurs ; ceux de la troisieme, la tranquillité ; ceux de la quatrieme, la sureté des citoyens. Les peines que l'on inflige doivent dériver de la nature de chacune de ces especes. (Le Chevalier DE JAUCOURT ).
PEINES, ETERNITE DES, (Théol.) Tout homme qui ne consulte que la lumiere naturelle, & cette idée aussi vraie que brillante d'une bonté infinie qui constitue le principal caractere de la nature divine, ne peut adopter la croyance de l'éternité des peines. Deus Optimus, Maximus, étoient les titres de la nature divine dans le langage des payens : c'étoit leur style de formule, en parlant de Dieu, & ce style ne connoissoit point un Dieu très-sévere & implacable. Ce style renfermoit deux épithetes, celle de la bonté & celle de la grandeur souveraine ; car la grandeur suprème n'est autre chose qu'une magnanimité, munificence, effusion de biens. Cette idée naturelle du souverain Etre, trouve sa confirmation dans l'Evangile, qui ne cesse de relever la bonté de Dieu sur ses autres attributs. Faire du bien, user de miséricorde, c'est l'occupation favorite de Dieu : châtier, punir, user de rigueur, c'est son oeuvre non accoutumée & malplaisante, dit l'Ecriture. Or cette peinture de la bonté de Dieu paroît incompatible avec les peines éternelles de l'enfer ; c'est pourquoi dès les premiers siecles de l'Eglise plusieurs savans hommes ont cru qu'il ne falloit pas prendre à la lettre les textes de l'Evangile, qui parlent de tourmens & de supplices sans bornes dans leur durée. Tel a été le sentiment d'Origène, de S. Jérôme, & d'autres peres cités dans les origeniana de M. Huet, l. II. quaest. 11.
Au commencement de la renaissance des Lettres dans l'Eglise, les Sociniens embrasserent la même opinion, comme la seule qui pût être compatible avec la souveraine bonté de Dieu, & la seule digne du Christianisme. C'est en vain qu'on a tâché de les rendre odieux par leur systême de la durée limitée des peines de l'enfer ; ce système s'est accrédité tous les jours davantage, & compte aujourd'hui au nombre de ses défenseurs, les plus augustes prélats de l'église anglicane, la plûpart des Arminiens, & une foule incroyable de laïques dans toutes les communions du Christianisme. L'Angleterre nomme M. Newton à la tête de ces derniers.
Mais une autorité vénérable, est celle du docteur Tillotson, dans son sermon traduit en françois sur l'éternité des peines de l'enfer. M. le Clerc remarque cependant qu'il y a eu des gens de bien qui ont censuré l'illustre primat d'Angleterre, pour avoir publié une doctrine dont les méchans peuvent abuser. " Mais, répond ce fameux ministre, on reviendra de cette censure, si l'on considere qu'il se trouve plusieurs occasions où l'on est obligé de découvrir ce qu'il seroit bon d'ailleurs de tenir caché. Si personne n'élevoit des doutes sur l'éternité des peines, il ne seroit pas besoin de toucher cette question ; mais depuis que tous les incrédules prétendent démontrer que cette doctrine de l'Evangile n'est pas conforme à elle-même, parce qu'elle introduit Dieu tout juste & tout bon, punissant le péché avec une sévérité incompatible avec sa justice & sa bonté, on est obligé de justifier les perfections divines, & d'empêcher que les raisonnemens qui les détruisent ne s'accréditent encore plus, & ne jettent un plus grand nombre de particuliers dans la licence de l'incrédulité.
Pour prévenir le mal qu'ils pourroient faire, & pour le couper par la racine, il est nécessaire d'avouer que si quelqu'un ne peut se persuader que les peines éternelles soient justes, il vaut mieux qu'il prenne ce que l'Evangile en dit pour des menaces ou pour des peines comminatoires, que de rejetter l'Evangile. Il vaut mieux être à cet égard origéniste qu'incrédule, c'est-à-dire rejetter plutôt l'éternité des peines par respect pour la justice & pour la bonté de Dieu, & obéir d'ailleurs aux préceptes de Jesus-Christ, que de rejetter toute la révélation, en se persuadant qu'elle contient quelque chose de contraire à l'idée qu'elle nous donne elle-même de la divinité, & qui est conforme aux lumieres de la nature & de la raison ".
M. Camphuysen, ministre, natif de Gorcum, & fameux en Hollande par ses poésies pieuses, a témoigné dans un écrit public qu'il avoit été tenté de rejetter toute la religion chrétienne dans le tems qu'il avoit cru qu'elle admet des peines éternelles, & qu'il n'étoit revenu de ses doutes qu'en reconnoissant qu'on pouvoit entendre autrement les menaces de l'Evangile.
La crainte des peines éternelles qui porte aux bonnes oeuvres, ne peut qu'être utile, dit M. Tillotson, & il n'est pas besoin de délivrer de cette crainte ceux sur qui elle produit cet effet ; mais quand il s'agit de gens que ces peines révoltent contre l'Evangile, il vaut mieux reconnoître avec eux des peines bornées, que de les éloigner de la religion chrétienne, ou de leur donner un si grand avantage pour la combattre. C'est pourquoi S. Jérôme gardoit un judicieux tempérament sur ce dogme : comme nous croyons, dit ce pere de l'Eglise, qu'il y a des tourmens éternels pour les démons, & pour ceux qui contre leur conscience nient l'existence de Dieu, nous croyons aussi que la sentence du juge est modérée & mêlée de clémence envers les autres pécheurs & les impies : les tourmens qui les punissent sont réglés par les bienfaits de la miséricorde divine ; mais personne ne sait de quelle maniere & combien de tems Dieu doit punir. Disons donc seulement : Seigneur ne me reprens point en ta fureur, & ne me châtie point en ta colere.
Les théologiens qui sont dans l'opinion de Tillotson sur les bornes des peines, croyent que Dieu a proposé ces menaces en termes illimités, non-seulement pour tenir les hommes dans la crainte, mais parce que les péchés, étant d'une infinité de sortes, il n'y a point de terme limité pour tous en commun ; & c'est même une grande partie de la peine que de n'avoir aucune connoissance du tems auquel elle finira. L'Ecriture-sainte a nommé éternels des supplices dont la durée est illimitée à l'égard des créatures, & dont la fin n'est connue que de Dieu, ce qui est la signification propre du mot hébreu , auquel répond le mot en grec, qui marque aussi un tems semblable. L'idée de ces supplices & de leur durée, quoique limitée, est assez effrayante pour faire trembler les plus endurcis, s'ils y font quelque attention. Quant aux incrédules, ils n'ont pas plus de peur des supplices éternels qu'ils ne croyent pas, que de ceux dont on vient de parler.
L'archevêque Tillotson n'est pas le seul théologien d'Angleterre qui ait combattu nettement dans ses écrits l'éternité proprement dite des peines de l'enfer ; on peut lui joindre Thom. Burnet, de statu mortuor. c. x. p. 290. Swinden, dans l'appendix de son traité de l'enfer ; l'auteur des remarques sur le lux orientalis ; Colliber, dans son essai sur la religion révélée ; Whitby, dans son appendix sur la seconde épître aux Thessalon. & l'illustre Samuel Clarke, dans ses sermons. Ce dernier théologien s'exprime ainsi sur ce sujet ;
" A l'égard de l'éternité des peines de l'enfer, je l'admets autant qu'elle se trouve renfermée dans le terme de , auquel le mot d'éternité répond ; c'est-à-dire qu'il est certain que ces peines dureront autant que l'existence des méchans qui les souffriront, ou pendant ces , ces périodes longs & indéterminés, pendant lesquels leur vie sera conservée par la puissance divine ; ensorte que rien ne terminera leurs tourmens que ce qui terminera aussi leur vie & leur condition pour jamais. Si l'Ecriture entend quelque chose de plus par cette éternité des peines de l'enfer, c'est ce que je ne déciderai pas positivement ; mais comme je trouve que les plus anciens écrivains ecclésiastiques panchent pour cette explication, & qu'elle suffit pleinement aux grandes fins de la religion ; qu'elle paroît aussi plus conforme à la bonté divine, si elle-même ne donne un nouvel appui à la justice de Dieu ; que d'ailleurs elle prévient toutes les chicanes des incrédules ; & qu'enfin je suis persuadé que c'est le vrai sens des expressions de l'Ecriture, je m'y tiendrai pour le présent, laissant à ceux qui prétendent que l'Ecriture en dit davantage, à justifier leur opinion, & à prouver qu'elle est raisonnable ".
M. Whiston est encore plus positif que M. Clarke, car il déclare que si l'opinion commune de l'éternité des peines étoit véritablement un dogme de la religion chrétienne, il formeroit contr'elle une difficulté infiniment plus grande que toutes les objections des incrédules prises ensemble. (D.J.)
PEINES chez les Romains, (Jurisprud. rom.) Il y avoit différens genres de peines civiles qui étoient en usage chez les Romains ; nous avons promis de les détailler en parlant des jugemens publics & particuliers de leurs tribunaux.
Les peines ou punitions usitées chez ce peuple, regardoient ou les biens, comme l'amende, en latin damnum, autrement mulcta ; ou le corps, comme la prison, le fouet, ou la peine du talion ; ou le droit, comme l'ignominie, l'exil & la servitude ; enfin quelques-uns étoient punis de mort.
L'amende ne se prenoit dans les premiers tems que sur les moutons & sur les boeufs ; mais comme cette punition d'amende étoit inégale, parce qu'on amenoit des boeufs & des moutons tantôt d'un grand prix, tantôt d'un prix très-vil, dans la suite par la loi Ateria on taxa dix deniers pour chaque mouton, & cent deniers pour chaque boeuf ; desorte que la plus forte amende de ce tems étoit de 3020 as. La prison étoit ou publique ou particuliere.
La prison publique étoit celle où on enfermoit les accusés quand ils avoient avoué leurs crimes. La prison particuliere étoit la maison des magistrats ou de quelques particuliers distingués, sous la garde desquels on mettoit les accusés.
La fustigation qui se faisoit avec des verges, précédoit le dernier supplice, qui étoit celui de la mort. La bastonnade étoit plus d'usage à l'armée.
Le talion, suivant la loi des douze tables, consistoit à rendre injure pour injure dans le cas d'un membre rompu, à moins que l'accusé n'eût obtenu de la partie lésée qu'elle lui remît la peine.
L'ignominie étoit une note d'infamie, ainsi appellée, parce qu'elle ne consistoit que dans la flétrissure du nom. Elle excluoit de toutes charges & presque de tous les honneurs qui s'accordoient aux citoyens.
On ne prononçoit pas à la vérité le mot d'exil dans l'imposition de cette peine, mais celui d'interdiction de feu & d'eau, laquelle étoit nécessairement suivie de l'exil, car il étoit impossible que quelqu'un restât dans Rome sans l'usage de l'eau & du feu ; mais sous Auguste la déportation succéda à cette interdiction de l'eau & du feu. La relégation étoit une peine moins rigoureuse, car ceux qui y étoient condamnés conservoient le droit de bourgeoisie, dont l'interdiction privoit, & c'étoit la peine à laquelle on condamnoit les gens de condition.
On vendoit pour être mis en servitude, ceux qui n'avoient pas donné leur nom pour le cens, ou qui avoient refusé de s'enrôler après avoir été appellés.
Ceux qui étoient condamnés à mort étoient ou décapités d'un coup de hache, après avoir essuyé la honte du fouet, & on disoit que cette peine s'infligeoit selon l'usage des anciens, more majorum ; ou bien ils étoient étranglés dans la prison appellée robur ; ou enfin jettés em-bas de la roche Tarpéïenne ; mais il paroît que ce genre de mort fut aboli dans la suite.
Le supplice ordinaire des esclaves étoit la croix ou la fourche, qu'ils étoient obligés de porter eux-mêmes : d'où vient que le nom furcifer, porte-fourche, étoit le reproche ordinaire qu'on faisoit aux esclaves ; cependant quelques-uns ont prétendu que cette fourche étoit un gibet. Quelquefois on imprimoit certains caracteres avec un fer chaud sur le front des esclaves : en allant au lieu du supplice, ils portoient une meule de moulin pendue à leur col ; c'étoit des meules de 15 à 18 pouces de diametre. Quelquefois encore, pour comble d'ignominie, après que les cadavres des criminels avoient été traînés dans la ville avec des crochets, on les précipitoit dans des puits appellés gemoniae, ou dans le Tibre. Nous ne rapporterons pas les autres especes de supplices, qui étoient presque tous arbitraires & exercés selon le caprice ou la cruauté des princes. Quant aux peines militaires, voyez l'article suivant. (D.J.)
PEINES MILITAIRES chez les Romains, (Art milit. des Romains) les Romains avoient d'une main des récompenses à la guerre pour animer les soldats à s'acquiter de leur devoir, & de l'autre main ils avoient des punitions pour ceux qui y manquoient.
Ces punitions étoient de la compétence des tribuns & des préfets avec leur conseil, & du général même, duquel on ne pouvoit appeller avant la loi Porcia, portée l'an 556.
On punissoit les soldats, ou par des peines afflictives, ou par l'ignominie. Les peines afflictives consistoient dans une amende, dans la saisie de leur paye, dans la bastonnade, sous laquelle il arrivoit quelquefois d'expirer ; ce châtiment s'appelloit fustuarium.
Les soldats mettoient à mort à coups de bâton ou de pierre, un de leurs camarades qui avoit commis quelque grand crime, comme le vol, le parjure, pour quelque récompense obtenue sur un faux exposé, pour la désertion, pour la perte des armes, pour la négligence dans les sentinelles pendant la nuit.
Si la bastonnade ne devoit pas aller jusqu'à la mort, on se servoit d'un sarment de vigne pour les citoyens, d'une autre baguette, ou même de verges pour les alliés. S'il y avoit un grand nombre de coupables, on les décimoit, ou bien l'on prenoit le vingtieme ou le centieme, selon la grieveté de la faute ; quelquefois on se contentoit seulement de les faire coucher hors du camp, & de leur donner de l'orge au-lieu de froment.
Comme les punitions qui emportent avec elles plus de honte que de douleur sont les plus convenables à la guerre, l'ignominie étoit aussi une des plus grandes ; elle consistoit, par exemple, à donner de l'orge aux soldats au-lieu de blé, à les priver de toute la paye ou d'une partie seulement. Cette derniere punition étoit sur-tout pour ceux qui quittoient leurs enseignes ; on leur retranchoit la paye pour tout le tems qu'ils avoient servi avant leur faute. La troisieme espece d'ignominie étoit d'ordonner à un soldat de sauter au-delà d'un retranchement. Cette punition étoit ordinaire pour les poltrons : on les punissoit encore en les exposant en public avec leur ceinture détachée, & dans une posture molle & efféminée. Cette exposition se faisoit dans la rue du camp appellée principia ; c'est là que s'exécutoient aussi les autres châtimens ; enfin pour comble d'ignominie, on les faisoit passer d'un ordre supérieur dans un autre fort au-dessous, comme de triariens dans les piquiers, ou dans les vélites ; il y avoit encore quelques autres punitions peu usitées, dont Juste Lipse vous donnera le détail. Voyez aussi l'article MILITAIRE, discipline des Romains. (D.J.)
PEINES PURIFIANTES, (Critiq. sacrée) l'opinion qu'il y a des peines purifiantes après la mort, & que Platon a établie dans le Phoedon, pag. 38. 84. édit. Francof. & dans son Gorgias, p. 356. 357. se communiqua d'assez bonne heure aux peres. Le savant Potter remarque qu'on trouve cette opinion en plusieurs endroits de Clément d'Alexandrie, comme in strom. lib. VI. pag. 134. 668. 794. Il n'est pas étonnant, continue Potter, que Clément qui goûtoit avec tant de plaisir les traditions judaïques sur les peines purifiantes, & les idées philosophiques des Platoniciens, & des Pythagoriciens sur-tout, ait donné dans ce sentiment ; Origène dans son homélie sur l'Exode, reconnoît semblablement un feu purgatif : mais au reste, ce feu purgatif qu'ils adoptent est bien différent de celui qui a été établi depuis. 1°. Selon ces peres, quoique les martyrs & les justes soient obligés d'y passer, s'ils n'ont rien à purifier, ils ne souffrent point de ce feu. 2°. Il n'est point destiné à ce qu'on nomme les péchés véniels, mais aux crimes & aux vices, 3°. Il n'y a point de rachat : la raison en est, que ces peines purifiantes étant nécessaires pour purger les vices qui ferment l'entrée du ciel, il faut que l'ame souffre jusqu'à ce qu'elle ait couronné sa purification. Lisez sur ces peines purifiantes, les remarques de Spencer sur le IV liv. d'Origène contre Celse : ajoutez y, si vous voulez, les passages de Grégoire de Nysse & des autres peres, recueillis par Forbesius in consultationibus modestis ; & enfin les notes de M. Simon. (D.J.)
PEINE AFFLICTIVE ou CORPORELLE, est celle qui s'inflige sur la personne même du condamné, & non pas seulement sur ses biens, comme le carcan, le fouet, la fleur-de-lis, le bannissement, les galeres, la peine de mort.
Il n'y a que le ministere public qui puisse conclure à une peine afflictive, comme étant seul chargé de la vindicte publique.
Lorsqu'une procédure a été civilisée, le juge ne peut plus prononcer de peine afflictive, à-moins que la partie publique ne vienne contre le jugement de civilisation par tierce opposition ou par la voie d'appel, ou que la partie civile n'interjette appel de ce même jugement.
Pour l'ordre des peines afflictives, l'ordonnance de 1670, tit. 25. article 13. porte qu'après la peine de mort naturelle, la plus rigoureuse est celle de la question, avec reserve des preuves en leur entier, des galeres perpétuelles, du bannissement perpétuel, de la question sans reserve des preuves, des galeres à tems, du fouet, de l'amende honorable, & du bannissement à tems. Voyez PEINE CAPITALE. (A)
PEINE D'AMENDE, c'est lorsque celui qui a contrevenu à quelque loi est condamné pour réparation en une amende. Voyez AMENDE.
PEINE ARBITRAIRE, on appelle ainsi celle qui n'est point spécifiée précisément par la loi, mais qui dépend des circonstances & de l'arbitrage du juge.
PEINE CAPITALE, est celle qui emporte mort naturelle ou civile ; ainsi toute peine afflictive n'est pas peine capitale, puisqu'il y a de ces sortes de peines qui n'emportent ni la mort naturelle, ni la mort civile, telle que la fustigation, l'application de la marque publique sur les épaules, le carcan, les galeres au-dessous de dix ans.
PEINE COMMINATOIRE, est celle qui n'est pas encourue de plein droit & par le seul fait, mais pour laquelle il faut encore un second jugement qui la déclare encourue, comme quand il est dit par un premier jugement, que faute par une partie de faire telle chose dans un tel tems, elle sera déchue de quelque droit ou de quelque demande ; cette déchéance qui est une peine, n'est encourue que par un second jugement, qui déclare que faute par ladite partie d'avoir fait telle chose dans le tems qui avoit été prescrit, elle demeure déchue ; & pour que la peine ne soit pas comminatoire, il faut que le jugement qui prononce la déchéance exprime que passé le tems prescrit, elle aura lieu en vertu du même jugement, & sans qu'il en soit besoin d'autre.
Les peines prononcées par les lois contre les crimes ne sont jamais reputées comminatoires.
Il en est de même des peines prononcées en matiere civile par les lois & les ordonnances.
Mais les peines prononcées par le juge dans le cas dont on a parlé ci-devant, & dans les autres cas semblables où la peine ne doit être encourue qu'au cas que la partie n'ait pas satisfait au jugement, ne sont ordinairement que comminatoires.
PEINE DU COMPROMIS, est celle qui est stipulée dans un compromis pour l'exécution d'icelui, comme quand les parties se soumettent de payer une certaine somme en cas d'inexécution du compromis ou de la sentence arbitrale. Voyez COMPROMIS, ARBITRE, NTENCE ARBITRALERALE.
PEINE CORPORELLE, est la même chose que peine afflictive, c'est celle qui s'éxécute sur le corps, c'est-à-dire sur la personne même, & non pas sur ses biens seulement. Voyez ci-devant PEINE AFFLICTIVE.
PEINE DE CORPS, est toute autre chose que peine corporelle ; on entend par-là dans quelques coutumes les salaires des manouvriers. Voyez la coutume de Sens, article 254.
PEINE DU DOUBLE, DU TRIPLE, DU QUADRUPLE, est celle que les ordonnances prononcent contre ceux qui commettent quelque faute ou contravention ; au-lieu de leur faire payer le simple droit, on leur fait payer le double ou le triple ; pour avoir voulu frauder le droit, ou pour n'avoir pas satisfait dans le tems à quelque formalité prescrite.
PEINE DE FAUX, c'est lorsque quelqu'un encourt les peines prononcées par les lois pour le crime de faux. Voyez FAUX.
PEINE GRAVE, s'entend d'une peine des plus rigoureuses, comme celle de mort ou mutilation de membres, &c.
PEINE INFAMANTE, est celle qui ôte l'honneur à celui qui est condamné, comme la peine de mort ou autre peine afflictive, la dégradation ou condamnation à se défaire de sa dignité, l'amende honorable, l'amende en matiere criminelle, & la condamnation à une aumône en matiere civile.
PEINE LEGALE, est celle qui est prononcée par quelque loi, ordonnance ou coutume, comme une amende, une nullité ou déchéance faute d'avoir fait quelque chose, ou de l'avoir fait dans le tems prescrit par la loi, comme la nullité d'une donation, faute d'insinuation dans les quatre mois.
Ces sortes de peines courent contre toutes sortes de personnes sans espérance de restitution, même contre les mineurs, sauf leur recours contre leur tuteur, au cas qu'il y ait négligence de sa part.
PEINE LEGERE, est celle qui est peu rigoureuse, eu égard à la qualité du délit & à celle de l'accusé, comme l'admonition & l'aumône en matiere criminelle. Voyez PEINE CAPITALE, PEINE GRAVE.
PEINE DE MORT, est toute condamnation qui doit être suivie de la mort naturelle ou civile du condamné.
PEINE DE NULLITE, c'est une disposition de quelque loi ou jugement qui prononce la nullité de quelqu'acte ou procédure, soit que la peine soit vicieuse en elle-même, soit parce que l'on n'a pas satisfait à quelque autre chose qui devoit précéder ou accompagner l'acte. Voyez NULLITE.
PEINE PECUNIAIRE, est une condamnation dont l'effet est seulement d'obliger de payer une somme d'argent, comme une amende ou une aumône, des intérêts & réparations civils, des dommages & intérêts.
On l'appelle ainsi pour la distinguer de la peine corporelle.
PEINE DE LA PLUS PETITION. Voyez ci-après PLUS PETITION.
PEINE DU QUADRUPLE, est celle qui consiste à faire payer trois fois autant que ce qui étoit dû originairement. Voyez PEINE DU DOUBLE.
PEINE DU TALION, est celle qui consiste à faire souffrir au condamné le même traitement qu'il a fait à autrui. Voyez LOI DU TALION.
PEINE DES TEMERAIRES PLAIDEURS, c'est la condamnation des dépens, qui est ordinairement la seule peine que supportent ceux qui succombent dans leur demande ou contestation, à-moins qu'il n'y ait eu vexation, auquel cas il y auroit lieu à accorder des dommages & intérêts. Voyez aux Institutes le titre de poena temere litigantium, lib. IV. tit. 16.
PEINE DU TRIPLE, ce droit consiste à faire payer deux fois en sus autant qu'il étoit dû pour le simple droit. Voyez ci-devant PEINE DU DOUBLE. (A)
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PEINÉ | adj. se dit en Peinture & en Sculpture, & même en Litterat. des ouvrages où rien n'est fait avec facilité, & qui annoncent par-tout la peine que l'artiste a eu à les produire : ces sortes d'ouvrages sont toujours recherchés, prononcés jusqu'à en être secs & mesquins ; on dit ce tableau est peiné, ouvrage peiné.
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PEINTADE | S. f. POULE-PEINTADE, POULE DE GUINEE, POULE D'AFRIQUE, PERDRIX DES TERRES NEUVES, gallina guinea Wil. (Hist. nat. Ornithologie) oiseau de la grosseur d'une poule ; il a un pié neuf pouces & demi de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & dix pouces jusqu'au bout des ongles : les ailes étant pliées, s'étendent à un pouce au-delà de l'origine de la queue. La tête n'est pas couverte de plumes, il y a seulement à l'origine du bec de quelques individus de cette espece un petit bouquet composé de poils roides, assez semblables à des soies de cochon. La peintade a sur le front une espece de corne conique, courbé en arriere & couverte d'une peau de couleur fauve, brune & rougeâtre ; elle a aussi des membranes charnues d'un très-beau rouge, qui pendent à côté de l'ouverture du bec ; les joues sont bleuâtres dans le mâle, & rouges dans la femelle. La partie supérieure du cou est couverte de plumes noires, semblables à des poils ; la partie inférieure a une couleur cendrée, tirant sur le violet. Les plumes du dos, du croupion, les petites aîles, celles du dessus de la queue, de la poitrine, du ventre, des côtés du corps & des jambes, sont noires, & ont des taches blanches, rondes & symmétriques ; le tour de ces taches est purement noir, & le reste de la plume est d'un noir mêlé de cendré. Les taches du dos sont plus petites que celles des autres parties du corps, & il n'y a pas de couleur cendrée sur les plumes de toute la face inférieure de l'oiseau. Les grandes plumes des aîles sont noirâtres & ont des taches blanches. La queue est arrondie comme celle des perdrix, & de couleur grise ; elle a des taches blanches, rondes & entourées de noir. Le bec est rouge à son origine, & de couleur de corne vers l'extrémité. On ne distingue le mâle de la femelle que par la couleur des joues dont il a été fait mention. On éleve les peintades dans les basses-cours comme des poules ; & elles ont été apportées d'Afrique. Ornit. de M. Brisson. Voyez OISEAU.
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PEINTRE | S. m. (Peinture) artiste qui sait représenter toutes sortes d'objets par le secours des couleurs du pinceau.
Le bonheur d'un peintre est d'être né avec du génie. Le génie est ce feu qui éleve les peintres au-dessus d'eux-mêmes, qui leur fait mettre de l'ame dans leurs figures, & du mouvement dans leurs compositions. L'expérience prouve suffisamment que tous les hommes ne naissent pas avec un génie propre à les rendre peintres. Nous avons vu des hommes d'esprit qui avoient copié plusieurs fois ce que la peinture a produit de plus sublime, vieillir le pinceau & la palette à la main, sans s'élever au-dessus du rang de coloristes médiocres, & de serviles dessinateurs d'après les figures d'autrui. Les esprits les plus communs sont capables d'être peintres, mais jamais grands peintres.
Il ne suffit pas aux peintres, d'avoir du génie, de concevoir des idées nobles, d'imaginer les compositions les plus élégantes & de trouver les expressions les plus pathétiques, il faut encore que leurs mains ayent été rendues dociles à se fléchir avec précision en cent manieres différentes, pour se trouver capables de tirer avec justesse la ligne que l'imagination leur demande. Le génie a, pour ainsi dire, les bras liés dans un artiste dont la main n'est pas dénouée.
Il en est de l'oeil comme de la main, il faut que l'oeil d'un peintre soit accoutumé de bonne heure à juger par une opération sûre & facile, en même tems, quel effet doit faire un certain mélange, ou bien une certaine opposition de couleurs ; quel effet doit faire une figure d'une certaine hauteur dans un grouppe ; & quel effet un certain grouppe fera dans le tableau après que le tableau sera colorié. Si l'imagination n'a pas à sa disposition une main & un oeil capables de la seconder à son gré, il ne résulte des plus belles idées qu'enfante cette imagination, qu'un tableau grossier, & que dédaigne l'artiste même qui l'a peint, tant il trouve l'oeuvre de sa main au-dessous de l'oeuvre de son esprit.
L'étude nécessaire pour perfectionner l'oeil & la main ne se fait point en donnant quelques heures distraites à un travail interrompu. Cette étude demande une attention entiere, & une persévérance continuée durant plusieurs années. On sait la maxime qui défend aux peintres de laisser écouler un jour entier, sans donner quelques coups de pinceau, maxime qu'on applique communément à toutes les professions, tant on la trouve judicieuse : nulla dies sine lineâ.
Le seul tems de la vie qui soit bien propre à faire acquérir leur perfection à l'oeil & à la main, est le tems où nos organes, tant intérieurs qu'extérieurs, achevent de se former : c'est le tems qui s'écoule depuis l'âge de quinze ans jusqu'à trente. Les organes contractent sans peine durant ces années toutes les habitudes, dont leur premiere conformation les rend susceptibles. Mais si l'on perd ces années précieuses, si on les laisse écouler sans les mettre à profit, la docilité des organes se passe sans que nos efforts puissent jamais la rappeller. Quoique notre langue soit un organe bien plus souple que notre main, cependant nous prononçons toujours mal une langue étrangere que nous apprenons après 30 ans.
Un peintre doit connoître à quel genre de peinture il est propre, & se borner à ce genre. Tel demeure confondu dans la foule, qui seroit au rang des illustres maîtres, s'il ne se fut point laissé entraîner par une émulation aveugle, qui lui a fait tenter de se rendre habile dans des genres de peinture pour lesquels il n'étoit point né, & qui lui a fait négliger ceux auxquels il étoit très-propre. Les ouvrages qu'il a essayé de faire sont, si l'on veut, d'une classe supérieure, mais ne vaut-il pas mieux être cité pour être un des premiers faiseurs de portraits de son tems, que pour un misérable arrangeur de figures ignobles & estropiées ?
Les jeunes peintres qui ont à coeur de réussir doivent encore se garder des passions violentes, en particulier de l'impatience, de la précipitation & du dégoût. Que ceux qui se trouvent dans une fortune étroite ne desesperent point de l'améliorer par l'application ; l'opulence détourne du travail & de l'exercice de la main : la fortune est plus nuisible aux talens qu'elle ne leur est utile ; mais d'un autre côté les distinctions, les honneurs & les recompenses sont nécessaires dans un état pour y encourager la culture des beaux arts, & y former des artistes supérieurs. Un peintre en Grece étoit un homme célebre aussi-tôt qu'il méritoit de l'être. Ce genre de mérite faisoit d'un homme du commun un personnage, & il l'égaloit à ce qu'il y avoit de plus grand & de plus important dans l'état ; les portiques publics où les peintres exposoient leurs tableaux étoient les lieux où ce qu'il y avoit de plus illustre dans la Grece se rendoit de tems en tems pour en juger. Les ouvrages des grands-maîtres n'étoient point alors regardés comme des meubles ordinaires, destinés pour embellir les appartemens d'un particulier ; on les réputoit les joyaux d'un état & un trésor du public, dont la jouïssance étoit due à tous les citoyens. Qu'on juge donc de l'ardeur que les artistes avoient alors pour perfectionner leurs talens, par l'ardeur que nous voyons dans nos contemporains pour amasser du bien, ou pour faire quelque chose de plus noble pour parvenir aux grands emplois d'un état.
Quoique la réputation du peintre soit plus dépendante du suffrage des experts que celle des poëtes, néanmoins ils ne sont pas les juges uniques de leur mérite. Aucun d'eux ne parviendroit que long-tems après la mort à la distinction qui lui est dûe, si la destinée demeuroit toujours au pouvoir des autres peintres. Heureusement ses rivaux compatriotes n'en sont les maîtres que pour un tems. Le public qu'on éclaire tire peu-à-peu le procès à son tribunal, & rend à chacun la justice qui lui est dûe. Mais en particulier un peintre qui traite de grands sujets, qui peint des coupoles & des voûtes d'église, ou qui fait de grands tableaux destinés pour être placés dans tous les lieux où tous les hommes ont coutume de se rassembler, est plutôt connu pour ce qu'il est, que le peintre qui travaille à des tableaux de chevalet destinés pour être renfermés dans des appartemens de particuliers.
De plus il est des lieux, des tems, des pays où le mérite d'un peintre est plutôt reconnu qu'ailleurs. Par exemple, les tableaux exposés dans Rome seront plutôt appréciés à leur juste valeur, que s'ils étoient exposés dans Londres & dans Paris. Le goût naturel des Romains pour la Peinture, les occasions qu'ils ont de s'en nourrir, si je puis parler ainsi, leurs moeurs, leur inaction, l'occasion de voir perpétuellement dans les églises & dans les palais des chefs-d'oeuvres de peinture ; peut-être aussi la sensibilité de leurs organes rend cette nation plus capable qu'aucune autre d'apprécier le mérite de leurs peintres sans le concours des gens du métier. Enfin un peintre s'est fait une juste réputation, quand ses ouvrages ont un prix chez les étrangers ; ce n'est point assez d'avoir un petit parti qui les vante, il faut qu'ils soient achetés & bien payés ; voilà la pierre de touche de leur valeur.
Ce qui resserre quelquefois les talens des peintres dit à ce sujet M. de Voltaire, & ce qui sembleroit devoir les éteindre, c'est le goût académique, c'est la maniere qu'ils prennent d'après ceux qui président à cet art. Les académies sont sans doute très-utiles pour former des éleves, sur-tout quand les directeurs travaillent dans le grand goût ; mais si le chef a le goût petit, si la maniere est aride & léchée, si ses figures grimacent, si ses expressions sont insipides, si son coloris est foible, les éleves subjugués par l'imitation, ou par envie de plaire à un mauvais maître, perdent entierement l'idée de la belle nature. Donnez-moi un artiste tout occupé de la crainte de ne pas saisir la maniere de ses confreres, ses productions seront compassées & contraintes. Donnez-moi un homme d'un esprit libre, plein de la belle nature qu'il copie, cet homme réussira. Presque tous les artistes sublimes ont fleuri avant les établissemens des académies, ou ont travaillé dans un goût différent de celui qui regnoit dans ces sociétés ; presque aucun ouvrage qu'on appelle académique, n'a été encore dans aucun genre un ouvrage de génie.
Si présentement le lecteur est curieux de connoître les célebres peintres modernes, il en trouvera la liste générale sous les artistes des différentes ÉCOLES ; mais comme les noms & le caractere des anciens peintres méritent encore plus d'être recueillis dans cet ouvrage, voyez PEINTRES anciens. (Le chevalier DE JAUCOURT )
PEINTRES GRECS, (Peint. antiq.) ils sont si célebres dans les écrits de l'antiquité, & leurs ouvrages sont si liés à la connoissance de la Peinture, que les détails qui les regardent appartiennent essentiellement à l'Encyclopédie. D'ailleurs ils intéressent presque également les littérateurs, les curieux & les gens de métier.
Les peintres de la Grece qui ont pratiqué les premiers cet art, sont, selon Pline, Ardicès de Corinthe, & Téléphanès de Sycione ; ensuite parurent Cléophante de Corinthe, l'auteur de la peinture monochrome, auquel succederent Hygiemon, Dinias, Charmidas, Eumarus d'Athènes & Cimon de Cléone ; mais l'histoire n'a point fixé le tems où ils ont vécu, & Pline ne nous dit que quelques particularités des deux derniers.
Ludius peintre d'Ardéa, different du Ludius d'Auguste qui fit quelque peinture à Coeré ville d'Etrurie, paroît avoir été postérieur à Cléophante, à Cimon, auteur des premieres beautés de l'art. Si donc on place la fondation de Rome en l'an 753 avant l'ere chrétienne, il en résulteroit assez vraisemblablement que Ludius auroit vécu pour le plus tard vers l'an 765 avant Jesus-Christ, l'anonyme de Coeré vers l'an 680, Cimon vers l'an 795, Eumarus vers l'an 810, Charmidas, Dinias & Hygiemon vers l'an 825, & Cléophante l'ancien vers l'an 840.
Bularque qui le premier introduisit l'usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture, & qui étoit contemporain du roi Candaule, vécut vers l'an 730 avant Jesus-Christ. Nous n'avons point la suite des peintres grecs depuis Bularque, c'est-à-dire depuis l'an environ 730 jusqu'à la bataille de Marathon qui se donna l'an 490.
Panée ou Panaenus peignit cette bataille, & comme de son tems l'usage de concourir pour le prix de Peinture fut établi à Corinthe & à Delphes, il se mit sur les rangs le premier pour concourir avec Timagoras de Chalcis l'an 474 avant Jesus-Christ.
Après Panaenus, & avant la 90 olympiade, parut Polygnote de Thasos, fils d'Aglaophon, & surnommé quelquefois Athénien, parce qu'Athènes le mit au nombre de ses citoyens. Il eut pour contemporain le peintre Micon, Nesias de Thasos, Démophile qui fit des ouvrages avec Gorganus dans un temple de Rome.
Vers la même 90e olympiade, c'est-à-dire l'an 420 avant Jesus-Christ, parurent un autre Aglaophon différent du pere de Polygnote, Céphissodore dont le nom a été commun à différens sculpteurs, Phrylus & Evenos d'Ephèse. Vers le même tems doivent être placés deux autres peintres qu'Aristote a mis à la suite de Polygnote, l'un est Pauson & l'autre Denys de Colophon, tous deux antérieurs à l'an 404, qui fut l'époque des grands peintres de la Grece. Polygnote, en peignant les hommes, les rehaussa ; Pauson les avilit ; & Denys les représenta ce qu'ils ont coutume d'être.
Vers l'an 415 vécurent Nicanor & Arcésilaüs, tous les deux de Paros, & Lysippe d'Egine ; ils sont après Polygnote, & sont les trois plus anciens peintres encaustiques. Briétés, autre peintre encaustique, les suivit de près ; il eut pour fils & pour éleve Pausias célebre vers l'an 376.
A la 94e olympiade l'an 404, Apollodore d'Athènes ouvrit une nouvelle carriere, & donna naissance au beau siecle de la peinture. La quatrieme année de la 95e olympiade l'an 397, Zeuxis de la ville d'Héraclée entra dans la carriere qu'Apollodore avoit ouverte, & y fit de nouveaux progrès.
Parrhasius d'Ephèse, Timanthe de Cythnos, Androcyde de Cyzique, Euxénidas & Eupompe de Sicyone ont tous été contemporains de Zeuxis, & la plûpart enrichirent l'art de quelques nouvelles beautés. Eupompe en particulier donna le commencement à une troisieme classe de peintres à l'école sycionienne, différente de l'ionienne ou asiatique, & de l'athénienne ou helladique.
Aristophon dont Pline rapporte différens ouvrages sans déterminer le tems où il vivoit, parce que c'étoit un peintre du second rang, doit avoir suivi de fort près les artistes précédens, & s'être fait connoître vers l'an 390. Il étoit fils d'Aglaophon, célebre en l'an 420 avant l'ere chrétienne.
En l'an 380 commença la 100e olympiade, après laquelle Pline met Pausias de Sycione, dont la célébrité appartient à la 101e olympiade vers l'an 376 ; il fut, à proprement parler, l'auteur de la belle encaustique ; il inventa la ruption de la couleur dans le noir, comme Zeuxis l'avoit fait dans le blanc.
Pamphile de Macédoine ayant été l'éleve d'Eupompe & le maître d'Apelle, fleurissoit vers l'an 364, à la 104e. olympiade, avec Ctésydeme peintre du second rang, Euphranor natif de l'Isthme de Corinthe, & Cydias de Cythnos. Calades qui composa de petits sujets, doit être placé un peu après.
A la 107e olympiade, l'an 352, Echion & Térimachus, habiles statuaires, se firent encore honneur par leur pinceau, ainsi qu'Aristolaüs & Méchopane peintres encaustiques, celui-là fils, celui-ci éleve de Pausias. Antidotus, autre peintre encaustique, les suivit de près, & appartient environ à l'an 348. On doit placer Calliclès environ dans le même tems.
La 112e olympiade, autrement l'an 332, nous présente sous le regne d'Alexandre, Apelle, Antiphyle, Aristide le Thébain, Asclépiodore, Théomneste, Nicomaque, Mélanthius, Amphion, Nicophane, Aetion, Nicias d'Athènes, enfin Protogène & quelqu'autres peintres du premier mérite.
Tels ont été dans l'ordre chronologique les principaux peintres qui ont illustré la Grece ; il s'agit maintenant d'entrer dans des détails plus intéressans, je veux dire, de faire connoître leurs caracteres, leurs talens & leurs ouvrages. Je n'oublierai rien à tous ces égards pour satisfaire la curiosité des lecteurs, & pour leur commodité je vais suivre l'ordre alphabétique.
Aetion est fameux par sa belle & grande composition qui représentoit le mariage d'Alexandre & de Roxane. Lucien décrit avec admiration ce chef-d'oeuvre de l'art, & sur sa description on ne peut s'empêcher de convenir que ce tableau devoit surpasser infiniment pour les graces de l'invention & pour l'élégance des allégories, ce que nos plus aimables peintres & ce que l'Albane lui-même a fait de plus riant dans le genre des compositions galantes. Empruntons la traduction de M. l'abbé du Bos : elle est faite avec autant de goût & de choix d'expressions, que Pline en a mis en parlant du tombeau d'Aristide.
Roxane étoit couchée sur un lit ; la beauté de cette fille relevée encore par la pudeur lui faisoit baisser les yeux à l'approche d'Alexandre, & fixoit sur elle les premiers regards du spectateur. On la reconnoissoit sans peine pour la figure principale du tableau. Les amours s'empressoient à la servir. Les uns prenoient ses patins & lui ôtoient ses habits, un autre amour relevoit son voile, afin que son amant la vît mieux ; & par un sourire qu'il adressoit à ce prince, il le félicitoit sur les charmes de sa maîtresse. D'autres amours saisissoient Alexandre, & le tirant par sa cotte-d'armes, ils l'entraînoient vers Roxane dans la posture d'un homme qui vouloit mettre son diadème aux piés de l'objet de sa passion ; Ephestion, le confident de l'intrigue, s'appuyoit sur l'hyménée, pour montrer que les services qu'il avoit rendus à son maître avoient eu pour but de ménager entre Alexandre & Roxane une union légitime. Une troupe d'amours en belle humeur badinoit dans un des coins du tableau avec les armes de ce prince.
L'énigme n'étoit pas bien difficile à comprendre, & il seroit à souhaiter que les peintres modernes n'eussent jamais inventé d'allégories plus obscures. Quelques-uns de ces amours portoient la lance d'Alexandre, & ils paroissoient courbés sous un fardeau trop pesant pour eux : d'autres se jouoient avec son bouclier : ils y avoient fait asseoir celui d'entr'eux qui avoit fait le coup, & ils le portoient en triomphe tandis qu'un autre amour qui s'étoit mis en embuscade dans la cuirasse d'Alexandre, les attendoit au passage pour leur faire peur. Cet amour embusqué pouvoit bien ressembler à quelqu'autre maîtresse d'Alexandre, ou bien à quelqu'un des ministres de ce prince qui avoit voulu traverser le mariage de Roxane.
Un poëte diroit, ajoute M. l'abbé du Bos, que le dieu de l'hyménée se crut obligé de recompenser le peintre qui avoit célébré si galamment un de ses triomphes. Cet artiste ingénieux ayant exposé son tableau dans la solemnité des jeux olympiques, Pronéséides, qui devoit être un homme de grande considération, puisque cette année-là il avoit l'intendance de la fête, donna sa fille en mariage au peintre. Raphaël n'a pas dédaigné de crayonner le sujet décrit par Lucien. Son dessein a été gravé par un des disciples du célebre Marc-Antoine. Enfin la poésie même s'en est parée. M. de Voltaire en a emprunté divers traits pour embellir la position d'Henri IV. & de Gabrielle d'Estrée dans le palais de l'amour. On sait par coeur les vers charmans qu'il a imités de l'ordonnance du tableau d'Aetion, ces vers qui peignent si bien la vertu languissante d'Henri IV.
Les folâtres plaisirs dans le sein du repos,
Les amours enfantins désarmoient ce héros ;
L'un tenoit sa cuirasse encor de sang trempée,
L'autre avoit détaché sa redoutable épée,
Et rioit de tenir dans ses débiles mains
Ce fer l'appui du trône & l'effroi des humains.
Mais il faut convenir que c'est ici un des sujets où le peintre peut faire des impressions beaucoup plus touchantes que le poëte. Il est aussi d'autres sujets plus avantageux pour le poëte que pour le peintre.
Agatharque de Samos travailla le premier à la sollicitation d'Eschile, aux embellissemens de la scene, selon les regles de la perspective sur laquelle il composa même un traité pour faire des décorations en ce genre. Plutarque, Vitruve & Suidas nous apprennent en même tems qu'il fleurissoit vers la 75 olympiade, c'est-à-dire 480 ans avant J. C.
Aglaophon ; Athénée cite deux tableaux d'Aglaophon. Dans l'un Alcibiade revenant des jeux olympiques, étoit représenté, couronné par les mains d'une olympiade & d'une pythiade, c'est-à-dire par les déesses qui présidoient à ces jeux ; & dans l'autre il étoit couché sur le sein de la courtisanne Némea, comme se délassant de ses travaux. Ce dernier tableau d'Alcibiade nous rappelle celui que Lucrece fait de Mars couché sur le sein de Vénus, morceau de poésie comparable aux plus beaux morceaux d'Homere. La grande gloire d'Aglaophon est d'avoir eu pour fils & pour éleve le célebre Polygnote.
Antidotus, éleve d'Euphranor, diligentior quam numerosior, & in coloribus severus, dit Pline. Il fut plus soigneux que fécond, & très-exact dans sa couleur, c'est-à-dire qu'il observa la couleur locale, & qu'il ne s'écarta point de la vérité. Cet Antidotus eut pour éleve Nicias, athénien, qui peignit si parfaitement les femmes, & dont il y aura de plus grands éloges à rapporter ; car il conserva avec soin la vérité de la lumiere & celle des ombres, lumen & umbras custodivit ; c'est-à-dire qu'il y a mieux entendu le clair obscur ; & par une suite nécessaire, les figures de ses tableaux prenoient un grand relief, & les corps paroissoient saillans.
Antiphile né en Egypte, contemporain de Nicias & d'Apelle, se montra fort étendu dans son art, & réussit également dans les grands & les petits sujets. Il peignit Philippe, & Alexandre encore enfant ; mais il s'acquit beaucoup plus de gloire par le portrait d'un jeune garçon qui souffloit le feu, dont la lueur éclairoit un appartement d'ailleurs fort orné, & faisoit briller la beauté du jeune homme. Pline loue cet ouvrage de nuit, & avec raison ; car il n'en faut pas davantage pour prouver que cette partie de la Peinture, qui consiste dans la belle entente des reflets & du clair-obscur, étoit connue de l'ingénieux Antiphile, quoique M. Perrault en ait refusé l'intelligence aux anciens.
Le même Antiphile a été l'inventeur du grotesque ; il représenta dans ce goût Gryllus, apparemment l'olympionique de ce nom, que Diodore place à la cent douzieme olympiade ; & le nom de Grillus fut conservé dans la suite à tous les tableaux que l'on voyoit à Rome, & dont l'objet pouvoit être plaisant ou ridicule. C'est ainsi que l'on a nommé en Italie depuis le renouvellement des arts, bambochades, les petites figures faites d'après le peuple, & que Pierre Van Laïr, hollandois, surnommé Bamboche par un sobriquet que méritoit sa figure, avoit coutume de peindre. C'est encore ainsi que nous disons une figure à Calot, quand elle est chargée de quelque ridicule, ou de quelque imperfection donnée par la nature, ou survenue par accident ; non que cet habile dessinateur n'ait fait comme Antiphilus, des ouvrages d'un autre genre ; mais il est singulier de voir combien le monde se répete dans les opérations, dans celles même qui dépendent le plus de l'esprit.
Apaturius ; ce prestige de la Peinture qui consiste à éloigner des objets dans un tableau, faire fuir les uns & rapprocher les autres, est un prestige que connoissoient les anciens ; Apaturius en donna des preuves dans une décoration de théatre qu'il fit à Tralles, ville de Lydie. Nous en parlerons au mot PERSPECTIVE. C'est Vitruve seul, liv. VII. chap. v. qui nous a conservé le souvenir du peintre Apaturius, sans nous apprendre ni sa patrie, ni dans quel tems il vivoit.
Apelle né l'an du monde 3672 ; il eut au degré le plus éminent la grace & l'élégance pour caractériser son génie, le plus beau coloris pour imiter parfaitement la nature, le secret unique d'un vernis pour augmenter la beauté de ses couleurs, & pour conserver ses ouvrages. Il se décéla à Protogene par sa justesse dans le dessein, en traçant des contours d'une figure (lineas) sur une toile. Il inventa l'art du profil pour cacher les défauts du visage. Il fournit aux Astrologues par ses portraits, le secours de tirer l'horoscope, sans qu'ils vissent les originaux. Il mit le comble à sa gloire par son tableau de la calomnie, & par sa Vénus Anadyomène, que les Poëtes ont tant célébrée, & qu'Auguste acheta cent talens, c'est-à-dire selon le P. Bernard, environ vingt mille guinées, ou selon Mrs. Belley & Barthelemi, 470000 liv. de notre monnoie. Enfin Apelle contribua lui seul plus que tous les autres artistes ensemble, à la perfection de la Peinture par ses ouvrages & par ses écrits, qui subsistoient encore du tems de Pline. Contemporain d'Aristote & d'Alexandre, l'un le plus grand philosophe, l'autre le plus grand conquérant qu'il y ait jamais eu dans le monde, Apelle est aussi le plus grand peintre.
Il vivoit vers la cent douzieme olympiade ; il étoit de Cos selon Ovide, d'Ephese suivant Strabon ; & si l'on en croit Suidas, il étoit originaire de Colophon, & devint citoyen d'Ephese par adoption. Cette diversité de sentimens semble indiquer que plusieurs villes se disputoient l'honneur d'avoir donné naissance à ce grand peintre, comme d'autres villes se sont disputé l'honneur d'être la patrie d'Homere.
Les habitans de Pergame acheterent des deniers publics, un palais ruiné, où il y avoit quelques peintures d'Apelle, non-seulement, dit Solin, pour empêcher les araignées de tendre leurs toiles dans une maison que les ouvrages de cet excellent artiste rendoient respectable, mais encore pour les garantir des ordures des oiseaux. Les citoyens de Pergame firent plus, ils y suspendirent le corps d'Apelle dans un reseau de fil d'or. On pourroit expliquer ce passage en imaginant qu'ils firent couvrir & réparer ce vieux palais, qui sans doute étoit inhabité, & dont nous dirions aujourd'hui que c'étoit un nid de chauve-souris, &c. Par cette explication, le récit de Solin n'auroit rien de ridicule ; mais il n'importe, il suffit de croire que tous les soins qu'on prit, eurent pour objet l'illustration de la mémoire d'Apelle, & la conservation de ses ouvrages ; leur beauté n'ôtoit rien à la ressemblance, ce qui fit dire à Appion d'un métoposcope, qu'il dressoit des jugemens certains sur le front d'une tête tirée de la main d'Apelle.
C'est le peintre sur lequel Pline, ainsi que tous les auteurs, s'est le plus étendu, & dont il a le mieux parlé. Voici un de ses passages : Pinxit & quae pingi non possunt, tonitrua, fulgura, fulgetraque, bronten, astrapen : ceraunobolian appellant : inventa ejus, & caeteris proficere in arte. Toutes ces différences de noms données autrefois à la foudre, ne conviennent plus à la simplicité de nos principes physiques ; mais il semble que l'art devoit être bien resserré dans les grands effets de la nature avant Apelle, si elle lui a l'obligation dont parle Pline.
Il avoit représenté Alexandre ayant le foudre en main : digiti eminere videntur, & fulmen extrà tabulam esse. Cette attitude indique un raccourci des plus nobles & des plus heureux, & cette description est vraiment faite par un homme de l'art, car Raphaël ne se seroit pas exprimé autrement, en parlant d'un tableau de Michel-Ange : " la main étoit saillante, & le foudre paroissoit hors de la toile. "
On ne peut se résoudre à quitter Apelle ; cet homme qui a réuni tant de qualités du coeur & de l'esprit, qui a joint l'élevation du talent à celle du génie, & qui a été enfin assez grand pour se louer sans partialité, & pour se blâmer avec vérité ; on ne peut, dis-je, le quitter sans parler de l'idée que donne la description d'un de ses ouvrages. C'est le tableau de Diane & de ses nymphes, dont Pline dit : quibus vicisse Homeri versus videtur idipsum describentis. L'admiration que l'on a pour Homere, lui que Phidias voulut prendre pour son seul guide dans l'exécution de Jupiter, qui lui fit un honneur immortel, la supériorité que l'antiquité accorde à Apelle, enfin la réunion de ces deux grands hommes fera toujours regretter ce tableau.
Pline parle fort noblement de la Vénus d'Apelle, que la mort l'empêcha d'achever, & que personne n'osa finir. " Elle causoit plus d'admiration, dit-il, que si elle avoit été terminée, car on voit dans les traits qui restent, la pensée de l'auteur ; & le chagrin que donne ce qui n'est point achevé, redouble l'intérêt ".
Le même Pline, pour caractériser encore plus particulierement Apelle, dit de lui, praecipua ejus in arte venustas fuit. La maniere qui le rendit ainsi supérieur, consistoit dans la grace, le goût, la fonte, le beau choix, & pour faire usage d'un mot qui réunisse une partie des idées que celui de venustas nous donne, dans la morbidezza, terme dont les Italiens ont enrichi la langue des artistes. Quoiqu'il soit difficile de refuser des talens supérieurs à quelques-uns des peintres qui ont précédé celui-ci, il faut convenir que toute l'antiquité s'est accordée pour faire son éloge ; la justesse de ses idées, la grandeur de son ame, son caractere enfin, doivent avoir contribué à un rapport unanime. Il recevoit le sentiment du public pour se corriger, & il l'entendoit sans en être vû ; sa réponse au cordonnier devint sans peine un proverbe, parce qu'elle est une leçon pour tous les hommes ; ils sont trop portés à la décision, & sont en même tems trop paresseux pour étudier.
Enfin Apelle fut in aemulis benignus, & ce sentiment lui fit d'autant plus d'honneur, qu'il avoit des rivaux d'un grand mérite. Il trouvoit qu'il manquoit dans tous les ouvrages qu'on lui présentoit, unam Venerem, quam Graeci charita vocant ; caetera omnia contigisse : sed hac solâ sibi neminem parem. Il faut qu'il y ait eu une grande vérité dans ce discours, & qu'Apelle ait possédé véritablement les graces, pour avoir forcé tout le monde d'en convenir, après l'aveu qu'il en avoit fait lui-même. Cependant lorsqu'il s'accordoit si franchement ce qui lui étoit dû, il disoit avec la même vérité, qu'Amphion le surpassoit pour l'ordonnance, & Asclépiodore pour les proportions ou la correction. C'est ainsi que Raphaël, plein de justesse, de grandeur & de graces, parvenu au comble de la gloire, reconnoissoit dans Michel-Ange une fierté dans le goût du dessein qu'il chercha à faire passer dans sa maniere ; & cette circonstance peut servir au parallele de Raphaël & d'Apelle.
Apollodore, athénien, vivoit dans la quatre-vingt-quatorzieme olympiade, l'an du monde 3596. Il fut le premier qui représenta la belle nature, qui à la correction du dessein, mit l'entente du coloris, cette magie de l'art qui ne permet point à un spectateur de passer indifféremment, mais qui le rappelle & le force pour ainsi dire, de s'arrêter ; Apollodore par son intelligence dans la distribution des ombres & des lumieres, porta la Peinture à un degré de force & de douceur, où elle n'étoit point parvenue avant lui. On admiroit encore du tems de Plutarque, le prêtre prosterné, & l'Ajax foudroyé de ce grand maître. Pline le jeune avoit un vieillard debout de la main de cet artiste, qu'il ne se lassoit point de considérer. En un mot, dit-il dans la description qu'il en fait, tout y est d'une beauté à fixer les yeux des maîtres de l'art, & à charmer les yeux des plus ignorans.
Apollodore profita des lumieres de ceux qui l'avoient précédé. Pline en parle en ces termes, liv. XXXV. ch. ix. Hic primus species exprimere instituit, primusque gloriam, penicillo jure contulit : ce que M. de Caylus traduit ainsi : " Il fut le premier qui exprima la couleur locale, & qui établit une réputation sur la beauté de son pinceau ". On voit par-là, que du tems de Pline, & sans doute dans la Grece, la couleur & le pinceau étoient synonymes, comme ils le sont aujourd'hui. Avant Apollodore, aucun tableau ne mérita d'être regardé, ou de fixer la vue, quae teneat oculos. En un mot, Apollodore ouvrit une nouvelle carriere, donna naissance au beau siecle de la Peinture, & fut le premier dont les tableaux aient arrêté & tenu comme immobiles les yeux des spectateurs.
Arcésilas ; il y a eu deux anciens peintres de ce nom, & un statuaire. Le plus illustre des peintres étoit de Paros, & vivoit à peu-près dans le même tems que Polygnote, vers la quatre-vingt-dixieme olympiade. C'est au rapport de Pline, un des plus anciens peintres qui aient peint sur la cire & sur l'émail. Pausanias nous apprend qu'entre les choses curieuses qu'on voyoit au Pirée, étoit un tableau d'Arcésilas qui représentoit Léosthene & ses enfans ; c'est ce Léosthene qui commandant l'armée des Athéniens, remporta deux grandes victoires ; l'une en Béotie ; l'autre au-delà des Thermopiles, auprès de la ville de Lamia.
Aristide, natif de Thebes, contemporain d'Apelle, est un peu plus ancien. Quoiqu'il n'eût pas ses graces & son coloris, ses ouvrages étoient d'un prix immense. La bataille qu'il peignit des Grecs contre les Perses, où il fit entrer dans un seul cadre jusqu'à cent personnages, fut achetée plus de 78000 liv. de notre monnoie, par le tyran Mnason. Aristide excella surtout à exprimer également les passions douces, & les passions fortes de l'ame. Attale donna cent talens, environ vingt mille louis, d'un tableau où il ne s'agissoit que de la seule expression d'une passion languissante. Le même prince offrit six mille grands sesterces, c'est-à-dire environ 750000 liv. d'un autre tableau qui se trouvoit dans le butin que Mummius fit à Corinthe ; le général romain sans connoître le prix des beaux arts, fut si surpris de cette offre splendide, qu'il soupçonna une vertu secrette dans le tableau, & le porta à Rome ; mais cette vertu secrette n'étoit autre chose que le touchant & le pathétique qui régnoit dans ce chef-d'oeuvre de l'art. En effet, on ne peut voir certaines situations, sans être ému jusqu'au fond de l'ame. Ce chef-d'oeuvre qui représentoit un Bacchus étoit si célebre dans la Grece, qu'il avoit passé en proverbe, ou plûtôt il servoit de comparaison, car on disoit beau comme le Bacchus.
Pline parle à sa maniere, c'est-à-dire comme Rubens auroit pû faire d'un tableau de Raphael ; Pline, dis-je, parle avec les couleurs d'un grand maître d'un autre tableau, où le célebre artiste de Thebes avoit représenté dans le sac d'une ville, une femme qui expire d'un coup de poignard qu'elle a reçu dans le sein. Un enfant, dit-il, à côté d'elle, se traîne à sa mamelle, & va chercher la vie entre les bras de sa mere mourante : le sang qui l'inonde ; le trait qui est encore dans son sein ; cet enfant que l'instance de la nature jette entre ses bras ; l'inquiétude de cette femme sur le sort de son malheureux fils, qui vient au lieu du lait sucer avidement le sang tout pur ; enfin le combat de la mere contre une mort cruelle ; tous ces objets représentés avec la plus grande vérité, portoient le trouble & l'amertume dans le coeur des personnes les plus indifférentes. Ce tableau étoit digne d'Alexandre, il le fit transporter à Pella, lieu de sa naissance.
Aristolaüs, fils & éleve de Pausias, severissimis pictoribus fuit, fut un des peintres qui prononça le plus son dessein, & dont la couleur fut la plus fiere, ou plûtôt la plus austere ; car ce terme de severus, si souvent répété par Pline, paroît consacré à la Peinture, & paroît répondre pleinement à celui d'austere, que nous employons ce me semble, en cas pareil.
Asclépiodore, excellent peintre, & dont les tableaux étoient si recherchés, que Mnason tyran d'Elatée, homme vraiment curieux, lui paya trois cent mines, vingt-trois mille cinq cent livres, pour chaque figure de divinités qu'il avoit peintes au nombre de douze ; ce qui fait en tout, trois mille six cent mines, deux cent quatre-vingt-deux mille livres. Le même tyran donna encore à Théomneste autre artiste, cent mines, ou plus de sept mille huit cent livres, pour chaque figure de héros ; & s'il y en avoit aussi douze, c'étoit quatre-vingt-quatorze mille livres. Asclépiodore & Théomneste paroissent donc se rapporter au tems d'Aristide, & avoir été un peu plus anciens qu'Apelle. On peut placer vers le même tems Amphion, dont Apelle reconnoissoit la supériorité pour l'ordonnance, comme il reconnoissoit la supériorité d'Asclépiodore pour la justesse des proportions.
Athénion de Maronée, étoit éleve de Glaucion de Corinthe : voici, dit Pline, son caractere quant à la peinture : Austerior colore & in austeritate jucundior, ut in ipsâ picturâ eruditio eluceat. Fier, exact, & un peu sec dans sa couleur, cependant agréable à cause du savoir & de l'esprit qu'il mettoit dans ses compositions. Nos peintres devroient bien profiter de cet exemple, pour ne pas négliger les belles-Lettres, dont la connoissance est si propre à rendre leurs travaux recommandables. Nous avons peu de peintres savans & instruits comme l'étoient les Grecs ; on peut nommer parmi les Italiens, Léonard de Vinci, le Ridotti, Baglione, Lomazzo, Armenini, Scaramucia, Vazari, & plusieurs autres ; mais les François n'en comptent que trois ou quatre, Dufresnoy, Antoine, & Charles Coypel.
Bularque, fleurissoit du tems de Candaule roi de Lydie, qui lui acheta au poids de l'or un tableau de la défaite des Magnetes ; or Candaule mourut dans la dix-huitieme olympiade, l'an 708 avant l'ere chrétienne. Ainsi Bularchus a vécu postérieurement à l'ere de Rome, & vers l'an 730 avant J. C. Pline, en disant que les peintres monochromes avoient précédé Bularque, fait clairement entendre que ce fut ce peintre qui le premier introduisit l'usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture. C'est donc à-peu-près vers l'an 730 avant J. C. qu'on peut établir l'époque de la peinture polychrome, & vraisemblablement l'époque de la représentation des batailles dans des ouvrages de peinture. Ce fut aussi l'époque du clair obscur ; Pline assure qu'au moyen de la pluralité des couleurs qui se firent mutuellement valoir, l'art jusques-là trop uniforme se diversifia, & inventa les lumieres & les ombres ; mais puisqu'il ajoute que l'usage du coloris, le mélange, & la dégradation des couleurs, ne furent connus que dans la suite, il faut que le clair obscur de Bularchus ait été fort imparfait, comme il arrive dans les commencemens d'une découverte.
Caladès vécut à-peu-près dans la cent-sixieme olympiade, & peignit de petits sujets que l'on mettoit sur la scene dans les comédies, in comicis tabellis ; mais l'usage de ces tableaux nous est inconnu ; peut-être qu'à ce terme comicis, répond le titre , donné par Elien, var. hist. 43. à des peintres, qui pour apprêter à rire, représenterent Timothée, général des Athéniens endormi dans sa tente, & par-dessus sa tête la Fortune emportant des villes d'un coup de filet. Dans la pluralité de ces peintres, pour un seul sujet de peinture, on découvre d'abord la catachrese d'un pluriel pour un singulier. C'étoit un seul peintre , qui avoit ainsi donné la comédie aux dépens de Timothée, & le peintre borné à ces sortes de tableaux comiques, comicis tabellis, étoit Caladès. M. de Caylus donne à l'expression de Pline une autre idée, mais qu'il ne propose que comme un doute. Il croit que les ouvrages de Caladès pouvoient être la représentation des principales actions des comédies que l'on devoit donner. C'est un usage que les Italiens pratiquent encore aujourd'hui ; car on voit sur la porte de leurs théatres, les endroits les plus intéressans de la piece qu'on doit jouer ce même jour ; & cette espece d'annonce représentée en petites figures coloriées sur des bandes de papier, est exposée dès le matin. Le motif aujourd'hui est charlatan ; chez les anciens il avoit d'autres objets ; l'instruction du peuple, pour le mettre plus au fait de l'action, le desir de le prévenir favorablement ; enfin, l'envie de l'occuper quelques momens de plus par des peintures faites avec soin.
Calliclès peignit en petit, selon Pline, de même que Caladès, parva & Callicles fecit. Ses tableaux, disoit Varron, n'avoient pas plus de quatre pouces de grandeur, & il ne put jamais parvenir à la sublimité d'Euphranor. Il fut donc postérieur à ce dernier ; ce qui détruit l'idée où étoit le pere Hardouin, que le peintre Calliclès a pu être le même que le sculpteur Calliclès, qui fit la statue de Diagoras, vainqueur aux jeux olympiques, en l'an 464 avant l'ere chrétienne.
Cimon cléonien ; il trouva la maniere de faire voir les figures en raccourci, & de varier les attitudes des têtes. Il fut aussi le premier qui représenta les jointures des membres, les veines du corps, & les différens plis des draperies. C'est ce qu'en dit Pline, liv. XXXV. ch. viij. entrons avec M. de Caylus, dans des détails de l'art que Cimon fit connoître.
La Peinture étoit bornée dans son premier âge à former une tête, un portrait ; on ne représentoit encore les têtes que dans un seul aspect, c'est-à-dire de profil. Cimon hasarda le premier d'en dessiner dans toutes sortes de sens contraires à celui-ci ; & il mit par ce moyen une grande variété dans la représentation des têtes. Celles qu'il dessinoit, regardoient tantôt le spectateur, c'est-à-dire, qu'elles se présentoient de face : quelquefois il leur faisoit tourner la vûe vers le ciel, & d'autres fois il les faisoit regarder en-bas. Il ne s'agissoit cependant encore que de positions, & non d'expressions & de sentimens. Le grand art de Cimon consistoit donc à avoir, pour ainsi dire, ouvert le premier la porte au raccourci ; ce premier pas étoit d'une grande importance, & il méritoit bien qu'on lui en fît honneur. Peut-être fit-il passer dans les attitudes de ses figures la même variété de position qu'il avoit imaginé d'introduire dans ses têtes, quoique Pline n'en dise rien, & qu'il faille en effet ne point trop donner aux Artistes dans ces premiers commencemens de la Peinture, où tout doit marcher pas à pas.
Quant aux autres progrès que Cimon avoit fait faire à la Peinture, ils n'étoient pas moins importans. Il entendit mieux que ceux qui l'avoient précédé, les attachemens sans quoi les figures paroissent un peu roides, & d'une seule piece ; défaut ordinaire des Artistes qui ont paru dans tous les tems. Lorsque la Peinture étoit encore dans son enfance, les mains & les bras, les piés & les jambes, les cuisses & les hanches, la tête & le col, &c. tout cela dans leurs ouvrages étoit comme on dit, tout d'une venue, & les figures n'avoient aucun mouvement. Cimon avoit entrevu la nécessité de leur en prêter : il avoit commencé par donner à ses têtes des mouvemens diversifiés ; il étendit cet art aux autres parties de ses figures ; ce qui ne pouvoit se faire qu'en attachant avec justesse chaque membre ensemble.
Venas protulit, dit Pline : il fit paroître les veines, c'est-à-dire, que s'étant apperçu des effets que le mouvement produit sur le naturel, en changeant la situation des muscles toutes les fois que la figure prend une nouvelle situation, il essaya d'en enrichir la Peinture ; il commença par la représentation des veines ; il étoit bien près de connoître l'usage & l'office des muscles. Comme l'art de la Peinture n'avoit point fait ce même progrès dans la couleur que dans le dessein, il n'est pas vraisemblable que le mot venae soit ici une expression figurée de Pline, pour signifier que Cimon avoit animé la couleur, & qu'il y avoit pour ainsi dire mis du sang.
Praeter ea, in veste & rugas & sinus invenit, ajoute Pline. Avant Cimon tout étoit comme l'on voit extrèmement informe dans la Peinture : les figures vues de profil, ne savoient se présenter que dans un seul aspect ; les habillemens étoient exprimés tout aussi simplement ; une draperie n'étoit qu'un simple morceau d'étoffe qui n'offroit qu'une surface unie. Entre les mains de Cimon, cette draperie prend un caractere ; il s'y forme des plis ; on y voit des parties enfoncées, d'autres parties éminentes qui forment des sinuosités, telles que la nature les donne, & que doit prendre une étoffe jettée sur un corps qui a du relief.
Pline a écrit de la Peinture, comme auroit pû faire un homme de l'art qui auroit eu son génie. Il s'attache moins à donner l'énumération & la description des ouvrages, qu'à établir le caractere de chaque maître ; & quoiqu'il le fasse avec une extrème concision, chaque peintre est caractérisé & rendu reconnoissable. Voici tout le passage de Pline : Hic Cimon, catagrapha invenit, hoc est obliquas imagines, & variè formare vultus, respicientes, suscipientes, & despicientes ; articulis etiam membra distinxit, venas protulit, praeterque in veste & rugas & sinus invenit. Il faut donc entendre par le mot grec catagrapha, & en latin obliquas imagines, non des visions ou des figures de profil, comme le pere Hardouin le croit, mais des têtes vûes en raccourci. Le mot imago ne doit point être pris ici pour une figure mais seulement pour une tête, un portrait.
Cléophante de Corinthe, est l'inventeur de la peinture monochrome, ou proprement dite. Il débuta par colorier les traits du visage avec de la terre cuite & broyée ; ainsi la couleur rouge, comme la plus approchante de la carnation, fut la premiere en usage. Les autres peintres monochromes, & peut-être Cléophante lui-même, varierent de tems en tems dans le choix de la couleur des figures, différente de la couleur du fond. Peut-être aussi qu'ils mirent quelquefois la même couleur pour le fond, & pour les figures ; on peut le présumer par l'exemple de quelques-uns de nos camayeux, pourvû qu'on n'admette point dans les leurs l'usage du clair obscur, dont la découverte accompagna l'introduction de la peinture polychrome, ou de la pluralité des couleurs.
Clésidès vivoit vers l'an du monde 3700. On rapporte que voulant se vanger de la reine Stratonice, femme d'Antiochus I. du nom, roi de Syrie, il la représenta dans une attitude indécente, & exposa son tableau en public : mais cette princesse étoit peinte avec tant de charmes dans ce tableau de Clésidès, que sa vanité, ou peut-être son bon caractere, lui persuada de pardonner à la témérité de l'artiste, de le récompenser, & de laisser son ouvrage où il l'avoit placé. Quoiqu'il en soit, elle montra beaucoup de grandeur & de sagesse, en ne punissant point Clésidès qui l'avoit peinte entre les bras d'un pêcheur qu'on l'accusoit d'aimer, & qui avoit exposé son tableau sur le port d'Ephèse. Michel-Ange, Paul Veronese, le Zuchero, & quelques autres modernes, n'ont que trop imité Clésidès, pour satisfaire leur vengeance.
Craterus d'Athènes, avoit un talent particulier pour peindre merveilleusement le grotesque, & il orna de ses ouvrages en ce genre le Panthéon d'Athènes, cet édifice superbe où l'on faisoit tous les préparatifs pour la célébration des fêtes solemnelles. Craterus est le Teniers des Athéniens.
Ctésiloque, disciple d'Apelle, petulanti picturâ innotuit, se fit connoître par la fougue du pinceau, obéissant à la vivacité du génie ; c'est ainsi que M. de Caylus traduit ce passage, un peu en amateur de peinture ; mais il reconnoît avec raison que l'on peut lui donner un autre sens, car Pline ajoute tout de suite, Jove Liberum parturiente depicto mitrato & muliebriter ingemiscente inter obstetricia dearum. Cette peinture ridicule pour un dieu comme Jupiter, est forte pour un payen, & peut être surement traitée d'insolente ; car peut-on penser autrement d'un tableau qui représente le maître des dieux accouchant de Bacchus, & coëffé en femme, avec les contorsions de celles qui sont en travail, & avec le cortege des déesses pour accoucheuses ? Cléside, avons-nous dit ci-dessus, peignit une reine d'Egypte dans une attitude encore plus indécente ; mais ce n'étoit qu'une reine, & il la peignit très-belle. Pline dans son histoire, met en contraste ces peintres téméraires avec Habron, qui peignit la Concorde & l'Amitié, avec Nicéarque qui représenta Hercule confus, humilié de ses accès de rage, & avec d'autres artistes qui avoient consacré leurs ouvrages à la gloire de la vertu ou de la religion.
Cydias de Cytnos, étoit contemporain d'Euphranor, & comme lui peintre encaustique ; il fit entr'autres ouvrages un tableau des Argonautes.
Damophile & Gorgasus sont joints ensemble dans Pline ; c'étoient deux habiles ouvriers en plastique, & en même tems ils étoient peintres. Ils mirent des ornemens de l'un & l'autre genre au temple de Cérès, ornemens de plastique au haut de l'édifice, & ornemens de peinture à fresque sur les murs intérieurs, avec une inscription en vers grecs, qui marquoit que le côté droit étoit l'ouvrage de Damophile, & le côté gauche l'ouvrage de Gorgasus. Avant l'arrivée de ces deux peintres grecs à Rome, les temples de la ville n'avoient eu, suivant la remarque de Pline, que des ornemens de goût étrusque, c'est-à-dire des ouvrages de plastique & de sculpture à l'ancienne façon des Etrusques, & non des ouvrages de peinture, qui dans l'Etrurie même étoient d'un goût grec. On peut donc placer au tems de Damophile & de Gorgasus l'introduction & l'époque de la Peinture dans la ville de Rome, vers l'an 424 avant l'ere chrétienne.
Démon, natif d'Athènes, vivoit du tems de Parrhasius & de Socrate, vers la 93 olympiade, & environ 408 ans avant J. C. Il s'attachoit fort à l'expression, & fit plusieurs tableaux qu'on estima beaucoup. Il y en avoit entr'autres un à Rome qui représentoit un prêtre de Cybele, que Tibere acheta 60 grands sesterces. Démon fit aussi un tableau d'Ajax en concurrence avec Timanthe, mais l'Ajax de Timanthe fut préféré.
Denys ou plutôt Dionysius, de Colophone, ne fit que des portraits, & jamais des tableaux, d'où lui vint à juste titre, dit Pline, liv. XXXV. ch. x. le surnom d'antropographus, c'est-à-dire, peintre d'hommes. Nous avons eu dans le xvj. siecle, un peintre flamand semblable en cela de fait & de nom (car on le nommoit en latin Dionysius) au peintre de Pline, & les deux Denys ne sont pas les seuls qui ayent préféré ce genre de peinture à tout autre, par la raison qu'il est le plus lucratif : mais ce n'est pas le plus honorable.
Erigonus, broyeur de couleur de Néalcis, devint un très-bon peintre, & eut pour éleve Pausias, qui se rendit célebre ; c'est ainsi que Polidore, après avoir porté le mortier aux disciples de Raphael, se sentit en quelque sorte inspiré à la vue des merveilles qui s'opéroient sous ses yeux, étudia la Peinture, dessina l'antique, & devint à son tour éleve de Raphael, & eut le plus de part à l'exécution des loges de ce grand maître.
Eumarus d'Athènes, peintre monochrome, est nommé dans Pline avec Cimon de Cléone. Eumarus marqua le premier dans la peinture la différence de l'homme & de la femme, dont on ne peignoit auparavant que la tête & le buste ; il osa aussi ébaucher toutes sortes de figures, les autres peintres s'étant toujours bornés à celle de l'homme. Cimon enchérit sur les découvertes d'Eumarus, il inventa les divers aspects du visage, distingua l'emmanchement des membres, fit paroître les veines à-travers la peau, & trouva même le jet des draperies. Voyez son article.
Euphanor, natif des environs de Corinthe dans l'isthme, fleurissoit dans la cent quatrieme olympiade, & fut en même tems célébre statuaire, & célebre peintre encaustique. On trouve les deux genres réunis dans les artistes de l'antiquité, comme ils ont été depuis dans Michel-Ange à la renaissance de la Peinture. Euphranor fut le premier qui donna dans ses tableaux un air frappant de grandeur à ses têtes de héros & à toute leur personne, & le premier qui employa dans l'encaustique, la justesse des proportions que Parrhasius avoit introduite dans la peinture ordinaire.
Pline parlant d'Euphranor, en dit tout ce qu'on en peut dire de flatteur pour un artiste. Voici ses paroles : Docilis ac laboriosus, & in quocumque genere excellens, ac sibi aequalis. Si ces épithetes se rapportoient à l'art, Le Dominiquain pourroit lui servir de comparaison. Docile aux leçons de la nature, le travail ne l'effrayoit point ; une persévérance & une étude constante de cette même nature, l'ont élevé audessus des autres artistes. Pline regarde Euphranor le premier qui a donné aux héros un caractere qui leur fut convenable, hic primus videtur expressisse dignitates heroum. Il seroit aisé d'en conclure que tous les héros représentés avant lui, n'auroient pas mérité les éloges que Pline lui-même a donnés aux artistes plus anciens ; cependant l'on ne doit reprocher à l'historien naturaliste qu'une façon de parler trop générale, & un peu trop répétée ; on peut dire sur le cas présent, qu'il y a plusieurs degrés dans l'excellence. Titien est un grand peintre de portraits : Vandick a mis dans ce genre plus de finesse, de délicatesse & de vérité. Titien n'en est pas pour cela un peintre médiocre. Mais ce dont il faut savoir un très-grand gré à Pline, c'est la critique dont il accompagne assez souvent les éloges ; car après avoir dit d'Euphranor, usurpasse symmetriam, c'est-à-dire qu'il s'étoit fait une maniere dont il ne sortoit point ; il ajoute : sed fuit universitate corporum exilior, capitibus, articulisque grandior. Cette maniere étoit apparemment dans le goût de celle que nous a laissé le Parmesan ; je sais qu'elle est peut-être blâmée, mais elle est bien élégante. Il est vrai qu'on ne peut reprocher au peintre moderne d'avoir fait comme Euphranor, ses têtes sont trop fortes, & ses emmanchemens trop nourris.
Euphranor a écrit plusieurs traités sur les proportions & les couleurs. Il est singulier qu'un peintre qui a mérité qu'on le reprît sur les proportions, ait écrit sur cette matiere ; cependant la même chose est arrivée depuis le renouvellement des arts à Albert Durer.
Gorgasus & Damophile, habiles ouvriers en plastique, & en même tems peintres, sont joints ensemble dans Pline. Voyez ci-dessus Damophile & Gorganus.
Ludius, peintre d'Ardéa, paroît avoir vécu pour le plus tard vers l'an 765 avant l'ere chrétienne. Il ne faut pas oublier, dit Pline, liv. XXXV. ch. x. le peintre du temple d'Ardéa, ville du Latium, sur-tout puisqu'elle l'honora, continue-t-il, du droit de bourgeoisie, & d'une inscription en vers qu'on joignit à son ouvrage. Comme l'inscription & la peinture à fresque se voyoient encore sur les ruines du temple au tems de Pline, il nous a conservé l'inscription en quatre anciens vers latins ; elle porte que le peintre étoit Ludius, originaire d'Etolie. Oui, dit-il ailleurs, il subsiste encore aujourd'hui dans le temple d'Ardéa des peintures plus anciennes que la ville de Rome, & il n'y en a point qui m'étonnent comme celles-ci, de se conserver si long-tems avec leur fraîcheur, sans qu'il y ait de toît qui les couvre.
Il parle ensuite de quelques peintures du même Ludius extrêmement belles, & également bien conservées à Lanuvium, autre ville du Latium, & d'autres peintures encore plus anciennes, qu'on voyoit à Caeré ville d'Etrurie. Quiconque voudra, conclut-il, les examiner avec attention, conviendra qu'il n'y a point d'art qui se soit perfectionné plus vîte, puisqu'il paroît que la Peinture n'étoit point encore connue du tems de la guerre de Troie. Ce raisonnement suppose une origine grecque aux peintures de Caeré, comme à celles d'Ardéa ; à la peinture étrusque, comme à la peinture latine.
Lysippe d'Egine, peintre encaustique, vécut entre Polygnote & le sculpteur Aristide, c'est-à-dire, entre l'an 430 & l'an 400 avant l'ere chrétienne. Un de ses tableaux qu'on voyoit à Rome, portoit pour inscription Lysippe m'a fait avec le feu ; c'est la plus ancienne des trois inscriptions, un tel m'a fait, qui paroissent à Pline des inscriptions singulieres dans l'antiquité, au lieu de la formule plus modeste, un tel me faisoit. Les deux autres inscriptions étoient l'une au bas d'une table qu'on voyoit à Rome au comice, & qu'on donnoit à Nicias, l'autre qui lui servoit de pendant, étoit l'ouvrage de Philocharès : voici présentement la remarque de Pline sur ces trois inscriptions dans sa préface de l'histoire naturelle.
" Vous trouverez, dit-il, dans la suite de cette histoire, que les maîtres de l'art, après avoir travaillé & terminé des chefs-d'oeuvres de peinture & de sculpture, que nous ne pouvons nous lasser d'admirer, y mettoient pour toute inscription les paroles suivantes, qui pouvoient marquer des ouvrages imparfaits : Apelle ou Polyclete faisoit cela. c'étoit donner leur travail comme une ébauche, se ménager une ressource contre la critique, & se réserver jusqu'à la mort, le droit de retoucher & de corriger ce qu'on auroit pu y trouver de défectueux ; conduite pleine de modestie & de sagesse, d'avoir employé partout des inscriptions pareilles, comme si chaque ouvrage particulier eût été le dernier de leur vie, & que la mort les eût empêchés d'y mettre la derniere main. Je crois que l'inscription précise & déterminée un tel l'a fait, n'a eu lieu qu'en trois occasions. Plus cette derniere formule annonçoit un homme content de la bonté de ses ouvrages, plus elle lui attiroit de censeurs & d'envieux. "
Ainsi parle Pline, dont les yeux, peut-être quelquefois trop délicats, étoient blessés des plus petites apparences de vanité & d'amour propre.
Méchopane étoit éleve de Pausias : sunt quibus placeat diligentiâ quam intelligant soli artifices, alias durus in coloribus, & sile multus. Ces termes veulent dire que sa couleur a été crue, & qu'il a trop donné dans le jaune : les modernes offrent sans peine de pareils exemples ; mais l'intelligence, les soins ou la précision, qui ne sont connus que des seuls artistes, présentent une vue bien délicate & bien vraie.
Mélanthius. Plutarque rapporte que Aratus, qui aimoit la peinture, & qui s'y connoissoit, ayant délivré Sycione sa patrie des tyrans qui l'opprimoient, résolut de détruire les monumens qui rappelloient leur souvenir. Il y avoit dans la ville un tableau fameux, où Mélanthius aidé de ses éleves, parmi lesquels étoit Apelle, avoit représenté Aristrate, l'un de ces tyrans, monté sur un char de triomphe.
Dans le premier moment Aratus ordonna de le détruire, mais se rendant bientôt aux raisons de Néalque, peintre habile, qui demandoit grace pour une aussi belle peinture, & qui lui faisoit entendre que la guerre qu'il avoit déclarée aux tyrans, ne devoit pas s'étendre aux arts, il le fit consentir que la seule figure d'Aristrate seroit effacée ; ainsi on laissa subsister celle de la Victoire & le char ; & Néalque qui s'étoit chargé de cette opération, mit seulement une palme à la place de la figure, & cela par respect pour un ouvrage sur lequel il ne croyoit pas que personne osât mettre la main.
Dans ce dernier passage on voit deux témoignages bien précis de la considération dans laquelle étoient chez les Grecs les ouvrages des grands maîtres. Un prince fait céder des raisons d'état & de politique à la conservation d'un tableau dont la mémoire étoit odieuse, mais qui n'en étoit pas moins admirable par la beauté de son exécution. Un peintre habile en connoît l'excellence, & préfere la gloire d'avoir contribué à sa conservation, à celle qu'il auroit pu acquérir en le peignant de nouveau, ou du moins en y mettant une nouvelle figure de sa façon.
Au reste, Pline nomme Mélanthius au nombre des peintres dont les chefs-d'oeuvres avoient été faits avec quatre couleurs seulement. Plutarque ajoute que dans le tableau du tyran de Sicyone, Mélanthius y travailla conjointement avec les autres de sa volée, mais que Apelle, qui étoit du nombre, n'y toucha que du bout du doigt, c'est apparemment parce qu'il étoit encore trop jeune.
Métrodore fut choisi par les Athéniens pour être envoyé à Paul Emile, qui après avoir pris Persée, roi de Macédoine, leur avoit demandé deux hommes de mérite, l'un pour l'éducation de ses enfans, & l'autre pour peindre son triomphe. Il témoigna souhaiter ardemment que le précepteur fût un excellent philosophe. Les Athéniens lui envoyerent Metrodore qui excelloit tout ensemble, & dans la Philosophie, & dans la peinture. Paul Emile fut très-content à ces deux égards, de leur choix : c'est Pline qui raconte ce fait, liv. XXXV. ch. xj. mais sans entrer dans d'autres détails sur les ouvrages de Métrodore ; ce qu'on peut dire de certain, c'est que s'il a réussi dans ses tableaux, comme dans son éleve P. Scipion, il faut le regarder comme un des grands peintres de l'antiquité. Le P. Hardouin n'a commis que des erreurs au sujet de ce philosophe & de cet artiste, qui fleurissoit dans la 150e. olympiade.
Micon étoit contemporain, rival & ami de Polygnote. Pline nous apprend que tous les deux furent les premiers qui firent usage de l'ocre jaune, & que tous deux peignirent à fresque ce célebre portique d'Athènes, qui de la variété de ses peintures, fut nommé le Poecile ; mais Micon se fit payer de son travail, au lieu que Polygnote ne voulut d'autre recompense que l'honneur d'avoir réussi.
Néalcès s'acquit une très grande réputation par la beauté de ses ouvrages, & entr'autres par son tableau de Vénus. Il étoit également ingénieux & solide dans son art. Il représenta la bataille navale des Egyptiens contre les Perses ; & comme il vouloit faire connoître que l'action s'étoit passée sur le Nil, dont les eaux sont semblables à celles de la mer, il peignit sur le bord de l'eau un âne qui buvoit, & tout auprès un crocodile qui le guettoit pour se jetter sur lui. Secondé comme Protogène par le hasard, il ne vint à-bout à ce qu'on dit de représenter l'écume d'un cheval échauffé, qu'en jettant de dépit son pinceau sur son ouvrage ; Pline parle beaucoup de Néalcès dans son hist. nat. liv. XXXV. ch. xj.
Nicias d'Athènes, habile peintre encaustique, éleve d'Antidotus, vivoit comme Apelle à la cent douzieme olympiade, l'an 332 avant l'ere chrétienne. Il se distingua parmi les célebres artistes de ce tems florissant de la Peinture. Il fut le premier qui employa parmi ses couleurs, la céruse brûlée. On dit qu'il excelloit en particulier à peindre les femmes. On avoit de lui un grand nombre de tableaux extrêmement estimés, entr'autres celui où il avoit peint la descente d'Ulysse aux enfers. Il refusa d'un de ses tableaux 60 talens, 282000 l. que le roi Ptolomée lui offroit.
Praxitele faisoit un si grand cas de la composition dont Nicias avoit le secret, & qu'il appliquoit sur les statues de marbre, que celle de ses statues où Nicias avoit mis la main, méritoient, selon lui, la préférence sur toutes autres. Voilà ce que dit le texte de Pline, liv. XXXV. chap. xj. Nous ne connoissons plus cette pratique ; & comme nous n'imaginons pas que des vernis ou quelqu'autre préparation semblable, puisse être appliquée sur une statue de marbre sans lui nuire, nous croyons trouver dans ce passage quelque chose d'absurde ; cependant il s'agit ici d'un vernis qui étoit peut-être une composition de cire préparée.
Mais il y a de bien plus grands éloges à faire de Nicias, car lumen & umbras custodivit ; il conserva avec soin la vérité de la lumiere & celle des ombres ; c'est-à-dire qu'il a parfaitement entendu le clair obscur, & par une suite nécessaire, les figures de ses tableaux prenoient un grand relief, & les corps paroissant saillans, atque ut eminerent è tabulis picturae, maxime curavit. On croiroit que Pline, dans ce passage feroit l'éloge de Polydore.
Nicias joignit à ces grandes parties, celle de bien rendre les quadrupedes, & principalement les chiens. Nos modernes ne nous fournissent aucun objet de comparaison ; car ceux qui ont excellé à peindre les animaux, n'ont ordinairement choisi ce genre de travail, que par la raison qu'ils étoient foibles dans l'expression des figures, & pour ainsi dire incapables de traiter les sujets de l'histoire & les grandes passions. Il est vrai que Rubens se plaisoit à peindre des animaux, & c'est à ses leçons que nous devons le fameux Sneyders ; mais ces sortes d'exemples sont rares.
Parmi les tableaux les plus estimés de Nicias, on admiroit sur-tout celui où il avoit peint la descente d'Ulysse aux enfers. Il refusa de ce tableau 60 talens, 282000 liv. que le roi Ptolomée lui offroit, & en fit présent à sa patrie.
Les Athéniens par reconnoissance, éleverent un tombeau à sa gloire, & lui accorderent les honneurs de la sépulture aux dépens du public, comme à Conon, à Timothée, à Miltiade, à Cimon, à Harmodius, à Aristogiton. On trouvera d'autres détails assez étendus sur cet admirable peintre dans Pline, Aelien, Pausanias, Stobée & Plutarque.
Nicomaque, fils & éleve d'Aristodeme, étoit un peu plus ancien qu'Apelle. On achetoit ses tableaux pour leur grande beauté, des sommes immenses ; tabulae singulae oppidorum vaenebant opibus, dit Pline ; & cependant personne n'avoit plus de facilité & de promptitude dans l'exécution. Aristote tyran de Sicyone, l'avoit choisi pour orner de tableaux un monument qu'il faisoit élever au poëte Teleste, & il étoit convenu du prix avec Nicomaque, à condition néanmoins que l'ouvrage seroit achevé dans un tems fixe. Nicomaque ne se rendit sur le lieu pour y travailler, que peu de jours avant celui où il devoit livrer l'ouvrage. Le tyran irrité alloit le faire punir, mais le peintre tint parole, & dans ce peu de jours, il acheva ses tableaux avec un art admirable & une merveilleuse célérité ; celeritate & arte mirâ, ajoute le même Pline. Les tableaux de Nicomaque, & les vers d'Homere, dit Plutarque, dans la vie de Timoléon, outre les perfections & les graces dont ils brilloient, ont encore cet avantage, qu'ils paroissent n'avoir couté ni travail, ni peine à leur auteur.
Il fut le premier qui peignit Ulysse avec un bonnet, & tel qu'on le retrouve dans des médailles de la famille Mamilia, rapportées par Vaillant, Famil. Boman. Mamilia, 2. 3. 4. aux années 614 & 626 de Rome, environ deux cent ans après les ouvrages de Nicomachus.
Nicophanes, dit Pline, fut si élégant, si précis, que peu de peintres ont égalé ses agrémens, & jamais il ne s'est écarté de la dignité ni de la noblesse de l'art. Nicophanes elegans & concinnus, ita ut venustate ei pauci comparentur. Cothurnus ei, & gravitas artis.
Pamphile, de Macédoine, éleve d'Eupompus, & contemporain de Zeuxis, & de Parrhasius qu'on place ensemble vers la 115e. olympiade, c'est-à-dire vers l'an du monde 3604, fut le premier peintre versé dans tous les genres de Science & de Littérature. Il a mérité que Pline dît de lui : Primus in picturâ omnibus litteris eruditus, praecipuè arithmeticae & geometricae sine quibus negabat artem perfici posse. Il avoit bien raison, puisque les regles de la Perspective dont les Peintres font continuellement usage, & celles de l'Architecture qu'ils sont quelquefois obligés d'employer, appartiennent les unes & les autres à la Géométrie. Or, la nécessité de la Géometrie la plus simple & la plus élémentaire, entraîne la nécessité de l'Arithmétique, pour le calcul des angles & des côtés des figures.
Pamphile fut primus in picturâ, mais d'une façon dont nos Peintres devroient tâcher d'approcher ; c'est qu'étant savant dans son art, il fut omnibus litteris eruditus. Il eut le crédit d'établir à Sicyone, ensuite dans toute la Grece, une espece d'académie où les seuls enfans nobles & de condition libre, qui auroient quelque disposition pour les beaux Arts, seroient instruits soigneusement avec ordre de commencer par prendre les principes du dessein sur des tablettes de bouis, & défenses aux esclaves d'exercer le bel art de la Peinture.
Enfin, Pamphile mit cet art in primum gradum liberalium ; Pline l'appelle aussi un art noble & distingué qui avoit excité l'empressement des rois & des peuples. Il aime qu'elle fasse briller l'érudition au préjudice même du coloris ; il joint avec complaisance au titre de peintre celui de philosophe dans la personne de Métrodore, & celui d'écrivain dans Parrhasius, dans Euphranor, dans Apelle & dans les autres. Quelquefois même il semble préférer la Peinture à la Poésie, la Diane d'Apelle au milieu de ses nymphes qui sacrifient, paroît, dit-il, l'emporter sur la Diane d'Homere, lequel a décrit le même spectacle. Si les vers grecs qui subsistoient à la louange de la Vénus Anadyomene du même Apelle, avoient prévalu sur le tableau qui ne subsistoit plus, ils rendoient toujours hommage à sa gloire.
Cependant il semble que nos artistes pensent bien différemment, & qu'ils secouent la littérature & les sciences comme un joug pénible, pour se livrer entierement aux opérations de l'oeil & de la main. Leur préjugé contre l'étude paroît bien difficile à déraciner, parce que malheureusement presque tous ceux qui ont eu des lettres, n'ont pas excellé dans l'art ; mais l'exemple de Léonard de Vinci & de quelques autres modernes suffiroit, indépendamment de l'exemple des anciens, pour justifier qu'il est possible à un grand peintre d'être savant. Enfin, sans savoir comme Hippias, tous les Arts & toutes les Sciences ; il y a des degrés entre cet éloge, & une ignorance que l'on ne peut jamais pardonner.
Au reste, Pamphile après avoir élevé des especes d'académies dans la Grece, ne prit point d'éleves, qu'à raison de dix ans d'apprentissage, & d'un talent soit par année, soit pour les dix années de leçon ; car le texte de Pline est susceptible de ces deux sens. Il est cependant vraisemblable qu'il faut entendre un talent attique par chaque année. Le talent attique est évalué par MM. Belley & Barthélemy à environ quatre mille sept cent livres de notre monnoie actuelle 1760 ; le docteur Bernard l'évalue à deux cent six livres sterlings cinq shellings. Ce fut à ce prix qu'Apelle entra dans l'école de Pamphile, & ce fut un nouveau surcroît de gloire pour le maître. Il eut encore l'avantage d'avoir Mélanthius pour disciple, ce Mélanthius dont Pline dit que les tableaux étoient hors de prix. Pausanias fut aussi son éleve ; nous n'oublirons pas son article.
On admiroit plusieurs ouvrages de Pamphile, entr'autres son Ulysse dans une barque ; son tableau de la confédération des Grecs ; celui de la bataille de Phlius au midi de Sicyone, aujourd'hui Phoica ; celui de la victoire des Athéniens contre les Perses, &c. Ajoutons-y un portrait de famille dont Pline parle, c'est-à-dire un grouppe ou une ordonnance de plusieurs parens ; c'est le seul exemple de cette espece rapporté par les anciens, non que la chose n'ait été facile & naturelle ; mais parce qu'elle n'étoit point en usage du-moins chez les Romains, qui remplissoient leur atrium ou le vestibule de leurs maisons de simples bustes.
Panée ou Panoenus, comme dit Pausanias, frere du fameux Phidias, fleurissoit dans la 55e. olympiade, ou l'an du monde 3560. Il peignit avec grande distinction la fameuse journée de Marathon, où les Athéniens défirent en bataille rangée toute l'armée des Perses. Les principaux chefs de part & d'autre étoient dans ce tableau de grandeur naturelle, & d'après une exacte ressemblance ; c'est de-là que Pline infere les progrès & la perfection de l'art, qui néanmoins se perfectionna beaucoup dans la suite.
Ce fut de son tems que les concours pour le prix de la Peinture furent établis à Corinthe & à Delphes, tant les Grecs étoient déjà attentifs à entretenir l'émulation des beaux arts par tous les moyens les plus propres à les faire fleurir. Panoenus se mit le premier sur les rangs avec Timagoras de Chalcis ; pour disputer le prix à Delphes dans les jeux Pythiens. Timagoras demeura vainqueur ; c'est un fait, ajoute Pline, prouvé par une piece de vers du même Timagoras, qui est fort ancienne ; elle a dû précéder d'environ cinq cent cinquante ans le tems où Pline écrivoit, si nous plaçons la victoire de Timagoras vers la xxviij. pythiade, en l'an 474 avant Jesus-Christ.
Panoenus devoit même être assez jeune l'an 474, seize ans après la bataille de Marathon, puisqu'il est encore question de lui à la lxxxiij. olympiade, l'an 448 ; qu'il peignit à Elis la partie concave du bouclier d'une Minerve, statue faite par Colotès, disciple de Phidias. Si ce mêlange de Peinture & de Sculpture dans un même ouvrage révolte aujourd'hui notre délicatesse ; si nous condamnons comme inutiles & comme cachés à la vûe du spectateur, des ornemens qui ont pu cependant être presque aussi visibles en-dedans qu'en dehors d'un bouclier, du-moins gardons-nous bien d'étendre nos reproches jusqu'à l'historien, ce seroit le blâmer de son attention nous transmettre les anciens usages, & d'une exactitude qui fait son mérite & sa gloire.
Panoenus fit encore des peintures à fresque à un temple de Minerve dans l'Elide, & Phidias son frere, ce sculpteur si célebre, avoit aussi exercé l'art de la Peinture, il avoit peint dans Athènes, l'olympien, c'est-à-dire Périclès, olympium Periclem, dignum cognomine, pour me servir des termes de Pline. Hist. nat. liv. XXXIV. chap. viij.
Parrhasius, natif d'Ephèse, fils & disciple d'Evenor, contemporain & rival de Zeuxis, fleurissoit dans les beaux jours de la Peinture, vers l'an du monde 3564, environ quatre cent ans avant Jesus-Christ. Ce fameux artiste réussissoit parfaitement dans le dessein, dans l'observation exacte des proportions, dans la noblesse des attitudes, l'expression des passions, le finissement & l'arrondissement des figures, la beauté & le moëlleux des contours ; en tout cela, dit Pline, il a surpassé ses prédécesseurs, & égalé tous ceux qui l'ont suivi.
Le tableau allégorique que cet homme célebre fit du peuple d'Athènes brilloit de mille traits ingénieux, & montroit dans le peintre une richesse d'imagination inépuisable : car ne voulant rien oublier touchant le caractere de cette nation, il la représenta d'un côté bizarre, colere, injuste, inconstante ; & de l'autre humaine, docile, & sensible à la pitié, dans certain tems, fiere, hardie, glorieuse, & d'autres fois basse, lâche, & timide, voilà un tableau d'après nature.
C'est dommage que Parrhasius ait deshonoré son pinceau, en représentant par délassement les objets les plus infâmes : ubique celeber, comme dit Pline d'Arellius, nisi flagitiis insignem corrupisset artem ; ce que fit en effet le peintre d'Ephèse par sa peinture licencieuse d'Atalante avec Méléagre son époux, dont Tibere donna cent cinquante mille livres de notre monnoie, & plaça cette peinture dans son appartement favori.
C'est encore dommage que cet homme si célebre ait montré dans sa conduite trop d'orgueil & de présomption. On le blame peut-être à tort de sa magnificence sur toute sa personne. On peut aussi lui passer son bon mot dans sa dispute avec Timanthe ; il s'agissoit d'un prix en faveur du milieu du tableau, dont le sujet étoit Ajax outré de colere contre les Grecs, de ce qu'ils avoient accordé les armes d'Achille à Ulysse. Le prix fut adjugé à Timanthe. " Je lui cede volontiers la victoire, dit le peintre d'Ephèse, mais je suis fâché que le fils de Télamon ait reçu de nouveau le même outrage qu'il essuya jadis fort injustement ".
On voit par ce propos que Parrhasius étoit un homme de beaucoup d'esprit ; mais c'étoit sans doute un artiste du premier ordre, puisque Pline commence son éloge par ces mots remarquables, qui disent tant de choses : primus symmetriam picturae dedit ; ces paroles signifient, que les airs de tête de ce peintre étoient piquans, qu'il ajustoit les cheveux avec autant de noblesse que de légereté ; que ses bouches étoient aimables, & que son trait étoit aussi coulant que ses contours étoient justes ; c'est le sublime de la peinture : haec est in picturâ sublimitas ; hanc ei gloriam concessêre Antigonus & Xenocrates, qui de picturâ scripsêre. Dans son tableau de deux enfans, on trouvoit l'image même de la sécurité & de la simplicité de l'âge, securitas & simplicitas aetatis. Il faut que ces enfans aient été bien rendus, pour avoir inspiré des expressions qui peignoient à leur tour cette peinture. C'est dommage que dans un artiste de cet ordre, nemo insolentius & arrogantius sit usus gloriâ artis. Il se donna le nom d'abrodictos, le délicat, le voluptueux, en se déclarant le prince d'un art qu'il avoit presque porté à sa perfection. En effet, on ne lit point sans plaisir tout ce que disent de ce grand maître, Pline, Diodore de Sicile, Xénophon, Athénée, Elien, Quintilien, & parmi les modernes Carlo-Dati mais on n'est point fâché de voir l'orgueil de Parrhasius puni, quand il fut vaincu par Timanthe, dans le cas dont j'ai parlé ci-dessus ; cas d'autant plus important à sa gloire, que les juges établis pour le concours des arts dans la Grece ; ne pouvoient être soupçonnés d'ignorance ou de partialité.
Pausias, natif de Sicyone, fils de Britès & son éleve, fleurissoit vers la cj. olympiade. Il se distingua dans la peinture encaustique, & en décora le premier les voûtes & les lambris, pinxit & ille penicillo parietes Thespiis, dit Pline, c. xj. C'étoit peut-être le temple des Muses que l'on voyoit à Thespies, au-bas de l'Hélicon. Polygnote avoit orné avant lui ce même lieu de ses ouvrages ; le tems les avoit apparemment dégradés ou effacés. On chargea Pausias de les refaire, & ces tableaux perdirent beaucoup à la comparaison, quoniam non suo genere certasset ; mais il décora le premier les murs intérieurs des appartemens avec un succès distingué ; c'est ce genre que Ludius fit ensuite connoître à Rome. Pausias y apportoit la plus grande facilité, car il peignit un tableau de ce genre en un jour ; il est vrai que ce tableau représentoit un enfant, dont les chairs mollettes, rondes, & pleines de lait, n'exigent qu'une forme générale sans aucun détail intérieur, sans aucune expression composée, enfin sans aucune étude de muscles & d'emmanchemens.
Quand l'occasion le demandoit, Pausias terminoit ses beaux ouvrages avec beaucoup de mouvement dans sa composition & d'effet dans la couleur. On admiroit de sa main, dans les portiques de Pompée, un tableau représentant un sacrifice de boeufs, parmi lesquels étoit un boeuf de front, dont on voyoit toute la longueur : on y remarquoit sur-tout la hardiesse avec laquelle il les avoit peints absolument noirs : enfin les sacrifices de Pausias indiquoient, non-seulement l'art du raccourci, mais une intelligence complete de la perspective.
Il devint dans sa jeunesse amoureux de Glycere ; cette belle vendeuse de fleurs le rendit excellent dans l'imitation de la plus légere & de la plus agréable production de la nature. Comme elle excelloit dans l'art de faire des couronnes de fleurs qu'elle vendoit, Pausias, pour lui plaire imitoit avec le pinceau ces couronnes, & son art égaloit le fini, & l'éclat de la nature. Ce fut alors qu'il représenta Glycere assise, composant une guirlande de fleurs, tableau dont Lucullus acheta la copie deux talens (neuf mille quatre cent livres) ; combien auroit-il payé l'original, qu'on nomma stéphanoplocos, la faiseuse de couronnes ? Horace n'a pas oublié cette circonstance.
Vel cum Pausiaca torpes, insane, tabella,
Qui peccas minus, atque ego cum, &c.
Le prix excessif que Lucullus mit au tableau de Pausias, ne doit pas néanmoins étonner ceux qui ont vû donner de nos jours des sommes pareilles pour les bouquets de fleurs peints par Van-Huysum, tandis que peut-être ils n'auroient pas donné le même prix d'un tableau de Raphaël. On pourroit comparer Baptiste, pour cette partie seulement, au célebre Pausias, dans la belle imitation des fleurs, à laquelle il joignoit une grande facilité.
Cependant le chef-d'oeuvre de Pausias étoit une femme ivre peinte avec un tel esprit, que l'on appercevoit à-travers un vase qu'elle vuidoit, tous les traits de son visage enluminé, dit Pausanias, l. XXI. M. Scaurus transporta à Rome tous les tableaux du peintre de Sicyone ; il mérite doublement ce nom, car outre que c'étoit sa patrie, il y avoit fixé son séjour. Scaurus orna des tableaux de cet artiste, le superbe théâtre qu'il fit construire, dans le dessein d'immortaliser son édilité, laquelle en effet acheva la ruine & le renversement des moeurs des Romains.
Philocharès, ne nous est connu que par ce que Pline en dit en parlant des tableaux étrangers exposés dans Rome. " Le second tableau, dit-il présente un sujet d'admiration dans la ressemblance d'un fils encore jeune avec son pere déjà vieux, malgré la différence des deux âges clairement exprimée : un aigle vole au-dessus, & tient un lion dans ses serres. Philocharès y a marqué que c'étoit son ouvrage, preuve éclatante, continue Pline, du pouvoir immense de l'art, quand on n'envisageroit que ce seul tableau, puisque le sénat & le peuple romain y contemplent depuis tant de siecles, en considération de Philocharès, deux personnages d'ailleurs très-obscurs, Glaucion & son fils Aristippe ".
Il ne faut pas croire que Pline reproche aux Romains de s'être dégradés, en portant leurs regards sur un portrait de deux personnes abjectes ; ce sens répugne, & à l'objet présent de l'auteur, & à tous ses principes de philosophie ; & à la maniere dont il nous offre plusieurs autres tableaux où les sujets étoient vils ou inconnus. Il ne prétend pas plus censurer les admirateurs de Glaucion & d'Aristippe, que les panégyristes de ce malade qu'Aristide avoit peint, aegrum sine fine laudatum ; comme c'étoit sur la finesse de l'exécution du peintre que tomboient les admirations & les louanges, le philosophe s'en servoit pour faire connoître les charmes de l'art, & le citoyen pour les faire aimer.
Philoxène d'Erythrée, éleve de Nicomachus, suivit la maniere de son maître. Pline dit de lui, cujus tabula nulli post ferenda ; c'est un éloge assez singulier. Il ajoute qu'il trouva des chemins plus courts encore pour peindre promptement. Il travailloit donc, dit M. de Caylus, comme le Pellegrini, qui avoit peint la banque à Paris, & comme Paul Mathéi qui a fait un si grand nombre d'ouvrages chez M. Crozat l'aîné ; l'un & l'autre faisoient ordinairement par jour une figure grande comme nature ; mais la promptitude & la facilité étoient leur seul mérite.
Polygnote de Thase, île de la mer Egée, étoit fils d'Aglaophon dont nous avons parlé, & qui vivoit avant la quatre-vingt-dixieme olympiade, tems où la peinture n'avoit pas encore fait de grands progrès. Il fut éleve de son pere ; mais comme il est arrivé depuis à Raphaël & à beaucoup d'autres, le disciple surpassa bientôt son maître. Guidé par son propre génie, il osa quitter l'ancienne maniere qui étoit dure, seche, & contrainte. Il porta tout-d'un-coup son art de l'enfance presque à la perfection. Jusqu'alors les Peintres ne s'étoient servi que d'une seule couleur, ce qui faisoit donner à leurs ouvrages le nom peu avantageux de ou , que Quintilien nous rend par les mots de simplex color.
Polygnote employa quatre couleurs, par le mélange desquelles il donna aux femmes une parure brillante qui charma les yeux. Il eut la gloire de trouver le secret des couleurs vives, des draperies éclatantes, & de multiplier avec dignité le nombre des ajustemens. Par cette nouveauté il éleva les merveilles de la Peinture à un degré qui n'étoit pas encore connu. Pline nous apprend que Polygnote & Micon furent les premiers qui firent usage de l'ocre jaune, & que tous deux peignirent à fresque ce célebre portique d'Athènes, qui de la variété de ses peintures fut nommé le Poecile. Mais Micon, comme je l'ai déjà dit, se fit payer de son travail, au-lieu que Polygnote ne voulut d'autre récompense que l'honneur d'avoir réussi ; ce beau procédé le mit en un si haut degré d'estime, que les Athéniens lui donnerent droit de bourgeoisie dans leur ville, & les Amphyctions le droit d'hospitalité dans toutes les villes de la Grece, pour tout le reste de sa vie : des récompenses aussi flatteuses pour l'amour-propre, & telles que les Grecs les savoient accorder, ne sont plus en usage ; il faut croire que si elles existoient, nous verrions plusieurs de nos artistes décorer des temples sans recevoir aucune rétribution, ou plûtôt les décorer pour en avoir d'aussi distinguées.
On voyoit à Rome, du tems de Pline, un tableau de Polygnote, qui représentoit un jeune homme armé de son bouclier, dans une attitude qui laissoit en doute s'il montoit ou s'il descendoit. Pline en fait beaucoup d'éloges, parce qu'il se trouve une beauté réelle dans une attitude indécise, & dans une contenance mal assurée, qui peint l'irrésolution de l'esprit. Il arrive très-souvent qu'un soldat qui escalade, ou qui s'avance à l'ennemi, s'arrête tout-à-coup sans savoir d'abord s'il poursuivra, s'il continuera de monter, ou s'il prendra le parti de descendre. Or ces sortes de positions vacillantes sont difficiles à être bien représentées par un peintre. L'habile artiste dont nous parlons avoit pourtant saisi celle-ci, & l'habile écrivain de la nature a eu soin d'avertir qu'on en voyoit à Rome le tableau sous le portique de Pompée.
Polygnote fit encore plusieurs autres ouvrages vantés dans l'histoire ; tels sont en particulier les deux tableaux que Pausanias a décrits ; l'un représentoit la prise de Troie & le rembarquement des Grecs ; l'autre la descente d'Ulysse aux enfers avec une image de ces lieux souterrains, sujets magnifiques, & qui ne prêtent pas moins à la Peinture qu'à la Poésie, voyez les Mém. des Inscr. tom. VI. in-4°. Il fut le premier qui sut varier l'air du visage, sec & dur dans l'ancienne peinture, qui donna des draperies fines & légeres à ses figures de femmes, & le premier qui les coëffa d'une mitre de différentes couleurs. Aussi heureux en galanterie que noble dans ses actions, il sut plaire à Elpinice, soeur de Cimon, & fille de Miltiade, ce grand capitaine, dont la gloire ne fut égalée que par celle de son fils. Polygnote vivoit quatre cent vingt années avant l'ere chrétienne ; ainsi les tableaux dont parle Pausanias avoient, du tems de cet auteur, cinq ou six cent ans d'antiquité.
Protogène, né à Caunium en Carie, ville qui dépendoit de Rhodes, étoit contemporain d'Apelles : il commença par peindre des navires, & vécut longtems dans une honnête pauvreté, la soeur, je dirai mieux, la mere du bon esprit. Il peignit ensuite des portraits & quelques sujets simples, mais auxquels il donna un si beau fini, qu'ils firent l'admiration des Athéniens, c'est-à-dire du peuple le plus éclairé qui fût au monde. Tous les Historiens parlent de ce fameux tableau qui lui coûta sept ans de travail, de l'Iabise, chasseur célebre, petit-fils du soleil, & qui passoit pour le fondateur de Rhodes.
Protogène, jaloux de la durée de ses ouvrages, & voulant faire passer le tableau d'Iabise à la postérité la plus reculée, le repeignit à quatre fois, mettant couleurs sur couleurs, qui prenant par ce moyen plus de corps, devoient se conserver plus long-tems dans leur éclat, sans jamais disparoître ; car elles étoient disposées pour se remplacer, pour ainsi dire, l'une l'autre. C'est ainsi que Pline s'explique, comme le remarque M. le comte de Caylus, pour caractériser le coloris de ce célebre artiste.
On admiroit en particulier dans ce tableau l'écume qui sortoit de la gueule du chien ; ce qui n'étoit pourtant, dit-on, qu'un coup de hasard & de desespoir du peintre. On faisoit aussi grand cas de son satyre appuyé contre une colonne. Protogène y travailloit dans le tems même du siége de Rhodes par Démétrius. Il étoit alors logé à la campagne dans une maison près de la ville. Démétrius fit venir Protogène dans son camp ; & lui ayant demandé comment il pouvoit s'occuper à son beau tableau sans crainte, & s'imaginer être en sureté au milieu des ennemis, Protogène lui répondit spirituellement, qu'il savoit que Démétrius ne faisoit pas la guerre aux arts ; réponse qui plut extrèmement au monarque, & qui sauva Rhodes. C'est Aulugelle, liv. XV. ch. iij. qui rapporte ce fait, un des plus frappans que l'histoire nous ait conservé. Cet évenement d'un tableau qui opere le salut d'une ville, est d'autant plus singulier, que le peintre vivoit encore ; & l'on sait assez que d'ordinaire les hommes attendent la mort des auteurs en tout genre, pour leur donner les éloges les plus mérités, soit qu'un sentiment d'envie les conduise, soit qu'ils ne prisent que ce qu'ils n'ont pas la liberté de faire exécuter, le plaisir de voir naître sous leurs yeux, & que leur estime soit produite par le regret.
Apelle fit connoître aux Rhodiens le mérite des ouvrages de ce laborieux artiste ; car ayant offert d'acheter très-cherement tous ses tableaux, les compatriotes de Protogène ouvrirent les yeux sur cette offre qui étoit sérieuse, & payerent ses ouvrages comme ils le méritoient. Aristote, amateur des beaux arts autant que des sciences, & de plus ami de Protogène dont il estimoit les talens, voulut l'engager aux plus grandes compositions & aux plus nobles sujets d'histoire, comme à peindre les batailles d'Alexandre ; mais Protogène résista toujours à cette amorce dangereuse, & continua sagement de s'en tenir aux peintures de son goût & de son génie.
On sait qu'Apelle & Protogène travaillerent ensemble à un tableau qui fut conservé précieusement. Ce tableau avoit été regardé comme un miracle de l'art ; & quels étoient ceux qui le considéroient avec le plus de complaisance ? C'étoient des gens du métier, gens en effet plus en état que les autres de sentir les beautés d'un simple dessein, d'en appercevoir les finesses, & d'en être affectés. Ce tableau, ou, si l'on veut, ce dessein avoit mérité de trouver place dans le palais des Césars. Pline, qui parle sur le témoignage des personnes dignes de foi, qui avoient vû ce tableau avant qu'il eût péri dans le premier incendie qui consuma le palais du tems d'Auguste, dit qu'on n'y remarquoit que trois traits, & même qu'on les appercevoit avec assez de peine ; la grande antiquité de ce tableau ne permettoit pas que cela fût autrement.
Il est à remarquer que s'il n'offroit à la vûe que de simples lignes coupées dans leur longueur par d'autres lignes, ainsi que M. Perrault se l'étoit imaginé, on en devoit compter cinq, & non pas trois. Le calcul est aisé à faire ; la premiere ligne refendue par une seconde ligne, & celle-ci par une troisieme encore, cela fait bien cinq lignes toutes distinctes, par la précaution qu'on avoit prise en les traçant, d'employer différentes couleurs. Une telle méprise dans une chose de fait, n'est que trop propre à faire sentir l'erreur de ceux qui cherchent sans cesse à rabaisser le mérite de l'antiquité.
Nous ne dirons rien de plus de la vie & des actions de ce grand peintre, sinon qu'il joignit, comme tant d'autres, l'exercice de la Sculpture avec celui de la Peinture. Du reste, Apelle lui reprochoit quelquefois de trop fatiguer ses ouvrages, & de ne savoir pas les quitter. Ce défaut a souvent jetté dans le froid quelques-uns de nos modernes. Apelle disoit à son ami, le trop de soin est dangereux ; mais la Peinture n'est pas la seule opération de l'esprit qui doit faire attention à ce précepte.
Pyreïcus, dit Pline, arte paucis post ferendus, & sur-tout du côté de la beauté du pinceau ; mais il a dégradé son mérite, tonstrinas sutrinasque pinxit ; aussi fut-il nommé rhyparo graphos, c'est-à-dire bas & ignoble. Nous pouvons donner cette épithete à presque tous les peintres des Pays-bas. Il paroît que les Romains étoient sensibles à la séduction que causoient ces petits genres, & qu'ils pardonnoient aux sujets en faveur de la belle couleur, qui véritablement est attrayante.
Sérapion étoit un peintre de décoration. Les Grecs & les Romains ont eu de grands décorateurs de théatre ; leurs dépenses en ce genre, & leur goût pour les spectacles, ont dû produire des hommes très-habiles dans cette partie, & nous pouvons imaginer par conséquent, que la facilité du génie & de l'exécution, devoit être nécessairement appuyée en eux par la connoissance exacte de la perspective. Plus un trait est rapporté dans le grand, & plus il exige d'exactitude & de vérité ; & la perspective aérienne éprouve les mêmes nécessités. Sérapion se distingua dans l'art des décorations ; Pline après en avoir parlé sur ce ton, ajoûte qu'il ne pouvoit peindre la figure, c'est une chose toute ordinaire. A la réserve de Jean Paul Panini, qui a sçu allier plusieurs parties de la Peinture, Bibiena, Servandoni, & tous ceux qui les ont précédés, n'ont jamais sçu représenter une figure, ni même l'indiquer en petit, sur le plan le plus éloigné. Si Sérapion ne pouvoit faire aucune figure, Dionysius au contraire ne savoit peindre que des figures ; ces partages se rencontrent tous les jours ; cependant les Dionysius seront plus aisément Sérapions, que les Sérapions ne seront Dionysius ; car un peintre d'histoire exprimera toujours ses pensées : le dessein de la figure conduit à tout, & rend tout facile.
Socrate est peint dans ces deux mots de Pline, jure omnibus placet ; cet artiste fut bienheureux ; il se trouvoit du goût de tout le monde. On peut dire qu'il eut un sort bien différent du divin philosophe dont il portoit le nom. C'est au peintre que nous devons la composition suivante, & qu'un philosophe auroit pû imaginer. Pour exprimer un négligent qui fait des choses inutiles, il peignit un homme assis par terre, travaillant une natte mangée par un âne, à mesure qu'il la terminoit. D'autres prétendent que Socrate avoit voulu représenter un mari imbécille, dont l'économie fournit aux dépenses de sa femme ; quoiqu'il en soit, le sujet étoit si bien peint, qu'il passa en proverbe. Ocnus spartum torquens quod asellus arrodit.
Théomneste, contemporain d'Asclépiodore & d'Aristide, & un peu plus ancien qu'Apelle, reçut de Mnason, le prince de son tems le plus curieux en peinture, cent mines, c'est-à-dire près de 8000 livres de notre monnoie, pour chaque figure de héros qu'il avoit représentée ; & s'il y en avoit douze, pour répondre aux douze divinités d'Asclépiodore, comme il y a beaucoup d'apparence, cet ouvrage lui fut payé environ 96000 livres.
Timagoras de Chalcide fleurissoit dans la quatre-vingt-deuxieme olympiade. Il disputa le prix de la Peinture contre Panée dans les jeux Pythiens, le vainquit, & composa sur sa victoire un poëme qu'on avoit encore du tems de Pline.
Timanthe étoit natif de Sycione, ou selon d'autres, de Cythné. Cet artiste si renommé avoit en partage le génie de l'invention, ce don précieux de la nature qui caractérise les talens supérieurs, & que le travail le plus opiniâtre, ni toutes les ressources de l'art ne peuvent donner. C'est Timanthe qui est l'auteur de ce fameux tableau du sacrifice d'Iphigénie, que tant d'écrivains ont célébré, & que les grands-maîtres ont regardé comme un chef-d'oeuvre de l'art. Personne n'ignore que pour mieux donner à comprendre l'excès de la douleur du pere de la victime, il imagina de le représenter la tête voilée, laissant aux spectateurs à juger de ce qui se passoit au fond du coeur d'Agamemnon. Velavit ejus caput, dit Pline, & sibi cuique animo dedit aestimandum. Tout le monde sait encore combien cette idée a été heureusement employée dans le Germanicus de Poussin. Les grands hommes, & sur-tout les Peintres, parlent tous, pour ainsi dire, le même langage, & le tableau de Timanthe ne subsistoit plus quand le Poussin fit le sien.
Pline, liv. XXXV. ch. x. en caractérisant les divers mérites des peintres grecs, dit au sujet de Timanthe, que dans ses ouvrages on découvroit plus de choses qu'il n'en prononçoit ; qu'étant grand par son art, il étoit encore plus grand par son génie, & que s'il représentoit un héros, il employoit tout ce que la Peinture avoit de force. Plutarque parle avec de grands éloges d'un tableau que ce peintre avoit fait du combat d'Aratus contre les Etoliens ; ce n'est pas, dit Plutarque, un tableau, c'est la chose même que l'on voit ; il est singulier que Pline ait oublié d'en faire mention, car il n'a pas manqué de nous raconter d'autres détails sur Timanthe, comme sa dispute contre Parrhasius, qui se passa à Samos, & où ce dernier fut vaincu. Cette même histoire, dont j'ai déjà parlé, se retrouve dans Athénée ; mais Pline a loué Timanthe en des termes qui disent tout, artem ipsam complexus viros pingendi. Il pratiqua l'art dans tout son entier pour peindre les hommes. Nous avons eu quelques modernes qui n'ont jamais pû rendre la délicatesse & les graces que la nature a répandues dans les femmes.
Timomaque, natif de Bizance, vivoit du tems de Jules-César. Il mit au jour, entr'autres productions, un Ajax & une Médée que le conquérant des Gaules plaça dans le temple de Vénus, & qu'il acheta 80 talens, c'est-à-dire au-delà de seize mille quatre cent louis. Timomaque n'avoit pas mis la derniere main à sa Médée, & c'étoit néanmoins ce qui la faisoit encore plus estimer, au rapport de Pline, qui ne peut s'empêcher d'admirer ce caprice du goût des hommes. La pitié entre-t-elle dans ce sentiment ? se fait-elle un devoir de chérir les choses à cause de l'infortune qu'elles ont eu de perdre leur auteur, avant que d'avoir reçu leur perfection de sa main ? cela peut être ; mais il arrive aussi quelquefois qu'on se persuade avec raison, que de grands maîtres alterent l'excellence de leurs ouvrages par le trop grand fini dont ils sont idolâtres.
Quoi qu'il en soit, le morceau de peinture dont il s'agit ici étoit admirable par l'expression, genre particulier qui caractérisoit Timomaque ; car c'est par-là qu'Ausone, dans sa traduction de quelques épigrammes de l'Anthologie sur ce sujet, vante principalement ce magnifique tableau, où la fille d'Oetus, si fameuse par ses crimes, étoit peinte dans l'instant qu'elle levoit le poignard sur ses enfans. On voit, dit le poëte, la rage & la compassion mêlées ensemble sur son visage ; à-travers la fureur qui va commettre un meurtre abominable, on apperçoit encore des restes de la tendresse maternelle.
Immanem exhausit rerum in diversa laborem
Pingeret affectum, matris in ambiguum,
Ira subest lacrymis, miseratio non caret irâ ;
Alterutrum videat, ut sit in alterutro.
Cependant cette Médée, si louée par les auteurs grecs & latins, si bien payée par Jules-César, n'étoit pas le chef-d'oeuvre du célebre artiste de Bizance : l'on n'estimoit pas moins son Iphigénie & son Oreste, & l'on mettoit sa Gorgone au-dessus de toutes ses compositions.
Zeuxis, étoit natif d'Héraclée, soit d'Héraclée en Macédoine, ou d'Héraclée près de Crotone en Italie, car les avis sont partagés ; il fleurissoit 400 ans avant Jesus-Christ, vers la quatre-vingt-quinzieme olympiade. Il fut le rival de Timanthe, de Parrhasius, & d'Apollodore, dont il avoit été le disciple ; mais il porta à un plus haut degré que son maître la pratique du coloris & du clair obscur ; ces parties essentielles, que Pline nomme la porte de l'art, & qui en font proprement la magie, firent rechercher les ouvrages de Zeuxis avec empressement, ce qui mit bien-tôt ce célebre artiste dans une telle opulence, qu'il ne vendoit plus ses tableaux, parce que, disoit-il, aucun prix n'étoit capable de les payer ; discours qu'il devoit laisser tenir à ses admirateurs.
Dans le nombre de ses productions pittoresques, tous les auteurs s'étendent principalement sur celle de ses raisins, & du rideau de Parrhasius. Ce n'est point cependant dans ces sortes de choses que consiste le sublime & la perfection de l'art ; de semblables tromperies arrivent tous les jours dans nos peintures modernes, qu'on ne vante pas davantage par cette seule raison. Des oiseaux se sont tués contre le ciel de la perspective de Ruel en voulant passer outre, sans que cela soit beaucoup entré dans la louange de cette perspective. Un tableau de M. le Brun, sur le devant duquel étoit un grand chardon bien représenté, trompa un âne qui passoit, & qui, si on ne l'eût empêché, auroit mangé le chardon ; je dis avec M. Perrault mangé, parce que le chardon étant nouvellement fait, l'âne auroit infailliblement léché toute la peinture avec sa langue. Quelquefois nos cuisiniers ont porté la main sur des perdrix & sur des chapons naïvement représentés pour les mettre à la broche ; on en a ri, & le tableau est demeuré à la cuisine.
Mais des tableaux beaucoup plus importans de Zeuxis étoient, par exemple, son Hélene, qu'on ne voyoit d'abord qu'avec de l'argent, d'où vint que les railleurs nommerent ce portrait Hélene la courtisanne. On ne sait point si cette Hélene de Zeuxis étoit la même qui étoit à Rome du tems de Pline, ou celle que les Crotoniates le chargerent de représenter, pour mettre dans le temple de Junon. Quoi qu'il en soit, il peignit son Hélene d'après nature sur les cinq plus belles filles de la ville, en réunissant les charmes & les graces particulieres à chacune, pour en former la plus belle personne du monde, que son pinceau rendit à ravir.
On vantoit encore extrèmement son Hercule dans le berceau, étranglant des dragons à la vûe de sa mere épouvantée. Il prisoit lui-même singulierement son Lutteur ou son Athlete, dont il s'applaudissoit comme d'un chef-d'oeuvre inimitable. Il y a de l'apparence qu'il estimoit aussi beaucoup son Athalante, puisqu'il la donna aux Agrigentins ; qu'il n'estimoit pas moins son Pan, dont il fit présent à Archelaüs, roi de Macédoine, dans le tems qu'il employoit son pinceau pour l'embellissement du palais de ce monarque ; je ne dirai rien de son Centaure femelle, il a été décrit par Lucien.
Zeuxis ne se piquoit point d'achever promptement ses ouvrages ; & comme quelqu'un lui reprochoit sa lenteur, il répondit, " qu'à la vérité il étoit longtems à peindre, mais qu'il peignoit aussi pour longtems ".
Pline parle de sa Pénélope, in quâ pinxisse mores videtur : on ne peut donner une idée plus délicate de son esprit & de son pinceau ; car il ne faut pas regarder ce trait comme une métaphore, semblable à celle où le même auteur, pour exprimer les peintures des vaisseaux, & faire entendre les dangers de la navigation, dit si noblement, pericula expingimus ; cette belle expression, mores pinxisse videtur, doit être prise ici pour une véritable définition. Raphaël parmi les modernes, a semblablement peint les moeurs, & a su plus d'une fois les exprimer. On sait quelle réunion de grandeur, de simplicité, & de noblesse cet illustre moderne a mis dans les têtes des vierges, mores pinxit. On peut encore peut-être mieux comparer Léonard de Vinci à Zeuxis, à cause du terminé auquel il s'appliquoit.
Pline ajoute en finissant le portrait de Zeuxis, deprehenditur tamen Zeuxis grandior in capitibus articulisque ; ces mots deprehenditur tamen, indiquent-ils un reproche de faire des têtes & des attachemens trop forts ? ou le mot de grandior qui suit, marque-t-il un éloge, & Pline veut-il dire que Zeuxis faisoit ces parties d'un grand caractere, d'autant qu'il le loue de travailler avec soin, & d'après la nature ? car il ajoute, alioqui tantus diligentiâ. Je ne décide point l'explication de cette phrase latine.
Verrius Flaccus, cité par Festus, rapporte que le dernier tableau de Zeuxis fut le portrait d'une vieille, qui le fit tant rire qu'il en mourut ; mais si le fait étoit vrai, comment auroit-il échappé à tous les autres auteurs ? Je supprime ici beaucoup de choses sur ce grand maître en Peinture, parce qu'on les trouve dans Junius & dans la vie de Zeuxis, de Parrhasius, d'Apelle, & de Protogène, donnée en italien par Carlo-Dati, & imprimée à Florence en 1667, in-12.
Enfin, pour complete r cet article, je ne dois pas taire quelques femmes qui ont exercé la Peinture dans la Grece ; telles sont Timarete, fille de Micon, & qui a excellé ; Irène, fille & éleve de Cratinus ; Calypso, Alcisthène, Aristarete qui s'étoit formée dans son art sous son pere Néarchus ; Lala de Cizique, perpetua virgo, épithete singuliere pour ce tems, si elle ne veut pas dire tout simplement qu'elle ne fut point mariée. Cette fille exerça la Peinture à Rome, selon M. Varron, cité par Pline ; non-seulement elle peignit, mais elle fit des ouvrages cestro in ebore, ce que M. de Caylus traduit généralement, en disant qu'elle grava sur l'ivoire : elle fit le portrait de beaucoup de femmes, & le sien même dans le miroir, nec ullius in picturâ velocior manus fuit, personne n'eut le pinceau aussi léger, ou bien, ne montra une aussi grande légereté d'outil, pour m'exprimer dans la langue des artistes ; Pline fait encore mention d'une Olympias.
Plusieurs de ces femmes ont fait de bons éleves, & laissé de grands ouvrages. Je ne puis opposer, avec M. de Caylus, à ces femmes illustres qu'une seule moderne ; non que les derniers siecles n'en aient produits qui pourroient trouver ici leur place ; mais la célebre Rosalba Carieri a fait des choses si remplies de cette charis qu'Apelle s'étoit accordée, qu'on peut la comparer, à divers égards, aux femmes peintres de la Grece. Les sujets qu'elle a faits n'ont cependant jamais été fort étendus, car elle n'a travaillé qu'en mignature & en pastel. (D.J.)
PEINTRES ROMAINS, (Peint. ant.) Pline ne compte de peintres romains que les suivans, rangés ici dans l'ordre chronologique. Fabius, surnommé Pictor, & qui étoit de l'illustre famille des Fabius, Pacuvius, Sopolis, Dionysius, Philiscus, Arellius, Ludius, qui fleurissoit sous Auguste, Quintus-Pedius, Antistius-Labéo, Amulius, Tripilius, Cornelius Pinus, Accius-Priscus : nous indiquerons leurs caracteres & leurs ouvrages dans le même ordre que nous venons de suivre au mot PEINTURE des Romains.
PEINTRE de batailles, (Peint. mod.) on nomme ainsi le peintre qui s'adonne particulierement à cette sorte d'ouvrage. Il faut que dans une composition de ce genre, il paroisse beaucoup de feu & d'action dans les figures & dans les chevaux. C'est pourquoi on y doit préférer une maniere forte & vigoureuse, des touches libres, un goût heurté à un travail fini, à un pinceau délicat, à un dessein trop terminé. Voici les peintres célebres en ce genre.
Castelli (Valerio), né à Gènes en 1625, mort dans la même ville en 1659, montra de bonne heure son inclination à peindre des batailles, & eut un grand succès en ce genre.
Courtois (Jacques), surnommé le Bourguignon, né à S. Hippolite l'an 1621, mort à Rome en 1676, suivit pendant trois ans une armée, en dessina les campemens, les siéges, les marches & les combats dont il étoit témoin. Michel-Ange ayant vu de ses tableaux de bataille, publia partout ses talens. Il regne dans ses ouvrages beaucoup de feu, & ses compositions sont soutenues par le coloris.
Michel-Ange des batailles reçut ce surnom de son habileté singuliere à représenter ces sortes de sujets, dans lesquels il mettoit une imagination vive, une grande prestesse de main, & beaucoup de force. On a gravé quelques-unes de ses batailles dans le Strada de Rome, où il mourut en 1660.
Parocel (Joseph), éleve du Bourguignon, a excellé à représenter des batailles, faisant tout de génie, sans avoir jamais été dans des camps ni suivi des armées. Cependant il a mis dans ses tableaux un mouvement & un fracas prodigieux. Il a peint avec la derniere vérité la fureur du soldat. Aucun peintre, suivant son expression, n'a su mieux tuer son homme. Son fils (Charles), mort en 1752, brilloit aussi dans le genre de son pere.
Le Primatice, disciple de Jules Romain, a fait avec succès, sur les desseins de son maître, des batailles de stuc en bas-relief ; c'étoit le tems où l'on commençoit seulement à quitter en France la maniere gothique & barbare.
Rosa (Salvator), né à Naples en 1615, fit des tableaux d'histoire peu estimés, mais réussit à peindre des combats & des figures de soldats, dont il saisissoit admirablement l'air & la contenance.
Van Huchtenburg, né à Harlem, est connu par dix tableaux qui représentent dix batailles célebres du prince Eugene : 1°. celle de Zanta contre les Turcs, en 1697 ; 2°. celle de Chiari en Italie contre les deux couronnes, en 1701 ; 3°. celle de Luzara, en 1702. 4°. celle de Hochstedt, en 1704 ; 5°. celle de Cassano en Italie contre le duc de Vendôme, en 1705 ; 6°. celle de Turin, en 1706 ; 7°. celle d'Oudenarde, en 1708 ; 8°. celle de Malplaquet, en 1709 ; 9°. celle de Peterwaradin en Hongrie contre les Turcs, en 1716 ; 10°. enfin celle de Belgrade, en 1717.
Van-der-Veld (Guillaume), avoit un talent particulier pour représenter des vues & des combats de mer. On rapporte que l'amour pour son art l'engagea à s'embarquer avec l'amiral Ruyter, & que dans le feu du combat, il dessinoit tranquillement à l'écart l'action qui se passoit sous ses yeux ; mais son fils Guillaume le jeune l'a encore surpassé par ses talens en ce genre. Ce fils mourut à Londres en 1707, comblé des bienfaits de la nation ; ses tableaux sont portés à un très-haut prix.
Van-der-Mulen (Antoine-François), a pris pour sujets ordinaires de ses tableaux des chasses, des siéges, des combats, des marches, ou des campemens d'armées ; ils font l'ornement de Marly, & des autres maisons royales.
Verschuur (Henri), né à Gorcum en 1627, mort en 1690, avoit un goût dominant pour représenter des batailles. Il suivit l'armée des Etats en 1672, pour peindre les divers campemens, les marches, les combats, les retraites. Né avec un génie vif & facile, il a mis dans ses tableaux tout le feu que requiert ce genre de composition.
Vroom (Henri Corneille), né à Harlem en 1566, avoit un rare génie pour représenter des batailles navales. L'Angleterre & les princes d'Orange l'occuperent à peindre les victoires que ces deux puissances avoient remportées sur mer contre les Espagnols. Enfin on exécuta de très-belles tapisseries d'après les ouvrages de cet artiste.
PEINTRE de fleurs & de fruits, (Peinture) on appelle ainsi les artistes qui se sont attachés particulierement à ce goût de peinture ; c'est un genre qui veut être traité d'une maniere supérieure. Il requiert un choix élégant dans les fleurs & dans les fruits, l'art de les groupper & de les assortir, une touche légere, un coloris frais, brillant, & sur-tout une parfaite imitation de la belle nature. Entre les artistes qui se sont distingués dans l'art de peindre les fleurs & les fruits, on nomme Van-Huysum, Mignon, De Heem, Nuzzi, Monnoyer & Fontenay. J'ai parlé des trois premiers à l'article ÉCOLE, je ne dirai ici qu'un mot des trois autres.
Mario Nuzzi, plus connu sous le nom de Mario di Fiori, né à Penna dans le royaume de Naples, mort à Rome en 1673, peignit les fleurs & les fruits avec cette vérité qui charme & séduit les sens ; aussi Smith en a-t-il gravé plusieurs pots d'après lui.
Monnoyer (Jean-Baptiste), né à Lille en 1635, mort à Londres en 1699, a peint des tableaux de fleurs qui sont précieux par la fraîcheur, l'éclat & la vérité qui y brillent.
Fontenay (Jean-Baptiste Blain de), né à Caen en 1654, mort en 1715, avoit un talent éminent à réprésenter des fleurs & des fruits, les groupper avec art, & varier l'esprit de sa composition. Les insectes paroissent vivre dans ses tableaux ; les fleurs n'y perdent rien de leur beauté, les fruits de leur fraîcheur. On croit voir découler la rosée des tiges, on est tenté d'y porter la main. (D.J.)
PEINTRE, marchand, s. m. (Communauté) les maîtres peintres composent à Paris une communauté dont le commerce comprend tout ce qui se peut faire en Peinture & en Sculpture, soit doré, soit argenté, soit cuivré, en détrempe & à l'huile. Leurs ouvrages de dorure, s'ils sont ordinaires, sont dorés d'un or qu'on appelle or pâle ; & si l'on veut qu'ils soient propres, on y employe de l'or jaune. Les ouvrages argentés s'argentent les uns en blanc, & les autres en jaune. Les ouvrages cuivrés sont ceux où l'on ne se sert que d'or faux, c'est-à-dire de cuivre battu en feuille & mis en oeuvre comme l'or fin.
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PEINTURE | S. f. (Hist. des beaux arts) c'est un art, qui par des lignes & des couleurs, représente, sur une surface égale & unie, tous les objets visibles.
L'imagination s'est bien exercée pour trouver l'origine de la Peinture ; c'est là-dessus que les poëtes nous ont fait les contes les plus agréables. Si vous les en croyez, ce fut une bergere qui la premiere, pour conserver le portrait de son amant, conduisit avec sa houlette une ligne sur l'ombre que le visage du jeune homme faisoit sur un mur. La Peinture, disent-ils,
La brillante Peinture est fille de l'Amour :
C'est lui qui le premier inspirant une amante,
Aux rayons de Phébus, guidant sa main tremblante,
Crayonna sur un mur l'ombre de son amant.
Des diverses couleurs de riche assortiment,
L'art d'animer la toile & de tromper l'absence,
Ainsi que d'autres arts lui doivent la naissance.
Ce sont-là des apologues inventés pour l'explication de cette vérité, que les objets, mis sous les yeux de l'homme, semblent l'inviter à l'imitation ; & la nature elle-même, qui, par le moyen des jours & des ombres, peint toutes choses soit dans les eaux, soit sur les corps dont la surface est polie, apprit aux hommes à satisfaire leurs goûts par imitation.
Quoi qu'il en soit, on doit placer la Peinture parmi les choses purement agréables, puisque cet art n'ayant aucun rapport avec ce qu'on appelle précisement les nécessités de la vie, est tout entier pour le plaisir des yeux & de l'esprit. La Poésie, fille du plaisir, n'a semblablement pour but que les plaisirs même. Si, dans la suite des tems, la vertu, pour faire sur les hommes, une impression plus vive, a emprunté les charmes de l'un & de l'autre, ainsi que la Junon d'Homere emprunta la ceinture de Vénus pour paroître plus aimable aux yeux de Jupiter ; si la vertu a entrepris d'ennoblir par-là, & de relever le mérite de la Poésie & de la Peinture, c'est un bienfait que ces deux arts tiennent d'elle, & qui dans le fond leur est absolument étranger ; ce n'est point le besoin qui leur a donné naissance, elles ne lui doivent point leur origine.
Ce sont deux soeurs dont les intentions sont les mêmes : les moyens qu'elles employent pour parvenir à leurs fins, sont semblables, & ne different que par l'objet : si l'une par les yeux se fait un chemin pour aller toucher l'esprit, l'autre peint immédiatement à l'esprit ; mais la Peinture saisit l'ame par le secours des sens ; & c'est peut-être dans le fond le plus sûr moyen de l'attacher. Elle trompe nos yeux par cette magie qui nous fait jouïr de la présence des objets trop éloignés, ou qui ne sont plus. Son attrait frappe & attire tout le monde, les ignorans, les connoisseurs & les artistes mêmes. Elle ne permet à personne de passer indifféremment par un lieu où sera quelque excellent tableau, sans être comme surpris, sans s'arrêter, & sans jouïr quelque tems du plaisir de la surprise. La Peinture nous affecte par le beau choix, par la variété, par la nouveauté des choses qu'elle nous présente ; par l'histoire & par la fable, dont elle nous rafraîchit la mémoire ; par les inventions ingénieuses, & par ces allégories dont nous nous faisons un plaisir de trouver le sens, & de critiquer l'obscurité.
C'est un des avantages de la Peinture, que les hommes pour être de grands peintres, n'ont guere besoin pour se produire du bon plaisir de la fortune. Cette reine du monde ne peut que rarement les priver des secours nécessaires pour manifester leurs talens. Tout devient palettes & pinceaux entre les mains d'un jeune homme doué du génie de la Peinture. Il se fait connoître aux autres pour ce qu'il est, quand lui-même ne le sait pas encore. Ajoutez que l'art de la Peinture n'est pas moins propre à attirer autant de considération à ceux qui y excellent, qu'aucun des autres arts qui sont faits pour flatter les sens.
Il y a dans la Peinture des avantages que les objets mêmes qu'elle imite sont bien éloignés de procurer. Des monstres & des hommes morts ou mourans, que nous n'oserions regarder, ou que nous ne verrions qu'avec horreur, nous les voyons avec plaisir imités dans les ouvrages des peintres ; mieux ils sont imités, plus nous les regardons avidement. Le massacre des Innocens a dû laisser des idées bien funestes dans l'imagination de ceux qui virent réellement les soldats effrénés égorger les enfans dans le sein des meres sanglantes. Le tableau de Le Brun où nous voyons l'imitation de cet événement tragique, nous émeut & nous attendrit, mais il ne laisse dans notre esprit aucune idée importune de quelque durée. Nous savons que le peintre ne nous afflige qu'autant que nous le voulons, & que notre douleur, qui n'est que superficielle, disparoîtra presque avec le tableau : au lieu que nous ne serions pas maîtres ni de la vivacité, ni de la durée de nos sentimens, si nous en avions été frappés par les objets mêmes. C'est en vertu du pouvoir qu'il tient de la nature, que l'objet réel agit sur nous. Voilà d'où procéde le plaisir que la Peinture fait à tous les hommes. Voilà pourquoi nous regardons avec contentement des peintures, dont le mérite consiste à mettre sous nos yeux des avantures si funestes, qu'elles nous auroient fait horreur si nous les avions vues véritablement.
Ceux qui ont gouverné les peuples dans tous les tems, ont toujours fait usage des peintures, & des statues, pour leur mieux inspirer les sentimens qu'ils vouloient leur donner, soit en religion, soit en politique. Quintilien a vu quelquefois les accusateurs faire exposer dans le tribunal un tableau où le crime dont ils poursuivoient la vengeance étoit représenté, afin d'exciter encore plus efficacement l'indignation des juges contre le coupable. S. Grégoire de Nazianze rapporte l'histoire d'une courtisanne, qui dans un lieu où elle n'étoit pas venue pour faire des réflexions sérieuses, jetta les yeux par hasard sur le portrait de Palémon, philosophe fameux par son changement de vie, lequel tenoit du miracle, & qu'elle rentra en elle-même à la vûe de ce portrait. Les peintres d'un autre genre ne sont pas moins capables, par l'amorce d'un spectacle agréable aux yeux, de corrompre le coeur & d'allumer de malheureuses passions.
Mais les peintures en bien & en mal font une impression plus forte sur les hommes dans les contrées, où communément ils ont le sentiment très-vif, telles que sont les régions de l'Europe les plus voisines du soleil, & les côtes de l'Asie & de l'Afrique qui font face à ces régions. Qu'on se souvienne de la défense que les tables de la loi font aux Juifs de peindre & de tailler des figures humaines : elles faisoient trop d'impression sur un peuple enclin, par son caractere, à se passionner pour tous les objets capables de l'émouvoir.
Il paroît même que le pouvoir de la Peinture est plus grand sur les hommes que celui de la Poésie, parce que la Peinture agit sur nous par le moyen du sens de la vue, lequel a généralement plus d'empire sur l'ame que les autres sens, & parce que c'est la nature elle-même qu'elle met sous nos yeux. Les anciens prétendoient que leurs divinités avoient été mieux servies par les Peintres que par les Poëtes.
Au reste, il est facile de comprendre comment les imitations que la Peinture nous présente sont capables de nous émouvoir, quand on fait réflexion qu'une coquille, une médaille, où le tems n'a laissé que des phantômes de lettres & de figures, excitent des passions inquietes, le desir de les voir & l'envie de les posséder. Une grande passion, allumée par le plus petit objet, est un événement ordinaire. Rien n'est surprenant dans nos passions qu'une longue durée, dit M. l'abbé Dubos.
Après m'être étendu sur les charmes de la Peinture, je voudrois pouvoir découvrir l'origine de cet art, en marquer les progrès & les révolutions ; mais tous les écrits où les anciens avoient traité cette partie historique sont perdus ; nous n'avons pour nous consoler de cette perte que les ouvrages de Pline, qu'il faut lire en entier, & dont par conséquent nous n'entreprendrons point ici de faire l'extrait. C'est assez de remarquer avec lui, que la recherche qui concerne les commencemens de la peinture, n'offre que des incertitudes.
Les Egyptiens, dit-il, assurent que l'art a pris naissance chez eux six mille ans avant que de passer dans la Grece, ostentation manifestement frivole. Il ne conteste point à l'Egypte d'avoir possédé les peintres les plus anciens ; il reconnoissoit même le Lydien Gigès pour le premier inventeur de la peinture égyptienne, soit qu'il n'en restât plus de son tems aucun monument, soit que les ouvrages y méritassent peu d'attention, parce que la politique des Egyptiens avoit toujours entretenu la peinture, selon Platon, dans le même état de médiocrité, sans aucune altération & sans aucun progrès ; mais les Grecs la porterent au plus haut point de grandeur & de perfection. De la Grece elle passa chez les Romains, sans y produire cependant des artistes du premier ordre. Elle s'éteignit avec l'empire, & ne reparut dignement en Europe, que sous le siecle de Jules II. & de Léon X.
Cette derniere révolution a produit la distinction de la peinture antique & de la peinture moderne. La premiere se subdivise en peinture grecque & romaine. La seconde a formé diverses écoles, qui ont chacune leur mérite & leur caractere particulier. Si donc vous êtes curieux de suivre l'histoire complete de la peinture, voyez PEINTURE antique, PEINTRES grecs, & PEINTURE des Grecs, PEINTURE des Romains, PEINTURE moderne, ECOLE, &c.
Nous avons puisé nos recherches dans un grand nombre d'ouvrages pour traiter tous ces articles avec soin, & c'est bien notre faute si nous n'avons pas réussi. (D.J.)
PEINTURE ANTIQUE, (Hist. des arts) c'est celle qui d'Egypte passa en Grece, & de la Grece à Rome, où elle fut en grande réputation sous les premiers empereurs, jusqu'à ce qu'enfin le luxe & les guerres ayant dissipé l'empire romain, elle s'éteignit, & ne reparut en Italie, que quand Cimabué, vers le milieu du treisieme siecle, retira d'entre les mains de quelques grecs, les déplorables restes de ce bel art.
Quoique l'Egypte ait été le berceau de la Peinture, elle n'a produit aucun chef-d'oeuvre en ce genre. Pline n'en cite aucun, & Pétrone écrit que les Egyptiens ne formerent que de mauvais peintres. Il ajoute même qu'ils avoient nui beaucoup à cet art, en inventant des regles propres à en rendre l'apprentissage moins long & la pratique moins pénible.
Parmi les morceaux qui nous restent de la peinture antique, on remarque, 1°. à Rome la noce de la vigne Aldobrandine, & les figurines de la pyramide de Cestius. Il n'y a point de curieux qui du moins n'en ait vu des estampes. En second lieu, les peintures qui sont au palais Barberin dans Rome, & qui furent trouvées dans des grottes souterraines, lorsqu'on jetta les fondemens de ce palais. Ces peintures sont le paysage, ou le nymphée, dont Lucas Holstenius a publié l'estampe, avec une explication qu'il avoit faite de ce tableau ; la Vénus restaurée, par Carle-Maratte, & une figure de Rome qui tient une victoire. Les connoisseurs qui ne savent pas l'histoire de ces deux fresques, prennent l'une pour être de Raphaël, & l'autre pour être du Correge. 3°. On voit encore au palais Farnese un morceau de peinture antique, trouvée dans la vigne de l'empereur Adrien à Tivoli, & un reste de plafond dans le jardin d'un particulier auprès de S. Grégoire. 4°. On a aussi trouvé plusieurs autres peintures antiques dans la vigne Farnese sur le mont Palatin, dans l'endroit qu'occupoit autrefois le palais des empereurs. Le roi des deux Siciles, aujourd'hui roi d'Espagne, les a fait transporter à Naples : elles n'ont point encore été gravées. 5°. On a trouvé en 1752, en fouillant les ruines d'Herculanum, une riche collection de peintures antiques, qui doivent former un trésor unique en ce genre. Voyez HERCULANUM.
6°. Enfin plusieurs particuliers ont dans leurs cabinets quelques morceaux de peinture antique. Le docteur Mead, M. le marquis Capponi, M. le cardinal Massimi, M. Crozat & autres, possédoient plusieurs de ces morceaux.
Quant à ce qui reste dans les thermes de Titus, il n'y a plus que des peintures à demi effacées. Il est vrai cependant que depuis deux siecles, on en a déterré un grand nombre en Italie, & en Espagne même ; mais la plûpart de ces peintures sont péries, & il ne nous en est demeuré que les desseins, ou des estampes. Voyez les ouvrages curieux sur cette matiere, tels que le pitture antiche delle grotte di Bocca, par M. de la Chausse ; les ouvrages de Bartoli, de Bellori, du P. Montfaucon, & autres. Les peintures du tombeau des Nasons, qu'on déterra près de Poute-mole en 1674, ne subsistent déjà plus ; les peintures mêmes qu'on déterra il y a environ soixante & quinze ans, à la vigne Corsini, bâtie sur le Janicule, sont détruites.
On connoît aisément par ce détail abrégé, qu'on ne peut sans témérité, entreprendre un parallele de la peinture antique, avec la peinture moderne, sur la foi des fragmens de la peinture antique, qui ne subsistent plus qu'en images, du moins par la vétusté. D'ailleurs ce qui nous reste, & ce qui étoit peint à Rome sur les murailles, n'a été fait que long-tems après la mort des peintres célebres de la Grece. Or il paroît par les écrits des anciens, que les peintres qui ont travaillé à Rome sous Auguste, & sous ses premiers successeurs, étoient très-inférieurs au célebre Apelle, & à ses illustres contemporains. Pline qui composoit son histoire sous Vespasien, & quand les arts avoient atteint déjà le plus haut point de perfection où ils sont parvenus sous les empereurs, ne cite point parmi les tableaux qu'il compte pour un des plus grands ornemens de la capitale de l'univers, aucun tableau qui donne lieu de croire avoir été fait du tems des Césars. On ne sauroit donc asseoir sur des fragmens de la peinture antique qui nous restent, & qui sont les débris faits dans Rome sous les empereurs, aucun jugement certain concernant le degré de perfection où les Grecs & les anciens Romains pourroient avoir porté ce bel art. On ne sauroit même décider par ces fragmens, du degré de perfection où la Peinture pouvoit être lorsqu'ils furent faits, quel rang tenoit entre les peintres de son tems, l'artiste qui les fit, ni en quel endroit étoit son ouvrage, & s'il passoit pour un ouvrage excellent en son genre.
Il seroit téméraire de décider la question de la prééminence de la peinture antique sur ce que nos tableaux ne font point ces effets prodigieux que les tableaux des anciens peintres ont fait quelquefois suivant les apparences. Les récits des écrivains qui nous racontent ces effets, sont exagérés, & nous ne savons pas même ce qu'il en faudroit rabattre pour les réduire à l'exacte vérité. Nous ignorons quelle part la nouveauté de l'art de la Peinture, peut avoir eue dans l'impression qu'on veut que certains tableaux ayent faite sur les spectateurs. Les premiers tableaux, quoique grossiers, ont dû paroître des ouvrages divins. L'admiration pour un art naissant, fait tomber aisément dans l'exagération, ceux qui parlent de ces productions ; & la tradition en recueillant ces récits outrés, aime encore quelquefois à les rendre plus merveilleux qu'elle ne les a reçus. On trouve même dans les écrivains anciens des choses impossibles données pour vraies, & des choses ordinaires traitées de prodige. Savons-nous d'ailleurs quel effet auroient produit sur des hommes aussi sensibles & aussi disposés à se passionner, que l'étoient les compatriotes des anciens peintres de la Grece, plusieurs tableaux de Raphaël, de Rubens, & d'Annibal Carrache ?
Enfin nous ne savons pas même quelle comparaison on pouvoit faire autrefois entre les fragmens de peinture antique qui nous restent, & les beaux tableaux des peintres de la Grece qui ne subsistent plus.
Les injures du tems, & les ravages des hommes plus cruels que le tems même, nous ont dérobé les moyens de prononcer d'une façon décisive sur la peinture des Grecs. Il est probable que leurs peintres réunissoient dans leurs ouvrages les beautés que l'on admire dans leurs sculpteurs ; cependant on n'accorde communément aux peintres grecs que le dessein & l'expression, & on leur ôte la science de la perspective, de la composition & du coloris. On fonde ce sentiment sur les bas-reliefs antiques, & sur quelques peintures anciennes qui ont été trouvées aux environs de Rome, & à Rome même dans des voûtes souterraines des palais de Mécène, de Titus, de Trajan & des Antonins. Il est à observer que ces peintures, dont il n'y en a guere que huit qui se soient conservées en entier, & dont quelques-unes ne sont qu'en mosaïques, ne viennent point des auteurs grecs.
Turbull, auteur anglois, a fait un traité sur la peinture des anciens, en un vol. in fol. imprimé en 1740 ; il a orné son ouvrage de plusieurs de ces morceaux qui ont été dessinés par Camillo Paderini, & gravés par Mynde, & qui font le seul mérite d'un livre magnifique, dont on a sujet de regretter le papier mal employé. Parmi les estampes de cet ouvrage, il y en a deux dont les originaux étoient dans le cabinet de feu M. Richard Mead, célebre médecin de Londres.
Les écrivains modernes, qui ont traité de la peinture antique, nous rendent plus savans, sans nous rendre plus capables de juger la question de la supériorité des peintres de l'antiquité sur les peintres modernes. Ces écrivains se sont contentés de ramasser les passages des auteurs anciens qui parlent de la Peinture, & de les commenter en philologues, sans les expliquer par l'examen de ce que nos peintres font tous les jours, & même sans appliquer ces passages aux morceaux de la peinture antique qui subsistent encore. Ainsi, pour se former une idée aussi distincte de la peinture antique qu'il soit possible de l'avoir, il faudroit considérer séparément ce que nous pouvons savoir de certain sur la composition, sur l'expression & sur le coloris des peintres de l'antiquité.
A l'égard de la composition pittoresque, il faut avouer que dans les monumens qui nous restent, les peintres anciens ne paroissent pas supérieurs à Raphaël, à Rubens, à Paul Veronèse & à M. le Brun ; mais il ne faut pas dire la même chose de l'excellence des anciens dans la composition poétique : comme ils étoient grands dessinateurs, ils avoient toutes sortes de facilités pour y réussir, & nous ne pouvons douter qu'ils n'y ayent excellé. Les tableaux d'Aristide parloient aux yeux. Les auteurs qui nous en parlent avec tant de goût & de sentiment, ne pouvoient pas se tromper en jugeant de l'expression dans les tableaux ; c'est par-là qu'Ausone loue si bien la Médée de Timomaque. On sait avec quelle affection Pline vante le tableau du sacrifice d'Iphigénie. On connoît la belle description du tableau d'Aetion qui représentoit le mariage d'Alexandre & de Roxane, le tableau de Zeuxis représentant la famille d'un centaure, & tant d'autres qui prouvent que cette partie de l'art étoit portée au plus haut point de perfection par les peintres de l'antiquité. Voyez PEINTRES ANCIENS.
Il suffit de voir l'Antinoüs, la Vénus de Médicis & plusieurs autres monumens semblables, pour être convaincu que les anciens savoient du moins aussi-bien que nous dessiner élégamment & correctement. Leurs peintres avoient mille occasions que les nôtres ne peuvent avoir, d'étudier le nud ; & les exercices qui étoient alors en usage pour dénouer & pour fortifier les corps, les devoient rendre mieux conformes qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Comme le tems a éteint les couleurs, & confondu les nuances dans les fragmens qui nous restent de la peinture antique faite au pinceau, nous ne saurions juger à quel point les peintres de l'antiquité ont excellé dans le coloris, ni s'ils ont surpassé les grands maîtres de l'école lombarde dans cette aimable partie de la Peinture. Il y a plus, nous ignorons si la Noce de la vigne aldobrandine & les autres morceaux sont d'un grand coloriste, ou d'un artiste médiocre de ce tems-là. Ce qu'on peut dire de certain sur leur exécution, c'est qu'elle est très-hardie. Ces morceaux paroissent l'ouvrage d'artistes aussi maîtres de leur pinceau, que Rubens & Paul Véronèse l'étoient du leur. Les touches de la Noce aldobrandine qui sont très-heurtées, & qui paroissent même grossieres quand elles sont vues de près, font un effet merveilleux quand on regarde ce tableau à la distance de vingt pas. C'étoit sans doute de cette distance qu'il étoit vu sur le mur où le peintre l'avoit fait. Voyez NOCE ALDOBRANDINE.
Il semble que les récits de Pline, & ceux de plusieurs auteurs anciens doivent nous convaincre que les Grecs & les Romains excelloient dans le coloris : mais avant que de se laisser persuader, il est bon de faire la réflexion que les hommes parlent ordinairement du coloris par comparaison à ce qu'ils peuvent avoir vu. On ne sauroit donc décider notre question sur des récits. Il faudroit, pour la juger sans réplique, avoir des pieces de comparaison, & elles nous manquent.
Pour ce qui concerne le clair-obscur, & la distribution enchanteresse des lumieres & des ombres, ce que Pline & les autres écrivains de l'antiquité en disent, est si positif ; leurs récits sont si bien circonstanciés & si vraisemblables, qu'on ne sauroit disconvenir que les anciens n'égalassent du-moins dans cette partie de l'art les plus grands peintres modernes. Les passages de ces auteurs que nous ne comprenions pas bien quand les peintres modernes ignoroient encore quels prestiges on peut faire avec le secours de cette magie, ne sont plus si difficiles à entendre depuis que Rubens, ses éleves, Polidore de Caravage & d'autres peintres les ont bien mieux expliqués, les pinceaux à la main, que les commentateurs les plus érudits ne le pouvoient faire dans les livres.
Il paroît résulter de cette discussion que les anciens avoient poussé la partie du dessein, du clair-obscur, de l'expression & de la composition poétique, du moins aussi loin que les modernes les plus habiles peuvent l'avoir fait. Il paroît encore que nous ne saurions juger de leur coloris ; mais que nous connoissons suffisamment par leurs ouvrages, supposé que nous ayons les meilleurs, que les anciens n'ont pas réussi dans la composition pittoresque aussi-bien que Raphaël, Rubens, Paul Veronèse & quelques autres peintres modernes.
Les anciens ont très-bien connu la perspective & la projection des ombres ; cependant plusieurs modernes semblent tâcher de rabaisser les lumieres des anciens en ce genre, ou du moins de rabattre de leur gloire, à proportion de ce qu'ils ont bien voulu en accorder à leurs statuaires : mais ce jugement n'est pas équitable ; il faut considérer qu'il nous reste très-peu de peintures anciennes, & celles-là même ne sont pas de la premiere beauté, ni des grands maîtres de l'art. La fortune peut avoir contribué autant que le tems à ce désastre ; car, dit Cicéron, quoique l'injure des ans, les outrages du sort & la vétusté fassent tout périr, ces causes néanmoins sont bien davantage & plutôt funestes à la peinture qu'à la sculpture : il arrive même souvent que dans cette perte commune, ce qu'il y a de meilleur disparoît, & ce qu'il y a de plus imparfait reste. Les hommes de notre siecle, continue-t-il, enchantés à la vue des peintures nouvelles, ne font attention qu'à ce qui frappe leurs yeux, & pensent bien moins favorablement de ce qu'ils ne voyent pas, parce que leur imagination n'en est pas réveillée.
J'ajoute qu'il convient encore de distinguer ici ; car il est sûr qu'il faut avoir une autre idée des peintures grecques, que de celles des Latins. Rome ne cultiva les arts qu'après bien des siecles, & leurs artistes en peinture ne furent jamais comparés aux artistes de la Grece.
Mais quant à ceux-ci, le temoignage des anciens, & même le peu d'ouvrages qui nous restent d'eux, laissent peu de choses à desirer sur la perfection de leur art en ce genre. Enfin les auteurs s'accordent tous à nous en donner des exemples qui ne peuvent convenir qu'à des peintres du premier ordre. Apelle, disent-ils, étoit distingué par la délicatesse & la grace infinie de son pinceau ; quelques-uns, comme Asclépiodore, l'emportoient sur lui par la disposition des figures & l'harmonie générale du tableau ; Apelle cependant les effaçoit tous. Protogène, Pamphile, Mélanthius, Antiphile, Aetion ont tous été célebres ; le premier par son exactitude, le second & le troisieme par leur composition, le quatrieme par sa facilité & le cinquieme par sa belle imagination. Mais pourquoi nous arrêter à ces détails, puisque l'histoire que nous avons donnée des peintres grecs n'est qu'une preuve répétée de cette vérité. Voyez donc PEINTRES grecs & PEINTURE des Grecs. (Le Chevalier DE JAUCOURT ).
PEINTURE des Grecs, (Peinture antique) c'est le genre de peinture le plus admirable de l'antiquité.
Après avoir fait en général une espece de parallele de la peinture antique avec la moderne, il importe de considérer en particulier celle des Grecs, puisqu'elle seule mérite principalement nos regards. Je sai que son origine n'offre qu'incertitude : incertitude pour le lieu ; les uns vouloient qu'elle eût commencé à Sycione, les autres chez les Corinthiens : incertitude pour le nom des inventeurs ; on nommoit ou Philoclès d'Egypte, ou Cléanthe de Corinthe : incertitude sur l'opération primitive qu'ils employerent, & qui servit de préparation à la véritable découverte de l'art.
On disoit à la vérité que ce début fut le contour d'une figure humaine, tracée autour de l'ombre d'un corps opaque ; mais quand on n'a rien à dire de mieux circonstancié sur un fait de cette nature, qui se perd dans l'obscurité des tems, c'est se fonder sur des conjectures plutôt que sur des témoignages authentiques. On ne pouvoit pourtant mieux faire dans l'histoire inconnue de l'origine d'un art, que de partir d'une hypothèse assez vraisemblable, ou du-moins accréditée.
A la délinéation du simple contour, succéda une autre peinture linéaire plus parfaite, qui distingua par le dessein, & sans aucune couleur, les traits du visage renfermés dans l'intérieur du contour. Elle eut pour inventeur Ardicès de Corinthe, & Téléphane de Sicyone. Ces deux auteurs des portraits dessinés, furent les premiers qui exercerent l'art de représenter la figure sur une surface égale & unie. En effet, la méthode du contour extérieur ne marquant pas les traits du visage, & ne rendant point la personne reconnoissable, ne représentoit point la figure. Les deux artistes que nous venons de nommer, furent aussi les premiers qui écrivirent sur leurs ouvrages le nom de la personne représentée. La précaution auroit été fort inutile dans la premiere méthode, qui ne représentant point la figure, n'auroit excité par l'addition du nom, ni la curiosité de la postérité, ni celle des étrangers, ni finalement celle de personne. Tels étoient les usages préliminaires de la peinture grecque avant la guerre de Troie.
Dans la suite, les Grecs employerent la peinture proprement dite, la peinture coloriée ; & il paroît au rapport de Pline, qu'elle n'étoit point encore connue dans le tems de la guerre de Troie. Cette opinion, qu'on ne trouve combattue par aucun ancien auteur, est d'un très-grand poids ; elle n'étoit pas seulement appuyée sur le silence d'Homere, puisque nous voyons en général les anciens écrivains admettre dans les tems héroïques plusieurs faits historiques dont le poëte n'avoit jamais fait mention. Le témoignage de ceux qui nous ont transmis celui-ci, doit donc avoir toute la force d'une preuve positive, malgré les efforts qu'ont fait quelques savans modernes pour tâcher de la réfuter.
Après qu'on eut inventé en Grece la peinture coloriée, plus recherchée que l'autre dans ses opérations, elle fut appellée peinture monochrome, parce qu'on n'y employa d'abord qu'une seule couleur dans chaque ouvrage, à moins que nous ne donnions le nom de seconde couleur à celle du fond sur lequel l'on travailloit. L'auteur de cette méthode, l'inventeur de la peinture proprement dite, fut Cléophante de Corinthe ; il débuta par colorier les traits du visage avec de la terre cuite & broyée : ainsi la couleur rouge, comme la plus approchante de la carnation, fut la premiere en usage. Les autres peintres monochromes, & peut-être Cléophante lui-même, varierent de tems en tems dans le choix de la couleur des figures, différente de la couleur du fond. Peut-être aussi qu'ils mirent quelquefois la même couleur pour le fond & pour les figures ; on peut le présumer par l'exemple de quelques-uns de nos camayeux, pourvu qu'on n'admette point dans les leurs l'usage du clair-obscur, dont la découverte accompagna l'introduction de la peinture polychrome, ou de la pluralité des couleurs.
Ce fut Bularchus, contemporain du roi Candaule, qui le premier introduisit l'usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture. Au moyen de la pluralité de ces couleurs, l'art jusque-là trop uniforme se diversifia, & inventa dans la suite les lumieres & les ombres. Panaemus peignit la bataille de Marathon, avec la figure ressemblante des principaux chefs des deux armées. Peu après Panaemus, parut Polygnote de Thasos, qui le premier donna des draperies légeres à ses figures de femmes, & qui quitta quelquefois le pinceau pour peindre en encaustique. Damophile & Gorgasus enrichirent d'ornemens de plastique l'extérieur du temple de Cérès à Rome. Enfin à la 94e olympiade, Apollodore d'Athènes ouvrit une nouvelle carriere, & donna naissance au beau siecle de la Peinture.
Il fut suivi par Zeuxis, Parrhasius, Timanthe & Eupompe, qui tous ont été ses contemporains. On vit ensuite paroître Pausias, Pamphile de Macédoine, Euphranor, Caladès, Aetion, Antidotus, Aristide, Asclépiodore, Nicomachus, Melanthius, Antiphile, Nicias, Nicophane, Apelle & Protogène, tous excellens artistes qui se sont illustrés à jamais dans l'espace d'un siécle, en différens genres d'ouvrages.
On peut partager avec Pline les peintures de la Grece en un certain nombre de classes. La premiere présente les plus anciens, qui ne sont pas les plus habiles, & qui finissent à Polygnote, vers le tems de la guerre du Péloponnèse.
La seconde classe renferme les artistes qui ont fait le beau siecle de la Peinture depuis la fin de la guerre du Péloponnèse, jusqu'après la mort d'Alexandre le grand. Il ne faut cependant mettre dans cette liste que ceux qui exerçoient alors leur pinceau sur de grands sujets & dans de grands tableaux.
La troisieme classe contient ceux qui se sont distingués par le pinceau, mais dans de petits tableaux ou sur de petits sujets.
La quatrieme classe est composée de ceux qui avoient pratiqué la fresque, peinture qu'on applique sur l'enduit d'une muraille. Parmi ces peintres, dit Pline, il n'y en a point qui se soient faits un grand nom. Ils n'embellissoient ni murailles dont l'ornement n'auroit été que pour le maître du logis, ni maisons stables & permanentes, qu'on ne pouvoit pas sauver de l'incendie. Pictorque rei communis terrarum erat, trait bien flatteur pour l'art & pour les artistes. Un peintre appartenoit à l'univers entier. Ces grands hommes destinoient toutes les productions de leur art à pouvoir passer de ville en ville.
La cinquieme classe comprend les plus célebres peintres encaustiques, c'est-à-dire ceux qui employoient le poinçon & non le pinceau.
La sixieme classe est réservée pour les peintres encaustiques ou autres, comme Ctésilochus, qui se plaisoient à des ouvrages de peinture insolente.
Enfin la derniere classe offre à notre mémoire les femmes célebres qui ont réussi chez eux dans la peinture. Ils ne croyoient pas que l'ignorance, la paresse & les amusemens purement frivoles, dussent être le partage de la moitié du genre humain.
Tous ces artistes se formerent dans les écoles de Peinture que les Grecs avoient établies, & auxquelles ils avoient donné des noms fixes comme à leurs ordres d'architecture. Leur peinture n'avoit d'abord eu que deux distinctions, l'héliadique & l'asiatique, ou l'attique & l'ionique, car on les trouve l'une & l'autre sous ces deux noms ; mais Eupompus, qui étoit de Sicyone, se rendit si recommandable par son talent, que l'on ajouta la sicyonienne par rapport à lui. Si Pline rapporte ce fait tout simplement, sans l'accompagner d'aucun détail, c'est qu'on doit présumer que les écoles ou les différentes manieres s'étant multipliées dans la Grece, on abandonna ce projet, & l'on ne parla plus, comme l'on fait aujourd'hui, que des maîtres en particulier & de leurs éleves.
On peut cependant comparer ces premiers noms à ceux que nous donnons en général, & qui nous servent de point de distinction. Telles sont les écoles de Florence, de Rome, de Pologne, de Venise, de France, de Flandre ou d'Allemagne. L'étendue ou l'éloignement de ces pays a exigé & perpétué l'usage de ces distinctions. La Grece plus resserrée & plus réunie, n'a pas eu besoin de les continuer ; mais elle forma des artistes en tout genre, qui n'ignorerent rien de tout ce que nous savons en Peinture.
Les grandes compositions héroïques, & que nous appellons l'histoire, les portraits, les sujets bas, les paysages, les décorations, les arabesques, ornemens fantastiques & travaillés sur des fonds d'une seule couleur ; les fleurs, les animaux, la miniature, les camayeux, les marbres copiés, les toiles peintes : voilà la liste des opérations des Grecs du côté des genres de peinture. Il me semble que nous ne peignons en aucun autre genre, & que nous n'avons aucun autre objet. Nous ne pouvons donc nous vanter d'avoir de plus, que la peinture en émail, encore je ne voudrois pas assurer qu'elle fût inconnue aux anciens ; mais ce qui nous appartient sans contredit, c'est l'exécution des grands plafonds & des coupoles. Les Grecs ni les Romains ne paroissent pas avoir connu ce genre d'ornement, ou du-moins avoir pratiqué la perspective jusqu'au point nécessaire pour rendre ces décorations complete s ; les modernes peuvent au contraire présenter un très-grand nombre de ces chefs-d'oeuvre de l'esprit & de l'art.
On gardoit dans l'antiquité, comme on garde aujourd'hui les études & les premieres pensées des artistes, toujours pleines d'un feu proportionné au talent de leur auteur, souvent au-dessus des ouvrages terminés, & toujours plus piquans : ces premiers traits, plus ou moins arrêtés, sont plus ou moins essentiels pour la Peinture, que les idées jettées sur le papier ne le sont pour tous les autres genres d'ouvrages. Comme aujourd'hui, on suivoit avec plaisir les opérations de l'esprit d'un artiste, on se rendoit compte des raisons qui l'avoient engagé à faire ces changemens en terminant son ouvrage ; enfin, comme aujourd'hui, on cherchoit à en profiter : les hommes de mérite pour s'en nourrir ou s'en échauffer, & les hommes médiocres pour les copier servilement. Mais il est tems de passer à la peinture des Romains en particulier. (D.J.)
PEINTURE des Romains, (Peinture antique). A l'expiration du beau siecle de la peinture grecque, lequel avoit commencé par Apollodore en l'an 404 avant Jesus-Christ, on voit en 304 pour la premiere fois, un jeune romain prendre le pinceau. " On a fait aussi de bonne heure, dit Pline, honneur à la Peinture chez les Romains ; car une branche de l'illustre famille des Fabius en a tiré le surnom de Pictor, & le premier qui le porta, peignit le temple de la déesse Salus en l'an de Rome 450 : l'ouvrage a subsisté jusqu'à notre tems, que le temple a été brûlé sous l'empire de Claude ". Il y a dans ces paroles une finesse & une exactitude singuliere : on y sent une différence entre ce que Pline dit, & ce qu'il voudroit pouvoir dire. Il voudroit pouvoir avancer que l'art avoit été pratiqué fort anciennement à Rome par des citoyens ; & en historien exact, il joint l'expression de bonne-heure à la détermination de l'époque, qui ne va pas à 400 ans d'antiquité. Il voudroit pouvoir ajouter que l'exercice de la Peinture y fut dès-lors en honneur, & il dit uniquement qu'on y fit honneur à la Peinture : enfin il voudroit pouvoir vanter la beauté des ouvrages de Fabius ; & tout l'éloge qu'il en fait, c'est qu'ils s'étoient conservés jusqu'au regne de Claude.
Le seul ouvrage de peinture que l'auteur nous fasse remarquer à Rome dans le siecle qui suivit l'époque de Fabius Pictor, c'est un tableau que Valerius Messala fit faire de sa victoire de Sicile en l'an 264, & qu'il exposa sur un côté de la curie Hostilia. Le silence de Pline sur le nom du peintre, nous fait assez comprendre que l'artiste étoit grec ; les Romains étendant déjà pour lors leur domination sur le canton d'Italie appellé la grande Grece, & sur la Sicile pareillement peuplée de Grecs. L'exemple de Valérius Messala fut suivi dans la suite par Lucius Scipion, qui après avoir défait en Asie le roi Antiochus, étala dans Rome le tableau de sa victoire en l'an 190 avant Jesus-Christ.
L'année suivante 189, Fulvius Nobilior assiégea & prit Ambracie, où Pirrhus avoit autrefois rassemblé plusieurs rares productions des arts cultivés dans la Grece. Le consul romain, dit Pline, ne laissa que les ouvrages en plastique de Zeuxis, & transporta les muses à Rome : c'étoient neuf statues où chaque muse en particulier étoit représentée avec ses attributs. Tite-Live dit aussi que Fulvius enleva d'Ambracie les statues de bronze & de marbre, & les tableaux ; mais il paroît que les tableaux ne furent pas transportés à Rome, ou qu'ils n'y furent pas livrés à la curiosité du public, puisque Pline ne marque qu'ensuite l'époque du premier tableau étranger qu'on ait étalé dans la ville. Les Romains n'étoient point encore curieux de peinture comme ils l'étoient de sculpture : les statues des muses apportées d'Ambracie, furent représentées chacune dans des médailles particulieres, qu'on trouve expliquées fort ingénieusement dans Vaillant.
Vers l'an 180, Caius Terentius Lucanus, si c'est, comme l'a cru Vaillant, le frere de Publius, maître du poëte Térence, fut le premier qui fit peindre à Rome des combats de gladiateurs.
Paul Emile, destructeur du royaume de Macédoine en 168, emmena d'Athènes à Rome Métrodore, qui étoit en même tems philosophe & peintre. Il ne vouloit un peintre que pour le faire travailler aux décorations de son triomphe.
Vers l'an 154, Pacuvius, neveu maternel d'Ennius, cultivoit à Rome & la Poésie & la Peinture. Entre Fabius Pictor & lui, dans un espace d'environ 150 ans, Pline n'a point de peintre romain à nous produire : il dit que les pieces de théâtre de Pacuvius donnerent plus de considération à la profession de peintre, & que cependant après lui elle ne fut guère exercée à Rome par d'honnêtes gens. Qu'on juge ensuite si l'écrivain a prétendu nous laisser une grande idée des peintres romains !
En l'an 147, Hostilius Mancinus, qui dans une tentative sur Carthage étoit le premier entré jusque dans la ville, exposa dans Rome le tableau de la situation de la place, & de l'ordre des attaques. L'année suivante, Mummius, destructeur de Corinthe, fit transporter à Rome le premier tableau étranger qu'on y ait exposé en public : c'étoit un Bacchus d'Aristide le thébain, dont le roi Attalus donnoit six cent mille sesterces, cent dix-sept mille cinq cent livres ; mais le général romain rompit le marché, dans la persuasion qu'un tableau de ce prix renfermoit des vertus secrettes. La somme offerte par Attalus ne paroîtra pas exorbitante, si l'on considere qu'il acheta dans une autre occasion un tableau du même Aristide cent talens, quatre cent soixante-dix-mille livres ; & ce dernier fait étant rapporté par Pline en deux différens endroits, nous ne devons point y soupçonner de l'erreur dans les chiffres, comme il ne nous arrive que trop souvent de supposer des fautes de copistes, & même des fautes d'ignorance dans les historiens de l'antiquité, quand ce qu'ils attestent n'est pas conforme à nos idées & à nos usages ; vrai moyen d'anéantir toute l'ancienne histoire.
La conduite de Mummius fait voir que les Romains n'avoient point encore de son tems le goût de la Peinture, quoiqu'ils eussent celui de la Sculpture depuis la fondation de leur ville. Pour un tableau que ce général rapporta d'Achaïe, il en tira un si grand nombre de statues, qu'elles remplirent, suivant l'expression de Pline, la ville entiere de Rome. Nous voyons aussi que dans la Grece le nombre des sculpteurs & des ouvrages de Sculpture, l'a de tout tems emporté sur le nombre des peintres & des ouvrages de Peinture ; c'est, comme l'a remarqué M. le comte de Caylus, que ces deux peuples jaloux de s'éterniser, préféroient les monumens plus durables à ceux qui l'étoient moins.
Cependant peu après l'expédition de Mummius, les Romains commencerent à se familiariser davantage avec un art qui leur paroissoit comme étranger. On vit à Rome pendant la jeunesse de Varron, environ l'an 100 avant Jesus-Christ, Lala de Cyzique, fille qui vivoit dans le célibat & dans l'exercice de la Peinture ; on y voyoit dans ce tems-là même un Sopolis & un Dionysius, dont les tableaux remplirent peu-à-peu tous les cabinets.
En l'an 99, Claudius Pulcher étant édile, fit peindre le premier la scene pour une célébration des jeux publics ; & il est à croire qu'il y employa le peintre Sérapion : Pline ajoutant que le talent de cet artiste se bornoit à des décorations de scene, & qu'un seul de ses tableaux couvroit quelquefois au tems de Varron, tous les vieux piliers du Forum. Sylla, quelque tems après, fit peindre dans sa maison de plaisance de Tusculum, qui passa depuis à Ciceron, un événement de sa vie bien flatteur ; c'étoit la circonstance où, commandant l'armée l'an 89 sous les murs de Nole en qualité de lieutenant, dans la guerre des Marses, il reçut la couronne obsidionale.
Les Lucullus firent venir à Rome un grand nombre de statues, dans le tems apparemment de leur édilité, en 79 ; & l'aîné des deux freres, le célebre Lucius Lucullus, étoit alors absent : on ne peut donc mieux placer qu'en cette occasion l'achat qu'il fit, selon Pline, dans Athènes aux fêtes de Bacchus, de la copie d'un tableau de Pausias, pour la somme de deux talens (neuf mille quatre cent livres) disproportion toujours visible dans le nombre des ouvrages de Peinture & de Sculpture. Lucullus ramassa dans la suite une grande quantité des uns & des autres ; & Plutarque le blâme de ce goût pour les ouvrages de l'art, autant qu'il le loue du soin qu'il avoit de faire des collections de livres. La façon de penser de Plutarque ne doit pas nous surprendre ; elle a des exemples dans tous les siecles qui ont connu les Arts & les Lettres ; elle en a parmi nous, parce qu'il n'appartient qu'à un très-petit nombre de savans de ressembler à Pline, & de n'avoir point de goût exclusif.
Il nous marque un progrès dans la curiosité des particuliers & du public pour la Peinture, vers l'an 75, en disant que l'orateur Hortensius, après avoir acheté les Argonautes de Cydias cent quarante-quatre mille sesterces (vingt-huit mille cent dix livres), fit bâtir dans sa maison de Tusculum, une chapelle exprès pour ce tableau, & que le forum étoit déjà garni de divers ouvrages de Peinture, dans le tems où Crassus, avant de parvenir aux grandes magistratures, se distinguoit dans le barreau.
Pour l'année 70, on trouve une apparence de contrariété entre la chronologie de Ciceron & celle de Pline, sur l'âge de Timomachus de Byzance, peintre encaustique. Ciceron écrivoit en cette année-là son quatrieme discours contre Verrès : il y parle de quelques tableaux, parmi un grand nombre d'ouvrages de Sculpture enlevés à la Sicile, & transportés à Rome par l'avide préteur. " Que seroit-ce, dit-il, à l'occasion de ces tableaux, si l'on enlevoit aux habitans de Cos leur Venus, à ceux d'Ephese leur Alexandre, à ceux de Cyzique leur Ajax ou leur Médée " ? Cet Ajax & cette Médée sont visiblement l'Ajax & la Médée que Jules-César acheta depuis à Cyzique. Or selon Pline, la Médée étoit demeurée imparfaite par la mort de Timomachus, antérieure à l'an 70 ; &, selon le même écrivain, Timomachus fut contemporain de César, dictateur en l'an 49. Telle est la difficulté, qui disparoîtra, si l'on veut considérer que Timomachus a pu mourir vers l'an 69, environ 20 ans avant la dictature de César, & avoir été contemporain de César, mais contemporain plus ancien. L'expression de Pline, Caesaris dictatoris aetate, signifie donc dans le tems de César celui qui fut dictateur, & non pas dans le tems que César étoit dictateur.
Il faut souvent faire ces sortes d'attentions dans la chronologie de Pline, où le titre des magistratures désigne quelquefois l'époque des événemens, & quelquefois la seule distinction des personnes d'un même nom que les lecteurs pourroient confondre. Le titre de dictateur qu'il donne par-tout à César, est de cette derniere espece ; mais il y a d'autres exemples où par les titres de préteur, d'édile ou d'imperator, il indique habilement les dates que sa méthode élégante & précise ne lui permettoit pas de spécifier plus particulierement.
Le préteur Marcius Junius (c'étoit l'an 67) fit placer dans le temple d'Apollon, à la solemnité des jeux apollinaires, un tableau d'Aristide le thébain. Un peintre ignorant qu'il avoit chargé immédiatement avant le jour de la fête de nettoyer le tableau, en effaça toute la beauté.
Dans le même tems, Philiscus s'acquit de l'honneur à Rome par un simple tableau dans lequel il représentoit tout l'attelier d'un peintre, avec un petit garçon qui souffloit le feu.
Les édiles Varron & Muréna (c'étoit l'an 60) firent transporter à Rome, pour l'embellissement du comice, des enduits de peinture à fresque, qu'on enleva de dessus des murailles de brique à Lacédémone, & qu'on enchâssa soigneusement dans des quadres de bois, à cause de l'excellence des peintures : ouvrage admirable par lui-même, ajoute Pline, il le fut bien encore plus par la circonstance du transport.
Pendant l'édilité de Scaurus en l'an 58, on vit des magnificences qui nous paroîtroient incroyables sans l'autorité de Pline, & incompréhensibles sans les explications de M. le Comte de Caylus sur les jeux de Curion, qui suivirent d'assez près ceux de Scaurus. Pour ne parler que de la peinture, Scaurus fit venir de Sicyone, où l'art & les artistes avoient fixé depuis long-tems leur principal séjour, tous les tableaux qui pouvoient appartenir au public & que les habitans vendirent pour acquiter les dettes de la ville.
Les factions qui régnoient dès-lors dans Rome & qui renverserent bientôt la république, engagerent Varron & Atticus à se livrer totalement à leur goût pour la littérature & pour les beaux-arts. Atticus, le fidele ami de Cicéron, donna un volume avec les portraits dessinés de plusieurs illustres personnages, & Varron distribua dans tous les endroits de l'empire romain un recueil de sept cent figures pareillement dessinées, avec le nom de ceux qu'elles représentoient. Le même Varron attestoit l'empressement du peuple romain pour d'anciens restes de peinture. Quand on voulut réparer le temple de Cérès, que Damophile & Gorgasus avoient autrefois orné d'ouvrages de peinture & de plastique, on détacha des murs les peintures à fresque, & on eut soin de les encadrer ; on dispersa aussi les figures de plastique.
Jules César parvenu à la dictature l'an 49, augmenta de beaucoup l'attention & l'admiration des Romains pour la peinture, en dédiant l'Ajax & la Médée de Timomachus à l'entrée du temple de Venus Génitrix : ces deux tableaux lui couterent 80 talens, (376 mille livres). En l'année 44, qui fut celle de la mort de César, Lucius Munacius Plancus ayant reçu le titre d'imperator, exposa au capitole le tableau de Nicomachus où étoit représentée l'image de la Victoire, conduisant un quadrige au milieu des airs. Observons que dans tous ces récits qui regardent Rome, ce sont des peintres grecs qu'on y voit paroître ; l'auteur nomme cependant pour ces tems-ci Arellius, peintre romain, qu'il place peu avant le regne d'Auguste. Arrêtons-nous donc sur ce peintre de Rome.
Pline nous donne son portrait en ces mots : Romae celeber fuit Arellius, nisi flagitio insigni corrupisset artem, semper alicujus foeminae amore flagrans, & ob id deas pingens, sed dilectarum imagine, l. XXXV. c. 16. Il faisoit toujours les déesses semblables aux courtisannes, dont il étoit amoureux. On sait que Flora étoit si belle, que Caecilius Metellus la fit peindre, afin de consacrer son portrait dans le temple de Castor & Pollux.
On a remarqué que ce ne fut ni la premiere, ni la derniere fois que le portrait d'une courtisanne reçut un pareil honneur. La Vénus sortant des eaux étoit ou le portrait de Campaspe maîtresse d'Alexandre le grand, selon Pline, ou bien celui de la courtisanne Phryné, selon Athénée, l. XIII. Auguste le consacra dans le temple de Jules César. Les parties inférieures en étoient gâtées, & personne ne fut capable de les rétablir, le tems acheva de ruiner le reste ; alors on fit faire une autre Vénus par Dorothée, & on la substitua à celle d'Apelle. Pendant que Phryné fut jeune, elle servit d'original à ceux qui peignoient la déesse des amours. La Vénus de Gnide fut encore tirée sur le modele d'une courtisanne que Praxitèle aimoit éperdument. Arellius n'est donc pas le seul peintre ancien qui peignit les déesses d'après quelques-unes de ses maîtresses.
Le Christianisme n'est pas exemt de cette pratique, nous avons plus d'une Vierge peinte par les modernes d'après leurs propres amantes. M. Spon, dans ses miscellannées. antiq. érudit. p. 13, rapporte l'explication d'une médaille de l'Empereur Julien, sur laquelle on voit d'un côté Sérapis qui ressemble parfaitement à Julien, & de l'autre la figure d'un Hermanubis. Il n'étoit point rare de voir des statues d'hommes toutes semblables à celles de quelques Dieux. La flatterie ou la vanité ont souvent produit cette idée.
Justin martyr dit, en se moquant des païens, qu'ils adoroient les maîtresses de leurs peintres & les mignons de leurs sculpteurs ; mais n'a-t-on pas tort de rendre les païens responsables des traits d'un Zeuxis ou d'un Lysippe ? Ceux qui, parmi les Chrétiens, vénèrent les images de S. Charles Borromée, ne vénerent qu'un portrait fait à plaisir & un caprice d'un maître de l'art, qui a peint fort beau un saint qui ne l'étoit guere. Il faut se résoudre à souffrir cette sorte de licence des artistes, parce qu'elle n'a rien de blâmable, & se reposer sur eux de la figure & de l'air des objets de la dévotion. Un peintre de Rome fit le tableau de la Vierge sur le portrait d'une soeur du pape Alexandre VI. qui étoit plus belle que vertueuse. Nous ne connoissons les dieux par le visage que selon qu'il a plû aux peintres & aux sculpteurs, disoit Cicéron des dieux de son tems, l. I. de natur. deor.
Nous ne sommes pas aussi difficiles aujourd'hui, dit M. de Caylus, que Pline l'étoit ; contens que la beauté soit bien rendue, il nous importe peu d'après quelle personne elle est dessinée. Nous desirons seulement de l'inconstance à nos peintres, pour jouïr d'une certaine variété dans les beautés qu'ils ont à représenter, & nous ne faisons de reproches qu'à ceux qui nous ont donné trop souvent les mêmes têtes, comme a fait Paul Véronese entre plusieurs autres. Je reviens à Auguste.
Ce fut sur-tout cet empereur qui orna les temples de Rome & les places publiques de ce que les anciens peintres de la Grece avoient fait de plus rare & de plus précieux. Pline qui de concert avec les autres écrivains nous assûre le fait en général, désigne en particulier quelques-uns de ces ouvrages consacrés au public par Auguste ; & nous devons attribuer aux soins du même prince l'exposition de plusieurs autres tableaux, que l'historien remarque dans Rome, sans dire à qui l'on en avoit l'obligation, le grand nombre fait que nous ne parlerons ni des uns ni des autres.
Agrippa, gendre d'Auguste, se distinguoit par le même goût, & Pline assûre qu'on avoit encore de lui un discours magnifique & tout-à-fait digne du rang qu'il tenoit de premier citoyen, sur le parti qu'on devroit prendre de gratifier le public de tout ce qu'il y avoit de tableaux & de statues dans les maisons particulieres de Rome : ce n'est pourtant pas nous faire voir dans cet amateur des ouvrages de peinture un homme attentif à leur conservation, que d'ajouter qu'il en confina quelques-uns dans les étuves des bains qui portoient son nom, ni nous donner une grande idée de sa dépense en tableaux, que de nous dire pour toute particularité dans ce genre qu'il acheta un Ajax & une Vénus à Cyzique 3000 deniers (2350 livres) : quelle différence de prix entre l'Ajax & la Vénus d'Agrippa & l'Ajax & la Médée de Jules César, tous achetés dans la même ville !
Pline parle ici de Ludius, qui vivoit sous le regne d'Auguste ; il ne faut pas le confondre avec celui qui avoit orné de peintures un ancien temple de Junon dans la ville d'Ardée déjà détruite avant la fondation de Rome. Ce Ludius moderne rétablit à Rome du tems d'Auguste l'usage de la peinture à fresque. Divi Augusti aetate Ludius primus instituit amoenissimam parietum picturam. Il représenta le premier sur les murailles des ouvrages d'architecture & des paysages, ce qui prouve la connoissance de la perspective & celle de l'emploi du verd, car sans ces deux choses quelle idée pourroit-on se faire de ces sortes de tableaux ? On ignoroit avant Ludius l'aménité des sujets dans les peintures à fresque ; on ne les avoit guere employées qu'à des ornemens de temples, ou à des sujets nobles & sérieux, & même les grands artistes de la Grece n'avoient jamais donné dans ce genre de peinture.
Auguste approuva le parti qu'on prit d'appliquer à la peinture le jeune Quintus Pédius, d'une des premieres familles de Rome. Pline semble d'abord en vouloir tirer quelque avantage en faveur de la profession ; cependant il ajoute en même tems avec son exactitude & sa fidélité ordinaires une circonstance qui affoiblit totalement cette idée, c'est que le jeune Pédius étoit muet de naissance. Il convient aussi qu'Antistius Labéo, qui avoit rempli des charges considérables dans l'état & qui avoit refusé le consulat qu'Auguste lui offroit, se donna un ridicule en s'attachant à faire de petits tableaux, & en se piquant d'y réussir. En un mot, l'on aimoit, l'on estimoit les ouvrages de l'art, & l'on méprisoit ceux qui en faisoient leur occupation ou même leur amusement. Il n'y a pas long-tems que l'on en usoit de même dans ce royaume pour toutes les études & les connoissances ; je doute que les grands soient bien revenus de ce préjugé.
La mort d'Auguste fut bien-tôt suivie de la décadence des arts : cependant Pline parle d'un grand-prêtre de Cybele, ouvrage de Parrhasius, & tableau favori de Tibere, estimé soixante mille sesterces (onze mille sept cent cinquante livres), que ce prince tenoit enfermé dans sa chambre à coucher, & d'un tableau cheri d'Auguste, un Hyacinthe qu'il avoit apporté d'Alexandre, & que Tibere consacra dans le temple du même Auguste. Pline naquit au milieu du regne de Tibere, l'an 25 de Jesus-Christ, & tout ce qu'il ajoute sur la Peinture & sur les peintres pour son tems, se réduit aux remarques suivantes.
Aux deux anciennes manieres, dit-il, de travailler l'encaustique, on en a ajouté une troisieme, qui est de se servir du pinceau pour appliquer les cires qu'on fait fondre à la chaleur du feu ; comme ces peintures résistoient à l'ardeur du soleil, & à la salure des eaux de la mer, on les fit servir à l'ornement des vaisseaux de guerre ; on s'en sert même déjà, remarque-t-il, pour les vaisseaux de charge. Ces ornemens étoient en-dehors des bâtimens, suivant la force du terme latin expingimus.
Il nous donne une étrange idée du goût des successeurs de Tibere pour la Peinture. L'empereur Caïus voulut enlever du temple de Lanuvium, à cause de leur nudité, les figures d'Atalante & d'Hélene peintes par l'ancien Ludius ; & il l'auroit fait, si la nature de l'enduit altéré par la trop grande vétusté, ne se fût opposée à l'exécution du projet.
L'empereur Claude crut signaler son bon goût, & donner un grand air de dignité à deux tableaux d'Apelle, consacrés au public par Auguste, d'y faire effacer la tête d'Alexandre le grand, & d'y faire substituer la tête d'Auguste lui-même. Pline se plaint encore soit de pareils changemens dans des têtes de statues, changemens qui tiennent à la barbarie ; soit de la peinture des mosaïques de marbre mises à la place des tableaux, & inventées sous le même regne de Claude environ l'an 50 de Jesus-Christ.
Le regne de Néron, successeur de Claude, donna vers l'an 64, l'époque des marbres incrustés les uns dans les autres ; & l'auteur s'en plaint également comme d'un usage qui portoit préjudice au goût de la peinture ; & traite enfin d'extravagance réservée à son siecle la folie de Néron qui se fit peindre de la hauteur de cent vingt piés romains. La toile dont les peintres ne s'étoient pas encore avisés de faire usage, fut employée alors pour la premiere fois, parce que le métal, ou même le bois n'auroient jamais pû se façonner pour un pareil tableau : il faut donc rapporter aussi à l'an 64 de Jesus-Christ l'époque de la peinture sur toile. Voyez ce mot.
Amulius, peintre romain, parut sous le regne de cet Empereur. Il travailloit seulement quelques heures de la journée, & toujours avec une gravité affectée, ne quittant jamais la toge, quoique guindé sur des échaffauds. Ses peintures étoient confinées dans le palais de Néron, comme dans une prison, suivant l'expression de Pline, qui a voulu marquer par-là les inconvéniens de la fresque.
Le même Pline admire la tête d'une Minerve que peignit le même artiste ; cette tête regardoit toujours celui qui la regardoit, spectantem spectans quâcumque adspiceretur. Cependant ce jeu d'optique ne tient point au mérite personnel, & suppose seulement dans le peintre une connoissance de cette partie de la perspective. On montre en Italie plusieurs têtes dans le goût de celle d'Amulius. Cet artiste n'étoit mort que depuis peu lorsque Pline écrivoit.
La mémoire du peintre Turpilius, chevalier romain & vénitien de naissance, étoit pareillement récente. Il avoit embelli Vérone de ses ouvrages de peinture. On peut les croire aussi beaux qu'on le voudra ; on sait du moins qu'il avoit appris son art dans la Grece. Pline, liv. XXXV. ch. vj. dit qu'avant lui on n'avoit jamais vû de peintres gauchers ; & il paroît admirer cette particularité ; mais l'habitude fait tout pour le choix des mains, & il ne faut pas une grande philosophie pour faire cette réflexion. D'ailleurs cette habitude entre pour beaucoup moins qu'on ne l'imagine dans un art que l'esprit seul conduit, & qui donne sans peine le sens de la touche, en indiquant celui de la hachure, & qui produit enfin des équivalens pour concourir à l'expression générale & particuliere.
Depuis Turpilius on a vu des peintres gauchers parmi les modernes ; on en a vu également des deux mains. Jouvenet attaqué d'une paralysie sur le bras droit quelques années avant sa mort, a fait de la main gauche son tableau de la Visitation qu'on voit à Notre-Dame, & qui est un des plus beaux qui soit sorti de ses mains. Ce fait est plus étonnant que celui du chevalier Turpilius, puisque Jouvenet avoit contracté toute sa vie une autre habitude ; & l'on n'en a fait mention à Paris que pour ne pas oublier cette petite singularité de la vie d'un grand artiste. Pline finit l'article de Turpilius en remarquant que jusqu'à lui, on ne trouve point de citoyen de quelque considération, qui depuis Pacuvius eût exercé l'art de la peinture.
Il nomme enfin sous le regne de Vespasien, vers l'an 70 de Jesus-Christ, deux peintres à fresque, tous deux romains, Cornelius Pinus & Accius Priscus. Fort peu de tems après, il composa sous le même regne, son immense recueil d'histoire naturelle. Il venoit de l'achever lorsqu'il en fit la dédicace à Titus, consul pour la sixieme fois, en l'an 78 de Jesus-Christ.
L'année suivante fut celle où Titus monta sur le trône, au mois de Mars, & Pline mourut au commencement de Novembre suivant. Cet illustre écrivain avoit donc composé immédiatement auparavant son grand ouvrage, avec la digression sur la Peinture, morceau des plus précieux de l'antiquité.
On sait que Pline entre en matiere par des plaintes ameres contre son siecle sur la décadence d'un art qu'il trouve infiniment recommandable par l'avantage qu'il a de conserver la memoire des morts, & d'exciter l'émulation des vivans. Il fait l'éloge des tableaux comme monumens du mérite & de la vertu. Il étend cet éloge aux autres ouvrages qui avoient la même destination, aux figures de cire que les Romains conservoient dans leur famille, aux statues dont ils ornoient les bibliotheques, aux portraits dessinés, que Varron & Pollion mirent en usage, enfin aux boucliers où étoient représentés les personnages illustres de l'ancienne Rome.
Après avoir pris les Romains du côté de l'honneur & de la vertu, il cherche à piquer leur curiosité en leur indiquant l'antiquité de l'art, & en s'arrêtant au récit de quelques peintures plus anciennes que la fondation de Rome. Il nomme les différentes villes où on les voyoit, & il distingue le mérite de ces ouvrages d'avec l'abus qu'en vouloit faire la lubricité d'un empereur, tenté d'en tirer deux de leur place à cause de quelques nudités.
Aux motifs d'une curiosité louable, Pline joint les motifs d'émulation puisés dans le sein de la ville de Rome ; il propose par une gradation suivie l'exemple des citoyens qui s'étoient autrefois appliqués à l'exercice de la Peinture ; l'exemple des héros de la nation qui avoient étalé dans Rome les tableaux de leurs victoires ; l'exemple des généraux & des empereurs qui, après avoir transporté dans la capitale une quantité prodigieuse de tableaux étrangers, en avoient orné les portiques des temples & les places publiques.
Son éloquence & son esprit nous charment par des traits de feu & par des images enchanteresses qu'on ne trouve en aucun autre auteur, ni si fréquentes, ni d'une si grande beauté, enfin par une énergie de style qui lui est particuliere. C'est ainsi que pour donner une idée d'un tableau où Apelle avoit représenté un héros nud, il déclare que c'étoit un défi fait à la nature. Il dit de deux hoplitites, ouvrage de Parrhasius : " celui qui court, on le voit suer ; celui qui met les armes bas, on le sent haleter. Apelle, dit-il ailleurs, peignit ce qui est impossible à peindre, le bruit du tonnerre & la lueur des éclairs ". En matiere de style, comme en matiere de peinture, les savantes exagérations sont quelquefois nécessaires, & ce principe doit être gravé dans l'esprit d'un peintre s'il veut parvenir à l'intelligence de ce que Pline a écrit & de ce que Apelle avoit exécuté.
Il est donc vraisemblable que personne ne s'avisera jamais de traiter Pline en qualité d'historien des Peintres ou d'enthousiaste sans connoissance de cause, ou de déclamateur qui joue l'homme passionné, ou d'écrivain infidele & frivole. Les qualifications diamétralement opposées sont précisément celles qui caractérisent ce grand homme, heureusement pour sa gloire, heureusement pour celle des arts dont il a été le panégyriste, heureusement enfin pour l'intérêt de la littérature & des sciences dont il a été le dépositaire.
Voilà ce que j'avois à dire sur Pline & sur la peinture des Romains ; c'est un précis de deux beaux mémoires donnés par M. de Caylus & par M. de la Nause dans le recueil de littérature, Tome XXXV. (D.J.)
PEINTURE MODERNE, (Beaux-Arts) L'art de la Peinture, dit M. l'abbé Dubos, après avoir été longtems enseveli en occident sous les ruines de l'empire romain, se réfugia foible & languissant chez les orientaux, & renaquit enfin dans le treizieme siecle, vers l'an 1240, à Florence, sous le pinceau de Cimabué. Cependant on ne peignit qu'à fresque & à détrempe, jusqu'au quatorzieme siecle, que Jean de Bruges trouva le secret de peindre à l'huile. Il arriva pour lors que plusieurs peintres se rendirent illustres dans les deux siecles suivans ; mais aucun ne se rendit excellent. Les ouvrages de ces peintres si vantés dans leur tems, ont eu le sort des poésies de Ronsard, on ne les cherche plus.
En 1450 la Peinture étoit encore grossiere en Italie, où depuis près de deux cent ans on ne cessoit de la cultiver. On dessinoit scrupuleusement la nature sans l'ennoblir. On finissoit les têtes avec tant de soin, qu'on pouvoit compter les poils de la barbe & des cheveux ; les draperies étoient des couleurs très brillantes & rehaussées d'or. La main des artistes avoit bien acquis quelque capacité ; mais ces artistes n'avoient pas encore le moindre feu, la moindre étincelle de génie. Les beautés qu'on tire du nud dans les corps représentés en action, n'avoient point été imaginées de personne ; on n'avoit point fait encore aucune découverte dans le clair-obscur, ni dans la perspective aérienne, non plus que dans l'élégance des contours & dans le beau jet des draperies. Les peintres savoient arranger les figures d'un tableau, sans savoir les disposer suivant les regles de la composition pittoresque aujourd'hui si connues. Avant Raphaël & ses contemporains, le martyre d'un saint ne touchoit aucun des spectateurs. Les assistans que le peintre introduisoit à cette action tragique, n'étoient là que pour remplir l'espace de la toile, que le saint & les bourreaux laissoient vuide.
A la fin du quinzieme siecle, la Peinture qui s'acheminoit vers la perfection à pas si tardifs, que sa progression étoit imperceptible, y marcha tout-à-coup à pas de géant. La Peinture encore gothique commença les ornemens de plusieurs édifices, dont les derniers embellissemens sont les chefs-d'oeuvres de Raphaël & de ses contemporains.
Le prodige qui arrivoit à Rome arrivoit en même tems à Venise, à Florence, & dans d'autres villes d'Italie. Il y sortoit de dessous terre, pour ainsi dire, des hommes illustres à jamais dans leurs professions, & qui tous valoient mieux que les maîtres qui les avoient enseignés ; des hommes sans précurseurs, & qui étoient les éleves de leur propre génie. Venise se vit riche tout-à-coup en peintres excellens, sans que la république eût fondé de nouvelles académies, ni proposé aux peintres de nouveaux prix. Les influences heureuses qui se répandoient alors sur la Peinture, furent chercher au commencement du seizieme siecle, le Correge dans son village, pour en faire un grand peintre d'un caractere particulier.
Toutes les écoles qui se formoient alloient au beau par des routes différentes. Leurs manieres ne se ressembloient pas, quoiqu'elles fussent si bonnes qu'on seroit fâché que chaque école n'eût pas suivi la sienne. Le nord reçut aussi quelques rayons de cette influence. Albert Durer, Holbein, & Lucas de Leyde, peignirent infiniment mieux qu'on ne l'avoit encore fait dans leur pays.
Cependant dans le même climat où la nature avoit produit libéralement & sans secours extraordinaire les peintres fameux du siecle de Léon X. les recompenses, les soins de l'académie de S. Luc, établie par Grégoire XIII. & Sixte V. l'attention des souverains, enfin tous les efforts des causes morales, n'ont pu donner une postérité à ces grands artistes nés sans ancêtres. L'école de Venise & celle de Florence dégénérerent & s'anéantirent en soixante ou quatrevingt ans. Il est vrai que la Peinture se maintint à Rome en splendeur durant un plus grand nombre d'années. Au milieu du siecle dernier, on y voyoit même de grands maîtres : mais ces grands maîtres étoient des étrangers, tels que le Poussin, les éleves des Carraches qui vinrent faire valoir à Rome les talens de l'école de Boulogne & quelques autres.
Le Poussin en trente années de travail assidu dans un attelier placé au milieu de Rome, ne forma point d'éleve qui se soit acquis de nom dans la Peinture ; quoique ce grand artiste fut aussi capable d'enseigner son art, qu'aucun maître qui jamais l'ait professé. Dans la même ville, mais en d'autres tems, Raphaël mort aussi jeune que l'étoient ses éleves, avoit formé dans le cours de dix ou douze années une école de cinq ou six peintres, dont les ouvrages font toujours une partie de la gloire de Rome.
Enfin toutes les écoles d'Italie, celles de Venise, de Rome, de Parme & de Boulogne, où les artistes supérieurs se multiplierent si facilement & si promptement, en sont aujourd'hui dénuées. Le singulier est que ce fut dans des tems de prospérité que toutes ces écoles s'appauvrirent de bons sujets, & qu'elles tomberent en décadence : comme leur midi, ajoute ici l'abbé Dubos, s'étoit trouvé fort près de leur levant, leur couchant ne se trouva point bien éloigné de leur midi.
La Peinture qui avoit commencé à naître en Flandres sous le pinceau de Jean de Bruges, y resta dans un état de médiocrité jusqu'au tems de Rubens, qui sur la fin du seizieme siecle en releva la gloire par ses talens & par ses ouvrages. Alors la ville d'Anvers devint l'Athènes du pays au-delà des monts ; mais son éclat fut de courte durée. Si Rubens laissa des éleves comme Vandick, Jordans, Dispenbeck, Van-Tulden, qui font honneur à sa réputation, ces éleves sont morts sans disciples qui les aient remplacés. L'école de Rubens a eu le sort des autres écoles, je veux dire qu'elle est tombée quand tout paroissoit concourir à la soutenir. Milé peut être regardé comme son dernier peintre.
Il sembloit que la Peinture qui a passé en France plus tard qu'ailleurs, vouloit fixer un empire plus durable. Il est vrai qu'il ne tint pas à François I. de la faire fleurir dans le bon tems : il s'en déclara le protecteur. On sait avec quelle générosité il payoit les tableaux qu'il commandoit à Raphaël. Ses libéralités attirerent des peintres étrangers dans son royaume ; il combla de faveurs, & l'on peut dire d'amitié, le Rono & André del Sarto. Il reçut les derniers soupirs de Léonard de Vinci ; mais tous ces grands maîtres moururent sans éleves, du-moins dignes d'eux. C'est proprement sous Louis XIV. que la Peinture commença de paroître dans ce royaume avec le Poussin. La France a eu sous son regne des peintres excellens en tout genre, quoique ce ne soit pas dans cette profusion qui fait une des richesses de l'Italie. Cependant sans nous arrêter à un le Sueur, qui n'eut d'autres maîtres que lui-même, à un Le Brun qui égala les Italiens dans le dessein & dans la composition, à un le Moine qui ne leur est guere inférieur, j'ai nommé dans un des volumes de ce Dictionnaire près de vingt peintres françois, qui ont laissé des morceaux si dignes de recherche, que les étrangers commencent à nous les enlever.
Je n'allegue point en faveur de la Peinture françoise les académies établies par Colbert pour l'encouragement de cet art. Le génie de la nation, les richesses, les immenses collections de tableaux d'Italie amassées par Louis XIV. par M. le duc d'Orléans, & par des particuliers, ont favorisé plus que les académies le goût de cet art dans le royaume. D'ailleurs ces fantômes de passions, si je puis parler ainsi, que la Peinture sait exciter, en nous émouvant par les imitations qu'elle nous présente, satisfont merveilleusement à ce genre de luxe, à notre désoeuvrement, à notre ennui, & au besoin où nous sommes d'être occupés par le spectacle des Beaux-Arts. Mais enfin notre décadence à tant d'égards prévûe, il y a plus de soixante ans par M. de Fontenelle, ne commence-t-elle pas à se vérifier sur la Peinture ?
Le bon tems de celle des Hollandois est aussi passé ; encore faut-il convenir que quoique leur peinture soit admirable par le beau fini, la propreté, le moëlleux & la parfaite intelligence du clair-obscur ; cependant elle ne s'est jamais élevée dans l'Histoire, & n'a jamais réussi dans ces deux parties de l'ordonnance d'un tableau, que nous appellons composition poétique & composition pittoresque.
Depuis deux siecles les Anglois aiment la Peinture autant & plus qu'aucune autre nation, si l'on en excepte l'italienne. On sait avec quelle magnificence ils récompensent les peintres étrangers qui s'établissent chez eux, & quel prix ils mettent aux beaux ouvrages de Peinture. Cependant leur terroir n'a point produit de peintres d'un ordre supérieur, tandis que leurs poëtes tiennent un rang si distingué parmi ceux des autres peuples. On voit à Londres dans l'hôpital des enfans trouvés, des tableaux d'histoire faits par MM. Hayman, Hogarth, Wills, Highmore, qui prouvent seulement que ces divers artistes possédoient les qualités propres à faire les grands peintres, mais non pas qu'ils fussent de cette classe. Il n'est guere possible qu'il y ait en Angleterre des peintres d'histoire vraiment habiles, parce qu'ils y manquent d'émulation ; leur religion ne fait chez eux aucun usage des secours de la Peinture pour inspirer la dévotion ; leurs églises n'y sont décorées d'aucuns tableaux, tandis que par une bonne raison contraire ils réussissent parfaitement dans le paysage & les marines. Enfin les peintres anglois ont un obstacle à surmonter, qui arrête les progrès de leurs talens, ce sont ces gens dont la profession est de vendre des tableaux, & qui ne pouvant faire commerce des tableaux des peintres vivans de la nation, prennent le parti de les décrier, & trouvent en cela l'approbation du pays même.
A l'égard de la peinture des habitans du nord, on sait assez ce qu'il en faut penser. Il paroît que cet art ne s'est pas approché du pole plus près que la hauteur de la Hollande. Je dois encore moins m'arrêter sur la Peinture chinoise ; elle n'offre qu'un certain goût d'imitation servile, où l'on ne trouve ni génie, ni dessein, ni invention, ni correction.
Après ce que nous venons d'exposer sur l'état actuel & les vicissitudes que la peinture a essuyées chez les divers peuples de l'Europe depuis la renaissance des arts, il est clair que tous les siecles & que tous les pays ne sont point également fertiles en beaux ouvrages de ce genre, & qu'ils le sont plus ou moins en divers tems. Il y a des siecles où les arts languissent, il en est d'autres où ils donnent des fleurs & des fruits en abondance. La Peinture n'étoit point la même dans les deux siecles qui précéderent le siecle de Léon X. que dans le siecle de ce pontife. Cette supériorité de certains siecles sur les autres est si connue, & se sent si bien par les gens d'esprit dans le même siecle où ils vivent, qu'il est inutile de le prouver. Les annales du genre humain font mention de trois siecles dont les productions en Peinture ont été admirées par tous les siecles suivans. Ces siecles heureux sont celui de Philippe & d'Alexandre le Grand, celui de Jules César & celui d'Auguste, celui de Jules II. & de Léon X. Ce sont ces trois siecles qui ont formé la distinction de la peinture moderne, dont je viens de donner l'histoire, d'avec la peinture antique, dont je tâcherai de décrire le mérite & le caractere dans l'article suivant.
Personne n'ignore qu'il y a plusieurs sortes de Peinture en usage ; savoir à détrempe, en émail, à fresque, à huile, en miniature, à la mosaïque, au pastel, sur le verre, sur la porcelaine, une peinture mixte, des camayeux, &c. Voyez chacun de ces mots.
On a aussi essayé de tracer des peintures sur du marbre blanc, avec des teintures particulieres & propres à le pénétrer. On fait encore des peintures avec des laines & des soies qui sont des broderies en tapisserie travaillées à l'aiguille ou au mêtier. Ne peut-on pas mettre parmi les différentes especes de peintures celle qui se fait sur des étoffes de soie blanche, ou sur des toiles de coton blanc, en y employant seulement des teintures qui pénetrent ces étoffes & ces toiles ? En un mot, l'industrie des hommes a trouvé le secret de représenter les images visibles par divers moyens, sur quantité de corps très-différens, verre, pierre, terre, plâtre, cuivre rouge, bois, toile, &c. On n'a point craint de multiplier les merveilles d'un art enchanteur, & de les répéter à la vûe de toutes sortes de manieres. On a connu que plus on étendroit les prestiges de sa magie, plus cette variété frapperoit nos sens avec plaisir ; & de telles conjectures sont rarement trompées.
Enfin un moderne, le sieur Picaut, a trouvé le secret de transporter sur une nouvelle toile les ouvrages de peinture, qui dépérissent sur une vieille toile, ou sur le bois. Les preuves qu'a données cet homme industrieux de cette découverte, ne permettent pas de douter du fait. Le fameux tableau qui représente S. Michel foudroyant les anges rébelles, étoit peint sur le bois. Ce tableau que Raphaël peignit en 1518 pour François premier, a été transporté sur toile dans sa beauté en 1752 par le sieur Picaut ; & le 18 Octobre de la même année, il a été exposé aux yeux du public dans le palais du Luxembourg à Paris. En conséquence l'académie de Peinture ayant jugé que le sieur Picaut avoit exécuté son opération avec un grand succès, lui a donné des témoignages authentiques de son approbation. Je voudrois bien oser ajouter que cette découverte peut assûrer à la postérité la conservation des ouvrages des peintres célebres, & les garantir de l'outrage des tems. Article de M(D.J.)
PEINTURE ARABESQUE ANCIENNE, (Peint. anc.) c'est une peinture qui consistoit à représenter à fresque sur les murailles des figures de caprice, ou des compositions d'architecture, pour servir d'ornement & de décoration.
Il y a quelques morceaux de cette peinture dans des tombeaux auprès de Naples ; mais c'est peu de chose en comparaison de ce qu'on peut voir de ce genre dans les desseins recueillis par Pietro-Sonto ; Bartoli, Jean d'Udine, Raphaël & quelques-uns de ses éleves ont imité ces anciennes grotesques, & on les a gravées d'après les études qu'ils en avoient faites.
Ces ornemens fantastiques inventés avec génie, paroissent à bien des gens n'exiger que peu ou point de parties de la perspective, puisque les figures seules enlacées & liées à des ornemens legers & délicats, sont ordinairement peintes sur le fond de la muraille, ou sur une couleur qui la suppose. Cependant il y a plusieurs de ces grotesques où l'on voit des compositions d'architecture dans lesquelles il entre par conséquent des colonnes, des entablemens & d'autres membres d'architecture ; toutes ces parties tendent à un point de vue donné avec autant d'exactitude que pourroit faire le peintre le plus au fait de la perspective : ainsi l'on doit en conclure que si dans des sujets où le désordre semble permis, les anciens ont été si réguliers observateurs de la perspective, on ne peut sans injustice leur refuser la même connoissance & la même attention dans des ouvrages plus réfléchis.
Les peintures arabesques ont été mises en usage par les anciens pour couvrir à peu de frais & cependant avec goût des murailles nues, telles qu'on les voyoit dans l'intérieur de leurs maisons, car leurs logemens particuliers ne nous laissent pas une grande idée de leurs ameublemens. Pline cite à peine ces meubles dans la description de ses maisons, preuve qu'ils ne méritoient pas une grande considération. Les Romains faisoient consister la magnificence de leurs meubles dans des ornemens plus solides, & considérablement plus coûteux que nos étoffes & nos tapisseries. Leurs lits de festins, leurs vases, leurs coupes, leurs buffets, leurs planchers étoient d'un prix beaucoup plus considérable que tout ce que nous employons aujourd'hui. Les maisons particulieres des Grecs étoient encore moins riches à la ville & à la campagne, en ce que nous entendons par le terme de meuble, que celles des Romains. La décoration des édifices publics étoit le seul objet des soins & de la dépense des Grecs, & cet objet étoit bien plus noble que le nôtre. Mém. de l'ac. des Insc.
Pour ce qui regarde la peinture arabesque moderne, voyez GROTESQUE. (beaux arts) (D.J.)
PEINTURE A DETREMPE, (Peint.) voyez GUACHE.
PEINTURE A HUILE, (Peint. mod.) dans le treizieme siecle de l'ere chrétienne, la peinture fut rétablie, & ce fut au commencement du quatorzieme qu'un Flamand nommé Jean de Bruges, employa des couleurs détrempées dans des huiles. Avant cette découverte les grands ouvrages se faisoient en mosaïque, ou à fresque, ou en détrempe. La mosaïque, comme on sait, est formée par des pierres de différentes couleurs rapportées artistement les unes à côté des autres, & qui toutes ensemble concourent à produire un effet général. On peint à fresque sur des enduits tout frais de mortier, & où les couleurs s'imbibent, détrempant les couleurs dans la gomme, on peut les employer par-tout, & c'est ce qu'on appelle peindre en détrempe.
La peinture à huile a de grands avantages sur toutes les autres manieres. La mosaïque demande beaucoup de travail, & elle est difficilement exacte. La fresque ne peut être retouchée ; & si le premier trait n'est point de la derniere justesse, si le premier coup de pinceau ne donne pas la nuance exacte, il faut faire regratter l'enduit, & recommencer jusqu'à ce qu'enfin on ait achevé l'ouvrage, sans avoir commis la moindre erreur. Cette exactitude qu'il faut trouver du premier coup, est d'autant plus difficile, que les couleurs ne conservent point les nuances qu'elles ont lorsqu'on les employe ; elles changent à mesure que le mortier seche, & il faut les avoir employées du premier coup de pinceau, non pas comme elles sont, mais comme elles doivent rester. La peinture à détrempe, outre ce dernier inconvénient de la peinture à fresque, n'a point de solidité, ne permet point d'unir les couleurs par des nuances vraies & délicates.
Mais la peinture à l'huile donne la facilité à l'artiste de retoucher son tableau aussi souvent qu'il le veut. Sur une premiere ébauche dont les traits ou les nuances ne lui paroissent pas convenables, il employe une seconde couleur différente de la premiere, & qui rend avec plus de vérité l'effet qu'il en attend ; dans cette maniere l'artiste a encore l'avantage d'employer les couleurs à-peu-près comme elles doivent rester. Les ouvrages à l'huile ne sont point nécessités d'être toujours à une même place, comme l'est la fresque sur la toile, sur le bois & sur les métaux, ceux à l'huile peuvent être transportés par-tout ; mais ils se conservent moins que la fresque, & n'ont qu'un seul point de vûe.
Cependant quoique l'huile donne une très-grande facilité de pinceau, & qu'elle rende le travail plus agréable qu'aucun autre corps le pourroit faire, les anciens, peu sensibles au moment présent, travailloient toujours pour la postérité. Or il est constant que l'huile nous a fait perdre l'avantage de la conservation. Ce n'est pas tout, elle altere nos couleurs, & les fait jaunir par la seule impression de l'air. Les teintes poussent souvent avec inégalité ; les ombres noircissent, enfin nos couleurs & nos impressions s'écaillent, & les peintures anciennes étoient, ce me semble, à l'abri de tous ces inconvéniens. Nous pratiquons l'huile depuis un tems assez considérable pour en connoître les effets, & pour avancer que l'on ne verra aucune de nos peintures préparées de cette façon, dans huit cent ans ; au contraire, Pline a pu voir celles qui subsistoient dans les ruines d'Ardée, & nous voyons encore aujourd'hui des restes d'une beaucoup plus grande ancienneté dans quelques endroits de l'Italie, & même jusques dans l'Egypte ; aussi ce sont des peintures à fresque.
Le pastel a de grandes beautés ; il est fait avec des craies de différentes couleurs, mais le seul mouvement de l'air le détruit, & on ne peut le conserver qu'en le couvrant d'une glace. Derriere les glaces, on y peint aussi à huile. (D.J.)
PEINTURE CHINOISE, (Peintur.) c'est une sorte de peinture que les Chinois font sur des éventails ou sur la porcelaine, où ils représentent des fleurs, des animaux, des paysages, des figures, &c. avec des couleurs fines & brillantes. Le seul mérite de leur peinture est une certaine propreté & un certain goût d'imitation servile, mais où l'on ne remarque ni génie, ni dessein, ni invention, ni correction.
PEINTURE des Mexicains sur le bois, (Peinture d'Amérique) on ne sera peut-être pas fâché de voir ici la maniere dont les Indiens du Mexique se servent des couleurs pour peindre sur le bois, & pour travailler les cabinets & autres meubles de cette espece : voici le secret de cette peinture.
On prépare la couleur dont on veut faire le fond, & on en passe plusieurs couches sur tout l'ouvrage, ce qui forme une croûte assez épaisse, que l'on adoucit & qu'on égale le plus qu'il est possible. Pendant que la peinture est encore fraîche, on prend un poinçon ou une baguette de bois le plus dur qu'on peut trouver, avec quoi l'on dessine les figures que l'on veut peindre ; on se sert de l'autre bout du poinçon ou de la baguette, qui est applatie en forme de spatule, pour racler la couleur renfermée dans le contour de la figure ; dans ce vuide on met une autre couleur telle que la figure le demande ; & s'il y en doit entrer de différentes, on remplit d'abord tout l'espace de celle qui doit dominer ; puis on dégarnit la place que doivent occuper les autres couleurs, & on les applique les unes après les autres, comme on avoit fait la premiere, jusqu'à ce que tout l'ouvrage soit achevé.
Pour conserver l'éclat des couleurs & leur donner le lustre, ils ont différens vernis composés d'huiles tirées de divers fruits.
Dans la province de Yucatan, le vernis le plus ordinaire est une huile faite avec certains vers qui viennent sur les arbres du pays. Ils sont de couleur rougeâtre, & presque de la grandeur des vers-à-soie. Les Indiens les prennent, les font bouillir dans un chaudron plein d'eau, & ramassent dans un autre pot la graisse qui monte au-dessus de l'eau. Cette graisse est le vernis même. Il devient dur en se figeant ; mais pour l'employer, il n'y a qu'à le faire chauffer ; & la peinture sur laquelle on a passé le vernis, conserve cette même odeur durant quelque tems ; mais en l'exposant à l'air pendant quelques jours, l'odeur se dissipe entierement. Ce sont aussi les huiles de ce vernis qui font que les ouvrages ainsi vernissés, peuvent se laver sans être endommagés. De-là vient qu'on a fait avec le bois ainsi peint & vernissé quantité de vaisseaux pour l'usage ordinaire. (D.J.)
PEINTURE PASTORALE (Peint. mod.) c'est ainsi qu'on nomme celle qui s'exerce sur les amusemens de la campagne, les bergeries, les marchés, les animaux. Ce goût est susceptible de toutes les beautés dont le génie du peintre est capable pour imiter la belle nature ; & elle plaît à tout le monde. Le Castiglione (Benedicti), né à Gènes, & mort à Mantoue en 1670, à 54 ans, est un des artistes du dernier siecle qui a le mieux réussi en ce genre. La délicatesse de sa touche, l'élégance de son dessein, la beauté de son coloris, & son intelligence du clair obscur ont rendu ses tableaux précieux. (D.J.)
PEINTURE DES TOILES, (Peint. anc.) nous dirions aujourd'hui teinture des toiles, mais je me sers du mot de Pline, qui finit le xj. chap. de son XXXV. livre par nous apprendre la façon dont les Egyptiens peignoient des toiles, ou faisoient des toiles peintes. Rapportons d'abord le passage en latin qui est fort curieux.
Pingunt & vestes in Aegypto inter pauca mirabili genere, candida vela postquam attrivere illinentes non coloribus, sed colorem sorbentibus medicamentis. Hoc cum fecêre, non apparet in velis ; sed in cortinam pigmenti ferventis mersa, post momentum extrahuntur picta. Mirumque cum sit unus in cortina color, ex illo alius atque alius fit in veste, accipientis medicamenti qualitate mutatus. Nec postea ablui potest ; ita cortina non dubiè confusura colores, si pictos acciperet, digerit ex uno, pingitque dum coquit. Et adustae vestes firmiores fiunt, quam si non urerentur. Voici la traduction.
" Dans le nombre des arts merveilleux que l'on pratique en Egypte, on peint des toiles blanches qui servent à faire des habits, non en les couvrant avec des couleurs, mais en appliquant des mordans qui, lorsqu'ils sont appliqués, ne paroissent point sur l'étoffe ; mais ces toiles plongées dans une chaudiere de teinture bouillante, sont retirées un instant après coloriées. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que quoiqu'il n'y ait qu'une couleur, l'étoffe en reçoit de différentes, selon la qualité des mordans, & les couleurs ne peuvent ensuite être emportées par le lavage. Ainsi une liqueur qui n'étoit propre qu'à confondre les couleurs, si la toile eût été peinte avant que d'être plongée, les fait naître toutes d'une seule ; elle se distribue, elle peint la toile en la cuisant, pour ainsi dire. Et les couleurs de ces étoffes teintes à chaud sont plus solides que si elles étoient teintes à froid ".
Cette pratique pour exécuter la teinture des toiles est en usage en Europe & en Orient. Il est à présumer que l'Inde a tiré originairement ce secret de l'Egypte, qui après avoir été le centre des arts & des sciences, la ressource de l'Asie, & de l'Europe par la fertilité de son terroir, le climat le plus heureux par la salubrité de l'air, un monde par la multitude des naturels du pays & par l'affluence des étrangers, n'est plus aujourd'hui qu'une terre empestée & une retraite de brigands, pour avoir perdu de vue les arts & les sciences qui faisoient son bonheur & sa gloire : exemple palpable qui suffiroit seul pour confondre un odieux paradoxe avancé de nos jours, s'il méritoit d'être sérieusement refuté. La Chine connoît aussi la pratique de teindre les toiles, où nous l'avons trouvée établie dans le tems de sa découverte. Plus on approfondit les arts, du moins quant à la peinture, & plus on observe que les anciens n'ignoroient presque rien de ce que nous savons, & de ce que nous pratiquons. Mémoire des Insc. tom. XXV. (D.J.)
PEINTURE SUR VERRE, (Peint. mod.) cette peinture est toute moderne, & les François prétendent que ce fut d'un peintre de Marseille, qui travailloit à Rome sous Jules II. que les Italiens l'apprirent. On en faisoit autrefois beaucoup d'usage dans les vîtraux des églises & des palais ; mais cette peinture est aujourd'hui tellement négligée, qu'on trouve très-peu de peintres qui en ayent connoissance. Elle consiste dans une couleur transparente qu'on applique sur le verre blanc ; car elle doit faire seulement son effet, quand le verre est exposé au jour. Il faut que les couleurs qu'on y employe soient de nature à se fondre sur le verre qu'on met au feu quand il est peint ; & c'est un art de connoître l'effet que ces couleurs feront quand elles seront fondues, puisqu'il y en a que le feu fait changer considérablement.
Lorsque cette peinture étoit en regne, on fabriquoit dans les fourneaux des verres de différentes couleurs, dont on composoit les draperies, & qu'on tailloit suivant leurs contours, pour les mettre en oeuvre avec le plomb. Le principal corps de presque toutes ces couleurs, est un verre assez tendre, qu'on appelle rocaille, qui se fait avec du sablon blanc, calciné plusieurs fois, & jetté dans l'eau, auquel on mêle ensuite du salpêtre pour servir de fondant.
On a aussi trouvé le secret de peindre à l'huile sur le verre, avec des couleurs transparentes, comme sont la laque, l'émail, le verd-de-gris, & des huiles ou vernis colorés, qu'on couche uniment pour servir de fonds ; quand elles sont seches, on y met des ombres, & pour les clairs, on peut les emporter par hachures avec une plume taillée exprès. Ces couleurs à huile sur le verre, se conservent long-tems, pourvû que le côté du verre où est appliquée la couleur, ne soit pas exposé au soleil. (D.J.)
PEINTURE, (Architect.) cet art contribue dans les bâtimens, 1°. à la légéreté, en les faisant paroître plus exhaussés & plus vastes par la perspective ; 2°. à la décoration par la variété des objets agréables répandus à propos, & par le raccordement du faux avec le vrai ; 3°. enfin à la richesse, par l'imitation des marbres, des métaux, & autres matieres précieuses.
La Peinture se distribue en grands sujets allégoriques pour les voutes, plafonds & tableaux ; ou en petits sujets, comme ornemens grotesques, fleurs, fruits, &c. qui conviennent aux compartimens & panneaux des lambris.
On pratique dans les bâtimens trois sortes de peinture ; la peinture à fresque, la mosaïque, & la peinture à l'huile. La premiere, qui est la plus ancienne, & la moins finie, sert pour les dedans des lieux spacieux, tels que sont les églises, basiliques, galeries, & même pour les dehors sur les enduits préparés pour la retenir. Cette peinture est particulierement propre pour décorer des murs de jardins par des vûes, des perspectives, &c. La mosaïque, quoiqu'elle soit moins en usage qu'aucune sorte de peinture, est cependant la plus durable ; la peinture à l'huile convient au bois & à la toile, pour enrichir toutes sortes d'appartemens. (D.J.)
PEINTURE DOUBLE, (Poésie, Art orat.) on appelle double peinture, celle qui consiste à présenter deux images opposées ; qui jointes ensemble, se relevent mutuellement ; c'est ainsi que Virgile fait dire à Enée, lorsqu'il voit Hector en songe : " Ce n'étoit point cet Hector vainqueur de Patrocle, & chargé des dépouilles d'Achille, ou la flamme à la main embrasant la flotte des Grecs : sa barbe & ses cheveux étoient souillés de sang, & son corps portoit encore les marques de toutes les blessures qu'il reçut sous les murs de Troie ".
Hei mihi, qualis erat ! quantùm mutatus ab illo
Hectore qui redit exuvias indutus Achillis,
Vel Danaûm Phrygios jaculatus puppibus ignes
Squallentem barbam, & concretos sanguine crines,
Vulneraque illa gerens, quae circum plurima muros
Accepit patrios. Aenéïd. l. II. v. 274.
Annibal Caro, dans sa traduction italienne de l'Enéïde, a rendu cet endroit bien noblement.
Lasso me ! quale & quanto era mutato
Da quell' Ettor, che ritorno vestito
Delle spoglie d'Achille, è rilucente
Del foco, ond'arse, il grand navile argolico !
Squallida havea la barba, horredo il crine,
E rappreso di sangue : il petto lacero
Di quante un qua ferite al patrio muro
Hebbe d'intorno.
C'est encore en usant d'une double peinture, que Corneille dans le récit du songe de Pauline, lui fait dire en parlant de Sévere. Acte. I. scene 2.
Il n'étoit point couvert de ces tristes lambeaux
Qu'une ombre désolée emporte des tombeaux ;
Il n'étoit point percé de ces coups pleins de gloire,
Qui retranchant sa vie, assurent sa mémoire ;
Il sembloit triomphant, & tel que sur son char
Victorieux dans Rome, entre notre César ; &c.
Concluons que la double peinture est d'un merveilleux effet pour le pathétique ; mais comme cette adresse est une des plus grandes du poëte & de l'orateur, il faut la savoir ménager, l'employer sobrement & à propos. (D.J.)
PEINTURE D'IMPRESSION, (Peinture) peinture de diverses couches de couleurs en huile ou en détrempe, dont on imprime dans les bâtimens les ouvrages de Menuiserie, de charpenterie, de Maçonnerie & de Serrurerie, ou qui sont à l'air, ou que l'on veut embellir, & mettre d'une même teinte. Les Italiens disent imprimatura, dont quelques-uns de nos peintres ont fait imprimature, & d'autres imprimure. Le véritable mot françois est impression à huile, ou impression à détrempe, suivant la liqueur & ingrédiens qui y entrent. (D.J.)
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PEINTURÉ | adj. (Peinture) ce qui n'est peint ou enduit que d'une seule couleur sans desseins, & sans compartimens. On le dit comme par opposition à peint, qui signifie une chose peinte avec art ; ainsi on dit une galerie bien peinte, lorsque le peintre l'a ornée de différens ouvrages de peinture, ou tableaux ; & une galerie bien peinturée, quand elle a été imprimée d'une seule couleur. (D.J.)
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PEIPUS | (Géogr. mod.) en langue russe Czud-Kow, grand lac aux confins de l'Esthonie, de la Livonie, & de l'Ingrie. Il reçoit les eaux de diverses rivieres, & se décharge dans la Neva, qui porte ses eaux dans le golfe de Finlande. Ce lac a trente de nos lieues communes de long, tantôt douze, tantôt quinze de large. En 1701, le Czar Pierre fit construire sur ce lac cent demi-galeres qui portoient environ cinquante hommes chacune ; il y entretint cette flotte pour empêcher les vaisseaux suédois d'insulter la province de Novogorod, pour être à portée d'entrer sur leurs côtes, & en même tems pour former des matelots.
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PEISKER | (Hist. nat.) en latin paecilias, ou piscis fossilis. Les Allemands le nomment aussi schlammbeisser, ou mordeur de vase, parce qu'on le trouve dans le limon ou dans la vase qui est au fond de quelques eaux. C'est un poisson qui ressemble à une aiguille ou à un serpent.
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PEISO | (Géog. anc.) lac de la Pannonie ; Pline, l. III. c. xxiv. dit qu'il joignoit la Norique. C'est aujourd'hui le lac de Neusidler-Zée, aux confins de la Hongrie & de l'Autriche.
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PEITS | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la basse-Lusace, sur la rive droite de la Sprée, à deux lieues au-dessus de Colbus. Elle a des mines de fer dans ses environs.
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PEIUM | (Géog. anc.) Strabon, l. XII. p. 567. donne cette place aux Tolistoboges, de même que celle de Blucium ; il ajoute que l'une étoit la résidence du roi Déjotarus, & que l'autre étoit destinée à garder ses trésors.
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PEKELI | (Géog. mod.) province de la Chine, & la premiere des quinze de ce vaste empire. Elle est au midi de la grande muraille, & à l'orient d'un bras de mer. Sa figure est un triangle rectangle ; l'air y est très-froid, le terrein stérile & plein de sable. Peking en est la capitale. (D.J.)
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PEKIA | S. m. (Botan.) nom donné par Pison à un arbre des Indes, qui porte un fruit un peu plus gros qu'une orange ; son suc est extrèmement doux & agréable. Laët parle aussi de cet arbre, mais ni lui ni l'autre n'en ont donné la description.
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PEKING | (Géog. mod.) ou Xuntien & Cambalu dans quelques relations de voyageurs ; grande ville de la Chine, la capitale de l'empire, & le siége ordinaire des empereurs. Nous en parlons par cette seule raison ; le pere du Halde vous en donnera la description. On lit dans les lettres édifiantes, que cette ville a six lieues de tour de 3600 pas chacune. Ses portes ont quelque chose de plus magnifique que celles de toutes les villes de l'Europe ; elles sont extrèmement élevées, & renferment une grande cour quarrée environnée de murailles, sur lesquelles on a bâti des sallons, tant du côté de la campagne, que du côté de la ville. Le palais de l'empereur a deux milles d'Italie en longueur, un en largeur, & six de tour. Il y tient plus de trois mille concubines. Longit. suivant les peres Jésuites, Cassini & Desplaces 134d 8', & suivant le pere Gaubil 133. 51. 45. lat. 39. 54. Long. orient, suivant M. le Monnier 133. 35. lat. 39. 55. Long. suivant le pere Feuillée, 133. 55. lat. 39. 55. (D.J.)
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PELACHE | S. f. (Manufact.) espece de peluche grossiere, faite de fil & de coton, dont les pieces portent dix à onze aunes de long.
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PELADE | S. f. (Lainage) c'est le nom de la laine que les Mégissiers & Chamoiseurs font tomber par le moyen de la chaux, de dessus les peaux de moutons & brebis, provenantes des abattis des bouchers ; on l'appelle aussi pellure, pelis, avalis.
Les laines pelades sont si inférieures aux laines de toison, qu'il n'est pas permis aux ouvriers en bas au métier, d'en employer dans leurs ouvrages, ainsi qu'il est porté par l'article 11 de leur reglement du 30 Mars 1760 ; leur usage plus ordinaire est pour faire les trèmes de certaines sortes d'étoffes, celles de toison étant plus propres à faire les chaînes.
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PELAGIAE | (Géog. anc.) île de la mer Méditerranée, entre la Sicile & l'Afrique. Ptolomée, liv. IV. ch. iij. les met au nombre de trois ; savoir, Cossira, Glauconis insula & Melite. (D.J.)
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PÉLAGIANISME | hérésie des Pélagiens. Voyez l'article suivant.
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PÉLAGIE | (Géog. anc.) Pelagia, île consacrée à Saturne. Avenius, ora Marit. vers. 164. fait entendre qu'elle étoit voisine des colonnes d'Hercule.
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PÉLAGIENS | (Théolog.) anciens hérétiques ainsi nommés de Pélage leur chef, & fort connus dans l'Eglise par les écrits de S. Augustin.
Pélage, auteur de cette secte, étoit Anglois. On prétend que son nom anglois étoit Morgan, qui signifie mer, que l'on a rendu en grec & en latin par celui de Pélage. Il étoit moine, mais on ne sait pas certainement s'il avoit embrassé ce genre de vie en Angleterre ou en Italie. Les Anglois prétendent qu'il avoit été moine du monastere de Banchor, sans décider si c'étoit de celui qui est situé dans le pays de Galles ou d'un autre de même nom qui étoit en Irlande. On ajoute qu'il passa en Orient, où il commença à semer ses erreurs sur la fin du quatrieme siecle ; d'autres disent qu'il vint à Rome & qu'il y dogmatisa au commencement du cinquieme.
On peut rapporter à trois principaux chefs, les erreurs de Pélage & de ses disciples. Elles rouloient ; 1°. sur le péché originel ; 2°. sur les forces du libre arbitre ; 3°. sur la nature, l'existence & la nécessité de la grace.
Quant au premier article, Pélage enseignoit que nos premiers parens Adam & Eve avoient été créés mortels, que leur prévarication n'avoit nui qu'à eux-mêmes, & nullement à leur postérité. 2°. Que les enfans qui naissent sont dans le même état où étoient Adam & Eve avant leur péché ; 3°. que ces enfans, quand même ils ne seroient pas baptisés, auroient la vie éternelle, mais non pas le royaume des cieux ; car ils mettoient entre ces deux choses une distinction qu'eux seuls apparemment se piquoient d'entendre.
Quant au libre arbitre, ils prétendoient qu'il étoit aussi entier, aussi parfait, & aussi puissant dans l'homme, qu'il avoit été dans Adam avant sa chûte ; 2°. que par les propres forces du libre arbitre, l'homme pouvoit parvenir à la plus haute perfection, vivre sans passions déréglées & même sans péché ; 3°. Julien un des sectateurs de Pélage, ajoutoit que par les seules forces du libre arbitre, les infideles pouvoient avoir de véritables vertus qui les rendissent parfaitement bons & justes, non-seulement dans l'ordre moral & naturel, mais encore dans l'ordre surnaturel.
Quant à la grace ; Pélage soutint d'abord que les forces naturelles du libre arbitre suffisoient pour remplir tous les commandemens de Dieu, vaincre les tentations ; en un mot, opérer toutes sortes de bonnes oeuvres dans l'ordre du salut. Mais attaqué de toutes parts & poussé vivement par les Catholiques, il admit d'abord des graces extérieures, comme la loi, la prédication de l'Evangile, les exemples de Jesus-Christ. Il alla ensuite jusqu'à reconnoître une grace intérieure d'entendement pour les vérités revélées, non qu'il la jugeât absolument nécessaire, mais simplement utile pour en faciliter la connoissance. Enfin, il admit une grace intérieure de volonté, mais réduite presque à rien par ses subtilités & par celles de ses disciples ; car ils soutenoient que cette grace n'étoit nécessaire que pour achever les bonnes oeuvres, & non pour les commencer ; qu'elle n'étoit pas absolument nécessaire pour opérer le bien, mais pour en faciliter l'opération ; & enfin que cette grace n'étoit point gratuite, puisque Dieu ne la conféroit aux hommes, qu'en considération de leurs mérites & à titre de justice. Or, selon eux, ces mérites étoient purement humains, produits par les seules forces de la nature. S. August. lib. de Gert. Pelag. de grat. & lib. arbitr. de grat. Christ. & contr. Julian. Tournély, trait. de la Grace, tom. I. disput. 1. art. 3.
On voit que ce système tend à anéantir la nécessité de la grace ; Pélage eut pour principaux disciples, Célestius & Julien, évêques d'Eclane en Sicile. Condamné en Afrique & en Orient par divers conciles, il trompa le pape Zozime par une feinte profession de foi ; mais ce pontife mieux instruit par les évêques d'Afrique, condamna Pélage & Celestius dans un concile tenu à Rome en 418 : leurs erreurs furent proscrites de toutes parts, tant par la puissance ecclésiastique, que par l'autorité séculiere. On tint sur cette matiere vingt-quatre conciles en dix-neuf ans, & les empereurs Honorius, Constance & Valentinien ayant appuyé par leurs lois les décisions de l'Eglise, le pélagianisme parut écrasé, mais il reparut en partie dans la suite sous le nom de semipélagianisme. Voyez SEMIPELAGIANISME & SEMI-PELAGIENS.
Ce fut en combattant ces hérétiques, que S. Augustin composa les divers ouvrages qui lui ont mérité le titre de docteur de la grace. C'est aussi contr'eux que S. Prosper a fait son poëme intitulé contre les ingrats ; S. Hiérome, S. Fulgence & plusieurs autres peres ont aussi réfuté les Pélagiens.
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PÉLAGONIE | (Géog. anc.) Pelagonia, contrée de la Macédoine, dont la capitale portoit le même nom, selon Tite-Live, liv. XLV. c. xxix. il est vraisemblable que cette ville fut ruinée du tems de la guerre de Macédoine, car depuis Tite-Live aucun écrivain n'en fait mention. Les habitans de la Pélagonie étoient appellés Pélagones & Poeones, parce que leur pays étoit quelquefois compris dans la Poeonie. Cellarius place la Pélagonie au midi du mont Hémus, entre la Mygdonie & la Poeonie. (D.J.)
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PELAGUS | (Lexic. Géogr.) nom dont les Grecs usoient pour désigner la mer, & que les Latins reçurent dans leur langue ; quoiqu'il semble dans sa propre signification vouloir dire la haute mer ; Ptolomée néanmoins donne ce nom à toutes les mers particulieres. Voyez MER.
2°. Pelagus est dans Pausanias, l. VIII. c. xj. une forêt de l'Arcadie, qui faisoit la borne entre les Mantinéens & les Tégéens.
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PELAINS | S. f. pl. (Comm. de la Chine) ce sont des satins de la Chine, mais qui passent par les mains des Indiens, de qui les commis de la compagnie les reçoivent & les achetent ; leur longueur est de huit aunes sur sept seiziemes de largeur.
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PELAMYD | ou THON D'ARISTOTE, s. f. (Hist. nat. Icthiolog.) limaria limosa, poisson de mer qui est fort ressemblant au maquereau par la forme du corps, par le nombre & par la position des nageoires, & qui n'en differe que par la couleur & par les taches qui sont sur le dos. Voyez MAQUEREAU.
La pelamyde a le ventre blanc, & le dos est de couleur livide & quelquefois blanc ; il y a sur les côtés du corps des traits noirs, fort près les uns des autres, qui s'étendent depuis le dos presque jusqu'au ventre. On confond souvent ce poisson avec la bise qui lui ressemble à tous égards, par la forme & par la couleur ; il en differe en ce qu'il a le corps en entier, lisse & sans écailles ; au lieu que dans la bise, la partie qui se trouve au-dessous de la nageoire des ouies est couverte d'écailles : les traits noirs des côtés du corps sont moins près les uns des autres dans la bise, que dans la pelamyde. Voyez BISE. Rondelet, Hist. nat. des Poissons, part. I. liv. VIII. ch. x. Voyez POISSON.
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PELARD | BOIS, (Comm. de bois) sorte de bois à brûler, dont on a ôté l'écorce pour faire du tan.
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PELARDEAUX | (Marine) voyez PALARDEAUX.
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PÉLARGE | S. f. (Myth.) fille de Potnéus qui ayant rétabli à Thèbes le culte des dieux Cabires, mérita qu'après sa mort on lui décernât les honneurs divins par ordre même de l'oracle de Delphes.
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PÉLASGES | (Géog. anc.) Pelasgi, ancien peuple de la Grece ; il habita d'abord l'Argie, & tiroit son nom du roi Pélasgus, fils de Jupiter & de Niobé. On peut lire dans les mémoires de littérature les savantes recherches de M. l'abbé Geinotz, tom. XIV. & tom. XVI. in-4°. sur l'origine des Pélasges, & leurs différentes migrations ; c'est assez pour nous de les parcourir d'un oeil rapide d'après Denys d'Halycarnasse, liv. I.
Les Pélasges, dit-il, après la sixieme génération, laisserent le Péloponnèse, & se transporterent dans l'Hémonie, appellée depuis la Thessalie. Les chefs de cette colonie furent Achaeus, Phthius & Pelasgus, fils de Neptune & de Larisse. Après avoir chassé les habitans du pays, ils s'y établirent & la partagerent entr'eux, donnant à chaque portion le nom d'un de leurs commandans. C'est delà que sont venus les noms de Phthiolide, d'Achaïde & de Pélasgiotide.
Après la cinquieme génération dans cette seconde demeure, les Curetes, les Léleges, & divers autres habitans les chasserent : une partie se sauva dans l'île de Crète, & une autre partie dans les îles Cyclades ; quelques-uns se retirerent sur le mont Olympe, & dans le pays voisin ; d'autres dans la Baeotie, dans la Phocide & dans l'Eubée ; il y en eut qui passerent en Asie, & qui s'emparerent d'une partie de la côte de l'Hellespont & des îles voisines, entr'autres de celles de Lesbos ; mais la plus grande partie alla dans le pays des Dodonéens leurs alliés, & y demeurerent jusqu'à ce que devenant à charge au pays par leur grand nombre, ils furent conseillés par l'oracle de passer en Italie, appellée alors Saturnie. Pour cet effet ils équiperent une flotte, sur laquelle ils traverserent la mer Ionienne ; & étant venus débarquer à l'embouchure du Pô, ils y laisserent ceux d'entr'eux qui n'étoient pas en état de supporter la fatigue de l'expédition qu'ils méditoient.
Ceux-ci, avec le tems, bâtirent une ville, qu'ils nommerent Spinae, du nom de l'embouchure du Pô, sur le bord de laquelle ils avoient pris terre. Ils s'y firent respecter de leurs voisins, & eurent pendant long-tems l'empire de la mer : mais dans la suite, ces mêmes voisins les ayant chassés de leur ville, qui fut enfin subjuguée par les Romains, cette partie des Pélasges, qui s'étoient établis à l'embouchure du Pô, cessa d'être connue dans l'Italie.
A l'égard de ceux qui avoient pénétré dans les terres, ils passerent les montagnes, arriverent dans l'Umbrie, voisine du pays des Aborigenes, & s'y rendirent maîtres de quelques bourgades. Ils n'y demeurerent néanmoins pas long-tems. L'impuissance où ils se virent de résister aux habitans du pays, les obligea de passer chez les Aborigenes, avec qui ils firent alliance. Ces derniers les reçurent d'autant plus volontiers chez eux, qu'ils avoient besoin de ce secours pour résister aux Sicules qui les inquiétoient souvent.
Cette alliance causa un grand changement en Italie. Les Pélasges & les Aborigenes se trouverent assez forts pour s'emparer d'une partie de l'Umbrie & de la ville de Crotone, dont ils firent une place d'armes ; ils vinrent même à-bout de chasser les Sicules, qu'ils obligerent de passer dans l'île voisine appellée Sicanie, & à laquelle ils donnerent leur nom.
Ces premiers progrès des Pélasges furent suivis d'autres encore plus grands. Ils conquirent plusieurs villes ; ils en bâtirent de nouvelles, & devinrent fort puissans dans le pays. Mais cette fortune ne fut pas de longue durée : affligés de diverses calamités, & fatigués par les guerres continuelles qu'ils avoient sur les bras, un grand nombre d'entr'eux repassa en Grece, & se dispersa en divers endroits : il n'en resta que très-peu en Italie, où ils se maintinrent avec l'aide des Aborigenes. Une grande partie des villes que ces peuples avoient possédées, furent envahies par les Tyrrhéniens, qui commencerent à s'établir alors dans l'Italie. (D.J.)
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PELASGICUM | PELASGICUM
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PÉLASGIE | (Géog. anc.) Pelasgia ; nom qui fut donné pendant long-tems au Péloponnèse. La Toscane & diverses autres contrées que les Pélasges habiterent, furent aussi appellées Pélasgie.
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PÉLASGIOTIDE | (Géog. anc.) Pelasgistis ou Pelasgis, contrée de la Thessalie, dont elle faisoit la quatrieme partie, selon Strabon, liv. IX. p. 430. Son nom venoit des Pélasges qui l'avoient habitée. Elle s'étendoit anciennement jusqu'à la mer ; mais dans la suite la partie maritime de cette contrée fut comprise sous la Magnésie. Les peuples s'appelloient Pélasgiotae.
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PELATES | S. f. pl. (Antiq. grecques) , domestiques particuliers chez les Athéniens. C'étoient des citoyens libres, qui, par pauvreté, se trouvoient forcés de servir à gages ; ils n'avoient aucun suffrage dans les affaires publiques, faute d'avoir un bien suffisant pour les rendre propres à donner leurs voix ; mais ils ne restoient serviteurs qu'autant qu'ils le jugeoient à-propos, & que leur besoin le requéroit ; car ils étoient libres de changer de maîtres ; & s'ils venoient à acquérir quelque bien, ils pouvoient se relever entierement de leur état de servitude. Potter, archaeol. graec. tom. I. p. 57.
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PELÉ | (Géog. anc.) nom de deux villes de Thessalie, dont l'une obéissoit à Euripyle, & l'autre à Achille. Pelé est encore une île sur la côte d'Ionie, proche de la ville de Clazomene, selon Pline, liv. XXXII. ch. ij.
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PELECIN | S. m. pelecinus, (Hist. nat. bot.) genre de plante à fleur papilionacée ; le pistil s'éleve du calice & devient dans la suite une silique applatie, & composée, de deux pieces, qui n'a que deux capsules, & qui renferme des semences applaties, & semblables ordinairement à un petit rein. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
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PÉLÉCOÏDE | S. m. en Géométrie, se dit d'une figure en forme de hache.
Telle est la figure B C D A, Pl. de Géom. figure 45 contenue sous les deux quarts de cercle renversés A B, A D, & le demi-cercle B C D.
L'aire du pélécoïde est égal au quarré A C, & celui-ci au rectangle E B, ce qui se voit à l'oeil : car le pélécoïde est égal au quarré A C, parce qu'il lui manque les deux segmens inférieurs A B, A D, lesquels segmens sont égaux aux deux segmens B C, C D, que le pélécoïde a de plus que le quarré dans sa partie supérieure ; & le rectangle B F E D contient quatre triangles rectangles, comme B A F, dont chacun est le quart du quarré B C D A.
On peut trouver encore d'autres espaces circulaires quarrables. Voyez LUNULE. (O)
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PELEGRINO | (Géog. mod.) montagne fort haute de la Sicile dans le val de Mazara, sur la côte septentrionale, près la ville de Palerme. Son ancien nom est Ereta, ou Eretae, comme écrivent Polybe & Diodore de Sicile.
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PELENDONES | (Géog. anc.) peuples de l'Espagne. Pline, liv. III. ch. iij. les comprend sous les Celtibères, & ajoute, liv. IV. ch. xx. que le fleuve Durius avoit sa source chez eux. Ptolomée, liv. II. ch. vj. leur donne trois villes, savoir, Visontium, Angustobriga & Savia.
Une ancienne inscription rapportée par Gruter, p. 111. n. 5. fait mention de ces peuples, & écrit Pelendones, au lieu que Pline & Ptolomée disent Pelendones.
GENIO LOCI.
PELENDONES.
AREACON.
(D.J.)
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PELER | v. act. (Gram.) c'est ôter la peau : on pele un fruit, une étoffe se pele ; on pele un arbre, une terre.
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PÉLERIN | S. m. (Hist. mod.) personne qui voyage ou qui parcourt les pays étrangers pour visiter les saints lieux, & pour faire ses dévotions aux reliques des Saints. Voyez RELIQUE, JUBILE, &c.
Ce mot est formé du flamand pelegrin, ou de l'italien pelegrino, qui signifie la même chose, & tous ces mots viennent originairement du latin peregrinus, étranger ou voyageur.
On avoit autrefois un goût excessif pour les pélerinages, sur-tout vers le tems des croisades. Voyez CROISADES & CROISE.
Plusieurs des principaux ordres de chevalerie étoient établis en faveur des pélerins qui alloient à la Terre-sainte, pour se mettre à couvert des violences & des insultes des Sarrasins & des Arabes, &c. Tels étoient l'ordre des chevaliers du temple, ou des templiers, des hospitaliers, des chevaliers de Malte, &c. Voyez ORDRE, TEMPLIER, MALTE, &c.
PELERIN se dit d'un faucon, & c'en est une espece.
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PÉLERINAGE | (Hist. mod.) voyage de dévotion mal entendue ; les idées des hommes ont bien changé sur le mérite des pélerinages. Nos rois & nos princes n'entreprennent plus des voyages d'outre-mer, après avoir chargé la figure de la croix sur leurs épaules, & reçu de quelque prélat l'escarcelle & le bâton de pélerin. On est revenu de cet empressement d'aller visiter des lieux lointains, pour y obtenir du ciel des secours qu'on peut bien mieux trouver chez soi par de bonnes oeuvres & une dévotion éclairée. En un mot, les courses de cette espece ne sont plus faites que pour des coureurs de profession, des gueux qui, par superstition, par oisiveté, ou par libertinage, vont se rendre à Notre-Dame de Lorette, ou à S. Jacques de Compostelle en Galice, en demandant l'aumône sur la route. (D.J.)
PELERINAGE DE LA MECQUE, (Réligion mahom.) tout le monde sait que les Mahométans en général se croyent obligés par leur loi de faire, une fois en leur vie, le pélerinage de la Mecque ; ce n'est même qu'une ancienne dévotion qui se pratiquoit avant Mahomet. Il est certain que ce lieu (le Kabaa de la Mecque) a été visité comme un temple sacré par tous les peuples de cette presqu'île arabique de tems immémorial, c'est-à-dire avant Mahammed, de même qu'après lui. Ils y venoient de toutes les parties de l'Arabie pour y faire leurs dévotions. Le Kabaa étoit plein d'idoles du soleil, de la lune & des autres planetes. Les pierres même de l'édifice étoient des objets d'idolâtrie ; chaque tribu des Arabes en avoit tiré une qu'ils portoient partout où ils s'étendoient, & qu'ils élevoient en quelque lieu, se tournant vers elle en faisant leurs prieres, ou la mettant à l'endroit éminent d'un tabernacle qu'ils dressoient d'après la figure du Kabaa.
Il y a beaucoup d'apparence que Mahammed voyant le zele universel qu'on avoit pour ce temple, prit le parti de consacrer le lieu, en changeant les rites du pélerinage, de même que le but & l'objet ; il ne se contenta pas de confirmer la tradition reçue que le Kaaba étoit l'oratoire d'Abraham, fondé par la direction de Dieu ; il confirma de plus le pélerinage, & la procession au-tour de la chapelle ; & il enchérit même sur tout ce qu'on en croyoit déjà, en disant que Dieu n'exauce les prieres de personne en aucun endroit de l'univers, que quand elles sont faites le visage tourné vers cet oratoire.
Les Mahométans sont néanmoins aujourd'hui partagés sur sa nécessité absolue : les Turcs, les petits Tartares & autres, prétendent que le précepte oblige tous ceux qui peuvent se soutenir avec un bâton, & qui ont seulement une écuelle de bois vaillant pendue à la ceinture ; on va même chez le Chafay (une des quatre grandes sectes du musulmanisme), jusqu'à enseigner que chacun est obligé de faire le pélerinage, n'eût-il pas un sou vaillant : les Persans au contraire, soutiennent qu'il ne faut pas prendre le précepte à la lettre, mais avec modification, & que les Immans qui sont les premiers successeurs de Mahammed, ont déclaré que l'obligation du pélerinage n'est que pour ceux qui sont en parfaite santé, qui ont assez de bien pour payer leurs dettes, pour assurer la dot de leurs femmes, pour donner à leurs familles la subsistance d'une année, pour laisser de quoi se mettre en métier ou en négoce au retour, & pour emporter en même tems cinq cent écus en deniers pour les frais du voyage ; qu'enfin, si l'on n'a pas ces moyens-là, on n'est point obligé au pélerinage ; que de plus si on les a, & qu'on n'ait pas la santé requise, il faut faire le pélerinage par procuration. Il est avec le ciel des accommodemens.... (D.J.)
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PELERINE | adj. (Divin.) nom que les Astrologues donnent à une planete, lorsqu'elle se trouve dans un signe où elle n'a point une de ses dignités essentielles, &c. Voyez DIGNITE. (G)
PELERINE, terme de marchand de modes, c'est un petit ajustement ancien qui étoit fait de chenille, de gase, de taffetas, ou de satin, de toute couleur. Les femmes s'en servoient pour couvrir leur cou & leur poitrine, & il ne débordoit point tout autour sur leurs habillemens ; cela s'attachoit par devant avec de petits rubans de soie.
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PELETHRONIUM | (Géog. anc.) 1°. montagne de la Thessalie, au voisinage du mont Pélion. Lucain Pharsal. l. VI. v. 386. parle des cavernes de cette montagne dans ces vers :
Illic semiferos Ixionidas centauros
Foeta Phaletroniis nubes effudit in antris.
2°. Pelethronium, est aussi une ville de Thessalie, sur la montagne du même nom.
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PELIAS | (Géog. anc.) île sur la côte de Sicile, aux environs du promontoire Drepanum. Il est vraisemblable que c'est celle qu'on nomme présentement Colombara, vis-à-vis de Trapani, & près de la côte. (D.J.)
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PELICAN | S. m. ONOCROTALE, GRAND GOSIER, GOETTREUSE, LIVANE, onocrotalus, sive pelicanus, Ald. Pl. X. fig. 4. oiseau aquatique de la grandeur du cygne. M. Perrault de l'académie des Sciences, a donné la description de deux pélicans morts à la ménagerie de Versailles. Ces deux oiseaux différoient par la couleur ; l'un étoit en entier d'un blanc mêlé d'un peu de rouge, ou couleur de chair, à l'exception des petites plumes du bord supérieur de l'aîle & des premieres grandes plumes extérieures qui avoient du noir & du gris brun. L'autre pélican étoit d'une couleur de chair plus foncée, & les plumes du bord supérieur de l'aîle n'avoient point du noir. Les plumes du cou étoient très-courtes & semblables à du duvet ; celles du derriere de la tête avoient un peu plus de longueur que celles du cou. La piece supérieure du bec étoit plate, & presque de la même largeur dans toute sa longueur, & terminée par une sorte d'ongle crochu, creux par-dessous & d'un rouge très-vif ; les côtés du bec au lieu d'être dentelés comme ceux du cygne, étoient tranchans ; le dessous du bec avoit une couleur grise pâle ; le milieu étoit brun & les bords avoient un peu de rouge mêlé de jaune. Il y avoit sous la piece inférieure du bec une poche composée de deux peaux, l'une intérieure & l'autre extérieure ; celle-ci n'étoit autre chose que la peau du cou, qui s'étendoit le long de la piéce inférieure du bec ; cette peau en se dilatant formoit un grand sac, & elle avoit beaucoup de petites rides qui ressembloient à du duvet.
Ces deux pélicans n'avoient à chaque pié que quatre doigts tous unis ensemble par une membrane. La longueur de ces oiseaux étoit de cinq piés depuis la pointe du bec jusqu'au bout des ongles, & ils avoient onze piés d'envergeure ; la longueur du bec étoit d'un pié deux pouces. Le pélican passe pour avoir les plus grandes aîles & pour voler plus haut que tous les autres oiseaux ; il se nourrit de poissons ; il en remplit sa poche, ensuite il se retire sur quelque montagne. Mémoire pour servir à l'hist. nat. des animaux, par M. Perrault, tome III. troisieme partie. Voyez OISEAU.
PELICAN, instrument de chirurgie dont on se sert pour arracher les dents. La forme ordinaire de cet instrument est très-défectueuse ; notre objet n'étant point de faire l'énumération des inconvéniens qui s'y trouvent, nous allons nous borner à la description exacte de la forme qui paroît la plus avantageuse. On peut diviser cet instrument en quatre parties, qui sont le corps, le manche, & ce qui en dépend, le pivot & la branche. Voyez la figure 9. Pl. XXV.
Le corps est d'acier ; c'est une cannule à jour d'un pouce dix lignes de longueur, & qui a plus de cinq lignes de diametre. Les côtes de cette cannule, ou espece de niche, sont deux lames d'acier, planes en dedans, légerement arrondies en dehors, & qui ont une ligne d'épaisseur.
De l'extrémité antérieure de cette cannule s'éleve une tige qui a un pouce de long, & trois lignes de diametre. La tige est fendue par son extrémité, ce qui laisse deux avances, une supérieure & l'autre inférieure, lesquelles sont percées par un trou, pour contenir une demi-roue ronde.
La face antérieure de cette demi-roue n'est point circulaire comme on a coutume de la fabriquer aux pélicans ordinaires ; la convexité de la roue regarde la cannule, & la face antérieure est une cavité semilunaire superficielle : elle doit représenter un arc, dont la corde livrée d'une corne à l'autre, auroit neuf lignes de longueur. L'épaisseur de cette demi-roue est de deux lignes deux tiers ; il y a un trou dans le milieu de l'épaisseur de la roue, desorte que cette derniere s'ajustant entre les avances de la tige, elle y est arrêtée par un clou à rivûre perdue ; ce qui donne un petit mouvement de charniere à cette piece ajoutée.
L'extrémité postérieure de la cannule, est une espece de mitte qui porte sur le manche, & qui est percée dans son milieu pour laisser passer la soie d'une vis.
Le manche est composé de deux pieces, dont la premiere est une double vis, c'est-à-dire, qui a deux pas ou deux filets ; sa matiere est d'acier, & sa longueur est d'un pouce sept lignes, sur deux lignes de diametre ; elle a une soie qui a environ seize lignes de longueur, & qui est cylindrique l'espace de deux lignes, afin de tourner facilement dans le trou que nous avons fait observer dans la mitte de la cannule ; le reste de la soie est quarré pour tenir avec plus de fermeté dans le manche.
Il est essentiel d'observer ici que la vis occupe le dedans de la cannule, & qu'elle y tient par une méchanique toute singuliere ; car la mitte de la vis étant arrêtée par la surface antérieure de la mitte de la cannule, elle y est tellement engagée, qu'elle n'en peut sortir ; & son extrémité antérieure, taillée comme un pivot, roule dans une petite cavité gravée à l'extrémité antérieure de la cannule.
La seconde piece du manche est d'ivoire ; sa figure est celle d'une petite poire, & sa longueur est d'un pouce sur dix lignes de diametre dans l'endroit le plus large. Il est percé dans le milieu de sa longueur pour laisser passer la soie quarrée de la vis, qui est rivée à sa partie postérieure sur une rosette d'argent assez solide.
Le vrai pivot qui se rencontre dans la machine est mobile ; & c'est lui qui avance ou retire la branche par un méchanisme industrieux. Sa base est une espece de piédestal exactement quarré, & dont chaque surface a trois lignes de largeur, & autant de haut.
Ce piédestal est comme soudé sur un rondeau aussi d'acier, avec lequel il fait corps, & qui sert comme de borne au pivot, en glissant sur la surface inférieure de la cannule. Il est encore percé en écrou, pour donner passage à la vis dont nous avons parlé ; desorte qu'en tournant le manche de gauche à droite, ce piédestal s'approche du manche ; au contraire quand on tourne le manche de droite à gauche, il s'en éloigne & s'approche de la partie antérieure de la cannule, ce qui donne de grands avantages à la machine.
Il s'éleve de la partie supérieure du piédestal une tige de la hauteur de sept lignes, & de deux lignes & demie de diametre : elle est exactement cylindrique l'espace de près de trois lignes ; & c'est cette partie qui est le pivot autour duquel la branche tourne : le reste de la tige est une vis simple, c'est-à-dire, qu'elle n'a qu'un filet.
La branche est un crochet d'acier, dont le corps a environ trois pouces de longueur : elle est plate du côté qu'elle doit toucher à la cannule, arrondie de l'autre, & percée par un trou, afin de loger la tige cylindrique ou le pivot autour duquel elle tourne. Cette branche est tenue ferme dans cet endroit par le moyen d'un écrou en forme de rosette, qui s'engage dans les pas de la vis simple que j'ai décrit à la tige. Cette branche est ordinairement droite, & la force du lévier en est plus grande ; il est néanmoins à propos d'avoir des branches coudées pour l'extraction des dernieres dents, & même d'en avoir deux différemment contournées, pour s'en servir aux deux côtés de la machoire. L'extrémité antérieure de ces branches est un crochet d'environ cinq lignes, terminé par deux petites dents garnies en dedans d'inégalités transversales, pour mieux s'appliquer contre la dent qu'on veut arracher : il faut que ce crochet soit bien trempé.
Cet instrument est un des meilleurs dont on puisse se servir pour l'extraction des dents. On le prend avec la main droite, si la dent qu'on veut arracher est à droite, & de la main gauche, si la dent est à gauche. On tourne le manche pour avancer la branche plus ou moins, suivant que la dent est plus ou moins dans le fond de la bouche. On fait asseoir le malade par terre ou sur un coussin, & dans un endroit où le jour éclaire bien. Le chirurgien derriere le malade, lui fait appuyer la partie postérieure de la tête sur ses cuisses qui sont un peu approchées l'une de l'autre : puis le malade ayant la bouche ouverte, le chirurgien porte le crochet de l'instrument contre la dent qu'il veut arracher, du côté qui regarde la langue, observant d'avancer les dents du crochet entre la gencive & la dent, autant qu'il est possible ; ce qui se fait facilement. Lorsque la couronne est usée par la carie, ou qu'elle a été cassée par les tentatives qu'on a faites pour arracher la dent, on doit avoir la précaution de séparer la gencive du collet de la dent, ce qui s'appelle déchausser. Voyez DECHAUSSOIR.
Le crochet ainsi posé, le chirurgien doit tenir le pélican de maniere qu'il embrasse son manche & presque toute la cannule avec les quatre doigts ; le pan doit être appuyé sur la branche, en s'allongeant presque sur la tête du crochet. On approche alors la cavité sémi-lunaire de la demi-roue sur les deux dents voisines de celle qu'on veut arracher : on peut garnir la roue avec le coin d'un mouchoir ou d'une serviette fine.
L'instrument en place, comme on vient de le dire, il ne s'agit plus que de donner le tour de main pour arracher la dent. Ce tour de main consiste à tirer l'instrument en dehors, en soulageant autant qu'on peut la demi-roue qui appuie sur les dents saines, & fort près de la gencive. On observe que les dents du crochet portent seulement sur la dent qu'on arrache, & on culbute la dent, en faisant que l'instrument décrive une ligne oblique avec la dent, en élevant un peu le poignet si c'est à la mâchoire inférieure, & en l'abaissant si c'est à la mâchoire supérieure. Si l'on tiroit horisontalement, on n'arracheroit pas la dent d'un seul coup sans écarter beaucoup la mâchoire ; dans ce cas, quand on s'est apperçu que la dent s'est un peu panchée en dehors, il ne faut pas faire d'efforts avec le pélican : on peut achever de tirer la dent avec les doigts, ou avec un davier.
On pince ensuite la gencive avec deux doigts, pour resserrer l'alvéole, & on fait gargariser avec de l'eau tiede & un peu de vinaigre. (Y)
PELICAN (Chimie) vaisseau de verre qui servoit autrefois en Chimie pour les digestions & pour les circulations des liqueurs : on les y faisoit entrer par un bec ou cou étroit, qu'on bouchoit ensuite hermétiquement ; la figure du vaisseau étoit diversifiée, tantôt ronde, tantôt longue. On employe maintenant en sa place les vaisseaux de rencontre qui sont deux matras dont le cou de l'un entre dans celui de l'autre. (D.J.)
PELICAN, (Artillerie) on a donné ce nom à une piece d'artillerie, qui est un quart de coulevrine, portant six livres de boulet.
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PÉLIGNES | LES (Géog. anc.) peuples d'Italie. Strabon, liv. v. dit que le Sagrus les séparoit des Maruccini. Ils eurent la gloire d'avoir Ovide pour compatriote, comme il le dit lui-même, amor eleg. XV. lib. iij.
Mantua Virgilio gaudet, Verona Catullo,
Pelignae dicar gloria gentis ego.
C'étoit un peuple du pays latin, voisin des Marses, dans la quatrieme région d'Italie, & dont la capitale étoit Sulmo patrie d'Ovide, aujourd'hui Sul-Emona.
Les Pélignes, autrefois compris sous le nom des Samnites, habitoient donc dans la contrée de l'Italie, qui fait aujourd'hui partie de l'Abruzze méridionale, au royaume de Naples, du côté de la ville de Salmona, entre la Pescara & le Sangre.
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PÉLING | S. m. (Comm. de la Chine) étoffe de soie qui se fabrique à la Chine. Il y en a de blanche, de couleur, d'unie, d'ouvrée, de simple, de demi-double & de triple. Entre un grand nombre d'Etoffes qui se font à la Chine, la plûpart de celles que les Hollandois portent en Europe, sont des pélings, parce qu'ils y trouvent un plus grand profit. Les pélings entrent aussi dans les assortimens pour le négoce du Japon.
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PÉLION | (Géog. anc.) Pelius ou Pelios, montagne de la Thessalie, dans la partie orientale de la Magnésie. Elle s'étendoit le long de la péninsule qui formoit le golfe Pélasgique. Dicéarque, qui eut la commission de mesurer les montagnes de la Grece, estime que le Pélion est la plus haute de toutes. Il lui donne dix stades de hauteur ; Pline dit 1250 pas, ce qui est la même chose, c'est-à-dire un tiers de mille d'Allemagne.
Les Poëtes ont feint que le mont Pélion fut mis sur le mont Ossa par les géants, lorsqu'ils voulurent escalader le ciel ; c'est ce que décrit Virgile dans ces vers des géorgiques, liv. I. v. 281.
Ter sunt conati imponere Pelio Ossam,
Scilicet, atque Ossae frondosum involvere Olympum.
Et Horace, liv. III. od. IV.
Fratresque tendentes opaco
Pelion imposuisse Olympo.
On disoit que les Géans, aussi-bien que les Centaures, avoient leur demeure dans cette montagne. Son nom moderne est Petras, selon Tzetzès, chiliad. 6. n. 5.
2°. Pelion, Pelium, ou Pellium, est une ville des Dassaretes, dont Tite-Live, liv. XXX. c. xl. dit qu'elle étoit avantageusement située pour faire des courses dans la Macédoine. (D.J.)
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PELISSE | S. f. (terme de Fourreur) on appelle pelisses, des robes de chambre fourrées, faites à-peu-près comme les vestes de dessus que portent les Turcs. On nomme pelissons des especes de jupons de fourrures, dont les femmes se servent pour se garantir du froid.
PELISSE, (terme de Marchand de modes) c'est un grand mantelet qui est fait comme les mantelets ordinaires, qui sert aux mêmes usages, mais qui est beaucoup plus long, & qui descend aux femmes jusqu'à la moitié du corps. Les deux devans sont coupés & entaillés en long pour passer les bras. Cet ajustement est fait des mêmes étoffes que les mantelets ordinaires ; ils sont aussi garnis de dentelle ou d'hermine, & ont un cabochon.
Il y a aussi des demi-pelisses qui ne sont pas tout-à-fait si longues, mais qui sont faites de même.
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PELKIS | (Géog. mod.) M. le comte de Marsigli écrit ainsi, & M. Delisle Belckis ; bourg d'Hongrie près du Danube, au-dessous de Salankemen, & audessus de Belgrade. Ce bourg est connu par la victoire que le prince Eugene de Savoie y remporta sur les Turcs en 1697. (D.J.)
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PELLA | (Géog. anc.) 1°. ville de de-là le Jourdain. Pline, liv. V. ch. xviij. la met dans la Décapole, & la loue pour ses belles eaux. Elle étoit du royaume d'Agrippa, entre Jabès & Gerasa. Elle devint dans la suite des tems une des épiscopales de la seconde Palestine.
2°. Pella, ville de la Thessalie, selon Etienne le géographe, qui en met une autre dans l'Achaïe, & une troisieme dans l'Ethiopie.
3°. Pella, la plus fameuse des villes de ce nom, est celle de la Macédoine, qui devint capitale de ce royaume, après que celle d'Edesse eut cessé de l'être. Pella étoit située à 120 stades de la mer, aux confins de l'Emathie, Tite-Live, l. XLIV. c. ult. en décrit fort exactement la situation. Elle est, dit-il, sur une élévation entourée de marais, & défendue par une forteresse ; ensorte que pour l'assiéger, on ne trouvoit d'accès d'aucun côté. On ne pouvoit y entrer ni en sortir, que par un seul pont, qu'il étoit aisé de garder avec très-peu de monde. La riviere qui couloit entre la ville & la forteresse, se nommoit Lydias.
Le même historien, l. LI. ch. xlij. nomme Pella, vetus regia Macedonum ; parce qu'elle avoit toujours été la demeure des rois de Macédoine depuis Philippe, fils d'Amyntas, jusqu'à Persée. Pline, liv. IV. chap. x. lui donne le titre de colonie romaine ; & en effet, nous avons une médaille d'Auguste où elle porte ce même titre. On lit cette inscription, col. Jul. Aug. Pell. c'est-à-dire colonia Julia Augusta Pella. Dans la suite elle déchut beaucoup de sa premiere splendeur, puisque Lucien rapporte que de son tems, ses habitans étoient pauvres, & en petit nombre. Présentement on nomme ce lieu Palatisia, comme qui diroit les petits palais.
Mais elle sera toujours célebre dans l'histoire, par la naissance de Philippe, vainqueur de la Grece, & d'Alexandre son fils, vainqueur de l'Asie, illi Pellaeo qui domuit Porum. A beaucoup d'esprit, & à de grandes qualités, Philippe joignoit des foibles, des vices honteux, & de grands défauts. Jaloux du mérite de ses généraux, il affectoit de les mortifier, quand ils se signaloient par de belles actions. Arcadion avoit conçu contre lui tant de haine, que pour ne le point voir, il s'étoit exilé volontairement. Un jour Philippe l'ayant rencontré à Delphes : " Jusqu'à quand, lui dit-il, avez-vous résolu de courir le monde ? Arcadion lui répondit par une parodie d'un vers d'Homère : " jusqu'à ce que j'aie trouvé un lieu où l'on ne connoisse point Philippe. Le vers d'Homère est,
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PELLACONTA | (Géog. anc.) fleuve de la Mésopotamie, selon Pline, liv. VI. ch. xxvj. ce fleuve se jettoit dans l'Euphrate, presque cinq cent stades audessus de Séleucie.
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PELLACOPAS | (Géog. anc.) c'étoit un des lits de l'Euphrate, ou un canal creusé de mains d'homme, & qui n'avoit point de source. Arrien, de exped. Alex. liv. VII. n °. 22. en donne une ample description.
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PELLAEUS | pagus, (Géog. anc.) Aléxandre, selon Pline, l. VI. c. xxvij. donna ce nom au canton où étoit située la ville d'Alexandrie, qu'il bâtit à l'embouchure du Tigre, & qui fut depuis nommée Charax. (D.J.)
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PELLAGE | S. m. (Jurisprud.) est un droit singulier, appartenant aux seigneurs qui ont des terres & ports le long de la Seine dans les bailliages de Mante & de Meulan ; il consiste à percevoir quelques deniers sur chaque muid de vin chargé ou déchargé en leurs ports, voyez le glossaire du droit françois au mot pellage, & ci-devant le mot PALLAGE. (A)
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PELLANE | (Géog. anc.) Pellana, ville de la Laconie. Pausanias, l. III. c. xxj. dit qu'il y avoit deux choses remarquables dans cette ville ; savoir le temple d'Esculape, & la fontaine Pellana. On rapporte, ajoute-t-il, qu'une fille étant allée pour y puiser de l'eau, & y étant tombée, on trouva son voile dans une autre fontaine appellée Lancea.
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PELLE | S. f. (Instrument d'ouvriers) instrument de bois propre à divers artisans & ouvriers. Celle qui sert aux Boulangers & Pâtissiers, pour enfourner leur pain & pâtisseries, a le manche plat & très-long, afin de pouvoir atteindre au fond du four. Sa palette qu'on nomme aussi pellâtre, est large ou étroite, suivant les pieces de four, ou les pains qu'on y veut placer ; mais toujours très-mince & très-plate, afin qu'ils puissent couler sur l'âtre avec plus de facilité. Les pelles des Pâtissiers & des Boulangers les plus étroites, se nomment des pellerons.
La pelle des maçons, paveurs, jardiniers & autres tels artisans & manouvriers, a le manche rond & la palette un peu creusée en-dedans, & convexe en-dehors pour la facilité du service.
La pelle des gagne-deniers, mesureurs de charbon, que de-là on nomme garçons de la pelle, a la palette très-large & presque quarrée ; le manche qui est rond & assez court, n'y est pas attaché tout droit comme aux autres pelles, mais forme avec elle une espece d'angle irrégulier ; le manche par le bout & la palette tout-au-tour sont ferrés. Savary. (D.J.)
PELLE, (Ustensile de ménage) cet ustensile de ménage fait partie de ce qu'on appelle le feu d'une cheminée ; elle est de fer en forme de palette quarrée, plus ou moins large, suivant l'usage, avec un long manche aussi de fer pour la tenir.
Quand les feux qui servent dans les cheminées des plus beaux appartemens, ont des ornemens d'argent ou de cuivre doré ; la pelle a aussi le sien de l'un ou de l'autre métal qu'y mettent les Orfévres s'ils sont d'argent, & les Fondeurs & Doreurs sur métal s'ils sont de cuivre.
Les pelles de fer communes se font par des serruriers de province, & se vendent à Paris par des quincailliers. Les pelles polies & d'un ouvrage achevé, se fabriquent par les maîtres de la ville. (D.J.)
PELLE, (Ustensile de Boulanger) dont ils se servent pour mettre le pain au four ; il y en a de longues & de rondes, pour le pain long & rond. Voyez les fig. Planche du Boulanger, qui représente une pelle pour le pain long.
PELLE à tirer la braise, en terme de Boulanger, est un instrument de tôle large & haut de bords, excepté du côté destiné à recevoir la braise, qui n'en a point. Elle est ainsi nommée de l'usage qu'on en fait pour retirer la braise du four. Voyez les fig. Pl. du Boulanger.
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PELLENAEUS-MONS | (Géog. anc.) nom d'une montagne de l'île de Chios, & d'une autre montagne de la Carie.
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PELLENE | S. f. (Mythol.) nom que les habitans de Pellene en Achaïe donnerent à Diane, qu'ils honoroient particulierement. Plutarque dit que lorsque l'on portoit la statue de Diane Pellene en procession, son visage devenoit si terrible, que personne n'osoit la regarder ; & que le prêtre qui la servoit ayant porté la statue dans l'Ionie, tous ceux qui la virent devinrent insensés. Mais Plutarque avoit trop d'esprit pour donner quelque créance à ce conte ridicule. (D.J.)
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PELLEN | ou Pelline, (Géog. anc.) ville du Péloponnèse située dans l'Achaïe. Elle étoit célebre par la fabrique de certaines robes ( laenarum) si chaudes, que Pindare les appelle un doux remede contre les vents froids, . Les laines de cette ville étoient si estimées, dit Pollux, qu'on en faisoit des robes que l'on proposoit pour prix dans divers jeux publics. Cette ville étoit à 60 stades du golfe de Corinthe. Un disciple d'Aristote nommé Dicéarque, natif de Messène, mathématicien, historien & philosophe, en avoit décrit le gouvernement, conjointement avec celui d'Athènes & de Corinthe. (D.J.)
PELLENE, (Géog. anc.) ancienne ville des Spartiates, appellée aujourd'hui Macropoulo. C'étoit proche cette ville que l'on avoit construit l'aqueduc de Sparte sur une hauteur, près du fleuve Eurotas, & dont on voit encore des restes. L'eau couloit à fleur de terre dans des canaux, jusqu'au vallon distant de Sparte d'environ une lieue, où se trouve un torrent au-dessus duquel l'aqueduc s'éleve en arcades de pierres de taille, plus hautes & plus larges que celles des deux aqueducs d'Athènes. Les arcades joignent ensemble deux éminences d'où les eaux entroient autrefois dans une galerie souterraine, pour se rendre ensuite près de la ville dans un réservoir qui est aujourd'hui à découvert ; ce réservoir forme une vaste piece quarrée, pavée de petits cailloux qui étoient joints avec un ciment aussi dur que le caillou même. Du réservoir l'eau passoit dans la ville, & entroit dans un autre aqueduc composé de cent petites arcades voisines : celui-là prenoit ses eaux à deux lieues & demie, dans deux canaux de trois piés de large, sur un pié de profondeur, qui se remplissoient par des saignées qu'on avoit faites au knasseus & au tisoa. Mém. des Inscript. tom. XV. (D.J.)
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PELLERON | S. m. (Instrum. de Boulanger) pelle longue & étroite dont les Pâtissiers & Boulangers se servent : ceux-ci pour enfourner leurs petits pains, & les autres pour mettre au four leurs plus petits pâtés, tartelettes, darioles, & autres légeres pieces de pâtisserie.
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PELLETERIE | S. f. (Commerce de peaux) le mot pelleterie signifie toutes sortes de peaux garnies de poil destinées à faire des fourrures, telles que sont les peaux de martres, d'hermines, de castors, de loutres, de tigres, de petits-gris, de fouines, d'ours & oursons, de loups, de putois, de chiens, de chats, de renards, de lievres, de lapins, d'agneaux, & autres semblables.
Les plus belles & les plus précieuses pelleteries viennent des pays froids, particulierement de la Laponie, de Moscovie, de Suede, de Danemarck & de Canada ; celles des pays chauds leur sont inférieures, aussi les appelle-t-on ordinairement pelleteries communes.
On nomme pelleteries ornes ou non apprêtées, celles qui n'ont encore reçu aucune façon ni apprêt, & qui sont telles qu'elles ont été levées de dessus le corps des animaux.
Ce qu'on appelle sauvagine n'est autre chose que de la pelleterie crûe ou non apprêtée, provenant de la dépouille de plusieurs animaux sauvages qui peuvent se trouver en France.
La pelleterie apprêtée ou ouvrée, est celle qui a passé par la main de l'ouvrier, qui l'a façonnée & mise en état d'être employée en fourrure.
Les plus grosses pelleteries se préparent & s'apprêtent par les Mégissiers, & les plus fines par les marchands Pelletiers ; mais ce sont les derniers qui les mettent en oeuvre. Savary. (D.J.)
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PELLETIER | S. m. (Art. méchanique) marchand qui achete, vend, prépare & apprête toutes sortes de peaux garnies de leur poil, & qui les employe aux différens ouvrages de fourrures.
Les Pelletiers de Paris sont appellés dans leurs statuts maîtres marchands Pelletiers, Haubaniers, Fourreurs ; Pelletiers, parce qu'ils font commerce de pelleteries ; Haubaniers, à cause d'un droit qu'ils payoient anciennement au roi, pour avoir la faculté de lottir leurs marchandises dans les foires, halles & marchés de Paris ; ce droit s'appelloit hauban, enfin, Fourreurs, parce que ce sont eux qui fourrent ou garnissent de peaux en poil les justaucorps, robes, manteaux, &c. & qu'ils font des aumuces, manchons, & autres sortes de fourrures.
Le corps des Pelletiers est régi par six maîtres gardes, trois anciens & trois nouveaux ; le premier des anciens est appellé le grand-garde : il est regardé comme le chef de la communauté, & c'est lui qui préside dans les assemblées. Le dernier des nouveaux est chargé du détail des affaires ; il fait la recette & la dépense, & rend ses comptes par-devant les maîtres & gardes, au bureau de la Pelleterie.
Tous les ans, le samedi de l'octave du saint Sacrement, on élit à la pluralité des voix deux maîtres & gardes, un ancien & un nouveau, à la place du premier des anciens, & du plus ancien des nouveaux qui sortent de charge.
Les statuts du corps de la Pelleterie ont été donnés par Henri III. en 1586, confirmés & augmentés en 1618 par Louis XIII. & depuis par Louis XIV. en 1648.
Suivant ces statuts, personne ne peut être admis dans le corps s'il n'a fait quatre ans d'apprentissage, servi les maîtres en qualité de compagnon pendant quatre autres années, & fait chef-d'oeuvre.
Il n'est permis aux maîtres d'avoir qu'un apprentif à-la-fois ; il ne doit être ni marié ni étranger.
Il est défendu aux Pelletiers, 1°. de prendre aucuns compagnons à leur service, s'ils n'ont un certificat en bonne forme des derniers maîtres qu'ils ont servi.
2°. De mêler de la marchandise vieille avec de la nouvelle.
3°. De fourrer des manchons pour les Merciers.
4°. De travailler & fourrer pour les Fripiers.
5°. De faire le courtage de la marchandise de Pelleterie & de fourrure.
6°. Enfin, de s'associer avec des marchands forains ou autres qui ne sont pas de leur corps.
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PELLICULE | S. f. (Gramm.) c'est une tunique mince & déliée, ou le fragment d'une membrane ou peau. Voyez MEMBRANE.
Ce mot est un diminutif de pellis, peau. L'épiderme ou cuticule est une cuticule qui couvre le derme ou la peau. Voyez CUTICULE.
Les soupapes des veines & des arteres, sont des pellicules insensibles qui s'ouvrent & se ferment pour la circulation du sang. Voyez SOUPAPE.
Quand on fait évaporer une dissolution chimique à une chaleur douce, jusqu'à ce qu'il se forme en dessus une peau ou une tunique mince, on l'appelle évaporation à pellicule, dans laquelle on ne laisse précisément de liqueur qu'autant qu'il en faut pour tenir les sels en fusion. Voyez EVAPORATION.
PELLICULE, (Conchyl.) en latin cortex. Ce mot, en Conchyliologie, est souvent pris pour l'épiderme ; c'est le drap marin, la sur-peau d'une coquille, laquelle s'use dans le roulis de la mer quand le poisson est mort. On l'ôte aussi des coquilles en les polissant pour jouir de toute leur beauté.
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PELLISSIER | S. m. (Peaucerie) c'est celui qui fait & qui vend des pelisses ou des pellissons. On le dit aussi de ceux qui préparent des peaux.
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PELODES | (Géog. anc.) mot grec qui signifie vaseux. On l'a donné à quelques golfes, à cause que leur fond étoit plein de vase. Ainsi Pelodes dans Ptolomée, l. III. c. iij. est le nom d'un golfe sur la côte de la Susiane ; c'est aussi dans Strabon, l. VII. p. 324. le nom d'un port de l'Epire. (D.J.)
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PELOIR | terme de Mégissier ; c'est un petit bâton dont ces ouvriers se servent pour faire tomber la laine de dessus les peaux de mouton. Ces peaux ayant passé à la chaux, la laine n'y tient presque plus ; & pour la faire tomber entierement, on les étale sur le chevalet, & on frotte un peu rudement le côté de la laine avec un petit bâton rond de la longueur d'environ un pié, d'un pouce de diametre : cette opération fait tomber la laine sur-le-champ. Voyez les fig. dans les Pl. du Mégissier.
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PÉLOPIDES | LES, s. m. (Hist. grecque) c'est le nom que les Grecs donnerent à la malheureuse famille de Pélops. Saeva Pelopis domus, dit Horace. On sait les tragiques scenes que cette famille a fournies sans cesse au théâtre : la guerre de Thèbes, les noms de Tantale, de Thieste, d'Atrée, d'Agamemnon, d'Egiste, de Clitemnestre & d'Oreste, retracent à l'esprit les plus sanglantes catastrophes. (D.J.)
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PÉLOPIES | S. f. pl. (Antiq. grecq.) , fête que célébroient les Eléens en l'honneur de Pélops, pour lequel ils avoient plus de vénération que pour aucun autre héros. Vous trouverez toutes les cérémonies de cette fête décrites dans Potter. Pausanias nous apprend qu'Hercule fut le premier qui sacrifia à Pélops un bélier noir, comme on faisoit aux divinités infernales. Dans la suite les magistrats d'Elide suivirent le même exemple, en ouvrant leurs pélopies par un semblable sacrifice. Potter, archaeol. graec. l. II. c. xx. tom. I. p. 429.
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PELOPIS | (Géog. anc.) Pausanias, l. II. c. xxxjv. dit qu'on donnoit ce nom à de petites îles du Péloponnèse, vis-à-vis de Melhana, & que ces îles étoient au nombre de sept.
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PÉLOPONNÈSE | Peloponnesus, (Géogr. anc.) aujourd'hui la Morée ; c'est une grande presqu'île qui faisoit la partie méridionale de la Grece, & qui étoit jointe à la septentrionale par l'isthme de Corinthe. Quoique le Péloponnèse ne fût qu'une péninsule, Denis le periégete, vers. 403, ne laisse pas de lui donner le nom d'île, parce qu'elle ne tient à la terre ferme que par une isthme large seulement de quelques stades. Pline, l. IV. c. iv. Strabon, l. II. p. 83, & Pomponius Mela, l. II. c. iij. disent que le contour du Péloponnèse a la figure d'une feuille de platane.
Ce pays n'eut pas toujours le même nom ; il fut appellé Appia sous le regne d'Appius ; Pelasgia sous celui de Pelasgus ; Argos, sous celui d'Argus ; & enfin Péloponnèse sous Pélops.
Le Péloponnèse a été divisé par les anciens suivant le nombre de ses peuples & de ses villes : ce qui a beaucoup varié, les peuples ayant changé, & les villes n'ayant pas toujours été les mêmes. Ptolomée, l. III. c. xvj. y comprend même la Corinthie & la Sicyonie ; mais Pomponius Mela, l. II. c. iij. partage cette péninsule seulement en six contrées principales, qui sont l'Argolide, la Laconie, la Messénie, l'Elide, l'Achaïe propre & l'Arcadie.
L'Argolide ou l'Argie étoit bornée du côté de l'orient par le golfe Argolique ; vers l'occident par l'Arcadie ; au midi par la Laconie, & au septentrion par le golfe Saronique. Argos étoit la principale ville de cette province.
La Laconie étoit bornée au midi par le golfe Messéniaque & le golfe Laconique ; à l'orient par le golfe Argolique, au septentrion par l'Argie, à l'occident par l'Arcadie & la Messénie. Sparte en étoit la citadelle & la capitale.
La Messénie étoit située dans la partie méridionale, entre la Laconie à l'orient, & l'Elide à l'occident. Elle avoit l'Arcadie au septentrion, & s'étendoit vers le midi, entre le golfe Messéniaque & le golfe Cyparissien. Messene en étoit la ville principale.
L'Elide avoit pour confins, au nord l'Achaïe propre, au levant l'Arcadie, au midi la Messénie, & au couchant la mer Ionienne. La capitale se nommoit Elide.
L'Achaïe propre avoit pour bornes le golfe de Corinthe du côté du septentrion ; la mer Ionienne à l'occident ; l'Elide & l'Arcadie au midi, & la Sicyonie vers l'orient. Patras en étoit la capitale.
L'Arcadie étoit en pleine terre, éloignée du bord de la mer, & avoit au levant l'Argie & la Laconie ; au couchant l'Elide, au septentrion l'Achaïe propre, & au midi la Messénie. Elle avoit pour capitale Mégalopolis.
La Corinthie, qui s'étendoit dans la partie septentrionale du Péloponnèse, confinoit au couchant avec la Sicyonie, au midi & à l'orient avec l'Argie, & étoit séparée de la grande Achaïe par le golfe & l'isthme de Corinthe, & par le golfe Saronique.
La Sicyonie, la plus resserrée de ces provinces, tiroit son nom de sa ville capitale, appellée Sicyone, & avoit pour limites à l'orient la Corinthie, au couchant l'Achaïe propre, au septentrion le golfe de Corinthe, & l'Arcadie du côté du midi.
Le Péloponnèse est aujourd'hui connu sous le nom de Morée ; on la divise présentement en quatre parties, savoir le duché de Clarence qui comprend l'Achaïe, la Sicyonie & la Corinthie ; le Belvedere, autrefois l'Elide & la Messénie ; la Sacanie, autrefois le pays d'Argos ; & la Tzaconie, qui comprend l'Arcadie & la Laconie des anciens : cette derniere partie est aussi nommée le bras de Maina. Ses principales villes sont Coron, Clarence, Argos, Belvédere, autrefois Elis ; Maina, Leuctrum ; Leontari, Mégalopolis ; Coranto ou Corto, Corinthus ; Misitra, Sparta ; Patras, Napoli de Romanie, &c.
Mahomet II. empereur des Turcs, conquit le Péloponnèse dans le xv. siecle, sur les princes Démétrius & Thomas, freres de l'empereur Constantin Dracosès, & souverains de ce pays. Les Turcs en sont toujours les maîtres, mais tout est misérable sous leur domination.
On donna dans l'histoire de l'ancienne Grece, le nom de guerre du Péloponnèse, à celle que les peuples de cette presqu'île entreprirent contre les Athèniens. Cette guerre célebre dura depuis la deuxieme année de la 87e olympiade, 431 ans avant Jesus-Christ, jusqu'à la 94e olympiade, qui est l'an 404 avant Jesus-Christ, que la ville d'Athènes fut prise. (D.J.)
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PELORDE | voyez PALOURDE.
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PÉLORIES | S. f. pl. (Antiq. grecq.) fête célebre chez les Thessaliens, assez semblable aux saturnales de Rome. Un certain Pélorus étant venu le premier avertir Pélasgus que par le moyen d'une ouverture dans la vallée de Tempé, les eaux qui inondoient le pays s'étoient écoulées, ce prince en conçut tant de plaisir, qu'il régala magnifiquement Pélorus, & voulut même le servir à table ; & à cette occasion il institua une fête où l'on faisoit des banquets publics en faveur des étrangers & des esclaves mêmes, qui étoient servis par leurs maîtres. Potter, archaeol. graec. l. II. c. xx. tom. I. p. 425. (D.J.)
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PELORUS | (Géog. anc.) Pelorum, Peloris & Pelorias ; promontoire qui forme la partie la plus orientale de la Sicile du côté du nord, & défend en quelque maniere le passage du fare de Messine. Agathamere fixe à onze stades le trajet de ce promontoire en Italie. Les Grecs & les Latins lui ont donné le même nom de Pélore. Denis le Periégete, v. 472, dit que le promontoire Peloris regarde l'Ausonie ; & Polybe, l. I. c. xlij. qui écrit Pelorias, dit que c'est le promontoire septentrional. Ovide, Silius Italicus, & divers autres auteurs, parlent de ce promontoire. Le premier dit, metamorph. l. XIII. v. 726.
.... At arcton
Aequoris expertem spectat boreanque Peloros.
Et Silius Italicus, l. XIV. v. 79.
Celsus arenoso tollit se mole Pelorus.
Servius fait une remarque sur ces vers de Virgile, Aeneïd. l. III. v. 410-411.
Ast ubi digressum siculae te admoverit orae
Ventus ; & augusti rarescent claustra Pelori.
Il dit que selon Salluste le promontoire Pelorus fut ainsi nommé d'un pilote qu'Annibal tua, croyant qu'il le trahissoit. J'ai pourtant lû, ajoute-t-il, que ce promontoire avoit le nom de Pelorus avant cette époque. Quoi qu'il en soit, on assure qu'Annibal répara son erreur, en faisant élever au bord de la mer une statue qu'il nomma Pélore, du nom de ce malheureux pilote. On l'appelle aujourd'hui Cabo della torre di Faro, à cause de la tour du phare de Messine, située, à l'extrémité de ce promontoire, sur une longue pointe assez basse. (D.J.)
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PELOTAGE | LAINE, (Lainage) la laine pelotage de Vigogne, c'est la troisieme sorte des laines de Vigogne. On l'appelle pelotage, parce qu'elle vient d'Espagne en pelotes.
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PELOTE DE MER | (Hist. nat. de la mer) par nos auteurs pila marina, en anglois the sea-ball ; nom d'une substance très-commune qu'on trouve sur le rivage de la mer ; cette substance est ordinairement en forme de balle oblongue, arrondie ou sphérique, grosse comme le poing, quelquefois plus, quelquefois moins, lanugineuse, de couleur obscure, composée d'une multitude de petites fibres irrégulierement amoncelées & pelotonnées.
Les naturalistes ne sont point d'accord sur l'origine de ces sortes de pelotes ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'elles sont composées de substances fibreuses de plantes ; enfin Klein a presque démontré qu'elles sont formées des fibres & des feuilles de l'algue marine dont on fait le verre, alga marina vitriariorum ; ces fibres chevelues étant tombées dans la mer, y sont battues ensemble, rassemblées & amoncelées par les vagues en pelotes oblongues, ovales & arrondies. Voyez Kleinius, de tubulis marinis. (D.J.)
PELOTE, s. f. terme générique de Commerce ; masse que l'on fait en forme de boule de diverses choses ; une pelote de fil, de laine, de soie, de coton.
PELOTE, s. f. meuble de toilette ; ce sont plusieurs petites recoupes de drap enveloppées d'un morceau de velours, ou d'une étoffe bien proprement cousue, & de différentes formes, qu'on pose sur la toilette d'une femme pour y mettre des épingles dont on se sert quand on la coëffe ou qu'on l'habille, ou dont elle se sert elle-même.
On nomme encore pelote un petit coffret dans lequel les femmes serrent leurs boucles, leurs bagues, & autres choses de toilette.
PELOTE A FEU. On appelle ainsi en terme d'Artificiers, une pelote dont on se sert la nuit pour éclairer les fossés & les autres endroits d'une place assiégée. Elle se fait comme il suit.
Prenez une partie de poix résine, trois parties de soufre, une livre de salpêtre & une livre de grosse poudre ; faites fondre & incorporer ce tout ensemble avec des étoupes, & faites-en des pelotes.
PELOTE, terme de Chandelier ; les Chandeliers appellent pelotes de coton les écheveaux de coton qu'ils ont dévidés pour faire la meche de leur chandelle. Outre les petites pelotes de coton devidées, les Chandeliers en composent d'autres très-grosses du poids de vingt à trente livres, & davantage, qu'ils nomment pelote d'étalage. Celles-ci sont faites d'écheveaux entiers qu'on tourne ainsi en forme sphérique pour les mieux conserver. On les pend ordinairement au plancher des boutiques : ce qui leur a fait donner le nom de pelotes d'étalage. (D.J.)
PELOTES, (Fonderie) les Fondeurs de petits ouvrages nomment ainsi le cuivre en feuilles qu'ils ont préparé pour mettre à la fonte.
On réduit le cuivre en pelotes afin de le mettre plus commodément dans le creuset avec la cuillere du fourneau, qui de-là est appellée cuillere aux pelotes.
On nomme aussi mortier & maillet aux pelotes ceux de ces outils qu'on employe à cet usage dans les atteliers des Fondeurs.
La préparation des pelotes est ordinairement le premier ouvrage des apprentis.
PELOTES, (Maréchal) c'est une marque blanche qui vient au front des chevaux. On l'appelle autrement étoile. Les Marchands de chevaux, Maquignons & autres, qui se mêlent du commerce des chevaux, mettent les pelotes au nombre des marques qui dénotent un bon cheval.
PELOTES, terme de Paumier ; ce sont les balles pour jouer à la paume, avant qu'elles soient couvertes de drap. On les appelle aussi des pelotons.
Les Paumiers doivent, suivant leurs statuts, avoir soin que les pelotes ou pelotons soient bien rondes, & faites de morceaux ou rognures de drap avec une bande de toile, & serrées bien fort avec de la ficelle. L'instrument dont on se sert pour faire les pelotes est une espece de billot qu'on appelle chevre.
Les maîtres Paumiers prennent la qualité de maîtres Paumiers Raquettiers, faiseurs de pelotes. Voyez PAUMIER.
PELOTES, (Soieries) on nomme ainsi dans le commerce des soies, les soies greges & non-ouvrées qui viennent ordinairement de Messine & d'Italie, & qui sont pliées, ou plutôt roulées en grosses pelotes. (D.J.)
PELOTE, terme de Tailleurs ; c'est une bande de lisiere roulée sur elle-même & cousue dans cet état. On s'en sert pour dévider le fil, la soie & le poil de chevre.
PELOTE, (Verrerie) c'est, dans les fours à verre, une espece de petit établi de terre, couvert de braise éteinte, sur laquelle on fait pendant quelque tems reposer le plat de verre au sortir du grand ouvreau, avant de le mettre dans les arches du four à recuire. (D.J.)
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PELOTER | v. n. jeu de paume ; c'est jouer sans s'assujettir à aucune autre regle de ce jeu, sinon d'attendre la balle & de la renvoyer. Les balles perdues soit à la grille, soit au trou, soit aux filets, sont perdues pour ceux qui les perdent.
PELOTER, se dit encore de certaines substances qui s'amassent en petits tas, ainsi de la neige qui se pelote.
PELOTER, v. n. terme de Pêcheur ; c'est jetter de petites pelotes de mangeaille aux poissons pour les amorcer avant que de pêcher.
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PELOTON | S. m. terme de Couturiere ; petite pelote de soie, de laine, de fil, de coton, & autres matieres, filée, dévidée en rond.
On nomme aussi peloton une espece de petit coussinet moins gros que la pelote, qu'on remplit ordinairement de son, & qu'on couvre de serge, d'étoffe, de velours, pour y mettre des épingles.
PELOTON, terme de Paumier, ou ploton ; balle à jouer à la paume. On le dit ordinairement de celles qui ne sont pas encore couvertes, & qui ne sont encore qu'en corde.
PELOTON, (Fabrique de tabac) on forme de gros pelotons, ou grosses pelotes de tabac ; comme c'est au sortir du filage qu'il fait son plus grand déchet, & qu'il en fait moins tant qu'il reste en pelotons, on a coutume de l'y laisser le plus long-tems qu'il est possible ; après qu'il a été en pelotons, on le roule ; ce qui s'appelle le mettre en rôles. (D.J.)
PELOTON, en terme de Guerre, est un petit corps quarré de 40 à 50 hommes, qu'on tire d'un bataillon d'infanterie, & qu'on place entre des escadrons de cavalerie pour les soutenir, ou que l'on met en embuscade dans des passages étroits & des défilés, qui ne pourroient contenir un bataillon ou un regiment entier.
Ce mot est formé par corruption du vieux mot françois peloton, qui signifie un tas ou un paquet de fil roulé.
Les grenadiers sont généralement rangés en peloton à côté des bataillons. Voyez BATAILLON. Chambers.
On donne aussi le nom de pelotons à des petits corps d'infanterie qu'on employe à couvrir les angles des bataillons quarrés & triangulaires. Le peloton a toujours moins de cent hommes.
L'ordonnance du 6 Mai 1755 donne le nom de peloton à deux compagnies couplées ou jointes ensemble. Voyez FEU MILITAIRE & ÉVOLUTIONS. (Q)
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PELOUSE | S. f. (Jardin) Voyez TAPIS DE GASON.
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PELTA | S. f. (Littérat.) , c'étoit un bouclier contourné qui étoit particulier aux amazones. Dans une médaille grecque de grand bronze, frappée dans l'intervalle du regne de Septime Severe à celui de Galien, on voit d'un côté une amazone ayant au bras gauche cette sorte de bouclier. On remarque au-dessous, sous un bout de draperie, une espece de petite serviette, qui aidoit apparemment à tenir le bouclier plus ferme, & qui pouvoit encore servir à d'autres usages ; tel paroît le pelta qu'on donne aux amazones sur les médailles. On s'en servoit à la guerre, comme on le voit dans Virgile, & il faut bien que sa forme n'ait pas toujours été la même ; car, selon Xenophon, il étoit de la figure d'une feuille de lierre, selon Pline, d'une feuille de figuier d'Inde, & selon Servius, de la lune demi-pleine. (D.J.)
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PELTAE | (Géog. anc.) ville de la grande Phrygie, dont parle Strabon, l. XII. p. 577. Ptolomée, l. V. ch. ij. & Xenophon, l. I. on l'appelle présentement Felti, selon Leunclavius.
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PELUCHE | ou PLUCHE, s. f. (Fabrique) étoffe veloutée du côté de l'endroit, composée d'une treme d'un simple fil de laine, & d'une double chaîne, dont l'une est de laine, de fil retors à deux fils, & l'autre de fils de poil de chevre.
La peluche se fabrique de même que les velours & les pannes, sur un métier à trois marches. Deux des marches séparent & font baisser la chaîne de laine, & la troisieme fait lever la chaîne de poil ; alors l'ouvrier lance ou jette la treme, & la fait passer avec la navette entre les deux chaînes de poil & de laine, mettant ensuite une broche de léton sous celle de poil sur laquelle il la coupe avec un instrument destiné à cet usage, que l'on appelle communément couteau ; ce qu'il fait en conduisant le couteau sur la broche, qui est un peu cavée dans toute sa longueur ; & c'est ce qui rend la surface de la pluche veloutée.
Quelques-uns prétendent que l'invention de la pluche soit venue d'Angleterre ; d'autres veulent qu'elle ait été tirée de Hollande, particulierement de Harlem. Quoiqu'il en soit, il est certain que ce n'est guere que vers l'année 1690, qu'on a commencé d'en fabriquer en France. (D.J.)
PELUCHE, s. f. (Soierie) c'est une sorte d'étoffe toute de soie, dont le côté de l'endroit est couvert d'un poil un peu long ; cette espece de peluche se manufacture sur un métier à trois marches, ainsi que les autres peluches, les velours & les pannes.
Sa chaîne & son poil doit être d'organsin filé & tordu au moulin, sa treme de pure & fine soie, & la largeur d'onze vingt-quatriemes d'aune.
Il se fabrique encore une autre espece de peluche, toute de soie, qui a du poil des deux côtés, dont l'un, qui est celui de l'endroit, est court & d'une couleur ; & l'autre, qui est du côté de l'envers, est plus long & d'une autre couleur : cette derniere sorte de peluche est extraordinaire, & de très-peu d'usage. (D.J.)
PELUCHE, terme de Fleuriste ; la peluche est cette touffe de feuilles menues & déliées qu'on voit dans quelques fleurs, comme dans les anémones doubles, dont elles font la principale beauté. (D.J.)
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PELURE | S. f. (Gramm.) est la peau de certains légumes ou fruits : on dit la pelure de l'oignon, la pelure de la pomme & de la poire ; la peau du raisin, & l'écorce du citron.
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PELUS | (Géog. anc.) nom, 1°. d'une île voisine de celle de Chio ; 2°. d'une montagne de la Toscane ; 4°. d'un torrent de la Sicile. (D.J.)
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PÉLUSE | (Géog. anc.) Pelusium, ville d'Egypte, à l'embouchure du bras plus oriental du Nil, & le plus voisin de la Palestine ; c'est la même ville que Damiette ; on la nommoit autrement Abarim & Typhon, ou comme disoient les Hébreux, Python. Les Egyptiens l'appelloient Sethron ; & la région Séthroïte ; d'où vient que Pline dit : qua juxtà Pelusium est regio, nomen habet Bubastitem, Sethronitem, Tanilem.
Péluse étoit comme la clé de l'Egypte du côté de la Phénicie & de la Judée. Ezechiel, ch. xxx. v. 15. & 16. en parle sous le nom de Sin, & il l'apelle la force de l'Egypte ; ou le rempart de l'Egypte. L'hébreu sin, qui signifie de la boue, revient fort bien au grec pelusium, qui dérive de pelos, & qui a la même signification. Strabon, liv. XVII. p. 802. dit que la ville de Pelusium étoit environnée du lac qu'on appelloit Barathra, & de quelques marais. Il la place à vingt stades de la mer, & il donne à ses murailles un égal nombre de stades de circuit. Elle est mise dans l'Augustamnique par Ammien Marcellin, qui veut qu'elle ait été bâtie par Pélée ; ce qu'il y a de plus sûr, c'est qu'elle sut souvent assiégée & prise, quoique difficilement. On s'attaquoit d'autant plus à cette place, qu'elle donnoit, à ceux qui en étoient les maîtres, l'entrée libre dans l'Egypte. L'embouchure la plus orientale du Nil prenoit son nom dans cette ville. Lucain dit :
Dividui pars maxima Nili
In vada decurrit Pelusia, septimus amnis.
Claude Ptolomée, mathématicien célebre, étoit de Pelusium, mais il fit son séjour à Alexandrie : il vivoit dans le second siecle. Les ouvrages qu'il a laissés lui ont acquis une très-grande réputation ; la Géographie sur tout lui doit beaucoup : ses oeuvres ont paru à Amsterdam en 1618, in fol.
Isidore, le plus savant & le plus célebre des disciples de saint Chrisostome, fut surnommé Isidore de Péluse, parce qu'il se retira dans la solitude au voisinage de cette ville, las des tracasseries de ses confreres. Il vivoit au commencement du cinquieme siecle, & mourut en 440. Ses oeuvres, où l'on trouve des points importans de discipline ecclésiastique très-bien traités, ont été imprimées plusieurs fois ; mais la meilleure édition est celle de Paris en 1638, in-folio, en grec & en latin. Les lettres de cet auteur respirent la candeur & l'érudition ; elles sont courtes & bien écrites : en voici un trait curieux sur les ecclésiastiques de son tems. " Pourquoi, dit-il, lib. IV. epist. 57. vous étonnez-vous de ce que se mettant en fureur par un violent amour de domination, ils feignent d'avoir des différends entr'eux sur des dogmes qui sont au-dessus de leur portée & de leurs expressions. " Quoi ! déjà dans le cinquieme siecle, des prélats accusés par Isidore, de feindre par esprit de domination, & de feindre sur des dogmes essentiels à la foi ! Ce sont-là des traits historiques qu'il ne faut point oublier.
Pelusium étoit aussi le nom d'un port de la Thessalie. (D.J.)
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PELYSS | (Géog. mod.) Pelyssa ou Pissen, petite ville de la basse Hongrie, capitale d'un comté de même nom, près du Danube, à 3 lieues sud-est de Grau, 5 nord de Bude. Long. 36. 25. lat. 47. 26.
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PEMBA | (Géog. mod.) 1°. île de la mer des Indes, proche de la côte orientale d'Afrique, vis-à-vis de la baie de saint Raphaël, sur la côte du Mélinde. Elle est située à 4d. 50'. de latitude méridionale, sous les 56d. 30'. de longitude, vers l'orient méridional de la ville de Monbaza : l'île de Pemba a le titre de royaume.
2°. Pemba, petite province d'Afrique, au royaume de Congo, dont la capitale se nomme Banza : c'est la résidence du gouverneur général. Long. mérid. 7. 28.
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PEMBROKE | (Géog. mod.) ville d'Angleterre, au pays de Galles, capitale de Pembroke-shire, avec titre de comté. Elle a deux paroisses, est fortifiée d'un château, & est située sur une pointe du port de Milfort, à 195 milles de Londres : elle envoye deux députés au parlement. Long. 12. 45. lat. 51. 48.
C'est dans le château de cette ville que naquit Henri VII. roi d'Angleterre, dont il faut lire la vie par Bacon.
La bataille de Bosworth en 1485, mit fin aux désolations dont la rose rouge & la rose blanche avoient rempli l'Angleterre. Le trône toujours ensanglanté & renversé, fut enfin ferme & tranquille. Henri VII. ayant su vaincre, sut gouverner ; son regne qui fut de vingt-quatre ans, & presque toujours paisible, humanisa les moeurs de la nation. Les parlemens qu'il assembla & qu'il ménagea firent de sages lois : le commerce qui avoit commencé à fleurir sous le grand Edouard III. ruiné pendant les guerres civiles, commença à se rétablir. Henri VII. eût été sage s'il n'eût été qu'économe ; mais une lésine honteuse, & des rapineries fiscales ternirent sa gloire : il tenoit un registre secret de tout ce que lui valoient les confiscations.
Son historien nous a laissé un trait fort singulier de son avarice. Le comte d'Oxford étoit, de tous les seigneurs de son royaume, celui en qui il avoit le plus de confiance, & qui lui avoit rendu les plus grands services. Un jour le roi étant allé le voir dans sa maison de campagne, il le reçut avec toute la splendeur dont il put s'aviser. Quand le roi fut prêt à partir, il vit en haie un grand nombre de gens de livrée magnifiquement vêtus : le comte avoit peut-être oublié que plusieurs actes du parlement défendoient de donner des livrées à d'autres qu'à des domestiques en service, mais le roi n'en avoit point perdu la mémoire. Lorsqu'il apperçut ce grand nombre de gens portant la même livrée : " Mylord, dit-il au comte, j'avois beaucoup oui parler de votre magnificence, mais elle surpasse extrèmement ce qu'on m'en a dit ; tous ces gens-là que je vois en haie sont apparemment vos domestiques ordinaires " Le comte qui ne comprit pas le but du roi, répondit en souriant, " qu'il n'avoit pas à sa livrée un si grand nombre de gens " : " Par ma foi, mylord, répondit le roi brusquement, je vous remercie de votre bonne chere, mais je ne souffrirai point que sous mes propres yeux on viole ainsi mes lois ". Il en coûta quinze cent marcs au comte d'Oxford pour cette contravention. (D.J.)
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PEMBROKE-SHIRE | (Géogr. mod.) province d'Angleterre, à l'occident de celle de Caermarthen, dans le diocèse de Saint-David. Elle est très-fertile, sur-tout à l'est, & la mer l'environne presque de toutes parts. Cette province a 93 milles de tour, & contient environ quatre cent vingt mille arpens, quarante-cinq paroisses, & neuf villes de marché. Il faut remarquer entre ses productions celle de son chauffage appellé culm, qui n'est autre chose que la poussiere du charbon de terre. On pétrit cette poussiere avec un tiers de boue, & elle fait un très-bon feu d'une grande utilité, parce que c'est le meilleur de tous les chauffages pour brûler de la chaux, & pour secher l'orge dont on fait de la biere. Mais le plus grand avantage de cette province est le port de Milford, Milford-aven, qui semble l'emporter sur tous les ports de l'Europe, pour sa largeur, & la sureté qu'y trouvent les vaisseaux ; il a seize criques, cinq baies, & treize rades, & doit par cette raison être mis au nombre des raretés du pays.
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PEMPHINGODÈS | adj. (Lexicog. médicin.) , fievres distinguées par des flatuosités & des enflures, dans lesquelles on éprouve des vents qui se font sentir au toucher ; ce terme grec a été employé par Hippocrate & expliqué fort diversement par Galien.
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PEMSEY | (Géog. mod.) aujourd'hui Pevinsey, port assez fréquenté dans le comté de Sussex. La chronique saxonne en parle sous les années 1046, 1052, 1087 ; il avoit été donné près de cent ans auparavant à l'abbaye de Saint-Denis en France par le duc Bertold, avec Chichester, Lastings, & les salines qui en dépendoient. Il est sur la côte méridionale de l'Angleterre, & presque vis-à-vis de l'embouchure de la Canche en Ponthieu ; ce n'est plus qu'un bourg avec un petit havre ; mais ce havre est célebre, parce que c'est celui où Guillaume-le-Conquérant fit sa descente pour la conquête de l'Angleterre. (D.J.)
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PEN | S. m. (Géog.) suivant Camdem, signifie originairement une haute montagne, qui fut ainsi appellée parmi les anciens Bretons, & même parmi les Gaulois, & c'est de-là que l'on appelle Apennins cette haute & longue chaîne de montagnes, qui partagent l'Italie dans toute sa longueur. Voyez MONTAGNE.
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PENA-GARCIA | (Géog. mod.) petite ville de Portugal, dans la province de Béira. Philippe V. la prit en 1704 ; mais il fut obligé de se retirer à l'approche des alliés. Elle est sur les confins de l'Estramadure espagnole, à six lieues sud-est d'Idanhavelha. Long. 11. 43. lat. 39. 30. (D.J.)
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PÉNAL | adj. (Jurisprud.) est ce qui a rapport à quelque peine, comme une clause pénale, une loi pénale. Voyez CODE PENAL, & aux mots CLAUSE & LOI. (A)
PENAL, s. m. (Mesure de grains) espece de mesure de grains, différente suivant les lieux où elle est située. En Franche-Comté, le pénal est semblable au boisseau de Paris ; à Gray, les huit pénaux font quinze boisseaux de Paris, ce qui est égal à l'ânée de Lyon ; ensorte que le pénal est à-peu-près le double du boisseau de Paris ; à Bourbonne le pénal de froment pese 72 livres poids de marc, de méteil 70, de seigle 68, & d'avoine 58 livres ; on s'y sert aussi du bichet. Savary. (D.J.)
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PÉNATES | DIEUX, (Mythologie & Littérat.) les dieux pénates étoient regardés ordinairement comme les dieux de la patrie ; selon quelques-uns ce sont Jupiter, Junon, & Minerve ; selon d'autres ce sont les dieux des Samothraces, qui étoient appellés divi potes, dieux puissans, ou cabires, qui est la même chose ; car cabir en phénicien ou syriaque, signifie puissant, & ces dieux sont Cérès, Proserpine, Minerve, & Pluton ; quelques-uns y ajoutent Esculape & Bacchus.
Les Grecs ont rendu le mot pénates par , Patriens ; , Généthliens ; , Ctésiens ; , Mychiens ; & , Herciens, mots qui signifient tous la même chose. Virgile décrit ces pénates herciens dans ces vers du livre II. de l'Enéide :
Aedibus in mediis medioque sub aetheris axe
Ingens ara fuit, juxtaque veterrima laurus
Incumbens arae, atque umbrâ complexa penates.
" Au milieu du palais, dans un endroit découvert étoit un grand autel, & tout auprès un vieux laurier, qui de son ombre couvroit l'autel & les dieux pénates ".
Denis d'Halicarnasse nous peint les dieux pénates apportés de Troie, tels qu'on les voyoit dans un vieux temple à Rome, près du marché ; c'étoit, dit-il, deux jeunes hommes assis tenant chacun une lance d'un ouvrage fort antique, & avec cette inscription, denates, pour penates ; les anciens, continue-t-il, qui n'avoient pas l'usage de la lettre P, se servoient de la lettre D.
Ciceron distingue trois ordres de dieux pénates, ceux d'une nation, ceux d'une ville, & ceux d'une maison ; en ce dernier sens les dieux pénates ne différoient pas beaucoup des dieux lares ; c'étoient les dieux protecteurs du logis ; on leur donna le nom de pénates, continue le même Ciceron, du mot penu, parce qu'ils veillent à ce qu'il y a de plus secret dans le domestique, ou si l'on aime mieux, parce qu'on les mettoit dans l'endroit le plus retiré de la maison, in penitissimâ aedium parte. Suétone raconte que dans le palais d'Auguste il y avoit un grand appartement pour les dieux pénates, c'est-à-dire pour les dieux lares ; un jeune palmier étant né devant la maison de l'empereur, il le fit apporter dans la cour des dieux pénates, avec ordre qu'on eût grand soin de sa culture ; mais il faut finir par un fait bien plus important.
Il étoit d'abord défendu à Rome d'honorer chez soi des divinités dont la religion dominante n'admettoit pas le culte. Dans la suite les Romains plus éclairés sur les moyens d'aggrandir l'état, y souffrirent non-seulement l'introduction des dieux particuliers, mais l'autoriserent par le gouvernement politique, puisqu'une loi des douze tables enjoignoit de célébrer les sacrifices des dieux pénates, & de les continuer sans interruption dans chaque famille, suivant que les chefs de ces mêmes familles l'avoient prescrit. (D.J.)
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PENAUTIER | (Géog. mod.) petite ville de France dans le haut Languedoc, sur la riviere de Fresquel, à deux lieues de Carcassonne.
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PENCER LA FOSSE | terme de Tanneur, c'est retirer la fosse au tan afin d'y remettre du tan nouveau pour y remplacer encore les cuirs.
PENCER les plains, terme de Tanneur, qui signifie ôter les cuirs du plain, & y remettre de nouvelle chaux.
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PENCHANT | INCLINATION, (Synon.) ces deux termes sont relatifs au goût naturel ou acquis qu'on a pour quelque objet.
L'inclination dit quelque chose de moins que le penchant. La premiere nous porte vers un objet, & l'autre nous y entraîne. Il semble aussi que l'inclination doive beaucoup à l'éducation ; & que le penchant tienne plus du tempérament.
Le choix des compagnies est essentiel pour les jeunes gens, parce qu'à cet âge on prend aisément les inclinations de ceux qu'on fréquente. La nature a mis dans l'homme un penchant insurmontable vers le plaisir, il le cherche même au moment qu'il croit se faire violence.
On donne ordinairement à l'inclination un objet honnête ; mais on suppose celui du penchant plus sensuel, & quelquefois même honteux. Ainsi l'on dit qu'un homme a de l'inclination pour les arts & pour les sciences, & qu'il a du penchant à la débauche & au libertinage. Girard. (D.J.)
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PENCHER | v. act. & neut. (Gramm.) il se dit de tout corps qui s'écarte de la situation verticale & même horisontale. Cette tour penche de ce côté. La balance penche en ma faveur. Il penche à la clémence. Ainsi il se prend, comme on voit, au simple & au figuré.
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PENDANT | S. m. (Hist. anc. & mod.) anneau d'oreille ; c'est un ornement de quelque matiere précieuse que portent les femmes. On le suspend à l'oreille par un trou pratiqué à cet effet. Les pendans d'oreille sont fort souvent enrichis de diamans, de perles & autres pierres précieuses. Voyez DIAMANT, PERLE, &c.
Il y a long-tems que les pendans d'oreille ont été du goût de l'un & de l'autre sexe. Les Grecs & les Romains se servoient des perles & des pierres les plus précieuses pour parer leurs oreilles, avec cette différence remarquée par Isidore, liv. XVIII. de ses origines, ch. xxxj. que les jeunes filles avoient un pendant à chaque oreille, & les jeunes garçons n'en avoient qu'à une seulement.
Les Grecs nommoient les pendans d'oreille, , les Latins, inaures ou stalagmia. Une servante demande à Menaecme, act. III. sc. iij. de lui donner de quoi acheter des boucles & des pendans d'oreille :
Amabo, mi Menaecme, inaureis da mihi.
Faciendas pondo duum nummum stalagmia.
Juvenal nous apprend aussi dans sa Satyre VI. que les Romains nommoient encore elenchi, les pendans d'oreille :
Nil non permittit tibi mulier, turpe putat nil
Cum virides gemmas collo circumdedit, & cum
Auribus extensis magnos commisit elenchos.
Les Grecs avoient plusieurs noms différens pour exprimer les pendans d'oreille. Hesychius & Julius Pollux en ont remarqué quelques-uns. Quant à la forme, à la matiere, au poids & à l'ouvrage, il n'y a point eu de regle certaine, chacun a suivi son génie, ses forces & sa vanité ; & le luxe n'a pas été moins dans cette espece d'ornement que dans tout ce que l'ambition & la volupté ont pû inventer pour satisfaire l'orgueil des hommes. Nous apprenons même de quelques inscriptions rapportées par Gruter, qu'il y avoit des femmes & des filles qui n'avoient d'autre emploi que d'orner les oreilles des femmes, comme nous avons des coëffeuses.
Les pendans d'oreille étoient du nombre des choses dont les meres ornoient leurs filles, pour paroître devant celui qui devoit être leur mari. Ce soin est bien dépeint par Claudien sous un des consulats d'Honorius :
At velut officiis trepidantibus ora puellae,
Spe propiore thori mater solertior ornat
Adveniente proco, vestesque & singula comit
Saepe manu, viridique angustat jaspide pectus ;
Substringitque comam gemmis, & colla monili
Circuit, & baccis onerat cadentibus aures.
Séneque n'avoit donc pas grand tort de dire qu'il connoissoit des femmes qui portoient deux & trois patrimoines au bout de chaque oreille : Video uniones, dit-il, non singulos singulis auribus comparatos, jam enim exercitatae aures oneri ferendo sunt ; junguntur inter se, & insuper alii binis super ponuntur : non satis mulieribus insania viros subjecerat, nisi bina & terna patrimonia auribus singulis pependissent.
On sait par le témoignage de Pline, qu'Antonia, femme de Drusus, ne se contentoit pas de porter elle-même des pendans d'oreille magnifiques, mais qu'elle en mit de semblables à une lamproie dont elle faisoit ses délices.
Les pendans des femmes européennes ne sont rien en comparaison de ceux que portent les Indiens, tant hommes que femmes, qui ont la mode de s'allonger les oreilles, & d'en augmenter le trou en y mettant des pendans grands comme des saucieres, & garnis de pierreries.
Pyrard dit que la reine de Calicut & les autres dames de sa cour ont des oreilles qui par le moyen de ces ornemens leur descendent jusqu'aux mamelles, & même plus bas ; le préjugé du pays est que les plus longues sont d'une grande beauté. Elles y font des trous assez larges pour y passer le poing. Il n'est pas permis aux moncois, qui sont les gens du peuple, de les avoir aussi longues que les naires, qui sont les nobles. Celles des premiers ne doivent pas passer la longueur de trois doigts. Aux Indes occidentales Christophe Colomb nomma une certaine côte Orega, à cause qu'il y trouva des peuples qui faisoient dans leurs oreilles des trous assez grands pour y passer un oeuf. Voyez OREILLE.
Ils se font aussi percer les narines & les levres pour y suspendre des pendans ; ce qui est pratiqué par les Mexiquains & par d'autres nations. Voyez NEZ.
PENDANT, terme de Blason, qui se dit des parties qui pendent au lambel au nombre de deux, trois, quatre, cinq, &c. que l'on spécifie en blasonnant.
La Verne, en Bourgogne, de gueules au lambel d'argent de deux pendans. Sa situation naturelle est d'être près du chef. Il y en a de trois, de quatre, de cinq, de six & de sept pendans.
PENDANT, s. m. (Stereotomie) c'est un petit voussoir des voûtes gothiques sans coupe, fait à l'équerre.
PENDANT ou FLAMME, voyez FLAMME.
PENDANT, s. m. (terme de Ceinturier) les deux pendans du baudrier ou du ceinturon sont les parties qui pendent au bas du baudrier, & au-travers desquels on passe l'épée.
PENDANT, se dit aussi de la partie d'une boîte de montre, à laquelle on attache la chaîne ou le cordon. Il est composé d'un petit bouton qu'on rive à la boîte, & d'un anneau qui tient à ce bouton par le moyen d'une vis, ou d'une goupille qui passe à-travers l'un & l'autre. Voyez nos Pl. d'Horlogerie.
PENDANT, (Soierie) on appelle pendans du cassin, les tenons qui soutiennent les planches des arcades. Voyez ARCADES & CASSIN.
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PENDELI | (Géog. anc. & mod.) montagne de l'Attique, dans le voisinage d'Athènes, qu'on voit de-là au nord-est.
Au pié de cette montagne est un monastere du même nom, l'un des plus célebres de toute la Grece. Il est composé de plus de cent caloyers, & d'un grand nombre d'autres personnes qui ont là des revenus assez considérables. Ils payent tous les ans de carach ou de tribut six mille livres de miel pour la mosquée, que la sultane, mere de l'empereur Mahomet IV. a fait bâtir à Constantinople ; ils sont obligés d'en fournir encore autant, à raison de cinq piastres le quintal. Ils ont rarement moins de cinq mille essains d'abeilles, outre des terres labourables & des troupeaux de brebis, avec de grands vignobles, & quantité d'oliviers. La situation de ce monastere est fort agréable pendant l'été, à cause qu'il est entre les croupes de la montagne d'où sortent plusieurs ruisseaux qui se rendent dans des reservoirs pour conserver du poisson, & pour faire tourner les moulins. Ces caloyers sont ombragés de diverses sortes d'arbres pour modérer la chaleur de l'été, & pour se fournir de bois pendant l'hiver, qui est assez vif en ce lieu-là, parce que le haut de la montagne est couvert de neige. Ils ont une bibliotheque, qui consiste en un grand nombre de volumes des peres grecs.
La montagne est un rocher entier de marbre blanc, & ainsi on ne doute point que ce ne soit la montagne Pentelicus, dont Pausanias vante si souvent le marbre. A une lieue & demie de Pendeli, il y a un village appellé Cefisia ; Hérode Atticus y avoit une maison de plaisance. Ce village est situé sur un ruisseau qui vient du mont Pendeli, & qui tombe dans le Cephise. On y découvre quelques anciennes murailles de marbre proche d'une mosquée.
La Guilletiere, dans sa description d'Athènes, a pris la montagne de S. George (Agios Georgios), pour le mont Pentélique, où est le monastere de Medeli, & il a pris le mont Pentélique pour l'Anchesmus ; mais il est certain que la montagne située à deux lieues d'Athènes, où est le monastere de Medeli, est le mont Pentélique ; car c'est à une demi-lieue au-dessus du couvent que se trouvent les carrieres d'où l'on a autrefois tiré le marbre pour les temples d'Athènes. (D.J.)
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PENDELOQUE | S. f. en terme de Metteur en oeuvre, est une piece taillée en forme de poire, montée sur de l'or ou de l'argent, qui joue au moindre mouvement. Les pendeloques se placent ordinairement au bas d'une croix, de boucles d'oreille, &c.
On donne le nom de pendeloque à la pierre même, lorsqu'elle a la forme de poire.
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PENDENTIF | S. m. (Archit.) c'est une portion de voûte entre les arcs d'un dôme, qu'on nomme aussi fourche ou panache, & qu'on taille de sculpture : tels sont les pendentifs du Val-de-Grace, & ceux de S. Louis des Invalides à Paris, où l'on a représenté les quatre Evangelistes. On peint encore les pendentifs, & ils paroissent alors plus légers, comme on le remarque à la plûpart de ceux des dômes de Rome, & particulierement à ceux de S. Charles alli Catinari, & de S. André della Valle, qui sont du Dominiquain. Pendentif de moderne, c'est la portion d'une voûte gothique, entre les formerets, avec doubleaux, ogives, liernes & tiercerons.
Pendentif de Valence, espece de voûte en maniere de cul-de-four, rachetée par fourche. Il y a de ces pendentifs aux charniers neufs des SS. Innocens. On les appelle de Valence, parce que le premier a été fait à Valence en Dauphiné, où on le voit encore dans un cimetiere porté sur quatre colonnes, où il couvre une sépulture. Daviler. (D.J.)
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PENDER | S. m. (Hist. mod.) docteur parmi les Gentils indiens ; mais ce terme est sur-tout affecté à ceux des Brachmanes.
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PENDERACHI | (Géog. mod.) autrement nommée Eregri ; petite ville de Grece dans la Romanie, avec un archevêque suffragant de Constantinople. Elle est bâtie sur les ruines de l'ancienne ville d'Héraclée, une des plus belles de l'Orient, si même on en juge par ses ruines, & par les vieilles murailles construites de gros quartiers de pierre qui sont encore sur le bord de la mer. Penderachi est près de la mer, à 20 lieues S. O. de Constantinople. Long. 45. 23. lat. 40. 57.
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PENDEURS | PENDOURS, s. m. (Marine) le pendeur est un bout de corde moyennement longue, à laquelle tient une poulie pour passer la manoeuvre. Les Provençaux disent pendour, & ce mot est reçu ailleurs aussi-bien que celui de pendeur.
Pendeurs de balanciers, ce sont ceux qui sont passés à la tête des grands mâts & des mâts de misaine, qui pendent sur les hunes, & où sont passées les balancines.
Pendeurs d'écoutes de civadieres, pendeurs de bras, ce sont ceux qui sont frappés au bout des vergues, & où les bras sont pressés.
Pendeurs de caliornes ; ils servent à tenir les poulies de caliorne des deux mâts ; ils sont frappés & passés comme ceux des balancines.
Pendeurs de palan, ce sont ceux qui tiennent les poulies où sont passés les palans des deux mâts.
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PENDILLON | S. m. (Horlog.) c'est une verge rivée avec la tige de l'échappement, pour communiquer le mouvement au pendule, & le maintenir en vibration. Cette piece est aussi appellée fourchette ; ce qui lui a fait donner ces deux noms, c'est que le pendillon porte une broche qui entre dans une ouverture faite au plat de la verge du pendule ; & on l'appelle fourchette, parce qu'elle tient lieu de broche dans laquelle passe la verge du pendule.
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PENDRE | v. a. (Gramm.) attacher quelque chose en haut par sa partie supérieure. On pend les cloches. L'évêque porte une croix pendue à son cou. Il signifie aussi traîner ; pendre, descendre trop bas. Il y a longtems que votre cotillon pend. Pendre se dit aussi du supplice de la potence. On pend son épée au croc.
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PENDRÉ | (Hist. natur. Botan.) plante de l'île de Madagascar. Elle a la feuille piquante ; ses fleurs sont blanches & très-aromatiques. Les femmes les laissent tremper dans l'huile pour en frotter leurs cheveux.
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PENDULE | S. m. (Méchanique) est un corps pesant, suspendu de maniere à pouvoir faire des vibrations, en allant & venant autour d'un point fixe par la force de la pesanteur. Voyez VIBRATION.
La pesanteur est l'unique cause des vibrations du pendule. Si le corps étoit absolument libre, & abandonné à lui-même, il descendroit vers la terre par la force de sa gravité, autant qu'il lui seroit possible, mais étant attaché par un fil, il ne peut obéir qu'en partie à l'effort de sa gravité, & il est contraint de décrire un arc de cercle.
Les vibrations, c'est-à-dire, les descentes & les remontées alternatives du pendule s'appellent aussi oscillations. Voyez OSCILLATION.
Le point autour duquel le pendule fait ses vibrations, est appellé centre de suspension ou de mouvement. Voyez CENTRE. Une ligne droite, qui passe par le centre parallélement à l'horison apparent, & perpendiculairement au plan dans lequel le pendule oscille, est appellé axe d'oscillation. Voyez AXE.
Galilée fut le premier qui imagina de suspendre un corps grave à un fil, & de mesurer le tems dans les observations astronomiques, & dans les expériences de physique par ses vibrations ; à cet égard, on peut le regarder comme l'inventeur des pendules. Mais ce fut M. Huyghens, qui le fit servir le premier à la construction des horloges. Avant ce philosophe, les mesures du tems étoient très-fautives ou très-pénibles, mais les horloges qu'il construisit avec des pendules, donnent une mesure du tems infiniment plus exacte que celle qu'on peut tirer du cours du soleil : car le soleil ne marque que le tems relatif ou apparent, & non le tems vrai. Voyez ÉQUATION DU TEMS.
Les vibrations d'un pendule sont toutes sensiblement isochrones, c'est-à-dire, qu'elles se font dans des espaces de tems sensiblement égaux. Voyez ISOCHRONE.
C'est ce qui fait que le pendule est le plus exact chronometre, ou l'instrument le plus parfait pour la mesure du tems. Voyez TEMS & CHRONOMETRE.
C'est pour cela aussi qu'on propose les différentes longueurs du pendule, comme une mesure & invariable & universelle des longueurs, pour les contrées & les siecles les plus éloignés. Voyez MESURE.
Ainsi, ayant une fois trouvé un pendule dont une vibration est précisément égale à une seconde de tems, prise sur le mouvement moyen du soleil, si le pié horaire (ainsi que M. Huyghens appelle la troisieme partie de son pendule à seconde) comparé au pié qui sert, par exemple, d'étalon en Angleterre, est comme 392 à 360 ; il sera aisé, par le calcul, de réduire à ces piés toutes les autres mesures du monde ; les longueurs des pendules, comptées du point de suspension jusqu'au centre de la boule, étant les unes aux autres, comme les quarrés des tems pendant lesquels se font les différentes oscillations : elles sont donc réciproquement comme les quarrés des nombres d'oscillations qui se font dans le même tems. C'est sur ce principe que M. Mouton, chanoine de Lyon, a composé un traité de mensura posteris transmittenda.
Peut-être même seroit-il à souhaiter que toutes les nations voulussent s'accorder à avoir une mesure commune, qui seroit, par exemple, celle du pendule à secondes : par-là on éviteroit l'embarras & la difficulté de réduire les unes aux autres les mesures des différentes nations ; & si les anciens avoient suivi cette méthode, on connoîtroit plus exactement qu'on ne fait aujourd'hui les diverses mesures dont ils se servoient.
Cependant quelques savans croyent que cette méthode a des inconvéniens. Selon eux, pour réussir à la rendre universelle, il faudroit que la pesanteur fût la même à tous les points de la surface de la terre. En effet, la pesanteur étant la seule cause de l'oscillation du pendule, & cette cause étant supposée rester la même, il est certain que la longueur du pendule qui bat les secondes, devroit être invariable, puisque la durée des vibrations dépend de cette longueur, & de la force avec laquelle les corps tombent vers la terre. Par conséquent, la mesure qui en résulte seroit universelle pour tous les pays & pour tous les tems ; car nous n'avons aucune observation qui nous porte à croire que l'action de la gravité soit différente dans les mêmes lieux en différens tems.
Mais des observations incontestables ont fait connoître que l'action de la pesanteur est différente dans différens climats, & qu'il faut toujours allonger le pendule vers le pole, & le raccourcir vers l'équateur. Ainsi, on ne sauroit espérer de mesure universelle que pour les pays situés dans une même latitude.
Comme la longueur du pendule qui bat les secondes à Paris, a été déterminée avec beaucoup d'exactitude, on pourroit y rapporter toutes les autres longueurs. Pour rendre la mesure universelle, il faudroit avoir par l'expérience des tables des différences des longueurs du pendule qui battroit les secondes, dans les différentes latitudes. Mais il n'est nullement aisé de déterminer ces longueurs par l'expérience avec la précision nécessaire pour en bien connoître les différences, qui dépendent quelquefois de moins que d'un quart de ligne. Pour connoître la quantité de l'action de la pesanteur dans un certain lieu, il ne suffit pas d'avoir une horloge à pendule, qui batte les secondes avec justesse dans ce lieu ; car ce n'est pas la seule pesanteur qui meut le pendule d'une horloge, mais l'action du ressort, & en général tout l'assemblage de la machine agit sur lui, & se mêle à l'action de la gravité pour le mouvement. Il n'est question que de trouver la quantité de l'action de la seule pesanteur ; & pour y parvenir on se sert d'un corps grave suspendu à un fil, lequel étant tiré de son point de repos, fait les oscillations dans de petits arcs de cercle, par la seule action de la pesanteur. Afin de savoir combien ce pendule fait d'oscillations dans un tems donné, on se sert d'une horloge à pendule bien reglée pour le tems moyen, & l'on compte le nombre d'oscillations que le pendule d'expérience, c'est-à-dire, celui sur qui la pesanteur agit, a fait, pendant que le pendule de l'horloge a battu un certain nombre de secondes. Les quarrés du nombre des oscillations que le pendule de l'horloge & le pendule d'expérience font en un tems égal, donnent le rapport entre la longueur du pendule d'expérience, & celle du pendule simple qui feroit ses oscillations par la seule force de la pesanteur, & qui seroit isochrone au pendule composé de l'horloge, & qui par conséquent battroit les secondes dans la latitude où l'on fait l'expérience, & cette longueur est celle du pendule que l'on cherche. M. Formey.
Voilà un précis de ce que quelques savans ont pensé sur cette mesure universelle tirée du pendule ; on pourroit y répondre qu'à la vérité la longueur du pendule n'est pas exactement la même dans tous les lieux de la terre ; mais outre que la différence en est assez petite, on ne peut disconvenir, comme ils l'avouent eux-mêmes, que la longueur du pendule ne demeure toujours la même dans un même endroit ; ainsi les mesures d'un pays ne seroient au-moins sujettes à aucune variation, & on auroit toujours un moyen de les comparer aux mesures d'un autre pays avec exactitude & avec précision. On peut avoir sur ce sujet les réflexions de M. de la Condamine dans les mémoires de l'académie, année 1747.
M. Huyghens détermine la longueur du pendule qui bat les secondes à trois piés, trois pouces, & trois dixiemes d'un pouce d'Angleterre, suivant la réduction de M. Moor : à Paris MM. Varin, Des Hays & de Glos ont trouvé la longueur du pendule à secondes de 440 lignes 5/9 ; M. Godin de 440 lignes 5/9 ; M. Picard de 440 & 1/2, & il trouva la même dans l'île de Heune, à Lyon, à Bayonne & à Sette. M. de Mairan ayant répété l'expérience en 1735 avec beaucoup de soin, l'a trouvée de 440 lignes 17/30, qui ne differe de la longueur de M. Picard que de 1/90 de ligne. Ainsi on peut s'en tenir à l'une ou l'autre de ces mesures pour la longueur exacte du pendule à secondes à Paris. Remarquez que les longueurs des pendules se mesurent ordinairement du centre de mouvement, jusqu'au centre de la boule ou du corps qui oscille.
Sturmius nous apprend que Riccioli fut le premier qui observa l'isochronisme des pendules, propriété si admirable, & qu'il en fit usage pour la mesure du tems : après lui Ticho, Langrenus, Werdelin, Mersenne, Kircher & d'autres, ont trouvé la même chose ; mais Huyghens, comme nous l'avons déja dit, est le premier qui ait appliqué le pendule aux horloges. Voyez HORLOGE.
Il y a des pendules simples & composés.
Le pendule simple consiste en un seul poids, tel que A, considéré comme un point, & en une ligne droite inflexible, comme C A, regardée comme si elle n'avoit aucune pesanteur ; & suspendue au centre C, autour duquel elle peut aisément tourner. Pl. de Méchanique, fig. 36.
Le pendule composé consiste en plusieurs poids, fixés de maniere à conserver la même distance, tant les uns des autres, que du centre autour duquel ils font leurs vibrations. Voyez COMPOSE & OSCILLATION.
Théorie du mouvement des pendules. 1°. Un pendule élevé en B, retombera par l'arc de cercle B A, & s'élevera encore en décrivant un arc A D de même grandeur, jusqu'à un point D, aussi haut que le premier ; de-là il retombera en A, & se relevera jusqu'en B, & continuera ainsi perpétuellement de monter & de descendre.
Car supposons que H I soit une ligne horisontale, & que B D lui soit parallele ; si le corps A, que l'on considere ici comme un point, est élevé en B ; la ligne de direction B H, étant une perpendiculaire tirée du centre de pesanteur B sur la ligne horisontale H I, tombe hors du point C, & par conséquent l'action de la pesanteur n'est point détruite par la résistance de la verge B C, comme elle l'est lorsque la verge est dans une situation verticale C A, le corps ne sauroit donc rester en B, il faut qu'il descende. Voyez DESCENTE.
Mais ne pouvant, à cause du fil qui la retient, tomber perpendiculairement par B H, il sera forcé de décrire l'arc B A : de plus, quand il arrive en A, il tend à s'émouvoir suivant la tangente A I, avec la vîtesse qu'il a acquise en tombant le long de l'arc B A, & cette vîtesse est égale à celle qu'elle auroit acquise en tombant de la hauteur B H ou F G ; & comme le corps ne peut se mouvoir suivant A I, à cause du fil qui le retient, il est obligé de se mouvoir sur l'arc A D. Or en montant le long de cet arc, la pesanteur lui ôte à chaque instant autant de degrés de vîtesse qu'elle lui en avoit donnés lorsqu'elle descendoit le long de l'arc B A ; d'où il s'ensuit que lorsqu'il sera arrivé en D, il aura perdu par l'action successive & répétée de la pesanteur, toute la vîtesse qu'il avoit au point A : donc quand il sera arrivé en M, il cessera de monter, & redescendra par l'arc D A pour remonter jusqu'en B, & ainsi de suite. Voyez ACCELERATION & PESANTEUR.
Ce théorème est confirmé par l'expérience dans un nombre fini d'oscillations : mais si on les supposoit continuées à l'infini, on appercevroit enfin quelque différence : car la résistance de l'air, & le frottement autour du centre C, détruira une partie de la force acquise en tombant : ainsi le corps ne remontera pas précisément au même point.
C'est pourquoi la hauteur à laquelle le pendule remonte diminuant considérablement, les oscillations cesseront enfin, & le pendule demeurera en repos dans la direction perpendiculaire à l'horison, qui est sa direction naturelle. On fait cependant abstraction de la résistance de l'air & du frottement que le pendule éprouve à son point de suspension lorsqu'on traite des oscillations des pendules, parce qu'on ne les considere que dans un tems très-court ; & que dans un petit espace de tems ces deux obstacles ne font pas un effet sensible sur le pendule. Ainsi les vibrations du même pendule, dans des petits arcs de cercles inégaux, s'achevent dans des tems sensiblement égaux, quoiqu'ils ne le soient pas géométriquement, & que divers inconvéniens puissent les augmenter ou les diminuer.
Les oscillations dans de plus grands arcs se font toujours dans un tems un peu plus long, & ces petites différences qui sont très-peu de chose dans un tems très-court & dans de très-petits arcs, deviennent sensibles lorsqu'elles sont accumulées dans un tems plus considérable, ou que les arcs different sensiblement. Or mille accidens soit du froid, soit du chaud, soit de quelque saleté qui peuvent se glisser entre les roues de l'horloge, peuvent faire que les arcs décrits par le même pendule ne soient pas toujours égaux, & par conséquent les tems marqués par l'aiguille de l'horloge, dont les vibrations du pendule sont la mesure, seroient ou plus courts ou plus longs. L'expérience s'est trouvée conforme à ce raisonnement ; car M. Derham ayant fait osciller dans la machine pneumatique un pendule, qui faisoit ses vibrations dans un cercle, il trouva que lorsque l'air étoit pompé de la machine, les arcs que son pendule décrivoit étoient d'un cinquieme de pouce plus grands de chaque côté que dans l'air, & que ses oscillations étoient plus lentes de deux secondes par heure. Les vibrations du pendule étoient plus lentes de 6 secondes par heure dans l'air, lorsqu'on ajustoit le pendule de façon que les arcs qu'il décrivoit fussent augmentés de cette même quantité d'un cinquieme de pouce de chaque côté ; Trans. phil. n °. 294. car l'air retarde d'autant plus le mouvement des pendules, que les arcs qu'ils décrivent sont plus grands ; le pendule parcourt de plus grands arcs dans le vuide par la même raison qui fait que les corps y tombent plus vîte, c'est-à-dire, parce que la résistance de l'air n'a pas lieu dans ce vuide. Enfin M. Derham remarque que les arcs décrits par son pendule étoient un peu plus grands, lorsqu'il avoit nouvellement nettoyé le mouvement qui le faisoit aller.
C'est pour remédier à l'inégalité du mouvement des pendules, que M. Huyghens imagina de faire osciller les pendules dans des arcs de cycloïde, au lieu de leur faire décrire des arcs de cercle. Voyez RESISTANCE & FROTTEMENT.
2°. Si le pendule simple est suspendu entre deux demi-cycloïdes C B & C D (Pl. Méch. fig. 37.) dont les cercles générateurs ayent leur diametre égal à la moitié de la longueur du fil C A, de maniere que le fil, en oscillant, s'applique ou se roule autour des demi-cycloïdes ; toutes les oscillations, quelle que soit la différence ou l'inégalité de leur grandeur, seront isochrones, c'est-à-dire, se feront en des tems égaux.
Car, puisque le fil du pendule C E est roulé autour de la demi-cycloïde B C ; le centre de pesanteur de la boule E, que l'on y considere comme un point, décrira, par son développement, une cycloïde B E A D, comme on le démontre par la théorie de cette courbe : or toutes les ascensions & descentes dans une cycloïde sont isochrones, ou se font en tems égaux : c'est pourquoi les oscillations du pendule sont aussi isochrones. Voyez CYCLOÏDE.
Imaginons présentement, qu'avec la longueur du pendule C A, on décrit un cercle du centre C : il est certain qu'une portion très-petite de la cycloïde, proche le sommet A, est presque décrite par le même mouvement ; car si le fil C A ne décrit qu'une très-petite portion de la cycloïde, comme A L, il ne s'enveloppera autour des cycloïdes C B, C D, que par une petite partie de son extrémité vers C, & les points A, L seront sensiblement à la même distance du point C ; c'est pourquoi un petit arc de cercle se confondra presqu'entierement avec le cycloïde.
Ainsi, dans les petits arcs de cercle, les oscillations des pendules seront sensiblement isochrones, quoiqu'inégales entr'elles ; & le rapport au tems de la descente perpendiculaire par la moitié de la longueur du pendule, est le même que celui de la circonférence d'un cercle à son diametre, comme M. Huyghens l'a démontré pour la cycloïde.
D'où il suit que plus les pendules qui oscillent dans des arcs de cercle sont longs, plus les oscillations sont isochrones, ce qui s'accorde avec l'expérience ; car dans deux grands pendules d'égale longueur, mais qui oscillent dans des arcs inégaux, pourvu néanmoins que l'un de ces arcs ne soit pas trop grand, à peine appercevra-t-on quelqu'inégalité ou différence dans le nombre de cent oscillations.
D'où il suit encore que l'on a une méthode de déterminer l'espace que parcourt en un tems donné un corps pesant qui tombe perpendiculairement. Car ayant le rapport du tems d'une oscillation au tems de la chûte par la moitié de la longueur du pendule, on a le tems de la chûte par la moitié de la longueur du pendule ; d'où l'on peut déduire l'espace qui sera parcouru dans tout autre tems donné quelconque.
C'est au célebre M. Huyghens que nous sommes redevables de toute la théorie des pendules, qui oscillent entre deux demi-cycloïdes, tant par rapport à la théorie qu'à la pratique : il la publia d'abord dans son horologium oscillatorium, sive demonstrationes de motu pendulorum, &c.
Depuis ce tems on a démontré en beaucoup de manieres différentes tout ce qui regarde le mouvement des pendules, & le célebre M. Newton nous a donné dans ses principes une belle théorie sur ce sujet, dans laquelle il a étendu aux épicycloïdes les propriétés que M. Huyghens avoit démontrées de la cycloïde.
3°. L'action de la pesanteur est moindre dans les parties de la terre, où les oscillations du même pendule sont plus lentes, & elle est plus grande où elles sont plus promptes.
Car le tems d'une oscillation dans la cycloïde est au tems de la descente perpendiculaire par le diametre du cercle générateur, comme la circonférence du cercle est au diametre. Par conséquent, si les oscillations du même pendule sont plus lentes, la descente perpendiculaire des corps pesans est aussi plus lente, c'est-à-dire, que le mouvement est moins accéleré, ou que la force de la pesanteur est moindre, & réciproquement.
Ainsi, comme l'on trouve par expérience que les oscillations du même pendule sont plus lentes, près de l'équateur que dans les endroits moins éloignés du pole, la force de la pesanteur est moindre vers l'équateur que vers les poles ; & de-là on a conclu que la figure de la terre n'est pas précisément une sphere, mais un sphéroïde. Voyez FIGURE DE LA TERRE.
Ainsi M. Richer, trouva par une expérience faite en l'île de Cayenne, vers le quatrieme degré de latitude, qu'un pendule qui bat les secondes à Paris, devoit être raccourci d'une ligne & un quart, pour réduire ses vibrations au tems d'une seconde.
M. Deshayes, dans un voyage qu'il fit en Amérique, confirma l'observation de M. Richer : mais il ajoute que la diminution établie par cet auteur paroît trop petite.
M. Couplet le jeune, à son retour d'un voyage en Brésil & en Portugal, se réunit à M. Deshayes, quant à la nécessité de raccourcir le pendule vers l'équateur, plus que n'avoit fait M. Richer. Il observa que même à Lisbonne, le pendule à secondes doit être deux lignes 1/2 plus court qu'à Paris ; ce qui est une plus grande diminution que celle de Cayenne, telle que M. Richer l'a déterminée, quoique Cayenne ait 24 degrés moins de latitude que Lisbonne. Mais les observations de M. Couplet n'ont point paru assez exactes à M. Newton pour qu'on pût s'y fier : crassioribus, dit-il, hujus observationibus minus fidendum est. Prop. xx. liv. III. de ses principes.
D'autres auteurs ont prétendu que la diminution du pendule ne se faisoit point regulierement : Messieurs Picard & de la Hire ont trouvé la longueur du pendule à secondes exactement la même à Bayonne, à Paris, & à Vranibourg en Danemarck ; quoique la premiere ville soit à 43 degrés 1/2 de latitude, & la derniere à 43°. 3'.
C'est pourquoi M. de la Hire présuma que la diminution n'est qu'apparente, que la verge de fer avec laquelle M. Richer mesura son pendule, peut s'être allongée par les grandes chaleurs de l'île de Cayenne ; & qu'ainsi, en approchant de la ligne, le pendule ne devroit pas proprement être raccourci, abstraction faite de la chaleur. Mais en premier lieu, on pourroit répondre, que suivant la table donnée par M. Newton de la longueur du pendule aux différentes latitudes, la différence des longueurs du pendule à 43 degrés & demi & à 35 degrés, est assez petite pour avoir été difficile à appercevoir ; car cette différence n'est que d'environ 3/10 de lignes ; à plus forte raison la différence à Bayonne & à Paris sera-t-elle encore plus insensible. A l'égard de l'observation de M. de la Hire sur l'accourcissement des verges du pendule par le froid, & leur dilatation par la chaleur, M. Newton répond que dans l'expérience que M. de la Hire rapporte, la chaleur de la verge étoit plus grande que celle du corps humain, parce que les métaux s'échauffent beaucoup au soleil, au lieu que la verge d'un pendule n'est jamais exposée à la chaleur directe du soleil, & ne reçoit jamais un degré de chaleur égal à celui du corps humain ; d'où il conclut qu'une verge de pendule longue d'environ 3 piés, peut être, à la vérité, un peu plus longue en été qu'en hyver, & à l'équateur que dans nos climats, si on a égard à la chaleur, mais que son allongement ne doit pas être assez grand pour produire toute la différence que l'on observe dans la longueur du pendule. M. Newton ajoute qu'on ne peut point attribuer non plus cette différence aux erreurs des Astronomes françois ; car quoique leurs observations ne s'accordent pas parfaitement entr'elles, cependant la différence en est si petite, qu'elle peut être négligée. En comparant entr'elles ces différentes observations, M. Newton croit qu'on peut prendre deux lignes pour la quantité dont le pendule à secondes doit être augmenté sous l'équateur.
M. de Maupertuis, à la fin de son traité de la parallaxe de la luxe, nous a donné un précis des principales opérations qui ont été faites pour la mesure du pendule dans les différens endroits de la terre par les plus habiles observateurs, & il y joint les observations qui ont été faites par lui-même & par messieurs Clairaut, Camus, le Monnier, &c. à Pello pour y déterminer la longueur du pendule. Il déduit ensuite de ces observations les rapports de la pesanteur en différens lieux, dont il a formé une table ; il trouva par exemple qu'un poids de 100000 livres à Paris pesoit à Pello 100137, & à Londres 100018. Voyez FIGURE DE LA TERRE. Voyez aussi les ouvrages de messieurs Bouguer, la Condamine, Boscowich, &c. sur cet important sujet.
4°. Si deux pendules font leurs vibrations dans des arcs semblables, les tems de leurs oscillations sont en raison sous-doublée de leurs longueurs.
D'où il suit que les longueurs des pendules, qui font leurs vibrations dans des arcs semblables, sont en raison doublée des tems que durent les oscillations.
5°. Les nombres des oscillations isochrones faites dans le même tems par deux pendules, sont réciproquement comme les tems employés aux différentes vibrations.
Ainsi les longueurs des pendules, qui font leurs vibrations par des petits arcs semblables, sont en raison doublée réciproque des nombres d'oscillations faites dans le même tems.
6°. Les longueurs des pendules, suspendus entre deux cycloïdes, sont en raison doublée des tems, pendant lesquels se font les différentes oscillations.
D'où il suit qu'elles sont en raison doublée réciproque des nombres d'oscillations faites dans le même tems ; & que les tems des oscillations, faites en différentes cycloïdes, sont en raison sous-doublée des longueurs des pendules.
7°. Pour trouver la longueur d'un pendule, qui fasse un certain nombre de vibrations en un tems donné quelconque.
Supposons que l'on demande 50 vibrations dans le tems d'une minute, & que l'on demande la longueur de la verge, en comptant du point de suspension jusqu'au centre d'oscillation ou de la boule qui est au bout : c'est une regle constante que les longueurs des pendules sont l'une à l'autre réciproquement comme les quarrés de leurs vibrations. Maintenant supposons qu'un pendule à secondes, c'est-à-dire, qui fait 60 vibrations dans une minute, est de 39 pouces & 2/10 ; dites donc, le quarré de 50, qui est de 2500, est au quarré de 60, qui est de 3600, comme 30 2/10 est à la longueur du pendule cherché, que l'on trouvera de 56 pouces 4/10.
Remarque pratique. Puisque le produit des termes moyens de la proportion sera toujours 1411200, c'est-à-dire, 3600 x 39 2/10, il n'y a seulement qu'à diviser ce nombre par le quarré du nombre des vibrations assigné ; & le quotient donnera la longueur d'un pendule, qui fera précisément autant de vibrations dans une minute.
8°. La longueur d'un pendule étant connue, trouver le nombre de vibrations qu'il fera dans un tems donné.
Cette question est l'inverse de la premiere : dites la longueur donnée 56 4/10 est à la longueur du pendule à secondes, qui sert de modele, c'est-à-dire ici, est à 39 2/10, comme le quarré des vibrations de ce dernier pendule dans un tems donné ; par exemple, une minute est au quarré des vibrations cherchées ; c'est-à-dire, 56 4/10 39 2/10 : : 3600. 2500, & la racine quarrée de 2500 ou 50 sera le nombre des vibrations que l'on demande.
Mais dans la pratique, il faut agir ici comme dans le premier problème ; vous n'aurez seulement qu'à diviser 1411200 par la longueur, vous aurez le quarré du nombre des vibrations ; de même que l'on divise ce nombre par le quarré des vibrations pour trouver la longueur.
Sur ces principes M. Derham a construit une table des vibrations des pendules des différentes longueurs dans l'espace d'une minute.
Remarquez que ces lois du mouvement des pendules ne s'observeront pas à la rigueur, à moins que le fil qui soutient la boule n'ait aucun poids, & que la pesanteur de tout le poids ne soit réuni en un seul point.
C'est pourquoi il faut se servir dans la pratique d'un fil très-fin & d'une petite boule, mais d'une matiere fort pesante ; sans cela le pendule, de simple qu'on le suppose, deviendroit composé, & ce seroit presque la même chose que si différens poids étoient appliqués à différens endroits de la même verge inflexible.
L'usage des pendules, pour mesurer le tems dans les observations astronomiques, & dans les occasions où l'on a besoin d'un grand degré de précision, est trop évident pour qu'il soit besoin d'en parler ici.
On peut régler la longueur du pendule avant son application, & la faire pour battre un tems demandé, par exemple, les secondes, les demi-secondes, &c. par l'art. 4. ou bien, on peut la prendre à volonté, & déterminer ensuite les tems des vibrations suivant l'art. 8.
Quant à l'usage des pendules pour la mesure des distances inaccessibles, fort éloignées par le moyen du son, voyez SON, Chambers, Wolf, &c. (O)
Méthode générale pour trouver le mouvement d'un pendule. Soit a le rayon du cercle que décrit le pendule, ou la longueur du pendule ; b, l'abscisse totale qui répond à l'arc du centre, en prenant cette abscisse depuis le point le plus bas ; x, l'abscisse d'une portion quelconque de cet arc ; p, la pesanteur ; u, la vîtesse en un point quelconque, on aura, u u = 2 p (b - x). Voyez les articles FORCE ACCELERATRICE & PLAN INCLINE) ; & le tems employé à parcourir un arc quelconque infiniment petit, sera u = x . Or, lorsque l'arc descendu n'a pas beaucoup d'amplitude, x est petit par rapport à a ; & on peut, au lieu de , ou , écrire x ( + ), &c. (voyez BINOME, APPROXIMATION, & EXPOSANT) ; de maniére que l'élément du tems sera à-peu-près x ( + ), &c. quantité qui étant intégrée par les regles connues, donnera à-peu-près le tems d'une demi-vibration du pendule. On peut même, lorsque l'arc descendu est fort petit, négliger entierement le terme ; & alors le tems de la descente du pendule sera sensiblement le même que celui de la descente dans une cycloïde qui auroit le rayon osculateur à son sommet égal au rayon du pendule.
On voit aussi que le tems de la descente par un arc de cercle, est en général un peu plus grand que celui de la descente par un tel arc de cycloïde : de plus il est aisé de comparer le tems d'une vibration avec le tems de la descente verticale d'un corps le long d'un espace quelconque h. Car la vîtesse, à la fin de cet espace, est , & l'élément du tems est , dont l'intégrale est . Or le tems de la demi-vibration est égal à l'intégrale de , ou de x , c'est-à-dire (en nommant c la circonférence du rayon a) a x . Donc les deux tems sont entr'eux comme à . D'où il est aisé de tirer tous les théorèmes sur les pendules.
Dans ces théorèmes on fait abstraction de la résistance de l'air ; cependant il est bon d'y avoir égard, & plusieurs géometres s'y sont appliqués. Voyez les Mém. de Pétersbourg, tom. III. & V. Voyez aussi mon Essai sur la résistance des fluides, art. xcv. xcvj. & suiv. (O)
PENDULE, RECIPROCATION DU. On appelle ainsi un petit mouvement presque insensible de libration ou d'oscillation que doit avoir, suivant quelques philosophes, un long pendule attaché fixement à un plancher, & qu'on y laisse en repos.
Il est certain que le centre de gravité de la terre change continuellement de place, ne fût-ce que par le mouvement du flux & reflux. Voyez FLUX ET REFLUX. Or ce mouvement dans le centre de gravité doit produire une altération dans la direction & le mouvement des graves. Reste à savoir si cette altération est sensible. Pour cela il faut suspendre à un plancher un long pendule, & voir si ce pendule est dans un parfait repos. Un gentilhomme de Dauphiné, nomme Calignon de Peirins, ami de Gassendi, ayant fait cette expérience sur un pendule de trente piés, prétendit y avoir observé du mouvement ; ce qui occasionna entre les Savans une dispute dont on peut voir le détail dans l'histoire de l'académie de 1742 : depuis ce tems, d'autres savans ont entrepris de répéter la même expérience, & ont trouvé des résultats différens, les uns tenant pour le balancement, les autres le niant. Enfin M. Bouguer, dans les Mémoires de l'académie de 1754, a traité cette matiere avec beaucoup de soin ; & il en résulte que la réciprocation du pendule, lorsqu'il y en a, tient à une cause prochaine & irréguliere, & ne peut être mise au rang des phénomenes généraux qui dépendent du système du monde. (O)
PENDULE, s. f. (Horlogerie) espece d'horloge à pendule, exécutée en général avec plus de précision que les horloges de cette espece, & qui n'en differe essentiellement que par la disposition de ses parties, sur-tout de la cage qui ressemble fort à celle des montres.
Dans le tems où l'on commença à appliquer le pendule aux horloges, les premieres dans lesquelles on employa ce nouveau régulateur, furent probablement appellées d'abord horloges à pendule, ensuite simplement pendules ; & comme ces horloges n'étoient que d'une grandeur médiocre & faites avec plus de précision que les autres, il est arrivé de-là, que malgré que dans toutes les horloges on ait substitué dans la suite le pendule au balancier, il n'y a eu que celles d'une certaine grandeur & dont nous venons de parler, auxquelles on ait donné le nom de pendules, les autres ayant conservé celui d'horloges, comme horloge de clocher, de chambre, &c.
On distingue les pendules en général en pendules à poids & pendules à ressort. Dans les premieres, sont toutes les pendules à grandes vibrations, à équation, &c. Dans les secondes, sont toutes celles d'une certaine grandeur qui ont pour principe du mouvement un ressort, comme celles qui se mettent sur un pié, sur une table, qui se plaquent contre le mur, &c. telles sont ordinairement les pendules à quinze jours, à sonnerie, les pendules à quarts, les pendules à trente heures, les pendules à répétition, les pendules à trois parties ; c'est-à-dire celles qui répetent l'heure lorsque l'on tire le cordon, & qui sonnent en même tems l'heure & les quarts d'elles-mêmes. Enfin, celles à quatre parties, qui, outre les propriétés de ces dernieres ont encore celle d'être à réveil ; il y a encore des pendules à carillon & des pendules à remontoir, qui sont en quelque façon à poids & à ressort, la force motrice originale étant un ressort employé à faire sonner la sonnerie, & en même tems à remonter un poids qui fait aller le mouvement. Voyez REMONTOIR.
PENDULE D'EQUATION, (Horlogerie) espece de pendule construite de façon qu'elle marque & l'heure du tems vrai, & celle du tems moyen ; au moyen de quoi, la différence entre ces deux especes d'heure, indique l'équation du soleil. Quoiqu'on ait commencé de très-bonne heure à faire des horloges curieuses qui marquoient les mouvemens des planetes, &c. cependant leur mouvement étoit trop irrégulier, pour qu'on pensât à leur faire marquer les équations du soleil, ces horloges avançant ou retardant souvent d'une demi-heure en très-peu de tems, tandis que l'équation du soleil n'est que de seize minutes dans l'espace de trois mois. Mais dès que l'on eût appliqué le pendule aux horloges, le mouvement de ces horloges, ou plûtôt de ces pendules, en devint si juste par rapport à celui des horloges ordinaires, qu'on s'apperçut bien-tôt que pour les bien régler, il falloit avoir égard à l'équation du soleil ; ce qui fit apparemment naître l'idée des pendules d'équation. Une des premieres dont on ait connoissance, est celle qui se trouva dans le cabinet du roi d'Espagne en 1699, dont parle M. Sully dans la regle artificielle du tems. Cette pendule marquoit l'équation du soleil, au moyen de deux aiguilles, dont l'une indiquoit le tems vrai, & l'autre le tems moyen ; & c'est de cette façon qu'on les a faites en Angleterre. Le même M. Sully propose dans le même livre de faire une pendule non pas d'équation, mais dont l'inégalité des vibrations du pendule répondroit à l'inégalité des jours, &c. Idée qui étoit aussi venue au R. P. D. Alexandre bénédictin, dès 1699, ce qu'il prouve par le certificat de l'académie royale des Sciences, qu'il rapporte : ce pere dans son traité des Horloges, s'efforce de prouver la beauté de cette invention ; mais pour peu qu'on entende l'horlogerie, on verra combien elle est ridicule, & que les pendules ne sont pas déjà trop précises pour ajouter de nouvelles sources d'erreur dans l'allongement & le raccourcissement périodique du pendule ; mais il est inutile de parler de cette espece de pendules, qui ne sont réellement pas des pendules d'équation.
PENDULE en tant qu'appliqué aux horloges. L'invention des horloges à pendule, qu'on appelle simplement pendule, est dûe à l'industrie heureuse du siécle passé : Huyghens & Galilée s'en disputent l'honneur. Le premier qui a fait un volume considérable sur ce sujet, déclare qu'on n'a exécuté cette espece d'horloge qu'en 1657, & qu'on n'en a imprimé la description qu'en 1678. Becker, dans sa nova dimetiendi temporis theoria, se déclare vivement pour Galilée, & rapporte (à la vérité de la seconde main) toute l'histoire de cette invention, ajoutant qu'un nommé Thessler, horloger du pere du grand duc de Toscane, qui vivoit de son tems, avoit fait la premiere pendule à Florence, sous la direction de Galilée, Galileo, & qu'il en avoit envoyé un modele en Hollande. L'académie del Cimento dit expressément, que l'application du pendule au mouvement des horloges avoit été d'abord proposée par Galilée, & que c'étoit son fils Vincenzo Galilei qui l'avoit mis le premier en pratique en 1649.
Quel qu'ait été l'auteur de cette invention, au-moins est-il certain qu'elle n'a reçu sa perfection que de Huyghens, lequel fait remarquer avec soin, que si Galilée en a eu quelqu'idée, au-moins ne l'a-t-il pas portée à sa maturité.
C'est en 1662, que M. Fromentil, hollandois, a fait en Angleterre la premiere pendule.
Le pendule en tant qu'appliqué à l'horloge, est composé d'une verge d'acier, A B, fig. 18. (Pl. de la pendule à secondes) suspendue à un point fixe P ; de façon qu'elle puisse se mouvoir librement autour de lui ; & d'un corps grave B, auquel on donne la forme lenticulaire, afin de diminuer la resistance que l'air apporte à son mouvement.
Ce qui rend le pendule si supérieur aux autres régulateurs, c'est que perdant fort peu de son mouvement, il est entretenu en vibration par une force très-foible à son égard, & dont par conséquent les inégalités influent bien moins sur sa justesse.
Si l'on met en vibration dans le même tems un pendule & un balancier joint à son ressort, l'expérience fait voir qu'au bout de 90 secondes, le dernier aura perdu tout son mouvement, au lieu que l'autre le conservera pendant dix heures & plus. Ainsi les restitutions du mouvement sur le pendule, sont à celles qu'exige le balancier aidé du ressort, à-peu-près comme un à 400.
Plusieurs causes concourent à cette supériorité du pendule sur le balancier : les particules du ressort éprouvant un frottement les unes sur les autres, quand il reprend sa premiere figure ; la force qu'il devroit communiquer au balancier en est d'autant plus diminuée ; mais ce qui contribue encore plus à la perfection du pendule, c'est la suspension. Voyez SUSPENSION.
L'expérience a montré qu'un long pendule donne plus de régularité qu'un court, en parcourant les mêmes espaces ; en voici les raisons.
1°. Sa lentille descendant par un plan moins incliné, peut être beaucoup plus pesante, parce que son mouvement est moins difficile à restituer, & parce qu'il s'en perd une moindre quantité ; le nombre des oscillations dans un tems quelconque, n'étant pas si considérable, & l'air n'étant point frappé avec autant de rapidité dans chacune d'elles.
2°. Pour des solides de figures semblables, les surfaces n'étant point comme les masses, mais comme les quarrés de leurs racines cubiques, les résistances de l'air deviennent d'autant moins puissantes sur les lentilles fort pesantes.
3°. Ces vibrations plus lentes rendent le rouage plus simple, plus constamment le même, & moins sujet à l'usure. On remarque que dans les pendules à secondes ; par exemple, les trous des pivots ne s'usent presque jamais.
4°. Par toutes les raisons précédentes, la force motrice d'un long pendule peut être beaucoup moins considérable à l'égard du poids vibrant ; & les inégalités de cette force influent beaucoup moins sur la justesse des vibrations. Enfin, les longs pendules peuvent décrire des arcs beaucoup plus petits, qui, comme il est démontré, article CYCLOIDE, approchent davantage des arcs cycloïdaux.
Pendule à 15 jours à ressort & à sonnerie. La figure qu'on voit dans nos Pl. d'Horlog. représente une pendule de cette espece dont on a ôté la grande platine ; on y voit la disposition des roues du mouvement & de la sonnerie, comme dans tous les mouvemens ; c'est toujours la même théorie ; on entendra facilement de quelle maniere elles agissent les unes sur les autres ; la seule différence essentielle entre cette pendule, & la pendule à secondes, dont nous venons de parler, c'est qu'au lieu de poulie il y a ici un barillet R, denté à sa circonférence ; S est la seconde roue ; T la troisieme, ou la roue à longue tige ; V la roue de champ, & X la roue de rencontre. On voit dans une autre fig. la maniere dont la roue de champ agit sur la roue de rencontre, & dont celle-ci agit sur les palettes de la verge. De l'autre côté, on voit le rouage de sonnerie, qui est composé de cinq roues, en comptant le barrillet Q, denté aussi ; à sa circonférence P, est la seconde roue, O la troisieme, ou la roue de chevilles, M, la roue d'étoquiau, N la roue du volant, & 4 le pignon du volant. La fig. suiv. représente cette pendule vûe du côté où sont les aiguilles ; le cadran étant ôté, on voit le détentillon D C 6, dont le bras 6 est levé toutes les demi-heures, pour faire sonner la pendule, au moyen des deux chevilles opposées qui sont sur la roue de minutes B. La fig. 15. represente la détente qu'on voit en place dans le profil de la figure 9. les parties F D, sont représentées par des parties p ; la fonction de la partie E, est mieux représentée en E dans la figure 7. où on la voit qui s'appuie sur le détentillon ; au moyen de quoi, celui-ci s'éleve à toutes les demi-heures. Pour entendre bien comment toutes ces pieces agissent pour faire sonner la pendule, voyez l'article SONNERIE.
A, fig. 7 est la tige du marteau qui a un ressort qui tend toujours à la faire tourner dans le sens contraire à celui où elle tourne quand les chevilles de la troisieme roue agissent sur l'espace de palette qu'elle a en Y. On voit en haut de cette figure 7. le marteau dont la queue entre quarrément sur cette tige : 7. & 8. sont les rochets qui entrent à quarré sur les arbres de barrillet, & qui sont retenus par les cliquets. Voyez l'article ENCLIQUETAGE. Les figures 13, 12, & 10, représentent le chaperon, le remontoir, & la potence A D, qui contient la verge des palettes C A, & dans la partie A de laquelle roule le pivot d'en haut de la roue de rencontre. 1 B, est la contre potence qui reçoit le pivot d'en bas de cette roue.
Pendules à quarts. Les hommes étant toûjours portés à imiter, ce n'est qu'avec effort qu'ils sortent des routes ordinaires. Ainsi la sonnerie des heures dans les premieres horloges ayant été faite avec un rouage particulier, quand on voulut leur faire sonner les quarts, on n'imagina rien de mieux que de faire aussi un rouage pour la sonnerie des quarts, quoique ce fût employer beaucoup d'ouvrage à produire peu d'effet ; ce qui est directement contraire à la saine méchanique, qui veut que la complication des machines soit toûjours proportionnelle à celle des effets qu'elles produisent : plusieurs horlogers sentant ce défaut des pendules à quarts ont voulu y rémédier, en les faisant sonner l'heure & les quarts par un seul rouage, mais jusqu'à-présent il y en a peu qui aient réussi, leurs pendules pour la plûpart étant fort compliquées ; il n'y a guere que quelques habiles horlogers & mon pere qui en aient fait avec cette simplicité qui est, si cela se peut dire, la véritable élégance dans les machines.
La fig. 28. représente la disposition des rouages du mouvement, de la sonnerie des heures & de celle des quarts d'une pendule à quarts ordinaire ; le mouvement ne différant en rien essentiellement de la pendule à quinze jours que nous venons de décrire. Quant au nombre des roues du mouvement, les voici.
Par ces nombres, on voit que la troisieme roue ou la roue à longue tige, faisant un tour par heure, le nombre des vibrations du pendule, dans le même tems, sera de 9438, & par conséquent que la longueur de ce pendule sera de cinq pouces trois lignes ou à-peu-près ; un pendule de cette longueur donnant par heure 8450 vibrations. Or par les nombres des premiers mobiles, il est clair, que la roue à longue tige fait soixante-douze tours pour un du barillet, & le ressort faisant six tours dans le barillet, il s'ensuit que le ressort, avant d'être au bas, fera faire à cette roue 432, qui équivaudront à autant d'heures ; & ce nombre étant divisé par 24 donnera le nombre de jours que la pendule marchera avant que d'être au bas. Quant au nombre des roues de la sonnerie, ils sont les mêmes que ceux dont il est parlé à l'article SONNERIE : ainsi nous y renvoyons.
La sonnerie des heures n'en differe pas essentiellement non plus, si ce n'est 1°. que cette pendule sonnant la demie par les quarts, un tour du chaperon au lieu d'équivaloir à 90 coups de marteau, n'équivaut qu'à 78, nombre des heures qu'une pendule doit sonner en 12 heures ; & 2°. que le détentillon Q R S (fig. 29.) au lieu d'être levé par la roue de minutes toutes les heures, l'est par un chaperon T qui appartient aux quarts : desorte que l'heure ne peut sonner qu'après les quarts, & qu'il n'est point nécessaire que ce détentillon ait une partie H fig. 13. telle que celui d'une pendule à sonnerie ordinaire, pour faire le délai, parce qu'ici la sonnerie des heures est dirigée par celle des quarts ; & que dès que ceux-ci sont sonnés, il faut que l'heure parte. Quant à la sonnerie des quarts, voici comme elle s'exécute. La roue de minutes N fig. 19. porte quatre chevilles qui levent alternativement le détentillon des quarts N O P, pour faire détendre la sonnerie des quarts comme à l'ordinaire ; celle-ci étant libre, sonne de la maniere suivante. La roue I Q fig. 18. porte un nombre de chevilles égal aux coups de marteau que les quarts doivent frapper pendant une heure, c'est-à-dire dix ; & comme ces dix coups doivent être frappés alternativement par deux marteaux, dont l'un doit toûjours partir le premier : six de ces chevilles sont d'un côté de la roue & quatre de l'autre, & non toutes d'un même côté, comme il est marqué dans la fig. ces chevilles levent alternativement une double bascule M pour les deux marteaux qui sont ici placés sur le côté, mais qu'on n'a point représentés. La sonnerie des quarts ayant été mise en liberté, la pendule sonne un certain nombre des quarts qui sont déterminés, de même que dans la sonnerie des heures, par une roue de compte (fig. 19. 2.) qui entre à quarré sur l'axe de la roue de chevilles, & qui est divisée en quatre parties 1, 2, 3, 4, pour un quart, deux quarts, &c. lorsque l'aiguille des minutes est sur le midi, dans l'instant que les quatre quarts sont sonnés, la cheville S du chaperon T leve le détentillon Q R S de la sonnerie des heures, au moyen de quoi l'heure sonne. On conçoit bien que le nombre des tours de la roue de chevilles de la sonnerie des quarts par rapport à ceux de son barillet, sont déterminés de façon que si la pendule va 18 jours, par exemple, cette roue fera autant de tours qu'il y a d'heures dans cet intervalle de tems ; c'est ce qu'on verra facilement par les nombres de cette sonnerie. On concevra de même que comme la sonnerie des heures ne frappe que 78 coups en 12 heures, la roue de chevilles de cette sonnerie fera par tour du chaperon un nombre de tours qui, multiplié par celui de ses chevilles, sera encore égal à 78. Voyez là-dessus l'article SONNERIE.
Nombres des roues de cette pendule. Mouvement.
Sonnerie des heures.
Sonnerie des quarts.
PENDULE, (Physiq. génér.) entre les découvertes sur le pendule, les Anglois attribuent à M. Christophe Wren, un des plus illustres Architectes de son siecle, les suivantes. Ils prétendent qu'il a trouvé le premier que le pendule dans un tour & retour, se meut inégalement en des tems égaux, selon une ligne de sinus ; qu'il pourroit se mouvoir d'une maniere circulaire ou elliptique, & que ces vibrations auroient les mêmes périodes que celles qui sont alternatives ; que par la jonction de plusieurs pendules qui dépendroient les uns des autres, ou pourroit représenter les mouvemens des planetes ou d'autres plus embarrassés encore ; ce qui n'empêcheroit pas ces pendules de faire sans confusion, de même que les planetes, trois ou quatre mouvemens différens, en agissant sur le même corps en divers périodes : enfin, qu'on pourroit trouver une mesure universelle pour l'usage ordinaire, par le moyen du pendule. (D.J.)
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PENDULIER | S. m. (Horlogerie) nom que les horlogers donnent à celui qui fait les pendules.
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PEN | ou PENNE, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Languedoc, près de l'Aveyron, avec un château ruiné.
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PENE | (Géog. mod.) riviere d'Allemagne ; elle a sa source dans le duché de Meckelbourg, & se décharge dans la mer Baltique, vis-à-vis de l'île de Ruden. (D.J.)
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PENÉE | (Géog. anc.) Peneus, fleuve de la Thessalie, au travers de laquelle il couloit, selon Strabon, l. IX. Pomponius Mela, l. II. c. iij. dit qu'il séparoit la Thessalie de la Phtiotide ; & Ptolomée, liv. III. ch. vij. veut qu'il séparât la Thessalie de la Pélasgiotide ; mais ces deux géographes entendent seulement parler de la Thessalie propre, que Strabon appelle Thessaliotide.
Ce fleuve avoit sa source dans le mont Pindus ; il couloit d'orient en occident en serpentant, & après s'être accru des eaux de diverses rivieres, il se rendoit dans la vallée de Tempé, pour aller ensuite se jetter dans le golfe Thermaïque, entre le mont Olympe & le mont Ossa.
Le Pénée est célebre chez les Poëtes, cela vient du grand nombre de lauriers qui étoient sur ses bords. On y en voit encore aujourd'hui une belle quantité. Il a perdu son ancien nom ; on l'appelle présentement la Salambria. Elle n'est guere plus grosse que le bras de la Seine qui passe à Paris devant le quai des Augustins ; mais ses eaux sont plus claires, & pour le moins aussi agréables à boire.
2°. Peneus est encore une riviere du Péloponnèse, dans l'Elide. Elle avoit son embouchure sur la côte occidentale, entre la ville Cyllene & le promontoire Chelonata, selon Strabon, l. VIII. p. 338. Thevet & Niger prétendent que le nom moderne de cette riviere est Igliaco.
3°. Penus, fleuve de la Sicile.
4°. Strabon, liv. II. pag. 531. dit que ce nom fut donné à l'Araxe, fleuve de l'Arménie, à cause de la ressemblance qu'il avoit avec le Pénée de Thessalie. (D.J.)
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PÉNES | (Marine) ce sont des bouchons de laine que le calfateur attache à un manche, appellé le bâton à Vadel, & dont il se sert à braïer le vaisseau. (Q)
PENE, (Rubanier) est le reste de la piece que l'on employe jusqu'au plus près des lisses qu'il est possible, au moyen de la corde à encorder dont on a parlé à l'article CORDE à encorder ; ce pêne devenant inutile, parce qu'il est trop court, n'est plus propre à ce métier, il sert aux religieuses qui en font mille petits ouvrages de dévotion.
PENE, s. m. (Serrurerie) c'est dans une serrure le morceau de fer que la clé fait aller & venir, en tournant sur elle-même & qui ferme la porte ; pêne vient de penulus, verrouil.
Le pêne en bord a lieu aux serrures de coffre, il passe le long du bord de la serrure ; lorsque le couvercle du coffre est fermé ; l'aubron entre dans le bord de la serrure, & le pêne dans l'aubron, lorsqu'on tourne la clé.
Le pêne à demi-tour ou à ressort a lieu dans une serrure où il est toujours repoussé par un ressort qui le tient fermé ; il n'y a que l'action de la clé ou la pression d'un bouton qui le tient ouvert.
Le pêne dormant est celui qui ne va que par le moyen de la clé, & qui reste dans la place où elle l'a conduit.
Le pêne fourchu est le même que le pêne dormant, excepté qu'il a la tête fendue & qu'il forme deux pênes en apparence, en se montrant au bord de la serrure par deux ouvertures.
Le pêne à pignon est celui qui est mû par un pignon, ce pignon peut chasser un grand nombre de pênes à la fois, comme on voit à certains coffres forts.
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PÉNESTES | S. m. pl. (Hist. grecq.) ce qu'étoient les Ilotes à Lacédémone, les Pénestes l'étoient en Thessalie ; on les traitoit avec la même dureté, & cette barbarie fut aussi cause qu'ils se révolterent très-souvent. L'humanité des Athéniens eut sa récompense, leurs esclaves les servirent toujours fort utilement en plus d'une rencontre, comme à la bataille de Marathon, dans la guerre d'Egine & au combat d'Arginuse. (D.J.)
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PÉNÉTRABILITÉ | S. f. (Gramm.) ce seroit une qualité en conséquence de laquelle un même espace occupé tout entier par un corps, pourroit encore en recevoir un autre. On sent la contradiction de cette hypothèse. Les corps sont perméables à d'autres corps, mais ils sont impénétrables les uns aux autres.
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PENETRALE | S. m. (Antiq. rom.) lieu où étoient les statues des dieux domestiques ; il se prend dans Horace pour toute la maison, comme le mot penates. Ce poëte appelle le palais d'Auguste fausta penetralia, comme le palais d'un dieu. (D.J.)
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PÉNÉTRATION | S. f. (Gramm.) c'est la facilité dans l'esprit, de saisir sans fatigue & avec promptitude les choses les plus difficiles, & de découvrir les rapports les plus déliés & les vérités les plus cachées. Le travail opiniâtre supplée quelquefois à la pénétration ; on a de la pénétration dans un genre, & l'on est obtus dans un autre. La pénétration s'accroît par l'application & par l'exercice, mais elle est naturelle, & on ne l'acquiert point quand on ne l'a pas.
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PÉNÉTRER | v. act. (Gramm.) terme relatif à l'action d'un corps qui s'insinue avec peine dans l'intérieur d'un autre. On dit l'humidité pénétre tout ; c'est une forêt touffue au fond de laquelle il est difficile de pénétrer. On ne pénétre point dans ces contrées sans péril ; il est pénétré de cette vérité ; il est pénétré de douleur ; il a pénétré dans les ténébres de la Philosophie platonicienne. Il ne faut pas qu'un ministre se laisse facilement pénétrer, d'où l'on voit qu'il se prend au simple & au figuré.
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PENGOUIN | PINGUIN, OIE DE MAGELLAN, PINGUIN Batavorum, seu anser Magellanicus Clusii. Wil. Oiseau de la grandeur d'une oie, auquel on a donné le nom de pinguin, parce qu'il est très-gras. La face supérieure de cet oiseau est noire, & l'inférieure a une couleur blanche, le cou est couvert de plumes noires, qui forment une sorte de collier. Les aîles sont courtes, & ressemblent à des nageoires ; les plumes de la face inférieure ont une couleur noire ; elles sont courtes, étroites, roides, & fort serrées les unes contre les autres : celles de la face supérieure sont blanches, plus courtes & plus roides que celles du dessous de l'aîle ; il y a aussi quelques plumes noires mêlées parmi les plumes blanches. Le bec est plus fort que celui du cormoran, mais cependant moins élevé. Les piés sont noirs, applatis, & semblables pour la forme à ceux de l'oie, mais plus petits : la queue est très-courte. Cet oiseau quitte rarement la haute mer ; il ne vient sur terre que dans le tems de l'incubation ; il se nourrit de poissons, & sa chair n'a pas un goût désagréable. Willughbi, Ornit. Voyez OISEAU.
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PÉNIBLE | adj. (Gramm.) qui se fait avec peine. On croit que l'Algebre est une étude pénible. La route que nous avons à faire en ce monde, est courte, mais il y a des hommes pour qui elle aura été bien pénible. La connoissance des langues suppose un exercice de la mémoire long & pénible. Un plaisir qui n'a rien de pénible, est communément insipide.
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PENICHE | (Géog. mod.) ville forte de Portugal dans l'Estramadure, au nord du Tage, avec un port & une citadelle, à 4 lieues de Lisbonne. Long. 8. 40. latit. 39. 15.
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PENICK | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le cercle de la haute Saxe, au marquisat de Misnie. Elle est sur la Mulde, à 3 lieues E. d'Altenbourg. Long. 30. 40. latit. 50. 54.
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PENIDE | ou SUCRE D'ORGE, en Pharmacie, c'est une préparation de sucre que l'on compose en la faisant bouillir avec une décoction d'orge, jusqu'à ce qu'elle devienne cassante ou fragile, après quoi on la verse sur un marbre enduit d'huile d'amandes douces, & on la paîtrit avec les mains comme la pâte ; & pendant qu'elle est encore chaude, on la tire en petits bâtons retors comme des cordes. Voyez SUCRE.
Les penides sont bons contre les rhumes, pour modérer ou adoucir l'acrimonie des humeurs, provoquer l'expectoration, &c.
M. de Quinci faisoit usage de penide avec un mélange d'empois, le tout mis en boles, au lieu d'une espece de sucre clarifié.
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PÉNIE | S. f. (Mythol.) la déesse de la Pauvreté. Platon raconte que les dieux donnant un jour un grand festin, le dieu des Richesses qui avoit un peu trop bû s'étant endormi à la porte de la salle, Pénie qui étoit venue là pour recueillir les restes du repas, l'acosta, lui plut, & en eut un enfant qui fut l'amour. Cette fable allégorique veut peut-être dire que l'amour unit quelquefois les deux extrèmes. (D.J.)
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PENIL | S. m. (Anatom.) partie antérieure de l'os barré qui est autour des parties naturelles, & qui se couvre de poil, la marque de la puberté, tant aux mâles qu'aux femelles.
PENIL, terme d'Anatomie qui se dit d'une partie du corps humain, que l'on appelle aussi la verge à cause de sa forme, ou encore par excellence le membre ou membre viril, à cause que c'est un des principaux organes de la génération dans l'espece de mâle Voyez nos Pl. d'Anat. & leur explic. Voyez aussi les articles GENERATION, SEMENCE, ERECTION, MALE, FEMELLE, TESTICULE, &c.
Il est attaché à la partie inférieure de l'os pubis, & à la partie supérieure de l'os ischion. Son corps consiste en un corps caverneux, celui de l'urètre.
Les corps caverneux du penil, appellés aussi corps nerveux & spongieux, &c. sont attachés de part & d'autre à la branche de l'os pubis & à celle de l'os ischion, & de-là vont en augmentant en grosseur & en épaisseur, jusqu'à ce qu'ils rencontrent le corps caverneux de l'uretere, où ils se joignent, en laissant tout le long de leur étendue un interstice ou un canal pour son passage ; ils continuent ainsi d'aller ensemble liés l'un à l'autre par un corps membraneux appellé septum. Les fibres de cette cloison laissent d'espace en espace un petit écartement entr'elles, par où les deux corps caverneux communiquent ensemble ; elle devient très-mince, & va toujours en diminuant vers les extrémités arrondies, dans lesquelles ces corps se terminent au gland. Voyez CORPS CAVERNEUX & GLAND.
Le corps caverneux de l'uretre renferme l'uretre ou le passage urinaire. Sa forme, contraire à celle des autres corps caverneux, est plus large aux deux extrémités, & plus petite dans le milieu. M. Cowper appelle la bulbe de l'uretre cette partie enfermée entre les deux origines des corps nerveux du penil ; son autre extrémité dilatée forme le corps que l'on appelle le gland. Voyez URETRE, &c.
Le pénil reçoit des arteres des branches iliaques internes, & des arteres ombilicales ; & ces arteres se divisant enfin en un nombre infini de branches, il vient autant de veines de leurs extrémités capillaires. Dans les canaux de ces veines il y a des ouvertures qui correspondent à autant de cellules, lesquelles communiquant entr'elles, se déchargent dans des canaux veineux plus considérables, & coulent sur la surface supérieure du penil : quelques-uns d'eux s'unissent aux veines du prépuce, d'autres composent un gros tronc appellé veine du penil, lequel rampe sur le dos du penil jusqu'aux prostates, se divise en deux, & entre dans l'iliaque interne des deux côtés.
Le penil reçoit les nerfs d'un tronc composé de la réunion de la troisieme paire de nerfs de l'os sacrum & d'une branche du grand nerf sciatique ; ces nerfs viennent gagner les corps nerveux, s'épanouissent sur leur surface supérieure, d'où ils se distribuent à toutes les parties du penil.
Les canaux lymphatiques du pénil sont fort nombreux sur la surface, qui est sous la peau ; ils se déchargent dans les glandes inguinales. Voyez SEMENCE & URINE.
Le penil a deux paires de muscles, avec un muscle impair ; ce dernier s'appelle l'accélérateur de l'urine. Sa partie supérieure qui couvre le bulbe, sert à comprimer les veines qui y passent ; il vient du corps caverneux de l'uretre, & empêche par ce moyen le reflux du sang dans le tems de l'érection ; & par des contractions repétés, il chasse le sang du bulbe vers le gland. Son allongement sert à comprimer le canal de l'uretre, & à forcer la sortie de la semence ou de l'urine qui y est contenue. Voyez ACCELERATEUR.
La premiere paire de muscles se nomme les érecteurs du pénil : leur action soutient & tire le penil vers les os pubis ; & moyennant le secours du ligament suspensoir de la verge, la veine du penil s'applique au ligament transverse des os pubis. Ainsi le sang refluant ne pouvant aller par cette route, il est nécessaire que les corps caverneux se distendent. Voyez ERECTEUR & COLLATERAL.
La derniere paire des muscles sont les transverses du penil, qui varient dans différens sujets, & qui manquent quelquefois ; ils servent à dilater la partie du corps caverneux de l'uretre, à laquelle ils sont attachés. Voyez TRANSVERSEUR.
Le penil a aussi trois glandes qui ont été d'abord découvertes par M. Cowper : elles se déchargent toutes dans l'uretre ; & à cause de la tenacité de la liqueur dont elles font la sécrétion, on les appelle glandes muqueuses. Voyez GLANDES MUQUEUSES.
Tout l'assemblage du penil est enveloppé d'une membrane cellulaire d'une tissure admirable, qui est encore recouverte d'une tunique nerveuse fort serrée, & celle-ci l'est d'une cuticule & d'une peau. La duplicature de la peau sur le gland fait le prépuce. Voyez PREPUCE.
Il est attaché à la partie inférieure du gland par un ligament appellé le frein, voyez FREIN ; par un autre ligament nommé le suspensoir, il tient aux os pubis. Voyez LIGAMENT. Le penil sert à l'évacuation de la semence & de l'urine. A la vérité, M. Drake, en considérant sa structure, pense qu'originairement il n'a été destiné qu'à l'évacuation de la semence, & que la conduite de l'urine n'est point ce que la nature a envisagé dans le méchanisme de cette partie. Voyez SEMENCE & URINE.
Il ajoute un autre usage, celui de provoquer l'amour & de porter à la propagation de l'espece. Effectivement, sans un pareil instrument, la semence des animaux les plus parfaits ne seroit point portée au lieu où se fait la prolification : ajoutez à cela que l'état alternatif d'érection & de détention est absolument nécessaire ; le premier, afin que cette partie pût s'acquiter de ses fonctions, & le second pour la mettre en sureté.
Sans une érection il est impossible de lancer & de loger la semence à l'endroit que la nature lui a destiné ; & si cette érection étoit perpétuelle ou constante, il seroit en quelque sorte impossible de la garantir d'injures, sans parler de la perte du desir, qui seroit une suite de l'érection constante. Voyez PRIAPISME.
La cause de l'érection du penil vient du sang, qui distend ou qui dilate les corps caverneux, ainsi qu'il est évident par plusieurs expériences, entr'autres par celle où on lia la verge d'un chien en coït, & dans laquelle on ne trouva que du sang. C'est pourquoi dans le corps des criminels qu'on laisse suspendus long-tems après leur mort, la verge parvient à l'état d'érection, à cause du sang qui tombe aux parties inférieures & qui s'y arrête.
Le corps caverneux de l'uretre est tendu par les muscles accélérateurs qui embrassent les veines de son bulbe. Voyez ERECTION.
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PENIN | ou PENNING, (Comm.) le denier de Hollande. Il vaut un cinquieme de plus que ne valoit le denier tournois de France.
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PENINSULA | (Géog. anc.) Pline, l. IV. c. xviij. donne ce nom à la partie de la Gaule lyonnoise, qui s'étend vers l'occident & avance dans l'Océan. Il lui donne 625 milles de circuit, en commençant à compter aux confins des Osismii, dont le pays se terminoit à-peu-près dans l'endroit où est aujourd'hui la ville de Saint-Malo. Pline ajoute que l'isthme de cette peninsule avoit 125 milles de largeur.
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PENINSULE | S. f. c'est, en Géographie, une portion ou une étendue de terre jointe au continent par un col étroit, tout le reste étant environné d'eau. Voyez ISTHME.
Ce mot est composé des mots latins pene & insula, c'est-à-dire presqu'île ; tel est le Péloponnèse ou la Morée ; tels sont aussi l'Italie, le Jutland, &c.
On a aussi appellé la Chersonese peninsule. Voyez CHERSONESE.
On voit que la mer attaquant continuellement les terres, & les rongeant, les contrées maritimes qui doivent souffrir le plus, s'altérer, & même disparoître à la longue, ce sont les peninsules, dont la petite portion de terre qui les unit au continent, se rompt à la longue. La peninsule doit finir par former une île.
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PENISCOLA | (Géog. mod.) ou Penoscola, ville d'Espagne au royaume de Valence, vers le bord de la mer au nord d'Oropesa, & sur une pointe de terre fort élevée. Long. 13. 6. lat. 39. 15. (D.J.)
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PÉNITENCE | S. f. (Théologie) prise pour l'exercice de la pénitence, peut être définie, une punition volontaire ou imposée par une autorité légitime, pour l'expiation des fautes qu'une personne a commises. Voyez PUNITION.
Les théologiens catholiques considerent la pénitence sous deux différens rapports, ou comme vertu, ou comme sacrement. A ne considérer la pénitence que comme vertu, on la définit une détestation sincere des péchés qu'on a commis, jointe à une ferme résolution de n'y plus retomber, & de les expier par des oeuvres pénibles & humiliantes : l'écriture & les peres donnent des idées exactes de toutes ces conditions. La pénitence considérée comme vertu a été de tout tems absolument nécessaire, & l'est encore aujourd'hui, pour rentrer en grace avec Dieu.
Ils définissent la pénitence, envisagée comme sacrement, un sacrement de la loi nouvelle, institué par notre Seigneur Jesus-Christ pour remettre les péchés commis après le baptême, c'est pourquoi les peres l'ont appellé une seconde planche qui sauve du naufrage de la mort spirituelle ceux qui ont perdu l'innocence baptismale, secunda post naufragium tabula est poenitentia. Hyeronim. in cap. iij. Isaïae.
L'institution du sacrement de pénitence suppose trois choses ; 1°. que Jesus-Christ a donné à son Eglise le pouvoir de remettre les péchés commis après le baptême : or c'est ce qu'on voit expressément dans S. Jean, c. xx. . 21. 22. & 23. & ce qui est attesté par toute la tradition ; 2°. que ce pouvoir dont l'Eglise est revêtue, est une autorité vraîment judiciaire, qui influe réellement dans la rémission des péchés commis après le baptême, & non simplement déclarative que ces péchés sont remis, comme il paroit par saint Matthieu, ch. xvj. . 19. & par la pratique constante de l'Eglise depuis son établissement ; 3°. que l'Eglise n'exerce judiciairement ce pouvoir qu'en se servant de quelque signe sensible qui en manifeste l'usage & qui en dénote l'effet, ce qui exige une accusation de la part du coupable, & une absolution de la part du ministre qui exerce cette fonction au nom de Jesus-Christ.
Les Théologiens sont partagés sur ce qui constitue la matiere du sacrement de pénitence : le plus grand nombre pense qu'elle consiste dans les trois actes du pénitent, la contrition, la confession, & la satisfaction : d'autres soutiennent que l'imposition des mains du prêtre fait la matiere du sacrement. Quand à la forme, on en peut distinguer de trois sortes : l'une indicative, ego te absolvo à peccatis tuis, in nomine patris, &c. c'est celle qui est en usage depuis le xiij. siecle dans l'église latine, qui employoit auparavant la forme déprécative : l'autre déprécative ou conçue en forme de prieres, telle que celle qui est en usage chez les Grecs, & qui commence par ces termes, Domine Jesu Christe fili Dei vivi, relaxa, remitte, condona peccata, &c. & enfin une impérative, comme absolvatur, &c. on convient que ces trois formules sont également bonnes.
Le concile de Trente, session 14. de penit. can. 10. a décidé que les prêtres, & par conséquent les évêques, sont les seuls ministres du sacrement de pénitence : mais outre la puissance d'ordre qu'ils reçoivent dans leur ordination, il leur faut encore une puissance de jurisdiction ou ordinaire comme à titre de curé, ou de jurisdiction déléguée, telle que l'approbation de l'évêque, sans quoi ils ne peuvent ni licitement ni validement absoudre, excepté dans les cas de nécessité.
Pénitence se dit aussi particulierement de la peine que le confesseur impose pour la satisfaction des péchés dont il absout. Voyez ABSOLUTION, CONFESSION.
PENITENCE, chez les Chrétiens, est une peine imposée après la confession des péchés : elle étoit secrette ou publique, selon que l'évêque ou les prêtres par lui commis le jugeoient à propos pour l'édification des Chrétiens : plusieurs faisoient pénitence publique sans que l'on sût pour quels péchés ils la faisoient : d'autres faisoient pénitence en secret, même pour de grands crimes, lorsque la pénitence publique auroit causé trop de scandale, ou les auroit exposés au danger. Le tems des pénitences étoit plus ou moins long, selon les différens usages des églises, & nous voyons encore une grande diversité entre les canons pénitenciaux qui nous restent ; mais les plus anciens sont d'ordinaire les plus séveres. Saint Basile marque deux ans pour le larcin, sept pour la fornication, onze pour le parjure, quinze pour l'adultere, vingt pour l'homicide, & toute la vie pour l'apostasie. Ceux à qui il étoit prescrit de faire pénitence publique, s'adressoient à l'archiprêtre ou autre prêtre pénitencier, qui prenoit leurs noms par écrit ; puis le premier du carême ils se présentoient à la porte de l'église en habits pauvres, sales, & déchirés, car tels étoient chez les anciens les habits de deuil : étant entrés dans l'église, ils recevoient des mains du prélat des cendres sur la tête, & des cilices pour s'en couvrir ; puis on les mettoit hors de l'église, dont les portes étoient aussi-tôt fermées devant eux. Les pénitens demeuroient d'ordinaire enfermés, & passoient ce tems à pleurer & à gémir, sinon les jours de fêtes, auxquels ils venoient se présenter à la porte de l'église sans y entrer : quelque tems après on les y admettoit pour entendre les lectures & les sermons, à la charge d'en sortir avant les prieres : au bout d'un certain tems ils étoient admis à prier avec les fideles, mais prosternés contre terre ; & enfin promettoient de prier debout jusqu'à l'offertoire qu'ils sortoient : ainsi il y avoit quatre ordres de pénitens, les pleurans, les auditeurs, les prosternés, & les connitans, ou ceux qui prioient debout.
Tout le tems de la pénitence étoit divisé en quatre parties, par rapport à ces quatre états : par exemple, celui qui avoit tué volontairement étoit quatre ans entre les pleurans, c'est-à-dire qu'il se trouvoit à la porte de l'église aux heures de la priere, & demeuroit dehors revêtu d'un cilice, ayant de la cendre sur la tête & le poil non rasé, en cet état il se recommandoit aux prieres des fideles qui entroient dans l'église : les cinq années suivantes il étoit au rang des auditeurs, & entroit dans l'église pour y entendre les instructions : après cela il étoit du nombre des prosternés pendant sept ans : & enfin il passoit au rang des connitans, priant debout, jusqu'à ce que les vingt ans étant accomplis, il étoit admis à la participation de l'Eucharistie ; ce tems étoit souvent abrégé par les évêques, lorsqu'ils s'appercevoient que les pénitens méritoient quelqu'indulgence ; que si le pénitent mouroit pendant le cours de sa pénitence & avant que de l'avoir accomplie, on avoit bonne opinion de son salut, & l'on offroit pour lui le saint sacrifice. Lorsque les pénitens étoient admis à la reconciliation, ils se présentoient à la porte de l'église où le prélat les faisoit entrer & leur donnoit l'absolution solemnelle : alors ils se faisoient faire le poil & quittoient leurs habits de pénitence pour vivre comme les autres fideles ; cette rigueur étoit sagement instituée, parce que, dit saint Augustin, si l'homme revenoit promptement dans son premier état, il regarderoit comme un jeu la chûte du péché.
Dans les deux premiers siecles de l'église le tems de cette pénitence ni la maniere n'étoient pas reglés, mais dans le troisieme on fixa la maniere de vivre des pénitens & le tems de leur pénitence. Ils étoient séparés de la communion des fideles, privés de la participation & même de la vûe des saints mysteres, obligés de pratiquer diverses austérités jusqu'à ce qu'ils reçussent l'absolution. La rigueur de cette pénitence a été si grande en quelques églises, que pour le crime d'idolâtrie, d'homicide, & d'adultere, on laissoit les pécheurs en pénitence pendant le reste de leur vie, & qu'on ne leur accordoit pas même l'absolution à la mort. On se relâcha à l'égard des derniers, mais pour les apostats cette sévérité a duré plus long-tems. Ce point fut résolu du tems de S. Cyprien à Rome & à Carthage, mais on n'accordoit l'absolution à la mort qu'à ceux qui l'avoient demandée étant en santé ; & si par hasard le pénitent revenoit de sa maladie, il étoit obligé d'accomplir la pénitence. Mais jusqu'au sixieme siecle quand les pécheurs après avoir fait pénitence retomboient dans des crimes, ils n'étoient plus reçus au bénéfice de l'absolution & demeuroient en pénitence séparés de la communion de l'église, qui laissoit leur salut entre les mains de Dieu ; non que l'on en desespérât, dit saint Augustin, mais pour maintenir la rigueur de la discipline, non desperatione veniae factum est, sed rigore disciplinae.
Au reste, les degrés de cette pénitence ne furent entierement reglés que dans le iv. siecle, & n'ont été exactement observés que dans l'église grecque. Les clercs dans les quatorze premiers siecles étoient soumis à la pénitence comme les autres : dans les suivans ils étoient seulement déposés de leur ordre & réduits au rang des laïcs quand ils tomboient dans des crimes pour lesquels les laïcs étoient mis en pénitence. Vers la fin du v. siecle il s'introduisit une pénitence mitoyenne entre la publique & la secrette, laquelle se faisoit pour certains crimes commis dans les monasteres ou dans d'autres lieux en présence de quelques personnes pieuses. Enfin vers le vij. siecle la pénitence publique pour les péchés occultes cessa tout-à-fait. Théodore, archevêque de Cantorbery, est regardé comme le premier auteur de la pénitence secrette pour les péchés secrets en Occident. Vers la fin du viij. siecle on introduisit le rachat ou plûtôt la commutation des pénitences imposées que l'on changeoit en quelques bonnes oeuvres, comme en aumônes, en prieres, en pélérinages. Dans le xij. on imagina celle de racheter le tems de la pénitence canonique avec une somme d'argent, qui étoit appliquée au bâtiment d'une église, & quelquefois à des ouvrages pour la commodité publique : cette pratique fut d'abord nommée relaxation ou relâchement, & depuis indulgence. Voyez INDULGENCE.
Dans le xiij. siecle les hommes s'étant tout-à-fait éloignés de la pénitence canonique, les prêtres se virent contraints à les y exhorter pour les péchés secrets & ordinaires ; car pour les péchés publics & énormes, on imposoit encore des pénitences très-rigoureuses. Dans le xiv. & le xv. on commença à ordonner des pénitences très-légeres pour des péchés très-griefs, ce qui a donné lieu à la réformation faite à ce sujet par le concile de Trente, qui enjoint aux confesseurs de proportionner la rigueur des pénitences à l'énormité des cas, & veut que la pénitence publique soit rétablie à l'égard des pécheurs publics. Tertull. de poenit. S. Cypr. epist. & tract. de lapsis. Laubespine, observ. Morin, de poenit. Godeau, Histoire de l'Eglise liv. IV. Fleury, moeurs des Chrét. n. xxv.
PENITENCE, dans le droit canon anglois, se dit d'une punition ecclésiastique que l'on inflige particulierement pour cause de fornication. Voyez FORNICATION.
Voici ce que les canons prescrivent à cet égard. Celui qui a commis le péché de fornication doit se tenir pendant quelques jours de dimanche dans le porche ou vestibule de l'église, la tête & les piés nuds, enveloppé dans un drap blanc, avec une baguette blanche en main, se lamentant & suppliant tout le monde de prier Dieu pour lui. Il doit ensuite entrer dans l'église, s'y prosterner, & baiser la terre, & enfin placé au milieu de l'église sur un endroit élevé, il doit déclarer l'impureté de son crime scandaleux aux yeux des hommes & détestable aux yeux de Dieu.
Si le crime n'est pas de notoriété publique, les canons permettent de commuer la peine à la requête de la partie en une amende pécuniaire au profit des pauvres.
PENITENCE, chez les Juifs, nommée thejourtha, nom qui signifie changement ou conversion. La véritable pénitence doit être, selon eux, conçue par l'amour de Dieu, & suivie de bonnes oeuvres. Ils faisoient une confession le jour des expiations, ou quelque tems auparavant. Ils imposoient des pénitences reglées pour les péchés, & ils ont chez eux des pénitenciels qui marquent les peines qu'il faut imposer aux pécheurs ; lorsqu'ils viennent confesser leurs péchés. Cette confession est d'obligation parmi eux ; on les trouve dans les cérémonies du sacrifice pour le péché : celui qui l'offroit confessoit son péché, & en chargeoit la victime. Ils reconnoissoient un lieu destiné à la purification des ames après la mort ; on offroit des sacrifices pour elles, maintenant ils se contentent de simples prieres. Ainsi parmi les péchés ils en distinguent de deux sortes, les uns qui se pardonnent dans l'autre vie, les autres qui sont irrémissibles. Josephe nous apprend que les Pharisiens avoient une opinion particuliere là-dessus. Ils enseignoient que les ames des gens de bien, au sortir d'un corps, entroient dans un autre, mais que celles des méchans alloient d'abord dans l'enfer. Hérode le tetrarque, prévenu de ce sentiment, croyoit que l'ame de saint Jean, qu'il avoit fait mourir, étoit passée dans la personne de Jesus-Christ. Le P. Morin, de poenitentiâ, le pere Lamy de l'Oratoire, introduction à l'Ecriture-sainte. Voyez EXPIATION, RESURRECTION, SACRIFICE.
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PENITENCERIE | S. f. (Jurisprud.) est de deux sortes ; la pénitencerie de Rome, camera poenitentiaria, est l'office, tribunal ou conseil de la cour de Rome, dans lequel s'examinent & se délivrent les bulles, les brefs ou graces & dispenses secrettes qui regardent les fautes cachées, & par rapport au for intérieur de la conscience, soit pour l'absolution des cas reservés au pape, soit pour les censures, soit pour lever les empêchemens de mariages contractés sans dispense.
Les expéditions de la pénitencerie se font au nom du pape ; elles sont scellées en cire rouge, & s'envoyent cachetées à un docteur en Théologie, approuvé par l'évêque pour entendre les confessions ; mais sans en désigner aucun spécialement, soit par son nom, soit par son emploi.
Le grand pénitencier de Rome, au nom duquel le bref est expédié, enjoint au confesseur d'absoudre du cas exprimé, après avoir entendu la confession sacramentelle de celui qui a obtenu le bref, en cas que le crime ou l'empêchement du mariage soit secret. Il est ensuite ordonné au confesseur de déchirer le bref aussi-tôt après la confession, sous peine d'excommunication, sans qu'il lui soit permis de le rendre à la partie.
Les absolutions obtenues & les dispenses accordées en vertu des lettres de la pénitencerie, ne peuvent jamais servir dans le for extérieur ; ce qui doit sur-tout s'observer en France, où les tribunaux, tant ecclésiastiques que séculiers, ne reconnoissent point ce qui est émané de la pénitencerie.
En France, la pénitencerie est le bénéfice ou le titre de celui qui est grand pénitencier de l'évêque ; c'est-à-dire, qui a le pouvoir d'absoudre des cas reservés.
La pénitencerie est ordinairement une des dignités des églises cathédrales. Voyez les lois ecclésiastiques, voyez PENITENCIER. (A)
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PÉNITENCIER | S. m. (Jurisprud.) qu'on appelloit aussi autrefois pénancier, piatorum exhedra, est un ecclésiastique qui exerce l'office de la pénitencerie.
On donnoit au commencement le titre de pénitenciers à tous les prêtres qui étoient établis par l'évêque pour ouïr les confessions. Anastase le bibliothécaire dit que le pape Simplicius choisit quelques-uns des prêtres de l'église romaine pour présider aux pénitences ; les autres évêques firent la même chose chacun dans leur église.
A mesure que la distinction des paroisses fut établie, les fideles alloient à confesse à leur propre pasteur.
Il n'y avoit que les prêtres qui se confessoient à l'évêque, & les laïcs qui avoient commis quelqu'un des cas dont l'évêque s'étoit reservé l'absolution.
Mais bien-tôt les évêques établirent dans leur cathédrale un pénitencier en titre pour les cas reservés ; & pour distinguer ces pénitenciers des confesseurs ordinaires, auxquels on donnoit aussi anciennement le titre de pénitenciers, on les surnomma grands pénitenciers ; ils sont aussi nommés l'oreille de l'évêque.
L'institution des grands pénitenciers est fort ancienne. Quelques-uns la font remonter jusqu'au tems du pape Corneille, qui siégeoit en 251. Gomez tient que cet office ne fut établi à Rome que par Benoît II. qui parvint au pontificat en 684.
Il est fait mention des pénitenciers dans les conciles d'Yorck en 1194, de Londres en 1237, & d'Arles en 1260. Les pénitenciers y sont appellés les confesseurs généraux du diocèse.
Le quatrieme concile de Latran, tenu en 1215, sous Innocent III. ordonne aux évêques d'établir des pénitenciers, tant dans leur cathédrale, que dans les églises collégiales de leur diocèse, pour les soulager dans la confession des cas reservés. Peu-à-peu les évêques se déchargerent entierement de cette fonction sur leur grand pénitencier.
Le concile d'Arles, dont nous avons déja parlé, ordonne aux évêques d'envoyer dans les campagnes, au tems de carême, des prêtres pénitenciers pour absoudre des cas reservés ; & que ces prêtres seront tenus de renvoyer aux curés pour les cas ordinaires. Un évêque d'Amiens qui fonda dans son église la pénitencerie en 1218, excepta les curés, les barons & les autres grands du diocèse de ceux qui pourront être confessés par le pénitencier.
A Rome le pape a son grand pénitencier qui est ordinairement un cardinal. Ce grand pénitencier préside au tribunal de la pénitencerie, dans lequel s'accordent les absolutions pour des fautes cachées, & des dispenses pour des choses qui regardent la conscience ; il a sous lui un régent de la pénitencerie, & vingtquatre procureurs ou défenseurs de la sacrée pénitence ; il est aussi le chef de plusieurs autres prêtres pénitenciers établis dans les églises patriarchales de Rome qui le viennent consulter sur les cas difficiles.
Enfin, le grand pénitencier est le vicaire de l'évêque pour les cas reservés. Il est ordinairement établi en dignité dans la cathédrale, ou plutôt de personnat ; car le grand pénitencier n'a point de jurisdiction ni dans le coeur, ni en-dehors, ni dans le diocèse. Il a sous lui un ou plusieurs sous-pénitenciers, mais ceux-ci ne sont pas en titre de dignité ni de bénéfice ; ils n'ont qu'une simple commission verbale du grand pénitencier, laquelle est révocable ad nutum.
La fonction de pénitencier a toujours été regardée comme si importante, que le concile de Trente, & plusieurs conciles provinciaux du royaume ont ordonné que la premiere prébende vacante seroit affectée au pénitencier, & que cette place seroit remplie par un personnage doué de toutes les qualités nécessaires, & qui soit docteur ou licencié en Théologie ou en droit canon, & âgé de quarante ans, ou le plus idoine que l'on pourra trouver.
Ce decret du Concile de Trente a été renouvellé par l'assemblée de Melun en 1579, par les conciles de Bordeaux & de Tours en 1583, par ceux de Bourges en 1584, d'Aix en 1585, de Bordeaux en 1624, & par le premier concile de Milan sous S. Charles.
L'usage du royaume est que dans les églises où la pénitencerie est un titre de bénéfice, il faut être gradué en Théologie ou en droit canon pour la posséder, quand même ce bénéfice n'auroit pas titre de dignité.
Le pénitencier est obligé à résidence, c'est pourquoi il ne peut posséder en même tems un bénéfice-cure ; aussi le concile de Trente veut-il qu'il soit tenu présent au choeur quand il vaquera à son ministere, & si on l'en privoit, il y auroit abus.
La fonction d'official & celle de promoteur sont incompatibles avec celle de grand pénitencier.
Le concordat comprend la pénitencerie dans les bénéfices qu'il assujettit à l'expectative des gradués.
Mais, suivant l'ordonnance de 1606, les dignités des églises cathédrales en sont exceptées, & conséquemment la pénitencerie dans les églises où elle est érigée en dignité.
Un ecclésiastique peut être pourvû de la pénitencerie par résignation, en faveur ou par d'autres voies qui en rendent la collation nécessaire. Voyez les conciles du P. Labbé ; les lois ecclésiastiques de d'Héricour ; Fevret, tr. de l'abus ; les mémoires du clergé, & PENITENCERIE. (A)
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PÉNITENS | (Théologie) nom de quelques dévots qui ont formé des confréries, principalement en Italie, & qui font profession de faire une pénitence publique, en allant en procession dans les rues, couverts d'une espece de sac, & se donnant la discipline.
On dit que cette coutume fut établie à Péronne en 1260, par les prédications pathétiques d'un hermite qui excitoit les peuples à la pénitence. Elle se répandit ensuite en d'autres pays, & particulierement en Hongrie, où elle dégénéra en abus, & produisit la secte des flagellans. Voyez FLAGELLANS.
En retranchant les superstitions qui s'étoient mêlées à cet usage, on a permis d'établir des confréries de pénitens en divers lieux d'Italie. Le P. Mabillon, dans son voyage, dit en avoir vu une à Turin. Il y a en Italie des pénitens blancs, aussi-bien qu'à Lyon & à Avignon. Dans d'autres villes du Languedoc & du Dauphiné, on trouve des pénitens bleus & des pénitens noirs. Ceux-ci assistent les criminels à la mort, & leur donnent la sépulture.
Le roi Henri III. ayant vu la procession des pénitens blancs à Avignon, voulut y être aggrégé, & en établit depuis une semblable dans l'église des Augustins, sous le titre de l'Annonciation de Notre-Dame, dans laquelle entrerent la plûpart des princes & des grands de sa cour. Ce prince assistoit aux processions de cette confrérie, sans gardes, vêtu d'un long habit blanc de toile d'Hollande en forme de sac, ayant deux trous à l'endroit des yeux, avec deux longues manches & un capuchon fort pointu. A cet habit étoit attaché une discipline de lin pour marquer l'état pénitent, & une croix de satin blanc sur un fond de velours tanné. On peut voir dans les mémoires de l'Etoile l'effet que produisoient ces dévotions.
PENITENS, (Théolog.) est aussi le nom qu'on a donné à plusieurs communautés ou congrégations de personnes de l'un ou de l'autre sexe, qui ayant précédemment vécu dans la débauche & le libertinage, se sont retirées dans ces maisons pour y expier par la pénitence les désordres de leur vie passée. On a aussi donné ce nom aux personnes qui se dévouent à la conversion des débauchés & des femmes de mauvaise vie.
Tel est en particulier l'ordre de la pénitence de sainte Magdelaine établi vers l'an 1272, par un bourgeois de Marseille nommé Bernard, qui travailla avec zele à la conversion des courtisannes de cette ville. Il fut secondé dans cette bonne oeuvre par plusieurs autres personnes, & leur société fut enfin érigée en ordre religieux par le pape Nicolas III. sous la regle de S. Augustin.
On ajoute qu'ils formerent aussi un ordre religieux de femmes converties auxquelles ils donnerent la même regle.
La congrégation des pénitens de la magdelaine à Paris doit son origine aux prédications du pere Jean Tisseran, cordelier de Paris, qui ayant converti par ses sermons plusieurs femmes publiques, établit cet institut pour y retirer celles qui à leur exemple voudroient mener une vie plus exemplaire. Ce fut vers l'an 1294 que Charles VIII. leur donna l'hôtel de Bohaines, & en 1500, Louis duc d'Orléans, qui regna sous le nom de Louis XII. leur donna son hôtel d'Orléans, où elles demeurerent jusqu'en 1572, que la reine Cathérine de Médicis les plaça ailleurs. Dès l'an 1497, Simon, évêque de Paris, leur avoit dressé des statuts & donné la regle de S. Augustin.
Une des conditions pour entrer dans cette communauté étoit autrefois d'avoir vécu dans le désordre, & l'on n'y recevoit point de femmes au-dessus de 35 ans. Mais depuis la reforme qu'on y a établie en 1616, on n'y reçoit plus que des filles, qui portent toujours néanmoins le nom de pénitentes.
Il y a aussi en Espagne, à Séville, une congrégation de pénitentes du nom de Jesus. Ce sont des femmes qui ont mené une vie licencieuse. Elles furent fondées en 1550, sous la regle de S. Augustin. Leur monastere est divisé en trois quartiers ; un pour les religieuses professes, un pour les novices, & un troisieme pour celles qui sont en correction. Lorsque celles-ci donnent des marques d'un repentir sincere, on les fait passer au quartier des novices ; & si elles ne s'y conduisent pas bien, on les renvoye à la correction.
Les pénitentes d'Orviete sont une congrégation de religieuses instituée par Antoine Simonulli, gentilhomme de cette ville. Le monastere qu'il bâtit fut d'abord destiné à recevoir des pauvres filles abandonnées par leurs parens, & en danger de perdre leur vertu. En 1660 on l'érigea en maison propre à recevoir des filles qui ayant mené une vie scandaleuse, auroient formé une bonne resolution de renoncer au monde, & de se consacrer à Dieu par des voeux solemnels. Leur regle est celle des Carmélites.
Ces religieuses ont ceci de particulier, qu'elles ne font point de noviciat. Tout ce qu'on exige d'elles, c'est de continuer pendant quelques mois à porter dans le monastere l'habit séculier, après quoi on les admet à faire des voeux.
PENITENS INDIENS, (Hist. mod. superst.) rien n'est plus étonnant que ce que les voyageurs nous rapportent des austérités & des rigueurs que quelques bramines ou prêtres de l'Indostan exercent sur eux-mêmes. Les vies des premiers solitaires & anachoretes de l'Eglise chrétienne ne nous offrent rien de si frappant que les pénitences que s'imposent ces fanatiques idolâtres, que l'on nomme joguis ou jaguis. Ils forment plusieurs sectes qui different les unes des autres, non par la doctrine, mais pour le genre de vie qu'elles embrassent, dans la vue de plaire à la divinité.
Les vanaprastas vivent avec leurs femmes & leurs enfans dans les déserts & les forêts ; ils ne se nourrissent que de plantes & des fruits que la terre donne sans qu'il soit besoin de la cultiver. Quelques-uns d'entr'eux poussent le scrupule jusqu'à ne point arracher des racines de la terre de peur de déloger quelqu'ame qui pourroit y être passée.
Les sanjassi ou sanias renoncent à tous les plaisirs du monde. Ils s'interdisent le mariage, ne prennent de la nourriture qu'une fois le jour ; ils ne se servent que de vaisseaux de terre. Ils sont obligés de ne vivre que d'aumônes, sans cependant qu'il leur soit permis de toucher de l'argent. Ces pénitens n'ont point de demeure fixe, ils ne peuvent demeurer plus d'une nuit dans un même endroit. Ils portent un habit rouge & un bâton. Ils ont six ennemis à combattre ; la concupiscence, la colere, l'avarice, l'orgueil, l'amour du monde, & le desir de vengeance, pour s'élever à la contemplation des choses divines. Les sanjassi sont de la tribu des bramines. Ceux de la tribu des kutterys ou nobles, se nomment perma amfa ; ceux de la tribu des soudras ou du petit peuple, se nomment joguis ; ces derniers sont moins reglés.
Les avadoutas sont encore plus austeres que les sanjassi. Ils quittent tout, femmes, enfans & leurs biens. Ils vont tout nuds, cependant quelques-uns couvrent leur nudité avec une piece d'étoffe. Ils se frottent le corps avec de la fiente de vache. Pour demander à manger ils ne font que tendre la main, sans proférer une parole ; d'autres attendent qu'on vienne leur apporter des alimens pour se nourrir. Ces pénitens pratiquent quelquefois des macérations incroyables, comme de garder pendant long-tems la même posture. Les uns tiendront pendant plusieurs jours les deux bras élevés ; les autres se font suspendre par les piés au-dessus d'un feu qui rend une fumée épaisse ; d'autres se tiennent immobiles, & sont comme en extase, sans paroître s'appercevoir de ce qui se passe autour d'eux : en un mot, il n'y a sortes d'austérités & de rigueurs que ces pénitens n'exercent sur eux. Ils n'en ont d'autre récompense que la vénération qu'ont pour eux les Indiens idolâtres ; les femmes poussent la leur jusqu'à leur baiser dévotement les parties que la pudeur ne permet point de nommer.
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PÉNITENTIEL | adj. qui appartient à la pénitence. Les sept Pseaumes pénitentiaux ; les canons pénitentiaux.
PENITENTIEL, (Théolog.) pénitentiale, livre ecclésiastique en usage chez les Catholiques. C'est un recueil de canons qui ordonnent le tems & la maniere de la pénitence qu'il falloit imposer régulierement pour chaque péché, & les formulaires de prieres dont on devoit se servir pour recevoir ceux qui entroient en pénitence, & pour reconcilier les pénitens par une absolution solemnelle.
Les principaux ouvrages de ce genre sont le pénitentiel de Théodore, archevêque de Cantorbéry ; celui du vénérable Bede, prêtre anglois, que quelques-uns attribuent à Ecbert, archevêque d'York, contemporain de Bede ; celui de Raban Maur, archevêque de Mayence, & le pénitentiel romain. Ces livres introduits depuis le vij. siecle, pour maintenir la discipline de la pénitence en vigueur, devinrent très-communs ; & la liberté que chacun se donna d'en faire, & d'y insérer des pénitences arbitraires, contribuerent à y introduire le relâchement : aussi y en eut-il plusieurs de cette derniere espece condamnés dans le concile de Paris, sous Louis le débonnaire, & dans divers autres conciles. Morin, de poenit.
PENNACHES, s. m. (Art. milit.) ce sont des bouquets de plumes en touffe qu'on portoit autrefois au haut du casque.
La mode des pennaches a toujours duré dans les armées pour les princes & pour les officiers jusqu'à l'abolition des armures de fer. Les plumets que les officiers mettent à leur chapeau sont une espece de diminutif des pennaches. (Q)
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PENNADE | S. f. (Lang. franç.) vieux mot qu'on trouve dans Nicot, & qui paroît à-peu-près synonyme à ruade ; les Italiens disent qu'à la bataille de Fornoue, le cheval du roi Charles VIII. le déchargea à ruades & pennades des ennemis qui le pressoient, & qu'il étoit perdu sans cela ; M. le Duchat dans ses notes sur Rabelais, l. I. ch. xj. dit que pennader dans le langage du Languedoc, c'est donner du pié. Voici les termes de Rabelais : " afin que Gargantua fût toute sa vie bon chevaucheur, on lui fit un beau grand cheval de bois, qu'il faisoit pennader, sauter, voltiger, ruer & danser tout ensemble. " (D.J.)
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PENNAGE | S. m. terme de Fauconnerie ; on appelle pennage, tout ce qui couvre le corps de l'oiseau de proie. Pennage blond, roux, noir, baglé, fleuri, turturin, cendré, &c. selon les diverses couleurs que les oiseaux portent en leur robe. L'oiseau a quatre sortes de pennages ; 1°. le duvet qui est comme la chemise de l'oiseau proche sa chair ; 2°. la plume menue qui couvre tout son corps ; 3°. les vanneaux qui sont les grandes plumes de la jointure des aîles ; 4°. les pennes qui s'étendent jusqu'à la penne du bout de l'aîle qu'on appelle cerceau. (D.J.)
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PENNE | S. f. (Marine) c'est le point ou le coin d'en-haut des voiles latines, ou à tiers point. On dit dans une galere faire la penne, pour dire joindre la longueur de son antenne à la longueur de son arbre, ce qui fait que la penne de la voile répond au bâton de l'étendard, & cela fait une élévation où l'on fait monter un mousse quand on veut faire quelque découverte, comme le gabier monte au-haut du mât pour faire le quart.
PENNES, s. f. pl. (Lainage & fil), autrement, paines, pesnes, peinnes ; ce sont les bouts des laines ou de fil qui restent attachés aux ensubles, lorsque l'étoffe ou la toile est levée de dessus le métier. Les pennes de fil servent à enfiler les chandelles en livres. les pennes de laine se hachent & se passent au tamis, pour faire de la tapisserie de tonture. (D.J.)
PENNES ou PANNES, terme de Fauconnerie ; on nomme ainsi les longues plumes des aîles, pennae decustatae ; celles de la queue s'appellent balai. Les pennes croisées sont une marque de la bonté de l'oiseau. Toutes les pennes des aîles ont leurs noms, une, deux, trois, quatre, cinq ; les rameaux & le cerceau ; les pennes du balai pareillement, le milieu, la deux, la trois, &c. les oiseaux ont douze pennes à la queue.
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PENNINUS | (Mythol.) divinité gauloise, autrefois honorée chez les habitans des Alpes pennines ; on représentoit ce dieu sous la figure d'un jeune homme nud, qui n'avoit qu'un oeil au milieu du front, & on lui donnoit l'épithete de deus optimus, maximus (D.J.)
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PENNOCRUCIUM | (Géog. anc.) ville d'Angleterre, que l'itinéraire d'Antonin met entre Uxacona, & Etocetum, à 12 milles de l'une & de l'autre de ces places ; c'est aujourd'hui le bourg de Penkridge dans le Stafford-Shire, environ à une lieue de Stafford, du côté du midi. (D.J.)
PENNON, on appelle en terme de Blason, pennon généalogique, un écu rempli de diverses alliances des maisons dont un gentilhomme est descendu. Il doit comprendre les armes du pere & de la mere, de l'ayeul & de l'ayeule, du bisayeul & de la bisayeule, & sert à faire ses preuves de noblesse.
PENNON DE VELEZ, (Géog. mod.) forteresse d'Afrique, dans un écueil de la Méditerranée, près de la ville de Vélez. Elle fut bâtie en 1508, par Dom Pedre de Navarre ; les Maures la prirent en 1522 ; les Espagnols la reprirent d'assaut en 1664, & depuis ce tems elle leur est demeurée. Long. 13. 20. lat. 35. 25. (D.J.)
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PENNON | S. m. (Art. milit.) espece de banniere ou d'étendard, à longue queue ou en pointe, que portoit autrefois à la guerre un gentilhomme qui y alloit avec ses vassaux pour servir sous les chevaliers bannerets, ou qui avoient droit de porter la banniere. Le pennon étoit en quelque sorte le guidon du chevalier banneret. Le pennon différoit principalement de la banniere, en ce que celle-ci étoit quarrée, & que le pennon se terminoit en pointe ; mais pour faire du pennon une banniere, il ne s'agissoit que de lui couper la pointe, & c'est ce que l'on faisoit lorsque le gentilhomme étoit autorisé à porter banniere. Voyez BANNERET. (Q)
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PENNY | S. m. (Monnoie) petite monnoie d'argent, & la plus petite de celles qui se frappent de ce métal en Angleterre : elle vaut six pennys ou deniers sterlings. La piece de douze pennys s'appelle schilling.
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PENO-ABSOU | S. m. (Botan. exot.) c'est un arbre de l'Amérique dont parle beaucoup Thevenot, il a l'écorce odorante ; ses feuilles ressemblent à celles du pourpier ; mais elles sont plus épaisses, plus charnues, & toujours vertes. Son fruit est de la grosseur d'une orange ; il contient six ou dix noix faites comme nos amandes, mais plus larges, & un petit noyau dont on tire l'huile pour l'appliquer sur les plaies ; cependant le fruit est un vrai poison.
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PENOEA | S. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale, anomale & découpée profondément en plusieurs parties ; la piece supérieure & celle d'en bas sont en forme de cuillere, les autres pieces ressemblent à un coeur ; le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit arrondi, applati & divisé en deux loges, qui renferment une semence ressemblante à une lentille, Plumier, Nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.
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PENOMBRE | S. f. en Astronomie, signifie cette ombre foible qu'on observe dans les éclipses avant l'obscurcissement total, & avant la lumiere totale. Ce mot vient des mots latins pene, presque, & umbra ombre. Voyez OMBRE.
La penombre est principalement sensible dans les éclipses de lune, car on voit cette planete s'obscurcir par degrés à mesure qu'elle avance vers la partie la plus épaisse de l'ombre de la terre ; au contraire il n'y a point à proprement parler de penombre dans les éclipses du soleil, car les parties du soleil qui se cachent à nos yeux, se cachent & s'obscurcissent tout d'un coup & sans dégradation. Cependant on peut dire que les endroits de la terre où une éclipse de soleil n'est pas totale, ont la penombre, parce qu'ils sont en effet dans l'ombre par rapport a la partie du soleil qui leur est cachée.
La penombre vient de la grandeur du disque du soleil ; car si cet astre n'étoit qu'un point lumineux, il n'y auroit qu'une ombre parfaite sans pénombre ; mais comme le soleil a un diametre d'une certaine grandeur, il arrive que dans les éclipses certains endroits reçoivent la lumiere d'une partie de son disque, sans être éclairés par le disque entier.
Ainsi, supposons que S soit le soleil (Pl. astronom. fig. 47.) que T soit la lune, & que l'ombre de cette derniere planete soit projettée sur un plan ; l'ombre vraie & propre de la lune T, savoir G H, sera environnée d'une ombre imparfaite ou penombre H I & G E, dont chaque portion est éclairée par quelque partie du disque du soleil.
Le degré de lumiere ou d'obscurité est différent dans les différentes parties de la penombre, selon que ces parties sont éclairées par une partie plus ou moins grande du soleil. Ainsi de L en H & de E en G, la lumiere diminue continuellement ; & dans les confins G & H la penombre se perd & se confond avec l'ombre même, comme elle se confond avec la lumiere parfaite dans les confins E & L.
Il doit y avoir de la penombre dans toutes les éclipses, soit de soleil, soit de lune, soit d'autres planetes, premieres ou secondaires ; mais l'effet de la penombre est principalement remarquable dans les éclipses de soleil, pour les raisons que nous allons rapporter. Dans les éclipses de lune, la terre est à la vérité entourée par la penombre ; mais la penombre ne nous est sensible que proche de l'ombre totale.
La raison de cela est que la penombre est fort foible à une distance considérable de l'ombre ; & comme la lune n'a pas par elle-même une lumiere aussi vive à beaucoup près que celle du soleil, la diminution que son entrée dans la penombre cause à sa lumiere, ne devient sensible que quand la penombre commence à être forte. Aussi rien n'est-il plus difficile que de déterminer dans les éclipses le moment où la lune entre dans la penombre, ce moment devroit être nécessairement incertain, & par conséquent différent pour chaque observateur ; l'effet de la penombre dans les éclipses de lune est si peu considérable, que la lune n'est point censée éclipsée toutes les fois qu'elle ne tombe que dans la penombre. Une autre difficulté qui empêche de reconnoître l'instant de l'entrée dans la penombre, c'est que la face de la lune, même lorsqu'elle est entrée tout-à-fait dans l'ombre, n'est pas entierement obscurcie, & est couverte d'une lumiere rougeâtre qui empêche de la perdre entierement de vûe. Mais un astronome qui seroit placé sur la lune dans le tems d'une éclipse de lune, verroit alors le soleil éclipsé, commenceroit à voir une petite partie de son disque couverte si-tôt qu'il entreroit dans la penombre ; ainsi il détermineroit beaucoup plus exactement l'instant de l'entrée de la lune dans la penombre, que ne pourroit faire un observateur placé sur la terre.
Ainsi l'oeil placé en I ou en F verroit seulement le demi diametre du soleil, le reste étant caché par la lune. Si l'oeil avançoit de I vers H, il verroit continuellement une moindre partie du soleil, jusqu'à ce qu'enfin arrivé dans l'ombre parfaite, il cesseroit totalement de voir cet astre.
C'est pour une semblable raison que nous avons des éclipses de soleil, quoique l'ombre de la lune ne touche pas la terre, pourvu que la penombre seulement l'atteigne ; & c'est de-là que vient la différence que l'on observe dans les éclipses de soleil, selon que la partie cachée par la penombre est plus ou moins grande, au lieu que les éclipses de lune paroissent les mêmes dans tous les endroits où elles sont visibles.
Quand l'ombre totale parvient jusqu'à la terre, on dit alors que l'éclipse du soleil est totale ou centrale ; quand il n'y a que la penombre qui touche la terre, l'éclipse est partiale. Voyez ECLIPSE.
La penombre s'étend à l'infini en longueur, parce qu'à chaque point du diametre du soleil, il répand un espace infini en longueur, & qui est privé de la lumiere de ce point, mais non de la lumiere de tous les autres. Les deux extrémités ou tranchans de la penombre, sont formés par deux rayons tirés des deux extrémités du diametre de la terre, & qui sont divergens : par conséquent la penombre augmente continuellement en largeur, & est aussi infinie en ce sens. Tout cet espace infini est la penombre, si on en excepte le triangle d'ombre qu'elle renferme.
Cet espace a la figure d'un trapèse, dont un des côtés est le diametre de la terre ; le côté opposé, parallele au diametre de la terre, est une ligne infinie, c'est-à-dire la largeur de la penombre projettée à l'infini, & les deux autres côtés sont deux rayons tirés des extrémités du diametre de la terre, aux extrémités du diametre du soleil, & qui avant que d'arriver au soleil se croisent en un certain point, où ils font un angle égal au diametre apparent du soleil ; cet angle peut être appellé angle de la penombre.
La penombre est d'autant plus grande que cet angle, c'est-à-dire que le diametre apparent de l'astre est plus grand, la planete demeurant la même ; & si le diametre de la planete augmente, l'astre demeurant le même, la penombre augmente.
M. de la Hire a examiné les différens degrés d'obscurité de la penombre, & les a représentés géométriquement par les ordonnées d'une courbe qui sont entr'elles comme les parties du disque du soleil qui éclairent un corps placé dans la penombre.
Voilà pour ainsi dire l'abrégé de la théorie géométrique de la penombre ; cette théorie peut s'appliquer non-seulement aux planetes éclairées par le soleil, mais à tout corps opaque éclairé par un corps lumineux. Au reste, il est bon de remarquer que l'expérience differe ici de la théorie à beaucoup d'égards : les ombres d'un corps & leur penombre, telles qu'on les observe, ne suivent point les lois qu'elles paroîtroient devoir suivre en considérant la chose mathématiquement. M. Maraldi, dans les mem. de l'acad. de 1723, nous a donné un recueil d'expériences sur ce sujet, un détail des bizarreries singulieres auxquelles l'ombre & la penombre des corps sont sujettes. On trouvera à l'article OMBRE, un précis de ces expériences.
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PENRITH | (Géog. mod.) ou Panreth, ville à marché d'Angleterre ; dans le comté de Cumberland, près de la riviere d'Eden, qui la sépare du Westmorland. Elle envoye deux députés au parlement, & est à 214 milles S. O. de Londres. Long. 12. 30. latit. 50. 10. (D.J.)
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PENSÉE | S. m. (Métaphysiq.) opération, perception, sensation, conscience, idée, notion, semblent être tous des termes synonimes, du-moins à des esprits superficiels & paresseux, qui les employent indifféremment dans leur façon de s'expliquer ; mais comme il n'y a point de mots absolument synonymes, & qu'ils ne le sont tout au plus que par la ressemblance que produit en eux l'idée générale qui leur est commune à tous, je vais exactement marquer leur différence délicate, c'est-à-dire la maniere dont chacun diversifie une idée principale par l'idée accessoire qui lui constitue un caractere propre & singulier. Cette idée principale que tous ces mots dont je viens de parler énoncent, est la pensée ; & les idées accessoires qui les distinguent tous, ensorte qu'ils ne sont point parfaitement synonymes, en sont les diverses nuances. On peut donc regarder le mot pensée comme celui qui exprime toutes les opérations de l'ame. Ainsi, j'appellerai pensée, tout ce que l'ame éprouve, soit par des impressions étrangeres, soit par l'usage qu'elle fait de la réflexion. Opération, la pensée entant qu'elle est propre à produire quelque changement dans l'ame, & par ce moyen à l'éclairer & à la guider. Perception, l'impression qui se produit en nous à la présence des objets. Sensation, cette même impression entant qu'elle vient par les sens. Conscience, la connoissance qu'on en prend. Idée, la connoissance qu'on en prend comme image. Notion, toute idée qui est notre propre ouvrage. On ne peut prendre indifféremment l'un pour l'autre, qu'autant qu'on n'a besoin que de l'idée principale qu'ils signifient. On peut appeller les idées simples indifféremment perceptions ou idées, mais on ne doit pas les appeller notions, parce qu'elles ne sont pas l'ouvrage de l'esprit. On ne doit pas dire la notion du blanc, mais la perception du blanc. Les notions à leur tour peuvent être considérées comme images ; on peut par conséquent leur donner le nom d'idées, mais jamais celui de perception : ce seroit faire entendre qu'elles ne sont pas notre ouvrage. On peut dire la notion de la hardiesse, & non la perception de la hardiesse : ou, si l'on veut faire usage de ce terme, il faut dire, les perceptions qui composent la notion de la hardiesse.
Une chose qu'il faut encore remarquer sur les mots d'idée & de notion, c'est que le premier signifiant une perception considérée comme image, & le second une idée que l'esprit a lui-même formée, les idées & les notions ne peuvent appartenir qu'aux êtres qui sont capables de réflexion. Quant aux bêtes, si tant est qu'elles pensent & qu'elles ne soient point de purs automates, elles n'ont que des sensations & des perceptions ; & ce qui n'est pour elles qu'une perception, devient idée à notre égard par la réflexion que nous faisons que cette perception représente quelque chose. Voyez tous ces mots chacun à son article.
PENSEE, SENTIMENT, OPINION, (Synon. Gram.) Ils sont tous les trois d'usage lorsqu'il ne s'agit que de la simple énonciation de ses idées : en ce sens, le sentiment est le plus certain ; c'est une croyance qu'on a par des raisons ou solides ou apparentes. L'opinion est la plus douteuse ; c'est un jugement qu'on fait avec quelque fondement. La pensée est moins fixe & moins assurée, elle tient de la conjecture. On dit rejetter & soutenir un sentiment, attaquer & défendre une opinion, désapprouver & justifier une pensée.
Le mot de sentiment est plus propre en fait de goût ; c'est un sentiment général qu'Homere est un excellent poëte. Le mot d'opinion convient mieux en fait de science : l'opinion commune est que le soleil est au centre du monde. Le mot de pensée se dit plus particulierement, lorsqu'il s'agit de juger des événemens des choses ou des actions des hommes ; la pensée de quelques politiques est que le moscovite trouveroit mieux ses vrais avantages du côté de l'Asie, que du côté de l'Europe.
Les sentimens sont un peu soumis à l'influence du coeur ; il n'est pas rare de les voir conformes à ceux des personnes qu'on aime. Les opinions doivent beaucoup à la prévention ; il est d'ordinaire aux écoliers de tenir celles de leurs maîtres. Les pensées tiennent assez de l'imagination ; on en a souvent de chimériques. Synonymes françois. (D.J.)
PENSEE, (Art. orat.) La pensée en général est la représentation de quelque chose dans l'esprit, & l'expression est la représentation de la pensée par la parole.
Les pensées doivent être considérées dans l'art oratoire comme ayant deux sortes de qualités : les unes sont appellées logiques, parce que c'est la raison & le bon sens qui les exigent ; les autres sont des qualités de goût, parce que c'est le goût qui en décide. Celles-là sont la substance du discours, celles-ci en sont l'assaisonnement.
La premiere qualité logique essentielle de la pensée, c'est qu'elle soit vraie, c'est-à-dire, qu'elle représente la chose telle qu'elle est. A cette premiere qualité tient la justesse. Une pensée parfaitement vraie, est juste. Cependant l'usage met quelque différence entre la vérité & la justesse de la pensée : la vérité signifie plus précisément la conformité de la pensée avec l'objet ; la justesse marque plus expressément l'étendue. La pensée est donc vraie quand elle réprésente l'objet : & elle est juste, quand elle n'a ni plus ni moins d'étendue que lui.
La seconde qualité est la clarté. Peut-être même est-ce la premiere ; car une pensée qui n'est pas claire n'est pas proprement une pensée. La clarté consiste dans la vûe nette & distincte de l'objet qu'on se représente, & qu'on voit sans nuage, sans obscurité ; c'est ce qui rend la pensée nette. On le voit séparé de tous les autres objets qui l'environnent : c'est ce qui la rend distincte.
La premiere chose qu'on doit faire, quand il s'agit de rendre une pensée, est donc de la bien reconnoître, de la démêler d'avec tout ce qui n'est point elle, d'en saisir les contours & les parties. C'est à quoi se réduisent les qualités logiques des pensées ; mais pour plaire, ce n'est pas assez d'être sans défaut, il faut avoir des graces ; & c'est le goût qui les donne. Ainsi tout ce que les pensées peuvent avoir d'agrément dans un discours, vient de leur choix & de leur arrangement. Toutes les regles de l'élocution se réduisent à ces deux points, choisir & arranger. Etendons ces idées d'après l'auteur des principes de la Littérature ; on en trouvera les détails instructifs.
Dès qu'un sujet quelconque est proposé à l'esprit, la face sous laquelle il s'annonce produit sur le champ quelques idées. Si l'on en considere une autre face, ce sont encore d'autres idées ; on pénetre dans l'intérieur ; ce sont toujours de nouveaux biens. Chaque mouvement de l'esprit fait éclorre de nouveaux germes : voilà la terre couverte d'une riche moisson. Mais dans cette foule de productions, tout n'est pas le bon grain.
Il y a de ces pensées qui ne sont que des lueurs fausses, qui n'ont rien de réel sur quoi elles s'appuyent. Il y en a d'inutiles, qui n'ont nul trait à l'objet qu'on se propose de rendre. Il y en a de triviales, aussi claires que l'eau, & aussi insipides. Il y en a de basses, qui sont au-dessous de la dignité du sujet. Il y en a de gigantesques qui sont au-dessus : toutes productions qui doivent être mises au rebut.
Parmi celles qui doivent être employées, s'offrent d'abord les pensées communes, qui se présentent à tout homme de sens droit, & qui paroissent naître du sujet sans nul effort. C'est la couleur fonciere, le tissu de l'étoffe. Ensuite viennent les pensées qui portent en soi quelque agrément, comme la vivacité, la force, la richesse, la hardiesse, le gracieux, la finesse, la noblesse, &c. car nous ne prétendons pas faire ici l'énumération complete de toutes les especes de pensées qui ont de l'agrément.
La pensée vive est celle qui représente son objet clairement, & en peu de traits. Elle frappe l'esprit par sa clarté, & le frappe vîte par sa briéveté. C'est un trait de lumiere. Si les idées arrivent lentement, & par une longue suite de signes, la secousse momentanée ne peut avoir lieu. Ainsi quand on dit à Médée : que vous reste-t-il contre tant d'ennemis ? elle répond, moi voilà l'éclair. Il en est de même du mot d'Horace, qu'il mourût.
La pensée forte n'a pas le même éclat que la pensée vive, mais elle s'imprime plus profondément dans l'esprit ; elle y trace l'objet avec des couleurs foncées ; elle s'y grave en caracteres ineffaçables. M. Bossuet admire les pyramides des rois d'Egypte, ces édifices faits pour braver la mort & le tems ; & par un retour de sentiment, il observe que ce sont des tombeaux : cette pensée est forte. La beauté s'envole avec la jeunesse ; l'idée du vol peint fortement la rapidité de la fuite.
La pensée hardie a des traits & des couleurs extraordinaires, qui paroissent sortis de la regle. Quand Despreaux osa écrire : le chagrin monte en croupe & galope avec lui, il eut besoin d'être rassuré par des exemples, & par l'approbation de ses amis. Qu'on se représente le chagrin assis derriere le cavalier, la métaphore est hardie, mais qu'on soutienne la pensée, en faisant galoper ce personnage allégorique, c'étoit s'exposer à la censure.
On sent assez ce que c'est que la pensée brillante, son éclat vient le plus souvent du choc des idées :
Qu'à son gré désormais la Fortune me joue :
On me verra dormir au branle de sa roue.
" Les secousses de la fortune renversent les empires les plus affermis, & elles ne font que bercer le philosophe ".
L'idée riche est celle qui représente à-la-fois nonseulement l'objet, mais la maniere d'être de l'objet, mais d'autres objets voisins, pour faire, par la réunion des idées une plus grande impression. Prends ta foudre ; le seul mot foudre nous peint un dieu irrité, qui va attaquer son ennemi & le réduire en poudre.
Et la scene françoise est en proie à Pradon.
Quel homme que ce Pradon, ou plutôt quel animal féroce, qui déchire impitoyablement la scene françoise ! elle expire sous ses coups.
La pensée fine ne représente l'objet qu'en partie, pour laisser le reste à deviner. On en voit l'exemple dans cette épigramme de M. de Maucroix.
Ami, je vois beaucoup de bien
Dans le parti qu'on me propose :
Mais toutefois ne pressons rien :
Prendre femme est étrange chose,
On doit y penser mûrement.
Gens sages, en qui je me fie,
M'ont dit que c'est fait prudemment
Que d'y penser toute sa vie.
Quelquefois elle représente un objet pour un autre objet. Celui qu'on veut présenter se cache derriere l'autre : comme quand on offre l'idée d'un livre chez l'épicier.
La pensée poëtique est celle qui n'est d'usage que dans la Poésie, parce qu'en prose elle auroit trop d'éclat & trop d'appareil.
La pensée naïve sort d'elle-même du sujet, & vient se présenter à l'esprit sans être demandée.
Un boucher moribond voyant sa femme en pleurs,
Lui dit : ma femme, si je meurs,
Comme en notre métier un homme est nécessaire,
Jacques, notre garçon, seroit bien ton affaire ;
C'est un fort bon enfant, sage, & que tu connois,
Epouse-le, crois-moi, tu ne saurois mieux faire.
Hélas, dit-elle, j'y songeois.
Il y a des pensées qui se caractérisent par la nature même de l'objet. On les appelle pensées nobles, grandes, sublimes, gracieuses, tristes, &c. selon que leur objet est noble, grand, &c.
Il y a encore une autre espece de pensées ; qui en porte le nom par excellence, sans être désignée par aucune qualité qui leur soit propre. Ce sont ordinairement des réflexions de l'auteur même, enchâssées avec art dans le sujet qu'il traite. Quelquefois c'est une maxime de morale, de politique. Rien ne touche les peuples comme la bonté : d'autres fois c'est une image vive ; trois guerriers (les Horaces) portoient en eux tout le courage des Romains.
A toutes ces especes de pensées répondent autant de sortes d'expressions. De même qu'il y a des pensées communes, & des pensées accompagnées d'agrément, il y a aussi des termes propres & sans agrément marqué, & des termes empruntés, qui ont le caractere de vivacité, de richesse, &c. Pour représenter les pensées qui sont dans le même genre ; car l'expression, pour être juste, doit être ordinairement dans le même goût que la pensée.
Je dis ordinairement, parce qu'il peut se faire qu'il y ait dans l'expression un caractere qui ne se trouve point dans la pensée. Par exemple, l'expression peut être fine, sans que la pensée le soit. Quand Hyppolite dit en parlant d'Aricie, si je la haïssois, je ne la fuirois pas, la pensée n'est pas fine, mais l'expression l'est, par ce qu'elle n'exprime la pensée qu'à demi. De même l'expression peut être hardie, sans que la pensée le soit, & la pensée peut l'être sans l'expression : il en est de même de la noblesse, & de presque toutes les autres qualités.
Ce qui produit entr'elles cette différence, est la diversité des regles de la nature, & de celles de l'art en ce point. Il seroit naturel que l'expression eût le même caractere que la pensée, mais l'art a ses raisons pour en user autrement. Quelquefois par la force de l'expression, on donne du corps à une idée foible ; quelquefois par la douceur de l'une on tempere la dureté de l'autre : un récit est long, on l'abrege par la richesse des expressions : un objet est vil, on le couvre, on l'habille de maniere à le rendre décent : il en est ainsi des autres cas.
Enfin, si quelqu'un me demandoit quel est le choix qu'on doit faire des pensées dans l'élocution, je lui répondrois que c'est tout ensemble dans le génie & le goût qui peuvent l'en instruire. L'un lui suggérera les belles pensées, l'autre les placera dans leur ordre ; parce que le goût & le jugement n'adopte que ce qui peut prendre la teinte du sujet, & faire un même corps avec le reste. (D.J.)
PENSEE, (Critiq. sacrée) ce terme ne signifie pas toujours la simple opération de l'esprit qui pense ; l'Ecriture l'employe quelquefois pour un dessein, un projet, une entreprise : in illâ die peribunt omnes cogitationes eorum ; Ps. cxlv. 4. leur mort dans ce jour même rompra tous leurs projets. Nemo avertere potest cogitationes ejus ; Job, xxiij. 13. personne ne peut empêcher les desseins de Dieu. Ce mot veut dire encore le soin qu'on a de quelqu'un : cogitatio illorum apud Altissimum ; Sap. v. 16. le Très-Haut a soin des justes. Il se prend pour doute, scrupule : quid cogitationes ascendunt in corda vestra ; Luc, xxiv. 28. Enfin, il se prend pour raisonnement : evanuerunt in cogitationibus suis, dit saint Paul aux Romains, l. xxj. en parlant des philosophes payens. Ils se sont égarés dans leurs vains raisonnemens, c'est-à-dire qu'ils ont été entraînés à l'idolâtrie par de faux raisonnemens ; car idole dans les septante est appellée , & saint Paul dit (D.J.)
PENSEE, en Peinture, est une légere esquisse de ce qui s'est présenté à l'imagination, sur un sujet qu'on se propose d'exécuter. Ce terme differe de celui d'esquisse, en ce que la pensée n'est jamais une chose digérée, au lieu qu'une esquisse, quoique projet d'ouvrage, ne differe quelquefois de la perfection de l'ouvrage même que parce qu'elle est en plus petit volume ; pensée n'a pas la même signification que croquis. On dit j'ai fait un croquis de la pensée de tel, mais on ne dit point j'ai fait une pensée de la pensée d'un tel.
PENSEE, herba Trinitatis, (Jardinage) est une petite fleur qui, comme la violette, a trois couleurs.
Ses tiges rampantes, garnies de feuilles presque rondes, se partagent en rameaux qui produisent des fleurs composées de cinq feuilles, lesquelles portent un calice partagé en cinq parties de trois couleurs blanches ou jaunes, purpurines & bleues. Il vient après ces fleurs une coque qui renferme des semences qu'on seme sur couche. On les transplante dans des plates-bandes le long des terrasses, & on en forme les massifs & les coquilles des grands parterres. Sa culture est des plus ordinaires, elle fleurit au printems.
PENSEE, couleur de, (Teinture) espece de violet tirant sur le pourpre.
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PENSER | SONGER, REVER, (Gramm. & Synon.) voyez l'article PENSEE. On pense tranquillement & avec ordre pour connoître son objet ; on songe avec plus d'inquiétude & sans suite pour parvenir à ce qu'on souhaite ; on rêve d'une maniere abstraite & profonde pour s'occuper agréablement. Le poëte dramatique pense à l'arrangement de sa piece. L'homme, embarrassé d'affaires, songe aux expédiens pour en sortir. L'amant solitaire rêve à ses amours. Girard. (D.J.)
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PENSHURST | (Géog. mod.) petit bourg d'Angleterre, dans la province de Kent ; mais ce bourg a été bien illustré le 29 Novembre 1554 par la naissance de Sidney (Philippe), profond politique, philosophe sage, & grand homme de guerre. Favori d'Elisabeth, il fut couronné des myrthes des amans, du laurier des guerriers, & de la palme des Poëtes.
Il se trouva à Paris le 24 Août 1572, jour du massacre de la saint Barthélemi, & cette horrible boucherie lui rendit odieuse la religion romaine. En 1579, il présenta à la reine Elisabeth un mémoire plein de force contre son mariage avec le duc d'Anjou ; & ce mémoire a été imprimé dans la Cabala.
En 1582, cette princesse le fit chevalier. En 1585, il forma avec François Drake le projet d'enlever l'Amérique aux Espagnols ; mais quelque bien concertée & digérée à tous égards que fut cette entreprise, on en tira plus de profit que de gloire. La reine elle-même, par tendresse pour Sidney, mit obstacle à son embarquement, & le nomma gouverneur de Flessingue.
Le chevalier Robert Naunton assure que le bruit de son grand mérite le mit sur les rangs pour la couronne de Pologne, mais que la reine ne voulut point l'appuyer pour ne pas perdre le premier homme de son tems. Il fut blessé à mort au combat de Zutphen le 22 Septembre 1586, & son corps fut enterré à Londres dans la cathédrale de saint Paul. Le chevalier Grévil lord Brookés, a fait sa vie, dont je ne tirerai qu'un seul trait.
Il y rapporte que le Chevalier Sidney ayant eu la cuisse cassée d'un coup de mousquet, le cheval qu'il montoit tout en fureur l'obligea à quitter le champ de bataille, mais qu'il ne laissa pas de se tenir dessus, comme sur le brancart le plus convenable pour porter un homme de guerre à son tombeau. Dans cet état il passa auprès du reste de l'armée que son oncle commandoit, & la perte du sang l'ayant altéré, il demanda à boire ; on lui en donna sur le champ ; mais comme il portoit la bouteille à la bouche, il vit un pauvre soldat qui avoit eu le même sort que lui, & qui regardoit la bouteille avec avidité : le chevalier qui s'en apperçut lui remit la bouteille avant que d'en boire lui-même, en lui disant, " bois le premier, tu en as plus besoin que moi " ; & ensuite il fit raison à ce soldat. " Aimez ma mémoire, dit-il à son frere immédiatement avant que de mourir, chérissez mes amis, & contemplez en ma personne ce que c'est que le monde avec toutes ses vanités ".
Son roman philosophique intitulé l'Arcadie, a été imprimé très-souvent à Londres, & traduit dans toutes les langues. Le but de l'auteur dans les caracteres & les fictions de ce roman ingénieux, a été de rendre sensible par des exemples les préceptes arides de la Philosophie. Par rapport aux sujets, il a dépeint les diverses situations de faveur & de disgrace, de prospérité & d'adversité, en un mot, tout ce qui entre dans le cours de la vie privée, soit en bien, soit en mal. Outre son Arcadie, il a fait d'autres ouvrages poétiques, mais qui n'ont pas eu le même succès. Il traduisit les Pseaumes en vers anglois, & ce manuscrit se trouvoit dans la bibliotheque de la comtesse de Pembroke sa soeur. (D.J.)
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PENSILVANIE | (Géog. mod.) province de l'Amérique septentrionale, bornée au nord par le pays des Iroquois ; à l'orient par le nouveau Jersey ; au midi par le Mariland, & à l'occident par le pays des Oniasontkes, ou si vous voulez, par le Canada. Elle s'étend depuis le quarantieme jusqu'au quarante-deuxieme degré de latitude ; & la largeur est à-peu-près égale, se trouvant comprise entre le 294°. 50'. & le 302°. de long.
Charles II. roi d'Angleterre, gratifia de cette province en 1681, Guillaume Pen de la secte des Quackers, homme d'un rare mérite, & qui a donné son nom à cette province. L'air y est doux & pur. Le terroir y est généralement bon. Il produit des fruits de toute espece, du froment, de l'orge, de l'avoine, du seigle, des pois, des féves, toutes sortes de racines, du gibier, &c. Les oiseaux domestiques sont les coqs d'Inde, les faisans, les pigeons, les perdrix, &c. On y trouve aussi beaucoup d'oiseaux sauvages, comme cygnes, oies grises & blanches, canards, & autres. La terre est arrosée de diverses sources & de rivieres, qui abondent en poisson, comme esturgeons, aloses, anguilles, &c.
Les Anglois occupent dans cette province six contrées qu'ils nomment Chester, Buckingham, Newcastle, Kentsussex, & Philadelphie, qui est la capitale. L'intérieur du pays est habité par quelques nations d'Indiens, qu'on dit être au nombre d'environ six mille ames ; ce sont ces gens-là que l'illustre Pen a gagnés par ses bienfaits. Ces Indiens sont grands, bien proportionnés, hospitaliers, & d'une probité qui leur est aussi naturelle que la bravoure chez les Spartiates, & M. Pen est un second Lycurgue : " Quoiqu'il ait eu la paix pour objet, comme Lycurgue a eu la guerre, ils se ressemblent dans la voie singuliere où ils ont mis leur peuple, dans l'ascendant qu'ils ont eu sur des hommes libres, dans les préjugés qu'ils ont vaincus, dans les passions qu'ils ont soumises ". (D.J.)
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PENSION | S. f. (Jurisprud.) signifie en général une certaine rétribution qui se paye en retour de quelque chose que l'on a reçu.
On entend quelquefois par le terme de pensions, les cens & services dûs au seigneur par le tenancier ; quelquefois les fermages dûs par l'emphitéote ou fermier au propriétaire.
Le terme de pension, se prend aussi pour le salaire que l'on paye à quelqu'un pour sa nourriture, entretien, éducation, & autres prestations.
On appelle aussi pension, ce qui est donné ou légué à quelqu'un pour sa subsistance.
Pension viagere, est celle qui est donnée à quelqu'un sa vie durant seulement.
On peut en certains cas reserver une pension sur un bénéfice. Voyez l'article suivant. (A)
PENSION ECCLESIASTIQUE, ou sur un bénéfice, est une portion des fruits & du revenu d'un bénéfice, assignée par l'autorité du pape, & pour cause légitime, à un autre que le titulaire du bénéfice.
On peut réserver à titre de pension, une certaine quantité de fruits en nature, comme tant de septiers de grain, tant de muids de vin ; mais cette portion ne doit pas être assignée par quotité, comme du tiers ou du quart ; ce seroit une espece de section du bénéfice, laquelle est prohibée par les canons. La pension doit être d'une certaine somme d'argent, ou d'une certaine quantité de fruits ; & en l'un & l'autre cas, elle ne doit pas excéder le tiers des revenus.
Il faut même que la pension payée, il reste encore au titulaire la somme de 300 livres, franche de toute charge, sans comprendre dans ces 300 livres, le casuel & le creux de l'église, qui appartiennent au curé, ni les distributions manuelles, si c'est un canonicat. Telles sont les dispositions de l'édit du mois de juin 1671.
L'usage des pensions ecclésiastiques est fort ancien, puisque dans le concile de Chalcédoine, tenu en 451, Maxime, évêque d'Antioche, pria l'assemblée d'assigner à Domnus son prédécesseur, une certaine portion des revenus de son église pour sa subsistance ; la fixation en fut laissée à Maxime.
L'évêque d'Ephèse fut aussi obligé de payer chaque année deux cent écus d'or à deux évêques auxquels il avoit été subrogé.
Mais pendant long-tems les pensions ne s'accorderent que difficilement, & pour des considérations fort importantes.
Pour pouvoir posséder une pension sur un bénéfice, il faut être au-moins clerc tonsuré, & avoir l'âge de sept ans.
Les laïcs ne peuvent jouïr de telles pensions ; on excepte néanmoins les chevaliers de saint Lazare, lesquels quoique laïcs, & même mariés, peuvent posséder des pensions ecclésiastiques, même jusqu'à la valeur de 500 ducats, de la chambre apostolique ; mais ils perdent ce privilége, lorsqu'ils convolent en troisiemes nôces.
Le concile d'Aix tenu en 1585, déclare simoniaques toutes pensions sur bénéfices, lorsqu'elles ne sont pas autorisées par le pape, lequel peut seul créer des pensions.
Les signatures de cour de Rome pour la création ou l'extinction d'une pension, & les procurations pour y consentir, doivent être insinuées dans trois mois au greffe des insinuations ecclésiastiques du diocèse où les bénéfices sont situés.
Les évêques ni leurs grands vicaires, n'ont pas le pouvoir de créer des pensions.
L'évêque de Tournay a cependant été maintenu dans le droit & possession de créer des pensions réelles sur les cures & autres bénéfices de son diocèse, pourvû qu'il y ait juste cause de le faire.
Les causes légitimes admises en France pour la création des pensions sont,
1°. Pour que le résignant ne souffre pas un préjudice notable.
2°. Pour le bien de la paix, c'est-à-dire, dans le cas d'un bénéfice en litige ; mais il faut que ce soit sans fraude.
3°. Dans le cas de permutation, pour compenser l'inégalité des bénéfices.
4°. Lorsqu'on donne un coadjuteur à un bénéficier infirme.
Il y a néanmoins une autre espece de pension, que l'on appelle pension sans cause, pour la validité de laquelle il faut obtenir d'abord un brevet du roi, & le faire enregistrer du consentement du bénéficier sur lequel la pension est assignée ; ensuite se pourvoir à Rome pour y faire admettre la pension, en payant le droit de componende.
Les bénéfices qui sont à la collation du roi, ne peuvent être chargés de pensions, si ce n'est en vertu d'un brevet du roi, ou autres lettres émanées de lui.
Anciennement lorsque le roi pendant la régale, admettoit une résignation en faveur faite entre ses mains, sous la réserve d'une pension, on n'avoit pas besoin de se pourvoir à Rome pour faire autoriser cette pension ; mais le garde des sceaux du Vair introduisit l'usage de renvoyer à Rome pour faire créer & autoriser la pension. Le pape n'admet point la pension, à-moins que l'on ne fasse une nouvelle résignation entre ses mains ; mais pour ne pas préjudicier à la provision du roi, on met dans la procuration ad resignandum, que c'est à l'effet de faire créer la pension en cour de Rome ; & néanmoins la pension a lieu du jour du brevet du roi, lorsque cela est ainsi porté par le brevet.
On ne peut créer une pension au profit d'un tiers qui n'a aucun droit au bénéfice, si ce n'est du consentement du roi ; ce qui ne se pratique ordinairement que sur des bénéfices consistoriaux, & quand la pension est créée dans un tems postérieur à l'admission de la nomination, en ce cas, il faut payer à la chambre apostolique un droit de componende.
En France on peut, du consentement du roi, & de l'autorité du pape, réserver au lieu de pension sur les bénéfices consistoriaux, la collation des bénéfices qui en dépendent.
En réservant une pension, on ne peut pas stipuler qu'elle cessera d'être payée lorsque le résignant aura fait avoir au résignataire un bénéfice de valeur égale à la pension.
Le collateur ni le patron ne peuvent pas se réserver une pension sur le bénéfice qu'ils donnent.
Il n'est pas permis non plus de réserver une pension sur un bénéfice dont on se démet pour cause d'incompatibilité, sur-tout lorsque le bénéfice que l'on garde est suffisant pour la subsistance du titulaire.
Une pension ne peut être permutée contre un bénéfice ; & en cas de permutation d'un bénéfice contre un autre, on ne peut réserver de pension que sur le bénéfice qui se permute.
Les deux permutans ne peuvent pas créer une pension dont la jouïssance ne doive commencer qu'au profit du survivant.
Mais quand le bénéfice est déja chargé d'une pension telle qu'il la peut supporter, le résignant peut se réserver une pension de même valeur, à condition qu'elle ne sera payable qu'après l'extinction de la premiere.
Un bénéfice peut être chargé d'une double pension, pourvu que les deux pensions jointes ensemble n'excedent pas le tiers du revenu, non compris le casuel & les autres obventions.
Il y auroit subreption, si l'on n'exprimoit pas la premiere pension dont le bénéfice est chargé, ou si celui qui a déja une pension sur un autre bénéfice, ne le déclaroit pas.
Lorsque celui qui a une pension sur un prieuré dépendant d'une abbaye, est ensuite pourvu de cette abbaye, il ne conserve plus la pension qu'il avoit.
On ne peut pas réserver de pension sur une commanderie de l'ordre de Malte ou de celui de saint Lazare, parce que ces commanderies ne sont pas des bénéfices.
Il en est de même des hôpitaux, à-moins qu'ils ne soient érigés en titre de bénéfice.
Les bénéfices en patronage laïc, ne peuvent pas non plus être grevés de pension, si ce n'est du consentement du patron laïc, & si c'est un patronage mixte, & que le bénéfice vienne à vaquer dans le tour du patron laïc, la pension demeure éteinte.
Les pensions ne peuvent pas être transférées d'une personne à une autre, même du consentement des parties intéressées.
Le pape ne peut pas admettre la résignation & rejetter la pension ; car l'acte ne se divise pas.
On peut insérer dans le rescrit de Rome, que la pension sera payée franche & quitte de décimes & de toutes autres charges ordinaires, à l'exception du don gratuit, à la contribution duquel on ne peut déroger par aucune clause ; mais les curés qui ont résigné sous pension après quinze années de service, ou même plutôt à cause de quelque notable infirmité, sont ordinairement déchargés des décimes par les contrats passés entre le roi & le clergé ; & même en général tous pensionnaires ne sont point taxés pour les décimes ordinaires & anciennes ; mais on les fait contribuer aux dons gratuits à proportion de leurs pensions.
On peut donner une caution pour le payement de la pension ; cependant au grand conseil on n'admet point les stipulations de cautions.
Quand la pension excede le tiers des revenus du bénéfice, elle est réductible ad legitimum modum. Le grand conseil excepte les pensions réservées sur les bénéfices qui sont à la nomination du roi, lesquelles, suivant la jurisprudence de ce tribunal, ne sont réductibles qu'au cas seulement où il ne resteroit pas au titulaire de quoi soutenir la dignité de ses fonctions.
Le résignataire d'un bénéfice simple à charge de pension, & celui qui lui succede par résignation en faveur ou permutation, ne peuvent pas demander la réduction de la pension ; mais le pourvu per obitum, le peut faire ; & même si c'est une cure ou autre bénéfice à résidence, le résignataire lui-même peut demander la réduction de la pension au tiers ; ou quand elle n'excéderoit pas le tiers, il peut encore la faire réduire, s'il ne lui reste pas 300 livres les charges payées.
Les pensions sont aussi sujettes à diminution pour les mêmes causes pour lesquelles on accorde une diminution au fermier ; mais cette diminution momentanée cesse quand la cause a cessé.
Dans le cas d'union du bénéfice, la pension qui est créée n'est pas réductible.
La minorité du bénéficier qui s'est chargé de payer la pension, n'est pas un moyen de restitution.
Enfin, quelque excessive que soit la pension, cela ne rend pas la résignation nulle.
Une pension ne peut être vendue ; il y auroit simonie.
Il n'est pas permis de stipuler que le résignant rentrera dans son bénéfice, faute de payement de la pension. Cependant à défaut de payement, le résignant peut user du regrès, qu'on appelle regrès de droit, & pour cet effet, il doit obtenir sentence.
Quand le regrès n'est pas admis, on adjuge quelquefois une pension alimentaire au résignant, mais différente de celle qui avoit été stipulée.
Les pensions s'éteignent par la mort du pensionnaire, ou par son mariage, par sa profession religieuse, & par les autres causes qui font vaquer le bénéfice de plein droit : enfin, par le rachat de la pension ; ce qui ne se peut faire qu'en vertu d'un concordat autorisé par le pape. Voyez Gigas, de pension. ecclesiast. quaest. 8. Pinson, de pens. Rebuffe, sur le concordat ; Chopin, de sacr. polit. Fevret, les lois ecclésiastiques ; Fuet, Drapier, & les mots BENEFICE, REGRES, RESIGNATION. (A)
PENSION ; (Littérat.) l'usage des souverains d'accorder des récompenses pour des services importans, ou même sans aucun service, est fort ancien dans le monde ; il n'y a que la maniere de gratifier qui ait varié. Les rois d'orient, au lieu de pensions, donnoient des villes & des provinces qui devoient tout fournir pour l'entretien de ceux qui en étoient gratifiés. Les tributs même que les rois exigeoient des villes & des provinces, avoient chacun leur destination particuliere. Une telle province payoit tant pour le vin, une autre tant pour la viande ; celle-là tant pour les menus plaisirs, & celle-ci tant pour la garde-robe. Dans les provinces destinées à fournir la garde-robe d'une femme, l'une étoit pour sa ceinture, l'autre pour son voile, l'autre pour des habits ; & chacune de ces provinces portoit le nom des parures qu'elle fournissoit. Artaxerxès donna à Thémistocle Magnésie, sur le Méandre, pour son pain. Thucydide prétend que ce capitaine grec en tiroit cinquante talens, c'est-à-dire au moins cinquante mille écus. Lampsaque, le plus beau vignoble d'Asie, étoit pour son vin ; & Myonte, si fertile en pâturages & en poisson, lui fut donnée pour sa table. Mais une chose remarquable, c'est que du tems de Plutarque, les descendans de Thémistocle jouïssoient encore par la faveur du roi de Perse, des prérogatives accordées à Thémistocle même, il y avoit près de six cent ans. (D.J.)
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PENSIONNAIRE | S. m. (Hist. mod.) se dit d'une personne qui a une pension, un appointement, ou une somme annuelle, payable sa vie durant à titre de reconnoissance, mise sur l'état d'un prince ou d'une compagnie, sur les biens d'un particulier, ou autres semblables, &c.
Dans l'Eglise romaine, il est fort ordinaire de mettre des pensions sur des bénéfices : on les accordoit autrefois avec la plus grande facilité, sous prétexte d'infirmités, de pauvreté, &c. Mais depuis le douzieme siecle, ces prétextes avoient été portés si loin, que les titulaires des bénéfices étoient un peu plus que des fermiers. Cela détermina les puissances spirituelles à fixer les causes & le nombre des pensions. Il n'y a présentement que le pape qui puisse créer des pensions ; elles ne doivent jamais excéder le tiers du revenu, étant arrêté qu'il doit toujours en rester les deux tiers au titulaire.
La pension une fois établie, subsiste pendant toute la vie du pensionnaire, quoique le bénéfice passe à un autre : faute de payer la pension pendant plusieurs années, le résignant peut demander à rentrer dans le bénéfice. La pension se perd par les mêmes voies que le bénéfice, par le mariage, par l'irrégularité, par le crime ; mais elle peut être rachetée par une somme d'argent, pourvu qu'elle ne serve pas de titre clérical au pensionnaire, & qu'elle ait été créée de bonne foi sans aucune paction simoniaque. Fleury, Institut. au droit ecclésiastique, tome I.
Pensionnaire, est aussi un nom que l'on donne au premier ministre des états de la province d'Hollande. Voyez ÉTATS.
Le pensionnaire est président dans les assemblées des états de cette province ; il propose les matieres sur lesquelles on doit délibérer ; il recueille les voix, forme & prononce les résolutions ou décisions des états, ouvre les lettres, confere avec les ministres étrangers, &c.
Il est chargé d'avoir l'inspection des finances, de maintenir ou de défendre les droits de la province, de soutenir l'autorité des états, & d'avoir l'oeil à l'observation des lois, &c. pour le bien ou la prospérité de l'état. Il assiste à l'assemblée des conseillers députés de la province, qui représente la souveraineté en l'absence des états ; & il est un député perpétuel des états généraux des Provinces-unies. Sa commission n'est que pour cinq ans : après quoi, on délibere s'il sera renouvellé ou non. Il n'y a point d'exemple, à la vérité, qu'il ait été révoqué ; la mort est la seule cause qui met un terme aux fonctions importantes de ce ministre : on l'appelloit autrefois avocat de la province. Le titre de pensionnaire ne lui fut donné que du tems que Barnevelt fut élevé à cette charge. Grotius l'appelle en latin adsessor juris-peritus ; Merula, advocatus generalis ; Matthaeus, professeur à Leyde, consiliarius pensionnarius, qui est la qualité que les états lui donnent dans les actes publics.
Pensionnaire, se dit aussi du premier ministre de la régence de chaque ville dans la province d'Hollande. Voyez PROVINCE.
Sa charge consiste à donner son avis sur les matieres qui ont rapport au gouvernement, soit de la ville en particulier, ou de l'état en général ; & dans les assemblées des états des provinces, il parle en faveur de sa ville en particulier.
Néanmoins la fonction de ces pensionnaires n'est pas égale par-tout. Dans quelques villes ils donnent seulement leur avis, & ils ne se trouvent jamais aux assemblées des magistrats, à-moins qu'ils n'y soient expressément appellés ; dans d'autres, ils s'y trouvent toujours ; & dans d'autres, ils font même des propositions de la part des bourguemestres, & tirent leurs conclusions. On les appelle pensionnaires, à cause qu'ils reçoivent des appointemens ou une pension.
Gentils-hommes pensionnaires, c'est une compagnie de gentils-hommes, dont la charge consiste à garder le roi dans sa propre maison ; c'est dans cette vue, qu'ils sont expectans dans la chambre de présence.
Henri VII. est le premier qui les ait mis sur pié ; ils sont quarante : chacun d'eux est obligé d'entretenir trois chevaux qui portent en croupe, & un valet qui doit être armé ; desorte qu'à proprement parler, ils composent un corps-de-garde ; c'est pourquoi ils doivent passer en revue devant leurs propres officiers ; mais le roi les dispense ordinairement de ce devoir, auquel ils se sont obligés par serment. Leurs officiers sont un capitaine, un lieutenant, un enseigne, & un clerc de contrôle ; leurs armes ordinaires sont la hache d'armes dorée, avec laquelle ils accompagnent le roi, quand il va à la chapelle royale, ou lorsqu'il en revient. Ils le reçoivent dans la chambre de présence, ou quand il sort de son appartement privé, de même que dans toutes les grandes solemnités. Leur pension est de cent livres sterling par an.
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PENSUM | S. m. (Littérat.) pensum étoit proprement une certaine quantité de laine qu'on donnoit chaque jour aux fileuses pour leur tâche ; on la pesoit, & c'est de-là qu'on l'a nommée pensum, mot qu'on a depuis étendu sur ce qui est imposé comme un travail reglé & ordinaire.
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PENTACHORDE | S. m. (Musique des anciens) lyre composée de cinq cordes, dont Pollux attribue l'invention aux Scythes. On avoit sur cet instrument la consonnance de la quinte, outre celle de la tierce & de la quarte que donnoit déja le tétracorde. Il est dit du musicien Phrynis, que de sa lyre à cinq cordes il tiroit douze sortes d'harmonies, ce qui ne peut s'entendre que de douze chants ou modulations différentes, & nullement de douze accords, puisqu'il est manifeste que cinq cordes n'en peuvent former que quatre, la deuxieme, la tierce, la quarte & la quinte, d'où l'on peut tirer une preuve que ce mot harmonie, se prend presque toujours parmi les Grecs pour la simple modulation, le simple chant.
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PENTACLE | S. m. (Magie) c'est le nom que la magie des exorcismes donne à un sceau imprimé ou sur du parchemin vierge fait de peau de bouc, ou sur quelque métal, or, argent, cuivre, étain, plomb, &c. On ne peut faire aucune opération magique pour exorciser les esprits, sans avoir ce sceau qui contient les noms de Dieu. Le pentacle se fait en renfermant un triangle dans deux cercles : on lit dans ce triangle ces trois mots ; formatio, reformatio, transformatio. A côté du triangle est le mot agla, qui est très-puissant pour arrêter la malice des esprits. Il faut que la peau sur laquelle on applique le sceau soit exorcisée & bénite. On exorcise aussi l'encre & la plume, dont on se sert pour écrire les mots dont on vient de parler. Après cela on encense le pentacle ; on l'enferme trois jours & trois nuits dans un vase bien net ; enfin, on le met dans un linge ou dans un livre que l'on parfume & que l'on exorcise. Voilà les fadaises qu'on lit dans le livre intitulé Encheiridion Leonis papae, ouvrage misérable, qui n'a servi qu'à gâter davantage les esprits crédules & portés à la superstitition. (D.J.)
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PENTACOSIOMEDIMNES | S. m. pl. (Hist. anc.) nom donné à la premiere classe des habitans d'Athenes, composée des citoyens qui avoient de revenu annuel cinq cent medimes ou mesures, tant en grains qu'en choses liquides. Comme ils étoient les plus opulens, c'étoit d'entr'eux qu'on tiroit les premiers magistrats, selon la disposition des lois de Solon.
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PENTACROSTICHES | S. m. pl. (Littérat.) vers disposés de maniere qu'on y trouve toujours cinq acrostiches de même nom en cinq divisions de chaque vers. Voyez ACROSTICHE.
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PENTADACTYLUS | (Géog. anc.) montagne d'Egypte proche du golfe arabique, selon Pline, l. VI. ch. xxix. Ptolomée, l. IV. c. v. qui en fait aussi mention, la place près de Bérénice. On lui avoit donné le nom de Pentadactilus, à cause qu'elle s'élevoit en cinq pointes ou sommets.
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PENTADÉCAGONE | S. m. (Géométrie). Voyez QUINDECAGONE.
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PENTAGI | ou PENTAGIOI, (Géog. mod.) ville ruinée dans la Livadie, à l'entrée du golfe de Salone. M. Spon, voyage de Grece, tom. II. p. 26. croit que c'est l'ancienne ville Oeanthéa, que Pausanias, l. X. ch. 38. place dans le golfe Crissaeus, entre Amphissa & Naupactus. Il remarque uniquement qu'il y avoit un temple consacré à Venus, & un autre consacré à Diane, dans une forêt épaisse plantée de cyprès & de pins. Les fondemens de la ville paroissent sur une presqu'île, qui est presque environnée de deux petites baies. Vers le milieu il y a une église grecque, où l'on voit le piédestal d'une statue, avec la dédicace à Jupiter restaurateur, par Auruntius Novatus. J. O. M. restitutori Auruntius Novatus. P. (D.J.)
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PENTAGLOTTE | S. f. (Gram.) dictionnaire fait en cinq langues. La pentaglotte de Jean Justiniani.
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PENTAGONE | S. m. en Géométrie, figure qui a cinq côtés & cinq angles. Voyez FIGURE.
Ce mot est composé de , cinq, & , angle. Voyez POLYGONE.
Si les cinq côtés sont égaux, & que les angles le soient aussi, la figure s'appelle un pentagone régulier (tel que la fig. 47. Géom.) la plûpart des citadelles sont des pentagones réguliers. Voyez CITADELLE.
La propriété la plus considérable d'un pentagone est qu'un de ses côtés, par exemple D E, est égal en puissance aux côtés d'un angle & d'un décagone inscrit dans le même cercle A B C D E, c'est-à-dire, que le quarré du côté D E est égal à la somme des quarrés des côtés D a & D b. Voyez EXAGONE & DECAGONE.
La surface du dodécaëdre, qui est le quatrieme corps régulier, est composée de douze pentagones. Voyez DODECAEDRE. Chambers. (E)
Le côté du décagone étant trouvé (art. DECAGONE) on peut trouver aisément le côté du pentagone ; puisqu'il n'y a qu'à doubler l'angle ou centre du décagone, & prendre la corde de l'arc qui soutient cet angle. On peut aussi le trouver, mais moins commodément, par la proportion ci-dessus, en cherchant l'hypothénuse d'un triangle rectangle dont le rayon & le côté du décagone soient les deux côtés. Voyez HYPOTHENUSE.
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PENTAMETRE | S. m. (Littérat.) dans la poésie grecque & latine, sorte de vers composé de cinq piés ou mesures. Voyez PIE & VERS.
Ce mot vient du grec , cinq, & , mesure.
Les deux premiers piés d'un vers pentametre peuvent être dactyles ou spondées, selon la volonté du poëte ; le troisieme est toujours un spondée, & les deux derniers sont anapestes. On le scande ordinairement en laissant une cesure longue après le second & le quatrieme pié, ensorte que ces deux cesures forment comme le cinquieme. On le joint ordinairement aux vers hexametres dans les élégies, les épitres, les épigrammes, & autres petites pieces. Il n'y a point de piece composée de vers pentametres seuls. Voyez HEXAMETRE.
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PENTAPARTE | S. m. (Méchaniq.) machine à cinq poulies, dont trois sont à la partie supérieure, & deux à la partie inférieure.
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PENTAPHYLOIDES | S. f. (Hist. nat. bot.) genre de plante qui differe de la quinte-feuille en ce que ses feuilles ne sont pas rangées en main ouverte à l'extrémité du même pédicule ; leur position varie de plusieurs façons, mais elle est toujours différente de celle des feuilles de la quinte-feuille. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Ce genre de plante contient six especes, dont la principale est le pentaphylloïdes argenteum, alatum, I. R. H. 298, en françois, argentine. Voyez ARGENTINE.
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PENTAPOLE | S. f. en Géographie ; c'est proprement & en général un pays où il y a cinq villes.
Ce nom a été donné à plusieurs contrées, particulierement à la vallée où étoient les cinq villes infâmes, qui furent détruites par une pluie de feu & de pierre du tems d'Abraham. On croit communément que ce pays étoit l'endroit où est à-présent le lac Asphaltite ou la mer Morte. Sanson le place dans le voisinage de ce lac, mais sans en apporter aucune preuve. D'Herbelot l'appelle la pentapole des sodomites.
La plus célébre pentapole étoit la pentapole cirénaïque ou la pentapole d'Egypte, dont les cinq villes étoient Bérénice, Arsinoë, Ptolemaïs, Cyrene & Apollonia.
Chez les anciens géographes & historiens il est fait aussi mention de la pentapole de Lybie, que l'on appelle aujourd'hui mestrata, de la pentapole d'Italie, & de la pentapole de l'Asie mineure. Chambers. (E)
PENTAPOLE, (Géog. anc.) en grec . Ce nom qui veut dire cinq villes, a été donné à plusieurs contrées, où il y avoit un pareil nombre de villes principales.
1°. Pentapole étoit une contrée de l'Asie mineure. Herodote, l. I. n °. 144. dit qu'elle étoit habitée par les Doriens, & qu'elle avoit auparavant été appellée Hexapole. 2°. C'étoit une contrée de la Phrygie Pacatiane. 3°. C'étoit une contrée de l'Egypte, dont une des cinq villes, selon le concile de Chalcédoine, s'appelloit Ticelia. 4°. C'étoit enfin une ville de l'Inde au-delà du Gange. Ptolomée, liv. VII. ch. ij. la place dans le golfe du Gange, au-delà de l'embouchure de ce fleuve appellée citra Deorum.
PENTAPOLE DU JOURDAIN, la, (Géogr. anc.) l'Ecriture-sainte, sap. x. 6. donne ce nom à cinq villes de la Palestine ; savoir, Sodome, Gomorrhe, Adama, Séboïm, Segor. Ces cinq villes étoient condamnées à périr entierement, mais Loth obtint la conservation de Segor, autrement appellée Bala. Sodome, Gomorrhe, Adama & Séboïm furent consumées par le feu du ciel ; & en la place où elles étoient situées se forma le lac Asphaltite, ou lac de Sodome. (D.J.)
PENTAPOLE DE LYBIE, la, (Géog. anc.) contrée d'Afrique dans la Cyrénaïque. Elle fut nommée Pentapole, à cause de ses cinq villes principales dont Pline, l. V. ch. v. nous a conservé les noms. La Cyrénaïque, dit-il, ou la Pentapole, est principalement célebre par ses cinq villes qui sont Bérénice, Arsinoé, Ptolémaïde, Apollonie & Cyrene.
PENTAPOLE DES PHILISTINS, la, (Géog. anc.) contrée de la Palestine, & proprement le pays des Philistins. Ces peuples avoient plusieurs bourgades depuis Joppé jusqu'aux confins de l'Egypte, soit sur le bord de la mer, soit dans les terres ; mais il y en avoit cinq principales, qui avoient entr'elles une alliance réciproque, & formoient comme une espece de république. Les cinq villes qui donnerent le nom de Pentapole à ce pays, sont Azot, Gaza, Ascalon Gath & Accaton.
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PENTAPOLITAIN | adj. qui est d'une pentapole. La doctrine de Papellius, qui commença à se répandre à Ptolémaïde dans la pentapole d'Egypte, s'appelle pentapolitaine.
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PENTAPROSTADE | S. f. (Hist. anc.) nom collectif des dignités des cinq premiers officiers de l'empire grec.
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PENTASTICHE | ou PENTASTIQUE s. m. en Poésie ; c'est une strophe ou division d'un poëme, composée de cinq vers. Voyez STROPHE ou STANCE.
Ce mot est formé du grec , cinq, & de , vers.
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PENTASTYLE | ou PENTASTIQUE, s. m. en terme d'Architecture, se dit d'un ouvrage où il y a cinq rangs de colonnes a la face de devant. Voyez COLONNE.
Tel fut le portique commencé par l'empereur Galien, & qui devoit aller depuis la porte Flaminienne jusqu'au pont Milvius, c'est-à-dire, depuis la Porta del popolo jusqu'au Porte-mole.
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PENTATEUQUE | S. m. (Théolog.) composé de , cinq, & de , instrument, volume. C'est le nom que les Grecs, & après eux les Chrétiens, ont donné aux cinq livres de Moïse, qui sont un commencement de l'ancien Testament, savoir la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres, & le Deutéronome, auxquels les Juifs donnoient par excellence le nom de loi ; parce que la partie la plus essentielle de ces livres contenoit la loi que Moïse reçut de Dieu sur le mont Sinaï.
Une possession immémoriale, & des raisons détaillées par les plus habiles commentateurs de l'Ecriture, prouvent que Moïse est l'auteur du Pentateuque. Nous ne nous arrêterons ici qu'aux raisons de quelques nouveaux critiques, tels que M. Simon & M. Leclerc, qui ont contesté cet ouvrage à Moïse. On trouve, disent-ils, dans le Pentateuque, plusieurs choses qui ne conviennent point au tems & au caractere de ce législateur. L'auteur, num. xij. parle très-avantageusement de Moïse : d'ailleurs il parle toujours en troisieme personne ; le Seigneur parla à Moïse & lui dit, &c. Moïse parla à Pharaon, &c. Quelle apparence que Moïse eût fait lui-même son éloge & n'eût pas parlé en premiere personne ; 2°. le récit de la mort de Moïse, qui se trouve à la fin des nombres, n'est certainement pas de ce législateur, non plus que le détail de ses funérailles, & la comparaison qu'on y voit entre lui & les prophetes ses successeurs ; 3°. on remarque dans le texte du Pentateuque quelques endroits défectueux, par exemple, Exode xij. 8. on voit que Moïse parle à Pharaon, sans que l'auteur marque le commencement de son discours. Le Pentateuque samaritain l'a suppléé, ce qu'il fait encore en beaucoup d'autres endroits : enfin on voit dans le Pentateuque des traits qui ne peuvent gueres convenir à un homme comme Moïse, né & élevé dans l'Egypte, comme ce qu'il dit du paradis terrestre, des fleuves qui l'arrosoient & qui en sortoient, des villes de Babylone, d'Arat, de Resen, de Chalamé, de l'or du Phison, du bdellium, & de la pierre de Sohem que l'on trouvoit en ces pays-là. Ces particularités, si curieusement recueillies, semblent, dit-on, prouver que l'auteur du Pentateuque étoit de-delà l'Euphrate : ajoûtez ce qu'il dit de l'arche de Noé, de sa construction, du lieu où elle s'arrêta, du bois dont elle fut bâtie, du bitume de Babylone, &c. Ces dernieres remarques ont fait croire à quelques-uns, que le lévite envoyé par Assaradon aux Cuthéens établis dans la Samarie, pourroit bien avoir composé le Pentateuque, & que les Juifs auroient pu le recevoir, avec quelques légeres différences, de la main des Samaritains : d'autres se sont imaginé que le Pentateuque, en l'état où nous l'avions, n'étoit que l'abrégé d'un plus grand ouvrage, composé par des écrivains publics, chargés de cette fonction chez les Juifs.
Dom Calmet, qui se propose ces objections dans son dictionnaire de la Bible, y répond par trois reflexions générales ; 1°. que pour débouter Moïse de la possession où il est depuis tant de siecles de passer pour l'auteur du Pentateuque, possession appuyée du témoignage de la synagogue & de l'Eglise, des écrivains sacrés de l'ancien & du nouveau Testament, de Jesus-Christ & des Apôtres, il faut certainement des preuves sans réplique & des démonstrations : or il est évident que les objections proposées sont fort au-dessous même de preuves solides ; car 2°. les additions, les transpositions, les omissions, les confusions qu'on lui reproche, & qu'on veut bien ne pas contester, ne décident pas que Moïse ne soit pas l'auteur du livre, elles prouvent seulement que l'on y a retouché quelque chose, soit en ajoutant, soit en diminuant. Dieu a permis que les livres sacrés ne soient pas exempts de ces sortes d'altérations qui viennent de la main des copistes, ou qui sont une suite de la longueur des siecles. Si une légere addition ou quelque changement fait au texte d'un auteur suffisoient pour lui ôter son ouvrage, quel écrivain seroit sûr de demeurer en possession du sien pendant un siecle ? 3°. Les systèmes de M. Leclerc & de M. Simon sont dénués de vraisemblance. Ces écrivains publics ne doivent leur existence qu'à l'imagination de M. Simon. Le prêtre ou le lévite envoyé par Assaradon aux Cuthéens, ne peut être l'auteur d'un livre cité dans plusieurs ouvrages qui passent constamment pour être antérieurs au tems de ce lévite. La loi a toujours été pratiquée depuis Moïse jusqu'à la captivité : elle étoit donc écrite : on en mit un exemplaire dans l'arche & il fut trouvé sous Josias : enfin les Juifs & les Samaritains avoient trop d'éloignement les uns pour les autres pour se communiquer leurs écrits sacrés : d'ailleurs on verra ci-dessous lequel du Pentateuque hébreu ou du Pentateuque samaritain est une copie de l'autre. Dictionn. de la Bible, tom. III. lettre P, pag. 161 & 162.
Mais l'aveu qu'on fait que les additions reprochées au Pentateuque sont d'Esdras, qui après la captivité retoucha & mit en ordre les livres saints, donnent matiere à une autre objection des incrédules : car, disent-ils ; si Esdras a ainsi travaillé sur les livres saints, quelle preuve a-t-on qu'il ne les ait pas notablement altérés, ou même totalement supposés ?
Abbadie répond à cette difficulté, 1°. que les pseaumes, les prophetes, les livres de Salomon rapportent une infinité de traits comme Moïse, & par conséquent que le Pentateuque subsistoit avant tous ces auteurs : 2°. qu'Esdras n'a eu nul intérêt, soit personnel, soit politique, de changer la forme des livres saints : 3°. qu'il ne l'a pas fait à l'égard de ceux de Moïse, parce que sa phrase & sa maniere d'écrire est toute différente de celle de Moïse, & que d'ailleurs s'il en avoit été ainsi, il leur auroit donné une meilleure forme, selon Spinosa même, qui accuse les livres de Moïse d'être mal écrits & mal digérés : on peut voir ces réponses étendues dans Abbadie, traité de la vérité de la Relig. chrétienne, tom. I. sect. 3. chap. xij. & xiij.
On distingue deux Pentateuques, ou plutôt deux fameuses éditions du Pentateuque, qui se sont longtems disputé la préférence, tant par rapport à l'ancienneté que par rapport au caractere : celui des Juifs appellé le Pentateuque judaïque ou hébreu, écrit en caractere chaldéen ou assyrien ; & celui des Samaritains, écrit en caractere samaritain ou phénicien : on soutient que l'un & l'autre est l'ancien Pentateuque hébraïque. A considérer le texte en général, ils sont assez conformes l'un à l'autre, puisqu'ils contiennent les passages dont nous avons parlé ci-dessus, attribués aux copistes, quoique le samaritain en contienne un ou deux qui ne se rencontrent point dans l'hébreu ; le premier est un passage qui se trouve dans le Deutéronome, xxvij. 4. où il est commandé de bâtir un autel & d'offrir des sacrifices sur le mont Ebal, ou plutôt sur le mont Garizim, ce qui est une interpolation manifeste, faite pour autoriser le culte des Samaritains, & montrer qu'il ne le cédoit point en antiquité au culte qu'on rendoit à Dieu dans le temple de Jérusalem. Voyez SAMARITAINS.
Cependant M. Whiston déclare qu'il ne voit pas la raison d'accuser de corruption sur ce point le Pentateuque samaritain, que ce reproche tombe plutôt sur le Pentateuque hébreu, & il soutient très-sérieusement que le premier est une copie très-fidele des livres de Moïse, qui vient originairement de la séparation des dix tribus, du tems de Jéroboam : mais le contraire est évident par les additions qu'on attribue à Esdras, qui vivoit plusieurs siecles après Jéroboam.
Mais la différence la plus sensible est dans les lettres ou caracteres. Le Pentateuque hébreu étant en caractere chaldéen ou assyrien, & le samaritain en ancien caractere phénicien ; il sembleroit par-là que ce dernier est plus ancien que le premier : mais M. Prideaux pense que le Pentateuque des Samaritains n'est qu'une copie tirée en d'autres caracteres, sur l'exemplaire composé ou réparé par Esdras ; 1°. parce que toutes les interprétations de l'édition d'Esdras s'y trouvent ; 2°. par l'inattention que l'on a eu d'y mettre des lettres semblables à celles de l'alphabet hébreu, qui n'ont rien de commun avec les lettres de l'alphabet samaritain, variations qui ne sont venues que de ce qu'on a transcrit le Pentateuque de l'hébreu vulgaire en samaritain, & non du samaritain en hébreu.
Ajoutez à cela que Mrs Simon, Allix, & plusieurs autres savans, prétendent que le caractere chaldéen ou assyrien a toujours été en usage parmi les Juifs, & que le samaritain ou ancien caractere phénicien n'avoit jamais été usité parmi eux avant la captivité, de quelque maniere que ce fût, ni dans les livres ni sur les médailles.
Usserius pense que le Pentateuque samaritain a été corrompu par un certain Dosithée, dont parle Origene, & M. Dupin croit que c'est l'ouvrage de quelque samaritain moderne qui l'a compilé de divers exemplaires des Juifs répandus dans la Palestine & dans la Babylonie, aussi bien que de la version des Septante, parce qu'il est quelquefois conforme à l'hébreu & quelquefois au grec ; mais il s'en éloigne aussi fort souvent. Le texte samaritain avoit été inconnu depuis le tems d'Origene & de saint Jérôme, qui en avoient quelquefois fait mention. Dans les derniers siecles on en rapporta quelques exemplaires d'Orient, & le pere Morin en fit imprimer un en 1631, qu'on trouve dans la Polyglotte de le Jai, & plus correct dans celle de Valton. La comparaison qu'on en a faite avec le texte hébreu, a fait penser à plusieurs savans qu'il étoit plus pur & plus ancien que celui-ci : de ce nombre sont le pere Morin & M. Simon. Le commun des théologiens pense que le Pentateuque samaritain & celui des Juifs ne sont qu'un seul & même ouvrage, écrit en la même langue, mais en caracteres différens ; & que les diversités qui se rencontrent entre ces deux textes, ne viennent que de l'inadvertance ou de la négligence des copistes, ou de l'affectation des Samaritains qui y ont glissé certaines choses conformes à leurs intérêts & à leurs prétentions ; que ces additions ont été faites après coup, & qu'originairement ces deux exemplaires étoient entierement conformes : suivant cela il faut dire que le Pentateuque des Juifs est préférable à celui des Samaritains, comme étant exemt des altérations qui se rencontrent dans ce dernier. Calmet, Dictionn. de la Bible, tom. III. lettre S, au mot Samaritain, pag. 454. dissert. sur le Pentateuque.
Nous terminerons cet article par le récit de ce que pratiquent les Juifs dans la lecture du Pentateuque. Ils sont obligés de le lire tout entier chaque année, & le divisent en paragraphes ou sections, qu'ils distinguent en grandes & petites. Les grandes comprennent ce qu'on a accoutumé de lire dans une semaine. Il y en a cinquante-quatre, parce que dans les années intercalaires des Juifs il y a ce nombre de semaines. Les petites sections sont divers endroits qui regardent certaines matieres. Les Juifs appellent quelques-unes de ces sections, soit grandes soit petites, sections ouvertes. Celles-là commencent par un commencement de ligne : si c'est une grande section, on y remarque trois fois la lettre phé, au-lieu que les petites n'ont qu'une lettre ; & ils nomment les autres sections fermées ; elles commencent par le milieu d'une ligne. Si elles sont grandes on y met trois samech, ou un seul si elles sont petites. Ces sections sont appellées du premier mot par lequel elles commencent : ainsi la premiere de toutes s'appelle bereschit, qui est le commencement de la Genèse. Chaque grande section se sous-divise en sept parties, parce qu'elles sont lues par autant de différentes personnes. C'est un prêtre qui commence, ensuite un lévite ; & dans le choix des autres lecteurs, on a égard à la dignité ou à la condition des gens. Après le texte de Moïse ils lisent aussi un paragraphe de la paraphrase d'Onkelos. On a fait une semblable division des livres prophétiques dont on joint la lecture à ceux de Moïse. Le pere Lami dont nous empruntons ceci ; pense que cette division est très-ancienne chez les Juifs, & qu'elle a donné lieu à celle que l'Eglise a faite des livres saints, dans les lectures distribuées qu'on en fait dans ses offices. Quoi qu'il en soit, elle a lieu parmi les Juifs, qui marquent exactement ces sections, tant du Pentateuque que des livres prophétiques, dans leurs Bibles & dans leurs Calendriers. Lami de l'Oratoire, Introduct. à l'Ecriture-sainte.
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PENTATHLE | S. m. (Jeux des Grecs & des Rom.) nom des cinq exercices qui composoient les jeux publics de la Grece, & ensuite de l'Italie : ces combats sont renfermés dans ce vers grec.
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PENTATONON | S. m. étoit, dans l'ancienne Musique, le nom d'un intervalle que nous appellons aujourd'hui sixte superflue. Voyez SIXTE. Il est composé de quatre tons, d'un semi-ton majeur, & d'un semi-ton mineur, d'où lui est venu le nom de pentatonon, qui signifie cinq tons.
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PENTAUREA | (Histoire nat.) nom d'une pierre fabuleuse, inventée par Appollonius de Thyane, qui avoit la faculté d'attirer toutes les autres pierres, comme l'aimant attire le fer.
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PENTE | S. f. terme relatif à la situation horisontale ; tout ce qui s'écarte de cette situation, ensorte qu'une des parties du plan reste dans la ligne horisontale, & l'autre descende au-dessous, est en pente. Un corps mis sur une surface en pente descend de lui-même. Ce terme se prend au simple & au figuré ; la pente de cette colline est douce ; la pente naturelle au vice est rapide : nous avons tous une pente à la gourmandise, au vol, & au mensonge.
PENTE, (Architecture) inclinaison peu sensible, qu'on fait ordinairement pour faciliter l'écoulement des eaux ; elle est reglée à tant de lignes par toise, pour le pavé & les terres, pour les canaux des aqueducs, pour les conduites, & pour les chêneaux & gouttieres des combles.
On appelle contre-pente, dans le canal d'un aqueduc, ou d'un ruisseau de rue, l'interruption d'un niveau de pente, causée par malfaçon, ou par l'affoiblissement du terrein, ensorte que les eaux n'ayant pas leur cours libre, s'étendent ou restent dormantes.
Pente de chêneau, plâtre de couverture conduit en glacis, sous la longueur d'un chêneau, de part & d'autres, depuis son haut.
Pente de comble, c'est l'inclinaison des côtés d'un comble, qui le rend plus ou moins roide sur la hauteur par rapport à sa base. (D.J.)
PENTE, bande qui entoure le ciel d'un dais ou d'un lit sur le haut des rideaux ; on donne le même nom aux bandes d'étoffe qu'on attache sur le bord des tablettes d'une bibliotheque.
PENTE, tabac mis à la, (Fabrique de tabac) pendu par la queue, sur des cordes ou sur des perches, après que les feuilles ont été enficelées ; dans les lieux où l'on fabrique du tabac, on a de grands atteliers couverts pour mettre les tabacs à la pente : c'est-là qu'ils sechent & qu'ils prennent couleur. Il ne faut pas croire néanmoins qu'on les fasse chasser assez pour les mettre en poudre ; on se contente de leur laisser évaporer leur plus grande humidité, & les faire amortir ou mortifier suffisamment pour pouvoir être filés, à-peu-près comme on file le chanvre, & ensuite être mis en rôles ou rouleaux. Savary. (D.J.)
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PENTECOMARQUE | S. m. (Hist. anc.) en général un gouverneur de cinq bourgs.
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PENTECOSTAIN | S. m. livre ecclésiastique des Grecs qui contenoit leur office depuis Pâque jusqu'à la Pentecôte.
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PENTECOSTALES | S. f. pl. (Théol.) étoient autrefois en Angleterre des offrandes pieuses que les paroissiens faisoient à leurs curés à la fête de la Pentecôte, & que les églises ou paroisses inférieures faisoient aussi quelquefois dans le même tems à l'église mere ou principale. Voyez OFFRANDE ou OBLATION.
Ces offrandes s'appelloient aussi deniers pentecostaux, & on les divisoit en quatre parties, dont l'une étoit pour le curé, la seconde pour les pauvres, la troisieme pour les réparations de l'église, & la quatrieme pour l'évêque du diocèse.
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PENTECOTE | S. f. (Théolog.) fête solemnelle qu'on célebre dans l'Eglise chrétienne le cinquantieme jour après Pâque, en mémoire de la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, rapportée dans les actes, ch. xj. v. 1. & suiv.
Ce mot vient du grec , quinquagesimus, cinquantieme, parce que la Pentecôte se célebre cinquante jours après Pâque.
Dans la primitive Eglise, la Pentecôte finissoit le tems paschal ou le tems de Pâque ; & Tertullien & S. Jerôme remarquent que durant tout ce tems on célébroit l'office debout, & qu'il n'étoit pas permis de jeûner, &c.
Les Juifs ont aussi une fête appellée Pentecôte, qu'ils solemnisent cinquante jours après Pâque, en mémoire de ce que cinquante jours après leur sortie d'Egypte, Dieu donna à leurs peres la loi sur le mont Sinaï par le ministere de Moïse. Ils la nomment la fête des semaines, parce qu'on la célebre à la fin des sept semaines qui suivent Pâque, ou le jour des prémices, parce qu'on y offroit les prémices du froment, dont la moisson commençoit alors, selon quelques-uns, & selon d'autres, s'achevoit. Ces prémices consistoient en deux pains levés, de deux assarons de farine, ou de trois pintes de farine chacun, non par chaque famille, mais au nom de toute la nation, comme l'insinue Josephe, Antiq. liv. III. ch. x. On immoloit aussi différentes victimes, comme deux veaux & un bélier en holocauste, sept agneaux en hosties pacifiques, & un bouc pour le péché. Num. xxxiij. 27.
Les Juifs modernes célebrent la Pentecôte pendant deux jours qui sont observés comme la fête de Pâque ; c'est-à-dire qu'on s'abstient de tout travail, & qu'on ne traite d'aucune affaire, excepté qu'on peut toucher au feu & apprêter à manger. Ils tiennent par tradition que la loi a été donnée ce jour-là sur le mont Sinaï ; c'est pourquoi ils ont coutume d'orner la synagogue & les autres lieux où l'on fait la lecture de la loi, & même leurs maisons, avec des roses, des couronnes de fleurs & des festons, pour représenter, disent-ils, la verdure dont le mont Sinaï étoit revêtu dans cette saison. Le soir du second jour de la fête on fait l'abdalla. Voyez ABDALLA ou HABDALA. Leon de Moden. cérém. des Juifs, part. III. ch. iv.
Buxtorf ajoute à ces pratiques quelques autres cérémonies particulieres & propres aux Juifs d'Allemagne ; comme de faire un gâteau fort épais, composé de sept couches de pâte, qu'ils appellent sinai, &, selon eux, ces sept épaisseurs de pâte représentent les sept cieux que Dieu fut obligé de remonter depuis le sommet de cette montagne jusqu'au ciel des cieux où il fait sa demeure. Buxtorf, Imag. Jud. apud Calmet, Dictionn. de la Bible, tom. III. lettre P, au mot Pentecôte.
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PENTECOULORE | S. m. (Hist. & Marine anc.) batiment à cinquante rames.
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PENTELICUM | PENTELICUM
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PENTESYRINGUE | S. f. (Littérat.) machine de bois à cinq trous où l'on entravoit chez les Grecs, les jambes, les bras & la tête des criminels, afin qu'ils ne pussent se remuer. Aristote, liv. III. c. x. en parlant d'un orateur célebre, nommé Peusippe, qui quoique paralytique, tâchoit de brouiller l'état, ajoute, il est étrange qu'un homme arrêté par une maladie pire que la pentesyringue, ait l'esprit si remuant. Cette métaphore agréable en grec, perd sa grace dans notre langue, parce que des figures qui représentent des images, ne touchent point les personnes à qui ces images sont inconnues. (D.J.)
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PENTEXOCHE | (Hist. nat.) nom donné à une pierre semblable à une neffle.
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PENTHEMIMERIS | dans la poésie greque & latine, c'est une partie d'un vers composé de deux piés & d'une syllabe longue : comme,
Non patri | ae fi ns, &c.
Ce mot est grec , & formé de , cinq, de , moitié, & de , partie, c'est-à-dire cinq demi-mesures, chaque pié, dans la poésie greque, étant composé de deux demi-mesures, & la syllabe en formant une. Voyez CESURE.
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PENTHESE | S. f. (Hist. ecclés.) on a donné ce nom dans l'eglise d'Orient à la fête de la Purification, qui se célebre le 2 Février.
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PENTHIEVRE | (Géog. mod.) ancien comté dans la Bretagne, érigé en duché-pairie par Charles IX. l'an 1560, en faveur de Sébastien de Luxembourg. Cette pairie appartient aujourd'hui à M. le duc de Penthievre, & comprend les terres de Guincamp, Moncontour, la Roche-Emard, Lambale, Lanizu & Jugon.
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PENTHORUM | S. m. (Botan.) genre de plante dont voici les caracteres, selon Linnaeus. Le calice est très-petit, durable, & composé d'une seule feuille divisée dans les bords en cinq segmens ; il n'y a point de fleurs ; les étamines sont dix filets soyeux, deux fois aussi longs que le calice, & permanens ; les bossettes des étamines sont arrondies & tombent très-promptement ; l'embrion du pistil est divisé en cinq parties, & se termine en cinq stiles, qui sont coniques, droits, obtus, & de la longueur des étamines ; le fruit est une capsule contenant cinq loges ; les graines sont nombreuses, petites & applaties. (D.J.)
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PENTICAPÉE | (Géog. anc.) ville qui, suivant Strabon & d'autres, étoit la capitale du Bosphore cimmérien, & le séjour ordinaire de ses rois. Dans une médaille de Poerisade, au revers qui représente Pallas, on trouve à la partie inférieure du siége de cette divinité le monogramme, ou le commencement du nom de Penticapée. Ce monogramme est singulier, le renferme l'A, & le renferme de maniere qu'il forme le N qui devroit le suivre ; au-dessus paroît un trait qui ajoute à la premiere syllabe le T qui commence la seconde, & distingue ainsi le nom de Penticapée de celui des anciens Panomitains qui l'abrégeoient quelquefois sur leurs médailles par un monogramme tout semblable, mais composé des trois premieres lettres seulement. Le trident placé au-dessous du monogramme de Penticapée, exprime la situation de cette ville sur les bords de son détroit, à-peu-près comme nos cartes & plans géographiques un peu étendus, nous marquent les cours des rivieres par des fleches couchées. (D.J.)
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PENTIERE | S. f. (Chasse) espece de grand filet fait de mailles quarrées & à losanges. On prend à la pentiere les bécasses & autres oiseaux de passage.
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PENTLAND-FIRTH | (Géog. mod.) en latin mare Picticum. C'est cette partie de la mer septentrionale qui est entre le comté de Cathnef dans le nord d'Ecosse, & les Orcades, & qui a 24 milles de large. La marée y est si forte, que dans deux heures de tems les petits bâtimens la traversent.
On dit que ce détroit tire son nom du naufrage qu'y fit la flotte des Pictes, après avoir été repoussée par les habitans du comté de Cathnef d'un côté, & par ceux des Orcades de l'autre. Leurs vaisseaux furent engloutis par des tournans d'eau produits par le concours des marées opposées qui viennent de l'Océan calédonien & de la mer d'Allemagne, & des grands rochers de ces îles qui se trouvent en cet endroit. Chaque pointe de rocher fait une nouvelle marée ; & ces marées agissent ensemble avec tant de violence, même quand le tems est calme, qu'on diroit que les vagues vont se joindre aux nuées, & toute la mer en est couverte d'écume. Mais rien n'est plus épouvantable que lorsque, dans une tempête, les veaux marins sont mis en pieces contre les rochers.
Il y a deux tems où l'on peut traverser ce détroit sans danger ; savoir dans le tems du reflux & dans celui de la haute marée, quoiqu'alors il y ait des tournoyemens d'eau dangereux pour les petits vaisseaux ; mais les mariniers les connoissent, & sont si bien expérimentés, qu'ils les évitent, ou passent pardessus avec beaucoup d'adresse. (D.J.)
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PENTURE | S. f. (Serrur.) morceau de fer plat replié en rond par un bout, pour recevoir le mamelon d'un gond, & qui attaché sur le bord d'une porte ou d'un contrevent, sert à le faire mouvoir, à l'ouvrir, ou à le fermer.
Penture flamande, c'est une penture faite de deux barres de fer soudées l'une contre l'autre & repliées en rond, pour faire passer le gond. Après qu'elles sont soudées, on les ouvre, on les sépare l'une de l'autre autant que la porte a d'épaisseur, & on les courbe ensuite quarrément pour les faire joindre des deux côtés contre la porte. On met quelquefois des feuillages sur ces sortes de pentures.
PENTURE de gouvernail, (Marine) voyez FERRURE de gouvernail.
PENTURE de sabords, voyez FERRURE.
PENTURE à gonds, (Marine) ce sont des bandes de fer, ou des plaques qu'on cloue en quelque endroit pour y faire entrer un gond sur lequel elles se meuvent comme sur un pivot, pour s'ouvrir & se fermer. (Z)
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PENULA | S. f. (Littérat.) espece de manteau des Romains, long, étroit, & qui n'étoit ouvert que par le haut. On le vêtoit en passant la tête par cette ouverture, & on ne le prenoit que pour se garantir de la pluie & du froid ; c'étoit proprement un manteau de campagne, quoiqu'on le portât aussi en ville dans les grands froids. Horace parle du penula dans son épître à Bullatius, ep. xj. l. I. il lui dit :
Incolumi Rhodos, & Mitylene pulchra facit, quod
Penula solstitio.
" Si votre esprit, mon cher Bullatius, étoit dégagé des passions qui le tourmentent, vous ne trouveriez pas plus de plaisir à demeurer à Rhodes ou à Mitylène, toutes charmantes que sont ces villes, qu'à porter un gros manteau au mois de Juin ".
Spartien remarque qu'Adrien faisant la fonction de tribun du peuple, eut un heureux présage de la continuation de cette dignité dans sa personne par la perte qu'il fit de son manteau appellé penula, que les tribuns portoient dans le tems de pluie ou de neige, & dont les empereurs ne se servoient jamais. Tribunus plebis factus est candido & quadrato, & iterum coss. in quo magistratu ad perpetuam tribuniciam potestatem, omen sibi factum asserit, quod penulas amiserit, quibus uti tribuni plebis pluviae tempore solebant ; imperatores autem numquam. (D.J.)
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PÉNULTIEME | adj. (Gramm.) dans un ordre de choses, c'est elle qui occupe la place d'avant la derniere. La pénultieme leçon. Le pénultieme de sa classe.
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PÉON | S. m. (Poésie greq.) c'est-à-dire pié. Les anciens comptoient quatre sortes de piés qui s'appelloient péons. On leur donna ce nom parce qu'on les employoit particulierement dans les hymnes d'Apollon, qu'on nommoit Péan. Le premier péon est composé d'une longue & trois breves, comme colligere ; le second est composé d'une breve, une longue & deux breves, comme resolvere ; le troisieme est composé de deux longues, une breve & une longue, comme communicant ; & le quatrieme est composé de trois breves & une longue, comme temeritas.
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PÉONE | (Jardinage). voyez PIVOINES.
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PÉONIEN ÉPIBATE | rythme, (Musique anc.) le rythme péonien épibate étoit composé, 1°. d'un frappé, ou d'une longue ; 2°. d'un levé, ou d'une autre longue ; 3°. d'un double frappé, ou de deux longues ; 4°. d'un levé, ou d'une cinquieme longue. (-|-|--|-|)
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PÉONIQUE | rythme, (Musique anc.) étoit un des trois rythmes de la musique vocale des anciens ; les deux autres étoient le rythme dactylique, & le rythme jambique.
On rapportoit au rythme péonique non-seulement les quatre péons, mais aussi tous les autres piés, dont la mesure se battoit à deux tems inégaux, suivant la proportion de 3 à 2, ou de 2 à 3.
Plutarque nomme le rythme péonique dans la proportion sesquilatere ou de 4 à 2, composé d'une longue & de trois breves ; & comme cette longue dans cet assemblage peut occuper quatre places différentes, cela forme autant de piés différens appellés péons : 1, 2, 3, 4, parce qu'ils étoient singulierement usités dans ces hymnes d'Apollon, qu'on nommoit poeans. Voyez RYTHME & POEAN.
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PÉOTE | S. f. (Marine) c'est une espece de chaloupe très-légere qui est en usage parmi les Vénitiens. Comme cette sorte de petit vaisseau va d'une très-grande vîtesse, ils s'en servent quand ils veulent envoyer des avis en diligence.
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PÉPARETHE | (Géog. anc.) Peparethus, île de la mer Aegée sur la côte de la Macédoine, selon Ptolomée, liv. III. ch. xiij. qui y place une ville de même nom. Elle produisoit d'excellent vin & de très-bonnes olives. Pline, liv. XIV. ch. vij. dit que le médecin Apollodore conseillant le roi Ptolomée, touchant le vin qu'il devoit boire, préféra celui de Péparethus. Ovide, Métam. l. VII. v. 470. fait l'éloge des olives de cette île :
Et gyaros, nitidaeque ferax Peparethos olivae.
Des géographes modernes appellent cette île Lemene, Saraquino, & Opula.
Dioclès né dans l'île de Péparethe, est le premier des grecs qui ait écrit de l'origine de Rome. Il vivoit avant la seconde guerre de Carthage ; car Plutarque in Romulo, nous apprend que cet auteur avoit été copié en plusieurs endroits par Trabius Pictor.
Je dois observer en passant, que les Grecs ont eu plusieurs écrivains du nom de Dioclès. C'est Dioclès de Rhodes qui étoit auteur d'une histoire d'Etolie ; le même, ou un autre Dioclès avoit fait une histoire de Perse. Diogene Laërce se sert très-souvent des vies des Philosophes écrites par un Dioclès, qui est, selon les apparences, différent de ceux dont on vient de parler. On doit encore distinguer entre les hommes de ce nom, deux Dioclès de Caryste, l'un médecin, qui vécut dans un tems peu éloigné d'Hippocrate, dont il égala presque la réputation, si l'on en croit Pline, qui le cite souvent ; l'autre Dioclès de Caryste, étoit un rhéteur du tems d'Auguste, de qui Séneque fait mention dans sa premiere controverse. Dioclès d'Athenes est un poëte comique souvent cité par Athénée. Dioclès d'Elée est un musicien qui ne nous est connu que par Suidas. (D.J.)
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PEPASME | S. m. terme de Médecine, qui signifie l'action de digérer & de mûrir les humeurs morbifiques. Voyez MATURATION, DIGESTION, &c.
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PEPASTIQUE | ou PEPTIQUE, adj. terme de Medecine, c'est le nom qu'on donne à une sorte de médicament, dont la consistance est semblable à celle d'un emplâtre, & qui a la propriété de guérir les humeurs vicieuses & corrompues, en les disposant à la suppuration. Voyez MURISSANT & DIGESTIF.
Ce mot, ainsi que le mot pepasme, est formé du mot grec , digérer ou mûrir.
Les beurres, les racines de mauve ou fleurs de lis, les oignons & les feuilles de l'oxylapathum passent pour de bons pepastiques ou maturatifs.
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PEPERIN | S. m. (Architect.) sorte de pierre grise & rustique, dont on se sert à Rome pour bâtir.
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PEPHNON | (Géog. anc.) ville de la Laconie, selon Etienne le géographe. Pausanias, l. III. c. xxvj. qui en fait une ville maritime, la met à vingt stades de Thalami, & ajoute qu'il y avoit au-devant une petite île fort semblable à un rocher, & qui s'appelloit de même nom. Je m'étonne que Pausanias ait donné le nom d'île à un misérable petit rocher, dont le sommet n'a pas plus d'étendue, que ce qu'il y a de terre-plein au haut de Montmartre ; mais le pays natal de Castor & de Pollux méritoit d'être ennobli, & voilà pourquoi Pausanias en parle magnifiquement. (D.J.)
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PEPIE | S. f. maladie qui attaque la volaille ; elle consiste en une petite peau ou tunique blanche & déliée, qui leur vient au bout de la langue, & qui les empêche de se nourrir.
Cette maladie vient ordinairement faute d'eau, ou d'avoir bû de l'eau bourbeuse, ou mangé des alimens sales ; on la guérit en arrachant la petite peau avec les doigts, & en frottant la langue avec du sel.
Les faucons en particulier sont fort sujets à cette maladie, elle leur vient sur-tout d'avoir mangé de la chair puante ou corrompue. Voyez FAUCON.
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PEPIN | S. m. (Hist. nat. Bot.) graine de certains arbres que l'on nomme particulierement arbres fruitiers à pepin ; comme le poirier, le pommier, le coignassier & le cormier. On donne aussi le nom de pepin aux graines de quelques autres arbres & arbrisseaux, comme l'oranger, la vigne, le groseiller, l'épine-vinette ; quoiqu'il n'y ait entre les semences de ces derniers arbres & celles des premieres, ni analogie ni ressemblance ; mais l'usage a prévalu. Comme on s'est fort attaché de tout tems à semer les pepins des arbres fruitiers pour leur multiplication, on a donné le nom de pépiniere aux terreins qui servoient à semer les pepins. Sur la culture des différentes sortes de pepins, voyez l'article des arbres qui les produisent & le mot PEPINIERE.
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PEPINIERE | S. f. (Jard.) c'est un terrein destiné à multiplier, cultiver & élever des arbres de toutes sortes, jusqu'à ce qu'ils soient en état d'être placés à demeure. On y seme les noyaux, les pepins, les noix, les amandes, & généralement toutes les graines qui doivent servir à la multiplication des différentes especes d'arbres fruitiers, & des diverses sortes d'arbres qui sont propres à peupler les forêts, à planter les possessions rurales, & à embellir les parcs, les jardins, & les approches des châteaux & maisons de plaisance : d'où il suit que le terrein d'une pepiniere doit être distribué en différentes parties, relativement à la diversité de culture & à la variété des objets qu'on se propose d'y élever.
Après qu'on aura traité de la qualité du terrein propre à former une pepiniere, de l'exposition qui lui convient, & de l'étendue qu'elle doit avoir, on entrera dans le détail des semés & des greffes, de la culture & de la transplantation, des boutures & des branches couchées ; enfin, des précautions & des soins qu'exige la premiere éducation des arbres pendant leur jeunesse.
Le terrein d'une pepiniere doit être de médiocre qualité : si on la plaçoit dans un sol bas, humide & gras, il y auroit autant d'inconvénient que de la mettre dans une terre seche, légere & trop superficielle. Loin de considérer en ceci le premier progrès des arbres, c'est la qualité du sol où on se propose de les mettre qu'il faut avoir principalement en vûe. Si l'on tire les arbres d'un terrein fort limoneux & trop substanciel, ils auront à courir les risques de passer dans une terre fort inférieure ou tout au-moins médiocre, & dans l'un ou l'autre cas ils languiront, dépériront ou seront long-tems à se remettre du changement. S'ils viennent au contraire, d'un mauvais fonds, d'un terrein pauvre, ingrat ou usé ; les plants sont maigres, secs, & leurs racines sont foibles, minces & courtes ; ce n'est pour ainsi dire, que du chevelu. De tels plants sont d'une constitution languissante qu'on ne peut rétablir, ils reprennent difficilement & ne font jamais des arbres vigoureux, quand même on les planteroit dans un bien meilleur sol. Il faut donc établir les pepinieres dans un terrein de moyenne qualité, qui soit de deux à trois piés de profondeur, qui ait du corps & de la substance, sans être gras ni humide ; qui soit meuble, fertile & en bonne culture.
Le levant est la meilleure exposition que l'on puisse choisir pour une pepiniere, & il vaudroit mieux la placer au nord qu'au midi, qui est le plus mauvais aspect pour le premier progrès des arbres. La situation que l'on doit préférer ensuite, est celle des côteaux, pour éviter sur-tout l'humidité permanente qui est l'obstacle le plus contraire à la formation des arbres fruitiers, des arbres toujours verds, &c.
L'étendue que doit avoir une pepiniere, dépend de tant de circonstances, qu'on ne peut guere la déterminer qu'avec connoissance des arrangemens particuliers qui en doivent décider. Cependant en examinant la portée de chaque objet qui doit y entrer, en pourra donner une notion générale, qui fera juger de l'espace convenable au service qu'on en voudra tirer. On fait communément ce calcul, qu'un arpent royal contient quarante-huit mille quatre cent piés quarrés ; qu'en mettant les jeunes plants en ligne de deux piés de distance, & les plants à un pié l'un de l'autre, un arpent en contiendra vingt-quatre mille deux cent. Mais on n'examinera pas qu'il faut de l'espace pour les clôtures, les allées, les semis, & pour les places vuides, parce que tout ne peut être rempli ; attendu que quand on a vuidé un canton, il faut le remettre en culture, qu'il y a d'ailleurs des arbres qui périssent, d'autres dont la greffe manque, d'autres aussi qui sont défectueux ; qu'enfin il faut attendre plusieurs années pour greffer les sujets dont on veut faire des hautes tiges. Il faut donc compter que la moitié de l'emplacement se trouvera employé en clôtures, en allées, en semis & autres places nécessaires au service ; ensorte que l'autre moitié ne pourra contenir qu'environ douze mille plants dans la supposition des distances que l'on a dites. Mais comme il y a toujours des plants qui meurent ou qui sont défectueux, ou qui manquent à la greffe, c'est un quart à déduire : ainsi reste à neuf mille plants. Et en considérant qu'il faut trois ans pour élever un pêcher nain, quatre ou cinq ans pour un poirier nain, & sept à huit ans pour les arbres à hautes tiges ; il en résulte que la mesure commune sera de cinq ans pour l'éducation des neuf mille plants, & que par conséquent, une pepiniere d'un arpent ne pourra produire que deux mille arbres fruitiers par an. Et en examinant encore que les files pour certains arbres sont trop serrées à deux piés, & que les plants sont souvent trop proches à un pié pour avoir de l'aisance ; il faut encore déduire un tiers du produit de la pepiniere qui n'ira plus qu'à quinze cent plants. Ce calcul peut conduire à déterminer, que quand on ne veut élever que des arbres fruitiers, un quart d'arpent doit suffire à un particulier qui a des jardins un peu considérables à entretenir, & qu'il faut trois ou quatre arpens à un marchand jardinier qui ne s'attache qu'à cette partie, & qui pourroit vendre tous les ans six mille plants d'arbres fruitiers. Mais si l'on veut élever en même tems des arbres forestiers & de curiosité, il faut augmenter le terrein à proportion de l'étendue des objets que l'on veut embrasser ; & comme il faut six à sept ans pour former la plûpart des grands arbres & les amener au point d'être transplantés à demeure, un arpent de pepiniere ne pourra guere fournir par an que mille plants de ces arbres. Ainsi on peut estimer que pour faire un établissement complet de pepiniere où on voudroit élever de toutes sortes d'arbres, il faudroit six arpens d'emplacement qui pourroient fournir tous les ans dix à douze mille plants, sans y comprendre les jeunes plants qu'on peut tirer des semis au-delà du service de la pepiniere.
Les arbres fruitiers font communément l'objet principal des pepinieres : si on veut se borner à ce point, on pourra diviser le terrein en six parties égales, dont la premiere sera destinée à placer le semis des différentes graines qui doivent servir au peuplement de la pepiniere ; la seconde place sera assignée aux pêchers & aux abricotiers ; la troisieme, aux cerisiers & aux pruniers ; la quatrieme, aux poiriers ; la cinquieme, aux pommiers ; & la sixieme, aux noyers, châtaigners, &c. mais si l'on se propose de généraliser l'objet de la pepiniere en y admettant de tout, il faudra comprendre dans la distribution six autres parties égales, dont la premiere qui deviendra la septieme servira à élever des mûriers blancs. Dans la huitieme, des ormes, des tilleuls, des marronniers d'inde & des peupliers. Dans la neuvieme, des arbres étrangers ; dans la dixieme, des arbrisseaux curieux ; dans la onzieme, des arbres toujours verds ; & dans la douzieme, des arbres forestiers, parmi lesquels la charmille sera comprise. J'entrerai dans le détail de la culture de chacun de ces objets en particulier, pour éviter les répétitions, & simplifier les idées autant qu'il sera possible de le faire sans prolixité.
La meilleure exposition & la terre la mieux qualifiée, doivent décider l'emplacement du semis ; on entend par la meilleure exposition, celle qui a son aspect au sud-est & qui est défendue par des haies, des murs, ou de grands arbres du côté du nord ; mais il ne faut pas que ces arbres couvrent le terrein de leurs branches, ni que leur racine puisse s'y étendre ; ce qui feroit un double inconvénient, pire que le défaut d'abri. La qualification de la terre consiste à ce qu'elle soit la plus saine, la plus légere & la plus meuble de l'emplacement dont on employera pour le semis une sixieme partie, quand il s'agira d'une petite pepiniere & seulement la douzieme partie environ, pour une grande pepiniere, attendu que l'on seme la plûpart des graines des grands arbres dans la place même où ils doivent être élevés, & qu'il faut peu de plants pour le renouvellement de ces sortes d'arbres qui sont long-tems à se former.
On peut aussi préserver le canton du semis, & favoriser ses progrès, en l'environnant d'une palissade dont la hauteur se détermine par l'étendue du semis ; cette palissade doit être formée pour le mieux avec des arbres toujours verds qui donnent en tout tems le même abri.
Il sera encore très-à-propos de distribuer le terrein du semis en six parties, dont la premiere servira pour les noyaux des différens arbres fruitiers de ce genre ; la seconde pour les pepins des pommiers, &c. La troisieme pour les graines des arbrisseaux ; la quatrieme pour celle des grands arbres qui levent la premiere année ; la cinquieme pour les semences des arbres qui ne levent que la seconde année ; & la sixieme pour les arbres toujours verds qui se plairont dans la place la plus mal exposée & la moins défendue.
Le canton du semis n'exige pas autant de profondeur de terre que le reste de la pepiniere ; il suffira de l'avoir fait défoncer d'un pié & demi : du reste ce terrein doit être en bonne culture depuis un an, bien nettoyé de pierres, de mauvaises herbes, &c. & il est à-propos, pour la facilité de la culture, de le distribuer en planches de quatre piés de largeur, dont les sentiers de séparation donneront au-moins 15 pouces d'aisance pour le service. Sur la façon de semer on peut observer que c'est un mauvais usage de répandre les graines à plein-champ ; cette pratique est sujette à un double inconvenient : d'abord l'impossibilité de remuer la terre autour des jeunes plants épars, & ensuite la difficulté de démêler & enlever les mauvaises herbes parmi les bons plants. Il est donc bien plus avantageux de semer les graines en rangées ; il est indifférent de les diriger sur la longueur ou la largeur des planches, pourvu qu'on laisse depuis six pouces jusqu'à un pié de distance entre les rayons, relativement au plus ou moins de progrès des arbres pendant les deux ou trois premieres années. Si l'on seme les graines en rayons, il faudra donner à ces rayons une profondeur proportionnée au volume de la graine ; pour les plus grosses on creusera le rayon de deux à trois pouces ; pour les moyennes, il suffira de faire un sillon de la façon qu'on le pratique pour semer des pois ; & dans ces deux derniers cas on recouvre & on nivelle le terrein avec le rateau. Mais à l'égard des menues graines, il y faut plus d'attention : le rayon ne doit avoir qu'un pouce de profondeur ; & après que les graines y seront semées, on les recouvrira avec le terreau le plus fin & le plus consommé, que l'on répandra soigneusement avec la main, ensorte que les graines n'en soient couvertes que de l'épaisseur d'un demi-pouce ; & on se dispensera de niveler le terrein, afin que l'humidité puisse mieux se rassembler & se conserver autour des graines.
On peut semer en différens tems, & c'est une circonstance qui mérite de l'attention. Il y a des graines qui mûrissent dès l'été : on pourroit les semer aussitôt après leur maturité, si l'on n'avoit à craindre de les voir germer & pointer avant l'hiver, dont les intempéries en détruiroient un grand nombre ; il vaut mieux remettre cette opération à l'automne ou au printems. Entre ces deux partis, le volume de la graine doit décider. La fin d'Octobre & le mois de Novembre seront le tems convenable pour les grosses graines, & même pour les médiocres ; mais il faut attendre le commencement du printems pour toutes les menues graines, sur-tout celles des arbres résineux. Il y a cependant des précautions à prendre pour faire attendre les graines, dont la plûpart ne se conservent qu'en les mettant dans la terre ou du sable en un endroit sec & abrité. On ne peut entrer ici dans tout ce détail, non plus que dans la distinction de quelques especes d'arbres qui étant délicats dans leur jeunesse, demandent à être abrités pendant les premiers hivers ; pour s'en instruire, on pourra recourir à l'article de chaque arbre en particulier. On conçoit bien au surplus qu'il faut arroser les semis dans les tems de hâle & de sécheresse, les sarcler, béquiller, cultiver, &c. A l'égard du tems & de la force auxquels les jeunes plants doivent être mis en pepiniere, on en parlera dans les articles qui suivent.
Les pêchers & les abricotiers, après le semis, doivent occuper la meilleure place de la pepiniere, & toujours la plus saine ; ce n'est que pour la curiosité que l'on s'avise de faire venir ces arbres de noyau, c'est-à-dire pour se procurer de nouvelles variétés, car il n'y a que cinq ou six especes de pêchers dont les noyaux perpétuent l'espece. D'ailleurs ces arbres lorsqu'ils sont francs ne durent pas long-tems ; l'usage est de les greffer pour les accélérer, les perfectionner & les faire durer. Comme on ne plante pas à beaucoup près autant d'abricotiers que de pêchers, ces premiers ne doivent occuper qu'une petite partie du quarré destiné à ces deux especes d'arbres ; & en général on ne doit former que le quart de ces arbres pour le plein-vent. Les sujets propres à greffer l'abricotier & le pêcher, sont les pruniers de Damas, de cerisette & de saint Julien, l'amandier, les plants venus des noyaux d'abricot & de pêcher ; il y a des especes d'abricotiers & de pêchers qui réussissent mieux sur quelques-uns de ces sujets que sur d'autres. Le terrein sec ou humide dans lequel on se propose de placer ces arbres à demeure, doit aussi servir de regle pour la qualité des sujets : c'est sur toutes ces circonstances qu'il faut se déterminer pour le choix du sujet. On plante ces sujets en files éloignées l'une de l'autre depuis deux piés jusqu'à trois, selon l'aisance que l'on peut se donner : on place dans ces lignes les plants depuis un pié jusqu'à deux de distance. Le mois de Novembre est le tems le plus propre à faire cette plantation : on les rabat à six ou huit pouces pour les greffer ensuite en écusson au mois d'Août de la seconde année. A l'égard des noyaux de pêches & d'abricots, ainsi que les amandes, il vaut mieux les semer en place, & dans ce cas on pourra les greffer la même année : le tout pour faire des arbres nains. Quant aux sujets que l'on veut élever pour le plein-vent, il ne faudra les greffer à hauteur de tige au bout de quatre, cinq ou six ans, que lorsqu'ils auront pris une force suffisante. Tous ces arbres doivent se tirer de la pepiniere après qu'ils ont un an de greffe ; celles qui ont poussé trop vigoureusement sont autant à rejetter que celles qui sont trop foibles ; on doit préférer à cet égard les pousses d'une force médiocre. Il reste à observer que les amandes douces à coquille dure sont les meilleures pour former des sujets propres à la greffe, & que les amandes douces à coquille tendre sont bien moins convenables, parce que les plants qui en viennent sont plus sujets à la gomme.
Les cerisiers & les pruniers seront placés ensuite. Les sujets propres à greffer le cerisier sont le mérisier pour élever de grands arbres, & le cerisier mahaleb, que l'on nomme canot en Bourgogne, & canout à Orléans pour former des plants d'un médiocre volume. On rejette pour sujet la cérise rouge commune, parce qu'elle n'est pas de durée, & que ses racines poussent des rejettons. On tire ces sujets du semis au bout de deux ans, pour être plantés en pepiniere dans les distances expliquées à l'article précédent ; & on peut les greffer dans l'année suivante en écusson à oeil dormant, soit pour avoir des arbres nains, ou pour les laisser venir à haute tige avec le tems ; mais on peut attendre aussi que la tige des sujets soit formée, pour les greffer alors à la hauteur de six ou sept piés. A l'égard du prunier, on le multiplie également par la greffe sur des sujets de damas noir, de cerisette ou de saint Julien. On tire aussi ces sujets du semis à l'âge de deux ans : on les plante & on les espace dans le tems & de la façon qui a été ci-dessus expliquée ; ensuite on les greffe en écusson ou en fente, lorsqu'ils ont pris une grosseur suffisante.
Le poirier se multiplie aussi par la greffe en fente ou en écusson, sur franc ou sur coignassier : on nomme francs les sujets qui sont venus de culture en semant des pepins de poires, pour les distinguer des poiriers sauvages que l'on peut tirer du bois, mais qui ne sont pas aussi convenables que les sujets francs, parce que ces sauvageons conservent toujours une âcreté qui se communique aux fruits que l'on greffe dessus. Les sujets francs de poirier seront tirés du semis au même âge, plantés dans le même tems, réglés à pareille distance, & greffés de la façon qu'on l'a dit pour les arbres qui précédent. A l'égard des sujets de coignassier, on les éleve de deux façons : quelquefois on tire des jeunes plants aux piés d'anciens troncs de coignassier, que l'on nomme meres, & que l'on tient en réserve pour ce service dans un coin de la pepiniere ; mais le plus commun usage, qui est aussi la voie la plus courte, c'est de faire des boutures. On les plante de bonne heure au printems, de la grosseur d'un petit doigt & d'un pié de long, en rangée & à pareille distance que les plants enracinés, & on les enfonce de moitié dans la terre. Il faut avoir soin pendant la premiere année de ne laisser subsister que la plus haute des branches qui ont poussé, & de supprimer tous les autres rejettons avant qu'ils aient plus de deux pouces : on les greffe en écusson sur le vieux bois la seconde année. Les poiriers greffés sur franc, sont propres à former de grands arbres à plein vent, car on ne se détermine à les mettre en espalier que dans les terreins secs & légers, parce qu'ils sont trop long-tems à se mettre à fruit. Les poiriers greffés sur coignassier conviennent particulierement pour les terres humides & pour l'espalier ; comme on plante beaucoup plus de poiriers à ce dernier usage que pour le plein vent, la pepiniere doit être fournie de deux tiers de poiriers greffés sur coignassier, contre un tiers des autres. Ce n'est qu'après deux ou trois ans de greffe que ces arbres sont en état d'être plantés à demeure.
Il est aussi d'usage de multiplier le pommier par la greffe, en fente ou en écusson, sur franc, sur le doucin, ou sur le pommier de paradis. On nomme francs les sujets élevés de pepins de pomme, comme on vient de le dire pour le poirier ; & il y a même raison pour les préférer aux pommiers sauvages que l'on tire des bois. Il faudra aussi les conduire & les élever de la même façon. Le doucin, pour la hauteur & pour la durée, tient le milieu entre le pommier franc & le pommier de paradis. Les pommiers greffés sur le doucin ne font que des arbres d'une moyenne stature, mais ils croissent vîte & donnent promptement de beaux fruits. A l'égard du pommier de paradis, c'est un excellent sujet pour former de petits arbres qu'on peut même admettre dans les jardins d'agrément. Le doucin & le paradis viennent aisément de boutures qui se plantent, comme celles du coignassier, & se greffent aussi la seconde année sur le vieux bois. Tous ces arbres ne doivent être tirés de la pepiniere qu'après deux ou trois ans de greffe ; mais comme on prend beaucoup plus de plants greffés sur franc que sur d'autres sujets, il faut élever du double plus de ceux-ci que des autres.
Les noyers, châtaigners, & autres arbres de ce genre, s'élevent en semant les graines dans l'endroit même de la pepiniere, où on veut les élever. Après avoir conservé ces graines dans du sable, en lieu sec pendant l'hiver, on les plante de deux pouces de profondeur & à quatre d'intervalle, dans des lignes de deux ou trois piés de distance. Après la seconde année on élague les jeunes plants, & on enleve ceux qui sont trop serrés pour garnir les places vuides, ensorte pourtant que tous les plants se trouvent au-moins à un pié de distance : on continue d'élaguer ces arbres dans les années suivantes, mais avec beaucoup de ménagement, c'est-à-dire en ne retranchant les branches qu'à mesure que les arbres prennent de la force ; cependant s'il y a sur une tige foible des branches qui s'élancent trop, on les coupe au trois ou quatrieme oeil. Nul autre soin que d'aider ces arbres à former une tige droite ; au bout de cinq ou six ans ils auront assez de grosseur & d'élévation pour être transplantés à demeure.
Le mûrier blanc est d'une si grande utilité, qu'on ne sauroit trop s'attacher à le multiplier, à l'élever, & à le répandre dans tous les pays dont le terrein peut lui convenir. Sur la culture de cet arbre, on pourroit s'en tenir à renvoyer le lecteur au mot MURIER ; mais l'objet est assez intéressant pour ne pas craindre de se répéter. On peut élever le mûrier blanc de semence ou de bouture : par le premier moyen on se procure une grande quantité de plants, mais dont les feuilles sont de petite qualité ; au lieu que de l'autre façon on n'a pas une si grande quantité de plants, mais aussi on les a plus promptement & d'aussi bonnes feuilles que celles des arbres dont on a coupé les branches pour en faire des boutures. On seme la graine dans ce canton de la pepiniere destiné au semis. Lorsque les planches dont on veut se servir sont en bon état de culture & bien nivelées, on y trace en-travers des rayons de six à huit pouces de distance, & d'un pouce de profondeur, en appuyant le manche rateau sur la planche : on y semera la graine aussi épais que celle de laitue, & on la recouvrira avec du terreau de couche bien consommé, que l'on répandra avec la main sur les rayons, ensorte que les graines ne soient recouvertes que d'un demi-pouce d'épaisseur, & on laissera les planches en cet état sans les niveler. Il faut une once de graine pour semer une planche de trente piés de long, sur quatre de largeur. Le tems le plus convenable pour cette opération est le mois d'Avril, du 10 au 20 ; on pourra prendre la précaution de garnir les planches d'un peu de grande paille, pour ne laisser pénétrer l'air & le soleil qu'à demi, & pour empêcher que la terre ne soit battue par les arrosemens, qu'il ne faudra faire qu'au besoin, & avec bien du ménagement. Au bout d'un an les jeunes plants les plus forts, & les autres après deux ans, seront en état d'être mis en pepiniere, & on les plantera à un pié de distance en rangées éloignées de trois piés ; au printems suivant on retranchera toutes les branches latérales, mais les autres années il ne faudra les élaguer qu'à-proportion que la principale tige prendra du soutien & de la force. Si cependant il y a sur une tige foible des branches qui s'élancent trop, il faudra les couper au trois ou quatrieme oeil. Quand ces arbres auront quatre ans, ils seront en état pour le plus grand nombre d'être transplantés à demeure ; mais il sera plus aisé & bien plus court d'élever le mûrier blanc de bouture, qu'il sera inutile de greffer, & qu'il faudra planter dans l'endroit même où l'on se propose d'élever ces arbres. Voyez la façon d'élever ces boutures, au mot MURIER. Il n'y a que le mûrier d'Espagne qui se multiplie de graine sans que ses feuilles s'abâtardissent ; à l'égard des mûriers communs que l'on éleve de semence, il n'y en a qu'un petit nombre qui aient des feuilles de bonne qualité, ensorte qu'il faut greffer ceux qui sont défectueux à cet égard : on peut les greffer à tout âge en écusson à oeil dormant, ou à sifflet. La meilleure feuille pour les vers & pour la soie est celle de l'arbre que l'on nomme la reine bâtarde. Il y a cependant de l'inconvénient à avoir des mûriers greffés, on prétend que ces arbres à l'âge de 25 ou 30 ans meurent subitement, quoiqu'ils soient dans un état florissant. On s'est plaint beaucoup dans le Languedoc, la Provence, les Cévennes, &c. Il y a donc un grand avantage à élever le mûrier blanc de bouture, puisque c'est la voie la plus facile & la plus courte, qui donne de beaux arbres & de longue durée.
L'orme, le tilleul, le marronnier d'inde, le peuplier, &c. méritent de trouver place dans une grande pepiniere. On multiplie l'orme de semence, que l'on doit conduire de la même maniere que celle du mûrier. On éleve le tilleul de branches couchées ; il faut avoir pour cet effet dans un canton de la pepiniere des souches ou meres de tilleuls de l'espece d'Hollande, dont on couche les rejettons qui ont d'assez bonnes racines au bout de l'année pour être plantés en pepinieres. On seme sur place les marrons d'inde comme les noix, & on les conduit de la même façon. On éleve le peuplier de boutures de 12 ou 15 pouces de longueur, que l'on plante sur place en rangées, & à la distance usitée pour les arbres de pareille grandeur ; le principal soin qu'on doive donner à ces arbres, c'est de les redresser & de ne les élaguer qu'avec ménagement à mesure qu'ils prennent de la force & du soutien. Mais on greffe sur l'orme comme en écusson, soit à la pousse ou à l'oeil dormant, les especes curieuses de ce genre d'arbre. Comme l'orme ne pointe pas aisément, & qu'il est sujet à se garnir d'une trop grande quantité de menues branches qui se chiffonnent, il faudra les couper entierement après la troisieme année à un pouce de terre : on ne leur laissera ensuite qu'un rejetton qui s'élevera promptement au bout de cinq ou six ans. La plûpart de tous ces arbres seront en état d'être placés à demeure ; savoir le peuplier à cinq ans, l'orme à six, le tilleul à sept, & le marronnier à huit ans.
Les arbres étrangers doivent être élevés & conduits relativement à la grosseur de leurs graines. Les plus grosses, comme le gland, peuvent être semées dans le canton même de la pepiniere où l'on se propose de les cultiver : à l'égard des plus menues & même des médiocres, il faudra les élever dans le semis ; & comme partie de ces arbres sont assez délicats pour exiger qu'on les garantisse des gelées pendant les deux ou trois premiers hivers, il sera à-propos de les semer dans des terreins ou dans des caisses plates, pour les serrer sous quelqu'abri durant la saison rigoureuse. Ces différens arbres se mettent en pepiniere à mesure qu'ils acquierent une force suffisante. La plûpart de ces graines levent la premiere année, d'autres ne paroissent qu'à la seconde, & quelques-unes ne viennent complete ment que la troisieme ; il faut que la patience engage à les soigner & à les attendre. Il y a tant de variété dans le progrès de ces arbres & dans la façon de les conduire, qu'il n'est pas possible d'entrer dans aucun détail à ce sujet.
Les arbrisseaux curieux doivent avoir leur canton particulier ; ils seroient retardés & souvent étouffés par les grands arbres si on les mettoit avec eux ; & d'ailleurs on peut serrer davantage les arbrisseaux, tant pour les ranger que pour la distance d'un plant à l'autre. Du reste on doit leur appliquer ce qui a été observé sur les grands arbres.
Les arbres toujours verds doivent nécessairement être placés séparément de ceux qui quittent leurs feuilles, moins pour éviter la bigarrure & faire une sorte d'agrément, que parce que ces arbres veulent être soignés différemment des autres. Les arbres toujours verds demandent l'exposition la plus fraîche, la plus ombragée, & la mieux tournée au nord ; néanmoins il faut les placer sainement, car ils craignent l'humidité sur toutes choses : mêmes conseils pour les distinctions à faire sur le semis des graines, sur les attentions pour les préserver, & sur l'âge de les tirer du semis ; mais il n'en est pas de même sur la saison propre à les planter en pepiniere. Ces arbres se conduisent tout différemment de ceux qui quittent leurs feuilles : ceux-ci doivent se planter en automne, ou de bonne-heure au printems ; la transplantation des arbres toujours verds ne se doit faire au contraire que dans des saisons douces & assurées, c'est-à-dire immédiatement avant la seve, dans le tems de son repos, & quand elle cesse d'être en mouvement. Ces circonstances se trouvent communément dans le commencement des mois d'Avril, de Juillet & de Septembre : il faut profiter dans ces saisons d'un tems sombre & humide pour les changer de place ; cette opération ne leur réussit généralement que pendant leur premiere jeunesse, encore doit-on les planter le plus qu'il est possible avec la motte de terre à leur pié ; & une précaution encore plus indispensable, c'est de les couvrir de paille & de les arroser habituellement, mais modérément, jusqu'à ce que leur reprise soit assurée. Il suit de-là qu'on ne peut les laisser long-tems en pepiniere, & qu'il faut les mettre à demeure le plûtôt que l'on peut.
Enfin les arbres forestiers seront placés dans le restant de la pepiniere : on se conformera, pour la façon de les élever & de les conduire, sur la qualité des graines & sur la nature des arbres, relativement à ce qui vient d'être dit sur les arbres étrangers.
Il reste à parler de la culture nécessaire à la pepiniere, qui consiste sur-tout en trois labourages par an, qui doivent être faits très-légerement avec une pioche pointue, & non avec la bêche, qui endommageroit les racines des jeunes plants ; mais le principal objet à cet égard doit être d'empêcher les mauvaises herbes : on peut les comparer à des insectes qui sont d'autant plus voraces, que leur vie est de courte durée. Les herbes de toutes sortes interceptent les petites pluies, les rosées, les vapeurs, &c. & elles pompent évidemment les sucs, les sels, & l'humidité de la terre : ensorte qu'on doit regarder l'herbe comme le fléau des jeunes arbres, & sur-tout des nouvelles plantations. Un autre soin essentiel, c'est l'élaguement qu'exigent les différens arbres. La plus forte taille se doit faire après les grands froids passés : on doit ensuite les visiter durant la belle saison, pour retrancher, accourcir & émonder les branches folles, nuisibles ou superflues, avec cette attention pourtant, de traiter les arbres toujours verds avec beaucoup de réserve à cet égard ; on doit leur laisser plus de branches qu'on ne leur en ôte. Il faut aussi conserver aux arbrisseaux fleurissans leur figure naturelle en buisson, pour les placer dans des bordures ou dans des bosquets, & diriger pour la palissade des arbres qui y sont destinés. Enfin la grande attention du jardinier doit se porter à surveiller continuellement les écussons qui exigent absolument des soins habituels.
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PEPITES | S. f. (Hist. nat. Minéralogie) en espagnol pepitas ; ce sont des masses d'or vierge, que l'on trouve dans quelques mines du Chily, du Potosi & du Pérou, mais particulierement dans les lavaderos ou dans certaines couches de terre de ce premier royaume. Il est assez ordinaire de voir des pepites de 4, de 6, de 8 & de 10 marcs ; les plus grosses dont les Espagnols conservent la mémoire, sont les deux qui furent trouvées dans un lavadero de la province de Guiane près de Lima, l'une étoit de 64 marcs, l'autre de 45. Cette derniere avoit cela de singulier, qu'on y trouvoit de l'or de trois titres différens ; il y en avoit de 11, de 18 & de 21 carats. Voyez OR.
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PEPLUS minor | S. m. (Botan.) espece de tithymale, nommée par Tournefort tithymalus annuus folio rotundiore acuminato ; en effet ses feuilles sont presque rondes, un peu pointues : ses fleurs sont des godets découpés en plusieurs quartiers ; il leur succede, quand elles sont tombées, de petits fruits lisses, relevés de trois coins, & divisés en trois cellules remplies chacune d'une semence oblongue : sa racine est menue, fibrée. Toute la plante jette du lait quand on la rompt, & ce lait est un si violent purgatif, qu'on ne l'employe qu'extérieurement pour faire tomber les verrues. (D.J.)
PEPLUS, s. m. (Antiq. rom.) , habit de femme ou de déesse. Manteau léger, sans manches, brodé ou broché d'or ou de pourpre, attaché avec des agraffes sur l'épaule ou sur le bras.
Voilà l'habillement dont on paroit anciennement les statues, ou autres représentations des dieux & des déesses. C'est pour cela qu'Homere donne l'épithete de divin au peplus de Vénus, & dit que les graces l'avoient fait de leurs propres doigts.
On voit dans les monumens anciens que les pepli s'attachoient par des agraffes, per fibulas, tantôt sur l'épaule droite, tantôt sur la gauche, quelquefois sur les deux épaules, & souvent au-dessous des mamelles sur le bras droit ; d'où il paroît qu'Eustathe n'a pas assez consulté les antiques, quand il prétend que le péplus couvroit toujours le côté gauche, & que ses deux aîles, comme il les nomme, du devant & du derriere, ne s'attachoient ensemble que du côté droit.
Le nom de voile fut donné à tous les pepli consacrés aux divinités célestes ; témoin ce que dit Virgile du fameux peplus de Minerve à Athènes, tale deae velum solemni in tempore portant ; aussi dans Porphyre, le ciel est appellé peplos comme le voile des dieux.
Ces pepli n'étoient pas toujours traînans, mais quelquefois retroussés, ou même attachés par des ceintures. Ils laissoient communément une partie du corps nud & à découvert, comme chez les Lacédémoniens, qui les attachoient par agraffes sur les deux épaules. Aussi quand Homere dit de Minerve, qu'elle se développa de son peplus pour endosser le harnois ; ce poëte par ces paroles nous la représente toute nue, ce qui n'étoit pas une chose nouvelle à cette déesse, puisqu'il en coûta la vûe à Tyresias.
Après tout, les pepli n'ont pas seulement été donnés aux femmes & aux déesses, mais aussi aux dieux & aux hommes ; c'est ce qu'on peut recueillir des monumens anciens qui nous restent, indépendamment du témoignage d'Eschyle, de Théocrite, & autres. Dans Sophocle, le manteau fatal que Déjanire envoye à Hercule, y est souvent appellé du nom de peplos ; & Eustathius qui en fait la remarque, cite encore à ce sujet Eurypide. Eschyle parle des pepli du roi de Perse, & Xénophon de ceux de l'arménien Tigranes. Synésius appelle du nom de peplos la robe triomphale des Romains. Je ne dis rien du peplos des époux & des épouses.
Du reste nous savons que ces pepli étoient d'ordinaire blancs. On les faisoit dans l'Orient de byssus, & ils formoient une étoffe très-légere. Il faut encore ajouter qu'on les faisoit de diverses couleurs, versicolores ; desorte que dans Homere, la mere d'Hector cherche d'offrir à Minerve celui qui se trouveroit être le plus grand & le plus bigarré : c'est aussi ce que fait Hélene à l'égard de Télémaque dans l'Odyssée. De-là vient qu'Eschyle désigne un peplus par le mot de , à cause de sa bigarrure, variis liciis tectus ; mais indépendamment de la couleur, le peplus étoit d'ordinaire brodé, frangé, & tissu d'or & de pourpre. Tels étoient sur-tout ces pepli barbarici dont parle Eschyle, & qu'il représente fort différens de ceux qui étoient usités en Grece, pepli dorici.
Enfin le mot de peplus signifie quelquefois un drap mortuaire ; mais alors ils étoient très-simples & sans bigarrure, du-moins chez les Grecs ; Eschyle, dans son Agamemnon, dit que le peplus dont Patrocle fut enveloppé, étoit simple, sans bigarrure ; au lieu que quand il parle des funérailles d'Hector, il lui donne un peplus ou drap mortuaire teint de pourpre, ainsi qu'il pouvoit convenir à un barbare à l'égard des Grecs. Tous ces faits sont justifiés par une infinité de passages, qu'il eût été trop long de citer ici.
Acésée, fameux brodeur de Patare en Lycie, fut celui qui fit pour la Pallas des Athéniens le voile sacré, que les Grecs nommoient peplone. C'étoit un homme admirable en son genre. Minerve elle-même avoit donné à ses mains une grace divine. (D.J.)
PEPLUS de Minerve, (Littérat.) Lisez ce qu'on a dit au mot PEPLUS ; j'ajouterai seulement que le peplus de Minerve étoit une robe blanche sans manches, & toute brochée d'or, sur laquelle on voyoit représentées les grandes actions de la déesse, de Jupiter, & des héros. On portoit ce peplus dans les processions des grandes panathénées, qui se faisoient tous les cinq ans ; ou plutôt on transportoit ce voile celebre sur un vaisseau le long du Céramique, jusqu'au temple de Cérès, d'où on le remenoit aussitôt pour le conserver dans la citadelle. Les dames romaines imiterent l'usage d'Athènes, en offrant tous les cinq ans en grande pompe une robe magnifique à Minerve. (D.J.)
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PEPO | S. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante auquel on a donné le nom de citrouille, & dont les fleurs sont campaniformes, ouvertes & profondément découpées. Il y a deux sortes de fleurs sur cette plante : les unes n'ont point d'embryons & sont stériles ; les autres sont fécondes & placées sur un embryon qui devient dans la suite un fruit oblong ou rond, charnu, creux dans son intérieur, & couvert quelquefois d'une écorce dure & remplie de tubercules. Ce fruit se divise souvent en trois parties, & renferme des semences applaties, entourées d'une espece d'anneau, & attachées à un placenta spongieux. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
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PEPSIE | pepsis, terme de Médecine, qui signifie la coction ou digestion des viandes ou des humeurs du corps. Voyez COCTION & DIGESTION. Ce mot est grec, , qui signifie bouillonnement.
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PEPTIQUE | terme de Médecine. Voyez PEPASTIQUE.
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PEPUZA | (Géogr. anc.) ville de Phrygie. Elle donna son nom aux hérétiques appellés Pépuziens. Ces hérétiques, dit saint Epiphane, Theres. XLVIII. sect. xiv. avoient une grande vénération pour un certain lieu de Phrygie, où fut bâtie autrefois la ville de Pepuza. Elle étoit entierement détruite du tems de saint Epiphane. La notice d'Hiéroclès attribue cette ville à la Phrygie capatiane, & lui donne le dix-huitieme rang. (D.J.)
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PEPUZIENS | S. m. pl. (Hist. ecclés.) ancienne secte d'hérétiques autrement appellés Phrygiens ou Cataphryges. Voyez CATAPHRYGES. Ils prirent le nom de Pepuziens, parce qu'ils prétendoient que Jesus-Christ étoit apparu à une de leurs prophétesses dans la ville de Pepuza en Phrygie, qui étoit pour eux la cité sainte. Ils attribuoient aux femmes les fonctions du sacerdoce, & enseignoient les mêmes erreurs que les Montanistes dans le onzieme siecle. Voyez MONTANISTES.
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PEQUÉA | (Hist. nat. Botan.) arbre qui se trouve dans le Brésil, & qui est de deux especes : la premiere produit un fruit semblable à l'orange, mais dont la peau est plus épaisse & dont le jus est doux comme du miel ; la seconde espece passe pour fournir le bois le plus dur & incorruptible. Les Portugais le nomment sétis.
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PEQUIGNY | (Géog. mod.) petite ville, ou, pour mieux dire, bourg de France dans la Picardie, sur la rive gauche de la Somme, à trois lieues au-dessous d'Amiens. Il est remarquable par l'entrevûe de Louis XI. roi de France, & d'Edouard, roi d'Angleterre, sur un pont qui fut fait exprès. Long. 19. 37. lat. 49. 58.
Pequigny, (Bernardin de) prit, comme on voit, le nom de cette petite ville, où il naquit en 1632, & se fit capucin. Il mourut à Paris en 1709, après avoir donné une exposition latine des Epîtres de S. Paul, imprimée à Paris en 1703 in-fol. & en françois en 1714. Il fit en françois un petit abrégé de son ouvrage, qui est estimé.
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PER MINIMA | en terme de Médecine, signifie un mélange parfait des plus petites parties ou ingrédiens de différens corps. Voyez MELANGE & MINIMA.
Mais plus exactement dans la langue de Pharm. c'est un mélange parfait & intime des corps naturels, dans lequel leurs vrais minima, c'est-à-dire leurs atomes, ou leurs premieres particules composantes sont supposées être exactement mêlées ensemble. Voyez MIXTION.
Si on fait fondre ensemble de l'argent & du plomb, ces métaux se mêlent per minima. Voyez ARGENT, PLOMB, METAL, &c.
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PÉRAGRATION | S. f. (Comput.) on appelle mois de péragration, ou mois périodique, le tems que la lune est à parcourir tout le zodiaque, & à revenir au même point d'où elle étoit partie. Ce tems est de sept jours, sept heures & 43 minutes. Ce mot vient du latin peragratio, qui signifie action de parcourir. La lune a un autre mois qu'on appelle synodique, ou de conjonction, qui est 29 jours & demi ; c'est le tems qu'elle est entre la conjonction avec le soleil, jusqu'à ce qu'elle soit revenue à la même conjonction. (D.J.)
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PÊRAGU | S. m. (Hist. nat. Bot. exot.) arbrisseau du Malabar ; sa racine infusée dans du petit-lait acidulé, est estimée pour la lienterie, la colique & les tranchées qui proviennent d'inflammation ; sa poudre répandue sur les pustules les desseche ; le suc des feuilles pris intérieurement, chasse les vers des intestins. (D.J.)
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PERAMBULATION | PERAMBULATION
En général le terme de perambulation chez les Anglois, est synonyme à ce que nous appellerions descente sur les lieux, faite à l'effet d'en déterminer l'étendue, & d'en fixer les limites. Et en effet on pratique la perambulation en matiere de bornage, aussi-bien qu'en matiere de pur-lieu. Voyez BORNAGE.
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PERCALLE | S. f. (Comm. des Indes). Les percalles sont des toiles de coton blanches, plus fines que grosses, qui viennent des Indes orientales, particulierement de Pondichery. Les percalles portent sept aunes & un quart de long, sur une aune & un huit de large.
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PERCE | Voyez LOCHE.
PERCE, s. f. (Luth.) outil dont les facteurs de musettes se servent pour perforer les chalumeaux ; cet instrument est composé d'une longue tige d'acier cylindrique, emmanchée par une de ses extrémités dans une poignée comme une lime ; à l'autre extrémité est une meche semblable à celle de bedouets. Voyez BEDOUET, & la fig. de ces instrumens, Pl. X. de Lutherie, fig. 1. 5.
PERCE-A-MAIN, outil dont les facteurs de musettes se servent pour percer les trous qui forment les différens tons de cet instrument. Voyez l'article PERCE, & la fig. 13. Pl. X. de Lutherie.
Cet outil ne differe de la perce qu'en ce que sa tige & sa meche sont beaucoup plus courtes.
PERCE-BOURDON, représenté Pl. X. de Lutherie, fig. 8. est un outil dont les facteurs de musettes se servent pour percer les trous des bourdons. C'est une espece de foret emmanché comme une lime, que l'on appuie contre l'endroit du bourdon où on veut faire un trou, pendant que la piece d'ivoire dont le bourdon est fait, tourne sur le tour à lunette. Voyez TOUR A LUNETTE & TOUR ENTRE DEUX PEINTES.
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PERCÉ | adj. (Archit.) épithete qu'on donne aux ouvertures qui distribuent les jours d'une façade. Ainsi on dit qu'un pan de bois, un mur de face est bien percé lorsque les vuides sont bien proportionnés aux solides. On dit aussi qu'une église, un vestibule, un sallon est bien percé lorsque la lumiere y est répandue suffisamment & également. On dit aussi un percé pour une ouverture artistement pratiquée qui conduit la vûe d'un lieu dans un autre. (D.J.)
PERCE, en terme de Blason, se dit d'une piece qui est percée, & qui fait voir en elle une espece de trou.
La forme de ce trou doit s'exprimer dans le Blason : ainsi une croix qui a un trou quarré, ou qui est percée au centre, se blasonne au quarré percé, ce qui vaut mieux que de dire au quartier percé, comme Leigh s'exprime, on dit en France, percé en quarré : quand le trou est rond, il faut dire percé en rond. C'est ce que Gibbon nomme en latin perforata, à cause que tous les trous faits avec des perçoirs ou des tarieres sont ronds. Si le trou au centre est en forme de losange, on dit percé en losange.
Tout ce qui est percé, c'est-à-dire le trou, doit toujours être de la couleur du champ ou de l'écu, parce qu'il est naturel que le trou d'une piece laisse voir ce qui est dessous : ainsi quand on voit de semblables figures au centre d'une croix qui ne sont pas de la couleur de l'écu, on ne doit pas supposer que la croix soit percée, mais que cette figure est une autre piece ; on doit par conséquent l'exprimer en blasonnant. Voyez CROIX &c.
Bologne en Dauphiné, d'argent à une patte d'ours en pal, percée en rond de six pieces, 3. 2. 1.
Les macles, les rustres & les mollettes sont percées.
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PERCE-FEUILLE | S. f. (Hist. nat. Bot.) ce genre de plante est nommé bupleuron par Tournefort. Il y en a deux especes principales, la perce-feuille vivace & la perce-feuille annuelle. La perce-feuille vivace, nommée par le vulgaire oreille-de-lievre, en anglois the hare's-ear, est le bupleuron vulgatissimum, seu folio subrotundo, I. R. H. 309.
Sa racine est petite, ridée, verdâtre, fibrée, d'un goût âcre. Elle pousse une tige à la hauteur d'un ou de deux piés, grêle, lisse, cannelée, noueuse, vuide en-dedans, rameuse, de couleur quelquefois rougeâtre, d'autrefois verte ; ses feuilles, sur-tout celles de la tige, sont longuettes, étroites, simples, nerveuses, & rangées alternativement ; ses fleurs naissent au sommet de la tige, & des rameaux en ombelles, de couleur jaune, semblables à celles du fenouil ; chacune d'elles est composée de plusieurs pétales disposés en rose. Quand les fleurs sont tombées, il leur succede des semences oblongues, assez semblables à celles du persil, cannelées, grises, d'un goût âcre. Cette plante croît abondamment aux lieux montagneux, argilleux, le long des haies & parmi les brossailles ; elle fleurit en Juillet & Août, & sa graine mûrit en Septembre & Octobre. Elle sert en Médecine ; ses feuilles passent pour détersives & dessicatives ; sa semence est réputée discussive & apéritive.
La perce-feuille annuelle, bupleuron perfoliatum, rotundi-folium, annuum, I. R. H. 310, ne differe de la précédente qu'en ce qu'elle est annuelle & se multiplie de graine. On lui donne des vertus astringentes. (D.J.)
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PERCE-MOUSSE | S. f. (Hist. nat. Bot.) espece de capillaire, que Tournefort nomme muscus capillaceus, major, pediculo & capitulo crassioribus, I. R. H. 550. Sa racine est longue, menue, fibrée. Ses tiges sont hautes de quatre à six pouces, garnies dès le bas jusqu'au milieu de petites feuilles étroites, longuettes & jaunâtres ; mais du milieu jusqu'au haut, ces tiges sont nues & unies. Il naît à leurs sommets une petite tête oblongue, pleine de fine poussiere qui tombe lorsque cette tête panche, & qu'elle s'ouvre à la maniere de plusieurs autres especes de mousses ; cette poussiere est, selon toute apparence, la graine même de la plante. (D.J.)
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PERCE-NEIGE | S. f. narcisso-leucoium, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur liliacée, composée de six pétales, tantôt égaux & tantôt inégaux, & disposés en forme de cloche suspendue. Le calice de cette fleur devient dans la suite un fruit arrondi & divisé en trois loges, qui renferme des semences de la même forme que le fruit. Ajoutez aux caracteres de ce genre que la racine est bulbeuse. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PERCE-NEIGE, (Mat. méd.) l'oignon de perce-neige est un émétique doux, dont la vertu fut découverte par hasard, selon l'observation du D. Michel Valentin, rapportée dans les Ephémérides d'Allemagne, année 1727, p. 286. L'observateur rapporte qu'une paysanne ayant vendu des oignons de perce-neige en guise de ciboulette, toutes les personnes qui en mangerent furent surprises de vomissement, qui n'eurent aucunes suites fâcheuses. (b)
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PERCE-OREILLE | OREILLERE, forficula auricularia, (Hist. nat. Insectolog.) insecte que M. Linnaeus a mis dans la classe des coléopteres. Cet auteur en distingue deux especes. La premiere se trouve dans les terres ensemencées ; cet insecte est allongé, il a deux longues antennes composées chacune de treize ou quartorze anneaux ; le corcelet est applati, tronqué par-devant & arrondi par derriere ; le milieu est noir, & le reste a une couleur plus pâle. Les élytres sont d'un roux pâle ; les aîles s'étendent audelà des élytres, & ont à leur extrémité une tache blanche ovoide ; le ventre a une couleur roussâtre ; la queue est fourchue, elle a deux sortes de pointes crochues & de substance de corne qui se touchent par l'extrémité. On a donné le nom de perce-oreille & d'oreillere à cet insecte, parce qu'on prétend qu'il cherche à entrer dans les oreilles des personnes qui s'endorment sur la terre.
Le perce-oreille de la seconde espece se trouve dans les fumiers, il est plus petit de moitié que le précédent ; il en differe principalement en ce qu'il est d'un brun châtain, & qu'il n'a que dix anneaux dans chaque antenne. Linnaei faun. suec. insecta. an. 1746. Voyez INSECTE.
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PERCE-PIERRE | S. f. (Hist. nat. Botan.) plante nommée percepier anglorum par J. B. 3. 74. Ger. Emac. 1594. Raü, hist. I. 209. synops. 67. Boerh. Ind. Alt. 2. 93. mais par Tournefort, alchimilla montana, minima, I. R. H. 508. C'est, selon lui, une espece d'alchimille ou de pié-de-lion.
C'est une petite plante basse, ordinairement rampante, dont la racine est fibreuse, & qui pousse plusieurs tiges à la hauteur de la main, rondes, velues, & revêtues de petites feuilles, disposées alternativement à l'endroit des noeuds, un peu cotonneuses, & découpées en trois parties. Il sort de leurs aisselles de petites fleurs à étamines, disposées en grappes à cinq pétales ; elles sont soutenues par un calice divisé en quatre parties. Quand la fleur est tombée, il lui succede de petites semences rondes, enfermées séparément dans des capsules fermées par le calice. Cette plante croît dans les lieux arides & dans les terres en frîche : elle passe pour être diurétique. (D.J.)
PERCE-PIERRE ou FENOUIL MARIN, (Diete & Mat. méd.) cette plante a un goût vif & aromatique fort agréable, qui la fait employer à titre d'assaisonnement, sur-tout pour les marinades. Les huîtres marinées de Dieppe & des côtes voisines doivent en partie à cette plante l'agrément de leur assaisonnement. La perce-pierre confite au vinaigre qu'on apporte à Paris de Boulogne est fort bonne en salade, soit seule, soit employée, comme fourniture, avec la laitue & les autres plantes purement aqueuses. Elle reveille l'appetit, aide à la digestion, &c.
Cette plante est fort rarement employée à titre de remede : cependant on lui attribue les qualités apéritive, diurétique, emmenagogue, & même la lythontriptique ; il est très-vraisemblable qu'elle possede en effet les premieres. Quant à la derniere, elle n'en doit évidemment la réputation, comme les saxifrages, qu'à je ne sais quelle induction tirée, on ne peut pas plus gratuitement, du sol pierreux où croît naturellement cette plante. (b)
PERCE-PIERRE, s. m. alauda non cristata, (Hist. nat. Bot.) poisson de mer lisse & sans écailles ; on lui a donné le nom de perce-pierre, parce qu'il vit dans des trous de rochers ; il differe de la coquillade en ce qu'il n'a point de protubérance sur la tête en forme de crête, ce qui lui a fait donner le nom d'alauda non cristata. Voyez COQUILLADE. Le perce-pierre a la tête petite & ronde ; les dents de la mâchoire supérieure se trouve entre celles de la mâchoire inférieure quand la bouche est fermée. Les yeux & l'ouverture de la bouche sont petits. Ce poisson a quatre petites nageoires près des ouïes, deux de chaque côté ; une sur le dos qui s'étend presque depuis la tête jusqu'à la queue, & une autre auprès de l'anus qui s'étend aussi jusqu'à la queue. Il vit de petits poissons. Sa chair est molle & de mauvais goût. Rondelet, Hist. nat. des poissons, part. I. liv. VI. chap. V. voyez POISSON.
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PERCEINTES | PRÉCEINTES, CEINTES, s. f. (Marine) les perceintes sont des rebords, cordons ou pieces de bois qui regnent en-dehors le long du bordage d'un navire, & qui servent à la liaison des tillacs. Voyez CEINTES, Pl. I. fig. 2. les perceintes cotées 4. & fig. 2. les préceintes cotées O. Voyez aussi P. IV. fig. 1. n °. 163, 164, 165 & 166, les premiere, seconde, troisieme & quatrieme perceintes. (Z)
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PERCEMENT | S. m. (Archit.) nom général qu'on donne à toute ouverture faite après coup pour la baie d'une porte ou d'une croisée, ou pour quelqu'autre sujet. Les percemens ne doivent pas se faire dans un mur mitoyen sans y appeller les voisins qui y sont intéressés. Sur quoi on doit consulter les articles 203 & 204 de la coutume de Paris. Voyez aussi MUR MITOYEN. (D.J.)
PERCEMENT, (Hist. nat. minéral.) c'est ainsi qu'on nomme dans les mines métalliques une galerie qui part du centre d'une montagne ou d'une mine que l'on exploite, & qui de-là va se terminer en pente à la surface de la terre ou dans un vallon. Il sert à écouler les eaux, & l'on a recours à ce moyen, qui est souvent fort coûteux lorsque les eaux sont si abondantes que les pompes ordinaires ne peuvent point suffire à les épuiser. L'on ne peut point toujours former un percement, cela n'est pratiquable que lorsque la mine qu'on exploite est au-dessus du niveau des plaines ou d'une riviere. Voyez l'article MINES.
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PERCEPTION | S. f. (Métaphysiq.) la perception, ou l'impression occasionnée dans l'ame par l'action des sens, est la premiere opération de l'entendement : l'idée en est telle qu'on ne peut l'acquerir par aucun discours ; la seule réflexion sur ce que nous éprouvons quand nous sommes affectés de quelque sensation, peut la fournir. Les objets agiroient inutilement sur les sens, & l'ame n'en prendroit jamais connoissance, si elle n'en avoit pas la perception. Ainsi le premier & le moindre degré de connoissance, c'est d'appercevoir.
Mais puisque la perception ne vient qu'à la suite des impressions qui se font sur les sens, il est certain que ce premier degré de connoissance doit avoir plus ou moins d'étendue, selon qu'on est organisé pour recevoir plus ou moins de sensations différentes. Prenez des créatures qui soient privées de la vûe, d'autres qui le soient de la vûe & de l'ouie, & ainsi successivement ; vous aurez bientôt des créatures qui étant privées de tous les sens, ne recevront aucune connoissance. Supposez au contraire, s'il est possible, de nouveaux sens dans des hommes plus parfaits que nous ne le sommes : que de perceptions nouvelles ! par conséquent combien de connoissances à leur portée, auxquelles nous ne saurions atteindre, & sur lesquelles même nous ne saurions former des conjectures !
Nos recherches sont quelquefois d'autant plus difficiles, que leur objet est plus simple ; les perceptions en sont un exemple. Quoi de plus facile en apparence que de décider si l'ame prend connoissance de toutes celles qu'elle éprouve ? Faut-il autre chose que réfléchir sur soi-même ? Pour résoudre cette question, que les philosophes ont embarrassée de difficultés, qui certainement n'y ont pas été mises par la nature, nous remarquerons que, de l'aveu de tout le monde, il y a dans l'ame des perceptions qui n'y sont pas à son insçu. Or ce sentiment qui lui en donne connoissance, je l'appellerai conscience. Si, comme le veut M. Locke, l'ame n'a point de perception dont elle ne prenne connoissance, ensorte qu'il y ait contradiction qu'une perception ne soit pas connue, la perception & la conscience ne doivent être prises que pour une seule & même opération. Si au contraire le sentiment opposé étoit le véritable, elles seroient deux opérations distinctes ; & ce seroit à la conscience, & non à la perception, que commenceroit proprement notre connoissance.
Entre plusieurs perceptions dont nous avons en même tems conscience, il nous arrive souvent d'avoir plus conscience des unes que des autres, ou d'être plus vivement avertis de leur existence. Plus même la conscience de quelques-unes augmente, plus celle des autres diminue. Que quelqu'un soit dans un spectacle où une multitude d'objets paroissent se disputer ses regards ; son ame sera assaillie de quantité de perceptions, dont il est constant qu'elle prend connoissance : mais peu-à-peu quelques-unes lui plairont & l'intéresseront davantage ; il s'y livrera donc plus volontiers. Dès-là il commencera à être moins affecté par les autres. La conscience en diminuera même insensiblement jusqu'au point que, quand il reviendra à lui, il ne se souviendra pas d'en avoir pris connoissance. L'illusion qui se fait au théâtre en est la preuve. Il y a des momens où la conscience ne paroît pas se partager entre l'action qui se passe & le reste du spectacle. Il sembleroit d'abord que l'illusion devroit être d'autant plus vive, qu'il y auroit moins d'objets capables de distraire. Cependant chacun a pu remarquer qu'on n'est jamais plus porté à se croire le seul témoin d'une scène intéressante, que quand le spectacle est bien rempli. C'est peut-être que le nombre, la variété & la magnificence des objets remuent les sens, échauffent, élevent l'imagination, & par-là nous rendent plus propres aux impressions que le poëte veut faire naître. Peut-être encore que les spectateurs se portent mutuellement, par l'exemple qu'ils se donnent, à fixer la vûe sur la scène. Quoi qu'il en soit, cette opération par laquelle notre conscience par rapport à certaines perceptions, augmente si vivement, qu'elles paroissent les seules dont nous ayons pris connoissance, je l'appelle attention. Ainsi être attentif à une chose, c'est avoir plus conscience des perceptions qu'elle fait naître, que de celles que d'autres produisent, en agissant comme elle sur nos sens ; & l'attention a été d'autant plus grande, qu'on se souvient moins de ces dernieres.
Je distingue donc de deux sortes de perceptions parmi celles dont nous avons conscience ; les unes dont nous nous souvenons au-moins le moment suivant, les autres que nous oublions aussi-tôt que nous les avons eues. Cette distinction est fondée sur l'expérience que je viens d'apporter. Quelqu'un qui s'est livré à l'illusion se souviendra fort bien de l'impression qu'a fait sur lui une scène vive & touchante ; mais il ne se souviendra pas toujours de celle qu'il recevoit en même tems du reste du spectacle.
On pourroit ici prendre deux sentimens différens de celui-ci. Le premier seroit de dire, que l'ame n'a point éprouvé comme je le suppose, les perceptions que je lui fais oublier si promptement, ce qu'on essayeroit d'expliquer par des raisons physiques. Il est certain, diroit-on, que l'ame n'a des perceptions qu'autant que l'action des objets sur les sens se communique au cerveau. Or on pourroit supposer les fibres de celui-ci dans une si grande contention par l'impression qu'elles reçoivent de la scène qui cause l'illusion, qu'elles résisteroient à toute autre. D'où l'on concluroit que l'ame n'a eu d'autres perceptions que celles dont elle conserve le souvenir.
Mais il n'est pas vraisemblable que quand nous donnons notre attention à un objet, toutes les fibres du cerveau soient également agitées ; ensorte qu'il n'en reste pas beaucoup d'autres capables de recevoir une impression différente. Il y a donc lieu de présumer qu'il se passe en nous des perceptions dont nous ne nous souvenons pas le moment d'après que nous les avons eues.
Le second sentiment seroit de dire qu'il ne se fait point d'impression dans les sens qui ne se communique au cerveau, & ne produise par conséquent une perception dans l'ame. Mais on ajouteroit qu'elle est sans conscience, ou que l'ame n'en prend point connoissance. Mais il est impossible d'avoir l'idée d'une pareille perception. J'aimerois autant qu'on dit que j'apperçois sans appercevoir.
Je pense donc que nous avons toujours conscience des impressions qui se font dans l'ame, mais quelquefois d'une maniere si légere, qu'un moment après nous ne nous en souvenons plus. Quelques exemples mettront ma pensée dans tout son jour.
Qu'on réfléchisse sur soi-même au sortir d'une lecture, il semblera qu'on n'a eu conscience que des idées qu'elle a fait naître ; il ne paroîtra pas qu'on en en ait eu davantage de la perception de chaque lettre, que de celle des ténebres, à chaque fois qu'on baisse involontairement la paupiere. Mais on ne se laissera pas tromper par cette apparence, si l'on fait réflexion que sans la conscience de la perception des lettres, on n'en auroit point eu de celle des mots, ni par conséquent des idées.
Cette expérience conduit naturellement à rendre raison d'une chose dont chacun a fait l'épreuve ; c'est la vîtesse étonnante avec laquelle le tems paroît quelquefois s'être écoulé : cette apparence vient de ce que nous avons oublié la plus considérable partie des perceptions qui se sont succédées dans notre ame.
C'est une erreur de croire que tandis que nous fermons des milliers de fois les yeux, nous ne prenions point connoissance que nous sommes dans les ténebres. Cette erreur provient de ce que la perception des ténebres est si prompte, si subite, & la conscience si foible, qu'il ne nous en reste aucun souvenir. Mais que nous donnions notre attention au mouvement de nos yeux, cette même perception deviendra si vive, que nous ne douterons plus de l'avoir eue.
Non-seulement nous oublions ordinairement une partie de nos perceptions, mais quelquefois nous les oublions toutes, quand nous ne fixons point notre attention ; ensorte que nous recevons les perceptions qui se produisent en nous, sans être plus avertis des unes que des autres ; la conscience en est si légere, que si l'on nous retire de cet état, nous ne nous souvenons pas d'en avoir éprouvé. Je suppose qu'on me présente un tableau fort composé, dont à la premiere vûe les parties ne me frappent pas plus vivement les unes que les autres, & qu'on me l'enleve avant que j'aie eu le tems de le considérer en détail ; il est certain qu'il n'y a eu aucune de ses parties sensibles qui n'ait produit en moi des perceptions : mais la conscience en a été si foible, que je ne puis m'en souvenir : cet oubli ne vient pas de leur durée. Quand on supposeroit que j'ai eu pendant long-tems les yeux attachés sur ce tableau, pourvu qu'on ajoute que je n'ai pas rendu tour-à-tour plus vive la conscience des perceptions de chaque partie, je ne serai pas plus en état, au bout de plusieurs heures, d'en rendre compte, qu'au premier instant.
Ce qui se trouve vrai des perceptions qu'occasionne ce tableau, doit l'être par la même raison de celles que produisent les objets qui m'environnent : si agissant sur les sens avec des forces presque égales, ils produisent en moi des perceptions toutes à-peu-près dans un pareil degré de vivacité ; & si mon ame se laisse aller à leur impression, sans chercher à avoir plus conscience d'une perception que d'une autre, il ne me restera aucun souvenir de ce qui s'est passé en moi. Il me semblera que mon ame a été pendant tout ce tems dans une espece d'assoupissement, où elle n'étoit occupée d'aucune pensée. Que cet état dure plusieurs heures, ou seulement quelques secondes, je n'en saurois remarquer la différence dans la suite des perceptions que j'ai éprouvées, puisqu'elles sont également oubliées dans l'un & l'autre cas. Si même on le faisoit durer des jours, des mois, ou des années, il arriveroit que, quand on en sortiroit par quelque sensation vive, on ne se rappelleroit plusieurs années que comme un moment.
Concluons que nous ne pouvons tenir aucun compte du plus grand nombre de nos perceptions ; non qu'elles aient été sans conscience, mais parce qu'elles sont oubliées un instant après. Il n'y en a donc point dont l'ame ne prenne connoissance. Ainsi la perception & la conscience ne sont qu'une même opération sous deux noms : entant qu'on ne la considere que comme une impression dans l'ame, on peut lui conserver celui de perception ; entant qu'elle avertit l'ame de sa présence, on peut lui donner celui de conscience. Voyez l'Essai sur l'origine des connoissances humaines, de qui ces réflexions sont tirées.
PERCEPTION, (Gram.) se dit encore de la recolte ou recette des fruits d'un bénéfice, & de la maniere de rassembler les impôts assis sur le peuple.
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PERCER | v. act. (Gram.) c'est pratiquer une ouverture. Il se prend au simple & au figuré. On dit percer un mur, percer la foule, percer les nuits, percer dans le monde, percer un complot, &c.
PERCER, en terme de Boutonnier, c'est faire quatre trous les uns après les autres, à l'endroit tracé par la marque avec une pointe montée sur une mollette ou petite roue tournée dans la poupée avec la grande roue du rouet, au moyen de la corde, qui de l'une tombe sur l'autre. Voyez POINTES.
PERCER, l'aiguille, terme d'Epinglier ; c'est former le trou d'une aiguille par le moyen d'un petit poinçon d'acier bien trempé, que l'on frappe avec un marteau sur l'enclume de chaque côté du plat de la tête de l'aiguille.
PERCER, en terme de Cloutier, faiseur d'outils de chirurgien ; c'est marquer le trou de l'aiguille sans enlever la piece.
PERCER, (Jardinage) se dit des traces qu'on fait sur une couche pour y semer des raves : on dit encore faire de beaux percés, quand on ouvre des routes dans une forêt, des allées dans un bois.
PERCER une étoffe, (Lainage) on le dit des étoffes qui, à force d'être foulées deviennent trop étroites, & perdent de la largeur ordonnée par les réglemens.
PERCER, en terme de Potier ; c'est faire des trous autour d'un rechaud & à sa grille, pour donner de l'air au feu.
PERCER, en terme de Raffineur ; c'est l'action de faire légerement un trou dans la tête du pain avec un prisme pour donner passage au syrop qui y descend. Voyez PRIME & SYROP.
PERCER, terme de Chasse : se dit & d'une bête qui tire de long, & s'en va sans s'arrêter, & du piqueur qui perce dans le fort ; le cerf a percé dans le bois, il faut percer dans ce fort.
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PERCEUR | S. m. (Marine) les perceurs sont ceux dont le métier est de percer les navires pour les cheviller. Selon l'ordonnance du roi de France de l'année 1661, une même personne peut exercer les métiers de charpentier, de calfateur & de perceur de vaisseau.
PERCEUR, s. m. c'est un poinçon dont le Cloutier faiseur d'aiguilles courbes se sert pour marquer & commencer la chasse de son aiguille ; il ne differe du troqueur qu'en ce qu'il a la pointe plus épaisse.
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PERCHANS | S. m. (Oiselier) oiseau attaché par le pié, & que l'on tire avec une ficelle pour le faire voltiger, appercevoir des oiseaux qui passent, les appeller & les faire prendre.
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PERCHE | S. f. perca, (Hist. nat. Ictiolog.) on a donné ce nom à un poisson d'eau douce & à un poisson de mer qui different l'un de l'autre. La perche d'eau douce a le corps large, fort applati pour un poisson de riviere, & couvert de petites écailles ; les nageoires & la queue sont rouges : elle a sur le dos deux nageoires dont la premiere est la plus grande, deux aux ouies, deux sous le ventre, & une au-dessous de l'anus : la bouche est petite & dépourvue de dents. La chair de ce poisson est dure & difficile à digérer. Rondelet, hist. nat. des poissons, II. partie, ch. xix.
La perche de mer est rousse, elle a la bouche petite & les dents fort pointues. Les côtés du corps sont traversés par des traits dont les uns sont rouges & les autres noirs ; la partie antérieure du ventre est beaucoup plus pendante que la postérieure : il y a une longue nageoire sur le dos, deux aux ouies, deux au ventre, & une longue au-dessous de l'anus qui se trouve situé presqu'au milieu du ventre. Ce poisson a la chair d'un meilleur suc que la perche de riviere ; elle est tendre, molle, friable & facile à digérer. Rondelet, hist. nat. des poissons, premiere part. liv. VI. ch. viij. Voyez POISSON.
PERCHE, s. f. (Arpent.) longue mesure dont on se sert dans l'arpentage, ou la mesure des terrains. Voy. MESURE.
Chez les anciens Romains la perche, pertica, étoit de 10 piés ; & encore aujourd'hui beaucoup de géometres lui donnent cette même longueur : on l'appelle autrement catena, funis, & decempeda.
En Angleterre, la perche d'ordonnance, ou établie par la loi est de 16 piés & demi, & pour le bois taillis, &c. elle est de 18 piés. 40 perches quarrées font une vergée ou un quart d'arpent, & 160 font un arpent. Voyez ARPENT.
En France la perche ordinaire varie suivant les différentes provinces, ou les différentes coutumes ; c'est à celui qui va faire des arpentages dans un pays, d'en prendre connoissance chez le juge du lieu : à Paris la perche contient trois toises ou 18 piés ; pour les travaux royaux elle a 22 piés. Ainsi la perche quarrée, mesure de Paris, est un quarré qui a trois toises de long sur trois de large. L'arpent contient 100 perches quarrées, c'est-à-dire, en le considérant comme un quarré, qu'il contient 10 perches de longueur sur 20 perches de largeur. Chambers. (E)
PERCHE d'Arpenteur, s. f. (Arpent.) instrument composé de deux regles qui peuvent s'étendre jusqu'à 10 piés. Ces regles divisées en piés & en pouces, sont accompagnées d'une pinule mobile : & sur leurs bords on marque les chaînons de la chaîne dont on fait usage. Cet instrument, qui n'est guere en usage qu'en Angleterre, sert dans l'arpentage à prendre aisément ces distances. (D.J.)
PERCHE, s. f. on appelle ainsi dans le nivellement des bâtons bien droits, équarris par en haut, & armés d'un carton coupé à l'équerre. On nomme encore perche une mesure employée dans l'arpentage des terres, & dont la longueur vaut 20, 22 piés courans en plusieurs jurisdictions, & 18 seulement dans le Parisis. (K)
PERCHE, le, (Géog. anc.) petite province de France, bornée au nord par la Normandie ; au midi par le Dunois & le Maine ; au levant par la Beauce ; & au couchant par la riviere de Sarte. Elle n'a que 15 lieues de longueur sur 12 de largeur.
Ce pays a pris son nom d'une grande forêt appellée Perticus saltus, dont il est fait mention dans plusieurs auteurs, jusqu'à l'an 1000. L'histoire de ses comtes est embrouillée ; mais c'est assez de dire ici, que Jacques de Château-Gontier céda ses droits du comté de Perche à S. Louis, qui par cette cession réunit cette petite province à la couronne de France. Une chose bizarre, c'est qu'elle se trouve de trois différens dioceses, de celui du Mans, de celui de Chartres, & pour la plus grande partie, de celui de Séez ; mais pour la justice, la Perche releve entierement du parlement de Paris : sa coutume a été rédigée premierement en 1505, & secondement en 1558.
Les lieux principaux du Perche sont Mortagne, Bellime, & Nogent-le-Rotrou.
C'est dans le Perche, je ne sai où, que naquit vers le milieu du xvj. siecle Jacques de Lorens, poëte françois, riche & curieux en tableaux, mais malheureux en ménage, n'ayant jamais pu s'accorder avec sa femme. Il lui fit après sa mort cette épitaphe :
Ci gît ma femme : ô qu'elle est bien !
Pour son repos & pour le mien.
(D.J.)
PERCHE, col de la, (Géog. mod.) c'est l'un des passages de France en Espagne par les montagnes. On entre du Roussillon dans l'Espagne par le col de la Perche. Louis XVI. y fit bâtir une forteresse qu'il appella de son nom le Mont-Louis.
PERCHE, s. f. pl. (Archit.) ce sont dans l'Architecture gothique certains piliers ronds, menus & fort hauts, qui joints trois ou cinq ensemble, portent de fond & se courbent par le haut pour former des arcs & nefs d'ogives qui retiennent les pendentifs. Voyez ces mots. Ces perches sont imitées de celles qui servoient à la construction des premieres tentes & cabanes.
PERCHE A FEU, (Artificier). Voyez LANCE A FEU.
PERCHE, PORTE-PERCHES, PASSER A LA PERCHE, terme de manufacture en laine, voyez l'article LAINE, & l'article suiv.
PERCHE, (Lainage) c'est un certain morceau de bois de la grosseur du bras, long d'environ quinze piés, pendu en l'air par les deux bouts, sur lequel les emplaigneurs ou laineurs étendent l'étoffe pour la lainer ou tirer à poil. On dit tirer un drap à la perche, pour dire, le lainer, en tirer le poil avec les chardons sur la perche.
PERCHE de lisses, (Hautelisserie) long morceau de bois rond fait au tour, de trois pouces de diametre, & de toute la longueur du métier. Cette perche pose des deux bouts sur les fiches & crochets de fer qu'on nomme des hardilliers ; elle sert à ouvrir & croiser la chaîne de l'ouvrage par le moyen des lisses qui y sont enfilées.
PERCHE, (Jardinage) est un long bâton qui sert à soutenir les arbres de haute tige, à faire des treillages, des haies, des paillassons. On se sert dans le nivellement & dans les grands alignemens de perches armées de cartons blancs coupés à l'équerre.
PERCHE, s. f. (Commerce de bois) morceau ou piece de bois long, en forme de grosse gaule, ayant un bout beaucoup plus menu que l'autre. Les perches sont ordinairement de bois de châtaigner, ou de bois d'aulne. Elles servent à faire des espaliers, des treilles & des perchis, ou clôtures de jardins. On les vend à la botte, chaque botte composée d'un certain nombre, suivant qu'elles sont plus ou moins grosses.
PERCHES D'AVALANS, sont parmi les Marchands de bois, des perches qui servent à conduire les trains. Il en faut six pour un train, quatre de 14 à 15 piés, & deux de 17 à 18, toutes d'environ 10 pouces de circuit. On fait une coche à une de leurs extrémités pour s'en servir avec plus de facilité, & l'autre bout s'aiguise & se garnit d'un fer qui a deux cornes recourbées en-dehors.
PERCHE, (Teinturier) ce mot se dit de certains longs bâtons placés en l'air pour y poser les choses que l'on veut faire sécher. Les Teinturiers ont des perches à leurs fenêtres pour y faire sécher les étoffes, les soies, les laines & les fils qu'ils ont teints. Les Blanchisseurs d'étoffes en ont aussi pour étendre leurs draps & leurs serges, après les avoir blanchis. Les statuts des uns & des autres reglent la hauteur à laquelle leurs perches doivent être placées lorsqu'elles sont sur la rue.
PERCHE, (instrument de Tourneur) l'arc ou la perche, est au tourneur ce qu'est la plume à un écrivain ; c'est-à-dire, si nécessaire, qu'il est impossible de s'en passer. On peut se servir de l'un ou de l'autre en les attachant par-dessus le tour. La perche doit être à-peu-près perpendiculaire au milieu des jumelles, & l'extrémité du côté du tourneur doit avancer tant-soit-peu au-delà des mêmes jumelles. On fait ordinairement ces perches de bois de frêne, de fau, d'if, d'érable, & particulierement de buis, qui est toujours le meilleur, sur-tout si on en trouve sans noeud. La perche doit donc être une piece de bois de plante droite, de la longueur de 7 à 8 piés, de l'épaisseur du bras en son gros bout, allant en diminution jusqu'à l'autre, & un peu planée par-dessous à la maniere d'un cerceau. On la perce par son gros bout, & on l'arrête avec une fiche de fer ronde à une piece de bois attachée au plancher, de maniere qu'elle puisse tourner. Elle doit être supportée environ vers la troisieme partie de sa longueur sur une tringle de bois un peu plus grosse que le bras, longue environ de deux piés, & arrêtée horisontalement à deux montans de bois attachés au plancher. P. Plumier, élem. du tour. p. I. c. ij. (D.J.)
PERCHE, s. f. (terme de Chasse) on appelle perches, les deux grosses tiges du bois, ou de la tête du cerf, du daim, du chevreuil, &c. où sont attachés les andouillers. Quand le cerf entre dans sa seconde année, il pousse ses deux petites perches, & dans sa troisieme année les perches qu'il pousse sont semées d'andouillers.
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PERCHÉ | adj. (Blason) on dit en termes de blason, un oiseau perché, lorsqu'il est peint sur une perche ou branche d'un autre émail. Porte d'azur à l'épervier à vol étendu, lié, perché & grilleté d'argent.
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PERCHÉE | PERCHÉE
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PERCHER | SE, v. n. (Chasse) il se dit des oiseaux qui se posent sur les arbres. Il y a des oiseaux qui se perchent, comme le corbeau, le moineau, la corneille, la grue, &c. & il y en a qui ne se perchent point, comme la perdrix, la caille, l'alouette, &c.
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PERCHIS | S. m. (terme de Jard.) il signifie quelquefois une clôture faite avec des perches, & quelquefois un treillage qui n'est pas fait avec des échalas.
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PERÇOIR | S. m. (outil d'Ouvriers) instrument avec lequel on perce. Les ouvriers en fer disent plus ordinairement poinçon ou mandrin, que perçoir ou perçoire, quand ils veulent signifier l'instrument de fer pointu & aciéré avec lequel ils percent le fer ou à chaud ou à froid.
Le perçoir du Tonnelier est une espece de foret dont il se sert pour percer les pieces de vin.
Les Serruriers ont des perçoirs ou perçoueres pour forer les clés ; & les Armuriers en ont aussi de très-gros pour forer les canons des armes à feu.
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PERCOTE | (Géog. anc.) ville de la Troade, que Strabon, liv. XIII. p. 590. place entre Abydos & Lampsaque. Percote fut, selon Plutarque, une des villes qu'Artaxerxes donna à Thémistocle pour l'entretien de ses meubles & de ses habits. (D.J.)
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PERÇOUERE | S. m. (outil d'Ouvriers) ou perçoir, outil dont se servent les Serruriers, Taillandiers, Maréchaux & autres ouvriers qui travaillent les métaux, & particulierement le fer.
La perçouere est un morceau de fer rond & troué, ou une espece de grosse virole percée à jour, sur laquelle on appuye une piece de métal pour y faire un trou avec le poinçon ou le mandrin.
Les Serruriers ont des perçoueres d'enclume & d'autres d'établi. Il y en a des unes & des autres, de rondes, de quarrées, de plates, de barlongues, d'ovales, &c. suivant la figure du trou qu'on veut percer.
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PERCOWITZ | (Comm.) c'est un poids de Russie, suivant lequel on compte pour le chargement des vaisseaux. Le percowitz contient 30 pudes, ou 325 livres d'Allemagne qui sont de 14 onces.
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PERCUNUS | (Idolâtrie) si l'on en croit Hartsnock, dissert. X. de cultu deorum Pruss. c'est le nom d'un faux dieu des anciens Prussiens. Ces peuples, dit-il, entretenoient un feu perpétuel à l'honneur de ce dieu ; & le prêtre qui en étoit chargé, étoit puni de mort, s'il le laissoit éteindre par sa faute. Les Prussiens croyoient que quand il tonnoit, le dieu Percunus parloit à leur grand-prêtre, qu'ils nommoient krive. Alors ils se prosternoient par terre pour adorer cette divinité, & la prier d'épargner leurs campagnes. Ce qu'il y a de vrai, c'est que nous n'avons aucune connoissance de la religion des Borrussiens, ou anciens Prussiens, si tant est qu'ils eussent une religion ; nous ne sommes pas plus éclairés sur leurs moeurs & leurs usages. On raconte, comme une merveille, que sous l'empire de Néron, un chevalier romain eût passé de Hongrie dans ce pays-là pour y acheter de l'ambre. Ainsi tout ce que Hartsnock dit de ces peuples & de leurs dieux, doit être mis au nombre des fables de son imagination. (D.J.)
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PERCUSSION | S. f. en Physique, est l'impression qu'un corps fait sur un autre qu'il rencontre & qu'il choque ; ou le choc & la collision de deux corps qui se meuvent, & qui en se frappant l'un l'autre, alterent mutuellement leur mouvement. V. MOUVEMENT, COMMUNICATION, CHOC, COLLISION, &c.
La percussion est ou directe ou oblique.
La percussion directe, est celle où l'impulsion se fait suivant une ligne perpendiculaire à l'endroit du contact, & qui de plus passe par le centre de gravité commun des deux corps qui se choquent.
Ainsi, dans les spheres, la percussion est directe, quand la ligne de direction de la percussion passe par le centre des deux spheres, parce qu'alors elle est aussi perpendiculaire à l'endroit du contact.
La percussion oblique est celle où l'impulsion se fait suivant une ligne oblique à l'endroit du contact, ou suivant une ligne perpendiculaire à l'endroit du contact, qui ne passe point par le centre de gravité des deux corps. Voyez OBLIQUE.
C'est une grande question en Mathématique & en Physique, que de savoir quel est le rapport de la force de la pesanteur à celle de la percussion. Il est certain que cette derniere paroît beaucoup plus grande : car, par exemple, un clou qu'on fait entrer dans une table avec des coups de marteau assez peu forts, ne peut être enfoncé dans la même table par un poids immense qu'on mettroit dessus. On sentira aisément la raison de cette différence, si on fait attention à la nature de la pesanteur. Tout corps qui tombe s'accélere en tombant, mais sa vîtesse au commencement de sa chûte est infiniment petite, de façon que s'il ne tombe pas réellement, mais qu'il soit soutenu par quelque chose, l'effort de la pesanteur ne tend qu'à lui donner, au premier instant, une vîtesse infiniment petite. Ainsi un poids énorme, appuyé sur un clou, ne tend à descendre qu'avec une vîtesse infiniment petite ; & comme la force de ce corps est le produit de sa masse par la vîtesse avec laquelle il tend à se mouvoir, il s'ensuit qu'il tend à pousser le clou avec une force très-petite. Au contraire, un marteau avec lequel on frappe le clou, a une vîtesse & une masse fixées, & par conséquent sa force est plus grande que celle du poids. Si on ne vouloit pas admettre que la vîtesse actuelle avec laquelle le poids tend à se mouvoir, est infiniment petite, on ne pourroit au moins s'empêcher de convenir qu'elle est fort petite, & alors l'explication que nous venons de donner demeureroit la même. Voyez sur cette question l'article FORCE ACCELERATRICE.
On agite encore une autre question qui n'est pas moins importante. On demande si les lois de la percussion des corps telles que nous les observons, sont des lois nécessaires, c'est-à-dire s'il n'eût pas pû y en avoir d'autres. Par exemple, s'il est nécessaire qu'un corps qui vient en frapper un autre de même masse lui communique du mouvement, & s'il ne pourroit pas se faire que les deux corps restassent en repos après le choc. Nous croyons, & nous avons trouvé aux articles DYNAMIQUE & MECHANIQUE, que cette question se réduit à savoir si les lois de l'équilibre sont nécessaires : car dans la percussion mutuelle de deux corps, de quelque façon qu'on la considére, il y a toujours des mouvemens qui se détruisent mutuellement. Or si les mouvemens ne peuvent se détruire que quand ils ont un certain rapport, par exemple, quand les masses sont en raison inverse des vîtesses, il n'y aura qu'une loi possible d'équilibre, & par conséquent qu'une maniere de déterminer les lois de la percussion. Car supposons, par exemple, que deux corps M, m, se viennent choquer directement en sens contraires avec des vîtesses A, a, & que V, v, soient les vîtesses qu'ils doivent avoir après le choc, il est certain que les vîtesses A, a, peuvent être regardées comme composées des vîtesses V & A - V, & u, a - u s or, 1°. les vîtesses V, u, qui sont celles que les corps gardent, doivent être telles qu'elles ne se nuisent point l'une à l'autre ; donc elles doivent être égales & en même sens, donc V = u ; 2°. de plus, il faut que les vîtesses A - V, a - u se détruisent mutuellement, c'est-à-dire que la masse M multipliée par la vîtesse A - V doit être égale à la masse m multipliée par la vîtesse a - u, ou a + u (parce que la vîtesse - u qui est égale à V est en sens contraire de la vîtesse a, & qu'ainsi a - u est réellement a + u) ; on aura donc MA - MV = ma + mV ; donc V = , d'où l'on voit que l'on détermine facilement la vîtesse V, & qu'elle ne peut avoir que cette valeur. Mais s'il y avoit une autre loi d'équilibre, on auroit une autre équation que M A - M V = m a + m V, & par conséquent une autre valeur de V : ainsi la question dont il s'agit se réduit à savoir s'il peut y avoir d'autres lois de l'équilibre que celles qui nous sont connues, par le raisonnement & par l'expérience ; c'est-à-dire s'il est nécessaire que les masses soient précisément en raison inverse des vîtesses pour être en équilibre. Cette question métaphysique est fort difficile à résoudre ; cependant on peut au moins y jetter quelque jour par la réflexion suivante. Il est certain que la loi d'équilibre, lorsque les masses sont en raison inverse des vîtesses, est une loi nécessaire, c'est-à-dire qu'il y a nécessairement équilibre lorsque les masses de deux corps qui se choquent directement, sont entr'elles dans ce rapport. Ainsi, quelles que puissent être les lois générales des percussions, il est incontestable que deux corps égaux & parfaitement durs, qui se choquent directement avec des vîtesses égales, resteront en repos ; & si l'un de ces corps étoit double de l'autre & qu'il n'eût qu'une vîtesse sous-double, ils resteroient aussi nécessairement en repos l'un & l'autre. Or si la loi d'équilibre dont on doit se servir pour trouver les lois du choc étoit différente de cette premiere loi, il paroîtroit difficile de réduire à un principe général tout ce qui regarde les percussions. Supposons, par exemple, que la loi d'équilibre que les corps observent dans le choc soit telle que les masses doivent être en raison directe des vîtesses au lieu d'être en raison réciproque, on trouveroit dans l'exemple précédent V = ; d'où l'on voit que si les masses M & m étoient en raison inverse des vîtesses A, a, on trouveroit que les corps M & m devroient se mouvoir après le choc, & qu'ainsi il n'y auroit point d'équilibre quoiqu'il soit démontré qu'il doit y avoir équilibre alors ; ainsi la formule précédente seroit fautive, au moins pour ce cas-là ; & par conséquent il faudroit différentes formules pour les différentes hypotheses de percussion : cet inconvénient n'auroit pas lieu en suivant notre premiere formule V = ; & il faut avouer qu'elle paroît en cela beaucoup plus conforme à la simplicité & à l'uniformité de la nature. Quoi qu'il en soit, nous nous attacherons à cette derniere formule, comme étant la plus conforme à l'expérience, & suivie aujourd'hui par tous les philosophes modernes. Voyez sur la nécessité ou la contingence des lois du mouvement, la préface de la nouvelle édition de mon traité de Dynamique, 1759.
Descartes paroît être le premier qui ait pensé qu'il y avoit des lois de percussion, c'est-à-dire des lois suivant lesquelles les corps se communiquoient du mouvement ; mais ce grand homme n'a pas tiré d'une idée si belle & si féconde, tout le parti qu'il auroit pû. Il se trompa sur la plûpart de ces lois, & les plus zélés des sectateurs qui lui restent, l'abandonnent aujourd'hui sur ce point. Mrs Huyghens, Wren, & Wallis sont les premiers qui les aient données d'une maniere exacte, & ils ont été suivis ou copiés depuis par une multitude d'auteurs.
On peut distinguer au moins dans la spéculation trois sortes de corps, des corps parfaitement durs, des corps parfaitement mols, & des corps parfaitement élastiques.
Dans les corps sans ressort, soit parfaitement durs, soit parfaitement mols, il est facile de déterminer les lois de la percussion ; mais comme les corps, même les plus durs, ont une certaine élasticité, & que les lois du choc des corps à ressort sont fort différentes des lois du choc des corps sans ressort ; nous allons donner séparément les unes & les autres.
Nous ne devons pas cependant négliger de remarquer, que le célebre M. Jean Bernoulli, dans son discours sur les lois de la communication du mouvement, a prétendu qu'il étoit absurde de donner les lois du choc des corps parfaitement durs ; la raison qu'il en apporte est, que rien ne se fait par saut dans la nature, natura non operatur per saltum, tous les changemens qui arrivent s'y font par des degrés insensibles ; ainsi, dit-il, un corps qui perd son mouvement ne le perd que peu-à-peu & par des degrés infiniment petits, & il ne sauroit, en un instant & sans gradation, passer d'un certain dégré de vîtesse ou de mouvement, à un autre dégré qui en differe considérablement : c'est cependant ce qui devroit arriver dans le choc des corps parfaitement durs ; donc, conclut cet auteur, il est absurde d'en vouloir donner les lois, & il n'y a point dans la nature de corps de cette espece.
On peut répondre à cette objection, 1°. qu'il n'y a point à la vérité de corps parfaitement durs dans la nature, mais qu'il y en a d'extrêmement durs, & que le changement qui arrive dans le mouvement de ces corps, quoiqu'il puisse se faire par des degrés insensibles, se fait cependant en un tems si court, qu'on peut regarder ce tems comme nul ; desorte que les lois du choc des corps parfaitement durs sont presque exactement applicables à ces corps : 2°. qu'il est toujours utile dans la spéculation de considérer ce qui doit arriver dans le choc des corps parfaitement durs, pour s'assurer de la différence qu'il y auroit entre les chocs mutuels de ces corps & ceux des corps que nous connoissons : 3°. que le principe dont part M. Bernoulli, que la nature n'opere jamais par saut, n'est peut-être pas aussi général & aussi peu susceptible d'exception qu'il le prétend. Les lois du choc peuvent en fournir un exemple. Imaginons deux boules parfaitement égales & élastiques qui viennent se choquer avec des vîtesses égales en sens contraires, il est certain qu'à l'instant du choc le point de contact commun perd tout-d'un-coup toute sa vîtesse ; & comme on ne peut pas supposer la matiere actuellement divisée à l'infini, il est impossible que ce point perde toute sa vîtesse, sans qu'une petite partie qui lui sera voisine dans chaque sphere, ne perde aussi la sienne : voilà donc deux corps qui perdent tout-d'un-coup leur mouvement sans que cette perte se fasse par des degrés insensibles.
Quoi qu'il en soit, nous allons exposer les lois du choc des corps durs, & celles des corps mous, telles que l'expérience & le raisonnement les confirment. Ces lois sont les mêmes, quant au résultat ; mais la maniere dont se fait la communication du mouvement entre les corps durs & entre les corps mous, est différente. Ceux-ci changent de figure par le choc, & ne la reprennent plus, de façon que leur mouvement change aussi par degrés. Les corps durs au contraire ne changent point de figure, & se communiquent leur mouvement dans un instant.
Pour trouver le mouvement que doivent avoir après le choc, deux masses qui se frappent, en sens contraire, avec des vîtesses connues, on se servira de la formule ci-dessus. V = .
Si l'une des masses, comme m, étoit en repos, alors la vîtesse a seroit égale à zero, & l'on auroit V = pour la vîtesse commune des deux masses après le choc.
Enfin si cette masse m, au lieu de se mouvoir dans une direction opposée à celle de la masse M, se mouvoit dans le même sens avec une vîtesse a (qui fût moindre que la vîtesse A, afin que la masse M pût l'attraper), en ce cas il faudroit changer le signe du terme où a se trouve dans la formule ci-dessus, & on aura V = pour la vîtesse que doivent avoir après le choc, deux masses M, qui alloient du même côté avant le choc. La vîtesse après le choc étant connue, il sera aisé de trouver la quantité de mouvement de chacun des corps après le choc, car ces quantités de mouvement seront M V & m V, ou & ; par conséquent, retranchant ces quantités de mouvement des quantités de mouvement que les corps avoient avant le choc, on aura ce qu'ils ont perdu ou gagné de quantités de mouvement perdu, si la différence est positive, & gagné, si elle est négative ; on aura ainsi M A - M V = & m a - m V = ; or de ces différentes formules on tirera aisément les lois suivantes, que nous nous contenterons d'exposer.
Lois de la percussion dans les corps sans ressort. 1°. Si un corps en mouvement, comme A (Pl. méch. fig. 40.) choque directement un autre corps en B, le premier perdra une quantité de mouvement précisément égale à celle qu'il communiquera au second ; desorte que les deux corps iront ensemble après le choc, avec une égale vîtesse, comme s'ils ne faisoient qu'une seule masse. Si A est triple de B, il perdra un quart de son mouvement : desorte que s'il parcouroit avant le choc 24 piés en une minute, il ne parcourra plus après le choc que 18 piés, &c.
2°. Si un corps en mouvement A en rencontre un autre B, qui soit lui-même déjà en mouvement, le premier augmentera la vîtesse du second ; mais il perdra moins de son mouvement que si le second corps étoit en repos, puisque pour faire aller les deux corps ensemble, après le choc, comme cela est nécessaire, le corps A a moins de vîtesse à donner au second corps, que quand ce second corps étoit en repos.
Supposons par exemple, que le corps A ait douze degrés de mouvement, & qu'il vienne à choquer un autre corps B, moindre de la moitié, & en repos, le corps A donnera au corps B quatre dégrés de mouvement & en retiendra huit pour lui : mais si le corps choqué B a déjà trois degrés de mouvement lorsque le corps A le choque, le corps A ne lui donnera que deux degrés de mouvement ; car A étant double de B, celui-ci n'a besoin que de la moitié du mouvement de A pour aller avec une vîtesse égale à celle de A.
3°. Si un corps A en mouvement choque un autre corps B, qui soit en repos, ou qui se meuve plus lentement, soit dans la même direction, soit dans une direction contraire, la somme des quantités de mouvement (c'est-à-dire des produits des masses par les vîtesses) si les corps se meuvent du même côté, ou leur différence, s'ils se meuvent en sens contraires, sera la même avant & après le choc.
4°. Si deux corps égaux A & B viennent se choquer l'un l'autre, suivant des directions contraires, avec des vîtesses égales, ils resteront tous deux en repos après le choc.
Plusieurs philosophes, & entr'autres Descartes, ont soutenu le contraire de cette loi, & ont prétendu que deux corps égaux & durs venant se choquer avec des vîtesses égales & contraires, devoient rester en repos. Leur principale raison est, qu'il ne doit point y avoir de mouvement perdu dans la nature. Mais en premier lieu ; il est question ici de corps parfaitement durs, tels qu'il ne s'en trouve point dans l'univers, & par conséquent, quand la prétendue loi de la conservation auroit lieu, elle pourroit n'être pas applicable ici. 2°. Le choc des corps élastiques dont les lois sont confirmées par l'expérience, nous fait voir que la quantité de mouvement n'est pas toujours la même avant & après le choc, mais qu'elle est quelquefois plus grande & quelquefois moindre après le choc qu'avant le choc. 5°. On peut démontrer directement la fausseté de l'opinion cartésienne de la maniere suivante ; toutes les fois qu'un corps change son mouvement en un autre, le mouvement primitif peut être regardé comme composé du nouveau mouvement qu'il prend, & d'un autre qui est détruit. Supposons donc que les corps M, M, égaux qui viennent en sens contraire se choquer avec les vîtesses A, A, réjaillissent après le choc avec ces mêmes vîtesses A, A, en sens contraire, comme le veulent les Cartésiens, c'est-à-dire, avec les vîtesses - A, - A, il est certain que la vîtesse A de l'un des corps avant le choc est composée de la vîtesse - A, & de la vîtesse 2 A, & qu'ainsi c'est la vîtesse 2 A qui doit être détruite, c'est-à-dire que les corps M, M, animés en sens contraires des vîtesses 2 A, 2 A, se font équilibre. Or, cela posé, ils doivent se faire équilibre aussi étant animés des vîtesses simples A, A en sens contraire. Car il n'y a point de raison de disparité ; donc les deux corps dont il s'agit doivent rester en repos après le choc.
5°. Si un corps A, choque directement un autre corps B en repos : sa vitesse après le choc, sera à sa vîtesse avant le choc, comme la masse de A est à la somme des masses A & B ; par conséquent si les masses A & B sont égales, la vîtesse après le choc sera la moitié de la vîtesse avant le choc.
6°. Si un corps en mouvement A, choque directement un autre corps qui se meuve avec moins de vîtesse, & dans la même direction, la vîtesse après le choc sera égale à la somme des quantités de mouvement divisée par la somme des masses.
7°. Si deux corps égaux, mus avec les vîtesses différentes se choquent directement l'un l'autre en sens contraire, ils iront tous deux ensemble après le choc avec une vîtesse commune, égale à la moitié de la différence de leurs vîtesses avant le choc.
8°. Si deux corps A & B se choquent directement en sens contraire avec des vîtesses qui soient en raison inverse de leurs masses ; ils demeureront tous deux en repos après le choc.
9°. Si deux corps A & B se choquent directement en sens contraire avec des vîtesses égales, ils iront ensemble après le choc avec une vîtesse commune, qui sera à la vîtesse de chacun des corps avec le choc, comme la différence des masses est à leur somme.
10°. La force du choc direct ou perpendiculaire, est à celle du choc oblique, toutes choses d'ailleurs égales, comme le sinus total est au sinus de l'obliquité. Voyez DECOMPOSITION.
Lois de la percussion pour les corps élastiques. 11°. Dans les corps à ressort parfait, la force de l'élasticité est égale à la force avec laquelle ces corps sont comprimés ; c'est-à-dire que la collision des deux corps l'un contre l'autre est équivalente à la quantité de mouvement que l'un ou l'autre des deux acquéreroit ou perdroit si les corps étoient parfaitement durs & sans ressort. Or, comme la force du ressort s'exerce en sens contraire, il faut retrancher le mouvement qu'elle produit du mouvement du corps choquant, & l'ajouter à celui du corps choqué ; on aura de cette maniere les vîtesses après la percussion. Voyez ÉLASTICITE.
12°. Si un corps vient frapper directement un obstacle immobile, le corps & l'obstacle étant tous deux élastiques, ou l'un des deux seulement, le corps sera refléchi dans la même ligne suivant laquelle il étoit venu, & avec la même vîtesse. Car s'il n'y avoit de ressort ni dans le corps ni dans l'obstacle, toute la force du choc seroit employée à surmonter la résistance de l'obstacle ; & par conséquent le mouvement seroit entierement perdu : or cette force du choc est employée ici à bander le ressort d'un des corps ou de tous les deux ; desorte que quand le ressort est entierement bandé, il se débande avec cette même force, & par conséquent repousse le corps choquant avec une force égale à celle qu'il avoit, & fait retourner ce corps en arriere avec la vîtesse qu'il avoit avant le choc. De plus, le ressort se débande dans la même ligne suivant laquelle il a été bandé, puisqu'on suppose que le choc est direct ; d'où il s'ensuit qu'il doit repousser le corps choquant dans la même ligne droite suivant laquelle ce corps est venu.
13°. Si un corps élastique vient frapper obliquement un obstacle immobile, il se réfléchira de maniere que l'angle de réflexion sera égal à l'angle d'incidence. Voyez REFLEXION & MIROIR.
14°. Si un corps élastique A, choque directement un autre corps B en repos qui lui soit égal ; après le choc, A demeurera en repos, & B ira en avant avec la même vîtesse, & suivant la même direction que le corps A avoit avant le choc.
Car si les corps n'étoient point élastiques, chacun auroit après le choc la même direction, & une vîtesse commune, égale à la moitié de la vîtesse du corps A ; mais comme le ressort agit en sens contraire, avec une force égale à celle de la compression ; il doit repousser A avec la moitié de la vîtesse, & par conséquent arrêter son mouvement ; au contraire il doit pousser en avant avec cette même moitié de vîtesse le corps B, dont la vîtesse totale sera par conséquent égale à celle du corps A avant le choc.
Donc puisque A (Pl. Méch. fig. 41.) transfere toute sa force à B, B la transférera de même à C ; C à D, & D à E. Donc si on a plusieurs corps élastiques égaux qui se touchent l'un l'autre, & que A vienne choquer B, tous les corps intermédiaires resteront en repos, & le dernier seul E s'en ira avec une vîtesse égale à celle avec laquelle le corps A, a choqué B.
15°. Si deux corps élastiques égaux A, B, se choquent directement en sens contraire avec des vîtesses égales, ils se réfléchiront après le choc, chacun avec la vîtesse qu'il avoit, & dans la même ligne. Car, mettant à part le ressort, il est certain que ces deux corps resteroient en repos ; or toute la force du choc est employée à la compression du ressort, & le ressort se débande en sens contraire avec la même force par laquelle il a été bandé, donc il doit rendre à chacun de ces corps leurs vîtesses, puisqu'il agit également sur chacune.
16°. Si deux corps à ressort égaux A & B se choquent directement en sens contraire avec des vîtesses inégales ; après le choc ils se réfléchiront en faisant échange de leurs vîtesses.
Car supposons que les corps se choquent avec les vîtesses C + c & C ; s'ils se choquoient avec la même vîtesse C, ils devroient, après le choc, se réfléchir avec cette même vitesse. Si B étoit en repos, & que A le choquât avec la vîtesse c, B prendroit la vîtesse c après le choc, & A demeureroit en repos. Donc l'excès c de la vîtesse de A sur celle de B, est transféré entierement au corps B ; ainsi A se meut après le choc avec la vîtesse C, & B avec la vîtesse C + c.
Donc les deux corps s'éloignent l'un de l'autre après le choc avec une vîtesse égale à celle avec laquelle ils s'approchoient avant le choc.
17°. Si un corps élastique A, choque un autre corps B qui lui soit égal, & qui ait un moindre degré de mouvement, suivant la même direction ; ces deux corps iront après le choc, suivant la même direction, & feront échange de leurs vîtesses.
Car si A est supposé choquer avec la vîtesse C + c le corps B qui n'ait que la vîtesse C ; il est évident que des vîtesses égales C, & C, il ne peut résulter aucun choc ; ainsi tout se passe de la même maniere que si le corps A choquoit le corps B en repos, avec la seule vîtesse c. Or dans ce cas A resteroit en repos après le choc, & donneroit à B la vîtesse entiere c. Donc après le choc B aura la vîtesse C + c, & A ne gardera que la vîtesse C ; & chacun de ces deux corps conservera la même direction.
18°. Si un corps en mouvement A choque un autre corps B aussi en mouvement ; le choc sera le même que si le corps A venoit choquer le corps B en repos, avec la différence des vîtesses.
Donc, puisque la force élastique est égale à la percussion ; il s'ensuit que cette force agit sur le corps A, B, avec la différence des vîtesses qu'ils avoient avant de se rencontrer.
19°. On propose de déterminer les vîtesses que doivent avoir après le choc deux corps élastiques quelconques qui se rencontrent & se frappent directement avec des vîtesses quelconques. Si un corps à ressort A choque un autre corps à ressort B, qui soit en repos, ou qui se meuve moins vîte que A, voici comment on trouvera la vîtesse de l'un des corps ; par exemple, de A après la percussion. On fera, comme la somme des deux masses est au double de l'un des deux corps qui, dans ce cas-ci est B ; ainsi la différence des vîtesses avant le choc est à une autre vîtesse, qui étant soustraite de la vîtesse du corps A avant le choc, & dans d'autres cas lui étant ajoutée, donnera la vîtesse qui lui reste après le choc.
Pour déterminer cette loi générale du choc des corps élastiques, on n'a besoin que du principe suivant ; si deux corps élastiques se viennent choquer directement avec des quantités de mouvement égales, c'est-à-dire avec des vîtesses en raison inverse de leurs masses, ils retourneront après le choc en arriere, chacun avec la vîtesse qu'il avoit avant le choc. En effet, si les corps dont il s'agit étoient parfaitement durs, nous avons vu qu'ils resteroient en repos, & qu'ils se feroient équilibre, parce que leurs mouvemens seroient détruits. Or l'effet du ressort parfait, tel qu'on le suppose ici, est de rendre à chaque corps en sens contraire le mouvement qu'il a perdu ; donc les deux corps réjailliront avec leurs vîtesses primitives.
Or nous avons vu que dans le choc des deux corps durs il y a toujours deux quantités de mouvement égales & contraires qui se détruisent, c'est pourquoi ces quantités de mouvement doivent être rendues à chacun des corps en sens contraire pour avoir leur quantité de mouvement après le choc, & par conséquent leurs vîtesses. Par exemple, dans le cas où les deux corps M, m, vont du même côté avant le choc avec les vîtesses A, a, nous avons vu que leur vîtesse commune V après le choc seroit. en les considérant comme des corps durs, d'où il s'ensuit que la quantité de mouvement que le corps A a perdu, c'est-à-dire, MA - MV, & qui a du être détruite dans le choc, est ; ajoutant cette quantité de mouvement en sens contraire à la quantité du mouvement MV, c'est-à-dire, l'en retranchant, on aura pour la quantité de mouvement du corps M après le choc, en le supposant à ressort ; & ajoutant cette même quantité de mouvement à m V, on aura pour la quantité de mouvement du corps m après le choc Par le moyen de ces deux formules on déterminera aisément la loi dont il s'agit & les suivantes.
20°. Si un corps à ressort A choque directement un autre corps en repos B, la vîtesse de A après le choc, sera à sa vîtesse avant le choc, comme la différence des masses est à leur somme, & la vîtesse de B après le choc sera à la vîtesse de A avant le choc comme le double de la masse de A est à la somme des masses.
Ainsi la vîtesse de A après le choc est à la vîtesse de B, comme la différence des masses est au double de la masse A.
21°. Si deux corps à ressort A & B, se choquent directement en sens contraire avec des vîtesses qui soient en raison inverse de leurs masses : ils réjailliront après le choc, chacun de son côté, avec la même vîtesse, & suivant la même direction qu'ils avoient avant le choc.
22°. Dans le choc direct des corps, la vîtesse respective demeure toujours la même avant & après le choc, c'est-à-dire que quand les corps vont tous deux du même côté, la différence des vîtesses est la même avant & après le choc, & que quand ils se choquent en sens contraire, la différence ou la somme des vîtesses après le choc est la même que leur somme avant le choc : savoir la différence si les corps se meuvent dans le même sens après le choc, & la somme s'ils s'éloignent l'un de l'autre après le choc suivant des directions contraires.
Ainsi les deux corps s'éloignent l'un de l'autre après le choc avec la même vîtesse avec laquelle il s'approchoient l'un de l'autre avant le choc.
23°. Dans le choc des corps à ressort, la quantité de mouvement n'est pas toujours la même avant & après le choc ; mais elle augmente quelquefois par le choc, & quelquefois elle diminue.
Ainsi Descartes & ses sectateurs se trompent, lorsqu'ils soutiennent que la même quantité de mouvement subsiste toujours dans l'univers.
24°. Si deux corps à ressort A & B se choquent, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses est toujours la même avant & après le choc.
C'est le célébre M. Huyghens qui a le premier découvert cette loi, & ceux qui soutiennent que les forces vives des corps, c'est-à-dire, les forces des corps en mouvement sont les produits des masses par les quarrés de leurs vîtesses, s'en servent pour prouver leur opinion ; car ces philosophes font voir que non-seulement dans le choc des corps, mais aussi dans toutes les questions de Dynamique, la somme des masses par les quarrés des vîtesses fait toujours une quantité constante. Or, comme il est naturel de penser, selon eux, que la force des corps en mouvement demeure toujours la même, de quelque maniere qu'ils agissent les uns sur les autres, ces auteurs en concluent que cette force est donc le produit de la masse par le quarré de la vîtesse & non par la vîtesse simple. Voyez FORCES VIVES.
25°. Pour déterminer le mouvement de deux corps A & B (fig. 42.) qui se choquent obliquement, soit que ces corps aient du ressort ou n'en aient point ; le mouvement du corps A suivant AC, peut se décomposer en deux autres, dans les directions AE & AD, & le mouvement du corps C suivant BC, peut aussi se décomposer en deux autres suivant BF & BG, & les vîtesses suivant AD & BF seront aux vîtesses suivant AC & BC, comme les lignes droites AD, BF, AC, & BC : comme les lignes droites AE & BG sont paralleles, les forces qui agissent suivant ces directions ne sont opposées en rien, & par conséquent, on ne doit point y avoir égard, pour déterminer le mouvement que les deux corps se communiquent par le choc ; mais comme les lignes AD & BF, ou ce qui revient au même, EC & GC, composent une même ligne perpendiculaire à DC, il s'ensuit que le choc est le même, que si les corps A & B se choquoient directement avec des vitesses qui fussent entr'elles comme EC & GC. Tout se réduit donc à trouver la vîtesse de A & B suivant les regles données ci-dessus. Supposons, par exemple, que la vîtesse du corps A, après le choc dans la perpendiculaire EC, soit représentée par CH ; comme le mouvement suivant AE n'est point changé par le choc, on fera CK = AE, & on achevera le parallelogramme HCKI ; la diagonale CI représentera le mouvement de A après le choc ; car après le choc, le corps se mouvra suivant la direction CI, & avec une vîtesse qui sera comme CI. On trouvera de la même maniere que le corps B se réfléchira suivant la diagonale du parallelogramme CM, dans lequel LM = BG, en supposant que la vîtesse BF se change après le choc en CL ; ainsi les vîtesses après le choc seront entr'elles comme CI à CM.
Centre de percussion est le point dans lequel le choc ou l'impulsion d'un corps qui en frappe un autre, est la plus grande qu'il est possible. Voyez CENTRE.
Le centre de percussion est le même que le centre d'oscillation, lorsque le corps choquant se meut autour d'un axe fixe. Voyez OSCILLATION.
Si toutes les parties du corps choquant se meuvent d'un mouvement parallele & avec la même vîtesse ; le centre de percussion est le même que le centre de gravité. Voyez GRAVITE & CENTRE.
Sur les lois de la percussion des corps irréguliers, élastiques ou non, voyez mon traité de Dynamique.
J'y ai déterminé, art. 169. de la seconde édition les lois de cette percussion par une méthode fort simple. Cette méthode suppose en général que le mouvement d'un corps après le choc est toujours composé d'un mouvement du centre de gravité en ligne droite, & d'un mouvement de rotation autour de ce centre, lequel mouvement est = o dans le cas de la percussion directe. On peut voir sur cela un plus grand détail dans l'article cité de mon traité de Dynamique. (O)
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PERDICITES | (Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à une pierre de la couleur des plumes d'une perdrix.
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PERDITION | S. f. (Critique sacrée) ce mot signifie dans l'Ecriture, perte, ruine ; perditio tua Israël, Osée, xcij. 9. " votre ruine ne vient que de vous Israël ". 2°. Le tombeau, le sépulchre. " Quelqu'un, dit le Psalmiste, Ps. lxxxvij. 12. Racontera-t-il votre vérité dans le tombeau " ? in perditione. (D.J.)
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PERDOTTE | S. m. (Idolâtrie) nom propre d'un faux dieu des anciens habitans de Prusse ; c'étoit leur Neptune, ou leur dieu de la mer ; d'où vient qu'il étoit honoré singulierement par les matelots & les pêcheurs. Ils lui offroient des poissons en sacrifice ; ensuite leurs prêtres tiroient les auspices, examinant les vents, & leur prédisoient le jour & le lieu où ils pourroient faire une heureuse pêche. Hartsnoch, Dissert. X. de cultu deorum prussiorum, a forgé tous ces contes, semblables à ceux qu'il a imaginés sur le dieu Perennus. Voyez PERENNUS. (D.J.)
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PERDRE | v. act. (Gram.) c'est le corrélatif de conserver ; il marque la privation d'une chose précieuse qu'on possédoit : perdre la vie, la santé, l'innocence ; perdre le sang, perdre une bataille ; perdre son pere, sa mere, & ses amis ; perdre sur une marchandise ; perdre son tems. Il a quelques autres acceptions, comme dans ces phrases, il est perdu d'amour ; c'est un homme que je perdrai ; je le perds de vue ; il s'est perdu dans ces forêts ; j'ai perdu la confiance que j'avois en lui ; je perds le fil de son discours ; les idées se perdent, &c.
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PERDREAUX | S. m. pl. (Artillerie milit.) les perdreaux sont plusieurs grenades qui partent ensemble d'un même mortier avec une bombe, comme une compagnie de perdreaux, dont la bombe représente la mere perdrix. Le mortier qui jette la bombe, est un mortier ordinaire, mais dont le bord dans son contour & dans son épaisseur, contient treize autres petits mortiers, dans chacun desquels est une grenade. On met le feu à la lumiere du gros mortier, qui a communication avec celle des petits. La bombe & les grenades partent dans le même moment ; c'est un italien nommé Petri, qui fit fondre d'abord ces sortes de mortiers. (D.J.)
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PERDRIX | PERDRIX GRISE, PERDRIS, PERDRIS GRINGETTE, PERDRIX GOACHE, ou GOUACHE, PERDRIX GRIECHE, perdix cinerea, Aldrovandi, Will. oiseau qui a environ un pié & un demi-pouce de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & plus d'un pié six pouces d'envergeure : le front, les côtés de la tête, & la gorge, sont d'un roux clair ; le dessus de la tête est d'un brun roussâtre mêlé de petites lignes longitudinales jaunâtres. Il y a au-dessous des yeux de petites excroissances de chair rouge ; la face supérieure du cou a des bandes transversales de cendré, de noir, & d'un peu de roux ; les plumes du dos, du croupion, & celles du dessus de la queue, ont les mêmes couleurs, & il y a au bout de chaque plume une bande étroite & transversale de couleur rousse ; la partie inférieure du cou & la poitrine ; sont d'un cendré bleuâtre mêlé de petites taches rousses & de bandes noires transversales ; il y a au bas de la poitrine une large bande en forme de fer à cheval de couleur de marron ; les plumes des côtés du corps sont de même couleur que celles de la poitrine ; elles ont chacune près de l'extrémité une large bande transversale rousse ; le bas-ventre est d'un blanc sale & jaunâtre ; les plumes des jambes, & celles du dessous de la queue, sont roussâtres & traversées de taches noirâtres : le milieu de chaque plume a une tache blanche longitudinale, en suivant la direction du tuyau ; les petites plumes des aîles & les grandes des épaules, ont les mêmes couleurs que celles du dos, & de plus de grandes taches rousses ; chaque plume a aussi une ligne d'un blanc roussâtre qui s'étend selon la longueur des tuyaux ; les grandes plumes des aîles sont brunes & rayées transversalement de blanc roussâtre ; la queue est composée de vingt plumes ; les six du milieu ont les mêmes couleurs que le dos ; les sept autres de chaque côté sont rousses, à l'exception de la pointe qui est cendrée ; le bec, les piés, & les ongles, ont une couleur cendrée bleuâtre ; le mâle a un ergot obtus à la partie postérieure du pié.
Les couleurs des perdrix grises varient ; on en trouve qui sont presqu'entierement blanches, & qui ont de petites lignes brunes transversales en forme de zig-zag. Cet oiseau multiplie beaucoup ; la femelle pond seize ou dix-huit oeufs ; les petits qui en sortent vivent tous en société avec le pere & la mere pendant tout l'hiver, jusqu'à ce que chaque mâle cherche à s'appareiller avec une femelle. Ornith. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PERDRIX de la nouvelle Angleterre, perdix novae Angliae, Klein. avi. Elle est plus petite que la perdrix grise ; elle a la tête, le cou, le dos, le croupion, les petites plumes des aîles, & celles des dessus de la queue d'un brun tirant sur le roux mêlé de noir ; il y a quelques petites taches blanches sur la partie supérieure du cou ; la gorge est blanche ; la poitrine, le ventre, & les côtés du corps, sont jaunâtres & traversés par des bandes noires ; il y a de chaque côté de la tête une bande longitudinale, qui commence à l'origine du bec, qui passe sur les yeux, & qui s'étend jusque derriere la tête ; les jambes & les plumes du dessous de la queue ont une couleur jaunâtre, marquée de taches de couleur de marron ; les grandes plumes des aîles & celles de la queue, sont brunes : on trouve cet oiseau à la nouvelle Angleterre & à la Jamaïque. Ornith. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PERDRIX BLANCHE, ARBENNE, lagopus avis, Aldrovandi, Will. oiseau que M. Brisson a mis dans le genre des gélinotes, & qu'il a décrit sous le nom de gélinotte blanche. Il est un peu plus gros que la perdrix rouge ; il a environ un pié deux pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; il change de couleur au printems, comme la plûpart des autres animaux blancs ; & il est presqu'entierement blanc pendant l'hiver ; il a sur les côtés de la tête une petite tache noire entre les yeux & le bec ; le tuyau de la seconde des grandes plumes de l'aîle & des quatre qui suivent, est noirâtre ; les quatre plumes du milieu de la queue sont blanches ; toutes les autres ont une couleur noirâtre, à l'exception de la pointe qui est blanche ; les piés, & même les doigts, sont couverts jusqu'à l'origine des ongles, de plumes blanches ; il y a au-dessus des yeux une petite bande de mamelons charnus, d'un très-beau rouge ; le bec est noir, & les ongles sont bruns. Pendant l'été cet oiseau est en partie brun, & en partie blanc ; il a aussi quelquefois un peu de couleur de marron rayée transversalement de noir. On le trouve dans les pays du Nord, & même en France & en Italie sur les hautes montagnes. Ornith. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PERDRIX DU BRESIL, perdix brasiliana jambu dicta Pisoni, Will. Cette perdrix a la grosseur de nos perdrix ; elle est en entier d'une couleur jaunâtre obscure, mêlée de brun ; elle se perche sur les arbres ; ses oeufs sont d'un très-beau bleu : c'est un oiseau du Brésil. Ornith. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PERDRIX DE LA CHINE, perdix sinensis ; cette espece de perdrix est un peu plus grosse que notre perdrix rouge ; elle a environ un pié six lignes de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & un pié quatre pouces jusqu'au bout des ongles. Il y a de chaque côté de la tête quatre bandes longitudinales, qui commencent toutes à l'origine du bec, & qui s'étendent jusqu'au derriere de la tête ; la premiere, c'est-à-dire, celle qui se trouve au-dessus des autres, passe sur les yeux ; elle est la plus large & noirâtre. La seconde est blanche ; la troisieme noirâtre, & la derniere a une couleur roussâtre. Le sommet de la tête est d'un brun mêlé de petites taches blanchâtres, & la gorge a une couleur blanche ; les plumes du dos, du croupion, & celles du dessus de la queue, sont rayées transversalement de brun & de roussâtre ; les plumes des aîles sont brunes, & ont aussi des bandes transversales blanchâtres, qui forment sur chaque côté de la plume un petit arc de cercle ; la queue est roussâtre & a des bandes transversales noires ; le bec est noirâtre ; les piés sont roux ; le mâle a un ergot long de deux lignes & demie à chaque pié : on trouve cet oiseau à la Chine. Ornith. de M. Brisson. Voyez OISEAU.
PERDRIX DE DAMAS, PERDRIX DE SYRIE, perdix damascena Bellonii, Will. On a mis cet oiseau dans le genre des gelinottes, & M. Brisson l'a décrit sous le nom de gelinotte des Pyrenées : il est à-peu-près de la grosseur de la perdrix grise ; il a dix pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des ongles ; le dessus de la tête, la face supérieure du cou & le dos, ont différentes couleurs mêlées ensemble, telles que le noir, le roux, le jaunâtre, & le verdâtre ; le croupion est rayé transversalement de noir & de roux ; les petites plumes des aîles sont d'un brun tirant sur le marron ; les grandes ont une couleur verdâtre, mêlée de jaunâtre, à l'exception de la pointe qui est noire ; les joues sont fauves ; il y a derriere les yeux une petite ligne noire ; le tour des yeux & la gorge ont cette même couleur ; le dessus de la face inférieure du cou est olivâtre : le dessous est roux, terminé par une bande noire, & séparée de la couleur olivâtre par une seconde bande de la même couleur ; ces bandes entourent le cou comme un double collier ; les plumes de la poitrine, du ventre, des côtés du corps, & celles de la face inférieure des aîles, sont blanches ; la couleur des grandes plumes des aîles est cendrée ; elles ont l'extrémité brune & le tuyau noir ; il y a seize plumes dans la queue ; les deux du milieu ont presque le double de la longueur des autres ; toutes ces plumes sont de couleur cendrée, mêlée confusément d'olivâtre : on trouve cet oiseau en Syrie & sur les Pyrénées.
On a donné le nom de perdrix de Damas, à une variété de la perdrix grise, connue dans différentes provinces de France, sous le nom de perdrix grise de la petite espece. Elle ne differe de la vraie perdrix grise, qu'en ce qu'elle est plus petite, & qu'elle a le bec plus allongé. Ornith. de M. Brisson. Voyez OISEAU.
PERDRIX FRANCHE, voyez PERDRIX ROUGE.
PERDRIX DE GRECE, voyez BARTAVELLE.
PERDRIX DE LA GUIANE, GROSSE PERDRIX DE BRESIL, gallina silvestris macucagna Brasiliensibus dicta Marg. Wil. Cette espece de perdrix est plus grosse qu'une poule ; elle a le bec noir, & long de plus d'un pouce & demi ; la tête & le cou sont variés de petits points noirs & d'un jaune obscur ; la gorge est blanche ; le dos, la poitrine, le ventre & les jambes ont une couleur cendrée obscure ; les petites plumes des aîles sont brunes, & ont des lignes noires en zig-zag ; les grandes plumes sont entierement noires : cet oiseau n'a point de queue. Ses oeufs sont un peu plus gros que ceux des poules, & d'un bleu verdâtre. On le trouve dans la Guiane & au Brésil. Ornith. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.
PERDRIX DE MONTAGNE, voyez OCOCOLIN.
PERDRIX DE MONTAGNE du Mexique, voyez OCOCOLIN DU MEXIQUE.
PERDRIX ROUGE, PERDRIX AUX PIES ROUGES, PERDRIX FRANCHE, PERDRIX GAILLE, GAYE ou GAULE, PERNISSE, perdix rufa, Wil. La perdrix rouge est un peu plus grosse que la perdrix grise. Elle a près d'un pié un pouce de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & un pié six pouces d'envergeure. Le devant de la tête est d'un gris brun, & le derriere d'un gris tirant sur le roux ; la gorge a une couleur blanche qui est entourée d'une bande noire : cette bande commence aux narines, passe sous les yeux, & va se terminer sous la gorge, où elle forme une sorte de collier ; il y a aussi de chaque côté de la tête une bande longitudinale blanche. Les plumes de la face intérieure & des côtés du cou sont cendrées, & ont chacune deux taches noires à leur extrémité une de chaque côté du tuyau ; la face supérieure est d'un brun roux ; les plumes qui sont près du derriere de la tête ont chacune à leur extrémité deux taches noires & oblongues ; les plumes du dos, du croupion, du dessus de la queue, & celles des aîles sont d'un gris-brun ; la poitrine est cendrée ; les plumes du ventre, des jambes & celles du dessous de la queue ont une couleur rousse ; celles des côtés du corps sont cendrées à leur origine, elles ont ensuite une raie transversale blanche, suivie d'une autre raie noire ; enfin leur extrémité est rousse. Il y a seize plumes dans la queue ; les quatre du milieu sont d'un gris brun ; celle qui les suit de chaque côté a les barbes extérieures rousses, & les intérieures d'un gris brun ; toutes les autres sont entierement rousses. L'iris des yeux, le bec & les piés ont une belle couleur rouge.
Les couleurs de la perdrix rouge varient. On trouve de ces oiseaux presqu'entierement blancs ou blanchâtres, à l'exception de la tête qui est d'un brun-roux. Le bec & les piés restent toujours rouges. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PERDRIX ROUGE DE BARBARIE, perdix Barbara Klein, cet oiseau est un peu plus petit que la perdrix grise. Il a environ un pié de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des ongles, & un pié sept pouces d'envergeure. Le dessus de la tête est couleur de marron ; cette couleur devient plus obscure derriere la tête, & elle forme sur le cou une sorte de collier parsemé de taches blanches & rondes ; les côtés de la tête & la gorge sont d'un cendré clair & bleuâtre, & il y a près de l'endroit des oreilles une tache qui tire sur le brun. La partie supérieure du cou & le dos ont une couleur brune obscure tirant sur le cendré ; le croupion est cendré. Les grandes plumes des épaules & celles du dessus des aîles sont d'un beau bleu, à l'exception des bords qui ont une couleur de marron. La partie inférieure du cou, au dessous du collier, est d'un cendré clair ; le ventre, les plumes du dessous de la queue & celles de la face inférieure des aîles sont d'un brun clair ; la poitrine est de couleur de rose pâle ; les plumes des côtés du corps sont cendrées près de la racine ; elles ont ensuite une bande blanche transversale dans leur milieu, & leur extrémité est de couleur orangée. Les grandes plumes des aîles sont d'un brun obscur tirant sur le cendré ; les moyennes ont la même couleur, mais plus claire. Le bec, le tour des yeux & les piés sont d'un très-beau rouge. Le mâle a sur la partie postérieure du pié un petit ergot obtus. On trouve cet oiseau en Barbarie. Ornith. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PERDRIX ROUSSE DES ANTILLES, voyez PIGEON VIOLET DE LA MARTINIQUE.
PERDRIX DU SENEGAL, perdix Senegalensis, oiseau du genre des perdrix, il est un peu plus grand que notre perdrix rouge. Il a environ un pié deux pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; tout le corps est varié de roux, de brun & de blanc sale ; le dessus de la tête est roux & n'a point de taches ; les côtés sont d'un blanc sale, & ont de petites taches longues & brunes ; la gorge est aussi d'un blanc sale, mais elle n'a point de taches. Il y a sur les côtés de la tête trois petites bandes qui prennent leur origine à la racine du bec ; la bande du milieu est blanche, & les deux autres sont noires ; la supérieure s'étend jusques sur le derrière de la tête, & les deux autres seulement derriere les yeux ; le cou est roux & marqué de taches brunes & de blanc sale. Il y a à chaque pié deux ergots. On trouve cet oiseau au Sénégal. Ornith. de M. Brisson. Voyez OISEAU.
PERDRIX, (Chasse) on donne, comme on voit, le nom de perdrix à plusieurs oiseaux de différens pays, tels que la perdrix de Grece, celle de Damas, celle de la Guadeloupe, &c. mais ce nom est particulierement attribué aux especes que nous appellons en Europe perdrix grise, perdrix rouge, & perdrix blanche : cette derniere espece ne se trouve communément qu'en Savoye & dans les Alpes. Voyez ARBENNE.
La perdrix grise & la rouge qui sont communes en France, ont dans les moeurs aussi-bien que dans la forme & le plumage, des différences qui en font des especes très-séparées : aussi ne se mêlent-elles point ensemble, même dans les lieux où l'abondance des unes & des autres les met souvent en présence dans le tems de l'effervescence commune. Cependant lorsque le nombre des mâles perdrix rouges excede celui des femelles, on voit quelques-uns de ces mâles s'attacher à une paire de perdrix grises, la suivre constamment, & donner des marques d'empressement & d'amour. Mais on n'a jamais vu aucune perdrix rouge en venir avec une grise jusqu'à l'accouplement. Cet amour étranger n'a d'effets que la jalousie. Il trouble seulement le ménage ; & ces soins assidus ne produisent qu'une importunité sans fruit. La maniere dont les deux especes se nourrissent est à-peu-près la même. Elles vivent de grain, de semences, d'oeufs de fourmis, de petites araignées & d'autres insectes qui se trouvent dans les campagnes & dans les bois.
Les perdrix grises s'apparient dès la fin de Février, ou au commencement de Mars, lorsque les grandes gelées sont passées. Il y a pendant les premiers jours beaucoup de combats entre les mâles, & même entre les femelles, jusqu'à ce que le choix mutuel soit fait d'une maniere fixe, & que la pariade soit décidée. Le tems doux avance ce moment ; & à mesure que la chaleur augmente, la fermentation de l'amour devient plus forte dans ces oiseaux. Les mâles sont plus empressés, & les femelles plus dociles. Ils s'accouplent vers le commencement d'Avril, & les femelles pondent à la fin de ce mois, ou au commencement de Mai. Le nombre des oeufs varie ordinairement selon l'âge de la perdrix. A deux & trois ans la ponte est souvent de dix-huit oeufs. Elle diminue ensuite, & cesse presqu'entierement à six ans. Alors la perdrix est déja vieille, & il ne lui reste plus guere qu'une année à vivre. Elle dépose ses oeufs dans un nid fait presque sans apprêt. Ce n'est qu'une fente au fond de laquelle sont arrangés quelques brins de paille ou d'herbe seche, & quelques feuilles. Les jeunes perdrix ne choisissent pas même avec beaucoup de soin le lieu où elles placent ce nid. Mais celles que l'âge & l'expérience ont instruites y apportent beaucoup d'attention. Elles choisissent un endroit élevé, à l'abri de l'inondation, & environné de brossailles qui le dérobent à la vue & en défendent l'entrée. De plus lorsqu'elles quittent leurs oeufs, pour aller manger, elles ont soin de les couvrir avec des feuilles. Voyez INSTINCT.
Le tems de l'incubation est de vingt-deux jours. Pendant ce tems le mâle reste aux environs du nid, & accompagne sa femelle lorsqu'elle releve pour chercher à vivre. Les petits étant éclos, le pere & la mere prennent soin en commun de les conduire. Ils les promenent dans les prés, aux bords des bois, découvrent pour eux les fourmilieres, les appellent presque continuellement, & leur indiquent les insectes & les graines qui sont propres à leur nourriture. La perdrix grise donne à ses petits des soins plus empressés & plus actifs qu'aucune autre espece. Leur tendresse va jusqu'à une jalousie cruelle à l'égard des perdreaux qui ne sont pas de leur compagnie. Dans les pays fort peuplés de gibier, on voit communément les vieilles perdrix poursuivre avec fureur les petits les unes des autres, & les assommer à coups de bec. Lorsque quelque péril vient à menacer la famille, le pere & la mere, pour l'en détourner, s'y présentent eux-mêmes avec un courage qui étonne dans des animaux aussi foibles. Si c'est un chasseur, ou un chien qui les menace, ils se montrent d'abord, fuient ensuite en traînant l'aîle, laissent aux poursuivans l'espérance de les joindre ; & quand ils les ont suffisamment éloignés, ils revolent à leurs petits.
Les perdrix grises vivent réunies en familles, qu'on nomme compagnies, jusqu'au tems où l'amour les sépare & les apparie. Celles même qui n'ont point pondu, ou dont les oeufs ont été détruits par quelque accident se remettent en compagnies dans les mois de Juillet, & y restent jusqu'au tems de la pariade.
Les perdrix rouges différent en cela des grises, quant aux moeurs. Elles ne sont pas, à beaucoup près aussi étroitement liées par compagnies. Les petits même qui ont été élevés ensemble, & qui sont de la même famille, se tiennent toujours à quelque distance l'un de l'autre ; ils ne partent pas ensemble, & ne vont pas tous du même côté. Les perdrix grises, lorsqu'elles ont été forcées de se séparer, se rappellent aussi-tôt avec beaucoup de vivacité & d'inquiétude. Cela n'arrive guere parmi les perdrix rouges qu'entre le mâle & la femelle dans le tems de l'amour. Les perdrix rouges s'apparient ainsi que les grises ; mais aussi-tôt que la femelle couve, le mâle la quitte, & la laisse seule chargée du soin de ses petits. La perdrix grise s'apprivoise aisément ; elle se familiarise avec les passans le long des chemins ; & en lui donnant à manger pendant l'hiver, on l'engage aisément à pénétrer jusque dans les maisons. La perdrix rouge conserve toujours un caractere plus farouche, & l'éducation domestique en est plus difficile. Voyez FAISANDERIE.
Les perdrix grises habitent volontiers les plaines fertiles ; elles se plaisent sur-tout dans celles qui sont fécondées par des engrais chauds, tels que la marne, &c. Elles ne sont tranquilles, qu'autant qu'elles ont des remises à portée d'elles ; mais en général elles ne se jettent dans le bois que pour éviter la poursuite des oiseaux ou des chasseurs, & elles en sortent dès que le péril est passé. Les perdrix rouges cherchent naturellement les montagnes fourrées de bruyeres & de jeunes bois. Si elles relevent dans les plaines, c'est pour aller vivre, & les bois sont leur habitation propre. Voyez GIBIER.
Tout le monde sait quelle ressource on tire des perdrix, soit pour l'agrément de la table, soit pour le plaisir de la chasse. C'est pour réunir ces deux objets, qu'on prend tant de soins pour la conservation de ces oiseaux. La maniere de les chasser la plus ordinaire, est avec des chiens couchans qui les arrêtent, & indiquent au chasseur le lieu où elles sont. Le chasseur doit alors les tourner, chercher à les appercevoir, & les tuer devant son chien, soit à terre si elles tiennent, soit au vol si elles viennent à partir. Les heures les plus convenables pour cette chasse sont dans l'automne, depuis dix heures jusqu'à midi, & depuis deux heures jusqu'à quatre. Le matin, à midi & le soir, les perdrix relevent pour manger, & alors elles sont presque toujours en mouvement. On prend les perdrix pendant la nuit avec des filets, appellés les uns traineaux, les autres pantieres. Mais ces sortes de chasses qui n'appartiennent qu'aux braconniers, ne méritent pas qu'on en donne des leçons. Il est une autre maniere de les prendre pendant le jour, qui peut être utile, & qui tend à la conservation sans rien prendre sur l'usage. On a un filet rond monté sur des cerceaux qui lui donnent la figure d'un cône fort allongé ; on l'appelle tonnelle. On tend ce filet dans un chaume, & on l'assujettit de maniere que les mailles d'en-bas touchent exactement la terre, & que les piés des perdrix ne puissent pas s'y embarrasser. On place ensuite en-avant de la tonnelle deux filets conducteurs, qu'on nomme aillers, qui partent de l'embouchure de la tonnelle, & dont l'intervalle va en s'élargissant. Lorsque cet attirail est préparé, le chasseur porte devant lui une toile jaune tendue sur un chassis, & qu'on appelle vache, parce qu'elle en a la couleur. Cette vache a un trou placé à la hauteur de l'oeil, au moyen duquel le chasseur voit ce qui se passe devant lui. Toujours caché derriere cette toile, il va chercher une compagnie de perdrix qui marchant devant cet objet sans en être assez effrayée pour prendre son vol, est conduite pas-à-pas, d'abord entre les aillers, & de-là dans la tonnelle même. Alors le chasseur jette sa vache, court à son filet, & saisit les perdrix dont il laisse aller les femelles, & tue les coqs. Par ce moyen il ôte la surabondance des mâles, sans courre le risque, comme avec le fusil, d'en blesser inutilement, ou de se méprendre. Il naît ordinairement dans l'espece des perdrix un tiers de coqs plus que de femelles. Il est important pour la reproduction d'ôter cet excédent afin que les paires ne soient point troublées au tems de la ponte. On garde aussi pour cela dans des cages quelques poules privées. On les porte le soir dans les endroits où on a remarqué trop de coqs. Elles appellent, & leur chant attire les mâles qu'on tue alors à coups de fusil. On nomme chanterelles, les perdrix destinées à cet usage.
PERDRIX, (Diete) cet oiseau est dès-long-tems fameux parmi les alimens les plus exquis & les plus salutaires ; supériorité réelle qu'a la chair de la perdrix, à ces deux titres, sur les autres chairs que mangent les hommes, c'est d'être véritablement succulente sans être grasse. Elle peut convenir par cette qualité singuliere à tous les sujets, soit vigoureux, soit délicats, tant à ceux qui sont en pleine santé, qu'à ceux qui sont en convalescence.
Je ne sais ce qu'il faut croire d'une opinion qui est répandue parmi le peuple, savoir que le glouton le plus décidé ne sauroit manger une perdrix tous les jours pendant un mois entier.
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PERDU | voyez l'article PERDRE. On dit en Peinture que les contours des objets représentés dans un tableau sont perdus, lorsqu'ils ne se détachent pas de leur fond.
PERDU, BOIS, (Comm. de bois) faire flotter du bois à bois perdu, veut dire le jetter dans de petites rivieres qui ne peuvent porter ni train, ni bateau, pour le rassembler à leurs embouchures dans de plus grandes, & en former des trains, ou en charger des bateaux.
Lorsqu'il y a plusieurs marchands qui jettent leurs bois à bois perdu dans le même tems & dans le même ruisseau, ils ont coutume de marquer chacun le leur à la tête de chaque buche, avec un marteau de fer gravé des premieres lettres de leur nom, ou de quelqu'autre figure à leur volonté, afin de les démêler quand on les tire à bord. Ils ont aussi à communs frais, des personnes qui parcourent les rives de ces petites rivieres des deux côtés, & qui avec de longues perches armées d'un croc de fer, remettent à flot les bois qui donnent à la rive & qui s'y arrêtent. (D.J.)
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PERDUELLIO | (Hist. Rom.) nos auteurs traduisent toujours ce mot par rébellion, crime de rébellion ; mais ce n'est point cela, perduellio étoit un crime qu'on poursuivoit devant le peuple dans ses assemblées par centuries. On appelloit perduellis, celui qui étoit coupable de quelque attentât contre la république ; les anciens donnoient le nom de perduelles aux ennemis, comme on le voit dans Plaute, Amphit. act. I. sc. j. v. 94. On réputoit coupable de perduellion celui qui avoit violé les lois qui favorisoient le droit des citoyens & la liberté du peuple : tel étoit, par exemple, celui qui avoit donné atteinte à la loi Porcia, établie l'an de Rome 556 par P. Porcius Loeca tribun du peuple, ou à la loi Sempronia ; on en trouve un exemple concernant la loi Porcia dans Valere Maxime, exemple 3. La premiere de ces lois, défendoit de battre ou de tuer un citoyen romain ; la seconde, défendoit de décider de la vie d'un citoyen romain sans l'ordre du peuple, à qui appartenoit le droit légitime de se réserver cette connoissance ; aussi étoit-ce un crime de lèze-majesté, ou de perduellion des plus atroces, que d'y donner atteinte. Voyez ce qu'en dit Ciceron, Verr. liv. I. ch. v. Tite-Live, l. XXVI. c. iij. (D.J.)
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PERE | S. m. (Droit naturel) Relation la plus étroite qu'il y ait dans la nature. " Tu es pere, dit le Bramine inspiré, ton enfant est un dépôt que le ciel t'a confié ; c'est à toi d'en prendre soin. De sa bonne ou de sa mauvaise éducation dépendra le bonheur ou le malheur de tes jours ; fardeau honteux de la société, si le vice l'emporte, il sera ton opprobre ; utile à sa patrie, s'il est vertueux, il fera l'honneur de tes vieux jours. "
On ne connoit jamais bien la joie des peres ni leurs chagrins, dit Bacon,parce qu'ils ne peuvent exprimer leur plaisir, & qu'ils n'osent parler de leurs peines. L'amour paternel leur rend les soins & les fatigues plus supportables ; mais il rend aussi les malheurs & les pertes doublement ameres ; toutefois si cet état augmente les inquiétudes de la vie, il est mêlé de plaisirs indicibles, & a l'avantage d'adoucir les horreurs & l'image de la mort.
Une femme, des enfans, autant d'ôtages qu'un homme donne à la fortune. Un pere de famille ne peut être méchant, ni vertueux impunément. Celui qui vit dans le célibat, devient aisément indifférent sur l'avenir qui ne doit point l'intéresser ; mais un pere qui doit se survivre dans sa race, tient à cet avenir par des liens éternels. Aussi remarque-t-on en particulier, que les peres qui ont fait la fortune ou l'élévation de leur famille, aiment plus tendrement leurs enfans ; sans doute, parce qu'ils les envisagent sous deux rapports également intéressans, & comme leurs héritiers, & comme leurs créatures ; il est beau de se lier ainsi par ses propres bienfaits.
Mais que l'avarice & la dureté des peres est condamnable & mal entendue, puisqu'elle ne tourne qu'à leur préjudice ! leurs enfans en contractent une bassesse de sentimens, un esprit de fourberie & de mauvaise conduite, qui les deshonore, & qui fait mépriser une famille entiere ; c'est d'ailleurs une grande sottise d'être avare, pour faire tôt ou tard des prodigues.
C'est une autre coutume fort mauvaise, quoiqu' ordinaire chez les peres, de mettre dès le bas âge entre ses enfans des distinctions & des prééminences, qui produisent ensuite des discordes, lorsqu'ils sont dans un âge plus avancé, & causent des divisions dans les familles.
Il est honteux de sacrifier des enfans à son ambition par des destinations forcées ; il faut seulement tâcher de tourner de bonne heure leurs inclinations vers le genre de vie dont on a fait choix pour eux, quand ils n'étoient pas encore dans l'âge de se décider ; mais dès qu'un enfant a une répugnance ou un penchant bien marqué pour une autre vocation que celle qu'on lui destinoit ; c'est la voix du destin, il y faut céder.
On remarque presque toujours dans une nombreuse famille, qu'on fait grand cas d'un des aînés, qu'il y en a un autre parmi les plus jeunes qui fait les délices du pere & de la mere, & ceux qui sont entre deux se voyent presque oubliés ; c'est une injustice ; le droit d'aînesse en est une autre. Enfin, les cadets réussissent très-rarement, ou pour mieux dire, ne réussissent jamais, lorsque par une prédilection injuste, l'on a pour l'amour d'eux deshérité les aînés.
L'obligation naturelle qu'a le pere de nourrir ses enfans, a fait établir le mariage, qui déclare celui qui doit remplir cette obligation ; mais comme les enfans n'acquierent de la raison que par degrés, il ne suffit pas aux peres de les nourrir, il faut encore qu'ils les élevent & qu'ils les conduisent ; déja ils pourroient vivre, & ils ne peuvent pas se gouverner. Enfin, quoique la loi naturelle ordonne aux peres de nourrir & d'élever leurs enfans, elle ne les oblige pas de les faire héritiers. Le partage des biens, les lois sur ce partage, les successions après la mort de celui qui a eu ce partage, tout cela ne peut être reglé que par la société, & par conséquent par des lois politiques ou civiles. Il est vrai que l'ordre politique ou civil, demande ordinairement que les enfans succedent aux peres ; mais il ne l'exige pas toujours. Voyez M. de Montesquieu.
Quant à l'origine & à l'étendue du pouvoir paternel, voyez POUVOIR PATERNEL ; c'est une matiere délicate à traiter. (D.J.)
PERE naturel est celui qui a eu un enfant d'une personne avec laquelle il n'étoit point marié, dans ce cas le pere est toujours incertain, au lieu que la mere est certaine.
PERE légitime est celui qui a eu un enfant d'un mariage légitime, pater est quem nuptiae demonstrant.
PERE putatif est celui qui est réputé le pere d'un enfant, quoiqu'il ne le soit pas en effet.
PERE adoptif est celui qui a adopté quelqu'un pour son enfant. Voyez ADOPTION.
Les peres & meres doivent des alimens à leurs enfans, soit naturels ou légitimes, du-moins jusqu'à ce qu'ils soient en état de gagner leur vie.
Les enfans doivent aussi des alimens à leurs pere & mere, au cas que ceux-ci tombent dans l'indigence.
Chez les Romains, le pouvoir des peres sur leurs enfans étoit extrèmement étendu ; ils devoient tuer ceux qui leur naissoient avec des difformités considérables ; ils avoient aussi droit de vie & de mort sur ceux même qui étoient bien constitués, & pouvoient les vendre ; ils pouvoient aussi les exposer & leur faire souffrir toutes sortes de supplices.
Les Gaulois & plusieurs autres nations pratiquoient la même chose ; mais ce pouvoir trop rigoureux fut restraint par Justinien, & présentement les peres n'ont plus sur leurs enfans qu'un droit de correction modérée.
Quant aux autres droits attachés à la qualité de pere, voyez GARDE, ÉMANCIPATION, & MARIAGE, PUISSANCE PATERNELLE, SECONDES NOCES.
Les enfans doivent porter honneur & respect à leurs peres & meres ; c'est la loi divine qui le leur commande.
Les peres sont obligés de doter leurs enfans, & singulierement leurs filles ; mais cette obligation naturelle ne produit point d'action civile.
Le pere & le fils sont censés une même personne, soit par rapport à leur suffrage ou témoignage, soit en matiere de donations.
La succession des meubles & acquêts des enfans décédés sans enfans, appartient aux peres & meres, comme plus proches parens. Voyez ACQUETS, PROGRES, SUCCESSION, RETOUR.
En matiere criminelle, le pere est responsable civilement du délit de son fils mineur.
Voyez aux institut. les titres de patria potestate, de nuptiis. (A)
PERE, (Critiq. sacrée) ce terme, outre la signification de pere immédiat, en a quelques autres dans l'Ecriture qui y ont un rapport indirect. Dieu est nommé pere de tous les hommes, comme créateur & conservateur de toutes les créatures. Pere marque quelquefois l'ayeul, le bisayeul, l'auteur même d'une famille, quelqu'éloigné qu'il en soit ; ainsi Abraham est dit le pere de plusieurs nations. Pere marque encore les rois, les magistrats, les supérieurs, les maîtres ; il dénote aussi les personnes âgées, scribo vobis, patres, I. Joan. ij. 13. il marque enfin l'auteur ou l'inventeur de quelque chose. Satan est pere du mensonge, Joan. viij. 44. Jubal fuit pater canentium citharâ, Gen. iv. 21. Jubal fut le premier qui instruisit les hommes à jouer de la cithare, ou qui inventa cet instrument de musique. (D.J.)
PERES CONSCRIPTS, (Hist. rom.) en latin patres conscripti, nom qu'on donnoit aux sénateurs de Rome, par rapport à leur âge, ou à cause des soins qu'ils prenoient de leurs concitoyens. " Ceux qui composoient anciennement le conseil de la république, dit Salluste, avoient le corps affoibli par les années ; mais leur esprit étoit fortifié par la sagesse & par l'expérience. "
Il n'en étoit pas de même au tems de cet historien ; d'abord sous les rois, le nom de peres conscripts n'appartenoit qu'à deux cent sénateurs qui s'accrurent tellement dans la suite, que l'on en comptoit jusqu'à neuf cent sous Jules-César, au rapport de Dion.
PERE DE L'ÉGLISE, (Hist. ecclésiast.) on nomme peres de l'Eglise les écrivains ecclésiastiques grecs & latins, qui ont fleuri dans les six premiers siecles du Christianisme.
On en compte vingt-trois, savoir S. Ambroise, S. Athanase, Athénagore, S. Augustin, S. Basile, S. Chrisostôme, Clément d'Alexandrie, S. Cyprien, S. Cyrille d'Alexandrie, S. Cyrille de Jérusalem, S. Gregoire de Naziance, S. Gregoire de Nysse, S. Gregoire le grand, S. Hilaire, S. Jérôme, S. Irénée, S. Justin, Lactance, S. Léon, Minutius Felix, Origene, Tertullien & Théodoret. On leur joint S. Bernard qui a fleuri dans le xij. siecle. Mais nous parlerons de chacun suivant l'ordre des tems.
Ces hommes célebres à tant d'égards méritent bien que nous discourions d'eux dans ce dictionnaire avec beaucoup de recherche, à cause de leur foi, de leur piété, de leur gloire, de leurs vertus, de leur zele pour les progrès de la religion, & de leurs ouvrages dont nous pouvons tirer de grandes lumieres ; cependant, comme en matiere de morale, de dogmes & sur quelque sujet que ce soit, il n'y a point d'hommes, ni de société d'hommes infaillibles ici-bas ; comme on ne doit aucune déférence aveugle à quelque autre autorité humaine que ce soit, en fait de sciences & de religion, il doit être permis d'apporter dans l'examen des écrits des peres la même méthode de critique & de discussion qu'on employe dans tout autre auteur humain. Le respect même qui n'est dû qu'à l'autorité divine suppose toujours le discernement de la droite raison, afin de ne point prendre pour elle ce qui n'en a que l'apparence, & d'éviter de rendre à l'erreur un hommage qui n'est dû qu'à la vérité éternelle.
Justin martyr (Saint) étoit de Naplouse en Palestine. Il fit honneur au Christianisme par sa science & par la pureté de ses moeurs, & confirma sa doctrine par sa constance dans la foi dont il fut martyr l'an 167. Il nous reste de lui deux apologies pour les Chrétiens, un dialogue avec le juif Triphon, deux écrits adressés aux Gentils, & un traité de l'unité de Dieu, &c. Les meilleures éditions sont celles de Robert Etienne en 1551 & 1571, en grec ; celle de Commelin en 1593, en grec & en latin ; celle de Morel en 1656, grecque & latine ; & enfin celle de dom Prudent Maran, bénédictin, en 1742, in-fol.
Il paroît que S. Justin a eu le premier sur le célibat & la continence des idées telles qu'elles lui ont fait regarder le mariage comme ayant par lui-même quelque chose d'impur ; du-moins ses expressions à ce sujet donnerent lieu depuis à Tatien son disciple de traiter nettement le mariage de débauche & de fornication réelle.
Irénée (Saint), célebre évêque de Lyon, né dans la Grece vers l'an 120 de Jesus-Christ, fut disciple de Papias & de S. Polycarpe. Il devint le chef des églises des Gaules, & les gouverna avec zele jusqu'à l'an 202, qu'il finit ses jours sous l'empire de Severe. Il avoit écrit en grec plusieurs ouvrages ; il ne reste qu'une version latine assez barbare des cinq livres qu'il composa contre les hérétiques ; quelques fragmens grecs rapportés par divers auteurs, & une lettre du pape Victor sur le jour de la célébration de la Pâque qu'on trouve dans Eusebe ; les meilleures éditions de ses oeuvres sont celles d'Erasme en 1526, de Grabe en 1702, & du P. Massuet en 1710, mais il y faut joindre les curieuses dissertations que Dodwel a composées sur les écrits de S. Irénée pour en faciliter l'intelligence, Dissertationes in Irenaeum, imprimées à Oxford en 1689, in-8°. Ces dissertations ne sont pourtant que les prolégomenes d'un ouvrage étendu que ce savant projettoit de publier sur la nature des hérésies qui se formerent dans l'Eglise primitive.
Photius prétend que ce pere a corrompu, par des raisonnemens étrangers & peu solides, la simplicité & l'exacte vérité des dogmes de l'Eglise. Nos critiques desireroient qu'il eût traité les vérités de la religion avec toute la gravité qui leur convient, & qu'il eût communément appuyé les dogmes de notre foi sur des fondemens plus solides que ceux dont il fait usage. Ses livres contre les hérésies ne sont pas toujours remplis de raisonnemens vrais & concluans. S. Irénée embrassa l'opinion des Millénaires : il avoit sur le tems de la mort de Jesus-Christ un sentiment tout particulier, prétendant que notre Seigneur étoit âgé de plus de 40 ans quand il commença de prêcher l'Evangile. Il a posé une maxime qui a été adoptée par plusieurs autres peres ; c'est que toutes les fois que l'Ecriture sainte rapporte quelque action des patriarches ou des prophetes sans la blâmer, quelque mauvaise qu'elle nous paroisse d'ailleurs, il ne faut pas la condamner, mais y chercher un type. Enfin il a jetté les semences d'une opinion dangereuse, soutenue dans la suite ouvertement par S. Augustin, c'est que tout appartient aux fideles & aux justes.
Athénagore, philosophe chrétien d'Athènes, se distingua dans le ij. siecle par son zele pour la foi & par sa science. On a de lui une apologie pour les Chrétiens, adressée à Marc-Aurele Antonin & à Lucius-Aurele Commode l'an 179, si nous en croyons Baronius, ou l'an 168, si nous en croyons Dodwel. Son autre ouvrage est sur la résurrection des morts. Ces deux écrits se trouvent dans la bibliotheque des peres, & à la fin des éditions de S. Justin. Les Oeuvres d'Athénagore ont été imprimées à Oxford en 1682, par les soins de l'évêque Fell, en grec & en latin, avec des notes : on les réimprima à Leipsick en 1684 & 1686. Il faut y joindre la dissertation du P. Nourry, qui est la troisieme du second tome de son Apparatus ad bibl. veter. patrum.
Athénagoras n'est pas bien purgé de toute hétérodoxie, selon l'opinion de plusieurs critiques. Ils trouvent qu'il est rempli d'idées platoniciennes. Il abandonne la providence particuliere de toutes choses aux anges que Dieu a établis sur chacune, & laisse à l'Etre suprème une providence générale ; cette opinion vient en effet des principes de la philosophie de Platon. Il admet aussi deux sortes de mauvais anges : l'une comprend ceux que Dieu créa, & qui s'acquiterent mal de la commission qu'ils avoient reçue de gouverner la matiere ; l'autre renferme ceux qu'ils engendrerent par le commerce qu'ils eurent avec les femmes. Athénagore n'a pas bien appliqué le passage de l'Evangile qui blâme ceux qui répudient une femme pour en épouser une autre ; car il s'en sert à condamner les secondes nôces, qu'il traite sans détour d'honnête adultere. Je ne dirai rien des fausses idées qu'on lui reproche au sujet de la Trinité ; on peut lire sur cet article les originianae de M. Huet, l. II. c. iij. Quant au style de ce philosophe chrétien, il est pur & bien attique, mais un peu trop chargé d'hyperbates & de parenthèses.
On a quelque raison d'être surpris que ce pere de l'Eglise ait été inconnu à Eusebe, à S. Jérôme, & à presque tous les autres écrivains ecclésiastiques ; car on ne le trouve cité que dans un ouvrage d'Epiphanes.
M. Huet parle amplement d'un roman qui a paru sous le nom d'Athénagoras, & qu'il conjecture être de Philander ; ce roman dont on ne connoît qu'une traduction françoise est intitulé : " Du vrai & parfait amour ; écrit en grec par Athénagoras, philosophe athénien, contenant les amours honnêtes de Théogone & de Charide, de Phérécidès & de Mélangénie. Paris 1599 & 1612, in -12 ".
Clément d'Alexandrie (Saint), après avoir étudié dans la Grece, en Italie & en Orient, renonça aux erreurs du Paganisme, & fut prêtre & catéchiste d'Alexandrie en 290. Il mourut vers l'an 220 : il nous reste de lui plusieurs ouvrages en grec, qui ont été traduits en latin : ils sont remplis de beaucoup d'érudition. Les principaux sont les stromates, l'exhortation aux gentils, & le pédagogue. On a perdu un de ses ouvrages divisé en huit livres, & intitulé, les hypotyposes ; Hervet a traduit le premier ces traités de grec en latin. Heinsius en a donné une édition à Leyde en 1616, & ensuite en 1629, in-fol. C'est la meilleure de toutes. L'édition de Paris en 1641 est moins correcte & moins belle.
Tous les critiques ne sont pas également remplis d'admiration pour S. Clément d'Alexandrie. M. Dupin étoit d'avis de retrancher tous les endroits du pédagogue, où il est parlé de péchés contraires à la chasteté. M. Buddeus observe, d'après lui, que ce pere a transporté dans le Christianisme plusieurs choses des dogmes & des expressions de la philosophie stoïcienne. Il représente son gnostique (ou l'homme chrétien) comme un homme entierement exempt de passions. On desireroit de l'ordre dans les livres des stromates, ainsi que dans l'ouvrage du pédagogue : le style en est aussi trop négligé, & manque d'une gravité convenable. S. Clément fait profession de n'y point garder de méthode ; cependant en matiere de morale, la liaison des pensées & l'ordre des sujets qu'on traite ne sont pas des choses indifférentes.
On trouve encore que les raisonnemens de ce pere de l'Eglise sont d'ordinaire vagues, obscurs, fondés ou sur de pures subtilités, ou sur de vaines allégories, ou sur de fausses explications de passages de l'Ecriture. On lui reproche d'avoir cherché à étaler une érudition mal-placée ; d'avoir jetté sur le papier sans d'assez mûres réflexions tout ce qui lui venoit dans l'esprit ; enfin d'avoir débité quelquefois des maximes ou visiblement fausses ou fort outrées. Il est vrai qu'en condamnant séverement les moeurs de son siecle, il distingue rarement l'usage légitime des choses indifférentes de leur nature d'avec l'abus le plus criminel ; mais il seroit aisé de défendre l'opinion qu'il avoit sur le salut des Payens, regardant la Philosophie comme le moyen que Dieu leur avoit donné pour y parvenir.
Tertullien (Quintus Septimus Florens Tertullianus) prêtre de Carthage & l'un des hommes célebres que l'Afrique ait produits, étoit fils d'un centenier dans la milice. Il se fit chrétien, & se maria après son baptême : il prit ensuite la prêtrise, & alla à Rome. Il se sépara de l'Eglise catholique au commencement du iij. siecle, & se fit montaniste, se laissant séduire par des révélations ridicules. Il parvint à une extrème vieillesse, & mourut sous le regne d'Antonin Caracalla vers l'an 216. Les meilleures éditions de ses oeuvres sont celles de Rigault & de Venise en 1746, in-folio.
On remarque dans ses écrits un génie austere, une imagination allumée, un style énergique & impétueux, mais dur & obscur. Ses plus grands admirateurs conviennent que les raisonnemens de Tertullien n'ont pas toute la justesse & la solidité que demanderoient les matieres importantes qu'il discute. Le P. Ceillier & M. Dupin avouent que Tertullien a débité, étant encore dans le sein de l'Eglise, des regles de morale excessivement outrées, & qu'il a fait paroître dès ses premiers ouvrages beaucoup de penchant aux sentimens les plus rigides. En effet, qu'on lise les écrits de ce pere de l'Eglise avant qu'il donnât dans le montanisme, tout y respire ce tour d'esprit austere, qui ne sait pas garder un juste milieu dans ses jugemens ; cette imagination africaine qui grossit les objets, cette impétuosité qui ne laisse pas le tems de les considérer avec attention.
Dans le traité de l'idolâtrie qu'il écrivit avant d'être montaniste, il condamne tout métier, toute profession qui regardoit les choses dont les payens pouvoient faire quelque abus par des actes d'idolâtrie, quand même on n'auroit pas d'autres moyens pour subsister. Il déclame contre toutes sortes de couronnes, & principalement contre celles de laurier, comme ayant du rapport à l'idolâtrie. Il blâme la recherche & l'exercice des emplois publics ; il enseigne qu'il est absolument défendu aux Chrétiens de juger de la vie & de l'honneur des hommes ; ce qui, dit M. Nicole, est manifestement contre la doctrine & contre la pratique de l'Eglise. Il se déclare vivement contre les secondes noces, sur-tout dans ses livres de la monogamie. Enfin il regarde comme incompatible la qualité d'empereur & celle de chrétien.
Origene, l'un des plus savans écrivains ecclésiastiques de la primitive Eglise au iij. siecle, naquit à Alexandrie l'an 185 de Jesus-Christ ; il eut pour maître S. Clément d'Alexandrie, & lui succéda dans la place de catéchiste. Il mourut à Tyr l'an 254 à 69 ans. Ses ouvrages sont fort connus : les principaux qui nous restent sont, 1° un traité contre Celse, dont Spencer a donné une bonne édition en grec & en latin, avec des notes ; 2° des homélies avec des commentaires sur l'Ecriture-sainte ; 3° la philocalie ; 4° des fragmens de ses héxaples, recueillis par le P. Montfaucon, en deux volumes in-folio ; 5° le livre des principes, dont nous n'avons plus qu'une version latine. La plus ample édition de toutes les oeuvres d'Origene est celle du P. de la Rue, bénédictin, en grec & en latin.
Son traité de la priere qui n'avoit jamais été imprimé, le fut en grec & en latin à Oxford l'an 1686. Sa réponse au philosophe Celsus, qui est un des meilleurs livres de ce célebre écrivain, a été publiée en françois en 1700 : c'est M. Bouhereau qui est l'auteur de cette version.
M. Dupin a discuté fort au long tout ce qui regarde la vie & les ouvrages de ce pere de l'Eglise. Il n'est pas le seul, il faut lui joindre 1° M. de la Motthe-le-Vayer, vie de Tertullien & d'Origene, Paris 1675, in-8° ; 2° l'histoire des mouvemens arrivés dans l'Eglise au sujet d'Origene & de sa doctrine. Le P. Doucin jésuite est l'auteur de ce dernier ouvrage imprimé à Paris en 1700 ; il contient aussi un abrégé de la vie d'Origene.
On ne peut le lire, dit Bayle, sans déplorer le sort bizarre de l'esprit humain. Les moeurs d'Origene étoient d'une pureté admirable ; son zele pour l'Evangile étoit très-ardent ; affamé du martyre, il soutint avec une constance incroyable les tourmens dont les persécuteurs de la foi se servirent contre lui ; tourmens d'autant plus insupportables qu'on les faisoit durer long-tems, en évitant avec soin qu'il n'expirât dans la torture. Son esprit fut grand, beau, sublime ; son savoir & sa lecture très-vastes, & néanmoins il tomba dans un prodigieux nombre d'hérésies, dont il n'y en a aucune qui ne soit monstrueuse ; ce sont les termes du P. Doucin ; & apparemment il n'y tomba qu'à cause qu'il avoit tâché de sauver de l'insulte des payens les vérités du Christianisme, & de les rendre même croyables aux philosophes, ce qu'il desiroit avec une ardeur extrème, ne doutant pas qu'avec eux il ne convertît l'univers. Tant de vertus, tant de beaux talens, un motif si plein de zele, n'ont pu le garantir des erreurs dans les matieres de la foi.
On ne s'imagine pas ordinairement que les erreurs de ce rare génie ayent quelque liaison, elles semblent être la production d'un esprit vague & irrégulier ; cependant il paroît, après un peu d'examen, qu'elles coulent d'une même source, & que ce sont des faussetés de systèmes qui forment une chaîne de conséquences. C'est dans ses trois livres des principes qu'il a développé & établi ses hérésies, tellement liées qu'on les voit toutes naître d'un même principe.
L'Origénisme charnel ne dura guere, & fut plus aisé à détruire que l'Origénisme spirituel qui étoit une maniere de Quiétisme. Le charnel fut abhorré de tout le monde, ceux même qui en étoient infectés n'oserent produire aux yeux des hommes une doctrine de cette espece ; mais l'Origénisme spirituel dont les sectateurs, selon S. Epiphane, étoient irreprochables du côté de la pureté, ne put être éteint qu'après plus de deux siecles, & ce n'a pas été pour toujours.
Cyprien (Saint), natif de Carthage, y enseigna la rhétorique avant que d'être chrétien. Après sa conversion, arrivée en 246, il prit le nom de Cécile, & fut déclaré évêque de Carthage en 248. Il eut la tête tranchée dans la persécution de Valérien en 258. Les meilleures éditions de ses oeuvres sont celles de Pamelius en 1568, de Rigault en 1648, d'Oxford en 1682, & finalement celle de M. Baluze, avec une préface de dom Prudent Maran bénédictin. M. Lambert Ponce a publié les oeuvres de S. Cyprien en françois, & dom Gervais anciens abbé de la Trappe a écrit sa vie.
La seconde naissance du nouvel homme dans ce pere de l'Eglise hâta ses progrès dans la piété, sans le mettre à l'abri des erreurs humaines. Il se trompa dans son opinion de la défense de soi-même en la condamnant même pour sauver sa vie contre les attaques d'un injuste aggresseur. Il outra les idées de la religion dans ses louanges du célibat, de la continence, de l'aumône & du martyre ; mais il est fort excusable, n'ayant goûté de tels principes que dans le dessein de porter les hommes à des vertus dont ils ne franchissent guere les limites. Ainsi le défaut de justesse dans son jugement est en quelque sorte compensé par la droiture de son intention ; au reste, quoique ce soit un des peres qui ait le mieux écrit en latin, M. de Fénelon a remarqué que son style & sa diction sentent l'enflure de son tems & la dureté africaine. Il ajoute qu'on y trouve encore des ornemens affectés, & particulierement dans l'épître à Donat, que S. Augustin cite néanmoins comme une piece d'éloquence.
Minutius Felix naquit, à ce qu'on croit, en Afrique au commencement du iij. siecle. Nous avons de lui un dialogue intitulé, Octavius, dans lequel il introduit un chrétien & un payen qui disputent ensemble. M. Rigault a publié en 1643 une bonne édition de ce dialogue : on l'a fondue depuis dans celle des oeuvres de S. Cyprien en 1666 ; mais l'édition la plus recherchée est celle de Jean Davies, à Cambridge en 1678, & réimprimée à Londres en 1711. M. Perrot d'Ablancourt a aussi mis au jour une traduction françoise de Minutius Felix.
Je souscris volontiers aux éloges que Lactance & S. Jérôme ont faits du dialogue de Minutius Félix, quoique l'auteur me paroisse avoir trop effleuré son sujet ; mais on peut moins le justifier sur d'autres reproches plus importans. Il semble faire regarder les secondes noces comme un véritable adultere ; il condamne sans aucune exception l'usage des couronnes de fleurs ; enfin, séduit par la force de son imagination, il ne se contente pas de louer le signe de la croix que faisoient les chrétiens en mémoire de la crucifixion de notre Sauveur, il prétend que ce signe est naturel à tous les hommes, & qu'il entroit même dans la religion des payens. Apolog. c. xxjx.
Lactance étoit africain, selon Baronius ; & selon d'autres, étoit natif de Fermo dans la Marche d'Ancone. Il fleurissoit au commencement du jv. siecle, étudia la Rhétorique sous Arnobe, & fut choisi par l'empereur Constantin pour être précepteur de son fils Crispe César. La plus ample édition de ses oeuvres est celle de Paris 1748, en deux volumes in-4°.
Les institutions divines en sept livres, sont le principal ouvrage de Lactance. S. Jérôme trouve qu'il renverse mieux les erreurs des payens, qu'il n'est habile à établir les dogmes des chrétiens. Il lui reproche de n'être pas exempt de fautes, & de s'être plus appliqué à l'Eloquence & à la Philosophie, qu'à l'étude de la Théologie. Quoi qu'il en soit, c'est de tous les anciens auteurs ecclésiastiques latins, celui qui a le mieux écrit dans cette langue. Il évita le mauvais tour d'expressions de Tertullien & de S. Cyprien, préférant la netteté du style à l'enflûre & au gigantesque ; mais adoptant les idées de ses prédécesseurs, il condamne absolument la défense de soi-même contre tout aggresseur, & regarde le prêt à usure comme une espece de larcin.
On lui a attribué le traité de la mort des persécuteurs, que Baluze a donné le premier au public ; mais quelques savans doutent que ce traité soit de Lactance, & le P. Nourry prétend qu'il est de Lucius Caecilius, qui vivoit au commencement du jv. siecle.
Hilaire, S. évêque de Poitiers, lieu de sa naissance, & docteur de l'Eglise, quitta le Paganisme, & embrassa la religion chrétienne avec sa femme & sa fille. Il mourut en 368, après avoir mené une vie agitée de troubles & de disputes qu'il eut sans cesse avec les Ariens. Cependant il a fait plusieurs ouvrages : outre un traité sur le nombre septenaire qui s'est perdu, il a écrit douze livres sur la Trinité, & des commentaires sur l'Ecriture. Les Bénédictins ont publié le recueil de ses oeuvres en 1686, & le comte Scipion Maffey en a mis au jour à Vérone en 1730, une nouvelle édition fort augmentée.
Saint Jerôme appelle saint Hilaire le rhône de l'éloquence latine, latinae eloquentiae rhodanus. Je laisse à expliquer cette épithete ; je dirai seulement que les commentaires de l'évêque de Poitiers sur l'Ecriture, sont une simple compilation d'Origène, dont il se faisoit lire les écrits par Héliodore.
Anastase, Saint, patriarche d'Alexandrie, étoit égyptien ; il assista au concile de Nicée en 315, & obtint l'année suivante le siége d'Alexandrie, dont il fut dépossédé en 335. Il éprouva plusieurs fois pendant le cours de sa vie les faveurs & les disgraces de la fortune. Enfin, après avoir été tantôt exilé, tantôt rappellé par divers empereurs qui se succéderent, il mourut le 3 Mai 373. Il n'est point l'auteur du symbole qui porte son nom.
Ses ouvrages roulent principalement sur la défense des mysteres de la Trinité, de l'Incarnation, de la divinité du Verbe & du saint-Esprit. Nous en avons trois éditions estimées, celle de Commelin en 1600, celle de Pierre Naunius en 1627, & enfin celle du P. Montfaucon. M. Hermant a donné la vie de S. Athanase en françois.
Ce pere de l'Eglise paroît ne s'être attaché qu'à la défense des dogmes du Christianisme : il y a peu de principes de morale dans ses ouvrages ; & ceux qui s'y rencontrent, si vous en exceptez ce qui regarde la suite de la persécution & de l'épiscopat, n'y sont pas traités dans l'étendue qu'ils méritent : c'est le jugement qu'en porte M. Dupin.
Cyrille, Saint, patriarche d'Alexandrie, succéda à Théophile son oncle, le 6 Octobre 412. Après avoir fait des commentaires sur l'évangile de saint Jean, & sur plusieurs autres livres de l'Ecriture. Il mourut en 444. Jean Aubert, chanoine de Laon, publia ses ouvrages en grec & en latin en 1638, en six tomes in-folio.
Les critiques les trouvent obscurs, diffus & pleins de subtilités métaphysiques. Nous avons sa réponse à l'empereur Julien, qui reprochoit aux Chrétiens le culte de leurs reliques. S. Cyrille lui répond que ce culte étoit d'origine payenne, & que par conséquent l'empereur avoit tort de le blâmer. Cyrill. contra Julian. lib. X. p. 336. Dans le fond, cette coutume réduite à ses justes bornes, pouvoit avoir alors un usage fort utile. Il seroit plus difficile de justifier la faute que fit Cyrille d'Alexandrie, en érigeant en martyr un moine nommé Ammonius, qu'on avoit condamné pour avoir insulté & blessé Oreste, gouverneur romain, au rapport de Socrate, dans son histoire ecclésiastique. Je passe à S. Cyrille de Jérusalem, que j'aurois dû nommer le premier.
Cyrille, S. patriarche de Jérusalem, succéda à Maxime en 350 ; & après bien des révolutions qu'il éprouva sur son siége, il mourut le 18 Mars 386. Il nous reste de ce pere de l'Eglise 18 catechèses adressées aux cathécumènes, & cinq pour les nouveaux baptisés. On a encore de lui une lettre écrite à l'empereur Constance, sur l'apparition d'une croix lumineuse qui fut vûe sur la ville de Jérusalem. La meilleure édition des oeuvres de saint Cyrille, est celle du P. Touttée, en grec & en latin. M. Grancolas, docteur de Sorbonne, les a traduites en françois avec des notes. Tout le monde peut les lire ; & si elles ne paroissent pas composées suivant les regles de l'art, il n'en faut point blâmer l'auteur, puisqu'il avoue lui-même en quelque maniere, les avoir faites à la hâte & sans beaucoup de préparation.
Basile le grand, S. naquit à Césarée en Cappadoce vers l'an 328. Il alla achever ses études à Athènes, où il lia une étroite amitié avec S. Grégoire de Nazianze. Il fut élu évêque de Césarée en 369, & travailla à la réunion des églises d'Orient & d'Occident qui étoient divisées au sujet de Méluc & de Paulin, deux évêques d'Antioche. Ensuite il écrivit contre Apollinaire & contre Eustache de Sébaste. Il mourut en 379. La meilleure édition de ses oeuvres est celle du P. Garnier, en grec & en latin, Paris 1751, trois volumes in-fol. M. Herman, docteur de Sorbonne, a donné sa vie, avec une traduction des ascétiques de ce pere de l'Eglise.
Erasme faisoit un grand cas de l'éloquence de saint Basile ; son style est pur & ses expressions élégantes. Ses lettres sur la discipline ecclésiastique, sont très-instructives ; & l'on trouve en général dans ses ouvrages beaucoup d'érudition. Mais il s'est fait, comme ses prédécesseurs, des idées outrées de la patience chrétienne. Il établit que tout laïque qui s'est défendu contre des brigands, doit être suspendu de la communion, & déposé s'il est du clergé. Il pensoit aussi qu'il n'est pas permis à un chrétien d'avoir de procès, pas même pour les vêtemens qui lui sont nécessaires pour couvrir son corps. Moral. régul. XLIX. cap. j. p. 455. tom. II.
Grégoire de Naziance, S. naquit dans le bourg d'Arianze, près de Naziance en Cappadoce, vers l'an 328. Il acheva ses études à Athènes avec S. Basile, qui fut le plus cher de ses amis. Il devint évêque de Constantinople en 379, & mourut dans sa patrie le 9 Mai 391. Ses ouvrages, qui consistent en 55 discours ou sermons, en plusieurs piéces de poésie, & en un grand nombre de lettres, ont été imprimés en grec & en latin en 1609, 2 volumes in-fol. avec des notes.
La piété de ce pere n'est pas douteuse, mais l'on s'apperçoit que son ardente passion pour la retraite le rendit d'une humeur triste & chagrine ; c'est ce qui le fit aller au-delà des justes bornes dans le zele qu'il témoigne contre les hérétiques. Le renoncement aux biens de ce monde, lorsqu'on ne peut les conserver sans préjudice du salut, semble être plûtôt un vrai commandement qu'un simple conseil, à quoi Grégoire de Naziance paroît néanmoins le rapporter. A l'égard de son style, il est peu châtié, quelquefois dur, & presque toujours excessivement figuré.
M. Dupin a remarqué que ce pere de l'Eglise affecte trop les allusions, les comparaisons & les antithèses : Erasme trouve aussi qu'il aime les pointes & les jeux de mots. Les études d'Athènes étoient fort déchûes quand S. Grégoire de Naziance & S. Basile y allerent : le raffinement d'esprit avoit prévalu ; ainsi les peres instruits par les mauvais rhéteurs de leur tems, étoient nécessairement entraînés dans le préjugé universel.
Mais il connut par expérience les menées, les cabales, les intrigues & les abus qui regnent dans les synodes & dans les conciles : on en peut juger par sa réponse à une invitation pressante qu'on lui fit d'assister à un concile solemnel d'évêques qui devoit se tenir à Constantinople. " S'il faut, répondit-il, vous écrire franchement la vérité, je suis dans la ferme résolution de fuir toute assemblée d'évêques, parce que je n'ai jamais vu synode ni concile qui ait eu un bon succès, & qui n'ait plutôt augmenté que diminué le mal. L'esprit de dispute & celui de domination (croyez que j'en parle sans fiel) y sont plus grands que je ne puis l'exprimer ".
Il falloit bien qu'alors le mal fût grand dans les assemblées ecclésiastiques, car on lit les mêmes protestations & les mêmes plaintes de saint Grégoire, répétées ailleurs avec encore plus de force. " Jamais, dit-il dans un de ses autres ouvrages, jamais je ne me trouverai dans aucun synode : on n'y voit que divisions, que querelles, que mysteres honteux qui éclatent avec des hommes que la fureur domine ". Quoi, des évêques assemblés pour la religion, & dominés par la fureur ! Quel cas doit-on faire de leurs statuts & de leurs décisions, puisque l'esprit de l'Evangile ne les animoit point ? Remarquez que les termes grecs qu'employe saint Grégoire, sont beaucoup plus énergiques que ma foible traduction.
Grégoire de Nysse, S. naquit en Cappadoce vers l'an 331 ; il étoit frere de saint Basile, fut élu évêque de Nysse en 372, il mourut le 9 Mars 396. Le P. Fronton du Duc a donné une édition de ses oeuvres en 1605.
On y trouve beaucoup d'allégories, un style affecté, des raisonnemens abstraits, & des opinions singulieres. On attribue tous ces défauts à son attachement pour les livres d'Origène.
Ambroise, S. fils d'Ambroise préfet du prétoire des Gaules, naquit, selon la plus commune opinion, à Arles, vers l'an 340. Anicius Probus l'envoya en qualité de gouverneur, dans l'Emilie & la Ligurie ; il devint ensuite évêque de Milan en 374, convertit saint Augustin, & mourut en 397 âgé de 57 ans. La meilleure édition de ses oeuvres est celle de Paris, donnée par les Bénédictins en 1691, en 2 vol. in-fol. Paulin, prêtre de Milan, qu'il ne faut pas confondre avec saint Paulin, a écrit sa vie.
Saint Ambroise est le premier, & presque le seul des Peres, qui a entrepris de donner une espece d'abrégé d'une partie considérable de la Morale, dans ses trois livres des offices. On doit lui savoir gré d'avoir rompu la glace, en rassemblant dans cet ouvrage quantité de bonnes & excellentes choses, dont la pratique ne peut que rendre les hommes vertueux. Il est vrai que le traité de ce pere de l'Eglise est bien au-dessous du chef-d'oeuvre de l'orateur de Rome qu'il s'est proposé d'imiter, soit pour l'élégance du style, soit pour l'économie de l'ouvrage & l'arrangement des matieres, soit pour la solidité des pensées & la justesse des raisonnemens. Il est encore vrai que les exemples & les passages de l'Ecriture, qui font la principale partie de ce livre chrétien, n'y sont pas toujours heureusement appliqués ou expliqués. Enfin, S. Ambroise a semé dans cet ouvrage & dans ses autres écrits, les idées outrées de ses prédécesseurs sur l'étendue de la patience chrétienne & le mérite du célibat. Il a même adopté la fausse légende du martyre de sainte Thecle, pour en tirer un argument en faveur de l'excellence de la virginité.
Au milieu de ces idées portées trop loin contre le mariage, il semble en avoir eu d'autres sur l'adultere entierement opposées à ses principes ; du-moins il s'est exprimé sur ce crime d'une façon qui donne lieu à la critique. En parlant du patriarche Abraham & d'Agar, il dit qu'avant la loi de Moïse & celle de l'Evangile, l'adultere n'étoit point défendu : il entend peut-être par adultere le concubinage ; ou bien le sens de saint Ambroise est qu'avant Moïse l'adultere n'étoit point défendu par une loi écrite qui décernât quelque peine contre ceux qui le commettoient. Mais on pourroit répliquer qu'Abraham n'avoit nul besoin de la loi écrite pour savoir que l'adultere est illicite. Il faut donc avouer que S. Ambroise, S. Chrysostome, & d'autres peres de l'Eglise, s'étant persuadés à tort que les saints personnages dont il est fait mention dans l'Ecriture, étoient exempts de tous défauts, ont excusé ou même loué des choses qui ne pouvoient ni ne devoient être louées ou excusées.
Chrysostome (Saint Jean), naquit à Antioche vers l'an 347. Il étudia la Rhétorique sous Libanius, & la Philosophie sous Andragathe. Il fut élu patriarche de Constantinople en 397, & mourut en 407, à 60 ans. Les meilleures éditions de ses oeuvres, sont celle de Henri Savile à Oxford, en 1613, 8 tom. in-fol. tout en grec ; celle de Commelin & de Fronton, du Duc, en grec & en latin, 10 vol. in-fol. & enfin celle du pere Montfaucon en grec & en latin, avec des notes, Paris 1718, in-fol. en 13 vol. M. Herman, Docteur de Sorbonne, a écrit sa vie : il est bien difficile de la connoître au bout de treize siecles.
Tous les ouvrages où S. Chrysostôme traite de morale sont remplis de beaucoup de bonnes & de belles choses ; mais il faut se souvenir que c'est un orateur qui parle, & qu'il est excusable s'il n'est pas toujours exact dans ses expressions, ou dans ses pensées : l'imagination échauffée des orateurs, les porte bien davantage à émouvoir les passions, qu'à établir solidement la vérité ; c'est ainsi qu'en louant ce que firent Abraham & Sara, d'après le récit de la Genèse, c. xx. v. 1. & suiv. S. Chrysostôme s'est laissé trop entraîner à son génie. Il se sert, dit le pere Ceillier, d'expressions très-fortes & très-dures, pour peindre le danger auquel Abraham exposa Sara. En effet, rempli d'idées confuses sur ce sujet important, il s'est exprimé non seulement d'une maniere peu propre à éclairer, mais encore capable de faire de fâcheuses impressions sur l'esprit de ses auditeurs & de ses lecteurs. Il a donné des fausses idées de Morale, en voulant justifier l'expédient dont Abraham se servit pour empêcher qu'on attentât à sa vie, s'il étoit reconnu pour mari de Sara ; en un mot, il semble avoir ignoré qu'il n'est pas permis de sauver ses jours, ni ceux d'un autre, par un crime.
Le meilleur auroit été d'avouer de bonne foi qu'il y avoit eu de la foiblesse dans le fait d'Abraham & de Sara. L'histoire sainte ne nous détaille pas ici, non plus qu'en une infinité d'autres endroits, toutes les circonstances du fait, qui seroient nécessaires pour juger surement du bien ou du mal qu'il peut y avoir. Ainsi l'équité & la bonne critique veulent également que l'on ne condamne pas des actions qui, quelque apparence d'irrégularité qu'elles ayent d'abord, sont telles qu'il est très-facile d'imaginer des circonstances qui, étant connues, justifieroient pleinement la conduite de ceux que l'on rapporte simplement avoir fait ceci ou cela, sans aucune marque de condamnation. Or, qu'est-ce que dit Moyse ? Abraham alloit en Egypte, pour se garantir de la famine qui regnoit & s'augmentoit de jour en jour dans le pays de Canaan ; car c'est une pure imagination que d'alléguer ici, comme fait S. Ambroise, un ordre de Dieu, qu'Abraham eût reçu, & auquel il ne put se dispenser d'obéir, au péril même de l'honneur de sa femme. Le patriarche, en approchant d'Egypte, fit réflexion que s'il y étoit reconnu pour mari de Sara qui, quoique dans un âge assez avancé, étoit encore d'une beauté à donner de l'amour, il couroit lui-même risque que quelque Egyptien n'attentât à sa vie, pour lever, en se défaisant de lui, l'obstacle qui s'opposoit à la possession de Sara.
Voilà tout ce qu'on peut inférer des termes de l'historien sacré. Il n'y a pas la moindre chose qui insinue qu'Abraham pensât à voir de ses propres yeux, sa femme entre les bras d'un autre ; ni, par conséquent, qu'il se passât dans son ame un combat entre la jalousie & la crainte de la mort, tel que le représente l'imagination de S. Chrysostôme. Au contraire, comme il est permis, & juste même de supposer que ce saint homme n'étoit ni indifferent sur le chapitre de l'honneur de sa femme, ni peu avisé, il y a tout lieu de croire qu'il avoit bien examiné la situation présente des choses, & projetté des mesures très-apparentes qui accordassent le soin de sa propre conservation avec celui de l'honneur de sa femme.
Ou il craignoit qu'on ne voulût lui enlever sa femme, pour en jouir par brutalité ; & en ces cas-là, on se seroit fort peu embarrassé qu'elle eût un mari ou non, sur-tout un mari étranger, qui par-là n'étoit nullement redoutable, ou il appréhendoit qu'on ne le tuât pour épouser Sara ; & c'est-là apparemment cette pensée qui seule lui fit prendre le parti, de concert avec elle, de se dire seulement son frere, afin qu'on inférât de-là qu'il n'étoit point son mari, sur quel fondement qu'on dût croire que ces deux qualités ne pouvoient être réunies en une seule personne.
Or, dans cette supposition, il pouvoit espérer de rendre inutiles par quelque adresse, les desseins & les efforts de ceux qui seroient frappés de la beauté de Sara, en disant, par exemple, qu'elle avoit ailleurs un mari, ou qu'elle n'étoit pas en état de se marier pour quelqu'autre raison ; ou qu'elle demandoit du tems pour y penser, & autres ruses légitimes que les circonstances auroient fournies ; desorte que par ces moyens ou il auroit éludé les sollicitations, ou il se seroit menagé la derniere ressource dans une retraite secrette.
Tout cela étoit d'autant plus plausible, qu'il comptoit sur l'assistance du Ciel, éprouvée tant de fois, & qui parut ici par l'événement. Est-il besoin d'aller chercher autre chose pour mettre la conduite d'Abraham, en cette occasion, à l'abri de tout reproche ? Mais S. Chrysostôme auroit perdu l'occasion de faire briller son éloquence & la subtilité de son esprit, en représentant l'agitation d'un coeur saisi de passions vives & opposées, & en prêtant à ceux dont il parle, des pensées conformes à ces mouvemens.
Jérôme (Saint), naquit à Stridon, ville de l'ancienne Pannonie, vers l'an 340 de J. C. Il fit ses études à Rome, où il eut pour maître le grammairien Donat, célebre par ses commentaires sur Virgile & sur Térence. Il apprit l'hébreu à Jérusalem, vers l'an 376, & se rendit à Constantinople vers l'an 380, pour y entendre S. Grégoire de Naziance. Deux ans après il devint secretaire du pape Damase, publia un livre contre Helvidius, & ensuite mit au jour sa défense de la virginité contre Jovinien. Ce fut dans le monastere de Béthléem qu'il écrivit contre Vigilance, il eut aussi quelques disputes avec S. Augustin.
Il voyagea dans la Thrace, le Pont, la Bythinie, la Galatie & la Cappadoce ; il mourut l'an 420, âgé d'environ 80 ans. Ses oeuvres ont d'abord été recueillies par les soins de Marianus Victorius. Il s'en fit une autre édition à Paris, en 1623, en 9 vol. in-fol. Le pere Martianay, bénédictin de la congrégation de saint Maur, en a depuis publié une nouvelle édition qui passe pour la meilleure. On y a joint sa vie, faite par un auteur inconnu. D'un autre côté, le pere Petau, dans la chronique du second tome de son livre de doctrina temporum, a donné la date des voyages & des principaux écrits de S. Jérôme.
C'est de tous les peres latins celui qui passe pour avoir eu le plus d'érudition ; tous les critiques ne conviennent cependant pas de sa grande habileté dans la langue hébraïque, quoiqu'il ait mis au jour une nouvelle version latine du vieux Testament sur l'hébreu, & qu'il ait corrigé l'ancienne version latine du Nouveau, pour la rendre conforme au grec. C'est cette version que l'église latine a depuis adoptée pour l'usage public, & qu'on appelle vulgate. Il a fait des commentaires sur les grands & petits prophetes, sur l'Ecclésiaste, sur l'évangile de S. Matthieu, sur les épîtres de S. Paul aux Galates, aux Ephésiens, à Tite & à Philemon. Il a encore composé quantité de traités polémiques contre Montan, Helvidius, Jovinien, Vigilance, Rufin, les Pélagiens & les Origénistes, outre des lettres historiques. Enfin il a traduit quelques homélies d'Origene, & a continué la chronique d'Eusebe.
Si S. Jérôme eût joui du loisir nécessaire pour revoir ses ouvrages après les avoir composés, il en auroit sans doute retranché quantité de choses qui montrent qu'il écrivoit avec une grande précipitation, & sans se donner la peine de méditer beaucoup. De-là vient que dans son épître aux Ephésiens, il suit tantôt Origene, tantôt Didime, tantôt Apollinaire, dont les opinions étoient entierement opposées. Il nous apprend lui-même la maniere dont il composoit ses écrits. Après avoir lu, dit-il, d'autres auteurs, je fais venir mon copiste, & je lui dicte tantôt mes pensées, tantôt celles d'autrui, sans me souvenir ni de l'ordre, ni quelquefois des paroles, ni même du sens.... itaque ut simpliciter fatear, legi haec omnia, & in mente mea plurima coacervans, accito notario, vel mea, vel aliena dictavi ; nec ordinis, nec verborum interdùm, nec sensuum memoriam retentans. Comment. in epist. ad Galat. tom. IX. pag. 158. D.... D'abord que mon copiste est arrivé, dit-il dans sa préface sur la même épître, je lui dicte tout ce qui me vient dans la bouche ; car si je veux rêver pour dire quelque chose de meilleur, il me critique en lui-même, retire sa main, fronce le sourcil, & témoigne par toute sa contenance qu'il n'a que faire auprès de moi.... Accito notario, aut statim dicto quidquid in buccam venerit, aut si paululum voluero cogitare, melius aliquid prolaturus, tunc me tacitus ille reprehendit, manum contrahit, frontem rugat, & se frustra adesse, toto gestu corporis, contestatur. Praefat. in lib. III. comm. in Gall. tom. IV. pag. 189.
Plein d'un trop grand amour pour la vie solitaire, la sainteté de cette vie, celle de la virginité & du célibat, il parle en plusieurs endroits trop désavantageusement des secondes nôces. Il fut pendant longtems admirateur & disciple déclaré d'Origene ; ensuite il abjura l'origénisme, en quoi il mérite d'être loué ; mais il seroit à souhaiter qu'il eût montré moins de violence contre les Origénistes, en ne suggérant pas aux empereurs les lois pour leurs proscriptions, comme il le reconnoît lui-même : il pouvoit renoncer à l'erreur, sans maltraiter les errans. Pour quelle foiblesse aura-t-on de la condescendance, si l'on n'en a pas pour celles qu'on a soi-même éprouvées ? Son naturel vif & impétueux, & la lecture des auteurs profanes satyriques, dont il emprunta le style, ne le laisserent pas le maître de ses expressions piquantes contre ses adversaires, & en particulier contre Vigilance, prêtre de Barcelone, auquel il avoit donné lui-même le titre de saint, dans une lettre à Paulin.
Enfin, dit le fameux évêque d'Avranches, il seroit à souhaiter que ce saint docteur eût eu plus d'égalité d'ame & de modération ; qu'il ne se fût pas laissé emporter si aisément à sa bile, ni s'abandonner à des opinions contraires, selon les circonstances des affaires & des tems ; ensuite qu'il n'eût pas chargé quelquefois d'injures les plus grands hommes de son siecle ; car il faut avouer que Rufin l'a souvent repris avec raison, & qu'il a lui-même souvent accusé Rufin sans le moindre fondement. Oregeniana, p. 205 & 206.
Augustin (Saint) naquit à Tagaste dans l'Afrique, le 13 Novembre 354. Son pere nommé Patrice, n'étoit qu'un petit bourgeois de Tagaste. Sa mere s'appelloit Monique, & étoit remplie de vertu. Leur fils n'avoit nulle inclination pour l'étude. Il fallut néanmoins qu'il étudiât ; son pere voulant l'avancer par cette voie, l'envoya faire ses humanités à Madeure, & sa réthorique à Carthage, vers la fin de l'an 371. Il y fit des progrès rapides, & il l'enseigna en 380. Ce fut alors qu'il prit une concubine, dont il eut un fils qu'il appella Adeodat, Dieu-donné, prodige d'esprit, à ce que dit le pere ; & mort à 16 ans. S. Augustin embrassa le Manichéisme à Carthage, où sa mere alla le trouver pour tâcher de le tirer de cette hérésie, & de sa vie libertine.
Il vint à Rome, ensuite à Milan, pour y voir S. Ambroise qui le convertit l'an 384, & le baptisa l'an 387. fut ordonné prêtre l'an 391, & rendit des services très-importans à l'église par sa plume. Il mourut à Hippone durant le siege de cette ville par les Vandales, le 28 Août 430, âgé de 76 ans.
On trouvera le détail de sa vie épiscopale & de ses écrits, dans la bibliotheque de M. Dupin, dans les acta eruditorum, 1683, & dans Moreri. La meilleure édition des oeuvres de ce pere, est celle qui a paru à Paris par les soins des bénédictins de S. Maur ; elle est divisée en 10 vol. in-fol. comme quelques autres ; mais avec un nouvel arrangement, ou une nouvelle économie dans chaque tome. Le I. & le II. furent imprimés l'an 1679 ; le III. parut en 1680 ; le IV. en 1681 ; le V. en 1683 ; le VI. & VII. en 1685 ; le VIII. & le IX. en 1688 ; & le X en 1690 : ce dernier volume contient les ouvrages que S. Augustin composa contre les Pélagiens. Son livre de la cité de Dieu, est celui qu'on estime le plus.
Mais l'approbation que les conciles & les papes ont donné à S. Augustin sur sa doctrine, a fait le plus grand bien à sa gloire. Peut-être que sans cela les Molinistes du dernier siecle auroient mis à néant son autorité. Aujourd'hui toute l'église romaine est dans l'engagement de respecter le système de ce pere sur ce point ; cependant bien des gens pensent que sa doctrine, & celle de Jansénius évêque d'Ypres, sont une seule & même chose. Ils ajoutent que le concile de Trente en condamnant les idées de Calvin sur le franc-arbitre, a nécessairement condamné celles de S. Augustin ; car il n'y a point de calvinistes, continue-t-on, qui aient nié le concours de la volonté humaine, & la liberté de notre ame, dans le sens que S. Augustin a donné aux mots de concours & de liberté. Il n'y a point de calvinistes qui ne reconnoissent le franc-arbitre, & son usage dans la conversion, en prenant ce mot selon les idées de l'évêque d'Hippone. Ceux que le concile de Trente a condamnés, ne rejettent le franc-arbitre qu'en tant qu'il signifie la liberté d'indifférence ; les Thomistes le rejettent aussi, & ne laissent pas de passer pour très-catholiques. En un mot, la prédestination physique des Thomistes, la nécessité de S. Augustin, celle des Jansénistes, celle de Calvin, sont au fond la même chose ; néanmoins les Thomistes renoncent les Jansénistes, & les uns & autres prétendent qu'on les calomnie, quand on les accuse d'enseigner la doctrine de Calvin.
Les Arminiens n'ayant pas les mêmes ménagemens à garder, ont abandonné saint Augustin à leurs adversaires, en le reconnoissant pour un aussi grand prédestinateur que Calvin lui-même ; & bien des gens croyent que les Jésuites en auroient fait autant, s'ils avoient osé condamner un docteur de l'Eglise, que les papes & les conciles ont tant approuvé.
Un savant critique françois loue principalement saint Augustin d'avoir reconnu son insuffisance pour interpréter l'Ecriture. Ce pere de l'Eglise d'occident a très-bien remarqué, dit M. Simon, les qualités nécessaires pour cette besogne ; & comme il étoit modeste, il a avoué ingénuement que la plupart de ces qualités lui manquoient, & que même l'entreprise de répondre aux Manichéens étoit au-dessus de ses forces. Aussi n'est-il pas ordinairement heureux dans ses allégories, ni dans le sens littéral de l'Ecriture. Il convient encore lui-même s'être extrêmement pressé dans l'explication de la Genèse, & de lui avoir donné le sens allégorique quand il ne trouvoit pas d'abord le sens littéral. Quand donc l'Eglise nous assure que ceux qui ont enseigné la Théologie, ont pris ce pere de l'Eglise d'Occident pour leur guide ; ces paroles du breviaire romain ne signifient pas que les opinions de l'évêque d'Hippone soient toujours des articles de foi, & qu'il faille abandonner les autres peres lorsqu'ils ne s'accordent pas avec lui.
Le plus fâcheux est que les Scholastiques aient emprunté de saint Augustin la morale & la maniere de la traiter ; car en établissant des principes, il a étalé plus d'art que de savoir & de justesse. Emporté par la chaleur de la dispute, il passe ordinairement d'une extrémité à l'autre. Quand il fait la guerre aux Ariens, on le croiroit sabellien : s'agit-il de réfuter les Sabelliens, on le prendroit pour arien. Dispute-t-il contre les Pélagiens. Il se montre manichéen. attaque-t-il les Manichéens, le voilà presque Pélagien. Il ne dissimule point sa conduite, & reconnoît avoir dit bien des choses à la légere, & qui demanderoient la lime.
Je pense qu'on doit mettre dans cette classe son opinion que Sara pouvoit, en se servant du droit qu'elle avoit sur le corps de son mari, l'engager à prendre Agar pour femme. Il s'est encore trompé plus fortement, en décidant que par le droit divin tout appartient aux justes ou aux fideles, & que les infideles ne possedent rien légitimement.
Mais son opinion sur la persécution pour cause de religion, est d'autant plus inexcusable qu'il avoit été d'abord dans des sentimens de douceur & de charité. Il commença par l'esprit & finit par la chair. Il osa le premier établir l'intolérance civile, maxime contraire à l'Evangile ; à toutes les lumieres du bon sens, à l'équité naturelle, à la charité, à la bonne politique. S'il eût vécu quelques années de plus, il auroit senti les mauvaises suites de son principe, & le tort qu'il avoit eu d'abandonner le véritable ; il auroit vû l'Arianisme triompher par les mêmes voies, dont il avoit approuvé l'usage contre les Donatistes !
Léon I. saint, docteur de l'Eglise, monta sur le siege de Rome après Sixte III. le 10 Mai 440. Il s'attacha beaucoup à faire observer la discipline ecclésiastique, & mourut à Rome le 11 Novembre 461. Il nous reste de lui quantité de sermons & de lettres. La meilleure édition de ses oeuvres est celle du pere Quesnel, à Lyon, en 1700, in-fol.
M. Dupin trouve que saint Léon n'est pas fort fertile sur les points de morale, qu'il les traite légerement, & d'une maniere qui n'est ni onctueuse, ni touchante. Il y a plus : sa morale glace d'effroi sur la maniere de traiter les hérétiques ; car oubliant tout principe d'humanité, il approuve sans détour l'effusion du sang. C'est à lui sur-tout qu'on auroit dû répéter le discours que Jesus-Christ tint à ses apôtres pour arrêter la fougue de leur zele : " vous ne savez de quel esprit vous êtes " !
Théodoret évêque de Cyr en Syrie, au cinquieme siecle, l'un des savans peres de l'Eglise, naquit en 386. Simple dans sa maison, il embellit sa patrie de deux grands ponts, de bains publics, de fontaines & d'aqueducs. Il montra pendant quelque tems beaucoup d'attachement pour Jean d'Antioche & pour Nestorius, en faveur duquel il écrivit. Les uns croyent qu'il mourut en 451, & d'autres reculent sa mort jusqu'à l'an 470. La meilleure édition de ses oeuvres est celle du pere Sirmond, en grec & en latin, en 4 volumes in-fol. Le pere Garnier, jésuite, y joignit en 1684 un cinquieme volume, pour compléter toutes les oeuvres de ce pere de l'Eglise.
Il est bien difficile de justifier l'approbation que donna Théodoret à l'action d'Abdas ou Abdaa, évêque de Suze ville de Perse, qui du tems de Théodose le jeune, brûla un des temples où l'on adoroit le feu, & ne voulut point le rétablir. Le roi (nommé Isdeberge) en étant averti par les mages, envoya querir Abdas, & après l'avoir censuré avec beaucoup de douceur, il lui enjoignit de faire rebâtir le temple qu'il, venoit de détruire, le menaçant, au cas qu'il y manquât, d'user d'une espece de représaille sur les églises des Chrétiens ; en effet cette menace fut exécutée sur le refus obstiné d'Abdas, qui aima mieux perdre la vie & exposer les Chrétiens à une infinité de maux, que d'obéir à un ordre si juste. Théodoret qui rapporte cette histoire admire le refus d'Abdas, ajoutant que c'eût été une aussi grande impiété de bâtir un temple que de l'adorer.
Mais la décision de Théodoret n'est pas judicieuse, parce qu'il n'y a personne qui puisse se dispenser de cette loi de la religion naturelle : " il faut reparer par restitution ou autrement, le dommage qu'on a fait à son prochain ". Abdas, simple particulier & sujet du roi de Perse, en brûlant le temple des mages, avoit ruiné le bien d'autrui, & un bien d'autant plus privilégié qu'il appartenoit à la religion dominante. D'ailleurs il n'y avoit point de comparaison entre la construction d'un temple sans lequel les Perses n'auroient pas laissé d'être aussi idolâtres qu'auparavant, & la destruction de plusieurs églises chrétiennes. Envain répondroit-on que le temple qu'il auroit rebâti auroit servi à l'idolatrie, ce n'eût pas été lui qui l'auroit employé à cet usage.
Grégoire I saint, surnommé le Grand, naquit à Rome d'une famille patricienne. Pelage II. l'envoya nonce à Constantinople pour demander du secours contre les Lombards, mais il ne réussit pas dans ses négociations. Sa nonciature étant finie par le décès de l'empereur Tibere qui mourut en 582, il revint à Rome, servit quelque tems de secrétaire au pape Pelage, & ensuite il fut élu pape lui-même par le clergé, par le sénat, & par le peuple romain, le 3 Septembre 590.
Il parut par sa conduite qu'on ne pouvoit pas choisir un homme qui fut plus digne de ce grand poste, car, outre qu'il étoit savant, & qu'il travailloit par lui-même à l'instruction de l'Eglise, soit en écrivant, soit en prêchant, il avoit l'art de ménager l'esprit des princes en faveur des intérêts temporels & spirituels de la religion, & nous verrons dans la suite qu'il poussa cet art trop loin.
Il entreprit la conversion des Anglois sous le regne d'Ethelrede, & en vint à bout fort heureusement par le secours de Berthe femme de ce prince, qui contribua extrêmement à la conversion du roi son époux, & à celle de ses sujets.
Le pere Maimbourg dit " que comme le Diable se servit autrefois des artifices de trois impératrices, qui furent femmes, l'une de Licinius, l'autre de Constantius, & la troisieme de Valens, pour établir l'hérésie arienne en orient : Dieu, pour renverser sur son ennemi ses machines, & le combattre de ses propres armes, se voulut aussi servir de trois illustres reines, Clotilde femme de Clovis, Ingonde épouse de saint Ermenigilde, & Theodelinde femme d'Agilulphe, pour sanctifier l'occident, en convertissant les Francs du paganisme, & en exterminant l'arianisme de l'Espagne & de l'Italie par la conversion des Visigoths & des Lombards ".
Il y a beaucoup d'apparence que le zele que saint Grégoire témoigna contre l'ambition du patriarche de Constantinople étoit mal réglé. Mais il n'est pas certain qu'il ait fait détruire les beaux monumens de l'ancienne magnificence des Romains, afin d'empêcher que ceux qui venoient à Rome ne fissent plus d'attention aux arcs de triomphe, &c. qu'aux choses saintes du Christianisme. On doit porter le même jugement de l'accusation qu'on lui intente d'avoir fait brûler une infinité de livres payens, & nommément Tite-Live, il est vrai cependant qu'il regarda l'étude Critique de la Littérature & de l'Antiquité, comme indigne non-seulement d'un ministre de l'Evangile, mais encore d'un simple chrétien ; c'est ce qu'il déclare dans une lettre à Didier, archevêque de Vienne.
Sur la fin de son pontificat, quoiqu'il eût sur les bras toutes les affaires chrétiennes, il composa son antiphonaire, & s'appliqua principalement à régler l'office & le chant de l'Eglise. Il mourut le 10 Mars 604.
S'il étoit vrai qu'après sa mort on eût brûlé une partie de ses écrits, on pourroit en conclure que la gloire de ce pontife, aussi-bien que celle de quelques autres anciens peres ressemble aux fleuves, qui de très-petits qu'ils sont à leur source, deviennent très-grands lorsqu'ils en sont fort éloignés. Il est certain généralement parlant, que les objets de la mémoire sont d'une nature très-différente de celle des objets de la vûe. Ceux-ci diminuent à proportion de leur distance, & ceux-là pour l'ordinaire grossissent à mesure qu'on est éloigné de leur tems & de leur lieu : omnia post obitum fingit majora vetustas.
On fit du vivant de saint Grégoire tant de copies de ses ouvrages, qu'ils ont presque tous passé jusqu'à nous. Le pere Denis de Sainte-Marthe les a publiés en 1697 avec sa vie, sous le nom d'Histoire de saint Grégoire le Grand. M. de Goussainville avoit déja mis au jour une édition des oeuvres de ce pontife en 1675.
Les dialogues qui portent le nom de saint Grégoire, & que le bénédictin de saint Maur reconnoît lui appartenir, ne sont pas dignes, de l'aveu de M. Dupin, de la gravité & du discernement de ce saint pape ; tant ils sont pleins de miracles extraordinaires & d'histoires fabuleuses ! il est vrai qu'il les a rapportées sur le témoignage d'autrui, mais il ne devoit pas si légérement y ajouter foi, ni les débiter comme des choses constantes.
Il se montra bien plus précautionné sur les traits de la calomnie, car il la proscrivoit rigoureusement comme un monstre d'autant plus dangereux qu'il est difficile à découvrir ; aussi n'écoutoit-il les délateurs que sur des preuves de leurs délations plus claires que le jour. Il craignoit tant encore de s'y tromper, quoique innocemment, qu'il se dispensoit lui-même de juger des accusations portées à son tribunal !
Il ne fut pas moins severe sur le devoir de chasteté des ecclésiastiques, estimant qu'un homme qui avoit perdu sa virginité, ne devoit point être admis au sacerdoce. Il exceptoit seulement de cette rigueur les veufs, pourvû qu'ils eussent été réglés dans leurs mariages, & que depuis fort long-tems ils eussent vécu dans la continence. Il écrivit tant de choses sur la discipline ecclésiastique, les rites, & les cérémonies minutieuses, que tout vint à dégénérer en tristes superstitions ; on ne s'attacha plus dans les conciles qu'à de vains raffinemens sur l'extérieur de la religion, & leurs canons eurent plus d'autorité que l'Ecriture.
Son commentaire en 35 livres sur Job, offre un ouvrage des plus diffus, & des moins travaillés qu'on connoisse. C'est un répertoire immense de moralités & d'allégories appliquées sans cesse au texte de Job, mais qu'on pourroit également appliquer à tout autre livre de l'Ecriture ; & plusieurs même de ces moralités & de ces allégories manquent de justesse & d'exactitude.
D'ailleurs, saint Grégoire déclare dans les prolégomenes de ce commentaire, qu'il a dédaigné d'y suivre les regles du langage. " J'ai pris à tâche, dit-il, de négliger l'art de parler que les maîtres des Sciences humaines enseignent ; je n'évite point le concours choquant des mêmes consonnes, je ne fuis point le mêlange des barbarismes, je méprise le soin de placer comme il faut les prépositions, & de mettre les cas qu'elles régissent, parce que je trouve indigne de moi d'assujettir aux regles de Donat les paroles des oracles célestes ".
Mais n'y a-t-il aucun milieu entre la trop grande recherche de l'élégance du style & celle de sa netteté, qui a tant d'influence sur le but qu'on doit se proposer d'être entendu de tout le monde. Il semble que pour enseigner aux hommes la religion & leurs devoirs, il ne convient jamais de les rebuter par un langage barbare. Après tout, excusons ces défauts du style de saint Grégoire en profitant des bonnes choses qu'il a répandues dans ses écrits.
Il est plus aisé de concevoir qu'il s'étoit mis dans l'esprit que l'étude des Lettres humaines gâtoit l'étude des Lettres divines, que d'accorder la liaison de ses principes touchant la contrainte de la conscience, le peu d'uniformité de ses maximes à cet égard paroît manifestement en ce qu'il n'approuvoit pas que l'on forçât les Juifs à se faire baptiser, & qu'il approuvoit que l'on contraignît les hérétiques à rentrer dans l'Eglise, du-moins par des voies indirectes : cela, dit-il, peut s'exécuter en deux manieres, l'une en traitant à la rigueur les obstinés, l'autre en faisant du bien à ceux qui se convertissent ; & quand même, ajoute-t-il, ces gens ne seroient pas bien convertis, on gagnera toujours beaucoup en ce que leurs enfans deviendront bons catholiques : aut ipsos ergò, aut eorum filios lucramur, lib. IV. epist. vj. Machiavel n'a pas poussé le raffinement plus loin.
Mais le principal trait de la vie de S. Grégoire, que tous les moralistes ont condamné, c'est la prostitution des louanges avec laquelle il s'insinua dans l'amitié de l'horrible usurpateur Phocas, & de la reine Brunehaut, une des méchantes femmes de la terre.
Le traître & barbare Phocas étoit encore tout dégoutant d'un des plus exécrables parricides que l'on puisse lire dans les annales du monde. Il venoit de faire égorger en sa présence l'empereur Maurice, son maître, après avoir donné à cet infortuné pere, le triste spectacle de voir mourir de la même maniere, cinq petits princes ses enfans. Le pere Maimbourg vous détaillera cette horrible action, & vous peindra le caractere du cruel & infâme Phocas ; c'est assez de dire, qu'il réunissoit en lui toutes les méchantes qualités qu'on peut opposer à celles de l'empereur Maurice. Saint Grégoire a la foiblesse de féliciter le monstre Phocas de son avénement à la couronne ; il en rend graces à Dieu, comme du plus grand bien qui pouvoit arriver à l'empire. Il lui écrit trois épîtres à ce sujet, lib. II. epist. 38. ind. 6. 45. & 46. Quel aveuglement ! Quelle chûte dans S. Grégoire ! Un pape qui ne veut point recevoir dans les ordres sacrés, & qui dépose avec la derniere rigueur, un prêtre qui n'est coupable que d'avoir eu dans sa vie un moment de foiblesse, écrit à Phocas trois lettres de félicitation, sans même lui témoigner dans aucune, qu'il eût desiré que Maurice & ses enfans n'eussent pas souffert le dernier supplice !
Quant à ce qui regarde la reine Brunehaut, je rapporterai seulement ce que dit le pere Daniel dans son hist. de France, tom. I. " S. Grégoire qui avoit besoin de l'autorité de Brunehaut pour seconder les missionnaires d'Angleterre, & pour se conserver en Provence le petit patrimoine de l'Eglise romaine ; lui faisoit la cour en louant ce qu'elle faisoit de bien, sans toucher à certaines actions particulieres ou qu'il ignoroit, ou qu'il jugeoit àpropos de dissimuler. Plusieurs bonnes oeuvres, dont l'histoire lui rend témoignage, comme d'avoir bâti des monasteres, des hôpitaux, racheté des captifs, contribué à la conversion de l'Angleterre, ne sont point incompatibles avec une ambition demesurée, avec les meurtres de plusieurs évêques, avec la persécution de quelques saints personnages, & avec une politique aussi criminelle que celle dont on lui reproche d'avoir usé pour se conserver toujours l'autorité absolue ".
Cependant dans toutes les lettres que S. Grégoire lui écrivit, il la peint comme une des plus parfaites princesses du monde ; & regarde la nation Françoise pour la plus heureuse de toutes, d'avoir une semblable reine douée de toutes sortes de vertus, liv. II. epist. 8. voilà donc dans la vie d'un seul homme, deux exemples mémorables de la basse servitude où l'on tombe, pour vouloir se soutenir dans les grands postes !
Les siecles suivans offrent peu de docteurs qui méritent quelques louanges, par leur savoir en matiere de religion ou de morale. Cette derniere science se corrompant de plus en plus devint seche, décharnée, misérablement défigurée par toutes sortes de superstitions, & par les subtilités épineuses de l'école. Enfin, il n'est plus question dans l'histoire des peres de l'Eglise, si l'on en excepte le seul fondateur de Clervaux, à qui l'on a donné le nom de dernier des SS. peres.
S. Bernard, dont M. le Maître a fait la vie dans notre langue, naquit au village de Fontaine en Bourgogne en 1091. Il vint au monde fort à-propos dans un siecle de brigandage, d'ignorance & de superstitions, & fonda cent soixante monasteres en différens lieux de l'Europe. Je n'ose dire avec le cardinal Baronius, qu'il n'a point été inférieur aux grands apôtres ; je craindrois de répéter une impiété ; mais il a été puissant en oeuvres & en paroles, par les prodiges qui ont suivi sa prédication & ses discours.
Ce fut avec raison, dit un historien philosophe, que le pape Eugene III. n'agueres disciple de saint Bernard, choisit son premier maître pour être l'organe de la seconde croisade. Il avoit sû concilier le tumulte des ames avec l'austerité de son état ; il étoit parvenu à cette considération personnelle qui est au-dessus de l'autorité même.
A Vézelai, en Bourgogne, fut dressé un échafaud dans la place publique en 1146 où S. Bernard parut à côté de Louis le Jeune, roi de France. Il parla d'abord, & le roi parla ensuite. Tout ce qui étoit présent prit la croix, Louis la prit le premier des mains de S. Bernard. Il s'étoit acquis un credit si singulier, qu'on le choisit lui-même pour chef de la croisade ; il avoit trop d'esprit pour l'accepter. Il refusa l'emploi de général, & se contenta de celui de prophete.
Il se rendit en Allemagne, donna la croix rouge à l'empereur Conrad III. prêchoit en françois aux Allemands, & promit de la part de Dieu, des victoires signalées contre les infidéles. Il se trompa ; mais il écrivit beaucoup, & fut mis au rang des peres de l'Eglise. Il mourut le 20 Août 1153, à soixante-trois ans.
La meilleure edition de ses oeuvres a été mise au jour par le pere Mabillon, à Paris en 1690, & elle forme 2 vol. in-fol. son style au jugement des critiques est fort mélangé, tantôt vif, tantôt concis & serré ; sa science est très-médiocre. Il entasse pêle-mêle l'Ecriture-sainte, les canons & les conciles, semblable au cardinal qui avoit placé dans son cabinet le portrait de J. C. entre celui d'Alexandre VI. & de la dame Vanotia sa maîtresse. Il déploie par-tout une imagination peu solide ; & très-féconde en allégories.
Enfin, des siecles lumineux ont appris la vraie maniere d'expliquer l'Ecriture, & de traiter solidement la morale ; ils ont éclairé le monde sur les erreurs où les peres de l'Eglise sont tombés. Mais quand nous considérerons que les apôtres eux-mêmes ont eu pendant long-tems leurs préjugés & leurs foiblesses ; nous ne serons pas étonnés que les ministres qui leur ont succedé, & qui n'étoient favorisés d'aucun secours extraordinaire du ciel, n'ayent pas eu dans tous les points des lumieres suffisantes pour les préserver des erreurs inséparables de l'humanité.
D'abord, il paroît clairement que l'idée du regne de mille ans sur la terre dont les Saints jouiroient avec J. C. a été l'opinion des peres des deux premiers siecles. Papias (apud Euseb. Hist. ecclés. 3. 39.) ayant assuré qu'il tenoit des apôtres cette doctrine flatteuse, elle fut adoptée par les grands personnages de son tems, par S. Justin, S. Irenée, Népos, Victorin, Lactance, Sulpice Severe, Tertullien, Quintus Julius, Hilarion, Commodianus, & autres qui croyoient en la soutenant, défendre une vérité apostolique. Voyez les Antiquités de Bingham, & les Mémoires pour l'Hist. Ecclés. de M. de Tillemont.
Les mêmes peres ont été dans une seconde erreur, au sujet du commerce des mauvais anges avec les femmes. Ils vivoient dans un tems où l'on croyoit assez communément, que les anges bons & mauvais étoient corporels, & par conséquent sujets aux mêmes passions que nous ; ce sentiment leur paroissoit établi dans les livres sacrés. C'est particulierement dans le livre d'Enoch qu'ils avoient puisé cette idée touchant le mariage des anges, & des filles des hommes. Cependant dans la suite les peres reconnoissant que les anges devoient être tout spirituels ; ils ont déclaré que les esprits n'étoient capables d'aucune passion pour les femmes, & que par les enfans & les anges de Dieu dont il est parlé dans l'Ecriture, on doit entendre les filles des hommes, celles de la race de Caïn.
Mais une erreur qui a jetté dans leur esprit les plus profondes racines, c'est l'idée qu'ils se sont presque tous formé de la sainteté du célibat. De-là vient qu'on trouve dans leurs ouvrages, & sur-tout dans ceux des peres grecs, des expressions fort dures au sujet des secondes nôces ; ensorte qu'il est difficile de les excuser sur ce point. Si ces expressions ont échappé à leur zele, elles prouvent combien on doit être en garde contre les excès du zele ; car dès qu'en matiere de morale, on n'apporte pas une raison tranquille à l'examen du vrai, il est impossible que la raison soit alors bien éclairée.
Le nombre des peres de l'Eglise qui condamnent les secondes nôces est trop grand, leurs expressions ont trop de rapport ensemble pour admettre un sens favorable, & pour ne pas donner lieu de croire que ceux qui se sont exprimés moins durement que les autres, n'en étoient pas moins au fond dans les mêmes idées, qui se sont introduites de fort bonne heure.
S. Irenée, par exemple, traite la Samaritaine de fornicatrice pour s'être mariée plusieurs fois ; cette pensée se trouve aussi dans S. Basile & dans S. Jérôme. Origène pose en fait ; que les secondes noces excluent du royaume de Dieu, voyez les Origeniana de M. Huet, liv. II. quaest. xiv. §. 3. S. Basile parlant de ceux qui ont épousé plus de deux femmes, dit que cela ne s'appelle pas un mariage, mais une polygamie, ou plutôt une fornication mitigée. C'est en conséquence de ces principes, qu'on flétrit dans la suite autant qu'on pût les secondes noces, & que ceux qui les célébroient étoient privés de la couronne qu'on mettoit sur la tête des mariés. On leur imposoit encore une pénitence, qui consistoit à être suspendus de la communion.
Les premiers peres qui se déclarerent si fortement contre les secondes noces, embrasserent peut-être ce sentiment par la considération, qu'il faut être plus parfait sous la loi de l'Evangile, que sous la loi Mosaïque ; & que les laïques Chrétiens devoient observer la plus grande régularité qui fût en usage parmi les ecclésiastiques de la synagogue. S'il fut donc trouvé à-propos d'interdire le mariage d'une veuve au souverain sacrificateur des Juifs, afin que cette défense le fit souvenir de l'attachement qu'il devoit à la pureté ; on a pû croire qu'il falloit mettre tous les Chrétiens sous le même joug. Peut-être aussi que la premiere origine de cette morale sévere, fut le desir d'ôter l'abus de cette espece de polygamie, que le divorce rendoit fréquente.
Quoi qu'il en soit de cette idée outrée qu'ont eu les peres sur la sainteté du célibat, il leur est arrivé par une conséquence naturelle, d'avoir approuvé l'action de ceux & de celles qui se tuent, de peur de perdre leur chasteté. S. Jérôme, S. Ambroise & S. Chrysostome ont été dans ce principe. La superstition honora comme martyres quelques saintes femmes qui s'étoient noyées pour éviter le violement de leur pudicité ; mais ces sortes de résolutions courageuses en elles-mêmes ne laissent pas d'être en bonne morale une vraie foiblesse, pour laquelle seulement l'état & les circonstances des personnes qui y succombent, donnent lieu d'espérer la miséricorde d'un Dieu qui ne veut point la mort du pécheur.
S. Ambroise décide, que les vierges qui ne peuvent autrement mettre leur honneur à couvert de la violence, font bien de se donner la mort ; il cite pour exemple, sainte Pélagie, & lui fait dire que la foi ôte le crime. S. Chrysostome donne les plus grands éloges à quelques vierges qui avoient été dans ce cas ; il regarde ce genre de mort, comme un baptême extraordinaire, qu'il compare aux souffrances de N. S. J. C. Enfin, les uns & les autres semblent avoir envisagé cette action, comme l'effet d'une inspiration particuliere de l'esprit de Dieu ; mais l'esprit de Dieu n'inspire rien de semblable. La grande raison pourquoi l'Etre suprème défend l'homicide de soi-même, c'est qu'en qualité d'arbitre souverain de la vie, que nous tenons de sa libéralité, il n'a voulu nous donner sur elle d'autres droits, que celui de travailler à sa conservation. Ainsi nous devons seulement regarder comme dignes de la pitié de Dieu, des femmes qui ont employé le triste expédient de se tuer pour exercer leur vertu.
Je vais plus loin ; je pense que les peres ont eu de fausses idées sur le martyre en général, en y invitant, en y exhortant avec beaucoup de force, & en louant ceux qui s'y étoient offert témérairement ; mais ce desir du martyre est également contraire, & à la nature, & au génie de l'Evangile qui ne détruit point la nature. J. C. n'a point abrogé cette loi naturelle, une des plus évidentes & des plus indispensables, qui veut que chacun travaille en tant qu'en lui est, à sa propre conservation. L'avantage de la société humaine, & celui de la société chrétienne demandent également que les gens de bien & les vrais chrétiens ne soient enlevés du monde, que le plus tard qu'il est possible, & par conséquent qu'ils ne s'exposent pas eux-mêmes à périr sans nécessité. Ces raisons sont si claires & si fortes, qu'elles rendent très-suspect, ou d'ignorance, ou de vanité, ou de témérité, un zele qui les foule aux piés pour se faire une gloire du martyre en lui-même, & le rechercher sur ce pié-là. Le coeur des hommes, quelque bonne que soit leur intention, est sujet à bien des erreurs & des foiblesses ; elles se glissent dans les meilleures actions, dans les plus héroïques & les plus éclatantes.
Une humeur mélancholique peut aussi produire ou seconder de pareilles illusions. Rien après tout ne seroit plus propre à détruire le Christianisme, que si ces idées du martyre désirable par lui-même, devenoient communes dans les sociétés des Chrétiens ; il en pourroit résulter quelque chose de semblable, à ce que l'on raconte de l'effet que produisirent sur l'esprit des auditeurs, les discours véhémens d'un ancien philosophe, Hégésius, sur les miseres de cette vie. Enfin, Dieu peut en considération d'une bonne intention, pardonner ce que le zele a de mal reglé ; mais la témérité demeure toujours témérité, & si l'on peut l'excuser, elle ne doit faire ni l'objet de notre imitation, ni la matiere de nos louanges.
Il est certain que les peres mettent sans cesse une trop grande différence entre l'homme & le chrétien, & à force d'outrer cette distinction, ils prescrivent des regles impraticables. La plûpart des devoirs dont l'Evangile exige l'observation, sont au fond les mêmes, que ceux qui peuvent être connus de chacun par les seules lumieres de la raison. La religion chrétienne ne fait que suppléer au peu d'attention des hommes, & fournir des motifs beaucoup plus puissans à la pratique de ces devoirs, que la raison abandonnée à elle n'est capable d'en découvrir. Les lumieres surnaturelles, toutes divines qu'elles sont, ne nous montrent rien par rapport à la conduite ordinaire de la vie, que les lumieres naturelles n'adoptent par les réflexions exactes de la pure philosophie. Les maximes de l'Evangile ajoutées à celles des philosophes, sont moins de nouvelles maximes, que celles qui étoient gravées au fond de l'ame raisonnable.
En vain la plûpart des peres ont regardé le prêt à usure comme contraire à la loi naturelle, ainsi qu'aux lois divines & humaines. Il est certain que quand ce prêt n'est accompagné ni d'extorsions, ni de violations des lois de la charité, ni d'aucun autre abus, il est aussi innocent que tout autre contrat.
Je ne dois pas supprimer un défaut commun à tous les peres, & qu'on a raison de condamner, c'est leur goût passionné pour les allégories, dont l'abus est d'une dangereuse conséquence en matiere de morale. Lisez sur ce sujet un livre de Dan. Witby, intitulé dissertatio de scripturarum interpretatione secundum patrum commentarios. Lond. 1714 in-4°. Si J. C. & ses apôtres ont proposé des images & des allégories, ce n'a été que rarement, avec beaucoup de sobriété, & d'une maniere à faire sentir qu'ils ne les donnoient que comme des choses propres à illustrer, & à rendre en quelque façon sensibles au vulgaire grossier, les vérités qu'ils avoient fondées sur des principes également simples, solides, & suffisans par eux-mêmes.
Il ne suffit pas de voir quelque conformité entre ce que l'on prend pour figure, & ce que l'on croit être figure : il faut encore être assuré que cette ressemblance a été dans l'esprit & dans l'intention de Dieu, sans quoi l'on court grand risque de donner ses propres fantaisies pour les vues de la sagesse divine. Rien n'est plus différent que le tour d'esprit des hommes ; & il y a une infinité de faces, par lesquelles on peut envisager le même objet, soit en lui-même, ou en le comparant avec d'autres. Ainsi l'un trouvera une conformité, l'autre une autre, aussi spécieuse quoique différente, & même contraire. Celle qui nous paroissoit la mieux fondée sera effacée par une nouvelle, qui nous a frappés depuis ; desorte qu'ainsi l'Ecriture-sainte sera en bute à tous les jeux de l'imagination humaine. Mais l'expérience a assez fait voir dans quels égaremens on se jette ici, faute de regle & de boussole. Les peres de l'Eglise suffiroient de reste, quand ils n'auroient jamais eu d'imitateurs, pour montrer le péril de cette maniere d'expliquer le livre le plus respectable.
Après tout, il est certain que les Apôtres ne nous ont pas donné la clé des figures ou des allégories qu'il pouvoit y avoir dans l'Ecriture sainte, outre celles qu'ils ont eux-mêmes développées ; & cela suffit pour réprimer une curiosité que nous n'avons pas le moyen de satisfaire. Enfin les allégories sont inutiles pour expliquer la morale évangélique, qui est toute fondée sur les lumieres les plus simples de la raison.
Il semble encore que les peres se sont plus attachés aux dogmes de pure spéculation qu'à l'étude sérieuse de la morale ; & qu'en même tems ils ont trop négligé l'ordre & la méthode. Il seroit à souhaiter qu'en abandonnant les argumens oratoires, ils se fussent piqués de démontrer par des raisons solides les vertus qu'ils recommandoient. Mais la plûpart ont ignoré l'art critique qui est d'un très-grand secours pour interprêter l'Ecriture-sainte, & en découvrir le sens littéral. Parmi les peres grecs il y en avoit peu qui entendissent la langue hébraïque, & parmi les peres latins, quelques-uns même n'étoient pas assez versés dans la langue grecque.
Enfin leur éloquence est communément fort enflée, souvent déplacée, & pleine de figures & d'hyperboles. La raison en est, que le goût pour l'éloquence étoit déja dépravé dans le tems que les peres ont vécu. Les études d'Athènes même étoient déchues, dit M. de Fénélon, dans le tems que S. Basile & S. Grégoire de Naziance y allerent. Les raffinemens d'esprit avoient prévalu ; les peres instruits par les mauvais rhéteurs de leur tems, étoient entraînés dans le préjugé universel.
Au reste, toutes les erreurs des peres ne doivent porter aucun préjudice à leur gloire, d'autant qu'elles sont bien compensées par les excellentes choses qu'on trouve dans leurs ouvrages. Elles deviennent encore excusables en considération des défauts de leurs siecles, des tentations & des conjonctures dans lesquelles ils se sont trouvés. Enfin, la foi qu'ils ont professée, la religion qu'ils ont étendue de toutes parts malgré les obstacles & les persécutions, n'ont pu donner à personne le droit de faillir comme eux. (D.J.)
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PEREAN | S. m. (Cirier) une chaudiere plus longue que large, dans laquelle on fond la cire pour la premiere fois pour la mettre en pain. Voyez nos Pl. & leur explication.
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PEREASLAW | (Géog. mod.) ville de Pologne, au Palatinat de Kiovie, sur le Tribiecz. Les Polonois l'ont cédée à la Russie. Elle est à 10 lieues sud-est de Kiovie. Long. 50. 19. lat. 49. 46. (D.J.)
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PERECZAS | (Géog. mod.) petite ville de la haute-Hongrie, capitale d'un comté de même nom, à 18 lieues de Tockai. Long. 39. 45. lat. 40. 44.
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PERÉE | (Géog. anc.) Peraea ; ce mot vient du grec , qui signifie au-delà. On a donné le nom de Peraea à diverses contrées & à divers lieux qui étoient au-delà de la mer, au-delà de quelques fleuves, ou au-delà d'une autre contrée.
Ainsi 1°. on nomma Peraea, Perée, une contrée au-delà du Jourdain, à l'orient du fleuve ; mais la Perée propre étoit la seule partie méridionale qui comprenoit les tribus de Ruben & de Gad.
2°. Peraea Rhodiorum, contrée d'Asie, qui faisoit partie de la Carie. C'étoit une contrée maritime vis-à-vis de l'île de Rhodes, & à laquelle on donna le nom de Perée des Rhodiens, parce que ces peuples s'en rendirent maîtres anciennement.
3°. Etienne le géographe donne le nom de Peraea, à un petit pays d'Asie sur le bord du Tigre, 2°. à un canton du territoire de Corinthe ; & 3°. à une petite ville de Syrie. (D.J.)
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PEREGRINAIRE | S. m. (Hist. ecclésiastique) nom qu'on donnoit dans les anciens monasteres, à un moine chargé de recevoir & d'amuser les étrangers qui venoient visiter le monastere.
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PÉRÉGRINE | COMMUNION, (Hist. ecclésiastiq.) c'est une dégradation des clercs, par laquelle on les réduisoit à un ordre inférieur ; ce mot communion pérégrine, a été employé pour la premiere fois dans le troisieme canon du concile de Riez, au sujet d'Armentarius, lorsqu'il fut dégradé de son évêché d'Embrun, & qu'on lui permit de se retirer dans toute église où l'on voudroit charitablement le souffrir, pour y confirmer seulement les Néophites, sans pouvoir faire aucune fonction épiscopale que dans ladite église, où il seroit reçu par charité. Le P. Pétau, prétend qu'on appelloit cette dégradation communion pérégrine, parce qu'elle réduisoit ceux qui étoient ainsi dégradés au même état des clercs étrangers, qui avoient bien des lettres formées, mais qui ne pouvoient faire des fonctions ecclésiastiques, jusqu'à ce que leurs lettres eussent été examinées par le synode ou l'évêque du lieu. Par le second canon du concile d'Agde, il est dit que les clercs rebelles, réduits à la communion pérégrine, peuvent être rétablis. Nous renvoyons les curieux de plus grands détails à une ample dissertation que Marc-Antoine Dominici, jurisconsulte canoniste, a fait imprimer en 1645 sur la communion pérégrine. (D.J.)
PEREGRINE ; (Bijout.) la perle ainsi nommée est cette fameuse perle dont l'eau, la figure, la beauté, en un mot la perfection, firent une telle impression sur un marchand connoisseur, qu'après l'avoir vue, il osa bien en donner cent mille écus, en songeant, dit-il, à Philippe IV. quand il la lui présenta, qu'il y avoit encore un roi d'Espagne au monde.
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PEREGRINI | (Langue latine) les Romains appelloient peregrinos, tous les peuples soumis à leur domination, à qui ils avoient laissé leur ancienne forme de gouvernement ; dicebant peregrinum qui suis legibus uteretur. Varro, l. IV. de ling. lat. (D.J.)
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PÉREGRINITÉ | S. f. (Gram. & Jurisprud.) signifie l'état de celui qui est étranger dans un pays ; on appelle vice de pérégrinité, l'incapacité résultante de la qualité d'étranger. Voyez AUBAIN & ÉTRANGER. (A).
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PEREKOP | ou PERCOPS, ou PRÉCOP, (Géog. mod.) ville de la Crimée, située sur la côte orientale de l'isthme, qui joint la Crimée à la terre ferme, à une petite distance du rivage du Palus-Méotide. Cet Isthme n'ayant qu'une demi-lieue de largeur en cet endroit, on regarde avec raison la ville de Perekop, comme la clé de la Crimée ; cependant ce n'est qu'un fort vilain petit trou d'environ 60 feux, avec un château ruiné à moitié. Les Turcs sont en possession des deux meilleures places de la presqu'île de Crimée, qui sont la ville de Caffa, & le port de Baluclava, situé à 44d. 44'. de lat. sur le rivage méridional de ce pays.
Perekop, qui veut dire terre-fossoyée, est le nom que les Polonois ont donné à cet endroit ; les Tartares l'appellent Orkapy, nom magnifique qui signifie la porte d'or ; ce n'est cependant que la porte d'un trou. (D.J.)
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PERELLE | S. f. (Hist. nat. Minéralog.) c'est une espece de terre composée de particules en petites écailles, elle est séche au toucher, & d'une couleur qui tire sur le gris. On la trouve en Auvergne dans le voisinage de S. Flour ; elle est attachée aux rochers. On s'en sert dans la teinture, & l'on prétend que c'est une espece de lichen ou de mousse qui se forme à la surface des rochers de même que l'oreille. C'est vraisemblablement la chaleur du soleil qui en desséchant cette substance lui donne la consistance d'une terre.
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PEREMPTION | PEREMPTION
Elle tire son origine de la loi properandum, au code de judiciis, suivant laquelle tous les procès criminels devoient être terminés dans deux ans, & les procès civils dans trois ans, à compter du jour de la contestation en cause.
Mais cette loi ne prononçoit pas l'anéantissement des procédures par une discontinuation de poursuites, comme il a lieu parmi nous ; la litiscontestation perpétuoit même l'action pendant 40 ans.
La loi properandum a toujours été suivie en France, du moins ainsi qu'il est justifié par l'ancien style du parlement, mais la péremption étoit autrefois encourue par une discontinuation de procédure pendant un an, à moins que l'on n'obtînt des lettres de relief contre le laps d'une année.
Dans la suite la péremption ne fut acquise qu'au bout de trois ans ; elle étoit déja usitée avant l'ordonnance de 1539, puisque celle-ci porte, art. 120 que dorénavant il ne sera expédié des lettres de rélevement de la péremption d'instance.
Cette pratique ayant été négligée, on la renouvella par l'ordonnance de Roussillon, art. 15. qui porte que l'instance intentée, quoique contestée, si par le laps de trois ans elle est discontinuée, n'aura aucun effet de perpétuer ni de proroger l'action, ains aura la prescription son cours, comme si ladite instance n'avoit été formée ni introduite, & sans qu'on puisse dire ladite prescription avoir été interrompue.
L'ordonnance de 1629, art. 91. ordonne l'exécution de celle de Roussillon dans tout le royaume.
Cependant la péremption n'a pas lieu en Dauphiné, ni en Franche-Comté, si ce n'est au bout de 30 ans.
En Artois & au parlement de Bordeaux elle a lieu au bout d'un an de cessation de procédures.
Au parlement de Toulouse la péremption de 30 ans a lieu, mais on observe sur cela plusieurs distinctions qui sont expliquées par M. Bretonnier au mot péremption.
Le parlement de Paris a fait, en 1691, un arrêté sur les péremptions, portant
1°. Que les instances intentées, bien qu'elles ne soient contestées, ni les assignations suivies de constitution & de présentation de procureur par aucune des parties, seront déclarées péries, en cas que l'on ait cessé & discontinué les procédures pendant 3 ans, & n'auront aucun effet de perpétuer ni de proroger l'action, ni d'interrompre la prescription.
2°. Que les appellations tomberont en péremption, & emporteront de plein droit la confirmation des sentences, si ce n'est qu'en la cour les appellations soient conclues ou appointées au conseil.
3°. Que les raisons réelles & les instances de criées des terres, héritages, & autres immeubles, ne tomberont en péremption lorsqu'il y aura établissement de commissaire, & baux faits en conséquence.
4°. Que la péremption n'aura lieu dans les affaires qui y sont sujettes, si la partie qui a acquis la péremption reprend l'instance, si elle forme quelque demande, fournit des défenses, ou si elle fait quelqu'autre procédure, & s'il intervient quelqu'appointement ou arrêt interlocutoire ou définitif, pourvu que lesdites procédures soient connues de la partie & faites par son ordre.
La péremption n'est point acquise de plein droit, il faut qu'elle soit demandée & prononcée, & la moindre procédure faite avant la demande suffit pour couvrir la péremption.
Au conseil du roi il n'y a jamais de péremption.
Au parlement elle n'a pas lieu pour les appellations conclues ou appointées au conseil.
On juge aussi aux requêtes du palais que les instances appointées ne périssent point.
On tient pour maxime au palais, que le décès d'une des parties, ou de son procureur, empêche la péremption.
Il y a certaines matieres dans lesquelles la péremption n'a point lieu, telle que les causes du domaine, de régale, les appellations comme d'abus, & en général toutes les causes qui concernent le roi, le public, ou la police, l'état des personnes, & les procès criminels, à moins qu'ils ne soient civilisés.
Voyez le traité des péremptions de Menelet, les notes sur Duplessis, tr. des prescript. liv. II. ch. j. sect. 2. le recueil de quest. de Bretonnier, au mot Péremption, & ci-après les mots PEREMPTOIRE & PERIME.
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PÉREMPTOIRE | adj. m. & f. (Jurisprud.) se dit de ce qui tranche toute difficulté, comme une raison ou un moyen ou une exception péremptoire. L'ordonnance de 1667, tit. 5. art. 5. veut que dans les défenses soient employées les fins de non-recevoir, nullité des exploits, ou autres exceptions péremptoires, si aucunes y a, pour y être préalablement fait droit. Voyez EXCEPTION, MOYEN, NULLITE, PEREMPTION.
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PÉRÉNA | LA, (Géog. mod.) c'est la même ville qu'on nomme aujourd'hui Coquimbo, & qui fut bâtie par Petro de Valdevia, en 1544. Les arbres y sont si chargés de fruits, que les habitans sont obligés au commencement de l'été d'en abattre une moitié, pour que les arbres puissent supporter le reste. Voyez COQUIMBO. (D.J.)
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PÉRÉQUATEURS | S. m. pl. (Antiq. rom.) gens préposés à la répartition égale des impôts sur les campagnes. Ils furent institués sous Constantin appellé le Grand. Le but de leur fonction étoit louable ; mais comment s'en acquittoient-ils.
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PERESKIA | S. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le calice devient dans la suite un fruit rond, charnu, mol, & garni de petites feuilles, qui renferme ordinairement trois semences rondes & applaties. Plumier, nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE.
Elle a été ainsi nommée par le P. Plumier, en l'honneur du célebre Péiresc, l'un des beaux génies françois & des plus savans hommes du xvij. siecle.
La fleur de la pereskia est blanche, en forme de rose, & composée de plusieurs pétales disposées en rond. Son calice se change en un fruit mol, charnu, de couleur jaunâtre, de figure sphérique, & environné de feuilles. Il contient dans le milieu quantité de semences plates, arrondies, & enfermées dans un mucilage. Le pere Plumier n'établit qu'une espece de ce genre de plante, savoir pereskia aculeata, flore albo, fructu flavescente, plant. nov. gener. Elle croît dans quelques provinces des Indes espagnoles ; d'où elle a été transportée dans les colonies angloises, où elle est appellée goosberry, & par les Hollandois blad. apple. (D.J.)
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PERESLAW | PERESLAW
PERESLAW SOLESKOI, (Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans le duché de Rostow, entre Moscou & Archangel, sur un lac. Long. 57. 34. lat. 56. 25. (D.J.)
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PEREYRA | (Hist. nat. Botan.) arbre des Indes orientales, qui est de la même nature que celui qu'on appelle guayavier. Son fruit est verd & jaune à l'intérieur ; il a la forme d'une poire, blanchâtre à l'intérieur, & d'une substance molle comme celle d'une poire trop mûre ; on en fait de très-bonnes confitures.
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PERFECTION | S. f. (Métaphysique) c'est l'accord qui regne dans la variété de plusieurs choses différentes, qui concourent toutes au même but. Tout composé fait dans de certaines vûes est plus ou moins parfait, à proportion que ses parties s'assortissent exactement à ces vûes. L'oeil, par exemple est un organe de plusieurs pieces qui doivent toutes servir à tracer une image claire & distincte de l'objet visible au fond de la rétine. Si toutes ces pieces servent autant qu'elles en sont capables, à cet usage, l'oeil est censé parfait. La vie de l'homme, entant qu'elle désigne l'assemblage de ses actions libres, est censée parfaite, si toutes ses actions tendent à une fin qui leur soit commune avec les actions naturelles. Car de-là résulte cet accord entre les actions naturelles & les actions libres, dans lequel consiste la perfection de la vie humaine. Au contraire l'imperfection, ou le mal métaphysique, consiste dans la contrariété de diverses choses qui s'écartent d'un même but.
Toute perfection a une raison générale, par laquelle on peut comprendre pourquoi le sujet en qui réside la perfection, est disposé de telle maniere, & non autrement. On peut l'appeller la raison déterminante de la perfection : il n'y a point d'ouvrage de la nature ou de l'art qui n'ait sa destination ; c'est par elle, en y rapportant tout ce qu'on observe dans le sujet, qu'on estime sa perfection. C'est, par exemple, de la combinaison d'une lentille concave placée à l'opposite d'une lentille convexe dans un tube, que résulte la possibilité de voir distinctement un objet éloigné, comme s'il étoit prochain. On démontre que les lentilles doivent être d'une telle grandeur & d'un tel diametre plutôt que d'un autre ; que le tube doit être construit ainsi & non autrement ; & on démontre, dis-je, la perfection de chacune de ces parties, & conséquemment celle du tout, par leur rapport au but qu'on se propose d'appercevoir les objets éloignés.
Si la raison déterminante est unique, la perfection sera simple ; s'il y a plusieurs raisons déterminantes, la perfection est composée. Si un pilier n'est planté que pour soutenir quelque voûte, il aura toute la perfection qu'il lui faut, pourvu que sa grosseur ou sa force soit suffisante pour porter ce poids ; mais s'il s'agit d'une colonne destinée à orner aussi-bien qu'à soutenir, il faut la travailler dans cette double vue. Les fenêtres d'une maison ont une perfection composée entant qu'elles servent à introduire la lumiere, & à procurer un point de vue agréable.
Il y a aussi des raisons prochaines & des raisons éloignées, primariae, secundariae, qui déterminent la perfection prochaine ou éloignée d'une chose. Toute perfection a ses regles, par lesquelles elle est explicable. Lorsque diverses regles qui découlent des différentes raisons d'une perfection composée se contrarient, cette collision produit ce qu'on appelle exception, savoir une détermination contraire à la regle née de la contrariété des regles. Une perfection simple ne sauroit être sujette à exception ; elle n'a lieu que dans la perfection composée. Dès qu'il n'y a qu'une regle à observer, d'où naîtroit le cas d'une collision ? mais aussi-tôt qu'il s'en trouve seulement deux, leur opposition dans certain cas peut produire des exceptions.
La perfection d'une maison, par exemple, embrasse plusieurs objets, la position, distribution commode des appartemens, proportion de ces différentes parties, ornemens intérieurs & extérieurs ; un habile architecte ne perd rien de vue ; mais chaque chose entre dans son plan à proportion de son importance ; & quand il ne sauroit tout allier, il laisse ce dont on peut le plus aisément se passer.
Les défauts occasionnés par les exceptions, ne sont pas des défauts réels ; & la perfection du sujet n'en est point altérée. Placer l'idée de la perfection dans l'accord des choses qui ne sauroient être conciliées, ce seroit supposer l'impossible. Ainsi, les perceptions qui ne naissent que de cette impossibilité, n'ont rien qui nuise à la perfection du sujet. Un oeil est parfait, quoiqu'il ne puisse pas faire tout-à-la-fois les fonctions du télescope & du microscope ; parce qu'un même organe ne sauroit les allier, & que l'une & l'autre nuiroient à la veritable perfection de l'oeil, qui consiste à découvrir distinctement ce qui est à la portée du corps.
Le principe des exceptions se trouve dans la raison déterminante de la perfection du tout, qui doit toujours prévaloir sur la perfection d'une partie. C'est un principe capital pour écarter les jugemens faux & précipités sur la perfection des choses ; il faut en embrasser toute l'économie pour raisonner pertinemment. Qui ne connoît qu'une partie, & forme ses décisions là-dessus, court grand risque de s'égarer, & ne réussit que par hasard. La perfection du tout est l'objet de quiconque travaille d'une maniere sensée à quelqu'ouvrage que ce soit ; on n'ira pas sacrifier les commodités d'une maison entiere, pour rendre une salle parfaite. En un mot, dans un tout, chaque partie a sa perfection qui lui est propre ; mais elle est relative & subordonnée à celle du tout, au point que trop de perfection dans une partie, seroit une vraie imperfection dans le tout.
La grandeur de la perfection se mesure par le nombre des déterminations de l'être qui s'accordent avec les regles. Plus il y a de convenances entre les déterminations & les regles, plus la perfection s'accroît ; ou bien moins un sujet a de défauts réels & véritables, plus il a de perfection.
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PERFECTIONNER | v. act. (Gramm.) corriger ses défauts, avancer vers la perfection ; rendre moins imparfait. On se perfectionne soi-même ; on perfectionne un ouvrage. L'homme est composé de deux organes principaux ; la tête organe de la raison, le coeur, expression sous laquelle on comprend tous les organes des passions ; l'estomac, le foie, les intestins. La tête dans l'état de nature, n'influeroit presque en rien sur nos déterminations. C'est le coeur qui en est le principe ; le coeur d'après lequel, l'homme animal feroit tout. C'est l'art qui a perfectionné l'organe de la raison ; tout ce qu'il est dans ces opérations est artificiel ; nous n'avons pas eu le même empire sur le coeur ; c'est un organe opiniâtre, sourd, violent, passionné, aveugle. Il est resté, en dépit de nos efforts, ce que la nature l'a fait ; dur ou sensible, foible ou indomptable, pusillanime ou téméraire. L'organe de la raison est comme un précepteur attentif, qui le prêche sans cesse ; lui, semblable à un enfant, il crie sans cesse ; il fatigue son précepteur qui finit par l'abandonner à son penchant. Le précepteur est éloquent, l'enfant au contraire n'a qu'un mot qu'il répete sans se lasser, c'est oui ou non. Il vient un tems où l'organe de la raison, après s'être épuisé en beaux discours, & instruit par expérience de l'inutilité de son éloquence, se moque lui-même de ses efforts ; parce qu'il sait qu'après toutes ses remontrances, il n'en sera pourtant que ce qu'il plaira au petit despote qui est là. C'est lui qui dit impérieusement, car tel est notre bon plaisir. C'est un long travail que celui de se perfectionner soi-même.
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PERFECTISSIMAT | S. m. perfectissimatus, (Jurisprud.) c'étoit le rang, la dignité de ceux auxquels on donnoit chez les Romains le titre de perfectissimus. On donnoit ce titre à quelques gouverneurs de province, & à certaines autres personnes chargées de quelque administration. Le titre de perfectissime étoit moindre que celui de clarissime.
Il en est parlé au cod. lib. I. tit. de natur. libert. & lib. II. tit. de quaest. Voyez Cujas & Godefroi, sur le tit. 32. du liv. I. lexicon juridicum Calvini. Alciat. (A)
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PERFIDE | adv. (Gramm.) & PERFIDIE, s. f. (Morale) la Bruyere dit que la perfidie est un mensonge de toute la personne, si l'on peut parler ainsi ; c'est mettre en oeuvre des sermens & des promesses qui ne coûtent pas plus à faire qu'à violer. On tire ce bien de la perfidie des femmes qu'elle guérit de la jalousie.
PERFIDIE, s. f. en Musique, est un terme emprunté des Italiens, & qui signifie une affectation de faire toujours la même chose, ou de poursuivre le même dessein, de conserver le même mouvement, le même chant, les mêmes passages & les mêmes figures de notes. Voyez DESSEIN, MOUVEMENT, CHANT, &c. Telles sont les basses continues, comme celles des chaconnes, & une infinité de manieres d'accompagnement qui dépendent du caprice du compositeur. Ce terme n'est point usité en France, & je ne sais s'il a jamais été écrit en ce sens ailleurs que dans l'abbé Brossard. (S)
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PERFIQUE | S. f. (Mithol.) déesse des anciens qui rendoit les plaisirs parfaits. Les hommes n'ont pas eu, je crois, de divinité qui fît plus mal ses fonctions. Où est le plaisir entierement pur & parfait ? Rien n'est plus vrai, ni n'a été dit d'une maniere plus touchante que la pointe de Lucrece sur la petite pointe d'amertume qui se mêle à tous nos plaisirs :
Adeo de fonte leporum
Surgit amari aliquid, mediisque in floribus angit.
Sur le duvet, sur le lit le plus voluptueux & le plus doux, entre des draps de satin, sur le sein d'une femme dont la blancheur efface celle du satin-même qui l'enveloppe, il se trouve toujours, je ne sais comment, une feuille de rose qui nous blesse.
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PERFORANT | est le nom qu'on donne en Anatomie, à deux muscles de la main & du pié, qu'on appelle aussi à cause de leur action, fléchisseurs communs des doigts. Voyez Planch. anatomiq. & leur explic. Voyez PERFORE.
Le perforant de la main, ou le profond, est situé le long de la partie interne de l'avant-bras, & est couvert par le perforé. Il vient charnu de la partie externe & supérieure du cubitus, & du ligament interosseux ; & après avoir formé un corps charnu & assez épais, il se divise en quatre tendons ronds qui passent sous le ligament annulaire, & à-travers les fentes des tendons du perforé, s'inserent à la partie interne & supérieure de la troisieme phalange de chaque doigt. Voyez DOIGT.
Le perforant du pié est le nom d'un muscle du pié, appellé aussi profond, & à cause de son action, fléchisseur de la troisieme phalange des doigts du pié, ou grand fléchisseur. Ce muscle est situé à la partie postérieure de la jambe, entre le tibia & le peroné, & sur le ligament interosseux.
Ce muscle vient de la partie supérieure & postérieure du tibia & du peroné ; & passant derriere la malléole interne & le ligament qui joint le tibia avec le calcaneum, il se divise en quatre tendons qui passant par les trous du perforé, s'inserent à la troisieme phalange des petits orteils.
Il y a une masse ou substance charnue qui vient du calcaneum, & qui joint le tendon de ce muscle dans l'endroit où commencent les lombricaux. M. Winslow l'appelle l'accessoire du long fléchisseur, & d'autres anatomistes le quarré.
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PERFORATIF | instrument de Chirurgie, voyez TREPAN.
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PERFORÉ | en Anatomie, nom de deux muscles des doigts de la main & du pié, ainsi appellés parce que leurs tendons sont percés par ceux du perforant. On les appelle quelquefois fléchisseurs de la seconde phalange, à cause de leur action, & quelquefois sublimes, à cause de leur situation. Voyez nos Pl. d'Anat.
Le perforé de la main est situé le long de la partie interne de l'avant-bras. Il vient tendineux du condile interne de l'humerus, & de la partie supérieure & antérieure du radius ; ensuite il se partage en quatre parties, & passe sous le ligament annulaire, d'où il envoye différens tendons qui se bifurquent à la partie supérieure & interne de la seconde phalange de chaque doigt. C'est par cette fente ou trou que passent les tendons du perforant.
Le perforé du pié est un muscle du pié appellé aussi fléchisseur du pié, & sublime. Il est situé sous la plante du pié, & vient de la partie inférieure du calcaneum, & envoye un tendon à la seconde phalange de chacun des quatre petits orteils. Dans ce muscle, comme dans le perforé de la main, il y a une fente à chaque tendon pour laisser passer les tendons du perforant.
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PERGAME | (Géog. anc.) Pergamum, Pergamia, Pergamea & Pergamus, sont les noms de plusieurs lieux & villes.
1°. Virgile appelle Pergamum, la citadelle de Troye, & prend souvent cette forteresse pour Troye elle-même.
2°. Pergamum, ville de la Thrace dans les terres, selon Ptolomée, l. III. c. xj.
3°. Pergamum, ou Pergamea, ville de l'île de Crete. Velleïus Paterculus dit qu'Agamemnon ayant été jetté dans cette île par la tempête, il y fonda trois villes, Mycènes, Tégée & Pergame ; cette derniere en mémoire de sa victoire. Virgile, Aeneïd. lib. III. v. 132. attribue cependant la fondation de cette ville à Enée, à qui il fait dire :
Ergo avidus muros optatae molior urbis
Pergameamque voco.
Plutarque, in Lycurgo, dit que les habitans de l'île de Crete montroient le tombeau de Lycurgue dans le territoire de Pergame, près du grand chemin.
4°. Pergamum, ou Pergamus, ville de l'Asie mineure, dans la grande Mysie, selon Strabon, qui dit que le fleuve Caïcus l'arrosoit. Pline, liv. V. ch. xxx. y joint le Selinus & le Cetius. Sa situation étoit donc très-avantageuse. Ce fut d'abord une forteresse bâtie sur une montagne. Lysimachus, l'un des successeurs d'Alexandre, y mit ses trésors, & en confia le gouvernement à Philetaerus, qui profitant des conjonctures, s'en appropria la succession. Pergame devint dans la suite la capitale des rois Eumenès & des Attales.
La magnifique bibliotheque que les rois de Pergame dresserent, & le temple d'Esculape, furent les principaux ornemens de cette ville. Plutarque nous apprend que Marc-Antoine fit présent à Cléopatre de la bibliotheque de Pergame, dressée par Eumenès, & dans laquelle il y avoit deux cent mille volumes. Le roi d'Egypte qui vivoit du tems d'Eumenès, vit avec chagrin que les soins du roi de Pergame étoient capables d'effacer la gloire de la bibliotheque d'Alexandrie ; & l'émulation de ces princes fit naître plusieurs impostures en fait de livres.
Pour ce qui regarde Esculape, il est nommé Pergaméen dans Martial, Epig. xvij. l. IV. & nous apprenons de Tacite, Annal. l. III. c. lxiij. ad annum 775, que quand on fit à Rome la recherche des faux asyles, les preuves de l'asyle de l'Esculape des Pergaméens se trouverent valables.
Pergame fit bâtir un temple à l'empereur Auguste & à la ville de Rome. Strabon, liv. XIII. p. 429. vous dira les hommes illustres dont elle fut la patrie. On sait que Galien & Oribase, tous les deux grands médecins, sont du nombre. Disons présentement un mot des rois de Pergame.
Ce royaume commença vers l'an 470 de Rome par Philétaerus, dont nous avons déja parlé ; mais ni lui, ni son successeur ne prirent le nom de rois. Attale I. se donna le premier cette qualité, & il crut le pouvoir faire sans arrogance, après la gloire qu'il avoit acquise en gagnant une bataille contre les Gaulois. Il s'allia avec les Romains, & se rendit exprès à Athènes pour nuire à Philippe, roi de Macédoine. Alors toute la ville, hommes, femmes & prêtres avec leurs habits sacerdotaux, furent au-devant de lui. Peu s'en fallut qu'on ne contraignît les dieux à lui rendre le même honneur. Cependant il trouva plus conforme à sa dignité de communiquer par écrit ses propositions, que de commettre sa modestie à la nécessité d'étaler lui-même ses services, & de recevoir d'un peuple flatteur une infinité d'applaudissemens ; c'est Tite-Live qui le dit, liv. XXXI. La guerre fut conclue contre Philippe. Ce fut alors que pour honorer Attalus, on proposa d'ajouter une nouvelle tribu aux dix anciennes, & de la nommer Attalide. Ce prince regna 44 ans, & en vécut 72. Il aima les Philosophes, se servit de ses richesses en homme magnanime, fut fidele à ses alliés, & éleva très-bien ses quatre fils.
Eumenès II. l'aîné de tous, lui succéda. Il étoit d'un tempérament infirme, mais d'une grandeur de courage qui suppléoit à la foiblesse de son corps. Il aimoit souverainement la gloire ; il fut magnifique, & combla de bienfaits plusieurs villes grecques & plusieurs particuliers. Il étendit au long & au large les bornes de ses états, & ne fut redevable de cet aggrandissement qu'à son industrie & qu'à sa prudence. Il se tint inviolablement attaché à l'alliance des Romains, & il en tira de grandes utilités. Il mourut fort âgé l'an 596, laissant la tutele de son fils à son frere Attale.
Celui-ci commença sa régence par une action glorieuse, ce fut de rétablir Ariarathe dans le royaume de Cappadoce. Il se signala par plusieurs autres faits, & mourut l'an 616 ; ensuite de quoi son pupille Attale III. regna seul.
Ce prince fut surnommé Philometor, en vertu de sa piété pour sa mere, qui même fut cause de sa mort ; car comme il lui creusoit un tombeau, il fut frappé du soleil sur la tête, & mourut en sept jours. Il aima extrèmement l'agriculture, & même il composa sur ce sujet des livres qui n'étoient pas inconnus à Varron, à Pline & à Columelle. Il entendoit très-bien la matiere médicale & la fonte des métaux ; mais il ternit ses vertus & ses talens par un penchant à la cruauté. Il fit mourir plusieurs personnes illustres, ce qui le jetta dans une triste mélancholie ; il se couvrit alors, pour ainsi dire, de sac & de cendre, abandonna le soin des affaires, & ne s'occupa que du soin de son jardin. Il mourut environ l'an 621 ; & comme il n'avoit point d'enfans, il institua pour son héritier le peuple romain.
Ainsi finit le royaume de Pergame, qui dans l'espace de 150 années étoit devenu fort puissant, & où la magnificence fut si éclatante, qu'elle passa en proverbe. Il suffit de lire les Poëtes & leurs commentateurs pour n'en pas douter :
Attalicis conditionibus
Nunquam dimoveas.
C'est Horace qui parle ainsi des richesses d'Attale. Properce en dit bien davantage :
Nec mihi tunc fulcro sternatur lectus eburno
Nec sit in Attalico mors mea nixa toro.
Eleg. xiij. liv. II.
Attalicas supra vestes, atque omnia magnis
Gemmea sint ludis, ignibus ista dabis.
Eleg. xviij. l. III.
Les tapisseries ne furent connues à Rome que depuis qu'on y eut transporté celles d'Attalus. Ce prince fut l'inventeur de la broderie d'or : aurum intexere in eâdem Asiâ, invenit Attalus rex.
Enfin je ne dois pas oublier de dire que l'émulation de Ptolomée, roi d'Egypte, & d'Eumenès, roi de Pergame, à qui dresseroit une plus belle bibliotheque, fut cause que le roi d'Egypte fit interdire le transport du papier ; mais l'on trouva à Pergame l'art de préparer des peaux, c'est-à-dire le parchemin, pour y suppléer. C'est donc encore à cette ville de Mysie qu'est dûe la gloire de l'invention d'une chose qui assure aux hommes une sorte d'immortalité.
M. l'abbé Sevin a donné dans le recueil des Inscriptions, tom. XII. in-4°. trois savans mémoires sur les rois de Pergame ; c'est l'histoire complete de ce royaume : il faut la lire, elle ne laisse rien à desirer. J'ajouterai seulement qu'Athénodore, surnommé Cordylion, célebre philosophe stoïcien, étoit de Pergame, où il demeura une grande partie de sa vie, considéré de tout le monde, & refusant constamment les graces & les honneurs que les rois & les généraux voulurent lui faire. Caton le jeune étant en Asie à la tête d'une armée, & ayant oui parler du grand mérite de cet homme illustre, souhaita extrèmement de l'avoir auprès de lui ; mais persuadé qu'une simple lettre ne pourroit l'engager à sortir de sa retraite, il prit le parti de se rendre lui-même à Pergame, capitale du royaume d'Attale, & à force de sollicitations & de prieres, il engagea Athénodore à le suivre dans son camp, & de-là à Rome, où il revint avec lui en triomphe, plus content de l'acquisition qu'il venoit de faire, que Lucullus & Pompée ne pouvoient l'être de toutes leurs conquêtes. Athénodore demeura jusqu'à sa mort avec Caton, dans la maison duquel il mourut, ainsi que nous l'apprend Strabon, l. XIV. pag. 674. (D.J.)
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PERGAMO | (Géog. mod.) ville bâtie sur les ruines de Pergame, dans la grande Mysie, & dont on peut voir l'article n °. 4.
Pergamo est une ville de la Natolie, à 34 milles de Smyrne, & à 20 de Thyatire. Elle est assise au pié d'une montagne qu'elle a au nord, dans une belle plaine, fertile en grains, où passent le Titanus & le Caïcus, qui se déchargent dans la riviere d'Hermus. Voici ce qu'en disoit M. Spon dans le dernier siecle.
A côté de la ville passe le ruisseau rapide appellé anciennement Selinus, qui court au S. S. E. & se va rendre dans le Caïcus. De l'autre côté du Selinus il y a une église qui portoit le nom de Sainte Sophie, & qui est convertie présentement en mosquée. Dans le quartier oriental de la ville, on voit les ruines d'un palais ; c'étoit peut-être la demeure des rois du pays. De toutes les colonnes qui enrichissoient cet édifice, il n'en reste que cinq de marbre poli, hautes seulement de 21 piés, & l'on en voit encore quelques-unes de l'autre côté de la rue.
Vers la pointe méridionale de la ville, il y a aux deux côtés du grand chemin, deux petites collines artificielles sur lesquelles étoient deux forts pour garder l'entrée de la ville, & au levant il y en avoit deux autres semblables. On voit près de-là un grand vase de marbre de 21 piés de tour, gravé d'un bas-relief d'hommes à cheval.
Le long de la montagne, vers le S. O. se voyent les ruines d'un aqueduc, qui a encore six arcades, sur un ruisseau, & au midi de ces arcades, il y en a six autres avec de grandes voûtes, que les Turcs appellent kisserai. De-là en tirant encore plus vers le S. on apperçoit les ruines d'un théâtre sur le penchant de la colline.
Parmi les débris de marbre, on trouve une inscription ancienne, consacrée par le sénat & par le peuple de Pergame à l'honneur de Caïus Antius Aulus Julius Quadratus. L'inscription porte qu'il avoit été deux fois consul, & proconsul d'Asie, qu'il avoit eu plusieurs emplois dans diverses provinces particulieres en Candie & en Cypre ; enfin, qu'il avoit été éparque de Syrie, sous l'empereur Trajan, & grand bienfaiteur de Pergame.
Les Chrétiens de Pergamo sont aujourd'hui en pauvre état, puisqu'ils ne sont qu'au nombre d'une douzaine de familles qui cultivent la terre ; la ville n'est peuplée que d'environ deux mille turcs. Voilà les successeurs des Eumenès & des Attales.
Télephe, grammairien, naquit à Pergamo vers l'an 118 de Jesus-Christ. Il composa l'histoire de sa patrie, les vies des poëtes comiques & tragiques, & un grand traité des lois, des usages & des tribunaux d'Athènes. (D.J.)
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PERGANTIUM | (Géog. anc.) ville de la Ligurie. C'est aujourd'hui Bregançon, sur la côte de Provence, vis-à-vis les îles d'Hières ; car la Ligurie s'est autrefois étendue jusques-là.
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PERGASE | S. f. (Hist. d'Athènes) l'une des démarchies ou intendances, selon lesquelles le pays de l'Attique étoit distribué. La pergase se trouvoit dans la tribu érechthéïde. (D.J.)
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PERGE | (Géog. anc.) Perga, ville de Pamphylie, selon Strabon, l. XIV. p. 667. Ptolomée, l. V. c. v. & Pline l. V. c. xxvij. Elle étoit dans les terres, à 8 milles de la mer. Ortelius dit qu'on la nomme présentement Pirgi.
Pomponius Mela, l. I. c. xjv. la place entre les fleuves Cestron & Cataractes, & il nous apprend qu'il y avoit un temple de Diane Pergée, ainsi appellée du nom de cette ville. Ce temple, selon Strabon, étoit situé sur une hauteur voisine ; il étoit fort ancien, & on l'avoit en grande vénération, ainsi que l'atteste Ciceron. Pergae fanum antiquissimum & sanctissimum Dianae scimus esse, id quoque à te nudatum & spoliatum esse, ex ipsa Diana quod habebat auri detractum, atque ablatum esse dico. Orat. 6. in Verrem. Quoique la Diane d'Ephèse surpassât la Diane de Perge, celle-ci ne laissoit pas d'avoir bonne part à la dévotion des peuples.
Il s'y faisoit tous les ans une nombreuse assemblée ; c'est alors, sans doute, que l'on y chantoit les hymnes que Damophila, contemporaine de Sapho, avoit composées en l'honneur de cette déesse, & qui se chantoient encore au tems d'Apollonius de Tyane. Il y a plusieurs médailles qui parlent de la Diane de Perge, . Voyez Spanheim de praestant. & usu numismat. p. 782.
Il est fait mention de Perge dans les actes des Apôtres, c. xiij. v. 14. Comme elle n'étoit pas maritime, il faut que saint Paul ait remonté le fleuve Cestron pour y arriver, ou qu'il soit allé par terre, dans le dessein qu'il avoit d'y annoncer l'Evangile.
Perge est à-présent en un triste état : le siége archiépiscopal en a été transféré à Attalia, l'une des 14 villes qui en dépendoient auparavant.
Le fameux géometre Appollonius, dont on a un traité des sections coniques, étoit natif de Perge. Il vivoit sous la 134. olympiade, vers l'an 244 de Jesus-Christ, & au commencement du regne de Ptolomée Evergetes, roi d'Egypte. Il étudia long-tems à Alexandrie sous les disciples d'Euclide, & il mit au jour plusieurs ouvrages, dont il ne nous reste que celui des sections coniques, que plusieurs auteurs anciens ou modernes ont commenté ou traduit. Nous avons encore le commentaire qu'Eutocius d'Ascalon fit sur les quatre premiers livres de cet ouvrage, avec quelques lemmes & corollaires de sa façon. Nous avons aussi au nombre de 65, les lemmes que Pappus disposa sur les coniques d'Apollonius. Entre les modernes, il faut lire (Vincentio) Viviani, de maximis & minimis geometrica divinatio, in quintum librum conicorum Apollonii Pergaei. Florence 1659, in-fol. (D.J.)
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PERGÉE adj | (Mythol.) surnom de Diane pris d'une ville de Pamphylie, où cette déesse étoit honorée. La Diane Pergée est réprésentée tenant une pique de la main gauche, & une couronne de la droite ; à ses piés est un chien qui tourne la tête vers elle, & qui la regarde, comme pour lui demander cette couronne qu'il a méritée par ses services. (D.J.)
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PERGUBRIOS | S. m. (Idolâtrie) nom propre d'un faux-dieu des anciens Lithuaniens & Prussiens, selon Hartsnoch, dans sa deuxieme dissertation de festis vet. Prussiorum. Cet auteur fertile en fictions, dit que ce dieu présidoit aux fruits de la terre ; que ces anciens peuples célébroient sa fête le 22 Mars, en passant la journée en réjouissances, en festins, & particulierement à boire une grande quantité de biere. (D.J.)
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PERGUS | ou PERGUSA, (Géog. anc.) lac de l'île de Sicile, à 5 milles de la ville d'Enna, du côté du midi. Les Poëtes disent que c'est près de ce lac que Pluton ravit Proserpine. Comme les anciens avoient beaucoup de vénération pour le lac de Pergus, on croit que c'est de ce lac dont Claudien entend parler dans ces vers.
.... Admittit in altum
Cernenteis oculos ; & late pervius humor
Ducit in offensos liquido sub gurgite visus :
Imaque perspicui prodit secreta profundi.
Ce lac a quatre milles de circuit ; & au lieu qu'il se trouvoit autrefois au milieu d'une forêt, aujourd'hui ses bords sont plantés de vignes : on n'y voit point de poissons, mais on y pourroit pêcher une prodigieuse quantité de couleuvres. (D.J.)
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PÉRI | S. m. (Terme de roman asiatique) Les péris sont dans les romans des Persans, ce que sont dans les nôtres les fées ; les pays qu'ils habitent sont le Genuistan, comme la Féerie est le pays où nos fées résident. Ce n'est pas tout, ils ont des péris femelles, qui sont les plus belles & les meilleures créatures du monde ; mais leurs péris mâles (qu'ils nomment dives & les Arabes giun) sont des esprits également laids & méchans, des génies odieux qui ne se plaisent qu'au mal & à la guerre. Voyez, si vous ne m'en croyez pas, la bibliotheque orientale de d'Herbelot. (D.J.)
PERI, (Blason) Le terme péri se dit des pieces qui sont extrèmement raccourcies, à la différence de celles qu'on appelle alaisées. Les cadets de Bourbon brisent leurs armes d'un bâton péri en bande, & les batards, d'un bâton péri en barre. (D.J.)
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PERIANTHIUM | (Botan.) calice particulier de la fleur. Ce mot, dans le système de Linnaeus, désigne cette espece de calice qui est composé de plusieurs feuilles, ou d'une seule feuille divisée en divers segmens qui environnent la partie inférieure de la fleur. (D.J.)
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PÉRIAPTE | S. m. (Médec. anc.) Les anciens nommoient périaptes les remedes qu'on mettoit extérieurement sur soi, pour prévenir de certains maux ; ou pour les guérir, &c. Pline dit que de son tems quelques gens croyoient rendre les chevaux infatigables à la course, en leur attachant des dents de loup. On portoit sur soi certaines pierres précieuses contre la jaunisse, le mal caduc, &c. Ces pratiques superstitieuses se sont perpétuées jusqu'à nous, & se perpétueront jusqu'à la fin des siecles. Les hommes dans tous les tems & dans tous les pays, ont un grand fond de crédulité pour ces sortes de remedes, qui n'ont d'autre vertu que celle qu'ils empruntent d'une imagination vivement frappée. (D.J.)
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PÉRIBOLE | S. m. (Littér.) espace de terre planté d'arbres & de vignes qu'on laissoit autour des temples ; il étoit renfermé par un mur consacré aux divinités du lieu ; & les fruits qui en provenoient appartenoient aux prêtres. C'est ce que les Latins appelloient templi conceptum, selon Hoffman, qui cite les notes de Saumaise sur Solin. Peribolus étoit le même que sacellum, lieu sans toît & consacré aux dieux. Le péribole des églises des premiers chretiens, contenoit des cellules, des petits jardins, des bains, des cours & des portiques ; ces lieux étoient des asyles pour ceux qui s'y étoient réfugiés, comme nous l'apprend une constitution de Théodose & de Valentinien. (D.J.)
PERIBOLE, s. f. (Lexicog. medic.) , de , environner ; terme employé fréquemment par Hippocrate, & en différens sens dans ses ouvrages. Il désigne communément un transport des humeurs, ou de la matiere morbifique des parties internes sur la surface du corps. (D.J.)
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PERIBOLOS | (Critiq. sacr.) Ce mot grec désigne dans Ezéch. xlvij. 7. l'enceinte, la clôture, la balustrade, le mur qui entouroit le parvis destiné pour les prêtres. Il signifie, dans le I. des Macchab. xiv. 48, une galerie qui environnoit le sanctuaire. (D.J.)
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PERIBOLU | ou PERIBOLUM, (Géog. anc.) Denis de Bysance, p. 10. dans sa description du Bosphore de Thrace, dit qu'après le bois d'Apollon on trouvoit le Péribolus où les Rhodiens attachoient leurs vaisseaux pour les garantir des tempêtes. Il ajoute que de son tems, il en demeuroit encore trois pierres, & que le reste étoit tombé de vieillesse. Le mot & peribolus, dans la description dont Denis de Byzance l'accompagne, semble dire que c'étoit un mole, une muraille, ou un quai revêtu. Pierre Gylles, de Bosphoro trac. l. II. c. viij. juge que ce lieu est le même que les pécheurs nomment aujourd'hui Rhodacinion ; il fonde ce jugement non-seulement sur le rapport des noms, mais encore sur la situation des lieux) Denis de Byzance plaçant le lieu où les Rhodiens attachoient leurs vaisseaux, précisément dans l'endroit appellé aujourd'hui Rhodacinion. On n'y voit présentement qu'une grosse pierre qui sort audessus de l'eau, & qui tient à d'autres pierres qu'on jetta autrefois dans l'eau pour y fonder un mole qui formoit un port.
Peribolus est un mot grec qui signifie proprement une enceinte. La traduction des Septante d'Ezéchiel, c. xlij. v. 7. employe ce terme pour signifier un mur du parvis des prêtres qui avoit 50 coudées de long, ce qui étoit toute la longueur des appartemens qui environnoient ce parvis. (D.J.)
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PÉRICARDE | S. m. (Anatom.) capsule membraneuse, ou poche dans laquelle le coeur est renfermé. Voyez COEUR.
Ce mot est formé des mots grecs , autour, & , coeur. Le Péricarde est composé de deux membranes : leur figure est conique comme celle du coeur ; & le coeur n'y est point trop serré, afin de pouvoir faire aisément ses battemens. Voyez COEUR.
Le péricarde environne tout le coeur inférieurement ; il se colle dans toute la longueur de sa surface inférieure au diaphragme, dont on ne peut le séparer. Antérieurement il en couvre le plan convexe ; & s'élevant un peu plus haut, il adhere d'abord postérieurement & obliquement à la veine cave ; il donne ensuite la faux ou cette petite cloison qui se trouve entre la veine cave, l'aorte, & l'artere pulmonaire ; il donne une gaîne au canal artériel, tient alors à l'artere pulmonaire, entre l'artere & la veine de ce nom ; forme une faux très-sensible. La partie antérieure du péricarde tient avec la partie postérieure à cette faux ; elle est divisée en deux parties par les bronches : la supérieure est entre les grandes arteres & la division de la trachée-artere, & devant cette trachée il se continue à l'inférieure, qui distingue le sinus pulmonaire de la plevre ; & sous le sinus il adhere au diaphragme. Il se termine latéralement aux insertions des vaisseaux pulmonaires, auxquels il donne des gaînes dans le poumon, outre celles qu'ils ont de sa membrane externe & le tissu cellulaire : car le péricarde est fait de deux fortes membranes séparées par un tissu cellulaire. On distingue aisément deux lames dans l'endroit où les nerfs passent au coeur, car ils y serpentent dans les interstices de ces deux membranes : l'extérieur de ces lames avec le tissu cellulaire, donne des gaînes à l'aorte, à l'artere pulmonaire, aux veines caves & pulmonaires. Voyez Vinslow.
Nous ne manquons pas d'observations qui nous apprennent que le péricarde ne se trouve pas toujours non seulement dans le chien & dans plusieurs autres animaux, mais dans l'homme même. Vieussens fait mention de plusieurs hommes d'une santé parfaite, qui n'avoient point de péricarde : il s'accorde en cela avec Colombus. Ces observations sont-elles bien certaines ? Ce sac fort mince dans certains animaux, & qui dans l'homme se colle quelquefois au coeur, n'en auroit-il pas imposé à ceux qui les ont faites ? Il se trouve en effet fort & charnu, même dans les amphibies, comme dans le crocodile & dans la tortue. Le poisson qu'on nomme lamproie a un péricarde presque cartilagineux ; & l'on trouve très-certainement cette même capsule dans le hérisson, qui en manque, ainsi que le chien de mer, si l'on veut croire d'autres auteurs.
On observe dans le péricarde une eau qui paroît filtrée par des arteres exhalantes de toutes ces parties, & cette eau sert à humecter le coeur, qui desséché par son mouvement continuel, eût nécessairement contracté des adhérences avec les parties voisines, comme je l'ai observé dans un cadavre que j'ouvris, & dans lequel je trouvai le coeur collé par-tout au péricarde, qui étoit plus épais qu'à son ordinaire.
Les auteurs ne sont pas d'accord sur cette liqueur. Quelques-uns prétendent qu'elle n'est point naturelle, & qu'elle est l'effet forcé des agonies qui surviennent à l'article de la mort. En effet, les anatomistes sont embarrassés pour savoir d'où cette liqueur peut venir, & quels en sont les vaisseaux secrétoires. Les uns admettent des glandes pour la filtrer, d'autres prétendent que ce sont des arteres exhalantes. Le docteur Keill, dans son traité des secrétions animales, prétend que la liqueur du péricarde doit être la plus fluide de toutes celles qui se séparent dans le corps, parce que les parties s'unissent les premieres, & sont séparées les premieres ; car ces particules qui s'unissent les premieres doivent avoir la plus grande force attractive, par conséquent elles doivent être plus sphériques & plus solides : donc elles doivent se toucher par moins de surface, & par conséquent avoir plus de fluidité. Voyez FLUIDITE.
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PÉRICARDIAIRE | adj. (Médec.) épithete qu'on a donné aux vers qui s'engendrent dans le péricarde ou la capsule du coeur. Voyez VERS & PERICARDE.
M. Andry met les vers péricardiaires au nombre des douze especes de vers qui peuvent s'engendrer dans le corps de l'homme ; ces vers occasionnent quelquefois des convulsions, dont le paroxysme ne dure que fort peu de tems, mais revient continuellement.
Ceux qui sont attaqués de cette maladie, ont le visage extrèmement pâle, le pouls petit, de grands maux de poitrine & d'estomac, quelquefois aussi des palpitations de coeur, voyez PALPITATION. M. Andry ajoute que ces vers causent quelquefois des morts subites.
Ces vers ont la même cause & la même origine que les autres ; il faut y employer les mêmes remedes. Voyez VERS & VERMIFUGE.
On a éprouvé que l'élixir de Garus donné par cuillerée, seroit fort utile dans la syncope causée par ces vers.
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PÉRICARDINE | en Anatomie, nom des arteres & des veines qui se distribuent au péricarde. Voyez PERICARDE.
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PÉRICARPE | S. m. (Botan.) ce mot désigne tout ce qui environne le fruit des végétaux, soit membrane, cosse ou pulpe, de , autour, & , fruit ; mais dans le système des botanistes modernes, le péricarpe est l'enveloppe des graines de chaque plante ; il est formé par le germe du pistil grossi, & ne se trouve pas dans tous les fruits.
On distingue huit especes de péricarpes ; savoir la capsule, la coque, la silique, la gousse, le fruit à noyau, la pomme, la baie, & le cône.
La capsule, capsula, est composée de plusieurs panneaux élastiques, renfermant des graines dans une ou plusieurs loges, d'où viennent les dénominations de capsules uniloculaires, & multiloculaires.
La coque, conceptaculum, a les panneaux mous.
La silique, siliqua, est composée de deux panneaux qui s'ouvrent d'un bout à l'autre, & qui sont séparés par une cloison membraneuse.
La gousse, legumen, est un péricarpe oblong à deux cosses, & les semences sont attachées aux limbes supérieures de chacune.
Le fruit à noyau, drupa, est composé d'une pulpe charnue contenant un noyau.
La pomme ou fruit à pepin, pomum, a une pulpe charnue, où sont les graines, dans une enveloppe membraneuse.
La baie, bacca, a une pulpe succulente qui renferme les semences.
Le cône, strobilus, est composé d'écailles contournées par le haut. (D.J.)
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PÉRICHONDRE | S. m. en Anatomie, membrane qui recouvre les cartilages, & qui est à leur égard ce que le périoste est aux os. Voyez PERIOSTE.
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PÉRICHORES | JEUX, (Antiq. grecq.) les Grecs donnoient ce nom aux jeux qui n'étoient ni sacrés ni périodiques, & dans lesquels les vainqueurs recevoient pour prix, non une simple couronne, comme dans les grands jeux, mais ou de l'argent ou quelque chose d'équivalent : on donnoit des phioles d'argent à Marathon, un bouclier d'airain dans les jeux célébrés à Argos en l'honneur de Junon. Dans les théoxénies, le prix étoit une sorte de robe appellée laena. Dans les tacées, les vainqueurs recevoient des amphores de quelque métal ; en un mot toutes les récompenses étoient lucratives, & par conséquent ignobles : aussi ces jeux ne se célébroient que pour les habitans des villes & des bourgs du voisinage, comme l'indique le nom même ; car périchore veut dire voisin, voisinage. (D.J.)
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PÉRICLITER | v. n. (Gram.) être en péril : cette affaire périclite entre ses mains : cet effet périclite.
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PÉRICLYMENUM | S. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, en forme de tuyau, profondément découpée, & soutenue par un calice, qui devient dans la suite un fruit mou, ou une baie qui renferme une semence applatie & arrondie. Tournefort, Inst. rei. herb. Voyez PLANTE.
Tournefort compte deux especes de ce genre de plante, celle de Virginie toujours verte, & celle des Indes à fleur jaune ; il faut y joindre celle du Chily que nous allons décrire.
Le periclymenum du Chily s'éleve en forme d'arbrisseau divisé en plusieurs bras, couverts d'une écorce grise-brune : chaque rameau finit par un bouquet de fleurs, dont le nombre est indéterminé, tantôt pairs, tantôt non-pairs : chaque fleur est un tuyau, rouge-de-sang, rond, fermé par le bas, & ouvert par le haut, découpé en quatre lobes jusque vers sa partie moyenne : des parois internes de la fleur sortent quatre étamines jaunes, enfilées par un stile plus long que ne sont les étamines ; la fleur étant passée, le calice devient un fruit semblable à nos olives, en grosseur & en couleur, revêtu d'une peau fort mince. Il renferme une chair douçâtre, blanche & gommeuse, & contient un noyau dur, osseux : on employe cet arbrisseau pour teindre en noir les étoffes, qui ne se déchargent pas comme celles d'Europe ; cette teinture se fait en partie avec de la terre noire du pays, en partie avec le bois de cette plante, brisé en petits morceaux : on fait bouillir le tout ensemble dans de l'eau commune, jusqu'à suffisante cuisson. (D.J.)
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PÉRICRANE | S. m. (Anatom.) nom que les Anatomistes donnent à une membrane solide & épaisse qui couvre le crâne par-dehors. Voyez CRANE.
Ce mot est formé des mots grecs , autour, & , crâne. Quelques auteurs donnent à cette membrane le nom général de périoste, à cause qu'elle est adhérente à l'os : d'autres la divisent en deux membranes ; & ils appellent péricrâne celle des deux qui enveloppe immédiatement le crâne, & périoste celle qui est plus extérieure. En effet, le péricrâne est une double membrane, composée comme beaucoup d'autres, de deux tuniques. On croit qu'il prend son origine de la dure-mere, qui passant à-travers les sutures du cerveau, forme cette membrane épaisse par différens filamens : ce qu'il y a de certain, c'est qu'on trouve que le péricrâne est attaché à la dure-mere par des fibres qui traversent les sutures.
Vers l'origine des muscles temporaux les deux tuniques du péricrâne se partagent : l'extérieure passe par-dessus ces muscles, & l'intérieure demeure toujours adhérente au crâne. Voyez PERIOSTE.
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PÉRIDOT | S. m. (Hist. nat. Lithologie) c'est le nom que les jouailliers françois donnent à une pierre précieuse d'une couleur verdâtre, qui tire un peu sur le jaune. Quelques-uns ont cru que cette pierre étoit le prasius des anciens : d'autres, avec plus de probabilité, ont conjecturé que le péridot étoit la chrysoprase. Quoi qu'il en soit de ces sentimens, M. Lehman, de l'académie de Berlin, a publié en 1745 un mémoire dans le recueil de cette académie ; il y fait voir les erreurs des auteurs sur la pierre que les anciens appelloient chrysoprase, qu'ils ont confondu avec la chrysolite, le chrysoberille, le prasius, ou le prasitis, l'émeraude, les topazes, &c. Ensuite il nous apprend avoir trouvé en Silésie, près d'un village appellé Kosemitz, une pierre à qui il prétend que convient le nom de chrysoprase. Cette pierre est d'un verd céladon ou verd pomme ; elle n'a que très-peu de transparence ; elle est ordinairement remplie de taches blanches qui nuisent à sa pureté, & la couleur en est en général trouble. Au-reste, cette pierre prend un très-beau poli & se taille en facettes. Cette pierre, que M. Lehman appelle chrysoprase se trouve dans les couches, en morceaux détachés ou fragmens, qui sont ordinairement renfermés dans de l'asbeste, qui leur sert d'enveloppe ou de matrice ; & ces fragmens sont accompagnés de pierres d'un beau verd, un peu tendres, & mêlées d'une terre verte : ces pierres ne prennent point le poli. Voyez les Mémoires de l'académie de Berlin, année 1755, pag. 202.
Il est certain que la pierre que M. Lehman appelle chrysoprase est d'une couleur verte très-agréable ; mais son peu de transparence, & les défauts dont elle est remplie, l'empêcheront d'être estimée des Jouailliers. (-)
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PÉRIDROME | S. m. (Archit. anc.) c'est, dans une périptere, l'espace, la galerie, l'allée qui regne entre les colonnes & le mur. Les péridromes étoient des promenades chez les Grecs. Voyez Saumaise sur Solin. (D.J.)
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PERIÉGÈTE | S. m. (Antiq. grecq.) les periégètes , étoient des ministres du temple de Delphes. Ce terme doit être conservé, parce que le mot d'interprete n'exprime pas entierement le mot grec ; le mot de guide ne l'exprime pas non-plus. Ces ministres étoient guides & interpretes tout ensemble. Ils s'occupoient à promener les étrangers par toute la ville de Delphes, pour les desennuyer du long séjour qu'ils étoient obligés d'y faire ; ils leurs montroient les offrandes que la piété des peuples y avoit consacrées ; ils leurs apprenoient par qui telle statue, tel tableau avoit été donné, quel en étoit l'artiste, dans quel tems & à quelle occasion on l'avoit envoyé ; enfin c'étoient des gens pleinement instruits de toutes les antiquités de la ville & du temple.
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PERIER | S. m. terme de Fondeur, c'est un morceau de fer emmanché au bout d'une perche ; on s'en sert à ouvrir les fourneaux, pour faire couler le métal lorsque les Fondeurs veulent jetter quelques ouvrages en bronze. (D.J.)
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PERIGÉE | S. m. terme d'Astronomie, qui signifie le point de l'orbite, du soleil ou de la lune, où ces planetes sont le plus près de la terre, ou en général le point de la plus petite distance d'une planete à la terre. Périgée est opposé à apogée. Voyez APOGEE. Voyez aussi PERIHELIE, & APHELIE.
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PÉRIGORD | LE, (Géog. mod.) province de France, qui a au nord l'Angoumois, au levant la Saintonge, à l'orient d'hiver elle touche le Basadois & le Bourdelois, au midi elle a l'Agénois, à l'orient d'été le Quercy & le Limosin.
Son nom vient de celui des anciens peuples Petrocorii ou Petricorii, qu'on a corrompu dans le cinquieme siecle en Petricordii. Ces peuples qui sont connus dans les commentaires de César, étoient alors au nombre des Celtes, & Auguste les mit sous l'Aquitaine. Cette province ayant été divisée en deux sous Valentinien I. les Petricorii furent attribués à la seconde, & eurent pour métropole Bourdeaux ; leur capitale s'appelloit Vesuna, comme nous l'apprenons de Ptolomée : mais dans le quatrieme siecle, la ville quitta entierement ce nom pour prendre celui du peuple Petricorii, d'où on fit Petricordium & Petricorium, aujourd'hui Périgueux.
Le Périgord vint au pouvoir des Goths dans le commencement du v. siecle ; dans le suivant il fut pris sur eux par les François. Les rois de Neustrie Mérovingiens l'ont possédée jusqu'au tems du duc Eudes, qui se rendit absolu dans l'Aquitaine, & ce fut Pepin, pere de Charlemagne, qui conquit le Périgord sur Gaïfre, petit-fils d'Eudes. Les Carlovingiens, qui ont regné dans la France occidentale, ont eu jusqu'au dixieme siecle le même pays, qu'ils gourvernoient par des comtes, qui n'étoient que de simples officiers.
Dans la suite des tems, Charles, duc d'Orléans comte de Périgord, ayant été fait prisonnier par les Anglois, vendit, l'an 1437, son comté de Périgord à Jean de Blois, comte de Penthievre, qui le laissa à son fils Guillaume. Celui-ci n'eut qu'une fille, nommée Françoise, qui épousa Alain, sire d'Albert, bisayeul de Jeanne d'Albert, reine de Navarre. Jeanne apporta tous ses états en mariage à Antoine de Bourbon, pere d'Henri IV. qui ayant succédé au royaume de France après la mort d'Henri III. unit à la couronne le Périgord, avec ses autres biens patrimoniaux.
Le Périgord a environ trente-trois lieues de long sur vingt-quatre de large. On le divise en haut & bas Périgord, ou bien en blanc & en noir. Périgueux est la capitale de tout le Périgord. Sarlat est la principale ville du bas Périgord, nommé Périgord noir, parce qu'il est plus couvert de bois.
Les rivieres de cette province sont la Dordogne, la Vere, l'Ile, & la haute Vezere : ces trois dernieres ne sont navigables que par le secours des écluses. L'air du pays est pur & sec. Il abonde en mines d'excellent fer, & ses montagnes sont couvertes de noyers & de châtaigniers. Il s'y trouve aussi quelques sources d'eaux médicinales.
Mais le Périgord doit à jamais se glorifier d'avoir donné le jour à M. de Fenelon, archevêque de Cambrai. On a de lui cinquante-cinq ouvrages différens ; tous partant d'un coeur plein de vertu, mais son Télémaque l'inspire. On apprend, en le lisant, à s'y attacher, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, à aimer son pere & sa patrie, à être roi, citoyen, ami, esclave même si le sort le veut. Trop heureuse la nation pour qui cet ouvrage pourroit former un jour un Télémaque & un Mentor.
" Il a substitué dans ce poëme une prose cadencée à la versification, & a tiré de ses fictions ingénieuses, une morale utile au genre humain. Plein de la lecture des anciens, & né avec une imagination vive & tendre, il s'étoit fait un style qui n'étoit qu'à lui, & qui couloit de source avec abondance.
Les éditions du Télémaque furent innombrables. Il y en a plus de trente en anglois, & plus de dix en hollandois. C'est en vain qu'en examinant ce poëme à toute rigueur, on a cru y reprendre des descriptions trop uniformes de la vie champêtre ; il est toujours vrai que cet ouvrage est un des plus beaux monumens d'un siecle florissant. Il valut à son auteur la vénération de toute l'Europe, & lui vaudra celle des siecles à venir.
Les Anglois sur-tout, qui firent la guerre dans son diocèse, s'empresserent à lui témoigner leur respect. Le duc de Malborough prenoit autant soin qu'on épargnât ses terres, qu'il en eût pris pour celles de son château de Blenheim : enfin M. de Fenelon fut toujours cher au duc de Bourgogne qu'il avoit élevé ". Voici son épitaphe, qui n'est pas un éloge, mais un portrait.
Omnes dicendi lepores virtuti sacravit ac veritati ; & dùm sapientiam spirat, semetipsum inscius retexit. Bono patriae unice intentus, regios principes ad utilitatem publicam instituit. In utrâque fortunâ sibi constans, in prosperâ aulae favores ut dùm prensaret, adeptos etiam abdicavit ; in adversâ Deo magis adhaesit. Gregem sibi creditum, assiduâ fovit praesentiâ, verbo nutrivit, exemplo erudivit, opibus sublevavit. Exteris perindè carus ac fuit, hos & illos ingenii famâ, & comitate morum, sibi devinxit. Vitam laboribus exercitam, claram virtutibus, meliore vitâ commutavit, septimo Januarii, anno M. DCCXV. aetatis, LXIV.
Montagne (Michel de), né en Périgord en 1533, a trop de partisans pour que j'oublie de parler de lui à l'article de son pays. Il a vécu sous les regnes de François I. Henri II. François II. Charles IX. Henri III. & Henri IV. étant mort en 1562, âgé de 59 ans.
Il se montra, dans le cours de sa vie, bon citoyen, bon fils, bon ami, bon voisin, enfin un galant homme. Ce n'en est pas une petite marque que d'avoir pu se vanter au milieu de la licence des guerres civiles, de ne s'y être point mêlé, & de n'avoir mis la main, ni aux biens, ni à la bourse de personne. Il assure de plus, qu'il a souvent souffert des injustices évidentes, plutôt que de se résoudre à plaider ; ensorte que de ses vieux jours il étoit encore, dit-il, vierge de procès & de querelles.
Sa morale étoit stoïcienne en théorie, & ses moeurs épicuriennes ; c'est un point sur lequel il dit lui-même, qu'il a le coeur assez ouvert pour publier hardiment sa foiblesse. Il avoue encore qu'il ressembleroit volontiers à un certain romain que peint Cicéron, en disant que " c'étoit un homme abondant en toutes sortes de commodités & de plaisirs, conduisant une vie tranquille & toute sienne, l'ame bien préparée contre la mort, la superstition, &c. " Voilà en effet le portrait de Montagne, & qui même auroit peut-être été plus ressemblant, s'il avoit osé traduire à la lettre celui qu'à fait Ciceron de ce romain : mais ce que Montagne n'a pas jugé à propos de faire d'un seul coup de pinceau, il seroit aisé de le retrouver en détail, si l'on prenoit la peine de rassembler tous les traits où il s'est peint en différens endroits de ses Essais.
On ne peut nier que cet ouvrage ne soit rempli d'esprit, de grace & de naturel. Il est d'autant plus aisé d'en être séduit, que son style tout gascon & tout antique qu'il est, a une certaine énergie qui plaît infiniment. Il écrit d'ailleurs d'une maniere qu'il semble qu'il parle à tout le monde avec cette aimable liberté, dont on s'entretient avec ses amis. Ses écarts même, par leur ressemblance avec le desordre ordinaire des conversations familieres & enjouées, ont je ne sais quel charme, dont on a peine à se défendre.
C'est dommage qu'il respecte assez peu ses lecteurs pour entrer dans des détails puériles & frivoles de ses goûts, de ses actions, & de ses pensées. Que nous " importe de savoir, disoit avec raison Scaliger, si Montagne aimoit mieux le vin blanc que le clairet " ? Mais on trouve dans son ouvrage des choses bien plus choquantes, comme quand il nous parle du soin qu'il prenoit de se tenir le ventre libre, & d'avoir particuliere commodité de lieu & de siége pour ce service.
Je lui pardonne encore moins les obscénités grossieres dont son livre est parsemé, & dont la plûpart ne sont propres qu'à faire rougir les personnes les plus effrontées ; cependant malgré tous ces défauts, ses écrits ont des graces singulieres ; & il faut bien que cela soit ainsi, puisque le tems & les changemens de la langue, n'ont point altéré la réputation de leur auteur.
Je ne puis ici me dispenser de parler d'une censure que Montagne a publiée fort naïvement contre lui-même, & sur laquelle personne ne s'est avisé de le contredire ; c'est ce qu'il dit de sa maniere d'écrire à bâtons rompus, d'un style décousu, mal lié, qui ne va qu'à sauts & à gambades, pour parler son langage.
La cause de ce défaut ne vient pas absolument du génie même de Montagne, qui l'a entraîné sans raison d'un sujet dans un autre, sans qu'il ait pû donner plus d'ordre & plus de suite à ses propres pensées : mais ce défaut provient en partie de je ne sais combien d'additions qu'il a faites çà & là dans son livre, toutes les fois qu'on est venu à le réimprimer. On n'a qu'à comparer les premieres éditions des Essais avec les suivantes, pour voir à l'oeil que ces fréquentes additions ont jetté beaucoup de désordre dans des raisonnemens qui étoient originairement clairs & suivis. Après tout, on seroit souvent fâché de perdre les additions que Montagne a insérées dans son livre, quoiqu'elles le défigurent dans plusieurs endroits, de la maniere dont elles y sont enchâssées.
De toutes les éditions des Essais de Montagne, il n'y en a aucune d'authentique que celle de l'Angelier, mise au jour à Paris en 1595 ; mais l'édition publiée à Londres en 1724, celles de Paris en 1725 & 1739, données par M. Coste, sont les meilleures que nous ayons de cet ouvrage. (D.J.)
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PÉRIGUEUX | S. m. (Hist. nat.) lapis petrocorius ; nom d'une substance minérale noire, pesante & compacte, difficile à pulvériser. Elle se trouve en Périgord, en Gascogne & en Dauphiné ; on l'appelle aussi Périgord ou pierre de Périgord. Les Emailleurs s'en servent pour colorer leurs émaux, & les Potiers de terre pour colorer & noircir le vernis, ou la couverte qu'ils donnent à de certaines poteries. Il y a lieu de croire que cette substance n'est autre chose que celle qui est plus connue sous le nom de magnésie ou manganese. Voyez cet article. On dit qu'elle est détersive & astringente, ce qui vient de la partie ferrugineuse qui entre dans sa composition.
PERIGUEUX, (Géog. mod.) en latin, Vesuna, Vesunna, Petrocori, Petrocorii, civitas petroceriorum ou petroceriorum, capitale du Périgord.
La tour Vésune, le reste d'un amphithéâtre, & quelques autres monumens, sont des preuves de l'ancienneté de cette ville, qui fut ruinée en divers tems par les Barbares. La tour Vésune est de forme ronde ; sa hauteur va au-delà de cent piés ; l'épaisseur de la muraille qui est encore assez entiere, est d'une toise ; en-dedans elle est enduite d'un ciment de chaux & de tuile ; elle n'a ni portes ni fenêtres, ensorte qu'on y entre par deux souterrains qui y conduisent.
Il y a dans cette ville un évêché ancien, suffragant de Bourdeaux, un présidial, un bailliage, une élection & un college, dirigé ci-devant par les Jésuites. L'évêché rapporte environ 35000 livres de rente, & renferme plus de 450 paroisses. S. Front fut le premier évêque de cette ville, dans le iv. siecle.
Périgueux est dans un bon pays, mais pauvre ; elle ne paye point de taille, & sa banlieue paye peu d'impositions. Elle est située sur l'île, à 18 lieues S. O. de Limoges, à 16 S. E. d'Angoulême, à 25 au N. E. de Bourdeaux, & à 106 au S. O. de Paris.
Rauconnet (Aymar) étoit de cette ville. Il passa pour un des savans hommes de son siecle. Cujas lui dédia ses notes in Julii Pauli recept. sent. Il fut d'abord conseiller au parlement de Bourdeaux, puis président en l'une des chambres des enquêtes du parlement de Paris. Les Guises qui le haïssoient, le firent mettre à la bastille, & l'accuserent d'avoir eu un commerce criminel avec sa fille. Il fut si touché de sa détention, qu'il se fit mourir, âgé de 60 ans. On n'a jamais vu une famille plus malheureuse que la sienne. Sa fille finit ses jours sur un fumier ; son fils fut exécuté à mort, & sa femme périt d'un coup de foudre. (D.J.)
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PERIHELIE | S. m. terme d'Astronomie, c'est le point de l'orbite d'une planete, dans lequel cette planete est à sa plus petite distance du soleil. Voyez PLANETE, SOLEIL, &c.
Le périhelie est opposé à l'aphelie, voyez APHELIE. Les anciens astronomes substituoient le périgée au périhelie, parce qu'ils mettoient la terre au centre. Voyez APHELIE & PERIGEE.
La terre est dans son périhelie, & par conséquent le soleil dans son périgée, lorsque le diametre du soleil nous paroît le plus grand ; car c'est alors que le soleil est le plus près de nous qu'il est possible, puisque les objets les plus éloignés paroissent plus grands à mesure qu'ils s'approchent. Voyez APPARENT. (O)
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PERIL | RISQUE, DANGER, (Synon.) danger regarde le mal qui peut arriver. Péril & risque, regardent le bien qu'on peut perdre ; avec cette différence, que péril dit quelque chose de plus grand & de plus prochain, & que risque indique d'une façon plus éloignée la possibilité de l'événement. De-là ces expressions, en danger de mort, au péril de la vie, sauf à en courir les risques. Le soldat qui a l'honneur en recommandation ne craint point le danger, s'expose au péril, & court tranquillement tous les risques du métier. Danger s'employe quelquefois au figuré, pour signifier un inconvénient : je ne vois aucun danger à sonder ses intentions avant que de lui proposer cette affaire. (D.J.)
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PERILEUCOS | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une espece d'agate blanche.
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PERIMÉ | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est anéanti par l'effet de la péremption, comme une instance périmée ou périe. Voyez PEREMPTION. (A)
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PERIMELE | (Géog. anc.) île de la mer Ionienne, & l'une des cinq Echinades. Ovide en parle dans le VIII. l. de ses Métamorphoses :
Ut tamen ipse vides, procul una recessit
Insula, grata mihi. Perimelen navita dicit.
(D.J.)
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PERIMETRE | S. m. terme de Géométrie, c'est le contour ou l'étendue qui termine une figure ou un corps. Voyez FIGURE.
Ce mot est formé des mots grecs , autour, & , mesure. Les périmetres des surfaces ou figures, sont des lignes ; ceux des corps sont des surfaces. Voyez SURFACE.
Dans les figures circulaires, &c. le périmetre est appellé périphelie ou circonférence. Voyez PERIPHELIE. Chambers. (E)
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PERIMULA | (Géogr. anc.) ville de l'Inde au-delà du Gange, selon Ptolomée qui, lib. VII. c. ij. la place sur la Chersonese d'or. Pline, lib. VI. c. xx. & lib. IX. c. xxxv. donne le nom de Périmula à un promontoire de l'Inde, aux environs de l'embouchure du fleuve Indus, du côté de l'orient ; il ajoute qu'il s'y pêchoit des perles, & que sur ce promontoire, il y avoit une ville fort commerçante.
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PERIN-KARA | S. m. (Botan. exot.) grand olivier sauvage qui croît dans le Malabar. Son fruit est de couleur bleue-purpurine lorsqu'il est mûr, & d'un goût douçâtre, mêlé de quelque acidité ; mais sa couleur est jaunâtre quand il est verd, & alors son goût est très-austere.
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PERIN-NINOURI | (Botan. exot.) nom qu'on donne dans l'Hortus Malabaricus, à un arbrisseau du Malabar qui porte des baies, dont le noyau contient six amandes ; cet arbrisseau méritoit d'être caractérisé plus au long. (D.J.)
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PERIN-PANEL | (Botan. exot.) arbrisseau de Malabar portant des fleurs en grappes, & des baies oblongues, qui renferment quatre semences. Il donne des fleurs & du fruit toute l'année. On compose de ses fleurs & de son fruit, avec un peu de poivre long & de graine de cumin, une boisson vantée dans le pays, pour la toux, l'asthme, & autres maladies des poumons. On se sert de ses feuilles & de son écorce, cuites dans une infusion de riz, pour les appliquer en forme de cataplasme sur les tumeurs qu'on veut amener à suppuration.
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PERINALDO | (Géog. mod.) bourg du comté de Nice, dont je ne parle que parce qu'il a donné la naissance en 1625, au grand Cassini, & en 1665, à M. Maraldi son neveu.
Cassini (Jean Dominique) astronome du premier ordre, fut attiré en France par M. Colbert en 1669, & y fut reçu membre de l'académie des Sciences. Il mourut en 1712, agé de 87 ans, laissant des enfans distingués dans l'astronomie. On a des mémoires précieux sur les planetes, sur la méridienne, & sur la comete qui parut en 1652. Il découvrit en 1671, le troisieme & le cinquieme satellite de Jupiter. Voyez JUPITER, & le mot ASTRONOMIE.
Maraldi (Jacques Philippe), vint en France en 1687, & fut reçu de l'académie des Sciences. Il a fait un catalogue des étoiles fixes, plus exact, dit-on, que celui de Bayer ; mais cet ouvrage n'est encore que manuscrit. Ses observations sur les abeilles ont été inserées dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1712. Il mourut en 1729, à 64 ans. (D.J.)
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PERINDE-VALERE | (Jurisprud.) est le nom que l'on donne à un rescrit de cour de Rome, dans lequel est cette clause. L'effet de ce rescrit est de valider une provision qui auroit pu être attaquée pour quelque défaut qui s'y trouvoit renfermé. Ces sortes de rescrits ne s'obtiennent que quand les provisions ont été expédiées par bulles ; car quand elles ont été expédiées par simple signature, on les rectifie par une autre signature appellée cui priùs, à laquelle on met la même date qu'à la premiere. Il n'en est pas de même des rescrits ou provisions, avec la clause perindè-valere, elles n'ont d'effet que du jour de leur date, de sorte que si entre les premieres provisions & les nouvelles, quelqu'un en avoit obtenu de régulieres, elles prévaudroient. Voyez Amidenius, de stylo datariae, c. ix. (A)
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PERINÉE | S. m. (Anat.) est le nom que les Anatomistes donnent à l'espace qui est entre le fondement & les parties génitales. C'est proprement la suture ligamenteuse qui joint ensemble ces deux parties. Les Latins l'appellent interfaemineum.
Ce mot est formé des mots grecs , autour, & , habiter.
PERINEE, maladies du, (Médecine) l'endroit placé entre le fondement & les parties génitales, connu sous le nom de périnée, qui dans les hommes occupe l'espace qui se trouve entre le gros intestin & l'urethre ; mais qui dans les femmes, est entre le même gros boyau & le vagin, & se trouve sujet à quelques maladies particulieres.
Souvent dans les hommes, la contusion du périnée produit une suppression d'urine ; dans les femmes, le déchirement de cette partie, suite d'un accouchement trop difficile, ou du peu de précaution d'une sage-femme dans l'accouchement, venant à causer une escare, laisse après sa séparation, une incontinence d'excrémens, à laquelle on ne peut remédier. Les abscès de cette partie, les ulceres, les blessures, les fistules, les hémorrhagies, se guérissent plus difficilement qu'autre part. Le calcul qui s'y trouve attaché doit être enlevé par la section. Le sentiment du froid qu'éprouvent les femmes enceintes, se rapporte aux signes qui annoncent la mort de l'enfant dans le sein de sa mere. Enfin la tumeur qui arrive à cette partie dans les hommes, est souvent suivie de la suppression d'urine. (D.J.)
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PÉRINTHE | (Géog. anc.) Perinthus, Perinthos ; ville nommée autrement Héraclée de Thrace, située sur la Propontide selon Ptolomée, lib. III. c. xj. à 54d. & 50'. de long. & à 42d. 20'. de lat.
Ce fut cette ville qui résista la premiere aux Perses, & dont la prise facilita à Mégabise, lieutenant de Darius, la conquête du reste de la Thrace. Hérodote rapporte qu'il ne put s'en emparer que par le secours des Péoniens qui l'attaquerent à l'improviste. On sait le plaisant défi que les Périnthiens firent alors aux Péoniens ; ils les appellerent en trois sortes de duels, l'un d'hommes, l'autre de chevaux, & le troisieme de chiens : & comme ils se réjouissoient en chantant l'hymne de la victoire, qu'ils avoient déjà remportée dans le premier & le second défi, les Péoniens profitant du moment favorable où les Périnthiens étoient plongés dans l'ivresse & la sécurité, les taillerent en pieces, & se rendirent maîtres de leur capitale.
Philippe ayant formé le projet de subjuguer la Grece, ravagea les terres des Périnthiens, & tâcha de s'emparer de leur capitale ; mais les Athéniens sécoururent vivement Périnthe, & Philippe fut obligé d'abandonner cette entreprise. C'est à ce sujet que les Périnthiens firent en faveur des Athéniens leurs bienfaiteurs, un decret des plus honorables, dont Démosthene a donné le détail dans sa harangue pour Ctésiphon.
Ce fut un Héraclius, prince de Constantinople, qui changea le nom de cette ville en celui d'Héraclée. Elle est fameuse par son exarque, dont l'évêque de Constantinople relevoit encore sous l'empereur Constantin. Cette prééminence dura jusqu'au premier concile de Constantinople, qui en dépouilla Héraclée, pour attacher tous les honneurs du patriarchat au siege de la nouvelle Rome.
Cette ville est encore assez peuplée pour le pays, mais on n'y trouve plus que quelques vestiges de son amphithéâtre si vanté par les anciens ; cependant M. Buonaroti, dans ses observations, supra alcuni Medaglioni Antichi, a rassemblé tout ce que l'histoire & la fable disent de Périnthe ; l'ouvrage est digne du nom de l'auteur : dans la race de Michel-Ange il n'est pas permis d'être un homme médiocre. (D.J.)
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PERIOCHA | mot purement latin & dérivé du grec , argument ou sommaire qui indique ce qu'un discours contient. Voyez ARGUMENT.
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PÉRIODE | S. f. en terme d'Astronomie, est le tems qu'une planete met à faire sa révolution ; ou la durée de son cours, depuis qu'elle part d'un certain point des cieux jusqu'à ce qu'elle retourne à ce même point.
La période du soleil, ou plutôt de la terre, est de 365 jours, 5 heures, 49 minutes. Celle de la lune est de 27 jours, 7 heures, 43 minutes. Voyez SOLEIL, LUNE, &c. Les périodes des cometes sont encore inconnues pour la plûpart. Il y en a néanmoins quelques-unes dont on croit connoître les périodes : une par exemple dont on sait que la période est de 75 à 76 ans, & qu'on a revûe en 1759, une autre dont on croit que la période est de 129 ans, & qu'on attend en 1789 ou 1790 ; une autre enfin dont on croit que la période est de 575 ans, c'est la fameuse comete de 1680. Voyez COMETE.
Il y a une admirable harmonie entre les distances des planetes au soleil, & leurs périodes autour de cet astre ; la loi de cette harmonie est que les quarrés des tems périodiques sont toujours comme les cubes des moyennes distances au soleil. Voyez PLANETE. Voici ces périodes & ces moyennes distances.
PERIODE, en terme de Chronologie, signifie une époque ou un intervalle de tems par lequel on compte les années, ou une suite d'années au moyen de laquelle le tems est mesuré de différentes manieres, dans différentes occasions, & par des nations différentes. Voyez TEMS.
Telles sont les périodes calipique & méthonique, qui étoient deux différentes corrections du calendrier grec ; la période Julienne inventée par Jos. Scaliger ; la période victorienne, &c.
PERIODE CALIPIQUE, ainsi nommée de Calippus son inventeur, est une suite de 76 ans qui reviennent continuellement, & qui étant écoulés redonnent les pleines & les nouvelles lunes au même jour de l'année solaire.
La période calipique a été inventée pour perfectionner la période méthonique de 19 ans ; cette derniere période ne se trouvant pas assez exacte, Calippus, athénien, la multiplia par 4, & forma ainsi la période calipique. Voyez CALIPIQUE.
PERIODE CONSTANTINOPOLITAINE, est la période dont se servent les Grecs : elle est la même que la période julienne. Voyez PERIODE JULIENNE.
PERIODE DYONISIENNE, ainsi appellée de Denis le Petit, son inventeur, est la même chose que la période victorienne. Voyez PERIODE VICTORIENNE.
PERIODE D'HYPPARQUE, est une suite de 304 années solaires qui reviennent continuellement, & qui, selon Hypparque, redonnent en revenant les pleines & les nouvelles lunes au même jour de l'année solaire.
Cette période n'est autre que la période calipique multipliée par 4. Hypparque faisoit l'année solaire de 365 jours, 5 heures, 55'12''; & de-là il concluoit qu'en 304 ans la période calipique devroit errer d'un jour entier. C'est ce qui l'engagea à multiplier cette période par 4, & à ôter du produit un jour. Mais cette correction ne fait pas revenir les pleines & les nouvelles lunes au même jour de la période ; car il y en a qui anticipent d'un jour, 8 heures, 23', 29'', 20'''.
PERIODE JULIENNE, est une suite de 7980 ans, qui vient de la multiplication des cycles du soleil, de la lune, & des indictions l'un par l'autre, c'est-à-dire, des nombres 28, 19, 15. Elle commence au premier Janvier dans l'année julienne.
Chaque année de la periode julienne a son cycle solaire, son cycle lunaire, & son cycle d'indictions particulier, desorte qu'il n'y a point dans toute l'étendue de cette periode deux années qui aient à-la-fois le même cycle solaire, le même cycle lunaire, & le même cycle d'indictions : d'où il s'ensuit que toutes les années de la période julienne sont distinguées les unes des autres.
Cette période fut inventée par Scaliger, comme renfermant toutes les époques, pour faciliter la réproduction des années d'une époque donnée, à celles d'une autre époque pareillement donnée. Elle s'accorde avec l'époque ou période constantinopolitaine, qui étoit en usage parmi les Grecs ; avec cette différence que les cycles solaires & lunaires, & celui des indictions, s'y comptent différemment, & que la premiere année de la période julienne differe de celle de la période constantinopolitaine.
PERIODE, ou CYCLE METHONIQUE, appellé aussi cycle lunaire, est une suite de 19 ans, au bout desquels les pleines & les nouvelles lunes sont supposées revenir au même jour de l'année solaire. On a appellé cette période méthonique, du nom de son inventeur Methon. Voyez METHONIQUE. Voyez aussi CYCLE.
PERIODE VICTORIENNE, est un intervalle de 532 années juliennes, au bout desquelles les nouvelles & les pleines lunes reviennent au même jour de l'année julienne, selon le sentiment de Victorinus, ou Victorius, qui vivoit sous le pape Hilaire.
Quelques auteurs attribuent cette période à Denis le Petit, & l'appellent pour cette raison période Dionysienne : d'autres l'appellent grand cycle paschal, parce qu'elle a été inventée pour trouver le tems de la Pâque, & que dans l'ancien calendrier, la fête de Pâque au bout de 532 ans tombe au même jour.
La période victorienne se trouve en multipliant le cycle lunaire 19 par le cycle solaire 28 ; le produit de ces deux nombres est 532.
Mais il s'en faut quelquefois d'un jour, 16 heures, 58', 59'', 40''', que les pleines & les nouvelles lunes ne retombent au même jour dans cette période. Chambers. (O)
PERIODE CHALDAÏQUE, voyez SAROS.
PERIODE, en termes de Grammaire & de Rhétorique, est une petite étendue de discours qui renferme un sens complet, dont on distingue la fin par un point (.), & les parties ou divisions par la virgule (,), ou par le point & la virgule (;), ou par les deux points (:). Voyez PENSEE & POINT.
Le pere de Colonia définit la période une pensée courte, mais parfaite ; composée d'un certain nombre de membres, & de parties dépendantes les unes des autres & jointes ensemble par un lien commun.
La période, suivant la fameuse définition d'Aristote, est un discours, qui a un commencement, un milieu & une fin, qu'on peut voir tout à-la-fois. Il définit aussi la période composée de membres, une élocution achevée, parfaite pour le sens, qui a des parties distinguées, & qui est facile à prononcer tout d'une haleine.
Un auteur moderne définit la période d'une maniere beaucoup plus courte & plus claire : une phrase composée de plusieurs membres, liés entr'eux par le sens & par l'harmonie.
On distingue en général de deux sortes de périodes, la période simple & la période composée. La période simple est celle qui n'a qu'un membre, comme la vertu seule est la vraie noblesse : c'est ce qu'on appelle autrement proposition, les Grecs la nommoient . La période composée est celle qui a plusieurs membres, & l'on en distingue de trois sortes : sa voir, la période à deux membres, appellée par les Grecs , & par les Latins bimembris ; la période à trois membres, , trimembris ; & celle à quatre membres, , ou quadrimembris.
Une vraie période oratoire ne doit avoir ni moins de deux membres, ni plus de quatre : ce n'est pas que les périodes simples ne puissent avoir lieu dans le cours, mais leur briéveté le rendroit trop décousu & en banniroit l'harmonie, pour peu qu'elles y fussent multipliées.
Dès qu'une période passe quatre membres, elle perd le nom de période & prend celui de discours périodique.
Voici un exemple d'une période à deux membres, tiré de Cicéron : ergò & mihi meae vitae pristinae consuetudinem, C. Caesar, interclusam aperuisti (premier membre), & his omnibus ad bene de republicâ sperandum, quasi signum aliquod sustulisti (second membre).
Exemple de la période à trois membres : nam cum anteà per aetatem hujus loci autoritatem contingere non auderem (premier membre), statueremque nihil huc nisi perfecto ingenio elaboratum que industriâ afferri oportere (second membre) omne meum tempus amicorum temporibus transmittendum putavi (troisieme membre) ; Cic. pro lege Maniliâ.
On trouve un exemple de la période à quatre membres dans la belle description que fait le même orateur du supplice des parricides qu'on jettoit dans la mer enfermés dans un sac : ità vivunt, ut ducere animam de coelo non queant (premier membre) ; ità moriuntur, ut eorum ossa terra non tangat (second membre) ; ità jactantur fluctibus, ut nunquàm abluantur (troisieme membre) ; ità postremò ejiciuntur, ut ne ad saxa quidem mortui conquiescant (quatrieme membre) ; Cic. pro Roscio Amerino.
Les anciens orateurs observoient assez scrupuleusement les regles de l'art pour la mesure, l'étendue & l'harmonie des périodes dans leurs harangues ; mais dans les langues modernes on est beaucoup moins sévere ou plus négligent.
Selon les regles de l'art oratoire, les membres d'une période doivent être égaux au-moins à-peu-près, afin que les repos ou suspensions de la voix à la fin de chaque membre puissent être à-peu-près les mêmes : mais on n'a point d'égard à cette regle, quand ce qu'on écrit n'est pas destiné à être prononcé en public.
Le discours ordinaire & familier admet des périodes plus longues & plus courtes que les périodes oratoires. Dans un discours public, les périodes trop courtes, & pour ainsi dire trop mutilées, nuisent au grand & au sublime dont elles interrompent la marche majestueuse. Au contraire les périodes trop longues l'appesantissent cette marche, tiennent l'esprit de l'auditeur dans une suspension qui produit souvent de l'obscurité dans les idées. D'ailleurs la voix de l'orateur n'est pas assez forte pour soutenir le ton jusqu'au bout ; on sait à cet égard les plaisanteries qu'on a faites sur les longues périodes de Maimbourg. Phalarée, Hermogene, Térence & les autres rhéteurs bornent à quatre membres la juste longueur de la période, appellée par les Latins ambitus & circuitus selon ce distique :
Quatuor è membris plenum formare videbis
Rhetora circuitum ; sive ambitus ille vocatur.
C'est aussi le sentiment de Cicéron qui dit dans l'orateur : constat ille ambitus & plena comprehensio ex quatuor ferè partibus, quae membra dicuntur, ut & aures impleat & nè brevior sit quam satis est neque longior.
Cet orateur nous fournit un exemple du discours périodique dans l'exorde de l'oraison pour le poëte Archias : si quid in me sit ingenii, judices, quod sentio quam sit exiguum, aut si qua exercitatio dicendi, in quâ me non inficior mediocriter esse versatum : aut si hujusce rei ratio aliqua optimarum artium studiis & disciplinâ profecta, à quâ ego confiteor nullum aetatis meae tempus abhorruisse, earum rerum omnium vel imprimis hic Aul. Licinius fructum à me repetere proprio suo jure debet.
Il y a encore des périodes qu'on nomme rondes, & d'autres qu'on nomme quarrées, à cause de leur construction & de leurs chûtes différentes. La période quarrée est celle qui est composée de trois ou quatre membres égaux, distingués l'un de l'autre, comme celle que nous avons citée sur le châtiment des parricides, ou celle-ci de M. Fléchier : si M. de Turenne n'avoit su que combattre & vaincre (premier membre), s'il ne s'étoit élevé au-dessus des vertus humaines (second membre), si sa valeur & sa prudence n'avoient été animées d'un esprit de foi & de charité (troisieme membre), je le mettrois au rang des Fabius & des Scipions (quatrieme membre). Tous ces membres, comme on voit, ont entr'eux une juste proportion.
La période ronde est celle dont les membres sont tellement joints & pour ainsi dire enchâssés les uns dans les autres, qu'à-peine voit-on ce qui les unit, desorte que la periode entiere coule avec une égalité parfaite, sans qu'on y remarque de repos considérable ; telles sont les périodes de Cicéron à deux & à trois membres, rapportées ci-dessus.
D'autres appellent période ronde celle dont les membres sont tellement disposés, qu'on pourroit mettre le commencement à la fin, & vice versâ, sans ôter au sens ni à l'harmonie du discours ; & ils en citent pour exemple cette période de Cicéron : si, quantùm in agro locisque desertis audacia potest, tantùm in foro atque in judiciis impudentia valeret, non minùs in causâ cederet Aulus Caecina Sexti Ebutii impudentiae, quam tùm in vi faciendâ cessit audaciae ; car on pourroit la commencer par ces mots : non minùs in causâ cederet, &c. sans que la pensée ni le nombre oratoire en souffrissent.
Enfin, on appelle période croisée, periodus decussata, celle dont les membres sont opposés, telle qu'est celle qu'on vient de lire ; ou celle-ci de M. Flechier : plus grande, dans ce dépouillement de sa grandeur, & plus glorieuse lorsqu' entourée de pauvres, de malades, ou de mourans, elle participoit à l'humilité & à la patience de Jesus-Christ, que lorsqu'entre deux haies de troupes victorieuses, dans un char brillant & pompeux, elle prenoit part à la gloire & aux triomphes de son époux. On en trouve un grand nombre de cette espece dans cet orateur, qui donnoit beaucoup & peut-être trop dans les antithèses.
Au demeurant, il n'y a gueres de lois à prescrire sur l'emploi de la période. En général, le commencement d'un discours grave & noble sera périodique ; mais dans le cours de sa harangue, l'orateur se laisse diriger par le caractere de ses pensées, par la nature de ses images, par le sujet de son récit. Tantôt ses phrases sont coupées, courtes, vives & pressées ; tantôt elles deviennent plus longues, plus tardives & plus lentes. On acquiert par une longue habitude d'écrire, la facilité de prendre le rithme qui convient à chaque chose & à chaque instant ; presque sans s'en appercevoir & à la longue, ce goût dont la nature donne le germe & que l'exercice déploye, devient très-scrupuleux.
PERIODE, (Belles-Lettres) se dit aussi du caractere ou du point (.), qui marque & détermine la fin des périodes dans le discours, & qu'on appelle communément plein repos ou point. Voyez PONCTUER.
Le P. Buffier remarque qu'il se rencontre deux difficultés dans l'usage de la période ou du point, savoir de la distinguer du colon ou de deux points, & de déterminer précisément la fin d'une période ou d'une pensée.
On a remarqué que les membres surnuméraires d'une période séparés des autres par des colons & des demi-colons commencent ordinairement par une conjonction. Voyez COLON. Cependant il est certain que ces conjonctions sont encore le plus souvent le commencement d'une nouvelle période, que des membres surnuméraires de la période précédente. C'est le sens du discours & le discernement de l'auteur qui doivent le guider dans l'usage qu'il fait de ces deux différentes ponctuations. Une regle générale là-dessus & qu'il faut admettre, si l'on ne veut pas renoncer à toutes les régles, c'est que quand le membre surnuméraire est aussi long que le reste de la période, c'est alors une période nouvelle ; que s'il est beaucoup plus court, c'est un membre de la période précédente.
La seconde difficulté consiste en ce qu'il y a plusieurs phrases courtes & coupées, dans lesquelles le sens paroît être complet, & qui néanmoins ne semblent pas être de nature à devoir se terminer par un point. Ce qui arrive fréquemment dans le discours libre & familier, par exemple : Vous êtes tous en suspens : faites promptement vos propositions ; vous seriez blâmables d'hésiter plus long-tems. D'où l'on voit qu'il y a de simples phrases, dont le sens est aussi complet que celui des périodes, & qui, à la rigueur, doivent être terminées par des points ; mais leur briéveté fait qu'on y substitue les deux points.
PERIODE, PERIODIQUE, (Médecine) ces mots sont tirés du grec , formé de , à l'entour, & , chemin, ils signifient littéralement circuit & circulaire ; les Physiologistes s'en servent quelquefois pour désigner la circulation du sang ; mais ces termes sont plus usités dans la Pathologie. La période marque proprement le tems qui s'écoule entre les accès, paroxysmes ou redoublemens des maladies intermittentes ; ainsi la période comprend deux tems, celui du paroxysme & celui de la remission. Voyez ces mots. La période peut être fixe & constante, ou vague & indéterminée ; elle est fixe dans la plûpart des fievres intermittentes, vague dans les fievres erratiques, & pour l'ordinaire dans la goutte & l'épilepsie ; sa durée peut varier beaucoup ; elle est d'un jour dans les fievres quotidiennes, de deux jours dans les tierces, de trois dans les quartes, d'un an dans les annuelles, quelquefois de plusieurs années dans la goutte.
On donne la qualité ou l'épithete de périodiques à toutes ces maladies qui éprouvent pendant un certain tems des alternatives de bien & de mal, de diminution & d'augmentation des symptomes qui cessent même tout-à-fait & recommencent ensuite ; ainsi périodique peut être regardé comme synonyme d'intermittent. La cause de ces maladies, après avoir beaucoup exercé les Médecins, est encore pour eux un mystere profond, & dans le siecle éclairé où nous vivons, les Médecins cherchent peu à le pénétrer, ayant appris par les erreurs de ceux qui les ont précédé combien les recherches dans ce genre sont pénibles, & combien elles ont été infructueuses. Voyez PAROXYSME, FIEVRE INTERMITTENTE, &c. On doit se contenter de savoir que toutes les maladies périodiques affectent principalement les nerfs ; que c'est cette affection nerveuse qui est la cause de la périodicité ; mais on ne peut aller plus avant, c'est là le nec plus ultrà ; l'action de cette cause, son méchanisme, sont tout-à-fait ignorés, on n'en connoît que les effets ; des observations pratiques ont appris 1° que ces maladies n'étoient pas dangereuses, quocumque modo intermittant, (Hippocr. aphor. 43. lib. IV.) ; 2° qu'il étoit quelquefois au contraire dangereux de les faire cesser à bonne heure ; 3° que les remedes les plus propres à emporter leur périodicité étoient les nerveux, antispasmodiques, amers, vertus qui se trouvent éminemment réunies dans le quinquina, remede anti-périodique par excellence : j'ai quelques observations particulieres qui m'ont constaté une vertu semblable dans le castor, la rhuë, l'assa-fétida, & autres anti-hystériques, même vis-à-vis des fievres intermittentes ; mais qu'on n'oublie jamais que l'usage de ces remedes n'est pas sûr, & qu'il est d'autant plus à craindre qu'ils sont plus efficaces. Je ne m'arrêterai point à rassembler une quantité d'observations de fievres intermittentes trop-tôt suspendues ou coupées, comme on dit, & qui sont devenues mortelles, aiguës, ou qui ont dégénéré en différentes affections chroniques très-fâcheuses. La goutte fournit aussi des exemples terribles : on me rapportoit, il y a quelques jours, qu'une personne ayant pris du quinquina par l'avis de quelque charlatan pour guérir une goutte violente dont il étoit tourmenté, fut effectivement soulagé, les accès furent moins forts & plus éloignés les uns des autres ; mais il mourut peu de tems après subitement, victime de l'ignorance de son prétendu guérisseur & de sa propre crédulité. (m)
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PÉRIODEUTE | S. m. (Hist. ecclés. greq.) officier ecclésiastique, visiteur chez les Grecs. Le concile de Laodicée établit des périodeutes dans les bourgs & les châteaux où il n'y avoit point d'évêques ; c'étoient des especes de doyens ruraux, & on les appelloit périodeutes, dit Zonaras, parce qu'ils étoient toujours en chemin, allant de côté & d'autre pour tenir les fideles dans le devoir. Balsamon les nomme exarques, & les Grecs appellent encore aujourd'hui de ce nom les visiteurs des diocèses que les patriarches envoyent pour la levée des deniers. (D.J.)
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PÉRIODIQUE | adj. (Chron. & Astron.) est ce qui termine & renferme une période.
Mois périodique est l'espace de tems où la lune acheve sa période ou son mouvement périodique. Cet espace est 27 jours 7 heures 43 minutes, après lequel elle retourne au même endroit du zodiaque, d'où elle étoit partie au moment de sa conjonction. Voyez MOIS & LUNAISON.
Périodique se dit en général de ce qui va & revient suivant quelque loi : ainsi on dit que les accès sont périodiques dans les fievres intermittentes.
On appelle aussi ouvrage périodique des ouvrages qui paroissent régulierement à certains intervalles de tems égaux, comme les journaux des savans, les gazettes, &c. (O)
PERIODIQUE, en terme de Grammaire & de Rhétorique, se dit d'un style ou d'un discours qui a du nombre ou de l'harmonie, ou qui est composé de périodes travaillées avec art. Voyez NOMBRE.
Le style périodique a deux avantages sur le style coupé ; le premier, qu'il est plus harmonieux ; le second, qu'il tient l'esprit en suspens. La période commencée, l'esprit de l'auditeur s'engage & est obligé de suivre l'orateur jusqu'au point, sans quoi il perdroit le fruit de l'attention qu'il a donnée aux premiers mots. Cette suspension est très-agréable à l'auditeur, elle le tient toujours éveillé & en haleine : ce qui prouve que le style périodique est plus propre aux discours publics que le style coupé, quoique celui-ci n'en doive pas être exclus, mais le premier doit y dominer.
PERIODIQUES, (jeux, Antiq. greq.) les jeux périodiques étoient ceux qui se célébroient toujours après une certaine révolution d'années, comme les jeux olympiques, les pythiens, les isthmiens & les néméens.
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PÉRIODONIQUE | PÉRIODONIQUE
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PÉRIOECIENS | (Cosmog.) en grec , en latin Perioecei c'est-à-dire qui sont tout-à-l'entour. On nomme périoeciens en Géographie des habitans de la terre sous les mêmes paralleles, c'est-à-dire à même distance du pole & de l'équateur, mais toujours vers le même pole. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait 186 degrés de distance des uns aux autres. Le mot ne dit point cela ; il suffit d'être sous le même parallele. Par exemple, les habitans de Charlestown dans la Caroline, de Miquénez au Maroc, de Candahar en Asie, &c. sont périoeciens l'un à l'autre, par rapport à ce qu'ils habitent sous un même parallele, quoiqu'à différentes distances du premier méridien.
Les peuples qui sont sous un même parallele, ont le même été & le même hiver ; en un mot, les mêmes saisons, sauf pourtant la différence qu'y peuvent mettre les qualités du terroir plus haut ou plus bas, plus sec ou plus humide, &c. Ils ont les jours également longs, & les nuits de même, c'est-à-dire que si le plus long jour est de vingt heures pour le peuple d'un parallele, tous les peuples qui sont Périoeciens à son égard, ont le jour aussi de vingt heures dans le même tour du soleil ; il en est de même des nuits.
Si, par périoeciens, on entend ceux qui habitent sous un même parallele & sous un même méridien continué au-delà du pole, desorte que les deux peuples qui sont périoeciens l'un à l'autre ayent précisément la même latitude, mais une longitude différente de 180 degrés, alors on conçoit aisément que des peuples qui ont entr'eux ce rapport doivent être opposés pour le jour & pour la nuit, quoiqu'ils comptent la même heure, l'un à midi quand l'autre la compte à minuit. Il est trois heures également pour l'un & pour l'autre, mais l'un compte trois heures du matin, & l'autre trois heures du soir, & ainsi de tous les autres instans du jour & de la nuit. En ce sens, ce qui est au couchant d'un de ces peuples, est à l'orient de l'autre. Aux jours des équinoxes, le soleil se leve pour l'un de ces peuples, quand il se couche pour l'autre. (D.J.)
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PÉRIOSTE | S. m. (Anat. & Physiol.) membrane très-fine qui revêt les os ; elle est d'un tissu fort serré, parsemée d'une infinité d'arteres, de veines & de nerfs qui la rendent d'un sentiment très-exquis. Développons la structure du périoste, c'est un beau sujet d'Anatomie physiologique.
Le périoste enveloppe non seulement les parties convexes des os, mais il porte encore des vaisseaux artériels dans leurs cellules & dans leur moëlle, & est parsemé d'un nombre incroyable de vaisseaux veineux, tant grands que petits. On sait que Clopton Havers a démontré, dans son Ostéologie, que tous les os du corps humain sont couverts d'une membrane très-déliée, extrèmement fine, & composée de différens lits de fibres placées les unes sur les autres sans s'entrelacer ; ces fibres sont paralleles les unes aux autres, & dans la même direction que la longueur de l'os.
Cette membrane est plus épaisse dans de certains endroits que dans d'autres, & paroît composée de fibres qui se croisent de différentes manieres, mais cela provient des muscles & de leurs tendons, qui s'inserent dans le périoste avant que de s'unir aux os.
Clopton Havers a remarqué que le périoste qui couvre les os n'existe point dans les lieux où naissent les ligamens qui unissent les os articulés, & que le périoste s'étend sur les ligamens, & passe de cette maniere à l'os adjacent : d'où il a conjecturé que ce n'étoit autre chose qu'une continuation de la même membrane qui, tirant son origine de la dure-mere, couvroit le crâne, s'étendoit sur la surface de tous les autres os, & s'adaptoit si parfaitement à toutes leurs cavités & à toutes leurs éminences qu'elle couvroit toute leur surface. Quant à la partie des os articulés contenue sous les ligamens qui forment les capsules des articulations, elle est destituée du périoste ; cette membrane s'en sépare, & passe par les ligamens : d'où il s'ensuit que rien n'entre dans les os, ni n'en sort que par le moyen du périoste.
Tous les vaisseaux qui entrent dans les os, tant pour leur nutrition que pour leur accroissement, qui pénetrent dans leurs parties cellulaires, ou qui s'unissent par des trous à la moëlle ramassée dans la cavité qui est au milieu, ou à la partie également éloignée des extrémités, traversent d'abord le périoste. Il en est de même des petites veines qui rapportent le sang, d'où il s'ensuit que cette membrane est d'une nature extrèmement vasculaire, ainsi que Ruysch l'a démontré dans ses Advers. décad. 3. Pl. II. fig. 8.
D'ailleurs le périoste est fortement uni aux os par le moyen des ramifications des vaisseaux qui le traversent pour y entrer, & des veines qui le traversent derechef pour en sortir presqu'à chaque point. Telle est la cause de sa forte adhésion, sur-tout dans les jeunes gens. Pour les vieillards en qui la plûpart de ces vaisseaux sont desséchés, on a remarqué que le périoste ne tenoit que foiblement à l'os.
Clopton Havers surpris de l'adhésion de cette membrane avec les os, imagina avant les découvertes de Ruysch, qu'elle n'étoit jamais plus grande qu'à cet âge, où les os sont mous, & pour ainsi dire glutineux. Il avoit d'ailleurs observé que le périoste s'unissoit aux os par de petites fibres qui en partoient, & qui pénétroient dans leur substance. Ruysch démontra dans la suite par ses injections, que les fibres de Clopton Havers étoient des petits vaisseaux, qui passoient du périoste dans l'os, en nombre incroyable. Ce ne sont pas les plus grands os seulement qui sont couverts d'un périoste vasculaire, cela leur est commun avec les plus petits os, même avec ceux de l'oreille, quoique d'habiles anatomistes ayent assuré le contraire. La cavité intérieure du tympan a son périoste parsemé d'une multitude innombrable de vaisseaux, ainsi que Ruysch l'a démontré par la figure qu'on en trouve dans la neuvieme de ses épitres anatomiques.
Les os ont encore un périoste intérieur, qui enduit & couvre les cavités qui contiennent la moëlle, distribue les vaisseaux artériels aux vésicules médullaires, & reçoit un nombre incroyable de vaisseaux veineux, tant grands que petits.
Le périoste interne ne se représente pas aux sens si facilement que le périoste externe : cependant, il n'y a point de doute que cette membrane n'existe, & qu'elle ne soit d'une nature fort tendre, puisque la nature a jugé à-propos de la couvrir d'un os pour la garantir de toutes injures. La dure-mere couvre le crâne, & lui tient lieu de périoste. Mais comme c'est de cette membrane que partent les gaines qui enveloppent les nerfs dès leur origine de la moëlle allongée, & de la moëlle spinale, il étoit nécessaire que son tissu fût tant soit peu plus épais & plus fort, afin qu'elle pût servir à les garantir.
Le périoste interne étant, dans les os creux les plus considérables, mis à l'abri de toute offense, & ne servant qu'à tapisser leur surface intérieure, & à recevoir des vaisseaux, n'avoit pas besoin de la même fermeté & de la même force que le périoste extérieur. C'est sa foiblesse extrême qui le rend difficile à découvrir. Il est très-difficile de suivre la continuité de cette membrane dans les os, dont la surface intérieure est entierement cellulaire, l'irrégularité de la structure & du tissu ne le permet pas.
La même observation n'est pas plus facile vers les extrémités des gros os, où l'union étroite & forte des lames osseuses les rend plus solides, & où ils ont une cavité considérable destinée à contenir la moëlle.
Nous lisons dans les advers. Decad. 3. de Ruysch, que les Anatomistes ont hasardé beaucoup de choses sur la membrane qu'ils supposent servir d'enveloppe à la moëlle. Cet auteur prétend qu'il n'y a aucune membrane commune dans la moëlle soit couverte dans les os, dont les cavités sont pleines d'une substance osseuse & spongieuse, ou osseuse & filamenteuse, ce qui ne seroit point surprenant ; car il est évident qu'alors la moëlle n'est pas ramassée dans une seule cavité, mais qu'elle se trouve distribuée dans plusieurs cellules.
Le même auteur décrit encore dans l'endroit que nous venons de citer, une portion de l'os de la cuisse d'un enfant. Il parut dans la cavité de cet os, divisé avec une scie, une membrane mince comme une toile d'araignée, qui enveloppoit la moëlle, & qui étoit parsemée de petites arteres. Il est donc évident qu'il y a dans la cavité intérieure des os une membrane mince, telle que le périoste interne. Ce dont il est permis de douter, c'est si cette membrane appartient à la moëlle, ou si elle tapisse l'os en qualité du périoste interne, ou si elle est destinée à l'un & à l'autre emploi.
Si nous examinons avec attention ce que Clopton Havers dit dans son ostéologie nouvelle, de la structure de la moëlle, il nous paroîtroit fort vraisemblable que la membrane en question en est distinguée ; car cet auteur avance que la moëlle entiere est contenue sous une membrane mince & transparente, qui est en quelques endroits d'une couleur rougeâtre, comme s'il y avoit de petits vaisseaux sanguins, qui n'appartenoient point du tout à la membrane qui servoit d'enveloppe, & qu'il avoit séparée.
On lit dans cet auteur, immédiatement après ce que nous venons de citer, que la membrane dont il s'agit, non-seulement est attachée à l'os par des petites veines, mais s'insinue même dans les pores obliques, dont la surface interne des os est percée. A s'en tenir à cette description, on prononcera sans balancer, que la membrane mince que nous examinons ici, est adhérente à la surface interne des os, & que des vaisseaux forment sous elle une nouvelle membrane qui couvre la moëlle ; & conséquemment que le périoste interne est distingué de la moëlle à laquelle il est contigu.
L'usage de ce périoste interne sera non-seulement de distribuer des vaisseaux artériels dans les vésicules médullaires, & de recevoir à leur retour des vésicules médullaires les vaisseaux veineux ; mais encore de faciliter l'accroissement & la nutrition des os par le moyen de ces vaisseaux qui entrent dans leur substance & en sortent.
Il y a telle maladie des os, qui suffiroit peut-être par les phénomenes qu'on y remarque, pour achever de confirmer tout ce que nous venons de dire du périoste interne. Ruysch, thesaur. 10. n. 179. donne la description & la figure d'un cubitus carié & corrodé, dans la cavité duquel il y avoit un tuyau osseux, entierement séparé de la substance extérieure de cet os, & mobile en tout sens. Il est assez vraisemblable que la partie intérieure de l'os, à la nutrition de laquelle sert principalement le périoste interne, ayant été affecté avec ce périoste même, la partie intérieure & tubuleuse de l'os s'est séparée de sa partie extérieure. De-là naissent des inflammations dans le périoste interne, maladies qui passeront à l'os qui est contigu, de même qu'à la moëlle qui est subjacente ; mais c'en est assez sur cette matiere. (D.J.)
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PÉRIPATÉCIENNE | PHILOSOPHIE, ou PHILOSOPHIE D'ARISTOTE, ou ARISTOTELISME, (Hist. de la Philosoph.) Nous avons traité fort au long du Péripatéticisme, ou de la philosophie d'Aristote à l'article ARISTOTELISME ; il nous en reste cependant des choses intéressantes à dire, que nous avons réservées pour cet article, qui servira de complément à celui du premier volume de cet ouvrage.
De la vie d'Aristote. Nous n'avons rien à ajouter à ce qui en a été dit à l'article ARISTOTELISME. Consultez cet endroit sur la naissance, l'éducation, les études, le séjour de ce philosophe à la cour de Philippe & à celle d'Alexandre, sur son attachement & sa reconnoissance pour Platon son maître, sur sa vie dans Athènes, sur l'ouverture de son école, sur sa maniere de philosopher, sur sa retraite à Chalcis, sur sa mort, sur ses ouvrages, sur les différentes parties de sa philosophie en général. Mais pour nous conformer à la méthode que nous avons suivie dans tous nos articles de Philosophie, nous allons donner ici les principaux axiomes de chacune des parties de sa doctrine considérées plus attentivement.
De la logique d'Aristote. 1. La logique a pour objet ou le vraisemblable, ou le vrai ; ou, pour dire la même chose en des termes différens, ou la vérité probable, ou la vérité constante & certaine ; le vraisemblable ou la vérité probable appartient à la dialectique, la vérité constante & certaine à l'analyse. Les démonstrations de l'analyse sont certaines ; celles de la dialectique ne sont que vraisemblables.
2. La vérité se démontre, & pour cet effet on se sert du syllogisme, & le syllogisme est ou démonstratif ou analytique, ou topique & dialectique. Le syllogisme est composé de propositions ; les propositions sont composées de termes simples.
3. Un terme est homonyme, ou synonyme, ou paronyme ; homonyme, lorsqu'il comprend plusieurs choses diverses sous un nom commun ; synonyme, lorsqu'il n'y a point de différence entre le nom de la chose & sa définition ; paronyme, lorsque les choses qu'il exprime, les mêmes en elles, different par la terminaison & le cas.
4. On peut réduire sous dix classes les termes univoques ; on les appelle prédicamens ou catégories.
5. Et ces dix classes d'êtres peuvent se rapporter ou à la substance qui est par elle-même, ou à l'accident qui a besoin d'un sujet pour être.
6. La substance est ou premiere proprement dite, qui ne peut être le prédicat d'une autre, ni lui adhérer ; ou seconde, subsistante dans la premiere comme les genres & les especes.
7. Il y a neuf classes d'accidens, la quantité, la relation, la qualité, l'action, la passion, le tems, le lieu, la situation, l'habitude.
8. La quantité est ou contenue ou discrette ; elle n'a point de contraire ; elle n'admet ni le plus ni le moins, & elle dénomme les choses, en les faisant égales ou inégales.
9. La relation est le rapport de toute la nature d'une chose à une autre ; elle admet le plus & le moins ; c'est elle qui entraîne une chose par une autre, qui fait suivre la premiere d'une précédente, & celle-ci d'une seconde, & qui les joint.
10. La qualité se dit de ce que la chose est, & l'on en distingue de quatre sortes, la disposition naturelle & l'habitude, la puissance & l'impuissance naturelles, la passibilité & la passion, la forme & la figure ; elle admet intensité & rémission, & c'est elle qui fait que les choses sont dites semblables ou dissemblables.
11. L'action & la passion ; la passion, de celui qui souffre ; l'action, de celui qui fait, marque le mouvement, admet des contraires, intensité & rémission.
12. Le tems & le lieu, la situation & l'habitude indiquent les circonstances de la chose désignées par ces mots.
13. Après ces prédicamens, il faut considérer les termes qui ne se réduisent point à ce système de classes, comme les opposés ; & l'opposition est ou relative, ou contraire, ou privative, ou contradictoire ; la priorité, la simultanéité, le mouvement, l'avoir.
14. L'énonciation ou la proposition est composée de termes ou mots ; il faut la rapporter à la doctrine de l'interprétation.
15. Le mot est le signe d'un concept de l'esprit, il est ou simple ou incomplexe, ou complexe ; simple, si le concept ou la perception est simple, & la perception simple n'est ni vraie, ni fausse ; ou la perception est complexe, & participe de la fausseté & de la vérité, & le terme est complexe.
16. Le mot est un nom d'institution, sans rapport au tems, & dont aucune des parties prise séparément & en elle-même n'a de signification.
17. Le verbe est un mot qui marque le tems, dont aucune partie ne signifie par elle-même, & qui est toujours le signe des choses qui se disent d'un autre.
18. Le discours est une suite de mots d'institution, dont chaque partie séparée & l'ensemble signifient.
19. Entre les discours, le seul qui soit énonciatif & appartenant à l'hermeneutique, est celui qui énonce le vrai ou le faux ; les autres sont ou de la rhétorique ou de la poésie. Il a son sujet, son prédicat & sa copule.
20. Il y a cinq sortes de propositions, des simples & des complexes, des affirmatives & des négatives, des universelles, des particulieres, des indefinies & des singulieres, des impures & modales. Les modales sont ou nécessaires ou possibles, ou contingentes, ou impossibles.
21. Il y a trois choses à considérer dans la proposition, l'opposition, l'équipollence & la conversion.
22. L'opposition est ou contradictoire ou contraire ou sous-contraire.
23. L'équipollence fait que deux propositions désignent la même chose, & peuvent être ensemble toutes les deux vraies ou toutes les deux fausses.
24. La conversion est une transposition de termes, telle que la proposition affirmative & négative soit toujours vraie.
25. Le syllogisme est un discours où de prémisses posées il s'ensuit nécessairement quelque chose.
26. Trois termes font toute la matiere du syllogisme. La disposition de ces termes, selon les figures & les modes, en est la forme.
27. La figure est une disposition du terme moyen & des extrèmes, telle que la conséquence soit bien tirée. Le mode est la disposition des propositions, eu égard à la quantité & à la qualité.
28. Il y a trois figures de sillogisme. Dans la premiere, le terme moyen est sujet de la majeure, & prédicat de la mineure ; & il y a quatre modes où la conséquence est bien tirée. Dans la seconde, le terme moyen est le prédicat des deux extrèmes, & il y a quatre modes qui concluent bien. Dans la troisieme, le moyen est le sujet aux deux extrèmes, & il y a six modes où la conclusion est bonne.
29. Tout syllogisme est dans quelqu'une de ces figures, se parfait dans la premiere, & peut se réduire à son mode universel.
30. Il y a six autres formes du raisonnement ; la conversion des termes, l'induction, l'exemple, l'abduction, l'instance, l'enthymème. Mais toutes ayant force de syllogisme, peuvent & doivent y être réduites.
31. L'invention des syllogismes exige 1. les termes du problème donné ; & la supposition de la chose en question, des définitions, des propriétés, des antécédences, des conséquences, des répugnances. 2. Le discernement des essentiels, des propres, des accidentels, des certaines & des probables. 3. Le choix de conséquences universelles. 4. Le choix d'antécédences dont la chose soit une conséquence universelle. 5. l'attention de joindre le signe d'universalité non au conséquent, mais à l'antécédent. 6. L'emploi de conséquences prochaines & non éloignées. 7. Le même emploi des antécédens. 8. La préférence de conséquences d'une chose universelle, & de conséquences universelles d'une chose.
La finesse & l'étendue d'esprit qu'il y a dans toutes ces observations est incroyable. Aristote n'auroit découvert que ces choses, qu'il faudroit le regarder comme un homme du premier ordre. Il eût perfectionné tout d'un coup la logique, s'il eût distingué les idées de leurs signes, & qu'il se fût plus attaché aux notions qu'aux mots. Interrogez les Grammairiens sur l'utilité de ses distinctions.
32. Tout discours scientifique est appuyé sur quelque pensée antérieure de la chose dont on discourt.
33. Savoir, c'est entendre ce qu'une chose est, qu'elle est, que telle est sa cause, & qu'elle ne peut être autrement.
34. La démonstration est une suite de syllogismes d'où naît la science.
35. La science apodictique est des causes vraies, premieres, immédiates ; les plus certaines, & les moins sujettes à une démonstration préliminaire.
36. Il n'y a de science démonstrative que d'une chose nécessaire ; la démonstration est donc composée de choses nécessaires.
37. Ce qu'on énonce du tout, est ce qui convient au tout, par lui-même & toujours.
38. Le premier universel est ce qui est par soi-même, dans chaque chose, parce que la chose est chose.
39. La démonstration se fait par des conclusions d'éternelle vérité. D'où il s'ensuit qu'il n'y a ni démonstration des choses passageres, ni science, ni même définitions.
40. Savoir que la chose est, est un, & savoir pourquoi elle est, est un autre. De-là deux sortes de démonstrations, l'une à priori, l'autre à posteriori. La démonstration à priori est la vraie & la plus parfaite.
41. L'ignorance est l'opposé de la science ; ou c'est une négation pure, ou une dépravation. Cette derniere est la pire ; elle naît d'un syllogisme qui est faux, dont le moyen péche. Telle est l'ignorance qui naît du vice des sens.
42. Nulle science ne naît immédiatement des sens. Ils ont pour objet l'individuel ou singulier, & la science est des universaux. Ils y conduisent, parce que l'on passe de l'individuel connu par le sens à l'universel.
43. On procede par induction, en allant des individuels connus par le sens aux universaux.
44. Le syllogisme est dialectique, lorsque la conclusion suit de chose probable : or le probable est ce qui semble à tous ou à plusieurs, aux hommes instruits & sages.
45. La dialectique n'est que l'art de conjecturer. C'est par cette raison qu'elle n'atteint pas toujours sa fin.
46. Dans toute proposition, dans tout problème on énonce ou le genre, ou la différence, ou la définition, ou le propre, ou l'accident.
47. La définition est un discours qui explique la nature de la chose, son propre, non ce qu'elle est, mais ce qui y est. Le genre est ce qui peut se dire de plusieurs especes différentes. L'accident est ce qui peut être ou n'être pas dans la chose.
48. Les argumens de la dialectique procedent ou par l'induction ou par le syllogisme. Cet art a ses lieux. On employe l'induction contre les ignorans, le syllogisme avec les hommes instruits.
49. L'élenchus est un syllogisme qui contredit la conclusion de l'antagoniste ; si l'élenchus est faux, le syllogisme est d'un sophiste.
50. L'élenchus est sophistique ou dans les mots ou hors des mots.
51. Il y a six sortes de sophismes de mots, l'homonisme, l'amphibologie, la composition, la division, l'accent, la figure du mot.
52. Il y a sept sortes de sophismes hors les mots ; le sophisme d'accident, le sophisme d'universalité, ou de conclusion d'une chose avouée avec restriction à une chose sans restriction ; le sophisme fondé sur l'ignorance de l'élenchus ; le sophisme du conséquent ; la pétition de principe ; le sophisme de cause supposée telle, & non telle ; le sophisme des interrogations successives.
53. Le sophiste trompe ou par des choses fausses, ou par des paradoxes, ou par le solécisme, ou par la tautologie. Voilà les limites de son art.
De la philosophie naturelle d'Aristote. Il disoit 1. le principe des choses naturelles n'est point un, comme il a plu aux Eléatiques ; ce n'est point l'homéomérie d'Anaxagore ; ni les atômes de Leucippe & de Démocrite ; ni les élémens sensibles de Thalès & de son école, ni les nombres de Pithagore, ni les idées de Platon.
2. Il faut que les principes des choses naturelles soient opposés entr'eux, par qualités & par privations.
3. J'appelle principes, des choses qui ne sont point réciproquement les unes des autres, ni d'autres choses, mais qui sont d'elles-mêmes, & dont tout est. Tels sont les premiers contraires. Puisqu'ils sont premiers, ils ne sont point d'autres ; puisqu'ils sont contraires, ils ne sont pas les uns des autres.
4. Ils ne sont pas infinis, sans cette condition, il n'y a nul accès à la connoissance de la nature. Il y en a plus de deux. Deux se mettroient en équilibre à la fin, ou se détruiroient, & rien ne seroit produit.
5. Il y a trois principes des choses naturelles ; deux contraires, la forme & la privation ; un troisieme également soumis aux deux autres, la matiere. La forme & la matiere constituent la chose. La privation n'est qu'accidentelle. Elle n'entre point dans la matiere. Elle n'a rien qui lui convienne.
6. Il faut que ce qui donne origine aux choses soit une puissance. Cette puissance est la matiere premiere. Les choses ne sont pas de ce qui est actuellement, ni de ce qui n'est pas actuellement, car ce n'est rien.
7. La matiere ne s'engendre, ni ne se détruit ; car elle est premiere ; le sujet infini de tout. Les choses sont formées premierement, non pas d'elles-mêmes, mais par accident. Elles se résoudront ou se résolvent en elle.
8. Des choses qui sont, les unes sont par leur nature, d'autres par des causes. Les premieres ont en elles le principe du mouvement ; les secondes ne l'ont pas. La nature est le principe & la cause du mouvement ou du repos en ce qui est premierement de soi & non par accident ; ou elles se reposent & se meuvent par leur nature : telles sont les substances matérielles. Les propriétés sont analogues à la nature qui consiste dans la matiere & dans la forme. Cependant la forme qui est un acte est plus de nature que la matiere.
Ce principe est très-obscur. On ne sait ce que le philosophe entend par nature. Il semble avoir pris ce mot sous deux acceptions différentes, l'une de propriété essentielle, l'autre de cause générale.
9. Il y a quatre especes de causes ; la matérielle, dont tout est ; la formelle, par qui tout est, & qui est la cause de l'essence de chaque chose ; l'efficiente, qui produit tout ; & la finale par laquelle tout est. Ces causes sont prochaines ou éloignées ; principales ou accessoires ; en acte ou en puissance ; particulieres ou universelles.
10. Le hasard est cause de beaucoup d'effets. C'est un accident qui survient à des choses projettées. Le fortuit se prend dans une acception plus étendue. C'est un accident qui survient à des choses projettées par la nature, du moins pour une fin marquée.
11. La nature n'agit point fortuitement, au hasard, & sans dessein : ce que la nature prémédite a lieu, en tout ou en partie, comme dans les monstres.
12. Il y a deux nécessités, l'une absolue, l'autre conditionnelle. La premiere est de la matiere ; la seconde, de la forme ou fin.
13. Le mouvement est un acte de la puissance en action.
14. Ce qui passe sans fin est infini. Il n'y a point d'acte infini dans la nature. Il y a cependant des êtres infinis en puissance.
15. Le lieu est une surface immédiate & immobile d'un corps qui en contient un autre. Tout corps qu'un autre contient est dans le lieu. Ce qui n'est pas contenu dans un autre n'est pas dans le lieu. Les corps ou se reposent dans leur lieu naturel, ou ils y tendent comme des portions arrachées à un tout.
16. Le vuide est un lieu dénué de corps. Il n'y en a point de tels dans la nature. Le vuide se suppose, il n'y auroit point de mouvement. Car il n'y auroit ni haut, ni bas, ni aucune partie où le mouvement tendît.
17. Le tems est le calcul du mouvement relatif à la priorité & à la postériorité. Les parties du tems touchent à l'instant présent, comme les parties d'une ligne au point.
18. Tout mouvement & tout changement se fait dans le tems ; & il y a dans tout être mu, vîtesse ou lenteur qui se peut déterminer par le tems. Ainsi le ciel, la terre & la mer sont dans le tems, parce qu'ils peuvent être mus.
19. Le tems étant un nombre nombré ; il faut qu'il y ait un être nombreux qui soit son support.
20. Le repos est la privation du mouvement dans un corps considéré comme mobile.
21. Point de mouvement qui se fasse en un instant. Il se fait toujours dans le tems.
22. Ce qui se meut dans un tems entier, se meut dans toutes les parties de ce tems.
23. Tout mouvement est fini ; car il se fait dans le tems.
24. Tout ce qui se meut est mu par un autre qui agit ou au-dedans ou au-dehors du mobile.
25. Mais comme ce progrès à l'infini est impossible ; il faut donc arriver à un premier moteur, qui ne prenne son mouvement de rien, & qui soit l'origine de tout mouvement.
26. Ce premier moteur est immobile, car s'il se mouvoit, ce seroit par un autre ; car rien ne se meut de soi. Il est éternel, car tout se meut de toute éternité, & si le mouvement avoit commencé, le premier moteur n'auroit pu mouvoir, & la durée ne seroit pas éternelle. Il est indivisible & sans quantité. Il est infini ; car le moteur doit être le premier, puisqu'il meut de toute éternité. Sa puissance est illimitée ; or une puissance infinie ne peut se supposer dans une quantité finie, telle qu'est le corps.
27. Le ciel composé de corps parfaits, comprenant tout, & rien ne le comprenant, est parfait.
28. Il y a autant de corps simples que de différences dans le mouvement simple. Or il y a deux mouvemens simples, le rectiligne & le circulaire. Celui-là tend à s'éloigner du centre ou en approcher, sans modification ou avec modification. Comme il y a quatre mouvemens rectilignes simples, il y a quatre élemens ou corps simples. Le mouvement circulaire étant de nature contraire au mouvement rectiligne, il faut qu'il y ait une cinquieme essence, différente des autres, plus parfaite, divine, c'est le ciel.
29. Le ciel n'est ni pesant, ni leger. Il ne tend ni à s'approcher, ni à s'éloigner du centre comme les graves & les légers. Il se meut circulairement.
30. Le ciel n'ayant point de contraire, il est sans génération, sans conception, sans accroissement, sans diminution, sans changement.
31. Le monde n'est point infini, & il n'y a hors de lui nul corps infini ; car le corps infini est impossible.
32. Il n'y a qu'un monde. S'il y en avoit plusieurs poussés les uns contre les autres, ils se déplaceroient.
33. Le monde est éternel ; il ne peut ni s'accroître ni diminuer.
34. Le monde ou le ciel se meut circulairement par sa nature ; ce mouvement toutefois n'est pas uniforme & le même dans toute son étendue. Il y a des orbes qui en croisent d'autres ; le premier mobile a des contraires ; de-là les causes des vicissitudes de générations & de corruptions dans les choses sublunaires.
35. Le ciel est sphérique.
36. Le premier mobile se meut uniformément ; il n'a ni commencement, ni milieu, ni fin. Le premier mobile & le premier moteur sont éternels, & ne souffrent aucune altération.
37. Les astres de même nature que le corps ambiant qui les soutient, sont seulement plus denses. Ce sont les causes de la lumiere & de la chaleur. Ils frottent l'air & l'embrasent. C'est sur-tout ce qui a lieu dans la sphere du soleil.
38. Les étoiles fixes ne se meuvent point d'elles-mêmes ; elles suivent la loi de leurs orbes.
39. Le mouvement du premier mobile est le plus rapide. Entre les planetes qui lui sont soumises, celles-là se meuvent le plus vîte qui en sont les moins éloignées, & réciproquement.
40. Les étoiles sont rondes. La lune l'est aussi.
41. La terre est au centre du ciel. Elle est ronde, & immobile dans le milieu qui la soutient. Elle forme un orbe ou globe avec l'eau.
42. L'élément est un corps simple, dans lequel les corps composés sont divisibles ; & il existe en eux ou en acte ou en puissance.
43. La gravité & la légereté sont les causes motrices des élémens. Le grave est ce qui a porté vers le centre ; le léger ce qui tend vers le ciel.
44. Il y a deux élemens contraires ; la terre qui est grave absolument ; le feu qui est naturellement leger. L'air & l'eau sont d'une nature moyenne entre la terre & le feu, & participent de la nature de ces extrêmes contraires.
45. La génération & la corruption se succedent sans fin. Elle est ou simple, ou accidentelle. Elle a pour cause le premier moteur & la matiere premiere de tout.
46. Etre engendré est un, être altéré, un autre. Dans l'altération, le sujet reste entier, mais les qualités changent, tout passe dans la génération. L'augmentation ou la diminution est un changement dans la quantité ; le mouvement local, un changement d'espace.
47. L'accroissement suppose nutrition. Il y a nutrition lorsque la substance d'un corps passe dans la substance d'un autre. Un corps animé augmente, si sa quantité s'accroît.
48. L'action & la passion sont mutuelles dans le contact physique. Il a lieu entre des choses en partie dissemblables de forme, en partie semblables de nature ; les unes & les autres tendant à s'assimiler le patient.
49. Les qualités tactiles, objets des sens, naissent des principes & de la différence des élémens qui différentient le corps. Ces qualités sont par paires au nombre de sept ; le froid & le chaud ; l'humide & le sec ; le grave & le léger ; le dur & le mol ; le visqueux & l'aride ; le rude & le doux ; le grossier & le tenu.
50. Entre ces qualités premieres, il y en a deux d'actives, le chaud & le froid ; deux de passives, l'humide & le sec ; le chaud ressemble les homogenes ; le froid dissipe les hétérogenes. On retient difficilement l'humide, le sec facilement.
51. Le feu naît du chaud & de l'aride ; l'air du chaud & de l'humide ; l'eau du froid & de l'humide ; la terre du froid & du sec.
52. Les élémens sont tous convertibles les uns dans les autres, non par génération, mais par altération.
53. Les corps mixtes sont composés ou mélangés de tous les élémens.
54. Il y a trois causes des mixtes ; la matiere qui peut être ou ne pas être telle chose ; la forme, cause de l'essence ; & le mouvement du ciel, cause efficiente universelle.
55. Entre les mixtes, il y en a de parfaits ; il y en a d'imparfaits ; entre les premiers, il faut compter les météores, comme les cometes, la voie lactée, la pluie, la neige, la grêle, les vents, &c.
56. La putréfaction s'oppose à la génération des mixtes parfaits. Tout est sujet à putréfaction, excepté le feu.
57. Les animaux naissent de la putréfaction aidée de la chaleur naturelle.
Principes de la Psychologie d'Aristote. 1. L'ame ne se meut point d'elle-même ; car tout ce qui se meut est mu par un autre.
2. L'ame est la premiere entélechie du corps organique naturelle ; elle a la vie en puissance. La premiere entélechie est le principe de l'opération ; la seconde est l'acte ou l'opération même. Voyez sur ce mot obscur entélechie, l'article LEIBNITIANISME.
3. L'ame a trois facultés ; la nutritive, la sensitive & la rationnelle. La premiere contient les autres en puissance.
4. La nutritive est celle par qui la vie est à toutes choses ; ses actes sont la génération & le développement.
5. La sensitive est celle qui les fait sentir. La sensation est en général un changement occasionné dans l'organe par la présence d'un objet apperçu. Le sens ne se meut point de lui-même.
6. Les sens extérieurs sont la vue, l'ouie, l'odorat, le goût, le toucher.
7. Ils sont tous affectés par des especes sensibles abstraites de la matiere, comme la cire reçoit l'impression du cachet.
8. Chaque sens apperçoit les différences de ses objets propres, aveugle sur les objets d'un autre sens. Il y a donc quelqu'autre sens commun & interne, qui saisit le tout, & juge sur le rapport des sens externes.
9. Le sens differe de l'intellect. Tous les animaux ont des sens. Peu ont de l'intellect.
10. La fantaisie ou l'imagination differe du sens & de l'intellect ; quoique sans exercice préliminaire des sens, il n'y ait point d'imagination, comme sans imagination, il n'y a point de pensée.
11. La pensée est un acte de l'intellect qui montre science, opinion & prudence.
12. L'imagination est un mouvement animal, dirigé par le sens en action, en conséquence duquel l'animal est agité, concevant des choses tantôt vraies, tantôt fausses.
13. La mémoire naît de l'imagination. Elle est le magasin de réserve des choses passées ; elle appartient en partie à l'imagination, en partie à l'entendement ; à l'entendement par accident, en elle-même à l'imagination. Elles ont leur principe dans la même faculté de l'ame.
14. La mémoire qui naît de l'impression sur le sens, occasionné par quelque objet, cesse si trop d'humidité ou de sécheresse, efface l'image. Elle suppose donc une sorte de tempérie dans le cerveau.
15. La réminiscence s'exerce, non par le tourment de la mémoire, mais par le discours, & la recherche exacte de la suite des choses.
16. Le sommeil suit la stupeur ou l'enchaînement des sens ; il affecte sur-tout le sens interne commun.
17. L'insomnie provient des simulacres de l'imagination offerts dans le sommeil, quelques mouvemens s'excitant encore, ou subsistant dans les organes de la sensation vivement affectés.
18. L'intellect est la troisieme faculté de l'ame ; elle est propre à l'homme, c'est la portion de lui qui connoît & qui juge.
19. L'intellect est un agent ou patient.
20. Patient, parce qu'il prend toutes les formes des choses ; agent, parce qu'il juge & connoît.
21. L'intellect agent peut être séparé du corps ; il est immortel, éternel, sans passion. Il n'est point confondu avec le corps. L'intellect passif ou patient est périssable.
22. Il y a deux actes dans l'entendement ; ou il s'exerce sur les indivisibles, & ses perceptions sont simples, & il n'y a ni vérité ni fausseté ; ou il s'occupe des complexes, & il affirme ou nie, & alors il y a ou vérité ou fausseté.
23. L'intellect actif est ou théorétique ou pratique ; le théorétique met en acte la chose intelligible ; le pratique juge la chose bonne ou mauvaise, & meut la volonté à aimer ou à haïr, à desirer ou à fuir.
24. L'intellect pratique & l'appétit sont les causes du mouvement local de l'animal ; l'un connoît la chose & la juge ; l'autre la desire ou l'évite.
25. Il y a dans l'homme deux appétits ; l'un raisonnable & l'autre sensitif : celui-ci est ou irascible, ou concupiscent ; il n'a de regle que le sens & l'imagination.
26. Il n'y a que l'homme qui ait l'imagination délibérative, en conséquence de laquelle il choisit le mieux. Cet appétit raisonnable qui en naît doit commander en lui à l'appétit sensitif qui lui est commun avec les brutes.
27. La vie est une permanence de l'ame retenue par la chaleur naturelle.
28. Le principe de la chaleur est dans le coeur ; la chaleur cessant, la mort suit.
Métaphysique d'Aristote. 1. La Métaphysique s'occupe de l'être en tant qu'être, & de ses principes. Ce terme être se dit proprement de la substance dont l'essence est une ; & improprement, de l'accident qui n'est qu'un attribut de la substance. La substance est donc le premier objet de la Métaphysique.
2. Un axiome universel & premier ; c'est qu'il est impossible qu'une chose soit & ne soit pas, dans le même sujet, en même tems, de la même maniere & sous le même point de vue. Cette vérité est indémontrable, & c'est le dernier terme de toute argumentation.
3. L'être est ou par lui-même, ou par accident ; ou en acte ou en puissance, ou en réalité, ou en intention.
4. Il n'y a point de science de l'être par accident ; c'est une sorte de non-être ; il n'a point de cause.
5. L'être par lui, suit dans sa division, les dix prédicamens.
6. La substance est le support des accidens ; c'est en elle qu'on considere la matiere, la forme, les rapports, les raisons, la composition. Nous nous servons du mot de substance, par préférence à celui de matiere, quoique la matiere soit substance, & le sujet premier.
7. La matiere premiere est le sujet de tout. Toutes les propriétés séparées du corps par abstraction, elle reste ; ainsi elle n'est ni une substance complete , ni une quantité, ni de la classe d'aucun autre prédicament. La matiere ne peut se séparer de la forme, elle n'est ni singuliere, ni déterminée.
8. La forme constitue ce que la chose est dite être ; c'est toute sa nature, son essence, ce que la définition comprend. Les substances sensibles ont leurs définitions propres ; il n'en est pas ainsi de l'être par accident.
9. La puissance est ou active ou passive. La puissance active est le principe du mouvement, ou du changement d'une chose en une autre, ou de ce qui nous paroît tel.
10. La puissance passive est dans le patient, & l'on ne peut séparer son mouvement du mouvement de la puissance active, quoique ces puissances soient en des sujets différens.
11. Entre les puissances il y en a de raisonnables, il y en a qui n'ont point la raison.
12. La puissance séparée de l'exercice n'en existe pas moins dans les choses.
13. Il n'y a point de puissance dont les actes soient impossibles. Le possible est ce qui suit ou suivra de quelque puissance.
14. Les puissances sont ou naturelles ou acquises ; acquises ou par l'habitude, ou par la discipline.
15. Il y a acte lorsque la puissance devient autre qu'elle n'étoit.
16. Tout acte est antérieur à la puissance, & à tout ce qui est compris, antérieur de concept, d'essence & de tems.
17. L'être intentionnel est ou vrai ou faux ; vrai si le jugement de l'intellect est conforme à la chose ; faux si cela n'est pas.
18. Il y a vérité & fausseté même dans la simple appréhension des choses, non-seulement considérée dans l'énumération, mais en elle-même en tant que perception.
19. L'entendement ne peut être trompé dans la connoissance des choses immutables ; l'erreur n'est que des contingens & des passagers.
20. L'unité est une propriété de l'être ; ce n'est point une substance, mais un catégorème, un prédicat de la chose, en tant que chose ou être. La multitude est l'opposé de l'unité. L'égalité & la similitude se rapportent à l'unité ; il en est de même de l'identité.
21. Il y a diversité de genre & d'espece ; de genre entre les choses qui n'ont pas la même matiere ; d'espece entre celles dont le genre est le même.
22. Il y a trois sortes de substances, deux naturelles, dont l'une est corruptible, comme les animaux ; & l'autre sempiternelle, comme le ciel ; la troisieme immobile.
23. Il faut qu'il y ait quelque substance immobile & perpétuelle, parce qu'il y a un mouvement local éternel ; un mouvement circulaire propre au ciel qui n'a pu commencer. S'il y a un mouvement & un tems éternels, il faut qu'il y ait une substance sujet de ce mouvement & mue, & une substance source de ce mouvement & non mue ; une substance qui exerce le mouvement & le contienne ; une substance sur laquelle il soit exercé & qui le meuve.
24. Les substances génératrices du mouvement éternel ne peuvent être matérielles, car elles meuvent par un acte éternel sans le secours d'autres puissances.
25. Le ciel est une de ces substances. Il est mu circulairement. Il ne faut point y chercher la cause des générations & des conceptions, parce que son mouvement est une forme. Elle est dans les spheres inférieures, & sur-tout dans la sphere du soleil.
26. Le premier ciel est donc éternel ; il est mu d'un mouvement éternel ; il y a donc autre chose d'éternel qui le meut, qui est acte & substance, & qui ne se meut point.
27. Mais comment agit ce premier moteur ? En desirant & en concevant. Toute son action consiste en une influence par laquelle il concourt avec les intelligences inférieures pour mouvoir leurs spheres.
28. Toute la force effectrice du premier moteur n'est qu'une application des forces des moteurs subalternes à l'ouvrage qui leur est propre, & auquel il coopere, de maniere qu'il en est entierement indépendant quant au reste ; ainsi les intelligences meuvent le ciel, non par la génération des choses inférieures, mais pour le bien général auquel elles tendent à se conformer.
29. Ce premier moteur est Dieu, être vivant, éternel, très-parfait, substance immobile, différente des choses sensibles, sans parties matérielles, sans quantité, sans divisibilité.
30. Il jouit d'une félicité complete & inaltérable, elle consiste à se concevoir lui-même & à se contempler.
31. Après cet être des êtres, la premiere substance, c'est le moteur premier du ciel, au-dessous duquel il y a d'autres intelligences immatérielles, éternelles, qui président au mouvement des spheres inférieures, selon leur nombre & leurs degrés.
32. C'est une ancienne tradition que ces substances motrices des spheres sont des dieux, & cette doctrine est vraiment céleste. Mais sont-elles sous la forme de l'homme, ou d'autres animaux ? c'est un préjugé qu'on a accrédité parmi les peuples pour la sûreté de la vie & la conservation des lois.
De l'athéïsme d'Aristote. Voyez l'article ARISTOTELISME.
Principes de la morale ou de la philosophie pratique d'Aristote. 1. La félicité morale ne consiste point dans les plaisirs des sens, dans la richesse, dans la gloire civile, dans la puissance, dans la noblesse, dans la contemplation des choses intelligibles ou des idées.
2. Elle consiste dans la fonction de l'ame occupée dans la pratique d'une vertu ; ou s'il y a plusieurs vertus, dans le choix de la plus utile & la plus parfaite.
3. Voilà le vrai bonheur de la vie, le souverain bien de ce monde.
4. Il y en a d'autres qu'il faut regarder comme des instrumens qu'il faut diriger à ce but ; tels sont les amis, les grandes possessions, les dignités, &c.
5. C'est l'exercice de la vertu qui nous rend heureux autant que nous pouvons l'être.
6. Les vertus sont, ou théoritiques ou pratiques.
7. Elles s'acquierent par l'usage. Je parle des pratiques, & non des contemplatives.
8. Il est un milieu qui constitue la vertu morale en tout.
9. Ce milieu écarte également l'homme de deux points opposés & extrèmes, à l'un desquels il péche par excès, & à l'autre par défaut.
10. Il n'est pas impossible à saisir même dans les circonstances les plus agitées, dans les momens de passions les plus violens, dans les actions les plus difficiles.
11. La vertu est un acte délibéré, choisi & volontaire. Il suit de la spontanéité dont le principe est en nous.
12. Trois choses la perfectionnent, la nature, l'habitude & la raison.
13. Le courage est la premiere des vertus ; c'est le milieu entre la crainte & la témérité.
14. La tempérance est le milieu entre la privation & l'excès de la volupté.
15. La liberté est le milieu entre l'avarice & la prodigalité.
16. La magnificence est le milieu entre l'économie sordide & le faste insolent.
17. La magnanimité qui se rend justice à elle-même, qui se connoit, tient le milieu entre l'humilité & l'orgueil.
18. La modestie qui est relative à la poursuite des honneurs est également éloignée du mepris & de l'ambition.
19. La douceur comparée à la colere, n'est ni féroce, ni engourdie.
20. La popularité ou l'art de capter la bienveillance des hommes, évite la rusticité & la bassesse.
21. L'intégrité, ou la candeur se place entre l'impudence & la dissimulation.
22. L'urbanité ne montre ni grossiereté ni bassesse.
23. La honte qui ressemble plus à une passion qu'à une habitude, a aussi son point entre deux excès opposés ; elle n'est ni pusillanime ni intrépide.
24. La justice relative au jugement des actions, est ou universelle ou particuliere.
25. La justice universelle est l'observation des lois établies pour la conservation de la société humaine.
26. La justice particuliere qui rend à chacun ce qui lui est dû, est ou distributive, ou commutative.
27. Distributive, lorsqu'elle accorde les honneurs & les récompenses, en proportion du mérite. Elle est fondée sur une progression géométrique.
28. Commutative, lorsque dans les échanges elle garde la juste valeur des choses, & elle est fondée sur une proportion arithmétique.
29. L'équité differe de la justice. L'équité corrige le défaut de la loi. L'homme équitable ne l'interprete point en sa faveur d'une maniere trop rigide.
30. Nous avons traité des vertus propres à la portion de l'ame qui ne raisonne pas. Passons à celles de l'intellect.
31. Il y a cinq especes de qualités intellectuelles, ou théorétiques ; la science, l'art, la prudence, l'intelligence, la sagesse.
32. Il y a trois choses à fuir dans les moeurs ; la disposition vicieuse, l'incontinence, la férocité. La bonté est l'opposé de la disposition vicieuse ; la continence est l'opposé de l'incontinence. L'héroïsme est l'opposé de la férocité. L'héroïsme est le caractere des hommes divins.
33. L'amitié est compagne de la vertu ; c'est une bienveillance parfaite entre des hommes qui se payent de retour. Elle se forme ou pour le plaisir ou pour l'utilité ; elle a pour base ou les agrémens de la vie, ou la pratique du bien ; & elle se divise en imparfaite & en parfaite.
34. C'est ce que l'on accorde dans l'amitié, qui doit être la mesure de ce que l'on exige.
35. La bienveillance n'est pas l'amitié, c'en est le commencement ; la concorde l'amene.
36. La douceur de la société est l'abus de l'amitié.
37. Il y a diverses sortes de voluptés.
38. Je ne voudrois pas donner le nom de volupté aux plaisirs deshonnêtes. La volupté vraie est celle qui naît des actions vertueuses, & de l'accomplissement des desirs.
39. La félicité qui naît des actions vertueuses est ou active, ou contemplative.
40. La contemplative qui occupe l'ame, & qui mérite à l'homme le titre de sage, est la plus importante.
41. La félicité qui résulte de la possession & de la jouissance des biens extérieurs n'est pas à comparer avec celle qui découle de la vertu, & de ses exercices.
Des successeurs d'Aristote, Théophraste, Straton, Lycon, Ariston, Critolaüs, Diodore, Dicéarque, Eudeme, Héraclide, Phanias, Demetrius, Hyeronimus.
Théophraste naquit à Erese, ville maritime de l'île de Lesbos. Son pere le consacra aux muses, & l'envoya sous Alcippe. Il vint à Athènes ; il vit Platon ; il écouta Aristote, qui disoit de Callisthène & de lui, qu'il falloit des éperons à Callisthène & un mors à Théophraste. Voyez à l'article ARISTOTELISME, les principaux traits de son caractere & de sa vie. Il se plaignoit, en mourant, de la nature qui avoit accordé de si longs jours aux corneilles, & de si courts aux hommes. Toute la ville d'Athènes suivit à pié son convoi. Il nous reste plusieurs de ses ouvrages. Il fit peu de changemens à la doctrine de son maître.
Il admettoit avec Aristote autant de mouvemens que de prédicamens ; il attribuoit aussi au mouvement l'altération, la génération, l'accroissement, la corruption, & leurs contraires. Il disoit que le lieu étoit immobile ; que ce n'étoit point une substance, mais un rapport à l'ordre & aux positions ; que le lieu étoit dans les animaux, les plantes, leurs dissemblables, animés ou inanimés, parce qu'il y avoit dans tous les êtres une relation des parties au tout qui déterminoit le lieu de chaque partie ; qu'il falloit compter entre les mouvemens les appétits, les passions, les jugemens, les spéculations de l'ame ; que tous ne naissent pas des contraires ; mais que des choses avoient pour cause leurs contraires, d'autres leurs semblables, d'autres encore de ce qui est actuellement. Que le mouvement n'étoit jamais séparé de l'action ; que les contraires ne pouvoient être compris sous un même genre ; que les contraires pouvoient être la cause des contraires ; que la salure de la mer ne venoit pas de la chaleur du soleil, mais de la terre qui lui servoit de fond ; que la direction oblique des vents avoit pour cause la nature des vents même, qui en partie graves, & en partie légers, étoient portés en même tems en haut & en bas ; que le hasard & non la prudence mene la vie ; que les mules engendrent en Cappadoce ; que l'ame n'étoit pas fort assujettie au corps, mais qu'elle faisoit beaucoup d'elle-même ; qu'il n'y avoit point de volupté fausse ; qu'elles étoient toutes vraies ; enfin qu'il y avoit un principe de toutes choses par lequel elles étoient & subsistoient, & que ce principe étoit un & divin.
Il mourut à l'âge de 85 ans ; il eut beaucoup d'amis, & il étoit d'un caractere à s'en faire & à les conserver ; il eut aussi quelques ennemis, & qu'est-ce qui n'en a pas ? On nomme parmi ceux-ci Epicure & la célébre Léontine.
Straton naquit à Lampsac. Il eut pour disciple Ptolomée Philadelphe ; il ne négligea aucune des parties de la Philosophie, mais il tourna particulierement ses vûes vers les phénomenes de la nature. Il prétendoit :
Qu'il y avoit dans la nature une force divine, cause des générations, de l'accroissement, de la diminution, & que cependant cette cause étoit sans intelligence.
Que le monde n'étoit point l'ouvrage des dieux, mais celui de la nature, non comme Démocrite l'avoit rêvé, en conséquence du rude & du poli, des atomes droits ou crochus, & autres visions.
Que tout se faisoit par les poids & les mesures.
Que le monde n'étoit point un animal, mais que le mouvement & le hasard avoient tout produit, & conservoient tout.
Que l'être ou la permanence de ce qui est, c'étoit la même chose.
Que l'ame étoit dans la base des sourcils.
Que les sens étoient des especes de fenêtres par lesquelles l'ame regardoit, & qu'elle étoit tellement unie aux sens, que eu égard à ses opérations, elle ne paroissoit pas en différer.
Que le tems étoit la mesure du mouvement & du repos.
Que les tems se résolvoient en individu, mais que le lieu & les corps se divisoient à l'infini.
Que ce qui se meut, se meut dans un tems individuel.
Que tout corps étoit grave & tendoit au milieu.
Que ce qui est au-delà du ciel étoit un espace immense, vuide de sa nature mais se remplissant sans cesse de corps ; ensorte que ce n'est que par la pensée qu'on peut le considérer comme subsistant par lui-même.
Que cet espace étoit l'enveloppe générale du monde.
Que toutes les actions de l'ame étoient des mouvemens, & l'appétit irraisonnable, & l'appétit sensible.
Que l'eau est le principe du premier froid.
Que les cometes ne sont qu'une lumiere des astres renfermée dans une nue, comme nos lumieres artificielles dans une lanterne.
Que nos sensations n'étoient pas, à proprement parler, dans la partie affectée, mais dans un autre lieu principal.
Que la puissance des germes étoit spiritueuse & corporelle.
Qu'il n'y avoit que deux êtres, le mot & la chose, & qu'il y avoit de la vérité & de la fausseté dans le mot.
Strabon mourut sur la fin de la 127e olympiade. Voyez à l'article ARISTOTELISME le jugement qu'il faut porter de sa philosophie.
Lycon, successeur de Straton, eut un talent particulier pour instruire les jeunes gens. Personne ne sut mieux exciter en eux la honte & réveiller l'émulation. Sa prudence n'étoit pas toute renfermée dans son école ; il en montra plusieurs fois dans les conseils qu'il donna aux Athéniens ; il eut la faveur d'Attale & d'Eumene. Antiochus voulut se l'attacher, mais inutilement. Il étoit fastueux dans son vêtement. Né robuste, il se plaisoit aux exercices athlétiques ; il fut chef de l'école péripatéticienne pendant 44 ans. Il mourut de la goutte à 74.
Lycon laissa la chaire d'Aristote à Ariston. Nous ne savons de celui-ci qu'une chose, c'est qu'il s'attacha à parler & à écrire avec élégance & douceur, & qu'on desira souvent dans ses leçons un poids & une gravité plus convenables au philosophe & à la Philosophie.
Ariston eut pour disciple & successeur Critolaüs de Phasclide. Il mérita par son éloquence d'être associé à Carneade & à Diogène, dans l'ambassade que les Athéniens décernerent aux Romains. L'art oratoire lui paroissoit un mal dangereux, & non pas un art. Il vécut plus de 80 ans. Dieu n'étoit, selon lui, qu'une portion très-subtile d'aether. Il disoit que toutes ces cosmogonies que les prêtres débitoient aux peuples, n'avoient rien de conforme à la nature, & n'étoient que des fables ridicules, que l'espece humaine étoit de toute éternité ; que le monde étoit de lui-même ; qu'il n'avoit point eu de commencement ; qu'il n'y avoit aucune cause capable de le détruire, & qu'il n'auroit pas de fin. Que la perfection morale de la vie consistoit à s'assujettir aux lois de la nature. Qu'en mettant les plaisirs de l'ame & ceux du corps dans une balance, c'étoit peser un atome avec la terre & les mers.
On sait que Diodore instruit par Critolaüs, lui succéda dans le lycée, mais on ignore qui il fut ; quelle fut sa maniere d'enseigner ; combien de tems il occupa la chaire, ni qui lui succéda. La chaîne péripatéticienne se rompit à Diodore. D'Aristote à celui-ci, il y eut onze maîtres, entre lesquels il nous en manque trois. On peut donc finir à Diodore la premiere période de l'école péripatéticienne, après avoir dit un mot de quelques personnages célebres qui lui ont fait honneur.
Dicéarque fut de ce nombre ; il étoit Messénien. Ciceron en faisoit grand cas. Ce philosophe disoit :
1. L'ame n'est rien : c'est un mot vuide de sens. La force par laquelle nous agissons, nous sentons, nous pensons, est diffuse dans toute la matiere dont elle est aussi inséparable que l'étendue, & où elle s'exerce diversement selon que l'être un & simple est diversement configuré.
2. L'espece humaine est de toute éternité.
3. Toutes les divinations sont fausses, si l'on en excepte celles qui se présentent à l'ame, lorsque libre de distraction, elle est suffisamment attentive à ce qui se passe en elle.
4. Qu'il vaut mieux ignorer l'avenir que le connoître.
Il étoit versé profondément dans la politique. On lisoit tous les ans une fois, dans l'assemblée des éphores, le livre qu'il avoit écrit de la république de Lacédémone.
Des princes l'employerent à mesurer la hauteur & la distance des montagnes, & à perfectionner la Géographie.
Eudeme, né à Rhodes, étudia sous Aristote. Il ajouta quelque chose à la logique de son maître, sur les argumentations hypotétiques & sur les modes. Il avoit écrit l'histoire de la Géométrie & de l'Astronomie.
Héraclide de Pont écouta Platon, embrassa le pytagorisme, passa sous Speusipe, & finit par devenir aristotélicien. Il réunit le mérite d'orateur à celui de philosophe.
Phanias de Lesbos étudia la nature, & s'occupa aussi de l'histoire de la Philosophie.
Démétrius de Phalere fut un des disciples de Théophraste les plus célebres. Il obtint de Cassandre, roi de Macédoine, dans la 115 olympiade, l'administration des affaires d'Athènes, fonction dans laquelle il montra beaucoup de sagesse. Il rétablit le gouvernement populaire, il embellit la ville ; il augmenta ses revenus ; & les Athéniens animés d'une reconnoissance qui se montroit tous les jours, lui eleverent jusqu'à 350 statues, ce qui n'étoit arrivé à personne avant lui. Mais il n'étoit guere possible de s'illustrer & de vivre tranquille chez un peuple inconstant : la haine & l'envie le persécuterent. On se souleva contre l'oligarchie. On le condamna à mort. Il étoit alors absent. Dans l'impossibilité de se saisir de sa personne, on se jetta sur ses statues, qui furent toutes renversées en moins de tems qu'on n'en avoit élevé une. Le philosophe se réfugia chez Ptolomée Soter, qui l'accueillit & l'employa à réformer la législation. On dit qu'il perdit les yeux pendant son séjour à Alexandrie ; mais que s'étant adressé à Siparis, ce dieu lui rendit la vûe, & que Démétrius reconnut ce bienfait dans les hymnes que les Athéniens chanterent dans la suite. Il conseilla à Ptolomée de se nommer pour successeurs les enfans d'Euridice, & d'exclure le fils de Bérénice. Le prince n'écouta point le philosophe, & s'associa Ptolomée connu sous le nom de Philadelphe. Celui-ci après la mort de son pere, rélégua Démétrius dans le fond d'une province, où il vêcut pauvre, & mourut de la piquure d'un aspic. On voit par la liste des ouvrages qu'il avoit composés, qu'il étoit poëte, orateur, philosophe, historien, & qu'il n'y avoit presque aucune branche de la connoissance humaine qui lui fut étrangere. Il aima la vertu, & fut digne d'un meilleur sort.
Nous ne savons presque rien d'Hyeronimus de Rhodes.
De la philosophie péripatéticienne à Rome, pendant le tems de la république & sous les empereurs. Voyez l'article ARISTOTELISME, & l'article PHILOSOPHIE DES ROMAINS.
De la philosophie d'Aristote chez les Arabes. Voyez les articles ARABES & ARISTOTELISME.
De la philosophie d'Aristote chez les Sarrasins, voyez l'article SARRASINS & ARISTOTELISME.
De la philosophie d'Aristote dans l'Eglise, voyez les articles JESUS-CHRIST & PERES DE L'EGLISE, & ARISTOTELISME.
De la philosophie d'Aristote parmi les Scholastiques, voyez les articles PHILOSOPHIE SCHOLASTIQUE & ARISTOTELISME.
Des restaurateurs de la philosophie d'Aristote, voyez l'article ARISTOTELISME & l'article PHILOSOPHIE.
Des philosophes récens Aristotelico-scholastiques, voy. l'article ARISTOTELISME, où ce sujet est traité très au long. Nous restituerons seulement ici quelques noms moins importans qu'on a omis, & qui peut-être ne valent guere la peine d'être tirés de l'oubli.
Après Bannez, on trouve dans l'histoire de la Philosophie, Franciscus Sylvestrius. Sylvestrius naquit à Ferrare ; il fut élu chef de son ordre ; il enseigna à Bologne ; il écrivit trois livres de commentaires sur l'ame d'Aristote. Matthaeus Aquarius les a publiés avec des additions & des questions philosophiques. Sylvestrius mourut en 1548.
Michel Zanard de Bergame, homme qui savoit lever des doutes & les résoudre ; il a écrit de triplici universo, de Physicâ & Metaphysicâ, & commentaria cum dubiis & questionibus in octo libros Aristotelis.
Joannes, à S. Thoma, de l'ordre aussi des Dominicains ; il s'entendit bien en Dialectique, en Métaphysique & en Physique, en prenant ces mots selon l'acception qu'ils avoient de son tems, ce qui réduit le mérite de ses ouvrages à peu de chose, sans rien ôter à son talent. Presque tous ces hommes qui auroient porté la connoissance humaine jusqu'où elle pouvoit aller, occupés à des argumentations futiles, furent des victimes de l'esprit dominant de leur siecle.
Chrysostome Javelle. Il naquit en Italie en 1488 ; il regarda les opinions & la philosophie de Platon comme plus analogues à la Religion, & celle d'Aristote comme préférable pour la recherche des vérités naturelles. Il écrivit donc de la philosophie morale, selon Aristote d'abord, ensuite selon Platon, & en dernier lieu selon Jesus-Christ. Il dit dans une de ses préfaces, Aristotelis disciplina nos quidem doctos ac subtilissime de moralibus, sicut de naturalibus differentes efficere potest ; at moralis Platonica ex vi dicendi atque paternâ adhortatione, veluti prophetia quaedam, & quasi superum vox inter homines tonans, nos procul dubio sapientiores, probatiores, vitaeque feliciores reddet. Il y a de la finesse dans son premier traité, de la sublimité dans le second, de la simplicité dans le troisieme.
Parmi les disciples qu'Aristote a eu chez les Franciscains, il ne faut pas oublier Jean Ponzius, Mastrius, Bonaventure Mellet, Jean Lallemandet, Martin Meurisse, Claude Frassenius, &c.
Dans le catalogue des aristotéliciens de l'ordre de Citeaux il faut inférer après Ange Manriquez, Bartholomée Gomez, Marcile Vasquez, Pierre de Oviedo, &c.
Il faut placer à la tête des scholastiques de la société de Jesus, Pierre Hurtado de Mendoza avant Vasquez, & après celui-ci, Paul Vallius & Balthazar Tellez ; & après Suarès François Tollet & Antoine Rubius.
A ces hommes on peut ajouter François Alphonse, François Gonsalez, Thomas Compton, François Rassler, Antonius Polus, Honoré Fabri : celui-ci soupçonné dans sa société de favoriser le Cartésianisme, y souffrit de la persécution.
Des philosophes qui ont suivi la véritable philosophie d'Aristote, voyez l'article ARISTOTELISME.
Parmi ceux-ci, le premier qui se présente est Nicolas Leonic Thomée. Il naquit en 1457 ; il étudia la langue grecque & les Lettres sous le célebre Démétrius Chalcondylas ; & il s'appliqua sérieusement à exposer la doctrine d'Aristote telle qu'elle nous est présentée dans les ouvrages de ce philosophe. Il ouvrit la voie à des hommes plus célebres, Pomponace & à ses disciples. Voyez à l'article ARISTOTELISME, l'abrégé de la doctrine de Pomponace.
Celui-ci eut pour disciples Hercules Gonzaga, qui fut depuis cardinal ; Théophile Folengius, de l'ordre de saint Benoît, & auteur de l'ouvrage burlesque que nous avons sous le titre de Merlin Cocaye ; Paul Jove, Helidée, Gaspard Contarin, autre cardinal, Simon Porta, Jean Genesius de Sepulveda, Jules Caesar Scaliger, Lazare Bonami, Jules-Caesar Vanini, & Ruphus, l'adversaire le plus redoutable de son maître. Voyez l'article ARISTOTELISME.
Inscrivez après Ruphus, parmi les vrais Aristotéliciens, Marc-Antoine Majoragius, Daniel Barbarus, Jean Genesius de Sepulveda, Petrus Victorius ; & après les Strozze, Jacques Mazonius, Hubert Gifanius, Jules Pacius ; & à la suite de Caesar Cremonin, François Vicomescat, Louis Septale, plus connu parmi les Anatomistes qu'entre les Philosophes ; Antoine Montecatinus, François Burana, Jean Paul Pernumia, Jean Cottusius, Jason de Nores, Fortunius Licet, Antoine Scaynus, Antoine Roccus, Felix Ascorombonus, François Robertel, Marc-Antoine Muret, Jean-Baptiste Monslor, François Valois, Nunnesius Balfurcus, &c.
Il ne faut pas oublier parmi les protestans aristotéliciens, Simon Simonius, qui parut sur la scene après Joachin Camerarius & Melanchton ; Jacob Schegius, Philippe Scherbius, &c.
Ernest Sonerus précéda Michel Picart, & Conrad Horneius lui succéda & à Corneille Martius.
Christianus Dreierus, Melchior Zeidlerus, & Jacques Thomasius, finissent cette seconde période de l'Aristotélisme.
Nous exposerons dans un article particulier la philosophie de Thomasius. Voyez THOMASIUS, philosophie de.
Il nous resteroit à terminer cet article par quelques considérations sur l'origine, les progrès & la réforme du Péripatéticisme, sur les causes de sa durée, sur le rallentissement qu'elle a apporté au progrès de la vraie science, sur l'opiniâtreté de ses sectateurs, sur les argumens qu'elle a fournis aux athées, sur la corruption des moeurs qui s'en est suivie, sur les moyens qu'on pouvoit employer contre la secte, & qu'on négligea ; sur l'attachement mal entendu que les Protestans affecterent pour cette maniere de philosopher, sur les tentatives inutiles qu'on fit pour l'améliorer, & sur quelques autres points non moins importans ; mais nous renvoyons toute cette matiere à quelque traité de l'histoire de la Philosophie en général & en particulier, où elle trouvera sa véritable place. Voyez l'article PHILOSOPHIE EN GENERAL, (histoire de la)
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PERIPETIE | S. f. (Belles Lettres) dans le poëme dramatique, c'est ce qu'on appelle ordinairement le dénouement ; c'est la derniere partie de la piece, où le noeud se débrouille, & l'action se termine. Voyez TRAGEDIE.
Ce mot vient du grec , chose qui tombe dans un état différent, & qui est formé de , autour, & de , cado, je tombe.
La péripétie est proprement le changement de condition, soit heureuse, soit malheureuse, qui arrive au principal personnage d'un drame, & qui résulte de quelque reconnoissance ou autre incident, qui donne un nouveau tour à l'action.
Ainsi la péripétie est la même chose que la catastrophe, à-moins qu'on ne dise que celle-ci dépend de l'autre, comme un effet dépend de sa cause ou de son occasion. Voyez CATASTROPHE.
La péripétie est quelquefois fondée sur un ressouvenir ou une reconnoissance, comme dans l'Oedipe roi, où un député envoyé de Corinthe, pour offrir la couronne à Oedipe, lui apprend qu'il n'est point fils de Polybe & de Mérope ; par-là Oedipe commence à découvrir que Laïus qu'il avoit tué étoit son pere, & qu'il a épousé Jocaste sa propre mere ; ce qui le jette dans le dernier desespoir. Aristote appelle cette sorte de dénouement une double peripétie. Voyez RECONNOISSANCE.
Les qualités que doit avoir la péripétie, sont d'être probables & nécessaires ; pour cela elle doit être une suite naturelle, ou au-moins l'effet des actions précédentes, & encore mieux naître du sujet même de la piece, & par conséquent ne point venir d'une cause étrangere, & pour ainsi parler, collatérale.
Quelquefois la peripétie se fait sans reconnoissance, comme dans l'Antigone de Sophocle, où le changement dans la fortune de Créon, est produit par sa seule opiniâtreté. La péripétie peut aussi venir d'un simple changement de volonté. Cette derniere sorte de dénouement, quoiqu'elle demande moins d'art, comme l'observe Dryden, peut cependant être telle, qu'il en résulte des grandes beautés ; tel est le dénouement du Cinna de Corneille, où Auguste signale sa clémence, malgré toutes les raisons qu'il a de punir & de se vanger.
Aristote appelle ces deux peripéties, peripéties simples ; les changemens qu'elles produisent consistant seulement dans le passage du trouble & de l'action, à la tranquillité & au repos. Voyez FABLE & ACTION.
Corneille ajoute que l'agnition, c'est-à-dire, ce que nous nommons reconnoissance, est un grand ornement dans les tragédies ; une grande ressource pour la peripétie, & c'est aussi le sentiment d'Aristote ; mais il ajoute qu'elle a ses inconvéniens. Les Italiens l'affectent dans la plûpart de leurs poëmes, & perdent quelquefois par l'attachement qu'ils y ont, beaucoup d'occasions de sentimens pathétiques qui auroient des beautés plus considérables. P. Corn. 2. disc. sur la tragédie.
Nous pourrions dire la même chose de presque tous nos dramatiques modernes depuis Corneille & Racine. Il est étonnant sur-tout que dans les pieces de ce dernier, les peripéties ne soient jamais l'effet d'une reconnoissance ; en sont-elles moins belles & moins intéressantes ?
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PERIPHERIE | S. f. (en Géométrie) est la circonférence ou la ligne qui termine un cercle, une ellipse, une parabole, ou une autre figure curviligne. Voyez CIRCONFERENCE, CERCLE, &c.
Ce mot est formé de , autour, & de , je porte.
La périphérie de chaque cercle est supposée divisée en 360 degrés, qui se subdivisent encore chacun en 60 minutes, les minutes en 60 secondes chacune, &c. Voyez DEGRE, MINUTE, &c.
Les Géometres démontrent que l'aire ou surface du cercle est égale à celle d'un triangle, dont la base est égale à la périphérie, & la hauteur au rayon. Voyez TRIANGLE.
Il suit de-là que les cercles sont en raison composée de leurs périphéries & de leurs rayons. Or, entant que figures semblables, ils sont aussi en raison doublée de leurs rayons : donc les périphéries des cercles sont entr'elles comme leurs rayons ; & par conséquent aussi comme leurs diametres. Chambers. (E)
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PÉRIPHRASE | S. f. (Rhétorique) c'est-à-dire circonlocution, détour de mots, figure dont Quintilien a si bien traité, liv. VIII. c. vj. Quod uno aut paucioribus dici potest, explicatur, periphrasim vocant, circuitum loquendi, qui non numquam necessitatem habet, quoties dictu deformia operit... Interim ornatum petit, solum qui est apud Poëtas frequentissimus, & apud Oratores non rarus, semper tamen adstrictior. Il est de la décence de recourir aux périphrases, pour faire entendre les choses qu'il ne convient pas de nommer. Ces tours d'expression sont souvent nécessaires aux orateurs. La périphrase en étendant le discours le releve ; mais il la faut employer avec choix & avec mesure, pour qu'elle soit orationis dilucidior circuitio, & pour y produire une belle harmonie.
Platon dans une oraison funebre parle ainsi : " Enfin, messieurs, nous leur avons rendu les derniers devoirs, & maintenant ils achevent ce fatal voyage ". Il appelle la mort ce fatal voyage ; ensuite il parle des derniers devoirs comme d'une pompe publique que leur pays leur avoit préparée exprès, pour les conduire hors de cette vie. De même Xénophon ne dit point, vous travaillez beaucoup ; mais, " vous regardez le travail comme le seul guide qui peut vous conduire à une vie heureuse ".
La périphrase suivante d'Hérodote, est encore plus délicate. La déesse Vénus pour châtier l'insolence des Scythes, qui avoient osé piller son temple, leur envoya une maladie qui les rendoit femmes. Il y a dans le grec ; c'est vraisemblablement le vice de ceux dont S. Grégoire de Naziance dit qu'ils sont.
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PÉRIPLE | S. m. (Géog. anc.) ce mot veut dire journal de navigation autour d'une mer, ou de quelque côte ; nous connoissons en ce genre le périple de Scylax, le périple d'Hannon, le périple de Pythéas, & le périple d'Arrien, qui décrivit toutes les côtes de la mer Noire, après les avoir reconnues en qualité de général de l'empereur Adrien, à qui il en dédia la description sous le nom de périple du Pont-Euxin.
Scylax, célebre géographe, né dans la Carie, florissoit quelque tems après Hannon, c'est-à-dire environ 330 ans avant J. C. Nous avons sous son nom un périple intéressant, qui est peut-être un court abrégé de son ouvrage. Il y est parlé de quelques villes phéniciennes bâties sur la côte d'Afrique, entr'autres de la ville de Thymiaterium, que bâtit Hannon.
Le périple d'Hannon paroît donc le plus ancien, & le seul morceau de ce genre que nous ayons en original. Il est antérieur au commencement du regne d'Alexandre, c'est-à-dire, à l'an 336 avant J. C. puisqu'il y parle de Tyr, comme d'une ville florissante, qui a un roi particulier, & qui est située dans une île séparée du continent par un détroit de trois stades. On voit par-là, que le voyage d'Hannon est plus ancien que l'an 300 avant J. C. Pline dit qu'il fut fait dans le tems de la puissance des Carthaginois, Carthaginis potentiâ florente ; mais cette puissance a commencé de si bonne heure, qu'on ne peut en fixer la date précise.
Strabon, l. I. p. 47. traite de fabuleuse la relation du célébre amiral de Carthage. Dodwel regarde aussi le voyage d'Hannon comme un roman de quelques grecs déguisés sous un nom punique ; mais malgré toute l'érudition qu'il prodigue à l'appui de ses raisonnemens, il n'a pas convaincu l'auteur de l'esprit des Lois. M. de Montesquieu met le périple d'Hannon au nombre des plus précieux monumens de l'antiquité ; & M. de Bougainville adoptant le même sentiment, a donné dans le recueil de l'académie des Inscriptions, tome XXVI. un mémoire curieux sur ce voyage, outre la traduction du périple même d'Hannon, accompagnée des éclaircissemens nécessaires. En voici le précis.
Hannon partit du port de Carthage à la tête de soixante vaisseaux, qui portoient une grande multitude de passagers hommes & femmes, destinés à peupler les colonies qu'il alloit établir. Cette flotte nombreuse étoit chargée de vivres & de munitions de toute espece, soit pour le voyage, soit pour les nouveaux établissemens. Les anciennes colonies carthaginoises étoient semées depuis Carthage jusqu'au détroit : ainsi les opérations ne doivent commencer qu'au-delà de ce terme.
Hannon ayant passé le détroit, ne s'arrêta qu'après deux journées de navigation, près du promontoire Hermeum, aujourd'hui le cap Cautin ; & ce fut au midi de ce cap, qu'il établit sa premiere peuplade. La flotte continua sa route jusqu'à un cap ombragé d'arbres, qu'Hannon nomme Solaé, & que le périple de Scylax, met à trois journées plus loin que le précédent ; c'est vraisemblablement le cap Bojador, ainsi nommé par les Portugais, à cause du courant très-dangereux que forment à cet endroit les vagues qui s'y brisent avec impétuosité.
Les Carthaginois doublerent le cap ; une demi-journée les conduisit à la vue d'un grand lac voisin de la mer, rempli de roseaux, & dont les bords étoient peuplés d'éléphans & d'animaux sauvages. Trois journées & demie de navigation séparent ce lac d'une riviere nommée Lixus par l'amiral carthaginois. Il jetta l'ancre à l'embouchure de cette riviere, & séjourna quelque tems pour lier commerce avec les Nomades Lixites, répandus le long des bords du Liceus. Ce fleuve ne peut être que le Rio-do-Ouro, espece de bras de mer, ou d'étang d'eau salée, qu'Hannon aura pris pour une grande riviere à son embouchure.
Ensuite la flotte mouilla près d'une île qu'Hannon appelle Cerné ; & il laissa dans cette île des habitans pour y former une colonie. Cerné n'est autre que notre île d'Arquin, nommée Ghir par les Maures : elle est à cinquante milles du cap Blanc, dans une grande baie formée par ce cap & par un banc de sable de plus de cinquante milles d'étendue du nord au sud, & un peu moins d'une lieue de large de l'est à l'ouest. Sa distance du continent de l'Afrique, n'est guere que d'une lieue.
Hannon s'étant remis en mer, s'avança jusqu'au bord d'un grand fleuve qu'il nomme Chrès, à l'extrémité duquel il vit de hautes montagnes habitées par des sauvages vétus de peaux de bêtes féroces. Ces sauvages s'opposerent à la descente des Carthaginois, & les repousserent à coups de pierres : selon toute apparence, ce fleuve Chrès, est la riviere de S. Jean, qui coule au sud d'Arquin, à l'extrémité méridionale du grand banc. Elle reçoit les eaux de plusieurs lacs considérables, & forme quelques îles dans son canal, outre celles qu'on voit au nord de son embouchure. Les environs en sont habités par les Nomades de la même espece que ceux du Lixus ; & ce sont-là probablement les sauvages que vit Hannon.
Ayant continué sa navigation le long de la côte vers le midi, elle le conduisit à un autre fleuve très-large & très-profond, rempli de crocodiles & d'hyppopotames. La grandeur de ce fleuve, & les animaux féroces qu'il nourrit, désignent certainement le Sénégal. Il borna sa navigation particuliere à ce grand fleuve, & rebroussant chemin, il alla chercher le reste de sa flotte dans la rade de Cerné.
Après douze jours de navigation le long d'une côte unie, les Carthaginois découvrirent un pays élevé, & des montagnes ombragées de forêts ; ces montagnes boisées d'Hannon, doivent être celles de Serra-Liona, qui commencent au-delà de Rio-Grande, & continuent jusqu'au cap Sainte-Anne.
Hannon mit vingt-six jours, nettement exprimés dans son périple, à venir de l'île de Cerné, jusqu'au golfe, qu'il nomme la corne du midi ; c'est le golfe de la côte de Guinée, qui s'étend jusqu'aux côtes de Bénin, & qui commençant vers l'ouest du cap des trois pointes, finit à l'est par le cap Formoso.
Hannon découvrit dans ce golfe une île particuliere, remplie de sauvages, parmi lesquels il crut voir beaucoup plus de femmes que d'hommes. Elles avoient le corps tout velu, & les interpretes d'Hannon les nommoient Gorilles. Les Carthaginois poursuivirent ces sauvages, qui leur échapperent par la légereté de leur course. Ils saisirent trois des femmes ; mais on ne put les garder en vie, tant elles étoient féroces ; il fallut les tuer, & leurs peaux furent portées à Carthage, où jusqu'au tems de la ruine de cette ville, on les conserva dans le temple de Junon. L'île des Gorilles, est quelqu'une de celles qu'on trouve en assez grand nombre dans ce lac. Les pays voisins sont remplis d'animaux pareils à ceux qu'Hannon prit pour des hommes sauvages. C'étoient, suivant la conjecture de Ramusio, commentateur d'Hannon, des singes de la grande espece, dont les forêts de l'Afrique intérieure sont peuplées.
Le cap de Trois-pointes fut le terme des découvertes d'Hannon ; la disette des vivres l'obligea de ramener sa flotte à Carthage, il y rentra plein de gloire, après avoir pénétre jusqu'au cinquieme degré de latitude, prit possession d'une côte de près de six cent lieues, par l'établissement de plusieurs colonies, depuis le détroit jusqu'à Cerné, & fonda dans cette île, un entrepôt sûr & commode pour le commerce de ses compatriotes, qui s'accrut considérablement depuis cette expédition.
On n'a pas de preuves que les Carthaginois aient dans la suite conservé toutes les connoissances qu'ils devoient au voyage d'Hannon. Il est même à présumer que leurs marchands n'allerent pas d'abord audelà du Sénégal, & que peu-à-peu ils resterent beaucoup en-deçà de ce fleuve.
Au tems de Scylax, l'île de Cerné étoit devenue le terme de la navigation pour les gros bâtimens. La colonie d'Hannon s'y maintint ; & Cerné fut toujours l'entrepôt du commerce des Carthaginois au Sud de l'Afrique. Leurs gros navires restoient à la rade de l'île ; la côte ultérieure n'étant pas aisément navigable, à cause des écueils & des bas fonds couverts d'herbes qu'on y rencontre fréquemment. Ils s'embarquerent à Cerné sur des bâtimens légers, à bord desquels ils alloient faire la traite le long des côtes, & même dans les rivieres, qu'ils remontoient assez avant.
Scylax fait mention d'une ville d'Ethiopiens ou de negres, où ils alloient commercer, & nous donne un détail des marchandises qui faisoient de part & d'autre la matiere de ce commerce. Les Carthaginois y portoient des vases de terre, des tuiles, des parfums d'Egypte, & quelques bijoux de peu de conséquence pour les femmes. En échange, ils en recevoient des peaux de cerfs, de lions & de pantheres, des cuirs, & des dents d'éléphans. Ces cuirs étoient d'un grand usage pour les cuirasses & les boucliers.
Scylax garde le silence sur la poudre d'or qu'ils tiroient aussi de ces contrées ; c'est un secret de leur commerce, qu'il ignoroit sans doute, n'ayant consulté que les routiers des pilotes, où l'on n'avoit garde de faire mention de cet article important. Mais Hérodote, instruit par l'indiscrétion de quelque Carthaginois, nous l'a révélé dans son histoire, liv. IV. ch. cxcvj.
On voit encore dans l'île d'Arquin, un monument du long séjour des Carthaginois ; ce sont deux citernes couvertes, creusées dans le roc avec un travail immense, pour rassembler les eaux de diverses sources, & les défendre contre la chaleur immodérée du climat. Ces citernes marquées dans quelques plans du fort, appartenant dans cette île à la compagnie des Indes françoises, contiennent assez d'eau pour en fournir plusieurs gros bâtimens. Ce n'est point un ouvrage des Maures ; ces peuples maîtres de l'intérieur du pays & des côtes, n'avoient nul besoin de l'entreprendre ; d'ailleurs, ils ne sont pas navigateurs, ainsi nous sommes obligés de l'attribuer aux Carthaginois, anciens possesseurs de l'île, depuis la découverte d'Hannon.
Ce grand homme de retour à Carthage, déposa dans le temple une espece de journal ou de sommaire de sa navigation ; c'est le périple qui porte son nom, & dont l'original, perdu depuis long-tems, a eu le sort de tous les écrits composés par ses compatriotes. Le peu de familiarité des anciens avec la langue & les caracteres puniques, l'indifférence des Grecs, & la haine des Romains, ont fait périr les ouvrages des Carthaginois, sans qu'un seul ait pû se soustraire à la proscription générale ; perte réelle pour la postérité, que les monumens de littérature & d'histoire Carthaginoise auroient instruite de l'état de l'Afrique intérieure, de celui de l'ancienne Espagne, & d'une infinité de faits inconnus aux Grecs, concentrés en eux-mêmes ; & qui trop superficiels pour rien approfondir, étoient trop énorgueillis de la supériorité qu'ils avoient dans les arts, & de celle qu'ils prétendoient dans les sciences, pour ne pas nier tout ce qu'ils ignoroient.
Le périple d'Hannon avoit été traduit en grec, vraisemblablement par quelque Sicilien, devenu sujet de Carthage, depuis qu'elle eût soumis une partie de la Sicile à sa domination. Le traducteur a défiguré quelques termes de l'original, & peut-être même ne nous en a-t-il conservé qu'un extrait. Du-moins, c'est ce qu'on présume au premier coup d'oeil, en comparant la briéveté du périple avec la longueur de l'expédition. Peut-être aussi ce périple d'Hannon traduit par un Grec, étoit-il l'abrégé fait par Hannon lui-même, d'un journal complet & circonstancié, que les principes exclusifs de la politique carthaginoise, ne lui permettoient pas de rendre public.
En effet, on ne trouve dans ce qui nous reste nul détail sur les différens objets du nouveau commerce dont cette entreprise ouvroit la route aux Carthaginois, & particulierement sur cet or, qu'ils alloient acheter pour des marchandises de peu de valeur ; articles sur lesquels le gouvernement ne pouvoit avoir trop de lumieres, & qu'Hannon n'avoit pas sans doute oubliés dans son récit. Mais on sait avec quelle jalousie ces républicains cachoient aux étrangers les sources de leur opulence ; ce fut toujours pour eux un des secrets de l'état, & les anciens nous ont transmis plus d'un exemple des précautions qu'ils prenoient, pour rendre impénétrable à leurs rivaux le voile dont ils cherchoient à se couvrir.
Pythéas, né à Marseille, vers le milieu ou la fin du quatrieme siecle, avant J. C. est célebre par ses connoissances astronomiques, & par ses voyages. Il partit du port de sa patrie, & voguant de cap en cap, il côtoya toute la partie orientale de l'Espagne, pour entrer dans le bras de la Méditerranée, qui baignant le midi de ce royaume, & le nord de l'Afrique, se joint à l'Océan par le détroit de Gibraltar.
Au sortir du détroit, il remonta vers le nord ; le long des côtes de la Lusitanie, & continuant de faire le tour de l'Espagne, il gagna les côtes de l'Aquitaine & de l'Armorique, qu'il doubla pour entrer dans le canal qu'on nomme aujourd'hui la Manche. Au-delà du canal, il suivit les côtes orientales de l'île Britannique ; & lorsqu'il fut à sa partie la plus septentrionale ; poussant toujours vers le nord, il s'avança en six journées de navigation, jusqu'à un pays que les Barbares nommoient Thulé, & où la durée du jour solsticial étoit de vingt-quatre heures ; ce qui suppose 66'30''de latitude septentrionale. Ce pays est l'Islande, située entre les 65 & 67'de latitude ; c'est Strabon qui nous fournit ce détail.
Le voyage au nord de l'île Britannique, n'est pas le seul qu'ait fait Pithéas ; il en entreprit un second vers le nord-est de l'Europe ; & suivant dans celui-ci, comme il avoit fait dans le premier, toute la côte occidentale de l'Océan, il entra par le canal de la Manche dans la mer du nord, & de celle-ci par le détroit du Sond dans la mer Baltique, dans laquelle il vogua jusqu'à l'embouchure d'un fleuve, auquel il donna le nom de Tanaïs, & qui fut le terme de ses courses.
Le fleuve Tanaïs de ce voyageur, étoit une des rivieres qui se jettent dans la mer Baltique ; peut-être la Vistule ou le Redaune, qui tombent dans ce fleuve auprès de Dantzig. La quantité de succin que l'on trouve sur leurs bords, rend cette conjecture assez vraisemblable. Le mot Tana ou Thènes entroit, suivant l'observation de Leibnitz, dans la composition des noms de la plûpart des grands fleuves du nord.
Pythéas composa en grec deux ouvrages, dans lesquels il exposoit ce qu'il avoit vû de remarquable. Le premier sous le titre de description de l'Océan, contenoit une relation de son voyage par mer depuis Gadés jusqu'à Thulé ; le second étoit la description de celui qu'il avoit fait le long des côtes de l'Océan, jusques dans la mer Baltique.
Ce second ouvrage est appellé période par un ancien scholiaste d'Apollonius de Rhodes, & périple dans l'abrégé d'Artémidore d'Ephèse ; ce qui pourroit faire croire que le voyage, dont il exposoit l'histoire, avoit été en partie par terre, en partie par mer. Nous n'avons plus que quelques citations de ces écrits de Pythéas ; encore faut-il les prendre le plus souvent chez des auteurs prévenus contre lui.
Dans le tems que Pythéas alloit vers le septentrion pour reconnoître les îles qui fournissoient l'étain, & les contrées d'où l'on pouvoit tirer l'ambre jaune ; un autre Marseillois fut envoyé par ses compatriotes vers le midi, pour découvrir sur les côtes d'Afrique les pays d'où on tiroit la poudre d'or ; ce Marseillois nommé Euthymene, fit un voyage dans l'Océan du côté du Sud, dans lequel tomboit un fleuve considérable qui couloit vers l'occident, & dont les bords étoient peuplés de crocodiles.
Strabon a eu tort de se déchaîner en toutes occasions contre les observations de Pythéas dans ses voyages ; s'il avoit fait plus d'usage de son esprit & de son savoir, il auroit rendu plus de justice à ce célebre marseillois ; non que ses relations soient exemptes de fautes, comme on le reconnoît par le peu de fragmens qui nous en restent. Etranger dans les pays qu'il a décrits, il n'avoit eu ni le tems, ni la facilité de vérifier ce que lui disoient les habitans ; il vivoit dans un siecle rempli de préjugés sur les matieres physiques. Enfin, il étoit grec & voyageur ; que de sources de méprises, & peut-être de fictions !
Mais ces méprises que produit une ignorance qu'on ne peut pas même blâmer, ces fictions de détail que seme dans une relation l'amour du merveilleux, autorisent-elles à rejetter une foule de vérités, qui fait l'essentiel de l'ouvrage ? En remarquant ces fautes de quelque genre qu'elles fussent, en condamnant même avec sévérité celles qui méritoient de l'être, il falloit louer l'exactitude des observations de Pythéas, & faire sentir le mérite de ses voyages & de ses découvertes. Il falloit en un mot, le représenter comme un homme auquel on ne peut refuser l'honneur d'avoir établi le premier la distinction des climats, par la différente longueur des jours & des nuits, & frayé la route vers des contrées que l'on croyoit inhabitables. Toutes ces judicieuses réfléxions sont de M. de Bougainville ; il nous reste à parler d'Arrien & de son périple.
Cet historien & philosophe célebre, étoit de Nicomédie en Bithynie. Il fleurissoit du tems d'Adrien, & des deux Antonins ; son savoir & son éloquence lui firent donner le titre de nouveau Xenophon, & l'éleverent dans Rome à toutes les dignités, jusqu'au consulat. Il étoit gouverneur de Cappadoce l'an 134 de J. C. & nous avons de lui la relation d'un voyage qu'il fit autour du Pont-Euxin, & qu'il adressa à l'empereur Adrien.
Cet ouvrage connu sous le nom de periplus Ponti-Euxini, a paru en grec à Genève en 1557 ; M. Fabricius ne parle d'aucune édition de Genève ; il en cite une de 1577 de Lyon, in-fol. en grec & en latin, de la version d'Adrien Turnebe, procurée par Jean Guillaume Stuckius de Zurich, qui fit imprimer dans ce même volume le periplus maris Erythraei, avec le commentaire & les cartes d'Abraham Ortelius. La premiere édition en grec est de Bâle, chez Froben en 1533 ; in-4°. Sigismond Gelenius donna dans un volume, le periplus Ponti Euxini, le periplus maris Erythraei, le voyage de Hannon, le traité de Plutarque, des Fleuves & des Montagnes, & l'abrégé de Strabon. Il y a d'autres éditions plus nouvelles, & entr'autres celle de M. Hudson en 1698, à Oxford, qui a donné les deux voyages, dans le premier tome de son recueil des anciens géographes Grecs, nommés les Petits, avec des savantes dissertations chronologiques de Dodwel, mais qui ne sont pas exemptes de préjugés.
Le periplus Ponti Euxini, ou navigation du Pont-Euxin, n'est que comme une lettre ou une relation adressée à l'empereur Adrien, par Arrien. Il commandoit alors à Trébizonde & aux environs, soit que ces pays fussent du gouvernement de la Cappadoce, soit qu'il ait eu une commission particuliere pour les visiter, soit qu'il ait été aussi gouverneur de cette partie du Pont.
Il commence sa relation par son arrivée à Trébizonde, où Adrien faisoit alors bâtir un temple de Mercure. Il s'embarqua à Trébizonde, pour aller faire le tour du Pont-Euxin du côté de l'Orient. Il passa la riviere du Phase, dont il remarque que l'eau nage long-tems sur celle de la mer, parce qu'elle est extrèmement légere, & qu'elle se garde plus de dix ans sans se corrompre. Il y avoit-là un château gardé par quatre cent soldats romains, & un bourg habité par des vétérans & par quelques gens de mer ; Adrien ordonna d'y faire un nouveau fossé pour la sureté du bourg. Il termina sa navigation à Sébastople, où étoit la derniere garnison romaine. Il fut attaqué dans ce voyage d'une grande tempête ; dont un de ses vaisseaux fut brisé.
Entre les peuples barbares dont il cotoya le pays, les plus voisins de Trébizonde, & aussi les plus belliqueux, étoient les Sannes nommés Drilles par Xénophon ; ils n'avoient point de rois. Ils avoient autrefois payé tribut aux Romains, & Arrien promit à Adrien de les y réduire de nouveau, ou de les exterminer. Il ne fit pas le dernier, car plusieurs siecles après on parloit encore des Tranes, qui sont sans doute les mêmes que les Sannes. Il paroît que ces Sannes habitoient une partie de la Colchide, que l'on distinguoit alors du pays des Lazes.
A la relation de son voyage, il joint une description de la côte de l'Asie, depuis Bysance jusqu'à Trébizonde, & une autre du pays qui est depuis Sébastople jusqu'au Bosphore Cimmérien, & depuis le Bosphore jusqu'à Bysance, afin qu'Adrien pût prendre sur cela ses mesures, s'il vouloit entrer dans les affaires du Bosphore, dont il lui mande que le roi Cotys étoit mort depuis peu de tems.
Nous avons aussi sous le nom d'Arrien, une description des côtes de la mer Rouge, c'est-à-dire des côtes orientales de l'Afrique, & de celles de l'Asie jusqu'aux Indes : l'inscription latine est à l'empereur Adrien ; quoi qu'il ne soit point parlé de lui dans la description même. Saumaise croit qu'elle a été écrite du tems de Pline la naturaliste, ou même un peu avant lui, & qu'ainsi elle ne peut être d'Arrien de Nicomédie, ni même adressée à l'empereur Adrien ; c'est ce qu'il conclud de ce qu'il y est fait mention de plusieurs princes qui vivoient du tems de Pline. A ces preuves, M. de Tillemont ajoute un passage de la description, où il est dit qu'on alloit du bourg de Lencé à Pétra vers Malican, roi des Nabathéens ; or la ville de Pétra & toute l'Arabie Pétrée, avoit été soumise aux Romains dès l'an 105 de J. C. & réduite ensuite en province, & l'on ne trouve point qu'Adrien l'ait abandonnée ; au contraire, on a des médailles de la ville de Pétra sous cet empereur, avec le titre de métropole.
Il faut donc que cette description soit antécédente à l'année 105 ; & par conséquent elle n'est point d'Arrien, qui vivoit encore sous Marc-Aurele, c'est-à-dire après l'an 160. Enfin l'auteur parle de l'Egypte comme de son pays, & fait quelquefois usage des mois Egyptiens. M. de Tillemont croit donc que cet ouvrage pourroit être de celui à qui Pline le jeune écrit plusieurs lettres, comme à une personne habile & éloquente, & qui passoit pour un imitateur de Démosthene : il paroît que dès le tems de Nerva, ou dans les premieres années de Trajan, cet Arrien s'étoit retiré pour vivre tranquillement, ce qui n'étoit permis aux sénateurs, que dans un âge fort avancé ; ainsi cela ne convient point au disciple d'Epictete.
Si maintenant l'on veut joindre à ces détails de l'antiquité, les descriptions de nos navigateurs modernes, dont on a parlé en leur lieu, on aura l'histoire complete de la navigation, & cette histoire est fort intéressante. (D.J.)
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PERIPLOCA | (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, & beaucoup plus ouverte que celle de l'apocin, desorte qu'elle approche plus de la figure d'une roue. Il s'éleve du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit si ressemblant à celui de l'apocin, que les auteurs n'ont pas coutume de faire de ces deux plantes deux genres particuliers. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE.
Entre les douze especes de periploca, établies par Tournefort, il suffira bien de décrire celle qui est à longues feuilles, periploca foliis oblongis. I. R. H. 93.
Elle pousse des tiges sarmenteuses, fort longues, ligneuses, pliantes, nouées, rougeâtres, lesquelles s'élevent & s'entortillent autour des arbres ou arbrisseaux voisins. Ses feuilles sont opposées, longues, larges, pointues, veineuses : ses fleurs viennent aux sommités des branches ; elles sont monopétales, fort évasées à la gueule, & de couleur purpurine. Il succede à ses fleurs un fruit à deux gaines, un peu courbées, plus grandes que celles de l'apocin. Elles s'ouvrent dans leur maturité, & laissent paroître une matiere lanugineuse, sur laquelle sont couchées des semences à aigrette : cette plante croît dans les bois, & a la plûpart des caracteres de l'apocynum scandens. (D.J.)
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PERIPNEUMONIE | S. f. (Médecine) inflammation du poumon, que l'on distingue en vraie & en fausse.
Péripneumonie vraie. La péripneumonie vraie est l'inflammation de la substance même du poumon, avec secheresse, chaleur & douleur.
Les vaisseaux susceptibles de cette inflammation sont les arteres bronchiales & les arteres pulmonaires : elle est plus ou moins dangereuse, selon la différence des vaisseaux engorgés, & selon la qualité du sang engorgé.
Les causes de cette double inflammation sont, 1°. les causes générales de toutes les inflammations : 2°. les causes qui affectent particulierement le poumon, comme un air trop humide ou trop sec, trop chaud ou trop froid, trop grossier ou trop subtil, un air chargé d'exhalaisons caustiques, ou astringentes, ou coagulantes, un chyle formé de matieres épaisses, seches, visqueuses, l'exercice violent du poumon par la course, la lutte, le mouvement du cheval contre le vent, les poisons coagulans, caustiques, astringens, portés au coeur par les veines qui s'y rendent, les violentes passions de l'ame, l'esquinancie avec oppression de poitrine & orthopnée, une forte pleurésie, une paraphrénésie violente, l'action d'un émétique dans un estomac tendre & délicat.
Les symptômes de la peripneumonie sont différens, selon son siége ; celle qui réside dans les bronches produit tous les effets de l'inflammation, & enflamme même les extrémités de l'artere pulmonaire qui leur sont contiguës, en les comprimant & en leur communiquant la maladie dont ils sont attaqués.
Cette inflammation peut s'attacher à différentes parties du poumon ; son étendue peut aussi varier ; les symptômes seront plus violens s'il y a deux lobes entrepris que s'il n'y en a qu'un, ou si un lobe est totalement enflammé, que s'il n'y en a qu'une partie ; la peripneumonie n'est pas guérissable dans le premier cas, à cause de la grandeur & de l'étendue de l'engorgement : dans le second cas elle peut se guérir, si les symptômes ne sont pas extrèmes, si la toux, la douleur, la chaleur & l'oppression peuvent se supporter & céder peu-à-peu à l'action des remedes.
La péripneumonie vraie se guérit par une résolution bénigne, par des crachats abondans qui viennent de bonne heure, par un cours de ventre bilieux, dont la matiere ressemble assez aux crachats, par une évacuation abondante d'urine épaisse & chargée, dont le sédiment devient blanc.
Si elle ne se résout pas, elle se change en une autre maladie qui est l'abscès du poumon, ou une métastase de la matiere morbifique sur une autre partie ; la suppuration prochaine se connoit par le défaut de la résolution au jour marqué, par la diminution, par la douleur, par la foiblesse du pouls, par le changement de la fievre, par la continuation de la difficulté de respirer, accompagnée de la soif & des autres accidens ; d'autres fois il se fait une éruption soudaine du pus dans la trachée-artere, le malade en est suffoqué ; quelquefois aussi le pus est évacué par un crachement abondant de matiere purulente, mais souvent il tombe dans la cavité de la poitrine, dans laquelle il cause l'empyème, la phthisie, ou d'autres maladies.
La métastase arrive lorsque la matiere purulente & morbifique étant prise par les petites vénules lymphatiques du poumon se mêle avec le sang & forme un dépôt dans quelque viscere particulier, comme dans le foie, la rate, le cerveau, ou quelqu'autre partie : de-là viennent des parotides ou abscès péripneumoniques autour des oreilles, aux jambes, ou aux hypochondres ; souvent ces abscès disparoissent tout-à-coup, ce qui annonce une mort prochaine.
Le prognostic de cette maladie est des plus fâcheux ; ainsi avant de rien prononcer, on doit sur-tout considérer le nombre & la violence des symptômes, les excrétions, la qualité des crachats.
La suppression des crachats, jointe à l'oppression, au crachement de sang épais, bourbeux, noir, livide, semblable à de la lie, sont d'un présage funeste, ils marquent un grand embarras du poumon, & un resserrement des vaisseaux, avec une grande acrimonie dans les humeurs. Si le pus sort par le dévoiement, l'urine épaisse devenue claire, la toux seche, les éternuemens fréquens, le pouls manquant, les extrémités du corps froides, pendant que la poitrine, la tête ou le cou conservent une ardeur brûlante, ce sont autant de signes avant-coureurs d'une mort prochaine.
La cure est la même que celle de toutes les inflammations ; elle consiste dans les saignées répétées, selon la force de la fievre & la vigueur du pouls, la tisane délayante, adoucissante & béchique, les béchiques doux, légerement incisifs : les apéritifs doux conviennent & sont indiqués dans les différens états & périodes de cette maladie.
Tisane pour la péripneumonie vraie. Prenez racine de chiendent, de fraisier, de chaque une once ; faites-les bouillir dans cinq pintes d'eau de riviere réduites à quatre ; lorsqu'elles auront un peu bouilli, ajoutez-y fleurs de violette, de mauve, de chaque deux gros ; faites-y infuser racine de guimauve, reglisse effilée, de chaque deux gros : passez le tout, & faites-en boire au malade le plus qu'il pourra.
Potion propre à débarrasser les poumons en augmentant les crachats. Prenez eau distillée de buglose, de bourache, de scabieuse, de chacune deux onces ; blanc de baleine un demi gros, kermès minéral deux grains, huile d'amandes douces une once, & de syrop de guimauve une once ; faites du tout une potion à prendre par cuillerée.
On ne négligera pas, dans le cours de la maladie, l'usage des lavemens faits avec la décoction de graine de lin, de son, & des herbes émollientes : ces lavemens doivent être donnés deux & trois fois par jour.
Enfin on doit avoir pour objet de rétablir le ton des parties, & de faciliter de plus en plus les excrétions de l'humeur bronchiale & des crachats, & alors on employe, sur la fin sur-tout, le quinquina, le mars, les opiates, le benjoin, les pilules de Morthon, combinés tous ensemble, & partagés ou coupés avec le lait.
On fait des opiates que l'on donne après avoir évacué, ensuite on adoucit avec le lait coupé. Voyez OPIAT.
Souvent on a recours aux eaux de Cauterets, de Plombieres, ou on fait des eaux artificielles qui imitent la qualité savonneuse des véritables eaux naturelles.
Dans le cas de suppuration menaçante, il faut faire tout ce qu'on peut pour la détourner & pour procurer la résolution, ce que l'on obtient par les saignées réitérées, le régime humectant & tempérant. Cependant, si malgré toutes les précautions que l'art suggere on ne sauroit l'empêcher de se faire, on doit, autant qu'il est possible, recourir aux remedes qui aident la suppuration ; & lorsqu'elle est faite, il faut chercher à évacuer le pus ; mais comme on ne peut savoir où s'ouvrira l'abscès, la maladie n'en devient que plus dangereuse ; on pourroit déterminer la suppuration par la tisane d'orge, avec l'hydromel, par l'usage des plantes expectorantes & détersives, telles que le lierre terrestre, l'hysope, le pié de chat, & autres de cette nature.
Lorsque la suppuration est faite, alors ce n'est plus une inflammation, mais un abscès ou un ulcere interne que l'on a à traiter ; c'est une véritable phthisie qu'il faut entreprendre. Voyez PHTHISIE.
Si au contraire la fievre, la toux, la douleur & la chaleur se soutiennent au-delà du cinquieme ou du septieme jour, ce qui marque une impossibilité de la résolution, on doit craindre un mal incurable, qui est la gangrene du poumon. Voyez GANGRENE.
Le régime doit être des plus rigides dans tout le tems de la maladie. Le bouillon seul, & le plus léger, est tout ce qu'on doit permettre ; l'air doit être tempéré.
Péripneumonie fausse. Cette maladie tire ordinairement son origine d'une humeur muqueuse ou pituite lente, dont toute la masse du sang se trouve empreinte & qui engorge insensiblement les vaisseaux sanguins ramifiés sur les bronches, & les ramifications des vaisseaux pulmonaires & bronchiques.
Les causes éloignées sont les saignées copieuses, un sang aqueux & appauvri, dépouillé de sa partie sulphureuse, tandis que les humeurs contenues dans les premieres voies ont passé dans le sang & dans ses vaisseaux à la place des globules sanguins ; aussi cette maladie arrive à toutes les personnes foibles, délicates, aux tempéramens pituiteux, aux vieillards, aux hydropiques, à tous ceux qui sont d'une constitution catharreuse, pituiteuse, froide, & enrhumés du cerveau ; elle saisit inopinément & commence par une courbature, ou légere fatigue, une foiblesse, un abattement presque entier des forces de l'esprit ; elle est accompagnée d'oppression, de pesanteur, de difficulté de respirer, qui sont les signes les plus dangereux. Les symptômes ordinaires sont une chaleur douce & une fievre légere ; la difficulté de respirer avec râle, suivie d'une grande foiblesse, terminent en peu de tems cette maladie par une mort d'autant plus subite, que ni les urines ni le pouls n'ont donné aucun lieu de prévoir un tel événement.
Cure. Lorsqu'on reconnoit une péripneumonie fausse par ses signes propres, qui sont sur-tout une difficulté de respirer, un pouls foible, une oppression considérable, il faut employer les remedes évacuans, incisifs & expectorans, les béchiques incrassans.
L'indication principale est d'aider l'expectoration & de provoquer les crachats ; plus le malade crachera, & plutôt il sera soulagé : les huileux sont moins propres à cela que les incisifs.
Tisane bonne dans la Péripneumonie fausse. Prenez des feuilles de beccabunga, de lierre terrestre, d'hysope, de fleurs de pié de chat, de chaque un gros ; faites les infuser dans trois demi-septiers d'eau bouillante, & y ajoutez du miel blanc une once ; on fera prendre de cette infusion de demi-heure en demi-heure, & pour aider plus efficacement l'excrétion de l'humeur muqueuse, on fera prendre la potion suivante.
Prenez d'huile d'amandes douces tirée sans feu, trois onces, de syrop de lierre terrestre, de syrop de pas d'âne, de chaque demi-once ; de blanc de baleine, deux gros ; de kermès minéral, six grains : dissolvez le kermès & le blanc de baleine en particulier dans l'huile, ensuite mêlez le tout ensemble, & donnez une cuillerée de ce mélange au malade, d'heure en heure, & par-dessus un verre de la boisson ci-dessus.
Si la toux est stomachale, que la langue soit épaisse & la bouche fort sale & pâteuse, on ordonnera l'apozeme suivant. Prenez de racine d'aunée, d'iris de Florence, de chaque six gros ; de fleurs de mauve & de pas d'âne, de chaque deux gros ; faites les infuser dans trois chopines d'eau bouillante, ajoutez-y du tartre stibié, six grains. On tâchera de procurer le vomissement selon l'indication, & si le vomissement fatigue trop, on procurera la précipitation par les selles au moyen d'un minoratif, tel que la manne & le sel d'epson, dont on donnera une dose proportionnée à la quantité du liquide.
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PERIPOLIUM | (Géog. anc.) ville d'Italie, chez les Locres Epirépyriens, sur le bord du fleuve Halice, aujourd'hui Alice. Elle étoit la patrie de Praxitèle, célebre sculpteur dont nous parlerons en traitant de son art. Les uns croyent que c'est aujourd'hui Mendolia, bourg d'Italie dans la partie méridionale de la Calabre ultérieure ; d'autres prétendent que c'est Pagliopoli, village à une lieue de Mendiola.
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PERIPSEMA | (Critiq. sacr.) & , sont deux mots grecs synonymes, termes du dernier mépris, qui signifient balayeures, ordures, fumier, exécration, fardeau de la terre. S. Paul dit que les Chrétiens étoient regardés comme les balayeures de ce monde ; , I. Cor. iv. 4. 13.
On croit avec beaucoup de vraisemblance, que saint Paul fait allusion, dans ce passage, aux catharmates des anciens, qui ont été écrites en vers par Jean ou Isaac Tzetzes, dans ses Chiliades historiques, imprimées par Fabricius, Bibl. graec. tom. 2. p. 419.
Voici, dit ce poëte, quelle étoit la victime expiatrice, , qu'on offroit, lorsque par la colere des dieux une ville étoit désolée par quelque malheur, soit peste, soit famine, soit quelqu'autre fléau. L'on se saisissoit de l'homme le plus laid qu'il y eût dans la cité, afin de servir de remede aux maux qu'on souffroit. Dès que cette victime, qui devoit bientôt être immolée, avoit été conduite dans un lieu destiné à sa mort, on lui mettoit à la main un fromage, un morceau de pâte & des figues ; on le battoit sept fois avec un faisceau de verges, fait d'une espece d'oignons, de figuiers sauvages, & d'autres branches d'arbrisseaux de même nature ; on le brûloit enfin dans un feu de bois d'arbres sauvages, & on jettoit sa cendre dans la mer & au vent : tout cela se faisoit pour l'expiation de la ville affligée ; .
Les deux expressions , & ont été indifféremment dites l'une & l'autre de ces hommes qu'on immoloit aux dieux irrités. Le formulaire en étoit, que cette victime soit propitiation pour nous ! ! Voyez les obs. phil. de Lambert Bos, sur le passage des Corinthiens. (D.J.)
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PERIPTERE | S. m. (Archit.) c'est dans l'architecture antique, un bâtiment environné en son pourtour extérieur de colonnes isolées. Tels étoient le portique de Pompée, la basilique d'Antonin, le septizone de Sévére, &c. Ce mot vient du grec , à l'entour, & , aîle. (D.J.)
PERIPTERE, s. m. (Architect. antiq.) lieu environné de colonnes, & qui a une aîle tout-au-tour ; le mot est grec, car signifie proprement l'ordre des colonnes qui est au portique & au côté des temples, ou de quelqu'autre édifice. Ces péripteres étoient des temples qui avoient des colonnes de quatre côtés, & qui étoient différentes du pérystile & de l'amphiprostyle, en ce que l'un n'en avoit que devant, & l'autre devant & derriere, & point aux côtés.
M. Perrault, dans ses notes sur Vitruve, remarque que le périptere est proprement le nom d'un genre qui comprend toutes les especes de temples, qui ont des portiques de colonnes tout-au-tour, soit que ce temple soit diptere ou pseudodiptere, ou simplement périptere, qui est une espece qui a le nom du genre, & qui en ce cas a ses colonnes distantes du mur d'un entrecolonnement. Il y a des péripteres quarrés & des ronds ; le portique de Pompée, la basilique d'Antonin, le septizone de Sévere étoient des péripteres. Voyez TEMPLE PERIPTERE. (D.J.)
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PERIR | v. neut. (Gramm.) rien ne s'anéantit, mais tout change d'état. En ce sens nous périssons sans cesse, ou nous ne périssons point du tout, puisqu'il n'y a aucun instant dans l'éternité de notre durée où nous différions plus de nous-mêmes que dans aucun autre instant antérieur ou postérieur, & que nous sommes dans un flux perpétuel. Le verbe périr est relatif à un état de destruction très-sensible, & l'on dit, ce vaisseau a péri sur la côte ; les hommes ont une fois péri par les eaux, & l'on croit qu'ils périront un jour par le feu ; les bâtimens inhabités périssent ; il a péri par la faim. N'auriez-vous pas honte de laisser périr celui à qui vous n'auriez qu'à tendre la main pour le sauver ?
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PERIRRANTERION | S. m. (Littérat. grecq.) ; vase qui contenoit l'eau lustrale chez les Grecs. Ce mot est composé de , circum, & , aspergo. On mettoit ce vase, selon Casaubon, dans le vestibule du temple, & selon d'autres, dans le sanctuaire ; peut-être le plaçoit-on, dit M. de Tourreil, dans l'un & dans l'autre de ces endroits. Tous ceux qui entroient se lavoient eux-mêmes de cette eau sacrée, s'ils n'aimoient mieux s'en faire laver par les prêtres, ou par quelque ministre subalterne.
Ce n'étoit pas seulement dans les temples qu'on mettoit ces sortes de vases ; on en posoit aussi aux avenues de la place publique, & dans les carrefours ; mais sur-tout on ne manquoit pas de placer de ces vases à la porte des maisons particulieres, lorsqu'il y avoit quelque mort dans les familles. Pollux appelle cette sorte de bénitier mortuaire, ; Hésichius, , & Aristophane, . On arrosoit de l'eau qui étoit dans ces bénitiers mortuaires, ceux qui assistoient aux funérailles, l'on se servoit d'une branche d'olivier pour faire ces aspersions, ramo felicis olivae, dit Virgile. On sacroit cette eau en trempant dedans un tison ardent, tandis qu'on brûloit la victime. Au reste cette eau lustrale servoit à deux sortes de purifications ; l'une qui se bornoit aux mains seules, & se nommoit , de ; main, & , je lave ; l'autre s'étendoit à tout le corps, & s'appelloit , dont nous avons donné la racine. (D.J.)
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PERISCELIS | (Critiq. sacrée) en grec ; ce mot signifie une jarretiere, ou si l'on aime mieux un ornement que les femmes mettoient autour de leurs jambes en guise de jarretieres. Il est dit dans les Nombres xxxj. 50. que les israélites qui défirent les Madianites, offrirent au seigneur les , les bagues, les anneaux & les brasselets, qu'ils avoient gagnés sur l'ennemi. Toutes les femmes de l'orient portoient de magnifiques jarretieres. Cet usage passa dans la Grece & dans l'Italie, où les femmes galantes se piquoient d'avoir des jarretieres fort riches, mais c'étoit aussi un ornement des filles les plus sages, parce que leurs jambes étant découvertes dans les danses publiques, leurs brillantes jarretieres servoient à les faire paroître & à relever leur beauté. Celles de nos dames ne sont pas aujourd'hui si magnifiques, parce que toutes leurs jambes sont toujours couvertes.
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PERISCIENS | S. m. pl. En Géographie, sont les habitans de la terre dont l'ombre parcourt successivement tous les points de l'horison en un seul & même jour.
Ce mot est formé de , autour, & , ombre,
Tels sont les habitans des zones froides, ou ceux qui habitent l'espace renfermé entre les poles & le cercle arctique d'un côté, & entre le pole & le pole antarctique de l'autre : car comme le soleil ne se couche point pour eux, lorsqu'une fois il s'est levé, & qu'il tourne autour de leurs têtes, leur ombre doit aussi faire une révolution entiere ; desorte que pendant le jour ils doivent voir leur ombre successivement de tous les côtés. Voyez ZONE. Chambers. (E)
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PERISCYLACISME | S. m. (Littérat. grecq.) , c'est-à-dire expiation par un renard, qu'on sacrifioit à Proserpine ; , est un renard. Les Grecs offroient à cette déesse dans les purifications, un renard que l'on faisoit passer tout autour de ceux qui avoient besoin d'être purifiés, & ensuite on immoloit l'animal. Voyez le traité des quest. romaines de Plutarque, quaest. 60. & Potter. Archaeol. Grec. tom. I. page 223.
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PERISCYPHISME | S. m. (Chirurgie anc.) opération qui suivant l'étymologie du mot, consistoit dans une incision autour du crâne ; on pratiquoit cette opération pour guérir les fluxions copieuses sur les yeux, accompagnées de l'ulcération des paupieres, & d'une douleur de tête aiguë & profonde. Paul Eginete, lib. VI. ch. vij. vous donnera tous les détails de cette opération qui n'est point pratiquée par les modernes. (D.J.)
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PERISKYTISM | ou PERISKYPISME, en Chirurgie, est une opération que faisoient les anciens sur le crâne.
Ce mot est formé des mots grecs , autour, & , couper ou écorcher la peau.
Le périskytisme étoit une incision qu'on faisoit à la suture coronale, depuis une tempe jusqu'à l'autre, & qui découvroit le crâne ; on la faisoit pour séparer le péricrâne du crâne. Voyez PERICRANE.
Cette opération est abolie ; quelques auteurs en recommandent encore une approchante du périskytisme, contre une maladie de la peau du visage, appellée par quelques-uns Couperose. Voyez GOUTTE, ROSE.
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PERISSABLE | adj. (Gramm.) qui périt entre nos mains, qui se dissipe malgré nous, qui nous échappe. Les biens de la fortune sont périssables, la vie est périssable.
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PERISSOCHOREGIE | S. f. (Droit romain) ce mot se trouve dans le code ; mais on ne convient pas de ce qu'il signifie. Quelques auteurs veulent que ce soit un nom de charge & d'office. Alciat prétend que le périssochorege étoit celui qui avoit soin de l'aumône ; Dominique Macri croit que périssochoregie signifie un donatif ; une distribution qui se faisoit aux soldats au-dessus de leur pays ordinaire. Voyez lexicon juridicum de Jean Calvin. (D.J.)
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PERISSOLOGIE | S. f. (Rhétorique) discours superflu, sermo supervacaneus ; sur lequel Quintilien s'exprime ainsi : sed ut cùm decorum habet periphrasis, ita cùm in vitium incidit perissologia dicitur ; obstat enim quicquid non adjuvat. C'est la répétition en d'autres termes, & sans nécessité, d'une même pensée qu'on vient d'expliquer suffisamment. Les périssologies sont très-fréquentes dans Ovide & dans Séneque le tragique.
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PERISSON | S. m. (Botan. anc. Hist. nat.) nom donné par les anciens Grecs & ensuite par les Romains, du tems de Pline, à une espece de solanum qui rendoit fous ceux qui en faisoient usage intérieurement ; c'est pour cela qu'on l'appelloit encore le strychnum manicum ou simplement manicum, c'est-à-dire la plante qui rend fou.
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PERISTALTIQUE | MOUVEMENT, (Physiolog.) le mouvement péristaltique ou vermiculaire des intestins, est la contraction & le relâchement alternatif des intestins, lesquels s'étrécissant successivement, poussent en avant le chyle qui y coule entre les rides des fibres intestinales.
La préparation & la distribution des humeurs par tout le corps supposent un mouvement local. La coction des alimens & leur assimilation, requierent ce mouvement auquel les tuniques des intestins, l'impulsion du coeur, du diaphragme, des muscles du ventre, cooperent de leur côté ; & au moyen de toutes ces actions réunies, le chyle est exprimé dans les conduits que renferme la mésentere, pour le porter dans le ventricule droit du coeur.
Cette compression des intestins plissés comme ils sont, par laquelle le chyle est poussé dans les veines lactées, est une méchanique qui a assez de rapport à celle dont on se sert pour faire entrer le savon dans le linge qu'on veut laver, qui est de plisser & de bouchonner le linge, & ensuite de le comprimer.
Il y a plusieurs instrumens qui contribuent à cette compression, tels que sont d'abord les muscles de l'ésophage. Son action & celle des intestins, paroît consister dans une constriction successive, que leurs fibres circulaires produisent ; cette constriction se fait toujours derriere l'humeur qui est poussée, comme il est aisé de juger lorsqu'un animal ayant la tête en-bas, fait monter dans son estomac la boisson ou les herbes qu'il prend, & lorsque le chyle & les autres humeurs, après être descendues au bas du ventre, remontent jusqu'au haut ; ce qui ne se peut exécuter que par cette constriction successive qui produit le même effet dans l'ésophage & dans les intestins, que les valvules dans les veines.
Mais cette constriction circulaire ne suffiroit pas pour pousser le chyle dans les tuniques des intestins & les vaisseaux du mésentere, si le plissement des mêmes tuniques n'y contribuoit. Or, ces replis dans lesquels le chyle est engagé, lui aident à pénétrer les porosités des intestins, lorsqu'ils sont comprimés par les muscles du ventre dans l'action de la respiration ; de la même maniere que les replis du linge que l'on bat à la lessive aident à faire pénétrer l'eau du savon dans les pores du linge, lorsqu'il est frotté avec les mains & frappé avec le battoir.
L'action par laquelle les intestins prennent une figure propre à faire que la compression des muscles puisse servir à l'expression du chyle qu'ils contiennent, est visible dans l'ouverture des animaux vivans, où l'on observe ce mouvement qui représente assez bien celui d'un ver de terre, lequel pour ramper, se resserre, rentre en lui-même, & s'allonge successivement pour sa progression-
La structure des intestins est tout-à-fait commode pour cette action, étant garnie en-dedans d'un très-grand nombre de feuillets, posés transversalement ; de plus, la largeur de ces feuillets va en se retrécissant vers chaque bout, pour donner le passage au chyle.
Les intestins ont encore une puissance de se plisser, qu'ils exercent en deux manieres. La premiere, est par le moyen de la membrane du mésentere à laquelle ils sont attachés, qui les oblige en les accourcissant, à se plisser comme une fraise. La seconde, est par le moyen de leurs fibres, lesquelles étant presque toutes circulaires, sont très-propres à produire tout ce qui est nécessaire pour le froncement d'une membrane dont une cavité est composée ; & c'est à l'accourcissement successif de ces fibres qu'il faut attribuer toutes les actions du mouvement des intestins ; car lorsqu'elles se retrécissent successivement, elles produisent l'impulsion de ce qui est contenu dans les intestins.
Voilà l'exécution du mouvement péristaltique, qui est naturellement tranquille, doux, & comme un mouvement d'ondulation ; c'est ce qui a été ainsi ordonné par la nature, pour empêcher les alimens digérés, de passer trop rapidement des intestins grêles dans les gros, & delà à l'anus, comme il arrive dans la diarrhée. Ce mouvement est alternatif, c'est-à-dire, composé de resserrement & de relâchement ; car lorsqu'une partie d'un intestin se contracte & se resserre, la matiere qu'elle contient passe dans la partie voisine qu'elle dilate, & qui se resserre immédiatement après. Il résulte de ce détail, que le mouvement péristaltique des intestins est la principale cause de la sécrétion du chyle, & de son mouvement progressif dans les vaisseaux lactés.
Au reste, ce mouvement ne cesse jamais durant la vie ; & même subsiste encore pendant quelques momens après la mort. Voyez les expériences, de Glisson, de Wepfer & de Peyer, car il seroit trop long de les rapporter pour preuves ; c'est assez dans cet ouvrage de proposer des vérités. (D.J.)
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PÉRISTAPHYLIN | S. m. en Anatomie, nom de deux paires de muscles de la luette, & qui sont distingués en internes & en externes.
Les péristaphilins externes,, voyez SPHENO-SALPINGO-STAPHYLIN.
Les péristaphylins internes, voyez PETRO-SALPINGO-STAPHYLIN.
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PÉRISTAPHYLIN | PÉRISTAPHYLIN
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PÉRISTERE | S. m. (Mythol.) une des nymphes de la suite de Vénus, qui fut métamorphosée en colombe par l'Amour. Ce dieu jouant un jour avec sa mere, voulut parier de cueillir plus de fleurs qu'elle. La déesse se fit aider par la nymphe Péristere, & gagna la gageure ; mais Cupidon fut si piqué, qu'il changea la nymphe en colombe. Cette fable n'est fondée que sur le nom grec de la nymphe qui veut dire une colombe. Cependant Théodotius prétend qu'il y avoit à Corinthe une courtisanne, nommée Péristere, qui passa pour nymphe de Vénus, parce qu'elle en imitoit la conduite. (D.J.)
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PÉRISTERIDES | (Géogr. anc.) île d'Asie sur la côte d'Ionie, proche la ville de Smyrne, selon Pline. Elle fut nommée Péristerides, à cause de la multitude de pigeons dont elle étoit peuplée. (D.J.)
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PÉRISTERIDES | (Hist. nat. Bot.) nom donné par quelques naturalistes à une pierre dans laquelle ils ont cru trouver la ressemblance d'un pigeon.
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PÉRISTIARQUE | S. m. (Antiq. grecq.) , nom de celui qui officioit dans les lustrations. Potter, Archeol. graeci t. I. p. 35.
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PERISTYLE | S. m. (Archit. civil.) lieu environné de colonnes isolées en son pourtour intérieur, c'est par-là qu'il differe du périptere, comme est le temple d'hypetre de Vitruve, & comme sont aujourd'hui quelques basiliques de Rome, plusieurs palais en Italie, & la plûpart des cloîtres.
On entend encore par péristyle un rang de colonnes, tant au-dedans qu'au-dehors d'un édifice, comme le péristyle corinthien du portail du louvre, l'ionique du château de Trianon, & le dorique de l'abbaye de Ste Génevieve à Paris. Ce dernier est du dessein du pere de Creil.
Le terme péristyle est composé de deux mots grecs, dont l'un péri, signifie autour, & l'autre stylos, colonne. (D.J.)
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PÉRISYSTOLE | S. f. en Médecine, signifie la pause ou l'intervalle entre les deux battemens ou mouvemens du coeur ; savoir le mouvement de systole ou de contraction, & le mouvement de diastole ou de dilatation. Voyez SYSTOLE & DIASTOLE. Voyez aussi BATTEMENT & COEUR.
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PÉRITA | (Géog. anc.) ville de l'Inde ; Alexandre, dit Plutarque, in Alex. ayant perdu un chien, appellé pérites, fit bâtir en son honneur une ville qu'il nomma de son nom. (D.J.)
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PÉRITH | ou PERIDONIUS, (Hist. nat.) pierre d'une couleur jaune, qui avoit, dit-on, la vertu de guérir de la goutte, & de brûler lorsqu'on la serroit fortement dans la main. On prétend qu'il y avoit une autre pierre de ce nom semblable à la chrysolite. Quelques auteurs ont cru que c'étoit la pyrite.
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PÉRITHOEDOE | (Géog. anc) municipe du terroir d'Athènes dans la tribu Onéïde. Plutarque, in Alcibiade, parle d'un certain Hyperbolus du bourg ou municipe Périthoïde, méchant homme qui fournit de son tems une riche matiere aux poëtes comiques, qui le prirent tous pour l'objet de leurs railleries & de leurs invectives.
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PÉRITIEN | MOIS, (Calend. grec) c'étoit un mois des Macédoniens qui répond, selon le P. Petau, au mois de Février. Les Syriens adopterent ce mois en mémoire d'Alexandre le Grand ; ou plutôt les Macédoniens l'introduisirent chez ce peuple après l'avoir subjugué, de même qu'ils imposerent à la plûpart des villes & des rivieres de Syrie, le nom des villes & des fleuves de Macédoine.
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PÉRITOINE | S. m. (Anat.) en latin peritonaeum, en grec de , tendre à l'entour, enveloppe membraneuse très-considérable immédiatement adhérente à la surface interne des muscles transverses, & à celle de tout le reste de la cavité du bas-ventre dont elle couvre & enveloppe les visceres comme une espece de sac.
Cette membrane est en géneral un tissu assez serré, néanmoins très-souple, capable d'une grande extension, après laquelle elle peut encore reprendre son étendue ordinaire, ou celle qu'elle avoit déja eue. C'est ce que l'on voit manifestement dans la grossesse, dans l'hydropisie, & dans les personnes qui ont le ventre gros par embonpoint, ou par réplétion.
Le péritoine paroît composé, selon son étendue, en largeur de deux portions, l'une interne & l'autre externe : plusieurs Anatomistes ont pris ces portions pour une duplicature de deux lames membraneuses réellement distinguées ; mais, à proprement parler, il n'y en a qu'une qui mérite le nom de lame membraneuse ; savoir la portion interne qui fait comme le corps du péritoine ; la portion externe n'est qu'une espece d'apophyse folliculeuse de l'interne : on l'appelle assez convenablement le tissu cellulaire du péritoine.
La vraie lame membraneuse nommée généralement lame interne, est fort lisse du côté qui regarde la cavité & les visceres du bas-ventre ; & on trouve sa surface interne toujours mouillée d'une sérosité qui paroît suinter par des pores presqu'imperceptibles : on découvre ces pores en renversant une portion du péritoine sur le bout du doigt, & en la tirant là-dessus de côté & d'autre ; car alors on apperçoit les pores dilatés & des gouttelettes en sortir distinctement, même sans microscope.
Les sources de ces gouttelettes & de cette sérosité de la face interne du péritoine ne sont pas encore bien connues : peut-être se fait-elle par transudation, ou par une transpiration, telle qu'on l'observe dans l'ouverture des animaux nouvellement tués. Les grains blanchâtres qu'on y trouve dans certains sujets morts de maladie, ne décident rien pour les glandes, que l'on prétend y être dans l'état naturel.
Le tissu cellulaire ou la partie externe du péritoine est très-adhérente aux parties qui forment les parois internes de la cavité du bas-ventre. Ce tissu cellulaire n'est point d'une égale épaisseur par-tout ; de plus, il y a des endroits où ce tissu ressemble à une membrane adipeuse, y étant remplie de graisse, comme autour des reins, le long des portions charnues des muscles transverses auxquels il est adhérent.
Les gros vaisseaux sanguins, savoir l'aorte & la veine cave, sont aussi renfermés dans l'épaisseur de la portion cellulaire du péritoine. En un mot, ce tissu enveloppe immédiatement & en particulier les parties & les organes que l'on dit être communément situés dans la duplicature du péritoine.
Les principaux usages du péritoine paroissent être de tapisser la cavité du bas-ventre ; d'envelopper, comme dans un sac commun, les visceres contenus dans cette partie ; de leur fournir des tuniques ou des enveloppes particulieres ; de former des allongemens, des ligamens, des attaches, des replis, des gaînes, &c.
La rosée fine qui suinte par-tout de la surface interne du péritoine, empêche les inconvéniens qui pourroient arriver par le frottement continuel & les ballottemens plus ou moins considérables auxquels les visceres du bas ventre sont exposés en partie naturellement, & en partie à l'occasion des différens mouvemens externes.
Telle est la structure du péritoine, d'après MM. Douglas & Winslow, qui, quoique très-exacte, ne suffit pas pour en donner une idée, mais il est impossible de le faire sans la démonstration ; tout ce qu'on en peut dire en général est que c'est un sac pyriforme comprimé supérieurement, plus large en son milieu, & qui va en diminuant d'une façon obtuse vers les parties inférieures. De la partie inférieure du diaphragme, il descend en-bas devant les muscles iliaques & psoas, se continue devant le rectum, se replie au-dessus de la vessie devant l'os publis & derriere les muscles abdominaux : ce sac est percé pour laisser passer l'oesophage & le rectum ; il renferme dans sa cavité le foie, la rate, le pancréas, & tout le volume des intestins avec l'estomac. L'aorte, la veine cave, le canal thorachique, les reins, les vaisseaux voisins, & la plus grande partie du rectum sont hors de la cavité du péritoine, dans cette membrane cellulaire qui l'environne & le lie au diaphragme, aux muscles transverses, à la vessie, aux muscles releveurs de l'anus, aux psoas, aux iliaques & aux enveloppes tendineuses des vertebres des lombes. Sa surface extérieure est soutenue de fibres solides à la partie antérieure du bas-ventre : l'intérieur est humecté d'une vapeur qui transpire sans cesse.
Le péritoine est tellement rempli des visceres qu'il contient, qu'il porte l'empreinte des intestins ; il repousse le ventricule que le diaphragme fait descendre en s'abaissant, & oppose une certaine rénitence à la compression des muscles abdominaux sur l'estomac, qui par-là se trouve entre deux especes de pressions, parce que tout est plein dans le bas-ventre. C'est pourquoi lorsque cette membrane est percée, surtout dans le vivant, les visceres sortent avec effort par l'ouverture faite à l'enveloppe qui les retient. Enfin cette membrane reçoit des vaisseaux peu considérables, des épigastriques, des spermatiques & des autres troncs voisins. (D.J.)
PERITOINE DES POISSONS, (Ichtiolog.) cette membrane est fort diversement colorée dans les poissons, car elle est d'un blanc argentin dans les carpes, les perches, &c. d'un beau blanc incarnat dans d'autres, comme dans le saumon ; dans quelques-uns elle est totalement noire, & dans d'autres marquetée d'un grand nombre de petites taches noires, comme dans la classe de ceux que les Latins nomment clupeae, gadi, spari. Artedi Ichtiolog. (D.J.)
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PERLE | S. f. perla ou margarita, (Hist. nat.) corps dur, blanc & luisant, ordinairement arrondi ; que l'on trouve dans plusieurs coquillages, mais surtout dans celui qui est appellé la nacre de perle, la mere-perle, l'huitre à écaille nacrée, &c. mater perlarum, concha margaritifera, &c. La coquille de la mere-perle est bivalve, fort pesante, grise & ridée en-dehors, blanche ou de couleur argentée, unie & luisante en-dedans, un peu verdâtre, applatie & circulaire.
Les plus belles perles se trouvent dans l'animal qui habite cette coquille ; il y en a aussi qui sont adhérentes aux parois internes de la coquille. Chaque coquillage de mere-perle produit ordinairement dix ou douze perles : un auteur qui traite de leurs productions prétend en avoir trouvé cent cinquante dans un seul animal, mais leur formation avoit différens degrés ; les plus parfaites ou les plus avancées tombent toujours les premieres, tandis que les autres restent au fond de la coquille.
On a fait sur la formation des perles un grand nombre d'hypothèses, la plûpart assez vagues & peu fondées ; les anciens, tels que Pline, Solinus, &c. disent qu'elles sont formées de la rosée. Selon eux, le coquillage s'éleve tous les matins sur la surface de l'eau, & là il ouvre sa coquille pour recevoir la rosée du ciel, laquelle comme une perle liquide, s'insinuant dans le corps de la mere-perle, y fixe ses sels, & y reçoit la couleur, la dureté, & la forme de perle, comme il arrive à quelques liqueurs d'être changées dans la terre en crystaux, ou au suc des fleurs d'être transformé en miel ou en cire dans le corps de l'abeille : quand même cette opinion auroit pu se soutenir par le raisonnement, elle auroit été démentie par les faits ; car les meres-perles ne peuvent pas s'élever jusqu'à la surface de l'eau pour y recevoir la rosée, puisqu'elles restent toujours attachées très-ferme aux rochers.
D'autres pensent que les perles sont les oeufs des animaux dans lesquels on les trouve, mais cela ne s'accorde point avec les effets ou les phénomenes dont on a l'expérience ; car l'on trouve les perles répandues par toute la substance de l'animal, dans la tête, dans l'enveloppe qui le couvre, dans les muscles circulaires qui s'y terminent, dans l'estomac, & en général dans toutes les parties charnues & musculaires ; desorte qu'il n'y a point d'apparence que les perles soient dans les coquillages ce que les oeufs sont dans les volatils & le frai dans les poissons : car outre qu'il n'y a pas d'endroit particulier destiné à leur formation, les Anatomistes n'ont pu y trouver aucune chose qui eût quelque rapport à ce qui se passe à cet égard dans les autres animaux. On peut dire seulement que comme dans une poule il y a une infinité de petits oeufs, en forme de semences, dont quelques-uns croissent & viennent à maturité pendant que les autres restent à-peu-près dans le même état, l'on trouve aussi dans chaque huitre une perle beaucoup plus grande, & qui vient à maturité beaucoup plus vîte que le reste. Cette perle devient quelquefois assez grande pour empêcher l'huitre de se former, auquel cas l'animal se corrompt & meurt.
D'autres avec M. Geoffroi le jeune mettent les perles au nombre des bezoards, comprenant sous cette classe toutes les pierres qui se forment par couches dans le corps des animaux. Voyez BEZOARD.
M. de Reaumur a donné dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1717, un mémoire sur la conformation des coquilles & des perles... Il croit que les perles se produisent de même que les autres pierres dans les animaux ; par exemple, comme celles qui se forment dans la vessie, dans les reins, &c. & qu'elles sont apparemment les effets de quelques maladies ou de quelque desordre de l'animal où elles se trouvent. En effet, elles sont toutes formées d'une liqueur extravasée de quelques vaisseaux rompus, qui est retenue & fixée entre les membranes. Afin d'en faire sentir la possibilité, il fait voir que les coquilles de mer aussi-bien que celles de terre, par exemple celles des limaçons, &c. sont entierement formées d'une matiere glutineuse & pierreuse qui suinte du corps de l'animal ; ainsi il n'est pas étonnant qu'un animal, qui a des vaisseaux où circule une quantité de sucs pierreux, suffisante pour former une coquille, en ait assez pour produire des perles, dans le cas où les sucs, destinés à l'accroissement de la coquille, viendroient en trop grande abondance, & s'épancheroient dans quelque cavité du corps ou entre les membranes.
Pour confirmer ce système, l'auteur observe que la partie intérieure de la moule qui produit la perle commune, & que l'on trouve sur les côtes de Provence, est en partie d'une couleur de perle ou de nacre de perle, & en partie rougeâtre ; que les couleurs des perles sont précisément les mêmes que celles de la coquille ; que les perles d'une couleur se trouvent toujours dans la partie de la coquille de même couleur qu'elles : ce qui fait voir que dans le même endroit où la transpiration d'un certain suc a formé, & auroit continué à former une tunique, ou une couche de coquille d'une certaine couleur, les vaisseaux qui ont apporté ce suc étant rompus, il s'y est formé une petite masse ou un petit amas de liqueur, laquelle venant à s'endurcir est devenue une perle de même couleur que la partie de la coquille qui lui correspond.
Ajoutez à cela que la partie de la coquille qui est de couleur d'argent ou de perle, est formée de couches posées les unes sur les autres, comme celles d'un oignon ; & que la partie rougeâtre est composée de petites fibres cylindriques & fort courtes, appliquées l'une contre l'autre : cette même tissure convient aux perles des deux couleurs ; ce n'est pas que ces deux especes soient composées toutes deux de couches concentriques, car celles des perles rougeâtres sont beaucoup moins sensibles, & de plus elles ont des traits ou des filets qui, semblables à des rayons, vont du centre à la circonférence. Toutes ces circonstances paroissent effectivement déterminer la formation des perles. Chambers.
Pour une perle qui se trouve dans le corps de l'animal, il y en a mille qui sont attachées à la coquille comme autant de verrues. Tous les coquillages de l'espece des meres-perles ne renferment pas des perles ; il y a lieu de croire que l'on n'en trouve que dans ceux qui sont viciés, aussi l'on a remarqué que les côtes où se fait la pêche des perles sont mal-saines, & que la chair de l'animal des meres-perles est encore plus mauvaise à manger, lorsqu'il y a réellement des perles, que lorsqu'il ne s'y en trouve point.
La perfection des perles, soit qu'elles soient rondes, en forme de poires, d'olives, ou d'une figure irréguliere, consiste principalement dans le lustre & la netteté de sa couleur ; c'est ce que l'on appelle son eau. Il y en a quelques-unes dont l'eau est blanche, ce sont les plus estimées en Europe, l'eau des autres tire sur le jaune ; quelques indiens & quelques arabes les préferent aux blanches. Il y en a quelques-unes d'une couleur de plomb, quelques autres tirant sur le noir, & d'autres tout-à-fait noires.
Elles sont sujettes à changer quand on les porte ; dans l'espace de 80 ou 100 ans elles deviennent ordinairement d'une fort petite valeur, particulierement les blanches qui se jaunissent & qui se gâtent en 40 ou 50 ans.
Il n'est pas douteux que la différence des couleurs vient des différentes parties de l'huître, où les perles sont formées, quand le sperme ou la semence vient à être chassée dans le mesentere, ou dans le foie, ou dans les parties qui y répondent ; il n'est pas étonnant que les impuretés du sang changent leur blancheur naturelle.
En Europe, les perles se vendent au carat, le carat contenant quatre grains : en Asie on fait usage de différens poids pour les perles, suivant la différence des états. Voyez CARAT.
On ne donne proprement le nom de perle qu'à ce qui ne tient point à la coquille, la coquille elle-même s'appellant nacre de perle. Les pieces qui ont tenu à la coquille, & qui en ont été détachées par l'adresse de l'ouvrier, se nomment loupes de perles, qui ne sont en effet autre chose que des excroissances arrondies, ou des pieces de sa coquille, quoiqu'on les prenne fort souvent pour la coquille même.
Le pere Bouhours observe que les perles ont cet avantage sur les pierres précieuses que l'on détache des rocs, &c. en ce que ces dernieres doivent leur lustre à l'industrie des hommes ; la nature ne faisant, pour ainsi dire, que les ébaucher, & laissant à l'art le soin de les finir : mais les perles ont d'elles-mêmes cette eau charmante qui en fait tout le prix. Elles se trouvent parfaitement polies dans les abysmes de la mer ; & la nature y a mis la derniere main avant que d'être séparées de leur mere.
Les perles d'une figure irréguliere, c'est-à-dire, qui ne sont ni rondes, ni en poires, sont appellées baroques ou perles d'Ecosse. Les perles parangones sont des perles d'une grosseur extraordinaire, comme celle de Cléopatre, que Pline évalue à quatre-vingt mille livres sterling : on en apporta une à Philippe II. en 1579, grosse comme un oeuf de pigeon, prisée 14400 ducats. L'empereur Rodolphe avoit une perle parangone, grosse comme une poire muscade, pesante 30 carats, selon Boëce, & appellée la pelegrina ou l'incomparable : Tavernier fait mention d'une autre qui étoit entre les mains de l'empereur de Perse en 1633, & que l'on avoit achetée d'un arabe pour 32000 tomans ; à 3 livres 9 sols le toman, cela produit 110400 livres sterling.
Les perles sont de quelque usage en Médecine, mais il n'y a que celles de la plus petite espece qui aient cette propriété ; on les appelle semence de perles : il faut pour cela qu'elles soient blanches, claires, transparentes, & véritablement orientales. Elles servent à composer des potions cordiales dont on faisoit autrefois un très-grand cas ; mais aujourd'hui elles ont perdu beaucoup de leur ancienne réputation, & il n'y a guère que des charlatans qui en fassent quelque cas.
Les dames font aussi usage, pour leur teint, de certaines préparations de perles, comme on leur fait accroire ; tels sont les blancs de perles, les fleurs, les essences, les esprits, les teintures de perles, &c. mais il y a beaucoup d'apparence que ce sont de pures tromperies.
Once-perles, voyez l'article ONCE.
Pêches des perles. On prend des perles dans les mers des Indes orientales, dans celles de l'Amérique, & en quelques parties de l'Europe. Voyez PECHE.
Les pêches de perles qui se font aux Indes orientales, sont 1°. à l'île de Bahren ou Baharem dans le golfe Persique : cette pêche appartenoit aux Portugais, lorsqu'ils étoient maîtres d'Ormus & de Mascata ; mais elle est revenue au sophi de Perse, depuis que ce prince, avec le secours des Anglois, a pris Ormus sur eux, & que les Arabes se sont emparés de Mascata.
2°. La pêche de Catifa, sur la côte de l'Arabie heureuse, vis-à-vis Bahren.
3°. Celle de Manar, un port de mer dans l'île de Ceylan. Les perles que l'on y pêche sont les plus fines de tout l'Orient, tant par la beauté de leur eau que par la perfection de leur rondeur : mais elles pesent rarement plus de quatre carats.
Enfin, on pêche des perles sur la côte du Japon ; mais elles sont grossieres, irrégulieres, & peu considérées.
Les perles de Bahren & de Catifa sont celles que l'on vend communément dans les Indes ; elles tirent un peu sur le jaune, mais les Orientaux ne les estiment pas moins pour cela. Ils regardent cette couleur comme le caractere de leur maturité, & ils sont persuadés que celles qui ont naturellement cette teinture jaunâtre, ne changent jamais de couleur ; & qu'au contraire celles d'eau blanche ne sont pas trente ans sans prendre une couleur d'un jaune sale, à cause de la chaleur du climat & de la sueur des personnes qui les portent.
Les pêches de perles, en Amérique, se font toutes dans le grand golfe de Mexique, le long de la côte de la Terre-ferme. Il y en a cinq : 1°. la pêche du Cubagna, île à cinq lieues de la nouvelle Andalousie, à 10 degrés 1/2 de latitude septentrionale.
2°. Celle de l'île Marguerite, ou de l'île des Perles.
3°. Celle de Comogote vers la Terre-ferme.
4°. Celle de la riviere de la Hache, appellée la Rencheria.
5°. Celle de Sainte-Marthe, à soixante lieues de la riviere de la Hache.
Les perles de ces trois dernieres pêches sont ordinairement de bon poids, mais mal formées, & d'une eau livide. Celles de Cubagna pesent rarement plus de cinq carats, mais on en trouve en abondance : celles de l'île Marguerite sont les plus nombreuses & les plus belles, tant par rapport à leur eau qu'à leur poids.
La pêche des perles, dans la Tartarie chinoise, se fait proche la ville de Nipehoa, située sur un lac de même nom : les perles n'y sont pas si belles, ni en si grand nombre qu'à Baharem. C'est cette pêche qui a été la cause de la guerre entre les Chinois & les Moscovites, & qui a été terminée vers la fin du dernier siecle par les négociations des jésuites Péreira & Gerbillon. Le lac, qui est d'une grande étendue, fut alors divisé entre les deux nations, dont chacune prétendoit à la possession du tout.
Il y a quelques pêches de perles dans la mer du Sud, mais elles sont fort peu considérables.
Les pêches de perles, en Europe, se font en quelques endroits sur les côtes d'Ecosse & dans un fleuve de Baviere ; mais les perles que l'on y trouve ne sont pas comparables à celles des Indes orientales ou de l'Amérique, quoiqu'elles servent à faire des colliers que l'on vend quelquefois mille écus & plus.
Maniere de pêcher les perles dans les Indes orientales. Il y a deux saisons dans l'année pour la pêche des perles : la premiere est en Mars & en Avril, & la seconde se fait en Août & en Septembre ; plus il tombe de pluie dans l'année, plus les pêches sont abondantes.
A l'ouverture de la saison, il paroît quelquefois deux cent cinquante barques sur le rivage. Les plus grandes ont deux plongeurs, les plus petites n'en ont qu'un : toutes les barques quittent le rivage, avant le lever du soleil, par un vent de terre qui ne manque jamais de souffler ; elles reviennent de même par un vent de mer qui succede au premier l'après-midi.
Aussi-tôt que les barques sont arrivées & ont jetté l'ancre, chaque plongeur s'attache sous le corps une pierre épaisse de six pouces & longue d'un pié ; elle lui sert comme de lest, & pour empêcher qu'il ne soit chassé ou emporté par le mouvement de l'eau, & qu'il soit en état d'aller avec plus de fermeté à-travers les flots.
Outre cela, ils se lient à un pié une autre pierre fort pesante, qui les précipite au fond de la mer en un instant ; & comme les huitres sont ordinairement attachées très-fortement aux rochers, ils arment leurs doigts de mitaines de cuir, pour prévenir les blessures quand ils viennent à les arracher avec violence : quelques-uns même se servent pour cela d'un rateau de fer.
Enfin chaque plongeur porte avec lui un grand filet en maniere de sac, lié à son cou avec une longue corde, dont l'autre extrémité est attachée au côté de la barque : le sac est destiné à recevoir les huîtres que l'on recueille ou que l'on détache du rocher, & la corde sert à retirer le plongeur quand son sac est plein, ou qu'il a besoin d'air. Dans cet équipage il se précipite quelquefois plus de 60 piés sous l'eau. Comme il n'a pas de tems à perdre en cet endroit, il n'est pas plutôt arrivé au fond qu'il commence à courir de côté & d'autre, quelquefois sur un sable, quelquefois sur une terre grasse, & tantôt parmi les pointes des rochers, arrachant les huîtres qu'il rencontre, & les fourrant dans son sac.
A quelque profondeur que les plongeurs soient dans l'eau, la lumiere est si grande qu'ils voyent très-distinctement tout ce qui passe dans la mer, avec la même clarté que sur terre. Et, ce qui ne manque pas de les consterner, ils apperçoivent quelquefois des poissons monstrueux, dont ils deviennent souvent la proie, quelque précaution qu'ils ayent de troubler l'eau, afin de n'en être pas apperçus ; de tous les dangers de cette pêche, il n'y en a point de plus grand ni de plus ordinaire.
Les meilleurs plongeurs restent sous l'eau une demi-heure, & les autres pas moins qu'un quart-d'heure. Durant ce tems, ils retiennent leur haleine sans faire aucun usage d'huile ni d'autres liqueurs. Voyez PLONGER.
Quand ils se trouvent incommodés, ils tirent la corde à laquelle le sac est attaché, & ils la tiennent ferme & bien serrée avec les deux mains ; alors ceux qui sont dans la barque voyant le signal, les élevent en l'air & les déchargent de leur poisson ; il y a quelquefois cinq cent huîtres, d'autres fois il n'y en a pas plus de cinquante.
Quelques plongeurs ont besoin d'un moment pour reprendre haleine, d'autres se rejettent à l'instant dans la mer, & continuent sans relâche ce violent exercice pendant plusieurs heures.
Les pêcheurs déchargent leurs barques sur le rivage, & ils mettent leurs huîtres dans un nombre infini de petites fosses creusées dans le sable, & qui ont quatre ou cinq piés quarrés, ils les recouvrent de petits tas de sable à la hauteur d'un homme ; ce qui paroît, à quelque distance, semblable à une armée rangée en bataille. On les laisse dans cet état jusqu'à ce que la pluie, le vent & le soleil les obligent de s'ouvrir ; ce qui ne tarde pas à les faire mourir. Alors la chair se corrompt, se desseche, & les perles ainsi dégagées tombent dans la fosse quand on vient à retirer les huîtres.
La chair de ce poisson est excellente ; & s'il est vrai, ainsi que le prétendent quelques naturalistes, que les perles sont des pierres formées par une mauvaise constitution du corps où elles se trouvent, comme cela arrive quelquefois aux hommes & au bezoard, ce vice ou cette maladie n'altere point les humeurs ; au-moins les Pavavas qui en mangent ne trouvent aucune différence entre ceux qui ont des perles & ceux qui n'en ont pas.
Après avoir nettoyé les fosses des saletés les plus grossieres, on crible le sable plusieurs fois, afin d'en séparer les perles. Mais quelque attention que l'on y ait, on en perd toujours un grand nombre. Quand les perles sont nettoyées & séchées, on les fait passer par une espece de crible proportionné à leur grosseur. Les plus petites sont vendues pour de la semence de perles, les autres le sont au plus offrant.
Maniere de pêcher les perles dans les Indes occidentales. La saison pour cette pêche est ordinairement depuis le mois d'Octobre jusqu'au mois de Mars. Il sort alors de Carthagene dix ou douze barques sous l'escorte d'un vaisseau de guerre, appellé Larmadille. Chaque barque a deux ou trois esclaves qui lui servent de plongeurs.
Parmi les barques il y en a une appellée la Capitane, à laquelle toutes les autres sont obligées d'apporter la nuit ce qu'elles ont pris pendant le jour, afin de prévenir les fraudes. Les plongeurs ne subsistent pas long-tems, à cause du travail excessif qu'on leur fait supporter ; ils restent quelquefois sous l'eau plus d'un quart d'heure : tout le reste s'y fait de même que dans les pêches des Indes orientales.
Les Indiens connoissoient le prix de leurs perles avant la découverte de l'Amérique ; & quand les Espagnols y arriverent, ils en trouverent une grande quantité qui étoit en réserve, & que les Américains mettoient à un haut prix ; mais elles étoient presque toutes imparfaites, d'une eau jaune & enfumée, parce qu'ils avoient coutume de se servir de feu pour ouvrir les poissons où elles se forment. Dans le dictionnaire de commerce il y a une table de la valeur des perles ; elle a été communiquée à l'auteur par une personne très-capable. Comme les perles font un article fort curieux dans le commerce, & qu'il y a des endroits où la valeur en est peu connue, comme en Angleterre, on va en donner ici un abrégé réduit à la monnoie d'Angleterre. Pour la France, il est évident que l'on doit copier ce qu'en dit le dictionnaire de commerce, & calculer l'écu de France à 2 s. 8 den. sterl. ou la liv. sterl. à 22. liv. 10 sols de France.
Valeur de toutes sortes de perles par rapport à leurs différens poids.
Quand aux perles qui ont une forme de poires, quoiqu'elles soient également parfaites & d'un poids égal à celui des rondes, leur valeur est fort inférieure ; néanmoins quand on en trouve deux qui s'assortissent, se rapportent, ou qui se marient bien ensemble, leur prix n'est qu'à un tiers moindre que celui des perles rondes.
Fausses perles. Ce sont des perles contrefaites ou factices, qui ressemblent aux véritables perles par leur eau ou par leur couleur ; on les appelle vulgairement des grains de collier ou de chapelet.
Autrefois elles n'étoient faites que de verre, avec une teinture de vif-argent en-dessus. Par la suite on se servit de cire, que l'on recouvroit d'une colle de poisson fine & brillante.
On a inventé depuis en France une autre maniere de faire ces sortes de perles ; on les rend si semblables aux naturelles par le lustre & par l'eau, qu'on sait leur donner, que de bons yeux peuvent s'y méprendre : ce sont de celles-là que les femmes en général portent à présent au défaut de vraies perles ; les petits colliers de celles-ci n'étant plus de leur goût, & les grands étant généralement trop chers.
Méthode de faire de fausses perles. On est redevable de cette curieuse invention au sieur Janin : ce qui en releve le prix n'est pas seulement sa simplicité, mais c'est qu'elle n'est point sujette aux mauvais effets de ces fausses perles que l'on fait avec du vif-argent ou avec de la colle de poisson.
Cet ingénieux artiste ayant remarqué que les écailles d'un petit poisson, que l'on appelle albe & que l'on trouve abondamment dans la riviere de Marne, avoient non-seulement tout le lustre de la perle réelle, mais qu'après les avoir réduites en poudre dans l'eau ou bien dans le talcocolle de poisson ; elles reprenoient leur premier lustre en redevenant seches, il s'avisa d'en mettre un peu dans la cavité d'un grain de collier ou d'un grain de girasole, qui est une espece d'opale ou de verre, tirant beaucoup sur la couleur de perle. La difficulté fut d'y en faire entrer, &, après y être parvenu, de l'étendre également par toute la cavité du grain.
Un petit tube de verre long de 6 ou 7 pouces, d'une ligne & demie de diametre, très-aigu à une extrémité & un peu recourbé, servit à l'introduction de la matiere en la soufflant avec la bouche, après en avoir pris ou enlevé une goutte avec l'extrémité pointue du tube ; & pour l'étendre par toute la circonférence intérieure, il se contenta de la remuer doucement pendant fort long-tems dans un petit panier d'osier revêtu de papier.
Les écailles étant pulverisées & attachées par ce mouvement à la surface intérieure du grain, reprennent leur lustre à mesure qu'elles deviennent seches. Pour augmenter ce lustre, on met les grains pendant l'hiver dans un crible fait de poil, ou dans une toile à bluter que l'on suspend au plafond, & l'on met dessous à 6 piés de distance des monceaux de cendres chaudes : pendant l'été, on les suspend de la même maniere, mais sans aucun feu.
Quand les perles sont ainsi seches, elles deviennent fort brillantes, & il ne reste plus qu'à boucher l'ouverture ; on se sert pour cela de cire fondue, que l'on y porte avec un petit tube semblable à celui dont on fait usage pour l'introduction des écailles dissoutes.
Après avoir ôté la cire superflue, on perce les perles avec une aiguille, on les enfile, & c'est de cette maniere que l'on commence les colliers.
Nacre de perle. C'est la coquille non pas de l'huître perle, mais de l'auris-marina, petit poisson de mer, qui est une espece d'huître.
Cette coquille est très-unie & très-polie intérieurement, elle a la blancheur & l'eau de la perle même ; le dehors fait voir un lustre semblable après qu'on a nettoyé avec de l'eau-forte & le touret de lapidaire les premieres lames ou feuilles, qui composent la couche ou la tunique extérieure de cette riche coquille. On en fait usage dans les ouvrages marquetés ou à la mosaïque, dans plusieurs bijoux, comme des tabatieres, &c.
Les loupes de perle sont certaines excroissances ou endroits relevés en forme de demi-perle, que l'on trouve quelquefois au fond des coquilles à perle.
Les Lapidaires ont l'adresse d'enlever ces protubérances par le moyen de la scie, de les joindre ensemble, & de les faire servir à plusieurs ouvrages de jouaillerie, comme si c'étoient de veritables perles.
PERLE, en terme de Blason, est un mot dont font usage ceux qui blasonnent avec des pierres précieuses, au lieu de couleurs & de métaux ; ils s'en servent pour de l'argent ou pour du blanc. Voyez ARGENT.
PERLE, CATARACTE ou TAYE, en terme de Médecine, se dit d'une tache sur l'oeil ou d'une membrane épaisse qui n'est pas naturelle. Voyez PANNUS & UNGUIS.
Couronnes perles. Voyez l'article COURONNE.
PERLE, (Mat. méd.) les louanges pompeuses données aux perles par les anciens pharmacologistes, exactement appréciées d'après les lumieres de la saine chimie & de l'observation, doivent être réduites à l'assertion simple & positive que cette concrétion animale n'est autre chose dans l'ordre des médicamens, qu'un absorbant terreux parfaitement analogue aux yeux d'écrevisses, à l'écaille d'huitres, aux coques d'oeufs, &c. Voyez TERRES & REMEDES TERREUX. Voyez aussi NACRE, CORAIL, ECREVISSE, &c. (b)
PERLE, mere de, (Mat. méd.) voyez NACRE.
PERLES, s. f. pl. collier de, (Jouaillerie) ce sont plusieurs perles assorties & enfilées ensemble, que les femmes mettent autour de leur cou pour leur servir d'ornement. On dit aussi un esclavage de perles, un bracelet de perles, une attache de perles, pour signifier divers autres ouvrages faits avec des perles que les dames font entrer dans leur parure.
PERLE, (Gazerie) on appelle perles, en termes de fabrique de gaze, de petits globes d'émail percés par le milieu, avec une petite queue ouverte ; cette queue sert à les attacher aux lisses, & le trou du milieu à y passer les soies de la chaîne ; de toutes les étoffes de soie il n'y a que la gaze qui se fasse à la perle. Savary. (D.J.)
PERLES LOUPES, (Jouaillerie) ce sont des excroissances en forme de demi-perles, qui s'élevent sur la superficie intérieure des nacres de perles, que les Jouailliers savent scier adroitement, & qu'ils mettent en oeuvre au lieu de véritables perles dans divers bijoux.
PERLES, semence de, (Jouaillerie) nom qu'on donne aux perles les plus menues.
PERLE, la, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) est, si l'on veut, le vingt-unieme corps de caractere d'Imprimerie, mais ce caractere est peu en usage : il a été fondu aux dépens du roi, & pour l'usage de son imprimerie royale établie à Paris, où il est juste qu'il y ait, ne fût-ce que par curiosité, tous les corps possibles, & qui peuvent être mis en oeuvre.
PERLES, (Géog. mod.) il y a deux bancs de ce nom, l'un dans la mer des Indes à l'opposite de Tutucurin, l'autre dans la même mer au midi de l'île de Manar. On connoît aussi plusieurs petites îles qu'on nomme îles des Perles, & qui sont dans l'Amérique septentrionale, près de la côte de Guatimala. Enfin la riviere aux Perles est une riviere dans la Louisiane, entre le bras oriental du Mississipi & la petite baie de S. Louis.
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PERLÉ | adj. (terme de Confiseur) les Confiseurs appellent du sucre perlé ou cuit à la perle, celui auquel on a donné le second degré de cuisson. On reconnoît que du sucre est cuit à perlé, lorsqu'on en prend avec le doigt & qu'on le met sur le pouce : car si en entr'ouvrant les doigts, il s'en forme un petit filet, & s'étend autant qu'on les peut ouvrir, cette cuisson s'appelle grand perlé, & s'il s'étend moins, & qu'il se rompe, on le nomme petit perlé. Le parfait Confiseur. (D.J.)
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PERLEBERG | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Marche de Brandebourg, sur la petite riviere de Strepenitz, au nord de Wittemberg.
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PERLOIR | S. m. (terme d'Ouvrier en ciselure) les Fourbisseurs, Arquebusiers, Eperonniers & autres ouvriers qui ornent leurs ouvrages de ciselure & damasquinerie appellent ainsi de petits ciselets ou poinçons gravés en creux, avec lesquels ils forment d'un seul coup de marteau ces petits ornemens de relief qui sont faits en forme de perle. Voyez les Pl. (D.J.)
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PERLON | voyez CORBEAU DE MER.
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PERLURE | S. f. (terme de Chasse) on appelle perlure des grumeaux qui viennent le long du bois de la tête des cerfs, des daims & des chevreuils, & qui font une croûte raboteuse ; c'est une extravasation du suc nourricier.
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PERMANENT | adj. (Gramm.) qui demeure constamment dans le même état, qui n'est sujet à aucune vicissitude. Il n'y a rien de permanent dans le monde.
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PERME | S. m. (Marine) c'est un petit vaisseau turc fait en forme de gondole, dont on se sert à Constantinople pour le trajet de Pera, de Galata, & autres lieux.
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PERMÉABLE | adj. (Physique) se dit d'un corps considéré en tant que ses pores sont capables de laisser le passage à quelqu'autre corps : ainsi on dit d'un corps ou d'un fluide transparent, que ce corps est perméable à la lumiere. Voyez PORE, DIAPHANEITE, OPACITE, TRANSPARENT.
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PERMEKKI | (Géog. mod.) Permski, ou Permie, ville de l'empire russien, capitale d'une province de même nom. Elle est sur la riviere de Wischora, entre le Wolga & l'Oby. Long. 73. 55. lat. 60. 26.
La province de Permekki est bornée au nord par les Samoyèdes, & une partie de la Jugorie ; Ouest par la Zirannie & la Viatka ; Est par la Sibérie.
Cette province de Permekki ou Permie, autrefois nommée le Solikan, étoit l'entrepôt des marchandises de la Perse, & des fourrures de Tartarie. On a trouvé dans cette Permie une grande quantité de monnoie au coin des premiers kalifes, & quelques idoles d'or des Tartares ; mais ces monumens d'anciennes richesses ont été trouvés au milieu de la pauvreté & dans les déserts ; il n'y avoit plus aucune trace de commerce. Ces révolutions n'arrivent que trop vîte & aisément dans un pays ingrat, puisqu'elles sont arrivées dans les plus fertiles. (D.J.)
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PERMESSIDES | S. f. pl. (Mythol.) c'est ainsi qu'on a appellé les muses du mont Parnasse, où l'on disoit qu'elles habitoient.
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PERMESSUS | (Géog. anc.) fleuve de la Béotie. Strabon, liv. IX. pag. 407. dit que ce fleuve est celui d'Olmejus, qui avoient tous deux leur source dans l'Hélicon, joignoient leurs eaux, & se jettoient dans le marais Copaïdes. Pausanias, liv. IX. ch. xxix. écrit Termessus, & Nicander, in Theriac. Permessus. Virgile parle de ce fleuve dans ses Bucoliques, Ecl. VI. vers. 64.
Tum canit errantem Permessi ad flumina Gallum.
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PERMETTRE | TOLERER, SOUFFRIR, (Syn.) termes relatifs à l'usage de la liberté. On tolere les choses lorsque les connoissant, & ayant le pouvoir en main, on ne les empêche pas. On les souffre lorsqu'on ne s'y oppose pas, faisant semblant de les ignorer, ou ne pouvant les empêcher. On les permet lorsqu'on les autorise par un consentement formel.
Tolérer & souffrir ne se disent que pour des choses mauvaises, ou qu'on croit telles. Permettre se dit pour le bien & pour le mal.
Les magistrats sont quelquefois obligés de tolérer certains maux de crainte qu'il n'en arrive de plus grands. Il est quelquefois de la prudence de souffrir des abus dans la discipline de l'Eglise plutôt que d'en rompre l'unité. Les lois humaines ne peuvent jamais permettre ce que la loi divine défend ; mais elles défendent quelquefois ce que celle-ci permet.
Souffrir en tant que synonyme à permettre, veut après soi un infinitif, ou un que avec le conjonctif. Ainsi c'est une faute de dire, comme dans l'épitaphe d'Edouard VI.
Urne où ses cendres reposent
Souffrez-nous de graver ces vers sur son tombeau.
Il falloit dire, souffrez que nous gravions. (D.J.)
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PERMEZ | S. f. terme de Relation, petite nacelle en usage à Constantinople. Elles sont faites à-peu-près comme les gondoles de Venise, mais plus légeres. Les unes sont menées par un homme qui vogue en arriere avec deux rames ; les autres par deux, trois ou quatre bateliers, selon la grandeur du bateau, & la quantité des personnes qui sont dedans. La légereté de ces petits permez suffit pour faire juger du calme du port de Constantinople, & même de celui du Bosphore. Duloir.
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PERMIE | province de, (Géog. mod.) province du royaume de Casan, appartenant à la Russie, & dont la capitale se nomme Perruski, ou Permekki, voyez PERMEKKI.
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PERMISSION | S. f. (Gramm.) congé, licence, liberté, pouvoir accordé par un supérieur à un inférieur de faire une chose que celui-ci ou ne pouvoit point faire du tout, ou ne pouvoit faire sans se rendre coupable, faute de la permission. Voyez l'article PERMETTRE.
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PERMISSIONNAIRE | S. m. (Littérat.) c'est à Paris tout maître qui a permission du chantre de Notre-Dame de tenir pension, & d'enseigner la grammaire & les humanités.
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PERMUTATION | S. f. (analyse) on entend par ce mot la transposition qu'on fait des parties d'un même tout, pour en tirer les divers arrangemens dont elles sont susceptibles entr'elles. Comme si l'on cherchoit en combien de façons différentes on peut disposer les lettres d'un mot, les chiffres qui expriment un nombre, les personnes qui composent une assemblée, &c.
Il ne faut donc pas confondre la permutation avec la combinaison. Dans celle-ci, le tout est en quelque sorte démembré, & l'on en prend les différentes parties 1 à 1, 2 à 2, &c. Dans celle-là le tout conserve toujours son intégrité, & l'on ne fait que faire changer d'ordre aux différentes parties qui le constituent.
Pour trouver toutes les permutations possibles d'un nombre quelconque de termes, il ne s'agit que d'un procédé très-simple & très-facile, lequel porte avec soi sa démonstration.
Il est clair qu'un seul terme a ne peut avoir qu'un arrangement.
Si l'on ajoute un second b, on le peut mettre devant ou après a ; ce qui donne deux arrangemens b a ab : c'est-à-dire 1 (qu'on avoit déja pour le premier cas) x 2 (quantieme du nouveau terme).
Si l'on prend un 3e terme c, il peut occuper trois places dans le b a, & autant dans a b, ce qui donne
c'est-à-dire 2 (résultat du cas précédent) x 3 (quantieme du nouveau terme).
Un quatriéme terme d pourra occuper quatre places dans chacun de ces six derniers arrangemens ; ce qui en donnera 4 fois six, ou 24 nouveaux : c'est-à-dire 6 (résultat du cas précédent) x 4 (quantiéme du nouveau terme).
On voit, sans qu'il soit besoin de pousser plus loin l'induction, qu'un cinquiéme terme e donneroit ou 120 arrangemens, & ainsi de suite à l'infini.
En général le nombre des permutations pour n termes n'étant que celui de termes x n, comme celui de termes est celui de & termes , & ainsi de suite en remontant jusqu'à 1 ; il résulte que pour trouver de combien de permutations est susceptible un nombre quelconque u de termes, il faut faire le produit continu des termes de la progression naturelle, depuis & y compris 1 jusqu'à ce terme n inclusivement. 1 x 2 x 3 x 4...... x n.
On a supposé jusqu'ici qu'aucun des termes dont on cherche les permutations n'étoit répété, ou ce qui est la même chose, qu'ils n'avoient tous qu'une seule dimension, & que leur exposant commun étoit l'unité. Si la chose étoit autrement, supposons que a représente l'exposant du premier terme, b celui du second, c celui du troisiéme, & ainsi de suite jusqu'au dernier.
D'abord, n, dans la formule ci-dessus, ne sera plus simplement le nombre des termes, mais la somme de leurs exposans.
De plus cette forme ne doit être considérée que comme le numérateur d'une fraction, à laquelle on donnera pour dénominateur le produit continu d'autant de produits particuliers qu'il y a d'exposans ou de termes ; & chacun de ces produits particuliers sera le produit continu des nombres naturels poussé jusqu'à celui inclusivement qui exprime l'exposant du terme correspondant, ensorte que la formule absolument générale sera
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PERNAMBUC | ou FERNAMBUCO, (Géog. mod.) capitainerie ou province de l'Amérique méridionale au Brésil. Elle est bornée au nord par la capitainerie de Tamaraca, au midi par celle de Sergippe ; à l'orient par la mer, mais elle n'a point de bornes fixées à l'occident.
Cette province est située entre les huit & les dix degrés de latitude australe. Elle a été découverte par Vincent-Yannez Pinçon, Castillan ; & trois mois après D. Pedro Alvarez Cabral, amiral de la flotte Portugaise des Indes, fut jetté par la tempête sur les côtes du Brésil, dont la nation lui attribue la découverte. Jean III, roi de Portugal, concéda la province de Pernambuco, à Edouard d'Albuquerque, à condition d'en soumettre les habitans, ce qu'il exécuta dans la suite. Les Hollandois s'en étant rendu les maîtres, le roi Jean IV. après qu'elle eut été reprise sur eux, la réunit au domaine. Jusqu'à l'invasion, Olinde avoit été la capitale de la capitainerie ; mais cette ville a été presqu'entierement détruite pendant les guerres. (D.J.)
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PERNE | (Géog. anc.) 1°. île sur la côte de l'Ionie. Pline, l. II. c. lxxix. dit qu'un tremblement de terre joignit cette île au territoire de la ville de Milet. 2°. ville de la Thrace, qui étoit à l'opposite de celle de Thasus, selon Stephanus.
PERNE, (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France dans la Provence, au diocèse de Carpentras. Long. 22. 41. lat. 44. 2.
Cet endroit est la patrie d'Esprit Flechier, évêque de Lavaur en 1685, & puis de Nismes en 1687. Il avoit été reçu à l'académie françoise en 1673. Il étoit, dit M. de Voltaire, poëte françois & latin, historien, prédicateur, mais connu sur-tout par ses belles oraisons funebres. Il a traduit du latin d'Antoine-Marie Gratiani, la vie du cardinal Commendon ; il a donné celle du cardinal Ximenès ; & son histoire de l'empereur Théodose, a été faite pour l'éducation de M. le duc de Bourgogne. Il mourut le 16 Février 1710, à 78. ans.
PERNES, (Géog. mod.) petite ville de France dans l'Artois sur la Clarence, à trois lieues S. O. de Bethune, sept N. O. d'Arras. Long. 20. 6. lat. 50. 29. (D.J.)
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PERNETTE | S. f. vase à l'usage des potiers-de-terre & des fayanciers. Voyez l'article FAYANCE.
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PERNICIACUM | (Géog. anc.) ville de la Gaule belgique, que l'itinéraire d'Antonin met entre Geminiacum, & Aduaeca Tongrorum, à 22 milles de la premiere de ces villes, & à 14 de la seconde. On croit que c'est aujourd'hui Perveis, bourgade du Brabant, entre Jemblours & Indoigne, dans le quartier de Louvain ; cette bourgade est une ancienne baronie. (D.J.)
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PERNICIEUX | adj. (Gram.) capable d'entraîner la perte de quelque chose. Un discours est pernicieux ; un conseil est pernicieux ; un effet est pernicieux ; un esprit est pernicieux.
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PERNICITAS | S. f. (Phys.) est un mot latin, dont quelques auteurs se servent pour désigner une vitesse extraordinaire de mouvement ; comme celle d'un boulet qui fend l'air, de la terre dans son orbite, &c. Chambers.
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PERNIO | terme de Chirurgie, c'est le nom d'un mal qui attaque ordinairement les mains & les piés en hiver, & qu'on appelle vulgairement engelures. Les parties affectées de ce mal s'enflent, & prennent une couleur blanchâtre, accompagnée de douleur & de demangeaison : cependant la tumeur se dissipe sans aucune exulcération, en frottant d'huile de pétrole la partie malade. Voyez ENGELURES.
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PERNISSE | voyez PERDRIX ROUGE.
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PÉROÉ | (Géog. anc.) petit fleuve de la Boeotie, sur le chemin de Platée à Thebes. Il prenoit sa source au mont Cithéron, dont il descendoit par deux endroits différens, ensorte qu'il formoit une île. (D.J.)
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PEROETHEI | (Géog. anc.) peuples de l'Arcadie. Pausanias, liv. VIII. ch. iv. dit qu'ils tiroient leur nom de la ville Perethus, qui ne subsistoit plus de son tems, mais parmi les ruines de laquelle on voyoit encore le temple du dieu Pan.
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PERONÉ | S. m. (en Anatomie) est un des os de la jambe, voyez nos Planches d'Anatomie & leur explication. Voyez aussi les articles OS, JAMBE, &c.
Le peroné est l'os le plus menu des deux os de la jambe ; cependant, quoiqu'il soit plus exposé & beaucoup plus foible que l'os intérieur ou le tibia, il n'est pas si sujet à être cassé, parce qu'il est plus pliant & plus fléxible ; d'où il arrive que souvent le tibia est rompu, tandis que le peroné reste entier.
Le peroné se joint & s'articule avec le tibia aux deux extrémités, au moyen d'une espece de diarthrose obscure qui les couvre. On le divise en trois parties ; la partie supérieure qui a une tête ronde, & qui se termine un peu au-dessous du genouil, & qui reçoit une éminence latérale du tibia dans une petite cavité qui fait l'articulation de cette partie. Le milieu est menu, long & triangulaire, comme le tibia, mais un peu plus irrégulier. La partie inférieure est reçûe dans une petite cavité du tibia, & ensuite se termine par une grande apophise qu'on appelle malleole externe ou cheville externe ; elle est un peu creuse au-dedans pour donner à l'astragale la liberté du mouvement & un peu convexe du côté extérieur, afin qu'il ait plus de force pour retenir l'astragale.
Le tibia & le peroné ne se touchent qu'aux extrémités, de même que le radius & le cubitus ; l'intervalle est rempli par un fort ligament membraneux, qui les tient attachés ensemble & fortifie l'articulation. Voyez TIBIA.
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PERONIER | S. m. (Anatomie) ancien, long, ou premier ; c'est un muscle de la jambe, charnu & tendineux dans son origine, qui vient depuis la tête jusqu'au milieu du péroné ; de-là il va passer sur la partie postérieure de la cheville extérieure, sur laquelle il glisse comme sur une poulie ; & il s'insere à l'extrémité supérieure de l'os du métatarse, qui joint le grand orteil. L'usage de ce muscle est de tirer le pié en-haut. Voyez nos Planches d'Anatomie & leur explication.
Peronier postérieur, court, ou second, est un muscle qu'on appelle aussi quelquefois semifibuleux, charnu dans son origine, inégal, & venant de la partie postérieure du peroné ; de-là il se dirige de haut en-bas le long de la partie extérieure du même os, jusqu'à ce qu'il arrive au milieu, où il forme un tendon long, plat & uni, qui va suivant la même direction gagner le bras de la malleole interne avec le long peronier, & se termine à la partie extérieure de l'os du métatarse, contigu au petit orteil ; l'action de ce muscle est de pousser le pié en-haut. Voyez nos Planches anatomiques & les explications qui y sont jointes.
L'artère peroniere est une des branches de l'artere poplitée, qui se porte tout le long de la partie postérieure du peroné, où elle jette dans son trajet différens rameaux, & va se perdre dans le pié où elle s'anastomose avec la tibiale antérieure, & avec la postérieure, & prend le nom de plantaire externe. Voyez POPLITE, PLANTAIRE & TIBIALE.
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PÉRONNE | (Géog. mod.) ville de France, dans la Picardie, capitale du Santerre, sur le bord septentrional de la somme, à 12 lieues au-dessus, & au levant d'Amiens, à 10 au S. O. de Cambray, & à 32 de Paris, parmi des marais, qui avec des fortifications en font une très-forte place.
Elle est ancienne, car les premiers rois Mérovingiens y avoient un domicile. Clovis II. ayant donné cette place à Archinoald, maire de son palais, il y bâtit un monastere pour des moines Ecossois. Le premier abbé fut S. Wltan, neveu de S. Furcy, abbé de Lagny ; lequel S. Furcy est enterré à Péronne, où il est devenu depuis ce tems-là le patron de la ville.
Héribert, Comte de Vermandois, s'empara de Péronne, & enferma dans la forteresse Charles III. dit le Simple, qui y finit ses jours en 929, âgé de cinquante ans. Il est vrai que ce malheureux prince se fit toujours mépriser de son peuple pendant sa vie, par sa foiblesse & son manque de courage. N'ayant pas su faire valoir ses droits à l'Empire, après la mort de Louis IV. l'Empire sortit de la maison de France, & devint électif. Charles le Simple fut enterré à Péronne. Il avoit eu trois femmes ; de la premiere dont on ne sait pas le nom, il eut Giselle, mariée en 912 à Rollon, premier duc de Normandie ; de la seconde, nommée Fréderune, morte en 917, on doute s'il eut des enfans ; de la troisieme, nommée Ogine, il eut Louis, depuis appellé d'Outremer. Cette Ogine, fille d'Edouard I, roi des Anglois, après avoir marqué un grand courage dans presque tout le cours de sa vie, finit par se marier par amour, après la mort de son mari, avec Héribert, comte de Troyes, second fils d'Héribert, comte de Vermandois, qui avoit tenu son mari prisonnier les sept dernieres années de sa vie.
Les successeurs d'Héribert jouirent de Péronne & de ses dépendances, jusqu'au tems de Philippe Auguste. En 1466 Louis XI. donna cette ville & ses annexes à Charles, duc de Bourgogne, & s'en resaisit ensuite après la mort de ce prince.
L'église collégiale de cette ville, a été bâtie & dotée par le même Archinoald dont nous avons parlé ; cette collégiale est aujourd'hui de soixante petites prébendes, toutes à la nomination du roi.
Péronne est surnommée la pucelle, parce qu'elle n'a jamais été prise, quoiqu'assiégée quelquefois, & entr'autres par le comte Henri de Nassau en 1536. Elle a sa coutume particuliere, qui est suivie à Mont-Didier & à Roye. Il y a dans cette ville, une élection & un bailliage auquel la prevôté est unie ; mais elle est sur-tout rédoutable par les vexations des commis des fermes. Long. 20. 35. 44. lat. 49. 55. 30.
Frassen (Claude) natif de Péronne ou de Vire, s'est distingué par son savoir dans l'ordre de S. François, dont il devint définiteur général en 1682. Il a fait plusieurs ouvrages, & entr'autres des dissertations sur la bible intitulées : Disquisitiones publicae 2 vol. in-4°. Il mourut à Paris en 1711, à quatre-vingt onze ans.
Longueval (Jacques) laborieux jésuite, naquit à Péronne en 1680 ; il a publié les huit premiers volumes de l'histoire de l'église Gallicane, & avoit presque mis la derniere main au neuvieme & au dixieme volume de cet ouvrage, lorsqu'il mourut à Paris d'apopléxie en 1735 à cinquante-quatre ans. (D.J.)
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PERORAISON | S. f. (Belles Lettres) en Rhétorique, c'est la conclusion ou la derniere partie du discours, dans laquelle l'orateur résume en peu de mots les principaux chefs qu'il a traités avec étendue dans le corps de sa piece, & tâche d'émouvoir les passions de ses auditeurs.
De-là il s'ensuit que la péroraison est composée de deux parties ; 1°. d'une récapitulation, qui contient l'abregé & l'exposé succint de toutes les choses sur lesquelles a roulé le discours, & auxquelles on tâche de donner une nouvelle force, en les réunissant ainsi d'une maniere précise. Voyez RECAPITULATION.
2. L'orateur doit y exciter les passions, ce qui est si essentiel à la peroraison, que les maîtres de l'art appellent cette partie du discours sedes affectuum. Voyez PASSIONS.
Les passions qu'on doit exciter dans la peroraison varient, suivant les diverses especes de discours. Dans un panégyrique, ce sont des sentimens d'amour, d'admiration, de joie, d'émulation qu'on se propose d'imprimer dans l'ame des auditeurs. Dans une invective, c'est la haine, le mépris, l'indignation, la colere, &c. dans un discours du genre délibératif ; on s'efforce de faire naître l'espérance ou la confiance, d'inspirer la crainte ou de jetter le trouble dans les coeurs.
Les qualités requises dans une peroraison sont, qu'elle soit véhémente & pleine de passion, mais en même tems courte ; car selon la remarque de Ciceron, les larmes sechent bien vîte. Il ne faut pas laisser à l'auditeur le tems de respirer pour ainsi dire, parce que le propre de la réfléxion est d'étendre ou d'amortir la passion.
La peroraison étoit la partie principale où Ciceron excelloit. Et en effet, non-seulement il y anime & échauffe ses auditeurs, mais il y semble encore lui-même tout de feu, sur-tout lorsqu'il excite la commisération & la pitié pour un accusé. Il rapporte, que souvent il arrachoit des larmes à son auditoire, & même aux juges, & il ajoute que lorsque plusieurs orateurs étoient chargés de parler dans une même cause, la peroraison lui étoit toujours réservée, & il nous donne une excellente raison de cette préférence. C'étoit moins, dit-il, le génie qui le rendoit éloquent & pathétique dans ces occasions, que la douleur dont il étoit lui-même pénétré & le vif intérêt qu'il prenoit à ses cliens ; c'est ce qu'il est aisé de remarquer dans ces paroles de la peroraison pour Milon : Sed finis sit, neque enim prae lacrymis jam loqui possum, & hic se lacrymis defendi vetat. Et dans celle pour Rabirius Posthumus : Sed jam quoniam, ut spero, fidem quam potui tibi praestiti, Posthume reddam etiam lacrymas quas debeo. Jam indicat tot hominum fletus quam sis carus tuis, & me dolor debilitat includit que vocem.
Quand on dit que la peroraison doit émouvoir les passions, on suppose que le sujet en est susceptible ; car rien ne seroit plus ridicule que de terminer par des traits pathétiques une cause, où il ne s'agiroit que d'un intérêt léger ou d'un objet fort peu important.
On peut enfin observer qu'on conçoit quelquefois la peroraison en forme de priere ; l'éloquence de la chaire est restée en possession de cette derniere méthode, très-convenable aux sujets qu'elle traite. On en trouve cependant quelques exemples dans les orateurs profanes, comme dans la harangue de Démosthènes pour Ctésiphon, & dans la seconde Philippique de Ciceron.
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PERORSI | (Géog. anc.) peuples de la Mauritanie Tingitane, selon Pline, liv. V. ch. j. Ptolomée, liv. IV. ch. vj. les place dans la Lybie intérieure loin de la mer. Selon le pere Hardouin, le pays des Perorsi, comprenoit les royaumes de Zahanda & de Tesset, entre le royaume de Maroc au nord, celui de Galata au midi, & l'océan Atlantique au couchant. (D.J.)
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PEROT | S. m. (Eaux & Forêts) ce mot de l'exploitation des bois, se dit d'un arbre qui a deux âges de coupe ; desorte que si la coupe se fait tous les vingt-cinq ans, le perot en a cinquante. Il y a trois sortes de baliveaux, les étalons, les perots & les tayons. (D.J.)
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PÉROU | LE, (Géog. mod.) vaste région de l'Amérique méridionale, dans sa partie occidentale. Elle est bornée au nord par le Popayan ; au midi par le Chili ; à l'orient par le pays des Amasones, & au couchant par la mer du sud. Ce pays a environ six cent lieues de longueur du nord au sud, & cinquante de largeur.
Dès l'année 1502, Christophe Colomb étant dans la province de Honduras, qu'il venoit de découvrir, eut des naturels du pays quelques connoissances du Pérou, c'est-à-dire, d'un puissant empire abondant en or, qui étoit du côté de l'Orient, ce qui l'empêcha d'y tourner ses vues. En 1524, Paschal de Andagoya découvrit une partie de la côte de la mer du Sud, mais il tira peu de profit de ce voyage. Enfin, en 1524, François Pizaro partit de Panama, & découvrit la province du Beru (c'étoit le nom d'un indien), qu'il donna au pays, en changeant le B en P ; car les Espagnols écrivent Péru, & prononcent Pérou. On sait comment il conquit toute cette région depuis le royaume de Quito jusqu'au Chili, dans l'espace de dix ans.
On sait aussi qu'avant ce tems-là cette vaste contrée avoit été gouvernée par des rois nommés yncas, dont la magnificence étoit étonnante, & dont les richesses étoient immenses ; on peut en juger par l'offre que fit à Pizaro le dernier des yncas pour obtenir sa liberté. Atahualipa lui offrit pour sa rançon autant d'or qu'il en pourroit entrer dans une chambre de vingt-deux piés de long, de dix-sept de large, & de six de haut. Il reste encore dans le pays des vestiges de leurs temples en l'honneur du soleil, & du grand chemin de Quito qui avoit quarante piés de largeur, cinq cent lieues de longueur, & de hautes murailles des deux côtés. L'empire des yncas avoit alors des bornes deux fois plus étendues que celles qu'on donne au pays nommé aujourd'hui le Pérou.
Il est traversé par une chaîne de montagnes appellées la Cordillera de los-Andés. Il est rempli de plusieurs autres montagnes fameuses par les abondantes mines d'or & d'argent qu'on y a trouvées. Les forêts y produisent des cedres de plusieurs especes, des cotonniers, des bois d'ébène, & différens autres. Les vallées qui peuvent être arrosées sont très-fertiles, mais la plus grande partie du pays est stérile faute de pluies. Le chaud & le froid y sont excessifs, selon les différens endroits ; les montagnes qui sont étendues le long des Andes sont très-froides, tandis que l'on étouffe dans le plat-pays.
Depuis que le Pérou est sous la domination espagnole, il est gouverné par un viceroi, dont le pouvoir est sans bornes. Ses appointemens fixes vont à quarante mille ducats, & l'accessoire monte infiniment au-delà. Il nomme à toutes les places civiles & militaires, avec cette restriction que les procédures seront confirmées par le roi d'Espagne, ce qui ne manque guere d'arriver. Entre les Indiens naturels du pays, une partie a embrassé le christianisme, & s'est soumise au joug ; l'autre partie, infiniment plus considérable, est restée idolâtre & indépendante.
Les Espagnols divisent le Pérou en trois gouvernemens, qu'ils appellent audiences ; savoir, l'audience de Quito ; l'audience de Lima, ou de Los-Reyes ; l'audience de los Charchas, ou de la Plata ; mais ils ont beau diviser le pays en audiences, ils n'en retirent presque plus rien. Lima porte le nom de capitale du Pérou. Voyez sur cette grande région d'Amérique le commentaire royal du Pérou du chevalier Paul Ricaut, 2. vol. in-fol. c'est un bel ouvrage. (D.J.)
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PÉROUSE | (Géog. mod.) en latin Perusia & Perusium, & en italien Perugia, ville d'Italie dans l'état de l'Eglise, capitale du Pérugin.
Elle fut autrefois une des douze principales villes de l'Etrurie ; mais durant les guerres civiles, entre Octave & Marc-Antoine ; ce premier l'ayant prise, la saccagea impitoyablement, en abandonna le pillage à ses troupes, & fit tuer en sa présence les trois cent hommes qui composoient son sénat. Elle se rétablit dans la suite, & soutint un siége de sept ans contre Totila roi des Goths, qui la prit à la fin, la ruina, & passa au fil de l'épée une partie de ses habitans. Les rois de France l'ayant conquise au viij. siecle, la donnerent au saint siége. Enfin elle fut mise dans la désolation durant la guerre des Guelphes & des Gibelins ; mais elle s'est relevée de tous ses malheurs. Elle est aujourd'hui très-propre, assez peuplée, & défendue par une citadelle. Elle étoit épiscopale dès le iij. siecle. L'évêque ne reconnoit que le pape. Elle est située entre le Tibre au levant, & la riviere de Genna au couchant, sur une colline, à 8 milles au nord-est d'Assie, 25 ouest de Nocera. Long. 32. 2. lat. 43. 8.
J'ai oublié de dire que Pérouse est une université, qui même a produit des jurisconsultes célebres dans le xiv. siecle. Balde, disciple de Bartole, fut du nombre. Une de ses réparties lui valut la chaire de Pavie. Il étoit de petite taille, desorte que quand on le vit arriver dans l'auditoire, on s'écria, minuit praesentia famam. Il répondit, sans se décontenancer, augebit caetera virtus ; sur quoi Pauzirole ajoute, quo dicto omnibus sui admirationem injecit. Balde gagna beaucoup de bien par ses consultations, & composa quantité de livres, donnant tout son tems à l'étude. " Chaque pas que fait mon cheval, disoit-il un jour en voyageant, sont autant de lois qui sortent de ma mémoire " : bonne preuve qu'il avoit acquis, & qu'il conservoit son savoir à force de lire.
Mais ce sont les Dante de la famille des Rainaldi, qui ont sur-tout illustré de bonne-heure l'université de Pérouse ; c'étoit des gens en qui les talens semblent avoir été un héritage dans l'un & l'autre sexe.
Dante (Pierre Vincent) entendit les belles-lettres, les mathématiques, l'architecture, & composoit de si beaux vers à l'imitation du Dante florentin, que l'on jugea qu'il faisoit revivre en quelque façon la sublimité de ce grand génie. On lui donna même le surnom de Dante, qui est resté à sa famille. Il mourut fort âgé en 1512, laissant un fils & une fille qui se distinguerent. Ce fils, nommé Julius, fit un livre de alluvione Tyberis, & des notes in ornamenta Architecturae. Il mourut l'an 1575. Théodora Dante, sa soeur, mérita un rang parmi les mathématiciens du tems. Elle composa des livres sur cette science, & l'enseigna à Ignace son neveu dont je vais parler.
Dante (Ignace) se fit moine jacobin, mais moine jacobin savant dans les Mathématiques. Il fut appellé à Florence par le grand duc Cosme I, & ensuite à Rome par Grégoire XIII. qui lui donna l'évêché d'Alatri. Il publia quelques livres à Florence, & entre autres un traité de la construction & de l'usage de l'astrolabe. Il mourut en 1586.
Dante (Vincent), fils de Jule, petit-fils de Pierre Vincent, & neveu de la docte Théodora, suivit aussi les études de sa famille, & devint bon architecte & bon mathématicien. Il fut de plus très-versé dans la peinture & dans la sculpture. On a de lui en italien la vie de ceux qui ont excellé dans le dessein des statues. Il mourut à Pérouse l'an 1596, à l'âge de 46 ans.
Dante (Jean-Baptiste), né à Pérouse dans le xv. siecle, étoit encore vraisemblablement de la même famille. On dit qu'il se fit des aîles dont il se servit pour voler, & qu'en en faisant l'expérience dans le tems d'une grande fête, il eut le sort de Dédale, tomba en volant sur une église de la ville, & se cassa une cuisse. Il ne mourut pas de cette chute, mais de maladie avant l'âge de 40 ans.
Lancelot (Jean-Paul), florissoit dans le droit à Pérouse sa patrie, vers le milieu du xvj. siecle, & mourut dans cette ville en 1591, âgé de 80 ans. Il a mis au jour plusieurs livres de droit, & entr'autres des institutes du droit canon, réimprimées en France avec des notes de M. Doujat. (D.J.)
PEROUSE, LAC DE, (Hist. mod.) lac très-poissonneux d'Italie, à 7 milles de la ville de même nom, du côté du couchant. Il est presque rond, & a environ six milles de diametre en tout tems. On y voit trois îles, dont deux ont chacune un bourg.
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PERPEIRE | S. m. arnoglossus lavis, (Hist. natur. Ichthiolog.) poisson de mer qui est une espece de sole, à laquelle il ressemble par la forme du corps & par le nombre & la position des nageoires ; il n'en differe qu'en ce qu'il a des écailles si petites qu'on croit au premier coup d'oeil qu'il n'en a point, & que c'est un poisson lisse. Voyez SOLE. La chair du perpeira est fort tendre & très-délicate. Rondelet, hist. nat. des poissons, premiere part. liv. XI. ch. xiij. Voyez POISSON.
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PERPENDICULAIRE | S. f. en terme de Géométrie, est une ligne qui tombe directement sur une autre ligne, de façon qu'elle ne panche pas plus d'un côté que de l'autre, & fait par conséquent de part & d'autre des angles égaux. On l'appelle aussi ligne normale. Voyez LIGNE.
Ainsi la ligne I G (Pl. géom. fig. 57.) est perpendiculaire à la ligne K H ; c'est-à-dire, qu'elle fait avec cette ligne K H des angles droits & égaux.
De cette définition de la perpendiculaire il s'ensuit 1°. que la perpendicularité est mutuelle & réciproque : c'est-à-dire, que si une ligne IG est perpendiculaire à une autre ligne KH, cette ligne KH est aussi perpendiculaire à la premiere IG.
2°. Que d'un point donné on ne peut tirer qu'une perpendiculaire à une ligne donnée.
3°. Que si on prolonge une ligne perpendiculaire à une autre ; de maniere qu'elle passe de l'autre côté de cette ligne, la partie prolongée sera aussi perpendiculaire à cette même ligne.
4°. Que si une ligne droite qui en coupe une autre a deux points qui soient chacun à égale distance des extrémités de la ligne qu'elle coupe, elle sera perpendiculaire à cette ligne.
5°. Qu'une ligne perpendiculaire à une autre ligne est aussi perpendiculaire à toutes les paralleles qu'on peut tirer à cette ligne. Voyez PARALLELE.
6°. Que la perpendiculaire est la plus courte de toutes les lignes qu'on peut tirer d'un point donné à une ligne droite donnée.
Donc la distance du point à une ligne droite se mesure par la perpendiculaire même de ce point sur la ligne, & la hauteur d'une figure, par exemple, d'un triangle, est une perpendiculaire même du sommet de la figure sur la base. Voyez DISTANCE.
Pour élever une perpendiculaire G I sur la ligne ML, à un point G pris dans cette ligne, on mettra une des pointes du compas en G, & ouvrant le compas à volonté, on prendra de chaque côté de ce point G des intervalles égaux G H & G K ; des points K, H, & d'un intervalle plus grand que la moitié de KH, on décrira des arcs de cercle qui le coupent en I ; & on fixera la ligne G I qui sera perpendiculaire à M L.
Dans la pratique, la meilleure méthode pour tirer les perpendiculaires est d'appliquer le côté d'un équerre sur la ligne proposée, & de tirer le long de l'autre côté une ligne, qui sera la perpendiculaire cherchée.
Pour élever une perpendiculaire à l'extrémité d'une ligne donnée, par exemple, au point P, on ouvrira le compas d'une quantité convenable, & mettant une des pointes C, on décrira l'arc RPS ; on placera une regle sur les points S & C, & on trouvera sur l'arc RPS le point R, duquel tirant la ligne P R, elle sera perpendiculaire à P M.
Pour laisser tomber d'un point donné I hors d'une ligne MP, une perpendiculaire à cette ligne MP (fig. 57. n. 2.), on mettra une des pointes du compas en L, & on décrira à volonté un arc de cercle qui coupe la ligne PM en M & en G ; ensuite mettant la pointe du compas successivement en G & en M, on décrira deux autres arcs qui se coupent en a, & par les points L, a, on tirera une ligne L a, qui sera la perpendiculaire demandée.
On dit qu'une ligne est perpendiculaire à un plan, quand elle est perpendiculaire à toutes les lignes qu'elle rencontre dans ce même plan.
Un plant est dit perpendiculaire à un autre plan, quand une ligne, tirée dans un des plans perpendiculairement à leur commune section est perpendiculaire à l'autre plan. Voyez PLAN.
Une perpendiculaire à une courbe est une ligne qui coupe la courbe dans un point où une autre ligne la touche, & qui est perpendiculaire à la ligne touchante. Voyez TANGENTE & son PERPENDICULAIRE. Chambers. (E).
PERPENDICULAIRE, la, c'est dans les systèmes de Mrs de Pagan & de Vauban, la partie du rayon droit comprise entre le côté extérieur & l'angle flanquant, laquelle partie sert à mener les lignes de défense.
Ainsi I D (Pl. II. de Fortific. fig. 7.) est la perpendiculaire : elle est dans les systèmes ou constructions de M. de Vauban, la huitieme partie du côté du polygone dans le quarré, la septieme dans le pentagone, & la sixieme dans l'exagone & dans les polygones au-dessus. Voyez FORTIFICATION. (Q)
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PERPENDICULARITÉ | PERPENDICULARITé
Voici le fait qu'il s'agit d'expliquer. Presque toutes les plantes, quand elles se levent, sont un peu recourbées, cependant leurs tiges croissent perpendiculairement, & leurs racines s'abaissent & s'enfoncent aussi perpendiculairement ; lors même qu'elles sont forcées de s'incliner, soit par la déclivité du sol, soit par quelqu'autre cause, elles se redressent d'elles-mêmes, & se remettent ainsi dans la situation perpendiculaire, en faisant un second pli ou coude qui redresse le premier. Ce phénomene, que le vulgaire voit sans en être surpris, est un sujet d'étonnement pour ceux qui connoissent les plantes & la maniere dont elles se forment.
En effet chaque graine contient une petite plante déjà formée, & qui n'a besoin que de développement : cette petite plante a la petite racine ; & la pulpe, qui est ordinairement séparée en deux lobes, est l'endroit d'où la plante tire sa premiere nourriture par le moyen de sa racine, lorsqu'elle commence à germer. Voyez GRAINE, RADICULE, &c.
Or si une graine est placée en terre de telle sorte que la racine de la petite plante soit directement en bas, & la tige en haut, il est aisé de concevoir que la plante venant à croître & à se développer, la tige se levera perpendiculairement, & que sa racine descendra aussi perpendiculairement. Mais une graine qu'on jette en terre au hasard, ou qui vient s'y jetter elle-même, ne doit presque jamais prendre une situation telle que la petite plante qu'elle renferme ait sa tige & sa racine placées perpendiculairement, l'une en haut, l'autre en bas. Voyez SEMINATION.
Par conséquent si la plante prend toute autre situation, il faut que la tige & la racine se redressent d'elles-mêmes : mais quelle est la force qui produit ce changement ? est-ce que la tige étant moins chargée dans le sens perpendiculaire, doit naturellement se lever dans le sens où elle trouve le moins d'obstacles ? Mais la racine devroit, par la même raison, se lever perpendiculairement de bas en haut, au lieu de descendre comme elle fait.
M. Dodart a donc eu recours à une autre explication pour ces deux actions si différentes.
Il suppose que les fibres des tiges sont de telle nature qu'elles se raccourcissent par la chaleur du soleil, & s'allongent par l'humidité de la terre, & qu'au contraire celles des racines se raccourcissent par l'humidité de la terre, & s'allongent par la chaleur du soleil.
Selon cette hypothèse, quand la plante est renversée & la racine par conséquent enhaut, les fibres d'un même écheveau, qui fait une des branches de la racine, ne sont pas également exposées à l'humidité de la terre ; celles qui regardent en enbas le sont plus que les supérieures. Les fibres inférieures doivent donc se raccourcir davantage, & ce raccourcissement est encore facilité par l'allongement des supérieures, sur lesquelles le soleil agit avec plus de force. Par conséquent cette branche entiere de racine se rabat du côté de la terre, & comme il n'est rien de plus délié qu'une racine naissante, elle ne trouve point de difficulté à s'insinuer dans les pores d'une terre qui seroit même assez compacte, & cela d'autant moins qu'elle peut gauchir en tout sens, pour trouver les pores les plus voisins de la perpendiculaire. En renversant cette idée, M. Dodart explique pourquoi au contraire la tige se redresse : en un mot, on peut imaginer que la terre attire à elle la racine, & que le soleil contribue à la laisser aller ; qu'au contraire le soleil attire la tige à lui, & que la terre l'envoye en quelque sorte vers le soleil.
A l'égard du second redressement, savoir du redressement de la tige en plein air, M. Dodart l'attribue à l'impression des agens extérieurs, principalement du soleil & de la pluie, car la partie supérieure d'une tige pliée est plus exposée à la pluie, à la rosée, & même au soleil, que la partie inférieure : or la structure des fibres peut être telle que ces deux causes, savoir l'humidité & la chaleur, tendent également à redresser la partie qui est la plus exposée à leur action, par l'accourcissement qu'elles produisent successivement dans cette partie : car l'humidité accourcit les fibres en gonflant, & la chaleur en dissipant. Il est vrai qu'on ne peut deviner quelle doit être la structure des fibres pour qu'elles aient ces deux différentes qualités.
M. de la Live explique ce même phénomene de la maniere suivante : il connoit que dans les plantes la racine tire un suc plus grossier & plus pesant, & la tige au contraire & les branches un suc plus fin & plus volatil ; & en effet, la racine passe chez tous les Physiciens pour l'estomac de la plante, où les sucs terrestres se digerent & subtilisent au point de pouvoir ensuite s'élever jusqu'aux extrémités des branches. Cette différence des sucs suppose de plus grands pores dans la racine que dans la tige & dans les branches, en un mot une différente contexture ; & cette différence de tissu doit se trouver, les proportions gardées, jusque dans la petite plante invisible que la graine renferme. Il faut donc imaginer dans cette petite plante, comme un point de partage, tel que tout ce qui sera d'un côté, c'est-à-dire, si l'on veut, la racine, se développera par des sucs plus grossiers qui y pénetreront, & tout ce qui sera de l'autre par des sucs plus subtils.
Que la petite plante, lorsqu'elle commence à se développer, soit entierement renversée dans la gaine, desorte qu'elle ait sa racine en haut & sa tige en bas ; les sucs qui entreront dans la racine ne laisseront pas d'être toujours les plus grossiers, & quand ils l'auront développée, & en auront élargi les pores, au point qu'il y entrera des sucs terrestres d'une certaine pesanteur, ces sucs toujours plus pesans appesantissant toujours la racine de plus en plus, la tireront en enbas, & cela d'autant plus facilement, ou avec d'autant plus d'effort, qu'elle s'étendra ou s'allongera davantage, car le point de partage supposé étant connu comme une espece de point fixe de levier, ils agiront par un plus long bras. Dans le même tems les plus volatils qui auront pénétré la tige, tendront aussi à lui donner leur direction de bas en haut, & par la raison du levier ils la lui donneront plus aisément de jour en jour, puisqu'elle s'allongera toujours de plus-en-plus. Ainsi la petite plante tourne sur le point de partage immobile, jusqu'à ce qu'elle se soit entierement redressée.
La plante s'étant ainsi redressée, on voit que la tige doit se lever perpendiculairement pour avoir une assiette plus ferme, & pour pouvoir mieux resister aux efforts du vent & de l'eau.
Voici l'explication donnée sur la même matiere par M. Parent : le suc nourricier étant arrivé à l'extrémité d'une tige qui se leve, s'il s'évapore, le poids de l'air qui l'environne de tous côtés doit le faire monter verticalement ; & s'il ne s'évapore point, mais qu'il se congele & qu'il demeure fixé à l'extrémité d'où il soit prêt à sortir, le poids de l'air lui donnera encore la direction verticale ; desorte que la tige acquerra une particule nouvelle placée verticalement : par la même raison que dans une chandelle placée obliquement, la flamme se leve verticalement en vertu de la pression de l'atmosphere, les nouvelles gouttes de suc nourricier qui viendront ensuite auront la même direction : & comme toutes ces gouttes réunies forment la tige, elles lui donneront une direction verticale, à moins que quelque cause particuliere n'en empêche.
A l'égard des branches, qui d'abord sont supposées sortir latéralement de la tige dans le premier embryon de la plante : quoiqu'elles aient par elles-mêmes une direction horisontale, elles doivent cependant se redresser par l'action continuée du suc nourricier, qui d'abord trouve peu de résistance dans les branches encore tendres & souples ; & qui ensuite, lorsque les branches sont devenues plus fortes, agit encore avec beaucoup plus d'avantage, parce qu'une branche plus longue donne un plus long bras de levier. L'action d'une petite goutte de suc nourricier, qui est en elle-même fort petite, devient plus considérable par sa continuité, & par le secours des circonstances favorables ; par-là on peut expliquer la situation & la direction constante des branches, qui font presque toutes & presque toujours le même angle constant de 45d. avec la tige & entr'elles. Voyez BRANCHE.
M. Astruc, pour expliquer la perpendicularité de la tige & son redressement, suppose ces deux principes : 1°. que le suc nourricier vient de la circonférence de la plante, & se termine vers la moëlle ; 2°. que les liquides qui sont dans des tuyaux paralleles ou inclinés à l'horison, pesent sur la partie inférieure de leurs tuyaux, & n'agissent point du tout sur la superieure.
Il est aisé de conclure de ces deux principes, que lorsque les plantes sont dans une situation parallele ou inclinée à l'horison, le suc nourricier qui coule de leur racine vers leur tige, doit par son propre poids tomber dans les tuyaux de la partie inférieure, & s'y ramasser en plus grande quantité que dans ceux de la partie supérieure ; ces tuyaux devront par-là être plus distendus, & leurs pores plus ouverts. Les parties du suc nourricier qui s'y trouvent ramassées, devront par conséquent y pénétrer en plus grande quantité, & s'y attacher plus aisément que dans la partie supérieure ; par conséquent l'extrémité de la plante étant plus nourrie que la partie supérieure, cette extrémité sera obligée de se courber vers le haut.
On peut par le même principe expliquer un autre fait dans une feve qu'on seme à contre-sens, la radicule en haut, & la plume en bas ; la plume & la radicule croissent d'abord directement de près de la longueur d'un pouce ; mais peu après elles commencent à se courber l'une vers le bas, & l'autre vers le haut.
On observe encore la même chose dans un tas de blé, qu'on fait germer pour faire de la biere, ou dans un monceau de glands qui germent dans un lieu humide ; chaque grain de blé dans le premier cas, ou chaque gland dans le second, ont des situations différentes : tous les germes pourtant tendent directement en haut dans le tems que les racines sont tournées en bas, & la courbure qu'elles font, est plus ou moins grande, suivant que leur situation approche plus ou moins de la situation directe, où elles pourroient croître sans se courber.
Pour expliquer des mouvemens si contraires, il faut supposer qu'il y a quelque différence considérable entre la plume & la radicule.
Nous n'y en connoissons point d'autre, sinon que la plume se nourrit par le suc, que des tuyaux paralleles à ses côtés lui portent : au lieu que la radicule prend sa nourriture du suc, qui pénetre dans tous les pores de la circonférence. Toutes les fois donc que la plume se trouve dans une situation parallele ou inclinée à l'horison, le suc nourricier doit croupir dans la partie inférieure, & par conséquent il doit la nourrir plus que la supérieure, & redresser par-là son extrémité vers le haut, pour les raisons que nous avons déja rapportées. Au contraire, lorsque la radicule est dans une situation semblable, le suc nourricier doit pénétrer en plus grande quantité par les pores de la partie supérieure, que par ceux de l'inférieure. Le suc nourricier devra donc faire croître la partie supérieure plus que l'inférieure, & faire courber vers le bas l'extrémité de la radicule : cette courbure mutuelle de la plume & de la radicule doit continuer jusqu'à ce que leurs côtés se nourrissent également ; ce qui n'arrive que quand leur extrémité est perpendiculaire à l'horison. Voyez les mém. de l'acad. roy. des Sciences, année 1708.
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PERPENDICULE | S. m. ligne verticale & perpendiculaire, qui mesure la hauteur d'un objet, par exemple, d'une montagne, d'un clocher, & l'on dit le perpendicule de cette tour est de cinquante toises. On appelle encore perpendicule, le fil qui dans une équerre est tendu par le plomb, & qui donne la perpendiculaire à l'horison.
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PERPÉTUANE | S. f. (Commerce) sorte d'étoffe qui se fabriquoit en Portugal.
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PERPÉTUEL | adj. (Métaph.) est proprement ce qui dure toujours, ou qui ne finit jamais. Voyez ÉTERNITE.
Perpétuel, se dit quelquefois de ce qui dure tout le long de la vie de quelqu'un. Ainsi les offices qui durent toute la vie, sont appellés perpétuels. Le secrétaire de l'académie des Sciences est perpétuel, &c. Chambers.
Mouvement perpétuel, est un mouvement qui se conserve & se renouvelle continuellement de lui-même, sans le secours d'aucune cause extérieure ; ou c'est une communication non interrompue du même degré de mouvement qui passe d'une partie de matiere à l'autre, soit dans un cercle, soit dans une autre courbe rentrante en elle-même ; desorte que le même mouvement revienne au premier moteur, sans avoir été altéré. Voyez MOUVEMENT.
Trouver le mouvement perpétuel, ou construire une machine qui ait un tel mouvement, est un problème fameux, qui exerce les Mathématiciens depuis 2000 ans.
Nous avons une infinité de desseins, de figures, de plans, de machines, de roues, &c. qui sont le fruit des efforts qu'on a faits pour résoudre ce problème. Il seroit inutile & déplacé d'en donner ici le détail ; il n'y a aucun de ces projets qui mérite qu'on en fasse mention, puisque tous ont avorté. C'est aussi plutôt une insulte qu'un éloge, de dire de quelqu'un qu'il cherche le mouvement perpétuel : l'inutilité des efforts que l'on a faits jusqu'ici pour le trouver, donne une idée peu favorable de ceux qui s'y appliquent.
En effet, il paroît que nous ne devons guere espérer de le trouver. Parmi toutes les propriétés de la matiere & du mouvement, nous n'en connoissons aucune qui paroisse pouvoir être le principe d'un tel effet.
On convient que l'action & la réaction doivent être égales, & qu'un corps qui donne du mouvement à un autre, doit perdre autant de mouvement qu'il en communique. Or dans l'état présent des choses, la résistance de l'air, les frottemens, doivent nécessairement retarder sans cesse le mouvement. Voyez RESISTANCE.
Ainsi pour qu'un mouvement quelconque pût subsister toujours, il faudroit, ou qu'il fût continuellement entretenu par une cause extérieure ; & ce ne seroit plus alors ce qu'on demande dans le mouvement perpétuel, ou que toute résistance fût entierement anéantie ; ce qui est physiquement impossible. Voyez MATIERE & FROTTEMENT.
Par la seconde loi de la nature (voyez NATURE), les changemens qui arrivent dans le mouvement des corps sont toujours proportionnels à la force motrice qui leur est imprimée, & sont dans la même direction que cette force : ainsi une machine ne peut recevoir un plus grand mouvement que celui qui réside dans la force motrice qui lui a été imprimée.
Or sur la terre que nous habitons, tous les mouvemens se font dans un fluide résistant, & par conséquent ils doivent nécessairement être retardés : donc le milieu doit absorber une partie considérable du mouvement. Voyez MILIEU.
De plus, il n'y a point de machine où on puisse éviter le frottement, parce qu'il n'y a point dans la nature de surfaces parfaitement unies, tant à cause de la maniere dont les parties des corps sont adhérentes entr'elles, qu'à cause de la nature de ces parties, & du peu de proportion qu'il y a entre la matiere propre que les corps renferment, & le volume qu'ils occupent. Voyez FROTTEMENT.
Ce frottement doit par conséquent diminuer peu-à-peu la force imprimée ou communiquée à la machine : desorte que le mouvement perpétuel ne sauroit avoir lieu, à-moins que la force communiquée ne soit beaucoup plus grande que la force génératrice, & qu'elle ne compense la diminution que toutes les autres causes y produisent : mais comme rien ne donne ce qu'il n'a pas, la force génératrice ne peut donner à la machine un degré de mouvement plus grand que celui qu'elle a elle-même.
Ainsi toute la question du mouvement perpétuel en ce cas, se reduit à trouver un poids plus pesant que lui-même, ou une force élastique plus grande qu'elle-même.
Ou enfin, en troisieme & dernier lieu, il faudroit trouver une méthode de regagner par la disposition & la combinaison des puissances méchaniques, une force équivalente à celle qui est perdue. C'est principalement à ce dernier point, que s'attachent tous ceux qui veulent resoudre ce problème. Mais comment, ou par quels moyens, peut-on regagner une telle force ?
Il est certain que la multiplication des forces ou des puissances ne sert de rien pour cela : car ce qu'on gagne en puissance, est perdu en tems ; desorte que la quantité de mouvement demeure toujours la même.
Jamais la méchanique ne sauroit faire qu'une petite puissance soit réellement égale à une plus grande, par exemple que 25 livres soient équivalentes à 100. S'il nous paroît qu'une puissance moindre soit équivalente à une plus grande, c'est une erreur de nos sens. L'équilibre n'est pas véritablement entre 25 livres & 100 livres, mais entre 100 livres qui se meuvent ou tendent à se mouvoir avec une certaine vîtesse, & 25 livres qui tendent à se mouvoir avec quatre fois plus de vîtesse que les 100 livres.
Quand on considere les poids 25 & 100 comme fixes & immobiles, on peut croire d'abord que les 25 livres seules empêchent un poids beaucoup plus grand de s'élever ; mais on se détrompera bientôt si on considere l'un & l'autre poids en mouvement, car on verra que les 25 livres ne peuvent élever les 100 livres qu'en parcourant dans le même tems un espace quatre fois plus grand. Ainsi les quantités de mouvement virtuelles de ces deux poids seront les mêmes, & par conséquent il n'y aura plus rien de surprenant dans leur équilibre.
Une puissance de 10 livres étant donc mûe, ou tendant à se mouvoir avec dix fois plus de vîtesse qu'une puissance de 100 livres, peut faire équilibre à cette derniere puissance ; & on en peut dire autant de tous les produits égaux à 100. Enfin, le produit de part & d'autre doit toujours être de 100, de quelque maniere qu'on s'y prenne ; si on diminue la masse, il faut augmenter la vîtesse en même raison.
Cette loi inviolable de la nature, ne laisse autre chose à faire à l'art que de choisir entre les différentes combinaisons qui peuvent produire le même effet. Voyez LOIS DE LA NATURE, au mot NATURE. Chambers. (O)
M. de Maupertuis, dans une de ses lettres sur différens sujets de Philosophie, fait les réflexions suivantes sur le mouvement perpétuel. Ceux qui cherchent ce mouvement excluent des forces qui doivent le produire, non-seulement l'air & l'eau, mais encore quelques autres agens naturels qu'on y pourroit employer. Ainsi ils ne regardent pas comme mouvement perpétuel celui qui seroit produit par les vicissitudes de l'atmosphere, ou par celles du froid & du chaud.
Ils se bornent à deux agens, la force d'inertie, voyez INERTIE, & la pesanteur, voyez PESANTEUR ; & ils réduisent la question à savoir si on peut prolonger la vîtesse du mouvement, ou par le premier de ces moyens, c'est-à-dire en transmettant le mouvement par des chocs d'un corps à un autre ; ou par le second, en faisant remonter des corps par la descente d'autres corps, qui ensuite remonteront eux-mêmes pendant que les autres descendront. Dans ce second cas il est démontré, que la somme des corps multipliés chacun par la hauteur d'où il peut descendre, est égale à la somme de ces mêmes corps multipliés chacun par la hauteur où il pourra remonter. Il faudroit donc, pour parvenir au mouvement perpétuel par ce moyen, que les corps qui tombent & s'élevent conservassent absolument tout le mouvement que la pesanteur peut leur donner, & n'en perdissent rien par le frottement ou par la résistance de l'air, ce qui est impossible.
Si on veut employer la force d'inertie, on remarquera, 1°. que le mouvement se perd dans le choc des corps durs ; 2°. que si les corps sont élastiques, la force vive à la vérité se conserve. Voyez CONSERVATION DES FORCES VIVES. Mais outre qu'il n'y a point de corps parfaitement élastiques, il faut encore faire abstraction ici des frottemens & de la résistance de l'air. D'où M. de Maupertuis conclut qu'on ne peut espérer de trouver le mouvement perpétuel par la force d'inertie, non plus que par la pesanteur, & qu'ainsi ce mouvement est impossible. Lettre XXII.
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PERPÉTUER | v. act. (Gramm.) rendre durable. La nature veille à la conservation de l'individu, & à la perpétuité des especes. Les especes se perpétuent principalement par la semence & par les graines. L'intérêt des gens de palais, & la mauvaise foi des plaideurs, s'entendent pour perpétuer les procès.
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PERPÉTUITÉ | (Jurisprud.) signifie la stabilité de quelque chose qui doit durer toujours. La plûpart des lois sont faites pour avoir lieu à perpétuité. Un pere de famille établit ses enfans, & fait des substitutions, pour assurer la perpétuité de sa race & de sa maison. (A)
PERPETUITE, terme de Droit canonique, signifie la qualité d'un bénéfice concédé irrévocablement, ou dont on ne sauroit priver celui qui en est pourvu, excepté en certains cas déterminés par la loi. Voyez BENEFICE.
Plusieurs auteurs prétendent avec raison que la perpétuité des bénéfices est établie par les anciens canons, & que les prêtres sont inséparablement attachés à leurs églises par un mariage spirituel ; il est vrai que la corruption s'étant introduite avec le tems, & les prêtres séculiers étant tombés dans un grand désordre & même dans un grand mépris, les évêques furent obligés de se faire aider dans l'administration de leurs diocèses par des moines, à qui ils confioient le soin des ames & le gouvernement des paroisses, se réservant le droit de renvoyer ces moines dans leurs monasteres quand ils le jugeroient à-propos, & de les révoquer ainsi dès qu'il leur en prenoit envie.
Mais cette administration vague & incertaine n'a duré que jusqu'au xij. siecle, après quoi les bénéfices sont revenus à leur premiere & ancienne perpétuité.
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PERPIGNAN | (Géog. mod.) en latin du moyen âge, Perpiniacum ; ville de France, capitale du Roussillon, bâtie dans l'endroit où étoit autrefois une ville municipale appellée Flavium Ebusum.
Elle est très-forte, munie d'une citadelle qui est sur la hauteur, & commande la ville. Elle a un évêché, un conseil souverain, un intendant, un hôtel des monnoies, & une université fondée en 1349 par Pierre, roi d'Aragon.
Cette université est composée de quatre facultés ; & ce qu'il y a de singulier, c'est que les chaires de Théologie sont partagées en deux sentimens. Dans l'une on enseigne la doctrine de S. Thomas, & dans l'autre, la doctrine de Suarès. Il est permis aux étudians de suivre celle qui leur plaît ; mais les professeurs de ces deux chaires doivent être bien habiles : ceux-ci, pour découvrir la doctrine de S. Thomas, noyée en 18 volumes in-folio, ceux-là pour pénétrer celle de Suarès, dont les oeuvres forment 23 volumes in-folio.
L'évêché de Perpignan est suffragant de Narbonne ; on en évalue les revenus à 25 mille livres, & l'on compte dans son diocèse 180 paroisses. Quelques évêques de cette ville ont pris le titre d'inquisiteurs ; mais rien n'est plus déplacé dans un royaume tel que la France, où le seul nom d'inquisition revolte les esprits, & où l'évêque de Perpignan ne peut s'arroger des prérogatives, & avoir des fonctions différentes de celles de ses collegues.
La premiere église de Perpignan fut élevée par les habitans sous l'invocation de S. Jean-Baptiste, dans le xj. siecle. Beranger, évêque d'Eluc, la consacra le 16 de Mai 1025, & Gaufred, comte de Roussillon, souscrivit l'acte ou opposa son scel à l'acte qu'on fit de cette consécration.
Le corps-de-ville de Perpignan est un des plus illustres qu'il y ait dans le royaume ; il est gouverné par cinq consuls qui ont le privilege de créer tous les ans deux nobles, qui jouïssent de toutes les prérogatives des gentilshommes, & ont la qualité de chevaliers. La noblesse de ces sortes de citoyens est reçue à Malte, en forme de la bulle magistrale du grand-maître, du 14 Juin 1631.
La ville de Perpignan est située sur la rive droite du Tet, partie dans une plaine & partie sur une colline, dans un terroir fertile en bon vin, à une lieue de la mer, à 12 lieues au sud-ouest de Narbonne, à 30 au sud-ouest de Montpellier, à 40 sud-est de Toulouse, & à 175 au midi de Paris. Longitude, suivant Cassini, Lieutaud & Desplaces, 20. 24. lat. 42. 41.
C'est à Perpignan que mourut d'une fievre chaude Philippe III. roi de France, à son retour d'Aragon, en 1285, âgé de 40 ans & quelques mois. On le surnomma le Hardi, & l'on ne sait pas trop pourquoi, car il ne fit jamais rien qui pût lui mériter ce titre, quelle que soit l'idée qu'on y attache. Le corps de ce prince fut porté à Narbonne, où l'on célébra ses obseques. (D.J.)
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PERPLEX | PERPLEXITé, (Gramm.) état de l'esprit incertain sur un événement, sur une question, sur un ordre, &c. La doctrine sur la prédestination jette l'ame dans de grandes perplexités. Si nous n'abandonnions pas beaucoup de choses au hasard, notre vie ne seroit qu'un long tissu de perplexités. La perplexité naît toujours ou de la pusillanimité, ou de la bêtise, ou de l'ignorance.
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PERQUISITEUR | S. m. (Jurispr.) expédition qu'on leve en la chancellerie romaine, afin de certifier qu'il y a eu telle demande formée, tel acte, telles lettres expédiées. On produit souvent dans les procès pour bénéfices, des perquisiteurs.
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PERQUISITION | S. f. (Gramm.) recherches ordonnées par un supérieur, & occasionnées par un délit sur lequel on n'a pas les connoissances nécessaires. La publication de ce livre donna lieu aux perquisitions les plus rigoureuses. Avec toutes ces perquisitions, on ne découvrit rien.
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PERRANTHES | (Géog. anc.) nom que l'on donnoit, selon Tite-Live, l. XXXVIII. c. jv. à une colline escarpée qui commandoit la ville Ambracia dans l'Epire. (D.J.)
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PERRAU | S. m. (Cirerie) sorte de grand chauderon étamé, étroit, rond & profond, dont les marchands Epiciers-Ciriers se servent pour faire chauffer l'eau dans laquelle ils font amollir la cire qu'ils employent dans la fabrique des cierges à la main. (D.J.)
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PERRE | (Géog. anc.) ville d'Asie, aux environs du mont Taurus. L'itinéraire d'Antonin la place sur la route de Mélitène à Samosate ; & la notice de Léon le sage en fait une ville épiscopale dans l'Euphratense, sous la métropole d'Hiérapolis. (D.J.)
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PERRÉE | S. f. (Mesure de continence) mesure de grains en Bretagne, dont les dix font le tonneau.
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PERRELLE | S. f. (Droguerie) terre seche en petites écailles grises qu'on vend chez les Droguistes, & qu'on nous apporte de S. Flour en Auvergne. On la prend sur des rochers, où elle a été formée d'une poudre terreuse que les vents y ont portée. Là, après avoir été humectée par la pluie, dessechée, ou comme calcinée par la chaleur du soleil, elle se leve en petites écailles comme nous la voyons. La perrelle entre dans la composition du tournesol en pâte, qu'on appelle autrement orseille. Trévoux.
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PERRHEBES | LES, (Géog. anc.) Perrhoebi. 1°. Peuples de la Thessalie, le long du fleuve Pénée vers la mer. Ce fut, selon Strabon, liv. IX. pag. 439. leur premiere demeure. Chassés ensuite par divers peuples, ils se reculerent dans les terres toujours le long du Pénée ; & enfin ils furent tellement dispersés, qu'une partie se retira vers le mont Olympe, d'autres vers le Pinde, & d'autres se mêlerent avec les Lapithes & avec les Pélasgiotes. Plutarque, in Flaminio, dit que les Perrhebes furent un des peuples que Flaminius déclara libres, après qu'il eut vaincu le roi Philippe. La Thessalie presque entiere séparoit les Perrhebes orientaux, ou Thessaliens, des Perrhebes occidentaux, ou Epirotes. Cette nation comprenoit aussi les Selles & les Hellopes, dont quelques auteurs font autant de peuples différens. Le scholiaste d'Homere observe que, selon les anciens, les Centaures du mont Pélion étoient de la même nation que les Perrhebes. (D.J.)
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PERRICHE | voyez PERRUCHE.
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PERRIER | S. m. (Fonderie) les Fondeurs appellent ainsi une barre de fer suspendue à une chaîne, avec laquelle on pousse le tampon du fourneau pour faire couler le métal dans l'écheno. Voyez ECHENO & FONDERIE, & la Planc. I. de la Fonderie des figures équestres.
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PERRIERE | S. f. (Archit.) carriere d'où l'on tire des pierres. Il se dit principalement en Anjou des ardoisieres. Voyez CARRIERE.
PERRIERE, s. f. dans l'Artillerie & la Fonderie, est un morceau de fer qui a une masse pointue à son extrémité, avec laquelle le maître fondeur enfonce & débouche le trou du fourneau par où sort le métal tout liquide & tout bouillonnant pour se précipiter dans les moules. C'est le même outil que le perrier (Q).
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PERRIQUE | voyez PERRUCHE.
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PERRON | S. m. (Archit.) lieu élevé devant une maison, où il faut monter plusieurs marches de pierre. Quelques auteurs écrivent paron, parce qu'ils prétendent que le mot perron vient de pas rond, tous les perrons étant autrefois faits de marches arrondies.
Perron à pans. Perron dont les encoigneures sont coupées, comme au portail de l'église du college Mazarin, à Paris.
Perron ceintré. Perron qui a les marches rondes ou ovales. Il y a de ces perrons dont une partie des marches est en-dehors, & l'autre en-dedans ; ce qui forme un palier rond dans le milieu, comme celui, par exemple, du bout du jardin de Belveder, à Rome ; ou un palier ovale, comme au Luxembourg, à Paris, & au château de Caprarole.
Perron double. Perron qui a deux rampes égales qui tendent à un même palier, comme le perron du fond du Capitole ; ou deux rampes opposées pour arriver à deux paliers, comme celui de la cour des fontaines de Fontainebleau. Il y a des perrons doubles qui ont ces deux dispositions de rampes ; ensorte que par un perron quarré on monte sur un palier, d'où commencent deux rampes opposées pour arriver chacune à un palier rectangulaire ; de ce palier on monte par deux autres rampes à un palier commun : tel est le perron du château neuf de Saint-Germain-en-Laye, du dessein de Guillaume Marchand, architecte d'Henri IV. & les perrons des Tuileries qui sont du dessein de M. le Nautre. Ces sortes de perrons sont fort anciens. On voit encore les vestiges d'un parmi les ruines de Tchelminar, près Schiras en Perse, dont M. Deslandes rapporte la figure dans son livre des beautés de la Perse.
Perron quarré. Perron qui est d'équerre, comme sont la plûpart des perrons, & particulierement celui de la Sorbonne & du Val-de-Grace. Le plus grand perron qu'il y ait est celui du jardin de Marly. (D.J.)
PERRON, s. m. (Hydr.) sont les escaliers découverts d'un bâtiment, d'une cascade, ou d'un sallon placé dans un jardin ; ils peuvent être simples ou doubles, ronds, ovales ou quarrés, composés de marches, & de paliers ou repos. (K)
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PERROQUET | S. m. (Hist. nat. Ornythol.) psittacus, nom générique que l'on a donné à un grand nombre d'especes d'oiseaux qui different entr'eux principalement par la grandeur & par les couleurs, mais qui se ressemblent tous à-peu-près par la forme du bec & du corps, & par le nombre & la position des doigts. Voyez OISEAU. Les perroquets en général ont la tête grosse, le bec & les ongles crochus, le crâne dur & épais, la langue large, les ouvertures des narines rondes & placées à la base de la piece supérieure du bec près des premieres plumes du devant de la tête ; enfin ils ont tous quatre doigts à chaque pié, dont deux sont dirigés en avant, & deux en arriere. La plûpart se servent de leur pié pour porter leur nourriture à leur bec. On divise tous les perroquets en trois classes ; la premiere comprend les plus grands, ils ont la grosseur d'un chapon ; ceux de la seconde classe sont d'une médiocre grosseur, qui égale à-peu-près celle du pigeon domestique ; enfin on a mis dans la troisieme classe les petits perroquets. On a donné le nom de perruche ou perriche à ceux de la seconde & de la troisieme classe qui ont la queue longue. La plûpart des perroquets apprennent aisément à parler. Will. Ornit. voyez OISEAU.
PERROQUET d'Angola, cet oiseau est un peu plus grand qu'une tourterelle. Il a le bec d'un brun verdâtre ; les plumes de la tête, du dos, de la poitrine & celles des épaules sont d'un beau jaune couleur d'or, mêlé d'une teinte rouge couleur d'écarlate ; la couleur des petites plumes des aîles est verte, excepté les deux extrémités qui sont d'un beau bleu ; les grandes plumes des aîles ont cette même couleur bleue : la queue est longue, fourchue, & d'un verd jaunâtre ; les piés sont d'un rouge mêlé de gris. Hist. nat. des oiseaux par Derham, tome III. pag. 6. Voyez OISEAU.
PERROQUET ARRAS ; on a donné ce nom à deux especes de perroquets que l'on distingue en arras bleu & en arras rouge. Ils sont les plus grands de tous les perroquets, ils égalent en grosseur un chapon.
L'arras jaune, psittacus maximus cyanocroceus, Aldrovandi. Il a le bec noir & un peu allongé ; il y a sur la peau qui entoure les yeux des plumes noires ; le sommet de la tête est applati & verd ; la gorge a une sorte de collier formé de plumes noires ; toute la face supérieure de cet oiseau est d'un jaune couleur de safran, & l'inférieur a une belle couleur bleue : la queue a environ dix-huit pouces de longueur ; les cuisses sont très-courtes ; les jambes & les piés ont une couleur brune, & les ongles sont noirs.
L'arras rouge, psittacus maximus alter Aldrovandi ; cet oiseau a le bec plus court que l'arras jaune ; la piece supérieure est blanche, & l'inférieure noire ; les tempes & le tour des yeux sont blanchâtres : le corps en entier, l'origine des aîles, & toute la queue ont une belle couleur rouge ; la partie intérieure des grandes plumes des aîles a cette même couleur ; la partie extérieure & les plumes du dessous de la queue sont d'un très-beau bleu ; la couleur des plumes du second rang de l'aîle est jaune, à l'exception des bords qui sont rouges ; elles ont chacune à l'extrémité une tache bleue qui ressemble à un petit oeil : les cuisses sont courtes & les ongles ont une couleur brune. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET DES BARBADES, psittacus viridis & luteus barbadensis ; cet oiseau est de la grandeur d'un pigeon domestique ; ses yeux sont entourés d'une peau de couleur cendrée, & dégarnie de plumes ; ils ont l'iris d'un jaune couleur de safran ; le devant de la tête est d'un brun pâle, entouré d'une belle couleur jaune, qui s'étend sur les côtés de la tête & sous la gorge ; le sommet de la tête, le dos, la poitrine & le ventre sont d'un beau verd ; les plumes des cuisses & des épaules ont une couleur verte & jaunâtre ; les trois premieres plumes du premier rang des petites plumes des aîles sont d'un beau bleu ; toutes celles du second rang ont une couleur rouge ; enfin les grandes sont d'un bleu sombre & pourpre : la queue est composée de douze plumes, & elle a une belle couleur verte ; les jambes sont garnies de plumes jusqu'aux piés, qui ont une couleur brune cendrée. Hist. nat. des oiseaux par Derham, tom. III. pag. 6. Voyez OISEAU.
PERROQUET DE BENGALE ; cet oiseau est de moyenne grandeur. Il a la piece supérieure du bec jaune & l'inférieure de couleur noirâtre ; le derriere de la tête est d'un rouge pâle, mêlé d'une teinte de pourpre ; les plumes de la gorge sont noires & le cou a un petit collier formé par des plumes de la même couleur que celles de la gorge ; les plumes de la poitrine, du ventre & des cuisses ont une couleur verte, pâle & jaunâtre ; celles du dos & des aîles sont d'un très-beau verd. Hist. natur. des oiseaux par Derham, tom. III. Voyez OISEAU.
PERROQUET BLANC HUPE, psittacus albus cristatus Aldrovandi, cet oiseau est de la grosseur du pigeon domestique ; il a une hupe sur la tête ; il est entierement blanc & il porte la queue fort élevée. On a donné à ce perroquet le nom de katacoua. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET DE BONNIUS, LE PETIT, psittacus parvus Bontii : ce perroquet est de la grosseur d'une alouette, le bec & la gorge sont gris, l'iris des yeux a une couleur argentée ; la tête, le cou, le dessus de la queue & le bas ventre sont rougeâtres ; les plumes de la poitrine & celles du dessous de la queue ont une couleur de rose pâle ; l'extrémité de ces plumes est verte ou verdâtre : les plumes des aîles sont pour la plûpart vertes, & il y en a de rougeâtres mêlées parmi les vertes. Rai, synops. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET CENDRE, psittacus cinereus seu subcoeruleus Aldrovandi. Ce perroquet est de la grosseur du pigeon domestique, il a le bec noir, le corps en entier est d'un cendré obscur, la queue est courte & s'étend à peine au-delà de l'extrémité des aîles ; elle a une très-belle couleur rouge, les yeux sont entourés d'une peau blanche & dégarnie de plumes. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET DE CLUSIUS, LE BEAU, psittacus elegans Clusii. Ce perroquet est de la grosseur d'un pigeon ; les plumes du cou & de la poitrine sont de diverses couleurs ; le bord extérieur de chacune de ces plumes est d'un très-beau bleu ; cet oiseau les dresse lorsqu'il s'irrite. Les couleurs du ventre sont à peu près les mêmes que celles de la poitrine avec une teinte de brun ; le dos & la queue sont verds ; les grandes plumes des aîles ont une couleur bleuâtre. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET A COLLIER, psittacus, torquatus, macrouros antiquorum Aldrovandi : ce perroquet a neuf pouces & demi de longueur, le bec est d'un beau rouge couleur de vermillon, & les yeux ont l'iris jaune ; le cou est entouré d'une sorte de collier d'un très-beau rouge ; il y a sous le menton une ligne noire qui s'étend depuis la piece inférieure du bec jusqu'à ce collier : le corps est en entier d'un verd plus foncé sur le dos & plus clair sur le ventre, les plumes extérieures des aîles ont à leur extrémité supérieure une tache rouge. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PETIT PERROQUET D'ETHIOPIE, psittacus pusillus viridis aethiopicus Clusii. Ce perroquet est de la grosseur d'un pinson ; il a le bec rougeâtre, épais & fort ; le corps en entier est d'un verd plus pâle sur le ventre & plus foncé sur le dos, les grandes plumes des aîles sont en partie brunes & en partie d'un verd foncé ; la face supérieure est brune. Les plumes de la queue sont d'un jaune verdâtre à leur racine, ensuite elles ont une belle couleur rouge, enfin elles sont noires près de l'extrémité qui est teinte de verd. Les plumes du devant de la tête & de toute la gorge sont variées de rouge & d'un verd vif, les cuisses sont cendrées & très-courtes, elles ont à peine un demi-pouce de longueur, les ongles sont blancs & assez longs. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET GRIS, psittacus maracana brasiliensibus dictus. Ce perroquet est de la grande espece & en entier d'une couleur grise bleuâtre. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET DE LA JAMAÏQUE. Derham a donné ce nom à l'arras rouge ; il prétend que l'arras jaune est la femelle de l'arras rouge, & il ne fait qu'une seule espece de ces deux oiseaux. Hist. nat. des Oiseaux par Derham, tom. II. pag. 11. Voyez PERROQUET ARRAS.
PERROQUET LORI, psittacus coccineus orientalis. Ce perroquet est de la grosseur d'un merle, il a le corps en entier d'un très-beau rouge couleur d'écarlate, les petites plumes des aîles sont vertes, les grandes ont une couleur noire ; le bord de l'aîle est jaune, les plumes de la queue sont de cette même couleur jaune depuis leur racine jusqu'à la moitié de leur longueur, le reste a une couleur jaune verdâtre. Il y a sur les cuisses au-dessus du genou un cercle de plumes vertes : le bec & l'iris des yeux ont une couleur jaune, les cuisses sont très-courtes & noires. On trouve cet oiseau dans les Indes orientales. Rai, synops. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET DE MACAO, psittacus maracana ararae. Ce perroquet est plus petit que l'arras auquel il ressemble par la forme du corps & par la longueur de la queue ; il a le bec long & noir, la peau qui entoure les yeux est blanche & a des taches formées par de petites plumes noires. La tête, le cou & les aîles sont d'un verd foncé, à l'exception du sommet de la tête qui a une couleur plus pâle & mêlée de bleuâtre ; la face supérieure des aîles & de la queue est verte, & l'inférieure a une couleur bleue, excepté l'extrémité de chaque plume qui est d'un bleu obscur ; les aîles ont chacune à leur naissance une tache d'une belle couleur rouge, & il y en a une brune au dessus de la base du bec. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
GRAND PERROQUET DE MACAO, Derham a décrit sous ce nom l'arras jaune ; il prétend que c'est la femelle de l'arras rouge, & il ne fait qu'une seule espece de ces deux oiseaux. Hist. nat. des oiseaux, par Derham, tom. I. p. 11. Voyez PERROQUET ARRAS.
PERROQUET PLONGEUR, (Hist. nat.) oiseau singulier qui se trouve vers les côtes de Spitzberg. Il a le bec de 3 pouces de large, & rempli de petites raies de différentes couleurs ; ce bec est pointu & un peu courbé par-dessus, & par-dessous garni de quatre entailles qui se joignent, & percé de deux trous. Au-dessus près de l'oeil, il a un cartilage blanchâtre, rempli de trous. Ses piés ont 3 ongles liés par une peau rouge ; ses jambes qui sont courtes, ont la même couleur ; ses yeux sont entourés d'un cercle rouge ; le dessus de la tête est noir, le reste au-dessous des yeux est d'un beau blanc ; le cou est entouré d'un cercle noir ; le dos & le dessus des aîles sont noirs & le ventre blanc. Cet oiseau qui ne ressemble en rien au perroquet, se tient long-tems sous l'eau, où il se nourrit de poissons. Sa chair est très-délicate.
PERROQUET ROUGE ET VERD, psittacus lemocephalus Aldrovandi ; ce perroquet a le bec & la partie antérieure de la tête blancs ; la gorge & le bord supérieur des aîles sont d'un très-beau rouge ; le milieu de la poitrine, & l'espace qui est entre les cuisses, ont une couleur rouge obscure ; le reste de la poitrine & les cuisses sont d'un verd-pâle ; le derriere de la tête, le cou, le dos, les aîles & les plumes du dessus de la queue, ont une couleur verte foncée. Rai, synops. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET ROUGE ET VERD HUPE, psittacus erythrochlorus cristatus Aldrovandi ; ce perroquet est entierement verd, à l'exception des aîles, de la queue & de la hupe, qui sont rouges ; sa hupe ressemble à celle du perroquet blanc hupé, elle est composée de six plumes, dont il y en a trois grandes & trois petites ; les yeux ont l'iris rouge, & la prunelle est noire. Willughbi, ornith. Voyez OISEAU.
PERROQUET VARIE, psittacus versicolor, seu erythro-cyaneus Aldrovandi ; ce perroquet est de médiocre grandeur ; il a le bec court & noirâtre ; la tête, le cou, la poitrine, sont bleus, excepté le sommet de la tête qui a une couleur jaune ; l'espace où se trouvent les yeux est blanchâtre ; le ventre a une couleur verte ; la partie antérieure du dos est d'un bleu-pâle ; la partie inférieure & le croupion sont jaunes ; les petites plumes des aîles ont trois couleurs, qui sont le verd, le jaune & le couleur de rose. Rai, synops. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET VERD COMMUN, psittacus viridis alarum costâ supernâ rubente, Aldrovandi ; ce perroquet est de la grosseur du pigeon domestique. La piece supérieure du bec a l'extrémité noire, le milieu bleuâtre & le reste rougeâtre ; la piece inférieure est blanche ; les yeux ont l'iris d'un jaune de safran ; le sommet de la tête est jaune ; tout le reste du corps a une couleur verte, plus foncée sur la face supérieure de l'oiseau, & plus claire sur la face inférieure ; le bord supérieur de l'aîle est rouge ; les jambes & les piés sont cendrés ; la queue est très-courte, elle a en-dessous, sur les côtés, une longue tache rouge, & en dessus une tache jaunâtre. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PETIT PERROQUET VERD, psittacus minor macrouros, totus viridis Aldrovandi ; ce perroquet a neuf pouces & demi de longueur, quoiqu'il ne soit pas plus gros qu'une grive. La piece supérieure du bec est rouge, & l'inférieure a une couleur rouge, mêlée de noirâtre ; l'iris des yeux est en partie rouge & en partie jaune ; le corps en entier est d'un beau verd, couleur de pré, plus foncé sur les grandes plumes des aîles, & plus clair sur le ventre ; la queue est très-étroite, & paroît comme pointue à l'extrémité ; les piés & les pattes sont rouges, ou de couleur de chair : ce caractere suffit pour le faire distinguer de toutes les autres especes de perroquets. On trouve cet oiseau dans la Nouvelle-Espagne. Willughby, ornith. Voyez OISEAU.
PERROQUET VERD ET ROUGE, psittacus viridis menalorhyncos Aldrovandi ; ce perroquet est de médiocre grosseur ; il a du bleu à la base du bec, sur le sommet de la tête & sous la gorge ; toute la face supérieure de l'oiseau est d'un verd-foncé, & la face inférieure est en partie d'un jaune pur, & en partie d'un jaune-verdâtre ; les plumes du dessous de la queue & le bord de l'aîle, sont d'un très-beau rouge. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
PERROQUET VERD VARIE, psittacus poikilorhynchos Aldrovandi ; ce perroquet a la face supérieure du bec d'un verd-bleuâtre, & les côtés d'un jaune couleur d'ochre ; il y a près de l'extrémité une table blanche transversale ; le milieu de la piece inférieure est jaunâtre, & le reste a une couleur plombée ; le sommet de la tête est d'un jaune couleur d'or ; tout le reste du corps a une couleur verte, plus obscure sur la face supérieure de l'oiseau, & plus claire sur la face inférieure ; les aîles & la queue sont vertes, & ont plusieurs autres couleurs mêlées avec ce verd, telles que le violet, le noir, le rouge-obscur, le beau rouge couleur d'écarlate & le jaune. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.
J'ajouterai quelques remarques sur cet oiseau. Son bec est composé de deux parties qui sont couvertes de corne, comme le bec de tous ces oiseaux. La supérieure jointe à l'os du nez, font ensemble sa machoire supérieure, qui se termine en pointe crochue. L'inférieure est une continuité de la machoire inférieure ; elle est crochue, mais elle ne se termine pas en pointe. L'os du nez est joint à l'os coronal par synchondrose, & au bec par une substance recouverte d'une matrice qui n'est ni os ni corne, mais qui approche plus de la corne que de l'os ; la machoire inférieure du perroquet se meut comme dans les autres oiseaux, ayant la même articulation, avec une épiphise attachée à l'os de l'oreille.
L'articulation par synchondrose de la machoire supérieure avec le crâne, est une particularité que l'on trouve dans le crâne du perroquet : en voici une autre. On remarque deux os plats, l'un à droite, l'autre à gauche, qui forment le palais, & si minces qu'ils en sont un peu transparens. Leur figure est très-irréguliere ; car ils ont chacun six côtés, dont il y en a trois plus longs que les autres. La machoire inférieure a aussi ses particularités ; car elle est bien plus large que celle du coq d'Inde, du hibou & d'autres oiseaux. Son articulation est différente, aussi-bien que l'extrémité antérieure qui est crochue. Au moyen de deux gouttieres qui sont à l'extrémité de cette machoire, elle peut s'avancer en-devant & reculer en-arriere. A chacune des surfaces latérales on voit un trou large de près d'une ligne, & qui est percé dans la partie moyenne.
Une autre singularité du perroquet regarde ses paupieres. Il a la paupiere supérieure mobile, comme le chat-huant ; elle s'abaisse en même tems que la paupiere inférieure s'élève, mais beaucoup moins que la paupiere inférieure ne s'abaisse. Dans le perroquet mort, les deux paupieres se trouvent jointes ensemble sur la cornée ; elles ont fait chacune la moitié du chemin pour s'y rencontrer, ce que M. Petit n'a jamais observé que dans le perroquet ; car il a remarqué que dans tous les autres oiseaux, c'est la paupiere inférieure qui s'éleve dans le moment qu'ils meurent, & elle va joindre la paupiere supérieure qui ne s'abaisse en aucune maniere. Tout ceci n'est que pour les Anatomistes, qui peuvent en outre parcourir la dissection du perroquet donnée par Oliger, dans les acta Haffn. vol. II. n °. 124. ann. 1673. Voici des détails pour d'autres lecteurs.
Pline lib. X. c. xliij. dit : super omnia humanas voces reddunt psittaci, & quidem sermocinantes : India avem hanc mittit. Psittacum vocant toto corpore tantum in cervice distinctam. Les anciens ne connoissoient point d'autres perroquets que les indiens ; c'est l'oiseau des Indiens de Ctésias, d'Aristote, d'Elien, de Pausanias & autres. On lit dans Diodore de Sicile, lib. II. p. 65. que l'on trouvoit encore des perroquets en Syrie, c'est-à-dire en Assyrie, où étoit la ville de Sittace ou Psittace, que l'on supposoit avoir tiré son nom de cet oiseau. Callisthene le rhodien, cité par Athenée, dit que du tems de Ptolomée Philadelphe, on vit à Alexandrie, comme une grande merveille des perroquets, des paons, des faisans, & quelques autres oiseaux de cette rareté. Les perroquets étoient encore très-rares à Rome du tems de Varron ; car parlant de certaines poules, il ajoute qu'on en montroit dans les fêtes publiques, ainsi que des perroquets, des merles blancs, & autres animaux de ce genre peu connus. Aussi Ovide en pleurant la mort du perroquet de sa Corinne, amor. II. éleg. vj. l'appelle extremo munus ab orbe datum, un présent donné du bout du monde. Bientôt ils devinrent moins rares ; ils étoient connus sous le regne de Tibere.
Les especes de perroquets & d'arras, différens en grandeur, en couleur & en figure, sont sans nombre. Les perroquets les plus ordinaires au Para, ceux qu'on connoît à Cayenne sous le nom de tahouas ou de perroquets de l'Amazone, sont verds, avec le haut de la tête, le dessous & les extrémités des aîles d'un beau jaune. Une autre espece appellée aussi tahouas à Cayenne, est de la même couleur, avec cette seule différence, que ce qui est jaune dans les autres, est rouge dans ceux-ci. Mais les plus rares de tous, sont ceux qui sont entierement jaunes, de couleur de citron à l'extérieur, avec le dessous des aîles, & deux ou trois plumes de leur bout, d'un très-beau verd ; ils deviennent extrèmement familiers. On ne connoît point en Amérique l'espece grise qui a le bout des aîles couleur de feu, & qui est si commune en Guinée.
Les Indiens des bords de l'Oyapoc, ont l'adresse de procurer artificiellement aux perroquets, des couleurs naturelles, différentes de celles qu'ils ont reçues de la nature, en leur tirant des plumes en différens endroits, sur le col & sur le dos, & en frottant l'endroit plumé du sang de certaines grenouilles ; c'est là ce qu'on appelle à Cayenne tapirer un perroquet. Voyez PERROQUET TAPIRE.
On sait communément que les perroquets vivent très-longtems. Comme il y en avoit un à Florence qui avoit acquis une espece de célébrité, M. de Réaumur pria M. l'abbé Cevati de vouloir bien lui mander ce qui en étoit ; & voici ce qu'il en apprit : le plumage de cet oiseau étoit blanc, avec une seule houppe couleur de rose sur la tête ; il avoit le bec & les piés noirs, & parloit extrèmement bien ; il étoit de la grosseur & du poids d'un bon poulet de trois mois. A l'égard de son âge, il n'a pas été possible de le savoir au juste ; il avoit été apporté à Florence en 1633 par la grande duchesse Julie Victoire de la Rovere d'Urbin, lorsqu'elle y vint épouser le grand duc Ferdinand, & cette princesse dit alors que ce perroquet étoit l'ancien de sa maison ; il a vécu à Florence pendant près de cent ans. Quand on ne lui donneroit, sur ce que dit la grande duchesse, qu'environ 20 ans de plus, il auroit donc vécu près de cent vingt années. Ce n'est peut-être pas le plus long terme de la vie de ces animaux ; mais au moins est-il sûr par cet exemple qu'ils peuvent aller jusques-là.
Seroit-il possible de faire pondre & couver des perroquets dans nos climats ? M. de Réaumur raconte que dans ce siecle un chanoine d'Angers a eu chez lui une paire de perroquets qui pendant trois années consécutives ont pondu & couvé ; que des accidens ont empêché deux des couvées de réussir ; mais que trois petits perroquets sont nés de la troisieme couvée, & qu'un de ceux-ci vivoit encore en 1740. Cependant on ne cite que ce seul fait ; & le physicien qui le rapporte se flatoit que nous pouvions nous rendre propres en Europe la plûpart des especes de perroquets. (D.J.)
Quoi qu'il en soit ; les voyageurs ont rendu cet oiseau si commun en Europe, qu'il paroît inutile d'en décrire la figure, que tout le monde connoît ; on en distingue de trois sortes, qui different beaucoup en grosseur, & dont les especes varient à l'infini : les arras par leurs tailles tiennent le premier rang dans ce genre de volatile ; on en voit dont le plumage est varié d'incarnat, de pourpre, de bleu clair & foncé, de verd & de jaune ; les plus communs sont d'un bleu céleste sur le dos, ayant quelques plumes plus foncées aux extrémités des aîles & de la queue, qui est fort longue ; ils ont le dessous de l'estomac d'un beau jonquille ; le bec fort & crochu, les pattes courtes, cagneuses & garnies de griffes. Cet oiseau très-commun en Amérique est pesant, mal-adroit, stupide, articulant mal ce qu'on lui fait dire ; son cri naturel est fort désagréable.
L'espece des perroquets varie considérablement ; les grandes Indes en produisent de différentes sortes, dont les principales sont celles que l'on appelle catacoua ; leur plumage est blanc, & quelquefois cendré ; ils ont sur la tête une espece de crête de couleur orangée, couchée sur le derriere du col ; cette crête se dresse & se déploye lorsque l'animal est en colere.
Les lorris sont beaucoup plus petits, bien faits, assez hauts sur jambes, ayant la tête petite, le col proportionné, la taille légere, la queue longue & le plumage diversifié de couleur de feu, de pourpre, de bleu & de jaune.
Les perroquets noirs sont communs dans l'île Maurice ; ils ressemblent au bec près, à des corbeaux.
La côte d'Afrique produit aussi un grand nombre de perroquets ; les plus connus qui viennent communément de l'île du Prince, sont d'un beau gris, ayant la queue couleur de feu ; ces oiseaux sifflent très-bien, & peuvent exécuter des airs à leur portée : élevés de jeunesse, ils s'apprivoisent facilement ; ils ont beaucoup de mémoire, prononcent à merveille ce qu'on leur apprend, & leur attachement est extrème à l'égard de ceux qu'ils ont pris en amitié.
Il est presqu'impossible de décrire toutes les especes de perroquets que produit l'Amérique ; ceux que l'on appelle amazones venant des bords de la riviere de ce nom, sont forts de taille ; leur plumage est d'un beau verd mélé de quelques plumes rouges & jaunes sur le gros des aîles, dont les extrémités ont un peu de bleu ; ils ont encore une espece de bandeau de petites plumes jaunes au-dessus du bec sur le devant de la tête ; ces perroquets sont grands railleurs, contrefaisant le cri des animaux ; & même le ton des personnes ; ils parlent très-bien.
On voit dans les Antilles, principalement dans celles qui sont peu habitées, des perroquets d'une espece particuliere à chacune de ces îles ; ceux de Tabago sont fort gros ; leur plumage est verd avec un peu de bleu aux aîles & sur la tête. Il s'en trouve dans l'île de Saint-Vincent d'une couleur ardoisée tirant sur le verdâtre ; ils ont quelques plumes d'un rouge sang de boeuf sur le gros des aîles : ces animaux sont mal faits, lourds, & semblent participer de la stupidité des sauvages du pays.
Les habitans de la Martinique, de la Guadeloupe & de la Grenade, ont tellement fait la chasse aux perroquets, qu'on n'en trouve presque plus dans ces iles.
Les perroquets font leurs nids au sommet des plus hauts arbres, dans des trous faits par la nature, ou qu'ils creusent avec leur bec ; ces trous sont très-profonds, & presque toujours dirigés de bas en haut : quoique les perroquets paroissent pesans, ils volent cependant très-bien, fort haut, & en compagnie de quatre ou cinq, perchant sur les arbres pour se reposer, & faisant un grand dégât de fruits, de graines & de branches, lorsqu'ils prennent leur nourriture, ou qu'ils s'amusent. La chair de cet oiseau est brune, grasse, & d'un goût approchant de celle du pigeon ; on en fait de très-bonne soupe ; elle réussit encore très-bien étant mise en daube ou en pâté.
Les perriques sont des perroquets de la petite sorte, qui ne grossit jamais ; on ne peut les distinguer en grande & en petite espece ; elles sont toujours fort inférieures pour la taille aux perroquets ordinaires ; leur forme est plus dégagée ; elles ont aussi la voix moins forte, & le caquet plus affilé. On voit de grandes perriques dont le plumage est d'un beau verd d'émeraude, ayant des petites plumes couleur de feu sur le gros des aîles, & un bourrelet de pareilles plumes sur le devant de la tête ; leur bec est ordinairement d'un blanc couleur de chair.
Il vient de la côte de Guinée des perriques extrèmement jolies, moins fortes que les précédentes ; elles ont la queue fort longue, leur plumage d'un verd de poirée est égal par-tout le corps, à l'exception d'un collier de plumes noires qu'elles ont autour du col ; leur tête est ronde, bien faite, ornée de deux yeux fort vifs, & d'un bec de couleur noire. La même côte produit une autre sorte de perriques plus petits, d'un verd plus foncé, ayant des plumes rouges, jaunes & noires ; enfin il s'en trouve qui ne sont guere plus grosses que des moineaux, dont le plumage est verd d'émeraude, mélé de quelques petites plumes rouges sur la tête & aux ailes. Il est bon de faire attention que le mot perique désigne toujours la petite espece des perroquets, & que celui de perruche s'employe en parlant des femelles.
PERROQUET TAPIRE, (Hist. des Arts) nous nommons perroquets tapirés, ceux qui doivent à l'art une partie de leurs belles plumes. Les Indiens de la Guiane savent faire venir des plumes rouges & des plumes jaunes aux perroquets qui n'en avoient pas en assez grand nombre. Ce fait que M. de la Condamine a rapporté dans son intéressante relation de la riviere des Amazones, est attesté par tous ceux qui ont habité à Cayenne. On nous dit que les Indiens arrachent les plumes des perroquets dans les endroits où ils savent qu'en la place des vertes, ils peuvent en faire venir de rouges ou de jaunes, & qu'ils frottent les chairs qu'ils ont mises à découvert avec du sang de grenouille. Si un plus long séjour, ou moins d'occupations, eussent permis à M. de la Condamine de faire tapirer devant lui des perroquets, nous saurions mieux ce que nous devons penser de la recette de sang de grenouille. Tout ce que font les Indiens se réduit peut-être à faire paroître plutôt des plumes que la mue eût fait paroître plus tard ; le sang de grenouille ne tient vraisemblablement lieu que de baume aux petites plaies qu'ils ont faites aux perroquets.
Les Indiens connoissent, dit-on, les perroquets propres à être tapirés ; n'est-ce point qu'ils ont une connoissance semblable par rapport aux perroquets, à celle que nous aurions par rapport à nos poules, dont la couleur du plumage change après chaque mue ? On achete cependant moins les perroquets tapirés, quand on sait qu'ils l'ont été ; aussi les Indiens se gardent-ils bien de les annoncer tels. N'est-ce point encore parce que le changement auquel l'art a eu quelque part, est l'effet d'une opération équivalente à la mue, & que l'expérience a appris que les plumes rouges ou jaunes qui tomboient à la mue suivante, n'étoient pas toujours remplacées par des plumes de même couleur. Ainsi les plumes blanches de nos coqs & poules ne sont d'ordinaire remplacées par des plumes de même couleur qu'au bout de plusieurs années. (D.J.)
PERROQUET, poisson de mer auquel Rondelet a donné le nom de perroquet, parce qu'il est de différentes couleurs : il a le dos noir ; le ventre & les côtés du corps sont jaunes, & la nageoire du dos est verte. Ce poisson a plusieurs traits verds qui s'étendent depuis les ouies jusqu'à la queue : au reste il ressemble au tourd, dont il est une espece particuliere. Voyez TOURD. Rondelet, Hist. nat. des poissons, I. part. liv. VI. chap. vj. Voyez POISSON.
PERROQUET, (Marine) c'est le mât le plus élevé du vaisseau ; il y en a un arboré sur le grand mât de hune ; un autre sur le mât de hune d'avant, ou de miséne ; un sur le mât de beaupré, & l'autre sur le mât d'artimon. Voyez MAT.
Perroquets volans ; ce sont deux perroquets que l'on met & que l'on ôte facilement, & que l'on amene étant sur le pont du vaisseau.
Perroquet en banniere, mettre les perroquets en banniere, c'est lâcher les écoutes des voiles du perroquet, ensorte qu'on les laisse voltiger au gré du vent ; cela se pratique lorsqu'on veut donner de jour quelques signaux dont on est convenu. Voyez BANNIERE.
Perroquets d'hiver ; ce sont des perroquets qui sont plus petits que ceux que l'on porte d'ordinaire dans des belles saisons. Voyez la position des perroquets, Pl. I. fig. 2. & fig. 1.
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PERRUCHE | S. f. (Ornithol.) nom qu'on donne à la plus petite espece du genre des perroquets à longue queue.
On distingue différentes sortes de perruches : 1°. la perruche commune qui est verte, rouge & jaunâtre ; c'est la premiere espece du genre des psittacus qu'on ait vû en Europe, & elle étoit bien connue des anciens ; 2°. la perruche qui est toute verte sans aucun mélange ; 3°. la perruche rouge & jaune ; 4°. la perruche rouge, jaune & à crête ; 5°. la perruche rouge avec les aîles colorées de noir & de jaune.
Outre ces especes de perruches, Marggrave en a décrit sept autres especes particulieres au Brésil, où on les nomme tuia putejuba, tuitirica, jeudaia, tuicte, tuipara, anaca & quijubatui. Il parle encore de deux autres especes de perruches fort curieuses, mais qui n'ont point de nom particulier ; l'une est de la grosseur d'une hirondelle, toute jaune, à bec noir & à très-longue queue ; l'autre de la grosseur d'un étourneau, jaune foncé sur le dos, d'un jaune pâle sur le ventre, & à queue plus courte. On voit des perruches à la Guadeloupe à plumes rouges sur la tête, & à bec tout blanc : enfin c'est un genre d'oiseau extrêmement diversifié. Les perruches s'apprivoisent aisément, deviennent familieres, aiment la compagnie, & parlent presque toujours ; il y en a cependant quelques-unes qui ne disent mot. (D.J.)
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PERRUQUE | S. f. (Art. méch.) coëffure de tête, faite avec des cheveux étrangers, qui imitent & remplacent les cheveux naturels. L'usage & l'art de faire des perruques est très-moderne ; ils n'ont pas plus de 120 ans. Avant ce tems, l'on se couvroit la tête avec de grandes calottes, comme les portent encore aujourd'hui les comédiens qui jouent les rôles à manteau, ou ceux qui font les paysans. On y cousoit des cheveux doubles, tout droits ; car on ne savoit pas tresser, & l'on frisoit ces cheveux au fer, comme on les frise aujourd'hui sur la tête.
Le premier qui porta perruque fut un abbé nommé la Riviere. On travailloit alors sur un coussin, semblable à celui des ouvrieres en dentelle. Cet ouvrage étoit beaucoup plus facile, parce que ce que l'on place aujourd'hui au bas d'un petit bonnet, étoit alors au-dessus de la tête. Les perruques étoient si garnies & si longues, qu'elles pesoient assez communément jusqu'à deux livres. Les belles étoient blondes ; c'étoit la couleur la plus recherchée. Les cheveux d'un beau blond cendré, forts & de la longueur de ceux qu'on place au bas des perruques, valoient jusqu'à 50 ou 60, & même 80 livres l'once, & les perruques se vendoient jusqu'à mille écus. Celui qui coëffoit Louis XIV. de ces énormes perruques que nous lui voyons dans ses portraits s'appelloit Binette. Il disoit qu'il dépouilleroit les têtes de tous ses sujets pour couvrir celle du souverain. En même tems un nommé Ervais inventa la crêpe qui joint mieux, qui s'arrange plus aisément, & qui fait paroître les perruques bien garnies, quoiqu'elles soient légeres & peu chargées de cheveux. Nous expliquerons ailleurs comment on crêpe des cheveux plats. Voici maintenant ce qu'il y a à observer sur le choix des cheveux.
1°. Il ne faut point que ce soient des cheveux d'enfant ; il est rare qu'ils soient forts au-dessous de 15 ou de 20 ans : les blonds sur-tout les ont d'une qualité plus fine & plus filasseuse, & plus sujets à roussir quand on les emploie ; aussi ne s'en sert-on guere.
2°. Les cheveux châtains sont ordinairement les meilleurs ; des enfans mêmes les ont forts. Il y a trois sortes de châtain, le châtain, le chatain clair, & le châtain brun.
3°. Les cheveux noirs forment aussi trois nuances différentes : il y a le noir, le petit noir, & le noir jais, couleur que l'on peut porter sans poudre, mais très-difficile à trouver.
4°. Il y a des cheveux grisâtres d'une infinité de tons différens. Ceux que nous appellons gris de maure ont été noirs jais, mais ils sont devenus au quart blancs. Le gris sale est la couleur de cheveux des personnes brunes ; ils passent de même au quart blancs. Le blanc fond jaune est la couleur des cheveux blonds qui ont blanchi. Il faut que ces cheveux soient à moitié blancs pour qu'on s'en apperçoive, le blanc ressortant moins du blond que du noir & du châtain.
5°. Dans la variété des cheveux blancs, celle dont les Perruquiers font le plus de cas est le blanc Agate. Ce sont ordinairement les personnes les plus noires qui ont les cheveux de cette couleur, lorsqu'ils ont entierement blanchi.
Le blanc perle est la couleur des cheveux des châtains, lorsqu'ils sont devenus tous blancs ; les cheveux blancs de lait ont été blancs ou roux, ils ont pris cette nuance avec le tems, souvent l'extrémité en est jaune. Ceux qui ont été blonds ne sont pas d'une si bonne qualité que ceux qui ont été roux ; ceux-ci sont très-forts & beaucoup meilleurs. Le corps en est continu. La pointe en reste toujours fine, & boucle naturellement. Ces cheveux n'ont point de prix.
Toutes ces couleurs forment une longue suite de nuances changeantes & perceptibles d'une année à une autre, à les examiner de l'instant où ils tirent à la blancheur.
Il y a cette différence des personnes blondes aux autres, que plus elles avancent en âge, plus leurs cheveux brunissent, & par conséquent valent moins ; & qu'aux autres au contraire, plus ils blanchissent en avançant en âge, plus leurs cheveux augmentent en couleur & en force. Il faut pourtant observer que cette augmentation ne se fait communément que jusqu'à l'âge de 60 ans, âge au-delà duquel les cheveux ne prennent plus la même nourriture, & deviennent plus secs & plus filasseux.
L'on observe en général que les cheveux des personnes qui ne se livrent à aucun excès se conservent long-tems, & que ceux au contraire des hommes livrés à la débauche des femmes, ou des femmes livrées à l'usage des hommes, ont moins de seve, sechent, & perdent de leur qualité.
Dans les pays où la biere & le cidre sont la boisson commune, les cheveux sont meilleurs que par-tout ailleurs. Les Flamands ont les cheveux excellens, la biere les nourrit & les graisse. Ces peuples sont presque tous ou blonds, ou d'un châtain clair. On les distingue facilement pour peu que l'on ait d'expérience. Ils s'éclaircissent au bouillissage ; au lieu que les cheveux blonds des autres pays y brunissent.
Les perruquiers préferent communément les cheveux de femmes aux cheveux d'hommes, quoique pourtant il s'en trouve de ces derniers d'une bonne qualité.
Les cheveux des femmes de la campagne se conservent plus long-tems que les cheveux des femmes qui habitent les villes. Les paysannes les ont toujours renfermés sous leur bonnet, ne les poudrent jamais, & les exposent rarement à l'air qui les dessécheroit.
Si les hommes en usoient de la même maniere, on employeroit avec le même avantage leur chevelure. Il faut en excepter ceux d'entr'eux qui sont adonnés au vin ou aux femmes. Ceux des femmes qui se frisent & se poudrent habituellement sont mauvais.
Ces observations ne sont point si générales qu'il n'y ait des exceptions. Il y a de bons cheveux chez l'un & l'autre sexe, quoique plus rarement parmi les hommes.
Après avoir parlé de la matiere, nous allons passer aux outils.
Il faut d'abord des cardes. Il y en a de plusieurs sortes : 1°. des cardes ou peignes de fer à plusieurs rangs de dents. Elles ont ordinairement un pié de long. Certaines en ont moins, mais les plus courtes sont d'un demi-pié. On les fait avec du fil de fer tiré exprès ; il est plus ou moins gros, mais communément du diametre des aiguilles à tricoter depuis les plus grosses jusqu'aux plus fines. Aux plus grosses que l'on appelle seran, les dents sont d'acier. La hauteur en est de deux pouces 1/2 ou environ, la longueur de 8 à 9 pouces ou environ, & la largeur de 8 à 9 rangs de dents sur 18 à 20 de longueur ; d'où l'on voit combien il en peut entrer dans un seran. Souvent le seran est tout de fer. La plaque ou le dedans est rivé. Le fer déborde à-peu-près d'un pouce de chaque côté. Il y a au milieu un trou à placer une vis ou un clou. Il faut, pour la sûreté de l'ouvrier, que la table sur laquelle il pose sa carde ou son seran, ait un rebord tout-autour d'un demi-doigt de haut. Voyez les Pl.
3°. Il y a des cardes à tirer à plat, c'est-à-dire, à peigner les cheveux droits, ou tels qu'ils ont été levés de dessus la tête. Les dents de ces cardes sont attachées à une planche qui peut avoir 10 ou 12 pouces, & qui est toute couverte de fer blanc. Elles n'y sont point si serrées qu'aux autres cardes. Dans chaque rangée il n'y en a guere qu'une trentaine en long sur six en large. La hauteur de ces dents est communément d'un bon pouce 1/2. Il faut quatre de ces cardes pour les placer 2 à 2 les unes sur les autres. V. les Pl.
3°. On a des cardes à dégager. Elles sont de la même longueur que les cardes à tirer à plat. La différence qu'il y a de celles-ci aux autres, c'est qu'elles sont partagées en deux par le milieu de l'espace d'un ou de deux doigts, & ont à un bout les dents aussi longues, aussi grosses, & aussi écartées que les précédentes ; mais d'un côté ces dents n'ont que 9 lignes de haut, sont plus fines & plus serrées que de l'autre, ce qui les fait à-peu-près ressembler à un peigne à accommoder, où les dents sont d'un côté plus éloignées, & de l'autre plus rapprochées. Voyez les Pl.
4°. Il y a des cardes fines pour tirer les cheveux frisés. Elles sont à-peu-près comme le côté fin des cardes à deux fins. Elles ne s'attachent que par un bout, parce que l'on s'en sert en long & en large selon la longueur du paquet. Voyez les pl.
5°. Des cardes faites au ciseau & à l'équerre, un des côtés en est plus large, plus haut, & moins serré. L'autre a les dents plus fines & plus serrées. Elles servent à tirer & à dégager par le moyen de l'équerre. L'ouvrier en place devant lui une en long, & une autre en large. Voyez les Pl.
6°. Des cardes semblables aux cardes à matelats, avec des manches & des dents crochues. Elles ne servent qu'à tirer des cheveux frisés. Voyez les Pl.
Les perruquiers ont des moules ou bilboquets qu'ils employent à friser les cheveux. Ces moules sont de buis ou de quelqu'autre bois, de la longueur de 3 pouces. Il y en a de différentes grosseurs. Les plus petits n'ont que le diametre des tuyaux de pipe ; les seconds, celui des plumes à écrire ; les troisiemes, celui à-peu-près du petit doigt ; les quatriemes, celui du petit doigt ; les cinquiemes, celui du doigt annulaire ; les sixiemes, celui du doigt du milieu ; les septiemes sont un peu plus gros ; les huitiemes ont la grosseur du pouce ; les neuviemes sont au-dessus de la grosseur du pouce. Les moules de buis sont les meilleurs. Les autres bois s'imbibent de plus d'eau, & sont plus difficiles à sécher. Autrefois on se servoit de moules de terre. Nous en avons quitté l'usage ; parce qu'en les mettant sur l'étuve, la terre s'échauffoit trop & rendoit les cheveux trop cuits. On en faisoit aussi avec des cordes ou des ficelles pliées en plusieurs doubles, de la longueur de 3 pouces, & des différentes grosseurs dont nous avons parlé. On les couvroit d'une toile que l'on cousoit, & que l'on serroit bien. Voyez les Pl.
Il y a encore des moules brisés pour la frisure que l'on appelle frisure sur rien. Ces moules brisés sont faits à-peu-près comme les étuis à mettre des épingles ou des aiguilles. Voyez les Pl.
Il faut un étau. Cet outil n'a rien de particulier ; il est seulement fort petit. Depuis que l'on fait des perruques courtes, les étaux ne sont plus placés comme ils l'étoient. On les renverse en-dedans ; par ce moyen on frise plus aisément, & aussi court que l'on veut. Voyez les Pl.
Il faut des têtes à monter les perruques. Elles sont distinguées les unes des autres par un numéro. Les plus petites sont de trois, de trois & demi. Elles servent pour les perruques des petits enfans. On peut aussi s'en servir pour les hommes qui ont la tête fort petite. Viennent ensuite celles du quatriéme, du cinquieme & du sixieme numero. Ces dernieres sont d'un usage plus fréquent, parce que c'est la grosseur de têtes ordinaires. Il y en a qui vont jusqu'au septieme & huitieme numero, mais elles ne servent que dans des cas extraordinaires. Une tête à monter a la forme d'une tête réelle. Voyez nos Pl.
Depuis que l'on porte des perruques à bourse, & que l'on fait des montures à oreilles, on a inventé des têtes à tempes, afin que les perruques serrassent mieux sur le front, sur les tempes & sur l'oreille : le bord du front en est très-mince. Depuis le dessus de l'oreille jusqu'au sommet, le bois grossit imperceptiblement toujours en montant ; d'où il arrive que le devant du rebord étant plus serré, prend mieux, serre davantage, & remplit même les tempes les plus creuses. Voyez nos Pl.
Il y a encore des têtes creuses. Elles sont moins lourdes, & fatiguent moins la frisure qui se fait sur les genoux ; mais elles donnent plus de peine à celui qui monte. Comme elles sont extrèmement légeres, pour peu que le point arrête, il faut retenir la tête en poussant l'aiguille. Voyez les Pl.
Enfin, il y a des têtes brisées qui s'ouvrent en deux depuis le menton jusqu'au derriere de la tête. Elles servent à monter de petites & de grosses perruques. Pour ces dernieres, on met dans l'entre-deux des planches faites pour cet usage, plus ou moins épaisses, suivant l'ampleur que l'on veut donner à l'ouvrage. Voyez les Pl.
Il faut un métier. Il est composé d'une barre de bois qui peut avoir 2 piés ou 2 piés & 1/2 de long sur 4 pouces de large & 2 de haut, très-plate en-dessous, & d'un bois un peu lourd pour qu'elle soit plus à plomb sur les genoux. Elle doit être percée aux deux bouts : on met dans ces deux trous un bâton rond de la longueur de 15 à 16 pouces sur 4 ou 4 pouces & 1/2 de diametre. Les deux trous doivent avoir à-peu-près un pouce d'ouverture, & la grosseur des bâtons doit être proportionnée par le bas à cette ouverture pour qu'ils puissent y entrer. Nous dirons ailleurs à quoi servent ces métiers. On peut pratiquer des trous sur les tables, & y placer les bâtons. Cela est plus solide. Voyez les Pl.
Le perruquier a besoin d'une marmite ou chaudiere. Ce vaisseau doit être fait en poire, plus large par le bas que par le haut. Cette forme empêche les cheveux de remonter lorsqu'ils sont sur les moules. Sa grandeur ordinaire est d'un seau & demi, & il peut contenir 2 livres ou 2 livres & demie de cheveux frisés sur des moules qui ne soient ni trop gros ni trop petits. Voy. les Pl.
Il lui faut aussi une étuve. Il y en a de rondes & de quarrées. Ceux qui ont du terrein peuvent les faire en maçonnerie comme les fourneaux. Celles que l'on commande aux Menuisiers sont quarrées & de bois de chêne. C'est une espece de coffre de 3 piés & 1/2 à 4 piés de haut, sur 2 à 2 piés & 1/2. On place ordinairement en-dedans une croix de fer. Si l'étuve a 4 piés, il faut que la croix soit posée à la hauteur de 3 piés ou environ, & couverte d'une grille de gros fil de fer, dont les trous soient un peu écartés. Sous la grille, l'on met une poële proportionnée à la grandeur de l'étuve, pleine de charbons bien couverts, & disposés de maniere qu'en se consumant ils ne forment point de cavité. Voyez les Pl.
Les étuves rondes se trouvent chez les Boisseliers. Elles sont du même bois que les seaux. Au défaut des unes & des autres, on peut se servir d'un tonneau bien sec.
Les cheveux s'étagent à différens degrés, depuis 1 jusqu'à 24 tout au plus. Pour les mesurer, on se sert d'une regle d'environ 2 piés, divisée par pouces & par lignes. Le premier degré peut avoir 2 pouces & 1/2. Depuis le premier degré jusqu'au septiéme, on peut augmenter chaque étage d'un demi pouce ; depuis le septiéme degré jusqu'au douzieme, de 8 lignes ; depuis le douziéme degré jusqu'au seizieme, depuis 8 jusqu'à 11 lignes ; du seizieme au dix-huitieme, les étages ont 12 lignes de plus ; depuis le dix-huitieme jusqu'au vingtieme, 14 lignes ; depuis le vingtiéme jusqu'au vingt-quatrieme, 18 lignes ; enfin, pour le vingt-quatrieme étage, il faut que les cheveux ayent 3 quarts d'aune de long, & c'est la derniere longueur qu'on puisse donner aux perruques. Voilà tous les outils. Voyons à-présent la maniere d'employer les cheveux.
Si l'on se propose un ouvrage en cheveux grisaille, il faut avoir soin de séparer les veines de gris sale qui pourroient se trouver dans les coupes dont on veut faire la tire ; car il est assez ordinaire que dans une coupe il y ait trois ou quatre nuances différentes. On les examinera par la pointe, & l'on ôtera ceux qui sont jaunes, ou d'une autre couleur.
On fait cette opération sur toutes les coupes depuis la plus longue jusqu'à la plus courte ; on prend une meche de chacune ; l'on en forme un paquet à-peu-près de la grosseur d'un pouce ; & lorsque les paquets sont faits, on les noue avec du fil de penne (ce fil est ce qui reste attaché aux ensuples, lorsqu'une piece de toile est finie) ; on les étête, c'est-à-dire que l'on ôte la bourre qui se trouve à la tête des cheveux : pour cet effet, l'ouvrier tient le paquet du côté de la pointe par le milieu, & il en laisse hors de sa main environ la longueur de trois doigts ; il les peigne avec un peigne fort, & dont les dents soient un peu larges, jusqu'à ce que la bourre ou le duvet soit entierement tombé ; ce qui arrive lorsque le peigne passe aisément à travers. Il a soin d'égaliser les cheveux le plus qu'il lui est possible.
Pendant ce travail il doit avoir le seran attaché bien ferme sur la table.
Lorsque les paquets sont étêtés, il faut dégraisser les cheveux. Cela se fait ordinairement avec du gruau. On en met un ou deux litrons sur un tablier de cuir que l'on a sur les genoux ; on dénoue le paquet ; on le tient à-peu-près par le milieu ; on l'étale du côté de la tête, & l'on répand une poignée de gruau entre les cheveux que l'on frotte entre les mains, comme une blanchisseuse frotte du linge fin. Après qu'on a opéré sur la tête des cheveux, on le retourne, & on en fait autant du côté de la pointe. Après quoi on sépare le gruau le plus qu'il est possible en mêlant les cheveux & en les passant plusieurs fois dans le seran. Pour les bien mêler on tient le paquet par le milieu. Comme dans les paquets il se trouve des cheveux courts & des cheveux longs, on prend de la tête le moins qu'on peut, afin que les cheveux courts qui se trouvent parmi les longs ne puissent pas sortir du paquet. On jette la tête des cheveux dans le seran ; on serre le reste du paquet librement de la main gauche, & avec le premier doigt de la main droite on les tourne en-dedans, & on les peigne avec le seran ; ce qui sert beaucoup à faire sortir le gruau. Après ce travail l'on renoue les paquets que l'on serre bien, & le dégraissage est fini.
Cela fait, il faut tirer les paquets par la tête les uns après les autres. Pour cet effet on a deux petites cardes à côté du seran. On étend les paquets en long sur une de ces cardes, & l'on met la pareille sur les paquets ; ou, au défaut d'une seconde carde, l'on se sert d'une vergette sur laquelle on pose un poids suffisant, pour qu'en tirant les cheveux ils viennent doucement ; il faut observer de les tirer bien droit, & de mêler les courts & les longs le mieux que l'on peut.
Quand tous les paquets du triage seront tous bien tirés, il faut avoir deux cardes à tirer à plat. L'on prend une de ces cardes, l'on y place un gros fil double, pliés en doubles écartés de deux doigts, le long des rangées des dents de la carde, en observant que ce fil passe plus du côté de l'anneau que de l'autre côté. L'on prend ensuite les paquets séparément les uns des autres, & on les jette dans les cardes avec la plus grande égalité possible. Pour faciliter cette manoeuvre, on met une carte à chaque bout, si les paquets doivent remplir toute la carde, & un rang de cartes sur le derriere de la carde à l'endroit où l'on voit que les cheveux les plus courts peuvent sortir. On peut charger de paquets la carde jusqu'à un pouce au-dessus des dents. En les plaçant il faut avoir l'attention de les bien serrer, de les tenir pressés par une vergette ou des cardes. Les paquets longs & les paquets courts doivent toujours être entremêlés, de façon qu'en les tirant il en vienne des uns & des autres. Quand la carde est bien remplie, l'on prend les bouts de fil qui sortent de la carde ; on les passe sur les cheveux & dans l'anneau ; après quoi on serre le plus que l'on peut, & l'on arrête les fils en-dehors de la carde à une pointe ou à une dent. L'on pose ensuite l'autre carde sur les cheveux, de façon que ses dents répondent aux dents de la carde de dessous, & ne débordent d'aucun côté. On la serre bien pour que les cheveux ne glissent pas plus que l'on ne voudroit ; & à mesure qu'on les tire, il faut serrer de tems en tems la carde de dessus.
Pour faire le tirage avec plus de facilité, il faut passer une ficelle dans les deux trous des deux cardes, & l'arrêter à un clou placé à une certaine distance derriere les cardes, afin que les cheveux qui se trouvent dedans ne débordent pas plus de trois doigts en-dehors de la table.
Le premier paquet que l'on tire ne se tire point aussi gros que les autres : ordinairement il est épointé par la tête ; & pour que le tirage soit bien fait, il faut que le paquet soit aussi quarré par la tête que par la pointe. Ceux qui tirent bien, tirent les paquets avec leurs doigts ; mais l'on se sert communément d'un couteau ou de ciseaux. Le deuxieme paquet doit être plus gros, & autant qu'il le faut pour remplir quatre, cinq ou six moules. A mesure que les plus longs cheveux sortent, les paquets ne doivent plus être si gros. Si l'on veut relever les paquets tout de suite, il faut que l'ouvrier ait son seran à côté de lui.
Relever les paquets, c'est lorsqu'on les tire par la pointe, les renouer tout de suite par la tête, & serrer le fil le plus que l'on peut, pour que les cheveux ne s'échappent point en les frisant.
Les paquets des cheveux les plus courts ne doivent pas être plus gros que le tuyau d'une petite plume. Parvenu à la fin du tirage, on retrouve tous les étages depuis le plus long jusqu'au plus court.
Tout étant tiré & relevé, selon la quantité de cheveux que l'on a, on a par rang plusieurs suites que l'on enfile chacune selon son étage, pour les retrouver plus facilement en les frisant.
Venons à-présent à la frisure que l'on doit faire avec attention ; car c'est de-là que dépend la durée de l'ouvrage.
Après avoir attaché bien solidement l'étau devant la table, il faut avoir un morceau de cuir de la longueur & de la largeur du pouce ; on l'attache à l'étau avec une petite ficelle un peu longue pour en jouir avec plus d'aisance. Avant de mettre le paquet dans ce morceau de cuir, il faut le frotter un peu par la tête ; cela empêche un frison de glisser : on tourne le cuir tout-autour. Il faut toujours commencer à friser les courts ; cette précaution regle pour la hauteur & la grosseur de la frisure. Les plus courts qui sont l'1 & le 2 se font en rouleaux.
Voici la maniere dont on les fait. On coupe des bandes de papier du bon bout qui est le large ; & ces bandes on les coupe en petits morceaux quarrés. Si ce sont des cheveux blonds ou gris, on prend de l'eau chaude dans un vase où les cheveux puissent tremper à leur aise ; on a de l'indigo, qui doit être de Guatimala, parce que c'est le meilleur, & qu'il ne rougit pas ; tout autre gâte les cheveux. L'on en met de la grosseur d'une petite noix dans un linge plus gros que fin, que l'on serre avec du fil ; on l'écrase un peu ; on le trempe dans l'eau chaude, & on le presse à mesure avec le doigt, afin que la couleur sorte plus aisément. Si les cheveux sont blancs, il faut que l'eau en soit bien teinte. Quand les cheveux auront bien trempé, & que l'on en aura bien exprimé l'eau, ils doivent rester un peu bleus ; pour les cheveux blonds, il faut faire la même chose. Moins les cheveux sont blancs ou blonds, moins il faut que l'eau soit chargée ; pour des cheveux noirs ou châtains, de l'eau simple suffit. Il ne faut point frotter la tête du paquet, mais simplement la mettre dans le morceau de cuir, la serrer dans l'étau, avoir un peigne un peu serré, le passer une ou deux fois dans le paquet, & choisir le moule qui convient ; on le tient de la main droite, & de la main gauche on prend une des petites papillotes quarrées que l'on met sous le paquet ; avec les deux pouces on maintient la papillote, en tenant le moule ferme par les deux bouts dans les deux mains jusqu'à ce qu'on ne voye plus la pointe du moule & de la papillote ; pour lors il faut tourner en avant le paquet pour que la frisure se trouve plus étendue sur le moule. Ayant ainsi tourné toujours ferme jusqu'au fil, on desserre l'étau ; l'on prend une bande de papier que l'on tient bien ferme ; & après avoir tiré tout-à-fait le paquet de l'étau, on roule le papier sur le paquet jusqu'à ce qu'il soit entierement enveloppé sous le papier ; l'on déchire le papier qui reste, & l'on serre bien fort le baquet avec du fil ou une ficelle. Si l'on ne veut point se servir de deux papillotes, il suffit de prendre une bande de papier dans laquelle on roule le paquet jusqu'à ce qu'il soit entierement enveloppé ; mais il peut arriver que la frisure en vienne un peu plus grosse. Ayant opéré de cette maniere sur tous les paquets qui se trouvent jusqu'au 2 ou 3, il faut avoir une corde un peu plus grosse que la ficelle avec laquelle on frise, que l'on passe dans le pié & sur l'étau, de façon qu'elle soit assez longue pour qu'elle ne gêne point ; cette ficelle doit être de la grosseur de celle qu'on appelle ficelle de trois ; elle doit être coupée par bouts de la longueur de 20 pouces, ou une demi-aune tout-au-plus.
Après avoir serré le paquet dans l'étau, comme nous avons dit, il faut, avec le peigne, le partager en deux, en relever la moitié dessous la ficelle qui est à l'étau, ou à votre pié, & le rouler, comme nous avons dit, jusqu'au fil qui noue le paquet ; alors on prend la ficelle que l'on fait passer sous les paquets. Elle doit être égale par les deux bouts que l'on a dans la main droite au-dessous du moule, & on tient le moule bien ferme par un bout de la main gauche ; puis on fait un tour de la main droite avec la ficelle double. On passe un des bouts dans la main gauche, & avec l'autre bout on fait deux ou trois tours de la main droite, après quoi l'on fait deux noeuds bien serrés. L'on reprend ensuite l'autre moitié du paquet, & l'on exécute la même chose. On renoue les deux moules ensemble avec le bout de la ficelle qui passe. A mesure que le paquet augmente en grosseur, l'on augmente la grosseur du moule & la quantité de cheveux sur chaque paquet. Si l'on en met trois, on les partage en tiers ; si l'on en met quatre, on les partage en quart ; ainsi de suite en augmentant. A mesure que les paquets deviennent longs, il faut en augmenter la hauteur proportionnément à la hauteur de la frisure, de façon que les cheveux les plus longs ne doivent avoit que quatre ou cinq pouces de frisure.
Si l'on veut donner du crêpe aux cheveux, quand on a frisé un paquet, s'il est de deux moules, après avoir bien frotté le paquet, on l'ôte de l'étau pour repousser le fil qui le noue le plus haut que l'on peut ; pour lors il faut prendre un moule de chaque main, tourner l'un à droite & l'autre à gauche ; après les avoir tournés jusqu'à ce qu'ils fassent une espece de corde, les passer l'un sur l'autre jusqu'à ce qu'ils forment une corde qui fasse à-peu-près l'effet du crin que l'on carde pour les matelas. Si le paquet est à trois moules, quand on en a tourné deux, comme nous l'avons dit, tourner le troisieme à droite & le passer par-dessus. Si les deux paquets suivans sont aussi en 3 moules, tourner les deux premiers, comme nous avons dit, tourner ensuite le troisiéme à gauche, le passer par-dessus, & faire la même chose aux autres paquets, tant qu'il y aura trois moules, pour que le crêpe n'emporte pas plus d'un côté que de l'autre. Quand il y aura quatre moules au paquet, en prendre deux, les tourner l'un à droite & l'autre à gauche, & les attacher bien ferme tous deux l'un contre l'autre avec le bout de ficelle qui passe ; & après en avoir fait autant aux deux autres moules, les attacher tous quatre ensemble ; si l'on veut que le crêpe soit plus fort, les renater tous quatre ensemble. Autrefois on portoit le devant des perruques très-haut, comme on le voit aux portraits de Louis XIV. cela s'appelloit devant à la Fontange, parce que le marquis de Fontange en avoit amené le goût, & voici comme on travailloit. Quand les paquets étoient frisés à-peu-près depuis le 5 & le 6, dont on faisoit les devans dans ce tems-là, on dénouoit les paquets, on séparoit chaque moule, on prenoit une grande ficelle de la grosseur de celle avec laquelle on frisoit, on présentoit le moule par le bout de la ficelle, on partageoit les meches en trois, l'on natoit comme les Allemands nattent leurs cheveux, & après on repoussoit la natte jusqu'auprès du moule, & ainsi des autres ; lorsqu'on dégageoit les cheveux, comme nous l'expliquerons plus bas, il arrivoit de-là que les cheveux tressés & cousus sur la tête, se tenoient tout droits, comme on les vouloit.
Il y a une frisure que l'on appelle frisure sur rien : voici comme elle se pratique. On a un moule brisé ; ce moule est fait à-peu-près comme les autres, excepté qu'il s'ouvre en deux ; un des côtés entre dans l'autre, comme un étui ; on fait les papillotes plus longues que quarrées ; on les coupe par les deux bouts, comme une carte à placer dans un chandelier ; on partage les cheveux, comme nous avons dit, on les roule de même ; l'on renverse la découpure des papillotes de chaque bout tout-autour des cheveux ; l'on attache une ficelle par-dessus, ce qui empêche que les cheveux n'échappent ; l'on retire ensuite le moule par les deux bouts qui s'ouvrent, & la frisure est sur rien. Il faut avoir égard à la hauteur & à la grosseur, comme nous l'avons prescrit ; pour cet effet on a des moules de toutes les grosseurs.
Il y a une autre façon de friser sur rien, que l'on appelle à l'angle. On a des bâtons de toutes les grosseurs, à-peu-près comme les moules, hors qu'ils doivent être une fois plus longs. On met les paquets dans l'étau ; on a de la petite ficelle, sans être coupée comme on la coupe pour les autres ; on tient la ficelle tout le long du moule ; on la mouille dans la bouche parce qu'elle s'étend mieux sur les bâtons : il ne faut point de papillotes comme aux autres frisures ; on roule la frisure à la hauteur convenable ; on passe le bout de la ficelle deux fois pour faire un double noeud que l'on serre avec les dents, & en même tems l'on retire le bâton de l'autre main.
Si l'on frise des cheveux pour une perruque d'ecclésiastique, il faut observer de faire la frisure très-basse. Si l'on en frise pour des boucles ou des boudins, il faut au-contraire friser très-haut, avoir le moule plus long ; & au lieu de commencer à placer les cheveux dans le milieu du moule, comme nous avons dit ci-dessus, l'on prend un des bouts du moule, & on tourne toujours jusqu'à ce que l'on soit remonté à l'autre bout.
Quand tous les paquets de cheveux sont frisés, on a une longue ficelle de la grosseur de celle avec laquelle on frise. On enfile tous les paquets par rang ; & pour trouver les étages plus facilement, on pratique deux noeuds coulans, dans lesquels on passe la tête des paquets que l'on approche le plus que l'on peut.
Après avoir observé exactement tout ce que nous venons de dire, il faut prendre la chaudiere dont nous avons parlé, & la remplir aux environs de trois quarts d'eau de riviere. Si c'est de l'eau de puits, il ne faut pas qu'elle soit ni crue, ni trop âcre. On éleve la chaudiere sur un trépié, afin qu'elle ait de l'air pardessous. Il faut que l'eau bouille trois heures à gros bouillons sans discontinuer. Si l'on y met des cheveux bruns ou gris-blancs, ou blonds, il suffit que l'eau ait bouilli deux heures & demie : à mesure que l'eau diminue, il faut avoir devant le feu un coquemar d'eau chaude pour remplir la chaudiere ; car il est nécessaire que l'eau surnage toujours aux cheveux : à mesure que les cheveux jettent leur crasse, il est à-propos de les écumer.
Tout cela fait, il faut retirer les cheveux, & les égoutter le plus vîte que l'on peut, afin qu'ils n'ayent pas le tems de se refroidir ; & pour les avoir plutôt égouttés, il faut les essuyer avec des linges.
On met ensuite les cheveux dans l'étuve. On couvre de papier la grille, on y pose les suites de cheveux sur lesquels on étend une couverture, & l'on ferme bien l'étuve où l'on a placé une poële remplie de charbons bien allumés au feu, arrangés de maniere qu'en se consumant ils ne s'écroulent point, & ne fassent point de cavités, & couverts de cendres rouges. Quand la poële est bien préparée, elle peut durer depuis le soir jusqu'au lendemain matin, sans y toucher ni remuer les cheveux. Dès le matin il faut avoir l'attention de remuer la poële avec une pêle tout-autour doucement, pour que le feu ne soit point trop vif ; on retournera les suites de cheveux au-moins toutes les heures jusqu'à ce que les moules soient secs, & qu'ils commencent à être lâches dans la frisure. Si une poële de feu ne suffit pas, il faut en remettre une seconde, & avoir soin que le feu ne soit point trop vif ; si, dans l'étuve, il y a des cheveux blancs ou blonds, l'on ne sauroit avoir trop cette attention, parce que ces sortes de cheveux sont sujets à jaunir. Sans trop presser ni ralentir le feu, les cheveux doivent rester communément dans l'étuve 36 ou 40 heures pour se sécher.
Les cheveux séchés, il faut avoir 5 ou 6 feuilles de papier gris qui ne soit point battu, dans lesquelles on les enveloppe, de maniere que l'on ne voye ni les cheveux, ni les moules. On a une corde de la grosseur d'une corde à tendre, & suffisamment longue pour la passer plusieurs fois dessus & dessous, afin que rien n'en puisse sortir ; le tout doit être bien fermé.
A Paris, ce sont les Boulangers de pain-d'épice qui font la pâte du pâté & qui le font cuire. Les Perruquiers qui sont dans des pays où ils n'ont point cette commodité, la préparent eux-mêmes, avec le gruau qui sert à dégraisser les cheveux. Il faut que le pâté ne soit ni trop mince, ni trop épais. Le tems de la cuisson peut être d'environ trois heures, à-peu-près le tems qu'il faut pour cuire un pain de 10 à 12 livres. Le pâté cuit, il faut le couper tout chaud, & remettre les suites de cheveux dans l'étuve à une chaleur très-légere, & les laisser ainsi bien refroidir.
Pour faire bouillir les cheveux de la premiere frisure sur rien qui s'exécute sur des moules brisés, voici ce qu'il est à propos d'observer. Il faut prendre un panier qui puisse entrer dans la chaudiere, & y ranger les suites de façon qu'elles y soient un peu serrées pour qu'elles ne varient point, & avoir soin que le panier soit aussi bien fermé ; c'est la même chose pour la frisure à l'angle sur rien : quand les suites sont dans le panier, & le panier dans la chaudiere, & que l'eau commence à bouillir (chose qu'il faut observer pour tous), l'on prend un litron de farine que l'on délaye bien dans de l'eau chaude. Lorsqu'elle est bien délayée, on la jette dans la chaudiere : on la laisse bouillir ; après quoi, on fait sécher les cheveux sur l'étuve comme les autres. Et, pour s'assurer qu'ils sont secs, il faut voir si la ficelle y tourne : au lieu de les mettre dans un pâté comme les autres : on a une cucurbite que l'on met dans un chaudron ou dans une marmite. On fait bouillir au bain-marie pendant huit heures. La cucurbite doit être bouchée avec de la laine. Il en faut deux bouchons, afin que lorsque le premier a pris l'humidité des cheveux, on puisse remettre le second, tandis que le premier se seche, & ainsi alternativement jusqu'à la fin des huit heures. Voilà tout ce qui regarde le bouillissage & le séchage des cheveux ; opérations très-nécessaires à faire exactement, si l'on veut que l'ouvrage soit d'un bon usé.
Il faut que les cheveux soient bien froids avant que de les décorder : décorder des cheveux, c'est défaire la ficelle & ôter les moules ; cela se doit exécuter avec attention, & ne pas négliger de bien remettre toujours la frisure dans son centre. Après les avoir décordés, il faut les détacher paquet à paquet de la ficelle qui les tient enfilés, & commencer par les plus longs.
Avant que d'aller plus loin, nous allons dire un mot de la maniere dont on travaille le crin.
Il faut d'abord le mettre en paquet, & le tirer par la tête & par la pointe, comme les cheveux ; faire une eau de savon, le savonner à plusieurs reprises, comme l'on savonne le linge fin ; avoir une eau d'indigo, le passer à cette eau, & le friser comme les cheveux, excepté qu'il faut employer des moules plus gros, & monter la frisure moins haut. Après l'avoir retiré de l'eau d'indigo, on le soufre comme les bas de soie & la blonde.
Il y a des Perruquiers dans certaines provinces où l'on ne paye point les perruques, qui y mettent beaucoup de poil de chevre. Ce poil se blanchit beaucoup & donne une très-belle couleur, mais il ne dure pas ; il se coupe en le peignant. On le travaille de même que le crin.
Pour revenir au dégagement, après avoir défait les paquets de la ficelle, en commençant par les plus longs, il est à propos d'avoir son seran bien attaché devant soi. Alors on prend deux ou trois paquets dont l'on a débourré la tête sur le seran ; on les tient bien ferme, & on les ratisse à plusieurs reprises sans peigner ; on les égalise bien par la pointe, & on les peigne ensuite du côté de la tête en les tenant toujours bien ferme, afin qu'ils ne se dérangent point, ce qui est très-essentiel. Quand les paquets auront été bien peignés & qu'ils passeront aisément dans le seran, on les mêlera avec le doigt, comme nous avons dit ci-devant, on les repeignera par la pointe, & on recommencera par la tête en continuant toujours de les mêler jusqu'à ce que la frisure soit bien ouverte, & que le corps des cheveux n'ait plus de mauvais pli : après quoi on les attachera avec du fil bien ferme, & on les mettra en boucle du bon côté ; on commencera par les plus longs, & l'on continuera jusqu'aux plus courts.
Voilà tout ce qui concerne le dégagement du crin, des cheveux, du poil sec : car, dans certaines provinces, il y a des Perruquiers qui se servent de laine de Barbarie, & la travaillent comme le poil. Cette laine est d'un très-mauvais usé. Si l'on s'en sert pour les perruques des spectacles, c'est qu'on la teint aisément de diverses couleurs.
Il y a une sorte de cheveux, que l'on appelle cheveux herbés : on les travaille à-peu-près de la maniere suivante. L'on prend des coupes de cheveux noirs, bruns, rouges ou châtains ; on les tresse sur du gros fil ou sur une petite ficelle : on prend des passés très-gros du paquet, ou autrement dit d'une coupe, que l'on tresse à simple tour, comme nous l'expliquerons ci-après. Ainsi tressés, on les lessive & on les prépare comme la toile bise que l'on veut blanchir en la mettant sur l'herbe : c'est d'où ils tirent le nom de cheveux herbés. L'on s'en sert pour donner la couleur aux noeuds des perruques nouées, & au derriere des perruques à bourse : ils ne sont bons qu'à être mêlés avec d'autres cheveux ; & si on les employoit seuls, ils seroient d'un très-mauvais usé, car au blanchissage ils perdent leur force & leur substance : c'est des Anglois que nous tenons cette méthode qui nous dispense depuis environ 40 ans de mettre dans les noeuds des perruques nouées & au derriere des perruques à bourse des bons cheveux, qui en augmenteroient le prix de beaucoup, sans qu'elles en durassent davantage.
Lorsque les cheveux sont tous dégagés, il faut les enfiler avec une aiguille & du fil un peu fort tous par étage, afin de les trouver plus aisément quand on veut les tirer ; c'est alors que la carde faite en équerre devient utile. Après qu'on l'a attachée ferme devant soi, on prend un ou deux paquets que l'on vient de dégager, on les remêle par la tête, comme on l'a déja dit, en observant de les tenir toujours bien égaux par la pointe. Après les avoir renoués à une certaine hauteur, on les étend sur un des côtés de la carde qui se présente en long jusqu'au fil. Après quoi on met une carde pareille par-dessus, alors on retire des paquets des petits, de la grosseur d'une plume. S'ils se trouvent bien épointés, on en retire une moindre quantité, parce qu'il faut qu'ils se trouvent quarrés par la tête & par la pointe. Si les paquets sont à-peu-près quarrés, on peut tirer plus des petits. Il ne faut pas attendre que la carde soit entierement vuide, mais sur la fin des premiers en remettre d'autres dans l'autre côté de la carde, les bien mêler ; à mesure que l'on tire un des paquets, le bien égaliser, le peigner dans la carde, le nouer par la tête, le remettre en boucle, & faire la même chose jusqu'à la fin des suites, soit de cheveux, de crin, de poil. Après avoir tiré le tout, il est à propos de le partager en plusieurs suites, & de les enfiler par la tête avec une aiguille & du fil, comme nous avons dit ci-devant pour les cheveux plats.
Il s'agit maintenant du préparage. Il n'est pas trop aisé d'en faire une description exacte, car il dépend de l'idée & du goût de l'ouvrier : voici cependant comment l'on s'y prend communément. Si l'on veut préparer une perruque nouée, un peu ample, c'est-à-dire une perruque pour une personne d'un certain âge, il faut que les cheveux soient un peu crêpés (nous avons oublié de dire que quand on dégage les cheveux crêpés, il faut avoir l'attention de les passer dans le seran jusqu'à ce que le crêpe soit bien ouvert). Nous parlerons d'abord de la perruque nouée, parce que c'est la premiere qui ait été inventée ; quoiqu'elle ne paroisse guere imiter les cheveux, elle les imitoit cependant dans le tems où l'on commença à la porter, parce que l'on ne connoissoit ni la bourse ni la queue. Les soldats même qui avoient les cheveux longs, les officiers, les bourgeois partageoient leurs cheveux en deux par derriere, les ramenoient en-devant & les nouoient comme les noeuds de nos perruques nouées.
Si l'on fait une perruque courte & légere, il n'est pas à propos qu'il y ait du crêpé. Dans les premiers tems, on faisoit les perruques à devans hauts, garnis, gonflés, & longue suite, comme nous avons dit ci-devant ; elles étoient si longues, qu'elles alloient jusqu'au 18 ou 20, & on les portoit en-devant. Pour peu qu'un homme eût le visage maigre, il en étoit si offusqué qu'à peine lui voyoit-on le visage. Ces longues perruques étoient faites en pointe, & se terminoient par un boudin.
Pour la préparation, il faut prendre des cheveux crêpés, comme nous l'avons dit. L'ouvrier a devant lui une regle, sur laquelle sont marqués les étages ; il commence par les plus longs. Supposé que l'on fasse un préparage de perruque nouée sur le 11 ou le 12, l'on commence par les longs ; on prend 5 ou 6 des petits paquets que l'on met juste au 12. Il est à propos pour le bas de la nouure de mêler du 11 dans le 12, pour qu'elle se trouve épointée, & faire ainsi la même chose à tous les paquets jusqu'à l'1, qui est le plus court.
Si c'est une perruque grisaille que l'on prépare, que les paquets ne soient pas tous d'une même longueur, & qu'il s'en trouve quelques-uns de plus noirs, on y mêle un petit paquet de blanc. S'il y en avoit de trop blanc, on y en ajouteroit de plus gris ou même de noir.
Après avoir bien mêlé & remêlé tous les paquets, il faut les remettre les uns après les autres dans les cardes, les tirer bien quarrés, les nouer ferme avec du fil, & faire la même chose à tous. Ensuite on coupe des bandes de papier blanc un peu fort ; elles doivent être plus larges pour les paquets longs que pour les courts, autrement la frisure seroit gênée. Après avoir roulé une ou deux fois les bandes de papier sur le fil qui attache les paquets & renoué la papillotte, on les numérote depuis l'1, jusqu'au plus long. Ces numeros empêchent que l'on ne se trompe en tressant. Ensuite on les remet en boucle : l'on prend un des bâtons du métier dont nous avons parlé. On a de la soie de Grenade, qu'autrefois l'on choisissoit violette, & une carte à jouer que l'on coupe en long en deux parties. L'on fait un petit trou à l'un des bouts, l'on y attache la soie que l'on roule sur la carte aux environs de cinq ou six aunes ; on répete cela six fois ; quand on en a disposé trois, ce qui suffit pour tresser un des côtés : l'on ne fait point toucher la quatriéme aux autres : entr'elle & la troisiéme, pour ne se point embarrasser en travaillant, on laisse l'intervalle d'un doigt. L'on arrange ainsi six cartes, quoiqu'il n'en faille que trois pour tresser un côté de la perruque. Mais pour avoir plus d'égalité, on tresse une hoche de chaque paquet, jusqu'à la fin de chaque rang. En s'y prenant ainsi, les deux côtés de la perruque se trouvent exécutés en même tems & également ; à la fin de chaque rang, on les met en boucles, l'un devant soi & l'autre à côté.
Les six soies étant arrangées dans l'ordre que nous venons de dire, il faut avoir à l'autre bâton pareil un petit clou d'épingle attaché à-peu-près à un demi-pié du bas du bâton, le courber, & faire un noeud de tisseran aux six soies que l'on passe dans la pointe du clou. Nous avons dit plus haut que l'on plaçoit les deux bâtons dans les trous d'une barre de bois ; mais cela ne se pratique guere. L'on fait deux trous sur la table, & l'on y plante les bâtons : cette maniere est plus commode ; on n'est point obligé de tenir une barre sur ses genoux, & lorsqu'on tresse, les bâtons toujours tendus ne sont point sujets à se déranger : cependant si la table étoit entierement occupée, un ouvrier avec une barre pourroit tresser séparément sans être gêné. Après avoir mis les bâtons dans les trous & avoir attaché les six soies, comme nous avons dit, il faut les tendre également en tournant la carte sur le bâton entre le pouce & le premier doigt ; en faisant sonner les soies avec les doigts, comme lorsqu'on accorde un instrument, on s'assure qu'elles sont tendues également. Nous expliquerons plus bas la maniere de tresser.
Autrefois les ouvriers prenoient la mesure à-peu-près sur la tête qu'ils croyoient propre avant de faire la monture ; aujourd'hui que l'on opere plus justement & plus finement, on fait les montures de tête avant que de prendre la mesure.
Les montures faites, voici comment l'on prend la mesure d'une tête. L'on a une bande de papier gris ou blanc un peu fort, on la coupe un peu en pointe d'un côté pour y distinguer un bout qu'on appelle le commencement. Quand une personne a les cheveux bien plantés, c'est-à-dire qu'ils ne sont ni trop hauts ni trop bas, il faut prendre depuis la racine du toupet jusques dans la fossete du col, & faire avec des ciseaux une hoche à la mesure, comme font les tailleurs ; ensuite on passe les bouts de la mesure sur le bord d'une tempe en l'étendant sur le derriere de la tête jusqu'à l'autre tempe, ensuite il faut avoir le tour, & pour cet effet saisir la mesure par les deux bouts & en placer le milieu dans la fossete du col, rapprocher les bouts en devant, passer sur les oreilles, & remonter jusqu'à l'extrémité des cheveux sur le front. Si la monture est à oreilles, il faut passer audessus d'une oreille, s'avancer par-dessus la tête jusqu'à l'autre oreille, & toujours observer de faire des hoches pour reconnoître les points. Si la tête dont on prend mesure est bien proportionnée, la hauteur de l'oreille fait la profondeur du devant au derriere : toutes les dimensions prises, il faut écrire sur chaque hoche le point que l'on vient de prendre, comme la profondeur du devant en derriere, d'une tempe à l'autre, autour de l'oreille & autour de la tête ; il faut ensuite avoir du ruban que l'on appelle ruban de tour fil & soie, ou tour de soie, mais le premier vaut mieux. On les employe de deux couleurs, rose & gris de maure ; la largeur du ruban peut être d'un pouce & demi, il y en a de deux ou trois lignes au-dessus, comme au-dessous ; pour que le ruban soit bon, il faut qu'il soit bien frappé & que la lisiere soit bonne de chaque côté, afin qu'en y passant l'aiguille avec le fil elle ne casse pas : une monture de perruque en prend une demi-aune & demi-quart. Si la monture est pleine & fermée on en replie un peu de chaque bout qu'on cout jusqu'aux trois quarts de la largeur, ensuite l'on prend exactement le milieu d'un des remplis à l'autre, & on le marque d'un trait fait avec de l'encre ; on a des clous d'épingle ni trop gros ni trop petits, on place le trait que l'on a fait avec de l'encre sur le ruban dans la raie qui se trouve sur les têtes à monter. Cette raie en marque exactement le milieu, on y fixe le ruban par un clou fiché sur le devant, & puis par un second fiché sur le derriere ; si l'on veut faire une pointe au front, il faut prendre un autre clou, le ficher sur le ruban à la distance de trois lignes de celui du milieu, & relever le ruban un peu de chaque côté ; la pointe pour la grandeur d'un front bien fait est ordinairement, tout bien compassé, de cinq pouces & demi ou six pouces, par conséquent si on la fait de 6 pouces il faut observer de renverser le ruban, ou de l'échancrer de trois pouces de chaque côté, puis l'arrêter par un clou ou deux de chaque côté, qui le maintienne également ; cela ne doit être pratiqué qu'après l'avoir bien compassé également, car la premiere chose qui saute à la vue c'est son inégalité, la perruque en paroît de travers. Ensuite à l'endroit de la couture on place deux autres clous sur la raie également, en observant que si la personne a un cou gras & court, il faut les placer plus haut pour que le derriere releve, & que si la personne est maigre & a le col long, il faut pratiquer le contraire. Cela fait, on tire le ruban d'un côté à-peu-près vis-à-vis le gras de la joue, & l'on fiche un clou, on en fait autant de l'autre côté, & toujours bien symmétriquement pour que les parties y correspondent ; ensuite on a du fil de Bretagne uni & fort avec une aiguille un peu grosse de la longueur de deux pouces ; on disperse différens clous sur le visage, un suffit au menton, un autre au-dessous du nez, un troisieme au-dessus, un quatrieme au milieu du front, un à chaque coin de l'oeil, & enfin par-tout où l'on en aura besoin ; mais le moins que l'on en puisse employer, c'est toujours le mieux. On arrête le fil qui part du ruban, au premier de tous ces clous, disposés comme on a dit, parce qu'à une monture pleine on commence toujours par le bas de la joue : on tire ensuite le fil avec justesse de la main gauche en le poussant avec le pouce de la main droite. On passe une carte sous le ruban pour le faire glisser plus aisément ; il faut ordinairement cinq ou six de ces fils ; on observe que le ruban en soit bien arrondi ; on arrête le fil à la pointe qui se trouve auprès de l'oeil, en faisant deux ou trois tours avec le fil autour du clou, & l'on y marque après un ou deux noeuds coulans. Il faut avoir attention de ne pas passer plus de fils d'un côté que de l'autre, de les poser également, & de rendre au compas les deux côtés égaux. C'est la même manoeuvre si l'on fait un petit devant avec du crin, qu'aux perruques nouées ; il ne faut point un petit clou pointu au front, au contraire il faut qu'il soit rond, & communément le front pas si ouvert qu'aujourd'hui, au reste chacun a son goût, & il n'y a point de regle là-dessus. Quelque maniere qu'on suive, on prendra une aiguillée de soie un peu forte, & on l'arrêtera au clou du milieu du front, l'on piquera ensuite l'aiguille dans la lisiere, de façon que la raie d'encre se trouve dans le milieu, en passant l'aiguille par-dessus la lisiere, de là on la fera passer au clou où la soie a été arrêtée ; l'on fera ensuite un autre point à droite, de l'autre côté, à peu de distance, & un autre à gauche à distance égale, glissant toujours comme nous l'avons dit, une carte dessous le fil, pour que le ruban passe plus aisément, & qu'il ne se fatigue point non plus que le fil ; le reste n'a rien de difficile. Ensuite il faut ficher derriere, dans le milieu de la tête, quatre clous, à commencer à un pouce près de la raie jusqu'à la tempe ; prendre une aiguillée de fil, l'arrêter au premier clou du côté de la tempe, le passer dans la lisiere du derriere du ruban ou plus avant ; mettre un ou deux fils, selon que l'on veut faire la tempe creuse ou ronde, également au-dessus, à la partie qui forme le front, former l'autre côté égal, & bien compasser le tout, pour que le front ne creuse pas plus d'un côté que d'un autre. Si la lisiere du ruban fronce derriere, à l'endroit de l'oreille, il faut y faire un pli, ou y passer un fil à-peu-près à la hauteur de l'oeil, jusque derriere l'oreille ; ce fil doit être tiré & arrêté bien ferme. Si la personne a le col gras, il faut comme nous avons dit, mettre un point plus haut dans la raie de la tête au-dessus du ruban, prendre une aiguillée de fil, poser le premier point sur la couture du ruban, & le tirer en avant de la même façon que nous avons expliqué plus haut, & si le cas le requiert, poser encore un autre fil de chaque côté ; ensuite avoir un cordonnet moyen, en prendre la valeur du quart, faire un noeud à chaque bout, & l'arrêter bien de chaque côté pour qu'il ne s'échappe point en serrant la perruque ; l'on en fait passer les deux bouts à l'endroit du ruban qui n'a point été cousu jusqu'à la lisiere ; ensuite on releve le ruban pardessus le cordonnet, on fait un point un peu lâche à la lisiere qu'on vient de relever, & par ce moyen le cordonnet n'est point géné. Ceci fait, & le ruban placé, on met le rezeau que l'on nomme aussi ordinairement coeffe ; ce rézeau est fait de soie ou de fleuret, ou de fil. Si la perruque est pour une personne qui transpire beaucoup de la tête, un rézeau de fleuret vaut mieux, il est moins sujet à se retirer, il faut que les mailles n'en soient pas trop grandes. Dans les premiers tems on avoit mis un contrôle sur les coëffes, on l'a ôté, on en a senti la puérilité, & l'impossibilité d'obvier à la fraude. En plaçant le rézeau sur la tête, il faut observer que ce qui termine la fin du rézeau soit bien dans le milieu de la tête ; sans cette précaution, un côté seroit plus large que l'autre ; on en attache un côté avec un clou pour qu'il ne varie point, & l'on le cout avec le ruban, en pratiquant à-peu-près un point à chaque maille. Quand le rézeau est cousu, s'il se trouve trop grand, il faut couper tout ce qui devient inutile.
L'on a ensuite un ruban que l'on appelle le ruban large, il est ordinairement brun, fil & soie, il n'est point aussi frappé que celui du tour ; sa largeur est de quatre pouces, on y fait d'abord un rempli & on commence à le coudre à la lisiere du ruban dès la pointe ; on le tire ensuite par en bas aux environs de quatre doigts au-dessus du ruban de derriere ; on le coupe, on le remploye au-dessous, on met un clou dans une petite raie qui se trouve dans le milieu du ruban, on en met aussi un dans la raie de la tête, & un autre de chaque côté, en tirant depuis le dessus de la tête, pour que le ruban ne fronce point ; on prend ensuite une aiguillée de fil que l'on passe dans le ruban, & plus bas dans celui qui fait la monture, observant toujours que le milieu du ruban se trouve dans le milieu de la raie de la tête, pour que les rangs frisent également. Ainsi arrêté de chaque côté, on le cout dans le bas, & pareillement au haut, en prenant un fil de la raie du ruban placé sur la couture du ruban de tour. Pour que la perruque soit ferme, on y met un taffetas qu'il faut d'abord faufiler sur le rézeau, & couper après comme il convient ; ensuite on commence à le coudre sur le devant, le long du derriere du ruban de tour, toujours en remontant jusqu'à la raie. Il est à propos de ne pas aller sur le derriere jusqu'au ruban large, parce que si la personne transpire, cela peut faire retirer la perruque ; on procede ainsi également de chaque côté. Voilà tout ce qui regarde la monture d'un bonnet un peu ample, ou d'une perruque nouée d'une personne d'un certain âge.
Il faut ensuite prendre les mesures : la premiere qui est la basse s'appelle mesure de tournant, parce qu'on la prend depuis le coin du front jusqu'à la couture de derriere ; il faut la plier en deux pour que le papier soit plus fort & résiste davantage ; ensuite on fait la mesure de corps de rang, à-peu-près comme on en verra le modele dans nos Planches.
Si l'on fait un bonnet pour une personne âgée ou qui ne veuille point de boucle, il ne faut point épointer les paquets, au contraire ils doivent être très-quarrés par la pointe pour cet effet. Il n'y a pas encore plus de douze ou dix-huit années, qu'après les avoir tirés comme nous avons dit plus haut, avant d'y mettre des papillotes, on plaçoit le paquet dans une carde par la tête, & on le tiroit par la pointe pour qu'il fut plus quarré : c'étoit un ouvrage très-difficile & qu'il falloit faire avec attention, ensuite on y remettoit le papillon & on commençoit la perruque ; on distribuoit du crin où il est marqué.
Il faut d'abord avoir la mesure du bord du front ; on la prend avec une bande de papier double de la largeur du front de la monture que nous venons d'expliquer. Il faut que le front soit fait sur le plus court paquet, & tressé fin & à cinq tours pour un devant peigné avec du crin. Malgré le plan des mesures que nous venons de donner, il n'en faut pas faire une regle générale ; tout dépend du goût des personnes, de l'air du visage, & de l'idée du perruquier : il faut suivre la forme de la tête. Si la forme de la tempe est plate, & qu'on veuille la perruque gonflée, on montera les longs plus haut en faisant la mesure. Si au contraire la tempe est forte & gonflée, on ne montera point les longs si haut, & par conséquent on tirera la perruque plus court. De même si la personne est grande, si elle a le visage maigre & le col long, on l'engagera davantage par les cheveux.
De la maniere de tresser, qu'on entendra mieux encore par les Planches que par ce que nous en allons dire. Pour tresser, il faut donc prendre les deux bâtons, celui où sont les dix soies, & celui qui porte la pointe : on les mettra dans les trous de la table. Pour le tournant, il ne faut que trois soies. On prend le n°. premier, qui est le plus court, on tresse fin & serré à cinq tours : on place son paquet dans la carde qui est devant soi : on en tire à-peu-près sept à huit cheveux de la main droite, & de la gauche on les reprend par la pointe ; on laisse excéder hors des doigts le moins que l'on peut de la tête ; on les passe avec la main derriere les soies, & l'on présente la tête par-devant entre la seconde & la troisieme soie ; puis on les passe par dessus avec la main droite, & on les reprend entre le pouce & le premier doigt de la gauche. On les repasse là, entre la premiere & la seconde avec le pouce & le premier doigt de la droite ; on les passe par-dessous, & on les reprend de la gauche, en les repassant par la seconde & la troisieme. Après quoi l'on les passe par-dessus ; l'on les reprend des doigts de la gauche, & l'on les repasse entre la premiere & la seconde ; on les reprend des doigts de la droite, & on en repasse le bout entre la seconde & la troisieme. On les tire pour lors de la gauche, en lâchant doucement, & en faisant couler la tête droite. On laisse passer la tête des cheveux le moins que l'on peut, & on la pousse jusqu'auprès du noeud que l'on a fait ; quand elle est au point que l'on veut, l'on reprend la frisure, que l'on repasse entre la derniere & la seconde soie, en observant de la passer par-devant. Ce dernier tour-ci ne sert qu'à la premiere passée de chaque rang & tournant que l'on veut commencer ; ensuite on retire une autre passe, & l'on travaille de même. Lorsque la passée est faite, elle doit former une m, dont il faut avoir soin de presser les jambes l'une contre l'autre, pour que tout soit égal & ne laisse point d'espace plus grand ou plus petit : vous tressez ainsi jusqu'au chiffre qui marque le 1 ; l'on reprend le 2, & l'on tresse jusqu'à 2 ; puis l'on reprend le 3, & l'on tresse jusqu'au chiffre 3 ; ensuite l'on reprend le 4, & l'on tresse jusqu'au 4, en montant imperceptiblement la garniture : l'on continue jusqu'au 5 ou 6, toujours en remontant de garniture, qui au lieu d'une m, ne forme qu'une n. Alors on prend la passe comme nous venons de dire ; on la passe deux fois en-dessus & une fois en dessous, & on la finit entre la seconde & la troisieme soie : elle en garnit davantage la tresse & la fait plus pressée. Il faut toujours augmenter de garniture jusqu'au dernier paquet, où les passes doivent se trouver d'une bonne pincée. Il faut avoir soin en mettant les paquets dans la carde, de placer un peigne dessus, pour que les cheveux ne viennent pas trop vîte ; il faut aussi prendre garde que les paquets soient toujours bien égalisés. A la fin du rang il faut faire une passe d'arrêt, en repassant la tête entre la seconde & derniere jambe de l' m. Autrefois quand on faisoit des devans bien élevés & les tempes à-proportion, on tressoit aussi à bouts levés ; au lieu de passer la main gauche qui tient la passe, on la mettoit par-devant, en passant la tête de la passe entre la premiere & la seconde ; au lieu de passer par-dessus, on repasse par-dessous, & l'on fait le tour à l'ordinaire : ensuite on prend une autre passe que l'on met de l'autre côté, en passant de même par dedans, & l'on continue le tour de même. Voilà ce qu'on appelle tresser à bouts levés. On tressoit aussi à demi-bouts levés, en faisant celui de devant comme nous venons de dire, & l'autre passe à l'ordinaire.
Pour revenir au tournant, quand on a fait la passe d'arrêt comme nous l'avons dit, on laisse un espace de soie, & l'on recommence par les mêmes paquets par où l'on a fini, en faisant une passe d'arrêt comme on la doit pratiquer à tous les commencemens & fins de chaque rang. Il faut observer de rendre la garniture la même, en faisant aller en arriere ce que l'on a fait aller en devant, c'est-à-dire que les n°. 11 reviennent aux 10, ainsi des autres à-proportion. Le plus court se trouvera à la fin de la mesure, & les deux côtés seront égaux. Il faut faire un second tournant de même, en observant la même regle, & mettre à la fin de chaque paquet un fil rouge pour marquer tous les étages, ce qui sert beaucoup lorsqu'il est question de poser les rangs ; c'est-à-dire qu'il faut en poser deux dans la hoche du 6. La marque de fil indique où elles commencent & où elles finissent. Lorsqu'on pose les 2 du 6, indiqués par la mesure, on a le 3 sur le 5 dans la hoche du 5, le 4 dans la hoche du 4, le 5 sur le 3 dans celle du 3, le 6 dans celle du 2, & les 8 dans celle du 1. Il faut que celui qui monte sache combien de rangs il a posé dans chaque hoche, & qu'il s'arrange en conséquence. Il faut poser les fils à la fin de chaque hoche, à l'autre côté du second tournant, en observant la même régularité & la même garniture qu'à celle du premier côté.
Ensuite il faut bien mettre les deux tournans en boucle devant soi, c'est-à-dire du même côté, & les ôter de dessus le métier ; remonter ensuite le métier avec les six soies, comme nous avons dit, pour commencer le corps de rangs, en le travaillant à six soies. On fait les deux côtés ensemble, & la garniture se trouve égale par le moyen de la mesure. Les premiers rangs commencés sur les six soies, il les faut prendre & aller jusqu'à 6, ainsi des autres, comme nous avons expliqué, en tournant. Après 3 ou 4 rangs il faut diminuer de garniture jusqu'à la fin, où elle doit être extrèmement légere, en observant de mettre un crin ou deux à chaque passée pour soutenir la tempe. Il faut observer quand on a fini les grands corps de rangs (on les appelle ainsi, parce que depuis l'endroit où on les pose, ils doivent se rejoindre ensemble par derriere), on en fait plus ou moins aux tempes, selon que l'on veut que la frisure monte, & au-dessus on met un paquet préparé exprès qui ne frise pas beaucoup ; ce paquet s'appelle plaque : on la fait d'une tresse de suite, sans la travailler par rang.
Après les grands, il y a les petits, qu'on appelle ainsi, parce qu'ils ne croissent pas, & qu'ils ne font que la face ; on les termine par des paquets de plaque. Le premier petit rang a la mesure suivante : il commence au troisieme sur le 3, & finit sur le 5 ; quand on a fait jusqu'au 5, l'on prend les paquets de plaque que l'on travaille jusqu'à la raie, ainsi des autres.
Après avoir fait ce que nous venons de dire, c'est-à-dire les corps, on emploie les fournitures. L'on commence par les bords du front : nous avons dit comme on en prenoit la mesure, & qu'il falloit les tresser fin & serré ; à la fin du front on fait une petite étoile, c'est-à-dire cinq ou six passes : tressez ferme, serrez, & laissez de chaque côté un quart de vos trois soies ; nous marquerons en son tems où ces passes doivent se poser. Si la tempe de ladite mesure étoit sur la 2, il seroit à-propos de faire les devans par rang de la longueur du dernier rang d'en haut de la mesure : le 1 & le 2 faits, on mettra un crin à chaque passe ; mais comme la tempe de ces mesures n'est que sur le 1, on peut faire une tresse de suite également sur le 1, en mêlant toujours un crin à chaque passe, cela se tresse & se coud plus vîte : il en faut ordinairement au-moins trois ou quatre aunes. Ainsi finit ce qu'il faut pour le devant.
Ensuite on travaille la plaque, qui se fait de cheveux frisés naturellement : les plus fins sont les meilleurs, la plaque va mieux sur la tête. Si les cheveux naturels ne frisent point assez, on peut en mettre de frisés en dedans. D'ordinaire on fait la plaque de la longueur du dernier corps de rangs croisés. A la perruque que nous traçons ici, le dernier corps de rang est sur le 6, par conséquent il le faut sur le 6, en observant que les paquets soient épointés. Il en faut aux environs de quatre ou cinq aunes, & en faire en commençant la valeur du quart avec le 6, en y mêlant une passe dudit paquet de plaque avec une passe du 6, si le dernier corps de rang est sur le 6, en observant que la tresse soit fine & point trop entassée. Voilà tout ce qui concerne le tressé de la perruque que nous venons de détailler.
Présentement il s'agit de la monter : il faut commencer par les bords du front ; on monte ordinairement avec de la soie un peu forte, ni trop grosse, ni trop fine. Il faut d'abord l'attacher, en faisant un noeud de tisserand tout près de la tresse, le moins gros qu'il se peut. Il faut coudre à petit point entre chaque passe, & que le point soit bien ferme & serré, & sur le bord de la lisiere du ruban, observant de n'aller ni dessus ni dessous. Quand on est au bout on arrête proprement, après quoi on frappe tout du long pour resserrer le point, & pour que le bord soit moins épais : ensuite on prend le premier tournant, que l'on arrête & que l'on coud de même jusqu'à l'endroit où est posé le cordonnet, par-dessus lequel on fait le tournant de façon qu'en serrant le cordonnet rien ne l'arrête. Quand on est à la fin du tournant, il faut bien l'arrêter, & même revenir avec le bout de la soie par-dessus, formant cinq ou six points : cela est plus propre, & en peignant la perruque aucune passée ne s'échappe. On coud l'autre de même, & on l'arrête sur le bout de celui-ci : on coud ensuite un morceau de bougran, que l'on découpe selon la forme du ruban. Il faut qu'il soit posé depuis le bas de la joue jusqu'au-dessus de l'oeil, touchant toujours la tresse du premier tournant. On le coupe quarré parderriere ; on le fait à-peu-près de la largeur de quatre doigts : ensuite on coud le second tournant, en commençant à la hauteur du premier, à deux lignes ou environ du premier : on va toujours de suite jusqu'à la fin, & l'autre côté se fait de même, observant que les fils soient égaux d'un côté & de l'autre, pour que les corps de rangs soient posés également. Ensuite il faut mettre en boucle, prendre les corps de rangs, & regarder le sens de la frisure, pour qu'elle ne se trouve point en-dessous. Il faut observer que le premier rang par-devant est commencé sur le 6 ; par conséquent comme il y en a deux dessus, le poser dans le milieu de la hoche. La mesure étant ainsi prise, la fin de ce rang doit arriver jusqu'à la fin du tournant ; cela exécuté, on passe aux autres rangs : on coud le premier de même ; on recoud ensuite le second de ce même côté, en le posant sous les fils du 5 : l'on reprend l'autre côté, & l'on coud deux rangs de suite ; le dernier de deux rangs sert de pié d'attente pour l'autre côté : il en est toujours de même jusqu'à la fin des grands corps de rangs, observant de les poser avec attention dans chaque hoche, comme il a été dit ci-dessus.
Les grands corps de rangs étant ainsi cousus, on peut coudre les petits tout de suite du même côté, observant de coudre les six premiers du bas plus serrés que les autres. Il faut de tems en tems compasser, pour qu'ils ne soient pas montés plus haut ou plus bas d'un côté que de l'autre ; après qu'on a monté tous les petits rangs d'un côté, il faut monter l'autre côté de même avec attention.
Si l'on n'a point posé l'étoile après avoir cousu le bord du front, il faut commencer par la poser. Nous avons dit qu'on laisse trois soies de chaque côté : on les enfile toutes trois dans une aiguille que l'on passe juste dans la petite raie que l'on a faite avec de l'encre au ruban, tout près de la tresse du bord du front. On fait sortir les trois soies hors du ruban avec un point un peu allongé ; ensuite on renfile les trois autres soies de l'autre côté, que l'on repasse avec la pointe de l'aiguille dans le même trou, en faisant de l'autre côté le point égal. On tire les soies de chaque côté, jusqu'à ce que le petit bout de tresse soit entré dedans & on l'arrête de chaque côté.
On prend ensuite un morceau de bougran de la longueur du petit ruban, que l'on coupe de la même forme que l'on a fait la pointe ; si l'on veut que la pointe soit plus ferme, on peut y mettre dessous de la gomme arabique : elle ne doit être ni trop épaisse ni trop liquide. Après en avoir bien barbouillé le ruban, il faut passer le bougran, que l'on laisse de la largeur de trois ou quatre doigts à-peu-près, selon la largeur qu'on veut donner au devant ; on prend ensuite la tresse faite sur le 1, comme nous avons dit. On peut coudre un rang du devant contre le bord du front ; il fera en cet endroit un second rang, comme un second tournant ; puis on coud le devant de la largeur du dernier petit rang. Si l'on veut que le devant soit bien large, on continue à le coudre de même ; si au contraire on ne veut pas qu'il soit si large, on diminue peu-à-peu. Il faut que les rangs soient un peu serrés : le dernier doit être placé sur la petite raie du ruban large, qui doit se trouver juste dans le milieu de la tête ; on coud l'autre côté, en observant de le coudre de même, c'est-à-dire ni plus large, ni plus étroit, ni plus serré, ni plus écarté, avec autant de rangs d'un côté que de l'autre ; & enfin de coudre le dernier rang d'un côté sur le dernier rang de l'autre côté.
Ensuite il faut prendre la plaque : on commence par le côté où l'on a mis du frisé, & l'on coud de suite comme l'on a fait pour le devant, toujours en retournant la tresse à la fin de chaque rang ; il ne faut pas presser les rangs autant que sur le devant. Vous ne devez poser chaque rang que sur la fin de chaque petit corps de rangs, en allant toujours jusqu'au devant en fer à cheval, ensorte que cela finisse jusqu'à une passée ou deux rangs de devant, qui en seront la fermeture. Ainsi finit la monture de la perruque.
Il faut ensuite faire allumer un réchaud de charbon, le couvrir de cendres, & y mettre un fer à passer fait pour cet usage : ce fer a à-peu-près la forme de la moitié d'un fer à friser ; les uns en ont de faits en marteau, les autres en une espece de boulon : il n'y a point de regle là-dessus. On fait chauffer ce fer de façon qu'il ne puisse brûler les cheveux ; on commence par le bas en prenant deux rangs à deux rangs. On a de l'eau dans un pot, où l'on trempe deux doigts que l'on applique depuis la tresse jusqu'à la frisure ; & même jusque sur la frisure si elle se trouve trop haute : on va de même jusqu'à la tempe ; ensuite l'on prend un peu de cheveux que l'on renverse sur les côtés : on fait de même meche par meche jusqu'au milieu du devant, en revenant toujours en avant jusqu'au bord du front ; & quand on est arrivé au milieu du bord du front, on partage le petit bout des tresses que l'on nomme étoiles, en deux, l'un à droite & l'autre à gauche, c'est ce qui lui fait faire l'étoile. Ensuite on étend un papier double sur toutes les parties que l'on a passées : on l'arrête avec des pointes, de façon à ne se point défaire, sur ses genoux ; on passe alors l'autre de même, avec l'attention de ne point baisser la frisure des cheveux courts. Quand elle est un peu refroidie, il faut la passer aux ciseaux ; on la met de côté sur les genoux, & l'on commence d'abord par les deux tournans, en coupant les pointes également toujours en descendant, & ensuite on retranche la longueur d'un pouce : on suit de même en descendant jusqu'à la moitié de la perruque. On remet les côtés en boucle ; on rattache le papier, & l'on passe l'autre côté, le devant & la tempe demandent plus d'attention. Il faut les couper de plusieurs façons ; au commencement c'est en descendant comme le quarré, & puis en long deux rangs à deux rangs, en commençant du côté du bord du front en coulant en arriere, où il faut qu'ils soient toujours plus longs ; & puis il faut les dégarnir légerement, de façon qu'en peignant le devant & les tempes, les cheveux ne pelotent point, & s'arrangent au coup de peigne.
Il faut ensuite démonter l'ouvrage, & bien éplucher tous les fils. On y passe une soie forte depuis le coin du bord du front jusqu'au commencement du cordonnet. Cette soie sert à ramener le bord en-dedans, & à le faire mieux coller. Il faut coudre à petits points, & serrer doucement, pour qu'il n'y ait point de froncement & de plis. Il faut travailler l'autre côté également, & puis frapper le bord avec un marteau pour le rabaisser ; puis on retond le dessus de la tête, & on repasse le fer doucement le long de la bordure. S'il y a quelques cheveux qui soient rétifs, on prend un bout de chandelle, que l'on frotte légerement dessus ; on trempe les doigts dans l'eau, on les passe sur ces cheveux, & ensuite on les serre jusqu'à ce que l'on les ait entierement couchés & domptés. Il faut connoître le point juste de chaleur du fer ; car s'il est trop chaud, il roussit & brûle, s'il ne l'est point assez, il ne dompte point les cheveux, & ne les couche point. Cela fait, il faut prendre de l'huile & de la pommade, les bien marier ensemble, en bien humecter la perruque, & passer ensuite un grand peigne partout dans les cheveux, observant de peigner le devant & la tempe dans leur centre. Après quoi on peigne bien à fond toute la perruque. Si l'on n'en est point pressé, il est plus à propos de la laisser reposer un jour ou deux, remise avec attention dans ses boucles.
On fera la monture d'une perruque nouée comme celle du bonnet dont nous venons de parler. Il faut observer la même régularité pour les tresses. Les tournants n'étant point si longs, & ne marquant que la face, il faut qu'ils ne soient point plus garnis que les autres ne l'ont été, jusqu'à la face. Voyez dans nos Planches la mesure de la perruque nouée.
Il faut observer de suivre la même régularité pour le corps, tressant les trois premiers à simple tour. Les deux qui sont sur le 9 doivent être à corps garni, & ce qui est étagé derriere, doit être le plus garni. Ce que l'on appelle étage, est le paquet qui est le plus court derriere. Après il s'en trouve 3 sur le 8, le 7 & le 6. Il faut diminuer la garniture à proportion, comme nous avons dit plus haut, observant que quand on est arrivé au rang qui est sur le 4, il faut faire l'étage de derriere plus fin, & toujours en montant aux courts & plus fins, par-derriere.
Le devant doit être tressé. Les bords du front & l'étoile travaillés à l'ordinaire. Au lieu de mettre les rangs jusqu'au milieu du derriere où est posé le cordonnet, on y met le boudin qui doit occuper à-peu-près cette largeur. Ensuite on place les noeuds qui doivent à-peu-près être de la même largeur de chaque côté. On fait une tresse, que l'on appelle tresse sur boucle. On en prépare communément 14 ou 15 rangs. La longueur du premier rang doit aller jusqu'à la premiere raie. On va toujours en remontant d'une raie. Voilà à-peu-près la conduite qu'il faut tenir. Il faut commencer le premier rang sur le 10 & en faire un, un peu garni. Ensuite le second prend le 9. On fait une passée, & puis une passée du 10. On quitte le 10, on en fait une sur le 9 seul, & sur le 9 & le 8, & ainsi de même jusqu'à l'1. On prend pour former le toupet, la tête des cheveux tirés, & qui trop courts pour venir sont restés dans la carde. On y ajoute des cheveux frisés épointés à la longueur du 2. On les mêle, on les retire à plusieurs fois & les remêle. Il faut 3 ou 4 aunes de ces tresses, que l'on appelle toupet de derriere.
Il ne faut point qu'elles soient tressées serrées, mais très-fin. Le noeud & la boucle se tressent de suite, & de la garniture du bas ; pour le tournant d'un bonnet, pour le noeud, il en faut deux ou trois rangs de la longueur de la mesure que nous avons indiquée, & pour la boucle, à-peu-près une demi-aune. Voilà tout ce qui regarde la tresse.
Présentement il nous reste à parler de la monture. Il faut monter le bord du front, l'étoile & les tournans. Ensuite on monte les noeuds au bout des tournans. On les laisse passer, comme nous avons dit, pour la boucle. Puis il faut prendre les corps de rangs ; le premier étant sur le 7, il faut le placer au fil du 6 du tournant ; en observant de le poser dans chaque espece où sont les fils que nous appellons hoches, comme nous l'avons dit. Il est à-propos que les rangs d'une perruque nouée fassent un peu le dos d'âne, en rabaissant la fin des rangs toujours en bas ; cela donne de la grace. L'on monte ensuite les devants à l'ordinaire. Après on monte la boucle, observant de laisser un petit espace de chaque côté entr'elle & les noeuds ; cela sert à faire une pincée de chaque côté, si la perruque se trouve trop large. Ensuite l'on monte le dessus des boucles. Chaque rang ne doit être séparé que par un très-petit espace. Arrivé jusqu'au ruban large, on monte le toupet ; voici comment on s'y prend. Il faut tenir la tête de côté sur les genoux, poser le premier rang, au bout du premier rang de devant ; le coudre en descendant jusque sur le dernier rang de dessus des boucles, & en ajouter 5 ou 6 de chaque côté, de façon qu'il se trouve une séparation d'un doigt. On commence par le bas à coudre dans cette séparation, toujours sans couper la même tresse du toupet, allant & revenant & bien près, jusqu'à ce que l'on ait atteint le devant. Ainsi finit la monture de la perruque dont il s'agit.
Montée, on la passe aux ciseaux & au fer, comme nous avons dit plus haut, à la réserve du toupet, que l'on sépare par le milieu. La petite raie du ruban guide pour cela. En faisant l'ouverture, on renverse à droite & à gauche les cheveux du toupet sur le bout des corps de rangs ; on passe le fer dans le milieu pour les maintenir ; puis on les épointe, & on les passe aux ciseaux pour les mettre de la longueur des rangs.
Nous allons maintenant dire un mot de la perruque quarrée, ou perruque de palais. Voici la mesure que nous allons suivre, en commençant par les tournans. Voyez dans nos Planches la mesure de cette perruque.
Il faut tresser ces perruques quarrées, comme on a tressé la perruque nouée ; la monture étant faite de même, il faut la monter de même, observant que les tournans arrivent jusqu'à l'endroit où finissent les noeuds de la nouée. On laisse le même espace pour la boucle ; du reste on monte, on dresse, comme nous l'avons dit de la perruque nouée.
Nous avons oublié de parler de la longueur que l'on donne ordinairement au boudin. La perruque étant sur le 12, le boudin peut se mettre sur le 10 ou le 11.
La préparation se fait d'ordinaire moitié cheveux & moitié crin.
Il y a une sorte de perruque que l'on appelle à la brigadiere. Il n'y a guere que les anciens militaires qui en portent. La monture en est à-peu-près la même que celle des autres perruques. Voyez la mesure dans nos Planches.
Les tournans ici sont tressés comme ceux de la perruque nouée. Pour les corps de rangs longs, il faut qu'ils soient moins garnis sur le derriere que sur le devant ; le 10 & le 9 sont épointés pour être pris dans les cordons qui nouent le boudin ; les autres, à commencer sur le 8, seront garnis, comme le 6 ou 7, sur le derriere d'un bonnet, & sur la face de même. On monte les tournans comme ceux de la perruque nouée, en laissant les passées pour le boudin.
Il faut monter les rangs comme pour un bonnet. Mais au lieu de presser le derriere des rangs, comme à un bonnet, il faut plutôt les écarter, & finir le reste comme dans les bonnets. Le boudin sera de la longueur du 16, un à droite, & l'autre à gauche, se regardant. Voilà à-peu-près ce que l'on en peut dire. Nous finirons les ouvrages à monture pleine par la perruque des ecclésiastiques. Voyez la mesure dans nos Planches.
Cette perruque est sur le 16 ; mais la longueur ordinaire n'est que le 9 ou le 9 1/2, c'est pourquoi nous y avons mis des demi-étages, c'est-à-dire, 1 & 1/2, un 2 & un 2 & 1/2, ainsi jusqu'à 9. La plaque se fait à-peu-près comme celle d'un bonnet.
Si on y veut une tonsure couverte, ce sont des religieuses qui les font au métier, & on les achete toutes faites. Si l'on est dans un pays où l'on n'en trouve point, on peut en faire avec une tresse fine, que l'on coud en tournant ou en croisant, après l'avoir coupée à la hauteur de 3 lignes. Il y en a de quatre grandeurs ; celles des soudiacres, des diacres, des prêtres, des évêques, & même des archevêques. Nous avons encore une tresse que nous nommons tour de tonsure, qui se fait très-fine, à simple tour, & tressée pressée : quand on veut que ces perruques aillent au coup de peigne sans boucle, il faut couper presque toute la frisure.
Nous allons présentement parler de la perruque à bourse, qui est la plus moderne. On l'appelloit d'abord perruque à la régence, parce qu'elle fut inventée sous la régence du duc d'Orleans, il n'y a pas plus de quarante ans. C'est celle qui imite le plus les cheveux ; c'est pour cet ouvrage qu'on a inventé la monture à oreille. Cette monture est faite de la même façon que nous avons les cheveux plantés : je ne sais comment on ne l'a pas imaginée plutôt, car la forme des cheveux l'indique aisément. Nous en allons donner une idée par une mesure ; mais c'est celle qui change le plus souvent. On la fait tantôt longue, tantôt courte, tantôt large, & tantôt étroite, selon l'idée & le goût. Pour en faire la monture, on se sert d'une tête à tempes. On prend une demi-aune de ruban ou plus, selon la tête. On le plie par le milieu & l'on fait une raie avec de l'encre ; puis on fiche une pointe dans le milieu de la raie à l'endroit de la tête où l'on veut poser le ruban ; on en fiche une seconde à-peu-près dans la lisiere à la distance de deux ou trois lignes. On releve le ruban vers la raie ; l'on cloue une troisiéme & quatriéme pointes de chaque côté également ; elles doivent être plus en arriere que celles que l'on a posées d'abord. C'est ainsi qu'on forme la petite pointe de la perruque. Il faut ensuite mettre une pointe de chaque côté à deux pouces de distance de celle du milieu ; on prend ses dimensions pour le front, comme nous l'avons déja dit. La mode la plus commune à présent est de former une tempe, les cheveux étant communément plantés de cette maniere. Ceux qui les ont ainsi disposés l'exigent, & ceux qui les ont autrement veulent qu'on l'imite. Pour former la longueur d'une face à la suite du front, il faut prendre communément la longueur d'une carte que l'on marque au ruban. Pour commencer la tempe, il faut poser une pointe environ 2 pouces après le front en l'avançant au-dessus de l'oeil. Ensuite on tire le ruban en arriere, & l'on pose une pointe où l'on a marqué la raie. On releve le ruban à la hauteur où l'on doit marquer l'oreille ; après la mesure que l'on a prise sur la personne, & après avoir mesuré sur la table où l'on fait la monture, on doit voir la hauteur. Il faut prendre garde que le ruban ne tombe sur l'oreille, parce qu'en le serrant, cela peut blesser. Ayant éloigné le ruban jusqu'à l'extrémité de l'oreille, on le plie en deux, on le cloue avec une pointe, & on le rabat derriere l'oreille jusqu'au bas du col ; on y met une pointe, & l'on en fait autant de l'autre côté. Il faut compasser avec attention les deux côtés pour qu'ils soient égaux, & que la perruque n'aille pas de travers. Ensuite on pose les fils comme nous l'avons déja dit. Les pointes indiquent les droits à-peu-près où on doit les mettre. On place la coëffe, le ruban large & le taffetas, ainsi qu'il a été prescrit. On peut faire aussi des perruques à oreille sans tête à tempes. On y en ajoute avec des cartes que l'on coupe. Cela dépend du goût & de l'idée de l'ouvrier ; ce qui convient à l'un, ne convient pas toujours à un autre. Voyez dans nos Planches la mesure de la perruque à bourse.
En commençant par les corps des rangs, il faut que les 2 & 3 premiers rangs soient tressés un peu garnis à simple tour. Au bout de ces rangs on peut y mettre la longueur de 2 pouces de cheveux lisses environ une demi-aune ; c'est ce que l'on appelle derriere de bourses. Il faut y passer une passée de cheveux frisés entre un paquet plus court que les lais du rang que l'on tresse derriere. Pour l'accommodage d'aujourd'hui il faut épointer tous les paquets, c'est-à-dire, mettre une passée plus courte que celle que l'on tresse au bord du front. Ces perruques-ci, qui ne sont point ouvertes sur le front, comme celles que nous venons de décrire, s'appellent bord de front à toupet. Pour cet effet, il faut, dans le milieu du rang du bord de front, faire la largeur d'un pouce de tresse à simple tour, fin & serré. On tient le bout plus court ; on fait une étoile derriere, & 1 pouce ou 2 de tresse sur l'1 avec la tête plus longue & à simple tour. On la monte à-peu-près à l'ordinaire, commençant par les bords de front, l'étoile, les tournans, les corps de rangs & le devant, que l'on élargit, ou que l'on retrécit plus ou moins, selon que la mode ou les personnes l'exigent. Il le faut de la largeur du bout du doigt. On ne coud point les rangs de devant jusqu'à bord de front. Le bout que j'ai dit devoir être fait de la longueur d'un pouce ou deux, doit être cousu derriere l'étoile à la petite pointe. Il faut mettre le visage de la tête devant soi, & coudre cette tresse à la renverse en zig-zag, bien près, aux 4 ou 5 petits rangs. On monte la plaque de derriere. Il faut en avoir environ une aune où il y ait une passée de frisée. On finit le haut comme nous avons dit à la plaque du bonnet. On la passe au fer, comme nous l'avons dit des autres.
Pour la passer au ciseau, la façon est différente, car pour l'accommodage d'aujourd'hui on les épointe. Autrefois si l'on eût vu travailler ainsi, on auroit cru la perruque perdue. Pour épointer, voici comme on s'y prend : la perruque étant sur le 6, le 5 & le 4, on prend les deux premiers rangs ; on commence par l'étage du 4 : on a des ciseaux à découper ; on tient de la main gauche la pointe du cheveu, & le ciseau de la main droite. On coupe légerement la pointe toujours en éfilant légerement jusqu'à la pointe du cheveu, & de même jusqu'à la fin du rang. On reprend ensuite ceux du 5, & l'on en fait autant jusqu'à l'1, & jusqu'au-devant, toujours de 2 rangs en 2 rangs, & jamais plus large que 2 lignes. Dans les courts, sur le bord du front, on les épointe presque de passée en passée. C'est un ouvrage très-long & très-difficile ; quelquefois un jour n'y suffit pas. Pour que les 2 côtés soient égaux, il faut une attention & une régularité infinie. Quelquefois on gâte un tiers des cheveux qui sont à la perruque. On met aussi des frisons ou favoris qui tombent sur le col. On fait à-peu-près une demi-aune de tresse sur un paquet épointé, du 2, du 3 & du 4 ensemble, que l'on coud en zig-zag sur le ruban qui se trouve au bas de l'oreille. La perruque épointée, on coule les ciseaux en descendant, comme nous avons dit aux autres. Ensuite on la démonte, & l'on coud par-derriere une jarretiere du côté droit large du doigt, & de l'autre côté un autre bout de jarretiere avec une boucle d'acier. Il faut coudre cette jarretiere au bout du ruban bien ferme, afin qu'en serrant elle n'échappe point. Pour que la perruque serre également, il faut faire attention que la boucle se trouve juste dans la fossette du col. Ceci fait, on démonte la perruque, on passe la soie, & on repasse un peu le fer sur les bords, comme nous avons dit : on la repeigne à fond, & tout est fini.
De la perruque nouée à oreille. La monture s'en fait à-peu-près de même qu'à la perruque à bourse. Voyez en la mesure dans nos Planches.
Une perruque nouée, telle que celle-ci, se fait communément avec un toupet, comme nous l'avons expliqué de la perruque à bourse, excepté que le devant est de beaucoup plus étroit que le dernier corps de rangs, comme nous le marquons à la mesure. On peut faire aussi un devant ouvert, comme nous l'avons dit en parlant d'une autre perruque nouée, toutes les tresses se montent de même, à la reserve des noeuds qui doivent être un peu longs de cheveux, puisqu'on les monte plus haut. Il faut tresser ces noeuds plus fins, & faire au moins une demi-aune de tresse de suite de chaque côté, on coud en allant & venant. Si l'on veut que l'accommodage soit en grosses boucles détachées, il faut l'épointer comme à la perruque à bourse. Si on la veut toute peignée, on l'étage comme l'autre, on passe le fer & les ciseaux comme aux perruques à bourse ; on la démonte ; on ôte le fil ; on passe la soie ; on repasse le fer, & on la peigne à fond.
Des perruques quarrées à oreille. La monture est à-peu-près celle des perruques nouées, & la tresse à-peu-près la même, hors le bas qui doit être plus garni. Voyez la mesure dans nos Planches.
Le 1r tour jusqu'au 6 doit être tressé légerement, le 2 doit l'être de même ; mais depuis le 6 du premier jusqu'à la fin, ils doivent être de la même garniture que nous avons spécifiée à l'autre perruque quarrée. Les quatre petits rangs doivent être aussi tressés, un peu garnis, & le reste comme le milieu d'une perruque. Quand les rangs sont montés, on monte le boudin, les autres tresses sont les mêmes qu'aux autres perruques, on passe de même le fer & les ciseaux. Voyez dans nos Planches la mesure d'un bonnet à oreille.
Il faut faire deux tournans de même un peu garnis depuis le 6 jusqu'au bout, & légers depuis le 5. Il faut que les quatre ou cinq premiers grands corps de rangs soient tressés garnis ; le reste des grands autant sur le devant que sur le derriere, & les autres à proportion. Si l'on veut on peut faire un petit devant ouvert, mais d'ordinaire on les fait avec un toupet. Ces bonnets-ci se montent à-peu-près de même que les autres ; on les épointe, on les coupe aux ciseaux, & on les passe au fer comme la perruque à bourse.
La différence qu'il y a entre une perruque à oreille & une autre, c'est que le ruban & la tresse n'en avancent pas tant sur les joues ; il faut que ce soit les cheveux qui les couvrent, c'est pourquoi on les travaille plus au long. Voyez dans nos Planches la mesure d'une perruque d'abbé à oreille, avec les étages & les demi-étages. Les étages ne peuvent se suivre de trop près.
Cette perruque se monte & se tresse comme les bonnets à oreille : on serre les rangs sur l'oreille un peu plus que sur le derriere. Si l'on veut une tonsure ouverte, il faut prendre une coëffe qui ne soit point finie derriere. En l'étendant sur le devant de la tête, la coëffe s'ouvre derriere ; quand on l'a au point que l'on veut, on passe un fil dans toutes les mailles, & on l'arrête en renouant les deux bouts ensemble, on passe ensuite les ciseaux & le fer comme aux autres.
La perruque naturelle à oreille, dont on verra la mesure dans nos Planches, se tresse comme les autres, le bas un peu garni ; la monture est la même qu'aux autres perruques à oreille. Il faut observer que la plaque en est difficile à préparer ; il en faut faire plusieurs paquets ; que ce soient des cheveux lisses & naturels, & qu'elle ne tombe pas trop longue dans les frisés. A mesure que l'on fait des rangs, il faut en ôter un des courts & en remettre un plus long. Quand on a fini le rang, il faut commencer la plaque en faisant de petits rangs sur deux ou trois paquets, & les remettre toujours les uns dans les autres, ils en seront plus épointés ; à mesure que l'on monte plus avant, il faut toujours en remettre de plus longs, pour que la plaque qui est déjà montée auprès du devant, retombe dans la seconde boucle du bas : à l'égard de la monture, du dégarnissage, de la coupe aux ciseaux, & du fer, c'est la même chose qu'aux autres perruques à oreille.
Des perruques de femme, que l'on appelle communément chignon. Ce sont les perruques les plus modernes, puisqu'il n'y a pas plus de vingt ans que l'on en porte ; elles ne se sont perfectionnées, comme on les voit aujourd'hui, que depuis dix ans. La monture se fait à-peu-près comme une monture à oreille. Pour qu'elles aillent bien, il faut exactement se conformer à la maniere dont les personnes ont les cheveux plantés, puisque l'on rejette dessus les tempes & le toupet. Il faut communément que le front soit rond & étroit, la pointe un peu aiguë, & la tempe très-droite, le bas venant un peu de la joue & pointu, l'oreille point trop en arriere, la partie de derriere l'oreille très-rabattue. Ensuite on fait une avance au bas de l'oreille. Il ne faut point que le ruban soit ouvert, mais qu'il soit cousu comme aux montures fermes. On met un peu de bougran à la pointe du front de la largeur du doigt, de même qu'à la pointe de la tempe au bas de l'oreille on met du fil d'archal brûlé que l'on coud de la largeur de trois doigts, de la hauteur de tout le ruban : on ne met point de coëffe, on y coud un taffetas avec attention pour qu'il ne poche point, & on n'y met point de ruban large ; pour la conduite on n'a point de mesure, on travaille avec des tresses de suite, d'abord sur le court qui est 1 ; les hauteurs les plus longues pour le bas ne passent point le 6. Nous avons dit que la frisure se frise très-petite & toute roulée. Si l'on veut que le chignon soit tout à plein & tout bouclé, il faut coudre la valeur de deux aunes du 6, si la personne pour qui l'on travaille a le cou long, si elle ne l'a pas long le 5 suffit. Après le 2 on coud deux aunes de suite, & autant des autres jusqu'au plus court. On coud la plus courte à bord de front, & tournant on fait une face de la largeur de trois doigts, & on coud tous les rangs en pente pour faire la boucle en long. Les uns cousent le bas en fer à cheval, les autres le cousent droit ; cette façon de coudre dépend de la façon d'accommoder : il faut en tout que les tresses soient un peu garnies, le bas davantage, & montées les unes près des autres. Un chignon doit avoir communément quinze aunes de tresses. Le haut se finit à-peu-près comme la plaque : on passe ceci au ciseau légerement, & le bord légerement au fer.
Voilà à-peu-près comme se fait un chignon plein. Il y en a en abbé, à la paresseuse, d'autres avec deux boucles sur l'oreille. Ceux d'abbés se font pour la monture comme nous avons dit : on fait derriere la valeur de deux ou trois boucles, & ensuite on prend des cheveux naturels de plusieurs longueurs. Si l'on finit la brisure sur le 4, on fait un 4 de cheveux naturels peu frisés, un 3 & un 2, & on en tresse proportionnément pour faire les devans ; on coud sept à huit petits rangs de courts frisés ; ensuite on a une tresse faite avec des cheveux un peu longs & crêpés forts, que l'on tresse & que l'on coupe de la longueur du doigt, & l'on en forme la face ; on monte ces tresses naturelles jusqu'en haut. Quand on a cousu les frisés, on a de ces tresses crêpées, tressées avec une passée de frisés, que l'on monte de même jusqu'au haut. Ce sont ceux à la paresseuse qui paroissent frisés sans l'être & qui gonflent le moins. On fait aussi des favoris de boucles : les favoris sont très-anciens. On les faisoit autrefois comme une espece de croissant sur le front, comme on le voit encore dans les anciens portraits des dames : pour faire ces favoris on faisoit une tresse de suite qui étoit sur le 1 & le 2, que l'on montoit sur un ruban noir que l'on attachoit aux cheveux en avant ou en arriere, selon qu'on vouloit qu'il avançât. Présentement on fait de petites boucles que l'on met sur les tempes ; on les fait avec une tresse faite d'une frisure semblable à celle du chignon, & on les monte sur un fil d'archal brûlé, de la grosseur d'une petite paille ; si on les veut à droite, on les monte en tournant du côté droit, & de même à gauche : l'on plie le fil d'archal qui prend la forme que l'on veut, & on le coupe au bout où l'on peut attacher les épingles ; on en fait de longues & de courtes que l'on place audessus des oreilles & au-dedans, de façon qu'une femme peut avoir le chignon retroussé, & en mettant de ces boucles au bas des oreilles, on croit qu'elle a le bas de ses cheveux frisés.
Il y a encore d'autres boucles qui servent pour les dames de cour ; les jours des grandes fêtes elles en mettent quatre ou six ; les deux plus longues se mettent sur le derriere. Elles portent ordinairement trois quarrés. Il faut pour qu'elles fassent bien le boudin, que ce soient des cheveux qui ne crêpent point, au contraire qu'ils soient lisses & frisés naturellement ; la frisure se fait, comme nous l'avons dit, de la frisure des boucles ; les deux d'ensuite sont de demi-aune, elles se posent derriere les oreilles ; les deux autres sont d'un quart & demi, elles se posent au-dessus des oreilles : ces boucles ne se tressent point ; on enveloppe la tête avec un ruban que l'on noue ferme avec un fil fort, & on les attache par le ruban avec des épingles.
On a ensuite la cadenette ; il faut avoir une coupe de cheveux longs & garnis sans être tirés. Si elle est trop quarrée, il faut l'épointer pour qu'elle soit plus grosse en haut qu'en bas. Il faut qu'elle soit tressée gros & bien pressé, & ensuite on la monte sur un ruban pour un chignon de cheveux droits : pour le revers de la cadenette il faut au contraire qu'il soit long & quarré. On fait avec un ruban étroit une espece de rond ; puisque cette coëffure ne prend que derriere les faces, il ne faut ni pointe ni rien qu'une espece de calotte ; que le ruban soit doublé tout-autour pour y passer la cadenette, dont le bout doit sortir par en haut, pour se cacher mieux sous la garniture ; on attache sur le ruban un réseau sans le garnir de taffetas ; on le tresse garni & on le monte sur réseau.
Des tours qui allongent les cheveux aux gens de robe. L'on ne peut guere donner de mesure de ces tours ; les cheveux manquant aux uns dans un endroit, aux autres ailleurs. Il ne s'agit ici que d'une tête qui a assez de cheveux, & qui ne veut que les allonger. Si elle les a très-garnis derriere, l'ouvrage devient plus difficile, attendu qu'il faut que le bas soit encore plus garni que le haut. Je suppose que la personne ait les cheveux au 10 derriere, & qu'elle veuille son tour au 15, il faut prendre 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 ; faire sur le 15 un petit rang de la largeur de trois doigts, & un peu garni ; on fait ensuite une mesure de la longueur d'une oreille à l'autre. Supposez que la largeur du papier soit de la longueur marquée dans nos Planches, voici comme l'on fait.
On travaille à trois soies ; dans le milieu où il y a une raie, on met un fil, puis l'on continue le 15, le 14, & ainsi des autres. Avec les petits on a 2 sur 15, & 1 sur chaque rang par les longs jusqu'au 11 ; ensuite on coud tous les rangs ensemble, comme nous le dirons après. Si l'on veut un tour en plein pour garnir depuis le haut de la tête jusqu'au bas, il faut faire une mesure comme celle des tournans, mais l'engager davantage. On tresse les tournans jusqu'aux plus longs, & l'on met un fil sans faire de séparation. Je suppose que la personne ait les cheveux épointés qui aillent au 16, on fait un tour sur le 10.
La mesure que l'on verra dans nos Planches éclaircira la chose. Quand ce sont des cheveux épointés sur le 16, voilà la mesure qui convient pour faire un tour en plein, observant que ce n'en est que la moitié. Il faut que l'autre côté tienne ensemble sans séparation, seulement par un fil que l'on met dans la tresse pour marquer le milieu ; on coud tous les rangs les uns sur les autres, en ordre comme la mesure l'indique ; ensuite on y coud un cordonnet ou une corde à boyau, & l'on fait une espece d'oeillet avec la soie ; on passe le cordonnet dedans, & on l'arrête après avoir bien pris ses dimensions pour la grosseur de la tête, puis on borde avec un ruban noir pour que les bouts des têtes de cheveux ne débordent point, & on pose en élevant les cheveux, on passe les cheveux du tour dessous en faisant passer ses cordonnets sur la tête, & tirant le tout en devant. On peigne les cheveux par-dessus, & on ne voit rien-du-tout. On peut coucher avec ; on le frise avec les cheveux, & on ne l'ôte que pour peigner à fond.
Il y a encore des tours pour les faces, que l'on fait à-peu-près comme celui que nous venons de marquer jusqu'à 9 ; on met de même un cordonnet en haut, & par le bas deux autres cordons que l'on noue derriere : il faut pourtant après les frisés y tresser des cheveux droits, & l'on peut, en peignant en arriere, cacher les deux cordons dont nous venons de parler.
Il y a des demi-perruques à mettre par-dessus les cheveux, quelque quantité que l'on en ait. On fait une monture, comme nous venons de dire pour les perruques à bourse. On travaille la face de même, excepté que l'on employe seulement un demi-travers de doigt de lisses, tressés à simple tour, puis un rang des mêmes lisses aussi-bien garni, que l'on coud en cercle jusqu'à l'endroit où l'on a fini d'attacher le ruban large ; on commence depuis le coin d'une oreille en remontant jusqu'au milieu de la raie du ruban large, & redescendant de même jusqu'à l'autre oreille, après quoi on replisse tous les rangs, on monte le vuide de lisse jusqu'au devant, comme aux autres perruques ; on passe aux ciseaux & au fer : après avoir fini on coupe les réseaux tout auprès du rang dont nous venons de parler ; pour-lors il ne reste que la face & quelque peu de lisses pour couvrir les cheveux : on se sert de deux cordons qui servent à serrer derriere.
On fait aussi des tempes de toupet ; après avoir pris ses dimensions on travaille comme pour une monture ? on monte le toupet de même après avoir préparé le rang du bord du front, on fait d'autres petits rangs de la longueur du pouce, on y tresse derriere de la plaque. Si la personne a des cheveux en bourse, on la met longue, si elle porte des cheveux ronds, on la met plus courte, comme celle d'un bonnet après avoir passé au fer : on attache deux cordons de soie noirs ; on serre derriere, comme nous l'avons dit pour la demi-perruque, ou bien on se sert d'agraphes.
Voilà à-peu-près tout ce que l'on peut dire d'un art dont le travail est si subordonné à la fantaisie. Qui ne riroit pas en effet de voir une personne maigre, à joues creuses, à cou long, se faire accommoder bien court, bien en arriere, le derriere bien accompagné & prendre toutes les précautions possibles pour se faire une tête de mort ?
Des perruques à deux queues. Elles sont plus ordinaires dans les cours d'Allemagne qu'ailleurs. On ne pouvoit se présenter devant le pere de la reine d'Hongrie d'aujourd'hui sans ces deux queues ; jeunes ou vieux, tous devoient en avoir. Ces coëffures se portent pour les grandes fêtes & pour les bals parés. Elles servent aussi aux comédiens dans les rôles de princes tragiques. Voyez-en la mesure dans nos Planches.
Ces perruques se tressent comme les perruques naturelles dont le derriere de la face iroit jusqu'à 12 ; & comme la mesure ne croise pas, on remplit le vuide avec la plaque qui sert à faire les deux queues ; le reste se tresse en diminuant & finit de se tresser de même. Communément on y fait des devans à toupet, quoique l'on puisse y en ajuster d'autres. La monture est celle d'une perruque à bourse, & se termine de la même maniere. Il faut observer qu'en préparant des lisses, il faut les faire épointées dans le bas, pour que la queue aille en diminuant. Il est à propos que le bas frise pour qu'il sorte une boucle à l'extrémité des queues.
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PERRUQUIER | S. m. (Art Méch.) celui qui fait des perruques & qui en fait négoce.
Comme l'usage des perruques étoit rare autrefois en France, les Perruquiers resterent long-tems sans former de communauté ; mais à mesure que l'usage en devint plus familier, on créa quarante-huit Barbiers-Baigneurs-Etuvistes, Perruquiers, qui furent confirmés par des Arrêts du Conseil des 11 Avril & 5 Mars 1634 ; au mois de Mars 1673, il s'en fit une nouvelle création de deux cent maîtres ; c'est cette communauté qui subsiste encore aujourd'hui.
Les statuts de ce corps, dressés au conseil le 14 Mars 1674, & enregistrés en parlement le 17 Août suivant, contiennent 36 articles : les trois premiers concernent l'élection des six syndics & gardes, & reglent la quantité de voix nécessaires pour cette élection.
Le 4. ordonne que les bassins servant d'enseignes aux Perruquiers seront blancs, pour les distinguer de ceux des Chirurgiens, qui doivent être jaunes.
Les 5, 6 & 7, parlent des visites, des prevôts, syndics & gardes.
Les 8 articles suivans traitent des apprentifs, & de leur réception à maîtrise.
Le 23. défend de se servir de la tresseuse de son confrere, sans un congé par écrit.
Le 26. marque, à qui il appartient de convoquer les assemblées.
Le 29. leur donne le droit exclusif de vendre des cheveux, & défend à toutes autres personnes d'en vendre ailleurs qu'au bureau des Perruquiers.
Je ne rapporterai point les autres articles qui ne sont que de discipline.
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PERSAN | S. m. (Archit.) c'est le nom qu'on donne à des statues d'hommes qui portent des entablemens. Voyez PERSIQUE, ORDRE.
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PERSANES | DYNASTIES, (Hist. de Perse) les auteurs persans comptent quatre dinasties ou races des rois de Perses ; 1°. la race des Pischdadiens ; 2°. celle des Kianans ; 3°. celle des Eschganiens ; 4°. celle des Schekkans.
Les Pischdadiens ont pris leurs noms de Pisch, qui en persan signifie premier, & de dad qui signifie justice, comme si les rois de cette race avoient été les plus anciens administrateurs de la justice. Le premier des trente-six rois de cette famille, est nommé par les historiens persans Caïoumarath ; il civilisa, disent-ils, les peuples, & leur fit quitter une vie sauvage, pour bâtir des maisons & pour cultiver la terre.
La famille des Kianans donna neuf rois à la Perse, dont le dernier est nommé par les mêmes historiens Alskander ; c'est Alexandre le Grand, à ce qu'ils prétendent.
La race des Eschganiens eut ving-cinq rois, dont les auteurs persans nomment le premier Schabus, qui est le Sapor des Romains.
La race des Schekkans a produit trente-un rois, dont le dernier s'étant fait abhorrer de ses sujets par son gouvernement tyrannique, fournit aux Arabes & aux Mahométans le moyen de soumettre la Perse à leur domination.
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PERSE | LA, (Géog. mod.) grand royaume d'Asie, borné au nord par la Circassie & la Géorgie ; au midi, par le golfe Persique & la mer des Indes ; au levant, par les états du Mogol ; & au couchant, par la Turquie asiatique.
Le Mont-Taurus la coupe par le milieu, à-peu-près comme l'Apennin coupe l'Italie, & il jette ses branches çà & là dans diverses provinces, où elles ont toutes des noms particuliers. Les provinces que cette montagne couvre du nord au sud, sont fort chaudes : les autres qui ont cette montagne au midi, jouïssent d'un air plus tempéré.
Le terroir est généralement sabloneux & stérile dans la plaine, mais quelques provinces ne participent point de cette stérilité. Il y a peu de rivieres dans toute la Perse, & même il n'y en a aucune de bien navigable dans toute son étendue. La plus grande, qui porte quelques radeaux, est l'Aras, l'Araxes des anciens, qui coule en Arménie ; mais le terroir est sec par le défaut de rivieres, les Persans par leur travail & leur industrie, le rendent fertile dans une grande partie de l'empire.
Le climat de Perse est admirable pour la vigne ; on y recueille d'excellent vin, du riz, des fruits, & des graines de toute espece, excepté du seigle & de l'avoine, les melons y sont d'une grosseur extraordinaire, & d'un goût exquis. Dès qu'on a passé le Tigre en tirant vers ce royaume, on ne trouve que des roses dans toutes les campagnes.
Les montagnes sont remplies de gibier ; mais la plus grande partie du commerce consiste à élever une quantité prodigieuse de vers à soie, dont on fait tous les ans plus de vingt mille balles de soie, chaque balle pesant deux cent seize livres. On en vend la plus grande partie en turquie, dans les Indes & aux Anglois & Hollandois qui trafiquent à Ormus. Une autre branche du commerce de la Perse, consiste en magnifiques tapis, en toiles de coton, en étoffes d'or & d'argent, & en perles.
Les Persans sont d'une taille médiocre, maigres & secs comme du tems d'Ammien Marcellin, mais forts & robustes. Ils sont de couleur olivâtre, & ont le poil noir ; leur vêtement est une tunique de coton ou de soie, large, qui descend jusqu'au gras de la jambe, & qu'ils ceignent d'une écharpe, sur laquelle les gens très-riches mettent une belle ceinture. Ils ont sous cette tunique quand ils sortent, une veste de soie de plusieurs couleurs ; leurs chausses sont de coton, faites comme des caleçons ; leurs souliers sont pointus au bout, & ont le quartier fort bas. Ils se peignent les ongles d'une couleur orangée ; leur turban est de toile de coton fine, rayée, de différentes couleurs, & qui fait plusieurs tours ; les grands du royaume portent des bonnets fourrés, ordinairement rouges. La coëffure de leurs prêtres est blanche, & leur robe est de la même couleur.
Les femmes opulentes sont brillantes dans leur habillement ; elles n'ont point de turban, mais leur front est couvert d'un bandeau d'or émaillé, large de trois doigts, & chargé de pierreries ; leur tête est couverte d'un bonnet brodé d'or, environné d'une écharpe très-fine, qui voltige & descend jusqu'à la ceinture ; leurs cheveux sont tressés, & pendent par derriere ; elles portent au col des colliers de perles ; elles ne mettent point de bas, parce que leurs caleçons descendent jusqu'au dessous de la cheville du pié ; l'hyver elles ont des brodequins richement brodés ; elles se servent comme les hommes de pantoufles de chagrin ; elles peignent en rouge leurs ongles & le dedans des mains ; elles se noircissent les yeux avec de la tutie, parce que les yeux noirs sont les plus estimés en Perse.
La dépense du ménage chez les Persans est fort médiocre, pour la cave & la cuisine ; la toile de coton dont les bourgeois s'habillent est à grand marché ; les meubles consistent en quelques tapis ; le riz fait la nourriture de toute l'année ; le jardin fournit le fruit, & le premier ruisseau tient lieu de cave.
L'éducation consiste à aller à l'école pour y apprendre à lire & à écrire ; les metzides ou mosquées qui servent pour la priere, servent aussi pour les écoles ; tout le monde écrit sur le genou, parce qu'on n'a point en Perse l'usage des tables, ni des siéges ; le papier se fait de chiffons de coton ou de soie ; on unit ce papier avec une polissoire pour en ôter le poil.
La langue persane tient beaucoup de l'arabe, s'apprend aisément, & se prononce un peu du gosier ; mais la plûpart des Persans apprennent avec leur langue celle des Turcs qui est familiere à la cour. Ils étudient encore dans leurs colleges l'Arithmétique, la Médecine, l'astronomie, ou plutôt l'Astrologie.
Le royaume est un état monarchique, despotique, la volonté du monarque sert de loi. Il prend le titre de sophi, & en qualité de fils de prophete, il est en même tems le chef de la religion. Les enfans légitimes succedent à la couronne ; à leur défaut, on appelle les fils des concubines : s'il ne se trouve ni des uns, ni des autres, le plus proche des parens du côté paternel, devient roi. Ce sont comme les princes du sang, mais la figure qu'ils font est bien triste ; ils sont si pauvres, qu'ils ont peine à vivre. Les fils du sophi sont encore plus malheureux ; ils ne voyent jamais le jour que dans le fond du serrail, d'où ils ne sortent pas du vivant du roi. Il n'y a que le successeur au trône qui ait ce bonheur ; & la premiere chose qu'il fait, est de priver ses freres de l'usage de la vûe, en leur faisant passer un fer rouge devant les yeux pour qu'ils ne puissent aspirer à la couronne.
Après le sophi, les grands pontifes de la religion mahométane tiennent le premier rang à sa cour ; ils sont au nombre de quatre. Le premier pontife de Perse s'appelle sadre-cassa, il est le chef de l'empire pour le spirituel, gouverne seul la conscience du roi, & regle la cour & la ville d'Hispahan, selon les regles de l'alcoran. Il est tellement révéré, que les rois prennent ordinairement les filles des Sadres pour femmes ; il commet le second pontife pour avoir soin du reste du royaume, & établit des vicaires dans toutes les villes capitales des provinces. On lui donne la qualité de Nabab, qui veut dire, vicaire de Mahomet & du roi.
Il y a six ministres d'état pour le gouvernement du royaume, & chacun a son département ; on les appelle rhona-dolvet, c'est-à-dire les colonnes de l'empire. Le premier est le grand visir, appellé etma-doulet-itimad-ud-dewlet, c'est-à-dire l'appui de la puissance ; il est le chancelier du royaume, le chef du conseil, le sur-intendant des finances, des affaires étrangeres & du commerce ; toutes les gratifications & les pensions, ne se payent que par son ordre. Je ne parlerai point des autres colonnes de l'état Persan : c'est assez d'avoir nommé la principale.
L'usage des festins publics est bien ancien en Perse, puisque le livre d'Ester fait mention de la somptuosité du banquet d'Assuérus ; ceux que le sophi fait aujourd'hui par extraordinaire, sont toujours superbes, car on y étale ce qu'il y a de plus précieux dans sa maison.
Toute la Perse est pour ainsi dire du domaine du roi, mais ses revenus consistent encore en impôts extraordinaires, & en douannes qu'il afferme ; les deux principales, sont celle du golfe Persique, & celle de Ghilan ; ces deux douannes sont affermées à environ 7 millions de notre monnoie. Les troupes de sa maison qui montent à quatorze mille hommes, sont entretenues sur les terres du domaine ; celles qu'il employe pour couvrir ses frontieres, peuvent monter à cent mille cavaliers qui sont aussi entretenus sur le domaine. Le roi de Perse n'a point d'infanterie reglée ; il n'a point non plus de marine ; il ne tiendroit qu'à lui d'être le maître du golfe d'Ormus, de la mer d'Arabie, & de la mer Caspienne ; mais les Persans détestent la navigation.
Leur religion est la mahométane, avec cette différence des Musulmans, qu'ils regardent Ali, pour le successeur de Mahomet ; au lieu que les musulmans prétendent que c'est Omar. De-là naît une haine irréconciliable entre les deux nations. L'ancienne religion des mages est entiérement détruite en Perse ; on nomme ses sectateurs gawes, c'est-à-dire idolâtres ; ces gawes n'ont cependant point d'idoles, & méprisent ceux qui les adorent ; mais ils sont en petit nombre, pauvres, ignorans & grossiers.
Si la plûpart des princes de l'Asie ont coutume d'affecter des titres vains & pompeux, c'est principalement du monarque Persan, qu'on peut le dire avec vérité. Rien n'est plus plaisant que le titre qu'il met à la tête de ses diplomes ; il faut le transcrire ici par singularité.
" Sultan Ussein, roi de Perse, de Parthie, de Médie, de la Bactriane, de Chorazan, de Candahar, des Tartares Usbecks ; des royaumes d'Hircanie, de Draconie, de Parménie, d'Hidaspie, de Sogdiane, d'Aric, de Paropamize, de Drawgiane, de Margiane & de Caramanie, jusqu'au fleuve Indus : Sultan d'Ormus, de Larr, d'Arabie, de Susiane, de Chaldée, de Mésopotamie, de Géorgie, d'Arménie, de Circassie ; seigneur des montagnes impériales d'Ararac, de Taurus, du Caucase ; commandant de toutes les créatures, depuis la mer de Chorazan, jusqu'au Golfe de Perse, de la famille d'Ali, prince des quatre fleuves, l'Euphrate, le Tigre, l'Araxe & l'Indus ; gouverneur de tous les sultans, empereur des musulmans, rejetton d'honneur, miroir de vertu, & rose de délices, &c. "
La Perse est située entre le 79 & le 108d de longitude, & entre le 25 & 42d de latitude. On la divise en treize provinces, dont six à l'orient, quatre au nord, & trois au midi.
Les six provinces à l'orient, sont celles de Send, Makeran, Sitzistan, Sablustan, Khorassan, Estarabade.
Les quatre au nord sont Masanderan ou Tabristan ; Schirvan, Adirbeitzan, Frak-Atzem, qui renferme Hispahan, capitale de toute la Perse.
Enfin les trois provinces au midi, sont Khusistan, Farsistan ou Fars, & Kirman. (D.J.)
PERSES, empire des, (Hist. anc. & mod.) l'ancien empire des Perses étoit beaucoup plus étendu que ce que nous appellons aujourd'hui la Perse ; car leurs rois ont quelquefois soumis presque toute l'Asie à leur domination. Xerxès subjugua même toute l'Egypte, vint dans la Grece, & s'empara d'Athènes ; ce qui montre qu'ils ont porté leurs armes victorieuses jusques dans l'Afrique, & dans l'Europe.
Persépolis, Suze, & Ecbatane, étoient les trois villes où les rois de Perse faisoient alternativement leur résidence ordinaire. En été ils habitoient Ecbatane, aujourd'hui Tabris ou Tauris, que la montagne couvre vers le sud-ouest contre les grandes chaleurs. L'hiver ils séjournoient à Suze dans le Suzistan, pays délicieux, où la montagne met les habitans à couvert du nord. Au printems & en automne, ils se rendoient à Persépolis, ou à Babylone. Cyrus, qui est regardé comme le fondateur de la monarchie des Perses, fit néanmoins de Persépolis, la capitale de son empire, au rapport de Strabon, livre XV.
Cette grande & belle monarchie, dura deux cent six ans sous douze rois, dont Cyrus fut le premier, & Darius le dernier. Cyrus régna neuf ans depuis la prise de Babylone, c'est-à-dire, depuis l'an du monde 3466, jusqu'en 3475, avant J. C. 525. Darius, dit Codomanus, fut vaincu par Alexandre le Grand en 3674, après six ans de regne ; & de la ruine de la monarchie des Perses, on vit naître la troisieme monarchie du monde, qui fut celle de Macédoine dans la personne d'Alexandre.
La Perse, après avoir obéi quelque tems aux Macédoniens, & ensuite aux Parthes, un simple soldat persan, qui prit le nom d'Artaxare, leur enleva ce royaume vers l'an 225 de J. C. & rétablit l'empire des Perses, dont l'étendue ne différoit guere alors de ce qu'il est aujourd'hui.
Nouschirwan, ou Khosroës le grand, qui monta sur le trône l'an 531 de l'ere chrétienne, est un des plus grands rois de l'Histoire. Il étendit son empire dans une partie de l'Arabie Pétrée, & de celle qu'on nommoit Heureuse. Il reprit d'abord ce que les princes voisins avoient enlevé aux rois ses prédécesseurs ; ensuite il soumit les Arabes, les Tartares jusqu'aux frontieres de la Chine ; les Indiens voisins du Gange, & les empereurs grecs, furent contrains de lui payer un tribut considérable.
Il gouverna ses peuples avec beaucoup de sagesse : zélé pour l'ancienne religion de la Perse, ne refusant jamais sa protection à ceux qui étoient opprimés, punissant le crime avec sévérité, & récompensant la vertu avec une libéralité vraiment royale ; toujours attentif à faire fleurir l'Agriculture & le Commerce, favorisant le progrès des Sciences & des Arts, & ne conférant les charges de judicature qu'à des personnes d'une probité reconnue, il se fit aimer de tous ses sujets, qui le regardoient comme leur pere. Il eut un fils nommé Hormizdas, à qui il fit épouser la fille de l'empereur des Tartares, & qui l'accompagna dans son expédition contre les Grecs.
Nouschirwan, alors âgé de plus de 80 ans, voulut encore commander ses armées en personne ; il conquit la province de Mélitène ; mais bien-tôt après, la perte d'une bataille où son armée fut taillée en pieces, le mit dans la triste nécessité de fuir pour la premiere fois devant l'ennemi, & de repasser l'Euphrate à la nage sur un éléphant. Cette disgrace précipita ses jours ; il profita des derniers momens de sa vie pour dicter son testament ; & ce testament le voici tel que M. l'abbé Fourmont l'a tiré d'un manuscrit turc.
" Moi, Nouschirwan, qui possede les royaumes de Perse, & des Indes, j'adresse mes dernieres paroles à Hormizdas mon fils aîné, afin qu'elles soient pour lui une lumiere dans les ténébres, un chemin droit dans les déserts, une étoile sur la mer de ce monde.
Lorsqu'il aura fermé mes yeux, qui déja ne peuvent plus soutenir la lumiere du soleil, qu'il monte sur mon trône, & que de-là il jette sur mes sujets une splendeur égale à celle de cet astre. Il doit se ressouvenir que ce n'est pas pour eux-mêmes que les rois sont revêtus du pouvoir souverain, & qu'ils ne sont à l'égard du reste des hommes, que comme le ciel est à l'égard de la terre. La terre produira-t-elle des fruits si le ciel ne l'arrose ?
Mon fils, répandez vos bienfaits d'abord sur vos proches, ensuite sur les moindres de vos sujets. Si j'osois, je me proposerois à vous pour exemple ; mais vous en avez de plus grands. Voyez ce soleil, il part d'un bout du monde pour aller à l'autre ; il se cache & se remontre ensuite ; & s'il change de route tous les jours, ce n'est que pour faire du bien à tous. Ne vous montrez donc dans une province que pour lui faire sentir vos graces ; & lorsque vous la quitterez, que ce ne soit que pour faire éprouver à une autre les mêmes biens.
Il est des gens qu'il faut punir, le soleil s'éclipse : il en est d'autres qu'il faut récompenser, & il se remontre plus beau qu'il n'étoit auparavant : il est toujours dans le ciel, soutenez la majesté royale : il marche toujours, soyez sans cesse occupé du soin du gouvernement. Mon fils, présentez-vous souvent à la porte du ciel pour en implorer le secours dans vos besoins, mais purifiez votre ame auparavant. Les chiens entrent-ils dans le temple ? Si vous observez exactement cette regle, le ciel vous exaucera ; vos ennemis vous craindront ; vos amis ne vous abandonneront jamais ; vous ferez le bonheur de vos sujets ; ils feront votre félicité.
Faites justice, réprimez les insolens, soulagez le pauvre, aimez vos enfans, protégez les Sciences, suivez le conseil des personnes expérimentées, éloignez de vous les jeunes gens, & que tout votre plaisir soit de faire du bien. Je vous laisse un grand royaume, vous le conserverez si vous suivez mes conseils ; vous le perdrez si vous en suivez d'autres ".
Nouschirwan mourut l'an 578, & Hormizdas, qui lui succéda, ne suivit point ses conseils. Après bien des concussions, il fut jugé indigne de sa place, & déposé juridiquement, par le consentement unanime de toute la nation assemblée. Son fils mis sur le trône à sa place, le fit poignarder dans sa prison : ce fils lui-même fut contraint de sortir de son royaume, qui devint la proie d'un sujet de Waranes, homme de grand mérite, mais qui fut enfin obligé de se réfugier chez les Tartares, qui l'empoisonnerent.
Sur la fin du regne de Nouschirwan, naquit Mahomet à la Mecque, dans l'Arabie Pétrée en 570. Bientôt profitant des guerres civiles des Persans, il étendit chez eux sa puissance & sa domination. Omar son successeur, poussa encore plus loin ses conquêtes : Jédasgird, que nous appellons Hormizdas IV. perdit contre ses lieutenans à quelques lieues de Madaïn (l'ancienne Ctésiphon des Grecs) la bataille & la vie. Les Persans passerent sous la domination d'Omar plus facilement qu'ils n'avoient subi le joug d'Alexandre.
Cette servitude sous les Arabes, dura jusqu'en 1258, que la Perse commença à renaître sous ses propres rois. Haalou recouvra ce royaume par le succès de ses armes ; mais au bout d'un siecle, Tamerlan, kan des Tartares, se rendit maître de la Perse, l'an 1369, subjugua les Parthes, & fit prisonnier Bajazet I. en 1402. Ses fils partagerent entr'eux ses conquêtes, & cette branche régna jusqu'à ce qu'une autre dynastie de la faction du mouton blanc, s'empara de la Perse en 1469.
Ussum Cassan, chef de cette faction, étant monté sur le trône, une partie de la Perse flattée d'opposer un culte nouveau à celui des Turcs, de mettre Ali au-dessus d'Omar, & de pouvoir aller en pélerinage ailleurs qu'à la Mecque, embrassa avidement ce dogme que proposa un persan nommé Xeque Aidar, & qui n'est connu de nous que sous le nom de Sophi, c'est-à-dire, sage. Les semences de cette opinion étoient jettées depuis long-tems ; mais Sophi donna la forme à ce schisme politique & religieux, qui paroît aujourd'hui nécessaire entre deux grands empires voisins, jaloux l'un de l'autre. Ni les Turcs, ni les Persans n'avoient aucune raison de reconnoître Omar & Ali pour successeurs légitimes de Mahomet. Les droits de ces arabes qu'ils avoient chassés, devoient peu leur importer. Mais il importoit aux Persans que le siége de leur religion ne fût pas chez les Turcs ; cependant Ussum Cassan trouva bien des contradicteurs, & entr'autres Rustan qui fit assassiner Sophi en 1499. Il en résulta d'étranges révolutions, que je vais transcrire de l'histoire de M. de Voltaire, qui en a fait le tableau curieux.
Ismaël fils de Xeque-Aidar, fut assez courageux & assez puissant, pour soutenir la doctrine de son pere les armes à la main ; ses disciples devinrent des soldats. Il convertit & conquit l'Arménie, subjugua la Perse, combattit le sultan des Turcs Sélim I. avec avantage, & laissa en 1524 à son fils Tahamas, la Perse puissante & paisible. Ce même Tahamas repoussa Soliman, après avoir été sur le point de perdre sa couronne. Il laissa l'empire en 1576 à Ismaël II. son fils, qui eut pour successeur en 1585 Scha-Abas, qu'on a nommé le grand.
Ce grand homme étoit cependant cruel ; mais il y a des exemples que des hommes féroces ont aimé l'ordre & le bien public. Scha-Abas pour établir sa puissance, commença par détruire une milice telle à-peu-près que celle des janissaires en Turquie, ou des strelits en Russie ; il construisit des édifices publics ; il rebâtit des villes ; il fit d'utiles fondations ; il reprit sur les Turcs tout ce que Soliman & Sélim avoient conquis sur la Perse. Il chassa d'Ormus en 1622 par le secours des Anglois, les Portugais qui s'étoient emparés de ce port en 1507. Il mourut en 1629.
La Perse devint sous son regne extrèmement florissante, & beaucoup plus civilisée que la Turquie ; les arts y étoient plus en honneur, les moeurs plus douces, la police générale bien mieux observée. Il est vrai que les Tartares subjuguerent deux fois la Perse après le regne des kalifes arabes ; mais ils n'y abolirent point les Arts ; & quand la famille des Sophi régna, elle y apporta les moeurs douces de l'Arménie, où cette famille avoit habité long-tems. Les ouvrages de la main passoient pour être mieux travaillés, plus finis en Perse, qu'en Turquie ; & les Sciences y avoient de tous autres encouragemens.
La langue persane plus douce & plus harmonieuse que la turque, a été féconde en poésies agréables. Les anciens grecs qui ont été les premiers précepteurs de l'Europe, sont encore ceux des Persans. Ainsi leur philosophie étoit au seizieme & au dix-septieme siecles, à-peu-près au même état que la nôtre. Ils tenoient l'Astrologie de leur propre pays, & s'y attachoient plus qu'aucun peuple de la terre. Ils étoient comme plusieurs de nos nations, pleins d'esprit & d'erreurs.
La cour de Perse étaloit plus de magnificence que la Porte ottomane. On croit lire une relation du tems de Xerxès, quand on voit dans nos voyageurs, ces chevaux couverts de riches brocards, leurs harnois brillans d'or & de pierreries, & ces quatre mille vases d'or, dont parle Chardin, lesquels servoient pour la table du roi de Perse. Les choses communes, & sur-tout les comestibles, étoient à trois fois meilleur marché à Ispahan & à Constantinople que parmi nous. Ce prix est la démonstration de l'abondance.
Scha-Sophi, fils du grand Scha-Abas, mais plus cruel, moins guerrier, moins politique, & d'ailleurs abruti par la débauche, eut un regne malheureux. Le grand-mogol Scha-Géan enleva Candahar à la Perse, & le sultan Amurath IV. prit d'assaut Bagdat en 1638.
Depuis ce tems, vous voyez la monarchie persane décliner sensiblement, jusqu'à ce qu'enfin la mollesse de la dynastie des Sophi, a causé sa ruine entiere. Les eunuques gouvernoient le serrail & l'empire sous Muza-Sophi, & sous Hussein, le dernier de cette race. C'est le comble de l'avilissement dans la nature humaine, & l'opprobre de l'Orient, de dépouiller les hommes de leur virilité ; & c'est le dernier attentat du despotisme, de confier le gouvernement à ces malheureux.
La foiblesse de Scha-Hussein qui monta sur le trône en 1694, faisoit tellement languir l'empire, & la confusion le troubloit si violemment par les factions des eunuques noirs & des eunuques blancs, que si Myrr-Weis & ses Aguans, n'avoient pas détruit cette dynastie, elle l'eût été par elle-même. C'est le sort de la Perse, que toutes ses dynasties commencent par la force, & finissent par la foiblesse. Presque toutes les familles ont eu le sort de Serdan-Pull, que nous nommons Sardanapale.
Ces Aguans qui ont bouleversé la Perse au commencement du siecle où nous sommes, étoient une ancienne colonie des Tartares, habitant les montagnes de Candahar, entre l'Inde & la Perse. Presque toutes les révolutions qui ont changé le sort de ces pays-là, sont arrivées par des Tartares. Les Persans avoient reconquis Candahar sur le Mogol, vers l'an 1650 sous Scha-Abas II. & ce fut pour leur malheur. Le ministere de Scha-Hussein, petit-fils de Scha-Abas II. traita mal les Aguans. Myrr-Weis qui n'étoit qu'un particulier, mais un particulier courageux & entreprenant, se mit à leur tête.
C'est une de ces révolutions, où le caractere des peuples qui la firent, eut plus de part que le caractere de leurs chefs : car Myrr-Weis ayant été assassiné, & remplacé par un autre barbare nommé Maghmud, son propre neveu, qui n'étoit âgé que de dixhuit ans, il n'y avoit pas d'apparence que ce jeune homme pût faire beaucoup par lui-même, & qu'il conduisît ses troupes indisciplinées de montagnards féroces, comme nos généraux conduisent des armées réglées. Le gouvernement de Hussein étoit méprisé, & la province de Candahar ayant commencé les troubles, les provinces du Caucase du côté de la Géorgie, se révolterent aussi. Enfin, Maghmud assiégea Ispahan en 1722 ; Scha-Hussein lui remit cette capitale, abdiqua le royaume à ses piés, & le reconnut pour son maître, trop heureux que Maghmud daignât épouser sa fille. Ce Maghmud crut ne pouvoir s'affermir qu'en faisant égorger les familles des principaux citoyens de cette capitale.
La religion eut encore part à ces désolations : les Aguans tenoient pour Omar, comme les Persans pour Ali ; & Maghmud chef des Aguans, mêloit les plus lâches superstitions aux plus détestables cruautés. Il mourut en démence en 1725, après avoir désolé la Perse.
Un nouvel usurpateur de la nation des Aguans, lui succéda. Il s'appelloit Aszraff, ou Archruff, ou Echeref ; car on lui donne tous ces noms. La désolation de la Perse redoubloit de tous côtés. Les Turcs l'inondoient du côté de la Géorgie, l'ancienne Colchide. Les Russes fondoient sur ses provinces, du nord à l'occident de la mer Caspienne, vers les portes de Derbent dans le Shirvan, qui étoit autrefois l'Ibérie & l'Albanie.
Un des fils de Scha-Husseim, nommé Thamas, échappé au massacre de la famille impériale, avoit encore des sujets fideles, qui se rassemblerent autour de sa personne vers Tauris. Les guerres civiles & les tems de malheur produisent toujours des hommes extraordinaires, qui eussent été ignorés dans des tems paisibles. Le fils du gouverneur d'un petit fort du Khorassan devint le protecteur du prince Thamas, & le soutien du trône, dont il fut ensuite l'usurpateur. Cet homme qui s'est placé au rang des plus grands conquérans, s'appelloit Nadir (Chah).
Nadir ne pouvant avoir le gouvernement de son pere, se mit à la tête d'une troupe de soldats, & se donna avec sa troupe au prince Thamas. A force d'ambition, de courage & d'activité, il fut à la tête d'une armée. Il se fit appeller alors Thamas Koulikan, le Kan esclave de Thamas. Mais l'esclave étoit le maître sous un prince aussi foible & aussi efféminé que son pere Husseim. Il reprit Ispahan & toute la Perse, poursuivit le nouveau roi Airaf jusqu'à Candahar, le vainquit, le fit prisonnier en 1629, & lui fit couper la tête après lui avoir arraché les yeux.
Kouli-Kan ayant ainsi rétabli le prince Thamas sur le trône de ses ayeux, & l'ayant mis en état d'être ingrat, voulut l'empêcher de l'être. Il l'enferma dans la capitale du Khorassan, & agissant toujours au nom de ce prince prisonnier, il alla faire la guerre au Turc, sachant bien qu'il ne pouvoit affermir sa puissance, que par la même voie qu'il l'avoit acquise. Il battit les Turcs à érivan en 1736, reprit tout ce pays, & assura ses conquêtes en faisant la paix avec les Russes. Ce fut alors qu'il se fit déclarer roi de Perse, sous le nom de Scha-Nadir. Il n'oublia pas l'ancienne coutume, de crever les yeux à ceux qui peuvent avoir droit au trône. Les mêmes armées qui avoient servi à désoler la Perse servirent aussi à la rendre redoutable à ses voisins. Kouli-Kan mit les Turcs plusieurs fois en fuite. Il fit enfin avec eux une paix honorable, par laquelle ils rendirent tout ce qu'ils avoient jamais pris aux Persans, excepté Bagdat & son territoire.
Kouli-Kan, chargé de crimes & de gloire, alla conquérir l'Inde, par l'envie d'arracher au Mogol, tous ces trésors que les Mogols avoient pris aux Indiens. Il avoit des intelligences à la cour du grand-mogol, & entr'autres deux des principaux seigneurs de l'empire, le premier visir, & le généralissime des troupes. Cette expédition lui réussit au-delà de ses espérances ; il se rendit maître de l'empire, & de la personne même de l'empereur en 1739.
Le grand-mogol Mahamad sembloit n'être venu à la tête de son armée, que pour étaler sa vaine grandeur, & pour la soumettre à des brigands aguerris. Il s'humilia devant Thamas Kouli-Kan, qui lui parla en maître, & le traita en sujet. Le vainqueur entra dans Delhi, ville qu'on nous représente plus grande & plus peuplée que Paris ou Londres. Il traînoit à sa suite ce riche & misérable empereur. Il l'enferma d'abord dans une tour, & se fit proclamer lui-même roi des Indes.
Quelques officiers mogols essayerent de profiter d'une nuit, où les Persans s'étoient livrés à la débauche, pour prendre les armes contre leurs vainqueurs. Thamas Kouli-Kan livra la ville au pillage ; presque tout fut mis à feu & à sang. Il emporta autant de trésors de Delhi, que les Espagnols en prirent à la conquête du Mexique. On compte que cette somme monta pour sa part à quatre-vingt sept millions & demi sterling, & qu'il y en eut sept millions & demi pour son armée. Ces richesses amassées par un brigandage de quatre siecles, ont été apportées en Perse par un autre brigandage, & n'ont pas empêché les Persans d'être long-tems les plus malheureux peuples de la terre. Elles y sont dispersées ou ensevelies pendant les guerres civiles, jusqu'au tems où quelque tyran les rassemblera.
Kouli-Kan en partant des Indes pour retourner en Perse, laissa le nom d'empereur à ce Mahamad qu'il avoit détrôné ; mais il laissa le gouvernement à un vice-roi qui avoit élevé le grand-mogol, & qui s'étoit rendu indépendant de lui. Il détacha trois royaumes de ce vaste empire, Cachemire, Caboul & Multan, pour les incorporer à la Perse, & imposa à l'Indoustan un tribut de quelques millions. L'Indoustan fut alors gouverné par le vice-roi, & par un conseil que Thamas Kouli-Kan avoit établi. Le petit-fils d'Aurang-Zel garda le titre de roi des rois, & ne fut plus qu'un fantôme.
Thamas Kouli-Kan arrivé chez lui, donna la régence de la Perse à son second fils Nesralla Mirza, recruta son armée, & marcha contre les tartares Usbegs, pour les châtier des désordres qu'ils avoient commis dans le Khorassan, pendant qu'il étoit occupé dans l'Inde. Il traversa des déserts presque impraticables, & l'on crut qu'il y périroit infailliblement ; mais il revint quelques mois après, amenant quantité d'Usbegs qui avoient pris parti dans son armée, & il soumit dans son passage plusieurs peuples inconnus même aux Persans.
Cependant l'année suivante, qui étoit en 1742, les Arabes se souleverent de toutes parts, & défirent totalement ses troupes. Obligé de faire la guerre par mer & par terre, ne voulant pas toucher aux trésors immenses qu'il avoit apportés de l'Inde, il mit sur toute la Perse un nouvel impôt de sept cent mille tomans (quatorze millions d'écus.) En même tems il fit publier, qu'ayant reconnu la religion des Sunnis pour la seule véritable, il l'avoit embrassée, & qu'il désiroit que ses sujets suivissent son exemple. Il se prépara à attaquer les Turcs, & mit en marche une partie de ses troupes pour qu'elles se rendissent à Mosul, tandis que lui-même marcheroit à Vau, dans le dessein d'attaquer les Turcs par deux différens côtés, & de pousser ses conquêtes jusqu'à Constantinople ; mais le succès ne répondit point à ses espérances.
A peine s'étoit-il mis en marche, que les peuples de diverses provinces persanes se révolterent, ce qui l'obligea de retourner sur ses pas pour étouffer la rébellion. Mais le mécontentement étoit général ; le feu de la révolte gagnoit par-tout. A mesure que Nadir (ou si vous voulez Thamas Kouli-Kan) l'éteignoit d'un côté, il s'allumoit d'un autre. Ne pouvant courir dans toutes les provinces révoltées, il fit la paix avec les Turcs en 1746.
Enfin s'étant rendu de plus en plus odieux aux Persans par ses cruautés envers ceux dont la fidélité lui étoit suspecte, il se forma contre lui une conspiration si générale, qu'ayant été obligé de se sauver d'Ispahan, & ayant cru être plus en sûreté dans son armée, ses propres troupes se souleverent, & le massacrerent dans son camp. Il fut assassiné par Ali-Kouli-Kan, son propre neveu, comme l'avoit été Myrr-Weis, le premier auteur de la révolution. Ainsi à péri cet homme extraordinaire à l'âge d'environ 59 ans, après avoir occupé le trône de Perse pendant 12 ans.
Par la mort de cet usurpateur, les provinces enlevées au grand-mogol lui sont retournées ; mais une nouvelle révolution a bouleversé l'Indoustan ; les princes tributaires, les vice-rois ont secoué le joug ; les peuples de l'intérieur ont détrôné le souverain, & l'Inde est encore devenue ainsi que la Perse, le théâtre de nouvelles guerres civiles. Enfin tant de dévastations consécutives ont détruit dans la Perse le commerce & les arts, en détruisant une partie du peuple.
Plusieurs écrivains nous ont donné l'histoire des dernieres révolutions de Perse. Le P. du Cerceau l'a faite, & son ouvrage a été imprimé à Paris en 1742. Nous avons vu l'année suivante l'histoire de Thamas Kouli-Kan ; mais il faut lire le voyage en Turquie & en Perse par M. Otter & M. Fraser, the history of Nadir-Shah. Ces deux derniers ont été eux-mêmes dans le pays, ont connu le Shah-Nadir, & ont conversé pour s'instruire avec des personnes qui lui étoient attachées ; ils n'ont point estropié les noms persans, parce qu'ils entendoient la langue ; & quoiqu'ils ne soient pas d'accord en tout, ils ne different pas néanmoins dans les principaux faits. Il paroît par leurs relations, que l'auteur de l'histoire de Thamas Kouli-Kan, a composé un roman de la naissance de Nadir, en le faisant fils d'un pâtre ou d'un marchand de troupeaux, dont il vola une partie à son pere, les vendit, & s'associa à une troupe de brigands pour piller les pélerins de Mached.
Nadir (Shah) naquit dans le Khorassan. Son pere étoit un des principaux entre les Aschars, tribu Turcomane, & gouverneur du fort de Kiélat, dont le gouvernement avoit été héréditaire dans sa famille depuis long-tems. Nadir étant encore mineur quand son pere mourut, son oncle prit possession du gouvernement, & le garda. Nadir obtint du Begler-Beg une compagnie de cavalerie, & s'étant distingué en diverses occasions contre les Eusbegs qu'il eut le bonheur de battre, le Begler-Beg l'éleva au grade de min-bachi, ou commandant de mille hommes. Tel fut le commencement de sa fortune. Ensuite il fut envoyé contre les Turcs, les vainquit, fut élevé au grade de lieutenant-général ; & au commencement de l'année 1729, il parvint au généralat. Alors Shah Thamas prit tant de confiance en lui, qu'il lui abandonna entierement le gouvernement de ses affaires militaires.
M. Fraser qui a demeuré plusieurs années en Perse, & qui a été souvent dans la compagnie du Shah Nadir, nous a tracé son portrait en 1743 ; & il paroît qu'il admiroit beaucoup cet homme extraordinaire.
" Le Shah Nadir, dit-il, est âgé d'environ 55 ans. Il a plus de six piés de haut, & est bien proportionné, d'un tempérament très-robuste, sanguin, avec quelque disposition à l'embonpoint, s'il ne le prévenoit pas par les fatigues. Il a de beaux yeux noirs, bien fendus, & des sourcils de même couleur. Sa voix est extrèmement haute & forte. Il boit du vin sans excès, mais il est très-adonné aux femmes dont il change souvent, sans cependant négliger ses affaires. Il va rarement chez elles avant onze heures ou minuit, & il se leve à cinq heures du matin. Il n'aime point la bonne chere ; sa nourriture consiste sur-tout en pillau, & autres mets simples ; & lorsque les affaires le demandent, il perd ses repas, & se contente de quelques pois secs qu'il porte toujours dans ses poches, & d'un verre d'eau. Quand il est en son particulier, qui que ce soit ne peut lui envoyer de lettres, de messages, ni obtenir audience.
Il entretient par-tout des espions. Il a de plus établi dans chaque ville un ministre nommé hum calam qui est chargé de veiller sur la conduite du gouverneur, de tenir régistre de ses actions, & de lui en envoyer le journal par une voie particuliere. Très-rigide sur la discipline militaire, il punit de mort les grandes fautes, & fait couper les oreilles à ceux qui en commettent les plus légeres. Pendant qu'il est en marche, il mange, boit & dort comme un simple soldat, & accoutume ses officiers à la même rigueur. Il est si fort endurci à la fatigue, qu'on l'a vu souvent dans un tems de gelée passer la nuit couché à terre, en plein air, enveloppé de son manteau, & n'ayant qu'une selle pour chevet. Au soleil couchant, il se retire dans un appartement particulier, où débarrassé de toute affaire, il soupe avec trois ou quatre de ses favoris, & s'entretient familierement avec eux.
Quelque tems après qu'il se fut saisi de Shah Thamas, des gens attachés à la famille royale firent agir la mere de Nadir, qui vint prier son fils de rétablir ce prince, sur les assurances qu'elle lui donna que pour reconnoître cet important service, Shah Thamas le feroit son généralissime à vie. Il lui demanda si elle le croyoit sérieusement ? Elle ayant répondu qu'oui : Si j'étois une vieille femme, répliqua-t-il, peut-être que je le croirois aussi, mais je vous prie de ne vous plus mêler d'affaire d'état. Il a épousé la soeur cadette du Shah Hussein, dont on dit qu'il a une fille. Il a d'ailleurs de ses concubines plusieurs enfans, & deux fils d'une femme qu'il avoit épousée dans le tems de son obscurité. Quoique d'ordinaire il charge lui-même à la tête de ses troupes, il n'a jamais reçu la plus petite égratignure ; cependant il a eu plusieurs chevaux tués sous lui, & son armure souvent effleurée par des bales ".
M. Fraser ajoute qu'il a entendu dire & qu'il a vu lui-même plusieurs autres choses remarquables de ce prince, & propres à convaincre toute la terre qu'il y a peu de siecles qui aient produit un homme aussi étonnant : cela se peut ; mais à juger de cet homme singulier selon les idées de la droite raison, je ne vois en lui qu'un scélérat d'une ambition sans bornes, qui ne connoissoit ni humanité, ni fidélité, ni justice, toutes les fois qu'il ne pouvoit la satisfaire. Il n'a fait usage de sa bravoure, de son habileté & de sa conduite, que de concert avec ses vues ambitieuses. Il n'a respecté aucun des devoirs les plus sacrés pour s'élever à quelque point de grandeur, & ce point étoit toujours au-dessous de ses desirs. Enfin, il a ravagé le monde, désolé l'Inde & la Perse par les plus horribles brigandages ; & ne mettant aucun frein à sa brutalité, il s'est livré à tous les mouvemens furieux de sa colere & de sa vengeance, dans les cas même où sa modération ne pouvoit lui porter aucun préjudice.
J'ai tracé l'histoire moderne des Perses ; leur histoire ancienne est intimement liée avec celle des Medes, des Assyriens, des Egyptiens, des Babyloniens, des Juifs, des Parthes, des Carthaginois, des Scythes, des Grecs & des romains. Cyrus, le fondateur de l'empire des Perses, n'eut point d'égal dans son tems en sagesse, en valeur & en vertu. Hérodote & Xénophon ont écrit sa vie ; & quoiqu'il semble que ce dernier ait moins voulu faire l'histoire de ce prince, que donner sous son nom l'idée d'un héros parfait, le fond de son ouvrage est historique, & mérite plus de croyance que celui d'Hérodote. (D.J.)
PERSES, Philosophie des, (Histoire de la Philosoph.) Les seuls garans que nous ayons ici de l'histoire de la Philosophie, les Arabes & les Grecs, ne sont pas d'une autorité aussi solide & aussi pure qu'un critique sévere le désireroit. Les Grecs n'ont pas manqué d'occasions de s'instruire des lois, des coutumes, de la religion & de la philosophie de ces peuples ; mais peu sinceres en général dans leurs récits, la haine qu'ils portoient aux Perses les rend encore plus suspects. Qu'est-ce qui a pu les empêcher de se livrer à cette fureur habituelle de tout rapporter à leurs idées particulieres ? La distance des tems, la légereté du caractere, l'ignorance & la superstition des Arabes n'affoiblissent guere moins leur témoignage. Les Grecs mentent par orgueil ; les Arabes mentent par intérêt. Les premiers défigurent tout ce qu'ils touchent pour se l'approprier ; les seconds pour se faire valoir. Les uns cherchent à s'enrichir du bien d'autrui, les autres à donner du prix à ce qu'ils ont. Mais c'est quelque chose que de bien connoître les motifs de notre méfiance, nous en serons plus circonspects.
De Zoroastre. Zerdust ou Zaradusht, selon les Arabes, & Zoroastre, selon les Grecs, fut le fondateur ou le restaurateur de la Philosophie & de la Théologie chez les Perses. Ce nom signifie l'ami du feu. Sur cette étymologie on a conjecturé qu'il ne désignoit pas une personne, mais une secte. Quoi qu'il en soit, qu'il n'y ait jamais eu un homme appellé Zoroastre, ou qu'il y en ait eu plusieurs de ce nom, comme quelques-uns le prétendent, on n'en peut guere reculer l'existence au-delà du regne de Darius Histaspe. Il y a la même incertitude sur la patrie du premier Zoroastre. Est-il chinois, indien, perse, medo-perse ou mede ? s'il en faut croire les Arabes, il est né dans l'Aderbijan, province de la Médie. Il faut entendre toutes les puérilités merveilleuses qu'ils racontent de sa naissance & de ses premieres années ; au reste, elles sont dans le génie des Orientaux, & du caractere de celles dont tous les peuples de la terre ont défiguré l'histoire des fondateurs du culte religieux qu'ils avoient embrassé. Si ces fondateurs n'avoient été que des hommes ordinaires, de quel droit eût-on exigé de leurs semblables le respect aveugle pour leurs opinions ?
Zoroastre, instruit dans les sciences orientales, passe chez les Islalites. Il entre au service d'un prophete. Il y prend la connoissance du vrai dieu. Il commet un crime. Le prophete, qu'on croit être Daniel ou Esdras, le maudit, & il est attaqué de la lepre. Guéri apparemment, il erre ; il se montre aux peuples, il fait des miracles ; il se cache dans des montagnes ; il en descend ; il se donne pour un envoyé d'en-haut, il s'annonce comme le restaurateur & le réformateur du culte de ces mages ambitieux que Cambise avoit exterminés. Les peuples l'écoutent. Il va à Xis ou Ecbatane. C'étoit le lieu de la naissance de Smerdis, & le magianisme y avoit encore des sectateurs cachés. Il y prêche ; il y a des vexations. Il passe de-là à Balch sur les rives de l'Oxus, & s'y établit. Histaspe regnoit alors. Ce prince l'appelle. Zoroastre le confirme dans la religion des mages que Histaspe avoit gardée ; il l'entraîne par des prestiges ; & sa doctrine devient publique, & la religion de l'état. Il y en a qui le font voyager aux Indes, & conferer avec les brachmanes ; mais c'est sans fondement. Après avoir établi son culte dans la Bactriane, il vint à Suse, où l'exemple du roi fut suivi de la conversion de presque tous les courtisans. Le magianisme, ou plutôt la doctrine de Zoroastre, se répandit chez les Perses, les Parthes, les Bactres, les Chorasmiens, les Saiques, les Medes, & plusieurs autres peuples barbares. L'intolérance & la cruauté du mahométisme naissant n'a pu jusqu'à-présent en effacer toutes les traces. Il en reste toujours dans la Perse & dans l'Inde. De Suse, Zoroastre retourna à Balch ; où il éleva un temple au feu ; s'en dit archimage, & travailla à attirer à son culte les rois circonvoisins ; mais ce zele ardent lui devint funeste. Argaspe, roi des Scythes, étoit très-attaché au culte des astres ; c'étoit celui de sa nation & de ses aïeux. Zoroastre ne pouvant réussir auprès de lui par la persuasion, employe l'autorité & la puissance de Darius. Mais Argaspe indigné de la violence qu'on lui faisoit dans une affaire de cette nature, prit les armes, entra dans la Bactriane, & s'en empara, malgré l'opposition de Darius, dont l'armée fut taillée en pieces. La destruction du temple patriarchal, la mort de ses prêtres & celle de Zoroastre même furent les suites de cette défaite. Peu de tems après Darius eut sa revanche ; Argaspe fut battu, la province perdue recouverte, les temples consacrés au feu relevés, la doctrine de Zoroastre remise en vigueur, & l'azur gustasp, ou l'édifice de Hystaspe construit. Darius en prit même le titre de grand-prêtre, & se fit appeller de ce nom sur son tombeau. Les grecs qui connoissoient bien les affaires de la Perse, gardent un profond silence sur ces événemens, qui peut-être ne sont que des fables inventées par les Arabes, dont il faudroit réduire le récit à ce qu'il y eut dans un tems un imposteur qui prit le nom de Zoroastre déja révéré dans la Perse, attira le peuple, séduisit la cour par des prestiges, abolit l'idolâtrie, & lui substitua l'ancien culte du feu, qu'il arrangea seulement à sa maniere. Il y a aussi quelqu'apparence que cet homme n'étoit pas tout-à-fait ignorant dans la médecine & les sciences naturelles & morales ; mais que ce fut une encyclopédie vivante, comme les Arabes le disent, c'est sûrement un de ces mensonges pieux auxquels le zele qui ne croit jamais pouvoir trop accorder aux fondateurs de religion, se détermine si généralement.
Des Guebres. Depuis ces tems reculés, les Guebres ont persisté dans le culte de Zoroastre. Il y en a aux environs d'Ispahan dans un petit village appellé de leur nom Gauradab. Les Musulmans les regardent comme des infideles, & les traitent en conséquence. Ils exercent là les fonctions les plus viles de la société ; ils ne sont pas plus heureux dans la Commanie ; c'est la plus mauvaise province de la Perse. On leur y fait payer bien cher le peu d'indulgence qu'on a pour leur religion. Quelques-uns se sont refugiés à Surate & à Bombaye où ils vivent en paix, honorés pour la sainteté & la pureté de leurs moeurs, adorant un seul Dieu, priant vers le soleil, révérant le feu, détestant l'idolâtrie, & attendant la résurrection des morts & le jugement dernier. Voyez l'article GUEBRES ou GAURES.
Des livres attribués à Zoroastre. De ces livres le zend ou le zendavesta est le plus célebre. Il est divisé en deux parties ; l'une comprend la liturgie ou les cérémonies à observer dans le culte du feu ; l'autre prescrit les devoirs de l'homme en général, & ceux de l'homme religieux. Le zend est sacré ; & les saintes Ecritures n'ont pas plus d'autorité parmi les Chrétiens, ni l'alcoran parmi les Turcs. On pense bien que Zoroastre le reçut aussi d'en-haut. Il est écrit en langue & en caracteres Perses. Il est renfermé dans les temples ; il n'est pas permis de le communiquer aux étrangers ; & tous les jours de fêtes les prêtres en lisent quelques pages aux peuples. Thomas Hyde nous en avoit promis une édition ; mais il ne s'est trouvé personne même en Angleterre qui ait voulu en faire les frais.
Le zend n'est point un ouvrage de Zoroastre : il faut en rapporter la supposition au tems d'Eusebe. On y trouve des pseaumes de David ; on y raconte l'origine du monde d'après Moyse ; il y a les mêmes choses sur le déluge ; il y est parlé d'Abraham, de Joseph & de Salomon. C'est une de ces productions telles qu'il en parut une infinité dans ces siecles où toutes les sectes qui étoient en grand nombre, cherchoient à prévaloir les unes sur les autres par le titre d'ancienneté. Outre le zend, on dit que Zoroastre avoit encore écrit dans son traité quelques centaines de milliers de vérités sur différens sujets.
Des oracles de Zoroastre. Il nous en reste quelques fragmens qui ne font pas grand honneur à l'anonyme qui les a fabriqués ; quoiqu'ils ayent eu de la réputation parmi les platoniciens de l'école d'Alexandrie, c'est qu'on n'est pas difficile sur les titres qui autorisent nos opinions. Ces philosophes n'étoient pas fâchés de retrouver quelques-unes de leurs idées dans les écrits d'un sage aussi vanté que Zoroastre.
Du mage Hystaspe. Cet Hystaspe est le pere de Darius ; il se fit chef des mages. Il y eut là-dedans plus de politique que de religion. Il doubla son autorité sur les peuples en réunissant dans sa personne les titres de pontife & de roi. L'inconvénient de cette réunion, c'est qu'un seul homme ayant à soutenir deux grands caracteres, il arrive souvent que le roi deshonore le pontife, ou que le pontife rabaisse le roi.
D'Ostanes ou d'Otanès. On prétend qu'il y eut plusieurs mages de ce nom, & qu'ils donnerent leur nom à la secte entiere qui en fut appellée ostaniste. On dit qu'Ostanès ou Otanès cultiva le premier l'Astronomie chez les Perses. On lui attribue un livre de Chimie.
Ce fut lui qui initia Démocrite aux mysteres de Memphis. Il n'y a que le rapport des tems qui contredise cette fable.
Du mot mage. Ceux qui dérivent de l'ancien mot mog, qui dans la Perse & dans la Médie signifioit adorateur ou prêtre du feu, en ont trouvé l'étymologie la plus vraisemblable.
De l'origine du magianisme. Cette doctrine étoit établie dans l'empire de Babylone & d'Assyrie, & chez d'autres peuples de l'orient long-tems avant la fondation des Perses. Zoroastre n'en fut que le restaurateur. Il faut en conclure de-là l'extrême ancienneté.
Du caractere d'un mage. Ce fut un théologien & un philosophe. Un mage naissoit toujours d'un autre mage. Ce fut dans le commencement une seule famille peu nombreuse qui s'accrut en elle-même ; les peres se marioient avec leurs filles, les fils avec leurs meres, les freres avec leurs soeurs. Epars dans les campagnes, d'abord ils n'occuperent que quelques bourgs ; ils fonderent ensuite des villes, se multiplierent au point de disputer la souveraineté aux monarques.
Cette confiance dans leur nombre & leur autorité les perdit.
Des classes des mages. Ils étoient divisés en trois classes. Une classe infime attachée aux services des temples ; une classe supérieure qui commandoit à l'autre ; & un archimage qui étoit le chef de toutes les deux. Il y avoit aussi trois sortes de temples ; des oratoires où le feu étoit gardé dans une lampe ; des temples où il s'entretenoit sur un autel ; & une basilique, le siege de l'archimage, & le lieu où les adorateurs alloient faire leurs grandes dévotions.
Des devoirs des mages. Zoroastre leur avoit dit : Vous ne changerez ni le culte, ni les prieres. Vous ne vous emparerez point du bien d'autrui. Vous fuirez le mensonge. Vous ne laisserez entrer dans votre coeur aucun desir impur ; dans votre esprit aucune pensée perverse. Vous craindrez toute souillure. Vous oublierez l'injure. Vous instruirez les peuples. Vous présiderez aux mariages. Vous fréquenterez sans cesse les temples. Vous méditerez le zendavesta : ce sera votre loi, & vous n'en reconnoîtrez point d'autre : & que le ciel vous punisse éternellement, si vous souffrez qu'on le corrompe. Si vous êtes archimage, observez la pureté la plus rigoureuse. Purifiez-vous de la moindre faute par l'ablution. Vivez de votre travail. Recevez la dixme des peuples. Ne soyez ni ambitieux, ni vains. Exercez les oeuvres de la miséricorde ; c'est le plus noble emploi que vous puissiez faire de votre richesse. N'habitez pas loin des temples, afin que vous puissiez y entrer sans être apperçu. Lavez-vous souvent. Soyez frugal. N'approchez point de votre femme les jours de solemnité. Surpassez les autres dans la connoissance des sciences. Ne craignez que Dieu. Reprenez fortement les méchans : de quelque rang qu'ils soient, n'ayez aucune indulgence pour eux. Allez porter la vérité aux souverains. Sachez distinguer la vraie révélation de la fausse. Ayez toute confiance dans la bonté divine. Attendez le jour de la manifestation ; & soyez-y toujours préparé. Gardez soigneusement le feu sacré ; & souvenez-vous de moi jusqu'à la consommation des siecles, qui se fera par le feu.
Des sectes des mages. Quelque simple que soit un culte, il est sujet à des hérésies. Les hommes se divisent bien entr'eux sur des choses réelles, comment s'accorderoient-ils long-tems sur des objets imaginaires ? Ils sont abandonnés à leur imagination, & il n'y a aucune expérience qui puisse les réunir. Les mages admettoient deux principes, un bon & un mauvais ; l'un de la lumiere, l'autre des ténebres : étoient-ils co-éternels ? Ou, y avoit-il priorité & postériorité dans leur existence ? Premier objet de discussion ; premiere hérésie ; premiere cause de haine, de trahison & d'anathème.
De la philosophie des mages. Elle avoit pour objet Dieu, l'origine du monde, la nature des choses, le bien, le mal, & la regle des devoirs. Le système de Zoroastre n'étoit pas l'ancien ; cet homme profita des circonstances pour l'altérer, & faire croire au peuple tout ce qu'il lui plut. La distance des tems, les mensonges des grecs, les fables des arabes, les symboles & l'emphase des orientaux, rendent ici la matiere très-obscure.
Des dieux des Perses. Ces nations adoroient le soleil ; ils avoient reçu ce culte des Chaldéens & des Assyriens. Ils appelloient ce dieu Mithras ; ils joignoient à Mithras Orosmade & Arimane.
Mais il faut bien distinguer la croyance des hommes instruits, de la croyance du peuple. Le soleil étoit le dieu du peuple ; pour les théologiens ce n'étoit que son tabernacle.
Mais en remontant à l'origine, Mithras ne sera qu'un de ces bienfaiteurs des hommes, qui les rassembloient, qui les instruisoient, qui leur rendoient la vie plus supportable & plus sûre, & dont ils faisoient ensuite des Dieux. Celui des peuples d'Orient s'appelloit Mithras. Son ame au sortir de son corps s'envola au soleil, & de-là le culte du soleil, la divinité de cet astre.
On n'a qu'à jetter les yeux sur les symboles de Mithras pour sentir toute la force de cette conjecture. C'est un homme robuste ; il est ceint d'un cimeterre ; il est couronné d'une tiare ; il est assis sur un taureau, il conduit l'animal féroce, il le frappe, il le tue. Quels sont les animaux qu'on lui sacrifie ? des chevaux ? quels compagnons lui donne-t-on ? des chiens.
L'histoire d'un homme défiguré, est devenue un système de religion. Rien ne peut subsister entre les hommes sans s'altérer ; il faut qu'un système de religion, fut-il achevé se corrompe à la longue, à-moins qu'une autorité infaillible n'en assure la pureté. Supposons que Dieu se montrât aux hommes sous la forme d'un grand spectre de feu, qu'élevé au dessus du globe qui tourneroit sous ses piés, les hommes l'écoutassent en silence, & que d'une voix forte il leur dictât ses lois, croit-on que ses lois subsisteroient incorruptibles ? croit-on qu'il ne vînt pas un tems où l'apparition même se révoquât en doute ? il n'y a que le séjour constant de la divinité parmi nous, ou par ses miracles, ou par ses prophêtes, ou par un représentant infaillible, ou par la voix de la conscience, ou par elle-même, qui puisse arrêter l'inconstance de nos idées en matiere de religion.
Mithras est un & triple ; on retrouve dans ce triple Mithras des vestiges de la trinité de Platon & de la nôtre.
Orosmade ou Horsmidas est l'auteur du bien ; Arimane est l'auteur du mal : écoutons Leibnitz sur ces dieux. Si l'on considere, dit le philosophe de Leipsick, que tous les potentats d'Asie, se sont appellés Horsmidas, qu'Irmen ou Hermen est le nom d'un dieu ou d'un héros celto-scythe, on sera porté à croire que l'Arimane des Perses fut quelque conquérant d'occident, tels que furent dans la suite Gengis-Chan & Tamerlan, qui passa de la Germanie & de la Sarmatie dans l'Asie, à-travers les contrées des Alains & des Massagetes, & qui fondit dans les états d'un Horsmidas, qui gouvernoit paisiblement ses peuples fortunés, & qui les défendit constamment contre les entreprises du ravisseur. Avec le tems l'un fut un mauvais génie, l'autre un bon ; deux principes contraires qui sont perpétuellement en guerre, qui se défendent & se battent bien, & dont l'un n'obtient jamais une entiere supériorité sur l'autre. Ils se partagent l'empire du monde, & le gouvernement, ainsi que Zoroastre l'établit dans sa chronologie. Ajoutez à cela, qu'en effet au tems de Cyaxare, roi des Medes, les Scythes se répandirent en Asie.
Mais comment un trait historique si simple, devient-il à la longue une fable si compliquée ? C'est qu'on transporta dans la suite, au culte, aux dieux, aux statues, aux symboles religieux, aux cérémonies, tout ce qui appartenoit aux sciences, à l'Astronomie, à la Physique, à la Chimie, à la Métaphysique & à l'histoire naturelle. La langue religieuse resta la même ; mais toutes les idées changerent. Le peuple avoit une religion & le prêtre une autre.
Principes du système de Zoroastre. Il ne faut pas confondre ce système renouvellé avec l'ancien ; celui des premiers mages étoit fort simple ; celui de Zoroastre se compliqua.
1. Il ne se fait rien de rien.
2. Il y a donc un premier principe, infini, éternel, de qui tout ce qui a été & tout ce qui est, est émané.
3. Cette émanation a été très-parfaite & très-pure. Il faut la regarder comme la cause du mouvement, de la chaleur & de la vie.
4. Le feu intellectuel, très-parfait, très-pur, dont le soleil est le symbole, est le principe de cette émanation.
5. Tous les êtres sont sortis de ce feu, & les matériels & les immatériels. Il est absolu, nécessaire, infini ; il se meut lui-même ; il meut & anime tout ce qui est.
6. Mais la matiere & l'esprit étant deux natures diamétralement opposées, il est donc émané du feu originel & divin, deux principes subordonnés, ennemis l'un de l'autre, l'esprit & la matiere, Orosmade & Arimane.
7. L'esprit plus voisin de sa source, plus pur, engendre l'esprit, comme la lumiere, la lumiere : telle est l'origine des dieux.
8. Les esprits émanés de l'océan infini de la lumiere intellectuelle, depuis Orosmade, jusqu'au dernier, sont & doivent être regardés comme des natures lucides & ignées.
9. En qualité de natures lucides & ignées, ils ont la force de mouvoir, d'entretenir, d'échauffer, de perfectionner ; & ils sont bons. Orosmade est le premier d'entr'eux ; ils viennent d'Orosmade : Orosmade est la cause de toute perfection.
10. Le soleil, symbole de ses propriétés, est son trône, & le lieu principal de sa lumiere divine.
11. Plus les esprits émanés d'Orosmade s'éloignent de leur source, moins ils ont de pureté, de lumiere, de chaleur & de force motrice.
12. La matiere n'a ni lumiere, ni chaleur, ni force motrice ; c'est la derniere émanation du feu éternel & premier. Sa distance en est infinie, aussi est-elle ténébreuse, inerte, solide & immobile par elle-même.
13. Ce n'est pas à ce principe de son émanation, mais à la nature nécessaire de son émanation, à sa distance du principe, qu'il faut attribuer ses défauts. Ce sont ces défauts, suite nécessaire de l'ordre des émanations, qui en font l'origine du mal.
14. Quoiqu' Arimane ne soit pas moins qu'Orosmade, une émanation du feu éternel, ou de Dieu, on ne peut attribuer à Dieu ni le mal, ni les ténebres de ce principe.
15. Le mouvement est éternel & très-parfait dans le feu intellectuel & divin ; d'où il s'ensuit qu'il y aura une période à la fin de laquelle tout y retournera. Cet océan reprendra tout ce qui en est émané, tout, excepté la matiere.
16. La matiere ténébreuse, froide, immobile, ne sera point reçue à cette source de lumiere & de chaleur très-pure, elle restera, elle se mouvra, sans cesse agitée par l'action du principe lumineux ; le principe lumineux attaquera sans cesser ses ténebres, qui lui résisteront, & qu'elle affoiblira peu-à-peu, jusqu'à ce qu'à la suite des siecles atténuée, divisée, éclairée autant qu'elle peut l'être, elle approche de la nature spirituelle.
17. Après un long combat, des alternatives infinies, les ténebres seront chassées de la matiere : ses qualités mauvaises seront détruites ; la matiere même sera bonne, lucide, analogue à son principe qui la réabsorbera, & d'où elle émanera derechef, pour remplir tout l'espace & se répandre dans l'univers. Ce sera le regne de la félicité parfaite.
Voilà le systême oriental, tel qu'il nous est parvenu après avoir passé, au sortir des mains des mages, entre celles de Zoroastre, & de celles-ci, entre les mains des Pythagoriciens, des Stoïciens & des Platoniciens, dont on y reconnoît le ton & les idées.
Ces philosophes le porterent à Cosroès. Auparavant la sainteté en avoit été constatée par des miracles à la cour de Sapor, ce n'étoit alors qu'un manichéisme assez simple.
Le sadder, ouvrage où la doctrine zoroastrique est exposée, emploie d'autres expressions ; mais c'est le même fonds. Il y a un Dieu : il est un, très-saint : rien ne lui est égal : c'est le Dieu de puissance & de gloire. Il a créé dans le commencement un monde d'esprits purs & heureux ; au bout de trois mille ans, sa volonté, lumiere resplendissante, sous la forme de l'homme. Soixante & dix anges du premier ordre l'ont accompagnée ; & elle a créé le soleil, la lune, les étoiles & les ames des hommes. Après trois autres mille ans, Dieu créa au-dessous de la lune un monde inférieur, plein de matiere.
Des dieux & des temples. La doctrine de Zoroastre les rejettoit aussi. La premiere chose que Xerxès fit en Grece, ce fut de détruire les temples & les statues. Il satisfaisoit aux préceptes de la religion ; & les Grecs le regardoient sans doute comme un impie. Xerxès en usoit ainsi, dit Cicéron, ut parietibus excluderentur dii, quibus esse deberent omnia patentia & libera : pour briser les prisons des dieux. Les sectateurs du culte des mages ont aujourd'hui la même aversion pour les idoles.
Abregé des prétendus oracles de Zoroastre. Il y a des dieux. Jupiter en est un. Il est très-bon. Il gouverne l'univers. Il est le premier des dieux. Il n'a point été engendré. Il existe de tous les tems. Il est le pere des autres dieux. C'est le grand, le vieil ouvrier.
Neptune est l'ainé de ses fils. Neptune n'a point eu de mere. Il gouverne sous Jupiter. Il a créé le ciel.
Neptune a eu des freres ; ces freres n'ont point eu de mere. Neptune est au-dessus d'eux.
Les autres dieux ont été tirés de la matiere, & sont nés de Junon. Il y a des démons au-dessous des dieux.
Le soleil est le plus vieux des enfans que Jupiter ait eu de leur mere. Le soleil & Saturne président à la génération des mortels, aux titans & aux dieux du tartare.
Les dieux prennent soin des choses d'ici-bas, ou par eux-mêmes, ou par des ministres subalternes, selon les lois générales de Jupiter. Ils sont la cause du bien : rien de mal ne nous arrive par eux. Par un destin inévitable, indéclinable, dépendant de Jupiter, les dieux subalternes exécutent ce qu'il y a de mieux.
L'univers est éternel. Les premiers dieux nés de Jupiter, & les seconds, n'ont point eu de commencement, n'auront point de fin ; ils ne constituent tous ensemble qu'une sorte de tout.
Le grand ouvrier qui a pu faire le tout, le mieux qu'il étoit possible, l'a voulu, & il n'a manqué à rien.
Il conserve & conservera éternellement le tout immobile & sous la même forme.
L'ame de l'homme, alliée aux dieux, est immortelle. Le ciel est son séjour : elle y est & elle y retournera.
Les dieux l'envoyent pour animer un corps, conserver l'harmonie de l'univers, établir le commerce entre le ciel & la terre, & lier les parties de l'univers entr'elles, & l'univers avec les dieux.
La vertu doit être le but unique d'un être lié avec les dieux.
Le principe de la félicité principale de l'homme est dans sa portion immortelle & divine.
Suite des oracles ou fragmens. Nous les exposons dans la langue latine, parce qu'il est presqu'impossible de les rendre dans la nôtre.
Unitas dualitatem genus ; Dyas enim apud eam sedet, & intellectuali luce fulgurat, inde trinitas, & haec trinitas in toto mundo lucet & gubernat omnia.
Voilà bien Mythras, Orosmade & Arimane ; mais sous la forme du christianisme. On croiroit en lisant ce passage, entendre le commencement de l'évangile selon de S. Jean.
Deus fons fontium, omnium matrix, continens omnia, undè generatio variè se manifestantis materiae, unde tractus praeter insiliens cavitatibus mundorum, incipit deorsum tendere radios admirandos.
Galimathias, moitié chrétien, moitié platonicien & cabalistique.
Deus intellectualem in se ignem proprium comprehendens, cuncta perficit & mente tradit secundâ ; sicque omnia sunt ab uno igne progenita, patre genita lux.
Ici le Platonicisme se mêle encore plus évidemment avec la doctrine de Zoroastre.
Mens patris striduit ; intelligens indefesso consilio ; omniformes ideae fonte vero ab uno evolantes exsilierunt, & divisae intellectualem ignem sunt nactae.
Proposition toute platonique, mais embarrassée de l'allégorie & du verbiage oriental.
Anima existens, ignis splendens, vi patris immortalis manet & vitae domina est, & tenet mundi multas plenitudines, mentem enim imitatur ; sed habet congenitum quid corporis.
Il est incroyable en combien de façons l'esprit inquiet se replie. Ici on apperçoit des vestiges de Léibnitianisme.
Opifex qui fabricatus est mundum, erat ignis moles, qui totum mundum ex igne & aqua & terra & aere omnia composuit.
Ces élémens étoient regardés par les Zoroastriens comme les canaux matériels du feu élémentaire.
Oportet te festinare ad lucem & patris radios, unde missa est tibi anima multam induta lucem, mentem enim in anima reposuit & in corpore deposuit.
Ici l'expression est de Zoroastre, mais les idées sont de Platon.
Non deorsum prorsus sis est nigritantem mundum, cui profunditas semper infida substrata est & haedes, circum quaeque nubilis squallidus, idolis gaudens, amens, praeceps, tortuosus, caecum, profundum semper convolvens, semper tegens obscurum corpus iners & spiritu carens, & osor lucis mundus & tortuosa fluenta, sub quâ multi trahuntur.
Galimatias mélancholique, prophétique & sybillain.
Quaere animi canalem, undè aut quo ordine servus factus corporis, in ordinem à quo effluxisti, iterum resurgas.
C'est la descente des ames dans les corps, selon l'hypothese platonicienne.
Cogitatio igne tota primum habet ordinem ; mortalis enim ignis proximus factus, à Deo lumen habebit.
Puisqu'on vouloit faire passer ces fragmens sous le nom de Zoroastre, il falloit bien revenir au principe ignée.
Lunae cursum & astrorum progressum & strepitum dimitte, semper currit opere necessitatis ; astrorum progressus tui gratiâ non est editus.
Ici l'auteur a perdu de vûe la doctrine de Zoroastre, qui est toute astrologique ; & il a dit quelque chose de sensé.
Natura suadet esse daemonas puros, & mala materiae germinia, utilia & bona, &c.
Ces démons n'ont rien de commun avec le magianisme ; & ils sont sortis de l'école d'Alexandrie.
Philosophie morale des Perses. Ils recommandent la chasteté, l'honnêteté, le mépris des voluptés corporelles, du faste, de la vengeance des injures ; ils défendent le vol ; il faut craindre ; refléchir ; consulter la prudence dans ses actions ; fuir le mal, embrasser le bien ; commencer le jour par tourner ses pensées vers l'être suprême ; l'aimer, l'honorer, le servir ; regarder le soleil quand on le prie de jour, la lune quand on s'adresse à lui de nuit ; car la lumiere est le symbole de leur existence & de leur présence ; & les mauvais génies aiment les ténebres.
Il n'y a rien dans ces principes qui ne soit conforme au sentiment de tous les peuples, & qui appartienne plus à la doctrine de Zoroastre, que d'aucun autre philosophe.
L'amour de la vérité est la fin de tous les systêmes philosophiques ; & la pratique de la vertu, la fin de toutes les législations : & qu'importe par quels principes on y soit conduit !
PERSES, s. f. (Comm.) ce sont les toiles tant brodées que peintes, qui nous viennent de la Perse, & qui sont ordinairement de lin ; au lieu que celles des Indes sont de coton : elles sont estimées, parce que les desseins en sont beaux, & les toiles très-fines & bien lustrées. Elles s'impriment de même que les autres avec des planches de bois.
PER SE, (Chimie) est aussi un terme de Chimie. Quand un corps est distillé simplement & sans l'addition qu'on fait d'ordinaire d'une autre matiere pour l'élever ; on dit qu'il est distillé per se, c'est-à-dire, sans addition. Voyez DISTILLATION.
L'esprit volatil de corne de cerf s'éleve de lui-même à la distillation ; en quoi il differe de celui qu'on distille par l'addition de la chaux.
Le mercure qui a été calciné par une douce mais longue chaleur, dans l'oeuf philosophique, s'appelle du mercure précipité per se. Voyez MERCURE & voyez OEUF PHILOSOPHIQUE.
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PERSEA | S. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Il s'éleve du milieu de cette fleur un pistil qui devient dans la suite un fruit charnu & mol, qui renferme une semence dure, divisée en deux lobes, & enveloppée d'une sorte de membrane ou de péricarde. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.
La beauté de cet arbre, qui est toujours verd, l'odeur aromatique de ses feuilles, leur ressemblance à une langue, & celle de son noyau à un coeur, sont la source des mysteres que les Egyptiens y avoient attachés ; ils l'avoient consacré à Isis, & mettoient son fruit sur la tête de leurs idoles, quelquefois entier, & d'autres fois ouvert, pour faire paroître l'amande : cette figure de poire doit toujours le faire discerner du lotus par les antiquaires curieux de déchiffrer les monumens antiques.
Tous les anciens parlent de cet arbre : Théophraste, Strabon, Plutarque, Dioscoride, Pline & Galien. Ils disent qu'il a été planté à Memphis par Persée, qui lui a donné son nom ; que ses feuilles sont amples, fermes, d'une odeur agréable ; que ses fleurs naissent en grappe ; que son fruit est oblong ; & qu'il contient une espece d'amande du goût de la châtaigne. On ne trouve plus aujourd'hui cet arbre en Egypte.
Le persea des modernes approche beaucoup de celui d'Egypte ; on l'appelle en françois poirier de la nouvelle-Espagne ; c'est le prunifera arbor, fructu maximo, pyriformi viridi, pericarpio esculento butyraceo, nucleum unicum maximum, ossiculo nullo tectum, cingente. Catal. Jamaic. 285.
Il s'étend fort au large, & conserve toujours sa verdure ; ses feuilles sont semblables à celles du laurier à larges feuilles. Ses fleurs sont à six pétales, & naissent en grappes. Son fruit a d'abord la figure d'une prune, & s'allonge en poire en murissant ; il est noir, d'un goût agréable, & contient une amande douce, faite en coeur. Cet arbre croît dans la Jamaïque. (D.J.)
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PERSÉCUTER | v. act. PERSÉCUTEUR, s. m. & PERSÉCUTION, s. f. (Droit naturel, Politique & Morale.) la persécution est la tyrannie que le souverain exerce ou permet que l'on exerce en son nom contre ceux de ses sujets qui suivent des opinions différentes des siennes en matiere de religion.
L'histoire ne nous fournit que trop d'exemples de souverains aveuglés par un zèle dangereux, ou guidés par une politique barbare, ou séduits par des conseils odieux, qui sont devenus les persécuteurs & les bourreaux de leurs sujets, lorsque ces derniers avoient adopté des systèmes religieux qui ne s'accordoient point avec les leurs. Sous Rome payenne les empereurs persécuterent la religion chrétienne avec une violence & une cruauté qui font frémir. Les disciples du Dieu de la paix leur paroissoient des novateurs dangereux qui méritoient les traitemens les plus barbares. La providence se servit de ces persécutions pour étendre la foi chez tous les peuples de la terre, & le sang des martyrs devint un germe fécond qui multiplia les disciples de J. C. sanguis martyrum semen christianorum.
A peine l'Eglise eut-elle commencé à respirer sous les empereurs chrétiens, que ses enfans se diviserent sur ses dogmes, & l'arianisme protégé par plusieurs souverains, excita contre les défenseurs de la foi ancienne des persécutions qui ne le cédoient guere à celles du paganisme. Depuis ce tems de siecle en siecle l'erreur appuyée du pouvoir a souvent persécuté la vérité, & par une fatalité déplorable, les partisans de la vérité, oubliant la modération que prescrit l'évangile & la raison, se sont souvent abandonnés aux mêmes excès qu'ils avoient justement reprochés à leurs oppresseurs. Delà ces persécutions, ces supplices, ces proscriptions, qui ont inondé le monde chrétien de flots de sang, & qui souillent l'histoire de l'Eglise par les traits de la cruauté la plus raffinée. Les passions des persécuteurs étoient allumées par un faux zèle, & autorisées par la cause qu'ils vouloient soutenir, & ils se sont cru tout permis pour vanger l'Etre suprème. On a pensé que le Dieu des miséricordes approuvoit de pareils excès, que l'on étoit dispensé des lois immuables de l'amour ou prochain & de l'humanité pour des hommes que l'on cessoit de regarder comme ses semblables, dès-lors qu'ils n'avoient point la même façon de penser. Le meurtre, la violence & la rapine ont passé pour des actions agréables à la Divinité, & par une audace inouie, on s'est arrogé le droit de vanger celui qui s'est formellement réservé la vengeance. Il n'y a que l'ivresse du fanatisme & des passions, ou l'imposture la plus intéressée qui ait pu enseigner aux hommes qu'ils pouvoient, qu'ils devoient même détruire ceux qui ont des opinions différentes des leurs, qu'ils étoient dispensés envers eux des lois de la bonne foi & de la probité. Où en seroit le monde si les peuples adoptoient ces sentimens destructeurs ? L'univers entier, dont les habitans different dans leur culte & leurs opinions, deviendroit un théâtre de carnages, de perfidies & d'horreurs. Les mêmes droits qui armeroient les mains des Chrétiens, allumeroient la fureur insensée du musulman, de l'idolâtre, & toute la terre seroit couverte de victimes que chacun croiroit immoler à son Dieu.
Si la persécution est contraire à la douceur évangélique & aux lois de l'humanité, elle n'est pas moins opposée à la raison & à la saine politique. Il n'y a que les ennemis les plus cruels du bonheur d'un état qui aient pu suggérer à des souverains que ceux de leurs sujets qui ne pensoient point comme eux étoient devenus des victimes dévouées à la mort & indignes de partager les avantages de la société. L'inutilité des violences suffit pour désabuser de ces maximes odieuses. Lorsque les hommes, soit par des préjugés de l'éducation, soit par l'étude & la réflexion, ont embrassé des opinions auxquelles ils croyent leur bonheur éternel attaché, les tourmens les plus affreux ne font que les rendre plus opiniâtres ; l'ame invincible au milieu des supplices s'applaudit de jouir de la liberté qu'on veut lui ravir ; elle brave les vains efforts du tyran & de ses bourreaux. Les peuples sont toujours frappés d'une constance qui leur paroît merveilleuse & surnaturelle ; ils sont tentés de regarder comme des martyrs de la vérité les infortunés pour qui la pitié les intéresse ; la réligion du persécuteur leur devient odieuse ; la persécution fait des hypocrites & jamais des prosélytes. Philippe II. ce tyran dont la politique sombre crut devoir sacrifier à son zèle inflexible cinquante-trois mille de ses sujets pour avoir quitté la religion de leurs peres, & embrassé les nouveautés de la réforme, épuisa les forces de la plus puissante monarchie de l'Europe. Le seul fruit qu'il recueillit fut de perdre pour jamais les provinces du Pays-bas excédées de ses rigueurs. La fatale journée de la S. Barthélemi, où l'on joignit la perfidie à la barbarie la plus cruelle, a-t-elle éteint l'hérésie qu'on vouloit opprimer ? Par cet événement affreux la France fut privée d'une foule de citoyens utiles ; l'hérésie aigrie par la cruauté & par la trahison reprit des nouvelles forces, & les fondemens de la monarchie furent ébranlés par des convulsions longues & funestes.
L'Angleterre, sous Henri VIII. voit traîner au supplice ceux qui refusent de reconnoître la suprématie de ce monarque capricieux ; sous sa fille Marie, les sujets sont punis pour avoir obéi à son pere.
Loin des souverains, ces conseillers intéressés qui veulent en faire les bourreaux de leurs sujets. Ils leur doivent des sentimens de pere, quelles que soient les opinions qu'ils suivent lorsqu'elles ne troublent point l'ordre de la société. Elles ne le troubleront point lorsqu'on n'employera pas contr'elles les tourmens & la violence. Les princes doivent imiter la divinité, s'ils veulent en être les images sur la terre ; qu'ils levent les yeux au ciel, ils verront que Dieu fait lever son soleil pour les méchans comme pour les bons, & que c'est une impiété ou une folie que d'entreprendre de venger le très-haut. Voyez TOLERANCE.
PERSECUTION, (Théol.) on compte ordinairement vingt-quatre persécutions depuis Jesus-Christ jusqu'à nous. Le P. Riccioli en ajoute deux qui sont la premiere & la derniere dans l'ordre que nous allons indiquer.
1°. Celle de Jérusalem, excitée par les Juifs contre S. Etienne, & continuée par Hérode Agrippa, contre S. Jacques, S. Pierre & les autres.
La seconde, sous Néron, commencée l'an 64 de J. C. à l'occasion de l'incendie de Rome, dont on accusa faussement les Chrétiens ; elle dura jusqu'à l'an 68.
La troisieme, sous Domitien depuis l'an 90 jusqu'à l'année 96.
La quatrieme, sous Trajan, commencée l'an 97, elle cessa en 116.
La cinquieme, sous Adrien, depuis l'année 118 jusqu'à 129, avec quelques interruptions occasionnées par les apologies de Quadrat & d'Aristide, en faveur des Chrétiens. Il y eut encore quelques martyrs sous son regne en 136.
La sixieme, sous Antonin le Pieux ; elle commença en 138, & finit en 153.
La septieme, sous Marc Aurele, depuis l'an 161 jusqu'en 174.
La huitieme sous Severe, commencée l'an 199, dura jusqu'à la mort de ce prince en 211.
La neuvieme, sous Maximin, en 235 ; elle ne dura que trois ans.
La dixieme, sous Dece en 249 ; elle cessa à sa mort en 251 ; & dans ce court espace de tems elle fut une des plus sanglantes. Ses successeurs Gallus & Volusien la renouvellerent deux ans après.
La onzieme, sous Valerien & Galien en 257 ; elle dura trois ans & demi.
La douzieme, sous Aurélien, commencée l'an de J. C. 273, & continuée jusqu'en 275.
La treizieme, commencée par Dioclétien & Maximien l'an 303, & continuée sous le nom du premier jusqu'en 310, quoiqu'il eût abdiqué l'empire. Maximien la renouvella en 312, & Licinius la fit durer jusqu'à l'an 315, que l'empereur Constantin donna la paix à l'Eglise.
La quatorzieme fut ordonnée par Sapor II. roi de Perse, à l'instigation des Mages & des Juifs, l'an 343 ; elle coûta, selon Sozomene, la vie à 16 mille chrétiens.
La quinzieme, mêlée d'artifice & de cruauté, est celle que Julien suscita contre les Chrétiens. Elle ne dura qu'un an.
La seizieme fut autorisée par l'empereur Valens, arien, l'an 366, jusqu'en 378.
La dix-septieme, sous Isdegerde, roi de Perse, en 420 ; elle ne finit que trente ans après sous le regne de Varannes V.
La dix-huitieme contre les Catholiques, pendant le regne de Génseric, roi des Vandales, arien, depuis l'an 433, jusqu'en 476.
La dix-neuvieme, sous le regne d'Huneric, successeur de Genseric, en 483 elle ne dura qu'un an.
La vingtieme, sous Gondebaud, aussi roi des Vandales, en 494.
La vingt-unieme, sous Trasimond successeur de Gondebaud ; elle commença en 504.
La vingt-deuxieme, par les Ariens en Espagne, sous Leowigilde, roi des Goths, en 584, & finie sous Recarede, deux ans après.
La vingt-troisieme, sous Cosroès II. roi de Perse, depuis l'an 607, jusqu'en 627.
La vingt-quatrieme, instituée par les Iconoclastes, sous Léon l'Isaurique, depuis 726, jusqu'en 741 ; elle continua sous Constantin Copronyme, jusqu'en 775.
La vingt-cinquieme fut donnée par Henri VIII. roi d'Angleterre, l'an 1534, contre tous les Catholiques, après que ce prince se fut séparé de l'église romaine. Elle fut renouvellée par la reine Elisabeth.
La vingt-sixieme commença dans le Japon, l'an 1587, sous le regne de Taïcosama, à l'instigation des bonzes. Elle fut renouvellée en 1616, par le roi Xongusama, & exercée avec encore plus de cruauté par Toxonguno qui lui succéda, en 1631. Riccioli, chronolog. réform. tom. III.
Lactance a fait un traité de la mort des persécuteurs, qui a été long-tems inconnu, & que M. Baluze a donné le premier au public. Quelques auteurs doutent que cet ouvrage soit véritablement de Lactance, mais M. Burnet qui l'a traduit en anglois, prouve qu'on doit le lui attribuer.
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PERSÉE | S. m. en Astronomie, est une constellation de l'hémisphere septentrional, composée, selon Ptolomée, de 29 étoiles ; d'autant, selon Tycho ; & & de 67, selon le catalogue britannique, &c.
PERSEE, (Mythol.) tout ce que la fable débite de ce fils de Jupiter & de Danaé est une énigme inexplicable. Hérodote dit que non-seulement les peuples de Mycènes & d'Argos éleverent à ce prince des monumens héroïques, mais qu'il reçut de grands honneurs à Athénes où il eut un temple. Le même historien parle encore d'un autre temple de Persée, qu'on lui bâtit à Chemnis en Egypte.
Ce héros fut mis dans le ciel parmi les constellations septentrionales, avec Andromède son épouse, Calliopée & Céphée. (D.J.)
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PERSÉPHONÉ | (Mythol.) c'est un des noms de Proserpine.
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PERSÉPOLIS | (Géog. anc.) ville de la Perside, selon Ptolomée liv. VI. ch. iv. qui la place dans les terres. Quinte-Curce la met à 20 stades de l'Araxe, & lui donne le titre de capitale de l'orient. Il est dit dans le II. liv. des Macchabées, ch. vj. v. 1 & suiv. qu'Antiochus Epiphanes étant à Persépolis, dans le dessein d'y piller un temple très riche, tout le peuple courut aux armes, & le chassa de la ville avec sa troupe ; mais comme Persépolis étoit ruinée de fond en comble du tems d'Antiochus Epiphanès, il y a nécessairement une faute dans le texte du livre que nous venons de citer. Peut-être que l'auteur a mis Persépolis pour signifier la capitale de la Perse, quoique son vrai nom fût Elymaïs.
Ce qui nous intéresse le plus, ce sont les superbes masures connues sous le nom de ruines de Persépolis. Ces ruines sont dans une vaste plaine sur la riviere de Baudemir. L'ancien palais des rois de Perse, communément nommé la maison de Darius, & appellé dans la langue du pays, chelminar ou chilminar, est à l'ouest de cette plaine, au pié d'une montagne qui est de roche vive. La façade de ce superbe bâtiment ruiné a six cent pas de large du nord au sud, & trois cent quatre-vingt-dix pas de l'ouest à l'est. On ne voit ensuite que restes de portiques, d'escaliers, de colonnes, de murailles, de figures d'hommes & d'animaux. Plusieurs de ces colonnes sont encore toutes entieres, ainsi que des niches, & des figures sans nombre, grandes comme nature. On voit aussi dans la montagne deux tombeaux taillés dans le roc, tous deux ayant environ 70 piés par en bas, autant de hauteur, & 40 piés de large.
Toutes ces ruines de Persépolis ont été décrites dans plusieurs livres, & copiées dans plusieurs estampes. Il est vrai que la plûpart des écrivains qui en ont parlé, n'ont songé qu'à plaire par des relations. pompeuses, & que d'autres qui les ont examinées n'y ont point apporté les connoissances nécessaires. Je crois que c'est à le Brun & à Thevenot que nous en devons la relation la plus exacte.
On ne sauroit douter que ces ruines qu'ils ont décrites, ne soient celles d'un palais superbe qui étoit décoré de magnifiques portiques, galeries, colonnes, & autres ornemens splendides. De plus, il est constant que les ruines de Chilminar, sa situation, les vestiges de l'édifice, les figures, leurs vêtemens, les ornemens, & tout ce qui s'y trouve, répond aux manieres des anciens Perses, & a beaucoup de rapport à la description que Diodore de Sicile donne de l'ancien palais de Persépolis.
Cet auteur, liv. XVII. ch. lxxj. après avoir dit qu'Alexandre exposa cette capitale du royaume de Perse au pillage de ses Macédoniens, à la réserve du palais royal, décrit ce palais comme une piece particuliere en cette sorte.
Ce superbe édifice, dit-il, ou ce palais royal, est ceint d'un triple mur, dont le premier, qui étoit d'une grande magnificence, avoit 16 coudées d'élevation, & étoit flanqué de tours. Le second semblable au premier quant à la structure, étoit deux fois plus élevé. Le troisieme est quarré, taillé dans le roc, & a 60 coudées de hauteur. Le tout étoit bâti d'une pierre très-dure, & qui promettoit une stabilité éternelle. A chacun des côtés il y a des portes d'airain, & des palissades de même metal, hautes de vingt coudées ; les dernieres pour donner de la terreur, & les autres pour la sureté du lieu. A l'orient du palais est une montagne appellée la montagne royale, qui en est éloignée de quatre cent piés, & où sont les tombeaux des rois.
Il est certain que la description de le Brun répond autant qu'il est possible à celle de Diodore, & l'on ne peut la lire sans une espece d'admiration pour des masures mêmes, échappées aux flambeaux dont Alexandre & la courtisanne Thaïs mirent Persépolis en cendres. " Mais étoit-ce un chef-d'oeuvre de l'art, qu'un palais bâti aux piés d'une chaîne de rochers arides ? Les colonnes qui sont encore debout ne sont assurément ni dans de belles proportions, ni d'un dessein élégant. Les chapiteaux surchargés d'ornemens grossiers, ont presque autant de hauteur que le fût des colonnes. Toutes les figures sont aussi lourdes que celles dont nos églises gothiques sont encore malheureusement ornées. Ce sont en un mot des monumens de grandeur ; mais non pas des monumens de goût. " (D.J.)
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PERSÉVÉRANCE | S. f. PERSÉVÉRANT, adj. (Theol. morale) la persévérance est le nom d'une vertu chrétienne qui nous rend capables de persister dans la voie du salut jusqu'à la fin.
Les Catholiques distinguent deux sortes de persévérances finales ; l'une purement passive & formelle, qui n'est autre chose que la jonction actuelle & formelle de la grace sanctifiante avec l'instant de la mort. C'est celle qui se rencontre dans les enfans qui meurent avant que d'avoir atteint l'âge de raison, & dans les adultes qui meurent immédiatement après avoir reçu la grace justifiante. L'autre qu'ils appellent active & efficiente, est celle qui nous fait persévérer constamment dans les bonnes oeuvres depuis l'instant que nous avons reçu la grace de la justification jusqu'à celui de la mort.
Les Pélagiens pensoient qu'on pouvoit persévérer jusqu'à la fin par les seules forces de la nature, & les semi-Pélagiens, que la persévérance dans la foi n'étoit pas un effet de la grace.
Les Catholiques au contraire pensent qu'on ne peut persévérer jusqu'à la fin sans la grace, & sans une grace actuelle & spéciale distinguée de la grace sanctifiante, quoiqu'elle ne soit pas distinguée des graces actuelles & ordinaires que Dieu leur accorde pour accomplir les commandemens, & que cette grace ne manque jamais aux justes que par leur faute. C'est la doctrine du deuxieme concile d'Orange. can. 25, & du concile de Trente, sess. 6. cap. xj.
Ils ajoutent qu'outre la grace sanctifiante & les secours actuels, les justes ont besoin d'une grace pour persévérer in acto 1° jusqu'à la fin, ensorte que sans cette grace ils ne persévéreroient pas ; & c'est ce qu'on appelle proprement le don de persévérance dont saint Augustin a dit : negare non possumus perseverantiam in bono proficientem usque in finem, magnum esse Dei munus. Lib. de corrept. & grat. c. xvj. Or ce don, selon les Théologiens, outre les graces actuelles & ordinaires, renferme une grace de protection extérieure qui éloigne d'eux tout danger, toute occasion de chûte particulierement à l'heure de la mort. 2°. La collection de toutes les graces actuelles qui leur sont nécessaires pour opérer le bien, éviter le mal, vaincre les tentations, &c. 3°. Une providence & une prédilection spéciale de Dieu qui est la source & le principe de ces deux premiers avantages : C'est ce qu'enseigne expressément saint Augustin lib. de corrept. & grat. cap. vij.
Les Arminiens & les Gomaristes sont fort partagés sur l'article de la persévérance finale ; les derniers soutenans que la grace est inadmissible & totalement & finalement ; d'où il s'ensuit que la persévérance des justes est non-seulement infaillible, mais encore nécessaire ; les Arminiens au contraire prétendent que les personnes les plus affermies dans la piété & dans la foi, ne sont jamais exemptes de chûte. Ce point de leur doctrine fut condamné dans le synode de Dordrecth. Voyez ARMINIENS & ARMINIANISME.
Persévérance se prend aussi pour un attachement ferme & constant à quelque chose que ce soit, bonne ou mauvaise. On persévere dans le vice ou dans la vertu.
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PERSIA | (Géog. anc.) ou Persis, royaume d'Asie, qui a fait une grande figure dans le monde, & qui a souffert bien des révolutions. Voyez PERSES, empire des (hist. anc. & mod.)
Quelquefois la Parthie ou la Persie ont été des royaumes différens, & quelquefois le nom de Perse a été commun à ces deux états, parce que tous deux ont été de tems en tems sujets à un même roi, & habités par un même peuple. (D.J.)
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PERSICAIRE | S. f. (Hist. nat. Bot.) persicaria, genre de plante dont la fleur n'a point de pétales, elle est composée de plusieurs étamines qui sortent d'un calice profondement découpé. Le pistil devient dans la suite une semence applatie, de figure ovoïde-pointue, & renfermée dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, Inst. rei. herb. Voyez PLANTE.
Les fleurs sont disposées en épi aux sommets des tiges & des branches : le calice est découpé en quatre quartiers ; quelques Botanistes l'ont pris par erreur pour une fleur à quatre pétales : les étamines sont au nombre de six ; l'ovaire qui est au centre du calice est fécond, de figure oblique ou circulaire ; il est muni d'un pistil découpé en deux levres, & dentelé : la semence est plate & terminée en forme d'ovale ; une peau environne la tige à l'endroit d'où les feuilles sortent, & entoure aussi les petites branches à l'opposite des feuilles.
Toutes les persicaires sont douces ou âcres, & forment dix-neuf espèces dans Tournefort. La persicaire douce commune est fort bien nommée par C. Bauhin, persicaria mitis, maculosa, & non maculosa, en anglois, the common mild-arsmart.
Elle pousse plusieurs tiges rondes à la hauteur d'un pié & plus, creuses, rougeâtres, rameuses, branchues, noueuses, & couvertes d'une peau fort déliée. Ses feuilles sont disposées alternativement, longues & pointues, plus larges & plus amples que celles de la persicaire âcre : elles sont lisses, marquées quelquefois au milieu d'une tache noirâtre ou de couleur plombée, faite en forme de croissant, & quelquefois sans tache.
Ses fleurs naissent aux extrémités des tiges en forme de gros épis, elles sont petites & attachées à de longs pédicules ; chacune de ces fleurs est monopétale, fendue en cinq parties, à six étamines, de couleur ordinairement purpurine, quelquefois blanchâtre. Lorsque les feuilles sont tombées, il leur succede des semences applaties, faites en ovale pointue, lisses & noirâtres ; la racine est grêle & toute fibreuse.
Cette plante a une saveur un peu acide, elle vient aux lieux humides, sur le bord des étangs & des fossés, & fleurit au mois de Juillet ; ses feuilles sont estimées rafraichissantes.
La persicaire âcre où brûlante, nommée vulgairement curage, persicaria urens, seu hydropiper. I. R. H. 509. pousse plusieurs tiges semblables à celle de la persicaire douce ; les feuilles ressemblent aux feuilles du pêcher, ce qui lui a fait donner le nom de persicaria, mais elles ne sont point tachetées, & leur saveur est presque aussi brûlante que celle du poivre, les fleurs sont un peu plus pâles que celles de l'espece précédente, mais elles produisent les mêmes semences ; toute la plante est d'un goût poivré, âcre & mordicant, elle est annuelle.
On trouvera dans les Mémoires de l'acad. des Sciences, année 1703, la description donnée par Tournefort de la persicaire du levant, qu'il nomme persicaria orientalis, nicotianae folio, calice florum purpureo ; c'est la plus grande & la plus belle espece de persicaire. (D.J.)
PERSICAIRE, (Mat. méd.) persicaire douce, tachée ou ordinaire.
Tournefort assure dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1703, que cette plante est un des plus grands vulnéraires qu'il connoisse, & que sa décoction dans du vin arrête la gangrene d'une maniere surprenante. Cette vertu qui seroit bien précieuse, si elle étoit réelle, devroit être reconnue sur une aussi grande autorité que celle de Tournefort ; s'il y avoit en médecine des autorités qui pussent tenir lieu de l'observation répetée & constante. La persicaire n'est point employée dans les gangrenes malgré cet éloge de Tournefort, peut-être par une négligence blâmable des Médecins, peut-être aussi parce qu'on a éprouvé que son inefficacité, que ses qualités extérieures rendent très-vraisemblable, étoit aussi très-réelle.
La tisane de cette plante est aussi recommandée dans la dyssenterie & dans les maladies de la peau.
PERSICAIRE BRULANTE, (Mat. méd.) piment ou poivre d'eau, curage.
Cette plante est regardée comme très-propre contre l'hydropisie, la jaunisse & les obstructions du bas ventre ; on peut donner ses feuilles à la dose d'une poignée en décoction dans l'eau simple ou dans un bouillon, mais sa saveur âcre & brûlante empêche qu'on ne l'employe communément pour l'usage intérieur ; son application extérieure est plus commune, du moins plus praticable, car cette plante est en tout assez peu usitée ; ses feuilles étant écrasées & appliquées sur les parties actuellement affligées de la goutte, passent pour en soulager les douleurs ; on dit la même chose d'une petite tente formée avec ses feuilles & introduite dans le creux d'une dent qui cause de la douleur. On la vante encore comme rongeant les chairs baveuses des vieux ulceres, les détergeant & les disposant à la cicatrice, comme dissipant les enflures des jambes, &c.
Il est à peine utile de rapporter que la persicaire brûlante a passé pour exercer ses vertus sur les parties internes en étant portée dans les souliers ; qu'étant appliquée sur la joue dans la douleur des dents, ou sur les plaies & sur les ulceres, tous ces maux disparoissent, dès qu'elle a été détruite par la putréfaction ou la combustion : quoique ce soient des Médecins de réputation qui aient imaginé ou adopté ces pauvretés, ce n'est qu'une anecdote toute commune de la crédulité ou de la charlatanerie médicale. (b)
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PERSICUM MARE | (Géog. anc.) la mer Persique & la mer Rouge sont deux noms synonymes dans Hérodote, l. IV. n. 39, & dans Strabon, l. VI. La mer Rouge se prend néanmoins dans un sens bien plus étendu que la mer Persique. On a appellé autrefois mer Rouge ou mer Erythrée, cette partie de l'Océan indien qui mouille l'Arabie heureuse au midi, & qui forme deux grands golfes, l'un à l'orient de l'Arabie appellé le golfe Persique, & l'autre à l'occident nommé le golfe Arabique, qui retient encore à présent le nom de mer Rouge. (D.J.)
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PERSICUS SINUS | (Géog. anc.) grand golfe d'Asie entre la Perse & l'Arabie, & qui communique à l'Océan indien ; Strabon, l. xvj. p. 765, dit que le golfe Persique est aussi appellé la mer Persique, & qu'on lui donnoit encore le nom de mer Rouge, parce qu'on entendoit par mer Rouge, non-seulement la partie de l'Océan indien, & qui mouille l'Arabie au midi, mais encore le golfe Persique & le golfe Arabique. Les Perses selon Pline l. VI. c. xxvj habiterent toujours le bord de la mer Rouge, ce qui fit qu'on donna le nom de golfe Persique à cette partie de la mer Rouge qui séparoit la Perse de l'Arabie. Plutarque in Lucullo appelle ce golfe mer Babylonienne. (D.J.)
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PERSIENNES | S. f. (Gramm. & Menuis.) jalousies ou chassis de bois qui s'ouvrent en dehors comme des contrevents, & sur lesquels sont assemblés à égale distance des tringles de bois en abat-jour qui font le même effet que les stors, rompent la lumiere & donnent entrée à l'air dans un appartement.
PERSIENNES, sortes de grilles de bois que l'on met aux fenêtres de l'étendoir des manufactures de papier ; elles sont composées d'une grille dormante, tant pleine que vuide, c'est-à-dire dont les barreaux ont autant de largeur que l'espace qu'ils laissent entr'eux, & d'une autre mobile qui peut glisser dans des coulisses pratiquées en haut & en bas de la fenêtre. Lorsque la persienne est ouverte, les barreaux de la grille mobile sont vis-à-vis de ceux de l'autre en cette sorte, ; & lorsqu'elle est fermée, ils répondent vis-à-vis des intervalles que les premiers laissent entr'eux en cette maniere, . On est maître d'ouvrir plus ou moins cette grille, selon que les différens vents qui soufflent l'exigent ; c'est une des choses qui contribuent le plus à la blancheur du papier, que de le faire sécher à-propos.
PERSIENNE, SOIE, s. f. (Manufacture en soie) La persienne ne différe du double fond qu'en ce qu'au lieu de 45 portées de poil, elle n'en contient que 22 & demie ; & au lieu de quatre lisses pour lever les quatre pour rabattre, elle n'en contient que deux pour l'un & deux pour l'autre. Le travail du reste est le même qu'au double fond.
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PERSIL | apium, s. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales égaux disposés en rond, & soutenus par un calice qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences fort menues, qui sont relevées en bosse, striées d'un côté, & applaudies de l'autre. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que ces feuilles sont divisées en aîles, ou qu'elles naissent sur une côte branchue. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Sa racine est simple, longue, grosse comme le doigt, garnie de quelques fibres blanchâtres, s'enfonçant profondément en terre, & bonne à manger ; elle jette des tiges à la hauteur de trois ou quatre piés, de la grosseur d'un pouce, rondes, cannelées, nouées, creuses & rameuses. Ses feuilles sont composées d'autres feuilles vertes, découpées, attachées à de longues queues. Ses fleurs naissent aux sommets des tiges & des rameaux, en ombelles ; chaque fleur est formée de cinq pétales disposés en rose : à ces fleurs succedent des semences jointes deux à deux, menues, cannelées, grises, arrondies sur le dos, d'un goût un peu âcre. On cultive beaucoup cette plante dans les jardins potagers ; elle pousse sa tige à la seconde année, fleurit en Juin & Juillet, & amene ses semences à maturité en Août. L'usage de cette plante remonte à l'antiquité la plus reculée, & elle a été vantée dans tous les tems comme un excellent légume.
Le persil contient beaucoup de sel âcre, & une médiocre quantité d'huile exaltée ; c'est apparemment par le principe de ce sel âcre, que toutes les parties de cette plante sont apéritives, propres à désobstruer, & provoquer les urines & les regles. Son usage est très-commun dans la cuisine & dans la Pharmacie ; sa racine se met dans le potage, & les feuilles par leur faveur agréable & aromatique, relevent plusieurs sortes d'alimens ; cette même racine s'emploie dans les tisanes & apozèmes apéritifs. La graine est une des quatre semences chaudes mineures : elle passe pour atténuante & diurétique.
Enfin cette plante étoit employée dans l'antiquité la plus reculée à divers autres égards ; on la semoit sur les tombeaux, & on en faisoit des couronnes dont on se paroit à table. Dans Virgile, le berger Linus est couronné de cette plante, apio ornatus amaro. " Mon jardin, dit Horace à Philis, vous fournira de l'ache pour vous couronner, & du lierre avec lequel vous entendez à nouer vos cheveux avec tant de grace ".
Est in horto
Philli, nectendis apium coronis ;
Est hederae vis
Multa, quâ crines religata fulges.
Les modernes cultivent dans les jardins deux autres persils ; l'un n'est qu'une variété de celui dont on vient de parler, & qui s'en distingue seulement par ses feuilles frisées & crêpées : on le nomme persil frisé ; l'autre s'éleve beaucoup plus haut, ses feuilles sont plus grandes, & les racines vivaces bonnes à manger, comme celles du céleri : on appelle cette espece gros persil ; c'est l'apium hortense lactifolium de Tournefort. (D.J.)
PERSIL, (Diete & Mat. med.) persil commun ordinaire des jardins, ou domestique. Tout le monde connoît l'usage diététique de la racine & sur-tout des feuilles de persil. La racine se mange dans les potages, & leur donne un goût relevé & une odeur fort agréable. Les feuilles, soit entieres, soit hachées, crues & cuites, fournissent un assaisonnement fort commun aux viandes & aux poissons. Cette racine & ces feuilles employées dans les alimens, passent avec raison pour échauffantes ; mais cette qualité devient à-peu-près indifférente par l'habitude à tous les sujets sains.
On emploie à titre de remede dans l'usage intérieur, la racine & la semence de persil. La racine entre dans les tisanes, les apozèmes & les bouillons apéritifs destinés à purifier le sang. On la croit diaphorétique & portant à la peau ; c'est à ce dernier titre qu'on l'emploie sous la forme de tisane pour aider l'éruption de la petite vérole & de la rougeole.
La semence de persil est une des quatre semences chaudes mineures. Voyez SEMENCES CHAUDES.
L'application extérieure des feuilles de persil pilées avec du lard ou du sain-doux, ou bien arrosées avec de l'eau-de-vie, est un remede populaire assez efficace contre les contusions, & pour dissiper le lait dès mammelles.
La racine de persil entre dans l'eau générale, dans le sirop de guimauve, celui des cinq racines & celui d'armoise ; dans le philonium romanum, la bénédicte laxative, l'hiere de coloquinte, &c. (b)
PERSIL DE MACEDOINE (Bot.) c'est une autre fameuse espece d'ache nommée en latin comme en françois, apium macedonicum, I. R. H. 305. Il differe seulement du persil ordinaire, en ce que ses feuilles sont plus amples & un peu plus découpées, & que sa semence est plus menue, plus aromatique. On le cultive dans nos jardins, où il aime un terrein sablonneux & pierreux. Sa semence est employée dans la thériaque. (D.J.)
PERSIL DE MACEDOINE, (Mat. Med.) Il n'y a que la semence de cette plante qui soit employée en Médecine, & même dans quelques compositions officinales seulement ; par exemple dans le mithridate, la thériaque, les trochisques de myrrhe de la pharmacopée de Paris.
On croit que cette plante est le vrai persil des anciens, celui dont ils faisoient beaucoup de cas, surtout à cause de son usage pour le mithridate & la thériaque, & qu'ils tiroient autant qu'ils pouvoient de Macédoine, comme le meilleur. (b)
PERSIL DE MARAIS, (Botan.) c'est le genre de plante que Tournefort a nommé thysselinum. Voyez THYSSELINUM, Botaniq.
PERSIL DE MONTAGNE, oreoselinum, genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales disposés en rond & soutenus par un calice qui devient dans la suite un fruit composé de deux graines ovales, applaties, amples, striées & frangées, qui pour l'ordinaire se dépouillent aisément de leur enveloppe. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont aîlées & grandes. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
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PERSILLADE | S. f. (Cuisine) assaisonnement avec du persil entier ou haché. On fait des persillades de boeuf.
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PERSILLÉ | adj. (Gramm.) Il se dit d'un fromage dont l'intérieur est parsemé de points ou taches d'un verd de persil.
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PERSIQUE | GOLFE, (Géog. mod.) Voyez GOLFE PERSIQUE. Ce golfe, autrement nommé golfe de Balsora, sort de l'Océan indien, auprès de l'île d'Ormus ; il s'étend du sud-est au nord-ouest, entre la Perse à l'est & l'Arabie à l'ouest, jusqu'à l'ancienne Chaldée, où il reçoit l'Euphrate & le Tigre, qui joignent leurs lits un peu avant leur embouchure ; mais il ne reçoit guere d'autres rivieres considérables.
Les femmes des îles du golfe persique sont, au rapport des voyageurs, brunes, jaunes & laides ; leur visage est large, leurs yeux sont petits : elles ont des modes & des coutumes semblables à celles des femmes indiennes, comme celle de se passer dans le cartilage du nez des anneaux, & une épingle d'or au-travers de la peau du nez sous les yeux. Il est vrai que cet usage de se percer le nez pour porter des bagues & d'autres joyaux, s'est étendu fort loin, car il y a beaucoup de femmes chez les Arabes qui ont une narine percée pour y passer un grand anneau ; & c'est une galanterie chez ces peuples de baiser leurs femmes à-travers ces anneaux, qui sont quelquefois assez grands pour enfermer la bouche dans leur rondeur. (D.J.)
PERSIQUE, DIANE, (Mythol. asiatiq.) La Diane persique étoit la divinité que les Persans nommoient Anaëtis, & qui avoit des temples dans toute la Cappadoce. Il n'étoit pas permis de laisser éteindre le feu sacré qui brûloit sur ses autels. Le temple principal de la Diane persique étoit à Zéla. (D.J.)
PERSIQUE ORDRE, (Architect.) Les Architectes caractérisent ainsi un ordre qui a des figures d'esclaves persans au lieu de colonnes, pour porter un entablement. Voici l'origine de cet ordre. Pausanias ayant défait les Persans, les Lacédémoniens pour signaler leur victoire, érigerent des trophées avec les armes de leurs ennemis, & ils y représenterent des persans sous la figure d'esclaves qui soutenoient leurs portiques, leurs arches, leurs cloisons, &c. (D.J.)
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PERSISTER | (Gramm.) c'est demeurer ferme, garder constamment le même état d'ame, d'esprit & de corps. On persiste dans le repos, dans le mouvement, dans la foi, dans l'incrédulité, dans le vice, dans la vertu, dans son amitié, dans ses haines, dans son sentiment, & même dans son incertitude, quoique le mot de persister marque de la constance, que celui d'incertitude marque de la vacillation ; dans son refus, dans ses bontés, dans sa déposition, à affirmer, à nier, &c.
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PERSONNAGE | S. m. (Gramm.) il est synonyme à homme, mais toujours avec une idée accessoire favorable ou défavorable, énoncée ou sous-entendue. C'est un personnage de l'antiquité. Il se croit un personnage. C'est un sot personnage. Avez-vous vû le personnage ?
Personnage se dit encore du rôle qu'on fait sur la scene ou dans le monde. Il fit dans cette occasion un assez mauvais personnage. Le principal personnage fut mal joué dans cette tragédie. Il est presque impossible à un méchant de faire long-tems sans se démentir le rôle ou le personnage d'homme de bien : il vient un moment critique qui leve le masque & montre la chose. Le masque étoit beau, mais dessous la chose étoit hideuse.
PERSONNAGE allégorique, (Poésie) c'est tout être inanimé que la Poésie personnifie. Les personnages allégoriques que la Poésie emploie, sont de deux especes ; il y en a de parfaits, & d'autres que nous appellons imparfaits.
Les personnages parfaits sont ceux que la Poésie crée entierement, auxquels elle donne un corps & une ame, & qu'elle rend capables de toutes les actions & de tous les sentimens des hommes. C'est ainsi que les Poëtes ont personnifié dans leurs vers la Victoire, la Sagesse, la Gloire ; en un mot tout ce que les Peintres ont personnifié dans leurs tableaux.
Les personnages allégoriques imparfaits sont les êtres qui existent déja réellement, auxquels la Poésie donne la faculté de penser & de parler qu'ils n'ont pas, mais sans leur prêter une existence parfaite, & sans leur donner un être tel que le nôtre. Ainsi la Poésie fait des personnages allégoriques imparfaits, quand elle prête des sentimens aux bois, aux fleuves, en un mot quand elle fait parler & penser tous les êtres inanimés, ou quand élevant les animaux au-dessus de leur sphere, elle leur prête plus de raison qu'ils n'en ont, & la voix articulée qui leur manque.
Ces derniers personnages allégoriques sont le plus grand ornement de la Poésie, qui n'est jamais si pompeuse que lorsqu'elle anime & qu'elle fait parler toute la nature : c'est en quoi consiste la beauté du pseaume in exitu Israël de Egypto, & de quelques autres. Mais ces personnages imparfaits ne sont point propres à jouer un rôle dans l'action d'un poëme, à-moins que cette action ne soit celle d'un apologue. Ils peuvent seulement, comme spectateurs, prendre part aux actions des autres personnages, ainsi que les choeurs prenoient part aux tragédies des anciens.
Les personnages allégoriques ne doivent pas jouer un des rôles principaux d'une action, mais ils y peuvent seulement intervenir, soit comme attributs des personnages principaux, soit pour exprimer plus noblement, par le secours de la fiction, ce qui paroitroit trivial s'il étoit dit simplement. Voilà pourquoi Virgile personnifie la Renommée dans l'Eneïde.
Quant aux actions allégoriques, elles n'entrent guere avec succès que dans les fables & autres ouvrages destinés à instruire l'esprit en le divertissant. Les conversations que les fables supposent entre les animaux, sont des actions allégoriques, mais ces actions allégoriques ne sont point un sujet propre pour le poëme dramatique, dont le but est de nous toucher par l'imitation des passions humaines : ce pié-d'estal, dit l'abbé du Bos, n'est point fait pour la statue. (D.J.)
PERSONNAGE allégorique, (Peinture) Les personnages allégoriques sont des êtres qui n'existent point, mais que l'imagination des Peintres a conçus, & qu'elle a enfantés en leur donnant un nom, un corps & des attributs. C'est ainsi que les Peintres ont personnifié les vertus, les vices, les royaumes, les provinces, les villes, les saisons, les passions, les vents, & les fleuves. La France représentée sous une figure de femme, le Tibre sous une figure d'homme couché, & la Calomnie sous une figure de satyre, sont des personnages allégoriques.
Ces personnages allégoriques sont de deux especes : les uns sont nés depuis plusieurs années ; depuis longtems ils ont fait fortune. Ils se sont montrés sur tant de théâtres, que tout homme un peu lettré les reconnoît d'abord à leurs attributs. La France représentée par une femme la couronne fermée en tête, le sceptre à la main, & couverte d'un manteau bleu semé de fleurs-de-lis d'or ; le Tibre représenté par une figure d'homme couché, ayant à ses piés une louve qui alaite deux enfans, sont des personnages allégoriques inventés depuis long-tems, & que le monde reconnoît pour ce qu'ils sont : ils ont acquis, pour ainsi dire, le droit de bourgeoisie par le genre humain.
Les personnages allégoriques modernes sont ceux que les Peintres ont inventés depuis peu, & qu'ils inventent encore pour exprimer leurs idées ; ils les caractérisent à leur mode, & ils leur donnent les attributs qu'ils croyent les plus propres à les faire reconnoître : ce sont des chiffres dont personne n'a la clé, que peu des gens cherchent, & qu'on méprise. Ainsi je ne parlerai que des personnages allégoriques de la premiere espece, c'est-à-dire des anciens, & je remarquerai d'abord que les peintres qui passent aujourd'hui pour avoir été les plus grands poëtes en peinture, ne sont pas ceux qui ont mis au monde le plus grand nombre de personnages allégoriques. Il est vrai que Raphaël en a produit de cette espece ; mais ce peintre si sage ne les emploie que dans les ornemens qui servent de bordure ou de soutien à ses tableaux dans l'appartement de la signature. Il a même pris la précaution d'écrire le nom de ces personnages allégoriques sous leur figure.
Le sentiment des gens habiles est que les personnages allégoriques n'y doivent être introduits qu'avec une grande discrétion, puisque ces compositions sont destinées à représenter un évenement arrivé réellement, & dépeint comme on croit qu'il est arrivé ; ils n'y doivent même entrer dans les occasions où l'on peut les introduire, que comme l'écu des armes a les attributs des personnages principaux, qui sont des personnages historiques. C'est ainsi qu'Harpocrate, le dieu du silence, ou Minerve, peuvent être placés à côté d'un prince, pour désigner sa discrétion & sa prudence. Je ne pense pas que les personnages allégoriques y doivent être eux-mêmes des acteurs principaux : des personnages que nous connoissons pour des phantômes imaginés à plaisir, à qui nous ne saurions prêter des passions pareilles aux nôtres, ne peuvent pas nous intéresser beaucoup à ce qui leur arrive. D'ailleurs la vraisemblance ne peut être observée trop exactement en Peinture : or des personnages allégoriques employés comme acteurs dans une composition historique, doivent en altérer la vraisemblance. Du Bos, reflexions sur la Peinture. (D.J.)
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PERSONNALISER | v. act. (Grammaire) c'est donner un corps, une ame, du mouvement, de l'action, des discours à des êtres métaphysiques qui n'existent que dans l'entendement, ou qui sont inanimés dans la nature. C'est la ressource des Poëtes & des Peintres. On dit aussi personnifier. Je permets plus volontiers cette machine aux Poëtes qu'aux Peintres. Les êtres personnifiés répandent de l'obscurité dans les compositions de la Peinture.
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PERSONNALITÉ | S. f. (Gramm.) terme dogmatique ; ce qui constitue un individu dans la qualité de personne.
PERSONNALITE, s. f. (Gramm.) mots injurieux, adressés à la personne même ; réflexions sur des défauts qui sont en elle.
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PERSONNAT | S. m. (Jurisprud.) est un bénéfice auquel il y a quelque prééminence attachée, mais sans jurisdiction, à la différence des dignités ecclésiastiques qui ont tout-à-la-fois prééminence & jurisdiction : ainsi la place de chantre d'une église cathédrale ou collégiale, est ordinairement un personnat, parce qu'elle n'a qu'une simple prééminence sans jurisdiction, que si le chantre a jurisdiction dans le choeur, alors c'est une dignité. Voyez le recueil de Drapier, tome I. ch. ij. n. 10. Voyez BENEFICE, DIGNITE, OFFICE. (A)
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PERSONNE | S. f. (Grammaire) Il y a trois relations générales que peut avoir à l'acte de la parole le sujet de la proposition ; car ou il prononce lui-même la proposition dont il est le sujet, ou la parole lui est adressée par un autre, ou il est simplement sujet sans prononcer le discours & sans être apostrophé. Dans cette proposition, je suis le seigneur ton Dieu (Exod. xx. 2.), C'est Dieu qui en est le sujet, & à qui il est attribué d'être le Seigneur Dieu d'Israël ; mais en même tems c'est lui qui produit l'acte de la parole qui prononce le discours : dans celle-ci (Ps. l.), Dieu, ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, c'est encore Dieu qui est le sujet, mais ce n'est pas lui qui parle, c'est à lui que la parole est adressée : enfin, dans celle-ci (Eccli. xvij. 1.), Dieu a créé l'homme de terre & l'a fait à son image, Dieu est encore le sujet, mais il ne parle point, & le discours ne lui est point adressé.
Les Grammairiens latins ont donné à ces trois relations générales le nom de personnes. Le mot latin persona signifie proprement le masque que prenoit un acteur, selon le rôle dont il étoit chargé dans une piece de théâtre ; & ce nom est dérivé de sonare, rendre du son, & de la particule ampliative per, d'où personare, rendre un son éclatant ; Bassius, dans Aulu-Gelle, nous apprend que le masque étoit construit de maniere que toute la tête en étoit enveloppée, & qu'il n'y avoit d'ouverture que celle qui étoit nécessaire à l'émission de la voix ; qu'en conséquence tout l'effort de l'organe se portant vers cette issue, les sons en étoient plus clairs & plus résonnans : ainsi l'on peut dire que sans masque, vox sonabat, mais qu'avec le masque, vox personabat ; & de-là le nom de persona donné à l'instrument qui facilitoit le retentissement de la voix, & qui n'avoit peut-être été inventé qu'à cette fin, à cause de la vaste étendue des lieux, où l'on représentoit les pieces dramatiques. Le même nom de persona fut employé ensuite pour exprimer le rôle même dont l'auteur étoit chargé ; & c'est une métonymie du signe pour la chose signifiée, parce que la face du masque étoit adaptée à l'âge & au caractere de celui qui étoit censé parler, & que quelquefois c'étoit son portrait même : ainsi le masque étoit un signe non-équivoque du rôle.
C'est dans ce dernier sens, de personnage ou de rôle, que l'on donne, en Grammaire le nom de personnes aux trois relations dont on vient de parler, parce qu'en effet ce sont comme autant de rôles accidentels dont les sujets se revêtent, suivant l'occurrence, dans la production de la parole qui est la représentation sensible de la pensée. On appelle premiere personne, la relation du sujet qui parle de lui-même : seconde personne, la relation du sujet à qui l'on parle de lui-même : & troisieme personne, la relation du sujet dont on parle, qui ne prononce ou qui n'est pas censé prononcer lui-même le discours, & à qui il n'est point adressé.
On donne aussi le nom de personnes aux différentes terminaisons des verbes, qui indiquent ces relations, & qui servent à mettre les verbes en concordance avec le sujet considéré sous cet aspect : ego amo, tu amas, Petrus amat, voilà le même verbe avec les terminaisons relatives aux trois différentes personnes pour le nombre singulier ; nos amamus, vos amatis, milites amant, le voilà dans les trois personnes pour le nombre pluriel.
Il y a donc en effet quelque différence dans la signification du mot personne, selon qu'il est appliqué au sujet du verbe ou au verbe même. La personne, dans le sujet, c'est sa relation à l'acte de la parole ; dans le verbe, c'est une terminaison qui indique la relation du sujet à l'acte de la parole. Cette différence de sens doit en mettre une dans la maniere de s'expliquer, quand on rend compte de l'analyse d'une phrase ; par exemple, nos autem viri fortes satis fecisse videmur : il faut dire que nos est de la premiere personne du pluriel, & que videmur est à la premiere personne du pluriel. De indique quelque chose de plus propre, de plus permanent ; à marque quelque chose de plus accidentel & de moins nécessaire. Il faut dire, par la même raison, qu'un nom est de tel genre, par exemple, du genre masculin, & qu'un adjectif est à tel genre, au genre masculin : le genre est fixe dans les noms, & leur appartient en propre ; il est variable & accidentel dans les adjectifs.
Comme la différence des personnes n'opere aucun changement dans la forme des sujets, & qu'elle n'influe que sur les terminaisons des verbes, cela a fait croire au contraire à Sanctius (Minerv. j. 12.), que les verbes seuls ont des personnes, & que les noms n'en ont point, sed sunt alicujus personae verbalis. Il devoit donc raisonner de même sur les genres à l'égard des noms & des adjectifs, & dire que les noms n'ont point de genres, puisque leurs terminaisons sont invariables à cet égard, & qu'ils sont propres aux adjectifs, puisqu'ils en font varier les terminaisons. Cependant, par une contradiction surprenante dans un homme si habile, il a pris une route toute opposée, & a regardé le genre comme appartenant aux noms à l'exclusion des adjectifs, quoique l'influence des genres sur les adjectifs soit la même que celle des personnes sur les verbes. Mais outre la contrariété des deux procédés de Sanctius, il n'a trouvé la vérité ni par l'un ni par l'autre. Les genres font, par rapport aux noms, différentes classes dans lesquelles les usages des langues les ont distribués ; & par rapport aux adjectifs, ce sont différentes terminaisons adaptées à la différence des classes de chacun des noms auxquels on peut les rapporter. Pareillement les personnes sont, dans les sujets, des points de vûe particuliers sous lesquels il est nécessaire de les envisager ; & dans les verbes, ce sont des terminaisons adaptées à ces divers points de vûe en vertu du principe d'identité. Voyez GENRE & IDENTITE.
De-là vient que comme les adjectifs s'accordent en genre avec les noms leurs correlatifs, les verbes s'accordent en personne avec leurs sujets : si un adjectif se rapporte à des noms de différens genres, on le met au pluriel à cause de la pluralité des correlatifs, & au genre le plus noble, frater & soror sunt pii ; de même si un verbe se rapporte à des sujets de diverses personnes, on le met au pluriel à cause de la pluralité des sujets, & à la personne la plus noble, ego & tu ibimus. C'est de part & d'autre, non la même raison, si vous voulez, mais une raison toute pareille. Voyez au surplus PERSONNE & IMPERSONNEL. (B. E. R. M.)
PERSONNES, GENS, (Synon.) le mot de gens, dit l'abbé Girard, a une couleur très-indéfinie qui le rend incapable d'être uni avec un nombre, & d'avoir un rapport marqué à l'égard du sexe. Celui de personne en a une plus particularisée, qui le rend susceptible de calcul, & de rapport au sexe quand on veut le désigner. Il y a peu d'honnêtes gens à la cour ; les personnes de l'un & de l'autre sexe y sont plus polies qu'ailleurs. Le plaisir de la table n'admet que gens de bonne humeur, & ne souffre pas qu'on soit plus de huit ou dix personnes. Voyez aussi l'article GENS. (D.J.)
PERSONNE, persona, (Théologie) une substance individuelle, une nature raisonnable ou intelligente. Voyez SUBSTANCE & INDIVIDUEL.
Le pere & le Fils sont réputés en droit une même personne. Un ambassadeur représente la personne de son prince. Voyez AMBASSADEUR.
En Théologie, la Divinité réside en trois personnes ; mais alors le mot personne emporte une idée particuliere, fort différente de celle que l'on y attache en toute autre circonstance. On ne s'en sert qu'au défaut d'un autre terme plus propre & plus expressif. Voyez TRINITE.
On dit que le mot personne, persona, est emprunté de personando, l'action de jouer un personnage ou de le contrefaire ; & l'on prétend que sa premiere signification étoit celle d'un masque. C'est dans ce sens que Boëce dit, in larvâ concavâ sonus volvatur ; c'est pourquoi les acteurs qui paroissoient masqués sur le théâtre, étoient quelquefois appellés larvati, & quelquefois personati. Le même auteur ajoute que, comme les différens acteurs représentoient chacun un personnage unique & individuel, comme Oedipe, Chremès, Hécube, Médée : ce fut pour cette raison que d'autres gens qui étoient aussi distingués par quelque chose dans leur figure ou leur caractere, ce qui servoit à les faire connoître, furent appellés par les Latins personae, & par les Grecs . De plus, comme ces acteurs ne représentoient guère que des caracteres grands & illustres, le mot personne vint enfin à signifier l'esprit, comme la chose de la plus grande importance & de la plus grande dignité dans tout ce qui peut regarder les hommes : ainsi les hommes, les Anges, & la Divinité elle-même, furent appellés personnes.
Les êtres purement corporels, tels qu'une pierre, une plante, un cheval, furent appellés hypostases ou supposita, & non pas personne. Voyez HYPOSTASE, HYPOSTASIS, &c.
C'est ce qui fait conjecturer aux savans que le même nom personne vint à être d'usage pour signifier quelque dignité, par laquelle une personne est distinguée d'une autre, comme un pere, un mari, un juge, un magistrat, &c.
C'est en ce sens que l'on doit entendre ces paroles de Cicéron : " César ne parle jamais de Pompée qu'en termes d'honneur & de respect ; mais il exécute des choses fort dures & fort injurieuses à sa personne ". Voyez PERSONNALITE.
Voilà ce que nous avions à dire sur le nom personne : quant à la chose, nous avons déjà défini le mot personne, ce qui signifie une substance individuelle d'une nature raisonnable ; définition qui revient à celle de Boëce.
Maintenant, une chose peut être individuelle de deux manieres : 1°. logiquement, ensorte qu'elle ne puisse être dite de toute autre, comme Cicéron, Platon, &c. 2°. physiquement, en ce sens une goutte d'eau, séparée de l'Océan, peut s'appeller une substance individuelle. Dans chacun de ces sens, le mot personne signifie une nature individuelle : logiquement, selon Boëce, puisque le mot personne ne se dit point des universels, mais seulement des natures singulieres & individuelles ; on ne dit pas la personne d'un animal ou d'un homme, mais de Cicéron & de Platon : & physiquement, puisque la main ou le pié de Socrate ne sont jamais considérés comme des personnes.
Cette derniere espece d'individuel se dénomme de deux manieres : positivement, comme quand on dit que la personne doit être le principe total de l'action ; car les Philosophes appellent une personne, tout ce à quoi l'on attribue quelque action : & négativement, comme quand on dit avec les Thomistes, &c. qu'une personne consiste en ce qu'elle n'existe pas dans une autre comme un être plus parfait.
Ainsi un homme, quoiqu'il soit composé de deux substances fort différentes, savoir, de corps & d'esprit, ne fait pourtant pas deux personnes, puisqu'aucune de ces deux parties ou substances, prises séparément, n'est pas un principe total d'action, mais une seule personne ; car la maniere dont elle est composée de corps & d'esprit, est telle qu'elle constitue un principe total d'action, & qu'elle n'existe point dans un autre comme un être plus parfait : de même, par exemple, que le pié de Socrate existe en Socrate, ou une goutte d'eau dans l'Océan.
Ainsi quoique Jesus-Christ consiste en deux natures différentes, la nature divine & la nature humaine, ce n'est pourtant pas deux personnes, mais une seule personne divine ; la nature humaine en lui n'étant pas un principe total d'action, mais existante dans une autre plus parfaite ; mais de l'union de la nature divine & de la nature humaine il résulte un individu ou un tout, qui est un principe d'action : car quelque chose que fasse l'humanité de Jesus-Christ, la personne divine qui est unie la fait aussi ; desorte qu'il n'y a en Jesus-Christ qu'une seule personne, & en ce sens une seule opération, que l'on appelle théandrique. Voyez THEANDRIQUE.
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PERSONNEL | LLE, adj. (Gramm.) ce mot signifie qui est relatif aux personnes, ou qui reçoit des inflexions relatives aux personnes. On applique ce mot aux pronoms, aux terminaisons de certains modes des verbes, à ces modes des verbes, & aux verbes mêmes.
On appelle pronoms personnels ceux qui présentent à l'esprit des êtres déterminés par l'idée prise de l'une des trois personnes. Les pronoms personnels dans le système ordinaire des Grammairiens ne sont qu'une espece particuliere, & l'on y ajoute les pronoms démonstratifs, les possessifs, les relatifs, &c. mais il n'y a de véritables pronoms que ceux que l'on nomme personnels ; & les autres prétendus pronoms sont ou des noms, ou des adjectifs, ou même des adverbes. Voyez PRONOM.
Les terminaisons personnelles de certains modes des verbes sont celles qui sont relatives à l'une des trois personnes, & qui servent à marquer l'identification du verbe avec un sujet de la même personne déterminée. Ego amo, tu amas, Petrus amat, voilà le même verbe identifié, par la concordance, avec le sujet ego, qui est de la premiere personne, avec le sujet tu qui est de la seconde, & avec le sujet Petrus qui est de la troisieme.
On peut encore regarder comme des terminaisons personnelles ou comme des cas personnels le nominatif & le vocatif des noms. En effet, dans une proposition on ne considere la personne que dans le sujet, parce qu'il n'y a que le sujet qui prononce le discours, ou à qui l'on adresse, ou dont on énonce l'attribut sans qu'il parle ni qu'il soit apostrophé. Or le nominatif est le cas qui désigne le nom comme sujet de la troisieme personne, c'est-à-dire comme le sujet dont on parle, Dominus probavit me : le vocatif est le cas qui désigne le nom comme sujet de la seconde personne, c'est-à-dire comme le sujet à qui on parle, Domine probasti me : c'est la seule différence qu'il y ait entre ces deux cas ; & parce que la terminaison personnelle du verbe est toujours suffisante pour désigner sans équivoque cette idée accessoire de la signification du nom qui est sujet, c'est pour cela que le vocatif est semblable au nominatif dans la plûpart des noms latins au singulier, & que ces deux cas, en latin & en grec, sont toujours semblables au pluriel. Voyez VOCATIF.
Les modes personnels des verbes sont ceux où les verbes reçoivent des terminaisons personnelles, au moyen desquelles ils se mettent en concordance de personne avec le nom ou le pronom qui en exprime le sujet. Ces modes sont directs ou obliques ; les directs sont l'indicatif, l'impératif & le suppositif, dont le premier est pur & les deux autres mixtes ; les obliques qui sont aussi mixtes, sont le subjonctif & l'optatif. Voyez MODE, & chacun de ces modes en particulier.
Enfin les Grammairiens ont encore distingué des verbes personnels & des verbes impersonnels : mais cette distinction est fausse en soi, & suppose un principe également faux, comme je l'ai fait voir ailleurs. Voyez IMPERSONNEL. (B. E. R. M.)
PERSONNEL, (Belles-Lettres) ce qui concerne ou regarde particulierement les personnes. Voyez PERSONNE.
Dans les disputes littéraires il n'entre que trop souvent du personnel ; aussi distingue-t-on les critiques en critiques réelles & critiques personnelles. Les critiques réelles sont celles où l'on ne s'attache qu'à relever les défauts des ouvrages. Les critiques personnelles sont celles où l'on s'attaque à l'auteur dont on censure la vie, les moeurs, le caractere, &c. Celles-ci ne se renferment pas toujours dans les bornes d'un badinage léger & permis, elles ne dégénerent que trop souvent en fiel & en aigreur, à la honte des lettres, ou, pour mieux dire, de ceux qui les cultivent. Voyez ANTI.
C'est une maxime en morale que toutes fautes sont personnelles, c'est-à-dire qu'elles ne doivent point nuire aux parens ou aux descendans du coupable. Cette maxime n'avoit pas lieu chez les Macédoniens pour le crime de lése-majesté ; quiconque en étoit convaincu, étoit lapidé, & sa famille étoit enveloppée dans la même condamnation.
PERSONNEL, (Jurisprud.) c'est ce qui est attaché à la personne, ou destiné à son usage, ou qui s'exerce sur la personne comme un droit personnel, une servitude personnelle, une obligation personnelle, une action personnelle, une charge personnelle. Le personnel est ordinairement opposé au réel qui suit le fond. Voyez ACTION, BAIL A RENTE, CHARGE, OBLIGATION, RENTE, SERVITUDE. (A)
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PERSONNIER | S. m. (Jurisprud.) se dit en certaines coûtumes pour exprimer celui qui tient quelque chose en commun avec un autre, comme un cohéritier, un copropriétaire, un compossesseur, qui est sujet à même droit de taille ou deniers de servitude, ou mortaille, ou qui tient en commun & par indivis un héritage avec d'autres personnes, ou qui est compagnon de quelque trafic & négociation ; on appelle aussi personnier celui qui est complice d'un crime. Voyez les assises de Jérusalem, & les coûtumes de Normandie, Lille, Bourbonnois, la Marche, Angoumois, S. Jean d'Angely, Poitou, Nivernois, Anjou, Maine, Bayonne. (A)
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PERSONNIFIER | v. action. (Littérat.) action, ou, pour mieux dire, licence poétique, par laquelle on prête un corps, une ame, un visage, un esprit à des êtres purement intellectuels ou moraux, auxquels on attribue aussi un langage, un caractere, des sentimens & des actions.
Ainsi les poëtes personnifient les passions ou d'autres êtres métaphysiques dont ils ont fait des divinités, & que les païens adoroient ou craignoient, telles que l'envie, la discorde, la faim, la fortune, la victoire, la déesse de la persuasion, le dieu du sommeil. A leur imitation, les modernes ont aussi personnifié des êtres semblables, telle est la mollesse dans le Lutrin de Boileau ; le fanatisme, la discorde, la politique, l'amour dans la Henriade de Voltaire. Voyez MACHINES, MERVEILLEUX. On peut voir sous ces mots quelles précautions un auteur doit observer en personnifiant certains êtres, & dans quelles bornes ils sont maintenant resserrés à cet égard.
Quelques auteurs prétendent que les êtres personnifiés sont essentiels au poëme épique, & d'autres réduisent à ces sortes de fictions toutes les libertés que peuvent maintenant prendre les auteurs qui travailleroient en ce genre. Voyez MERVEILLEUX.
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PERSPECTIF | adj. un plan perspectif, en Architecture, est un plan où les différentes parties d'un bâtiment sont representées selon les dégradations ou les diminutions conformes aux lois de la Perspective. Voyez PERSPECTIVE.
Pour rendre les plans intelligibles, on a coutume de distinguer les parties massives & solides par le moyen d'un lavis noir. Les saillies du rez-de-chaussée se marquent en lignes pleines, & celles que l'on suppose au-dessus, se distinguent par des lignes ponctuées, les augmentations & les changemens que l'on doit faire sont marqués par une couleur différente de celle qui représente ce qui est déja bâti, & les teintes de chaque plan deviennent plus claires ou plus légeres, à-proportion que les étages sont plus élevés ; dans les grands bâtimens, on fait ordinairement trois différens plans pour les trois premiers étages. On dit aussi représentation perspective, élévation perspective, &c. pour dire représentation d'un objet, suivant les regles de la Perspective, élévation d'un objet représenté en perspective. Voyez PERSPECTIVE. (E)
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PERSPECTIVE | S. f. (Ordre Encycl. Entend. Raison, Philos. ou Science, Science de la nature, Mathématiques, Mathématiques mixtes, Optique, Perspective.) c'est l'art de représenter sur une surface plane les objets visibles tels qu'ils paroissent à une distance ou à une hauteur donnée à-travers un plan transparent, placé perpendiculairement à l'horison entre l'oeil & l'objet, La Perspective est ou spéculative ou pratique.
La spéculative est la théorie des différentes apparences ou représentations de certains objets, suivant les différentes positions de l'oeil qui les regarde.
La pratique est la méthode de représenter ce qui paroît à nos yeux ou ce que notre imagination conçoit, & de le représenter sous une forme semblable aux objets que nous voyons.
La Perspective, soit spéculative, soit pratique a deux parties, l'Ichnographie, qui est la représentation des surfaces, & la Scénographie qui est celle des solides. Voyez ICHNOGRAPHIE & SCENOGRAPHIE.
Nous trouvons dans quelques ouvrages des anciens, & principalement dans Vitruve, des traces des connoissances qu'ils avoient de la Perspective, mais il ne nous est resté d'eux aucun écrit en forme sur ce sujet. Ainsi si cette science a été, pour ainsi dire, recréée par les modernes, Albert Durer & Pietro del Borgo en ont les premiers donné les regles : Balthasar Perruzzi les a perfectionnées ; Guido Ubaldi, en 1600, étendit & simplifia la théorie de cette science ; après lui une foule d'auteurs y ont travaillé, entre lesquels nous nommerons le P. Deschales, le P. Lamy, & sur-tout l'essai de Perspective de M. Gravesande, & celui du savant Taylor, les deux meilleurs ouvrages que nous ayons sur cette matiere. Voyez l'hist. des Mathémat. de M. Montucla, tome I. p. 632.
La perspective s'appelle plus particulierement perspective linéaire, à cause qu'elle considere la position, la grandeur, la forme, &c. des différentes lignes, ou des contours des objets ; elle est une branche des Mathématiques : quelques-uns en font une partie de l'Optique, & les autres en font simplement une science dérivée de l'Optique ; ses opérations sont toutes géométriques. Voyez OPTIQUE.
Pour en donner une idée plus précise, supposons un plan transparent H I, Pl. perspect. fig. 1., élevé perpendiculairement sur un plan horisontal, & que le spectateur S dirige son oeil O au triangle A B C ; si l'on conçoit présentement que les rayons A O, O B, O C, &c. en passant par le tableau H I laissent des traces de leur passage aux points a b c sur le plan, on aura sur ce plan l'apparence du triangle a b c, laquelle venant à l'oeil par les mêmes rayons a o, b o, c o, qui apportent à ce même oeil l'apparence du triangle A B C, fera voir la véritable apparence de ce triangle sur le tableau, quand même on supprimeroit l'objet, en conservant néanmoins la même distance & la même hauteur de l'oeil. Voyez VERSION, &c.
On enseigne donc dans la perspective des regles sûres & infaillibles, pour trouver géométriquement les points a, b, c, &c. & par conséquent l'on y donne la méthode de dessiner très-exactement un objet quelconque, puisqu'il ne s'agit pour dessiner un objet que d'en tracer exactement le contour. Voyez DESSEIN.
Avant que d'entrer dans un plus grand détail, il est à-propos de savoir qu'on appelle plan géométral un plan parallele à l'horison, sur lequel est situé l'objet qu'on veut mettre en perspective ; plan horisontal, un plan aussi parallele à l'horison, & passant par l'oeil ; ligne de terre ou fondamentale, la section du plan géométral & du tableau ; ligne horisontale, la section du plan horisontal & du tableau ; point de vûe ou point principal, le point du tableau sur lequel tombe une perpendiculaire menée de l'oeil ; ligne distante, la distance de l'oeil à ce point, &c.
Par cette seul idée que nous venons de donner de la perspective linéaire, il est aisé de juger combien elle est nécessaire à la Peinture, & combien par conséquent il est essentiel de savoir les regles de la perspective pour exceller dans le dessein. Un tableau n'est autre chose que la perspective d'une multitude d'objets revêtus de leurs couleurs naturelles. On ne sauroit donc trop recommander aux Peintres de s'appliquer à la Perspective ; car les fautes grossieres qu'on remarque souvent dans des tableaux d'ailleurs très-beaux, sont souvent la suite de l'ignorance où étoit l'artiste sur les regles de la Perspective. Le P. Bernard Lamy de l'Oratoire, auteur de différens ouvrages élémentaires de Mathématique, a fait un traité de Perspective, où il s'étend beaucoup sur la nécessité indispensable d'en connoître les regles pour exceller dans l'art de la Peinture. De plus, en apprenant ces regles, le peintre ne doit pas se borner à une pratique aveugle ; il est bon qu'il en apprenne aussi les démonstrations, & qu'il se les rende familieres pour être en état de se guider sûrement lorsqu'il aura des perspectives singulieres à représenter.
1°. L'apparence d'une ligne droite est toujours une ligne droite ; ainsi les deux extrémités de l'apparence de cette ligne étant données, l'apparence de toute la ligne est donnée. 2°. Si une ligne F G, placée dans le tableau qu'on suppose vertical, fig. 12, est perpendiculaire à quelque ligne droite N I, tirée sur le plan horisontal, elle sera perpendiculaire à toute autre ligne droite tirée par le même point sur le même plan. 3°. La hauteur du point apparent sur le plan est à la hauteur de l'oeil, comme la distance du point objectif au plan, est à la somme de cette distance & de la distance de l'oeil au tableau.
Lois de la projection des figures planes, ou l'Ichnographie perspective. Représenter l'apparence perspective h d'un point objectif H, fig. 2. du point donné, tirez H I perpendiculairement à la ligne fondamentale D E, c'est-à-dire à la ligne de base du tableau ; de la ligne fondamentale D E retranchez I K = I H : par le point de vûe F, c'est-à-dire par le point où tombe la perpendiculaire menée de l'oeil O au tableau, tirez une ligne horisontale F P ; faites F P égale à la distance S L de l'oeil ; enfin du point I au point de vûe F tirez F I, & du point K au point de distance P la ligne P K. L'intersection h est l'apparence du point objectif.
En effet, 1°. il est facile de voir que l'apparence du point H doit être dans la ligne F I, puisque cette ligne F I est la section du plan O H I, avec le plan du tableau. 2°. Si on tire par les points N S & H la ligne H M S, on aura à cause des triangles semblables, F P ou S L est à K I ou H I, comme N h est à h M ; par conséquent S M est à M H, comme N h est à h M ; d'où il s'ensuit que S H est à M H, comme la somme de N h & de h M, c'est-à-dire N M est à h M, donc V H : I H : : F I : h I ; d'où l'on voit que les points O, h, H, sont dans la même ligne, & qu'ainsi h est l'apparence ou l'image de l'objet H.
C'est pourquoi, 1°. puisque l'apparence des extrémités d'une ligne droite étant donnée, l'apparence de toute la ligne est donnée, on peut avoir par cette méthode la projection ichnographique d'une figure quelconque rectiligne. 2°. Puisque l'on peut avoir par ce moyen la projection d'un nombre quelconque des points d'une courbe sur le plan du tableau ; on peut avoir pareillement la projection des lignes courbes, en suivant la même méthode. 3°. Ainsi en quoi cette méthode s'étend aux figures mixtilignes ; elle est par conséquent universelle. A la vérité d'autres auteurs ont donné d'autres méthodes, mais celle-ci est la plus usitée ; pour en concevoir tout l'avantage, il est bon de l'éclaircir par quelques exemples.
Trouver l'apparence perspective d'un triangle A B C fig. 3. n. 2. dont la base A B est parallele à la ligne fondamentale D E.
A la ligne fondamentale D E tirez une parallele H R à un intervalle égal à la hauteur de l'oeil. Prenez le point de vûe ou un point principal V ; portez la distance de l'oeil du point V au point K : des différens angles du triangle A C B abaissez les perpendiculaires A 1, C 2, B 3 ; transportez ces perpendiculaires sur la ligne de terre ou fondamentale D E de l'autre côté du point de distance K. Des points 1, 2, 3, tirez des lignes droites au point fondamental ou principal V 1, V 2, V 3. Des points A, B, C, de la ligne fondamentale D E, tirez au point de distance ces autres lignes droites A K, B K, C K.
Par la construction précédente les points a, b, c, sont les apparences des points A, B, C, dont ayant tiré les lignes droites c a, a b, b c, a c b sera l'apparence du triangle A B C.
On fait de même la projection d'un triangle sur un plan, quand le sommet C est opposé à l'oeil ; il n'est besoin que de changer la situation du triangle sur le plan géométral, & de tourner le sommet C vers la ligne de terre E D.
Représenter l'apparence perspective d'un quarré A B D C vû obliquement (figure 4.) & dont un des côtés A B est sur la ligne de terre D E, puisque le quarré est vû obliquement ; prenez dans la ligne horisontale H R le point principal V, de maniere qu'une perpendiculaire à la ligne de terre puisse tomber au-dehors du côté du quarré A B, ou qu'au-moins elle ne le coupe pas en deux parties égales ; & soit V K la distance de l'oeil au tableau ; transportez les perpendiculaires A C & B D sur la ligne de terre D E ; & tirez les lignes droites K B, K D, comme aussi A V, V C ; alors les points A & B seront eux-mêmes leurs propres apparences ; c & d les apparences des points C & D ; par conséquent A c d B est l'apparence du quarré A B D C.
Si le quarré A C D B étoit à quelque distance de la ligne de terre D E, il faudroit aussi transporter sur la ligne de terre les distances des angles A & B, ainsi qu'il est évident par le problème précédent.
Comme le cas des objets vus obliquement n'est pas fort commun ; nous supposerons toujours dans la suite que la figure est dans une situation directement opposée à l'oeil, à moins que nous n'avertissions expressément du contraire.
Représenter l'apparence d'un quarré A B C D, (fig. 5.) dont la diagonale A B est perpendiculaire à la ligne de terre.
Prolongez les côtés D C & D B jusqu'à ce qu'ils rencontrent la ligne de terre aux points 1, 2, du point principal V ; transportez la distance de l'oeil en K & en L. De K aux points K & I tirez les droites K A & K I ; & de L aux points A & 2, les lignes droites L A, L 2. Les intersections de ces lignes représenteront l'apparence du quarré A B C D vû par l'angle.
Représenter l'apparence d'un quarré A B C D (fig. 6.) dans lequel on en a inscrit un autre I M G H le côté du plus grand A B étant sur la ligne de terre, & la diagonale du plus petit perpendiculaire à cette même ligne. Du point principal V transportez de part & d'autre, sur la ligne horisontale H R, les distances V L & V K ; tirez V A & V B, K A & L B ; alors A c d B sera l'apparence du quarré A C D B. Prolongez le côté du quarré inscrit I H, jusqu'à ce qu'il rencontre la ligne de terre au point I, & tirez les lignes droites K I & K L, alors i h g m sera la représentation du quarré inscrit I H G M ; d'où l'on conçoit aisément la projection de toutes sortes de figures inscrites dans d'autres figures.
Mettre en perspective un plancher fait de pierres quarrées vûes directement. Divisez le côté A B (fig. 7.) transporté sur la ligne de terre D E en autant de parties égales, qu'il y a de pierres dans un rang du quarré ; des différens points de division tirez des lignes droites au point principal V ; de A au point de distance K tirez une ligne droite A K ; & de B à l'autre point de distance L, tirez une autre ligne L B. Par les points des intersections des lignes correspondantes tirez des lignes droites paralleles à A B, que vous prolongerez jusqu'aux lignes droites A V & B V ; alors A f g B sera l'apparence du plancher A F G B.
Mettre en perspective un cercle ; si le cercle est petit, circonscrivez lui un quarré. Après avoir tiré les diagonales du quarré, & avoir mené outre cela dans le cercle les diametres h a & d e (fig. 8.) qui s'entrecoupent à angles droits, tracez les lignes droites f g & b e paralleles au diametre d e par les points b & f, de même que par les points c & g ; tirez des lignes droites qui rencontrent la ligne de terre D E aux points 3 & 4. Au point principal V tirez les lignes droites V 1, V 3, V 4, V 2, & aux points de distance L & K menez les lignes droites L 2 & K I : enfin joignez les points d'intersection a, b, d, f, h, g, e, c, par les arcs a b, b d, d f ; de cette maniere a b d f h g e c a sera l'apparence du cercle.
Si le cercle est considérable, sur le milieu de la ligne de terre A B (fig. 9.) décrivez un demi-cercle, & de différens points de la circonférence C, F, G, H, I, &c. que vous prendrez en assez grand nombre, abaissez sur la ligne de terre les perpendiculaires C 1, F 2, G 3, H 4, I 5, &c. Des points A, 1, 2, 3, 4, 5, &c. tirez des lignes droites au point principal V ; tirez-en aussi une de B au point de distance L, & une autre de A au point de distance K ; par les points d'intersection communs, tracez des lignes droites comme dans le problème précédent ; par-là vous aurez les points a, c, f, h, i, qui sont les représentations des points A, C, F, G, H, I, & en les joignant comme ci-dessus ils donneront la projection du cercle.
Il est à remarquer qu'on peut se tromper en joignant par des arcs les points trouvés suivant la méthode que nous venons d'enseigner ; car ces arcs ne sont point des arcs de cercle, mais des arcs d'une autre courbe connue par les Géometres sous le nom d'ellipse, & dont la description géométrique n'est pas fort facile, sur-tout lorsqu'il est question de la faire passer par plusieurs points : c'est pourquoi il est presque impossible que la perspective du cercle soit parfaitement juste, en la traçant suivant les regles que nous venons d'enseigner, mais ces regles suffisent dans la pratique.
La raison pour laquelle la perspective d'un cercle est une ellipse, au moins presque toujours, c'est que la perspective d'un cercle est la section du plan du tableau avec le cône qui a l'oeil pour sommet & pour base le cercle. Or la section d'un cône par un plan qui coupe tous ses côtés est presque toujours une ellipse. Voyez SECTIONS CONIQUES.
Au reste ; la méthode que nous venons de proposer pour mettre un cercle en perspective, a cela de commode, qu'elle peut être employée également pour mettre en perspective une courbe ou une figure curviligne quelconque ; car il n'y a qu'à inscrire & circonscrire à cette figure des quarrés ou des rectangles, si la figure n'est pas fort grande, ou si elle l'est, mettre en perspective plusieurs de ses points, que l'on joindra ensuite par des lignes courbes : on peut se servir de la même méthode pour mettre un plancher en perspective, quelle que soit la figure des pierres dont il est composé.
On voit de quel usage le quarré peut être dans la perspective, car même dans le second cas où l'on s'est contenté de tracer la perspective du cercle par plusieurs points, on fait réellement usage d'un quarré, divisé en un certain nombre d'aréoles, & circonscrit au cercle, quoiqu'il ne soit pas tracé sur le plan géométral dans la figure que l'on s'est proposée.
Représenter en perspective un pentagone régulier ayant un bord ou limbe fort large, & terminé par des lignes paralleles, 1°. des différens angles du pentagone extérieur B, C, D, E, (fig. 10.) abaissez sur la ligne de terre T S les perpendiculaires B 1, C 2, D 3, E 4, que vous transporterez comme ci-dessus, sur la ligne de terre, après quoi des points 1, 2, 3, 4, tirant des lignes au point principal V, & de ces mêmes points tirant d'autres lignes au point de distance K, les communes intersections de ces lignes représenteront l'apparence du pentagone extérieur. Maintenant si des angles intérieurs G, H, L, I, vous abaissez pareillement les perpendiculaires G 0, H 5, K 6, I 7, L 8, & que vous acheviez le reste comme dans le premier cas, vous aurez la représentation du pentagone intérieur : ainsi le pentagone A B C D E sera représenté en perspective avec son bord.
On a mis ici ce problème, afin que l'on eût un exemple d'une figure en perspective, terminée par un bord large.
Il faut observer ici, que si les grandeurs des différentes parties d'un objet étoient données en nombres avec la hauteur & la distance de l'oeil, on doit premierement en construire la figure avec une échelle géométrique, & y déterminer, par le même moyen, le point fondamental & & le point de distance.
Il n'est pas toujours nécessaire que l'objet soit tracé sous la ligne de terre, quand on fait la projection des quarrés & des planchers, il est mieux de s'en passer ; mais quand cela est nécessaire & que l'espace manque, on le trace en particulier, & après avoir trouvé les divisions dont on a besoin, on les transporte sur la ligne de terre qui est dans le tableau.
Si l'on attache des fils au point principal & au point de distance, & qu'on les étende au point de division sur la ligne de terre, la commune section de ces fils donnera très-distinctement la projection des différents points, & cette méthode peut souvent être employée avec succès, car il est fort difficile d'éviter la confusion quand on est obligé de tracer un grand nombre de lignes.
La perspective scénographique, ou la projection des corps sur un plan, est la représentation d'un corps sur un plan avec toutes ses dimensions, tel qu'il paroît aux yeux. Voyez l'article SCENOGRAPHIE.
Toute la difficulté se réduit au problème suivant : sur un point donné C (fig. 1. & 2.) élever une hauteur perspective correspondante à la hauteur objective P Q donnée.
Sur la ligne de terre élevez une perpendiculaire P Q, égale à la hauteur objective donnée. Des points P & Q menez à un point quelconque, tel que T, les lignes droites P T & Q T. Du point donné C tirez une ligne C K parallele à la ligne de terre D E, & qui rencontre en K la ligne droite Q T : au point K élevez une perpendiculaire I K sur K C ; cette ligne I K ; ou son égale C B, est la hauteur scénographique que l'on demandoit.
De la perspective d'un bâtiment. Dans la pratique de cette perspective on considere deux choses, le plan & l'élevation du bâtiment : le plan est ce qu'on appelle autrement ichnographie. Voyez ICHNOGRAPHIE. On trace ce plan de maniere que les parties les plus éloignées soient plus petites, suivant la proportion qu'on y veut mettre & qui dépend de la position du point de vûe, & on éleve ensuite sur ce point les perpendiculaires qui marquent les hauteurs correspondantes des différentes parties du bâtiment ; après quoi on ajoute à la figure de la carcasse du bâtiment les ornemens des différentes parties. Ainsi on voit que le problème qui consiste à mettre un bâtiment en perspective se réduit à mettre en perspective des surfaces ou des solides placés à des distances connues.
PERSPECTIVE A VUE D'OISEAU, est la représentation que l'on fait d'un objet en supposant l'oeil fort élevé au-dessus du plan où cet objet est représenté, ensorte que l'oeil en apperçoive un très-grand nombre de dimensions à-la-fois : par exemple, le plan d'une ville avec ses rues & ses maisons, est un plan à vûe d'oiseau ; tel est le plan en grand de Paris qui a été fait il y a quelques années par ordre de la ville. (E)
PERSPECTIVE AERIENNE, est celle qui représente les corps diminués & dans un moindre jour à proportion de leur éloignement.
La perspective aérienne dépend sur-tout de la teinte des objets que l'on fait plus ou moins forte, ou plus ou moins claire, selon qu'on veut représenter l'objet plus ou moins proche. Voyez COULEUR & CLAIR-OBSCUR. Cette méthode est fondée sur ce que plus est longue la colonne d'air à-travers laquelle on voit l'objet, plus est foible le rayon visuel que l'objet envoye à l'oeil. Voyez VISION.
PERSPECTIVE, se dit aussi d'une espece de peinture que l'on voit ordinairement dans les jardins, ou au fond des galeries, qui est faite exprès pour tromper la vûe, en représentant la continuation d'une allée, d'un bâtiment, d'un paysage, d'un lointain, ou de quelque chose semblable.
PERSPECTIVE, (Peinture) la perspective est l'art de représenter les objets qui sont sur un plan, selon la différence que l'éloignement y apporte, soit pour la figure, soit pour la couleur ; elle est fondée sur la grandeur des angles optiques & des images qu'ils portent à différentes distances.
On distingue donc deux sortes de perspectives, la linéaire, & l'aérienne. La perspective linéaire consiste dans le juste raccourcissement des lignes ; l'aérienne, dans une juste dégradation des couleurs ; car dégrader, c'est en terme de peinture, ménager le fort & le foible des jours, des ombres & des teintes, selon les divers degrés d'éloignement. C'est par cette sorte d'illusion que la peinture séduit les sens, & qu'on attribue du relief à ce qui n'en a pas. Voici le méchanisme qui produit cette erreur agréable.
Le jugement que l'instinct porte de la grandeur & des dimensions des corps, se mesure par leurs éloignemens apparens, & par leurs différens degrés de clarté. Un objet qui se trouve placé à une grande distance de l'oeil qui le voit, paroît sous des dimensions diminuées, mais l'instinct habituel frappé de la distance corrige cette altération, & rend à l'objet sa véritable grandeur.
Ainsi pour séduire le jugement involontaire, il doit suffire de donner sur un tableau les apparences des distances réelles. Ces apparences sont décidées & par la diminution de l'objet, & par l'affoiblissement de sa clarté. Une extrémité de paysages dont les traits sont diminués & incertains, les couleurs mal décidées & la lumiere affoiblie, ne peut rappeller que des objets éloignés. L'instinct involontaire transporte au loin ces représentations qui par la foiblesse de leur clarté ne peuvent être supposées qu'à de grandes distances.
La distance apparente peut être encore augmentée par le nombre d'objets réels ou apparens & intermédiaires. Dans un tableau où les traits ne seroient point terminés, ni la lumiere fixe, il paroîtroit qu'on eût peint de petits objets dans le crépuscule ; mais si on décide le jour par la vivacité de certaines couleurs, par la force & la correction du dessein de certaines parties, alors ce qui est sur la surface plate & dont la clarté est affoiblie, frappe l'instinct comme il feroit dans l'éloignement. Le jugement involontaire sépare ces objets de ce qui est fixement éclairé.
Pour rendre sur une surface plate un lointain dans lequel la vue puisse se perdre, on peint une suite d'objets dégradés par nuances. Ce sont ou des palais, ou des campagnes, ou des figures qui dans leurs successions suivent les diminutions optiques, & qui à proportion d'un plus grand éloignement, où l'on veut les faire paroître, ont des desseins moins arrêtés & une lumiere plus affoiblie. Cette imitation de l'éloignement séduisant l'instinct, le tableau prend du relief, les objets y paroissent séparés & à de grandes distances ; il n'est pas même possible à la réflexion de détruire ces effets méchaniques.
Il est constant que l'imitation est non-seulement la premiere regle de la Peinture, mais qu'elle est son principe, sa source, enfin ce qui lui a donné la naissance ; il est constant encore qu'il ne faut pas avoir eu une connoissance & une pratique bien étendues dans ce même art pour avoir exprimé ou indiqué dès le premier instant qu'il a été exercé, le fuyant, la diminution & la dégradation que la nature présente & dessine de tous les côtés ; c'est-là, comme nous l'avons dit, ce qu'on appelle perspective, c'est-à-dire le changement & la diminution que l'air pour la couleur & la distance pour le trait apportent sur les objets exposés à notre vue.
La perspective de la couleur a peut-être été plus long-tems à s'établir ; les peintres auront été plus long-tems retenus par le défaut des moyens ; & quand la pratique & l'usage leur ont fourni ces mêmes moyens, il est vraisemblable qu'ils ont vu quelque tems cette diminution de la couleur, & même les dégradations du trait les plus compliquées & les moins naturelles, sans oser les exprimer, dans la crainte de n'être point entendus. En effet quelle devoit être à cet égard la reserve des anciens peintres, puisque même encore aujourd'hui l'on est obligé d'éviter des figures telles que la perspective peut les donner, parce qu'elles ne sont point heureuses ? N'entend-on pas tous les jours les gens du monde dire, en considérant le fond d'un tableau : " mais ce n'est point-là tel bâtiment, je n'en ai point vu de cette couleur, jamais il n'y a eu de si petites maisons, &c " ? Car ces mêmes gens, qui d'ailleurs ont de l'esprit, mais qui n'ont jamais réfléchi sur la nature & moins encore sur l'imitation, ne reconnoîtront pas leur ami dessiné de profil, ou des trois quarts, parce qu'ils n'en ont jamais été frappés qu'en face. Mais laissons ces gens du monde qui font le malheur des arts & de toutes les connoissances qu'ils n'ont pas ; & revenons à la perspective, après être convenus que les premiers peintres ont été long-tems sans oser exprimer celle de la couleur & peut-être celle du trait.
Il faut remarquer que la perspective s'étend sur tous les objets les plus voisins de l'oeil, & que le monde en général ne connoît que celles qui représentant des bâtimens & des architectures sur des plans dégradés, en portent le nom par excellence. Pour se convaincre de la facilité avec laquelle tous les hommes ont pu remarquer la perspective, & par conséquent l'exprimer, il suffit de regarder par l'angle un bâtiment un peu élevé, & de quelque étendue dans sa longueur, on sera frappé de l'abaissement proportionnel de son trait dans toutes ses parties, ainsi que la dégradation de sa couleur ; & dès-lors on concevra que tout peintre, sans être obligé de passer par les regles, a dû nécessairement exprimer ce qu'il voyoit aussi clairement & aussi constamment.
L'imitation seule, un raisonnement des plus simples, enfin l'art lui-même nous prouvent donc incontestablement que tous les peuples qui ont connu le dessein, ont dû avoir une idée plus ou moins juste, & plus ou moins étendue, mais toujours constante de la perspective. Cependant on a voulu en refuser la connoissance aux Grecs, les peuples de la terre qui ont poussé le plus loin le sentiment, la finesse & l'exécution des arts. S'ils n'eussent point connu la perspective, auroient-ils conduit l'imitation jusqu'à tromper les hommes mêmes ? Auroient-ils élevé ces superbes scènes & décoré ces immenses théâtres d'Athènes avec tant de grandeur & tant de dépense ? Un peuple si fin & si délié en toutes choses auroit-il soutenu la vue d'un amas confus d'arbres, de bâtimens, enfin celle d'un spectacle de désordre, tel qu'il auroit été nécessairement sans ce premier principe, dont la nature fournit à chaque instant des exemples si faciles à comparer ?
M. Perrault admirateur outré de son siecle, est un de ceux qui a porté le plus loin la prévention contre les anciens, n'ayant cherché dans ses écrits qu'à les abaisser presqu'en toutes choses ; mais il n'a pas eu plus de succès que tous ceux qui ont couru la même carriere, en soutenant d'aussi mauvaises thèses que les siennes. Cet homme peu philosophe, dans quelque sens qu'on veuille prendre ce mot, a avancé deux propositions également fausses ; l'une que les peintres ou les sculpteurs n'avoient aucune idée de la perspective, qu'ils en ignoroient les regles, qu'ils n'étoient point conduits par la vue de ces principes qui dirigent aujourd'hui nos peintres ; l'autre qu'ils n'avoient point par conséquent le secret de dégrader les figures, ni par la forme, ni par les couleurs, & qu'ils n'avoient jamais fait de tableau où cette dégradation fût sensible.
Nous ne prétendons pas assurer que les anciens ayent eu une théorie aussi étendue de la perspective que celle que nous avons aujourd'hui. Peut-être que cette intelligence parfaite des mysteres de la perspective devoit être le fruit des réflexions, du goût & du travail de tant de génies extraordinaires qui ont paru depuis 1500 ans. Comme les sciences & les arts se prêtent un secours mutuel, les découvertes qu'on a faites en plusieurs de ces arts qui ont rapport à la peinture, ont bien pu servir à mieux développer nos connoissances, & à produire des ouvrages plus réguliers & plus parfaits. Chaque siecle ajoute aux lumieres des siecles précédens. Si donc M. Perrault s'étoit contenté d'accorder à notre siecle quelque supériorité en ce genre, il n'auroit rien dit qui ne fût raisonnable ; mais en ravalant le mérite des peintres anciens jusqu'à leur refuser toute connoissance de la perspective, c'est se montrer par trop ridicule. Comment se peut-il que la peinture ait eu tant d'éclat, sous le regne d'Alexandre le grand, & que les plus habiles n'ayent eu aucune idée de la perspective, sans le secours de laquelle on convient que la peinture ne peut pas tirer une ligne, ni donner un seul coup de pinceau ?
Ludius, dit Pline, peignit le premier sur les murailles des ouvrages d'architecture & des paysages. Or quelle idée pourroit-on se faire de ces sortes de tableaux, si l'on refusoit aux anciens la connoissance de la perspective ? Apaturius fit une décoration de théâtre dans une ville de Lydie, célebre par son temple de la Victoire, & cette décoration étoit faite dans toutes les regles établies par Agatharque de Samos qui l'avoit inventée. Léonard de Vincy, en expliquant ces mêmes regles, n'en a pas mieux fait sentir les effets, que Platon dans un dialogue du sophiste, & Socrate dans son dixieme livre de la République.
En effet, Apaturius peignit à Tralles dans un petit théâtre une scène où il représenta, au lieu de colonnes, des statues, des centaures qui soutenoient les architraves, des toits en rond, des dômes ; sur tout cela il peignit encore un second ordre, où il y avoit d'autres dômes, des faîtes que l'on ne voyoit qu'à demi, & toutes les autres choses qui sont aux toits des édifices. " Tout l'aspect de cette scène paroissoit fort beau, dit Vitruve, liv. VII. c. v. à cause que le peintre y avoit si bien ménagé les différentes teintes, qu'il sembloit que cette architecture eût toutes ses saillies ". Le texte signifie à la lettre que l'aspect de cette scène flattoit agréablement la vue à cause de son âpreté, propter asperitatem, ou plutôt à cause de son inégalité ; ce qui venoit de ce que la lumiere étant bien choisie & bien répandue sur certaines masses, elles avoient un grand relief, & sembloient s'avancer ; la toile quelqu' unie qu'elle fût, paroissoit raboteuse. Mais il étoit impossible que certaines parties de cette peinture eussent une apparence de saillies, qu'il n'y en eût d'autres plongées dans l'enfoncement & dans un lointain, ce qui est tout le secret de la perspective.
Quoique cette conséquence soit évidente, quoiqu'elle soit, pour ainsi dire, renfermée toute entiere dans ces termes mêmes du passage, je vais la faire envisager dans un autre encore plus précis. C'est toujours Vitruve qui parle dans sa préface, & la traduction de Claude Perrault. " Démocrite & Anaxagore ont écrit sur ce sujet, principalement par quel artifice on peut, ayant mis un point en un certain lieu, imiter si bien la naturelle disposition des lignes qui sortent des lieux en s'élargissant, que bien que cette disposition des lignes nous soit inconnue, on ne laisse pas de rencontrer à représenter fort bien les édifices dans les perspectives que l'on fait aux décorations des théâtres, & on fait que ce qui est peint seulement sur une surface plate paroît avancer en des endroits, & se reculer en d'autres ". Les anciens n'ignoroient donc pas la perspective !
Il est malheureux que la peinture ancienne, au moins la plus parfaite & la plus terminée, n'existe plus, pour nous convaincre du degré auquel les anciens ont porté la perspective. On sait qu'au siecle même d'Auguste les tableaux de Zeuxis, d'Apelle, de Protogene & des autres grands peintres du bon tems de la Grece, se distinguoient à peine, tant la peinture en étoit évaporée, effacée, & le bois vermoulu. Il ne nous reste aujourd'hui, pour établir notre jugement que quelques peintures sur la muraille, que nous sommes trop heureux d'avoir, mais que notre goût pour l'antique ne doit pas nous faire admirer également. Toutes belles qu'elles puissent être à de certains égards, il est certain qu'on ne peut les comparer à ces superbes tableaux dont les auteurs anciens ont fait de si grands éloges, dont ils parloient à ceux même qui les admiroient avec eux, à ceux qui sentoient tout le mérite des chefs-d'oeuvre de sculpture, sur lesquels on ne peut soupçonner ces auteurs de prévention, puisque nous en jugeons & que nous les admirons tous les jours, & qu'enfin nous savons qu'ils étoient également employés à la décoration des temples & des autres lieux publics. Ces arts se suivent au point qu'il est physiquement impossible que l'un fût élégant & sublime, tandis que l'autre auroit été réduit à un point de platitude & d'imperfection, telle que seroit en effet une peinture sans relief, sans dégradation, enfin dans ce qu'on appelle l'intelligence & l'harmonie, parties de l'art, qui toutes, quoiqu'elles ne paroissent pas appartenir directement à notre objet, doivent cependant être comprises sous le nom de la perspective dont elles font partie. Après tout, les peintures à fresque déterrées d'Herculanum suffisent pour justifier que la perspective étoit bien connue des anciens.
Avant même que le roi d'Espagne, alors roi de Naples, nous en eût donné cette preuve, en retirant de cette ville un prodigieux nombre de peintures, les hachures qui expriment les ombres dans la noce Aldobrandine, nous apprenoient bien que son auteur n'ignoroit point cette partie de l'art. Ce n'est pas tout, le sujet traité dans un intérieur de maison représente dix figures sur le même plan ; elles sont posées simplement & naturellement, sans aucune attitude forcée & sans la recherche ni l'affectation d'aucun contraste. Si d'un côté elles ne sont point obligées d'avoir aucune diminution de trait ou de couleur, le peintre n'en a pas moins indiqué la perspective dans toutes les parties où elle étoit nécessaire, nonseulement par la rondeur des corps, & par le sentiment de l'intervalle qui les sépare du fond, mais par la juste dégradation des corps que son sujet lui demandoit, tels que l'autel, le lit, le plancher, &c. Or si toutes ces parties ne sont pas de la perspective aux yeux d'un homme d'art, je ne sais où il en faut chercher, aujourd'hui même que cette science est assurément plus connue qu'elle ne l'a jamais été.
Si l'on veut bien encore examiner plusieurs peintures antiques du tombeau des Nazoni, & principalement une chasse de cerf qu'on trouvera dessinée à la planche XXX, ainsi que tout le recueil mis au jour par Pietro Santo Bartoli, édition de Rome 1680, on sera frappé des connoissances que les anciens avoient fait dans la perspective depuis Pausias.
Les sacrifices peints par ce célebre artiste donnent une idée complete de la perspective ; c'est Pline qui en parle, liv. XXXV. c. xj. en ces mots : Cum omnes quae volunt eminentia videri, candicantia faciant, coloremque condant nigro, hic totum bovem atri coloris fecit ; c'est-à-dire, loin de faire, comme on le pratique ordinairement, les corps saillans blancs avec des oppositions noires, il peignit le boeuf absolument noir. On ne peut mieux décrire l'intelligence, l'harmonie & la ruption des couleurs, d'autant que le même Pline ajoute : umbraeque corpus ex ipso dedit (scilicet nigro) ; il tira les ombres & le corps (du boeuf) de cette seule couleur (noire). Il dit ensuite : Magnâ prorsus arte, in quo extantia ostendens, & in confracto solida omnia : faisant voir avec un art infini sur une surface toute l'étendue & la solidité des corps par des traits rompus. Il est impossible de donner plus parfaitement l'idée des corps mis en perspective.
M. Perrault fonde une de ses preuves de l'ignorance des anciens, en fait de perspective, sur les bas-reliefs de la colonne trajane où en effet toutes les regles de la perspective sont violées : mais il a eu grand tort de ne pas distinguer la différence des siecles de l'antiquité. Peut-il y avoir quelque rapport entre la sculpture des Romains du tems de Trajan, & celle des Grecs dans l'éclat de leurs arts ? D'ailleurs fonder une induction générale sur un exemple particulier, est un vice de raisonnement contraire aux préceptes de tous les logiciens du monde. Mais on peut opposer à M. Perrault des faits incontestables contre son opinion, & qu'il ne devoit pas ignorer. Le recueil de Rossi qui a pour titre, admiranda veteris sculpturae vestigia, nous présente plusieurs bas-reliefs qui sont une preuve évidente de la connoissance des anciens dans la perspective.
M. Perrault donne aussi les médailles des anciens pour preuve de leur ignorance dans la perspective ; il assure même que l'on n'en connoît aucune trace sur ces monnoies ; mais c'est un reproche trop outré ; car quoiqu'il soit vrai que la plus grande partie des médailles anciennes manque du côté des regles de la perspective, il n'est pas vrai qu'elles soient toutes dans ce cas-là. On a plusieurs médailles, & sur-tout des médaillons dans lesquels non-seulement on fait plus que d'entrevoir la perspective, mais elle s'y trouve entierement prononcée. Tel est un médaillon de Seleucus I. roi de Syrie, représentant d'un côté la tête de Jupiter, & au revers Pallas dans un char tiré par quatre éléphans, lançant d'une main un javelot, & de l'autre tenant un bouclier ; cette Pallas est dégradée avec toute l'intelligence nécessaire, les éléphans se distinguent sans confusion, & la roue du char est vue de côté, même avec une grande finesse de perspective, ce qu'il faut voir sur le médaillon ; car tous ceux qui l'ont gravé n'ayant point été sensibles à cette partie ne l'ont point fait sentir. Au reste, ce médaillon, qui est du cabinet du roi, se trouve gravé dans l'histoire des rois de Syrie par M. Vaillant, dans les annales de Syrie du P. Froelich, & dans plusieurs autres recueils d'antiquité. Tels sont encore deux médaillons de bronze de la suite du roi. Le premier est de Faustine mere : d'un côté la tête de cette princesse, de l'autre l'enlevement des Sabines ; ce revers représente plusieurs femmes dans le trouble naturel à leur situation, mais grouppées avec tout l'art du dessein & de la perspective. Le second est de Lucius Verus ; le revers représente Marc-Aurele, & ce prince dans un char tiré par quatre chevaux, est précédé par plusieurs soldats posés sur différens plans, avec des dégradations convenables à leur éloignement. M. de Caylus a fait graver toutes ces médailles à la suite de son discours sur la perspective des anciens dans les mémoires de littérature, tome XXIII. pag. 341.
La perspective des fonds est plus rare dans les pierres gravées, que dans les médailles ; la raison en est bien simple, nous avons moins de sujets de comparaison, & l'un ne se multiplie pas comme l'autre : néanmoins si l'on regarde dans le recueil des pierres gravées du roi, que M. Mariette a donné au public avec tant de soin, les numeros 95, 102 & 112, l'on verra que les anciens n'ignoroient pas l'art de marquer la dégradation dans les figures, suivant l'endroit du plan où elles sont placées. La fameuse pierre connue sous le nom de cachet de Michel Ange, suffiroit seule pour le justifier. Il résulte invinciblement de tout ce discours que les anciens ont connu la perspective, & qu'il n'étoit pas possible qu'ils l'ignorassent. Mais il faut lire les mémoires mêmes de M. l'abbé Sallier & de M. de Caylus sur cette matiere ; ils sont insérés dans le recueil de littérature, tom. VIII. & XXIII. J'en ai tiré tout l'usage que me permettoit ce Dictionnaire pour l'étendue d'un article. (D.J.)
PERSPECTIVE MILITAIRE, (Fortific.) c'est l'art de dessiner sur un plan un objet tel qu'il se présente à l'oeil, placé à une certaine hauteur & à une certaine distance, & vû sur un tableau transparent, qu'on met entre l'oeil & l'objet. Exemple, soit un pentagone A B D E F, entre lequel & l'oeil C est élevé perpendiculairement le tableau V P sur le plan horisontal H R. En s'imaginant que de tous les points passent des rayons dans l'oeil par le tableau, comme C A, C B, C D, &c. & qu'ils laissent sur le tableau V P, de façon que les rayons qui en sortent vers l'oeil, feront le même effet que si le pentagone A B D E F y étoit réellement. La perspective enseigne donc la maniere de trouver par des regles géométriques, les points A B D E F sur le tableau V P ; c'est-à-dire à dessiner un objet suivant qu'il se présente à la vûe, eu égard à la distance & à la position de l'oeil. Quoique pour établir ces regles on ait écrit des volumes entiers, on peut cependant les renfermer dans peu de principes. (D.J.)
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PERSPICACITÉ | S. f. (Gramm.) pénétration prompte & subite ; c'est une qualité qui n'accompagne pas toujours la vivacité de l'esprit, quoiqu'elle la suppose. La perspicacité s'exerce sur les choses difficiles à démêler.
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PERSPICUITÉ | S. f. (Gramm.) clarté, netteté d'idées & de discours ; c'est une qualité essentielle d'un auteur ou d'un orateur. Sans elle, il fatiguera ceux qui l'écouteront, & ses écrits auront besoin d'un commentaire. Ce mot est emprunté de la transparence ou de l'air, ou de l'eau, ou du verre.
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PERSUADER | SUGGÉRER, INSINUER, (Synon.) l'abbé Girard a parfaitement développé la différence de ces trois mots. On insinue finement & avec adresse. On persuade fortement, & avec éloquence. On suggere par crédit, & avec artifice.
Pour insinuer, il faut ménager le tems, l'occasion, l'air & la maniere de dire les choses. Pour persuader, il faut faire sentir les raisons & l'avantage de ce qu'on propose. Pour suggérer, il faut avoir acquis de l'ascendant sur l'esprit des personnes.
Insinuer, dit quelque chose de plus délicat. Persuader, dit quelque chose de plus pathétique. Suggérer, emporte quelquefois dans sa valeur quelque chose de frauduleux.
On couvre habilement ce qu'on veut insinuer. On propose nettement ce qu'on veut persuader. On fait valoir ce qu'on veut suggérer.
On croit souvent avoir pensé de soi-même ce qui a été insinué par d'autres. Il est arrivé plus d'une fois qu'un mauvais raisonnement a persuadé des gens qui ne s'étoient pas rendus à des preuves convaincantes & démonstratives. La société des personnes, qui ne peuvent & n'agissent qu'autant qu'elles sont suggérées par leurs domestiques, ne peut pas être d'un goût bien délicat. (D.J.)
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PERSUASION | S. f. (Gram.) c'est l'état de l'ame considéré relativement à la vérité ou la fausseté d'un fait ou d'une proposition, à sa vraisemblance ou à son défaut de vraisemblance, à sa possibilité ou à son impossibilité ; c'est le jugement sincere & intérieur qu'elle porte de ces choses. Après l'examen, on peut être persuadé d'une chose fausse ; mais celle dont on est convaincu est toujours vraie. La conviction est l'effet de l'évidence qui ne trompe jamais. La persuasion est l'effet des preuves morales qui peuvent tromper. La conviction, non plus que l'évidence ne sont pas susceptibles de plus ou de moins. Il n'en est pas ainsi de la persuasion, elle peut être plus ou moins forte. La persuasion excuse souvent l'action. Les anciens avoient fait de la persuasion une déesse ; c'étoit la patrone des Poëtes & des Orateurs.
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PERTE | voyez l'article PERDRE.
PERTE, dans le commerce, dommage que l'on souffre, diminution de bien & de profit. Les banqueroutes sont quelquefois occasionnées par la mauvaise conduite des négocians, & souvent aussi par les pertes inopinées qui leur surviennent. Voyez BANQUEROUTE.
Vendre sa marchandise, donner sa marchandise à perte, c'est la vendre à moins qu'elle ne coute. Dictionnaire de Commerce.
PERTE, s. f. (Hydraul.) est bien différente d'une faute dans une conduite d'eau ; elle arrive quand on ne connoît point sur la superficie de la terre les endroits où l'eau se perd : alors on est obligé de découvrir entierement une conduite pour l'examiner d'un bout à l'autre, & remédier aux fautes & fraîcheurs que l'on apperçoit le long des tuyaux. (K)
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PERTEGUE | ou PERTIGUELTES, s. m. plur. (Marine) bâtons qui portent avec la fleche une piéce d'étoffe qu'on appelle tendelet, & qui sert à couvrir la poupe d'une galere, contre le soleil & contre la pluie.
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PERTH | (Géog. mod.) ville d'Ecosse, capitale du comté du même nom, sur la riviere de Tay, à 10 lieues N. E. d'Edimbourg, 119 N. par O. de Londres. Long. 14. 35. lat. 56. 40. (D.J.)
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PERTHSHIRE | (Géog. mod.) province d'Ecosse, au sud & à l'est d'Athol. Elle se divise en deux parties ; l'une qui porte proprement le nom de Perth, & l'autre celui de Gowri. Perth est au midi, & Gowri au nord de Perth. (D.J.)
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PERTICA | S. f. (Phys.) nom que les anciens auteurs donnent à une espece de comete, qu'ils appellent autrement véru, broche, parce qu'elle est semblable à une perche ou à une broche par sa figure.
PERTICA, (Antiq. rom.) Les Romains se servoient de la perche pertica, pour partager les terres dans l'établissement des nouvelles colonies, ou lorsqu'après avoir chassé les anciens habitans d'une contrée dont ils s'étoient rendus maitres, ils vendoient à l'enchere les terres après en avoir fait la division. Properce appelle ce partage tristis pertica avec raison, puisque les anciens propriétaires se voyoient dépouillés de leurs biens.
Nam tua cum multis versarem arva juvencis,
Abstulit exultas pertica tristis opes.
Le mot pertica signifioit non-seulement ce bâton long de dix piés, dont on mesuroit les terres, mais encore le fonds mesuré & confiné, comme nous l'apprenons de Siculus Flaccus, de Frontin, & de plusieurs autres que Caesius a recueillis, & qu'il a expliqué par des notes très-nécessaires pour leur intelligence. (D.J.)
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PERTINENT | adj. (Jurisprud.) se dit d'un fait articulé qui vient bien à la chose & dont la preuve est admissible ; quand le fait n'est pas de cette nature, on dit qu'il est impertinent & inadmissible. (A)
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PERTOIS | LE, (Géog. mod.) en latin moderne, pagus Pertisus ; pays de France en Champagne, & dont il est fait mention dans les capitulaires de Charlemagne. Il s'étend le long de la Marne, entre la Champagne proprement dite & le Barrois ; sa capitale est Vitry-le-François. (D.J.)
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PERTUIS | S. m. (Archit. Hydraul.) c'est un passage étroit, pratiqué dans une riviere aux endroits où elle est basse pour en augmenter l'eau de quelques piés, afin de faciliter ainsi la navigation des bateaux qui montent & qui descendent. Cela se fait en laissant entre deux bâtardeaux une ouverture qu'on ferme avec des aîles, comme sur la riviere d'Yone, ou avec des planches en-travers, comme sur la riviere de Loing, ou enfin avec des portes à vannes, ainsi qu'au pertuis de Nogent-sur-Seine. Voyez ECLUSE.
Pertuis de bassin ; c'est un trou par où se perd l'eau d'un bassin de fontaine ou d'un réservoir, lorsque le plomb, le ciment ou le corroi est fendu en quelque endroit. Si l'on veut connoître la dépense d'un pertuis, soit quarré, circulaire, rectangulaire, &c. vertical ou horisontal, il faut lire les sections 9. & 10. de l'Archit. hydraul. de M. Belidor, tom. I. de la premiere partie. (D.J.)
PERTUIS, terme géographique, ce mot est employé en Géographie, sur-tout sur les côtes de Poitou, pour désigner un détroit de mer, comme il paroît par les exemples suivans.
Pertuis-d'Antioche, détroit de l'Océan, dans la mer de France, entre l'île de Ré au nord, & l'île d'Oléron au midi.
Pertuis-Breton, détroit de l'Océan, dans la mer de France, entre la côte du Poitou & de l'Aunis au nord & l'île de Ré au midi.
Pertuis de Maumusson, détroit de l'Océan, dans la mer de France, entre l'île d'Oléron au nord, & la côte de Saintonge au midi & à l'occident.
Mais le pertuis-Rostain ou pertuis-Rostang, est une roche percée au-dessus de laquelle on voit à l'entrée une dédicace faite à Auguste en ces termes : Divo Caesari Augusto dedicata, salutate eam. (D.J.)
PERTUIS, (Géog. mod.) petite ville de France, en Provence, dans la Viguerie d'Aix, à 4 lieues N. E. d'Aix, 11. N. de Marseille, 162 S. E. de Paris. Long. 23. 15. lat. 43. 44.
PERTUIS, s. m. (Serrur.) sorte de garde qu'on met aux planches des serrures. Il a différens noms selon sa figure. On en use le plus communément aux serrures benardes & antiques. Il ne faut pas le confondre avec le rouet qu'on pose sur le palâtre, la couverture ou le foncet.
Il y a le pertuis à jambe, & le pertuis volant.
Le pertuis à jambe se pose sur la planche à l'endroit où passe la tige de la clé. Pour l'arrêter à la planche, on fait un trou à la planche à l'endroit où doit passer la tige de la clé, & on épargne par-derriere un petit rivet.
Le pertuis volant se place à quelqu'endroit de la planche qu'on le veut. Après que la planche a tourné dans la clé, on marque ce pertuis des deux côtés de la planche avec une pointe à tracer, comme si c'étoit un rouet. On en prend la longueur avec un compas. On a une piece de fer qu'on fend juste par le milieu jusqu'à deux lignes de ses extrémités ; on épargne de chaque côté un pié qu'on rive à la planche. On dresse ensuite cette piece, on la fait entrer dans la planche sur le trait, & on rive. Cela fait, on fait tourner la clé, & on lime le pertuis par le bout.
Il y a des pertuis en coeur, en rond, en treffle, de quarrés, de coudés, en ovale, en croix de S. André, en étoiles, de renversés, de hastés, de deux pleines croix, en M. en brin de sauge, &c.
PERTUIS, s. m. terme de Tireur d'or ; ancien mot qui signifie un trou, & qui n'est plus guere d'usage en ce sens, que parmi les Tireurs d'or, ou autres ouvriers, qui réduisent les métaux en fil ; il signifie dans leur langage, les ouvertures ou trous de filieres, à-travers desquels ils font passer successivement ces métaux. Chaque pertuis a son embouchure, & son oeil : l'embouchure est le côté par où entre le fil, & l'oeil est le côté par où il sort ; on passe le lingot par plus de sept vingt pertuis, avant de le porter jusqu'au superfin.
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PERTUISAGE | DROIT DE, s. m. (Gram. Jurisp.) droit à payer pour mettre un tonneau en perce & d'en vendre le vin.
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PERTUISANE | S. f. (Art. milit.) c'est une sorte d'arme composée d'une hampe, & d'un fer large, aigu & tranchant au bout de la hampe. C'est une maniere de halebarde très-propre à défendre un vaisseau à l'abordage. La lame est de 18 à 19 pouces de long, avec une cannelure au milieu, & la hampe est de bois de frêne.
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PERTUNDA | S. f. (Mytholog.) une des déesses qui présidoient aux mariages. On en plaçoit la statue dans la chambre de la nouvelle mariée le jour de ses nôces.
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PERTURBATEUR | S. m. (Gram.) homme turbulent, inquiet, séditieux, qui émeut les esprits des citoyens, & cause du désordre dans la société. Après cette définition, ou une autre peu différente, on ajoute dans le dictionnaire de Trév. que les Théologiens sont ordinairement perturbateurs de l'état.
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PERTURBATRICE | S. f. & adj. qui trouble, qui dérange. Il n'a guere lieu qu'en géométrie dans la solution des problèmes où des corps s'attirent les uns les autres ; on donne à une force qui dérange le mouvement d'un corps, le nom de perturbatrice.
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PERTUS | terme de Saline ; c'est une planche percée de plusieurs trous, qu'on place dans la terre, ou la vette d'un marais salant. Les trous du pertus sont bouchés avec des chevilles, & quand on veut introduire l'eau du mort dans la table, on tire les chevilles, en commençant par les plus hautes, & ainsi du reste, jusqu'à ce qu'il soit entré de l'eau suffisamment. (D.J.)
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PÉRUGIN | LE, ou LE PÉROUSIN, (Géog. mod.) territoire d'Italie, dans l'état de l'Eglise, & auquel la ville de Pérouse,, qui en est la capitale, donne son nom. Il est borné au nord par le duché d'Urbin, à l'orient par l'Umbrie, au midi par l'Orviétan, & à l'occident par la Toscane. La plus grande étendue de ce pays du septentrion au midi, ne passe pas vingt-huit milles ; & on ne lui en donne pas plus de trente du levant au couchant. Le Tibre le coupe du nord-ouest au sud. (D.J.)
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PERUSIA | (Géog. anc.) aujourd'hui Pérouse, voyez PEROUSE.
Eutrope la nomme Perusium, ville d'Italie dans la Toscane, elle étoit fort peuplée, & Tite-Live, l. X. ch. xxxvij. l'estime une des trois plus fortes villes de l'Etrurie ; son nom moderne est en italien Perugia. On doit mettre dans les fastes d'Auguste le saccagement de cette ville, & la mort inhumaine de ces trois cent sénateurs ; ce fait peut servir à tracer son portrait, que nous donnerons avec celui d'Antoine & de Lépide, au mot TRIUMVIRAT.
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PÉRUVIENNE | (Manufacture de soie) péruvienne à boutons ou à ligatures.
L'étoffe appellée péruvienne est composée de deux chaînes de différentes couleurs contenant 40 portées doubles ou simples chacune suivant la quantité que le fabriquant veut donner à l'étoffe.
L'on fabrique cette étoffe sans qu'il soit besoin du secours des lisses, marches, &c. le corps ou les ligatures suffisent pour cette opération.
On donne le nom de ligatures à des lisses dont la maille contient une petite boucle, laquelle empêche le fil de lever ou baisser, si ce n'est lorsque la ligature leve ou baisse ; les mailles à boucle ou ligatures sont semblables à celles des lisses dont on se sert dans tous les métiers de la draperie & de la toilerie.
Les desseins pour la péruvienne sont très-petits ; cette étoffe est aussi propre pour habit d'homme que pour habit de femme ; l'endroit de l'étoffe se fait ordinairement dessus, la navette y fait la figure comme dans la prussienne, avec cette différence, que comme il n'y a point de lisses pour faire le fond ou corps de l'étoffe, quand le tireur ou tireuse a tiré le sac qui doit faire la figure, & que la navette qui doit figurer, est passée, il faut à la seconde navette tirer tout ce qui a été laissé au premier coup, & c'est précisément ce qui lie les deux chaînes : on expliquera plus amplement cette façon de travailler quand on aura donné celle de lire le dessein sur les ligatures.
La quantité de ligatures n'est point fixée pour la péruvienne, elle doit être proportionnelle à la longueur & à la largeur du dessein ; mais sur-tout à la largeur. Par exemple, un dessein qui portera en largeur cinq dixaines de 8 en 10, qui composent 40 cordes, se travaillera avec 40 ligatures pour une des deux chaînes, & 40 pour l'autre, ce qui fera en tout 80 ligatures. Ces 80 ligatures doivent produire le même effet que 1600 mailles de corps, attendu que chacune de ces ligatures doit contenir 20 mailles ou boucles. Chaque boucle de la ligature doit contenir quatre fils doubles de la chaîne pour la réduction ordinaire, de façon que 40 ligatures contiennent, à 20 mailles ou boucles chacune, 3200 fils ; nombre complet d'une chaîne de 40 portées doubles. Les 40 autres ligatures étant destinées pour la seconde chaîne, il n'est pas besoin de dire que chaque ligature, en la supposant de 20 mailles ou boucles, doit être distribuée de façon que les 20 mailles doivent porter la largeur de l'étoffe, conséquemment faites & placées à jour ou à une distance égale, afin qu'elles puissent se trouver précisément placées à la rencontre de chaque fil de chaîne sans être portées à droite ni à gauche du fil.
Comme les lisserons dans les étoffes ordinaires portent 3, 4 lignes & plus d'épaisseur, si ceux des ligatures étoient de même, il arriveroit que 80 ligatures portant une largeur extraordinaire, il ne seroit pas possible qu'elles pussent se tirer avec la même égalité, c'est pour cela que les lisserons des ligatures ne doivent porter qu'une ligne d'épaisseur, conséquemment 80 lisserons ne portent pas plus de 6 pouces & 8 lignes, & pour les resserrer davantage, l'ouvrier a soin de faire faire les lisses de façon, que quoique toutes les boucles soient à même hauteur de la soie, néanmoins il se trouve une lisse qui est élevée de 4 pouces plus que l'autre, ce qui est alternatif ; & au moyen de cette précaution, les 80 lisses ne portent gueres plus larges que 40. La façon de disposer ainsi ces ligatures est très-simple, par la précaution que la faiseuse de lisses prend de les faire toutes ensemble 4 pouces plus longues d'un côté que d'un autre, depuis la boucle ; au moyen de cette préparation, lorsqu'étant sur le lisseron on les attache, on met la premiere lisse, de façon que la partie la plus longue se trouve en haut ; à la seconde, la partie la plus longue en bas ; ainsi des autres jusqu'à ce qu'elles soient toutes attachées.
Chaque lisse doit être attachée à une corde de rame : ainsi que le dessein portant 40 cordes pour chaque chaîne, il faut quatre-vingt cordes de rame pour les deux.
La façon de passer les fils dans les ligatures est différente de celle qui se pratique dans les autres métiers ; si le dessein est à pointe, c'est-à-dire que si le côté ne contient que la moitié d'une fleur, d'un fruit, &c. & qu'il doive être entier sur l'étoffe, on commence à passer quatre fils de la premiere chaîne à la premiere ligature du côté de l'ensuple de derriere, & on continue par la seconde, & celles qui suivent jusqu'à la quarantieme du côté du battant, après quoi, au lieu de recommencer par la premiere du côté de l'ensuple, vous prenez la seconde du côté du battant, & allez en reculant lisse par lisse, jusqu'à la même lisse, par laquelle vous avez commencé, qui est la premiere du côté de l'ensuple, & continuez de même jusqu'à ce que la chaîne soit passée en entier, de façon que le remettage forme une espece de N. N.
Seconde façon de passer les fils. Il faut observer encore, que pour que les fils ne soient ni génés, ni contrariés, quand on a passé un fil d'une chaîne sur une ligature, il faut que le fil de la seconde chaîne suive sur l'autre, afin que rien ne soit embrouillé, & qu'il se trouve un accord parfait, & que toutes les ligatures soient passées à-la-fois, c'est-à-dire ensemble, cette derniere façon de passer les fils, quoique plus embarrassante, fait néanmoins que l'étoffe se travaille plus aisément. Au surplus on peut choisir.
Si le dessein est à chemin, c'est-à-dire qu'il ne répete pas sur les côtés, pour lors on passe les fils à l'ordinaire, en commençant par la premiere ligature du côté de l'ensuple, & finissant par la derniere du côté du battant, & reprendre ensuite la premiere sans reculer au remettage.
Le dessein à pointe par la façon du remettage porte dans la fabrication le double dans la largeur de l'étoffe ; & s'il est de même dans la hauteur en revenant sur ses pas lorsqu'on tire le bouton, c'est-à-dire, en reculant par le même chemin qu'on a fait en commençant, on fait également le double dans la hauteur de l'étoffe.
Si chaque chaîne est passée sur quarante lignes, & que les fils ne soient pas lardés dans les remettages (c'est le terme), c'est-à-dire que les deux chaînes ne soient pas passées ensemble, ainsi qu'il est démontré dans la partie ci-devant qui est sous-lignée ; pour lors il faut lire le dessein une fois sur les quarante cordes qui doivent faire la figure, & une fois desuite sur les quarante qui doivent faire le fond, qui est réservé pour le second coup de navette, dont la trame doit être très-fine, afin que l'étoffe soit liée, ou pour mieux dire, afin que les deux chaînes soient liées ensemble, sans quoi les fils qui ne seroient pas tirés badineroient dessus ou dessous l'étoffe.
Si, au contraire, les fils sont passés dans les ligatures, ainsi qu'il est démontré dans la partie qui est souslignée ; pour lors quand le dessein est fait, il faut le translater, c'est-à-dire, que s'il est peint sur cinq dixaines, il faut le mettre sur dix, attendu qu'il faut toujours laisser la corde de fond entre celle qui se tire, c'est pourquoi il faut qu'il soit peint en deux couleurs, afin qu'on ne lise pas une corde d'une façon & une corde de l'autre, & que dans les endroits où il faut prendre quatre, cinq cordes, plus ou moins, celle qui fait le fond ne soit pas prise, quoiqu'elle se trouve entre deux. Dans ce cas, on lit le dessein de suite.
Il s'ensuit par ce qui vient d'être démontré, que les ligatures font le même effet que le corps, avec cette différence, qu'au lieu de 800 arcades, il n'y en a point du tout, au lieu de 1600 aiguilles, il n'y en a que 160, c'est-à-dire, deux aiguilles chaque lisse, il n'y a ni carete, ni marches, ni calqueron.
La péruvienne n'a ordinairement que trois couleurs ; savoir celle des deux chaînes, & celle du premier coup de navette ; le second devant être d'une trame très-fine, & pour ainsi dire imperceptible, on fait des péruviennes à 40 portées doubles, à 40 portées simples, en observant qu'il faut toujours deux chaînes égales & de différentes couleurs.
La beauté de la péruvienne est qu'elle n'a point d'envers ; au moyen des deux chaînes, elle est aussi belle d'un côté que d'un autre, & c'est précisément ce qui la distingue de la prussienne. Par exemple : si une chaîne est pourpre & bleue, ce qui fera une figure bleue d'un côté, fera de l'autre une figure pourpre, & c'est précisément ce qui en fait le mérite principal. La couleur dans un habit de femme est-elle passée d'un côté, elle le tourne de l'autre, pour lors la robe paroît neuve ; il en est de même pour les habits d'homme ; c'est précisément cette singularité qui caractérise la péruvienne.
La quantité d'étoffes qui se fabriquent à Lyon à la petite tire ou au bouton, est si considérable, que de dix mille métiers qui travaillent actuellement dans la fabrique en étoffes façonnées, il y en a au-moins la moitié dans ce genre ; il n'est point d'année qu'il ne paroisse quelque nouveauté dans ce genre d'étoffe, soit dans le méchanisme, soit dans le goût, c'est ce qui fait que l'étranger ne peut pas parvenir à l'imitation de la fabrique de Lyon, attendu qu'aussi-tôt qu'il s'est saisi d'un goût, incontinent il s'en trouve un autre.
On fait aujourd'hui des taffetas à bandes ombrées & carrelées, & avec des petits agrémens entre les bandes, sans qu'il soit besoin de tireuse, l'endroit dessus, & cela au moyen de six ou huit ligatures, qui sont disposées de façon que six ou huit marches placées à gauche sur le côté du métier en font l'embarras. L'ouvrier foulant la premiere marche à gauche avec le pié gauche de même, passe ses coups de navette en foulant les deux marches du taffetas qui sont du côté droit aussi long-tems, ou passe autant de coups qu'il veut donner d'étendue à son cannelé & à son carrelé, tandis que tenant la marche du côté gauche foulée, cette même marche faisant lever les ligatures qui sont faites à jour, & en conformité de la largeur des bandes, ces mêmes ligatures demeurent levées pendant les coups de navette qu'il passe. Il faut observer qu'une marche à gauche suffiroit s'il n'avoit qu'un cannelé, il n'en faudroit que deux pour le carrelé ; & lorsqu'il y en a davantage, elles ne sont destinées que pour quelques fleurons qui contiennent six, huit ou dix coups. On appelle coup chaque partie où la marche de retour, qui est une de celles du pié gauche, demeure levée, tandis que l'ouvrier passera six ou huit coups de navette du côté droit. Le dessein est-il disposé pour le retour ? l'ouvrier ayant achevé la quantité de marches à gauche, au lieu de recommencer par la premiere, revient sur ses pas : pour-lors le dessein étant sur huit marches en contient quinze, quoiqu'il y ait deux fois le mouvement de huit marches, parce que la premiere marche & la derniere n'étant foulées qu'une fois dans le course, tandis que chacune des autres l'est deux fois, ces deux marches n'en doivent composer qu'une, ce qui est un peu difficile à comprendre. Par exemple, en supposant huit marches de retour, vous passez huit coups ; quand vous avez passé la huitieme marche, vous revenez sur vos pas par la septieme jusqu'à la premiere, ce qui ne fait que sept coups pour finir le course, & huit pour le commencement, faisant en tout quinze coups. Il en est de même quant à la façon de passer les fils dans les ligatures pour les péruviennes dont le dessein est à pointe, & dont par conséquent le remettage doit être en zig-zag ainsi qu'il a été démontré dans ce mémoire. Pour cette opération, si le dessein est disposé pour quarante ligatures complete s, il en faut quarante-une, savoir trente-neuf de vingt mailles chacune, & deux de dix qui sont la premiere & la derniere ; conséquemment la premiere & la derniere ne contenant que dix mailles ou ligatures n'en sauroient valoir qu'une. La chose est bien sensible, & pour la faire comprendre, il faut donner un exemple moins étendu ou plus petit en volume de lisses ou ligatures. Veut-on remettre cinq lisses pour faire pointe de vingt mailles chacune ? il faudra que la premiere & la derniere lisse ne contiennent que dix mailles, & ces cinq lisses n'en composeront que quatre : en voici la raison. Le premier fil étant passé sur la premiere lisse, le cinquieme fil, après avoir passé les autres, se trouve sur la cinquieme : or, en retournant sur ses pas, la quatrieme lisse se trouve avoir deux fils, tandis que la cinquieme n'en a qu'un, la troisieme de même, la seconde également, la premiere en finissant s'en trouve deux ; mais en revenant par contre au remettage, comme on a commencé, la seconde s'en trouve deux, la troisieme de même ainsi que la quatriéme, tandis que la premiere par laquelle on a commencé n'en a qu'un, les points désignés ci-dessous indiqueront cette façon de faire le remettage & les lisses.
Chaque point étant une maille, il est visible que la premiere lisse n'a eu que six mailles de prises ainsi que la cinquieme, tandis que les trois autres en ont douze chacune, ce qui fait que la premiere & la cinquiéme ne contiennent pas plus de fils que chacune des trois autres : il est donc d'une nécessité indispensable de bien faire attention, dans cette façon de remettre les métiers, que la premiere & la derniere lisse ne contiennent non-seulement que la moitié des mailles des autres, mais encore que ces mailles soient placées à une distance juste pour que les fils ne soient pas gênés.
Mais, dira-t-on, pour éviter cet embarras de demi-lisses, il n'est besoin que de passer deux fils sur la premiere & deux sur la derniere, afin que toutes les lisses soient égales : à quoi on répond que chaque lisse ne contenant qu'un fil seul dans les étoffes où le remettage est tel, deux fils qui se trouveroient ensemble marqueroient trop en comparaison des autres. Par exemple, dans la péruvienne, chaque maille de la ligature contenant quatre fils doubles, si on passoit sur deux boucles ensemble quatre fils à chacune, il se trouveroit huit fils doubles ensemble, & si, par la disposition du dessein, cette premiere ou derniere lisse se trouvoit faire une découpure dans l'étoffe, il arriveroit que cette découpure seroit le double plus large que celles qui se trouveroient faites par les autres lisses, ce qui seroit une défectuosité marquée & qui gâteroit la forme du dessein.
On peut faire la péruvienne avec le corps sans ligatures ; mais comme les desseins pour cette étoffe sont très-petits, la dépense pour monter ces étoffes est diminuée des trois quarts au-moins par la suppression des arcades, des aiguilles, & de seize cent maillons de verre, ce qui fait un objet de plus de 80 livres, tandis qu'avec les ligatures à peine en coûtera-t-il 12 livres : voilà l'objet.
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PERVANNA | (Hist. mod.) nom que l'on donne dans l'Indostan & dans les états du grand-mogol aux ordres ou patentes signées par un nabab ou gouverneur de province.
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PERVENCHE | pervinca, s. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir évasé en maniere de soucoupe & profondément découpée. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur ; il devient dans la suite un fruit composé de deux siliques, & il renferme une semence oblongue, le plus souvent cylindrique & sillonnée. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PERVENCHE, pervinca, (Jardinage) arbrisseau grimpant qui est toujours verd. Il vient dans les bois des pays tempérés de l'Europe. Il pousse du pié plusieurs tiges sarmenteuses & fort menues qui rampent contre terre & s'étendent au loin. Ses feuilles sont petites, oblongues, & relevées par-dessous d'une forte arrête dans le milieu ; leur surface est luisante, les bords sont sans dentelure, & la verdure en est agréable, quoiqu'un peu foncée. Ses fleurs de couleur bleue & disposées en rose paroissent au printems. Ses graines qui sont longues, ovales & sillonnées, se trouvent dans des siliques accouplées.
Cet arbrisseau est assez commun dans plusieurs pays, il se plaît dans les terres grasses & humides, à l'ombre des arbres. Il se multiplie fort aisément de bouture & de branches couchées ; ses branches font racine pour peu qu'elles touchent contre terre. Son accroissement, qui est très-prompt, joint à cette facilité de se propager, fait qu'il envahit bien-tôt un terrein, si on le laisse aller.
Les pervenches peuvent contribuer à l'agrément d'un jardin. En les laissant courir à leur gré, elles formeront des tapis de verdure qui seront garnis de fleurs dans les mois de Mars & d'Avril. On en peut faire de petites palissades en les soutenant avec du treillage. On les laisse aussi grimper contre la tige des gros arbres pour les garnir de verdure ; & comme ces arbrisseaux aiment l'ombre, la fraîcheur, l'exposition du nord, & qu'ils viennent à souhait dans les endroits serrés & couverts d'arbres, où nulle autre plante ne pourroit réussir, il n'est pas douteux qu'on en peut tirer du service pour complete r l'arrangement d'un grand jardin. Cette plante a d'ailleurs des propriétés intéressantes ; on en fait usage en médecine à plusieurs égards.
Les pervenches portent rarement des graines, mais elles se multiplient si aisément d'elles-mêmes, qu'il ne faut pas y avoir de regret. Cependant on peut les amener à la fructification, en les tenant en pot avec peu de terre au grand air.
On connoît plusieurs variétés de ces arbrisseaux : voici les principales.
1. La pervenche à fleur bleue, c'est la plus commune.
2. La pervenche à fleur blanche.
3. La pervenche à fleur rougeâtre.
4. La pervenche à fleur bleue, double.
5. La pervenche à fleur bleue, double & d'un pourpre foncé.
6. La pervenche à fleur double, variée de plusieurs couleurs.
7. La pervenche à feuilles panachées de blanc.
8. La grande pervenche à fleur bleue ; cet arbrisseau est plus grand que les précédens dans toutes ses parties. Sa verdure est très-brillante. Ses fleurs sont d'un bleu vif de belle couleur. Elles paroissent de très-bonne heure au printems, & elles se succedent pendant plus de quatre mois. On a vu cette plante s'élever jusqu'à douze piés en deux ans. Elle est extrêmement convenable pour garnir des murs exposés au nord.
9. La grande pervenche à fleur blanche.
10. La grande pervenche à feuilles panachées.
11. La pervenche de Madagascar. C'est un arbrisseau précieux & charmant, qui ne s'éleve qu'à douze ou quinze pouces. Sa fleur ressemble à celle du laurier-rose, qu'elle surpasse en vivacité, en beauté & en durée. Elle fleurit constamment pendant plus de six mois. Le grand soleil anime ses fleurs au lieu de les altérer & de les faire passer. Cette plante est délicate ; il faut la traiter comme les myrtes & la multiplier de semence.
PERVENCHE, (Mat. méd.) petite ou commune, à feuilles étroites, petit pucelage, violette des sorciers, grande pervenche, pervenche à larges feuilles, grand pucelage.
On employe indifféremment les deux especes de pervenche qui possedent les mêmes vertus.
La pervenche est comptée parmi les vulnéraires astringens les plus usités. On ordonne intérieurement son infusion contre les pertes de sang ou flux immodéré des menstrues, contre le crachement de sang, & les autres hémorragies des parties internes. On donne aussi dans ces cas & dans la phthisie & la dyssenterie le lait coupé avec la décoction ou infusion de ses feuilles.
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PERVERS | PERVERTIR, PERVERSION, PERVERSITé, (Gramm.) tous ces mots sont relatifs à la corruption de l'esprit ou du coeur, & ils en marquent le dernier degré. Il est difficile de conserver la pureté des moeurs, l'honnêteté, la droiture, la rigoureuse probité, en vivant avec des hommes pervers, & malheureusement la société en est pleine. Le luxe pervertit bien des femmes.
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PERVIGILIA | (Ant. rom.) nom donné aux fêtes nocturnes qu'on célébroit en l'honneur de différentes divinités, comme Cérès, Vénus, la Fortune, &c. on les nommoit pervigilia, parce que toutes les nuits de ces fêtes s'employoient à veiller.
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PESADE | S. f. terme de Manége, c'est le premier mouvement du cheval, lorsqu'il leve les piés de devant sans remuer ceux de derriere. C'est la premiere leçon qu'on donne aux chevaux pour manier à courbettes, & autres airs relevés. (D.J.)
PESAGE ou POIZAGE, s. m. (Jurisprud.) droit domanial que le roi perçoit en quelques endroits sur les marchandises qui se pesent sous les halles. Voyez POIDS-LE-ROI. (A)
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PESANT | LOURD, (Synon.) voyez l'article PESANTEUR.
Le mot de lourd regarde plus proprement ce qui charge le corps : celui de pesant a un rapport plus particulier à ce qui charge l'esprit. Il faut de la force pour porter l'un, de la supériorité de génie pour soutenir l'autre.
L'homme foible trouve lourd ce que le robuste trouve léger ; l'administration de toutes les affaires d'un état est un fardeau bien pesant pour un seul : mais on dit, une lourde faute, pour signifier une grande imprudence, une faute qui ne pourroit être faite par un habile homme. (D.J.)
PESANT, PESANTEUR, (Critiq. sacrée) Ces mots au figuré signifient poids aggravant ; la pesanteur de la main de Dieu, dans l'Ecriture, est un terme métaphorique, qui marque la rigueur de ses châtimens. Un joug pesant, désigne l'esclavage sous un maître dur. Alligant onera gravia ; Matt. xxiij. 4 les Pharisiens attachent des fardeaux insupportables : ces fardeaux étoient les fardeaux rigoureux de la loi, jointe à ceux de leurs traditions. Populus gravis, marque un grand peuple. Je te louërai, Seigneur, au milieu d'un peuple nombreux ; Ps. iv. 18. Muscae gravissimae ; Exod. viij. 24. une multitude de mouches très-incommodes. Vae populo gravi ; Is. j. 4. malheur au peuple chargé d'iniquités. Dormiebat sopore gravi ; Jon. j. 15. Jonas dormoit d'un profond sommeil. (D.J.)
PESANT, (Maréchallerie) Un cheval pesant est celui qui marche grossierement, & court sans aucune légéreté.
PESANT ou PLOMB, terme de Tailleurs, &c. & autres ouvriers qui travaillent en couture. C'est un morceau de fer ou de plomb couvert d'étoffe, qu'ils posent sur l'ouvrage qu'ils travaillent afin de l'assujettir. On l'appelle plus ordinairement un plomb, à cause de la matiere principale dont il est fait.
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PESANTEUR | S. f. (Phys.) est cette propriété en vertu de laquelle tous les corps que nous connoissons tombent & s'approchent du centre de la terre, lorsqu'ils ne sont pas soutenus. Il est certain que cette propriété a une cause, & on auroit tort de croire qu'un corps qui tombe, ne tombe point par une autre raison que parce qu'il n'est pas soutenu. Car, qu'on mettre un corps pesant sur une table horisontale, rien n'empêche ce corps de se mouvoir sur la table horisontalement & en tout sens. Cependant il reste en repos : or il est évident qu'un corps, considéré en lui-même, n'a pas plus de penchant à se mouvoir dans un sens que dans un autre, & cela parce qu'il est indifférent au mouvement ou au repos. Donc, puisqu'un corps se meut toujours de haut en bas quand rien ne l'en empêche, & qu'il ne se meut jamais dans un autre sens à-moins qu'il n'y soit forcé par une cause visible, il s'ensuit qu'il y a nécessairement une cause qui détermine pour ainsi dire les corps pesans à tomber vers le centre de la terre. Mais il n'est pas facile de connoître cette cause. On peut voir aux articles GRAVITE & GRAVITATION, ce que les différentes sectes de philosophes ont pensé là-dessus. Nous rapporterons seulement ici les lois de la pesanteur, telles que l'expérience les a fait découvrir.
Cette même force qui fait tomber les corps lorsqu'ils ne sont point soutenus, leur fait presser les obstacles qui les retiennent & qui les empêchent de tomber : ainsi une pierre pese sur la main qui la soutient, & tombe, selon une ligne perpendiculaire à l'horison, si cette main vient à l'abandonner.
Quand les corps sont retenus par un obstacle invincible, la gravité, qui leur fait presser cet obstacle, produit alors une force morte, car elle ne produit aucun effet. Mais, quand rien ne retient le corps, alors la gravité produit une force vive dans ces corps, puisqu'elle les fait tomber vers la surface de la terre. Voyez FORCE VIVE.
On s'est apperçu dans tous les tems, que de certains corps tomboient vers la terre, lorsque rien ne les soutenoit, & qu'ils pressoient la main qui les empêchoit de tomber ; mais comme il y en a quelques-uns dont le poids paroît insensible, & qui remontent soit sur la surface de l'eau, soit sur celle de l'air, comme la plume, le bois très-léger, la flamme, les exhalaisons, &c. tandis que d'autres vont au fond, comme les pierres, la terre, les métaux, &c. Aristote, le pere de la Philosophie & de l'erreur, imagina deux appétits dans les corps. Les corps pesans avoient, selon lui, un appétit pour arriver au centre de la terre, qu'il croyoit être celui de l'univers ; & les corps légers avoient un appétit tout contraire qui les éloignoit de ce centre, & qui les portoit enhaut. Mais on reconnut bien-tôt combien ces appétits des corps étoient chimériques.
Galilée qui nous a donné les véritables lois de la pesanteur, combattit d'abord l'erreur d'Aristote, qui croyoit que les différens corps tomboient dans le même milieu avec des vîtesses proportionnelles à leur masse. Galilée osa assurer, contre l'autorité d'Aristote (unique preuve que l'on connût alors), que la résistance des milieux dans lesquels les corps tombent, étoit la seule cause des différences qui se trouvent dans le tems de leur chûte vers la terre, & que dans un milieu qui ne résisteroit point-du-tout, tous les corps de quelque nature qu'ils fussent tomberoient également vîte. Les différences que Galilée trouva dans le tems de la chûte de plusieurs mobiles, qu'il fit tomber dans l'air de la hauteur de cent coudées, le porterent à cette assertion, parce qu'il trouva que ces différences étoient trop peu considérables pour être attribuées au différent poids des corps. Ayant de plus fait tomber les mêmes mobiles dans l'eau & dans l'air, il trouva que les différences de leurs chûtes respectives dans les différens milieux, répondoient à-peu-près à la densité de ces milieux, & non à la masse des corps : donc, conclut Galilée, la résistance des milieux, & la grandeur, & l'aspérité de la surface des différens corps, sont les seules causes qui rendent la chûte des uns plus prompte que celle des autres. Lucrece lui-même, tout mauvais physicien qu'il étoit d'ailleurs, avoit entrevû cette vérité, & l'a exprimée dans son deuxieme livre par ces deux vers :
Omnia quapropter debent per inane quietum
Aequè ponderibus non aequis concita ferri.
Une vérité découverte en amene presque toujours une autre. Galilée ayant encore remarqué que les vîtesses des mêmes mobiles étoient plus grandes dans le même milieu, quand ils y tomboient d'une hauteur plus grande, il en conclut que, puisque le poids du corps & la densité du milieu restant les mêmes, la différente hauteur apportoit des changemens dans les vîtesses acquises en tombant, il falloit que les corps eussent naturellement un mouvement accéléré vers le centre de la terre. Ce fut cette observation qui le porta à rechercher les lois que suivroit un corps, qui tomberoit vers la terre d'un mouvement également accéléré. Il supposa donc que la cause quelle qu'elle soit, qui fait la pesanteur, agit également à chaque instant indivisible, & qu'elle imprime aux corps qu'elle fait tomber vers la terre, un mouvement également accéléré en tems égaux, ensorte que les vîtesses qu'ils acquierent en tombant, sont comme les tems de leur chûte. C'est de cette seule supposition si simple que ce philosophe a tiré toute sa théorie de la chûte des corps. Voyez ACCELERATION & DESCENTE.
Riccioli & Grimaldi chercherent à s'assurer d'une vérité que Galilée avoit avancée d'après ses propres expériences : c'est que les corps en tombant vers la terre par leur seule pesanteur, parcourent des espaces qui sont entr'eux comme les quarrés des tems. Pour cet effet, il firent tomber des poids du haut de plusieurs tours différemment élevées, & ils mesurerent le tems de la chûte de ces corps à ces différentes hauteurs par les vibrations d'un pendule, de la justesse duquel Grimaldi s'étoit assuré en comptant le nombre de ses vibrations, depuis un passage de l'étoile de la queue du lion par le méridien jusqu'à l'autre. Ces deux savans jésuites trouverent par le résultat de leurs expériences, que ces différentes hauteurs étoient exactement comme les quarrés des tems des chûtes. Cette découverte de Galilée est devenue par les expériences le fait de Physique dont on est le plus assuré ; & tous les Philosophes, malgré la diversité de leurs opinions sur presque tout le reste, conviennent aujourd'hui que les corps en tombant vers la terre, parcourent des espaces qui sont comme les quarrés des tems de leur chûte, ou comme les quarrés des vîtesses acquises en tombant. Le pere Sébastien, ce géometre des sens, avoit imaginé une machine composée de quatre paraboles égales, qui se coupoient à leur sommet ; & au moyen de cette machine dont on trouve la description & la figure dans les mémoires de l'académie des Sciences, 1699, il démontroit aux yeux du corps, du témoignage desquels les yeux de l'esprit ont presque toujours besoin, que la chûte des corps vers la terre s'opere selon la progression découverte par Galilée.
Il est donc certain aujourd'hui 1°. que la force qui fait tomber les corps est toujours uniforme, & qu'elle agit également sur eux à chaque instant. 2°. Que les corps tombent vers la terre d'un mouvement uniformément accéléré. 3°. Que leurs vîtesses sont comme les tems de leur mouvement. 4°. Que les espaces qu'ils parcourent sont comme les quarrés des tems, ou comme les quarrés des vîtesses ; & que par conséquent les vîtesses & les tems sont en raison sous-doublée des espaces. 5°. Que l'espace que le corps parcourt en tombant pendant un tems quelconque, est la moitié de celui qu'il parcouroit pendant le même tems d'un mouvement uniforme avec la vîtesse acquise ; & que par conséquent cet espace est égal à celui que le corps parcouroit d'un mouvement uniforme avec la moitié de cette vîtesse. 6°. Que la force qui fait tomber ces corps vers la terre, est la seule cause de leur poids, car puisqu'elle agit à chaque instant, elle doit agir sur les corps, soit qu'ils soient en repos, soit qu'ils soient en mouvement ; & c'est par les efforts que ces corps font sans cesse pour obéir à cette force, qu'ils pesent sur les obstacles qui les retiennent. Cependant, comme la résistance de l'air se mêle toujours ici-bas à l'action de la gravité dans la chute des corps, il étoit impossible de connoître avec précision, par les expériences que Galilée avoit faites dans l'air, en quelle proportion cette force qui anime tous les corps à tomber vers la terre agit sur ces corps. Il fallut donc imaginer de nouvelles expériences.
On en fit une dans la machine du vuide, qui confirma ce que Galilée avoit plutôt deviné que prouvé. De l'or, des flocons de laine, des plumes, du plomb, tous les corps enfin abandonnés à eux-mêmes tomberent en même tems de la même hauteur au fond d'un long récipient purgé d'air. Cette expérience paroissoit décisive ; mais cependant comme le mouvement des corps qui tomboient dans cette machine étoit très-rapide, & que les yeux ne pouvoient pas s'appercevoir des petites différences du tems de leur chûte, supposé qu'il y en eût, on pouvoit encore douter si les corps sensibles possedent la faculté de peser à raison de leur masse, ou bien si le poids des différens corps suit quelqu'autre raison que celle de leur masse. Voici comment M. Newton leva cette difficulté.
Il suspendit des boules de bois creuses & égales à des fils d'égale longueur, & mit dans ces boules des quantités égales en poids, d'or, de bois, de verre, de sel, &c. en faisant ensuite osciller librement ces pendules, il examina si le nombre de leurs oscillations seroit égal en tems égal ; car la pesanteur cause seule l'oscillation des pendules, & dans ces oscillations les plus petites différences deviennent sensibles. M. Newton trouva par cette expérience que tous les différens pendules faisoient leurs oscillations en tems égal. Or le poids de ces corps étant égal, ce fut une démonstration que la quantité de matiere propre des corps est directement proportionnelle à leurs poids, (en faisant abstraction de la résistance de l'air, qui étoit la même dans toutes les expériences), & que par conséquent la pesanteur agit sur tous les corps sensibles à raison de leur masse.
De ces expériences il s'ensuit 1°. que la force qui fait tomber les corps vers la terre est proportionnelle aux masses, ensorte qu'elle agit comme 100 sur un corps qui a 100 de masse, & comme 1 sur un corps qui ne contient que 1 de matiere propre. 2°. Que cette force agit également sur tous les corps, quelle que soit leur contexture, leur forme, leur volume, &c. 3°. Que tous les corps tomberoient également vîte ici-bas vers la terre, sans la résistance que l'air leur oppose, laquelle est plus sensible sur les corps qui ont plus de volume & moins de masse ; & que par conséquent la résistance de l'air est la seule cause pour laquelle certains corps tombent plus vîte que les autres, comme l'avoit assûré Galilée.
Que quelque changement qui arrive à un corps par rapport à la forme, son poids dans le vuide reste toujours le même, si la masse n'est point changée. A cette occasion, il est important de remarquer qu'il faut distinguer avec soin la pesanteur des corps de leur poids. La pesanteur, c'est-à-dire cette force qui anime les corps à descendre vers la terre, agit de même sur tous les corps quelle que soit leur masse ; mais il n'en est pas ainsi de leur poids : car le poids d'un corps est le produit de la pesanteur par la masse de ce corps. Ainsi quoique la pesanteur fasse tomber également vîte dans la machine du vuide, les corps de masse inégale, leur poids n'est cependant pas égal. Le différent poids des corps d'un volume égal dans le vuide sert à connoître la quantité relative de matiere propre & de pores qu'ils contiennent ; & c'est ce qu'on appelle la pesanteur spécifique des corps. Voyez SPECIFIQUE.
C'est donc la résistance de l'air qui retarde la chûte de tous les corps ; son effet presque insensible sur les pendules à cause de leur poids & des petites hauteurs dont ils tombent, devient très-considérable sur des mobiles qui tombent de très-haut, & il est d'autant plus sensible que les corps qui tombent ont plus de volume & moins de masse.
M. Desaguliers a fait là dessus des expériences que leur justesse & les témoins devant qui elles ont été faites ont rendu très-fameuses. Il fit tomber de la lanterne qui est au haut de la coupole de S. Paul de Londres, qui a 272 piés de hauteur, en présence de MM. Newton, Halley, Derham, & de plusieurs autres savans du premier ordre, des mobiles de toutes especes, depuis des spheres de plomb de deux pouces de diametre jusqu'à des spheres formées avec des vessies de cochon très-desséchées & enflées d'air d'environ cinq pouces de diametre. Le plomb mit 4 1/2 secondes à parcourir les 272 piés, & les spheres faites avec des vessies 18 1/2 secondes. Il résulta du calcul fait, selon la théorie de Galilée, que l'air avoit retardé la chûte des spheres de plomb de 27 piés environ en 4 1/2 secondes. Transact. philos. n °. 362. Voyez aussi les expériences de M. Mariotte dans son Traité de la percussion, page 116.
Comme l'air résiste au mouvement des corps, il en résulte que les corps qui le traversent en tombant ne doivent pas accélérer sans cesse leur mouvement : car l'air, comme tous les fluides, résistant d'autant plus qu'il est fendu avec plus de vîtesse, sa résistance doit à la fin compenser l'accélération de la gravité quand les corps tombent de haut. Les corps descendent donc dans l'air d'un mouvement uniforme après avoir acquis un certain degré de vîtesse, que l'on appelle leur vîtesse complete , & cette vîtesse est d'autant plus grande à hauteur égale, que les corps ont plus de masse sous un même volume. Le tems, après lequel le mouvement accéleré d'un mobile se change en un mouvement uniforme en tombant dans l'air, est différent selon la surface & le poids du mobile, & selon la hauteur dont il tombe ; ainsi ce tems ne sauroit être déterminé en général.
On a calculé qu'une goutte d'eau qui seroit la 10. 000. 000. 000. partie d'un pouce cube d'eau, tomberoit dans l'air parfaitement calme de 4 pouces 7/10 par seconde d'un mouvement uniforme, & que par conséquent elle y feroit 235 toises par heure. On voit par cet exemple que les corps légers qui tombent du haut de notre atmosphere sur la terre, n'y tombent pas d'un mouvement accéleré, comme ils tomberoient dans le vuide par la force de la pesanteur ; mais que l'accélération qu'elle leur imprime est bientôt compensée par la résistance de l'air ; sans cela la plus petite pluie feroit de grands ravages, & loin de fertiliser la terre, elle détruiroit les fleurs & les fruits.
Les corps abandonnés à eux-mêmes tombent vers la terre, suivant une ligne perpendiculaire à l'horison ; il est constant, par l'expérience, que la ligne de direction des graves est perpendiculaire à la surface de l'eau. Or la terre étant démontrée à-peu-près sphérique par toutes les observations géographiques & astronomiques, le point de l'horison vers lequel les graves sont dirigés dans leur chûte, peut toujours être considéré comme l'extrémité d'un des rayons de cette sphere. Ainsi si la ligne, selon laquelle les corps tombent vers la terre, étoit prolongée, elle passeroit par son centre, supposé que la terre fût parfaitement sphérique. Mais si l'on s'en rapporte aux opérations faites par l'académie au pole & à l'équateur, la terre est un sphéroïde applati vers les poles, & alors la ligne de direction des graves n'étant point précisément au centre de la terre, leur tient lieu de tendance, occupe un certain espace autour de ce centre. Voyez TERRE & ANTIPODE. Voyez aussi GRAVITE. Cet article est de M. FORMEY, qui l'a tiré en partie des Inst. de Phys. de Mad. du Châtelet.
Les Physiciens ont recherché la pesanteur spécifique des principaux corps connus. Voyez dans cet Ouvrage le mot BALANCE HYDROSTATIQUE.
Mais pour satisfaire encore davantage la curiosité, nous allons donner ici une table beaucoup plus complete sur ce sujet, & dans laquelle nous substituerons à l'ordre alphabétique l'ordre gradué des pesanteurs spécifiques de différentes matieres solides & fluides.
On a mis les gravités spécifiques des bois secs, & non pas des bois verds ; car le docteur Jurin a observé que la substance des bois est spécifiquement plus pesante que l'eau, puisqu'ils vont au fond après qu'on a fait sortir l'eau de leurs pores ou de leurs vaisseaux aériens, en les plaçant dans l'eau chaude sous un récipient ; ou si on n'a pas de machine pneumatique, en les laissant pendant quelque tems dans l'eau bouillante. Il a aussi trouvé quelques calculs humains aussi pesans que la brique, & même que la plus tendre espece de grès. Voyez Transact. Philosoph. n °. 366.
Les gravités spécifiques du sang humain, de ses résidences fibreuses, & celles du serum ont été déterminées par le même auteur. Trans. Phil. n °. 361.
Les pesanteurs spécifiques des liqueurs ont toutes été déterminées lorsqu'elles avoient le même degré de chaleur, savoir quatre degrés au-dessus du thermometre de M. de Réaumur.
Il est bon d'observer que les gravités spécifiques des corps solides & des corps fluides, sont différentes en été & en hiver ; cependant afin qu'on soit plus à portée de juger par comparaison, si les espaces de la dilatation causée par un même degré de feu, sont entr'eux comme les dilatations des corps dilatés, ou en raison réciproque de leurs densités ; je crois qu'il ne seroit point hors de propos de mettre ici la table que le docteur Musschenbrock nous a donné des pesanteurs spécifiques des différentes liqueurs en été & en hiver.
Voyez là-dessus le fameux Boyle, dans son traité intitulé Medicina hydrostatica ; Musschenbroeck ; les élémens de Physique de M. Cotes & la chimie de Boerhaave. (D.J.)
PESANTEUR, POIDS, GRAVITE, (Synon.) la pesanteur est dans le corps une qualité qu'on sent & qu'on distingue par elle-même. Le poids est la mesure ou le degré de cette qualité, on ne le connoît que par comparaison. La gravité désigne une certaine mesure générale & indéfinie de pesanteur. Ce mot se prend en Physique pour la force que le vulgaire appelle pesanteur, & en vertu de laquelle les corps tendent vers la terre. Dans le système newtonien, gravité se dit quelquefois de la force par laquelle un corps quelconque tend vers un autre.
On se sert fréquemment du mot de gravité au figuré, lorsqu'il s'agit de moeurs & de manieres, & ce mot se prend en bonne part. Le poids se prend aussi au figuré en bonne part ; il s'applique à cette sorte de mérite qui naît de l'habileté jointe à un extérieur réservé, & qui procure à celui qui les possede du crédit & de l'autorité sur l'esprit des autres ; mais le mot pesanteur au figuré se prend en mauvaise part ; elle est alors une qualité opposée à celle qui provient de la pénétration & de la vivacité de l'esprit.
Rien n'est si propre à délivrer l'esprit de sa pesanteur naturelle que le commerce des femmes & de la cour ; la réputation donne plus de poids chez le commun du peuple que le vrai mérite : l'étude du cabinet rend savant, & la réflexion rend sage ; mais l'une & l'autre émoussent quelquefois la vivacité de l'esprit, & le font paroître pesant dans la conversation, quoiqu'il pense finement (D.J.)
PESANTEUR, (Médecine) c'est un état de nonchalance qui vient d'une transpiration diminuée, ou qui se fait avec peine, ou bien de ce que l'on prend du froid, ainsi que l'on s'exprime communément. C'est pourquoi, comme cet état est fort souvent accompagné d'un écoulement du nez, des yeux, on prend indifféremment les mots gravedo & corysa l'un pour l'autre. Voyez CORYSA, ENCHIFRENEMENT & RHUME.
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PESARO | (Géog. mod.) en latin Pisaurum, ville d'Italie, capitale d'une seigneurie de même nom, & la plus grande du duché d'Urbin. Elle est riante, fertile, produisant des olives, des figures exquises, & toutes les commodités de la vie. Son évêché est suffragant d'Urbin. Sa position est agréable, sur une hauteur, à l'embouchure de la Foglia, dans la mer Adriatique, au-dessous de plusieurs côteaux, à 7 lieues N. E. d'Urbin, 50. N. E. de Rome. Long. 30. 35. latit. 43. 56.
Cette ville que l'on croit colonie romaine, fut détruite par Totila, & rétablie quelque tems après par Belisaire, plus belle qu'elle n'étoit auparavant. On peut lire sur les antiquités de Pesaro l'ouvrage intitulé Marmora Pisaurensia, imprimé dans cette ville en 1738, in-folio.
Jean François Albani naquit à Pesaro, devint cardinal ; & étant âgé de 51 ans, il succéda en 1700 à Innocent XI. Il prit alors le nom de Clement XI. & fut sacré évêque après son exaltation, ce qu'on n'avoit pas vu depuis Clément VIII.
Dans la guerre entre Louis XIV. & l'empereur, il se détermina suivant les événemens de la fortune. L'empereur, dit le poëte historien du siecle de Louis XIV, força Clément XI. en 1708 à reconnoître l'archiduc pour roi d'Espagne. Ce pape, dont on disoit qu'il ressembloit à S. Pierre, parce qu'il affirmoit, nioit, se repentoit & pleuroit, avoit toujours reconnu Philippe V. à l'exemple de son prédécesseur ; & il étoit attaché à la maison de Bourbon. L'empereur l'en punit, en déclarant dépendans de l'empire beaucoup de fiefs qui relevoient jusqu'alors des papes, & sur-tout Parme & Plaisance, en ravageant quelques terres ecclésiastiques, en se saisissant de la ville de Comachio.
Autrefois un pape eut excommunié tout empereur qui lui auroit disputé le droit le plus léger, & cette excommunication eût fait tomber l'empereur du trône. Mais la puissance des clés étant réduite au point où elle doit l'être, Clément XI. animé par la France, avoit osé un moment se servir de la puissance du glaive. Il arma, & s'en repentit bientôt. Il vit que les Romains, sous un gouvernement tout sacerdotal, n'étoient pas faits pour manier l'épée. Il désarma, il laissa Comachio en dépôt à l'empereur ; il consentit à écrire à l'archiduc, à notre très-cher fils roi catholique en Espagne.
Une flotte angloise dans la Méditerranée & les troupes allemandes sur ses terres le forcerent bientôt d'écrire à notre très-cher fils roi des Espagnes. Ce suffrage du pape, qui n'étoit rien dans l'empire d'Allemagne, pouvoit quelque chose sur le peuple espagnol, à qui on avoit fait accroire que l'archiduc étoit indigne de regner, parce qu'il étoit protégé par des hérétiques qui s'étoient emparés de Gibraltar.
Le même Clément XI. avoit admiré le livre du P. Quesnel, prêtre de l'Oratoire, mais il le condamna sans peine, quand Louis XIV. l'en sollicita, donna la bulle Vineam domini, & la constitution Unigenitus. Les censures suivirent ses éloges, & l'Angleterre n'avoit point armé de flotte dans la Méditerranée pour soutenir les Jansénistes.
Au reste, ce pape aimoit les savans, & l'étoit lui-même, quoique la France ne regarde point ses oeuvres comme un trésor de grand prix. Il mourut le 19 Mars 1721, à 72 ans, & eut pour successeur Innocent XIII. le huitieme pape de la famille de Conti.
Pesaro est aussi la patrie de quelques gens de lettres, & entr'autres de Mainus (Jason), un des premiers jurisconsultes de son siecle. Après avoir perdu dans sa jeunesse son bien & ses livres au jeu, il prit le goût de l'étude, & y fit de si grands progrès, qu'il avoit à la-fois jusqu'à deux mille disciples. L'empereur le combla de présens ; mais on peut comparer l'accueil que Louis XII lui fit en Italie, aux honneurs rendus par Pompée au philosophe Possidonius. Il étudioit en plein jour à la chandelle, parce qu'il lui falloit pour prévenir les distractions dans ses travaux littéraires, dérober à ses yeux la diversité des objets que le grand jour présente ; & ce n'est pas le seul homme de lettres qui, pour composer des ouvrages, ait été obligé de se concentrer en lui-même. On estime ses commentaires sur les pandectes & sur le code de Justinien. Il devint aveugle d'assez bonne heure, & imbécille sur la fin de sa vie qu'il termina en 1519, âgé de 84 ans.
Je ne dois pas oublier de nommer Collenuccio (Pandolfo) parmi les gens de lettres, natif de Pesaro. Il est connu par une histoire de Naples, une apologie de Pline, un traité latin sur la vipere, & plus encore par sa mort tragique en 1507. Jean Sforce, tyran de Pesaro, ou, selon d'autres, César Borgia, duc de Valentinois, le fit étrangler en prison. Ange Politien, Lilio Giraldi, Pierius Valerianus, & autres écrivains ont consacré des éloges funebres à sa mémoire. (D.J.)
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PESCARA | (Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze citérieure ; elle est à l'embouchure d'une riviere de même nom (l'Aternus des anciens) qui prend sa source dans l'Apennin, & se jette dans la mer Adriatique, à six milles de Chieti, 8 au levant de Citta di Penna, 12 S. E. d'Atri, 112 N. E. de Naples. Long. 31. 53. latit. 42. 20. (D.J.)
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PESCE-DONNA | (Hist. nat.) ce mot signifie poisson-femme, il a été donné par les Portugais à un poisson d'eau douce qui se trouve dans le royaume de Congo en Afrique. On dit qu'il a la tête plate comme une grenouille, sa gueule est armée de deux rangées de dents blanches & déliées ; ses yeux sont grands & sortans ; ses narines sont larges comme celles d'un dogue ; son front est grand & ses oreilles évasées. Il a des poils fort longs qui flottent le long de son dos qui est large ; son cou est épais & court. Sur son estomac sont des mammelles fermes & tendues, le reste du ventre est velu ; le sexe est facile à distinguer. Cet animal singulier a des especes de bras longs & nerveux, au bout desquels sont cinq doigts qui ont chacun trois articulations ; chaque doigt est uni aux autres par une membrane semblable à celle des pattes d'un canard ; le ventre se termine en queue de poisson ; cette partie est couverte d'écailles & est fourchue, par-dessus le tout est une peau qui couvre l'animal comme d'un manteau, & qui va depuis le cou jusqu'aux deux tiers de la longueur du corps, c'est où il loge ses petits ; ce sont peut-être des poissons de cette espece qui ont donné naissance aux fables des naïades, des sirènes, &c.
Ce poisson se trouve dans les rivieres & les lacs du royaume de Congo ; il se retire parmi les roseaux, le mâle ne quitte gueres sa femelle ; on les tue malgré leurs cris lamentables, & leur chair est un manger délicat pour les Africains, quoique les Européens n'en portent point le même jugement. Les Négres attribuent beaucoup de vertus fabuleuses à leurs côtes & à deux os qui se trouvent au-dessus de leurs oreilles.
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PESCÈSE | S. m. (Hist. ecclés. des Grecs) c'est un tribut que l'on paye au sultan pour parvenir au patriarchat de Constantinople. Quelques seigneurs de Trébisonde s'étant mis en tête de faire patriarche un certain Siméon Hiéromoine, corrompirent plusieurs ecclésiastiques, pour accuser Kilocarabe d'avoir été l'inventeur du pescèse, desorte qu'il fallut le déposer Le prix du pescèse n'est pas fixé à une somme déterminée, parce que l'ambition l'a fait quelquefois porter à un prix si excessif, que plusieurs patriarches n'ont pu acquiter ce qu'ils avoient promis. Cependant M. le Clerc dit qu'il se monte à présent à mille ducats. Le patriarche Nectaire fut exilé faute d'avoir été en état de payer le pescèse. (D.J.)
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PESCHERIE | LA COTE DE LA, (Géog. mod.) on donne ce nom à la partie méridionale de la péninsule de l'Inde. Elle s'étend depuis le cap de Comorin, jusqu'à la pointe de Ramanançor, l'espace de 40 lieues ; elle a le nom de pescherie, à cause de la pêche des perles, qu'on y fait tous les ans au mois d'Avril, & à laquelle on employe un grand nombre de pêcheurs ; ce sont les habitans de Tutucurin, ville capitale ou plutôt la seule de cette côte, qui s'y destinent principalement.
Les Hollandois y assistent en qualité de protecteurs, mais ils en sont véritablement les maîtres, car ils se font donner pour chaque bâteau un droit considérable, & il y a quelquefois trois ou quatre cent bateaux pour cette pêche. Les commissaires hollandois viennent de Colombo, capitale de l'île de Ceylan, pour la diriger ; ils y font en même tems de grosses acquisitions de toiles, contre lesquelles ils donnent en échange de leurs épiceries des Moluques. Ils achetent aussi pour rien les coquillages qu'on nomme xauxur, qu'ils envoyent ensuite dans le royaume de Bengale, où ils servent de monnoye, & où conséquemment ils les vendent fort cher ; enfin ils se réservent toujours le droit d'acquérir les plus belles perles ; & comme ils ont des effets recherchés par tous les habitans du lieu, ils font sur ces sortes de pierreries, un gain immense.
Toutes les perles qu'on retire le premier jour, sont pour le roi de Maduré, ou pour le prince de Marava, à qui le pays appartient.
Cette côte dans le tems de la pêche ; est exposée à des maladies contagieuses, qui viennent principalement de ce que les habitans se nourrissent alors de la chair des huitres, qui est malfaisante & généralement corrompue ; on ne voit partout que de méchans villages dépeuplés. Du tems des Portugais, cette contrée étoit florissante, parce qu'ils avoient permis aux Pararas (c'est le nom des peuples de la côte de la pescherie) de trafiquer avec leurs voisins ; mais depuis que ce secours leur manque, ils sont réduits à une extrème pauvreté. (D.J.)
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PESCHIERA | (Géog. mod.) ou Pesciera, petite ville d'Italie dans le Véronois, avec une forteresse. Les Vénitiens la prirent aux ducs de Mantoue en 1441. Elle est sur le lac de Garda, à l'endroit où le Menzo en sort, à 5 lieues O. de Vérone. Long. 28. 12. latit. 45. 23. (D.J.)
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PESCI | (Géog. mod.) Panum Martis, petite ville d'Italie dans la Toscane, au Florentin, sur la petite riviere de même nom, entre Lucques au S. O. & Pistoye au N. E. Long. 28. 15. latit. 43. 52. (D.J.)
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PESE-LIQUEUR | S. m. (Phys.) est la même chose qu'areometre. Voyez AREOMETRE. Voyez aussi ELECTROMETRE.
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PESÉE | S. f. (Comm.) ce qui se pese en une seule fois ; chaque pesée de marchandises doit avoir son trait, c'est-à-dire être trébuchante & emporter le poids qui est dans l'autre bassin de la balance.
PESEE en Perse où les sacs d'argent se pesent & ne se comptent pas. On fait cinquante pesées de chaque sac d'abassis qui doit être composé de deux mille pieces de cette monnoie, ensorte que chaque pesée n'est que d'un toman ou cinquante abassis ; mais lorsqu'on soupçonne qu'il y a dans les sacs des pieces ou fausses ou legeres, les pesées ne sont que de vingt-cinq abassis qu'on pese, non contre un poids, mais contre vingt-cinq autres abassis de poids, ce qui découvre le faux ou la légereté des autres. Voyez ABASSIS. Dictionn. de comm.
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PESENAS | (Géog. mod.) ville de France, au bas Languedoc, dans le diocèse d'Agde. Elle est dans une situation charmante, sur la Peyne, à 4 lieues N. E. de Beziers, 8 de Montpellier, 3 N. d'Agde, 150 S. de Paris. Long. 21. 5. latit. 43. 2 6.
Pesenas est une ville fort ancienne, puisque Pline, l. 48. c. 8. en fait mention ; il la nomme Piscenae, & il loue la laine des environs, la teinture qu'on lui donnoit, & les étoffes durables qu'on en faisoit. Saint Louis acquit cette ville en 1261 de deux seigneurs qui en étoient co-propriétaires, & il l'unit au domaine royal ; c'étoit une châtellenie que le roi Jean érigea en comté l'an 1361, en faveur de Charles d'Artois ; ce comté entra par la suite des tems dans la maison de Montmorenci, vint à M. le prince de Condé, & enfin est échu en partage aux princes de Conti.
C'est à Pesenas que le poëte Sarrazin (Jean-François) mourut de douleur en 1664, pour s'être mêlé d'une affaire qui n'avoit pas réussi. Il étoit né à Hermanville près de Caën en 1605, & devint secretaire du prince de Conti. Un jour le maire & les échevins d'une ville étant venus pour complimenter ce prince, l'orateur resta court à la seconde période, sans pouvoir continuer son compliment. Sarrasin saute aussitôt du carosse où il étoit avec S. A. se joint au harangueur, & poursuit la harangue, l'assaisonnant de plaisanteries si fines & si délicates, & y mêlant un stile si original, que le Prince ne put s'empêcher lui-même d'en être extrèmement surpris. Le maire & les échevins remercierent Sarrasin de tout leur coeur, & lui présenterent par reconnoissance le vin de la ville. Ses oeuvres en prose & en vers mériteroient d'être réimprimées, parce qu'elles sont pleines d'esprit, de naturel & d'agrémens. Il écrivoit de génie, avec une facilité qui n'étoit égalée que par sa paresse. Dans une ode à M. le prince d'Enguien, il s'excuse de le louer par ces deux vers :
Car je n'ai qu'un filet de voix,
Et ne chante que pour Silvie. (D.J.)
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PESER | v. a. (Gramm. & Comm.) c'est examiner la pesanteur de quelque chose, la confronter avec un poids certain, réglé & connu, tel que peut être la livre, le marc, le cent, le quintal, &c.
Pour peser les métaux, les drogueries, les épiceries, les cotons, les laines & autres semblables marchandises d'oeuvres de poids, que l'on vend en gros ; l'on se sert de la romaine, ou des grandes balances à plateaux.
A l'égard des mêmes marchandises qui se vendent en détail, c'est de la petite balance à bassins, ou du peson dont on se sert. Le trébuchet est pour peser l'or, l'argent, & autres choses précieuses.
On dit qu'il faut peser des marchandises net, pour faire entendre qu'elles doivent être pesées sans emballages, caisses, ni barrils : au contraire, quand on dit qu'elles doivent être pesées ort ou brut, cela veut dire qu'il faut les peser avec leur emballage, leurs caisses & leurs barrils. Dictionn. du commerce. (D.J.)
PESER les malades, c'étoit anciennement en Angleterre une coutume de guérir les enfans malades, en les pesant au tombeau de quelque saint, en mettant, pour les contrebalancer, dans l'autre côté de la balance, de l'argent, du pain de froment ou quelqu'autre chose que les parens avoient la volonté de donner au bon Dieu, à ses saints ou à l'église.
Mais c'étoit toujours une somme d'argent qui devoit faire partie du contrepoids ; on venoit à bout de les guérir par ce moyen, ad sepulchrum sancti nummo se ponderabat.
Supposé que cette coutume fût reçue en Angleterre, elle approche de celle que la pieuse crédulité des fideles a introduite dans différentes provinces de France de vouer leurs enfans malades aux Saints sur leurs tombeaux, ou sur leurs autels, de les y faire asseoir, de leur faire boire de l'eau des fontaines qui coulent près de leurs reliques ou des églises qui leur sont dédiées.
PESER la pierre, (terme de Carrier) c'est la soulever de dessus le tas avec la grosse barre, pour la mettre sur les boules.
PESER A LA MAIN, en terme de Manége, se dit d'un cheval qui n'ayant point de sensibilité dans la bouche, s'appuie sur le mords au point de fatiguer le bras du cavalier.
PESER, (Marine) c'est tirer de haut en bas.
Peser sur une manoeuvre, ou sur quelque autre chose, c'est-à-dire, tirer sur cette manoeuvre pour la faire baisser.
Peser sur un levier, c'est aussi le faire baisser.
PESER, (Chasse) se dit d'une bête qui enfonce beaucoup de ses piés dans la terre ; c'est une marque qu'elle a grand corsage.
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PESEUR | S. m. (Comm.) celui qui pese ; il se dit plus ordinairement de la personne qui tient le poids du roi. Dans toutes les villes de commerce bien policées, les peseurs royaux ou publics sont obligés de prêter serment devant le magistrat, & de tenir bon & fidele registre de toutes les marchandises qu'ils pesent à leur poids, ce sont eux qui reglent ordinairement les contestations qui arrivent entre les marchands pour raison du poids de leurs marchandises.
Il y a à Amsterdam douze peseurs publics établis en titre d'office pour peser toutes les marchandises sujettes au poids. Il y a aussi à Amiens des officiers peseurs de fils de sayette & autres fils de laine, & des peseurs de fils de chanvre & de lin pour peser ces marchandises que les filassiers apportent dans les halles ou marchés. Ceux-ci ne sont que quatre, les premiers sont au nombre de douze. Dict. du comm.
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PESICI | (Géog. anc.) peuples de l'Espagne tarragonoise. Pline l. IV. c. xx. les place dans une péninsule ; le P. Hardouin dit que cette péninsule se nommoit Corufia, & qu'elle étoit sur la côte septentrionale de la Galice. (D.J.)
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PESNES | S. f. pl. (Métiers) c'est le nom qu'on donne en plusieurs endroits aux cordelettes qui pendent tout-autour des caparaçons d'été, & qui par leur agitation, garantissent les chevaux des mouches. On donne cependant plus communément le nom de pesnes, aux cordelettes qui pendent de la sangle que les voituriers attachent autour du bât qu'ils mettent sur leurs chevaux, & autour des couvertures des chevaux de harnois, qu'à celles qui pendent des caparaçons à rézeau, dont on couvre les chevaux de maîtres en été. (D.J.)
PESNES ou PAINES, terme de Corroyeur, ce sont des morceaux de drap ou d'étoffe de laine dont ils font leur gipon. Voyez GIPON.
PESNES ou PENNES, terme de Tisserand, ce sont des bouts de fils qui restent attachés aux ensuples du métier de Tisserand, après que la piece de toile est finie, & qu'on l'a ôtée de dessus le métier. C'est avec ces pesnes que les Chandeliers enfilent & mettent par livres les chandelles communes ou à la baguette.
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PESO | S. m. (Monnoie) monnoie de compte d'Espagne ; les dix mille pesos valent douze mille ducats.
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PESON | S. m. en Méchanique, est une sorte de balance appellée autrement statera romana, ou balance romaine, au moyen de laquelle on trouve la pesanteur des différens corps, en se servant d'un seul & même poids qu'on leur compare. Voyez BALANCE.
Construction du peson. Il est composé d'un rayon de fer A B (Planche de Méchanique, fig. 36.), sur lequel on prend un point à discrétion, comme C, d'où on éleve la perpendiculaire C D. A la branche la plus courte A C, est suspendu un plateau G pour recevoir les corps qu'on veut peser ; le poids I peut parcourir les différens points de la branche C B, & on l'éloigne du point C, jusqu'à ce qu'il soit en équilibre avec le poids qu'on a mis dans le plateau G. On connoît que c'est le poids mis dans ce plateau, par l'endroit où le poids I se trouve sur le bras C B ; par exemple si le poids I est d'une livre, & qu'il se trouve au point de division 6 en équilibre avec le poids qui est dans le plateau, on en conclut que le dernier poids est de six livres, & ainsi du reste. Voyez LEVIER & PUISSANCES MECHANIQUES.
Par la construction du peson, on voit aisément quelle est la maniere de s'en servir : & on peut remarquer que le peson est d'un usage commode, en ce que n'ayant besoin que d'un seul poids qui n'est pas considérable, il est très-portatif en petit ; & quand on l'employe en grand sur des masses qui sont très-pesantes, & qu'on ne peut pas diviser, on est dispensé d'avoir un grand nombre de poids difficiles à rassembler, & le point fixe en est beaucoup moins chargé ; mais il faut observer aussi que cet instrument ne peut pas servir à peser exactement de petites quantités, parce qu'il n'est point assez mobile, ce qui vient principalement de ce qu'un de ses bras est fort court. Voyez ROMAINE.
PESON A CONTREPOIDS, (Balance) est une espece de balance qui sert à peser diverses sortes de marchandises. On l'appelle aussi crochet, ou balance romaine.
PESON A RESSORT, s. m. (Méchan.) sorte de machine assez ingénieuse, dont on se sert pour peser certaines especes de marchandises, comme le foin, la paille, le fil, la filasse, la chair, &c.
Ce sont les petits marchands qui vont aux foires, les étapiers, les fouriers & les vivandiers d'armée, qui se servent plus ordinairement du peson à ressort.
Il y en a de différentes grandeurs pour peser, depuis une livre jusqu'à cinquante. Les premiers qui parurent à Paris, furent apportés de Besançon ; ce qui a donné lieu à quelques-uns de croire, que c'est à cette ville que l'on a l'obligation de l'invention de cette machine. Cependant bien des gens veulent qu'elle vienne d'Allemagne.
Le peson à ressort est composé de plusieurs pieces.
1°. D'un anneau qui sert à le suspendre en l'air.
2°. D'une même branche presque carrée, ordinairement de cuivre, & quelquefois de fer ou de buis, sur l'une des faces de laquelle sont marquées les différentes divisions des poids ; c'est au haut de cette branche que l'anneau est attaché par une S.
3°. D'un ressort de fil d'acier en forme de tire-bourre, arrêté au bas de la branche par un écrou, la branche passant du haut en em-bas au-travers du ressort.
4°. D'une boëte ou canon de figure cylindrique, qui renferme la branche & le ressort.
Enfin d'un crochet attaché par une S au bas de la boëte, qui sert à accrocher la marchandise que l'on veut peser.
Pour se servir de peson à ressort, il faut le tenir par l'anneau suspendu en l'air perpendiculairement ; ce qui fait que le poids de la marchandise tirant le crochet en-embas, resserre le ressort : desorte que la branche sortant par le haut de la boëte, à proportion du poids, l'on découvre les divisions qui y sont marquées par des rayes & des chiffres, ce qui dénote la pesanteur de la marchandise.
Ce peson, quoiqu'assez industrieusement fait, & assez commode en apparence, n'est cependant pas si juste que le peson à contre-poids ou romaine. Le défaut de justesse provient de ce que le ressort est sujet à se relâcher & à s'affoiblir par son trop grand usage.
Les Chinois se servent aussi d'une espece de peson, qui ressemble assez à la balance romaine. On en peut voir la description à l'article de la balance. Voyez les Pl. du Balancier, Dict. du Comm. (D.J.)
PESON A TIERS POINT, est composé, 1°. d'un ressort d'acier rond à ressort à chien : 2°. deux tirans ceintrés sur le champ, dont celui qui a un anneau pour passer le pouce & le tenir, & qui passe par l'ouverture de l'extrémité du ressort, & arrêté sur l'autre extrémité : 3°. & le second sur lequel sont gravés les chiffres qui marquent le poids, qui arrête à la partie supérieure du ressort, & passe à-travers de l'inférieure. 4°. Au bout est le crochet. Voyez les fig. Pl. du Balancier.
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PESSAIRE | S. m. (Chirurgie). Moyen dont on se sert en Chirurgie pour retenir la matrice dans sa situation naturelle. On les fait ordinairement avec du liege, en maniere d'anneau rond ou ovale, qu'on trempe dans de la cire fondue pour en remplir les pores, & faire un enduit qui le préserve de pourriture. Voyez les fig. 6, 7, 8 & 9, Pl. VII. Quelques auteurs conseillent l'usage des pessaires d'argent en forme de tuyau, dont la partie supérieure soit terminée par un petit godet percé, pour soutenir l'orifice de la matrice. Mais on a observé que les humeurs du vagin alterent l'argent, & forment aux pessaires faits de cette matiere, des trous dans lesquels les chairs excoriées par les inégalités de ces trous s'engagent, ce qui produit des ulceres. Les personnes riches peuvent se servir des pessaires d'or : car on a remarqué que les humeurs du vagin n'alterent point ce métal. Ceux d'ivoire sont plus convenables encore, & à l'abri de toute espece d'altération.
Les pessaires en anneau ne conviennent point dans tous les cas. On trouve dans le premier volume des mémoires de l'acad. de Chirurgie, un mémoire de M. de Garengeot sur plusieurs hernies singulieres, dans lequel on lit une observation d'une hernie intestinale par le vagin. L'auteur voulut la contenir par un pessaire ovalaire, qui ne réussit que la premiere journée. Le lendemain la malade sentit de vives douleurs, avec un tiraillement considérable à l'estomac, & des vomissemens qui ne cesserent que par la soustraction du pessaire : il étrangloit conjointement avec le pubis une portion d'intestin qui s'étoit glissée entre deux. On réduisit l'hernie, & on appliqua un autre pessaire d'un grosseur convenable, auquel on donna la figure d'un bondon. Il étoit percé dans son milieu, & étoit armé de deux cordons pour pouvoir être retiré facilement, afin de le changer au besoin.
Saviard rapporte plusieurs observations sur les descentes de matrice, & parle dans son observation xiij d'une matrice si grosse, qu'elle ne pouvoit être retenue par les pessaires ordinaires. Il en fit faire un d'acier, attaché à une ceinture par le moyen d'un ressort qui se recourboit jusque dans la vulve, à l'extrémité duquel il y avoit un petit écusson qui retenoit la matrice dans son lieu naturel.
La fig. 10 représente un pessaire élastique formé par un ressort d'acier tourné en spirale. On revêt cet instrument d'une toile cirée. Les anciens se servoient de pessaires médicamenteux pour provoquer le flux menstruel, pour arrêter le flux immodéré des regles, & contre la maladie qu'ils appelloient suffocation de matrice. Mais la connoissance plus exacte de la nature des parties lésées, & du caractere des maladies, a fait rejetter de la pratique ces moyens inutiles. (Y)
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PESSE | S. f. (Botan.) nom vulgaire de l'espece de sapin que Tournefort appelle abies tenuiore folio, fructu deorsum inflexo. On trouve souvent des ruches sur les extrémités des branches de cet arbre. Il n'est pas trop aisé de comprendre comment elles se forment ; & l'on ne se douteroit pas que des ruches aussi régulieres fussent l'ouvrage des moucherons. Rien cependant n'est plus vrai. Un essain de ces petits animaux, dit M. de Tournefort, vient piquer les branches de la pesse dans le tems qu'elles sont encore tendres ; chaque moucheron fait son trou à l'origine de la jeune feuille, justement dans l'aisselle, c'est-à-dire, dans l'endroit où la base de la feuille est attachée en travers contre la tige. Ainsi le suc nourricier qui s'extravase, élargit le trou de la piquûre, & fait écarter la base de cette feuille, qui n'est encore que collée contre la tige. Il arrive de-là que cette espece de plaie prend d'abord la forme d'une petite bouche à levres vélues, & ensuite celle d'une gueule qui laisse voir le creux de chaque cellule. Ces cellules toutes ensemble, composent la ruche. Elles sont pleines dans l'été de pucerons verdâtres, semblables à ceux qui naissent sur les herbes potageres. Chaque puceron, mis sur le creux de la main, se développe dans moins d'un demi-quart-d'heure, & laisse échapper un petit moucheron. Hist. de l'acad. des Scienc. ann. 1705. (D.J.)
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PESSEAU | S. m. (économ. rust.) Voyez ÉCHALATS.
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PESSELAGE | S. m. (Agriculture) c'est l'action de garnir une vigne de pesseaux.
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PESSINUNTE | (Géog. anc.) Pessinus, ville des Galates Tolistoboges, ou Tolistoboges, dont elle étoit la métropole, selon Pline, liv. V. chap. xxxvij. Strabon dit que le fleuve Sangarius couloit auprès de cette ville.
Elle étoit célebre par son temple dédié à Cybèle, & par la statue naturelle de cette divinité qui étoit tombée du ciel ; c'étoit une pierre noire qu'on gardoit précieusement à Pessinunte ; mais Rome étant affligée de maladies populaires, & d'autres calamités publiques, envoya aux Pessinuntins une ambassade, pour leur demander cette statue de Cybèle. Ses prêtres, avec tout l'attirail du culte de la divinité, vinrent eux-mêmes la remettre aux Romains. On chargea la vestale Clodia de cette pierre mystérieuse, qui fut portée en procession au-travers de la ville de Rome.
La fête ordonnée pour Cybèle à ce sujet, se renouvelloit tous les ans, & on alloit laver sa statue dans le petit fleuve Almon. Ovide nous apprend cette derniere particularité.
Est locus in Tiberim quâ lubricus influit Almo ;
Et nomen magno perdit in amne minor.
Illîc purpureâ canus cum veste sacerdos
Almonis dominam sacraque lavat aquis.
Denys d'Halicarnasse, qui raconte en détail l'histoire de cette translation de Cybèle, remarque que Scipion Nasica étoit le chef de l'ambassade des Romains.
Quant à ce qui regarde Pessinunte, nous savons seulement que dans la suite des tems, cette ville devint une métropole ecclésiastique ; du-moins c'est le titre que lui donne la notice de l'empereur Andronic, Paléologue le vieux. (D.J.)
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PEST | (Géog. mod.) ville de la haute Hongrie, capitale du comté de même nom, sur la rive orientale du Danube, dans une plaine, vis-à-vis de Bude, à 30 lieues S. E. de Presbourg. Long. 36. 46. lat. 47. 21. (D.J.)
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PESTE | S. f. (Médecine) c'est une maladie épidémique, contagieuse, très-aiguë, causée par un venin subtil, répandu dans l'air, qui pénetre dans nos corps & y produit des bubons, des charbons, des exanthemes, & d'autres symptomes très-fâcheux.
C'est une fievre aiguë, qui devient mortelle & enleve les malades dès le premier ou le second jour, si les forces vitales ne chassent promptement le venin par les bubons, les charbons, le pourpre & autres exanthèmes.
Causes. Ce point est des plus difficiles à traiter : tous les auteurs ont écrit sur cette matiere, mais nous n'avons rien de certain sur cet article. On a donné un nombre infini de conjectures ; les uns ont insisté sur la coagulation ; les autres sur l'infection générale ou locale, qui agit sur les humeurs de notre corps. Mais ce qui est de plus singulier, c'est que tous sont obligés de reconnoître que la peste agit d'une façon fort différente sur ceux dans les pays desquels elle naît, que sur nous autres.
La peste nous vient de l'Asie, & depuis deux mille ans toutes les pestes qui ont paru en Europe y ont été transmises par la communication des Sarrasins, des Arabes, des Maures, ou des Turcs avec nous, & toutes les pestes n'ont pas eu chez nous d'autre source.
Les Turcs vont chercher la peste à la Meque, dans leurs caravanes & leurs pélerinages ; ils l'amenent aussi de l'Egypte avec les blés qui sont corrompus : & enfin, elle se conserve chez eux par leur bizarre façon de penser sur la prédestination : persuadés qu'ils ne peuvent échapper à l'ordre du Très-haut sur leur sort, ils ne prennent aucune précaution pour empêcher les progrès de la peste & pour s'en garantir, ainsi ils la communiquent à leurs voisins.
On reconnoît quatre sortes de pestes. 1°. La peste à bubons, où il survient des bubons aux aisselles & aux aînes, ou d'autres éruptions par tout le corps, comme les charbons.
2°. La suete des Anglois, sudor anglicus, dans laquelle le malade périt par des sueurs, le premier, le second, le troisieme jour, sans bubon, ni charbon.
La troisieme est sans bubon, ni charbon ; mais elle est accompagnée de dépôts gangreneux qui attaquent les piés, les mains, & sur-tout les parties extérieures de la génération dans les hommes ; desorte que ces membres se détachent d'eux-mêmes du corps de ces sortes de pestiférés. C'est la peste d'Athènes qui a été décrite par Hérodote, & ensuite par Lucrece.
La quatrieme espece est la plus connue, elle s'appelle communément le mal de Siam ; elle vient de l'orient, & on voit mourir beaucoup de malades de cette peste à la Rochelle. Dans cette espece, le sang se perd par les pores de la peau en maniere de transpiration, & les malades périssent.
Ainsi la peste est une infection particuliere, qui prend sa naissance dans les pays chauds, qui nous vient par les vaisseaux chargés de marchandises empestées en Turquie, en Egypte, où la peste est trois ou quatre mois l'année, à cause des débordemens du Nil.
Les pestiférés, ou les ballots empestés débarqués dans nos ports, nous causent & nous attirent la peste ; telle que la derniere peste de Marseille, qui fut occasionnée par un vaisseau qu'on avoit pris sur les Turcs, & que l'on avoit amené à Marseille. Ou bien elle nous vient par la communication de l'Allemagne & de la Hongrie avec la Porte-ottomane ; c'est ainsi que les Allemands ont apporté la peste chez eux au retour des campagnes qu'ils avoient faites en Hongrie contre les Turcs.
De cette façon la peste naît & prend son origine dans les pays orientaux, & nous l'allons chercher chez eux. La peste agit sur nos humeurs, & nous ne savons pas comment.
Les causes sont internes & externes, prochaines & éloignées. Les internes sont le vice des parties, la corruption du sang & des autres humeurs. Les passions, le chagrin & la crainte de la part de l'ame ; le mauvais régime & l'abus des choses non-naturelles, soit de l'air, soit des alimens, soit le défaut d'exercice, contribuent beaucoup à attirer cette maladie. Les causes externes sont les vents du midi, ou le défaut de vent ; l'hiver trop doux ; les saisons inégales ; les froids violens & les chaleurs excessives ; l'air fort sec ou fort humide. Les maladies épidémiques avec bubons & phlegmons, sont des avant-coureurs de peste plus certains que des exhalaisons & des influences imaginaires.
La famine peut aussi être mise au nombre des causes ; parce que dans cette triste conjoncture, la même cause qui gâte les biens de la terre & qui amene la disette, doit produire la peste : d'ailleurs dans le tems de famine, on se trouve obligé de manger de toutes sortes d'alimens malsains, qui forment un mauvais sang, & les corps sont par conséquent plus disposés à la pourriture.
Quelques-uns attribuent la peste au tremblement de terre, parce qu'on a vu souvent des maladies malignes & fâcheuses succéder à ces tremblemens.
La cause véritable est la reception d'exhalaisons putrides dans l'air, qui viennent des pays chauds, & qui est aidée & fomentée par la disposition de nos corps. Leur mauvais effet se fait sur-tout sentir quand un vent chaud & humide souffle, ou bien quand elles sont elles-mêmes mêlées avec des vapeurs corrompues. C'est ainsi qu'arrive la peste en Egypte à la suite de l'inondation du Nil ; alors les eaux corrompues par une chaleur excessive, poussent des exhalaisons pestilentielles : les terres humectées & comme chargées de pourriture, sont très-malsaines.
C'est ainsi que les cadavres corrompus dans les grandes villes, pendant les sieges, ou dans les armées à la suite des batailles, infectent horriblement l'air ; les exhalaisons fétides & volatiles de ces cadavres produisent souvent des maladies malignes, mais elles ne produisent point la peste, sans un venin particulier qui est apporté des pays chauds, & qui mêlé avec elles leur donnent un caractere pestilentiel.
Ce levain ne peut s'étendre si loin qu'au moyen de l'air qui lui sert de véhicule ; car l'air une fois infecté de ces exhalaisons, les porte avec lui & les communique à beaucoup de corps qu'il pénetre : ce levain même reste caché pendant long-tems dans ces corps infectés, comme il est arrivé dans la derniere peste. C'est ainsi que l'on a vu des personnes tomber roides mortes, & frappées subitement de peste à l'ouverture seule des ballots empestés, déchargés de vaisseaux venus de l'orient.
Cependant ces exhalaisons n'infectent pas toute la masse de l'atmosphere, elles se dispersent & se jettent de côté & d'autre, à-peu-près comme la fumée ; de-là vient que la peste ne saisit pas tous ceux qui sont dans le même air, qui est néanmoins le véhicule du levain pestilentiel. Il faut une disposition, c'est à proprement parler la cause déterminante & dispositive de la peste.
Cause dispositive. En effet, tous les corps ne sont pas susceptibles de ce venin, il n'affecte que ceux dont les fluides & les solides sont disposés à recevoir l'infection ; si le corps n'a point cette disposition, il résistera à la contagion : ainsi tout ce qui sera capable de garantir nos solides & nos fluides contre la pourriture lorsque la peste regne, doit passer pour un préservatif.
La disposition à la pourriture est une cause qui aide l'effet de la contagion. Or la pourriture est un mouvement intestin de nos humeurs qui tend à en détruire le mélange, la forme & le tissu qui changent de nature. D'ailleurs si le sang se ralentit, cela seul suffit pour contracter ce mouvement de putréfaction ; c'est ce qui arrive dans le chagrin & le vice des premieres voies.
Ce venin de la peste agit fort différemment de celui qui agit dans la petite vérole, le pourpre, la fievre maligne & la dyssenterie. Ce venin agit sur les humeurs & les coagule, comme il paroît par les éruptions critiques.
Ce venin agit d'abord sur les nerfs, ce qui paroît par les symptomes, tels que la douleur de tête, la foiblesse, les nausées, le frisson, le froid extérieur avec feu externe à l'intérieur, le sang alors trouvant de la résistance sur les parties externes, se jette sur les internes.
La cause prochaine de la peste est donc l'action du venin sur nos solides, le développement de la pourriture des humeurs & de ce venin, & enfin son action sur les nerfs. Ces actions produisent l'érétisme du genre nerveux ; c'est de-là que vient la pourriture. Telle est la nature du venin pestilentiel, sans cette disposition vénéneuse, les exhalaisons n'ont aucune action dans le corps, elles y restent long-tems cachées & comme assoupies, à la fin elles transpirent & se dissipent sans produire aucun ravage.
Cet érétisme est une roideur dans les fibres, & une contraction semblable à celle qui y est excitée par les passions de l'ame, par tous les irritans, tels que les alimens chauds, les aromates & tous les stimulans, ont coutume de produire. Cette roideur est augmentée par l'agacement des fibres que cause le venin ; celles-ci ébranlées contractent la maladie pestilentielle ; car l'exhalaison passant alors dans le sang & dans les humeurs, y fait éclater les différens symptomes de la pourriture.
Symptomes. Le malade est d'abord saisi d'un frisson suivi d'une ardeur d'entrailles ; souvent il n'est pas altéré, quoiqu'il sente une ardeur violente ; quelquefois la sueur est petite, & la soif extraordinaire. La fievre est fort inégale, mais la langue est seche & noire ; l'urine est aussi fort différente, souvent elle n'est point changée ; elle est dans quelques-uns rouge & ardente, dans d'autres claire & crue, dans quelques autres elle est trouble, & elle varie souvent dans un même jour ; tantôt elle est comme dans l'état de santé, d'autres fois sanglante ; quelquefois le malade est assoupi & dans le délire, d'autres fois il est accablé d'une cruelle douleur de tête, accompagnée d'insomnie avec des yeux enflammés, & le coeur fort resserré ; souvent le pouls est fort, d'autres fois il est foible & fréquent ; tantôt égal, tantôt inégal, & dans certains malades il est intermittent ; le malade est dans des inquiétudes & dans des agitations continuelles ; on apperçoit dans les tendons des soubresauts & des mouvemens convulsifs ; la vûe est troublée, & le malade est tourmenté de tintemens & de sifflemens d'oreilles ; il y en a qui sont abattus au commencement de la maladie, d'autres conservent leurs forces jusqu'à la mort ; il y en a qui ont des dévoyemens qui résistent à tout remede ; les déjections en sont quelquefois crûes & fréquentes, elles sont comme de l'eau trouble ; dans certains malades on y trouve des vers ; d'autres ont des hémorrhagies par le nez & par la bouche, par les yeux, par les oreilles, par la verge, par la matrice ; d'autres suent le sang pur ; quelques-uns ont des vomissemens continuels ; d'autres ont des nausées & des dégoûts ; on voit dans la plûpart des douleurs cardialgiques, le hoquet ; on en voit qui ont des taches de couleur pourprée, ou violettes ou noires, tantôt en petit nombre, tantôt en grande quantité, tantôt petites, tantôt grandes & presqu'exactement rondes ; tantôt sur une partie, tantôt sur une autre, souvent sur tout le corps ; il y en a beaucoup qui ont des bubons ou des charbons en différens endroits du corps. Ce sont-là des signes évidens & très-assurés de la peste, sur-tout lorsqu'ils sont accompagnés de la fievre, ou qu'ils y surviennent.
Le diagnostic se tire des symptomes suivans :
1°. L'abattement des forces, le défaut de respiration, la foiblesse, l'intermittence & l'intercadence du pouls.
2°. Les symptomes du bas-ventre, les nausées, les vomissemens, les cardialgies, les mouvemens convulsifs.
Les aigreurs & la pourriture des bouillons & de tous les alimens.
3°. Les urines sont troubles, grasses, chargées d'huile ramassée en flocons ; les sueurs sont colliquatives, aigres, grasses, & fétides.
4°. Les bubons aux aînes, aux aisselles des parotides, des charbons dans différentes parties, des lanieres noires ou violettes, ou bleues ; la force du venin est indiquée par ces symptômes.
5°. La gangrene seche & la mollesse des membres après la mort, & avant la mort les déjections de sang par les selles, les urines, les excrétions de sang par les selles & par la sueur.
6°. Enfin, la généralité & l'universalité de l'épidémie, la mortalité nombreuse & par trop répandue, la violence & le nombre infini des accidens, la mort imprévue qui saisit les malades, le premier, le second ou le troisieme jour, & souvent presque aussi-tôt qu'ils sont attaqués, sont des signes évidens & diagnostics de la peste, si on les compare avec tous ceux que nous avons rapportés plus haut, & avec les causes que nous avons détaillées.
Prognostic. Il est d'autant plus fâcheux que personne n'a encore donné ni la cause, ni le remede de ce terrible mal, bien que nous ayons nombre de traités des plus complets sur la cause & la façon de le traiter. En effet, c'est de tous les maux le plus cruel. Tout frémit au seul nom de cette maladie ; cet effroi n'est que trop bien fondé ; plus funeste mille fois que la guerre, elle fait périr plus de monde que le fer & le feu. Ce n'est qu'avec horreur qu'on se représente les affreux ravages qu'elle cause ; elle moissonne des familles entieres ; elle n'épargne ni âge, ni sexe ; on voit périr également les vieillards, les hommes faits, les adultes, les enfans dans le berceau ; ceux mêmes qui sont cachés dans les entrailles de leur mere, quoiqu'ils paroissent à l'abri de ses coups, subissent le même sort ; elle est même plus pernicieuse pour les femmes grosses ; & si l'enfant vient à naître, c'est moins pour vivre que pour mourir ; l'air empesté lui devient fatal ; il l'est même davantage pour ceux qui sont d'un tempérament fort & vigoureux ; la peste détruit le commerce entre les citoyens, la communication entre les parens ; elle rompt les liens les plus forts de la parenté & de la société ; parmi tant de calamités, les hommes sont continuellement prêts à tomber dans le desespoir.
Cependant la peste n'est pas toujours si dangereuse que l'on se l'imagine communément ; l'essentiel est de ne point s'effrayer en tems de peste ; la mort épargne ceux qui la méprisent, & poursuit ceux qui en ont peur ; tous les habitans de Marseille ne périrent point de la peste, & la frayeur en fit périr davantage que la contagion. La peste ne fait pas de plus grands ravages parmi les Turcs & les autres peuples d'orient qui y sont accoutumés, que les maladies épidémiques chez nous, quoiqu'ils ne prennent que peu ou point de précautions, & cela parce qu'ils n'ont point peut. D'ailleurs, ceux qui assistent les malades ne se trouvant point incommodés, il paroît qu'elle n'attaque que ceux qui y sont disposés.
Traitement de la peste. On peut considérer la peste comme menaçante & prête à saisir le malade, ou comme déja venue & ayant infecté le malade. Dans le premier cas, il faut s'en garantir, s'il est possible ; & dans le second, il faut la combattre pour la dissiper, & arrêter ses progrès. Ainsi les remedes sont prophilactiques & détournent le mal prochain, ou ils sont thérapeutiques & proprement curatifs, en guérissant le mal lorsqu'il est présent.
Cure préservative. On peut se préserver de la peste, en s'éloignant de la cause de la peste, ou en se munissant contr'elle ; ce qui regarde en partie le public ou le magistrat, & en partie les particuliers.
Le magistrat doit avoir soin de faire nettoyer ou transporter toutes les immondices & les matieres puantes & corrompues, qui ne font que fomenter le venin pestilentiel & le retenir caché ; de faire nettoyer & ôter les fumiers, les boues & les ordures des rues & des places publiques ; de faire enterrer les morts hors des églises, dans des endroits éloignés, de les faire couvrir de chaux, de défendre toutes les assemblées, soit dans les places, soit dans les maisons ; d'ordonner des feux, de faire tirer le canon & la mousqueterie, pour éloigner par ce moyen l'infection, & pour corriger l'air par l'odeur de la poudre, d'interdire le commerce avec les villes où le mal regne, ou qui sont suspectes ; de défendre absolument l'entrée ou l'usage des mauvais alimens : enfin, d'abord que la peste commence à se manifester, de faire séparer au plutôt les malades d'avec ceux qui se portent bien.
Les préservatifs des particuliers se réduisent à la diete, aux remedes chirurgicaux & pharmaceutiques ; la diete regle l'usage de l'air & des passions de l'ame, qui sont les deux points importans dans cette maladie. On évite l'air empesté par la fuite, ou bien on le corrige par des fumigations, des parfums, avec des odeurs, en les approchant souvent du nez, pour corriger l'air à mesure qu'on respire ; la plûpart ne se fiant à aucun remede contre un mal si cruel & si subit, recommandent la fuite comme l'unique préservatif par ces deux vers.
Haec tria tabificam tollunt adverbia pestem ;
Mox, longè, tardè, cede, recede, redi.
Le contentement de l'esprit empêche l'effet de la crainte ; Thalès de Crete passe pour avoir chassé une peste qui faisoit d'horribles ravages à Lacédémone, en procurant de la joie aux habitans. Le médecin est inutile à ceux qui peuvent prendre ces précautions ; mais il est nécessaire à ceux qui ne peuvent prendre la fuite, & sont obligés de rester au milieu des pestiférés. Nous ne saurions donner ici tous les remedes préservatifs contre la peste ; il faudroit recourir à une foule d'auteurs qui ont écrit sur cette matiere.
M. Geoffroi a fait une these en 1721, où il propose ce problème ; savoir si l'eau est un excellent préservatif en tems de peste. Cette these se trouve traduite en françois dans un livre intitulé, les vertus médicinales de l'eau commune.
Cure thérapeutique. Les remedes qui sont indiqués pour guérir la peste lorsqu'elle est présente, sont internes ou externes. Nous allons détailler les plus vantés ; ensuite nous parlerons de quelques compositions, ou de quelques secrets & spécifiques, que l'on estime beaucoup.
Les remedes internes ont reçu dans les auteurs le nom d'antidote, ou d'alexipharmaque ; mais où est le véritable alexipharmaque ? il est encore inconnu & caché, ou plutôt enveloppé de profondes ténebres ; il y a cependant beaucoup de remedes, tant simples que composés, qui portent ce nom.
Les remedes simples sont, les racines d'angélique, d'aunée, d'impératoire, de carline, de contrayerva, de viperine, de saxifrage, de dompte-venin, de zédoaire ; les écorces & les bois, la canelle, le cassia lignea, le santal, le bois de baume, le bois d'aloës ; les feuilles de buis, de scordium, de dictame de Crete, de mélisse, de chardon béni, de mille-feuilles ; les fleurs de souci, de roses, de romarin, de millepertuis. Les fruits ; les citrons, les oranges, les limons, les figues, les noix, les baies de genievre, les cubebes, le cardamome, le cloux de gérofle, la noix muscade, le macis, les sucs & les gommes ; le camphre, la myrrhe, le styrax, le baume de Judée ; les parties des animaux, les chairs de vipere, l'ivoire, les cornes de licorne, de rhinoceros & de cerf ; les sels volatils, leur fiel ; les fragmens précieux ; les perles, la pierre de bézoard, la pierre de porc-épic ; les terres ; le bol d'Arménie, la terre sigillée, le soufre blanc & l'antimoine.
Les remedes internes composés sont ; la thériaque d'Andromaque, la thériaque céleste, le mithridate de Damocrate, le diascordium de Fracastor, les confections d'alkermès & d'hyacinthe, l'orviétan, les eaux thériacales, le vinaigre thériacal, les teintures & les elixirs alexipharmaques.
Il y en a mille autres auxquels on a donné des noms pompeux ; mais on sait par plusieurs raisons & par une infinité d'observations, que tous ces remedes au lieu de faire du bien, trompent ceux qui s'y fient, nuisent souvent, & prêtent de nouvelles forces au venin pestilentiel. Voyez ALEXIPHARMAQUE.
Les alexipharmaques externes sont ceux, qui appliqués extérieurement, passent pour être propres à détruire le venin, ou à l'éloigner de nos corps ; il y en a d'artificiels qui sont purement superstitieux ; ils sont chargés de caracteres, de figures, de signes de mois ; ce sont des productions de l'ignorance & de la superstition, qui doivent être rejettées par tout homme de bon sens. Il y en a qui sont de vrais poisons, comme l'arsenic, le réalgal, l'orpiment, les crapaux, les araignées ; si ces choses ne font point de mal, elles sont au-moins inutiles, comme l'expérience l'a fait voir souvent.
A quoi donc, dira-t-on, faut-il recourir ? De tous les remedes, suivant la these de M. Geoffroi, il n'y en a point de meilleur & de plus sûr que l'eau en boisson ; c'est elle seule qui peut ramollir les fibres nerveuses, quand elles sont trop roides & trop crispées, détruire l'éréthisme des solides, délayer les humeurs trop épaisses, atténuer celles qui sont trop grossieres, adoucir leur âcreté, empêcher leur corruption, modérer ou même totalement arrêter la violence du venin pestilentiel, lorsqu'il est une fois glissé dans nos corps, d'ailleurs on n'a pas sujet d'en appréhender le moindre mal ; c'est ce que le savant auteur déja cité, démontre en détail, & d'une maniere qui me paroît sans réplique.
La peste peut se regarder comme une espece de fievre, & être traitée de même ; dès-lors on combinera les indications de la fievre avec celles de la contagion ; & d'ailleurs si on lit les auteurs qui ont écrit après avoir traité des pestiférés, tels qu'Hildanus Caldera, Heredia, & Thonerus ; on verra que les cordiaux trop chauds ont fait périr plusieurs personnes. Les cordiaux sont donc dangereux & ne sont pas l'unique ni le vrai remede & antidote de la peste, non plus que des autres maladies, où il y a un grand abattement.
Celse dit que les maladies pestilentielles demandent une attention particuliere ; puisque dans ces cas la diete, les clysteres & la purgation, ne sont d'aucune utilité ; mais la saignée est très-salutaire, lorsque les forces le permettent, sur-tout lorsque la maladie est accompagnée de douleurs de fievre violente.
Riviere, & après lui de grands praticiens, recommandent la saignée faite à petite dose : ce remede est fort contredit par le grand nombre des praticiens ; & d'ailleurs il a eu souvent de mauvais succès ; on a vu des malades périr dans la saignée. Cependant on peut dire que la saignée indiquée par une roideur, une force, & une grandeur dans le pouls, par une chaleur & une soif extraordinaire, & par les autres signes inflammatoires, sera faite très-sagement ; & alors pour en éviter les inconvéniens, qui sont d'augmenter l'abattement, on auroit soin de la modérer, d'en arrêter ou empêcher les mauvais effets. On saignera peu à la fois, & on réiterera la saignée tout au plus une fois ; on la soutiendra par des cordiaux.
Les praticiens célebres conseillent la purgation ; ce qui est encore fort contesté : d'abord il répugne de purger dans l'abattement & dans la foiblesse ; d'ailleurs les bubons & les charbons marquent que le venin cherche à sortir, & le public pense que les saignées & les purgatifs les font rentrer. Nous observerons seulement sans décider ces questions, que la pourriture des premiers voies, aide les progrès de la peste ; & qu'ainsi les purgatifs en la nettoyant feront un grand bien, & préviendront les ravages qu'elle attire ; ils emporteront les aigreurs des premieres voies, & par-là la pestilence fera moins d'effet.
Mais l'effet des purgatifs étant d'abattre les forces, d'augmenter les douleurs cardialgiques, de détourner les humeurs de la circonférence au centre, que n'en doit-on pas attendre pour la rentrée des bubons, des charbons, & des exanthèmes ; ces derniers demandent l'administration des cordiaux, & l'indication des purgatifs les contre-indique : c'est au médecin sage à concilier les indications & les contre-indications dans cette fâcheuse perplexité.
Les purgatifs seront l'émétique ordinaire, l'essence émétique, les potions purgatives ordinaires. Voyez PURGATIF & POTION.
Les cordiaux seront simples ou composés : les simples sont tous ceux que nous avons détaillés ci-dessus : les composés sont les confections alexitaires, les teintures, tels que la teinture d'or mêlée dans six onces d'eau de scorsonere, le syrop de contrayerva, les pilules anti-pestilentielles, les sudorifiques antipestilentiels, les décoctions sudorifiques alexitaires. Voyez tous ces articles.
Potion cordiale contre la peste. Prenez des eaux thériacale simple, de sureau, de scabieuse, de chacune deux onces ; de confection d'alkermès, un gros ; de fiel de porc préparé, un demi-gros ; de l'essence émétique & du lilium de Paracelse, de chaque trente gouttes ; de syrop de contrayerva, trois onces.
Cette potion se donnera par cuillerée à chaque demi-heure ; on retranchera l'émétique dans les potions réitérées.
Autre potion cordiale. Prenez des eaux de chardon béni, d'angélique, de mélisse simple, & thériaque composée de chaque une once & demie ; de teinture d'or & d'élixir de propriété, de chaque un scrupule ; de syrop d'oeillet, une once & demie : faites une potion que l'on réitérera selon le besoin.
Le régime doit être humectant, doux, & légerement cordial & acide ; on peut ordonner pour boisson la limonade avec le syrop de contrayerva, ou un autre pareil. Voyez SYROP DE CONTRA-YERVA.
Narcotiques. Nous ne pouvons nous dispenser ici de faire une observation sur les narcotiques préparés avec l'opium ou le pavot blanc ; ils sont contraires par eux-mêmes à la cause générale de la peste, qui est la coagulation du sang ; cependant il est des cas où ils peuvent être indiqués ; alors on doit en user avec toute la sagesse possible. Voyez OPIUM & NARCOTIQUES.
Cela dépend de l'inspection d'un habile médecin, de même que tout le traitement de la peste.
On doit conclure de tout ce qui a été dit sur la peste, que cette maladie nous est totalement inconnue quant à ses causes & son traitement ; que la seule expérience ne nous a que trop instruit de ses funestes effets.
PESTE, s. f. (Hist. anc. & mod.)
Voilà ce mal qui répand par-tout la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre.
Je ne peindrai pas les rigueurs de ces climats, où cette cruelle fille de la déesse Némésis, descend sur les villes infortunées. Cette grande destructrice est née des bois empoisonnés de l'Ethiopie, des matieres impures du grand Caire, & des champs empuantis par des armées de sauterelles, entassées & putréfiées en nombre innombrable. Les animaux échappent à sa terrible rage, tandis que l'homme seul lui sert de proie. Elle attire un nuage de mort sur sa coupable demeure, que des vents tempérés & bienfaisans ont abandonnée. Tout alors n'est que désastre. La Sagesse majestueuse détourne son oeil vigilant ; l'épée & la balance tombent des mains de la Justice sans fonctions ; le commerce ne porte plus ses secours utiles ; l'herbe croît dans les rues dépeuplées ; les demeures des hommes se changent en des lieux pires que les déserts sauvages ; personne ne se montre, si ce n'est quelque malheureux frappé de phrénésie qui brise ses liens, & qui s'échappe de la maison fatale, séjour funeste de l'horreur. La porte qui n'est pas encore infectée, n'ose tourner sur ses gonds, elle craint la société, les amis, les parens, les enfans mêmes de la maison. L'amour éteint par le malheur, oublie le tendre lien & le doux engagement du coeur sensible ; le firmament & l'air qui animent tout, sont infectés des traits de la mort ; chacun en est frappé à son tour, sans recevoir ni soins ni derniers adieux, & sans que personne ordonne son triste cercueil : ainsi le noir desespoir étend son aîle funebre sur les villes terrassées, tandis que pour achever la scene de désolation, les gardes inexorables dispersés tout-autour, refusent toute retraite, & donnent une mort plus douce au malheureux qui la fuit.
Les annales de l'histoire font mention de deux pestes à jamais mémorables, & qui ravagerent le monde, l'une 431 ans avant Jesus-Christ, & l'autre dans le xiv. siecle de l'ere chrétienne. Thucydide, Diodore de Sicile, & Plutarque, vous instruiront fort au long de la premiere, qui parcourut une vaste étendue de pays, & dépeupla la Grece sur son passage, sous le regne d'Artaxerxès Longue-main ; cette peste commença en Ethiopie, d'où elle descendit en Lybie, en Egypte, en Judée, en Phénicie, en Syrie, dans tout l'empire de Perse, & fondit ensuite dans l'Attique : & particulierement sur Athènes. Thucydide qui en fut attaqué lui-même, en a décrit expressément les circonstances & les symptômes, afin, dit-il, qu'une relation exacte de cette affreuse maladie, puisse servir d'instruction à la postérité, si un pareil malheur arrivoit une seconde fois.
" Premierement, dit cet historien (liv. II. de la guerre du Péloponnèse), cette année fut exempte de toute autre maladie, & lorsqu'il en arrivoit quelqu'une, elle dégénéroit en celle-ci ; à ceux qui se portoient bien, elle prenoit subitement par un grand mal de tête, avec des yeux rouges & enflammés, la langue & le gosier sanglans, une haleine infecte, une respiration difficile suivie d'éternuemens & d'une voix rauque. De-là descendant dans la poitrine, elle excitoit une toux violente : quand elle attaquoit l'estomac, elle le faisoit soulever, & causoit des vomissemens de toute sorte de bile avec beaucoup de fatigue. La plûpart des malades avoient un hoquet suivi de convulsions qui s'appaisoient aux uns pendant la maladie, aux autres long-tems après. Le corps rougeâtre & livide étoit couvert de pustules, & ne paroissoit pas fort chaud au toucher, mais brûloit tellement au-dedans qu'on ne pouvoit souffrir aucune couverture, si bien qu'il falloit demeurer nud. On prenoit un plaisir infini à se plonger dans l'eau froide, & plusieurs qu'on n'avoit pas eu soin de garder, se précipiterent dans des puits, pressés d'une soif qu'on ne pouvoit éteindre, soit qu'on bût peu ou beaucoup.
Ces symptômes étoient suivis de veilles & d'agitations continuelles, sans que le corps s'affoiblît, tant que la maladie étoit dans sa force ; la plûpart mouroient au septieme ou au neuvieme jour de l'ardeur qui les brûloit, sans que leurs forces fussent beaucoup diminuées. Si l'on passoit ce terme, la maladie descendoit dans le bas-ventre, & ulcérant les intestins, causoit une diarrhée immodérée qui faisoit mourir les malades d'épuisement ; car la maladie attaquoit successivement toutes les parties du corps, commençant par la tête, & se portant si on échappoit, aux extrémités. Le mal se jettoit tantôt sur les bourses, tantôt sur les doigts des piés & des mains ; plusieurs n'en guérirent qu'en perdant l'usage de ces parties, & quelques-uns même celui de la vûe : quelquefois revenant en santé, on perdoit la mémoire jusqu'à se méconnoître soi-même & ses amis.
La maladie donc, ajoute-t-il peu après, laissant à part beaucoup d'accidens extraordinaires, différens dans les différens sujets, étoit en général accompagnée des symptômes dont nous venons de faire l'histoire. Quelques-uns périrent faute de secours, & d'autres quoiqu'on en eût beaucoup de soin ; on ne trouva point de remede qui pût les soulager, car ce qui faisoit du bien aux uns nuisoit aux autres ; enfin la contagion gagnoit ceux qui assistoient les malades, & c'est ce qui produisit le plus grand désastre ".
Hippocrate qui s'y dévoua noblement, a fait de son côté une courte description de cette peste en médecin, & Lucrece en grand poëte. Artaxerxès avoit invité Hippocrate de venir dans ses états, traiter ceux qui étoient attaqués de cette cruelle maladie. Ce prince y joignit les offres les plus avantageuses, ne mettant du côté de l'intérêt aucune borne à ses récompenses, & du côté de l'honneur promettant de l'égaler à ce qu'il y avoit de personnes les plus considérables à sa cour ; mais tout l'éclat de l'or & des dignités ne fit pas la moindre impression sur l'ame d'Hippocrate. Sa réponse fut qu'il étoit sans besoins & sans desirs, qu'il devoit ses soins à ses concitoyens, & qu'il ne devoit rien aux barbares ennemis déclarés des Grecs.
En effet, dès qu'il fut mandé à Athènes il s'y rendit, & ne sortit point de la ville que la peste ne fût cessée. Il se consacra tout entier au service des malades, & pour se multiplier en quelque sorte, il envoya plusieurs de ses éleves dans tout le pays, après les avoir instruits de la maniere dont ils devoient traiter les pestiférés. Un zele si généreux pénétra les Athéniens de la reconnoissance la plus vive. Ils ordonnerent par un decret public, qu'Hippocrate seroit initié aux grands mysteres, de la même maniere que l'avoit été Hercule, le fils de Jupiter ; qu'on lui donneroit une couronne d'or de la valeur de mille statères & que le decret qui la lui accordoit seroit lu à haute voix par un héraut dans les jeux publics, à la grande fête des panathénées ; qu'il auroit en outre le droit de bourgeoisie, & seroit nourri dans le Prytanée pendant toute sa vie, s'il le vouloit aux dépens de l'état ; enfin que les enfans de ceux de Cos, dont la ville avoit porté un si grand homme, pourroient être nourris & élevés à Athènes comme s'ils y étoient nés.
Il ne manqua à la gloire d'Hippocrate que d'avoir eu la satisfaction de compter Périclès parmi les malades auxquels il sauva la vie. Ce grand capitaine, le premier homme de l'état, dont la sagesse & l'habileté avoient soutenu le poids des affaires de la république pendant quarante ans, après avoir perdu tous ses parens de la peste, en mourut lui-même entre les bras d'Hyppocrate, & malgré tous les secours de son art.
Mais quelque cruelle qu'ait été la peste dont nous venons de parler, elle le fut encore moins par sa violence & par son étendue, que celle qui ravagea le monde vers l'an 1346 de Jesus-Christ. La description qu'en font les historiens contemporains au défaut d'observateurs médecins qui nous manquent ici, ne se peut lire sans frémir. La contagion fut générale dans tout notre hémisphere. Elle commença au royaume de Cathay, partie septentrionale de la Chine, par une vapeur de feu, dit-on, horriblement puante, qui infecta l'air, & consuma avec une promptitude incroyable deux cent lieues de pays ; elle parcourut le reste de l'Asie, passa en Grece, de-là en Afrique, & finalement en Europe, qu'elle saccagea jusqu'à l'extrémité du nord. Ici elle emporta la vingtieme, là elle détruisit la quinzieme partie des habitans ; ailleurs ce fut la huitieme partie, comme en France, ailleurs même, comme en Angleterre, le tiers ou le quart des habitans ; j'en parle ainsi d'après le temoignage des écrivains des deux nations.
La derniere peste qu'on ait vûe en Europe, est celle de Marseille en 1720 & 1721. Elle enleva dans cette seule ville environ cinquante mille personnes ; la mémoire en est encore récente.
Toutes nos connoissances sur cette horrible maladie se bornent à savoir qu'elle se répand par contagion ; qu'elle est la plus aiguë des maladies inflammatoires ; qu'elle est accompagnée de symptômes très-différens & très-variés ; qu'elle se termine par des tumeurs vers les parties glanduleuses qui dégénerent en abscès ; que cette crise est d'autant plus salutaire qu'elle est prompte ; que ce mal a ses tems de décroissement & de diminution, & qu'alors les secours de l'art sont d'une grande utilité ; que la contagion s'adoucit & se détruit par de grands froids ; qu'en conséquence elle est plus rare & fait moins de ravages dans les pays septentrionaux que dans les pays méridionaux ; qu'elle marche quelquefois seule, mais qu'elle a plus communément pour compagnes deux autres fléaux non-moins redoutables, la guerre & la famine ; & dans ce cas si elle n'attaque pas les hommes, les bestiaux en sont la victime : voilà les faits dont l'histoire ne fournit que trop de tristes monumens.
Il semble que le meilleur moyen de se garantir de la peste, seroit de fuir de bonne heure les lieux où elle regne. Si cela n'est pas possible, il faut tâcher de se séquestrer dans un domicile convenable, bien aéré, y éviter, autant qu'on peut, toute communication au-dehors ; vivre sans frayeur, user d'acides, en particuliers de citrons, se gargariser de vinaigre, s'en laver le corps, les hardes, &c. purifier l'air des appartemens par la vapeur du bois & des baies de genievre, user d'alimens opposés à la pourriture, & pour boisson de vins blancs acidules par préférence aux autres.
Ce ne sont pas les livres qui manquent sur la peste, le nombre en est si considérable, que la collection des auteurs qui en ont fait des traités exprès, formeroit une petite bibliotheque. La seule peste de Marseille a produit plus de deux cent volumes qui sont dejà tombés dans l'oubli ; en un mot de tant d'ouvrages sur cette horrible maladie, à peine en peut-on compter une douzaine qui méritent d'être recherchés.
Celui de Mindererus, de pestilentia, Aug. Vindel. 1608, in-8°. n'est pas méprisable. Il faut lui joindre Méad (Richard) a short discourse concerning pestilential contagion, Lond. 1720. in-8°. Hodge, de peste. Muratori (Ludov. Anton.) del governo medico e politico delle peste, in Brescia 1721, in-8°. & le traité suivant qui est fort rare. Vander Mye, de morbis & symptomatibus popularibus Bredanis, tempore obsidionis hujus urbis grassantibus, Antuerp. 1627. in-4°. mais j'oubliois que je ne me suis proposé dans cet article que de traiter de la peste en historien ; ainsi, voyez PESTE, Médec. (Le chevalier de JAUCOURT )
PESTE D'ORIENT, du VI. siecle, (Hist. de la Méd.) cette affreuse peste a été décrite par Evagre & par Procope. Voici le précis de leurs descriptions ; je commence par celle d'Evagre.
Selon cet historien ecclésiastique, la peste dont il s'agit arriva l'an de J. C. 543, & fit pendant cinquante deux ans un horrible ravage presque dans toute l'étendue de la terre ; elle commença deux ans après que la ville d'Antioche eut été prise par les Perses, & parut en quelque chose semblable à la peste d'Athenes qui a été décrite par Thucydide, & en d'autres choses fort différente.
Elle tomba d'abord sur l'Ethiopie, & de-là se répandit successivement sur presque toutes les parties de l'univers. Quelques villes en furent si cruellement affligées, qu'elles perdirent tous leurs habitans. Il y avoit des personnes qu'elle attaquoit par la tête, par le visage, par les yeux qui paroissoient extrêmement enflammés ; puis descendant à la gorge, elle les emportoit impitoyablement ; d'autres avoient des dévoiemens ; d'autres des abscès dans l'aine ; d'autres des fievres dont ils mouroient, le second ou le troisieme jour ; d'autres tomboient en délire avant que de périr ; d'autres en périssant, avoient tout le corps couvert de pustules & de charbons. Quelques-uns ayant été attaqués une ou deux fois de ce fléau, & y ayant résisté, y succomboient la troisieme fois.
Il y avoit différentes manieres & fort difficiles à comprendre, de contracter cette maladie. Plusieurs moururent pour être seulement entrés dans des maisons infectées ; d'autres pour avoir légerement touché des malades, & d'autres sans aucune communication, prenoient le mal dans les campagnes & les places publiques. Quelques-uns s'en préserverent en fuyant des villes pestiférées, & ne laisserent pas de communiquer la peste. Quelques autres demeurerent au milieu des malades, sans crainte & sans y trouver la mort, & même sans accident. Evagre rapporte qu'il étudioit la grammaire, lorsque cette peste commença, qu'il en fut attaqué ; mais qu'il perdit dans la suite sa femme, quelques-uns de ses enfans, de ses parens & de ses esclaves.
Procope nous donne la description de cette maladie, avec autant d'art que d'exactitude, & aussi-bien que s'il avoit été médecin de profession. Selon lui, ce fléau consuma presque tout le genre humain. Il n'affligea pas une seule partie de la terre, & ce ne fut pas dans une saison particuliere de l'année, mais dans toutes indistinctement. Elle n'épargna, ni condition, ni âge, ni sexe, quoiqu'il y ait une si grande diversité dans les tempéramens & dans les dispositions. La différente situation des lieux, la diete, les complexions, les moeurs, rien ne put sauver les malades.
Elle commença parmi les Egyptiens de Peluse, se répandit à Alexandrie, dans le reste de l'Egypte, & dans ces parties de la Palestine, qui confinent à l'Egypte ; ensuite avançant toujours avec une marche réglée ; elle parcourut le monde, comme si elle eût eu pour but de travailler successivement à tout ravager. La terre-ferme, les îles, les cavernes, les sommets des montagnes, tous les lieux où il y avoit des hommes en furent infectés. Des côtés de la mer, elle s'étendit sur les terres, & quand elle sautoit par-dessus un pays, on n'avoit pas long-tems sujet de s'en féliciter, elle retournoit ensuite sur ses pas ; dès la seconde année vers le milieu du printems, elle se fit jour à Constantinople, ou Procope demeuroit alors.
Plusieurs personnes attaquées du mal, croyoient voir des apparitions d'esprits, en toutes sortes de formes humaines ; d'autres s'imaginoient que les hommes qu'ils rencontroient les frappoient en quelque partie de leur corps ; d'autres croyoient dans leurs visions entendre une voix qui leur crioit, qu'ils étoient marqués dans le livre des morts ; d'autres se refugioient dans les Eglises où ils périssoient. Plusieurs, sans aucun symptôme précurseur de maladie, étoient pris subitement d'une sorte de fievre, qui n'annonçoit par le pouls aucun danger ; cependant ils étoient emportés par un bubon qui se formoit, tantôt plutôt, tantôt plus tard, ou à l'aine ou à l'aisselle, ou sous l'oreille, ou en d'autres parties du corps.
On remarqua dans cette maladie une grande diversité de symptômes. Les uns tomboient dans un assoupissement profond, d'autres étoient agités d'une phrénésie violente, quelques-uns demandoient à manger, & quelqu'autres dégoutés de toute nourriture, mouroient d'inanition. Dans certain tems, ni médecin ni garde, ni fossoyeur ne gagnoit la maladie auprès des malades & des morts ; ils continuoient à jouir d'une santé parfaite, quoiqu'ils soignassent & ensevelissent des personnes infectées ; d'autres au contraire gagnoient la maladie sans savoir comment, & en mouroient incontinent. Plusieurs sans être altérés de soif, se jettoient dans l'eau douce ou dans la mer. Quelques-uns sans avoir eu d'assoupissement ou d'attaque de phrénésie, avoient des bubons gangrenés, & expiroient dans les douleurs ; d'autres finissoient leurs jours par un vomissement de sang.
Quelques médecins conjecturant que le venin de la maladie consistoit dans les ulceres pestilentiels, ouvrirent ces ulceres dans les corps morts, & y trouverent un charbon énorme. Ceux dont le corps étoit taché de petits boutons noirs de la grosseur d'une lentille, ne vivoient pas un jour. Quelques-uns entierement abandonnés des médecins, se rétablissoient contre toute attente ; d'autres de la guérison desquels ils se croyoient sûrs, périssoient soudainement. Le bain fit du bien à quelques-uns, il nuisit à d'autres ; ceux-ci moururent par les remedes, & ceux-là échapperent sans en avoir usé. En un mot, il n'étoit pas possible de trouver aucune méthode pour conserver la vie des hommes, soit en prévenant le mal, soit en le domptant, n'y ayant aucune cause apparente à laquelle on pût attribuer la maladie ou sa guérison.
Les femmes enceintes qui en étoient frappées mouroient, les unes en faisant de fausses couches ; & d'autres délivrées heureusement, périssoient également avec leurs enfans ; on vit peu d'exemples du contraire. Les malades dont les ulceres ouverts couloient abondamment, réchappoient pour l'ordinaire, la violence du charbon étant adoucie par l'écoulement ; mais ceux dont les ulceres restoient dans le même état qu'ils avoient paru d'abord, périssoient presque toujours. Quelques-uns eurent les cuisses desséchées, sans que les ulceres eussent flué ; d'autres échapperent de la maladie avec la langue mutilée, & ne purent pendant le reste de leur vie articuler que des sons confus.
Cette peste dura quatre mois à Constantinople, d'abord avec assez de bénignité ; mais ensuite avec tant de fureur, que le nombre des morts monta jusqu'à dix mille personnes en un jour. Au commencement, on les ensevelissoit soigneusement, mais à la fin tout tomba dans la derniere confusion : les domestiques n'avoient pas de maîtres, & les personnes riches n'avoient point de domestiques pour les servir. Dans cette ville affligée, on ne voyoit que maisons vuides, & que magasins & boutiques qu'on n'ouvroit plus, tout commerce pour la subsistance même étoit anéanti.
L'empereur chargea Théodore, l'un de ses référendaires, de tirer du trésor l'argent nécessaire pour en distribuer à ceux qui étoient dans le besoin, mais ce n'étoit là qu'une foible ressource. Procope ajoute que plusieurs malheureux, frappés d'épouvante, quitterent leur mauvaise vie, tandis que d'autres retournerent à leurs déréglemens aussi-tôt que le danger fut passé.
Il résulte de tout ce détail, que quoique cette peste ait duré cinquante-deux ans, en changeant souvent de symptômes, suivant les pays, cependant la description d'Evagre differe en peu de choses essentielles de celle de Procope.... mais comme l'histoire de Procope étoit connue de tout le monde, Evagre eut tort d'avancer que cette maladie n'avoit pas été décrite avant lui. On ne peut pas douter que sa description & celle de Procope ne regardent la même peste, laquelle au rapport d'Agathias, commença la cinquieme année (il faudroit lire la quinzieme année de Justinien). Procope l'a décrite telle qu'elle parut à Constantinople la seconde année, & Evagre en parle conformément à ce qu'elle étoit plusieurs années après ; c'est cette différence de tems & de lieux, qui sont apparemment les principales causes de la différence qui se trouve quelquefois dans les descriptions de ces deux historiens.
Evagre, par exemple, rapporte une circonstance très-surprenante, qu'on ne lit point dans Procope ; savoir, qu'aucune personne native des villes attaquées, quelqu'éloignée qu'elle fut du lieu où étoit la maladie, n'échappoit pourtant à sa fureur ; ces mots aucune personne pris à la rigueur de la lettre, détruisent toute croyance ; mais si l'on interprete son récit par un très-grand nombre de personnes, il ne sera point suspect de fausseté pour ceux qui n'ignorent pas des exemples semblables que rapportent les historiens dans des tems plus modernes, au sujet de la sueur angloise, genre de peste qui vint à éclorre dans la principauté de Galles en 1483, ravagea l'Angleterre, se répandit en Allemagne, reparut à Londres en 1551 pour la cinquieme fois, attaqua quantité de naturels anglois dans les pays étrangers, & épargna presque tous les étrangers établis en Angleterre. Voyez SUEUR ANGLOISE. (D.J.)
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PESTIFÉRÉ | adj. (Gram.) qui est attaqué de la peste. Voyez PESTE.
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PESTILENCE | S. f. en Médecine ; c'est une maladie épidémique, maligne & contagieuse, ordinairement mortelle, connue vulgairement sous le nom de peste. Voyez PESTE.
Ce mot est formé du latin pestis, qui signifie la même chose.
Maison de peste ; c'est un lazaret ou une infirmerie, où l'on met en dépôt & où l'on a soin des marchandises, des personnes, &c. infectées, ou que l'on soupçonne infectées de quelque maladie contagieuse. Voyez LAZARET.
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PESTILENTIEL | adj. (en Médecine) se dit en Médecine des maladies de l'air & des alimens ; on dit un air pestilentiel, un aliment empesté.
La maladie pestilentielle est une maladie épidémique, dont il meurt plus de monde qu'il n'en réchappe, & dont les malades meurent plus promptement que dans les maladies épidémiques ordinaires ; les signes propres & caractéristiques de la maladie ou fievre pestilentielle ou de la pestilence sont ; 1°. l'épidémie ; 2°. la mortalité ; 3°. les accidens, tels que les bubons, les charbons, le pourpre, la mollesse, l'abattement de tout le corps ; 4°. la cause qui agit dans le vice de l'air & les alimens.
Ce sont ces quatre conditions, l'épidémicité, la mortalité, la qualité des accidens, & la cause commune qui constituent le caractere des maladies pestilentielles ; ces quatre conditions se rencontrent souvent dans les fievres malignes, dans les fievres continues à redoublement, dans les péripneumonies, dans les pleurésies, les dyssenteries, les petites véroles, &c. & alors ces maladies sont pestilentielles.
Les maladies pestilentielles different de la peste ; 1° en ce que l'épidémie est plus genérale dans celle-ci ; 2°. en ce que la mortalité y est aussi plus grande ; 3°. en ce que les accidens sont plus violens dans la peste, & enfin la cause de la peste est différente, car elle est produite par une infection particuliere. Voyez PESTE.
La cause de la fievre pestilentielle, est une cause épidémique & souvent sporadique, jointe à une cause particuliere qui est l'infection ; c'est ainsi qu'une fievre maligne simple qui attaquera différens habitans d'une ville, deviendra sporadique, & souvent épidémique ; & si l'infection particuliere, soit de l'air, soit des alimens, se joint à cette fievre maligne, elle sera pestilentielle ; c'est ainsi que la pestilence accompagne la fievre continue à redoublement, la pleurésie, les dyssenteries, les péripneumonies, la petite vérole, la rougeole & le pourpre.
La peste au contraire, est toujours causée par la seule infection particuliere sans cause sporadique ; les symptômes de la fievre pestilentielle sont, 1°. l'abattement des forces, d'où dépendent le défaut de la respiration, la foiblesse, l'intermittence & l'intercadence du pouls.
2°. Des nausées, des cardialgies, des vomissemens, par le vice de l'estomac où les oscillations pêchent, & où les bouillons même s'aigrissent ou se corrompent.
3°. Des urines troubles & grasses, où l'huile est comme par flocons, par la laxité des tuyaux secrétoires des reins.
4°. Des sueurs colliquatives, aigres, grasses & fétides par la même cause.
5°. Des bubons aux aines ou aux aisselles, des charbons, des lanieres de pourpre, noires ou violettes, ou bleues ; l'âcreté des humeurs & leur épaississement produisent ces différens accidens. Voyez BUBONS.
6°. La gangrene seche & la mollesse des membres après la mort. Voyez GANGRENE SECHE.
7°. Des déjections sanglantes par les selles, des excrétions de sang, par les urines & par la sueur.
Prognostic. La fievre pestilentielle est très-funeste ; en effet, on n'en connoît point le caractere, on ne peut y employer les remedes ordinaires aux autres maladies, sans une crainte infinie & un ménagement inconcevable. Le prognostic n'est d'ailleurs que trop vérifié, par l'expérience funeste que nous donne le nombre de malades qui périssent de cette maladie ; cependant le prognostic varie selon le degré de la pestilence, selon le nombre & la violence des symptômes, selon le dénaturement du sang, selon que la maladie sporadique domine sur la pestilence, ou que la pestilence prend le dessus sur la maladie sporadique.
Voici ce qui doit régler le prognostic :
1°. Plus l'épidémie est grande, plus il y a des malades attaqués en même tems, plus la pestilence est à craindre.
2°. Plus la mortalité est grande, & plus le danger est grand.
3°. La violence & le nombre des accidens, la gangrene des parties extérieures, l'intermittence & l'intercadence suivies dans le pouls, sont des signes très-dangereux.
Curation. La pestilence ou la fievre pestilentielle est très-difficile à traiter ; elle présente cependant deux indications, celle de la maladie sporadique ou de l'épidemie, & celle de la pestilence. Le sentiment des médecins est partagé sur l'administration de la saignée & de la purgation : mais si nous distinguons nos chefs d'indication & différens degrés dans la maladie, nous verrons que l'on peut saigner dans ces maladies, mais moins que dans les maladies inflammatoires ordinaires ; il en sera de même de la purgation. D'ailleurs quoique les cordiaux soient conseillés par le plus grand nombre, il est cependant prouvé par l'expérience qu'ils nuisent fort souvent, & qu'il périt plus de personnes par les cordiaux que par l'usage des autres remedes ; nous sommes donc de l'avis suivant :
1°. On saignera, s'il y a inflammation, comme péripneumonie, pleurésie, &c. s'il y a douleur locale, ou effervescence considérable dans le sang ; si le pouls est plein, fort & tendu ; mais comme il y a pestilence, on saignera de façon que l'on modérera le nombre & la quantité des saignées ; hors ces cas, on ne doit point saigner du tout.
2°. On purgera pour vuider les premieres voies, pour détourner le venin sur le bas ventre, & le jetter par les selles ; on employera les purgatifs & même l'émétique, on tiendra le ventre libre en donnant de tems à autre des cathartiques ; mais la foiblesse contr'indique ces remedes : & il faut remarquer qu'elle augmente assez souvent par la saignée & les purgatifs, au lieu qu'elle diminue dans les autres maladies. Ceci mérite une attention singuliere.
Le remede contre cette foiblesse est l'antidote ou le spécifique propre contre la pestilence ; mais quel est ce spécifique ? c'est ce qu'on cherche depuis longtems sans le trouver. Les quatre alexipharmaques, les confections d'alkermès & d'hyacinthe, la thériaque & l'orviétan ; les esprits volatils tirés des animaux ; les cordiaux acides sont mêlés avec les précédens, ou donnés séparément, on remarque en général qu'ils ne causent pas une si grande dissolution du sang ; ainsi on peut employer en même-tems que les remedes généraux, la potion suivante.
Potion antipestilentielle. Prenez des eaux de chardon béni ; de reine des prés & d'angélique, de chaque deux onces ; d'eau thériacale de baudron ; de vinaigre thériacal ; de l'esprit de citron, de chaque cinq gros ; de sirop d'oeillet, une once : faites une potion du tout dont on donnera par cuillerée, pour soutenir le pouls & procurer une douce moiteur.
On peut employer la thériaque, la poudre de vipere, l'antidote de Tichobrahé. Voyez ces articles.
Enfin, on applique les vésicatoires & les ventouses.
Quant aux amuletes, voyez AMULETES.
Le régime doit être proportionné à l'état du mal ; il doit être analeptique restaurant & soutenu par les antiputrides. Voyez PESTE.
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PET | S. m. air qui se sépare dans les intestins, & qui s'échappe avec bruit par l'anus. C'est un effet de la digestion, de la qualité des alimens, du froid, du chaud, &c.
Les anciens avoient le dieu Pet.
PET, (Cuisine) espece de petits bignets, ronds, faits de farine, de lait, de sucre & de jaunes d'oeufs délayés ensemble.
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PETA | S. f. (Mytholog.) déesse de la demande. Son nom vient du verbe peto, demander.
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PÉTAGUEI | (Géog. mod.) pays de l'Amérique méridionale au Brésil, borné nord par le pays de Dele & par la mer ; sud par la capitainerie de Rio grande ; ouest par les Tupuyes. Il y a des mines d'argent dans cette contrée.
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PÉTALE | S. m. petalum ; on a donné ce nom aux feuilles de la fleur des plantes, pour les distinguer des vraies feuilles. Les pétales sont ordinairement les plus belles parties des plantes, tant par leur couleur que par leur forme ; ils tombent facilement d'eux-mêmes ; jamais ils ne deviennent l'enveloppe de la semence. Quoique les feuilles de la fleur de l'ellébore n'ayent qu'une couleur verte, & qu'elles ne tombent pas, elles sont censées être de vraies pétales, parce qu'elles ne sont pas l'enveloppe du fruit. Voyez FLEUR.
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PÉTALISME | (Hist. anc.) la crainte que l'on avoit à Athènes des citoyens trop puissans, & dont le crédit s'établissoit auprès du peuple, fit introduire dans cette république l'ostracisme, voyez OSTRACISME. Un usage semblable fut établi à Syracuse ; on le nomma pétalisme, parce qu'on écrivoit le nom de celui qu'on vouloit bannir sur une feuille d'olivier. Ce mot vient du mot grec . Le pétalisme étoit une institution beaucoup plus inique & rigoureuse que l'ostracisme même, vû que les principaux citoyens de Syracuse se bannissoient les uns les autres en se mettant une feuille d'olivier dans la main. La loi du pétalisme parut si dure, que la plûpart des citoyens distingués de Syracuse prenoient le parti de la fuite aussi-tôt qu'ils craignoient que leur mérite ou leurs richesses ne fissent ombrage à leurs concitoyens, parlà la république se trouvoit privée de ses membres les plus utiles. On ne tarda point à s'appercevoir de ces inconvéniens, & le peuple fut obligé lui-même d'abolir une loi si funeste à la société.
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PÉTALODE | adj. (Médec.) c'est un nom que l'on donne à l'urine quand elle paroît contenir de petites feuilles & de petites bleuettes. Voyez URINE.
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PÉTAMINAIRE | S. m. (Littérat.) petaminarius, c'est-à-dire un homme qui vole en l'air, de , voler. On appelloit chez les Romains pétaminaires, des sauteurs, des voltigeurs, des gens qui faisoient en l'air des tours de souplesse, des sauts hardis, périlleux & surprenans. Le mot pétaminaire se trouve dans Salvien & dans Firmicus.
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PÉTARASSE | S. f. (Marine) espece de hache à marteau, faite du côté du taillant comme le calfas double, & employée à pousser l'étoupe dans les grandes coutures.
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PÉTARD | S. m. en terme de Guerre, est une sorte de canon de métal : qui ressemble un peu à un chapeau haut de forme, ou plus exactement à un cone tronqué. Il sert à rompre les portes, les barricades ou barrieres, les ponts-levis, & tous les autres ouvrages que l'on a dessein de surprendre.
On peut considérer le pétard, comme une piece d'artillerie fort courte, étroite par la culasse, & large par l'ouverture. Elle est faite de rosette mêlée avec un peu de cuivre. On en fait aussi de plomb & d'étain mêlés ensemble. Il est ordinairement long de sept pouces & large de cinq à sa bouche, pesant quarante à cinquante livres.
Sa charge est de cinq à six livres de poudre : on ne le charge qu'à trois doigts de la bouche, le reste se remplit d'étoupe, & on l'arrête avec un tampon de bois. On couvre la bouche d'une toile que l'on serre bien fort avec une corde ; on le couvre d'un madrier ou d'une planche de bois, dans laquelle on a pratiqué une cavité pour recevoir la bouche du pétard, & on l'attache en bas avec une corde, ainsi qu'il est exprimé dans nos Planches.
Il est d'usage dans les attaques clandestines ; il sert à rompre les portes, les ponts, les barrieres, &c. auxquelles on l'attache ; ce qui se fait par le moyen d'une planche de bois. On s'en sert aussi dans les contre-mines pour briser les galeries ennemies, & pour en éventer les mines.
Au lieu de poudre à canon pour charger cette arme, quelques uns se servent de la composition suivante ; savoir sept livres de poudre à canon, une once de mercure sublimé, huit onces de camphre ; ou bien six livres de poudre à canon, une demi-once de verre broyé, & trois quarts de camphre. On fait aussi quelquefois des pétards de bois entourés de cerceaux de fer.
On attribue l'invention des pétards aux huguenots françois en 1579, dont le plus signalé exploit fut la surprise de la ville de Cahors, ainsi que nous l'apprend d'Aubigné. Chambers.
Pour se servir du pétard on fait ensorte d'approcher de la porte qu'on veut rompre sans être découvert des sentinelles de la ville ; & avec un tirefond, ou quelqu'autre instrument semblable, on attache le madrier auquel le pétard est joint, à la porte qu'il s'agit de briser ; ce qui étant fait, on met le feu à la fusée du pétard, laquelle étant remplie d'une composition lente, donne le tems au pétardier, où à celui qui a attaché le pétard, de se retirer. La fusée ayant mis le feu à la poudre dont le pétard est chargé, cette poudre en s'enflammant presse le madrier contre la porte avec un tel effort, qu'il la brise, ou qu'il y fait une ouverture.
Le métier de pétardier est extrèmement dangereux. Peu d'officiers reviennent de cette sorte d'expédition ; car ou des défenses qui sont sur la porte, ou de celles qui sont à droite ou à gauche, si ceux qui sont dans la ville s'apperçoivent de cette manoeuvre, ils choisissent le pétardier, & ils ne le manquent presque jamais.
Les Artificiers appellent aussi pétard une espece de boîte de fer de dix pouces de haut, de sept pouce de diametre par en-haut & de dix pouces par enbas, du poids de 49 à 60 livres, dont on se sert pour enfoncer les herses & les portes des villes assiégées, ou des ouvrages où l'on veut entrer. Le madrier sur lequel on le place & où il est attaché avec des liens de fer, est de 2 piés par sa plus grande largeur & de 18 pouces par les côtés ; l'épaisseur est d'un madrier ordinaire. Au-dessous du madrier sont des bandes de fer passées en croix avec un crochet qui sert à attacher le pétard.
Il n'y a pas d'autre secret pour l'appliquer que de s'approcher à l'entrée de la nuit, avec un détachement, le plus près de la place qu'on peut ; de descendre dans le fossé lorsqu'il est sec, ou de trouver quelqu'autre moyen quand il est plein d'eau, ce qui n'est pas à la vérité si facile. Peu d'officiers reviennent de ces sortes d'expéditions, & il faut être muni d'une très-forte résolution pour prendre une commission pareille à celle-là.
Lorsqu'on veut charger un pétard qui aura 15 pouces de hauteur, & 6 à 7 pouces de calibre par l'ame, il faut commencer par le bien nettoyer par-dedans, & le chauffer, de maniere néanmoins que la main puisse en souffrir la chaleur.
Prendre de la plus fine poudre & de la meilleure que l'on puisse trouver, jetter dessus un peu d'esprit de vin, la présenter au soleil, ou la mettre dans un poële ; & quand elle sera bien seche, la mettre dans le pétard de la maniere suivante :
On passera dans la lumiere un dégorgeoir que l'on y fera entrer de deux pouces, ensuite l'on y jettera environ deux pouces & demi de haut de la poudre ci-dessus. Voyez DEGORGEOIR.
On aura ensuite un morceau de bois du calibre du pétard bien uni par les deux bouts & bien arrondi par les côtés, qu'on fera entrer dans le pétard, & avec un maillet de bois l'on frappera sur cette espece de refouloir sept ou huit coups pour presser la poudre, observant néanmoins de ne l'écraser que le moins qu'il se pourra ; l'on prendra ensuite du sublimé, l'on en semera une pincée sur ce lit de poudre, puis l'on y remettra encore de la poudre la hauteur de deux pouces & demi, on la refoulera de même ; on aura dans une phiole grosse comme le pouce, du mercure qui sera couvert d'un simple parchemin, auquel on fera sept ou huit petits trous avec une épingle, & l'on sécouera trois ou quatre fois pour en faire sortir du mercure.
L'on fera un autre lit de poudre comme le premier, & l'on y mettra du sublimé, comme on a fait d'abord : ensuite un autre lit de poudre, & encore du mercure, comme ci-devant ; ce qui fait en tout quatre lits ; le cinquieme sera comme le premier.
Vous le couvrirez de deux doubles de papier coupés en rond du diametre du pétard, que vous mettrez dessus son ouverture : vous mettrez des étoupes pardessus à la hauteur d'un pouce, & avec le morceau de bois, dont on a parlé, l'on enfoncera le tout à force.
On fera un mastic composé d'une livre de brique ou de tuile bien cuite, que l'on pulvérisera & tamisera, & d'une demi-livre de poix-résine ou colofane.
Vous ferez tout fondre ensemble, & remuerez avec un bâton, ensorte que le tout soit bien délayé, & vous verserez ce mélange tout chaud sur les étoupes.
Vous aurez une plaque de fer de l'épaisseur de 4 ou 5 lignes du calibre du pétard, à laquelle il y aura trois pointes qui déborderont du côté du madrier, afin qu'elles puissent entrer dedans ; vous appliquerez ce fer sur le mastic, dont le surplus débordera par le poids du fer.
Il faut que ce fer soit au niveau du pétard, & le poser ensuite sur votre madrier, qui sera entaillé de quatre à cinq lignes pour loger le pétard, observant de faire trois trous pour recevoir les trois pointes de la plaque de fer que vous avez appliquée sur le cul du pétard.
Vous remplirez ensuite l'encastrement de ce mastic mis bien chaud, & renverserez dans le moment votre pétard dessus ; & comme il doit y avoir quatre tenons ou tirans de fer passés dans les anses pour arrêter le pétard sur le madrier, il faudra faire entrer une vis dans chacun, & la serrer bien ferme pendant que le mastic sera chaud, afin de boucher tout le jour qui pourroit se trouver dans l'encastrement.
Il est bon de remarquer encore que la lumiere du pétard se met quelquefois au haut, & quelquefois à un pouce & demi au-dessous ; mais de quelque maniere qu'elle soit située, il faut toujours un porte-feu fait de fer du diametre de la lumiere, & de trois pouces de longueur, qu'on enfonce dedans avec un maillet de bois.
Avant que de le placer, il faut avec un dégorgeoir de fer, dégorger un peu la composition du dedans du pétard, & y faire entrer ensuite un peu de nouvelle composition, afin de donner mieux le feu, & avec un peu plus de lenteur.
Cette composition doit être d'un huitieme de poudre, d'un quatrieme de salpêtre, & d'un deuxieme de soufre ; c'est-à-dire que pour huit onces de poudre, il faut quatre onces de salpêtre & deux de soufre. On pulvérise ces trois matieres séparément ; & après les avoir mêlées, on en charge le porte-feu, qu'on couvre avec du parchemin ou du linge goudronné pour le garantir de l'injure de l'air.
PETARDS, (terme d'Artificiers) on peut mettre au nombre des garnitures ces petits pétards que font les enfans dans les rues avec du papier & un peu de poudre, qu'on appelle aussi péterolles.
On plie une feuille de gros papier sur sa longueur par plis de 9 à 10 lignes d'intervalle en trois plis successifs, qu'on ouvre ensuite pour former une espece de canal dans lequel on couche un lit de poudre de peu d'épaisseur, étendue bien également, on l'y enveloppe en plusieurs doubles en continuant de plier le reste de la feuille, ce qui forme un paquet long & plat qu'on replie ensuite en travers de l'intervalle d'environ un pouce & demi, par plis alternatifs en zig-zag, en façon de Z d'un côté & d'autre, frappant sur les bords de chacun avec un marteau dans la largeur de 2 à 3 lignes, pour écraser un peu la poudre qui s'y trouve, afin que le passage du feu y étant moins ouvert s'y communique successivement, & non pas tout-d'un-coup, comme il arriveroit sans cette précaution. Le paquet ainsi réduit à cette petite longueur, doit être serré par le milieu avec plusieurs tours de ficelle ; & pour y mettre le feu, on fait un trou à côté de la ligature qui pénetre jusqu'à la poudre grenée, dans lequel on introduit un peu de poudre écrasée dans l'eau pour lui servir d'amorce. Il n'est personne qui n'ait vu l'effet de cet artifice, qui est tombé, pour ainsi dire, en mépris, tant il est commun, mais qui a son mérite lorsqu'on en joint ensemble une certaine quantité pour faire une escopetterie successive assez amusante.
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PÉTARDER | v. act. (Art. milit.) c'est attaquer une porte, un château, par le moyen du pétard.
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PÉTARDIER | S. m. (Art milit.) officier d'artillerie commandé pour attacher le pétard & y mettre le feu.
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PÉTARRADE | S. f. (Maréchal) pet de cheval ou d'âne. C'est aussi une ruade que le cheval fait lorsqu'il est en liberté.
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PÉTASITE | S. f. (Hist. nat. Bot.) petasites, genre de plante à fleur & fleurons, composée de plusieurs fleurons profondément découpés, & soutenus par un calice presque cylindrique, & divisé en plusieurs parties. Chaque fleuron est placé sur un embryon qui devient dans la suite une semence garnie d'une aigrette. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les fleurs naissent avant les feuilles. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort établit quatre especes de ce genre de plante, en anglois buter-burr, dont nous décrirons la grande ou commune, petasites major, vulgaris, I. R. H., 451, tussilago scapo imbricato thyrsifero, flosculis omnibus hermaphroditis, Linnaei. Hort. Cliffort. 411.
La racine de cette espece de pétasite, ou grand pas d'âne, est grosse, longue, brune en-dehors, blanche en-dedans, d'un goût âcre aromatique, un peu amer, & d'une odeur suave. Elle pousse des tiges à la hauteur d'environ un pié, de la grosseur du doigt, creuses, lanugineuses, revêtues de quelques petites feuilles étroites, pointues, terminées par un bouquets de fleurs & fleurons purpurins, & semblables à de petits godets, taillés en quatre ou cinq parties ; tous ces fleurons sont soutenus par un calice presque cylindrique, recoupé jusques vers la base en plusieurs quartiers. Les fleurs se flétrissent en peu de tems, & tombent avec leur tige ; elles sont suivies par des semences garnies chacune d'une aigrette.
Après que la tige est tombée il s'éleve des feuilles grandes & amples, presque rondes, un peu dentelées en leur bord, d'un verd brun en-dessus, attachées par le milieu à une queue longue de plus d'un pié, grosse, ronde, charnue ; ces feuilles ont la figure d'un chapeau renversé, ou d'un grand champignon porté sur la queue.
Cette plante aime les lieux humides, les bords des rivieres & des ruisseaux : elle fleurit au commencement du printems, & même quelquefois dès le mois de Février dans les pays chauds. On fait usage de la racine ; on l'estime apéritive, résolutive & vulnéraire ; elle entre dans l'orviétan, & l'emplâtre diabotanum de la pharmacopée de Paris. (D.J.)
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PÉTAURE | S. f. (Littér.) en latin petaurum ; roue posée en l'air sur un aissieu, par le moyen de laquelle deux hommes se balançoient l'un l'autre. On attribue l'invention de cette espece de jeu aux Germains, selon Ammien Marcellin. Manilius en fait la description dans son Astronomie, l. V.
Ad numeros etiam illi ciet cognata per artem
Corpora, quae valido saliunt excussa petauro,
Alternosque cient motus elatus, & ille
Nunc jacet, atque hujus casu suspenditur alter.
On nommoit pétauristes, ceux qui se divertissoient à cet exercice.
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PÉTÉCHIALE | FIEVRE, (Médec.) c'est une fievre continue, maligne, contagieuse, accompagnée de taches plates, semblables à des morsures de puces, de différentes couleurs, & causée par une corruption des humeurs, suivie d'une dissolution putride.
Les malades éprouvent dès le commencement de ces sortes de fievres, de grandes foiblesses, & l'épuisement des forces, la douleur & la pesanteur de tête, l'abattement & l'inquiétude de l'esprit ; l'insomnie continuelle, la pulsation du pouls languissante, foible & inégale, l'oppression de poitrine, les vomissemens, & souvent la contraction & les tressaillemens de tendons. Plusieurs malades néanmoins ne se plaignent que d'un abattement extraordinaire, d'une grande insomnie, & de défaillance. Le quatriéme, cinquiéme ou même le septiéme jour, des taches commencent à paroître principalement sur le dos & les reins, elles sont plus ou moins abondantes, assez semblables à des morsures de puces & de différentes couleurs & figures, jaunes, rougeâtres, pourprées, rondes, lenticulaires ; on les nomme pétéchies. Voyez ce mot.
Ces taches paroissent sans ardeur, sans démangeaison, sans élevation, sans ulcération de la peau, & sans apporter aucun soulagement au malade ; parce qu'elles sont d'une nature putride ; aussi plus elles sont nombreuses, plus elles marquent le degré de corruption, & même une corruption sphacéleuse, lorsqu'elles sont d'une couleur livide, plombée & d'un verd noirâtre.
Les autres signes funestes dans cette maladie sont une langue seche, crévassée, noirâtre, sans desir de boire ; le gosier enflammé, la difficulté d'avaler, le délire après l'éruption des taches, l'embarras de la respiration, l'urine sans aucun dépôt ; s'il survient en même tems des tressaillemens dans les tendons, l'écoulement involontaire des excrémens, la sueur froide, & les convulsions, il ne faut point douter que la mort ne soit prochaine.
La cause formelle de ces fievres pernicieuses consiste dans une dissolution putride, dans une colliquation des humeurs, & dans une corruption vicieuse du fluide lymphatique & subtil qui est dans le sang.
Cet état a d'ordinaire pour premiere origine une vapeur nuisible qui passe de l'air dans le corps par les narines, le gosier & les bronches. Ce venin affecte immédiatement les nerfs, cause la pesanteur de tête, & l'abattement des forces. Il se mêle principalement avec la salive, & descend avec elle dans le ventricule & les intestins ; d'où naissent le dégoût pour les alimens, & les inquiétudes par la communication des nerfs, des parties voisines du coeur. Hippocrate a déja attribué autrefois la premiere origine de ces fievres contagieuses à la corruption générale de l'air ou des humeurs ; de-là vient qu'elles sont fréquentes dans les camps, & qu'on leur a donné le nom de maladies d'armées. C'est aussi par la même raison qu'elles font tant de ravages dans les hôpitaux, dans les vaisseaux & dans les prisons publiques.
Les Médecins doivent agir de concert avec la nature, & la seconder pour parvenir à la guérison de cette cruelle maladie. Les remedes volatils & sudorifiques augmentent la corruption, occasionnent un orgasme, & abattent les forces ; il faut donc les éviter. La bonne méthode curative consiste à corriger la putréfaction, & à évacuer les humeurs corrompues quand elles sont en état d'être évacuées, ce qui arrive depuis le septiéme jusqu'au quatorzieme jour. Les remedes propres à cet effet, sont ceux qui relâchent le ventre du malade, sans y causer l'érétisme ; telles sont la manne, mêlée avec la crême de tartre ; le syrop solutif de roses, mêlé avec le sel polychreste dans quelque véhicule délayant comme le petit-lait, la pulpe de tamarins & autres semblables. La saignée ne doit avoir lieu que dans les personnes pléthoriques, & qui vivent dans l'abondance de toutes choses. Les tisanes acidules sont propres à diminuer la corruption des humeurs. Enfin le régime antiputride convient dans le cours à la fin de ces maladies, pour préserver de dangereuses rechutes : la nature elle-même les guérit quelquefois par des diarrhées critiques, qui surviennent le septiéme, le neuvieme ou le onzieme jour. Quelquefois ces maladies sont populaires, contagieuses, & presque pestilentielles ; alors le plus sûr est d'éviter la contagion en se retirant à tems, & en fuyant un air imprégné d'exhalaisons venéneuses. (D.J.)
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PÉTÉCHIES | S. m. pl. (Médec.) petechiae ; taches rouges ou pourprées, semblables à des morsures de puces ou de cousins, qui s'élevent sur la peau dans les fievres malignes & contagieuses, & qui sont toujours d'un très-mauvais présage. Sydenham soupçonne avec raison qu'elles sont quelquefois excitées par un régime & des remedes trop chauds. Quoi qu'il en soit les anciens ont appellé ces taches du nom général d'exanthemes ; les Italiens les ont nommées pédéchie du mot pedechio, morsure de puce ; les François taches pourprées ; les Espagnols tabardillo, à cause de leur couleur rouge-jaunâtre ; & les Allemands lenticulaires, à cause qu'elles ont la figure & la couleur des lentilles : ces sortes de taches constituent avec d'autres symptômes les maladies qu'on appelle fievres pétéchiales. Voyez PETECHIALES, fievres, Médec.
Au reste, ces taches petechies, & la fievre qui les accompagne ont été décrites premierement & distinctement par Fracastor, sous le nom de lenticulae & de puncticula ; voyez son traité de morb. contag. l. II. cap. vj. & vij. (D.J.)
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PETELIA | ou PETILIA, (Géog. anc.) ville d'Italie dans les terres chez les Brutiens, selon Pline, liv. III. c. x. & Ptolomée, l. III. c. j. Virgile, Aeneid. l. III. v. 402. attribue sa fondation à Philoctete le Troyen.
Parva Philoctetae subnixa Petilia muro.
Elle ne demeura pas toujours dans cet état de médiocrité, car elle devint dans la suite métropole, ou du moins l'une des principales villes des Brutiens. Strabon dit au commencement du VI. liv. p. 254. que la ville de Petilia étoit regardée comme la capitale des Lucaniens, & que de son tems elle étoit assez peuplée. Il ajoute qu'elle étoit forte, & par sa situation & par ses murailles. Elle étoit voisine de Crotone, puisqu'elle avoit été bâtie dans le lieu où est aujourd'hui Strongoli, où l'on a trouvé d'anciennes inscriptions : dans l'une on lit ce mot Petilia, & dans une autre celui-ci Reip. Petilinorum. Elle est fameuse dans l'histoire, & on la compare à la ville de Sagunte, tant pour sa fidélité envers les Romains, que pour ses désastres, ce qui a fait dire à Silius Italicus, liv. XII. v. 431.
Fumabat versis incensa Petilia tectis,
Infelix fidei, miseraeque secunda Sagunto,
(D.J.)
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PÉTENUCHE | S. f. (Soierie) ou galette de cocole. C'est une bourre de soie d'une qualité inférieure à celle qu'on appelle fleuret. Quand elle est filée, teinte & bien apprêtée, on l'emploie à la fabrique de certaines étoffes, comme papelines, &c. On s'en sert aussi à faire des padoues, des galons de livrée, des lacets, & d'autres semblables ouvrages.
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PÉTER | v. n. Voyez l'art. PET.
PETER, s. m. (Gram. Hist. nat. Bot.) espece de nénuphar qui croît dans l'eau, dont la racine est attachée à une substance blanche couverte d'une peau rouge, qui se partage en plusieurs gousses ; il a le goût de la noisette quand il est frais. Son suc attaque le cuivre, à ce qu'on dit ; cependant il est doux.
PETER, v. n. (Gram.) lâcher un vent par-derriere, avec bruit. On dit que les Borciens ne se gênoient pas là-dessus, cela me paroît plus des Cyniques.
On dit peter, de tout ce qui fait un bruit subit & éclatant.
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PÉTER-VARADIN | (Géog. mod.) ou Petri-Varadin, ou Peter-Wardein ; ville forte de la basse Hongrie, à 16 lieues N. O. de Belgrade, 6. E. d'Illok. Elle appartient à la maison d'Autriche. C'est près de Péter-Varadin que le prince Eugene en 1716 livra bataille au grand visir Ali, favori du sultan Achmet III. & remporta la victoire la plus signalée. Long. 37. 44. lat. 45. 18. (D.J.)
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PÉTERBOROUG | (Géog. mod.) ville épiscopale d'Angleterre, en Northamptonshire, avec titre de comté. Elle envoye deux députés au parlement, & est sur le Neu. C'est un des six évêchés établis par Henri VIII. Long. 17. 20. lat. 52. 36.
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PETERKOW | PETRICOW, PETRICOVIE, ou PIELTRICOW, (Géog. mod.) petite ville de Pologne dans la partie orientale du Palatinat de Siradie, près de la Pileza, à 26 lieues au nord de Cracovie. Long. 37. 32. latit. 51. 16. (D.J.)
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PETERMANGEN | (Comm.) petite monnoie d'Allemagne, qui se frappe dans l'électorat de Trèves, & sur laquelle on voit l'image de l'apôtre S. Pierre ; elle vaut cinq kreutzers. Voyez KREUTZER.
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PÉTEROLLE | S. f. (Artificier) c'est le petit artifice des écoliers, fait avec un peu de poudre renfermée dans une feuille de papier repliée de plusieurs plis, pour tirer plusieurs coups de suite.
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PÉTERSBOURG | (Géog. mod.) la plus nouvelle & la plus belle ville de l'empire de Russie, bâtie par le czar Pierre, en 1703, à l'orient du golfe de Finlande, & à la jonction de la Néva & du lac de Ladoga.
Pétersbourg, capitale de l'Ingrie, s'éleve sur le golfe de Cronstadt, au milieu de neuf bras de rivieres qui divisent ses quartiers ; un château occupe le centre de la ville dans une île formée par le grand cours de la Néva ; sept canaux tirés des rivieres, baignent les murs du palais, ceux de l'amirauté, du chantier, des galeres, & de quelques manufactures. On compte aujourd'hui dans cette ville trois cent mille ames, trente-cinq églises ; & parmi ces églises il y en a cinq pour les étrangers, soit catholiques-romains, soit réformés, soit luthériens : ce sont cinq temples élevés à la tolérance, & autant d'exemples donnés aux autres nations.
Les deux principaux palais sont l'ancien palais d'été, situé sur la riviere de Néva, & le nouveau palais d'été près de la porte triomphale ; les bâtimens élevés pour l'amirauté, pour le corps des cadets, pour les colleges impériaux, pour l'académie des sciences, la bourse, le magasin des marchandises, celui des galeres, sont autant de monumens utiles. La maison de la police, celle de la pharmacie publique, où tous les vases sont de porcelaine ; le magasin pour la cour, la fonderie, l'arsenal, les ponts, les plans, les casernes, pour la garde à cheval, & pour les gardes à pié, contribuent à l'embellissement de la ville, autant qu'à sa sûreté.
Mais une chose étonnante, c'est qu'elle ait été élevée dans l'espace de six mois, & dans le fort de la guerre. La difficulté du terrein qu'il fallut raffermir, l'éloignement des secours, les obstacles imprévus qui renaissoient à chaque pas en tout genre de travail, enfin les maladies épidémiques qui enlevoient un nombre prodigieux de manoeuvres, rien ne découragea le fondateur. Ce n'étoit à la vérité qu'un assemblage de cabanes avec deux maisons de briques, entourées de remparts ; la constance & le tems ont fait le reste.
Il n'est pas moins surprenant que ce soit dans un terrein désert & marécageux, qui communique à la terre ferme par un seul chemin, que le czar Pierre ait élevé Pétersbourg ; assurément il ne pouvoit choisir une plus mauvaise position.
Quoique cette ville paroisse d'abord une des belles villes de l'Europe, on est bien désabusé quand on la voit de près. Outre le terrein bas & marécageux, une forêt immense l'environne de toutes parts ; & dans cette forêt tout y est mort & inanimé. Les matériaux des édifices sont très-peu solides ; & l'architecture en est bâtarde. Les palais des boyards ou grands seigneurs, sont de mauvais goût, mal construits & mal entretenus. Quelqu'un a dit que par-tout ailleurs, les ruines se font d'elles-mêmes, mais qu'on les fait à Pétersbourg. Les habitans voyent relever leurs maisons plus d'une fois en leur vie, parce que les fondemens ne sont point durables faute de pilotis.
Ajoutez que cette ville & le port de Cronstadt, sont en général des places peu convenables pour la flotte qui eût été beaucoup mieux à Revel. L'eau douce de la Neva fait pourrir les vaisseaux en peu d'années. La glace qui ne leur permet de sortir que fort tard dans la saison, les oblige de rentrer bientôt, & les expose à beaucoup de dangers. Lors même que la glace est fondue, les vaisseaux ne peuvent sortir que par un vent d'est ; & dans ces mers, il ne regne que presque des vents d'ouest pendant tout l'été.
Enfin les bâtimens ne peuvent être conduits des chantiers de Pétersbourg à Cronstadt qu'après bien des périls, & avec des frais très-couteux ; mais le Czar se plaisoit à vaincre les difficultés, & à forcer la nature. Il vouloit avoir des gros vaisseaux, quoique les mers pour lesquelles ils étoient destinés n'y fussent pas propres : il vouloit avoir ces vaisseaux près de la capitale qu'il élevoit. On pouvoit appliquer à sa flotte & à sa ville, ce qui a été dit de Versailles : votre flotte & votre ville ne seront jamais que des favoris sans mérite.
Le bois de construction qu'on employe pour les vaisseaux de Pétersbourg, vient du royaume de Casan par les rivieres, les lacs & les canaux, qui forment la communication de la Baltique avec la mer Caspienne : ce bois demeure deux étés en chemin, & ne se bonifie pas dans le trajet.
Tout mal situé qu'est Pétersbourg, il a bien fallu que cette ville devînt le siege du commerce de la Russie, dès qu'une fois le souverain en a fait la capitale de son empire, les marchandises de cet empire consistent en pelleteries, chanvres, cendres, poix, lin, bois, savon, fer & rhubarbe. On y voit arriver annuellement 80 à 90 vaisseaux anglois, & la balance du commerce des deux nations est en faveur de la Russie, d'environ cinquante mille livres sterling. Les vaisseaux hollandois ne passent pas pour l'ordinaire par les ports de Narva ou de Riga. La balance est à-peu-près égale entre les deux peuples. Le commerce avec la Suede est presqu'entierement à l'avantage des Russes, aussi-bien que celui qu'ils font avec les Polonois.
Mais Pétersbourg fait des emplettes très-considérables des marchandises françoises, qui servent à nourrir le luxe de cette cour, & l'on peut compter que les Russes, pauvres en argent, y dépensent plus que le profit qu'ils font sur l'Angleterre. Il faudroit en Russie des lois somptuaires bien observées, qui missent des bornes à ce genre de frénésie, d'autant plus ridicule, que dans un pays si froid, il n'y a que le luxe en pelletteries de l'empire qui y convienne.
Pour comprendre l'âpreté des hivers qui regnent dans cette ville, il suffit de dire que le froid du 27 Janvier 1735, observé par M. de Lisle à Pétersbourg, fit descendre le mercure de son thermometre, au degré qui répond au 27, au-dessous de la congélation dans celui de M. de Réaumur. En 1748 le froid fut encore plus grand ; le mercure descendit au degré qui répond au 30 de celui de M. de Réaumur. Si l'on considere que le froid de 1709 n'a fait descendre le thermometre de M. de Réaumur qu'à 15 degrés & demi, on jugera sans peine de la rigueur des froids de Pétersbourg.
Cette ville a deux autres grands inconvéniens, les inondations qui y causent de tems-en-tems de grands ravages, & les incendies fréquens, qui ne sont pas moins redoutables, parce que la plus grande partie des maisons sont bâties en bois. L'incendie de 1737 consuma un tiers de Pétersbourg.
Pétersbourg est à environ 220 lieues nord ouest de Moscow, 310 nord-est de Vienne, 210 nord-est de Copenhague, 130 nord-est de Stockolm. Longit. suivant Cassini, 47. 51. 30. lat. 60. Longit. suivant de Lisle, 48. 1. lat. 59. 57.
Le czar Pierre I. y est mort en 1725, âgé de 53 ans. Quelques écrivains célebres ont fait à l'envi son éloge, en nous le peignant comme un des plus grands princes qui ait paru dans le monde. Je me contenterai d'observer que s'il avoit de grandes qualités du côté de l'esprit, il avoit aussi de grands défauts du côté du coeur. Quoiqu'il ait fait des choses surprenantes dans ses états, & qu'il ait parcouru le monde pour apprendre mieux à regner, il n'a jamais pu dépouiller une certaine férocité qui constituoit son caractere, reprimer à-propos les emportemens de sa colere, adoucir sa sévérité, ni modérer son despotisme.
Il obligea les seigneurs de s'absenter de leurs terres, ce qui contribua à leur ruine, & à l'augmentation des taxes. Il dégrada le sénat pour se rendre plus absolu, & éloigna de sa confiance les personnes de distinction, pour l'accorder toute entiere à un prince Menzikoff, qui n'étoit d'ailleurs qu'un petit génie. Il corrompit les moeurs de ses sujets, en encourageant la célébration burlesque de ce qu'ils appelloient la slavlenie. En reculant ses frontieres, il détourna les yeux de l'intérieur de l'empire, sans considérer qu'il ne faisoit que le ruiner davantage. Il força les enfans des meilleures familles, de faire, sans qu'ils y fussent propres, le service de soldats & de matelots, tandis qu'il introduisoit à sa cour tous les excès du luxe étranger, qui n'ont fait qu'appauvrir son pays. Il transporta le commerce de l'empire d'Archangel à Pétersbourg, & la résidence de la cour du centre de ses états à une des extrémités. Sa maniere irréguliere de vivre, & les débauches auxquelles il étoit accoutumé dès sa jeunesse, abrégerent ses jours.
C'est en vain qu'il a taché de faire l'univers juge de sa conduite, en publiant la malheureuse histoire du prince Alexis, son fils, il n'a persuadé personne qu'il n'avoit rien à se reprocher à cet égard. Il ne parloit jamais à ce fils avec amitié ; & comme il avoit entierement négligé son éducation, on doit lui attribuer en partie les écarts de ce malheureux prince. (D.J.)
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PETERSHAGEN | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la province de Minden en Westphalie, à une lieue de Minden, sur le Weser. Long. 26. 36. lat. 52. 20.
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PETEUSE | voyez ROSIERE.
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PETHOR | (Géog. anc.) ville de Mésopotamie, & d'où étoit natif le mauvais prophete Balaam. L'hébreux appelle cette ville Pethura ou Pathura. Ptolomée la nomme Pachora, & Eusebe Pathura ; il la place dans la haute Mésopotamie. Nous croyons, dit dom Calmet, Dictionn. qu'elle étoit vers Thapsaque, au-delà de l'Euphrate. S. Jérôme dans sa traduction du livre des Nombres, ch. xxxij. v. 5. a omis ce nom ; il dit simplement, vers Balaam qui demeuroit sur le fleuve des Ammonites. Il lisoit autrement que nous dans l'hébreu. Les Septante portent : A Balaam, fils de Beov. Pathura, qui demeure sur le fleuve du pays de son peuple. (D.J.)
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PÉTIGLIANO | ou PITIGLIANO, (Géog. mod.) petite ville d'Italie dans le Siennois, aux confins du duché de Castro. Elle avoit autrefois ses comtes particuliers ; elle est près de la riviere de Lente, à quatre lieues S. E. de Soana, 18 S. E. de Sienne, 3 N. O. de Castro. Long. 29. 20. lat. 42. 33. (D.J.)
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PÉTILIEN | LE BOIS, (Géog. anc.) Petelinus lucus. C'est en ces lieux que Camille, au rapport de Plutarque in Camillo, transporta le tribunal, lorsqu'il se fut apperçu de l'effet que la vûe du capitole produisoit sur les juges de Marcus Manlius Capitolinus. Ce bois devoit être près de Rome, à la gauche du Tibre, puisque Tite-Live, l. VI. ch. xx. le place hors la porte Flumentane. (D.J.)
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PETILIENS | S. m. (Hist. ecclés.) nom de secte. Les petiliens, hérétiques donatistes, ainsi appellés de Petilianus, faux évêque de Cyrrhe en Afrique, & chef des Donatistes, prétendoient que les bons ne pouvoient être corrompus par les méchans, & qu'un mauvais ministre ne conféroit pas validement un sacrement.
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PETILLER | v. n. (Gramm.) éclater avec un petit bruit réitéré. On dit que le sel petille sur le feu, que le vin petille dans le verre, &c. il se prend au simple & au figuré. Il petille d'esprit.
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PETILLIERES | S. f. Les Gantiers-Parfumeurs appellent ainsi un endroit dans la peau moins frappé que le reste, où les pores sont plus désunis & boursoufflés, pour ainsi parler.
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PETIT | adj. (Gram.) correlatif & opposé de grand. Il n'y a rien qui soit absolument grand, rien qui soit absolument petit. L'éléphant est grand à l'égard de l'homme, qui petit à l'égard de l'éléphant, est grand à l'égard de la mouche, qui petite à l'égard de l'homme, est grande à l'égard du ciron. Ce mot a une infinité d'acceptions différentes : on dit, un petit homme, un petit espace, un petit enfant, de petites choses, de petites idées, de petits animaux, un petit gain, &c. Il se prend, comme on voit, au simple & au figuré. Il semble que l'homme se soit établi la commune mesure de tout ce qui l'environne. : ce qui est audessus de lui n'est rien, & il l'appelle grand ; ce qui est au-dessous est moins que rien, & il l'appelle petit.
PETIT, en Anatomie, nom de quelques muscles, ainsi appellés par comparaison avec d'autres qui ont plus d'étendue, & sont nommés grands. Voyez GRAND.
PETITS BOIS des croisées à verre, (Menuiserie) c'est ce qui fait le remplissage des croisées, & sert à porter les carreaux de verre. Voyez les fig. dans nos Pl. de la Menuiserie.
PETIT CORPS DES MARCHANDS, terme de corporation. C'est ainsi que les trois premiers corps, qui sont la Draperie, l'Epicerie & la Mercerie, appellent les trois derniers corps, qui sont la Pelleterie, la Bonnetterie & l'Orfevrerie.
Ils se servent sans doute de ce terme petit, non pas par rapport au nombre des marchands dont ces trois derniers corps sont composés ; car il est certain que celui des Bonnetiers & celui des Orfévres sont chacun séparément beaucoup plus nombreux que celui des Drapiers, qui a cependant la préséance ; mais on les appelle petits-corps par rapport à leur rang.
Aussi l'usage s'est introduit insensiblement, que de quatre négocians qui entrent chaque année dans le consulat, il y en a toujours un de chacun des trois premiers corps ; & à l'égard des trois derniers, à peine permet-on qu'il y en entre un de chaque corps en trois ans, c'est-à-dire un de l'un des trois chaque année. Savary. (D.J.)
PETIT CORPS, (Sergetterie). On appelle ainsi dans la sergetterie de Beauvais, les sergers qui ne fabriquent que de petites serges, & de certaine qualité & nature.
PETIT-GRIS, terme de Fourreur, nom que l'on donne à une sorte de riche fourrure faite de peaux d'une espece de rats ou d'écureuils, dont le poil de l'échine est d'un très-beau gris-cendré, & celui de la queue & du ventre d'un blanc tirant un peu sur le gris. Ces sortes de rats ou d'écureuils se trouvent communément dans les pays froids, sur-tout dans la Sibérie, d'où les Anglois & les Hollandois en tirent quantité par la voie d'Archangel, de Hambourg & de Lubeck.
Furetiere dit que le petit-gris étoit autrefois une fourrure précieuse que portoient les dames & les grands seigneurs, & qu'il étoit défendu aux courtisannes d'en avoir ; présentement elle se porte indifféremment par toutes sortes de personnes qui veulent en porter & en ont le moyen.
Le petit-gris destiné pour la Turquie, se vend en Moscovie par milliers de peaux assorties, depuis n°. 1 jusqu'à n°. 4, qui vont toujours en diminuant de beauté & de prix depuis le premier numéro jusqu'au dernier. Les Turcs, particulierement ceux de Constantinople, en consomment une prodigieuse quantité pour leurs vestes, dont ils en font onze d'un millier de peaux entieres ; savoir cinq de l'échine, qui est le plus beau & le plus cher, & six du ventre, qui est le moins estimé.
Presque tout le petit-gris qui se voit en France y est envoyé ou de Hollande ou d'Angleterre ; ce sont à Paris les marchands Merciers & les Pelletiers qui en font tout le négoce. Les premiers le vendent en gros au cent de peaux, & les autres l'employent en fourrures, comme bas, manchons, aumuces, jupons, couvre-piés, manteaux-de-lit, robes-de-chambre, vestes, justaucorps, &c.
On nomme aussi quelquefois, mais mal-à-propos, petit-gris, les peaux de lapin, dont le poil est un gris approchant de celui du véritable petit-gris ; quoique le petit-gris de lapin s'employe aux mêmes usages que le véritable petit-gris, il est cependant beaucoup moins estimé. Savary. (D.J.)
PETIT-GRIS, (Plumassier) se dit encore d'une espece de duvet ou petites plumes qui se tirent du ventre & du dessous des aîles de l'autruche. Ce petit-gris est regardé comme le rebut des autres plumes de cet oiseau, & par conséquent peu estimé : il se vend au poids.
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PETIT-JAN | PETIT-JAN
Avant que de faire la case qui reste, on aura soin de marquer toujours les points qu'on gagne par le coup qui acheve le petit-jan, qui arrive plutôt par les dez qui amenent quatre & trois, ou cinq & deux, que par ceux qui amenent six & as. Il est bon de ne point perdre ce petit-jan autant qu'on le peut, d'autant plus que chaque coup de dez qu'on jette on gagne quatre points par simples, & six par doublets.
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PETIT-MAITRE | (Langue françoise) nom qu'on a donné à la jeunesse ivre de l'amour de soi-même, avantageuse dans ses propos, affectée dans ses manieres, & recherchée dans son ajustement. Quelqu'un a défini le petit-maître, un insecte leger qui brille dans sa parure éphémere, papillonne, & secoue ses aîles poudrées.
Le prince de Condé devenu riche & puissant, comblé de la gloire que ses succès lui avoient acquise, étoit toujours suivi d'un nombreux cortege. Les jeunes seigneurs de sa cour furent appellés petits-maîtres, parce qu'ils étoient attachés à celui qui paroissoit le maître de tous les autres.
Nos petits-maîtres, dit M. de Voltaire, sont l'espece la plus ridicule qui rampe avec orgueil sur la surface de la terre. Ajoutons que par-tout où l'on tolere ces sortes d'hommes, on y trouve aussi des femmes changeantes, vaines, capricieuses, intéressées, amoureuses de leur figure, ayant enfin tous les caracteres de la corruption des moeurs & de la décadence de l'amour. Aussi le nom de petit-maître s'est-il étendu jusqu'au sexe taché des mêmes défauts, & qu'on nomme petites-maîtresses.
Quand Rome asservie n'eut plus de part aux affaires du gouvernement, elle regorgea de petits-maîtres & de petites-maîtresses, enfans du luxe, de l'oisiveté & de la mollesse des Sybarites ; ils étoient fard & cassolette depuis la tête jusqu'aux piés ; c'est un mot de Seneque : Nosti illos juvenes, dit-il, epist. 95, barbâ & comâ nitidos, de capsulâ totos.
Mais j'aime singulierement le trait qu'il cite d'un petit-maître de Rome, qui ayant été porté par ses esclaves du bain dans une chaise-à-porteurs, trouva bon de leur demander d'un ton que nous imaginons entendre, s'il étoit assis, regardant comme une chose au-dessous de lui de savoir ce qu'il faisoit. Il convient de transcrire ici tout le passage en original. Audio quemdam ex delicatis, si modò deliciae vocandae sunt, vitam & consuetudinem dediscere, cùm ex balneo inter manus elatus, & in sellâ positus esset, dixisse interrogando, jam sedeo ? Nimis humilis & contempti hominis esse videtur quid faciat. Seneque, de brevitate vitae, c. xij. N'y auroit-il point de nos aimables qui eussent fait paroli à ce petit-maître romain ? pour moi, je crois qu'oui.
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PETIT-OLONE | (Comm. de toile) c'est le nom que l'on donne à une sorte de toile de chanvre écrue, propre à faire des voiles de navire, & d'autres bâtimens de mer.
Cette toile se fabrique à Médrignac & aux environs de ce petit bourg de Bretagne ; car il ne s'en fait point de cette espece dans la ville d'Olone en Poitou, quoiqu'elle en ait pris le nom, à cause que ce sont les Olonois qui en firent les premiers le négoce.
Ces sortes de toiles, qui ont vingt pouces de roi de largeur, se vendent à la piece, qui contient ordinairement quatorze à quinze aunes, mesure de Paris. Dict. de comm. (D.J.)
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PETIT-PERE | (Hist. monach.) c'est ainsi qu'on nomme à Paris la congrégation des Augustins-Déchaussés. La reine Marguerite, petite-fille de François I. les établit en 1608 au fauxbourg S. Germain. Le P. Hilarion, provençal, les établit sept ans après à la porte de Mont-martre, à l'endroit qu'on appelle aujourd'hui le quartier S. Joseph. Il y loua une vieille petite maison avec un petit jardin, dont il composa un hospice, & ce fut la pauvreté & la petitesse de cet établissement qui leur fit donner le nom de Petits-Peres, qui est un nom de compassion sur la misere de cette congrégation naissante ; mais ils ne sont plus dans ce cas-là. Voyez HERMITES, des Augustins-Déchaussés. (D.J.)
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PETIT-TEINT | (Teinturier) nom que l'on donne en France à la communauté de cette sorte de Teinturiers qui n'employent que des drogues communes dans les teintures, & qui ne peuvent aussi teindre que les moindres étoffes ; au contraire des Teinturiers du grand & bon teint, à qui les bonnes étoffes sont réservées, mais qui aussi ne doivent se servir que des meilleures drogues ; c'est au sujet du grand & du petit-teint que les ordonnances de M. Colbert ont grand besoin d'être rectifiées. (D.J.)
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PETIT-VENISE | (Comm. de toile) nom que l'on donne à une espece de linge ouvré, qui se fabrique en Basse-Normandie. Il y a aussi une autre sorte de linge ouvré, appellée rosette ou petite-venise, qui vient de Flandres.
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PETIT-VIEUX | dans l'infanterie françoise est une expression bizarre, qui sert à distinguer les six régimens qui suivent les vieux corps. Parmi ces régimens, ceux de la Tour-du-Pin, Bourbonnois & Auvergne roulent ensemble de la même maniere que le font Champagne, Navarre & Piémont. V. REGIMENT. (Q)
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PETITE-GUERRE | est celle qui se fait par détachement ou par partis, dont l'objet est d'éclairer les démarches de l'ennemi, d'observer ses mouvemens, de l'incommoder ou le harceler dans toutes ses opérations, de surprendre ses convois, établir des contributions, &c. Les détachemens ou les partis qu'on envoie ainsi à la guerre sont composés de troupes légeres & des troupes régulieres, de cavalerie & d'infanterie, plus ou moins nombreuses, suivant les différentes choses qu'ils doivent exécuter. Cette guerre demande beaucoup d'intelligence & de capacité dans les officiers qui en ont le commandement. Ils doivent savoir distinguer le fort & le foible du camp & de la position de l'armée ennemie, & juger des avantages que la nature du terrein peut donner pour l'attaquer ou la surprendre, soit dans sa marche ou dans les lieux où elle doit fourrager. Il faut aussi qu'ils sachent pénétrer les desseins de l'ennemi par ses mouvemens, & qu'ils l'observent assez exactement pour n'être point trompés par de fausses manoeuvres, dont l'objet seroit d'en imposer & de surprendre l'armée qui lui est opposée.
Des partis ou détachemens conduits par des officiers habiles & expérimentés sont absolument nécessaires pour la sûreté de l'armée. Un général peut par ce moyen n'être jamais surpris, parce qu'il est toujours informé à tems de tous les mouvemens & de toutes les opérations de son adversaire. Il lui rend les communications difficiles, de même que le transport des vivres & des munitions, & il trouve le moyen d'étendre les contributions jusqu'à 30, 40, & même 50 lieues de son camp. Par le moyen des partis, on assûre aussi les marches de l'armée, & l'on empêche l'ennemi de venir les troubler ou les inquiéter.
Lorsqu'il ne s'agit que de savoir des nouvelles de l'ennemi, les petits partis sont plus commodes que les grands, parce qu'ils ont plus de facilité à se cacher & à roder avec moins d'inconvénient autour du camp ennemi, attendu la célérité avec laquelle ils peuvent s'en éloigner : ces petits partis doivent être de cavalerie. M. le maréchal de Saxe ne les vouloit point au-dessus de cinquante hommes. Ils doivent marcher par les lieux les moins fréquentés & les plus détournés, se cacher ou s'embusquer dans les bois & autres lieux fourrés de l'armée ennemie, & tâcher de faire des prisonniers. Ceux qui commandent ces partis doivent toujours se ménager une retraite assûrée, & faire ensorte de n'être point coupés & enlevés. On partage sa troupe en petits détachemens qui se soutiennent les uns & les autres, de maniere que si les premiers sont enlevés, les autres puissent se retirer.
Lorsque les partis ou les détachemens sont destinés à établir des contributions, & à forcer de petites villes, châteaux & autres lieux capables de quelque défense, on les fait plus nombreux. Leur conduite demande alors à-peu-près la même science & la même intelligence que la guerre qui se fait entre les grandes armées. Il faut veiller avec d'autant plus de soin à la conservation de sa troupe & à éviter les surprises, qu'on se trouve environné d'ennemis de toutes parts ; qu'il est important de brusquer les entreprises que l'on fait pour ne pas donner le tems à l'ennemi de rassembler des troupes pour s'y opposer, & qu'il faut beaucoup de fermeté & une grande connoissance du pays pour éluder toutes les difficultés que l'ennemi peut employer pour s'opposer à la retraite. (Q)
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PETITESSE | S. f. (Gramm.) (voy. l'art. PETIT.) On dit la petitesse de la taille, & la petitesse de l'esprit. La petitesse de l'esprit est bien voisine de la méchanceté. Il n'y a presque aucun vice qu'elle n'accompagne, l'avarice, l'intolérance, le fanatisme, &c.
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PETITION | S. f. (Jurisprud.) signifie demande ; ce terme est sur-tout usité en matiere d'hérédité ; par exemple, on dit que l'action en pétition d'hérédité dure trente ans.
Pétition de principe, c'est lorsqu'on fonde ses demandes sur de prétendus principes qui ne sont point accordés. Voyez ci-après PLUSPETITION.
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PETITOIRE | S. m. (Jurisprud.) c'est la contestation au fond sur le droit qui est prétendu respectivement par deux parties à un héritage, ou droit réel, ou à un bénéfice.
Le pétitoire est opposé au possessoire, lequel se juge par la possession d'an & jour, au lieu que le pétitoire se juge par le mérite du fond sur les titres & la possession immémoriale.
L'action pétitoire ou au pétitoire ne peut être intentée par celui contre lequel la complainte ou réintégrande a été jugée qu'après la cessation du trouble, & que le demandeur a été rétabli avec restitution de fruits, & qu'il n'ait été payé des dommages & intérêts, s'il lui en a été adjugé.
S'il est en demeure de faire taxer les dépens & liquider les fruits dans le tems ordonné, l'autre partie peut poursuivre le pétitoire, en donnant caution de payer le tout, après la taxe & liquidation conformément à l'article iv. du tit. XVIII. de l'ordon. de 1667.
L'article v. du même titre porte que les demandes en complainte ou réintégrande ne pourront être jointes au pétitoire, ni le pétitoire poursuivi, que le possessoire n'ait été terminé, & la condamnation exécutée ; ce même article défend d'obtenir des lettres pour cumuler le pétitoire avec le possessoire.
En matiere de régale, la cour connoît du pétitoire ; au lieu que dans les autres cas les juges séculiers ne prononcent que sur le possessoire ; mais cela revient au même, car quand le juge royal a maintenu en possession, comme le possessoire est jugé sur les titres, le juge d'église ne peut plus connoître de pétitoire. Voyez ci-devant COMPLAINTE, MAINTENUE, & ci-après POSSESSOIRE, REINTEGRANDE. (A)
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PETIVERE | S. f. petiveria, (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont la fleur est composée de quatre pétales disposés presqu'en forme de croix. Il s'éleve du fond du calice un pistil, qui devient dans la suite un fruit découpé ou plutôt échancré à sa partie supérieure ; il ressemble à une besace renversée, & il renferme une semence oblongue. Plumier, nova plant. amer. gener. Voyez PLANTE.
Voici les caracteres : sa fleur est composée de quatre pétales, disposés presque en forme de croix. Il s'éleve du calice un pistil qui se change en un fruit découpé à son sommet, & qui a la figure d'un bouclier renversé ; ce fruit est rempli de semences oblongues.
Cette plante est très-commune à la Jamaïque, aux Barbades, & dans les autres îles des Indes occidentales, où elle croit abondamment dans tous les taillis. Comme elle conserve long-tems sa verdure, elle attire les bestiaux ; mais elle donne à leur lait une odeur forte, desagréable, approchante de celle de l'ail sauvage.
Le P. Plumier ayant découvert cette plante en Amérique, lui donna le nom de petivere pour honorer la mémoire de cet apothicaire & fameux botaniste anglois. On ne connoît qu'une seule espece de cette plante nommée, par le P. Plumier, petiveria solani foliis, loculis spinosis. (D.J.)
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PÉTONCLE | S. m. (Conchyliolog.) pétongle dans quelques côtes de France, en latin pectunculus, en anglois cockles. Coquille bivalve, de la famille des peignes. Voyez PEIGNE.
Lister cependant distingue le pétoncle de peigne ; le pétoncle, dit-il, n'a point d'oreille, mais comme il y a divers pétoncles qui en ont, sa distinction ne me paroît pas juste. Voyez cependant son système sur ce sujet au mot COQUILLE.
Le pétoncle est recherché pour le coquillage qui est un des meilleurs de la mer, soit qu'on le mange cuit, soit qu'on le mange crud ; c'est aussi, je crois, de ce coquillage que parle Horace, quand il dit que " Tarente, séjour de la mollesse, se vante d'avoir les pétoncles les plus délicats. "
Pectinibus patulis jactat se molle Tarentum.
Sat. 4. l. II.
Le pecten de Tarente est celui que les Italiens appellent romia, qui a deux coquilles cannelées & ouvragées. La coquille du pétoncle est composée de deux pieces ; le ligament à ressort qui les assemble & qui sert à les ouvrir est du côté du sommet. Quelques pétoncles n'ont point d'oreilles, d'autres en ont une, & d'autres deux ; il y en a qui en différens endroits sont armés de petites pointes. La variété est aussi très-grande dans la couleur de ces sortes de coquilles ; les unes sont entierement blanches, d'autres rouges, d'autres brunes, & d'autres tirent sur le violet. Enfin on en voit où toutes ces couleurs sont diversement combinées.
Le poisson de cette coquille est un des fileurs de la mer, ayant la puissance de filer, c'est-à-dire de former des fils comme la moule, mais ils sont beaucoup plus courts & plus grossiers ; on n'en peut tirer aucun usage, ils ne servent qu'à fixer le coquillage à tout corps qui est voisin, soit que ce soit une pierre, un morceau de corail, ou quelque coquille.
Tous les fils partent, comme ceux des moules, d'un tronc commun ; ils sortent de la coquille dans les pétoncles qui n'ont qu'une oreille un peu au-dessous de cette oreille. Pour prouver qu'il est libre à ce coquillage de s'attacher quand il lui plaît avec ses fils, il suffit de dire que souvent, après une tempête, on en trouve dans les endroits où l'on n'en trouvoit pas les jours précédens, & que ces coquilles qu'on trouve sont souvent attachées à de grosses pierres immobiles.
On prouve de reste que ces coquillages forment leurs fils de la même maniere que les moules forment les leurs, en remarquant qu'ils ont une filiere assez semblable à celle de la moule, quoiqu'elle soit plus courte, & qu'elle ait un canal plus large ; aussi le poisson du pétoncle file des fils plus courts & plus gros que la moule. (D.J.)
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PETORRITUM | S. m. (Antiq. rom.) char des anciens Romains à quatre roues. On veut que son nom soit grec oeblien, , quatre, & qu'il passa des Phocéens de Marseille à Rome, mais il y a plus d'apparence qu'il est purement gaulois ; peten-ridom signifie encore aujourd'hui la même chose en flamand.
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PÉTOVIO | (Géog. anc.) on écrit ce nom fort diversement, savoir Petevio, Petavio, Petobio, Poetovium, Poetevio & Poetovio, ville de la haute Pannonie, selon Tacite, hist. l. III. c. j. il dit que la treizieme région avoit son quartier d'hiver à Pétovio. La position que l'itinéraire d'Antonin & la table de Peutinger donnent à cette place fait juger que c'est aujourd'hui la ville de Pétaw sur la Drave. (D.J.)
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PETRA | (Géog. anc.) ce mot en grec & en latin, veut dire une roche, un rocher ou une pierre. On l'a appliqué à différens lieux, à cause de leur situation sur un rocher, ou parce qu'ils étoient environnés de rochers, ou parce qu'ils avoient quelqu'autre rapport à un ou plusieurs rochers.
1°. Petra, ville capitale de l'Arabie Pétrée, autrefois capitale de ce qu'on appelloit l'ancienne Palestine. Strabon, lib. XVI. dit qu'elle étoit la métropole des Nabathéens ; qu'elle étoit située dans une plaine arrosée de fontaines, & toute environnée de rochers : enfin que les Minées & les Gerréens débitoient leurs parfums aux habitans. Pline, lib. VI. c. xxviij. en parle à-peu-près de même ; mais le géographe de Nubie, nubicus, climat. III. part. V. assure que la plupart des maisons de Petra étoient creusées dans le roc.
2°. Petra, lieu de l'Elide. Pausanias, l. VI. c. xxiv. le place au voisinage de la ville Elis, & dit que le sépulcre de Pyrrhon, fils de Pistocrate, étoit dans ce lieu.
3°. Petra, rocher habité dans la Sogdiane. Quinte-Curce, lib. VII. c. xj. dit qu'Arimazes le défendoit avec trente mille hommes armés.
4°. Petra, ville de la Colchide au pays des Laziens. Cet endroit, dit Procope, n'étoit autrefois qu'un village sans nom, sur le bord du Pont-Euxin ; mais il devint une ville considérable sous l'empereur Justinien qui le fortifia & l'amplifia.
5°. Petra, lieu élevé proche de Dyrrachium ; cet endroit, suivant César, formoit une baie médiocre, où les vaisseaux étoient à l'abri de certains vents.
6°. Petra, ville de Sicile, nommée par Silius Italicus Petraea. Le nom des habitans étoit Petrini.
7°. Petra, ville de la Pierie, selon Tite-Live, lib. XXXIX. c. xxvj.
8°. Petra, ville de la Médie, selon le même Tite-Live, l. XL. c. xxij.
9°. Petra Achabron, ville de la Galilée supérieure, selon Josephe, de bel. l. II. c. xxv.
10°. Petra divisa, nom que donne le premier livre des Rois, c. xxiij. v. 28. au rocher, ou à la montagne du désert de Mahon.
11°. Petra incisa, lieu de Phénicie, au voisinage de l'ancienne Tyr ; il étoit entre Capharnaum & Dora, deux villes maritimes. (D.J.)
PETRA, (Géog. mod.) ville de l'île de Mételin, qui n'étoit plus qu'un méchant village avec un port, du tems de Tournefort ; le capitaine Hugues Creveliers avoit pillé cette ville en 1676, & en avoit emporté de grandes richesses.
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PETRAEA | S. f. (Hist. nat. Botan.) nom donné par Houston à un genre de plante, en l'honneur du lord Petre : en voici les vrais caracteres d'après Linnaeus. Le calice particulier de la fleur est large, coloré, & composé d'une seule feuille, divisée en cinq segmens obtus & déployés ; ils subsistent avec le fruit ; la fleur est irréguliere, plus petite que le calice, & monopétale ; les étamines sont quatre filets inégaux en grandeur, mais tous cachés dans le calice de la fleur ; les bossettes des étamines sont simples ; le germe du pistil est ovale ; le stile est simple & de la longueur des étamines : enfin le stile du pistil est obtus. (D.J.)
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PETRAS | (Géog. mod.) nom moderne du Pélion montagne de Thessalie. Voyez PELION. (D.J.)
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PETREAU | S. m. (Jardinage) est le peuple qui croît au pié des poiriers & pommiers, & qui sert à les replanter & à les produire.
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PETREL | S. m. (Hist. nat. Ornitholog.) PINÇON DE MER, OISEAU DE TEMPETE, plautus minimus procellarius, Klein ; oiseau qui a six pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & un pié d'envergeure ; les aîles étant pliées excedent de plus d'un pouce le bout de la queue ; le bec est noir & il a un pouce de longueur ; les narines se trouvent placées dans un tubercule qui est au milieu de la piece supérieure du bec ; le sommet de la tête & le dos sont noirâtres ; il y a sur le croupion une grande tache blanche ; le ventre & les aîles ont une couleur moins foncée que celle du dos ; la queue a un pouce & demi de longueur, elle est composée de douze plumes qui sont toutes brunes ; les piés & les jambes ont une couleur brune foncée. On a donné au petrel le nom d'oiseau de tempête, parce qu'il vient se cacher derriere les vaisseaux qui sont en mer, lorsqu'on est menacé d'une tempête. Hist. nat. des oiseaux par Derham, tom. III. Voyez OISEAU.
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PETREUX | en Anatomie, nom de l'apophyse pierreuse de l'os temporal ; on la nomme aussi le rocher. Voyez TEMPORAL.
Les sinus petreux de la dure-mere sont au nombre de six, trois de chaque côté ; un antérieur sur l'angle antérieur du rocher ; un moyen ou angulaire, sur l'angle postérieur supérieur du rocher, & un inférieur. Les deux inférieurs achevent avec les sinus occipitaux, le sinus circulaire autour du grand trou occipital. Voyez ROCHER.
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PÉTRICHERIE | S. f. (Pêcherie) terme de marine qui se dit de tout l'appareil qui se fait pour la pêche des morues, comme chaloupes, hameçons, couteaux, lignes, &c. Les Basques & les autres Terreneuviers qui vont à cette pêche, ont emprunté ce mot des Espagnols qui appellent petrechos, un équipage de guerre ou de chasse.
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PÉTRIFIANT | adj. (Physiq.) une chose qui a la faculté de pétrifier, ou de changer les corps en pierres. Voyez PIERRES.
Les Physiciens parlent d'un principe pétrifiant, d'un esprit pétrifiant, d'un suc pétrifiant. Les eaux ou fontaines pétrifiantes, sont celles qui contenant des parties pierreuses dissoutes, & qui y nagent, les déposent sur le bois, sur les feuilles, & sur d'autres corps qu'on y plonge ; desorte qu'après que ces parties s'y sont durcies en une espece de croûte, on regarde ordinairement ce qui en résulte comme des pétrifications. Voyez FONTAINE, PETRIFICATION.
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PÉTRIFICATION | S. f. (Hist. nat. Minéralogie) c'est une opération de la nature, par laquelle un corps du regne végétal, ou du regne animal, est converti en pierre, en conservant toujours la forme qu'il avoit auparavant.
Toutes les pierres ne sont formées que par la réunion de molécules terreuses qui ont été ou dissoutes ou détrempées dans de l'eau, voyez l'article PIERRES. C'est donc aux eaux seules que l'on doit attribuer la pétrification ; ainsi il s'agit d'examiner de quelle maniere cette opération se fait. Nous prendrons pour exemple le bois, & nous allons considérer comment cette substance, dont le tissu est lâche en comparaison de celui des pierres, peut devenir un corps dur, pesant & compacte, sans rien perdre de sa forme.
Le bois, suivant les analyses, est composé ; 1°. d'une terre qui lui sert de base, ainsi qu'à tous les corps de la nature ; 2°. d'une portion d'eau qui entre dans la combinaison ; 3°. d'une substance que l'on nomme extractive, qui est ou une gomme, ou une résine ; ou qui est l'une & l'autre à la fois ; 3°. d'une substance saline, qui est tantôt de la nature du vitriol, tantôt de celle du nitre, tantôt de celle du sel marin. Le bois est formé par l'assemblage d'un amas de filets ou de fibres, qui sont autant de tuyaux qui donnent passage à la seve ; & il est rempli de pores qui vont du centre à la circonférence. Lorsqu'un morceau de bois est enfoui en terre, il ne tarde point à être pénétré par l'eau ; ce fluide en s'insinuant par ses pores & ses fibres, dissout peu-à-peu les substances dont il est le dissolvant, telles que les parties salines, les parties gommeuses, &c. & s'unit avec l'eau qui étoit déjà contenue dans le bois, & qui faisoit partie de sa combinaison : par ce moyen il se fait une décomposition du bois, ses parties se détachent les unes des autres ; les pores & les tuyaux se dilatent & s'agrandissent, l'eau y entre comme dans une éponge. Quoique privé de plusieurs de ses principes, le bois conserve son tissu & sa forme, il lui reste encore la terre qui lui sert de base. En effet lorsqu'on brûle une plante avec précaution, c'est-à-dire en la garantissant du vent, il reste une cendre qui est pour ainsi dire le squelete de la plante ; & cette cendre n'est autre chose que la terre & la partie saline de cette même plante. L'eau en circulant sans cesse dans ces fibres ou tuyaux vuides, y dépose peu-à-peu les molécules terreuses dont elle-même est chargée ; ces molécules se combinent avec celles qui entroient dans la combinaison du bois, elles s'y moulent, elles remplissent, & à l'aide de l'évaporation, ces molécules accumulées se lient les unes avec les autres, & le bois changé en pierre conserve la même forme qu'il avoit auparavant. Alors le bois devient une masse de pierre qui est ou calcaire, ou argilleuse, ou de la nature du caillou & de l'agate, suivant la nature des molécules terreuses que les eaux ont ou dissoutes, ou détrempées, & qu'elles ont charriées & déposées dans les fibres du bois.
Pour que cette opération se fasse, il est aisé de concevoir qu'il faut que la terre dans laquelle est renfermé le corps qui doit se pétrifier, ne soit ni trop seche, ni trop humide. Trop d'eau pourriroit le bois trop promptement, & le réduiroit en terre, avant que les molécules eussent eu le tems de se disposer peu-à-peu, & de se lier les unes aux autres. D'un autre côté, un terrein trop sec ne fourniroit point l'eau qui, comme on a vu, est absolument nécessaire à la pétrification. L'eau ne doit point être en mouvement, parce qu'elle ne pourroit point déposer les molécules dont elle est chargée. Enfin il faut que le corps qui doit se pétrifier, soit garanti du contact de l'air extérieur, dont le mouvement trop violent nuiroit au travail de la nature.
Quelques personnes n'admettent point de pétrification véritable ; elles paroissent fonder leur sentiment sur une dispute de mots. Il est bien certain que toutes les parties du bois ne sont point converties en pierre, il n'y a que celles qui sont terreuses qui soient propres à entrer dans la nouvelle combinaison qui se produit. Quant aux autres principes, après avoir été chassés, ils sont remplacés par les molécules que les eaux déposent : c'est ce remplacement que l'on appelle pétrification. Dans ce sens, il y auroit de l'absurdité à nier l'existence des pétrifications. En effet, on a trouvé en plusieurs endroits de la terre, des arbres entiers pétrifiés, avec leurs branches & leurs racines. On appercevoit en les coupant, les cercles annuels de leur croissance ; on en a des morceaux sur lesquels on voit distinctement qu'ils ont été rongés par les vers ; d'autres portent des marques visibles de la coignée & de la scie. Enfin ce qui doit fermer la bouche à l'incrédulité, on a trouvé, quoique rarement, des morceaux de bois dont une portion étoit encore dans l'état d'un bois véritable & propre à brûler, tandis qu'une autre portion étoit changée en agate, ou en une pierre d'une autre espece.
Ce qui vient d'être dit du bois peut s'appliquer aux parties des animaux qui se pétrifient. Les animaux ont ainsi que les végétaux, une terre qui leur sert de base ; c'est cette terre qui forme leurs os, les coquilles ; ils contiennent encore des parties salines & aqueuses ; ils sont remplis de fibres & de pores qui peuvent admettre les eaux de la terre ; ces eaux peuvent déposer dans les pores & interstices de ces substances animales, les molécules terreuses dont elles sont chargées & qui s'y durcissent peu-à-peu. Les substances animales qu'on trouve le plus ordinairement pétrifiées, sont les coquilles, les madrépores, les ossemens de poissons ; cela est assez naturel, vu que ces substances ont déjà par elles-mêmes beaucoup d'analogie avec les pierres, étant composées pour la plus grande partie, de molécules terreuses & calcaires. A l'égard des parties grasses & charnues des animaux, elles sont d'un tissu trop lâche, & trop sujettes à la pourriture, pour pouvoir donner le tems aux eaux de déposer la matiere lapidifique dans leurs fibres.
Quant aux pétrifications des quadrupedes, elles doivent être très-rares, si tant est qu'il en existe ; on trouve assez souvent leurs ossemens enfouis en terre, mais ils ne sont point pétrifiés pour cela ; on doit sur-tout regarder comme très-incertain ce qui a été rapporté par quelques auteurs, d'un cadavre humain pétrifié que l'on dit avoir été trouvé en 1583 aux environs de la ville d'Aix en Provence : on peut en dire autant des hommes pétrifiés que l'on prétend avoir été trouvés dans une montagne de la Suisse ; ces hommes, dit-on, faisoient partie de l'équipage d'un vaisseau qui fut trouvé avec ses agrêts au même endroit. Ces faits sont aussi fabuleux que la prétendue ville de Bidoblo en Afrique, dont on nous conte que tous les habitans ont été pétrifiés. Le merveilleux de cette histoire disparoîtra si l'on fait attention que souvent les voyageurs qui passent dans les endroits sablonneux de l'Arabie & de la Lybie, sont tout d'un coup ensevelis sous des montagnes de sable que le vent éleve ; quelques siecles après on retrouve leurs cadavres durcis & desséchés, évenement qui a pu arriver aux habitans de la ville de Bidoblo.
Un grand nombre d'auteurs nous parlent d'ossemens de quadrupedes pétrifiés ; cependant en regardant la chose de près, on trouvera que rien n'est moins decidé que leur existance, & l'on verra que les ossemens des quadrupedes que l'on rencontre en terre, sont ou dans leur état naturel, ou simplement rongés & calcinés. Voyez les articles OSSEMEMS FOSSILES, IVOIRE FOSSILE, &c. Cependant il peut se faire que ces os, par leur séjour dans la terre, aient acquis une dureté beaucoup plus grande qu'ils n'avoient auparavant, mais cela n'autorise point à les mettre au rang des pétrifications.
On a aussi raison de se défier des prétendus oiseaux pétrifiés avec leurs oeufs, que l'on assure se trouver au pays de Hesse, dans le Westerwald, dans une montagne appellée Vogelsberg. On doit porter le même jugement des crapaux, des lézards, & même des serpens pétrifiés qui se sont quelquefois trouvés en terre ; quant aux serpens il y a lieu de soupçonner que des gens peu instruits auront pû être trompés par des cornes d'ammon, qui ressemblent assez à un serpent entortillé.
La chose est beaucoup plus certaine pour les animaux marins, & l'on est assuré qu'il s'en trouve de pétrifiés ; près des villages de Mary & de Lisy, dans le voisinage de Meaux, on trouve une grande quantité de crabes pétrifiés ; on rencontre en plusieurs autres endroits des dents & des palais de poissons pétrifiés, &c. au point de donner des étincelles lorsqu'on les frappe avec un briquet. Telles sont les pierres que l'on nomme crapaudines, glossopetres, &c. Voyez ces articles. Les belemnites, les cornes d'ammon, les oursins ou échinites, & un grand nombre de coquilles & de litophytes sont souvent véritablement pétrifiés ; on en voit qui sont entierement changés en cailloux ou en agathe ; d'autres ont servi de moule à la matiere lapidifique qui a été reçue dans l'intérieur de ce corps ; mais ce seroit se tromper que de mettre tous les corps marins qui se trouvent dans le sein de la terre au rang des pétrifications ; quelques-uns de ces corps n'ont éprouvé aucune altération, d'autres ont été simplement rongés, ont perdu leur liaison, ce qui ne peut passer pour un changement en pierre ; d'où l'on voit que l'on ne doit pas donner indistinctement le nom de pétrification à toutes les coquilles ou corps marins qui se trouvent enfouis dans les couches de la terre. Voyez l'article FOSSILE. Lorsqu'on veut parler avec exactitude, il seroit à propos de distinguer même les pierres qui sont venues se mouler dans l'intérieur des coquilles ou des corps marins, des vraies pétrifications. En effet, on voit souvent des pierres ainsi formées ou moulées, qui sont encore enveloppées de la coquille qui a servi de moule à la matiere lapidifique, la coquille elle-même n'a point été changée, elle est souvent dans son état naturel. Il ne faut point croire non plus que l'animal qui logeoit dans ces coquilles ait été converti en pierre, tout ce qu'on peut dire, c'est que le suc pierreux est venu occuper la place de l'animal.
Ce seroit encore se tromper que de prendre pour une vraie pétrification les incrustations ou croûtes pierreuses qui se forment à l'entour de quelques substances qui ont séjourné quelque tems au fond de certaines eaux ; les molécules terreuses contenues dans ces eaux se sont déposées sur les feuilles ou les plantes, & les ont couvertes d'un enduit qui s'est durci & changé en pierre, en conservant la forme du corps sur lequel ces molécules se sont déposées, tandis que le corps lui-même s'est pourri & a disparu. Voyez INCRUSTATION.
On ne doit pas non plus confondre avec les pétrifications, les empreintes des végétaux ou des poissons qui se trouvent sur quelques pierres ; la pierre qui porte ces empreintes, étant dans un état de mollesse, a pris la figure du corps qu'elle enveloppoit, elle s'est durcie peu-à-peu, & le corps qui a fait l'empreinte a souvent entierement disparu. Voyez PHYTOLITES & TYPOLITES.
Enfin on ne peut donner le nom de pétrifications aux pierres à qui des circonstances fortuites ont fait prendre dans le sein de la terre des formes bisarres, qui peuvent quelquefois avoir de la ressemblance avec des corps étrangers au regne minéral. Voyez l'article JEUX DE LA NATURE.
Les vraies pétrifications sont donc les substances, soit animales, soit végétales, qui ont été pénétrées & imbibées du suc pierreux, qui est venu remplacer les principes dont ces corps étoient originairement composés, sans changer leur structure & leur tissu. Une infinité d'exemples nous prouvent que la terre renferme des pétrifications de cette espece, elles portent si distinctement la forme du corps animal ou végetal qu'elles étoient originairement, qu'il est impossible de s'y tromper ; c'est ainsi que nous avons un grand nombre de bois pétrifiés. En Franche-Comté, près de Salins, on a trouvé une assez grande quantité de noix & de noisettes entierement changées en pierre. On a trouvé aussi des châtaignes, des pommes de pin, & d'autres fruits semblables véritablement pétrifiés ; mais il faut convenir que l'on voit souvent dans les collections des curieux des pierres que l'on veut faire passer pour des pétrifications, & qui ne sont réellement redevables de leur figure qu'à des effets du hasard.
Quelques naturalistes ont été très-curieux de savoir combien la nature employoit de tems à la pétrification, ils ont cru que cela pourroit faire connoître l'antiquité de notre globe. L'empereur François I. actuellement regnant, dont le goût pour l'histoire naturelle est connu de tout le monde, fit tirer du Danube un pilotis qui avoit servi à un pont que Trajan a fait bâtir sur ce fleuve en Servie. Ce pilotis étoit pétrifié tout autour à-peu-près d'un travers de doigt d'épaisseur. Il paroit que cette voie seroit très-peu sure pour nous faire découvrir l'âge du monde, vû que certaines eaux sont plus chargées que d'autres de molécules lapidifiques, certains terreins peuvent être plus propres que d'autres à la pétrification, & quelques substances peuvent être plus disposées que d'autres à recevoir les sucs pétrifians ; nous en avons un exemple dans le lac d'Irlande, que l'on nomme Lough-neagh. Voyez cet article. (-)
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PÉTRIN | S. m. (Boulang.) est une espece de coffre dans lequel on pétrit le pain. Il est fermé d'un couvercle qu'on appelle tour, parce qu'il sert à tourner le pain, & qui est environné tout autour, excepté sur le devant, d'une bordure de planche haute d'environ trois pouces, qui va toujours en rétrécissant sur les côtés jusqu'à la hauteur du devant. Voyez la fig. Pl. du Boulanger.
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PÉTRINA | ou POITRINAL, s. m. (Art. milit.) étoit, selon Nicot, une espece d'arquebuse plus courte que le mousquet, mais de plus gros calibre, qui à cause de sa pesanteur étoit attaché à un large baudrier pendant en écharpe de l'épaule, & couché sur la poitrine de celui qui le portoit. On appelloit poitrinatier l'homme de guerre qui se servoit du poitrinal dans le combat. Il est fait mention de cette arme dans une relation du siége de Rouen par Henri IV. en 1592 ; il y a long-tems qu'elle n'est plus en usage. (Q)
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PETRINIA | (Géog. mod.) petite ville de Croatie, sur la riviere de Pétrinia, qui se jette dans le Kulpe : elle appartient à la maison d'Autriche, a été bâtie en 1592, & est à sept lieues E. de Carlestadt. Long. 34. 15. lat. 45. 46. (D.J.)
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PETRINUM | PETRINUM
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PÉTRIR | (Boulang.) c'est mêler l'eau, le levain & la farine, & former à bras ou autrement la pâte à faire le pain. L'avantage principal de pétrir consiste à distribuer également l'air, l'eau & le levain dans tout le corps de la pâte, afin que la fermentation s'établisse par-tout, en même tems, & également dans la masse. En conséquence plus le pain est pétri, meilleur il est, plus il y a d'yeux. Les yeux du pain sont-ils formés par l'eau mise en expansion par l'action du feu, tandis que le pain cuit, ou par la dilatation de l'air enfermé dans la pâte, en le pétrissant ? c'est ce qui n'est pas encore déterminé. Il est sûr que le pain mal pétri est lourd, mal-sain, & sans yeux. Quant à ces bulles qu'on voit se former à la pâte tout en la pétrissant, je me trompe fort, ou c'est l'effet d'un commencement de fermentation, dans lequel une portion d'air se sépare, comme il arrive dans toute autre fermentation, dans un fluide même où l'on voit des bulles se former. Or ces bulles sont, toutes choses égales d'ailleurs, le phénomène même des yeux formés dans la pâte & pendant qu'on la pétrit, & quand elle cuit au four.
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PETRO-JOANNITES | S. m. pl. (Hist. ecclés.) nom de quelques sectaires assez obscurs, ainsi nommés d'un certain Pierre Jean ou Pierre fils de Jean, qui parut dans le xij. siecle. Ses opinions ne furent connues qu'après sa mort, & son cadavre fut déterré & brulé.
Ses erreurs se réduisoient à dire que lui seul avoit la connoissance du vrai sens dans lequel les apôtres avoient prêché l'évangile, que l'ame raisonnable n'étoit point la forme du corps, qu'aucune grace ne nous est infuse par le baptême, & que Jesus-Christ étoit encore vivant sur la croix lorsqu'on lui perça le côté avec une lance. Prateol.
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PETRO-PHARYNGIEN | S. m. en Anatomie, nom d'une paire de muscles du pharynx. Ils viennent de la partie inférieure de l'extrémité de l'apophyse pierreuse de l'os des tempes.
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PETRO-SALPINGO-STAPHYLIN | S. m. en Anatomie, nom de deux muscles de la luette. Voyez SALPINGO-STAPHYLIN.
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PETROBRUSIENS | S. m. pl. (Hist. ecclés.) secte d'hérétiques qui parurent en France vers l'an 1126, & qui prirent ce nom de leur chef Pierre de Bruys, provençal.
Un moine nommé Henri se mit aussi à leur tête, ce qui leur fit donner le nom d'Henriciens. Voyez HENRICIENS.
Pierre le vénérable abbé de Cluny a fait un traité contre les Petrobrusiens, dans la préface duquel il réduit leurs erreurs à cinq chefs principaux. 1°. Ils nioient que le baptême fut nécessaire ni même utile aux enfans avant l'âge de raison, parce que, disoient-ils, c'est notre propre foi actuelle qui nous sauve par le baptême. 2°. Qu'on ne devoit point bâtir d'églises, mais au contraire les détruire, les prieres étant selon eux aussi bonnes dans une hôtellerie que dans un temple, & dans une étable que sur un autel. 3°. Qu'il falloit bruler toutes les croix, parce que les chrétiens devoient avoir en horreur tous les instrumens de la passion de Jesus-Christ leur chef 4°. Que Jesus-Christ n'est pas réellement présent dans l'Eucharistie. 5°. Que les sacrifices, les aumônes & les prieres, ne servent de rien aux morts.
On les a aussi accusés de manichéisme, & ce n'est pas à tort, car il est prouvé qu'ils admettoient deux principes comme les anciens manichéens, il l'est par Roger de Hoveden dans ses annales d'Angleterre, qu'à l'exemple de ces hérétiques, les Petrobrusiens ne recevoient ni la loi de Moïse, ni les prophetes ni les Pseaumes, ni l'ancien Testament, & par Radulphe Ardens, auteur du xj. siecle, qui rapporte que les hérétiques d'Agenois se vantent de mener la vie des apôtres, disent qu'ils ne mentent point & ne jurent point, condamnent l'usage des viandes & du mariage, rejettent l'ancien Testament & une partie du nouveau, & ce qui est de plus terrible admettent deux créateurs, disent que le sacrement de l'autel n'est que du pain tout pur, méprisent le baptême & la resurrection des morts ; or ces hérétiques d'Agenois du XIe n'étoient autres que les Petrobusiens & les Henriciens dont la secte s'étoit répandue en Gascogne & dans les provinces voisines, & c'étoient là sans doute des Manichéens bien marqués, dit M. Bossuet, Hist. des Variat. liv. XI. num. 42. pag. 146. rom. II. C'est donc à tort que M. Chambers accuse le P. Langlois d'avoir voulu par un faux zele noircir les Petrobusiens d'une accusation de manichéisme ; c'est contre les auteurs contemporains qu'il faudroit intenter cette accusation ; mais on sait le motif qui porte les protestans à écarter ce soupçon de manichéisme des hérétiques qui dans le xj. siecle ont nié la présence réelle, & l'on peut voir ce que M. Bossuet a répondu à ce sujet au ministre la Roque. Hist. des Variat. tom. II. Liv. XI. n. c. xxx. & suiv. pag. 199. & suiv.
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PÉTROCORES | LES, (Géogr. anc.) Petrocorii, peuples de la Gaule, dont Jules-César fait mention parmi les Celtes, & qu'Auguste comprit dans l'Aquitaine. Ils habitoient les pays que renferment les diocèses de Périgueux & de Sarlat ; car Sarlat a été tiré de l'ancien diocèse de Périgueux ; le nom moderne de ces peuples est corrompu de l'ancien : on les appelle présentement Périgourdins ; le pays se nomme Périgord, & leur capitale Périgueux.
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PÉTROL | S. m. (Hist. nat. des huiles minér.) on disoit auparavant pétréol ; en italien petroglio, en anglois petroly ou rock-oil. Huile minérale, subtile, inflammable, d'une odeur forte de bitume, & de différente couleur.
Les hommes rapportent tout assez volontiers à leurs goûts, ou à leurs passions. Il y a peu de nos dames qui ignorent la cause à laquelle Rousseau attribue la mort de l'amoureux fils d'Alcmene, & peut-être pensent-elles comme ce poëte. Pour moi qui ne songe qu'à la nature du pétrol, & qui suis rempli des détails qu'en racontent divers auteurs ; je m'imagine avec quelques-uns d'eux, que la robe fatale qu'on supposoit teinte du sang de Nessus, & que Déjanire envoya ensuite à Hercule, de même que celle que Médée envoya à Glaucé, causerent la mort du ravisseur d'Iole, & de la fille de Créon, parce que ces deux robes avoient été trempées dans le pétrol, qu'on trouvoit aux environs de Babylone.
Ce pétrol ou ce naphte de Babylone, étoit d'une nature si subtile, qu'il s'enflammoit dès qu'on l'approchoit du feu, & l'on ne pouvoit l'éteindre qu'en étouffant ce feu avec de la boue, du vinaigre, de l'alun & de la glu : Alexandre en fit l'expérience sur un jeune garçon, qu'on eut bien de la peine à sauver. Ces faits qu'on lit dans l'histoire, m'ont conduit à rechercher avec avidité les observations de nos meilleurs physiciens sur ce bitume liquide.
Les noms du pétrol chez les anciens. Le nom de naphte que porte le pétrol, dérive du chaldéen noph, découler, parce qu'il découle & dégoute des rochers, tantôt plus liquide, & tantôt moins ; le prophete Daniel ch. iij. v. 46. dit que l'on alluma la fournaise où l'on devoit jetter Misack, Sidrack & Abdenage, avec du naphte, de la poix & d'autres matieres combustibles ; mais le naphte dont il s'agit ici, est le pissasphalte ou le bitume de Judée. De même, quand il est dit dans la genèse, ch. xj. v. 3, que les murs de la tour de Babel étoient liés avec un mortier où il entroit beaucoup de naphte ; ce mot désigne du pissasphalte, espece de bitume qui mêlé avec le limon argilleux, fait un ciment pour joindre les pierres des murailles, lequel tient lieu de celui que l'on fait avec la chaux. C'est avec ce ciment que Vitruve pense que les murs de Babylone ont été bâtis ; cependant les Babyloniens nommoient proprement naphte une huile blanche, ou noire, qui découloit de quelques fontaines auprès de Babylone.
Les Grecs appelloient communément le naphte, , c'est-à-dire huile de pierre ; d'autres simplement huile, ou huile par excellence, & quelques-uns , huile de Médée, ce qui justifie ma conjecture sur la mort de Créuse ; les Latins disoient petroleum par syncope, parce qu'elle découle des roches. Nicolas Myrepse le nomme , huile de sainte Barbe, d'autres, huile de sainte Catherine & huile sainte, quelques-uns enfin , du verbe , qui signifie être allumé. Saint Ambroise tire l'origine du mot naphte, de , attacher, lier, joindre, parce que le naphte, dit-il, colle, joint, unit ; mais cela n'est vrai que du pissasphalte, & l'étymologie chaldéenne de naphte paroît la seule bonne.
Ses noms dans nos auteurs modernes. Nos naturalistes modernes nomment l'huile de pétrol, naphta, naphta alba, & nigra, Kempf. Amoen. 274. petroleum, oleum petrae ; bitumen liquidum oleo simile, quod innatat lacubus. Kentm. 20.
Le pétrol est une huile naturelle. Outre ces huiles artificielles & végétales, c'est-à-dire tirées des plantes par expression, il y en a de naturelles & de minérales, qui sortent d'elles-mêmes des entrailles de la terre. On les appelle en général, huiles de pétrol, parce qu'elles sortent de quelques fentes de pierres. Le pétrol est donc un bitume liquide qui ne differe que par sa liquidité des bitumes solides, tels que l'asphaltum ou le bitume de Judée, l'ambre, le jayet, &c. Il est de différentes couleurs, blanc, jaune, roux, verd, noirâtre, suivant les lieux qui le produisent.
On en trouve aux Indes, en Asie, en Perse, &c. Il y a quelques pays chauds des Indes & de l'Asie qui fournissent du pétrol. Dans l'île de Sumatra, on en recueille une espece très-célebre, fort estimée, & on l'appelle miniar-tannah, qui signifie huile de terre. L'on en tire une grande quantité de certaines sources qui sont près de Hit en Chaldée, selon Edrissi. On en trouve aussi dans les montagnes de Farganah dans la province de Transoxane, selon Ebu Hancal. Oléarius assure qu'il en a vû plusieurs sources auprès de Scamachie en Perse, aujourd'hui Schirvan, ville renversée de fond en comble par un horrible tremblement de terre.
Nous ne voyons point en Europe aucun des pétrols dont nous venons de parler, & nous ne connoissons que ceux de France & d'Italie. Ce dernier pays abonde en huile de pétrol, qui se trouve dans les duchés de Modene, de Parme & de Plaisance.
On tire le pétrol en quantité de différents puits & de plusieurs fontaines dans le duché de Modene, car tout le Modénois paroît rempli de cette huile bitumineuse, mais sur-tout elle abonde auprès du fort de Mont-Baranzon, dans un lieu appellé il Fiumetto. On creuse des puits de 40 ou 40 brasses de profondeur, jusqu'à ce qu'il paroisse une source d'eau mêlée avec de l'huile. Les puits que l'on creuse en bas des collines, fournissent une grande quantité d'huile rousse ; ceux que l'on creuse au haut donnent une huile blanche, mais en moindre quantité. Il y a encore dans le même pays dans une vallée très-stérile du bailliage de Mont-festin, un grand rocher à douze milles de Modene ; du côté du mont Apennin, près du mont Gibbius, d'où découle continuellement une fontaine d'eau, où nage le pétrol ; elle est si abondante, que deux fois la semaine, on en retire environ six livres chaque fois.
On trouve aussi du pétrol en France, mais grossier.
Nous avons aussi en France de l'huile de pétrol dans la Guyenne près du village de Gabian, qui n'est pas éloigné de Beziers, il découle des fentes de certains rochers, une huile noirâtre, mêlée avec de l'eau, que l'on recueille avec soin. On appelle cette huile de pétrol, huile noire de Gabian. On la vend ordinairement pour l'huile de pétrol noire d'Italie, quoiqu'il s'en faille bien qu'elle approche de ses qualités. Elle est d'une consistance moyenne, d'une odeur forte & puante, d'une couleur noire ; elle se contrefait avec de l'huile de térébenthine qu'on colore avec de la poix noire. Elle étoit autrefois assez estimée, & faisoit une partie du revenu de M. l'évêque de Beziers, à qui la roche appartient, & qui la faisoit recueillir, mais à présent il ne s'en fait plus de commerce.
On parle encore d'une fontaine de cette huile, près de Clermont en Auvergne, dans un lieu qu'on appelle le puits de Pége, mais on n'en peut tirer aucun parti. Elle est noire, épaisse, de mauvaise odeur.
Examen du pétrol de Modene. Le seul pétrol recherché est celui d'Italie, & sur-tout du duché de Modene qui est constamment le meilleur ; c'est même un bonheur assez singulier d'en posséder qui soit hors de tout soupçon d'avoir été falsifié, car les drogues rares & peu connues le sont presque toujours. M. Boulduc profita de ce bonheur-là en 1715, pour faire des observations qui appartinssent sûrement aux vrais pétrols, & il a donné ces observations dans l'histoire de l'académie des Sciences de la même année.
Il s'agit dans les observations de M. Boulduc, du pétrol qu'on trouve près du mont Gibbius. Ce fut un médecin de Ferrare nommé François Arioste, qui le découvrit en 1640. On a ménagé dans le lieu avec beaucoup de dépenses, & même de périls, différens canaux, d'où coulent dans de petits réservoirs ou bassins, trois différentes sortes de pétrol.
Le premier est presque aussi blanc, aussi clair & aussi fluide que de l'eau, d'une odeur très-vive, très-pénétrante, & pas désagréable ; c'est le plus parfait. Le second est d'un jaune clair, moins fluide que le blanc, & d'une odeur moins pénétrante. Le troisieme est d'un rouge noirâtre d'une consistance plus parfaite, & d'une odeur de bitume un peu désagréable.
Les Italiens n'envoyent gueres le premier hors de chez eux ; on seroit encore trop heureux qu'ils donnassent le second pur, mais souvent en le mêlant en petite quantité avec le troisieme, & en y ajoutant quelque huile subtile, comme celle de térébenthine, ils donnent le tout pour le premier. L'odeur de ces pétrols est si forte & si pénétrante, qu'on dit qu'on s'en apperçoit à un quart de mille de la source. Quoiqu'il en soit, M. Boulduc a fait sur le pétrol de la premiere espece ou blanc, les observations suivantes.
Il s'allume à une bougie dont il ne touche point la flamme, & quand il est échauffé dans un vaisseau, il attire la flamme de la bougie, quoiqu'élevée de plusieurs piés au-dessus du vaisseau, & ensuite se consume entierement, c'est-à-dire qu'une vapeur subtile, qui s'éleve de ce bitume liquide, va jusqu'à la flamme de la bougie, y prend feu, & que le feu qui se communique à toute la sphere de vapeur, gagne jusqu'au pétrol du vaisseau.
Il brûle dans l'eau, & vraisemblablement, c'étoit-là une des matieres du feu grégeois.
Il surnage toutes les liqueurs, & même l'esprit de vin rectifié, qui est plus pésant de 1/7.
Il se mêle parfaitement avec les huiles essentielles de thim, de lavande, de térébenthine, quoiqu'il soit minéral, & que ces huiles soient végétales. Mais peut-être aussi le minéral & le végétal ne different-ils pas en cette matiere, car les huiles végétales ont été auparavant minérales, puisque les plantes les ont tirées de la terre.
Le pétrol fortement agité, fait beaucoup de bulles, mais il se remet en son état naturel plus promptement que toute autre liqueur. Cela vient de ce que l'air distribué dans toute la substance du pétrol, y est distribué d'une certaine maniere unique & nécessaire, & que les parties de la liqueur n'en peuvent naturellement souffrir une autre ; en effet, les parties d'une huile ont une certaine union, certains engagemens de leurs filets, ou petits rameaux les uns avec les autres, ce qui oblige l'air qu'elles renferment, à s'y conformer.
Le pétrol est d'une extension surprenante : sur l'eau, une goutte s'étend plus d'une toise, & en cet état elle donne des couleurs, c'est-à-dire que ses petits filets deviennent des prismes.
La plus forte gelée n'y fait aucune impression.
Le papier enduit de pétrol ne devient transparent que pour quelques momens ; il cesse de l'être dès qu'il a été séché à l'air.
M. Homberg a fait voir qu'il y a des huiles qui s'enflamment par le mélange d'un esprit acide bien déflegmé. On auroit pû attendre le même effet du pétrol, mais il n'arrive point ; seulement les esprits acides s'y mêlent parfaitement, & le rendent d'une consistance très-épaisse ; ces huiles qui s'enflamment sont des huiles essentielles de plantes aromatiques des Indes, & il n'est pas surprenant que le pétrol n'en ait pas les conditions.
Il se mêle & s'unit difficilement avec l'esprit-de-vin, parce que peut-être sa consistance est trop grasse.
L'esprit-de-vin rectifié, qui est le grand dissolvant des soufres & des huiles, ne tire rien du pétrol, même après une longue digestion.
Par la distillation M. Geoffroi l'aîné en a retiré une liqueur huileuse, qui est un peu plus transparente, mais qui perd beaucoup de son odeur & de sa subtilité naturelle ; lorsqu'on l'allume, elle donne une lueur moins obscure, mais plus languissante. Au fond de l'alembic il trouva seulement un peu de marc jaune.
De même M. Boulduc n'a pu tirer du pétrol par la distillation, soit au bain de vapeur, soit au bain de sable, aucun flegme, ni aucun esprit salin. Tout ce qui est monté étoit de l'huile seulement ; il est resté au fond de la cornue une très-petite quantité d'une matiere un peu épaisse & un peu brune ; d'où il résulte que le pétrol ne se perfectionne point par la distillation.
On ne peut donc mieux faire, quand on usera de pétrol en médecine, que de le laisser tel qu'il est ; c'est un remede tout préparé par la nature, comme plusieurs autres, dont nous avons parlé, & où l'art n'a point lieu d'exercer son inquiétude.
Examen du pétrol de Plaisance. Le pétrol de Plaisance est d'une même nature que celui de Modène, c'est pourquoi je n'en dirai qu'un mot. On le tire en abondance du mont Ciaro, situé environ à 12 lieues italiennes de Plaisance. Voici comme on s'y prend.
Il y a dans cette montagne des ardoises grises, couchées presque horisontalement, mêlées d'argile, & d'une espece de sélénite qui paroît d'une nature calcaire. On perce perpendiculairement ces ardoises jusqu'à ce qu'on trouve l'eau, & alors le pétrol qui étoit contenu entre les couches des ardoises & dans leurs fentes suinte, & tombe sur l'eau de ces puits qu'on a creusés. Quand il s'y en est assez amassé, comme au bout de huit jours, on le va prendre avec des bassins de cuivre jaune. Il est mêlé avec de l'eau, mais on pense aisément qu'il est facile de l'en séparer. Ce pétrol du mont Ciaro est clair, blanc, extrèmement inflammable. Il se conserve fort bien sur l'eau dans ces puits, dont nous venons de parler, au lieu que dans des vaisseaux bouchés, il ronge les bouchons dont on se sert ordinairement, il s'évapore en grande partie.
Origine du pétrol. Il nous manque encore beaucoup d'observations sur le pétrol, sur sa nature & sur son origine ; cependant on peut conjecturer avec assez de vraisemblance, qu'il est l'ouvrage des feux souterreins qui élevent ou subliment les parties les plus subtiles de certaines matieres bitumineuses qui se rencontrent dans des terroirs particuliers. Ces parties se condensent en liqueur par le froid des voûtes des rochers où elles s'amassent, & coulent par les fentes ou les ouvertures que la disposition du terrein leur fournit.
Examen du prétendu pétrol d'Angleterre. Quelques anglois ont mis au rang des pétrols une substance bitumineuse qu'on tire dans leur pays par art, d'une pierre noirâtre qui se trouve dans les mines de charbon. Voici ce que c'est.
A Brosely, Bentley, Pitchfort & autres lieux voisins dans le Shropshire, on trouve sur la plûpart des mines de charbon, une couche assez épaisse d'un rocher, ou pierre noirâtre, laquelle est poreuse, & contient une grande quantité de matiere bitumineuse.
On transporte cette pierre dans l'attelier où on la moud avec des moulins à cheval, semblables à ceux dont on se sert pour briser les cailloux dont on fait le verre. On jette cette poudre dans de grands chaudrons pleins d'eau, & on l'y fait bouillir, de façon que la matiere bitumineuse se sépare du gravier, ce dernier se précipitant au fond, & l'autre nageant sur la surface de l'eau.
Cette substance bitumineuse étant recueillie & évaporée, acquiert la consistance de la poix ; & à l'aide de l'huile distillée de la même pierre, que l'on mêle avec elle, elle devient aussi liquide que le goudron. On n'en tire d'autre utilité que pour le radoub des vaisseaux ; & comme elle n'éclate point, & qu'elle se conserve noire & molle, elle peut être propre à empêcher les vers de s'y mettre.
On tire de semblable pétrol par la distillation de certaines terres & pierres bitumineuses que l'on rencontre en Allemagne & en France.
Choix à faire dans les divers pétrols d'Italie. Il résulte de tout ce que nous avons dit jusqu'ici, que l'huile de pétrol d'Italie est la seule bonne. On estime le pétrol qui est récent, clair, léger, très-inflammable, d'une odeur forte & pénétrante, approchant de celle du soufre. On ne peut le contrefaire, & il ne souffre aucun mélange. Ceux qui en font commerce doivent user de grandes précautions contre le feu, parce qu'il s'enflamme du moins aussi aisément que la poudre à canon.
Le pétrol jaune est le plus estimé après le blanc, ensuite vient le roux, ensuite le verd ; le noirâtre est regardé comme trop grossier, c'est le moindre de tous.
Usage qu'on tire des pétrols. On a coutume de se servir en quelques endroits d'Italie des pétrols grossiers pour s'éclairer à la place d'huile ; il s'en emploie aussi une assez grande quantité par les maréchaux & par ceux qui font des feux d'artifice. Les Persans, au rapport de Kempfer, ne tirent à-présent d'autre usage de leur pétrol que pour délayer leurs vernis.
Dioscoride faisoit grand cas du naphte de Babylone dans plusieurs maladies. Il lui attribue un grand nombre de vertus médicinales très-importantes, qui néanmoins ne nous intéressent point, puisque nous ne connoissons plus ce pétrol. D'ailleurs, on ne peut guere être prévenu en faveur du jugement de Dioscoride, quand on voit qu'il vante le naphte de Babylone pour l'appliquer sur les yeux afin d'en dissiper les fluxions & les taies.
Les Italiens sont mieux fondés à regarder leurs pétrols comme un remede fort pénétrant, incisif, balsamique, propre dans quelques maladies chroniques, & plus encore employé extérieurement, pour fortifier les nerfs des parties affoiblies, donner du jeu & du ressort aux fibres relâchées. Dans ce dernier cas, l'on peut avec succès lui substituer en Languedoc, le pétrol de Gabian.
Je sai tous les éloges que Koenig, Ettmuller, Schroeder, Boecler & quelques autres auteurs allemands donnent à l'huile de pétrol : je sai combien ils la vantent dans la suppression des regles, l'affection hystérique, la fievre quarte, le mal de dents, les vers, les douleurs néphrétiques, &c. Mais que de telles ordonnances ressemblent bien à celles des bonnes femmes, ou des gens du monde qui parlent médecine sans y rien entendre, puisque toutes ces maladies provenant de différentes causes, demandent nécessairement des remedes diversifiés, & opposés aux causes du mal ! Dans les cas mêmes où l'huile de pétrol pourroit convenir, on a de beaucoup meilleurs remedes à employer. De plus, il faut avouer que si l'on devoit compter sur quelques observations véritables des vertus du pétrol, ce ne pourroit être qu'en conséquence d'expériences répétées par d'habiles médecins sur les habitans des pays qui produit ce bitume liquide ; je veux dire dans le duché de Modene, ou de Plaisance. Par-tout ailleurs on ne peut guere prescrire l'huile de pétrol avec confiance par rapport à ses effets. Cette huile perd toute sa vertu subtile par le transport. Nos apothicaires & nos droguistes les plus curieux n'en ont jamais de pure, parce qu'on la leur envoie falsifiée sur les lieux même. Je ne parle pas des autres falsifications qu'y font les détailleurs.
Concluons qu'il faut presque nous passer sans regret de l'huile de pétrol pour la Médecine, nous réduire à ses usages pour quelques arts, & à la considération spéculative de son origine, & des qualités particulieres qui la distinguent de toutes les huiles végétales & artificielles.
Auteurs sur le pétrol. Vossius a écrit une savante dissertation sur le naphte ancien & moderne ; mais c'est Jacobus Oligerus qui a le premier publié en 1690, à Copenhague, la brochure du médecin François Arioste sur le pétrol de Modène, de oleo montis Zibisiti, seu petrolo agri Matinensis ; Ramazzini l'a redonnée plus correcte & plus étendue. Elle est dans le recueil de ses oeuvres. (D.J.)
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PETROMANTALUM | (Géog. anc.) ville de la Gaule lyonnoise. L'itinéraire d'Antonin la met sur la route de Caesaromagus (Beauvais), à Lutetia. Il marque de Petromantalum à Briva Isarae (Pontoise), quatorze lieues gauloises ; ainsi, selon M. l'abbé Belley, Mém. des Inscr. tom. XIX. in-4°. c'est peut-être Magny. M. de Valois croit qu'il faut placer Petromantalum à Mante ; mais on a de la peine à croire que la grande route de Beauvais à Paris eût descendu jusqu'à Mante, pour passer ensuite à Briva Isarae (Pontoise) : cependant si les différentes distances de l'Itinéraire convenoient à Mante, l'opinion de M. de Valois seroit plus que probable. (D.J.)
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PETROSILEX | (Hist. nat. Lithologie) nom générique que M. Wallerius donne à une pierre de la nature du jaspe ou du caillou sans cependant en avoir tout-à-fait la dureté, & sans faire feu aussi vivement que lui lorsqu'on le frappe avec le caillou ; on le trouve par lits & par couches suivies : pour le vitrifier il faut un feu très-violent. C'est une roche silicée, ou de la nature du caillou, mais qui n'est point en morceaux ou en masses détachées comme lui, le jaspe en est une variété. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tome I. pag. 176.
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PETTALORINCHYTE | ou PETTALORUNCHYTES, s. m. pl. (Hist. ecclés.) fanatiques qui mettoient leur second doigt dans leur nez en priant, prétendant par ce geste symbolique se constituer les juges du monde. Leur nom vient de peptales, pieu, & runchos, nez.
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PETTAW | (Géogr. mod.) ou Pettau, petite ville d'Allemagne au cercle d'Autriche, dans le duché de Stirie. Cette ville est ancienne, & subsistoit du tems des Romains, qui l'ont connue sous le nom de Petovio, diversement ortographiée. On en peut voir les antiquités dans l'ouvrage latin de Lazius, de la république romaine. Pettaw est à la frontiere de la basse-Stirie, à 4 milles au-dessous de Rackerspurg, sur la Drave, qui étoit anciennement la borne des Romains, à 43 lieues S. de Vienne, 14 N. E. de Cilley. Long. 34. 4. lat. 46. 40. (D.J.)
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PETTEIA | S. f. dans la Musique ancienne, est un terme grec, auquel je n'en vois point de correspondant dans notre langue.
La mélopée, c'est-à-dire l'art d'arranger les sons de maniere à faire mélodie, se divise en trois parties, que les Grecs appellent lepsis, mixis & chreses : les latins sumptio, mixtio & usus ; & les Italiens presa, mescolamento & uso : cette derniere est aussi appellée par les Grecs .
La petteia est donc, selon Aristide, & Quintilien, l'art de faire un juste discernement de toutes les manieres d'arranger & de combiner les sons entr'eux, ensorte qu'ils puissent produire leur effet, c'est-à-dire qu'ils puissent exciter les différentes passions que l'on se propose de mettre en mouvement. Ainsi, par exemple, elle enseigne de quels sons on doit faire ou ne pas faire, combien de fois on en peut répéter quelques-uns ; ceux par où l'on doit commencer, ceux par où l'on doit finir.
C'est la petteia qui constitue les modes de musique ; elle détermine au choix de telle ou telle passion, de tel ou tel mouvement de l'ame propre à la réveiller dans telle ou telle occasion ; c'est pourquoi la petteia est en musique ce que les moeurs sont en poésie. Voyez MOEURS.
On ne voit pas ce qui a déterminé les Grecs à lui donner ce nom, à moins qu'ils ne l'aient pris de , leur jeu d'échecs, la petteia de musique étant une sorte de combinaison & d'arrangement de sons, de même que le jeu d'échecs est un arrangement de pieces appellées , calculi, des échecs. (S)
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PETTINA | (Hist. mod.) c'est le nom que l'on donne en Russie à un impôt extraordinaire, par lequel dans des nécessités pressantes, les sujets de cet état despotique sont forcés à payer le cinquieme de leurs biens.
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PETUARIA | (Géog. anc.) ville de la grande Bretagne. Ptolomée, liv. II. ch. iij. la donne au peuple Parisi. Quelques-uns veulent que c'est présentement Peterborn, & d'autres disent Beverley.
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PETULA | (Géog. anc.) village d'Italie dans le territoire & au voisinage de Mantoue. C'est un village bien remarquable, puisqu'il occupe la place de l'ancien village d'Andés, où naquit Virgile, sous le consulat du grand Pompée, & de M. Licinus Crassus, le 15 Octobre de l'an 683 de la fondation de Rome. Il mourut à Brindes le 22 Septembre 734. Voyez, dans le supplément de cet ouvrage, ANDEZ & BRUNDUSIUM.
Dans tous les lieux qui nous retraceront la mémoire de Virgile, nous ne nous lasserons point d'en parler, parce que nous l'aimons pour la beauté de son caractere, comme nous l'admirons pour l'excellence de sa muse. Une pensée heureuse dans les écrits de ses rivaux, lui plaisoit autant que s'il l'avoit inventée lui-même. Telle étoit la générosité de son coeur, qu'il n'étoit pas piqué qu'un autre s'appropriât la gloire de son travail. Sa modestie lui valut le beau surnom qu'il portoit. Enfin il effaçoit tous les poëtes de son tems, & tous ne pouvoient s'empêcher de le chérir. On sait avec quel art il inséra dans l'Enéïde l'éloge du fils d'Octavie, & nous n'oublierons pas cette particularité, en parlant du théâtre de Marcellus. (D.J.)
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PETULANT | adj. (Gram.) il se dit d'un homme incommode par l'agitation continuelle où il est, le mouvement qu'il se donne, & le trouble où il tient les autres.
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PÉTUNTS | ou PETUNSE, s. m. (Hist. nat. Min. & Arts) c'est le nom que les Chinois donnent à une pierre, qui, pulvérisée & mêlée avec une terre qu'ils appellent kaolin, fait une véritable porcelaine. Voyez PORCELAINE.
Le pétuntse est une pierre dure & opaque, d'un gris clair, tirant un peu sur le jaunâtre ou sur la couleur de chamoi : il y en a aussi qui est un peu verdâtre. Il se trouve par couches dans le sein de la terre, & est assez souvent chargé de dendrites ou de figures semblables à des arbrisseaux ou à des buissons. Cette pierre fait feu lorsqu'on la frappe avec le briquet, mais elle ne donne que peu d'étincelles, & elles sont assez foibles.
Le célebre M. de Reaumur a cru que le petuntse étoit une espece de caillou, & que c'étoit comme pierre vitrifiable, qu'il se trouvoit propre à entrer dans la composition de la porcelaine, qu'il regardoit comme une espece de vitrification ; mais la description qu'on vient de donner de cette pierre, suffit pour faire voir qu'elle differe du caillou. D'ailleurs la propriété qu'elle a de donner du corps à la composition de la porcelaine, & de se durcir au feu, caractérise une pierre argilleuse.
Les Chinois après avoir réduit le petuntse en une poudre fine, lui donnent la forme d'une brique, afin de s'en servir pour faire la porcelaine. Voyez cet article.
Comme depuis plusieurs années on a cherché les moyens de perfectionner les porcelaines qui se font en Europe, on a tâché de se procurer les matieres employées par les Chinois. Dans cette vue, feu M. le duc d'Orléans qui s'occupoit dans sa retraite, d'expériences utiles à la société, fit venir de la Chine du petuntse & du kaolin. Après en avoir reçu des échantillons suffisans, ce prince n'eut rien plus à coeur, que de faire examiner si ces substances ne se trouvoient point en France. Ses soins ont été assez infructueux, & de son vivant on n'a pas pu trouver de pierre qui ressemblât en tout point au pétuntse des Chinois ; mais depuis on a trouvé que cette matiere étoit très-abondante dans quelques provinces du royaume. Quant au kaolin, on en avoit déja trouvé depuis assez long-tems ; ainsi il ne nous manque plus rien pour faire de la porcelaine, qui ait toutes les qualités de celle de la Chine, & qui ne soit point une vitrification, comme sont toutes les porcelaines de Saxe, de Chelsea, de Chantilly, &c. En un mot, comme toutes celles qui ont été faites en Europe jusqu'à présent. Voyez l'article PORCELAINE.
On croit devoir avertir qu'il se trouve fort communément une espece de pierre à chaux, dure, compacte, d'un grain fin & un peu luisante, qui au coup d'oeil extérieur, ressemble beaucoup au pétuntse dont nous parlons ; mais on découvrira bientôt qu'elle en differe, vu qu'elle ne donne point d'étincelles lorsqu'on la frappe avec de l'acier, & qu'elle se dissout avec effervescence dans les acides, ce qui caractérise une pierre calcaire, tandis que ces acides n'agissent en aucune maniere sur le vrai pétuntse.
On trouve dans les mémoires de l'académie royale des Sciences de Suede, année 1763, une dissertation de M. Henri Théod. Scheffer, dans laquelle il prend pour le pétuntse des Chinois, une pierre feuilletée, luisante, demi-transparente, d'une couleur verdâtre & fort pesante, qui lui avoit été donnée comme venant de la Chine. Il conclud d'après les expériences qu'il a faites sur cette pierre, qu'elle est de la nature du gypse ; mais la description que nous avons donnée du pétuntse, suffit pour faire voir que ce sentiment n'est point fondé. (-)
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PETUSIA | (Géog. anc.) lieu dont parle Martial, liv. IV. épigr. lv. dans ces vers :
Turgentisque lacus Petusiaeque,
Et parvae vada pura Vetonissae.
Je ne sais point ce que c'étoit que ces deux endroits qu'il appelle Petusia & Vetonissa. Ils ne se trouvent cités ni l'un ni l'autre dans aucun auteur. (D.J.)
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PETZORA | (Géog. mod.) province du nord de la Moscovie, le long de la mer glaciale, vers le levant & le septentrion. Elle est remplie de hautes montagnes, & il y fait si froid, que les rivieres n'y dégelent qu'au mois de Mai, & recommencent à geler au mois d'Août. La riviere de Petzora, qui donne le nom à cette province, entre dans la mer par six embouchures, auprès du détroit de Weigatz. Les montagnes qui couvrent ses deux rives, & qui nourrissent de belles zibelines, sont peut-être les monts Riphées & Hyperboréens des anciens.
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PEUCÉDANE | S. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales disposés en rond, & soutenus par un calice qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences presque plates, d'une figure ovale, legérement striées & frangées. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont aîlées, étroites, faites comme celles du chien-dent, & divisées en trois parties. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PUCEDANE, (Botan.) Tournefort compte quatre especes de ce genre de plante, dont la plus commune est le peucédane d'Allemagne, peucedanum germanicum I. R. H. 318 ; en anglois, the german hogs fennel, & en françois vulgaire queue de pourceau d'Allemagne.
Sa racine est grosse, longue, chevelue, noire en dedans, pleine de suc, rendant par incisions une liqueur jaune & d'une odeur virulente de poix. Elle pousse une tige à la hauteur d'environ deux piés, creuse, cannelée, rameuse. Ses feuilles sont plus grandes que celles du fenouil, laciniées, étroites, plates, ressemblantes aux feuilles de chien-dent. Les sommets de la tige & des branches portent des ombelles ou parasols amples, garnis de petites fleurs jaunes, à cinq pétales disposés en rose. Lorsque ces fleurs sont passées, il leur succede des semences jointes deux à deux, presqu'ovales, plus longues que larges, rayées sur le dos, bordées d'un feuillet membraneux, d'un goût âcre & un peu amer.
Cette plante croît aux lieux ombrageux, maritimes, sur les montagnes & dans les prés. Elle fleurit en Juillet & Août. Sa graine mûrit en automne, & c'est alors qu'on la ramasse.
Sa racine est très-vivace, difficile à arracher, & elle exhale une odeur forte & sulphureuse. Elle passe en Médecine pour être incisive, atténuante, & convenable dans les maladies de poulmons surchargés d'humeurs visqueuses. On la recommande aussi dans les obstructions des visceres. (D.J.)
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PEUCELAITI | ou PEUCELAOTIS, (Géog. anc.) contrée de l'Inde, qu'Arrien, liv. IV. chap. xxij. place entre les fleuves Cophenes & Indus. Elle tiroit son nom de celui de sa capitale. Strabon, liv. XV. & Pline, liv. VI. ont connu cette capitale ; mais le premier écrit Peucolaetis, & le second Peucolais. (D.J.)
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PEUCELLA | (Géog. anc.) fleuve de Phrygie. Pausanias, liv. X. ch. xxxij. dit que les peuples qui habitoient sur ses bords, descendoient des Azanes, peuple de l'Arcadie, & qu'il y avoit chez eux une caverne, où étoit un temple consacré à la déesse Cybele.
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PEUCETII | (Géog. anc.) peuple d'Italie appellé aussi Pediculi par les Latins, & Daunii par les Grecs. Ils habitoient au nord du golfe de Tarente, c'est-à-dire une partie de la terre d'Otrante, & la terre de Bari. Il ne faut pas les confondre avec les Peucetiae, peuple de la Liburnie, selon Callimaque, cité par Pline, liv. III. ch. xvj. qui dit que leur pays étoit de son tems, compris sous l'Illyrie. (D.J.)
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PEUCITES | (Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à une pierre chargée d'une empreinte semblable aux feuilles d'un pin.
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PEUILLES | (à la Monnoie) Après la délivrance de chaque brere, les juges-gardes prennent un certain nombre de pieces qu'ils font essayer pour constater le titre de la fonte. Ces especes ainsi essayées prennent le nom de peuilles : on les envoie au receveur des boîtes, qui les garde jusqu'au jugement du travail que prononce la cour des monnoies ; ensuite on les remet au directeur.
Il y a quatre différens essais pour chaque fonte. Le premier se fait lorsque la matiere est en bain, pour savoir si elle est au titre prescrit & pour en assurer le directeur. Le second, pour la sûreté des juges-gardes qui font la délivrance : c'est de cet essai que proviennent les peuilles. Le troisieme est fait par la cour des monnoies sur des mêmes peuilles, & aussi sur quelques pieces prises au hasard, pour éclairer la conduite des officiers, & voir si les directeurs, contrôleur & juges-gardes, ne sont point d'intelligence pour délivrer des especes au-dessous du titre, & enfin constater les peuilles de titre.
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PEULE | LA, (Géog. mod.) ou la PUELE, en latin Pabula ; petit canton de France, dans la Flandre : c'est un des cinq quartiers qui composent la châtellenie de Lille. Il s'étend entre la Deule & l'Escaut. L'abbaye de Chisoin en est le chef-lieu. (D.J.)
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PEUPLADE | S. f. (Gramm.) colonie d'étrangers qui viennent chercher des habitations dans une contrée.
PEUPLADE, (Pêche) On se sert de ce terme pour parler du frai, de l'alvin, & enfin de tous les petits poissons que l'on met dans un étang pour le rempoissonner.
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PEUPLE | LE, s. m. (Gouvern. politiq.) nom collectif difficile à définir, parce qu'on s'en forme des idées différentes dans les divers lieux, dans les divers tems, & selon la nature des gouvernemens.
Les Grecs & les Romains qui se connoissoient en hommes, faisoient un grand cas du peuple. Chez eux, le peuple donnoit sa voix dans les élections des premiers magistrats, des généraux, & les decrets des proscriptions ou des triomphes, dans les réglemens des impôts, dans les décisions de la paix ou de la guerre, en un mot, dans toutes les affaires qui concernoient les grands intérêts de la patrie. Ce même peuple entroit à milliers dans les vastes théâtres de Rome & d'Athènes, dont les nôtres ne sont que des images maigres, & on le croyoit capable d'applaudir ou de siffler Sophocle, Eurypide, Plaute & Térence. Si nous jettons les yeux sur quelques gouvernemens modernes, nous verrons qu'en Angleterre le peuple élit ses représentans dans la chambre des communes, & que la Suede compte l'ordre des paysans dans les assemblées nationales.
Autrefois en France,, le peuple étoit regardé comme la partie la plus utile, la plus précieuse, & par-conséquent la plus respectable de la nation. Alors on croyoit que le peuple pouvoit occuper une place dans les états-généraux, & les parlemens du royaume ne faisoient qu'une raison de celle du peuple & de la leur. Les idées ont changé, & même la classe des hommes faits pour composer le peuple, se retrécit tous les jours davantage. Autrefois le peuple étoit l'état général de la nation, simplement opposé à celui des grands & des nobles. Il renfermoit les Laboureurs, les ouvriers, les artisans, les Négocians ; les Financiers, les gens de Lettres, & les gens de Lois. Mais un homme de beaucoup d'esprit, qui a publié il y a près de vingt ans une dissertation sur la nature du peuple, pense que ce corps de la nation, se borne actuellement aux ouvriers & aux Laboureurs. Rapportons ses propres réflexions sur cette matiere, d'autant mieux qu'elles sont pleines d'images & de tableaux qui servent à prouver son système.
Les gens de Lois, dit-il, se sont tirés de la classe de peuple, en s'ennoblissant sans le secours de l'épée : les gens de Lettres, à l'exemple d'Horace, ont regardé le peuple comme profane. Il ne seroit pas honnête d'appeller peuple ceux qui cultivent les beaux Arts, ni même de laisser dans la classe du peuple cette espece d'artisans, disons mieux, d'artistes maniérés qui travaillent le luxe ; des mains qui peignent divinement une voiture, qui montent un diamant au parfait, qui ajustent une mode supérieurement, de telles mains ne ressemblent point aux mains du peuple. Gardons nous aussi de mêler les Négocians avec le peuple, depuis qu'on peut acquérir la noblesse par le commerce ; les Financiers ont pris un vol si élevé, qu'ils se trouvent côte à côte des grands du royaume. Ils sont faufilés, confondus avec eux ; alliés avec les nobles, qu'ils pensionnent, qu'ils soutiennent, & qu'ils tirent de la misere : mais pour qu'on puisse encore mieux juger combien il seroit absurde de les confondre avec le peuple, il suffira de considérer un moment la vie des hommes de cette volée & celle du peuple.
Les Financiers sont logés sous de riches plafonds ; ils appellent l'or & la soie pour filer leurs vêtemens ; ils respirent les parfums, cherchent l'appétit dans l'art de leurs cuisiniers ; & quand le repos succede à leur oisiveté, ils s'endorment nonchalamment sur le duvet. Rien n'échappe à ces hommes riches & curieux ; ni les fleurs d'Italie, ni les perroquets du Bresil, ni les toiles peintes de Masulipatan, ni les magots de la Chine, ni les porcelaines de Saxe, de Sève & du Japon. Voyez leurs palais à la ville & à la campagne, leurs habits de goût, leurs meubles élégans, leurs équipages lestes, tout cela sent-il le peuple ? Cet homme qui a su brusquer la fortune par la porte de la finance, mange noblement en un repas la nourriture de cent familles du peuple, varie sans cesse ses plaisirs, réforme un vernis, perfectionne un lustre par le secours des gens du métier, arrange une fête, & donne de nouveaux noms à ses voitures. Son fils se livre aujourd'hui à un cocher fougueux pour effrayer les passans ; demain il est cocher lui même pour les faire rire.
Il ne reste donc dans la masse du peuple que les ouvriers & les Laboureurs. Je contemple avec intérêt leur façon d'exister ; je trouve que cet ouvrier habite ou sous le chaume, ou dans quelque réduit que nos villes lui abandonnent, parce qu'on a besoin de sa force. Il se leve avec le soleil, &, sans regarder la fortune qui rit au-dessus de lui, il prend son habit de toutes les saisons, il fouille nos mines & nos carrieres, il desseche nos marais, il nettoie nos rue, il bâtit nos maisons, il fabrique nos meubles ; la faim arrive, tout lui est bon ; le jour finit, il se couche durement dans les bras de la fatigue.
Le laboureur, autre homme du peuple, est avant l'aurore tout occupé à ensemencer nos terres, à cultiver nos champs, à arroser nos jardins. Il souffre le chaud, le froid, la hauteur des grands, l'insolence des riches, le brigandage des traitans, le pillage des commis, le ravage même des bêtes fauves, qu'il n'ose écarter de ses moissons par respect pour les plaisirs des puissans. Il est sobre, juste, fidele, religieux, sans considérer ce qui lui en reviendra. Lucas épouse Colette, parce qu'il l'aime ; Colette donne son lait à ses enfans, sans connoître le prix de la fraîcheur & du repos. Ils grandissent ces enfans, & Lucas ouvrant la terre devant eux, leur apprend à la cultiver. Il meurt, & leur laisse son champ à partager également ; si Lucas n'étoit pas un homme du peuple, il le laisseroit tout entier à l'aîné. Tel est le portrait des hommes qui composent ce que nous appellons peuple, & qui forment toujours la partie la plus nombreuse & la plus nécessaire de la nation.
Qui croiroit qu'on a osé avancer de nos jours cette maxime d'une politique infâme, que de tels hommes ne doivent point être à leur aise, si l'on veut qu'ils soient industrieux & obéissans : si ces prétendus politiques, ces beaux génies pleins d'humanité, voyageoient un peu, ils verroient que l'industrie n'est nulle part si active que dans les pays où le petit peuple est à son aise, & que nulle part chaque genre d'ouvrage ne reçoit plus de perfection. Ce n'est pas que des hommes engourdis sous le poids d'une misere habituelle ne pussent s'éloigner quelque tems du travail si toutes les impositions cessoient sur le champ, mais outre la différence sensible entre le changement du peuple & l'excès de cette supposition, ce ne seroit point à l'aisance qu'il faudroit attribuer ce moment de paresse, ce seroit à la surcharge qui l'auroit précédée. Encore ces mêmes hommes revenus de l'emportement d'une joie inespérée, sentiroient-ils bientôt la nécessité de travailler pour subsister ; & le desir naturel d'une meilleure subsistance les rendroit fort actifs. Au contraire, on n'a jamais vû & on ne verra jamais des hommes employer toute leur force & toute leur industrie, s'ils sont accoutumés à voir les taxes engloutir le produit des nouveaux efforts qu'ils pourroient faire, & ils se borneront au soutien d'une vie toujours abandonnée sans aucune espece de regret.
A l'égard de l'obéissance, c'est une injustice de calomnier ainsi une multitude infinie d'innocens ; car les rois n'ont point de sujets plus fideles, &, si j'ose le dire, de meilleurs amis. Il y a plus d'amour public dans cet ordre, peut-être, que dans tous les autres ; non point parce qu'il est pauvre, mais parce qu'il sait très-bien, malgré son ignorance, que l'autorité & la protection du prince sont l'unique gage de sa sûreté & de son bien-être ; enfin, parce qu'avec le respect naturel des petits pour les grands, avec cet attachement particulier à notre nation pour la personne de ses rois, ils n'ont point d'autres biens à espérer. Dans aucune histoire, on ne rencontre un seul trait qui prouve que l'aisance du peuple par le travail, a nui à son obeissance.
Concluons qu'Henri IV. avoit raison de desirer que son peuple fût dans l'aisance, & d'assurer qu'il travailleroit à procurer à tout laboureur les moyens d'avoir l'oie grasse dans son pot. Faites passer beaucoup d'argent dans les mains du peuple, il en reflue nécessairement dans le trésor public une quantité proportionnée que personne ne regrettera : mais lui arracher de force l'argent que son labeur & son industrie lui ont procuré, c'est priver l'état de son embonpoint & de ses ressources. (D.J.)
PEUPLE ROMAIN, plebs romana, (Hist. rom.) Tout ce qui par l'établissement de Romulus n'étoit pas sénateur ou chevalier, étoit peuple, plebs, habitant de la ville ou de la campagne, rustica vel urbana. Le peuple de la campagne la cultivoit, & tenoit le premier rang : d'où il arriva que dans les commencemens de la république, les patriciens eux-mêmes, dans le sein de la paix, travailloient à la culture des terres ; parce que chacun cultivoit sans deshonneur son propre champ, ou celui qui lui étoit assigné sur les terres romaines.
Une partie du peuple qui habitoit la ville, exerçoit le trafic, les arts, les différens métiers ; & les plus distingués d'entr'eux s'appliquoient au ministere du barreau pour s'élever à la magistrature.
La populace de Rome, qu'il ne faut pas confondre avec le peuple proprement dit, plebs, étoient des vagabonds, sans feu ni lieu, toujours prêts à exciter des troubles & à commettre des crimes. Tite-Live nomme cette troupe vagabonde, turba forensis, la troupe du forum, parce qu'elle se tenoit dans les places publiques, criant qu'on partageât les terres suivant la loi agraire. Ciceron l'appelle plebs urbana, la populace de la ville, & Horace popellum tunicatum, la populace à tunique, parce qu'elle ne portoit qu'une simple tunique. Pour soulager la ville de ces misérables, on les envoyoit dans les champs publics ; mais une grande partie les quittoit pour revenir à Rome. C'étoit-là que les séditieux, qui ne cherchent qu'à troubler l'état pour envahir les biens des honnêtes gens, ameutoient cette canaille, & s'en servoient à leurs fins, comme de coquins qui n'avoient rien à perdre. (D.J.)
PEUPLE, (Jardinage) se dit des jettons ou talles qui viennent aux piés des arbres & des plantes bulbeuses. Voyez TALLES.
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PEUPLER | v. act. & n. (Gramm.) Il se dit des hommes, des animaux & des plantes. C'est se multiplier dans une contrée. Voyez l'article POPULATION.
PEUPLER, v. act. (Charpent.) c'est, en charpenterie, garnir un vuide de pieces de bois, espacées à égale distance. Ainsi on dit peupler de poteaux une cloison, peupler de solives un plancher, peupler de chevron ou comble, &c. (D.J.)
PEUPLER une étoffe en boutons, (Lainage) c'est la friser par l'envers comme certains draps, ou par l'endroit comme des ratines. On dit qu'une étoffe est bien peuplée, lorsque les boutons de la frisure y sont si épais & si durs, que l'on a peine à appercevoir le fond de l'étoffe. (D.J.)
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PEUPLIER | S. m. populus, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en chaton, composée de plusieurs petites feuilles qui ont des sommets. Cette fleur est stérile ; les jeunes fruits naissent sur des especes de peupliers qui ne portent point de fleurs ; ils sont disposés en épi, & composés de plusieurs petites feuilles, sous lesquelles on voit une sorte de cloche qui embrasse un embryon ; cet embryon devient dans la suite une silique membraneuse & en épi, qui s'ouvre en deux parties, & qui renferme des semences aigrettées. Ajoutez aux caracteres de ce genre le port des especes du peuplier qui differe de celui des saules. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PEUPLIER, populus, (Jardinage) grand arbre qui croît naturellement dans les climats tempérés de l'Europe & de l'Amérique septentrionale. Il fait une tige droite qui, loin de se confondre avec les branches, conserve toujours une pointe jusqu'à la plus grande élévation de l'arbre. Sa tête est garnie de quantité de rameaux qui sont grêles & un peu courbes, à cause de leur disposition naturelle à se dresser du côté de la principale tige. Son écorce, d'une couleur jaunâtre est long-tems lisse & unie : il ne s'y fait des gersures que quand l'arbre est avancé en âge. Ses racines sont fortes, & s'enfoncent assez profondément dans la terre. Sa feuille est lisse, dentelée, & d'un verd brun ; elle est légerement arrondie par le bas, & se termine rapidement en pointe. Tous les peupliers ne produisent pas des graines ; les fleurs mâles viennent sur des arbres différens de ceux qui produisent les fleurs femelles propres à donner des semences. Les fleurs mâles sont des chatons d'une couleur rougeâtre d'assez jolie apparence, qui paroissent au commencement d'Avril, & qui tombent au bout de quinze jours ou trois semaines. Les fleurs femelles qui donnent la graine, sont rassemblées sur un filet commun, de même forme que les chatons, mais de couleur d'herbe, & qui ne tombe que long-tems après, lors de sa maturité, vers la fin de Mai ou le commencement de Juin : dans ce tems, les graines qui sont fort petites & terminées par une aigrette, sont dispersées par le vent.
Le peuplier doit être mis au nombre des plus grands arbres, & il mérite de tenir le premier rang parmi ceux qui se plaisent dans un terrein aquatique. Cet arbre croît très-promptement, se multiplie avec la plus grande facilité, & résiste à toutes les intempéries des saisons. Son utilité s'étend à divers usages très-profitables à la société.
Le peuplier peut venir dans différens terreins, mais il réussit infiniment mieux dans les lieux aquatiques, autour des étangs, le long des rivieres, sur le bord des ruisseaux, & il se plait singulierement sur les berges des fossés remplis d'eau. Cet arbre vient mieux dans les vallons que dans les plaines, & il se contentera plûtôt de cette derniere position que de celle des côteaux ; il languit sur les hauteurs, il dépérit dans les terreins secs & sablonneux, & il ne dure pas long-tems dans les terres argilleuses, trop fortes ou trop dures.
Cet arbre se multiplie de rejetton, de plançon & de bouture ; mais ce dernier moyen étant la voie la plus facile, la plus prompte & la plus assurée, c'est celle dont on doit se servir. Ces boutures se font après l'hiver, aussi-tôt que la terre commence à être praticable ; il faut choisir de préférence absolue, les rejettons de la derniere année les plus forts, les plus vigoureux, & les plus unis, car le bois de deux & trois ans n'est point propre à cet usage. On coupe les boutures d'un pié ou de quinze pouces de longueur ; on les pique dans la terre en les couchant & les tournant de façon qu'il y ait un oeil en dessus qui puisse pousser perpendiculairement. Ces boutures ne doivent sortir de terre que de deux ou trois yeux : on peut les planter dans la place même où on veut les élever, à un pié où quinze pouces les unes des autres, en rangées de deux piés ou de deux piés & demi de distance. On les laissera pousser à leur gré la premiere année ; mais au printems suivant on coupera tous les rejettons, à l'exception de celui qui marquera le plus de disposition pour se dresser : les années suivantes on élaguera les jeunes plants à mesure qu'ils prendront de la force ; mais chaque année on rabattra jusqu'au pié ceux qui seront d'une mauvaise venue, pour les obliger à former une nouvelle tige. Ces arbres au bout de quatre ou cinq ans auront communément dix à douze piés de haut, & seront en état d'être transplantés à demeure ; ils sont à leur perfection à 25 ou 30 ans.
Le peuplier réussit aisément à la transplantation, & on peut le tailler dans toutes les saisons sans inconvénient ; non pas à la façon des saules que l'on étête entierement, mais en coupant toutes les branches près de la maîtresse tige, au-dessus de laquelle on laisse un bouquet. Cette façon de tailler le peuplier tous les quatre ou cinq ans, est la meilleure pour en retirer de l'utilité ; on peut même le couper plus souvent en menus branchages pendant le mois d'Octobre : on fait sécher ces rameaux avec leurs feuilles, c'est une excellente nourriture pour le bétail pendant l'hiver.
Le bois de peuplier est jaunâtre, souple, assez dur, passablement solide, mais un peu difficile à la fente ; on en peut faire des pieces de charpente pour les bâtimens de peu de conséquence ; on en tire aussi des planches de durée, si on les garantit de l'humidité. Les Sculpteurs l'employent à défaut du tilleul ; il est aussi de quelqu'usage pour les Menuisiers, les Tourneurs, les Sabotiers, &c.
Cet arbre a quelques propriétés qui sont d'usage en Médecine. Les yeux ou les boutons de branches du peuplier, lorsque le mouvement de la seve se fait sentir au printems, se chargent d'une espece de gomme d'une odeur assez agréable ; les bonnes qualités de ce suc visqueux le font entrer dans la composition du baume que l'on nomme populeum, qui est recommandable à plusieurs égards.
Les différentes especes ou variétés de peupliers, sont,
1°. Le peuplier noir ; c'est à cette espece que l'on doit particulierement appliquer tout ce qui a été dit ci-dessus.
2°. Le peuplier noir, que l'on nomme vulgairement l'osier blanc. Il a plu aux gens de la campagne de l'appeller ainsi, parce qu'ils employent dans les travaux de la vigne les jeunes branches de cet arbre en place de l'osier ; pour cet effet ils l'assujettissent à la tonte comme l'osier, mais il n'est pas si convenable que ce dernier pour l'usage que l'on en fait. Les feuilles de cet arbre sont dentelées plus profondément & ondées sur les bords ; & c'est ce qui sert principalement à le distinguer du peuplier noir ordinaire.
3°. Le peuplier noir de Lombardie ; c'est une très-jolie variété nouvellement venue d'Italie, où on en fait grand cas. Sa beauté consiste en ce que ses feuilles qui ont beaucoup de ressemblance avec celles de l'osier blanc, sont d'un verd brillant très-vif, quoique foncé ; & cette verdure qui est stable, ne s'obscurcit point sur l'arriere saison comme celle des feuilles du peuplier noir ordinaire ; mais un autre agrément plus recommandable, c'est que le peuplier de Lombardie forme naturellement la pyramide bien plus que les autres arbres de son genre, au moyen de ce que ses branches affectent de se rapprocher de la maîtresse tige, ce qui rend cet arbre des plus propres à former des avenues d'une grande & singuliere apparence.
4°. Le peuplier de Canada, autre variété du peuplier noir qui a son mérite. Il prend plus de corps, sa tête est plus garnie de rameaux forts & épais, qui se dirigent plus en dehors que ceux du peuplier noir ordinaire, mais la maîtresse tige ne pointe pas, & l'arbre prend moins d'élévation. Ses jeunes rameaux ont des cannelures, mais dont les arêtes sont bien moins saillantes que dans le peuplier de la Caroline, dont il sera parlé ci-après ; son écorce est jaunâtre, elle est sujette à contracter promptement beaucoup de gersures très-profondes. Sa feuille est plus grande, plus épaisse, plus obtuse à la pointe, & d'un verd plus clair que celle du peuplier noir ordinaire. Celui de Canada dont il s'agit ici, est encore rare en France : je ne connois pas l'espece mâle ; tous les plants que j'ai de cet arbre sont de l'espece femelle. Le plus gros qui est âgé de 12 ans, a 35 piés de hauteur, sur trois de circonférence : sa tête est aussi ronde que celle d'un tilleul. Il a 18 piés de tige, dont l'écorce est extrèmement & profondement sillonnée ; cependant l'aspect n'en est point désagréable, parce que les gersures se rappellent l'une l'autre en s'adoucissant ; elles font un compartiment varié, & la couleur jaunâtre est uniforme. Quand l'arbre entre en seve au printems, ses boutons se gonflent & répandent au loin une odeur balsamique extrèmement agréable ; au mois de Juin suivant, on voit tomber les filets qui portent la graine, & qui sont de trois, quatre & cinq pouces de longueur ; mais ce qu'ils ont de remarquable, c'est que chaque loge qui contient ou doit contenir les graines, est remplie d'un duvet plus soyeux que le coton, & tout aussi blanc, qui se tient rassemblé autour des filets. L'arbre en produit une si grande quantité, que la terre en est couverte au pié de l'arbre lorsqu'ils sont tombés. Peut-être pourra-t-on trouver moyen d'employer cette matiere dans les arts. Par la comparaison qui a été faite de grosses branches de neuf pouces de tour que l'on a coupées de cet arbre, avec des branches de pareille force de peuplier noir & de tremble, il paroît que le bois du peuplier de Canada tient le milieu entre celui du peuplier noir & du tremble, pour la couleur & la consistance. Cet arbre seroit très-propre à former des avenues : il a plus de soutien que le peuplier noir ; il est de plus belle apparence, & il est tout aussi robuste. Il se plaît dans un terrein frais & humide ; mais ceux que l'on avoit plantés dans un terrein sec & élevé, y ont bientôt dépéri, & sont morts enfin.
5°. Le peuplier noir odorant, le tacamahaca, le baumier ; cet arbre est originaire de la Caroline, où il ne se trouve que le long des rivieres : il y devient fort élevé, & il étend considérablement ses branches ; mais il s'en faut bien que ce peuplier fasse de tels progrès en Europe. M. Miller, auteur anglois, assure que les plus grands arbres de cette espece que l'on ait vu en Angleterre, n'avoient que 15 ou 16 piés de hauteur ; & on n'en a point encore vû en France qui aient atteint cette élévation. Ce peuplier fait une tige assez droite, & il affecte de diriger ses branches en-dehors. L'écorce des jeunes rameaux est d'une couleur rousse très-obscure ; ses boutons sont fort gros, & toujours remplis d'une gomme jaune, épaisse & balsamique, dont l'odeur, quoique très-forte, n'est point désagréable ; mais cette gomme est plus abondante quand l'arbre entre en seve, & elle regorge à l'insertion des feuilles dans les tendres rejettons : alors elle est plus liquide, & d'une odeur plus pénétrante. Ses feuilles paroissent de bonne heure au printems, & à la fin de Février ; dans ce tems elles sont d'un jaune vif qui se change en un verd clair, puis en un verd brun & terne. Le dessous de la feuille est d'un blanc sale, mat & un peu jaunâtre ; elle est grande, figurée en coeur, légerement dentelée & pointue. Je n'ai encore vu que les chatons de l'arbre mâle de cette espece de peuplier ; ils paroissent en même tems que les feuilles ; ils sont plus gros & plus longs que ceux du peuplier noir ordinaire, & d'un rouge plus apparent. Cet arbre veut absolument un terrein humide, sans quoi il languit : il est sujet à pousser des rejettons sur ses racines, qui peuvent servir à le multiplier ; mais il est plus court de le faire venir de boutures, qui réussissent fort bien quand on les fait de bonne heure dans un endroit abrité, c'est-à-dire dès le mois de Novembre. Au lieu que si on les fait à la fin de l'hiver, le succès en est bien moins assuré. On peut encore l'élever de branches couchées, mais il ne réussit pas à la greffe sur le peuplier noir ; car en ayant fait faire plusieurs écussons à la pousse sur des sujets de cette espece, ces écussons reprirent & pousserent bien pendant l'année, mais au printems suivant tous les sujets se trouverent morts & desséchés. Ceci sert à prouver qu'il ne suffit pas pour le succès de la greffe, que les parties solides & configurantes du sujet & de la greffe se correspondent, & qu'il faut encore de l'analogie entre les sucs séveux de l'un & de l'autre. Cet arbre m'a paru jusqu'à-présent suffisamment robuste pour résister en plein air dans ce climat. Ses feuilles se flétrissent & tombent de bonne heure en automne, même dès la fin de Septembre ; il est vrai que cette feuille est assez belle au printems & en été. Mais cet arbre tire son principal mérite de sa gomme balsamique, qui pourroit être d'usage en Médecine ; ce qu'il y a de certain, c'est que cette gomme est souveraine pour guérir les coupûres.
6°. Le peuplier noir de la Caroline ; c'est sans contredit la plus belle espece de peuplier, qui n'est pourtant connue que depuis peu d'années en France, non plus qu'en Angleterre. Cet arbre est sur-tout remarquable par la grandeur admirable de ses feuilles, qui ont souvent 10 pouces de longueur, sur 8 à 9 de largeur ; elles sont aussi légerement qu'agréablement campanées sur les bords : la verdure en est vive, brillante & stable : elles tiennent à l'arbre par de longs pédicules qui étant applatis sur les côtés, s'inclinent à contre-sens des feuilles ordinaires ; ce qui fait que la feuille de ce peuplier est suspendue de côté. Vers la fin de l'été les principales côtes de sa surface se teignent d'une couleur rougeâtre qui fait avec la verdure un contraste singulier ; mais l'accroissement de ce peuplier est un phénomene digne d'admiration : c'est de tous les arbres qui peuvent venir dans les climats tempérés de l'Europe, celui qui croît le plus promptement ; il s'éleve & grossit d'une vîtesse surprenante. De jeunes plants d'un demi-pié de haut plantés dans une terre meuble & fraîche, ont pris en deux ans 15 piés de hauteur, sur huit à neuf pouces de circonférence, ayant des têtes de huit à dix piés de diametre, garnies de six, sept ou huit branches de cinq, sept & jusqu'à neuf piés de longueur. On peut regarder cet arbre comme un prodige de végétation. Ce peuplier est encore remarquable par ses profondes cannelures, au nombre de quatre ou cinq, qui sont sur le bois de l'année, & dont les arêtes sont saillantes & très-vives ; ces arêtes s'adoucissent avec l'âge, & laissent encore des traces sur le bois de deux & de trois ans. On ne connoit encore ni les fleurs males, ni la graine, ni la qualité du bois de cet arbre ; quoiqu'originaire des contrées méridionales de la Caroline & de la Virginie, il est néanmoins fort robuste ; il vient à toutes les expositions dans les lieux bas ; il profite assez bien dans une terre franche, meuble & douée, mais il se plaît sur-tout dans l'humidité, pourvu qu'elle ne soit pas permanente : c'est-là sur-tout qu'il prospere & qu'il fait de grands progrès. On le multiplie de branches couchées, qui font peu de racines en un an, mais qui ne laissent pas de reprendre ; de boutures qui réussissent passablement quand on les fait dès le commencement du mois de Novembre, & par la greffe, qui prend assez bien sur le peuplier noir ordinaire. Il m'a paru que le peuplier de Lombardie n'étoit pas à beaucoup près si propre à lui servir de sujet. Le peuplier de la Caroline est extrèmement convenable pour former des avenues, des allées, & surtout des salles en verdure & des quinconces, où cet arbre se défend mieux contre les vents impétueux, qui lui rompent quelquefois des branches.
7°. Le peuplier blanc à larges feuilles, que l'on nomme aussi grisaille d'Hollande, ou ypreau, ou franc picard, & en Angleterre abele, est un grand arbre qui ne pointe pas autant que le peuplier noir ordinaire, mais qui s'étend beaucoup plus, & qui grossit davantage : son accroissement est aussi plus prompt, mais moindre pourtant que celui du peuplier de la Caroline. Son écorce, qui est blanche & fort unie, ne se ride que dans un âge très-avancé. Sa feuille en général est figurée en coeur, & découpée par les bords d'échancrures, les unes plus, & les autres moins profondes ; elle est d'un verd fort brun en-dessous, & d'une extrème blancheur par-dessous qui est veloutée. Ses fleurs mâles & les filets qui portent la graine, paroissent & tombent en même tems que ceux du peuplier noir ordinaire. Les racines du peuplier blanc s'étendent beaucoup à la surface de la terre, ce qui le rend sujet à être quelquefois renversé par les vents. Il a le mérite particulier de réussir dans tous les terreins, même dans les lieux assez secs & élevés ; il ne redoute que la craie, le gravier maigre & le sable pur ; il se plaît dans les terres noires, grasses & argilleuses, mais il profite beaucoup plus dans les lieux bas & aquatiques, où il croît avec une extrême vivacité. Les intempéries des saisons ne peuvent rien contre cet arbre, que l'on peut multiplier très-facilement de boutures, mais plus promptement en se servant des rejettons qui viennent en quantité sur ses racines ; il ne leur faut que trois ans de pepiniere pour les mettre en état d'être plantés à demeure. Il se garantit par lui-même des bestiaux, car ils ne veulent point de son feuillage, à ce que rapporte Ellis, auteur anglois. Le bois de ce peuplier est très-blanc ; aussi est-il tendre, léger, & facile à fendre ; mais il est moins sujet à se gerser que beaucoup d'autres especes de bois blancs : c'est ce qui le fait employer par les Tourneurs, les Luthiers & les Layetiers. Les Menuisiers font aussi usage de ce bois, qui est excellent pour la boiserie, & sur-tout pour parqueter. Il sert aussi aux Charrons pour faire des trains de voitures légeres. Enfin le peuplier blanc est très-propre à former de grandes avenues le long des canaux & dans des fonds marécageux, où quantité d'arbres refusent de venir.
8°. Le peuplier blanc à petites feuilles. Cet arbre ne différe du précédent que par la figure de ses feuilles, qui sont plus petites & moins échancrées, ce qui le rend fort inférieur pour l'agrément.
9°. Le peuplier blanc à petites feuilles panachées. Il faut que cette variété soit d'un agrément bien médiocre, car les auteurs anglois n'en font aucun détail, quoiqu'en Angleterre on soit fort curieux de rassembler les arbres panachés.
10°. Le tremble. C'est un grand arbre, & l'espece la plus ignoble des peupliers : il a presque toujours un air chenu & dépérissant qui le dégrade ; il vient communément dans les bois dont le sol est froid, humide, argilleux ; il fait une tige assez droite qui ne grossit pas à-proportion de sa longueur. Sa tête est assez ronde. Ses racines tracent à fleur de terre, & poussent une grande quantité de rejettons. Son écorce, de couleur cendrée, paroît terne, matte, & seche comme si elle étoit morte. Sa feuille est presque ronde, fort unie, légerement campanée sur les bords, & d'un verd clair cendré assez joli ; elles sont soutenues par de longs pédicules si minces, que les feuilles sont agitées au moindre mouvement de l'air. Ses fleurs mâles ou chatons paroissent des premiers, & plus d'un mois avant ceux des autres peupliers ; ils sont d'une couleur rousse obscure ; les filets qui portent la graine tombent à la fin de Mai. Nul agrément à attendre de cet arbre, & encore moins d'utilité, si ce n'est celle qu'on peut retirer de son bois, qui n'est guere propre pour le chauffage ; c'est le moindre de tous les bois des différens peupliers pour l'usage des Arts ; cependant les Menuisiers, les Tourneurs & les Sabotiers, l'employent, & les Ebénistes s'en servent pour les bâtis propres à recevoir les bois de placage.
11°. Le tremble à petites feuilles. C'est une variété de l'espece qui précede, dont elle differe par sa feuille, & de plus par son volume. Le tremble ne devient ni si grand ni si gros que l'espece à large feuille ; mais ce diminutif est compensé par la facilité qu'il a de venir avec quelques succès dans des terreins secs & élevés, & d'assez mauvaise qualité. (M. D'AUBENTON le subdélégué.)
PEUPLIER, (Mat. méd.) peuplier noir, le peuplier noir fournit à la Pharmacie ses yeux ou bourgeons naissans, en latin oculi seu gemmae populi nigrae. Ces yeux sont enduits & pénétrés d'un suc balsamique d'une odeur fort agréable. Tournefort recommande contre les diarrhées invétérées & les ulceres internes, l'usage intérieur d'une teinture tirée des yeux de peuplier. Plusieurs auteurs en recommandent encore l'usage extérieur ; par exemple, leur application en forme de cataplasme sur les hémorrhoïdes, &c. mais l'un & l'autre de ces usages est absolument négligé, & les bourgeons de peuplier ne sont absolument employés que dans la préparation de l'onguent populeum, auquel ils donnent leur nom, & dont voici la description d'après la pharmacopée de Paris.
Onguent populeum. Prenez des bourgeons de peuplier une livre & demie ; broyez-les dans trois livres de sain doux, & gardez ce mélange dans un vaisseau de terre vernissé à orifice étroit & bien bouché dans un lieu temperé, jusqu'à ce que vous puissiez vous procurer dans le courant de l'été les matieres suivantes : savoir feuilles de pavot noir, de mandragore, ou à son défaut, de belle de nuit, de jusquiame, de grande & petite joubarbe, de laitue, de glouteron, de violette, de nombril de Vénus, ou à son défaut d'orpin, de jeunes pousses de ronces, de chacun trois onces ; de morelle des boutiques, six onces ; pilez toutes ces matieres ; mêlez-les exactement avec votre sain-doux chargé de bourgeons de peuplier, mises à feu doux, en agitant de tems-en-tems dans un vaisseau couvert ; passez, exprimez à la presse, & vous aurez votre onguent.
Cet onguent est d'un usage très-commun contre les tumeurs inflammatoires extérieures, & principalement contre les hémorrhoïdes très-douloureuses, dont il est regardé comme le calmant spécifique.
L'onguent populeum entre dans la composition de plusieurs médicamens officinaux externes ; par exemple, dans le baume hypnotique, l'onguent contre la gale, l'onguent hémorrhoïdal, & l'onguent épispastique de la pharmacopée de Paris. (b)
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PEUR | FRAYEUR, TERREUR, (Synon.) ces trois expressions marquent par gradation les divers états de l'ame plus ou moins troublée par la crainte. L'appréhension vive de quelque danger cause la peur ; si cette appréhension est plus frappante, elle produit la frayeur ; si elle abat notre esprit, c'est la terreur.
La peur est souvent un foible de la machine pour le soin de sa conservation, dans l'idée qu'il y a du péril. La frayeur est une épouvante plus grande & plus frappante. La terreur est une passion accablante de l'ame, causée par la présence, ou par l'idée très-forte de l'effroi.
Quelques exemples tirés de l'histoire romaine, vont justifier la distinction qu'on vient de donner de ces trois mots.
Pyrrhus eut moins de peur des forces de la république, que d'admiration pour ses procédés ; au contraire dans la suite des siecles, Attila faisoit un trafic continuel de la frayeur des Romains ; mais Julien par sa sagesse, sa constance, son économie, sa valeur, & une suite perpétuelle d'actions héroïques, rechassa les Barbares des frontieres de son empire ; & la terreur que son nom leur inspiroit, les contint tant qu'il vécut.
Auguste armé, craignoit les révoltes des soldats ; & quand il fut en paix, il redoutoit également les conjurations des citoyens. Dans la peur qu'il eut toujours devant les yeux d'éprouver le sort de son prédécesseur, il ne songea qu'à s'éloigner de sa conduite. Voilà la clé de toute la vie d'Octave.
On lit qu'après la perte de la bataille de Cannes, la frayeur fut extrème dans Rome ; mais il n'en est pas de la consternation d'un peuple libre & belliqueux, qui se trouve toujours des ressources de courage, comme de celle d'un peuple esclave qui ne sent que sa foiblesse.
Le célebre sénatus-consulte que l'on voit encore gravé sur le chemin de Rimini à Cézene, par lequel on dévouoit aux dieux infernaux quiconque avec une cohorte seulement, passeroit le rubicon, prouve combien le sénat appréhendoit les desseins de César. Aussi ne peut-on exprimer la terreur qu'il répandit lorsqu'il passa ce ruisseau. Pompée lui-même éperdu ne sut que fuir, abandonner l'Italie, & gagner promptement la mer. (D.J.)
PEUR & PALEUR, (Mytholog. Médailles, Littér.) divinités payennes qui avoient des autels chez les Grecs & les Romains, afin qu'elles préservassent de l'opprobre & de l'infamie. Thésée leur sacrifia dans cette vûe ; Alexandre en fit de même ; & par les mêmes principes, la Peur avoit une chapelle à Sparte ; passons à Rome.
La ville d'Albe ayant été soumise aux Romains par un traité fait après la victoire des Horaces, la paix ne dura pas long-tems ; elle fut rompue par la trahison du dictateur Metius Suffetius, & par la révolte des Albains qui attirerent dans leur parti les Fidénates & les Véïens. Le roi Tullus ayant pris la résolution de les combattre, il s'apperçut au milieu du combat, qu'à la sollicitation du dictateur, les Albains qui s'étoient d'abord déclarés pour les Romains, tournerent leurs armes contr'eux. Tullus, pour prévenir l'épouvante qui pouvoit se répandre dans son armée, voua dans le moment, dit l'historien, douze Saliens & des temples à la Peur & à la Pâleur. Ce voeu eut son effet, Tullus fut vainqueur. &c.
Il y a deux médailles de la famille Hostilia, rapportées dans les familles romaines de Fulvius Ursinus, de Patin, & de Vaillant, lesquelles représentent la Peur & la Pâleur. La premiere offre une tête avec des cheveux hérissés, un visage étonné, une bouche ouverte, & un regard qui marque l'épouvante dans une occasion périlleuse. La seconde offre une face maigre, allongée, les cheveux abattus, & le regard fixe ; c'est la pâleur, laquelle est l'effet ordinaire de la peur : le sang & la couleur se retirent au-dedans de nous, lorsque nous l'éprouvons ; le visage devient pâle, la sueur froide, le tremblement, l'immobilité, succedent, &c. Aussi Lucrece applique ingénieusement à la peur les mêmes effets que Sapho attribue à un violent amour.
Verum ubi vehementi magis est commota metu mens,
Consentire animam totam per membra videmus
Sudores itaque & pallorem existere toto
Corpore, & infringi linguam, vocemque aboriri ;
Caligare oculos, sonare aures, succidere artus :
Denique concidere ex animi terrore videmus
Saepè homines.
(D.J.)
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PEUREUX | adj. cheval peureux, voyez OMBRAGEUX.
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PÉVAS | LES (Géog. mod.) peuple de l'Amérique méridionale, avec une bourgade de même nom, sur le bord septentrional de la riviere des Amazones, au dessous de l'embouchure du Napo. C'est la derniere des missions Espagnoles sur le bord de l'Amazone. (D.J.)
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PEVETTI | (Botan. exot.) arbre baccifere du Malabare, caractérisé par P. Alpin. arbor baccifera indica, floribus ad foliorum exortis, fructu sulcato decapyreno, solanum somniferum antiquorum exhibente. (D.J.)
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PÉVIGUÉ | S. m. terme de pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Bordeaux. Les pêcheurs de la baie d'Arcasson comprennent sous ce nom toutes les pêches qu'ils font en mer. Ils désignent par le nom de pêche à la petite mer, celles qu'ils font dans le bassin d'Arcasson.
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PEWTER | (Métallurgie) nom que les Anglois donnent à un alliage dont l'étain fait la base, & dans lequel sur un quintal d'étain, on joint quinze livres de plomb, & six livres de cuivre jaune ; on en fait des vaisseaux & les ustensiles de ménage.
On fait aussi une autre composition ou alliage d'étain, dans lequel on fait entrer du régule d'antimoine, du bismuth & du cuivre, dans des proportions différentes.
On prétend que Jacques II. roi d'Angleterre, étant en Irlande, fit faire de la monnoie de pewter ou d'étain ; on y lisoit la légende melioris tessera fati.
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PEYER | GLANDES DE, (Anatomie) Peyer de Schafouse s'est attaché à la recherche des glandes intestinales répandues dans les intestins grêles ; ces glandes portent son nom. Il a outre cela fait différentes découvertes, & nous a laissé différens traités.
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PEYQ | S. m. (Hist. mod.) valet-de-pié du grand seigneur. Ils portent à leur tête un bonnet d'argent doré, avec une plume grise ou blanche qui pend parderriere.
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PEYREHOURADE | (Géog. mod.) en latin du moyen âge, Petra-Forata, petite ville de France, dans le pays des Landes, au confluent de l'Adour & du Gave. Elle est chef-lieu du vicomté d'Orthez.
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PEYRUSSE | (Géog. anc.) petite ville de France, dans le Rouergue : elle est sur une montagne, au pié de laquelle passe la petite riviere de Diege, à 4 lieues de Capdenac, 109 de Paris. Long. 18. 40. latit. 44. 36. (D.J.)
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PEYSE | S. f. (Monnoie) petite monnoie de cuivre qui a cours dans les Indes orientales, particulierement à Amadubath, ville des états du Mogol. Les 26 peyses font un mamoudis, & les 54 une roupie ; ainsi la peyse est environ deux sols de France. (D.J.)
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PEZGALLO | (Ichthyolog.) c'est-à-dire poisson-coq ; c'est un poisson de la mer du Sud, ainsi nommé par les créoles de l'Amérique méridionale, de la crête ou trompe qu'il porte sur le museau. Les François l'appellent demoiselle ou éléphant ; toutes dénominations qui ne sont pas meilleures les unes que les autres. Il a sur le dos un aiguillon si dur qu'il pourroit servir d'aleine pour percer les cuirs les plus durs. M. Fresier auroit dû entrer dans d'autres particularités sus la structure de ce poisson, au lieu de se contenter de nous dire, qu'on en pêche quantité à Quillota, & & qu'on les fait sécher pour les envoyer à San-Jago. (D.J.)
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PFAFFENHOFEN | (Géog. mod.) ville du bail liage d'Allemagne, dans la haute Baviere ; sur l'Iln, à 13 lieues d'Ingolstad, 18. de Munich. Long. 28. 35. latit. 49. 5. (D.J.)
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PFEFFERS | S. m. (Géog. Hist. nat.) abbaye célebre de la Suisse, située dans le voisinage des Grisons, à deux lieues de Coire, dont l'abbé est prince de l'Empire. C'est auprès de cette abbaye que l'on trouve une source d'eau thermale très-renommée par son efficacité. Cette source est au fond d'un précipice affreux, entouré de tous côtés par les Alpes ; son eau cesse de couler vers le commencement d'Octobre, & elle recommence au mois de Mai. Les eaux de Pfeffers se nomment en latin thermae fabariae, ou thermae piperinae.
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PFIN | (Géog. mod.) en latin Fines, ou ad Fines, petite ville de Suisse, dans le Thourgaw, sur le bord du Thour, près de Stein, chef-lieu d'un bailliage de même nom ; dépendant du canton de Zurich, qui y envoye un baillif, dont la résidence est dans le château. Les Romains avoient bâti là une place pour arrêter les incursions des Germains & des Helvétiens. On voit encore les murailles de l'ancienne ville, & l'on a déterré quelques médailles dans le voisinage. Les comtes d'Eberstein possédoient cette place dans le xvj. siecle. Un gentilhomme nommé Wambold, en fit l'acquisition, & après sa mort, ses héritiers la vendirent à M. de Zurich.
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PFORTZHEIM | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Suabe, au marquisat de Bade-Dourlach, aux frontieres de Craichsgow ; elle est sur la rive d'Entz, à 42 milles est de Dourlach, 8 nord-est de Haguenau, 7 sud-ouest de Heidelberg, 6 sud-est de Spire. Long. 27. 17. lat. 48. 55.
Reuchlin (Jean), l'un des savans hommes en langue latine, grecque & hébraïque que l'Allemagne ait produit dans le xvj. siecle, naquit à Pfortzheim. On le connoît aussi sous le nom de Fumée, & de Capnion, parce que reuch en allemand, & en grec, signifient fumée. Il s'attira beaucoup d'ennemis, pour avoir obtenu de l'empereur qu'on ne brûlât pas les livres des Juifs, où il n'étoit point question de religion. Il donna lui-même plusieurs ouvrages où regne l'érudition des langues, aussi loin qu'elle avoit été portée jusqu'alors. Il mourut en 1512, à 67 ans. Quelques écrivains lui attribuerent les Litterae obscurorum virorum, dans lesquelles on tourne plaisamment en ridicule les théologiens scholastiques ; mais ce badinage est de Henri Hutten ; Reuchlin ne possédoit point l'esprit de raillerie : il étoit toujours grave & sérieux dans ses écrits.
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PFREIMBD | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, au cercle de Baviere, dans le Nord-Gow. Long. 29. 57. lat. 49. 30.
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PFULLENDORFF | (Géog. mod.) petite ville impériale d'Allemagne, au cercle de Suabe, dans le Hégow, sur la riviere d'Omdelspach, à 7 lieues nord de Constance, 12 sud-ouest d'Ulm, 4 nord d'Uberlingen, Long. 26. 58. lat. 48.
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PHABIRANUM | (Géog. anc.) ville de la Germanie, dans sa partie la plus septentrionale, selon Ptolomée, qui la met liv. II. c. vj. entre Ecclesia & Treva. On croit que c'est présentement la ville de Brême.
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PHACOLITHUS | (Hist. nat.) nom que quelques naturalistes ont donné à la pierre lenticulaire. Voyez LENTICULAIRE.
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PHAEACIE | (Géog. anc.) Phaeacia ; île de la mer Ionienne, qu'Homere appelle tantôt Phaeacia, & tantôt Pheria : elle fut appellée ensuite Corcyra ; mais son premier nom étoit Drépané ; c'est aujourd'hui Corfou, près des côtes d'Albanie, à l'entrée du golfe de Venise.
Du tems qu'Alcinoüs regnoit dans cette île, la brillante jeunesse n'y respiroit que la volupté. Alcinoüs lui-même le reconnoît en parlant de sa cour, dans le VIII. liv. de l'Odissée. " Les festins, dit-il, la musique, la danse, les habits, les bains chauds, le sommeil & l'oisiveté, voilà toute notre occupation ". C'est d'après Homere, qu'Horace, Epist. ij. lib. I. voulant peindre les désordres des Romains, dit :
Nos numerus summus, & fruges consumere nati,
Sponsi Penelopae, nebulones, Alcinoique
In cute curandâ plus aequo operata juventus,
Cui pulchrum fuit in medios dormire dies, &
Ad strepitum citharae cessantem ducere curam.
" A quoi sommes-nous bons nous autres, sinon à boire & à manger ? Semblables aux amans de Pénélope, ou aux courtisans d'Alcinoüs, tous vrais débauchés, qui n'avoient d'autre occupation que celle de leurs plaisirs, & qui faisoient consister tout leur bonheur à dormir jusqu'à midi, & à rappeller le sommeil fugitif au bruit des instrumens de musique. " (D.J.)
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PHAECASIE | S. f. (Littérat.) phaecasia, c'étoit le nom d'une espece de chaussure des anciens. Hesychius dit que c'étoit une chaussure de laboureur semblable à des brodequins de toile. D'autres disent qu'on nommoit ainsi les souliers des philosophes. Appien, de bello, prétend que c'étoit la chaussure des prêtres d'Athènes & d'Alexandrie ; mais il ajoute que les philosophes qui fuyoient le luxe, la portoient ainsi, de même que les gens de la campagne. Voyez de plus grands détails dans Hoffman, Lexic. univers.
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PHAECASIEN | adj. (Littérat.) on donnoit à Athènes ce nom à quelques divinités, soit parce qu'elles étoient représentées avec des phaecasiens aux piés, soit parce que leurs prêtres en portoient, ou qu'ils en prenoient lorsqu'ils offroient des sacrifices à ces dieux.
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PHAENICITÉ | (Hist. nat.) c'est ainsi que quelques auteurs ont nommé la pierre judaïque, voyez cet article.
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PHAENNA | S. f. (Mythol.) l'une des deux graces que les Lacédémoniens reconnoissoient, selon Pausanias. L'autre étoit Clita. Ces deux dénominations étoient, dit-il, fort convenables aux graces : en effet phaenna signifie éclatante, & Clita signifie célebre.
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PHAESTUM | (Géog. anc.) ou Phaestus, ville de l'île de Crete. Diodore de Sicile, liv. v. ch. lxxix. dit qu'elle fut bâtie par Minos sur le bord de la mer. Strabon, l. X. p. 479. & Pline, liv. IV. ch. xij. la mettent dans les terres : le premier dit même qu'elle en étoit éloignée de 20 stades, & qu'elle étoit à 60 stades de Gortyna. Denis le Périégete, v. 88. confirme ce sentiment :
Juxta sacram Gortynem & Maditerraneam Phaestum.
2°. Phaestum ou Phaestus, village des Locres Ozoles selon Pline, liv. IV. c. iij.
3°. Phaestum, ville de la Macédoine. Ptolomée, liv. III. ch. xiij. la donne aux Estioles. C'est apparemment la même que Tite-Live, l. XXXVI. c. xiij. dit qui fut prise par Baebius.
C'est à Phaeste ville de Crete, que naquit Epiménide, suivant le témoignage de Strabon, quoique Laërce & Valere Maxime disent que cet ancien poëte & philosophe étoit de Gnosse. On sait la fable de son long sommeil, que quelques auteurs réduisent avec raison au naturel, estimant qu'il employa ce tems à voyager pour se perfectionner dans la connoissance des simples ; cependant son avanture merveilleuse ayant été répandue dans toute la Grece, chacun regarda Epiménide comme le favori des dieux. Les Athéniens étant affligés de la peste, l'oracle leur ordonna de purifier solemnellement leur ville, & ce fut Epiménide qui fit cette expiation dans la quarante-sixieme olympiade. Pausanias & Lucien en parlent fort amplement.
Cet homme sage lia une grande amitié avec Solon, & lui donna de bons avis pour l'établissement de ses lois. Laërce nous a conservé une de ses lettres que voici.
Epiménide à Solon. " Ayez bon courage, mon cher ami ; si Pisistrate avoit réduit des gens accoutumés à la servitude, peut-être que sa domination pourroit durer long-tems : mais il a à faire à des hommes libres qui ne manquent pas de coeur. Ils ne tarderont guere à se ressouvenir des préceptes de Solon ; ils auront honte de leurs chaînes, & ne souffriront pas qu'un tyran les tienne plus longtems en esclavage. Enfin quand Pisistrate resteroit le maître pendant toute sa vie, son royaume ne passera jamais à ses enfans ; car il est impossible que des gens accoutumés à vivre librement sous de bonnes lois, puissent jamais se résoudre à rester éternellement dans la servitude. Pour ce qui est de vous, je vous prie de ne point demeurer errant de côté & d'autre : dépêchez-vous de nous venir trouver en Crete, où il n'y a aucun tyran qui tourmente personne ; car je crains fort que si les amis de Pisistrate vous rencontroient dans leur chemin, ils ne vous fissent un mauvais parti. "
Les Athéniens rendirent de grands honneurs à Epimenide, & lui offrirent de riches présens qu'il refusa. Il retourna en Crete, où il mourut bientôt après dans un âge avancé. Il a écrit plusieurs ouvrages en vers, dont Laërce nous a conservé les titres. S. Jerôme fait mention d'un de ses traités intitulé, oracles & réponses. C'est de ce traité que S. Paul, tit. I. v. 12. a cité le vers suivant.
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PHAETELINUS | (Géog. anc.) fleuve de Sicile, selon Vibius Sequester, dont voici le passage : Siciliae fluvius, juxtà Peloridem, confinis templo Dianae. Au lieu de Phaetelinus, quelques manuscrits portent Faecelinus. J'aimerois mieux, dit Ortelius, lire Faecelinus, parce que la Diane qui étoit adorée dans ces quartiers, s'appelloit Diana Facelina. M. de Lisle, dans sa carte de l'ancienne Sicile, nomme ce fleuve Melas, ou Facelinus ; il met son embouchure à l'orient du temple de Diane Faceline, & pour nom moderne, lui donne celui de Nuciti.
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PHAETIALUCI | (Géog. anc.) lac de l'Attique. Wehler, dans son voyage d'Athènes, liv. III. p. 222. dit qu'en rodant autour de la baie qui s'étend au nord, depuis Porto-Lione & le détroit de Salamine, il arriva à un petit lac d'eau salée & bitumineuse, qui se décharge dans la mer par un courant, que Pausanias, liv. I. ch. xxvj. appelle Schirus. Il ajoute qu'on nommoit autrefois ce lac Phaetialuci. Pausanias en fait les limites des Athéniens & des Eleusiniens.
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PHAÉTON | S. m. (Mythol.) fils du Soleil & de Chimène ; sa fable est connue de tout le monde.
Eurypide avoit fait sous le nom de Phaéton une tragédie qui s'est perdue, & dont Longin nous a conservé le vers où le soleil parle ainsi à Phaéton, en lui mettant entre les mains les rênes de ses chevaux.
Prens garde qu'une ardeur trop funeste à ta vie
Ne t'emporte au-dessus de l'aride Lybie ;
Là jamais d'aucune eau le sillon arrosé
Ne rafraîchit mon char dans sa course embrasé...
Aussi-tôt devant toi s'offriront sept étoiles.
Dresse par là ta course, & suis le Droit chemin.
Phaéton à ces mots prend les rênes en main
De ses chevaux aîlés il bat les flancs agiles.
Les coursiers du soleil à sa voix sont dociles.
Ils vont : le char s'éloigne, & plus prompt qu'un éclair,
Pénetre en un moment les vastes champs de l'air.
Le pere cependant plein d'un trouble funeste,
Le voit rouler de loin sur la plaine céleste,
Lui montre encor sa route, & du plus haut des cieux,
Le suit autant qu'il peut, de la voix & des yeux ;
Va par-là, lui dit-il, reviens : détourne : arrête.
Despréaux.
Ne penseriez-vous pas, observe Longin, que l'ame du poëte monte sur le char avec Phaéton, qu'elle partage tous ses périls, & qu'elle vole dans l'air avec ses chevaux ?
Les Mythologues moralistes trouvent dans la fable de Phaéton l'emblême d'un jeune téméraire, qui forme une entreprise au-delà de ses forces, & qui veut l'exécuter sans prévoir les dangers qui l'environnent.
Plutarque assure qu'il y a eu réellement un Phaéton, qui regna sur les Molosses, & qui se noya dans le Pô ; que ce prince s'étoit appliqué à l'astronomie, & qu'il avoit prédit une chaleur extraordinaire qui arriva de son tems, & qui causa une cruelle famine dans son royaume. (D.J.)
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PHAETONTIADES | S. f. (Myt.) ou les soeurs de Phaéton changées en peupliers, après avoir pleuré long-tems la mort de leur frere. Voyez HELIADES.
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PHAGEDENE | PHAGEDENIQUE, en Chirurgie, &c. se dit d'un ulcere profond & boursoufflé, qui mange & corrode les parties voisines. Voyez ULCERE.
Ce mot est grec, , formé de , manger.
Médicamens phagédéniques, ce sont ceux dont on se sert pour manger les chairs fongueuses, ou des excroissances. Voyez EPULOTIQUES, SARCOTIQUE, CAUSTIQUE, &c.
Ulcere phagédénique, voyez PHAGEDENE & ULCERE.
Les éphémérides de l'académie des curieux de la nature rapportent que les ulceres phagédéniques ont été souvent guéris avec de la fiente de brebis.
Eau phagédénique, en Chimie, se dit d'une eau que l'on tire de la chaux vive ; elle est ainsi appellée de la vertu qu'elle a de guérir les ulceres phagédéniques. Voyez CHAUX & EAU.
Pour préparer cette eau, on met deux livres de chaux vive dans une grande terrine, & l'on verse dessus environ dix livres d'eau de pluie. On laisse cette composition pendant deux jours en la remuant fort souvent : enfin après avoir laissé bien rasseoir la chaux, on verse l'eau par inclinaison, on la filtre, & on la mot dans une bouteille de verre ; l'on y ajoute une once de sublimé corrosif pulvérisé, qui change alors sa couleur blanche en jaune, & tombe au fond de la bouteille. Quand cette eau est rassise, elle est propre à nettoyer les plaies & les ulceres, & manger les chairs superflues, particulierement dans les gangrenes ; auquel cas on peut y ajouter une troisieme ou une quatrieme partie d'esprit-de-vin. Voyez GANGRENE.
PHAGEDENIQUE, eau, (mat. Med.) voyez sous le mot EAU, & l'article MERCURE, Mat. méd.
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PHAGESIES | S. f. pl. (Mythol.) ou PHAGESIPOSIES, fêtes de Bacchus, dans lesquelles on faisoit de grands festins ; c'est ce que signifie leur nom dérivé de , manger.
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PHAIOFNÉE | S. f. (Marine) c'est un bâtiment du Japon dont les grands seigneurs se servent pour aller se promener, à-peu-près comme on se sert des yachts en ce pays-ci. Il y a dans le milieu une chambre pour le maître du bâtiment. Elle est couverte de nattes, & les armes du propriétaire sont élevées au-dessus.
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PHALAIA | (Chimie) c'est un mot barbare dont s'est servi le premier Basile Valentin pour désigner un remede panchreste, catholique, universel, une panacée infaillible, dont l'usage intérieur guérissoit de tous les maux. Ce remede n'étoit autre chose, suivant lui, que le mercure philosophique, dont on peut voir l'éloge dans l'introduction à une longue vie de Jaep.... où cet auteur enthousiaste met le mercure, ainsi préparé, le phalaia, à la tête des remedes dont l'effet est de prolonger le nombre des années ; ainsi il est intérieurement ce que leur aia est appliqué à l'extérieur. Rolfinkius a aussi employé le mot phalaia, mais dans un autre sens : il a donné ce nom à la teinture de jalap, formant par anagramme phalaia, de jhalapa. Tractat. de purgat. sectio ij. artic. 3. Voyez Castell. lexic.
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PHALANGE | S. f. (Anat.) les trois pieces dont chaque doigt est composé portent le nom de phalanges ; chacune de ces phalanges est divisée à-peu-près comme le doigt entier, en base, en corps, en portion moyenne, en tête, en deux faces, une convexe & l'autre concave, & en deux bords. La premiere phalange a plus de longueur & d'épaisseur que la seconde, & les bases des phalanges paroissent très-longtems épiphyses, comme les têtes des os du métacarpe. Voyez DOIGT. (D.J.)
PHALANGE, LA, (Art milit.) chez les Grecs étoit un corps d'infanterie composé de soldats armés de toutes pieces, d'un bouclier & d'une sarisse, arme plus longue que n'étoient nos piques qui avoient 12 piés. Chaque file étoit de seize soldats, & elles étoient jusqu'au nombre de 1024. Ainsi la phalange étoit une espece de bataillon de 1024 hommes de front sur 16 de hauteur, c'est-à-dire de 16384 soldats pesamment armés. On y joignit la moitié de ce nombre de troupes légeres ; c'est-à-dire que ces troupes étoient de 8192 hommes, lorsque la phalange étoit de 16384. A l'égard de la cavalerie, elle étoit la moitié de ce dernier nombre, ou de 4096 cavaliers.
Ainsi dans les armées des Grecs le rapport des pesamment armés aux troupes légeres, étoit celui de 2 à 1, & celui de toute l'infanterie à la cavalerie de 6 à 1 ; ensorte que la cavalerie faisoit la septieme partie de l'armée, comme on l'a déja dit au mot INFANTERIE.
Le nom de phalange paroît avoir été donné chez les Grecs, à tout corps d'infanterie pesamment armé ; mais Philippe, pere d'Alexandre, s'appliqua à en former un corps régulier qui subsista chez les Macédoniens jusqu'à la défaite de Persée par les Romains.
Polybe attribue la défaite de la phalange par les Romains, à l'avantage de leur ordre de bataille, qui étoit formé de plusieurs parties plus petites que la phalange, & qui se mouvoient plus aisément. Les généraux romains surent l'attirer dans des lieux difficiles & raboteux, où la phalange ne pouvant conserver cette union qui en faisoit la force, ils profitoient des vuides qu'elle laissoit à cause de l'inégalité du terrein, & ils la combattoient ainsi avec beaucoup d'avantage. M. de Folard ajoute encore une autre raison à celle de Polybe. Selon cet auteur, " la longueur des sarisses ou des piques des soldats de la phalange fut la principale cause de sa défaite, parce qu'il n'y avoit guere que les piques du premier & du second rang dont on pût se servir dans la défense & dans l'attaque, & que celles des autres rangs restoient comme immobiles & sans effet ; elles se trouvoient toutes ramassées en faisceaux entre l'intervalle de chaque file, sans qu'il fût presque possible aux piquiers du troisieme rang (car le reste ne servoit que d'appui), & même au second de voir ce qui se passoit hors du premier rang, ni de remuer leurs longues piques qui se trouvoient comme enchâssées & emboîtées entre les files, sans pouvoir porter leurs coups à droite ou à gauche ; ce qui donnoit une grande facilité aux Romains de surmonter un obstacle redoutable en apparence, & au fond très méprisable. " Folard, traité de la colonne. Voyez pour ce qui concerne la formation & la composition de la phalange, la tactique d 'Elien & celle d'Arrien. (Q)
PHALANGE, (Hist. nat. & Méd.) espece d'araignée vénimeuse, dont la piquure fait tomber dans un assoupissement léthargique ; les remedes à ce poison sont l'orviétan, les sels volatils de viperes, de corne de cerf, d'urine, la danse, la symphonie.
La tarentule est une phalange dont plusieurs auteurs ont donné l'histoire, & dont la morsure se guérit par le son des instrumens & la danse.
Le venin des phalanges consiste en un sel acide qu'elles élancent dans les vénules des chairs par leur piquure, & qui est porté ensuite dans les grands vaisseaux, où il intercepte la circulation en figeant le sang ; d'où vient que les sels volatils alkalins, & tous les autres remedes propres à raréfier les humeurs, & à les rendre fluides, sont bons pour dissiper ce venin.
Les phalanges écrasées & appliquées autour du poignet à l'entrée de l'accès d'une fievre intermittente, la guérissent quelquefois à cause de leur sel volatil qui entre par les pores, & qui dissout ou emporte par la volatilité l'humeur qui causoit la fievre.
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PHALANGIUM | S. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur liliacée, & composée de six pétales. Le pistil sort du milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit arrondi & divisé en trois loges, qui renferme des semences anguleuses. Ajoutez aux caracteres de ce genre que la racine est fibreuse, ce qui fera distinguer aisément le phalangium de l'ornitogalum. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
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PHALANGOSE | S. f. (Médec.) ; nous dirions en françois, rangée d'un grand nombre de cils des paupieres, qui se portent au-dedans de l'oeil & l'offensent ; selon Paul Eginete, la phalangose est un renversement du bord de la paupiere au-dedans de l'oeil, sans aucune relaxation de cette paupiere, ce vice de la paupiere est une espece de trichiase. Voyez ce mot.
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PHALANNA | (Géog. anc.) 1°. ville de la Perrhébie. Lycophron écrit Phalanum : ville de l'île de Crete : Etienne le géographe dit que Phagiadès le péripatéticien étoit natif de cette ville. (D.J.)
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PHALARIQUE | S. f. (Art. milit. des anc.) phalarica ; c'étoit un dard d'une espece particuliere. Voici la description que Tite-Live en fait, l. XXI. Phalarica erat Saguntinis missile telum, hastili oblongo, & cetera tereti, praeterquam ad extremum, ubi ferrum extabat. Et sicut in pilo quadratum in stupâ circumligabant, linebantque pice. Ferrum autem tres in longum habeat pedes, ut cum armis transfigere corpus posset. Sed id maximè, etiamsi haesisset in scuto, nec penetrasset in corpus, pavorem faciebat : quod cùm medium accensum mitteretur, conceptumque ipso motu multò majorem ignem ferret, arma omitti cogebat, nudumque militem ad insequentes ictus praebebat.
La phalarique étoit donc une longue lance, une espece de pertuisane, & il falloit qu'elle fût grosse, puisque Silius Italicus l'appelle trabs. Son fer avoit trois piés de longueur ; c'étoit une arme blanche, & une arme à feu. Dans le combat de Turnus, décrit par Virgile, Aeneid. l. IX. v. 702. la phalarique ne paroît pas une arme à feu. Dans d'autres occasions, on enveloppoit le fer qui étoit quarré, d'étoupes poissées : on y mettoit le feu, & on le lançoit avec la baliste contre les tours de bois appellée fali, & contre les machines de guerre, quelquefois même contre des hommes, dont on perçoit le bouclier, la cuirasse, & le corps en même tems. Ce fut cette sorte particuliere d'armes dont se servirent les Sagontins dans la défense de leur ville, comme dit Tite-Live, que j'ai cité ci-dessus. (D.J.)
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PHALARIS | S. m. (Botan.) genre de plante dont voici les caracteres, selon Ray. Il porte un gros épi composé d'un amas écailleux de gousses pleines de semences ; deux de ces gousses sont creuses, carinées, contenant une graine enveloppée de sa cosse. Le même botaniste établit huit especes de phalaris, dont la plus connue est à graines blanches ; c'est le gramen spicatum, semine miliaceo albo, de Tournefort. I. R. H. 518.
Mais le phalaris dans le système de Linnaeus, renferme tous les phalaroïdes, & forme un genre distinct de plante qu'il caractérise ainsi. Le calice, qui ne contient qu'une fleur est large, obtus, applati, formé de deux pieces, dont chacune est applatie, obtuse en-dessus, avec des bords qui se rencontrent en lignes paralleles. La fleur est aussi à deux pieces, & plus petite que le calice. Les étamines sont trois filets capillaires, plus courts que le calice. Les bossettes des étamines sont oblongues ; l'embryon du pistil est arrondi ; les stiles sont au nombre de deux, & très-déliés, les stygmates sont chevelus ; la fleur sert d'une enveloppe serrée à la semence. Cette graine est unique, lisse, arrondie, mais pointue aux deux bouts. (D.J.)
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PHALARNA | ou plutôt PHALASARNA, (Géogr. anc.) comme lit Casaubon dans Strabon, lib. X. p. 479. Dicéarque parle de Phalasarna en ces termes : on dit qu'il y a dans l'île de Crete une ville nommée Phalasarna, située à l'occident de cette île ; qu'elle a un port qu'on peut fermer, & un temple de Diane Dietynne. On croit que c'est présentement le bourg Concarini.
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PHALERE | Phalerum, (Géog. anc.) ancien port & ville de l'Attique, nommé auparavant Phanos, selon Suidas. C'étoit le port de la ville d'Athènes ; il étoit extrèmement habité avant que Thémistocle eût entrepris de fortifier le Pyrée, & d'y transporter la marine.
C'est au Phalere qu'on avoit mis les autels des dieux inconnus, dont a parlé S. Paul. " En passant, dit cet apôtre, & en contemplant vos dévotions, j'ai trouvé même un autel, où il y avoit cette inscription, au dieu inconnu : Je vous annonce donc celui que vous honorez sans le connoître ".
L'inscription n'étoit pas telle que S. Paul la rapportoit, au dieu inconnu ; car il y avoit, aux dieux de l'Asie, de l'Europe & de l'Afrique, dieux inconnus & étrangers ; mais comme l'apôtre n'avoit pas besoin de plusieurs divinités inconnues, & qu'il ne lui falloit qu'un dieu inconnu, il s'est servi du singulier au lieu du plurier.
Pausanias, Philostrate & Suidas se servent du nombre plurier, quand ils parlent de l'inscription de cet autel, & Diogéne Laërce attribue à Epiménide d'avoir fait bâtir des autels sans nom ; or c'est à Epiménide qu'on attribue ordinairement l'autel des dieux inconnus ; mais il ne laisse pas d'être vrai que Théophilacte, Isidore de Péluse, Aecumenius & Chrysostome, se sont servis du singulier en parlant de cet autel. Meursius assure que les habitans d'Athènes s'étant convertis à l'Evangile, consacrerent au dieu inconnu, le temple où l'autel d'Epiménide avoit été élevé.
On voit encore à la distance d'un mille de Phalere sur le rivage, le lieu où étoit jadis la forteresse de Munichia, dont il est si souvent parlé dans l'histoire ancienne, tant par la beauté de son temple de Diane, qu'à cause que les gens qu'on maltraitoit au Pyrée & à Phalere, y trouvoient un sûr asyle.
Le Phalere se nomme aujourd'hui Porto, & est à cinq quarts de lieues d'Athènes, mais sans avoir un seul habitant. Wheler dit qu'il y reste seulement quelques vestiges des murailles qui fermoient autrefois ce port. Il est aujourd'hui plein de sable, tout à découvert tant au vent du sud en été, qu'au vent d'aval en hiver ; & les vaisseaux qui y mouillent sont forcés de se tenir au large, parce qu'il n'y a pas de fond ; ensorte que les Athéniens eurent raison d'abandonner ce port, pour retirer leurs vaisseaux dans le Pyrée.
Cependant on est toujours tenté d'y débarquer, quand on se rappelle que le poëte Musée, qui inventa la sphere, y a sa sépulture depuis trois mille ans ; & plus encore, quand on songe que c'est dans ce lieu que vit le jour un des plus grands hommes qu'Athènes ait jamais produit ; je parle de Démétrius de Phalere, philosophe péripatéticien, homme d'état, savant & plein de modération. Il s'éleva par son mérite, devint archonte d'Athènes, & gouverna cette république pendant dix ans avec un pouvoir absolu, dont il n'abusa jamais.
On ne sait pas précisément l'année qu'il naquit, mais il paroît par Cicéron, qu'il ne devoit pas être âgé lorsqu'il parvint au gouvernement de la république sous Cassander, roi de Macédoine, la troisieme année de la 115e. olympiade.
Il fut non-seulement le disciple, mais encore l'ami intime de Théophraste ; sous un aussi savant maître, il perfectionna les talens naturels qu'il avoit pour l'éloquence, & se rendit encore habile dans la philosophie, la politique & l'histoire. On peut voir dans Diogene Laërce, le catalogue des ouvrages qu'il avoit composés sur différens genres de sciences. Il est le seul des Grecs, dit Cicéron, qui ait pris soin de cultiver en même tems la philosophie & l'éloquence ; & pour s'être attaché à traiter des matieres philosophiques, & l'avoir fait avec toute l'exactitude & la subtilité que demande ce genre d'écrire, il n'a pas laissé d'être orateur. Il est vrai, ajoute-t-il, qu'il n'est pas des plus véhémens ; cependant il a ses graces, & on reconnoît aisément en lui le génie de son maître Théophraste. Cette douceur, qui faisoit le caractere de ses ouvrages étoit aussi celui de son esprit ; il étoit d'ailleurs très-bien fait de sa personne, & la beauté de ses sourcils, lui valut le nom de .
Pendant les dix années qu'il gouverna sa patrie, il s'acquit tant de gloire, qu'il n'est pas facile, ajoute Cicéron, de trouver quelqu'un qui ait excellé comme lui tout ensemble dans l'art du gouvernement & dans les sciences. Il augmenta les revenus de l'état, & il embellit la ville d'Athènes d'édifices. Il diminua le luxe qui n'étoit que pour le faste, & laissa au peuple la liberté d'user de ses richesses pour les cérémonies religieuses, & les fêtes publiques que l'antiquité avoit consacrées. Il régla les moeurs, & les pauvres citoyens vertueux furent l'objet de ses attentions. C'est ainsi, dit Elien, que se passa glorieusement l'administration de ce grand homme, jusqu'à ce que l'envie si naturelle à ses compatriotes, l'obligea de sortir d'Athènes.
Au commencement de la seconde année de la cent dix-huitieme olympiade, Démétrius Poliorcetes vint aborder au port de Pyrée, avec une flotte de deux cent cinquante vaisseaux, annonçant aux Athéniens qu'il venoit pour rétablir chez eux les lois de la liberté, & chasser de leurs villes les garnisons de Cassander. En vain Démétrius de Phalere représenta au peuple d'Athènes, que le fils d'Antigonus ne feroit rien de ce qu'il promettoit, ils n'écouterent point leur archonte, qui prit le parti de se retirer de la ville, & de demander à ce prince une escorte pour le conduire à Thèbes. Démétrius Poliorcetes lui accorda sa demande, respectant, dit Plutarque, sa réputation & sa vertu.
Bientôt les Athèniens renverserent les 360 statues qu'ils avoient élevées à sa gloire, & l'accusant d'avoir fait beaucoup de choses contre les lois pendant son gouvernement, il fut condamné à mort ; ceux qui avoient eu une étroite liaison avec lui, furent inquiétés ; & peu s'en fallut que le poëte Ménandre ne fût appellé en jugement, pour la seule raison qu'il avoit été de ses amis.
Démétrius de Phalere après avoir resté quelque-tems à Thèbes, se retira vers Ptolomée Soter, la premiere année de la cent vingtieme olympiade. Ce prince, recommandable par sa libéralité, la noblesse de ses sentimens, & sa débonnaireté à l'égard de ses amis, étoit le réfuge de tous les malheureux. Démétrius en fut bien reçu ; &, selon Elien, Ptolomée lui donna la fonction de veiller à l'observation des lois de l'état. Il tint le premier rang parmi les amis de ce roi ; il vécut dans l'abondance de toutes choses, & se trouva en état d'envoyer des présens à ses amis d'Athènes : c'étoit de ces véritables amis, dont Démétrius disoit, " qu'ils ne venoient dans la prospérité, qu'après qu'on les avoit mandés ; mais que dans l'adversité ils se présentoient toujours sans qu'on les eût priés ".
Il s'occupa pendant son exil à composer plusieurs ouvrages sur le gouvernement, sur les devoirs de la vie civile ; & cette occupation étoit pour son esprit une espece de nourriture, qui entretenoit en lui le goût de l'urbanité attique. Mais un ouvrage dont plusieurs auteurs lui font honneur, c'est l'établissement de la fameuse bibliotheque d'Alexandrie.
Aristée, Aristobule, philosophe péripatéticien, juif, Josephe, Tertullien, Clément d'Alexandrie, S. Cyrille de Jérusalem, S. Epiphane, S. Jerôme, S. Augustin, & plusieurs autres écrivains chrétiens, qui ont parlé de cette bibliotheque, & de la traduction des septante, disent tous que cet établissement fut commis aux soins de Démétrius de Phalere. Les auteurs payens ont à la vérité parlé de la bibliotheque d'Alexandrie, mais ils ne font point mention de Démétrius. Joseph Scaliger s'est déclaré ouvertement contre le sentiment des auteurs chrétiens, fondé sur ce que Démétrius ayant été l'objet de la haine de Ptolémée Philadelphe, il n'avoit pû être l'instrument dont ce prince s'étoit servi pour cet établissement.
Quoi qu'il en soit, Démétrius de Phalere vécut paisiblement en Egypte pendant dix-neuf ou vingt ans, sous le gouvernement tranquille de Ptolémée Soter. Ce prince, deux ans avant sa mort, prit la résolution d'abdiquer la royauté, & de la céder à Ptolomée Philadelphe, malgré les raisons qu'employa Démétrius pour l'en dissuader ; bien-tôt après, il eut tout lieu de se repentir de ses avis ; car Soter étant mort l'année suivante, Ptolémée Philadelphe, instruit du conseil que Démétrius avoit donné à son pere, le rélegua dans une province, où il mena une vie fort triste, & mourut enfin de la piquûre d'un aspic, âgé d'environ 67 ans, dans la troisieme ou quatrieme année de la cent vingt-quatrieme olympiade. Ciceron nous apprend qu'il mourut volontairement, & de la même maniere que Cléopatre se fit mourir depuis. Video, dit-il, (Orat. pro Rabirio) Demetrium, & ex republicâ Atheniensium, quam optimè digesserat, & ex doctrina nobilem & clarum, qui Phalereus vocitatus est, in eodem isto Aegyptii regno, aspide ad corpus admotâ, vitâ esse privatum. Il fut enterré près de Diospolis dans le canton de Busiris. Extrait des mém. de littérat. t. VIII. in-4°.
2°. Phalerum est encore le nom d'une ville de Thessalie, selon Suidas & Etienne le géographe. Les habitans de cette ville sont appellés Phalerenses par Strabon. (D.J.)
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PHALEUCE | ou PHALEUQUE, s. m. (Belles lettres) dans la poésie grecque & latine. C'est une sorte de vers de cinq piés, dont le premier est un spondée, le second un dactyle, & les trois derniers sont des trochées : on l'appelle aussi hendecassyllabe, parce qu'il est composé d'onze syllabes, comme
Numquam divitias deos rogavi,
Contentus modicis, meoque laetus. Martial.
Ce vers est très propre pour l'épigramme & pour les poésies légeres. Catulle y excelloit. On prétend qu'il a tiré son nom de Phaleucus, qui l'inventa.
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PHALLIQUES | (Antiq. grecq.) fêtes que l'on célebroit à Athènes en l'honneur de Bacchus. Elles furent instituées par un habitant d'Eleuthere nommé Pégase, à l'occasion qu'on va dire. Pégase ayant porté des images de Bacchus à Athènes, s'attira la risée & le mépris des Athèniens. Peu après ils furent frappés d'une maladie épidémique, qu'ils regarderent comme une vengeance que le dieu tiroit d'eux. Ils envoyerent aussi-tôt à l'oracle pour avoir le remede au mal présent, & pour reparer l'injure qu'ils avoient faite à Bacchus. On leur répondit, qu'ils devoient recevoir dans leur ville ce dieu en pompe, & lui rendre de grands honneurs. On fit faire des figures de Bacchus, qu'on porta en procession dans toute la ville, & on attacha aux thyrses des représentations des parties malades, comme pour marquer que c'étoit au dieu qu'on en devoit la guérison. Cette fête fut continuée dans la suite un jour chaque année.
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PHALLOPHORE | S. m. (Antiq. grecq. & rom.) les phallophores étoient les ministres des Orgyes, ceux qui portoient le phallus dans les fêtes de Bacchus ; ils couroient les rues barbouillés de lie de vin, couronnés de lierre, & chantant en l'honneur du dieu, des cantiques dignes de leurs fonctions.
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PHALLUS | S. m. (Littérat.) c'est cette figure scandaleuse à nos yeux, du dieu des jardins, la même que l'on portoit en Grece aux fêtes de Bacchus, & plus anciennement encore aux fêtes d'Osiris. La coutume des bramines qui portent encore en procession le phallus des Egyptiens, est bien étrange pour nos moeurs. Nos idées de bienséance nous font penser, dit M. de Voltaire, qu'une cérémonie qui nous paroit si infâme, n'a été inventée que par la débauche ; mais, ajoute le même écrivain, il n'est guere croyable que la dépravation des moeurs ait jamais chez aucun peuple, établi des cérémonies religieuses. Il est probable au contraire que cette coutume fut introduite dans des tems de simplicité, & qu'on ne pensa d'abord qu'à honorer la divinité dans le symbole de la vie qu'elle nous a donnée. Une telle cérémonie a dû ensuite inspirer la licence à la jeunesse, & paroître ridicule aux esprits sages, dans des tems plus raffinés, plus corrompus & plus éclairés ; mais l'ancien usage a subsisté malgré les abus ; & il n'y a guere de peuple qui n'ait conservé quelque cérémonie qu'on ne peut ni approuver ni abolir. (D.J.)
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PHALMAN | S. m. (Hist. nat.) monstre marin dont il est fait mention dans les auteurs arabes. Selon eux, on le trouve sur la côte de Tartarie, en une contrée appellée Dist.
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PHALTZBOURG | (Géog. mod.) petite ville de France, entre l'Alsace & la Lorraine, avec titre de principauté. C'est une place d'importance pour la communication des trois évêchés, de Mets, Toul & Verdun. Elle est sur une hauteur au pié des montagnes de Vosge, à 2 lieues de Saverne, 11 N. O. de Strasbourg, 92. E. de Paris. Long. 34. 56. 17. lat. 48. 46.
La ville de Phaltzbourg appartenoit aux ducs de Lorraine, mais elle a été cédée à la France avec ses dépendances, par le traité de Vincennes, en 1661, ensuite par celui de Ryswik en 1697, & finalement par celui de Paris en 1718. (D.J.)
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PHAMÉNOTH | S. m. (Calend. égyptien) nom que les Egyptiens donnent au septieme mois de leur année. Il commence le 25 Février du calendrier Julien.
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PHANEUS | (Mythol.) les peuples de l'île de Chio honoroient Apollon sous le nom de Phaneus ; c'est-à-dire celui qui donne la lumiere, de , luire, éclairer.
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PHANTASE | S. m. (Mythol.) divinité trompeuse qui enchantoit les sens de ceux qui veilloient ou qui dormoient. Ce dieu malfaisant, environné d'une foule innombrable de mensonges aîlés qui voltigent autour de lui, répandoit de nuit ou de jour une liqueur subtile sur les yeux de ceux qu'il vouloit décevoir. Dès ce moment leurs reves les abusoient ; & quand ils étoient levés, ils n'éprouvoient pas de moindres illusions, ils ne voyoient rien de véritable ; enfin de fausses images de ce qu'ils regardoient, se présentoient également à leur vûe pour les tromper. Ce sont-là les erreurs de l'imagination, & c'est des phantômes qu'elle se fait, que le mot de phantase a tiré sa naissance.
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PHANTASTIQUE | en Musique, stile phantastique, c'est-à-dire, maniere de composition libre & aisée, propre aux instrumens. Voyez STYLE & COMPOSITION. (S)
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PHANTOME | S. m. (Théolog. payenne) spectre effrayant. La même source d'où sont venus les oracles, a donné naissance aux phantômes. On se forgea des dieux qui n'inspiroient que la terreur & la crainte des maux qu'on les croyoit capables de faire : ayant plus de part à la religion des peuples, que la confiance & l'amour de la justice, les esprits s'occuperent des idées de leurs divinités redoutables, sous des figures monstrueuses, qui ne pouvoient manquer d'altérer l'imagination des enfans. Ces vains phantômes les tenoient dans une frayeur terrible, qui duroit quelquefois autant que leur vie.
Mais les poëtes ôterent aux phantômes leur appareil ridicule, pour ne les considérer que comme des illusions que les dieux employoient quelquefois à tromper les hommes ; c'est ainsi que dans Virgile, Junon voulant sauver Turnus, & le tirer de la mêlée où il exposoit témérairement sa valeur, forma d'une épaisse nuée, le phantôme d'Enée, auquel elle donna les armes, la démarche & le son de voix du prince troyen. Elle présente ce phantôme devant Turnus, qui ne manqua pas d'abord de l'attaquer ; le faux Enée se sauve, & Turnus le poursuivit jusques dans un vaisseau qui se trouvoit au port : alors la déesse pousse le vaisseau en pleine mer, & fait disparoître le rival imaginaire du prince Rutule.
Quò fugis Aenea, thalamos ne desere pactos ?
Talia vociferans, sequitur, strictumque coruscat
Mucronem, nec ferre videt sua gaudia ventos.
Aeneïd. lib. 10. v. 649.
" Où fuis-tu Enée, s'écrie-t-il, n'abandonne pas l'épouse qui t'est promise " ? En parlant ainsi, il poursuit un phantôme, l'épée à la main, & ne voit pas que les vents emportent sa fausse joie. (D.J.)
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PHARAE | (Géog. anc.) il y a plusieurs villes de ce nom, savoir, 1°. celle de l'Achaïe propre, selon Polybe, liv. II. n °. 41. & Etienne le géographe, qui connoit dans la même contrée une ville nommée Pharae.
Il se pourroit fort bien faire que cette derniere seroit la même que Pharae, que Ptolomée, liv. III. chap xvj. appelle aussi Pherae, il la met dans les terres ; mais suivant l'ordre dans lequel Strabon, livre VIII. pag. 388. qui écrit Phara, place cette ville, elle ne devoit pas être bien éloignée de la mer.
2°. Pharae du Péloponnèse, près du golfe Messéniaque : Ptolomée, liv. III. ch. xvj. qui écrit Pherae, la place au-delà du fleuve Pamisus ; & Pausanias, l. Messen. ch. xxxj. dit qu'elle étoit presque à 6 stades de la mer.
3°. Pharae de l'île de Crete, selon Etienne le géographe, qui dit que c'étoit une colonie des Messéniens. Pline, liv. IV. chap. xij. fait aussi mention de cette ville. (D.J.)
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PHARAN | (Géog. anc.) 1°. désert de l'Arabie pétrée, au midi de la terre promise, au nord & à l'orient du golfe Elanitique ; il en est beaucoup parlé dans l'Ecriture ; la plûpart des demeures de ce pays étoient creusées dans le roc.
2°. Pharan, ville de l'Arabie pétrée, située à trois journées de la ville d'Elat ou Ailat, vers l'orient : c'est cette ville qui donnoit le nom au desert de Pharan.
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PHARANGIUM | (Géog. anc.) forteresse de la Perse arménienne. Procope, liv. II. ch. xxv. dans son histoire de la guerre contre les Perses, dit qu'il y avoit des mines d'or aux environs, & que Cavade à qui le roi de Perse en avoit donné la direction, livra le fort de Pharangium aux Romains, à la charge qu'il ne leur donneroit rien de l'or qu'il tiroit des mines. Procope dit plus bas, liv. II. ch. xxix. que le fleuve Boas prend sa source dans le pays des Arméniens qui habitent Pharangium, proche des frontieres des Traniens. (D.J.)
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PHARAON | S. m. (Jeu de hasard) les principales regles de ce jeu sont,
Que le banquier taille avec un jeu entier composé de cinquante-deux cartes.
Qu'il tire toutes les cartes de suite, mettant les unes à sa droite, & les autres à sa gauche.
Qu'à chaque main on taille, c'est-à-dire de deux en deux cartes : le ponte a la liberté de prendre une ou plusieurs cartes, & de hasarder dessus une certaine somme.
Que le banquier gagne la mise du ponte, lorsque la carte du ponte arrive à la main droite dans un rang impair, & qu'il perd, lorsque la carte du ponte tombe à la main gauche, & dans un rang pair.
Que le banquier prend la moitié de ce que le ponte a mis sur la carte, lorsque dans une même taille, la carte du ponte vient deux fois ; ce qui fait une partie de l'avantage du banquier.
Et enfin que la derniere carte qui devroit être pour le ponte, n'est ni pour lui, ni pour le banquier ; ce qui est encore un avantage pour le banquier ;
D'où l'on voit, 1°. que la carte du ponte n'étant plus qu'une fois dans le talon, la différence du sort du banquier & du ponte est fondée sur ce qu'entre tous les divers arrangemens possibles des cartes du banquier, il y en a un plus grand nombre qui le font gagner, qu'il n'y en a qui le font perdre, la derniere carte étant considérée comme nulle ; 2°. que l'avantage du banquier augmente à mesure que le nombre des cartes du banquier diminue ; 3°. que la carte du ponte étant deux fois dans le talon, l'avantage du banquier se tire de la probabilité qu'il y a que la carte du ponte viendra deux fois dans une même taille ; car alors le banquier gagne la moitié de la mise du ponte, excepté le seul cas où la carte du ponte viendroit en doublet dans la derniere taille, ce qui donneroit au banquier la mise entiere du ponte ; 4°. que la carte du ponte étant trois ou quatre fois dans la main du banquier, l'avantage du banquier est fondé sur la possibilité qu'il y a que la carte du ponte se trouve deux fois dans une même taille, avant qu'elle soit venue en pur gain ou en pure perte pour le banquier. Or cette possibilité augmente ou diminue, selon qu'il y a plus ou moins de cartes dans la main du banquier, & selon que la carte du ponte s'y trouve plus ou moins de fois.
D'ou l'on conclud encore que pour connoître l'avantage du banquier, par rapport aux pontes, dans toutes les différentes circonstances du jeu, il faut découvrir dans tous les différens arrangemens possibles des cartes que tient le banquier & dans la supposition que la carte s'y trouve, ou une, ou deux, ou trois ou quatre fois, quels sont ceux qui le font gagner, quels sont ceux qui lui donnent la moitié de la mise du ponte, quels sont ceux qui le font perdre, & quels sont ceux enfin qui ne le font ni perdre ni gagner.
On peut former deux tables de tous ces différens hasards. Pour en connoître l'usage, dans la premiere, le chiffre renfermé dans la cellule exprimeroit le nombre des cartes que tient le banquier ; & le nombre qui suit, ou la cellule dans la premiere colonne, ou deux points dans les autres colonnes, exprimeroient le nombre de fois que la carte du ponte est supposée se trouver dans la main du banquier.
L'usage de la seconde table seroit de donner des expressions, à la vérité moins exactes, mais plus simples & plus intelligibles aux joueurs : pour entendre cette table, il faut savoir que ce signe > marque excès, & que celui-ci 1/4 < 1/3 signifie plus grand que 1/4, & plus petit que 1/3.
En examinant ces tables, on verroit dans la premiere colonne que l'avantage du banquier est exprimé dans la premiere colonne par une fraction dont le numérateur étant toujours l'unité, le dénominateur est le nombre des cartes que tient le banquier.
Dans la seconde colonne, que cet avantage est exprimé par une fraction dont le numérateur étant selon la suite des nombres naturels, 1, 2, 3, 4, &c. le dénominateur a pour différence entre ces termes les nombres 8, 26, 34, 42, 50, 58, dont la différence est 8.
Que dans la troisieme colonne, le numérateur étant toujours 3, la différence qui regne dans le dénominateur est 8.
Que dans la quatrieme colonne la différence étant toujours 4 dans le dénominateur, le dénominateur a pour différence entre ses termes, les nombres 24, 40, 56, 72, 88, & dont la différence est 16.
Qu'une autre uniformité assez singuliere entre les derniers chiffres du dénominateur de chaque terme d'une colonne, c'est que dans la premiere les derniers chiffres du dénominateur sont selon cet ordre, 4, 6, 8, 0, 2, | 4, 6, 8, 0, 2 ; & dans la seconde selon cet ordre, 2, 0, 6, 0, 2, | 2, 0, 6, 0, 2, | 2, 0, 6, 0, 2 ; & dans la troisieme selon cet ordre, 2, 0, 8, 6, 4, | 2, 0, 8, 6, 4 ; & dans la quatrieme selon cet ordre, 6, 0, 0, 6, 8 ; | 6, 0, 0, 6, 8, &c.
On pourroit par le moyen de ces tables, trouver tout d'un coup combien un banquier a d'avantage sur chaque carte, combien chaque taille complete aura dû, à fortune égale, apporter de profit au banquier, si l'on se souvient du nombre de cartes prises par les pontes, des diverses circonstances dans lesquelles on les a mises au jeu, & enfin de la quantité d'argent hasardé sur ces cartes.
On donneroit de justes bornes à cet avantage, en établissant que les doublets fussent indifférens pour le banquier & pour le ponte, ou du-moins qu'ils valussent seulement au banquier le tiers ou le quart de la mise du ponte.
Afin que le ponte prenant une carte ait le moins de désavantage possible, il faut qu'il en choisisse une qui ait passé deux fois ; il y auroit plus de désavantage pour lui, s'il prenoit une carte qui eût passé une fois ; plus encore sur une carte qui auroit passé trois fois, & le plus mauvais choix seroit d'une carte qui n'auroit point encore passé.
Ainsi, en supposant A = une pistole, l'avantage du banquier qui seroit 19 sols 2 deniers, dans la supposition que la carte du ponte fût quatre fois dans douze cartes, deviendra 16 sols 8 deniers si elle n'y est qu'une fois ; 13 sols 7 deniers si elle y est trois fois ; & 10 sols 7 deniers si elle n'y est que deux fois.
Les personnes qui n'ont pas examiné le fond du jeu demanderont pourquoi on n'a rien dit des masses, des parolis, de la paix, & des sept & le va, c'est que tout cela ne signifie rien, qu'on risque plus ou moins, & puis c'est tout ; les changes ne changent point.
L'avantage du banquier augmente à proportion que le nombre de ses cartes diminue.
L'avantage du banquier sur une carte qui n'a point passé, est presque double de celui qu'il a sur une carte qui a passé deux fois ; son avantage sur une carte qui a passé trois fois est à son avantage sur une carte qui a passé deux fois dans un plus grand rapport que de trois à deux.
L'avantage du banquier qui ne seroit qu'environ 24 sols si le ponte mettoit six pistoles ou à la premiere taille du jeu, ou sur une carte qui auroit passé deux fois, lorsqu'il n'en resteroit plus que vingt-huit dans la main du banquier (car ces deux cas reviennent à-peu-près à la même chose) sera 7 livres 2 sols si le ponte met six pistoles sur une carte qui n'ait point encore passé, le talon n'étant composé que de dix cartes.
L'avantage du banquier seroit précisément de six livres, si la carte du ponte, dans ce dernier cas, passe trois fois.
Ainsi, toute la science du pharaon se réduit pour les pontes à l'observation des deux regles suivantes.
Ne prendre des cartes que dans les premieres tailles, & hasarder sur le jeu d'autant moins qu'il y a un plus grand nombre de tailles passées.
Regarder comme les plus mauvaises cartes celles qui n'ont point encore passé, ou qui ont passé trois fois, & préférer à toutes, celles qui ont passé deux fois.
C'est ainsi que le ponte rendra son désavantage le moindre possible.
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PHARE | S. m. (Littérature) tour construite à l'entrée des ports ou aux environs, laquelle par le moyen des feux qu'on y tient allumés, sert sur mer à guider pendant la nuit ceux qui approchent des côtes.
Ces tours étoient en usage dès les plus anciens tems. Leschès, auteur de la petite Iliade, qui vivoit en la trentieme olympiade, en mettoit une au promontoire de Sigée, auprès duquel il y avoit une rade où les vaisseaux abordoient. Il y avoit des tours semblables dans le pirée d'Athènes & dans beaucoup d'autres ports de la Grece. Elles étoient d'abord d'une structure fort simple ; mais Ptolomée Philadelphe en fit faire une dans l'ile de Pharos, si grande & si magnifique, que quelques-uns l'ont mise parmi les merveilles du monde. Cette tour, élevée l'an 470 de la fondation de Rome, prit bien-tôt le nom de l'île ; on l'appella le phare, nom qui depuis a été donné à toutes les autres tours servant au même usage. Voici l'histoire des phares d'après un mémoire de dom Bernard de Montfaucon, inséré dans le recueil de Littér. tom. VI.
Les rois d'Egypte joignirent l'île de Pharos à la terre par une chaussée, & par un pont qui alloit de la chaussée à l'île. Elle avoit un promontoire ou une roche contre laquelle les flots de la mer se brisoient. Ce fut sur cette roche que Ptolomée fit bâtir de pierre blanche la tour du phare, ayant plusieurs étages voûtés, à-peu-près comme la tour de Babylone, qui étoit à huit étages, ou plutôt, comme Hérodote s'exprime, à huit tours l'une sur l'autre.
L'extraordinaire hauteur de cette tour faisoit que le feu que l'on allumoit dessus paroissoit comme une lune, c'est ce qui a fait dire à Stace :
Lumina noctivagae tollit Paros aemula lunae.
Mais quand on le voyoit de loin, il sembloit plus petit, & avoit la forme d'une étoile assez élevée sur l'horison, ce qui trompoit quelquefois les mariniers, qui croyant voir un de ces astres qui les guidoient pour la navigation, tournoient leurs proues d'un autre côté, & alloient se jetter dans les sables de la Marmarique.
Le géographe de Nubie, auteur qui écrivoit il y a environ 650 ans, parle de la tour du phare comme d'un édifice qui subsistoit encore de son tems : il l'appelle un candélabre, à cause du feu & de la flamme qui y paroissoit toutes les nuits. Il n'y en a point, dit-il, de semblables dans tout l'univers ; quand à la solidité de sa structure, elle est bâtie de pierres très-dures jointes ensemble avec des ligatures de plomb. La hauteur de la tour, poursuit-il, est de trois cent coudées ou de cent statures ; c'est ainsi qu'il s'exprime pour marquer que la tour avoit la taille de cent hommes, en comptant trois coudées pour la taille d'un homme. Selon la description du même auteur, il falloit qu'elle fut fort large en bas, puisqu'il dit qu'on y avoit bâti des maisons. Il ajoute que cette partie d'en bas, qui étoit si large, occupoit la moitié de la hauteur de cette tour ; que l'étage qui étoit au-dessus de la premiere voûte étoit beaucoup plus étroit que le précédent, ensorte qu'il laissoit une galerie où l'on pouvoit se promener. Il parle plus obscurément des étages supérieurs, & il dit seulement qu'à mesure qu'on monte, les escaliers sont plus courts, & qu'il y a des fenêtres de tous côtés pour éclairer les montées.
Pline dit que ce phare coûta huit cent talens, qui à raison de quatre cent cinquante livres sterlings pour chaque talent, supposé que ce soit monnoie d'Alexandrie, font la somme de trois cent soixante mille livres sterlings. Sostrate Gnidien qui en fut l'architecte, sentant tout le prix de son travail, craignit l'envie & la basse jalousie, de tout tems ennemies du vrai mérite, s'il en faisoit parade & s'il ne l'appuyoit d'une puissante protection. Touché également de l'amour de la gloire & de celui du repos, il voulut concilier l'un avec l'autre. Dans cette vûe il dédia ce phare au roi, par une inscription toute à son avantage ; mais il ne la grava que sur du plâtre, proprement plaqué sur une autre inscription contenant ces mots : Sostrate Gnidien, fils de Dixiphane, a consacré cet ouvrage aux dieux nos conservateurs & au salut des navigateurs. Par cet artifice la premiere dédicace ne subsista guere que pendant la vie du roi, le plâtre se détruisant peu-à-peu, & l'autre parut alors, & a transmis le nom de Sostrate à la postérité. Fischer a représenté le phare de Sostrate dans son Essai d'Architecture historique, planche IX. liv. I.
Le phare d'Alexandrie, qui communiqua son nom à tous les autres, leur servit aussi de modele. Hérodien nous apprend qu'ils étoient tous de la même forme. Voici la description qu'il en donne à l'occasion de ces catafalques qu'on dressoit aux funérailles des empereurs. " Au-dessus du premier quarré il y a un autre étage plus petit, orné de même, & qui a des portes ouvertes ; sur celui-là il y en a un autre, & sur celui-ci encore un autre, c'est-à-dire jusqu'à trois ou quatre, dont les plus hauts sont toujours de moindre enceinte que les plus bas, de sorte que le haut est le plus petit de tous ; tout le catafalque est semblable à ces tours qu'on voit sur les ports & qu'on appelle phares, où l'on met des feux pour éclairer les vaisseaux, & leur donner moyen de se retirer en lieu sûr ".
Il y a eu plusieurs phares en Italie. Pline parle de ceux de Ravenne & de Pouzzol ; Suétone fait aussi mention du phare de l'île de Caprée, qu'un tremblement de terre fit tomber peu de jours avant la mort de Tibere. il ne faut pas douter qu'on n'en ait fait encore bien d'autres.
Denis de Bysance, géographe, cité par Pierre Gilles, fait la description d'un phare célebre situé à l'embouchure du fleuve Chrysorrhoas, qui se dégorgeoit dans le Bosphore de Thrace. Au sommet de la colline, dit-il, au bas de laquelle coule le Chrysorrhoas, on voit la tour Timée d'une hauteur extraordinaire, d'où l'on découvre une grande plage de mer, & que l'on a bâtie pour la sûreté de ceux qui navigeoient, en allumant des feux à son sommet pour les guider, ce qui étoit d'autant plus nécessaire que l'un & l'autre bord de cette mer est sans ports, & que les ancres ne sauroient prendre à son fond ; mais les Barbares de la côte allumoient d'autres feux aux endroits les plus élevés des bords de la mer pour tromper les mariniers & profiter de leur naufrage, lorsque se guidant par ces faux signaux, ils alloient se briser sur la côte ; à-présent, poursuit cet auteur, la tour est à-demi ruinée, & l'on n'y met plus de fanal.
Un des plus célebres phares que l'on connoisse, & qui subsistoit encore en 1643, c'est celui de Boulogne sur mer, Bononia, qui s'appelloit aussi autrefois Gessoriacum. Il semble qu'il n'y ait pas lieu de douter que ce ne soit de ce phare dont parle Suétone dans la vie de l'empereur Caïus Caligula qui le fit bâtir. Il a d'autant plus lieu de croire que l'histoire ne fait mention que d'un phare bâti sur cette côte, & qu'on n'y a jamais remarqué de trace d'aucun autre.
Cette tour fut élevée sur le promontoire ou sur la falaise qui commandoit au port de la ville. Elle étoit octogone ; chacun des côtés avoit, selon Bucherius, vingt-quatre ou vingt-cinq piés. Son circuit étoit donc d'environ deux cent piés, & son diametre de soixante-six. Elle avoit douze entablemens ou especes de galeries qu'on voyoit au-dehors, en y comprenant celle d'en bas cachée par un petit fort que les Anglois avoient bâti tout-autour quand ils s'en rendirent maîtres en 1545. Chaque entablement ménagé sur l'épaisseur du mur de dessous, faisoit comme une petite galerie d'un pié & demi ; ainsi ce phare alloit toujours en diminuant, comme nous avons vû des autres phares.
Ce phare étoit appellé depuis plusieurs siecles turris ordans, ou turris ordensis. Les Boulonnois l'appelloient la tour d'ordre. Plusieurs croyent, avec assez d'apparence, que turris ordans ou ordensis s'étoit fait de turris ardens, la tour ardente, ce qui convenoit parfaitement à une tour où le feu paroissoit toutes les nuits.
Comme il n'y a point d'ouvrage fait par la main des hommes qui ne périsse enfin, soit par l'injure du tems, soit par quelqu'autre accident, la tour & la forteresse tomberent. Voici comment ; cette partie de la falaise ou de la roche qui avançoit du côté de la mer, étoit comme un rempart qui mettoit la tour & la forteresse à couvert contre la violence des marées & des flots ; mais les habitans y ayant ouvert des carrieres pour vendre de la pierre aux Hollandois & à quelques villes voisines, tout ce devant se trouva à la fin dégarni, & alors la mer ne trouvant plus cette barriere, venoit se briser au-dessous de la tour, & en détachoit toujours quelques pieces ; d'un autre côté, les eaux qui découloient de la falaise, minoient insensiblement la roche, & creusoient sous les fondemens du phare & de la forteresse, desorte que l'an 1644, le 19 de Juillet, la tour & la forteresse tomberent en plein midi. C'est encore un bonheur qu'un boulonnois, plus curieux que ses compatriotes, nous ait conservé la figure de ce phare ; il seroit à souhaiter qu'il se fût avisé de nous instruire de même sur les dimensions.
Ce phare, bâti par les Romains, éclairoit les vaisseaux qui passoient de la Grande-Bretagne dans les Gaules. Il ne faut point douter qu'il n'y en eût aussi un à la côte opposée, puisqu'il y étoit aussi nécessaire pour guider ceux qui passoient dans l'île. Plusieurs personnes croyent que la vieille tour qui subsiste aujourd'hui au milieu du château de Douvre, étoit le phare des Romains : d'autres pensent que ce phare étoit situé où est le grand monceau de pierres & de chaux qu'on voit auprès du château de Douvre, & que les gens du pays appellent la goutte du diable.
L'archevêque de Cantorbéry envoya au P. Montfaucon un plan de ce qu'il croyoit être le phare de Douvre. En fouillant dans un grand monceau de masures, par l'ordre de cet archevêque, on trouva un phare tout-à-fait semblable à celui de Boulogne, sans aucune différence, ce qui fait juger que celui qui est encore aujourd'hui sur pié, ne fut fait que quand l'ancien eût été ruiné.
Le nom de phare s'étendit bien davantage que celui de mausolée. Grégoire de Tours le prend en un autre sens. On vit, dit-il, un phare de feu qui sortit de l'église de saint Hilaire, & qui vint fondre sur le roi Clovis. Il se sert aussi de ce nom pour marquer un incendie : ils mirent, dit-il, le feu à l'église de saint Hilaire, & firent un grand phare ; & pendant que l'église brûloit, ils pillerent le monastere : un brûleur d'église étoit par conséquent un faiseur de phares.
On appella phares dans des tems postérieurs, certaines machines où l'on mettoit plusieurs lampes ou plusieurs cierges, & qui approchoient de nos lustres ; elles étoient de diverses formes.
Ce mot phare a encore été pris en un sens plus métaphorique ; on appelle quelquefois phare tout ce qui éclaire en instruisant, & même les gens d'esprit qui servent à éclairer les autres : c'est en ce sens que Ronsard disoit à Charles IX.
Soyez mon phare, & garde d'abymes
Ma nef qui tombe en si profonde mer.
(Le chevalier DE JAUCOURT ).
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PHARÈS | (Géog. anc.) ville d'Achaïe, où Mercure & Vesta avoient conjointement un oracle célebre. Auguste réunit cette ville au domaine de Patra ; voici ce qu'en dit Pausanias.
On compte de Pharès à Patra, environ cent cinquante stades, & de la mer au continent, on en compte environ soixante-dix. Le fleuve Piérus passe fort près des murs de Pharès ; c'est le même qui baigne les ruines d'Olene, & qui est appellé Piérus du côté de la mer. On voit sur ses rives comme une forêt de platanes, vieux, creux pour la plûpart, & en même tems d'une si prodigieuse grosseur, que plusieurs personnes y peuvent manger & dormir comme dans un antre.
La place publique de Pharès, continue Pausanias, est bâtie à l'antique, & son circuit est fort grand. Au milieu vous voyez un Mercure de marbre qui a une grande barbe ; c'est une statue de médiocre grandeur, de figure quarrée, qui est debout à terre, sans piédestal. L'inscription porte que cette statue a été posée par Simylus Messénien, & que c'est Mercure Agoreus, ou le dieu du marché : on dit que ce dieu y rend des oracles.
Immédiatement devant sa statue, il y a une Vesta qui est aussi de marbre ; la déesse est environnée de lampes de bronze, attachées les unes aux autres, & soudées avec du plomb. Celui qui veut consulter l'oracle, fait premierement sa priere à Vesta, il l'encense, il verse de l'huile dans toutes les lampes & les allume, puis s'avançant vers l'autel, il met dans la main droite de la statue une petite piece de cuivre, c'est la monnoie du pays ; ensuite il s'approche du dieu, & lui fait à l'oreille telle question qu'il lui plaît. Après toutes ces cérémonies, il sort de la place en se bouchant les oreilles avec les mains ; dès qu'il est dehors, il écoute les passans, & la premiere parole qu'il entend, lui tient lieu d'oracle ; la même chose se pratique chez les Egyptiens dans le temple d'Apis.
Une autre curiosité de la ville de Pharès, c'est un vivier, que l'on nomme hama, & qui est consacré à Mercure avec tous les poissons qui sont dedans, c'est pourquoi on ne le pêche jamais. Près de la statue du dieu, il y a une trentaine de grosses pierres quarrées, dont chacune est honorée par les habitans sous le nom de quelque divinité ; ce qui n'est pas fort surprenant, car anciennement les Grecs rendoient à des pierres toutes brutes les mêmes honneurs qu'ils ont rendus depuis aux statues des dieux.
A quinze stades de la ville, les Dioscures ont un bois sacré tout planté de lauriers ; on n'y voit ni temples, ni statues ; mais si l'on en croit les habitans, il y a eu autrefois dans ce lieu nombre de statues qui ont été transportées à Rome ; présentement il n'y reste qu'un autel qui est bâti de très-belles pierres. Au reste, je n'ai pû savoir si c'est Pharès, fils de Philodamie, & petit-fils de Danaüs, qui a bâti la ville de Pharès, ou si c'en est un autre ; ce récit de Pausanias contient bien des choses curieuses, entre lesquelles il faut mettre l'oracle singulier de cette ville. (D.J.)
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PHARICUM | S. m. (Hist. des poisons) nom d'un poison violent, qui par bonheur est inconnu aux modernes. Scribonius Largus nous apprend, n°. 195. qu'il étoit composé de plusieurs ingrédiens ; mais on n'en connoît aujourd'hui aucun. (D.J.)
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PHARINGÉE | en Anatomie, nom des arteres qui se distribuent au pharinx. Haller, icon. Anat. fasc. 2. & 3.
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PHARINGO-PALATIN | PHARINGO-PALATIN
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PHARINGO-STAPHILIN | en Anatomie, nom d'une paire de muscles de la luette qui viennent de chaque côté des parties latérales du pharinx & se terminent au voile du palais.
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PHARINGOTOME | S. m. instrument de Chirurgie, dont on se sert pour scarifier les amygdales enflammées, & si gonflées, qu'elles empêchent la déglutition & menacent de suffocation, ou pour ouvrir les abscès dans le fond de la gorge.
Ce mot est grec , formé de , pharinx, gosier, & de , sectio, incisio, section, incision.
Cet instrument imaginé par M. Petit est une lancette cachée dans une cannule ou gaîne d'argent, & que l'on porte dans le fond de la bouche sans aucun risque, & sans que les malades, qui pour l'ordinaire craignent beaucoup les instrumens tranchans, s'en apperçoivent. fig. 3. Pl. XXIII.
Le pharingotome est composé de trois parties ; d'une cannule, d'un stilet & d'un ressort. Voyez la fig.
La cannule se divise en deux parties ; la supérieure qui forme le manche de l'instrument ressemble à une petite seringue à injection ; c'est une petite canonniere exactement cylindrique. Ce cylindre est creux, fort poli en-dedans, & long de deux pouces sur six lignes de diametre. On fait souder sur le milieu de cette canonniere un anneau, exactement rond & poli sur le côté parallele au tranchant de la lancette ; on passe le doigt du milieu dans cet anneau lorsqu'on tient l'instrument.
La partie inférieure de la cannule est un fourreau ou gaîne d'argent, de même que le cylindrique. Sa longueur est de quatre pouces & demi, sa largeur de quatre lignes, & son diametre d'une ligne & un tiers y compris la cavité. Ce fourreau ne doit pas être soudé à la partie inférieure de la canonniere ; il faut qu'il s'y monte par le moyen d'une vis, pour pouvoir nettoyer l'instrument avec facilité, après une opération qui a couvert de pus ou de sang la lancette, qui rentre dans le fourreau dès que les incisions convenables sont faites.
La gaîne doit être légerement courbe, de façon que la convéxité se trouve formée par un des côtés du fourreau, & la cavité par l'autre ; cette légere courbure permet à l'oeil de voir l'endroit abscedé ou gonflé où l'on veut opérer, avantage que n'auroit point une gaîne droite.
La seconde partie du pharingotome est le stilet, ou pour mieux dire le mandrin ; sa matiere est d'argent comme toute la gaîne, & il est de deux ou trois lignes plus long qu'elle ; les deux tiers de son corps doivent être applatis, afin de cadrer avec la cavité du fourreau ou gaîne. Ses deux extrémités sont différemment construites, car l'une est émincée pour y souder une lancette à grain d'orge, assez forte pour résister & ne pas s'émoucheter ; l'autre extrémité est exactement ronde, & représente un petit cylindre dans l'étendue de deux travers de doigts, au bout duquel on fait faire un petit bouton en forme de pomette, & garni sur son sommet de petites cannelures radieuses pour recevoir le pouce par une surface inégale.
Un pouce ou environ au-dessous de cette pomme, il y a une plaque circulaire, placée horisontalement & soudée dans cet endroit ; l'usage de cette plaque est de peser sur le ressort à boudin, de le pousser vers la partie inférieure de la canonniere, & d'empêcher le stilet de s'élever plus qu'il ne faut.
Enfin la troisieme partie du pharingotome est un ressort à boudin fait avec un ressort de montre tourné en cône ; on met ce boudin dans la canonniere, de sorte que lorsqu'on pousse le bouton du stilet, la petite plaque circulaire approche les pas de ce ressort l'un de l'autre, ce qui permet au stilet d'avancer vers l'extrémité antérieure de la gaîne, & à la lancette de sortir tout-à-fait dehors pour faire des scarifications ou ouvrir des abscès. Aussi-tôt qu'on cesse de pousser le bouton avec le pouce, le ressort l'éloigne de la canonniere, & la lancette rentre dans sa gaîne. (Y)
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PHARINX | S. m. terme d'Anatomie, qui se dit de l'ouverture supérieure de l'oesophage ou du gosier, qui est placée au fonds de la bouche, & que l'on appelle aussi fauces. Voyez OESOPHAGE & BOUCHE.
Le pharinx est cette partie, que l'on appelle plus particulierement le gosier, par où commence l'action de la déglutition, & où elle reçoit sa principale forme.
Cette fonction est aidée par tous les muscles qui composent principalement le pharinx. Voyez DEGLUTITION.
PHARINX, maladies du, (Médec.) toute la cavité postérieure du gosier appuyée sur les vertebres du col, recouverte à l'extérieur par les arteres carotides qui sont couchées dessus, par les veines jugulaires, & par la sixieme paire des nerfs, ayant pour enveloppe intérieure une membrane enduite de mucosité, rendue mobile par plusieurs muscles qui lui sont propres, se terminant à l'oesophage, destinée à la déglutition des alimens, & connue sous le nom de pharinx, est sujette à grand nombre de maladies.
Quand cette membrane se tuméfie à la suite d'une inflammation, d'un érésipele, ou d'une hydropisie, maladies qu'on distinguera les unes des autres par leurs signes caractéristiques, elle rend la déglutition douloureuse ou impossible, elle repousse les alimens par les narines, la salive s'écoule de la bouche ainsi que la mucosité, comme elle comprime le larinx qui lui est adjacent & les autres vaisseaux, elle cause plusieurs symptômes irréguliers ; cette maladie doit être traitée par des remedes appropriés & convenables à la partie.
Si cette cavité se trouve bouchée par la déglutition de quelque bol, il le faut tirer, chasser, ou ôter par l'opération de la pharingotomie ; mais la mucosité concrete, la pituite, le grumeau, les aphthes qui remplissent le pharinx, doivent être détruits par le moyen des détersifs, & rejettés au-dehors par l'excrétion ; il faut avoir recours à l'art pour déraciner le polype qui remplit ces parties.
Le resserrement naturel de ces mêmes parties est incurable ; mais celui qui est occasionné par la convulsion, trouve sa guérison dans l'usage des antispasmodiques : dans la curation de la compression extérieure, il faut avoir égard à la cause qui la produit. L'aspérité, la siccité, & l'excoriation du pharinx, se dissipent par les boissons adoucissantes ; les ulceres, les blessures, la rupture demandent les consolidans pris en petite dose. Dans la déglutition, il faut éviter tous les alimens trop durs, & n'en prendre qu'avec ménagement. La paralysie des muscles a sa cause ordinairement dans le cerveau d'une maniere peu connue ; toute métastase qui arrive à cette partie est toujours dangereuse. L'acrimonie catarreuse se trouve souvent dissipée par un gargarisme émollient, & par une boisson mucilagineuse. (D.J.)
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PHARISIEN | (Hist. & critiq. sacrée) les Pharisiens formoient la secte la plus nombreuse des Juifs, car ils avoient non-seulement les scribes & tous les savans dans leur parti, mais tout le gros du peuple. Il différoient des Samaritains, en ce qu'outre la loi, ils recevroient les prophetes & les Hagiographes, & les traditions des anciens, ils différoient des Saducéens, outre tous ces articles, en ce qu'ils croyoient la vie à venir & la résurrection des morts ; & dans la doctrine de la prédestination & du franc-arbitre.
Pour le premier de ces points, il est dit dans l'Ecriture, qu'au lieu que les Saducéens assurent qu'il n'y a point de résurrection, ni d'anges, ni d'esprits, les Pharisiens confessent l'un & l'autre, c'est-à-dire ; 1°. qu'il y a une résurrection des morts ; 2°. qu'il y a des anges & des esprits. A la vérité, selon Josephe, cette résurrection n'étoit qu'une résurrection à la pythagoricienne ; c'est-à-dire simplement un passage de l'ame dans un autre corps, où elle renaissoit avec lui.
Pour ce qui est de l'opinion des Pharisiens sur la prédestination & le franc-arbitre ; il n'est pas aisé de la découvrir au juste ; car selon Josephe, ils croyoient la prédestination absolue, aussi-bien que les Esséniens, & admettoient pourtant en même tems le libre-arbitre, comme les Saducéens. Ils attribuoient à Dieu & au destin tout ce qui se fait, & laissoient pourtant à l'homme sa liberté. Comment faisoient-ils pour ajuster ensemble ces deux choses qui paroissoient si incompatibles ? C'est ce que personne n'expliquera.
Mais le caractere distinctif des Pharisiens êtoit leur zele pour les traditions des anciens, qu'ils croyoient émanées de la même source que la parole écrite ; ils prétendoient que ces traditions avoient été données à Moïse en même tems que la parole sur le Mont-Sinaï ; & aussi leur attribuoient-ils la même autorité qu'à celle-là.
Cette secte qui faisoit son capital de travailler à leur propagation, & à les faire observer où elles étoient déja établies, commença en même tems qu'elles ; & les traditions & la secte s'accrurent si bien avec le tems, qu'enfin la loi traditionale étouffa la loi écrite ; & ses sectateurs devinrent le gros de la nation juive. Ces gens-là, en vertu de leur observation rigide de la loi ainsi grossie de leurs traditions, se regardoient comme plus saints que les autres, & se séparoient de ceux qu'ils traitoient de pécheurs & de profanes, avec qui ils ne vouloient pas seulement manger ou boire : c'est de-là que leur est venu le nom de Pharisien, du mot de pharas, qui signifie séparé, quoique cette séparation dans leur premiere intention, eût été de s'écarter du petit peuple, qu'ils appelloient am-haaretz, le peuple de la terre, & qu'ils regardoient avec un souverain mépris comme la balayure du monde ; leurs prétentions hypocrites d'une sainteté au-dessus du commun, imposerent à ce petit peuple même & l'entraînerent, par la vénération & l'admiration qu'elles lui causerent.
Notre-Seigneur les accuse souvent de cette hypocrisie, & d'anéantir la loi de Dieu par leurs traditions. Il marque plusieurs de ces traditions, & les condamne, comme nous le voyons dans l'Evangile ; mais ils en avoient encore bien d'autres, outre celles-là. Pour parler de toutes, il faudroit copier le talmud, qui n'a pas moins de douze vol. in-fol. Ce livre n'est autre chose, que les traditions que cette secte imposoit & commandoit, avec leurs explications. Quoiqu'il y en ait plusieurs qui sont impertinentes & ridicules, & que presque toutes soient onéreuses ; cette secte n'a pas laissé d'engloutir toutes les autres ; car depuis plusieurs siecles, elle n'a eu d'opposans qu'un petit nombre de Caraïtes. A cela près, la nation des Juifs, depuis la destruction du temple jusqu'à présent, a reçu les traditions pharisiennes & les observe encore avec respect.
Les Pharisiens ne se contenterent pas des vaines spéculations sur la résurrection, les anges, les esprits, la prédestination & les traditions ; ils s'intriguoient dans toutes les affaires du gouvernement, & entr'autres choses ils soutinrent sous main le parti qui ne vouloit point d'étranger pour roi. De-là vient, que pendant le ministere de notre Sauveur, ils lui proposerent malignement la question, s'il étoit permis de payer le tribut à César ou non ; car quoique la nécessité les obligeât de le payer, ils prétendoient toujours que la loi de Dieu le défendoit ; mais ce n'est pas à Notre-Seigneur seulement, qu'ils tendirent des piéges ; long-tems avant sa naissance, ils persécuterent avec violence tous ceux qui n'étoient pas de leur faction. Enfin leur tyrannie ne finit qu'avec le regne d'Aristobule, après avoir tourmenté leurs compatriotes depuis la mort d'Aléxandre Jannée. (D.J.)
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PHARMACIE | S. f. (Ordre encyclop.) La Pharmacie est la science ou l'art de recueillir, conserver, préparer & mêler certaines matieres pour en former des médicamens efficaces & agréables.
Il est dejà clair par cette définition, que la Pharmacie peut être divisée en quatre branches ou parties principales. La recette ou choix, electio, la conservation, la préparation, & le mélange ou composition.
Nous avons répandu dans les articles de détail, destinés à chaque drogue ou matiere pharmaceutique, toutes les observations qui regardent la recette ou le choix. Nous avons traité de la conservation, de la préparation, & de la composition des médicamens, dans des articles exprès & généraux, & dans un grand nombre d'articles subordonnés à ceux-là, & destinés aux divers sujets, aux diverses opérations, aux divers instrumens pharmaceutiques, aux divers produits, c'est-à-dire, aux diverses formes de remede. On trouvera donc un corps assez complet de doctrine pharmaceutique, dans les articles CONSERVATION, DESSICCATION, COMPOSITION, DISPENSATION, FRUITS, FLEURS, SEMENCES, RACINES, CUITE, CLARIFICATION, DESPUMATION, DECANTATION, FILTRE, MANCHE, TAMIS, MORTIER, ELECTUAIRE, ÉMULSION, EMPLATRE, SYROP, &c.
Il ne nous reste ici qu'à présenter un tableau abregé de ces sujets, de ces opérations, de ces instrumens, de ces produits, & à proposer quelques notions générales sur l'essence même de l'art.
Les sujets pharmaceutiques sont toutes les substances naturelles simples des trois regnes, & un grand nombre de produits chimiques, dans lesquels les hommes ont découvert des vertus médicamenteuses. Ils sont tous compris sous le nom de matiere médicale. Voyez MATIERE MEDICALE, MPLE PHARMACIEACIE.
Les opérations pharmaceutiques ont toutes pour objet, de préparer ces divers corps, de maniere qu'ils deviennent des remedes efficaces, mais à un certain degré déterminé, & aussi agréable qu'il est possible. Les Pharmaciens remplissent ces deux objets, 1°. en extrayant des corps leurs principes vraiment utiles, & rejettant leurs parties inutiles ou nuisibles : la distillation, la décoction, l'infusion, la macération, l'expression, la filtration, l'action de monder, la dépuration, la clarification, la cribration, operent cette utile séparation. 2°. En mêlant ensemble diverses matieres qui s'aident ou se temperent mutuellement, la composition, la correction, l'aromatisation, l'édulcoration, la coloration, sont les ouvrieres de cet effet pharmaceutique. 3°. En donnant diverses formes aux remedes composés, ce qui s'opere par les justes proportions des divers ingrédiens, qui est la même chose que la dispensation, par la cuite, la pulvérisation, l'action de brasser, de malaxer. Les diverses formes de remedes composés, sont divisées, selon un ancien usage, en formes liquides, formes molles & formes seches. Les liquides se subdivisent en formes de remedes magistraux, & formes de remedes officiaux, dont le caractere essentiel & distinctif consiste en ce que les premieres n'ont pas besoin de rendre le remede durable, & que cette qualité est au contraire essentielle aux dernieres. Voyez OFFICINAL & MAGISTRAL.
Les remedes magistraux liquides, sont la décoction, l'infusion, qu'on appelle theiforme, lorsqu'elle est courte, & qu'on employe l'eau bouillante, la macération, appellée plus communément infusion à froid, le julep, l'émulsion, la potion, la tisane, la mixture, le gargarisme, le collyre, le clystere, l'injection, la fomentation, l'embrocation, l'épitheme liquide, le bain, le demi-bain, l'incessus, le vin & les vinaigres médicamenteux magistraux.
Les remedes officinaux liquides, sont les vins & les vinaigres médicamenteux, les teintures, les élixirs, les baumes, les sirops, les loochs, les huiles par infusion & décoction, les eaux distillées composées, les esprits distillés composés, les esprits volatils aromatiques huileux.
Les remedes mous sont pareillement divisés en magistraux & officinaux. Les premiers sont les gelées, les opiates magistrales, les cataplâmes. Les seconds sont les électuaires mols, les conserves molles, les extraits composés, les miels médicamenteux, les linimens, onguents & cérats, les emplâtres.
Les remedes secs ou solides, peuvent être tous prescrits sur le champ par le médecin, & être dans ce cas regardés comme magistraux ; mais comme ils sont tous, par leur consistance, capables d'être conservés dans les boutiques, ils sont essentiellement officinaux. Ce sont les poudres, les especes, les bols, les tablettes, les trochisques, les conserves solides, les pilules. Il y a dans ce dictionnaire des articles particuliers sur toutes les choses nommées dans ces considérations générales. Voyez ces articles.
Le lecteur doit s'être apperçu que nous avons confondu la Pharmacie, appellée vulgairement galenique avec celle qu'on appelloit chimique, selon la même division. Nous l'avons fait parce que cette division est mal entendue ; car les décoctions, les infusions, la cuite des emplâtres, celle des syrops, qui appartient à la Pharmacie, appellée galenique, sont des opérations tout aussi chimiques, que la distillation des esprits, que la préparation des régules, &c. qu'on renvoyoit à la Pharmacie chimique. Il est vrai que les simples mélanges, & les simples disgregations, sont des opérations méchaniques ; mais la chimie elle-même emploie des moyens de cet ordre. (b)
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PHARMACITIS | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une terre imprégnée de bitume, & qui est propre à s'enflammer, avec une odeur désagréable. On lui a aussi donné le nom d'ampelitis. Il paroît que son nom lui a été donné à cause qu'on en faisoit usage dans la Médecine.
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PHARMACOLOGIE | S. f. (Med.) science ou traité des médicamens & de leur préparation. C'est une branche de la partie de la Médecine appellée thérapeutique. Voyez THERAPEUTIQUE. Elle embrasse l'histoire naturelle chimique & médicinale de la matiere médicale. Voyez MATIERE MEDICALE, & la Pharmacie. Voyez PHARMACIE. (B)
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PHARMACOPÉE | S. f. Voyez DISPENSAIRE.
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PHARMACOPOLA | (Lang. latine) Le mot de pharmacopola, ne désigne pas chez les Latins nos pharmacopoles, nos apothicaires d'aujourd'hui : il se dit également chez eux des pharmaciens, des droguistes, des épiciers & des parfumeurs. Il est synonyme à unguentarius, , vendeurs de drogues & de parfums, autant de gens qui étoient ordinairement de la bande des débauchés, parce qu'outre les parfums qu'ils fournissoient, ils donnoient aussi des drogues pour faire avorter, & pour empêcher les grossesses. En Grece il étoit défendu par une loi de Solon, qu'aucun citoyen d'Athènes exerçât cet art ; & Séneque nous apprend que tous les parfumeurs, pharmacopolae, furent chassés de Lacédémone. Ils n'étoient pas moins méprisés à Rome qu'en Grece : c'est pourquoi Horace les range avec les joueurs de flûtes, les porteurs de besace, les bateleurs, les danseurs, &c. satyr. 2. liv. I. vers 1.
Ambubajarum collegia, Pharmacopolae,
Mendici, mimi, balatrones, hoc genus omne
Moestum ac sollicitum est, cantoris morte Tigelli.
Le musicien Tigellius est mort. Les joueuses de flûtes, les parfumeurs, les portes-besaces, les bâteleurs, & toute la canaille de même espece en sont en deuil. (D.J.)
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PHARMACOPOLE | S. m. (Hist. de la Médecine anc.) Pharmacopole, étoit chez les anciens tout vendeur de médicamens. Mais il faut entrer dans quelques détails de la médecine ancienne, pour donner au lecteur une idée juste de la différence qu'il y avoit entre un pharmaceute, un pharmacopole, un pharmacotribe, un herboriste, & autres mots, qui concernoient chez eux la matiere des médicamens.
Ceux qui s'attacherent à la pharmaceutique où à la médecine médicamentaire, furent appellés pharmaceutae ; car le nom de pharmacopaeus se prenoit alors en mauvaise part, & signifioit dans l'usage ordinaire, un empoisonneur : il étoit synonyme à , & , dérivé de , mot générique pour toute sorte de drogue, ou de composition bonne, ou mauvaise, ou pour tout médicament ou poison, tant simple que composé. Les Latins entendoient aussi par medicamentum, un poison, & par medicamentarius, un empoisonneur ; quoique le premier signifiât encore un médicament, & le dernier un apothicaire.
Les pharmacopoles (pharmacopolae) formoient encore chez les anciens un corps différent des premiers. En général on appelloit de ce nom tous ceux qui vendoient des médicamens ; quoiqu'ils ne les préparassent point. En particulier, ceux que nous nommons aujourd'hui charlatans, bâteleurs, gens dressant des échaffauds en place publique, allant d'un lieu en un autre, & courant le monde en distribuant des remedes ; c'est de-là que dérivent les dénominations de circulatores, circuitores & circumforanei. Ils avoient encore celle d'agyrtae, du mot , qui assemble, parce qu'ils assembloient le peuple autour d'eux, & que la populace, toujours avide du merveilleux, accouroit en foule, aussi crédule à leurs promesses, qu'elle l'est encore aujourd'hui à celles des charlatans qui les représentent. C'est par la même raison qu'on les appelloit . On leur donnoit enfin le nom de médecin sédentaire, sellularii medici, , parce qu'ils attendoient les marchands assis sur leurs boutiques. Ce fut le métier d'Eudamus, d'un certain Chariton, de qui Galien a tiré quelques descriptions de médicamens, & à qui il donne l'épithete, d' ; & de Clodius d'Ancone, que Cicéron appelle pharmacopola circumforaneus.
On ne sait si les Pharmacotrites, Pharmacotritae, ou méleurs, broyeurs de drogues, étoient les mêmes que les Pharmaceutes, Pharmaceutae ; ou si ce nom ne convenoit qu'à ceux qui composoient les médicamens sans les appliquer. Ces derniers pourroient bien avoir été les valets des Droguistes, ou ces gens appellés par les Latins Seplasiarii & Pigmentarii, & par les Grecs, , ou , ou vendeurs de drogues ; dans les derniers tems de la Grece, , terme dérivé du latin.
Les boutiques ou magasins de ces marchands, s'appelloient seplasia au neutre pluriel, & leur métier seplasia, au féminin singulier. Ils vendoient aux Médecins, aux Peintres, aux Parfumeurs, & aux Teinturiers, toutes les drogues tant simples que composées, dont ils avoient besoin. Ils étoient, ainsi que les charlatans, fort sujets à débiter des compositions mal conditionnées, & mal faites. Pline reprochoit aux médecins de son tems de négliger la connoissance des drogues, de recevoir les compositions telles qu'on les leur donnoit, & de les employer sur la bonne foi d'un marchand, au lieu de se pourvoir des unes, & de composer les autres à l'exemple des anciens médecins.
Mais ce n'étoit pas seulement des Droguistes que les Médecins achetoient ; ils tiroient les plantes communes des Herboristes, Herbarii en latin, en grec , ou coupeurs de racines, & , ou , cueilleurs d'herbes, & non pas , nom propre à ceux qui mondoient les blés, ou qui en arrachoient les mauvaises herbes. Les Herboristes, pour faire valoir leur métier, affectoient superstitieusement de cueillir les simples en de certains tems particuliers, avec diverses précautions & cérémonies ridicules. Ils étoient fort attentifs à tromper les Médecins, en leur donnant une herbe, ou une racine pour une autre.
Les Herboristes, & ceux qui exerçoient la Pharmaceutique, avoient des lieux propres pour placer leurs plantes, leurs drogues, & leurs compositions ; on appelloit ces lieux en grec , apothecae, d'un nom général, qui signifie place où l'on renferme quelque chose.
Les boutiques des Chirurgiens, se nommoient en grec , de , médecin ; parce que tous ceux qui se mêloient de quelque partie de la Médecine que ce fût, s'appelloient médecins ; & que tous les Médecins exerçoient anciennement la Chirurgie. Plaute rend le terme , par celui de medicina ; & comme de son tems la Médecine n'étoit point encore partagée, & que le médecin, le chirurgien, l'apothicaire, & le droguiste, n'étoient qu'une seule personne ; ce nom s'étend dans ce poëte à toutes les boutiques en général, soit qu'on y pansât des blessés, qu'on y vendit des drogues & des médicamens, soit qu'on y étalât des plantes & des herbes ; de même que medicus signifie dans le même poëte un vendeur de médicamens.
Le partage de la Médecine, comme on vient de l'exposer, est celui qui subsistoit au tems de Celse. L'usage changea dans la suite ; les uns ayant empiété sur la profession des autres, ou en ayant exercé plus d'une ; les mêmes noms resterent, quoique les emplois ne fussent plus les mêmes. Quelques siecles après Celse, ceux que l'on nommoit en grec , & en latin pimentarii, ou pigmentarii, qui devoient être des droguistes, faisoient aussi la fonction d'apothicaires ; ce que l'on prouve par un passage d'Olympiodore, ancien commentateur de Platon. Le médecin, dit-il, ordonne, & le pimentarius prépare tout ce que le médecin a ordonné. On ne peut marquer avec exactitude la date de ce changement ; mais Olympiodore vivoit environ 400 ans après Celse. (D.J.)
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PHARMACUSE | Pharmacusa, (Géog. anc.) 1°. île de la mer Egée, selon Pline, l. IV. c. ij. On croit que c'est dans cette île que fut tué Attalus. Aujourd'hui, selon l'opinion commune, cette île se nomme Pasmosa. C'est auprès de l'île Pharmacuse que Jules-César fut pris par des pirates. 2°. Etienne le géographe met deux îles de ce nom proche celle de Salamina ; & Strabon, l. IX. p. 385, dit que se sont deux petites îles, dans la plus grande desquelles on voyoit le tombeau de Circé. (D.J.)
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PHARMUTHI | S. m. (Calendr. égypt.) nom du huitieme mois de l'année égyptienne ; il répondoit au mois d'Avril de l'année Julienne. Théon dit que le tems de la moisson tomboit vers le 25 de ce mois. (D.J.)
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PHARNACES | (Géog. anc.) peuples d'Ethiopie, selon Pline, l. VII. c. ij. qui dit après Damon que la sueur de ce peuple causoit la phthisie à ceux qu'elle touchoit. Quelques manuscrits portent Pharmaces pour Pharnaces.
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PHARNAK | (Mythol.) dieu adoré dans le Pont. Strabon nous apprend que le dieu adoré sous ce nom dans l'Ibérie & dans le Pont, étoit le même que le dieu Lunus, ou que l'intelligence qui présidoit au cours de la lune. Ce dieu avoit un temple célébre à Cabira ou Sebastopolis, sous le nom de ; & les sermens qui se faisoient en joignant son nom à celui du roi régnant, passoient pour inviolables. Strabon ajoute que ce dieu Lunus avoit des temples en Phrygie & en Pisidie, sous le titre de .
On voit dans Haym, sur une médaille de Sardis, le buste de ce dieu, coëffé d'un bonnet phrygien, & porté dans un croissant, avec le titre de MHNAKHNO. Il y a beaucoup d'apparence que la figure en pié qui se voit au revers des médailles de Pharnace & de son fils Mithridate, est celle du MHN APNAKO, ou du dieu Lunus de Cabira, représenté à-peu-près comme on le voit sur plusieurs médailles publiées par M. Vaillant. On compte, dans ses médailles grecques des empereurs, jusqu'à 19 villes de l'Asie mineure, de la Thrace & de la Syrie, qui ont mis ce dieu Lunus sur leurs médailles. (D.J.)
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PHARODENI | (Géog. anc.) peuples de Germanie. Ptolomée, l. II. c. xj. dit qu'ils habitoient après les Saxons, depuis le fleuve Chalusus, jusqu'au fleuve Suevus. Peucer croit que les Paradeni de Ptolomée sont les Suardones de Tacite.
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PHAROS | (Géog. anc.) île d'Egypte, vis-à-vis d'Alexandrie ; je dis île, parce que Pharos étoit au commencement une véritable île à sept stades de la terre-ferme, & on n'y pouvoit aller que par eau ; mais ensuite on la joignit au continent par une chaussée, comme cela s'étoit fait à Tyr : cette chaussée fut appellée l'heptastade, à cause des sept stades qu'elle avoit de longueur.
Cet ouvrage ordonné par Ptolemée Philadelphe I. & non par Cléopâtre, comme le dit Ammien Marcellin, fut exécuté l'an 284 avant Jesus-Christ, à-peu-près en même tems que la tour du phare, par Deiphanès, pere de Sostrate ; & sans doute que ce ne fut pas le plus facile des deux ouvrages. Ainsi, pour les distinguer quand on parle de la peninsule, on dit l'île ou la peninsule de Pharos ; & quand on parle du fanal ou du phare qui étoit dans Pharos, on dit simplement le phare.
L'île de Pharos avoit un promontoire ou une roche, contre laquelle les flots de la mer se brisoient. Ce fut sur cette roche que Ptolémée Philadelphe I. fit bâtir de pierre blanche la tour du phare, ouvrage d'une magnificence surprenante, à plusieurs étages voûtés, à-peu-près comme la tour de Babylone, qui étoit à huit étages, ou, comme Hérodote s'exprime, à huit tours l'une sur l'autre.
L'extraordinaire hauteur de cette tour faisoit paroître comme une lune le feu qu'on allumoit au-dessus ; c'est ce qui fait dire à Stace :
Lumina noctivagae tollit Pharos aemula lunae.
Le géographe de Nubie, qui écrivoit il y a environ 600 ans, parle de la tour du phare comme d'un édifice qui subsistoit encore de son tems. Un scholiaste de Lucien, manuscrit, cité par Isaac Vossius, dit que cette tour étoit quarrée, & que ses côtés avoient près d'un stade de long.
Tous les anciens auteurs ont parlé de l'île de Pharos. Voyez César, comment. de bell. civ. c. iij. Strabon, l. XVII. p. 792. Pomponius Mela, l. II. c. vij. Pline, l. V. c. xj. & l. XIII. c. xij. Ce dernier lui donne le titre de colonie de Jules-César.
Homere a bien chagriné ses admirateurs, en faisant dire à Ménélas, dans l'Odyssée, liv. IV. vers 355, que l'île de Pharos est éloignée d'une journée de l'Egypte, . Plusieurs critiques ont accusé le poëte grec d'une énorme bévûe ; mais d'autres leur ont répondu que le mot Aegyptus désignoit ici le Nil, & qu'en effet l'île de Pharos est éloignée d'une journée de la principale embouchure du fleuve Aegyptus, qui est le Nil. Strabon eût peut-être adopté cette explication s'il y eût songé ; mais en homme d'esprit, il a entrepris de justifier son poëte favori de tout reproche d'ignorance. ". C'est, dit-il, Ménélas qui raconte ses voyages ; il use du privilege des voyageurs, il ment. D'ailleurs c'est un poëte qui le fait parler, qui savoit bien que cette distance n'étoit pas aussi condérable que le dit Ménélas, mais il veut intéresser le lecteur par le merveilleux de la fiction ".
Ortelius dit qu'on nomme aujourd'hui l'île de Pharos Farion, & qu'elle est appellée Magrah par les habitans du pays.
2°. Pharos, ou Issa-Pharos, île de la mer Adriatique, sur la côte de l'Illyrie, selon Pline, l. III. c. xxj, qui dit qu'on la nommoit auparavant Paros. Le P. Hardouin retranche cette île dans son édition de Pline ; mais c'est un retranchement bien hardi, d'autant plus que Diodore de Sicile l. XV. Strabon l. VII. p. 315. & Polybe l. V. p. 108. en font mention.
3°. Pharos, île sur la côte d'Italie, vis-à-vis de Brundusium. Pomponius Mela, l. II. c. viij. en parle, & dit qu'on l'appella Pharos, à cause du phare qui y fut élevé pour guider les vaisseaux. (D.J.)
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PHARPHAR | (Géog. anc.) un des deux fleuves de Damas, ou plutôt c'est un bras du Barrady ou du Chrysorrhoas, qui arrose la ville & les environs de Damas. Le fleuve de Damas a sa source dans les montagnes du Liban ; étant arrivé près de la ville, il se partage en trois bras, dont l'un traverse Damas : les deux autres arrosent les jardins qui sont tout autour ; puis se réunissant, ils vont se perdre à quatre ou cinq lieues de la ville, du côté du nord.
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PHARSALE | Pharsalus, (Géog. anc.) 1°. ville de Thessalie, que certaines cartes attribuent mal-à-propos à l'Estréotide, puisque Strabon, l. IX. la range parmi les villes de la Phthiotide. Elle étoit à six lieues de Larissa, & à l'extrémité d'une plaine très-fertile qui a plus de quatre lieues d'étendue. Imaginez-vous, dit la Guilletiere, si je pus traverser cette plaine sans me rappeller que j'étois sur les lieux où César & Pompée terminerent le plus grand différend qui ait jamais troublé l'univers, & que la bataille qu'ils y donnerent renversa la plus puissante de toutes les républiques, & fonda la plus formidable de toutes les monarchies ? Nommez-moi tant de batailles qu'il vous plaira, celle-ci est sans contredit la plus fameuse ; elle se donna 48 ans avant la naissance de Jesus-Christ. C'est cette journée mémorable où, selon Corneille.
Quand les Dieux étonnés sembloient se partager,
Pharsale décida ce qu'ils n'osoient juger.
Pompée ayant perdu la bataille, se retira vers Larissa, comme la ville la plus voisine, où il n'entra pas néanmoins. Le fleuve Enipus arrosoit Pharsale ; & ce fleuve qui se jettoit dans l'Apidenus, étoit différent de l'Enipus de Macédoine. Appien, l. II. civit. p. 778, rapporte que l'armée de Pompée étoit campée entre la ville de Pharsale & le fleuve Enipée, ce qui semble contredire ce que Strabon, l. IX. avance, que l'Enipée baignoit la ville de Pharsale ; mais comme il y avoit deux villes de ce nom, la nouvelle & la vieille, il est apparent que l'une étoit bâtie sur le bord du fleuve, & que l'autre en étoit peu éloignée.
La bataille entre César & Pompée se donna auprès de la ville de Pharsale, appellée Palaepharsalus par Tite-Live, l. XLIV. c. ij. & c'étoit celle-là, sans doute, qui se trouvoit à quelque distance du fleuve.
2°. Pharsalus étoit aussi un lieu de l'Epire où César arriva avec sa flotte, & où il débarqua ses soldats. Quelques manuscrits, au lieu de Pharsalus, portent Pharsalia : d'autres disent Palestina ; & c'est de cette derniere façon qu'écrit Lucain, l. V. v. 460, en parlant de la sorte de César,
Lapsa Palestinas uncis confixet arenas.
3°. Il y avoit encore une ville de Pamphylie qui portoit le nom de Pharsalus. (D.J.)
PHARSALE, bataille de, (Hist. rom.) nom de cette fameuse bataille qui termina la guerre civile des Romains, & qui se donna l'an 705 de Rome, entre César & Pompée, auprès de Pharsale, ville de Thessalie, voisine de Larisse. Il faut lire, sur cette bataille, Lucain, Denis d'Halicarnasse, l. XLI. Appian l. II. Plutarque, dans la vie de César, Florus, Eutropius, Velleius Paterculus, Ciceron, César, de bello civili, lib. I. & II, &c. C'est assez pour moi de faire deux ou trois remarques.
On sait que l'empire ne coûta, pour ainsi dire, à César qu'une heure de tems, & que la bataille de Pharsale en décida. La perte de Pompée, qui périt depuis en Egypte, entraîna celle de son parti ; mais on ne peut assez s'imaginer quels étoient alors le luxe & la mollesse des Romains. Le pauvre officier languissoit dans les honneurs obscurs d'une légion, pendant que les grands tâchoient de couvrir leur lâcheté & d'éblouir le public par la magnificence de leur train, & par l'éclat de leur dépense. Lucain disoit :
Saevior armis
Luxuria incubuit, victumque ulciscitur orbem.
Les jeunes gens ne connoissoient que des chanteuses & des baladines, dont ils faisoient l'objet de leurs ridicules affections, ils se frisoient comme elles ; ils affectoient même d'imiter le son de leur voix & leur démarche lascive ; ils ne surpassoient ces femmes perdues que par leur mollesse & leur lâcheté. Aussi Jules-César, qui connoissoit la fausse délicatesse de cette jeunesse efféminée qui suivoit le parti de Pompée, ordonna à ses soldats, dans la bataille de Pharsale, au lieu de lancer de loin leurs javelots, de les porter droit au visage : Miles faciem feri. C'est une anecdote que raconte Florus, l. IV. c. ij. & il arriva que ces jeunes gens, idolâtres de leur beauté, prirent la fuite, de peur de s'exposer à être défigurés par des blessures & des cicatrices.
Le luxe & la mollesse régnoient dans leur camp comme à Rome : on voyoit une foule de valets & d'esclaves avec tout l'attirail de la volupté, suivre l'armée comme une autre armée. Pompée étoit ainsi campé délicieusement entre la ville de Pharsale & le fleuve Enipée, dont il tiroit toutes ses provisions. César après avoir forcé son camp, y trouva les tables dressées comme pour des festins. Les buffets, dit-il, de bello civili, lib. V. plioient sous le poids des vases d'or & d'argent. Les tentes étoient ornées de gason verd ; & quelques-unes, comme celles de Lentulus, pour conserver le frais, étoient ombragées de rameaux & de lierre. En un mot, il vit du côté qu'il força, le luxe & la débauche ; & dans l'endroit où l'on se battoit encore, le meurtre & le carnage. Alibi praelia & vulnera, alibi popinae, simul cruor & strues corporum juxta scorta & scortis simile.
On a remarqué que César régla à cette bataille la disposition de son armée sur le modele de la disposition que Cyrus avoit faite à la bataille de Thimbrée ; & c'est à cette disposition qu'il dut sa victoire complete .
Presque tous nos auteurs ne font que louer la modération & la clémence que César fit paroître après sa victoire. Quoiqu'il fut élevé par Marius son oncle, nous disent-ils, il sacrifia ses ressentimens à l'établissement de sa domination, & pardonna à tous les partisans de Pompée. Mais Dion n'en parle point sur ce ton-là. Voici ses propres paroles, l. XLIX : equites & senatores qui Pompeïo favissent supplicio affecti, paucis exceptis. Legionarios milites ingenuos Caesar in suas legiones adscripsit ; servos dominis reddidit, ut poenas darent ; qui non inveniebant dominos suos, in crucem acti. " Tous les sénateurs & les chevaliers qui lui avoient été attachés, furent punis de mort, à l'exception d'un très-petit nombre. Ses légions furent incorporées dans celles d'Octavien : on donna les esclaves à leurs maîtres pour les punir ; & ceux qui ne trouvoient point de maîtres moururent en croix ".
Ainsi la liberté de Rome, si précieuse aux premiers Romains, & qui avoit été si long-tems sous la garde de la pauvreté, de la tempérance, & de l'amour de la patrie, fut ensevelie par César dans les champs de Pharsale. Tout plia depuis sous sa puissance ; & deux ans après le passage du Rubicon, on le vit entrer dans Rome triomphant, & bientôt justement assassiné au milieu d'une république dont il étoit devenu le tyran. (D.J.)
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PHARUSES | LES, Pharusii, (Géog. anc.) peuples de la Lybie, selon Strabon, l. XVII. & Etienne le géographe. Pomponius Mela, l. III. c. x. les met audessus des Nigrites, & les étend jusqu'à l'Ethiopie, Pline, l. V. c. viij. dit que ces peuples étoient Perses d'origine, & qu'ils accompagnerent Hercule lorsqu'il entreprit de passer dans le jardin des Hespérides. (D.J.)
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PHASELIS | (Géog. anc.) ville maritime dans la Lycie, sur les confins de la Pamphylie, près d'une montagne nommée Climan, selon Strabon, l. XIV. p. 666. Pomponius Mela, l. I. ch. xiv. prétend qu'elle avoit été bâtie par Mopsus. Etienne le géographe dit qu'on l'appella premierement Petyussa, & ensuite Pharsalus. Elle subsistoit d'elle-même, & n'entroit point en communauté avec les Lyciens.
Ce fut l'une des villes qui s'enrichirent le plus des pirateries des Ciliciens ; & Florus nous apprend que c'est par cette raison qu'elle fut ruinée par Publius Servilius après les victoires qu'il remporta sur ces corsaires. Phaselim, dit cet historien, & Olympon evertit, Isaurumque, ipsam arcem Ciliciae ; elle étoit dans un pitoyable état lorsque Pompée y aborda après la bataille de Pharsale, car Lucain, l. VIII. raconte qu'il y avoit plus de gens dans le vaisseau de Pompée que dans cette ville.
Te primum parva Phaseli
Magnus adit, nam te metui vetat incola rarus,
Exhaustaeque domus populis, majorque carinae
Quam tua turba fuit.
Ainsi quand Strabon, qui vivoit après Pompée, parle de Phaselis comme d'une ville considérable, & à trois ports, il avoit égard apparemment à ce qu'elle avoit été ; mais il auroit dû ne pas s'exprimer au tems présent, car il n'y a point d'apparence que depuis la bataille de Pharsale jusqu'au tems de Strabon cette ville eût été rétablie.
Elle pouvoit néanmoins toujours se vanter d'avoir été le lieu de la naissance & du mausolée de Théodecte, contemporain d'Aristote, un des plus beaux hommes de son tems ; mais la beauté de l'esprit surpassoit en lui celle du corps. Il étoit également grand poëte, & grand orateur. Il avoit fait cinquante tragédies & plusieurs oraisons qui toutes ont péri. (D.J.)
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PHASELUS | S. m. (Littérat.) sorte de bâtiment à voiles & à rames, dont les Romains faisoient usage pour n'être point arrêtés dans leurs expéditions ; ce bâtiment avoit tiré son nom de la ville de Phaselis en Pamphilie, qui avoit servi long-tems de retraite aux pirates. (D.J.)
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PHASÉOLE | S. f. (Botan.) ce genre de plantes qu'on vient de caractériser, en latin phaseolus, & qui porte une longue gousse remplie de semences faites en forme d'un petit rein, constitue un genre très-étendu dans le système de Tournefort, puisqu'il renferme cinquante-neuf especes. Nous en avons décrit çà & là quelques-unes d'étrangeres sous leurs noms propres, & en particulier la plus commune connue dans nos jardins sous le nom de haricot.
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PHASÉOLOIDES | S. f. (Botan. exot.) genre de plante, que les Anglois nomment kidnei-bean-tree ; en voici les caracteres : ses feuilles sont aîlées, composées d'un nombre inégal d'autres feuilles découpées. Sa fleur est légumineuse ; le pistil qui sort du calice devient une longue gousse, renfermant plusieurs semences faites en forme de rein. On ne connoît en Europe qu'une seule espece de ce genre de plante ; on la nomme phaseoloides caroliniana, frutescens, scandens, foliis pinnatis, floribus caeruleis spicatis. Les graines de cette plante ont été envoyées de la Caroline en Angleterre par M. Catesby en 1724, & distribuées aux curieux ; il s'est élevé de ses graines plusieurs phaseoloides dans les jardins des environs de Londres, & on les a multipliées par des rejettons que la racine fournit en abondance. Ils viennent en toutes sortes de terres, sur-tout dans une bonne terre légere, & ne craignent rien de la dureté des hivers, pourvu qu'on les abrite des vents les plus rudes. On peut placer cette plante avec les arbrisseaux grimpans, & en la soutenant par des piquets, elle grandit à la hauteur de douze ou quatorze piés, & produit plusieurs épics de très-belles fleurs bleues. Dans une saison favorable, ses graines viennent à parfaite maturité. (D.J.)
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PHASES | S. f. en Astronomie, se dit des diverses apparences de la lune, de vénus, de mercure & des autres planetes, ou des différentes manieres dont elles paroissent éclairées par le soleil. Voyez PLANETE.
Ce mot est formé du grec , je parois, je brille.
La variété des phases de la lune est fort remarquable, quelquefois elle croît, quelquefois elle décroît, quelquefois elle est courbée en forme de corne, puis paroît comme un demi-cercle, ensuite elle paroît bossue, & reprend enfin une face circulaire pleine. Voyez CROISSANT, BOSSU, DICHOTOMIE, FAUX, &c. Quant à la théorie des phases de la lune. Voyez LUNE.
Pour celles de vénus, on n'y découvre aucune diversité à la vue simple, mais on y en remarque avec le télescope : Copernic prédit que les siecles à venir découvriroient que vénus éprouveroit les mêmes changemens que la lune : Galilée fut le premier qui accomplit cette prédiction, en dirigeant son télescope sur vénus, il observa que les phases de cette planete étoient semblables à celles de la lune, que tantôt elle étoit pleine, tantôt en croissant. Voyez VENUS.
Mercure fait voir les mêmes apparences, toute la différence entre celles-ci & celles de la lune, est que quand ces planetes sont pleines, le soleil est entre elle & nous, au lieu que quand la lune est pleine, nous sommes entr'elle & le soleil. Voyez MERCURE.
Saturne a embarrassé long-tems les Astronomes par son étrange diversité de phases : Hevelius & d'autres la trouvent 1°, monosphérique, 2°, trisphérique, 3°, sphérico-ansé, 4°, elliptico-ansé, 5°, pointu-sphérie. Huyghens crut d'abord que ces phases prétendues ne venoient pour la plûpart que de l'imperfection des télescopes de ces observateurs, cependant il a remarqué lui-même des variétés réelles dans la figure de cette planete, & les a expliquées. Ce grand homme avec le secours des meilleurs télescopes y remarqua trois phases principales : savoir, le 16 Janvier 1656, cette planete lui parut ronde ; le 13 Octobre il la vit comme si elle avoit des bras ; & le 17 de Décembre 1657, comme si elle avoit des anses.
Il expliqua ces différentes irrégularités par la supposition d'un anneau lumineux dont saturne est entouré, & publia sa découverte dans son système de saturne, imprimé parmi ses autres ouvrages dans les recueils qu'on en a faits ; les différentes positions de cet anneau par rapport à notre oeil, occasionnent ces irrégularités apparentes. Voyez SATURNE & ANNEAU.
On observe aussi beaucoup de changemens sur le disque de jupiter. Voyez JUPITER & BANDES. Chambers. (O)
Les phases de la lune prouvent que la surface de cette planete est sensiblement sphérique, car en la supposant sphérique, on trouve que la plus grande largeur de la phase doit être à-peu-près comme le sinus verse de l'élongation au soleil ; or, suivant les observations d'Hevelius, les largeurs des phases suivent à-peu-près ce rapport. Voyez mes Recherches sur le système du monde, II e partie, pag. 263 & 264.
PHASE, (Géog. anc.) 1°, Phasis, grand & célebre fleuve de l'Asie qui traverse la Colchide, aujourd'hui la Mingrelie, & se rend dans la mer Noire. Hérodote le donne pour la borne entre l'Asie & l'Europe. M. Delisle s'est trompé en soutenant que le Phase étoit le même que l'Araxe. Les Turcs l'appellent Frachs, & les gens du pays le nomment Rione.
On l'appelloit anciennement Areturus, & il ne prit le nom de Phasis, que depuis qu'un jeune homme s'y fut précipité ; ce jeune homme étoit fils d'Apollon & d'Ocyroë, fille de l'Océan. Après avoir tué sa mere qu'il avoit surprise entre les bras d'un amant, les furies le tourmenterent à un tel point qu'il se jetta dans l'Areturus.
Mais il n'y a rien qui ait fait autant parler du Phasis que l'expédition des Argonautes, puisque tous les Poëtes qui ont chanté cette expédition, ont été obligés de se souvenir du grand fleuve qu'il fallut que les Argonautes remontassent pour se rendre maîtres de la toison d'or.
Cette riviere étoit encore célebre, parce qu'on trouvoit sur ses bords la plante nommée leucophyllus, qui étant cueillie avec quelques précautions, avoit la vertu d'empêcher les femmes de tomber dans l'adultere. Voyez LEUCOPHYLLUS.
Pour revenir à la topographie du Phase, le P. Archange Lamberti, relat. de la Mingrelie, & Chardin, qui tous deux ont parcouru les bords de ce fleuve, depuis son embouchure jusqu'à sa source, disent qu'il court d'abord rapidement dans un lieu étroit, mais que dans la plaine, son cours qui est d'orient en occident, devient très-imperceptible. Il se décharge dans la mer par deux embouchures qui sont éloignées de sa source d'environ 90 milles, & qui sont séparées par une île que forme cette riviere.
On ne trouve aujourd'hui dans cette île du Phase, aucun vestige du temple de Rhea, qu'Arrien dit qu'on y voyoit de son tems. On cherche avec aussi peu de succès les ruines de l'ancienne Sébaste, qu'on dit avoir été bâtie à l'embouchure du Phase. Tout ce qu'on y remarque de conforme à ce que les anciens ont écrit de cet endroit de la mer Noire, c'est qu'il y a beaucoup de faisans, & qu'ils sont plus gros & plus beaux qu'en aucun autre endroit. Martial prétend que les Argonautes apporterent de ces oiseaux en Grece où on n'en avoit jamais vu auparavant, & qu'on les appella , en latin phasiani, parce qu'on les avoit pris sur le bord du Phase.
Les anciens disent qu'on avoit été obligé de jetter dessus cette riviere jusqu'à six-vingt ponts à cause de ses fréquentes courbures. Strabon raconte que la plûpart de ces ponts étoient aux environs d'une forteresse de la Colchide, nommée Sarapanes, & qui étoit le premier des quatre passages par où l'on entroit dans l'Ibérie. Ces ponts, ajoute-t-il, sont nécessaires, parce que la riviere coule rapidement dans ces lieux remplis de rochers, & tout creusés par les torrens qui se précipitent des montagnes voisines. Une pareille description montre qu'on avoit une assez exacte connoissance de la contrée dont on parloit : & il falloit bien qu'on l'eût, puisqu'on y avoit cherché un passage dans un pays dont toutes les entrées étoient extrèmement difficiles & qu'on l'y avoit trouvé.
Le Phase sépare aujourd'hui la Mingrélie de la principauté de Guriel, & du petit royaume d'Imirette. La côte est par-tout un terrein bas, sablonneux, chargé de bois & de petites îles habitées çà & là. Il reçoit dans son cours trois rivieres assez considérables, savoir l'Hippus des anciens, appellé par les gens du pays Scheni-Schari ; le Glaucus, appellé Abassia ; & le Sicamen, qu'on nomme aujourd'hui Tachur.
2°. Phasis est encore le nom d'un fleuve de l'île de Taprobane. Ptolomée en parle, liv. VII. ch. iv. (D.J.)
PHASE, (Critique sacrée) terme hébreu, qui répond au mot françois passage. Vous mangerez l'agneau paschal promptement, car c'est le phase, c'est-à-dire le passage du Seigneur, Exod. 12. 11. La raison de cet ordre, c'est que l'agneau pascal fut immolé à l'occasion de l'ange qui passa les maisons marquées du sang de cet agneau, & entra dans celles des Egyptiens, pour y tuer les premiers nés. De-là vient que phase désigne aussi l'agneau pascal qu'on immoloit en mémoire de ce passage de l'ange. Immolez le phase, Exod. 12. 21. c'est-à-dire l'agneau pascal ; de plus, ce mot se prend pour le jour qu'on immoloit cet agneau, savoir le quatorzieme de la lune ; & finalement pour toutes les victimes qui étoient immolées pendant la semaine de Pâques. Vous immolerez au Seigneur le phase de vos boeufs & de vos brebis. Deuteronome xvj. 2.
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PHASSACHATES | (Hist. nat.) nom donné par les anciens à une agate dont ils ne nous ont transmis que le nom. Cependant M. Hill prétend que c'est la même pierre que les anciens nommoient aussi leucachates, agate blanche ou perileucos. Il dit que le fond de la couleur de cette agate est d'un gris pâle & bleuâtre ou gorge de pigeon, & que souvent on y voit des veines noires & blanches qui forment des cercles assez concentriques ; ce qui fait que les morceaux de cette pierre ressemblent à des onyx. Il s'en trouve aux Indes orientales, en Bohème, & en plusieurs endroits d'Europe. Voy. Hill, natur. history of fossilis.
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PHATZISIRANDA | (Botan. exot.) plante de la Floride, qui paroît être une espece de porreau ; mais les voyageurs ne nous en donnent que des descriptions infideles & fabuleuses. Ses feuilles sont semblables à celles des porreaux, mais plus longues & plus menues. Sa tige est noueuse, & s'éleve seulement à une coudée & demie. Sa fleur est petite, étroite, composée de six pétales, disposée en lis ; sa racine est toute boutonnée. Les habitans broyent les feuilles de cette plante entre deux pierres pour en tirer un suc, dont ils se frottent tout le corps pour se peindre & se fortifier. (D.J.)
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PHAUSDA | ou FAUSDAR, (Hist. mod.) nom que l'on donne dans l'Indostan aux fermiers des domaines du grand-mogol.
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PHAUSIA | (Géog. anc.) nom commun à plusieurs endroits. 1°. C'est un lieu du Chersonese des Rhodiens, c'est-à-dire, dans la partie de la Carie opposée à l'île de Rhodes, selon Pline, l. XXXI. ch. ij. 2°. C'est une ville de Médie ; Pline, l. VI. c. xiv. en fait mention. 3°. C'est une ville de la grande Arménie, que Ptolomée, l. V. ch. xiij. place entre Sogocaria & Phandalia. (D.J.)
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PHAZEMONITIS | (Géog. anc.) contrée du Pont. Elle s'étendoit, selon Strabon, liv. XII. p. 560. depuis le fleuve Amysus jusqu'à celui d'Halys. Pompée changea le nom de cette contrée en celui de Mégalopolis ; & du bourg Phazemont il fit une ville qu'il appella Neapolis. Etienne le géographe écrit Phamizon pour Phazemont, & place cette ville près de l'Amysus, vers le midi. (D.J.)
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PHEA | (Géog. anc.) nom d'une ville de l'Elide, d'un fleuve peu considérable du Péloponnèse, & d'une ville de Thessalie, selon Ortelius. (D.J.)
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PHEBUS | (Mythol.) voyez APOLLON.
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PHEGITES | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs au bois de hêtre pétrifié.
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PHÉGONÉE | (Mythol.) Jupiter de Dodone est quelquefois appellé Phégonée, c'est-à-dire, qui habite dans un hêtre, , parce qu'il se trouvoit à Dodone un hêtre célebre qui servoit à un oracle, & dans lequel le peuple s'imagina que Jupiter avoit choisi sa résidence. (D.J.)
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PHÉGOR | (Géog. anc.) nom d'une montagne, selon Ortelius, qui cite Isidore. De-là, ajoute-t-il, vient le nom de Baal-Phégor, n. 25. 3 & 5. Deut. iv. 3. Josué, xxij. 17. c'est-à-dire, Baal sur la montagne de Phégor. Béel-phégor signifie, selon Suidas, le lieu où Saturne étoit adoré. Béel-Phégor, dit dom Calmet, est le dieu Phégor ou Phogor. On peut voir les conjectures qu'il a rapportées sur cette fausse divinité. Dans une dissertation que ce savant bénédictin a faite exprès à la tête du livre des Nombres, il tâche d'y montrer que c'est le même dieu, Adonis ou Orus, adoré par les Egyptiens, & par la plûpart des peuples d'Orient. L'Ecriture dit que les Israëlites étant campés au désert de Sen, se laisserent aller à l'adoration de Béel-Phégor, qu'ils participerent à ses sacrifices, & qu'ils tomberent dans l'impudicité avec les filles de Moab. Et le Psalmiste racontant le même événement, dit que les Hébreux furent initiés aux mysteres de Béel-Phégor, & qu'ils participerent aux sacrifices des morts. Phégor ou Pé-or, ajoute dom Calmet, est le même qu'Or ou Orus, en retranchant de ce mot l'article pé, qui ne signifie rien. A l'égard d'Orus, dit-il, c'est le même qu'Adonis ou Osiris. On célebroit les fêtes d'Adonis comme des funérailles, & l'on commettoit dans ces fêtes mille dissolutions, lorsqu'on chantoit qu'Adonis qu'on avoit pleuré mort étoit vivant. Ainsi dom Calmet est bien éloigné de dire que Phégor soit une montagne. (D.J.)
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PHÉHUAME | S. m. (Botan.) cette plante qui, selon Hernandez, est une espece d'aristoloche, croît au Mexique ; ses feuilles ont la figure d'un coeur ; ses fleurs sont purpurines ; sa racine est longue, grosse, couverte d'une écorce rougeâtre. Elle est âcre, odorante, chaude. Les sauvages s'en servent pour guérir la toux invétérée & pour dissiper les vents. (D.J.)
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PHELLANDRIUM | S. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante auquel on a donné le nom de ciguë d'eau, & dont la fleur est en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales faits en forme de coeur, disposés en rond & soutenus par un calice, qui devient dans la suite un fruit composé de deux petites semences relevées en bosse, légerement striées d'un côté & plates de l'autre. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort ne compte que deux especes de ce genre de plante : le phellandrium des Alpes, phellandrium alpinum, umbellâ purpurascente ; & le phellandrium aquatique. La premiere espece a une vertu approchante de celle du meum. Ses racines sont apéritives, incisives & discussives. La seconde espece est au contraire suspecte dans ses effets, & passe pour avoir les mêmes qualités que la ciguë aquatique ; c'est pourquoi les Anglois la nomment the water-hemlock. Elle vient dans les marais, & s'éleve au-dessus de l'eau à la hauteur de deux ou trois piés ; sa tige est cannelée, nouée, vuide, divisée en plusieurs rameaux qui s'étendent en aîles. Ses feuilles sont amples, découpées comme celles du cerfeuil, d'un goût assez agréable, un peu âcre. Ses fleurs naissent en ombelles aux sommets des branches ; elles sont disposées en rose, à cinq feuilles blanches ; il leur succede des semences jointes deux à deux, un peu plus grosses que celles de l'anis, presque ovales, rayées, convexes, noirâtres, odorantes ; ses racines sont fibrées. On n'employe cette plante qu'extérieurement, pour arrêter les progrès de la gangrene. (D.J.)
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PHELLODRYS | S. m. (Botan.) arbre que nous pouvons nommer laurier-chêne ; il croît en Dalmatie, & suivant quelques-uns, en Grece. C'est le phellodrys alba, latifolia & angustifolia de Parkinson, théât. 139. Ses feuilles, son écorce, & ses glands sont employés au même usage que ces mêmes parties du chêne ordinaire. Il paroît que Pline a confondu le phellodrys de Théophraste, qui est la même plante que celle qu'il appelle aria, avec le suber, nommé phellos ; car il attribue au suber toutes les propriétés que Théophraste donne au phellodrys. (D.J.)
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PHELLOÉ | (Géog. anc.) ville de l'Achaïe. Pausanias, liv. VII. ch. xxij. qui la met au voisinage d'Aegira, dit que s'il y a un lieu dans la Grece, qui puisse être dit arrosé d'eaux courantes, c'est Phelloé. Il ajoute qu'on y voyoit deux temples ; l'un consacré à Bacchus, & l'autre à Diane. La statue de Diane étoit d'airain, & dans l'attitude d'une personne qui tire une fleche de son carquois : celle de Bacchus étoit de bois, peint en vermillon. (D.J.)
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PHELLUS | (Géog. anc.) c'est le nom de plusieurs lieux : 1°. d'une ville de Lycie, opposée à Antiphellus, ou plutôt, comme dit Pline, l. V. ch. xxvij. dans l'enfoncement, ayant Antiphellus à l'opposite ; car Phellus étoit à quelque distance dans les terres, au lieu qu'Antiphellus étoit sur le rivage. Le périple de Scylax, p. 39. donne un port à Phellus ; mais ou ce port étoit celui d'Antiphellus, ou il n'étoit pas contigu à la ville. A la vérité Strabon, l. XIV. p. 666. semble mettre l'une & l'autre de ces villes dans les terres ; mais on ne peut le dire que de Phellus, & s'il y place Antiphellus, ce n'est qu'à cause du voisinage de ces deux places. Elles étoient toutes deux épiscopales, suivant la notice d'Hiéroclès. 2°. nom d'une ville du Peloponnèse, appellée autrement Phello, dans l'Elide. Strabon, l. VIII. p. 334. la met au voisinage d'Olympia. 3°. Nom d'une montagne d'Italie. Le grand étymologique qui en parle, dit qu'on y voyoit beaucoup de pesses, sorte d'arbre d'où découle la poix. (D.J.)
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PHÉLONÉ | (Critiq. sacrée) ou : saint Paul, dans sa seconde épître à Thimothée, ch. iv. v. 13. dit, " apportez avec vous le phéloné ( que j'ai laissé à Troas chez Carpus, avec mes livres, & sur-tout mes parchemins ". On varie dans l'explication de ce mot : quelques-uns l'entendent d'une cassette où saint Paul avoit mis ses livres, mais la plûpart l'entendent d'un manteau qui servoit contre le froid & la pluie ; aussi la vulgate rend par penula, qui étoit une sorte de manteau romain dont nous avons parlé sous ce mot. L'auteur du commentaire sur les épîtres de Saint Paul, qui se trouve parmi les oeuvres de saint Ambroise, & qu'on croit être saint Hilaire, diacre de Rome, dit qu'à la vérité saint Paul, en qualité de juif, ne devoit point avoir de penula, parce que ce vêtement n'étoit point à l'usage des Juifs ; mais que comme les habitans de Tarse avoient été admis à l'honneur d'être citoyens romains, ils se servoient aussi du vêtement appellé penula : il ajoute que les habitans de Tarse avoient obtenu ce privilege pour avoir été au-devant des Romains, & leur avoir fait des présens. La bourgeoisie romaine dont saint Paul se glorifie, venoit, selon le même auteur, de ce qu'il étoit bourgeois de Tarse. (D.J.)
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PHELYPAEA | S. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale, anomale, en masque, divisée en deux lévres, dont la supérieure est droite & partagée en deux parties, & l'inférieure en trois. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit arrondi qui s'ouvre en deux portions, & qui renferme des semences petites pour l'ordinaire Tournefort, inst. rei. herb. Voyez PLANTE.
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PHENEUS | (Géog. anc.) 1°. Lac ou étang de l'Arcadie. C'étoit dans ce lac que le fleuve de Ladon prenoit sa source, selon Pausanias, liv. VIII. ch. xx. Ovide attribue aux eaux du Pheneus une vertu merveilleuse. Si on buvoit de ces eaux la nuit, elles donnoient la mort ; mais on pouvoit en boire le jour sans aucun péril.
Est lacus Arcadiae, Phenenum dixere priores,
Ambiguis suspectus aquis : quas nocte timeto ;
Nocte nocent potae, sine noxâ luce bibentur.
2°. Pheneus ou Pheneum, ville du Péloponnèse dans l'Arcadie, proche de Nomarus, selon Strabon, liv. VIII. c'est entre ces deux villes que se trouve le rocher d'où coule l'eau du Stix. Virgile, Aeneid. lib. VIII. vers. 165. fait entendre que Pheneus fut la demeure d'Evander & celle de ses ancêtres. Plutarque, in Cleomen. & Pausanias, liv. VIII. ch. xiv. font aussi mention de cette ville ; & le premier parle d'une ancienne Phénéon qui avoit été détruite par une inondation. (D.J.)
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PHENGITES | (Hist. nat.) nom donné par Agricola & quelques autres naturalistes à un marbre jaune d'une seule couleur.
M. Hill croit que c'étoit un marbre ou un albâtre d'un blanc un peu jaunâtre & transparent, à-peu-près comme de la cire. Il prétend qu'il n'étoit point fort compacte, & que le temple de la Fortune en étoit entierement bâti. Comme ce marbre étoit transparent, le temple étoit éclairé quoiqu'on n'y eût point fait de fenêtres. Selon lui, il se trouvoit en Cappadoce, & il en rencontra encore en Allemagne, en France & en Angleterre, dans la province de Derby. Voyez Hill's natural History of fossilis.
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PHENICIE | (Géog. anc.) Phoenicia, province de Syrie, dont les limites n'ont pas toujours été les mêmes. Quelquefois on lui donne l'étendue du nord au midi, depuis Orthosie jusqu'à Péluse ; d'autres fois on la borne du côté du midi au mont Carmel, & à Ptolémaïde. Il est certain qu'anciennement, c'est-à-dire, depuis la conquête de la Palestine par les Hébreux, elle étoit assez bornée, & ne possédoit rien dans le pays des Philistins qui occupoient presque tout le terrein depuis le mont Carmel, le long de la Méditerranée, jusqu'aux frontieres de l'Egypte. Elle avoit aussi très-peu d'étendue du côté de la terre, parce que les Israëlites qui occupoient la Galilée, la resserroient sur la Méditerranée. Ainsi lorsqu'on parle de la Phénicie, il faut bien distinguer le tems. Avant que Josué eût fait la conquête de la Palestine, tout ce pays étoit occupé par les Chananéens fils de Cham, partagés en onze familles, dont la plus puissante étoit celle de Chanaan, fondateur de Sidon, & chef des Chananéens proprement dits, auxquels les Grecs donnent le nom de Phéniciens.
Ils se maintinrent long-tems dans l'indépendance ; mais enfin ils furent assujettis par les rois d'Assyrie & par ceux de Chaldée. Ils obéirent ensuite successivement aux Perses, aux Grecs & aux Romains, & aujourd'hui la Phénicie est soumise aux Othomans, n'ayant point eu de rois de leur nation, ni de forme d'état indépendant depuis trois mille ans ; car les rois que les Assyriens, les Chaldéens, les Perses, les Grecs & les Romains y ont quelquefois laissés, étoient tributaires de ces conquérans, & n'exerçoient qu'un pouvoir emprunté.
Les principales villes de Phénicie étoient Sidon, Tyr, Ptolémaïde, Ecdippe, Sarepta, Béryte, Biblis, Tripoli, Osthosie, Simire, Arade. Les Phéniciens possédoient aussi anciennement quelques villes dans le Liban, & personne n'ignore que Carthage fut une de leurs premieres colonies.
Quelquefois les auteurs grecs comprennent toute la Judée sous le nom de Phénicie. Dans les anciennes notices ecclésiastiques, on distingue la Phénicie de dessus la mer, & la Phénicie du Liban. L'une étoit dans les terres, & l'autre sur le bord de la mer. Hérodote, liv. IV. ch. civ. dit que les Phéniciens habiterent d'abord sur la mer Rouge, & que de-là ils vinrent s'établir sur la Méditerranée entre la Syrie & l'Egypte.
Le nom de Phénicie ne se trouve point dans l'Ecriture, dans les livres écrits en hébreu, mais seulement dans ceux dont l'original est grec, comme les Macchabées & les livres du nouveau testament. L'hébreu dit toujours Chanaan. Moïse fait venir les Phéniciens de Cham, qui peupla l'Egypte & les pays voisins. S. Matthieu qui écrivoit en hébreu ou en syriaque, appelle cananéenne, une femme que S. Marc qui écrivoit en grec, a appellée syro-phénicienne, ou phénicienne de Syrie, pour la distinguer des Phéniciens d'Afrique ou des Carthaginois.
On dérive le nom de phénicien, ou de palmiers, appellés en grec phoinix, qui sont communs dans la Phénicie ; ou d'un tyrien, nomme Phaenix, dont parle la fable, ou de la mer Rouge, des bords de laquelle on prétend qu'ils étoient venus. Phoenix signifie quelquefois rouge ; d'où vient puniceus & phoeniceus color.
On attribue aux Phéniciens plusieurs belles inventions. Par exemple l'art d'écrire. Le poëte Lucain s'exprime ainsi :
Phoenices primi, famae si creditur, ausi
Mansuram rudibus vocem signare figuris.
C'est-à-dire : " les Phéniciens, si l'on en croit la tradition, furent les premiers qui fixerent par des signes durables les accens fugitifs de la parole ". On dit de plus qu'ils ont les premiers inventé la navigation, le trafic, l'Astronomie, les voyages de long cours. Bochart a montré, par un travail incroyable, qu'ils avoient envoyé des colonies, & qu'ils avoient laissé des vestiges de leur langue dans presque toutes les îles & toutes les côtes de la Méditerranée.
Ils ont les premiers habité l'île de Délos. Leur trafic avec les Grecs introduisit chez ce peuple la corruption & le luxe. Leurs colonies porterent dans les lieux où elles s'établirent le culte de Jupiter Ammon, d'Isis, & des déesses-meres. Ils furent les seuls au commencement qui eurent la liberté de trafiquer avec l'Egypte. Dès le regne de Nécos, ils firent le tour de l'Afrique, & en connurent les côtes méridionales. Ils échangerent sur les côtes d'Espagne le fer & le cuivre contre de l'or & de l'argent qu'ils recevoient en retour.
On peut ajouter qu'ils ont ouvert le commerce des îles britanniques. Quelques modernes ont voulu faire honneur aux Grecs des commencemens de ce commerce ; mais outre qu'il est très-incertain que les Grecs l'ayent jamais fait, Strabon dit nettement que les Phéniciens l'ont commencé, & qu'ils le faisoient seuls ; termes précis qui détruisent toutes les conjectures des modernes en faveur des Grecs, & de toute autre nation.
Strabon nous donne le détail de ce commerce. Les Phéniciens, dit-il, portoient aux îles britanniques de la vaisselle de terre, du sel, toutes sortes d'instrumens de fer ou de cuivre, & ils recevoient en échange des peaux, des cuirs & de l'étain : mais il y a apparence que ce commerce étoit plus étendu ; car le même Strabon nous dit dans un autre endroit que ces îles étoient fertiles en blé & en troupeaux ; qu'elles avoient des mines d'or, d'argent & de fer, & que toutes ces choses faisoient partie de leur commerce, aussi-bien que les peaux, les esclaves, & les chiens même qui étoient excellens pour la chasse, & dont les Gaulois, quelquefois aussi les peuples de l'orient se servoient à la guerre. Quoi qu'il en soit de l'étendue de ce commerce, il est certain que celui de l'étain seul étoit une source inépuisable de richesses pour les Phéniciens. (D.J.)
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PHENICIENS | Philosophie des, (Hist. de la Philosoph.) voici un peuple intéressé, turbulent, inquiet, qui ose le premier s'exposer sur des planches fragiles, traverser les mers, visiter les nations, lui porter ses connoissances & ses productions, prendre les leurs, & faire de sa contrée le centre de l'univers habité. Mais ces entreprises hardies ne se forment point sans l'invention des sciences & des arts. L'Astronomie, la Géométrie, la Méchanique, la politique sont donc fort anciennes chez les Phéniciens.
Ces peuples ont eu des philosophes & même de nom. Moschus ou Mochus est de ce nombre. Il est dit de Sidon. Il n'a pas dépendu de Possidonius qu'on ne dépouillât Leucippe & Democrite de l'invention du système atomique en faveur du philosophe phénicien ; mais il y a mille autorités qui réclament contre le témoignage de Possidonius.
Après le nom de Moschus, c'est celui de Cadmus qu'on rencontre dans les annales de la philosophie phénicienne. Les Grecs le font fils du roi Agénor ; les Phéniciens, plus croyables sur un homme de leur nation, ne nous le donnent que comme l'intendant de sa maison. La Mythologie dit qu'il se sauva de la cour d'Agénor avec Harmonie, célebre joueuse de flûte, qu'il aborda dans la Grece, & qu'il y fonda une colonie. Nous n'examinerons pas ce qu'il peut y avoir de vrai & de faux dans cette fable. Il est certain qu'il est l'inventeur de l'alphabet grec, & que ce service seul exigeoit que nous en fissions ici quelque mention.
Il y eut entre Cadmus & Sanchoniaton, d'autres philosophes ; mais il ne nous reste rien de leurs ouvrages.
Sanchoniaton est très-ancien. Il écrivoit avant l'ere troyenne. Il touchoit au tems de Moïse. Il étoit de Biblos. Ce qui nous reste de ses ouvrages est supposé. Voici son systeme de cosmogonie.
L'air ténébreux, l'esprit de l'air ténébreux & le chaos sont les principes premiers de l'univers.
Ils étoient infinis, & ils ont existé long-tems avant qu'aucune limite les circonscrivit.
Mais l'esprit aima ses principes ; le mêlange se fit ; les choses se lierent ; l'amour naquit & le monde commença.
L'esprit ne connut point sa génération.
L'esprit liant les choses engendra mot.
Mot est, selon quelques-uns, le limon ; selon d'autres, la putréfaction d'une masse aqueuse.
Voilà l'origine de tous les germes, & le principe de toutes les choses ; de-là sortirent des animaux privés d'organes & de sens qui devinrent avec le tems des êtres intelligens, contemplateurs du ciel ; ils étoient sous la forme d'oeufs.
Après la production de mot, suivit celle du soleil, de la lune & des autres astres.
De l'air éclairé par la mer & échauffé par la terre, il résulta les vents, les nuées & les pluies.
Les eaux furent séparées par la chaleur du soleil, & précipitées dans leur lieu ; & il y eut des éclairs & du tonnerre.
A ce bruit les animaux assoupis sont réveillés ; ils sortent du limon & remplissent la terre, l'air & la mer, mâles & femelles.
Les Phéniciens sont les premiers d'entre les hommes ; ils ont été produits du vent & de la nuit.
Voilà tout ce qui nous a été transmis de la philosophie des Phéniciens. C'est bien peu de chose. Seroit-ce que l'esprit de commerce est contraire à celui de la philosophie ? Seroit-ce qu'un peuple qui ne voyage que pour s'enrichir, ne songe guere à s'instruire ? Je le croirois volontiers. Que l'on compare les essaims incroyables d'européens qui ont passé de notre monde dans celui que Colomb a découvert, avec ce que nous connoissons de l'histoire naturelle des contrées qu'ils ont parcourues, & l'on jugera. Que demande un commerçant qui descend de son vaisseau sur un rivage inconnu, est-ce quel dieu adorez-vous ? avez-vous un roi ? quelles sont vos lois ? Rien de cela. Mais avez-vous de l'or ? des peaux ? du coton ? des épices ? Il prend ces substances, il donne les siennes en échange ; & il recommence cent fois la même chose sans daigner seulement s'informer de ce qu'elles sont, comment on les recueille. Il sait ce qu'elles lui produiront à son retour, & il ne se soucie pas d'en apprendre davantage. Voilà le commerçant hollandois. Et le commerçant françois ? Il demande encore, vos femmes sont-elles jolies ?
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PHENINDE | S. f. (Sphéristiq. des anciens) nom d'un jeu chez les anciens Romains, nommé plus communément la petite balle. Ce jeu se jouoit avec une petite balle que les joueurs se poussoient, mais en tâchant de se tromper, faisant semblant de vouloir la jetter à l'un, & cependant la jettant à l'autre. Voyez SPHERISTIQUE.
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PHENOMENE | S. m. (Phys.) ce mot est formé du grec j'apperçois ; il se dit dans l'usage ordinaire de quelque chose d'extraordinaire qui paroît dans les cieux, comme les cometes, l'aurore boréale, &c. Mais les philosophes appellent phénomenes tous les effets qu'on observe dans la nature. Voyez PHYSIQUE EXPERIMENTALE, &c.
L'hypothese la plus vraisemblable est celle qui satisfait le mieux à la plûpart des phénomenes. Voyez HYPOTHESE. Les Newtoniens prétendent que tous les phénomenes des corps célestes procedent de l'attraction mutuelle qu'il y a entre ces corps ; & presque tous les phénomenes des plus petits corps viennent de l'attraction & de la répulsion qu'il y a entre leurs parties. Voyez GRAVITATION, ATTRACTION, &c. (O)
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PHEONS | en terme de Blason, ce sont des fers, des dards, des fleches ou d'autres armes, barbelés.
Dans les Planches de Blason on voit la figure des phéons. D'Egerton de sable, à la fasce d'hermine entre trois phéons.
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PHEOS | S. m. (Botan. anc.) nom donné par Théophraste, Dioscoride & autres, à une plante dont se servoient les foulons pour apprêter leurs draps ; c'est peut-être le gnaphalium des modernes ; mais les anciens donnoient aussi le nom de phéos au filago, c'est-à-dire à notre herbe de coton. Ils employoient cette derniere à faire les matelas de leurs lits, & à empaquêter leur poterie pour l'empêcher de se casser.
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PHERECRATE | ou PHERECRATIEN, s. m. (Belles Let.) dans l'ancienne poésie, sorte de vers composé de trois piés ; savoir d'un dactyle entre deux spondées, comme :
Crs d | nbrs | ha d
Fsss | vmr | turs.
On conjecture que ce nom lui vient de Pherecrate son inventeur.
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PHEREPHATTE | S. f. (Mythol.) c'étoit le premier nom de Proserpine, & sous lequel elle avoit des fêtes chez les Cyciceniens appellées phéréphatties.
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PHEREPOLE | adj. (Mythol.) ou celle qui porte le pole. Pindare donne ce surnom à la Fortune, pour marquer que c'est elle qui soutient l'univers, & qui le gouverne. La premiere statue qui fut faite de la Fortune pour ceux de Smyrne, la représentoit ayant le pole sur la tête, & une corne d'abondance à la main.
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PHERÈS | (Géog. anc.) Pherae ; il y avoit de ce nom plusieurs villes : savoir une dans l'Achaie, une dans le Péloponnèse, une dans la Macédoine, une dans l'Asie, une dans la Boeotie, une dans la Iapygie, une dans la Laconie, &c.
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PHEREZÉENS | (Géog. sacrée) anciens peuples qui habitoient la Palestine, & qui étoient mêlés avec les Cananéens ; mais comme ils n'avoient point de demeure fixe, & qu'ils vivoient dispersés, tantôt en un lieu du pays, & tantôt dans un autre, on les nomma Phérézéens, c'est-à-dire épars. Phérazot signifie des hameaux, des villages. Il est beaucoup parlé des Phérézéens dans l'Ecriture ; & même du tems d'Esdras, après le retour de la captivité de Babylone, plusieurs Israëlites avoient épousé des femmes de cette nation. (D.J.)
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PHESANE | (Géog. anc.) ville d'Arcadie, selon le scholiaste de Pindare, & le sentiment de tous les auteurs, excepté Didime, qui prétend sans aucun fondement, que c'étoit une ville de l'Elide.
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PHESTI | (Géogr. anc.) lieu d'Italie dans le Latium, à cinq ou six milles de Rome. C'étoit autrefois l'extrémité du territoire de cette ville ; ce qui fait que du tems de Strabon, les prêtres y faisoient les sacrifices nommés ambarvalia, comme dans les autres lieux qui étoient aux frontieres des Romains.
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PHEUGARUM | (Géog. anc.) ville de la Germanie, entre Tulisurgium & Cenduum, selon Ptolomée, liv. II. c. xj. On croit que la ville de Halberstadt, dans la Saxe, a été bâtie de ses ruines.
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PHIAGIA | (Géog. anc.) 1°. ville ou bourgade de l'Attique. Elle est attribuée par quelques-uns à la tribu Egeïde, & par d'autres à l'Aïantide ; mais une inscription dont parle M. Spon la met sous l'Hadrianide. 2°. Bourgade de l'Attique, dans la tribu Pandionide, selon Etienne le géographe. (D.J.)
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PHIALÉ | (Géog. anc.) en grec ; ce mot qui veut dire une coupe plate, remplie jusqu'au bord, a été donné à divers lacs ou reservoirs d'eau, à cause de leur ressemblance à un bassin plein d'eau.
1°. Phiale, fontaine ou lac célebre au pié du mont Hermon, & d'où le Jourdain prend sa source. Josephe, de bel. lib. III. c. xviij. raconte qu'à cent vingt stades de Césarée de Philippes, sur le chemin qui va à la Tranchonite, on voit le lac de Phiale, lac rond comme une roue, & dont l'eau est toujours à pleins bords, sans diminuer ni augmenter. On ignoroit que ce fût la source du Jourdain, jusqu'à ce que Philippe, tétrarque de Galilée, le découvrit d'une maniere à n'en pouvoir douter, en jettant dans le lac de la menue paille qui se rendit par des canaux souterreins à Panium, d'où jusqu'alors on avoit cru que le Jourdain tiroit sa source.
2°. Phiale ou Phiala, est un lieu d'Egypte sur le Nil & dans la ville de Memphis. Tous les ans, dit Pline, liv. VIII. chap. xlvij. on y jettoit une coupe d'or & une coupe d'argent le jour de la naissance du dieu Apis.
3°. C'est encore un lieu d'Egypte dans la ville d'Alexandrie. On donnoit le nom de phiale au lieu où l'on serroit le blé qu'on amenoit d'Egypte sur des bateaux par le canal que l'on avoit creusé depuis Chérée jusqu'à Alexandrie ; mais comme le peuple étoit accoutumé à exciter dans cet endroit de fréquentes séditions, Justinien, pour arrêter le cours de ce désordre, fit enfermer ce lieu d'une forte muraille.
4°. Phiale est aussi le nom de la source du Nil.
5°. Phiale, ou Phialia, ou Phigalia, étoit une ville de l'Arcadie sur les bords du fleuve Néda, auquel les enfans de cette ville consacroient leurs cheveux. Le nom moderne de cette ville est, à ce qu'on croit, Davia. (D.J.)
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PHIBIONITES | S. m. pl. (Hist. Ecclés.) c'est une blanche des gnostiques.
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PHIDITIES | S. m. pl. (Antiq. grecq. & de Lacédem.) Phiditia, les phidities étoient des repas publics qui se donnoient en Grece. Ils furent institués par Lycurgue. Ce législateur voulant faire plus vivement la guerre à la molesse & au luxe, & achever de déraciner l'amour des richesses, fit à Lacédemone l'établissement des repas publics. Il en écarta toute somptuosité & toute magnificence : il ordonna que tous les citoyens mangeroient ensemble des mêmes viandes qui étoient réglées par la loi ; & il leur défendit expressément de manger chez eux en particulier.
Les tables étoient de quinze personnes chacune, un peu plus ou un peu moins ; & chacun apportoit par mois un boisseau de farine, huit mesures de vin, cinq livres de fromage, deux livres & demie de figues, & quelque peu de leur monnoie pour acheter de la viande. Il est vrai que quand quelqu'un faisoit chez lui un sacrifice, ou qu'il avoit été à la chasse, il envoyoit une piece de sa victime ou de sa venaison, à la table dont il étoit ; car il n'y avoit que ces deux occasions où il fût permis de manger chez soi ; savoir, quand on étoit revenu de la chasse fort tard, & que l'on avoit achevé fort tard son sacrifice : autrement on étoit obligé de se trouver au repas public ; & cela s'observa fort long-tems avec une très-grande exactitude, jusques-là que le roi Agis, qui revenoit de l'armée, après avoir défait les Athéniens, & qui vouloit souper chez lui avec sa femme, ayant envoyé demander ses portions dans la salle, les polémarques les lui refuserent ; & le lendemain Agis ayant négligé par dépit d'offrir le sacrifice d'actions de graces, comme on avoit accoutumé après une heureuse guerre, ils le condamnerent à une amende qu'il fut obligé de payer.
Les enfans même se trouvoient à ces repas, & on les y menoit comme à une école de sagesse & de tempérance. Là, ils entendoient de graves discours sur le gouvernement ; ils voyoient des maîtres qui ne pardonnoient rien, & qui railloient avec beaucoup de liberté, & ils apprenoient eux-mêmes à railler sans aigreur & sans bassesse, & à souffrir d'être raillés ; car on trouvoit que c'étoit une qualité digne d'un lacédemonien, de supporter patiemment la raillerie. S'il y avoit quelqu'un qui ne pût la souffrir, il n'avoit qu'à prier qu'on s'en abstint, & l'on cessoit sur l'heure.
A mesure que chacun entroit dans la salle, le plus vieux lui disoit en lui montrant la porte, rien de tout ce qui a été dit ici, ne sort par là.
Quand quelqu'un vouloit être reçu à une table, voici de quelle maniere on procédoit à son élection, pour voir s'il étoit agréé dans la compagnie : ceux qui devoient le recevoir parmi eux, prenoient chacun une petite boule de mie de pain : l'esclave qui les servoit, passoit au milieu d'eux, portant un vaisseau sur sa tête : celui qui agréoit le prétendant, jettoit simplement sa boule dans ce vaisseau ; & celui qui le refusoit, l'applatissoit auparavant entre ses doigts. Cette boule ainsi applatie valoit la feve percée qui étoit la marque de condamnation ; & s'il s'en trouvoit une seule de cette sorte, le prétendant n'étoit point reçu ; car on ne vouloit pas qu'il y en eût un seul qui ne plût à tous les autres. Celui qu'on avoit réfusé étoit dit decaddé, parce que le vaisseau dans lequel on jettoit les boules, étoit appellé caddos.
Après qu'ils avoient mangé & bu très-sobrement, ils s'en retournoient chez eux sans lumiere ; car il n'étoit pas permis de se faire éclairer, Licurgue ayant voulu que l'on s'accoutumât à marcher hardiment partout de nuit & dans les ténebres. Voilà quel étoit l'ordre de leur repas.
Par cet établissement des repas communs, & par cette frugale simplicité de la table, on peut dire que Lycurgue fit changer en quelque sorte de nature aux richesses, en les mettant hors d'état d'être desirées, d'être volées, & d'enrichir leurs possesseurs ; car il n'y avoit plus aucun moyen d'user ni de jouir de son opulence, non pas même d'en faire parade, puisque le pauvre & le riche mangeoient ensemble en même lieu ; & il n'étoit pas permis de venir se présenter aux salles publiques, avec la précaution d'avoir pris d'autre nourriture, parce que tous les convives observoient avec grand soin celui qui ne buvoit & ne mangeoit point, & lui réprochoient son intempérance ou sa trop grande délicatesse, qui lui faisoient mépriser ces repas publics.
Les riches furent extrèmement irrités de cette ordonnance, & ce fut à cette occasion que dans une émeute populaire, un jeune homme nommé Alcandre créva un oeil à Lycurgue d'un coup de bâton. Le peuple irrité d'un tel outrage, remit le jeune homme entre les mains de Lycurgue qui sut bien s'en venger ; car d'emporté & de violent qu'étoit Alcandre, il le rendit très-sage & très-modéré.
Les repas publics étoient aussi fort en usage parmi les philosophes de la Grece. Chaque secte en avoit d'établis à certains jours avec des fonds & des revenus, pour en faire la dépense ; & c'étoit, comme le remarque Athenée " afin d'unir davantage ceux qui s'y trouvoient, afin de leur inspirer la douceur & la civilité si nécessaires au commerce de la vie. La liberté d'une table honnête produit ordinairement tous ces bons effets ". Et qu'on ne s'imagine point que ces repas fussent des écoles de libertinage, où l'on rafinât sur les mets & sur les boissons enivrantes, & où l'on cherchât à étourdir sa severe raison : tout s'y passoit avec agrément & décence. On n'y cherchoit que le plaisir d'un entretien libre & enjoué : on y trouvoit une compagnie choisie, & aussi sobre que spirituelle : on y chantoit l'hymne qu'Orphée adresse aux muses, pour faire voir qu'elles président à toutes les parties de plaisir dont la vertu ne rougit point. Timothée général des Athéniens, fut un jour traité à l'académie par Platon. Un de ses amis l'arrêta en sortant, & lui demanda s'il avoit fait bonne chere. Quand on dine à l'academie, répondit-il en souriant, on ne craint point d'indigestion.
Rien ne ressembloit mieux à ces festins philosophiques, que les agapes, ou repas de charité des premiers chretiens qui faisoient même une partie du service divin dans les jours solemnels ; mais comme les meilleures choses degénerent insensiblement, le luxe y prit la place de la modestie, & la licence qui ose tout, en chassa la retenue. On fut enfin obligé de les supprimer.
Meursius a épuisé tout ce qui regarde les phidities, lisez-le. (D.J.)
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PHILA | S. f. (Mythol.) un des noms de Vénus qui caractérise la mere de l'amour, car , c'est aimer. (D.J.)
PHILA, (Géog. anc.) 1°. île de la Lybie. Elle étoit formée par les eaux du fleuve Triton, & on y voyoit la ville de Nysa, dans laquelle on ne pouvoit entrer que par un seul endroit appellé portae Nisiae, les portes de Nysa. 2°. Il y avoit une ville nommée Phila en Macédoine, à moitié chemin entre Dium & Tempe, sur un rocher au bord d'un fleuve qui semble être l'Enipée, suivant la narration de Tite-Live, livre XXXXIV, c. viij. (D.J.)
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PHILADELPHE | (Hist. anc.) nom tiré du grec , amateur, & d', frere. Il fut donné comme une marque de distinction par les anciens à quelques princes qui avoient marqué beaucoup d'attachement pour leurs freres. Le plus connu est Ptolomée Philadelphe, roi d'Egypte, dont la mémoire ne périra jamais, tant que dureront les lettres qu'il honora toujours d'une protection éclatante, soit en formant la magnifique bibliothéque d'Alexandrie, composée de 400000, & selon d'autres, de 700000 volumes, sous la direction de Demetrius de Phalere, soit en faisant traduire en grec les livres saints ; cette traduction qu'on appelle communément la version des septante parce que ce prince y employa soixante-dix savans.
Le P. Chamillart avoit une médaille d'une reine de Comagene, avec le titre de philadelphe, sans aucun autre nom, & M. Vaillant dit que Philippe, roi de Syrie, avoit pris le même titre.
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PHILADELPHIE | (Géog. anc. & mod.) Philadelphia, ou Philadelphea, ville de l'Asie mineure, à 27 milles de Sardes vers le sud-est, au pié du Tmolus, d'où la vue est très-belle sur la plaine : elle tiroit son nom d'Attalus philadelphe, frere d'Euménes son fondateur. Les habitans s'appelloient philadelphei & philadelphini. Cette ville fut célèbre entr'autres par des jeux publics, & Georges Wheler rapporte une inscription, où entr'autres choses on y lit : KOINA ACIAC EN , c'est-à-dire les fêtes communes de l'Asie à Philadelphie, ou l'assemblée solemnelle pour les jeux de l'Asie à Philadelphie.
Philadelphie a été dans le premier siecle un siege épiscopal. Les grecs modernes conservent l'ancien nom de Philadelphie, & les Turcs l'appellent Allahscheyr, comme pour dire, la ville de Dieu : lorsqu'ils vinrent pour s'emparer du pays, les habitans se défendirent vigoureusement ; mais les Turcs, pour leur donner de la terreur, s'aviserent de faire un retranchement par une muraille toute d'os de morts liés ensemble avec de la chaux ; les habitans se rendirent en faisant une capitulation plus douce que celle de leurs voisins. On leur laissa quatre églises qu'ils ont encore ; savoir, Panagia, S. George, S. Théodore & S. Taxiarque, qui est le même que S. Michel. Il y a dans Philadelphie cinq à six mille habitans, entre lesquels on peut compter mille chrétiens. Long. 47. latit. 38. 6.
Il y a eu une ville de Cilicie, & une ville d'Egypte, qui ont porté le nom de Philadelphie. (D.J.)
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PHILADELPHIES | (Littérat. & Art numism.) ; c'est ainsi qu'on nommoit des jeux institués à Sardes, pour célébrer l'union de Caracalla & de Géta, fils de Septime-Sévere, .
Les Sardiens ayant élévé un temple en l'honneur de Septime & des princes ses enfans, ils y offrirent des sacrifices, & célébrerent des jeux solemnels qu'ils nommèrent philadelphies, pour engager les deux freres à la concorde, ou plutôt pour demander aux dieux cette union tant désirée, & qui étoit l'objet principal des voeux de l'empereur leur pere. Sur un médaillon frappé à Sardes, sous Septime, la Concorde paroît debout entre Caracalla & Géta, avec cette legende : .
Ces jeux n'étoient point différens des anciens jeux consacrés aux dieux ; il paroît même qu'ils étoient pythiques, c'est-à-dire qu'on célébroit les jeux pythiques pour la concorde de Caracalla & de Géta ; la couronne de laurier qui est sur la médaille, en est une preuve visible : & même ces jeux sont expressément nommés pythiens sur une médaille de Périnthe, , avec une urne qui indique que ces deux noms expriment la même espece de jeux. S'ils avoient été différens, ils auroient été désignés par deux urnes, suivant un usage reconnu par les plus savans antiquaires.
Les deux temples couronnés font connoître qu'on célébra à Sardes les jeux , en même tems que les augustaux, comme ils le furent sous le même regne à Nicée. On lit sur une médaille de cette ville, . Les deux temples couronnés paroissent sur une autre médaille de Sardes, avec la tête de Julia Domna, mere des deux princes.
Au reste ces voeux furent bien inutiles. Caracalla, peu après la mort de Septime, eut l'inhumanité monstrueuse de poignarder Géta entre les bras de l'impératrice leur mere ; & si les deux temples sont encore représentés avec leurs couronnes, sur une médaille de Caracalla, on n'y lit plus le titre de .
On pourroit, dit M. de Montesquieu, appeller Caracalla, non pas un tyran, mais le destructeur des hommes. Caligula, Neron & Domitien bornerent leur cruauté dans Rome ; celui-ci alla promener sa fureur dans tout l'univers. Ayant commencé son regne par tuer, comme nous l'avons dit, Géta son frere entre les bras de l'impératrice leur mere, il employa ses richesses à faire souffrir son crime aux soldats qui aimoient Géta, & disoient qu'ils avoient fait serment aux deux enfans de Sévere, non pas à un seul ; qu'enfin les temples qu'ils avoient bâtis, & les philadelphies qu'ils avoient célébrées, regardoient les deux fils de l'empereur, & non pas un seul.
Caracalla pour les appaiser augmenta leur paye ; & pour diminuer l'horreur du meurtre de son frere, il le mit au rang des dieux : ce qu'il y a de singulier, c'est que cela lui fut exactement rendu par Macrin, qui, après l'avoir fait poignarder, lui fit bâtir un temple, & y établit les prêtres flamines en son honneur. Cela fit que sa mémoire ne fut pas flétrie, & que le sénat n'osant le juger, il ne fut pas mis au rang des tyrans, comme Commode, qui le méritoit moins que lui. Mém. de Littérat. tom. XVIII. ind. 4. pag. 144. (D.J.)
PHILADELPHIE, pierres de, (Hist. nat.) les murs de Philadelphie, ville de l'Asie mineure, sont bâtis d'une pierre qui renferme des concrétions semblables à des os, ce qui a donné lieu à une fable qui dit que les Turcs, après s'être rendu maîtres de cette ville, la fortifierent avec les os des chrétiens, dont ils éleverent des murailles.
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PHILAE | (Géog. anc.) ville d'Egypte, proche de la cataracte du Nil, selon Ptolomée, liv. IV. chap. v. Il y avoit aussi une île de même nom ; & c'est dans cette île que la ville étoit bâtie, selon Séneque, liv. IV. quaest. nat. c. ij. Le Nil, après s'être répandu dans de vastes déserts, & y avoir formé divers marais, se rassemble au-dessus de Philae, île escarpée de tous côtés, deux bras du fleuve font cette île, & se réunissant au-dessous, ne forment plus qu'un seul lit, qui est le Nil, & qui en porte le nom. (D.J.)
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PHILAETÉRIENNE | adj. (Botan. anc.) épithete donnée par les anciens botanistes à une plante qui avoit quelque ressemblance avec la rue. Pline en fait mention, & le P. Hardouin dans ses notes, pense que cette dénomination lui a été donnée par rapport à Philaeteres, roi de Cappadoce : elle pourroit également avoir reçu son nom de Philaeterus, roi de Pergame ; mais le principal seroit de connoître la plante même. (D.J.)
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PHILALI | S. m. (Ant. Grecq.) nom que les Grecs modernes donnent à la prison publique de Misistra : c'est la même prison où le roi Agis finit malheureusement ses jours. Ces sortes de lieux changent peu d'usage, sur-tout quand ils sont près d'un tribunal souverain, comme celui-ci l'étoit autrefois des Nomophylaces, & comme on dit qu'il l'est encore aujourd'hui du Mula. Quoique ce soit un réduit effroyable, il n'y en a point de plus renommé chez les auteurs. Strabon rapporte qu'il s'appelloit caeades, & pour nous figurer un cachot, il le représente comme une caverne. Dion, Chrysostome, Eustathius, Suidas, & plusieurs autres en ont parlé ; mais aussi c'étoit la prison de Sparte. Plutarque m'attendrit sans cesse, quand je relis dans sa vie d'Agis, de quelle façon ce jeune roi & les deux princesses Archidamia & Agésistrata moururent dans cette petite prison. Elle est située près de la rue du grand Bazar, cette fameuse rue qu'on appelloit autrefois Aphétaïs, & qu'Ulysse contribua tant à rendre célebre, quand elle lui servit de carriere, pour disputer à la course, la possession de Pénélope contre ses rivaux. Icarius, pere de cette belle lacédémonienne, voyant plusieurs amans qui la recherchoient, incertain du choix, leur proposa des jeux de course dans ce même lieu, & promit Pénélope pour prix de la victoire qu'Ulysse eut la gloire de remporter. En reconnoissance de cet avantage, il consacra dans Sparte trois temples à Pallas, sous le nom de Céleuthée. (D.J.)
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PHILANDRE | PHILANDER, OPOSSUM, s. m. (Zoologie) animal très-remarquable d'Amérique. Il a été fort mal décrit par divers auteurs sous le nom de maritacaca, carigoi, ropoza, caregueia, jupatuma, tlaquatzin, sarigoi, semi vulpa, marsupiale, &c.
C'est un animal de la grosseur d'un gros chat. Sa tête est faite comme celle d'un renard. Il a le nez pointu & la mâchoire supérieure plus longue que l'inférieure. Ses dents sont petites, mais semblables à celles du renard, excepté qu'il en a deux grandes comme le lievre au haut du museau ; ses yeux sont petits, ronds, & pleins de vivacité. Ses oreilles sont grandes, lisses, douces, droites, comme celles du renard, minces & comme transparentes. Il a comme le chat des moustaches noires, & d'autres poils de même espece sur la face & au-dessus des yeux : sa queue est ronde & d'un pié de long, pleine de poil à son insertion, ensuite toute chauve, de couleur en partie noire, & en partie d'un brun cendré ; ses piés de derriere sont beaucoup plus longs que ceux de devant ; ils ressemblent à des mains, & ont chacun cinq orteils armés d'ongles blancs & crochus ; l'orteil de derriere est le plus long, ainsi que dans les singes. Son dos & ses côtés sont de couleur noirâtre avec un mélange de gris, & d'un faux jaune sur le ventre.
L'opossum répand une odeur puante comme le renard, il se nourrit de cannes de sucre, & d'autres végétaux ; il mange aussi les oiseaux qu'il va prendre jusque sur les arbres, & imite souvent les ruses du renard pour piller la volaille.
Mais ce qui le distingue de tous les autres animaux du monde, c'est le sac ou la poche dans laquelle la femelle fait entrer ses petits lorsqu'elle met bas ; alors le petit opossum n'est pas plus gros qu'une noix, quoique destiné à l'être autant qu'un chat. Ce sac est placé sous le ventre près des jambes de derriere. Les petits s'y trouvent à l'abri jusqu'à ce qu'ils soient en état de se tirer d'affaire ; & quand ils commencent à être forts, ils en sortent, & y rentrent librement pendant quelques semaines. Enfin lorsqu'ils sont grands, la mere les en chasse pour toujours, comme font les femelles des autres animaux, à l'égard de leurs petits. L'opossum male a, de même que la femelle, cette espece de poche sous le ventre, & prend de tems-en-tems sur lui le soin d'y porter ses petits, pour les tirer d'un danger pressant, & soulager sa femelle.
Cette poche singuliere mérite bien que nous la décrivions. C'est un corps membraneux assez mince, quoique composé de plusieurs membranes ; il y a quatre paires de muscles qui servent à la resserrer & l'étendre, à ouvrir & à fermer l'ouverture. Deux os particuliers à cet animal, & qui sont placés dans cette partie de son corps, servent à l'insertion des muscles dont nous venons de parler. La poche paroît être en partie musculeuse, & en partie glanduleuse, car elle a la double action du mouvement & de sécrétion. L'intérieur de cette poche est tapissé de quelques poils, qui sont çà & là, couverts d'une matiere jaune & gluante, produite par diverses petites glandes dont la poche est semée ; cette matiere cérumineuse est d'une odeur forte & désagréable.
Le sac de l'opossum, outre sa tunique glanduleuse & musculaire, est pourvu d'une troisieme tunique vasculaire ; dans laquelle les vaisseaux sanguins décourent en grand nombre.
L'opossum sent aussi mauvais pendant qu'il est en vie que le putois, & même davantage. Cette odeur virulente vient principalement de la matiere contenue dans sa poche, qui est d'une nature si semblable à celle du sac de la civette, qu'après avoir été exposée à l'air pendant quelques jours, elle perd son odeur forte, & devient un parfum des plus agréables, approchant de celui de la civette.
La structure des jambes, des piés & des ongles de l'opossum, semble lui avoir été donnée pour grimper avantageusement sur les arbres ; & c'est aussi ce qu'il exécute avec beaucoup de vîtesse.
Enfin, la nature a employé une méchanique admirable dans les épines ou crochets, qui sont au centre du côté inférieur des vertèbres de sa queue. Les trois premieres vertèbres n'ont point d'épines ; mais on les voit dans toutes les autres. Elles sont placées justement au milieu & à côté de chaque jointure. Je crois qu'on ne sauroit rien imaginer de plus propre à cette fonction que de le suspendre par la queue ; car la queue étant une fois tournée autour d'une branche, soutient aisément le poids de l'animal par le moyen de ces épines crochues ; cette action ne demande qu'un peu de travail dans les muscles pour courber ou fléchir la queue.
J'aurois beaucoup d'autres choses curieuses à ajouter, mais je les supprime en renvoyant le lecteur à l'anatomie de l'opossum par le docteur Tyson, en 1698, dans les Trans. philos. n. 239(D.J.)
Il y a plusieurs especes de philandres que l'on a réunies sous un même genre. Leurs caracteres communs sont d'avoir, dans la mâchoire du dessous, huit dents incisives, & dans celle de dessus dix : les deux du milieu, sont plus grandes que les autres, & d'avoir les piés conformés comme ceux des singes. Les especes de philandres sont au nombre de neuf ; savoir, 1°. le philandre simplement dit, c'est celui qui a été décrit dans cet article ; 2°. le philandre oriental, qui a une couleur brune foncée sur le dos, & jaune sous le ventre, avec des taches jaunes au-dessous des yeux : il est plus grand que le philandre simplement dit ; car il a onze pouces de longueur depuis l'occiput jusqu'à l'origine de la queue, tandis que l'autre n'a que huit pouces ; 3°. le philandre d'Amboine, qui est d'un rouge bai noirâtre sur le dos, & de couleur cendrée blanchâtre sur le ventre, avec des taches d'un brun foncé ; sa longueur est de treize pouces. Les femelles de la seconde & de la troisieme espece de philandres ont une poche sur le ventre, comme celles de la premiere espece ; mais les femelles des cinq especes suivantes n'ont pas cette poche ; & on ne sait si les individus, tant mâles que femelles de ces cinq especes ont les autres caracteres de ce genre seulement, il est certain qu'ils ressemblent aux philandres des trois premieres especes par la forme de la tête, du museau, de la queue, des piés, &c. & par la façon de vivre : ces cinq especes sont le philandre du Brésil, le philandre d'Amérique, le philandre d'Afrique, le philandre de Surinam, le philandre à grosse tête, & le philandre à courte queue. Regn. anim. par M. Brisson.
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PHILANTROPIE | S. f. (Moral.) la philantropie est une vertu douce, patiente & désintéressée, qui supporte le mal sans l'approuver. Elle se sert de la connoissance de sa propre foiblesse, pour compatir à celle d'autrui. Elle ne demande que le bien de l'humanité, & ne se lasse jamais dans cette bonté désintéressée ; elle imite les dieux qui n'ont aucun besoin d'encens ni de victimes. Il y a deux manieres de s'attacher aux hommes ; la premiere est de s'en faire aimer par ses vertus, pour employer leur confiance à les rendre bons, & cette philantropie est toute divine. La seconde maniere est de se donner à eux par l'artifice de la flatterie pour leur plaire, les captiver & les gouverner. Dans cette derniere pratique, si commune chez les peuples polis, ce n'est pas les hommes qu'on aime, c'est soi-même. (D.J.)
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PHILARMONICI | (Hist. littér.) c'est le nom que prend une société littéraire établie à Vérone en Italie, en 1543. Elle a quatre présidens ou directeurs, que l'on nomme peres. Cette académie embrasse tous les objets des sciences. Elle s'assemble dans un édifice dans lequel on voit plusieurs salles dont une est ornée des portraits des principaux membres de la société avec cette inscription, anno MDXLIII. coetus philharmonicus academicas leges sancit, ac musis omnibus litat.
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PHILAUTIE | S. f. (Morale) C'est ce que l'on entend dans les écoles par l'amour de soi-même, qui est une affection vicieuse, & une complaisance démesurée pour sa propre personne.
Ce mot est formé du grec, amicus, ami, & , ipse, soi-même. Voyez AMOUR-PROPRE.
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PHILELIE | S. f. (Belles Lettres) chanson des anciens Grecs en l'honneur d'Apollon. La philelie, dit Athénée, liv. XIV. ch. iij. étoit une chanson à l'honneur d'Apollon, comme l'enseigne Telesilla. Elle fut ainsi appellée, observe Casaubon, du refrein propre à cette chanson, , levez-vous, levez-vous, charmant soleil ; le nom seul de cette chanson peut terminer la question par laquelle on a quelquefois proposé, si le soleil est dans l'ancienne fable le même qu'Apollon, Mém. de l'acad. des Bell. lettr. tom. IX. p. 355.
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PHILÉTAERE | S. m. (Antiq. grecq.) les Philétaeres formoient une société de plusieurs personnes qui avoient une espece de magistrature à Cysique ; mais on ignore en quoi consistoient leurs fonctions. On connoit plusieurs monnoies des rois de Pergame sur lesquelles on lit le nom de Philétaere, , autour de différentes têtes ; mais ces monnoies n'ont aucun rapport à la société de Cyzique. Elles tirent leur nom de Philétaere premier roi de Pergame, & cependant comme il seroit bien singulier que ces monnoies fussent toutes de ce prince, quelques antiquaires croyent que ses successeurs prirent le même nom sur leurs monnoies, comme les rois d'Egypte adopterent le nom du premier Ptolomée. Voyez les Antiq. de M. de Caylus.
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PHILIADES | (Géog. anc.) Philiadae, bourgade de l'Attique. Elle prenoit son nom de Philaeus, fils d'Ajax, & étoit la patrie de Pisistrate. On lit aujourd'hui à Athènes, au rapport de M. Spon, liste de l'Attique, l'inscription suivante : , c'est-à-dire, " la tribu Aegéïde des hommes a eu la victoire ; Evagides, fils de Ctésias de Philiadoé, a présidé aux jeux ; Lysimachidès Epidamnien a eu soin de la musique ; Charilaüs Locrien a récité ; Euthycritus a été archonte ". (D.J.)
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PHILIPPE | (Médailles) médaille & monnoie de Philippe, roi de Macédoine. On donne sur-tout ce nom aux monnoies d'or & d'argent de ce prince. Les philippes d'or étoient célebres dans l'antiquité, parce que c'étoit une sort belle monnoie & d'excellent or. Snellius, dans son livre de re nummariâ, parle d'un philippe qui pesoit 179 grains d'Hollande. Il y en a parmi les médailles du roi qui pesent 158 grains, & nos grains sont plus pesans que ceux de Hollande, dont Snellius se servoit ; les 179 grains de Hollande reviennent à 160 de France, & à 154 d'Angleterre. Il y a aussi des philippes d'argent & des philippes de bronze. (D.J.)
PHILIPPE, saint, (Géog. mod.) forteresse de l'île de Minorque, au-dessus de Port-Mahon, sur un rocher près de la côte. Les rois d'Espagne l'avoient fait bâtir dans le siecle dernier pour la défense de cette île, dont les Anglois s'emparerent en 1708 ; les François leur ont enlevé le fort & l'île en 1757, mais la paix leur rendra cette île.
PHILIPPE, (Monnoie) ou philippus, monnoie d'or de Flandres, d'un titre assez bas, on la nomme rider en Allemand.
Il y a eu aussi des philippus d'argent qui pesent près de six deniers plus que les écus de France, de neuf au marc, mais qui ne prennent de fin que neuf deniers vingt grains.
Les philippus d'Espagne, qui ont eu un grand cours en plusieurs villes d'Allemagne, où on les appelloit philippe-thaler, particulierement à Francfort & à Nuremberg, s'y recevoient sur le pié de cent creutzers communs, ou de 82 creutzers de change : c'est ordinairement sur cette espece de monnoie que se réduisoient & s'évaluoient les payemens au commencement de ce siecle. (D.J.)
PHILIPPES, bataille de, (Hist. rom.) cette bataille se donna l'an 712 de Rome sur la fin de l'automne. Brutus & Cassius les derniers Romains y périrent, & leurs troupes furent entierement défaites par celles d'Octavien. Cette ville de Philippes étoit de Phthiotide, petite province de Thessalie ; & c'est une chose assez remarquable, que la bataille de Pharsale & celle de Philippes qui porta le dernier coup à la liberté des Romains, se soient données dans le même pays & dans les mêmes plaines.
PHILIPPES, (Géog. anc.) en latin Philippi, ville de la Macédoine, selon quelques-uns, & de la Thrace, selon le plus grand nombre, entre le Strymon & le Nestus ou Nessus, assez proche de la mer. Pline, l. IV. c. xj. Pomponius Mela, l. II. c. ij. & d'autres anciens Géographes ont eu raison de mettre Philippi dans la Thrace, parce qu'elle étoit à notre égard audelà du fleuve Strymon qui sépare la Macédoine proprement dite, d'avec la Thrace.
Avant que Philippe la fortifia, elle se nommoit Dathos, & auparavant encore on la nommoit Crénides, selon Appien, civil. l. IV. p. 650, qui nous apprend qu'elle étoit située sur une colline escarpée, dont elle occupoit tout le sommet. Les Romains y établirent une colonie. Le titre de colonie lui est donné dans les Actes des apôtres, c. xvj. vers. 12. & dans Pline, l. IV. c. xj. de même dans plusieurs médailles. Aujourd'hui cette ville s'appelle Philippigi, & conserve encore quelques restes d'antiquités.
Elle est célebre à d'autres égards, & particulierement dans le Christianisme par l'épître que S. Paul adressa à ses habitans. Elle est encore bien mémorable dans l'histoire par la bataille qui s'y donna l'an de Rome 712, & qui fut fatale à Brutus & à Cassius, cum fracta virtus, & minaces turpe solum tetigere mento, dit Horace ; cette bataille où la valeur même fut contrainte de céder à la force. Cassius périt dans cette malheureuse journée, & Brutus s'y donna la mort, desespérant trop-tôt du salut de sa patrie.
Comme l'occasion se présentera de peindre ailleurs le caractere de Brutus, je me contenterai de rapporter ici ce que César en augura dans la conjoncture suivante. Le roi Déjotarus eut une grande affaire à Rome, dont personne n'osoit entreprendre la défense ; Brutus s'en chargea, & César l'ayant entendu plaider cette cause dont il étoit juge, dit en se retournant vers ses amis : " Il est de la derniere importance d'examiner si ce que cet homme-là veut est juste ou non, car ce qu'il veut, il le veut bien fort ". Le roi de la petite Arménie n'oublia jamais le service de Brutus ; il se déclara hautement en sa faveur après l'assassinat de César, mais malheureusement pour Brutus, ce prince ne survécut guere lui-même à cet événement. (D.J.)
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PHILIPPEVILLE | (Géog. mod.) petite ville de France dans le Hainaut, sur une hauteur auprès des ruisseaux de Jaimagne & de Bridon, à 6 lieues N. O. de Charlemont, à 3 N. de Marienbourg, à 10. S. E. de Mons, & à 56 de Paris. Ce n'étoit autrefois qu'un bourg, nommé Corbigni, que Marie, reine d'Hongrie, soeur de Charles-Quint, fit fortifier en 1555, & qu'elle nomma Philippeville, en l'honneur de Philippe II. roi d'Espagne, son neveu. Il y a de nouvelles fortifications de la façon de M. de Vauban. Long. 22. 6. latit. 50. 10. (D.J.)
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PHILIPPINES | LES, (Géog. mod.) îles de la mer des Indes, au-delà du Gange, presque vis-à-vis les grandes côtes des riches royaumes de Malaca, Siam, Camboia, Chiampa, Cochinchine, Tunquin, & la Chine. Elles sont situées dans la mer que Magellan appella l'archipel de S. Lazare, parce qu'il y mouilla ce jour-là sous la zone Torride, entre l'équateur & le tropique du Cancer.
Ces îles anciennement connues sous le nom de Maniolae furent découvertes en 1521 par le même Magellan dont je viens de parler, & qui y fut tué. Elles furent appellées Philippines du nom de Philippe II. roi d'Espagne, sous le regne duquel les Espagnols s'y sont fixés en 1564.
Quand ils y entrerent, ils y trouverent trois sortes de peuples. Les Mores Malais étoient maîtres des côtes, & venoient, comme ils le disoient eux-mêmes, de Bornéo & de la terre-ferme de Malaca. De ceux-ci sont sortis les Tagales, qui sont les originaires de Manille & des environs, comme on le voit par leur langage qui est fort semblable au Malais, par leur couleur, par leur taille, par leurs coutumes & leurs manieres. L'arrivée de ces peuples dans ces îles a pu être fortuite & causée par quelque tempête, parce qu'on y voit souvent aborder des hommes dont on n'entend point le langage. En 1690, par exemple, une tempête y amena quelques Japonois. Il pourroit bien se faire aussi que les Malais seroient venus habiter ces îles d'eux-mêmes, soit pour le trafic ou autres raisons ; mais tout cela est incertain.
Ceux qu'on appelle Bisayas & Pintados dans la province de Camerinos, comme aussi à Leyte, Samal, Panay & autres lieux, viennent vraisemblablement de Macassar, où l'on dit qu'il y a plusieurs peuples qui se peignent le corps comme des Pintados.
Pierre Fernandes de Quiros, dans la relation de la découverte des îles de Salomon en 1595, dit qu'ils trouverent à la hauteur de 10d. nord à 1800 lieues du Pérou, à-peu-près à la même distance des Philippines, une île appellée la Magdeleine, habitée par des Indiens bien faits, plus grands que les Espagnols, qui alloient nuds, & dont le corps étoit peint de la même maniere que celui des Bisayas.
On doit croire que les habitans de Mindanao, Nolo, Bool & une partie de Cébu sont venus de Ternate. Tout le persuade : le voisinage, le commerce, & leur religion, qui est semblable à celle des habitans de Ternate. Les Espagnols en arrivant les trouverent maîtres de ces îles.
Les noirs qui vivent dans les rochers & dans les bois, dont l'île de Manille est couverte, different entierement des autres. Ils sont barbares, se nourrissent de fruits, de racines, de ce qu'ils prennent à la chasse, & n'ont d'autre gouvernement que celui de la parenté, tous obéissans au chef de la famille. Ils ont choisi cette sorte de vie par amour pour la liberté. Cet amour est si grand chez eux, que les noirs d'une montagne ne permettent point à ceux d'une autre de venir sur la leur, autrement ils se battent cruellement.
Ces noirs s'étant alliés avec des Indiens sauvages, il en est venu de la tribu des Manghiens, qui sont des noirs qui habitent dans les îles de Mindora & de Mundo. Quelques-uns ont les cheveux crépus comme les negres d'Angola, d'autres les ont longs. Les Samballes, autres sauvages portent tous les cheveux longs, comme les Indiens conquis.
Du reste, il est encore vraisemblable qu'il a passé dans les Philippines des habitans de la Chine, de Siam, de Camboya, & de la Cochinchine. Quoiqu'il en soit, les Espagnols ne possedent guere que les côtes de la plûpart de ces îles.
Le climat y est chaud & humide. Il y a plusieurs volcans, & elles sont sujettes non-seulement à de fréquens tremblemens de terre, mais à des ouragans si terribles qu'ils déracinent les plus gros arbres. Ces accidens n'empêchent point que les arbres ne soient toujours verds, & qu'ils ne portent deux fois l'année. Le ris vient assez bien dans ces îles, & les palmiers y croissent en abondance. Les bufles sauvages y sont communs ; les forêts sont remplies de cerfs, de sangliers, & de chevres sauvages semblables à celles de Sumatra. Les Espagnols y ont apporté de la nouvelle Espagne, du Japon & de la Chine des chevaux & des vaches qui ont beaucoup multiplié.
On tire de ce pays des perles, de l'ambre gris, du coton, de la cire & de la civette. Les montagnes abondent en mines d'or, dont les rivieres charrient des paillettes avec leur sable ; mais les Indiens s'attachent peu à les ramasser, dans la crainte qu'ils ont qu'on ne les y force par l'esclavage.
Les principales d'entre les Philippines sont Manille ou Luçon, Mindanao, Ibabao, Leyte, Paragua, Mindoro, Panay, Cébu, Bool & l'île des noirs. Les cartes géographiques mettent toutes les Philippines entre le 132 & 145 degrés de longitude, & leur latitude depuis 5 degrés jusqu'à 20. (Le chevalier DE JAUCOURT ).
PHILIPPINES, les nouvelles, ou les îles de Palaos, (Géog. mod.) îles de la mer des Indes, situées entre les Moluques, les anciennes Philippines & les Marianes. Le hasard les fit découvrir au commencement de ce siecle par la violence des vents, qui porterent à la pointe de l'île du Samal, une des plus orientales des Philippines, quelques-uns des insulaires qui s'étoient embarqués pour se rendre dans une de leurs propres îles. On en peut voir le récit dans les lettres édifiantes.
Elles nous apprennent qu'on compte plus de quatre-vingt nouvelles îles philippines, qui forment un des beaux archipels de l'Orient & qui sont fort peuplées. Les habitans vont à moitié nuds à cause de la grande chaleur. Ils ne paroissent avoir aucune idée de la divinité, & n'adorent aucune idole. Ils ne connoissent aucun métal, se nourrissent de poissons & de fruits. Ils laissent croître leurs cheveux qui leur flottent sur les épaules. La couleur de leur visage est à-peu-près la même que celle des Indiens des anciennes Philippines ; mais leur langage est entierement différent de tous ceux qu'on parle dans les îles espagnoles, & même dans les îles Marianes. C'est dommage que nous n'ayons aucune connoissance de ces nouvelles îles & des peuples qui les habitent ; car les Espagnols ont fait jusqu'ici des tentatives inutiles pour y aborder ; les ouragans & les brises qui regnent dans ces mers, ont fait périr tous les vaisseaux qu'ils avoient équipés pour s'y rendre. Long. 145. 160. latit. 2. jusqu'au 11. (D.J.)
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PHILIPPIQUES | S. f. plur. (Littérat.) nom qu'on donne aux oraisons ou harangues de Démosthene contre Philippe, roi de Macédoine. Voyez ORAISON.
On regarde les philippiques comme les pieces les plus importantes de ce célebre orateur. Longin cite un grand nombre d'exemples du style sublime qu'il tire de ces oraisons, & il en développe parfaitement les beautés. En effet, la véhémence & le pathétique qui faisoient le caractere de Démosthene, ne se produisent nulle part ailleurs avec plus de force que dans ces interrogations pressantes, & dans ces vives apostrophes avec lesquelles il tonnoit contre l'indolence & la mollesse des Athéniens. Quelque délicatesse qu'il y ait dans le discours du même orateur contre Leptines, les philippiques l'emportent encore, soit par la grandeur du sujet, soit par l'occasion qu'elles fournissent à Démosthene de déployer son principal talent, celui d'émouvoir & d'étonner.
Denys d'Halycarnasse met l'oraison sur l'Halonese au nombre des philippiques, & la compte pour la huitieme ; mais quelque respectable que soit l'autorité de ce critique, cette oraison sur l'Halonese n'a ni la force, ni la majesté qui, selon Cicéron, caracterise les philippiques de Démosthene ; aussi les savans la regardent-ils généralement comme un ouvrage supposé.
Libanius, Photius, & d'autres l'attribuent à Hégésippe, fondés principalement sur la langueur du style & sur la bassesse d'expression qui regnent dans cette piece, & qui sont diamétralement opposées à l'énergie & à la noblesse de l'élocution de Démosthene.
M. de Tourreil a donné une excellente traduction des philippiques de Démosthene ; c'est une chose extraordinaire que de voir tant d'esprit dans une traduction, & de trouver dans une langue moderne une aussi grande partie de la force & de l'énergie de Démosthene, & cela dans une langue aussi foible que la langue françoise.
Tel est le jugement que M. Chambers a porté de la traduction de M. de Tourreil, mais nos meilleurs écrivains en pensent bien différemment.
" On a laissé, dit M. Rollin, dans la derniere traduction de M. de Tourreil, quoique beaucoup plus travaillée & plus correcte que les précédentes, beaucoup d'expressions basses, triviales, & d'un autre côté le style en est quelquefois enflé & empoulé (& il donne des exemples de l'un & de l'autre) ; défauts, ajoute-t-il, directement opposés au caractere de Démosthene dont l'élocution réunit en même tems beaucoup de simplicité & beaucoup de noblesse. M. de Maucroix en a traduit quelques discours, sa traduction moins correcte en quelques endroits me paroît plus conforme au génie de l'orateur grec ". Traité des études, tome II. page 335.
Cependant cette traduction de M. de Maucroix, selon M. l'abbé Massieu dans sa préface des oeuvres de M. de Tourreil, n'est rien moins que parfaite, puisqu'on n'y trouve pas autant de fidélité & de force qu'on y rencontre d'élégance & d'agrément ; or qu'est-ce qu'une traduction qui manque de fidélité, & qu'est-ce qu'une traduction de Démosthene, sur-tout quand elle manque de force ?
Le même abbé Massieu, dans des remarques (dont l'original se garde manuscrit à la bibliotheque du roi) sur la seconde édition de M. de Tourreil, parle ainsi de ce dernier traducteur. " Le privilege d'entendre M. de Tourreil n'est pas donné à tout le monde. En beaucoup d'endroits, on doute qu'il s'entende lui-même. Il quitte le sens pour les mots, & le solide pour le brillant. Il aime les épithetes qui emplissent la bouche, les phrases synonymes qui disent trois ou quatre fois la même chose, les expressions singulieres, les figures outrées, & généralement tous ces excès qui sont les écueils des écrivains médiocres. Il ignore sur-tout la naïveté du langage, &c ". Préface de M. l'abbé d'Olivet sur sa traduction des philippiques de Démosthene. Seroit-ce toutes ces qualités qui auroient séduit M. Chambers, & décidé son admiration pour la traduction de M. de Tourreil ?
Il suffira d'ajouter que dans les remarques dont on a parlé, M. l'abbé Massieu compte treize fautes dans la traduction que M. de Tourreil a donné de la premiere philippique, & que le P. Jouvenci en compte vingt-neuf dans celle de la derniere. On peut voir ces observations dans un ouvrage de M. l'abbé d'Olivet, intitulé philippiques de Démosthene & catilinaires de Cicéron, imprimé à Paris en 1744, où l'on trouve aussi une traduction latine de la premiere philippique par le P. Jouvenci.
On a aussi donné le nom de philippiques à quatorze oraisons de Cicéron contre Marc-Antoine. C'est Cicéron lui-même qui leur donna ce titre dans une épître à Brutus où il en parle, & la postérité l'a trouvé si juste qu'il s'est perpétué jusqu'à nous.
La seconde de ces harangues a toujours été la plus estimée. Juvenal ne craint pas de l'appeller un ouvrage divin.
Quam te conspicuae divina philippica famae
Volveris à primâ quae proxima.
Satyr. x.
Le nom même que Cicéron donna à ces pieces, qu'il eût dû naturellement appeller antoniques, marque assez le cas qu'il en faisoit, & combien il s'y étoit proposé d'imiter Démosthene, dont on dit qu'il avoit traduit la premiere philippique, mais cette traduction n'a pas passé jusqu'à nous.
Les philippiques de Cicéron lui couterent la vie ; Marc-Antoine en ayant été si irrité, que dans la proscription qui signala son triumvirat avec Auguste & Lepide, il obtint qu'on lui abandonneroit Cicéron, le fit poignarder, & attacher la tête & les mains de cet orateur sur la tribune aux harangues où il avoit prononcé les philippiques.
Durant la minorité de Louis XV. & sous le regne de M. le duc d'Orléans, il parut contre ce dernier prince un libelle en vers très-injurieux sous le nom de philippiques, par allusion au nom de Philippe que portoit M. le régent. Plusieurs poëtes furent soupçonnés d'en être les auteurs, mais sur-tout la Grange, auteur de plusieurs tragédies, qui fut envoyé aux îles de Ste Marguerite, & ne s'en sauva que pour s'expatrier. M. de Voltaire en parle ainsi dans son épître sur la calomnie :
Vous avez bien connu, comme je pense,
Ce bon régent qui gâta tout en France :
Il étoit né pour la société,
Pour les beaux arts & pour la volupté ;
Grand, mais facile, ingénieux, affable,
Peu scrupuleux, mais de crime incapable,
Et cependant, ô mensonge ! ô noirceur !
Nous avons vu la ville & les provinces
Au plus aimable, au plus clément des princes,
Donner les noms.... Quelle absurde fureur !
Chacun les lit, ces archives d'horreur,
Ces vers impurs, appellés philippiques,
De l'imposture, éternelles chroniques !
Et nul François n'est assez généreux
Pour s'élever, pour déposer contr'eux.
Ils auront le sort de tous les libelles, ils seront oubliés, & la mémoire du prince qu'ils outrageoient ne périra point.
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PHILIPPISTES | S. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que quelques Luthériens ont donné à ceux de leur secte, qui se sont attachés aux sentimens de Philippe Melanchton. Voyez LUTHERANISME.
Ce réformateur s'étant opposé vivement aux Ubiquistes ou Ubiquitaires qui s'éleverent de son tems, & la dispute loin de cesser après sa mort n'en étant devenue que plus opiniâtre, les Flacciens ou disciples de Flaccus, son antagoniste, donnerent ce nom de Philippistes aux théologiens de l'université de Wirtemberg qui soutenoient le sentiment de Melanchton. Voyez UBIQUISTE ou UBIQUITAIRE.
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PHILIPPOPOLI | (Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Romanie, dont voyez l'article au mot PHILIPPOPOLIS. (D.J.)
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PHILIPPOPOLIS | (Géog. anc.) ville de Thrace au nord, dans les terres, & sur l'Hebrus. Elle reconnoissoit Philippe, fils d'Amyntas, pour son fondateur, ou plutôt pour son restaurateur ; & elle étoit deja célebre, lorsque la ville de Philippe, Philippi, commença à faire figure dans le monde.
Cette ville subsiste encore, & s'appelle Philippopoli, ville de la Turquie en Europe, dans la Romanie, à 24 lieues au-dessus d'Andrinople, au nord-ouest, & à 68 de Constantinople. Elle est sans murailles, & bâtie sur trois hauteurs qui, selon les apparences, lui servoient autrefois de forteresses. Elle a au ponent la Marise, qui est l'Hebrus des anciens, & qui lui fournit les commodités de la vie ; elle est habitée par un petit nombre de turcs, de juifs & de chrétiens. Longit. 42. 30. latit. 42. 15. (D.J.)
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PHILIPSTAD | (Géog. mod.) petite ville du Suede dans la partie orientale du Vermeland. Elle est entre des marais & des étangs, à 7 lieues nord de Carlestadt, 42 nord-ouest de Stockolm. Longit. 32. 5. latit. 59. 30. (D.J.)
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PHILISBOUR | ou PHILIPSBOURG, (Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans le cercle du haut-Rhin, sur la rive orientale du Rhin, à l'embouchure de la Saltza, à 2 lieues au midi de Spire, 5 est de Landaw, 9 est de Worms, 16 nord-est de Strasbourg, & 110 sud de Paris.
Ce n'étoit autrefois qu'un village appellé Udenheim, où Jean Georges, comte palatin, bâtit un palais pour l'évêque de Spire en 1313. Philippe-Christophe de Sotteren, évêque de Spire, fortifia ce lieu de sept bastions, & l'appella Philippo-burgum. Ensorte que cet endroit est devenu une place très-importante qui appartient à l'évêque de Spire, mais où l'empereur a droit de mettre garnison en tems de guerre : c'est aussi pour cela qu'elle a souvent été prise & reprise ; par les Suédois, en 1633 ; par les Impériaux, en 1635 ; par Louis de Bourbon, alors duc d'Enghien, en 1644 ; par les Alliés, en 1676 ; par Louis, dauphin de France, en 1688, par les François, en 1734 ; mais cette place fut rendue bien-tôt après à l'empereur par le traité de Vienne. Long. 26. 8'. 15''. latit. 49. 13'. 50''. (D.J.)
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PHILISTINS | LES, (Géog. sacrée) peuples venus de l'île de Caphtor dans la Palestine, & descendus des Caphtorims, qui sont sortis des Chasluims, enfans de Mizraïm, suivant le récit de Moïse, Genes. x. 13. 14.
Dom Calmet a tâché de prouver dans une dissertation sur l'origine & les divinités des Philistins, que l'île de Caphtor désignoit l'île de Crete. Le nom de philistin n'est point hébreu. Les septante le traduisent ordinairement par allophyli, étrangers. Les Péléthéens & les Céréthéens étoient aussi philistins ; & les septante traduisent quelquefois, comme dans Ezéch. xxv. 16. Sophron. xj. 5. 6. céréthin par , crétois. Les Chasluims, peres des Caphtorims, demeuroient originairement dans la Pentapole cyrénaïque, selon le paraphraste Jonatham, ou dans le canton pentaschenite de la basse Egypte, selon le paraphraste jérosolymitain.
Nous trouvons dans la Marmarique la ville d'Axilis, & dans la Lybie Sagylis, noms qui ont quelque rapport avec Chasluim. Ce pays est situé près de l'Egypte, où les enfans de Mizraïm ont eu leur demeure ; & il est assis vis-à-vis l'île de Crete. Strabon, l. XVII. pag. 837. ne met que mille stades de distance entre le port de Cyrène & celui de Crete, nommé Criou-Metopou ou front de bélier. Le commerce étoit grand entre la Cyrénaïque & l'île de Crete, comme il paroît par Pline & Strabon. Il y a donc beaucoup d'apparence que les Chasluims envoyerent de la Cyrénaïque des colonies dans cette île, lesquelles passerent de-là sur les côtes de la Palestine.
Ce système ingénieux de dom Calmet, est encore appuyé par la conformité qui se trouve entre les noms de Céréthim & des Crétois, & par plusieurs traits de ressemblance entre les moeurs, les armes, les divinités, & les coutumes de ces deux peuples.
Les Philistins avoient déja des villes dans la Palestine du tems d'Abraham. Au commencement du regne de David, leur état étoit divisé en cinq petites satrapies ; ils furent assujettis par David, & soumis au roi de Juda pendant environ 240 ans. Psammiticus, roi d'Egypte, prit leur ville Azoth, après un siege de 29 ans, suivant Hérodote, l. II. c. clvij. & c'est le plus long siege de ville que l'on connoisse. Nabuchodonosor assujettit vraisemblablement les Philistins avec les autres peuples de la Syrie, de la Phénicie, & de la Palestine. Ils tomberent ensuite sous la domination des Perses, puis sous celle d'Alexandre le Grand, & enfin les Asmonéens les soumirent à leur domination. Le nom de Palestine est venu des Philistins, quoique ces peuples n'en possédassent qu'une petite partie. (D.J.)
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PHILLUS | (Géog. anc.) ville de la Thessalie ; Strabon, l. IX. p. 435. dit que c'étoit dans cette ville qu'étoit le temple de Jupiter Phylléen. (D.J.)
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PHILLYREA | S. f. (Botan.) Tournefort compte treize especes de ce genre de plante. Décrivons ici la plus commune qui est à feuilles de troësne, phillyrea folio ligustri ; C. B. P. 476. & I. R. H. 509.
Sa racine est ferme, enfoncée profondément en terre. Elle pousse plusieurs tiges à la hauteur de six à huit piés, rameuses, revêtues d'une écorce blanchâtre, un peu ridée. Ses feuilles sont assez semblables à celles du troësne, mais plus amples & plus longues, charnues, d'un verd brun, opposées les unes aux autres, ou deux à deux le long de la tige & des branches, toujours vertes, d'un goût astringent.
Ses fleurs naissent plusieurs ensemble des aisselles des feuilles, petites, & semblables à-peu-près à celles de l'olivier ; chacune d'elles est un godet découpé en quatre parties, de couleur blanche-verdâtre. Après que ces fleurs sont passées, il leur succede des baies sphériques grosses comme celles du myrte noir, quand elles sont mûres, disposées en petites grappes, d'un goût douçâtre, accompagné de quelque amertume, & approchant des baies de genievre ; elles contiennent chacune un petit noyau rond & dur.
Cet arbrisseau croît dans les haies & les bois aux environs de Montpellier. Il se plaît dans les endroits pierreux, rudes & incultes : il fleurit en Mai & Juin, & son fruit est mûr en Septembre. Comme son feuillage est toujours verd, on en fait des berceaux & de jolies palissades. Il s'éleve facilement de graine & de bouture. On le tond comme on veut, en buisson, en boule, en haie, en espalier. La Médecine ne fait point usage de cette plante ; on ne pense pas même que ce soit la même plante que la phillyrea de Dioscoride. (D.J.)
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PHILOBOETUS | (Géog. anc.) montagne de la Béotie, dans la plaine d'Elatée, selon Ortelius, qui cite Plutarque ; mais Plutarque, in Syllâ, dit simplement qu'il y avoit dans la plaine d'Elatée une éminence, où Hortensius & Sylla camperent. Cette éminence étoit très-fertile, couverte d'arbres, & au pié couloit un ruisseau. Plutarque ajoute que Sylla vantoit extrèmement la situation de ce lieu. Au reste, le texte grec porte , Philoboetos. (D.J.)
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PHILOCANDROS | (Géog. anc.) île de la mer Aegée, & l'une des Cyclades, selon Ptolomée, l. III. c. xv. Pline, l. IV. c. xij. & Etienne le géographe écrivent Pholecandros, & la mettent parmi les îles Sporades. Hesyche écrit Phlegandros. On la nomme aujourd'hui Policandro : elle est entre les îles de Milo & de Sikino. (D.J.)
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PHILOGÉE | S. m. (Mytholog.) c'est le nom d'un des chevaux du soleil : ce mot signifie qui aime la terre, de , j'aime, & , terre ; il prend son nom du soleil à son coucher, où il paroît tendre vers la terre. Quand cet astre s'abaisse, qu'il semble s'élargir par degrés au déclin du jour ; que les nuages entourent avec magnificence le trône du couchant, comme disent nos poëtes ; c'est dans cet instant, si l'on en croit les chantres fabuleux de la Grece, que Phébus donnant relâche à ses coursiers fatigués, Philogée, Pyroeis, Eous & Ethon, cherche les bosquets d'Amphitrite pour se reposer lui-même avec les nymphes océanides. Il baigne ses rayons à moitié plongés, & tantôt montant un demi-cercle doré, il donne un dernier regard lumineux, & disparoît enfin totalement dans le sein de Téthis. (D.J.)
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PHILOLAUS | (Mythol.) Esculape avoit un temple près de la ville d'Asope dans la Laconie, où il étoit honoré sous le nom de Philolaüs, c'est-à-dire bon & salutaire aux hommes. Il ne pouvoit avoir un surnom plus glorieux. (D.J.)
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PHILOLOGIE | S. f. (Littérat.) espece de science composée de grammaire, de poétique, d'antiquités, d'histoire, de philosophie, quelquefois même de mathématiques, de médecine, de jurisprudence, sans traiter aucune de ces matieres à fond, ni séparément, mais les effleurant toutes ou en partie.
Ce mot est dérivé du grec & , amateur des discours, des lettres ou des sciences.
La philologie est une espece de littérature universelle, qui traite de toutes les sciences, de leur origine, de leurs progrès, des auteurs qui les ont cultivées, &c. Voyez POLYMATHIE.
La philologie n'est autre chose que ce que nous appellons en France les Belles-lettres, & ce qu'on nomme dans les universités les humanités, humaniores litterae. Elle faisoit autrefois la principale & la plus belle partie de la Grammaire. Voyez GRAMMAIRE & GRAMMAIRIEN.
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PHILOLOGUE | S. m. (Littérat.) on appelle ainsi quiconque embrasse cette littérature universelle, qui s'étend sur toutes sortes de sciences & d'auteurs, comme ceux qui ont travaillé sur les anciens auteurs pour les examiner, les corriger, les expliquer & les mettre au jour.
Eratosthene, bibliothécaire d'Alexandrie, fut le premier qui porta le nom de philologue, si l'on en croit Suétone, ou celui de critique, selon Clément alexandrin. Il vivoit du tems de Ptolomée Philadelphe, & mourut fort âgé dans la cxxxxvj. olympiade.
On compte encore parmi les philologues fameux dans l'antiquité, Varron, Asconius Pedianus, Pline l'ancien, Lucien, Aulugelle, Athenée, Julius Pollux, Solin, Philostrate, Macrobe, Donat, Servius, Stobée, Photius, Suidas, &c.
Entre les modernes, les deux Scaliger, Turnebe, Casaubon, Lambin, les Vossius & les Heinsius, Erasme, Juste Lipse, les PP. Sirmond, Petau & Rapin, Gronovius, Graevius, Spelman, &c. se sont fort distingués dans la Philologie. Elle est très-cultivée en Angleterre, en Allemagne & en Italie. Notre académie des Belles-lettres s'efforce de la remettre en honneur parmi nous, & rien n'y est plus propre que les mémoires curieux dont elle enrichit le public.
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PHILOMELE | S. f. (Mythol.) les Mythologues ont parlé de Progné & de Philomele d'une maniere très-peu uniforme. L'opinion généralement reçue par les modernes, est que Progné fut changée en hirondelle, & Philomele en rossignol, & c'est aussi le sentiment de quelques anciens ; cependant d'autres, en grand nombre, ont dit le contraire. Homere, par exemple, au XIX. livre de l'odyssée ; Aristophane & son scholiaste, dans la comédie des oiseaux ; Anacréon, dans sa xij. ode ; Ovide dans l'épître de Sapho ; & Varron, au IV. livre de la langue latine. Ce contraste forme une double tradition fabuleuse, & met les Poëtes en droit de choisir. Virgile a fait plus, car il a suivi tantôt l'une & tantôt l'autre tradition ; dans la vj. bucolique il change Philomele en hirondelle, & au IV. liv. de ses géorgiques, il en fait un rossignol.
On sait que Progné & Philomele étoient deux soeurs extrèmement belles, & filles de Pandion. Térée, roi de Thrace, épousa Progné, & se livra à la brutalité de sa passion pour Philomele, après l'avoir conduite dans un bois écarté. Ovide vous dira les suites de cette déplorable avanture ; le changement de Philomele en rossignol, de Progné en hirondelle, & de Térée en hupe. Il semble que la Mythologie par ces métamorphoses, ait voulu peindre le caractere de ces différentes personnes ; mais la Fontaine en adoptant la Fable, a su en tirer un parti bien plus heureux dans la réflexion fine & judicieuse qu'il prête à Philomele. Progné la trouvant enfin dans un séjour solitaire, lui dit :
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles ;
Aussi-bien en voyant les bois,
Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois,
Parmi des demeures pareilles,
Exerça sa fureur sur vos divins appas.
Eh ! c'est le souvenir d'un si cruel outrage
Qui fait, reprit sa soeur, que je ne vous suis pas ;
En voyant les hommes, helas !
Il m'en souvient bien davantage.
(D.J.)
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PHILONIUM | S. m. (Mat. médic. anc.) espece d'opiat anodin & somnifere, ainsi nommé de Philon son inventeur. Galien dit que le philonium jouissoit d'une grande réputation depuis long-tems, & que ce médicament étoit un des plus anciens de ce genre, ce qui signifie plus ancien que le mithridate, la thériaque, la hiere & autres semblables. Cependant il est permis de douter que la composition de Philon fût tout-à-fait aussi ancienne que le mithridate ; mais elle alloit apparemment de pair pour le tems avec la hiere simple, inventée par Thémison qui vivoit sous le regne d'Auguste. La thériaque étoit plus nouvelle, car ce ne fut que sous Néron qu'on commença à la composer. Ce qui fait croire que le philonium étoit un peu postérieur au mithridate, c'est que Philon recommande son remede pour la colique. Or cette maladie n'a pas été connue sous ce nom long-tems avant le regne de Tibere. Il est donc assez vraisemblable que Philon a vécu sous Auguste, à-peu près en même tems que Thémison, & les premiers disciples d'Asclépiade ; cette date n'empêche pas que Galien n'ait dû parler du philonium comme d'une ancienne composition, puisqu'il n'a écrit qu'environ deux cent ans après le tems auquel nous supposons, avec M. le Clerc, que cette composition a été inventée. Au reste, elle est très-mal digérée ; mais quiconque du tems de Galien se seroit avisé de le dire, eût passé pour atteint du crime de lése-pharmacie, & rarement les Médecins en ont été coupables. (D.J.)
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PHILONIUS | PHILONIUS
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PHILOPARABOLOS | (Médec. anc.) ; épithete qu'Asclépiade donne à l'une des deux méthodes dont il se servit dans la cure de la phrénésie ; & cette épithete signifie une méthode violente, par opposition à l'autre qu'il pratiquoit. Or cette méthode violente qu'il nommoit philoparabolos, terme dont Plutarque ensuite s'est servi pour désigner un homme qui se jette sans ménagement dans les plus grands dangers, consistoit à donner au malade dès la premiere visite, un grand verre de vin pur, mêlé avec de l'eau salée. Ce remede, dit le médecin grec, est fort à la vérité, mais il a cet avantage sur le mulsum & les autres liqueurs semblables, d'arrêter les sueurs colliquatives, d'élever le pouls, & d'opérer par la détention du ventre, la guérison du malade. (D.J.)
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PHILOPATOR | (Hist. anc.) surnom donné par les anciens à quelques princes qui s'étoient distingués par leur tendresse pour leurs peres ; comme l'exprime ce mot tiré de , amateur, & , pere. On connoît dans l'histoire d'Egypte Ptolomée philopator, & dans celle des rois de Syrie, un Seleucus & un Antiochus distingués des autres princes du même nom, par le titre de philopator.
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PHILOSÉBASTE | (Ant. grec. & rom.) , c'est-à-dire amis d'Auguste. C'étoit un titre que des princes & des villes prenoient afin de témoigner publiquement leur attachement à quelque empereur. Ce titre se trouve sur des marbres de Cyzique, & sur d'autres inscriptions. Il ne faut pas s'étonner que la ville de Cyzique s'en soit décorée, puisque l'empereur Adrien l'avoit comblée de bienfaits. Il y a dans Muratori, P. DXC. 2. une inscription qui montre que la ville d'Ephese avoit aussi pris la qualité de philosébaste. Plusieurs villes & plusieurs princes ont pris semblablement la qualité d'ami des Romains, , & d'ami de César, , &c. (D.J.)
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PHILOSOPHALE | PIERRE, voyez les articles HERMETIQUE, Philosophie, CHIMIE.
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PHILOSOPHE | S. m. Il n'y a rien qui coute moins à acquérir aujourd'hui que le nom de philosophe ; une vie obscure & retirée, quelques dehors de sagesse, avec un peu de lecture, suffisent pour attirer ce nom à des personnes qui s'en honorent sans le mériter.
D'autres en qui la liberté de penser tient lieu de raisonnement, se regardent comme les seuls véritables philosophes, parce qu'ils ont osé renverser les bornes sacrées posées par la religion, & qu'ils ont brisé les entraves où la foi mettoit leur raison. Fiers de s'être défaits des préjugés de l'éducation, en matiere de religion, ils regardent avec mépris les autres comme des ames foibles, des génies serviles, des esprits pusillanimes qui se laissent effrayer par les conséquences où conduit l'irréligion, & qui n'osant sortir un instant du cercle des vérités établies, ni marcher dans des routes nouvelles, s'endorment sous le joug de la superstition.
Mais on doit avoir une idée plus juste du philosophe, & voici le caractere que nous lui donnons.
Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir, ni connoître les causes qui les font mouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire demêle les causes autant qu'il est en lui, & souvent même les prévient, & se livre à elles avec connoissance : c'est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer des sentimens qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, & cherche ceux qui peuvent exciter en lui des affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophe, ce que la grace est à l'égard du chrétien. La grace détermine le chrétien à agir ; la raison détermine le philosophe.
Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient précédées de la réflexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténebres ; au lieu que le philosophe dans ses passions mêmes, n'agit qu'après la réflexion ; il marche la nuit, mais il est précédé d'un flambeau.
Le philosophe forme ses principes sur une infinité d'observations particulieres. Le peuple adopte le principe sans penser aux observations qui l'ont produit : il croit que la maxime existe pour ainsi dire par elle-même ; mais le philosophe prend la maxime dès sa source ; il en examine l'origine ; il en connoît la propre valeur, & n'en fait que l'usage qui lui convient.
La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, & qu'il croie trouver par-tout ; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'appercevoir. Il ne la confond point avec la vraisemblance ; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, & pour vraisemblable ce qui n'est que vraisemblable. Il fait plus, & c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif propre pour juger, il sait demeurer indéterminé.
Le monde est plein de personnes d'esprit & de beaucoup d'esprit, qui jugent toujours ; toujours ils devinent, car c'est deviner que de juger sans sentir quand on a le motif propre du jugement. Ils ignorent la portée de l'esprit humain ; ils croyent qu'il peut tout connoitre : ainsi ils trouvent de la honte à ne point prononcer de jugement, & s'imaginent que l'esprit consiste à juger. Le philosophe croit qu'il consiste à bien juger : il est plus content de lui-même quand il a suspendu la faculté de se déterminer que s'il s'étoit déterminé avant d'avoir senti le motif propre à la décision. Ainsi il juge & parle moins, mais il juge plus surement & parle mieux ; il n'évite point les traits vifs qui se présentent naturellement à l'esprit par un prompt assemblage d'idées qu'on est souvent étonné de voir unies. C'est dans cette prompte liaison que consiste ce que communément on appelle esprit ; mais aussi c'est ce qu'il recherche le moins, il préfere à ce brillant le soin de bien distinguer ses idées, d'en connoître la juste étendue & la liaison précise, & d'éviter de prendre le change en portant trop loin quelque rapport particulier que les idées ont entr'elles. C'est dans ce discernement que consiste ce qu'on appelle jugement & justesse d'esprit : à cette justesse se joignent encore la souplesse & la netteté. Le philosophe n'est pas tellement attaché à un système, qu'il ne fente toute la force des objections. La plûpart des hommes sont si fort livrés à leurs opinions, qu'ils ne prennent pas seulement la peine de pénétrer celles des autres. Le philosophe comprend le sentiment qu'il rejette, avec la même étendue & la même netteté qu'il entend celui qu'il adopte.
L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation & de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son attention & ses soins.
L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer, ou dans le fond d'une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire ; & dans quelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins & le bien être l'engagent à vivre en société. Ainsi la raison exige de lui qu'il connoisse, qu'il étudie, & qu'il travaille à acquérir les qualités sociables.
Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en pays ennemi ; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre ; il veut trouver du plaisir avec les autres : & pour en trouver, il en faut faire : ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ou son choix le font vivre ; & il trouve en même tems ce qui lui convient : c'est un honnête homme qui veut plaire & se rendre utile.
La plûpart des grands à qui les dissipations ne laissent pas assez de tems pour méditer, sont féroces envers ceux qu'ils ne croyent pas leurs égaux. Les philosophes ordinaires qui méditent trop, ou plûtôt qui méditent mal, le sont envers tout le monde ; ils fuient les hommes, & les hommes les évitent. Mais notre philosophe qui sait se partager entre la retraite & le commerce des hommes, est plein d'humanité. C'est le Chrémès de Térence qui sent qu'il est homme, & que la seule humanité intéresse à la mauvaise ou à la bonne fortune de son voisin. Homo sum, humani à me nihil alienum puto.
Il seroit inutile de remarquer ici combien le philosophe est jaloux de tout ce qui s'appelle honneur & probité. La société civile est, pour ainsi dire, une divinité pour lui sur la terre ; il l'encense, il l'honore par la probité, par une attention exacte à ses devoirs, & par un desir sincere de n'en être pas un membre inutile ou embarrassant. Les sentimens de probité entrent autant dans la constitution méchanique du philosophe, que les lumieres de l'esprit. Plus vous trouverez de raison dans un homme, plus vous trouverez en lui de probité. Au contraire où regne le fanatisme & la superstition, regnent les passions & l'emportement. Le tempérament du philosophe, c'est d'agir par esprit d'ordre ou par raison ; comme il aime extrèmement la société, il lui importe bien plus qu'au reste des hommes de disposer tous ses ressorts à ne produire que des effets conformes à l'idée d'honnête homme. Ne craignez pas que parce que personne n'a les yeux sur lui, il s'abandonne à une action contraire à la probité. Non. Cette action n'est point conforme à la disposition méchanique du sage ; il est paîtri, pour ainsi dire, avec le levain de l'ordre & de la regle ; il est rempli des idées du bien de la société civile ; il en connoît les principes bien mieux que les autres hommes. Le crime trouveroit en lui trop d'opposition, il auroit trop d'idées naturelles & trop d'idées acquises à détruire. Sa faculté d'agir est pour ainsi dire comme une corde d'instrument de musique montée sur un certain ton ; elle n'en sauroit produire un contraire. Il craint de se détonner, de se desacorder avec lui-même ; & ceci me fait ressouvenir de ce que Velleius dit de Caton d'Utique. " Il n'a jamais, dit-il, fait de bonnes actions pour paroître les avoir faites, mais parce qu'il n'étoit pas en lui de faire autrement ".
D'ailleurs dans toutes les actions que les hommes font, ils ne cherchent que leur propre satisfaction actuelle : c'est le bien ou plutôt l'attrait présent, suivant la disposition méchanique où ils se trouvent qui les fait agir. Or le philosophe est disposé plus que qui que ce soit par ses réflexions à trouver plus d'attrait & de plaisir à vivre avec vous, à s'attirer votre confiance & votre estime, à s'acquiter des devoirs de l'amitié & de la reconnoissance. Ces sentimens sont encore nourris dans le fond de son coeur par la religion, où l'ont conduit les lumieres naturelles de sa raison. Encore un coup, l'idée de mal-honnête homme est autant opposée à l'idée de philosophe, que l'est l'idée de stupide ; & l'expérience fait voir tous les jours que plus on a de raison & de lumiere, plus on est sûr & propre pour le commerce de la vie. Un sot, dit la Rochefoucault, n'a pas assez d'étoffe pour être bon : on ne péche que parce que les lumieres sont moins fortes que les passions ; & c'est une maxime de théologie vraie en un certain sens, que tout pécheur est ignorant.
Cet amour de la société si essentiel au philosophe, fait voir combien est véritable la remarque de l'empereur Antonin : " Que les peuples seront heureux quand les rois seront philosophes, ou quand les philosophes seront rois " !
Le philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, & qui joint à un esprit de réflexion & de justesse les moeurs & les qualités sociables. Entez un souverain sur un philosophe d'une telle trempe, & vous aurez un parfait souverain.
De cette idée il est aisé de conclure combien le sage insensible des stoïciens est éloigné de la perfection de notre philosophe : un tel philosophe est homme, & leur sage n'étoit qu'un phantôme. Ils rougissoient de l'humanité, & il en fait gloire ; ils vouloient follement anéantir les passions, & nous élever au-dessus de notre nature par une insensibilité chimérique : pour lui, il ne prétend pas au chimérique honneur de détruire les passions, parce que cela est impossible ; mais il travaille à n'en être pas tyrannisé, à les mettre à profit, & à en faire un usage raisonnable, parce que cela est possible, & que la raison le lui ordonne.
On voit encore par tout ce que nous venons de dire, combien s'éloignent de la juste idée du philosophe ces indolens, qui, livrés à une méditation paresseuse, négligent le soin de leurs affaires temporelles, & de tout ce qui s'appelle fortune. Le vrai philosophe n'est point tourmenté par l'ambition, mais il veut avoir les commodités de la vie ; il lui faut, outre le nécessaire précis, un honnête superflu nécessaire à un honnête homme, & par lequel seul on est heureux : c'est le fond des bienséances & des agrémens. Ce sont de faux philosophes qui ont fait naître ce préjugé, que le plus exact nécessaire lui suffit, par leur indolence & par des maximes éblouissantes.
PHILOSOPHES, (Alchimie & Chimie). Ce mot dans le langage alchimique signifie la même chose qu'adepte ou possesseur de la pierre philosophale. Les Alchimistes n'ont pas manqué de se décorer de ce grand nom, & de celui de sage.
Il existe dans la Chimie ordinaire plusieurs préparations & opérations, la plûpart assez communes, & qui sont apparemment des présens de l'Alchimie qui sont spécifiées par le nom de leurs inventeurs, qualifiés du titre de philosophes. Ainsi il y a une huile des Philosophes, appellée autrement huile de brique, oleum laterinum, qui n'est autre chose que de l'huile d'olive dont on a imbibé des briques rougies au feu, & qu'on a ensuite distillée à feu nud ; une édulcoration philosophique, qui est une distillation des sels métalliques à la violence du feu (Voyez DISTILLATION) ; une pulvérisation philosophique, une calcination philosophique. Voyez PULVERISATION & CALCINATION. (b)
PHILOSOPHES, huile des, (Pharmacie) c'est l'huile de brique. Ce nom lui a été donné par les Alchimistes qui se disent les véritables philosophes, à cause qu'ils employent souvent de la brique dans la construction de leurs fourneaux, dont ils se servent pour faire ce qu'ils appellent le grand-oeuvre, ou la pierre philosophale. Voyez BRIQUE.
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PHILOSOPHIE | S. f. Philosophie signifie, suivant son étymologie, l'amour de la sagesse. Ce mot ayant toujours été assez vague, à cause des diverses significations qu'on y a attachées, il faut faire deux choses dans cet article ; 1°. rapporter historiquement l'origine & les différentes acceptions de ce terme ; 2°. en fixer le sens par une bonne définition.
1°. Ce que nous appellons aujourd'hui Philosophie, s'appelloit d'abord sophie ou sagesse ; & l'on sait que les premiers philosophes ont été décorés du titre de sages. Ce nom a été dans les premiers tems ce que le nom de bel esprit est dans le nôtre ; c'est-à-dire qu'il a été prodigué à bien des personnes qui ne méritoient rien moins que ce titre fastueux. C'étoit alors l'enfance de l'esprit humain, & l'on étendoit le nom de sagesse à tous les arts qui exerçoient le génie, ou dont la société retiroit quelque avantage ; mais comme le savoir, l'érudition, est la principale culture de l'esprit, & que les sciences étudiées & réduites en pratique apportent bien des commodités au genre humain, la sagesse & l'érudition furent confondues ; & l'on entendit par être versé ou instruit dans la sagesse, posséder l'encyclopédie de ce qui étoit connu dans le siecle où l'on vivoit.
Entre toutes les Sciences, il y en a une qui se distingue par l'excellence de son objet ; c'est celle qui traite de la divinité, qui regle nos idées & nos sentimens à l'égard du premier être, & qui y conforme notre culte. Cette étude étant la sagesse par excellence, a fait donner le nom de sages à ceux qui s'y sont appliqués, c'est-à-dire aux Théologiens & aux Prêtres. L'Ecriture elle-même donne aux prêtres chaldéens le titre de sages, sans doute parce qu'ils se l'arrogeoient, & que c'étoit un usage universellement reçu. C'est ce qui a eu lieu principalement chez les nations qu'on a coutume d'appeller barbares ; il s'en falloit bien pourtant qu'on pût trouver la sagesse chez tous les dépositaires de la religion. Des superstitions ridicules, des mysteres puérils, quelquefois abominables ; des visions & des mensonges destinés à affermir leur autorité & à en imposer à la populace aveugle, voilà à quoi se réduisoit la sagesse des prêtres de ces tems. Les philosophes les plus distingués ont essayé de puiser à cette source : c'étoit le but de leurs voyages, de leur initiation aux mysteres les plus célèbres ; mais ils s'en sont bientôt dégoûtés ; & l'idée de la sagesse n'est demeurée liée à celle de la Théologie que dans l'esprit de ces prêtres orgueilleux & de leurs imbécilles esclaves.
De sublimes génies se livrant donc à leurs méditations, ont voulu déduire des idées & des principes que la nature & la raison fournissent, une sagesse solide, un système certain & appuyé sur des fondemens inébranlables ; mais s'ils ont pu secouer par ce moyen le joug des superstitions vulgaires, le reste de leur entreprise n'a pas eu le même succès. Après avoir détruit, ils n'ont sû édifier, semblables en quelque sorte à ces conquérans, qui ne laissent après eux que des ruines. De-là cette foule d'opinions bisarres & contradictoires, qui a fait douter s'il restoit encore quelque sentiment ridicule, dont aucun philosophe ne se fût avisé. Je ne puis m'empêcher de citer un morceau de M. de Fontenelle, tiré de sa dissertation sur les anciens & sur les modernes, qui revient parfaitement à ce sujet. " Telle est notre condition, dit-il, qu'il ne nous est point permis d'arriver tout-d'un-coup à rien de raisonnable sur quelque matiere que ce soit : il faut avant cela que nous nous égarions long-tems, & que nous passions par diverses sortes d'erreurs, & par divers degrés d'impertinences. Il eût toujours dû être bien facile de s'aviser que tout le jeu de la nature consiste dans les figures & dans les mouvemens des corps ; cependant avant que d'en venir-là, il a fallu essayer des idées de Platon, des nombres de Pythagore, des qualités d'Aristote ; & tout cela ayant été reconnu pour faux, on a été réduit à prendre le vrai système. Je dis qu'on y a été réduit, car en vérité il n'en restoit plus d'autre ; & il semble qu'on s'est défendu de le prendre aussi long-tems qu'on a pû. Nous avons l'obligation aux anciens de nous avoir épuisé la plus grande partie des idées fausses qu'on se pouvoit faire ; il falloit absolument payer à l'erreur & à l'ignorance le tribut qu'ils ont payé, & nous ne devons pas manquer de reconnoissance envers ceux qui nous en ont acquités. Il en va de même sur diverses matieres, où il y a je ne sai combien de sottises que nous dirions si elles n'avoient pas été dites, & si on ne nous les avoit pas pour ainsi dire enlevées. Cependant il y a encore quelquefois des modernes qui s'en ressaisissent, peut-être parce qu'elles n'ont pas encore été dites autant qu'il le faut ".
Ce seroit ici le lieu de tracer un abrégé des divers sentimens qui ont été en vogue dans la Philosophie ; mais les bornes de nos articles ne le permettent pas. On trouvera l'essentiel des opinions les plus fameuses dans divers autres endroits de ce Dictionnaire, sous les titres auxquels elles se rapportent. Ceux qui veulent étudier la matiere à fond, trouveront abondamment de quoi se satisfaire dans l'excellent ouvrage que M. Brucker a publié d'abord en allemand, & ensuite en latin sous ce titre : Jacobi Bruckeri historiae critica Philosophiae, à mundi incunabulis ad nostram usque aetatem deducta. On peut aussi lire l'histoire de la Philosophie par M. Deslandes.
L'ignorance, la précipitation, l'orgueil, la jalousie, ont enfanté des monstres bien flétrissans pour la Philosophie, & qui ont détourné les uns de l'étudier, ou jetté les autres dans un doute universel.
N'outrons pourtant rien. Les travers de l'esprit humain n'ont pas empêché la Philosophie de recevoir des accroissemens considérables, & de tendre à la perfection dont elle est susceptible ici bas. Les anciens ont dit d'excellentes choses, sur-tout sur les devoirs de la morale, & même sur ce que l'homme doit à Dieu ; & s'ils n'ont pû arriver à la belle idée qu'ils se formoient de la sagesse, ils ont au-moins la gloire de l'avoir conçue & d'en avoir tenté l'épreuve. Elle devint donc entre leurs mains une science pratique qui embrassoit les vérités divines & humaines, c'est-à-dire tout ce que l'entendement est capable de découvrir au sujet de la divinité, & tout ce qui peut contribuer au bonheur de la société. Dès qu'ils lui eurent donné une forme systématique, ils se mirent à l'enseigner, & l'on vit naître les écoles & les sectes ; & comme pour faire mieux recevoir leurs préceptes ils les ornoient des embellissemens de l'éloquence, celle-ci se confondit insensiblement avec la sagesse, chez les Grecs sur-tout, qui faisoient grand cas de l'art de bien dire, à cause de son influence sur les affaires d'état dans leurs républiques. Le nom de sage fut travesti en celui de sophiste ou maître d'éloquence ; & cette révolution fit beaucoup dégénérer une science qui dans son origine s'étoit proposée des vûes bien plus nobles. On n'écouta bientôt plus les maîtres de la sagesse pour s'instruire dans des connoissances solides & utiles à notre bien-être, mais pour repaître son esprit de questions curieuses, amuser ses oreilles de périodes cadencées, & adjuger la palme au plus opiniâtre, parce qu'il demeuroit maître du champ de bataille.
Le nom de sage étoit trop beau pour de pareilles gens, ou plutôt il ne convient point à l'homme : c'est l'apanage de la divinité, source éternelle & inépuisable de la vraie sagesse. Pythagore qui s'en apperçut, substitua à cette dénomination fastueuse le titre modeste de philosophie, qui s'établit de maniere qu'il a été depuis ce tems-là le seul usité. Mais les sages raisons de ce changement n'étoufferent point l'orgueil des Philosophes, qui continuerent de vouloir passer pour les dépositaires de la vraie sagesse. Un des moyens les plus ordinaires dont ils se servirent pour se donner du relief, ce fut d'avoir une prétendue doctrine de réserve, dont ils ne faisoient part qu'à leurs disciples affidés, tandis que la foule des auditeurs étoit repue d'instructions vagues. Les Philosophes avoient sans doute pris cette idée & cette méthode des prêtres, qui n'initioient à la connoissance de leurs mysteres qu'après de longues épreuves ; mais les secrets des uns & des autres ne valoient pas la peine qu'on se donnoit pour y avoir part.
Dans les ouvrages philosophiques de l'antiquité qui nous ont été conservés, quoiqu'il y regne bien des défauts, & sur-tout celui d'une bonne méthode, on découvre pourtant les semences de la plûpart des découvertes modernes. Les matieres qui n'avoient pas besoin du secours des observations & des instrumens, comme le sont celles de la morale, ont été poussées aussi loin que la raison pouvoit les conduire. Pour la Physique, il n'est pas surprenant que favorisée des secours que les derniers siecles ont fournis, elle surpasse aujourd'hui de beaucoup celle des anciens. On doit plutôt s'étonner que ceux-ci ayent si bien deviné en bien des cas où ils ne pouvoient voir ce que nous voyons à-présent. On en doit dire autant de la Médecine & des Mathématiques ; comme ces sciences sont composées d'un nombre infini de vûes, & qu'elles dépendent beaucoup des expériences que le hasard seul fait naître, & qu'il n'amene pas à point nommé, il est évident que les Physiciens, les Médecins & Mathématiciens modernes doivent être naturellement plus habiles que les anciens.
Le nom de Philosophie demeura toujours vague, & comprit dans sa vaste enceinte, outre la connoissance des choses divines & humaines, celle des lois, de la Médecine, & même des diverses branches de l'érudition, comme la Grammaire, la Rhétorique, la Critique, sans en excepter l'Histoire & la Poésie. Bien plus, il passa dans l'Eglise ; le Christianisme fut appellé la philosophie sainte ; les docteurs de la religion qui en enseignoient les vérités, les ascetes qui en pratiquoient les austérités, furent qualifiés de philosophes.
Les divisions d'une science conçue dans une telle généralité, furent fort arbitraires. La plus ancienne & la plus reçue a été celle qui rapporte la Philosophie à la considération de Dieu & à celle de l'homme.
Aristote en introduisit une nouvelle ; la voici. Tria genera sunt theoreticarum scientiarum, Mathematica, Physica, Theologica. Un passage de Séneque indiquera celle de quelques autres sectes. Stoici vero Philosophiae tres partes esse dixerunt, moralem, naturalem, & rationalem : prima componit animum, secunda rerum naturam scrutatur, tertia proprietatis verborum exigit & structuram & argumentationes, ne pro veris falsa subrepant. Epicurei duas partes Philosophiae putaverunt esse, naturalem atque moralem ; rationalem removerunt. Deinde cum ipsis rebus cogerentur, ambigua secernere, falsa sub specie veri latentia coarguere, ipsi quoque locum, quem de judicio & regulâ appellant, alio nomine rationalem induxerunt : sed eum accessionem esse naturalis partis existimant... Cyrenaïci naturalia cum rationalibus sustulerunt, & contenti fuerunt moralibus, &c. Seneca, epist. 89.
Les écoles ont adopté la division de la Philosophie en quatre parties, Logique, Métaphysique, Physique & Morale.
2°. Il est tems de passer au second point de cet article, où il s'agit de fixer le sens du nom de la Philosophie, & d'en donner une bonne définition. Philosopher, c'est donner la raison des choses, ou dumoins la chercher, car tant qu'on se borne à voir & à rapporter ce qu'on voit, on n'est qu'historien. Quand on calcule & mesure les proportions des choses, leurs grandeurs, leurs valeurs, on est mathématicien ; mais celui qui s'arrête à découvrir la raison qui fait que les choses sont, & qu'elles sont plutôt ainsi que d'une autre maniere, c'est le philosophe proprement dit.
Cela posé, la définition que M. Wolf a donnée de la Philosophie, me paroit renfermer dans sa brieveté tout ce qui caractérise cette science. C'est, selon lui, la science des possibles en tant que possibles. C'est une science, car elle démontre ce qu'elle avance. C'est la science des possibles, car son but est de rendre raison de tout ce qui est & de tout ce qui peut être dans toutes les choses qui arrivent ; le contraire pourroit arriver. Je haïs un tel, je pourrois l'aimer. Un corps occupe une certaine place dans l'univers, il pourroit en occuper une autre ; mais ces différens possibles ne pouvant être à-la-fois, il y a donc une raison qui détermine l'un à être plutôt que l'autre ; & c'est cette raison que le philosophe cherche & assigne.
Cette définition embrasse le présent, le passé, & l'avenir, & ce qui n'a jamais existé & n'existera jamais, comme sont toutes les idées universelles, & les abstractions. Une telle science est une véritable encyclopédie ; tout y est lié, tout en dépend. C'est ce que les anciens ont senti, lorsqu'ils ont appliqué le nom de Philosophie, comme nous l'avons vû ci-dessus, à toutes sortes de sciences & d'arts ; mais ils ne justifioient pas l'influence universelle de cette science sur toutes les autres. Elle ne sauroit être mise dans un plus grand jour que par la définition de M. Wolf. Les possibles comprennent les objets de tout ce qui peut occuper l'esprit ou l'industrie des hommes : aussi toutes les sciences, tous les arts ont-ils leur philosophie. La chose est claire : tout se fait en Jurisprudence, en Médecine, en Politique, tout se fait, ou du-moins tout doit se faire par quelque raison. Découvrir ces raisons & les assigner, c'est donc donner la Philosophie des sciences susdites ; de même l'architecte, le peintre, le sculpteur, je dis plus, un simple fendeur de bois, a ses raisons de faire ce qu'il fait, comme il le fait, & non autrement. Il est vrai que la plûpart de ces gens travaillent par routine, & employent leurs instrumens sans sentir quel en est le méchanique, & la proportion avec les ouvrages qu'ils exécutent ; mais il n'en est pas moins certain que chaque instrument a sa raison, & que s'il étoit fait autrement, l'ouvrage ne reussiroit pas. Il n'y a que le philosophe qui fasse ces découvertes, & qui soit en état de prouver que les choses sont comme elles doivent être, ou de les rectifier, lorsqu'elles en sont susceptibles, en indiquant la raison des changemens qu'il veut y apporter.
Les objets de la Philosophie sont les mêmes que ceux de nos connoissances en général, & forment la division naturelle de cette science. Ils se réduisent à trois principaux. Dieu, l'ame, & la matiere. A ces trois objets répondent trois parties principales de la Philosophie. La premiere, c'est la Théologie naturelle, ou la science des possibles à l'égard de Dieu. Les possibles à l'égard de Dieu, c'est ce qu'on peut concevoir en lui & par lui. Il en est de même des définitions des possibles à l'égard de l'ame & du corps. La seconde, c'est la Psychologie qui concerne les possibles à l'égard de l'ame. La troisieme, est la Physique qui concerne les possibles à l'égard des corps.
Cette division générale souffre ensuite des sous-divisions particulieres ; voici la maniere dont M. Wolf les amene.
Lorsque nous réfléchissons sur nous-même, nous nous convainquons qu'il y a en nous une faculté de former des idées des choses possibles, & nous nommons cette faculté l'entendement ; mais il n'est pas aisé de connoître jusqu'où cette faculté s'étend, ni comment on doit s'en servir, pour découvrir par nos propres méditations, des vérités inconnues pour nous, & pour juger avec exactitude de celles que d'autres ont déja découvertes. Notre premiere occupation doit donc être de rechercher quelles sont les forces de l'entendement humain, & quel est leur légitime usage dans la connoissance de la vérité : la partie de la Philosophie où l'on traite cette matiere, s'appelle logique ou l'art de penser.
Entre toutes les choses possibles, il faut de toute nécessité qu'il y ait un être subsistant par lui-même ; autrement il y auroit des choses possibles, de la possibilité desquelles on ne pourroit rendre raison, ce qui ne sauroit se dire. Or cet être subsistant par lui-même, est ce que nous nommons Dieu. Les autres êtres qui ont la raison de leur existence dans cet être subsistant par lui-même, ont le nom de créatures ; mais comme la Philosophie doit rendre raison de la possibilité des choses, il convient de faire précéder la doctrine qui traite de Dieu, à celle qui traite des créatures : j'avoue pourtant qu'on doit déjà avoir une connoissance générale des créatures ; mais on n'a pas besoin de la puiser dans la Philosophie, parce qu'on l'acquiert dès l'enfance par une expérience continuelle. La partie donc de la Philosophie, où l'on traite de Dieu & de l'origine des créatures, qui est en lui, s'appelle Théologie naturelle, ou doctrine de Dieu.
Les créatures manifestent leur activité, ou par le mouvement, ou par la pensée. Celles-là sont des corps, celles-ci sont des esprits. Puis donc que la Philosophie s'applique à donner de tout des raisons suffisantes, elle doit aussi examiner les forces ou les opérations de ces êtres, qui agissent ou par le mouvement ou par la pensée. La Philosophie nous montre donc ce qui peut arriver dans le monde par les forces des corps & par la puissance des esprits. On nomme pnéumatologie ou doctrine des esprits, la partie de la Philosophie où l'on explique ce que peuvent effectuer les esprits ; & l'on appelle physique ou doctrine de la nature cette autre partie où l'on montre ce qui est possible en vertu des forces des corps.
L'être qui pense en nous s'appelle ame ; or comme cette ame est du nombre des esprits, & qu'elle a outre l'entendement, une volonté qui est cause de bien des évenemens ; il faut encore que la Philosophie développe ce qui peut arriver en conséquence de cette volonté ; c'est à quoi l'on doit rapporter ce que l'on enseigne du droit de la nature, de la morale, & de la politique.
Mais comme tous les êtres, soit corps, ou esprits, ou ames, se ressemblent à quelques égards, il faut rechercher aussi ce qui peut convenir généralement à tous les êtres, & en quoi consiste leur différence générale. On nomme anthologie, ou science fondamentale, cette partie de la Philosophie qui renferme la connoissance générale de tous les êtres ; cette science fondamentale, la doctrine des esprits, & la théologie naturelle, composent ce qui s'appelle métaphysique ou science principale.
Nous ne nous contentons pas de pousser nos connoissances jusqu'à savoir par quelles forces se produisent certains effets dans la nature, nous allons plus loin, & nous mesurons avec la derniere exactitude les degrés des forces & des effets, afin qu'il paroisse visiblement que certaine force peut produire certains effets. Par exemple, il y a bien des gens qui se contentent de savoir, que l'air comprimé avec force dans une fontaine artificielle, porte l'eau jusqu'à une hauteur extraordinaire ; mais d'autres plus curieux font des efforts pour découvrir de combien s'accroît la force de l'air, lorsque par la compression il n'occupe que la moitié, le tiers ou le quart de l'espace qu'il remplissoit auparavant, & de combien de piés il fait monter l'eau chaque fois ; c'est pousser nos connoissances à leur plus haut degré, que de savoir mesurer tout ce qui a une grandeur, & c'est dans cette vûe qu'on a inventé les mathématiques.
Le véritable ordre dans lequel les parties de la Philosophie doivent être rangées, c'est de faire précéder celles qui contiennent les principes, dont la connoissance est nécessaire pour l'intelligence & la démonstration des suivantes ; c'est à cet ordre que M. Wolf s'est religieusement conformé, comme il paroît par ce que je viens d'extraire de lui.
On peut encore diviser la Philosophie en deux branches, & la considérer sous deux rapports ; elle est théorique ou pratique.
La Philosophie théorique ou spéculative se repose dans une pure & simple contemplation des choses ; elle ne va pas plus loin.
La Philosophie pratique est celle qui donne des regles pour opérer sur son objet : elle est de deux sortes par rapport aux deux especes d'actions humaines qu'elle se propose de diriger : ces deux especes sont la Logique & la Morale : la Logique dirige les opérations de l'entendement, & la Morale les opérations de la volonté. Voyez LOGIQUE & MORALE. Les autres parties de la Philosophie sont purement spéculatives.
La Philosophie se prend aussi fort ordinairement pour la doctrine particuliere ou pour les systèmes inventés par des philosophes de nom, qui ont eu des sectateurs. La Philosophie ainsi envisagée s'est divisée en un nombre infini de sectes, tant anciennes que modernes ; tels sont les Platoniciens, les Péripatéticiens, les Epicuriens, les Stoïciens, les Pythagoriciens, les Pyrrhoniens, & les Académiciens ; & tels sont de nos jours les Cartésiens, les Newtoniens. Voyez l'origine, le dogme de chaque secte, à l'article qui lui est particulier.
La Philosophie se prend encore pour une certaine maniere de philosopher, ou pour certains principes sur lesquels roulent toutes les recherches que l'on fait par leur moyen ; en ce sens l'on dit, Philosophie corpusculaire, Philosophie méchanique, Philosophie expérimentale.
Telle est la saine notion de la Philosophie, son but est la certitude, & tous ses pas y tendent par la voie de la démonstration. Ce qui caractérise donc le philosophe & le distingue du vulgaire, c'est qu'il n'admet rien sans preuve, qu'il n'acquiesce point à des notions trompeuses, & qu'il pose exactement les limites du certain, du probable, & du douteux. Il ne se paye point de mots, & n'explique rien par des qualités occultes, qui ne sont autre chose que l'effet même transformé en cause ; il aime beaucoup mieux faire l'aveu de son ignorance, toutes les fois que le raisonnement & l'expérience ne sauroient le conduire à la véritable raison des choses.
La Philosophie est une science encore très-imparfaite, & qui ne sera jamais complete ; car qui est-ce qui pourra rendre raison de tous les possibles ? L'être qui a tout fait par poids & par mesure, est le seul qui ait une connoissance philosophique, mathématique, & parfaite de ses ouvrages ; mais l'homme n'en est pas moins louable d'étudier le grand livre de la nature & d'y chercher des preuves de la sagesse & de toutes les perfections de son auteur : la société retire aussi de grands avantages des recherches philosophiques qui ont occasionné & perfectionné plusieurs découvertes utiles au genre humain.
Le plus grand philosophe est celui qui rend raison du plus grand nombre de choses, voilà son rang assigné avec précision : l'érudition par ce moyen n'est plus confondue avec la Philosophie. La connoissance des faits est sans contredit utile, elle est même un préalable essentiel à leur explication ; mais être philosophe, ce n'est pas simplement avoir beaucoup vû & beaucoup lû, ce n'est pas aussi posséder l'histoire de la Philosophie, des sciences & des arts, tout cela ne forme souvent qu'un cahos indigeste ; mais être philosophe, c'est avoir des principes solides, & surtout une bonne méthode pour rendre raison de ces faits, & en tirer de légitimes conséquences.
Deux obstacles principaux ont retardé long-tems les progrès de la Philosophie, l'autorité & l'esprit systématique.
Un vrai philosophe ne voit point par les yeux d'autrui, il ne se rend qu'à la conviction qui naît de l'évidence. Il est assez difficile de comprendre comment il se peut faire que des gens qui ont de l'esprit, aiment mieux se servir de l'esprit des autres dans la recherche de la vérité, que de celui que Dieu leur a donné. Il y a sans doute infiniment plus de plaisir & plus d'honneur à se conduire par ses propres yeux que par ceux des autres, & un homme qui a de bons yeux ne s'avisa jamais de se les fermer ou de se les arracher, dans l'espérance d'avoir un conducteur ; c'est cependant un usage assez universel : le pere Malebranche en apporte diverses raisons.
1°. La paresse naturelle des hommes, qui ne veulent pas se donner la peine de méditer.
2°. L'incapacité de méditer dans laquelle on est tombé, pour ne s'être pas appliqué dès la jeunesse, lorsque les fibres du cerveau étoient capables de toutes sortes d'inflexions.
3°. Le peu d'amour qu'on a pour les vérités abstraites, qui sont le fondement de tout ce qu'on peut connoître ici bas.
4°. La sotte vanité qui nous fait souhaiter d'être estimés savans ; car on appelle savans ceux qui ont plus de lecture : la connoissance des opinions est bien plus d'usage pour la conversation & pour étourdir les esprits du commun, que la connoissance de la vraie Philosophie, qui est le fruit de la réflexion.
5°. L'admiration excessive dont on est prévenu pour les anciens, qui fait qu'on s'imagine qu'ils ont été plus éclairés que nous ne pouvons l'être, & qu'il n'y a rien à faire où ils n'ont pas réussi.
6°. Un je ne sais quel respect, mêlé d'une sotte curiosité, qui fait qu'on admire davantage les choses les plus éloignées de nous, les choses les plus vieilles, celles qui viennent de plus loin, & même les livres les plus obscurs : ainsi on estimoit autrefois Héraclite pour son obscurité. On recherche les médailles anciennes, quoique rongées de la rouille, & on garde avec grand soin la lanterne & la pantoufle de quelques anciens ; leur antiquité fait leur prix. Des gens s'appliquent à la lecture des rabbins, parce qu'ils ont écrit dans une langue étrangere, très-corrompue & très-obscure. On estime davantage les opinions les plus vieilles, parce qu'elles sont les plus éloignées de nous ; & sans doute si Nembrod avoit écrit l'histoire de son regne, toute la politique la plus fine, & même toutes les autres sciences y seroient contenues, de même que quelques-uns trouvent qu'Homere & Virgile avoient une connoissance parfaite de la nature. Il faut respecter l'antiquité, dit-on ; quoi, Aristote, Platon, Epicure, ces grands hommes se seroient trompés ? On ne considere pas qu'Aristote, Platon, Epicure étoient des hommes comme nous, & de même espece que nous, & de plus, qu'au tems où nous sommes, le monde est plus âgé de plus de deux mille ans ; qu'il a plus d'expérience, qu'il doit être plus éclairé ; & que c'est la vieillesse du monde & l'expérience qui font découvrir la vérité.
Un bon esprit cultivé & de notre siecle, dit M. de Fontenelle, est pour ainsi dire composé de tous les esprits des siecles précédens, ce n'est qu'un même esprit qui s'est cultivé pendant tout ce tems-là : ainsi cet homme qui a vécu depuis le commencement du monde jusqu'à présent ; a eu son enfance, où il ne s'est occupé que des besoins les plus pressans de la vie ; sa jeunesse, où il a assez bien réussi aux choses d'imagination, telles que la poésie & l'éloquence, & où même il a commencé à raisonner, mais avec moins de solidité que de feu, & il est maintenant dans l'âge de virilité, où il raisonne avec plus de forces & plus de lumieres que jamais. Cet homme même, à proprement parler, n'aura point de vieillesse, il sera toujours également capable des choses auxquelles sa jeunesse étoit propre, & il le sera toujours de plus en plus de celles qui conviennent à l'âge de virilité, c'est-à-dire, pour quitter l'allégorie, les hommes ne dégénerent jamais, & les vûes saines de tous les bons esprits, qui se succéderont, s'ajouteront toujours les unes aux autres.
Ces réflexions solides & judicieuses devroient bien nous guérir des préjugés ridicules que nous avons pris en faveur des anciens. Si notre raison, soutenue de la vanité qui nous est si naturelle, n'est pas capable de nous ôter une humilité si mal entendue, comme si en qualité d'hommes nous n'avions pas droit de prétendre à une aussi grande perfection ; l'expérience du-moins sera assez forte pour nous convaincre, que rien n'a tant arrêté le progrès des choses, & rien n'a tant borné les esprits, que cette admiration excessive des anciens. Parce qu'on s'étoit dévoué à l'autorité d'Aristote, dit M. de Fontenelle, & qu'on ne cherchoit la vérité que dans ses écrits énigmatiques, & jamais dans la nature, non-seulement la Philosophie n'avançoit en aucune façon, mais elle étoit tombée dans un abyme de galimathias & d'idées inintelligibles, d'où l'on a eu toutes les peines du monde à la retirer. Aristote n'a jamais fait un vrai philosophe, mais il en a beaucoup étouffé qui le fussent devenus, s'il eût été permis. Et le mal est qu'une fantaisie de cette espece une fois établie parmi les hommes, en voilà pour long-tems ; on sera des siecles entiers à en revenir, même après qu'on en aura connu le ridicule. Si l'on alloit s'entêter un jour de Descartes, & le mettre à la place d'Aristote, ce seroit à-peu-près le même inconvénient.
Si ce respect outré pour l'antiquité a une si mauvaise influence, combien devient-il encore plus contagieux pour les commentateurs des anciens ? Quelles beautés, dit l'auteur ingénieux que nous venons de citer, ne se tiendroient heureuses d'inspirer à leurs amans une passion aussi vive & aussi tendre, que celle qu'un grec ou un latin inspire à son respectueux interprete ? Si l'on commente Aristote, c'est le génie de la nature : si l'on écrit sur Platon, c'est le divin Platon. On ne commente guere les ouvrages des hommes tout court ; ce sont toujours les ouvrages d'hommes tout divins, d'hommes qui ont été l'admiration de leur siecle. Il en est de même de la matiere qu'on traite, c'est toujours la plus belle, la plus relevée, celle qu'il est le plus nécessaire de savoir. Mais depuis qu'il y a eu des Descartes, des Newtons, des Léibnitzs, des Wolfs, depuis qu'on a allié les Mathématiques à la Philosophie, la maniere de raisonner s'est extrêmement perfectionnée.
7°. L'esprit systématique ne nuit pas moins au progrès de la vérité : par esprit systématique, je n'entends pas celui qui lie les vérités entr'elles, pour former des démonstrations, ce qui n'est autre chose que le véritable esprit philosophique, mais je désigne celui qui bâtit des plans, & forme des systêmes de l'univers, auxquels il veut ensuite ajuster, de gré ou de force, les phénomenes ; on trouvera quantité de bonnes réflexions là-dessus dans le second tome de l'histoire du ciel, par M. l'abbé Pluche. Il les a pourtant un peu trop poussées, & il lui seroit difficile de répondre à certains critiques. Ce qu'il y a de certain, c'est que rien n'est plus louable que le parti qu'a pris l'académie des Sciences, de voir, d'observer, de coucher dans ses registres les observations & les expériences, & de laisser à la postérité le soin de faire un systême complet, lorsqu'il y aura assez de matériaux pour cela ; mais ce tems est encore bien éloigné, si tant est qu'il arrive jamais.
Ce qui rend donc l'esprit systématique si contraire aux progrès de la vérité, c'est qu'il n'est plus possible de détromper ceux qui ont imaginé un systême qui a quelque vraisemblance. Ils conservent & retiennent très-chèrement toutes les choses qui peuvent servir en quelque maniere à le confirmer ; & au contraire ils n'apperçoivent pas presque toutes les objections qui lui sont opposées, ou bien ils s'en défont par quelque distinction frivole. Ils se plaisent intérieurement dans la vûe de leur ouvrage & de l'estime qu'ils esperent en recevoir. Ils ne s'appliquent qu'à considérer l'image de la vérité que portent leurs opinions vraisemblables. Ils arrêtent cette image fixe devant leurs yeux, mais ils ne regardent jamais d'une vûe arrêtée les autres faces de leurs sentimens, lesquelles leur en découvriroient la fausseté.
Ajoutez à cela les préjugés & les passions. Les préjugés occupent une partie de l'esprit & en infectent tout le reste. Les passions confondent les idées en mille manieres, & nous font presque toujours voir dans les objets tout ce que nous desirons d'y trouver : la passion même que nous avons pour la vérité nous trompe quelquefois, lorsqu'elle est trop ardente. Malebranche.
PHILOSOPHIE, s. f. septieme corps des caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est d'une ligne 5 points, mesure de l'échelle ; son corps double est le gros parangon. V. PROPORTION des caracteres d'Imprimerie.
La philosophie est un entre-corps ; on employe ordinairement pour le faire l'oeil de cicero sur ledit corps de philosophie qui est de peu de chose plus foible. Voyez MIGNONE & l'exemple à l'article CARACTERES.
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PHILOSOPHIQUE | ESPRIT, (Morale) l'esprit philosophique est un don de la nature perfectionné par le travail, par l'art & par l'habitude, pour juger sainement de toutes choses. Quand on possede cet esprit supérieurement, il produit une intelligence merveilleuse, la force du raisonnement, un goût sûr & réfléchi de ce qu'il y a de bon ou de mauvais dans le monde ; c'est la regle du vrai & du beau. Il n'y a rien d'estimable dans les différens ouvrages qui sortent de la main des hommes, que ce qui est animé de cet esprit. De lui dépend en particulier la gloire des belles-lettres ; cependant comme il est le partage de bien peu de savans, il n'est ni possible, ni nécessaire pour le succès des lettres, qu'un talent si rare se trouve dans tous ceux qui les cultivent. Il suffit à une nation que certains grands génies le possedent éminemment, & que la supériorité de leurs lumieres les rendent arbitres du goût, les oracles de la critique, les dispensateurs de la gloire littéraire. L'esprit philosophique résidant avec éclat dans ce petit nombre de gens, il répandra pour ainsi dire, ses influences sur tout le corps de l'état, sur tous les ouvrages de l'esprit ou de la main, & principalement sur ceux de littérature. Qu'on bannisse les Arts & les Sciences, on bannira cet esprit philosophique qui les produit ; dès-lors on ne verra plus personne capable d'enfanter l'excellence ; & les lettres avilies languiront dans l'obscurité. (D.J.)
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PHILOTE | S. f. (Mythol.) l'une des filles de la Nuit, selon Hésiode dans sa Théogonie, 224. Ce Poëte a entendu par philote, l'abus du penchant que les deux sexes ont l'un pour l'autre. Hygin a rendu ce mot par celui d'incontinence.
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PHILOTÉSIE | S. f. (Littérat.) c'est ainsi que s'appelloit chez les Grecs, la cérémonie de boire à la santé les uns des autres ; elle se pratiquoit de cette maniere. Dès que le roi du festin, ou celui qui donnoit un grand repas avoit versé du vin dans sa coupe, il en répandoit d'abord en l'honneur des dieux ; ensuite après l'avoir porté à ses levres, il présentoit la coupe à son voisin, ou à la personne à qui il vouloit faire honneur, en lui souhaitant toutes sortes de prospérités ; celui-ci en buvoit, la présentoit ensuite à un autre ; & ainsi la coupe alloit de main en main, jusqu'à ce que tous les conviés en eussent bu. Les philotésies se pratiquoient encore à l'arrivée de quelque hôte, mais il n'étoit permis qu'aux étrangers de boire à la santé de la femme du roi du festin. A l'égard des autres regles de cette cérémonie de table, on peut consulter la lettre du P. Fronteau à M. de Bellievre. Le mot , veut dire amitié. (D.J.)
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PHILOTI | (Hist. littéraire) société établie à Vérone en Italie, pour les progrès des exercices convenables à la noblesse, comme le manege, les armes, la danse, &c. Elle est gouvernée par des présidens.
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PHILTRE | S. m. (Hist. anc. & Divinat.) breuvage ou autre drogue pour donner de l'amour ; ce mot est grec, , & vient du verbe , aimer.
On distingue les philtres en faux & en véritables ; & l'on tient pour faux ceux que donnent quelquefois les vieilles femmes ou les femmes débauchées ; ceux-là sont ridicules, magiques & contre nature, plus capables d'inspirer de la folie que de l'amour à ceux qui s'en servent : les symptômes en sont même dangereux.
Tous les démonographes conviennent qu'on employe de ces sortes de philtres, & les mettent au nombre des maléfices. Il est certain que les anciens les connoissoient, & que dans la confection de ces poisons ils invoquoient les divinités infernales. Il entroit dans leur composition diverses herbes ou matieres, telles que le poisson appellé remore, certains os de grenouilles, la pierre astroïtès, & sur-tout l'hippomanès. Voyez HIPPOMANES. Delrio ajoute qu'on s'y est aussi servi de sperme ou semence humaine, de sang menstruel, de rognures d'ongles, des métaux, des reptiles, des intestins de poissons & d'oiseaux, & qu'il y a eu des hommes assez impies pour mêler avec tout cela de l'eau bénite, du saint-chrême, des reliques des saints, des fragmens d'ornemens d'église, &c. On a des exemples de personnes ainsi maléficiées, & précipitées dans une rage d'amour ; mais l'auteur que nous venons de citer prétend qu'un philtre ne peut pas agir à moins qu'il n'y ait dans la personne à qui on l'a donné un penchant & des dispositions à aimer la personne qui le lui a donné, & encore qu'un ferme refus de consentement de la part de la premiere empêche l'effet du philtre. Delrio, Disquisit. magic. lib. III. part. I. quaest. iij. sect. 1 & 2.
On entend par véritables philtres ceux qui peuvent concilier une inclination mutuelle entre une personne & une autre, par l'interposition de quelque moyen naturel & magnétique qui transplante, pour ainsi dire, l'affection. Mais on demande s'il est des philtres de cette nature ; & d'ordinaire on répond que non. Quelques-uns croyent avoir des expériences contraires. On dit que si un homme met un morceau de pain sous son aisselle, pour l'imbiber de sa sueur & de la matiere de l'insensible transpiration, le chien qui en aura mangé ne le quittera jamais. On tient qu' Hartmannus ayant donné un philtre tiré des végétaux à un moineau, cet oiseau ne le quitta plus depuis, demeurant avec lui dans son cabinet, & volant pour le suivre quand il visitoit ses malades. Vanhelmont a écrit qu'ayant tenu une certaine herbe dans sa main, durant quelque tems, & pris ensuite la patte d'un petit chien de la même main, cet animal le suivit partout & quitta son premier maître. Le même auteur ajoute que les philtres demandent une confermentation de mumie, pour attirer l'amour à un certain objet, & rend par-là raison pourquoi l'attouchement d'une herbe échauffée transplante l'amour à un homme ou à une brute. C'est, dit-il, parce que la chaleur qui échauffe l'herbe, n'étant pas seule, mais animée par les émanations des esprits naturels, détermine l'herbe vers soi, & se l'identifie ; & ayant reçu ce ferment, elle attire magnétiquement l'esprit de l'autre objet, & le force d'aimer ou de prendre un mouvement amoureux ; de-là il conclut qu'il y a des philtres déterminés. Les malades, après avoir mangé, ou bu quelque chose, soupçonnent quelquefois certaines personnes de leur avoir donné quelque charme, & se plaignent principalement du désordre de l'estomac & de l'esprit. On dit encore que la passion amoureuse causée par un philtre revient périodiquement. Le docteur Langius témoigne qu'il a guéri un jeune homme, qui ayant mangé à quatre heures après midi, la moitié d'un citron qu'il avoit reçu d'une femme, sentoit tous les jours à la même heure un amour empressé qui le faisoit courir de côté & d'autre, pour la chercher & la voir. Cela lui duroit une heure ; & comme il ne pouvoit satisfaire son envie, à cause de l'absence de cette femme, son mal augmenta & le jetta dans un état pitoyable. Les philtres causent de fréquentes manies & assez souvent la perte de la mémoire. Il peut y avoir des breuvages qui produisent cet effet ; mais il est difficile de croire qu'il y en ait qui inspirent de l'amour plutôt pour une personne que pour une autre. Dictionn. des Arts.
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PHILYRA | S. f. (Littérat.) peau fort déliée qui se trouve entre l'écorce des arbres & l'aubier ; les anciens en faisoient des bandelettes, dont ils entrelaçoient leurs couronnes de fleurs : le tilleul étoit particulierement estimé pour cet usage. (D.J.)
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PHILYRES | (Géog. anc.) peuples qui habitoient sur le Pont-Euxin, selon Etienne le géographe. Valerius Flaccus Apollinius, l. II. met dans le Pont-Euxin une île appellée Philyrida, qui pouvoit tirer son nom de celui de ses peuples, ou lui avoir donné le sien ; & il y a apparence que ce sont les maisons des Philyres qu'Ovide, Métamorph. lib. VII. appelle philyrea tecta. (D.J.)
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PHIMOSIS | S. m. (Chirurgie) c'est une maladie de la verge, dans laquelle le prépuce est collé & fortement resserré sur le gland ; de maniere qu'on ne peut pas le tirer en arriere, pour découvrir le gland. V. GLAND, PREPUCE. Ce mot est grec ; il signifie proprement une ligature avec une ficelle, signifiant ligature faite avec une corde.
Quelquefois un phimosis cache des chancres qui sont sur le gland, ou qui l'environnent. Il est quelquefois si violent, qu'il cause une inflammation & enfin la gangrene dans cette partie.
On distingue le phimosis en naturel & en accidentel. Le naturel vient de naissance ; il n'est point ordinairement dangereux, à-moins qu'il n'y survienne une inflammation par l'acrimonie de l'urine, si elle séjourne long-tems entre le gland & le prépuce. L'accidentel est benin ou malin. Le premier vient de quelque cause externe qui irrite le prépuce, y attire une inflammation & un gonflement, & le fait tellement resserrer, qu'il se forme à son extrémité un bourlet circulaire qui l'empêche de se renverser & de découvrir le gland. Le phimosis malin est semblable à celui-ci ; mais il reconnoît pour cause un virus vénérien ; il survient souvent à la chaudepisse, aux chancres, & à d'autres maladies vénériennes qui attaquent la verge.
Le phimosis naturel peut mettre dans le cas d'une opération, même sans qu'il y survienne d'inflammation. Si l'ouverture du prépuce ne répondoit pas précisément à l'orifice de l'uretre, l'urine ne sortiroit point par un jet continu, mais s'échapperoit entre le gland & le prépuce. Le défaut de soin dans ce cas a souvent donné lieu à la concrétion de l'urine, & conséquemment à la formation des pierres dans cette partie. Si l'on a soin de presser le prépuce après qu'on a uriné, on évitera cet inconvénient ; mais on sent que ces personnes sont hors d'état d'avoir des enfans, parce qu'il arrivera à la liqueur séminale ce qui arrive à l'urine. Une petite scarification au prépuce à l'un des côtés de la verge, lui donnera la facilité de découvrir l'orifice de l'uretre, & levera les obstacles qui s'opposent à l'éjaculation.
On a imaginé un petit instrument d'acier élastique, pour dilater le prépuce trop étroit. Voyez fig. 5. Planche VII. L'extrémité antérieure se met dans le trou du prépuce, & on dilate les branches, en lâchant la vis qui les contient.
Lorsque le phimosis est accidentel, il faut saigner le malade relativement à la nature & aux progrès de l'inflammation, faire des injections adoucissantes entre le prépuce & le gland, appliquer des cataplasmes anodins & résolutifs, en observant la situation de la verge qui doit être couchée sur le ventre, pour les raisons que nous avons dites au mot PARAPHIMOSIS ; ce n'est qu'après avoir employé tous ces moyens sans succès qu'on doit venir à l'opération.
Le malade peut être assis dans un fauteuil, ou rester couché sur le bord de son lit. Le chirurgien prend la verge de sa main gauche, & tient de sa main droite des ciseaux droits & mousses : il introduit une des deux lames à plat, entre le prépuce & le gland audelà de la couronne ; on en releve ensuite la lame, & on coupe tout ce qui est compris entre deux. Cette incision doit se faire au milieu de la partie supérieure à l'opposite du filet. Si le prépuce étoit chancreux ou infiltré d'une lymphe gangreneuse, comme je l'ai vu presque toujours lorsque le phimosis a été négligé, il faut emporter tout le prépuce en ôtant les levres de la plaie obliquement pour aller mourir au filet qu'il n'est point nécessaire de couper. Cela se fait avec les ciseaux ou avec le bistouri.
La perfection de l'opération du phimosis consiste à couper également la peau & la membrane interne du prépuce. Pour cet effet, il ne faut point tirer la peau vers le gland ; car par la section on mettroit une partie des corps caverneux à découvert : il faut au contraire retirer la peau de la verge vers le publis, avant de couper.
Feu M. de la Peyronie a corrigé l'ancien bistouri herniaire pour cette opération. Voyez BISTOURI HERNIAIRE. L'usage des ciseaux doit autant qu'il est possible être proscrite de la chirurgie opératoire. L'incision du prépuce se fait bien plus facilement avec un bistouri qui coule le long d'une sonde cannelée qu'on a introduite préliminairement entre le prépuce & le gland.
Le premier appareil de l'opération du phimosis consiste à arrêter le sang avec de la charpie seche. Les plaies qui en résultent suppurent les jours suivans ; & l'on dirige les soins pour en obtenir la cicatrice le plûtôt qu'il est possible. Voyez PLAIE, ULCERE. (Y)
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PHINTHIA | (Géog. anc.) 1°. ville de Sicile, que l'on juge avoir été dans l'endroit où est aujourd'hui Licata, & où l'on découvre un grand nombre d'antiquités. 2°. Phinthia est encore une fontaine de Sicile : Pline raconte d'après Appien, mais sans en rien croire, que tout ce qui y étoit jetté surnageoit. Elle étoit apparemment au voisinage de la ville Phinthia.
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PHINTONIS | insula, (Géog. anc.) île de la mer Méditerranée, entre la Sardaigne & l'île de Corse, selon Pline, l. III. c. vij. & Ptolomée, l. III. c. iij. Les uns croyent que c'est aujourd'hui l'île de Figo, isola di Figo, & d'autres la prennent pour isola Rossa. (D.J.)
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PHIOLE | S. f. (Gramm.) c'est une petite bouteille de verre mince. Voyez VERRE. Ce mot est formé du grec , qui signifie la même chose.
PHIOLE ELEMENTAIRE, (Phys.) vase dans lequel on met divers solides & liquides, dont chacun se place selon sa différente gravité spécifique, de maniere que le tout représente les quatre élémens ainsi nommés vulgairement ; savoir, la terre, l'eau, l'air & le feu.
Il y a différentes manieres de faire la phiole des quatre élémens ; voici une des meilleures. Prenez de l'émail noir grossierement cassé, qui ira au fond du vaisseau de verre, & il représentera la terre. Pour l'eau, ayez du tartre calciné, ou des cendres gravelées, laissez-le à l'humidité, & prenez la dissolution qui s'en fera, & sur-tout celle qui sera la plus claire : mêlez-y un peu d'azur de roche, pour y donner la couleur d'eau de mer. Pour l'air, il faut avoir de l'eau-de-vie la plus subtile, que l'on teindra en bleu céleste avec un peu de tournesol. Enfin pour représenter le feu, prenez de l'huile de lin, ou de l'huile de térébenthine qui se fait ainsi. Distillez de la térébenthine au bain-marie, l'eau & l'huile monteront ensemble également blanches & transparentes, cependant l'huile surnagera. Il la faut séparer avec un entonnoir de verre ; ensuite teignez-la en couleur de feu, avec de l'orcanette & du safran. Si vous la distillez au sable dans une cornue, il viendra de la térébenthine restée au fonds de l'alembic, une huile épaisse & rouge, qui est un très-excellent baume. Toutes ces matieres sont tellement différentes en poids & en figures, que quand on les brouille par quelque violente agitation, on voit à la vérité pour un peu de tems un vrai cahos, & une confusion telle, qu'on s'imagineroit que tous les petits corps de ces liqueurs sont pêle-mêle, sans aucun rang ; mais à peine a-t-on cessé d'agiter ces substances, qu'on voit chacune retourner en son lieu naturel, & tous les corpuscules d'un même ordre s'unir pour composer un volume séparé absolument des autres. Cette expérience fait donc voir, comment les corpuscules les plus légers cedent aux plus pesans, & passent réciproquement entre les pores les uns des autres, pour aller prendre leur place naturelle. La différente figure empêche tellement que les corps qu'on mêle ne se confondent, & que quelqu'inséparables qu'ils paroissent les uns des autres dans le mêlange qu'on en fait, ils ne laissent pas de se démêler ; de maniere que si on met de l'eau dans du vin, on peut en retirer l'eau assez facilement. Il ne faut qu'avoir une tasse faite d'un tronc de lierre, on y verse le vin & l'eau mêlés ; à peine sont-ils dedans que l'eau passe, se filtre au-travers des pores de la tasse, & laisse le vin qui ne peut passer, parce que la figure de ses corpuscules n'a point de proportion avec des interstices qui sont dans le bois de lierre ; c'est ainsi enfin qu'il y a des fleuves qui conservent leur cours, & même la douceur de leurs eaux durant plusieurs lieues, après être entrés dans la mer. Article de M. Formey.
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PHISIQUE | S. f. Voyez PHYSIQUE.
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PHLAGUSA | (Géog. anc.) ville de la Chersonese, voisine de la ville de Troye, où l'on voyoit le tombeau de Protésilaüs ; cette ville avoit un port nommé Crater, selon Hygin. (D.J.)
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PHLÉBOTOMIE | S. f. en Médecine & en Chirurgie, c'est ce que l'on appelle saignée, c'est-à-dire l'art ou l'opération de tirer du sang. Voyez SANG.
Ce mot est composé du grec , & , couper.
La phlébotomie est une espece d'évacuation de la plus grande importance en Médecine ; sur ce que nous allons dire, on peut prendre une idée de ses effets avec la raison de ses usages.
Il est évident que le sang poussé hors du coeur, en frappant sur le sang qui le précéde, & le chassant en avant, lui communique une partie de son propre mouvement ; & qu'ainsi ce mouvement en est ralenti d'autant ; par conséquent si l'on tire du sang de la veine basilique du bras droit, celui qui lui succede, ou celui qui est porté par l'artere axillaire ou la sous-claviere droite, sera moins embarrassé dans son mouvement qu'il ne l'étoit auparavant que cette veine fût ouverte ; car une partie du sang étant ôtée par l'ouverture de cette veine, il en reste une moindre quantité dans la veine axillaire, ou bien il y a moins de sang contenu entre l'extrémité la plus éloignée de l'artere axillaire & le coeur, qu'il n'y en avoit auparavant ; c'est pourquoi en faisant sortir le sang par la veine, ce qui en reste dans l'artere sera moins embarrassé dans son mouvement qu'avant cette ouverture. Voyez POULS.
Ainsi le sang de cette artere qui communique avec la veine qui est ouverte, coulera avec plus de vîtesse après cette ouverture qu'il ne faisoit auparavant ; par conséquent, lorsque le sang sort par la veine du bras, celui qui est poussé du coeur dans l'aorte trouve moins de résistance dans le tronc ascendant que dans le tronc descendant, il coulera donc plus vîte dans l'ascendant que dans le descendant ; & par conséquent aussi, il trouvera moins de résistance dans l'artere sous-claviere droite, que dans la gauche.
Enfin il paroît de-là, qu'après avoir tiré du sang d'une veine du bras droit, celui qui reste dans l'artere axillaire droite coulera avec une plus grande vîtesse dans l'artere de ce bras qui lui est contigu, que par l'artere thorachique ou la scapulaire droite, qui lui est aussi contiguë ; parce que quand on ne suppose pas que le sang est tiré de quelque veine correspondante à l'artere thorachique, ou dans laquelle cette artere se décharge, il y a à proportion un plus grand obstacle au mouvement du sang dans l'artere thorachique, que dans celle du bras ; mais comme la vîtesse du sang dans l'artere sous-claviere ou dans l'axillaire droite, est plus grande que dans la gauche ; la vîtesse dans l'artere thorachique droite sera aussi plus grande que dans l'artere thorachique gauche. D'où il est clair qu'en tirant du sang par une veine du bras droit, la plus grande vîtesse du sang restant sera dans l'artere de ce bras ; à cause qu'il décharge son sang immédiatement dans la veine qui est ouverte ; & la plus grande vîtesse après celle-ci, se trouvera dans l'artere thorachique ou la scapulaire du même côté, qui sort de l'artere axillaire ; mais la vîtesse du sang sera beaucoup moindre dans l'artere brachiale, axillaire & thorachique, du côté gauche & opposé, & la moindre de toutes dans les arteres qui viennent du tronc descendant de l'aorte.
Sur ces principes, on peut aisément inférer ce qu'il faut faire dans plusieurs circonstances de la saignée : par exemple, si l'on veut empêcher le progrès de quelqu'humeur provenante d'un sang stagnant dans la jambe gauche, ou si l'on veut parvenir à faire couler dans cette jambe en un espace de tems donné quelconque, une aussi petite quantité de sang qu'il est possible ; on doit premierement tirer du sang par le bras ou la jambe du côté droit ; car c'est là le véritable moyen de faire ce que l'on appelle révulsion.
De plus, si l'on tire du sang du même côté, & par quelque veine qui reçoit le sang d'une branche de ce tronc qui le transmet à la partie enflée, on occasionnera une plus grande dérivation de sang à ce membre.
Quant à ce qui regarde toute la constitution du corps, dans tous les cas où le sang coule avec lenteur, ou quand il est visqueux, s'il y a encore assez de force & d'élasticité dans les solides ; la phlébotomie fera circuler plus vîte le sang qui reste, le rendra plus coulant & plus chaud ; mais dans une pléthore qui vient de débauche & d'une trop grande quantité d'alimens spiritueux, ou d'une diminution de transpiration, dans laquelle cependant le sang conserve sa fluidité naturelle ; la phlébotomie fera circuler le reste de la masse plus lentement & le rafraîchira.
Dans le premier cas une diminution de résistance dans les vaisseaux sanguins, augmentera les puissances contractives de ces vaisseaux, elle les fera battre plus vîte & fera circuler avec plus de rapidité les humeurs qu'ils contiennent ; mais dans le dernier cas, une diminution de la quantité d'un sang spiritueux fera aussi diminuer la quantité d'esprits, dont la sécrétion se fait dans le cerveau, il s'ensuivra que le coeur & les arteres ne se contracteront plus si souvent, ni si fortement qu'auparavant ; ainsi le sang circulera plus doucement & deviendra plus frais. Voyez COEUR & ARTERE, & voilà les principes sur lesquels roule toute la doctrine de la saignée. Voyez ÉVACUATION, DERIVATION & REVULSION.
Pour la maniere de faire la phlébotomie. Voyez SAIGNEE.
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PHLÉGÉTHON | S. m. (Mythol.) fleuve d'enfer, qui non-seulement rouloit des torrens de flammes, mais qui environnoit de toutes parts la prison des scélérats ; son nom vient de , je brûle. Les habitans, voisins du marais Achéruse plein d'eaux croupissantes, débitoient sur ces eaux mille fables ridicules, dont les Poëtes se jouerent en les ennoblissant. (D.J.)
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PHLEGMAGOGUE | adj. (Médecine) c'est un médicament propre à purger le phlegme ou la pituite. Voyez PURGATIF. Ce mot est formé du grec , pituita, pituite, & , chasser ou tirer. L'agaric, l'hermodactyle, le turbith sont réputés des drogues phlegmagogues.
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PHLEGMASIE | S. f. (Médecine) dans Hippocrate, signifie non-seulement une inflammation en général, mais quelquefois encore une chaleur violente excitée par une fievre : ailleurs il signifie une espece d'urine pituiteuse qui contient beaucoup d'humeurs froides & grossieres.
On peut dire que l'inflammation attaque la lymphe comme le sang. Les inflammations lymphatiques ne sont pas connues des médecins ordinaires, qui ne caractérisent que les maladies dont ils ont étudié, ou se sont accoutumés à reconnoître les symptomes dans les livres des anciens, ou dans le courant de leur pratique ordinaire. Voyez LYMPHE & INFLAMMATION.
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PHLEGMATIQUE | adj. (Médecine) tempérament dans lequel le phlegme ou la pituite est l'humeur dominante. Voyez TEMPERAMENT & PHLEGME.
Les tempéramens phlegmatiques sont sujets aux rhumes, aux fluxions, &c. Voyez CONSTITUTION & COMPLEXION.
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PHLEGME | S. m. (Médecine) Une humeur morbifique, secrétoire, tenace, glutineuse, blanche, sans action, produite peu-à-peu par une augmentation de chaleur, ou de mouvement du corps, s'appelle phlegme.
Les humeurs naturelles, albumineuses, gélatineuses, mucilagineuses, muqueuses, & peut-être la graisse elle-même, par une disposition morbifique du corps, paroissent dégénérer en cette matiere.
Comme dans la distillation, après l'ascension de la partie volatile, monte le phlegme sans action, de même les humeurs de bonne qualité qui ont souffert une longue agitation par la force de la circulation & la chaleur du corps, se changent en cette humeur tenace & glutineuse.
Le phlegme, difficile à se résoudre après la cessation d'une violente inflammation & de la fievre, présage toujours la longueur de la maladie, produit des aphthes de durée, un sédiment muqueux dans l'urine, des crachats abondans & tenaces dans les poumons, des ordures dans les oreilles, dans la bouche, sur la langue, & dans les yeux ; des selles muqueuses & tenaces que le malade rend sans aucun soulagement.
Pour diviser le phlegme, il faut employer les détersifs savonneux, incapables de trop échauffer ou de trop rafraîchir : par le moyen de semblables antiseptiques, on prévient le trop grand progrès & la corruption du phlegme ; enfin on le dissipe très-doucement.
Phlegme ; dans les anciens comme dans Galien, signifie toute humeur, froide & humide ; mais dans Hippocrate, ce mot ne désigne pas seulement une humeur blanche & froide mais encore une inflammation. De plus , dans le même auteur, signifie quelquefois une chaleur violente excitée par la fievre. Enfin, dans le même Hippocrate, ne signifie pas seulement causer une tumeur, mais exténuer. (D.J.)
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PHLEGMON | S. m. terme de Chirurgie, inflammation sanguine qui fait éminence au-dehors, & qui s'étend profondément dans la partie qu'elle occupe. On définit ordinairement le phlegmon, une tumeur circonscrite avec rougeur, chaleur, douleur & pulsation.
La cause du phlegmon est un engorgement dans les extrémités capillaires, artérielles, sanguines, avec constriction & érétisme des vaisseaux engorgés. Voyez INFLAMMATION & ÉRETISME. L'amas du sang dans des vaisseaux dont l'action seroit abolie ou empêchée, ne produit point une tumeur inflammatoire. Voyez APOSTEME.
Les signes qui font connoître le phlegmon, sont la rougeur, la chaleur, la circonscription, la tumeur, la dureté, la tension, la douleur, la pulsation, la fievre & l'insomnie. L'application du doigt sur la tumeur ne fait pas évanouir pour un moment la rougeur comme dans l'érésipele. Voyez ÉRESIPELE.
Pour guérir le phlegmon, il faut tâcher de procurer la résolution de l'humeur arrêtée dans la partie : aucun remede ne peut suppléer à la saignée ; & si la plûpart des phlegmons se terminent par suppuration, c'est parce qu'on n'a point employé les saignées aussi promptement & aussi abondamment qu'il l'auroit fallu. On ne peut que par une soustraction fort considérable de la partie rouge, rendre la masse du sang assez séreuse & assez fluide, pour que cette partie rouge qui contribue à l'étranglement & à l'embarras, se trouve inondée ou détrempée au point d'être facilement déplacée & entraînée par son véhicule devenu plus abondant. Tout consiste donc à rendre le sang fort aqueux, coulant, & moins inflammable ; & il n'y a d'autre moyen pour y réussir que d'abondantes saignées pratiquées assez promptement.
Quoique la saignée soit le principal remede que l'on puisse employer pour procurer la résolution du phlegmon, il faut la seconder par d'autres remedes dont l'expérience a fait connoître l'utilité.
Dans le commencement de la maladie, on peut se servir avec succès des repercussifs. Voyez REPERCUSSIFS. Ces médicamens en resserrant, par leur vertu astringente, les vaisseaux sanguins, empêchent nonseulement une partie du sang d'entrer dans les vaisseaux resserrés, mais ils forcent celui qui y est arrêté d'enfler les vaisseaux collatéraux où la circulation n'est pas empêchée. Pour peu que l'inflammation ait fait de progrès, ces remedes ne doivent point être employés ; ils attireroient la mortification : il faut avoir recours aux émolliens résolutifs pour relâcher l'étranglement qui arrête le cours du sang dans les capillaires artériels. On se sert fort efficacement du cataplasme avec la mie de pain cuite dans le lait, ou de celui des quatre farines cuites pareillement dans le lait ou dans de l'eau. Ces remedes farineux contiennent une huile mucilagineuse, relâchante, qui, secondée par les mêmes qualités qui se trouvent dans le lait, procure la détente des vaisseaux : ces remedes contiennent aussi un seul acescent qui leur donne une vertu légérement repercussive.
C'est l'expérience qui a fait connoître l'excellence de ces remedes ; car en suivant l'idée qu'on s'est toujours faite de la résolution des tumeurs, on a donné le nom de résolutifs à des médicamens qui ont une vertu atténuante, incisive, pénétrante, propre à subtiliser l'humeur & à la faire évaporer par les pores de la peau : tels que sont tous les remedes remplis de sels volatils, d'huiles éthérées ; les liqueurs spiritueuses, chargées d'huiles alkoolisées & d'huiles essentielles, ou d'huiles éthérées distillées. Mais tous ces remedes n'ont aucunement la vertu qu'on leur attribue ; loin de dissoudre & d'atténuer le sang, ils l'épaississent & le condensent pour la plûpart : ces remedes sont des stimulans violens qui n'agissent qu'en irritant les solides, & qui sont capables d'augmenter beaucoup l'inflammation, & d'en causer même où il n'y en a point.
Il semble cependant que ces remedes en excitant le jeu des vaisseaux, devroient procurer le même effet que s'ils atténuoient les humeurs en agissant sur elles immédiatement ; parce que l'action des vaisseaux augmentée paroît devoir les briser & les subtiliser : cet effet peut avoir lieu à l'égard des tumeurs oedémateuses causées par une crudité pituiteuse ; mais il n'en est pas de même du sang qu'un jeu des vaisseaux trop violent durcit & racornit. Si l'action violente des vaisseaux étoit un remede contre l'inflammation, la maladie, selon l'expression de M. Quesnay, seroit à elle-même son propre remede, puisqu'elle consiste dans cette action même devenue excessive ; il ne seroit pas nécessaire d'avoir recours à des remedes capables d'exciter cette action déja trop animée. L'usage inconsidéré des remedes résolutifs procure l'induration des tumeurs inflammatoires. Voyez INDURATION.
Lorsque le phlegmon est dans son état, on applique les émolliens tout simples en forme de cataplasme, voyez ÉMOLLIENS ; & si la maladie donne des signes de résolution, on joindra les résolutifs aux émolliens, pour passer ensuite par dégrés aux résolutifs seuls. Voyez RESOLUTIFS & RESOLUTION.
Si la tumeur donne des signes qu'elle suppurera, voyez SUPPURATION, on se sert des remedes gras & onctueux, voyez SUPPURATIFS ; & lorsque le pus est formé, le phlegmon est degénéré en abscès. Voyez ABSCES. (Y)
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PHLEGRA | (Géog. anc.) ville de la Thessalie, selon Martianus Capella. Ce fut, disent les Poëtes, dans les champs de cette ville, que les géans combattirent contre les dieux, & qu'ils furent foudroyés. (D.J.)
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PHLEGYAE | (Géog. anc.) peuples de la Thessalie, selon Strabon ; il y avoit aussi dans la Boeotie, une ville appellée Phlegya : le mot Phlegyae se lit dans Virgile, Aeneid. l. VI. vers. 618.
Phlegyasque miserrimus omnes
Admonet.
Le poëte désigne vraisemblablement ici, ces gens de la Boeotie, qui, selon Pausanias, ayant voulu piller le temple d'Apollon à Delphes, périrent presque tous par la foudre, par des tremblemens de terre, & par la peste. De-là vient que Phlegyae a signifié en général, des impies & sacrileges ; & c'est en ce sens qu'il faut prendre ce mot dans le passage de Virgile.
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PHLÉGYAS | (Mythol.) chef des phlégiens, peuple belliqueux de la Béotie ; après les avoir rassemblés de toutes parts, il porta son audace, dit Pausanias, jusqu'à marcher avec eux contre Delphes, pour piller le temple d'Apollon.... mais ils furent exterminés par le feu du ciel, par des tremblemens de terre, & par la peste. Les Poëtes, pour punir Phlégyas, le mettent dans le Tartare, & nous représentent Tisiphone toute ensanglantée, goûtant aux mets qu'on lui présentoit, afin qu'il en eût horreur, malgré la faim qui le dévoroit. (D.J.)
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PHLEUM | S. m. (Botan.) c'est dans le système de Linnaeus, un genre de plante, dont voici les caracteres. Le calice est une balle contenant une fleur ; cette balle est bivalve, oblongue, comprimée & ouverte au sommet ; la fleur est composée de deux pieces plus courtes que celles du calice ; les étamines sont trois filets capillaires, qui s'élevent au-dessus du calice ; les bossettes des étamines sont oblongues & fendues en deux à leur extrémité ; l'embryon du pistil est arrondi ; les stiles sont au nombre de deux, petits & panchés ; le calice & la fleur renferment une seule graine qui est de figure arrondie. (D.J.)
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PHLIACOGRAPHIE | S. m. (Littérat.) nom que donnoient les anciens à une imitation gaie & burlesque de quelque piece grave & sérieuse, & particulierement d'une tragédie tournée sur le ton d'une piece comique. Voyez PARODIE.
Ce mot est grec, formé de , badiner, ou de , folâtre, dérivé de , je badine, joint avec , j'écris, c'est-à-dire piece ou composition badine.
La Phliacographie paroît avoir été la même chose que l'hilarodie ou l'hilarotragédie. voyez HILARODIE, &c.
On distinguoit cependant plusieurs especes de Phliacographie, dont on peut voir les noms dans le livre de Saumaise, intitulé Exercitationes in Solmum.
Les parodies qu'on a faites de quelques morceaux ou pieces des meilleurs poëtes, comme le Virgile travesti de Scarron & de Cotton ; les coquines rivales de Cybber travesties des reines rivales de Lee ; quelques morceaux d'opera dont on a adapté la musique à des paroles boufonnes & ridicules, sont aussi comprises dans la notion de Phliacographie. Voyez PARODIE.
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PHLIUS | (Géog. anc.) nous traduisons en françois Phlionte ; il y a trois villes du nom de Phlius, toutes trois dans le Péloponnèse.
La premiere est une ville du Péloponnèse en Sicyonie, selon Ptolomée, l. III. c. xvj. qui la place dans les terres. Strabon, l. VIII. pag. 382. dit " que la ville d'Aroethyrée, que l'on appelloit de son tems Phlyasia, étoit dans une contrée de même nom, près de la montagne Coelossa : il ajouta que dans la suite les habitans changerent de place, & allerent à trente stades de ce lieu, bâtir une autre ville, qui fut aussi nommée Phlius.
La seconde Phlius est une ville maritime du Péloponnèse dans l'Argie, placée, selon Ptolomée, l. III. c. xvj. entre Nauplia-Navale, & Hormioné. Pinet prétend que c'est Focia, & Sophien Yri.
La troisieme Phlius est une ville du Péloponnèse dans l'Elide, selon Pline, qui la met à cinq milles de Cyllène. Le P. Hardouin prétend que c'est la même qui est placée dans la Sicyonie par Ptolomée & par Strabon.
J'ignore laquelle de ces trois villes du Péloponnèse, étoit la patrie du poëte-musicien Thrasylle, dont parle Plutarque dans son dialogue sur la musique, outre qu'il y a trois Thrasylles fameux chez les Grecs par leurs talens. Le premier étoit de Phlionte ; le second est un philosophe cynique, contemporain du vieil Antigonus, l'un des successeurs d'Alexandre le Grand ; le troisieme étoit de Mendès, ville d'Egypte.
M. l'abbé Sévin dans les Mém. des Inscript. tom. X. pag. 89. prend ce dernier Thrasylle, homme versé dans presque toutes les sciences, pour le Thrasylle de Phlionte ; mais ce savant est vraisemblablement dans l'erreur. Le Thrasylle de Mendès étoit à la vérité musicien, mais un simple musicien spéculatif, au lieu que le Thrasylle de Phlionte étoit musicien, praticien, comme Pindare & Simonide, comme Eschyle & Phrynique, comme Pancrate & Tyrtée. Il joignit comme eux, le mérite de la poésie lyrique à celui de la musique ; c'est-à-dire, qu'il composoit comme eux, des airs & des chants de plus d'une espece, qui s'exécutoient aussi sur les instrumens.
Cette musique des Grecs dans les siecles d'Auguste, de Tibere & de Thrasylle le mindésien, étoit bien déchue de la belle simplicité qui en faisoit autrefois le principal mérite. Mais si Thrasylle de Mindès ne se distingua pas dans la musique, il joua un grand rôle auprès de Tibere, par son étude de l'astrologie judiciaire. Ce prince, quoique naturellement très-réservé, l'honora de sa confiance la plus intime, & il fut la conserver jusqu'à sa mort qui ne précéda que d'un an celle de l'empereur. Tous les historiens romains, Suétone, Tacite, Dion Cassius, parlent beaucoup de ce Thrasylle ; il le méritoit par son esprit, par la bonté de son coeur, & par la droiture de ses intentions.
Il ne s'en tint pas là : les mêmes auteurs rapportent que plusieurs illustres romains furent redevables de leur conservation, à la sagesse de Thrasylle. Les défiances de Tibere augmentoient avec l'âge & le désir d'assurer à sa maison l'autorité souveraine, excita un violent orage contre les membres du sénat les plus distingués, & par la naissance & par le mérite personnel. On les arrêta, & ils auroient péri infailliblement, si Thrasylle n'eût pas trouvé le secret de persuader à l'empereur, que les astres lui promettoient une vie extrêmement longue. Ce que l'on souhaite avec ardeur, est cru fort aisément : Tibere convaincu de la vérité de cette prédiction, différa toujours d'immoler à ses soupçons, un si grand nombre de victimes. Enfin, attaqué de la maladie qui le conduisit au tombeau, il rejetta les secours de la médecine qu'on lui offrit, & sa mort combla les voeux de tout le monde.
C'est à Phlionte en Sycionie, que naquit Asclépiade, disciple de Stilpon, & le tendre ami de Ménédeme. Tous deux fort pauvres, ils gagnerent leur vie commune à la sueur de leur visage, & devinrent par leur génie & par l'étude, de grands & d'estimables philosophes ; ils le furent encore par les liens d'une amitié rare, & qui dura jusqu'au tombeau. Résolus tous deux de se marier, & de ne se jamais séparer, ils jugerent nécessaire, pour réussir dans ce dessein, de choisir leurs femmes, avec une précaution qui leur pût promettre la concorde domestique ; & ils trouverent ce bonheur dans une famille où il y avoit une femme & une fille, l'une & l'autre en âge d'être mariées. Ménédeme prit la mere, & Asclepiade la fille ; celle-ci étant morte au bout d'un an, Ménédeme céda son épouse à son ami, & se remaria avec une riche & vertueuse héritiere, qui déposa le fonds & l'administration de ses biens entre les mains de sa belle-soeur. Les ames des deux amis & des deux femmes se réunirent encore, & se confondirent avec leur fortune & l'éducation de leurs enfans. (Le Ch(D.J.) )
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PHLOGINOS | (Hist. nat.) Pline donne ce nom à une pierre qui se trouvoit en Egypte, dont la couleur étoit d'un jaune vif. Quelques modernes ont cru que cette pierre est la même que les anciens nommoient chrisistris.
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PHLOGISTIQUE | S. m. (Chimie) c'est la même chose que le feu élémentaire. Voyez l'article FEU.
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PHLOGITES | (Hist. nat.) Les naturalistes ne sont point décidés sur la nature de la pierre que les anciens ont désignée sous ce nom. Les uns croyent que c'est l'opale, à cause du feu qu'elle semble jetter. Pline met cette pierre au rang des pierres précieuses.
D'autres croyent que ce nom doit être appliqué à une espece de spath strié, & d'une couleur rouge qui ressemble assez à une flamme, & que quelques-uns ont ridiculement regardé comme une flamme pétrifiée. Il s'est trouvé en Allemagne, des pierres qui avoient cette figure.
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PHLOGOSE | PHLOGOSE
Quand l'inflammation de l'oeil est legere & modérée, on l'appelle phlogose ; quand elle est violente, c'est une chemose.
La phlogose est la disposition à l'inflammation en général. Voyez INFLAMMATION.
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PHLOGUS | S. m. (Botan. anc.) nom donné par quelques-uns des anciens naturalistes, à différentes especes de glayeuls, ou d'iris bulbeux, & par quelques autres, à la flammula-jovis, espece de clématite, ainsi nommée à cause de son goût acre & brûlant ; mais il semble que cette plante a reçu le dernier nom de flammula-jovis, d'une méprise de Pline, qui copiant Théophraste, & trouvant que cet auteur parle en même tems du phlogus, & d'une autre plante nommée diosanthos, c'est-à-dire fleur de Jupiter, a confondu les deux noms qui étoient réunis, pour mettre entr'eux le mot flammula-jovis. Il y a plus d'une erreur semblable dans les écrits de Pline. (D.J.)
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PHLOMIS | S. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale & labiée, la levre supérieure est en forme de casque, & tombe sur la levre inférieure qui est un peu renflée, & divisée en trois parties. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons, qui deviennent dans la suite autant de sémences oblongues, renfermées dans une capsule, ou tuyau à cinq angles qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort compte huit especes de ce genre de plante ; la principale phlomis fructicosa, salviae folio latiore & rotundiore, I. R. H. 177. se cultive dans les jardins, & fleurit au mois de Juin. On lui donne les vertus de la sauge, d'être astringente & vulnéraire. (D.J.)
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PHLYA | (Géog. anc.) bourgade de l'Attique ; elle étoit de la tribu de Ptolémaïde, selon le marbre des treize tribus, rapporté par M. Spon ; & selon Hésychius, cette ancienne bourgade qui est dans le Mesoia, entre Rasti & le Cap-Colonne, conserve encore son nom. C'étoit la patrie du poëte Eurypide ; mais il y a eu trois poëtes célébres de ce nom là. Pausanias fait mention de plusieurs temples & autels qui étoient à Phlya, entr'autres de ceux d'Apollon, de Diane, de Bacchus & des Euménides. A Athenes, ajoute M. Spon, dans l'église Agivi Apostoli, on lit cette inscription : . (D.J.)
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PHLYCTENES | S. f. (Chirurgie) ce sont des petites pustules ou vésicules qui causent des démangeaisons, & qui viennent sur la peau, principalement entre les doigts & autour du poignet. Elles sont pleines d'une sérosité lympide ; elles dégénerent quelquefois en gale, & quelquefois en dartres. Voyez GALE, &c. On les guérit de même que les autres éruptions cutanées. Voyez PSORA & PUSTULE.
Phlyctenes signifient aussi de petites vésicules ulcéreuses qui viennent quelquefois sur la conjonctive, & quelquefois sur la cornée de l'oeil, semblables à autant de petites vessies pleines d'eau, que l'on appelle vulgairement pustules aux yeux.
Elles paroissent comme des grains de millet, & quand elles sont produites par une humeur fort corrosive, elles causent une violente douleur : les pustules qui viennent sur la conjonctive, sont rouges ; celles qui viennent sur la cornée, sont noirâtres, si elles sont proches de la surface, mais elles sont plus blanches quand elles sont plus profondes. On les guérit avec des dessicatifs & des discussifs.
On appelle aussi phlyctenes les vessies qui surviennent à la gangrene, aux brûlures, & à l'application d'un vésicatoire ; elles sont formées par l'amas de la lymphe entre la peau & l'épiderme. En coupant l'épiderme, on détruit la phlyctene : un peu de cerat camphré suffit pour dessécher la peau dans les phlyctenes benignes, telles que celles formées par la transpiration retenue, à l'occasion de l'appareil & bandages dans les fractures. Les phlyctenes qui sont le symptôme d'une maladie dangereuse, ne sont d'aucune considération ; c'est la maladie qui les a produites qui mérite l'attention du chirurgien. Le mot de phlyctenes est grec ; il vient de , ferveo, je bous. (Y)
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PHLYSTENE | S. f. (Médec.) phlystaena ; espece d'ébullition, comme l'indique le mot grec , ebullio ; c'est une maladie qui produit des boutons pleins de sérosité, quelquefois gros, livides, pâles ou noirâtres. Quand on les perce, la chair paroît dessous comme ulcerée. Ces boutons sont causés par une lymphe chaude & âcre ; ils viennent par tout le corps, & quelquefois même sur la cornée : Celse en parle dans ses ouvrages. (D.J.)
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PHOBETOR | S. m. (Mythol.) le second des trois songes, enfans du Sommeil : son nom signifie épouvanter, parce qu'il épouvantoit en prenant la ressemblance des bêtes sauvages, des serpens & autres animaux qui inspirent la terreur.
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PHOBOS | (Mythol.) ou la peur ; elle étoit personnifiée chez les Grecs, & représentée avec une tête de lion.
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PHOCARUM | insula, (Géog. anc.) île sur la côte de l'Arabie, au voisinage de l'île des Tortues & de celle des Eperviers. Elle étoit ainsi nommée à cause de la quantité de veaux marins qu'on y pêchoit. Strabon, lib. XVI. p. 776. semble encore mettre une île du même nom sur la même côte, près du promontoire des Nabatéens. (D.J.)
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PHOCAS | voyez VEAU MARIN.
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PHOCÉE | (Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, assez voisine de Smyrne. Elle tiroit apparemment son nom du mot phocas, qui signifie un veau marin, parce qu'il se pêche près de-là quantité de ce poisson, & même dans tout le golfe de Smyrne. Un médaillon de l'empereur Philippe semble le confirmer par son revers, où il y a un chien qui est aux prises avec un de ces phocas, & le mot de , à l'entour, qui veut dire que c'est une médaille des Phocéens. L'emblème est difficile à pénétrer ; car pourquoi joindre un chien avec un poisson, si ce n'est peut-être pour donner à entendre que leur puissance sur terre, étoit égale à leurs forces maritimes, ou que leur fidélité à l'empereur romain, & leur vigilance dont le chien est l'emblème, disposoient leur ville signifiée par ce poisson, à tous les devoirs que demandoit une si douce domination. Mais, dit M. Spon, ces sortes d'énigmes sont des nez de cire qu'on peut tourner de quel côté que l'on veut. Phocaeenses étoit le nom des habitans ; & phocaïcus étoit le possessif, comme on le voit dans ce vers de Lucain, lib. III. v. 583.
Phocaïcis romana ratis vallata carinis.
Phocaïcis est là pour Massiliensibus, parce que la ville de Marseille est une colonie de Phocéens.
Phocée étoit la derniere ville d'Ionie, au septentrion vers l'Eolie, sur la mer de son nom ; aujourd'hui c'est Foglia-Vecchia, misérable village sur les côtes de la petite Aidine, entre la riviere de Quiai & le golfe de Sanderli.
Les anciens habitans de cette ville prirent le parti de la quitter, plutôt que de tomber entre les mains des Perses qui leur faisoient continuellement la guerre. C'est de-là & non d'ailleurs, que sortirent ces nombreuses peuplades qui s'établirent dans quelques îles d'Italie, & sur les côtes de la Lucanie, de la Ligurie, de la Provence, du Languedoc, du Roussillon & de la Catalogne, où ils bâtirent plusieurs villes, & y porterent les sciences de leur pays ainsi que leur commerce. Il ne faut pas confondre ces Phocéens d'Asie, avec les peuples de la Phocide en Europe. Les premiers s'appellent en latin Phocei ou Phocoeenses ; & les derniers Phocenses : on s'y est trompé plus d'une fois. La premiere transmigration des Phocéens, arriva la 164 année de Rome ; il s'en fit une autre l'an 210 de Rome : les transmigrations suivantes ne se trouvent point dans l'histoire. (D.J.)
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PHOCIDE | (Géog. & Hist. anc.) Phocis, contrée de la Grece, entre la Béotie & la Locride. Elle avoit anciennement des frontieres plus reculées, puisque Strabon, lib. IV. dit qu'elle étoit bornée au nord par la Boeotie, mais qu'elle s'étendoit d'une mer à l'autre ; c'est-à-dire, depuis le golfe de Corinthe, jusqu'à la mer Eubée. Si nous nous en rapportons à Denis le périégete, la Phocide s'est autrefois étendue jusqu'aux Thermopyles, ce qui néanmoins fût de courte durée.
Deucalion commença à regner dans la Phocide, autour du mont Parnasse, du tems de Cécrops. Les Phocidiens formerent ensuite une république, en changeant leurs chefs selon les occasions. Leur pays avoit pour principaux ornemens le temple de Delphes & le mont Parnasse.
Les Phocidiens s'aviserent de labourer des terres consacrées à Apollon, ce qui étoit les profaner. Aussitôt les peuples d'alentour crierent au sacrilege, les uns de bonne foi, les autres pour couvrir d'un pieux prétexte leurs vengeances particulieres. La guerre qui survint à ce sujet, s'appella sacrée, comme entreprise par un motif de religion.
On déféra les profanateurs aux Amphictyons, qui composoient les états généraux de la Grece, & qui s'assembloient tantôt aux Thermopyles, tantôt à Delphes. L'affaire ayant été portée à leur tribunal, on déclara les Phocéens sacrileges, & on les condamna à une grosse amende. Un d'entr'eux nommé Philomele, homme audacieux & fort accrédité, les révolta contre ce decret. Il prouva par des vers d'Homere, qu'anciennement la souveraineté du temple de Delphes appartenoit aux Phocidiens ; il fallut soutenir la révolte par les armes : on leva de part & d'autre des troupes.
Les Phocidiens s'assurerent du secours d'Athènes & de Sparte, & ne se promirent pas moins que d'abattre l'orgueil de Thebes, qui s'étoit montrée la plus ardente à poursuivre le jugement. Les premiers avantages qu'ils remporterent ne servirent pas peu à fortifier cette espérance. Mais bientôt les fonds nécessaires pour les dépenses de la guerre leur ayant manqué, ils y suppléerent par un nouveau sacrilege.
Philomele avoit eu assez de religion pour ne pas toucher au temple de Delphes. Onomarque & Phayllus qui lui succéderent dans le commandement, furent moins scrupuleux ; ils enleverent tous les précieux dons que la piété des rois & des peuples y avoit consacrés. Les sommes qu'ils en retirerent à plusieurs fois, monterent à plus de dix mille talens. Ils trouverent ainsi le secret de soutenir la guerre aux dépens d'Apollon. Les dévots crierent plus que jamais au sacrilege. On en vint souvent aux mains. La fortune se rangea tantôt d'un parti, tantôt de l'autre. Les Phocidiens réduisirent enfin les Thébains à se jetter entre les bras de Philippe, qui se chargea volontiers de mettre les ennemis de Thebes à la raison.
Ce prince n'eut qu'à paroître pour terminer une guerre qui duroit depuis dix ans, & qui avoit également épuisé l'un & l'autre parti. Les Phocidiens désespérerent de résister à un tel ennemi. Les plus braves obtinrent la permission de se retirer dans le Péloponnèse ; le reste se rendit à discrétion, & fut traité fort inhumainement.
Philippe ne sauva que les apparences dans ce dessein aux yeux du peuple, il convoqua les Amphictyons, les établit pour la forme souverains juges de la peine encourue par les Phocidiens ; & sous le nom de ces juges dévoués à ses volontés, il ordonne qu'on ruinera les villes de la Phocide ; qu'on les réduira toutes en bourgs de soixante feux au plus ; que l'on proscrira les sacrileges, & que les autres ne demeureront possesseurs de leurs biens qu'à la charge d'un tribut annuel, qui s'exigera jusqu'à la restitution entiere des six mille talens enlevés dans le temple de Delphes. Cela faisoit une somme d'environ six millions d'écus, ou dix-huit millions de livres.
On ne doit point être surpris que le butin pris par les Phocéens montât si haut. Il y avoit dans le temple de Delphes des richesses immenses, à cause de la multitude innombrable de vases, de trépiés, de statues d'or, d'argent & de bronze que les rois, les grands capitaines, les villes & les nations y envoyoient de tous les endroits de la terre.
Le vainqueur, c'est Philippe dont je veux parler, ne s'oublia pas pour prix d'une victoire qui ne lui couta que la peine de se montrer : outre le titre de prince religieux, de fidèle allié, il eut encore les Thermopyles, le grand objet de ses desirs, & l'unique passage qui menât de Macédoine en Italie.
Avec le tems néanmoins les Phocidiens parvinrent à se rouvrir une belle porte pour leur rétablissement ; car chassés en qualité de profanateurs exécrables, ils rentrerent avec la qualité d'insignes libérateurs. Une oeuvre de religion rehabilita de la sorte ceux qu'une action sacrilege avoit dégradés. On les avoit exclus des privileges des autres Grecs, pour avoir pillé de leurs propres mains le temple de Delphes, on les leur rendit honorablement pour l'avoir sauvé du pillage des Gaulois, commandés par Brennus. (D.J.)
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PHOEBADE | (Mythol.) c'est le nom qu'on donnoit à la prêtresse d'Apollon à Delphes, & à tous les ministres de son temple.
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PHOEBUS | (Mythol.) nom que les Grecs donnoient à Apollon, pour faire allusion à la lumiere du soleil, & à la chaleur qui donne la vie à toutes choses, comme si l'on disoit, , lumiere de la vie. D'autres disent que le nom de Phoebus fut donné à Apollon par Phoébé mere de Latone. (D.J.)
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PHOENICE | (Géog. anc.) ou Phaenica ; c'est le nom 1°. d'une ville de l'Epire ; 2°. d'une île située sur le golfe Matiandynus en Bithynie ; 3°. d'une île de la Méditerranée, sur la côte de la Gaule, & l'une des plus petites îles appellées Stoechades. Pline, l. III. c. v. parle de cette île, & la joint avec celles de Sturium & de Phila. Ces trois îles sont aujourd'hui Ribaudas, Langoustier & Baquéou. 4°. c'est encore le nom d'une île de la mer Egée, & l'une des Sporades ; elle s'appella ensuite Jos, selon Pline, lib. IV. c. xij. Le nom de Phoenice lui avoit été donné à cause des Palmiers qu'elle produit. 5°. c'est un des noms que l'on donna à l'île de Ténedos, selon Pline, l. V. c. xxxj.
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PHOENICIARQUE | S. m. (Littérat.) nom qu'on donnoit aux premiers magistrats chez les Phoeniciens ; tels étoient les Asiarques en Asie, & les Lyciarques en Lycie. Ce mot vient de , un phénicien, & , je commande. (D.J.)
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PHOENICOPTERE | voyez FLAMANT.
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PHOENICUM | (Géog. anc.) c'est-à-dire lieu planté de palmiers. Procope, dans son hist. de la guerre contre les Perses, dit : " Lorsque l'on a passé les frontieres de la Palestine, on trouve la nation des Sarrasins, qui habitent depuis long-tems un pays planté de palmiers, & où il ne croît point d'autres arbres. Abocarabe qui en étoit le maître, en fit don à Justinien, de qui en récompense, il reçut le gouvernement des Sarrasins de la Palestine, où il se rendit si formidable, qu'il arrêta les courses des troupes étrangeres. Aujourd'hui, ajoute Procope, l'empereur n'est maître que de nom de ce pays qui est planté de palmiers ; & il n'en jouit pas en effet : tout le milieu qui contient environ dix journées de chemin étant entierement inhabité, à cause de la sécheresse ; & il n'a rien de considérable que le vain titre de donation faite par Abocarabe, & accepté par Justinien ". Il y avoit encore une ville de l'Arabie heureuse, appellée Phoenicum, sur le golfe Elanitique, entre les villages Hippos & Ahaunathi. (D.J.)
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PHOENICUS | PHOENICUS
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PHOENICUSA | (Géog. anc.) île de la Méditerannée, au nord de la Sicile, & l'une des îles Eoliennes, son nom moderne est Felicur. M. Delisle écrit Felicudi.
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PHOENIGME | S. m. c'est un médicament qui occasionne une rougeur, & qui produit des ampoules aux endroits où on l'applique. Voyez VESICATOIRE. &c.
Ce mot est formé du grec , rouge ; tels sont la graine de moutarde, le poivre, les vésicatoires, &c. Voyez VESICATOIRE, SINAPISME, &c.
On fait usage de ces remedes pour attirer l'humeur à la partie où on les applique, afin de la détourner de la partie affligée. Voyez REVULSION.
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PHOENIX | S. m. (Hist. nat. fabul.) oiseau merveilleux qui, selon les idées populaires, vivoit plusieurs siecles, & en mourant produisoit de la moëlle de ses os un petit ver qui formoit un nouveau phoenix.
Les Egyptiens, dit Hérodote dans son Euterpe, ont un oiseau qu'ils estiment sacré, que je n'ai jamais vu qu'en peinture. Aussi ne le voit-on pas souvent en Egypte, puisque, si l'on en croit ceux d'Héliopolis, il ne paroit chez eux que de cinq en cinq siecles, & seulement quand son pere est mort. Ils disent qu'il est de la grandeur d'une aigle, qu'il a une belle houppe sur la tête, les plumes de son cou dorées, les autres pourprées, la queue blanche mêlée de pennes incarnates, des yeux étincelans comme des étoiles. Lorsque chargé d'années, il voit sa fin approcher, il se forme un nid de bois & de gommes aromatiques, dans lequel il meurt. De la moëlle de ses os il naît un ver d'où se forme un autre phoenix. Le premier soin de celui-ci est de rendre à son pere les honneurs de la sépulture ; & voici comme il s'y prend, selon le même Hérodote.
Il forme avec de la myrrhe une masse en forme d'oeuf : il essaie ensuite en la soulevant, s'il aura assez de force pour la porter : après cet essai, il creuse cette masse, y dépose le corps de son pere, qu'il couvre encore de myrrhe ; & quand il l'a rendue du même poids qu'elle étoit auparavant, il porte ce précieux fardeau à Héliopolis, dans le temple du soleil. C'est dans les déserts d'Arabie qu'on le fait naître, & on prolonge sa vie jusqu'à cinq ou six cent ans.
Les anciens historiens ont compté quatre apparitions du phoenix ; la premiere sous le regne de Sésostris ; la seconde sous celui d'Amasis ; la troisieme sous le troisieme des Ptolémées. Dion Cassius donne la quatrieme pour un présage de la mort de Tibere. Tacite place cette quatrieme apparition du phoenix en Egypte sous l'empire de Tibere ; Pline la fait tomber à l'année du consulat de Quintus Plancius, qui vivoit à l'an 36 de l'ére vulgaire : & il ajoute qu'on apporta à Rome le corps de ce phoenix ; qu'il fut exposé dans la grande place, & que la mémoire en fut conservée dans les registres publics.
Rendons justice aux anciens qui ont parlé de cet oiseau fabuleux ; ils ne l'ont fait que d'une maniere qui détruit leur propre relation. Hérodote après avoir raconté l'histoire du phoenix, ajoute qu'elle lui paroît peu vraisemblable. Pline dit que personne ne douta à Rome que ce ne fût un faux phoenix qu'on y avoit fait voir ; & Tacite donne la même conclusion à son récit.
L'opinion fabuleuse du phoenix se trouve reçue chez les Chinois, dit le pere du Halde dans sa description de la Chine ; ils n'ont donc pas été si renfermés chez eux, qu'ils n'ayent emprunté plusieurs opinions des Egyptiens, des Grecs & des Indiens, puisqu'ils attribuent à un certain oiseau de leur pays la propriété d'être unique, & de renaître de ses cendres. (D.J.)
PHOENIX, (Botan.) nom donné par Kaempfer & Linnoeus à un genre de plantes appellé par les autres botanistes elate & katovindel ; en voici les caracteres. Ce genre de plante produit séparément des fleurs mâles & femelles, & leur enveloppe tient lieu de calice. Dans les fleurs mâles, les pétales sont au nombre de trois, ovales & concaves ; leurs étamines sont trois filets déliés, dont les bossettes sont très-courtes. Dans les fleurs femelles l'embryon du pistil est arrondi ; le stile est court & pointu ; le fruit est une baie ovale, qui n'a qu'une seule loge ; elle renferme une semence dure comme un os, ovale, marquée d'une raie profonde dans toute sa longueur. Linnaei gen. plant. 513. Mus. cliff. 2. Hort. malab. 3. 23.
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PHOLADE | S. f. (Conchyliol.) nom d'un genre de coquilles dont voici les caracteres. C'est une coquille multivalve, oblongue, qui a deux ou six pieces, unie, raboteuse, faite en reseau, fermant d'ordinaire exactement, & quelquefois entr'ouverte en quelque endroit.
Entre les coquilles oblongues, nommées communément pholades, & qui sont à deux écailles, on distingue les especes suivantes, 1°. la pholade lisse de Rondelet ; 2°. la pholade lisse & étroite d'Aldrovandus ; 3°. la pholade de Rumphius ; 4°. la pholade de Lister ; 5°. la pholade unie faite comme la moule ; 6°. la pholade de Bonanni faite en doigt ; 7°. la pholade rougeâtre & blanche.
Entre les pholades oblongues irrégulieres consistant en deux écailles, on connoît 1°. une grande pholade d'Amérique ; 2°. la pholade large avec un tuyau très-épais sortant en-dehors.
Dans la classe des pholades oblongues irrégulieres à six écailles, on distingue l'espece décrite par Lister, & qui est logée dans la pierre. Il y a plusieurs autres pholades à six écailles, dont la plupart sont américaines.
Le mot pholade est grec, & veut dire une chose renfermée, parce que le poisson qui loge dans cette coquille, se forme & se cache communément dans les trous des pierres spongieuses de la nature de celle de ponce, de banche, de marne, ou bien dans la glaise, comme nous le dirons dans la suite.
Il se trouve ordinairement plusieurs de ces coquilles dans une même pierre, quelquefois jusqu'à vingt, comme on l'a remarqué dans divers ports d'Angleterre & de France. L'usage est d'enlever ces pierres de la mer, & de les casser par morceaux pour en tirer le poisson qui est excellent à manger ; il sert aussi d'appât pour en prendre d'autres.
On donne différens noms à cette coquille. On l'appelle en Normandie pitaut ; en Poitou & en pays d'Aunis on la nomme dail ; à Toulon datte ; en Angleterre piddock ; à Paris, pholade est le nom reçu.
Aldrovandus admet deux especes de pholades différentes de celles de Rondelet : la premiere est attachée au rocher, & se trouve en quantité dans la même pierre. Elle a deux pieces ou écailles ; sa figure est oblongue, arrondie comme un cylindre, & ressemble à une datte. La seconde espece, composée de six pieces de couleur cendrée, est longue de cinq doigts, avec un petit pédicule. Lister a décrit exactement une pholade à cinq pieces, dont les trois dernieres inférieures en grandeur aux deux principales, sont attachées par des ligamens au dos de la coquille, & tombent aussi-tôt que la pholade sort de la mer ; mais cette coquille de Lister est fort rare.
On lit dans l'auctuarium musaei Balfouriani, que les pholades d'Angleterre ont cinq valves ; il falloit dire six, comme les observations nouvelles en ont convaincu les Naturalistes. Celles de la Rochelle, du Poitou ont assez communément six pieces. On apporte aussi de l'Amérique des pholades toutes blanches, longues de sept à huit pouces, grosses à proportion, & qui ont six valves. Mais les dattes de Toulon & d'Ancone sont bivalves. Concluons qu'il y a deux genres de pholades,, l'une à six valves, l'autre à deux, & cependant leur différence avec d'autres coquilles se peut faire par la figure & par le caractere du coquillage qui se creuse lui-même un trou dans la pierre, & qui ne prend de l'eau que par un très-petit canal.
Le coquillage de la pholade à deux valves, ne differe du poisson de la pholade à six valves que par sa coquille. Il sort du milieu de son corps une grande trompe ou long tuyau, partagé en deux cloisons inégales, dont un trou lui sert à vuider ses excrémens, l'autre à respirer, & à prendre de la nourriture.
L'ovaire & les parties de la génération sont logées sous ce tuyau. Sa superficie extérieure est toujours la même ; elle ressemble à une lime avec des aspérités assez élevées, dentelées, & serrées depuis le haut de la coquille jusqu'en bas, de maniere que les pointes les plus fortes sont vers la tête. Il semble qu'avec ses armes ce coquillage perce les pierres, & aggrandit sa sépulture à mesure qu'il grossit, mais c'est avec une partie ronde & charnue, telle qu'une langue, qu'il fait cette operation.
Il convient de remarquer que ces coquillages quoique renfermés dans leurs trous, sont peut-être les animaux qui se donnent le plus de mouvement intérieur, puisqu'ils creusent continuellement leur demeure ; mais ils ont un mouvement progressif si lent, qu'il n'y en a guere de plus lent dans la nature. Muré, comme est cet animal dans son trou, il n'avance qu'en s'approchant du centre de la terre, & ne creuse son domicile qu'autant qu'il croît lui-même, comme je viens de vous le dire.
Le terroir qu'habitent ces coquillages, est d'ordinaire la banche & quelquefois la glaise ; ils sont logés dans des trous plus profonds que leur coquille n'est longue. L'espace qui reste est occupé par le tuyau charnu de figure conique dont j'ai parlé ; ils l'allongent ordinairement jusqu'à l'ouverture du trou, & se servent de ce tuyau à tirer alternativement l'eau dans leur coquille, & à la rejetter. Lorsqu'on approche de leur domicile, ils font rentrer fort vîte le tuyau dans la coquille, & chassent de même avec vîtesse l'eau qu'il contenoit.
Au reste, ce n'est pas seulement dans des pierres qu'on a trouvé des pholades, mais on en rencontre aussi dans le bois, & particulierement dans des fonds de vaisseaux. Voyez sur tout cela Lister, Aldrovandus, Bonanni, Rumphius, Dargenville, & les mémoires de l'académie des Sciences, année 1712. (D.J.)
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PHOLLIS | S. m. (Monn. judaïq.) c'est la plus petite espece de monnoie de cuivre qui fut en usage chez les Juifs dans le tems du bas-empire. Il falloit vingtquatre phollis de cuivre pour un denier d'argent, dont douze valoient un denier d'or, desorte qu'il falloit 288 phollis pour un denier d'or ; les phollis répondoient à-peu-près au sesterce des Romains. Voyez le P. Petau sur S. Epiphane, & Saumaise sur la vie d'Eliogabale, par Lampridius.
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PHOLOË | (Géog. anc.) 1°. montagne de la Thessalie. Quintus Calaber, l. VII. dit que c'est le lieu où Hercule tua le centaure. 2°. Montagne du Péloponnèse, selon Pomponius Mela, l. II. c. iij. Pline, liv. IV. c. vj. met cette montagne dans l'Arcadie, & y joint une ville du même nom. (D.J.)
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PHONASCIE | S. f. (Hist. anc.) l'art de former la voix humaine. Voyez VOIX.
Ce mot est dérivé du grec , voix : dans l'ancienne Grece, on avoit établi des exercices où l'on disputoit pour la supériorité de la voix, de même que pour les autres parties de la Gymnastique.
Ces combats duroient encore du tems de Galien, c'est pourquoi on appelloit phonasciens, les maîtres de cet art, & ceux qui montroient à bien conduire la voix, tous ceux qui se destinoient à l'art oratoire, au chant, au théâtre, prenoient des leçons de ces maîtres, &c.
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PHONIQUE | S. f. est la doctrine ou la science des sons, que l'on appelle autrement & plus communément acoustique. Voyez ACOUSTIQUE.
Ce mot est dérivé du grec, , voix, son ; la phonique peut se considérer comme une science analogue à l'Optique. Quelques auteurs en faisant allusion aux trois parties de l'Optique, savoir, l'optique proprement dite, la catoptrique & la dioptrique (voyez ces mots) appellent les branches ou parties de l'acoustique, phoniques, diaphoniques & cataphoniques.
On peut cultiver ou perfectionner la phonique par rapport à l'objet, au milieu & à l'organe.
L'objet, qui est le son, peut être perfectionné quant à la génération & à la propagation des sons.
La génération des sons peut se perfectionner en perfectionnant toutes les manieres de produire des sons ; car toutes les manieres de produire le son, soit par la parole, soit par le chant, soit par les instrumens, &c. sont des arts qui ont leur méthode.
La propagation des sons peut devenir plus parfaite par la position des corps sonores.
Quant au milieu, la phonique peut acquérir de nouveaux degrés de perfection par la ténuité ou le repos des parties du milieu, & par le corps sonore lorsqu'il est situé proche une muraille fort unie, plane ou voutée, particulierement en forme de parabole ou d'ellipse, & c'est là-dessus qu'est fondée la construction des voutes ou cabinets secrets. Voyez CABINETS SECRETS.
C'est aussi de-là que vient la théorie des instrumens qui augmente considérablement le son, comme les corps-de-chasse, les trompettes, &c.
En plaçant le corps sonore près de la surface de l'eau, le son en devient plus doux ; & si on le place sur une place plane & bien unie, le son sera porté à une distance beaucoup plus grande, que si le corps sonore posoit sur un terrain inégal ou raboteux, &c. Voyez SON.
Pour l'organe du son, qui est l'oreille, on le rend de meilleur service, en employant des instrumens qui augmentent la force du son, & qui aident les oreilles foibles, comme les lunettes aident les yeux tels que les cornets acoustiques, le porte-voix, &c. Voyez PORTE-VOIX & CORNETS, voyez aussi LUNETTE & OREILLE.
La cataphonique, ou l'ouie considérée par rapport aux sons réflechis, peut être perfectionnée par différentes especes d'échos artificiels. Voyez ECHO. Chambers. (O)
PHONIQUE CENTRE, voyez CENTRE.
PHONOCAMPTIQUE CENTRE, voyez CENTRE.
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PHOQUES | S. m. pl. phoci, (Mythol.) ce sont les veaux marins de Neptune, dont Protée étoit le berger. (D.J.)
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PHORCU | ou PHORCYS, s. m. (Mythologie) étoit selon Hésiode, fils de la mer & de la terre ; il épousa Céto dont il eut les Grées & les Gorgones ; il fut vaincu dans un combat par Atlas, & de dépit il se précipita dans la mer. Nos mythologues pensent que c'étoit un roi de l'île de Corse, qui fut défait par Atlas dans quelque combat naval ; & comme on ne put retrouver son corps, on supposa qu'il avoit été changé en dieu marin. (D.J.)
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PHORCYNIDOS | antra Medusae, (Géograp. anc.) caverne que Silius Italicus, liv. VII. v. 19. met dans la Marmarique. Lucain, liv. IX. v. 626. parle des champs de Méduse Phorcynide. Le nom de Phorcynide avoit été donné à Méduse, à cause que son pere s'appelloit Phorcus ou Phorcys, selon Apollodore, lib. I. c. ij. & liv. II. c. iv. (D.J.)
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PHORCYNUS | (Géog. mod.) port de l'île d'Ithaque. Homere, Odyss. v. 96. y place l'antre des Nayades ; mais Strabon, liv. I. p. 56. dit que de son tems on ne voyoit aucun vestige de cet antre. Il vaut pourtant mieux, dit-il, en attribuer la cause aux changemens qui ont pu arriver, que d'accuser un poëte tel qu'Homere d'ignorance ou de mensonge. (D.J.)
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PHORONICUM | (Géog. anc.) nom que Pausanias, liv. II. ch. xvj. & Etienne le géographe donnent à la ville d'Argos, capitale de l'Argie dans le Péloponnèse. Elle fut premierement nommée Phoronicum, du nom de son fondateur. Phoronius, fils d'Inachus. (D.J.)
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PHORONOMIE | S. f. (Méchaniq.) La Phoronomie est la science des lois de l'équilibre, du mouvement des solides & des fluides. Ce mot est composé de , mouvement, & de , loi. Nous avons un excellent ouvrage sur cette matiere, de Jacques Herman, célebre mathématicien de ce siecle. Cet ouvrage intitulé Phoronomia, sive de viribus & motibus corporum solidorum & fluidorum, a paru à Amsterdam, en 1715, in-4°. Il est partagé en deux livres, dont voici le précis.
Le premier livre où il s'agit des forces & des mouvemens des solides, est divisé en deux sections. La premiere roule sur les lois de l'équilibre des puissances méchaniques qui s'entrepoussent, & leurs directions moyennes, soit que ces puissances soient appliquées à des corps inflexibles & roides, soit à des corps flexibles. Ces deux cas lui fournissent des théorèmes généraux fort ingénieux, par lesquels on peut fixer les lois de l'équilibre des fluides & des solides, & trouver les solutions de divers problèmes ; d'où l'on tire, par forme de corollaire, les figures d'une voile, d'un linge, &c. La seconde section contient la doctrine du mouvement, en tant qu'il provient de l'impulsion que l'auteur nomme sollicitation continuelle de la pesanteur, ou en tant qu'il résulte du choc des corps entr'eux. Cette section renferme donc les principales choses qu'on peut démontrer touchant les mouvemens accélérés ou retardés, par la pesanteur uniforme ou diversifiée. Elle donne aussi la ligne isochrone, ou que les corps décrivent en des tems égaux, quelque système que l'on suive touchant la pesanteur, & cela en cas que les directions des corps pesans tendent à un seul & même point. Mais parce que les courbes des corps mûs, en quelque hypothèse que ce soit, d'un mouvement diversifié, ne peuvent pas être algébriques, on donne une regle générale selon laquelle la pesanteur doit varier, afin que les corps mûs décrivent des courbes algébriques.
Pour les ordres mobiles & presque circulaires, on donne aussi une regle facile, selon les forces centripetes requises dans la courbe mobile ; & l'on montre ensuite comment cette force centripete étant donnée, on peut trouver le mouvement d'une courbe circulaire.
On trouve dans cet ouvrage une nouvelle théorie du centre d'oscillation, qui plait par sa simplicité ; elle est toute fondée sur ce que certaines sollicitations supposées qui agissent sur les particules qui ont un mouvement oscillatoire dans les directions perpendiculaires, sont d'une égale force aux pressions de la pesanteur selon les distances des particules à l'axe de l'oscillation. Par ce principe, & par la comparaison d'un pendule composé avec un simple qui lui soit isochrone, on trouve la longueur du pendule, & cela par une seule & simple analogie.
Le second livre de la Phoronomie, destiné aux corps fluides, traite 1°. de la gravitation des liqueurs sur les plans qui les supportent, & sur les côtés des vases dans lesquels elles sont contenues ; d'où l'on tire des regles sur la force dont ces vases doivent être pour pouvoir contenir ces liqueurs sans se rompre ; 2°. de l'équilibre des liqueurs entr'elles & avec les corps solides qu'on y jette ; 3°. des figures que les fluides donnent aux corps flexibles qu'ils renferment ; 3°. de la pesanteur & de l'élasticité de l'air & des densités de l'atmosphere dans toutes les distances de la terre, & selon quelque loi de l'élasticité que ce soit ; 5°. du mouvement & de la mesure des eaux qui s'écoulent de quelque vase que ce soit, ou qui coulent dans les canaux ; 6°. des effets du choc dans les fluides, à quoi appartiennent la résistance que les figures des corps souffrent dans les fluides, les directions moyennes de ces résistances, & le problème de la courbe des voiles, &c. 7°. des mouvemens tant rectilignes que courbes, dans des milieux qui résistent aux corps qui s'y meuvent ; 8°. du mouvement des vaisseaux poussés par le vent ; 9°. du mouvement circulaire des fluides ; 10°. du mouvement de l'air dans la production du son ; 11°. du mouvement interne des fluides, duquel naît la chaleur. Chaufepié, Dictionn. (D.J.)
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PHOSPHORE | S. m. (Physiq.) corps qui a la propriété de donner de la lumiere dans l'obscurité ; il y a des phosphores naturels, c'est-à-dire, que la nature produit sans le secours de l'art, comme la pierre de Boulogne : il y en a d'artificiels, comme le phosphore de Kunckel, celui de M. Homberg ; il y en a qui ont besoin, pour donner de la lumiere, d'être frottés auparavant, comme le phosphore de Kunckel ; il y en a qui n'ont besoin que d'être exposés à l'air, comme le phosphore de M. Homberg & la pierre de Boulogne. La cause générale de la lumiere des phosphores, est que la matiere du feu ou celle de la lumiere se trouve en général plus abondante dans ce corps que dans d'autres, ensorte que le simple frottement peut le mettre en action, ou que la simple action des particules de feu ou de lumiere répandues dans l'air peut la reveiller. Les phénomenes des phosphores ont beaucoup de rapport aux phénomenes électriques. Voyez FEU, FEU ELECTRIQUE, LUMIERE, ÉLECTRICITE, &c.
PHOSPHORE, (Chimie) le nom de phosphore ou porte lumiere, a été donné à différens corps, dans lesquels l'élément du feu qu'ils contiennent devient apparent. Il est plusieurs de ces corps qui jouïssent naturellement de la propriété phosphorique, & qui n'ont besoin pour être reconnus tels, que d'être examinés dans l'obscurité ; d'autres de quelques secours particuliers ; ceux-ci de quelques mélanges ; ceux-là sont les produits de différentes dissolutions, fermentations, & effervescences ; d'autres enfin, sont absolument formés par l'art.
Quoique nous n'ayons dessein que de parler du phosphore, qui est un produit de l'art, nous jugeons cependant à propos de présenter ici l'ordre particulier dans lequel les différentes especes de phosphores, doivent être rangés.
Premier ordre. En premier lieu, il est des corps qui sont rendus phosphores, par le fluide électrique qui les pénetre. Tels sont les vers luisans, le leucciola d'Italie, les mouches des Antilles, les moucherons des lagunes de Venise, l'éguillon de la vipere irritée, les yeux de quelques animaux vivans, la chair de ceux qui sont nouvellement tués, certains poissons vivans, quelques coquillages, les poils des chats, des chiens, des chevaux ; ceux des hommes, & leurs cheveux vivement frottés ; ces corps ne sont pas par eux-mêmes phosphores, mais le deviennent en ce qu'ils font dans ces occasions l'office de conducteur de la matiere électrique qui sort de ces animaux ; les conducteurs de l'électricité en rendent les effets plus apparens, selon qu'ils sont plus denses & figurés en pointe, comme sont les poils. On range dans ce même ordre tous les phosphores produits par l'électricité qui naît du frottement, comme le mercure agité dans un tube vuide d'air ; ce même tube sans mercure vivement frotté extérieurement ; le globe d'Hauxsbée, &c. les phosphores électriques produits par communication de l'électricité. On peut même ajouter quelques météores lumineux, comme certains éclairs & le tonnerre. Voyez ELECTRICITE.
Second ordre. Nous comprenons dans ce second ordre les corps rendus phosphores par des chocs ou frottemens rudes qui mettent en jeu le feu contenu dans leur intérieur.
Les cailloux, les pierres naturelles, battues les unes contre les autres, ou frottées vivement ; celles que l'art imite, comme aussi l'union de quelques terres avec certaines substances ; par exemple, le spath, ou le colchotar fondu avec l'argille, l'acier, & le fer, s'embrasent, s'ils sont vivement percutés par un caillou, un diamant, une agate, un marteau, une lime, ou tout autre corps dur, ainsi que l'alliage du fer à l'antimoine, & de plusieurs autres métaux entr'eux, lorsqu'on les lime rudement.
Nous mettons ainsi dans cet ordre les bois durs & résineux vivement frottés, le sucre, la cadmie des fourneaux, le mélange de chaux & de sel ammoniac, qui rendent aussi de la lumiere dans l'endroit frappé.
Troisieme ordre. Nous y comprenons les corps qui exposés à la chaleur du soleil ou d'un feu violent, ont absorbé la lumiere lors de leur dilatation, & la retiennent ensuite pour ne la laisser échapper que peu-à-peu, ou seulement lorsqu'une douce chaleur les rapproche de l'état où ils étoient lorsqu'ils l'admirent. L'émanation lumineuse que donnent ces corps, diminue à proportion que la chaleur ou la lumiere qui les mettoit en mouvement, n'agit plus sur eux.
Tels sont la pierre de Boulogne, la topase de Saxe, les pierres de ce genre ; les albâtres, les marbres, le gyps, les bélemnites, les pierres à chaux, les fossiles ; en un mot, toutes les substances qui sont ou qui fournissent des terres absorbantes, deviennent semblables à la pierre de Boulogne, lorsqu'elles sont calcinées à un feu violent ; & tous ces corps rendent la lumiere comme ils l'ont reçue ; je veux dire colorée, suivant la couleur que l'on a donnée au feu qui les a calcinées ; les substances, qui quoique de ce genre, ne deviennent pas phosphores par la calcination, le deviennent par art : le phosphore de Baudouin, qui est le plus connu, n'est qu'une dissolution de craie dans l'acide nitreux. Cette dissolution évaporée à siccité & calcinée, produit un phosphore, qui comme la pierre de Boulogne, devient lumineux dans l'obscurité dès qu'il a été exposé un moment au soleil ou simplement au jour.
M. Dufay observe, mémoire de l'académie 1730, que toutes les substances terreuses & pierreuses qui sont dissolubles dans l'acide nitreux, jouissent de la même propriété. Il est des substances sans nombre, qui selon les observations de M. Beccari, consignées dans les mémoires de l'académie de Boulogne, n'ont besoin que de la simple exposition au soleil pour devenir lumineuses dans l'obscurité. Le vieux bois de chêne, les coquilles d'oeufs & le papier, possedent la propriété phosphorique supérieurement. M. Beccari remarque que le papier & sans doute plusieurs autres substances, deviennent phosphores par le contact d'un métal échauffé. Suivant les différentes recherches de MM. Boyle, Dufay, & Beccari, il paroît qu'il n'est point de substance qui ne devienne phosphore, si toutefois on en excepte les métaux, & les corps obscurs ; & celles qui ne le sont pas par la simple exposition au soleil, ou à la chaleur, le deviennent au moyen de l'ébullition dans l'eau, ou par la calcination simple, ou précédée de leur dissolution dans l'acide nitreux. Les linges & les étoffes de soie chauffées auprès d'un feu de charbon, frottées ensuite vivement entre les mains selon leur longueur, rendent des étincelles de lumiere ; & nous avons éprouvé que ces étoffes comme le bois pourri, la pierre de Boulogne, & beaucoup d'autres substances, jettent une lumiere plus vive lorsqu'elles sont humides ou entierement mouillées. Il est naturel de penser qu'un fluide tel que l'eau, s'insinuant facilement dans ces corps, les comprime, & dispose la lumiere à s'échapper plus rapidement. Aussi observe-t-on que ces corps mouillés, lorsqu'ils sont rendus phosphores, gagnent sur la vîtesse de l'émanation, ce qu'ils perdent sur la durée.
Quatrieme ordre. Il comprend les phosphores produits par fermentation, dissolution, & tout ce qui en dépend, comme exhalaisons, effervescences, &c.
Le feu qui naît des substances par la chaleur de la fermentation établie dans certains aggrégés, comme font les foins mouillés, la farine, &c. les flammes des vapeurs spiritueuses, sulphureuses & putrides. Telles sont celles des latrines, les exhalaisons phosphoriques des mines, des fontaines thermales, les feux follets, les étoiles tombantes, celles qui filent, les éclairs, les aurores boréales, & autres semblables météores. Les exhalaisons lumineuses des poissons & viandes cuites & pourries, l'inflammation d'une matiere grasse, phosphorique, qui s'échappe de certains animaux, désignée par le nom d'ignis lambens ; comme aussi celles qui s'allument dans leur intérieur, & les consument entierement. La flamme produite par la réaction de différentes substances les unes sur les autres, comme de l'eau sur un mélange de soufre & de fer : de-là les volcans, l'inflammation des huiles au moyen des acides ; celle des vapeurs de certaines dissolutions, comme de celles que donne le fer dissous dans l'acide vitriolique, ou dans l'acide marin, auquel on ajoute de l'alkali volatil.
Nous rangeons ici les pyrophores. Voyez PYROPHORES.
Cinquieme ordre. Il comprend les phosphores produits par l'union d'un acide particulier au phlogistique. L'acide nitreux dans l'instant de son union au phlogistique forme bien un phosphore, mais il ne sauroit être conservé par aucun moyen connu. Le soufre est bien aussi une union de l'acide vitriolique au phlogistique ; mais il n'est pas phosphore quoiqu'il soit très-combustible ; & si l'on prétendoit le ranger dans cet ordre, en raison de sa composition, il faudroit aussi regarder comme phosphore les graines, les huiles & les esprits ardens : il n'est donc qu'un seul corps dans cette classe qui mérite à juste titre ce nom, c'est le phosphore de Brandt, du nom de son premier inventeur, mais plus connu sous le nom de Kunckel, artiste plus renommé. C'est du résidu de l'évaporation de l'urine qu'on a retiré pendant long-tems ce phosphore. On fut naturellement porté à croire, après la découverte de la formation du soufre, & quelque ressemblance avec le phosphore, que cette nouvelle substance étoit formée des mêmes principes, c'est-à-dire, d'acide & de phlogistique ; on n'étoit pas éloigné de la vérité ; mais on erroit sur l'espece d'acide. Vû la quantité de sel marin qui est mêlé dans les alimens, & la saveur de l'urine, on crut que l'acide du sel marin abandonnoit sa base pour s'unir au phlogistique, & former ce corps singulier. Le sel marin jetté sur un feu ardent communique à sa flamme & la couleur & l'odeur du phosphore qui distille ; l'expérience seule qui devoit éclaircir des conjectures aussi vraisemblables, anéantit les idées qu'on s'étoit formées. Plusieurs chimistes expérimentés firent des essais multipliés pour tâcher d'unir l'acide du sel marin concentré de différentes manieres avec le phlogistique ; toutes ces tentatives furent infructueuses. On chercha donc la matiere du phosphore dans les alimens dont se nourrissoient les animaux ; on en retira effectivement de plusieurs, comme des graines de moutarde, de raves, de rue, du seigle, du froment, & de quelques parties animales, mais en moindre quantité que de l'urine. On revint de nouveau à la traiter, & on perfectionna la méthode de faire le phosphore, par la découverte que firent en même-tems plusieurs chimistes des véritables principes qu'elle contient, & qui sont propres à le former. Un sel singulier, différent par ses qualités de tous les autres sels connus fut découvert dans l'urine. Ce sel mêlé au charbon que donne l'urine, à tout autre charbon léger, ou de la suie, calciné, par la distillation à un feu violent, fournit un très-beau phosphore. Nous exposons la méthode dont nous nous servons pour le composer, qui sans doute est la meilleure, si elle est la plus courte, la moins dispendieuse, & qu'elle fournisse une plus grande quantité de phosphore que les autres. " Prenez la quantité qu'il vous plaira d'urine (plus long-tems elle aura putréfié, plus elle vous produira du sel qui fournit le phosphore) ; privez-la de son phlegme par l'évaporation insensible ou violente ; vous pouvez aussi employer la voie de la congelation par le froid ; que cette urine soit évaporée jusqu'à siccité dans des vases de terre ou de fer ; calcinez cette matiere dans un creuset jusqu'à ce qu'elle ne fume plus : par cette méthode, qui est celle d'Isaac le hollandois, vous réduisez en cendre ou en charbon toutes les matieres qui pourroient nuire à la crystallisation ou purification des sels que contient l'urine ; dissolvez dans l'eau la matiere calcinée ; filtrez la dissolution, & l'évaporez doucement ; mettez à crystalliser ; vous obtiendrez des crystaux de sel marin ; mais vous n'en aurez point, si l'urine employée n'avoit putréfié environ pendant trois ans. Séparez par une crystallisation réitérée & ménagée, tous les crystaux qui se formeront, qui seront tous de sel marin ; la liqueur qui reste incrystallisable, & qui est oléagineuse, contient le sel désiré, & que vous aurez sous forme de crystaux, si vous ajoutez à cette liqueur le quart de son poids d'esprit de sel armoniac tiré par les alkali ; évaporez ensuite lentement un tiers de la liqueur à laquelle vous aurez ajouté la moitié de son poids d'eau avec l'esprit de sel armoniac, la mettant à crystalliser dans des lieux frais, vous aurez des sels en crystaux brillans, octogones, prismatiques, laissant un goût frais sur la langue ; ils ne tombent pas en déliquescence, ni n'éfleurissent à l'air. Ils se dissolvent dans trois fois leur poids d'eau ; mais lorsqu'ils ne sont pas unis à l'alkali volatil, ils y sont plus dissolubles ; ce qui facilite le moyen de les séparer exactement du sel marin. La méthode vulgaire pour tirer ce sel crystallisé, est d'étendre à plusieurs reprises dans l'eau l'urine évaporée à consistance mielleuse, & à un feu assez doux. Chaque dissolution de cette matiere doit être filtrée pour en séparer à chaque fois une portion terreuse, huileuse & mucilagineuse, qui nuit à la crystallisation ; pour lors ce sel se crystallise avant ou avec le sel marin, & plusieurs autres especes de sel que fournit l'urine. Malgré toute cette manoeuvre, on a l'inconvénient d'avoir ces crystaux impurs, bruns ou jaunâtres. Que si on veut absolument les avoir blancs, il faut filtrer la matiere mielleuse de l'urine dissoute dans l'eau, sur une terre argilleuse ou crétacée, qui absorbe & retient la matiere muqueuse qui nuit à la crystallisation, & colore les crystaux. On se sert aussi avec succès de l'esprit-de-vin & de la colle de poisson. Ces crystaux, du moins ceux qui se forment les premiers, sont les mêmes que ceux dont nous avons déja parlé, qui sont formés par l'addition de l'alkali volatil à la liqueur oléagineuse dont on a séparé le sel marin. Si par une évaporation trop rapide de l'urine, il arrivoit que l'on ne pût attirer ces crystaux par cette derniere méthode, l'évaporation de l'urine auroit été trop rapide, il faudroit alors y rajouter l'alkali volatil que la violence du feu auroit fait dissiper ; le sel de l'urine reçoit par sa crystallisation la moitié de son poids de cet alkali ; mais il ne sert de rien dans l'opération du phosphore. A peine ce sel sent-il la chaleur que cet esprit alkali s'en sépare ; il l'abandonne même lorsque ce sel est conservé quelque tems dans des flacons mal bouchés, voyez SEL MICOCOSMIQUE. Le sel que l'on retire, soit après une évaporation totale de la liqueur qui ne fournit plus par la crystallisation de sel marin, soit en crystaux, après l'addition de l'alkali volatil, est donc également propre à faire le phosphore ; une once de ce sel dégagé d'alkali avec demi-once de noir de fumée, du charbon de hêtre, ou de saule divisée par deux onces de sable grossier pilé finement, fournira une dragme de très-beau phosphore. Lorsqu'on veut procéder, il faut mettre le mélange énoncé dans une petite cornue de très-bonne terre, enduite encore d'un lut qui la mette à l'abri du froid subit que l'air ou le vent d'un soufflet peut lui communiquer. Cette cornue doit être placée dans un fourneau à reverbere, garni de son dôme, qu'il y ait l'intervalle de quatre ou cinq pouces de la cornue aux parois intérieurs du fourneau ; on y allume le feu peu-à-peu & graduellement, on le pousse sur la fin à la derniere violence par tous les moyens connus ; la cornue restant quatre heures embrasée, entierement couverte de charbon ; cette cornue est adaptée avec un ballon de verre assez ample, tubulé dans sa partie moyenne supérieure, & rempli d'eau au tiers, dans lequel ballon le cou de la cornue doit avancer le plus qu'il est possible : les premieres choses qui paroissent dans le recipient sont quelques fuliginosités qui noircissent l'extérieur & l'embouchure du cou de la cornue ; ces fuliginosités sont suivies d'un sel qui tapisse la partie supérieure du ballon, lequel est dissout en parties par la vapeur de l'eau du ballon que la chaleur du fourneau a échauffé. Le trou du ballon doit régler pour la direction du feu, suivant qu'il souffle l'air plus ou moins rapidement, il faut augmenter ou diminuer le feu ; le doigt appliqué sur ce trou indique aussi l'arrivée d'un phosphore volatil qui ne se condense pas, c'est lui qui rend tout le vuide du ballon lumineux, lorsqu'on le regarde après l'opération dans l'obscurité, il s'attache aux doigts & les rend phosphoriques. Il sort aussi des traits de lumiere très-visibles par le trou du ballon lorsque le feu est fort actif ; pour lors le phosphore solide ne tarde pas à distiller, ce qu'il fait par gouttes ou larmes qui ne se réunissent pas dans l'eau au fond du récipient, à moins qu'elle ne soit fort chaude & capable de les fondre. On tire du ballon, lorsque l'appareil est refroidi, tout le phosphore ; & pour le mouler & le séparer, on le met dans un tuyau de verre plus évasé par le haut que par le bas, bouché dans la partie inférieure ; on emplit d'eau ce tuyau de verre où est le phosphore, & on le plonge dans l'eau bouillante, il se fond à cette chaleur ; alors on le remue avec un fil de fer, les parties fuligineuses qui le noircissent montent à sa surface : on retire le tuyau de l'eau ; & le phosphore étant congelé, on l'en sépare par la partie supérieure : on coupe la partie du bâton du phosphore qui est moins pure, & où se sont assemblées toutes les fuliginosités ; l'autre partie doit être plongée dans l'eau, & conservée dans un lieu frais ".
Tout le sel employé a-t-il servi à la composition du phosphore tant solide que volatil ? Cette question pour être résoute demandoit des expériences. On s'apperçut d'abord que le phosphore se détruit lui-même & se consume lorsqu'il est exposé à l'air libre, mais qu'il laisse après lui une liqueur acide & glutineuse, qui par l'évaporation acquiert une consistance solide & transparente, & qu'elle attiroit l'humidité de l'air. Ce sel acide mêlé avec de la suie ou autre matiere abondante en phlogistique reproduit du phosphore ; le sel de l'urine a donc subi une altération dans la formation du phosphore ; car ce dernier sel ne donne aucune marque d'acidité, mais plutôt de qualité absorbante, puisqu'il décompose le sel armoniac, comme la chaux, en en faisant sortir un esprit que l'esprit-de-vin ne coagule pas ; il retient beaucoup d'acide vitriolique, un peu du nitreux & du marin, il ne s'unit aucunement avec les alkalis fixes, & ne contracte pas d'union intime avec les volatils ; il forme une espece de savon avec les huiles grasses : l'acide du phosphore au contraire qui reste après sa combustion à l'air, a toutes les propriétés d'un acide ; il rougit les syrops violats, fermente & s'unit avec les alkalis, & attire l'humidité de l'air, c'est un acide même très-puissant, puisqu'il précipite de leur base par la distillation les autres acides. Ces observations nous font considérer le sel de l'urine, comme un sel neutre, dont l'acide d'une espece particuliere forme le phosphore, & nous est inconnu ; mais nous donnerons sur sa base des conjectures. Lorsqu'on a eu soin pour la formation du phosphore, de ne prendre que les crystaux figurés, comme il a été dit, on ne trouve presqu'aucun vestige de sel dans ce qui reste dans la cornue ; d'où il suit que la partie fixe qui lie & sert de base à l'acide dans le sel fixe d'urine que nous avons annoncé neutre, a été aussi volatilisé : nous l'avons cherchée cette base, & trouvée dans ce sel singulier qui tapisse l'intérieur du ballon, s'éleve à un feu très-violent avec le phosphore volatil ; ce sel ou base de l'acide du phosphore retiré de l'eau du recipient, ne nous a pas paru différer du sel sédatif ; il ne manqueroit pour confirmer nos conjectures, que de réformer du sel d'urine avec le sel sédatif & l'acide phosphorique, comme nous en avons formé avec ce sel retiré du recipient, & cet acide. Voyez à ce sujet SEL MICROSCOMIQUE.
Propriétés du phosphore. Le phosphore d'urine est jaune, transparent ; il se fond, se moule, & se coupe comme de la cire : si on le regarde au microscope, l'on voit toutes ses parties comme dans un mouvement violent d'ébullition ; exposé à l'air, il brûle & se consume comme un charbon donnant une fumée blanche, ayant une odeur d'ail ou d'arsenic, ou plutôt encore semblable à l'odeur que donne un fil blanc quand il brûle sans flamme. Cette fumée du phosphore est une flamme subtile, de couleur bleue violette qui est visible dans les ténebres ; s'il est chauffé, vivement frotté, ou en contact avec un corps enflammé, il s'enflamme avec bruit & crépitation, & se consume dans le moment ; il s'enflamme aussi si on l'expose au soleil, mêlé avec la poudre à canon. Dans tous ces états, il met le feu aux matieres combustibles ; on le conserve dans l'eau à laquelle il communique à la longue la propriété phosphorique, son odeur, & un peu d'acidité. Dans un tems chaud, ou si l'eau est échauffée, il darde des traits de lumiere au-travers de ce fluide ; l'eau qui reste dans le récipient où on a distillé le phosphore, conserve aussi long-tems la propriété lumineuse, & jette de tems-en-tems des traits de lumiere qui ressemblent à des éclairs. On trace avec ce phosphore comme avec un crayon, sur un carton, du papier ou un mur, des caracteres ou figures qui deviennent lumineux dans l'obscurité ; un vent froid ou humide éteint ces caracteres qui paroissent plus brillans dans un tems chaud & sec. Le phosphore brille beaucoup plus dans le vuide, mais les vapeurs qu'il donne en se décomposant font que dans cet état il s'éteint bien-tôt. L'admission subite de l'air, lorsqu'il brille le plus, est comme un vent froid, & l'éteint pour un moment.
Phosphore liquide. C'est une dissolution du phosphore dans les huiles. Les huiles essentielles pesantes ne le dissolvent pas si aisément que les huiles légeres, comme celles de térébenthine, néanmoins on choisit les premieres parce que le phosphore fait de cette maniere est plus lumineux, & ne se dissipe pas si promptement, le procédé suivant est assez estimé : " broyez ensemble & mêlez exactement trois gros d'huile de gérofle ou de canelle, demi gros de camphre, & trois grains de phosphore " ; on peut frotter de ce mélange les cheveux, la face, les vêtemens, ou tout autre corps, ou en former des caracteres pour être apperçus lumineux dans l'obscurité. Ce phosphore est plus lumineux que le solide, on mêle l'un & l'autre avec des pommades, il les rend lumineuses. On fait aussi un onguent mercuriel lumineux, en unissant une demi-dragme de mercure avec une dissolution de dix grains de phosphore dans deux dragmes d'huile d'aspic. Le phosphore se crystallise dans l'huile où il a été dissous comme le soufre ; les crystaux s'enflamment à l'air, ils perdent cette propriété s'ils sont seulement trempés dans l'esprit-de-vin ; alors exposés à l'air pendant quinze jours, selon les expériences de M. Grosse, ils n'ont pas diminué de poids, ils s'enflamment néanmoins comme le phosphore s'ils sont frottés ou échauffés. Le phosphore se dissout aussi, mais difficilement, dans l'éther, & mieux dans le nitreux que le vitriolique ; il leur communique une foible vertu phosphorique. Le phosphore digéré avec l'esprit-de-vin, il se change en une espece d'huile blanche & transparente qui reste au fond du vase sans le laisser dissoudre ; cette huile ne se coagule qu'à un grand froid, mais lavée plusieurs fois dans l'eau, le phosphore recouvre sa consistance, s'enflamme plus difficilement par la chaleur, ne brille plus dans l'obscurité, & a perdu la couleur jaune ; l'esprit-de-vin qu'on a retiré de dessus cette huile, sent fortement le phosphore, mais a une foible vertu lumineuse, encore ne l'a-t-il que dans l'instant qu'on le mêle avec de l'eau. Le phosphore trituré avec le camphre, le nitre, ou la limaille de fer, donne à ces substances, restant uni avec elles, la propriété phosphorique. La trituration ne les enflamme pas selon Hoffman ; nous assurons néanmoins le contraire avec Vogel au sujet du nitre. Le phosphore est décomposé & dissous par l'alkali fixe, réduit en liqueur à-peu-près comme le soufre ; Vogel a retiré de cette union des sels neutres, qu'il a cru être analogues au tartre vitriolé & au sel marin. L'argent, le fer, le cuivre, & d'autres métaux exposés aux vapeurs du phosphore, ou poussés au feu dans une cornue mêlé avec lui, éprouvent des changemens singuliers qui ont néanmoins quelque rapport avec ce qui arrive à ces mêmes corps traités avec le soufre. Voyez les expériences de Christian Democrite, de Stahl & Juncker. Les acides alterent beaucoup le phosphore distillé avec l'acide nitreux ; il y demeure quelque tems indissoluble, mais très-lumineux ; la cornue étant bien échauffée, le mélange déflagre avec éclat & explosion du vaisseau, l'acide vitriolique concentré, jetté seul sur le phosphore ou mêlé avec de l'eau, le réduit en poudre. Dans cette espece de dissolution, il s'éleve beaucoup de vapeurs qui sont lumineuses dans l'obscurité, & la liqueur qui surnage la poudre, garde long-tems la propriété phosphorique. Il est aisé de voir combien peu de propriétés on a encore reconnu à cette matiere ; sa rareté étant diminuée ainsi que la difficulté d'en produire, il y a espérance que l'on étendra les connoissances que l'on a déja acquises. Son acide a aussi des propriétés particulieres sur lesquelles voyez SEL MICROSCOMIQUE. Cet article est de M. WILLERMOZ, docteur en Médecine, & démonstrateur royal de Chimie en l'université de Montpellier.
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PHOSPHORIES | S. f. pl. (Antiq. greq.) , fêtes chez les Grecs en l'honneur de Phosphorus & de Lucifer. Voyez Potter, archaeol. graec. tom. I. p. 436. (D.J.)
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PHOSPHORIQUE | COLONNE, (Archit.) Cette épithete, tirée du grec , porte-lumiere, caractérise une colonne creuse à vis, élevée sur un écueil, ou sur le bout d'un mole, pour servir de fanal à un port ; & en général toutes les colonnes qui dans les fêtes, réjouissances, & places publiques, portent des feux & des lanternes, comme autrefois les colonnes grouppées de la place des victoires, à Paris. (D.J.)
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PHOSPHORUS | se dit, en Astronomie, de l'étoile du matin, c'est-à-dire, de la planete de Vénus, quand elle précede le soleil. Voyez VENUS.
Les Latins l'appellent Lucifer ; le peuple, en France, la nomme l'étoile du berger ; les Grecs, Phosphorus, qui est composé de , lumiere, & de , je porte. Chambers.
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PHOTINIENS | S. f. pl. (Hist. ecclés.) secte d'anciens hérétiques qui parurent dans le quatrieme siecle, & qui nioient la divinité de Jesus-Christ. Ils furent ainsi nommés de Photin leur chef, évêque de Sirmich, disciple de Marcel d'Ancyre, & célebre par son savoir & par son éloquence. L'abus qu'il fit de ses talens, le précipita dans l'erreur. Non content de renouveller celles d'Ebion, de Cerinthe, de Sabellius, & de Paul de Samosate, il soutenoit que nonseulement Jesus-Christ n'étoit qu'un pur homme, mais encore qu'il n'avoit commencé à être le Christ que quand le Saint-Esprit descendit sur lui dans le Jourdain ; & qu'il est appellé Fils unique par la seule raison que la sainte Vierge n'en eut point d'autre. Il fut d'abord condamné par les évêques d'Orient dans un concile tenu à Antioche en 345, & par ceux d'Occident au concile de Milan, en 346 ou 347 ; & enfin déposé dans un concile tenu à Sirmich en 351. L'hérésie des Photiniens a été renouvellée dans ces derniers tems par Socin. Voyez SOCINIANISME.
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PHOTOSCIATÉRIQUE | adj. terme dont quelques auteurs se servent pour désigner la Gnomonique. Voyez GNOMONIQUE. Ce nom vient de ce que la Gnomonique apprend à déterminer les heures nonseulement par l'ombre du gnomon, ce qui l'a fait nommer sciatérique, mais quelquefois aussi par la lumiere du soleil, comme dans les cadrans qui marquent l'heure par un point lumineux, &c. à-travers lequel passent les rayons du soleil. Ce mot vient de , ombre, & de , lumiere. Voyez GNOMONIQUE, CADRAN, GNOMON, &c. Au reste le mot de photosciatérique ne s'employe plus aujourd'hui. Chambers. (O)
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PHOXOS | (Léxic. médec.) , est celui qui a le sommet de la tête extrèmement pointu, & par conséquent difforme. Homere nous dépeint Thersite avec une pareille tête. Ce mot se rencontre deux fois dans le sixieme livre des épidémiques d'Hippocrate.
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PHRAENIAN | (Botan. anc.) nom donné par les anciens Botanistes grecs & romains à une sorte d'anémone qu'ils employoient dans les bouquets, les guirlandes & autres semblables ornemens. (D.J.)
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PHRASE | S. f. c'est un mot grec francisé, , locutio ; de , loquor ; une phrase est une maniere de parler quelconque, & c'est par un abus que l'on doit proscrire que les rudimentaires ont confondu ce mot avec proposition ; en voici la preuve : legi tuas litteras, litteras tuas legi, tuas legi litteras ; c'est toujours la même proposition, parce que c'est toujours l'expression de l'existence intellectuelle du même sujet sous le même attribut : cependant il y a trois phrases différentes, parce que cette même proposition est énoncée en trois manieres différentes.
Aussi les qualités bonnes ou mauvaises de la phrase sont-elles bien différentes de celles de la proposition. Une phrase est bonne ou mauvaise, selon que les mots dont elle résulte sont assemblés, terminés & construits d'après ou contre les regles établies par l'usage de la langue : une proposition au contraire est bonne ou mauvaise, selon qu'elle est conforme ou non aux principes immuables de la morale. Une phrase est correcte ou incorrecte, claire ou obscure, élégante ou commune, simple ou figurée, &c. une proposition est vraie ou fausse, honnête ou deshonnête, juste ou injuste, pieuse ou scandaleuse, &c. si on l'envisage par rapport à la matiere ; & si on l'envisage dans le discours, elle est directe ou indirecte, principale ou incidente, &c. Voyez PROPOSITION.
Une phrase est donc tout assemblage de mots réunis pour l'expression d'une idée quelconque : & comme la même idée peut être exprimée par différens assemblages de mots, elle peut être rendue par des phrases toutes différentes. Contrà Italiam est une phrase simple, Italiam contrà est une phrase figurée. Aio te, Aeacida, Romanos vincere posse est une phrase louche, ambiguë, amphibologique, obscure ; te Romani vincere possunt est une phrase claire & précise ; chanter très-bien est une phrase correcte ; chanter des mieux est une phrase incorrecte. " Cette façon de parler, dit Th. Corneille sur la Rem. 126. de Vaugelas, n'est point reçue parmi ceux qui ont quelque soin d'écrire correctement.
Il est indubitable, dit M. de Vaugelas, Rem. préf. §. IX. p. 64. que chaque langue a ses phrases, & que l'essence, la richesse & la beauté de toutes les langues & de l'élocution consistent principalement à se servir de ces phrases -là. Ce n'est pas qu'on n'en puisse faire quelquefois,... au lieu qu'il n'est jamais permis de faire des mots ; mais il y faut bien des précautions, entre lesquelles celle-ci est la principale, que ce ne soit pas quand l'autre phrase qui est en usage approche fort de celle que vous inventez. Par exemple, on dit d'ordinaire lever les yeux au ciel,... c'est parler françois de parler ainsi : néanmoins, comme quelques écrivains (modernes) croyent qu'il est toujours vrai que ce qui est bien dit d'une façon n'est pas mauvais de l'autre, ils trouvent bon de dire aussi élever les yeux vers le ciel, & pensent enrichir notre langue d'une nouvelle phrase. Mais au lieu de l'enrichir, ils la corrompent ; car son génie veut que l'on dise levez, & non pas élevez les yeux ; au ciel, & non pas vers le ciel. Ils s'écrient encore, que si nous en sommes crus, Dieu ne sera plus supplié, mais seulement prié. Je soutiens avec tous ceux qui savent notre langue, que supplier Dieu n'est point parler françois, & qu'il faut dire absolument prier Dieu, sans s'amuser à raisonner contre l'usage qui le veut ainsi. Quitter l'envie pour perdre l'envie ne vaut rien non plus.... Mais pour fortifier encore cette vérité qu'il n'est pas permis de faire ainsi des phrases, je n'en alléguerai qu'une, qui est que l'on dit abonder à son sens, & non pas abonder en son sentiment, quoique sens & sentiment ne soient ici qu'une même chose ; & ainsi d'une infinité d'autres, ou plutôt de toute la langue dont on sapperoit les fondemens, si cette façon de l'enrichir étoit recevable. Qu'on ne m'allegue pas, dit ailleurs Vaugelas, Rem. 125. qu'aux langues vivantes, non plus qu'aux mortes, il n'est pas permis d'inventer de nouvelles façons de parler, & qu'il faut suivre celles que l'usage a établies ; car cela ne s'entend que des mots.... Mais il n'en est pas ainsi d'une phrase entiere qui étant toute composée de mots connus & entendus, peut être toute nouvelle & néanmoins fort intelligible ; desorte qu'un excellent & judicieux écrivain peut inventer de nouvelles façons de parler qui seront reçues d'abord, pourvu qu'il y apporte toutes les circonstances requises, c'est-à-dire un grand jugement à composer la phrase claire & élégante, la douceur que demande l'oreille, & qu'on en use sobrement & avec discrétion. "
Qu'il me soit permis de faire quelques observations sur ce que dit ici Vaugelas. " Un excellent & judicieux écrivain peut inventer, dit-il, de nouvelles façons de parler qui seront reçues d'abord, pourvu qu'il y apporte toutes les circonstances requises ". Il me semble qu'apporter les circonstances requises n'est point une phrase françoise ; on apporte les attentions requises, on prend les précautions requises, mais on est dans les circonstances requises ou on les attend ; d'ailleurs un grand jugement, & la douceur que demande l'oreille, ne peuvent pas être regardés comme des circonstances, & moins encore comme circonstances d'un même objet. Vaugelas ajoute, & qu'on en use sobrement ; c'est une phrase louche : on ne sait s'il faut user sobrement d'un grand jugement, ou de la douceur que demande l'oreille, ou d'une phrase nouvellement inventée, ou du pouvoir d'en inventer de nouvelles. Il paroît par le sens que c'est sur ce dernier article que tombent les mots user sobrement ; mais par-là même la phrase, outre le vice que je viens d'y reprendre, est encore estropiée. " On dit qu'une phrase est estropiée quand il y manque quelque chose, & qu'elle n'a pas toute l'étendue qu'elle devroit avoir ". Bouh. Rem. nouv. t. II. p. 29. Or il manque à la phrase de Vaugelas le nom auquel il rapporte ces mots qu'on en use sobrement, je veux dire le pouvoir d'inventer de nouvelles phrases.
On sent bien que s'il y a quelque chose de permis à cet égard, c'est sur-tout dans le sens figuré, par lequel on peut quelquefois introduire avec succès dans le langage un tour extraordinaire, ou une association de termes dont on n'a pas encore fait usage jusques-là. Mais, je l'ai dit, article NEOLOGISME, il faut être fondé sur un besoin réel ou très-apparent, si fortè necesse est ; & dans ce cas-là même il faut être très-circonspect & agir avec retenue, dabitur licentia sumpta pudenter.
" Parler par phrases, dit le P. Bouhours, Rem. nouv. tome II. p. 426. c'est quitter une expression courte & simple qui se présente d'elle-même, pour en prendre une plus étendue & moins naturelle, qui a je ne sais quoi de fastueux.... Un écrivain qui aime ce qu'on appelle phrase.... ne dira pas.... si vous saviez vous contenir dans des justes bornes, mais il dira si vous aviez soin de retenir les mouvemens de votre esprit dans les bornes d'une juste modération.... Rien n'est plus opposé à la pureté de notre style ". Et c'est ordinairement le style que les jeunes gens remportent du college, où, au lieu de prescrire des regles utiles à la fécondité naturelle de leur âge, on leur donne quelquefois des secours & des motifs pour l'augmenter ; ce qui ne manque pas de produire les effets les plus contraires au but que l'on devoit se proposer, & que l'on se proposoit peut-être.
On emploie quelquefois le mot de phrase dans un sens plus général qu'on n'a vu jusqu'ici, pour désigner le génie particulier d'une langue dans l'expression des pensées. C'est dans ce sens que l'on dit que la phrase hébraïque a de l'énergie ; la phrase grecque, de l'harmonie ; la phrase latine, de la majesté ; la phrase françoise, de la clarté & de la naïveté, &c. & c'est dans la vûe d'accoutumer les jeunes gens au tour & au génie de la phrase latine ainsi entendue, que l'on a fait des recueils de phrases détachées, extraites des auteurs latins, & rapportées à certains titres généraux du système grammatical qu'avoient adopté les compilateurs : tels sont l'ouvrage du cardinal Adrien de modis latinè loquendi ; un autre plus moderne répandu dans les colleges de certaines provinces, les délices de la langue latine ; celui de Mercier, intitulé le manuel des Grammairiens, &c. ce sont autant de moyens méchaniques laborieusement préparés pour ne faire souvent que des imitateurs serviles & mal-adroits. Il n'y a qu'une lecture assidue, suivie & raisonnée des bons auteurs qui puisse mettre sur les voies d'une bonne imitation. (B. E. R. M.)
PHRASE, s. f. en Musique, est une suite de chant ou d'harmonie, qui forme un sens plus ou moins achevé, & qui se termine sur un repos par une cadence plus ou moins parfaite.
Il y a deux especes de phrases. En mélodie, la phrase est constituée par le chant, c'est-à-dire par une suite de sons tellement disposés, soit par rapport au ton, soit par rapport à la mesure, qu'ils fassent un tout bien lié, lequel aille se résoudre sur une des cordes essentielles du monde.
Dans l'harmonie, la phrase est une suite réguliere d'accords, tous liés entr'eux par des dissonnances exprimées ou sousentendues. Cette suite se résout sur une cadence, & selon l'espece de cette cadence, selon que le sens est plus ou moins achevé, le repos est aussi plus ou moins parfait.
C'est dans l'invention des phrases musicales, surtout dans leur liaison entr'elles & dans leur ordonnance selon de belles proportions, que consiste la véritable beauté de la musique. Mais cette derniere partie a été presque entierement abandonnée par nos compositeurs modernes, sur-tout dans les opéra françois de ce tems, où l'on n'apperçoit plus que des rapsodies de petits morceaux durs, étranglés, mal cousus, & qui ne semblent faits que pour jurer ensemble. (S)
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PHRATRIARQUE | S. m. (Antiq. grecq.) , magistrat d'Athènes qui présidoit sur les , c'est-à-dire sur la troisieme partie d'une tribu ; il avoit le même pouvoir sur cette partie de la tribu, que le phylarque avoit sur la tribu entiere. Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 78.
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PHRATRIUS | MOIS, (Mois des Grecs) , mois particulier à la ville de Cumes en Eolie ; il étoit composé de 30 jours, on ne trouve le nom de ce mois que sur un seul marbre tiré des ruines de la ville de Cumes, & dont l'inscription est en dialecte éolien ; vous la pourrez lire toute entiere dans les antiquités de M. de Caylus, tome II. C'est assez de remarquer ici que le mot vient du nom de , qui signifie des sociétés ou confrairies établies en différentes villes de la Grece, & qui s'assembloient en des tems réglés pour la célébration des fêtes ou de certaines cérémonies ; le lieu de l'assemblée s'appelloit ; peut-être que le mois où ces assemblées se tenoient à Cumes en reçut son nom. (D.J.)
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PHRÉATIS | LE, (Antiq. grec.) le phréatis ou phréatium qui faisoit un des quatre anciens tribunaux d'Athènes ; il étoit établi pour juger ceux qu'on poursuivoit à l'occasion d'un second meurtre, sans s'être réconciliés avec les parens du citoyen qu'ils avoient tué involontairement. L'exilé accusé paroissoit sur la mer à un endroit appellé le puits, d'où ce tribunal reçut son nom ; là il se défendoit sur son bord sans jetter l'ancre, ni aborder à terre ; s'il étoit convaincu, on lui infligeoit les peines imposées au meurtrier volontaire ; s'il étoit innocent, il retournoit à son exil, à cause de son premier meurtre. Teucer fut le premier qui se justifia de cette maniere, & qui prouva qu'il n'étoit point coupable de la mort d'Ajax. (D.J.)
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PHRÉNÉSIE | S. m. (Médecine) délire continuel ou dépravation des fonctions du cerveau, causée par une inflammation dans les vaisseaux de ce viscere, accompagnée d'une fievre synoche ou putride. La paraphrénésie se dit d'une maladie qui en approche, & qui est causée par l'inflammation du diaphragme.
La cause a toujours été régardée comme propre au cerveau & à ses membranes. Ces parties sont alors affectées d'une inflammation produite par un sang échauffé, desseché & bouillant, comme l'ont reconnu Hippocrate, les plus grands Médecins ensuite, & avec eux les plus simples d'entre le peuple ; ils ont pensé qu'elle venoit d'un sang épais qui se portoit à la tête, & que l'urine tenue & aqueuse dans un fébricitant, annonçoit une phrénésie prochaine. Ainsi il semble que la phrénésie a pour cause une métastase qui se fait de quelque humeur d'une partie sur une autre, ou un transport de la matiere fébrile dans le cerveau.
Les dissections apprennent que la phrénésie n'est pas causée par l'inflammation des meninges, non plus que la paraphrénésie par celle du diaphragme, mais par l'engorgement variqueux des vaisseaux du cerveau & des meninges ; elle est quelquefois avec une inflammation dans les formes, & d'autres fois sans inflammation.
Ainsi toutes les causes qui disposent à l'engorgement de ces parties, sont celles de la phrénésie. Ainsi le chagrin, la force & continuelle application de l'esprit à un même sujet, la douleur, les passions vives, telles que la colere, la fureur, l'amour, les excès de la fureur utérine, sont autant de causes de la phrénésie.
Quelle que soit sa cause, elle se connoît par les signes suivans, selon Lommius ; savoir, une fievre aiguë & continue, accompagnée d'un délire continuel, concernant tantôt les unes, tantôt les autres des actions vitales, le malade est disposé à entreprendre tout ce qu'une audace effrenée peut lui inspirer ; il est travaillé tour-à-tour par des insomnies cruelles, ou par des sommeils fâcheux & turbulens ; ensorte qu'étant éveillé, il sort inopinément de son lit, il fait de grands cris, il agit en furieux, tantôt il pleure, tantôt il chante, ou fait des discours sans ordre & sans suite ; quand il est interrogé, il fait des réponses qui n'ont aucun rapport aux demandes qu'on lui fait ; ses yeux sont toujours en mouvement, étincelans, rouges & malpropres ; le malade les frotte sans cesse, & ils sont tantôt secs, & tantôt larmoyans ; sa langue est rude & noire, il grince les dents, & il lui sort souvent des narines une sérosité sanglante ; il ressent assez souvent de la douleur au derriere de la tête, il démêle entre ses doigts des flocons de laine qu'il tire de ses couvertures ; son urine est tenue & enflammée, & ce qui est de plus fâcheux, c'est qu'elle est quelquefois limpide, tenue, & souvent blanchâtre. La phrénésie se termine en peu de tems, conjointement avec la fievre par le retour de la santé, ou par la mort du malade ; ou si elle dure long-tems, ou qu'elle subsiste après la fievre, alors ou elle guérit, ou elle dégénere en d'autres maux, comme sont la léthargie, la manie, la mélancholie, ou les malades tombent dans une folie perpétuelle, leur cerveau étant, comme l'on dit, tout détraqué ; la phrénésie qui succede à la péripneumonie, ou au misereré, est mortelle, les hémorrhagies la guérissent quelquefois.
Curation. Si la fievre accompagne la phrénésie dans le commencement, on a recours à la saignée, aux lavemens, aux purgatifs & aux émétiques, aux bains & demi-bains, aux douches sur la tête ; on applique aux piés des cataplasmes avec les feuilles de rue, de camomille, de verveine, la racine de brionne, les fleurs de pavot champêtre & le savon ; ou bien en leur place on peut appliquer aux mêmes parties des pigeons ou des poulets coupés selon leur longueur.
Pour appaiser la soif, que les malades boivent d'une tisane délayante & calmante, & de la potion divine de Palmarius, qui est proprement une limonade faite avec l'eau de fontaine, le suc de limon & le sucre ; ou bien qu'il prenne des émulsions ordinaires adoucies avec le sucre, ou bien les délayans nitreux & antiphlogistiques.
On peut appliquer sur la tête ou sur les tempes, le marc ou chapeau de roses, ou bien un bandeau chargé de fleurs de pavot, arrosé de vinaigre, & saupoudré de muscade.
Les lotions & le rasement de la tête, les vésicatoires & les ventouses appliquées aux parties inférieures.
Les saignées du pié & de la gorge, faites consécutivement, sont excellentes dans cette maladie, & dans la plûpart des maladies de la tête.
Les emplâtres de poix, d'ail, de graine de moutarde, & de vieux fromage de Roquefort, sont aussi excellens pour procurer une révulsion de sang vers les parties inférieures.
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PHRENIQUE | en Anatomie, c'est un nom que l'on donne à une veine & à quelques arteres du corps humain, à cause de leur passage par le diaphragme. Voyez DIAPHRAGME.
L'artere phrénique ou diaphragmatique, vient de l'aorte descendante, & se distribue au diaphragme & au péricarde. Voyez I. observation anat. (angiol.) fig. I. n °. 40. Voyez aussi ARTERE, AORTE, &c.
Les veines phréniques sont deux veines, que la veine-cave descendante reçoit immédiatement après avoir percé le diaphragme. Voyez nos Pl. d'Anat. & leur explic. Voyez aussi VEINE & CAVE.
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PHRICODES | (Méd. anc.) terme employé par les anciens médecins pour désigner une fievre accompagnée d'horreurs & de frisson, non-seulement au commencement de l'accès, mais en différens intervalles pendant tout le cours de la fievre : telle est l'hémitritée. Les symptômes ordinaires de cette fievre mêlée de chaleur & de frisson, sont un pouls extrèmement foible, qui est insensible au toucher, & se retire, pour ainsi dire, en dedans ; le ventre est un peu enflé, avec des vents & des borborygmes ; la langue est très-humide, & chargée d'une humeur acide & piquante. (D.J.)
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PHRIXUS | (Géog. anc.) nom de divers endroits ; 1°. c'est une ville de Lycie, selon Etienne le géographe ; 2°. c'est un fleuve de l'Argie, qui, selon Pausanias, l. II. ch. xxxvj. recevoit les eaux de l'Erasmus, & alloit se jetter dans la mer, entre Temenium & Lerna ; 3°. c'étoit un port de l'Asie, dans le Bosphore de Thrace, près de son embouchure, dans le Pont-Euxin, selon Denys de Byzance, de Thracic. Bosph. p. 21. & Etienne le géographe. (D.J.)
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PHRONTIS | (Méd. anc.) , maladie dont parle Hippocrate, & qu'on peut ranger sous la classe des affections mélancholiques. Dans cette maladie, dit ce célebre Médecin, le malade sent comme une épine qui le pique au bas-ventre ; il est extrèmement inquiet, il suit la lumiere de la compagnie, se plaît dans l'obscurité, & a peur de tout ; il a des songes terribles, & croit voir à tout moment des objets épouvantables. (D.J.)
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PHRONTISTE | S. m. (Théol.) nom qu'on donnoit autrefois à des chrétiens contemplatifs.
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PHRONTISTERE | S. m. (Gram. Théol.) lieu où l'on médite. Il étoit autrefois synonyme à monastere.
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PHRUDIS | (Géog. anc.) fleuve de la Gaule Belgique. Ptolomée, liv. II. ch. ix. place son embouchure entre celle de la Seine, & le promontoire Itium. Les uns croyent que Phrudis est aujourd'hui la Sambre, & les autres la prennent pour la Somme. (D.J.)
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PHRURIUM | (Géog. anc.) mot grec, qui signifie un lieu fortifié où l'on tient garnison. On l'a donné à quelques lieux fortifiés, ou par la nature ou par l'art, & où il y avoit garnison, comme 1°. à un promontoire de l'île de Cypre, sur la côte méridionale, selon Ptolomée, liv. V. ch. xiij. Lusignan & Mercator l'appellent Cabo-Blanco ; 3°. à une ville de l'Inde, en deçà du Gange. Ptolomée, liv. VII. ch. j. la donne aux Arvarnes, & dit qu'elle étoit dans les terres.
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PHRYGIE | (Géog. anc.) Phrygia, grande contrée de l'Asie mineure, sur l'étendue de laquelle tous les auteurs ne sont pas d'accord. Elle étoit bornée au midi par la Lycaonie, la Pisidie & la Migdonie ; à l'orient par la Cappadoce, & au nord par la Galatie.
La Phrygie se divisoit en grande & en petite. Strabon nomme la petite Phrygie, tantôt Phrygie de l'Hellespont, & tantôt Phrygieépictete, c'est-à-dire, Phrygie acquise. Il dit que la grande Phrygie étoit celle dont les Galates occuperent une partie, & dont Mydas étoit roi.
Les notices ecclésiastiques distinguent la Phrygie sur l'Hellespont, la Phrygie pacatienne, la Phrygie montueuse, & la Phrygie salutaire. Chacune de ces Phrygies contenoit plusieurs évêchés. (D.J.)
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PHRYGIENNE | PIERRE, (Hist. nat.) lapis phrygius ; nom donné par Pline & par Dioscoride, à une pierre qui se trouvoit, dit-on, en Phrygie & en Cappadoce. On la faisoit rougir & on l'éteignoit par trois fois dans du vin pour la teinture. Dioscoride dit qu'elle étoit d'une couleur pâle, d'un poids médiocre, d'un tissu peu compacte, & traversée de raies blanches comme la cadmie. Galien dit que cette pierre étoit un remede pour les maux d'yeux, les ulceres, &c. Elle nous est inconnue : de Boot la soupçonne d'avoir été vitriolique. Voyez son traité de lapidibus & gemmis.
Quelques auteurs donnent aussi le nom de lapis phrygius à une pierre qui se trouve au royaume de Naples, & qui produit des champignons. Les Italiens la nomment pietra fongara. Voyez FUNGIFER LAPIS.
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PHRYGIEN | ou PHRYGASTES, s. m. pl. (Théologie) nom que donne S. Epiphane à d'anciens hérétiques qui parurent en grand nombre dans la Phrygie, province de l'Asie mineure, & qui étoient une branche des Montanistes. Voyez CATAPHRYGES.
Ils avoient une extrème vénération pour Montan & pour ses deux prétendues prophétesses, Priscille & Maximille. Le caractere distinctif de cette secte étoit l'esprit de vertige ou d'enthousiasme, dont étoient agités ses partisans qui, de leur propre autorité, s'érigeoient en prophetes à l'exemple de leur chef. C'est mal-à-propos que M. Chambers les prétend orthodoxes sur le mystere de la Trinité. Montan l'attaquoit ouvertement, en disant qu'il étoit lui-même le S. Esprit ; & il y a grande apparence que les Phrygiens l'en croyoient sur sa parole.
PHRYGIEN, (Musique) mode phrygien, est un des principaux & des plus anciens modes de la musique des Grecs ; le caractere en étoit fier & guerrier, aussi étoit-ce, selon Athenée, sur le ton phrygien que l'on sonnoit les trompettes & autres instrumens militaires. Ce mode occupe le milieu entre le lydien & le dorien, & est à un ton de l'un & de l'autre. Voyez MODE. (S)
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PHTHIES | (Géog. anc.) Phthia, ville de Grece, dans la Phtiotide, sur le golfe Maliacus. Pline. l. IV. c. vij. la donne comme une des plus célèbres villes de la Phtiotide. Pomponius Mela, lib. II. c. iij. & d'autres auteurs la connoissent. Eh ! pouvoient-ils ne pas connoitre, au moins de nom, la patrie d'Achille ? Mais Procope dit que de son tems cette ville ne subsistoit plus, & qu'il n'en restoit aucun vestige, ce qui ne favorise pas le sentiment de ceux qui prétendent qu'on la nomme présentement Pharsala. 2°. Phthia, port de la Marmarique. Ptolomée, lib. IV. c. v. le place entre la grande Chersonese & Paliurus. On veut que ce port s'appelle aujourd'hui Patriarcha. 3°. Phthia, ville d'Asie, au voisinage du Pont-Euxin. Eustathius, in Dionys. dit qu'elle avoit été fondée par les Phthiotides Achéens. (D.J.)
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PHTHIOTIDE | (Géog. anc.) Phthiotis ; province de la Thessalie. Ptolomée y place plusieurs villes, entr'autres Pégasie, Larissa, Coronia & Héraclia Phthiotidis. La Phthiotide est maintenant une partie de la Jauna qui borde au sud le golfe de Volo.
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PHTHIRIASE | S. f. (Médec.) phthiriasis, de , un pou ; voyez PEDICULAIRE, maladie : on dit que c'est de cette maladie qu'est mort le chancelier du Prat, cet homme qui a introduit le premier en France, la vénalité des charges de judicature, qui a appris l'art de mettre toutes sortes d'impôts, qui a divisé l'intérêt du roi d'avec le bien public ; qui a mis la discorde entre le conseil & le parlement, & qui a établi cette maxime si fausse & si nuisible à la liberté naturelle, qu'il n'est point de terre sans seigneur.
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PHTHIROPHAGIENS | (Géog. anc.) Phthirophagi ; peuples qui habitoient sur les bords du Pont-Euxin, selon Pomponius Mela. Strabon, lib. II. p. 499. dit qu'ils avoient été nommés ainsi à cause de leur malpropreté. (D.J.)
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PHTISIE | S. f. (Médec.) se dit en général de toute exténuation, consomption, amaigrissement, desséchement & marasme qui arrivent au corps humain. Dans le langage ordinaire on n'entend par ce mot que la seule consomption tabifique du poumon.
Nous allons traiter la phtisie en général ; on appliquera aux différentes parties ce que nous allons dire sur cette matiere.
Si les poumons, ou quelqu'autre partie noble, sont réellement rongés par un ulcere, on appelle cette maladie consomption ; & celle qui attaque le poumon, se nomme phtisie ; ce qui provient de tout ulcere, ou de toute autre cause de pareille nature, qui appliquée au poumon ou à une autre partie, le corrompt, le détruit, & fait tomber cette partie dans la marasme & le desséchement.
Le foie, le pancreas, la rate, le mésentere, les reins, la matrice, la vessie, peuvent être ulcérés & produire la phtisie.
Les causes sont d'abord toutes celles qui disposent à l'émophtisie, aux obstructions des visceres, d'où il suit un ulcere dans les parties qui les consomme.
L'habitude & le tempérament particulier y influent, ainsi que la délicatesse des vaisseaux artériels, & des membranes qui forment le tissu des visceres ; l'impétuosité d'un sang un peu âcre ; la délicatesse des petits vaisseaux & de tout le corps ; la longueur du cou, le peu de capacité de la poitrine ; l'affaissement des épaules ; la rougeur ; la ténuité, l'âcreté & la chaleur du sang ; la blancheur & la rougeur du visage ; la transparence de la peau ; la vivacité du tempérament ; la maturité & la subtilité de l'esprit, sont comme des signes avant coureurs & des causes concomitantes de la phtisie en général, & sur-tout de la pulmonaire.
2°. La débilité des visceres qui ne peut se prêter à la digestion des alimens naturellement trop ténaces, donne lieu à des obstructions ; d'ailleurs les alimens mal élaborés se corrompent & acquierent une acrimonie qui ulcere les vaisseaux, déjà irrités, tiraillés, & souvent corrodés, ensuite de la stagnation qui a produit un crachement de sang. La foiblesse des vaisseaux se manifeste par une petite fievre légere, & une petite toux seche ; par une grande chaleur ; par la rougeur des levres, de la bouche, des joues, qui augmente vers le tems qu'il entre de nouveau chyle vers le sang ; par la grande disposition que l'on a à suer en dormant ; par la foiblesse & la difficulté que l'on a de respirer pour peu qu'on se donne de mouvement.
3°. La phtisie se forme à l'âge que les vaisseaux ne croissent plus, & résistent par ce moyen à l'effort que font les fluides pour les distendre, tandis que le sang augmente en impétuosité, en âcreté, ce qui provient de la pléthore vraie ou fausse. Ceci arrive entre l'âge de seize & trente-six ans ; de meilleure heure dans les filles que dans les garçons, parce que les premieres sont plutôt formées.
4°. Le vice qui produit la phtisie, vient d'une disposition héréditaire.
Les causes déterminantes sont, 1°. toutes les suppressions des évacuations ordinaires, sur-tout du sang, comme du flux hémorrhoidal, du flux menstruel & des vuidanges, du saignement de nez. La cessation des saignées auxquelles on s'étoit accoutumé, surtout dans les personnes d'un tempérament pléthorique, ou à qui l'on a coupé quelque membre.
2°. Tout état violent du poumon, sur-tout qui aura été produit par la toux, les cris, les chants, la course, de grands efforts, par la colere, par une blessure quelconque.
3°. Par des alimens salins, âcres ou aromatiques, par une boisson semblable ; par le régime, par une maladie propre à augmenter la quantité de l'acrimonie du sang, sa vélocité, sa raréfaction & sa chaleur. De-là vient que ces symptomes sont si fréquens à la suite des fievres aiguës, de la peste, de la petite vérole & du scorbut.
Symptomes. La phtisie commence accompagnée d'une douleur légere, d'une chaleur modique, & d'une oppression de poitrine. Le sang qui sort du poumon est ordinairement rouge, vermeil & écumeux ; plein de petites fibres, de membranes, de vaisseaux artériels, veineux & bronchiques ; il sort avec toux & bruit, ou râlement des poumons. Le pouls est mol, foible & ondoyant ; la respiration est difficile : tous ces symptomes sont précédés d'un goût de sel dans la bouche.
Lorsque la phtisie est menaçante ou confirmée, on la peut reconnoître par les signes suivans. 1°. Une toux seche qui continue pendant plusieurs mois, tandis qu'un simple catarre humoral ne dure pas longtems. Le vomissement qui vient de cette toux après le repas, est un signe très-certain de la phtisie.
2°. La fiévre éthique, où l'on sent une chaleur à la paume de la main & aux joues, sur-tout après le repas.
3°. L'exténuation des parties solides qui se remarque particulierement à l'extrémité des doigts, & qui cause la courbure des ongles.
4°. La fiévre éthique qui dégénere en fievre colliquative & en consomption ; la salivation ; les sueurs colliquatives ; la bouffissure, les hydropisies ; les aphtes au gosier, qui sont opiniâtres & incurables, font connoître que la mort n'est pas éloignée.
La phtisie héréditaire est la plus mauvaise de toutes, & on ne peut la guérir qu'en prévenant le crachement de sang, ou les autres causes qui peuvent la déterminer.
1°. Celle qui vient d'un crachement de sang produit par une cause externe, sans qu'il y ait de vice interne préexistant, toutes choses égales, est la moins dangereuse.
2°. La phtisie dans laquelle la vomique se rompt tout-à-coup, & dans laquelle on crache un pus blanc, cuit, dont la quantité répond à l'ulcere, sans soif, avec appétit, bonne digestion, secrétion & excrétion, est à la vérité difficile à guérir ; cependant elle n'est pas absolument incurable.
3°. La phtisie qui vient de l'empyeme est incurable.
4°. Quand les crachats sont solides, pesans & de mauvaise odeur, & accompagnés des symptomes décrits ci-dessus ; il n'y a plus d'espérance.
Curation. Lorsqu'il s'est déjà formé une vomique dans le poumon, l'indication médicale est de l'amener à maturité le plûtôt possible, ensuite de la rompre ou d'en procurer l'ouverture ; & on en vient à bout par l'usage du lait, l'exercice du cheval, les vapeurs tiedes & les remedes expectorans. Voyez VOMIQUE.
Lorsque la vomique est crevée, on la traite comme un ulcere interne. 1°. On garantit le sang de l'infection du pus. 2°. On évacue le plus promptement qu'il est possible ; on nettoye & on consolide les levres de l'ulcere. 3°. On doit user d'alimens aisés à digérer, & propres à circuler avec le sang ; & capables de nourrir le corps, & incapables d'engendrer de nouveau pus.
On satisfait à la premiere indication par l'usage des médicamens d'une acidité & d'une salure douce & agréable : par des remedes vulnéraires & balsamiques, donnés long-tems, en toute forme & à grande dose. Voyez BALSAMIQUE.
On satisfait à la seconde par les remedes liquides, diurétiques, externes & internes (Voyez DIURETIQUE) ; par ceux qui sont propres à exciter la toux ; par l'équitation, l'air de la campagne qui est propre à hâter la sortie du pus ; par les détersifs & les balsamiques internes & externes (Voyez DETERSIF) ; & enfin par des parégoriques consolidans.
On remplit la troisieme par l'usage des bouillons, du lait & des tisanes. Voyez ces articles.
La cure palliative de la phtisie regarde la toux, les oppressions, la fievre lente & le flux de ventre colliquatif.
On y remédie par la diete, des opiats prudemment administrés, & des liqueurs chaudes convenables.
Remedes pour la phtisie. On emploie différens remedes pour la phtisie : voici ceux que conseille Morton. Il commence par la saignée, la purgation douce avec les pilules de Rufus, la teinture sacrée ; il emploie les diurétiques, le baume de soufre térébenthiné, les eaux minérales, les diaphorétiques, la décoction des bois dans l'eau de chaux.
Lorsque le catarre se trouve joint à la chaleur hectique, il faut mêler les narcotiques avec les purgatifs ; les meilleurs sont les pilules de cynoglosse ou celles de styrax : on rasera la tête du malade, on y appliquera des cauteres, ou on appliquera des vésicatoires à la nuque entre les épaules, aux cuisses & aux jambes.
La phtisie confirmée ne se guérit jamais, mais il ne faut pas pour cela abandonner le malade, parce que si l'on ne peut pas guérir radicalement une maladie, l'humanité veut que l'on tâche au-moins de soulager le malade par une cure palliative.
Le lait dans la phtisie pulmonaire avec le baume de soufre & les pilules de Morton, est un excellent remede, on substitue au lait les bouillons au ris, à l'orge, &c.
Dans la diarrhée, la décoction blanche doit être la boisson ordinaire du malade ; mais l'opium est le principal remede.
Electuaire contre la diarrhée. Prenez des yeux d'écrevisse préparés, un gros & demi de corail rouge préparé, & de la nacre de perle, de chacun deux scrupules ; de perles préparées, un demi-gros ; des poudres ; de la confection hyacinthe, un scrupule ; de l'essence de canelle, quatre gouttes ; de la gelée de coings, une once ; du laudanum dissous dans l'esprit de safran, six grains, du sirop balsamique autant qu'il en faut pour faire un électuaire, &c.
Pour adoucir l'acrimonie, on fait prendre les bouillons de veau, de mouton, de mou de veau, d'escargots.
On fait quelquefois des injections & des clysteres avec le bouillon de mouton, & une demi-once de diascordium.
Les narcotiques sont excellens dans les cas de diarrhée, à cause du transport de la matiere morbifique qui se fait de la poitrine sur les intestins. Il ne faut pourtant pas arrêter mal-à-propos ni si promptement la diarrhée, de peur de causer un plus grand mal : ce que l'on préviendra en donnant au malade des potions expectorantes & lubrefiantes, & en modérant plûtôt la diarrhée qu'en l'arrêtant tout-à-coup.
On ne doit presqu'employer que l'opium pour calmer la toux & donner du repos au malade, qui est travaillé d'une insomnie opiniâtre ; mais on doit l'ordonner avec beaucoup de précaution & en petite quantité, & seulement dans une nécessité très-pressante, de crainte qu'il ne jette le malade dans des langueurs & dans de grandes difficultés de respirer, & qu'il ne lui cause un froid aux extrémités, & qu'ainsi il n'avance sa mort à la honte du médecin.
Les loochs de différentes sortes, & les trochisques ou tablettes, sont ici d'un bon usage.
Les sueurs colliquatives ne doivent pas être arrêtées, à moins qu'elles ne soient excessives ; mais si elles sont si abondantes qu'elles causent au malade des défaillances dangereuses, on les modere par des astringens & d'autres secours convenables.
On se sert à cette intention du julep suivant. Prenez des eaux de tormentille & de plantin, de chacun quatre onces & demie ; de l'eau de canelle, quatre onces ; de l'eau admirable, une once ; de perles préparées, & du corail rouge préparé, de chacun deux scrupules ; du bol & du sang dragon, de chacun demi-gros ; du cachou, un scrupule ; sirop de myrthe, une once & demie ; de l'esprit de vitriol dulcifié, ce qu'il en faut pour donner au remede une agréable acidité : mêlez tout cela pour un julep. Le malade en prendra deux ou trois onces à deux ou trois heures d'intervalle, après avoir agité la phiole.
On peut rapporter à la phtisie & à la cure que nous venons de donner, différentes autres maladies qui portent le nom de phtisie, & qui ne different que par le siége, la cause éloignée, ou différentes autres modifications. Telles sont la phtisie par hémorrhagie ; elle se guérit après que l'hémorrhagie est passée, par les adoucissans, le lait ; le malade tombe dans la fievre étique, qu'on emporte par le quinquina.
Les purgatifs sont sur-tout plus nuisibles dans cette maladie.
La phtisie causée par la gonorrhée ou par les fleurs blanches, quand elle est confirmée, est absolument incurable.
Quand elle est récente, on arrête d'abord les évacuations, ensuite on emploie la diete restaurante. Voyez GONORRHEE & FLEURS BLANCHES.
Pour éteindre la chaleur fébrile & étique, l'usage du petit-lait & de l'eau ferrée est très-convenable.
La phtisie qui succede aux abcès & aux ulceres du foie, de la rate, du pancreas, du mésentere.
On commence par guérir les abcès & les ulceres, au moyen des remedes intérieurs & extérieurs ; la boisson ordinaire du malade sera d'une eau de chaux.
La phtisie des nourrices se connoît, 1°. à la diminution de l'appétit, à la foiblesse & au resserrement des hypocondres.
La phtisie des enfans qui vient du carreau, & qui sont en état de chartre. Voyez CHARTRE.
La phtisie rachitique provient du virus rachitique, & enfin de la consomption totale qu'il produit dans la lymphe, des nodosités qui compriment les vaisseaux. Voyez RACHITIS.
La phtisie qui survient à la diarrhée, & à la dyssenterie, aux diabetes, aux sueurs excessives, n'a rien de particulier : on suivra le plan de la cure générale.
La phtisie écrouelleuse ; on la connoît par les tumeurs scrophuleuses & crues des ophtalmies, des gales & autres. Voyez ECROUELLES.
On doit faire ici une attention que cette maladie est la plûpart du tems abandonnée à des chirurgiens sans connoissance, qui ne savent que tailler & rogner, ce qui ne guérit pas ce mal.
La phtisie scorbutique. Les principaux signes sont les taches scorbutiques répandues sur toute la peau, le crachement presque continuel d'un pus visqueux & salé que fournissent les glandes jugulaires, l'ulcération & l'exténuation des mâchoires. Voyez SCORBUT.
La phtisie asthmatique. Les signes sont la courte haleine & la difficulté de respirer ; cette phtisie est une maladie chronique qu'on appelle la phtisie de la vieillesse.
La phtisie hypocondriaque ou hystérique, est celle qui survient aux affections de ce nom, & ce que l'on appelle vapeurs. Voyez PHTISIE NERVEUSE & VAPEURS.
PHTISIE DORSALE, (Médecine) espece de phtisie qui a été ainsi appellée, parce qu'outre les symptômes généraux, elle est accompagnée d'une démangeaison douloureuse & singuliere le long de l'épine du dos ; les malades la représentent en la comparant à la sensation que feroit une grande quantité de fourmis qui couroient sur cette partie.
Hippocrate est le plus ancien auteur qui ait parlé de cette maladie, & celui qui l'a décrite avec le plus d'exactitude. Ceux qui en sont attaqués évacuent avec l'urine, ou en même tems qu'ils font des efforts pour aller à la selle, une grande quantité de semence liquide ; ils sont sujets à des pollutions nocturnes (voyez ce mot) ce qui les jette dans une foiblesse extrème, & dans une maigreur affreuse : leur respiration est difficile & courte ; ils sont essouflés au moindre mouvement, prêts à suffoquer quand ils ont couru ou monté dans des lieux élevés : une pesanteur de tête les tourmente sans cesse, & un tintement importun leur fatigue l'oreille ; ils éprouvent souvent des attaques de fievre violente, enfin la fievre lypirie se déclare, un feu intérieur les consume, tandis que les parties externes sont presque toujours glacées. Il n'est pas rare alors de voir survenir des symptômes effrayans, avant-coureurs d'une mort terrible, & pour l'ordinaire bien méritée. Lib. II. de morbis ; de aere, locis & aquis ; de genitur. de natur. pueri.
La phtisie dorsale est la suite familiere & la juste punition des débauches outrées, des excès dans les plaisirs vénériens ; tous les accidens qui l'accompagnent ont pour cause l'évacuation immodérée de la semence, dit Hippocrate, qui porte ses principaux coups sur le cerveau & sur la moëlle épiniere, qui n'en est qu'un prolongement. Trois autres causes peuvent aussi, suivant le même auteur, produire cette maladie, quoique moins fréquemment ; savoir un influx trop abondant de sang dans la moëlle épiniere, un transport d'humeurs de mauvais caractere sur cette partie, & enfin son exsiccation ; mais alors l'excrétion de semence n'est pas si abondante, & les accidens ne sont ni aussi rapides ni aussi violens. Le danger est plus grand & plus prochain dans la vraie phtisie dorsale qui a pris naissance de la dissipation excessive de la semence : ces malades sont sujets à des enflures de jambes, à des ulceres opiniâtres & périodiques dans la région des lombes, à des cataractes épaisses sur les yeux ; il n'est pas rare d'en voir qui perdent tout-à-fait la vûe. La phtisie dorsale est souvent précédée & accompagnée de satyriasis, du priapisme, de la pollution nocturne, & des accidens terribles qui se rencontrent dans ces maladies. Voyez ces articles & MANUSTUPRATION, qui en est une des principales causes. Les malades parvenus à ce point, n'échappent presque jamais à la mort. Ce fut ainsi que se termina cette maladie dans Grypalopax, dont Hippocrate rapporte l'histoire epidem. lib. VI. sect. viij. text. 52. qui tombé dans cette consomption, étoit sujet à des excrétions involontaires de semence, non-seulement durant la nuit, à l'occasion de songes voluptueux, mais même pendant le jour étant très-bien éveillé.
Les dissipations, les voyages, l'exercice, l'équitation, & des plaisirs qui soient plus propres à dissiper qu'à faire naître les idées voluptueuses, sont les principaux secours desquels on puisse attendre du soulagement dans cette maladie : sans leur concours, en vain fatiguera-t-on le malade par les médicamens qui passent pour les plus appropriés ; on n'en obtiendra que peu ou point d'effet ; le parti le plus avantageux est de les seconder les uns par les autres. Ainsi aux secours indiqués on pourra joindre l'usage d'alimens legers, de facile digestion, & capables de fournir une bonne nourriture, & des remedes qui sans occasionner du trouble dans la machine, réparent doucement ses pertes, & rétablissent insensiblement le ton des vaisseaux relâchés. C'est pourquoi on évitera avec soin les purgatifs de quelqu'espece qu'ils soient, & tous les remedes échauffans ; on mettra le malade au lait, même pour toute nourriture ; mais on insistera davantage sur celui d'ânesse. Hippocrate conseille d'en continuer l'usage pendant quarante jours ; pendant ce tems on pourra faire prendre quelques légeres prises d'une poudre tonique faite avec le quinquina, le nitre & le safran de Mars, ou le tartre chalybé : on augmentera insensiblement la dose de ce remede à mesure qu'on s'appercevra de ses bons effets, qu'il n'anime pas trop, & n'entraîne aucun accident. On pourra venir ensuite à l'usage des bouillons stomachiques, des extraits amers, des eaux minérales ferrugineuses, excellentes à plus d'un titre : par ce moyen on parviendra à arrêter les progrès de cette funeste maladie, & peut-être à la guérir entierement ; il ne faut pas oublier que les bains froids sont très-bien indiqués dans le cas présent (Voyez MANUSTUPRATION) ; ils ont l'admirable propriété de calmer la mobilité des nerfs, de leur donner de la force & du ton, sans exciter la moindre chaleur ou la plus légere agitation ; avantages bien précieux, sur-tout dans le traitement de cette maladie.
PHTISIE NERVEUSE ; c'est une consomption tabide de tout le corps, sans fievre, sans toux, ni difficulté de respirer qui soit considérable, avec perte d'appétit, indigestion & grande foiblesse, les chairs étant fondues & consumées. Cette maladie attaque quelquefois les Anglois, & sur-tout dans les derniers tems, de même que quelques françois. La cause en est évidente, c'est l'usage des liqueurs spiritueuses ; elle arrive aussi à ceux qui reviennent des Indes occidentales : toute l'habitude du corps paroît d'abord oedémateuse & se gonfle, étant remplie d'une lymphe vapide & nullement spiritueuse ; le visage est pâle, l'estomac répugne à toutes sortes d'alimens, à l'exception des liquides, le malade rend peu d'urine, qui souvent est rouge, quelquefois pourtant pâle & abondante. Il n'y a ni fievre ni difficulté de respirer, si ce n'est dans le dernier état de la maladie. Le genre nerveux est affecté dans cette maladie, mais l'estomac est sur-tout le siége.
Les causes primitives sont pour l'ordinaire les violentes passions de l'ame, l'usage trop fréquent & trop abondant des liqueurs spiritueuses, le mauvais air & généralement tout ce qui peut produire les crudités. C'est une vraie maladie chronique, & très-difficile à guérir, à-moins qu'on ne s'y applique dès son commencement ; elle se termine ordinairement par une hydropisie incurable.
Traitement. Il demande les remedes généraux, & ensuite les stomachiques intérieurs & les extérieurs, les martiaux, les anti-scorbutiques, les céphaliques, les amers. Il faut purger de la façon suivante : prenez des eaux de cerises noires, de pivoine, de poudre de hiera.
On emploie extérieurement l'emplâtre stomachique magistral, avec quelques gouttes d'huile de canelle & d'absinthe sur la région de l'estomac. On se sert en été des eaux minérales ferrugineuses. Entre les préparations du mars, l'extrait de Mensicht est à préférer.
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PHTOSE | (Médec.) , relâchement de la paupiere, dans lequel cas son bord se retourne en dedans, conjointement avec ses cils qui offensent & blessent l'oeil ; c'est une espece de trichiase. Voyez TRICHIASE. (D.J.)
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PHURI | ou PURIM, (Crit. sacr.) c'est-à-dire les sorts, fête très-solemnelle des Juifs, instituée en mémoire de leur heureuse délivrance du projet des sorts que fit jetter Aman par des devins, pour exterminer toute la nation juive qui se trouvoit dans les états d'Artaxerxès. On sait par le livre d'Esther, les détails de cet affreux projet, comment il échoua, le supplice d'Aman & de sa famille, & le massacre que les Juifs eux-mêmes, autorisés par le roi de Perse à se défendre, firent en un seul jour de tous leurs ennemis, le 13 du mois Adar, l'an 452 avant J. C. Délivrés du danger qui les avoit ménacés d'une extermination totale, ils en célébrerent pendant deux jours, des réjouissances extraordinaires : par ordre d'Esther & de Mardochée, trois jours entiers furent consacrés pour en faire tous les ans la commémoration ; le premier jour par un jeûne, & les deux autres par des actes de vive réjouissance. Esther ix, 20, 22. Josephe, Antiq. liv. XI. c. vj.
Ils observent encore aujourd'hui le jeûne & la réjouissance ; ils appellent le jeûne, le jeune d'Esther, & nomment la réjouissance, la fête du Purim ou Phurim, parce qu'en persan, purim signifie les sorts, & qu'Aman s'étoit servi de cette espece de divination pour fixer le jour de leur perte. Cette fête a été longtems célébrée parmi les Juifs, dans le goût des bacchanales ; & ils y poussoient la débauche à de grands excès, du moins pour la boisson, prétendant que ce fut par des festins qu'Esther sut mettre Artaxerxes dans la bonne humeur dont elle avoit besoin pour obtenir la délivrance de sa nation.
Pendant les jours de cette fête, on lit solemnellement dans les synagogues le livre d'Esther : tout le monde y doit assister, hommes, femmes, enfans & serviteurs, parce que tous ont eu part à la delivrance. Chaque fois que le nom d'Aman revient dans cette lecture, la coutume établie est de frapper des mains & des piés, en s'écriant : que sa mémoire périsse ! C'est la derniere fête de leur année, car la suivante est la pâque qui est toujours au milieu du mois par lequel commence l'année des Juifs. (D.J.)
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PHYCITES | (Hist. nat.) nom donné par les anciens naturalistes à une pierre chargée de l'empreinte d'une plante marine, telle que l'algue ou le fucus.
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PHYCUS | (Géog. anc.) promontoire & forteresse de la Cyrénaïque, selon Ptolomée, liv. IV. ch. jv. Strabon, liv. XVII. pag. 865, dit que le promontoire est fort peu élevé ; mais qu'il s'étend beaucoup du côté du nord. Les mariniers italiens le nomment Caborena, à ce que prétend Niger.
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PHYGELA | (Géog. anc.) ville de l'Ionie. Pline, liv. V. c. xxix. & Pomponius Mela, liv. I. c. xvij. disent qu'elle fut bâtie par des fugitifs. Strabon, liv. XIV. p. 639. Etienne le géographe qui l'a suivi, & Suidas, ne dérivent pas ce nom de , qui veut dire un fugitif, un exilé, mais de , sorte de maladie dont les compagnons d'Agamemnon furent attaqués, & qui les obligea de demeurer dans ce lieu ; aussi ces auteurs n'écrivent-ils pas Phygela, mais Pugela. Dioscoride, liv. v. c. xij. fait l'éloge du vin de Phygela. Selon le P. Hardouin, le nom moderne de cette ville est Figela. (D.J.)
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PHYGETHLON | S. m. terme de Chirurgie, tumeur inflammatoire, érésipélateuse, dure, tendue, large, peu élevée, garnie de petites pustules, accompagnée d'une douleur & d'une chaleur brûlante, & qui ne vient presque jamais en suppuration. Voyez TUMEUR.
Ce mot est dérivé du grec , j'engendre.
Le phygethlon ne differe du phyma, qu'en ce qu'il ne s'éleve pas si haut ; il vient à maturité très-doucement, & ne produit qu'un peu de pus. Voyez PHYMA.
Gorraeus définit le phygethlon, ou phlegmon qui vient sur les parties glanduleuses, particulierement autour du col, des aisselles & de l'aîne : ce dernier est appellé bubon. Voyez PHLEGMON, &c.
Les causes & les symptomes du phygethlon sont les mêmes que ceux du bubon commun. Voyez BUBON. Il vient souvent après les fiévres & les douleurs du bas-ventre, & on le guérit de même que les autres inflammations. Voyez INFLAMMATION. (Y)
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PHYLACE | (Géog. anc.) nom commun à quatre différens endroits. 1°. C'étoit une ville de la Thessalie, dans la Phtiotide, au voisinage de Maliens, selon Strabon, liv. IX. pag. 433. Il en est fait mention dans l'Iliade, B. v. 696. On ne sait si elle étoit sur la côte ou dans les terres ; 2°. c'étoit un lieu du Péloponnèse. Pausanias, Arcad. c. ult. dit que c'est où le fleuve Alphée prenoit sa source. 3°. C'étoit une ville de la Molosside ; selon Tite-Live, l. XLV. c. xxvj. elle étoit différente de celle de Thessalie. 4°. C'étoit enfin une ville de la Macédoine dans la Piérie, selon Ptolomée, liv. III. c. xiij. qui écrit aussi phylacae. (D.J.)
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PHYLACTERE | S. m. (Hist. anc.) nom qui signifie en grec préservatif, & que les Juifs ont donné à certains instrumens ou ornemens qu'ils portoient & qu'ils appelloient en hebreu thephilim, c'est-à-dire instrumens de priere, parce qu'on les portoit particulierement dans le tems de la priere. Ces philacteres des Juifs étoient des morceaux de parchemin bien choisis, sur lesquels on écrivoit en lettres quarrées avec soin, & avec de l'encre préparée exprès, des passages de la loi. On les rouloit ensuite, & on les attachoit dans une peau de veau noire qu'on portoit, soit au bras, soit au front. Il est fait mention de ces philacteres dans l'évangile de saint Matthieu, où J. C. faisant le portrait des Pharisiens, dit qu'ils aiment à étendre leurs phylacteres, dilatant phylact era sua ; c'est-à-dire qu'ils affectoient d'en porter de plus larges que les autres. Quelques-uns croyent que Moyse est l'auteur de cette coutume, & se fondent sur ce verset du Deuteronome ch. vj. Vous lierez ces paroles pour signes sur vos mains, & elles vous seront comme des fronteaux entre vos yeux. Mais saint Jerome soutient avec raison, que ces expressions sont figurées & signifient seulement que les Hebreux devoient toujours avoir la loi de Dieu devant les yeux, & la pratiquer ; mais les Pharisiens s'en tenoient ridiculement à la lettre, & leurs descendans les docteurs juifs modernes ont poussé l'extravagance sur les phylacteres, jusqu'à soutenir sérieusement que Dieu en portoit sur la tête. Quelques autres ont étendu le nom de phylactere aux anneaux & bracelets constellés, aux talismans, & même aux reliques des saints. Voyez TALISMAN, &c.
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PHYLARQUE | S. m. (Antiq. grecq.) en grec ou , chef d'une tribu. Le peuple des grandes villes grecques étoit partagé en un certain nombre de tribus qui parvenoient successivement & dans des tems réglés, au gouvernement de la république. Chaque tribu avoit son chef ou phylarque qui présidoit aux assemblées de sa tribu, avoit l'intendance & la direction de son trésor & de ses affaires. Aristote dans ses Politiques, parle de ces phylarques. Hérodote rapporte que Calistene ayant augmenté le nombre des tribus d'Athènes, & en ayant formé dix de quatre anciennes, il augmenta aussi dans la même proportion, le nombre des phylarques. Les marbres de Cyzique font mention de plusieurs phylarques ; on lit sur un marbre de Nicomédie, qu'Aurelius-Earinus avoit été phylarque d'une des tribus de cette ville. Dans la suite, ce terme perdit sa signification naturelle & primitive, en devenant le titre d'une dignité militaire. On y substitua le nom d'epimeléte, administrateur, président, afin d'éviter toute équivoque, & de n'être pas sans cesse dans le risque de confondre le commandant d'une troupe de cavalerie, avec un magistrat. Potter, Archaeol. graec. liv. I. c. xiij.
Il est aussi parlé de phylarques dans l'empire grec, où l'on donnoit ce nom au chef des troupes que l'on fournissoit aux alliés, ou que les alliés fournissoient à l'empire ; c'est ainsi qu'il fut donné au chef des Sarrazins, parce que leurs troupes auxiliaires étoient divisées en tribus.
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PHYLE | ou PHYLA, ou PHYLON, (Géog. anc.) bourgade de l'Attique, voisine de Decelia ou Decelea. Cornelius Nepos in Thrasibulo, c. ij. l'appelle castellum munitissimum ; & Diodore de Sicile, l. IV. c. 33. qui en parle dans les mêmes termes, ajoute que ce lieu étoit à cent stades d'Athenes. Etienne le géographe place Phyle dans la tribu Oenéide. Cela dit, Cellarius, Géog. anc. liv. II. c. xiij. fait naître une difficulté. Il s'agit de savoir si Phyle étoit bien près de Décelia, dans la partie orientale de l'Attique ; car la tribu Oenéide s'étendoit plutôt du côté du couchant. Les habitans sont appellés Phylasii par Aristophane, Suidas, Xénophon.
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PHYLLANTHUS | (Botan.) c'est le genre de plante nommé par Martin, nyuri ; ainsi que dans l'Hortus d'Amsterdam & de Malabar. Voici les caracteres de ce genre de plante ; les fleurs sont les unes mâles, & les autres femelles, produites sur la même plante : dans les fleurs mâles, le calice est composé d'une seule feuille en forme de cloche & divisée en six segmens ovales & obtus ; ils sont colorés, & forment la fleur entiere. Les étamines sont trois filets plus courts que le calice, & attachés fermement à sa base ; les bossettes des étamines sont doubles dans la fleur femelle ; mais le calice est semblable à celui de la fleur mâle. Le nectarium environne le germe du pistil, & forme comme une bordure à douze angles. Le germe est arrondi, mais formant trois angles obtus ; les stiles au nombre de trois, sont fendus à leur extrémité ; les stigmates sont obtus ; le fruit est une capsule arrondie, marquée de trois filons, & contenant trois loges, composées chacune de deux valvules. Les graines sont uniques, arrondies, & ne remplissent pas entiérement les loges de la capsule. Linnaei gen. plant. 447. Martin, Hort. malab. vol. X. p. 27. (D.J.)
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PHYLLITES | (Hist. nat.) nom employé par les Naturalistes, pour désigner des pierres sur lesquelles on voit des feuilles empreintes, ou bien des feuilles pétrifiées.
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PHYLLOBOLIE | S. f. (Antiq. grecq.) , mot qui désigne l'usage où étoient les anciens, de jetter des fleurs & des feuilles de plante sur le tombeau des morts. Les Romains en prenant cette coutume des grecs, joignoient aux fleurs quelques flocons de laine. La phyllobolie se pratiquoit aussi à l'occasion des victoires gagnées par un athlete dans quelqu'un des jeux publics ; on ne se contentoit pas de jetter des fleurs au victorieux, mais encore à tous ses parens qui se trouvoient dans sa compagnie.
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PHYLLON | S. m. (Botan.) nom que les Bauhins, Pathinson & Ray, donnent à deux especes de mercuriale, dont l'une est appellée par Tournefort, mercurialis fruticosa, incana, testiculata ; & l'autre, mercurialis fruticosa, incana, spicata, parce que les fleurs de cette derniere naissent en épis. (D.J.)
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PHYLLUS | (Géog. anc.) ville de Thessalie. Strabon, liv. IX. p. 435. dit que c'est dans cette ville, qu'étoit le temple de Jupiter Phylléen. Ortelius croit que c'est la ville Phylleius d'Apollonius ; il croit aussi que c'est la même que Stace appelle Phyllos. Il s'embarrasse peu du témoignage de Placidus, qui lui est contraire. Placidus, dit-il, est un grammairien, & ces sortes de gens ne sont pas fort exacts en fait de géographie.
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PHYLOBASILE | S. m. (Antiq. grecq.) les phylobasiles, , étoient chez les Athéniens des magistrats qui avoient sur chaque tribu particuliere le même emploi, la même dignité, que le avoit par rapport à toute la république ; on choisissoit les phylobasiles d'entre la noblesse, ils avoient l'intendance des sacrifices publics, & de tout le culte religieux qui concernoit chaque tribu particuliere ; ils tenoient leur cour ordinairement dans le grand portique appellé , & quelquefois dans celui qu'on nommoit . Potter, Archaeol. grecq. tom. I. p. 78. (D.J.)
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PHYME | S. m. (Médec.) , de , je nais de moi-même ; ce mot désigne dans sa signification générale toutes sortes de tubercules ou de tumeurs, qui s'élevant sur la superficie du corps, sans cause externe, augmentent, s'enflamment, & suppurent en peu de tems. Conformément à cette description, Hippocrate appelle phymata, toutes erruptions ou tubercules qui viennent d'un sang vicié, & qui sont excitées sur la peau par la force de la circulation. 2°. Phymata dans Galien, désigne des inflammations des glandes qui surviennent tout d'un coup & suppurent en peu de tems ; 3°. on trouve aussi le même mot employé pour désigner des tumeurs scrophuleuses auxquelles les enfans sont sujets ; 4°. Celse rend le mot phymata pulmonum, par tubercules. Seneque en fait de même, & rapporte qu'une personne ayant reçu un coup d'épée d'un tyran qui en vouloit à sa vie, ne fut que légerement blessé, & eut le bonheur d'être guéri par ce coup d'un abscès, tuber, qui l'incommodoit beaucoup. Pline qui raconte la même histoire lui donne le nom de vomique, vomica. 5°. Phyme chez les modernes, désigne une tumeur des glandes, ronde, plus petite & plus égale que le phygéthlon, moins rouge & moins douloureuse, qui s'éleve & suppure promptement. (D.J.)
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PHYRAMMA | (Mat. méd. anc.) nom donné par quelques-uns des anciens auteurs, à la gomme ammoniac, particulierement à celle qui étoit douce & ductile entre les doigts ; mais il n'est pas trop certain que la gomme ammoniac de ces tems-là soit la même que la nôtre.
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PHYSC | ou PHYSCA, (Géog. anc.) ville de la Moesie inférieure, selon Ptolomée, liv. III. c. x. qui la place entre les embouchures de l'Axiacus & du Tyras. Niger dit qu'on l'appelle présentement chosabet. (D.J.)
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PHYSCUS | (Geog. anc.) il y a plusieurs lieux de ce nom ; savoir, 1°. Une ville de l'Asie mineure, dans la Doride, sur la côte, vis-à-vis de l'île de Rhodes, selon Diodore de Sicile, liv. XIV. Strabon, liv. XIV. p. 652. ce dernier dit qu'elle avoit un port ; elle est nommé Physcia par Etienne le géographe, & Physca par Ptolomée, liv. V. ch. ij. 2°. Une ville des Ozoles de la Locride, Plutarque en parle dans ses questions grecques ; 3°. une ville de la Carie, selon Etienne le géographe ; 4°. une ville de la Macédoine ; selon le même auteur ; 5°. il donne aussi ce nom à un port de l'île de Rhodes ; 6°. un fleuve aux environs de l'Assyrie, suivant un passage de Xénophon, l. II. de Cyri exped. cité par Ortelius ; 7°. une montagne d'Italie dans la grande Grece, près de Crotone, selon Théocrite. Idyl. 5. (D.J.)
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PHYSICIEN | S. m. On donne ce nom à une personne versée dans la Physique ; autrefois on donnoit ce nom aux Médecins, & encore aujourd'hui en anglois un médecin s'appelle physicien. Voyez PHYSIQUE & MEDECINE. (O)
PHYSICO-MATHEMATIQUES, (Sciences) On appelle ainsi les parties de la Physique, dans lesquelles on réunit l'observation & l'expérience au calcul mathématique, & où l'on applique ce calcul aux phénomenes de la nature. Nous avons déja vû au mot APPLICATION, les abus que l'on peut faire du calcul dans la Physique : nous ajouterons ici les réfléxions suivantes.
Il est aisé de voir que les différens sujets de Physique ne sont pas également susceptibles de l'application de la Géométrie. Si les observations qui servent de base au calcul sont en petit nombre, si elles sont simples & lumineuses, le géometre sait alors en tirer le plus grand avantage, & en déduire les connoissances physiques les plus capables de satisfaire l'esprit ; des observations moins parfaites servent souvent à le conduire dans ses recherches, & à donner à ses découvertes un nouveau degré de certitude ; quelquefois même les raisonnemens mathématiques peuvent l'instruire & l'éclairer : quand l'expérience est muette, on ne parle que d'une maniere confuse. Enfin, si les matieres qu'il se propose de traiter ne laissent aucune prise à ses calculs, il se rendroit alors aux simples faits dont les observations l'instruisent ; incapable de se contenter de fausses lueurs, quand la lumiere lui manque, il n'a point recours à des raisonnemens vagues & obscurs, au défaut de démonstrations rigoureuses.
C'est principalement la méthode qu'il doit suivre par rapport à ces phénomenes, sur la cause desquels le raisonnement ne peut nous aider, dont nous n'appercevons point la chaîne, ou dont nous ne voyons du-moins la liaison que très-imparfaitement ; comme les phénomenes de l'aimant, de l'électricité, & une infinité d'autres semblables, &c. Voyez EXPERIMENTAL.
Les sciences physico-mathématiques sont en aussi grand nombre, qu'il y a de branches dans les Mathématiques mixtes. Voyez MATHEMATIQUES & l'explication du Système figuré des connoissances humaines, dans le premier volume de cet Ouvrage, à la suite du Discours préliminaire.
On peut donc mettre au nombre des sciences physico-mathématiques, la Méchanique, la Statique, l'Hydrostatique, l'Hydrodynamique ou Hydraulique, l'Optique, la Catoptrique, la Dioptrique, l'Aërométrie, la Musique, l'Acoustique, &c. Voyez ces mots. Sur l'Acoustique dont nous avons promis de parler ici, voyez l'article FONDAMENTAL, où nous avons d'avance rempli notre promesse ; voyez aussi sur l'Optique, l'article VISION ; & sur l'Hydrodynamique l'article FLUIDE.
Une des branches les plus brillantes & les plus utiles des sciences physico-mathématiques est l'Astronomie physique, voyez ASTRONOMIE ; j'entends ici par Astronomie physique, non la chimere des tourbillons, mais l'explication des phenomenes astronomiques par l'admirable théorie de la gravitation. Voyez GRAVITATION, ATTRACTION, NEWTONIANISME. Si l'Astronomie est une des sciences qui font le plus d'honneur à l'esprit humain, l'Astronomie physique newtonienne est une de celles qui en font le plus à la Philosophie moderne. La recherche des causes des phénomenes célestes, dans laquelle on fait aujourd'hui tant de progrès, n'est pas d'ailleurs une spéculation stérile & dont le mérite se borne à la grandeur de son objet & à la difficulté de le saisir. Cette recherche doit contribuer encore à l'avancement rapide de l'Astronomie proprement dite. Car on ne pourra se flatter d'avoir trouvé les véritables causes des mouvemens des planetes, que lorsqu'on pourra assigner par le calcul les effets que peuvent produire ces causes, & faire voir que ces effets s'accordent avec ceux que l'observation nous a dévoilés. Or la combinaison de ces effets est assez considérable pour qu'il en reste beaucoup à découvrir ; par conséquent dès qu'une fois on en connoîtra bien le principe, les conclusions géométriques que l'on en déduira feront en peu de tems appercevoir & prédire même des phénomenes cachés & fugitifs, qui auroient peut-être eu besoin d'un long travail pour être connus, démêlés & fixés par l'observation seule.
Parmi les différentes suppositions que nous pouvons imaginer pour expliquer un effet, les seules dignes de notre examen sont celles qui par leur nature nous fournissent des moyens infaillibles de nous assurer si elles sont vraies. Le système de la gravitation est de ce nombre, & mériteroit pour cela seul l'attention des Philosophes. On n'a point à craindre ici cet abus du calcul & de la Géométrie, dans lequel les Physiciens ne sont que trop souvent tombés pour défendre ou pour combattre des hypothèses. Les planetes étant supposées se mouvoir, ou dans le vuide, ou au-moins dans un espace non-résistant, & les forces par lesquelles elles agissent les unes sur les autres étant connues, c'est un problème purement mathématique, que de déterminer les phénomenes qui en doivent naître ; on a donc le rare avantage de pouvoir juger irrévocablement du système newtonien, & cet avantage ne sauroit être saisi avec trop d'empressement ; il seroit à souhaiter que toutes les questions de la Physique pussent être aussi incontestablement décidées. Ainsi on ne pourra regarder comme vrai le système de la gravitation, qu'après s'être assuré par des calculs précis qu'il répond exactement aux phénomenes ; autrement l'hypothèse newtonienne ne mériteroit aucune préférence sur celle des tourbillons, par laquelle on explique à-la-vérité bien des circonstances du mouvement des planetes, mais d'une maniere si incomplete , & pour ainsi dire si lâche, que si les phénomenes étoient tout autres qu'ils ne sont, on les expliqueroit toujours de même, très-souvent aussi-bien, & quelquefois mieux. Le système de la gravitation ne nous permet aucune illusion de cette espece ; un seul article où l'observation démentiroit le calcul, feroit écrouler l'édifice, & relégueroit la théorie newtonienne dans la classe de tant d'autres que l'imagination a enfantées, & que l'analyse a détruites. Mais l'accord qu'on a remarqué entre les phénomenes célestes & les calculs fondés sur le système de la gravitation, accord qui se vérifie tous les jours de plus en plus, semble avoir pleinement décidé les Philosophes en faveur de ce système. Voyez les articles cités.
A l'égard des autres sciences physico-mathématiques, consultez les articles de chacune. (O)
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PHYSIOLOGIE | S. f. de , nature, & , discours, partie de la Médecine, qui considere ce en quoi consiste la vie, ce que c'est que la santé, & quels en sont les effets. Voyez VIE & SANTE. On l'appelle aussi économie animale, traité de l'usage des parties ; & ses objets se nomment communément choses naturelles ou conformes aux lois de la nature. Voyez NATUREL & NATURE.
Or toutes les actions & les fonctions du corps humain sont ou vitales, ou naturelles, ou animales. Voyez VITAL, NATUREL & ANIMAL. Les actions & les fonctions vitales dépendent de la bonne constitution du cerveau, du coeur, & du poumon : les naturelles, de celle de tous les organes qui concourent à la nutrition ; tels sont ceux de la mastication, de la déglutition, de la digestion, de la chylification, de la circulation, des secrétions, &c. & enfin les animales dépendent de la bonne disposition des organes à l'action desquels l'ame paroît concourir d'une maniere particuliere ; tels sont ceux des sensations, de la vûe, de l'odorat, de l'ouïe, du goût, du toucher, du mouvement musculaire, du sommeil, de la veille, de la faim, de la soif, &c. Voyez toutes ces choses à leur article particulier, CERVEAU, RESPIRATION, DIGESTION, SENSATION, &c.
Tout ce qui est purement corporel dans l'homme, ne nous offre que des principes tirés des méchaniques & des expériences de Physique ; & c'est par-là seulement qu'on peut connoître les forces générales & particulieres des corps. La Médecine, comme l'observe le grand Boërhaave, a donc des démonstrations distinctes & même si claires, si faciles à saisir, si évidemment vraies, qu'il faut être insensé pour les nier. Voici un exemple tiré de la respiration. Tout animal vivant respire sans cesse, c'est-à-dire inspire, ou prend l'air, ou l'expire, ou le rend tour-à-tour. Dans l'inspiration, les vésicules du poumon se dilatent, les vaisseaux distribués entr'elles se relâchent, & laissent un plus libre passage au sang : dans l'expiration, ces vaisseaux sont comprimés, le sang est fortement chassé du coeur aux poumons par une artere élastique, conique, convergente, contre les parois de laquelle toute la partie du liquide qui y est contenu, doit nécessairement heurter, & conséquemment se dilater en raison de son action. Ainsi le sang est tantôt plus mollement poussé par le coeur, & tantôt poussé avec force dans les petits vaisseaux par la compression des vésicules qui ne manquent pas de ressort. De cette méchanique démontrée par la dissection des animaux vivans, on déduit clairement tous les effets de la respiration, & l'on sait pourquoi dans toutes les maladies dans lesquelles le poumon ne laisse pas librement passer le sang, comme dans l'asthme, dans la péripneumonie vraie ou fausse, &c. le visage est si rouge, ses vaisseaux & ceux du col si gonflés, la tête entreprise jusqu'au vertige & au délire, le sang qui reflue par les veines jugulaires se mêle à celui de la veine-cave, de-là dans le ventricule droit & dans l'artere pulmonaire ; mais c'est à son extrémité qu'est la digue qui empêche le trajet du sang : il retournera donc sur ses pas, & produira toutes sortes d'accidens fâcheux, si on ne dissipe ces obstacles ; & il est également évident que la saignée & les délayans peuvent en venir à bout. La définition du cercle n'est pas plus claire en Géométrie, que les lumieres qui guident souvent un savant praticien. Il ne s'occupe que du corps, & il ne connoît que les lois méchaniques que suivent tous les corps, & par lesquelles il est facile d'expliquer leur action ; ainsi il peut appliquer au corps de l'homme, sans se tromper, tout ce qui est vrai de tout autre corps. Le frottement de deux parties solides produit de la chaleur dans le corps humain comme par-tout ailleurs.
Quant au commerce mutuel de l'ame & du corps, c'est non-seulement la chose du monde la plus inconcevable, mais même la plus inutile au médecin. La chaleur produite dans le corps peut bien se concevoir quand même l'homme ne seroit qu'un, comme parle Montaigne, puisque les pierres s'échauffent par le frottement. Le mouvement ne peut s'expliquer ni par les affections du corps, ni par les propriétés de l'ame ; il n'y a rien dans l'idée de l'ame qui se trouve dans celle du mouvement. C'est pourquoi la chaleur & le mouvement ne peuvent s'expliquer par l'ame ; & si, voulant expliquer le mouvement volontaire, vous dites qu'il consiste en ce que l'ame veut le mouvement, vous n'éclaircissez rien, parce qu'il n'y a rien dans l'idée du mouvement que vous puissiez trouver dans l'idée de l'ame ; car éclaircir ou rendre raison d'une chose, c'est faire voir clairement qu'il y a dans l'idée d'A quelque chose contenue aussi dans celle de B, mais encore une fois le médecin ne doit s'embarrasser que de rétablir la santé. Or cette curation est un changement qui se fait dans le corps humain par l'action d'autres corps. Mais l'ame n'est pas susceptible de pareils changemens, ainsi tous les systèmes sur son commerce avec le corps sont inutiles. Qui a guéri le corps, ne doit pas s'inquiéter de l'ame ; elle revient toujours sûrement à ses fonctions, quand le corps revenant aux siennes, leve tous les obstacles qui sembloient l'empêcher d'agir. La cataracte se forme dans l'oeil, & empêche l'ame de voir ; abattez le crystallin, les rayons reprendront leur ancienne route, l'ame verra & vous aurez fait toute votre charge. Quelqu'un tombe en défaillance, comment rappeller son ame avec laquelle la vôtre n'a aucun commerce ? irritez les nerfs de l'odorat, les fonctions de l'ame reparoîtront, comme si elle se fût réveillée au bout de ces nerfs, ou comme si la correspondance des organes avec cette substance spirituelle vous étoit parfaitement connue. Boërhaave, comment.
Boërhaave a été le plus grand théoricien que nous ayons jamais eu, & il passoit aussi pour un grand praticien : en effet, combien de découvertes en Anatomie avoient jusqu'à lui paru sans utilité ? on en peut juger par l'explication admirable de l'action du voile du palais, qu'on trouve dans quelques-unes des éditions de ses institutions de Médecine, dont le docteur Haller a enrichi le commentaire d'un nombre infini d'observations, par lesquelles on peut juger autant de son profond savoir dans l'Anatomie, que dans toutes les autres parties relatives à la Physiologie. Outre les ouvrages que nous avons de lui dans d'autres genres, comme dans la Botanique, dans l'Anatomie, &c. il vient de nous donner une Physiologie intitulée, primae lineae Physiologiae, qui le fera d'autant plus estimer parmi les connoisseurs, qu'il étoit extrèmement épineux d'en donner une qui parût encore nouvelle, après le précieux commentaire qu'il venoit de communiquer.
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PHYSIONOMIE | S. f. (Morale) la physionomie est l'expression du caractere ; elle est encore celle du tempérament. Une sotte physionomie est celle qui n'exprime que la complexion, comme un tempérament robuste, &c. Mais il ne faut jamais juger sur la physionomie. Il y a tant de traits mêlés sur le visage & le maintien des hommes, que cela peut souvent confondre ; sans parler des accidens qui défigurent les traits naturels, & qui empêchent que l'ame ne se manifeste, comme la petite vérole, la maigreur, &c.
On pourroit plutôt conjecturer sur le caractere des hommes, par l'agrément qu'ils attachent à de certaines figures qui répondent à leurs passions, mais encore s'y tromperoit-on.
PHYSIONOMIE, s. f. (Scienc. imagin.) je pourrois bien m'étendre sur cet art prétendu qui enseigne à connoître l'humeur, le tempérament & le caractere des hommes par les traits de leur visage ; mais M. de Buffon a dit tout ce qu'on peut penser de mieux sur cette science ridicule dans les deux seules réflexions suivantes.
Il est permis de juger à quelques égards de ce qui se passe dans l'intérieur des hommes par leurs actions, & connoitre à l'inspection des changemens du visage, la situation actuelle de l'ame ; mais comme l'ame n'a point de forme qui puisse être relative à aucune forme matérielle, on ne peut pas la juger par la figure du corps, ou par la forme du visage. Un corps mal fait peut renfermer une fort belle ame, & l'on ne doit pas juger du bon ou du mauvais naturel d'une personne par les traits de son visage ; car ces traits n'ont aucun rapport avec la nature de l'ame, ils n'ont aucune analogie, sur laquelle on puisse seulement fonder des conjectures raisonnables.
Les anciens cependant étoient fort attachés à cette espece de préjugé, & dans tous les tems il y a eu des hommes qui ont voulu faire une science divinatoire de leurs prétendues connoissances en physionomie ; mais il est bien évident qu'elles ne peuvent s'étendre qu'à deviner ordinairement les mouvemens de l'ame, par ceux des yeux, du visage & du corps ; mais la forme du nez, de la bouche & des autres traits, ne fait pas plus à la forme de l'ame, au naturel de la personne, que la grandeur ou la grosseur des membres fait à la pensée. Un homme en sera-t-il moins sage parce qu'il aura des yeux petits, & la bouche grande ? Il faut donc avouer que tout ce que nous ont dit les physionomistes est destitué de tout fondement, & que rien n'est plus chimérique que les inductions qu'ils ont voulu tirer de leurs prétendues observations métoposcopiques. Hist. nat. de l'homme. (D.J.)
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PHYSIONOMIQUE | adj. terme dont se servent quelques médecins & naturalistes pour exprimer les signes que l'on tire du maintien ou de la contenance, afin de juger de l'état, de la disposition, &c. du corps & de l'esprit. Voyez SIGNE & PHYSIONOMIE.
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PHYSIQUE | S. f. (Ordre encyclopéd. Entend. Raison, Philos. ou Science, Science de la nature, Physique) cette science que l'on appelle aussi quelquefois Philosophie naturelle, est la science des propriétés des corps naturels, de leurs phénomenes & de leurs effets, comme de leurs différentes affections, mouvemens, &c. Voyez PHILOSOPHIE & NATURE. Ce mot vient du grec , nature.
On fait remonter l'origine de la Physique aux Grecs & même aux Barbares, c'est-à-dire aux brachmanes, aux mages, aux prêtres égyptiens. Voyez BRACHMANE, MAGES, &c.
De ceux-ci elle passa aux sages de la Grece, particulierement à Thalès, que l'on dit avoir été le premier qui se soit appliqué, parmi les Grecs, à l'étude de la nature.
De-là elle se communiqua aux écoles de Pythagore, de Platon, des Péripatéticiens, qui la répandirent en Italie, & de-là par tout le reste de l'Europe. Cependant les druides, les bardes, &c. avoient aussi une physique qui leur étoit propre. Voyez PYTHAGORICIEN, PLATONICIEN, PERIPATETICIEN, voyez aussi DRUIDE, BARDE, &c.
On peut voir dans le Système figuré qui est à la suite du Discours préliminaire de cet Ouvrage, & dans l'explication détaillée de ce système, les différentes divisions & branches de la Physique. Pour ne point nous répéter, nous y renvoyons le lecteur, comme nous avons déja fait à l'article MATHEMATIQUES pour les divisions de cette science.
Par rapport à la maniere dont on a traité la Physique, & aux personnes qui l'ont cultivée, on peut diviser cette science en Physique symbolique, qui ne consistoit qu'en symboles ; telle étoit celle des anciens Egyptiens, Pythagoriciens & Platoniciens qui exposoient les propriétés des corps naturels sous des caracteres arithmétiques, géométriques & hiéroglyphes. Voyez HIEROGLYPHES.
La Physique péripatéticienne, ou celle des sectateurs d'Aristote, qui expliquoit la nature des choses par la matiere, la forme & la privation, par les qualités élémentaires & occultes, les sympathies, les antipathies, &c.
La Physique expérimentale qui cherche à découvrir les raisons & la nature des choses, par le moyen des expériences, comme celles de la Chimie, de l'Hydrostatique, de la Pneumatique, de l'Optique, &c. Voyez l'article EXPERIMENTALE, où on a traité en détail de cette espece de Physique, qui est proprement la seule digne de nos recherches.
La Physique méchanique & corpusculaire qui se propose de rendre raison des phénomenes de la nature en n'employant point d'autres principes que la matiere, le mouvement, la structure, la figure des corps & de leurs parties ; le tout conformément aux lois de la nature & du méchanisme bien constatées. Voyez CORPUSCULAIRE. Chambers.
La Physique, dit M. Musschenbroeck, a trois sortes d'objets qui sont le corps, l'espace ou le vuide, & le mouvement. Nous appellons corps tout ce que nous touchons avec la main, & tout ce qui souffre quelque résistance lorsqu'on le presse. Nous donnons le nom d'espace ou de vuide à toute cette étendue de l'univers, dans laquelle les corps se meuvent librement. Le mouvement est le transport d'un corps d'une partie de l'espace dans une autre. Voyez CORPS, ESPACE, MOUVEMENT.
On appelle phénomenes tout ce que nous découvrons dans les corps à l'aide de nos sens. Ces phénomenes regardent la situation, le mouvement, le changement & l'effet.
Tout changement que nous voyons survenir aux corps, n'arrive que par le moyen du mouvement ; il suffit d'y faire quelque attention, pour en être entierement convaincu. Un morceau de bois quelque dur qu'il puisse être, devient vieux avec le tems, il se fend, il se desseche, il dépérit, & tombe enfin en poussiere, quoiqu'il soit toujours resté dans la même place sans aucun mouvement ; ce changement est arrivé parce que l'air ou les parties du feu ont continuellement environné ce bois, & s'y sont introduits. Une boule de cire serrée & comprimée des deux côtés, devient platte & change de figure, parce que ses parties étant pressées & enfoncées, sont par conséquent mises en mouvement & hors de leur place. On peut faire voir aussi de quelle maniere un changement peut arriver lorsque le mouvement vient à s'arrêter. Cela paroît dans un verre rempli d'eau trouble mêlée de boue ; cette eau reste trouble aussi long-tems qu'on la tient en mouvement ; mais dès qu'on la laisse reposer pendant quelque tems, toutes les petites parties de cette boue n'étant plus soutenues par celles de l'eau, tomberont par leur propre poids au fond du verre, & se sépareront de l'eau qui restera fort claire. Le mouvement est donc un des principaux objets de la Physique.
On a observé que tous les corps se meuvent selon certaines lois ou regles, quelle que puisse être la cause qui les met en mouvement. Toutes les plantes & tous les animaux ne se produisent que par le moyen de leurs semences, & cela toujours de la même maniere, & selon les mêmes lois. Les corps qui se choquent ou se communiquent réciproquement leurs forces, ou les font diminuer, ou perdre entierement, selon des lois constantes. Voyez PERCUSSION.
On n'a encore découvert qu'un petit nombre de lois dans la Physique, parce qu'on n'a pas fait beaucoup de progrès dans cette science durant les siecles précédens. Il est par conséquent de notre devoir de faire une recherche exacte de ces lois autant qu'il est possible. Pour cet effet nous devons observer avec soin toutes sortes de corps terrestres, les examiner ensuite, & y faire toutes les recherches & les remarques dont nous sommes capables.
On range tous les corps terrestres dans quatre différentes classes, qui sont celle des animaux, celle des végétaux, celle des fossiles & celle des corps de l'atmosphere. Chacun de ces genres se partage encore en diverses especes, & celles-ci se distribuent aussi en diverses autres moins étendues que les premieres. Après avoir commencé à rassembler les corps, & les avoir rangés selon leurs genres & leurs especes, on a trouvé que le nombre de chacun de ces genres étoit fort grand ; desorte que la Physique est inépuisable.
La premiere chose que nous devons faire, c'est d'examiner tous ces corps, & de mettre tout en oeuvre pour tâcher de connoître les propriétés de chacun d'eux en particulier ; nous pourrons ensuite établir d'abord les lois communes, selon lesquelles nous remarquerons qu'il a plu au Tout-puissant d'entretenir & de faire opérer tout ce qu'il a créé lui-même. Nous ne devons pas nous trop précipiter dans cette occasion, en tirant d'abord des conclusions générales de quelques observations particulieres que nous pourrions avoir faites ; mais il vaut mieux n'aller ici que lentement, & travailler beaucoup à faire des recherches & des découvertes. Quand on examine tout avec exactitude, on trouve qu'il y a beaucoup plus de lois particulieres, que de lois générales.
C'est pourquoi on doit prier tous les véritables amateurs de la nature de rechercher & d'examiner avec soin & avec la derniere exactitude toutes sortes de corps, afin que les hommes puissent parvenir un jour ou l'autre à une plus parfaite connoissance des lois de la nature. Il est entierement impossible de parvenir à ce point, sans recueillir les remarques & les découvertes des savans, & sans recourir en même tems à des nouvelles expériences. Mussch. Essai de Physiq. §. 3. & suiv.
Un des grands écueils de la Physique est la manie de tout expliquer. Pour montrer combien on doit se défier des explications même les plus plausibles, je supposerai un exemple. Supposons que la neige tombe en été, & la grêle en hiver (on sait que c'est tout le contraire), & imaginons qu'on entreprenne d'en rendre raison ; on dira : la neige tombe en été parce que les particules des vapeurs dont elle est formée n'ont pas le tems de se congeler entierement avant d'arriver à terre, la chaleur de l'air que nous respirons empêchant cette congelation ; au contraire en hiver l'air qui est proche de la terre étant très-froid, congèle & durcit ces parties ; c'est ce qui forme la grêle. Voilà une explication dont tout le monde seroit satisfait, & qui passeroit pour démonstrative. Cependant le fait est faux. Osons après cela expliquer les phénomenes de la nature. Supposons encore que le barometre hausse avant la pluie (on sait que c'est le contraire) ; cependant on l'expliqueroit très-bien : car on diroit qu'avant la pluie, les vapeurs dont l'air est chargé le rendent plus pesant, & par conséquent doivent faire hausser le barometre.
Mais si la retenue & la circonspection doivent être un des principaux caracteres du physicien, la patience & le courage doivent d'un autre côté le soutenir dans son travail. En quelque matiere que ce soit, on ne doit pas trop se hâter d'élever entre la nature & l'esprit humain un mur de séparation ; en nous méfiant de notre industrie, gardons-nous de nous en méfier avec excès. Dans l'impuissance que nous sentons tous les jours de surmonter tant d'obstacles qui se présentent à nous, nous serions sans doute trop heureux, si nous pouvions du moins juger au premier coup d'oeil jusqu'où nos efforts peuvent atteindre ; mais telle est tout-à-la-fois la force & la foiblesse de notre esprit, qu'il est souvent aussi dangereux de prononcer sur ce qu'il ne peut pas que sur ce qu'il peut. Combien de découvertes modernes dont les anciens n'avoient pas même l'idée ! Combien de découvertes perdues que nous contesterions trop légerement ! Et combien d'autres que nous jugerions impossibles, sont reservées pour notre postérité ! (O)
PHYSIQUE, pris adjectivement, se dit de ce qui appartient à la nature ou à la Physique. Voyez PHYSIQUE & NATURE.
En ce sens l'on dit un point physique, par opposition au point mathématique, qui n'existe que par abstraction, & qui est considéré comme étant sans étendue. Voyez POINT.
On dit aussi une substance ou un corps physique, par opposition à esprit, ou à substance métaphysique, &c.
Horison physique ou sensible. Voyez HORISON.
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PHYSITERE | S. m. (Hist. nat. Ichthiolog.) espece de baleine ou de poisson testacé, appellé autrement le souffleur. Voyez SOUFFLEUR.
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PHYSOCELE | tumeur venteuse du scrotum. Voy. PNEUMATOCELE.
Ce mot est grec du verbe , flatu distendo, je gonfle en soufflant, & de , hernie.
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PHYTALIDES | (Hist. anc.) Phytalidae ; Plutarque & Pausanias disent que les Phytalides étoient les descendans de Phytalus, à qui Cérès avoit donné l'intendance des saints mysteres pour le récompenser de l'hospitalité qu'il avoit exercée à son égard, l'ayant reçu fort humainement dans sa maison. (D.J.)
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PHYTALMIEN | adj. (Myth.) , de , plante, & de , j'entretiens ; ainsi phytalmien veut dire protecteur des plantes, ou des biens de la terre ; c'est un surnom que les anciens donnoient à quelques-uns de leurs dieux, & particulierement à Jupiter. Les Traezeniens le donnerent à Neptune, & lui firent bâtir un temple sous les murs de leur capitale, parce qu'il n'inondoit plus leurs terres & leurs maisons de ses flots salés ; la mer s'étoit insensiblement retirée de Troëzene.
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PHYTÉUMA | S. m. (Botan.) espece de réseda qui croît aux environs de Montpellier, où on l'appelle herbe maure ; c'est le réseda minor vulgaris de Tournefort. Voyez RESEDA.
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PHYTOLAQUE | phytolaca, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond : le pistil sort du milieu de cette fleur, & il devient dans la suite un fruit ou une baie presque ronde & molle, qui renferme des semences disposées en rond. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort compte deux especes de ce genre de plante d'Amérique ; la principale est la phytolaca de Virginie, qu'il nomme phytolaca Americana, majori fructu, I. R. H. 299, en anglois the great red-cluster-fruited, Virginian night-shade.
Sa racine est longue d'un pié, grosse comme la cuisse d'un homme, quelquefois davantage, blanche & vivace durant plusieurs années. Elle pousse une tige à la hauteur de trois ou quatre piés, ronde, ferme, rougeâtre, divisée en plusieurs rameaux. Ses feuilles sont placées sans ordre, amples, veineuses, lisses & douces au toucher, d'un verd pâle & quelquefois rougeâtre presque ressemblantes en figure à celles de la morelle commune. Au haut de la tige naissent des pédicules qui soutiennent de petites fleurs en grappes : chaque fleur est en rose, composée de plusieurs pétales rangés circulairement, de couleur rouge pâle. Après la chûte de la fleur, le pistil qui occupe le milieu devient un fruit ou une baie ovoïde, molle, pleine de suc, semblable à un petit bouton applati en-dessus & en-dessous ; en murissant elle prend une couleur rouge-brune, & renferme quelques semences ovales, noires, disposées en rond.
Cette plante est originaire de la Virginie ; on la cultive en Europe, sur-tout en Angleterre ; & Miller vous instruira de l'art de sa culture. Ses baies teignent le papier en une belle couleur de pourpre, qui n'est cependant pas durable. (D.J.)
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PHYTOLITES | (Hist. nat. Min.) nom générique donné par les Naturalistes à toutes les pierres qui ont la figure, ou qui portent l'empreinte de quelque corps du regne végétal. Les auteurs ont donné des noms différens aux pierres, suivant les parties des végétaux qui étoient pétrifiés, ou dont elles portoient les empreintes ; c'est ainsi que l'on a nommé carpolites les empreintes des fruits, ou les fruits pétrifiés ; lythoxyla, les bois pétrifiés ; risolithes, les racines pétrifiées ; les pierres chargées d'empreintes de végétaux ont été nommées typolites ou phytotypolites ; enfin les pierres sur lesquelles on voyoit des empreintes de feuilles ont été nommées lithobiblia. Voyez ces différens articles & voyez PETRIFICATION. (-)
C'est ordinairement dans des pierres feuilletées, telles que les schistes & les ardoises, que l'on rencontre des empreintes des végétaux, on les trouve très-fréquemment dans les couches de ces sortes de pierres qui accompagnent les mines de charbon de terre. Le phénomene qui a le plus embarrassé les Physiciens sur ces sortes d'empreintes, c'est que lorsqu'on les considére avec attention, on trouve qu'elles ont été faites par des végétaux entierement différens de ceux qui croissent actuellement dans les pays où on les rencontre ; c'est ainsi que M. Jussieu, en examinant les empreintes qui se trouvent sur la pierre qui accompagne les mines de S. Chaumont en Lyonnois, crut botaniser dans un nouveau monde en voyant des empreintes de plantes dont les analogues ne croissent point en France, mais sont propres aux climats les plus chauds des Indes orientales & de l'Amérique ; la plûpart de ces empreintes sont des fougeres & des capillaires. Le célebre M. de Leibnitz avoit déjà été très-surpris de trouver des empreintes de plantes exotiques sur des ardoises d'Allemagne. Au reste, M. de Jussieu a remarqué que les feuilles empreintes dans les pierres de S. Chaumont étoient toujours étendues comme si elles eussent été collées à dessein, ce qui prouve, selon lui, qu'elles y ont été apportées par de l'eau. Un autre phénomene digne de remarque, c'est que les deux lames de ces pierres ont l'empreinte de la même face de ces feuilles, l'une en creux, l'autre en relief. Voyez les mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1718.
M. de Jussieu cherche à expliquer ces phénomenes par le séjour de la mer sur quelques parties de notre globe, où ses eaux ont porté des plantes qu'elles avoient apportées d'autres pays éloignés ; mais il paroît que l'on ne peut guere expliquer ce phénomene étrange, qu'en supposant que les pays que nous habitons, ont produit anciennement des plantes très-différentes de celles qu'ils nous offrent maintenant, & que les révolutions générales que notre globe a éprouvées depuis, ont changé notre climat & ses productions. Voyez l'article FOSSILES & TERRE, révolutions de la. (-)
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PHYTOLOGIE | S. f. discours sur les plantes, ou une description de leurs formes, de leurs especes, de leurs propriétés. Voyez PLANTE.
Ce mot est composé du grec , plante, & , discours, de , je décris, je raconte.
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PHYTOTYPOLITES | (Hist. nat.) les Naturalistes se servent de ce mot pour désigner les végétaux dont on trouve des empreintes sur des pierres ou sur d'autres substances du regne minéral.
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PHYXIEN | adj. (Mythol.) , de , je me sauve, je me réfugie ; épithete qu'on donnoit à Jupiter chez les Grecs, parce qu'il étoit censé le protecteur de ceux qui se réfugioient dans les lieux où on l'honoroit.
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PIABUCU | S. m. (Ichthyol.) nom d'un poisson d'Amérique, que les habitans mangent en plusieurs endroits ; c'est un petit poisson de trois ou quatre pouces de long, & d'un ou deux de large, tout couvert d'écailles argentines, olivâtres sur le dos, avec des nageoires toutes blanches : ce petit poisson est si gourmand du sang humain, que si un homme qui se baigne a quelque part sur le corps une blessure ou une écorchure, ce poisson fait ses efforts pour en venir sucer le sang ; c'est du moins ce que dit Marggrave dans son hist. nat. du Brésil. (D.J.)
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PIACHES | S. m. (Hist. mod. culte) nom sous lequel les Indiens de la côte de Cumana en Amérique désignoient leurs prêtres. Ils étoient non-seulement les ministres de la religion, mais encore ils exerçoient la Médecine, & ils aidoient les Caciques de leurs conseils dans toutes leurs entreprises. Pour être admis dans l'ordre des piaches, il falloit passer par une espece de noviciat, qui consistoit à errer pendant deux ans dans les forêts, où ils persuadoient au peuple qu'ils recevoient des instructions de certains esprits qui prenoient une forme humaine pour leur enseigner leurs devoirs & les dogmes de leur religion. Leurs principales divinités étoient le soleil & la lune, qu'ils assuroient être le mari & la femme. Ils regardoient les éclairs & le tonnerre comme des signes sensibles de la colere du soleil. Pendant les éclipses, on se privoit de toute nourriture ; les femmes se tiroient du sang & s'égratignoient les bras, parce qu'elles croyoient que la lune étoit en querelle avec son mari. Les prêtres montroient au peuple une croix, semblable à celle de S. André, que l'on regardoit comme préservatif contre les fantômes. La médecine qu'exerçoient les piaches consistoit à donner aux malades quelques herbes & racines, à les frotter avec le sang & la graisse des animaux, & pour les douleurs ils scarifioient la partie affligée, & la suçoient long-tems pour en tirer les humeurs. Ces prêtres se mêloient aussi de prédire, & il s'est trouvé des Espagnols assez ignorans pour ajouter foi à leurs prédictions. Les piaches, ainsi que bien d'autres prêtres, savoient mettre à profit les erreurs des peuples, & se faisoient payer chérement leurs services. Ils tenoient le premier rang dans les festins où ils s'enivroient sans difficulté. Ils n'avoient aucune idée d'une vie à venir. On brûloit les corps des grands un an après leur mort, & les échos passoient pour les réponses des ombres.
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PIACULUM | S. m. (Ant. rom.) sacrifice expiatoire. Piacula, chez les Latins sont ce que les Grecs appelloient , les purgations dont on se servoit pour expier ceux qui avoient commis les crimes ; ce mot signifioit aussi les parfums, , qu'on employoit pour délivrer ceux qui étoient possedés de quelque démon. Horace, Epit. premiere, liv. I. fait un bel usage de ce terme au figuré, pour désigner les remedes de la philosophie propre à purger l'ame de ses vices. (D.J.)
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PIADENA | (Géog. mod.) petite ville d'Italie, aujourd'hui bourgade dans le Crémonese, sur les confins du Mantouan.
Cette bourgade est le lieu de la naissance de Barthélemi Platine dans le xv. siecle. Il donna les vies des papes jusqu'à Paul II. Cet ouvrage est écrit d'un style passable, avec beaucoup de liberté, mais non d'exactitude ; il a été traduit en françois, en italien & en allemand. Platine a composé plusieurs autres livres, & toutes ses oeuvres réunies ont été imprimées à Louvain en 1592, & à Cologne en 1574, in-fol. (D.J.)
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PIAFFER | v. n. (Maréchallerie) se dit d'un cheval qui, en marchant, leve les jambes de devant fort haut, & les replace presque au même endroit avec précipitation. Les chevaux qui piaffent, de même que ceux qui sont instruits au passege, sont les plus propres pour les carrousels & pour les occasions d'éclat.
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PIAFFEUR | S. m. (Maréchallerie) on appelle ainsi un cheval qui piaffe. Voyez PIAFFER.
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PIAIE | S. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les sauvages qui habitent l'île de Cayenne donnent à un mauvais génie, qu'ils regardent comme l'auteur de tous les maux. Ces mêmes sauvages donnent encore le nom de piaies ou de piayes à leurs prêtres, qui sont en même tems leurs sorciers & leurs médecins. Avant que d'être aggrégés à ce corps, celui qui s'y destine passe par des épreuves si rudes, que peu de gens pourroient devenir médecins à ce prix. Lorsque le récipiendaire a reçu pendant dix années les instructions d'un ancien piaie, dont il est en même tems le valet, on lui fait observer un jeûne si rigoureux, qu'il en est totalement exténué ; alors les anciens piaies s'assemblent dans une cabane, & apprennent au novice le principal mystere de leur art, qui consiste à évoquer les puissances de l'enfer ; après quoi on le fait danser jusqu'à ce qu'il perde connoissance ; on le fait revenir en lui mettant des colliers & des ceintures remplis de fourmis noires, qui le piquent très-vivement ; après cela, pour l'accoutumer aux remedes, on lui fait avaler un grand verre de jus de tabac, ce qui lui cause des évacuations très-violentes, qui durent quelquefois pendant plusieurs jours. Lorsque toutes ces cérémonies cruelles & ridicules sont finies, le récipiendaire est déclaré piaie, & on lui confie le pouvoir de guérir toutes les maladies, cependant il n'est en droit d'exercer qu'après avoir passé encore trois ans d'abstinence. Leur méthode curative consiste en grande partie dans l'évocation des esprits infernaux ; cependant on assure qu'ils font usage de quelques plantes très-efficaces contre les plaies les plus envenimées, à l'aide desquelles ils operent quelquefois des cures merveilleuses.
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PIALIES | S. f. pl. (Littérat.) jeux institués par Antonin Pie, à la mémoire d'Hadrien. C'étoit un combat isélastique qu'on donnoit à Pouzzoles.
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PIARA | S. f. terme de relation, nom que donnent les Espagnols dans l'Amérique méridionale à une troupe de dix mules conduites par deux hommes. Au Pérou on divise les troupeaux ou requats des mules, en plusieurs piaras ; & comme il y a quelquefois des journées de hautes & rudes montagnes à traverser ; les mules de rechange montent ordinairement au double des piaras.
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PIASTE | ou PIAST, s. m. (Hist. mod.) en Pologne est le nom que les peuples de ce royaume donnent aux candidats qu'on propose pour remplir le trône, lorsqu'ils sont originaires ou naturels du pays. On tient communément que ce nom vient d'un paysan de Crusvies, appellé Piaste, à qui les Polonois déférerent la couronne après la mort de Popiel en 830, & qui rendit heureux les peuples soumis à son gouvernement. Le trône de Pologne resta dans sa famille pendant plus de 400 ans.
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PIASTRE | S. f. (Monnoie) monnoie d'argent, d'abord fabriquée en Espagne, & ensuite dans plusieurs autres états de l'Europe, qui a cours dans les quatre parties du monde.
On l'appelle aussi piece de huit ou réale de huit, parce qu'elle vaut huit réaux d'argent ; elle est à-peu-près au titre & du même poids que les écus ou louis blancs de France de neuf au marc.
Il y a deux sortes de piastres ou écus d'Espagne, les unes qui se fabriquent au Potosi, que l'on appelle piastres du Pérou ; les autres qui viennent du Mexique. Ces derniers pesent un peu plus que les péruviennes ; mais par compensation elles ne sont pas d'un argent aussi pur que celles du Potosi.
La piastre a ses diminutions qui sont la demi-piastre ou réale de quatre ; le quart de piastre ou réale de deux ; le huitieme de piastre ou réale simple ; & le seizieme de piastre ou demi-réale.
La piastre de huit réaux d'argent vaut quinze réaux de vellon, ou, comme on le prononce en Espagnol, de veillon ; ensorte que par rapport à cette différence de réaux ou de vellon, il faut pour chaque piastre 272 maravedis d'argent, & jusqu'à 510 maravedis de vellon. Savary, Ricard & autres. (D.J.)
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PIAUTE | S. m. (terme de Marine) espece de gouvernail dont on se sert pour les bateaux marnois, chalans & toue.
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PIAVE | (Géog. mod.) riviere d'Italie dans l'état de Venise ; elle prend sa source dans le Tirol, & se partage en deux branches qui toutes deux plus près ou plus loin, vont se jetter dans le golfe de Venise. Quelques-uns croyent que la Piave est l'Anassua des anciens.
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PIC | S. m. (Hist. nat. Ornitholog.) nom générique que l'on a donné à plusieurs oiseaux ; les caracteres de ce genre sont rapportés à l'article OISEAU. Voyez OISEAU.
PIC D'AUVERGNE. Voyez PIC DE MURAILLE.
PIC CENDRE. Voyez TORCHEPOT.
PIC DE MURAILLE, ECHELETTE, TERNIER, PITSCHAT, PIC D'AUVERGNE, picus murarius Aldrovandi. Wil. oiseau qui est un peu plus gros que le moineau domestique ; il a le bec long, mince & noir ; la tête, le cou & le dos sont cendrés ; la poitrine a une couleur blanchâtre ; les aîles sont en partie cendrées & en partie rouges, sur-tout près du corps ; les plus longues plumes des aîles, la partie inférieure du dos, le ventre & les jambes sont noirs, la queue est courte & a la même couleur que le dos ; les jambes sont courtes comme dans toutes les especes de pic. Cet oiseau a les doigts très-longs ; il y en a trois dirigés en avant & un en arriere ; les ongles sont crochus & pointus. Aldrovande dit que le pic de muraille a le vol semblable à celui de la hupe, parce qu'il remue presque continuellement les aîles ; on a donné à cet oiseau le nom de pic de muraille, parce qu'il se soutient & grimpe le long des murs pour chercher des vers entre les joints des pierres comme le pic verd en cherche sur le tronc des arbres : il a une voix très-agréable ; il vole ordinairement seul, quelquefois on en voit deux ensemble ; il niche dans des creux d'arbres. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU.
GRAND PIC NOIR. Voyez PIMAR.
PIC ROUGE. Voyez EPEICHE.
PIC VERD, PIVERT, PIC MARS, picus viridis. Wil. oiseau qui a environ onze pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des doigts, & plus d'un pié jusqu'à l'extrémité de la queue : l'envergeure est d'un pié sept pouces & plus ; le bec a près de deux pouces de longueur depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche, il est noir, dur, épais, triangulaire & obtus par le bout. Cet oiseau a la langue très-longue & terminée par une sorte de pointe osseuse dont il perce les insectes en lançant sa langue sur eux comme un dard : sa tête est d'une belle couleur rouge parsemée de taches noires ; les yeux sont entourés de noir, & il y a de chaque côté sous la piece inférieure du bec un trait rouge de même couleur rouge parsemée de taches noires ; les yeux sont d'un verd pâle ; le dos, le cou, & les petites plumes des aîles ont une couleur verte ; le croupion est d'un jaune couleur de paille ; les plumes du dessous de la queue ont de petites bandes brunes transversales. Il y a dix-neuf grandes plumes dans chaque aîle, sans compter la premiere qui est très-courte ; celles qui sont le plus près du corps ont les barbes extérieures vertes & les intérieures de couleur brune, parsemées de taches blanches en demi-cercle ; les autres ont les barbes intérieures de la même couleur que les premieres plumes, & les barbes extérieures sont brunes & ont des taches blanches ; la queue a quatre pouces & demi de longueur, elle est composée de dix plumes recourbées en dessous, qui paroissent fourchues, parce que le tuyau ne s'étend pas jusqu'aux dernieres barbes de chaque plume ; les deux du milieu & les deux qui suivent de chaque côté ont sur la face supérieure des taches transversales d'un verd obscur, & sur la face inférieure des taches blanchâtres ; les deux extérieures de chaque côté ont la pointe plus obtuse que les autres ; la plus grande a sur toute sa surface des taches noires & des taches d'un verd obscur, la plus petite est verdâtre à la pointe, & noirâtre à la racine ; les piés sont d'un blanc verdâtre. Cet oiseau a deux doigts en avant & deux en arriere ; il se nourrit d'insectes, & principalement de fourmis. La femelle pond cinq ou six oeufs à chaque couvée. Le pic verd sur lequel on a fait cette description étoit mâle, il pesoit presque sept onces ; dans toutes les especes de pics ; la pointe du tuyau des plumes de la queue paroît usée & rompue, parce que ces oiseaux se soutiennent, comme je l'ai déja dit, sur ces plumes, en grimpant sur les arbres. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU.
La langue de cet oiseau a arrêté les regards de plusieurs physiciens, & entr'autres de Mrs Borelli, Perrault, Derham, & Mery.
Elle est faite d'un petit os fort court, revêtu d'un cornet d'une substance écailleuse ; sa figure est pyramidale ; elle est articulée par sa base avec l'extrémité antérieure de l'os hyoïde, & l'oiseau peut tirer sa langue hors du bec, à l'étendue de trois à quatre pouces.
Cet os, & le filet antérieur des branches qui le composent, sont renfermés dans une gaîne formée de la membrane qui tapisse le dedans du bec inférieur : l'extrémité de cette gaîne s'unit à l'embouchure du cornet écailleux de la langue. Cette gaîne s'allonge quand la langue sort du bec, & s'accourcit quand elle y rentre.
Le cornet écailleux qui revêt le petit os de la langue, est convexe en-dessus, plat en-dessous, & cave en-dedans. Il est armé de chaque côté de six pointes très-fines, transparentes, & inflexibles ; leur extrémité est un peu tournée vers le gosier.
Il y a bien de l'apparence que ce cornet armé de petites pointes, est l'instrument dont le pic verd se sert pour enlever sa proie, ce qu'il fait avec d'autant plus de facilité, que cet instrument est toujours empâté d'une matiere gluante, qui est versée dans l'extrémité du bec inférieur par deux canaux excrétoires, qui partent de deux glandes pyramidales, situées aux côtés internes de cette partie.
Pour se servir de cet instrument, la nature a donné au pic verd plusieurs muscles, dont les uns appartiennent aux branches de l'os hyoïde ; ceux-ci tirent la langue hors du bec ; d'autres appartiennent à la gaîne qui renferme le corps de l'os hyoïde avec les filets antérieurs de ses branches, ceux-là retirent la langue dans le bec ; enfin la langue a ses muscles propres qui la tirent en haut, en bas, de l'un & de l'autre côté.
La langue de cet oiseau, l'os hyoïde, & ses branches jointes ensemble, ont environ huit pouces de longueur, & de cette longueur il en sort près de quatre pouces quand elle est tirée, d'où il résulte que la langue parcourant le même chemin en rentrant qu'elle fait en sortant, les muscles qui la lient & retirent doivent avoir en longueur plus de quatre pouces, parce qu'ils ne peuvent pas s'accourcir de leur longueur entiere. Voyez les détails avec figures dans les Mém. de l'acad. des Sciences, ann. 1709. (D.J.)
PIC-VERD, petit, picus varius minor, oiseau qui ressemble beaucoup à l'épeiche par sa forme & par sa couleur, & qui n'en differe presque qu'en ce qu'il est beaucoup plus petit. Il pese à peine une once ; il a environ six pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & dix pouces d'envergeure. La queue a deux pouces de longueur ; elle est composée de dix plumes ; les deux du milieu sont les plus longues ; les autres diminuent successivement de longueur jusqu'à l'extérieure qui est la plus courte ; les quatre du milieu sont entierement noires & courbées en-dessous : l'oiseau se sert de ces plumes pour se soutenir en grimpant contre les arbres ; les trois extérieures de chaque côté sont moins pointues ; l'externe est noire à son origine, & blanche vers la pointe. Cette couleur blanche est interrompue par deux taches noires & transversales. Le noir de la seconde plume extérieure s'étend jusqu'à la seconde tache noire transversale seulement sur le côté intérieur du tuyau ; le blanc descend plus bas sur le côté extérieur, & il n'y a qu'une seule tache noire transversale près de la pointe. La troisieme plume est noire, à l'exception de la pointe qui a une couleur blanche. La gorge, la poitrine, & le ventre, sont d'un blanc pâle ; le dessus des narines est brun, & il se trouve une tache blanche plus haut sur le sommet de la tête ; le derriere de la tête est noir, & il y a deux lignes larges & blanches qui s'étendent depuis les yeux jusqu'au milieu du cou ; le devant du dos & une partie des petites plumes des aîles sont noires en entier ; les autres & les grandes ont des taches blanches en demi-cercle ; le milieu du dos est blanc & a des lignes transversales noires ; les jambes sont couvertes de plumes presque jusqu'aux doigts : cet oiseau se nourrit d'insectes ; le mâle differe de la femelle, en ce qu'il a une tache rouge sur la tête au lieu d'une tache blanche. Willughby, Ornith. Voyez OISEAU.
PIC VARIE, voyez EPEICHE.
PIC VERD, petit, PETIT PIC VARIE, CUL ROUGE, voyez EPEICHE.
PIC D'ADAM, (Hist. mod. Géographie) montagne très-élevée de l'île de Ceylan, que les Indiens nomment Hamalel, & qui est pour eux un objet de vénération, parce que, suivant quelques traditions orientales, Adam fut créé sur le sommet de cette montagne. Le dieu Buddon en montant au ciel, laissa sur le roc l'empreinte de son pié, qui est, dit-on, d'une grandeur double de celui d'un homme ordinaire. La superstition y attire tous les ans au mois de Mars des troupes innombrables de pélerins, qui vont y faire leurs dévotions.
PIC LE, (Géog. mod.) autrement le Pic d'Adam, en hollandois Adams-Pic, montagne de l'île de Ceylan. M. de l'Isle dans son Atlas, donne à cette montagne 98 degrés, 25 à 30 minutes de longitude, sur 5 degrés 55 minutes de latitude nord. Elle est fort haute, fort roide, fort escarpée, & à 20 lieues de la mer ; mais les matelots la voyent encore de 10 à 15 lieues en mer. Ribero en a fait une description fort étendue, & mélée de récits fabuleux, qui ne méritent aucune créance.
Les Géographes ont donné le nom de pic à quelques montagnes fort élevées, & qui se terminent en une seule pointe. Tel est le pic d'Adam, le pic de Saint Georges, le pic de Téneriffe, &c. Ce nom vient de la ressemblance de ces montagnes à l'outil de fer nommé pic, dont on se sert pour fouir la terre, & qui n'a qu'une pointe.
PIC DE DERBY, (Géog. mod.) en anglois Peak of Derby-Shire, c'est-à-dire, la pointe ou le sommet du comté de Derby. C'est un endroit situé entre les montagnes dans le nord-ouest de ce comté. Il est remarquable 1°. par ses carrieres ; 2°. par son plomb ; 3°. par ses trois cavernes. On les connoît en Angleterre sous les noms de Devils-Arse, le cul du diable, Eldens-Hole, & Pools'-Hole. Elles sont toutes trois larges & profondes. On dit qu'il sort de la premiere de l'eau qui a son flux & reflux quatre fois dans une heure. Elle se distingue par l'irrégularité des rochers qu'on trouve en-dedans. Celle qu'on appelle Eldens-Hole, a son entrée basse & étroite ; les eaux qui en découlent, se congelent en tombant, & forment des glaçons pendans à la caverne. On peut joindre ici les puits du Boxton, d'où dans l'espace de huit à dix-neuf verges d'Angleterre, il sort quelques sources d'eaux un peu minérales & chaudes, excepté une seule qui est froide.
PIC DE SAINT-GEORGE, (Géog. mod.) on trouve dans une des îles de l'ouest ou des Açores, auprès de l'île Fal, une montagne appellée le Pic de Saint-George, d'où l'île elle-même a pris le nom de Pico. On prétend qu'elle est aussi haute, ou peu s'en faut, que le pic de Téneriffe. Long. du Pic de Saint-George, selon Cassini, 349. 21. 30. latit. 38. 35.
PIC DE TENERIFFE, (Géog. mod.) le pic de Ténériffe, que les habitans appellent pico de Terraira, est regardé comme la plus haute montagne du monde, & on en voit en mer le sommet à 50 milles de distance.
On ne peut y monter que dans les mois de Juillet & d'Août ; car dans les autres mois il est couvert de neige, quoiqu'on n'en voye jamais dans cette île, ni dans les îles Canaries qui en sont voisines. Son sommet paroît distinctement au-dessus des nues ; mais comme il est ordinairement couvert de neige, il n'est certainement pas au-dessus de la moyenne région de l'air. Il faut deux à trois jours pour arriver au haut de cette montagne ; son extrémité n'est pas faite en pointe, mais unie & plate : de-là on peut appercevoir distinctement par un tems serein le reste des îles Canaries, quoique quelques-unes en soient éloignées de plus de 16 lieues.
Scaliger écrit que cette montagne vomissoit autrefois des charbons enflammés, sans discontinuer : on ne sait où cet auteur a pris ce fait. Cependant il est vraisemblable que cette montagne a été autrefois brûlante : car il y a au sommet un entonnoir qui produit une sorte de terre sulphureuse, telle que, si on la roule, & qu'on en fasse une chandelle, elle brûle comme du soufre. Il y a plusieurs endroits sur les bords du Pic qui brûlent ou fument : dans d'autres, si on retourne les pierres, on y trouve attaché du soufre pur. Il y a aussi dans le fond des pierres qui sont luisantes & semblables au machefer ; ce qui vient sans doute de l'extrème chaleur du lieu d'où elles sortent. C'est ce que confirme M. Edens, qui y a fait un voyage en 1715. Voyez les Transact. philos. n °. 345. Long. du Pic de Ténériffe, selon Cassini, 2. 51. 30. latitude 28. 30. (D.J.)
PIC A PIC, (Marine) c'est-à-dire à plomb, ou perpendiculairement.
A pic sur une ancre, c'est-à-dire, que le vaisseau est perpendiculairement sur cette ancre, & qu'elle est dégagée du fond.
Des sauts à pic dans une riviere. C'est quand il se trouve un rocher escarpé ou sauts dans une riviere, où toute l'eau tombe de haut en-bas comme dans une cascade, ainsi qu'il s'en trouve dans de grandes rivieres de l'Amérique. Voyez PORTAGE, faire portage ; le vent est à pic. Voyez VENT.
PIC, (Poids) gros poids de la Chine dont on se sert particulierement du côté de Canton, pour peser les marchandises ; il se divise en cent catis ; quelques-uns disent en cent vingt-cinq ; le catis en seize taels ; chaque tael faisant une once deux gros de France ; ensorte que le pic de la Chine, revient à cent vingt-cinq livres, poids de marc. Savary.
PIC, (Instrument d'ouvriers) instrument de fer un peu courbé, pointu, & acéré, avec un long manche de bois qui sert aux mâçons & terrassiers à ouvrir la terre, ou à démolir les vieux bâtimens. Les Carriers s'en servent aussi pour déraciner & découvrir les pierres dont ils veulent trouver le banc. Cet outil ne differe de la pioche pointue, qu'en ce que le fer en est plus long, plus fort, & mieux acéré. (D.J.)
PIC, en terme de Boutonnier, petit ouvrage en cartisanne qui sert d'ornemens dans différens ouvrages, soit dans les carrosses, soit dans les harnachemens des chevaux, dans les ameublemens ou habillemens d'hommes ou de femmes, &c. C'est un quarreau un peu arrondi sur ses angles ; pour faire un pic, la premiere chose nécessaire c'est de découper du vélin de la grandeur convenable avec l'emporte piece ; on le met alors en soie en tournant une bobine autour de la cannetille ou du milleray qui borde ce fond. Par-là on arrête le bord, & on couvre le vélin tout ensemble. Voyez CANNETILLE. Ensuite on recommence l'opération en or & en argent s'il le faut. Le principal usage du pic, c'est dans les graines d'épinards, ou dans les jasmins. Voyez JASMINS.
PIC, en terme de Raffineur, est un instrument de fer en forme de langue de boeuf, monté sur un manche de trois piés de long : on s'en sert à piquer les matieres quand elles sont trop mastiquées dans le bac à sucre. Voyez BAC A SUCRE.
PIC, (Jeu) le pic a lieu dans le jeu de piquet, lorsqu'ayant compté un certain nombre de points sans que l'adversaire ait rien compté, l'on va en jouant jusqu'à trente ; auquel cas, au lieu de dire trente, l'on compte soixante, & l'on continue de compter les points que l'on fait de surplus. Il faut remarquer que pour faire pic, il faut être premier ; car si vous êtes dernier, le premier qui jette une carte qui marque, vous empêche d'aller à soixante, quand vous auriez compté dans votre jeu 29, & que vous leveriez la carte jettée.
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PICA | S. m. (Médec. pratiq.) ce mot désigne une maladie dont le caractere distinctif est un dégoût extrème pour les bons alimens, & un appétit violent pour des choses absurdes, nuisibles, nullement alimenteuses. Les étymologistes prétendent qu'on lui a donné ce nom qui dans le sens naturel signifie pie, parce que comme cet oiseau est fort varié dans ses paroles & son plumage, de même l'appétit dépravé de cette espece de malade s'étend à plusieurs différentes choses, & se diversifie à l'infini ; n'auroit on pas pu trouver un rapport plus sensible & plus frappant entre cet oiseau remarquable par son babil, & les personnes du sexe, qui sont les sujets ordinaires de cette maladie ? est-ce un pareil rapport qui auroit autorisé cette dénomination ? ou plutôt ne seroit-ce pas parce que la pie, comme l'ont écrit quelques naturalistes, se plaît à manger des petites boules de terre ? On voit aussi que le mot grec, par lequel on exprime cette maladie, , ou, suivant le dialecte attique, , est le nom de la pie ; quelques auteurs, comme il s'en trouve souvent, préférant aux explications naturelles les sens les plus recherchés, ont tâché de trouver au mot une autre étymologie, ils l'ont dérivé de , qui veut dire lierre, établissant la comparaison entre la maladie dont il s'agit & cette plante parasite, sur le nombre & la variété des circonvolutions & détours qu'elle fait à l'aide des autres corps qui lui servent d'appui : quoi qu'il en soit de la justesse de ces étymologies & de ces commentaires, laissons cette discussion de mots pour passer à l'examen des choses.
L'objet de l'appétit des personnes attaquées du pica est extrèmement varié ; il n'y a rien de si absurde qu'on ne les ait vû quelquefois desirer avec passion, la craie, la chaux, le mortier, le plâtre, la poussiere, les cendres, le charbon, la boue, le dessous des souliers, le cuir pourri, les excrémens même, le poivre, le sel, la canelle, le vinaigre, la poix, le coton, &c. & autres choses semblables, sont souvent recherchées par ces malades avec le dernier empressement. Il y a une observation rapportée par M. Nathanael Fairfax, Act. philosoph. anglic. num. 29. cap. v. §. 5. d'une fille qui avoit un goût particulier pour l'air qui sortoit des soufflets ; elle étoit continuellement occupée à faire jouer les soufflets, & avaloit avec un plaisir délicieux l'air qui en étoit exprimé. Cette maladie est très-ordinaire aux jeunes filles, elle peut même passer pour une de ces affections qui leur sont propres. Quoiqu'il y ait quelques observations rapportées par Riviere, Rhodius & Schenkius qui prouvent que les hommes n'en sont pas tout-à-fait exemts, ces faits sont très-rares & souvent peu constatés, il en est de même des prétentions de Reiselius & de Primerose, & des histoires qu'ils rapportent, d'où il résulteroit que des maris ont été attaqués de cette maladie lorsque leurs femmes étoient enceintes, ou s'étoient exposés aux causes qui la produisent ordinairement, ou, pour mieux dire, ces histoires sont évidemment fausses, & ces prétentions ridicules ; il ne manqueroit plus pour porter le dernier coup à l'état de mari, que de lui faire partager les maladies de sa femme, & de le charger des peines de ses dérangemens après l'avoir rendu responsable de sa sagesse, en le couvrant de ridicule & de honte lorsqu'elle en manque. On assûre aussi que les animaux sont sujets au pica ; Schenckius dit l'avoir observé dans des chats, centur. 4. observ. 45. On en avoit aussi des exemples dans les chiens & les cochons, rapportés dans les actes philosophiques anglois, vol. I. p. 741. Les pigeons, sans en être attaqués, mangent souvent du petit gravier, du sable, béquettent les murs, & les autruches dévorent du fer, d'autres oiseaux avalent des cailloux, mais c'est plutôt pour aider leur digestion naturelle que par maladie.
Les jeunes filles auxquelles cette maladie est familiere, commencent souvent d'assez bonne heure à s'y adonner ; l'exemple, les invitations de leurs amies, quelquefois l'envie de devenir pâles, un dérangement d'estomac, peut-être aussi d'esprit, sont les premieres causes de cette passion ; dès-lors l'appétit ordinaire cesse, les alimens qu'elles aimoient autrefois leur paroissent insipides, mauvais ; elles deviennent tristes, rêveuses, mélancoliques, fuient la compagnie, se dérobent aux yeux de tout le monde pour aller en cachette satisfaire leur appétit dépravé ; elles mangent les choses les plus absurdes, les plus sales, les plus dégoûtantes avec un plaisir infini, les choses absolument insipides flattent délicieusement leur goût ; ce plaisir est bientôt une passion violente, une fureur qu'elles sont forcées de satisfaire, malgré tout ce que la raison peut leur inspirer pour les en détourner ; la privation de l'objet qu'elles appetent si vivement, les jette dans un chagrin cuisant, dans une noire mélancolie, & quelquefois même les rend malades ; si au contraire elles la satisfont librement, leur estomac se dérange de plus en plus, toutes ses fonctions se font mal & difficilement ; il survient des anxiétés, des nausées, des rots, des gonflemens, douleurs, pesanteurs, ardeurs d'estomac, vomissement, constipation ; la langueur s'empare de leurs membres, les roses disparoissent de dessus leur visage, la pâle blancheur du lis ou une pâleur jaunâtre prend leur place, leurs yeux perdent leur vivacité & leur éclat, voyez PALES COULEURS, & leur tête panchée languissamment & sans force, ne se soutient qu'avec peine sur le col, fatiguées au moindre mouvement qu'elles font, elles sentent un malaise ; lorsqu'elles sont obligées de faire quelques pas, & sur-tout si elles montent, alors elles sont essoufflées, ont de la peine à respirer, & éprouvent des palpitations violentes : on dit alors qu'elles ont les pâles couleurs, ou qu'elles sont oppilées. Voyez PALES COULEURS, OPPILATION. Cette maladie ne tarde pas à déranger l'excrétion menstruelle, si son dérangement n'a pas précédé & produit le pica, comme il arrive souvent, à-moins qu'il ne survienne avant l'éruption des regles.
On a beaucoup disputé sur la cause & le siege de cette maladie ; les uns ont prétendu que son siege étoit dans l'estomac, & ne dépendoit que de l'accumulation de mauvais sucs ; les autres l'ont regardée comme une maladie de la tête, & en ont fait une espece d'affection mélancolique. Parmi les premiers, les uns ont cru avec Aphrodisée que les mauvais sucs qui se ramassoient dans l'estomac étoient de la même nature que les alimens, ou les choses qui étoient l'objet de l'appétit, & que c'étoit en vertu de ce rapport, de cette sympathie qu'on les appétoit ; ils se fondoient sur ce que tous les sucs étant viciés, ils devoient exciter l'appétit de mauvais alimens, comme l'estomac sain ou les sucs bons font desirer des alimens de même nature : 2°. ceux qui sont d'un tempérament bilieux ne voyent en songe que des incendies ; les pituiteux ont toujours devant les yeux de l'eau, des débordemens, &c. il en doit être de même des sucs d'une telle espece déterminée, ils doivent frapper l'imagination d'une telle façon, & lui représenter les alimens analogues ; les sucs acides, faire desirer les fruits aigrelets ; les sucs brûlés, du charbon, &c. & par conséquent en faire naître l'appétit. Les autres pensent avec Avicenne que les sucs de l'estomac sont d'une nature contraire, & que cette contrariété est la cause du pica, alors ces prétendus alimens font l'effet des remedes ; il ne leur manque pas de raison pour étayer & confirmer leur sentiment. 1°. L'appétit des choses analogues au suc de l'estomac ne devroit jamais se rassasier, & devroit au contraire toujours augmenter, parce que ces sucs recevroient toujours plus de force & d'activité de la part des choses qui seroient prises en guise d'aliment ; ce qui n'arrive pas. 2°. Est-il probable que les sucs puissent s'altérer au point d'être comme du bois pourri, de la boue, du plomb, &c ? 3°. Il n'est pas plus naturel que l'estomac se porte vers des choses dont il regorge. 4°. Dans la soif & la faim, les objets desirés sont propres à faire cesser l'état forcé du gosier & de l'estomac, parce qu'ils lui sont contraires, &c. On pourroit encore ajouter à cela 1°. Que les personnes bilieuses desirent avec ardeur les fruits acides, opposés à la nature & à l'action de la bile. 2°. Que les personnes attaquées du pica sont bien moins incommodées de l'usage des choses absurdes & nuisibles quelqu'immodéré qu'il soit, qu'elles ne le seroient si elles n'avoient pas cette maladie, si elles ne s'y portoient pas avec cette fureur. 3°. Enfin qu'il est rare qu'on souhaite passionnément une chose dont la jouissance n'est pas un besoin, un bien, en même tems qu'elle est un plaisir. Toutes ces raisons donnent beaucoup de vraisemblance à ce sentiment ; les expériences & les observations de M. Reaumur lui donnent encore un nouveau poids. Cet illustre académicien dit avoir trouvé une analogie entre les sucs digestifs de ces malades & les choses qu'ils mangeoient, & cette analogie étoit telle que ces choses se dissolvoient très-facilement dans leurs sucs ; ainsi que celles qui aimoient la craie, la chaux, &c. avoient des sucs légerement acides qui dissolvoient très-bien tous les absorbans, alkalis, &c. Ces expériences n'ont pas été poussées assez loin, & ne sont pas assez générales pour avoir la force de la démonstration ; mais cette opinion peut toujours passer pour une hypothese ingénieuse, bien fondée & très-vraisemblable. Mais, demandera-t-on, n'y a-t-il point de vice d'imagination, de délire ? Ceux dont nous venons d'exposer le sentiment, prétendent qu'il n'y a point de dérangement de raison, qu'il n'y a qu'une dépravation de cupidité, & qu'ainsi on ne doit pas plus regarder le pica comme délire, que la faim canine, que l'érotomanie, le satyriasis, cas où les besoins naturels sont simplement portés à un trop haut degré & dépravés.
Cependant on ne pourra guere s'empêcher de regarder le pica comme une espece de délire, si l'on fait attention. 1°. Qu'on peut délirer & raisonner très-bien. 2°. Que le délire n'exclud pas les motifs des actions qu'on fait, qu'il est même très-vraisemblable que la plûpart des délires ne consistent que dans des fausses apperceptions, & qu'étant supposées vraies, comme elles le paroissent aux foux, toutes leurs actions faites en conséquence sont raisonnables ; un homme qui regarde tous les assistans comme ses ennemis, comme des gens qui veulent l'assassiner, s'emporte contr'eux en injures & en coups quand il peut, y a-t-il rien de plus naturel ? 3°. On pourra bien dire qu'une fille mange de la craie, de la chaux, de la terre, parce qu'elle a de l'acide dans l'estomac ; mais expliquera-t-on par-là cette ardeur à se cacher, cette passion violente qui subsiste long-tems après que tous les acides seront détruits ? Et pourquoi tous les enfans qui sont si fort tourmentés par l'acide, n'ont-ils pas le pica, &c. Comment expliquera-t-on d'ailleurs l'appétit du coton, du plomb, de la poix, de l'air, des excrémens, &c. ? y a-t-il des sucs propres à les digérer ? y a-t-il un vice dans les humeurs qui exige ces corps pour remede & dont le vice en puisse être corrigé ? 4° N'est-il pas naturel de regarder cette affection comme dépendante de la même cause que la passion de compter les carreaux, les vîtres, les solives d'une chambre, de se plaire à la vûe de certains objets laids, sales ou déshonnêtes, de rechercher avec fureur quelque odeur désagréable, comme celle des vieux livres pourris, d'une chandelle, d'une lampe mal éteinte, & même des excrémens ? Ces symptômes familiers, de même que le pica aux chlorotiques, annoncent évidemment & de l'aveu de tout le monde un délire mélancolique, & l'on ne s'avise pas de leur attribuer de l'efficacité pour la guérison du dérangement qui en est la cause. Voyez PALES COULEURS. 5° Parcourons les causes qui produisent ordinairement le pica, nous verrons presque toujours un vice dans l'excrétion menstruelle, ou des chagrins, des inquiétudes, des passions vives retenues, des desirs violens étouffés, des besoins naturels, pressans, non satisfaits par vertu, par crainte & par pudeur ; quelles autres causes sont plus propres à déranger l'estomac & l'imagination ? Nous pourrions ajouter bien d'autres preuves qui se tirent de l'état de ces malades, de leur maniere d'agir, de se comporter, &c. qu'on peut voir tous les jours, & qu'on auroit de la peine à décrire : chacun peut là-dessus prendre les éclaircissemens convenables, les occasions en sont malheureusement assez fréquentes.
Les femmes enceintes sont sujettes à une dépravation d'appétit fort singuliere, & qui est fort analogue au pica ; les auteurs qui ne se piquent pas d'une exactitude scrupuleuse confondent ordinairement ces deux affections qui sont cependant différentes ; celle qui est propre aux femmes enceintes s'appelle en latin & en françois malacia, nom dérivé du grec , je mollis ; quelques auteurs l'ont attribué à l'état de mollesse, ou de relâchement des femmes enceintes ; ce qui constitue le malacia, est un goût particulier pour une seule espece d'aliment à l'exclusion de toute autre ; mais cet aliment n'est pas nécessairement & par lui-même mauvais, absurde, il est toujours nutritif ; ce sont, par exemple, des fruits d'une telle espece, du riz, des poulets, des anchois, des harengs ; il n'y a que l'aliment pour qui l'on s'est déterminé qui plaise, qui ait un goût délicieux, qui se digere facilement ; les autres rebutent, déplaisent, pesent sur l'estomac ; & quoiqu'il y ait de ces alimens dont on dût d'abord s'ennuyer, ou dont on pût être incommodé à la longue, comme des harengs, des anchois ; cependant on ne s'en dégoûte point, & on n'en ressent aucun mauvais effet. Cet appétit déterminé commence à se déclarer pour l'ordinaire vers le quarantieme jour de la grossesse, & cesse à la fin du troisieme mois ou au commencement du quatrieme. Il me paroît qu'on doit distinguer cette affection des envies des femmes enceintes, par lesquelles elles desirent la possession de quelque objet, un joyau, un fruit, un mets particulier, elles sont satisfaites dès qu'elles l'ont obtenu ; & si elles ne peuvent pas l'avoir, ou n'osent pas le demander, elles en sont incommodées, risquent de se blesser, & on prétend que l'enfant en porte la marque. Voyez ENVIE, TACHE, &c.
Le pica est une maladie très-sérieuse ; elle est ordinairement ou la suite & l'effet de quelque obstruction du dérangement du flux menstruel, ou l'avant-coureur & la cause de ces maladies ; elle affoiblit toujours le tempérament, gâte l'estomac, & prépare pour la suite une source inépuisable & féconde d'incommodités ; ainsi les filles qui n'en meurent pas, restent long-tems languissantes, maladives, dans une espece de convalescence difficile. Cette maladie est plus ou moins dangereuse, suivant la qualité des objets de l'appétit, suivant la violence de la passion & l'intensité des symptomes qui s'y joignent. Il est évident qu'un usage & un usage immodéré du poivre, du sel, des épiceries peut faire plus de ravages que ce même usage limité, ou que l'usage des terreux, de la craie, &c. Fernel a vu survenir un ulcere à la matrice, dont la malade mourut, à l'appétit déréglé du poivre trop abondamment satisfait ; le danger est bien plus grand, si le plomb & ses préparations sont l'objet de l'appétit ; personne n'ignore les funestes accidens, la terrible colique qu'occasionne ce métal pris intérieurement par lui-même, ou par les parties hétérogenes véneneuses dont il est altéré. Voyez PLOMB, COLIQUE DES PEINTRES. Tulpius rapporte l'observation d'une jeune fille, qui mangeoit avec avidité de petites lames de plomb bien divisées ; elle tomba en peu de tems dans une maladie affreuse à laquelle elle succomba ; sa langue étoit séche, ses hypocondres resserrés, la rate obstruée, l'estomac douloureux, le ventre constipé ; sans cesse tourmentée par des suffocations de matrice, par des défaillances fréquentes, elle ne put trouver du soulagement dans aucun remede, Nicol. Tulp. observ. medicar. lib. IV. Ce qui redouble souvent la difficulté de la guérison, c'est que ces malades cachent aussi long-tems qu'il leur est possible leur état, & on ne le découvre que tard, qu'après que le mal est invétéré & rendu plus opiniâtre ; d'ailleurs lors-même qu'on s'en apperçoit & qu'on veut y remédier, les malades sont peu dociles, elles ne veulent pas se priver du plaisir de satisfaire à leur passion, souvent elles ne le peuvent pas ; & si elles rencontrent des médecins imprudens par trop de sévérité, qui leur défende tout l'usage des mets pour lesquels elles sont passionnées & des parens trop rigides & trop scrupuleusement attentifs à observer l'ordonnance du médecin, elles deviennent tristes, mélancoliques & sérieusement malades. Le malacia n'est pas une maladie ; il n'y a point de danger à laisser suivre aux femmes enceintes leur caprice, il y en auroit à les en empêcher ; elles n'en éprouvent pour l'ordinaire aucune incommodité, ni elles, ni l'enfant qu'elles portent ; cependant lorsque les alimens pour lesquels elle s'est déterminée sont d'un mauvais caractere, trop sales, trop épicés, que ce sont des poissons, par exemple, desséchés & endurcis par le sel & la fumée, il est certain que le chyle qui s'en forme ne sauroit être bien bon ; on doit, autant qu'on peut, faire ensorte par les avis, les invitations, que la femme en use sobrement, il faut aussi pour cela lui présenter des mets agréables, d'une nature opposée qui puisse modérer & contrebalancer l'action des autres, on les mêle pour cela souvent ensemble.
Quand on se propose de guérir une fille attaquée du pica, il est très-important de s'attirer sa confiance, de lui faire approuver & desirer le soin qu'on va prendre de sa santé ; on peut réussir en cela, en la plaignant, en compâtissant à ses peines, en se prêtant à ses goûts, à sa passion ; on ne la désapprouve pas, on se garde bien d'en faire un crime & de la défendre ; on assure au contraire que c'est une maladie indépendante de la volonté, qui même peut être bien lorsqu'elle est modérée ; on se contente d'en faire voir les inconvéniens, on insiste sur-tout sur les atteintes que la beauté pourroit en recevoir. On touche rarement cette corde sans succès ; il est facile de prouver combien cet appétit déreglé fait de tort à un joli visage, on a toujours quelques exemples connus à citer ; on peut engager par-là les malades à se modérer dans l'usage de ces choses absurdes, à en diminuer tous les jours la quantité, à faire quelques remedes ; on promet une prompte guérison, le retour de la santé, de la beauté & de l'embonpoint ; on peut aussi en s'insinuant adroitement dans l'esprit de ces jeunes & timides malades, en flattant ainsi leurs desirs, s'instruire de la cause qui a déterminé la maladie & des corps qui en sont l'objet ; choses qu'elles s'obstinent d'autant plus à cacher qu'elles sont plus ridicules & qu'il est cependant très-important que le médecin sache. N'est-il pas bien naturel qu'elles refusent d'avouer que leur appétit les porte violemment à manger du cuir pourri, par exemple, des matieres fécales ? & quand la cause de cette maladie se trouve être une envie de se marier, qu'il leur est défendu de faire paroître & encore plus de satisfaire ; quelle peine ne doit-il pas leur en couter pour rompre le silence ? Cependant de quelle utilité ces sortes d'aveux ne sont-ils pas pour le médecin ? Utilité au reste qui reflue sur la malade. Lorsqu'on est instruit de la cause du mal, on y apporte le remede convenable : dans l'exemple proposé : on n'a point de secours plus approprié que le mariage, il remplit, en guérissant, ces trois grandes conditions si difficiles à réunir, citò, tutò & jucundè. Voyez MARIAGE. Lorsque la maladie est l'effet d'une suppression ou d'un dérangement dans l'excrétion menstruelle, il faut avoir recours aux emmenagogues variés suivant les cas. Voyez REGLES, SUPPRESSION, (maladie de la). Cependant on doit engager la malade à user de mets succulents & de facile digestion, l'estomac affoibli se fortifie par les stomachiques amers, aloétiques ; on distrait & on récrée l'esprit triste & rêveur par les promenades, les parties de plaisir, les compagnies agréables, les spectacles, la musique, les concerts, &c. parmi les remedes intérieurs, il faut choisir ceux qui sont les plus appropriés à l'espece de dérangement d'estomac qu'a occasionné l'abus des alimens ou des corps qui étoient l'objet des délires mélancoliques ; il faut opposer aux spiritueux aromatiques, à l'alkali caustique, les légers apéritifs délayans, &c. aux terreux, invisquans, les toniques, les martiaux, les forts apéritifs ; & si quelque maladie comme les obstructions des visceres, les pâles-couleurs y sont survenues, alors il faut diriger & varier le traitement en conséquence. Voyez OBSTRUCTION, PALES-COULEURS, &c. (b)
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PICARA | (Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale, au nouveau royaume de Grenade. Elle est bornée par les grandes montagnes des Audets, du côté de l'orient. (D.J.)
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PICARDIE | LA, (Géog. mod.) province de France, bornée au nord par le Hainault, l'Artois & la mer ; au midi par l'île de France ; au levant par la Champagne, & au couchant par la Manche & la Normandie. Elle a 48 lieues du levant au couchant, & 38 du midi au nord. Ses principales rivieres sont la Somme, l'Oyse, la Cauche, la Scarpe, la Lys, & l'Aa. Cette province est abondante en blé & autres grains.
On divise la Picardie en haute, moyenne & basse.
La haute comprend le Vermandois & la Tiérache ; la moyenne, l'Amiénois, & le Santerre ; la basse comprend le pays reconquis de Boulenois, le Ponthieu & le Vimeu. Les fabriques & les manufactures y occupent beaucoup de monde, on y fait quantité de serges, de camelots, d'étamines, de pannes & de draps ; il y a plusieurs verreries. On voit dans la forêt de la Fere, au château de saint Gobin, la manufacture des glaces, d'où on les transporte à Paris pour être polies.
Outre le gouvernement militaire de Picardie, qui comprend trois lieutenances générales, il y a des gouverneurs particuliers de villes & citadelles. Amiens est la capitale de la province.
On compte quatre évêchés dans le gouvernement de Picardie, tel qu'il est aujourd'hui : Amiens & Boulogne sont suffragans de l'archevêché de Rheims : Arras & saint Omer en Artois, sont sous la métropole de Cambrai.
Le nom de Picardie n'est pas ancien, & ne se trouve en aucun monument avant la fin du XIIIe siecle, où Guillaume de Nangis a appellé ce pays Picardie. Matthieu Paris parlant de la sédition arrivée l'an 1229 à Paris, entre les bourgeois & les clercs ou écoliers de l'université, dit que les auteurs de ce trouble, furent ceux qui étoient voisins de la Flandre & qu'on nommoit communément Picards.
La Picardie ayant été conquise par Clodion, tomba sous la domination des rois Francs ; ce prince établit à Amiens son siége royal. Méroué lui succéda, ainsi que Childeric son fils. Ensuite la Picardie échut en partage à Clotaire fils de Clovis, & resta sous la domination des rois de France, jusqu'à Louis le débonnaire, qui y établit en 823 des comtes qui devinrent presque souverains.
Philippe Auguste s'arrangea de cette province avec Philippe d'Alsace, comte de Flandres. En 1435 Charles VII. engagea toutes les villes situées sur la Somme au duc de Bourgogne, pour quatre cent mille écus. Louis XI. les retira en 1463, & depuis ce tems-là, la Picardie n'a plus été aliénée. (D.J.)
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PICARDS | (Hist. ecclés.) nom d'une secte qui s'établit en Bohème au commencement du xve siecle, & qui y fut cruellement persécutée. Elle eut pour chef un prêtre qui s'appelloit Jean, & qu'on nomma Picard, parce qu'il étoit de Picardie ; d'autres l'ont nommé Martin, & d'autres Loquis.
L'article que Bayle a donné de la secte des Picards ne lui fait pas honneur, & on ne peut assez s'étonner que ce génie si fin dans la critique des historiens de la Grece & de Rome, se soit plu à adopter les contes ridicules, qu'il avoit lûs sur les malheureux Picards. Ajoutez que son article est sec & entierement tiré de Varillas, hardi conteur de fables, qui a ici copié celles d'Enée Sylvius, lequel déclare avoir rapporté ce que d'autres ont dit, & avoir écrit bien des choses qu'on ne croyoit point ; c'est son propre aveu ; aliorum, dit-il, dicta recenseo, & plura scribo quàm credo.
Lasitius rapporte que le prétendu Picard arriva en Bohème en 1418, du tems de Wenceslas, surnommé le fainéant & l'ivrogne ; qu'il y vint accompagné d'environ quarante autres, sans compter les femmes & les enfans ; que ces gens-là disoient qu'on les avoit chassés de leur pays à cause de l'évangile. Le jésuite Balbinus dans son epitome rerum Bohemicarum, liv. II. dit la même chose, & n'impute aux Picards aucuns des crimes, ni aucune des extravagances qu'Enée Sylvius leur attribue.
Jean Schlecta, secrétaire de Ladislas roi de Bohème, rendant compte à Erasme des diverses sectes qui partageoient sa patrie, entre dans de plus grands détails sur celle des Picards. Ces gens-là, dit-il, ne parlent du pape, des cardinaux & des évêques, que comme de vrais antechrists, ils ne croyent rien ou fort peu des sacremens de l'Eglise. Ils prétendent qu'il n'y a rien de divin dans le sacrement de l'Eucharistie, affirmant qu'ils n'y trouvent que le pair. & le vin consacré, qui représentent la mort de Jésus-Christ, & ils soutiennent que ceux qui adorent le Sacrement sont des idolâtres, ce Sacrement n'ayant été institué que pour faire la commémoration de la mort du Sauveur, & non pour être porté de côté & d'autre, parce que Jésus-Christ qui est celui qu'il faut honorer du culte de latrie, est assis à la droite de Dieu le pere. Ils traitent d'ineptie les suffrages des Saints, & les prieres pour les morts, aussi-bien que la confession auriculaire, & la pénitence imposée par les Prêtres. Ils disent enfin que les vigiles & les jeûnes sont le fard de l'hypocrisie ; que les fêtes de la vierge Marie, des apôtres, & des autres saints sont des inventions de gens oisifs. Ils célebrent pourtant les dimanches & les fêtes de Noël & de la Pentecôte. Epist. Erasm. Liv. XIV. Ce récit de Schlecta nous apprend manifestement que les Picards n'étoient autres que les Vaudois, & M. de Beausobre a démontré cette identité dans son histoire de la guerre des Hussites. Vous en trouverez l'extrait dans le dictionn. de M. de Chaufepié, qui a fait un excellent article des Picards. Voici en peu de mots le précis de ce qui les concerne.
Les Vaudois étoient en Bohème dès l'an 1178 ; des disciples de Valdo s'y réfugierent, & furent fort bien reçus à Zatée & à Launitz, deux villes voisines situées sur la riviere d'Egre, & assez proche des frontieres de Misnie, par où les Vaudois entrerent vraisemblablement en Bohème ; une partie du peuple suivoit alors le rit grec, pendant que la noblesse & les grands qui avoient commerce avec les Allemands leurs voisins, & qui se conforment ordinairement à la cour, suivoient pour la plûpart le rit latin ; mais ce rit ayant été introduit par force, n'en étoit que plus désagréable au peuple. Les Vaudois ayant trouvé de l'humanité & de l'accueil dans les habitans de ces deux villes, leur firent connoître les superstitions que le tems avoit introduites dans la religion chrétienne, & les affermirent dans l'aversion qu'ils avoient déja pour l'église romaine.
Ces peuples conserverent l'exercice public du rit grec, jusques vers le milieu du xive siecle, que l'empereur Charles IV & l'archevêque Ernest l'interdirent à la sollicitation des papes, & à la poursuite des moines. Le rit latin ayant été établi par-tout, les peuples s'assemblerent dans les bois, dans les solitudes & dans les châteaux de quelques gentilshommes qui les protégeoient. Mais quand les troubles s'éleverent en Bohéme, & que la nation leva l'étendart contre le pape, ces Picards, ces Vaudois cachés, commencerent à se montrer ; il s'en mêla quelques-uns parmi les Taborites ; d'autres qui se virent en assez grand nombre dans une île que forme la riviere de Launitz assez près de Neuhaus, dans le district de Bechin, prirent les armes & furent défaits par Ziska.
On peut réduire à trois chefs, les preuves qui justifient que ces Picards étoient Vaudois : 1°. le principal prêtre qu'on leur donne : 2°. les dogmes qu'on leur attribue : 3°. les crimes, les folies, & les hérésies qu'on leur impute : tout quadre avec les Vaudois.
I. Théobalde dit que leur principal prêtre s'appelloit Martin de Moravet. Laurens de Byzin, chancelier de la nouvelle Prague sous Wenceslas, qui a écrit un journal de la guerre des Hussites, diarium de bello Hussitico, raconte qu'au commencement de 1420, quelques prêtres Taborites débiterent de nouvelles explications des prophéties, & annoncerent un avénement prochain du fils de Dieu pour détruire ses ennemis, & pour purifier l'église. " Le principal auteur de cette doctrine, dit Laurens de Byzin, étoit un jeune prêtre de Moravie, fort bel esprit & d'une prodigieuse mémoire ; il se nommoit Martin, & fut surnommé Loquis, parce qu'il prêchoit avec une hardiesse étonnante ses propres pensées, & non celles des saints docteurs. Ses principaux associés furent Jean Oilczin, le bachelier Markold, le fameux Coranda, & autres prêtres Taborites. " Martin de Moravet ou de Moravie, surnommé Loquis, le principal prêtre des Picards, est donc un prêtre Taborite, un collegue du fameux Wenceslas Coranda, qui fit tant de bruit dans ce parti, & qui avant & depuis la mort de Ziska, fut à la tête des affaires. De-là s'ensuit qu'au fond les Picards sont des Taborites, & que les accusations d'incestes & de nudités qui leur ont été intentées, sont de pures calomnies, puisque tout le monde convient que les Taborites n'en furent jamais coupables.
Martin de Moravie fut pris avec un autre prêtre, & envoyé à Conrard, archevêque de Prague, qui, après les avoir gardés dans un cachot pendant plusieurs mois, les fit jetter tous deux dans un tonneau de poix ardente. Quel étoit leur crime ? c'étoit d'avoir soutenu jusqu'à la mort, & sans avoir jamais voulu se rétracter, que le corps de Jesus-Christ n'est qu'au ciel, & qu'il ne faut point se mettre à genoux devant la créature, c'est-à-dire devant le pain de l'Eucharistie. Voilà un prêtre picard qui a tout l'air vaudois.
II. Les dogmes des Picards & des Vaudois sont les mêmes ; nous l'avons déja vu par le détail que Schlecta fait des opinions des Picards de Bohème. Ils soutenoient qu'il ne faut point adorer l'Eucharistie, parce que le corps de Jesus-Christ n'y est point, le seigneur ayant été élevé au ciel en corps & en ame ; que le pain & le vin de l'Eucharistie demeurent toujours du pain & du vin, &c. Ce sont-là des doctrines vaudoises & purement vaudoises.
Les accusations mêmes sont des usages vaudois déguisés en dogmes ; par exemple, les Vaudois ne reconnoissoient point de sainteté attachée aux autels, & n'en faisoient point une condition du service divin. Si cela est, disoient leurs adversaires, vous feriez donc dans les temples ce que les maris & les femmes font dans les maisons ? La conséquence fut transformée en dogme. Les Picards, dit-on, ont commerce avec leurs femmes dans les lieux sacrés, ce sont donc des misérables qu'il faut exterminer.
Les prêtres vaudois étoient mariés, & ils soutenoient que leurs mariages étoient légitimes. Quoi ! disoient leurs ennemis, un prêtre sortant du lit de sa femme approchera des autels ? Autre conséquence convertie en dogme.
Les Vaudois n'adoroient point le sacrement, & ne fléchissoient point le genou dans les églises à la vûe du pain sacré. Autre conséquence. Il n'est pas nécessaire d'adorer Dieu.
Ajoutez à cela les autres dogmes attribués aux Picards par Schlecta. Ils n'invoquoient point les saints ; ils ne prioient point pour les morts ; ils n'admettoient point la confession auriculaire, &c. Si ce ne sont pas-là des vaudois, ce sont des gens qui leur ressemblent parfaitement, & qui peuvent bien leur être associés.
III. Les crimes, les folies & les hérésies qu'on leur attribue, persuadent encore que les pauvres Picards exterminés en Bohème étoient de véritables vaudois ; c'est ce dont on trouvera les preuves détaillées dans l'ouvrage de M. de Beausobre : nous y renvoyons le lecteur.
Nous remarquerons seulement que la nudité qu'on leur impute est une pure fausseté, & que les Picards n'ont jamais été adamites. On n'apporte que deux preuves dans l'Histoire, de la nudité picarde : la premiere est le témoignage du prêtre Taborite, & du docteur Gitzinus ; ils n'accusent pourtant pas les Picards d'une nudité pratique, mais seulement d'enseigner que les habits n'étoient point nécessaires, & que si ce n'étoit le froid, on pourroit aussi bien aller nud que vêtu. Ce n'est donc sur ces deux témoins qu'une erreur spéculative qui ne conclut rien pour la pratique, encore moins pour ces ridicules opinions, que la nudité est un privilége de la liberté ou de l'innocence.
La seconde preuve qu'on donne de la nudité des Picards, est tirée de ce qu'on fit le rapport à Ziska que ceux qui s'étoient fortifiés dans une île y alloient tout nuds, & commettoient sans honte toutes sortes d'infamies : cette preuve n'est qu'un conte absurde qu'on inventa contre des malheureux qu'on vouloit sacrifier ; & ce qui réfute pleinement la fausseté de ce bruit, c'est qu'entre tant de picards que Ziska saisit dans cette île, & qu'il fit périr, on ne voit pas dans l'Histoire qu'un seul ait été trouvé nud. De plus, comment se persuader que la noblesse de Moravie, qui protégeoit les picards de son pays, ait pu soutenir des fanatiques qui donnoient dans l'excès ridicule de se faire une religion de la nudité ? Enfin, comment imaginer que d'infâmes voluptueux souffrent constamment les plus cruels supplices, & qu'ils embrassent volontairement une mort cruelle qui les va priver de tous les plaisirs après lesquels ils couroient ? Ajoutez à toutes ces preuves le témoignage du jésuite Balbinus, qui ne doit pas être suspecté de favoriser ces hérétiques ; & néanmoins il convient que c'est à tort qu'on a accusé les Picards à cet égard, & il reproche à Théobald d'avoir donné mal-à-propos aux Adamites le nom de Picards. Balbin. Epitome rer. Bohem. lib. IV. pag. 449. Voici ce que les Théologiens catholiques les plus modérés pensent des Picards : ils disent que ce fut une secte d'hérétiques qui s'éleverent en Bohème dans le xv. siecle, & qui prirent ce nom de leur chef appellé Picard, natif des Pays-bas.
Que ce fanatique se fit suivre d'un assez grand nombre d'hommes & de femmes qu'il prétendoit, disoit-il, rétablir dans le premier état d'innocence ou Adam avoit été créé ; c'est pourquoi il prenoit aussi le titre de nouvel Adam.
Que sous ce prétexte il établit comme un dogme parmi ses sectateurs, la jouissance des femmes, ajoutant que la liberté des enfans de Dieu consistoit dans cet usage, & que tous ceux qui n'étoient pas de leur secte étoient esclaves. Mais quoiqu'il autorisât la communauté des femmes, ses disciples ne pouvoient cependant en jouir sans sa permission, qu'il accordoit aisément, en disant à celui qui lui présentoit une femme avec laquelle il désiroit avoir commerce : Va, fais croître, multiplie & remplis la terre. Il permettoit aussi à cette populace ignorante d'aller toute nue, imitant en ce point comme en l'autre les anciens Adamites. Voyez ADAMITES.
Les Picards avoient établi leur résidence dans une île de la riviere de Lansnecz, à quatorze lieues de Tabor, place forte, où Ziska, général des Hussites, avoit son quartier principal. Ce guerrier instruit des abominations des Picards, marcha contr'eux, s'empara de leur île, & les fit tous périr par le fer ou par le feu, à l'exception de deux qu'il épargna, pour s'instruire de leur Doctrine. Dubrav. liv. VI. Sponde ad. ann. chr. 1420.
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PICAREL | S. m. imaris, (Hist. nat. Icthiol.) poisson de mer. On lui a donné à Antibes le nom de garon, & en Languedoc celui de picarel, parce qu'il pique la langue lorsqu'il est desséché & salé. C'est une espece de mendole qui est toujours blanche, cependant il est plus étroit & plus court que la mendole, car il n'a que la longueur du doigt. Le museau est pointu ; il y a de chaque côté sur le milieu du corps une tache noire & des traits argentés & dorés, mais peu apparens, qui s'étendent depuis la tête jusqu'à la queue ; au reste il ressemble à la mendole par les nageoires, les aiguillons, la queue, &c. Rondelet, hist. des poissons, liv. V. chap. xiv. Voyez MENDOLE, poisson.
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PICATAPHORE | S. m. (Astrolog. judic.) Les Astrologues appellent ainsi la huitieme maison céleste, par laquelle ils font des prédictions touchant la mort & les héritages des hommes. On la nomme encore porte supérieure, lieu paresseux, maison de mort & des héritages. Ranzovius, dans son tractatus astrolog. part. II. a traité toutes ces fadaises ridicules. (D.J.)
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PICAVERET | voyez LINOTE.
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PICCA-FLOR | S. m. (Hist. nat. Ornithol.) c'est le nom que les Espagnols donnent au colibri ou à l'oiseau-mouche, à cause qu'il ne vit que du suc des fleurs. Son article est fait au mot COLIBRI.
Rien n'égale la beauté du plumage de ces charmans oiseaux ; ils font leurs nids avec tout l'art & les précautions possibles ; cependant ils n'en sont que trop souvent chassés par des grosses & cruelles araignées, qui y viennent pour sucer les oeufs ou le sang des pauvres petits colibris.
Presque tous les auteurs assurent que cet oiseau n'habite que les pays chauds ; mais M. de la Condamine déclare qu'il n'en a vu nulle part en plus grande quantité que dans les jardins de Quito, dont le climat tempéré approche plus du froid que de la grande chaleur. Mem. de l'acad. des Scienc. 1745. (D.J.)
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PICEA ABIES | (Jardinage) est une espece de sapin vulgairement appellé epicia, & semblable à l'if pour le bois & la feuille, qui ne tombe point ; il s'éleve plus haut, sans être ni si garni ni si beau. Le picea produit de la graine qui le perpétue. On le place ordinairement dans les parcs, entre les arbres isolés des allées doubles, ou dans les bosquets verds.
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PICELLO | (Géog. mod.) ville ou bourg de l'Anatolie sur la mer Noire, entre Penderachi & Samastro. C'est l'ancienne Psyllium de Ptolomée.
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PICENTIA | (Géog. anc.) ville d'Italie, capitale des Picentins. Cette ville étoit dans les terres. Les habitans furent chassés de leur ville pour avoir pris le parti d'Annibal. Léander & Mazella disent qu'on la nomme présentement Vicentia. 2°. Il y avoit une autre ville d'Italie du nom de Picentia ; elle étoit dans le Latium, selon Denis d'Halicarnasse, l. V.
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PICENTINORUM | PICENTINORUM
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PICENUM | (Géog. anc.) contrée d'Italie à l'orient de l'Umbrie, & connue aussi sous le nom d'ager Picenus. Les habitans de cette contrée étoient appellés Picentes ; ils étoient différens des Picentini, qui habitoient sur la côte de la mer inférieure. Ce peuple étoit si nombreux que Pline, lib. III. cap. xviij. fait monter à trois cent soixante mille le nombre des Picentes qui se soumirent aux Romains. Les bornes du Picenum proprement dit, s'étendoient le long de la côte, depuis le fleuve Oesus jusqu'au pays des Praetutiani. Dans un sens plus étendu, le Picenum comprenoit le pays des Praetutiani & le territoire de la ville Adria.
J'ai dit que les Picentins, Picentini, habitoient sur la côte de la mer inférieure ; j'ajoute ici que ce peuple étoit une colonie de Sabins, qui étant sortis de Picenum, aujourd'hui la Marche d'Ancône, s'emparerent d'une partie de la Campanie. Ils possédoient le canton de terre où est à-présent la partie occidentale du Principat méridional, entre le cap Campanella & le fleuve Sélo. On croit que Salerne étoit la capitale de ces peuples. (D.J.)
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PICHA-MAL | (Hist. nat. Botan.) fleur qui se cultive dans l'île de Ceylan ; elle est blanche & a l'odeur du jasmin : on en apporte tous les matins un bouquet au roi du pays, enveloppé dans un linge blanc, & suspendu à un bâton. Ceux qui rencontrent ce bouquet se détournent par respect. Il y a des officiers qui tiennent des terres du roi pour y planter de ces fleurs ; ils ont le droit de s'emparer de tous les endroits où ils pensent qu'elles croîtront le mieux.
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PICHET | PICHER, PICHE, s. m. (Marchand de vin) petite cruche de terre à bec, qui leur sert à tirer du vin d'une piece pour en remplir d'autres.
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PICHINCHA | (Géog. mod.) montagne de l'Amérique méridionale, dans l'audience de Quito, & au pié de laquelle est bâtie la ville de Quito. C'est une pointe de la Cordiliere, & sur laquelle il y a un volcan, ainsi que sur la plûpart des autres : celle-ci a 2434 toises au-dessus de la mer. MM. de la Condamine & Bouguer, dans leur voyage du Pérou, passerent trois semaines sur le sommet de Pichincha. (D.J.)
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PICICITLI | S. m. (Hist. nat. Ornithol.) petit oiseau de passage des Indes occidentales espagnoles, qui ne paroît au Mexique qu'après la saison des pluies. Tout son pennage est gris, excepté la tête & le col, qui sont noirs. Nieremberg est le seul auteur qui en ait donné la description. (D.J.)
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PICINOE | (Géog. mod.) lieu d'Italie entre Rome & Nole. C'est l'endroit où Sylla reçut la seconde ambassade du sénat, qui le prioit de ne pas marcher à main armée contre la ville de Rome. (D.J.)
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PICNOSTYLE | ou PYCNOSTYLLE, s. m. (Architect.) c'est le moindre entre-colonne de Vitruve, qui est d'un diametre & demi, ou de trois modules, du grec , serré, & ; colonne.
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PICO | (Géogr. mod.) île de l'Océan, l'une des Açores, à 3 lieues sud-est de Fayal, à 4 sud-ouest de Saint-Georges, & à 12 sud-ouest quart à l'ouest de Tercere. Cette île a environ 15 lieues de circuit, & est exposée à des volcans, elle produit de meilleurs vins que toutes les autres Açores. Son nom lui vient d'une haute montagne qui y est, & qu'on appelle le Pie ou Pic des Açores. Long. de l'île, 349. 21. lat. 38. 35. (D.J.)
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PICOL | S. m. (Commerce) poids dont on se sert à la Chine pour peser la soie. Il contient soixante-six catis, & trois quarts de catis ; ensorte que trois picols font autant que le bahar de Malaca, c'est-à-dire deux cent catis. Voyez BAHAR.
Picol est aussi un poids en usage en divers lieux du continent & des îles des Indes occidentales, il pese environ vingt livres poids de Hollande. Dictionn. de Commerce.
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PICOLETS | S. m. pl. (Serrurerie) les Serruriers appellent de la sorte deux petites pieces de fer rivées au côté de chaque poupée de leur tour, à-travers desquelles passent les bras qui soutiennent le support ; les picolets sont aussi de petits crampons qui soutiennent le pène dans la serrure, ou plûtôt qui en conduisent la queue. Il y en a de deux sortes, le picolet à patte & le picolet à rivure. Le premier se tire d'une piece de fer battue mince & large de six lignes ; on plie le pié sur un mandrin fait de la hauteur & largeur de la queue du pène ; on le plie en-dehors, ce qui forme la patte qu'on perce d'un trou où passera la vis qui doit le fixer sur le palastre. Au bout du pié où il n'y a point de patte, on pratique un tenon qui entre dans une petite entaille qu'on a soin de pratiquer au palastre. Cette sorte de picolet ne se rive point, & on le démonte à volonté.
Le picolet qui se rive sur le palastre se fait comme le précédent, excepté qu'il n'a point de patte à un de ses piés, mais deux tenons pour le river sur le palastre.
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PICOLI | S. m. (Monnoie) monnoie de compte dont on se sert en Sicile, particulierement à Messine & à Palerme, pour les changes & pour tenir les livres, soit en parties doubles, soit en parties simples ; huit picolis valent un ponti, & six picolis font le grain. On compte par onces, tarins, grains & picolis, qu'on somme par 30, par 20 & par 6 ; l'once valant 30 tarins, le tarin 20 grains, & le grain 6 picolis. Dict. du Commerce.
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PICOLLUS | S. m. (Mythol. des Germains) divinité des anciens habitans de la Prusse, qui lui consacroient la tête d'un homme mort, brûloient du suif en l'honneur de ce dieu, & lui offroient des sacrifices sanglans pour n'en être pas tourmentés. (D.J.)
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PICORÉE | S. f. (Art. milit.) est l'espece de petite guerre que fait le soldat lorsqu'il sort du camp pour piller ou marauder. Voyez PILLAGE ET MARAUDE.
Suivant la Noue, la picorée prit naissance dans les guerres civiles ou de religion sous Charles IX. D'abord les troupes avoient observé beaucoup de discipline ; mais elles se porterent bientôt aux plus grands desordres : chacun se comportoit, dit ce militaire célebre, comme s'il y avoit eu un prix proposé à celui qui feroit le plus de mal ; d'où s'ensuivit, dit-il, la procréation de mademoiselle la picorée, qui depuis est si bien accrue en dignité, qu'on l'appelle maintenant madame. Cependant l'amiral Coligni ne négligeoit rien pour maintenir la discipline ; mais malgré les exemples de sévérité dont il usoit pour réprimer ce desordre, comme tout le monde y prenoit part, la noblesse ainsi que le simple soldat, il ne lui fut pas possible d'y remédier entierement. (q)
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PICOT | S. m. terme de bucheron ; petite pointe qui reste du bois taillis coupé sur terre, & qui blesse vivement les piés quand on marche dessus sans y prendre garde.
PICOT, s. m. (Instrument de carrier) ce que les carriers nomment un picot, est une espece de marteau pointu qui n'a qu'un côté ; il porte environ huit pouces de longueur, & un pouce en quarré à l'endroit où il est emmanché. Son manche n'a pas moins de cinq piés de long ; c'est un des outils qui servent à soulever la pierre.
PICOT, s. m. (Passementerie) c'est la partie qui constitue le bas d'une dentelle ou passement, & qui regne d'un bout à l'autre, où elle forme une petite engrelure ; il y a de l'apparence qu'on lui a donné ce nom à cause qu'elle se termine en petites pointes placées les unes contre les autres ; on estime fort les dentelles dont le picot est bien travaillé & bien serré, parce qu'elles durent plus que les autres. (D.J.)
PICOT, s. m. (Pêche) c'est une sorte de filets qui tire son nom de l'opération que font les Pêcheurs en piquant les fonds voisins du lieu où ils ont tendu leurs filets. La grandeur de la maille & la quantité du plomb dont ils doivent être chargés par le bas sont prescrits par l'ordonnance, liv. V. tit. 2. art. 8.
La pêche des picots commence à la fin d'Avril, & se continue jusqu'au mois de Novembre. Pour faire cette pêche, les Pêcheurs viennent dans leurs bateaux établir leurs filets d'ebe & de basse eau sur des fonds qui ont encore quelquefois cinq à six brasses d'eau. Le filet a 40 à 50 brasses de long, & 2 à 3 de chûte. Le bout forain qui est le premier que l'on jette à la mer, est frappé sur une ancre. Ils tendent le filet un peu en demi-cercle & en-travers de la marée. L'autre bout du filet est frappé sur une grosse pierre ou cabliere, qu'ils nomment étalon, & sur laquelle est frappée une bouée pour la reconnoître.
Quand ils sont ainsi établis, les Pêcheurs s'éloignent un espace considérable de leurs filets. Après s'en être éloignés suffisamment, ils reviennent en piquant le fond pour faire saillir le poisson & le faire donner dans le filet qu'ils relevent ensuite, & recommencent la même opération plusieurs fois ; ce qu'ils appellent trajets, tant que dure l'ebe. S'ils n'ont rien pêché, ils continuent de flot en faisant la même manoeuvre ; & quand ils ne se servent pas de perches pour piquer le fond, ils ont une grosse pierre ou cabliere percée du poids de 60 à 80 livres, amarrée à un cordage ; ils la laissent tomber au fond de l'eau pour épouvanter le poisson plat, & le faire saillir hors du sable & se jetter dans le filet ; ce qui leur réussit sur-tout si les picots sont tendus sur des fonds durs & de roche, où il se trouve encore un peu de sable dans lequel le poisson plat se puisse enfouir.
On prend principalement avec ce filet, des poissons plats comme turbots, barbues, soles & des flets, que pour cette raison des Pêcheurs nomment des picots frans.
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PICOTE | S. f. (Lainage) ou gueuse, étoffe toute de laine d'un très-bas prix ; c'est une espece de petit camelot. Cette sorte d'étoffe se fabrique à Lille en Flandres, où il s'en fait de plusieurs longueurs & qualités. Elle est à peu-près semblable aux lamparillas & polimites, mais non pas de si bonne qualité. Sa destination la plus ordinaire est pour l'Espagne, car pour en France il ne s'y en consomme presque pas. Il y a aussi des picotes qui sont mêlées de soie. Savary.
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PICOTEMENT | S. m. (Médec.) est une propriété des corps angulaires & aigus par laquelle ils picotent & causent des vibrations & les inflexions des fibres des nerfs, & une grande dérivation du fluide nerveux dans les parties affectées.
Les picotemens produisent la douleur, la chaleur, la rougeur, &c. On peut les réduire aux dépilatoires violens & pénétrans, aux sinapismes modérés, aux vesicatoires & aux caustiques. Voyez SINAPISME, VESICATOIRE, &c.
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PICOTER | v. act. piquer de trous ; & PICOTé, adj. (Gramm.) taché de petits trous. Il se dit de ceux qui ont eu la petite-vérole. Il se dit aussi en Blason pour marqueté. Les pêcheurs & les naturalistes ont remarqué que la truite étoit picotée ; c'est ainsi qu'ils rendent le mot latin variegatus, qui signifie strictement couvert de taches de différentes couleurs.
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PICOTEURS | S. m. pl. (Pêche) petits bateaux servant au lamanage & à la pêche, terme de pêche usité dans l'amirauté de Saint-Valery en Somme.
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PICOTIN | S. m. (Mesure de continence) sorte de petite mesure à avoine qui contient quatre litrons, c'est-à-dire le quart d'un boisseau de Paris. Le picotin dont se servent les bourgeois pour la distribution de l'avoine à leurs chevaux est ordinairement d'osier ; mais celui dont se servent les regrattiers & maîtres grainiers doit être de bois.
Le picotin de bois n'est autre chose que le quart du boisseau de Paris ; il doit avoir quatre pouces neuf lignes de hauteur sur six pouces neuf lignes de diametre ou de large entre les deux fûts.
Le picotin, en anglois peck, est encore une mesure pour les grains dont on se sert à Londres & dans le reste de l'Angleterre ; quatre picotins font un galon ou boisseau ; huit galons font le quarteau ou barrique, & dix quarteaux & un quart font le last. Savary. (D.J.)
PICOTIN, (Arpentage) c'est une mesure qui sert à l'arpentage dans quelques lieux de la Guyenne. Il faut 12 escaits pour faire le picotin, chaque escait de 12 piés mesure d'Agen, qui est environ de trois lignes plus grande que le pié de roi. Savary.
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PICPUS | PICPASSE, PIQUEPUSSE, s. m. (Hist. eccl.) religieux du tiers ordre de S. François, autrement dits pénitens, fondés en 1601 à Picpus, petit village qui touche au faubourg S. Antoine de Paris. C'est ce village qui a donné nom à la maison des religieux, & c'est cette maison qui n'est que la seconde de l'ordre, qui a donné nom à l'ordre entier. Lorsqu'un ambassadeur fait son entrée, les officiers du roi vont le prendre à Picpus. Ils dînent dans la maison. C'est de-là que la marche commence. Madame Jeanne de Sault, veuve de René de Rochechouart, comte de Mortemar, en fut reconnue pour fondatrice. Henri IV. accorda des lettres-patentes au nouvel établissement. Louis XIII. posa la premiere pierre de l'église, & prit dans les lettres-patentes qu'il accorda en 1624 au monastere, la qualité de fondateur.
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PIC | ou PIC, s. m. (Mesure de longueur) mesure étendue dont on se sert en Turquie ainsi que l'on fait de l'aune en France pour mesurer les corps des longueurs, comme étoffes, toiles, &c.
Le picq contient 2 piés 2 pouces 2 lignes, qui sont trois cinquiemes d'aune de Paris ; ensorte que cinq picqs font trois aunes, ou trois aunes font cinq picqs.
On appelle à Smyrne tapis de picq, la seconde sorte de tapis de Turquie ou de Perse qui s'y achetent par les nations qui font le commerce du Levant. Ils sont ainsi nommés parce qu'ils ne se vendent pas à la piece, mais au picq quarré. Dict. du Comm.
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PICRIS | (Botan.) nom donné par Linnaeus au genre de plantes appellé par Vaillant helminthotheca ; en voici les caracteres. Le calice commun est double ; l'extérieur est composé de cinq feuilles faites en coeur ; l'intérieur est de forme ovale & tout ouvert. La fleur est d'un genre composé, elle est partie uniforme, & en partie faite en faitiere. Les petites fleurs qui la forment sont égales & nombreuses, chacune est composée d'un seul pétale partagé en cinq segmens ; les étamines sont cinq filets capillaires ; les bossettes des étamines sont cylindriques ; le germe du pistil est placé sous la fleur ; le stile est de la longueur des étamines ; les stigma au nombre de deux, sont recourbés ; les calices subsistent après la chute des fleurs, & servent de capsule aux semences qui sont ovoïdes, obtuses & à aigrettes ; le receptacle, ou l'enveloppe, est nud ; les graines varient en figure.
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PICTES | LES, (Hist. Géog.) en latin Picti ; anciens peuples de la grande Bretagne, mais dont l'origine est fort obscure. Lorsque les Romains s'emparerent de la grande Bretagne, les Pictes occupoient la partie orientale de l'île, depuis la Tine jusqu'à l'extrémité septentrionale.
Sous les premiers empereurs romains il ne se passa rien de remarquable où les Pictes paroissent avoir eu part ; mais sous Valentinien I. les Romains les attaquerent, parce que ces peuples, de concert avec leurs voisins, avoient fait des irruptions dans la province romaine. Nectaridius, gardien des côtes, Buchobandes, Severe & Jovien entreprirent inutilement de les soumettre, car ils furent défaits tour-à-tour. Enfin Théodose l'ancien y ayant été envoyé, augmenta les terres des Romains d'un grand pays qui appartenoit aux Pictes. Dans la suite Stilicon, tuteur d'Honorius, envoya Victorinus pour réprimer fortement ces peuples, qui depuis la mort de Théodose, recommençoient à faire de nouvelles courses dans la province romaine. Victorinus agissant en maître, leur défendit de nommer un successeur à Hengist leur roi qui venoit de mourir. Cette action de hauteur irrita les Pictes, qui crurent qu'il vouloit les chasser de leur île, comme il en avoit chassé les Scots par leur secours. Dans cette crainte, ils rappellerent les Scots ; & Ferjus, prince du sang royal d'Ecosse, ravagea les terres des Romains, & se fit céder tout le pays au nord de l'Humber.
Vers l'an 511, les Pictes s'étant alliés des Saxons, assiégerent Aréclute, mais Arthur les battit, & ruina leur pays d'un bout à l'autre.
Depuis l'irruption des Anglois, la Bretagne avoit été partagée entre les Bretons ou Gallois, les Ecossois, les Pictes & les Anglo-Saxons. Les Pictes & les Ecossois habitoient la partie septentrionale de l'île. L'Esca & la Twede ; & les montagnes qui sont entre ces deux rivieres, les séparoient des Anglo-Saxons. Les Pictes étoient à l'orient, les Ecossois à l'occident. Le mont Gratbain faisoit leur borne commune depuis l'embouchure de la Nysse jusqu'au lac Lomon. Alberneth étoit la capitale des Pictes, & Edimbourg étoit encore à eux. Ils ne se contenterent pas de ces terres, ils attaquerent en 670 Egfrid, roi de tout le Northumberland, qui les battit, & les contraignit de lui céder une partie de leur pays pour avoir la paix.
Peu de tems après ils eurent leur revanche, & s'emparerent d'une province de la Bernicie. Enfin, dans l'année 84, ayant perdu deux grandes batailles contre Kneth roi d'Ecosse, le vainqueur qui vouloit vanger la mort de son pere, qu'ils avoient tué, & dont ils avoient traité le corps avec indignité, agit envers eux de la maniere la plus inhumaine. Il les extermina tellement que depuis lors il n'est plus resté que la mémoire de cette nation belliqueuse, qui avoit fleuri si long-tems dans la grande Bretagne ; & c'est par la destruction des Pictes que Kneth est regardé par les Ecossois comme un des principaux fondateurs de leur monarchie.
Au reste, l'origine des Pictes, ainsi que celle de leur nom, est entierement inconnue. On ne voit dans l'histoire romaine des deux premiers siecles, que le nom de Calédoniens, & jamais celui de Pictes, ni celui des Scots. Tacite qui connoissoit bien la grande Bretagne, par les voyages & par les conquêtes de son beau pere Agricola, dont il a écrit la vie, ne parle que des Calédoniens, qu'il met au rang des Bretons.
Résumons. De tout ce qui précede, on voit que les Pictes furent un peuple qui du tems des Romains habitoit la partie orientale de l'île de la Grande-Bretagne vers le nord, c'est-à-dire dans le royaume d'Ecosse ; qu'on croit qu'ils étoient un peuple différent des anciens Bretons, & que Bede pense qu'ils étoient venus de Scythie ; par où il a peut-être voulu désigner la Norwege conquise par les Scythes sous la conduite d'Odin ; que leur nom vint, dit-on, de Picti, que les Romains leur avoient donné parce qu'ils étoient dans l'usage de se peindre ; & qu'ils furent subjugués par l'empereur Julien, par Théodose & par Constantin.
PICTES, Murailles des, (Géog. anc. & antiq.) c'est un monument des Romains. Lorsqu'ils s'établirent en Angleterre par la force des armes, ils se trouvoient continuellement harcelés par les Pictes, du côté de l'Ecosse, pour arrêter leurs courses, Adrien éleva une muraille de plâtre qui tenoit depuis l'Océan germanique jusqu'à la mer d'Irlande, l'espace de 27 lieues de France, & la fortifia par des palissades en l'an 123. L'empereur Sévere la fit faire de pierre avec des tours de mille en mille, où il y avoit garnison. Les Pictes néanmoins s'ouvrirent un passage plusieurs fois en abattant cette muraille. Enfin Aëtius, général romain, la rebâtit de brique l'an 430 ; mais les Pictes ne furent pas long-tems à la renverser. Elle avoit 8 piés d'épaisseur, & 12 de haut. On en voit aujourd'hui des traces en divers endroits des provinces de Cumberland & de Northumberland. (D.J.)
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PICTONES | (Géog. anc.) Pictones, peuples de la Gaule aquitanique. Ils étoient connus du tems de César, qui lorsqu'il voulut faire la guerre aux Venetes, rassembla les vaisseaux des Pictones, des Santones & des autres peuples qui étoient en paix. Vercengentorix se joignit aux Pictones pour s'opposer aux romains, & les princes de la Gaule ordonnerent aux Pictones de fournir huit mille hommes, lorsqu'il fut question de faire lever le siege devant Alese. Strabon dit que la Loire couloit entre les Pictones & les Namnetes ; il met les Pictones avec les Santones sur l'Océan, & il les range au nombre des vingt-quatre peuples qui habitoient entre la Garonne & la Loire, & qui étoient compris sous l'Aquitaine. Pline, liv. IV. ch. xjx. met pareillement les Pictones parmi les peuples d'Aquitaine. Lucain, liv. IV. v. 436. fait entendre qu'ils étoient libres : Pictones immunes subigunt sua rura.
Ptolomée écrit Pectones, & ajoute qu'ils occupoient la partie septentrionale de l'Aquitaine, le long de la Loire & le long de la côte de l'Océan. Il leur donne deux villes, savoir : Augustoritum & Limonum. M. Samson dans ses remarques sur la carte de l'ancienne Gaule, dit que les Pictones sont les peuples des diocèses de Poitiers, Mailleraies & Luçon, qui ont été autrefois tous compris sous le diocèse de Poitiers.
Il est bon d'observer que les peuples pictones étoient primitivement compris dans la Gaule celtique. Auguste les attribua à l'Aquitaine dans la nouvelle division qu'il fit de la Gaule, & depuis ils en ont toujours fait partie. Leur territoire étoit d'une grande étendue : il occupoit toute la côte septentrionale de l'Océan, depuis le pays des Santones jusqu'à la Loire, ensorte que ce fleuve avoit son embouchure entre les Pictones & les Namnetes (peuples de Nantes). Telle étoit anciennement l'étendue du pays des Pictones. Ses limites étoient encore les mêmes du côté de la Loire, au milieu du neuvieme siecle, ensorte qu'alors il étoit plus grand que n'est la province de Poitou ; peut-être comprenoit-il le territoire des Cambolectri agesinates qui étoient joints aux Pictones, comme Pline l'assure, & qui probablement occupoient l'Angoumois. (D.J.)
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PICTONIUM | (Géog. anc.) promontoire de la Gaule dans l'Aquitaine qui, selon toute apparence, est la pointe des sables d'Olone.
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PICUMNUS | & PILUMNUS, (Mythol.) étoient deux freres fils de Jupiter & de la nymphe Garamantis. Le premier avoit inventé l'usage de fumer les terres, d'où il fut nommé Sterquilinus ; & Pilumnus trouva l'art de moudre le blé, c'est pourquoi il étoit honoré particulierement par les meuniers. Comme tous deux présidoient aux auspices qu'on prenoit pour les mariages, on dressoit pour eux des lits dans les temples, à la naissance d'un enfant ; & lorsqu'on le posoit par terre, on le recommandoit à ces deux divinités, de peur que le dieu Sylvain ne lui nuisît.
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PI | ou PIED, s. m. (Anat.) partie de l'animal, qui lui sert à se soutenir, à marcher, &c. Voyez CORPS. Les animaux se distinguent, par rapport au nombre de leurs piés ; en bipedes qui n'ont que deux piés, comme les hommes & les oiseaux ; en quadrupedes qui ont quatre piés, comme la plûpart des animaux terrestres ; & en polypedes qui en ont plusieurs, comme les insectes. Voyez QUADRUPEDES, INSECTES, &c.
Les reptiles, tels que sont les serpens, &c. n'ont point de piés. Voyez REPTILE.
Les voyageurs voudroient nous persuader que les oiseaux de paradis n'ont point de piés, & que lorsqu'ils dorment, ou qu'ils mangent, ils se tiennent suspendus par les aîles. Ce qu'il y a de vrai, c'est que ceux qui les attrapent leur coupent les pattes pour que ces oiseaux paroissent plus merveilleux. D'autres disent que c'est pour qu'ils ne gâtent point leurs plumes, qui sont parfaitement belles.
Les écrevisses de mer ont douze piés. Les araignées, les mites, & les polypes en ont huit ; les mouches, les sauterelles, & les papillons en ont six.
Galien a donné plusieurs remarques excellentes sur le sage arrangement des piés de l'homme & des autres animaux : dans son traité de l'usage des parties, l. III. les piés de devant des taupes sont admirablement bien construits pour fouir & gratter la terre, afin de se faire une voie pour passer la tête, &c. Les pattes & les piés des oiseaux aquatiques sont merveilleusement construits, & cette structure est respective à tout ce qu'ils doivent faire pour vivre. Ceux qui marchent dans les rivieres, ont les jambes longues, & sans plumes, beaucoup au-dessus du genou ; ils ont les doigts du pié fort larges : & ceux qu'on appelle suce-bouës, ont en quelque sorte deux de leurs doigts unis ensemble, pour qu'ils n'enfoncent point facilement lorsqu'ils marchent sur les fondrieres des marais.
D'autres ont tout le pié, c'est-à-dire, tous les doigts unis ensemble par une espece de toile membraneuse, comme les oies, les canards, &c.
On a du plaisir à remarquer avec combien d'artifice ils replient leurs orteils & leurs piés, quand ils tirent à eux leurs jambes ou qu'ils les étendent pour nager. Ils élargissent & ouvrent tout le pié quand ils pressent l'eau, ou quand ils veulent aller en-avant.
Jambe ou grand pié, en Anatomie, s'entend de ce qui est compris depuis la hanche jusqu'à l'extrémité des orteils, comme le bras est ce qui est compris depuis l'épaule jusqu'au bout des doigts.
La jambe, le pes magnus ou grand pié, se divise en cuisse, en jambe & en pié. Voyez CUISSE, JAMBE, &c.
Les os de la jambe sont le fémur ou l'os de la cuisse, le tibia, le péronier, les os du tarse, du métatarse & des orteils. Voyez FEMUR, TIBIA, &c.
Les arteres de la jambe sont des branches de l'artere crurale, & ses veines se terminent à la veine crurale. Voyez CRURAL.
Il y a à la jambe cinq veines principales, savoir, la saphene, la grande & la petite sciatique, la musculaire, la poplitée, & la tibiale. Voyez chacune à son article, SAPHENE, &c.
Le pié proprement dit, ou le petit pié, ne s'entend que de l'extrémité de la jambe. On le divise en trois parties, savoir, en tarse, en métatarse, & en doigts ou orteils. Le tarse est ce qui est compris entre la cheville du pié & le corps du pié : il répond à ce qu'on appelle carpe dans la main. Le métatarse est le corps du pié jusqu'aux orteils, & les doigts & orteils sont les autres os du pié. Voyez TARSE, &c.
Ces parties sont composées de beaucoup d'os, qui sont le calcaneum, l'astragal, les os cunéiformes, l'os cuboïde : le dessous de tous ces os s'appelle la sole ou la plante du pié, &c.
PIE, (Orthopédie) le pié de l'homme est très-différent de celui de quelque animal que ce soit, & même de celui du singe ; car le pié du singe est plutôt une main qu'un pié, les doigts en sont longs, & disposés comme ceux de la main, celui du milieu est plus grand que les autres, comme dans la main ; d'ailleurs, le pié du singe n'a point de talon semblable à celui de l'homme ; l'assiette du pié est aussi plus grande dans l'homme que dans tous les animaux quadrupedes, & les orteils servent beaucoup à maintenir l'équilibre du corps & à assurer ses mouvemens dans la démarche, la danse, la course, &c. Les animaux qui marchent sur deux piés, & qui ne sont point oiseaux, ont le talon court & proche des doigts du pié ; ensorte qu'ils posent à la fois sur les doigts & sur le talon, ce que ceux qui vont à quatre piés ne font pas, leur talon étant fort éloigné du reste du pié. Ceux qui l'ont un peu moins éloigné, comme les singes, les lions, les chats & les chiens, s'accroupissent ; enfin, il n'y a aucun animal qui puisse être debout comme l'homme. Il semble cependant qu'il ait pris à tâche par des bisarreries de modes, de diminuer l'avantage qu'il en peut tirer, pour marcher, courir, & maintenir l'équilibre du corps, en étrécissant cette partie par des souliers étroits qui la gênent & qui empêchent son accroissement.
On sait que l'une des plus étranges coutumes des Japonois & des Chinois, est de rendre les piés des femmes si petits, qu'elles ne peuvent presque se soutenir. Les voyageurs les plus véridiques, & sur le rapport desquels on peut compter davantage, conviennent que les femmes de condition se rendent le pié aussi petit qu'il leur est possible, & que pour y réussir, on le leur serre dans l'enfance avec tant de force, qu'effectivement on l'empêche de croître. Dans ces pays-là une femme de qualité ou seulement une jolie femme, doit avoir le pié assez petit pour trouver trop aisée la pantoufle d'un enfant du peuple âgé de six ans ; les curieux ont dans leurs cabinets des pantoufles de dames chinoises qui prouvent assez cette bisarrerie de goût dont nos dames européennes ne sont pas fort éloignées. Cependant les piés sont sujets à un assez grand nombre d'accidens, de maladies, ou de défauts, pour qu'il ne soit pas nécessaire de les multiplier encore par artifice ; je vais parler de quelques-unes de leurs mauvaises tournures.
Les différentes conformations des piés sont d'être ou longs, ou courts, ou gros ou menus, ou larges d'assiette, ou étroits, ou entre-deux. Mais il y a des piés forcément tournés en-dehors, & d'autres forcément tournés en-dedans : cette difformité plus ou moins grande vient à l'enfant, de naissance ou d'accident. Quand c'est de naissance, il faut que la nourrice essaie tous les jours de lui tourner doucement les piés dans le sens naturel, & d'observer de les lui assujettir par l'emmaillottement ; comme les ligamens sont alors extrèmement tendres, ils céderont peut-être insensiblement à la tournure naturelle qu'on leur fera contracter.
Si la mauvaise tournure a été long-tems négligée ou qu'elle vienne d'accident, ou que l'enfant soit déja un peu grand, on tâchera d'y remédier par les moyens suivans. 1°. En recourant à des remedes capables de ramollir les ligamens, comme sont les fomentations avec les bouillons de tripes, les frictions avec l'huile de lin, les cataplasmes de feuilles, de fleurs, & de racine de guimauve, &c. 2°. En essayant tous les jours avec la main de ramener le pié dans sa situation naturelle ; 3°. en employant pour cela de forts cartons, ou des attelles de bois, ou de petites platines de métal, qu'on a soin de serrer avec une bande.
Il y a une autre mauvaise tournure des piés fort différente de la précédente pour la cause ; c'est celle qui vient de la paresse à tourner les piés en-dehors, ou de l'affectation à les tourner trop en-dehors. Les personnes qui ont persisté long-tems dans cette habitude, ont presque autant de peine à s'en corriger, que si la difformité venoit de naissance, ou d'accident ; c'est aux parens à y veiller ; mais si leurs soins & leurs avis sont infructueux, il faut qu'ils fassent faire de ces marche-piés de bois en usage chez les religieux pour leurs jeunes pensionnaires. Il y a dans ces marche-piés deux enfoncemens séparés pour y mettre les piés, & où ces deux enfoncemens sont creusés & figurés de maniere que chaque pié y étant engagé est nécessairement tourné en-dehors. L'enfant se servira donc de ce marche-pié, toutes les fois qu'il sera assis. Il est vrai que cette méthode a un inconvénient, c'est que lorsque l'enfant voudra marcher les piés en-dehors, il chancellera & sera en danger de tomber, mais alors il faudra le soutenir pour l'accoutumer peu-à-peu à marcher comme les autres, & l'on y réussira en sacrifiant tous les jours une demi-heure à cet exercice.
Un autre moyen de corriger un enfant, qui par mauvaise habitude tourne les piés en-dedans, c'est de lui faire tourner les genoux en-dehors, car alors les piés se tourneront nécessairement de même. On peut avoir les piés en-dehors sans y avoir les genoux, ce qui est une mauvaise contenance, & qui empêche d'être bien sur ses piés ; mais on ne sauroit avoir les genoux en-dehors, que les piés n'y soient, & on est alors toujours bien planté.
La méthode de faire porter à des enfans de petits sabots pour leur faire tourner les piés en-dehors, n'a que l'inconvénient de mettre l'enfant en danger de tomber fréquemment ; mais cet usage est bon à la campagne, & dans un terrein où l'enfant ne risque pas de se faire du mal en tombant.
Au reste, la plûpart des enfans n'ont les piés en-dedans que par la faute des nourrices qui les emmaillottent mal, & qui leur fixent ordinairement les piés pointe contre pointe, au lieu de les leur fixer talon contre talon ; c'est ce qu'elles pourroient néanmoins faire très-aisément par le moyen d'un petit coussinet engagé entre les deux piés de l'enfant & figuré en forme de coeur, dont la pointe seroit mise entre les deux talons de l'enfant, & la base entre les deux extrémités de ses piés ; ce moyen est excellent pour empêcher les enfans de devenir cagneux, & les parens devroient bien y prendre garde.
Si les piés panchent plus d'un côté que de l'autre, il faut donner à l'enfant des souliers, qui vers l'endroit où les piés panchent, soient plus hauts de semelle & de talon ; ce correctif fera incliner les piés du côté opposé. Il convient de prendre garde, que les souliers des enfans ne tournent, sur-tout en-dehors, car s'ils ne tournoient qu'en-dedans, il n'y auroit pas grand mal, parce que cette inégalité pourvû qu'elle ne soit pas considérable aide à porter en-dehors la pointe du pié ; mais lorsque les souliers tournent en-dehors, ils font tourner la pointe du pié en-dedans.
Quant aux personnes qui affectent trop de porter les piés en-dehors, ils n'ont besoin que d'avis, & non de remedes.
Il y a des personnes qui ont malheureusement de naissance des piés faits comme des piés de cheval ; on les nomme en grec hippopodes, & en françois piés équiens ; on cache cette difformité par des souliers, construits en-dehors comme les souliers ordinaires, mais garnis en-dedans d'un morceau de liége qui remplit l'endroit du soulier que le pié trop court laisse vuide. Cette difformité passe pour incurable ; cependant on peut tâcher d'y remédier en partie, en tirant fréquemment, mais doucement, les orteils de l'enfant, & en enveloppant chaque pié séparément avec une bande qui presse un peu les côtés du pié, pour obliger insensiblement le pié à mesure qu'il croît, à s'allonger par la pointe ; si cette tentative n'a point de succès, il n'y a rien à espérer. (D.J.)
PIES, BAIN DE, (Médec.) pediluvium ; on pourroit dire pediluve, mais je n'ose hasarder ce terme.
La composition du bain des piés, est la même que celle des bains ordinaires ; c'est de l'eau pure à laquelle on peut ajouter du son de froment ou des fleurs de camomille ; ce remede est très-utile dans plusieurs cas. Comme son application relâche, ramollit les fibres nerveuses, tendineuses & musculeuses des piés, leurs vaisseaux se dilatent, le sang y aborde & s'y jette avec plus de liberté, au soulagement du malade. De plus, comme ces parties nerveuses & tendineuses ont une communication étroite avec les autres parties nerveuses du corps, & sur-tout avec les visceres du bas-ventre ; on ne peut douter qu'en humectant les piés avec une liqueur tiéde, ce bain ne fasse cesser leurs contractions spasmodiques. La vertu qu'ils ont de calmer la violence des spasmes les rend utiles dans toutes les maladies convulsives & douloureuses, comme la cardialgie, la colique, les douleurs d'hypocondres, &c. il facilite encore les excrétions salutaires, comme la transpiration insensible, l'évacuation de l'urine, & celle des excrémens.
Il faut éviter que l'eau dans laquelle on met les piés ne soit trop chaude, parce que la pulsation des arteres augmente alors trop considérablement, & la sueur sort en trop grande abondance. Il ne faut point faire usage de ce remede, lorsque le flux menstruel est imminent ou qu'il a commencé, parce que détournant le sang de l'uterus, il arrêteroit cette évacuation ou la rendroit trop considérable ; mais il contribue merveilleusement à la procurer quand on l'emploie quelques jours avant le période, sur-tout si l'on fait en même tems usage d'emmenagogues tempérés.
Il faut s'abstenir avec soin des bains de piés astringens, alumineux, sulphureux, pour tarir la sueur incommode de ces parties, dissiper les enflures oedémateuses, ou dessecher les ulceres, parce que ce remede repousseroit avec danger la matiere virulente vers les parties internes, nobles & délicates.
Enfin, il est bon d'avertir que quand le bain des piés devient un remede nécessaire, comme dans les maux de tête opiniâtres, la migraine qui naît de plétore, l'ophthalmie, la difficulté de respirer causée par l'abondance du sang, les toux seches, & le crachement de sang, &c. ce remede produit d'autant plus de bien, qu'on le fait précéder de la saignée de la même partie, qu'on en use vers le tems du sommeil, qu'on ne laisse pas refroidir ensuite les piés, & qu'on les transporte tout chauds dans le lit pour aider la transpiration par-tout le corps. Il y a un très-bon morceau sur les bains de piés dans les essais de Médecine d'Edimbourg, j'y renvoie le lecteur. (D.J.)
PIES, puanteur des, (Médec.) Il y a des personnes dont les pores de la sueur se trouvant naturellement très-gros aux piés, reçoivent une grande quantité de liqueur, laquelle sort en gouttes par la chaleur & l'exercice. Cette sueur tendant à s'alkaliser par le séjour, répand une odeur fort puante ; cependant on ne doit point remédier à cet écoulement sudorifique tout d'un coup par de violens astringens. Il est vrai, par exemple, que l'écaille de cuivre, ou à sa place, la limaille de laiton pulvérisée avec le soufre & la racine d'iris de Florence, mise dans les souliers, suppriment l'odeur puante des piés, mais ce n'est pas toujours sans danger ; car si on arrête imprudemment cette sueur fétide, il survient quelquefois des maux plus funestes ; & le meilleur est de se laver les piés tous les jours avec de l'eau bien froide, où l'on ajoute un peu de vinaigre, changer chaque fois de chaussons, & ne point porter de bas de laine.
PIES & JAMBES des oiseaux, (Ornith.) ce sont les instrumens du mouvement progressif des oiseaux sur terre & dans les eaux. Les jambes sont pliées dans tous les oiseaux, afin qu'ils puissent se percher, jucher, & se reposer plus facilement. Cette duplicature les aide encore à prendre l'essor pour voler, & se trouvant repliée contre le corps, elle ne porte point d'obstacle au vol. Dans certains oiseaux les jambes sont longues pour marcher & fouiller dans les marécages ; en d'autres, elles sont d'une longueur médiocre, & dans d'autres plus courtes ; & toujours convenables à leur caractere, & à leur maniere de vivre.
Elles sont placées tant-soit-peu hors du centre de gravité, mais davantage dans les oiseaux qui nagent, afin de mieux diriger & pousser le corps dans l'eau, de même que pour l'assister dans l'action de plonger. Les piés des oiseaux nageurs sont dans quelques-uns entiers, en d'autres fourchus avec des doigts garnis de nageoires.
Quoique les oiseaux ne marchent que sur deux piés, ils ne posent point sur le talon ; mais ils ont ordinairement un doigt derriere, de même que les animaux à piés fourchés ont deux ergots, sur lesquels néanmoins ils ne s'appuient point. Le doigt qui est derriere le pié aux oiseaux leur sert aussi davantage à se percher qu'à marcher. L'autruche qui ne vole & ne se perche jamais, n'a que deux doigts à chaque pié, encore ne pose-t-il que sur un seul ; & ce doigt ressemble parfaitement au pié de l'homme quand il est chaussé.
Les piés de l'onocrotale, que nous appellons pélican, & ceux du cormoran ont une structure & un usage bien extraordinaires. Ces oiseaux qui vont prendre le poisson dans les rivieres, ont les quatre doigts du pié joints ensemble par des peaux, & ces doigts sont tournés en-dedans, tout au-contraire de ceux des piés de tous les autres animaux, où les doigts des piés sont ordinairement en-dehors, pour rendre l'assiette des deux piés plus large & plus ferme. Or la structure est différente dans les deux oiseaux dont il s'agit ici, desorte qu'ils peuvent nager avec un seul pié, tandis qu'ils ont l'autre employé à tenir le poisson qu'ils apportent au bord de l'eau. En effet, leurs longs doigts par de larges membranes qui composent comme un grand aviron, étant ainsi tournés en-dedans, font que cet aviron agit justement au milieu du corps, & les fait aller droit ; ce qu'un seul pié tourné en-dehors, ainsi qu'il est aux oies & aux canards, ne pourroit exécuter ; de même qu'un seul aviron, qui n'agit qu'à un des côtés d'une nacelle ne la sauroit faire aller droit.
Enfin c'est une chose remarquable de voir avec combien d'exactitude les jambes & les piés de tous les oiseaux aquatiques répondent à leur maniere de vivre. Car ou-bien les jambes sont longues & propres à marcher dans l'eau ; en ce cas elles sont nues, & sans plumes à une bonne partie au-dessus des genoux, ce qui les rend plus propres à ce dessein ; ou-bien les doigts des piés sont tout-à-fait larges : dans ceux que les Anglois appellent mud-suckers (suceurs de boue), deux des doigts sont en quelque sorte joints ensemble, pour qu'ils n'enfoncent pas facilement, en marchant dans des lieux marécageux & pleins de fondrieres. Quant à ceux qui ont les piés entiers, ou dont les doigts sont joints par des membranes, si l'on en excepte quelques-uns, les jambes sont en général courtes, & les plus convenables pour nager. C'est une chose très-curieuse de voir avec quel artifice ces oiseaux retirent & serrent les doigts du pié, lorsqu'ils levent les jambes, & qu'ils se préparent à frapper l'eau ; & comment au contraire par un artifice également grand, ils étendent & écartent les doigts des piés, lorsqu'ils les appuient sur l'eau, & qu'ils veulent s'avancer. (D.J.)
PIE, (Hist. nat. des insectes) c'est la troisieme partie de la jambe d'un insecte.
L'on y remarque ordinairement quelques articulations qui sont ou rondes, ou de la figure d'un coeur renversé, & dont la pointe est en haut. Les uns en ont deux, & d'autres en ont jusqu'à cinq. A l'antérieure de ces articulations, quelques-uns ont deux pointes crochues, à l'aide desquelles ils s'attachent aux choses les plus polies. Entre ces pointes, d'autres ont encore une plante de pié qui leur sert à s'accrocher dans les endroits où les pointes seroient inutiles. Elle produit le même effet que le morceau de cuir mouillé, que les enfans appliquent sur une pierre, & qui s'y attache si fort, qu'ils peuvent lever la pierre en l'air, sans qu'elle se détache.
Griendelius attribue la cause de cette adhésion à la courbure de leurs ongles ; & Bonnani aux coussinets qu'ils ont à l'extrémité de leurs piés, parce que quoique les poux & les puces aient aux piés des ongles crochus, ils ne laissent pas, lorsqu'on les a posés sur une glace de miroir, de glisser en bas dès qu'on le dresse, ce que ne font pas ceux qui ont de pareils coussinets. D'autres enfin prétendent que les insectes qui peuvent monter le long des corps les plus polis, le font par le moyen d'une humeur glutineuse, qu'ils expriment des coussinets qu'ils ont aux pattes.
Il y a des insectes qui ont une espece de palette aux genoux, avec laquelle ils peuvent s'accrocher aux corps auxquels ils veulent se tenir. Cette palette se trouve à la premiere paire de jambe. Les mâles de plusieurs especes de scarabées aquatiques en ont ; mais M. Lyonnet n'en a jamais vu aux femelles ; son observation feroit donc soupçonner que cette palette n'est donnée aux mâles, qu'afin de pouvoir mieux se tenir aux femelles lorsqu'ils s'accouplent ; du moins ne manquent-ils pas alors d'en faire cet usage.
Le scarabée aquatique a en-dedans de la palette du genou un muscle qu'il peut retirer. Quand il a appliqué cette palette contre quelque corps, elle s'y joint très-étroitement ; c'est par ce moyen que cet insecte s'attache fortement à sa femelle, à sa proie, ou à tel autre corps que bon lui semble.
Les insectes qui ont des piés n'en ont pas tous le même nombre, qui varie extrèmement, suivant l'espece ; ils sont communément situés sous le ventre.
Quelques-uns des insectes qui manquent de piés, ont, en divers endroits de leur corps, de petites pointes qui y suppléent ; ils s'en servent pour s'accrocher & se tenir fermes aux corps solides. L'on trouve par exemple, dans la fiente des chevaux, un ver de la longueur de huit ou dix lignes, & dont le corps est à-peu-près de la figure d'un noyau de cerise ; cet insecte a six anneaux, par le moyen desquels il s'allonge & se raccourcit ; le tour de chacun de ces anneaux est garni de petites pointes aiguës ; desorte que quand le ver les redresse, il peut les planter dans les entrailles des chevaux, & s'y tenir si ferme, que l'expulsion des excrémens a de la peine à l'entraîner malgré lui. (D.J.)
PIE, (Critique sacrée) les piés dans le style de l'Ecriture se prennent au sens naturel & au figuré, de différentes manieres ; 1°. au sens naturel, la sunamite se jetta aux piés d'Elisée ; c'étoit encore une marque de respect des femmes à l'égard des hommes, que de toucher les piés.
2°. Au sens figuré pour la chaussure, pes tuus non est subtritus. Deut. viij. 4. les souliers que vous avez à vos piés ne sont point usés.
3°. Pour les parties que la pudeur ne permet pas de nommer. In die illâ tradet Dominus novacula, caput, & pilos pedum & barbam universam. Is. vij. 20. En ce tems-là le Seigneur se servira du roi des Assyriens, comme d'un rasoir pour raser la tête, la barbe, & le poil des piés ; dimisisti pedes tuos omni transeunti ; vous vous êtes abandonné à tous les passans, Ezech. xiv. 25.
4°. Pié, signifie l'arrivée de quelqu'un. Quam speciosi pedes evangelisantium pacem. Is. lij. 7. Que c'est une chose agréable de voir arriver ceux qui annoncent la paix !
5°. Il se prend pour la conduite, pes meus stetit in directo, Ps. xv. 12. mes piés sont demeurés fermes dans le droit chemin.
6°. Il signifie un soutien, un appui : oculus fuit caeco & pes claudo, Job. xxix. 15. Il éclaire l'aveugle & soutient le boiteux.
7°. Il désigne ce qui est fort cher. Si pes tuus scandalisat te, abscinde eum. Matth. xviij. 8. Si ton pié te fait tomber, coupe-le.
8°. Etre sous les piés de quelqu'un, marque l'asservissement ; omnia subjecisti sub pedibus ejus. Ps. viij. 8. Vous avez tout soumis à sa puissance.
9°. La trace d'un pié, signifie une très-petite quantité de terre. Neque enim dabo vobis de terrâ eorum, quantum potest unius pedis calcare vestigium. Deut. ij. 5.
10°. Mettre le pié dans un lieu, signifie en prendre possession. Locus quem calcaverit pes vester, vester erit. Deut. xj. 24. L'endroit où vous mettrez le pié, vous appartiendra.
11°. Parler du pié, c'est gesticuler du pié. Salomon dans les proverbes vj. 13. attribue ce langage à l'insensé. (D.J.)
PIES, le baisement des, (Hist. mod.) marque extérieure de déférence qu'on rend au seul pontife de Rome ; les panchemens de tête & de corps, les prosternemens, les génuflexions, enfin tous les témoignages frivoles de respect devinrent si communs en Europe dans le vij. & viij. siecles, qu'ils ne furent plus regardés comme le sont aujourd'hui nos révérences ; alors les pontifes de Rome s'attribuerent la nouvelle marque de respect qui leur est restée, celle du baisement des piés. Il est vrai que Charles, fils de Pepin, embrassa les piés du pape Etienne à S. Maurice en Vallais ; mais ce même pape Etienne venant en France, s'étoit prosterné de son côté aux piés de Pepin, pere de Charles. On croît généralement que le pape Adrien I. qui prétendoit être au rang des princes, quoiqu'il reconnût toujours l'empereur grec pour son souverain, établit le premier sur la fin du viij. siecle, que tout le monde lui baisât les piés en paroissant devant lui. Le clergé y acquiesça sans peine par retour sur lui-même ; enfin les potentats & les rois se soumirent depuis, comme les autres, à cette étiquette, qui rendoit la religion romaine plus vénérable aux peuples. (D.J.)
PIE, en poésie, en latin pes & mieux metrum, du grec . Alliance ou accord de plusieurs syllabes ; on l'appelle pié par analogie & proportion, parce que comme les hommes se servent des piés pour marcher, de même aussi les vers semblent avoir quelqu'espece de piés qui les soutiennent & leur donnent de la cadence.
On compte ordinairement dans la poésie grecque & latine vingt-huit piés différens, dont les uns sont simples & les autres composés.
Il y a douze piés simples ; savoir, quatre de deux syllabes & huit de trois syllabes. Les piés simples de deux syllabes sont le pyrrichée ou pyrique, le spondée, l'iambe & le trochée. Les piés simples de trois syllabes sont le dactyle, l'anapeste, le molosse, le tribrache, l'amphibrache, l'amphimacre, le bacche, l'antibacche. Voyez tous ces mots à leur article.
On compte seize piés composés, qui tous ont quatre syllabes ; savoir, le dispondée ou double spondée, le procéleusmatique, le double trochée, le double iambe, l'antipaste, le choriambe, le grand ionique, le petit ionique, le péon ou péan, qui est de quatre especes, & l'épitrite, qui se diversifie aussi en quatre manieres. Voyez DISPONDEE, ANTIPASTE, &c.
Pié & mesure dans la poésie latine & grecque sont des termes synonymes.
Un auteur moderne explique aussi fort nettement l'origine des piés dans l'ancienne poésie. On ne s'avisa pas tout d'un coup, dit-il, de faire des vers ; ils ne vinrent qu'après le chant. Quelqu'un ayant chanté des paroles, & se trouvant satisfait du chant, voulut porter le même air sur d'autres paroles ; pour cela, il fut obligé de régler les paroles du second couplet sur celles du premier. Ainsi la premiere strophe de la premiere ode de Pindare se trouvant de dix-sept vers, dont quelques-uns de huit syllabes, quelques-uns de six, de sept, d'onze ; il fallut que dans la seconde, qui figuroit avec la premiere, il y eût la même quotité de syllabes & de vers, & dans le même ordre.
On observa ensuite, que le chant s'adaptoit beaucoup mieux aux paroles, quand les breves & les longues se trouvoient placées en même ordre dans chaque strophe pour répondre exactement aux mêmes tenues des tons. En conséquence on travailla à donner une durée fixe à chaque syllabe en la déclarant breve ou longue, après quoi l'on forma ce qu'on appella des piés, c'est-à-dire, de petits espaces tout mesurés, qui fussent en vers ce que le vers est à la strophe. Cours de Belles-lettres, tom. I.
Le nom de pié ne convient qu'à la poésie des anciens ; dans les langues modernes on mesure les vers par le nombre de syllabes. Ainsi nous appellons vers de douze syllabes nos grands vers, ou vers alexandrins ; & nous en avons de dix, de huit, de six, de quatre, de deux syllabes, & d'autres irréguliers d'un nombre impair de syllabes. Voyez VERS & VERSIFICATION.
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PIE | AGASSE, MATAGESSE, MARGOT, DAME JAQUETTE, s. f. (Hist. nat. Ornith.) pica varia caudata, Wil. oiseau qui a un pié six pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & seulement un pié jusqu'au bout des ongles ; l'envergeure est d'un pié dix pouces : le bec a un pouce sept lignes de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche. Le devant de la tête est d'un noir tirant sur le verd doré & le violet ; le reste de la tête, la gorge, le cou, le haut de la poitrine, la partie antérieure du dos & les plumes du dessus de la queue sont d'un noir tirant sur le violet. Chacune des plumes de la gorge a une petite ligne cendrée qui s'étend dans la direction du tuyau. La partie postérieure du dos & le croupion sont gris ; les grandes plumes des épaules & celles du bas de la poitrine, du ventre & des côtés du corps ont une couleur blanche ; celle des plumes du bas-ventre, des jambes, de la face inférieure des aîles & du dessous de la queue est noire. Les petites plumes de l'aîle sont d'un verd obscur ; les grandes ont la même couleur qui tire un peu sur le violet du côté externe du tuyau ; le côté interne est noir. Il y a vingt grandes plumes à chaque aîle ; la premiere est la plus courte, elle a trois pouces six lignes de moins que la cinquieme, qui est la plus longue. Les douze plumes de la queue sont toutes noires en-dessous ; la face supérieure des deux du milieu est d'un verd semblable à celui de la tête du canard mêlé d'un peu de couleur bronzée vers la pointe ; l'extrémité est d'un verd obscur tirant sur le violet ; les autres ont le côté intérieur noir & le reste a les mêmes couleurs que les plumes du milieu, qui sont plus longues d'un pouce que les deux qui les suivent immédiatement ; les autres diminuent successivement de longueur jusqu'à la premiere qui n'a que cinq pouces sept lignes, tandis que celles du milieu ont dix pouces cinq lignes. Le bec, les piés & les ongles sont noirs. On trouve des individus de cette espece qui sont devenus entierement blancs. La pie fait son nid au haut des grands arbres ; l'extérieur de ce nid est hérissé d'épines, & couvert presqu'en entier ; il n'y a qu'une petite ouverture qui sert de passage à l'oiseau. La femelle pond cinq ou six oeufs, & quelquefois sept à chaque couvée. Ornith. de M. Brisson, tom. II. Voyez OISEAU.
PIE DU BRESIL, Voyez TOUCAN.
PIE DU BRESIL GRANDE, Pica mexicana major, oiseau qui surpasse en grosseur le choucas. Il est en entier d'un noir tirant un peu sur le bleu ; les grandes plumes des aîles n'ont que le côté extérieur de cette couleur, le côté intérieur & la face inférieure sont purement noirs. Cet oiseau chante presque continuellement ; sa voix est forte & sonore ; il s'approche volontiers des endroits habités. On le trouve au Mexique. Ornith. de M. Brisson, tom. II. Voyez OISEAU.
PIE DE LA JAMAÏQUE, pica jamaicensis, oiseau qui a près d'un pié de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & environ dix pouces jusqu'au bout des ongles ; les aîles étant pliées, ne s'étendent pas jusqu'à la moitié de la longueur de la queue ; le bec a un pouce quatre lignes de longueur, depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; cet oiseau est en entier d'un beau noir mêlé de violet, & brillant principalement sur la tête & le cou ; les grandes plumes des aîles ont seulement le côté extérieur de cette même couleur ; le côté intérieur, & toute la face inférieure sont noirs ; la queue est composée de douze plumes ; les deux du milieu sont beaucoup plus longues que les autres, qui diminuent de longueur successivement jusqu'à la premiere qui est la plus courte ; les yeux sont gris ; la femelle differe du mâle en ce qu'elle est entierement brune ; cette couleur est plus foncée sur le dos, sur les aîles & sur la queue, qu'ailleurs. On trouve cet oiseau en différens endroits de l'Amérique septentrionale, comme la Jamaïque, la Caroline, le Mexique, &c. Brisson, Ornit. tom. II. Voyez OISEAU.
PIE DE MER, BECASSE DE MER ; haematopus bell. pica marina Gallorum & Anglorum, Wil. Oiseau de la grosseur de la pie ordinaire ou de la corneille. Il a seize à dix-sept pouces de longueur, depuis la pointe du bec, jusqu'à l'extrémité de la queue ; les piés étendus n'excedent pas la longueur de la queue ; le bec est droit, pointu, long d'environ trois pouces, & applati sur les côtés ; la piece supérieure est un peu plus longue que l'inférieure ; les piés sont rouges, & quelquefois bruns ; cet oiseau n'a point de doigt postérieur ; la tête, le cou, la gorge, la partie supérieure de la poitrine & le dos, ont une couleur noire ; le reste de la poitrine, le ventre & le croupion sont d'un très-beau blanc ; il y a des individus de cette espece, qui ont une grande tache blanche sous le menton, & une autre plus petite au-dessous des yeux ; la premiere des grandes plumes des aîles est noire presqu'en entier ; elle a seulement le bord extérieur blanc ; cette couleur occupe successivement un espace de plus en plus grand dans les autres plumes, desorte que la vingtieme, & les trois qui suivent, sont entierement blanches ; les autres plumes intérieures ont un peu de noirâtre ; on trouve dans l'estomac de cet oiseau des patelles entieres ; sa chair est dure & presque noire. Willughbi. Ornit. Voyez OISEAU.
PIE DU MEXIQUE PETITE, pica mexicana minor, Oiseau qui est à-peu-près de la grosseur de la pie ordinaire, & qui a une couleur noirâtre sur toutes les parties du corps, excepté la tête & le cou, dont la couleur tire sur le fauve. Cet oiseau apprend aisément à parler. On le trouve au Méxique. Brisson, Ornit. tome II. Voyez OISEAU.
PIE DE L'ILE PAPOE, pica papoensis, oiseau qui est de la grosseur du merle ; il a environ un pié huit pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & seulement huit pouces jusqu'au bout des ongles ; les aîles étant pliées, s'étendent peu au-delà de l'origine de la queue ; le bec a un pouce trois lignes de longueur, depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; la tête, la gorge & le cou sont d'un beau noir brillant, mêlé d'une couleur de pourpre très-vive ; tout le reste du corps est blanc, à l'exception des plumes des aîles qui ont des barbes noires ; les deux plumes du milieu de la queue sont beaucoup plus longues que les autres ; elles ont jusqu'à un pié deux pouces de longueur ; elles sont en partie noires, & en partie blanches ; le bec est blanc, & il a des sortes de poils noirs à sa racine, qui sont dirigés en avant ; les piés ont une couleur rouge, claire, & les ongles sont blancs. On trouve cet oiseau dans l'île Papoe. Ornit. de M. Brisson, tome II. Voyez OISEAU.
PIE DU SENEGAL, pica senegalensis, oiseau qui est plus petit que notre pie ; il a un pié deux pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & dix pouces & demi jusqu'au bout des ongles ; l'envergeure est d'un pié neuf pouces & demi ; les aîles étant pliées, ne s'étendent environ qu'au tiers de la longueur de la queue ; les plumes de la tête, de la gorge, du cou, du dos, du croupion, les petites aîles, celles du dessus de la queue, de la poitrine, de la partie supérieure du ventre & des côtés du corps, sont d'un noir changeant en violet ; les plumes du bas ventre, des jambes, & celles du dessous de la queue ont une couleur noirâtre ; les grandes plumes des aîles sont brunes ; la queue est composée de douze plumes brunes ; la premiere de chaque côté n'a que quatre pouces de longueur, & celles du milieu en ont sept ; le bec, les piés & les ongles sont noirs. On trouve cet oiseau au Sénégal. Ornit. de M. Brisson, tome II. Voyez OISEAU.
PIE GRIECHE, MATAGESSE, MATAGASSE, PIE ESCRAYE ou ESCRAYERE, PIE ANCRONELLE, ARNEAT, PONCHARY, GRANDE PIE GRIECHE, LANIER, lanius cinereus major. Les Fauconniers donnent à cet oiseau le nom de matagesse. Voyez l'explication de ce mot dans Aldr. Cet oiseau est gros comme le merle ordinaire, il pese trois onces ; il a plus de neuf pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; l'envergeure est d'environ treize pouces ; le bec a un pouce & demi de longueur ; il est noir & un peu crochu, à l'extrémité ayant deux sortes d'appendices terminés en pointes de chaque côté de la partie supérieure ; la langue est fourchue, hérissée de petits filets sur ses bords, vers la pointe, & sur-tout à la base ; l'impression de la langue est marquée sur le palais par une cavité, au milieu de laquelle il y a une fissure longitudinale ; l'ouverture des narines est ronde, & recouverte par des sortes de poils noirs ; on voit de chaque côté de la tête, une tache ou une ligne noire qui commence auprès de l'ouverture du bec, qui passe sur les yeux, & qui se termine derriere la tête ; la tête, le dos, le croupion, sont de couleur cendrée ; le menton & le ventre sont blancs, la poitrine & le dessous des yeux sont traversés par des lignes de couleur noirâtre ; il y a dix-huit grandes plumes dans les aîles qui ont toutes la pointe blanche, à l'exception des quatre premieres ; les bords extérieurs de la seconde & de la troisieme sont blancs ; outre cela les premieres plumes extérieures commencent à blanchir par le bas, & cette couleur blanche est plus étendue dans les plumes qui suivent, & augmente, desorte qu'à la dixieme plume elle en occupe plus de la moitié ; mais cet espace blanc diminue peu-à-peu dans le bas des plumes suivantes, tandis qu'il remonte jusqu'à la pointe sur le bord intérieur, excepté dans les dernieres où il n'y a point de blanc ; la queue est composée de douze plumes, celles du milieu sont les plus longues ; elles ont quatre pouces & demi, les autres diminuent peu-à-peu de chaque côté jusqu'à la derniere, qui n'a que trois pouces & demi de longueur : les deux plumes du milieu sont en entier noires à l'exception du bas & du haut, où il y a sur la pointe une petite tache ; cette tache augmente peu-à-peu sur les plumes extérieures de chaque côté, desorte que la derniere a du blanc presque sur les deux tiers de sa longueur ; le bord extérieur de cette derniere plume, & de l'avant derniere, est blanc jusqu'au bas, où cette couleur s'étend sur toute la largeur de la plume, comme dans les autres jusqu'à celles du milieu. Willughbi dit, que selon Aldrovande, les quatre plumes du milieu sont noires en entier. Il faut qu'il y ait des variétés dans cet oiseau, ou qu'on confonde différentes especes ; car la description de Willughbi ne convenoit point pour la queue à une pie grieche que j'ai vue, & sur laquelle j'ai fait la description de la queue précédente. Les pattes sont noires ; cet oiseau se nourrit de chenilles, de scarabées & de sauterelles ; on en trouve dans son estomac.
La pie grieche reste sur des arbrisseaux épineux ; elle se perche toujours sur le sommet des branches, & lorsqu'elle est posée elle leve sa queue ; elle niche dans les arbrisseaux, & elle fait son nid avec de la mousse, de la laine, des herbes cotonneuses & du foin, de la dent de lion, &c.
Cet oiseau ne se nourrit pas seulement d'insectes, il mange assez souvent de petits oiseaux, comme des pinçons & des roitelets : on dit qu'il attaque, & même qu'il tue des grives. Nos Fauconniers le dressent pour la chasse des petits oiseaux. Willughbi. Voyez OISEAU.
PIE GRIECHE, petite, LANIER, Lanius aug. minor primus, Ald. Oiseau qui a la tête & la partie antérieure du dos roux ; la partie postérieure est cendrée : le croupion a une couleur blanche ; il y a une tache blanche sur les plumes des épaules ; les neuf grandes plumes extérieures des aîles ont la racine blanche ; la gorge a de petites lignes brunes transversales ; on trouve des individus de cette espece, dont toute la face inférieure du corps est d'une couleur blanche mêlée de brun ; les couleurs de cette espece de pie grieche varient de même que celles de l'espece précédente, non-seulement par l'âge, mais encore dans les individus de différent sexe. Willughbi. Ornith. Voyez OISEAU.
PIE, s. m. (Hist. mod.) nom d'un ordre de chevalerie, institué par le pape Pie IV. en 1560. Il en créa jusqu'à cinq cent trente-cinq pendant son pontificat, & voulut qu'à Rome & ailleurs ils précédassent les chevaliers de l'empire & ceux de Saint Jean de Jérusalem : mais malgré ces prérogatives & beaucoup d'autres qu'il leur accorda, cet ordre ne subsiste plus depuis long-tems.
PIE, (Jurisprud.) se dit de quelque chose de pieux, comme cause pie, ou pieuse, donation pie, legs pie, messe pie. Voyez CAUSE, LEGS, &c. (A)
PIE, signifie aussi, en Bresse, une portion qui appartient à quelqu'un dans l'assée d'un étang, comme étant propriétaire de cette portion de terrein dont il a été obligé de souffrir l'inondation pour la formation de l'étang. Les propriétaires des pies contribuent aux réparations de l'étang avec les propriétaires de l'évolage ; ils jouissent de l'assée pendant la troisieme année. Voyez ETANG. (A)
PIE, (Maréchallerie) poil de cheval. Il est blanc & parsemé de grandes taches noires, baies ou alezanes.
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PIÉ-CORNIER | terme des Eaux & Forêts ; on appelle en style des eaux & forêts piés-corniers, les gros arbres qui sont dans les encognures des ventes qui se font dans les forêts, & qui se marquent par le garde-marteau.
Il est dit dans l'article 9. du titre de l'assiette, baillivage & martelage, &c. que les arbres de lisieres & de parois seront marqués du marteau du roi, & celui de l'arpenteur sur une face, à la difference des piés-corniers, qui le seront sur chaque face qui regardera la vente. Lorsque l'on vend quelques parties des forêts du roi, l'espace vendu est enfermé dans des lignes, que l'on tire suivant la situation des lieux. Ces lignes sont appellées parois, & les arbres que l'on laisse à côté ou au bout de la ligne entre deux piés-corniers, sont arbres de paroi ou de lisiere. Exemple.
On voit par cette figure, que les piés-corniers sont les arbres laissés & marqués aux extrémités de la vente. On voit encore qu'entre deux piés-corniers il y a une parois ou deux, eu égard aux distances des piés-corniers. Les piés-corniers doivent être marqués du marteau du maître, de celui du garde-marteau, & de celui du mesureur. Les places taillées sur les piés-corniers sont appellées miroirs, parce qu'elles sont tournées pour regarder & mirer la droite ligne qui conduit d'un pié-cornier à l'autre, & les côtés où les miroirs sont faits sont nommés faces.
La marque du maître est au-dessus des autres, celle du garde-marteau est ensuite, & en bas de l'arbre. Voyez sur cette matiere Rousseau sur les ordonnances des Eaux & Forêts, & Duchaufourt dans son instruction sur le fait des Eaux & Forêts. Aubert. (D.J.)
PIE DE FIEF, en terme de Coutumes, signifie un fief démembré. On dit en terme de Coutumes, que le pié saisit le chef ; ce qui veut dire, ou que la superficie appartient au propriétaire du sol, ou que le propriétaire du sol est en droit d'élever perpendiculairement son édifice si haut qu'il veut, & faire abattre les traverses ou chevrons des maisons voisines qui nuiroient à son élevation.
PIE DE FORET, pes forestae, (Comm.) contient dix-huit pouces.
Notandum est quod pes forestae usitatus tempore Ric. Oyssel. in arrentatione vassallorum factus est, signatus & sculptus in pariete cancellae ecclesiae de Edwinstone, & in ecclesiâ B. M. de Nottingham, & dictus pes continet in longitudine octodecim pollices, & in arrentatione quorumdam vassallorum pertica, 20, 21 & 24 pedum usa fuit, &c.
Pes monetae, dans les anciennes archives, se dit d'un réglement juste & raisonnable de la valeur réelle de toute monnoie courante. Voyez ÉTALON & MONNOIE.
PIE FOURCHE, (Com. de bétail) les marchands de bétail appellent bestiaux à pié fourché ou fourchu, les animaux qui ont le pié fendu en deux seulement, comme sont les boeufs, vaches, cochons, chevres, &c.
Le pié fourché est aussi un droit qui se leve aux entrées de quelques villes de France, sur les bestiaux à pié fourché qui s'y consomment, & dont il est fait une ferme. (D.J.)
PIES POUDREUX, (Cour des) Jurisprudence, est le nom d'une ancienne cour de justice, dont il est fait mention dans plusieurs statuts d'Angleterre, qui devoit se tenir dans les foires, pour rendre justice aux acheteurs & aux vendeurs, & pour réformer les abus ou les torts réciproques qui pouvoient s'y commettre. Voyez FOIRE.
Elle a pris son nom de ce qu'on la tenoit le plus souvent dans la saison de l'été, & que les causes n'y étoient guere poursuivies que par des marchands qui y venoient les piés couverts de poussiere, & que l'on appelloit par cette raison, piés poudreux ; ou bien elle a été ainsi nommée, parce qu'on s'y proposoit d'expédier les affaires de son ressort, avant que la poussiere fut tombée des piés du demandeur & du défendeur.
Cette cour n'avoit lieu que pendant le tems que duroient les foires. Elle avoit quelque rapport avec notre jurisdiction de juges & consuls. Voyez CONSUL.
PIESENTE, (Jurisprud.) est un sentier qui doit contenir deux piés & demi de largeur ; on ne peut y passer qu'à pié, & non y mener ni ramener des bêtes. Coutume de Boulenois, art. 166. (A)
PIE D'ALOUETTE, (Hist. nat. Bot.) delphinium, genre de plante à fleur polypétale, anomale & composée de plusieurs pétales inégaux ; le pétale supérieur se termine en une autre queue, & reçoit un autre pétale divisé en deux parties, & garni d'une queue comme le premier : le pistil occupe le milieu de ces pétales, & il devient dans la suite un fruit dans lequel il y a plusieurs gaînes réunies en forme de tête, qui s'ouvrent dans leur longueur, & qui renferment des semences, le plus souvent anguleuses. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PIE DE CHAT, (Botan.) cette plante qu'on emploie dans les pharmacopées, sous le nom équivoque de gnaphalium, est appellée par Tournefort, elichrysum montanum, flore majore, purpurascente. I. R. H. 453.
Ses racines sont fibreuses & rampantes de tous côtés ; les feuilles sont couchées sur terre ; elles sont oblongues, arrondies vers la pointe, d'un verd gai, couvertes en dessous d'un duvet blanchâtre. Au sommet de ces tiges, sont plusieurs fleurs à fleurons, divisées en maniere d'étoile, portées chacune sur un embryon, & renfermées dans un calice écailleux & luisant ; l'embryon se change en une graine garnie d'aigrettes.
PIE DE CHAT, (Mat. méd.) les fleurs de pié de chat sont la seule partie qui soit en usage. Ces fleurs tiennent un rang distingué parmi les remedes pectoraux : on en ordonne fréquemment l'infusion, la légere décoction, sous forme de tisane, & le sirop simple, dans presque toutes les maladies chroniques des poumons, & sur-tout dans les plus légeres, telles que le rhume, soit récent, soit opiniâtre & invéteré ; ce crachement incommode & abondant est connu sous le nom vulgaire de pituite, &c.
On donne cette infusion ou cette décoction, soit seule, soit mêlée avec du lait, & ordinairement édulcorée avec le miel, le sucre, ou un sirop approprié. (b)
PIE DE COQ égyptien, (Botan. exot.) c'est le gramen dactylon aegyptiacum de C. B. & de Parkinson ; petite plante d'Egypte, à racine blanche, genouillée & rampante. Ses branches sont pareillement genouillées, & portent quatre épics, qui forment une croix ; cette plante est d'usage médicinal en Egypte.
PIE DE GRIFFON, (Botan.) c'est un nom vulgaire de l'ellebore noir, puant des botanistes, helleborus niger, foetidus, qui a quelque usage dans la médecine des bestiaux. Voyez ELLEBORE noir, (Botan.)
PIE DE LIEVRE, (Botan.) espece de tréfle que les anciens botanistes on nommé lagopus vulgaris ; ses fleurs ont une fausse ressemblance au pié d'un liévre ; elle croît parmi les blés ; sa graine est rougeâtre : quand elle est mêlée avec le blé, & écrasée au moulin, elle rend le pain rougeâtre, aussi le blé dans lequel elle se trouve, diminue considérablement de prix.
PIE DE LION, alchimilla, genre de plante dont la fleur n'a point de pétales ; elle est composée de plusieurs étamines soutenues par un calice en forme d'entonnoir, & profondément découpée. Le pistil devient dans la suite une, ou plusieurs semences renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Ce genre de plante est connu des botanistes, sous le nom latin alchimilla, dont Tournefort compte treize especes : nous décrirons la plus commune, alchimilla vulgaris, C. B. P. 319. Clusii. hist. 108. Tournefort I. R. H. 508. en anglois, the common ladies-mantle.
Sa racine se répand obliquement ; elle est de la grosseur du petit doigt, fibreuse noirâtre & astringente ; elle pousse un grand nombre de queues longues d'une palme & demie, velues ; chaque queue porte une feuille qui approche de celle de la mauve, mais plus dure, ondée & partagée en huit ou neuf angles obtus. Cette feuille est crenelée symmétriquement, & comme repliée avec autant de nervures qui viennent à la queue, & qui s'étendent jusqu'à l'extrémité ; du milieu des feuilles s'élevent quelques tiges grêles, velues, cylindriques, branchues, hautes de neuf pouces, garnies de quelques petites feuilles, portant à leur sommet un bouquet de fleurs sans pétales, composé de plusieurs étamines garnies de sommets jaunâtres ; ces fleurs sont contenues dans un calice d'une seule piece, en forme d'entonnoir, de couleur verte-pâle, partagé en quatre parties pointues, entre lesquelles il s'en trouve quatre autres plus petites.
Le pistil se change en une, ou deux menues graines jaunâtres, brillantes, arrondies, renfermées dans une capsule qui étoit le calice de la fleur. Cette plante se plaît parmi les herbes des Alpes, des Pirenées & des montagnes de la Provence. La plante est placée au rang des plantes vulnéraires astringentes ; on emploie son suc dans les ulceres internes, ainsi que pour arrêter les règles trop abondantes, les fleurs blanches, & la dyssenterie ; ce remede est fort utile dans le crachement de sang, le pissement de sang, le diabete & l'ulcere des poumons.
Quelques filles, au rapport d'Hoffman, savent se servir adroitement de la décoction de pié de lion, dont elles font un demi-bain pour réparer leur virginité. Elles tâchent aussi, par cette même décoction, d'affermir leurs mammelles ; pour cet effet, elles trempent un linge dans la décoction de cette plante, & elles l'appliquent sur leur sein.
PIE DE LOUP (Botan.) le vulgaire appelle ainsi l'espece de mousse terrestre nommée par Tournefort, moscus terrestris clavatus, parce qu'il a des pédicules qui s'élevent d'entre les rameaux, & qui représentent vers leur sommet une petite tête ; cette petite tête, quand on la touche en automne, jette une poudre jaune, subtile, qui étant séchée, s'enflamme & fulmine presque comme de la poudre à canon. (D.J.)
PIE D'OISEAU, ornithopodium, genre de plante à fleur papilionacée. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique en forme de faucille, composée de plusieurs pieces jointes ensemble, & ordinairement plissée : chacune de ces pieces renferme une semence arrondie. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les siliques sont réunies plusieurs ensemble, & qu'elles ont quelque ressemblance avec le pié d'un oiseau. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PIE DE PIGEON, (Botan.) par les botanistes, geranium columbinum. Voyez BEC DE GRUE, (Botan.)
PIE DE PIGEON ou BEC DE GRUE, (Mat. méd.) les feuilles de cette plante ont une saveur styptique & gluante. Tournefort recommande le sirop fait de leur suc pour la dyssenterie : son extrait a la même vertu. De quelque maniere que l'on donne cette plante, elle arrête d'une maniere surprenante le sang de quelque endroit qu'il coule. Geoffroi, mat. med. Cet éloge est trop général & trop positif ; il n'est pas même à la maniere de Geoffroi : il faudroit bien se garder de trop compter sur un pareil secours dans des hémorrhagies dangereuses.
Le pié de pigeon a beaucoup d'analogie avec une autre espece de geranium ou bec de grue, appellée herbe à Robert. On employe indifféremment l'une ou l'autre de ces plantes. Voyez HERBE A ROBERT. (b)
PIE DE POULE, (Botan.) nom que le peuple donne à l'espece de gramen ou chien-dent, appellé par Tournefort, gramen dactylon, radice repente. Ce même nom de pié de poule, est encore donné par le vulgaire au lanium folio cautem ambiente minus, de Tournefort. Si l'on ne rejettoit pas les noms vulgaires des plantes, la Botanique deviendroit un chaos ; il faut apprendre les noms de l'art & s'y tenir. (D.J.)
PIE DE VEAU, (Bot.) genre de plante à fleur monopétale, anomale, & dont la forme ressemble à l'oreille d'un âne ou d'un lievre. Le pistil sort du fond de cette fleur, & il est entouré à sa base de plusieurs embryons qui deviennent dans la suite autant de baies presque rondes, dans chacune desquelles il y a une ou deux semences arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles ne sont pas divisées, ou qu'elles ont simplement de petites découpures. Tournefort. Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort compte 34 especes de ce genre de plante, dont il suffira de décrire la plus commune qui est d'usage en Médecine. Elle est nommée arum vulgare, non maculatum. C. B. P. 195. I. R. H. 158 ; en anglois, the common wake-Robin, or, arum, wiht plain leaves ; & en françois, pié de veau sans taches.
Sa racine est tubéreuse, charnue, de la grosseur du pouce, arrondie, mais mal formée ; blanche, remplie d'un suc laiteux, garnie de quelques fibres. Ses feuilles sont longues de neuf pouces, presque triangulaires, semblables à une fleche, luisantes & veinées. Sa tige est environ de la hauteur d'une coudée, cylindrique, cannelée ; elle porte une fleur membraneuse d'une seule piece, irréguliere, de la figure d'une oreille d'âne ou de lievre, roulée en maniere de gaîne, d'un blanc verdâtre. Au fond de cette fleur est le pistil, d'un jaune pâle, à la naissance duquel plusieurs grains, comme ceux des raisins, ou plusieurs baies se trouvent rassemblées en une tête oblongue. Ces baies sont sphériques, de couleur de pourpre, molles, pleines de suc ; elles renferment une ou deux petites graines, un peu dures & arrondies. Toute la plante est d'une saveur fort âcre, & qui brûle la langue.
Le pié de veau marqué de taches, arum maculatum, vulgare, maculis candidis vel nigris, C. R. P. 195. I. R. H. 158, ne differe de l'espece précédente, que par les taches blanches ou noires dont ses feuilles sont parsemées ; ces deux especes de pié de veau s'employent en Médecine. Voyez PIE DE VEAU. Matiere médicale.
L'arum montant d'Amérique, à grandes feuilles percées, arum hederaceum, amplis foliis perforatis, du P. Plumier s'attache au tronc des arbres de la même maniere que nos lierres ; cette espece d'arum étrangere est le bois des couleuvres d'Acosta, & du P. Tertre. Hist. des Antilles.
L'arum d'Amérique à feuilles de sagittaire, & qui s'éleve en arbrisseau, arum americanum arborescens, sagittariae foliis, du même P. Plumier, porte un fruit qui pique la langue, tandis que sa racine est douçâtre & d'un assez bon goût ; c'est l'arum esculentum, sagittariae foliis viridi-nigrantibus, de Sloane Cat. Jam. (D.J.)
PIE DE VEAU, (Mat. méd.) c'est la racine de cette plante qui est principalement en usage en Médecine. Cette racine fraîche a une saveur âcre & brûlante, qui se dissipe en très-grande partie par la dessiccation & par la décoction. Elle tient un rang distingué parmi les stomachiques, les béchiques incisifs, & les fondans ou desobstruans purgatifs. On la regarde aussi comme un bon fébrifuge. Elle est très-recommandée dans l'asthme humide, la toux invéterée & suivie de crachats épais & gluans, les pâles couleurs, la cachexie, la jaunisse & les affections mélancholiques-hypochondriaques. La dose de cette racine seche est d'un demi-gros jusqu'à un gros & demi, en poudre & reduite sous forme d'opiat, avec un excipient convenable. C'est principalement avec le miel qu'on l'incorpore, lorsqu'on l'emploie contre l'asthme humide. On la fait entrer aussi dans les apozemes & les bouillons apéritifs & fondans.
La racine de pié de veau est de la classe de celles qui donnent une fécule, voyez FECULE. Quelques auteurs ont cru retrouver dans cette fécule les vertus de la racine entiere, mais dans un degré plus mitigé. Ils se sont trompés, cette fécule est dépourvue de toute vertu médicinale.
La racine de pié de veau fraiche, adoucie par la cuite, dans l'eau ou dans le vinaigre, est donnée pour un bon diurétique, & un excellent vulnéraire. Vanhelmont la recommande à ce dernier titre dans les chutes des lieux élevés.
Les feuilles pilées & reduites en forme de cataplasme, ou simplement battues & flétries entre les mains, sont dans plusieurs provinces, un remede populaire fort efficace contre les brûlures, les écorchures, les coups aux jambes, aux coudes, &c. qui entament la peau, les ulceres récens, &c.
La racine de pié de veau entre dans l'eau générale, dans l'opiat mésentérique, dans l'emplâtre diabotanum, la poudre cachectique de Quercetan, &c. (b)
PIE D'ANE (Conchyl.) nom vulgaire donné à une espece d'huitre, différente de l'huitre commune par un mamelon à sa charniere ; on l'appelle en latin spondylus, ainsi voyez SPONDYLE.
PIE DU STILE, terme de Gnomoniq. c'est le point du plan sur lequel tombe une ligne abaissée du bout du stile, perpendiculairement sur le plan du cadran. (D.J.)
PIE, (Hydr.) c'est la mesure de toutes les choses qui sont dans le commerce ; la toise & la perche sont composées de piés de roi, ainsi que l'aune qui contient 3 piés 8 pouces.
Il y a différentes sortes de piés ; savoir :
Le pié courant, qui est divisé en 12 pouces courans.
Le pié quarré a 144 pouces quarrés, en multipliant 12 pouces par 12 pouces, dont le produit est 144.
Le pié circulaire est de 144 pouces circulaires, en multipliant 12 par 12, dont le produit est 144.
Le pié cylindrique qui est un solide est la multiplication de la superficie d'un pié circulaire, contenant 144 pouces circulaires par sa hauteur 12, ce qui donne 1728 pouces cylindriques.
Le pié cube est la multiplication de la superficie d'un pié quarré, contenant 144 pouces quarrés par sa hauteur 12, ce qui donne 1728 pouces cubes. (K)
PIE D'EAU, (Hydr.) est un solide ou pié cube d'eau, qu'il ne faut pas confondre avec le pié cylindrique d'eau, qui n'est composé que de pouces circulaires multipliés par des pouces circulaires, qui produisent 1728 pouces cylindriques ; chacun de ces piés cylindriques n'a que 113 pouces 2 lignes quarrés, provenant de la proportion du pié quarré au pié circulaire, & ne pese que 55 livres ; au-lieu que le pié cube d'eau pese 70 livres. On évalue ce pié cube d'eau le huitieme du muid d'eau, ce que l'on a reconnu par l'expérience. Ainsi quand on compose le muid d'eau de 288 pintes mesure de Paris, le pié cube d'eau vaut 36 pintes, huitieme de 288 ; & quand le muid d'eau n'est évalué qu'à 280 pintes, le pié cube ne vaut que 35 pintes. (K)
PIE DE VENT, phénomene dont on trouve la description dans l'histoire de l'académie des Sciences de 1732. Il consiste dans un arrangement de nuages sur différentes lignes, qui étant prolongées concouroient à deux points opposés de l'horison, comme les méridiens d'un globe se réunissent aux poles. " Lorsque le ciel n'est pas tout-à-fait serein, ni entierement couvert, il est rare, quand on y fait bien attention, que les nuages ne paroissent pas affecter cette disposition plus ou moins sensiblement. C'est d'ordinaire au point de réunion vers l'horison, qu'elle est la plus remarquable, & quelquefois elle ne l'est pas ailleurs ; c'est pour cela qu'il faut, surtout lorsqu'on n'a pas pris l'habitude d'observer le phénomene, un horison fort étendu pour le voir distinctement. Souvent le point de réunion est très-sensible, & les nuages qui en partent semblent s'écarter en tout sens, en forme d'éventail, ou d'un côté de l'horison seulement, tandis que l'autre côté est sans aucun nuage ; ou des deux côtés de l'horison à la fois, & alors un des deux centres est d'ordinaire plus apparent que l'autre. Ils ne sont pas toujours diamétralement opposés : quelquefois l'ordre des nuages se trouble & se confond, & l'on apperçoit pendant quelque tems, deux différens points de concours du même côté de l'horison, jusqu'à ce que l'un des deux disparoisse & cede, pour ainsi dire, la place à l'autre. Divers nuages, disposés parallelement les uns aux autres & à l'horison à perte de vûe, ce qui est l'arrangement naturel que le vent leur donne, doivent, suivant les regles de l'optique, nous paroître concourir à deux points opposés de l'horison. On ne doit pas regarder ce phénomene comme une autre sorte de météore ; mais on doit le ranger dans la classe des phénomenes que les nuées représentent par leur différente situation ". Essai de Phys. de Méth. page 751. §. 1524.
PIE, on appelle en terme de Blason, pié de l'écu, la pointe ou partie inférieure de l'écu ; & on dit qu'un animal est en pié, pour dire qu'il est posé sur ses quatre piés. Lorsqu'il ne paroît que les trois fleurons de lis, & que le pié qui est au-dessous en est retranché, on dit pié coupé & pié nourri. On appelle pié fiché, celui qui est pointu & propre à ficher en terre.
PIE, (Chasse) c'est par le pié qu'un bon chasseur peut connoître les différentes bêtes & leurs différens âges.
Les vieux cerfs ont ordinairement la sole du pié grande & de bonne largeur, le talon gros & large, la comblette ouverte, la jambe large, les os gros, courts & non tranchans, la piece ronde & grosse, & ne font jamais aucune fausse démarche, ce qui arrive souvent aux jeunes. Outre ce, les vieux cerfs n'avancent jamais le pié de derriere plus avant que celui de devant, au lieu que les jeunes le passent toujours. La biche a le pié fort long, étroit & creux, & le talon si petit, qu'il n'y a pas de cerf d'un an qui ne l'ait aussi gros.
On reconnoît dans les chevreuils les mâles des femelles au pié ; les mâles ont ordinairement plus de pié devant que les chevrettes, le tour des pinces en est plus rond, & le pié plus plein ; au lieu que les femelles les ont creux & les côtés moins gros que les mâles, qui ont aussi le talon & la jambe plus larges, & les os plus gros & tournés en-dedans.
La trace du sanglier se distingue d'avec celle d'une laie, en ce que lorsque la laie est pleine, elle pese beaucoup en marchant, va ordinairement les quatre piés ouverts, & a les pinces moins grosses que n'a le sanglier qui va la trace serrée ; elle a aussi les gardes, la sole & le talon plus larges, les côtés plus gros & plus usés, les allures plus longues & plus assurées, mettant les piés plus aisément dans une même distance. Dans la saison du rut, les laies ont les allures aussi longues que le sanglier ; mais la trace du mâle est plus ronde & mieux faite. Il y a aussi une différence entre le sanglier en son tiers an, & celui en son quart an ; celui en son tiers an a la sole moins pleine, & a les côtés de la trace plus tranchans, & les pinces moins grosses & plus tranchantes ; le sanglier en son quart an a les gardes plus larges, plus usées & plus près du talon ; les allures en sont plus longues, & le pié de derriere demeure plus éloigné que celui de devant, au-lieu que le sanglier en son tiers an rompt une partie de sa trace, & va les piés plus ouverts. Les vieux sangliers mirés ont encore les gardes plus larges & plus grosses & plus usées ; elles approchent plus aussi du talon, & sont plus bas jointées ; & ils vont les quatre piés plus serrés.
On distingue par le pié le sanglier du cochon domestique, en ce que les pourceaux privés vont toujours les quatre piés ouverts, & les pinces pointues & sans rondeur ; mais les bêtes noires vont les piés plus serrés, sur-tout ceux de derriere ; ils ont les pinces plus rondes & mieux faites, & le pié plus creux que ceux des porcs privés, qui l'ont ordinairement plein, & n'appuient pas du bout de la pince comme les sauvages, qui ont le talon, la jambe & les gardes plus larges, & qui s'écartent beaucoup plus que ceux d'un pourceau sauvage, qui a les gardes petites & piquantes, droites en terre.
On distingue les traces d'un vieux loup d'avec celles du chien, parce que le loup, quand il va d'assurance, a toujours le pié très-serré, au lieu que celui du chien est toujours fort ouvert, & qu'il a le talon moins gros & moins large que le loup, & les deux grands doigts plus gros, quoique les ongles du loup soient plus gros & enfoncent plus avant en terre ; outre que les loups forment en-dessous trois petites fossettes, ce que celui du chien ne fait pas. Le loup a aussi plus de poil sur le pié que le chien, & les allures en sont bien plus longues, mieux reglées & plus assurées.
Le pié du loup differe de celui de la louve, en ce que celle-ci a les ongles moins gros que le loup. Les jeunes loups se connoissent aux liaisons des piés qui ne sont point si fortes que celles des vieux loups, ce qui fait que les jeunes ont le pié plus ouvert, des ongles plus petits & plus pointus, & que leurs allures ne sont pas si réglées ni si longues.
Le pié du blaireau differe beaucoup de celui des autres animaux qu'on chasse, ce qui en rend la connoissance aisée ; il a les doigts du pié tous égaux & le talon fort gros ; il pese du pié quand il marche, & le fait porter également à terre.
PIE, en Géométrie, (Arpentage, Commerce), &c. est une mesure convenue dans chaque royaume ou état gouverné par ses propres lois, pour évaluer ou déterminer des longueurs ; le pié françois contient douze pouces. Voyez MESURE & POUCE.
Les Géometres divisent le pié en dix doigts, le doigt en dix lignes, &c.
Les Anglois divisent leur pié comme nous, en douze pouces, & le pouce en douze lignes. Voyez LIGNE.
Un pié quarré est une surface rectangulaire dont la longueur & la largeur sont égales à un pié ; ce pié contient 144 pouces quarrés. Voyez QUARRE.
Le pié cube ou cubique a ses trois dimensions égales chacune à un pié ; il contient 1728 pouces cubes. Voyez CUBE & CUBIQUE.
Table de la proportion du poids de différens corps ou matieres réduites à la grosseur du pié cube.
PIE, (Mesure de longueur) mesure prise sur la longueur du pié humain, qui est différent selon les lieux. On appelle aussi pié un instrument en forme de petite regle, qui a la longueur de cette mesure, & sur laquelle ses parties sont gravées.
On considere les piés comme antiques ou comme modernes, & c'est cette division que nous allons suivre en rapportant les piés usités selon qu'ils ont été déterminés par Snellius, Riccioli, Scamozzi, Petit, Picard, &c. Les uns & les autres sont réduits au pié de roi, qui est une mesure établie à Paris & en quelques autres villes de France ; elle contient 144 lignes. Ce pié est divisé en douze pouces, le pouce en douze lignes, & la ligne en douze points. Ainsi ce pié est divisé en 1728 parties. Six de ces piés font la toise. On se sert de palmes & de brasses au lieu de piés en quelques villes d'Italie. Toutes ces mesures sont principalement utiles pour l'intelligence des livres, des desseins, & des ouvrages d'Architecture de divers lieux.
Piés antiques par rapport au pié de roi.
Pié d'Alexandrie, 13 pouces 2 lignes 2 points.
Pié d'Antioche, 14 pouces 11 lignes 2 points.
Pié arabique, 12 pouces 4 lignes.
Pié babylonien, 12 pouces 1 ligne & 6 points. Selon Capellus, 14 pouces 8 lignes & demie ; & selon M. Petit, 12 pouces 10 lignes & 6 points.
Pié grec, 11 pouces 5 lignes 6 points ; & selon M. Perrault, 11 pouces 3 lignes.
Pié hébreu, 13 pouces 3 lignes.
Pié romain. Selon Vilalpande & Riccioli, ce pié a 11 pouces 1 ligne 8 points ; Selon Lucas Poetus, au rapport de M. Perrault, & selon M. Picard, 10 pouces 10 lignes 6 points, qui est la longueur du pié qu'on voit au Capitole, & qui apparemment est la mesure la plus certaine du pié romain. Malgré ce témoignage, M. Petit pense que ce pié doit être de 11 pouces.
Piés modernes par rapport au pié de roi.
Pié d'Amsterdam, 10 pouces 5 lignes 3 points.
Pié d'Anvers, 10 pouces 6 lignes.
Pié d'Avignon & d'Aix en Provence, 9 pouces 9 lignes.
Pié d'Augsbourg en Allemagne, 10 pouces 11 lignes 3 points.
Pié de Baviere en Allemagne, 10 pouces 8 lignes.
Pié de Besançon en Franche Comté, 11 pouces 5 lignes 2 points.
Pié ou brasse de Bologne en Italie, 14 pouces selon Scamozzi, & 14 pouces 1 ligne suivant M. Picard.
Pié de Bresse, 17 pouces 7 lignes & 6 points, selon Scamozzi, & 17 pouces 5 lignes 4 points selon M. Petit.
Pié ou dérab du Caire en Egypte, 20 pouces 6 lignes.
Pié de Cologne, 10 pouces 2 lignes.
Pié de Franche Comté & Dole, 13 pouces 2 lignes 3 points.
Pié ou pic de Constantinople, 24 pouces 5 lignes.
Pié de Copenhague en Danemark, 10 pouces 9 lignes 6 points.
Pié de Cracovie en Pologne, 10 pouces 2 lignes.
Pié de Dantzick en Pologne, 10 pouces 4 lignes 6 points selon M. Petit, & 10 pouces 7 lignes selon M. Picard.
Pié de Dijon en Bourgogne, 11 pouces 7 lignes 2 points.
Pié de Florence, 20 pouces 8 lignes 6 points selon Maggi ; 21 pouces 4 lignes 6 points selon Lorini ; 22 pouces 8 lignes selon Scamozzi, & 21 pouces 4 lignes selon M. Picard.
Pié de Genes, 9 pouces 9 lignes.
Pié de Geneve, 18 pouces 4 points.
Pié de Grenoble en Dauphiné, 12 pouces 7 lignes 2 points.
Pié de Heidelberg en Allemagne, 10 pouces 2 lignes selon M. Petit, & 10 pouces 3 lignes 6 points suivant une mesure originale.
Pié de Léipsic en Allemagne, 11 pouces 7 lignes 7 points.
Pié de Leyden en Hollande, ou pié rhenan, 11 pouces 7 lignes. Ce pié sert de mesure à tout le septentrion ; sa proportion avec le pié romain est comme de 950 à 1000. Voyez Casimir, qui dans sa pyrotechnie a fait sa réduction au pié rhenan, de tous les autres piés des plus fameuses villes de l'Europe.
Pié de Liege, 10 pouces 7 lignes 6 points.
Pié de Lisbonne en Portugal, 11 pouces 7 lignes 7 points selon Snellius.
Pié de Londres & de toute l'Angleterre, 11 pouces 3 lignes, ou 11 pouces 2 lignes 6 points selon M. Picard, & suivant une mesure originale, 11 pouces 4 lignes 6 points. Le pouce d'Angleterre se divise en dix parties ou lignes.
Pié de Lorraine, 10 pouces 9 lignes 2 points.
Pié de Lyon, 12 pouces 7 lignes 2 points, selon M. Petit ; & 12 pouces 7 lignes 6 points, selon une mesure originale. Sept piés & demi font la toise de Lyon.
Pié de Manheim dans le Palatinat du Rhin, 10 pouces 8 lignes 7 points, selon une mesure originale.
Pié de Mantoue en Italie, 17 pouces 4 lignes suivant Scamozzi.
Pié de Mâcon en Bourgogne, 12 pouces 4 lignes 3 points. Il en faut sept & demi pour la toise.
Pié de Mayence en Allemagne, 11 pouces 1 ligne 6 pouces.
Pié de Middelbourg en Zélande, 11 pouces 1 ligne.
Pié de Milan, 22 pouces.
Pié de Naples, est une palme de 8 pouces 7 lignes selon Riccioli.
Pié de Padoue en Italie, 13 pouces 1 ligne selon Scamozzi.
Pié de Palerme en Sicile, 8 pouces 5 lignes.
Pié de Parme en Italie, 20 pouces 4 lignes.
Pié de Prague en Boheme, 11 pouces 1 ligne 8 points.
Pié du Rhin, 11 pouces 5 lignes 3 points selon Snellius & Riccioli ; 11 pouces 6 lignes 7 points selon M. Petit ; 11 pouces 7 lignes selon M. Picard, & 11 pouces 7 lignes & demi, suivant une mesure originale. On en a trouvé une seconde en fouillant les ruines d'Herculanum ; on dit que c'est une verge pliante de bronze, dans laquelle le pié romain est partagé en pouces & en lignes ; de cette maniere on saura définitivement l'étendue du pié romain.
Pié de Rouen, semblable au pié de roi.
Pié de Savoie, 10 pouces.
Pié de Sedan, 10 pouces 3 lignes.
Pié de Sienne en Italie, 21 pouces 8 lignes 4 points.
Pié de Stockholm en Suede, 12 pouces 1 ligne.
Pié de Strasbourg, 10 pouces 3 lignes 6 points.
Pié de Tolede, ou pié castillan, 11 pouces 2 lignes 2 points, selon M. Riccioli, & 10 pouces 3 lignes 7 points selon M. Petit.
Pié trévisan dans l'état de Venise, 14 pouces 6 points selon Scamozzi.
Pié de Turin ou de Piemont, 16 pouces selon Scammozzi.
Pié de Venise, 12 pouces 10 lignes, selon Scamozzi & Lorini ; 12 pouces 8 lignes selon M. Petit, & 11 pouces 11 lignes suivant M. Picard.
Pié de Vérone, égal à celui de Venise.
Pié de Vicence en Italie, 13 pouces 2 lignes selon Scamozzi.
Pié de Vienne en Autriche, 11 pouces 8 lignes.
Pié de Vienne en Dauphiné, 11 pouces 11 lignes.
Pié d'Urbin & de Pezaro en Italie, 13 pouces 1 ligne selon Scamozzi.
Pié selon ses dimensions.
Pié courant ; c'est le pié qui est mesuré suivant sa longueur.
Pié quarré ; c'est un pié qui est composé de la multiplication de deux piés. Ainsi un pié étant de 12 pouces, un pié quarré est de 144 pouces, nombre qui provient de 12 multiplié par 12.
Pié cube : c'est un pié qui contient 1728 pouces cubes, nombre qui est formé du produit du pié quarré par le pié simple.
Comme nous écrivons pour tous les peuples, & qu'il pourroit y avoir des étrangers qui ignoreroient le rapport & la différence du pié qui est en usage chez eux au pié de roi, que nous avons pris ici pour regle, il convient d'ajouter encore une table qui puisse aider tout le monde à évaluer les différens piés à celui de Paris. Nous avons dit qu'il se divisoit en douze pouces, & chaque pouces en 12 lignes. Si donc on suppose chaque ligne divisée en dix parties, on aura
Quand les Allemands n'expriment point la sorte de pié dont ils se servent, il faut l'entendre du pié rhinlandique. (D.J.)
PIES DROITS, (Marine) ce sont des étances passées sur le fond de cale & sous quelques baux, dans les plus grands vaisseaux où il y a des broches taillées comme celle d'une cremaillere, par où les matelots montent & descendent avec le secours d'une tirevieille.
PIE MARIN, (Marine) avoir le pié marin, se dit d'un homme de mer qui a le pié si sûr & si ferme qu'il peut se tenir debout pendant le roulis d'un vaisseau.
Il se dit aussi de celui qui entend bien la navigation, & qui est fait aux fatigues de la mer. Lorsqu'un officier a le pié marin, les gens de l'équipage ont bien plus de confiance dans sa conduite.
PIE FORT, terme de Monnoie, ce mot se dit d'une piece forte, d'argent, ou d'autre métal, plus forte ou plus épaisse que les monnoies ordinaires, quoique presque toujours frappée au même coin, mais qui n'a point de cours dans le commerce comme les autres especes.
Ce sont les Monétaires ou Monnoyeurs qui les font frapper par curiosité, soit pour garder, soit pour les donner à leurs amis. On voit à Paris dans les cabinets des curieux, des piés forts de quatre louis d'or, de huit, de douze, & de seize, presque tous gravés par le célebre Varin, cet habile artiste, à qui la monnoie de France est redevable de sa perfection.
Outre les piés forts qui sont frappés sur de l'or, on en a aussi quantité d'argent & de cuivre gravés par cet excellent tailleur, qui égalent les beautés des médailles les plus estimées. Boissard. (D.J.)
PIE, s. m. (Manufacture) ce mot se dit de la partie inférieure des rots, qui servent à la fabrique des étoffes & des toiles, la partie supérieure s'appelle la tête.
PIE, (Mesure d'ouvriers) mesure de cuivre, de fer, de bois, ou de quelqu'autre matiere que ce soit, qui sert à la plûpart des ouvriers, entr'autres aux Charpentiers, Menuisiers, Maçons, Couvreurs, & autres semblables, pour mesurer les ouvrages.
Il y a de ces piés qui sont tout d'une piece, d'autres qui se plient & sont brisés, d'autres encore qui en s'ouvrant portent leur équerre. Ce sont les faiseurs d'instrumens de mathématiques qui font ordinairement les piés de cuivre ; ils en font aussi d'argent pour mettre dans des étuis portatifs : les uns & les autres sont divisés en pouces, & le premier pouce en lignes.
Les piés de fer ou d'ouvrage commun se vendent par les quincailliers. (D.J.)
PIE DROIT, s. m. (Archit.) c'est la partie du trumeau ou jambage d'une porte ou d'une croisée, qui comprend le bandeau ou chambranle, le tableau, la feuillure, l'embrasure, & l'écoinçon ; on donne aussi ce nom à chaque pierre, dont le pié droit est composé.
PIE DE FONTAINE, s. m. (Archit.) espece de gros balustre, ou piédestal rond ou à pans, quelquefois avec des consoles ou des figures, qui sert à porter une coupe ou un bassin de fontaine, ou un chandelier. Il y a dans la colonade de Versailles trente-un piés, qui soutiennent autant de bassins de marbre blanc.
PIE DE MUR, (Archit.) c'est la partie inférieure d'un mur, comprise depuis l'empatement du fondement jusqu'au-dessus, ou à hauteur de retraite.
PIE-DE-CHEVRE, terme d'ouvriers, espece de pince de fer, recourbée & refendue par le bout, dont les Charpentiers, Maçons, Tailleurs de pierre, & autres ouvriers, se servent pour remuer leurs bois, leurs pierres, & semblables fardeaux.
PIES DE DEVANT, DE DERRIERE. Voyez l'article BAS AU METIER.
PIE-DE-CHEVRE, (Charpent.) c'est une troisieme piece de bois, qui sert à en appuyer deux autres qui composent le montant de la machine qu'on appelle chevre, & qui est propre à élever des fardeaux : les Charpentiers ajoutent cette troisieme piece de bois pour servir de jambe à la machine appellée chevre, lorsqu'on ne peut l'appuyer contre un mur, pour enlever un fardeau de peu de hauteur, comme une poutre sur des tréteaux, pour la débiter, &c. Dans leur langage enter en pié-de-chevre, c'est une maniere d'assembler dont ils se servent pour allonger des pieces de bois. (D.J.)
PIE-CORNIER, (Charpent.) ce mot se dit des longues pieces de bois qui sont aux encoignures des pans de charpente, on le dit aussi des quatre principales pieces qui font l'assemblage d'un bateau, d'un carrosse, qui soutiennent l'impériale ; où l'on attache les mains, où l'on passe les soupentes.
PIE DE CIRE, (Cirerie) c'est ainsi qu'on appelle le sédiment ou ordure de la cire qui s'échappe à-travers la toile, ou par les trous du pressoir, & qui tombe au fond des moules, où l'on a jetté la cire étant encore chaude. On se sert d'un couteau ou d'un autre instrument fait exprès pour séparer la bonne cire d'avec le pié de cire, qui se trouve toujours au-dessous des pains, après qu'on les a retirés des moules ; moins la cire a de pié, & plus elle est estimée. Dictionnaire de Comm.
PIE D'ETAPLE, (Cloutier) est un instrument de fer pointu par en bas, & enfoncé dans le bloc qui sert d'établi aux Cloutiers ; cet instrument a dix-huit pouces ou environ de hauteur, & quatre pouces de largeur ; il est quarré dans toute sa longueur, excepté par en haut, où il est plus long que large, & se termine en pince d'un côté. Le pié d'étaple a au côté opposé à la pince une ouverture dans laquelle on introduit la clouillere, qui de l'autre côté est posée sur la place. Voyez planches du Cloutier, & leur explic. vous y distinguerez le pié d'étaple, la place, le ciseau, & la clouillere garnie en-dessous de son ressort, & dans le trou de laquelle est un clou.
PIE, (Dentelle) ce mot se dit d'une dentelle très-basse, qui se coud à une plus haute, engrelure contre engrelure.
PIE-DE-CHEVRE, (Ferblantier) outil de ferblantier, c'est un morceau de fer qui est fait à-peu-près comme un tas, à l'exception qu'il est plus haut sur son pié & moins large ; la face de dessus est fort unie. Il sert aux Ferblantiers pour former des plis & replis à leurs ouvrages. Voyez la figure planches du Ferblantier.
PIE, terme dont plusieurs artistes se servent, mais particulierement les Horlogers, les faiseurs d'instrumens de mathématiques ; il signifie une petite cheville cylindrique fixée à une piece qui doit tenir à vis sur une autre.
Il y a trois piés sous la potence d'une montre, lesquels étant justes dans des trous percés à la platine du dessus, empêchent que cette platine & la potence ne tourne sur la vis qui les tient pressées l'une contre l'autre. La fonction des piés est la même dans les autres pieces où ils sont ajustés ; tels sont le coq, les barettes, le petit coq, &c. On écarte, autant qu'il se peut, les piés les uns des autres, afin que par leur distance le jeu qu'ils pourroient avoir dans leur trou devienne moins sensible.
PIE-DE-BICHE, (Horlogerie) se dit parmi les Horlogers, d'une détente brisée, dont le bout peut faire bascule d'un côté, mais non pas de l'autre ; il se dit aussi de tout ajustement semblable.
PIE DE GUIDE-CHAINE, terme d'Horlogerie ; c'est une espece de petit pilier quarré rivé d, vers la circonférence de la platine du dessus d'une montre, entre le barrillet & la fusée. Ce pié est représenté vu en plan avec le guide-chaîne, en P I, fig. 42. Pl. X. de l'Horlogerie. Il a dans sa largeur une fente P I, dans laquelle entre la lame du guide-chaîne, & a de plus un trou à la moitié de sa hauteur qui le traverse de part en part, & qui est à angle droit. Avec cette fente ce trou sert à loger une goupille, qui passant à-travers un trou semblable percé dans la lame du guide-chaîne, l'empêche de sortir de cette fente, en lui laissant cependant la liberté de tourner sur la goupille & de s'approcher ou de s'éloigner un peu de la platine. Voyez GUIDE-CHAINE.
PIE HORAIRE, (Horlogerie) c'est la troisieme partie de la longueur d'un pendule qui fait ses vibrations dans une seconde. M. Huyghens est le premier qui ait déterminé cette longueur, & il a trouvé qu'elle est à celle du pié de Paris, comme 864 à 881. Ce mathématicien compte pour la longueur de ce pendule 3 piés de Paris, 8 lignes & demie. Voyez Horolog. Oscillat. part. IV. Prop. 25. Hug. opera, tom. I. (D.J.)
PIE, (Jardinage) est le bas de la tige d'un arbre ; on dit encore le pié d'une palissade.
PIE DE CHEVRE, terme d'Imprimerie, s'entend d'une espece de marteau particulier aux ouvriers de la presse ; c'est un morceau de fer arrondi, de la longueur de sept à huit pouces, sur deux pouces de diametre, dont une des extrémités qui se termine en talon ou tête de marteau, leur sert pour monter leurs balles, & à proprement parler, à clouer les cuirs sur les bois de balle. L'autre extrémité qui est comme une pince aiguë, courbée, & refendue, leur tient lieu de tenailles, lorsqu'il s'agit de détacher les clous & démonter les balles. Voyez BALLES, BOIS DE BALLES, CUIRS.
PIE DE LA LETTRE, (Imprimerie) est le bout ou extrémité opposée à l'oeil ; on l'appelle pié, parce que c'est cette extrémité qui sert de point d'appui à la superficie & au corps de la lettre, qui peut être considérée dans son tout, comme ayant trois parties distinctes, l'oeil, le corps, & le pié.
PIES DE MOUCHE, (Caractere d'Imprimerie) ainsi figuré . Il sert à faire connoître les remarques qu'un auteur veut distinguer du corps de sa matiere : afin que l'on sache pour quelle raison on s'en sert dans un ouvrage, l'auteur doit en avertir le lecteur dans sa préface. Voyez table des Caracteres, figure 5.
PIE, HUIT PIES, OUVERT, ou HUIT PIES EN RESONNANCE, (Jeu d'orgue) ce jeu qui est d'étain joue l'octave au-dessus du bourdon, & de la montre de 16 piés, & l'unisson du bourdon de quatre piés bouchés. Voyez la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue, & la fig. 33. Pl. d'orgue. Ce jeu est ouvert, & a quatre octaves.
PIE, dans les orgues : on appelle pié, la partie inférieure c d e, fig. 31. n °. 2. Pl. d'orgue, de forme conique d'un tuyau. Le pié est ordinairement de la même étoffe que le tuyau, & y est soudé après que le biseau qui sépare le tuyau du pié a été soudé avec ce dernier. La levre inférieure de la bouche est prise dans le corps même du pié que l'on applatit en-dedans pour les tuyaux qui ont la bouche en pointe ; pour ceux qui l'ont ovale, c'est une piece de la forme d'un segment de cercle que l'on retranche du pié. La fleche de ce secteur, a fig. 33. est le quart de sa corde ; la piece retranchée d'un tuyau sert pour un autre de moindre grosseur.
On observe de donner aux tuyaux des montres d'orgue, des longueurs & des grosseurs symmétriques, ensorte que les bouches des tuyaux suivent des deux côtés d'une tourelle ou dans des plates faces correspondantes, des lignes également inclinées à l'horison. Cet arrangement donne plus de grace au fust d'orgue, que si les bouches étoient toutes sur une même ligne, ou qu'elles fussent disposées irrégulierement.
PIE dans le cheval, (Maréchal) c'est la partie de la jambe depuis la couronne jusqu'au bas de la corne. Voyez COURONNE. Il est composé de la couronne, du sabot, de la sole, de la fourchette, & des deux talons. Les défauts du pié sont d'être gros, c'est-à-dire, trop considérable à proportion de la jambe ; gros, c'est-à-dire, que la corne en est trop mince ; comble plat, ou en écaille d'huitre, est celui qui n'a pas la hauteur suffisante, & dont la sole descend plus bas que les bords de la corne, & semble gonflé ; dérobé, ou mauvais pié, est celui dont la corne est si usée ou si cassante, qu'on ne sauroit y brocher de clous. Pié encastelé, voyez ENCASTELURE ; cerclé, voyez CERCLE. Pié du montoir, c'est le pié gauche de devant & de derriere ; pié hors du montoir, c'est le droit ; pié sec, est celui qui se resserre, s'encastele & se cercle naturellement. Le petit pié, est un os qui occupe le dedans du pié, & qui est emboîté par la corne du sabot. Pié neuf, se dit d'un cheval à qui la corne est revenue après que le sabot lui est tombé ; & il n'est plus propre dans ce cas que pour le labour. Parer le pié d'un cheval, c'est rendre les bords de la corne unis, pour poser ensuite le fer dessus. Galoper sur le bord ou sur le mauvais pié, voyez GALOPER. On mesure les chevaux par pié & pouces ; le pié de la lance. Voyez LANCE.
PIE DE BICHE, (Menuiserie) est un morceau de planche, au bout duquel il y a une entaille en forme de pié de biche ; il sert à tenir l'ouvrage sur l'établi. Voyez les fig. Planches de la Menuiserie.
PIE DE BICHE, terme de Menuiserie ; ils appellent pié de biche, une certaine façon de terminer les piés d'une table, d'une chaise, ou autre ouvrage en forme du pié d'une biche. (D.J.)
PIE DE BICHE, (Orfévrerie) ce sont les piés qui supportent les caffetieres d'argent ou d'autres ouvrages de cette nature, qu'on appelle ainsi, parce qu'ils ont la forme du pié d'une biche.
PIE. On dit un tableau, un dessein réduit au petit pié, quand pour en copier un grand on proportionne toutes les parties par quarrés, suivant ceux qu'on a marqués sur l'original. C'est ce qu'on nomme aussi craticuler, ou faire un chassis ou treillis.
PIES-DROITS, (Plomberie) ce sont les plaques ou tables de plomb dont on couvre la charpente des lucarnes, pour empêcher que le bois ne pourrisse à la pluie. Les piés-droits se payent à tant le cent pesant mis en oeuvre, plus ou moins, suivant le prix du plomb. Savary. (D.J.)
PIE DE BICHE, terme de Serrurier, c'est une barre de fer qui sert à fermer les portes cocheres ; cette barre est attachée à la muraille, & se divise à l'autre bout en deux crampons qui entrent dans les ferrures de la porte.
PIE, (Soyerie) partie du métier. Il y a les piés de devant ; ce sont des piliers de bois de 15 pouces d'équarrissage jusqu'à la banque, & au-dessus de 7 à 8 pouces.
Il y a les piés de derriere ; ce sont des pieces de bois de 7 à 8 pouces d'équarrissage hautes de 6 piés ou environ : ceux de devant sont de la même hauteur.
PIE, (Teinture) c'est la premiere couleur qu'on donne à une étoffe avant que de la teindre dans une autre couleur, comme le bleu avant que de le teindre en noir ; ce qui s'appelle pié de pastel ou de guede. On dit de même pié de garance, pié de gaude, pié de racine, & ainsi des autres drogues dont est composée une teinture.
Une seule étoffe a autant de piés de couleur qu'elle est successivement teinte en différentes couleurs ; & les Teinturiers en France sont obligés d'y laisser autant de roses ou rosettes que de piés, pour faire voir qu'ils ont donné les piés de leur couleur. Savary. (D.J.)
PIE DERRIERE, au jeu de quilles, se dit d'un joueur qui finissant sa partie est obligé de jouer un pié au but ou dans le cercle de sa boule, & l'autre derriere. Cela ne se fait qu'au dernier coup de la partie ; & il y a même bien des joueurs qui conviennent de ne le pas faire.
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PIE-MERE | S. f. (Anat.) c'est une tunique ou une membrane fine, qui enveloppe immédiatement le cerveau. Voyez MENINGE & CERVEAU.
On peut juger de l'extrème délicatesse de la pie-mere lorsque les vaisseaux sont remplis, car lorsqu'ils sont vuides, on les prend pour des vaisseaux de cette membrane, & ils en augmentent l'épaisseur. C'est le propre & la plus proche enveloppe du cerveau, elle revêt toutes ses plus petites parties internes, le corps calleux, les ventricules, les corps cannelés, les couches des nerfs optiques, les natès & testès, les péduncules du cerveau ; enfin il n'est pas un seul point de la substance corticale, ou qui laisse passer des vaisseaux dans le cerveau, qui n'en soit très-exactement couvert. Elle suit toutes les circonvolutions de la substance corticale jusqu'à la moëlle où l'arachnoïde ne forme qu'un pont sur les sillons qu'elle rejoint ainsi. Par-tout elle est d'une délicatesse accompagnée de quelque solidité ; & outre ses arteres & ses veines, elle a sans doute un tissu membraneux propre, qui sert à unir & à assujettir les vaisseaux : ce tissu a été regardé par quelques-uns comme cellulaire, tel est Bergen qui ne reconnoît de vraie membrane que l'arachnoïde. Voyez CALLEUX, VENTRICULE, &c.
Leuwenhoeck nous a appris que la pie-mere donne au cerveau des vaisseaux sanguins, qui semblent à la vûe seule remplis d'un petit nombre de globules, qui envoyent latéralement un nombre innombrable de petits conduits paralleles (que cet auteur prend pour les fibres du cerveau, & qui, selon lui, sont retenus par de fines membranes) sont ronds, ridés, quatre fois plus gros que des fibres de chair de boeuf, de la même grosseur dans le rat, le cochon, le passereau & le boeuf, s'écartant tous de la même maniere pour se rapprocher ensuite ; qu'il en distilloit une liqueur crystalline, dont les plus grandes particules qui sont en petit nombre sont égales à un globule rouge, les autres à 1/6 de ce même globule, d'autres à-peine 1/512 du même ; elles sont néanmoins toujours un peu rouges : toutes particules qui étoient contenues dans les plus petits vaisseaux de la substance verticale, qui n'est qu'un amas de vaisseaux cotonneux sanguins qui partent de la partie interne de la pie-mere, tant dans la moëlle allongée, que dans le cervelet & dans la moëlle épiniere.
Quelquefois elle peut devenir calleuse, & alors produire la manie par sa callosité. On en trouve une observation curieuse dans les essais de Médecine d'Edimbourg.
Un jeune homme âgé de vingt-cinq ans, qui avoit naturellement l'air sombre & mélancholique, se plaignoit depuis quatre ans d'un poids au-dessus de la tête qui augmentoit de plus en plus. Cette pesanteur étoit quelquefois accompagnée de vertiges qui le jettoient dans des accès de foiblesse, où il restoit souvent pendant un tems considérable privé de tous ses sens ; enfin il devint égaré, & tomba dans une fureur maniaque. Après avoir tenté différens remedes pour le guérir, on lui fit l'opération du trépan, mais inutilement, car il mourut au bout de dix jours.
En ouvrant le crâne, on ne remarqua rien qui fût contre nature à la dure-mere ; mais on trouva la pie-mere dure, calleuse, & ayant en quelques endroits le double de l'épaisseur de la dure-mere. On n'y voyoit aucune apparence de vaisseaux, & on la coupoit comme si c'eût été une corne tendre. La substance corticale du cerveau, couverte par cette pie-mere épaisse, étoit beaucoup plus blanche que dans l'état naturel, & il n'y paroissoit guere de vaisseaux sanguins. En écartant les deux hémispheres du cerveau, on trouva que la portion de la pie-mere qui étoit contiguë à la faulx, étoit altérée de la même maniere. Les ventricules du cerveau étoient fort distendus, & pleins de sérosités. (D.J.)
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PIECE | S. f. (Littérat.) dans la poésie dramatique, est le nom qu'on donne à la fable d'une tragédie ou d'une comédie, ou à l'action qu'on y représente. Voyez FABLE & ACTION.
M. Chambers ajoute que ce mot se prend plus particulierement pour signifier le noeud ou l'intrigue qui fait la difficulté & l'embarras d'un poëme dramatique. Cette acception du mot piece peut avoir lieu en Angleterre, mais elle n'est pas reçue parmi nous. Par piece, nous entendons le poëme dramatique tout entier, & nous comprenons les tragédies, les comédies, les opera, même les opera comiques, sous le nom générique de pieces de théâtre. Depuis Corneille & Racine, nous avons peu d'excellentes pieces.
On appelle aussi pieces de poésie certains ouvrages en vers d'une médiocre longueur, telles qu'une ode, une élégie, &c. Toutes les pieces de Rousseau ne sont pas d'une égale force : les pieces fugitives qu'on insere dans le Mercure ne sont pas toujours excellentes.
La coutume s'est aussi introduite depuis quelque tems dans le langage familier, d'appeller pieces les ouvrages des orateurs : ainsi l'on dit que tel prédicateur a nombre de bonnes pieces ; que le panégyrique de S. Louis par l'abbé Seguy, est une des meilleures pieces qui aient paru en ce genre.
PIECES, (Jurisprud.) On comprend sous ce terme tous les titres, papiers & procédures qui servent pour quelque affaire.
Piece adhirée est celle qui se trouve à dire, qui est en deficit.
Piece arguée de faux ou inscrite de faux, est celle que l'on maintient fausse. Voyez FAUX.
Piece arguée de nullité, est celle que l'on soutient nulle.
Piece authentique est celle qui est en forme probante.
Piece collationnée, voyez COPIE COLLATIONNEE.
Piece de comparaison est celle dont l'écriture & la signature sont reconnues, & que l'on compare à une piece arguée de faux, pour voir si l'écriture est la même.
Piece compulsée est celle dont on a tiré une copie, soit en entier ou par extrait, par la voie du compulsoire.
Piece contrôlée est celle qui a été visée & enregistrée au contrôle, & duquel il est fait mention sur ladite piece. Voyez CONTROLE.
Piece déposée est celle que l'on a mise dans un dépôt public, ou que l'on a remise entre les mains de quelque personne par forme de dépôt.
Piece inscrite de faux, voyez piece arguée de faux, & FAUX.
Piece inventoriée est celle qui est comprise & énoncée dans un inventaire fait par un notaire ou autre officier public, ou qui est produite dans un inventaire de production fait par un procureur.
Piece paraphée est celle qui est marquée d'un paraphe. Voyez ci-devant PARAPHE.
Piece par extrait est celle dont on n'a tiré qu'un extrait, & non une copie entiere.
Piece de production est une piece produite dans une instance ou procès.
Piece de production principale, voyez PRODUCTION PRINCIPALE.
Piece de production nouvelle, voyez PRODUCTION NOUVELLE.
Pieces vûes, c'est lorsque les pieces ont été remises devant le juge.
Piece vidimée, c'étoit la même chose que ce que nous appellons aujourd'hui copie collationnée. Voyez VIDIMUS. (A)
PIECE d'argent des Romains, (Monnoie antique). Les pieces d'argent dans la maniere de compter des Romains, étoient ou deniers ou sesterces ; ils comptoient quelquefois par deniers, & le plus souvent par sesterces ; c'est-à-dire que dans leur compte ils se servoient de la plus grande & de la plus petite monnoie qu'ils eussent. Le denier valoit 10 as romains, dont la matiere étoit de cuivre, & chacun pesoit le poids d'une livre. C'est de-là qu'on l'appelloit denarius, & qu'on le marquoit avec un X. Le sesterce étoit une autre piece d'argent, la quatrieme partie du denier, valant deux as & demi, ou deux livres & demie de cuivre, d'où vient qu'on marquoit le sesterce L L. I. S. Les deux L L. signifioient les deux livres que pesoient les deux as ; I. S. vouloit dire semi, c'est-à-dire la moitié de l'as ou de la livre. Ces faits sont aisés à prouver par les sesterces d'argent de ce tems-là qui se conservent encore aujourd'hui dans les cabinets des curieux ; mais l'occasion viendra d'en parler ailleurs plus au long. (D.J.)
PIECE DE SAINTE HELENE, (Art numismat.) sorte de médaille creuse comme un bassin, ou comme une petite tasse. Scaliger dit qu'il en a vû plusieurs frappées du tems de Justinien, & même du tems du paganisme. (D.J.)
PIECES HONORABLES, en terme de Blason, est le nom que l'on a donné à certaines pieces qui regardent proprement cette science.
Les pieces honorables sont au nombre de dix, savoir, le chef, le pal, la bande, la barre, la fasce, la croix, le sautoir, le chevron, la bordure & l'orle. Voyez chaque piece sous son article particulier, Voyez CHEF, PAL, &c.
Les hérauts d'armes alleguent plusieurs raisons pour lesquelles ces pieces ont été appellées honorables, savoir leur antiquité, comme ayant été en usage depuis l'origine des armoiries ; 2°. parce que ces pieces marquent les ornemens qui conviennent à des hommes nobles & généreux, desorte que le chef représente le casque ou la couronne qui couvre la tête d'un vainqueur ; le pal marque sa pique ou sa lance ; la bande & la barre son baudrier ; la fasce son écharpe ; la croix & le sautoir, son épée ; le chevron, ses bottes & ses éperons ; la bordure & l'orle, sa cotte de maille.
A l'égard de l'application ou collation de ces pieces honorables, quelques auteurs ont écrit que lorsqu'un cavalier s'étoit comporté valeureusement dans une bataille, on le présentoit au prince ou au général, qui lui faisoit donner une cotte d'armes relative à sa belle action, c'est-à-dire la permission de porter dans ses armoiries un chef lorsqu'il avoit été blessé à la tête, un chevron quand il avoit été blessé aux jambes, & une croix ou bordure lorsque son épée & son armure avoient été teintes du sang des ennemis.
Quelques blasoneurs se sont avisés de multiplier le nombre des pieces honorables jusqu'à celui de vingt, ajoutant à celles ci-dessus le plein quartier, le giron, l'écusson, la cape dextre & senestre, le point, &c. mais on n'a point encore jugé à-propos de reconnoître ces pieces pour honorables.
PIECE, en Fauconnerie, on dit des oiseaux tout d'une piece, c'est-à-dire d'une même couleur.
PIECE, (Arpentage) ce mot signifie quelquefois une certaine étendue de terre labourable : ainsi l'on dit une piece de blé, pour marquer un champ où il y a du blé en semence, en herbe ou en épi, &c. (E)
PIECE, dans le Commerce, signifie quelquefois un tout, & quelquefois une partie d'un tout.
Dans le premier sens, on dit une piece de drap, de velours, &c. entendant par cette expression une certaine quantité d'aunes que la coutume a réglée. On suppose que la piece est entiere, & qu'elle n'a pas été coupée. Voyez DRAP.
Dans la seconde signification, on dit une piece de tapisserie, ce qui veut dire une partie distinguée & travaillée séparément, laquelle avec plusieurs autres compose une tenture. Voyez TAPISSERIE.
Une piece de vin, de cidre, &c. se dit d'un tonneau rempli de ces liqueurs.
Pieces détachées, voyez DETACHE.
PIECES, en fait de monnoie, signifie quelquefois la même chose qu'espece, comme quand on dit cette piece est trop legere, &c. Voyez ESPECE & COIN.
Quand on y ajoute la valeur des pieces, on s'en sert quelquefois pour exprimer celles qui n'ont point d'autre nom particulier : comme une piece de 8 réaux, une piece de 24 sols, &c.
En Angleterre, le mot piece pris absolument, signifie quelquefois 20 chelings sterling, & quelquefois une guinée. Voyez GUINEE, LIVRE STERLING, ERLINGLING.
Par 6 G. II. C. 25. les jacobus valant 25 ou 23 chelings, & les pieces qui en étoient les moitiés & les quarts, sont absolument supprimées ; & il est défendu à toutes personnes d'en recevoir à titre de payement ou de payer avec.
Piece de huit ou piastre, c'est une monnoie d'argent frappée d'abord en Espagne, ensuite dans d'autres pays, & qui a cours présentement dans la plûpart des parties du monde. Voyez COIN.
Elle s'appelle piece de huit, ou réale de huit, à cause qu'elle vaut huit réales d'argent. Voyez REALE.
Sa valeur est presque sur le même pié que l'écu de France, c'est-à-dire quatre chelings & six sols sterling. En 1687 on changea la proportion de la simple réale au piastre ; & au lieu de huit réales, on en donnoit dix : à-présent la réduction est conforme à l'ancien étalon.
Il y a deux sortes de piastres ou d'écus d'Espagne : l'un frappé au Potosi, & l'autre à Mexique : ces derniers sont un peu plus pesans que les premiers, mais en retour ou par compensation ils ne sont pas tout-à-fait d'une matiere si pure.
La piece de huit a ses diminutifs, c'est-à-dire qu'il y a des demi-piastres ou des pieces de quatre réales ; des quarts de piastres, ou des pieces de deux ; des huitiemes de piastre & des seiziemes. Le change entre l'Espagne & l'Angleterre se fait en pieces de huit. Voyez CHANGE.
Piece est aussi une monnoie de compte, ou plûtôt une maniere de compter usitée chez les negres sur la côte d'Angola en Afrique. Voyez MONNOIE.
Les prix des esclaves & d'autres marchandises que l'on y négocie, comme aussi les droits que l'on paye aux petits rois, s'estiment en pieces de part & d'autre. Ainsi ces barbares demandant dix pieces pour un esclave, les européens évaluent pareillement en pieces l'argent ou les marchandises qu'ils se proposent de donner en échange. Voyez COMMERCE.
Par exemple, dix anabastes sont une piece ; un barril de poudre de dix livres pesant, fait une piece ; une piece de salempouris bleu vaut quatre pieces ; dix bassins de cuivre, une piece.
PIECE D'INDE, (Comm.) terme usité dans le commerce de la traite des negres, où l'on appelle negre piece d'inde, un homme ou une femme depuis quinze jusqu'à vingt-cinq ou trente ans au plus, qui est sain, bien fait, point boiteux & avec toutes ses dents.
Il faut trois enfans au-dessus de dix ans jusqu'à quinze pour deux pieces, & deux au-dessus de cinq ans jusqu'à dix pour une piece. Les vieillards & les malades sont évalués trois quarts de piece. Voyez NEGRES. Diction. de comm.
PIECE, s. f. (Comm. d'Afrique) espece de monnoie de compte ou plutôt de maniere de compter, en usage parmi les negres de la côte d'Angola en Afrique, particulierement à Malimbo & à Cabindo.
Le prix des esclaves, des autres marchandises, & des rafraichissemens qui se traitent dans ces deux lieux, aussi-bien que les coutumes qui se payent aux petits rois à qui ils appartiennent, s'estiment de part & d'autre en pieces ; c'est-à-dire, que si ces barbares veulent avoir dix pieces pour un esclave tête d'inde, les Européens de leur côté évaluent pareillement en pieces les denrées & les marchandises qu'ils en veulent donner en échange. Savary. (D.J.)
PIECES DETACHEES, en terme de Fortification, ce sont les demi-lunes, les contrescarpes, les ouvrages à corne & à couronne, & même les bastions quand ils sont séparés ou à quelque distance du corps de la place. En général ce sont tous les ouvrages de la fortification qui n'appartiennent pas immédiatement à l'enceinte de la place.
PIECES DE CAMPAGNE, sont des canons qui marchent pour l'ordinaire avec une armée ; tels sont ceux de huit & de quatre livres de balles, &c. qu'on transporte aisément à cause de leur légereté. Voyez PIECE. Chambers.
PIECE DE HUIT. Voyez CANON.
PIECES, dans l'Art militaire, signifient toutes sortes de grandes armes à feu, & de mortiers. Voyez FUSIL, CANON, MORTIER, &c.
PIECES DE BATTERIE, se sont de grosses pieces dont on se sert dans les sieges pour faire breche, tels sont les canons de trente trois & de vingt-quatre livres de balles. Voyez CANON. Chambers.
PIECE NETTE, (Artillerie) on appelle pieces nettes, les pieces d'artillerie qui n'ont point d'évent, ni d'autres défectuosités, qui n'ont ni chambre ni fistules, ni soufflures, dont le métal est sain, non poreux, ni venteux, ni grumeleux, & où le foret a eu prise partout. (D.J.)
PIECE, s. f. (Archit.) nom général qu'on donne aux lieux dont un appartement est composé. Ainsi une salle, une chambre, un cabinet, &c. sont des pieces. (D.J.)
PIECE D'EAU, s. f. (Archit. hydraul.) c'est dans un jardin un grand bassin de figure conforme à sa situation, comme par exemple, la piece d'eau, appellée des suisses, devant l'orangerie ; celle de l'île royale, dans le petit parc ; & celle de Neptune devant la fontaine du dragon, à Versailles. Voyez BASSIN. (D.J.)
PIECES PERDUES, (Hydr.) ce sont des bassins renfoncés & relevés de gazon, au milieu desquels il y a des jets, dont l'eau se perd à mesure qu'elle vient ; tels sont les fontaines de la couronne à Vaux le Vilars, & trois pieces à Saint-Cloud dont deux sont dans les tapis de gazon, au bas de la grande cascade, & l'autre en face du nouvel amphithéatre, au bout de la grande allée le long de la riviere.
PIECE DE CHARPENTE, (Marine) c'est tout morceau de bois taillé pour un bâtiment, & qu'on fait entrer dans la construction d'un vaisseau.
PIECES DE CHASSE, ce sont des canons logés à l'avant d'un vaisseau, dont on se sert pour tirer pardessus l'éperon sur les vaisseaux qui sont à l'avant, ou sur ceux qui prennent chasse, mais cette maniere de tirer retarde le cours du vaisseau. Tirer des pieces de l'avant.
Piece, une piece de corde, c'est un paquet de corde, soit qu'elle soit liée en paquet ou en cerceaux.
Une piece de cordes est de quatre-vingt brasses.
PIECE DE DETENTE, terme d'Arquebusier c'est un morceau de fer quarré, épais d'une ligne, & long de deux pouces ; cette piece est fendue par le milieu dans sa longueur, pour laisser passer en dehors une partie de la détente, elle se place sous la poignée du fusil.
PIECE DE POUCE, terme d'Armurier, petite plaque de fer, de cuivre, d'or & d'argent, que les Arquebusiers encastillent sur la crosse des fusils & pistolets. On l'appelle piece de pouce, parce que lorsqu'on se sert de ces armes, elle est couverte du pouce de celui qui veut tirer. La piece de pouce est ordinairement faite en forme de cartouche, qui renferme un ovale ou écusson, où l'on grave les armoiries, la devise, ou l'effigie du maître à qui sont les armes. (D.J.)
PIECE EN GENERAL, & GRANDES PIECES, (Bas au métier) deux expressions à l'usage des faiseurs de métiers à bas, & de bas au métier. Voyez ces articles.
PIECE, (outil de Chapelier) serte d'outil fait de cuivre avec un manche de même métal qui sert aux Chapeliers à estamper leurs chapeaux. Savary. (D.J.)
PIECE DE CHARPENTE, (Charpent.) c'est tout morceau de bois taillé, qui entre dans un assemblage de charpente, & qui sert à divers usages dans les bâtimens. On nomme maîtresses pieces, les plus grosses pieces, comme les poutres, tirans, entraits, jambes de force, &c. (D.J.)
PIECE DE BOIS, (Charpent.) c'est selon l'usage un bois dont la mesure est de 6 piés de long sur 72 pouces d'équarrissage ; ainsi une piece de bois méplat, de 12 pouces de largeur sur 6 pouces de grosseur, & de 6 piés de long, ou une solive de 6 pouces de gros sur 12 piés de long, fera ce qu'on appelle une piece ; à quoi on réduit toutes les pieces de bois de différentes grosseurs & longueurs qui entrent dans la construction des bâtimens, pour les estimer par cent. (D.J.)
PIECE DE PONT, (Charpent.) c'est une grosse solive plus épaisse qu'une dosse, qui traverse une travée de pont de bois, & porte en dehors, dans laquelle à l'endroit des lisses, on amortaise les poteaux d'appui & les liens, pour les entretenir.
PIECE, terme de Cordonnier, morceau de maroquin ou de cuir qui couvre le cou du pié, & qu'on coud au bout de l'empeigne du soulier.
PIECES, (Graveur en bois) petits morceaux de bois qu'on ajuste artistement pour réparer les breches faites en vuidant la gravure en bois. Voyez GRAVURE EN BOIS.
PIECE, (Jardinage) piece de terre est la même chose qu'un terrein ; on dit une piece de bois, une piece de pré ; ce potager est divisé en tant de pieces.
PIECES COUPEES, (Jardin.) on donne ce nom à un compartiment de plusieurs petites pieces figurées ou formées de lignes paralleles & d'enroulemens, & séparées par des sentiers, pour faire un parterre de fleurs ou de gazon. (D.J.)
PIECE GRAVEE, (Luthérie) dans les orgues sont des especes de sommiers sur lesquels on place les tuyaux d'orgue, que leur volume empêche d'être placés sur le sommier proprement dit. Ces pieces sont percées à la face supérieure d'autant de trous que l'on veut y placer de tuyaux. Ces trous communiquent à d'autres percés dans la face latérale de la piece gravée ; c'est à ces derniers trous qu'aboutissent les porte-vents de plomb qui viennent des endroits du sommier où les tuyaux auroient dû être placés. Les porte-vents sont arrêtés dans les trous de la chape du sommier & dans ceux de la piece gravée par de la filasse enduite de colle-forte, ce qui doit boucher entierement le passage à l'air. Voyez SOMMIER d'orgue.
PIECE D'ADDITION, (Luthérie) dans les orgues sont des pieces que l'on ajoute au sommier pour l'élargir lorsqu'il n'y a pas de place pour un jeu que l'on voudroit ajouter à l'orgue. Cette piece consiste en un fort morceau de bois de la longueur du sommier que l'on perce d'autant de trous dans la face, qui doit s'appliquer au sommier, que celui-ci a de gravures, avec lesquelles ces trous doivent communiquer. Au moyen des ouvertures faites au sommier à l'extrémité des gravures, on perce d'autres trous à la face supérieure de la piece d'addition, lesquels doivent communiquer avec les premiers, & par conséquent avec les gravures. Sur cette piece dûement collée & assujettie au sommier on met un registre, sur le registre une chape qui roidit le pié des tuyaux qu'on vouloit ajouter & qu'on fait tenir de bout au moyen d'un faux sommier qui les traverse. Voyez SOMMIER.
PIECE D'APPUI, (Menuiserie) c'est un chassis de menuiserie, une grosse moulure en saillie, qui pose en recouvrement sur l'appui ou tablette de pierre d'une croisée pour empêcher que l'eau n'entre dans la feuillure.
PIECE QUARREE, (Outil de Menuisier) outil dont se servent les Menuisiers pour voir si les bois de leurs assemblages se joignent quarrément. Il est simple, & ne consiste qu'en la moitié d'une planche exactement quarrée, coupée diagonalement d'un angle à l'autre.
PIECE DE RAPPORT, (Placage) on appelle ouvrage de pieces de rapport un ouvrage composé de plusieurs petits morceaux de pierres précieuses, des marbres les plus riches, ou de bois de diverses couleurs, disposées & arrangées avec art pour représenter quelque dessein de grotesque, de compartiment, de fleurs, d'oiseaux, &c. ce sont les Menuisiers de placage & de marqueterie, si les ouvrages ne sont que de bois ; ou les Marbriers & les Lapidaires, s'ils sont de marbre ou de pierres précieuses, qui travaillent en pieces de rapport. (D.J.)
PIECE DE RAPPORT, en terme de Bijoutier, a deux sens ; il peut se prendre d'abord pour les corps étrangers, appliqués, incrustés ou enchâssés sur une tabatiere, comme les pierres fines, fausses, cailloux, porcelaines, &c. Il s'entend ensuite de toutes les pieces de même métal qui sont ou appliquées ou soudées à la tabatiere, & qui font les reliefs, composant les tableaux variés dont elles sont ornées ; on sait qu'on peut faire sortir des reliefs sur une tabatiere d'or, par le moyen du ciselet en repoussant par-dessous les formes principales, qui ensuite sont retracées, reformées & terminées par dessus par les ciselets différens dont l'artiste se sert au besoin de son sujet, mais alors cette plaque ciselée est creuse en-dessous, & il faut la recouvrir d'une autre plaque lisse pour cacher cette difformité désagréable à l'oeil ; pour éviter cet inconvénient, on a pris le parti de découper des morceaux de même métal de la forme des reliefs que l'on vouloit exécuter, & de les souder sur les plaques des tabatieres ; cette opération est même devenue indispensable depuis qu'on fait usage des ors de couleurs, & ce sont ces pieces ainsi découpées & unies par la soudure au corps de la tabatiere, que l'on appelle proprement pieces de rapport.
PIECES DE COLLIER, en terme de Metteur en oeuvre, ne sont autre chose que des simples parties de collier que l'on porte seules avec une pendeloque qui les termine. Voyez PENDELOQUE.
PIECES DE CORPS sont des ornemens en pierreries qui couvrent le devant de la taille des femmes. Les unes sont composées de différens chatons & feuillages, d'autres ne sont que plusieurs noeuds, tous plus petits les uns que les autres, & placés d'étage en étage.
PIECE, terme de marchand de mode, ces pieces sont fort à la mode ; c'est un morceau d'étoffe ou de toile de figure triangulaire, sur lequel on pose de la blonde, du ruban, de la chenille, de la dentelle, des soucis d'hanneton, des jais noirs ou blancs : cet ajustement sert aux femmes pour couvrir le devant de leur corps ou de leur estomac. Autrefois l'on appelloit ces pieces des crevées. On les a appellé aussi échelle, parce que les rubans étoient posés comme des échelons.
PIECES DE PLAISIR, à la Monnoie, sont des pieces d'or que le roi ordonne être fabriquées pour son seul usage, comme des pieces de dix louis, de cinq, quatre, &c. alors il est défendu au directeur d'en répandre aucune dans le public.
PIECE DE FOUR, terme de Patissier, c'est une pâte, une tourte, & toute autre sorte de piece de pâtisserie un peu considérable. (D.J.)
PIECES DE RAPPORT, en étain, se dit de toutes sortes d'ouvrages d'étain fin ou commun qui n'ont point de moules de leurs formes particulieres, tels que des fontaines & cuvettes ovales ou à pans, boîtes carrées urinales, &c. pour cela le principal est d'avoir un moule de bâtes, autrement plaques d'étain, lesquelles on taille & ajuste de telle figure qu'il convient, & qu'on joint ensuite les unes aux autres en les soudant avec le fer à souder, ou à la soudure légere, suivant les différentes sortes d'ouvrages ; après quoi on repare pour achever. Voyez SOUDER, REPARER & ACHEVER l'étain.
PIECES, terme de Relieur, morceau de marroquin qu'on colle ordinairement sur le dos du livre pour y mettre le titre. (D.J.)
PIECE, (Rubanier) s'entend de toutes les soies de chaîne contenues sur les ensouples de derriere, soit qu'il n'y en ait qu'une ou plusieurs, peu ou beaucoup considérables, d'égale ou d'inégale longueur ; lorsqu'une piece se trouve achevée la premiere, on y en substitue une autre qui pour-lors doit être composée d'autant de fils que celle-ci, puisqu'elle en doit remplacer autant que celle qui finit ; il y a plusieurs manieres d'attacher ces soies les unes au bout des autres, soit par le souder, les noeuds ou le tord. Voyez ces différens mots à leur article. Piece se dit encore de toute coupe d'ouvrage de quelqu'aunage qu'elle soit, ainsi on dit une piece de galon, de ruban, de chenille, &c.
PIECE, roue de, voyez l'article TIREUR D'OR.
PIECE ou LARDON, (Serrurerie) petit morceau d'acier que le forgeron place dans les crevasses qui se font quelquefois aux gros fers lorsqu'on les forge. On fait la piece d'acier, parce que l'acier se soude plus aisément que le fer.
PIECE DE RENCONTRE, (Tourneur) Les Tourneurs appellent ainsi un morceau de fer attaché au haut de la lunette d'une poupée, qui, par sa rencontre avec la piece ovale, fait baisser ou hausser l'arbre sur lequel on tourne des ouvrages de figures irrégulieres.
Piece ovale, ou les autres pieces irrégulieres de cet arbre, sont ordinairement de cuivre, afin que la rencontre en soit plus douce. (D.J.)
PIECES DE TUILE, (Tuilerie) Ce sont tous les morceaux de tuile employés à différens endroits, sur les couvertures. On nomme tiercines, les morceaux d'une tuile fendue en longueur, employés aux battelemens ; & nigoteaux, ceux d'une tuile fendue en quatre pour servir aux sollins & ruillées. (D.J.)
PIECE DE VERRE, (Vitrier) ils appellent ainsi tous les petits carreaux ou morceaux de verre de différentes figures & grandeurs, qui entrent dans les compartimens des formes & panneaux des vitres. (D.J.)
PIECE QUARREE, terme de Vitrier, c'est un petit morceau de verre en quarré, qui est entre deux bornes dans un panneau de verre. (D.J.)
PIECE, (Jeux d'échecs) c'est ainsi qu'on nomme à ce jeu le roi, la reine, les fous, les chevaliers, & les tours. (D.J.)
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PIÉDESTAL | S. m. (Archit.) c'est un corps quarré avec base & corniche, qui porte la colonne, & qui lui sert de soubassement. Il est différent suivant les ordres, comme nous allons le faire voir. Disons ici qu'on nomme aussi ces corps stylobate, du mot grec base de la colonne ; & que le mot piédestal vient de piédestallo, terme italien, dérivé de deux mots podos, pié au gén. & stylos ; colonne.
Piédestal toscan. Ce piédestal est le plus simple : il n'a qu'une plinthe & un astragale, ou un talon couronné, pour sa corniche. Le cavet de cette corniche a un cinquieme & demi du petit module, & le cavet de la base en a deux, à prendre du piédestal même. L'une & l'autre, la base & la corniche, ont les moulures du piédestal corinthien, dans la colonne trajane. Le piédestal de Palladio n'a qu'une espece de socle quarré sans base & sans corniche ; & celui qu'adoptent les François, après Scamozzi, tient un milieu entre ces deux excès.
Piédestal dorique. Ce piédestal a des moulures, un cavet, & un larmier ou mouchette dans sa corniche. Il est un peu plus haut que le piédestal toscan. Sa proportion est telle : on partage le tiers de toute la base en sept parties, dont on donne quatre au tore qui est sur le socle, & trois à un cavet. La saillie du tore est celle de toute la base, & celle du cavet a deux cinquiemes du petit module par-delà le nud du dé. A l'égard de la corniche, elle a un cavet avec son filet au-dessus ; & ce filet soutient un larmier couronné d'un filet. Pour proportionner ces membres, on les partage en six parties, dont cinq sont pour le larmier, & la sixieme pour son filet. Un cinquieme & demi du petit module par-delà le nud du dé, forment la saillie du cavet avec son filet. On en donne trois cinquiemes au larmier, & trois & demi à son filet. Selon Vignole, Serlio & Perrault, ces membres forment le caractere du piédestal dorique. Mais Scamozzi y met un filet entre le tore & le filet du cavet, & Palladio y ajoute une doucine.
Piédestal ionique. Ce piédestal, orné de moulures presque semblables à celles du piédestal dorique, a deux diametres de haut, & deux tiers ou environ. Sa base a le quart de toute la hauteur, la corniche a le demi-quart, & les moulures de la base ont le tiers de toute la base. La proportion de ces moulures se régle en divisant le tiers de la base en huit parties, qu'on distribue ainsi : quatre à la doucine, & une à son filet ; deux au cavet & une à son filet. La saillie de ce dernier membre est du cinquieme du petit module, celle du filet de la doucine de trois ; reste la corniche, dont les parties sont un cavet avec son filet au-dessous, & un larmier couronné d'un talon avec son filet. Ces parties ou membres étant partagés en dix parties, deux sont pour le cavet, une pour le filet, quatre pour le larmier, deux pour le talon, & une pour son filet. Enfin, la saillie de ces membres de la corniche, est la même que celle de la doucine, & du cavet dont on vient de parler.
Piédestal corinthien. La quatrieme partie de la hauteur de la colonne, forme la hauteur de ce piédestal. On le divise en neuf parties, dont une est pour la cimaise, deux pour la base, & les autres pour le dé. Cette base est composée de cinq membres : savoir, un tore, une doucine avec son filet, & un talon avec son filet au-dessus. De neuf parties dont un tiers de la base est divisé, les deux autres tiers sont pour le socle, le tore en a deux & demie, la doucine trois, une demie pour son filet, le talon deux & demie, & son filet une demie. Ce premier membre a la saillie de toute la base ; la doucine a la sienne égale aux deux cinquiemes trois quarts du petit module ; & la saillie du talon avec son filet est d'un cinquieme.
Six membres composent la corniche du piédestal corinthien : un talon avec son filet, une doucine, un larmier, & un talon avec son filet. On divise toute la hauteur de ces membres en onze parties, dont une & demie est pour le talon, une demie pour le filet, trois pour la doucine, trois pour le larmier, deux pour le talon, & une pour le filet. Pour les saillies, on donne au talon avec son filet un cinquieme du petit module, deux cinquiemes & demi-tiers à la doucine, trois au larmier, & un cinquieme au talon supérieur avec son filet.
Piédestal composite. Ce piédestal est semblable, en proportion, au piédestal corinthien : mais les profils de sa base & de sa corniche en sont différens. La base est composée d'un tore, d'un petit astragale, & un filet. De dix parties de cette base, le tore en a trois, le petit astragale une, le filet de la doucine une demie, la doucine trois & demie, le gros astragale une & demie, & le filet qui fait le congé une demie. Les saillies de ces membres sont égales à-peu-près à celles de ceux du piédestal corinthien.
Un filet, avec son congé, un gros astragale, une doucine avec son filet, un larmier, & un talon avec son filet forment la corniche qui occupe la huitieme partie du piédestal. Le filet a une douzieme & demie de toute la corniche, l'astragale une demie, la doucine trois & demie, le filet une demie, le larmier trois, le talon deux, & le filet une. Les saillies de ces membres sont à peu-près les mêmes que celles de la corniche du piédestal corinthien.
Le piédestal composite a de hauteur la troisieme partie de la colonne.
Piédestal composé. C'est un piédestal d'une forme extraordinaire, comme ronde, quarrée-longue, arrondie, ou avec plusieurs retours. Il sert pour porter les grouppes de figures, les statues, les vases, &c.
Piédestal continu. Piédestal qui, sans ressauts, porte un rang de colonnes. Tel est le piédestal qui soutient les colonnes ioniques cannelées du palais des Tuileries du côté du jardin.
Piédestal double. Piédestal qui porte deux colonnes, & qui a plus de largeur que de hauteur. Les piédestaux des PP. Feuillans, rue saint Honoré, à Paris, & ceux de la plûpart des retables d'autels, sont de cette espece.
Piédestal en adoucissement. Piédestal dont le dé ou tronc est en gorge. Il y a de ces piédestaux autour du parterre à la dauphine, à Versailles, qui portent des statues de bronze.
Piédestal en balustre. Piédestal dont le profil est contourné en maniere de balustre.
Piédestal en talus. Piédestal dont les faces sont inclinées. Tels sont, par exemple, les piédestaux qui portent les figures de l'Océan & du Nil dans l'escalier du capitole.
Piédestal flanqué. Piédestal dont les encoignures sont flanquées ou cantonnées de quelque corps, comme de pilastres attiques, ou en console, &c.
Piédestal irrégulier. Piédestal dont les angles ne sont pas droits, ni les faces égales ou paralleles, mais quelquefois ceintrées, par la sujétion de quelque plan, comme d'une tour ronde ou creuse.
Piédestal orné. C'est un piédestal qui a non-seulement ses moulures taillées d'ornemens, mais dont les tables fouillées ou en saillie sont enrichies de bas-reliefs chiffres, armes, &c. de la même matiere ou postiches, comme sont la plûpart de ceux des statues équestres, & des autres superbes monumens.
Piédestal quarré. Piédestal qui est égal en hauteur & en largeur. Tels sont les piédestaux de l'arc des lions à Vérone, d'ordre corinthien, & que quelques sectateurs de Vitruve, comme Serlio & Philander, ont attribué à leur ordre toscan.
Piédestal triangulaire. Piédestal en triangle, qui a trois faces, quelquefois ceintrées par leur plan, & dont les encoignures sont en pan coupé, échancrées ou cantonnées. Il sert ordinairement pour porter une colonne avec des figures sur ces encoignures. Tel est le piédestal de la colonne funéraire de François II. dans la chapelle d'Orléans, aux Célestins, à Paris.
Piédestaux par saillies & retraites. Ce sont des piédestaux qui, sous un rang de colonnes, forment un avant-corps au droit de chacune, & un arriere-corps dans chaque intervalle. De cette espece sont les piédestaux des amphithéâtres antiques de l'arc de Titus à Rome, & les piédestaux corinthiens, & composites de la cour du Louvre.
Les piédestaux que les Architectes appellent acroteres ; ils sont fort petits, & ordinairement sans base ; ils servent à porter des figures au-bas des corniches rampantes, & au haut des frontons.
La plûpart des commentateurs de Vitruve, après diverses opinions sur l'interprétation de ces mots : scamilli impares, escabeaux impairs, sont enfin d'avis qu'ils signifient cette disposition de piédestaux.
Pour ce qui regarde les piédestaux toscans, doriques, ioniques, corinthiens & composites, voyez l'ordonnance des cinq especes de colonnes, selon la méthode des anciens, par M. Perrault. (D.J.)
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PIÉDOUCHE | S. m. (Archit.) c'est une petite base longue ou quarrée, en adoucissement, avec moulures, qui sert à porter un buste, ou une petite figure.
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PIEGE | S. f. (Chasse) on se sert de ce terme pour tout ce qui sert à attraper les oiseaux, le gibier & toutes les bêtes nuisibles. Chacun en invente à sa mode. Les trapes, les traquenards, les bascules sont des pieges pour les loups & les renards ; il y a des pieges de fer qui se bandent & se lâchent pour prendre de fouines & autres animaux.
Ce mot se prend aussi au figuré. On dit le piege de la beauté ; le piege de la galanterie ; le piege du destin ; le piege de la vanité.
PIEGE, s. m. (Chasse) c'est proprement toute machine ou toute invention destinée à surprendre des animaux. Il ne se dit guere qu'au figuré, par rapport aux hommes : ce n'est pas au propre que les fripons tendent des piéges aux honnêtes gens, ni que les sots donnent dans le panneau. On verra dans les Planches relatives à la chasse, des modeles des différentes especes de piége : on a choisi ceux que l'usage a principalement consacrés, parce que l'expérience les a fait connoître comme les meilleurs.
Il est nécessaire, pour tendre heureusement des piéges, de bien connoître l'instinct & les habitudes des animaux qu'on cherche à prendre ; cette science n'est pas fort étendue à l'égard des frugivores ; ils ne sont pas naturellement défiants, parce que les besoins ordinaires de la vie ne les forcent pas à l'exercice de l'attention. Ordinairement il suffit de bien remarquer le lieu par lequel ils passent habituellement, & d'y tendre un collet. Comme leur maniere de vivre est simple, leurs habitudes sont uniformes ; ils ne soupçonnent point les embûches qu'on leur prépare, parce qu'ils ne sont jamais dans le cas d'en tendre à d'autres. Il ne faut pas non plus beaucoup d'art pour prendre les oiseaux, parce qu'ils n'ont point l'usage du nez, qui pour une partie des quadrupedes est un organe de défiance & un instrument de sûreté. On attire facilement les oiseaux frugivores avec du grain, & les carnassiers avec une proie sanglante ; on peut même sans ce secours prendre beaucoup d'oiseaux de proie, en plaçant simplement sur un poteau un petit traquenard, parce que ces oiseaux ont naturellement de l'inclination à venir se percher sur ce poteau. Mais il faut beaucoup plus d'habileté & de connoissances pour tendre avec succès des piéges aux animaux qui vivent de rapine, sur-tout dans les pays où l'expérience les a rendus soupçonneux, & où l'habitude de rencontrer des dangers les saisit presque continuellement d'une crainte qui va jusqu'à balancer leurs appétits les plus violens. Alors il est nécessaire de connoître les refuites les plus compliquées de ces animaux, de les attirer, de les affriander, & d'écarter des appâts qu'on leur présente tout soupçon de danger, ce qui souvent est assez difficile. D'abord on doit s'assurer avec beaucoup de soin des lieux qui leur servent de retraite pendant le jour, de ceux où ils vont faire leur nuit, & de l'étendue de pays qu'ils parcourent habituellement. On prend des connoissances en suivant leurs traces par le pié, & on en juge encore par leurs abattis & leurs laissées. D'après ces points donnés, on peut choisir le lieu où il convient le mieux de les attirer par quelque appât, & on doit porter jusqu'au scrupule l'attention d'examiner le vent, afin que cet appât puisse surement frapper leur nez lorsqu'ils seront sortis de leurs retraites. Le choix & la composition des appâts entrent pour quelque chose dans les connoissances d'un tendeur de piéges : il y a beaucoup de gens qui se vantent d'avoir là-dessus des secrets ; mais en général les chairs grillées, les fritures & les graisses devenues odorantes par la cuisson, font le fond & l'essentiel des appâts. Le point important est de bien connoître les ruses des animaux, & de ne manquer ni d'attention ni de vigilance. On doit bien se garder de décréditer son appât, en y joignant des piéges dès le premier jour. L'odeur du fer devient suspecte à tous les animaux expérimentés, dans les pays où le fer sert communément à leur destruction ; mais comme il est essentiel que les piéges soient couverts de terre ameublie ou de sable, afin que le sentiment en soit dérobé sans que la force du ressort en soit affoiblie, il est nécessaire de parer d'avance les places où les piéges doivent être placés. Il faut que ces places soient disposées de maniere que l'animal en suivant ses allures naturelles passe dessus pour aller à l'appât qu'on lui présente ; lorsqu'il a franchi cet appareil pendant deux ou trois nuits, on peut être raisonnablement assuré qu'avec des piéges bien tendus on en sera maître. La maniere dont on tend le piége doit être proportionnée à la pesanteur de l'animal qu'on cherche à prendre : pour un loup, il peut être tendu assez ferme : il faut beaucoup de légereté pour un renard ; mais pour tous il doit être enterré de maniere que l'odeur n'en perce pas, & ne puisse point distraire l'animal de l'impression que lui fait l'appât qu'il évente. On frotte les piéges pour les dégoûter, de differentes herbes aromatiques, & l'on se sert aussi de la graisse même de l'appât : tout cela est bon, mais à-peu-près inutile, lorsque d'ailleurs toutes les précautions que nous avons indiquées sont bien prises. Quelques tendeurs de piéges sont dans l'usage d'attacher leurs traquenards avec un piquet ; mais par-là on s'expose à voir l'animal au désespoir se couper le pié pour échapper à la mort. La meilleure pratique est de laisser entraîner le piége, avec lequel il ne va jamais fort loin ; on peut seulement l'embarrasser de quelque branche qui en retardant encore plus sa marche, ne lui fait pas perdre entierement l'espérance de parvenir à se cacher. Voilà les principaux élémens de l'art de tendre des piéges ; mais il n'est point de préceptes en ce genre qui puissent dispenser de connoissances, qu'on n'acquiert que par l'usage & l'attention vigilante. Voyez INSTINCT, LOUP, RENARD, &c. Article de M. LEROI.
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PIEMONT | (Géog. mod.) contrée d'Italie, bornée au nord par le Vallais, au midi par le comté de Nice & l'état de Gènes, au levant par le duché de Milan, & au couchant par le Dauphiné. Ses principales rivieres sont le Pô, le Tanaro, la Doria, la Bormia & la Sture.
Les montagnes qui entourent le Piémont abondent en mines d'argent, de fer & de cuivre. Voyez Allionii oryctographia Pedemontana, Taurini, 1757. in-8°.
Les rivieres fournissent des poissons excellens, & les forêts nourrissent quantité de bêtes fauves. Le terroir est fertile en blé, en vins & en fruits ; aussi est-il fort peuplé. Un autre grand avantage du Piémont, est d'avoir une noblesse nombreuse & distinguée, ce qui rend la cour de Turin extrèmement brillante. La religion du pays est la catholique romaine. On y compte plus de trente abbayes, & de riches commanderies.
Le fils aîné du roi de Sardaigne portoit autrefois le titre de prince de Piémont ; il porte aujourd'hui celui de duc de Savoye. Le Piémont comprend le Piémont propre, le duché d'Aoste, la seigneurie de Verceil, le comté d'Ast, le comté de Nice & le marquisat de Salusses : Turin en est la capitale.
La contrée de Piémont qui a le titre de principauté, est une des plus considérables, des plus fertiles & des plus agréables de toute l'Italie. Le nom de Piémont, que l'on rend en latin par celui de Pedemontium, n'est guere usité que depuis six à sept siecles. Il a été occasionné par la situation du pays, au pié des Alpes maritimes, cottiennes & grecques, au milieu desquelles se trouve le Piémont. Autrefois cette contrée faisoit partie des plaines de la Ligurie : dans la suite elle fit partie de la Cisalpine ; & après cela elle devint une portion du royaume de Lombardie. Sa longueur peut être de cent vingt mille pas, & sa largeur d'environ quatre-vingt-dix mille.
On croit que le Piemont fut premierement habité par les Umbriens, les Etrusques, & les Liguriens : les Gaulois qui entrerent en Italie, sous la conduite de Brennus & de Bellovese, s'établirent en partie dans ce pays qui dans la suite fut occupé par divers peuples, & partagé entr'eux. Les Liguriens surnommés Statielli habiterent la partie orientale. Les Vagenni, ou Bagienni leur succéderent dans le pays qui est entre le Pô & le Tanaro. Les Taurini s'établirent entre le Pô & la petite Doire, Doria riparia, & s'étendirent dans la suite jusqu'aux Alpes, Les Salassi, divisés en supérieurs & en inférieurs, habiterent entre les deux Doires. Enfin les Libici, Lebui ou Lebetii, occuperent cette partie de la Gaule Cisalpine, qui forme les territoires de Verceil & de Biele entre la grande Doire, Doria baltea, & la Sesia.
Il y a eu anciennement dans cette contrée un grand nombre de villes dont la situation est connue, & dont la plûpart subsistent encore aujourd'hui. De ce nombre sont.
Les anciennes villes dont on connoît le nom, mais dont on ignore la situation, sont, Forum Julii, Forum Vibrii, Iria, Autilia.
Entre les anciennes villes du Piémont, Turin, Aoste, Verceil, Asti, Ivrée & Albe eurent l'avantage de recevoir de bonne heure l'Evangile, & d'avoir des évêques. Depuis l'an 1515, l'évêque de Turin a été élevé à la dignité archiépiscopale. Il se trouve aussi dans le Piémont plusieurs villes décorées du titre de cités ducales. Charles-Emanuel I. du nom, choisit douze de ces villes pour en faire les capitales d'autant de provinces, afin que la justice pût être administrée avec plus d'ordre dans son Piemont. Ces douze villes furent Turin, Ivrée, Asti, Verceil, Montdovi, Salusses, Savigliano, Chieri, Bielle, Suse, Pignerol, Aouste. Il faut enfin remarquer que la plûpart de ces villes sont fortifiées, & que l'on y tient garnison pour la sûreté du pays. (D.J.)
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PIENZA | (Géog. mod.) en latin Corsinianum, ville d'Italie, en Toscane dans le Siennois, sur les confins de l'état de l'Eglise, entre Monte-Pulciano & San-Quirino. Long. 29. 20. lat. 43. 6.
C'est la patrie d'Enée Sylvius, en latin Aeneas Sylvius, qui reçut le jour en 1405. Dès qu'il fut parvenu à la papauté, il prit le nom de Pie II. & pour illustrer le lieu de sa naissance, qui s'appelloit auparavant Corsignii, il l'érigea en ville épiscopale suffragante de Sienne ; il la fit nommer Pienza, de son nom de Pie.
Enée Sylvius étoit de l'illustre famille des Piccolomini. Sa mere enceinte de lui, songea qu'elle étoit accouchée d'un enfant mitré ; & comme c'étoit alors la coutume de dégrader les clercs en leur mettant une mitre de papier sur la tête, elle crut que son fils seroit la honte de la famille ; mais la suite justifia le contraire. Cependant les pere & mere d'Enée Sylvius étoient si pauvres, qu'il fallut que leur fils, au sortir de l'école, commençât à gagner son pain par des bas emplois de la vie rustique. Pour son bonheur, quelques parens lui trouvant beaucoup d'esprit, se cottiserent, & l'envoyerent étudier à Sienne, où il fit bien-tôt de grands progrès dans la poésie, les belles-lettres, la rhétorique & le droit civil.
En 1431, il alla au concile de Basle avec le cardinal de Capranica, en qualité de son secrétaire. Il se distingua tellement dans cette assemblée, qu'il devint secrétaire du concile même, dont il soutint les intérêts avec beaucoup de chaleur contre les papes, tant par ses discours que par ses écrits. Il présida souvent parmi les collateurs des bénéfices, & sa dextérité dans les affaires le fit employer en diverses ambassades, à Trente, à Constance, à Francfort, en Savoie & à Strasbourg.
En 1439, il entra au service du pape Felix V. qui le députa à la cour de l'empereur Frédéric ; ce prince fut si content de lui, qu'il l'honora de la couronne poëtique, le fit son secrétaire & son conseiller. L'empereur ayant insensiblement épousé les intérêts du pape Eugene, Enée Sylvius suivit son exemple, & fut envoyé vers ce pape, duquel il eut une audience favorable, & tant d'accueils de confiance, qu'il le nomma son légat apostolique en Allemagne.
Après la mort d'Eugene, les cardinaux le choisirent pour être protecteur du conclave jusqu'à l'élection d'un nouveau pape. Nicolas V. le fit évêque de Trieste, quatre ans après archevêque de Sienne, & légat en Bohême & en Autriche. Vers l'an 1458 Calixte III. le nomma cardinal, à la sollicitation de l'empereur ; & après la mort de ce pape arrivée en 1458, Enée lui succéda sous le nom de Pie II.
On conçut de grandes espérances de son pontificat, tant à cause de son savoir, qu'en vertu de ses promesses qu'il prendroit des mesures pour la réformation de l'Eglise ; mais il trompa sur ce point l'attente de la chrétienté ; car il rétracta par une bulle tout ce qu'il avoit écrit en faveur du concile de Basle, & justifia combien sa condition présente avoit changé ses sentimens : " Faites plus de cas, dit-il, dans sa bulle adressée à l'université de Cologne, d'un souverain pontife, que d'un particulier : recusez Enée Sylvius, & recevez Pie II. "
Il se conduisit en même-tems avec beaucoup de vigueur, & chassa plusieurs tyrans de l'état ecclésiastique. Il confirma le royaume de Naples à Ferdinand, & le fit couronner par le cardinal Ursin. Il excommunia Sigismond duc d'Autriche, pour avoir emprisonné le cardinal de Cusa ; & interdit Sigismond Malatesta parce qu'il refusoit de payer les redevances à l'Eglise. Il priva l'archevêque de Mayence de sa place ; fit un traité avec le roi d'Hongrie, & cita Podiebrad roi de Bohême, à comparoître devant lui. Il prit soin en même tems d'embellir Rome de magnifiques édifices, & fit voler son nom jusqu'en orient, d'où il reçut des ambassadeurs de la part des patriarches d'Antioche, d'Alexandrie & de Jérusalem. Il envoya de son côté une ambassade à Louis XI roi de France pour l'engager à abolir la pragmatique sanction, à quoi ce prince consentit avec plaisir.
Enfin Pie II. fit de grands préparatifs pour porter la guerre contre les Turcs ; il réclama fortement le secours des princes chrétiens ; & ayant rassemblé une armée considérable de croisés, il se rendit à Ancône pour s'y embarquer, & conduire lui-même cette armée contre les Infideles. Mais étant prêt du départ, il fut attaqué d'une violente fievre continue, & mourut le 14 d'Août 1494, dans sa cinquante-neuvieme année. Quand il sentit sa fin approcher, il demanda les derniers sacremens ; mais on se trouva d'avis différens sur ce point : comme il avoit déja reçu l'Extrème-Onction à Basle, lorsqu'il y fut attaqué de la peste, Laurent Roverella évêque de Ferrare, qui passoit pour un habile théologien, soutint qu'il ne pouvoit pas recevoir ce sacrement une seconde fois ; cependant comme le pape ne voulut pas se rendre à cet avis, il se fit donner l'Extrème-Onction & l'Eucharistie, & decéda peu de tems après, ayant occupé le siege de Rome environ sept ans.
Sponde dit qu'il ne cédoit à personne en éloquence & en dextérité ; & qu'il aimoit si passionnément à écrire, que même dans ses attaques de goutte il ne pouvoit guere s'en abstenir. Platine rapporte qu'il répétoit assez souvent que s'il y avoit quelques bonnes raisons d'interdire le mariage aux prêtres, il y en avoit de beaucoup meilleures pour le leur permettre. On dit aussi qu'il avoit enfin connu l'inutilité des grands mouvemens qu'il se donnoit pour la guerre contre les Turcs ; mais que comme il craignoit les railleries du public, son dessein étoit de se rendre seulement à Brindes, d'y passer l'hiver, de retourner ensuite à Rome, & de rejetter la faute du mauvais succès de cette croisade sur les princes qui n'avoient pas voulu le seconder vigoureusement. Quoi qu'il en soit, sa mort prévint tous les embarras dans lesquels il s'étoit jetté.
Jean Gobelin, son sécretaire, a publié une histoire de sa vie, que l'on soupçonne avec raison avoir été composée par ce pape lui-même. Elle a été imprimée à Rome, in-4°. en 1584, & 1589, & à Francfort, in-fol. en 1614. Nous avons plusieurs éditions des oeuvres d'Enée Sylvius. La premiere a paru à Basle, in-fol. en 1551, & la derniere beaucoup préférable, a été faite à Helmstad en 1700, in-fol. avec la vie de l'auteur au commencement.
Il avoit écrit avant que d'être élevé au pontificat deux livres de mémoires de ce qui s'est passé au concile de Basle, Commentarium de gestis concilii Basiliensis, lib. II. Ces mémoires intéressans, parce qu'ils renferment des négociations & des faits, ont eté imprimés dans le Fasciculus rerum expetundarum de Grotius, à Colog. en 1535, & ensuite à Basle en 1577, in-8°.
Enée Sylvius a fait encore d'autres ouvrages dont on trouvera le détail que nous n'insérerons point ici, dans le supplément à l'histoire littéraire du docteur Cave, par M. Henri Wharton. Ce savant a oublié l'histoire de Frédéric III. Historia rerum Frederici imperatoris, d'Enée Sylvius ; elle a paru à Strasbourg par les soins de Kulpisius en 1685, in-fol. Mais en lisant cet ouvrage il faut se rappeller que l'auteur étoit redevable de sa fortune à Frédéric dans le tems qu'il y travailloit, outre qu'il lui a été constamment attaché jusqu'à la mort. Il a aussi traduit d'italien en latin un traité de la fin tragique des amours de Guiscard & de Sigismonde, fille de Tancrede, prince de Salerne. Cette histoire fausse ou véritable a été parfaitement bien tournée par Dryden dans ses fables en anglois.
Le recueil des lettres du pape Pie II. au nombre de 432, a été imprimé à Nuremberg en 1481, à Louvain en 1483, à Lyon en 1495, & ailleurs. Entre plusieurs lettres qui roulent sur des questions de théologie & de discipline ecclésiastique, on en voit quelques-unes dont les titres sont amusans. Par exemple, la cviij. Songe sur la fortune ; la cxiij. Louanges de la Poésie ; la clxvj. La misere des Courtisans. J'oubliois la cxiv. Histoire des amours d'Euriale & de Lucrece. Mais la plus curieuse de toutes, est assurément la lettre xv. du liv. I. à son pere, au sujet d'un fils qu'il eut d'une angloise à Strasbourg, dans le tems d'une de ses ambassades dans cette ville, & apparemment après qu'il eut été couronné poëte par l'empereur Frédéric en 1439. Voici la traduction de cette lettre.
" Le poëte Enée Sylvius à Sylvius son pere. Vous me marquez, que vous ne savez si vous devez vous réjouir, ou vous affliger, de ce que Dieu m'a donné un fils. Pour moi, je n'y trouve que des sujets de joie, & aucun de tristesse ; car quel plus grand plaisir y a-t-il dans la vie, que de procréer un autre soi-même, de perpétuer sa famille & de laisser, à sa mort, un enfant qui nous survive ? Quoi de plus agréable que de se voir des petits-fils ? Je rends graces à Dieu de ce que mon enfant est un garçon, parce que ce petit drôle pourra vous divertir, vous & ma mere, & vous donner en mon absence, des consolations & des secours. Si ma naissance vous a causé quelque joie, celle de cet enfant ne vous fera-t-elle pas plaisir ? C'est mon image dans ses traits. Ne serez-vous pas charmé de le voir vous obéir, vous embrasser, & vous faire de petites caresses ?
Vous êtes affligé, me dites-vous, de ce que cet enfant est le fruit d'un commerce illégitime. Je ne puis concevoir, Monsieur, quelle opinion vous avez prise de moi. Il est certain que vous, qui êtes de chair & d'os, ne m'avez pas fait d'un tempérament insensible. Vous savez bien en conscience quel galant vous étiez ? Pour moi je ne me trouve ni eunuque, ni impuissant. Je ne suis pas non plus assez hypocrite pour vouloir paroître homme de bien sans l'être réellement. Je confesse ma faute, parce que je ne suis ni plus saint que David, ni plus sage que Salomon ; mais ce genre de faute est aussi commun que d'ancienne date. C'est un mal fort général, si c'est un mal de faire usage des facultés naturelles, & s'il est juste de blâmer un penchant que la nature, qui ne fait rien sans dessein, a mis dans toutes les créatures pour pourvoir à la conservation des especes.
Vous répondrez sans doute que ce penchant est seulement légitime lorsqu'il est renfermé dans de certaines bornes, & que l'on ne doit jamais s'y livrer qu'en vertu des noeuds du mariage. J'en conviens ; & cependant on ne laisse pas de pécher fréquemment dans l'état même du mariage. Il y a une certaine regle pour manger, boire & parler ; mais où est l'homme qui l'observe ? où est le juste qui ne tombe sept fois le jour ? J'espere donc ma grace de la miséricorde de Dieu, qui sait que nous sommes sujets à bien des chutes. L'Etre suprème ne me fermera pas la source du pardon qui est ouverte à tous. Mais en voilà assez sur cet article.
Puisque vous me demandez ensuite quelles raisons j'ai de croire que cet enfant est à moi, je vais vous le dire, en vous mettant au fait de mes amours ; car il est bon que vous soyez assuré que cet aimable fils n'est pas d'un autre pere. Il n'y a pas encore deux ans que j'étois ambassadeur à Strasbourg : pendant le séjour que j'y fis, & dans le tems que je me trouvois désoeuvré, il vint loger dans l'hôtel une jeune dame angloise. Elle possédoit parfaitement la langue italienne. Elle m'adressa la parole en dialecte toscan pour quelque chose dont elle avoit besoin ; ce qui me fit d'autant plus de plaisir, que rien n'est plus rare dans ce pays-là que d'entendre parler notre langue à quelqu'un. Je fus d'ailleurs enchanté de l'esprit, de la figure, des graces & du caractere de cette belle femme ; & je me rappellai que Cléopatre avoit gagné le coeur d'Antoine & de Jules-César par les charmes de sa conversation. Je me dis à moi-même : qui me blâmera de faire ce que les grands hommes n'ont pas trouvé au-dessous d'eux ; Je songeois tantôt à l'exemple de Moïse, tantôt à celui d'Aristote, tantôt à celui de S. Augustin & autres grands personnages du Christianisme. En un mot, la passion l'emporta : je devins fou de cette charmante angloise. Je lui déclarai mon amour dans les termes les plus tendres ; mais elle résista toujours à toutes mes sollicitations, semblable à un roc contre lequel les flots de la mer viennent se briser.
Elle avoit une petite fille de cinq ans, qui étoit fortement recommandée à notre hôte par Milinthe, pere de l'enfant ; & elle craignoit que si cet hôte s'appercevoit de notre intrigue, il ne la mît avec cette jeune fille hors de sa maison. Enfin, la nuit avant son départ, n'ayant encore rien obtenu de ses bonnes graces, & ne voulant pas perdre ma proie, je la priai de ne point fermer cette seule nuit sa porte en-dedans, ayant des choses importantes à lui communiquer. Elle me refusa cette demande, & ne me laissa pas l'ombre d'espérance. J'insistai ; elle persista dans son refus, & s'alla coucher. Au milieu du désordre de mes réflexions, je me rappellai l'histoire du florentin Zima, & je m'imaginai qu'elle pourroit peut-être faire comme sa maîtresse. Je pris donc le parti de tenter l'aventure. Quand tout fut tranquille dans la maison, je montai dans la chambre de ma belle maîtresse, que je trouvai fermée, mais par bonheur sans verrouil. Je l'ouvris, j'entrai ; j'obtins l'accomplissement de mes voeux, & c'est de-là que vient mon fils.
Du milieu de Février jusqu'au milieu de Novembre, il y a précisément le nombre de mois qu'on compte depuis le tems de la conception jusqu'à l'accouchement. C'est ce que la mere, qu'on nomme Elisabeth, femme riche, incapable de mentir, & de chercher à m'en imposer, me dit elle-même à Basle, & c'est ce dont elle m'assure encore aujourd'hui en toute vérité, sans aucun intérêt, sans m'avoir jamais demandé de l'argent, & sans espoir d'en tirer actuellement de moi. Je n'ai point obtenu ses faveurs par des présens, mais par la persevérance de mon amour. Enfin puisque pour ma conviction, toutes les circonstances du tems & des lieux jointes au caractere de cette dame, se réunissent ensemble, je ne doute point que l'enfant ne soit à moi. Je vous supplie aussi de le regarder sûrement comme tel, de le recevoir dans votre maison, & de le bien élever jusqu'à ce que je puisse le prendre sous ma conduite, & le rendre digne de vous ".
L'histoire ne nous apprend point ce que ce fils est devenu ; mais s'il a vécu jusqu'à la mort de Pie II. l'on ne doit pas douter que ce pere qui l'aimoit avec tendresse, & qui se félicitoit si hautement de sa naissance, ne l'ait comblé de biens, d'honneurs & de dignités ecclésiastiques. (D.J.)
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PIÉRIDES | (Mythol.) filles de Piérus roi de Macédoine, étoient neuf soeurs qui excelloient dans la musique & dans la poésie, fieres de leur nombre & de leurs talens, elles oserent aller chercher les neuf muses sur le mont Parnasse, pour leur faire un défi, & disputer avec elles du prix de la voix : le combat fut accepté, & les nymphes de la contrée furent choisies pour arbitres. Celles-ci après avoir entendu chanter les deux parties, prononcerent toutes de concert en faveur des déesses du Parnasse. Les Piérides, piquées de ce jugement, dirent aux muses beaucoup d'injures, & voulurent même les frapper lorsqu'Apollon les métamorphosa en pies, leur laissant toujours la même envie de parler. Cette fable est fondée sur ce que les filles de Piérus se croyant les plus habiles chanteuses du monde, oserent prendre le nom de muses.
On donne aussi aux muses le surnom de Piérides, à cause du mont Piérius en Thessalie qui leur étoit consacré. (D.J.)
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PIÉRIE | (Géog. anc.) Pieria, nom commun à bien des lieux, comme on va le voir. 1°. C'est le nom d'une petite contrée de la partie orientale de la Macédoine, sur le golfe Thermaïque. Ptolomée, liv. III. chap. xiij. la borne au nord par le fleuve Ludias, & au midi par le fleuve Pénée. Strabon, excerpt. liv. VII, in fine, donne des bornes différentes à la Piérie. Il ne la commence du côté du midi, qu'au fleuve Aliacmon, & la termine du côté du nord au fleuve Axius, & il nomme les habitans Periotae.
2°. Pieria, contrée de Syrie dans la Séleucide, dont elle faisoit partie. Elle tiroit son nom du mont Pierius ou Pieria, que les Macédoniens avoient ainsi nommé, à l'imitation du mont Pierius, qui étoit dans leur partie. 3°. C'étoit une ville de Macédoine. 4°. Pieria étoit une montagne de Thrace sur laquelle demeuroit Orphée, & ce pourroit être la même que le mont Pangée. 5°. Pieria est une montagne de Syrie, ainsi dite à l'imitation d'une montagne du même nom en Grece. Cette montagne donnoit le nom à une contrée qui faisoit partie de la Séleucide. 6°. Lieu du Péloponnèse au voisinage de Lacédémone. 7°. Ville de la Boeotie, qui dans la suite fut appellée Lyncos, 8°. C'est le nom d'une montagne de la Boeotie. 9°. Il y avoit une forêt de Macédoine dans la Piérie, qui portoit le nom de Pieria silva. Tite-Live, liv. XLIV. chap. xliij. dit que ce fut dans cette forêt que se sauva Persée, après avoir été battu par les Romains.
C'est de la Pierie de Macédoine qu'étoit natif Pierus, célebre poëte musicien, dont parlent Plutarque & Pausanias. Il eut neuf filles douées de tous les talens possibles pour la musique & la poësie ; il leur imposa le nom des neuf muses, & les petits-fils qu'elles lui donnerent, porterent les mêmes noms que les Grecs ont attribués depuis aux enfans des muses mêmes. Comme il excelloit également dans la musique & la poësie, il composa des poëmes dont l'histoire fabuleuse des muses, & leurs louanges, faisoient le principal sujet. Voilà d'où vient que les muses sont appellées Piérides par les poëtes.
Une colonie de Piériens, peuples de Thrace, entre le Carason & le Bracs, étant entrée au fond du golfe de Salonique en Macédoine, s'établit sur les côtes, entre le Platamona & le mont Aka, donna à ce canton le nom de Piérie, aussi-bien qu'à une fontaine qui fut consacrée aux muses. Le Carason ou le Mestro d'aujourd'hui, est apparemment le Nestus ou Mestus des anciens ; le Bracs est le Cossinites ou Compsatus ; la Platamona, l'Astroeus ; & le mont Aka est la partie orientale de l'ancien Olympus.
Criton (Quintus) historien, naquit à Pierie dans la Macédoine, apparemment depuis J. C. puisqu'aucun ancien auteur n'en parle. Il composa plusieurs ouvrages, dont les noms seuls nous ont été conservés. Julius Pollux, liv. X. cite son histoire de Nice, & Etienne, son histoire des Getes. Suidas nomme une histoire de Pallene par Criton, une de Perse, une de Sicile, la description de Syracuse, l'origine de la même ville, enfin un traité de l'empire de Macédoine. (D.J.)
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PIÉRIENS | (Géog. anc.) en latin Pieres, peuples voisins de la Macédoine. Pline, liv. IV. chap. x. les met dans la Macédoine même, auprès de Treres & Dardani. Hérodote, liv. VII. & Thucydide, liv. II. page 168. parlent aussi de ces peuples qui étoient les habitans de la Piérie. (D.J.)
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PIERRÉE | S. f. (Hydr.) est à-peu-près la même que chatiere, c'est une grande longueur de maçonnerie dans les terres, pour conduire les eaux d'une source dans un réservoir ou regard de prise, elles se construisent ainsi ; on leur donne d'ouverture depuis un pié jusqu'à 18 pouces ; si la source est abondante, on éleve de chaque côté un petit mur d'un pié d'épaisseur & de dix-huit pouces de haut, bâtie de rocailles & pierres seches, afin que les filtrations des terres se jettent plus aisément dedans la pierrée ; on la couvre en forme de chatieres avec des pierres plates, appellées dalles ou couvertures. Quand le fond de la terre n'est pas assez ferme pour y faire rouler l'eau sans se perdre, on y étend un lit de glaise que l'on bat, & l'on y pose dessus les moëllons des murs des côtés ; on les peut encore paver ou cimenter pour plus grande sûreté.
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PIERRERIES | S. f. pl. la collection des pierres précieuses montées qui forment l'écrain d'une femme. On met les perles au nombre des pierreries ; il y a un officier garde des pierreries de la couronne.
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PIERRES | S. f. pl. (Hist. nat. Min.) lapides. Ce sont des corps solides & durs, non ductiles, formés par des particules terreuses, qui, en se rapprochant les unes des autres, ont pris différens degrés de liaison. Ces corps varient à l'infini pour la consistance, la couleur, la forme & les autres propriétés.
Il y a des pierres si dures, que l'acier le mieux trempé n'a point de prise sur elles : d'autres au contraire ont si peu de liaison, que l'on peut aisément les écraser entre les doigts. Quelques pierres ont la transparence de l'eau la plus limpide, tandis que d'autres sont opaques d'un tissu grossier, & sans nulle transparence. Rien de plus varié que la figure des pierres ; on en voit qui affectent constamment une figure réguliere & déterminée, tandis que d'autres se montrent dans l'état de masses informes & sans nulle régularité. Il n'y en a qui ne sont qu'un amas de feuillets ou de lames appliquées les unes sur les autres ; d'autres sont composés d'un assemblage de filets semblables à des aiguilles ; quelques-unes en se brisant se partagent toujours, soit en cubes, soit en trapézoïdes, soit en pyramides, soit en feuillets, soit en stries ou en aiguilles, &c. d'autres se cassent en éclats & en fragmens informes & irréguliers. Quelques pierres ont les couleurs les plus vives & les plus variées ; plusieurs de ces couleurs se trouvent souvent réunies dans une même pierre ; d'autres n'ont point de couleurs, ou elles en ont de très-grossieres. Quelques pierres se trouvent en masses détachées ; d'autres forment des bancs ou des couches immenses qui occupent des terreins très-considérables ; d'autres forment des blocs énormes & des montagnes entieres.
Telles sont les propriétés générales que nous présente le coup d'oeil extérieur des pierres. Si l'on pousse plus loin l'examen, on trouve que quelques-unes donnent des étincelles, lorsqu'on les frappe avec de l'acier, ce qui vient de la forte liaison de leurs parties, tandis que d'autres ne donnent point d'étincelles de cette maniere. Quelques pierres se calcinent, & perdent leur liaison par l'action du feu, d'autres exposées au feu s'y durcissent ; d'autres y entrent en fusion ; d'autre n'y éprouvent aucune altération. Il y en a qui se dissolvent avec effervescence dans les acides, tels que l'eau forte, le vinaigre, &c. quelques-unes ne sont nullement attaquées par ces dissolvans.
Toutes ces différentes qualités que l'on vient de faire remarquer dans les pierres ; ont déterminé les naturalistes à en faire différentes classes ; chacun les a divisées suivant les différens points de vues sous lesquels il les a envisagées ; voilà pourquoi les auteurs sont très-peu d'accord sur les divisions méthodiques qu'ils nous ont données de ces substances. Quelques uns ne consultant que le coup d'oeil extérieur, ont divisé les pierres en opaques & en transparentes ; d'autres ont eu égard aux effets que les pierres produisent dans le feu : c'est ainsi que M. Wallerius distingue les pierres en quatre ordres ou classes ; savoir, 1°. en pierres calcaires ; ce sont celles que l'action du feu réduit en chaux & prive de leur liaison ; telles sont la pierre à chaux, la craie, les marbres, le spath, le gypse &c. Voyez l'article CALCAIRE. 2°. En pierres vitrescibles ; ce sont celles que l'action du feu convertit en verre. Dans ce rang il place les ardoises, les grais, le caillou, les agates, les jaspes, le quartz, le crystal de roche, les pierres précieuses. 3°. En pierres apyres ; ce sont celles sur qui l'action du feu ne produit aucune altération ; telles sont le talc, l'amiante, &c. Enfin, 4° M. Wallerius fait une quatrieme classe de pierres qu'il nomme composées, & qui sont formées par l'assemblage des différentes pierres qui précédent, qui dans le sein de la terre se sont réunies pour ne faire qu'une masse.
M. Pott, qui dans sa Lithogéognosie, nous a donné un examen chimique de la plûpart des pierres, les divise, 1°. en calcaires, c'est-à-dire, en pierres qui se dissolvent dans les acides, & que l'action du feu change en chaux ; 2°. en gypseuses qui ne se dissolvent point dans les acides, mais que l'action du feu change en plâtre. Cependant aujourd'hui la plûpart des Physiciens regardent le gypse ou la pierre à plâtre, comme une pierre calcaire qui est saturée par l'acide vitriolique ; 3°. en argilleuses, qui ne sont point attaquées par les acides, mais qui ont la propriété de se durcir & de prendre de la liaison dans le feu ; 4°. en apyres sur lesquelles ni les acides, ni l'action du feu n'ont aucune prise.
M. Frédéric-Auguste Cartheuser dans sa Minéralogie, divise les pierres en cinq ordres ou classes ; 1°. en pierres par lames, lapides lamellosi ; elles sont composées de feuillets plus ou moins grands. Les différens genres de cette classe sont le spath, le mica, le talc. 2°. Les pierres composées de filets, lapides filamentosi ; de ce nombre sont l'amiante, l'asbeste, le gypse strié. 3°. Les pierres solides ou continues, dont les parties ne peuvent être distinguées ; de ce nombre sont le caillou, le quartz & les pierres précieuses, les pierres à chaux, les pierres à plâtre, le schiste ou l'ardoise, la pierre à pots. 4°. Les pierres par grains, lapides granulati ; telles sont le grais, & suivant lui le jaspe. 5°. Les pierres mélangées.
M. de Justi dans son plan du regne minéral, publié en allemand en 1757, divise les pierres ; 1°. en précieuses, & en communes ; 2°. en pierres qui résistent au feu ; 3°. en pierres calcaires ; 4°. en pierres vitrescibles & fusibles au feu. On voit que cette division est très-fautive, vu que cet auteur considere d'abord les pierres relativement au prix que la fantaisie des hommes y attache, & ensuite il les divise relativement aux effets que le feu produit sur elles.
M. de Cronstedt, de l'académie de Stockholm, dans sa Minéralogie publiée en suédois en 1758, comprend les pierres & les terres sous une même classe, en quoi il semble être très-fondé, vu que les pierres ne sont que des produits des terres, qui ont acquis plus ou moins de consistance & de dureté. Il divise ces terres ou pierres en deux genres, la premiere est des calcaires, la seconde est des pierres ou terres silicées, c'est-à-dire, de la nature du caillou.
Toutes ces différentes divisions que l'on a faites des pierres nous prouvent qu'il est difficile de les ranger dans un ordre méthodique, qui convienne en même tems à leur aspect extérieur & à leurs propriétés intérieures ; au fond ces divisions sont assez arbitraires, & chacun peut en faire des classes relativement aux différens points de vûe sous lesquels il les envisage. Le chimiste qui ne décide rien que d'après l'expérience, considerera les pierres relativement à leur analyse, tandis que le physicien superficiel, qui ne cherchera point à approfondir les choses, se contentera des qualités extérieures, sans s'embarrasser de la combinaison de ces corps ; cependant dans l'examen des pierres, ainsi que de toutes les substances du regne minéral, on risquera très-souvent de se tromper lorsqu'on ne s'arrêtera qu'aux apparences ; un grand nombre de pierres qui ont des propriétés fort opposées, se ressemblent beaucoup à l'extérieur, & les sciences ne devant avoir pour but que l'utilité de la société, il est certain que l'analyse nous fera beaucoup mieux connoître les usages des substances que ne fera un examen superficiel.
Comme la nature agit toujours d'une façon simple & uniforme, il y a tout lieu de conjecturer que toutes les pierres sont essentiellement les mêmes, & qu'elles sont toutes composées de terres, qui ne different entr'elles que par les différentes manieres dont elles ont été modifiées, atténuées & élaborées, & combinées par les eaux ; nous allons faire voir que l'eau est le seul agent de la formation des pierres.
L'expérience prouve que les eaux les plus pures contiennent une portion de terre assez sensible ; on peut s'assurer de cette vérité en jettant les yeux sur les dépôts que font dans les vaisseaux les eaux qu'on y fait bouillir, & qu'on y laisse séjourner quelque tems. Si l'on met une goutte d'eau de pluie ou de la neige sur une glace bien nette, elle y formera une tache blanche aussi-tôt que l'eau sera évaporée ; cette tache n'est autre chose que de la terre, d'où l'on voit que l'eau tenoit cette terre en dissolution, & qu'elle étoit si intimement combinée avec elle qu'elle ne nuisoit point à sa limpidité. L'eau par elle-même doit avoir la propriété de s'unir & de se combiner avec la terre ; c'est de cette combinaison que résulte tout sei ; il y a long-tems que la Chimie a démontré que les sels ne sont qu'une combinaison de la terre & de l'eau ; c'est la différente maniere dont l'eau se combine avec des terres, diversement atténuées & élaborées, qui produit la variété de ces sels. Ces vérités une fois posées, nous allons tâcher d'examiner les différentes manieres dont les pierres peuvent se former.
La premiere de ces manieres qui est la plus parfaite, est la crystallisation. On ne peut s'en former d'idée sans supposer que des eaux tenoient en dissolution des molécules terreuses avec lesquelles elles étoient dans une combinaison parfaite. L'eau qui tenoit ces molécules en dissolution venant à s'évaporer peu-à-peu, n'est plus en quantité suffisante pour les tenir en dissolution ; alors elles se déposent & se rapprochent les unes des autres ; comme elles sont similaires, elles s'attirent réciproquement par la disposition qu'elles ont à s'unir, & de leur réunion il résulte un corps sensible, régulier & transparent, que l'on nomme crystal ; la régularité & la transparence dépendent de la pureté & de l'homogénéité des molécules terreuses qui étoient en dissolution dans l'eau ; ces qualités viennent encore du repos où a été la dissolution, & de la lenteur plus ou moins grande avec laquelle l'évaporation s'est faite ; dumoins est-il certain que c'est de ces circonstances que dépend la perfection des crystaux des sels, qui par leur analogie peuvent nous faire juger de la crystallisation des pierres. Ces crystaux varient en raison de la terre qui étoit en dissolution dans l'eau, & qui leur sert de base ; si cette terre étoit calcaire, elle formera des crystaux calcaires, tels que ceux du spath, &c. si la terre étoit silicée, c'est-à-dire de la nature du caillou ou du quartz, on aura des pierres précieuses & du crystal de roche. Comme les eaux peuvent tenir en même tems en dissolution des terres métalliques diversement colorées, ces couleurs passeront dans les crystaux qui se formeront ; de-là les différentes couleurs des crystaux & des pierres précieuses ; leur dureté variera en raison de l'homogénéité des parties dissoutes, plus elles seront homogenes & pures, plus elles s'uniront fortement, & par conséquent plus elles auront de solidité & de transparence.
Quand même les eaux n'auroient point par elles-mêmes la faculté de dissoudre les molécules terreuses, elles acquerroient cette faculté par le concours des substances salines qui souvent y sont jointes. Personne n'ignore que la terre renferme une grande quantité de sels ; c'est l'acide vitriolique qui s'y trouve le plus abondamment répandu. L'eau aidée de ces sels peut encore plus fortement dissoudre une grande quantité de molécules terreuses, avec lesquelles elle se combine, & lorsqu'elle vient à s'évaporer, il se forme divers crystaux en raison de la nature de la terre qu'elle tenoit en dissolution, & de sels qui entrent dans la combinaison.
Souvent une même eau peut tenir en dissolution des terres de différente nature, dont les unes demandent plus d'eau pour leur dissolution, tandis que d'autres en exigent beaucoup moins ; alors lorsque l'évaporation viendra à se faire, il se formera d'abord des crystaux d'une espece, & ensuite il s'en formera d'autres ; cela se fait de la même maniere que des sels de différente nature se crystallisent successivement les uns plutôt, les autres plus tard dans un vaisseau & dans un laboratoire. C'est ainsi que l'on peut expliquer assez naturellement la formation de ces masses que l'on rencontre souvent dans la terre, & qui sont un mélange confus de plusieurs crystaux de différente nature.
Les molécules terreuses qui servent à former les pierres ne sont point toujours dans un état de dissolution parfaite dans les eaux, souvent elles y sont en parties grossieres, qui ne sont que détrempées, & elles y demeurent suspendues tant que les eaux sont en mouvement, après avoir été charriées & entraînées pendant quelque tems, ces terres se déposent par leur propre poids, & forment peu-à-peu un corps solide ou une pierre ; c'est ainsi que se forment les incrustations, les tufs, les stalactites ; en un mot c'est de cette maniere qu'on doit supposer qu'ont été formés les bancs de roches, d'ardoises, de pierres à chaux, &c. qui se trouvent par couches dans le sein de la terre, & qui paroissent des dépôts faits par les eaux de la mer. Voyez LIMON & TERRE, couches de la.
Les pierres ainsi formées n'affectent point de régularité dans leur figure, elles sont composées de tant de molécules grossieres & hétérogenes, que les parties similaires n'ont point pû se rapprocher, & leur continuité a été interrompue par les matieres étrangeres & peu analogues qui sont venues se placer entre elles. En effet, il y a lieu de conjecturer que toutes les pierres, lorsqu'elles sont pures & lorsqu'elles sont dans un état de dissolution parfaite, doivent former des crystaux transparens & réguliers, c'est-à-dire doivent prendre la figure qui est propre à chaque molécule de la terre qui a été dissoute.
De toutes les pierres il n'y en a point dont la formation soit plus difficile à expliquer que celle des pierres de la nature du caillou ; la plûpart des naturalistes les regardent comme produites par une matiere visqueuse & gélatineuse qui s'est durcie ; cependant on voit que la matiere qui forme le caillou lorsqu'elle est parfaitement pure, affecte une figure réguliere ; en effet, le crystal de roche ne differe du caillou, du quartz, des agates, qui sont des pierres du même genre, que par sa transparence & sa forme pyramidale & héxagone. Il y a donc lieu de supposer que c'est la partie la plus parfaitement dissoute & la plus pure du caillou ou du quartz, qui forme des crystaux, & que c'est la partie la moins parfaitement dissoute, & qui par sa viscosité & son mélange avec des matieres hétérogenes, n'a pû se crystalliser ; semblable en cela à la matiere grasse & visqueuse qui accompagne les sels qu'on appelle l'eau mere, & qui n'est plus propre à se crystalliser.
Peut-être que cette idée pourroit servir à nous faire connoître pourquoi certains cailloux arrondis ont à leur centre des cavités tapissées de crystaux réguliers, semblables en tout à du crystal de roche, tandis que d'autres cailloux, qui sont précisément de la même nature que les premiers, ont leurs cavités garnies de mamelons ; on a tout lieu de présumer qu'ils renfermeroient des crystaux comme les premiers, si la crystallisation n'avoit point été embarrassée par des matieres étrangeres qui l'ont empêchée de se faire. Voyez l'article SILEX.
Par tout ce qui précede on voit que toutes les pierres ont été originairement dans un état de fluidité indépendamment des crystallisations dont nous venons de parler, nous avons une preuve convaincante de cette vérité dans les pierres que nous voyons chargées des empreintes de plantes & de coquilles, qui y sont marquées comme un cachet sur de la cire d'Espagne ; telles sont certaines ardoises ou pierres schisteuses qui portent des empreintes de poissons, & celles qu'on voit chargées des empreintes de plantes, qui accompagnent souvent les charbons de terre. On trouve encore fréquemment des cailloux très-durs qui sont venus se mouler dans l'intérieur des coquilles & d'autres corps marins dont ils ont pris la figure. De plus, ces choses nous fournissent des preuves indubitables que les pierres se forment journellement : nous voyons cette vérité confirmée par les grottes qui se remplissent peu-à-peu, par les stalactites qui se forment assez promptement, par les crystallisations & les incrustations qui recouvrent des mines dans leurs filons, & sur-tout par les cailloux & les marbres que l'on trouve souvent par petits fragmens, qui ont été liés & comme collés ensemble par un suc pierreux analogue, qui n'en a fait qu'une seule masse. Voyez TERRE, GLUTEN, INCRUSTATION, PETRIFICATION, &c.
Ces observations ont dû conduire naturellement à distinguer les pierres en pierres anciennes & en pierres récentes. Par les premieres, on entend celles dont la formation a précédé les divers changemens que notre globe a éprouvés, & qui doivent leur existence, pour ainsi dire, au débrouillement du chaos & à la création du monde. Ces sortes de pierres ne renferment jamais des substances étrangeres au regne minéral, telles que des bois, des coquilles & d'autres corps marins ; c'est de pierres de cette espece que sont formées les montagnes primitives. Voyez MONTAGNES. Les pierres récentes sont celles qui ont été produites postérieurement & qui se forment encore tous les jours. On doit ranger dans cette classe toutes les pierres qui sont par lits ou par couches horisontales ; elles ont été formées par le dépôt de la vase ou du limon des rivieres & des mers qui ont occupé des portions de notre continent qui depuis s'en sont retirées ; c'est pour cette raison que l'on trouve dans ces couches de pierres des corps entierement étrangers à la terre, qui y ont été enveloppés & renfermés lorsque la matiere molle dans son origine est venue à se durcir. De cette espece sont les schistes, les ardoises, les pierres à chaux, les grais, les marbres, &c. Parmi ces pierres récentes il y en a qui ont été produites ou mises dans l'état où la nature nous les présente, par les embrasemens de la terre ; de cette espece sont la lave, la pierre ponce, &c. On doit aussi placer au rang des pierres récentes les veines de quartz & de spath, qui sont venus quelquefois reboucher les fentes des montagnes & des rochers, qui avoient été faites antérieurement par les tremblemens & les affaissemens de la terre ; il est aisé de concevoir que les pierres qui remplissent ces intervalles, sont d'une formation postérieure à celle des pierres qu'elles ont, pour ainsi dire, resoudées. (-)
PIERRES DES AMAZONES, (Physiq.) C'est chez les Topayos, au rapport de M. de la Condamine, Mem. de l'Acad. des Sciences, année 1745, qu'on trouve aujourd'hui plus aisément que par-tout ailleurs, de ces pierres vertes, connues sous le nom de pierres des Amazones, dont on ignore l'origine, & qui ont été fort recherchées autrefois, à cause des vertus qu'on leur attribuoit, de guérir de la pierre, de la colique néphrétique & de l'épilepsie. Il y en a eû un traité imprimé sous le nom de Pierre divine. La vérité est qu'elles ne different ni en couleur ni en dureté du jade oriental ; elles résistent à la lime, & on n'imagine point par quel artifice les anciens Amériquains, qui ne connoissoient pas le fer, ont pu les tailler, les creuser, & leur donner diverses figures d'animaux : c'est sans doute ce qui a fait naître une fable peu digne d'être refutée : on a débité fort sérieusement que cette pierre n'étoit autre chose que le limon de la riviere, auquel on donnoit la forme qu'on desiroit, en le pétrissant quand il étoit récemment tiré, & qui acquéroit ensuite à l'air, cette extrême dureté. Quand on accorderoit gratuitement cette merveille, dont quelques gens incrédules ne se sont désabusés qu'après que l'épreuve leur a mal réussi, il resteroit un autre problème plus difficile encore à résoudre pour nos lapidaires : comment ces mêmes Indiens ont-ils pû arrondir, polir des émeraudes, & les percer de deux trous coniques diamétralement opposés sur un axe commun ? On trouve de telles pierres encore aujourd'hui au Pérou, sur la côte de la mer du sud, à l'embouchure de la riviere de San-Jago, au nord-ouest de Quito, dans le gouvernement d'Emeraldas, avec divers autres monumens de l'industrie des anciens habitans. Les pierres vertes deviennent tous les jours plus rares, tant parce que les Indiens qui en font grand cas, ne s'en défont pas volontiers, qu'à cause du grand nombre de ces pierres qui a passé en Europe. (D.J.)
PIERRES APYRES, (Hist. nat. Minéralogie). Quelques Naturalistes donnent cette épithete aux pierres qui ne souffrent aucune altération par l'action du feu, c'est-à-dire, qui ne sont ni calcinées ou réduites en chaux, ni fondues ou changées en verre par un feu ordinaire, tel que celui que la Chimie employe pour ses analyses. Les pierres de cette espece sont le talc, l'amiante, l'asbeste, le mica, &c. Il faut observer que ces sortes de pierres ne sont point absolument apyres, puisque le miroir ardent est en état de les faire entrer en fusion. Voyez l'article MIROIR ARDENT. (-)
PIERRE A CHAUX, (Hist. nat. Minéral.) lapis calcareus, nom générique que l'on donne à toute pierre que l'action du feu convertit en chaux. Plus les pierres que l'on emploie à cet usage sont dures & compactes, plus la chaux qui en résulte est d'une bonne qualité. Voyez CALCAIRE & CHAUX. (-)
PIERRE D'AUTOMNE, (Chimie) espece de composition que préparent les Chinois. On fait bouillir dans une chaudiere de fer, de l'urine d'un adulte ; lorsqu'elle commence à bouillir, on y verse, goutte à goutte, la valeur d'un gobelet d'huile de navette. On laisse évaporer ce mélange jusqu'à consistance de colle ; on étend ensuite ce résidu sur des plaques de tôle, & on le fait sécher au point de pouvoir être pulvérisé. On humecte ensuite cette poudre avec de l'huile, & on met ce mélange dans un creuset pour le sécher. On le remet encore en poudre, & on met cette poudre dans un vaisseau de porcelaine, couvert d'une étoffe de soie & d'un papier en double ; on verse dessus de l'eau bouillante qui se filtre goutte à goutte au-travers de ces papiers, & l'on continue jusqu'à ce qu'il y en ait assez pour donner à la poudre une consistance de pâte, que l'on fait ensuite sécher au bain marie.
Les Chinois regardent cette composition comme un grand remede pour les maux de poitrine ; ils l'appellent en leur langue d'un mot qui signifie pierre d'automne, parce qu'ils sont dans l'idée que les saisons ont des influences particulieres sur les différentes parties du corps. Voyez les observations sur les coutumes de l'Asie.
PIERRES DE CROIX, (Hist. nat. Mineral.) lapis crucifer. C'est ainsi qu'on nomme des pierres qui se trouvent en Espagne, dans le voisinage de S. Jacques de Compostelle ; on y remarque distinctement la figure d'une croix, d'une couleur noirâtre, tandis que le reste de la pierre est d'un blanc tirant sur le gris. Boece de Boot dit que cette pierre ressemble par sa grandeur & sa figure à la corne d'un boeuf, & que lorsqu'on la coupe horisontalement, on voit une croix dans son intérieur. Cette pierre est tendre & facile à tailler ; les Espagnols en font des chapelets ou rosaires : ce qui donne lieu de croire que ces pierres sont de la nature de la serpentine ou de la pierre ollaire, qui par une crystallisation particuliere affectent la figure que l'on y remarque. Le pere Feuillée a trouvé dans une riviere du Chily en Amérique, des pierres qui portoient aussi la figure d'une croix.
PIERRES DIVINES, (Hist. nat.) nom sous lequel on a désigné quelquefois la jade. Voyez JADE.
PIERRES EMPREINTES, (Hist. nat. Mineral.) ce sont les pierres qui portent les empreintes de substances étrangeres au regne minéral. Voyez les articles PHYTOLITES & TYPOLITES.
PIERRES FIGUREES, (Hist. nat. Mineral.) Ce sont les pierres qui ont pris dans le sein de la terre une figure étrangere au regne minéral. Voyez FIGUREES (PIERRES.)
PIERRES DE FLORENCE, (Hist. nat. Mineral.) ce sont des pierres de la nature du marbre, & susceptibles, comme lui, de prendre le poli, sur lesquelles on voit des figures qui ressemblent assez à des ruines : ce qui leur a fait donner le nom de lapis ruderum ou de pierres de ruines. Ces pierres sont ordinairement grisâtres, & la partie qui représente des ruines est composée de veines plus ou moins jaunâtres ; cette partie semble, pour ainsi dire, collée à la pierre contigue qui est d'une même couleur, & qui fait, pour ainsi dire, le fond du tableau.
PIERRES GYPSEUSES, (Hist. nat.) ce sont celles que l'action du feu convertit en plâtre. Voyez l'article GYPSE.
PIERRES HEMATITES ou sanguines. Voyez l'article HEMATITES.
PIERRES D'HIRONDELLES, (Hist. nat.) Voyez HIRONDELLE (Pierre d ') on l'appelle aussi pierre de sassenage.
PIERRES OLLAIRES ou PIERRES A POTS. Voyez OLLAIRES (Pierres).
PIERRE PHILOSOPHALE, (Alchimie). Si la passion des richesses, dit M. de Fontenelle, n'étoit pas aussi puissante, & par conséquent aussi aveugle qu'elle est, il seroit inconcevable, qu'un homme qui prétend avoir le secret de faire de l'or, pût tirer de l'argent d'un autre, pour lui communiquer son secret. Quel besoin d'argent peut avoir cet heureux mortel ? Cependant c'est un piége où l'on donne tous les jours, & M. Geoffroi a développé dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1722, les principaux tours de passe-passe que pratiquent les prétendus adeptes, enfans de l'art, philosophes hermétiques, cosmopolites, rosecroix, &c. gens qu'un langage mystérieux, une conduite fanatique, des promesses exorbitantes, devroient rendre fort suspects, & ne font que rendre plus importans. Nous ne répéterons point ce qu'a dit M. Geoffroi sur leurs différentes supercheries ; il est presque insensé d'écouter ces gens-là, du moins dans l'espérance de quelque profit. Ainsi nous transcrirons seulement un mot des observations de l'historien de l'académie des Sciences sur le fond de la chose.
Il pourroit bien être impossible à l'art de faire de l'or, c'est-à-dire d'en faire avec des matieres qui ne soient pas or, comme il s'en fait dans le sein de la terre. L'art n'a jamais fait un grain d'aucun des métaux imparfaits, qui selon les Alchimistes, sont de l'or que la nature a manqué ; il n'a seulement jamais fait un caillou. Selon les apparences, la nature se réserve toutes les productions. Cependant on ne démontre pas qu'il soit impossible qu'un homme ne meure pas. Les impossibilités, hormis les géométriques, ne se démontrent guere ; mais une extrème difficulté, prouvée d'une certaine façon par l'expérience, doit être traitée comme une impossibilité, si non dans la théorie, au-moins dans la pratique.
Les Alchimistes prétendent dissoudre l'or radicalement, ou en ses principes, & en tirer quelque matiere, un soufre, qui, par exemple, mêlé avec quelqu'autre minéral, comme du mercure, ou de l'argent, le change en or : ce qui en multiplieroit la quantité.
Mais on n'a jamais dissous radicalement aucun métal. On les altére, on les déguise quelquefois à un tel point qu'ils ne sont plus reconnoissables ; mais on sait aussi les moyens de les faire reparoître sous leur premiere forme ; leurs premiers principes n'étoient pas désunis.
Il est vrai qu'il s'est fait par le miroir ardent des dissolutions radicales, que le feu ordinaire des fourneaux n'auroit pas faites ; mais un alchimiste n'en seroit pas plus avancé ; car au feu du soleil, ou le mercure, ou le souffre des métaux qui seroient les principes les plus actifs & les plus précieux, s'envolent, & le reste demeure vitrifié, & inhabile à toute opération.
Quand même on auroit un soufre d'or bien séparé, & qu'on l'appliquât à de l'argent, par exemple ; il ne feroit que changer en or une masse d'argent, égale à celle d'or, d'où il auroit été tiré. Je suppose qu'il lui auroit donné le poids, & toutes les autres qualités originaires ; mais malgré tout cela, il valoit autant laisser ce soufre où il étoit nécessairement ; on n'a rien gagné, si ce n'est une expérience très-curieuse, & certainement on a fait des frais.
J'avoue que les Alchimistes entendent que ce soufre agiroit à la maniere, ou d'une semence qui végete, & devient une plante, ou d'un feu qui se multiplie, dès qu'il est dans une matiere combustible ; & c'est à cela que reviennent les contes de la poudre de projection, dont quelques atomes ont produit de grosses masses d'or ; mais quelle physique pourroit s'accommoder de ces sortes d'idées ?
J'avoue aussi que si de quelque matiere qui ne fût point or, comme de la rosée, de la manne, du miel, &c. on pouvoit, ainsi qu'ils le disent, tirer quelque portion de l'esprit universel, propre à changer de l'argent ou du cuivre en or, il pourroit y avoir du profit ; mais quelles propositions, quelle espérance !
Une chose qui donne encore beaucoup de crédit à la pierre philosophale, c'est qu'elle est un remede universel ; ceux qui la cherchent, comment le savent-ils ? Ceux qui la possedent, que ne guérissent-ils tout ? Et s'ils veulent, sans découvrir leur secret, ils auront plus d'or que tous leurs fourneaux n'en pourroient faire. Quand on recherchera ce qui a fait donner à l'or des vertus physiques si merveilleuses, on verra bientôt que leur origine vient de ses vertus arbitraires & conventionnelles, dont les hommes sont si touchés. (D.J.)
PIERRES POREUSES, (Hist. nat.) porus, undulago, incrustatum, tophus, stalactites, &c. nom générique donné par les naturalistes à toutes les pierres formées par le dépôt des eaux. De ce genre sont le tuf, les incrustations, les stalactites, &c. Voyez ces différens articles. Les pores varient par la nature & par la forme, en raison des différentes terres que les eaux ont déposées ; mais le plus communément ces pierres sont calcaires, parce que la terre calcaire a plus de facilité que toute autre à s'incorporer avec les eaux & à être mises en dissolution. Voyez CALCAIRE.
PIERRE-PONCE, (Hist. nat.) pumices ; ce sont des pierres très-poreuses, & semblables à des éponges ; elles paroissent composées de filamens ; elles sont rudes au toucher, d'une figure irréguliere & informe : leur légéreté est si grande, qu'elles nagent à la surface des eaux.
Les pierres-ponces varient pour la couleur, & l'on en compte de blanches ou grises, de jaunâtres, de brunes & de noirâtres. Ces pierres se trouvent dans le voisinage des volcans ou montagnes qui jettent du feu, comme l'Aetna & le Vésuve ; ou dans des endroits où il y a eu autrefois des embrasemens souterreins ; ou enfin dans des endroits où les pierres-ponces ont été poussées par les vents, lorsqu'elles nageoient à la surface des eaux de la mer.
MM. Stahl & Pott ont regardé la pierre-ponce, comme de l'asbeste que l'action du feu a mis dans l'état où nous le voyons ; mais M. Wallerius croit que sa formation est due à une espece de charbon de terre consommé, & devenu spongieux par l'action du feu. Quoi qu'il en soit de ces différentes opinions, M. Henckel a observé que la pierre-ponce entroit en fusion à un feu violent, & formoit une scorie ou un verre assez dur pour faire feu, lorsqu'on le frappe avec l'acier ; ce fait a été confirmé par l'expérience de M. Pott. C'est pour cette raison que quelques auteurs ont mis la pierre-ponce au rang des pierres que l'on nomme vitrifiables.
On trouve la pierre-ponce, comme nous l'avons fait observer, dans le voisinage des volcans, & l'on en rencontre dans toutes les parties du monde ; en Europe, près du mont Hecla en Islande, en Sicile, & au royaume de Naples ; en Asie, dans l'île d'Ormus où il y a eu anciennement un volcan, dans l'île de Ternate, &c. Les voyageurs nous apprennent avoir quelquefois vu la mer toute couverte de pierres-ponces dans des endroits souvent fort éloignés des volcans qui les ont produits ; ce sont les vents qui les poussent alors au loin ; en se heurtant les unes les autres, & étant roulées par les eaux contre le rivage, elles s'arrondissent & s'usent, comme on le remarque sensiblement à de certaines pierres-ponces.
Les anciens ont cru que la pierre-ponce étoit formée de l'écume de la mer ; & ils l'appelloient pumex du mot spuma.
Cette pierre est d'un grand usage dans les arts & métiers ; elle sert à polir les pierres & les métaux. On l'a vantée autrefois dans la Médecine ; mais aujourd'hui l'on sait que l'usage en est très-inutile. (-)
PIERRES, (Mat. méd.) on a attribué des vertus médicinales à un grand nombre de pierres, qui ne different point à cet égard des terres, & auxquelles convient par conséquent ce que nous avons dit des remedes terreux. Voyez TERREUX, (Mat. méd.)
Les pierres méritent cependant cette considération particuliere, que celles qui ont une vertu médicamenteuse réelle ; savoir, les calcaires & les argilleuses, sont très-inférieures dans l'usage, aux terres proprement dites, en ce qu'elles sont d'un tissu plus compacte, plus serré que ces dernieres substances. D'où l'on peut prononcer définitivement que les pierres simples ou homogenes des autres especes primitives sont destituées de toute vertu médicamenteuse ; que celles qui ont quelques vertus ne la possedent que dans un degré plus foible que des substances analogues, tout aussi communes qu'elles ; & par conséquent, que les pierres doivent être bannies de la liste des remedes.
Ces pierres qui sont ainsi inutiles, & que les pharmacologistes ont mis au rang des médicamens, sont outre les pierres précieuses, & principalement celles qu'on trouve dans les pharmacies, sous le nom de fragmens précieux, sont, dis-je, le crystal, le caillou, le bol, le talc, la pierre néphrétique ou le jade, la pierre-ponce, l'ochre, l'ardoise, la pierre d'aigle, la pierre d'aimant, &c. toutes substances absolument dépourvues de vertus médicinales ; & la belemnite, la pierre judaïque, la pierre d'éponge, l'ostéocol, le glossopetre ou langue de serpent, &c. toutes matieres qui, quoique possedant en effet la vertu absorbante, étant composées en tout ou en partie de terre calcaire, doivent être pourtant rejettées, par les considérations que nous venons d'exposer ci-dessus.
Mais outre ces pierres inutiles, on trouve encore dans les listes des remedes, deux pierres dangereuses ; savoir, la pierre d'azur, & la pierre d'Arménie, l'une & l'autre recommandées par les anciens, comme purgatives. Voyez PIERRE D'ARMENIE, ERRE D'AZURAZUR.
La pierre hématite qui n'est presque qu'une substance ferrugineuse, doit être renvoyée à la classe des remedes martiaux. Voyez MARS & MARTIAUX, (Mat. méd.)
Au reste, la principale célébrité de la plûpart de ces pierres leur est venue de l'opinion qu'on a eue de leur efficacité, à titre d'amulete ; on a cru, par exemple que la pierre néphrétique portée dans une ceinture, calmoit les douleurs des reins ; & j'ai vu un homme de beaucoup d'esprit qui employoit ce remede, véritablement avec un léger degré de confiance. La langue de serpent est regardée comme très-propre à faire sortir les dents des enfans, lorsqu'on la leur suspend au col. La pierre d'aigle passe pour faciliter l'accouchement, si les femmes la portent attachée à la cuisse, & pour agir même avec tant d'énergie, que si on n'a soin de la détacher d'abord après l'accouchement, elle entraine la matrice ; fait attesté par des observations rapportées par de très-graves auteurs de Médecine ; mais qui paroît si chimérique, que la plus sévere méthode du doute ne sauroit ce semble autoriser à le discuter par de nouvelles expériences. (b)
PIERRE INFERNALE, (Chimie Mat. méd.) on nomme ainsi le sel formé par l'union de l'acide nitreux, & de son agent dépouillé par la fusion de toute son eau de crystallisation. Voici comme on le prépare d'après Lémery, Cours de chimie.
Faites dissoudre dans une phiole telle quantité d'argent de coupelle qu'il vous plaira, avec deux ou trois fois autant d'esprit de nitre ; mettez votre phiole sur le feu de sable, & faites évaporer environ les deux tiers de l'humidité : renversez le restant tout chaud dans un bon creuset d'Allemagne assez grand, à cause des ébullitions qui se feront. (Une capsule de verre est préférable à un creuset, parce qu'une grande quantité de la matiere pénetre le creuset, & s'imbibe dedans ; & souvent passe à travers, sur-tout si c'est la premiere fois qu'on le fait servir à cette opération ; note de M. Baron.) Placez-le sur un petit feu, & l'y laissez jusqu'à ce que la matiere qui sera beaucoup rarefiée, s'abaisse au fond du creuset : augmentez alors un peu le feu, & elle deviendra comme de l'huile ; versez-la dans une lingotiere un peu graissée & chauffée, elle se coagulera ; après quoi vous pourrez la garder dans une phiole bien bouchée. C'est un caustique qui dure toujours, pourvu qu'on ne le laisse pas exposé à l'air : on peut faire cette pierre avec un mélange de cuivre & d'argent ; mais elle ne se garde pas tant, parce que le cuivre étant fort poreux, l'air s'y introduit facilement, & la fond. Si vous avez employé une once d'argent, vous retirerez une once & cinq dragmes de pierre infernale.
On moule la pierre infernale en petits crayons pour l'usage.
Ce caustique n'attaque point la peau, mais il ronge très-promptement & très-efficacement les chairs découvertes, en les touchant seulement plus ou moins légerement. Les chirurgiens n'en employent presque point d'autre aujourd'hui pour consumer les bords calleux des ulceres, ou les chairs qui poussent trop pendant le traitement des plaies : elle peut servir encore aussi-bien que les caustiques préparés avec le mercure, à détruire les chancres & autres excroissances vénériennes qui viennent aux parties de la génération de l'un & l'autre sexe, &c.
Les chirurgiens portent leur pierre à cautere montée sur un porte-crayon qui se visse dans un étui d'argent, pour la préserver de l'humidité de l'air qui l'attaque cependant assez médiocrement. (b)
PIERRE A CAUTERE, (Chimie, Mat. méd.) on appelle ainsi l'alkali fixe du tartre, ou commun, rendu plus caustique par la chaux. Voyez TARTRE & CHAUX COMMUNE. Voici comme on la prépare, d'après la description de Lémery.
Mettez dans une grande terrine une partie de chaux vive, & deux parties de cendre gravelée ; versez dessus beaucoup d'eau chaude, & les ayant laissé tremper cinq ou six heures, faites-les un peu bouillir : passez ensuite ce qui sera clair, par un papier gris, & le faites évaporer dans une bassine de cuivre, ou dans une terrine de grais : il vous restera un sel au fond, qu'il faut mettre dans un creuset sur le feu ; il se fondra & bouillira jusqu'à ce qu'il se soit fait évaporation de l'humidité qui étoit restée : quand vous verrez qu'il sera réduit au fond en forme d'huile, jettez-le dans une bassine, & le coupez en pointe, pendant qu'il sera encore chaud : mettez promptement ces caustiques dans une bouteille de verre fort que vous boucherez avec de la cire & de la vessie, car l'air les resoud facilement en liqueur : il faut encore observer de les mettre en un lieu bien sec pour les garder. Lémery, Cours de chimie.
Il est très-vraisemblable qu'on n'employe par préférence les cendres gravelées, que parce qu'elles sont d'un moindre prix que le sel de tartre ; car il paroît (contre l'opinion, & malgré la théorie de M. Baron, Notes sur le cours de chimie de M. Lémery), que le tartre vitriolé qui se trouve dans les cendres gravelées, nuit à la perfection de la pierre à cautere, plutôt qu'elle n'y sert : car le tartre vitriolé n'est point caustique, & le tartre vitriolé ne dispose point la chaux à la causticité.
La pierre à cautere est le plus actif des caustiques employés dans la Chirurgie, puisqu'il attaque même la peau entiere, ce que ne font point les autres caustiques usités. Son usage chirurgical est d'être employée à établir ces ulceres ou égoûts artificiels connus sous le nom de cautere, voyez CAUTERE, Méd. & d'ouvrir des abscès. Voyez ABSCES.
PIERRE D'AZUR, (Mat. méd.) lapis lazuli, elle a la vertu de purger par haut & par bas. Des auteurs la recommandent fort contre la mélancolie, la fievre quarte, l'apoplexie & l'épilepsie : Dioscoride & Galien lui reconnoissent une vertu corrosive avec un peu d'astriction. Il ne faut pas douter que la couleur bleue de cette pierre ne vienne de quelque partie de cuivre, d'où dépendent aussi ses vertus corrosives, purgative & émethique ; mais on demande pourquoi on fait entrer ce remede acre & violent purgatif dans la confection alkermès, qui est une composition cordiale & fortifiante.
Comme l'on a beaucoup de remedes plus sûrs pour produire les effets dont on vient de parler, on se sert rarement de cette pierre ; & à-présent, on n'a coutume de l'employer que dans la composition alkermès. Geoffroi, Mat. méd.
On est plus avancé aujourd'hui que du tems de M. Geoffroi, car on ne fait plus entrer la pierre d'azur dans la confection alkermès.
PIERRE DIVINE ou OPHTALMIQUE, (Pharmacie, Mat. méd.) prenez vitriol bleu, nitre & alun, de chacun trois onces ; mettez-les en poudre subtile, mêlez-les exactement & placez-les dans un matras, & les exposez à une chaleur simplement suffisante pour les faire fondre ; lorsque le mélange sera liquide, mêlez-y exactement un gros de camphre en poudre, & lorsque la masse sera figée par le refroidissement, cassez le matras, retirez-la, & gardez-la pour l'usage.
C'est ici un simple mélange de drogues. Le vitriol, l'alun & le nitre sont du genre des sels qui contiennent assez d'eau dans leur crystallisation pour être capables de la liquidité aqueuse par l'action d'une legere chaleur. Or dans cet état l'acide vitriolique n'agit point sur le nitre, & chacun de ces trois sels reste inalteré dans le mélange.
Une liqueur appropriée, chargée d'une legere teinture de cette pierre, est un bon collyre. Voyez COLLYRE & OPHTALMIQUE. (b)
PIERRE médicamenteuse de Crollius, PIERRE médicamenteuse de Lémery. PIERRE admirable, (Pharmac. & Mat. méd.) on trouve dans presque toutes les pharmacopées, & les chimies médicinales sous le nom de pierre médicamenteuse, admirable, divine, des philosophes, &c. divers mélanges d'alun, de vitriol, de nitre, de sel marin, de sel ammoniac, d'alkalis fixes, de litarge, de bol, le tout pulvérisé, exactement mêlé, humecté avec du vinaigre, ou quelqu'autre liqueur saline ; ensuite calciné ou fortement desséché jusqu'à ce que le mélange ait pris la consistance d'une pierre.
Ces pierres sont recommandées comme vulnéraires, détersives, dessicatives, styptiques, ophtalmiques ; mais elles ont éminemment le défaut des remedes très-composés, qui sont d'autant plus graves, comme nous l'avons observé à l'article COMPOSITION (voyez cet article), qu'une réaction chimique non prévue ou mal estimée, a été plus excitée dans leur préparation. Aussi toutes ces pierres sont-elles fort peu employées, & ne devroient point l'être absolument, sur-tout puisqu'on ne manque point de remedes plus simples & mieux entendus qui possedent éminemment les vertus attribuées à ces pierres. (b)
PIERRE CALAMINAIRE, (Mat. méd.) voyez ZINC.
PIERRE, (Archit.) corps dur qui se forme dans la terre, & dont on se sert pour la construction des bâtimens. Il y a deux sortes de pierres, de la pierre dure, & de la pierre tendre. La premiere est sans contredit la meilleure. La pierre tendre a cependant quelques avantages : c'est qu'elle se taille aisément, & qu'elle résiste quelquefois mieux à la gelée que la pierre dure. Mais ceci n'est pas assez recommandable pour mériter de la confiance à la pierre tendre. Il faut un froid très-rigoureux pour endommager la pierre dure, parce que ce n'est qu'en congelant l'eau que la pierre contient qu'il peut lui nuire. Aussi la plûpart des carriers craignent bien davantage la lune, dont les rayons détruisent, à ce qu'ils disent, les matieres les plus compactes ; mais il y a dans ce propos plus de méchanceté que de bonne foi. Comme la pierre se détruit facilement quand l'ouvrier n'en a pas bien ôté le bousin, voyez ce mot, & que par cette mal-façon la pierre se gâte, en attribuant ce déchet à la lune, on couvre sa négligence pour ne rien dire de plus. Mais laissons-là les défauts qui peuvent provenir aux pierres de la part des ouvriers & de la lune. Disons quelque chose de plus utile ; c'est la maniere de connoître la qualité d'une pierre.
Lorsqu'une pierre est bien pleine, d'une couleur égale, qu'elle est sans veine, qu'elle a un grain fin & uni, que les éclats se coupent net, & qu'ils rendent quelque son, elle est certainement bonne. On connoît encore cette qualité, en exposant la pierre, nouvellement tirée des carrieres, à l'humidité pendant l'hiver. Si elle résiste à la gelée, elle est bonne, & on peut l'employer avec confiance.
Voici les especes, les qualités, les usages & les défauts de ce corps.
De la pierre dure suivant ses especes. Pierre d'Arcueil, près de Paris. Cette pierre porte de hauteur de banc nette & taillée, depuis 14 jusqu'à 21 pouces ; & le bas appareil d'Arcueil, 9 à 10 pouces.
Pierre de Belle-hache. C'est la plus dure de toutes les pierres, quoique moins parfaite que le liais ferant, voyez ci-après pierre de liais, à cause des cailloux qui s'y rencontrent : aussi s'en sert-on rarement. On la tire vers Arcueil d'un endroit appellé la Carriere-royale. Elle porte de hauteur 18 à 19 pouces.
Pierre de Bonbanc. Cette pierre qui se tire vers Vaugirard, porte depuis 15 jusqu'à 24 pouces de hauteur.
Pierre de Caën, en Normandie. Espece de pierre noire, qui tient de l'ardoise, voyez ARDOISE, mais qui est beaucoup plus dure. Elle reçoit le poli, & sert dans les compartimens de pavé.
Pierre de la chaussée, près Bougival, à côté de S. Germain-en-Laye, pierre qui porte 15 à 16 pouces.
Pierre de cliquart, près d'Arcueil. Cette pierre, qu'on appelle aussi bas-appareil, porte 6 à 7 pouces.
Pierre de S. Cloud, pierre qu'on tire au lieu du même nom, près Paris, & qu'on trouve nette & taillée, depuis 18 jusqu'à 24 pouces de hauteur.
Pierre de Fécamp. On trouve cette pierre dans la vallée de ce nom, près Paris, elle a 15 à 18 pouces de hauteur.
Pierre de Lambourde. Cette pierre se trouve près d'Arcueil. Elle porte depuis 20 pouces jusqu'à 5 piés, mais on la délite. Il y a aussi de la lambourde, qu'on trouve hors du fauxbourg S. Jacques, à Paris, qui a depuis 18 jusqu'à 24 pouces.
Pierre dure de S. Leu. On tire cette pierre aux côtes de la montagne d'Arcueil.
Pierre de liais. Il y a plusieurs especes de cette pierre. Le franc-liais & le liais-ferant, qui est plus dur que le franc, se tirent tous deux de la même carriere, hors de la porte S. Jacques, près Paris. Le liais-rose, qui est le plus doux, & qui reçoit un beau poli au grès, se tire vers S. Cloud ; & on prend le franc-liais de S. Leu, le long des côtes de la montagne. Toutes ces especes de liais portent depuis 6 jusqu'à 8 pouces de hauteur.
Pierre de Meudon près Paris. Cette pierre est depuis 14 pouces jusqu'à 18. Il y a une autre sorte de pierre de Meudon, qu'on appelle rustique de Meudon, qui est plus dure & plus trouée, mais qui a la même hauteur.
Pierre de Montosson, près Nanterre, à deux lieues de Paris. Pierre qui porte 9 à 10 pouces.
Pierre de Saint-Nom, au bout du parc de Versailles. Cette pierre a depuis 18 jusqu'à 22 pouces de hauteur.
Pierre de Senlis. On prend cette pierre à S. Nicolas-lès-Senlis, à 10 lieues de Paris. Elle porte depuis 12 jusqu'à 16 pouces.
Pierre de Souchet. On trouve cette pierre hors du fauxbourg S. Jacques de Paris. Elle porte depuis 12 jusqu'à 16 pouces.
Pierre de Tonnerre, en Bourgogne. Cette pierre a depuis 16 jusqu'à 18 pouces.
Pierre de Vaugirard. Pierre qui est dure & grise, & qui porte 18 à 19 pouces.
Pierre de Vergeté. On tire cette pierre de S. Leu, à 10 lieues de Paris. Elle porte 18 à 20 pouces.
Pierre de Vernon, à 12 lieues de Paris. Cette pierre porte depuis 2 jusqu'à 3 piés.
De la pierre tendre suivant ses especes. Pierre de S. Leu, à 10 lieues de Paris. Pierre qui porte depuis 2 piés jusqu'à 4.
Pierre de Maillet & de Trocy. On tire ces pierres de S. Leu, & elles n'ont rien de particulier, si ce n'est que le trocy est de toutes les pierres celle dont le lit est le plus difficile à connoître. On ne le découvre que par de petits trous.
De la pierre suivant ses qualités. De la pierre à chaux. Sorte de pierre grasse, qui se trouve ordinairement aux côtés des montagnes, & qu'on calcine pour faire de la chaux. Voyez CHAUX.
Pierre à plâtre. Sorte de pierre qu'on cuit dans les fours, & qu'on pulverise ensuite pour faire du plâtre. Voyez PLATRE.
Pierre de couleur. Pierre qui étant rougeâtre, grisâtre ou noirâtre, cause une variété agréable dans les bâtimens.
Pierre de taille. On appelle ainsi toute pierre dure ou tendre, qui peut être équarrie & taillée avec paremens, ou même avec architecture, pour la solidité ou décoration des bâtimens.
Pierre fiere. Pierre difficile à travailler, à cause qu'elle est seche, comme la plûpart des pierres dures, mais particulierement la belle hache & le liais, voyez ces mots.
Pierre franche. On appelle ainsi toute pierre parfaite en son espece, qui ne tient point de la dureté du ciel, ni du tendre du moilon de la carriere.
Pierre fusiliere. Espece de pierre dure & seche, qui tient de la nature du caillou. Il y a de ces pierres qui sont grises ; une partie du pont Notre-Dame est bâtie de cette pierre, & de petites qui sont noires, ce sont les pierres à fusil. On pave de celles-ci les terrasses & les bassins des fontaines.
Pierre gelise verte. Pierre qui est nouvellement tirée de la carriere, & qui n'a pas encore jetté son eau.
Pierre pleine. C'est toute pierre dure qui n'a point de cailloux, de coquillages, de trous ni de moie. Tels sont les plus beaux liais & la pierre de Tonnerre.
Pierre trouée ou poreuse. Pierre qui a des trous comme le rustique de Meudon, le tuf, & toutes les pierres de meuliere. On l'appelle aussi choqueuse.
De la pierre selon ses façons. Pierre au binard. C'est tout gros bloc de pierre qui est apporté de la carriere sur un binard, attelé de plusieurs couples de chevaux (voyez BINARD), parce qu'il ne le peut être par les charrois ordinaires.
Pierre bien faite. C'est un quartier de voie, ou un carreau de pierre, qui approche beaucoup de la figure quarrée, & qu'on équarrit presque sans déchet.
Pierre de bas appareil. Pierre qui porte peu de hauteur de banc, comme le bas appareil d'Arcueil, par exemple, le liais, &c.
Pierre débitée. C'est une pierre qui est sciée. La pierre dure se débite à la scie sans dents, avec l'eau & le grès ; & la pierre tendre, comme le S. Leu, le tuf, la craie, &c. avec la scie à dents.
Pierre d'échantillon. C'est un bloc de pierre de certaine mesure déterminée, commandée exprès aux Carriers.
Pierre d'encoignure. Pierre qui ayant deux paremens, cantonne l'angle d'un bâtiment de quelqu'avant-corps.
Pierre ébousinée. Pierre dont on a ôté le bousin ou le tendre.
Pierre en chantier. C'est une pierre qui est callée par le tailleur de pierre, & qui est disposée pour être taillée.
Pierre en débord. On nomme ainsi une pierre que les Carriers font voiturer près de leurs atteliers, quoiqu'elle ne soit pas commandée, & que l'attelier ait même cessé.
Pierre esmillée. Pierre qui est équarrie & taillée grossierement avec la pointe du marteau, pour être seulement employée dans le garni des gros murs, & le remplissage des piles, culées de pont, &c.
Pierre faite. Pierre qui est entierement taillée, & prête à être enlevée pour être mise en place.
Pierre fusible. C'est une pierre qui, par l'opération du feu, change de nature, & devient transparente.
Pierre hachée. Pierre dont les paremens sont dressés avec la hache du marteau bretelé, pour être ensuite layée ou rustiquée.
Pierre layée. Pierre qui est travaillée à la laie ou marteau avec brételures.
Pierre louvée. Pierre où l'on fait un trou pour recevoir la louve. Voyez LOUVE & LOUVEUR.
Pierre nette. Pierre qui est équarrie, & atteinte jusqu'au vif.
Pierre parpaigne. C'est une pierre qui traverse l'épaisseur d'un mur, & qui en fait les deux paremens.
Pierre piquée. Pierre dont les paremens sont piqués à la pointe, & dont les ciselures sont relevées.
Pierre polie. Pierre dure qui prend le poli avec le grès, ensorte qu'il n'y paroît aucun coup d'outil.
Pierre ragréée au fer. Pierre qui est passée au riflard, espece de ciseau large, avec des dents.
Pierre retaillée. On appelle ainsi non-seulement une pierre qui, ayant été coupée, est retaillée avec déchet, mais encore toute pierre tirée d'une démolition, & refaite pour être derechef mise en oeuvre.
Pierre retournée. Pierre dont les paremens opposés les uns aux autres, sont d'équerre & paralleles.
Pierre rustiquée. Pierre qui, après avoir été redressée & hachée, est piquée grossierement avec la pointe.
Pierre statuaire. Pierre qui, étant d'échantillon, est propre & destinée pour faire une statue. On dit aussi marbre statuaire.
Pierre tranchée. Pierre où l'on fait une tranchée dans sa hauteur avec le marteau pour en couper.
Pierre traversée. Pierre où les traits des brételures sont croisés.
Pierre velue. Nom qu'on donne à toute pierre brute, telle qu'on l'amene de la carriere.
Pierres à bossages ou de refend. Pierres qui étant en oeuvre, sont séparées par des canaux, & sont d'une même hauteur, parce qu'elles représentent les assises de pierre, & dont les joints de lit doivent être cachés dans le haut des refends. Lorsque ces pierres sont en liaison, les joints montans sont dans l'un des angles du refend.
Pierres artificielles. Ce sont, selon Palladio, Arch. liv. I. ch. iij. les différentes especes de briques, carreaux & tuiles paitries & moulées, cuites ou crues.
Pierres feintes. Ornemens de mur de face, dont les crépis & enduits sont séparés & compartis en maniere de bossages en liaison.
Pierres fichées. Pierre dont le dedans des joints est rempli de mortier clair & de coulis.
Pierres jointoyées. Ce sont des pierres dont le dehors des joints est bouché & regréé de mortier serré, de plâtre ou de ciment.
De la pierre par rapport à ses usages. Premiere pierre. On nomme ainsi un gros quartier de pierre dure ou de marbre, qu'on met dans les fondemens d'un édifice, & où l'on enferme dans une entaille de certaine profondeur, quelques médailles, & une table de bronze sur laquelle est gravée une inscription. Cette coutume, qui est très-ancienne, à en juger par les médailles qu'on a trouvées, & qu'on trouve encore dans les recherches & démolitions des bâtimens antiques : cette coutume, disons-nous, ne s'observe que pour les édifices royaux & publics, & non pour les bâtimens particuliers.
On appelle derniere pierre, une table où est une inscription qui marque le tems auquel un bâtiment a été achevé.
Pierre à laver. Espece d'auge plate, qui sert à laver de la vaisselle dans une cuisine.
Pierre d'attente. C'est toute pierre en bossage pour recevoir quelques ornemens ou inscription. On appelle aussi pierre d'attente les harpes & arrachemens. Voyez HARPES & ARRACHEMENS.
Pierre de touche. Espece de marbre noir que les Italiens appellent pietra di paragone, pierre de comparaison, parce qu'elle sert à éprouver les métaux ; c'est pourquoi Vitruve l'appelle index. C'est de cette pierre qu'ont été faites la plûpart des divinités, les Sphinx, les Fleuves, & autres figures des Egyptiens.
Pierre incertaine. Pierre dont les pans & les angles sont inégaux. Les anciens employoient cette pierre pour paver. Les ouvriers la nomment pierre de pratique, parce qu'ils la font servir, de quelque grandeur qu'elle soit.
Pierre percée. Dale de pierre avec des trous, qui s'encastre en feuillure dans un chassis aussi de pierre sur une voute pour donner de l'air & un peu de jour à une cave, ou pour donner passage dans un puisard aux eaux pluviales d'une cour.
On nomme aussi pierre à chassis une dale de pierre ronde ou quarrée, sans trous, qui s'encastre comme la pierre percée, & qui sert de fermeture à un regard, ou à une fosse d'aisance.
Pierre précieuse. Nom général qu'on donne à toute pierre rare, dont on enrichit les ouvrages de marbre & de marqueterie, comme l'agathe, le lapis, l'avanturine, &c. Parmi ces ouvrages, on estime sur-tout le tabernacle de l'église des Carmélites de Lyon, qui est de marbre & de pierres précieuses, & dont les ornemens sont de bronze.
Pierre spéculaire. C'étoit, chez les anciens, une pierre transparente, qui se débitoit par feuilles, comme le talc, & qui leur servoit de vitres. La meilleure venoit d'Espagne, selon Pline. Le poëte Martial fait mention de cette sorte de pierre dans ses épigrammes, liv. II. épig. 14. voyez PIERRE spéculaire.
Pierre de rapport. Petite pierre de diverses couleurs, qui sert aux compartimens de pavé, aux ouvrages de mosaïque, & aux meubles précieux.
Pierres jectices. Ce sont toutes pierres qui peuvent être jettées avec la main, comme les gros & menus cailloux qui servent à affermir les aires des grands chemins, & à paver les grottes, fontaines & bassins, & qui étant sciées, entrent dans les ouvrages de rapport & de mosaïque.
Pierre milliaire. On appelloit ainsi chez les Romains certains dez ou bornes de pierre espacées à un mille l'une de l'autre, sur les grands chemins, pour marquer la distance des villes de leur empire. Ces pierres se comptoient depuis le milliaire doré de Rome. C'est ce que nous apprenons des mots des historiens : primus, secundus, tertius, &c. ab urbe lapis. L'usage des pierres milliaires est aujourd'hui pratiqué dans toute la Chine.
Pierres perdues. Pierres qui sont jettées à plomb dans la mer ou dans un lac pour sonder, & que l'on met ordinairement dans des caissons. On nomme aussi pierres perdues, celles qui sont jettées à bain de mortier pour bloquer.
De la pierre selon ses défauts. Pierre coquillaire. Pierre dans laquelle il y a de petites coquilles qui rendent son parement troué. Telle est la pierre de Saint-nom.
Pierre coupée. C'est une pierre qui est gâtée, parce qu'étant mal taillée, elle ne peut servir où elle étoit destinée.
Pierre délitée. Pierre qui est fendue à l'endroit d'un fil de lit, & qui taillée avec déchet, ne sert qu'à faire des arrases.
Pierre de soupré. C'est dans les carrieres de S. Leu, la pierre du banc le plus bas, dont on ne se sert point, parce qu'elle est trouée & défectueuse.
Pierre de souchet. On nomme ainsi en quelques endroits la pierre du banc le plus bas, qui n'étant pas plus formée que le bousin, est de nulle valeur.
Pierre en délit. Pierre qui n'est pas posée sur son lit de carriere dans un cours d'assises ; mais sur son parement, ou délit enjoint.
Pierre félée. Pierre qui est cassée par un fil ou veine courante ou traversante ; & pierre entiere, c'est le contraire. Le son que la pierre rend en la frappant avec le marteau, fait connoître ces deux qualités.
Pierre feuilletée. Pierre qui se délite par feuillets ou écailles à cause de la gelée. La lambourde, entr'autres pierres, a ce défaut.
Pierre gauche. Pierre dont les paremens & les côtés opposés ne se bornoyent pas, parce qu'ils ne sont pas paralleles.
Pierre grasse. Pierre qui est humide, & par conséquent sujette à se geler. Telle est, par exemple, la pierre appellée cliquart.
Pierre moyée. Pierre dont la moie ou le tendre, est abattu avec perte, parce que son lit n'est pas également dur. Cela arrive très-souvent à la pierre de la chaussée.
Pierre moulinée. Pierre qui est graveleuse, & qui s'égrene à l'humidité. C'est un défaut particulier à la lambourde. Daviler. (D.J.)
PIERRE D'AIGLE, espece de pierre connue dans l'histoire naturelle : les Grecs l'appellent aetites, & les Italiens pietra d'aquila ; parce qu'on la trouve quelquefois dans des nids d'aigles. La tradition veut qu'elle ait une vertu merveilleuse, qui est d'avancer ou d'empêcher les accouchemens, selon qu'on l'applique au-dessus ou au-dessous de la matrice.
Mathiole dit que les oiseaux de proie n'écloroient jam ais leurs petits sans cette pierre, & qu'ils la vont chercher jusqu'aux Indes orientales. Bausez a fait un traité latin qui parle expressément de l'aetites ou pierre d'aigle. Voyez l'article AETITES, & l'article PIERRE en général.
PIERRE D'ARMENIE, lapis armenius , sorte de pierre ou terre minérale, de couleur bleue, mêlée de verd, de blanc, & de rouge ; on l'apportoit anciennement d'Arménie : aujourd'hui elle vient d'Allemagne & du Tyrol.
La pierre d'Arménie a beaucoup de ressemblance avec le lapis lazuli, dont elle ne paroît distinguée que par le degré de maturité : la principale différence qu'il y a entre l'une & l'autre, consiste en ce que la Pierre d'Arménie est plus molle, & qu'au lieu de paillettes d'or, elle a des taches vertes.
Boerhaave met cette pierre au rang des demi-métaux, & la croit composée de terre & de métal. Woodward dit que la couleur qu'elle a vient du cuivre qui y est mêlé. Voyez METAL.
On l'employe principalement dans les ouvrages en mosaïque, & on en fait aussi quelque usage en Médecine. Voyez AZUR & MOSAÏQUE.
PIERRE DE BOULOGNE, espece de pierres qu'on trouve près de Boulogne en Italie, & qui moyennant une certaine préparation, deviennent lumineuses. Ces pierres sont de petites pierres blanchâtres en-dehors, beaucoup plus pesantes que nos pierres communes, de la grosseur d'un oeuf médiocre, & ordinairement plus petites. Ces pierres étant cassées, le dedans est un brillant, semé de rayons qui tendent à une espece de centre, & fort semblable au talc qui est parmi les pierres de plâtre. On trouve aussi beaucoup de marcassites aux endroits où il y a de ces pierres, savoir vers le bas du mont Paterno, & encore en d'autres contrées d'Italie.
La préparation qui les rend lumineuses, consiste à les limer à l'entour, à les mouiller dans de l'eau-de-vie, ou de l'eau commune, ou du blanc d'oeuf, & à les plonger ou rouler dans leur poudre ou limaille, pour les en couvrir de l'épaisseur d'environ un quart de ligne. Ayant allumé des charbons ou braise, il en faut mettre à la hauteur de quelques doigts sur une grille de terre d'un petit fourneau ordinaire, placer les pierres sur ces charbons, & mettre encore d'autres charbons dessus environ de la hauteur de deux doigts, & laisser le tout jusqu'à ce que le charbon soit brûlé, éteint, & refroidi. Enfin, il faut conserver chacune de ces pierres dans une petite boîte de bois avec du coton ou de la laine tout-autour.
Si on les expose pendant un moment à la lumiere du jour, ainsi préparées, & si on les porte promptement dans un lieu obscur, on les voit comme en feu, & semblables à un charbon ardent, cependant sans chaleur sensible : elles ne paroissent pas ainsi, avant que de les avoir exposées à la clarté du jour.
Le soufre contenu dans cette pierre, est la principale cause du phénomene.
En effet, la pierre de Boulogne contient beaucoup de soufre, de même que les marcassites. Pendant sa préparation une partie de ce soufre est dissipée par le feu ; ce qui en reste dans la pierre, est beaucoup dilaté & principalement celui qui est resté dans les pores vers la surface, est devenu fort subtil & semblable à une légere teinture de couleur jaunâtre. Ce soufre est si inflammable, qu'étant exposé à la lumiere du jour il s'allume, parce que la lumiere du jour est un véritable feu dispersé dans l'air ; une multitude de ces fort petites flammes étant disposées aux ouvertures des pores de la surface de cette pierre, la rendent lumineuse, quand même le ciel seroit couvert de nuages ; il suffit seulement que le soleil soit levé. Il sort continuellement de cette pierre ainsi préparée, une odeur semblable à celle du soufre ordinaire, & encore plus semblable à l'odeur de l'orpiment dissous en eau de chaux. Cette vapeur soufreuse est jointe à un peu d'acide rongeant, semblable à de l'esprit de soufre commun, mais beaucoup plus actif ; puisque cette vapeur, de même que celle d'un peu de soufre ordinaire enflammé, tache les métaux ; elle noircit la surface de l'argent, & de plus elle blanchit celle du cuivre, &c. Cette derniere remarque fait croire qu'il y a de petites parties d'arsenic ou d'orpiment mélées dans cette vapeur. Au reste, la pierre de Boulogne préparée, n'est lumineuse que pendant quelques années ; parce qu'enfin ces particules actives & sulphureuses se dissipent. On prétend que pour lui rétablir cette propriété, il faut encore la mettre au feu, comme auparavant, après l'avoir couverte de la poudre de semblables pierres, de même que la premiere fois.
Il y a bien d'autres pierres qui ont la propriété de s'imbiber de la lumiere, & de la conserver pendant long-tems.
Il suffit d'en mettre dans un creuset qu'il faut couvrir, & de faire chauffer le tout par un feu augmenté peu-à-peu, jusqu'à ce qu'il égale celui qui fond l'argent, & de les laisser en cet état, environ une demi-heure. Si ces pierres ne deviennent point lumineuses, ou le sont peu, il faut les chauffer une seconde, ou une troisieme fois, & elles le paroîtront. Si pourtant on ne réussissoit pas en les faisant chauffer ainsi, comme il arrive avec la craie, la marne, le moilon, la pierre de taille de Paris, &c. il faut broyer de ces pierres tendres, & les mettre dissoudre dans des liqueurs acides, par exemple, dans de l'eau forte, ou dans de l'esprit de salpêtre, en les y jettant peu-à-peu jusqu'à ce que la fermentation ait cessé ; alors cette liqueur étant versée par inclination dans une terrine de grès, il faut l'y faire évaporer jusqu'à ce qu'il reste une matiere seche. Un peu de cette matiere est mise dans un creuset, qui n'en soit qu'à demi-plein & découvert ; après l'avoir placé parmi des charbons ardens à un feu qui ne soit que comme pour fondre du plomb, cette matiere se fond, bouillonne, & devient seche. Le creuset étant refroidi, il est exposé à la lumiere ; ensuite porté dans un lieu obscur, la matiere qu'il contient paroît lumineuse & rougeâtre comme un charbon ardent, & s'éteint après quelques minutes. Cette propriété y est remarquée pendant quelques semaines : on prétend que les cendres dissoutes dans l'eau forte, & préparées comme les pierres tendres, deviennent lumineuses. Il y a lieu de croire que toutes les pierres qui peuvent être dissoutes par l'eau forte peuvent devenir lumineuses ; & que celles qui ne peuvent être dissoutes par l'eau forte, peuvent devenir lumineuses, après avoir été chauffées fortement, même par un feu de forge. Enfin, toutes les chaux différentes s'impregnent facilement d'une lumiere de diverses couleurs. Concluons par une remarque qui regarde généralement tous les phosphores ; c'est que pour les voir dans leur beauté, il faut avoir fermé les yeux pendant un peu de tems, afin que la prunelle se dilate ; ensuite les ouvrant, elle reçoit plus de cette lumiere, dont l'impression devient plus forte. Article de M. FORMEY.
PIERRE DENTALE, dentalis lapis, ou dentalium ; sorte de coquille, que les Apothicaires pulvérisent, & qu'ils employent dans différens médicamens, comme un excellent alkali.
Le vrai dental, décrit par M. Tournefort, est fait en forme du tuyau ou de cône, & d'environ trois pouces de long : sa couleur est éclatante, & d'un blanc verdâtre. Cette pierre est creuse, légere, & divisée dans toute sa longueur par des lignes paralleles qui vont depuis le bas jusqu'en haut. Elle est environ de la grosseur d'une plume, & a quelque ressemblance avec la dent d'un chien.
Elle est fort rare ; c'est pour cela qu'on emploie souvent à sa place une sorte de coquille de diverses couleurs qu'on trouve dans le sable quand la mer est retirée, mais qui n'est point cannelée comme le dental.
M. Lister, dans les Transact. philosoph. parle de deux especes de dental : la premiere se trouve assez facilement aux environs de l'île de Guernesey ; elle est longue, mince, ronde, & creuse à chaque extrémité : d'où lui est venu le nom de dentalium, ou pierre semblable à la dent d'un chien. L'autre est proprement appellée entalium ; elle est plus longue & plus épaisse que la premiere, & outre cela rayée & sillonnée ; d'où est venu le mot italien intaglia.
PIERRE A FEU, est une sorte de pierre qui est utile, & dont on se sert pour les cheminées, les âtres, les fours, les étuves, &c. Voyez PIERRE.
PIERRES FIGUREES, chez les Naturalistes ; ce sont de certains corps, que l'on trouve en terre, lesquels n'étant purement que de pierre, de caillou, ou de spath, ont néanmoins beaucoup de ressemblance avec la figure extérieure des muscles, des pétoncles, des huîtres, ou d'autres coquilles, plantes, ou animaux.
Les auteurs ne s'accordent guere sur l'origine de ces pierres figurées. Voyez leurs différentes opinions aux articles FOSSILE, COQUILLE, PIERRE, BARRE DE BOIS.
PIERRE A FUSIL, (Lythologie) les paroisses de Meunes & de Coussy dans le Berry, à deux lieues de Saint-Aignan, & à demi-lieue du Cher, vers le midi, sont les endroits de la France qui produisent les meilleures pierres à fusil, & presque les seules bonnes. Aussi en fournissent-ils non-seulement la France, mais assez souvent les pays étrangers. On en tire delà sans relâche depuis long-tems, peut-être depuis l'invention de la poudre ; & ce canton est fort borné ; cependant les pierres à fusil n'y manquent jamais ; dès qu'une carriere est vuide on la ferme, & plusieurs années après on y trouve des pierres à fusil, comme auparavant.
On sait comment ces pierres font du feu ; en les battant avec un morceau d'acier, on détache de petites particules d'acier, qui se fondent en globules par la collision ; c'est ce que l'on voit évidemment en faisant l'expérience sur une feuille de papier blanc, & en regardant par le microscope ce qui y tombe. M. Hook fut le premier qui fit cette expérience, & il trouva qu'une particule noire, qui n'étoit pas plus grosse que la tête d'une épingle, paroissoit comme une balle d'acier poli, & réfléchissoit fortement l'image de la fenêtre voisine. Il est aisé de séparer les particules de fer fondu, d'avec les particules de la pierre, par un couteau aimanté. (D.J.)
PIERRE DE FLORENCE, (Lythologie) les pierres de Florence, qu'on trouve dans le voisinage de cette ville, & qui représentent des ruines, des paysages, des arbres, sont entre les mains de tout le monde ; les agates appellées dendrites, & sur lesquelles on voit des especes de buissons & de végétations, sont très-connues. Toutes ces pierres sont naturelles ; l'art n'a pu jusqu'à présent parvenir à les imiter ; mais il n'en est pas de même de toutes les autres agates & pierres figurées qui représentent des animaux, des fleurs, des desseins réguliers, des veines bisarres ; on les imite si aisément, que la plûpart de celles dont la singularité nous étonne, ne sont que le fruit d'un travail très-court & très-facile. (D.J.)
PIERRE JUDAÏQUE, judaïcus lapis, est une pierre blanche, tendre & friable, en forme de gland, sur laquelle il y a des lignes si industrieusement travaillées, qu'elles paroissent avoir été faites au tour.
Elle passe en Médecine pour posséder une vertu lithontriptique ; ce qui fait qu'on s'en sert pour rompre la pierre dans la vessie. Voyez LITHONTRIPTIQUE.
PIERRE DE LAIT, (Litholog.) pierre tendre, tantôt verte, tantôt noire, tantôt jaune, qui rend une liqueur laiteuse ; on la trouve en Saxe dans les carrieres ; les Allemands l'appellent milchstein, & la recommandent pour arrêter les crachemens de sang, pour resserrer les pores, & pour adoucir les douleurs de la vessie. Ils l'employent en collyre pour dessécher les petits ulceres des paupieres, & pour arrêter le flux des larmes involontaires. En un mot, ils donnent à leur milchstein toutes les propriétés que Dioscoride attribue à son morochtus d'Egypte, comme s'il étoit certain que ce fussent les mêmes pierres, & que Dioscoride eut accusé juste sur les vertus de la sienne. On ne voit que des erreurs de cette nature en Médecine. (D.J.)
PIERRE NOIRE, (Hist. mod. superst.) c'est une pierre noire enchâssée dans de l'argent qui est assujettie dans la muraille, au S. E. de la Caaba, ou du temple de la Meque. Les anciens Arabes ont eu dès l'antiquité la plus reculée, une très-grande vénération pour cette pierre ; Mahomet qui étoit venu mettre à profit les erreurs de ses compatriotes, ne crut point devoir rien changer à l'égard de la pierre noire, elle est encore jusqu'à ce jour l'objet des respects de tous les Musulmans qui vont en pélerinage à la Meque ; ils croyent qu'elle est tombée du ciel du tems d'Adam, & qu'elle est devenue noire pour avoir été touchée par une femme dans le tems menstruel.
PIERRE DE S. PAUL, (Hist. nat.) en italien pietra di S. Paulo, nom que l'on donne à une espece de craie, qui se trouve abondamment dans l'île de Malte, elle est d'un blanc sale, seche & rude au toucher. C'est un absorbant, & on lui attribue un grand nombre de vertus, sur-tout contre la morsure des bêtes venimeuses ; effet que l'on croit être dû à l'apôtre saint Paul, lorsqu'il fit naufrage dans l'île de Malte ; on en fait de petits gâteaux avec des empreintes de saint Paul, & d'autres Saints. Voyez MALTE. (terre de)
PIERRE DE PERIGORD, (Hist. nat. des Fossiles) c'est une substance fossile, ferrugineuse, noire, dure & pesante, qui paroît contenir quelques particules de fer. On en tire des montagnes du Dauphiné, & elle ne sert qu'aux Potiers de terre & aux Emailleurs. Geoffroy. (D.J.)
PIERRE-PONCE, s. f. on trouve une prodigieuse quantité de ces pierres répandues dans toutes les Antilles, principalement dans les terreins voisins des Soufrieres : le canton de la Ravine seche, situé dans l'île de la Martinique, au pié de la montagne pelée, en est tellement rempli, qu'on pourroit pour ainsi dire en bâtir une ville ; on rencontre beaucoup de ces pierres plus grosses qu'un demi-boisseau ; elles ne different de celles dont se servent les Orfévres & les Doreurs, que par un peu moins de légereté & un peu plus de dureté, elles peuvent être facilement taillées avec une serpe, c'est de cette façon qu'on en forme des voussoirs de dix à douze pouces de clavée, dont on construit des voûtes extrêmement légeres, très-solides, & qui n'ayant point ou très-peu de poussée, n'exigent pas des murs fort épais ; on fait avec les pierres-ponce, des tuyaux de cheminées incomparablement meilleurs & plus légers que ceux de brique, ces pierres aspirent très-bien le mortier, & se lient si parfaitement que ces joints ne se séparent jamais ; les murailles qui en sont construites ne sont point sujettes à s'écrouler comme celles de moilons ; & si l'on réfléchit sur les qualités de la pierre-ponce, on s'étonnera que messieurs les Ingénieurs en Amérique, n'en fassent pas plus d'usage pour la construction des parapets, des guérites, & autres ouvrages exposés au canon ; ils auroient moins à craindre les éclats, ainsi que cela arrive dans les murs de pierre ordinaire, & même dans ceux de brique.
Quoique la pierre-ponce paroisse devoir son existence & sa porosité aux feux souterreins, elle ne résiste pas long-tems à la chaleur d'un feu excité par le vent des soufflets ; je l'ai expérimenté dans des fourneaux de fusion, qui se fendirent de toute leur hauteur dans différens endroits.
PIERRES SCHISTEUSES, (Hist. nat. Minéralogie). Voyez SCHISTE.
PIERRE SPECULAIRE, (Hist. nat. des anc.) lapis specularis. C'étoit une pierre transparente dont les Romains faisoient leurs fenêtres & les glaces de leurs litieres. Les savans sont fort partagés sur ce que c'étoit que cette pierre ; les uns soutiennent que la pierre speculaire des Romains, est celle que les Grecs nommoient , d'autres veulent que ce soit l', à cause qu'elle résiste à la violence du feu ; quelques-uns prétendent que c'est la pierre , à laquelle les Romains ont donné le nom de pierre spéculaire, eu égard à sa transparence. M. Saumaise soutient que le lapis specularis, & le sont la même chose. Comme cette diversité de sentimens marque que le lapis specularis n'est pas aujourd'hui trop connu, M. de Valois panche à croire que ce n'est autre chose que ce que l'on appelle talc en Allemagne & en France, non pas ce talc commun qui se trouve dans la plûpart de nos carrieres, mais ce talc parfaitement blanc & transparent, dont il y a encore aujourd'hui une si grande quantité en Moscovie.
Le principal usage auquel le lapis specularis étoit employé par les Romains, c'étoit à fermer leurs fenêtres. Seneque fait mention de ces sortes de fenêtres, comme d'une chose établie de longue main, ce qui donne lieu de présumer qu'elle étoit déja en vogue dès le tems de la République ; c'étoit de la même pierre spéculaire que se faisoient les glaces des litieres couvertes des dames romaines.
A l'égard des fenêtres de verre, telles que sont maintenant les nôtres ; elles étoient déja en usage dans le v. siecle, puisque saint Jérôme en fait mention. (D.J.)
PIERRES VITRESCIBLES, ou vitrifiables, (Hist. nat. Minéralogie & Chimie) c'est ainsi que l'on nomme les pierres que l'action du feu convertit en verre. Cette dénomination à parler strictement, ne convient à aucune pierre, vu qu'il n'y en a point qui sans addition soit propre à se vitrifier ; celles qui se changent en verre, contiennent quelque substance étrangere qui facilite la fusion, telle que du métal ou quelqu'autre terre qui jointe à celle qui fait la base de la pierre, la fait entrer en fusion, & y entre elle-même. D'un autre côté, au feu du soleil rassemblé par le miroir ardent, il n'y a aucune pierre qui en plus ou moins de tems ne se convertisse en verre. Voyez FONDANT, MIROIRS ARDENTS, PIERRES PRECIEUSES, TRESCIBILITELITE.
PIERRE, (Médec.) on n'a rien de plus grave en Médecine que la formation de la pierre dans le corps humain, & les observations particulieres en ce genre, méritent d'être recueillies. Je n'en citerai pour exemple que quelques-unes.
1°. En ouvrant le corps d'un gentil-homme mort en Angleterre en 1750, on lui a trouvé 42 pierres dans les reins, 14 dans la vésicule du fiel, & 10 dans la vessie, qui pesoient 8 onces 1/2.
2°. On ne connoît que trop les pierres contenues dans la capacité de la vessie, mais qu'il s'en puisse trouver dans sa substance, dans ses parois, entre les membranes dont elle est formée, & des pierres qui soient dangereuses, c'est un accident assez extraordinaire en Médecine ; cependant M. Litre en dissequant le corps d'un jeune homme, a vû deux pierres, qui ayant percé l'uretere dans sa partie comprise entre les parois de la vessie, avoient passé par ce trou, s'étoient faites chacune un petit conduit dans la substance de la vessie & entre ses membranes, depuis le trou jusqu'à l'endroit où elles s'étoient arrêtées, & même avoient dû grossir en cet endroit, parce qu'elles étoient plus grandes que le trou par où elles avoient passé. Hist. de l'acad. année 1702.
3°. M. Dodart a fait voir à l'acad. des Sciences 12 pierres de diverses formes & grosseurs, toutes tirées d'un cadavre ; la plus grosse étoit du diametre d'un petit oeuf, & la plus petite de celui d'une noix.
4°. Un chirurgien de Brest, trouva dans le cadavre d'un homme de 28 ans, un rein qui renfermoit une grosse pierre du poids de six onces & demie ; le corps de la pierre formé à l'ordinaire par couches, remplissoit la capacité du bassin, & par son bout inférieur enfiloit la route de l'uretere. Hist. de l'acad. année 1730.
5°. Un enfant de trois ans ne pouvant uriner par un étrange phimosis, le même M. Litre fit faire une incision au prépuce par le côté, & ensuite en fit retrancher la partie qui excédoit l'extrémité du gland. D'une grande cavité que ce prépuce formoit, il en sortit un peu d'urine & un nombre incroyable de pierres, les plus petites, grosses comme des têtes d'épingles, & les plus grosses étoient comme des pois, unies, grisâtres & friables. Il n'y a presque pas de doute, qu'elles ne se fussent formées des parties les plus grossieres de l'urine qui étoit retenue, tandis que la petite ouverture du prépuce, ne permettoit qu'aux plus subtiles de sortir, & ce qui le confirme encore, c'est qu'après l'opération, l'enfant ne rendit plus de pierres. Hist. de l'acad. année 1706.
6°. Passons en Italie, Dominica B. fille de basse condition, âgée d'environ 20 ans, couchoit avec une autre fille, qui auroit voulu faire avec elle les fonctions dont elle étoit incapable. Elle se servoit donc d'une grosse aiguille d'os à tête, de la longueur d'un doigt, qui dans une action particuliere entre les deux compagnes, entra par l'uretere de Dominica, & tomba dans la vessie. Dominica commença à n'uriner que goutte à goutte, & avec douleur. La honte de déclarer son avanture, lui fit cacher son mal pendant cinq mois ; mais enfin maigrissant & ayant de la fievre, elle eut recours à un chirurgien, qui ayant introduit le doigt dans le vagin, & ayant senti une dureté, découvrit avec un instrument un bout de l'aiguille, emporta les matieres pierreuses qui étoient à l'endroit, & crut avoir fait une belle opération ; mais la malade continuant d'être dans le même état, & n'ayant eu par cette manoeuvre aucun soulagement, un autre chirurgien fut appellé.
Celui-ci introduisit la sonde dans la vessie qui étoit déchirée & ulcérée du côté du vagin, & il sentit un corps dur ; pour soulager les vives douleurs, il fit prendre à la malade beaucoup d'huile d'olive, & s'en tint là ; quelques jours après, la pierre qui s'étoit formée autour de l'aiguille, parut à l'orifice du vagin, par le trou fait à la vessie, & on la tira avec la main sans l'aide d'aucun instrument. La jeune fille se rétablit, mais il lui en est resté une incontinence d'urine, & de tems en tems de légeres inflammations dans ces parties. Hist. de l'acad. année 1735. Je laisse aux gens de l'art à recueillir un grand nombre d'autres observations semblables qui ne sont pas quelquefois sans utilité. (D.J.)
PIERRE, (Critiq. sacrée) un rocher. La pierre de division ; c'est le rocher du désert de Maton ; la pierre d'Ethan, est le rocher où Samson se retiroit, lorsqu'il faisoit la guerre aux Philistins. La pierre d'Ezel est un rocher auprès duquel David devoit attendre la réponse de son ami Jonathas. La pierre du secours indique le lieu où les Philistins prirent l'arche du Seigneur.
La pierre sur laquelle Notre-Seigneur dit qu'il édifiera son Eglise, Matth. xvj. 18. est expliquée par S. Augustin, de la doctrine du Sauveur lui-même, dans S. Luc. viij. 6. se prend pour un lieu pierreux ; ce mot désigne un fort, une forteresse dans le IV. liv. des Rois, xiv. 17. La pierre du désert, c'est la ville de Pétra.
Pierre au figuré, se prend pour asyle, II. Reg. xxij. 2. Il se trouve au propre pour les poids d'une balance. Il veut dire encore un monument, au Deut. xxvij. 4. parce que dans les premiers tems, ceux qui avoient fait ensemble quelque traité, élevoient des monceaux de pierres pour en conserver la mémoire, au défaut de l'Ecriture.
La pierre de Zohaleth, III. Reg. j. 9. étoit une de ces pierres rondes, fort pesantes, que les jeunes gens pour éprouver leurs forces tâchoient de lever. Pierre signifie l'idolatrie. Juda, soeur d'Israël, s'est corrompue avec la pierre & le bois, Jérém. iij. 5. il se met pour la grêle dans Josué : le Seigneur fit tomber du ciel de grosses pierres, c'est-à-dire de la grêle d'une grosseur & d'une dureté prodigieuse. Le psalmiste, ps. lxxx. 17. dit, que Moïse a rassasié les Hébreux du miel qui sortoit de la pierre, c'est-à-dire du miel que les abeilles avoient fait dans les trous des rochers. (D.J.)
PIERRES FINES, graveur en, (Gravure) artiste qui grave en creux ou en relief sur les pierres fines, & même jusque sur les diamans. MM. Vasari, Vettori & Mariette, ont donné l'éloge ou la vie des maîtres qui s'y sont le plus distingués. Voyez aussi le mot PIERRE GRAVEE.
PIERRE GRAVEE, s'il est vrai que les inventions qui ont le besoin pour principes, ont dû précéder celles qui n'ont pour objet que le plaisir, & qu'elles sont de toute antiquité ; l'on peut faire remonter assez haut l'origine de la gravure. Bientôt l'industrie jointe au besoin, imagina l'art de s'exprimer, prit le ciseau, traça des figures, des traits qui devinrent autant d'expressions & d'images de la parole ; telle fut l'origine de cet art.
On doit présumer que les Egyptiens qui gravoient avec tant de facilité sur des matieres aussi dures que sont le granite, le basalte, & tous les autres marbres des carrieres de l'Egypte, n'ignorerent pas long-tems l'art de graver en creux sur les métaux, & singulierement en petit sur les pierres fines & sur les pierres précieuses. Moïse, Exod. xxv. 30. & ch. xxxix. v. 6. 14. parle avec éloge de Beséléel, de la tribu de Juda, qui grava les noms des douze tribus sur les différentes pierres précieuses dont étoient enrichies l'éphod, & le rational du grand prêtre.
On ne peut contester que l'art de la gravure sur les pierres fines qui avoit pris naissance dans l'Orient, n'y ait été toujours cultivé depuis sans interruption, moins pour satisfaire à un vain appareil de luxe, que par la nécessité où se trouvoient les peuples de ces pays-là, d'avoir des cachets : car aucun écrit, aucun acte n'y étoient tenus pour légitimes & pour authentiques, qu'autant qu'ils étoient revêtus du sceau de la personne qui les avoit dictés. L'Ecriture sainte le dit positivement ; Esther, ch. iij. v. 10. c. viij. v. 8. & les auteurs ont décrit l'anneau de Gigès, Plato in Politic. & celui de Darius. Enfin, qu'on ouvre encore les livres saints, Daniel VI. ch. xvij. qu'on consulte Hérodote, liv. I. l'on y verra qu'à Babylone, les grands avoient chacun leurs cachets particuliers.
Les Egyptiens & les principales nations de l'Asie, conserverent toujours leur attachement pour les pierres gravées. On sait que Mithridate en avoit fait un amas singulier, comme le dit Pline, liv. XXXVII. ch. j. & lorsque Luculle, ce romain si célebre par sa magnificence & par ses richesses, aborda à Aléxandrie, Ptolomée uniquement occupé du soin de lui plaire, ne trouve rien dans son empire de plus précieux à lui offrir qu'une éméraude montée en or, sur laquelle le portrait de ce prince égyptien étoit gravé. Celui de Bacchus l'étoit sur la bague de Cléopatre, & leur graveur s'y montra aussi fin courtisan, que supérieur dans son art. On connoit la jolie épigramme qui courut alors, & la charmante traduction en vers qu'en a donné M. Hardion ; c'est la neuvieme du liv. IV. ch. xviij. de l'Anthologie.
Le commerce maritime des Etrusques les ayant liés avec les Egyptiens, les Phéniciens, & quelques autres peuples de l'Orient ; ils apprirent les mêmes arts & les mêmes sciences que ces nations professoient, & ils les apporterent en Italie. Ce n'est guere que le commerce qui forme en quelque façon de différens peuples, une seule nation. Les Etrusques commencerent donc à se familiariser avec les arts, heureux fruits de la paix & de l'abondance ! Ils cultiverent la sculpture, la peinture, l'architecture, & ils ne montrerent pas moins de talens pour la gravure sur les pierres fines.
Le commencement des arts ne fut point différent en Grece de ce qu'il avoit été en Etrurie. Ce furent encore les Egyptiens qui mirent les instrumens des arts entre les mains des Grecs, en même tems qu'ils dictoient à Platon les principes de la sagesse qu'il étoit venu puiser chez eux, & qu'ils permettoient aux législateurs grecs de transcrire leurs lois pour les établir ensuite dans leur pays.
Cette nation toute ingénieuse qu'elle étoit, demeura dans l'ignorance de la gravure jusqu'à Dédale, qui le premier sut animer la sculpture, en donnant du mouvement à ses figures. Il vivoit vers les tems de la guerre de Troye, environ douze cent ans avant J. C. Ce ne fut cependant que dans le siecle d'Alexandre, que les progrès des arts parurent en Grece dans tout leur éclat. Alors se montrerent les Apelles, les Lysippes & les Pyrgotèles, qui partageant les faveurs & les bienfaits de cet illustre conquérant, disputerent à qui le représenteroit avec plus de grace & de dignité. Le premier y employa son pinceau avec le succès que personne n'ignore, & Lysippe ayant été choisi pour former en bronze le buste de ce prince ; Pyrgotele fut seul jugé digne de le graver.
La Nature ne produit point des hommes si rares, sans leur donner pour émules d'autres hommes de génie ; ainsi l'on vit se répandre par toute la Grece une multitude d'excellens artistes ; & pour me renfermer dans mon sujet, il y eut dans toutes les villes des graveurs d'un mérite distingué. L'art de la gravure en pierres fines eut entre les mains des Grecs les succès que promettent des travaux assidus & multipliés ; il ne fallut plus chercher de bons graveurs hors de chez eux, & ces peuples se maintinrent dans cette supériorité. Cronius, Apollonide, Dioscoride, Solon, Hyllus, & beaucoup d'autres dont les noms se sont conservés sur leurs gravures, se rendirent très-célebres dans cette profession. En un mot, on ne trouve gueres sur les belles pierres gravées d'autres noms que des noms grecs.
Les romains ne prirent du goût pour les beaux Arts, que lorsqu'ayant pénétré dans la Grece & dans l'Asie, ils eurent été témoins de la haute estime qu'on y faisoit des grands artistes dans les arts libéraux, ainsi que de leurs productions. Alors ils se livrerent à la recherche des belles choses, & ne mettant point de bornes à la curiosité des pierres gravées, non-seulement ils en dépouillerent la Grece, mais ils attirerent encore à Rome pour en graver de nouvelles ; les Dioscorides, les Solon, & d'autres artistes aussi distingués. On para les statues des dieux de ces sortes d'ornemens, & on monta des bagues à l'usage de toutes les conditions. Et qui le pourroit croire ! il se rencontra des voluptueux assez délicats pour ne pouvoir soutenir pendant l'été le poids trop pesant de ces sortes de bagues, Juven. Sat. I. v. 38. il fallut en faire de plus légeres & de plus épaisses pour les différentes saisons.
Quand les personnes moins riches n'avoient pas le moyen de se procurer une pierre fine, ils faisoient seulement monter sur leurs anneaux un morceau de verre colorié, gravé ou moulé, sur quelque belle gravure ; & l'on voit aujourd'hui dans plusieurs cabinets de ces verres antiques, dont quelques-uns tiennent lieu d'excellentes gravures antiques qu'on n'a plus.
Leurs anneaux, leurs bagues, leurs pierres gravées, servoient à cacheter ce qu'ils avoient de plus cher & de plus précieux, en particulier leurs lettres ou leurs tablettes. Cette coutume a passé de siecle en siecle, & est venue jusqu'à nos jours, sans avoir souffert presque aucune variation. Elle subsiste encore dans toute l'Europe, & jusques chez les Orientaux ; & c'est ce qui a mis ces derniers peuples, si peu curieux d'ailleurs de cultiver les arts, dans la nécessité d'exercer celui de la gravure en creux sur les pierres fines, afin d'avoir des cachets à leur usage.
Comme tous les citoyens, au-moins les chefs de chaque famille, devoient posséder un anneau en propre ; il n'étoit pas permis à un graveur de faire en même tems le même cachet pour deux personnes différentes ; l'histoire nous a décrit les sujets de plusieurs de ces cachets. Jules-César avoit fait graver sur le sien l'image de Vénus armée d'un dard ; gravure dont les copies se sont multipliées à l'infini. Le célebre Dioscoride avoit gravé celui d'Auguste. Le cachet de Pompée représentoit un lion, tenant une épée. Apollon & Marsias étoient exprimés sur le cachet de Néron. Scipion l'Afriquain fit représenter sur le sien le portrait de Syphax qu'il avoit vaincu.
Les premiers chrétiens qui vivoient confondus avec les Grecs & les Romains, avoient pour signes de reconnoissance des cachets sur lesquels étoient gravés le monogramme de Jesus-Christ, une colombe, un poisson, une anchre, une lyre, la nacelle de S. Pierre, & autres pareils symboles.
Le luxe & la mollesse Asiatique qui s'accrurent chez les Romains avec leurs conquêtes, ne mirent plus de bornes au nombre & aux usages des pierres gravées. Ces maîtres du monde crurent en devoir enrichir leurs vétemens, & en relever ainsi la magnificence. Les dames Romaines les firent passer dans leurs coëffures ; les bracelets, les agraffes, les ceintures, le bord des robes en furent parsemés, & souvent avec profusion. L'empereur Eliogabale porta cet excès si loin, qu'il faisoit mettre sur sa chaussure des pierres gravées d'un prix inestimable, & qu'il ne vouloit plus revoir celles qui lui avoient une fois servi ; Lampride, in vitâ Eliogabal. ch. xxiij.
Il y avoit sans doute des pierres gravées, faites uniquement pour la parure, & l'on peut regarder comme telles ces émeraudes, ces saphirs, ces topases, ces améthystes, ces grenats, & généralement toutes ces autres pierres précieuses de couleur, sur la surface desquelles sont des gravures en creux, mais dont la superficie, au lieu d'être plate, est convexe, & fait appeller la pierre, un cabochon. Il faut encore ranger dans cette classe toutes ces pierres gravées qui passent une certaine grandeur, & qui n'ayant jamais pu être portées en bagues, ne paroissent avoir été travaillées que pour l'ornement, ou pour satisfaire la curiosité de quelques personnes de goût. Il n'est pas douteux que les pierres gravées en relief, ou ce que nous nommons des camées, n'entrassent aussi dans les ajustemens dont elles étoient propres à relever la richesse & l'éclat.
Le Christianisme s'étant établi sur les ruines du paganisme, l'univers changea de face, & présenta un spectacle nouveau ; les anciennes pratiques furent la plûpart abandonnées, & l'on cessa par conséquent d'employer les pierres gravées à une partie des usages auxquels on les avoit fait servir jusqu'alors, elles ne servirent plus qu'à cacheter ; mais quand la barbarie vint à inonder toute l'Europe, l'on ne cacheta plus avec les pierres gravées ; l'on se soucia encore moins d'en porter en bagues, l'on n'étoit plus en état d'en connoître le prix. Elles se dissiperent ; plusieurs rentrerent dans le sein de la terre pour reparoître dans un siecle plus éclairé & plus digne de les posséder. D'autres furent employées à orner des châsses, & à divers ouvrages d'orfévrerie à l'usage des églises, car c'étoit le goût dominant ; c'étoit à qui feroit plus de dépenses en reliquaires, & à qui en enrichiroit les autels d'un plus grand nombre. Plusieurs de ces anciennes gravures inestimables, plusieurs de ces précieux camées que les empereurs d'Orient avoient emportés de Rome, ne sortirent du lieu où ils avoient été transférés, & ne repasserent dans l'Occident, que pour venir y occuper des places dans les chapelles, & y tenir rang avec les reliques. Les Vénitiens en remplirent le fameux trésor de l'église de S. Marc, & les François en apporterent plusieurs en France durant les croisades. Depuis très-long-tems, la belle tête de Julia, fille de Titus, & plusieurs gravures représentant des sujets profanes, sont confondues avec les reliques dans le trésor de l'abbaye de S. Denis.
On ne peut sans doute excuser un si grand fonds d'ignorance de ces siecles barbares, & c'est cependant à ce défaut de lumieres, que nous sommes redevables de la conservation d'une infinité de précieux morceaux de gravures antiques, qui autrement auroient couru le risque de ne point arriver jusqu'à nous ; car enfin si ceux qui vivoient dans ces siecles barbares eussent été plus éclairés, le même zele de religion qui leur faisoit rechercher toutes sortes de pierres gravées pour en parer nos autels & les reliques des saints, leur eût fait rejetter toutes celles qui avoient rapport au paganisme, & les eût peut-être portés à les détruire.
On sent bien que cette perte eût été grande, quand on réflechit sur l'utilité qu'on peut retirer des pierres gravées ; je ne parle pas de leurs vertus occultes, ce ne sont que des idées folles ; je ne prétends pas non plus relever le prix & la beauté de la matiere, mais je parle d'abord du plaisir que fournit à l'esprit le travail que l'art y sait mettre. Ces précieux restes d'antiquité sont la source d'une infinité de connoissances, ils perfectionnent le goût, & meublent l'imagination des idées les plus nobles & les plus magnifiques. C'est de deux pierres gravées antiques qu'Annibal Carrache a emprunté les pensées de deux de ses plus beaux tableaux du cabinet du palais Farnese à Rome. L'Hercule qui porte le ciel est une imitation d'une gravure antique qui est chez le roi.
Quoique les pierres gravées ne soient pas des ouvrages aussi sublimes que les admirables productions des anciens sculpteurs, elles ont cependant quelques avantages sur les bas-reliefs & les statues. Ces avantages naissent de la matiere même des pierres gravées & de la nature du travail, comme cette matiere est très-dure, & que le travail est enfoncé (il n'est ici question que des gravures en creux), l'ouvrage est à l'abri de l'usure (qu'on me permette d'employer ce mot), & se trouve en même tems garanti d'un nombre infini d'autres accidens, que les grands morceaux de sculpture en marbre n'ont que trop souvent éprouvés.
Comme il n'est rien de si satisfaisant que d'avoir des portraits fideles des hommes illustres de la Grece & de Rome, c'est encore dans les pierres gravées qu'on peut le trouver ; c'est où l'on peut s'assûrer avec le plus de certitude de la vérité de la ressemblance. Aucun trait n'y a été altéré par la vétusté ; rien n'y a été émoussé par le frottement comme dans les médailles & dans les marbres. Il est encore consolant de pouvoir imaginer que ces statues & ces grouppes qui firent autrefois le sujet de l'admiration d'Athènes & de Rome, & qui sont l'objet de nos justes regrets, se trouvent sur les pierres gravées. Ce n'est point ici une vaine conjecture ; l'on a sur des pierres gravées indubitablement antiques la représentation de plusieurs belles statues greques qui subsistent encore : sans sortir du cabinet du roi de France, l'on y peut voir sur des Cornalines la statue d'Hercule de Farnese, un des chevaux de Monte-Cavallo, & le grouppe de Laocoon.
Indépendamment de tous les avantages qu'on vient d'attribuer aux pierres gravées, elles en ont encore un de commun avec les autres monumens de l'antiquité ; c'est de servir à éclairer plusieurs points importans de la Mythologie, de l'Histoire & des Coûtumes anciennes. S'il étoit possible de rassembler en un seul corps toutes les pierres gravées qui sont éparses de côté & d'autre, on pourroit se flatter d'y avoir une suite assez complete de portraits des grands hommes & des divinités du Paganisme, presque toutes caractérisées par des attributs singuliers qui ont rapport à leurs cultes ; combien n'y verroit-on point de différens sacrifices ? Combien de sortes de fêtes, de jeux & de spectacles qui sont encore plus intéressans, lorsque les anciens auteurs nous mettent en état de les étendre par les descriptions qu'ils en ont laissées ?
Cette belle pierre gravée du cabinet de feu S. A. R. madame, où est représenté Thésée levant la pierre sous laquelle étoient cachées les preuves de sa naissance ; cette autre du cabinet du roi, où Jugurtha prisonnier est livré à Sylla, ne deviennent-elles pas des monumens curieux, par cela même qu'elles donnent une nouvelle force au témoignage de Plutarque, qui a rapporté ces circonstances de la vie de ces deux grands capitaines (vie de Thésée & de Marius) ?
Il faut pourtant avouer que de cette abondance de matiere il en résulteroit la difficulté insurmontable de donner des explications de la plus grande partie de ces pierres gravées. Mais quoique ces sortes d'explications ne soient point susceptibles de certitude, quoique nous n'ayons souvent que des conjectures sur ces sortes de monumens que nous possédons, cependant ces conjectures mêmes conduisent quelquefois à des éclaircissemens également utiles & curieux.
La chûte de l'empire romain entraîna celle des beaux-arts ; ils furent négligés pendant très-longtems, ou du-moins ils furent exercés par des ouvriers qui ne connoissoient que le pur méchanisme de leur profession, & ils ne se releverent que vers le milieu du xv. siecle. La Peinture & la Sculpture qui ne vont jamais l'une sans l'autre, reparurent alors en Italie dans leur premier lustre, & l'on recommença à y graver avec goût tant en creux qu'en relief. Le célebre Laurent de Médicis, surnommé le magnifique & le pere des lettres, fut le principal & le plus ardent promoteur de ce renouvellement de la gravure sur les pierres fines. Comme il avoit un amour singulier pour tout ce qui portoit le nom d'antique, outre les anciens manuscrits, les bronzes & les marbres, il avoit encore fait un précieux assemblage de pierres gravées qu'il avoit tirées de la Grece & de l'Asie, ou qu'il avoit recueillies dans son propre pays, la vûe de ces belles choses qu'il possédoit, autant pour en jouir que pour avoir le plaisir de les communiquer, anima quelques artistes qui se consacrerent à la Gravure ; lui-même, pour augmenter l'émulation, leur distribua des ouvrages. Le nom de ce grand protecteur des arts, j'ai presque dit ce grand homme, se lit sur plusieurs pierres qu'il fit graver ou qui lui ont appartenu.
Alors parut à Florence Jean, qu'on surnomma Delle-Corniuole, parce qu'il réussissoit à graver en creux sur des cornalines, & l'on vit à Milan Dominique, appellé De'Camei, à cause qu'il fit de fort beaux camées. Ces habiles gens formerent des éleves, & eurent bientôt quantité d'imitateurs. Le Vasari en nomme plusieurs, entre lesquels je me contenterai de rappeller ceux qui ont mérité une plus grande réputation ; Jean Bernardi de Castel-Bolognese, Matthieu del Nasaro (ce dernier passa une grande partie de sa vie en France au service de François I.) ; Jean-Jacques Caraglio de Vérone, qui n'a pas moins réussi dans la gravure des estampes ; Valério Belli de Vicence, plus connu sous le nom de Valerio Vicentini ; Louis Anichini, & Alexandre Césari, surnommé le Grec. Les curieux conservent dans leurs cabinets des ouvrages de ces graveurs modernes, & ce n'est pas sans raison qu'ils en admirent la beauté du travail. Qu'on n'y cherche pas cependant ni cette premiere finesse de pensée, ni cette extrême précision de dessein qui constituent le caractere du bel antique ; tout ce qu'ils ont fait de plus beau, n'est que bien médiocre mis en parallele avec les excellentes productions de la Grece.
Ce n'est peut-être pas tant à l'incapacité qui jusqu'à-présent a empêché les graveurs modernes d'approcher de ceux de l'antiquité, qu'à l'ingratitude de la profession, à laquelle il en faut attribuer la cause ; du-moins jamais nos artistes ne montrerent plus de talens ni plus d'ardeur. Lorsqu'ils ont eu à graver des pierres en relief, travail aussi long & presque aussi difficile que celui de la gravure en creux, ils ont fait de très-belles choses. Tels sont les portraits qu'ils ont exécutés dans ce genre ; il y en a tel qu'on pourroit ranger à la suite du bel antique. Tels sont quelques autres ouvrages soignés & exécutés dans ces derniers tems par l'habile Sirlet.
2°. De la matiere sur laquelle on grave. Les anciens graveurs qui en cela ont été suivis par tous les modernes, paroissent n'avoir excepté aucune des pierres fines, ni même des pierres précieuses pour graver dessus, hormis que ces pierres ne se soient trouvées si recommandables par elles-mêmes, que c'eût été un meurtre de les faire servir à la gravure. Encore aujourd'hui l'on a pour de telles pierres précieuses les mêmes égards. Du reste, on rencontre tous les jours des gravures sur des améthystes, des saphirs, des topases, des chrysolites, des péridots, des hyacintes & des grenats. On en voit sur des bérylles ou aigues-marines, des primes d'émeraudes & d'améthystes, des opales, des turquoises, des malachites, des cornalines, des chalcédoines & des agates. Les jaspes rouges, jaunes, verds & de diverses autres couleurs, & en particulier les jaspes sanguins, le jade, des cailloux singuliers, des morceaux de lapis ou lyanée, & des tables de crystal de roche ont aussi servi de matiere pour la gravure, mais d'assez belles émeraudes & des rubis y ont servi. Mais de toutes les pierres fines, celles qu'on a toujours employées plus volontiers pour la gravure en creux, sont les agates & les cornalines ou sardoines, tandis que les différentes especes agates-onix semblent avoir été réservées pour les reliefs.
C'est à la variété des couleurs dont la nature a embelli les agates, que nous devons ces beaux camées, qu'un savant pinceau n'auroit pû peindre avec plus de justesse, & qui presque tous sont des productions de nos graveurs modernes.
Ne passons pas ici sous silence des gravures singulieres & qui peuvent marcher à la suite des pierres gravées. Ce sont des agates ou d'autres pierres fines sur lesquelles des têtes ou des figures en basse-taille & ciselées en or ont été rapportées & incrustées, de façon qu'à la différence près de la matiere elles font presque le même effet que les véritables camées. On en voit une à Florence, qui appartenoit à l'électrice palatine Anne-Marie-Louise de Médicis, en qui tout est fini. Cette belle gravure doit se trouver dans le cabinet du grand-duc : c'est peut-être un Apollon vainqueur du serpent Pithon ; il y en a une représentation dans le Musaeum Florent. t. I. tab. 66. n °. 1. En 1749, un Italien a distribué à Paris plusieurs pierres semblablement incrustées ; & comme il en avoit nombre & qu'elles étoient trop bien conservées pour n'être pas suspectes, les connoisseurs sont persuadés que c'étoient des pieces modernes.
Le diamant, la seule pierre précieuse sur laquelle on n'avoit pas encore essayé de graver, l'a été dans ces derniers siecles. Il est vrai que M. André Cornaro, venitien, annonça en 1723 une tête de Néron gravée en creux sur un diamant, & pour relever le prix de cette gravure qu'il estimoit douze mille sequins, il assûroit qu'elle étoit antique. Mais on ne peut guere douter du contraire, & peut-être son diamant étoit un ouvrage de Constanzi qui a long-tems travaillé à Rome avec distinction. Lorsque Clément Birague, milanois, que Philippe II. avoit attiré en Espagne, & qui se trouvoit à Madrid en 1564, fit l'essai de graver sur le diamant, personne n'avoit encore tenté la même opération. Cet ingénieux artiste y grava pour l'infortuné dom Carlos le portrait de ce jeune prince, & sur son cachet qui étoit un autre diamant, il mit les armes de la monarchie espagnole. L'on a fait voir à Paris un diamant où étoient gravées ou plutôt égratignées les armes de France ; l'on dit qu'il y en a un semblable dans le trésor de la reine d'Hongrie à Vienne, & que le cachet du feu roi de Prusse étoit pareillement gravé sur un diamant. Au reste, ces gravures ne peuvent être ni bien profondes, ni fort arrêtées, ni faites sur des diamans parfaits. Ajoutez que souvent l'on montre des gravures qu'on dit être faites sur des diamans, & qui ne le sont réellement que sur des saphirs blancs.
3°. De la distinction des pierres antiques d'avec les modernes. Comme il regne beaucoup de ruse, de fraude & de stratagème pour tromper au sujet des pierres gravées, on demande s'il y a des moyens de distinguer l'antique du moderne, les originaux des copies ; quelques curieux se sont fait là-dessus des regles qui, toutes incertaines qu'elles sont, méritent cependant d'être rapportées.
Ils commencent par examiner l'espece de la pierre : si cette pierre est orientale, parfaite dans sa qualité, si c'est quelque pierre fine dont la carriere soit perdue, telles que sont, par exemple, les cornalines de la vieille roche ; si le poli en est très-beau, bien égal & bien luisant, c'est, selon eux, des preuves de l'antiquité d'une gravure. Il est certain que l'examen de la qualité d'une pierre gravée & de son beau poli ne sont point des choses indifférentes ; mais l'on a vu plus d'une fois nos graveurs effacer d'anciennes mauvaises gravures, retoucher des antiques, apporter dans le poliment une grande dextérité pour mieux tromper les connoisseurs. D'ailleurs ce seroit peut-être une preuve encore plus certaine de l'antique d'une pierre gravée, si la surface extérieure d'une telle pierre étoit dépolie par le frottement ; car les anciens gravoient pour l'usage, & toute pierre qui a servi doit s'en ressentir.
Les curieux croyent encore reconnoître certainement si les inscriptions gravées en creux sur les pierres sont vraies ou supposées, & cela par la régularité & la proportion des lettres, & par la finesse des jambes ; mais il n'y a guere de certitude dans ces sortes d'observations ; tout graveur qui voudra s'en donner la peine & qui aura une main légere, tracera des lettres qui imiteront si bien celles des anciens, même celles qui sont formées par des points, que les plus fins connoisseurs prendront le change ; & ce stratagème connu en Italie pour se jouer de certains curieux nourris dans la prévention, n'a que trop bien réussi. Ils ont corrompu jusqu'aux pierres gravées antiques, en y mettant de fausses inscriptions ; & c'est ce qu'ils exécutent avec d'autant plus de sécurité qu'il leur est plus facile alors d'en imposer. Qui pourra donc assûrer que plusieurs de ces noms d'artistes qui se lisent sur les pierres gravées, & même auprès de fort belles gravures, n'y auront pas été ajoutées dans des siecles postérieurs ? sur-tout depuis que M. Gori a fait observer que le nom Cléomenes écrit en grec, qu'on voit sur le socle de la fameuse & belle statue de la Vénus de Médicis, est une inscription postiche.
Il n'est pas plus difficile d'ajouter sur les pierres gravées, de ces cercles & de ces bordures en forme de cordon, qui suivant le sentiment de M. Gori, caractérisent les pierres étrusques, & sont un signe certain pour les reconnoître.
D'autres curieux prétendent que les anciens n'ont jamais gravé que sur des pierres de figures rondes ou ovales ; & lorsqu'on leur en montre quelques-unes d'une autre forme, telles que sont des pierres quarrées ou à pans, ils ne balancent pas à dire que la gravure en est moderne, ce qui n'est pas toujours exactement vrai.
Quelques négligences qui se seroient glissées dans des parties accessoires au milieu des plus grandes beautés, ne doivent pas non plus faire juger qu'une gravure n'est pas antique : on en devroit peut-être conclure tout le contraire, d'autant que les gravures modernes sont en général assez suivies, & que celles des anciens ont assez souvent le défaut qu'on vient de remarquer. On peut citer pour exemple l'enlevement du palladium gravé par Dioscoride : le Diomede qui est la maîtresse figure, réunit toutes les perfections, presque tout le reste est d'un travail si peu soigné, qu'à peine seroit-il avoué par des ouvriers médiocres. Cet habile artiste auroit-il prétendu relever l'excellence de sa production par ce contraste, ou auroit-il craint que l'oeil s'arrêtant sur des objets étrangers, il ne se portât pas assez entierement sur la principale figure ?
Mais une pierre gravée qui seroit enchâssée dans son ancienne monture ; une autre qu'on sauroit, à n'en pouvoir douter, avoir été trouvée depuis peu à l'ouverture d'un tombeau, ou sous d'anciens décombres qui n'auroient jamais été fouillés, mériteroit d'être reçue pour antique. Il paroît aussi qu'on ne devroit pas moins estimer une pierre gravée qui nous viendroit de ces pays où les arts ne se sont point relevés depuis leur chûte : par exemple, des pierres gravées qui sont tirées & apportées du Levant, ne sont pas susceptibles d'altérations par le défaut d'ouvriers, comme le sont celles qu'on découvre en Europe ; enfin outre la certitude de l'antiquité pour la pierre gravée, il faut encore qu'elle soit réellement belle pour mériter l'estime des curieux. Concluons donc que la connoissance du dessein, jointe à celle des manieres & du travail, est le seul moyen pour se former le gout, & devenir un bon juge dans les arts, & en particulier dans la connoissance du mérite des pierres gravées, tant antiques que modernes.
4°. Des illustres graveurs en pierres fines. Il semble qu'il manque quelque chose à l'histoire des arts, si elle ne marche accompagnée de celle des artistes qui s'y sont distingués. C'est ce qui a engagé Mrs Vasari, Vettori, & Mariette, à faire la vie de ces illustres artistes ; il nous suffira néanmoins d'indiquer les noms des principaux parmi les modernes qui ont paru depuis la renaissance des arts.
Tout le monde sait que la chûte du bon goût suivit de fort près celle de l'empire Romain ; des ouvriers grossiers & ignorans prirent la place des grands maîtres, & semblerent ne plus travailler que pour accélérer la ruine des beaux-arts. Cependant dans le tems même qu'ils s'éloignoient à si grands pas de la perfection, ils se rendoient, sans qu'on y prît garde, utiles, & même nécessaires à la postérité ? En continuant d'opérer, bien ou mal, ils perpétuerent les pratiques manuelles des anciens ; pratiques dont la perte étoit sans cela inévitable, & n'auroit peut-être pû se retrouver. Il est donc heureux que l'art de la gravure en pierres fines n'ait souffert aucune interruption, & qu'il y ait eû une succession suivie de graveurs qui se soient instruits les uns les autres, & qui se soient mis, pour ainsi dire, à la main, les outils, sans lesquels cet art ne sauroit se pratiquer.
Ceux d'entr'eux qui abandonnerent la Grece dans le quinzieme siecle, & qui vinrent se chercher un asyle en Italie, pour se soustraire à la tyrannie des Turcs leurs nouveaux maîtres, y firent paroître pour la premiere fois quelques ouvrages, qui un peu moins informes que les gravures qui s'y faisoient journellement, servirent de prélude au renouvellement des arts, qui se préparoit. Les pontificats de Martin V. & de Paul II. furent témoins de ces premiers essais ; mais Laurent de Médicis, le plus illustre protecteur que les arts ayent rencontré, fut le principal moteur du grand changement qu'éprouva celui de la gravure. Sa passion pour les pierres gravées & pour les camées, lui fit rechercher, ainsi que je l'ai déja remarqué, les meilleurs graveurs ; il les rassembla auprès de sa personne ; il leur distribua des ouvrages ; il les anima par ses bienfaits, & l'art de la gravure en pierres fines reprit une nouvelle vie.
Jean delle' Cornivole fut regardé comme le restaurateur de la gravure en creux des pierres fines, & Dominique de Camei de la gravure en relief. Ces deux artistes furent bien-tôt surpassés par Pierre-Marie de Pescia, & par Michélino. L'art de la gravure en pierres fines, s'étendit rapidement dans toutes les parties de l'Italie. Cependant il étoit reservé à Jean Bernardi, né à Castel-Bolognèse, ville de la Romagne, d'enseigner aux graveurs modernes à se rendre de dignes imitateurs de ceux des anciens. Entr'autres ouvrages de gravure de ce célebre artiste, on vante beaucoup son Titius, auquel un vautour déchire le coeur, gravé d'après le dessein de Michel-Ange : comblé d'honneurs & de biens, il expira en 1555. Dans ce tems-là François I. avoit attiré en France le fameux Matthieu del Nassaro, qui s'occupa à former parmi nous des éleves qui fussent en état de perpétuer dans le royaume l'art qu'il y avoit fait connoître.
Pendant le même tems, Luigi Anichini, & surtout Alexandre Cesari, surnommé le Grec, gravoit à Rome avec éclat toutes sortes de sujets sur des pierres fines : le chef-d'oeuvre de ce dernier est un camée représentant la tête de Phocion l'athénien. Jacques de Trezzo embellissoit alors l'Escurial par ses ouvrages en ce genre.
Quand l'empereur Rodolphe II. monta sur le trône il protégea les arts, fit fleurir celui de la Gravure en Allemagne dans le dix-septieme siecle, & employa particulierement Gaspard l'Héman, & Miseroni ; mais aucun de ces graveurs n'a pu soutenir le parallele du Coldoré, qui fleurissoit en France vers la fin du seizieme siecle, & qui a vécu jusque sous le regne de Louis XIII. Cependant parmi les graveurs françois, personne n'a mérité cette brillante réputation dont Flavius Sirlet a joui dans Rome jusqu'à sa mort, arrivée le 15 Août 1737 ; on ne connoît aucun graveur moderne qui l'égale pour la finesse de la touche : il nous a donné sur des pierres fines des représentations en petit des plus belles statues antiques qui sont à Rome : le grouppe de Laocoon est son chef-d'oeuvre.
Celui qui se distinguoit dernierement le plus dans cette ville, est le chevalier Charles Costanzi ; il a gravé sur des diamans, pour le roi de Portugal, une Léda, & une tête d'Antinoüs.
Je n'ai point parlé des graveurs qu'a produit l'Angleterre, parce que la plus grande partie sont demeurés fort au-dessous du médiocre ; il faut pourtant excepter Charles Chrétien Reisen qui a mérité une des premieres places parmi les graveurs en creux sur les pierres fines, & qui a eu pour éleve un nommé Claus, mort en 1739, ensuite Smart, & enfin Seaton, qui étoit de nos jours le premier graveur de Londres.
Mais nous avons lieu de regretter un de nos graveurs françois, mort en 1746, & qui faisoit honneur à la nation ; je parle de M. François-Julien Barier, graveur ordinaire du roi en pierres fines, homme de goût, né industrieux, & qui a fait dans l'un & dans l'autre genre de gravure, des ouvrages qui ont assuré sa réputation ; il ne lui manquoit qu'une plus parfaite connoissance du dessein.
M. Jacques Guay qui lui a succédé, ne doit point craindre d'essuyer un pareil reproche ; il dessine très-bien, & modele de même ; il a visité toute l'Italie pour se perfectionner, & a retiré de grands fruits de ses voyages. Il a jetté beaucoup d'esprit sur une cornaline, où il a exprimé en petit, d'après le dessein de M. Bouchardon, le triomphe de Fontenoy.
5°. De la pratique de la gravure en pierres fines. Quand on examine avec attention ce que Pline a dit de la maniere de graver sur les pierres précieuses, on demeure pleinement convaincu que les anciens n'ont point connu d'autres méthodes, que celles qui se pratiquent aujourd'hui. Ils ont dû se servir comme nous du touret, & de ces outils d'acier ou de cuivre, qu'on nomme scies & bouterolles ; & dans l'occasion ils ont pareillement employé la pointe du diamant. Le témoignage de Pline est formel, liv. XXXVII. ch. iv. & ch. xiij. ce qui mettra cette vérité dans tout son jour, sera de donner ici la description détaillée de notre maniere de graver ; mais il faut la laisser faire à cet habile auteur notre collegue, qui après avoir puisé chez les artistes tout ce qui concerne les arts, sait les décrire dans cet ouvrage avec des talens au-dessus de mes éloges.
6. Des pierres gravées factices. L'extrème rareté des pierres précieuses, & le vif empressement avec lequel on les recherchoit dans l'antiquité, ne permettant qu'aux personnes riches d'en avoir, firent imaginer des moyens pour satisfaire ceux qui manquant de facultés, n'en étoient pas moins possédés du desir de paroître. On employa le verre, on le travailla, on lui allia divers métaux, & en le faisant passer par différens degrés de feu, il n'y eut presque aucune pierre précieuse dont on ne lui fit prendre la couleur & la forme. On a retrouvé ce secret dans le quinzieme siecle, & on est rentré en possession de faire de ces pâtes ou pierres factices, que quelques-uns appellent des compositions. Voyez PATE DE VERRE ou PIERRE GRAVEE FACTICE.
7°. De la maniere de tirer les empreintes. Pour ce qui regarde les diverses manieres de tirer des empreintes sur les plus belles pierres gravées, voyez le mot EMPREINTE.
8°. De la conservation des pierres gravées. Un amateur tâche de conserver ses pierres gravées, & a pour cet effet des écrains ou baguiers. Voyez ÉCRAIN.
9°. Des auteurs sur les pierres gravées. Entre un si grand nombre d'auteurs, qui depuis Pline jusqu'à nous ont traité des pierres gravées, nous ne nous proposons ici que de donner les principaux ; les curieux peuvent recourir à la partie si intéressante du livre de M. Mariette, qui concerne la Bibliotheque Dactyliographique : une matiere si seche a pris entre ses mains les graces & les ornemens qu'on ne trouve point ailleurs.
On connoît assez, sur les anneaux des anciens, les ouvrages de Kitschius, de Longus, de Kirchman, de Kornman, & de Liceti ; ils ont tous été réimprimés ensemble à Leyde en 1672 ; le livre de Liceti imprimé à Udine en 1645, in-4°. n'est à la vérité qu'une misérable compilation, & ne peut être lu sans dégoût ; mais en échange on sera fort content de la brochure de Cazalius sur les anneaux & leurs usages.
Antoine de Pois a donné un discours sur les médailles & gravures antiques, Paris 1579, in-4°. avec figures, livre très-curieux, très-bien imprimé, & d'un auteur qui a le premier rompu la glace sur cette matiere. Ce livre estimé n'est pas fort commun ; mais il faut prendre garde s'il se trouve à la page 126 une figure du dieu des jardins, qui en a été arrachée dans plusieurs exemplaires.
Baudelot le Dorival a mis au jour un livre de l'utilité des voyages, &c. Paris 1686, 2 vol. in-12. avec figures, & Rouen 1727, livre utile, intéressant, & dont on ne peut se passer.
Nous avons indiqué au mot GRAVURE, les ouvrages où l'on enseigne la pratique de cet art : passons aux plus beaux recueils & cabinets de pierres gravées ; voici ceux de la plus grande réputation, publiés en Italie.
Agostini (Leonardo) ; le Gemme antiche figurate, colle annotazioni di Pietro Bellori, in Roma 1657, in-4°. fig. secunda parte in Roma 1669, in-4°. seconde édition, in Roma 1686, 2 v. in-4°. fig. troisieme édit. mise en latin par Jacques Gronovius. Amstaelod. 1685, 2 vol. in-4°. & à Franeker 1694, 2 vol. In-4°. fig.
Léonard Agostini, né à Boccheggiano, dans l'état de Sienne, étoit un connoisseur d'un gout exquis, & il avoit vieilli parmi les antiques ; son recueil est excellent de même que son discours historique qui sert de préliminaire : il fait joindre l'utilité à l'agréable, le goût avec l'érudition. Il eut encore l'avantage de trouver un dessinateur & un graveur habile dans la personne de Jean-Baptiste Gallestruzzi florentin ; la 2me édition, préférable à la premiere pour l'ordre qui y a été observé & l'amélioration des discours, lui sera toujours inférieure par rapport aux planches. Il n'est pas inutile d'avertir qu'on a employé dans cette édition deux sortes de papiers, & qu'on doit donner la préférence au plus grand papier, car outre que le petit est fort mauvais, l'impression des planches y est trop négligée : l'édition de Hollande a les planches gravées assez proprement, mais sans goût.
De la Chausse, romanum Musaeum, &c. Romae, 1690, in-fol. editio secunda, Romae 1707, in-fol. editio tertia, Romae 1746 ; 2 vol. in-fol. item en françois, Amsterdam 1706, fol. fig.
Michel Ange de la Chausse, parisien, savant antiquaire, étoit allé assez jeune à Rome, & son caractere, autant que son goût, l'y avoit fixé. Le corps d'antiquités qu'il intitula Musaeum romanum, est une collection qui réunit les plus singulieres antiquités qui se trouvoient dans les cabinets de Rome au tems où l'auteur écrivoit. Les figures sont accompagnées d'explications aussi curieuses qu'instructives. Jamais ouvrage ne fut mieux reçu ; Graevius l'inséra tout entier dans son grand recueil des Antiquités romaines. Il fut traduit en françois, & imprimé à Amsterdam en 1706 ; mais l'édition originale fut suivie d'une seconde, à tous égards préférable à la premiere, pareillement faite à Rome en 1707, & considérablement augmentée par l'auteur même ; on en donna tout-de-suite une troisieme édition à Rome en 1746, en 2 vol. in-fol. fort inférieure à la seconde, & dans laquelle le libraire n'a cherché qu'à induire le public en erreur, & à abuser de sa confiance.
La premiere partie du recueil de M. de la Chausse, comprend une suite assez nombreuse de gravures antiques, qui presque toutes sont des morceaux d'élite, dont le public n'avoit point encore joui dans aucun ouvrage.
M. de la Chausse a encore publié à Rome, en 1700, in-4°. fig. un recueil de pierres gravées antiques, avec ses observations : le choix des pierres est fait avec discernement ; les explications écrites en italien sont judicieuses & pleines d'érudition ; les planches, au nombre de deux cent, gravées par Bartholi, ne sont qu'au trait.
Musaeum florentinum, cum observ. Ant. Franc. Goti, Florentiae, 1731, 1732, 2. vol. fol. maj. cum fig. &c.
Qui ne connoit pas le prix de cette rare & immense collection ? jusqu'à présent on n'en a vû, je crois, que six volumes, mais c'en est assez pour admirer le plus beau cabinet de pierres gravées qu'il y ait au monde. Les deux premiers volumes donnés en 1731 & 1732, contiennent toutes les pierres gravées du grand duc, qui méritent quelque considération. Le premier volume contient plus de huit cent pierres gravées, qui occupent cent grandes planches ; & le second quatre cent dix-huit pierres gravées, rangées comme dans le premier sur cent planches ; les éditeurs n'ont point craint d'excéder, ni par rapport à la largeur des marges, ni pour la grosseur des caracteres, ni dans la disposition des titres : l'épaisseur du papier répond à sa grandeur ; aucun des ornemens, dont on a coutume d'enrichir les livres d'importance, n'ont été épargnés dans celui-ci ; en un mot c'est un ouvrage d'apparat, & qui remplit parfaitement les vûes de ceux qui l'ont fait naître ; ce livre coûte fort cher, même aux souscrivans, & pour comble de malheur, la grande inondation de l'Arno, qui a fait périr sur la fin de 1740, une partie de l'édition mise dans le palais Corsini, n'en a pas fait baisser le prix.
1°. Des collections de pierres gravées. Non-seulement l'antiquité nous fournit des exemples de passions pour les pierres gravées, mais elle nous fournit des génies supérieurs, & les plus distingués dans l'état, qui formoient de ces collections. Quels hommes que César & Pompée ! Ils aimerent passionnément l'un & l'autre les pierres gravées, & pour montrer l'estime qu'ils en faisoient, ils voulurent que le public fût le dépositaire de leurs cabinets. Pompée mit dans le Capitole les pierres gravées, & tous les autres bijoux précieux qu'il avoit enlevés à Mithridate, & César consacra dans le temple de Vénus, surnommé genitrix, celles qu'il avoit recueillies lui-même avec des dépenses infinies ; car personne n'égaloit sa magnificence, quand il s'agissoit de choses curieuses. Marcellus, fils d'Octavie, & neveu d'Auguste, déposa son cabinet de pierres gravées dans le sanctuaire du temple d'Apollon, sur le mont Palatin. Martin Scaurus, beau-fils de Sylla, homme vraiment splendide, avoit formé le premier un semblable cabinet dans Rome. Il falloit être bien puissant pour entreprendre alors de ces collections. Le prix des belles pierres étoit monté si prodigieusement haut, que de simples particuliers ne pouvoient guere se flatter d'y atteindre. Un revenu considérable suffisoit à peine pour l'achat d'une pierre précieuse. Jamais nos curieux, quelques passionnés qu'ils soient, ne pousseront les choses aussi loin que l'ont fait les anciens. Je ne crois pas qu'on rencontre aujourd'hui des gens, qui semblables au sénateur Nonius, préferent l'exil, & même la proscription, à la privation d'une belle bague.
Il est pourtant vrai que depuis le renouvellement des beaux arts, les pierres gravées ont été recherchées par les nations polies de l'Europe avec un grand empressement ; & ce goût semble même avoir pris de nos jours une nouvelle vigueur. Il n'y a presque point de prince qui ne se fasse honneur d'avoir une suite de pierres gravées. Celles du roi & celles de l'impératrice reine de Hongrie, sont considérables. Le recueil de M. le duc d'Orleans est très-beau. On vante en Angleterre les pierres gravées recueillies autrefois par le comte d'Arundel, présentement entre les mains de mylady Germain, celles qu'avoit rassemblées mylord Pembrock, & la collection qu'en avoit fait le duc de Dévonshire, l'un des plus illustres curieux de ce siecle.
C'est néanmoins l'Italie qui est encore remplie des plus magnifiques cabinets de pierres gravées. Celui qui avoit été formé par les princes de la maison Farnèse, a fait un des principaux ornemens du cabinet du roi des deux Siciles ; la collection du palais Barberin, tient en ce genre un des premiers rangs dans Rome, qui de même que Florence & Venise, abondent en cabinets particuliers de pierres gravées. Mais aucune de ces collections n'égale celle que possédoit le grand duc, qui paroît être la plus singuliere & la plus complete qu'on ait encore vû, puisque le marquis Maffei assure qu'elle renferme près de trois mille pierres gravées. On sait que les plus remarquables se trouvent dans le musaeum florentinum ; aussi faut-il convenir que les peuples d'Italie sont à la source des belles choses. Fait-on la découverte de quelque rare monument, de ceux d'une ville même, d'un Herculanum, par exemple, elle se fait pour eux : ils sont les premiers à en jouir ; ils peuvent continuellement étudier l'antique qui est sous leurs yeux ; & comme leur goût en devient plus sûr & plus délicat que le nôtre, ils sont aussi généralement plus sensibles que nous aux vraies beautés des ouvrages de l'art.
2°. Des belles pierres gravées. Pour avoir des pierres gravées, exquises en travail, il faut remonter jusqu'au tems des Grecs ; ce sont eux qui ont excellé en ce genre, dans la composition, dans la correction du dessein, dans l'expression, dans l'imitation, dans la draperie, en un mot en tout genre. Leur habileté dans la représentation des animaux, est encore supérieure à celle de tous les autres peuples. Ils étoient mieux servis que nous dans leurs modeles, & ils ne faisoient absolument rien sans consulter la nature. Ce que nous disons de leurs ouvrages au sujet de la gravûre en creux, doit également s'appliquer aux pierres gravées en relief, appellées camées ou camayeux. Ces deux genres de gravûre ont toujours chez les Grecs marché d'un pas égal. Les Etrusques ne les ont point égalés ; & les Romains qui n'avoient point l'idée du beau, leur ont été inférieurs à tous égards. Quoique curieux à l'excès des pierres gravées, quoique soutenus par l'exemple des graveurs grecs qui vivoient parmi eux, ils n'ont eu en ce genre que des ouvriers médiocres de leur nation, & la nature leur a été ingrate. Les arts illustroient en Grèce ceux qui les pratiquoient avec succès ; les Romains au contraire n'employoient à leurs sculptures que des esclaves ou des gens du commun.
12°. De la plus belle pierre gravée connue. La plus belle pierre gravée sortie des mains des Grecs, & qui nous est restée, est je pense la cornaline, connue sous le nom de cachet de Michel-Ange. C'est le plus beau morceau du cabinet du roi de France, & peut-être du monde. On dit qu'un orfevre de Bologne en Italie, nommé Augustin Tassi, l'eut après la mort de Michel-Ange, & la vendit à la femme d'un intendant de la maison des Médicis. Le sieur de Bagarris qui a été garde du cabinet des antiques d'Henri III. l'acheta huit cent écus, au commencement du dernier siecle, des héritiers de cette dame qui étoient de Nemours : le sieur Lauthier le pere l'eut après la mort de ces antiquaires ; & ce sont les enfans dudit sieur Lauthier, qui l'ont vendue à Louis XIV. Voyez CACHET de Michel-Ange.
13°. Des pierres gravées de l'ancienne Rome. Il semble par ce que nous avons remarqué tout-à-l'heure, qu'il y avoit parmi les Romains une sorte d'insuffisance pour la culture des arts. J'ajoute, que ce n'est pas la seule nation qui pour avoir possédé les plus belles choses, & les avoir en apparence aimées avec passion, n'a pû fournir ni grands peintres, ni grands sculpteurs. Je n'ai plus qu'un mot à dire au sujet de certaines gravûres sur le crystal par les modernes.
14°. Des gravûres des modernes sur le crystal en particulier. Les graveurs modernes ont gravé en creux sur des tables de crystal, d'assez grandes ordonnances d'après les desseins des Peintres, & l'on enchâssoit ensuite ces gravûres dans des ouvrages d'orfévrerie, pour y tenir lieu de bas-reliefs.
Il faut lire, dans le Vasari, les descriptions qu'il fait d'un grand nombre de ces gravûres, qui enrichissoient des croix & des chandeliers destinés pour des chapelles, & de petits coffres propres à serrer des bijoux. Valerio Vicentini en avoit exécuté un qui étoit entierement de crystal, & où il avoit représenté des sujets tirés de l'histoire de la passion de Notre-Seigneur. Clément VII. en fit présent à François I. lors de l'entrevûe qu'il eut avec ce prince à Marseille, à l'occasion du mariage de Catherine de Médicis, sa niece ; & c'étoit, au rapport du Vasari, un morceau unique & sans prix. (D.J.)
PIERRE GRAVEE factice, (Gravûre) Voici la manipulation usitée pour faire des pierres gravées factices. On prend du blanc qui se trouve chez les Epiciers-Droguistes en gros pains, qu'ils appellent blanc d'Espagne ou de Rouen (Voyez BLANC, couleur en Peinture) ; on l'humecte avec de l'eau, & on le paîtrit pour le former en gâteau, à-peu-près de la consistance que se trouve la mie de pain frais lorsqu'on la paîtrit entre les doigts ; on emplit de ce blanc humecté un anneau de fer de deux ou trois lignes d'épaisseur, & du diametre qui convient à la pierre que l'on veut mouler ; si l'on ne veut pas faire forger des anneaux de fer exprès, ceux qui se trouvent tout faits dans les ciseaux y sont très-propres, on n'a besoin que de les en détacher avec la lime. On emplit l'anneau de cette pâte dans lequel on la presse avec le doigt ; on met ensuite dessus une couche de tripoli en poudre seche, au-moins assez épaisse pour suffire au relief que l'on veut tirer. On se sert pour cela d'un couteau à couleur, pareil à ceux des Peintres ; on presse légérement le tripoli avec le couteau, & on met dessus, du côté de la gravûre, la pierre que l'on veut mouler, sur laquelle on appuie fortement avec le pouce, ou pour mieux faire encore, avec un morceau de bois tel que le manche d'un outil.
Il est essentiel alors de soulever un peu tout de suite la pierre par un coin, avec la pointe d'une aiguille enchâssée dans un petit manche de bois ; & après l'avoir laissée encore un instant, on la fera sauter totalement de dessus son empreinte avec la pointe de l'aiguille, ou on l'en détachera en prenant le moule avec les deux doigts, & en le renversant brusquement. Il faut beaucoup d'adresse & d'usage pour bien faire cette derniere opération. Si la pierre ne reste pas assez long-tems sur le moule après avoir appuyé dessus, & qu'on vienne à l'en faire sauter avant que l'humidité de la pâte du blanc d'Espagne ait atteint la surface du tripoli, le renversement de la pierre causera du dérangement dans l'empreinte. Si la pierre reste trop long-tems sur le moule après avoir appuyé dessus, l'humidité de la pâte du blanc d'Espagne gagne tout-à-fait les creux de la gravûre, dans lesquels il reste infailliblement des parties du tripoli. Il faut donc pour réussir que le renversement de la pierre se fasse dans le moment où l'humidité de la pâte du blanc d'Espagne vient d'atteindre la surface du tripoli, qui touche à toute la surface de la gravûre de la pierre que l'on veut mouler.
Si l'on ne saisit pas ce moment, on manque une infinité d'empreintes ; il y a même des pierres que la profondeur de la gravûre rend si difficiles à cet égard, qu'on est obligé, après les avoir imprimées sur le tripoli de les laisser en cet état jusqu'à ce que le tout soit parfaitement sec, avant de tenter de séparer la pierre de l'empreinte : quoique cette pratique soit plus sûre, il faut cependant convenir qu'elle ne laisse pas l'empreinte aussi parfaite que l'autre quand elle est bien exécutée.
Le choix du tripoli est encore une chose de la derniere importance. M. Homberg, dans le mémoire qu'il a donné parmi ceux de l'académie des Sciences en 1712, veut que l'on se serve de tripoli de Venise qui est ordinairement jaune ; mais il s'en trouve en France de rougeâtre qui fait le même effet : il faut seulement le choisir tendre & doux au toucher comme du velours, en rejettant tout celui qui seroit dur & qui contiendroit du sable. Il ne faut pas tenter d'en ôter le sable par les lavages, on ôteroit en même tems une onctuosité qui fait que lorsqu'on le presse, ses parties se joignent & se collent ensemble, & par ce moyen en font une surface aussi polie que celle du corps avec lequel on le presse. Il faut donc se contenter, après avoir passé le tripoli par un tamis de soie très-fin, de le broyer encore dans un mortier de verre ou de porcelaine avec un pilon de verre, sans le mouiller.
Le renversement de la pierre que l'on vient d'imprimer étant fait, il faut en considérer attentivement la gravure, pour voir s'il n'y seroit pas resté quelques petites parties du tripoli ; dans lequel cas, comme ces parties manqueroient à l'empreinte, il faut recommencer l'opération en remettant de nouveau blanc d'Espagne dans l'anneau & de nouveau tripoli dessus.
Lorsque l'on est content de l'empreinte, on la met à secher ; & quand elle est parfaitement seche, on peut avec un canif égaliser un peu le tripoli qui déborde l'empreinte, & prenant bien garde qu'il n'en tombe pas sur l'empreinte.
Lorsqu'on sera assuré que l'empreinte est bien faite & le moule bien sec, on choisira le morceau de verre ou de composition sur lequel on veut tirer l'empreinte ; plus les verres seront durs à fondre, plus le poli de l'empreinte sera beau. On taillera le morceau de verre de la grandeur convenable en l'égrugeant avec des petites pinces, & on le posera sur le moule, ensorte que le verre ne touche en aucun endroit la figure imprimée, qu'il pourroit gâter par son poids.
On aura un petit fourneau pareil à ceux dont se servent les peintres en émail (Voyez ÉMAIL), dans lequel il y aura une moufle ; on aura eu soin de remplir ce fourneau de charbon de bois, de façon que la moufle en soit environnée dessus, dessous, & par ses côtés. Lorsque le charbon sera bien allumé & la moufle très-rouge, on mettra le moule, garni du morceau de verre sur lequel on veut tirer l'empreinte, sur une plaque de tôle, & on l'approchera ainsi par degrés de l'entrée de la moufle, au fond de laquelle on le portera tout-à-fait lorsqu'on le jugera assez chaud pour que la grande chaleur ne fasse pas casser le morceau de verre ; on bouchera alors l'entrée de la moufle avec un gros charbon rouge, de façon cependant qu'il se trouve un petit intervalle par lequel on puisse observer le verre. Lorsque le verre paroîtra luisant, & que ses angles commenceront à s'émousser, on retirera d'une main avec des pincettes la plaque de tôle ; & avec l'autre main, sur le bord même du fourneau, sans perdre de tems on pressera fortement le verre avec un morceau de fer plat que l'on aura tenu chaud.
L'impression étant finie, on laissera le tout à l'entrée du fourneau, afin que le verre refroidisse par degrés, sans quoi il seroit sujet à casser.
Si l'on veut copier en creux une pierre qui est en relief, ou en relief une pierre qui est en creux ; il faut en prendre une empreinte exacte avec de la cire d'Espagne, ou avec du soufre fondu avec un peu de minium. Il faut abattre avec un canif & une lime ce qui aura débordé l'empreinte, & on se servira de cette empreinte de cire d'Espagne ou de soufre pour imprimer sur le tripoli.
Comme par le procedé que l'on vient de donner, on voit que l'on ne peut avoir que des pierres d'une couleur, on va donner celui qu'il faut suivre pour imiter les variétés & les différens accidens que l'on voit dans les camées.
Les agates onix dont on forme les camées, étant composées de couches de différentes couleurs, & n'étant point transparentes, on a pris pour les imiter des morceaux du verre colorié dont on se servoit pour composer les vitres des églises ; on a rendu ces verres opaques en les stratifiant dans un creuset avec de la chaux éteinte à l'air, du plâtre, ou du blanc d'Espagne, c'est-à-dire, en mettant alternativement un lit de chaux ou de plâtre, & un lit de verre. En exposant ce creuset au feu augmenté par degrés pendant trois heures, & finissant par un feu assez fort, ces verres deviennent opaques en conservant leurs couleurs ; & ceux qui n'en avoient point deviennent d'un blanc de lait comme l'émail ou la porcelaine.
Si le feu a été bien ménagé dans le commencement, & qu'on ne l'ait point poussé trop fort sur la fin, ces verres opaques sont encore susceptibles d'entrer en fonte à un plus grand feu ; on peut donc souder les uns sur les autres ceux de différentes couleurs, & par ce moyen imiter les lits de différentes couleurs que l'on rencontre dans les agates onix. On rencontre même dans les vitrages peints des anciennes églises, des morceaux de verres dans lesquels la couleur n'a pénétré que la moitié de leur épaisseur ; les pourpres ou couleur de vinaigre sont tous dans ce cas ainsi que plusieurs bleus. Lorsque ces verres sont devenus opaques, ainsi qu'on l'a dit, la partie qui n'a point été pénétrée de la couleur, se trouve blanche & forme avec celle qui étoit coloriée deux lits différens, comme on en voit dans les agates onix : lorsqu'on ne veut point souder ensemble les verres de différentes couleurs, il faut travailler sur ceux-là. Avant que de se servir de ces verres qui ont des couches de différentes couleurs, il faut les faire passer sur la roue du lapidaire, & manger de la surface blanche qui est destinée à représenter les figures du relief du camée, jusqu'à ce qu'elle soit réduite à une épaisseur plus mince, s'il est possible, qu'une feuille de papier.
On pose ce verre du côté de la surface blanche que l'on a rendue si mince, sur le modele dans lequel est l'empreinte de la gravure qu'on veut imiter ; on le fait chauffer dans la moufle, & on l'imprime de la maniere que l'on a dit ci-devant.
Les verres que l'on a rendus opaques, en suivant le procedé ci-dessus, étant alors susceptibles d'être travaillés au touret, on y applique la pierre dont on vient de parler, & avec les mêmes outils dont on se sert pour la gravure en pierres fines, on enleve aisément le blanc du champ qui déborde le relief, & les figures paroissent alors isolées sur un champ d'une couleur différente comme dans les camées.
Si l'on ne vouloit imiter qu'une simple tête, qui ne fût pas trop difficile à chantourner, on pourroit se contenter, après avoir moulé cette tête, de l'imprimer ensuite sur un morceau de verre opaque blanc. On feroit ensuite passer ce verre imprimé sur la roue du lapidaire, & on l'useroit par-derriere avec de l'émeril & de l'eau, jusqu'à ce que toute la partie qui fait un champ à la tête, se trouvât détruite, & qu'il ne restât absolument que le relief. S'il se trouve après cette opération qu'il soit encore demeuré quelque petite partie du champ, on l'enleve avec la lime ou avec la pointe des ciseaux ; on applique cette tête ainsi découpée avec soin sur un morceau de verre opaque d'une couleur différente ; on l'y colle avec de la gomme ; & quand elle y est bien adhérente, on pose le verre du côté de la tête sur un moule garni de tripoli, & on l'y presse comme si on l'y vouloit mouler : mais au lieu de l'en retirer, comme on fait quand on prend une empreinte, on laisse secher le moule toujours couvert de son morceau de verre ; & lorsqu'il est sec, on l'enfourne sous la moufle, & on le presse avec la spatule de fer lorsqu'il est en fusion, ainsi qu'il a été expliqué ci-devant. La gomme qui attachoit la tête sur le fond se brûle ; ainsi les deux morceaux de verre, celui qui forme le relief & celui qui lui doit servir de champ, n'étant plus séparés, s'unissent étroitement en se fondant, sans qu'on puisse craindre que dans cette fonte le relief puisse souffrir la moindre altération, puisque le tripoli, en l'enveloppant de toutes parts, lui sert comme d'une chape, & ne lui permet pas de s'écarter. Si on vouloit que quelques parties du relief, comme les cheveux, fussent d'une couleur différente, il suffit d'y mettre au bout d'un tube de verre un atome d'une dissolution d'argent par l'esprit de nitre, & faire ensuite chauffer la pierre sous la moufle, jusqu'à ce qu'elle soit très-chaude sans rougir. Il faut seulement prendre garde que la vapeur de l'esprit de nitre ne colore le reste de la figure.
Les verres tirés des anciens vitrages peints des églises, sont ce qu'il y a de meilleur pour faire ces especes de camées : il est vrai qu'ils ont besoin d'un très-grand feu pour les mettre en fonte quand ils ont été rendus opaques, comme on l'a dit ; mais ils prennent un très-beau poli, & ne sont pas plus susceptibles d'être rayés que les véritables agates.
PIERRES PRECIEUSES, (Hist. nat. Mineral.) C'est ainsi que l'on nomme des pierres à qui leur dureté, leur transparence, leur éclat, leurs couleurs & leur rareté ont fait attacher un prix considérable dans le commerce ; c'est suivant toutes ces circonstances que l'on a assigné divers rangs aux pierres précieuses.
Les vraies pierres précieuses doivent avoir de la transparence & de la dureté ; c'est sur-tout par cette derniere qualité qu'elles different du crystal. Cette dureté suppose des parties plus denses & plus rapprochées, ce qui doit produire nécessairement un plus grand poids sous un même volume. L'homogénéité des parties doit encore produire dans les pierres précieuses la transparence & l'éclat : c'est ce qu'on appelle eau en langage de lapidaire ; & c'est le plus ou le moins de transparence ou de netteté de ces pierres qui avec leur dureté augmente ou diminue considérablement le prix qu'on y attache.
Les vraies pierres précieuses sont le diamant, le rubis, le saphire, la topase, l'émeraude, la chrysolite, l'amethyste, l'hyacinthe, le péridot, le grenat, le berille ou aigue-marine. Voyez ces différens articles.
Toutes ces pierres se trouvent ou dans le sein de la terre, ou dans le lit de quelques rivieres, au sable desquelles elles sont mêlées ; elles ne peuvent pour l'ordinaire être reconnues que par ceux qui sont habitués à les chercher. C'est sur-tout dans les Indes orientales que l'on trouve les pierres précieuses les plus dures & les plus estimées ; les îles de Borneo, les royaumes de Bengale, de Golconde, de Visapour & de Pégu, ainsi que l'île de Ceylan, en fournissent assez abondamment. Quant à celles que l'on trouve dans les autres parties du monde, elles n'ont communément ni la dureté, ni l'éclat, ni la transparence des pierres précieuses qui viennent de l'orient. C'est-là ce qui a donné lieu à la distinction que font les Jouailliers & les Lapidaires de ces pierres en orientales & en occidentales ; distinction qui n'est fondée que sur leur plus ou moins de dureté. Ainsi quand un lapidaire dit qu'une pierre précieuse est orientale, il ne faut point imaginer pour cela qu'elle vienne réellement d'orient, mais il faut entendre par-là que sa dureté est la même que celle des pierres de la même nature qui viennent de ces climats. Cette observation est d'autant plus vraie, qu'il s'est trouvé en Europe même & dans l'Amérique, des pierres précieuses qui avoient la dureté & l'éclat de celles des Indes orientales.
Il est très-difficile de rendre raison pourquoi les Indes sont plus disposées que d'autres pays à produire des pierres précieuses ; il paroît en général que les climats les plus chauds sont plus propres à leur formation que les autres, soit que la chaleur du soleil y contribue, soit que la nature du terrein y soit plus appropriée, & les sucs lapidifiques plus atténués & plus élaborés. Quoi qu'il en soit, il paroît certain que toutes les pierres précieuses ont la même origine que les crystaux ; lorsqu'on les trouve dans leurs matrices ou minieres, elles affectent toujours une figure réguliere & déterminée qui varie, étant tantôt prismatiques, tantôt cubiques, tantôt en rhomboïde, &c.
A l'égard des pierres précieuses qui se trouvent dans le lit des rivieres, & mêlées dans le sein de la terre avec le sable, on sent aisément que ce n'est point-là le lieu de leur formation ; ces pierres qui sont roulées & arrondies comme les cailloux ordinaires, doivent avoir été apportées d'ailleurs par les torrens & les eaux, qui les ont arrachées des roches & des montagnes où elles avoient pris naissance. On a remarqué que c'est à la suite des fortes pluies que l'on trouvoit plus communément les pierres précieuses, les topases & les grenats dans le lit des rivieres de l'île de Ceylan. On assure qu'il se trouve en Bohème des cailloux au centre desquels on voit des rubis lorsqu'on vient à les casser. Ce fait prouve que ces rubis ne sont autre chose que la matiere la plus épurée de ces cailloux qui s'est rassemblée à leur centre.
Les pierres précieuses varient pour la couleur ; les rubis sont rouges, les topases sont jaunes, les émeraudes sont vertes, les saphirs sont bleus, &c. L'on ne peut douter que ces différentes couleurs ne soient dûes aux métaux, qui seuls dans le regne minéral ont la propriété de colorer. Comme ces substances sont différentes de celles qui constituent les pierres précieuses, il n'est point surprenant que les pierres colorées n'aient point communément la même dureté que le diamant, qui est pur, transparent, & composé de parties purement homogenes.
Une des choses qui contribuent le plus au prix des pierres précieuses, c'est leur grandeur. En effet, si ces pierres sont rares par elles-mêmes, celles qui sont d'une certaine grandeur sont moins communes encore. On pourroit en rendre une raison assez naturelle, en disant que les pierres précieuses sont pour ainsi dire l'extrait ou l'essence d'une grande masse de matiere lapidifique, dont la partie la plus pure & la plus parfaite ne peut former qu'un très-petit volume lorsqu'elle a été concentrée & rapprochée par l'évaporation insensible qui lui a donné la consistance d'une pierre.
Le grand prix des pierres précieuses n'avoit point permis jusqu'à-présent aux Chymistes d'en tenter les analyses par le moyen du feu : une entreprise si coûteuse étoit réservée à des souverains ; elle a été tentée à Vienne depuis quelques années, par l'empereur François I. actuellement régnant, dont le goût pour le progrès des Sciences est connu de tout le monde. Par les ordres de ce prince on mit plusieurs diamans & rubis dans des creusets terminés en pointe, que l'on eut soin de lutter avec beaucoup d'exactitude ; on les tint au degré de feu le plus violent pendant vingt-quatre heures ; au bout de ce tems, lorsqu'on vint à ouvrir les creusets, on vit avec surprise que les diamans étoient totalement disparus, au point de n'en retrouver aucuns vestiges. Quant aux rubis, on les retrouva tels qu'on les avoit mis ; ils n'avoient éprouvé aucune altération : sur quoi on exposa encore un rubis pendant trois fois vingt-quatre heures au feu le plus violent, qui n'y produisit pas plus d'effet que la premiere fois ; il sortit de cette épreuve sans avoir rien perdu ni de sa couleur, ni de son poids, ni de son poli.
L'empereur a fait faire la même expérience de la même façon, sur plus de vingt pierres précieuses de différentes especes ; de deux heures en deux heures on en retiroit une du feu, afin de voir les différens changemens qu'elles pouvoient successivement éprouver. Peu-à-peu le diamant perdoit son poli, devenoit feuilleté, & enfin disparoissoit totalement ; l'émeraude étoit entrée en fusion, & s'étoit attachée au fond du creuset ; quelques autres pierres s'étoient calcinées, & d'autres étoient demeurées intactes. Avant de faire ces expériences, on avoit eu la précaution de prendre des empreintes exactes de toutes ces pierres, afin de voir les altérations qu'elles éprouveroient.
Le grand duc de Toscane avoit déja antérieurement fait faire des expériences sur la plûpart des pierres précieuses, en les exposant au foyer d'un miroir ardent de Tschirnhausen. Ces opérations peuvent servir de confirmation à celles qui ont été rapportées ci-dessus faites au feu ordinaire. On trouva donc que le diamant résistoit moins à l'action du feu solaire que toutes les autres pierres précieuses ; il commençoit toujours par perdre son poli, son éclat & sa transparence ; il devenoit ensuite blanc & d'une couleur d'opale ; il se gersoit & se mettoit en éclats, & en petites molécules triangulaires, qui s'écrasoient sous la lame d'un couteau, & se réduisoient en une poudre dont les parties étoient imperceptibles, & qui considérées au microscope avoient la couleur de la poudre de la nacre de perle. Tous les diamans subissoient ces mêmes changemens, les uns plus tôt, les autres un peu plus tard.
Enfin on essaya de joindre au diamant différens fondans ; on commença par du verre, qui ne tarda point à entrer en fusion au miroir ardent, mais le diamant nageoit à sa surface, sans faire aucune union avec lui ; on chercha à l'enfoncer dans la matiere fondue, mais ce fut inutilement : le diamant diminua peu-à-peu, & se dissipa à la fin comme dans les expériences dans lesquelles on n'avoit point employé de verre.
On ne réussit pas mieux à faire entrer le diamant en fusion, en le mêlant soit avec de la fritte de verre, soit avec du sel de tartre, soit avec du soufre, soit avec du plomb ; il repoussa constamment tous ces fondans ; il ne fit non plus aucune union ni avec les métaux, ni avec les pierres, de quelque nature qu'elles fussent, ni avec le vitriol, l'alun, le nitre, le sel ammoniac ; en un mot, jamais le diamant ne marqua la moindre disposition à entrer en fusion.
Le rubis résista beaucoup mieux que le diamant à l'action du feu solaire, qui ne fit que changer sa couleur & le ramollir, sans lui rien faire perdre de son poids. On trouvera ces expériences à l'article RUBIS.
Des émeraudes exposées à cette même chaleur, ne tarderent pas à entrer en fusion ; elles commencerent par devenir blanches, & par former des bulles ; la couleur & la transparence disparurent, & ces pierres passerent par différentes nuances, suivant le tems qu'elles furent exposées à l'action du feu. Ces pierres deviennent par-là très-cassantes & très-tendres, au point de pouvoir en détacher des parties avec l'ongle. Voyez giornale dé litterati d'Italia, tom. IX. (-)
PIERRES PUANTES, lapides faetidi, lapis suillus, lapis felinus, (Hist. nat. Minéralog.) On a donné ces différens noms à des pierres qui répandent une odeur désagréable qu'elles ont contractée dans le sein de la terre ; cette odeur varie en raison des différentes substances qui l'ont occasionnée. En Suede, dans la province d'Oeland, on trouve une pierre à chaux qui a une odeur très-forte d'urine de chat ; on a quelquefois trouvé des empreintes d'insectes sur ces pierres. En Westphalie, aux environs d'Hildesheim, on a trouvé de la pierre qui sentoit la corne brûlée. Près de Wigersdorf, dans le comté de Hohnstein en Thuringe, on trouve une espece de schiste ou de pierre feuilletée grise, très-poreuse, qui frottée avec une autre pierre, répand une odeur semblable à celle de la fiente de porc. Près du couvent d'Ilefeld, qui est aux environs de Nordhausen, près du Hartz, on rencontre une montagne qui n'est composée que d'une pierre très-puante, dont on se sert comme de castine ou de fondant dans les forges du voisinage, où elle facilite la fusion de la mine de fer. Voyez Bruckmann, epistol. itinerariae, centur. ij. epist. 13.
On a trouvé près de Villers-Coterets une pierre calcaire d'un blanc sale, qui lorsqu'on la frotte répand une odeur d'urine de chat. Il y a tout lieu de croire que les odeurs qui se sont communiquées à ces sortes de pierres, viennent de substances animales ou végétales qui sont entrées en putréfaction ; quelques-unes même peuvent venir des bitumes & matieres inflammables qui se trouvent dans le sein de la terre. Voyez ODORANTES, pierres. (-)
GRAVURE, auteurs sur l'art de la Gravure. Pomponii Gaurici neapolitani de sculptura, seu statuaria, libellus, Florentiae 1504, in-8°. Item (secunda editio emendatior, curante Cornelio Grapheo), Antverpiae 1528, in-8°. Le même ouvrage dans le tom. IX. du recueil des antiquités grecques.
Aldus Manutius de celaturâ & picturâ veterum, dans le tome IX. du recueil des antiquités grecques.
Ludovici Demontiosii Gallus Romae hospes, ubi multa antiquorum monumenta explicantur. Romae 1585, in-4°. cum fig. Item. La partie de cet ouvrage qui traite des Arts ayant le Dessein pour objet, à la suite de la dactyliotheca de Gorlée ; & dans le tom. IX. de la collection des antiquités grecques, sous ce titre : Lud. Demontiosii de veterum sculpturâ, caelaturâ gemmarum, sculpturâ & picturâ, libri duo.
Julii Caesaris Bullengeri de picturâ, plastice, & staturariâ, libri duo. Lugduni 1627, in-8°. & dans le tome IX. du recueil des antiquités grecques.
De la gravure sur les pierres précieuses & sur les crystaux, chap. viij. du liv. II. des principes de l'Architecture, de la Sculpture & de la Peinture, par André Félibien ; seconde édition augmentée. Paris 1690, in-4°.
De modo caelandi gemmas, chap. xxviij. du livre intitulé : Dissertatio Glyptographica. Romae 1739, in-4°.
Maniere de copier sur le verre les pierres gravées, par Guillaume Homberg, dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1712. Paris, in-4°.
Vie des Graveurs. Vasari Giorgio nous a donné les vies des illustres peintres, graveurs & architectes, à Boulogne 1647, trois volumes in-4°. On en trouvera la suite dans un ouvrage du chevalier Vettori, dans une dissertation latine sur les pierres gravées. A Rome 1739, in-4°.
Nous avons quantité de cabinets de pierres gravées, publiées en Italie, dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Angleterre, & en France.
Gaurici (Pomponii, &c.), Pomponio Gaurico, né à Gifoni, bourg dans le royaume de Naples, avoit écrit ce traité sur la Sculpture, dont la premiere édition est de Florence 1504. Quoiqu'il dise qu'il manioit lui-même le ciseau, il paroît qu'il le manioit fort mal. Son livre mis en dialogue est aussi inutile que mal écrit.
Minutius Albus, &c. Son livre ne peut intéresser tout au plus que des grammairiens.
Bullengerii (Julii Caesaris, &c.) Ce qui a été dit par le jésuite Jules-César Boulenger, dans son traité sur la peinture & la sculpture des anciens, est encore beaucoup plus superficiel.
Demontiosii (Ludovici) ; Louis de Monjosieu, loué dans M. de Thou, étoit un habile antiquaire ; & à l'occasion de la Sculpture, il parla des pierres gravées ; mais il n'a presque fait que transcrire à la fin de sa dissertation latine sur la sculpture des anciens, le peu de chose qu'il avoit lu dans Pline concernant l'art de la gravure en pierres fines.
Si tous ces auteurs avoient eu bien sérieusement le dessein d'instruire, ils devoient s'en rapporter moins à leurs propres lumieres, & consulter davantage les gens de l'art ; ils se seroient exprimés plus pertinemment. C'est le parti sage qu'ont pris M. Félibien & M. le chevalier Vettori, & qui leur a réussi lorsqu'ils nous ont exposé sous les yeux toutes les différentes opérations manuelles de la gravure en pierres fines ; le premier dans ses principes des Arts, & le second dans une dissertation sur les pierres gravées, dont j'aurai occasion de parler plus d'une fois. On peut aussi se fier à M. Homberg, quand on voudra faire des copies sur verre des pierres gravées. La méthode qu'il enseigne dans un mémoire qui fait partie de ceux de l'académie royale des Sciences, est fondée sur l'expérience ; le savant académicien ne rapporte rien qu'il n'ait pratiqué lui-même.
Taille du DIAMANT, (Art du Lapidaire) la taille du diamant est le poli, le brillant & la forme qu'on donne aux diamans bruts par le secours de l'art.
C'est une découverte moderne, qui n'est point le produit de la recherche des gens qu'on nomme dans le monde gens d'esprit, ni même des philosophes spéculatifs. Ce n'est pas à eux que nous en sommes redevables, non plus que des inventions les plus étonnantes ; mais au pur hasard, à un instinct méchanique, à la patience, au travail & à ses ressources. Nous indiquerons bientôt d'après M. Mariette, la maniere dont cette découverte a été faite il n'y a pas encore 300 ans, suivie & conduite au point de perfection où elle est aujourd'hui. L'Encyclopédie, s'il m'est permis de répéter ici les paroles des éditeurs de cet ouvrage : " L'Encyclopédie fera l'histoire des richesses de notre siecle en ce genre ; elle la fera & à ce siecle qui l'ignore, & aux siecles à venir qu'elle mettra sur la voie pour aller plus loin. Les découvertes dans les arts n'auront plus à craindre de se perdre dans l'oubli ".
Personne n'ignore que le diamant est la plus compacte, & par conséquent la plus dure de toutes les productions de la nature. Il entame tous les autres corps, & ne peut l'être que par lui-même ; & s'il a sur eux de l'avantage, il en est redevable à cette extrême dureté, puisque c'est elle qui lui procure ce feu étincelant dont il paroît pénétré. Le diamant se tire de la mine ordinairement brut, & ressemble alors à un simple caillou ; on n'en rencontre point communément auxquels la nature ait elle-même donné la taille, c'est-à-dire qui soient polis, que la nature y ait concouru, & dont les faces soient régulierement formées ; mais il s'en présente cependant quelquefois où la taille paroit indiquée, & qui ayant roulé parmi les sables dans le lit des rivieres rapides, se trouvent polis naturellement, & tout-à-fait transparens : quelques-uns même sont facetés. Ces sortes de diamans bruts se nomment bruts ingénus ; & lorsque leur figure est pyramidale & se termine en pointe, on les appelle pointes naïves.
Il n'y a pas d'apparence que les anciens aient reconnu & recherché d'autres diamans que ces derniers ; les quatre qui enrichissent l'agraphe du manteau royal de Charlemagne, qu'on conserve au trésor de S. Denis, ne sont que ces pointes naïves. Tout imparfaits qu'étoient les diamans que la nature avoit ainsi formés, on ne laissa pas de les regarder comme ce qu'elle offroit de plus rare ; & Pline, l. XXXVII. ch. iv. remarque que pendant long-tems il n'appartint qu'aux rois, & même aux plus puissans, d'en posséder quelqu'un. On soupçonnoit Agrippa dernier roi des Juifs, d'entretenir un commerce incestueux avec Bérénice sa soeur ; & le précieux diamant qu'il mit au doigt de cette princesse, réalisa presque ces soupçons (Voyez Juvenal, Satyre vj. vers 155.), tant on avoit conçu une haute idée de cette pierre inestimable ! Je laisse à penser de quel oeil les Romains auroient regardé nos diamans brillans, eux dont la magnificence alloit jusqu'à la prodigalité la plus outrée, quand il s'agissoit de satisfaire leur luxe.
Pline nous débite que pour avoir de la poudre de diamant, dont les Graveurs se servent lorsqu'ils gravent les autres pierres fines, on fait tremper le diamant dans du sang de bouc tout chaud ; & que devenant par ce moyen plus tendre, la pierre se réduit aisément en petits éclats, & se divise même en portions si menues, que l'oeil peut à peine les discerner. Quoique rien ne soit plus ridicule que ce conte du naturaliste romain, on apperçoit néanmoins au-travers de son récit fabuleux, que les anciens broyoient comme nous le diamant ; & sans doute que ceux qui en avoient le secret, & qui faisoient négoce de poudre de diamant, n'avoient inventé un pareil mensonge qu'afin de donner le change, & demeurer plus surement en possession d'un commerce qui auroit cessé de leur être lucratif s'il eût été partagé.
Ce qui doit paroître assez surprenant, c'est que les anciens ayant reconnu dans le diamant la force d'entamer toutes les autres pierres fines sans exception, ils n'aient pas apperçu qu'il faisoit le même effet sur lui-même : cela les conduisoit tout naturellement à la taille de cette pierre précieuse, pour peu qu'ils y eussent fait attention. Mais c'est le sort de toutes les découvertes, que plus on semble près de les faire, plus on en est éloigné ; ce n'est presque toujours que le hasard qui en décide.
La taille du diamant, comme je l'ai dit ci-dessus, ne doit elle-même son origine qu'à un coup de hasard. Louis de Berquen, natif de Bruges, qui le premier la mit en pratique, il n'y a pas trois siecles (en 1476), étoit un jeune homme qui sortoit à peine des classes ; & qui né dans une famille noble, n'étoit nullement initié dans l'art du lapidaire. Il avoit éprouvé que deux diamans s'entamoient si on les frottoit un peu fortement l'un contre l'autre ; il n'en fallut pas davantage pour faire naître dans un sujet industrieux & capable de méditation, des idées plus étendues. Il prit deux diamans bruts, les monta sur le ciment, & les égrisant l'un contre l'autre, il parvint à y former des facettes assez régulieres ; après quoi à l'aide de certaine roue de fer qu'il avoit imaginée, & de la poudre qui étoit tombée de ces mêmes diamans en les égrisant, & qu'il avoit eu soin de recueillir, il acheva en promenant ces diamans sur cette poudre, de leur donner un entier poliment. On vit paroître pour lors le premier diamant devenu régulier, poli & brillant par le secours de l'art ; mais qui n'eut pour cette fois d'autre forme qu'une pointe naïve. Voyez les merveilles des Indes, par Robert de Berquen son petit-fils.
C'en étoit assez pour une premiere tentative ; il suffisoit d'avoir pu réduire le diamant à recevoir une forme & un poliment, sans lequel il continuoit de ne faire aucun effet, de n'avoir ni jeu ni brillant, & demeuroit une pierre morte & absolument inutile. Le premier essai eut les suites les plus heureuses à l'exception d'un très-petit nombre de diamans revèches, auxquels on a donné le nom de diamans de nature, & qui quelqu'effort qu'on fasse, ne peuvent point acquérir le poliment dans certaines parties, ce qui vient de ce que le fil en est tortueux, tous les autres diamans se sont prêtés à l'art du lapidaire, qui s'y est pris de différentes façons pour donner la taille, suivant que la forme du diamant brut le permettoit & le demandoit.
On est aux Indes dans cette persuasion, qu'il est important de ne rien perdre d'un diamant, & l'on y est moins curieux en le taillant de lui faire prendre une forme réguliere, que de le conserver dans toute son étendue. Les pierres qu'on reçoit toutes taillées de ce pays-là, ont presque toujours des formes bisarres, parce que le lapidaire indien s'est réglé pour le nombre & l'arrangement de ses facettes, sur la forme naturelle du diamant brut, & qu'il en a suivi scrupuleusement le contour. Le plus grand diamant du grand-mogol, qui est une rose, présente une infinité de facettes toutes extrèmement inégales. Notre goût est sur cela fort différent ; il ne souffre point de ces figures baroques, & comme il veut du régulier, celui qui taille un diamant brut tâche, autant qu'il est possible, de donner une forme aimable à la pierre qu'on lui a mise entre les mains. Je vais décrire les différentes especes de taille qui se pratiquent le plus fréquemment en Europe.
Lorsque la pierre s'étend en superficie, sans être épaisse, on se contente d'en dresser les deux principales faces, & l'on en abat les côtés ou tranches en talus, ou pour me servir des termes de l'art, on y forme sur chaque côté un biseau. Ces diamans ont assez souvent la figure d'un quarré parfait, ou d'un quarré long ; on en voit aussi de taillés à pans : & quelle que soit leur forme, on les appelle pierres taillées en table, ou pierres foibles ; ceux qui ont commencé à tailler les diamans, leur ont souvent donné cette taille.
Les diamans nommés pierres épaisses, sont taillés en-dessus comme les pierres foibles, c'est-à-dire que la partie qui doit se présenter, lorsque le diamant sera mis en oeuvre, est en table ; mais il n'en est pas ainsi de la face opposée, au-lieu d'être plate elle est en culasse, ayant à-peu-près le double d'épaisseur de la partie supérieure, & formant un prisme régulier. C'est encore ainsi qu'étoient taillés dans les commencemens presque tous les diamans, pour peu qu'ils eussent d'épaisseur.
Mais depuis qu'on a perfectionné l'art de la taille, on ne forme plus guere les diamans autrement qu'en rose, ou en brillant. La premiere de ces deux especes de taille est assez ancienne parmi nous, & elle est presque la seule qui soit admise chez les Orientaux ; ils prétendent que tout diamant taillé autrement, n'a point le jeu qu'il doit avoir, ou qu'il papillote trop. Autrefois quand un diamant brut étoit trop épais, on le clivoit, c'est-à-dire qu'on le séparoit en deux, pour trouver deux diamans dans la même pierre ; & encore aujourd'hui il y a des occasions où l'on est obligé d'user de cette pratique. Elle consiste à tracer dans tout le pourtour ou circonférence du diamant, un sillon ou ligne de partage, en observant de suivre le vrai fil de la pierre ; & lorsque cette ligne a acquis assez de profondeur, on prend une lame de couteau d'acier bien aiguisée & bien trempée, on la présente sur cette raye, & d'un seul coup sec & frappé juste sur la pierre, posée droite & bien à-plomb, on la divise net en deux parties à-peu-près égales.
Les diamans ainsi clivés, sont très-propres pour faire des roses ; car le diamant-rose doit être plat pardessous comme les pierres foibles, tandis que le dessus qui s'éleve en dôme, est taillé à facettes. Le plus ordinairement on y exprime au centre six facettes qui décrivent autant de triangles, dont les sommets se réunissent en un point, & les bases vont s'appuyer sur un autre rang de triangles, qui posés dans un sens contraire aux précédens, viennent se terminer à leur sommet sur le contour tranchant de la pierre, qu'on nomme en terme de l'art le feuilletis, laissant entr'eux des espaces qui sont encore coupés chacun en deux facettes. Cette distribution donne en tout le nombre de 24 facettes. La superficie du diamant-rose étant ainsi partagée en deux parties, la plus éminente s'appelle la couronne, & celle qui fait le tour du diamant, prend le nom de dentelle.
Le diamant rose darde de fort grands éclats de lumiere, & qui sont même à proportion, plus étendus que ceux qui sortent du diamant brillant, ou brillanté ; mais il est vrai que celui-ci joue infiniment davantage, ce qui est l'effet de la différence de la taille. Les pierres épaisses ont nécessairement dû faire naître l'idée du diamant brillant ; car ce dernier est divisé dans son épaisseur en deux parties inégales, de la même maniere, & dans la même proportion que les pierres épaisses ; c'est-à-dire qu'environ un tiers est pour le dessus du diamant, & les deux autres tiers pour le dessous, nommé la culasse. Mais au lieu que la table de la pierre épaisse n'est environnée que de simples biseaux ; dans le brillant, le pourtour de la table qui est à huit pans, est taillé en facettes, les unes triangulaires & les autres losangées, & le dessous de la pierre qui n'étoit qu'un prisme renversé, est encore taillé à facettes, appellées pavillons, précisement dans le même ordre que les facettes de la partie supérieure ; car il est essentiel que tant les facettes de dessus, que celles de dessous, se répondent les unes aux autres, & soient placées dans une symmétrie parfaite, autrement le jeu seroit faux.
Il n'y a guere plus d'un siecle qu'on a commencé à brillanter ainsi les diamans, ce qui les a mis en bien plus grande faveur qu'ils n'étoient : on ne les a que pour la parure, ainsi quiconque veut paroître préférera toujours ce qui attirera davantage les regards. On comprend facilement que comme il est aisé de faire un brillant d'une pierre épaisse, il ne doit presque plus rester de celles qui avoient reçu anciennement cette derniere taille ; & il ne me paroît pas moins superflu de faire observer que c'est de la multiplicité des facettes, & de l'arrangement régulier de ces mêmes facettes, qui étant en opposition se refléchissent & se mirent les unes dans les autres, que naît tout le jeu du diamant brillant, & l'extrème vivacité qui en sort.
Il est encore plus à la connoissance de tout le monde que les diamans les plus parfaits, les plus chers & les plus rares, sont les plus gros, qui joignent à une belle forme, de la hauteur & du fond ; ceux de la plus belle eau, c'est-à-dire les diamans les plus blancs, & dont la couleur extrèmement vive, ne souffre aucune altération, & ne participe d'aucune couleur étrangere & sourde, comme celle du feu, de l'ardoise, &c. ceux enfin qui sont les plus nets, & exempts de taches, de points & de glaces : on a donné ce dernier nom à de petits interstices ou vuides, remplis de globules d'air ; qui s'étant logés dans la pierre lors de sa formation, ont empêché la matiere de se lier également par-tout, & y font paroître des déchirures, si je puis me servir de ce terme, dont les facettes multiplient encore le nombre par la réflexion. Il ne faut qu'un choc, qu'un coup donné inconsidérément & à faux sur un diamant, non seulement pour l'entonner & y découvrir une glace cachée, ou en étendre une autre qui n'occupoit qu'un petit espace, mais pour fendre même la pierre. Le seul mouvement du poinçon, appuyé trop fortement en sertissant, a causé plus d'une fois de pareils dommages. Quant aux points ou dragons, ce sont des parties métalliques qui pareillement engagées dans le corps du diamant, se montrent comme autant de petites taches, ou du moins une partie, & se dissipent en mettant le diamant dans un creuset, & le poussant à un feu violent ; mais on n'est pas toujours sûr de réussir, & il arrive même que les parties métalliques venant à se dissoudre, la couleur du diamant en souffre, & en est singulierement altérée.
Personne n'ignore qu'à l'égard des diamans sales, noirs, glaceux, pleins de filandres & de veines, en un mot de nature à ne pouvoir être taillés, les Diamantaires les mettent au rebut pour être pulvérisés dans un mortier d'acier fait exprès, & les employent ainsi broyés à scier, tailler & polir les autres diamans.
Enfin ils ont donné le nom de diamant parangon, aux diamans qui sont d'une beauté, d'une grosseur & d'un prix extraordinaire. Tel est, par exemple, celui du grand-mogol, celui que possédoit le grand-duc de Toscane, & celui qu'on appelle en France le diamant de sancy, corrompu de cent-six, qui est le nombre de karats qu'il pese.
Voilà le lecteur instruit de la taille du diamant, & même de la langue du lapidaire ; il sait présentement ce que c'est que pointes naïves, diamans bruts ingénus, diamans de nature, diamans brillans, diamans rose, diamans parangon, diamans d'une belle eau, diamans glaceux ou gendarmeux, pierres épaisses, pierres foibles ou pierres taillées en table : il entend les mots de biseau, couronne, culasse, dentelle, dragons, feuilletis, pavillon. En un mot, en s'éclairant de la taille du diamant, il a ici passé en revue la plus grande partie des termes de l'art ; mais les Planches de cet ouvrage rempliront complete ment sa curiosité, & dévoileront à ses yeux toute la manoeuvre du lapidaire sur cette pierre, qui, grace à notre luxe, ne perd rien de sa valeur en devenant tous les jours plus commune.
Si l'on desire de plus grands détails, on les trouvera dans quelques ouvrages particuliers, entr'autres dans celui de Robert de Berquen, maître orfevre ; intitulé les merveilles des Indes orientales & occidentales, ou, traité des pierres précieuses ; Paris 1661, in-4°. & dans Jefferies (David), à treatise of diamonds and pearls London 1750, in-8°. avec figures : ce dernier est traduit en françois.
Je ne dois pas oublier de remarquer en finissant, que la mine abondante découverte au Brésil, en 1728, & qui fait un des beaux revenus du roi de Portugal, fournit l'Europe de magnifiques diamans, qui ne different en rien de ceux des Indes orientales, & méritent, à tous égards, la même estime : c'est un fait qu'on ne révoque plus en doute ; & c'est une découverte de notre siecle. (D.J.)
Machine pour forer dans toutes sortes de pierres dures & précieuses, consiste en une cage de bois, composée de deux montans N P, O P, de six piés de haut, qui sont de fortes planches de bois posées verticalement & parallelement ; elles sont affermies en cette situation par d'autres planches 1, 2, 3, posées horisontalement ; ces planches sont arrêtées par des clavettes qui traversent leurs tenons, après que ceux-ci ont traversé les montans. Voyez nos Planches & leur explic. Les Pl. II. & III. peuvent, au moyen de cette construction, se lever ou s'abaisser à volonté, & se fixer où l'on veut, dans les coulisses x x x x des faces latérales. Les trois planches 11, 22, 33, sont chacune percées d'un trou quarré d'environ six ou sept pouces de large, au-travers desquels passe le foret E B. Ce foret est composé de plusieurs pieces. E est un crochet mouflé qui laisse tourner le foret sans tourner lui-même, au moyen de la boucle que son tenon traverse ; vers le milieu de la tige du foret est une bobine ou cuivrot, qui peut se mouvoir le long de la tige sur laquelle on se fixe par le moyen de la clavette qui fixe tout à la fois la bobine & la tige, qui pour cet effet est percée de trous de distance en distance, cette bobine est appuyée contre une autre D, dont l'essieu est horisontal & fixé dans les parois latérales de la cage ; la corde qui donne le mouvement au foret, passe sur ces deux bobines. Voyez la fig. 2 qui est le profil de toute la machine. A la partie inférieure du foret est une boëte B, qui reçoit la queue de la fraise qui y est retenue par une clavette qui la traverse, & la boëte dans laquelle elle est entrée ; cette fraise appuie par sa partie inférieure sur l'ouvrage que l'on veut creuser, qui dans la figure est un étui de poche.
Mais comme le poids de la monture du foret est trop considérable, & que le laissant appuyer sur l'ouvrage on couroit risque de la briser, on allege ce poids par le moyen d'un contrepoids G suspendu à une corde qui passe par dessus une poulie F ; comme ce poids se peut augmenter ou diminuer à discrétion, on fait appuyer la fraise sur l'ouvrage, autant que l'on veut.
Pour faire mordre la fraise sur la piece que l'on veut creuser, on se sert d'une poudre convenable à la matiere que l'on veut creuser, soit de l'émeri ou de la poudre de diamant. Voyez DIAMANTAIRE & nos Pl.
PIERRES FOIBLES ou EPAISSES, (terme de Lapidaires) lorsque la pierre de diamant s'étend en superficie, sans être épaisse, on se contente d'en dresser les deux principales faces, & l'on abat les côtés ou tranches en talus, ou comme disent les artistes, en biseau. Ces diamans ont assez souvent la figure d'un quarré parfait ou d'un quarré long. On en voit aussi de taillés en pans ; mais quelle que soit leur forme, on les appelle pierres taillées en table ou pierres foibles. Les diamans nommés pierres épaisses, sont taillés en dessus comme les pierres foibles ; mais la face opposée, au lieu d'être plate, est en culasse, ayant à peu près le double d'épaisseur de la partie supérieure, & formant un prisme régulier. (D.J.)
PIERRE-PONCE, sorte de pierre spongieuse, poreuse, & friable. Voyez PIERRE. Les naturalistes ne s'accordent pas sur la nature & l'origine de la pierre-ponce : quelques-uns croyent que ces pierres ne sont autre chose que des pieces de rocher à moitié brulées & calcinées, que les éruptions des volcans, particuliérement l'Aetna, & le Vesuve, jettent dans la mer, lesquelles étant imprégnées du sel & lavées par l'eau de la mer, perdent un peu de cette couleur blanche que les feux souterrains leur avoient donnés, & deviennent d'une couleur plus foncée, & quelquefois grise, selon le tems qu'elles ont séjourné dans la mer. Le Docteur Woodward ne regarde la pierre-ponce que comme une espece de slag ou de frasil, & soutient que cette pierre ne se trouve qu'aux endroits où il y avoit anciennement des forges de métaux, ou proche des volcans & des montagnes qui vomissent du feu ; d'autres auteurs croyent que la pierre ponce vient dans le fond de la mer, d'où ils supposent que les feux souterrains la détachent, & que c'est de-là que vient sa légéreté, sa porosité & son goût de sel ; ils alleguent, pour confirmer cette opinion, que l'on trouve la pierre-ponce en mer dans des lieux très-éloignés des volcans ; & ils ajoutent que les rivages de l'Archipel en sont couverts toutes les fois que les flots ont été un peu agités, d'où ils conjecturent qu'elle s'éleve du fond de la mer. Le commerce de la pierre-ponce est très-considérable, & on s'en sert beaucoup dans les manufactures & dans les arts, pour polir & adoucir différens ouvrages. Voyez POLIR.
Les morceaux de la pierre-ponce sont de différente forme ; les Parcheminiers & les Marbriers se servent de la plus grande & de la plus légere espece, les Corroyeurs, de la plus pesante & de la plus unie, & les Potiers d'étain de la plus petite.
Pline remarque que les anciens employoient beaucoup la pierre-ponce en Médecine ; mais on ne s'en sert plus à présent.
PIERRE SANGUINE, outil d'Arquebusier, cette pierre sanguine est un peu grosse, ressemble & est montée comme celle des Orfévres avec laquelle ils brunissent ; les Arquebusiers s'en servent pour bronzer les canons de fusils, pistolets, &c.
PIERRE, en terme de Batteurs d'or, c'est une pierre de marbre fort polie & emboîtée dans une espece de table à rebords assez hauts sur le derriere, mais qui diminuent jusqu'à un certain point sur les côtés ; il n'y en a point sur le devant, ils empêcheroient le Batteur de travailler. Voyez les fig. Pl. du Batteur d'or.
PIERRE A L'HUILE, en terme de Bijoutier, est une pierre dure & douce qui sert à aiguiser & à émoudre les échopes ou les burins, en la frottant d'huile ; on en tire de Lorraine, dont la couleur est grise rougeâtre, & qui sont opaques, & du levant, qu'on estime les meilleures, qui sont d'un blanc tirant sur le blond, & un peu transparentes : on les monte sur un bois plus large & plus long qu'elles, pour les conserver plus longtems. Voyez Pl. du Graveur.
PIERRE A POLIR, en terme de Bijoutier, est une pierre avec laquelle on adoucit les traits que la lime ou l'outil ont faits sur une piece. Il y en a de vertes, de rouges, de bleues, de douces, demi-douces & de rudes. Voyez POLIR.
Toutes ces pierres approchent beaucoup de la nature de l'ardoise.
PIERRE, en terme de Cardier, c'est un caillou de grès que l'on passe à force sur les pointes fichées sur le feuillet, soit pour émousser ces pointes, soit pour les conserver toutes également. Voyez FICHER.
PIERRE ou CUVE, c'est une espece de demi-tonneau à un fond, fait de douves de bois, & cerclé de fer, dans lequel entre l'arbre tournant & ses couteaux, pour broyer & delayer la pâte avec laquelle les cartonniers fabriquent le carton. Voyez les fig. Pl. du cartonnier.
PIERRE BLANCHE, sert aux Charpentiers pour blanchir leur cordeau, lorsqu'ils veulent jetter quelques lignes sur une piece de bois. Voyez CRAIE.
PIERRE NOIRE, sert à tracer les pieces.
PIERRES A BRUNIR, en terme de Doreur sur bois, sont des cailloux, ou des pierres à fusil taillées en coude, & montées sur des bois un peu longs, dont on se sert pour donner le poli à l'or dans les parties unies & sans ornemens d'une piece dorée. Les sanguines ne peuvent être d'aucun usage ici ; elles sont trop douces.
PIERRE servant aux Fondeurs de caracteres d'imprimerie, pour donner aux lettres une façon qu'on appelle frotter ; cette pierre est une meule de grès de quinze à vingt pouces de diametre, de même nature que celles dont se servent les Couteliers pour remoudre les outils. Pour rendre ces grès à l'usage des fondeurs de caracteres, on en prend deux que l'on met l'une sur l'autre sur le plat ; on met entre-deux du sable de riviere, puis on les tourne circulairement, en mettant de tems en tems de nouveau sable, jusqu'à ce que ce sable ait grugé les petites éminences qui sont sur ces pierres, & en ait rendu la surface droite & unie. Ce sable en dressant ces grès, ne les polit pas, mais les pointille & y laisse de petits grains propres à enlever aux corps des lettres, certaines superfluités ou bavures avec lesquelles elles sortent du moule ; ce qui se fait en frottant les lettres les unes après les autres sur cette pierre ; cela sert à les polir & dresser des deux côtés seulement, où elles se joignent à côté les unes des autres en les composant. Voyez FROTTER, & les fig. Pl. du Fondeur de caracteres d'imprimerie.
PIERRE A L'HUILE, outil de Fourbisseur : cette pierre est la même que celle des Orfévres, Horlogers, &c. & sert aux Fourbisseurs pour aiguiser leurs poinçons & outils.
PIERRE A L'HUILE, (Graveur) pierre qui sert à affuter les outils. (Voyez AFFUTER), & qu'on appelle ainsi, parce qu'elle est mouillée d'huile : elle est ordinairement ajustée sur une planche de bois qu'on appelle sa boëte. Voyez les figures, Planche de la Gravure, qui représentent la maniere d'aiguiser les burins sur la pierre.
PIERRE A PARER, outil de Gaînier, c'est une pierre de lierre de la largeur de deux piés en quarré, sur laquelle les gaîniers diminuent l'épaisseur des cuirs qu'ils employent. Voyez l'article RELIEURE.
PIERRES DURES, parmi les Lapidaires, sont proprement les pierres fines qui en effet sont infiniment plus dures que les fausses.
PIERRE A PAPIER, terme de Marbrier, morceau de marbre rond, ovale ou quarré, au-dessus duquel il y a un bouton de marbre pour le prendre, & dont on se sert pour mettre sur le papier, afin de le tenir fixe. (D.J.)
PIERRES DE RAPPORT, (Marqueterie) nous avons expliqué à l'article OUVRAGES DE MOSAÏQUE, comment les anciens se servoient de petites pieces de pierres de verre & d'émail pour faire des ouvrages de mosaïque ; mais nos ouvriers modernes en pratiquent encore une autre avec des pierres naturelles, pour représenter des animaux, & généralement des fruits, des fleurs, & toutes autres sortes de figures, comme si elles étoient peintes. Il se voit de ces sortes d'ouvrages de toutes les grandeurs : un des plus considérables & des plus grands, est ce beau pavé de l'église cathédrale de Sienne, où l'on voit représenté le sacrifice d'Abraham. Il fut commencé par un peintre nommé Duccio, & ensuite achevé par Dominique Beccafumi. Il est composé de trois sortes de marbres, l'un très-blanc, l'autre d'un gris un peu obscur, & le troisieme noir ; ces trois différens marbres sont si bien taillés & joints ensemble, qu'ils représentent comme un grand tableau peint de noir & de blanc. Le premier marbre sert pour les ressauts & les fortes lumieres, le second pour les demi-teintes, & le troisieme pour les ombres : il y a des traits en hachures remplis de marbre noir ou de mastic qui joignent les ombres avec les demi-teintes ; car pour faire ces sortes d'ouvrages, on assemble les différens marbres, les uns auprès des autres, suivant le dessein que l'on a ; & quand ils sont joints & bien cimentés, le même peintre qui a disposé le sujet, prend du noir, & avec le pinceau, marque les contours des figures, & observe par des traits & des hachures, les jours & les ombres, de la même maniere que s'il dessinoit sur du papier : ensuite le sculpteur grave avec un ciseau tous les traits que le peintre a tracés : après quoi l'on remplit tout ce que le ciseau a gravé, d'un autre marbre, ou d'un mastic composé de poix noire ou d'autre poix qu'on fait bouillir avec du noir de terre. Quand ce mastic est refroidi & qu'il a pris corps, on passe un morceau de grès ou une brique par-dessus, & le frottant avec de l'eau & du grès ou du ciment pilé, on ôte ce qu'il y a de superflu, & on le rend égal & au niveau du marbre. C'est de cette maniere qu'on pave dans plusieurs endroits de l'Italie, & qu'avec deux ou trois sortes de marbres, on a trouvé l'art d'embellir de différentes figures, les pavés des églises & des palais.
Mais les ouvriers dans cet art ont encore passé plus avant ; car comme vers l'année 1563, le duc Côme de Medicis eut découvert dans les montagnes de Pietra sancta, un endroit dont le dessus étoit de marbre très-blanc, & propre pour faire des statues, l'on rencontra dessous un autre marbre mêlé de rouge & de jaune ; & à mesure qu'on alloit plus avant, on trouvoit une variété de marbres de toutes sortes de couleurs, qui étoient d'autant plus durs & plus beaux, qu'ils étoient cachés dans l'épaisseur de la montagne. C'est de ces sortes de marbres que les ducs de Florence, depuis ce tems-là, ont fait enrichir leurs chapelles, & qu'ensuite on a fait des tables & des cabinets de pieces de rapport, où l'on voit des fleurs, des fruits, des oiseaux, & mille autres choses admirablement représentées. On a même fait avec ces mêmes pierres, des tableaux qui semblent être de peinture ; & pour en augmenter encore la beauté & la richesse, on se sert de lapis, d'agate, & de toutes les pierres les plus précieuses. On peut voir de ces sortes d'ouvrages dans les appartemens du Roi, où il s'en trouve de plus beaux.
Les anciens travailloient aussi de cette maniere, car il y avoit autrefois à Rome au portique de S. Pierre, à ce que dit Vassari, une table de porphyre fort ancienne, où étoient entaillées d'autres pierres fines qui représentoient une cage ; & Pline parle d'un oiseau fait de différens marbres, & si bien travaillé dans le pavé du lieu qu'il décrit, qu il sembloit que ce fût un véritable oiseau qui bût dans le vase qu'on avoit représenté auprès de lui.
Pour faire ces sortes d'ouvrages, on scie par feuilles le bloc ou le morceau d'agate, le lapis, ou d'autres pierres précieuses qu'on veut employer. On l'attache fortement sur l'établi, puis avec une scie de fer sans dents, on coupe la pierre en versant dessus de l'émeril mêlé avec de l'eau, à mesure que l'on travaille : il y a deux chevilles de fer aux côtés de la pierre, contre lesquelles on appuie la scie, & qui servent à la conduire. Quand ces feuilles sont coupées, si l'on veut leur donner quelque figure pour les rapporter dans un ouvrage, on les serre dans un étau de bois ; & avec un archet qui est une petite scie faite seulement de fil de laiton, de l'eau & de l'émeril qu'on y jette, on la coupe peu-à-peu, suivant les contours du dessein que l'on applique dessus, comme l'on fait pour le bois de marqueterie. Voyez MARQUETERIE.
On se sert dans ce travail, des mêmes roues, tourets, platines d'étain & autres outils dont il est parlé dans la gravure des pierres précieuses, selon l'occasion & le besoin qu'on en a, tant pour donner quelque figure aux pierres, que pour les percer & pour les polir : on a des compas pour prendre les mesures, des pincettes de fer pour dégarnir les bords des pierres, des limes de cuivre à main & sans dents, & d'autres limes de toutes sortes.
PIERRE A BROYER les couleurs des Peintres, sont des pierres qui sont ordinairement de porphyre, d'écaille de mer, ou autres pierres très-dures. Voyez nos planches.
PIERRE DE CRAIE, dont les Peintres se servent pour dessiner. Voyez CRAYON.
PIERRE DE MINE DE PLOMB, servant à dessiner. Voyez CRAYON.
PIERRE NOIRE, servant à dessiner. Voyez CRAYON.
PIERRE SANGUINE, servant à dessiner. Voyez CRAYON.
PIERRE A RASOIR, (Barbier) est une sorte de pierre polie & dont le grain est très-fin : on s'en sert pour aiguiser les rasoirs en y répandant de l'huile, & passant obliquement le rasoir par-dessus de côté & d'autre. Ces pierres sont ordinairement ajustés sur un morceau de bois qui leur sert de manche, au moyen duquel on se sert plus commodément de ces pierres.
PIERRE, outil de Vernisseur, c'est une pierre de lierre, quarrée, épaisse de quatre à cinq pouces, longue & large d'un bon pied, sur laquelle les Vernisseurs broyent leurs différentes couleurs avec la molette, & les délayent avec du vernis au lieu d'huile.
PIERRE ou STEEM, s. f. (Comm.) sorte de poids plus ou moins fort, suivant les lieux où il est en usage.
A Anvers la pierre est de huit livres, qui en font sept de Paris, d'Amsterdam, de Besançon & de Strasbourg, y ayant égalité de poids entre ces quatre villes. A Hambourg la pierre est de dix livres, qui font à Paris, à Amsterdam, &c. neuf livres douze onces & six gros, un peu plus. A Lubeck la pierre est aussi de dix livres, mais ces dix livres ne font que neuf livres huit onces trois gros de Paris. A Dantzick & à Revel, il y a la petite & la grosse pierre, la premiere qui sert à peser les marchandises fines, est de vingt-quatre livres, qui font à Paris, Amsterdam, &c., vingt-une livres cinq onces cinq gros, & la seconde qui est en usage pour les grosses marchandises, comme cire, amandes, ris, &c, est de trente-quatre livres, qui rendent à Paris trente livres quatre onces un gros. A Stettin il y a aussi une petite & une grosse pierre, la petite est de dix livres, qui font neuf livres quatorze onces de Paris, & la grosse est de vingt-une livres qui reviennent à vingt livres onze onces, peu plus, poids de Paris. A Konigsberg la pierre est de quarante livres, qui en font trente-deux de Paris. Dictionn. du commerce.
PIERRE-BUFFIERE, (Géog. mod.) bourg que Piganiol qualifie de petite ville de France, dans le Limousin, à 4 lieues de Limoges, sur le chemin de Brive. (D.J.)
PIERRE, FORT SAINT ; (Géog. mod.) fort de l'Amérique septentrionale, dans l'île de la Martinique, à 7 lieues au N. O. du fort Royal. C'est à présent une ville où il y a un intendant, un palais de justice, & deux paroisses, une desservie par les Jésuites, & l'autre par les Dominicains. (D.J.)
PIERRE, ISLE DE SAINT, (Géog. mod.) île de France en Provence, à une lieue au levant d'été de la ville d'Arles ; cette île n'est formée que par les canaux qui ont été creusés à l'orient du Rhône, depuis la Durance jusqu'à la mer ; mais elle est remarquable par l'abbaye de Monte-Majour, ordre de S. Benoît, dont on attribue la fondation à saint Trophime. (D.J.)
PIERRE LE MOUSTIER, SAINT, (Géog. mod.) petite ville de France, la seconde du Nivernois, avec un bailliage & une sénéchaussée. Elle est dans un fonds entourée de montagnes, près d'un étang bourbeux, à 7 lieues au midi de Nevers, 8 au N. O. de Moulins, 60 S. de Paris. Long. 21. 45. latit. 46. 47. (D.J.)
PIERRE-PERTUIS, (Géog. mod.) en latin du moyen âge, petra-pertusa, chemin de Suisse, percé au-travers d'un rocher. Le val de saint Imier, avec les terres en deçà, sont dans l'enceinte de l'ancienne Helvétie : les autres au-delà, sont le véritable pays des Rauraques. Ces deux parties sont séparées par une chaîne de montagnes & de rochers, qui sont une branche du mont Jura. Dans ce quartier-là pour avoir un passage libre d'un pays à l'autre, on a percé un rocher épais, & on a taillé un chemin à travers. Il a quarante-six piés de longueur dans l'épaisseur du rocher, & quatre toises de hauteur. Ce passage appellé Pierre-pertuis, est à une grande journée de Bâle, & à une demi-journée de Bienne, près de la source de la Bris. Ce chemin n'est pas nouveau ; une inscription romaine qu'on voit audessus de l'ouverture, mais que les passans ont mutilée, nous apprend qu'il a été fait par les soins d'un Paterius ou Paternus duumvir, de la Colonie Helvétique établie à Avenche, sous l'empire des deux Antonins. (D.J.)
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PIERREUX | adj. (Agricult.) se dit d'un terrein plein de pierres qui oblige de le passer à la claie. On dit encore un fruit pierreux, quand en le mangeant, il se trouve des durillons dans sa chair.
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PIERRIER | S. m. (Artillerie) c'est une petite piece d'artillerie, dont on se sert particulierement dans un vaisseau, pour tirer à l'abordage des clous, des serremens, &c. sur un ennemi. Voyez ARTILLERIE & MORTIER.
On les ouvre généralement par la culasse, & leurs chambres pouvant être démontées, on les charge par ce moyen, au lieu d'agir par leur bouche, comme on le fait ordinairement par rapport aux autres armes à feu. Chambers.
On s'est servi autrefois de cette espece de canon sur terre, mais il y a long-tems que l'usage en est interrompu. M. de S. Remy dit même que de son tems on a refondu tous ceux qui se trouvoient dans les arcenaux. Cependant plusieurs auteurs militaires prétendent qu'on pourroit encore s'en servir utilement.
Le pierrier est aussi une maniere de mortier avec lequel on jette des pierres dans un retranchement ou autre ouvrage. Il se charge comme le mortier ordinaire, & les pierres ou cailloux se mettent dans un panier à la place de la bombe.
On voit dans la Pl. VIII. de fortification, figure 3, un pierrier, dont les principales parties sont : A, les tourillons ; B, le muffle avec la lumiere sur la culasse ; C, le renfort avec ses moulures ; D, le ventre ; E, plate-bande du renfort de volée avec les moulures ; F F, les cercles ou renforts sur la volée ; G, le bourlet ; H, la bouche ou l'embouchure ; I, l'anse.
L'anse de ce mortier est ce qui est ponctué depuis le bourlet jusqu'au bas du ventre, & la chambre est l'espace ponctué entre le ventre de la lumiere. Voyez AME & CHAMBRE.
Le pierrier ou mortier pierrier (car on lui donne aussi ce nom) pese ordinairement 1000 livres ; sa portée la plus longue est de 150 toises, chargé de deux livres de poudre : il a 15 pouces de diametre à sa bouche, & 2 piés 7 pouces de hauteur.
La profondeur de sa chambre, évasée par le haut, sans y comprendre l'entrée où se met le tampon, est de 8 pouces.
Les tourillons ont 5 pouces de diametre. La chambre doit entrer d'un pouce dans les tourillons. L'épaisseur du métal au droit de la chambre a 3 pouces, l'épaisseur du ventre 2 ; & le long de la volée un pouce & demi. L'angle se place au ventre. Le muffle ou masque sert de bassinet à la lumiere.
On charge le pierrier de la même maniere que le mortier, c'est-à-dire, qu'on y met d'abord la quantité de poudre dont la chambre doit être remplie. On recouvre cette poudre de foin ou de terre qu'on refoule avec la demoiselle ; après quoi on jette ou on pose dessus une quantité de pierres & de cailloux. L'effet du pierrier est très-grand. L'espece de grèle de cailloux qu'il produit fait beaucoup de desordre & de ravages. Pour qu'il réussisse parfaitement, il faut qu'il ne soit éloigné que d'environ 150 pas de l'endroit où l'on veut faire tomber les pierres dont il est chargé. On mêle quelquefois des bombes & des grenades avec ces pierres, & l'effet en est encore plus grand. (Q)
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PIERROT | voyez MOINEAU.
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PIERRURES | S. f, (Chasse) c'est ce qui forme la fraise qui est autour des meules de la tête d'un cerf, d'un daim & d'un chevreuil, en forme de petites pierres.
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PIERUS | (Géog. anc.) 1°. montagne de la Thessalie, selon Pline, l. IV. c. viij. Pausanias, l. IX. c. xxix. la place dans la Macédoine, & dit qu'elle tiroit son nom de Pierus, qui y établit le culte des muses sous le nom de Piérides.
2°. Pierus est aussi le nom d'un fleuve de l'Achaïe propre, il traversoit, dit Pausanias, l. VII. c. xxij. le territoire de la ville Pharae. Strabon, l. VIII. p. 342. qui écrit Peirus, dit qu'on nommoit aussi ce fleuve Theuthéas, & qu'il se jettoit dans l'Achéloüs. (D.J.)
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PIESMA | S. m. (Mat. méd. des anciens) , de , je presse ; ce terme grec désigne le marc ou le résidu qui reste après qu'on a exprimé la partie fluide de quelque substance solide, comme des fruits, des amandes, &c. Ainsi, dans l'expression des huiles, le tourteau, ou ce qui reste dans le sac est appellé piesma, & c'est dans ce sens qu'Hippocrate l'employe ; cependant Dioscoride, parlant des baies de laurier, appelle leur suc exprimé, piesma laurinum ; & c'est aussi dans le même sens que Galien employe ce mot.
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PIÉTÉ | DÉVOTION, RELIGION, (Synon.) le mot de religion dans un sens, en tant qu'il marque une disposition de coeur à l'égard de nos devoirs envers Dieu, est seulement synonyme avec les deux autres mots ; la piété fait qu'on s'en acquite avec plus de respect & plus de zele ; la dévotion y porte un extérieur plus composé.
C'est assez pour une personne du monde d'avoir de la religion ; la piété convient aux personnes qui se piquent de vertu ; la dévotion est le partage des gens entierement retirés.
La religion est plus dans le coeur qu'elle ne paroît au-dehors. La piété est dans le coeur, & paroît au-dehors. La dévotion paroît quelquefois au-dehors sans être dans le coeur. Girard.
PIETE, promesse faite à la, (Théologie) S. Paul dit en termes exprès I. Timoth. iv. 8. " que la piété a les promesses de la vie présente, comme de celle qui est à venir " : Pour avoir des justes idées de ce que cet apôtre a voulu dire, il convient de 1. déterminer quelles sont les promesses dont il parle. 2. concilier son assertion avec l'expérience.
I. Sur le premier article, il faut observer d'abord qu'il s'agit de promesses proprement dites, de déclarations formelles émanées de Dieu. Le tour des expressions de S. Paul ne permet guere d'en douter. Il parle des promesses de la vie à venir, & l'on ne peut contester qu'il n'entende par-là l'engagement que Dieu a pris par des promesses expresses de rendre les gens de bien heureux dans la vie à venir. On doit par les promesses de la vie présente, entendre aussi des déclarations précises en forme d'engagement, qui regardent la vie présente, & qui promettent des avantages dans l'économie du tems.
Ce n'est pas tout-à-fait prouver la thèse de S. Paul, que de faire valoir les avantages que la piété est capable de procurer, à la considerer en elle-même & dans sa nature ; il semble que l'apôtre parle encore de promesses temporelles, différentes même des biens de la grace. Seroit-il ici question de tout ce qui peut rendre l'homme heureux dans ce monde ? mais l'expérience démentiroit la décision de S. Paul, à la prendre en ce sens. On pourroit dire, pour mieux expliquer les paroles de l'apôtre, qu'il portoit ses vues : 1°. Sur les promesses faites à la piété dans l'ancien Testament, non sur toutes, mais sur celles qui regardent les fideles, en tant que tels en particulier. 2°. Sur les promesses faites dans l'évangile, par lesquelles celles de l'ancienne économie ont été confirmées.
Il ne s'agit pas, dans ces promesses, de grandeurs, de richesses, & d'autres biens de cet ordre ; c'est ce que Dieu n'a promis, ni sous la loi, ni sous l'Evangile. Les promesses dont il s'agit sont celles par lesquelles Dieu se propose de protéger les fideles, de pourvoir à leurs besoins, & de les soutenir dans les traverses de la vie. C'est ce que S. Paul indique lui-même dans le v. 10. où il dit que Dieu est le conservateur de tous les hommes, mais principalement des fideles. Ce qui prouve encore que sa pensée ne porte que sur cette protection spéciale, sur laquelle les gens de bien peuvent compter, c'est qu'on voit regner le même principe en d'autres endroits de ses écrits. Philipp. c. iv. v. 6. " Ne soyez en inquiétude de rien ; mais en toutes choses, présentez à Dieu vos demandes par des prieres & des supplications, avec action de grace. Hebr. c. xiij. v. 5. 6. Que vos moeurs soient sans avarice, étant contens de ce que vous possédez présentement ; car Dieu lui-même a dit : je ne te délaisserai point, & ne t'abandonnerai point : tellement que nous pouvons dire avec assurance : le seigneur est mon aide, ainsi je ne craindrai point ce que l'homme pourroit me faire ". Il est évident que dans ce dernier passage S. Paul veut que les chrétiens envisagent les promesses de l'ancien Testament, qu'il cite comme des promesses qui le regardent directement. Le Sauveur lui-même (S. Matth. c. vj. v. 25. 34.) veut que ses disciples n'attendent de Dieu que sa protection, & les choses nécessaires à leur entretien ; il ne leur promet rien au-delà.
Quand donc S. Paul dit que la piété a les promesses de la vie présente, il entend par-là que Dieu a promis sa bénédiction sur les besoins essentiels des fideles, & sur les soins légitimes qu'ils prendront pour subsister, outre qu'il leur accordera le don d'être contens dans les différentes situations où ils pourront se trouver.
Qu'on n'objecte donc plus qu'on voit communément les gens de bien malheureux ; le bonheur ne consiste point dans la possession des grandeurs, des richesses, & de la prospérité extérieure ; ce n'est pas ce que Dieu a promis aux fideles ; ainsi il ne manque pas à ses promesses, en ne leur accordant point ces sortes d'avantages ; cette prospérité extérieure est souvent fort trompeuse, & n'est rien moins que durable ; mais l'homme de bien est protégé de Dieu, à proportion du besoin qu'il a de son secours ; la confiance qu'il a dans l'Etre suprême, & la paix intérieure dont il jouit, le consolent dans les traverses qu'il éprouve, & c'est en cela que la piété a les promesses de la vie présente. Cette piété ne met point obstacle à la prospérité temporelle du fidele, & si elle lui nuit dans certains cas aux yeux des hommes, ces cas entrent dans la classe ordinaire des événemens dont Dieu n'a pas promis de changer le cours. (D.J.)
PIETE, (Philosophie payenne) quoiqu' Aristote ait rapporté le culte de la divinité à la seule magnificence des temples, & que la religion ne soit entrée pour rien dans son système de morale ; il paroît que plusieurs autres sages ont fait consister la piété dans les sentimens intérieurs, & non pas dans les actes extérieurs de la dévotion ; je n'en citerai pour preuve que ce beau passage de Cicéron, tiré de son livre de la nature des dieux, liv. II. ch. xxviij. Cultus autem deorum est optimus, idemque castissimus, atque sanctissimus, plenissimusque pietatis, eos semper purâ integrâ, incorruptâ, & voce, & mente, veneremur. Non enim philosophi solum, verum etiam majores nostri superstitionem à religione separaverunt. " La meilleure maniere de servir les dieux, le culte le plus pur, le plus saint, le plus pieux, c'est de les honorer toujours avec des sentimens & des discours purs, sinceres, droits & incorruptibles : ce ne sont pas seulement les Philosophes qui ont distingué la piété d'avec la superstition ; nos ancêtres ont aussi connu cette différence ". Séneque, Epictete, & quelques autres sages, ont tenu les mêmes discours. (D.J.)
PIETE, (Mythol. Littérat. Monumens, Médailles) cette vertu, que les Grecs appelloient Eusebie, fut déifiée par les anciens, qui l'honorerent comme déesse. Stace l'invoque dans une de ses pieces :
Summa Deûm pietas, &c.
Nous voyons souvent son image sur les monumens de l'antiquité. Ils entendoient par la piété non-seulement la dévotion des hommes envers les dieux, & le respect des enfans pour leurs peres, mais aussi certaines actions pieuses des hommes envers leurs semblables. Il est peu de gens qui n'affectent cette bonne qualité, lors même qu'ils ne l'ont pas. Tous les empereurs se faisoient appeller pieux, les plus impies & les plus cruels comme les autres.
La Piété étoit représentée comme une femme assise, ayant la tête couverte d'un grand voile, tenant de la main droite un timon, & de la main gauche une corne d'abondance. Elle avoit devant ses piés une cigogne, qui est le symbole de la Piété, à cause du grand amour de cet oiseau pour ses petits. C'est pour cela que Pétrone appelle la cigogne pietatis cultrix amatrice de la Piété. La Piété est quelquefois désignée sur des médailles par d'autres symboles, tantôt par un temple, ou par les instrumens des sacrifices ; tantôt par deux femmes qui se donnent la main sur un autel flamboyant.
Il ne faut pas oublier ici le temple bâti dans Rome à la Piété par Acilius, en mémoire de cette belle action d'une fille envers sa mere. Voici comme Valere-Maxime raconte la chose. Une femme de condition libre, convaincue d'un crime capital, avoit été condamnée par le préteur, & livrée à un triumvir pour être exécutée dans la prison. Celui-ci n'osant poser ses mains sur cette criminelle, qui lui paroissoit digne de compassion, résolut de la laisser mourir de faim, sans autre supplice. Il permit même à une fille qu'elle avoit d'entrer dans la prison ; mais avec cette précaution, qu'il la faisoit fouiller exactement, de peur qu'elle ne portât à sa mere de quoi vivre. Plusieurs jours se passent, & la femme est toujours en vie : le triumvir étonné observa la fille, & découvrit qu'elle donnoit à teter à sa mere. Il alla aussi-tôt rendre compte au préteur d'une chose si extraordinaire : le préteur en fit son rapport aux juges, qui firent grace à la criminelle. Il fut même ordonné que la prison seroit changée en un temple consacré à la Piété, selon Pline, & les deux femmes furent nourries aux dépens du public. Les Peintres ont suivi cette tradition dans les tableaux où ils ont représenté cette histoire, qu'on appelle communément des charités romaines.
Festus, & quelques autres historiens, mettent un pere au lieu d'une mere dans l'anecdote qu'on vient de lire ; mais cette circonstance ne change rien au fait. Ce temple-ci étoit dans le marché aux herbes : Pline parle d'un autre temple consacré à la Piété, & situé dans le neuvieme quartier près du théâtre de Marcellus. Nardini doute si ces deux temples ne sont pas le même. Ce qui est certain, c'est qu'elle avoit divers temples & statues dans les provinces.
Nous avons dans Boissard une statue de femme vétue de la stole, coëffée en cheveux, à la maniere de Matidie. Elle est debout ; sa main droite est appliquée sur sa poitrine. De la gauche elle tient un pan de sa robe. Devant elle est un autel sur lequel est une préféricule & une patere. Au bas sont gravés ces deux mots, Pietati Augustae.
Elle est aussi quelquefois représentée sous la figure d'une femme nue, tenant un oiseau dans sa main.
Dans les Miscellanées de Spon se trouve une inscription à la Piété d'Hadrien. Il y en a quatre autres dans Gruter. (D.J.)
PIETE, s. f. (Ornithol) en latin phalaris. Cet oiseau est fort commun dans le Soissonnois & le Beauvoisis ; il est plus grand qu'une cercelle, & moindre qu'un morillon : il y en a quelquefois de toutes blanches, & d'autres qui ont du noir dans le champ de leur pennage ; mais leur couleur la plus commune, est d'avoir le dessous de la gorge & du ventre tout blanc, & le dessus du corps noir ; les aîles comme celles d'une pie ; les piés & la queue comme celle du morillon ; son bec est rond, & n'est point vouté par-dessous, mais il est dentelé par les bords ; elle a une hupe à l'endroit où lui commence le cou sur le derriere de la nuque. (D.J.)
PIETE, s. f. (Blason). On se sert de ce terme dans le blason, pour signifier les petits d'un pélican, qui s'ouvre le sein pour les nourrir de son sang. Les le Camus de Paris, originaires de Poitou, portent dans leurs armes un pélican avec sa piété, le tout de gueule. Ménétrier. (D.J.)
PIETE, MONTS DE, Voyez l'article MONTS DE PIETE.
PIETER LE GOUVERNAIL, (Marine) c'est y mettre des marques de distances en distances, divisées en piés & pouces, afin de connoître combien il enfonce dans l'eau.
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PIÉTISTES | S. m. pl. (Hist. ecclés.) secte qui s'est élevée en Allemagne dans le sein du Luthéranisme, & qui est presqu'aussi ancienne que le Luthéranisme même, & qui semble tenir le milieu entre les Quakers ou Trembleurs d'Angleterre, & les Quiétistes. Voyez QUAKERS & QUIETISTES.
Schwenfeld en avoit ébauché le plan, Weigel l'avoit perfectionné, & Jacques Bohm, cordonnier de Silésie, l'avoit répandue dans sa patrie. C'étoient des hommes entêtés de la théologie mystique, qui ont outré l'idée de l'union de l'ame avec Dieu, prétendant que c'étoit une unité réelle, & une identité physique de l'ame transmuée en Dieu & en Jesus-Christ. Ensorte que l'on pouvoit dire, selon eux, dans un sens propre & sans métaphore, " que l'ame étoit Dieu, & que Jesus-Christ étoit en nous le nouvel Adam ; qu'ainsi adorer son ame, c'étoit adorer Dieu & son Christ. " A cette erreur capitale, ils en ajoutoient plusieurs autres, selon un ministre de Dantzick, qui les accuse, non-seulement d'hérésie, mais encore de schisme.
Cet auteur définit le Piétisme, un assemblage de systêmes d'Anabaptistes, de Schwenfeldiens, de Weigeliens, de Ralhmaniens, de Labadistes & de Quakers, qui sous prétexte d'une nouvelle réforme, & dans l'espérance de tems plus favorables, abandonnent la confession d'Augsbourg, admettent à leur communion toutes sortes de sectes, particuliérement des Calvinistes, & sont parfaitement indifférens en matiere de religion.
Il leur reproche encore de croire, avec les Donatistes, que l'effet des sacremens dépend de la piété & de la vertu du ministre ; que les créatures sont des émanations de la substance divine ; que l'état de grace est une possession réelle des attributs divins ; qu'on peut être uni à Dieu quoique l'on nie la divinité de Jesus-Christ ; que toute erreur est innocente, pourvu qu'elle soit accompagnée de sincérité ; que la grace prévenante est naturelle ; que la volonté commence l'ouvrage du salut ; que l'on peut avoir de la foi sans aucun secours surnaturel ; que tout amour de la créature est un péché ; qu'un chrétien peut éviter tous les péchés, & qu'on peut jouir dès ce monde du royaume de Dieu. Manipulus observationum antipietisticarum.
M. Chambers observe que toutes ces accusations ne sont pas également fondées, & que quelques-unes mêmes sont exagérées ; qu'il y a des Piétistes de différentes sortes, dont les uns sont dans des illusions grossieres, & poussent le fanatisme jusqu'à détruire une grande partie des vérités chrétiennes ; que d'autres sont simplement visionnaires, & de bonnes gens, qui, choqués de la froideur & des formalités des autres églises, & enchantés de la dévotion ordinaire des Piétistes, sont attachés à leur parti sans donner dans la grossiéreté de leurs erreurs.
Mais on ne sauroit les disculper d'avoir fait schisme avec les Luthériens : car en 1661, Thesphile Broschbandt & Henri Muller, l'un diacre de l'église de Rostok au duché de Meckelbourg, & l'autre docteur de l'université de cette ville, invectiverent contre le reste des cérémonies romaines que les Luthériens ont conservées, autels, baptisteres, chants ecclésiastiques, prédications, même tout selon eux devoit être aboli ; & c'est ainsi qu'en userent Spenher & Jean Horts, qui retrancherent tout l'appareil des cérémonies dans les églises dont ils étoient pasteurs, & convertirent le service qui se faisoit dans les prêches, en assemblées particulieres dans les maisons, où ils expliquoient l'Ecriture à leur mode, & qu'on nomma pour cela colleges de la parole de Dieu, collegia philobiblica. Leur secte d'abord répandue en Saxe & en Prusse, y a été proscrite, & s'est maintenue seulement à Hambourg & en Hollande. Catrou, hist. des Trembleurs, liv. III.
PIETISTES, secte des, (Hist. ecclés.) Secte moderne qui s'est élevée dans le xvije. siécle parmi les réformés, pour ranimer la piété chancelante, & conduire les hommes au salut par la seule foi qu'on doit avoir en la satisfaction de Jesus-Christ, mort pour nos péchés. Il est difficile de dire si ces Piétistes sont les mêmes que ceux de l'article précédent, tant on en parle diversement.
On place l'origine de cette secte plus pieuse qu'éclairée chez les Luthériens d'Allemagne, vers le milieu du dernier siecle. Elle s'est formée par les exhortations de Philippe-Jacques Spéner, célébre Théologien Allemand. Il étoit né en Alsace, & mourut en 1705 à Berlin, où il étoit conseiller ecclésiastique, & un des principaux pasteurs.
Dans le tems qu'il demeuroit à Francfort, frappé de la décadence de la piété & des progrès de la corruption, il forma le dessein de ranimer la premiere, & de s'opposer à l'autre. Dans cette vue il établit en 1670 une assemblée ou collége de piété dans sa maison, d'où il la transporta dans une église avec la permission du magistrat. A cette assemblée étoient admises toutes sortes de personnes hommes & femmes, mais les femmes étoient séparées des hommes. M. Spéner commençoit l'exercice par un discours édifiant sur quelque passage de l'écriture sainte, après quoi, il permettoit aux hommes qui étoient là, de dire leur sentiment sur le sujet qu'il avoit traité.
Il publia un ouvrage où il indiquoit les défauts qu'il croyoit remarquer dans l'église luthérienne, & les moyens d'y remédier. Mais en plusieurs endroits les assemblées qu'il forma, produisirent parmi le peuple un mauvais effet, en lui inspirant une espece de fanatisme plutôt que la pure religion, ce qui excita les plaintes de la plûpart des théologiens, qui prétendoient que sous prétexte d'avancer la piété, on négligeoit la saine doctrine, & on donnoit occasion à des esprits séditieux de troubler la société & l'Eglise.
Ce fut à-peu-près dans le même tems qu'il se forma à Leipsick un autre college de piété, semblable à celui de M. Spéner, & qui fut nommé collegium philo-biblicum. Des amis de ce pasteur fonderent aussi dans la même ville des assemblées particulieres, destinées à expliquer en langue vulgaire divers livres de l'Ecriture-sainte, de la maniere la plus propre à inspirer la piété à leurs auditeurs. La faculté de Théologie autorisa ces assemblées où la foule étoit grande ; néanmoins on en parla à la cour de Saxe comme d'assemblées suspectes, & cette cour les défendit en 1690. Il faut consulter sur ce sujet Mosheim, institut. hist. christ. seculi xviij.
Ce fut ainsi que naquit le nom de Piétistes, qu'on a donné depuis à tous ceux qui ont voulu se distinguer par une plus grande austérité de moeurs, & par leur zele vrai ou apparent pour la piété.
Leurs assemblées causerent de grands mouvemens en Allemagne, & leur secte s'étendit dans la Suisse, & particulierement à Berne. Un nommé Vigler, du canton de Zurich, enseigna le premier la doctrine des Piétistes dans Berne en 1698. Il représentoit si vivement l'énormité du péché, & la difficulté de se soustraire à la colere d'un Dieu justement irrité, qu'il jettoit ceux qui l'écoutoient dans d'extrêmes perplexités. Leurs excellences firent des enquêtes très-séveres sur la doctrine de ce prédicateur ; mais elles trouverent plusieurs personnes de considération qui lui étoient secrétement attachées.
Il combattoit sur-tout l'opinion de ceux qui prétendoient fonder le salut sur les oeuvres extérieures de piété, les prieres, les aumônes ; & il enseignoit que l'unique voie pour obtenir le salut, consistoit dans la foi qu'on doit avoir en la satisfaction de Jesus-Christ, mort pour nos offenses.
L'imagination effrayée du peuple, produisit dans quelques assemblées particulieres des convulsions & des tremblemens, qu'ils disoient ressentir par l'horreur de leurs péchés, & la difficulté pour eux d'être régénérés & faits enfans de Dieu.
Leurs principes enthousiastes se sont depuis répandus dans les Provinces-Unies, où l'on a vû que trop de personnes qui en ont été imbues. (D.J.)
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PIÉTONNER | (Pêche) c'est fouler ou pommeter le sable avec les piés pour la pêche du poisson plat.
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PIETRA-SANTA | (Géog. anc.) petite ville d'Italie, dans la Toscane, entre l'état de la république de Lucques, & la principauté de Massa. Magin croit que c'est l'ancien endroit appellé Lucus Feroniae. Long. 27. 55. latit. 44. 5. (D.J.)
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PIETRO | PIETRO
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PIETTE | RELIGIEUSE, NOUETTE BLANCHE, s. f. (Hist. nat. Ornitholog.) albellus alter, Adl. morgus major cirratus gesu, Wil. oiseau qui pese environ une livre huit onces, & qui a seize à dix-sept pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ou des doigts. L'envergure est de plus de deux piés. La tête, le cou & la hupe, sont entierement blancs, à l'exception de deux taches noires : l'une de ces taches entoure la hupe, & se termine en angle aigu ; l'autre s'étend de chaque côté de la tête, depuis les coins de la bouche jusqu'aux yeux. Toute la face inférieure de l'oiseau est d'un très-beau blanc. Les longues plumes des épaules sont de la même couleur, & le dos est noir ; il y a de chaque côté une tache noire en forme de croissant & double, qui descend du dos, & qui entoure en partie la poitrine comme un collier. Les aîles sont en partie noires & en partie blanches. La queue est d'un cendré noirâtre. Le bec & les piés ont une couleur cendrée ou bleuâtre. Les doigts sont unis les uns aux autres par une membrane brune.
La femelle est très-différente du mâle. Plusieurs auteurs en ont fait deux especes particulieres. Elle n'a point de hupe ; la tête & les joues sont rousses en entier ; toute la face supérieure du corps, à l'exception des aîles, est d'un brun cendré : au reste elle ressemble assez au mâle. Rai. synop. mit. avi. V. OISEAU.
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PIEU | S. m. (Hist. anc.) gros bâton pointu, ou piece de bois, dont on se sert pour faire des enclos, des palissades. Les Grecs & les Romains s'en servoient pour fortifier leurs camps en les plantant sur la crête du parapet ; mais ils n'avoient pas le même usage de les tailler ni de les ébrancher. Voici ce que Polybe remarque à cette occasion. Chez les Grecs, dit-il, les meilleurs pieux sont ceux qui ont beaucoup de branches autour du jet. Les Romains au contraire n'en laissent que deux ou trois, tout au plus quatre, & seulement d'un côté. Ceux des Grecs sont plus aisés à arracher : car comme les branches en sont fortes & en grand nombre, deux ou trois soldats y trouveront de la prise, l'enleveront facilement ; & voilà une porte ouverte à l'ennemi, sans compter que tous les pieux voisins en seront ébranlés. Il n'en est pas ainsi chez les Romains, les branches sont tellement mêlées & insérées les unes dans les autres, qu'à-peine peut-on distinguer le pié d'où elles sortent. Il n'est pas non plus possible d'arracher ces pieux, parce qu'ils sont enfoncés trop avant ; & quand on parviendroit à en enlever un de sa place, l'ouverture qu'il laisse est presque imperceptible. D'où il est aisé de voir avec quelle attention les anciens fortifioient leurs camps, partie de la guerre que les modernes ont presque totalement abandonnée.
On plantoit encore dans le camp d'espace en espace des pieux, pour servir de but aux jeunes soldats qu'on y exerçoit à tirer des armes & à lancer le javelot.
Dans les supplices, le pieu servoit à attacher les criminels condamnés à être battus de verges : ce qu'on appelloit ad palum alligare. Quelques-uns prétendent qu'on s'en servoit aussi pour les empaler, comme on fait aujourd'hui chez les Turcs, mais sans fondement ; on ne trouve point dans les historiens de traits qui aient rapport à cette espece de supplice.
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PIEUX | S. m. pl. (Archit. hydraul.) pieces de bois de chêne, qu'on employe dans leur grosseur, pour faire les palées des ponts de bois, ou qu'on équarrit pour les files des pieux (voyez ce mot) qui retiennent les berges de terre, les digues, &c. qui servent à construire les batardeaux. Les pieux sont pointus & ferrés comme les pilots ; ce qui en fait pourtant la différence, c'est que les pieux ne sont jamais tout à fait enfoncés dans la terre, & que ce qui en paroît au dehors est souvent équarri. Voyez PILOTS.
Pieux de garde. Ce sont des pieux qui sont au-devant d'un pilotis, plus peuplés & plus hauts que les autres, & recouverts d'un chapeau. On en met ordinairement devant la pile d'un pont, & au pied d'un mur de quai ou de rempart, pour le garantir du heurt des bateaux & des glaçons, & pour empêcher le dégravoyement. Daviler. (D.J.)
PIEUX, PILOTS ou PILOTIS. Les pieux sont le plus communément employés à porter un édifice construit au-dessus des hautes eaux, tels que sont les ponts de charpente, les moulins, &c.
On se sert des pilots ou pilotis pour porter un édifice de maçonnerie que l'on veut fonder sous les basses eaux, comme sont les ponts, les murs de quai, de certains bâtimens & autres ouvrages.
Les dimensions, positions, espacemens & le battage des pieux & des pilots ou pilotis, forment quatre objets distincts que l'on va examiner séparément.
Dimensions. Un pieu qui doit être exposé à l'eau & à l'injure du tems, doit être formé de la piece la plus forte que l'on puisse tirer d'un arbre ; & ce sera l'arbre même, surtout s'il est d'un droit fil & sain ; tout équarrissage & redressement trancheroit les fibres, & tronqueroit par segmens les corps ligneux, annulaires, dont la contexture plus serrée que des insertions qui se trouvent de l'un à l'autre de ces corps ligneux, pour mieux résister, étant conservés en leur entier ; on doit se contenter d'abattre les nodosités, d'équarrir & former en pointe pyramidale, le bout destiné à la fiche. On se contente quelquefois de le durcir au feu, quand le pieu est destiné pour un terrein qui n'est pas ferme, sinon il doit être armé d'une lardoire, ou sabot de fer à trois ou quatre branches, ou d'équarrir aussi le bout vers la tête, lorsqu'il est trop gros & qu'il pourroit excéder la largeur des sommiers que l'on pose & assemble horisontalement à tenons & mortaises sur la tête des pieux.
On a le même intérêt de conserver les bois dans toute leur force pour les pilots ; ils doivent pour cet effet être également ronds, de droits fils & sans noeuds excédens.
La grosseur des pieux dépend donc de celle des arbres que l'on peut avoir dans chaque endroit ; l'on se propose communément de leur donner environ 10 pouces de grosseur mesurés au milieu de leur longueur pour 15 & 18 piés, & deux pouces de plus pour chaque toise excédente cette premiere longueur : ainsi un pieu de 33 à 36 piés, par exemple, devroit avoir environ 16 pouces de grosseur réduite sans l'écorce.
Les pilots d'une certaine longueur n'ont pas besoin d'être si gros à proportion que les pieux, étant presque toujours enfoncés entierement dans le terrein, & moins exposés pour cette raison à plier sous le fardeau & à être usés par le frottement de l'eau & des corps qu'elle charrie ; on doit pour cette raison choisir les arbres les plus jeunes & les plus menus.
Il suffit que ces pilotis ayent environ 9 pouces de grosseur, jusqu'à 10 & 12 piés de long, & un pouce de plus pour chaque toise excédente cette premiere longueur. Ainsi un pilot de 28 à 30 piés de long auroit un pié de grosseur réduite, mesurée aussi sans l'écorce : ce qui donneroit à-peu-près 10 pouces à la pointe & 14 à la tête.
Lorsque l'on n'a pas des arbres assez longs, ou que les pieux ou pilots ayant pris plus de fiche que l'on ne l'avoit compté, se trouvent trop courts, on peut les anter & les assembler exactement en sur 2 & 3 piés de longueur, après quoi on doit les lier fermement avec deux bonnes frettées de fer, observant pour les pieux de disposer ces antes de façon qu'elles puissent être recouvertes par les moises qui les doivent embrasser & en liaison alternativement de l'une à l'autre moise.
Il sera parlé de ces moises par la suite.
On trouve dans le traité de Charpenterie de Mathurin Jousse, par M. de la Hire, que les pilots doivent être équarris ; on donne à ceux de 12 piés 10 à 12 pouces de grosseur, & à ceux de 30 piés 16 à 21 pouces, au lieu de 9 pouces & de 12 red. de grosseur que l'on a proposé ci-devant, & qui suffisent d'après ce qui se pratique avec succès sur les plus grands travaux pour ces différentes longueurs.
Mathurin Jousse, en proposant d'équarrir les pilots & de donner des dimensions inégales pour leur grosseur, avoit suivi ce qui se pratique pour les bâtimens, où cela est nécessaire, & où il convient de donner plus de hauteur que de largeur aux pieces que l'on pose horisontalement : c'est ce que M. Parent a fait aussi connoître dans les mémoires de l'académie des Sciences de 1708, où il est démontré que la piece la plus forte que l'on puisse tirer d'un arbre pour porter étant placée dans ce sens, doit être telle que le quarré de l'un de ses côtés soit double de celui de l'autre côté : ce qui revient à-peu-près au rapport de 7 à 5.
Il n'en est pas de même pour les pieux qui sont destinés à porter debout. Quant à l'équarrissement & à l'inégalité de leurs côtés, c'est ce que l'on croit avoir assez expliqué précédemment ; mais on ne pouvoit se dispenser d'exposer ce qu'ont adopté à la fois un bon charpentier & un mathématicien habile sur le sujet que l'on vient de discuter, afin que l'on pût connoître mieux ce qui doit être préféré.
Ces réflexions ne doivent cependant pas empêcher d'employer des pieux ou des pilots équarris dans de certaines circonstances ; on place quelquefois, par exemple, des pilots de cette espece au pourtour extérieur des fondations, pour que les palplanches que l'on chasse entre ces pilots puissent leur être plus adhérentes.
On doit ôter l'écorce en entier, & laisser l'aubier aux pieux & aux pilots pour les parties qui se trouvent sous l'eau.
L'écorce ne donne point de force au bois ; elle augmente beaucoup le frottement par son épaisseur & son aspérité, lors du battage des pieux ou pilots, & empêche qu'ils ne prennent autant de fiche sous la même percussion.
L'aubier n'est point vicieux sous l'eau ; il s'y conserve comme l'on sait que le fait le bois, lorsqu'il est continuellement submergé : surtout le chêne que l'on employe par préférence aux ouvrages construits dans l'eau ; il a d'ailleurs de la force lorsque la seve en est retirée, comme on peut en juger par les expériences de M. de Buffon (mémoires de l'académie, année 1741. page 296.) suivant lesquelles il a reconnu que la force de l'aubier étoit seulement de 1/51 ou environ, moindre que celle du bois pris au coeur du même chêne : ce qui se trouvoit être aussi à-peu-près dans le rapport des densités de l'un & de l'autre bois & aubier. Les circonstances sur la longueur, grosseur & sur la façon de charger les bois & aubier, étoient d'ailleurs les mêmes, ainsi il paroît que l'on peut laisser l'aubier aux pilotis sans inconvénient.
Lorsque l'écorce recouvre l'aubier, elle garantit l'oeuf que la mouche y a déposé, & le ver qui en provient jusqu'à ce qu'il ait acquis assez de force pour abandonner l'aubier, dont la substance, lorsqu'elle est encore abreuvée de la seve, peut mieux convenir à la délicatesse de premier âge, que le bois où il ne pourroit s'introduire d'abord ni y vivre. C'est ainsi qu'en use la nature par rapport aux insectes : en général le degré de chaleur qui fait éclorre le ver à soie, développe aussi la feuille du murier pour lui présenter une substance délicate ; elle acquiert chaque jour une consistance plus forte, qui se trouve par ce moyen toujours analogue à celle du ver qui croît & se fortifie en même tems. L'arbre étant dépouillé sur pié de son écorce pendant le fort de la seve, & laissé ensuite sur pié au-moins six mois, on a reconnu que le bois durcissoit & que l'aubier en devenoit presque aussi fort que le bois. Voyez les expériences de M. de Buffon, mémoires de l'académie de 1738. page 169.
L'écorce étant ôtée lorsque l'on coupe l'arbre, le ver sera tué par les mauvais tems & la gelée, avant qu'il ait acquis assez de force pour s'introduire dans le bois ; c'est au-moins à quoi l'on pense devoir attribuer ce que l'on a remarqué sur la conservation des bois exposés au dehors, & auxquels l'on avoit usé de cette précaution.
Il n'en sera pas de même des bois employés à couvert ; la mouche déposera son oeuf dans le peu d'aubier que l'on y aura laissé, & le bois sera ensuite attaqué du ver qui en proviendra ; on croit pour cette raison qu'il n'est pas toujours nécessaire d'ôter l'aubier des pieux dans la partie qui se trouve audessus de l'eau. On a même remarqué à plusieurs ponts qu'il s'étoit durci & avoit acquis une consistance capable de fortifier ces pieux & de les conserver plus long-tems, surtout lorsque l'on avoit eu l'attention de laisser le bois dans l'eau pendant quelques mois, avant de les employer, précaution dont on use pareillement avec succès pour la latte que l'on fait quelquefois avec l'aubier ; cependant chacun doit en user pour ce qui se trouvera au-dessus de l'eau, comme il le jugera le plus convenable, vû que la suppression de l'aubier ne sauroit d'ailleurs être préjudiciable dans cette partie, si l'on a attention d'y suppléer en donnant un peu plus de grosseur aux pieux.
Indépendamment de la vermoulure à laquelle le bois est exposé, la fermentation de la seve, surtout dans les parties renfermées, & leur exposition alternative à l'air & à l'eau, sont également des causes principales de destruction assez connues, & sur lesquelles nous ne nous arrêterons point pour ne pas trop nous écarter de notre projet principal.
Position. Les pieux & pilotis battus dans les rivieres doivent toujours être placés dans le sens du cours de l'eau ; ils doivent être posés d'équerre entr'eux, autant que cela se peut, & à plomb, excepté le cas dont on va parler.
Une file de pieux battus pour porter un pont de charpente, se nomme palée ; & une même palée est quelquefois composée de plusieurs files de pieux posés parallelement, & à peu près suivant le plan des piles des ponts de maçonnerie.
Les deux ou trois pieux du milieu de ces palées doivent être battus à plomb, & les autres de chaque côté obliquement ; on en décharge en sens opposé sur la longueur des palées, pour empêcher le deversement de l'édifice construit sur ces pieux.
On bat quelquefois des pieux plus petits de part & d'autre des palées pour les affermir à la hauteur des basses eaux, lorsque les principaux pieux ont beaucoup de longueur au-dessous de ces basses eaux au fond du lit de la riviere, ou bien aussi pour les préserver contre le choc latéral des glaces ; on les nomme pieux de basses palées ; ils doivent être battus à plomb, à quelques piés des grands pieux que l'on nomme aussi pieux d'étape ; & au droit du vuide ou intervalle d'entre ces pieux, on les coëffe de chapeaux qui sont retenus entr'eux & contre les pieux d'étape avec des blochets moisés & assemblés à queue d'ironde sur les chapeaux.
Les pilots des batardeaux & ceux des crêches que l'on place quelquefois au pourtour des piles & au-devant des culées & murs pour plus de sûreté contre les affouillemens, doivent aussi être battus à plomb.
On est pareillement dans l'usage de battre les pilots de fondation à plomb ; cependant lorsque le terrein est de peu de consistance, il est à propos d'incliner un peu ceux du pourtour des paremens extérieurs vers le massif de la fondation ; par ce moyen on peut empêcher le deversement des pilotis qui ne pourroit avoir lieu sans le redressement de ceux qui seroient inclinés, à quoi le poids de la maçonnerie du dessus doit s'opposer ; ce sont les pilots des culées & murs de quai qui sont les plus exposés au déversement pour la poussée des terres du derriere.
Les pilots sont ordinairement présentés & posés par le petit bout ; ils entrent, dit-on, plus aisément dans le sens, & sont mieux battus au refus, ce qui est le but essentiel que l'on doit se proposer pour les ouvrages de maçonnerie, à fonder à cause de leur poids beaucoup plus considérable pour l'ordinaire que des édifices que l'on établit sur des pieux audessus des grandes eaux : cependant des expériences faites avec soin nous ont fait connoître que les pilots ferrés & battus le gros bout en bas, comparés avec ceux de même longueur & grosseurs battus de sens contraire dans le même terrein, & avec le même équipage, étoient d'abord entrés avec plus de difficulté, mais toujours assez également, & qu'ils sont parvenus plus tôt d'environ un quart de tems au refus du mouton de 510 livres de pesanteur, à la même profondeur de 19 & 20 piés ; ce qui paroît devoir provenir de ce que le frottement qu'éprouvent ces derniers pilots, est à-peu-près égal, lorsqu'ils augmentent toujours, à ceux qui sont chassés le petit bout en bas.
On croit cependant qu'il convient de s'en tenir à l'usage ordinaire de battre les pilots le petit bout en bas ; cette disposition en plaçant la tête directement sous le fardeau, doit les rendre plus forts & moins vacillans.
A l'égard des pieux, le bout par lequel il convient de les mettre en fiche dépend de la hauteur à laquelle les basses eaux & les glaces doivent arriver contre ces pieux.
Lorsque le milieu de la longueur du pieu devra sensiblement se trouver au-dessous des basses eaux, il conviendra de les mettre en fiche par le petit bout, comme les pilots, parce que sa partie la plus forte se trouvera au-dessus des basses eaux, où est celle qui seche & mouille alternativement, & qui est pour cette raison la plus exposée à être endommagée. C'est aussi dans cette partie supérieure que se fait le choc des glaces, toutes causes de destruction plus importantes que celles que les pieux peuvent éprouver dans leur partie inférieure par le frottement seul de l'eau.
Si le milieu de la longueur des pieux devoit se trouver élevé à la hauteur des eaux moyennes, au lieu de celle des basses eaux, comme cela arrive assez ordinairement aux grands ponts de charpente, il conviendroit, pour la raison que l'on vient d'expliquer ci-devant, de les battre le gros bout en bas.
Les pieux des grands ponts fournissent à raison de leur longueur, un motif de plus pour les battre le gros bout en bas ; ils se trouvent pour lors comme l'arbre dans la position la plus naturelle & la plus forte près la racine, pour résister aux ébranlemens auxquels ils sont plus exposés par leur longueur.
On ne doit d'ailleurs point avoir égard à ce qui peut concerner une certaine situation que quelques physiciens prétendent devoir être préférable pour la conservation des bois, relativement à leur opinion, sur la circulation de la seve. On renvoie aux expériences de M. Halles pour en juger. Statique des végétaux, pag. 135.
Espacemens. L'espacement des pieux & celui des pilots dépend de leur grosseur, de leur longueur, & du fardeau qu'ils doivent porter, en les supposant d'ailleurs d'une même espece & qualité de bois.
Suivant les expériences de Musschenbroeck, Essais de Physique, pag. 356. les forces des pieces de bois rondes ou quarrées étant chargées sur leur bout, sont entr'elles comme les cubes de leur diametre ou grosseur pris directement, & le quarré de leur longueur pris réciproquement.
(a) En comptant le pié rhenant dont s'est servi Musschenbroeck pour 11 pouces 7 lignes du pié de roi, & la livre pour 14 onces poids de marc, qu'il paroît par d'autres expériences avoir employé, on peut conclure qu'une piece de six pouces de gros en quarré, & six piés de long portera 23418 livres, le tout étant réduit aux mesures de Paris.
Cette résistance est pour le cas de l'équilibre ; comme il ne faut pas même que les bois soient exposés à plier sensiblement, on conçoit qu'il convient, dans le calcul que l'on en feroit, évaluer cette résistance au-dessous du résultat précédent.
On peut voir par les expériences de M. de Buffon, & citées dans les mémoires de l'académie des Sciences de 1741, sur la résistance des bois posés horisontalement, que plusieurs pieces de 14 piés & 5 pouces de gros qui ont été cassées sous un poids réduit de 5283 livres après avoir baissé de 10 pouces, avoient déja plié de 12 à 15 lignes au dixieme millier de la charge ; ce qui fait connoître que la résistance des pieces ainsi chargées ne doit être évaluée qu'au quart ou au tiers au plus de leur résistance absolue.
Nous manquons de pareilles expériences en grand pour les pieces qui sont posées debout ; mais comme elles sont bien moins sujettes à plier sous le fardeau dans ce sens, on croit qu'en reduisant à moitié leur résistance, ou le poids dont on peut les charger pour les rompre, elles ne seront pas exposées à plier sensiblement.
Dans ces expériences & remarques, on trouvera l'espacement qu'il faudra donner aux pieux & aux pilots en divisant le poids dont ils devront être chargés par la force de l'un de ceux que les circonstances pourront permettre d'employer.
On connoîtra, en faisant ce calcul, qu'un pieu de 36 piés de longueur & 16 pouces de grosseur réduite, qui auroit 27 piés au-dessus de la fiche & seroit moisé de 9 en 9 piés, pourroit porter 73458 livres, ayant réduit à moitié la force résultante du calcul par les raisons expliquées ci-devant.
(a) Pour appliquer l'expérience de Musschenbroeck, à des piéces rondes, on a réduit dans les calculs qui suivent le bois rond en bois quarré, de même base en superficie.
La travée du pont de charpente qui auroit 36 piés de long ou d'ouverture d'une palée à l'autre, & ce seroit une des plus grandes travées que l'on soit dans l'usage de construire, peseroit pour une partie de 4 piés & demi de largeur qu'auroit à porter un pieu d'entre ceux qui seroient espacés à cette distance, à-peu-près 41 milliers, compris le pavé & le sable du dessus ; il resteroit à ce pieu une force excédente de 32458 livres, pour résister d'une part aux voitures chargées, dans le cas même où leurs essieux viendroient à se casser, & pour compenser d'autre part la diminution de force sur les pieux qui auront été chassés obliquement ; car on sait que la force des pieces ainsi inclinées, est à celle des pieux qui sont posés debout, comme les co-sinus de l'angle que forment la direction de la charge avec la piece inclinée est au sinus total.
Il est bon de remarquer que les noeuds & de certains vices inévitables sur la qualité des bois doivent en diminuer encore la force ; mais cela pourra se trouver compensé en rapprochant les liernes & les moises jusqu'à six piés de distance entr'elles, ainsi que l'on est assez dans l'usage de le faire au-dessus des basses eaux ; car pour ce calcul on ne doit compter la longueur des pieux que par la distance qui se trouve d'une moise à l'autre. Un pilot de 12 piés & 9 pouces de gros que l'on supposera excéder de 3 piés le dessus du terrein, pourroit porter 111018 livres ou environ moitié plus que le précédent, ce qui devient assez bien proportionné à cause du plus grand fardeau que les pilots sont destinés à porter ; on n'a pareillement fait le calcul du pilot que pour 3 piés de longueur ; la partie qui a pris fiche & qui est entretenue par le terrein, ne pouvant plier, elle ne doit pas entrer en considération sur la diminution de force qu'occasionne la longueur des pieces.
En supposant les pilots espacés de 4 piés de milieu en milieu, & la maçonnerie du poids de 160 livres, le pié cube, ils pourroient porter un mur de près de 47 piés de hauteur ; ce qui viendroit assez bien à ce que donne l'expérience par rapport à la construction des ponts de maçonnerie de moyenne grandeur.
Si l'on vouloit faire porter un plus grand fardeau sans changer un certain espacement convenu pour les pieux ou les pilots, il faudroit augmenter leur grosseur en raison sous-triplée des poids ; ainsi pour une charge octuple, par exemple, il suffiroit de doubler leur diametre, & ce au lieu d'augmenter leur superficie dans la raison du poids dont ils devront être chargés, comme il sembleroit, à la premiere inspection, que cela devroit être pratiqué.
Cette regle que donne l'expérience est aussi conforme à ce qui arrive pour les bois inclinés ou posés horisontalement, leur résistance étant en raison du quarré de leur hauteur ; ainsi dans l'un & l'autre cas on voit que pour des pieces qui auroient la même longueur, & dont la grosseur de l'une seroit double de celle de l'autre, la quantité du bois employé dans la plus grosse piece ne seroit que quadruple, lorsque sa force pour porter un fardeau de toute sorte de sens seroit octuple ; d'où il suit qu'il y aura de l'économie à employer par préférence des grosses pieces, lorsque leur prix augmente en moindre raison que la superficie de ces pieces prises dans le sens de leur grosseur.
On n'a parlé jusqu'à-présent que des pieux ou des pilots de chêne ; mais on peut employer d'autres bois plus ou moins forts ; c'est à quoi il faudra avoir égard dans le calcul. Pour cet effet on va donner le rapport de la force de différentes especes de bois d'après les expériences qui en ont été faites pour les rompre, ces pieux étant chargés sur leur bout :
Essais de Physique de Musschenbroeck, pag. 357.
On voit par ces expériences que le bois de chêne est le plus fort, que le sapin l'est moins, quoique pour porter, étant chargé dans une position horisontale, il soit plus fort à-peu-près d'un cinquieme que le chêne, suivant l'expérience de M. Parent, Mémoire de 1707 ; le frêne qui est aussi plus dur que le sapin, & qui pourroit porter un plus grand poids que l'on y suspendroit étant placé horisontalement, se trouve cependant moins fort pour porter dans la position verticale : cela peut provenir de ce que le fil du bois de frêne est moins droit que celui du bois de sapin.
Les calculs que l'on vient de donner sur la force des pieux & des pilots pour déterminer leur espacement entr'eux, paroissent assez bien convenir aux applications qu'on en a faites ; mais l'on ne doit pas toujours s'en rapporter au calcul dans un genre comme celui-ci où l'on manque d'expériences faites assez en grand sur la force des bois chargés debout, & où de certaines considérations physiques, & encore peu connues, pourroient induire à erreur ; il faut donc consulter en même tems, comme on voit, l'expérience de ce qui se pratique avec le plus de succès.
On est dans l'usage d'espacer les pieux des ponts de bois depuis 4 jusqu'à 5 piés, & les pilots de fondation depuis 3 jusqu'à 4 piés, & quelquefois quatre & demi, le tout de milieu en milieu. M. Bultet, dans son traité d'Architecture, est d'avis que l'on doit espacer les pilots, tant pleins que vuides, c'est-à-dire de deux piés en deux piés, lorsqu'ils auront un pié de gros ; ainsi il en entreroit 16 dans une toise quarrée isolée, & ce nombre se trouvera réduit à 9 lorsque les pilots de bordage seront rendus communs avec les parties environnantes.
On trouve dans d'autres auteurs, traité des Ponts par M. Gautier, pag. 68. qui avoit acquis de la réputation pour ce genre de construction, qu'il faut mettre environ 18 à 20 pilots dans la toise quarrée des fondations.
Ce qui se pratique dans les plus grands ouvrages fait connoître qu'il suffit d'espacer ces pilots à 3 piés pour le plus près de milieu en milieu, il n'en entrera pour lors que 9 dans le premier cas ci-devant cité & seulement 4 dans le second, ce qui est bien suffisant, au lieu de 18 ou 20 proposés ci-dessus.
Battage ou enfoncement des pieux. Les pieux & les pilots sur-tout doivent être enfoncés jusqu'au soc ou tuf, & autre terrein assez ferme & solide pour porter le fardeau dont on aura à les charger, sans jamais pouvoir s'enfoncer davantage sous ce fardeau ; il faut par conséquent pénetrer les sables & les terres de peu de consistance, & qui seroient d'ailleurs susceptibles d'être affouillés par le courant de l'eau.
On doit pour cet effet commencer par reconnoître les différentes couches de terrein & leur épaisseur, au moyen d'une sonde de fer d'environ 2 pouces de grosseur, battue & chassée au refus jusque sur le roc ou terrein solide, afin de savoir la longueur & grosseur que l'on aura à donner aux pieux ou aux pilots pour chaque endroit où il conviendra d'en battre.
On se sert pour battre les pilots d'une machine que Vitruve, Philander, Baldus & Perrault ont nommée mouton. Ce nom se donne plus particulierement à la piece de bois ou de fonte qui sert à battre le pilot, & l'équipage employé pour faire mouvoir le mouton se nomme le plus ordinairement sonnette.
On fait les moutons plus ou moins pesans, suivant la force des pieux, la fiche que l'on doit leur donner & la nature du terrein. Cela varie depuis 400 jusqu'à 1200 liv. & plus : on employe ordinairement un mouton de 6 à 700 livres pour les pilotis ; il est tiré par la force de 24 ou 28 hommes qui l'élevent 25 ou 30 fois de suite en une minute jusqu'à quatre piés & demi de hauteur, ces hommes se reposent après autant de tems alternativement.
Les moutons de 1200 livres sont tirés par la force de 48 hommes ; on s'en sert pour le fort pilotis ou les pieux ordinaires ; mais les plus gros pieux exigent un mouton plus pesant.
On employe pour lors une machine différente de la sonnette ; six ou huit hommes sont appliqués avec des bras de leviers à mouvoir un treuil horisontal, sur lequel est placé la corde qui porte le mouton, étant élevé au sommet de la machine, un crochet à bascule ou un déclic, font lâcher le mouton, où descend la corde en déroulant le treuil pour le reprendre, ou bien plus commodément & par un échappement que M. Vaulhoue, horloger anglois, a imaginé ; la corde redescend immédiatement après le mouton, qu'elle reprend par une espece de tenaille de fer qui lui est attachée, & cette corde qui est placée sur une lanterne dont l'axe est vertical, le dévide seul en lâchant un déclic sans être obligé de retourner le treuil comme dans le premier cas, ce qui est bien plus commode & expéditif ; ces deux sortes de façons de battre les pieux se nomment également battre au déclic : on s'en sert souvent aussi pour les moutons qui pesent au-dessous de 1200 livres depuis 6 ou 700 livres, tant à cause de la difficulté d'avoir assez d'hommes dans de certaines circonstances pour équiper les grandes sonnettes, que parce qu'ils se nuisent, & qu'en tirant obliquement par les vingtaines ou petites cordes qui sont attachées à la corde principale, comme cela est inévitable, quoique ces petites cordes soient quelquefois attachées autour d'un cercle placé horisontalement pour diminuer l'obliquité, il y a toujours une partie assez considérable de la force qui se trouve perdue.
Il est vrai d'un autre côté que le déclic est moins expéditif, puisque le mouton est moins grand ; ainsi supposé que pour lever un mouton de 1200 livres on se serve de huit hommes appliqués à la sonnette à déclic de M. Vaulhoue, au lieu de 48 qu'il faudroit à la sonnette ordinaire sans déclic, on employera six fois plus de tems, le reste étant supposé d'ailleurs égal. On pourra donc préférer pour le battage des pieux ou des pilots, celle de ces deux machines qui pourra le mieux convenir pour le lieu & la circonstance, sans devoir se flatter que ce choix puisse épargner la dépense, & c'est-là le résultat de toutes les machines simples telles qu'elles soient.
Un pilotis ne doit être considéré avoir été battu suffisamment, & à ce que l'on appelle au refus du mouton, que lorsque l'on est parvenu à ne le plus faire entrer que d'une ou deux lignes par volée de 25 à 30 coups, & pendant un certain nombre de volées de suite ; à l'égard des pieux, comme ils doivent être moins chargés, on peut se contenter d'un refus de 6 lignes ou même d'un pouce par volée, suivant les circonstances.
Lorsque les pieux ou pilots sont serrés, il faut avoir l'attention d'en couper le bout quarrément sur 2 à 3 pouces, & de faire reserver au fond du sabot autant que cela se peut, afin que le choc du mouton puisse se transmettre immédiatement sur le fond de ce sabot, & non pas sur les cloux dont chaque branche est attachée, ce qui feroit cesser ce sabot & nuiroit à l'enfoncement des pieux.
La tête doit aussi être coupée quarrément sur la longueur du pieu un peu en chanfrain au pourtour, ensuite fretté de fer quelques pouces plus bas, s'il est besoin, pour empêcher qu'elle ne s'écrase ou se fende.
Le choc du mouton aidé de la pesanteur du pilot, le fait d'abord entrer sensiblement ; le terrein qui se reserve pour lui faire place forme ensuite une plus grande résistance.
Ce terrein est aussi ébranlé par la secousse & la réaction des fibres du pilot jusqu'à une certaine distance circulairement, & de plus en plus, à mesure que le pilot s'enfonce. On conçoit qu'il doit se trouver un terme auquel ces résistances & pertes de force employées pour mettre en mouvement le terrein qui environne le pilot, pourront le mettre en équilibre avec la percussion, le pilot n'entrera plus, & au lieu d'un refus absolu, on n'aura qu'un refus apparent.
Si on vient à rebattre ce pilot au bout de plusieurs jours, il pourra encore entrer ; le terrein qui le pressoit latéralement comprime & repousse de proche on proche chaque portion circulaire de terre qui l'environne, la résistance se trouvera diminuée, & la même percussion employée de nouveau sera capable d'un même effet ; c'est aussi ce qui se trouve confirmé par l'expérience.
On a grand intérêt de reconnoître le refus absolu, pour cet effet, indépendamment de l'expédient précedent & de ce que l'on pourroit employer un mouton plus pesant en seconde reprise, le moyen le plus certain sera de faire préliminairement les sondes qui ont été proposées ci-devant, puisqu'elles feront connoître d'avance la profondeur & la nature du fonds sur lequel les pilots devront s'arrêter.
L'expérience donne aussi quelquefois à connoître ce refus absolu ; dans un terrein gras, lorsque le pilot est arrivé au refus apparent ou de frottement, l'élasticité de ce terrein fait remonter le pilot autant qu'il a pu entrer par le choc : si le pilot est au contraire parvenu au roc ou terrein ferme, le coup sera plus sec, & le mouton sera renvoyé avec plus de roideur par l'élasticité même de la réaction des fibres comprimées du pilot.
C'est de cette raison de l'élasticité de la part d'un terrein gras & compacte que l'on ne sauroit y enfoncer qu'un certain nombre de pilots, passé lequel ceux qui ont été premierement chassés ressortent à mesure que l'on en bat de nouveaux, & cela doit toujours arriver lorsqu'il se fait équilibre entre la percussion & la densité nouvellement acquise du terrein par la compression des pilots.
Le terrein pourroit aussi avoir naturellement cette densité & élasticité dont on vient de parler ; pour lors le premier pilot même n'y entrera qu'à une certaine profondeur, & qu'autant que la surface du terrein pourra s'élever pour lui faire place, cela arrive ainsi dans la glaise pure & verte, lorsqu'elle est un peu ferme.
On pourroit faire que les pilots que l'on auroit pu chasser dans un terrein un peu gras & élastique, n'en sortiroient point par la chasse d'un nouveau pilot ; mais celui-ci n'y entreroit que comme le pourroit faire celui du dernier article, il suffiroit pour cela de battre les pilots le gros bout en bas : en voici la raison.
Lorsque les pilots sont chassés le petit bout en bas, leur surface conique se trouvant chargée de toute part, à cause de l'élasticité supposée dans ce terrein, (quand on vient à chasser un pilot aux environs) les chocs qui se font perpendiculairement à la surface du cône, se décomposent en deux autres ; les uns qui sont dans le sens horisontal se détruisent, & les autres qui sont suivant la direction de l'axe, soulevent le pilot, & le font ressortir en partie ; il doit arriver le contraire, & pour la même raison, lorsque le pilot est chassé le gros bout en bas ; ainsi, loin de pouvoir sortir, les chocs qu'il éprouve à sa surface ne tendent qu'à le faire enfoncer, suivant son axe, s'il y a moyen.
Lorsque l'on se propose de battre plus d'une ou deux files de pieux ou pilots, comme quand il est question de fonder la pile ou la culée d'un pont, il faut commencer par ceux du milieu, nommés pilotis de remplage, s'éloignant successivement du milieu, & finissant par ceux du pourtour extérieur que l'on nomme pilotis de bordage : on donne par ce moyen au terrein la facilité de se porter de proche en proche vers le dehors de l'enceinte que l'on a à piloter, & on peut les enfoncer plus avant, que si l'on suivoit une marche contraire ; car ce terrein se trouveroit pour lors de plus en plus serré vers le milieu de la fondation, & les pilotis y entreroient beaucoup moins.
On pourroit alléguer contre cette opinion, que les pilots de bordage étant battus les premiers, pourront aussi être chassés plus avant, ce qui sera avantageux dans les terreins sableux, à cause des affouillemens auxquels le pié des pilots se trouveroit moins exposé ; qu'à l'égard de ceux du remplage, si on a soin de les chasser tous au refus, ils seront également propres au fardeau que la percussion du mouton leur aura donné la faculté de porter.
Cette percussion, comme on va le voir, seroit bien suffisante pour que l'on n'eût rien à appréhender de la part du tassement des pilots dans les premiers tems ; mais, comme on l'a fait remarquer précédemment, le terrein trop comprimé dans l'intérieur de la fondation tendra peu-à-peu à s'en écarter. La résistance occasionnée par le frottement diminuera, & les pilots pourront s'affaisser par cette premiere raison.
L'écartement du terrein poussera aussi les pilots avec d'autant plus d'avantage, que la force sera continuelle & lente, suivant les principes de la méchanique ; on peut remarquer que le fardeau qui agira sur la tête des pilots, suivant une direction perpendiculaire à celle de la poussée de ces sables, ne pourra en arrêter ou diminuer en aucune sorte l'effet : les pilots pourront donc aisément s'écarter par leur bout, n'étant d'ailleurs point engagés dans un terrein assez solide, ainsi qu'on le suppose ; ce qui formera une cause puissante d'affaissement & de destruction, d'où il suit que la premiere méthode que l'on vient d'expliquer, est préférable à tous égards.
Il est présentement question d'examiner quelle est la force de la percussion du mouton que l'on emploie à chasser les pieux, afin de connoître jusqu'à quel point il faudra les battre, pour être en état de porter une certaine charge déterminée, indépendamment de la résistance du terrein solide, lorsqu'ils y seront parvenus ; on aura pour lors une sûreté de plus, vû l'incertitude où l'on peut quelquefois se trouver, d'avoir atteint le roc, ou autre terrein ferme.
Suivant des expériences de M. de Camus, gentilhomme lorrain (a), & autres faites sur le battage des pilots dans les travaux des ponts & chaussées, il paroît que la force du choc du mouton est proportionnée à la hauteur de sa chûte, laquelle hauteur est comme le quarré de la vîtesse acquise à la fin de cette chûte.
Le tems employé par les hommes pour lever le mouton, est en effet proportionné à son élevation, & on a lieu d'en attendre une quantité de mouvement qui soit proportionnée à la hauteur de la chûte : ces expériences sont aussi conformes à celles faites sur la chûte des corps dans la cire & la glaise où ils se sont enfoncés, en proportion de la hauteur des chûtes. Voyez l'Histoire de l'académie des Sciences, pour l'année 1728, pag. 73 & suiv.
On voit, suivant ces expériences, que la force d'un seul coup de mouton sera équivalente à celle de plusieurs autres dont la somme des chûtes lui seroit égale ; ainsi deux coups d'un même mouton, par exemple, tombant chacun de deux piés de hauteur ; ou dont l'un viendroit de trois piés, & l'autre d'un pié, seront, pour l'effet, égaux à un seul coup dont le mouton seroit élevé de quatre piés de hauteur.
Ce principe mérite cependant une exception dans la pratique, à cause de la perte occasionnée par le branlement du terrein, & autres causes physiques mentionnées au présent mémoire, qui pourroient rendre la percussion de nul effet, si le mouton étoit plus élevé ; aussi est-on dans l'usage de donner quatre piés & plus d'élevation ou de chûte au mouton : ce que l'on vient de dire à l'article précédent, n'aura donc lieu que pour le plus grand effet que l'on doive attendre de la percussion dans le battage des pilots, & il en résultera toujours que le declic qui donne la facilité d'élever le mouton beaucoup plus haut que la sonnette, n'éprouvera que peu d'avantage à cet égard, & que ce sera de la pesanteur seule du mouton que l'on aura lieu d'attendre le plus d'effet pour battre les gros pieux ; aussi voit-on que l'on a été obligé quelquefois d'avoir recours à des moutons de quatre mille livres, pour des pieux de quarante-cinq à cinquante piés de long, & de vingt à vingt-quatre pouces de grosseur à la tête, tels que les pieces de palées du pont de bois actuel de Saumur.
La force d'un mouton ordinaire de douze cent livres de pesanteur suffit à peine sur un tel pieu pour en ébranler la masse : il y a une perte inévitable d'une partie considérable de la force, celle qui est employée à la compression des fibres, & à résister à leur élasticité ou réaction, avant qu'elle puisse arriver à la pointe du pieu, & percer le terrein. Cette perte se trouve encore augmentée en raison de la longueur du pieu, & du plus ou moins de rectitude, par la difficulté de placer la percussion verticalement dans la direction de son axe, l'obliquité presque inévitable de cette percussion occasionne un balancement nommé dardement, qui augmente son élasticité, & diminue d'autant l'effet du choc.
(b) On voit par l'expérience de M. Mariotte, que le choc d'un corps de deux livres deux onces tombant de sept pouces de hauteur, est équivalente à la pression qu'occasionneroit un poids de quatre cent livres ; ainsi la force d'un même poids de deux livres deux onces tombant de quatre piés de hauteur, qui est celle à laquelle on éleve communément le mouton, sera, en raison de ces hauteurs, de deux mille sept cent quarante-deux livres 6/7, & pour un mouton de six cent livres, de plus de sept cent soixante-treize milliers pour le cas du refus, car lorsque le pilot entre encore, il s'échappe en partie à l'effet de la percussion.
En matiere de construction, il convient de rendre la résistance toujours supérieure ; ainsi en la faisant double, il paroît que l'on pourroit charger un pieu chassé de la sorte, d'un poids de plus de trois cent quatre-vingt milliers, supposé qu'il soit assez fort par lui-même pour le porter.
On a vu ci-devant qu'un pilot de neuf pouces de grosseur, excédant de trois piés par sa tête le terrein
(a) Traités des forces mouvantes, page 164. Expériences faites en 1744, par M. Soyer, à la fondation du pont de la Boirie, près la Fleche, les pilots étant battus au déclic.
(a) Suivant M. de Camus, traité des forces mouvantes, page 170. Un poids d'une livre un quart, tombant de huit piés de hauteur, occasionne un choc ou une percussion équivalente à la pression d'un poids de 200 livres, ce qui reviendra d'autant mieux à l'expérience de M. Mariotte, que l'on croit qu'il y a erreur dans la hauteur de la chûte de l'expérience de M. de Camus ; & que suivant la proportion qu'il indique, elle doit être de 7 pouces, au lieu de huit pouces de chûte.
On n'ignore pas combien il est difficile ou peut être même impossible d'établir mathématiquement aucun rapport entre les forces mortes & les forces vives ; telle que la pression simple & la percussion ; & on ne l'a entrepris ici que physiquement & d'après l'expérience, pour faire connoître à peu près à quoi on peut l'évaluer : cependant on n'en conclura rien qui puisse intéresser la solidité, si les pilots sont chassés au refus jusqu'au terrein ferme comme on le recommande, & que le poids dont on les devra charger ne puisse pas excéder la moitié de ce qu'ils pourroient porter.
dans lequel il est chassé, ne doit être chargé que d'un poids d'environ cent onze milliers, un pilot d'un pié de grosseur rédte. qui est un des plus forts que l'on emploie, porteroit, dans la raison du cube de son diametre comparé à celui du diametre du pilot précédent, environ deux cent soixante-quatre milliers ; ainsi la percussion d'un mouton de six cent livres pourroit donner plus de force qu'il n'est nécessaire pour le poids que doit porter un tel pilot.
Les petits pilots sont battus à la sonnette ; il convient de chasser les gros pilots, ainsi que les pieux au declic ; la hauteur de l'élévation du mouton dans le premier cas, est d'environ quatre piés, & celle pour le declic, depuis quatre piés jusqu'à douze ou environ, ce qui donne huit piés de hauteur réduite.
Si l'on veut présentement savoir quel sera le poids du mouton, & la hauteur nécessaire à sa chûte pour donner à un pieu ou à un pilot chassé au refus, une percussion équivalente au double du poids qu'il pourra porter :
En supposant le mouton seulement d'une livre de pesanteur, sa force de percussion sera pour élévation à la sonnette, suivant l'expérience de M. Mariotte que l'on a rapportée ci-devant, de mille deux cent quatre-vingt-dix livres ; & celle pour le declic, de deux mille cinq cent quatre-vingt livres : cette connoissance rend le calcul que l'on se propose, fort facile ; il suffit pour cela de diviser le poids qu'un pilot de moyenne grosseur peut porter, dans le cas de l'équilibre, par mille deux cent quatre-vingt-dix livres, lorsqu'il s'agira d'un gros pilot & d'un pieu qui devra être chassé au declic, afin de conserver la résistance double dans tous les cas.
On vient de voir par exemple qu'un pilot de douze pouces de grosseur peut porter deux cent soixante-quatre milliers ; divisant le double de ces poids mille deux cent quatre-vingt-dix livres, il viendra pour le poids du mouton qu'il faudra employer avec la sonnette seulement quatre cent neuf livres ; mais à cause des frottemens & de la perte d'une partie de la force occasionnée par le mouvement que ce pilot communique sur une certaine étendue du terrein qui l'environne, il convient de donner au moins six cent livres de pesanteur au mouton.
En suivant ce que donne le calcul précédent, on auroit aussi un mouton trop foible pour chasser les pieux au déclic par la raison précédente, & de plus, pour celle de la masse du pieu à mettre en mouvement de l'oblique du choc, & de l'élasticité & dardement dont il a été parlé ci-devant, toutes causes physiques qui ne sauroient être bien appréciées ; ainsi il faut dans ce cas employer des moutons de mille deux cent livres & plus, suivant que les circonstances locales & les expériences l'indiqueront. Article de M. PERRONET.
PIEUX-BOUREAUX, terme de riviere, ce sont des pieces de bois que l'on met près des pertuis, pour y tourner une corde, afin que le bateau n'aille pas si vîte.
PIEUX FOURCHUS, terme de Chasse, ce sont les bâtons dont on se sert pour tendre les toiles.
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PIEXE | Voyez REMORE.
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PIFFARO | (Musiq.) espece d'instrument de musique, qui répond à la haute-contre du haut-bois ; mais cet instrument originaire d'Italie n'a pas fait fortune.
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PIFFRE | S. m. (Hist. nat.) serpent fabuleux : on lui donne deux têtes ; en conséquence on l'imagine fort dangereux.
PIFFRE, (Bat. d'or) un des gros marteaux de ces ouvriers.
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PIGACHE | S. f. terme de Chasse, c'est la connoissance qu'on remarque au pié du sanglier quand il a une pince à la trace plus longue que l'autre.
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PIGAYA | S. f. (Botan. exot.) nom que les habitans du Brésil donnent à la racine ipecacuanha. Voyez IPECACUANHA.
J'ajouterai seulement ici que le premier européen qui ait mis cette racine en usage, étoit un apothicaire du Brésil, appellé Michaël Tristaon ; il écrivit un petit livre sur ce remede, qui fut traduit en anglois, & inséré dans les voyages de Purchas : de Laët n'a presque fait que traduire en latin l'écrit de Tristaon ; mais Pison & Marggrave étant sur les lieux, donnerent un détail beaucoup plus exact des propriétés & de l'usage du pigaya. Ils ne commirent qu'une faute, c'est d'avoir trop chanté ses vertus.
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PIGEON | COULON, COLOMBE PRIVEE, PIGEON DOMESTIQUE, s. m. (Hist. nat. Ornitholog.) columba domestica, seu vulgaris, Wil. oiseau très-familier qu'on éleve dans des colombiers, dans les basses-cours, & même dans des chambres que l'on habite. Sa couleur varie comme celle de tous les autres oiseaux domestiques : la plûpart sont d'une couleur grise-bleuâtre, ils ont le col d'un verd doré éclatant & changeant, qui paroît de couleur de cuivre de rosette à certains aspects. On éleve cette derniere sorte de pigeon dans des colombiers : ils sont moins familiers que les autres ; ils vont chercher leur nourriture dans la campagne. Il y a peu de variétés dans les couleurs des pigeons des colombiers ; on en voit cependant de blancs, d'autres noirâtres ou bruns ; enfin il y en a qui ont plusieurs de ces couleurs, & d'autres les réunissent toutes : ils ont tous, de quelque couleur qu'ils soient, la partie inférieure du dos blanche ; le bec est brun, & la membrane des narines est couverte d'une matiere farineuse qui la fait paroître blanchâtre ; les piés sont rouges & les ongles noirs. Le pigeon domestique a environ un pié un pouce de longueur depuis la pointe du bec, jusqu'à l'extrémité de la queue, & dix à douze pouces jusqu'au bout des ongles : l'envergure est de plus de deux piés, lorsque les aîles sont pliées, elles s'étendent au-delà du bout de la queue, environ d'un pouce. Toutes les différentes especes de pigeons vivent de graines & de semences dures qu'ils avallent sans les casser. La femelle ne pond ordinairement que deux oeufs : le mâle & la femelle les couvent chacun à leur tour ; ils nourrissent leurs petits en leur dégorgeant dans le bec, des grains qu'ils gardent quelque tems dans leur jabot, pour les ramollir, & pour en faciliter la digestion à leurs petits. Communément il se trouve dans chaque couvée un mâle & une femelle qui s'appareillent ensemble dans la suite : ils font plusieurs pontes chaque année. M. Brisson, Ornit. vol. I. On va rapporter d'après cet auteur les différentes especes de pigeons dont il a donné la description, & les seize diverses sortes de pigeons domestiques qu'on éleve dans les basses-cours, & qu'il regarde comme des variétés du pigeon romain. Les descriptions de ces seize variétés sont numerotées, pour empêcher qu'on ne les confonde avec les vraies especes.
PIGEON VERD D'AMBOINE, columba viridis amboinensis, Bris. ce pigeon est à-peu-près de la grosseur d'une tourterelle. Il a le dessus de la tête gris ; cette couleur est claire du côté du bec, & foncée vers le derriere de la tête. Les côtés de la tête, la gorge, le cou, la poitrine, le ventre, les côtés du corps, les jambes, le croupion & la face supérieure des plumes de la queue sont d'un verd d'olive, qui est jaunâtre sur la partie inférieure du cou & sur la poitrine. Les plumes de la queue sont noires en-dessous à leur origine, & d'un gris-blanc à leur extrémité ; celles qui se trouvent sous la queue ont une couleur blanche sale & jaunâtre. Les petites plumes de l'aîle sont noires ou noirâtres ; il y a sur chaque aîle une large bande jaune & transversale, parce que la plûpart des petites plumes ont leur extrémité de cette couleur. Les grandes plumes & les moyennes sont noires en-dessus & grises en-dessous, & elles ont le bord extérieur jaune. Le dos est de couleur de marron ; les piés sont gris & le bec est verdâtre. On trouve cet oiseau à Amboine. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON DE BARBARIE, columba barbarica seu numidica, Wil. Ce pigeon a le bec très-court, & les yeux sont entourés d'une large bande de peau unie, qui a des mamelons farineux comme celle du pigeon messager.
PIGEON BATTEUR, columba percussor, Wil. Ce pigeon tourne en rond lorsqu'il vole, & il bat des aîles avec force, & il fait plus de bruit que si on frappoit deux planches l'une contre l'autre ; aussi les plumes de ses aîles se trouvent souvent rompues.
PIGEON CAVALIER, columba eques, Wil. Ce pigeon est le produit du pigeon à grosse gorge & du pigeon messager. La membrane des narines est fort épaisse ; elle s'étend comme dans le pigeon messager jusqu'à la moitié de la longueur du bec, & elle est couverte de tubercules farineux, de même que le tour des yeux ; il a aussi la faculté d'enfler son jabot en inspirant de l'air, comme le pigeon à grosse gorge.
PIGEON ROUX DE CAYENNE, perdix montana, Rai. synop. Ce pigeon est plus petit que le pigeon ramier, il a toute la face supérieure du corps d'un roux tirant sur le pourpre ; la gorge, la face inférieure du cou & la poitrine sont de couleur de chair ; le ventre, les côtés du corps & les jambes ont une couleur roussâtre. Les grandes plumes des aîles, celles de la face inférieure & de la queue sont rousses. Il y a autour des yeux de petits mamelons charnus d'un très-beau rouge ; l'iris est de cette même couleur ; le bec & les piés sont moins rouges. On trouve cet oiseau à Cayenne. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON A LA COURONNE BLANCHE, voyez ROCHERAYE DE LA JAMAÏQUE.
PIGEON CUIRASSE, columba galeata, Wil. Ce pigeon a les grandes plumes des aîles & celles de la queue d'une même couleur, ou blanche ou noire, &c. mais toujours différente de celle du reste du corps.
PIGEON CULBUTANT, columba gyratrix seu vertaga, Wil. Ce pigeon est petit & de différentes couleurs. Il se donne divers mouvemens en volant, & il tourne sur lui-même comme une boule qu'on jette en l'air.
PIGEON FRISE, columba crispa, ce pigeon est blanc en entier, à l'exception des doigts qui sont rouges ; tout le reste de son corps est couvert de plumes frisées.
PIGEON FUYARD, on a donné ce nom aux pigeons qu'on éleve dans des colombiers, & qui vont chercher leur nourriture dans la campagne.
PIGEON A GORGE FRISEE, columba turbila dicta, Wil. Ce pigeon a, comme les deux précédens, le bec très court, mais on le distingue aisément par les plumes de la poitrine qui sont comme frisées. Le sommet de la tête est applati.
PIGEON A GROSSE GORGE ou PIGEON GRAND GOSIER, columba gutturosa, Wil. il est de la grosseur du pigeon romain, & ses couleurs varient de même ; il enfle tellement son jabot en inspirant beaucoup d'air, que cette partie paroît plus grosse que tout le reste du corps.
PIGEON DE GUINEE, columba guineensis, Klein. avi. Ce pigeon est de la grosseur du pigeon romain ; il a la tête, la gorge, la poitrine, le ventre, les côtés du corps & les jambes d'une couleur cendrée claire ; les plumes du cou finissent en pointe ; le milieu de chacune de ces plumes est aussi d'une couleur cendrée claire & les bords sont rougeâtres. La partie antérieure du dos est un brun tirant sur le pourpre ; cette couleur paroît violette à certains aspects. Les trois plumes inférieures du premier rang des petites plumes des aîles & toutes celles des autres rangs, sont de la même couleur pourprée, & ont chacune à leur extrémité une tache blanche triangulaire ; les autres plumes des aîles sont noires, & ont le bord extérieur d'un cendré clair. La partie postérieure du dos & le croupion sont blancs ; les plumes qui couvrent la racine de la queue, tant en-dessus qu'en-dessous, ont une couleur cendrée claire : celles de la queue sont d'un cendré obscur, à l'exception de l'extrémité qui est noire. Les yeux sont entourés d'une peau rouge dégarnie de plumes : l'iris des yeux est d'une belle couleur orangée ; celle du bec est noirâtre, & les piés sont d'un rouge-pâle. On trouve cet oiseau dans les parties méridionales de la Guinée. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON HUPPE, columba cristata, ce pigeon a une hupe formée par les plumes du derriere de la tête qui sont dirigées en-haut.
PIGEON DE LA JAMAÏQUE, columba minor jamaycensis, Rai. synop. avi. Ce pigeon a neuf pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue. Le sommet de la tête & toute la face inférieure de l'oiseau sont blancs ; la face supérieure du cou est mêlée de bleu & de pourpre. Le dos, le croupion & les aîles sont d'un brun tirant sur le pourpre, & mêlée d'une légere teinte de rouge. La queue est bleue, & elle a à son extrémité une petite bande blanche. On trouve cet oiseau au mois de Janvier à la Jamaïque dans les savanes ou dans les plaines. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON A QUEUE ANNELEE DE LA JAMAÏQUE, columba, caudâ, fasciâ notatâ, Rai. synop. avi. Ce pigeon a un pié trois pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue. La tête, la partie inférieure du cou & la poitrine sont de couleur de pourpre ; la partie supérieure du cou est d'un pourpre changeant, qui paroît verd à certains aspects. Les plumes du dos, du croupion, & celles qui recouvrent le dessus de la racine de la queue sont d'un bleu pâle. La queue, qui est de la même couleur bleue que le dos, a une large bande transversale noire. La membrane qui est au-dessus des narines forme deux tubercules auprès de la racine du bec. On trouve cet oiseau à la Jamaïque. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON DES INDES, columba indica fusca, Klein. avi. Ce pigeon est à-peu-près de la grosseur de la tourterelle. Il a la partie antérieure de la tête, les joues, la gorge, la partie inférieure du cou & la poitrine d'un brun roussâtre clair ; le derriere de la tête & la partie supérieure du cou sont d'un brun plus obscur ; il y a de chaque côté au-dessous des oreilles une tache noire transversale. La partie antérieure du dos & la plûpart des petites plumes des aîles sont en entier d'un brun obscur & roussâtre, mêlé d'un peu de bleu ; les autres ont le côté extérieur & l'extrémité blancs ; la partie inférieure du dos & le croupion sont d'un cendré obscur ; le ventre, les côtés du corps, les jambes, les plumes du dessous de la queue & celles de la face inférieure de l'aîle ont une couleur cendrée claire & bleuâtre : les grandes plumes des aîles sont noires, à l'exception du bord extérieur qui est d'une couleur plus claire ; les deux plumes du milieu de la queue ont la même couleur que la partie antérieure du dos ; les autres sont d'un cendré obscur, à l'exception de l'extrémité qui est blanche. Les yeux sont entourés d'une peau nue, qui a une belle couleur bleue. L'iris est d'un rouge vif. Le bec est noir, & les piés ont une couleur rouge. Cet oiseau remue fréquemment la queue, comme les bergeronnettes On le trouve aux Indes orientales. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON DE LA MARTINIQUE, columba martinicana, on donne à ce pigeon le nom de perdrix à la Martinique, il est à-peu-près de la grosseur du pigeon domestique : il a la tête, le cou, la gorge & la poitrine d'un marron tirant sur le pourpre ; les plumes de la partie inférieure du cou sont d'un violet doré très-éclatant, & forment une sorte de collier ; le dos, le croupion & les petites plumes des aîles ont une couleur brune tirant sur le roux : le ventre, les jambes & les plumes du dessous de la queue sont d'un fauve-clair, mêlé de violet : les côtés du corps & la face inférieure des aîles ont une couleur cendrée ; les grandes plumes des aîles sont noirâtres ; les deux plumes du milieu de la queue sont en entier d'un brun roussâtre ; les autres ont cette couleur sur la plus grande partie de leur étendue seulement du côté extérieur, & le côté intérieur est d'un cendré foncé ; elles ont une bande noire transversale près de leur extrémité qui est d'un gris blanc : les piés sont rouges. On trouve cet oiseau à la Martinique. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON VIOLET DE LA MARTINIQUE, columba violacea martinicana, Bris. le pere du Tertre, hist. des Ant. a donné à ce pigeon le nom de perdrix rousse. Il est à-peu-près de la grosseur de la tourterelle, & il a la tête, le cou, la poitrine, le dos, le croupion, les petites plumes des aîles, & la queue de couleur de marron, qui change à différens aspects en violet : le ventre, les jambes, & les plumes du dessous de la queue sont roussâtres ; les côtés du corps & la face inférieure de l'aile, ont une couleur rousse ; les grandes plumes de l'aile ont le côté extérieur & l'extrémité de même couleur que le dos ; le côté intérieur est roux ; les yeux sont entourés de petits mamelons charnus d'un très-beau rouge ; l'iris est de cette même couleur ; le bec & les piés sont d'un rouge moins foncé. On trouve cet oiseau à la Martinique. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON MESSAGER, columba tabellaria, Wil. Ce pigeon ressemble beaucoup au précédent ; il est d'un bleu foncé ou noirâtre : la membrane qui entoure les yeux, & celle qui couvre les narines, sont fort épaisses & couvertes de tubercules farineux blanchâtres : le bec est d'une moyenne longueur & noirâtre. On a donné à ces sortes de pigeons le nom de messager, parce qu'on leur fait porter des lettres d'un endroit à un autre : on les style à ce service quand ils sont jeunes.
PIGEON DU MEXIQUE, CEHOILOTL, columba sylvestris, Rai, synop. avi. Ce pigeon a toutes les parties du corps couvertes de plumes brunes, excepté la poitrine & les extrémités des aîles qui sont blanches ; le tour des yeux est d'un rouge vif, & l'iris est noir ; les piés sont rouges : on le trouve au Mexique. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON BLEU DU MEXIQUE, TLACAHOILOTL, columbae sylvestris species, Rai, synop. avi. Ce pigeon est à-peu-près de la grosseur du pigeon domestique : la tête, le cou, le dos, le croupion, & les jambes sont bleues. Il y a aussi quelques plumes rouges sur la tête & sur le cou, principalement à sa partie inférieure ; les grandes plumes des aîles & celles de la queue sont bleues ; les plumes de la poitrine, du ventre, des côtés du corps, les petites des aîles, & celles du dessous de la queue, ont une couleur rouge, de même que l'iris des yeux, le bec & les piés : on trouve cet oiseau au Mexique. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON DE MONTAGNE DU MEXIQUE, columba mexicana, montana maxima, Rai. Ce pigeon est presqu'aussi grand que le pigeon romain, & entierement d'un roux tirant sur le pourpre, excepté les petites plumes des aîles qui sont blanches ; le bec & les piés sont d'un très-beau rouge. Il y a des individus de cette espece qui ont une couleur fauve claire, au lieu d'être roux : on trouve cet oiseau sur les montagnes du Mexique. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON NONAIN, PIGEON A CHAPERON, PIGEON PATE, JACOBIN, columba cucullata, sive jacobina, Wil. Celui-ci a comme le pigeon de Barbarie le bec très-court ; les plumes du derriere de la tête & celles de la partie supérieure du cou, sont dirigées en-haut, & disposées de façon qu'elles forment une sorte de capuchon semblable à celui d'un moine ; c'est ce qui lui a fait donner le nom de pigeon nonain.
PIGEON DE NINCOMBAR, columba Nincombar, indica. Klein avi. Ce pigeon est un peu plus grand que le pigeon romain. Il a la tête & la gorge d'un noir bleuâtre ; les plumes du cou qui sont longues & étroites, & celles du dos & du croupion, ont différentes couleurs, telles que le bleu, le rouge, le pourpre & le jaune, & elles sont toutes antées d'un très-beau verd. La poitrine, le ventre, les côtés du corps & les jambes, ont une couleur brune obscure ; les petites plumes des aîles sont toutes vertes, excepté les trois extérieures du premier rang, dont la couleur est bleue ; les trois premieres des grandes ont cette même couleur bleue, & les autres sont en partie brunes & en partie rousses ; la queue est blanche, les piés sont bruns en-dessus & jaunes en-dessous : l'iris des yeux est rouge ; la femelle differe du mâle, en ce qu'elle n'a pas des couleurs aussi brillantes, & que les plumes du cou sont moins longues : on trouve cet oiseau dans les îles de Nincombar. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON DE NORVEGE, columba norvegica. Ce pigeon a presque la grosseur d'une poule ; il est d'un très-beau blanc ; ses piés sont couverts de plumes, & il a une hupe sur le sommet de la tête.
PIGEON PAON, PIGEON A LARGE QUEUE, columba tremula laticauda, Wil. On a donné à ce pigeon le nom de pigeon-paon, parce qu'il étend & qu'il étale sa queue, en la portant élevée, comme le paon & le coq d'Inde ; il a un plus grand nombre de plumes dans la queue que les autres pigeons. On l'a aussi nommé le trembleur, parce qu'il remue presque sans cesse la tête & le cou de côté & d'autre.
PIGEON PATU, columba hirsutis pedibus, Wil. Ce pigeon ne differe des autres, qu'en ce qu'il a les piés couverts de plumes jusqu'au bout des doigts.
PIGEON VERD DES PHILIPPINES, columba maderaspatana, variis coloribus eleganter depicta, Rai, synop. av. Ce pigeon est un peu plus gros que notre tourterelle : il a la tête & la gorge d'un verd d'olive mêlé de brun ; le cou est de couleur de marron clair ; les plumes du dos, du croupion, des côtés du corps & celles du dessus de la queue, sont d'un verd d'olive ; les grandes plumes des aîles ont à leur extrémité une bande jaune de couleur de soufre ; la poitrine est orangée ; le ventre & les jambes sont d'un verd d'olive clair & tirant sur le jaune ; cette couleur s'éclaircit & devient d'autant plus jaune, qu'elle se trouve plus près de l'anus, qui est entierement jaune. Les plumes qui sont sous la queue ont autant de longueur que celles de la queue même, & leur couleur est rousse ; les plumes de l'aîle sont noirâtres en-dessus & cendrées en-dessous, à l'exception des bords extérieurs, qui ont une couleur jaune claire ; celles de la queue sont au contraire cendrées en-dessus & noirâtres en-dessous : on trouve cet oiseau aux îles Philippines. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.
PIGEON RAMIER, voyez RAMIER.
PIGEON DE ROCHE, voyez ROCHERAYE.
PIGEON ROMAIN, columba domestica major, Wil. Le pigeon romain est beaucoup plus grand que le pigeon domestique ; il a environ quinze pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue ; ses couleurs varient ; on en voit de blancs, de noirs, de roux, de cendrés ; d'autres ont plusieurs de ces couleurs mêlées ; enfin, il y en a qui les réunissent toutes les quatre ; le bec est noir dans les uns, & rouge ou de couleur de chair dans les autres ; ils ont tous la membrane, qui est au-dessus des narines, couverte d'une matiere farineuse qui la fait paroître blanchâtre ; les piés sont rouges & les ongles noirs, & quelquefois blanchâtres. M. Brisson dans son Ornithologie, fait de ce pigeon une espece particuliere, & il regarde comme des variétés de cette espece les pigeons dont il a été fait mention au nombre de seize.
PIGEON SAUVAGE, oenas seu vinago, Wil. Ce pigeon est un peu plus gros que le pigeon domestique : il a un pié deux pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & deux piés deux pouces d'envergure ; la tête est cendrée ; la face supérieure & les côtés du cou sont d'un verd doré qui paroît de couleur de cuivre de rosette à certains aspects ; la partie antérieure du dos & les petites plumes des aîles, ont une couleur cendrée obscure ; les plumes qui couvrent le dessus de la racine de la queue, le croupion & la partie postérieure du dos, sont d'un cendré clair ; la face inférieure du cou depuis la tête jusqu'à environ le milieu de sa longueur, le reste du cou & la poitrine, sont d'un violet rougeâtre ou pourpré ; le ventre, les côtés du corps, les jambes, & les plumes du dessous de la queue, ont une couleur cendrée claire ; les quatre ou cinq premieres grandes plumes des aîles sont noires, à l'exception du bord extérieur qui est blanc ; toutes les autres, & celles du premier rang, sont cendrées à leur racine & noirâtres vers l'extrémité. Il y a encore sur chaque aîle deux taches noires ; toutes les plumes de la queue sont cendrées depuis leur origine jusqu'à environ les deux tiers de leur longueur, & le reste est noir, excepté la moitié des barbes extérieures de la premiere plume de chaque côté qui est blanche ; les piés sont rouges, & le bec est d'un rouge pâle, selon Belon : ce pigeon fait son nid sur les rochers escarpés. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON SAUVAGE D'AMERIQUE, columbus palumbus carolinensis. Klein. avi. Ce pigeon est de la grosseur de notre pigeon sauvage ; il a la face supérieure du corps de couleur cendrée, & l'inférieure d'un violet rougeâtre ; les plumes des aîles sont d'un brun noirâtre, & les grandes ont le bord extérieur blanchâtre, le tour des yeux & les piés sont rouges. On trouve cet oiseau en Amérique. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON SAUVAGE DU MEXIQUE, columba mexicana hoilotl dicta hernandesii, Rai, synop. avi. Ce pigeon est de la grandeur du pigeon domestique ; il a la tête, le cou, le dos, le croupion, les aîles & la queue d'une couleur brune mêlée de taches noires, excepté les grandes plumes des aîles & la queue qui n'ont point de ces taches ; la poitrine, le ventre & les jambes, sont d'un fauve clair, le bec est noir & les piés sont rouges. On trouve cet oiseau au Méxique dans les forêts & dans les endroits frais. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.
PIGEON VERT DE L'ISLE SAINT THOMAS, columba sylvestris ex insula sancti Thomae, Marcgravii, Wil. Ce pigeon est entierement vert à l'exception des plumes du dessous de la queue qui sont jaunes ; les plumes des aîles & l'extrémité de celles de la queue, ont une couleur verte tirant sur le brun ; les yeux sont noirs & entourés d'un cercle bleu ; le bec est d'un rouge de sang depuis sa racine jusqu'à la moitié de sa longueur, & le reste a une couleur bleue mêlée de blanc & de jaune ; les piés sont d'un jaune de safran. On trouve cet oiseau dans l'île saint Thomas. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.
PIGEON TREMBLEUR, columba tremula angusti cauda seu acuticanda, Wil. ce pigeon ressemble au pigeon paon par les mouvemens continuels qu'il se donne, mais il en differe en ce qu'il a la queue étroite.
PIGEON TURC, columba turcica seu persica, Wil. La couleur de ce pigeon varie moins que celle de la plûpart des autres pigeons ; il est noirâtre ou d'un jaune rougeâtre ou obscur : la membrane qui entoure les yeux & celle qui se trouve au-dessus des narines sont rouges & fort épaisses : le bec est jaune & les piés sont d'un rouge pâle.
PIGEON DE VOLIERE, (Econom. rustiq.) c'est un pigeon nourri à la main & élevé à la maison dans une voliere, & qui n'en sort que pour s'égayer. Les pigeons de voliere sont plus chers que les autres, parce qu'ils sont meilleurs, & sur-tout quand ils ne mangent que du chénevi & du millet : les pigeons, soit de voliere ou autres, couvent leurs oeufs dix-huit jours, le mâle & la femelle tour-à-tour pendant la journée, mais la femelle toute la nuit ; ils font ordinairement des petits tous les mois ; ils les nourrissent un mois durant, mais dès que leurs petits ont dix ou douze jours, ils commencent à se tirer le bec & à se cocher. Leurs petits mangent seuls, lorsqu'ils ont trois semaines ; ils roucoulent à deux mois, & à six ou environ, ils commencent à profiter & à se préparer pour faire des petits. (D.J.)
PIGEON, (Diete & Mat. méd.) l'usage très-commun que nous faisons du pigeon dans nos alimens, est une chose assez connue ; on ne mange presque que le pigeonneau ; la chair du vieux pigeon est seche & dure, elle fournit pourtant un assez bon suc lorsqu'on la fait bouillir avec d'autres viandes pour en préparer des potages. Le pigeonneau de voliere ne differe du pigeonneau de colombier, qu'en ce que le premier est communément plus gros & toujours plus gras & par conséquent d'une chair plus délicate, plus fondante.
Le pigeonneau se mange dans deux états ou deux âges qui le font différer essentiellement : 1°. lorsqu'il commence à peine à pousser les tuyaux des plumes de la queue & des aîles, ce qui lui arrive lorsqu'il a environ quinze ou seize jours ; 2°. ou lorsqu'il est presqu'entierement couvert de plumes, ce qui lui arrive à-peu-près à l'âge d'un mois ; dans le premier état, la chair en est absolument sucrée, elle n'est point faite, ce n'est presque qu'une gelée ; elle est en général peu saine quoiqu'elle soit regardée comme plus délicate ; dans le second état, la chair a une certaine consistance, quoiqu'elle soit tendre encore & pleine de suc ; elle est généralement beaucoup plus salutaire ; on peut l'accorder à presque tous les sujets, aux tempéramens les plus délicats, aux convalescens : la premiere leur doit être interdite.
Quant aux usages pharmaceutiques du pigeon, son sang est compté avec raison parmi les remedes adoucissans externes les plus éprouvés. C'est un bon remede contre les ophtalmies douloureuses, & contre les plaies de l'oeil, que de saigner un pigeonneau sous l'aîle, & de faire tomber sur le champ quelques gouttes de son sang dans l'oeil. Un pigeon en vie ouvert par le milieu, & appliqué tout chaud sur la tête des phrénétiques ou sur le côté des pleurétiques, lorsque les calmans & résolutifs externes sont indiqués, produit quelquefois de très-bons effets ; c'est un remede que les anciens médecins ont beaucoup employé ; les médecins modernes au contraire paroissent trop négliger ces sortes d'applications. Voyez TOPIQUE. Il faut observer néanmoins que le pigeon ne mérite aucune préférence sur les autres animaux.
Celse recommande le foie du pigeon récent & crud, mangé pendant long-tems, contre l'ictere. Le cerveau de pigeon passe pour aphrodisiaque.
Les auteurs de Chymie & de Matiere médicale, disent que la fiente de pigeon est éminemment nitreuse ; Forestus conclut de cette observation, que cette fiente prise intérieurement, est un très-bon diurétique contre l'hydropisie ; cette même fiente est vantée encore contre la pleurésie, à la guérison de laquelle le nitre paroît aussi être très-propre. La fiente de pigeon est aussi recommandée contre la supression des regles. Ces vertus ne paroissent pas avoir été attribuées à la fiente de pigeon aussi légerement que celles qu'on trouve attribuées dans les livres à beaucoup de matieres semblables ; ce remede paroît au contraire mériter d'être tenté dans ces divers cas.
Dioscoride, Galien, Pline & plusieurs auteurs modernes recommandent aussi l'usage extérieur de la fiente de pigeon, à laquelle ils accordent une puissante vertu discussive, résolutive, répercussive, cicatrisante, &c. Jean Becler dit qu'on trouve quelquefois dans les boutiques le musc falsifié avec du sang de pigeon. La tourterelle & les deux especes de ramier, savoir le petit ramier & le gros ramier ou palombe, sont évidemment des especes de pigeon ou du-moins des animaux, on ne peut pas plus, analogues au pigeon ; quant à leurs qualités diététiques & pharmaceutiques, les ramiers ont seulement la chair un peu plus ferme & un peu plus noire, & le goût beaucoup plus relevé.
Au pié des Pyrénées, où l'on prend au commencement de l'automne une quantité prodigieuse de ces oiseaux ; on les mange communément à la broche presque cruds, du moins c'est de toutes les viandes celle que j'ai vû servir la plus saignante : elle est délicieuse dans cet état, & il est rare qu'elle incommode. (b)
PIGEON, (Hist. des inventions) dans l'orient surtout en Syrie, en Arabie & en Egypte, on dresse des pigeons à porter des billets sous leurs aîles, & à rapporter la réponse à ceux qui les ont envoyés. Le mogol fait nourrir des pigeons qui servent à porter les lettres dans les occasions où l'on a besoin d'une extrême diligence. Le consul d'Alexandrette s'en sert pour envoyer promtement des nouvelles à Alep. Les caravanes qui voyagent en Arabie, font savoir leur marche aux souverains Arabes, avec qui elles sont alliées, par le même moyen : ces oiseaux volent avec une rapidité extraordinaire, & reviennent avec une nouvelle diligence, pour se rendre dans le lieu où ils ont été nourris, & où ils ont leurs nids. On voit quelquefois de ces pigeons couchés sur le sable & le bec ouvert, attendant la rosée pour se rafraîchir & reprendre haleine. Au rapport de Pline, on s'étoit déja servi de pigeons pour faire passer des lettres dans Modène assiégé par Marc-Antoine. On en renouvella l'usage en Hollande en 1574 au siége de Harlem & au siége de Leyde en 1575 ; le prince d'Orange après la levée du siége de cette derniere place, voulut que ces pigeons fussent nourris aux dépens du public, dans une voliere faite exprès, & que lorsqu'ils seroient morts, on les embaumât pour être gardés à l'hôtel-de-ville, en signe de reconnoissance perpétuelle. (D.J.)
PIGEON, clou à, (Clouterie) les clous à pigeon sont des grands clous à crochet, qu'on nomme autrement bec-de-canne ; ils servent à attacher dans les volets & colombiers, les paniers où l'on met pondre & couver les pigeons. (D.J.)
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PIGEONNER | v. a. ou ÉPIGEONNER, (terme de Maçon) c'est employer le plâtre un peu serré, sans le plaquer ni le jetter, mais le lever doucement avec la main & la truelle par pigeons, c'est-à-dire par poignées, comme lorsqu'on fait les tuyaux & les languettes de cheminées qui sont de plâtre pur. (D.J.)
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PIGER HENRICUS | (Chymie) Henri le paresseux ; c'est un nom que l'on donne quelquefois à un fourneau chymique qui sert à faire plusieurs distillations & autres opérations à la fois. On l'appelle plus communément athanor. Voyez ATHANOR & FOURNEAU.
PIGER UN CHANTIER, terme de riviere & de comm. de bois, c'est lorsque l'on veut savoir combien un chantier contient de voies de bois, le faire mesurer.
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PIGNATOLIS | en italien pignatella, petite mesure qui est en usage dans cette partie de l'Italie qu'on nomme la Pouille, pour mesurer les liqueurs. On s'en sert aussi en quelques endroits de la Calabre : c'est à-peu-près la pinte de Paris. Dictionn. de Commerce, tom. III. p. 846.
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PIGNEROL | (Géogr. mod.) petite ville d'Italie dans le Piémont, à l'entrée de la vallée de Pérouse. Elle passa en 1042 dans la maison de Savoie. François I. s'en empara en 1536, mais Henri III. rendit cette place en 1574 au duc de Savoie. Elle passa ensuite en 1632 au roi de France en toute propriété, & pour lors les François y bâtirent une citadelle, qu'ils ont démolie en remettant Pignerol au duc de Savoie en 1696. Cette ville est sur la riviere de Chiuson ou Cluson, à 8 lieues au nord-ouest de Turin, 28 nord de Nice, 18 sud-ouest de Casal, 32 est de Grenoble. Long. 24. 56. lat. 44. 45.
M. Fouquet, surintendant des finances, fut enfermé en 1664 dans la citadelle de Pignerol, où il mourut en 1680. Le jugement qui le condamna à cette prison perpétuelle, ne fait pas honneur à M. Colbert ; & de tant d'amis de la fortune de M. Fouquet, Pelisson fut presque le seul qui lui resta fidele. (D.J.)
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PIGNES | (Minéralogie) On appelle ainsi dans le Pérou & le Chily des masses d'argent poreuses & légeres, faites d'une pâte desséchée qu'on forme par le mêlange ou l'amalgame du mercure & de la poudre d'or, d'argent, tirée des minieres.
Lorsque le minerai ou la pierre qui contient l'un de ces métaux a été détachée du filon, on commence par la concasser, pour la mettre en état d'être écrasée, moulue dans des moulins destinés à cet usage, auxquels l'eau donne ordinairement le mouvement, & qui ont des pilons de fer du poids de 200 livres.
Après avoir réduit le minerai en poudre, on le passe par des tamis ou cribles de fer ou de cuivre, & on le paîtrit ensuite dans l'eau, jusqu'à ce qu'il ait acquis la consistance d'une boue assez épaisse.
Cette boue étant à demi-séchée, on la coupe par tables d'un pié d'épaisseur, & d'environ 25 quintaux. Chaque table, qu'on nomme cuerpo, est de nouveau paîtrie avec du sel marin, qui s'y fond & s'y incorpore ; il en faut ordinairement 200 livres par table, mais on l'augmente ou on la diminue suivant la qualité du minerai.
Après cette préparation, à laquelle on emploie trois jours, on y joint depuis 10 jusqu'à 20 livres de mercure, suivant la richesse de la mine ; c'est-à-dire on y en met une plus grande quantité si elle est riche, & une moindre si elle ne l'est pas. On recommence ensuite à repaîtrir chaque table, jusqu'à ce que le mercure ait bien ramassé & se soit bien incorporé avec l'argent.
Ce travail est très-dangereux, à cause des mauvaises qualités du mercure ; il se fait par des malheureux indiens, qui le recommencent huit fois par jour. Neuf ou dix jours suffisent pour cette amalgamation dans les lieux tempérés ; mais dans les pays froids, on y emploie quelquefois un mois ou six semaines.
La chaux & les mines de plomb ou d'étain qu'on est souvent obligé d'y mêler, facilitent beaucoup l'amalgame du mercure ; il faut même pour de certaines mines se servir du feu pour en avancer l'effet.
Lorsqu'on croit le mercure & l'argent bien amalgamés, on en fait l'essai en prenant un peu de terre de chaque cuerpo, & en la lavant dans de l'eau sur une assiette, si le mercure est blanc, on juge qu'il a produit son effet ; s'il est noirâtre, il faut le paîtrir de nouveau, en y ajoutant du sel.
Lors enfin que l'essayeur est content, on l'envoie aux lavoirs : ce sont trois bassins construits en pente, qui se vuident successivement l'un dans l'autre, & d'où la terre qui est mise dans le plus élevé, s'écoule à force d'être délayée par l'eau d'un ruisseau qui y tombe, & qu'un indien agite avec les piés, ce que font aussi deux autres indiens dans les deux bassins suivans.
Lorsque l'eau sort toute claire des bassins, on trouve dans le fond, qui est garni de cuir, le mercure amalgamé avec l'argent, ce qu'on appelle la pella ; & c'est de cette pella qu'on forme les pignes, après qu'on en a fait sortir le plus que l'on peut de mercure, en la mettant d'abord dans des chausses de laine de vigogne, qu'on presse & qu'on bat fortement, & en la foulant ensuite dans un moule de bois de figure pyramidale octogone, au bas duquel est une plaque de cuivre remplie de plusieurs petits trous.
On donne à volonté différens poids aux pignes ; & pour connoître la quantité que chacune peut contenir d'argent, on les pese ; & en déduisant les deux tiers de leur pesanteur pour le mercure, on juge à-peu-près de ce qu'elles doivent contenir d'argent.
La pigne tirée hors du moule, & soutenue de la plaque de cuivre trouée, on la pose sur un trépié audessous duquel est un grand vaisseau plein d'eau : on couvre le tout d'un grand chapiteau de terre qu'on environne de charbon qu'on entretient toujours bien allumé. Le mercure que la pigne contient encore, se réduit en vapeur par la violence du feu ; il se condense ensuite dans l'eau, où il est reçu, & il reste une masse ou un amas de grains d'argent de différentes figures, qui se joignent par leurs extrémités, ce qui forme une masse poreuse & fort légere, & ce sont ces sortes de pignes que les mineurs tâchent de vendre furtivement aux vaisseaux étrangers qui vont dans la mer du Sud, & qui ont fait faire de si grands profits aux négocians qui se sont hasardés dans les dernieres guerres à faire ce commerce de contrebande.
Ceux qui achetent de l'argenterie pigne, doivent bien se garder de la mauvaise foi des mineurs espagnols, qui pour les rendre plus pesantes en remplissent le milieu avec du sable ou du fer. Le plus sûr est de les ouvrir ou de les faire rougir au feu ; car si elles sont falsifiées, elles noircissent ou jaunissent. On fraude aussi l'acheteur, en mêlant dans la même pigne de l'argent de différent aloi. Voyez le Dictionnaire de Chambers.
L'or en pigne est ce qui reste de l'amalgame qui a été fait du mercure avec l'or ; cette opération est décrite à l'article OR.
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PIGNONNÉ | (Blason) il se dit de la représentation d'un pignon de muraille, qui se termine en pointe par briques ou carreaux les uns sur les autres, en forme de plusieurs montans ou escaliers. Il porte d'argent à un lion naissant de sable, d'une campagne maçonnée, pignonnée de deux montans de gueules. Dict. de Trévoux. (D.J.)
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PIGNON | ou PIGNONS DOUX, (Diete & Mat. méd.) fruit du pin franc ou cultivé. Voyez PIN.
Les pignons contiennent une amande ou semence émulsive qui est assez agréable à manger, sur-tout lorsqu'on l'a recouverte de sucre, c'est-à-dire qu'on en a fait une dragée qu'on emploie dans les émulsions, & dont on tire une huile par expression qui est d'usage en médecine. Ces usages des pignons, & leurs propriétés diététiques & médicamenteuses, n'ont rien de particulier : tout cela leur est commun au contraire avec toutes les semences émulsives que les hommes mangent. Voyez SEMENCES EMULSIVES.
Les pignons ont cela de spécial, qu'ils sont d'un tissu mou & lâche, & qu'ils sont éminemment huileux, ce qui les rend communément pesans à l'estomac, & très-sujets à vomir. Il est difficile de les préserver de cet accident pendant toute l'année, même en les conservant dans leur coque, qui est très-dure & très-dense. On ne doit les employer que lorsqu'ils sont récens, secs & très-blancs. (b)
PIGNON D'INDE, ricinoides, genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond, & soutenus par un calice qui a plusieurs feuilles ; cette fleur est stérile. L'embryon se trouve sur le même individu séparément des fleurs ; il est couvert d'un calice, & il devient dans la suite un fruit qui se divise en trois capsules ; elles renferment chacune une semence oblongue. Tournefort, Inst. rei herb. app. Voyez PLANTE.
PIGNON D'INDE ou RICIN, (Mat. méd.) on trouve dans les boutiques plusieurs sortes d'amandes purgatives sous le nom de pignon d'Inde ou de ricin, que l'on apporte soit des Indes orientales, soit de l'Amérique. L'une porte plus particulierement le nom de graine de ricin ou de pignon d'Inde : elle est le fruit du ricin vulgaire ou palma Christi. Une autre est connue sous le nom spécial de pignon de Barbarie : elle est le fruit du grand ricin d'Amérique ou médicinier. Voyez MEDICINIER. Une troisieme est le fruit du médicinier d'Espagne, & est quelquefois appellée aveline purgative du nouveau monde ; & enfin une quatrieme espece est connue sous le nom de graine de Tilli ou des Moluques, & c'est le fruit de l'arbre appellé vulgairement panava ou pavana.
Tous ces fruits, dont le premier a été connu des anciens, sont des purgatifs émétiques très-violens, capables d'enflammer la gorge, l'estomac & les intestins, de produire tous les autres ravages des vrais poisons. Les habitans des pays où ces fruits croissent, se sont un peu familiarisés avec ces remedes, qu'ils préparent & qu'ils emploient diversement ; mais la Médecine possede assez de purgatifs violens aussi sûrs & moins dangereux, pour qu'elle doive rejetter absolument l'usage de ceux-ci. (b)
PIGNON, terme de Méchanique ; c'est en général la plus petite de deux roues qui engrenent l'une dans l'autre ; cependant on donne ce nom plus particulierement à la roue qui est menée ; c'est dans ce dernier sens que nous le prenons dans tous les articles où nous parlons des pignons, & sur-tout dans l'article DENT, où tout ce que nous disons de la forme des dents des roues & des ailes des pignons, doit s'entendre de ces dents & de ces ailes, en tant que la roue mene & que le pignon est mené.
On emploie dans les machines de deux sortes de pignons ; dans les grandes ce sont ordinairement des pignons à lanterne, fig. 5. N Y ; dans les petites, des pignons dont les dents ou ailes sont disposées & formées à peu-près de la même façon que celles des roues ; tels sont ceux des montres, des pendules, &c.
Les fuseaux A B des pignons à lanterne, sont ordinairement cylindriques. Plusieurs artistes ont renouvellé dernierement une ancienne pratique, qui est de faire tourner ces fuseaux sur leurs axes, entr'autres à Londres M. Harisson, dans sa premiere pendule pour les longitudes ; leur but étoit de diminuer par-là le frottement des dents de la roue sur les fuseaux ; mais quoique ce frottement soit assez de conséquence pour qu'on doive y faire attention, cependant ce n'est pas la chose essentielle dans un engrenage ; c'est l'uniformité de l'action de la dent de la roue sur le fuseau ou sur l'aile du pignon, comme on l'a vû à l'article DENT, uniformité qu'on a de la peine à se procurer lorsque l'on fait tourner les fuseaux sur leurs axes, parce qu'étant obligé de les faire d'une certaine grosseur, sans quoi l'avantage ne seroit presque rien, il est difficile de donner alors à la dent la forme requise pour qu'elle mene le fuseau toujours uniformément.
M. de la Hire, dans son traité des épicycloïdes, a démontré que pour qu'une dent mene toujours le fuseau uniformément, en supposant qu'il soit infiniment délié, il faut que sa face soit formée par la portion d'une épicycloïde engendrée par un cercle générateur, ayant pour diametre celui du pignon, & roulant sur la circonférence de la roue. Voyez la fig. 101. Pl. des outils d'Horlogerie. Mais comme un tel fuseau n'existe point, & que tous ont une certaine grandeur, il ajoute que pour y suppléer, l'épicycloïde dont nous venons de parler étant une fois décrite, il faut de tous ses points d'écrire du côté de sa concavité des petits arcs de cercle dont le rayon soit égal à celui du fuseau, & que l'intersection de tous ces petits arcs formera une nouvelle courbe, qui sera la courbe requise.
Quant aux pignons ordinaires, dont on fait usage dans les montres & dans les pendules, la face de leurs ailes ou dents doit être terminée par une ligne droite tendante au centre, comme on l'a vû à l'article DENT. Voyez le pignon de la fig. 102. En général la figure des ailes d'un pignon doit être toujours conditionnelle à celle des dents de la roue ; mais comme il y a telle forme de dent pour laquelle il seroit impossible de trouver une figure pour les ailes du pignon, telle qu'il en résulte un mouvement uniforme de ce pignon, & que de plus il seroit souvent impraticable de donner aux faces de ces ailes, certaines formes requises ; on a choisi la ligne droite comme étant la plus simple & la plus facile à exécuter.
Pour qu'un pignon soit bien fait, il faut qu'il soit bien poli, que les faces de ces ailes tendent bien au centre, & que l'axe se trouve dans leurs plans prolongés.
Comme les diametres des pignons doivent être à ceux des roues dans lesquelles ils engrenent, comme leur nombre à celui de ces dernieres, il s'ensuit que les dents de l'un & de l'autre sont toujours égales, c'est-à-dire que la corde d'une dent du pignon doit être égale à celle d'une dent de la roue ; or comme dans les pendules & dans les montres, les roues sont ordinairement faites les premieres, & que c'est sur leurs diametres que se déterminent ceux des pignons, il en résulte qu'un nombre quelconque de dents de la roue étant pris pour le diametre du pignon, ce diametre en formant cette analogie, 7 est à 22 comme le nombre des dents de cette roue est à ce que je cherche ; le quatrieme terme qui viendra par cette regle de trois, sera le nombre du pignon : ou lorsque le nombre est donné en renversant cette analogie, & disant 22 est à 7 comme le nombre du pignon est à ce que je cherche, on aura le nombre des dents de la roue qu'il faudra prendre pour le diametre du pignon. Les Horlogers disputent souvent sur la véritable grosseur des pignons & la maniere de la prendre ; mais c'est faute de bien savoir de quoi il est question, car lorsqu'une fois le nombre d'un pignon & d'une roue qui engrenent l'un dans l'autre, sont donnés aussi-bien que le diametre de la roue, le diametre du pignon l'est aussi invariablement, & ne peut être ni plus grand ni plus petit qu'une certaine grandeur, puisque ces deux diametres doivent être entr'eux comme les nombres du pignon & de la roue. La seule difficulté seroit au sujet de cette partie de surplus de la roue & du pignon qui sont arrondis ; mais quand une fois les diametres réels de l'un & de l'autre sont déterminés, il est facile de trouver celles-ci, car le pignon ne doit être arrondi que pour que les angles des faces ne soient pas trop aigus.
Pignon de renvoi est un pignon qui sert à communiquer le mouvement d'une partie de l'horloge à une autre, comme du mouvement à la quadrature, &c.
Pignon du volant est dans un rouage de sonnerie ou de répétition, le dernier pignon dans les montres à répétition ; on le nomme délai. On l'appelle pignon du volant, parce que dans les horloges, les pendules, & quelquefois dans les montres, il porte sur sa tige une piece à laquelle on donne le nom de volant. Voyez VOLANT, SONNERIE, &c.
PIGNON, (Architect.) c'est le haut d'un mur mitoyen ou d'un mur de face, qui se termine en pointe & où vient finir le comble. Le pignon de la salle du légat de l'hôtel-Dieu de Paris, très-orné de sculpture, est un des plus grands qu'il y ait. Il a été bâti sous François I. par ordre du cardinal Antoine Duprat.
Pignon à redents ; c'est la tête d'un comble à deux égouts ; un pignon dont les côtés sont par retraites en maniere de degrés, & qu'on faisoit anciennement pour monter sur le faîte du comble, lorsqu'il en falloit reparer la couverture. Cela se pratique aujourd'hui dans les pays froids, où les combles sont fort pointus, mais plutôt pour ornement que pour les réparations.
Pignon entrapeté ; c'est un bout de mur à la tête d'un comble, dont le profil n'est pas triangulaire, mais qui a cinq pas comme celui d'une mansarde, ou même quatre comme un trapeze.
PIGNON, (Chanvrerie) ce mot se dit de tout ce qui sort du coeur du chanvre quand on l'apprête & qu'on l'habille, en le passant par les serans.
PIGNON, ou PEIGNON, (Lainage) c'est une laine de médiocre qualité, qui tombe de la laine fine lorsqu'on la peigne avec les cardes & cardasses. Il y a trois sortes de pignons de laine, savoir de bons & fins pignons, de moyens & de gros, qui chacun selon leur qualité, peuvent être employés dans diverses natures d'étoffes de laine. Savary.
PIGNON, (Serrurerie) piece qui sert dans les serrures à faire mouvoir les verrous quand elles en ont, & à ouvrir & fermer les doubles penes des cofres-forts.
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PIGNORATIF | (CONTRAT) adject. (Jurisprud.) Voyez au mot CONTRAT, l'article CONTRAT PIGNORATIF. (A)
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PIGO | voyez BISE.
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PIGRIECHE | voyez PIE GRIECHE.
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PIKE | S. f. (Mesure de longueur) mesure égyptienne dont on distingue deux especes ; le grand pike & le petit pike. Le grand pike autrement nommé pike de Constantinople, est de 27 920/1000 pouces d'Angleterre ; c'est avec ce pike qu'on mesure toutes les marchandises étrangeres, excepté celles qui sont faites de laine & de coton ; on mesure ces dernieres avec le petit pike, qu'on appelle pike du pays, parce qu'on s'en sert pour auner toutes les manufactures du lieu ; ce petit pike est de 25 576/1000 pouces d'Angleterre. Pocock, descript. d'Egypte. (D.J.)
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PILASTRE | S. m. (Archit.) colonne quarrée, à laquelle on donne la même mesure, le même chapiteau, la même base, & les mêmes ornemens qu'aux autres colonnes, & cela suivant les ordres. Le pilastre est quelquefois isolé ; mais il est plus souvent engagé dans le mur. Dans ce second cas, on le fait sortir du tiers, du quart, du sixieme, ou de la huitieme partie de sa largeur, selon les ouvrages. On cannele les pilastres comme les colonnes, & on leur donne sept cannelures dans chaque face du fust.
Le pilastre a la même origine que les colonnes, c'est-à-dire, qu'il représente des arbres équarris. Voy. COLONNE. Ce mot vient de l'italien pilastro qui a la même signification.
Pilastre attique. C'est un petit pilastre d'une proportion particuliere, & plus courte qu'aucune de ceux des cinq ordres. Il y a deux sortes de pilastres attiques, de simples, & de ravalés. On voit un modele des premiers à la porte de l'hôtel de Jars, du dessein de François Mansard, rue de Richelieu, à Paris ; & un modele du second, au château de Versailles.
Pilastre bandé. Pilastre qui, à l'imitation des colonnes bandées, a des bandes sur son fust, uni ou cannelé. Tels sont les pilastres toscan de la galerie du Louvre du côté de la riviere.
Pilastre cannelé. C'est un pilastre qui a des cannelures.
Pilastre ceintré. Pilastre dont le plan est curviligne, parce qu'il suit le contour du mur circulaire d'une tour ronde ou creuse, comme les pilastres du chevet d'une église, d'un dôme, &c.
Pilastre cornier ou angulaire. Pilastre qui cantonne l'angle ou l'encoignure d'un bâtiment, comme au portail du Louvre, par exemple.
Pilastre coupé. C'est un pilastre qui est traversé par une imposte qui passe par-dessus ; ce qui fait un mauvais effet. On en peut juger par les pilastres ioniques des portiques du château des Tuileries.
Pilastre dans l'angle. Pilastre qui ne présente qu'une encoignure, & qui n'a de saillie de chaque côté que le sixieme ou le septieme de son diametre. Il y a de ces pilastres au portail du Louvre.
Pilastre de rampe. On appelle ainsi tous les pilastres à hauteur d'appui, qui ont quelquefois des bases & des chapiteaux, & qui servent à retenir les travées des balustres, des rampes d'escaliers, & des balcons.
Pilastre diminué. C'est un pilastre qui étant derriere ou à côté d'une colonne, en retient le même contour, & est diminué par le haut, pour empêcher qu'il n'excéde l'aplomb de l'entablement. Tel est le portail de l'église de S. Gervais, & celui du collége Mazarin, à Paris.
Pilastre doublé. Pilastre formé de deux pilastres en tiers, qui se joignent à angles droits & rentrans, & qui ont leurs bases & leurs chapiteaux confondus, comme, par exemple, les pilastres corinthiens au grand sallon de Clagny, ou en angle obtus, tels que ceux qui sont derriere les huit colonnes corinthiennes du dedans de l'église des Invalides.
Pilastre ébrasé. Pilastre plié en angle obtus, par sujétion d'un pan coupé, comme on le pratique aux églises qui ont un dôme sur leurs croisées.
Pilastre engagé. C'est un pilastre qui, quoique placé derriere une colonne auquel elle est adossée, n'en suit cependant pas le contour ; mais qui est contenu entre deux lignes paralleles, & a sa base & son chapiteau confondus avec ceux de la colonne. Tels sont les pilastres des quatre chapelles d'encoignure de l'église des Invalides.
Pilastre en gaine de terre. Pilastre qui est plus étroit par le bas que par le haut. C'est ainsi que sont les grands pilastres rustiques de la haute terrasse de Meudon.
Pilastre flanqué. Pilastre accompagné de deux demi-pilastres avec une médiocre saillie. Tels sont les pilastres conrinthiens de l'église de S. André della Valle, à Rome.
Pilastre grêle. Pilastre placé derriere une colonne, & qui est plus étroit qu'il ne devroit être, s'il étoit proportionné à cette colonne, parce qu'il n'a de largeur parallele que le diametre de la diminution de la colonne, pour éviter un ressaut dans l'entablement.
Il y a des pilastres grêles à l'ordre dorique du gros pavillon du château de Clagny, & au grand portail de l'église de S. Louis des Invalides.
On nomme aussi pilastre grêle un pilastre qui a de hauteur plus de diametre que le caractere de son ordre. C'est ainsi que sont les pilastres grêles corinthiens de l'église des religieuses Feuillantines du fauxbourg S. Jacques, à Paris, qui ont plus de douze diametres, au lieu qu'ils devroient n'en avoir que dix.
Pilastre lié. On peut appeller ainsi non-seulement un pilastre qui est joint à une colonne par une languette, comme le cavalier Bernin l'a pratiqué à la colonnade de S. Pierre de Rome ; mais encore les pilastres qui ont quelques parties de leurs bases & de leurs chapiteaux jointes ensemble. On a des pilastres doriques de cette espece au portail des Minimes de la place royale, à Paris.
Pilastre plié. Pilastre qui est partagé en deux moitiés dans un angle rentrant. Il y a de ces pilastres dans les angles de la place de Louis le Grand, à Paris.
Pilastre rampant. Il y a deux pilastres ainsi nommés. Le premier, quoiqu'à plomb, suivant la rampe d'un escalier, se trouve d'équerre sur les paliers, & sert pour la décoration des murs de la cage, ou de l'échiffre. Le second pilastre est assujetti par quelqu'autre pente. De cette derniere espece de pilastre rampant, sont les pilastres doriques des aîles qui communiquent la colonade avec le portail de S. Pierre de Rome.
Pilastre ravalé. C'est un pilastre dont le parement est refouillé & incrusté d'une table de marbre bordée d'une moulure, ou avec des ornemens, comme on en voit, par exemple, aux pilastres des arcs des orfevres, ou avec des compartimens en relief, ou de marbre de diverses couleurs. Il y a aux chapelles Sixte & Pauline de sainte Marie Majeure, à Rome, des pilastres ravalés de cette seconde espece.
Pilastre rudenté. Pilastre dont les cannelures sont remplies jusqu'au tiers d'une rudenture, comme les pilastres de la grande galerie du Louvre, ou d'une rudenture plate, tel que ceux du Val-de-Grace, à Paris ; ou enfin d'ornemens semblables à ceux des colonnes rudentées.
Pilastres accouplées. Pilastres qui sont deux-à-deux. Tels sont les pilastres composites de la grande galerie du Louvre. Dict. d'architect. (D.J.)
PILASTRE de fer, (Serrur.) c'est le nom qu'on donne à certains montans à jour, qu'on met d'espace en espace, pour entretenir les travées des grilles avec des ornemens convenables. Tels sont, par exemple, les pilastres des grilles du château de Versailles & de ses écuries. (D.J.)
PILASTRE de lambris, (Menuis.) espece de montant, ordinairement ravalé entre les panneaux de lambris d'appui & de revêtement.
PILASTRE de vitre, (Vitr.) espece de montant de verre qui a base & chapiteau, avec des ornemens peints, & qui termine les côtés de la forme d'un vitrail d'église.
PILASTRE de treillage, (Jardinage) corps d'architecture long & étroit, fait d'échalas en compartiment, pour décorer les portiques & cabinets de treillage dans les jardins.
PILASTRE, (Antiq. rom.) entre les sépulchres médiocres des Romains, on y comprend les pilastres & les coffres, qui ont servi pour des personnes d'une condition ordinaire, & quelquefois pour des princes même. Ces pilastres sont ou ronds ou quarrés. Pline appelle les pilastres quarrés qui sont de pierre, stelas lapideas. De la premiere espece est le gros pilier du tombeau de Pacuvius, qui se trouve encore à Rome, tel qu'il nous est représenté dans le livre des tombeaux de Fondt, graveur polonois. Ce pilastre n'a que trois diametres de sa partie basse, & est recouvert d'un chapiteau dorique.
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PILAU | S. m. terme de relation ; sorte de préparation de riz, fort en usage chez les Turcs.
Ce peuple sobre, uniforme dans toutes les actions de sa vie, se contente de peu, & ne détruit point sa santé par trop de bonne chere. Le riz est le fondement de toute la cuisine des Turcs ; ils l'apprêtent de trois différentes manieres. Ce qu'ils appellent pilau, est un riz sec, moëlleux, qui se fond dans la bouche, & qui est plus agréable que les poules & les queues de mouton avec quoi il a bouilli. On le laisse cuire à petit feu avec peu de bouillon sans le remuer ni le découvrir, car en le remuant & en l'exposant à l'air, il se mettroit en bouillie.
La seconde maniere d'apprêter le riz s'appelle lappa ; il est cuit & nourri dans le bouillon, à la même consistance que parmi nous, & on le mange avec une cuillier, au lieu que les Turcs font sauter dans leur bouche avec le pouce le pilau par petits pelotons, & que le creux de la main leur tient lieu d'assiette.
La troisieme est le tchorba ; c'est une espece de crême de riz, qu'ils avalent comme un bouillon : il semble que ce soit la préparation du riz dont les anciens nourrissoient les malades ; sume hoc ptisanarium orizae, dit Horace. (D.J.)
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PILCOMAYO | LE, ou RIO PILCOMAYO, (Géog. mod.) grande riviere de l'Amérique méridionale. Elle prend sa source dans la province de los Charcas, & se jette dans le Paraguay, vers les 26d. de latitude méridionale.
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PILE | S. f. (Géom. & Phys.) amas de corps placés les uns sur les autres.
PILE, se dit dans l'Artillerie, d'un amas de plusieurs choses mises les unes sur les autres. Ainsi, une pile de boulets, de bombes, &c. sont des boulets ou des bombes arrangées les unes sur les autres.
Les piles de boulets ont ordinairement pour base un triangle équilateral, un quarré, & un rectangle ou quarré long. Il y a des méthodes ou des tables particulieres pour trouver le nombre des boulets que contiennent chacune de ces piles ; on peut voir sur ce sujet les mémoires d'artillerie de S. Remy ; le cours de mathématique de M. Belidor ; la deuxieme édition de notre traité d'artillerie, &c. (Q)
Problème sur les corps sphériques rangés en piles. Trouver le nombre des corps sphériques rangés en piles.
Résolution. Ce problème se distingue en deux différens cas : car ou la pile est quadrangulaire, lorsque sa base ou son premier étage a quatre côtés ; ou triangulaire, lorsqu'elle n'en a que trois. Pour la Pile quadrangulaire ayant supposé le plus petit nombre de spheres, ou le plus petit côté de la basse = a, le plus grand = b ; l'expression ou la formule générale de toutes les spheres contenues dans la pile sera .
Démonstration.
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PILÉE | S. f. (Couverturier) c'est en terme de Couverturier, la quantité de couvertures que le moulin à foulon peut fouler à la fois. Cette quantité s'estime ordinairement au poids ; ensorte que si un moulin peut fouler quatre-vingt livres, & que chaque couverture pese vingt livres, la pilée est de quatre couvertures, & ainsi à proportion des pilées de tous les autres moulins.
PILEE, s. f. (Lainage) ce mot veut dire la quantité d'étoffe que l'on met dans l'auge ou vaisseau de bois, destiné pour la faire fouler. Quelques-uns particulierement du côté d'Amiens, disent vaisselée ; le mot de pilée vient de pile, parce qu'il y a bien des endroits où les vaisseaux à fouler s'appellent ainsi.
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PILENTUM | (Antiq. Rom.) espece de char couvert & suspendu, en usage chez les Romains, plus honorable que le carpentum, qui étoit un char découvert. Tite-Live, l. V. c. xxv. rapporte que l'an de Rome 361, le sénat voulant récompenser la magnanimité des dames Romaines, qui avoient sacrifié leurs joyaux, pour fournir la somme promise aux Gaulois, leur accorda le privilege d'user de ce char couvert & suspendu, à condition néanmoins qu'elles ne s'en serviroient que les jours de fête, pour se rendre aux jeux & aux sacrifices, & que les jours ouvriers elles n'iroient dans les rues, que dans des chars découvers : Honoremque ob eam munificentiam ferunt matronis habitum, ut pilento ad sacra ludosque, carpentis festo profestoque uterentur. Mais la simplicité de la vie des dames Romaines rendit cette permission inutile ; elles ne songerent point à en profiter. Le changement de leurs moeurs produisit dans la suite l'effet contraire ; la sévérité des lois échoua quand il fut question de borner leur luxe, elles les transgresserent avec hauteur, & elles ne voulurent plus que des voitures douces, des brancards, des litieres, des chars à quatre roues, tous dorés, & tirés par des chevaux blancs. (D.J.)
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PILER | v. act. (Gram.) c'est réduire un corps en parties plus ou moins menues, l'écraser avec un pilon, un marteau ou quelqu'autre instrument qui fasse le même effet.
PILER DU POIVRE, terme de l'Art militaire, se dit pour exprimer le mouvement des derniers bataillons d'une colonne de troupes en marche, lequel mouvement se trouve gêné ou retardé par les premiers bataillons. Dans cet état, les soldats ne font pour ainsi dire que piétiner, sans avancer qu'insensiblement ; c'est ce qu'ils appellent piler du poivre. Art de la GUERRE par M. le Maréchal de Puysegur. (Q)
PILER LE CHANVRE, (Cordier) c'est une préparation qu'on donne à la filasse avant que de la passer au peigne, elle consiste à mettre la filasse dans de grands mortiers de bois, & la battre avec de gros maillets.
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PILHANNAW | S. m. (Hist. nat. Ornitholog.) nom donné par les Indiens à un oiseau de proie formidable, très-gros & très-hardi, qui habite dans les forêts de quelques-unes des plantations angloises, en Amérique. Non-seulement tous les oiseaux en sont épouvantés, parce qu'il en fait sa proie ; mais même il dévore des quadrupedes comme de jeunes faons de biche & autres semblables, sur lesquels il se jette. (D.J.)
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PILIER | S. m. (Archit.) sorte de colonne ronde ou quarrée, sans proportion, qui sert à soutenir la voûte de quelque édifice.
Pilier butant. C'est un corps de maçonnerie, élevé pour contretenir la poussée d'une voûte ou d'un arc ; il y a des piliers butans de différens profils, comme en adoucissement ou en roulement, ou quelquefois avec des arcades ; tels sont la plûpart des piliers des nouvelles églises.
Pilier butant en console. Espece de pilastre attique, dont la partie inférieure forme un enroulement par son profil, comme une console renversée ; ce pilier sert pour buter un arc ou une voûte, & pour raccorder par une large retraite, deux plans ronds l'un sur l'autre différens de diametre. On voit de ces piliers à l'attique au dôme des Invalides, à Paris.
Pilier de dôme. On appelle ainsi dans une église à dôme, chacun des quatre corps de maçonnerie isolés, qui ont un pan coupé à une de leurs encoignures, & qui étant proportionnés à la grandeur de l'église, portent sur leurs croisées.
Pilier de moulin à vent. C'est le massif de maçonnerie qui se termine en cône, & qui porte la cage d'un moulin à vent, laquelle tourne verticalement sur un pivot, pour en exposer les aîles ou volets au vent.
Pilier quarré. C'est un massif appellé aussi jambage, qui sert pour porter les arcades, les plates-bandes & les retombées des voûtes.
Pilier de carriere. Ce sont des masses de pierre qu'on laisse d'espace en espace, pour soutenir le ciel d'une carriere. Daviler. (D.J.)
PILIERS DE BITTES, (Marine) ce sont deux grosses pieces de bois posées debout, & entretenues par un traversin ; comme ce sont les principales pieces de toute la machine des bittes, on leur donne souvent le nom de bittes. Voyez BITTES.
Les piliers de bittes sont ordinairement d'un tiers plus épais que l'étrave : le sentiment de quelques charpentiers est que les piliers de bittes d'un vaisseau de cent trente-quatre piés de long, de l'étrave à l'étambord, doivent avoir quinze pouces d'épais & seize de large ; la tête doit avoir dix-huit pouces de long, & demi-pouce de cannelure par le bas, avec un pié & un pouce de large : ils sont élevés de quatre piés au-dessus du premier pont, & posés à vingt-trois pouces l'un de l'autre. Voyez Planche IV. fig. 1. n °. 86.
PILIERS, parmi les Horlogers, signifie une espece de petite colonne, qui dans les montres & pendules tient les platines éloignées l'une de l'autre, à la distance nécessaire : on met quatre piliers aux montres & cinq aux pendules.
On distingue trois choses dans un pilier, les pivots, les assiettes, & le corps. Les pivots sont les parties qui entrent dans les platines ; les assiettes sont celles qui s'appliquent sur les platines ; & le corps est la partie comprise entre les deux assiettes. Pour qu'un pilier soit bien fait, toutes les parties précédentes doivent être dans une juste proportion avec la hauteur & la grandeur de la cage. Voyez CAGE, &c.
PILIER, en terme de Manége, se dit du centre de la volte, autour duquel on fait tourner un cheval, soit qu'il y ait un pilier de bois ou non. Voyez MANEGE.
Il y a aussi d'autres piliers dans les manéges, deux à deux, sur la circonférence ou sur les côtés, placés deux-à-deux à certaines distances, d'où vient qu'on les appelle les deux piliers, pour les distinguer de celui du centre. Quand on parle de ces derniers, on a coutume de dire, travailler un cheval entre deux piliers ; & en parlant du premier on dit, travailler autour du pilier.
Le pilier du centre sert à régler l'étendue du terrein, afin que le manége sur les voltes puisse se faire avec méthode & justesse, & que l'on puisse travailler par regle & mesure sur les quatre lignes de la volte, qui doivent être imaginées dans une égale distance de ce centre ; il sert aussi à commencer les chevaux fougueux & difficiles sans exposer le cavalier.
On place les deux piliers à la distance de deux ou trois pas l'un de l'autre ; on met le cheval entre deux pour lui apprendre à élever le devant, à détacher des ruades du derriere, & à se mettre sur des airs élevés, &c. soit par les aides ou par châtiment. Voyez CORDE.
PILIER, terme de Vannier, c'est le bâton du milieu du verrier.
PILIER, (Ordre de Malthe) nom qu'on donne dans l'ordre de Malthe aux chefs des huit langues qui composent cet ordre ; ainsi pilier de langue signifie celui des grands-croix, qui est à Malthe le représentant & le chef d'une des langues. (D.J.)
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PILIPOC | S. m. (Botan. anc.) nom d'un arbre des îles Philippines, décrit par Nieremberg. Sa racine est couverte de tubercules bruns, aussi gros que le poing. Son tronc est sans noeuds, & lorsqu'on le coupe de travers il se sépare en des especes de pellicules comme des peaux d'oignon ; ses feuilles ressemblent à celles du laurier, mais elles sont extrêmement pointues. Cet arbre croît dans les lieux humides, & jette des branches qui s'entortillent autour des plantes voisines. (D.J.)
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PILLAGE | S. m. se dit à la guerre du dégât, du ravage, & de l'enlevement que le soldat fait à la guerre de tout ce qui peut satisfaire son avidité pour le butin. Voyez DEGAT & PICOREE.
Les lois de la guerre permettent d'abandonner au pillage les villes prises d'assaut ; mais comme dans le désordre qui s'ensuit il n'est point de licences ni de crimes que le soldat ne se croye permis, l'humanité doit engager, lorsque les circonstances le permettent, à ne rien négliger pour empêcher ces horreurs. On peut obliger les villes à se racheter du pillage, & si l'on distribue exactement & fidelement au soldat l'argent qui peut en revenir, il n'a point lieu de se plaindre d'aucune injustice à cette occasion, au contraire tous en profitent alors également, au lieu que dans le pillage le soldat de mérite est souvent le plus mal partagé ; ce n'est pas seulement parce que le hasard en décide, mais c'est, dit M. le Marquis de Santa-Cruz, qu'un soldat qui a de l'honneur reste à son drapeau jusqu'à ce qu'il n'y ait rien à craindre de la garnison ni des habitans, tandis que celui dont l'avidité prévaut sur toute autre chose, commence à piller en entrant dans la ville, sans attendre qu'il lui soit permis de se débander.
Outre le pillage des villes, qui arrive très-rarement, il y en a un autre qui produit le relâchement de la discipline, c'est la dévastation que fait le soldat dans le pays où le théâtre de la guerre est établi : ce pillage accoutume le soldat à secouer le joug de l'obéissance & de la discipline ; l'envie de conserver son butin peut amortir sa valeur, & l'engager même à se retirer : d'ailleurs, en ruinant le pays on le met hors d'état de payer les contributions, & on expose l'armée à la disette ou à la famine. On se prive ainsi par cette licence, non-seulement des ressources que le pays fournit pour s'y soutenir, mais l'on se fait encore autant d'ennemis qu'il contient d'habitans : le pillage de tout ce qu'ils possedent les mettant au desespoir, les engage à profiter de tous les moyens de nuire à ceux qui les oppriment aussi cruellement.
Le pays où l'on fait la guerre, quelquefois l'exactitude de la discipline qu'on fait observer aux troupes, se ressent toujours beaucoup des calamités qui en sont inséparables : c'est pourquoi l'équité devroit engager à ne faire que le mal qui devient absolument inévitable, à ne point ruiner les choses dont la perte n'affoiblit point l'ennemi, & qui ne servent qu'à indisposer les peuples : telles sont les églises, les maisons, châteaux, &c. les animaux & les instrumens qui servent à la culture des terres, devroient être conservés avec soin. Diodore de Sicile nous apprend que parmi les Indiens, les laboureurs étoient regardés comme sacrés ; qu'ils travailloient paisiblement & sans avoir rien à craindre à la vûe même des armées, & qu'on ne savoit ce que c'étoit que brûler ou couper les arbres en campagne.
La fermeté est très-nécessaire dans un général pour réprimer l'ardeur du pillage parmi les troupes ; les exemples de sévérité sont souvent à propos pour cet effet ; mais il faut les faire de bonne heure, afin que le trop grand nombre de coupables n'oblige point à leur pardonner.
Lorsque des troupes sont une fois accoutumées au pillage, au défaut de l'ennemi elles pillent leur propre pays, & même leurs magasins ; c'est ce qu'on a vû dans plusieurs occasions, entr'autres dans la guerre de Hollande de 1672 ; mais M. de Louvois fit retenir sur le payement de toute l'armée, ce qui étoit nécessaire pour dédommager les entrepreneurs, & il ordonna d'en user de même toutes les fois que pareille chose arriveroit. (Q)
PILLAGE, (Marine) le pillage est la dépouille des coffres & des hardes de l'ennemi pris, & l'argent qu'il a sur lui jusqu'à trente livres : le reste qui est le gros de la prise s'appelle butin.
Le capitaine ou les capitaines qui auront abordé un vaisseau ennemi, & qui l'auront pris, retiendront par préférence tous les vivres & les menues armes, & les matelots auront le pillage : mais pour le corps de la prise, le prix en sera distribué selon les divers réglemens qui sont faits pour diverses occasions.
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PILLARD | S. m. (Art militaire) soldat qui pille. Voyez l'article PILLAGE.
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PILLAU | (Géog. mod.) village de Prusse, dans le Samland, à l'embouchure du Pregel. Je ne parle de ce village qu'à cause qu'il est remarquable par son port qui est grand, & par sa douanne qui porte un bon revenu au roi de Prusse. Il y a un fort avec garnison pour arrêter tout ce qui passe. Gustave Adolphe roi de Suede, le força en 1626. On amasse aux environs de l'ambre jaune ou succin, & on y pêche des esturgeons. (D.J.)
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PILLER | v. act. Voyez PILLAGE. Outre l'acception par laquelle il désigne le vol fait publiquement avec violence, il en a encore quelques autres, comme en littérature, s'emparer des écrits de ceux qui ont écrit avant nous sans les citer ; & au jeu, emporter une carte avec une autre carte qui lui est supérieure, &c.
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PILOIR | terme de Mégissier, c'est un bâton d'environ cinq ou six piés de longueur, & garni quelquefois d'une espece de petite masse dont on se sert pour enfoncer les peaux dans les pleins lorsqu'elles remontent au-dessus de l'eau de chaux ou d'alun. Voyez les fig. Pl. du Mégissier.
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PILON | S. m. (Gram.) instrument de bois, de pierre, ou de fer, dont on se sert pour piler, écraser, ou réduire en parties plus ou moins menues, toutes sortes de substances ou corps : on donne le même nom aux parties de quelques machines où elles ont la même fonction.
PILON ou PETITE ECORE, (Marine) c'est une côte qui a peu de hauteur, mais qui est escarpée ou taillée en précipice.
PILON, s. m. terme de Libraire, envoyer des livres au pilon, veut dire en langage de libraire, les déchirer par morceaux, ensorte qu'ils ne puissent plus servir qu'aux Cartonniers, pour être pilonnés, & réduits en cette espece de bouillie dont on fait le carton. (D.J.)
PILONS, (Monnoyage) à la Monnoie, ils sont ou de bois dur, ou de fer, ou de fonte, conséquemment à leurs différens usages. Assez communément on se sert de pilons de fonte pour broyer dans des mortiers de bronze, les terres, creusets, &c. dans lesquels il pourroit être resté du métal ; pulvérisé, on les envoie pour être passés aux tourniquets.
PILON A SUCRE, (Sucrerie) on appelle ainsi dans les sucreries des especes de grosses masses d'un bois dur & pesant, emmanchés aussi de bois. La masse doit avoir huit pouces de hauteur sur cinq de diametre, & le manche six piés de long. Ils servent à piler le sucre terré au sortir de l'étuve, & à le réduire en cassonade avant de le mettre dans les barriques. Le P. Labat.
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PILONNER | PILONNER
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PILORE | S. m. voyez PYLORE.
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PILORI | S. m. (Jurisprud.) est un petit bâtiment en forme de tour avec une charpente à jour, dans laquelle est une espece de carcan qui tourne sur son centre. Ce carcan est formé de deux pieces de bois posées l'une sur l'autre, entre lesquelles il y a des trous pour passer la tête & les mains de ceux que l'on met au pilori, c'est-à-dire que l'on expose ainsi pour servir de risée au peuple & pour les noter d'infamie : c'est la peine ordinaire des banqueroutiers frauduleux ; on leur fait faire amende honorable au pié du pilori ; on les promene dans les carrefours, ensuite on les expose au pilori pendant trois jours de marché pendant deux heures chaque jour, & on leur fait faire quatre tours de pilori, c'est-à-dire qu'on fait tourner le pilori quatre fois pendant qu'ils y sont attachés.
On tient que ce genre de peine fut introduit par l'empereur Adrien contre les banqueroutiers, leurs fauteurs & entremetteurs ; c'est ce que Diogene Laërce entend, lib. VI. lorsqu'il dit, voluit eos catamidiari in amphiteatro, id est derideri & ibi ante conspectum omnium exponi.
On donne aussi quelquefois le nom de pilori aux simples poteaux & échelles patibulaires qui servent à-peu-près au même usage ; mais la construction des uns & des autres est différente, & le pilori proprement dit est celui qui est construit de la façon dont on vient de le dire. Voyez ECHELLE PATIBULAIRE.
Sauval, en ses antiquités de Paris, dit que dans un contrat de l'année 1295, le pilori des halles de Paris s'appelle puteus dictus lori ; il conclut de-là que pilori est un nom corrompu & tiré du puits lori, c'est-à-dire, puits d'une personne nommée Lori, & que ce gibet fut à la place ou aux environs de ce puits & qu'il en prit le nom.
Cependant Ducange au pilorium ou spilorium fait venir pilori de pila, & en françois pilier, d'où l'on a fait pilorier ; il cite les anciens textes où ce terme se trouve, tels que les lois des bourgs d'Ecosse, le monasticum anglicanum, une charte de Thibaut comte de Champagne de l'an 1227, qui est dans le trésor de l'église de Meaux, l'ouvrage intitulé fleta, les coutumes de Nevers, de Melun, de Meaux, de Sens, d'Auxerre.
Menage le dérive de piluricium, comme qui diroit petit poteau.
Spelman le dérive du mot françois pillent ; mais l'opinion de Ducange paroît la plus vraisemblable.
Quoi qu'il en soit de l'étymologie de ce mot, il est constant que le pilori des halles de Paris est un des plus anciens, & que Sauval croit que jusqu'au xiij & xiv. siecle, & même jusqu'au xv. que ce fut peut-être le seul lieu patibulaire qu'il y eut à Paris, & où les criminels du plus haut rang subirent la peine de leur révolte & de leurs autres crimes.
L'ancien pilori consistoit en une cour accompagnée d'une écurie, d'un appentis haut de sept piés sur neuf de longueur, & d'un couvert où se gardoient la nuit les corps des malfaiteurs avant que d'être portés à Montfaucon.
Celui qui subsiste présentement a été construit plus de 300 ans après. On n'y fait plus d'exécutions à mort, il ne sert que pour exposer les banqueroutiers frauduleux ; on y expose aussi en-bas les corps des criminels qui ont été exécutés dans la ville en attendant qu'on leur donne la sépulture.
Près de ce pilori est une croix au pié de laquelle les cessionnaires devoient venir déclarer qu'ils faisoient cession, & recevoir le bonnet verd des mains du bourreau ; mais il y a long-tems que cela ne se pratique plus. Voyez BANQUEROUTE, BONNET VERD, CESSION & FAILLITE.
Bacquet, Loisel & Despeisses prétendent qu'un seigneur haut-justicier ne peut avoir un pilori en forme dans une ville où le roi en a un, qu'en ce cas le seigneur doit se contenter d'avoir une échelle ou carcan.
Cependant Sauval remarque qu'à la place de la barriere des Sergens du petit-marché du fauxbourg S. Germain, il y avoit autrefois un autre pilori & près de-là une échelle, & que l'un ou l'autre servoit pour exécuter ceux que les juges de l'abbé avoient condamnés, selon le genre de peine que le condamné devoit subir ; lorsqu'il y avoit peine de mort, le jugement s'exécutoit au pilori.
Le pilori est un signe de haute-justice, néanmoins Lauriere, en son glossaire au mot pilier, dit qu'en quelques endroits les moyens justiciers ont aussi droit de pilori.
Dans la ville de Lyon, où il n'y a point de pilori, on se servit en 1745 d'une cage de fer portée sur une charrette pour tenir lieu de pilori, à l'égard d'un banqueroutier frauduleux qui fut ainsi promené par la ville. Voyez les coutumes de Bearn, tit. XLIV. & ci-devant le mot ECHELLES PATIBULAIRES. (A)
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PILORIER | exposer un criminel au pilori, lui faire faire les tours ordonnés par sa sentence ou par son arrêt de condamnation. Ibid.
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PILORIS | S. m. sortes de rat des îles Antilles, fréquentant les montagnes & les bois ; sa grosseur est trois fois plus considérable que celle des rats domestiques ; il a le poil blanchâtre tirant sur le roux, & la queue courte à proportion de son corps ; sa chair est blanche, grasse & délicate, mais elle sent si fort le musc, qu'il n'y a que les negres qui puissent en manger après l'avoir fait bouillir très long-tems en changeant d'eau.
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PILOSELLE | S. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui a été décrit sous le nom d'hieracium. Voyez HIERACIUM.
Cette plante est nommée par le vulgaire oreille de rat ou de souris, & en anglois semblablement the mouse-ear. C'est dans le système de Tournefort la vingt-deuxieme espece de genre de plante qu'il nomme dens leonis ; la plûpart des autres botanistes l'appellent en latin pilosella repens ou minor. Linnaeus le nomme hieracium foliis integerrimis, ovates, caule repente, scapo unifloro, Hort. Cliffort. 388.
Sa racine est longue comme le doigt, menue, garnie de fibres. Elle pousse plusieurs tiges grêles, sarmenteuses, velues, qui rampent à terre & y prennent racine. Ses feuilles sont oblongues, arrondies par le bout, ressemblantes à des oreilles de rat ou de souris, revêtues de poil, vertes en-dessus, veineuses, blanchâtres, lanugineuses en-dessous & d'un goût astringent.
Ses fleurs sont à demi-fleurons, semblables à celles de l'hieracium, mais plus petites, jaunes, soutenues chacune par un calice écailleux & simple, & portées sur un pédicule délié & velu. Après que les fleurs sont passées, il leur succede des semences menues, noires, uniformes & aigrettées.
Cette plante croît aux lieux arides & maigres, sur les côteaux incultes, dans les terres sablonneuses & aux bords des grands chemins. Elle fleurit en Mai, Juin & Juillet ; elle est très-amere, & passe en Médecine pour posséder des vertus vulnéraires, astringentes & détersives. (D.J.)
PILOSELLE, (Mat. médic.) voyez OREILLE DE SOURIS.
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PILOSITES | S. m. pl. (Hist. ecclésiast.) nom que les Origenistes donnoient aux Catholiques, parce que ceux-ci prétendirent que nous ressusciterons tous avec toutes les parties de nos corps jusqu'au moindre poil.
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PILO | ou PILOTIS, s. f. (Archit. hydraul.) piece de bois de chêne ronde, employée de sa grosseur, affilée par un bout, quelquefois armée d'un fer pointu, & à quatre branches & fretée en sa couronne de fer qu'on enfonce en terre pour affermir un terrein.
On se sert pour enfoncer les pilots d'une machine appellée sonnette, & on estime ainsi le tems & la dépense que cause l'enfoncement.
On commence à sonder le fonds où l'on veut travailler : cette opération fait connoître la densité du terrein dans lequel le pilot doit être enfoncé. Si cette densité est uniforme, l'enfoncement croît à proportion du nombre des coups égaux qu'elle reçoit ; est-elle variable ? C'est par la différence des coups qu'on juge de la différente densité, c'est-à-dire que la densité d'une seconde couche étant, par exemple, plus grande, il faudra un plus grand nombre de coups pour produire un enfoncement égal à celui de la premiere couche. Ce sera le contraire si la densité de cette couche est moindre que l'autre ; cela posé, on estime une minute vingt secondes pour chaque volée de trente percussions, & autant pour reprendre haleine. Ainsi en ajoutant vingt secondes pour le tems que l'on perd, on aura trois minutes pour chaque volée.
Disons encore que pour déplacer la sonnette & mettre le pilot en état d'être enfoncé, il faut dix-huit minutes, & six minutes pour le deverser & y mettre des boises. Après cela il sera aisé de faire le calcul, nous voulons dire d'estimer le tems nécessaire pour enfoncer un pilot d'une longueur déterminée.
Afin de faire une évaluation plus juste & qu'on connoisse ce qu'on peut perdre de tems, selon que la sonnette qui frappe le pilot tombe d'une plus grande hauteur, il est bon de savoir que la force avec laquelle le mouton frappe le pilot est toujours comme la racine quarrée d'où le mouton tombe, c'est-à-dire comme la vîtesse que ce corps qui descend a acquise à la fin de la chûte. On suppose ici que la chûte du mouton est perpendiculaire sur le pilot, & cela doit toujours être ; car lorsqu'on doit pousser un pilot obliquement, on place la machine ensorte que les montans ayent la même obliquité ; mais alors on estime la force du coup par la hauteur de la chûte, & non par la longueur. Voyez le cours de Physique expérimentale par M. Desaguliers, tom. I. sect. 5.
Au reste, on trouve dans le troisieme tome de l'Architecture hydraulique, par M. Belidor, un modele de calcul sur le tems & la dépense de l'usage des pilots. Ce même volume contient différentes machines pour enfoncer les pilots, ainsi que le premier tome du cours de Physique expérimentale de M. Desaguliers. Le pilot est différent du pieu en ce qu'il est tout-à-fait enfoncé dans la terre.
Pilots de bordage. Ce sont des pilots qui environnent le pilotage, & qui portent les patins & les racinaux.
Pilots de remplage. Pilots qui garnissent l'espace piloté. Il en entre 18 à 20 dans une toise superficielle.
Pilots de retenue. Pilots qui sont au-dehors d'une fondation, & qui soutiennent le terrein de mauvaise consistance sur lequel une pile de pont est fondée.
Pilots de support. Pilots sur la tête desquels la pile est supportée, comme ceux, par exemple, qu'on plante dans les chambres d'un grillage. (D.J.)
PILOT, terme de Papeterie, c'est ainsi qu'on nomme en Bretagne ce qu'ailleurs on appelle drilles, peilles, drapeaux, c'est-à-dire les vieux chiffons de toile de chanvre & de lin, qui servent à la fabrique du papier.
Il sort tous les ans de Bretagne pour plus de 10000 liv. de pilot, sans y comprendre ce qui se consomme dans les papeteries de cette province. Voyez PAPIER.
PILOT, s. m. terme de Salines, c'est le nom qu'on donne dans les marais salans aux monceaux de sel qui sont dans un endroit de ces marais qu'on appelle le mort : lorsque ces monceaux de sel sont en rond, ils se nomment pilots, & quand ils sont en long, on les appelle vaches ; il faut passer ces termes ridicules à des ouvriers sans génie. (D.J.)
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PILOTAGE | (Marine) c'est un ouvrage de fondation sur lequel on bâtit dans l'eau. Cette fondation se prépare par plusieurs fils de pieux fichés en terre par force, & à refus de mouton.
Pilotage, c'est la conduite qui se fait d'un vaisseau pour le faire entrer ou sortir d'un port, de peur qu'il n'aille donner sur des bancs. Les lamanages, tonages, pilotages, pour entrer dans les havres ou rivieres, ou pour en sortir, sont menues avaries, qui se payent un tiers par le navire, & les deux autres tiers par les marchandises.
Pilotage, c'est l'art de bien conduire un vaisseau, & de tout ce qui regarde la science de la navigation.
PILOTAGE, s. m. ou LAMANAGE, (Comm. de mer) ce mot signifie les droits qui sont dûs aux pilotes ou lamaneurs, qui aident aux navires à entrer dans les ports ou à en sortir.
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PILOTE | S. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer auquel on a donné ce nom, parce qu'il se met au-devant des vaisseaux qu'il rencontre, il les précede & il semble les conduire jusqu'au port. Il est de la grandeur, & de la forme d'un maquereau : la tête est longue & lisse ; l'extrémité de la mâchoire supérieure excede de beaucoup la mâchoire inférieure. Ce poisson n'a point d'écailles, tout son corps est couvert d'une peau rayée en losanges ; il a deux petites nageoires près des ouïes, une sur le dos & une autre sur le ventre qui s'étendent toutes les deux jusqu'à la queue. Le poisson pilote nage au-devant des requins, comme au-devant des vaisseaux ; il est si agile qu'il évite le requin qui tâche d'en faire sa proie. Hist. nat. des Antilles, par le P. du Tertre, tome II. Voyez POISSON.
PILOTE, (Marine) premier pilote, second pilote troisieme pilote. Le pilote est un officier de l'équipage, qui prend garde à la route du vaisseau & qui le gouverne.
Le second & le troisieme pilote secondent le premier dans ses fonctions. Il n'y a trois pilotes que dans les plus grands vaisseaux, ou quand il s'agit de voyages le longs cours. Dans les autres vaisseaux, il y a un ou deux pilotes, selon la qualité du vaisseau & du voyage. Voyez l'ordonnance de 1680, liv. II. tit. IV. & celle de 1689, liv. I. tit. XV.
Le pilote doit être continuellement au gouvernail, & faire de tems en tems son rapport au capitaine, au sujet du parage où il croit que le vaisseau est ; il doit être expérimenté dans la connoissance des cartes marines, dans l'usage de l'astrolabe & de l'arbalete, & autres instrumens pour prendre hauteur, dans la connoissance des tables de l'astronomie, dans la connoissance des marées, des changemens qui y arrivent selon les pays, des moussons, &c. C'est le pilote qui commande dans les buches & dans les pinques, & qui ordonne de jetter les filets & de les retirer ; c'est lui encore qui le plus souvent tient le gouvernail.
PILOTE HAUTURIER, c'est celui qui dans un voyage de long cours fait prendre la hauteur ou l'élévation du pole par le moyen de l'arbalete & de l'astrolabe
Pilote côtier, pilote de havre, pilote lamaneur, locman ; bons pilotes, pilotes expérimentés.
Pilote qui a entré & sorti un vaisseau ; cela se dit d'un pilote qui a mis un vaisseau dans une rade, dans une riviere ou dans un havre, & qui l'en a ressorti.
Pilote hardi ; cela se dit d'un pilote qui entreprend des choses difficiles, comme d'entrer dans une riviere inconnue, dans un havre qui ne seroit pas pratiqué, de chercher une terre non-vuste, & autres choses semblables.
Il n'y a point de pilote côtier en tems de brume.
Les bons pilotes sont à terre ; cela se dit par plaisanterie pour ceux qui se vantent d'être savans dans le pilotage, & qui sont des ignorans quand ils sont en mer.
PILOTE, s. m. (Antiq. grecq.) Les pilotes étoient fort considérés dans la Grece ; de là vient que le pilote Phrontis n'a pas été seulement immortalisé par Homere, mais le roi de Micène lui éleva un tombeau près du cap de Sunium, & lui rendit les derniers devoirs avec la distinction qu'il méritoit. C'est ce Phrontis que Polignote avoit peint dans ce tableau merveilleux, qui représentoit d'un côté la prise de Troye, & de l'autre les Grecs s'embarquant pour leur retour. Telles étoient les moeurs de ce tems-là ; aujourd'hui un pilote n'est qu'un marin sans distinction ; alors c'étoit un homme utile à l'état, & tout mérite utile à l'état avoit sa récompense. Une inscription, une statue, un tombeau élevé aux dépens du public, entretenoient la gloire, & portoient les hommes à toutes sortes de belles actions. (D.J.)
PILOTES, (Lutherie) dans l'orgue sont des baguettes cilindriques E C, fig. 22. orgue, à l'extrémité inférieure desquelles sont des jointes déliées ou des épingles qui entrent dans des trous qui sont aux extrémités des bascules du positif qui entrent dans le pié du grand orgue ; la partie supérieure E traverse un guide D (fig. 5, 20 & 22.) percé d'autant de trous qu'il y a des pilotes ou de touches au clavier au-dessous desquels ces trous doivent répondre.
La longueur des pilotes est égale à la distance qui se trouve entre le dessous des touches du premier clavier qu'on appelle clavier du positif, & l'extrémité B des bascules. Voyez BASCULES DU POSITIF.
Les pilotes servent à transmettre l'action des touches du premier clavier aux bascules qui transmettent la même action aux soupapes du sommier du positif : ce qui les fait ouvrir. Voyez SOMMIER DU POSITIF.
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PILOTER | v. a. (Archit. hydraul.) c'est enfoncer des pieux ou des pilots, pour soutenir & pour affermir les fondemens d'un édifice qu'on bâtit dans l'eau, ou sur un terrein de mauvaise consistance. On ferre ordinairement le bout des pilots, ou on le brûle, pour empêcher qu'il ne pourrisse, & on l'enfonce avec la sonnette ou l'engin, jusqu'au refus du mouton, ou de la hie. (D.J.)
PILOTER, (Marine) c'est ce que font les Pilotes-côtiers ou Lamaneurs, qui conduisent les vaisseaux hors des embouchures des rivieres, des bancs & des dangers. Ceux qui ne voyent point venir des Lamaneurs à leur bord, peuvent se servir de pêcheurs pour les piloter.
Piloter un navire dehors ou hors du port.
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PILOTIS | en terme d'Architecture, c'est un grand pieu que l'on enfonce dans la terre pour servir de fondation, quand il s'agit de bâtir sur un terrein marécageux. Voyez FONDATION. Voyez aussi PALLIFICATION.
Amsterdam & quelques autres villes sont entierement bâties sur pilotis.
La breche de Dagenham est fermée ou bouchée avec des pilotis à queue d'aronde, c'est-à-dire, avec des pilotis emmortaisés l'un dans l'autre, moyennant des tenons à queue d'aronde. Voyez PIEU & QUEUE D'ARONDE.
PILOTIS, s. m. (Hydr.) ce sont des pieces de bois affilées par un bout, armées d'un fer pointu & fretées en leur couronne de fretes de fer. On nomme pilotis de bordage ceux qui environnent le pilotage, & qui portent les racines ; ceux qui garnissent l'espace piloté, s'appellent pilotis de remplage.
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PILSEN | (Géog. mod.) ville de Bohème, capitale du cercle de même nom, sur les frontieres du Haut-Palatinat de Baviere, entre les rivieres de Misa & de Watta, à 20 lieues d'Egra, & à 19 de Prague. Elle est défendue par des tours & de bons bastions ; aussi a-t-elle été souvent prise & reprise dans les guerres de Bohème. Long. 31. 18. lat. 49. 45.
Dubraw, en latin Dubravius (Jean) nâquit à Pilsen, & se fit estimer dans le seizieme siecle par une histoire de Bohème en XXXIII livres qu'il publia en 1551, & dont la meilleure édition est de Francfort en 1688. Dubraw mourut évêque d'Olmutz en 1553. (D.J.)
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PILSNA | ou PILEZNA, ou PILSNO, (Géog. mod.) ville de la petite Pologne, dans le palatinat de Sandomir, aux confins de celui de Cracovie, sur une petite riviere qui se jette dans la Vistule.
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PILTEN | ou PILTYN, (Géog. mod.) ville du duché de Courlande, capitale d'un canton de même nom, sur la Windaw, entre Golding & le fort de Windaw. Il y avoit autrefois un évêché sécularisé en 1559, par Fréderic II. roi de Danemarck, qui en conféra le domaine à la noblesse & à ses créatures pour le cultiver & fournir le pays de bétail : ce qui a très-bien réussi. Long. 39. 45. lat. 57. 45. (D.J.)
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PILULAIRE | S. m. (Hist. nat. Botan.) plante qui paroît avoir échappé à la connoissance des anciens botanistes. M. Bernard de Jussieu en a établi le caractere sur les parties de la fleur qu'il a découvertes par le microscope. Les curieux peuvent lire son mémoire à ce sujet, dans le recueil de l'académie des Sciences. Année 1739.
Cette plante est nommée pilularia palustris, juncifolia, par MM. Vaillant & Jussieu ; calamistrum par Dillenius ; graminifolia palustris, repens, vasculis granorum piperis, par Rai ; muscus aureus, capillaris, palustris, interfoliola, folliculis rotundis, quadripartitis par Pluckenet. Voici ses caracteres :
Les fleurs de la pilulaire ont deux calices : un externe ou commun, & l'autre interne ou propre. Le calice externe renferme quatre fleurs ; il est d'une seule piece sphérique, velue, épaisse, dure, qui s'ouvre en quatre portions égales, & chaque portion est collée à la face convexe d'un des quatre calices internes. Le calice interne contient une fleur ; il est membraneux, d'une seule piece dont la forme est celle d'un quartier de sphere, & il s'ouvre par l'extrémité supérieure.
Le placenta, qui dans chaque fleur porte les étamines & les pistils, est une bande membraneuse, longue, étroite, qui naît du fond de la cavité du calice interne, se prolonge jusqu'aux deux tiers de sa hauteur, & s'attache à la face sphérique de ce calice dans le milieu de sa largeur.
Les étamines sont pour l'ordinaire au nombre de trente-deux sommets, sans filets ; leur figure est celle d'un cône ; ils sont tous attachés par la pointe à une petite tête qui termine le bord supérieur du placenta, sur laquelle ils forment, en se dirigeant en tous sens, une houppe pyramidale. Ces sommets sont des capsules délicates, membraneuses ; elles s'ouvrent transversalement, & répandent une poussiere ronde.
Les pistils sont au nombre de 12, de 16, ou de 20 embryons, ovoïdes, situés perpendiculairement sur le placenta dont ils couvrent les faces & le bord tranchant ; ils n'ont point de style ; mais la partie supérieure de chaque embryon est terminée par un stigmate court & obtus.
Le péricarpe est le fruit de cette plante ; il est à quatre loges composées des deux calices qui subsistent, & conservent plusieurs semences.
Les semences sont menues, blanchâtres, ovoïdes, arrondies par la base, & terminées en pointe par le haut.
Le germe, ou la plantule contenue dans la semence, sort dans la germination, de la partie supérieure de la capsule séminale, produit une premiere feuille, & une radicule.
Il me reste peu de choses à ajouter sur la description de cette plante. Elle est très-basse, rampante & couchée sur terre. Ses racines sont de petits filets blancs, simples & flexibles. Ses tiges & ses branches sont si bien entremélées les unes dans les autres, que la principale tige est difficile à distinguer. Les feuilles viennent alternativement sur les deux côtés des rameaux ; elles sont vertes, tendres, presque cylindriques, assez semblables à celles du jonc. Les fleurs naissent dans les aisselles des rameaux.
La pilulaire est la seule plante connue de son genre ; elle paroît vivace ; ses jeunes branches, qui subsistent d'une année à l'autre, servent à la renouveller pendant que les anciennes périssent. Les globules qui renferment les fleurs, commencent à se montrer dès le mois de Mai. Il en repousse continuellement de nouveaux, à mesure que les tiges & les branches se prolongent.
Il n'y a qu'en France & en Angleterre où cette plante ait été remarquée. A l'égard de la France, les seuls environs de Paris sont encore les lieux uniques où elle ait été observée, savoir près de Fontainebleau dans les mares de Franchard, dans celles de l'Otie, & entre Coignieres & les Essarts. On ne lui connoit aucune vertu ; Merret, Morisson, Plukenet, Ray, Vaillant, Petiver, Dillenius, Martin, Linnaeus, M. de Jussieu, sont les seuls botanistes qui en ont parlé, & Merret le premier de tous ; M. Vaillant l'a nommée pilulaire, à cause de la forme sphérique du bouton de ses fleurs. (D.J.)
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PILULE | (Pharmacie) les pilules sont une forme de médicament réduites à la grosseur & à la consistance d'un pois ; on s'en sert pour épargner au malade le goût désagréable d'un liquide impregné des drogues, & pour empêcher leur impression sur l'organe du goût. C'est la répugnance des malades contre les différentes especes de drogues, qui a donné origine aux pilules. On leur a donné le nom de pilule à cause de leur ressemblance avec les petites bales qu'on nomme en latin pilae.
Les pilules ne doivent pas excéder la dose de six grains ; les drogues réduites en poudre demandent le double de leur poids de syrop, pour pouvoir être réduites en pilules à l'aide d'une liqueur ou excipient qui augmente leur consistance.
Nous allons donner un exemple de pilules pour servir de modele.
Pilules d'agaric. Prenez de trochisques d'agaric une once, species de hiera demi-once, myrrhe six gros, syrop de neprun autant qu'il en faut pour faire une masse de pilules.
Quoique les pilules soient fort en usage & du goût de bien de gens, cependant on ne doit point trop les conseiller ; & si les personnes peuvent prendre sur elles de vaincre la répugnance qu'elles pourroient avoir pour les drogues, il vaudroit beaucoup mieux qu'elles prissent les remedes délayés dans un véhicule suffisant ; la pilule est d'elle-même difficile à dissoudre ; d'ailleurs elle est échauffante : ainsi l'on ne doit employer les pilules que dans les cas où on veut s'épargner le désagrément de sentir, ou une odeur, ou une amertume incommode.
La plûpart des charlatans & des ignorans ont coutume d'envelopper leurs médicamens dans des conserves, & de se servir de pilules ; & comme les drogues dont ils se servent, sont des plus âcres & des plus vives, ce manege devient funeste pour les malades qui ont le malheur d'user de ces sortes de remedes.
Si cependant l'on est obligé d'employer des pilules, on doit avoir soin de les diviser, au moyen d'une suffisante quantité de boisson, & de fixer au juste la dose de chaque ingrédient qui en fait la base & l'efficacité.
Les compositions ou préparations mercurielles doivent toutes se donner en pilules. On les doit faire très-petites, pour donner plus de facilité de les avaler.
PILULES DE BELLOSTE, Voyez MERCURE, (Mat. méd.)
PILULES MERCURIELLES, Voyez MERCURE, (Mat. méd.)
PILULES PERPETUELLES, (Pharm.) on donne ce nom à des pilules faites de régule d'antimoine, qui ont la vertu de purger & de faire vomir, nonobstant qu'elles ayent été employées une infinité de fois de suite, de façon qu'une seule peut servir à purger une armée entiere. On peut les faire infuser dans le vin, & ce vin devient émétique ; on fait aussi avec le régule des gobelets ou tasses qui produisent le même effet.
Mais ces sortes de remedes ne conviennent point à tous les tempéramens, & il est rare qu'on les ordonne aux gens délicats ; pour peu que l'on soit attentif à la conservation de ses malades, on se gardera de leur permettre de tels remedes.
Au cas qu'ils eussent beaucoup tourmenté le malade, on employera les mêmes précautions que dans l'usage des antimoniaux.
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PILU | ou EPIEU, s. m. (Art milit.) arme de jet chez les Romains, que portoient les hastaires & les princes. Cette arme avoit environ sept piés de longueur en y comprenant le fer ; le bois de sa hampe étoit d'une grosseur à être empoigné aisément ; le fer s'avançoit jusqu'au milieu du manche, où il étoit exactement enchâssé & fixé par des chevilles qui le traversoient dans son diametre. Il étoit quarré d'un pouce & demi dans sa plus grande grosseur ; il perdoit insensiblement de son diametre jusqu'à sa pointe, qui étoit très-aiguë, & près de laquelle étoit un hameçon qui retenoit cet énorme stilet dans le bouclier qu'il avoit percé. M. de Folard pouvoit avoir méconnu cette terrible arme de jet, comme presque tous ceux qui en ont parlé. Cet auteur la croit une pertuisane semblable à l'esponton des officiers ; & à la bataille de Régulus, il la donne aux soldats qui formoient la queue des colonnes.
Les savans qui ont écrit du militaire des anciens, ont trouvé obscure la description que Polybe fait du pilum, & ils ne conviennent point de la forme de cette arme. Le P. Montfaucon dans ses antiquités expliquées, représente plusieurs armes des anciens de différens âges, sans déterminer la figure du pilum.
Polybe compare le petit, que les soldats tenoient encore quelquefois dans la main gauche, & qui étoit plus leger que le grand, aux épieux d'usage contre le sanglier. On en peut déduire la forme du grand pilum. En combinant ce que Polybe, Tite-Live, Denis d'Halicarnasse, Appius & Végece en disent, on trouve que le pilum a eu entre six & sept piés de longueur, que la hampe a été deux fois plus longue que le fer qui y étoit attaché, moyennant deux plaques de fer qui s'avançant jusqu'au milieu de la hampe, recevoient les fortes chevilles de fer dont il étoit traversé. Marius ôta une de ces chevilles de fer, & il lui en substitua une de bois, laquelle se cassant par l'effort du coup, faisoit pendre la hampe au bouclier percé de l'ennemi, & donnoit plus de difficulté à arracher le fer. On sait de plus que c'étoit un gros fer massif & pointu, de 21 pouces de longueur, qui au sortir de la hampe avoit un pouce & demi de diametre ; que le pilum étoit quelquefois arme de jet, & quelquefois aussi arme pour se défendre de pié ferme. Les soldats étoient dressés à s'en servir de l'une & de l'autre maniere. Dans la bataille de Lucullus contre Tigrane, le soldat eut ordre de ne pas lancer son pilum, mais de s'en servir contre les chevaux de l'ennemi, pour les frapper aux endroits qui n'étoient point bandés.
Le pilum étoit l'arme particuliere des Romains. Aussi-tôt qu'ils approchoient de l'ennemi à une juste distance, ils commençoient le combat en le lançant avec beaucoup de violence. Par la grande pesanteur de cette arme & la trempe du fer, elle perçoit cuirasse & bouclier, & causoit des blessures considérables. Les soldats étant désarmés du pilum, mettoient à l'instant l'épée à la main, & ils se jettoient sur l'ennemi avec une impétuosité d'autant plus heureuse, que souvent les pilum avoient renversé ses premiers rangs.
Cet usage du pilum se trouve démontré dans les commentaires de César, & sur-tout dans le récit de la bataille de Pharsale. " Il n'y avoit, dit-il, entre les deux armées qu'autant d'espace qu'il en falloit pour le choc. Mais Pompée avoit commandé à ses gens de tenir ferme sans s'ébranler, espérant parlà de faire perdre les rangs & l'haleine aux nôtres, & rompant leur effort, rendre le pilum inutile.... Lorsque les soldats de César virent que les autres ne bougeoient point, ils s'arrêterent d'eux-mêmes au milieu de la carriere ; & après avoir un peu repris haleine, ils lancerent le pilum en courant, puis ils mirent l'épée à la main, selon l'ordre de César. Ceux de Pompée les reçurent fort bien, car ils soutinrent le choc sans branler, & mirent aussi l'épée à la main après avoir lancé leur pilum ".
La pesanteur du pilum ne permettoit pas de le lancer ou darder de loin. On laissoit les velites fatiguer l'ennemi par leurs javelots, avant que l'action fût générale. Les hastaires & les princes ne se servoient du pilum que quand l'ennemi étoit assez proche. De-là ce proverbe de Végece, pour indiquer la proximité des armées, ad pila & spatas ventum est ; l'affaire en est venue jusqu'aux piles.
La pique des triaires, propre pour le combat de main & celui de pié ferme, étoit plus longue, moins grosse, & par conséquent plus aisée à manier que le pilum, dont on ne faisoit plus de cas lorsque le combat étoit engagé ; les hastaires même & les princes étoient obligés de jetter leur pilum sans en faire usage, quand l'ennemi étoit trop près. César raconte qu'ayant tout-d'un-coup les ennemis sur le corps, au point même de n'avoir pas assez d'espace pour lancer les piles, les soldats furent contraints de les jetter à terre pour se servir de l'épée. Les triaires armés de la pique, attendoient souvent de pié ferme le choc de l'infanterie, comme celui de la cavalerie. Suivant Tite-Live, ils ne quittoient point la pique dans la mêlée ; ils meurtrissoient, dit-il, les visages des Latins avec leurs piques dont la pointe avoit été émoussée dans le combat. On pourroit regarder les triaires comme les piquiers d'autrefois ; il y avoit pourtant des occasions où ils abandonnoient la pique pour se servir de l'épée, qui étoit l'arme dans laquelle les Romains mettoient leur principale confiance.
M. le maréchal de Saxe, qui avoit conçu le projet de mettre l'infanterie sur le pié des légions, propose pour les soldats des armes de longueur, ou des piques mêlées avec les armes à feu, comme des armes équivalentes aux pilums ; mais on ne peut douter que l'arme romaine n'ait été tout-à-fait différente de la pique de ce général, quant à la forme & au service. Mémoires militaires par M. Guischardt. (Q)
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PILUMNE | S. m. (Mytholog. rom.) dieu qui passoit pour l'inventeur de l'art de broyer ou moudre le blé.
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PIMAR | PIEUMART, GRAND PIC NOIR, picus maximus niger, s. m. (Hist. nat. Ornit.) oiseau qui pese dix onces & demie ; il a un pié cinq pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & deux piés trois pouces d'envergure ; le bec est fort triangulaire, & long de deux pouces & demi ; les narines ont leurs ouvertures arrondies & couvertes de poils. Cet oiseau est entierement noir, à l'exception du sommet de la tête, qui a une belle couleur rouge qui s'étend jusqu'aux narines. Il y a dix-neuf grandes plumes dans chaque aîle ; la premiere n'a pas plus de longueur que celle du second rang. La queue n'est composée que de dix plumes : les extérieures sont très-courtes ; les autres ont successivement plus de longueur jusqu'à celle du milieu, qui sont plus longues, & qui ont jusqu'à sept pouces ; toutes, excepté la premiere de chaque côté, sont pointues, roides & courbées en-dessous. Cet oiseau se soutient par le moyen de ses plumes, en grimpant le long des arbres ; il a deux doigts dirigés en avant, & deux en arriere. Les ongles sont très-grands, à l'exception de celui du plus petit doigt de derriere, qui est très-court. Willughbi, Ornit. Voyez OISEAU.
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PIMBERAH | (Hist. nat.) C'est ainsi qu'on nomme dans l'île de Ceylan un serpent qui est de la grosseur d'un homme, & d'une longueur proportionnée ; il vit du bétail & des bêtes sauvages, & quelquefois il avale un chevreuil tout entier ; il se cache dans les routes où il doit passer, & le tue d'un coup d'une espece de cheville ou d'os dont sa queue est armée.
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PIMENT | S. m. (Botan.) On appelle aussi cette plante botrys vulgaire ; mais elle est connue des Botanistes sous le nom de chenopodium ambrosioïdes, folio sinuato, I. R. H. Rai. histor. 196.
Sa racine est petite, blanche, perpendiculaire, garnie de peu de fibres. Sa tige est haute de 9 à 12 pouces, cylindrique, ferme, droite, velue, divisée depuis le bas en plusieurs petits rameaux chargés de feuilles alternes. Ses feuilles sont découpées profondément des deux côtés, comme celles du chêne, traversées de grandes veines rouges lorsqu'elles commencent à paroître, ensuite pâles. Ses fleurs sont petites, gluantes, portées en grand nombre au haut des tiges & des rameaux, disposées en un long bouquet & comme en épi.
De l'aisselle de chaque petite feuille s'élevent de petits rameaux chargés de petites fleurs & de graines ; ces petits rameaux en se divisant se partagent toujours en deux, & chaque angle est garni d'une petite fleur sans pédicule. A la naissance des petits rameaux les fleurs sont sans pétales, composées de plusieurs étamines qui s'élevent d'un calice verd, découpé en plusieurs quartiers. Il succede à chaque fleur une graine semblable à celle de la moutarde, mais beaucoup plus petite, & renfermée dans une capsule qui étoit le calice de la fleur.
Toute cette plante est aromatique & d'une odeur forte, mais qui n'est pas désagréable, d'une saveur un peu âcre, aromatique, & enduite d'un mucilage résineux qui tache les mains quand on la cueille. Elle vient d'elle-même dans les pays chauds, en Languedoc, en Provence le long des ruisseaux & des fontaines, dans les lieux arides & sablonneux ; elle croît aisément dans nos jardins, & elle est toute d'usage. Les Médecins la recommandent beaucoup dans les fluxions de sérosités qui se jettent sur le poumon, dans la toux catarreuse, l'asthme humide, & l'orthopnée qui vient de la même cause. (D.J.)
PIMENT, (Botan.) plante du genre que les Botanistes appellent capsicum : celle-ci en est une espece, autrement nommée poivre d'Inde, poivre du Brésil, poivre de Guinée. Voyez sa description sous le mot POIVRE DE GUINEE, Botan.
PIMENT DE LA JAMAÏQUE, (Hist. nat. des drog. exot.) c'est l'arbre qui donne le poivre de la Jamaïque ; où on entend aussi par piment les poivres même de cet arbre. Voyez POIVRE DE LA JAMAÏQUE.
PIMENT ROYAL, gale, genre de plante dont les piés qui fleurissent ne grainent pas, & dont les piés qui grainent ne fleurissent point ; ceux qui fleurissent portent des chatons composés de petites feuilles disposées sur un pivot, creusées ordinairement en bassin, & coupées à quatre pointes ; parmi ces feuilles naissent les étamines chargées chacune d'un sommet. Les fruits naissent sur des piés différens de ceux-ci, & ces fruits sont des grappes chargées de semences. Tournefort, mém. de l'acad. royale des Scienc. année 1706. Voyez PLANTE.
PIMENT, (Botan.) voyez CORAIL DE JARDIN.
PIMENT, (Diete & Mat. méd.) poivre d'Inde ou de Guinée, corail de jardin.
Cette plante croît naturellement en Guinée & dans le Brésil. On la cultive en abondance dans les pays chauds, comme en Espagne, en Portugal, & dans les provinces méridionales du royaume. Les fruits ou gousses de cette plante ont une saveur âcre & brûlante, sur-tout dans leur état de maturité, c'est-à-dire lorsqu'elles sont devenues rouges. On rapporte cependant que les Indiens les mangent dans ce dernier état sans aucune préparation ; ce qui est peu vraisemblable, du moins si ces fruits ont dans ces climats la même âcreté que dans le nôtre : car on ne sauroit mâcher un instant un morceau de notre piment, même avant la maturité, sans se mettre la bouche en feu : nulle habitude ne paroît capable de faire un aliment innocent d'une matiere aussi active. Les habitans des pays de l'Europe où on cultive le piment, en cueillent les gousses lorsqu'elles sont encore vertes, & qu'elles n'ont pas acquis tout leur accroissement. Dans cet état elles sont encore très-âcres, & fort ameres, mais d'autant moins qu'elles sont moins avancées. Les moins âcres ne sont point encore mangeables sans préparation, & peut-être même sont-elles naturellement dangereuses ; car le piment est de la classe des morelles, dont la plûpart des especes sont venéneuses (voyez MORELLE), & dont le correctif est l'acide, comme nous l'avons aussi observé à cet article.
Quoi qu'il en soit, on prépare les gousses vertes de piment pour l'usage de la table, en les faisant macerer pendant un mois au moins dans de fort vinaigre, après les avoir ouvertes par une ou plusieurs incisions profondes.
On les mange communément en salade avec l'huile & le sel, après en avoir séparé par une forte expression, le plus de vinaigre qu'il est possible. On a coutume d'y ajouter du persil & de l'ail hachés : c'est-là un mets fort appétissant, point mal-sain, & fort usité dans les provinces méridionales du royaume, mais seulement parmi les paysans, les gens du peuple, & les sujets les plus vigoureux & les plus exercés de tout état, tels que les chasseurs, &c. Le piment est très-peu alimenteux ; il ne sert, comme on parle vulgairement, qu'à faire manger le pain. Il convient très-fort aux personnes dont nous venons de parler, aux gens forts & vigoureux, & sur-tout dans les climats chauds, & pendant les plus grandes chaleurs, comme résistant efficacement au relâchement, à l'affaissement, à la lassitude que le grand chaud procure (voyez CLIMAT, Méd.) ; les sujets délicats ne sauroient s'en accommoder, le piment les mettroit en feu ; il irriteroit d'une maniere dangereuse les estomacs sensibles.
On ne se sert point du piment à titre de remede ; on pourroit cependant en espérer de très-bons effets contre les digestions languissantes, l'état de l'estomac vraiment relâché, perdu : il paroît très-capable de réveiller puissamment le jeu de cet organe. (b)
PIMENT, s. m. (Hist. des mod.) sorte de liqueur dont on faisoit autrefois usage en France, ainsi que du clairet & de l'hypocras. Les statuts de Clugni nous apprennent ce que c'étoit que le piment. Statutum est ut ab omnis mellis, ac specierum (épices) cum vino confectione, quod vulgari nomine pigmentum vocatur, fratres abstineant. C'étoit donc un breuvage composé de vin, de miel & d'épices. Dans les festins de la chevalerie, les écuyers servoient les épices, les dragées, le clairet, l'hypocras, le vin cuit, le piment, & les autres boissons qui terminoient toujours les festins, & que l'on prenoit encore en se mettant au lit ; ce que l'on appelloit le vin du coucher. (D.J.)
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PIMENTADE | S. f. terme de relation, nom d'une sauce dont les Insulaires se servent pour toutes sortes de mets. Elle tire ce nom du piment des îles, parce qu'il en fait la principale partie. On l'écrase dans le suc de manioc qu'on fait bouillir, ou dans de la saumure avec de petits citrons verds. La pimentade ne sert pas seulement pour éguiser les sauces, on l'emploie aussi à laver les negres que l'on a écorchés à coups de fouet. C'est un double mal qu'on leur cause, dans l'idée d'empêcher la gangrene des plaies qu'on leur a faites par une premiere inhumanité.
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PIMIENTA | S. f. (Botan.) nom que donnent les Anglois au poivrier de la Jamaïque. Voyez POIVRE de la Jamaïque. (D.J.)
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PIMPILEN | ou PEPELI, s. m. (Hist. nat.) noms qu'on donne à Bengale au poivre-long. Voyez POIVRE.
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PIMPINICHI | (Botan. exot.) petit arbre des Indes qui a la figure d'un pommier, & dont parle Monard dans son Hist. des simples de l'Amérique. On fait à cet arbrisseau des incisions par lesquelles il répand un suc visqueux, blanc & laiteux. Ce suc est un violent purgatif dont on se sert pour évacuer la bile & les sérosités : on en met dix ou douze gouttes dans un verre de vin ; & si l'opération est trop violente, on l'arrête en prenant quelque liqueur adoucissante.
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PIMPLA | (Géog. anc.) Pimpleius ou Pimpleus ; montagne de Boeotie voisine de l'Hélicon, & consacrée aussi-bien que ce mont célebre aux divines muses ; ce qui fait qu'Horace, liv. I. ode xxvj. en s'adressant à sa muse, l'appelle Pimplea dulcis ; & c'est ce qui fait dire à Catulle, carm. 103. Pimpleum scandere montem. Ce n'est donc point d'une fontaine de Macédoine, comme l'a cru Festus, mais du mont Pimpla, que les Muses ont été surnommées Pimpléides. Je suis toujours confondu de voir les Baeotiens décriés pour les peuples les plus grossiers de toute la Grece, tandis que c'est en Boeotie que se trouvent les lieux où la Mythologie place le séjour des Muses. C'est en Boeotie qu'étoient les fontaines d'Aganipe, d'Aréthuse, de Dircé & d'Hippocrene, tant chantées dans les écrits des poëtes. Les Turcs ignorent tout cela ; à peine savent-ils que leur Livadie renferme l'Etolie, la Doride, la Phocide, l'Attique, & la Boeotie des anciens.
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PIMPLÉES | (Littérat.) ou Pimpléides ou Pimpléiades, surnom des Muses. Strabon dit que Pimplée étoit le nom d'une ville, d'une fontaine & d'une montagne de Macédoine. Les Thraces le transporterent à une fontaine de Boeotie, qu'ils consacrerent aux Muses ; & de-là elles furent nommées Pimplées par les Poëtes. (D.J.)
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PIMPLENOSE | (Hist. nat. Botan.) c'est le nom que les Anglois donnent à un fruit des Indes orientales de la grosseur du citron, dont l'écorce est épaisse, tendre & remplie d'inégalités ; ce mot signifie nez bourgeonné. Cette écorce renferme une grande quantité de graines de la grosseur d'un grain d'orge & remplis de jus ; le goût en est très-agréable, sur-tout celui du fruit qui croît dans l'île de Sumatra.
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PIMPOU | S. m. (Hist. mod.) tribunal de la Chine où les affaires qui concernent les troupes sont portées.
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PIMPRENELLE | S. f. (Hist. nat. Botan.) pimpinella ; genre de plante à fleur monopétale, en forme de rosette, & divisée jusqu'au centre en quatre parties. Cette fleur a plusieurs étamines, ou un pistil frangé. Le calice devient dans la suite un fruit, le plus souvent quadrangulaire & pointu aux deux bouts, qui a tantôt une seule capsule, & tantôt deux, & qui renferme des semences presque toujours oblongues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort établit douze especes de ce genre de plante. La plus commune est celle qui est nommée pimpinella sanguisorba, minor, hirsuta & levis, par C. B. P. 160. & dans les I. R. H. 157. en anglois, the common pimpernell, called Burnet saxifrage.
Sa racine est ronde, longue, grêle, divisée en plusieurs branches rougeâtres, entre lesquelles on trouve quelquefois de petits grains rouges. Elle pousse plusieurs tiges à la hauteur de plus d'un pié, rougeâtres, anguleuses, rameuses, garnies d'un bout à l'autre de feuilles qui sont arrondies, dentelées en leurs bords, rangées comme par paires le long d'une côte grêle, rougeâtre & velue. Ces tiges soutiennent en leur sommet des têtes rondes comme en peloton, garnies de petites fleurs purpurines formées en rosette, à quatre quartiers, ayant en leur milieu une touffe de longues étamines.
Ces fleurs sont de deux sortes ; les unes stériles qui ont un paquet d'étamines, les autres fertiles qui ont un pistil. Quand les fleurs fertiles sont passées, il leur succede des fruits à quatre angles, ordinairement pointus par les deux bouts, de couleur cendrée dans leur maturité. Ils contiennent quelques semences oblongues, menues, d'un brun roussâtre, d'une saveur astringente & un peu amere, & d'une odeur forte qui n'est pas désagréable.
Cette plante croît naturellement en des lieux incultes, sur les montagnes, les collines & dans les pâturages ; on la cultive dans les jardins potagers, & elle est fort en usage dans les salades. Elle fleurit en graine aux mois de Juin & de Juillet, & est très-vivace. (D.J.)
PIMPRENELLE, (Mat. méd.) cette plante tient un rang distingué parmi les remedes altérans. Elle est regardée comme propre à purifier le sang, à en résoudre les arrêts légers, à donner du ressort aux parties, & à préserver des maladies contagieuses & même de la rage, &c. On ordonne fréquemment les feuilles de cette plante avec d'autres substances végétales, analogues, dans les bouillons & les apozèmes appellés apéritifs ; & il paroît que son extrait peut concourir en effet au très-léger effet médicamenteux de ces sortes de remedes. On compte aussi communément pour quelque chose, dans l'estimation de son action médicinale, un principe odorant très-foible dont elle est pourvue. Mais ce principe est en effet trop foible pour qu'on puisse compter sur son influence, & surtout lorsque la plante a essuyé la décoction, voyez DECOCTION. Ce parfum léger se rend pourtant très-sensible lorsque, selon un usage fort connu, on fait infuser à froid quelques feuilles de cette plante dans du vin ; mais il n'est pas permis de croire que le vin chargé de ce principe, & d'une quantité infiniment petite d'extrait, ait acquis une vertu apéritive & diurétique ; car la vertu diurétique est une de celles qu'on a attribuées à la pimprenelle.
Une autre qualité pour laquelle on l'a beaucoup célebrée encore, & qui lui a mérité l'épithete de sanguisorba, c'est-à-dire capable de repomper ou d'étancher le sang, c'est sa prétendue efficacité pour arrêter les hémorrhagies : je dis prétendue, sans penser à rejetter le témoignage des auteurs qui la lui ont attribuée, & pour exprimer seulement que cette propriété n'est point constatée par des effets journaliers, par l'usage.
Les feuilles de pimprenelle entrent dans le syrop de guimauve composé, appellé de ibisco ; dans le syrop de guimauve de Fernel ; dans le mondificatif d'ache ; dans l'emplâtre de bétoine, &c. (b)
PIMPRENELLE BLANCHE, (Mat. méd.) PIMPRENELLE-SAXIFRAGE, BOUQUETINE ou BOUCACE, GRANDE & PETITE. Voyez BOUCACE.
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PIN | S. m. (Hist. nat. Bot.) pinus ; genre de plante à fleur en chaton, composée de plusieurs étamines. Cette fleur est stérile : l'embryon naît séparément de la fleur, & devient dans la suite un fruit composé de feuilles en forme d'écailles, qui ont deux fosses. On trouve entre ces feuilles deux coques osseuses, ou noyaux souvent aîlés, qui renferment une amande oblongue. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles naissent par paire, & qu'elles sortent de la même gaîne. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PIN, (Jardinage) pinus, grand arbre toujours vert, qui se trouve en Europe & dans l'Amérique septentrionale. On connoît plus de vingt especes de pins, qui ont entr'elles des différences si variées, qu'il n'est guere possible d'en donner une idée sûre & satisfaisante par une description générale : il sera plus convenable de traiter de chacune en particulier. On les distingue en trois classes, relativement au nombre des feuilles qui sortent ensemble d'une gaîne commune ; c'est ce qui les a fait nommer pin à deux feuilles, pin à trois feuilles, & pin à cinq feuilles.
I. Pin à deux feuilles. Le pin sauvage ou pin de Genève, devient un grand arbre fort branchu, dont le tronc est court & souvent tortueux ; ses racines s'étendent beaucoup plus qu'elles ne s'enfoncent ; son écorce qui est grise dans la premiere jeunesse de l'arbre, devient rougeâtre à mesure qu'il avance en âge ; ses feuilles sont fermes, piquantes, filamenteuses & d'un pouce ou deux de longueur ; leur verdure est agréable & uniforme ; ses fleurs mâles ou chatons s'épanouissent au mois de Mai ; ses cônes commencent à paroître dans le même tems, mais ils ne mûrissent qu'après le second hiver ; ils ont environ un pouce de diametre au gros bout sur deux à trois de longueur, ils sont pointus, & leurs écailles sont relevées d'éminences saillantes & recourbées vers la base, qui le rendent rude au toucher.
Cet arbre vient aisément de graine jettée au hasard, il croît assez promptement même dans des lieux incultes, il ne se refuse à aucun terrein quelqu'ingrat qu'il soit, & il ne faut ni soins ni précautions pour le multiplier, ni aucune culture pour l'élever. Il se plaît dans les lieux froids, sur les montagnes & à l'exposition du nord ; il réussit dans les terreins secs & légers, pauvres & superficiels, il ne se refuse ni au sable le plus stérile, ni à la craie la plus vive ; il profite également dans la terre forte & humide comme dans la glaise la plus dure ; enfin il vient partout où le terrein peut avoir trois pouces d'épaisseur. Cet arbre ne craint point les vapeurs salines de la mer, il résiste à l'impétuosité des vents & il s'accommode de tous les climats de l'Europe, où on le trouve jusqu'aux extrémités de la Laponie.
Le pin de Genève est peut-être le plus sauvage, le plus robuste, le plus agreste & le plus vivace de tous les arbres, il ne craint ni le froid, ni le chaud, ni la sécheresse. J'ai tenu pendant cinq ans un pin de cette espece, dans un pot de six pouces de diametre ; je l'ai toujours laissé au grand air sans le serrer pendant l'hiver, ni l'arroser dans les plus grandes sécheresses ; il a bravé toutes les vicissitudes des saisons, & malgré la petitesse du vase qui le contenoit, il s'est élevé à quatre piés, mais comme ses racines sortoient du pot, je le fis transplanter il y a dix ans dans un lieu inculte contre un rocher où il est plein de vie & où il fait autant de progrès que s'il y étoit venu de semence.
On ne peut multiplier cet arbre qu'en semant ses graines après les avoir tirées des cônes : on doit être assuré de leur maturité, lorsque leur couleur verte est devenue roussâtre, ce qui arrive dans le mois de Février qui est le tems propre à les cueillir, car dès que le hâle de Mars se fait sentir, les cônes s'ouvrent & les graines sont bien-tôt dispersées par le vent. On peut conserver pendant deux ou trois ans les cônes sans qu'ils s'ouvrent, en les tenant dans un lieu frais, mais exempt d'humidité, & quand on a tiré la graine des cônes, elle garde encore très-longtems sa vertu productrice. J'en ai fait un essai remarquable ; j'ai semé tous les ans des graines de cet arbre qui avoient été recueillies au mois de février 1737, & qu'on avoit envoyées de Genève épluchées & tirées des cônes ; elles ont levé constamment pendant dix-huit ans, & depuis ce tems il n'en a levé aucune pendant cinq ans que j'ai continué d'en semer ; mais il est vrai que le semis des cinq ou six dernieres années a peu-à-peu diminué de production, au point qu'à la fin il n'a pas levé la vingtieme des graines. Pour les tirer des cônes, il n'y a qu'à les exposer au soleil ou devant le feu pour les faire ouvrir.
Pour semer ces graines, il faut aux petits semis un procédé bien différent des grands semis ; si l'on ne veut avoir qu'un nombre médiocre de plants, il faudra semer dans des terrines ou des caisses plates, parce qu'il y a trop d'inconvéniens à semer en pleine terre ; ce n'est pas que les graines ne puissent très-bien lever de cette façon, mais les intempéries de l'hiver, & surtout le hâle du printems qui est le fléau des arbres toujours verds dans leur premiere jeunesse, détruisent presque tout. On garnira le fond des caisses ou terrines d'un pouce d'épaisseur de sable ou vieux décombres ; ensuite on les emplira jusqu'à un pouce du bord, de bonne terre quelconque, pourvu qu'elle soit fraîche & bien meuble, puis on y mettra un demi-pouce d'épaisseur de terreau bien consommé & passé dans un crible très-fin, après quoi on répandra la graine pardessus, & enfin on la couvrira d'un demi-pouce du même terreau.
Le printems est la seule saison convenable pour semer la graine de pin, on peut s'y prendre dès le commencement de Mars, & il seroit encore tems au 20 de Mai ; cependant le mois d'Avril est le tems le plus assuré.
Mais si l'on veut faire de grands semis pour former des cantons de bois de cet arbre, il faut s'y prendre de toute autre façon. Quantité de gens ont tenté différens moyens pour le faire avec succès, mais les soins de culture & les procédés les plus recherchés n'ont nullement servi à remplir leur objet ; quand on veut travailler en grand dans l'agriculture, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est d'imiter la nature le plus près qu'il est possible : on s'est avisé de ne point épargner la graine & de la semer avec profusion sur les terres incultes, dans l'herbe & les fougeres, parmi les genevriers, les joncs, les bruyeres, &c. cette opération toute simple qu'elle est, a presque toujours été suivie partout du plus grand succès ; il est vrai que les plants ne paroîtront que la troisieme année, mais bien-tôt ils s'empareront du terrein, ils étoufferont les buissons qui l'occupoient, & ils feront des progrès qui dédommageront de l'attente ; si cependant on se détermine à semer de grands cantons avec plus de précision, on fera faire avec la charrue des sillons distans de trois à quatre piés, & après y avoir répandu la graine, on la fera recouvrir légerement avec la pioche à main d'homme, d'un pouce d'épaisseur de terre ou environ, il arrivera encore souvent que les graines ne leveront qu'à la troisieme année pour la plûpart ; ainsi beaucoup de patience & nulle culture.
Cet arbre dans sa premiere jeunesse réussit à la transplantation avec une facilité admirable ; mais à moins qu'on ne les enleve avec la motte, il ne faut pas que les plants ayent plus de deux à trois ans ; à cet âge on pourra les mettre avec assurance dans des terreins pauvres, incultes & superficiels au point de n'avoir que trois pouces de fond : il suffira de les planter à 4, 5 ou 6 piés de distance, dans de petits trous faits avec la pioche, sans qu'il soit besoin d'y toucher ensuite, que pour commencer à les élaguer à l'âge de 5 ou 6 ans ; cette opération favorise leur accroissement, mais il ne faut la faire que peu-à-peu & avec beaucoup de ménagement. Le mois d'Avril est le tems propre à cette transplantation, après que les hâles sont passés, & avant que les jeunes plants commencent à pousser ; cet arbre s'éleve à 15 piés en dix ans dans un terrein cultivé : & des cantons formés en bois avec de jeunes plants de trois ans, se sont élevés en 21 ans à la hauteur commune de 25 piés dans un terrein stérile, inculte & sablonneux qui n'a que trois ou quatre pouces de profondeur. Il y a une sorte d'avantage à ne former que de petits cantons de cet arbre ; comme sa graine est fort légere, le vent la disperse, & en vingt ans le canton se trouve triplé : il est vrai que la venue n'est pas égale pour la hauteur, mais elle est bien plus considérable pour la quantité. Le pin n'est sujet à aucun insecte, & quoiqu'il soit exposé au parcours du gros & menu bétail, il n'en reçoit aucun préjudice ; soit que son odeur résineuse les écarte, ou que la pointe des feuilles soit un obstacle à les brouter. Cet arbre craint le fumier, & après qu'il a été coupé, sa souche ne repousse point.
II. Le pin d'Ecosse. C'est aussi un pin sauvage qui approche beaucoup du pin de Genève, dont il differe pourtant en ce que ses feuilles sont plus courtes, plus étroites & d'un verd plus blanchâtre : ses cônes sont moins gras, moins roux, & leurs éminences moins saillantes ; l'arbre fait une tige plus droite & il prend plus d'élévation : au surplus on le multiplie & on l'éleve de la même façon. Ses qualités sont aussi les mêmes, & on en peut tirer pour le moins autant de service & d'utilité.
III. Le franc pin, ou le pin piguier. On cultive beaucoup cette espece de pin en Italie, en Espagne & dans les provinces méridionales du Royaume. C'est un bel arbre fort touffu qui s'étend plus qu'il ne s'éleve ; ses feuilles ont six pouces de longueur ou environ, elles sont dures, épaisses & d'un beau verd, & lorsqu'il se trouve dans un lieu spacieux, ses branches retombent jusqu'à terre ; sa tête prend naturellement la forme d'une pyramide écrasée, & toujours peu d'élévation ; ses cônes sont courts, obtus & fort gros ; ils ont 4 à 5 pouces de longueur, sur 3 ou 4 de diametre : on nomme pignons les graines qui y sont renfermées sous des écailles très-dures ; ces pignons qui sont de figure ovale & de la grosseur d'une noisette, renferment une amande bonne à manger dont on peut faire le même usage que des pistaches. Les cônes sont en maturité dans les pays chauds dès le mois de Septembre, ils s'ouvrent deux mois après, & les pignons tombent d'eux-mêmes. Le franc pin se plaît dans les climats chauds, cependant il peut réussir dans la partie septentrionale de ce royaume ; il n'y paroît délicat que dans sa jeunesse, on avoit d'assez beaux arbres de cette espece au jardin du roi, à Paris, où ils ont résisté à de fort grands hivers. Ce n'est donc que dans les premieres années de l'éducation de cet arbre, qu'il faut prendre quelques précautions pour le garantir des fortes gelées ; on ne peut le multiplier qu'en semant ses pignons : on pourroit le faire en plein air dans une plate-bande, contre un mur bien exposé ; on les a souvent sauvés du froid au moyen de quelque abri durant l'hiver ; mais il sera plus sûr de les semer dans des terrines ou des caisses plates, dans le tems & de la même façon qu'on l'a dit pour le pin sauvage, mais les graines ne leveront qu'au bout de six semaines environ, si on les y a disposées par de fréquens arrosemens dans les tems de sécheresse ; parce que la coquille des pignons étant dure, elle ne s'ouvre qu'à la faveur d'une humidité suivie, sans quoi ils ne leveroient qu'au bout de 3 ou 4 mois : on évite encore mieux cet inconvénient, en faisant tremper les pignons sept ou huit jours avant de les semer. Au surplus même tems, mêmes soins & mêmes arrangemens à observer pour la transplantation de cet arbre, qui se plaît sur les collines dans un terrein sec, leger & sablonneux : son accroissement est lent dans sa jeunesse, sur-tout quand il a été transplanté. Il ne donne du fruit qu'à 10 ou 12 ans, & ce n'est qu'à 15 qu'il commence à avoir de l'apparence.
Les pignons étoient autrefois à la mode : on en faisoit des dragées, des pralines, des crêmes, & on les faisoit entrer dans quantité de plats du service de l'entremets ; on leur a substitué les pistaches, qui font une nourriture plus indifférente. On tire des pignons une huile très-douce, qui a toutes les autres qualités de l'huile d'amande, & le marc fait encore une meilleure pâte à laver les mains.
Le bois de franc-pin est blanchâtre, médiocrement chargé de resine, & il est propre aux mêmes usages que celui des autres pins.
4. Le pin de montagne ou torchepin, que l'on nomme pin suffis à Briançon, & que les Botanistes désignent sous le nom de mugo. Il fait un arbre d'une belle venue ; ses feuilles qui ont environ deux pouces de longueur, sont fermes, piquantes, & d'une belle verdure. Ses jeunes branches ont l'écorce écailleuse & d'une couleur de canelle assez luisante ; elles prennent une courbure naturelle qui tourne en agrément. Ses fleurs mâles ou chatons viennent en bouquet qui sont d'un joli aspect. Ses cônes ont un pouce de diametre environ sur deux de longueur ; ils ont la figure d'un oeuf très-pointu à l'extrémité ; leur couleur est d'un rouge canelle, vif & brillant ; ses écailles sont chargées de tubercules très-saillantes d'une forme variable ; les graines que renferment ces cônes sont de la grosseur d'un pepin de poire. Son bois, lorsqu'il est nouvellement coupé, est d'une couleur roussâtre ; il est très-resineux, aussi les gens de la campagne s'en servent ils pour faire des torches.
5. Le pin de montagne, ou pin d'Haguenau ; cet arbre a beaucoup de ressemblance avec le précédent, si ce n'est que ses cônes sont plus longs, plus menus & plus pointus, & qu'assez souvent on y trouve des feuilles qui sortent trois à trois d'une même gaîne.
6. Le grand pin maritime ; c'est l'espece de pin la plus répandue dans le royaume ; il fait un grand arbre garni de belles feuilles qui sont assez longues, & d'une verdure agréable. Ses fleurs mâles ou chatons, forment au printems des bouquets rouges de belle apparence. Ses cônes sont plus longs que ceux du franc-pin, mais de moindre grosseur ; ils ont deux pouces & demi de diametre, environ sur quatre à cinq pouces de longueur ; les éminences des écailles sont tantôt coniques, tantôt pyramidales, & plus ou moins saillantes ; dans le premier cas elles finissent en pointe, & dans le second, elles sont terminées par un mamelon. Les pignons qui renferment ces cônes sont durs & bien moins gros que ceux du pin cultivé. Le bois de cet arbre sert aux mêmes usages que celui du franc-pin, & on en retire aussi de la resine.
7. Le petit pin maritime ; il fait un aussi grand arbre que le précédent, & son bois est de même service ; mais comme ses cônes sont de moindre grosseur, & ses feuilles plus courtes & plus menues, c'est ce qui lui a fait donner une qualification en petit ; d'ailleurs on s'est assuré dans le pays de Bordeaux, qu'en semant ces deux pins maritimes, les graines produisoient leur même espece.
8. Le pin maritime de Mathiole ; cet arbre tient en quelque sorte le milieu entre le petit pin maritime & le pin de Genève. Ses feuilles sont plus menues, plus longues que celles du petit pin maritime, & d'un verd blanchâtre ; elles viennent par touffes en façon d'aigrettes, au bout des jeunes branches qui sont minces, souples, & se recourbent ; les autres branches sont presque dénuées de feuilles, ce qui laisse voir leur écorce qui est grise & unie : ses fleurs mâles ou chatons sont blancs, & ses cônes un peu plus gros que ceux du pin de Genève. Le bois de cette espece de pin est chargé de beaucoup de resine, mais il ne fait pas un si bel arbre que les deux autres pins maritimes.
9. Le petit pin sauvage, dont les chatons sont verdâtres.
10. Le petit pin sauvage, dont les chatons sont pourpres.
Ces deux especes de pin ne s'élevent qu'à hauteur d'homme, & donnent une grande quantité de cônes. Leurs feuilles sont courtes & semblables à celles de l'épicéa ; leurs branches sont aussi rangées régulierement dans le même ordre, ensorte que de loin on prend ces pins pour des épicéas.
11. Le pin dont les cônes sont placés verticalement sur les branches ; cet arbre est très-peu connu.
12. Le pin rouge de Canada ; ses feuilles ont environ cinq pouces de longueur ; elles sont un peu arrondies par le bout : ses cônes sont de moyenne grosseur, & de la figure d'un oeuf. Cet arbre a beaucoup de ressemblance avec le torchepin.
13. Le petit pin rouge de Canada ; il differe du précédent en ce que ses feuilles sont plus déliées & plus courtes ; elles n'ont que trois ou quatre pouces de longueur.
14. Le pin gris ou pin cornu de Canada ; ses feuilles sont recourbées, en se réunissant par les deux extrémités, elles forment une espece d'anneau ; il en est de même des cônes, qui par leur recourbure, ont l'apparence d'une corne ; ils sont au surplus de pareille longueur & grosseur que ceux du torchepin, avec lequel le pin gris a autant de ressemblance que les deux précédens. Ces trois sortes de pins prennent une grande hauteur, & seroient très propres à la mâture des vaisseaux, s'ils n'étoient trop noueux par la quantité de branches dont ces arbres se garnissent sur toute la longueur de leur tige. Le pin gris se trouve dans les terres seches & sablonneuses ; son bois est fort résineux & très-souple.
15. Le pin de Jérusalem, ou d'Alep ; ses branches sont menues ; son écorce est cendrée ; ses feuilles ont environ quatre pouces de longueur ; elles sont d'un verd foncé & si déliées, qu'elles se croisent & s'entremêlent ainsi que les branches, ce qui donne à cet arbre une irrégularité qui ne peut passer qu'à la faveur de sa singularité. Ses cônes sont de la forme de ceux du franc-pin, si ce n'est qu'ils sont plus petits. Les graines conservent pendant plusieurs années leur vertu productrice, quoiqu'elles aient été tirées des cônes. M. Miller, auteur anglois, a éprouvé qu'elles ont très-bien levé pendant trois ans. Cet arbre n'étant pas si robuste que les autres especes de pins, il faut des soins de plus pour le garantir des gelées, jusqu'à ce qu'il soit dans sa force. Il paroît aussi qu'il lui faut plus de tems qu'aux autres pins pour rapporter des graines qui soient fécondes.
Pins à trois feuilles.
16. Le pin de Virginie à cônes hérissés ; ses feuilles sortent par trois ou quatre ensemble d'une gaîne commune. Il fait un grand arbre d'une belle apparence, & quand il se trouve dans un terrein léger & humide, son accroissement est très-prompt. C'est-là tout ce qu'en a dit M. Miller, & c'est le seul auteur qui soit encore entré dans quelque détail sur cet arbre.
17. Le pin de Virginie à cônes épineux, ou le pin de Jersey, chez les Anglois. Cet arbre devient très-haut ; ses feuilles sortent au nombre de trois d'une gaîne qui leur est commune ; elles ont une rainure sur toute la longueur de la face extérieure ; elles sont un peu moins longues & plus déliées que celles du pin rouge de Canada. Ses cônes sont à-peu-près de la grosseur de celui du pin rouge, mais ils sont plus aigus : les éminences des écailles se terminent en une pointe qui est assez épineuse pour offenser la main ; son bois est souple, fort résineux, & il a le grain très-fin. Voilà les principales circonstances de la description que l'on trouve de cet arbre dans le traité des arbres de M. Duhamel.
18. Le pin à trochet ; ses feuilles sortent trois à trois d'une même gaîne, & elles sont plus longues que celles du précédent : ses cônes viennent rassemblés dans un gros bouquet, quelquefois au nombre de vingt. Cet arbre est encore très-rare en France.
19. Le pin de marais ; cet arbre vient en Amérique dans les places humides ; il se soutient difficilement dans les terreins secs, & il fait peu de progrès dans les lieux élevés. Ses feuilles viennent trois & souvent quatre ensemble, d'une gaîne commune ; elles ont quatorze pouces de longueur ; elles sont d'un verd foncé, plus grosses que celles d'aucun autre espece de pin, & les jeunes rameaux en sont très-garnis. Ses branches sont couvertes d'une écorce rude & crevassée, ce qui ôte beaucoup de l'agrément de cet arbre. C'est le plus délicat de toutes les especes de pin que l'on connoît ; il faut le garantir des gelées jusqu'à ce qu'il soit dans sa force ; ce qui étant difficile dans des lieux bas & humides où cet arbre se demande, on fera bien de le tenir en caisse jusqu'à ce qu'il soit en état de se soutenir contre le froid.
Pins à cinq feuilles.
20. Le pin blanc ou le pin du lord Weymouth ; cet arbre se trouve dans le Canada, la nouvelle Angleterre, la Virginie, la Caroline, & autres pays de l'Amérique septentrionale, où on lui donne le nom de pin blanc. Il est fort fréquent dans toutes ces contrées & dans les terreins humides & de légere consistance, où il se plait ; il y prend souvent plus de cent piés d'élevation : il fait une tige droite ; sa tête prend d'elle-même la forme d'un cône ; son écorce est lisse, unie & d'un verd brun sur les jeunes rameaux, mais elle est blanchâtre sur le tronc & les grosses branches. Ses feuilles sortent au nombre de cinq ensemble d'une gaîne commune ; elles ont environ trois pouces de longueur, & elles sont d'un verd de mer des plus beaux : les jeunes rejettons en sont très-garnis ; le reste du branchage en est donné. Ses fleurs mâles ou chatons, qui sont d'abord très-blancs, prennent ensuite une teinte de violet : ses cônes tiennent aux branches par des queues d'un pouce de longueur ; ils ont environ quatre pouces de haut sur huit lignes de diametre : les écailles en sont minces, flexibles, & détachées à leur extrémité, ce qui donne à ces cônes quelque ressemblance avec ceux du sapin. Les pignons en sont assez gros, & bons à manger ; ils tombent des cônes si on ne les cueille de bonne heure en autonne : cet arbre fait bien du branchage qui est très-garni de feuilles d'une belle verdure ; c'est l'espece de pin la plus convenable pour les plantations d'agrément ; son bois est blanc ; il est chargé d'une résine fluide & transparente, qui coule assez abondamment des entailles qu'on fait au tronc : on en peut faire des planches, mais il est trop rempli de noeuds pour être employé à faire une bonne mature.
21. Le pinastre ou alviez, dans le Briançonnois ; quelques Botanistes ont aussi donné le nom de cembro à cet arbre ; on le trouve fréquemment sur les Alpes, où il se plaît dans les endroits les plus froids qui sont couverts de neiges la plus grande partie de l'année : il fait une tige droite, & une tête ronde bien garnie de branches ; ses feuilles sortent d'une même gaine au nombre de cinq le plus souvent, quelquefois quatre, & plus rarement jusqu'à six ensemble ; elles sont fermes, épaisses, & des plus larges ; leur longueur est de quatre pouces & demi environ. Ses cônes sont courts & obtus ; leur longueur est de trois pouces sur près de deux de diametre ; les écailles se recouvrent de la façon de celles des cônes du sapin. Les pignons qu'elles renferment sont presque triangulaires, faciles à rompre, mais moins gros que ceux du franc-pin ; l'amande en est douce & d'un goût agréable ; on les mange comme les noisettes, & on les fait entrer dans les ragoûts. Cet arbre prend une bonne hauteur ; il est de belle apparence, & la verdure de son feuillage est très-agréable.
Généralement tous les pins ne peuvent se multiplier que de graines : on pourra se régler pour la façon de les semer, sur ce qui a été indiqué à l'article du pin sauvage, ou du franc pin, relativement à la grosseur des pignons.
Le pin est de tous les arbres, l'un des plus intéressans, par les différens usages auxquels il est propre, & qui sont très-profitables à la société ; mais ce qui en releve encore plus les avantages, c'est que la plûpart des especes de pins peuvent venir & réussir presque par-tout, même dans les endroits où tous les autres arbres se refusent. On ne sauroit trop répéter que le plus grand nombre des pins n'exigent aucune culture, ou plutôt qu'ils en sont ennemis ; qu'ils supportent le froid comme le chaud, qu'ils ne craignent ni la sécheresse ni l'humidité ; qu'ils résistent encore mieux qu'aucun arbre à l'impétuosité des vents & aux vapeurs salines de la mer, & qu'ils réussissent dans des lieux élevés, incultes & abandonnés, dans des terreins pauvres, stériles & superficiels ; enfin dans l'argille, le sable, la craie, la pierraille, & même parmi les rochers. Cet arbre croît fort vîte, sur-tout dans les terreins où il se plait : dès l'âge de dix ans on en peut faire des échalas pour les vignes, & quand il en a quinze ou dix-huit, on peut l'abattre pour le brûler ; & si l'on prend la précaution de l'écorcer & de le laisser sécher pendant deux ans, il n'aura presque plus de mauvaise odeur. Ces arbres sont dans leur force à 60 ou 80 ans : quel avantage donc ne pourroit-on pas tirer de cet arbre pour différens besoins de la société, si on le semoit dans quantité de places vaines & vagues, où pas un buisson ne peut naître, & qui restent absolument inutiles & abandonnés ? Cependant le pin est encore inconnu dans plusieurs provinces du royaume ; on peut citer pour exemple la Bourgogne, où on ne trouve que dans le seul canton de Montbard un petit bois de pin de Genève, qui a été planté depuis vingt ans.
Le bois des différentes especes de pins est plus ou moins chargé de résine ; mais en général il est d'un excellent usage pour les arts ; il est de très-longue durée & de très-bon service ; il est propre à la charpente & à la menuiserie : il entre dans la construction des vaisseaux ; on l'employe en planche ; on en fait des corps de pompe, & des tuyaux pour la conduite des eaux : c'est aussi un bon bois à brûler ; son charbon est très-recherché pour l'exploitation des mines, & on assure que l'écorce des pins peut servir à tanner les cuirs. Mais on retire encore de cet arbre, pendant qu'il est sur pié, d'autres services qui ne sont pas moins avantageux. Outre quelques especes de pins dont les pignons peuvent se manger, toutes ces sortes d'arbres donnent plus ou moins de résine, que l'on peut tirer de différentes façons, & dont on fait du brai gras, du brai sec, du goudron, de la résine jaune, du galipot, de la térebenthine, du noir de fumée, &c. On commence à tirer cette résine lorsque les arbres ont 25 ou 30 ans, & on pourra continuer de le faire pendant 30 autres années, si on y apporte les ménagemens nécessaires, après quoi les arbres seront encore de bon service pour la charpente.
Les pins ont encore le mérite de l'agrément ; ils conservent pendant toute l'année leurs feuilles, qui dans la plûpart des especes sont d'une très-belle verdure. Ces arbres sont d'une belle stature, & d'un accroissement régulier ; ils ne sont sujets ni aux insectes, ni à aucune maladie ; enfin plusieurs de ces pins sont de la plus belle apparence au printems, par la couleur vive des chatons dont ils sont chargés. Voyez sur la culture du pin, le dictionnaire des Jardiniers de M. Miller, & pour tous égards, le traité des arbres de M. Duhamel, qui est entré dans des détails intéressans sur cet arbre.
PIN, maniere d'en tirer le suc résineux, (Art. méch.) on choisit pour cet effet le pin le plus commun dans les forêts du pays sablonneux, connu sous le nom des landes de Bordeaux, c'est le petit pin maritime de Gaspard Bauhin, ou celui que M. Duhamel désigne par le n°. 3. à l'article du pin, de son Traité des arbres & arbustes.
Pour retirer du suc résineux de ce pin, on attend qu'il ait acquis quatre piés de circonférence. Il est parvenu à cette grosseur environ trente-cinq ans après sa naissance dans les bons terreins, c'est-à-dire, dans des sables profonds de trois ou quatre piés. En général la grandeur de l'arbre, la rapidité de son accroissement, l'abondance du suc résineux, & la bonne qualité du bois augmentent toujours en raison d'une plus grande épaisseur de la couleur du sable.
L'ouvrier commence par emporter la grosse écorce de l'arbre depuis sa racine jusqu'à la hauteur de deux piés sur six pouces de largeur. Cette premiere opération se fait au mois de Janvier, & c'est avec une hache ordinaire qu'elle s'exécute. Ensuite dès que les froids semblent avoir cessé, il enleve avec une hache d'une structure particuliere, le liber ou la seconde écorce ; il pénetre aussi dans le corps ligneux, & il en emporte un copeau très-mince.
Cette premiere entaille faite au pié de l'arbre, n'a guere plus de trois pouces de hauteur ; & elle ne doit point excéder quatre pouces en largeur. L'ouvrier la rafraîchit chaque semaine, quelquefois plus souvent, lui conservant sa même largeur ; mais s'élevant toujours de maniere qu'après six ou sept mois, qui sont le tems de ce travail, elle se trouve haute d'environ 15 pouces.
L'année suivante, après avoir enlevé encore deux piés de grosse écorce, il éleve de nouveau son entaille de 15 pouces, & il continue de même pendant huit années consécutives, après lesquelles elle a acquis environ 11 piés de hauteur.
La neuvieme année on entame l'arbre à la racine auprès de l'endroit où s'est faite la premiere opération ; on suit celle-ci pendant huit ans, & procédant toujours de la même maniere, on fait le tour de l'arbre, même plusieurs fois, car on pratique aussi des entailles sur les cicatrices qui ont couvert ses premieres plaies.
Après trois ou quatre ans, l'ouvrier ne sauroit poursuivre son ouvrage sans le secours d'une échelle. Celle qu'il emploie & qu'il est quelquefois obligé d'appliquer à plus de deux mille pins éloignés au-moins de quinze piés les uns des autres, devroit être légere, & faite de maniere à ne point l'embarrasser dans sa marche, qui est assez prompte. Sa construction remplit ces deux objets. C'est une grosse perche qu'on a rendue fort mince par le haut, & qu'on a diminuée par le bas jusqu'à ne lui laisser que deux pouces de diametre. On ménage un empatement au bout inférieur, & ensuite des saillies peu éloignées les unes des autres, & taillées en cul-de-lampe. L'extrémité supérieure est applatie & un peu courbée. L'ouvrier l'engage dans quelqu'un des intervalles que laissent entr'elles les rugosités de l'écorce. Il s'éleve à la hauteur qui lui convient ; & l'un de ses piés demeurant sur une des saillies, il embrasse l'arbre de l'autre jambe. Dans cette attitude il se sert de sa hache, & il continue son ouvrage de la maniere qui a été décrite.
Une hache dont le tranchant se trouveroit dans le plan du manche entameroit difficilement le pin de la maniere qu'on conçoit assez qu'il doit l'être, c'est-à-dire, en formant une espece de voute à l'origine de l'entaille. Aussi la hache est-elle montée obliquement sur son manche, & de plus courbée en-dehors à l'extrémité du tranchant la plus éloignée de la main de l'ouvrier.
Depuis le printems jusqu'au mois de Septembre, le suc résineux coule sous une forme liquide ; & dans cet état il se nomme galipot. Il va se rendre dans des petites auges taillées dans l'arbre même, à la naissance des racines. Celui qui sort depuis le mois de Septembre se fige le long de l'entaille, à laquelle il se colle quelquefois. Sous cette forme, on le nomme barras. On le détache, lorsque cela est nécessaire, avec une petite ratissoire emmanchée.
On met le galipot & le barras dans une chaudiere de cuivre montée sur un fourneau de briques ou de tuileaux maçonnés avec de la terre grasse. On introduit le feu sous la chaudiere par un conduit souterrein, & on l'entretient avec du bois de pin, mais seulement avec la téde, c'est-à-dire, avec la partie qui a été entaillée. Le suc résineux doit être tenu sur le feu jusqu'à ce qu'il se réduise en poudre étant pressé entre les doigts. Alors on étend de la paille sur une auge de bois. On répand avec un poëlon la matiere sur cette paille. Elle tombe dans l'auge parfaitement nette, ayant déposé sur ce filtre les corps étrangers dont elle étoit chargée. On la fait couler par un trou percé à l'extrémité de l'auge dans des creux cylindriques pratiqués dans le sable, & où elle est conduite par différentes rigoles. Elle s'y moule en pains du poids de cent ou de cent cinquante livres. Cette préparation du suc résineux se nomme le brai sec.
Dans quelques endroits on travaille avec beaucoup de propreté les creux dans lesquels on moule le brai sec. On a une aire remplie de sable fin, dans lequel on enfonce des morceaux de bois auxquels on a donné en les tournant la forme d'un petit tourteau. On remplit ces creux de matiere fondue, qu'on transporte avec le poëlon ; il en sort de petits pains plus estimés que les grands, & qu'on vend plus avantageusement.
Le suc résineux étant dans l'auge, bien dépuré & encore très-chaud, on y mêle de l'eau qu'on a fait chauffer, mais qu'on n'a point laissé bouillir. On brasse fortement le mêlange avec de grandes spatules de bois. Il devient jaune à mesure qu'on lui donne de l'eau ; & lorsque la couleur est parvenue au ton qu'on souhaite, on fait couler la matiere dans les moules où elle se durcit, & c'est la résine.
Le sable ne pouvant se soutenir par lui-même, il céderoit au poids du brai ou de la résine, dont les masses deviendroient informes. On mouille les creux & les rigoles pour leur donner de la consistance.
On met du galipot dans la chaudiere. Lorsqu'il est assez cuit pour avoir pris une couleur légerement dorée, on le coule & on le fait passer de l'auge dans les barriques, où il conserve l'état de liquidité d'un syrop très-épais.
Dans la partie septentrionale des forêts de pins, on expose le galipot au grand soleil dans des baquets. Les pieces du fond de ces baquets n'étant pas exactement jointes, le galipot fondu tombe dans des auges placées pour le recevoir. C'est la térébenthine de soleil beaucoup plus estimée que la premiere, qu'on appelle térébenthine de chaudiere.
La térébenthine ayant été mise avec de l'eau dans une chaudiere entierement semblable à celle dont on se sert pour faire l'eau-de-vie, & qui a le même attirail que celle-ci ; on en tire par la distillation une liqueur d'une odeur pénétrante, & assez désagréable, qu'on nomme huile de térébenthine.
On construit avec des tuileaux & de la terre grasse un four assez semblable à ceux qui servent à cuire le pain. Il en differe par une ouverture pratiquée à son sommet & par sa base creusée en maniere d'entonnoir fort évasé. Cette base pavée de briques, communique par un canal à une auge, qui se trouve au-dehors du four. L'auge & le canal sont construits de briques liées avec de la terre grasse. Ce four est inscrit dans une cage quadrangulaire formée par des poutres de pin posées les unes sur les autres, & assemblées par leurs extrémités. L'intervalle qui reste entre le four & la cage doit être bien garni de terre. Après avoir rempli ce four de copeaux enlevés en entaillant les pins, de la paille à travers laquelle le galipot & le barras ont été filtrés, de mottes de terre ramassées sous les pins, & pénétrées du suc qui en a découlé, on met le feu par le trou du sommet : une substance noire & grasse coule bientôt après, & va se rendre dans l'auge. On garnit le feu, & lorsqu'il a brûlé assez long-tems pour que la matiere ait perdu une partie de sa liquidité, & qu'elle se réduise en poudre entre les doigts, on l'éteint en couvrant l'auge de gazon. On fait couler dans des trous creusés dans le sable ce qui étoit contenu dans l'auge, & on a des pains d'une matiere noire & dure qu'on nomme pégle, nom qui paroît répondre au mot françois poix.
Ces différentes préparations viennent de l'arbre vivant ; il faut le détruire pour avoir le goudron. On le tire de la partie des pins la plus chargée du suc résineux. Le bois propre à donner du goudron est pesant, rouge, & quelquefois transparent en quelque degré, lorsqu'on l'a rendu fort mince. Les pins n'en fournissent point dans toute leur étendue ; & la quantité qu'ils en fournissent, dépend de la nature des terreins. On en trouve par-tout dans les racines des arbres coupés depuis quelques années ; la téde en donne en petite quantité dans les bois les plus avancés vers l'orient ou vers le sud-est, parce que la couche de sable y est moins épaisse, & plus abondamment dans les forêts les plus voisines de la mer. Dans ces mêmes cantons où le sable descend à une plus grande profondeur, les arbres que l'âge, les incendies, ou d'autres accidens ont fait périr, & qui ont demeuré sur pié ou renversé pendant plusieurs années, ont du bois propre à faire du goudron dans presque toute la longueur de leur tige.
On coupe le bois propre au goudron en petites buches de deux piés de longueur, sur un pouce & demi de largeur dans chacune des deux autres dimensions. On le rassemble auprès du four, qui n'est autre chose qu'une aire circulaire de dix-huit ou vingt piés de diametre, pavée de briques creusées en entonnoir, & plus basse d'environ deux piés au centre qu'à la circonférence. Le centre est percé d'un trou qui communique à un canal bâti de brique qui, passant sous le four, va se terminer à une fosse. Autour d'un jeune pin qu'on a fait entrer dans ce trou, & qu'on éleve perpendiculairement, on arrange les buches avec beaucoup de soin, observant qu'un de leurs bouts soit dirigé vers le centre, & l'autre vers la circonférence. Après avoir formé de cette maniere une pile de bois d'environ 20 piés de hauteur ; on la couvre de gazon dans toute son étendue, exceptant seulement une ouverture qu'on laisse au sommet, & on retire le pin autour duquel elle a été construite.
Ce bucher ayant été allumé par son extrémité supérieure, rien n'est plus intéressant que d'empêcher que le feu ne trouve quelque issue. Lorsqu'il menace de se faire jour par quelqu'endroit, on y met aussi-tôt du gazon qu'on a en réserve, & dont on doit être bien fourni.
Il sort d'abord une certaine quantité d'eau rousse, ensuite vient le goudron, c'est-à-dire, cette substance noire, un peu liquide, mais épaisse & gluante, qui est assez connue ; on la reçoit dans des barrils qu'on arrange dans la fosse au-dessous d'une gouttiere qui termine le canal.
On ne se met point en peine de séparer du goudron l'eau qui le précede dans cette distillation lorsqu'il en entre dans les barrils. Elle ne lui est point nuisible, à la différence de l'eau commune qui en altéreroit la qualité.
Trois parties de pégles & une partie de goudron mises sur un fourneau dans une chaudiere de fer fondues ensemble & bien écumées, font ce qu'on appelle le brai gras. Cette matiere qui a quelque degré de liquidité, se transporte dans des barrils, dans lesquels on l'entoure en le tirant de la chaudiere.
PIN, chenille de, (Insectolog.) en latin pithyocampa. Les forêts de pins nourrissent ces fameuses chenilles, qui passent une grande partie de leur vie en société, & qui sont dignes d'attention par la seule quantité & la qualité de la soie dont est fait le nid qu'elles habitent en commun. Cette soie est forte, & les nids sont quelquefois plus gros que la tête d'un homme.
La figure de ces nids est toujours à-peu-près celle d'un cône renversé. Tout l'intérieur est rempli de toiles dirigées en différens sens, lesquelles forment divers logemens qui se communiquent.
Toutes les chenilles de pin sorties des oeufs d'un même papillon, travaillent apparemment de concert à se construire un nid peu de tems après qu'elles sont nées. Elles en sortent toutes à la file au lever du soleil pour aller chercher de la pâture ; une trace de soie d'une ligne de large, marque la route qu'elles suivent pour s'éloigner de leur nid ; & elles y reviennent par la même route deux ou trois heures après en être sorties.
Cette chenille n'est guere plus grande & plus grosse dans nos climats que la chenille de grandeur médiocre. Elle est velue, sa peau est noire, & paroît en une infinité d'endroits au-travers des poils. Ceux du dessus du corps sont feuille morte, & ceux des côtés sont blancs ; sa tête est ronde & noire ; elle a seize jambes, dont les membraneuses sont armées de demi-couronnes de crochets ; la peau du ventre est rase, d'un vilain blanchâtre ; ses poils ne portent nulle part des tubercules ; ils tirent leur origine de la peau même.
Ces chenilles, comme la plûpart de celles qui aiment à s'enfoncer en terre pour se métamorphoser, se métamorphosent néanmoins, quoique la terre leur manque.
On leur a attribué une singularité étonnante, celle de ne jamais se transformer en papillon, celle de faire des oeufs pendant qu'elles sont chenilles ; ce seroit là un grand prodige dans l'histoire des insectes ; aussi ce prodige merveilleux est-il contraire aux observations.
Mais une autre particularité véritable de ces chenilles, c'est d'avoir sur le dos des especes de stigmates, différens de ceux par lesquels elles respirent l'air ; & qui plus est, de darder visiblement dans certains tems par ces mêmes stigmates des flocons de leurs poils même assez loin. Ils peuvent en tombant sur la peau y causer des démangeaisons, pour peu qu'on ait été près de ces chenilles, mais l'effet en sera bien plus grand si on les a maniées.
Voilà sans doute la cause de l'aversion qu'on porte sur-tout à cette espece de chenille, & qui la fait regarder non-seulement comme venimeuse à toucher, mais encore comme un poison dangereux pour l'intérieur. Quelques modernes en parlent ainsi avec tous les anciens naturalistes ; les uns nous disent qu'elles agissent en vésicatoires sur la peau, comme les cantharides ; & d'autres qu'elles ont un venin encore plus efficace, si on en avaloit mises en poudre ; cette derniere opinion est établie anciennement dans les pays chauds, & le droit romain en condamne l'usage formellement par les plus grandes peines.
Tous les jurisconsultes connoissent la loi contre ceux qui empoisonneront avec l'espece de chenille nommée pithyocampae, c'est-à-dire, chenille de pin, ainsi que le mot grec le porte.
C'est une faute, pour le dire en passant, in digest. apud Marcellum, l. XLVIII. tit. ad leg. corn. de venef. le mot de pithyocarpa, qu'on y trouve pour pithyocampa.
Ulpien expliquant la loi cor. de Sicar. met au nombre des gens qui ont mérité la peine statuée par cette loi, ceux qu'il nomme pithyocampae propinatores. Y avoit-il réellement dans le pays chaud une chenille de pin qui empoisonnât & que nous ne connoissons plus ? Ou plutôt cette idée seroit-elle une erreur populaire qui a passé jusqu'à nous par tradition & par écrit ? Il y en a tant de ce genre !
PIN, (Iconolog.) il étoit consacré à plusieurs déités, mais sur-tout à Cybèle ; car on le trouve ordinairement représenté avec cette déesse. Le dieu Sylvain porte aussi quelquefois de la main gauche un rameau de pin chargé de ses pommes. Properce prétend encore, que le dieu d'Arcadie aimoit & favorisoit cet arbre de sa protection. Enfin, on s'en servoit par préférence à tout autre pour la construction des buchers sur lesquels on brûloit les morts ; & c'étoit-là le meilleur usage qu'on en pût tirer. (D.J.)
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PINACIA | S. f. (Antiq. grecq.) ; on nommoit ainsi chez les Athéniens des tablettes de cuivre, où étoient écrits les noms de toutes les personnes dûement qualifiées de chaque tribu, qui aspiroient à être juges de l'aréopage. On jettoit ces tablettes dans un grand vase, & l'on mettoit dans un autre vase un pareil nombre de feves, dont il y en avoit cent de blanches, & toutes les autres noires. On tiroit le nom des candidats & les feves une par une, & tous ceux dont les noms étoient tirés conjointement avec une feve blanche, étoient reçus dans le sénat. Du tems de Solon, il n'y avoit que quatre tribus, dont chacune élisoit cent sénateurs ; desorte qu'alors l'aréopage n'étoit composé que de quatre cent membres ; mais le nombre des tributs ayant ensuite été augmenté, le nombre des sénateurs le fut aussi proportionnellement : cependant la maniere de les élire subsista toujours la même. Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 97. (D.J.)
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PINACLE | S. m. se dit en Architecture, du haut ou du comble d'une maison qui se termine en pointe. Voyez COMBLE.
Ce mot vient du latin pinna, pinnaculum : les anciens ne donnoient guere qu'aux temples cette espece de comble ; leurs combles ordinaires étoient tout plats ou en maniere de plate-forme. Voyez PLATE-FORME.
C'est du pinacle que le fronton a pris son origine. Voyez FRONTON.
PINACLE, (Antiq. rom.) le pinacle étoit une sorte d'ornement parmi les Romains, que l'on mettoit au haut des temples. Les Grecs l'appelloient , & les Romains fastigium ; on en voit sur les médailles anciennes. Il ne dépendoit pas des particuliers de poser à leur volonté de pareils ornemens sur leurs maisons. C'étoit une faveur précieuse qu'il falloit obtenir du sénat, comme tout ce qui se prenoit sur le public. C'est ainsi que pour honorer Publicola, on lui donna la permission de faire que la porte de sa maison s'ouvrît dans la rue, au lieu de s'ouvrir en-dedans. César jouissoit de l'honneur du pinacle, que le sénat n'osa pas lui refuser, & qui distinguoit sa maison de toutes les autres. Au reste, le pinacle étoit décoré de quelques statues des dieux, ou de quelques figures de la Victoire, ou d'autres ornemens, selon le rang, ou la qualité de ceux à qui ce privilége rare étoit accordé ; car les maisons à pinacles, étoient regardées comme des temples. (D.J.)
PINACLE du temple, (Critique sacrée) pinnaculum templi, en grec , Luc. iv. 9. C'étoit la galerie qui régnoit autour du toît plat de Jérusalem, ou la tourelle bâtie sur le vestibule du temple. (D.J.)
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PINAHUITZXIHUITL | (Hist. nat. Botan.) arbuste de la nouvelle Espagne, que l'on désigne dans de certaines provinces sous le nom de cocochiatli. Il a communément deux piés de haut ; ses tiges sont minces & épineuses ; ses feuilles sont divisées en six parties ; ses fleurs ressemblent à celles du châtaignier, & son fruit, qui forme de petites grappes, ressemble à la châtaigne ; il est verd d'abord, ensuite il devient rougeâtre. Cette plante a, dit-on, les propriétés de la sensitive ; elle se contracte lorsqu'on la touche, ou même lorsqu'on en approche.
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PINARA | (Géog. anc.) 1°. ville d'Asie, dans la Lycie. Strabon, qui la met dans les terres au pié du mont Cragus, dit que c'étoit une des plus grandes villes de la Lycie ; Etienne le géographe la place mal-à-propos dans la Cilicie. Les habitans de cette ville étoient appellés Pinaretae.
2°. Pinara, ville de la Caelesyrie, dans la partie septentrionale, sur le Gindarus ; car la Caelésyrie s'étendoit jusques-là, selon Pline, l. V. c. xxiij. Ptolomée, l. V. c. xv. la place dans la Piérie de Syrie. (D.J.)
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PINARIENS | S. m. Pinarii, (Antiq. rom.) prêtres d'Hercule. Ils furent ainsi nommés , à fame, pour marquer qu'il ne leur étoit pas permis de goûter aux entrailles des victimes, dont les seuls Potitiens avoient droit de manger ; & cela en punition de s'être trouvés trop tard aux sacrifices, dont Hercule leur avoit donné le soin : cette punition fut donc l'effet de leur négligence.
Enfin, le sacré ministere cessa dans ces deux ordres de prêtres ; car du tems de Denys d'Halycarnasse, c'étoient des esclaves achetés des deniers publics, qui avoient soin des sacrifices d'Hercule. Voici la cause de ce changement rapporté par Tite-Live, livre IX. de son histoire.
Tandis que Claudius Appius faisoit les fonctions de censeur, il engagea les Potitiens à se décharger du soin des sacrifices dont ils étoient les ministres, & à l'instruire des cérémonies dont ils avoient seuls la connoissance ; mais il arriva, dit l'historien latin, que la même année, de douze branches dont étoit alors composée la famille des Potitiens, il mourut trente personnes toutes en âge d'avoir postérité, & que toute la race fut éteinte. Appius lui-même, pour avoir donné ce conseil, devint aveugle ; comme si Hercule eût voulu vanger sur Appius, & sur tous les Potitiens, le mépris qu'ils avoient de ses sacrifices, en les remettant en d'autres mains. (D.J.)
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PINASSE | S. f. (Marine) c'est un bâtiment fait à poupe quarrée, dont l'origine vient du nord, & qui est fort en usage en Hollande. On croit qu'on l'a appellé ainsi de pinasse, pin, à cause que les premieres pinasses ont été faites de pin. Comme le vaisseau de 134 piés de long, de l'étrave à l'étambord, dont les proportions se trouvent ici sous chaque mot de construction, ou de membres de vaisseaux, est une pinasse, il n'est pas besoin d'en donner encore d'autres devis.
Pinasse, c'est un petit bâtiment de Biscaie, qui a la poupe quarrée : il est long, étroit, & léger ; ce qui le rend propre à la course, à faire des découvertes, & à descendre du monde en un côté ; il porte trois mâts & va à voiles & à rames.
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PINCE | S. f. (outil) gros levier de fer rond, de quatre piés de long & de deux piés de diametre, coupé d'un côté en biseau, pour lui donner plus de prise & d'entrée dans les joints des pierres, ou autres matieres, qu'il sert à remuer, à disjoindre, & à démolir.
Il y a aussi des petites pinces qui servent seulement à mettre en place des ouvrages de menuiserie, de charpente, ou ceux des marbriers & des tailleurs de pierre. Les pinces qu'on appelle piés de chevres, sont courbées & refendues par le bout ; ensorte qu'elles ont assez la figure du pié de l'animal dont elles ont pris le nom. Plusieurs ouvriers se servent de la pince, entr'autres les maçons, charpentiers, paveurs, tailleurs de pierre, carriers, &c.
Ce sont les taillandiers qui font & qui vendent les pinces, quand elles sont grosses ; les petites se font par les serruriers : il s'en trouve aussi dans les boutiques de quincailliers. Savary. (D.J.)
PINCE, (Art milit.) instrument de mineurs ; ils en ont de plusieurs sortes. La pince simple, qui a la pointe droite ou courbe ; la pince à talon ; la pince à pié de biche, noms qui viennent de la figure de la pince. Ils ont encore une pince, qu'ils appellent pince à main, ainsi dite, parce que dans le milieu de la barre, il y a comme un noeud pour arrêter la main. (D.J.)
PINCES, (outil d'Arquebusier) ces pinces sont exactement faites comme les pinces des serruriers, &c. les arquebusiers s'en servent pour plusieurs usages, & en ont de rondes & de plates.
PINCE à dresser les aiguilles, voyez l'article METIER A BAS, au mot BAS.
PINCE, instrument dont les Bourreliers se servent pour assujettir les cuirs dans le tems qu'ils les cousent. Cet instrument est de bois & composé de deux pieces : la premiere a environ trois à quatre piés de longueur, est arrondie par en-bas, & terminée en pointe, & large & applatie par en-haut. La seconde partie qui n'a guere qu'un pié & demi de long, s'enclave au milieu de la premiere par une espece de charniere de bois, & s'applique par en-haut sur le côté applati de la premiere. Pour se servir de cet instrument, l'ouvrier le place entre ses jambes & entr'ouvrant les deux parties de l'instrument qui se joignent par en-haut comme une véritable pince, il y passe le cuir qu'il veut assujettir ; & pour lors il tient l'instrument bien serré entre ses genoux. On se sert plus ordinairement de cet instrument pour piquer, ourler, & coudre les ouvrages les moins grossiers des bourreliers. Voyez les fig. Pl. du Bourrelier.
PINCE, en terme de Boutonnier, c'est une sorte de tenaille à mâchoires creuses & rondes, pour tenir les petits ouvrages qui n'ont point de prise.
PINCES PLATES, terme & outil de Chaînetiers, qui leur sert pour tenir les anneaux & chaînons qu'ils veulent souder ou qu'ils veulent limer. C'est un outil de fer de la longueur de cinq ou six pouces, composé de deux branches enchâssées en croissant l'une dans l'autre environ aux deux tiers, & arrêtées par un clou rivé, pour leur laisser le mouvement libre de s'ouvrir & de se refermer ; les branches d'en-bas forment une espece de ventre bombé en-dehors pour les empoigner plus commodément ; & celles d'enhaut sont plates & larges, ce qui forme une espece de tenaille.
PINCES RONDES, terme & outil de Chaînetiers, qui leur sert pour donner la figure ronde aux chaînons ou anneaux qu'ils veulent faire. Elles ne different en rien des pinces rondes dont plusieurs autres ouvriers se servent.
PINCE, (Chauderonnier) Les pinces des Chauderonniers sont des tenailles de fer assez semblables à celles des Serruriers, Maréchaux & Taillandiers, mais beaucoup plus petites. Ils s'en servent pour tenir leur ouvrage, lorsqu'ils ont besoin de le mettre au feu.
PINCE, outil de Cordonnier, c'est une espece de tenaille de fer de dix à douze pouces de longueur, dont la tête est très-massive, ordinairement de figure cubique, & dentelée en-dedans, ensorte que les dents d'un des côtés s'engrenent dans les dents du côté opposé. Cette pince est particuliere aux Cordonniers, qui s'en servent pour mettre le soulier sur la forme, après que l'empeigne & les quartiers ont été cousus.
Quand cette pince est fermée, ils usent de la tête comme de marteau pour coigner les clous à brocher ; & des bouts des branches qui sont fendus comme de tenailles pour les retirer : mais son plus grand usage est pour tirer le cuir & l'étendre sur la forme, &, comme ils disent, pour le brocher, c'est-à-dire, pour le bâtir, & le mettre en état qu'on y couse la semelle dedans. La masse est large & dentelée, afin qu'elle tienne fermement le cuir, sans pourtant le pouvoir déchirer.
Ces pinces se vendent par les marchands de crépin. Les autres quincailliers en font aussi commerce ; mais les Cordonniers s'en fournissent plus volontiers chez les premiers. Dictionn. du Commerce. (D.J.)
PINCE, terme de Couturiere, pli en forme de pointe, qu'on fait sur divers ouvrages, comme aux chemises, manchettes, rabats, &c. (D.J.)
PINCES RONDES & PLATES, outil de Ferblantier. Ces pinces sont faites comme les pinces de bien d'autres ouvriers qui s'en servent. Voyez les fig. dans les Pl. du Ferblantier. Les premieres sont les tenailles plates, & les secondes les tenailles rondes.
PINCES LONGUES, RONDES, outil de Ferblantier, ce sont deux morceaux de fer en croix, comme des ciseaux, attachés au milieu avec un clou, rivé de façon que cela forme des pinces. Les branches d'enhaut sont rondes & finissent en pointe, & celles d'enbas sont plates ; elles servent aux Ferblantiers pour goudronner & canneler les lampions. Voyez les fig. Pl. du Ferblantier.
PINCE, terme de Fondeur, c'est le bord ou l'extrémité inférieure de la cloche, sur lequel frappe le battant. (D.J.)
PINCES RONDES & PLATES, outils de Gaîniers. Ces pinces sont exactement faites comme les autres pinces dont tous les autres ouvriers se servent, comme par exemple celles des Chaînetiers, Ferblantiers, &c. Voyez les Pl. de Ferblanterie.
PINCES ou PINCETTES, fig. 88, Pl. XVII. de l'Horlogerie. Cet outil dont les Horlogers se servent pour tenir différentes pieces, ou agir sur elles avec plus de commodité, est composé de deux branches mobiles sur un centre C ; les extrémités e e de cet instrument sont taillées & trempées fort dur. Ces tailles servent à faire autant de petites dents qui, s'engageant dans la piece qui est contenue dans ces extrémités e e, font qu'on la tient avec plus de force que si elles étoient lisses.
PINCE, (Maréchal.) c'est dans le pié des chevaux l'arrête que la corne fait aux piés de devant, & qui est comprise entre les deux quartiers. On broche plus haut à la pince des piés de devant qu'à ceux de derriere, parce que la corne ou la pince est plus forte ; & qu'en brochant haut il y a outre cela moins de danger de rencontrer le vif.
Pinces sont aussi quatre dents de devant de la bouche du cheval, qu'il pousse entre deux ou trois ans, & dont deux sont à la mâchoire supérieure & deux à l'inférieure.
PINCES DE BOIS, sont parmi les Orfevres en gros des pinces de bois dont ils se servent pour tirer les pieces d'orfévrerie du blanchiment, parce que le fer rougiroit l'argent & gâteroit le blanchiment. Voyez fig. & les Pl.
PINCE, outil de Passementier, petit instrument de fer, en forme de tenailles pointues, dont se servent les Passementiers-Boutonniers, pour redresser les fleurs de leurs campanes, & autres semblables ouvrages. (D.J.)
PINCE, instrument de Paveur, barre de fer ronde & presque grosse comme le bras, grande d'environ trois piés, & pointue par le bout, dont les Paveurs se servent pour arracher le pavé. (D.J.)
PINCE, outil de Relieur, outil en forme de tenailles de fer. Le mors de cette petite tenaille, c'est-à-dire, l'endroit par où elle pince, est plat. On s'en sert pour pincer les nervures ; ce qui se fait en approchant avec la pince de chaque côté des nerfs, les ficelles dont le livre est fouetté. (D.J.)
PINCES, instrumens du métier des étoffes de soie. Les pinces sont un petit outil de fer à deux branches repliées l'une contre l'autre, bien limées, & qui se rencontrent juste lorsqu'on appuie les doigts pour les serrer ; elles servent à nettoyer les étoffes à mesure qu'elles se fabriquent, ou quand elles sont fabriquées.
La pince est encore un outil propre à couper le poil du velours, à mesure qu'il se fabrique.
PINCES, en terme de Tabletier-Cornetier, se dit de grosses tenailles dont les serres sont plates, qui sont attachées à un banc ou à un établi. Elles servent à tenir le galin dans la marmite où on l'a mis pour le mollifier, pour l'étendre & pour l'ouvrir. Voyez MOLLIFIER, ÉTENDRE & OUVRIR. Ces pinces sont tenues fermées par le moyen d'une traverse percée de plusieurs trous, dans lesquels une des extrémités passe. Ces trous sont faits de distance en distance, pour que les pinces restent plus ou moins ouvertes selon l'épaisseur de la piece qu'elles tiennent. Voyez les figures & les Planches.
PINCES, s. f. pl. (terme de Chasse) les Chasseurs nomment pinces, les deux bouts des piés des bêtes fauves. L'usure de leurs pinces prouve que la bête est vieille.
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PINCEAU DE MER | (Hist. nat.) Pl. XX. fig. 15. insecte de mer mis au rang des zoophites. Il ressemble beaucoup par sa forme aux pinceaux des Peintres : il a une sorte de tuyau dur qui tient aux rochers de la mer par un ligament mou & lâche ; la substance intérieure de ce tuyau est charnue & jaune ordinairement, & quelquefois d'une autre couleur. Rondelet, hist. des Zoophites, chap. v. Voyez INSECTE.
PINCEAU, terme & outil de Ceinturier, qui sert à poser la colle sur leur ouvrage. Ce pinceau est de soie de cochon de la grosseur environ d'un pouce, emmanché d'un morceau de bois de la longueur de six pouces.
PINCEAU à goudronner, (Marine) c'est un pinceau de soie de cochon ; il est emmanché de côté, & sert à goudronner le vaisseau, les mâts & les vergues.
PINCEAU, nom général qu'on donne à tout instrument dont les Peintres se servent pour appliquer leurs couleurs.
Ce mot vient du mot latin penicillus, peniculus ou penicillum, qui signifie la même chose. Il y a des pinceaux de différentes especes & de différente matiere. Ceux dont on se sert le plus ordinairement sont du poil de la queue d'un animal appellé petit-gris, espece d'écureuil. On en fait de queues de blereau, de putois, de poil de chien ; on en fait de soie de porc, de sanglier, qu'on appelle brosse. Les pinceaux & brosses sont renfermés par un bout dans des tuyaux de plume, & le bout des pinceaux se termine en pointe. Lorsqu'on veut de grosses brosses, on les fait, ainsi que les petites, avec de la soie de porc ; mais ne pouvant les enfermer dans un seul tuyau de plume, on en ouvre plusieurs dont on les enveloppe en les assujettissant avec une ficelle ; & quelquefois on lie la soie de porc autour de l'un des bouts d'un bâton appellé manche ou hampe. On fait encore une espece de pinceau ou brosse plate, de poil de porc appellé tranchit, qui sert beaucoup dans l'architecture & dans les grands ouvrages. Les pinceaux pour la mignature sont faits de la même maniere que ceux pour peindre à l'huile, à cela près que leur pointe est plus aiguë. Voyez les Pl. & les fig.
Pinceau, se dit aussi en parlant des ouvrages d'un peintre. Ce peintre a un beau pinceau, un pinceau savant. Ce n'est pas là de son pinceau ; je reconnois son pinceau, &c.
PINCEAU INDIEN, (Invent. chinoise) les pinceaux indiens ne sont autre chose qu'un petit morceau de bois de bambou, aiguisé & fendu par le bout à un travers de doigt de la pointe. On y attache un petit morceau d'étoffe imbibée dans la couleur qu'on veut peindre sur de la toile, & qu'on presse avec les doigts pour l'exprimer. Celui dont on se sert pour peindre la cire est de fer, de la longueur de trois travers de doigt, ou un peu plus. Il est mince dans le haut, & par cet endroit il s'insere dans un petit bâton qui lui sert de manche ; il est fendu par le bout, & forme un cercle au milieu, autour duquel on attache un peloton de cheveux de la grosseur d'une muscade ; ces cheveux s'imbibent de la cire chaude qui coule peu-à-peu par l'extrémité de cette espece de pinceau.
PINCEAU, s. m. (terme de Relieur) sorte de brosse composée d'un manche de bois & de poil de sanglier ou de cochon. Les Relieurs s'en servent pour coller & jasper.
PINCEAUX DE FLANDRES, en terme de Vergettier, ce sont des pinceaux qui viennent de ce pays, & qui ne sont liés que par deux liens seulement. Ces pinceaux ne sont plus recherchés comme ils l'étoient autrefois ; les ouvriers de Paris en font qui les valent pour le moins, & qu'on leur préfere.
PINCEAU, (outil de Vernisseur) les Vernisseurs se servent de pinceaux fort petits & ronds, comme les peintres, pour dessiner & former des figures & des paysages sur leurs ouvrages. Ils en ont de plus particuliers avec lesquels ils vernissent ; ils sont plats, larges d'un bon pouce, épais de six lignes, dont la barbe est enchassée avec du fer blanc & un petit manche de bois rond : le poil de ces pinceaux est de poil de petit-gris & de poil de bléreau.
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PINCÉE | S. f. (terme de Médecine) est la quantité de fleurs, de graine, ou autres substances semblables, qui peut tenir entre deux ou trois doigts, le pouce & le suivant ou les deux suivans.
Ce mot vient du latin pugillus, qui signifie petit poing. C'est la même chose que pincée.
Le pugille est estimé la huitieme partie de la poignée, quoique quelques-uns confondent pugille avec poignée.
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PINCELIER | S. m. (Peinture) bassin oblong ou quarré, d'environ six pouces de long, qui est de fer blanc. Il a une traverse qui excede un peu ses bords, sur laquelle les peintres nettoient leurs pinceaux avec de l'huile en les faisant passer sur cette traverse, & appuyant le doigt dessus. Voyez les Pl. & les fig.
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PINCER | v. act. (Gramm.) en général c'est serrer avec le bout des doigts. Les oiseaux pincent avec leurs becs ; les écrevisses avec leurs pattes ; les ouvriers avec des tenailles. On pince les cordes d'un luth, &c. Il se prend aussi au figuré, & l'on dit d'un homme qui raille finement, qu'il pince sans qu'on s'en apperçoive.
PINCER LE VENT, (Marine) c'est aller au plus près du vent, cingler à six quarts de vent près du rhumb d'où il vient. Voyez RANGER.
PINCER, PINCEMENT, (Jardinage) pincement, en terme de Jardinage, est l'action d'arrêter par les bouts tous les bourgeons de la pousse d'une année, lorsqu'ils sont parvenus à une certaine longueur. On appelle pincement cette opération, parce qu'on se sert des deux ongles du pouce & de l'index pour rogner le bout des branches qui s'échappent trop.
On n'est pas bien d'accord sur la nature des bourgeons pour le pincement, ni même sur les effets, ni sur les raisons de pincer le bout des branches. Les uns prétendent par son moyen empêcher les bourgeons de s'étroler, c'est-à-dire de s'allonger trop en restant toujours fort menus ; & on prétend faire fortifier parlà les bourgeons. D'autres pratiquent le pincement à dessein d'arrêter la seve, & de l'empêcher de s'emporter vers le haut. Il en est d'autres encore qui s'en servent dans la vue de faire ouvrir les yeux d'en bas à dessein de les faire drageonner.
Le pincement est en usage universellement dans le jardinage pendant les mois d'Avril, Mai & Juin. Il ne doit se faire que sur les grosses branches d'en-haut, & jamais sur les foibles, ni sur celles d'en-bas, qu'il est essentiel de conserver afin qu'elles en produisent d'autres pour remplacer les endroits sujets à se dégarnir. S'il en vient de chiffonnes & de gourmandes, on les retranchera entierement.
Présentement on regarde le pincement comme la cause la plus meurtriere des arbres, & la source de leur infécondité ; on l'avoit pratiqué sans aucun examen & par la force du préjugé. On est convaincu par les expériences que l'on ne peut élever en pinçant de beaux arbres qui donnent long-tems des fruits. Cette opération détruit le méchanisme de la végétation par la suppression de la cîme du bourgeon, laquelle est un des organes ou une partie organique la plus nécessaire de l'arbre pour l'action de la seve. Il ne faut pincer les arbres que dans un seul cas, c'est quand on veut faire drageonner un arbre, c'est-à-dire, le faire pousser par le pié : alors cette opération devient d'une nécessité indispensable. On pincera avec l'ongle les orangers & les autres arbres de fleurs dans les deux pousses, pour ôter les jets foibles ; & on ne laissera point emporter les branches qui poussent trop ; on les coupera d'une longueur convenable à la forme & à la rondeur de l'arbre, qui est la principale chose que l'on doive observer en taillant les orangers.
Ne pincez point la premiere année les orangers étêtés, parce qu'ils ont besoin de toute la longueur des branches pour former promtement une nouvelle tête.
L'ébourgeonnement qu'on a trouvé à son article, tient lieu de pincement, & est infiniment meilleur. Voyez EBOURGEONNEMENT.
PINCER, (Maréchal.) c'est approcher délicatement l'éperon du flanc du cheval sans donner de coup ni appuyer. Le pincer est un aide, & appuyer un châtiment. Pincer du droit, pincer du gauche, pincer des deux. Lorsqu'on a pincé un cheval, il ne faut pas laisser l'éperon dans le poil, mais le retirer d'abord.
PINCER, en terme de Planeur, c'est proprement l'action de former l'angle qui va tout-autour d'une piece de vaisselle au-dessus du bouge, sous la marlie. Voyez ARRETE.
PINCER un livre, (terme de Relieur) c'est approcher avec de petites pinces de fer de chaque côté des nerfs qui sont au dos d'un livre, les ficelles qui n'en sont pas assez proche quand on l'a fouetté.
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PINCETTES | S. f. pl. (outil d'Ouvriers) instrument de fer poli, composé d'une tête, d'un bouton, de deux branches & d'une patte.
Ce sont encore de petites tenailles, les unes simples, & les autres à ressort, dont se servent divers ouvriers pour placer les différentes pieces de leurs ouvrages, qui sont trop petites pour être mises à la main, comme sont les goupilles, les petites vis & autres semblables, particulierement dans l'Horlogerie. Les deux branches de ces tenailles sont courbées en demi-cercle pour donner plus de force & de tenue au mors lorsqu'on les presse. A l'égard du mors, il est toujours étroit & sans courbure ; mais aux unes plat & quarré, & aux autres plat & pointu.
Les Jouailliers se servent aussi de pincettes très-fines pour prendre les pierres précieuses qui sont d'un très-petit volume, & les ranger sur les desseins des diverses pieces de jouaillerie qu'ils veulent monter.
Il y a des pincettes qui servent à arracher le poil & la barbe. On les appelle autrement pinces. (D.J.)
PINCETTES à disséquer, (Instrum. anatom.) ces sortes de pincettes sont composées de deux petites lames soudées & unies par un bout, qui s'écartent l'une de l'autre par leur propre ressort, & qui se joignent à leurs extrémités en les serrant avec les doigts ; elles servent à soutenir les parties délicates qu'on veut disséquer. Voyez-en la figure dans Habicot, Lyser, & autres.
PINCETTES, instrument de Chirurgie, dont on se sert pour panser les plaies, les ulceres, les fistules, introduire dans leur fond les parties d'appareil qu'on ne sauroit y mettre avec les doigts, les en ôter dans le besoin, ou même en tirer les corps étrangers. Il y a plusieurs sortes de pincettes ; celles qui sont à anneaux sont le plus en usage.
Elles sont composées de deux branches unies ensemble par jonction passée, ce qui rend une branche mâle & l'autre femelle. Voyez JONCTION PASSEE, terme de Coutellerie.
Le corps ou milieu des pincettes qui est formé par l'union des deux branches, les partage en partie antérieure, & en partie postérieure. La partie antérieure des pincettes est ordinairement appellée bec. Il commence à la partie antérieure de la jonction passée, & se continue l'espace de deux ou trois pouces, pour se terminer par une extrémité fort mousse & fort arrondie.
L'extérieur des branches qui composent ce bec, est exactement poli & arrondi dans toute sa longueur, & va insensiblement en diminuant jusqu'à l'extrémité, où il est mousse. L'intérieur au contraire est applati depuis la jonction passée jusqu'à l'extrémité de chaque branche, où l'on remarque des inégalités différentes, suivant les divers usages des pincettes : mais outre le plane de chaque branche, elles sont encore un peu courbées dans leur milieu ; ce qui fait que la pincette étant fermée, on voit un petit espace entre chaque branche, qui s'efface à mesure qu'il approche de l'extrémité du bec ; cette courbure est nécessaire, pour que l'extrémité du bec pince exactement.
Les pincettes ont ordinairement des inégalités transversales & paralleles à la partie interne de leur extrémité antérieure ; mais par ce moyen elles ne sont propres qu'au pansement des plaies : si l'on y pratiquoit des cavités longuettes, & qu'on fît garnir ces cavités de petites dents, ces pincettes n'en seroient pas moins propres au pansement des plaies ; & cette structure les rendroit en outre fort efficaces pour l'extraction des corps étrangers. C'est une remarque de M. Garengeot, dans son traité d'Instrumens, à l'article des pincettes.
La partie postérieure des pincettes est à-peu-près de la même structure que la partie postérieure des ciseaux, voyez CISEAUX, à la différence que l'anneau est plus petit, & le manche plus arrondi. Voyez la fig. 4. Pl. I.
Les dimensions de ce manche, y compris les anneaux, sont de deux pouces de longueur, lesquels joints avec le corps ou le milieu qui a neuf lignes, & la lice qui est de deux à trois pouces, font à-peu-près la longueur d'environ cinq pouces & demi.
PINCETTE A POLYPE, la, (fig. 8. Pl. XXIII.) differe peu de celle que nous venons de décrire. L'extrémité postérieure est un peu plus longue, étant de trois pouces, y compris l'anneau ; l'union est toute la même chose par jonction passée ; mais leur bec est différent, il est très-légérement arrondi en dehors, plat en dedans, & va toujours en augmentant peu à peu, pour se terminer par une extrémité fort mousse.
On pratique à l'extrémité du bec deux petites fenêtres : ces ouvertures ont quatre lignes de hauteur sur deux lignes & demie de diametre ; enfin le bec a un pouce neuf lignes de long sur près de quatre lignes de large, & la pincette n'a en tout qu'un demi-pié de longueur. Voyez POLYPE.
Il y a des pincettes courbes & beaucoup plus longues pour tirer les polypes du nez par la bouche.
M. Levret a imaginé des pincettes pour la ligature des polypes : elles ont à leur bec des petites poulies dans l'épaisseur de l'extrémité du bec. Voyez POLYPE UTERIN.
PINCETTES ANATOMIQUES, instrument composé de deux petites lames soudées & unies par un bout, qui s'écartent l'une & l'autre par leur propre ressort, & qui se joignent à leur extrémité, en les serrant avec les doigts.
Cet instrument a ordinairement quatre pouces de longueur, cinq ou six lignes de large à la base de chaque branche qui va toujours en diminuant de largeur, & augmentant un tant-soit-peu d'épaisseur. Ces branches sont entourées extérieurement d'un petit biseau, & elles ont de petites inégalités transversales à leur partie intérieure & inférieure ; ce qui fait qu'elles serrent plus exactement. Voyez la fig. 9. Pl. I.
L'usage de ces pincettes est de soulever les parties délicates qu'on veut disséquer. Elles sont aussi très-utiles dans les pansemens des plaies, & n'effraient point les malades, comme les pincettes à anneaux qu'ils craignent, parce qu'elles ressemblent à des ciseaux. (Y)
PINCETTES à argenter & dorer, sont des especes de bruxelles d'ébene dont les doreurs sur cuir se servent pour prendre les feuilles d'or ou d'argent, & les appliquer sur leurs ouvrages : à l'extrémité où les deux branches se joignent, est attaché un morceau de queue de renard, dont l'usage est d'appliquer les feuilles sur l'assiette dont la peau est peinte. Voyez les fig. Pl. du Doreur sur cuir.
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PINCHINA | S. m. (Draperie) sorte d'étoffe de laine non croisée, qui est une espece de gros & fort drap qu'on fabrique à Toulon ; leur largeur est d'une aune, & la longueur des pieces est de vingt-une à vingt-deux aunes, mesure de Paris. Il se fait des pinchinas tout de laine d'Espagne, & d'autres entiérement de laine du pays.
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PINÇON | QUINÇON, GRINSON, FRINGILLANNE, s. m. (Hist. nat. Ornit.) fringilla, oiseau qui est un peu plus petit que le moineau, & qui pese presqu'une once. Il a le bec fort & pointu ; l'extrémité & la piece supérieure sont brunes, la piece inférieure est blanchâtre. Le mâle a la tête blanchâtre, excepté derriere les narines où les plumes sont noirâtres. Le dos a une couleur rousse mêlée de cendré ou de vert ; la poitrine est rougeâtre, & les plumes du dessous de la queue sont blanchâtres. Les couleurs de la femelle sont plus pâles, elle a cependant le croupion vert, comme le mâle ; mais la couleur du dos est moins rousse ; le bas ventre a une couleur brune mêlée d'une teinte de vert, & la poitrine est d'une couleur sale & obscure.
Il y a dix-huit grandes plumes dans chaque aîle ; elles ont toutes, excepté les trois premieres, la racine & les barbes intérieures blanches ; les bords extérieurs sont au contraire jaunâtres, ou plutôt verdâtres. On distingue aisément le mâle de la femelle, par les plumes de la base de l'aîle qui sont bleuâtres, & par une tache blanche qui se trouve sur la partie supérieure de l'aîle ; au-dessous de cette tache il y a un espace noir, & plus bas, une longue bande blanche qui s'étend sur la pointe des petites plumes de l'aîle, depuis la quatrieme jusqu'à la dixieme. La partie de la bande qui passe sur la pointe, est d'un blanc jaunâtre ; la queue a un peu plus de deux pouces de longueur, elle est composée de douze plumes : l'extérieur de chaque côté a la racine & la pointe noires, seulement du côté extérieur du tuyau. L'espace intermédiaire est blanc : les plumes qui suivent n'ont de blanc qu'à la pointe, & du côté extérieur du tuyau ; les trois suivantes de chaque côté sont noires en entier ; enfin les deux du milieu ont une couleur cendrée, à l'exception des bords qui sont verdâtres. Les pinçons aiment le froid ; cependant quand il est grand, ils en sont incommodés. Willughbi, Ornithol. Voyez OISEAU.
PINÇON DES ARDENNES. Voyez PINÇON MONTAIN.
PINÇON DE MER. Voyez PETREL.
PINÇON MONTAIN, PINÇON DES ARDENNES, PINÇON DE MONTAGNE, fringilla montana, seu monti-fringilla, oiseau qui est à-peu-près de la grosseur du moineau : il a le bec grand, droit, fort, & de figure conique. Le mâle a les plumes de la tête & du cou jusqu'au milieu du dos, d'un beau noir luisant, comme celles de l'étourneau : le bord des barbes de chaque plume est d'un cendré roussâtre. La partie inférieure du dos & de la poitrine sont blancs ; la gorge a une couleur jaune roussâtre, & celle des plumes du derriere de l'anus est rousse : les plumes supérieures du pli de l'aîle ont une belle couleur orangée ; celle de dessous sont d'un beau jaune.
La femelle au contraire a la tête de couleur rousse ou brune mêlée de cendré : le cou est cendré sans mêlange d'autre couleur ; les plumes du dos ont le milieu noir & les bords de couleur cendrée roussâtre : la gorge est moins rousse que celle du mâle, & les plumes du pli de l'aîle n'ont point d'orangé ; en général toutes les couleurs de la femelle sont plus pâles que celles du mâle. Les grandes plumes extérieures de l'aîle sont rousses, & les intérieures noires, à l'exception des bords qui sont roux. La quatrieme plume & les sept ou huit qui suivent, ont une tache blanche sur le côté extérieur du tuyau, à l'endroit où touchent les pointes des plumes du second rang. La queue est noire ; la plume extérieure de chaque côté a toujours le bord extérieur des barbes blanc, & quelquefois aussi celui des barbes intérieures : les couleurs de cet oiseau varient. Willughbi, Ornit. Voyez OISEAU.
PINÇON ROYAL. Voyez GROS BEC.
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PINÇURE | S. f. terme de Drapier, petit faux pli que les draps prennent quelquefois au foulon.
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PINDAIBA | S. f. (Botan. exot.) c'est le nom qu'on donne dans le Brésil au genre de plante que les Botanistes appellent capsicura. Voyez POIVRE DE GUINEE, Botan. (D.J.)
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PINDARIQUE | adj. (Littérat.) en Poésie, se dit d'une ode à l'imitation de celle de Pindare. Voyez ODE.
Le style pindarique se distingue par la hardiesse & la sublimité des tours poétiques, par les transitions frappantes & inattendues, par des écarts, des digressions, en un mot cet enthousiasme & ce beau desordre, dont M. Despréaux a dit en parlant de l'ode :
Son style impétueux souvent marche au hasard,
Souvent un beau désordre est un effet de l'art.
Pindare, de qui le style pindarique a tiré son nom, étoit de Thebes ; il fleurissoit environ 478 ans avant Jesus-Christ, & fut contemporain d'Eschyle, d'Anacréon, & d'Eurypide. Quand Alexandre-le-Grand ruina la ville de Thebes, il voulut que la maison où ce poëte avoit demeuré fut conservée.
De tous les ouvrages de ce poëte, il ne nous reste qu'un livre d'odes faites à la louange des vainqueurs qui remportoient le prix aux jeux publics de la Grece, aussi sont-elles intitulées les olympiques, les neméenes, les pythyques, les isthmiques. Le nom de Pindare n'est guere plus le nom d'un poëte que celui de l'enthousiasme même. Il porte avec lui l'idée de transports, d'écarts, de désordre, de digressions lyriques ; cependant il sort beaucoup moins de ses sujets qu'on ne le croit communément ; ses pensées sont nobles, sentencieuses, son style vif & impétueux, ses saillies sont hardies ; mais quoiqu'il paroisse quelquefois quitter son sujet, il ne le finit jamais sans y revenir.
Les poëmes de Pindare sont difficiles pour plusieurs raisons ; 1°. par la grandeur même des idées qu'ils renferment ; 2°. par la hardiesse des tours ; 3°. par la nouveauté des mots qu'il a souvent fabriqués exprès pour l'endroit où il les place ; & enfin parce qu'il est rempli d'une érudition détournée, tirée de l'histoire particuliere de certaines familles & de certaines villes, qui ont eu peu de part dans les révolutions connues de l'histoire ancienne.
Les hardiesses qui regnent dans ses odes, & surtout l'irrégularité de sa cadence & de son harmonie, ont fait imaginer à quelques poëtes qu'ils avoient fait des odes pindariques, parce que leurs vers se ressentoient du même délire, mais le public n'en a pas jugé de même. Cowley est de tous les auteurs anglois celui qui a le mieux réussi à imiter Pindare.
Dans la composition d'une ode pindarique le poëte doit d'abord tracer le plan général de la piece, marquer les endroits où les saillies élégantes & les efforts d'imagination produisent un plus bel effet, & enfin voir par quelle route il pourra revenir à son sujet. Voyez ENTHOUSIASME.
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PINDE | LE (Géog. anc.) montagne de la Grece, fort célébrée par les Poëtes, parce qu'elle étoit consacrée aux Muses : ce n'étoit pas proprement une montagne seule, mais une chaîne de montagnes habitée par différens peuples de l'Epire & de la Thessalie, entr'autres par les Athamanes, par les Aétiches, & par les Perrhèbes. Elle séparoit la Macédoine, la Thessalie, & l'Epire. Le Pinde, dit Strabon, liv. IX. est une grande montagne, qui a la Macédoine au nord, les Perrhèbes au couchant, les Dolopes au midi, & qui étoit comprise dans la Thessalie. Pline, liv. IV. chap. j. la place dans l'Epire ; pour accorder ces deux auteurs il suffit de dire que le Pinde étoit entre l'Epire & la Thessalie, & que les peuples qui l'habitoient du côté de l'Epire étoient réputés Epirotes, comme ceux qui l'habitoient du côté de Thessalie étoient réputés Thessaliens. Tite-Live, liv. XXXII. nomme cette montagne Lyncus, & Chalcondyle, de même que Sophien, disent que le nom moderne est Mezzovo.
2°. Pindus étoit encore une ville de Grece, dans la Dorique, selon Pomponius Mela, liv. II. ch. iij.
3°. Pindus est aussi le nom d'un fleuve de Cilicie, près la ville d'Issus.
4°. C'est le nom d'une riviere de l'Epire, ou de la Macédoine : cette riviere rouloit ses ondes par sauts & à travers les rochers. (D.J.)
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PINDENISSUS | (Géog. anc.) ville de Cilicie, près du mont Amanus, chez les Eléuthérociliciens, c'est-à-dire les Ciliciens libres. Strabon l'appelle ; Ciceron s'en rendit maître l'an 702 de Rome, comme il le dit lui-même, epistola secunda ad Coelium. (D.J.)
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PINÉALE | GLANDE PINEALE, en Anatomie, est le nom d'un petit corps mollet, grisâtre, environ de la grosseur d'un pois médiocre, irrégulierement arrondi, quelquefois figuré comme une pomme de pin, d'où est venu le nom de pinéale, situé derriere les couches des nerfs optiques immédiatement audessus des tubercules quadrijumeaux. Voyez TUBERCULES.
C'est-là où Descartes prétend que l'ame réside d'une maniere particuliere.
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PINEAU | S. m. (Agriculture) c'est un raisin fort noir, qui vient en Auvergne, & qui est un des plus doux & des meilleurs à manger ; le vin qu'on en tire s'appelle auvernat à Orléans, dans d'autres endroits morillon, & pineau en Auvergne : les Poitevins font beaucoup de cas du vin pineau. Trévoux. (D.J.)
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PINE | ou PIGNEY, (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Champagne, élection de Troyes, érigée en duché-pairie en 1581. Elle est à 6 lieues au nord-est de Troyes. Long. 21. 48. lat. 48. 22. (D.J.)
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PING-PU | (Hist. mod.) c'est ainsi que les Chinois nomment un tribunal ou conseil qui est chargé du département de la guerre, & qui a soin de tous les détails militaires : c'est lui qui donne les commissions pour les officiers de terre & de mer ; il ordonne les levées de troupes, les aprovisionnemens des armées ; il a soin de l'entretien des places fortes & des garnisons, de la discipline militaire, & de l'exercice des soldats. Il y a quatre autres tribunaux militaires subordonnés à celui dont nous parlons, ils sont présidés par des inspecteurs nommés par l'empereur à qui ils rendent compte de tout ce qui se passe, & ils veillent sur la conduite des membres des différens tribunaux, ce qui les tient en respect.
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PINGOUIN | Voyez PENGOUIN.
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PINGUICULA | S. f. (Botan.) on appelle vulgairement en françois ce genre de plante grassette, & c'est sous ce nom qu'on en a donné les caracteres d'après Tournefort ; les voici maintenant dans le système de Linnaeus.
Le calice est une enveloppe labiée, qui subsiste après la chûte de la fleur ; sa levre supérieure est droite & fendue en trois ; sa levre inférieure est recourbée & fendue en deux ; la fleur est labiée & monopétale ; sa grande levre est droite, obtuse, fendue en trois ; sa petite levre est fendue en deux, & plus ouverte ; le nectarium a la figure d'une cornue ; les étamines sont deux filets cylindriques, crochus, panchés dans le haut, & plus courts que le calice. Les bossettes des étamines sont arrondies ; le pistil a le germe sphérique, le stile très-court, & le stigmat composé de deux levres. Le fruit est une capsule ovoïde qui s'ouvre naturellement au sommet, & qui contient une seule loge pleine d'un grand nombre de semences cylindriques qui y sont placées à l'aise.
Tournefort distingue quatre especes de ce genre de plante, la commune, la blanche, la pourprée, & la petite à fleurs couleur de rose.
La commune est nommée proprement grassette en françois ; en anglois the common batter-wort, ou monutain-sanicle ; & par les Botanistes, sanicula montana, flore calcari donato.
Ses feuilles, qui sont en petit nombre, sont couchées sur terre, grasses au toucher, extrêmement luisantes, & d'un jaune tirant sur le verd pâle. Il s'éleve d'entr'elles des pédicules, dont chacun soutient à son sommet une fleur purpurine, violette ou blanche, semblable à quelques égards à celles de la violette, mais d'une seule piece, terminée par un long éperon. Quand la fleur est passée il lui succede une coque enveloppée du calice dans sa partie inférieure ; cette coque s'ouvre en deux, & laisse voir un bouton renfermant plusieurs semences menues, presque rondes.
La grassette montagneuse croît sur les collines arrosées d'eau, ainsi que dans des lieux humides ; elle est vivace, se multiplie de graines sans être cultivée, fleurit au printems, & passe vîte. Elle est réputée vulnéraire & consolidante. Le suc onctueux & adoucissant qu'on en exprime sert d'un très-bon liniment pour les gersures des mamelles. La graisse de ses feuilles est aussi singuliere que celle du ros solis. Les Lapones versent par-dessus les feuilles fraîches de cette plante, le lait de leurs rennes tout chaud, après quoi elles le laissent reposer pendant un jour ou deux ; le lait en acquiert plus de consistance, sans que la sérosité s'en sépare, & sans le rendre moins agréable au goût : les paysannes en Danemarck se servent du suc gras de cette plante en guise de pommade, pour faire tenir la frisure de leurs cheveux. (D.J.)
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PINHEL | (Géog. mod.) petite ville de Portugal, dans la province de Tra-los-montes, capitale d'une comarca, au confluent de la Coa, & de Rio-Pinhel, à 12 lieues au nord de Guarda, 30 Est de Salamanque : elle jouit de grands priviléges, & les écrivains portugais prétendent, sans aucune preuve, qu'elle a été bâtie par les anciens Turdules. Long. 11. 18. lat. 40. 41. (D.J.)
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PINNE-MARINE | (Conchyliol.) coquillage de mer, composé de deux valves, quelquefois chargées de pointes & de tubercules ; ce coquillage est le plus grand de son genre que nous ayons dans nos mers ; Les Vénitiens l'appellent astura, les Napolitains perna, & nos naturalistes pinna ou pinna-marina.
" Amyot, dit M. l'abbé d'Olivet, dans sa traduction des oeuvres philosophiques de Cicéron, m'a donné l'exemple de franciser le mot pinne, comme les Romains l'avoient latinisé ". Jamais terme n'a été francisé à plus juste titre, & même l'on n'en doit point employer d'autre ; celui de nacre de perle, dont on se sert sur les côtes de Provence & d'Italie, est d'autant moins convenable, qu'il signifie proprement la coquille de l'huitre perliere ; & la nacre désigne des élevations en demi bosse, ou les loupes, comme disent les jouailliers, qui se trouvent quelquefois dans les fonds des coquilles de nacre.
Si la terre a ses vers à soie, la mer a pareillement ses ouvrieres en ce genre. Les pinnes-marines filent une telle soie, que plusieurs l'ont prise pour être le bysse des anciens, & qu'on en fait encore des bas & des gants en Sicile ; de plus, ce coquillage nous donne des perles qui valent autant que celles des huitres de l'Orient, pour fournir des vûes sur la découverte de leur formation ; enfin, il mérite quelques détails par toutes ces raisons.
La pinne-marine est un coquillage de mer, bivalve ou à deux battans, formés de deux pieces larges, arrondies par en-haut, fort pointues par en-bas, rudes & très-inégales en-dehors, lisses en-dedans ; leur couleur à la Chine tire sur le rouge, d'où leur vient le nom ridicule de jambonneau.
Il s'en trouve de différentes grandeurs, depuis un pié jusqu'à deux & demi de longueur ; & elles ont dans l'endroit le plus large, environ le tiers de leur longueur ; il sort de ce coquillage, une espece de houppe, longue d'environ six pouces, plus ou moins, & garnie, selon la grandeur ou la petitesse de la coquille. Cette houppe est située vers la pointe, du côté opposé à la charniere. Elle est composée de plusieurs filamens d'une soie brune fort déliée ; ces filamens regardés au microscope paroissent creux : si on les brûle, ils donnent une odeur urineuse comme la soie.
Ce coquillage renferme un petit poisson qui est bon à manger, dans lequel s'engendrent quelquefois des perles de différentes couleurs & figures. On ramasse une grande quantité de pinnes sur les côtes de Provence, où la pêche s'en fait au mois d'Avril & de Mai. On en trouve aussi beaucoup à Messine, Palerme, Syracuse, Smyrne, & dans l'île de Minorque. L'animal qui l'habite se tient immobile sur les rochers dans la posture qu'il a choisie, & qui doit varier.
Les pinnes-marines peuvent être regardées comme une espece de moule de mer, mais beaucoup plus grandes que toutes les autres. Leur coquille, comme celle des autres moules, est composée de deux pieces semblables & égales, qui depuis l'origine, s'élargissent insensiblement ; elles sont plus applaties que les autres moules, par rapport à leur grandeur. Leur couleur est ordinairement d'un gris-sale ; celles de la Chine sont rouges, d'où elles ont eu le nom de jambonneau.
Dans la plûpart des pinnes-marines, la charniere à ressort qui tient les deux pieces ensemble du côté concave, commence à l'origine de la coquille, & s'étend jusqu'au deux tiers de sa longueur ; les piéces ne sont pas liées ensemble de l'autre côté, mais elles sont bordées par plusieurs couches de matiere d'une nature approchante de celle de la corne. Il y a quelques pinnes-marines qui s'entrouvrent tout du long du côté concave, & qui ont leur charniere du côté convexe ; cependant malgré cette variété dans toutes les pinnes-marines, les bords de la coquille sont toujours plus épais du côté où elles s'entrelacent, que du côté où est la charniere.
Dans la surface de chacune des pieces de la coquille qui étoit touchée par l'animal, on voit une bande d'une matiere semblable à celle de la charniere, qui fait une espece de fracture, comme si les deux pieces étoient mal appliquées l'une contre l'autre. Il est naturel de croire que cette bande de matiere, différente de celle du reste de la coquille, marque la route qu'a suivie une partie du corps de l'animal, qui laisse échapper un suc pareil à celui que borde les extrémités des coquilles, pendant que les autres parties ont laissé échapper un suc propre à épaissir & à étendre la coquille.
Les deux couches de matieres différentes qui composent la coquille de ce poisson sont remarquables. Une partie de l'intérieure est de couleur de nacre ; l'autre couche lui sert de croûte, & fait seule toute l'épaisseur de la coquille où la nacre manque. Cette couche-ci est raboteuse, la boue qui s'y est attachée, en obscurcit la couleur ; mais intérieurement elle est polie, & paroît d'un rouge fort pâle. Cette couche est formée d'une infinité de filets appliqués les uns contre les autres, & peu adhérens ensemble dans certains endroits de la coquille. Ils sont très-déliés, quoiqu'on les découvre distinctement à la vûe simple ; mais avec un microscope, on voit de plus qu'ils sont chacun de petits parallélepipedes à base rectangle presque quarré.
Si on détache un petit morceau de cette croûte qui couvre la nacre, & qu'on le froisse entre les doigts, ses filets se séparent les uns des autres, & excitent par leurs pointes sur la main des demangeaisons incommodes.
La partie de la coquille qui a la couleur de la nacre est composée de feuilles minces, posées parallélement les unes sur les autres, de façon que l'épaisseur de la coquille est formée par celle de ces feuilles. On les sépare facilement les unes des autres, si on les fait calciner pendant un instant.
La structure de cette partie de la coquille ressemble donc à celle des ardoises & des autres pierres feuilletées, & celle de l'autre partie ressemble à la structure de l'amiante, & de quelques talcs ou gyps composés de filets. Cette structure des coquilles de la pinne lui est commune avec diverses coquilles, & en particulier avec la nacre de perle.
Les auteurs qui ont parlé de ce coquillage, disent qu'il est posé dans la mer verticalement, la pointe en-bas, & c'est apparemment sur la foi des pêcheurs, qu'ils lui ont donné cette situation, qui n'est pas aisée à vérifier. On peut plus compter sur ce que les pêcheurs assurent, que les pinnes sont toujours attachées aux rochers ou aux pierres des environs, par une houppe de filets ; car pour les tirer du fonds de l'eau, il faut toujours briser cette houppe.
On les pêche à Toulon, à 15, 20, 30 piés d'eau, & plus quelquefois, avec un instrument appellé crampe ; c'est une espece de fourche de fer, dont les fourchons ne sont pas disposés à l'ordinaire ; ils sont perpendiculaires au manche ; ils ont chacun environ 8 pouces de longueur, & laissent entr'eux une ouverture de 6 pouces, dans l'endroit où ils sont les plus écartés. On proportionne la longueur du manche de la fourche ou crampe, à la profondeur où l'on veut aller chercher les pinnes ; on les saisit, on les détache, on les enleve avec cet instrument.
La houppe de soie part immédiatement du corps de l'animal ; elle sort de la coquille par le côté où elle s'entr'ouvre, environ à 4 ou 5 pouces du sommet, ou de la pointe dans les grandes pinnes.
Elle fixe la pinne-marine, elle l'empêche d'être entraînée par le mouvement de l'eau, mais elle ne sauroit l'empêcher d'être renversée, ni la retenir verticalement comme on le veut, desorte qu'il y a grande apparence, que ce coquillage est tantôt incliné à l'horison, & tantôt coule à plat, comme le sont les moules & les coquillages qui ne s'enfoncent pas dans la vase. On ne peut guere s'assurer d'avoir les houpes dans toute leur longueur ; on en a vû cependant à qui il en restoit 7 à 8 pouces ; & on en a trouvé qui pesent 3 onces. Les filets dont elles sont composées sont très-fins, & ordinairement si mêlés ensemble, qu'il n'est guere aisé de les avoir dans toute leur longueur ; leur couleur est brune.
Ces fils soyeux sont filés par les pinnes-marines, comme les moules filent les leurs ; leur filiere est placée dans le même endroit que la filiere des moules & des pétoncles, & n'a de différence que celle de ces effets ; c'est-à-dire que comme les pinnes-marines ont à filer des fils beaucoup plus fins & plus longs que les moules, leurs filieres sont aussi & plus longues & plus déliées. Voyez MOULE.
Cette filiere n'agit point comme celle des chenilles & des vers-à-soie ; c'est un moule dans lequel un suc visqueux prend la consistance & la figure du fil de ce moule ; s'ouvre d'un côté dans toute sa longueur, pour laisser sortir le fil qu'il a façonné. Enfin, les fils dont la houppe est composée, ont leur origine près de celle de la filiere, & sont logés dans une espece de sac membraneux de figure conique.
Dans ce sac membraneux, d'où part la houppe des fils soyeux, il y a des feuillets charnus qui les séparent les uns des autres. C'est de ces filets soyeux, que sortent tous les fils qui attachent la pinne-marine, & qui forment la houppe. Peut-être les feuillets charnus n'ont d'autre usage que de les séparer. Peut-être aussi servent-ils à appliquer & coller le bout du fil nouvellement formé. Comme ces fils sont très-fins, il n'est pas possible qu'ils ayent chacun beaucoup de force ; mais ce qui leur manque de ce côté-là pour attacher solidement la pinne-marine, est compensé par leur nombre, il est prodigieux.
Les pinnes-marines different plus des moules de mer, par le nombre & la finesse de leurs fils, que par la grandeur de leurs coquilles ; pour me servir de la comparaison de Rondelet, ses fils sont par rapport à ceux des moules, ce qu'est le plus fin lin par rapport à l'étoupe ; & ce n'est pas peut-être assez dire, puisque les fils des pinnes-marines ne sont guere moins fins & moins beaux que les brins de soie filés par les vers.
On n'a jamais pu tirer d'utilité des fils des moules, comme de ceux des pinnes, quoique la filiere soit la même ; & l'on diroit presque que ce n'est que dans la production de leur ouvrage, que ces deux parentes ont voulu se faire distinguer ; car d'ailleurs leur ressemblance se trouve étonnante, non-seulement dans l'extérieur, mais encore dans les parties intérieures. Les pinnes sont comme les moules, attachées à leurs coquilles par deux forts muscles, dont l'un est auprès de la pointe de la coquille, & l'autre vers le milieu de sa longueur. L'anus est auprès du second, ou du plus gros de ses muscles, & la bouche auprès du premier ; elle est seulement fermée dans les pinnes-marines, par une levre demi-ovale, que n'ont point les moules de mer.
Les autres détails des parties intérieures de ce coquillage ne sont pas trop connus, parce qu'aucun anatomiste que je sache n'a pris le soin de les examiner ; cependant comme il est le plus grand des coquillages à deux battans que nous ayons dans nos mers, il seroit commode à disséquer, & pourroit peut-être nous instruire en quelque chose sur les animaux du même genre.
M. de Réaumur le jugeoit propre à éclaircir la formation des perles en général. Il en produit beaucoup, mais dont le nombre n'est rien moins que constant ; il y a des pinnes-marines qui n'en ont point du-tout, & d'autres qui en ont des vingtaines. Mais il n'est pas dit que toutes les pinnes-marines en aient autant que celles des côtes de Provence ; leur production dépend sans doute de diverses causes qui nous sont inconnues.
Les perles qui se rencontrent dans ces coquilles, ne sont pas toutes de la même eau, & ne sont point de l'eau de celles des Indes ; celles même qui en approchent le plus sont plombées, mais on leur en trouve de plusieurs nuances différentes de l'ambre, & transparentes comme lui, de rougeâtres, de jaunâtres & de noirâtres.
Leur forme la plus ordinaire est d'être en poire ; toutes ces variétés de figure & de couleur, n'empêchent pas qu'elles ne soient de la même nature, puisqu'elles naissent dans le corps du même poisson ; ce sont toujours de semblables concrétions pierreuses. Que ces perles, ainsi que toutes les autres, se forment dans le corps des poissons à coquille, comme le bézoard ordinaire dans le corps des chevres qui le fournissent, c'est ce qu'on a tout lieu de penser, puisqu'en les cassant, on les trouve radiées comme certains besoards, & formées par couches autour d'un noyau, qui paroît être lui-même une petite perle.
On en trouve de tellement baroquées, qu'elles ne conservent plus la figure de perles, mais la matiere en est toujours disposée par couches, telles que celles des bésoards. Il n'y a guere lieu de douter que les perles orientales ne soient de la même nature que celles qui naissent dans les autres poissons à coquille, comme dans les huitres que nous mangeons ordinairement, & dans les différentes sortes de moules. Toute la différence qui est entr'elles, ne consiste que dans leur différente eau & pesanteur ; mais c'est par-tout la même matiere & la même construction, comme le font assez voir les différentes perles qu'on trouve dans la pinne-marine.
On rencontre aussi quelquefois de petits crabes nichés dans les coquilles de la pinne ; & comme ce coquillage étoit déja remarquable par les perles & par sa soie, le spectacle des petits crabes n'a pas manqué de produire plusieurs histoires singulieres que les anciens nous ont rapportées sur ce fait.
Ils ont cru que ce petit animal naissoit avec le poisson de notre coquille, & pour sa conservation ; aussi l'ont-ils appellé le gardien du pinna, s'imaginant que le poisson périssoit dès qu'il venoit à perdre son gardien ; voici en quoi ils jugeoient que ce petit crabe étoit utile à son hôte. Comme cet hôte est sans yeux, & qu'il n'est pas doué d'ailleurs d'un sentiment fort exquis, pendant qu'il a ses coquilles ouvertes, & que les petits poissons y entrent ; le crabe l'avertit par une morsure légere, afin que resserrant tout d'un coup ses coquilles, les poissons s'y trouvent pris, & alors les deux amis partagent entr'eux le butin.
Ceux qui n'ont pas crû que le crabe prit naissance dans les coquilles du pinna, relevent bien davantage la prudence de ce petit animal, qui pour se loger dans les coquilles des poissons, prend le tems qu'elles sont ouvertes, & a l'adresse d'y jetter un petit caillou pour les empêcher de se refermer & manger le poisson qui est dedans. Mais toutes ces circonstances ressemblent à un grand nombre d'autres rapportées par les anciens naturalistes ; & c'est ce qui a contribué à décrier leurs ouvrages, quoique d'ailleurs ils nous apprennent des choses fort curieuses & fort véritables.
Ce que des modernes nous disent ici des petits crabes qui se logent entre les coquilles du pinna, se détruit sans peine ; car premierement ces petits animaux se trouvent indifféremment dans toutes les bivalves, comme les huitres & les moules, aussi-bien que dans les coquilles du pinna, où l'on rencontre aussi quelquefois de petits coquillages qui entrent dedans ou qui s'attachent dessus. M. Geoffroy avoit un concha venerea, ce joli coquillage que nous nommons en françois porcelaine, coquille de Vénus, enfermé & vivant dans la coquille d'une pinne. D'ailleurs le poisson de ces coquilles ne vit point de chair, non plus que les moules ou les huitres, mais seulement d'eau & de bourbe ; ainsi l'adresse du petit crabe lui est inutile. Enfin, les petits crabes ne mangent point les poissons des coquilles où ils se logent, puisqu'on y trouve ces poissons sains & entiers, avec les petits crabes qui les accompagnent. Ce n'est donc que le hasard qui jette ces petits animaux dans ces coquilles pendant qu'elles sont ouvertes ; ou bien ils s'y retirent pour s'y mettre à couvert, comme on en trouve souvent dans les trous des éponges & des pierres. Je finis, en observant que si la plûpart des faits singuliers d'histoire naturelle que nous lisons dans divers auteurs, étoient examinés avec attention, il y auroit bien des merveilles détruites ou simplifiées, car on ne sait point assez jusqu'où s'étend le goût fabuleux des hommes, & leur amour pour le singulier. (D.J.)
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PINNITES | (Hist. nat.) C'est ainsi que l'on nomme les coquilles appellées pinnes marines, lorsqu'elles se trouvent pétrifiées ou ensevelies dans le sein de la terre.
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PINNULES | S. f. pl. (Géom.) On appelle ainsi deux petites pieces de cuivre, assez minces, & à-peu-près quarrées, élevées perpendiculairement aux deux extrémités de l'alidade d'un demi-cercle, d'un graphometre, d'une équerre d'arpenteur, ou de tout autre instrument semblable, dont chacune est percée, dans le milieu, d'une fente qui regne de haut en bas. Quand on prend des distances ; que l'on mesure des angles sur le terrein, ou que l'on fait toute autre observation ; c'est par ces fentes, qui sont dans un même plan avec la ligne qu'on appelle ligne de foi, & qui est tracée sur l'alidade (voyez ALIDADE), que passent les rayons visuels qui viennent des objets à l'oeil. On voit donc que les pinnules servent à mettre l'alidade dans la direction de l'objet qu'on se propose d'observer, & que les fentes servent à en faire discerner quelques parties d'une maniere bien déterminée ; c'est pourquoi ces fentes ayant un peu de largeur, pour laisser voir plus facilement les objets, portent un cheveu qui en occupe le milieu depuis le haut jusqu'en bas : ce cheveu couvrant une petite partie de l'objet, la détermine plus précisément ; & quand on veut avoir encore quelque chose de plus exact, on tend un autre cheveu dans une seconde fente qui coupe horisontalement la premiere, alors l'intersection des deux cheveux détermine sur l'objet le point que cette intersection couvre.
Remarquez qu'au lieu d'un cheveu, d'un fil de soie très-délié, &c. que nous supposons ici, les faiseurs d'instrumens de Mathématiques laissent entre les fentes un filet de la même matiere que les pinnules, quand il s'agit d'instrumens où il n'est pas besoin d'une exactitude bien rigoureuse, tel que le bâton ou l'équerre d'arpenteur, &c.
On met quelquefois des verres aux fentes de ces pinnules, & en ce cas elles font l'office de télescopes.
MM. Flamsteed & Hook condamnent absolument l'usage des pinnules sans verre dans les observations astronomiques. Selon Flamsteed, les erreurs dans lesquelles Tycho-Brahé est tombé, par rapport aux latitudes des étoiles, ne doivent être attribuées qu'aux pinnules de cette espece. Voyez TELESCOPE.
Ce que nous venons de dire de la pinule suffit pour en avoir une juste idée ; mais il ne sera pas inutile d'ajouter quelques particularités sur l'invention, l'usage & l'abandon de cette petite fente de laiton, ou ce petit rectangle que nous avons décrit plus haut, & qui, au lieu de porter le nom de pinnules, s'appelloit autrefois visiere. Une alidade est, comme nous l'avons dit, ordinairement garnie de deux pinnules à ses extrémités, desorte qu'en regardant un objet à-travers de ces deux pinnules, on la met parfaitement dans la direction du rayon visuel.
Autrefois tous les instrumens de Mathématiques & d'Astronomie, qui servent à prendre des angles ou des hauteurs, étoient garnis de pinnules. Mais 50 ans ou environ après la découverte du télescope, quelques savans ayant pensé à le substituer aux pinnules, la chose réussit si-bien que depuis ce tems-là on n'en a fait aucun usage, & qu'on leur a substitué par-tout le télescope : si ce n'est dans le graphometre, & dans quelques autres instrumens de cette espece.
C'est aux environs de l'année 1660 qu'on commença à faire ce changement aux instrumens. Il y eut à ce sujet de grandes contestations entre le docteur Hook & le fameux Hévelius. Le premier sachant toutes les peines que se donnoit Hévelius, & les grandes dépenses qu'il faisoit pour avoir des instrumens plus parfaits que ceux de ses prédécesseurs en Astronomie, & particulierement Tycho-Brahé, l'engagea fortement à faire usage de cette découverte, & à employer le télescope au lieu des pinnules. Les principales raisons sur lesquelles il se fondoit, étoient 1°. que l'oeil ne pouvant distinguer un objet dont les rayons visuels forment un angle au-dessous d'une demi-minute, il étoit impossible avec des pinnules de faire aucune observation qu'on pût assurer exempte au-moins de cette erreur ; 2°. que par le secours du télescope, l'oeil étant capable de distinguer jusqu'aux plus petites parties d'un objet, & même jusqu'aux secondes, les observations faites avec cet instrument seroient de beaucoup plus exactes que celles que l'on pourroit faire avec les pinnules ; & enfin que toutes les parties d'un instrument, devant également concourir à la justesse des observations, il étoit inutile de prendre une peine infinie pour diminuer ou corriger les erreurs de telle ou telle partie, comme par exemple de la division du limbe, tandis que d'autres parties donneroient lieu à des erreurs beaucoup plus considérables. Il est bon même de faire attention que cette remarque du docteur Hook est très-judicieuse, & qu'il faut bien prendre garde dans la construction d'un instrument, que toutes ses parties concourent également à sa perfection. Nonobstant la force de ces raisons, Hévelius persista toujours dans l'usage des pinnules, prétendant que les verres des télescopes étoient sujets à se casser de même que les fils placés à leur foyer, & qu'enfin on étoit obligé de vérifier l'instrument ; vérification qui devoit nécessairement, selon lui, emporter un tems considérable.
Flamsteed étoit aussi du sentiment du docteur Hook ; car il attribuoit entierement à l'usage des pinnules les erreurs de Tycho-Brahé sur la grandeur des planetes, & il pensoit que la même cause feroit tomber Hévelius dans une erreur pareille.
Tel étoit le sentiment des plus habiles astronomes de ce tems-là ; car ils abandonnerent les pinnules pour faire usage du télescope. M. Picard fut un des premiers qui l'employa avec succès, ayant adapté un télescope, en place de pinnules, au quart de cercle, dont il se servit pour sa fameuse mesure de la terre : depuis ce tems-là, on a absolument abandonné l'usage des pinnules, comme nous l'avons dit plus haut. (T)
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PINOT | S. m. (Hydraul.) est un morceau de fer ou de métal dont le bout est arrondi en pointe pour tourner facilement dans une crapaudine ou dans une virole. On met ordinairement un pinot au bout de l'arbre du rouet d'une pompe, ou au pié des ventaux d'une porte cochere, ou de celles d'une écluse. (K)
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PINQUE | ou PINKE, s. m. (Marine) c'est une sorte de flûte, bâtiment de charge fort plat de varangue, & qui a le derriere long & élevé. Pinque est aussi un flibot d'Angleterre.
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PINQUIN | voyez PENGOUIN.
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PINSK | ou PINSK, (Géog. mod.) ville ruinée du grand duché de Lithuanie, chef-lieu d'un territoire, & sur la riviere du même nom. Long. 44. 26. latit. 51. 56.
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PINTADE | voyez PEINTADE, s. f. (Ornithol.) Cet oiseau de la côte d'Or, d'Afrique, de Barbarie, de Guinée, de Numidie, de Mauritanie, en un mot de tous ces pays brûlans, étoit fort connu des Romains ; ils l'appelloient avis afra, l'oiseau afriquain. Il ne brille pas par l'éclat de son plumage, mais ses couleurs modestes ne sauroient manquer de contenter les yeux, par la régularité avec laquelle elles sont distribuées. Le pinceau ne peut rien faire de plus exactement symmétrisé ; & c'est aussi de-là que l'oiseau de Numidie a tiré son beau nom de pintade.
On range la pintade sous le genre des poules, d'où vient qu'on l'appelle la poule de Numidie. Elle a tous les attributs & toutes les qualités des poules, crête, bec, plumage, ponte, couvée, soin de ses petits ; ses caracteres distinctifs ont été indiqués ci-dessus.
Les différences des poules pintades sont fort bien désignées par Varron dans ces paroles, grandes, variae, gibberae. Grandes, elles sont effectivement plus grosses que les poules communes. Variae, leur plumage est tout moucheté : il y en a quelquefois de deux couleurs ; les unes ont des taches noires & blanches, disposées en forme de rhombes, & les autres sont d'un gris plus cendré ; toutes sont blanches sous le ventre, au-dessous & aux extrémités des aîles. Gibberae, leur dos en s'élevant forme une espece de bosse, & représente assez naturellement le dos d'une petite tortue ; cette bosse n'est cependant formée que du replis des aîles, car lorsqu'elles sont plumées, il n'y a nulle apparence de bosse sur leur corps ; mais ce qui la fait paroître davantage, c'est que leur queue est courte & recourbée en bas, & non pas élevée & retroussée en haut comme celles des poules communes.
La pintade a le col assez court, fort mince, & légerement couvert d'un duvet. Sa tête est singuliere ; elle n'est point garnie de plumes, mais revêtue d'une peau spongieuse, rude & ridée, dont la couleur est d'un blanc bleuâtre ; le sommet est orné d'une petite crête en forme de corne, qui est de la hauteur de cinq à six lignes : c'est une substance cartilagineuse. Gesner la compare au corno du bonnet ducal que porte le doge de Venise ; il y a pourtant de la différence, en ce que le corno du bonnet ducal est incliné sur le devant comme la corne de la licorne, au lieu que la corne de la pintade est un peu inclinée en arriere comme celle du rhinoceros. De la partie inférieure de la tête pend de chaque côté une barbe rouge & charnue, de même nature & de même couleur que la crête des coqs. Sa tête est terminée par un bec trois fois plus gros que celui des poules communes, très-pointu, très-dur, & d'une belle couleur rouge.
La pintade pond & couve de même que les poules ordinaires : ses oeufs sont plus petits & moins blancs ; ils tirent un peu sur la couleur de chair, & sont marquetés de points noirs. On ne peut guere accoutumer la pintade à pondre dans le poulailler ; elle cherche le plus épais des haies & des brossailles, où elle pond jusqu'à cent oeufs successivement, pourvu qu'on en laisse toujours quelqu'un dans son nid.
On ne permet guere aux pintades domestiques de couver leurs oeufs, parce que les meres ne s'y attachent point, & abandonnent souvent leurs petits ; on aime mieux les faire couver par des poules d'inde, ou par des poules communes. Les jeunes pintades ressemblent à des petits perdreaux : leurs piés & leur bec rouge joint à leur plumage, qui est alors d'un gris de perdrix, les rend fort jolies à la vûe. On les nourrit avec du millet ; mais elles sont fort délicates, & très-difficiles à élever.
La pintade est un oiseau extrêmement vif, inquiet & turbulent ; elle court avec une vîtesse extraordinaire, à-peu-près comme la caille & la perdrix, & ne vole pas fort haut ; elle se plaît néanmoins à percher sur les toîts & les arbres, & s'y tient plus volontiers pendant la nuit que dans les poulaillers. Son cri est aigre, perçant, désagréable, & presque continuel : du reste elle est d'humeur querelleuse, & veut être la maîtresse dans la basse-cour. Les plus grosses volailles, & même les poules d'inde, sont forcées de lui céder l'empire. La dureté de son bec, & l'agilité de ses mouvemens, la font redouter de toute la gent volatile.
Sa maniere de combattre est à-peu-près semblable à celle que Salluste attribue aux cavaliers numides : " Leurs charges, dit-il, sont brusques & précipitées ; si on leur résiste, ils tournent le dos, & un instant après font volte face : cette perpétuelle alternative harcelle extrêmement l'ennemi ". Les pintades qui se sentent du lieu de leur origine, ont conservé le génie numide. Les coqs d'inde glorieux de leur corpulence, se flattent de venir aisément à bout des pintades ; ils s'avancent contr'elles avec fierté & gravité, mais celles-ci les désolent par leurs marches & contremarches : elles ont plutôt fait dix tours & donné vingt coups de bec, que les coqs d'inde n'ont pensé à se mettre en défense.
Les pintades nous viennent de Guinée : les Génois les ont apportées en Amérique dès l'an 1508, avec les premiers negres, qu'ils s'étoient engagés d'amener aux Castillans. Les Espagnols n'ont jamais pensé à les rendre domestiques ; ils les ont laissé errer à leur fantaisie dans les bois & dans les savanes, où elles sont devenues sauvages. On les appelle pintades marones ; c'est une épithete générale qu'on donne dans les Indes à tout ce qui est sauvage & errant. Lorsque les François commencerent à s'y établir, il y en avoit prodigieusement dans leurs cantons ; mais ils en ont tué une si grande quantité, qu'il n'en reste presque plus.
Entre les auteurs romains qui ont parlé de la pintade, les uns l'ont confondue avec la méléagride, & n'en ont fait qu'une seule espece. Tels sont Varron, Columelle & Pline. D'autres les ont distinguées, & en ont fait deux diverses especes ; tels sont Suétone, suivi par Scaliger, avec cette différence que Scaliger prétend mettre Varron de son côté, en quoi il est abandonné de ceux même qui suivent son sentiment sur la diversité de la pintade & de la méléagride, & en particulier de M. Fontanini, archevêque titulaire d'Ancire, lequel a donné une curieuse dissertation sur la pintade, dont on trouvera l'extrait dans les mém. de Trévoux, année 1729, au mois de Juin ; cependant le P. Margat a combattu le sentiment de M. Fontanini, dans le recueil des lettres édifiantes.
La pintade faisoit chez les Romains les délices des meilleures tables, comme il paroît par plusieurs passages d'Horace, de Pétrone, de Juvenal & de Varron ; ce dernier prétend qu'elle n'étoit recherchée que par les gourmands, propter fastidium hominum, c'est-à-dire pour piquer leur goût, & les remettre en appétit. Pline dit, veneunt magno pretio propter ingratum virus, expression assez difficile à entendre, mais qui vraisemblablement ne veut pas dire qu'on vendoit cher les pintades, parce qu'elles étoient détestables au goût. (D.J.)
PINTADE, (Diete) La chair de cet oiseau est très-savoureuse & très-salutaire. Les experts en bonne-chere prétendent que son goût ne ressemble à celui d'aucune volaille, & que ses différentes parties ont différens goûts. Les gens qui ne sont pas si fins trouvent que la viande de cet oiseau a beaucoup de rapport avec celle de la poule d'inde. Voyez POULE D'INDE, diete. On peut assurer en général que c'est un très-bon aliment. (b)
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PINTE | S. f. (Mesure de continence) espece de moyen vaisseau ou mesure dont on se sert pour mesurer le vin, l'eau-de-vie, l'huile, & autres semblables marchandises que l'on débite en détail.
La pinte de Paris revient à-peu-près à la sixieme partie du conge romain, ou, pour parler plus surement, elle est équivalente à 48 pouces cubiques ; elle est à celle de Saint-Denis comme 9 à 14, & pese une livre 15 onces, selon M. Couplet. Il met la pinte comble équivalente à 49 pouces 13/35. Nous entrerons tout-à-l'heure dans de plus grands détails ; nous dirons seulement en passant que la pinte ordinaire de Paris se divise en deux chopines, que quelques-uns appellent septiers ; la chopine est de deux demi-septiers, & le demi-septier contient deux poissons, chaque poisson étant de six pouces cubiques. Les deux pintes font une quarte ou quarteau, que l'on nomme en plusieurs endroits pot ; mais il faut entrer dans des détails plus intéressans, car il importe de constater la quantité juste de liquide qu'une pinte doit contenir, parce que c'est de-là qu'on doit partir pour fixer toutes les autres mesures.
La pinte jusqu'à-présent a été regardée de deux manieres, ou comme pinte rase, ou comme pinte comble : de-là vient que M. Mariotte, dans son traité des mouvemens des eaux, distingue deux sortes de pintes, dont l'une qu'il dit ne remplir la pinte de Paris qu'à fleur de ses bords, pese deux livres moins sept gros d'eau, & qui étant remplie à surpasser ses bords sans répandre, pese deux livres d'eau.
Pour constater la juste mesure de la pinte & celle de ses parties, comme la chopine, le demi-septier, &c. il faut en rapporter la capacité à celle d'une mesure fixe. M. d'Ons-en-Bray, dans les mém. de l'acad. ann. 1739, propose le pié cube rase pour cette mesure fixe, comme la plus convenable : or le pié cube contient 36 pintes de celles qui ne sont remplies que jusqu'au bord, ou qui pesent environ deux livres moins sept gros ; car si l'on vouloit se servir de la pinte qui pese environ deux livres, ou qui surpasse les bords, le pié cube n'en contient que 35. Voici les avantages particuliers qui se trouvent dans chacune de ces deux pintes.
La pinte comble pesant à-peu-près deux livres d'eau ou de 35 au pié cube, est très-commode pour la mesure du pouce d'eau, parce qu'on prend communément avec M. Mariotte pour un pouce d'eau, l'eau qui coulant continuellement par une ouverture circulaire d'un pouce de diametre, donne par minute 14 pintes de celles de 35 au pié cube, ou qui pesent à-peu-près deux livres. Cette façon de compter & de régler le pouce d'eau, seroit très-commode pour les distributions des eaux de la ville, car à ce compte un pouce d'eau donne trois muids par heure, & 72 muids en 24 heures.
Les avantages de la pinte de 36 au pié cube, ou de la pinte qui pese deux livres moins sept gros, sont en premier lieu que la capacité ou solidité de cette pinte est de 48 pouces cubes justes, ce qui est une partie aliquote du pié cube ; au lieu que la pinte de 35 au pié cube, ou qui pese à-peu-près deux livres, sa capacité ou solidité est de 49 pouces 13/35 de pouce.
Mais en second lieu un avantage très-important de la pinte de 36 au pié, & qui peut seul faire décider en sa faveur, est que le muid contenant 8 piés cubes on a dans le muid 288 de ces pintes : ce qui s'accorde avec l'usage ordinaire, qui est de compter 280 pintes claires au muid, & 8 pintes de lie ; au lieu que si on prenoit la pinte de 35 au pié cube, il n'y auroit au muid que 272 de claires, & 8 pintes pour la lie.
Il semble pour toutes ces raisons qu'il convient de prendre pour mesure fixe le pié cube ras, qui contient 36 pintes rases, ou qui, suivant M. Mariotte, pese environ deux livres moins sept gros.
Les mesures de Paris, tant celles qui servent de matrices pour le septier, la pinte, la chopine, &c. que celles qui servent journellement à étalonner celles des marchands, ne se rapportent point juste l'une à l'autre, non plus qu'entr'elles, c'est-à-dire que le septier ne contient point exactement 8 pintes, la pinte deux chopines, &c. En voici la principale cause.
Les diametres des orifices ne sont point uniformes, c'est-à-dire deux mesures de pinte, par exemple, dont la forme est différente, n'ont pas chez les marchands des ouvertures égales ; & si elles ne sont pas remplies à ras, quoiqu'à pareille hauteur, il se trouve moins de liqueur dans la mesure dont l'ouverture est la plus grande.
Il paroît qu'on peut aisément remédier à ce défaut en constatant à la ville la forme de chaque différente mesure, à laquelle tous Potiers d'étain seroient à l'avenir obligés de se conformer, leur laissant cependant un tems pour débiter les mesures qu'ils ont de faites, ainsi qu'on en a agi à l'égard des bouteilles.
2°. La nécessité où l'on est de remplir les mesures jusqu'aux bords, fait qu'il s'en répand toujours dans le transport & dans le comptoir des Cabaretiers.
L'on peut éviter ces inconvéniens, en réglant une hauteur plus grande qu'il ne faut : par exemple, pour la pinte, on peut lui donner en hauteur un pouce d'abord au-dessus de son solide de 48 pouces cubes, & ainsi à-proportion pour les autres mesures ; & pour constater jusqu'à quelle hauteur chaque mesure doit être remplie, on pourroit former en-dedans des orifices des mesures, un rebord qui termine exactement jusqu'où doit monter la liqueur.
Les cubes des diametres ne sont pas proportionnels aux capacités des mesures, ainsi qu'ils devroient l'être.
Ces irrégularités causent des erreurs quand on se sert des unes & des autres pour mesure.
On y rémédiera sans peine, en faisant les diametres des orifices tels que leurs cubes soient, comme nous avons dit, proportionnels à leur capacité ou contenu des mesures.
Pour déterminer quels diametres on peut donner aux ouvertures proportionnelles des mesures, il faut observer que plus ces ouvertures seront petites, & plus les mesures seront exactes ; mais d'un autre côté l'usage de ces mesures chez les marchands, demande pour les nettoyer aisément, qu'on ne les fasse point trop petites ; ce n'est qu'aux mesures fiducielles de la ville qu'on peut faire ses orifices si petits qu'on voudra. On pourroit donner à l'orifice de la pinte des marchands 40 lignes de diametre, ce qui détermine les diametres proportionnels de la chopine, du demiseptier, & des autres mesures, que l'on trouvera facilement en se servant de la ligne des solides du compas de proportion.
Table des diametres & des hauteurs des mesures.
Je pourrois ajouter, d'après M. d'Ons-en-Bray, une seconde table du diametre des mesures pour la dépouille des moules ; mais je crains même d'en avoir trop dit. Qu'importe que notre pinte ne soit exacte ni en elle-même, ni vis-à-vis des autres mesures ? on ne jugera peut-être jamais à-propos de corriger des défauts ou des inconvéniens dont le public même qui achete tous les jours à pinte & à chopine toutes sortes de liqueurs, n'a pas la moindre connoissance. (D.J.)
PINTE, en terme de Marchand de modes, est une espece de gland en cannetille, foncé d'hanneton, & plus court & plus large que les glands des garnitures. Voyez GLAND & GARNITURE, dont on enjolive le noeud d'épée. Voyez NOEUD D'EPEE.
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PINTIA | (Géog. anc.) ville de Sicile. Elle étoit, selon Ptolomée, l. III. c. iv. sur la côte méridionale, entre l'embouchure du fleuve Nazara, & celle du fleuve Sossius. Il y avoit un temple dédié à Pollux, selon Claudius Aretius, qui dit que le nom moderne est Polluci. Léander appelle son territoire terra di Pulici, & ajoute qu'on y trouve quantité d'anciens monumens. 2°. Pintia est encore le nom de deux villes situées dans l'Espagne tarragonoise, selon Ptolomée, l. II. c. vj. (D.J.)
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PIOCHE | S. f. outil d'ouvriers, outil de fer avec un long manche de bois qui sert aux Terrassiers, Carriers & Maçons, pour remuer la terre, tirer des pierres, sapper, démolir, &c. Il y en a de plusieurs sortes ; les unes dont le : er a deux côtés, comme un marteau, & un oeil au milieu pour l'emmancher ; chaque extrémité de cette pioche est pointue. D'autres sortes de pioches s'emmanchent par le bout du fer : toutes deux sont un peu courbes ; mais l'une est pointue comme le pic, & l'autre qu'on nomme feuille de sauge, a le bout large & tranchant. (D.J.)
PIOCHES, (Luth.) ce sont de petits crochets de fer (fig. 17. Pl. d'Orgue), qui traversent la barre de derriere du chassis, & les queues des touches. Voyez CLAVIER.
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PIOCHET | (Ornitholog.) voyez GRIMPEREAU. Le piochet, ou le petit grimpereau, est un oiseau connu d'Aristote ; car je ne doute guere que ce ne soit celui qu'il appelle , & qu'il décrit élégamment en ces termes : avicula exigua, nomine certhios, cui mores audaces, domicilium apud arbores, victus ex cossis, ingenium sagax in vitae officiis, vox clara ; lib. IX. cap. xvij. Le nom de petit grimpereau, & en anglois celui de creeper, lui conviennent à merveille ; car il grimpe sans cesse sur les arbres ; & ne se repose que quand il dort.
Linnaeus en fait un genre distinct des pics, parce qu'il n'a pas deux doigts derriere comme les pics, mais un seul. C'est un oisillon de la grosseur d'un roitelet ; son bec est crochu, & un peu pointu ; sa langue n'est pas plus longue que son bec, ce qui le distingue encore de la classe des pics verds, mais elle se termine comme dans ceux-ci en une pointe osseuse ; sa gorge, sa poitrine & son ventre sont blanchâtres ; son dos & son croupion sont de couleur fauve, bigarrée d'un peu de blanc, de même que la tête. Il a de chaque côté une petite tache sur l'oeil ; ses grandes plumes des aîles, sont les unes brunes par-dessus, & les autres liserées de blanc ; les petites plumes de l'aîle sont noirâtres ; sa queue est droite, roide, composée de plumes de couleur tannées ; ses jambes, & les doigts de ses piés, tirent sur le jaune ; ses ongles sont noirs & crochus.
Il demeure toute l'année dans un même canton, comme les mésanges ; il fait son nid dans des creux d'arbres, le long desquels il se plaît à monter & descendre, en en piquant l'écorce avec son bec. Il vit d'insectes & de vermisseaux qu'il rencontre sur sa route ; il pond jusqu'à dix-huit ou vingt oeufs.
Le bec de ces sortes d'oiseaux semble destiné à creuser le bois, car ils l'ont arrondi, dur, aigu, & semblable à celui de tous les oiseaux qui grimpent ; ils ont ainsi qu'eux, suivant la remarque de Willughby, 1°. des cuisses fortes & musculeuses ; 2°. des jambes courtes & robustes ; 3°. des ongles favorables pour se cramponer ; 4°. les doigts serrés ensemble, afin de se tenir fermement à l'arbre sur lequel ils montent & descendent ; 5°. enfin, une queue roide & dure, un peu courbée en en-bas, pour se soutenir sur cette queue en grimpant. (D.J.)
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PIOCHON | S. m. outil de charpentier, espece de besaiguë qui n'a que quinze pouces de long ; elle sert aux Charpentiers pour frapper de grandes mortaises. (D.J.)
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PIOMBINO | (Géog. mod.) petite ville d'Italie sur la côte de Toscane, capitale d'une petite contrée de même nom, qui est entre le Siennois & le Pisan. Ses princes particuliers sont sous la protection du roi de Naples, lequel a droit de mettre garnison dans la forteresse de Piombino. On croit que c'est la Populonia des anciens, c'est-à-dire, la petite Populonia ; car la grande étoit à 3 milles à Porto-Barato. Cette ville est sur la mer à 6 lieues sud-est de Livourne, 24 sud-ouest de Florence, & 16 sud-ouest de Sienne. Long. 28. 16. latit. 42. 56. (D.J.)
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PION | voyez BOUVREUIL.
PION, s. m. (jeu des échecs) piece du jeu des échecs, qui prend son nom de la piece devant laquelle elle est. Ainsi on dit le pion du roi, le pion de la reine, le pion du fou. On ne passe point pion, c'est-à-dire, qu'un pion qui n'a point encore marché, & qui par cette raison est en droit de faire deux pas, si au premier pas il se trouvoit en prise par un des pions de l'adversaire, pourroit être pris.
La Bruyere a employé ce mot fort heureusement dans sa peinture de la vie de la cour. " Souvent, dit-il, avec des pions qu'on ménage bien, on va à dame, & l'on gagne la partie : le plus habile l'emporte, ou le plus heureux ". (D.J.)
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PIONIAE | (Géog. anc.) ville de la Mysie asiatique, sur le fleuve Caïcus, selon Pline, l. V. c. xxx. & Pausanias, l. IX. c. xviij. Strabon, l. XIII. p. 610. nomme cette ville Pionia, & la place au voisinage de l'Etolie. (D.J.)
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PIONNIER | S. m. (Art milit.) celui qui est employé à l'armée pour applanir les chemins, en faciliter le passage à l'artillerie, creuser des lignes & des tranchées, & faire tous les autres travaux de cette espece où il s'agit de remuer des terres. Il y a des officiers généraux qui veulent avoir un nombre prodigieux de pionniers pour faire la clôture d'un camp, les tranchées d'un siege, l'accommodement des chemins, en un mot, pour ôter toutes fonctions aux soldats de travailler à la terre, parce que, disent-ils, ceux d'aujourd'hui ne peuvent être assujettis à de tels travaux, comme les anciens Romains. Ils ajoutent encore, pour soutenir leur opinion, que le soldat, quand il arrive au quartier, est assez harassé, sans l'employer de nouveau à remuer la terre. Il est à craindre qu'en portant trop loin ce système, on ne vienne à gâter les soldats, en les épargnant trop & mal-à-propos. Il faut leur procurer des vêtemens, avoir grand soin d'eux dans les maladies, & lorsqu'ils sont blessés ; mais il faut les endurcir à la peine, & que leurs généraux leur servent d'exemple ; car si vous voulez réduire les soldats à la disette, tandis que vous regorgerez d'abondance, & à travailler, tandis que vous demeurerez dans l'oisiveté, certainement ils murmureront avec raison. Nous ne nions pas cependant qu'on ne doive avoir des pionniers pour accommoder les chemins, & faire passer l'artillerie ; mais cent pionniers suffisent à un grand équipage. Quant à la cloture du camp, le soldat est obligé de la faire, parce que ce travail lui donne le tems de se reposer & de dormir en sûreté. D'ailleurs c'est un ouvrage de trois ou quatre heures ; pour cet effet, toute l'armée doit y travailler, ou au moins la moitié, quand l'ennemi est proche. S'il falloit ne donner cette besogne qu'à des pionniers, il en faudroit dans une armée autant que de soldats : ce qui seroit le vrai moyen d'affamer tout un pays, & d'augmenter l'embarras qu'on ne sauroit trop diminuer. Quant aux tranchées, les pionniers n'y réussissent guere bien, & lorsque le danger croît, les plus vaillans soldats n'y sont pas de trop ; encore faut-il les animer à ce travail par un gain assuré, des promesses & des récompenses ; car nul argent n'est si bien employé que celui-là. (D.J.)
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PIOTE | S. m. (Archit. navale) on écrit aussi piotte ; espece de petit bâtiment qui approche de la gondole, fort en usage à Venise ; quand le Doge fait la cérémonie d'épouser la mer, le vaisseau qu'il monte, est environné & escorté des gondoles dorées des ambassadeurs, d'une infinité de piotes, & d'autres gondoles, &c.
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PIPA | PIPAL, s. m. (Hist. nat.) Pl. XV. fig. 3. crapaud d'Amérique. Le mâle ressemble assez par la forme du corps, au bufo ou crapaud de terre de ces pays-ci ; mais la femelle a une conformation très-différente ; elle est beaucoup plus grosse que le mâle. La tête du pipa est petite, & la partie antérieure se termine en pointe à-peu-près comme le museau d'une taupe ; l'ouverture de la bouche est très-grande, & les yeux sont fort petits ; il y a de chaque côté, à l'extrémité postérieure de la tête, un petit appendice formé par un prolongement de la peau : le dos forme une élévation très-apparente à sa partie antérieure ; il est très-large & couvert presqu'en entier de petits corps ronds de la grosseur d'un gros pois, & enfoncés fort avant dans la peau ; ces corps ronds sont autant d'oeufs couverts de leur coque, & posés fort près les uns des autres, presqu'à égale distance ; l'espece de croûte membraneuse qui les recouvre, est d'un roux jaunâtre & luisant. On voit sur les intervalles qui se trouvent entre les oeufs & sur les autres parties de la face supérieure du corps, un grand nombre de très-petits tubercules ronds, semblables à des perles. Lorsqu'on enleve la membrane extérieure qui recouvre les oeufs, ils paroissent à découvert, & on distingue les petits crapauds. Les jambes de devant du pipa sont menues & terminées par quatre doigts longs qui ont de petites ongles ; les jambes de derriere sont beaucoup plus grosses, & ont chacune cinq doigts tous unis les uns aux autres par une membrane, comme dans les canards : le dessous du ventre a une couleur cendrée jaunâtre. La femelle est d'une couleur jaunâtre, à-peu-près semblable à celle des crapauds de ces pays-ci. On trouve le pipa en Amérique ; les naturels du pays donnent le nom de pipa à la femelle, & celui de pipal au mâle : les negres mangent les cuisses de l'un & de l'autre, quoiqu'ils passent tous les deux pour être très-venimeux. M. Merian, Métamorp. des ins. de Surinam, dit, de même que Seba, que c'est la femelle qui porte ses petits sur son dos. La figure ci-dessus citée représente un pipa portant ses petits sur le dos dont les uns ne font que d'éclorre, & les autres sont un peu plus grands. Seba, these I. Voyez CRAPAUD.
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PIPE | S. f. (Futaille) c'est une des neuf especes de futailles ou vaisseaux réguliers, propres à mettre du vin & d'autres liqueurs.
En Bretagne la pipe est une mesure des choses seches, particulierement pour les grains, les légumes & autres semblables denrées ; la pipe entendue de cette sorte, contient dix charges, chaque charge composée de quatre boisseaux : ce qui fait quarante boisseaux par pipe ; elle doit peser six cent livres, lorsqu'elle est pleine de blé. (D.J.)
PIPE, s. f. (Poterie) long tuyau délié fait ordinairement de terre cuite très-fine, qui sert à fumer le tabac. A l'un des bouts du tuyau qui est recourbé, est une façon de petit vase que l'on appelle le fourneau, ou la tête de la pipe, dans lequel on met le tabac pour l'allumer & le fumer : ce qui se fait avec la bouche, en aspirant la fumée par le bout du tuyau opposé à celui du fourneau.
Il se fabrique des pipes de diverses façons, de courtes, de longues, de façonnées, d'unies, de blanches sans être vernissées, de différentes couleurs ; on les tire ordinairement d'Hollande.
Les Turcs se servent pour pipes (qui sont de deux ou trois piés de longueur, plus ou moins), de roseau ou de bois troué comme des chalumeaux, au bout desquels ils attachent une espece de noix de terre cuite qui sert de fourneau, & qu'ils détachent après avoir fumé ; les tuyaux de leurs pipes s'emboitent & se démontent pour être portées commodément dans un étui.
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PIPEAU | S. m. terme d'Oiselier, bâton moins gros que le petit doigt, long de trois pouces, fendu par le bout pour y mettre une feuille de laurier, & contrefaire le cri ou pipi de plusieurs oiseaux.
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PIPÉE | S. m. (Chasse aux oiseaux) cette chasse aux oiseaux se fait en automne, dès la pointe du jour, ou demi-heure avant le coucher du soleil. On coupe le jeune bois des branches d'un arbre ; on fait des entailles sur ces branches pour mettre des gluaux ; ensuite trente ou quarante pas autour de cet arbre, on coupe le bois taillis ; on fait une loge sous l'arbre où sont tendus les gluaux ; on s'y cache, & on y contrefait le cri de la femelle du hibou avec une certaine herbe qu'on tient entre les deux pouces, & qu'on applique entre les deux levres, en poussant son vent, & en les poussant l'une contre l'autre. Les oiseaux qui entendent ce cri qui contrefait celui de la femelle du hibou, s'amusent autour de l'arbre où l'on est caché, & se viennent le plus souvent percher sur l'arbre où sont tendus les gluaux ; ils s'engluent les aîles, ils tombent à terre, & on les prend. Ruses innocentes, liv. II. ch. 17. 18 & 19.
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PIPELIENE | S. f. (Ornithol.) c'est ainsi que Fresier nomme un oiseau du Chili dans l'Amérique méridionale ; il dit que les pipélienes ont les piés faits comme l'autruche, & qu'elles ressemblent en quelque chose aux oiseaux de mer, qu'on appelle mauves, lesquels ont le bec rouge, droit, long, étroit en largeur, & plat en hauteur, avec un trait de même couleur sur les yeux.
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PIPELY | (Géog. mod.) petite ville des Indes, non murée, au royaume de Bengale, dans une plaine, sur la riviere de Pipely, à quatre lieues au-dessus de son embouchure. Long. 106. 20. lat. 21. 40.
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PIPER | v. neut. terme d'Oiselier, c'est contrefaire le cri de la chouette, pour attirer les oiseaux qui la haïssent, & les engager à se venir percher sur un arbre où l'on a tendu des gluaux.
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PIPERAPIUM | (Bot. anc.) nom d'une plante dont il n'est parlé que dans Apulée, & c'est un nom qu'il a tiré de sa saveur brûlante sur la langue ; cette plante, ajoute-t-il, étoit si odieuse aux abeilles, qu'un de ses plus petits rameaux pendu sur leur ruche, les obligeoit toutes d'en sortir aussitôt. Comme cet étrange récit ne se trouve que dans ce seul Apulée, on ne peut y ajouter la moindre foi. Mais voici peut-être l'origine de son propos. Dioscoride a dit que la racine acorus étoit celle d'une plante entierement ressemblante au papyrus du Nil, & en conséquence il nomme cette plante papyraceum, mot qui se trouve écrit dans quelques manuscrits . Apulée aura changé & corrigé peperachion en piperapium ; il a dû ensuite donner à son piperapium une saveur brûlante, & a enfin imaginé que les abeilles devoient redouter une semblable plante, & abandonner leurs ruches en la sentant. (D.J.)
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PIPERN | ou PIPERINO, (Hist. nat.) nom que les Italiens donnent à une pierre que quelques auteurs regardent comme un grès ; cette pierre est grise & entremêlée de veines & de taches d'une couleur plus obscure, qui sont plus compactes & plus dures que le reste de la pierre ; elles font feu avec l'acier, le reste de la pierre est assez tendre & spongieux. M. de la Condamine regarde cette pierre comme une vraie lave produite par des volcans. Voyez LAVE.
PIPERNO ou PRIVERNO-NOVELLO, (Géog. mod.) petite ville d'Italie dans la campagne de Rome, à 7 milles de Terracine ; son évêché, à cause de sa pauvreté, a été réuni à celui de cette derniere ville. Piperno est voisine des ruines de l'ancien Privernum. Long. 30. 46. latit. 41. 21, &c.
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PIPES, TERRES A | (Hist. nat.) nom générique que l'on donne aux terres argilleuses blanches, qui ont la propriété de se durcir dans le feu. Ce nom lui vient de ce qu'on s'en sert pour faire des pipes à fumer du tabac.
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PIPI | (Hist. nat.) oiseau qui est fort commun en Abyssinie & en Ethiopie. Son nom lui vient du bruit qu'il fait, qui ressemble aux deux syllabes pipi. Il est d'une grande utilité aux chasseurs du pays ; cet oiseau leur fait découvrir le gibier ; on assure qu'il ne cesse de les importuner de son cri jusqu'à ce qu'ils le suivent à l'endroit où le gibier est caché : ce qu'il fait dans l'espérance d'en avoir sa part & d'en boire le sang : cependant il seroit imprudent de suivre les indications de cet oiseau sans être bien armé, vû qu'il conduit souvent les chasseurs vers l'endroit où est quelque gros serpent, ou quelqu'autre animal dangereux.
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PIPOT | S. m. (Comm.) on nomme ainsi à Bordeaux certaines futailles ou barrils dans lesquels on met les miels ; c'est ce qu'on nomme ailleurs un tierçon. Le tonneau de miel est composé de quatre barriques ou de six pipots. Voyez BARRIQUE. Diction. de commerce.
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PIPRIS | S. m. (Marine) c'est une espece de pirogue, dont se servent les negres du Cap-verd & de Guinée.
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PIQUANT | adj. (Gram.) qui a une pointe aiguë, comme l'épine, l'épingle, le poinçon.
Il se dit aussi des choses qui affectent le goût, comme le sel, le vinaigre, le suc des fruits non mûrs, le vin nouveau de Champagne. Au figuré, une femme est piquante, lorsqu'elle attire une attention vive de la part de ceux qui la regardent, par sa fraîcheur, sa légéreté, l'éclat de son tein, la vivacité de ses yeux, sa jeunesse.
Un mot est piquant, lorsqu'il nous reproche d'une maniere forte quelque défaut ou réel ou de préjugé. On diroit peu de ces mots, si l'on n'oublioit qu'il n'y en a aucun qui ne pût nous être rendu.
PIQUANT, s. m. (Botan.) ce mot se dit des pointes, ou grosses épines qui viennent au tronc, aux tiges, aux feuilles de certains arbrisseaux & de certaines plantes, à l'opicatia, par exemple, aux chardons, aux feuilles de houx, &c.
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PIQUE | S. f. (Art milit.) arme offensive qui est composée d'une hampe ou d'un manche de bois long de douze ou quatorze piés, ferré par un bout d'un fer plat & pointu, que l'on appelle lance.
Celles qu'on voit dans les monumens faits du tems des empereurs romains sont d'environ six piés & demi de longueur en y comprenant le fer. Celles des Macédoniens étoient infiniment plus longues, puisque tous les auteurs s'accordent à leur donner quatorze coudées, c'est-à-dire vingt-un piés de longueur. On conçoit difficilement comment ils pouvoient manier avec dextérité & avantage une arme de cette portée.
On dit que ce nom vient de pie, oiseau dont le bec est si pointu qu'il perce les arbres ou le bois comme une tariere. Ducange le dérive de pice, qu'on a dit dans la basse latinité, & que Turnebe croit avoir été dit quasi spica, à cause qu'il ressemble à une espece d'épi de blé. Octavio Ferrari le dérive de spicula. Fauchet dit que la pique a donné le nom aux Picards & à la Picardie, qu'il prétend être moderne & être venu de ce que les Picards ont renouvellé l'usage de la pique, dont le nom est dérivé de piquer, selon cet auteur.
La pique a été long-tems en usage dans l'infanterie pour soutenir l'effort ou l'attaque de la cavalerie : mais à présent on l'a supprimée, & on y a substitué la bayonnette que l'on met ou que l'on visse au bout de la carabine ou du mousquet. Voyez BAYONNETTE.
Cependant la pique est encore l'arme des officiers d'infanterie. Ils combattent la pique en main, ils saluent avec la pique, &c. Pline dit que les Lacédémoniens ont été les inventeurs de la pique. La phalange macédonienne étoit un bataillon de piquiers. Voyez PHALANGE.
Ce n'est que sous Louis XI. que l'infanterie françoise commença à être armée de piques, halebardes, pertuisanes & autres armes de longueur ; on entremêla ensuite des fusiliers dans les bataillons, & ce n'est qu'au commencement du regne de Louis XIV. que l'infanterie a quitté absolument l'usage de la pique pour les armes à feu.
PIQUE, (Commerce) on dit traiter à la pique avec les sauvages, pour dire faire commerce avec ces nations en se tenant sur ses gardes, &, pour ainsi parler, la pique à la main. On traite particulierement de la sorte avec quelques sauvages voisins du Canada & avec quelques negres des côtes d'Afrique sur la bonne foi & la modération apparente desquels il y a peu à compter.
Traiter à la pique s'entend aussi du commerce de contrebande que font les Anglois & les Hollandois dans plusieurs endroits de l'Amérique espagnole voisins des colonies, que ces deux nations ont dans les îles Antilles. Peut-être faudroit-il dire traiter à pic, c'est-à-dire le vaisseau sur les ancres, parce que ce commerce qui est défendu sur peine de la vie, ne se fait que dans les rades où les vaisseaux restent à l'ancre, & attendent les marchands espagnols qui quelquefois en cachette, mais le plus souvent d'intelligence avec les gouverneurs & officiers du roi d'Espagne, viennent échanger leur or, leurs piastres, leur cochenille & autres riches productions du pays contre des marchandises d'Europe.
Ceux qui veulent qu'on dise en cette occasion traiter à la pique, entendent que c'est traiter à la longueur de la pique à cause d'une certaine distance à laquelle les étrangers sont obligés de se tenir pour faire ce commerce, ne leur étant jamais permis d'entrer dans les ports, & n'étant même soufferts dans les rades que par une espece de collusion ; car il y a des armadilles ou vaisseaux de guerre qui veillent ou doivent veiller sans cesse, pour empêcher ce négoce visiblement préjudiciable à celui que les Espagnols d'Europe font en Amérique par leur flotte & leurs galions. Dict. de commerce.
PIQUE, s. m. terme de Cartier, gros point noir qu'on met sur les cartes à jouer, & qui a été appellé pique, parce qu'il a quelque ressemblance avec le fer d'une pique ; ainsi on dit jouer de pique, tourner de pique, &c.
PIQUE DE MONTVALIER, (Géog. mod.) ou la pique en un seul mot ; c'est la plus haute montagne des Pyrénées, & qui paroît s'élever en forme de pique d'où lui vient son nom. On la voit de 15 lieues sur les confins du diocese de Couserans. Longit. 17d. 12'. 53''. latit. 42d. 50'. 45''. (D.J.)
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PIQUÉ | PIQUé
On dit aussi qu'un fruit est piqué, sur-tout les abricots, les prunes & les poires, quand les vers y ont fait des ouvertures pour y pénétrer.
PIQUE, adj. en Musique, ce mot indique des sons secs & bien détachés, & s'applique particulierement aux instrumens à archet. (S)
PIQUE, le poil piqué, voyez POIL.
PIQUE, en terme de Brodeuse, c'est un point l'un devant l'autre sans mesure, ni compte des fils, il se répete à côté l'un de l'autre jusqu'à ce que la feuille ou telle autre partie soit remplie. Il faut pour faire un beau piqué que les points soient drus & égaux en hauteur.
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PIQUECHASSE | S. m. terme d'Artificier, c'est un poinçon aigu & menu, qui sert à percer les chasses ou sacs à poudre, pour ouvrir des communications aux feux qu'elles doivent donner aux artifices qu'elles font partir.
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PIQUER | v. a. (Manufacture) ce terme est d'un assez grand usage dans les manufactures & les communautés des arts & métiers.
Les tapissiers piquent des matelats, des couvertures ou courtepointes, des chantournés & des dedans & doublures de lits. Ils piquent aussi des matelats d'espace en espace avec une longue aiguille de fer, de la ficelle & des flocons de coton, pour les dresser & arrêter la laine entre les toiles ; ils piquent d'autres matelats avec de la soie & sur des desseins donnés par les dessinateurs pour leur servir d'ornement.
Les Tailleurs pour femmes piquent des corps de jupe & des corsets entre de la baleine pour les affermir.
Les Ceinturiers piquent des baudriers & ceinturons avec de la soie, de l'or & de l'argent pour les enrichir, &c.
Les faiseuses de bonnets les piquent, en y faisant avec l'aiguille plusieurs petits points quarrés en oeil de perdrix ou autrement.
PIQUER, v. act. (Charp. & Maçon.) piquer en Charpenterie, c'est marquer une piece de bois, pour la tailler & la façonner. Piquer en Maçonnerie, c'est rustiquer le parement ou les lits d'une pierre, c'est-à-dire que piquer signifie en fait de moilon le tailler grossierement ; on employe le moilon piqué de la sorte aux voûtes de caves, aux puits & aux murs de clôture. Piquer signifie aussi faire sur les matériaux destinés à la construction extérieure des bâtimens, les petits points ou creux nécessaires pour leur servir d'ornement ; on pique de cette maniere la pierre de taille, le grès & le moilon particulierement pour l'ordre toscan. (D.J.)
PIQUER, terme de Bourrelier, &c. qui signifie faire avec du fil blanc une espece de broderie sur différentes parties de harnois de chevaux de carosse. Ils se servent pour cela d'une alène plus fine que les autres, qu'ils appellent alène à piquer, & passent dans les trous du fil de Cologne en plusieurs doubles qu'ils frottent de cire.
PIQUER, en terme de Cordonnier, c'est faire des rangs de points tout-autour de la premiere semelle d'un soulier. (D.J.)
PIQUER LA BOTTE, (même métier) c'est coudre avec du fil blanc le tour des talons couverts.
PIQUER, terme de Découpeur, c'est enlever avec un fer quelque partie d'une étoffe, & y faire une quantité de petites mouchetures. On pique de cette maniere les satins, les taffetas, les draps & les cuirs, particulierement ceux qui sont parfumés, & dont on fait quelques ouvrages pour l'usage des dames, tels que sont des corps de jupe & de souliers. (D.J.)
PIQUER, en terme d'Epinglier, c'est percer les papiers à distances égales & en plusieurs endroits pour y attacher les épingles ; ce qui se fait avec un poinçon qui a autant de pointes, c'est-à-dire vingt-cinq, que l'on veut percer de trous : le papier est ployé en quarrés doubles que l'outil perce à-la-fois. Voyez les fig. & les Pl. de l'Epinglier ; ce poinçon s'appelle quarteron.
PIQUER, v. act. terme de Manege, c'est donner de l'éperon au cheval pour le faire aller plus vîte, courir ou galoper.
PIQUER DES DEUX, (Maréchallerie) c'est la même chose qu'appuyer. Voyez APPUYER.
PIQUER UN CHEVAL, en terme de Maréchal, c'est le blesser avec un clou en le ferrant.
On appelle selle à piquer une selle à troussequin, dans laquelle on est tellement engagé qu'on peut soutenir les secousses que donnent les sauteurs, lorsqu'on les pique avec le poinçon. Voyez POINÇON.
PIQUER, en terme de Pâtissier, c'est faire de petits trous sur une piece pour lui donner plus belle apparence.
PIQUER, en terme de Piqueur de tabatiere, c'est percer avec une aiguille la piece pour la garnir ensuite de clous d'or, d'argent, &c. Voyez AIGUILLE & GARNIR.
PIQUER les cartons, (Relieur) c'est faire trois trous en triangle vis-à-vis chaque nerf ou ficelle auxquelles le livre est cousu. On pique avec un poinçon proportionné selon la grosseur des ficelles. On dit piquer le carton.
PIQUER la viande, (Rotisseur) ce mot signifie la larder proprement, & la couvrir entierement de petits lardons ou morceaux de lard, conduits également avec la lardoire.
PIQUER, (Serrurerie) c'est tracer les places où doivent être posées les pieces & garnitures d'une serrure.
PIQUER, n'est autre chose en terme de Sucrerie, que de démonceler à coups de pique, voyez PIQUE, les matieres trop mastiquées dans le bac à sucre. Voyez BAC A SUCRE.
PIQUER, (même Manufacture) est une opération par laquelle on fait des trous dans toute l'étendue de la terre & qui en traversent toute l'épaisseur. Plus on fait de ces trous, plus la terre se nettoie aisément.
PIQUER une futaille, (Tonnelier) se dit de la petite ouverture que le tonnelier, le marchand de vin, ou le cabaretier y font avec le foret, pour essayer & goûter le vin, soit pour le vendre, soit pour le mettre en perce. (D.J.)
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PIQUET | S. m. Voyez PIEU, (Gramm.) c'est un bâton pointu par un bout, gros & long à proportion de la résistance qu'il doit faire, selon l'usage auquel il est destiné.
PIQUET, (Archit. & Jardin.) on appelle piquet en architecture & jardinage, de petits morceaux de bois pointus, qu'on enfonce dans la terre pour tendre des cordeaux, lorsqu'on veut planter un bâtiment ou un jardin. On nomme taquets, les piquets qu'on enfonce à tête perdue dans la terre, afin qu'on ne les arrache pas, & qu'ils servent de repaires dans le besoin. (D.J.)
PIQUET, en terme de Fortification, c'est un bâton pointu par un bout, que l'on garnit ordinairement, ou que l'on arme de fer : en les alignant sur le terrein, ils servent à en marquer les différentes mesures & les différens angles.
Il y a aussi de grands piquets que l'on enfonce en terre pour lier ensemble des fascines ou des fagots, lorsqu'on veut faire quelqu'ouvrage fort vîte. Il y en a de plus petits qui ne servent qu'à joindre les fascines dont on se sert dans les sappes, logemens, & comblemens de fossés.
Piquets se dit aussi de bâtons ou de pieux que l'on fiche en terre dans un camp, proche les tentes des cavaliers, pour y attacher leurs chevaux ; on en met aussi devant les tentes des fantassins, où ils posent leurs mousquets ou leurs piques, qu'ils passent dans un anneau.
Quand un cavalier a commis quelque faute considérable, on le condamne souvent à la peine du piquet, qui consiste à avoir une main tirée en haut, autant qu'elle peut être étendue, & de se tenir ainsi sur la pointe d'un piquet, appuyé uniquement sur les doigts du pié opposé, desorte qu'il ne peut se tenir bien, ni se suspendre, ni avoir la commodité de changer de pié.
Piquet se dit aussi de ces bâtons, qui ont une coche vers le haut, auxquels on attache les cordages des tentes. Ainsi planter le piquet, c'est camper. Chambers.
PIQUET, on appelle troupe du piquet dans l'infanterie, cinquante hommes tirés de toutes les compagnies des régimens de l'armée, avec un capitaine, un lieutenant & un sous-lieutenant à la tête. Le piquet de la cavalerie est composé de 20 ou 25 maîtres par escadron. Les soldats & les cavaliers de piquet sont toujours prêts, pendant la durée de leur service, qui est de vingt-quatre heures, à prendre les armes au premier commandement. Dans la cavalerie, les chevaux de ceux qui sont de piquet sont sellés, la bride toute prête à passer dans la tête du cheval, & les armes du cavalier toutes préparées pour son service.
Toutes les différentes troupes de piquet font ce qu'on appelle le piquet à l'armée ; il sert à couvrir le camp des entreprises des ennemis, & à avoir des troupes toujours en état de s'opposer à ses attaques. A l'armée il y a chaque jour un brigadier, un colonel, un lieutenant colonel & un major de brigade de piquet. Leur service commence les jours de séjour à l'heure que les tambours battent l'assemblée des gardes ; & dans les marches lorsqu'on assemble les nouvelles gardes qui doivent marcher avec le campement. Ces officiers se trouvent à la tête des piquets toutes les fois qu'on les assemble ; ils doivent faire chacun leur ronde pendant la nuit, pour examiner si tous les officiers & soldats de piquet sont dans l'état où ils doivent être. Ils rendent compte le lendemain aux officiers généraux de jour, de tout ce qu'ils ont observé dans leur ronde. (q)
PIQUET, terme de Boulanger, petit instrument de fer à trois pointes, dont les boulangers qui font le biscuit de mer se servent pour piquer le dessous de leurs galettes, avant que de les mettre au four, afin que la chaleur pénetre plus facilement jusqu'au centre, & en chasse toute l'humidité. Savary. (D.J.)
PIQUET, (Mesure de continence) mesure de grains dont on se sert en quelques endroits de Picardie, particulierement à Amiens ; quatre piquets font le septier, qui pese 50 livres, poids de Paris, ce qui fait 12 livres 1/2 pour chaque piquet ; sur ce pié, il faut dix-neuf piquets 1/5 ou quatre septiers 4/5 d'Amiens, pour faire un septier mesure de Paris. (D.J.)
PIQUET, terme de Dessinateur, grosse épingle dont se servent les dessinateurs, quand ils montrent à un écolier à tracer un plan. (D.J.)
PIQUETS, s. m. pl. (Cirerie) ce que les blanchisseurs nomment des piquets sont de grandes chevilles de plus de dix-huit pouces de longueur, qui sont placées de distance en distance au-tour des tables ou quarrés de l'herberie ; ces piquets servent à relever les bords des toiles où l'on met blanchir la cire. Savary. (D.J.)
PIQUET, en terme de Fondeurs de cloches, est un pieu de fer ou de bois placé au centre du noyau d'une cloche, qui porte la crapaudine du compas de construction. Voyez les figures, Pl. de la fonderie des cloches, & l'article FONTE DES CLOCHES.
PIQUET, (Jardinage) le piquet ne differe du salin qu'en ce qu'il est plus petit, n'ayant que deux piés de long tout au plus. Il sert également à aligner, à borneyer & à tracer les différentes piéces qui composent les jardins.
PIQUET, (Jeu) c'est un jeu auquel on ne peut jouer que deux, & le jeu ne doit contenir que trente-deux cartes, depuis l'as qui est la premiere, jusqu'au sept. Toutes les cartes valent les points qu'elles marquent, excepté l'as qui en vaut onze, & les trois figures valent dix points chacune. Quand on est convenu de ce qu'on jouera, on voit à qui mélera le premier ; quand les cartes sont battues & coupées, celui qui donne en distribue douze à son adversaire & à lui, deux à deux, ou trois à trois, selon son caprice, il faut continuer dans tout le cours de la partie par le nombre qu'on a commencé, car il n'est pas permis de changer la donne, à moins qu'on n'en avertisse. Si celui qui donne les cartes en donne treize à son joueur ou à lui, il est libre au premier en carte de se tenir à son jeu ou de refaire ; mais s'il s'y tient lorsqu'il a treize cartes, il doit laisser les trois cartes au dernier, & n'en prendre que quatre ; & si c'est le dernier qui les a, il en prend toujours trois. Si l'un des joueurs se trouvoit avoir quatorze cartes, n'importe lequel, il faut refaire le coup. S'il y a une carte retournée dans le talon, le coup sera bon, si la carte tournée n'est pas celle de dessus, ou la premiere des trois du dernier. Le joueur qui tourne & voit une ou plusieurs cartes du talon de son adversaire, est condamné à jouer telle couleur que son adversaire voudra, s'il est premier à jouer. La premiere chose qu'il faut examiner dans son jeu, c'est si l'on a cartes blanches ; si on les avoit, l'on compteroit dix même avant le point ; ces dix qu'on compte pour les cartes blanches servent à faire le pic & repic, & à les parer. Il faut pour compter son point, ses tierces, &c. les avoir étalées sur le tapis, sans cela l'adversaire compteroit son jeu, encore qu'il valût moins que le vôtre. Un quatorze fait passer plusieurs cartes qu'on a par trois, encore que l'autre joueur ait trois cartes plus fortes : le quatorze plus fort passe devant un moindre, & l'annulle. Le principal but des joueurs est de gagner les cartes pour gagner dix points pour elles. S'il se trouve que l'un des adversaires ait plus de cartes qu'il ne faut, s'il n'en a pas plus de treize, il est au choix de celui qui a la main, de refaire ou de jouer, selon qu'il le trouve avantageux à son jeu ; & lorsqu'il y a quatorze cartes, on refait nécessairement.
Qui prend plus de cartes qu'il n'en a écarté, ou s'en trouve en jouant plus qu'il ne faut, ne compte rien du-tout, ou n'empêche point l'autre de compter tout ce qu'il a dans son jeu.
Qui prend moins de cartes, ou s'en trouve moins, peut compter tout ce qu'il a dans son jeu, ni ayant point de fautes à jouer avec moins de cartes ; mais son adversaire compte toujours la derniere. Qui a commencé à jouer, & a oublié de compter cartes blanches, le point, ses tierces, &c. n'est plus reçu à les compter après, & tout cet avantage devient nul pour lui.
Lorsqu' avant de jouer la premiere carte, on ne montre pas à l'adversaire ce qu'on a de plus haut que lui, on le perd, & il compte son jeu, pourvu qu'il le compte avant de jouer sa premiere carte.
Il n'est pas permis d'écarter à deux fois, c'est-à-dire que du moment que l'on a touché le talon, après avoir écarté telle carte, on ne peut plus la reprendre. Il n'est pas permis à aucun des joueurs de regarder les cartes qu'il prendra, avant que d'avoir écarté ; celui qui a écarté moins de cartes qu'il n'en prend, & s'apperçoit de sa faute avant que d'en avoir retourné aucune, est reçu à remettre ce qu'il a de trop sans encourir aucune peine, pourvu que son adversaire n'ait pas pris les siennes. Si celui qui donne deux fois de suite, reconnoît sa faute auparavant d'avoir vu aucune de ses cartes, son adversaire sera obligé de faire, quoiqu'il ait vu son jeu. Quand le premier accuse ce qu'il a à compter dans son jeu, & que l'autre après lui avoir répondu qu'il est bon, il s'apperçoit ensuite en examinant mieux son jeu, qu'il s'est trompé, pourvu qu'il n'ait point joué, est reçu à compter ce qu'il a de bon, & efface ce que le premier auroit compté.
Celui qui pouvant avoir quatorze de quelque espece que ce soit, en écarte un & n'accuse que trois, il doit dire à son adversaire quelle est celle qu'il a jetté, s'il le lui demande.
S'il arrivoit que le jeu de cartes se rencontrât faux de quelque maniere que ce fût, le coup seulement seroit nul, les autres précédens seroient bons.
Si en donnant les cartes il s'en trouve une de retournée, il faut rebattre & recommencer à les couper & à les donner.
S'il se trouve une carte retournée au talon, & que ce ne soit pas la premiere ou la sixieme, le coup est bon : celui qui accuse faux ; comme de dire trois as, trois rois, &c. & qui ne les auroit pas, qui joue & que son adversaire voit qu'il ne les a pas, ne compte rien du coup, & l'autre compte tout son jeu. Toute carte lâchée & qui a touché le tapis est censée jouée ; si pourtant on n'étoit que second à jouer, & qu'on eût couvert une carte de son adversaire qui ne fût pas de même couleur & qu'on en eût, on pourroit la reprendre & en jouer une autre.
Celui qui pour voir les cartes que laisse le dernier, dit je jouerai de telle couleur, pourrait être contraint d'en jouer s'il ne le faisoit pas.
Celui qui par mégarde ou autrement tourne ou voit une carte du talon, doit jouer de la couleur que son adversaire voudra autant de fois qu'il aura retourné de cartes.
Celui qui ayant laissé une de ses cartes du talon, la mêle à son écart avant que de l'avoir montrée à son homme, peut être obligé de lui montrer tout son écart, après qu'il lui aura nommé la couleur dont il commencera à jouer.
Qui reprend des cartes dans son écart, ou est surpris à en échanger, perd la partie ; qui quitte la partie avant qu'elle soit finie, la perd ; celui qui croyant avoir perdu, brouille ses cartes avec le talon, perd la partie quoiqu'il s'apperçoive ensuite qu'il auroit pû la gagner.
Celui qui étant dernier, prendroit les cartes du premier, avant qu'il eût eu le tems d'écarter, & les auroit mêlées à son jeu, perdroit la partie.
Quand on n'a qu'un quatorze en main qui doit valoir, on n'est pas obligé de dire de quoi, on dit seulement quatorze, mais si l'on peut en avoir deux dans son jeu, & que l'on n'en ait qu'un, on est obligé de le nommer.
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PIQUETTE | S. f. (Bourrelier) sorte de pinces aiguës par la pointe, qui est à l'usage des bourreliers. Voyez les fig. Pl. du Bourrelier.
PIQUETTE, (Econom. rustiq.) mauvais vin destiné aux valets & aux pauvres habitans de la campagne. C'est de l'eau jettée sur le marc du raisin, qu'on remet en fermentation, avec quelques pommes sauvages, & des prunelles.
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PIQUEUR | S. m. (Archit.) c'est dans un attelier, un homme préposé par l'entrepreneur, pour recevoir par compte les matériaux, en garder les tailles, veiller à l'emploi du tems, marquer les journées des ouvriers, & piquer sur son rôle, ceux qui s'absentent pendant les heures de travail, afin de retrancher de leurs salaires. On appelle chassavans, les moindres piqueurs qui ne font que hâter les ouvriers. (D.J.)
PIQUEUR, en terme d'Epinglier, est l'ouvrier qui est chargé de piquer les papiers pour les épingles.
PIQUEUR, en terme de Cavalerie, est un domestique destiné à monter les chevaux pour les dresser ou les exercer. Il y a des piqueurs à gages dans les écuries considérables, & des piqueurs qu'on loue pour un certain tems, lorsqu'on a de jeunes chevaux à accoutumer à l'homme : ces piqueurs les montent aussi dans les foires.
PIQUEUR, en terme de Raffinerie, est un gros bâton ferré & aigu par un bout & traversé par en haut, à un demi-pié de son extrémité, d'un plus petit qui forme de chaque côté une poignée qui facilite l'opération ; il se nomme de l'usage qu'on en fait. Voyez PIQUER LA TERRE. Voyez les Pl.
PIQUEUR, terme de Chasse, ce sont des gens à cheval, établis pour faire chasser les chiens.
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PIQUIER | S. m. (Art. milit.) homme armé d'une pique.
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PIQUINAIRE | S. m. (Art. milit.) anciennement homme de guerre armé d'une pique.
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PIQUITINGA | (Ichthyolog.) petit poisson des rivieres du Brésil ; il est à peine de deux pouces de long ; ses yeux gros & noirs ont l'iris blanche ; il a six nageoires, outre la queue qui est fourchue. Sa bouche paroît fort petite ; sa tête est d'un blanc argentin ; son dos est olivâtre ; son ventre est couvert d'écailles argentines ; ses nageoires sont toutes blanches, & les larges raies qu'il a sur les côtés sont extrêmement brillantes.
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PIQUOIS | ou PIQUOIS, s. f. (Gravure) c'est une aiguille enfoncée par la tête dans une ente de pinceau ou autre petit morceau de bois ; ce qui en sort n'a que deux ou trois lignes au plus de longueur. Ce petit instrument sert aux peintres, aux éventaillistes, aux brodeurs, tapissiers & autres ouvriers à piquer le trait de leur dessein, pour pouvoir ensuite le poncer avec la ponce. Voyez PONCER & PONCE.
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PIQUURE | terme de Chirurgie, plaie faite par un instrument piquant. Les panaris ont presque toujours pour cause une piquure d'aiguille ; les piquures sont ordinairement plus dangereuses que les plaies plus étendues faites par instrument tranchant. Le séjour du sang dans le trajet de la division, peut donner lieu à des abscès ; s'il y a quelque partie nerveuse de piquée, il en résulte quelquefois les accidens les plus graves, tels que la douleur, la tension inflammatoire, le spasme de la partie, les convulsions de tout le corps : la fiévre s'allume, & l'étranglement de la partie la fait tomber en gangrene. Ainsi la réunion des parties divisées, qui est le but auquel l'art doit tendre dans toute solution de continuité contre l'ordre naturel, ne peut être obtenue primitivement dans les piquures qui sont accompagnées de quelque accident ; il faut pour y remédier faire cesser le désordre local qui consiste dans la tension & le tiraillement des fibres blessées, une incision suffit dans les cas simples. Les anciens brûloient toute l'étendue d'une plaie où un nerf avoit été piqué, avec de l'huile de térébenthine bouillante ; cette cautérisation faisoit cesser les accidens, comme on détruit la douleur de dents, en brulant avec un fer rouge, le nerf qui est à découvert par la carie : lorsque la cautérisation ne réussissoit pas, on n'hésitoit point à faire des incisions transversales pour couper absolument les parties dont la tension étoit l'origine de maux formidables.
La piquure ou morsure des animaux venimeux a des suites très-funestes, tant par la qualité délétere du poison, que par la blessure des parties nerveuses. Dans les pays où la morsure des animaux venimeux est la plus dangereuse, comme en Afrique, les habitans ne se guérissent que par des applications extérieures ; les secours de l'art ont toujours été dirigés dans la vue d'empêcher le venin de s'étendre, & de lui ouvrir une issue au-dehors ; c'est ce qui a fait prescrire de fortes ligatures au-dessus de la blessure ; & de laver promptement la plaie avec de l'urine ou de l'eau salée, de l'eau-de-vie, du vin chaud, du vinaigre, dans laquelle lotion on faisoit dissoudre de la plus vieille thériaque qu'on pouvoit trouver ; le malade y tiendra la partie piquée assez de tems, & la liqueur doit être la plus chaude qu'il pourra la supporter : on applique ensuite de la thériaque. Ambroise Paré dit qu'il n'a jamais manqué de guérir ceux qu'il a traités ainsi, à moins que le venin n'eût déja gagné les parties nobles. Pour attirer le venin, il recommande l'application des animaux ouverts tout vivans, & enfin la cautérisation pour consumer & détruire la partie infectée. Les cordiaux alexipharmaques étoient prescrits pour l'intérieur, dans l'intention de pousser le virus au-dehors.
Ce traitement a sans doute eu souvent le succès qu'on en espéroit : des personnes très-robustes ont pû résister à l'action des remedes chauds pris intérieurement, d'autres s'en sont très-mal trouvé ; il faut suivre les indications particulieres que l'état des choses présente, & être instruit par l'expérience qui conduit dans ces cas mieux que le raisonnement.
La morsure des chiens enragés cause rarement des accidens primitifs, & les plaies qui en résultent se guérissent aisément : cela n'empêche pas que vers le quarantieme jour de la blessure, ceux qui ont été mordus, ne soient attaqués d'hydrophobie, maladie cruelle, dont on guérit par les antispasmodiques. Voyez HYDROPHOBIE & RAGE. Le venin qui cause ces accidens a une nature particuliere, & ses effets sont différens de tout autre venin connu. Des observations assez bien constatées semblent faire croire que si on eût dilaté & cautérisé les plaies, on auroit pû prévenir l'hydrophobie ; les frictions mercurielles, dans l'intervalle du tems qui se passe entre la morsure & la manifestation des symptômes de la rage, peuvent détruire le principe venimeux ; & les antispasmodiques ont réussi à guérir la rage caractérisée. Voyez un essai sur l'hydrophobie, par le docteur Nugent, traduit en françois, & qu'on trouve chez Cavelier.
La morsure des viperes ne donne pas tant de délai ; en peu d'heures les personnes mordues souffrent des anxiétés mortelles, le teint devient jaune, elles vomissent de la bile verte ; le membre piqué devient douloureux, se gonfle prodigieusement & devient noir.
L'alkali volatil a été découvert par M. de Jussieu, comme un spécifique contre le venin de la vipere, mais on n'a pas de meilleur remede que de faire tremper promptement la partie blessée dans de l'huile d'olive chaude : c'est un spécifique éprouvé, qui guérit comme par enchantement, en faisant cesser les accidens qui paroissent être produits par l'action du venin sur les parties vitales. Voyez les observations de M. Ponteau, célebre chirurgien de Lyon, dans un ouvrage qu'il a publié en 1760. sous le titre de Mélanges de Chirurgie. (Y)
PIQUURE, terme d'Ouvrieres ; ornemens que l'on fait sur une étoffe par compartiment & avec symmétrie, en la piquant & coupant avec un emporte-piece de fer tranchant. C'est aussi un corps de femme piqué par le tailleur, avant qu'il soit couvert d'étoffe. (D.J.)
PIQUURE, terme de Couturiere ; corps de toile garni de baleine & piqué, qu'on met aux enfans pour leur conserver la taille ; mais pour y réussir, il faut tourner tous les jours ces sortes de corps.
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PIRA-UTOAH | (Hist. nat.) poisson du genre des orbes, qui se trouve dans les mers du Brésil ; il est, dit-on, d'une forme monstrueuse ; il a deux cornes osseuses recourbées en arriere ; sa queue est faite en spatule ; ses levres sont épaisses, & sa gueule s'ouvre d'une maniere hideuse.
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PIRAEMBU | (Hist. nat.) poisson des mers du Brésil, qui ressemble à celui que les François des îles d'Amérique ont appellé ronfleur, à cause du bruit qu'il fait. Il est de huit ou neuf piés de longueur ; sa chair est très-bonne à manger. Il a dans la gueule deux os fort durs, dont il se sert pour briser les coquillages, qui font sa nourriture ordinaire.
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PIRAGUERA | (Ichthyol.) poisson d'Amérique, M. Frezier dit qu'il est long de quatre à cinq piés, délicat, de la figure de la carpe, & couvert de grandes feuilles rondes ; c'est à-peu-près ne rien dire pour le faire connoître ; on ne lit dans les voyageurs que des descriptions de cette nature, qui n'instruisent de rien. (D.J.)
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PIRANO | (Géog. mod.) ville d'Italie dans l'Istrie, environ à 14 milles de Capo d'Istria, en tirant vers le midi occidental. Elle est sur une petite presqu'île formée par le golfe Largone, & celui de Trieste. Les Vénitiens en sont les maîtres depuis 1583. Long. 31. 46. lat. 45. 48.
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PIRATE | S. m. (Marine) on donne ce nom à des bandits, qui, maîtres d'un vaisseau, vont sur mer attaquer les vaisseaux marchands pour les piller & les voler. Ils se retirent pour l'ordinaire dans des endroits écartés & peu fréquentés, où ils puissent être à l'abri de la punition qu'ils méritent.
On aura de la peine à croire que la piraterie ait été honorable, & l'emploi des Grecs & des Barbares, c'est-à-dire, des autres peuples qui cherchoient des établissemens fixes, & les moyens de subsister. Cependant Thucidide nous apprend, dès le commencement de son histoire : " que lorsque les Grecs & les Barbares, qui étoient répandus sur la côte & dans les îles, commencerent à trafiquer ensemble ; ils firent le métier de pirates sous le commandement des principaux, autant pour s'enrichir, que pour fournir à la subsistance de ceux qui ne pouvoient pas vivre par leur travail ; ils attaquoient les bourgs, les villes qui n'étoient pas en état de se défendre, & les pilloient entierement : ensorte que par ce moyen, qui bien loin d'être criminel, passoit pour honorable, ils subsistoient & faisoient subsister leur nation. "
L'historien ajoute que l'on voyoit encore des peuples de la terre, qui faisoient gloire du pillage ; & dans les anciens poëmes, on voit de même que, lorsqu'on rencontroit dans le cours de la navigation quelque navire, ils se demandoient réciproquement s'ils étoient pirates. Mais il y a apparence que le métier de pirate, n'a pas été long-tems un métier honorable ; il est trop contraire à toutes sortes de droits, pour n'être pas odieux à tous les peuples qui en souffrent des dommages considérables.
On convient que les Egyptiens & les Phéniciens commencerent à exercer le commerce par la voie de la mer ; les premiers s'emparerent de la mer Rouge, & les autres de la Méditerranée, sur laquelle ils établirent des colonies, & bâtirent des villes qui ont été depuis fameuses ; ils y transporterent l'usage de la piraterie & du pillage ; & quoiqu'on ait souvent tâché de les détruire, comme étant des voleurs publics dignes des plus cruels supplices ; ils se trouverent en si grand nombre sur la Méditerranée, qu'ils se rendirent redoutables aux Romains qui chargerent Pompée de les combattre.
On méprisa d'abord des gens errans sur la mer, sans chef, sans discipline : la guerre contre Mitridate étoit un objet plus pressant, & occupoit entierement le sénat, qui d'ailleurs étoit divisé par les brigues des principaux citoyens. Ensorte que les pirates profitant de l'occasion, s'aggrandirent & s'enrichirent par le pillage des villes situées sur le bord de la mer, & par la prise de ceux qu'ils rencontroient. Plutarque a même remarqué que des personnes considérables par leurs richesses & par leur naissance, armerent des vaisseaux, où ils s'embarquerent & se firent pirates, comme si par la piraterie on pouvoit acquérir beaucoup de gloire.
Il faut avouer que de la maniere dont Plutarque nous décrit la vie des corsaires, il n'est pas surprenant que des personnes riches, & même d'une famille illustre, aient pris leur parti. Leurs vaisseaux étoient magnifiques, l'or & la pourpre y éclatoient de toutes parts, leurs rames mêmes étoient argentées ; & s'étant rendus maîtres d'une partie de la côte maritime, ils descendoient pour se reposer, & tâchoient de se dédommager de leurs fatigues par toutes sortes de débauches. On n'entendoit, dit Plutarque, tout le long de la côte que des concerts de voix & d'instrumens ; & ils soutenoient les dépenses qu'ils faisoient, par les grosses rançons qu'ils exigeoient des personnes & des villes, & même par le pillage des temples.
Les Romains commençant à se ressentir du voisinage des pirates, qui causoient une disette de denrées, & une augmentation de prix à toutes choses ; on résolut de leur faire la guerre, & l'on en donna la commission à Pompée, qui les dissipa dans l'espace de quarante jours, & les détruisit aisément par la douceur ; au lieu de les faire mourir, il les rélegua dans le fond des terres, & dans des lieux éloignés des bords de la mer. C'est ainsi qu'en leur donnant moyen de vivre sans piraterie, il les empêcha de pirater. (D.J.)
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PIRATER | (Marine) c'est faire le métier de pirate.
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PIRE | adj. (Gram.) degré comparatif de mauvais. Les hommes se plaignent toujours que le tems présent est pire que le tems passé. Il y a des hommes qui croyent au fond de leur coeur, & qui font tout pour paroître incrédules, ils sont pires qu'ils ne paroissent ; d'autres au contraire sont incrédules au fond de leur coeur, & ils affectent la croyance commune ; ils tâchent de paroître meilleurs qu'ils ne sont.
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PIRÉE | LE, (Géog. anc.) , ou , de , traverser, faire un trajet, en latin piraeus, par les Grecs modernes Porto-draco, & par les Francs Porto-lione.
Je doute qu'il se trouve aucun lecteur de l'Encyclopédie qui prenne avec le singe de la Fontaine, le pirée pour un nom d'homme ; personne n'ignore que c'étoit le port de la ville d'Athènes. Mais il y a bien des choses à en dire que tout le monde ne sait pas.
Le port de Phalère ne se trouvant ni assez grand, ni assez commode, on fit un triple port d'après l'avis de Thémistocle, & on l'entoura de murailles : desorte qu'il égaloit la ville en beauté, & la surpassoit en dignité ; c'est Cornelius Nepos qui parle ainsi. Il est certain que Thémistocle eut raison de préferer le port de Pirée à celui de Phalere ; car il forme par ses courbures trois ports que l'ancrage, l'abri & la capacité rendent excellens. Son entrée est étroite, mais quand on est dedans, il est de bonne tenue, bien fermé, sans rocher ni brisans cachés. Quatre cent bâtimens, selon Strabon, y pouvoient mouiller sur 9, 10 à 12 brasses ; cependant, aujourd'hui que nos vaisseaux sont des vastes machines, il paroît que 40 auroient de la peine à s'y ranger.
Des trois ports, celui du milieu est proprement le Porto-Lione. On voit encore sur des rochers dans la mer quelques piles de pierres qui soutenoient la chaîne pour le fermer. Dans son enfoncement, il y a un moindre bassin où se retirent les galeres. C'est ce que les Italiens nomment darse. Les anciens appelloient un des trois ports Aphrodion, à cause du temple de Vénus, qui étoit tout proche ; ils nommoient le second Cantharon, à cause du héros Cantharus ; & le troisieme Zéna, parce qu'il étoit destiné à décharger du blé.
La premiere chose que nous fîmes en prenant terre, dit M. de la Guilletiere, ce fut de maudire les Romains & le barbare Sylla, qui, après avoir saccagé la ville d'Athènes, ruinerent aussi le Pirée. Nous vîmes donc avec un sensible déplaisir, la désolation & la solitude de Porto-Lione. Nous nous demandâmes l'un à l'autre des nouvelles des temples célebres de Jupiter, de Minerve & de Vénus ; de ces cinq portiques qui, ayant été joints l'un à l'autre, furent appellés Macra Stoa, à l'exemple d'un pareil qui étoit à Athènes, de ce théâtre de Bacchus, dont Thucydide & Xenophon ont parlé ; de cette grande place publique, appellée la place d'Hippodame, & de la fameuse bibliothèque du curieux Apollicon, où l'on trouvoit ces incomparables exemplaires que l'on ne connoît plus, que par le dénombrement qu'en a fait Diogene Laërce. Quelle perte, & quelle douleur pour les gens de lettres !
Nous nous demandions le tribunal phréattys, remarquable par la séance de ses juges, qui, dans les causes criminelles, se venoient placer sur le bord de la mer ; & par le privilege des coupables qui étoient montés sur un vaisseau quand on les interrogeoit.
Enfin, tous nous demandions ce superbe arsenal de marine, qui étoit un chef-d'oeuvre de l'inimitable architecte Philon, ces admirables couverts où l'on mettoit les galeres à l'abri : & il nous falloit bien faire ces questions l'un à l'autre, puisqu'il ne s'y trouve pas présentement un seul habitant.
Où est le tems où l'on voyoit partir de ce port jusqu'au nombre de quatre cent vaisseaux à la fois, & qu'un grand peuple d'un côté, & une infinité de matelots de l'autre, se crioient réciproquement en se quittant agati tuki, bonne aventure, euploia, bon voyage, pronoïa sozouza, que la providence nous conserve ! Que sont devenus, disions-nous, tant de thalassiarques ou chefs d'escadre & ces deux magistrats qu'ils nommoient apôtres, & que nous appellons intendans de la marine ? Enfin, où sont tous les triérarques ou riches bougeois, qui étoient obligés de bâtir & d'équiper à leurs dépens un certain nombre de vaisseaux à proportion de leurs richesses ?
Le Pirée a eu la gloire d'avoir vu dans l'enceinte de ses murailles quelques-unes des premieres écoles de philosophie qui aient été dans l'univers. Ce fut au Pirée qu'Antisthène forma la secte des Cyniques. On leur donna ce nom à cause du fauxbourg d'Athènes appellé Cynosarges, où les Cyniques vinrent s'établir en quittant le Pirée.
On voit au Pirée un beau lion de marbre, qui a donné le nom de Porto-Lione à ce fameux port. Le lion ouvre la gueule du côté de la mer. Il est représenté comme rugissant, & prêt à s'élancer sur les vaisseaux qui y mouillent. On voit encore le long du rivage quantité de grosses pierres de taille, employées autrefois aux murailles anciennes qui joignent le Pirée à la ville ; elles sont cubiques, & celles des fondemens sont jointes par des crampons de fer. C'est un ouvrage de fortification que les Athéniens firent faire pendant la guerre du Péloponnèse ; & ce vieux débris est une des plus grandes marques qui nous restent de la richesse, de la magnificence & de la sage précaution des anciens Athéniens. Mais ce qu'on voyoit autrefois de plus merveilleux dans la fortification du Pirée, c'étoit cette fameuse tour de bois que Sylla ne put jamais brûler, parce que le bois employé à sa construction, avoit été préparé avec une composition d'alun, que les flammes & les feux d'artifice ne pouvoient endommager ; le tems en est venu à-bout.
Le tombeau de Thémistocle qui bâtit le Pirée, étoit le long de la grande muraille ; on ne sait plus dans quel endroit ; car il faudroit être bien éclairé pour assurer que c'est un grand cercueil de pierres, qui est à environ cent pas du port, proche de quelques grottes taillées dans le roc.
A moitié chemin du Pirée à Athènes, il y a un puits entouré de quelques oliviers ; mais il est trop profond pour se persuader que ce soit la fontaine qui étoit près d'un petit temple dédié à Socrate. En un mot, il ne reste plus rien de la ville du Pirée, ni de ces beaux portiques décrits par Pausanias. Le seul bâtiment qu'on y trouve est une méchante halle bâtie par les Turcs pour recevoir les marchandises & les droits de la douanne.
Quoique l'entrée du Pirée soit étroite, desorte qu'à peine il pourroit y passer deux galeres à la fois, cependant quand on est dedans, il a bon fonds partout, si ce n'est dans un de ces enfoncemens qui étoit peut-être comme une darse pour les galeres, & qui est presque tout comblé. Il est de bonne tenue & bien fermé ; ce qui le rend plus considérable, c'est que quand même les vaisseaux seroient portés à terre par quelque tempête, ils ne se romproient pas, parce qu'il y a assez d'eau, & qu'il n'y a point de rochers & de brisans cachés : ce que l'on a vu par l'expérience de cinq vaisseaux anglois qui, dans le dernier siecle, eurent tous leurs cables rompus dans une nuit par une bourasque.
En revenant du Pirée à Athènes, on voit presque tout le long du chemin les fondemens de la muraille qui joignoit le Pirée à la ville, & qui fut détruite par Sylla. On l'appelloit macra-teichi, c'est-à-dire, les longues murailles ; car elles n'avoient pas moins de cinq milles de longueur, puisqu'il y en a autant depuis le port du Pirée jusqu'à Athènes.
Je rentre dans ce port pour y parler de son marché, où l'on trouvoit tant de denrées, qu'au rapport d'Isocrate, le Pirée seul en fournissoit plus de toute espece, que tous les autres ports de la Grece ensemble, n'en fournissoient d'une seule. Il y avoit dans ce port, outre cinq galeries couvertes, un lieu où l'on étaloit les marchandises, & qui par cette raison s'appelloit , comme qui dirait le lieu de la montre, de l'étalage. Les Athéniens tenoient au Pirée une garnison pour éloigner les corsaires, & pour obvier aux desordres. Divers magistrats y résidoient aussi afin d'y maintenir la police, l'ame du commerce, & de couper le chemin aux petits différends inévitables dans une foule d'acheteurs & de vendeurs. La bonne foi, par ce moyen, regnoit à tel point dans le Pirée, que selon Aristote, les habitans du fauxbourg avoient, contre la coutume, l'esprit plus doux & plus traitable que les habitans de la ville.
C'est au Pirée que se noya, l'an 293 avant J. C. à 52 ans, l'aimable Ménandre, disciple de Théophraste, célebre poëte comique, & l'un des plus beaux esprits de l'ancienne Grece. On le nomma le prince de la nouvelle comédie ; & tous les auteurs grecs & latins citent ses pieces avec éloge. Il composa 108 comédies, dont il ne nous reste çà & là que de courts fragmens, qui ont été recueillis par M. le Clerc. Plutarque préferoit les pieces de Ménandre à celles d'Aristophane, & vraisemblablement Térence pensoit de même.
J'ai déja indiqué d'où viennent les noms de Porto-draco & Porto-Lione donnés par les Grecs & par les Francs au Pirée ; ces deux noms viennent d'un beau lion de marbre de dix piés de haut, trois fois plus grand que nature, qui est sur le rivage au fond du port. Il est assis sur son derriere, la tête fort haute, percée par un trou qui répond à la gueule ; & à la marque d'un tuyau, qui monte le long du dos, on connoît qu'il servoit à une fontaine, comme celui qui est proche de la ville.
Pour éviter toute équivoque en géographie, je dois observer en finissant, que le mot Pirée, Piraeus, est encore le nom du peuple de la tribu Hippothoontide. Enfin Etienne le géographe appelle aussi Pirée le port de Corinthe ; & selon Plutarque Pyraeenses est le nom d'une bourgade de l'Attique dans la Mégardie(D.J.)
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PIRGO | (Géog. mod.) petite ville de l'île de Santorin, sur une terre d'où l'on découvre les deux mers, & les plus beaux vignobles : c'est la plus agréable de toute l'île. L'évêque du rit grec y fait sa résidence, ainsi que le cadi. (D.J.)
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PIRIFORME | adj. (Anat.) qui est en poire. Le premier des muscles abducteurs de la cuisse s'appelle le piriforme ou pyramidal, parce qu'il est en pyramide ou en poire. Il prend son origine à la partie supérieure & latérale de l'os sacrum, & à la partie latérale de l'os des îles, & va s'insérer dans une pente courte, qui est à la racine du grand trocanter.
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PIROGUE | S. f. c'est un bâtiment de mer dont se servent les Caraïbes & les Sauvages de la terre ferme. On voit des pirogues de trente-cinq à quarante piés, même plus de longueur, construites d'un seul arbre creusé, ayant sur les côtés deux longues planches assujetties & cousues avec de petites cordes, elles servent à exhausser de 12 à 14 pouces les bords de la pirogue, dont la figure approche de celle d'une navette ; sa largeur dans le milieu est d'environ 6 à 7 piés ; & sa profondeur à-peu-près de 4 & demi. Ce bâtiment dont les bords sont fort évasés, se termine en rond par-dessous ; la poupe en est plate & garnie d'un gouvernail, & le haut de la proue se trouve communément traversé d'un morceau de planche chargé d'une sculpture grossiere. Voyez OUARACABA. Pour maintenir l'évasement des bords, la pirogue est traversée de 4 piés en 4 piés par de gros bâtons bien assujettis à leurs extrémités au moyen de petites cordes ; c'est contre ces traverses que les Sauvages s'appuient lorsqu'ils rament, ayant le visage tourné vers la proue, & se servant de grandes palettes qu'ils appellent pagayes. S'ils veulent profiter du vent, ils attachent une petite voile quarrée à un bout de mât qu'ils plantent dans un embrevement fait exprès au milieu de la barque, & qu'ils assujettissent avec des cordes contre l'un des bâtons dont on a parlé. Les grandes pirogues de 40 à 45 piés, s'appellent bacassas, & les moyennes ainsi que les petites de 12 à 15 piés, conservent leur nom ; ces dernieres n'ont point d'euvage, c'est-à-dire que les bords n'en sont point exhaussés par des planches. Avec de semblables bâtimens les Sauvages traversent des détroits considérables, & affrontent les mers les plus orageuses.
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PIROLE | S. f. (Hist. nat. Bot.) pyrola ; genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Il sort du calice un pistil terminé par une sorte de trompe, qui devient dans la suite un fruit arrondi, strié : ce fruit a ordinairement un ombilic, il est divisé en cinq capsules, & il renferme des semences qui pour l'ordinaire sont petites. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
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PIRON | S. m. (Archit.) c'est une espece de gond debout, qui porte sur une couette, & est clouée sur le bourdin ou montant de derriere d'une grande porte. (D.J.)
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PIROUETTE | S. f. en terme de Danse, se dit d'un ou de plusieurs tours du corps que le danseur fait sur la pointe des piés sans changer de place.
PIROUETTE, en terme de Manege, se dit d'un tour ou d'une circonvolution que fait un cheval, sans changer de place ou de terrein.
Les pirouettes sont d'une piste, ou de deux pistes. On appelle pirouette d'une piste, le tour entier que fait un cheval en tournant court, d'une seule allure, & presque en un seul tems ; de maniere que sa tête vient à l'endroit où étoit sa queue, sans qu'il soit hors de ses hanches. Dans la pirouette à deux pistes, le cheval fait ce tour dans un terrein à-peu-près de sa longueur, qu'il marque tant de sa partie antérieure, que de sa partie postérieure. Voyez PISTE.
PIROUETTE, s. f. terme de Poupetier, morceau de métal ou de carton peinturé d'un côté, fait en forme de moule de bouton & percé par le milieu, au-travers duquel on passe un petit morceau de bois qu'on appelle bâton, & qui sert à faire tourner la pirouette. (D.J.)
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PIROUETTÉ | S. m. terme de Danse, c'est un pas qui se fait en place, c'est-à-dire qui ne va ni en avant ni en arriere ; mais sa propriété est de faire tourner le corps sur un pié ou sur les deux, comme sur un pivot, soit un quart de tour ou un demi-tour, selon que l'on croise le pié, ou que la figure de la danse le demande, ainsi :
Je suppose que l'on ait un pirouetté à faire du pié droit, & qu'on ne doive tourner qu'un quart de tour à la droite, il faut plier sur le gauche, le droit en l'air, & à mesure que le genou gauche se plie, la jambe droite en l'air marche en formant un demi-cercle. On pose ensuite la pointe du pié derriere la jambe gauche à la troisieme position, pour se relever sur les deux pointes, ce qui fait tourner un quart de tour ; au-lieu que si l'on veut tourner un demi-tour, il faut poser la pointe du pié plus croisé jusqu'à la cinquiéme position, ce qui fait qu'en s'élevant on tourne un demi-tour.
Il faut remarquer que lorsqu'on se releve, le pié qui a marché, & qui s'est posé derriere à la troisiéme ou cinquiéme position, de derriere qu'il étoit, le corps se tournant le fait changer de situation sans le faire changer de position, parce que le pié qui est derriere revient devant. Lorsqu'on s'éleve, le corps se tournant un quart ou un demi-tour, oblige les jambes par son mouvement de changer de situation pour se trouver dans l'équilibre, ce qui fait que le pié qui étoit derriere change de situation.
Mais lorsque l'on est élevé & que l'on a tourné le quart ou demi-tour, il faut poser le talon du pié où le corps est posé, afin d'être plus ferme pour en reprendre une autre. Ce pas est très-agréable lorsqu'il est fait avec soin.
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PIRUM | (Géog. anc.) ville de la Dace selon Ptolomée, liv. III. ch. viij. Elle étoit entre Phamidana & Zusidana. Quelques-uns croyent que c'est Pixendorf, bourg de la basse Autriche.
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PIS | S. m. (Gram.) mamelle de la vache, de la chevre, de la brebis, de la jument, &c.
PIS, (Boucherie) c'est la poitrine du boeuf, ce qui comprend la piéce tremblante ou le grumeau, les morceaux du tendron, les morceaux du milieu, ou les morceaux du flanchet.
PIS, adv. (Gram.) degré comparatif de mal adv. On disoit qu'il s'amendoit, mais je vois que c'est pis que jamais.
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PISAE | (Géog. anc.) Pissae, par Polybe, liv. II. c. xxviij. Ptolomée, liv. III. ch. j. Lycophron, vers 1241. mais toutes les inscriptions romaines portent Pisae ; ville d'Italie dans l'Etrurie près des Liguriens. La plupart des anciens écrivains, tant grecs que latins, en ont parlé. Pline, liv. III. ch. v. la place entre les fleuves Auser & Arnus. Elle avoit été fondée par les Pisaei, peuples du Péloponnèse, qui l'avoient nommée Alphée, du nom d'un fleuve de leur patrie ; c'est du moins ce que dit Virgile au X. liv. de l'Enéide, vers 179.
Alpheoe ab origine Pisae,
Urbs Etrusca solo.
On trouve la même chose dans Rutilius, itin. liv. I. vers 565.
Alpheoe veterem contemptor originis urbem
Quam cingunt geminis Arnus & Ausur aquis.
Il appelle Ausur le fleuve que Pline nomme Auser.
Pise eut le titre de colonie romaine, & elle a conservé son ancien nom : c'est aujourd'hui la ville de Pise. Voyez son article. (D.J.)
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PISAEUS | (Mythol.) surnom de Jupiter, pris de la ville de Pise en Elide, où il étoit particulierement honoré. Hercule faisant la guerre aux Eléens, prit & saccagea la ville d'Elis ; il préparoit le même traitement à ceux de Pise qui étoient alliés des Eléens ; mais il en fut détourné par un oracle, qui l'avertit que Jupiter protégeoit Pise : elle fut donc redevable de son salut au culte qu'elle rendoit à ce maître des dieux. (D.J.)
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PISAN | LE, (Géog. mod.) pays d'Italie dans la Toscane. Il est borné au nord par le Florentin & la république de Lucques, au midi par le Siennois, au levant par le Siennois encore, & par la mer au couchant. Il a 30 milles du nord au sud, & 50 du levant au couchant. C'est un très-bon pays ; Pise en est la capitale.
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PISATELLO | (Géog. mod.) petite riviere d'Italie dans la Romagne. Elle a sa source au pié de l'Apennin, & se rend dans la riviere Rigosa, environ à un mille de la côte du golfe de Venise. Léander croit que c'est le Rubicon des anciens. Voyez RUBICON.
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PISAURUM | (Géog. anc.) ville d'Italie appellée aujourd'hui Pesaro. Ptolomée, lib. III. c. j. qui la donne aux Semnones, la place entre Fanum fortunae & Ariminium. César, civ. lib. I. c. xj. se rendit maître de cette ville. Tite-Live, lib. XXXIX. c. xliv. Velleïus Paterculus, lib. I. c. xv. & d'anciennes inscriptions romaines lui donnent le titre de colonie.
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PISAURUS | (Géog. anc.) riviere d'Italie dans le Picenum. Elle donnoit le nom à la ville Pisaurum. Vibius Sequester dit qu'on la nommoit aussi Isaurus. En effet on lit dans Lucain, lib. II. vers 406 :
Crustumiumque rapax & juncto Sapis Isauro.
Mais peut-être la quantité a-t-elle obligé Lucain de dire Isauro pour Pisauro. Cette riviere s'appelle aujourd'hui la Foglia, selon Magin.
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PISCATORE | ou PESCADORES, (Géog. mod.) c'est-à-dire îles du pêcheur. M. Delisle ne marque qu'une île de ce nom dans sa carte des Indes & de la Chine ; mais Dampier dit que les Piscadores sont plusieurs grandes îles désertes, situées près de Formosa, entre cette île & la Chine, à environ 23 degrés de latitude septentrionale, & presque à la même élévation que le tropique du cancer. (D.J.)
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PISCENA | (Géog. anc.) ville de la Gaule narbonnoise, selon Pline, liv. IV. c. iv. sur quoi le P. Hardouin remarque que c'est présentement la ville de Pezenas au diocèse d'Agde.
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PISCES | (Astr.) nom latin de la constellation des poissons. Voyez POISSONS.
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PISCHINAMAAS | S. m. terme de relation, ministre de la religion mahométane en Perse, qui a soin de faire la priere dans les mosquées. On choisit ordinairement pour cette fonction des seüd-Emirs, c'est-à-dire, des descendans de Mahomet du côté paternel & maternel, ou des Chérifs, qui n'en descendent que par un côté.
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PISCHKIESCH | (Hist. mod.) c'est ainsi que les Turcs nomment la taxe ou le présent que chaque prince établi par la Porte ottomane, paye au grand-seigneur & à ses ministres.
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PISCINA | (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure, à un mille de la rive orientale du lac Celano.
C'est dans cette bourgade que naquit, le 14 Juillet 1602, Mazarini (Jules) qui devint cardinal, & premier ministre d'état en France. Il mourut à Vincennes le 9 Mars 1661, à 59 ans.
Voici ce qu'en dit M. de Voltaire. Le cardinal Mazarin ne fit de bien qu'à lui & à sa famille par rapport à lui. Huit années de puissance absolue ne furent marquées par aucun établissement glorieux ou utile ; car le collége des Quatre-Nations ne fut que l'effet de son testament. Il se donna toutes les grosses abbayes du royaume, ensorte qu'il étoit riche à sa mort, d'environ deux cent millions de notre monnoie actuelle ; & plusieurs mémoires disent qu'il en a amassé une partie par des moyens au-dessous de sa place. Etant près de mourir, il craignit pour ses biens, & il en fit au roi la donation, persuadé que le roi les lui rendroit, en quoi il ne se trompa pas.
Le seul monument qui fait honneur au cardinal Mazarin, est l'acquisition de l'Alsace. Il procura cette province à la France, dans le tems que la France étoit avec raison déchaînée contre lui ; & par une fatalité singuliere, il fit du bien au royaume, lorsqu'il y étoit persécuté, & n'en fit point dans le tems de sa grande puissance.
On le vit, dit un de nos écrivains, tranquille en agissant, souple & pliant sous l'orage, vain & orgueilleux dans le tems de son crédit ; habile à prévoir, songeant toujours à tromper ; insensible aux plaisanteries de la Fronde, méprisant les bravades du coadjuteur, & écoutant les murmures du peuple comme on écoute du rivage le bruit des flots de la mer.
Il y avoit dans le cardinal de Richelieu quelque chose de plus grand, de plus vaste & de moins concerté. C'étoit dans le cardinal Mazarin, plus d'adresse, plus d'artifices, & moins d'écarts. Richelieu étoit un implacable ennemi, & Mazarin un ami dangereux. On haïssoit l'un, & l'on se mocquoit de l'autre ; mais tous deux furent les maîtres de l'état ; tous deux ennemis déclarés des princes du sang : enfin tous deux fils de la fortune & de la politique, étalant un faste égal à celui des rois, opprimerent indignement les citoyens & la patrie. (D.J.)
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PISCINE | S. m. (Hist. anc.) chez les anciens, c'étoit un grand bassin dans une place publique & découverte ou un grand quarré où la jeunesse romaine apprenoit à nager. Elle étoit entourée d'une haute muraille, pour empêcher que l'on n'y jettât des ordures. Voyez NAGE ou NAGER.
Ce mot est formé du latin piscis, poisson, à cause qu'en cet endroit les hommes en nageant, imitoient les poissons ; & parce qu'il y avoit aussi quelques-unes de ces piscines où l'on conservoit anciennement du poisson.
Piscine se disoit aussi du bassin quarré qui étoit au milieu d'un bain. Voyez BAIN.
Piscine probatique, piscina probatica, c'étoit un étang ou un reservoir d'eau proche le parvis du temple de Salomon. Elle est ainsi appellée du grec , brebis ou mouton, parce que l'on y lavoit le bétail destiné aux sacrifices. Voyez SACRIFICE.
Jesus-Christ se servit de cette piscine pour opérer la guérison miraculeuse du paralytique. Daviler observe qu'il reste encore cinq arches du portique, & d'une partie du bassin de cette piscine. Doubdan dans son Voyage de la Terre sainte, dit qu'elle étoit enfoncée dans terre de deux piques de profondeur, & d'environ cinquante de longueur sur quarante de largeur ; que les quatre côtés sont revêtus de pierres de tuile fort bien cimentées ; qu'on voit encore les degrés par où l'on y descendoit ; mais que le fond en est à sec & rempli d'herbes.
Piscine ou lavoir chez les Turcs, c'est un grand bassin au milieu de la cour d'une mosquée, ou sous les portiques qui l'environnent. Voyez MOSQUEE.
Sa forme est ordinairement un quarré long, bâti de pierre ou de marbre, où il y a un grand nombre de robinets. Les Musulmans s'y lavent avant que d'offrir leurs prieres à Dieu, étant persuadés que cette ablution efface leurs péchés. Voyez ABLUTION.
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PISCO | (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale au Perou dans l'audience de Lima, à un quart de lieue de la mer. Il y avoit jadis près de ce port, une ville célebre située sur le rivage de la mer ; mais elle fut entierement ruinée par un furieux tremblement de terre, qui arriva le 19 d'Octobre de l'année 1682. Depuis ce tems-là, on a bâti la ville dans un lieu où le débordement ne parvient pas. Les habitans au nombre d'environ deux cent familles, sont un composé de metifs, de mulâtres, de noirs & de quelques blancs ; cependant les campagnes de Pisco produisent d'excellens vins en abondance, ainsi que des fruits merveilleux, ensorte que Pisco est un des plus beaux endroits de toute la côte du Pérou. La rade est d'une grandeur à pouvoir contenir une armée navale, & on y est à couvert des vents ordinaires. On mouille ordinairement à Paraca, qui est à deux lieues de distance, parce que la mer est trop basse au rivage de Pisco. Long. 302. latit. mérid. 14.
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PISCOPI | (Géog. mod.) île de l'Archipel, entre celle de Stanchio, & celle de Rhodes. C'est la Taluo de Pline, & la Telos de Strabon. Voyez TELOS.
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PISE | (Géog. mod.) ville d'Italie en Toscane, sur la riviere d'Arno, dans une plaine unie. Cette ville très-ancienne a été la capitale d'une république qui se rendit fameuse par ses conquêtes en Afrique, & dans la Méditerranée, où elle s'étoit emparée sur les Sarrazins des îles Baléares, de Corse & de Sardaigne. Son port situé à cinq milles de l'embouchure de l'Arno dans la mer, étoit un lieu d'un très-grand commerce.
Elle formoit au treizieme & quatorzieme siecle, une république florissante, qui mettoit en mer des flottes aussi considérables que celles de Gènes ; mais les Florentins assiégerent la ville de Pise, & la prirent en 1406. De ville libre qu'elle étoit, elle devint sujette, & n'a pu se relever depuis. Toutes ses rues tirées au cordeau, sont couvertes d'herbes : elles contiennent à peine quinze mille ames ; & cent mille habitans ne suffiroient pas pour les remplir.
L'évêché de cette ville fut érigé en métropole à la fin du onzieme siecle. La cathédrale est belle, quoique bâtie à l'antique. L'université fondée en 1339, a peu d'étudians. Pise est, à la vérité, le chef-lieu de l'ordre des chevaliers de S. Etienne, institué en 1561, mais cet ordre ne lui donne aucun lustre. Il s'est tenu dans cette ville deux conciles qui ne lui ont pas été avantageux ; l'un en 1409, & l'autre en 1511.
Elle est séparée en deux par l'Arno qu'on passe sur trois ponts, dont l'un est de marbre blanc. Ses fortifications sont mauvaises : sa situation est à 3 milles de la mer, 14 de Livourne, 12 sud-ouest de Lucques, 45 ouest de Florence. Long. (suivant Cassini) 27. 52. 30. latit. 43. 42.
Le lecteur peut consulter sur Pise, l'ouvrage de Pietro Cardosi, intitulé Memorie della gloria di Pisa, ainsi que les bibliographes, sur les gens de lettres qui sont nés dans cette ville : je ne parlerai que d'un seul nommé Albizzi ou Barthélemi de Pise, parce qu'il fit en cette ville profession dans l'ordre de S. François, où il fleurissoit vers l'an 1380. Un de ses écrits, d'un caractere extrêmement singulier, & sans lequel il seroit sans doute demeuré dans l'obscurité la plus profonde, l'a rendu l'un des auteurs les plus connus de ces derniers siecles. Ce sont les fameuses Conformités de la vie de saint François avec celle de J. C. qu'il composa en 1389, & qu'il présenta au chapitre général de son ordre assemblé à Assise en 1399. Il en reçut non-seulement une approbation universelle, mais même la récompense la plus glorieuse à laquelle un homme de son état pût jamais s'attendre ; on lui donna l'habit complet que saint François avoit porté pendant sa vie.
Le livre des Conformités fut imprimé diverses fois dans le xv. & xvj. siecle, & ces sortes d'éditions sont d'une rareté extrême. L'on conserve précieusement le manuscrit de cet ouvrage dans la bibliotheque du duc d'Urbin.
La premiere édition est de Venise, mais sans indication d'imprimeur, de date ni de format : on sait cependant qu'elle est in-folio, & il y en a un exemplaire dans la bibliotheque de l'empereur.
La seconde & la troisieme édition ne sont qu'un abrégé de l'ouvrage intitulé li Fioretti di san Francisco assimilati alla vita & alla passione di nostro Signore, toutes les deux imprimées à Venise, l'une en 1480, & l'autre en 1484, in-4°.
La quatrieme édition intitulée Opus aureae & inexplicabilis bonitatis & continentiae conformitatum vitae beati Francisci ad vitam Domini nostri Jesu Christi, &c. a été faite à Milan en 1510, in-folio, elle est précédée d'une préface de François Zeni, vicaire général des Franciscains italiens.
La cinquieme édition portant le même titre, a été donnée par Jean Mapelli, franciscain, & a paru de même à Milan en 1513, in-folio. Cette édition ne differe en rien de la précédente. Aux titres de ces deux dernieres éditions, l'on voit les armes des Franciscains, au bras nud de Jesus-Christ, & au bras vêtu & stigmatisé de saint François, passés en sautoir, & traversés d'une grande croix posée en pal, & surmontée de son écriteau J. N. R. J. On a même remarqué que dans ces armoiries, le bras de S. François occupe la place d'honneur, & que celui de Jesus-Christ est au-dessous.
Dès que les esprits commencerent à s'éclairer, on déclama fortement contre les superstitions, les impertinences & les impiétés dont cet ouvrage étoit rempli. La premiere réfutation qui s'en fit, parut d'abord en Allemagne, sans nom de ville ni d'imprimeur, mais en 1511, sous le titre de Der Barfusser Munch Eleuspiegel und alcoran, avec une préface de Luther. Cette réfutation est d'un ministre luthérien du pays de Brandebourg, nommé Erasme Albere. Elle reparut de nouveau à Wittemberg en 1542, in-4°. & 1614, in-8°.
Cette premiere réfutation a été paraphrasée en latin, & imprimée sous divers titres : 1°. Alcoranus Franciscanorum, seu blasphemiarum & nugarum lerna, de stigmatisato idolo quod Franciscum vocant ex libro Conformitatum, &c. Francofurdiae, 1542, in-8°. 2°. Alcoranus Franciscanorum, sive Epitome praecipuas fabulas & blasphemias complectens, eorum qui beatum Franciscum ipsi Christo aequare ausi sunt, idque cum salubri antidoto ; Genevae, 1578, in-8°.
Conrad Badius, imprimeur de Genève, mit en françois cette réfutation, & la publia sous ce titre l'Alcoran des Cordeliers, tant en latin qu'en françois, à Genève, 1556. in-12. Il y joignit bien-tôt après un second livre, & le tout parut dans son imprimerie en 1560 en deux volumes in-12. La troisieme édition vit aussi le jour à Genève en 1578 ; & a été réimprimée dans la même ville en 1644 & 1664, in-8°. Enfin il en parut une édition nouvelle à Amsterdam en 1734 en 2 vol. in-12. avec de fort jolies figures imaginées par le célébre Bernard Picart, & gravées sous sa direction. Je ne parle pas ici des traductions latines & flamandes : ce détail me meneroit trop loin.
La seconde réfutation des Conformités a été faite en Italie, par Pietro Paolo Vergerio ; & ce fut de purs motifs de religion qui l'engagerent à cet ouvrage ; cependant sa réfutation fut flétrie, & sa personne mise au nombre des hérétiques.
Je laisse à part la réfutation des Conformités par Osiander, par Volfius, ainsi que celle qui se trouve dans la légende dorée ; il me suffit de dire qu'entre tous les auteurs catholiques & protestans qui se sont attachés à refuter les Conformités, personne ne s'en est plus agréablement & plus solidement acquité que le savant & ingénieux Bayle, dans les remarques de son article de saint François d'Assise.
Il est vrai que les Franciscains éclairés ont tâché de supprimer les éditions des Conformités, autant qu'il étoit possible, & à en donner de nouvelles éditions différentes ; mais quelques auteurs franciscains ne sentant pas le tort que cet ouvrage leur faisoit, n'ont pu résister à la tentation de le produire de tems en tems, sous quelque nouvelle face. Tel est l'ouvrage intitulé, Prodigium naturae, & gratiae portentum, hoc est, seraphici patris Francisci, vitae acta, à Petro de Alva & Astarga, imprimé à Madrid en 1551, in-folio.
On sait l'histoire du P. le Franc, gardien des Cordeliers de la ville de Rheims, & docteur en Théologie de la faculté de Paris : voulant rendre son nom recommandable à la postérité, il fit graver ces paroles en lettres d'or sur une table de marbre, au haut du frontispice du portail des Cordeliers de Rheims : Deo-homini & beato Francisco utrique crucifixo. Cette inscription causa un scandale si général, que M. l'archevêque de Rheims lui commanda de l'ôter au plutôt ; & cet ordre fut accablant pour un homme qui s'imaginoit avoir parfaitement bien rencontré.
Je crois qu'il en étoit de même de Barthélemi de Pise. Ce bon homme n'avoit eu pour but que de relever fortement la gloire & l'excellence de son patriarche ; il reçut avec des larmes de joie l'approbation du chapitre général des Franciscains, datée du 2 Août 1399, & il ne s'imagina point qu'un ouvrage si nettement approuvé, attireroit tant à lui qu'à son ordre, le mortifiant reproche d'impiété & de blasphème. Il ne jouit pas long-tems des applaudissemens & de la récompense que lui avoit valu son ouvrage ; car deux ans après il mourut extrêmement âgé dans le couvent de Pise, le 10 Décembre 1401. (D.J.)
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PISIDIE | Pisidia, (Géog. anc.) contrée d'Asie, renfermée entre la Lydie, la Phrygie, la Pamphylie, & la Carie. C'étoit un pays situé dans les montagnes pour la plus grande partie, & qui comprenoit l'extrémité occidentale du mont Taurus, selon Pline, l. V. e. xxvij. & selon Strabon, l. XII. Les écrivains varient sur ses limites ; mais soit que la Pisidie ait été à l'extrémité du Taurus, comme le veulent quelques-uns, soit qu'elle ait occupé, selon d'autres, une partie considérable de cette montagne, il est certain qu'elle ne s'étendoit pas au-delà du Taurus. (D.J.)
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PISIFORME | adj. (Anat.) nom de deux os qui ont à-peu-près la forme d'un pois, dont l'un appartient à l'organe de l'ouie, & se nomme aussi orbiculaire, ou lenticulaire ; & l'autre est un des huit du carpe. Voyez OREILLE & CARPE.
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PISOLITE | S. f. (Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à une pierre qui semble composée d'un amas de petits corps globuleux de la grosseur d'un pois. Voyez OOLITES.
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PISONE | S. f. pisonia, (Hist. nat. Bot.) est un genre de plante à fleur monopétale en forme de cloche & profondément découpée. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit oblong anguleux, qui s'ouvre en cinq parties du haut en-bas, & qui renferme une semence le plus souvent oblongue. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.
Ce genre de plante produit séparément des fleurs mâles & femelles : dans la fleur mâle le calice est droit, très-petit, & divisé en cinq parties. La fleur est en forme d'entonnoir, dont le tuyau est court, & la bouche très-évasée ; elle est légerement divisée en cinq segmens, & demeure ouverte ; les étamines sont cinq filets pointus, plus longs que la fleur ; leurs sommités sont simples. Dans la fleur femelle, le calice est le même que dans la fleur male, excepté qu'il est attaché au germe : cette fleur est aussi faite comme la fleur male ; il s'éleve du germe un stile simple, droit, cylindrique, plus long que la fleur, couronné de cinq stigmats oblongs : le fruit est une capsule ovale composée de cinq loges ; mais qui ne forment intérieurement qu'une cavité ; la graine est unique, lisse, & de figure ovale ou oblongue. Linnaei, gen. plant. p. 474. Plum. gen. 11. Houston, 13. Vaillant, act. germ. (D.J.)
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PISONIS-VILLA | (Géog. anc.) maison de plaisance en Italie, près de la ville de Bayes. Tacite, Annal. l. XV. c. lij. dit que Néron s'y plaisoit beaucoup, & s'y rendoit fréquemment. Ortelius croit que ce lieu se nomme aujourd'hui Truglio. (D.J.)
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PISSASPHALTE | S. m. (Histoire naturelle) C'est un bitume naturel & solide, que l'on trouve dans les monts Cérauniens d'Apollonie : il est d'une nature moyenne entre la poix & l'asphalte. Voyez BITUME.
Ce mot est composé de , poix, & d', bitume.
Pissasphalte, est aussi un nom que l'on donne à une substance factice, composée de poix & d'asphalte ou de bitume judaïque, bitumen judaïcum. Voyez ASPHALTE.
La grossiereté de sa couleur noire, & son odeur puante, le distinguent du véritable asphalte.
Quelques écrivains se servent aussi du mot pissasphalte, pour exprimer la poix juive ou le simple asphalte.
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PISSAT | S. m. urine, voyez URINE.
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PISSELAEUM | S. m. (Mat. médic. des anciens) , huile de poix, de , & , huile. Dioscoride dit qu'elle servoit à guérir la galle & les ulceres des bêtes à corne. On retiroit une huile de la poix tandis qu'elle bouilloit, en étendant dessus de la laine qui absorboit la vapeur qui s'en élevoit, & qu'on exprimoit ensuite dans un autre vaisseau : ce qu'on réitéroit plusieurs fois. Ray soupçonne que le pissinum de Pline, est la même chose que le pisselaeum des Grecs ; mais d'autres critiques prétendent que le pissinum des Latins étoit tiré du cedre. (D.J.)
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PISSEMENT | PISSEMENT
Le sang peut passer par des vaisseaux trop dilatés ; & quand il est intimement mêlé à l'urine, il n'est guere possible de le distinguer de l'urine sanguinolente ; mais quand les vaisseaux sont une fois rompus, le sang est moins mêlé à l'urine, & est par conséquent plus pur. Le sang qui vient directement de l'urethre ou des corps spongieux, coule quelquefois sans qu'on rende d'urine ; mais c'est en petite quantité.
Si dans les jeunes gens pléthoriques, dans la mutilation de quelque membre, dans l'hémorrhagie, les hémorrhoïdes, la suppression des vuidanges ou des menstrues, la pléthore est suivie d'un pissement de sang, il est ordinairement salutaire, & la saignée suffit pour l'arrêter.
Mais celui qui doit sa naissance à quelque mouvement d'irritation particuliere, produit dans les reins, par l'abus des diurétiques, des emménagogues, est à craindre : & dans ce cas il faut avoir recours aux délayans, aux mucilagineux, aux huileux, pris abondamment.
Dans le cas d'une circulation générale qui devient plus grande lorsqu'on a fait beaucoup d'exercice, qu'on est allé à cheval, qu'on a élevé un poids considérable, ou qui est une suite d'une fievre aiguë, ardente, du trop grand usage des échauffans, des spiritueux, des aromates, d'autres corps âcres, de la colere, ou de toute passion de l'ame, & qui produit un pissement de sang ; il convient d'employer les rafraîchissans anodins.
Quant au sang trop dissous presqu' incoërcible dans les maladies chroniques, le catharre, le scorbut, l'acrimonie, & les autres colliquations des humeurs accompagnées du relâchement des solides ; il le faut épaissir à la faveur des corroborans doués d'acrimonie particuliere & convenable.
Le pissement de sang qui survient dans les fievres malignes, pestilentielles, putrides, dans les pétéchies, ou lorsque la petite vérole, la rougeole, la pleurésie, l'érésipele, ou l'inflammation, ont dégénéré en corruption, est un accident dangereux ; on tâchera de l'arrêter par les antiseptiques combinés avec les incrassans.
Le calcul attaché aux reins ou à la vessie, & qui par son aspérité, blesse les vaisseaux, ne permet pas l'usage des forts diurétiques ; mais pour procurer la sortie de cette pierre, il faut employer les boissons adoucissantes, oléagineuses, les mucilagineux, les savonneux, & les anodins. Dès qu'on a eu le bonheur de faire sortir ce corps étranger, le pissement de sang s'arrête ordinairement de lui-même ; ou bien on réussit à le faire cesser, en ajoutant les consolidans aux remedes dont on vient de parler.
Enfin, le pissement de sang qui arrive après les blessures, les contusions, & les corrosions de ces parties, ne peut trouver sa guérison, que dans le traitement propre à ces maladies.
Outre les accidens généraux qui sont une suite de toutes sortes d'hémorrhagies, la concrétion du sang arrête quelquefois l'écoulement de l'urine, laisse un ulcere dans les reins ou la vessie, & cause ensuite une urine purulente. (D.J.)
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PISSENLIT | S. m. (Botan.) nom vulgaire de la principale espece du genre de plante nommé par Tournefort dens leonis, dent de lion, & dont on a indiqué les caracteres sous ce dernier mot.
Sa racine est environ de la grosseur du petit doigt, & laiteuse. Ses feuilles sont oblongues, pointues, découpées profondement des deux côtés, comme celles de la chicorée sauvage, mais plus lisses, & couchées sur terre. Elle n'a point de tige, mais des pédicules nuds, fistuleux, longs d'une palme & plus ; rougeâtres, quelquefois velus, & garnis d'un duvet qui s'enleve aisément. Chacun de ses pédicules porte une fleur composée de demi-fleurons, évasés, jaunes, renfermés dans un calice poli, découpés en plusieurs parties, dont la base est garnie de quatre ou cinq feuilles verdâtres, réfléchies.
Chaque fleuron est porté sur un embryon, qui lorsque le calice s'ouvre & se réfléchit sur le pédicule, se change en une semence rousse, ou citrine, garnie d'aigrette. Ces semences tombent, quand elles sont mûres, & elles sont emportées par le vent ; la couche sur laquelle elles étoient, reste nue ; & c'est une pellicule poreuse. Cette plante est très-commune ; on la cultive dans les jardins : toutes ses parties sont ameres, & remplies d'un suc laiteux. (D.J.)
PISSENLIT, (Mat. méd.) les vertus de cette plante sont absolument les mêmes que celles de la chicorée sauvage, & on les employe aussi aux mêmes usages, & l'une au lieu de l'autre. La chicorée sauvage est cependant le médicament principal dans l'usage ordinaire, & le pissenlit est le succédanée. Au reste, cette ressemblance est non-seulement établie sur l'observation des propriétés médicamenteuses de l'une & de l'autre plante, mais même sur leur nature ou composition chymique : ensorte que tout ce que nous avons dit de la chicorée sauvage convient entierement au pissenlit. Voyez les articles CHICOREE SAUVAGE, Mat. méd. & CHICOREE SAUVAGE, Diete. Le pissenlit entre dans l'apozème officinal appellé communément bouillon rouge, & dans le syrop de chicorée composé de Charas.
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PISSEROS | S. m. (Pharm. anc.) cérat composé de cire fondue, d'huile rosat & de poix, mêlés en proportion convenable pour former une consistance d'onguent ; Hippocrate recommande celui-ci en plusieurs cas, comme dans les brûlures & les plaies récentes ; il paroît que cette espece de cérat est de la nature du basilicon noir des modernes, qui passe en effet pour un très-bon emplâtre en diverses occasions.
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PISSITES | (Mat. méd. des anciens) , c'est-à-dire vin de poix. Il se faisoit avec du goudron & du moût. On lavoit d'abord le goudron dans de l'eau de la mer ou de la saumure jusqu'à ce qu'il fût blanchi ; après cela on le relavoit avec de l'eau douce, on mettoit ensuite sur huit conges de moût une once ou deux de goudron ; on les laissoit fermenter & reposer, enfin on soutiroit la liqueur & on la mettoit dans des vaisseaux. Dioscoride, l. V. c. xlvj. en fait un grand éloge pour les maladies chroniques des visceres qui ne sont point accompagnées de fievre.
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PISSOTTE | S. f. (Lessiverie, Salpêtr.) petite cannule de bois que l'on met au-bas d'un cuvier à lessive, pour donner passage à l'eau que l'on jette de tems en tems sur les cendres qui sont enfermées dans le charrier.
Dans les atteliers où se fabrique le salpêtre, les cuviers où se font les lessives des terres propres à en tirer ce minéral, ont aussi leur pissotte ; elle se place ordinairement dans le bas du cuvier à deux ou trois doigts du sable, avec deux billots de bois aux deux côtés en-dedans, pour soutenir le faux-fond du bas sur lequel se mettent les cendres & les terres dont les cuviers se remplissent ; c'est au-dessous de la pissotte que l'on met les recettes. Savary. (D.J.)
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PISSYRUS | (Géog. anc.) ville de la Thrace ; il y avoit dans cette ville, selon Hérodote, l. VII. n °. 109. un lac de presque trente stades de circuit, très-poissonneux, & dont l'eau étoit extrêmement salée. Les meilleures éditions portent Pystirus au lieu de Pissyrus.
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PISTACHE | S. f. (Botan.) on sait que c'est le fruit du pistachier ; les pistaches s'appellent en latin pistacia, en grec dans Dioscoride , & par les Arabes pastech.
Ce sont des fruits ou des petites noix, de la grosseur & de la figure des avelines, oblongues, anguleuses, élevées d'un côté, applaties de l'autre, pointues & marquées d'un côté. Elles ont deux écorces ; l'extérieure est membraneuse, aride, mince, fragile, d'abord de couleur verte, ensuite rousse ; l'intérieure est ligneuse, pliante, cassante, légere, blanche ; elles renferment une amande d'un verd-pâle, grasse, huileuse, un peu amere, douce cependant & agréable au goût, couverte d'une pellicule rouge ; on doit choisir celles qui sont bonnes, récentes, pleines & mûres.
Herman fait mention de deux sortes de pistaches, savoir les grandes & les petites. On nous apporte communément les grandes ; les petites sont moins connues & plus savoureuses ; elles viennent de Perse.
Ce fut Lucius Vitellius, gouverneur de Syrie, qui apporta le premier des pistaches en Italie sur la fin du regne de Tibere. (D.J.)
PISTACHE, (Mat. médic.) fruit du pistachier. Ces fruits renferment une amande ou semence émulsive, d'un goût agréable, & qui passe pour fournir une nourriture très-abondante & assez salutaire, & pour être propre par ses qualités à rétablir promptement les personnes amaigries par des maladies, à augmenter le lait & la semence, à adoucir les humeurs dans la phtisie, la toux, les dispositions à la colique néphrétique, &c.
Ces éloges sont un peu outrés. Il est vrai cependant que les pistaches tiennent un rang distingué parmi les semences émulsives considérées comme aliment, voyez SEMENCES EMULSIVES ; & que les dragées, les tartes, &c. qu'on en prépare fournissent un aliment assez doux, qui n'est pas malsain, & qui paroît solliciter l'appétit vénérien.
Quant à l'usage qu'on en fait pour les émulsions, il n'y a rien de particulier. Voyez EMULSION. L'huile qu'on peut en retirer par expression est fort douce, mais elle est fort peu usitée, parce qu'on a reconnu que l'huile d'amandes douces, qui coute beaucoup moins, est tout aussi bonne.
Les pistaches entrent dans le looch verd de la pharmacopée de Paris, & dans le sirop de tortue résomptif. (b)
PISTACHE, (Botan. exot.) fruit de la plante arachidnoïde d'Amérique, nommée dans le pays manobi. Voyez MANOBI, Botan. exot. (D.J.)
PISTACHES, les Confiseurs appellent de ce nom un ouvrage qu'ils font en forme de dragées extrêmement petites, dont le fond est de la graine de pistache d'où cet ouvrage tire son nom.
PISTACHES EN SURTOUT, les Confiseurs donnent ce nom à des pistaches cassées & mises à la praline, & trempées dans une composition faite d'un oeuf battu, & brouillé avec de l'eau de fleur d'orange.
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PISTACHIER | S. m. (Botan.) arbre qui porte les pistaches ; il s'appelle terebinthus indica dans Théophraste ; pistacia dans J. B. 1. 275 ; & pistacia peregrina fructu racemoso, sive terebinthus indica Theophr. dans C. B. p. 401.
Son tronc est épais ; ses branches sont étendues, couvertes d'une écorce cendrée ; elles donnent naissance à des feuilles qui sont rangées sur de longues côtes & disposées par paires, de maniere cependant qu'elles ne se trouvent pas placées exactement vis-à-vis les unes des autres. L'extrémité de ces côtes est terminée par une seule feuille : elles sont tantôt arrondies, tantôt finissant en pointe, garnies de nervures, & semblables aux feuilles de térébinthe, mais plus grandes.
Il y a des pistachiers qui portent des fleurs mâles, d'autres des fleurs femelles ; les fleurs mâles sont ramassées en une espece de chaton peu serré, & en maniere de grappes ; chaque fleur est garnie d'une petite écaille ; ces fleurs ont un calice propre, découpé en cinq parties, & cinq étamines très-petites qui portent chacune un long sommet droit, ovalaire, & quadrangulaire. Les fleurs femelles n'ont point de pétales ; leur calice est très-petit, partagé en trois parties, & soutient un gros embryon ovalaire, chargé de trois stiles recourbés dont les stigmates sont un peu gros & velus. L'embryon se change en une baie ovoïde qui a peu de suc, & qui contient une amande lisse, semblablement ovalaire.
Cet arbre croît dans la Perse, l'Arabie, la Syrie & dans les Indes. On le cultive aussi en Italie, en Sicile & dans les provinces méridionales de la France.
Le pistachier mâle est distingué du pistachier femelle par ses feuilles qui sont plus petites, un peu plus longues, émoussées & souvent partagées en trois lobes, d'un verd foncé, au lieu que dans le pistachier femelle les feuilles sont plus grandes, plus fermes, plus arrondies & partagées le plus souvent en cinq lobes.
Comme les pistachiers mâles naissent souvent dans des lieux éloignés des pistachiers femelles, on rend ceux-ci féconds comme les palmiers, ce qui se fait de la maniere suivante : les paysans cueillent les chatons des fleurs du pistachier mâle, lorsqu'ils sont sur le point de s'ouvrir ; ils les mettent dans un vaisseau environné de terre mouillée ; ils attachent ce vaisseau à une branche du pistachier femelle jusqu'à ce que les fleurs soient seches, afin que la fine poussiere qui féconde soit dispersée par le moyen du vent, & qu'elle donne la fécondité aux fleurs femelles.
D'autres cueillent les fleurs mâles & les renferment dans un petit sac pour les faire sécher, & ils en répandent la poussiere sur les fleurs du pistachier femelle à mesure qu'ils épanouissent. Il faut cueillir les fleurs mâles avant qu'elles s'ouvrent, de peur qu'elles ne jettent mal-à-propos leur poussiere féconde, & que les fruits du pistachier femelle n'avortent par ce défaut de fécondation. Si les pistachiers mâles & femelles ne sont pas éloignés les uns des autres, le vent suffit pour procurer la fécondité aux pistachiers mâles. (D.J.)
PISTACHIER, (Mat. méd.) les feuilles de cet arbre entrent dans l'emplâtre diabotanum.
PISTACHIER sauvage, (Botan.) nom vulgaire & ridicule de l'arbrisseau nommé par les Botanistes staphylodendron.
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PISTAS | (Géog. du moyen âge) lieu en France, situé sur les bords de la Seine, auprès du Pont-de-l'Arche, à l'embouchure des rivieres d'Eure & d'Andelle. Cet endroit est le même que celui qui est aujourd'hui appellé Pistrées, & qui est à trois lieues audessus de Rouen. Charles le Chauve y fit bâtir une forteresse pour fermer à cet endroit le passage de la Seine aux Normands. Il a été long-tems une place d'armes contre les Normands. Charles le Chauve y assembla un parlement en 862. (D.J.)
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PISTE | S. f. (Gramm.) c'est en général la trace que laisse un animal sur le chemin qu'il a suivi ; il se dit au simple & au figuré, il suit les anciens à la piste.
PISTE, en terme de Manege, est la marque que le cheval trace sur le chemin où il passe.
La piste d'un cheval peut être simple ou double.
Si le cavalier ne fait aller que le galop ordinaire en tournant dans un cercle, ou plutôt dans un quarré, il ne marquera qu'une seule piste ; mais s'il le fait galoper les hanches en-dedans, ou aller terre-à-terre, il marquera deux pistes, l'une par le train de devant, & l'autre par le train de derriere. Ce sera la même chose, si le cavalier le fait passeger de côté ou aller de travers, dans une ligne droite ou sur un cercle.
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PISTIA | S. f. (Botan.) nom donné par Linnaeus au genre de plante qui est appellé kodda-pail par le P. Plumier, & les auteurs de l'hortus malabaricus. En voici les caracteres : il n'y a point de calice ; la fleur est formée d'un seul pétale inégal, fait en capuchon contourné, avec une seule levre oblique, longue, courbée & pliée sur les côtés. Il n'y a point aussi d'étamines, mais six bossettes doubles adhérant au pistil sous le stigma. Le germe du pistil est d'une figure ovale, allongée ; le stile est plus court que la fleur ; le stigma est divisé obtusément en six segmens ; le fruit est une capsule ovale, contenant six loges ; les graines sont tronquées ; ce genre de plante approche beaucoup de celui des aristoloches. Linnaei, gen. plant. p. 438. Plumier, 39. (D.J.)
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PISTICCIO | (Géogr. mod.) petite ville ruinée d'Italie au royaume de Naples, dans la Basilicate, entre les rivieres Basiento & Salandrella. Cette ville a été tellement endommagée en 1688 par un tremblement de terre, qu'elle ne s'est pas relevée depuis.
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PISTIL | S. m. (Botan.) les Botanistes nomment pistil la partie de certaines fleurs qui en occupe ordinairement le centre, & qui par conséquent est toujours renfermé dans la fleur, ainsi qu'on peut le voir dans la couronne impériale, dans le lis, dans le pavot, &c. Le nom de pistil est tiré du latin pistillum, qui veut dire un pilon ; car quoique la figure des pistils des fleurs ne soit pas déterminée & qu'il s'en trouve d'une figure fort différente de celle d'un pilon, il est pourtant certain que le plus grand nombre des pistils approche plus de la figure d'un pilon que toute autre chose. Malpighi a nommé cette partie stylus, à cause qu'elle finit ordinairement en pointe, comme l'aiguille avec laquelle les anciens écrivoient sur des tablettes enduites de cire. Mais, pour dire quelque chose de plus important, le pistil est l'organe femelle de la génération dans les fleurs. Il est composé de trois parties ; le germe, le stile & le stigma. Le germe tient dans les plantes la place de l'uterus ; quoique sa forme soit diversifiée, il est toujours situé au fond du pistil, & contient les graines de l'embryon. Le stile est une partie diversement figurée, mais toujours placée sur le germe ; quelquefois il est très-court, & d'autres fois il paroît manquer absolument. Le stigma est aussi d'une forme variée, mais sa place est constante ; car il est toujours placé sur le sommet du stile, & au défaut du stile sur le haut du germe. (D.J.)
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PISTIS | (Mat. méd. des anciens) nom donné par les anciens à la gomme bdellium, mais particulierement à celle qu'on tiroit d'Arabie, & qui étoit d'un blanc citrin, tantôt en petites larmes, tantôt en masses de forme ronde, & de consistance solide.
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PISTOIE | (Géog. mod.) en latin Pistoria, ville d'Italie, dans la Toscane, avec un évêché suffragant de Florence. Elle est munie de bastions sans garnison. C'étoit autrefois une république qui perdit sa liberté en même tems que Pise. Ses belles rues sont sans habitans. Sa situation est au pié de l'Apennin, proche la riviere de Stella, dans un des plus beaux quartiers de la Toscane, à 30 milles N. E. de Pise, entre Lucques & Florence, à 21 milles de chacune de ces deux villes. Long. 28. 30. lat. 43. 55.
Elle a donné la naissance à quelques hommes dont je dois dire un mot.
Bracciolini, (François) poëte que le pape Urbain VIII. combla d'honnêtetés. On ne conçoit pas combien grande étoit, je ne dis pas l'excellence, mais la fécondité de sa veine. Pour en citer un exemple, son poëme de la Croix reconquise contient trente-cinq chants ; celui de la Rochelle prise par Louis XIII. en a vingt, & l'élection du pape Urbain VIII. vingt-trois. Ce poëte est mort âgé de plus de 80. ans.
Sinus, jurisconsulte, estimé au xiv siecle, cultiva les muses, & fut un des premiers qui donna des agrémens à la poésie lyrique toscane. Pétrarque ne fit pas difficulté de profiter de ses pensées. Il mourut en 1336.
Clément IX. auparavant nommé Julio Rospigliosi naquit à Pistoie en 1599, & mourut de déplaisir l'an 1669, de la perte de Candie ; tant il avoit à coeur que cette île ne tombât pas entre les mains des Infideles. (D.J.)
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PISTOLE | (Monnoie) ce mot ne signifie pas toujours une piece de monnoie, il désigne le plus souvent une somme de dix livres, ensorte que par douze ou quinze pistoles, on entend douze ou quinze fois dix livres, c'est-à-dire 120 ou 150 livres ; cela vient de ce que les pistoles d'Espagne avoient cours en France après le mariage de Louis XIV. & valoient dans ce tems-là dix francs ; & quoique ces mêmes pistoles ayent dans la suite valu plusieurs différens prix, que le cours en soit devenu très-rare, & même qu'elles ne soient plus d'usage aujourd'hui, nous avons retenu le terme de pistole pour signifier dix livres, & l'on dit aussi-bien 50, 100 & 200 pistoles, que cinq cent, mille & deux mille francs.
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PISTOLET | S. m. (Arme) des arquebuses vinrent les pistolets ou pistolets à rouet, dont le canon n'avoit qu'un pié de long, c'étoient des arquebuses en petit. Ces armes furent appellées pistoles ou pistolets, parce que les premiers furent faits à Pistoye en Toscane. Les Allemands s'en servirent en France avec les François ; & les Reistres qui les portoient du tems de Henri II. étoient appellés pistoliers. Il en est fait mention sous le regne de François I. Les pistolets sont à l'usage de toutes les troupes à cheval. Il y a bien long-tems qu'ils sont à simple ressort, ainsi que les fusils & les mousquetons, car en 1658 l'usage des pistolets à rouet n'étoit pas encore aboli. (D.J.)
PISTOLET A ROUET, voyez ARQUEBUSE A ROUET.
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PISTOLOCHIE | PISTOLOCHIE
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PISTON | S. m. (Hydraul.) est un cylindre de bois, quelquefois de métal, qui étant levé & baissé par les tringles d'une manivelle dans l'intérieur d'un corps de pompe, aspire ou pousse l'eau en l'air, & souvent la comprime & la refoule. Ce piston doit être garni de fort cuir en forme d'un manchon par le bas pour entrer avec force dans le corps de pompe ; il est ouvert dans le milieu & garni d'un clapet de cuir. Voyez CLAPET ; voyez aussi POMPE.
On appelle quelquefois le piston barillet, voyez BARILLET.
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PISTOR | (Mythol.) surnom de Jupiter. Pendant que les Gaulois assiégeoient le capitole, Jupiter, diton, avertit les assiégés de faire du pain de tout le blé qui leur restoit, & de le jetter dans le camp ennemi, pour lui prouver qu'ils ne seroient pas de longtems réduits à manquer de vivres. Ce conseil réussit si bien, que les ennemis leverent le siege ; & les Romains en actions de graces, érigerent dans le capitole une statue à Jupiter, sous le nom de Pistor.
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PISTORIA | (Géog. anc.) ville d'Italie dans la Toscane. Ptolomée, l. III. ch. j. la place dans les terres, entre Lucus Feroniae, Colonia & Florentia. Pline, liv. III. ch. v. l'appelle Pistonium. C'est aujourd'hui la ville de Pistoie.
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PIT-UISCH | S. m. (Icthiologie) nom hollandois d'un poisson des Indes orientales, qui approche beaucoup du turdus des Européens, excepté qu'il n'a point d'écailles ; son corps est de forme obronde, & tout marqueté de taches bleues & jaunes. Il peut faire sortir ses yeux de la tête, ou les retirer dans leur orbite ; la nageoire de derriere est épineuse : ce poisson est d'un excellent goût quoiqu'il aime à se tenir dans les endroits sales & bourbeux. (D.J.)
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PITAN | (Géog. mod.) province des Indes dans les états du Mogol, au-delà du Gange, bornée au nord par le mont de Naugracut, au midi par la province de Jésuat, au levant par le royaume d'Ozem, & au couchant par le royaume de Mevat. M. Delisle donne à cette province, le nom de Raja-Nupal.
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PITANAIDE | (Géog. anc. & Hist. de Sparte) nom de l'une des tribus de Sparte. Pitanica lieu subsistant encore au milieu de la plaine qui s'étend de Sparte à Therapné, en étoit la capitale, & lui donnoit son nom. De-là on a tout lieu de soupçonner que ceux de cette tribu étoient les laboureurs de cette plaine, & ne composoient pas la plus petite tribu de ce peuple, leur occupation étant la plus nécessaire aux hommes.
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PITANCE | S. f. (terme monastique) c'est ce qu'on donne à chaque religieux pour son repas ; mais ce mot est vieux, & l'on dit aujourd'hui portion. Les Bourguignons disent encore pitainche, que M. de la Monnoye explique dans ses noëls bourguignons par boisson de vin.
Le P. Labbé dérive pitance de pitancium mot usité dans les écrits de l'un & l'autre Hincmar, pour une table enduite de poix où l'on mangeoit, d'autant que personne ne recevoit sa portion de pain, de vin, de viande, de poisson, ni autre chose nécessaire à la vie, que ceux qui étoient écrits dans la matricule.
Cet usage étoit pris des Romains, qui tiroient des greniers publics la subsistance de leurs soldats. Leur portion, pitacium, étoit réglée, & chacun étoit obligé d'aller la prendre avec un billet qui lui étoit donné par un greffier, lequel billet contenoit la quantité de l'étape pour chacun, s'il m'est permis de me servir de ce terme. Le fait que j'avance est prouvé par la loi vj. du titre de erogatione militaris annonae, cod. Theodos. où il dit : Susceptor, antequam diurnum pitacium authenticum ab actuariis susceperit, non eroget ; quod si asque pitacio fuerit erogatio, id quod expensum est, damni ejus supputetur. (D.J.)
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PITANCERIE | S. f. (Jurisprud.) mensaria ; office claustral qui est établi dans quelques abbayes, & qu'en d'autres on nomme cellererie, mensaria. Cet office qui est présentement sans fonction, consistoit autrefois à distribuer la pitance aux moines. Voyez PITANCE.
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PITANCIER | S. m. (Jurisprud.) obsonator, officier claustral qui distribuoit autrefois la pitance aux moines. Voyez PITANCE. (A)
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PITANE | (Géog. anc.) 1°. ville de l'Asie mineure, dans la Mysie, proche du Caïcus, de l'embouchure duquel elle étoit éloignée de trente stades. Vitruve, liv. II. c. iij. rapporte qu'on y faisoit des briques qui nageoient sur l'eau, ce qui est appuyé du témoignage de Strabon.
2°. Pitane est un lieu de la Laconie sur le bord du Vasilipotamos (l'ancien Eurotas). La Guilletiere, Lacédémone anc. & nouv. nous assure qu'il y a de l'erreur dans toutes les cartes qui en ont fait une ville, & en ont voulu marquer la position. C'étoit un quartier de Lacédémone, ou tout-au-plus un fauxbourg détaché de la ville. Pausanias, qui est très-exact à nommer les villes de Laconie, ne dit pas un mot de Pitane. Par ce silence il demeure si bien d'accord que ce lieu doit être confondu avec Sparte, qu'il parle d'un tribunal de Lacédémone appellé la jurisdiction des Pitanates, où apparemment ceux du quartier venoient répondre. Plutarque le marque assez dans son traité de l'Exil par ces paroles : " Tous les Athéniens ne demeurent pas dans le Colytos ; tous les Corinthiens dans le Cranaou, & tous les Lacédémoniens dans le Pitane ". Le Colytos étoit un quartier d'Athènes ; le Cranaou un fauxbourg de Corinthe ; & il n'y auroit eu ni proportion, ni justesse dans la comparaison de Plutarque, si le Pitane n'eût été dans la même proximité de Lacédémone.
La premiere église des Chrétiens fut autrefois bâtie dans ce lieu-là, quand S. André annonça l'Evangile à Lacédémone.
Ménélas reçut la naissance à Pitane ; entre plusieurs témoignages, le choeur de la Troade d'Eurypide le justifie quand il fait des imprécations contre ce fils d'Atrée, souhaitant qu'il ne revienne jamais dans Pitane sa patrie. Ne soyons pas surpris que la plûpart des historiens ayent parlé de ce petit fauxbourg, puisque c'étoit un fauxbourg de Lacédémone.
On voit encore quelques ruines de Pitane en venant de Magula à Misitra. Au-dessus de ces ruines est un vignoble qui produit le meilleur vin de la Morée, & qui paroît être le même terroir où Ulysse planta une vigne de sa propre main en l'honneur de Pénélope ; car la situation de ce vignoble quadre parfaitement à la description d'Athénée. Lisez ce qu'il en a dit dans son premier livre, & n'oubliez pas d'y voir les vers d'Alcman. Du tems de ce poëte gourmet, le vin de Pitane avoit une odeur de fleurs, & même encore aujourd'hui il sent la framboise.
3°. Pitane, ville de l'Eolide voisine de la Troade. Cette Pitane est célebre par la naissance d'Arcésilas, disciple du mathématicien Antolycus son compatriote, & qu'il suivit à Sardes, ensuite il vint à Athènes pour y prendre des leçons de Théophraste & de Crantor. Il fut fondateur de la moyenne académie, comme Socrate avoit été le pere de l'ancienne, & comme Carnéade le fut de la nouvelle. Cicéron nous le dépeint pour le plus déterminé sceptique de tous les académiciens.
Eumenes I. roi de Pergame & Attalus son successeur, le comblerent de bienfaits. Il étoit lui-même l'homme du monde le plus généreux ; il faisoit du bien, & ne vouloit pas qu'on le sût ; il pratiquoit ce précepte de l'Evangile avant qu'il eût été annoncé. Il fit une visite à Ctesibius son ami pauvre & malade, afin d'avoir occasion de lui glisser adroitement & en cachette sous l'oreiller, une bourse pleine d'argent. Une autrefois il prêta sa vaisselle d'argent à un ami qui devoit donner un festin, & il refusa de la reprendre lorsqu'on la lui reporta.
Ses dogmes tendoient au renversement des préceptes de la morale, & néanmoins il la pratiquoit, excepté dans les plaisirs de l'amour & de la table. Il mourut d'avoir trop bû à l'âge de 75 ans, la quatrieme année de l'olympiade 134.
Il souffroit la douleur en stoïcien, quoiqu'il fût l'antagoniste du fondateur de cette secte. Au fort des tourmens de la goutte. " Rien n'est passé de-là ici ", dit-il, en montrant son coeur à Carnéades l'épicurien, qui s'affligeoit de le voir si souffrant.
Il avoit une pensée fort bonne & fort vraie sur la mort : il disoit " que de tous les maux c'étoit le seul dont la présence n'incommodât personne, & qui ne chagrinât qu'en son absence. "
Nous avons sa vie dans Diogene Laerce, & son article dans Bayle ; mais pour ce qui regarde sa doctrine, voyez dans ce Dictionnaire les mots ACADEMICIENS & SCEPTICIENS. (D.J.)
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PITANGUAGUACU | (Ornithol.) nom d'un oiseau du Brésil qui est du genre & de la grosseur de l'étourneau ordinaire ; son bec est épais, long, de figure pyramidale terminée en pointe aiguë ; sa tête est large & applatie ; son cou est court, & il a la faculté de l'accourcir encore quand il lui plaît. Son cri est perçant ; ses jambes & ses piés sont d'un brun obscur. Il a la tête, le cou, le dos, les aîles & la queue d'un brun noirâtre avec un léger mêlange de verd ; la partie inférieure de la gorge, la poitrine & le ventre sont jaunes. Marggrave, hist. du Brésil.
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PITE | S. f. (Botan. exot.) espece de chanvre ou de lin qui se recueille en plusieurs endroits de l'Amérique équinoxiale, particulierement le long de la riviere d'Orénoque. La plante qui le fournit, est sauvage ou cultivée ; elle a des feuilles rondes, cannelées, de la grosseur du doigt, & longues d'un à deux piés ; ses fleurs ont la forme d'un casque timbré, & sont fort petites ; on tire des feuilles une espece de fil, dont les Indiens se servent pour faire leurs lignes à pêcher ; les cordes de leurs arcs, les cordages de leurs canots, leurs voiles, leurs hamacs & autres ouvrages. (D.J.)
PITE, s. f. (Com.) petite monnoie hors d'usage, dont la valeur étoit d'un quart de denier, demi-maille ou demi-obole. Il y a eu aussi des deniers-pites.
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PITH | ou PITHEA, (Géog. mod.) province de la Laponie Suédoise, bornée au nord par la Laponie de Luhlea, au midi par celle d'Uhma, au levant par la Bothnie occidentale, & au couchant par la Norwege. Elle est traversée par une riviere de même nom, & a pour chef-lieu une bourgade qui s'appelle aussi de même. Long. de cette bourgade, 38. 50. lat. 65. 5.
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PITHECUSSA | ou PITHECUSAE, (Géog. anc.) Diodore de Sicile, liv. XX. chap. lix. met trois villes de ce nom dans l'Afrique propre. Il dit qu'on y rendoit un culte aux singes, qui fréquentoient les maisons des habitans, & qui usoient librement des provisions qu'ils y trouvoient. 2°. Pithécussae étoient aussi des îles de la mer de Tyrrhène, selon Etienne le géographe. (D.J.)
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PITHEUS | (Géog. anc.) bourgade de l'Attique, dans la tribu Cécropide. Elle prenoit son nom du mot , qui signifie un tonneau, parce qu'anciennement il s'y en faisoit une grande quantité, selon M. Spon, liste de l'Attique. Etienne le géographe écrit pour .
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PITHIE | S. f. (Physiq.) sorte de météore ou de phénomene lumineux. Voyez AURORE BOREALE.
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PITHIUS | (Mythol.) surnom d'Apollon depuis sa victoire sur le serpent Python ; peut-être aussi que ce nom lui vient de la ville de Delphes, qui s'appelloit anciennement Pitho.
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PITHIVIERS | (Géog. mod.) petite ville dans la Beauce, autrement nommée Pluviers. Voyez PLUVIERS.
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PITHO | S. f. (Mythol.) ou la déesse de la persuasion, nommée Suada par les Romains, mérita d'être invoquée principalement par les orateurs. Il est dumoins certain qu'elle eut plusieurs temples ou chapelles dans la Grece. Thésée ayant persuadé à tous les peuples de l'Attique de se réunir dans une seule ville, pour ne faire désormais qu'un peuple, il introduisit à cette occasion le culte de la déesse Pitho. Hipermnestre après avoir gagné sa cause contre Danaüs son pere, qui la poursuivoit en justice, pour avoir sauvé la vie à son mari contre ses ordres, dédia une chapelle à la même déesse. Enfin elle avoit dans le temple de Bacchus à Mégare, une statue de la main de Praxitele. (D.J.)
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PITHOEGIE | (Antiq. d'Athènes) pithaegia, fête & sacrifice qui se célébroient à Athènes en l'honneur de Bacchus, le 11 du mois Anthistérion. Plutarque dans ses sympos, dit que c'étoit le jour auquel on commençoit à boire du vin nouveau ; si cela est, ce mot peut dériver de , l'ouverture des tonneaux.
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PITHOM | (Géog. anc.) ville d'Egypte dans le nôme sétrhoite. Ce fut l'une des deux villes que Pharao fit bâtir par les descendans de Jacob, Exod. chap. j. v. 8. Marsham prétend que la ville d'Abaris, celle de Typhon, celle de Séthrom, & celle de Pithom, mentionnées dans l'Exode, sont la même que les grecs nomment Pelusium. Le nom ou , donné à l'une des villes bâties par les enfans d'Israel, faisoit allusion à celui de Typhon. Les Egyptiens donnoient toujours à ce Typhon le nom de Seth ; de-là vint qu'ils nommerent Sethron la ville de Typhon. Le nom Séthroite fut pris de la ville de Séthrom, qui étoit située sur le côté oriental du fleuve Rubaste, & ce nôme étoit dans la partie occidentale du Delta. (D.J.)
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PITIÉ | (Morale) c'est un sentiment naturel de l'ame, qu'on éprouve à la vue des personnes qui souffrent ou qui sont dans la misere. Il n'est pas vrai que la pitié doive son origine à la réflexion, que nous sommes tous sujets aux mêmes accidens, parce que c'est une passion que les enfans & que les personnes incapables de réfléchir sur leur état ou sur l'avenir, sentent avec le plus de vivacité. Aussi devons-nous beaucoup moins les actions nobles & miséricordieuses à la Philosophie qu'à la bonté du coeur. Rien ne fait tant d'honneur à l'humanité que ce généreux sentiment ; c'est de tous les mouvemens de l'ame le plus doux & le plus délicieux dans ses effets. Tout ce que l'éloquence a de plus tendre & de plus touchant, doit être employé pour l'émouvoir.
" La main du printems couvre la terre de fleurs, dit le bramine inspiré. Telle est à l'égard des fils de l'infortune la pitié sensible & bienfaisante. Elle essuie leurs larmes, elle adoucit leurs peines. Vois cette plante surchargée de rosée ; les gouttes qui en tombent donnent la vie à tout ce qui est autour d'elle : elles sont moins douces que les pleurs de la compassion.
Ce pauvre traîne sa misere de lieu en lieu ; il n'a ni vêtement, ni demeure, mets-le à l'abri sous les aîles de la pitié ; il transit de froid, réchauffe-le ; il est accablé de langueur, ranime ses forces, prolonge ses jours, afin que ton ame vive. " (D.J.)
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PITINUM | (Géog. anc.) ville d'Italie. Ptolomée, liv. III. chap. j. la donne aux Umbres qui habitoient dans les terres au nord des Toscans. Elle donnoit le nom au territoire appellé Pitinus ager par Pline. Pitinum fut une ville épiscopale, comme il paroît par le concile romain tenu par le pape Symmaque. Holstenius dit, qu'elle n'étoit pas éloignée du fleuve Amiternus, & qu'on en trouve le nom & des vestiges dans un lieu à un peu plus de deux milles d'Aquila, appellé aujourd'hui torre di Pitino.
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PITIS | S. m. (Monnoie de la Chine) petite monnoie de bas aloi, moitié plomb & moitié écume de cuivre ; elle a grand cours dans l'île de Java, où les Chinois la portent ; cependant les deux cens pitis ne valent que neuf deniers de Hollande. (D.J.)
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PITO | (Diete) espece de liqueur fermentée, ou de biere qui est en usage parmi les negres de la côte des Esclaves en Afrique. Les voyageurs nous apprennent qu'elle est très-saine, très-agréable & très-raffraichissante.
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PITON | S. m. terme de Serrurier, sorte de fiche plus ou moins grosse, au bout de laquelle il y a un anneau. (D.J.)
PITON ou TENON, terme d'Horlogerie, & de plusieurs autres arts, petite piece dont l'usage est de tenir ferme quelqu'autre piece. Il y a trois pitons dans une montre ; deux sont d'acier & servent à tenir la vis sans fin dans la situation requise. Voyez a b, fig. 42. Pl. X. de l'Horlogerie ; l'autre p est de laiton ; un trou quarré y est percé, dans lequel on fixe l'extrémité extérieure du ressort spiral de la maniere suivante : on fait entrer cette extrémité dans ce trou quarré, & on la serre ensuite contre une de ses parois par le moyen d'une goupille quarrée qu'on y fait aussi entrer avec force. Voyez la fig. 52.
Des deux pitons de la vis sans fin l'un a est le plus souvent rond, on le nomme alors piton à vis, parce qu'il entre à vis dans un noyau fait dans la platine, & que ce n'est en effet qu'une espece de vis, dans la tête de laquelle on perce un trou pour recevoir le petit pivot de la vis sans fin ; l'autre b, formé comme on le voit, fig. 42. se nomme piton à oreille, parce qu'on laisse une espece d'oreille de chaque côté du canon, à-travers duquel passe la tige du quarré de la vis sans fin, lesquelles sont arrêtées sur la platine avec des vis. Lorsque cette vis est remontée, les oreilles du piton s'appliquent sur la platine, & y sont fixées au moyen de deux vis qui passent à-travers des trous percés dans ces oreilles, & sont vissés à la platine, comme on le voit dans la figure ci-dessus. Voyez VIS SANS FIN.
PITON, (Marine) c'est une cheville de fer ; c'est aussi une fiche en forme de clou, dont la tête est percée.
Pitons à boucles, ce sont des chevilles de fer où il y a des boucles.
Pitons d'affût, ce sont des chevilles de fer dont on se sert pour tenir des plates-bandes d'un affût de canon.
PITONS de presse d'Imprimerie, ce sont deux petites plaques de fer percées & terminées en forme d'anneau que l'on attache de chaque côté du dehors du berceau, vis-à-vis l'une de l'autre, pour recevoir & soutenir les deux extrémités de le broche M du rouleau qui traverse le dessous du berceau de la presse. Voyez les Pl. d'Imprimerie.
PITONS, (Soierie) petits anneaux à vis, qu'on attache aux lisserons pour crocheter les cramailleres, au moyen d'une S ou espece de crochet.
PITONS, s. m. (Géog.) ce sont dans les îles Antilles de grands pics ou hautes montagnes isolées, terminées en pain de sucre, & dont le sommet se perd dans les nues, elles sont pour la plûpart inaccessibles : ces masses énormes entourées de précipices ne produisent point d'arbre, étant seulement couvertes d'une sorte de mousse fort épaisse & comme frisée. Les pitons les plus renommés dans les îles sont ceux de la Martinique, qu'on appelle assez mal-à-propos pitons du Carbet ; celui de la montagne Pelée dans la même île ; celui de la Souphriere de la Guadeloupe ; & ceux de Sainte-Lucie ou Sainte-Laurie : ces derniers sont remarquables en ce qu'ils prennent naissance sur le bord de la mer, & qu'ils paroissent détachés des autres montagnes ; mais il s'en faut de beaucoup qu'ils soient aussi élevés que les précédens, dont on apperçoit rarement le sommet.
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PITORNIUS | (Géog. anc.) fleuve d'Italie, selon Vibius Sequester, p. 335. qui dit qu'il passe au milieu du lac Fucinus (lago di celano), sans mêler ses eaux avec celles de ce lac. Pitornius est le même fleuve que Pline, liv. XXXI. ch. iij. nomme Piconium ou Pitonium. (D.J.)
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PITOYABLE | adj. (Gram.) qui est digne de pitié. Il est dans un état pitoyable ; c'est un ouvrage pitoyable : d'où l'on voit qu'il y a deux sortes de pitié ; l'une accompagnée de commisération, c'est celle qu'on a pour les malheureux ; l'autre accompagnée de mépris, c'est celle qu'on a pour les choses ridicules. On dit un homme pitoyable ; & cette phrase a deux acceptions, l'homme pitoyable, selon l'une, est un homme compatissant ; selon l'autre, c'est un homme ridicule.
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PITSCHAT | Voyez PIC DE MURAILLE.
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PITSCHEN | (Géog. mod.) ancienne petite ville de Silésie, dans la principauté de Brieg. Elle étoit autrefois épiscopale, mais son siége fut transféré à Breslau en 1052. Maximilien d'Autriche, élu roi de Pologne en 1588, fut assiégé dans cette ville, fait prisonnier, & forcé de renoncer à son élection ; tout y fut au pillage, ainsi qu'en 1627. Long. 35. 56. lat. 51. 12. (D.J.)
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PITSIAR | (Hist. nat.) c'est le nom que l'on donne, dans l'île de Sumatra, à l'arbre qui est plus connu sous le nom d'arbre des Banians.
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PITTEA | (Géog. anc.) surnom de la ville de Troezen ; Ovide Métamorph. liv. XV. v. 296. nous l'apprend.
Est prope Pittean tumulus Troezene, sine ullis
Arduus arboribus.
Ovide donne à Troezene le surnom de Pithée, parce que cette ville avoit été bâtie par Pithée, ayeul maternel de Thésée, comme Plutarque nous l'apprend dans la vie de Thésée. (D.J.)
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PITTONE | pittonia, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, en forme de cloche, renflée & profondément découpée. Le pistil sort du calice découpé ; il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit mol ou une baie sphérique ; cette baie est pleine de suc & renferme deux semences, qui sont le plus souvent oblongues. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.
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PITTORESQUE | COMPOSITION. (Peint.) j'appelle avec l'abbé du Bos, composition pittoresque, l'arrangement des objets qui doivent entrer dans un tableau par rapport à l'effet général de ce tableau. Une bonne composition pittoresque, est celle dont le coup-d'oeil fait un grand effet, suivant l'intention du peintre & le but qu'il s'est proposé. Il faut pour cela que le tableau ne soit point embarrassé par les figures, quoiqu'il y en ait assez pour bien remplir la toile. Il faut que les objets s'y démêlent facilement. Il ne faut pas que les figures s'estropient l'une l'autre en se cachant réciproquement la moitié de la tête, ni d'autres parties du corps, lesquelles il convient au sujet, que le peintre fasse voir. Il faut enfin que les grouppes soient bien composés ; que la lumiere leur soit distribuée judicieusement, & que les couleurs locales loin s'entre-tuer, soient disposées de maniere qu'il résulte du tout une harmonie agréable à l'oeil par elle-même. (D.J.)
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PITUITAIRE | GLANDE, (Anatomie) c'est une glande dans le cerveau, que l'on a quelque peine à voir, sans la déplacer.
Elle est de la grandeur d'un fort gros pois, dans la selle de l'os sphénoïde, sous l'infundibulum ou l'entonnoir avec lequel elle communique ; elle en reçoit une lymphe ou un suc qui est fourni à l'infundibulum par le plexus choroïde & la glande pinéale, & c'est de cette lymphe que la glande elle-même prend son nom. Voyez GLANDE, &c.
Elle filtre aussi un suc, en séparant du sang une liqueur blanche fort subtile, & en apparence fort spiritueuse. Voyez ESPRITS.
M. Littre observe un sinus ou un réservoir de sang qui touche cette glande, & qui est ouverte à l'endroit du contact, de maniere que la glande réside ou pose en partie dans le sang : c'est ce réservoir que l'auteur regarde comme faisant l'office d'un bain-marie, à cause qu'il entretient dans la glande un degré de chaleur nécessaire pour s'acquiter de ses fonctions.
On trouve cette glande dans tous les quadrupedes, les poissons, les oiseaux, aussi-bien que dans les hommes. M. Littre donne un exemple d'une maladie lente ou languissante, & qui devint enfin mortelle, laquelle venoit d'une obstruction & d'une inflammation de la glande pituitaire.
PITUITAIRE, membrane, (Physiologie) c'est cette membrane lisse qui tapisse sans interruption toute l'étendue interne du nez, toutes ses cavités, ses sinuosités, ses replis, les surfaces que forme le réseau, & par la même continuité non interrompue, toute la surface interne des sinus frontaux & maxillaires, des conduits lacrymaux, des conduits palatins, & des sphénoïdes ; elle se continue encore au-delà des arrieres narines, sur le pharynx, sur la cloison du palais, &c. On ne peut voir sans admiration combien la surface de cette membrane muqueuse augmente par la vaste expansion que la nature lui donne dans une cavité aussi étroite que celle des narines, sans cependant qu'une partie nuise jamais à l'autre.
Elle est nommée pituitaire, de ce que la plus grande partie de son étendue sert à séparer du sang artériel qui y est distribué, une lymphe mucilagineuse, que les anciens ont appellée pituite, & qui dans l'état naturel, est pour l'ordinaire médiocrement coulante ; car dans un autre état, elle est ou gluante ou limpide, & sans consistance, ou autrement altérée ; mais elle n'est pas également fournie par toute l'étendue de la membrane schneidérienne ; car on lui donne ce nom de membrane schneidérienne, en reconnoissance des travaux de Schneïder sur cette partie.
Depuis lui les anatomistes modernes se sont appliqués à découvrir la structure de cette membrane. Sténon, Vieussens, Cowper, Drake, Collin, Morgagni, Santorini, Boerhaave, Ruysch, Winslow, y ont donné tous leurs soins ; & cependant malgré leurs travaux, leurs injections, leurs macérations, il ne paroit pas qu'ils l'ayent encore parfaitement développée.
Il est vraisemblable que cette membrane est d'une différente structure dans ses différentes portions. Vers le bord des narines externes elle est très-mince, & y paroit comme un tissu dégénéré de la peau & de l'épiderme ; sur le reste de son étendue, elle est en général comme spongieuse, & plus ou moins épaisse. Elle s'épaissit sur les parois de la cloison du nez, en allant au gosier, comme aussi le long du trajet inférieur des narines internes, & autour des cornets ; elle est plus tenue dans les sinus. Winslow prétend que si l'on fait avec la pointe du scalpel, un petit trou dans l'épaisseur de cette membrane, & qu'on y souffle de l'air, on y découvrira un tissu cellulaire très-étendu.
Elle est parsemée d'un million de petits vaisseaux artériels, de quantité d'autres vaisseaux très-fins, qui distillent une lymphe claire, & de quantité de petits corps ronds, glanduleux, du côté du périoste & du périchondre, dont elle est accompagnée. Les conduits excrétoires de ces petits corps glanduleux, sont très-longs autour de la cloison du nez, & leurs orifices sont assez sensibles. Morgagni, Ruysch, Santorini les ont décrits. On en trouve une légion dans la partie antérieure du canal moyen, ainsi que dans celle de l'os spongieux supérieur : on voit les follicules qui sont dessous avec leurs glandes, tels que Ruysch les a exposés. Ceux qui sont à la partie postérieure ont été décrits par Santorini & par Cowper. Ruysch admet en général ces glandes des narines, quoiqu'il les nomme pelotons de vaisseaux.
C'est dans cette grande quantité de glandes & de vaisseaux artériels, dont la membrane pituitaire est parsemée, que se sépare & se prépare sans-cesse une humeur douce, fluide, sans odeur, sans couleur, presque insipide, qui humecte, lubrifie, défend les nerfs olfactifs, & cela dans toute l'étendue de la capacité des narines. Cette même mucosité ayant perdu par la chaleur du lieu, & par l'action de l'air, ses parties les plus liquides, s'y épaissit par son repos & sa stagnation ; la secrétion s'en fait en quelque situation du corps qu'on soit : on en trouve toujours qui coule en quelque partie des narines ; sans cela, comment se pourroit-il faire que des nerfs aussi tendres & aussi nuds que ceux de l'odorat, pussent se conserver en bon état pendant un aussi grand nombre d'années ?
Ruysch imagine que l'humeur de ces glandes se sépare par des vaisseaux parallelement situés dans la membrane de Schneïder, & qu'il appelle arteriomuqueux ; mais il ne fait aucune mention d'une secrétion artérielle immédiate, quoiqu'elle se fasse peut-être de cette maniere comme dans les intestins, dont la seule analogie rend cette conjecture probable. En effet, si l'on injecte la carotide d'un foetus, on voit sortir des narines un mucus rougeâtre, écumeux, mêlé avec l'eau injectée. Le mucus des narines se filtre donc sans la médiation d'aucun crypte, autrement cet écoulement ne se feroit pas si vîte. Outre cette secrétion artérielle, il en est une autre glanduleuse, qui donne d'abord une humeur aussi claire que celle de la sécrétion artérielle ; les glandes qui la filtrent reçoivent de très-petites arteres dispersées sur la surface de la membrane pituitaire.
Cette humeur venant de cette double source, s'amasse dans les sinus frontaux, sphénoïdes, maxillaires, & de-là coule dans les narines, suivant les diverses positions du corps. Si le sinus frontal est presque toujours vuide, c'est que le plus souvent on a la tête droite : on en trouve toujours au contraire dans le sinus maxillaire & sphénoïdal, parce qu'ils peuvent rarement se vuider ; le mucus coulant de tous ces sinus va vernir toute l'expansion des nerfs olfactifs, & les conserve comme le vernis de blanc d'oeufs conserve les couleurs.
Cependant, de peur que cette liqueur, qui se métamorphose aisément en tophus, ne vînt à s'épaissir trop, à s'accumuler à force de croupir dans ses réservoirs, & qu'ainsi elle ne pût désormais en couler, la nature y a distribué des rameaux de nerfs, qui étant irrités produisent l'éternuement, au moyen duquel l'air poussé impétueusement par toutes les cavités des narines, balaye toute la mucosité qu'il trouve dans son passage.
S'il est certain que les polypes sont quelquefois formés dans le nez par la membrane pituitaire, lorsqu'elle se boursouffle, sort des sinus, & prend un accroissement des os spongieux ; il n'est pas moins vrai que ces corps naissent quelquefois de l'épaississement & de la concrétion de la mucosité dans quelques sinus, qui ne pouvant se vuider, s'en remplit tout-à-fait, & le passage de l'air se trouve ainsi bouché par le polype éminent, formé de mucosité & de membrane ; c'est comme un morceau de chair, qui pend dans le gosier ou dans le nez, & qu'il faut emporter suivant les regles de l'art.
En été, la partie la plus liquide de la mucosité du nez se dissipe par la chaleur, ce qui la rend plus épaisse. En hiver elle coule naturellement & est claire, comme des larmes, qui la délayent & qui la disposent à ses excrétions ; car les larmes coulent dans le nez par le canal nazal, que Salomon Alberti a le premier décrit.
Nous venons de voir que le principal usage de la membrane pituitaire est la filtration d'une liqueur lubrifiée, sans goût & sans odeur, qui se mêle facilement avec l'eau, qui se change en une espece de plâtre quand on la fait secher, & qui rend la surface interne du nez fort glissante.
Si la membrane pituitaire est parsemée de glandes & de vaisseaux sanguins, pour filtrer la mucosité dont nous venons de parler ; elle reçoit aussi, comme nous l'avons dit, les nerfs olfactifs lubrifiés par cette mucosité. C'est par les trous de l'os ethmoïde que descendent du cerveau ces filamens nerveux, qui après avoir pénétré les gaînes que leur fournit la dure-mere, vont se répandre par toute l'étendue de la membrane schneidérienne, en suivant tous les replis, & produisent la sensation que nous nommons odorat. Voyez ODORAT. (D.J.)
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PITUITE | S. f. (Médec.) Toute humeur amassée dans quelque partie, qui y circule lentement, & qui est d'une couleur pâle, opaque, ou transparente sans force, devenue liquide par un excès de chaleur, & par les fonctions vitales dont le ralentissement lui a donné naissance, incapable d'acquérir de la concrescibilité à l'approche du feu, s'appelle pituite.
Elle est produite 1°. par les alimens muqueux, glutineux, farineux, qui n'ont point été assez divisés, par le défaut de saponacité dans les humeurs, & la foiblesse des fonctions vitales ; 2°. par la mucosité des humeurs des premieres voies, 3°. par celles qui sont gélatineuses, mucilagineuses, albumineuses, & par la graisse elle même dont le caractere a dégénéré par le défaut d'exercice du corps.
La pituite est encore produite par sa disposition naturelle à dégénérer, laquelle doit sa naissance & son accroissement au défaut d'humeurs savonneuses, dans les premieres voies, au ralentissement d'action de l'organe du chyle, à la diminution de la circulation du sang, & à la foiblesse des poumons, au relâchement des solides, à un sommeil trop long, au repos excessif du corps, à la tristesse de l'esprit, aux inquiétudes, à une trop grande application ; elle attaque les vieillards & les enfans dans l'hiver ; elle attaque aussi ceux qui habitent des lieux humides & froids, qui sont malades depuis long-tems, & sujets à de fréquentes hémorrhagies.
La pituite retenue long-tems dans le corps, ou 1°. elle devient d'abord liquide sans acrimonie, lorsqu'on l'appelle limphe ; ou, en second lieu, elle devient liquide avec acrimonie, on la nomme alors pituite salée ou humeur catharreuse ; ou troisiemement enfin, elle acquiert une concrescibilité vitreuse, gypseuse, & devient une matiere écrouelleuse, avec ou sans acrimonie.
Lorsque la pituite conserve la qualité ordinaire, elle diminue la circulation, elle engendre des tumeurs molles, froides, le froid, la pâleur, la lassitude, le ralentissement du pouls, la laxité, la paralysie, la foiblesse, l'excrétion d'humeurs pituiteuses, la diminution d'urine quelquefois pâle, quelquefois visqueuse, la difficulté de respirer sur-tout après qu'on a mis en action les muscles du corps, des stagnations fréquentes suivies d'obstruction. Ces accidens varient suivant qu'une partie est plus ou moins attaquée ; il en arrive un grand nombre d'autres après leur métamorphose.
Il faut éviter les causes rapportées ci-dessus ; faire usage d'alimens fermentés & assaisonnés ; habiter des lieux secs, exposés au soleil, élevés & sablonneux, exercer le corps par de fréquentes promenades à pié, à cheval, en voitures rudes, & se faire des frictions. Il convient de recourir à des remedes échauffans, aromatiques, stimulans, excitans, résineux, saponacés, alkalins, fixes & volatils ; après que la pituite a perdu sa qualité naturelle, il faut varier la cure suivant la différence des changemens qui arrivent. (D.J.)
PITUITE des yeux, (Médec.) c'est une vieille fluxion qui rend les yeux tendres, chassieux & rouges, & qui a obligé les anciens à tenter toutes sortes de remedes pour se délivrer de cette maladie ; Hippocrate propose dans ses ouvrages divers moyens pour la guérir, & entr'autres les cauteres & les incisions à la tête. Celse traite aussi de la pituite des yeux avec beaucoup d'exactitude. Il la regarde comme la vraie cause de la chassie, & la nomme pituita oculorum, l. VII. c. vij. sect. 15.
Ce passage sert à expliquer un vers d'Horace, qui est à la fin d'une de ses épîtres à Mécenas :
Ad summum sapiens uno minor est Jove dives,
Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum,
Praecipuè sanus, nisi cum pituita molesta est.
La pituite dont il veut parler est celle qui tombe sur les yeux. Ainsi l'on doit traduire le dernier vers : " enfin le sage se porte toujours bien, pourvû qu'il ne soit pas attaqué d'une chassie fâcheuse ".
Horace, après avoir fait l'éloge des philosophes stoïciens du nombre desquels il se met, & après avoir dit qu'ils jouissent de tous les biens que l'on peut souhaiter, sur-tout de la santé qui est un des plus grands, ajoute qu'elle ne leur manque pas non plus ; à-moins, dit-il, qu'ils ne soient chassieux, comme je le suis. Cette conclusion est autant pour faire rire Mécenas, que pour tourner en ridicule les Stoïciens qui soutenoient que rien ne devoit troubler leur bonheur. (D.J.)
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PITULANI | (Géog. anc.) peuples d'Italie, dans l'Umbrie. Pline, l. III. c. xiv. qui les met dans la sixieme région de l'Italie, les partage en deux peuples, dont les uns étoient surnommés Pisuertes, & les autres Mergentini. La ville de Pitulum n'étoit pas dans leur pays, car Pline la place dans la premiere région. (D.J.)
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PITULUM | (Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium. Elle est rangée par Pline, l. III. c. v. au nombre des principales villes du pays. (D.J.)
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PITYEJA | (Géog. anc.) ville de la Troade, dans le Pityunte au territoire de Parium, selon Strabon, l. XIII. p. 588. qui dit qu'au-dessus de cette ville il y avoit une montagne qui portoit une grande quantité de pins. Il ajoute que Pityeja étoit située entre Parium & Priapus.
2°. Pityeja est encore le nom d'une île de la mer Adriatique sur la côte de la Liburnie. (D.J.)
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PITYLISMA | (Gymnastiq. médecin.) espece d'exercice que les anciens médecins prescrivoient comme utile dans certaines maladies chroniques. Cet exercice consistoit à marcher sur la pointe des piés, en tenant les mains élevées par-dessus la tête, & les agitant en différens sens avec beaucoup de vîtesse ; le malade devoit se promener ainsi, aussi long-tems que ses forces le lui permettoient. (D.J.)
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PITYTES | (Hist. nat.) nom dont on s'est servi pour désigner du bois de pin pétrifié.
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PITYUS | (Géog. anc.) ville sur le Pont-Euxin. Arrien, I. peripl. p. 18. la met à trois cent cinquante stades de Dioscuriade : il la donne pour la borne de l'empire romain de ce côté-là, ce qui est confirmé par le témoignage de Suidas. Pline, l. VI. c. v. connoît aussi dans ces quartiers une ville nommée Pytius, & il dit qu'elle fut ruinée par les Henochii. (D.J.)
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PITYUSSAE | (Géog. anc.) îles d'Espagne, dans la mer Méditerranée. Les anciens ne comptoient que deux îles Baléares, savoir celles que nous appellons aujourd'hui Majorque & Minorque. Ils comprenoient sous le nom de Pityuses, les deux autres îles qu'on appelle Yvica & Frumentara.
Le nom de Pityuses leur avoit été donné à cause des pins qui s'y trouvoient en quantité. Aujourd'hui on ne s'arrête plus à cette distinction, & l'on comprend toutes ces îles sous le nom de Baléares, depuis qu'elles ont fait un royaume à part sous l'empire des Maures. (D.J.)
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PIURA | (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Pérou dans l'audience de Quito, à 62 lieues au midi de Tumbez, & au nord de Lima. C'est le premier établissement que les Espagnols ayent eu dans le Pérou, & dont François Pizaro fit la découverte en 1531. Latit. mérid. 5. 31. (D.J.)
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PIVERT | voyez PIC-VERD.
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PIVOINE | S. f. paeonia, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice qui est formé de plusieurs feuilles, & il devient dans la suite un fruit composé de plusieurs cornes, réunies en une sorte de tête & courbées en-dessous ; ces cornes sont couvertes ordinairement de duvet, elles s'ouvrent dans leur longueur, & elles renferment des semences presque rondes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Cette plante naît d'une seule graine ainsi que les plantes monocotylédones. Sa racine est épaisse & tubéreuse ; son calice est formé de plusieurs pieces ; sa fleur est en rose, fort large, polipétale, & garnie d'un grand nombre d'étamines. Son fruit est composé d'une multitude de siliques recourbées dont le nombre n'est pas fixe. Ces siliques revêtent la forme d'une corne, sont garnies de duvet, & entr'ouvertes longitudinalement ; sa semence est ordinairement sphérique, & renferme une petite amande.
Entre les vingt-deux especes de pivoine que compte Tournefort, nous décrirons seulement la pivoine mâle commune, poeonia folio nigricante splendido, quae mas ; C. B. P. 323. I. R. H. 273. en anglois, the common male-piony.
Elle a plusieurs divisions branchues ; ses feuilles sont longues, rondes, d'un verd brun, luisantes, attachées à de longs pédicules ; ses fleurs naissent aux sommets des tiges, larges, amples, à plusieurs pétales disposés en rose, tantôt purpurines, tantôt incarnates ; elles sont soutenues par un calice à plusieurs pieces, & ont au milieu plusieurs étamines purpurines qui portent des sommets safranés. Quand les fleurs sont tombées, il leur succede des fruits composés de plusieurs cornets blancs, velus, reluisans, recourbés en en-bas ; ils s'ouvrent longitudinalement en mûrissant, & laissent voir une suite de semences presque rondes, rouges au commencement, ensuite d'un bleu obscur, & enfin noires. Sa racine est composée d'un grand nombre de tubercules, les uns ronds, les autres larges, attachés par des filamens au tubercule principal. Cette plante fleurit en Avril & en Mai ; on la cultive aussi dans nos jardins.
La pivoine commune femelle, paeonia communis vel faemina, C. B. P. 323. I. R. H. 274. ne differe de la pivoine-mâle que par ses feuilles, qui sont plus grandes & plus larges, & par ses semences qui sont plus petites.
La pivoine passe pour bienfaisante dans les affections des nerfs, & les maladies hystériques. On en tire dans les boutiques une eau simple, une eau composée, & un syrop simple ou composé de ces fleurs.
PIVOINE, (Mat. méd.) pivoine mâle & pivoine femelle. On ne se sert presque en Médecine que de la pivoine mâle. On emploie principalement ses racines, quelquefois ses semences, très-rarement ses fleurs.
La pivoine tient le premier rang parmi les plantes anti-épileptiques, anti-spasmodiques, céphaliques, nervines : c'est un des plus anciens remedes de la Médecine. Homere rapporte dans le cinquieme livre de son odyssée, qu'on croyoit qu'elle avoit été nommée paeonia du nom de Paeon, ancien médecin qui employa cette plante pour guérir Pluton d'une blessure que lui avoit fait Hercule. Tous les Pharmacologistes postérieurs à Galien ne manquent pas de rapporter une fameuse expérience de cet auteur, qui assure que cette racine étant portée en amulete par un enfant sujet à l'épilepsie, préservoit cet enfant des accès de ce mal, d'une maniere si remarquable que l'amulete étant tombée par hazard, l'enfant fut saisi sur le champ de mouvemens convulsifs qui ne se dissiperent qu'en remettant l'amulete à sa place ; qu'il réitéra cette expérience à dessein avec le même succès, & qu'enfin ayant suspendu au col de cet enfant un plus grand morceau de racine fraîche, l'ayant convenablement renouvellée, &c. l'enfant avoit été radicalement guéri. Montanus, Fernel & quelques autres auteurs graves prétendent avoir répété l'expérience de Galien avec le même succès, & quelques autres à qui cette expérience n'a pas réussi, ont mieux aimé imaginer des raisons de ces succès contraires, que de se refuser à l'autorité de Galien, & parmi ces raisons on en trouve de fort bizarres, par exemple, celle de Gaspar Hoffman qui soupçonne que la vertu de la racine qu'employa Galien, ne lui étoit pas propre ou naturelle, mais qu'elle l'avoit acquise par enchantement, par l'opération du diable. D'un autre côté, Sylvius plus philosophe, & par conséquent plus digne d'en être cru que tous ces auteurs, assure qu'il a très-souvent fait prendre la racine & les semences de pivoine, sans en avoir observé des effets bien merveilleux.
La racine de pivoine entre pourtant dans la plûpart des compositions tant officinales que magistrales que l'on emploie le plus communément contre l'épilepsie, la paralysie, les vertiges, les tremblemens des membres, l'incube, la manie, &c. On donne la racine en poudre depuis un gros jusqu'à deux, & en décoction, à la dose de demi-once lorsqu'elle est seche, & de deux onces lorsqu'elle est fraîche. Les semences peuvent s'ordonner dans les décoctions à la dose de deux gros jusqu'à demi-once. On peut les faire prendre aussi entieres & mondées de leur écorce jusqu'au nombre de vingt ou trente ; mais on donne rarement ces substances seules ; on les prescrit plus communément dans les bouillons, les tisanes & les poudres composées.
On fait avec les fleurs de la pivoine femelle une conserve qui est peu usitée, & une eau distillée qui n'est bonne à rien.
La racine de la pivoine mâle entre dans l'eau générale, l'eau épileptique, le sirop d'armoise & les tablettes appellées des racines de pivoine. La racine & la semence dans la poudre de guttete & la poudre anti-spasmodique. (b)
PIVOINE, voyez BOUVREUIL.
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PIVOT | S. m. (terme de Méchanique) on nomme ainsi ce sur quoi tourne ordinairement un morceau de métal dont le bout est arrondi en pointe, pour tourner facilement dans une virole. (D.J.)
PIVOT, s. m. (Archit.) morceau de fer ou de bronze, qui étant arrondi à l'extrémité, & attaché au ventail d'une porte, entre par le bas dans une crapaudine, & par le haut dans une semelle, pour le faire tourner verticalement.
C'est la meilleure maniere de suspendre les portes, comme on peut le remarquer à celles du Panthéon, à Rome, qui sont de bronze, & dont les ventaux, chacun de vingt-trois piés de haut sur sept de large, n'ayant pas surplombé depuis le siecle d'Auguste qu'elles subsistent, s'ouvrent & se ferment avec autant de facilité qu'une simple porte cochere.
PIVOTS, (Horlogerie) ce sont les parties des axes qui portent les mobiles ou roues, par le moyen desquels elles sont supportées pour recevoir le mouvement de rotation que la force motrice leur communique.
Force motrice dans l'Horlogerie, est la puissance qui anime les pendules & les montres. Elle est de deux sortes : la pesanteur & l'élasticité. L'on se sert de la premiere, par le moyen d'un poids qu'on applique aux grandes pendules : de la seconde, par un ressort qui tient lieu de poids, & qu'on applique aux petites pendules & dans toutes les montres. Voyez ARC DE LEVEE, où vous verrez comme se mesure la force motrice dans les pendules & dans les montres.
Il faut donc que les pivots ayent une force suffisante pour résister à cette force, & cependant proportionnelle à l'effort qu'ils reçoivent, pour qu'ils ne ployent ni ne rompent, en recevant le mouvement.
Comme les pivots sont pressés par la force qui leur est appliquée, il résulte qu'ils éprouvent la même résistance que le frottement cause dans tous les corps appliqués les uns contre les autres, pour leur communiquer le mouvement, avec cette différence néanmoins, que pour les pivots l'on peut diminuer leur frottement sans rien diminuer de la pression. Mais comme l'on ne connoit presque rien de positif sur la nature des frottemens (Voyez FROTTEMENT, Horlogerie), nous nous contenterons donc de rapporter dans cet article les expériences que nous avons faites, non pour déterminer une loi sur le frottement primitif, mais seulement relatif ; c'est-à-dire, le rapport des frottemens par une même pression sur des pivots de différens diametres. (Voyez MACHINE, &c.) L'on voit par ces expériences que le frottement des pivots de différens diametres leur est parfaitement proportionnel ; par exemple, que des pivots doubles ou triples, &c. ont leur frottement double ou triple, &c.
Horlogerie. Premiere Planche A. Machine à plusieurs usages. 1°. A faire des expériences sur le frottement des pivots, relativement à leurs diametres.
2°. A faire marcher les montres dans toutes sortes de positions.
3°. A porter une boussole dont l'aiguille est soutenue par deux pivots extrêmement déliés.
Premiere figure, la machine vue en dessus, le cercle M L est un miroir qui tient au moyen de trois vis V V V. P P P sont trois pitons qui servent à recevoir une main M fig. 2, qui au moyen de trois entailles E E E, s'ajuste avec les trois pitons P P P, fig. 1. Cette main est faite pour tenir un mouvement de montre, ou de répétition, & le miroir M I sert à voir marcher le balancier, lorsqu'il est en dessous.
La fig. 3 est une boussole qui n'a rien d'étranger que son éguille, qui au lieu d'être portée par un seul pivot, l'est par deux extrêmement déliés ; ensorte qu'ils n'ont pour diamètres que la 36e partie d'une ligne. L'avantage de cette suspension par deux pivots, c'est de supprimer tous ces mouvemens étrangers au courant magnétique que prennent les aiguilles à un seul pivot, par exemple, ce mouvement oscillatoire qu'elles prennent de haut en bas dans le plan vertical, au lieu que par ces deux pivots l'aiguille ne peut que tourner régulierement, sans faire des oscillations.
Fig. 1. A B C D E F, méchanique vue ci-dessous, avec laquelle on peut substituer plusieurs balanciers.
D D, plaque divisée.
E E, autre plaque divisée.
S S, spiral. Voyez HORLOGE, II. Planche A fig. 1, où cette même méchanique est vue en face.
C C, balancier concentrique à la plaque D D divisée.
E E, autre plaque divisée portée par le piton A.
S R, lame élastique dont l'extrémité R agit sur un très-petit levier perpendiculaire à l'axe du balancier.
P P est un fil que l'on tire en faisant décrire à la lame élastique un arc quelconque. Si l'on vient à lâcher ce fil, l'extrémité R rencontre en passant un petit bras de levier placé à cet effet sur l'axe du balancier, & par le moyen de ce choc le mouvement se communique au balancier.
Mais comme le balancier porte un spiral S S, il suit qu'il fait prendre à son ressort spiral alternativement un état forcé de contraction, & de dilatation, en faisant faire par son élasticité un certain nombre de vibrations, avant que de s'arrêter. Le nombre & l'étendue de ces vibrations est d'autant plus grand que les pivots de l'arbre du balancier sont plus petits, & que la tension de la petite lame S R est plus grande. C'est pour mesurer ces deux choses, qu'on a placé ces deux plaques divisées D D & E E.
1 2 3 4, différens arbres dont les pivots different en diamètres, & qui s'ajustent à frottement dans des canons qui sont rivés au balancier, pour les substituer aisément, quand on varie les expériences.
X X, deux ressorts spiraux de différentes forces, qui s'ajustent sur tous les axes.
P P, pitons qui se placent à frottement sur le porte-pivot F, & qui reçoit dans un trou l'extrémité extérieure du ressort spiral S S, & l'autre extrémité intérieure se fixe sur l'axe du balancier.
A l'aspect de la figure, on voit que la machine est supportée par un pié Q Q qui a un mouvement de genou en G, pour donner l'inclinaison qu'on voudra, que le quart de cercle L L sert à mesurer les degrés d'inclinaisons que peut prendre le plan H H, que ce même quart de cercle L L est ajusté sur ce pié à frottement, pour pouvoir le tourner autour du plan H H.
K est une virole sur laquelle est fixé le quart de cercle L L, par le moyen de la vis M ; & la vis N sert à fixer la virole K sur la tige O O qui tient par un écrou Z, sous l'entablement du pié Q Q.
Entre ces trois piés est placée la boussole B vue de profil.
Horlogerie. III Planche A, la même machine qui, au lieu de présenter les balanciers & les plaques divisées en face, comme dans la précédente Planche, les présente ici de profil.
Fig. 2, balancier plein.
Fig. 3, un globe plein.
Fig. 4, boëte séparée qui appartient au genou du pié.
S S, spiral M M, F F porte-pivot de l'axe du balancier.
X, axe du balancier.
D D, C C, plaques divisées.
A A, piton qui porte la lame élastique.
P P P, pitons auxquels s'ajuste la main.
L L, quart de cercle divisé.
Horlogerie, Pl. IV. A, fig. 1. même machine vue avec la main en place qui tient un mouvement de montre, & le balancier qui est réfléchi par la glace M I.
Fig. 2. 3. deux balanciers.
Horlogerie, Pl. V. A, fig. 1. même machine vue en-dessous.
Fig. 2. est un compas à mesurer le diametre des pivots : les branches ou rayons A B, sont au rayon A P comme 12 est à 1 ; ensorte que l'ouverture B C B étant d'un pouce, l'ouverture P C P sera d'une ligne.
K K est une vis pour ouvrir & fermer insensiblement le compas lorsqu'on a de très-petits pivots, par exemple ceux de la boussole, qui sont des plus déliés qu'il soit possible de faire, les ayant fait passer juste par la petite ouverture p c p. J'ai mesuré l'autre ouverture sur un pouce divisé en lignes & parties de ligne, & j'ai trouvé un tiers de ligne d'ouverture ; ce qui m'a fait conclure que mes pivots n'avoient pour diametre que la trente-sixieme partie d'une ligne ; & c'est, je crois, le dernier terme auquel il soit possible de réduire le diametre des pivots.
Voici les principales expériences qui m'ont servi à déterminer le frottement des pivots en raison de leur diametre.
Reprenant la II. Pl. A. soit placé le balancier C C, avec son spiral S S, je fais décrire avec la main un certain arc au balancier ; mais comme l'axe du balancier porte un ressort spiral dont l'extrémité intérieure est fixée sur cet axe, & l'autre extrémité extérieure est fixée par un piton sur le porte-pivot, il suit qu'on ne sauroit faire décrire un arc au balancier que le spiral ne prenne un état forcé de contraction ou de dilatation. Si l'on vient à abandonner ce balancier à cette force de contraction & de dilatation du spiral, la réaction de son élasticité agissant alors, fera faire alternativement un certain nombre de vibrations avant que d'être épuisés, & les arcs diminueront continuellement jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent.
J'ai compté exactement le nombre des vibrations du balancier de 10 degrés en 10 degrés de tension du ressort spiral jusqu'à 360, & j'ai trouvé que le nombre des vibrations étoit sensiblement proportionnel aux degrés de tension que je donnois au ressort spiral ; car pour 60 degrés de tension, le balancier faisoit 9 vibrations ; pour 70 degrés il en faisoit 10 ; pour 80 il en faisoit 11 ; pour 90, 12 ; pour 100, 13, &c. J'ai cependant remarqué que le nombre des vibrations augmentoit dans une proportion un tant-soit-peu moindre, en rapprochant des 360 degrés de tension.
J'ai répété ces expériences, l'axe du balancier étant horisontal, vertical, & sous différentes inclinaisons.
J'ai substitué différens arbres où les pivots sont de différens diametres dans un rapport donné.
J'ai aussi substitué différens corps au balancier, comme une plaque pleine, un globe plein, plusieurs balanciers de différens diametres ; enfin un balancier dont la masse est éloignée des pivots : tous ces différens corps étoient exactement du même poids pour avoir toujours sur les pivots la même pression, que je considere ici comme la cause unique des frottemens. Je me suis aussi souvent servi de la lame élastique pour communiquer le mouvement au balancier, en faisant ensorte qu'elle frappât le petit levier placé sur l'axe du balancier, pour voir la différence qu'il y avoit de communiquer le mouvement par un choc ou par un effort uniforme.
Enfin dans tous ces différens cas, j'ai toujours trouvé le nombre des vibrations sensiblement proportionnel aux degrés de tension que je donnois à la petite lame.
De ces premieres expériences, il résulte que la force exprimée par les différens degrés de tension que je donne au ressort spiral, doit être prise pour une puissance active, qui sert à vaincre non-seulement l'inertie au balancier, mais encore la résistance qu'apporte au mouvement du balancier le frottement de ces pivots. Cela posé, je vais rapporter les expériences qui peuvent enfin déterminer dans quel rapport est cette résistance, sur des pivots de différens diametres, l'inertie des balanciers étant exactement la même. Ces pivots des arbres qui m'ont servi dans mes expériences ont été mesurés fidélement avec le compas, Pl. V. fig. 1.
1°. Le plus petit est de 1/15 de ligne de diametre.
2°. Le moyen de 5/15 de ligne de diametre.
3°. Le plus gros de 9/15 de ligne de diametre ; ensorte qu'ils sont entr'eux comme 1, 5, & 9.
Premiere expérience avec le grand balancier, n°. 1. Pivot, 1/15 de ligne.
Le grand balancier de 41 lignes de diametre, pesant 56 grains, & avec 360 degrés de tension du spiral, a fait cent vibrations avant que de s'arrêter en 220 secondes de tems, l'axe étant horisontal ; car je ne rapporterai pas toutes les expériences que j'ai faites en tenant l'axe vertical incliné. Il suffira de dire que la plus grande différence étoit du vertical à l'horisontal ; l'axe vertical faisoit près d'un quart de vibration de plus que l'horisontal, & ce nombre de vibrations étoit sensiblement le même par ces différens degrés d'inclinaisons de 10, 20, 30, 40 ; ce n'étoit qu'après 45 & 50 degrés que le nombre des vibrations augmentoit, & toujours de plus en plus jusqu'à 90 degrés.
Je n'ai pas cru devoir rapporter ces expériences, parce que mon objet étoit de voir le nombre des vibrations par le vrai diametre des pivots, au lieu que l'axe étant vertical, le diametre du pivot qui porte, & par conséquent qui frotte, est toujours moindre que le vrai diametre qui frotte lorsque l'axe est horisontal, & l'on doit en sentir la raison ; c'est qu'il est impossible de terminer le bout des pivots assez bien pour que le vrai diametre porte entierement.
Tableau d'expériences suivies avec différens balanciers, mais tous du poids de 56 grains, avec le même ressort spiral, par un même degré de tension de 360 degrés, l'axe étant horisontal, auquel j'ai substitué des pivots de différens diametres.
Remarque. Il faut savoir que dans toutes les expériences, lorsque l'axe étoit vertical, supporté par le pivot dont la masse étoit au-dessous du point d'appui, il faisoit un plus grand nombre de vibrations ; & au contraire, il en faisoit moins dans la position opposée.
J'ai répété toutes ces expériences avec différens degrés de tension des ressorts spiraux de différentes forces dans toutes les positions horisontales, verticales & inclinées, même par différentes températures, j'ai toujours vû le nombre des vibrations proportionnel au degré de tension & au diametre des pivots ; quoique le nombre des vibrations variât suivant les circonstances, dans les mêmes, elles gardoient sensiblement l'uniformité des proportions avec le diametre des pivots : je dis sensiblement ; car il ne m'a pas été possible de m'assurer de deux expériences parfaitement égales, malgré tous mes soins. On pourroit donc m'objecter que le nombre des vibrations que je rapporte dans cet exemple n'étant pas exactement proportionnel au diametre des pivots, j'ai peut-être tort d'en conclure.
Je réponds qu'outre que la différence est très-petite, c'est que dans le grand nombre d'expériences que j'ai faites, il s'en est souvent trouvé qui approchoient plus exactement de cette proportion. Ma i s comme j'ai eu dessein de rapporter l'expérience la mieux faite, sans égard si elle ne cadroit pas parfaitement avec la conclusion que j'en tire, j'ai dû préférer celle où j'ai porté toute l'exactitude dont je suis capable, & que j'ai lieu de présumer m'avoir le mieux réussi ; car dans toutes ces expériences, il se trouve des degrés de délicatesse plus aisés à sentir qu'à décrire, & qu'on ne saisit pas quand on veut. Enfin il faut remarquer que sur un grand nombre de vibrations, une de plus ou de moins ne fait rien ; au lieu que dans un petit nombre, une de plus paroît être un objet, ce qu'il faut bien distinguer pour n'y pas avoir égard ; parce que dans tous ces cas, lorsque le balancier approche l'instant de s'arrêter, un rien de cause étrangere peut lui faire faire une vibration de plus ou de moins, sans égard à celle qui précede. C'est cet instant de passage du repos au mouvement qu'il faudroit saisir pour apprécier la véritable résistance qu'apporte le frottement dans la communication ou la conservation du mouvement ; mais mon objet n'a pas été de trouver la loi du frottement en lui-même, cela est trop difficile, pour ne pas dire impossible (a), mais seulement le rapport des frottemens relativement au diametre des pivots sur lesquels ils agissent.
Je dis donc que la force active qui communique le mouvement au balancier, en le déterminant à faire un certain nombre de vibrations, n'éprouve d'autre résistance que l'inertie du balancier, plus le frottement de ces pivots. Or si les inerties sont les mêmes, & qu'on vienne à varier le diametre des pivots, le nombre des vibrations variera aussi, mais en raison inverse proportionnelle au diametre des pivots, comme il est aisé de le voir dans le tableau des expériences rapportées : donc les frottemens des pivots sont entr'eux comme leur diametre. (Article de M. ROMILLY, Horloger.)
PIVOT d'arbre, (Jardinage) c'est la partie la plus basse du tronc d'un arbre, & dès laquelle la racine commence à se fourcher. On appelle pivot ce qui reste d'un arbre lorsqu'on le scie tout-à-l'entour pour en faire couler pendant quelque tems la seve avant que de l'abattre, selon le conseil de Philibert Delorme.
PIVOT, est dans une fleur les petites parties qui en soutiennent les étamines. Dans un arbre c'est le corps de son pié.
De pivot on a fait pivoter.
PIVOT, les Imprimeurs appellent pivot l'extrémité
(a) Peut-être pourrai-je par la suite découvrir quelque chose de plus particulier sur cet objet ; mais comme cette matiere est abondante & exige un très-grand nombre d'expériences, il vaut encore mieux refléchir plus exactement que de se précipiter.
inférieure de la vis de leur presse, qui terminée en pointe obtuse, tombe perpendiculairement & d'à-plomb dans la grenouille, pour raison de quoi il est armé de même, c'est-à-dire d'acier trempé à propos, sans quoi il ne tarde pas à s'égrener. Voyez GRENOUILLE, ARBRE, VIS. Voyez nos Pl. d'Imprimerie & leur explic.
PIVOT, troisieme chaîne du droguet de soie ; le pivot est une chaîne perdue dans le droguet qui s'emboit beaucoup plus que les autres chaînes.
PIVOT, Voyez le mot DROGUET, & l'article des ETOFFES A LA PETITE TIRE.
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PIVOTER | verb. neut. (Jardinage) c'est pousser sa principale racine droit & perpendiculairement en terre.
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PIZZIGHITONE | (Géog. mod.) petite ville d'Italie dans le Crémonois, avec un château vers les confins du Crémasque, sur la petite riviere de Serio qui se jette un peu au-dessous dans l'Adda. Elle fut prise sur l'empereur par les troupes alliées de France & de Sardaigne en 1733 ; mais on la rendit par le traité de paix. Cette place est à 5 lieues au nord-ouest de Crémone, à 8 sud-ouest de Milan, & à 6 sud-est de Lodi. Long. 27. 16. lat. 45. 12.
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PLACAGE | S. m. (Menuis.) espece de menuiserie qui consiste à plaquer des morceaux de bois sur les membrures ou panneaux, pour y pousser des moulures, & y tailler des ornemens qui n'ont pas pu être élégis dans la même piece, parce qu'ils ont été faits après coup : c'est aussi le recouvrement de la menuiserie d'assemblage avec des bois durs & précieux collés par feuilles.
PLACAGE PAR COMPARTIMENT, (Ebénisterie) ce mot se dit des ouvrages faits de diverses feuilles ou bandes de différens bois précieux, très-minces, appliquées & collées sur des fonds bâtis d'autres bois communs & ordinaires.
Tous les maîtres menuisiers ont droit de travailler en placage. Il y en a néanmoins qui, parce qu'ils ne font que de ces sortes d'ouvrages à compartiment, sont appellés menuisiers de placage, pour les distinguer des autres que l'on nomme menuisiers d'assemblage.
Outre les bois de diverse nature que l'on emploie au placage, on se sert aussi de l'écaille de tortue, de l'ivoire, de l'étain & du cuivre ; de ces deux derniers battus & réduits en tables très-plates, & des autres débités en feuilles très-minces.
L'on peut, pour ainsi dire, distinguer comme deux sortes de placage ; l'un qui est le plus commun, ne consiste qu'en quelques compartimens de différens bois, l'autre où il y a beaucoup plus d'art, représentent au naturel des fleurs, des oiseaux & d'autres choses semblables : celui-ci s'appelle proprement marqueterie. On ne va parler dans cet article que du placage par compartiment.
Le bois destiné au placage se débite avec la scie à refendre, en feuilles environ d'une ligne d'épaisseur. Pour le débiter, les buches & les planches, suivant le bois qu'on emploie, se mettent dans ce qu'on appelle la presse à scier debout, dont on peut voir la description à l'article des presses. Les feuilles se coupent en bandes, & se contournent en différentes figures conformes au dessein qu'on s'est proposé ; & après que les joints en ont été régulierement faits, qu'elles ont été mises d'épaisseur & de largeur avec différens rabots propres à cet usage, on les colle sur un fond de bois bien sec avec de forte colle d'Angleterre.
Quand toutes les feuilles sont plaquées, jointes & collées, on les met dans une presse, si ce sont de petits ouvrages ; ou s'ils sont grands, on les laisse sur l'établi, & les ayant couverts par-dessus de quelque ais, ou morceau de planche proportionné à l'ouvrage, on les serre avec des goberges, c'est-à-dire avec des perches capables de faire un peu de ressort, dont un bout touche au plancher de la boutique, & l'autre porte sur l'ais qui couvre l'ouvrage. Afin d'affermir davantage les goberges & qu'elles serrent plus fortement le placage, on les calle avec un morceau de bois taillé en coin.
Après que la colle est parfaitement seche, & qu'on a levé les goberges, on acheve l'ouvrage, d'abord avec de petits rabots dont le dessous du fust est garni d'une plaque de fer, & ensuite avec les outils qu'ils nomment racloirs.
Comme quelques-uns de ces rabots ont des dents à-peu-près semblables à celles des limes ou des truelles brettées, on les emploie plutôt pour limer le placage que pour le raboter.
Les racloirs qui sont des morceaux d'acier ou de fer bien acerés, bien tranchans & affutés sur une pierre à huile, servent à emporter les raies ou bretures que les rabots ont laissées.
L'ouvrage raclé se polit avec la peau de chien marin, la cire, la brosse & le polissoir de presse, qui est la derniere façon qu'on lui donne. Diction. du Com. (D.J.)
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PLACARD | S. m. (Jurisprud.) signifie ordinairement quelque chose que l'on affiche publiquement.
A la chancellerie & dans les greffes, on appelle un acte expédié en placard, celui qui est écrit sur une seule feuille de papier ou parchemin non ployée, & qui n'est écrite que d'un côté.
On appelle aussi placards les ordonnances des anciens souverains de Flandres & de Brabant.
Ces placards sont la plupart en flamand ; il y en a pourtant quelques-uns en françois : il y en a quatre volumes de ceux de Flandres, & autant de ceux de Brabant. Le conseil d'Artois a dans son dépôt des registres des placards.
Ceux qui ont précédé la conquête, ou cession des places des ressorts du parlement de Flandres, sont observés à moins que le roi n'y ait dérogé depuis.
Anselme en a fait un répertoire, intitulé code belgique, & un commentaire sur les placards les plus importans, intitulé tribonian belgique.
Zypaeus, introduct. ad notit. juris belg. en rapporte plusieurs. Il dit, n. 6. que les placards n'obligent pas les sujets de chaque province en particulier, s'ils n'y ont été spécialement publiés.
Le plus important de tous ces placards est l'édit perpétuel des archiducs Albert & Isabelle, du 12 Juillet 1611. Anselme l'a commenté, & Romilius a fait un commentaire sur l'article neuf seulement. Voyez l'instit. au dr. belgique de Ghewiet. (A)
PLACARD, (Affiche d'Hollande) ce mot se dit en Hollande des affiches par lesquelles on rend publiques les résolutions & ordonnances des états-généraux des Provinces-unies, soit pour le gouvernement, soit pour la police, soit pour le commerce.
PLACARD, (Archit.) c'est une décoration de porte d'appartement en bois, en pierre ou en marbre, composée d'un chambranle couronné de sa frise ou gorge, & de sa corniche portée quelquefois sur des consoles.
On donne encore le nom de placard au revêtement d'une porte de menuiserie, garnie de ses ventaux.
Placard ceintré, c'est un placard dont le plan est curviligne, comme une arcade, une porte ronde, qui sert par conséquent dans les sallons & vestibules ronds. On voit de ces placards dans le porche ou tambour de menuiserie de l'église des peres Chartreux à Paris.
Placard double, placard qui dans une baie de porte est répété devant & derriere, avec embrasure entre deux, sur l'épaisseur d'un mur ou d'une cloison.
Placard feint, placard qui ne sert que de lambris, pour faire symmétrie avec une porte parallele ou opposée. Daviler. (D.J.)
PLACARD, s'entend dans l'usage de l'Imprimerie, de ces ouvrages imprimés dans toute l'étendue du papier, & qui n'ont aucun format décidé. Il arrive même qu'un placard est composé de plusieurs feuilles de papier collées ensemble, après avoir été imprimées séparément ; quand la forme en plomb est trop considérable pour tenir sur la presse, le placard ne s'imprime que d'un côté pour pouvoir le coller sur le mur. Il ne differe de l'affiche, qu'en ce que l'affiche ne contient au plus qu'une feuille de papier, elle s'imprime même sur une demie, & sur un quart de feuille.
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PLACÉ | BIEN ou MAL, à cheval, se dit d'un cavalier, selon qu'il est dans une belle ou mauvaise situation à cheval.
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PLACE | LIEU, ENDROIT, (Synonym.) lieu marque un total d'espace ; endroit n'indique proprement que la partie d'un espace plus étendu ; place insinue une idée d'ordre & d'arrangement. Ainsi l'on dit le lieu de l'habitation ; l'endroit d'un livre cité ; la place d'un convive, ou de quelqu'un qui a séance dans une assemblée.
On est dans le lieu, on cherche l'endroit, on occupe la place.
Paris est le lieu de toute la France le plus agréable ; les espions vont dans tous les endroits de la ville ; les premieres places ne sont pas toujours les plus commodes.
Il faut, tant qu'on peut, préférer les lieux sains, les endroits connus, & les places convenables. Girard.
Le mot place a un grand nombre d'acceptions différentes : on dit la plaine S. Denis seroit une belle place pour donner bataille ; c'est en greve que se font les exécutions, j'évite de passer par cette place ; il a eu la maison pour rien, car il n'a payé que la place ; vous n'aurez pas assez de place pour le monde que vous vous proposez de recevoir ; vous n'aurez pas de place au sermon si on ne vous la retient ; je ne voudrois pas être à la place de cet homme qu'on loue tant ; il est resté mort sur la place ; il aura place dans l'histoire ; la place est bonne, elle tiendra long-tems ; l'étapier a tant de places à fournir par compagnie ; ne prenez pas la place d'honneur, si vous n'avez un titre qui vous la décerne ; le mépris a pris la place de l'estime ; dans ce monde tout est à sa place, on ne conçoit pas qu'il en puisse être autrement ; il occupe une belle place ; combien ces effets valent-ils sur la place ? la place de Lyon est une des meilleures de France ; on l'a subrogé en lieu & place du titulaire, &c.
PLACE, (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.
Place se prend souvent pour le lieu où l'on siege dans un tribunal ou autre assemblée.
Quelquefois place se prend pour le rang, ou pour la dignité même de celui qui occupe, comme la place de chancelier, celle de premier président.
On entend aussi par le terme de place certains états & offices qui ne sont point vénaux, comme la place de conseiller d'état.
Place signifie quelquefois un terrein vain & vague, comme une place à bâtir, une place qui est ordinairement en pascage.
On appelle place publique, celle qui est destinée pour l'usage public, comme sont les marchés, ou comme les places de décoration & celles destinées pour les réjouissances publiques, & pour les exécutions de justice.
On appelle encore place, un certain espace de terrein où des marchands & débitans exposent leurs marchandises, comme font les Boulangers & les marchandes de poisson & de légumes dans les marchés. Ces places dépendent la plûpart du domaine ; en quelques marchés il y en a qui dépendent des seigneurs hauts justiciers.
On dit aussi une place de barbier, c'est-à-dire l'état de barbier ; ces places ne sont point des offices.
Les places monachales sont les lieux destinés à loger & entretenir un certain nombre de religieux : ces places ne sont point des bénéfices ; mais quand un monastere est fondé pour tant de religieux, le chapitre général peut obliger ce monastere de recevoir des religieux à proportion du nombre qu'il y a de places vacantes. Voyez COUVENT, MONASTERE, RELIGIEUX. (A)
PLACE, s. f. (Archit.) espace de figure réguliere ou irréguliere, destiné pour bâtir : on l'appelloit anciennement parterre.
Place publique, grande place découverte, entourée de bâtimens, pour la magnificence d'une ville ; comme les places de Vendôme, Royale, des Victoires à Paris ; de Bellecourt, à Lyon ; de S. Charles, à Turin, &c. ou pour l'utilité, telle qu'une halle, un marché ; ainsi, par exemple, que la place Navonne, à Rome.
On proportionne la grandeur des places publiques, pour ce dernier usage, au nombre des habitans d'une ville, afin qu'elle ne soit pas trop petite si beaucoup de personnes y ont affaire, ou qu'elle ne paroisse pas trop vaste si la ville n'est pas beaucoup peuplée.
Les places publiques des Grecs sont quarrées, & il y a au-tour de doubles portiques, dont les colonnes serrées les unes contre les autres, soutiennent des architraves de pierre ou de marbre, avec des galeries au-dessus. C'est sur ces galeries, & dans ces portiques que se plaçoient les spectateurs pour voir le combat des gladiateurs qu'on donnoit autrefois dans ces places. Daviler. (D.J.)
PLACE, en terme de guerre, est un mot générique, qui signifie toutes sortes de forteresses où l'on peut se défendre. Voyez FORTERESSE.
En ce sens l'on peut dire que c'est un lieu tellement disposé, que les parties qui l'entourent se défendent & se flanquent mutuellement. Voyez FORT & FORTIFICATION.
Place forte ou place fortifiée, est un lieu flanqué & couvert de bastion. Voyez BASTION & FORTERESSE.
Place réguliere, est celle dont les angles, les côtés, les bastions & les autres parties sont égales. Elle prend ordinairement son nom du nombre de ses angles ; on l'appelle un pentagone, un hexagone, &c. Voyez PENTAGONE, HEXAGONE, &c. Voyez aussi REGULIER. Palmanova, bâtie par les Vénitiens, est un dodécagone. Voyez DODECAGONE.
Une place irréguliere, est celle dont les côtés & les angles sont inégaux. Voyez FORTIFICATION IRREGULIERE.
Place d'armes, en fortification, c'est une place forte, choisie pour être le principal magasin d'une armée.
Place d'armes, dans une ville ou dans une garnison ; c'est un grand espace de terrein, ouvert ordinairement vers le centre, où l'on assemble les soldats pour les fonctions militaires, comme pour monter la garde, faire les revues, & en cas d'allarmes, pour y recevoir les ordres du gouverneur ou du commandant. Voyez GARNISON. Chambers.
Ces sortes de places d'armes ont différentes figures dans les places irrégulieres, mais dans les régulieres, elles sont ordinairement ou quarrées, ou de la figure du polygone de la place. Une place d'armes quarrée est plus avantageuse, pour la régularité des maisons, que celle qui forme un autre polygone, parce que leur emplacement est alors rectangulaire, au lieu qu'il ne l'est point lorsqu'elle a une autre figure. Les principales rues de la ville doivent aboutir à la place d'armes, & l'on doit aussi de cette place pouvoir conduire les troupes aisément & promptement au rempart.
La grandeur des places d'armes est fort difficile à régler avec précision : car elle doit être relative à celle de la ville, à la garnison, au nombre des habitans, & à la quantité du terrein dont on peut disposer. Une place d'armes, grande & spacieuse, a quelque chose de plus agréable qu'une petite. C'est un ornement pour la ville. D'ailleurs les principaux édifices, comme la grande église, l'hôtel-de-ville, le gouvernement ou la maison du gouverneur, ont ordinairement leur principale porte sur la place d'armes. Tout cela y attire un grand concours de monde. Lorsque les villes sont fort grandes, elles ont ordinairement plusieurs places d'armes ; mais la plus grande ou la principale en occupe presque toujours à-peu-près le centre. Suivant le livre de la Science des Ingénieurs, lorsque la ville ou la place est un pentagone, le côté du quarré de la place d'armes doit avoir 40 toises, 45 ou 50 si elle a six bastions ; 55 à 60 si elle en a sept, 70 ou 75 si elle en a huit ; & enfin 90 ou 95 si la place a onze ou douze bastions.
Place d'armes dans un siege, est une espece de tranchée parallele à la place, qui a été mise en usage par M. le maréchal de Vauban, & où l'on a toujours des soldats préparés à soutenir ceux qui travaillent aux approches contre les entreprises de la garnison. Voyez PARALLELES ou PLACES D'ARMES.
Place d'armes particuliere dans une garnison, c'est une place proche de chaque bastion, où les soldats que l'on envoie de la grande place aux quartiers qui leur sont assignés, viennent relever ceux qui sont de garde ou qui sont au combat. Chambers.
Place d'armes dans un camp, est un grand espace à la tête d'un camp, pour y ranger l'armée en bataille. Il y en a aussi pour faire assembler chaque corps particulier. Voyez CAMP.
Place d'armes d'une troupe ou d'une compagnie, c'est l'étendue du terrein sur lequel une troupe ou une compagnie se range en bataille. Voyez TROUPE &c.
Chambers.
Place d'armes dans le fossé sec, est une espece de chemin couvert que l'on y pratique, qui en traverse la largeur, & qui sert à augmenter la défense du fossé. Ces places ne consistent que dans un parapet perpendiculaire aux faces des demi-lunes, & autres ouvrages construits dans les fossés secs : elles occupent toute la largeur du fossé à l'exception d'un petit espace auprès de la contrescarpe qui est fermé par une barriere. Ce parapet est élevé de trois piés sur le niveau du fossé, lequel fossé est creusé dans cet endroit de la même quantité, il se perd en glacis comme celui du chemin couvert : il a aussi une banquette, & il est palissadé.
Place d'armes du chemin couvert, sont des espaces pratiqués à ses angles, rentrant & saillant, pour assembler les soldats nécessaires à la défense du chemin couvert, & faire des sorties sur l'ennemi. Les places d'armes des angles saillans sont appellées saillantes, & elles sont formées par l'arrondissement de la contrescarpe. A l'égard des places d'armes des angles rentrans, & qu'on appelle places d'armes rentrantes, elles se construisent ainsi. On prend 12 ou 15 toises de part & d'autre de l'angle rentrant du chemin couvert, & sur la ligne qui le termine vers la campagne. De l'extrémité S & T de chacune de ces lignes (Pl. I. des fortifications, fig. 5.), & de l'intervalle de 18 ou 20 toises, on décrit deux arcs qui se coupent dans un point V vis-à-vis l'angle rentrant du chemin couvert. On tire de ce point deux lignes, VS, VT, aux extrémités de 12 ou 15 toises prises sur le côté intérieur du chemin couvert. Ces lignes sont les faces des places d'armes. Les deux premieres lignes qui ne paroissent plus lorsque le plan est achevé, se nomment les demi-gorges. Il faut observer que l'angle que les faces des places d'armes font avec le chemin couvert, ne doit jamais être aigu, mais droit ou un peu obtus ; autrement les soldats placés le long des faces des places d'armes, pourroient en tirant, tuer ou estropier ceux qui seroient sur les branches voisines. Les places d'armes de M. le maréchal de Vauban, n'ont que 10 toises de demi gorge, & 12 de face ; mais ces dimensions sont trop petites. De grandes places d'armes sont plus propres à être soutenues que de petites ; & d'ailleurs les faces en flanquent bien plus avantageusement les branches du chemin couvert. (Q)
PLACE FORTIFIEE, FORTERESSE ou FORTIFICATION ; c'est une place bien flanquée & bien couverte d'ouvrages.
Les places fortifiées, selon la méthode des modernes, consistent principalement en bastions, courtines, & quelquefois en demi-bastions, selon la situation du terrein ; en cavaliers, remparts, fausses-braies, fossés, contrescarpes, chemins couverts, demi-lunes ou ravelins, ouvrages à corne, à couronne, rédans & tenailles. Voyez chacun de ces ouvrages à l'article qui est particulier à chacun d'eux, c'est-à-dire, voyez FORTIFICATION, BASTION, COURTINE, REMPART, CAVALIER, FAUSSE-BRAIE, FOSSE, &c. Chambers.
Toutes ces pieces sont composées d'un rempart & d'un parapet. Elles ont des bermes lorsqu'elles sont revêtues de gasons, & alors elles sont ordinairement fraisées. Voyez BERME, FRAISES, &c.
Ces ouvrages sont composés de plusieurs parties qui ont différens noms ; ainsi un bastion est composé de faces, de flancs, de casemates, d'orillons, de gorges ; une demi lune, de demi-gorges, de faces & quelquefois de flancs ; un ouvrage à corne de demi-bastions & d'aîles, branches ou longs côtés, &c. Voyez les articles de tous ces différens ouvrages.
PLACES EN PREMIERE LIGNE, se dit dans l'Art militaire de celles qui couvrent les Provinces frontieres des états, & qui se trouvent par conséquent les plus exposées aux entreprises de l'ennemi. Celles qui forment une espece de seconde enceinte derriere la premiere, sont dites être en seconde ligne, & celles qui suivent, en troisieme ligne.
Les places en premiere & en seconde ligne, doivent être exactement fortifiées & disposées de maniere, qu'elles ferment absolument l'entrée du pays à l'ennemi. On doit s'attacher à faire ensorte qu'il n'y en ait aucune qui n'ait son utilité ; mais pour déterminer celles qui sont de cette espece, il faut outre une grande connoissance du pays, des vues supérieures pour juger de tout ce qu'un ennemi intelligent peut faire, & des situations propres à arrêter ses progrès. Les livres ne peuvent guères donner que des idées fort superficielles sur cet objet, c'est-à-dire quelques principes généraux dont il est aisé de convenir, comme par exemple, que la premiere maxime de la fortification, qu'il ne doit y avoir aucun endroit de l'enceinte d'une place, qui ne soit vu & défendu de quelqu'autre partie de cette enceinte, doit s'appliquer aux différentes places des frontieres des états ; qu'ainsi ces places doivent fermer tous les passages à l'ennemi, & être disposées de maniere qu'il ne puisse ni les éviter, ni pénétrer dans l'intérieur du pays pour en avoir forcé quelques-unes : ou bien comme le dit M. le comte de Beausobre dans la deuxieme partie de son commentaire sur Enée le tacticien, que la tactique, la fortification particuliere d'une place, & la fortification générale d'une frontiere, sont dans la même analogie. Ces principes, quoique assez exactement vrais en eux-mêmes, n'en souffrent pas moins de difficultés dans la pratique. Il y a tant de circonstances particulieres à examiner & à combiner pour les appliquer judicieusement, qu'on ne peut guère présumer d'y réussir parfaitement. Si l'on ajoute à cela les changemens que la guerre occasionne dans les frontieres & dans les intérêts particuliers des princes, on verra qu'il est presque impossible de parvenir & de déterminer exactement le nombre & la nature des places fortes qui doivent faire la barriere des grands états. On peut voir ce que M. de Beausobre dit sur ce sujet, dans l'ouvrage que nous venons de citer, & la maniere dont il répond à cette question qu'il se fait. Combien faut-il de places fortes dans un état, & quel doit être leur distribution & leur ordonnance ? (Q)
PLACE, reconnoître une (Art milit.) c'est en faire le tour avant que de l'assiéger, & remarquer avec soin les avantages & les défauts de son assiette & de sa fortification, afin de l'attaquer par l'endroit le plus foible. C'est un soin que le général doit prendre lui-même. On ne fait point de siege, qu'on n'aille auparavant reconnoître la place. Dict. milit. (D.J.)
PLACE, secourir une (Art. milit.) c'est faire lever le siege à une armée qui l'attaque. Le secours qu'on veut donner à une place assiégée, consiste ou en hommes, ou en munitions, ou en vivres. On proportionne la disposition du secours qu'on veut faire entrer, à la maniere qu'on desire qu'il soit, c'est-à-dire, que s'il ne s'agit que d'introduire dans la place un nombre d'hommes pour en fortifier la garnison, ou un convoi de vivres pour en augmenter les provisions, ou l'un & l'autre tout ensemble ; on tâche de le faire avant que les lignes de circonvallation soient parfaites. Les difficultés qu'elles opposent sont très-difficiles à surmonter ; elles ne sont cependant pas impossibles à vaincre, mais on ne peut donner des regles certaines sur cela. Il faut de nécessité que ce soit la disposition des lieux, & celle de l'ennemi qui en décident.
Celui qui conduit l'entreprise s'instruit si bien de ces dispositions, qu'il n'est pas besoin d'autre guide que de lui-même. Si ce sont des troupes qu'on veut jetter dans une place, il faut qu'il se souvienne que c'est de l'infanterie qui y est nécessaire, & non pas de la cavalerie. Les cavaliers qui sont chargés d'introduire de la poudre dans une place, ont soin de la mettre dans des sacs de cuir, de peur que la poudre, si on la mettoit dans des sacs de toile, ne se répande le long du chemin.
La meilleure maniere de secourir les places, est d'y aller avec une bonne armée, pour combattre celle de l'assiégeant, de quelque maniere qu'elle soit postée, afin de la contraindre de lever le siege. Si dans cette occasion il y a une armée d'observation, ou si celle qui assiege sort des lignes pour venir au-devant pendant l'action, pourvu que l'occasion se présente de jetter des troupes ou d'autres secours dans la place, il en faut profiter à cause du succès incertain de l'entreprise. Cette action doit être concertée avec le gouverneur par le moyen des espions, afin que pendant son cours, il fasse de son côté des efforts pour recevoir tout ce dont il a besoin pour faire une vigoureuse résistance.
Mais si l'ennemi ne sort point de ses retranchemens, & qu'il faille l'y forcer, un général a deux partis à prendre. Le premier est d'attaquer en lignes déployées une partie de la circonvallation, separée de l'autre par quelque riviere, ruisseau ou autre défilé, afin de n'avoir pas toutes les forces de l'ennemi à combattre ; ces corps ne manquent pas de profiter de leur absence pour pénétrer dans les lignes, & pousser, s'il est possible, jusqu'aux tranchées, ou du moins faire une puissante diversion. Le second parti est d'attaquer le retranchement par têtes de colonnes ; on les forme en divers endroits. Dans ce cas on choisit les plus foibles, d'où on puisse le plus aisément pénétrer jusqu'à la place.
Quelques mesures que l'assiégeant prenne, il ne lui est guère possible d'en prendre d'assez justes, pour s'opposer à ces sortes d'attaques ; car en faisant une disposition semblable, en opposant colonne contre colonne, il ne le peut sans être obligé de dégarnir presqu'entierement le derriere de ses parapets, & sans s'exposer à être emporté par ces endroits. Il est infiniment plus aisé à l'assaillant de donner le change, qu'il ne lui est facile de s'en garantir. (D.J.)
PLACES PUBLIQUES DE ROME, (Antiquités de Rome) les Grecs & les Romains se sont distingués par leurs places publiques, monumens à jamais célebres de leur magnificence & de leur goût pour les arts.
Les places publiques chez les Grecs étoient quarrées, & avoient tout-autour de doubles & amples portiques, dont les colonnes étoient serrées, & soutenoient des architraves de pierre ou de marbre, avec des galeries en haut ; mais cela ne se pratiquoit point en Italie, parce que l'ancienne coutume étant de faire voir au peuple les combats de gladiateurs dans ces places, il falloit pour de tels spectacles, qu'elles eussent tout-autour des entre-colonnes plus larges ; & que sous les portiques, les boutiques des changeurs & les balcons au-dessus, eussent l'espace nécessaire pour faire le trafic, & pour la recette des deniers publics.
Il y avoit à Rome 17 places publiques nommées fora ; mais il y avoit 3 places publiques principales où les Romains rendoient la justice : 1°. la place romaine, forum romanum, qui étoit la plus ancienne & la plus fameuse de toutes, & dans laquelle étoient les rostres : 2°. la place de César, forum Julii Caesaris : 3°. la place d'Auguste, forum Augusti. Ces deux dernieres ne furent ajoutées que pour servir de supplément à la place romaine, à cause du grand nombre de plaideurs & de procès, comme dit Suétone.
Ces trois places étoient destinées aux assemblées du peuple, aux harangues, & à l'administration de la justice. A ces trois places, on en ajouta encore deux autres ; l'une fut commencée par Domitien, & achevée par l'empereur Nerva, qui, de son nom, fut appellée forum divi Nervae ; & l'autre fut bâtie par Trajan, & nommée de son nom, forum Trajani. Disons un mot de toutes ces fameuses places.
La place romaine, située entre le mont Palatin & le Capitole, comprenoit tout cet espace qui s'étendoit depuis l'arc de Septimus Severus, jusqu'au temple de Jupiter Stator. Du tems de Romulus, ce n'étoit qu'une simple place sans édifices & sans ornemens. Tullus Hostilius fut le premier qui l'environna de galeries & de boutiques. Après lui ses successeurs, ensuite les consuls & les autres magistrats l'embellirent tellement, que dans le tems de la république florissante, c'étoit une des plus belles places du monde : elle étoit entourée d'édifices magnifiques, avec des galeries soutenues de colonnes, & s'étendoit alors depuis le pié du mont Capitolin où étoit l'arc de Septimus, jusqu'à l'arc de Titus ; & depuis le bas du mont Palatin, jusqu'à la voie sacrée.
Ses principales parties étoient le lieu appellé comitium, le comice, où le peuple s'assembloit pour les affaires publiques. Les édiles & les préteurs y donnoient souvent des jeux pour divertir le peuple. Marcellus, fils d'Octavie, soeur d'Auguste, dont Virgile a fait un si bel éloge, le fit couvrir de toile l'année de son édilité pour la commodité des plaideurs, ut salubrius litigantes consisterent, pour me servir des termes de Pline ; Caton le censeur disoit au contraire, qu'il le falloit faire paver de pierres pointues, afin que les plaideurs n'y allassent pas si souvent, & qu'en y perdant patience, ils perdissent aussi l'envie de plaider. Dans ce lieu du comice ou de l'assemblée, il y avoit quatre basiliques, celle de Paulus, l'Opimia, où le sénat s'assembloit, la Julia, qui fut bâtie par Vitruve, & la Portia par Portius Caton.
A l'un des coins de cette place, au pié de la roche Tarpéienne, étoit cette grande & affreuse prison que fit faire Ancus Martius, & que Servius Tullius augmenta depuis de plusieurs cachots, d'où vient qu'on l'appella Tullianum. A l'entrée de la place, ou, comme dit Tacite, près du temple de Saturne, étoit la célebre colonne appellée milliarium aureum, d'où l'on commençoit les mesures des distances des milles d'Italie. Il y avoit aussi une galerie, ou comme un pont de marbre, que fit faire l'empereur Caligula, pour aller & venir du mont Palatin au capitole par la place romaine. Elle étoit soutenue par quatre-vingt grosses colonnes de marbre blanc. La vieille place romaine est appellée aujourd'hui campo vacino, &c.
La place de César, étoit celle dont Jules César fit l'acquisition pour l'embellissement de Rome, & pour servir aux assemblées du peuple, il l'acheta cent millions de sesterces, qui valoient, selon le calcul de Budé en argent de France de son tems deux millions cinq cent mille écus, & Jules-César dépensa deux cent cinquante mille écus pour la faire paver. Ce dictateur y fit bâtir la basilique Julienne, & y fit dresser sa statue sur un cheval de bronze.
La place d'Auguste à Rome fut l'ouvrage de cet empereur, parce que l'ancienne place romaine, & celle de Jules-César réunies, ne suffisoient pas pour toutes les assemblées publiques. On s'y rendoit pour déliberer de la guerre ou de la paix, & du triomphe que l'on accordoit aux vainqueurs, lesquels y apportoient les enseignes & les trophées de leurs victoires. Le temple de Mars étoit dans cette place, & l'on y faisoit quelquefois des courses à cheval, & des jeux publics. On y voyoit une magnifique statue d'albâtre, qui représentoit Auguste, avec les statues de tous ceux qui avoient triomphé. Il y avoit aussi deux tableaux de la main d'Apelle, dont l'un représentoit Castor & Pollux, & l'autre les victoires d'Alexandre le Grand, monté sur un char de triomphe. Cette place d'Auguste étoit près de la place romaine, & voisine du Tibre, qui s'y déborda du tems de cet empereur.
La place de Nerva, à côté de celle d'Auguste, commencée par l'empereur Domitien, fut achevée & embellie par Nerva son successeur. Elle étoit ornée de plusieurs statues, & de colonnes de bronze d'une hauteur extraordinaire, couvertes de bandes de cuivre. Il y avoit près de-là un palais magnifique, avec un superbe portique, dont il reste encore quelques débris.
La place de Trajan, est celle que cet empereur fit bâtir entre la place de Nerva, le capitole & le mont Quirinal. Tout y étoit de la derniere magnificence. On y voyoit un superbe portique soutenu d'un grand nombre de colonnes, dont la hauteur & la structure donnoient de l'admiration. Tout cela étoit accompagné d'un arc triomphal, orné de figures de marbre, avec la statue du cheval de Trajan, qui étoit élevée sur un superbe piédestal. Au milieu de la place, étoit la colonne de Trajan. Voyez COLONNE TRAJANE. (D.J.)
PLACE DU CHANGE, ou place commune des Marchands ; c'est un lieu public établi dans les villes de négoce, où les marchands, négocians, banquiers, courtiers ou agens de change, & autres personnes qui se mêlent du commerce des lettres & billets de change, ou qui font valoir leur argent, se trouvent à certains jours de la semaine pour y parler & traiter des affaires de leur commerce, & savoir le cours du change. Voyez CHANGE.
A Paris on dit simplement la place, elle est située dans la cour du palais sous la galerie dauphine. A Lyon on la nomme aussi la place ou la place du change ; à Toulouse, à Londres, à Amsterdam, & presque dans tous les pays étrangers, la bourse. Voyez BOURSE.
Faire des traites & remises de place en place, c'est faire tenir de l'argent d'une ville à une autre par le moyen des lettres-de-change, moyennant un certain droit qui se regle suivant que le change est plus ou moins haut. Voyez REMISE.
Quelquefois le mot de place se prend pour tout le corps des marchands & négocians d'une ville. On dit en ce sens que la place de Lyon est la plus considérable & la plus riche de France, pour dire qu'il n'y a point dans le royaume de banquiers & de marchands plus riches ni plus accrédités que ceux de Lyon.
On dit en termes de commerce : c'est demain jour de place. Je vais à la place. Il y a peu d'argent sur la place. L'argent de la place est à tant. Le change est haussé ou baissé sur la place, &c. Dans toutes ces expressions le nom de place ne signifie que le concours & l'assemblée des marchands qui négocient ensemble. Diction. de comm. tom. III. p. 865.
Place ; on appelle encore ainsi en terme de commerce de mer, certains endroits destinés dans les ports de mer. Les bâtimens marchands, suivant les ordonnances de marine, ne doivent point être mêlés ni engagés avec les vaisseaux de roi, & avoir déchargé leurs poudres & autres marchandises combustibles, avant que de pouvoir prendre leurs places dans le port. Idem. Ibid.
Place est encore un lieu public, dans lequel se tiennent les foires ou marchés où les marchands ont leurs échopes ou petites boutiques pour étaler leurs marchandises, quelquefois sans payer aucun droit, & le plus souvent en le payant au roi ou aux seigneurs.
Place se dit aussi du lieu que les maîtres de quelques communautés des arts & métiers de Paris ont droit d'avoir aux halles pour y étaler leurs marchandises les jours de marché, la place des Potiers de terre, &c.
Place s'entend aussi des endroits où les vendeurs d'images & les petits merciers étalent leurs marchandises, comme sont à Paris le cimetiere des SS. Innocens, les murs des églises & des grands hôtels. Dict. de comm.
PLACE, terme de Cloutier ; c'est un ustensile de fer enfoncé par le pié dans un gros bloc de bois, qui sert comme d'établi au cloutier pour fabriquer ses cloux. Cet ustencile est une espece d'enclume plus plate que quarrée, plus large par en-haut que par em-bas, dont la surface supérieure est unie & quarrée d'un côté, & allongée de l'autre ; c'est sur cet instrument que les ouvriers forgent & amenuisent leur baguette de fer pour en former les cloux ; il sert aussi pour appuyer la clouillere. Voyez les Planches du Cloutier.
PLACE, (Maréchal.) on appelle ainsi l'espace qui est entre deux poteaux dans une écurie, lequel est destiné pour y attacher & loger un cheval. Place s'entend dans quelques occasions pour le manege, comme quand le maître dit à l'écolier qui est à cheval de venir par le milieu de la place ; d'arrêter au milieu de la place ; il entend par cette expression le milieu du manege.
PLACES, tirer les, au médiateur, se dit d'une cérémonie de politesse qui sert de preuve à la bonne-foi des joueurs en se plaçant où le sort l'a décidé. On prend pour cela quatre cartes dans un jeu ; savoir, un roi, une dame, un valet & un as, que l'on présente aux joueurs pour leur en faire prendre une à chacun. Celui qui a tiré le roi se place où il veut, la dame après lui, le valet ensuite, & l'as au-dessus, pour lui donner la main.
PLACES, tirer les, au jeu de quadrille ; c'est voir au sort où chaque joueur doit se placer, ce qui se fait pour éviter toutes supercheries, & de la maniere suivante : on prend d'abord quatre cartes, une de chaque couleur, que l'on met à découvert à chaque place de la table, puis on en prend encore une de chaque couleur, que l'on mêle & que l'on présente, la couleur cachée, à chacun des joueurs, qui doit en prendre une & se placer à la couleur qui répond à cette carte prise.
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PLACEL | S. m. (Marine) c'est ainsi qu'on appelle, dans la mer du Sud, un fond également élevé, sur lequel la mer change de couleur, & paroît plus unie qu'ailleurs.
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PLACENT | ou ARRIERE-FAIX, (Anat.) c'est une masse ronde & mollette que l'on trouve dans la matrice d'une femme grosse, où les anciens croyoient que le sang étoit purifié & préparé pour la nourriture du foetus. Voyez nos Pl. d'Anat. & leur explic. Voyez aussi FOETUS.
C'est pourquoi on appelle encore hepar uterinum, le foie de la matrice, comme s'il faisoit l'office d'un foie dans la préparation du sang. Voyez FOIE. Les modernes l'appellent placenta, c'est-à-dire, gâteau ou tourteau de la matrice, à cause qu'il a une forme de tourteau.
Quelques-uns croyent que le placenta n'est qu'une masse de sang coagulé, parce qu'il se dissout quand on le presse ou quand on le lave ; & que son véritable usage consiste à servir d'oreiller aux vaisseaux ombilicaux qui posent dessus. Voyez OMBILICAL.
Sa figure est assez semblable à celle d'une assiette sans rebord : son diametre est de huit pouces environ, & quelquefois un pié. Il est rond & généralement concave ou convexe. Le côté concave est adhérent à l'uterus, & il est inégal, ayant différentes protubérances & différentes cavités, au moyen desquels il fait des impressions sur l'uterus, qui en fait réciproquement sur le placenta. Quoi qu'en disent quelques-uns, sa place dans l'uterus n'est pas fixe ou certaine.
Les femmes n'ont qu'un placenta, à moins qu'elles n'accouchent d'enfans jumeaux, &c. cependant, en général, le nombre des placenta répond à celui des foetus. Dans quelques brutes, particulierement dans les vaches & dans les brebis, le nombre en est fort grand : il y en a quelquefois près d'un cent pour un seul foetus, mais ils sont petits, & ressemblent à des glandes conglomérées d'une grosseur moyenne.
Du côté extérieur ou convexe, qui a pareillement ses protubérances, quoique recouvertes d'une membrane fort unie, sortent les vaisseaux ombilicaux, qui se distribuent en grande abondance dans toute la substance du placenta.
Il y en a même qui s'imaginent que cette partie n'est qu'un plexus de veines & d'arteres, dont les extrémités s'abouchent dans celles des vaisseaux hypogastiques, forment & entretiennent la circulation entre la mere & le foetus ; car ce côté du placenta, qui est adhérent à la matrice, paroît n'être autre chose que les extrémités d'un nombre infini de petits filets, lesquels, dans le tems du travail, s'échappent des pores qui sont dans les côtés des vaisseaux sanguins hypogastriques, où ils s'étoient insinués, occasionnent l'écoulement des menstrues, jusqu'à ce que les parties de l'uterus se rapprochent, ou que les pores se contractent par degrés, à cause de l'élasticité naturelle des vaisseaux. Voyez MENSTRUE, CIRCULATION, &c.
Les Anatomistes de l'acad. roy. des Sciences de Paris ont eu de grandes contestations sur la question de savoir si le placenta a quelque tunique extérieure, par laquelle il soit attaché à la matrice. M. Mery soutient qu'il n'y en a point, & que rien n'empêche le sang de la mere de passer de la matrice dans le placenta, & de-là au foetus ; M. Rohault tient aussi pour cette opinion ; mais MM. Vieussens & Winslow soutiennent le contraire. Dans un autre mémoire M. Rohault tâche de faire voir que le placenta n'est pas une partie particuliere, mais seulement une portion du chorion condensé ou épaissi. Voyez CHORION.
PLACENTA, maladie du, (Médec.) on connoît la structure du placenta, c'est une masse presque charnue, d'une figure orbiculaire, applatie, composée de ramifications des arteres & des veines ombilicales ; le placenta n'est jamais double, si ce n'est dans les jumeaux ; il est attaché ordinairement au fond de la matrice, par une légere peau interposée, d'où part un cordon dans l'endroit où elle est couverte d'une membrane tenace, toute vasculeuse, attachée par une toile cellulaire, & par des fibres entrelacées les unes dans les autres. Le placenta est doué d'une action particuliere, qui cesse au moment de l'accouchement ; mais après cette opération, il doit être séparé de la matrice, & tiré dehors.
Si avant le tems on détache cette partie de la matrice, il en résulte un avortement inévitable, & souvent une hémorrhagie mortelle pour la mere & l'enfant, quand pour tirer le placenta il faut avoir recours à la main. Cette séparation se fait d'elle-même, lorsqu'il y a beaucoup de sang, ou qu'il coule rapidement dans les vaisseaux ; lorsqu'il arrive quelque mouvement déreglé dans la matrice, que le foetus vient à regimber, que le cordon ombilical est court, ou que son action cesse trop tôt.
Après l'exclusion du foetus, le placenta, qui reste adhérent à la matrice, s'en détache par les mouvemens des fibres de ce viscere, & par la force de la circulation qui y subsiste ; on favorise ce détachement par les frictions sur le ventre, & en tirant doucement le cordon ombilical ; si cette manoeuvre ne réussit point, les auteurs conseillent de séparer le placenta de la matrice, en glissant doucement la main auprès du cordon ; car en le touchant trop fortement on renverseroit la matrice : mais si les vuidanges ne suivent point, il faut plutôt le laisser jusqu'à ce qu'il vienne de lui-même, en soutenant aussi le ventre.
Si le placenta est adhérent, & qu'il ait encore un mouvement vital, il faut attendre jusqu'à ce qu'il se sépare de lui-même. Quand il y a une portion séparée du placenta, ou qu'il est rompu (ce qu'on connoît par des lochies plus abondantes), il convient de favoriser sa sortie en y mettant la main. Si le placenta est retenu par le resserrement de l'ouverture de la matrice, il est plus à-propos d'attendre que la constriction produite par l'irritation vienne à cesser, d'échauffer la partie par de douces fomentations, & de soutenir le ventre, que d'employer la force pour venir à-bout de l'arracher ; car dans la contraction des muscles abdominaux, le placenta sortira librement avec les grumeaux formés par le sang amassé dans cette partie. Ce sont là du moins les conseils de Deventer, homme profondément versé dans l'art des accouchemens. (D.J.)
PLACENTA, (Botan.) l'analogie qu'on a cru remarquer entre les animaux & les plantes a introduit ce terme en botanique, pour désigner un corps qui se trouve placé entre leur semence & leur enveloppe, & qui sert à préparer leur nourriture. Ce corps est différent du cordon qui porte la nourriture à ces mêmes semences. (D.J.)
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PLACENTAE | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à des échinites ou oursins applatis & en forme de gâteaux pétrifiés.
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PLACENTIA | (Géog. anc.) ville d'Italie dans la Gaule cisalpine, sur la rive méridionale du Pô. Elle fut bâtie, ainsi que Crémone, à la nouvelle qu'on eut qu'Annibal avoit passé l'Ebre, & se préparoit à porter ses armes en Italie. Tite-Live & Velleius-Paterculus lui donnent dès-lors le titre de colonie romaine. Dans la suite, comme tant d'autres villes, elle eut le titre de municipe. Elle étoit recommandable par ses richesses ; c'est aujourd'hui la ville de Plaisance. Placentia étoit une ville d'Espagne qui a conservé son nom, & qui est située au royaume de Castille ; elle s'appelle en effet Plasencia. (D.J.)
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PLACER | POSER, METTRE, (Synon.) mettre a un sens plus général ; poser & placer en ont un plus restraint ; mais poser, c'est mettre avec justesse dans le sens & de la maniere dont les choses doivent être mises ; placer, c'est le mettre avec ordre dans le rang & dans le lieu qui leur conviennent. Pour bien poser, il faut de l'adresse dans la main ; pour bien placer, il faut du goût & de la science : on met des colonnes pour soutenir un édifice ; on les pose sur des bases ; on les place avec symmétrie. Girard.
Ce verbe placer a autant d'acceptions différentes que le nom place. Voyez l'article PLACE.
PLACER, mettre une chose en sa place, la ranger, un marchand doit placer ses marchandises avec ordre, ensorte qu'il les trouve aisément sous sa main.
Placer son argent, c'est l'employer à quelque chose, & quelquefois le mettre à profit. J'ai placé mon argent à la grosse aventure, & sur tel vaisseau. J'ai placé vingt mille francs à 7 1/2 pour cent d'intérêt. Voyez GROSSE AVENTURE & INTERET.
Placer un jeune homme, en termes de Commerce, c'est le mettre en apprentissage. Une boutique bien placée est une boutique bien exposée à la vûe des chalands qui est dans un quartier de grand débit. On dit aussi dans le même sens un marchand bien placé. Diction. de commerce.
PLACER POINTE A POINTE, en terme d'Epinglier, c'est mettre toutes les pointes du même côté, afin que l'enfileur ne se trompe point de bout. On appelle aussi cette opération détourner.
PLACER BIEN SA TETE, (Maréchal.) se dit du cheval lorsqu'il ne leve ni ne baisse trop le nez. La placer mal arrive lorsque le cheval avance trop le bout du nez, ou qu'il l'approche trop du poitrail. Placer à cheval se dit du maître quand il enseigne à l'écolier l'attitude qu'il veut qu'il tienne à cheval. Se placer ou être placé à cheval, c'est y être dans une belle & bonne attitude.
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PLACET | S. m. (Histoire) ces sortes de requêtes, de supplications faites par écrit que l'on présente au roi, aux grands seigneurs & aux juges sont appellés placets, parce qu'ils commencent toujours plaise à votre majesté, plaise, &c. les Latins les nommoient elogia.
Comme je ne connois point dans toute l'histoire de placet plus simple, plus noble, &, selon toutes les apparences, plus juste que celui d'Anne de Boulen à Henri VIII. son époux, & qu'on conserve encore écrit de la propre main de cette reine dans la bibliotheque Cotton, je crois devoir le rapporter ici.
Il est presque inutile de rappeller aux lecteurs le jugement de cette princesse par des commissaires, sa fin tragique sur un échafaud, & ce que l'histoire manifeste, qu'on lui fit plutôt son procès par les ordres exprès du roi, alors amoureux de Jeanne Seymour, que pour aucun crime qu'elle eût commis. Aussi son placet respire l'innocence, la grandeur d'ame & les justes plaintes d'une amante méprisée, Shakespear n'auroit pu lui prêter un style si conforme à son caractere & à son état. Sa douleur éloquente & profonde est pleine de traits plus pathétiques que ceux dont la plus belle imagination pourroit se parer. Voici donc de quelle maniere s'exprimoit cette mere infortunée de la célebre Elisabeth :
" Sire, le mécontentement de votre grandeur & mon emprisonnement me paroissent des choses si étranges, que je ne sai ni ce que je dois écrire, ni sur quoi je dois m'excuser. Vous m'avez envoyé dire par un homme que vous savez être mon ennemi déclaré depuis long-tems, que pour obtenir votre faveur je dois reconnoître une certaine vérité. Il n'eut pas plutôt fait son message que je m'apperçus de votre dessein ; mais si, comme vous le dites, l'aveu d'une vérité peut me procurer ma délivrance, j'obéirai à vos ordres de tout mon coeur & avec une entiere soumission.
Que votre grandeur ne s'imagine pas que votre pauvre femme puisse jamais être amenée à reconnoître une faute dont la seule pensée ne lui est pas venue dans l'esprit : jamais prince n'a eu une femme plus fidele à tous ses devoirs, & plus remplie d'une tendresse sincere que celle que vous avez trouvée en la personne d'Anne de Boulen, qui auroit pu se contenter de ce nom & de son état, s'il avoit plû à Dieu & à votre grandeur de l'y laisser. Mais au milieu de mon élevation & de la royauté où vous m'avez admise, je ne me suis jamais oubliée au point de ne pas craindre quelque revers pareil à celui qui m'arrive aujourd'hui. Comme cette élévation n'avoit pas un fondement plus solide que le goût passager que vous avez eu pour moi, je ne doutois pas que la moindre altération dans les traits qui l'ont fait naître ne fût capable de vous faire tourner vers quelque autre objet.
Vous m'avez tirée d'un rang inférieur pour m'élever à la royauté & à l'auguste rang de votre compagne. Cette grandeur étoit fort au-dessus de mon peu de mérite, ainsi que de mes desirs. Cependant si vous m'avez crue digne de cet honneur, ne souffrez pas, grand prince, qu'une inconstance injuste, ou que les mauvais conseils de mes ennemis me privent de votre faveur royale. Ne permettez pas qu'une tache aussi noire & aussi indigne que celle de vous avoir été infidele, ternisse la réputation de votre femme & celle de la jeune princesse votre fille.
Ordonnez donc, ô mon roi, que l'on instruise mon procès ; mais que l'on y observe les lois de la justice, & ne permettez point que mes ennemis jurés soient mes accusateurs & mes juges. Ordonnez même que mon procès me soit fait en public ; ma fidélité ne craint point d'être flétrie par la honte ; vous verrez mon innocence justifiée, vos soupçons levés, votre esprit satisfait, & la calomnie réduite au silence, ou mon crime paroîtra aux yeux de tout le monde. Ainsi, quoiqu'il plaise à Dieu ou à vous d'ordonner de moi, votre grandeur peut se garantir de la censure publique, & mon crime étant prouvé en justice, vous serez en liberté devant Dieu & devant les hommes, non-seulement de me punir comme une épouse infidele, mais encore de suivre l'inclination que vous avez fixée sur cette personne qui est la cause du malheureux état où je me vois réduite, & que j'aurois pu vous nommer il y a long-tems, puisque votre grandeur n'ignore pas jusqu'où alloient mes soupçons à cet égard.
Enfin si vous avez résolu de me perdre, & que ma mort fondée sur une infâme calomnie vous doive mettre en possession du bonheur que vous souhaitez, je prie Dieu qu'il veuille vous pardonner ce grand crime, aussi-bien qu'à mes ennemis qui en sont les instrumens ; & qu'assis au dernier jour sur son trône devant lequel vous & moi comparoîtrons bien-tôt, & où mon innocence, quoi qu'on puisse dire, sera ouvertement reconnue ; je le prie, dis-je, qu'alors il ne vous fasse pas rendre un compte rigoureux du traitement cruel & indigne que vous m'aurez fait.
La derniere & la seule chose que je vous demande, est que je sois seule à porter tout le poids de votre indignation, & que ces pauvres & innocens gentilshommes qui, m'a-t-on dit, sont retenus à cause de moi dans une étroite prison, n'en reçoivent aucun mal. Si jamais j'ai trouvé grace devant vous ; si jamais le nom d'Anne de Boulen a été agréable à vos oreilles, ne me refusez pas cette demande, & je ne vous importunerai plus sur quoi que ce soit ; au contraire j'adresserai toujours mes ardentes prieres à Dieu, afin qu'il lui plaise vous maintenir en sa bonne garde & vous diriger en toutes vos actions. De ma triste prison à la Tour, le 6 de Mai. Votre très-fidele & très-obéissante femme,
ANNE DE BOULEN ". (D.J.)
PLACET, s. m. ustensile, petit siege bas, rembourré, sans bras ni dossier.
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PLACHMALL | (Métallurgie) c'est ainsi qu'on nomme l'argent scorifié par le moyen du soufre dans le départ qui se fait par la voie seche, c'est-à-dire par la fonte.
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PLACIA | (Géogr. anc.) Hérodote, l. I. écrit ; ville de la Mysie, selon Pline, l. V. c. xxxij. c'étoit une petite colonie des Pélasgiens. Denis d'Halycarnasse, l. I. en nomme les habitans Placiani.
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PLACIENE | LA MERE, (Inscript.) . La mere Placiene est Cybele, la mere des dieux, la mere par excellence ; elle étoit honorée en divers lieux de l'Orient d'où elle prit les différens noms de Berecynthe, de Sipylene, d'Idéene, de Dindymene, &c. Mais comme cette déesse étoit particulierement adorée à Placia, ville voisine & dépendante de Cyzique, c'est pour cette raison qu'on l'appelloit Placiene. Il reste un marbre dans ceux de la bibliotheque du roi, qui lui donne cette qualification. Voyez PLACIA, Géog. (D.J.)
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PLACIER | S. m. (Comm.) le fermier des places d'un marché, celui qui loue les places aux harangeres, fruitieres & autres gens de marché. Le placier de la salle rend de sa ferme une certaine somme au domaine. Il est tenu de faire nettoyer le marché.
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PLACITA | (Histoire de France) espece de parlement ambulatoire que tenoient les premiers rois de la monarchie françoise ; c'est de-là qu'est venu le mot de plaid. (D.J.)
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PLACITÉ | adj. (Jurisprud.) du latin placitum, signifioit dans l'origine plaît ou plaisir, volonté. Le seigneur convoquoit ses vassaux & sujets ad placitum suum, c'est-à-dire pour venir à son mandement, pour entendre sa volonté ; & comme dans cette convocation ou assise, on rendoit la justice, on a pris placitum pour plaid, ou assise de justice.
Nos rois des deux premieres races avoient leur placité général, ou grande assise, leur cour pléniere qu'ils tenoient avec les grands du royaume, laquelle assemblée sous la troisieme race a été appellée parlement.
En Normandie, on appelle placités ou articles placités certains articles arrêtés par le parlement les chambres assemblées le 6 Avril 1666 contenant plusieurs usages de la province, lesquels articles furent envoyés au roi, avec priere à S. M. de trouver agréable qu'ils fussent lus & publiés, tant en l'audience de la cour, qu'en toutes les jurisdictions du ressort. (A)
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PLACTIQUE | adj. (Astrolog.) il se dit d'un aspect qui n'est pas dans le juste degré. Nous ne nous étendrons pas davantage sur ces mots, parce qu'ils sont vuides de sens, que la science à laquelle ils appartiennent est chimérique, que les auteurs qui en ont traité ne méritent pas d'être lus, & qu'il seroit à souhaiter qu'on laissât sortir de la langue toutes les expressions qui appartiennent à un système d'erreurs reconnues.
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PLAFOND | S. m. (Archit.) c'est la partie supérieure d'un appartement, qu'on garnit ordinairement de plâtre, & qu'on peint quelquefois : les plafonds sont faits pour cacher les poutres & les solives.
Comme la plûpart des plafonds antiques étoient de bois, ainsi que les nôtres : il n'en reste point de vestiges ; & l'on n'en peut juger que par les écrits de Vitruve & des autres auteurs qui ont fait la description des édifices de l'antiquité. Ils nous apprennent que les plafonds des palais étoient de bois précieux, & d'ouvrages de marqueterie fort riches par la diversité des bois de couleurs, de l'ivoire & des nacres de perle, & par les compartimens qui les composoient. Il y en avoit qui étoient ornés de lames de bronze, ou faits tout entiers de cette matiere. Tel étoit le plafond du portique du panthéon, qui ne subsiste plus.
Ces sortes de plafonds conviennent fort aux loges, sallons & grandes pieces, où la hauteur du plancher donne assez d'éloignement pour les voir d'une distance raisonnable, parce que dans les petites pieces dépendantes des grandes, il faut le moins de relief qu'il se peut. Il y faut observer des proportions qui consistent dans la division des compartimens, dont les quadres doivent répondre aux vuides des murs, comme aux fenêtres & aux portes, ce que les poutres reglent assez facilement. Or dans les grandes pieces, il faut de grandes parties, & particulierement une qui marque le milieu, & qui soit différente des autres par sa figure. Par exemple, elle doit être ronde ou octogone pour les pieces quarrées, & ovale pour les rondes.
Les renforcemens peuvent être ornés de roses tombant en pendentifs, qui ne doivent pas excéder l'arasement des poutres principales. Les corniches ou entablemens doivent être tellement proportionnés, que leur profil qui est ordinairement fort riche, ait la même hauteur que si l'ordre étoit au-dessous, au cas qu'il n'y fût pas ; parce qu'on est sûr que la corniche ne sera ni trop puissante, ni trop foible, lorsqu'elle sera élevée à la hauteur de l'ordre qu'elle doit couronner.
Les frises peuvent recevoir de grands ornemens en cet endroit, pourvu qu'ils soient convenables aux lieux & aux personnes ; ce que Scamozzi a pratiqué fort-à-propos dans les salles de la procuratie de S. Marc, où il a mis les portraits des hommes illustres qui ont rendu de grands services à la république.
Outre les plafonds garnis de plâtre, il y en a de pierre qui sont nuds, & d'autres qu'on enrichit de peintures : nous ferons un article à part de ces derniers plafonds, & nous ne dirons ici qu'un mot des plafonds de pierre.
On appelle plafond de pierre le dessous d'un plancher fait de dalles de pierre dure, ou de pierre de hauteur d'appareil. Ces plafonds sont ou simples, comme celui du porche de l'église de l'Assomption, rue saint Honoré à Paris ; ou avec compartimens & sculptures, comme au portail du Louvre.
Façon de faire les plafonds en blanc en bourre. Quand vous aurez latté votre plafond, vous y mettrez une couche d'environ trois à quatre lignes d'épaisseur. Cette couche est composée d'une bonne terre blanche, un peu grasse & graveleuse, & on met douze boisseaux de cette terre, trois boisseaux de chaux-vive, trois livres de bourre grise de Tanneur.
Seconde couche : en faire avec de la bourre ou tonture d'étoffes ; l'on met trois livres de cette bourre bien battue, avec un boisseau de chaux nouvellement éteinte que l'on mêle bien ensemble, & l'on met une couche d'environ une ligne d'épaisseur de cette matiere sur la premiere couche, lorsqu'elle commence à secher.
PLAFOND DE CORNICHE, (Archit.) c'est le dessous du larmier d'une corniche : il est simple ou orné de sculpture. On l'appelle aussi sofite. Voyez SOFITE.
PLAFOND DE PEINTURE, (Peinture) plafond enrichi de peintures, qui doivent être raccourcies avec la proportion requise pour être vûes de bas en haut ; telles sont celles des plafonds d'églises.
Les grandes machines sont dans l'art de la Peinture, ce que les grands poëmes sont dans l'art de la Poésie. C'est un ouvrage formé d'une infinité de parties toutes essentielles, dont la réunion & l'accord sont nécessaires à la réussite. Faire agir des dieux, des héros, des rois, faire parler des sages, animer les passions, reproduire la nature, élever les ames, toucher les coeurs, éclairer les esprits, instruire les hommes ; voilà ce qu'entreprend le poëte.
Imiter ce qui n'a point de corps, l'air & la lumiere ; donner du mouvement à ce qui est inanimé, la toile & la couleur ; exprimer ce qu'à peine nous concevons, la perfection des êtres célestes, & les sentimens qu'excitent en eux les mysteres respectables de la religion ; telles sont les difficultés des grands poëmes en peinture.
Il en est d'autres moins faciles à surmonter dans les grandes machines, que nous nommons plafonds. Le spectateur veut avoir des figures parfaitement droites sur une surface dont le plan doit être une courbe irréguliere. Il veut être éclairé par une lumiere vive & brillante, dans un endroit qu'une voûte épaisse met à l'abri des rayons du soleil : il veut voir se porter sur des nuées, ou voler dans les airs, des êtres que leur pesanteur naturelle semble devoir faire tomber sur la terre. Il prétend que la disposition de cent figures soit telle, qu'elles ne s'embarrassent point à ses yeux, & que placées avec une attention extrême, elles semblent arrangées par un heureux hasard qui ne fasse aucun trait de contrainte. Il desire des ornemens feints, sur le relief desquels il soit en droit de se tromper, après avoir considéré & réfléchi.
On veut encore que le tout soit magnifique par l'abondance & la variété des figures ; on veut que cette grande variété de figures s'arrange si naturellement, qu'elles ne soient point pressées, & si librement, que rien ne sente la gêne. On veut que le spectateur saisisse aisément & avec transport, l'ordre, le plan & la conduite de l'ouvrage ; que cet ouvrage présente une unité de composition qui enchante ; que toutes ses parties tendent à un seul corps, toutes les causes à un seul effet, tous les ressorts à un seul mouvement.
Les figures doivent être drapées d'une maniere grande & large : sur-tout l'intelligence des raccourcis y doit être portée à la perfection. Cette intelligence quoiqu'absolument indispensable dans les plafonds, est cependant très-rare, parce qu'elle a besoin d'un grand goût pour en tirer des figures d'un beau choix. Les masses de lumieres & d'ombres y doivent être supérieurement distribuées ; & en même tems l'oeil doit se trouver tranquille par le repos & l'accord qui doivent régner, malgré la richesse des objets. Les grouppes d'un plafond veulent être dégradés avec art, & les demi teintes y soutenir une lumiere brillante. La perspective locale & aérienne veulent être parfaites, le coloris frais & fort, la maniere de dessiner & de peindre, très-grande.
Je ne déciderai point si M. Pierre, par exemple, a rempli tant de conditions ; je dirai seulement que sa coupole de la chapelle de la vierge à S. Roch, offre aux regards du public, un travail prodigieux qui l'a occupé plusieurs années. Le plafond qu'il a peint, a cinquante-six piés dans un diametre, & quarante-huit dans l'autre ; l'élevation de la coupole a dix-neuf piés ; ce qui forme un morceau considérable en architecture. J'ajoute que les occasions de traiter de si grands ouvrages, se trouvent rarement en France ; ce sont cependant des ouvrages publics, glorieux pour une nation ; & c'est en ce genre que l'Italie possede les plus belles choses.
Il me reste à dire que les Artistes entendent par plafond marouflé, un plafond peint sur une toile tendue sur un ou plusieurs chassis, & retenue (crainte que l'humidité ne la fasse bouffer) avec des clous dans les endroits les moins considérables de la peinture, & qu'on recouvre ensuite de couleurs. On maroufle de la même maniere, des plafonds ceintrés ; mais il faut que la toile soit humectée ou collée par derriere, afin qu'en se séchant, elle se bande & s'unisse. C'est de cette sorte qu'est marouflé le plafond de la grande galerie de Versailles. (D.J.)
PLAFOND, (Hydr.) on appelle ainsi le fond d'un bassin, d'un reservoir, qui, à proprement parler, est sa plate-forme, son aire. Voyez AIRE.
PLAFOND DES PORTES & CROISEES, (Menuiserie) c'est le dessous des linteaux dans l'épaisseur du mur ou l'embrasement.
PLAFOND, DESSUS DE, (Menuiserie) c'est un morceau de lambris qui se met pour remplir l'épaisseur qu'il y a depuis le plafond de la chambre ou la corniche en plâtre, jusqu'au bord du plafond des embrasemens des croisées. Voyez les Pl. d'Architecture.
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PLAFONNER | v. act. (Archit.) c'est revêtir le dessous d'un plancher ou d'un ceintre de charpente, avec des ais ou du mairrain.
PLAFONNER UNE FIGURE, (Peint.) c'est lui donner le raccourci nécessaire pour qu'elle fasse un bon effet, étant peinte sur un plafond ; ensorte qu'elle paroisse comme placée en l'air, & dans une attitude qui n'ait rien de gêné. Le Correge est le premier peintre moderne qui a représenté des figures en l'air ; c'est en même tems celui qui a le mieux connu l'art des raccourcis, & la magie des plafonds. (D.J.)
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PLAGAL | adj. ton ou mode plagal, terme de Musique : quand l'octave se trouve divisée harmoniquement, c'est-à-dire quand la quarte est au grave, & la quinte à l'aigu, on dit que le ton est plagal, pour le distinguer de l'authentique, où la quinte est au grave, & la quarte à l'aigu. C'est que dans le dernier cas, la modulation ne descend que jusqu'à la finale ou tonique, & dans le premier, elle descend plus bas jusqu'à la quarte de ce même ton ; ainsi tous les tons sont réellement authentiques, & cette distinction n'est plus admise que dans le plein-chant. L'on y compte quatre tons plagaux ; savoir, le second, le quatrieme, le sixieme & le huitieme. Voyez TONS DE L'EGLISE.
Il faut remarquer qu'en parlant de la division de l'octave, nous l'exprimons toujours par le rapport des vibrations ; ce qui rend cette division harmonique pour les modes plagaux, & arithmétique pour les authentiques ; mais si l'on s'attache seulement aux longueurs des cordes qui sont toujours reciproques aux nombres des vibrations, alors on trouvera l'octave divisée harmoniquement pour le mode authentique, & arithmétiquement pour le plagal ; ce qu'il faut bien entendre pour concilier sur ce point les contrariétés apparentes des auteurs. (S)
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PLAGE | S. f. (Lang. françoise) ce mot est fort bon en termes de Marine ; il signifie un rivage de basse mer, sans port & sans rade pour se mettre à l'abri ; mais quand il veut dire une contrée, un climat, il n'est usité qu'en poësie.
Est-il dans l'univers de plages si lointaines,
Où ta valeur, grand roi, ne te puisse porter ?
Despréaux.
PLAGE, (Géog. mod.) mot qui vient du latin plaga, ou du grec , qui signifie une chose plate & unie. On l'a employé en divers sens dans la Géographie.
1°. Plage signifie en général une partie ou un espace de la terre, par le rapport qu'elle a avec quelque partie du ciel, comme par exemple avec les zones, avec les climats, ou avec les quatre grandes parties du monde, le septentrion, l'orient, le midi, l'occident. Dans ce sens, il veut dire presque la même chose que région : ainsi, dire qu'une telle ville est vers telle plage du ciel, c'est comme si l'on disoit qu'elle est vers telle région du ciel.
2°. Plage a la même signification que rhumb de vent. Voyez RHUMB DE VENT.
3°. Plage est une mer basse vers un rivage étendu en ligne droite, sans qu'il y ait ni rade, ni port, ni aucun cap apparent, où les vaisseaux se puissent mettre à l'abri.
PLAGE-ROMAINE, (Géog. mod.) partie de la mer Méditerranée sur la côte de l'état de l'Eglise. Elle est appellée par ceux du pays, la Spiaggia romana, & s'étend depuis le mont Argentaro à l'occident, jusqu'au mont Circello, & au petit golfe de Terracine.
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PLAGGON | (Littérat.) petite poupée de cire qui représentoit les personnes au naturel, & dont on se servoit dans les enchantemens. C'étoient des especes de portraits que les femmes donnoient à leurs galans. Les Latins disoient plagunculae, ou lagunculae. (D.J.)
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PLAGIAIRE | S. m. écrivain qui pille les autres auteurs, & donne leurs productions comme étant son propre ouvrage.
Chez les Romains on appelloit plagiaire une personne qui achetoit, vendoit ou retenoit comme esclave une autre personne libre, parce que par la loi Flavia, quiconque étoit convaincu de ce crime, étoit condamné au fouet, ad plagas. Voyez ESCLAVE. Thomasius a fait un livre de plagio litterario, où il traite de l'étendue du droit que les auteurs ont sur les écrits les uns des autres, & des regles qu'on doit observer à cet égard. Les Lexicographes, au moins ceux qui traitent des arts & des sciences, paroissent devoir être exemts des lois communes du mien & du tien. Ils ne prétendent ni bâtir sur leur propre fonds, ni en tirer les matériaux nécessaires à la construction de leur ouvrage. En effet le caractere d'un bon dictionnaire tel que nous souhaiterions de rendre celui-ci, consiste en grande partie à faire usage des meilleures découvertes d'autrui : ce que nous empruntons des autres nous l'empruntons ouvertement, au grand jour, & citant les sources où nous avons puisé. La qualité de compilateurs nous donne un droit ou un titre à profiter de tout ce qui peut concourir à la perfection de notre dessein, quelque part qu'il se rencontre. Si nous dérobons, c'est seulement à l'imitation des abeilles qui ne butinent que pour le bien public, & l'on ne peut pas dire exactement que nous pillons les auteurs, mais que nous en tirons des contributions pour l'avantage des lettres. Que si l'on demande de quel droit ; sans nous arrêter à la pratique de nos prédécesseurs dans tous les tems & parmi toutes les nations, nous répondrons que la nature de notre ouvrage autorise notre conduite, & la rend même indispensable. Seroit-il possible d'en remplir le plan sans cette liberté que le lecteur judicieux ne nous refusera pas, & que nous accordons à ceux qui écriront après nous ?
Hanc veniam petimusque damusque vicissim. Horat.
Qu'est-ce donc proprement qu'un plagiaire ? C'est un homme, qui voulant à quelque prix que ce soit s'ériger en auteur, & n'ayant pour cela ni le génie, ni les talens nécessaires, copie non-seulement des phrases, mais encore des pages & des morceaux entiers d'autres auteurs, & a la mauvaise foi de ne les pas citer ; ou qui, à l'aide de quelques légers changemens dans l'expression ou de quelques additions, donne les productions des autres pour choses qu'il a imaginées & inventées, ou qui s'attribue l'honneur d'une découverte faite par un autre. Rien n'est plus commun dans la république des lettres ; les vrais savans n'y sont pas trompés ; ces vols déguisés n'échappent guere à leurs yeux clairvoyans. Cependant le mépris que méritent les plagiaires ne diminue pas beaucoup le nombre.
M. Bayle à l'article de Boccalin, pense qu'on ne doit point appeller plagiaire un auteur qui prête son nom à un autre, qui pour certaines raisons ne veut pas être connu pour auteur de tel ou tel ouvrage, parce que, dit-il, le premier ne dérobe pas le travail d'autrui, & que le second peut se dépouiller de son droit & le transporter à qui bon lui semble. Dictionn. critiq. tom. 2, lett. B, au mot Boccalin. Il ajoute ailleurs que le défaut ordinaire des plagiaires n'est pas de choisir toujours ce qu'il y a de meilleur dans les écrivains qu'ils pillent. Tout leur est bon. " Ils enlevent, dit-il, les meubles de la maison & les balayures aussi ; ils prennent le grain, la paille, la balle, la poussiere en même tems " ; rem auferunt cum pulviculo. Plaut. in prolog. truculenti.
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PLAGIAR | ou PLAGIARIA, (Géog. anc.) ville de la Lusitanie : l'itinéraire d'Antonin la met sur la route d'Olisipo à Emerita, entre Budua & Emerita, à douze milles de la premiere, & à trente milles de la seconde. Quelques manuscrits nomment cette ville Plagia. On en voit encore présentement les ruines près du bourg de Botua, dans l'Estramadure.
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PLAGIARISME | ou selon d'autres, PLAGIAT, s. m. (Littérat.) est l'action d'un écrivain qui pille ou dérobe le travail d'un autre auteur, & qui se l'attribue comme son travail propre.
C'est donc le défaut d'attribution d'un ouvrage à son véritable auteur, qui caracterise le plagiarisme. Quiconque en écrivant, puise dans les auteurs qui l'ont précédé, & les cite fidelement, ne peut, ni ne doit passer pour coupable de ce crime littéraire. Il faut mettre une grande différence entre prendre certains morceaux dans un auteur, ou les derober. Quand en employant les pensées d'un autre écrivain, on le cite ponctuellement, on se met à couvert de tout reproche de pillage : le silence seul & l'intention de donner pour sien, ce qu'on a emprunté d'un autre, font le plagiarisme. Telle est l'idée qu'en avoit Jean-Michel Brutus, savant venitien, qui vivoit dans le seizieme siecle, & qui, accusé de s'être servi des observations de Lambin sur Ciceron, écrivit à Lambin qu'il pouvoit aller aux sources aussi-bien que lui, & qu'il avoit à la vérité pris, mais non pas derobé dans les autres auteurs : se sumpsisse ab aliis, non verò surripuisse. Sumere enim eum, qui, à quo mutuetur, indicet ; & laudet quem auctorem habeat : surripere verò qui taceat, qui ex alterius industriâ fructum quaerat. Voyez Bayle, Dict. critiq. lettr. B. au mot Brutus.
Le même auteur remarque au sujet d'Ephore, orateur & historien grec, qu'on l'accusa d'avoir pillé de divers auteurs, jusqu'à trois mille lignes mot à mot. C'étoit un moyen fort aisé de faire des livres ; & il ajoute à cette occasion : " Que les auteurs grecs ayent été plagiaires les uns des autres, n'est-ce pas une coutume de tous les pays & de tous les tems ? Les peres de l'Eglise ne prenoient-ils pas bien des choses des écrits les uns des autres ? Ne fait-on pas cela tous les jours, de catholique à catholique, & de protestant à protestant.... Il étoit moins desavantageux aux Grecs de s'être pillés les uns les autres, que d'avoir pillé les richesses étrangeres. Le desavantage est une exception aux regles communes. Le cavalier Marin disoit que prendre sur ceux de sa nation, c'étoit larcin ; mais que prendre sur les étrangers, c'étoit conquête : & je pense qu'il avoit raison. Nous n'étudions que pour apprendre, & nous n'apprenons que pour faire voir que nous avons étudié : ces paroles sont de M. Scuderi. Si j'ai pris quelque chose, continue-t-il, dans les Grecs & dans les Latins, je n'ai rien pris du tout dans les Italiens, dans les Espagnols, ni dans les François : me semblant que ce qui est étude chez les anciens, est volerie chez les modernes. " La Mothe le Vayer est du même sentiment ; car voici ce qu'il dit dans une de ses lettres : " Prendre des anciens, & faire son profit de ce qu'ils ont écrit, c'est comme pirater au-delà de la ligne ; mais voler ceux de son siécle, en s'appropriant leurs pensées & leurs productions, c'est tirer la laine au coin des rues, c'est ôter les manteaux sur le Pont-neuf. Je crois que tous les auteurs conviennent de cette maxime, qu'il vaut mieux piller les anciens que les modernes, & qu'entre ceux-ci il faut épargner ses compatriotes, préférablement aux étrangers. La piraterie littéraire ne ressemble point du-tout à celle des armateurs : ceux-ci se croyent plus innocens, lorsqu'ils exercent leur brigandage dans le nouveau Monde, que s'ils l'exerçoient dans l'Europe. Les auteurs au contraire arment en course bien plus hardiment pour le vieux Monde que pour le nouveau ; & ils ont lieu d'espérer qu'on les louera des prises qu'ils y feront.... Tous les plagiaires, quand ils le peuvent, suivent le plan de la distinction que j'ai alléguée : mais ils ne le font pas par principe de conscience ; c'est plutôt afin de n'être pas reconnus. Lorsqu'on pille un auteur moderne, la prudence veut qu'on cache son larcin ; mais malheur au plagiaire s'il y a une trop grande disproportion entre ce qu'il vole, & ce à quoi il le coud. Elle fait juger aux connoisseurs, non-seulement qu'il est plagiaire, mais aussi qu'il l'est maladroitement.... L'on peut derober à la façon des abeilles, sans faire tort à personne, dit encore la Mothe le Vayer ; mais le vol de la fourmi qui enleve le grain entier, ne doit jamais être imité. " Dict. critiq. lett. E. au mot Ephore.
" Victorin Strigellius, dit encore M. Bayle, ne se faisoit point de scrupule de se servir des pensées & des expressions d'autrui. A cet égard là il semble qu'il approuvoit la communauté des biens, il ne croyoit pas que sa conduite fût celle des plagiaires, & il consentoit qu'on en usât envers ses livres, comme il en usoit envers les autres auteurs. Si vous y trouvez des choses qui vous accommodent, servez-vous-en librement, tout est à votre service, disoit-il ". Cette proposition sans doute autorisoit le plagiarisme, si celui qui la fait, offroit toujours d'aussi bonnes choses que celles qu'il emprunte des autres ; mais pour l'ordinaire cet échange est trop inégal : & tel s'enrichit & se pare des dépouilles d'autrui, qui ne peut de son propre fonds, leur faire la moindre restitution, ou leur donner le plus leger dédommagement.
On a souvent démasqué publiquement les plagiaires. Tel fut, au rapport de Thomasius, cet Etienne Dolet, dont les commentaires sur la langue latine, qui ne formoient d'abord qu'un volume médiocre, se trouverent enflés jusqu'à deux volumes in-folio aux dépens de Charles Etienne, de Nizolius, de Riceius, & de Lazare Baif ; ce que Charles Etienne devoila au public.
Enfin M. Bayle décide que le plagiarisme est un défaut moral & un vrai péché, à la tentation duquel succombent souvent des auteurs, qui d'ailleurs sont les plus honnêtes gens du monde. Il faut qu'ils se fassent à cet égard une fausse conscience, & pensent qu'il est moins criminel de dérober à un homme les productions de son esprit, que de lui voler son argent, ou de le dépouiller de son bien. Voyez le dict. de Bayle, au mot Musurus.
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PLAGIARIUS | (Critiq.) ce mot, dans Ulpien, signifie celui qui vole des personnes libres, & qui les vend comme esclaves. La loi, dit S. Paul, n'a pas été établie pour les gens de bien, mais pour les voleurs d'esclaves. I. Tim. j. 9. car la loi qui défend quelque chose, n'a été faite que pour les méchans. On condamnoit à mort chez les Hébreux, & au fouet chez les Romains, ceux qui étoient convaincus de cette sorte de vol, & ce supplice s'appelloit ad plagas ; d'où est venu le nom de plagiaire, qui dérobe les ouvrages des autres, & qui les vend comme siens. (D.J.)
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PLAID | S. m. (Jurisprud.) ce terme pris à la lettre signifie plaidoirie ; c'est en ce sens que Loisel dit, pour peu de chose peu de plaid.
Néanmoins on entend aussi par plaid une assemblée de justice. On dit tenir les plaids.
On en distingue de deux sortes :
Les plaids ordinaires, qui sont les jours ordinaires d'audience.
Les plaids généraux qu'on appelle en quelques endroits assises, sont une assemblée extraordinaire des officiers de la justice à laquelle ils convoquent tous les vassaux, censitaires & justiciables du seigneur.
Ce que l'on appelle service de plaids dans la comparution que les hommes du seigneur doivent faire à ses plaids, quand ils sont assignés à cette fin.
Ces sortes de plaids généraux se reglent suivant la coutume, & dans celles qui n'en parlent pas, suivant les titres du seigneur, ou suivant l'usage des lieux, tant pour le droit de tenir ces sortes de plaids en général, que pour la maniere de les tenir & pour le tems : ce qui n'est communément qu'une fois, ou deux au plus, dans une année.
La tenue des plaids généraux ne se pratique guere, parce qu'il y a plus à perdre qu'à gagner pour le seigneur, étant obligé de donner les assignations à ses dépens.
Quand le seigneur veut faire tenir ses plaids, il doit faire assigner ses vassaux à personne ou domicile, ou faire donner l'assignation au fermier & détenteur du fief.
Le délai doit être d'une quinzaine franche.
Le vassal doit comparoître en personne, ou par procureur fondé de sa procuration spéciale.
Faute par lui de comparoître à l'assignation, s'il n'a point d'empêchement légitime, il doit être condamné en l'amende, laquelle est différente selon les coutumes ; & pour le payement de cette amende, le seigneur peut saisir ; mais il ne fait pas les fruits siens, & la saisie tient jusqu'à ce que le vassal ait payé l'amende & les frais.
Le seigneur peut faire tenir ses plaids dans toute l'étendue de son fief & dans les maisons de ses vassaux.
On tenoit autrefois ces plaids généraux dans des lieux ouverts & publics, en plein champ, sous des arbres, sous l'orme, dans la place, ou devant la porte du château ou de l'église.
Il y a encore quelques justices dans lesquelles les plaids généraux ou assises se tiennent sous l'orme, comme à Asnieres près Paris, dont la seigneurie appartient à S. Germain des prés.
L'objet de la comparution des vassaux aux plaids généraux est pour reconnoître les redevances qu'ils doivent, & déclarer en particulier les héritages pour lesquels elles sont dûes, & si depuis les derniers aveux ils ont acheté ou vendu quelques héritages venus de la seigneurie, à quel prix, de qui ils les ont achetés, à qui ils en ont vendu, enfin devant quel notaire le contrat a été passé.
Voyez les coutumes de Péronne, Montdidier & Roye art. 65 & 82, Cambray art. 57, Normandie art. 85, Basnage sur l'article 191, Billecocq traité des fiefs, liv. VIII. & le mot ASSISE. (A)
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PLAIDER | v. act. (Jurisprud.) signifie soutenir une contestation en justice, ce qui s'applique nonseulement aux plaidoiries proprement dites ou affaires d'audience, mais aussi aux instances & procès par écrit. Voyez PLAID, PLAIDOYABLE, PLAIDOYER. (A)
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PLAIDEUR | S. m. (Gram.) celui qui fait ou à qui l'on a fait un procès. Il est rare que les deux plaideurs soient de bonne foi : il y a presque toujours une des parties qui compte sur l'ignorance ou sur l'injustice du tribunal. Je n'ai pas assez d'expérience pour sçavoir jusqu'où cette espérance est bien ou mal fondée.
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PLAIDOIRIE | S. f. (Gram. Jurisprud.) action de plaider, suite d'une affaire en justice. Il est bon pour la consultation, mauvais pour la plaidoirie.
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PLAIDOYABLE | adj. (Jurisp.) ne se dit qu'en parlant des jours auxquels il y a audience au tribunal que l'on appelle jours plaidoyables.
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PLAIDOYER | S. m. (Jurisprud.) est un discours fait en présence des juges pour la défense d'une cause.
Dans les tribunaux où il y a des avocats, ce sont eux qui plaident la plûpart des causes, à l'exception de quelques causes légeres qui ne roulent que sur le fait & la procédure, que les procureurs sont admis à plaider.
Une partie peut plaider pour elle-même, pourvu que le juge la dispense.
Un plaidoyer contient ordinairement six parties, savoir, les conclusions, l'exorde, le récit du fait, celui de la procédure, l'établissement des moyens, & la réponse aux objections.
Les anciens plaidoyers étoient chargés de beaucoup d'érudition ; on y entassoit les citations des textes de droit & des docteurs, les unes sur les autres. On peut dire des orateurs de ce tems qu'erubescebant sine lege loqui ; ils mêloient même souvent dans les plaidoyers le sacré avec le profane, & des passages tirés de l'Ecriture & des saints peres avec d'autres tirés des poëtes, des orateurs & des historiens.
Non-seulement les plaidoyers étoient ainsi surchargés de citations ; mais la plûpart étoient mal appliquées ; les orateurs de ce tems étoient plus curieux de faire parade d'une vaine érudition que de s'attacher au point solide de la cause.
Depuis environ un siecle on s'est corrigé de ce défaut ; on a banni des plaidoyers toutes les citations déplacées ; mais on est tombé dans une autre extrémité presque aussi vicieuse, qui est de négliger par trop l'usage du droit romain.
Parmi les anciens on doit prendre pour modele les plaidoyers de le Maître, de Patru & de Gauthier, & parmi les modernes, ceux d'Evrard, de Gillet, de Terrasson & de Cochin.
Autrefois les plaidoyers des avocats étoient rapportés, du moins par extrait, dans le vû du jugement ; c'est pourquoi les procureurs étoient obligés d'aller au greffe après l'audience pour corriger les plaidoyers, c'est-à-dire, pour vérifier si les faits rapportés par le greffier étoient exacts ; mais depuis l'établissement du papier timbré en 1674, on a cessé presque partout de rapporter les plaidoyers.
Les conclusions ne se prenoient autrefois qu'à la fin du plaidoyer ; le juge disoit à l'avocat de conclure, & le dispositif du jugement étoit toujours précédé de cette clause du style, postquam conclusum fuit in causâ ; mais depuis long-tems il est d'usage que les avocats prennent leurs conclusions avant de commencer leur plaidoyer : ce qui a été sagement établi, afin que les juges sachent d'abord exactement quel est l'objet de la cause.
Il y a cependant quelque chose qui implique de conclure avant d'avoir commencé la plaidoirie, & pour parler plus correctement, il faudroit se contenter de dire, la requête tend à ce que &c. & l'on ne doit régulierement conclure qu'à la fin du plaidoyer ; en effet jusques-là on peut augmenter ou diminuer à ses conclusions.
Aussi dans les causes du rôle qui sont celles que l'on plaide avec le plus d'apparat, & où les anciens usages sont le mieux observés, les avocats reprennent leurs conclusions à la fin de leur plaidoirie. Voyez AUDIENCE, AVOCAT, CAUSE, CONCLUSIONS, ROLLES. (A)
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PLAIE | S. f. (Chirurgie) solution de continuité ou division des parties molles, récente & sanglante, faites aux parties molles par quelque cause externe.
Toutes les choses extérieures capables de faire quelque division, peuvent être cause de plaies. Les unes piquent, d'autres tranchent, d'autres contondent, d'autres enfin cautérisent. Par exemple, les plaies faites par une épée, une bayonnette & autres instrumens piquans, sont appellées piquûres. Voyez PIQUURE. Celles qui sont faites par un sabre, un couteau, qui sont des instrumens tranchans, sont appellées incisions. Les instrumens contondans tels qu'un bâton, une pierre & autres corps durs, orbes, &c. comme éclats de grenades, de bombes, balles de fusil, font des plaies contuses : les déchiremens que cause la morsure des animaux venimeux ou enragés, forment des plaies venimeuses : enfin le feu & toutes les especes d'eau-forte produisent des plaies connues sous le nom de brûlures.
Ces différences de plaies viennent de leur cause : elles different encore par rapport à leur grandeur, à leur figure & à leur direction, & par les parties qui sont intéressées.
Par rapport à la grandeur, à la figure & à la direction, les plaies s'étendent en longueur, en largeur & en profondeur ; elles sont en T, en +, en x ou à lambeaux ; leur direction est droite, oblique ou transversale par rapport à la ligne verticale du corps, ou par rapport à la rectitude des fibres des muscles ; il y en a enfin qui sont accompagnées de perte de substance.
La différence des plaies qui vient des parties où elles se trouvent, exige bien des considérations. Les plaies sont aux extrémités ou au tronc : celles-ci peuvent arriver à la tête, ou au col, ou à la poitrine ou au bas ventre ; elles peuvent pénétrer jusqu'aux parties internes, ou se borner aux parties extérieures : celles des extrémités, ou celles qui ne sont qu'aux parties externes du tronc, peuvent intéresser les tégumens, les muscles, les tendons, les vaisseaux, les glandes, les articulations, &c.
Toutes ces différences ne sont qu'accidentelles. Celles qui sont essentielles, consistent dans la simplicité des plaies, dans leur composition & dans leur complication.
La plaie simple n'est qu'une solution de continuité des parties molles faite par quelque cause externe, & qui ne demande que la réunion. Voyez REUNION.
La plaie composée est celle qui se trouve jointe à quelqu'autre indisposition qui ne demande pas un traitement différent de celui de la plaie simple. Telle est, par exemple, une plaie faite aux parties molles par un instrument tranchant, qui en la divisant, a aussi divisé les os.
La plaie compliquée est celle qui se trouve jointe à quelqu'autre indisposition, ou à laquelle il survient des accidens qui demandent un traitement différent de celui de la plaie simple.
La plaie est compliquée avec la cause, ou avec quelque maladie, ou avec quelque accident.
Lorsque l'instrument qui a fait la plaie, est resté dans la partie blessée, la plaie est compliquée avec sa cause. Voyez TUMEUR par la présence des corps étrangers.
Si quelque apostème survient à la partie blessée, ou qu'il y ait fracture, en même tems la plaie est compliquée avec maladie.
Enfin la douleur, l'hémorragie, la convulsion, la paralysie, l'inflammation, la fievre, le dévoiement, le reflux de matiere purulente, sont des complications accidentelles des plaies. Voyez ces mots.
La douleur, la convulsion, l'inflammation & la fievre viennent assez ordinairement de la division imparfaite de quelques parties aponévrotiques, nerveuses ou tendineuses : le moyen le plus efficace pour faire cesser ces accidens, consiste à débrider les étranglemens formés par le tiraillement des fibres de ces parties.
Le reflux des matieres purulentes, soit qu'on le regarde comme un vrai retour des matieres épanchées, soit qu'il vienne de l'érétisme ou retrécissement des orifices des vaisseaux, qui empêche les sucs de s'échapper ; ce reflux, dis-je, peut être occasionné par l'exposition d'une plaie à l'air, par le mauvais régime, par les passions de l'ame, par l'application des remedes qui ne conviennent pas à l'état de la plaie, par un pansement dur & peu méthodique. Voyez BOURDONNET.
Les signes qui caractérisent le reflux des matieres purulentes, sont la diminution de la suppuration, l'affaissement des bords de la plaie, sa pâleur, la mauvaise qualité du pus trop liquide ou trop épais, jaune & de mauvaise odeur, les frissons irréguliers suivis de fievre & de sueur froide, la petitesse du pouls, enfin les symptomes d'un dépôt à la tête, à la poitrine ou au foie. Voyez DEPOT, DELITESCENCE, METASTASE.
Les signes des plaies peuvent être divisés en commémoratifs, en diagnostics & en prognostics.
Les signes commémoratifs des plaies sont les circonstances qui ont accompagné la blessure lorsqu'elle a été faite, comme la situation du blessé, & celle de la personne ou de la chose qui l'a blessé ; la grosseur & la figure de l'instrument qui a fait la plaie.
Les signes diagnostics des plaies sont sensuels ou rationnels. Par la vûe on reconnoît la grandeur extérieure d'une plaie, & si elle est avec perte ou sans perte de substance ; par le toucher, soit avec le doigt, soit avec la sonde, on en découvre la direction, la profondeur & la pénétration ; par l'odorat on sent les excrémens qui peuvent sortir par les plaies de certaines parties ; par le goût on peut s'assurer de la qualité des liqueurs qui sortent de certaines plaies.
Les sens ne font pas toujours appercevoir ce qu'il y a à connoître sur une plaie ; la raison nous fait juger qu'une plaie s'étend jusqu'à certains endroits, par la lésion de l'action d'une certaine partie, par la situation de la plaie & de la douleur, par les excrémens qui sortent de la plaie, ou qui ne s'évacuent pas comme à l'ordinaire. Avec des connoissances anatomiques on trouvera très-facilement dans les plaies l'application de toutes ces choses.
Les signes prognostics des plaies se tirent des parties où elles sont situées, de leur cause, & de leur différence essentielle.
En considérant les parties où les plaies se trouvent, on les regarde comme légeres, ou comme graves, ou comme mortelles. Les plaies légeres sont celles de la peau, de la graisse, & des muscles ; elles ne demandent que la réunion, lorsque d'ailleurs elles ne sont point compliquées d'accidens. Voyez REUNION.
Les plaies graves sont celles des parties membraneuses, tendineuses, aponévrotiques, & en particulier celles des articulations. Le succès de leur cure est quelquefois douteux, à cause des accidens dont elles sons souvent accompagnées.
On appelle plaies mortelles celles des gros vaisseaux & des parties intérieures, quoique certaines puissent guérir. On entrera dans un plus grand détail du prognostic des plaies des parties intérieures, en parlant des plaies en particulier.
Les plaies faites par instrument tranchant sont moins fâcheuses que celles qui sont faites par un instrument piquant ; celles qui sont faites par un instrument contondant sont plus fâcheuses que celles qui sont faites par un instrument tranchant ou piquant. Les plaies simples ne sont point dangereuses, les composées le sont davantage ; mais les compliquées sont toujours fâcheuses, plus ou moins, suivant la nature de la complication.
On distingue quatre états ou tems dans la durée des plaies. Le premier est celui où elle saigne ; le second est celui où elle suppure ; le troisieme est celui où se fait la régénération des chairs ; & le quatrieme est celui où se fait la cicatrice.
La cure des plaies consiste dans la réunion des parties divisées par les moyens dont on traite au mot REUNION. Mais lorsqu'une plaie est avec une perte de substance si considérable qu'on ne peut en rapprocher les levres, on fait suppurer légérement cette plaie dans le premier & dans le second tems avec des suppuratifs doux ; dans le troisieme tems, on la déterge avec des sarcotiques ; enfin, dans le quatrieme tems, on la desseche & on la cicatrise avec les dessicatifs & les cicatrisans.
Une chose essentielle dans la cure des plaies est d'éloigner les accidens qui pourroient empêcher la nature de procurer la guérison de la plaie : on met la partie dans une situation qui favorise le retour des liqueurs, & l'on garantit la plaie & la partie des impressions de l'air par l'appareil & les médicamens convenables. La saignée & le régime empêchent l'engorgement & l'embarras des liqueurs aux environs de la plaie ; enfin, on remédie aux accidens par l'usage des remedes convenables à leur espece.
Des plaies en particulier. Les plaies sont divisées par rapport aux parties où elles arrivent, en celles de la tête, du col, de la poitrine, du ventre, & des extrémités.
Des plaies de tête. Les plaies de la tête different entr'elles en ce que les unes sont faites aux parties contenantes, & les autres aux parties contenues.
Celles de la peau du crâne sont avec division ou sans division. Les premieres sont l'effet de l'action d'un instrument tranchant ou piquant. Celles qui sont sans division forment une tumeur qu'on appelle vulgairement bosse, elles sont faites avec des instrumens contondans. Voyez CONTUSION.
Les plaies faites au péricrâne par des instrumens tranchans simples, sont ordinairement simples comme celles qui sont faites à la peau par les mêmes instrumens. Mais celles qui sont faites par un instrument contondant ou piquant, sont quelquefois suivies d'accidens fort violens.
La contusion du péricrâne s'annonce par les signes suivans : une douleur fort vive, mais extérieure ; l'assoupissement du malade qui se réveille néanmoins quand on le touche à quelque endroit de la tête, & sur-tout à celui où il a reçu le coup ; la rougeur du visage, le gonflement & la tension oedémateuse, & quelquefois inflammatoire de toute la tête, qui s'étendent jusqu'aux paupieres, mais qui se bornent aux attaches des muscles frontaux & occipitaux, & dont les oreilles sont exemptes.
Tous ces symptômes que la fievre accompagne, sont des signes de l'inflammation du péricrâne, & des effets consécutifs de la contusion que cette membrane a soufferte. Ces accidens consécutifs doivent être très-exactement discernés ; car s'ils ne venoient point de l'affection du péricrâne, ils indiqueroient l'opération du trépan, quand même il n'y auroit point de fracture au crâne. Voyez l'article TREPANER, où nous exposons les cas douteux qui déterminent à faire ou à éviter cette opération.
On prévient l'inflammation du péricrâne par la saignée & par le régime ; & l'on remédie à l'inflammation par une incision qu'on fait à cette membrane dans toute l'étendue de la contusion, en observant d'en scarifier les bords, & de couper plus de cette membrane que de la peau, pour éviter le tiraillement. Par ces moyens on dégorge les vaisseaux, on détend cette membrane, & on rétablit la circulation du sang dans son état naturel.
Les blessures au crâne par un instrument piquant, de quelque façon qu'elles aient été faites, n'ont pas de noms particuliers ; mais celles qui sont produites par un instrument tranchant ont trois noms, selon la maniere dont l'instrument a été porté sur la partie. Voyez ÉCOPE, DIACOPE & APOKEPARNISMOS.
Les instrumens contondans, portés avec violence sur le crâne, peuvent produire la contusion, l'enfoncement, la fente, & l'enfonçure.
La contusion proprement dite est l'affaissement des fibres osseuses, qui par la violence du coup se sont approchées.
L'enfoncement est l'affaissement de la premiere table sur la seconde, ou de toutes les deux ensemble sur la dure-mere. Cela arrive principalement au crâne des enfans dont les os sont mols, & peuvent s'enfoncer comme un pot d'étain frappé par un coup violent.
La fente n'est qu'une simple division qui est quelquefois imperceptible. Voyez TRICHISMOS. La fente se fait quelquefois à un autre endroit du crâne que celui où le coup a porté. Voyez CONTRE-FISSURE.
L'enfonçure est un affaissement de plusieurs pieces du crâne qui a été faussé.
Les principaux effets que les coups violens puissent produire sont la commotion & la compression. La commotion est toujours un accident primitif ; il n'indique pas l'opération du trépan. Voyez COMMOTION & TREPANER. La compression est tantôt un accident primitif, & tantôt un accident consécutif. Celle qui vient du déplacement des os est du premier genre ; mais celle qui est l'effet de l'épanchement du sang ou de quelque autre liqueur sur la dure-mere, entre cette membrane & la pie-mere, entre celle-ci & le cerveau, ou dans la propre substance de ce viscere, est un accident consécutif qui exige l'opération du trépan. L'inflammation des méninges par la contusion du péricrâne, est aussi une cause de la compression du cerveau ; mais l'assoupissement léthargique consécutif, signe de toute compression, se dissipe bien-tôt quand il vient du vice du péricrâne, lorsqu'on a débridé cette membrane comme nous l'avons dit plus haut. Il faut lire sur cette matiere les ouvrages des maîtres de l'art : tels que Berengarius Carpensis, de fracturâ cranii ; le traité des plaies de la tête de M. Rohault, &c. & principalement les mémoires qui traitent de cette matiere, dans le premier volume de l'académie royale de Chirurgie.
Les signes diagnostics des fractures du crâne sont quelquefois soumis aux sens, quand ces fractures se font voir ; lorsque les os frappés rendent un son obscur tel que celui d'un pot fêlé (ce signe est équivoque) ; mais principalement lorsqu'on rencontre avec le doigt ou avec la sonde quelque inégalité, qu'on juge bien n'avoir pas été formée par les arteres dans le tems que les os étoient encore mous.
Si les sens n'apperçoivent aucune marque de fracture, la raison peut suppléer à leur défaut, en s'informant des circonstances qui ont accompagné la blessure, en examinant les endroits du crâne qui ont été frappés, & en faisant attention aux accidens qui surviennent.
Les signes prognostics des plaies de tête se tirent de l'instrument qui a fait la blessure, de la partie blessée, des symptômes & des accidens. En général, les grandes fractures des os du crâne sont moins fâcheuses que les fortes contusions. La commotion est ce qu'il y a de plus à craindre ; on y remédie par le régime & les saignées.
Les plaies de la langue méritent une considération particuliere : on en parle au mot REUNION.
Des plaies de la poitrine. Les causes des plaies de poitrine sont les mêmes que celles des autres parties.
Les plaies de poitrine sont pénétrantes ou non-pénétrantes. Ce que nous avons dit des plaies en général donne une idée suffisante de ces dernieres.
Au sujet des plaies pénétrantes, il faut examiner si le coup qui les a fait n'a percé qu'un côté, ou s'il a traversé jusqu'à l'autre. Elles peuvent être sans lésion des parties renfermées, auquel cas elles sont simples ; ou avec lésion de quelques-unes de ces parties, & alors elles peuvent être compliquées d'épanchement ou d'inflammation. Le corps qui a fait la plaie reste quelquefois engagé dans les chairs ou dans les os, ou tombe dans la cavité de la poitrine. On a vû aussi les parties contenues dans le bas-ventre former hernie dans la poitrine, en passant par l'ouverture d'une plaie de cette partie qui avoit percé le diaphragme & pénétroit dans le ventre.
Les signes diagnostics des plaies de poitrine font connoître si la plaie est pénétrante, si les parties contenues sont lésées, quelles sont les parties lésées, & s'il y a épanchement.
L'emphysème qui se forme autour d'une plaie (Voyez EMPHYSEME), l'air & le sang qui en sortent, l'introduction de la sonde dans la poitrine, font connoître que cette plaie est pénétrante : mais l'impossibilité d'introduire la sonde ne prouve pas toujours que la plaie ne pénetre pas. La direction oblique de la plaie, le changement de position des muscles, le gonflement des lévres de la plaie, du sang caillé, un corps étranger, ou quelque partie arrêtée dans le trajet de la plaie, sont des obstacles à l'introduction de la sonde. Il faut s'abstenir de sonder les plaies de poitrine, car la sonde ne peut découvrir que la pénétration, sans faire connoître s'il y a quelque partie lésée : or la simple pénétration d'une plaie ne la rend pas fâcheuse. Le danger des plaies pénétrantes consiste dans la lésion des parties intérieures, lésion qui occasionne l'épanchement ou l'inflammation ; & ce ne sont que les symptômes qui nous font connoître ces accidens.
Les signes de la lésion du poumon sont la grande difficulté de respirer, la sortie d'un sang vermeil & écumeux, le crachement de sang, la douleur intérieure que le blessé sent en respirant, la fievre, &c.
Les plaies du coeur & des gros vaisseaux sont toujours suivies d'une mort ordinairement subite, mais retardée quelquefois par quelques circonstances. Un petit caillot de sang, l'instrument resté dans la plaie, la situation de la plaie derriere une des valvules du coeur, &c. ont quelquefois prolongé la vie des personnes blessées au coeur ou aux gros vaisseaux. On en a vû vivre quelques jours, quoique les ventricules fussent percés de part en part.
Les signes des plaies du diaphragme sont différens, suivant la différence des endroits de cette partie qui peuvent être blessés. La difficulté de respirer, la toux, la douleur violente, la situation & la direction de la plaie, la fievre, &c. fournissent les signes des plaies du corps charnu du diaphragme. La phrénésie, le ris sardonique, les défaillances, le hoquet, &c. sont les signes des plaies du centre aponévrotique de cette partie.
Nous avons détaillé les signes de l'épanchement au mot EMPYEME, parce que ce mot signifie également la collection de la matiere, & l'opération qui convient pour donner issue aux matieres épanchées. Voyez EMPYEME.
Le prognostic des plaies de la poitrine se tire des accidens. Le danger consiste dans l'inflammation & dans l'épanchement. On rémédie à l'inflammation par les saignées & le régime (Voyez INFLAMMATION, PLEURESIE, PERIPNEUMONIE), & on évacue les matieres épanchées par l'opération de l'empyème. Nous ne parlons pas de la cure des plaies du coeur & des gros vaisseaux, parce qu'elles dispensent de l'usage de tout remede.
L'ouverture de l'artère intercostale est un accident assez grave des plaies de poitrine : nous en avons parlé à l'article LIGATURE.
Des plaies du bas-ventre. Les causes des plaies du bas-ventre sont les mêmes que celles des plaies de poitrine.
Les plaies du bas-ventre different les unes des autres par rapport aux régions où elles se trouvent, & aux parties qu'elles intéressent : on les distingue encore en celles qui ne sont pas pénétrantes, & en celles qui le sont.
Les plaies pénétrantes dans la capacité de l'abdomen different entr'elles, en ce que les unes sont avec lésion des parties contenues, & les autres sans lésion ; les unes avec issue, & les autres sans issue desdites parties. Celles qui sont avec issue des parties peuvent être avec étranglement des parties sorties : l'instrument perdu dans la cavité, engagé dans les chairs, ou enclavé dans les os, complique certaines plaies de bas-ventre.
Les signes diagnostics des plaies de l'abdomen font connoître si elles sont pénétrantes, & quelle est la partie lésée.
La sortie de l'épiploon ou de l'intestin par la plaie, la différente largeur de l'instrument comparée avec celle de la plaie, l'introduction du doigt dans la plaie si son étendue le permet, ou celle d'une sonde, en font connoître la pénétration. Pour sonder le blessé, il faut le mettre dans une situation semblable à celle où il étoit quand il a reçu le coup. Il faut se rappeller ici ce que nous avons dit de l'introduction de la sonde pour les plaies de la poitrine. Les mêmes obstacles se présentent pour les plaies du bas-ventre, & l'usage de la sonde n'y est pas plus utile ; les symptômes suffisent pour nous faire juger des uns & des autres.
La difficulté de respirer, la petitesse & la dureté du pouls, son intermission, la pâleur & la rougeur du visage, la tension & les douleurs de ventre, l'amertume & la secheresse de la bouche, le froid des extrémités, la suppression de l'urine, les nausées, les vomissemens, &c. sont les symptômes de la lésion de quelques parties intérieures du bas-ventre.
La situation & la direction de la plaie, la situation de la douleur, celle où étoit le blessé, ou celui qui a blessé lorsque la plaie a été faite, la distension de l'estomac & des intestins par les alimens, & celle de la vessie par l'urine, leur affaissement au moment de la blessure, donnent lieu de conjecturer quelle est la partie offensée.
La sortie d'une grande quantité de sang assez vermeil, & une douleur piquante qui s'étend jusqu'au cartilage xiphoïde, font connoître la lésion du foie ; la sortie d'une moindre quantité de sang que l'on dit devoir être fort noire, est un signe de la lésion de la ratte : le hoquet, les vomissemens, les sueurs, le froid des extrémités, & l'issue des alimens dénotent la lésion de l'estomac : la sortie de la bile est un signe bien certain de la lésion de la vésicule du fiel : les nausées, les fréquentes foiblesses, des inquiétudes continuelles, une douleur extrême, une soif insupportable, & principalement la sortie d'une substance blanchâtre & chyleuse, font connoître la lésion des intestins grèles : la sortie des matieres fécales, annonce la lésion des gros boyaux : la difficulté d'uriner, le mêlange d'un sang avec l'urine, ou la sortie d'un sang par l'urethre, & une douleur à la verge, font connoître que les reins, ou les ureteres, ou la vessie sont attaqués.
Il faut remarquer que quand les intestins sont blessés, il sort quelquefois par l'anus un sang plus ou moins fluide & plus ou moins rouge.
S'il vient des intestins grèles il est de la couleur du caffé ; s'il vient de l'iléon ou du commencement du colon, il est caillé, & on rend fluide celui qui vient de l'extrémité du colon ou du rectum.
Le prognostic des plaies du bas-ventre se tire de la partie blessée, de la grandeur de la division, des symptômes & des accidens qui surviennent.
Les plaies non pénétrantes qui piquent les aponévroses des muscles obliques, & traversent les intersections tendineuses des muscles droits, sont accompagnées d'accidens fort graves, qui ne cessent que par les incisions & les débridemens, comme nous l'avons dit aux plaies de tête par la lésion du péricrâne, & il y a des plaies qui pénétrent dans le bas-ventre, qui le percent même de part-en-part, lesquelles ne sont suivies d'aucun accident.
Les plaies des parties contenues ne sont fâcheuses que par l'inflammation & par l'épanchement.
Les grandes plaies du foie, de la ratte, de l'estomac, des intestins, des reins, des ureteres, de la vessie, de la matrice, sont mortelles, mais elles ne le sont pas toujours ; l'épanchement de la bile, de l'urine, & des matieres stercorales dans la capacité du bas-ventre, attirent fort promptement une inflammation gangreneuse aux intestins : les plaies des gros vaisseaux & les grandes plaies des visceres sont mortelles par l'épanchement du sang.
On prévient ou on calme l'inflammation dans les plaies du bas-ventre par le régime, les saignées, les fomentations émollientes, &c.
Les plaies avec issue des parties intérieures, demandent qu'on fasse la réduction de ces parties : l'épiploon & les intestins sont pour l'ordinaire les seules parties qui sont à la suite des plaies du bas-ventre ; quelquefois elles sortent ensemble & quelquefois séparément. Quand l'épiploon se trouve altéré, si la portion est considérable on en fait la ligature dans la partie saine, on retranche la partie gâtée, & on a soin de tenir le fil assez long pour qu'après la réduction il pende un bout de la ligature en dehors : lorsque l'épiploon & l'intestin sont sortis ensemble, & qu'ils ne sont point endommagés, on les réduit en observant de faire rentrer le premier celui qui est sorti le dernier.
Quand il est impossible de faire la réduction des parties, parce que la plaie forme un étranglement qui fait tomber les parties en mortification, on range les parties en les tirant doucement vers l'angle de la plaie opposée à celui où on doit l'aggrandir ; on les couvre d'une compresse trempée dans du vin chaud ; on glisse une sonde cannelée, ou la sonde aîlée (Voyez SONDE, & les Pl.) le long des parties jusque dans le bas-ventre ; on coule un bistouri dans la cannelure pour étendre la plaie, afin de pouvoir faire la réduction des parties, on fait ensuite l'opération de la gastroraphie. Voyez GASTRORAPHIE & SUTURE.
Lorsque l'épiploon & les intestins sont blessés, il faut examiner l'étendue & la situation de la lésion : si l'épiploon n'est que légerement blessé, & dans la partie membraneuse, il faut le réduire : s'il est blessé dans ses bandes graisseuses, & que quelques-uns de ses vaisseaux sanguins soient ouverts, on fait ligature de cette partie au-dessus de l'ouverture du vaisseau, & on le coupe au-dessous de la ligature. Voyez LIGATURE DE L'EPIPLOON.
Si l'intestin n'est que légerement blessé, on le ré duit : si la blessure est grande, on recommande d'arrêter à la plaie des parties contenantes l'extrémité du boyau qui répond à l'estomac, ce qui se fait par trois points d'éguille qui partagent la circonférence de l'intestin en trois parties égales ; il reste en cet endroit un anus artificiel. Quand les plaies des intestins sont moyennes, on propose la suture du pelletier, c'est-à-dire de coudre les deux levres de la plaie du boyau comme les Pelletiers cousent leurs peaux. Ceux qui conseillent cette suture disent qu'il faut observer de tenir les bouts du fil qui a servi à la suture, assez longs pour pouvoir approcher l'intestin du bord interne de la plaie des parties contenantes, afin de lui faire contracter adhérence dans cet endroit, & de pouvoir retirer le fil après la réunion des parties divisées. Sur la suture des intestins & du bas-ventre, voyez SUTURE.
Quand l'estomac & les intestins grèles sont blessés, on ne fait prendre au malade des alimens qu'en très-petite quantité, & souvent même que des bouillons nourrissans en lavemens : quand les gros intestins sont blessés, on ne doit point donner de lavemens.
Nous parlerons plus amplement des plaies, & surtout de celles des extrémités, au mot SUTURE. Sur les plaies des arteres. Voyez ANEVRISME.
Les plaies d'armes à feu mériteroient un article assez étendu, si les bornes où nous sommes réduits le permettoient : ce sont des plaies contuses, dont les grands accidens viennent du déchirement imparfait des parties membraneuses & tendineuses aponévrotiques, &c. Quand on débride bien ces plaies, on en fait cesser ordinairement les accidens : on les met en suppuration comme les ulceres afin d'en faire tomber les chairs meurtries & contuses ; on les panse ensuite comme des plaies ordinaires : on fait usage avec beaucoup de succès des saignées, des cataplasmes, & autres moyens capables de relâcher les parties tendues, &c. Voyez le Traité des plaies d'armes à feu par Paré, par M. le Dran, par M. Desport, & autres, & les Mémoires de l'académie royale de Chirurgie. Nous avons parlé de l'extraction des corps étrangers au mot CORPS ETRANGER, EXTRACTION. (Y)
PLAIES D'ÉGYPTE, (Hist. sacrée) on appelle ainsi les châtimens dont Dieu punit par les mains de Moïse & d'Aaron, le refus obstiné de Pharaon roi d'Egypte, qui ne vouloit pas permettre le retour des Israëlites. La premiere plaie fut le changement des eaux du Nil en sang. La seconde fut la quantité innombrable de grenouilles dont le pays fut rempli. La troisieme fut l'abondance de moucherons, qui tourmenterent cruellement les hommes & les bêtes. La quatrieme plaie fut une multitude de mouches qui infecta la contrée. La cinquieme fut une peste subite qui tua les troupeaux. La sixieme fut des ulceres pestilenciels qui attaquerent les Egyptiens. La septieme fut une grêle épouvantable, qui n'épargna que la terre de Gessen, habitée par les Israélites. Par la huitieme les sauterelles ravagerent tout le pays. La neuvieme fut des ténebres épaisses qui couvrirent l'Egypte pendant trois jours. La dixieme & derniere plaie fut la mort des premiers nés frappés par l'ange exterminateur. Cette plaie terrible toucha le coeur endurci de Pharaon, qui se détermina finalement à laisser partir les Israëlites. Pour retenir plus aisément ces dix plaies, on les a exprimées dans les cinq vers suivans.
Prima rubens unda est ; ranarum plaga secunda
Inde culex terris ; post musca nocentior istis.
Quinta pecus stravit ; anthraces sexta creavit.
Post sequitur grando ; post bruchus dente nefando ;
Nona tegit solem ; primam necat ultima prolem.
(D.J.)
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PLAIGNANT | particip. (Jurisprud.) est celui qui a rendu plainte au juge de quelque injure qu'il a reçue, ou de quelque délit, ou quasi délit qui lui cause préjudice. Voyez DELIT, INJURE, QUASI DELIT. (A)
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PLAIN | adj. c'est une épithete que l'on donne à différentes choses, qui désignent en général quelque chose de poli, d'égal, de niveau ou superficiel, de simple ou de facile, ou enfin quelque chose de semblable. Voyez PLAN.
Ces mots ainsi considérés sont opposés aux mots rude, solide, travaillé, enrichi, &c.
C'est une maxime dans le blason, que plus l'écu est plain, plus il marque d'ancienneté. Les écus plains sont ceux qui sont les moins embarrassés de figures ou de pieces, & qui ne contiennent rien que de naturel. Voyez ECU, PIECE, &c.
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PLAIN-PIÉ | (Architecture) se dit dans une maison d'une suite de plusieurs pieces sur une ligne de niveau parfait, ou de niveau de pente sans pas ni ressauts, soit au rez-de-chaussée, ou aux autres étages de dessus.
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PLAINDRE | REGRETTER, (Synon.) on plaint le malheureux ; on regrette l'absent ; l'un est un mouvement de la pitié, & l'autre est un effet de l'attachement.
La douleur arrache nos plaintes, le repentir excite nos regrets.
Un bas courtisan en faveur est l'objet du mépris public ; & lorsqu'il tombe dans la disgrace, personne ne le plaint. Les princes les plus loués pendant leur vie, ne sont pas toujours les plus regrettés après leur mort.
Le mot de plaindre employé pour soi-même, change un peu la signification qu'il a, lorsqu'il est employé pour autrui. Retenant alors l'idée commune & générale de sensibilité, il cesse de représenter ce mouvement particulier de pitié qu'il fait sentir, lorsqu'il est question des autres ; & au lieu de marquer un simple sentiment, il emporte de plus dans sa signification, la manifestation de ce sentiment. Nous plaignons les autres, lorsque nous sommes touchés de leurs maux ; cela se passe au-dedans de nous ; ou du moins peut s'y passer, sans que nous le témoignions au-dehors. Nous nous plaignons de nos maux, lorsque nous voulons que les autres en soient touchés ; il faut pour cela les faire connoître.
Ce mot est encore quelquefois employé dans un autre sens que celui dans lequel on vient de le définir ; au lieu d'un sentiment de pitié, il en marque un de repentir : on dit en ce sens qu'on plaint ses pas ; qu'un avare se plaint toutes choses, jusqu'au pain qu'il mange.
Quelque occupé qu'on soit de soi-même, il est des momens où l'on plaint les autres malheureux. Il est bien difficile, quelque philosophie qu'on ait, de souffrir long-tems sans se plaindre ; les gens intéressés plaignent tous les pas qui ne menent à rien. Souvent on ne fait semblant de regretter le passé, que pour insulter au présent.
Un coeur dur ne plaint personne : un stoïcien ne se plaint jamais ; un paresseux plaint sa peine plus qu'un autre ; un parfait indifférent ne regrette rien.
La bonne maxime seroit de plaindre les autres, surtout lorsqu'ils souffrent sans l'avoir mérité ; de ne se plaindre, que quand on peut par-là se procurer du soulagement ; de ne plaindre ses peines, que lorsque la sagesse n'a pas dicté de se les donner ; & de regretter seulement ce qui méritoit d'être estimé. Synonymes de l'abbé Girard. (D.J.)
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PLAINE | PLANE, (Marine) voyez GALERE.
PLAINE, s. f. (Gram.) grand espace de la surface de la terre, sans élévation, & sans profondeur.
PLAINE, en terme de Blason, se prend quelquefois pour la pointe de l'écu, lorsqu'il est coupé en quarré, & qu'il en reste sous le quarré une partie, qui est d'autre couleur & émail que l'écu.
Elle a servi quelquefois pour marque de bâtardise, & on l'appelloit champaigne, car lorsque les descendans légitimes des bâtards ont ôté la barre, le filet, ou traverse que portoient leurs peres, ils doivent couper la pointe de leurs écus d'un autre émail ; ce que l'on appelle plaine.
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PLAINTE | (Gram.) Voyez PLAINDRE.
PLAINTE, s. f. (Jurisprud.) est une déclaration que l'on fait devant le juge ou devant le commissaire dans les lieux où il y en a de préposés à cet effet, par laquelle on défere à la justice quelque injure, dommage, ou autre excès, que l'on a souffert de la part d'un tiers.
Chez les Romains on distinguoit les délits privés, des crimes publics : pour ces premiers, la plainte ou accusation n'étoit recevable que de la part de ceux qui y avoient intérêt, au lieu que l'accusation pour les crimes publics étoit ouverte cuilibet è populo.
Parmi nous il y a dans tout crime ou délit deux sortes de personnes qui peuvent rendre plainte, savoir celui qui a été offensé, & le ministere public.
Tout procès criminel commence par une plainte, ou par une dénonciation.
La plainte contient bien la dénonciation du délit ou quasi délit dont on se plaint ; mais elle differe de la simple dénonciation, en ce que celle-ci peut être faite par un tiers qui n'a point d'intérêt personnel à la réparation du délit ou quasi délit ; au lieu que la plainte ne peut être rendue que par celui qui a été offensé en sa personne, en son honneur, ou en ses biens.
Lorsqu'un homme a été homicidé, sa veuve, ses enfans, ou autre plus proche parent, peuvent rendre plainte.
Le monastere peut aussi rendre plainte pour les excès commis en la personne d'un de ses religieux.
On peut rendre plainte par un simple acte, sans présenter requête & sans se porter partie civile ; mais on peut aussi rendre plainte par requête, & en ce cas, la plainte n'a de date que du jour que le juge, ou en son absence, le plus ancien praticien du lieu, l'a répondue.
Les plaintes peuvent aussi être écrites par le greffier en présence du juge ; mais il est défendu aux huissiers, sergens & archers, de les recevoir, à peine de nullité ; & aux juges de les leur adresser, à peine d'interdiction.
Les commissaires au châtelet doivent remettre au greffe dans les 24 heures les plaintes qu'ils ont reçues avec les informations & procédures par eux faites, & en faire faire mention par le greffier au-bas de leur expédition, & si c'est avant ou après midi, à peine de 100 livres d'amende, dont moitié pour le roi, l'autre pour la partie qui s'en plaindra.
Tous les feuillets des plaintes doivent être signés par le juge & par le plaignant, s'il sait ou peut signer, ou par son procureur fondé de procuration spéciale ; & il doit être fait mention expresse sur la minute & sur la grosse de sa signature & de son refus : la même chose doit être observée par les commissaires au châtelet.
Les plaignans ne sont point réputés parties civiles, à-moins qu'ils ne le déclarent formellement ou par la plainte, ou par un acte subséquent qui se pourra faire en tout état de cause, dont ils pourront se départir dans les 24 heures, & non après : & en cas de désistement, ils ne sont point tenus des fraix faits depuis qu'il a été signifié, sans préjudice néanmoins des dommages & intérêts des parties.
Dans le cours de la procédure, & lorsque les informations ont été decrétées, le plaignant est regardé comme l'accusateur, & celui contre qui la plainte est rendue, demeure accusé.
Les accusateurs ou plaignans qui se trouvent mal fondés, sont condamnés aux dépens, dommages, & intérêts des accusés, & à plus grande peine, s'il y échet. La même chose a lieu pour les plaignans qui ne se seroient point portés parties, ou qui s'étant rendus parties, se seroient desistés, si leurs plaintes sont jugées calomnieuses.
Quand le plaignant ne se porte point partie civile, & qu'il s'agit d'un délit ou quasi délit, à la réparation duquel le public est intéressé, le procès doit être poursuivi à la diligence du ministere public.
Lorsqu'il y a plainte respective, le juge après les interrogatoires doit commencer par juger lequel des deux plaignans demeurera accusé ou accusateur ; & après avoir examiné les charges & informations, il doit déclarer accusé celui contre lequel les charges sont les plus fortes, & déclarer l'autre l'accusateur.
L'accusateur ne peut par sa plainte conclure qu'à la réparation civile du crime ou délit, il ne peut conclure à aucune peine corporelle ; mais il peut requérir la jonction du ministere public.
Quand on a pris la voie civile, ou que l'on a transigé sur le criminel, on ne peut plus rendre plainte, à moins qu'elle ne soit faite au nom de quelque autre partie intéressée à la réparation du délit. Voyez le titre 3. de l'ordonnance criminelle ; Bornier le style criminel ; Imbert ; & les mots ACCUSATION, ACCUSE, CRIME, CRIMINEL, DENONCIATION, & ci-après PROCEDURE CRIMINELLE. (A)
PLAINTE, ou QUERELLE D'INOFFICIOSITE, quaerela inofficiosi testamenti : c'est l'action que l'on intente pour attaquer un testament, par lequel on est prétérit ou exhérédé.
Cujas a prétendu que cette plainte fut introduite par la loi glicia ; mais Hotman & autres auteurs, ne sont pas de ce sentiment.
Quoi qu'il en soit, elle fut établie comme un remede extraordinaire, auquel on ne pouvoit avoir recours que quand le testament étoit d'ailleurs en bonne forme ; on attaquoit la capacité du testateur, comme s'il n'avoit pas été sanae mentis.
On permit donc aux enfans injustement exhérédés par leur pere ou prétérits par la mere, de se plaindre du testament.
Toutes sortes de testamens étoient sujets à la plainte d'inofficiosité, soit que l'héritier institué fût un enfant ou un étranger. On excepta seulement le testament du soldat fait in procinctu ; ce qui fut ensuite étendu à celui qui disposoit de son pécule quasi castrense.
Cette plainte n'étoit accordée qu'aux enfans du premier degré, ou aux petits enfans qui venoient par représentation.
Les bâtards pouvoient l'intenter contre le testament de leur mere, mais non pas contre celui du pere, à-moins qu'ils n'eussent été légitimés, soit par mariage subséquent, soit par lettres du prince.
On accorda aussi l'action d'inofficiosité aux enfans posthumes, prétérits, ou exhérédés.
Elle fut pareillement accordée aux enfans de l'un & de l'autre sexe, soit qu'ils fussent remariés ou non ; bien entendu qu'ils ne pouvoient l'intenter que dans le cas où il n'y avoit point d'enfans, ou lorsque les enfans étoient justement exhérédés.
A l'égard des freres, la plainte d'inofficiosité n'avoit lieu que quand leur frere ou soeur consanguins ou germains, avoient institué une personne infâme.
Pour prévenir cette plainte, il falloit suivant l'ancien droit, que la légitime eût été laissée entiere ; mais il n'importoit pas à quel titre. Justinien changea cette jurisprudence, en ordonnant que ceux auxquels il auroit été laissé moins que leur légitime, ne pourroient attaquer le testament pour cause d'inofficiosité, sauf à demander un supplément de légitime.
La plainte d'inofficiosité ne pouvoit être intentée avant l'adition de l'héritier ; il falloit anciennement former son action dans les deux ans, à compter de l'adition. Depuis on fixa ce délai à cinq années, & il ne couroit point contre les mineurs.
Cette action ne passoit pas aux héritiers étrangers, à-moins qu'elle n'eût été intentée ou préparée ; mais pour la transmettre aux enfans, il suffisoit que les choses fussent entieres.
L'effet de cette plainte étoit de faire annuller le testament, & de faire adjuger la succession au plaignant, à l'exclusion de l'héritier institué ; les legs même étoient révoqués. Mais si la prétérition qui se trouvoit dans le testament de la mere avoit été faite par ignorance, l'institution seule étoit annullée ; les legs subsistoient.
Il arrivoit quelquefois que le testament étoit annullé pour une partie, & subsistoit pour l'autre ; savoir, quand de deux enfans exhérédés, un seul intentoit l'action, ou que l'un des deux seulement réussissoit en sa demande.
Quand les juges étoient partagés sur la question, on devoit décider pour la validité du testament.
On ne pouvoit intenter la plainte d'inofficiosité lorsqu'on avoit quelque autre action, ou qu'on avoit répudié celle-ci ; il en étoit de même, lorsqu'on approuvoit le testament sciemment, ou lorsqu'on avoit laissé écouler le délai de cinq années depuis l'institution. Elle n'avoit pas lieu non plus, comme on l'a dit, contre le testament du soldat, ni lorsqu'il avoit été quelque chose à ceux qui avoient droit de légitime, soit à titre d'institution, legs, fidei-commis, ou autrement. Dans le cas de la substitution pupillaire faite par le pere, la mere, ni le fils, ne pouvoient attaquer le testament. Le fils prétérit déclaré ingrat, n'avoit plus l'action d'inofficiosité ; enfin, l'action étoit éteinte par la mort de la personne prétérite ou exhérédée, à-moins qu'elle n'eût laissé des enfans, ou préparé l'action.
Tel étoit l'ancien droit sur cette matiere.
Mais, suivant la novelle 115, & la disposition des instituts, auxquels l'ordonnance des testamens, articles 50 & 53, se trouve conforme ; la prétérition étant maintenant regardée comme une exhérédation, & le testament étant nul quant à l'institution & aux substitutions & fidei-commis universels dans le cas de la prétérition ou du défaut d'institution, la plainte d'inofficiosité ne doit plus avoir lieu, puisque ce n'étoit qu'un remede extraordinaire quand on n'avoit point d'autre voie pour attaquer le testament. Voyez au digeste & au code les titres de inoffic. testam. la novelle 115 ; l'ordonnance des testamens ; le traité de Furgoles, tome III. ch. viij. sect. 4. (A)
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PLAINTIF | adj. (Gramm.) qui a l'accent de la plainte. Une voix plaintive, un air plaintif.
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PLAIRE | v. n. (Gramm.) c'est avoir des qualités agréables au coeur, à l'esprit, ou au sens. C'est une folie que de vouloir plaire à tout le monde. Avec les gens d'un goût délicat, l'art de plaire manque son but. Les mélancholiques se plaisent dans les ténebres. Les saules se plaisent dans les lieux humides, &c.
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PLAISANCE | (Géog. mod.) Les Latins l'appelloient Placentia ; ceux du pays la nomment Piacenza ; & on prétend qu'elle tire le nom de Plaisance de son agréable situation dans un pays tout charmant. Ville d'Italie, capitale du duché de même nom, au confluent du Pô & de la Trebia, à 12 lieues nord-ouest de Parme, à 15 sud-est de Milan, à 20 au couchant de Mantoue, & à 30 est de Turin.
Ses rues sont droites & spacieuses ; la grande place est ornée de palais. Ses églises sont belles, & sur-tout celle de S. Sixte. Son évêché est suffragant de celui de Bologne. On compte dans cette ville environ 25 mille habitans, dont un dixieme est d'ecclésiastiques. Elle a subi les mêmes révolutions que Parme dans les différentes guerres d'Italie. Long. 27. 16'. lat. 45. 6'.
Ceux qui seront curieux de l'histoire de cette ville peuvent parcourir les memorie storiche di Piacenza, par M. Poggiali, à Plaisance en 1761 : on en a déja 9 volumes. C'est un ouvrage prodigieusement prolixe, car le neuvieme volume ne finit qu'à l'année 1559, & le moindre petit livre suffiroit pour tracer complete ment l'histoire de cette ville ; mais elle a produit dans les lettres un homme trop célebre par ses écrits & par sa mort tragique, pour oublier son nom ; c'est (Ferrante) Pallavicino, l'un des beaux esprits d'Italie au xvij. siecle, & de l'illustre maison de Pallavicini.
On conjecture qu'il naquit vers l'année 1615 : moins par inclination que par des raisons de famille, il entra dans la congrégation des chanoines réguliers de Latran ; il s'établit ensuite à Venise, d'où il fit un voyage en Allemagne. De retour en Italie, il écrivit une violente satyre contre le pape Urbain VIII. & contre la famille des Barberins, ce qui fut la triste cause de sa perte. Les Barberins extrêmement irrités, & ne voyant point de jour à se venger de lui dans un asyle aussi avantageux que Venise, résolurent de l'en tirer par trahison ; ils gagnerent un françois nommé Charles de Breche, fils d'un libraire de Paris. Ce françois lui conseilla de venir en France ; le malheureux Ferrante goûta le conseil du fourbe ; & en passant sur le pont de Sorgues, dans le comtat Venaissin, des gens apostés l'arrêterent & le conduisirent à Avignon, où il eut la tête tranchée le 5 Mars 1644. Ses amis vengerent sa mort ; & le traître qui l'avoit livré, ne jouit pas long-tems du fruit de sa perfidie : le cardinal Mazarin le fit assassiner par un nommé Ganducci, italien, dans une hôtellerie de la place Maubert.
Brussoni a donné la vie de Palavicino ; cette vie, avec les oeuvres permises de cet écrivain, ont été imprimées à Venise en 1655, en quatre petits volumes in-douze. Les défendues l'ont été in Villa-franca, c'est-à-dire à Geneve en 1660, en deux volumes in-douze, & puis en Hollande en 1666 & en 1673, in-douze, sous la même inscription d'in Villa-franca, & sous le titre d'Opere scelte di Ferrante Pallavicino, civè, la pudicitia schernita, la rettorica delle puttane, il divortio celeste, il corriero svalligiato, la buccinata, dialogo tradue soldati del duca di Parma, la disgracia del conte d 'Olivarez, la rete di Vulcano, l'Anima, Vigilia I. & II : di novo ristampato, corretto, & agiuntovi la vita del autore, è la continuazione del corriero.
On lui attribue presqu'universellement le divorzzio celeste compris dans ce recueil ; & je ne sache que Girolamo Brussoni & M. de la Monnoie qui soutiennent le contraire.
Cet ouvrage plein de feu, d'esprit & d'imagination, fut imprimé in Villa-franca en 1643, in-douze ; il devoit être divisé en trois livres, dont il n'y a eu que le premier de la main de Pallavicino. On y suppose que Jesus-Christ, poussé à bout par les dissolutions de l'église romaine son épouse, avec plusieurs papes, & particulierement avec Urbain VIII. se résout à faire divorce avec elle ; que le Pere éternel envoie S. Paul sur terre pour y faire les informations nécessaires ; que cet apôtre se transporte à Lucques, à Parme, à Florence, à Venise & à Rome, où il est épouvanté des débordemens horribles qu'il y voit commettre ; que découvert à Rome par un possédé qu'on exorcisoit, & par conséquent obligé de s'enfuir, il oublie son épée, dont le pape s'empare, avec menaces d'en exterminer tous ses ennemis (& voilà le trait imputé par tant d'auteurs au furieux Jules II. assez ingénieusement employé) ; enfin, que sur ses informations le Pere éternel accorde le divorce demandé par Jesus-Christ.
Le second livre devoit traiter des bâtards de l'église romaine, & le troisieme du concours des autres églises pour les secondes noces de Jesus-Christ. On a depuis rempli ce dessein, en ajoutant deux nouveaux volumes au premier, & en les faisant imprimer tous trois à Genève en 1679. On assure que c'est Gregorio Leti qui a fait cette continuation.
Le premier de ces livres a été traduit en diverses langues : il y en a deux traductions françoises ; l'une dont on ignore l'auteur, & qui est intitulée le Céleste divorce, ou la séparation de Jesus-Christ d'avec l'église romaine son épouse, à cause de ses dissolutions, a été imprimée en 1644, in-douze : l'autre qui est de la façon de M. Brodeau d'Oiseville, conseiller au parlement de Metz, est intitulée le Divorce céleste, causé par les désordres & les dissolutions de l'épouse romaine, & dédié à la simplicité des chrétiens scrupuleux, avec la vie de l'auteur, & imprimée à Cologne, ou plûtôt à Amsterdam chez Roger & de Lorme, ne 1696, in-douze. La traduction angloise est intitulée, Christ divorced, from the curch of Rome, because of her lewdnesss, & imprimée à Londres en 1679, in-8°.
L'Anima di Ferrante Pallavicino, qu'on a mise aussi dans ce recueil, est un petit ouvrage qui fut fait à l'occasion de sa mort, & où la cour de Rome est encore moins ménagée que dans ses écrits ; il fut imprimé in Villa-franca en 1643 in-douze, sous le nom de Giorgio Fallardi ; mais on l'attribue à Jean François Loredano.
On en promettoit six parties, dont on en destinoit une contre les Jésuites, mais on n'en a donné que deux alors, encore la derniere n'a-t-elle presque aucun rapport avec le Pallavicino. Fort long-tems après, quelqu'un s'avisa d'y ajouter les quatre autres parties que l'auteur avoit promises.
La troisieme est intitulée l'infamia de'Giesuiti ; la quatrieme, l'atheismo di Roma ; la cinquieme, il Fravio delle stelle altiere regnanti nel Vaticano ; & la sixieme, l'ignoranza superba. Elles ont été imprimées, conjointement avec les deux premieres, in Colonia, appresso Lodovico Feivaldo, en 1675, en deux volumes in-douze.
Le corriero sualigiato, ou courier dévalisé de Pallavicino ; & sa buccinata per le api barberini, ou la trompette pour rassembler les abeilles barberines, furent les causes de sa perte. C'est un malheur qu'un homme qui avoit beaucoup d'esprit, en ait fait un si mauvais usage. Plongé dans la volupté, & avide de gloire, le feu de sa jeunesse le précipita dans toutes sortes de fautes ; il composa des ouvrages indignes de sa naissance & de sa profession, & prouva de plus par sa conduite cette grande vérité.
E che a' voli troppo alti e repentini,
Sogliono i precipizzi esser vicini.
Valla (Laurent), l'un des plus savans hommes de son tems, avoit précédé de deux siecles Pallavicino, car il naquit à Plaisance en 1415, & fut l'un de ceux qui s'opposerent le plus heureusement à la barbarie dont Rome avoit été infectée par les Goths. Il contribua beaucoup à renouveller en Italie la beauté de la langue latine, & mourut à Rome en 1458, âgé de 43 ans. Ses traductions de Thucydide, d'Hérodote & d'Homere, prouvent qu'il n'étoit pas profondément versé dans la langue grecque ; mais ses six livres des élégances de la langue latine, sont fort estimés.
Le pape Grégoire X. étoit natif de Plaisance. Il tint environ 5 ans le siége pontifical, & mourut à Arrezo en 1276. C'est lui qui ordonna le premier qu'après la mort du pape les cardinaux seroient renfermés dans un conclave, & n'en sortiroient point qu'ils n'eussent élu un souverain pontife, afin de ne pas laisser le siége aussi long-tems vacant qu'il l'avoit été après la mort de son prédécesseur. (D.J.)
PLAISANCE, (Géog. mod.) baie & port de l'Amérique septentrionale, sur la côte méridionale de l'île de Terre-neuve. La baie a 18 lieues de profondeur ; le port, un des plus beaux de l'Amérique, peut contenir plus de cent vaisseaux à couvert de tous les vents. La France l'a cédé à l'Angleterre par le traité d'Utrecht. Long. 325. 40'. Latit. 47. 42'. (D.J.)
PLAISANCE, maison de plaisance de Pline, (Archit. anc.) La maison de plaisance de Pline le jeune, dont Scamozzi nous a donné les desseins, offroit un séjour des plus délicieux de l'Italie. Elle étoit située à 17 milles de Rome, sur la voie Laurentine ; elle avoit son entrée du côté du nord ; sa droite vers l'est, étoit embellie par de magnifiques jardins ; à sa gauche, vers l'ouest, étoient les jardins potagers, & ce qui est nécessaire au ménage ; du côté du sud elle avoit vûe sur la mer, qui baignoit le pié de ses murailles.
L'entrée avoit un grand perron en dehors, dont la couverture du palier étoit soutenue par plusieurs colonnes : l'on entroit d'abord dans une grande sale, à chaque côté de laquelle il y avoit une cour ornée d'un superbe portique rond à colonnes, entre lesquelles il y avoit des fenêtres de pierre transparentes ; autour du portique étoit un chemin libre, avec une entrée & une sortie de quatre côtés.
Les quatre angles de cette cour étoient occupés les uns par des escaliers, & les autres par des cabinets. De cette cour on entroit dans un sallon à chaque côté duquel il y avoit deux chambres & un escalier vis-à-vis de l'entrée ; il y en avoit une seconde par où l'on se rendoit dans une vaste cour entourée de logemens à droite & à gauche, avec un passage pour aller dans les jardins.
A l'autre bout de cette cour, vers le sud, on trouvoit un vestibule à chaque côté duquel il y avoit deux chambres dont la vûe étoit sur la mer ; & au derriere du vestibule, une grande salle saillante en dehors sur la mer, qui la baignoit par trois côtés. (D.J.)
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PLAISANT | adj. PLAISANTERIE, s. f. (Grammaire & Morale) c'est une maniere de s'amuser si dangereuse, que le plus sûr est de s'en abstenir. La religion, les matieres d'état, les grands hommes, les affaires graves des particuliers, en un mot tout ce qui est digne de respect ou de pitié, doit être privilégié de la plaisanterie. Son succès dans les coteries dépend moins de la finesse d'esprit de l'auteur qui les emploie, que de l'attention qu'il porte à ne ridiculiser que les hommes ou les choses qui ne sont pas du goût de la coterie dont il est l'oracle. Il en est des plaisanteries comme des ouvrages de parti : elles sont toujours admirées de la cabale ; c'est pour cela que le philosophe est joué par le plus mauvais bouffon.
Quant à la plaisanterie du style, elle n'est jamais bonne dans le genre sérieux, parce qu'elle ne porte que sur un côté des objets qui n'est pas celui que l'on considere ; elle roule presque toujours sur des rapports faux & sur des équivoques : delà vient aussi que les plaisans de profession ont presque tous l'esprit faux & superficiel. (D.J.)
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PLAISANTIN LE | (Géog. mod.) contrée d'Italie, avec titre de duché, bornée tant au nord qu'au couchant par le Milanez, & au midi par l'état de Gènes. Le Pô, la Nura, la Trebia, & d'autres rivieres, en arrosent les terres, qui sont très-fertiles. Il y a des mines d'airain & de fer, outre des fontaines salées, d'où on tire du sel fort blanc. Plaisance est la capitale de cette contrée. (D.J.)
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PLAISIR | DÉLICE, VOLUPTé, (Synonym.) L'idée du plaisir est d'une bien plus vaste étendue que celle de délice & de volupté, parce que ce mot a rapport à un plus grand nombre d'objets que les deux autres ; ce qui concerne l'esprit, le coeur, les sens, la fortune, enfin tout ce qui est capable de nous procurer du plaisir. L'idée de délice enchérit par la force du sentiment sur celle de plaisir ; mais elle est bien moins étendue par l'objet ; elle se borne proprement à la sensation, & regarde sur-tout celle de la bonne-chere. L'idée de volupté est toute sensuelle, & semble désigner dans les organes quelque chose de délicat qui raffine & augmente le goût.
Les vrais philosophes cherchent le plaisir dans toutes leurs occupations, & ils s'en font un de remplir leur devoir. C'est un délice pour certaines personnes de boire à la glace, même en hiver, & cela est indifférent pour d'autres, même en été. Les femmes poussent ordinairement la sensibilité jusqu'à la volupté, mais ce moment de sensation ne dure guere, tout est chez elles aussi rapide que ravissant.
Tout ce qu'on vient de dire ne regarde ces mots que dans le sens où ils marquent un sentiment ou une situation gracieuse de l'ame ; mais ils ont encore, surtout au pluriel, un autre sens, selon lequel ils expriment l'objet ou la cause de ce sentiment ; comme quand on dit d'une personne qu'elle se livre entierement aux plaisirs, qu'elle jouit des délices de la campagne, qu'elle se plonge dans les voluptés. Pris dans ce dernier sens, ils ont également, comme dans l'autre, leurs différences & leurs délicatesses particulieres : alors le mot de plaisir a plus de rapport aux pratiques personnelles, aux usages & aux passe-tems, tels que la table, le jeu, les spectacles & les galanteries. Celui de délices en a davantage aux agrémens que la nature, l'art & l'opulence fournissent ; telles que de belles habitations, des commodités recherchées, & des compagnies choisies. Celui de voluptés désigne proprement des excès qui tiennent de la mollesse, de la débauche & du libertinage, recherchés par un goût outré, assaisonnés par l'oisiveté, & préparés par la dépense, tels qu'on dit avoir été ceux où Tibere s'abandonnoit dans l'île de Caprée, & les Sybarites dans les palais qu'ils avoient bâtis le long du fleuve Crathès. Girard. (D.J.)
PLAISIR, (Morale). Le plaisir est un sentiment de l'ame qui nous rend heureux du-moins pendant tout le tems que nous le goûtons ; nous ne saurions trop admirer combien la nature est attentive à remplir nos desirs. Si par le seul mouvement elle conduit la matiere, ce n'est aussi que par le plaisir qu'elle conduit les humains ; elle a pris soin d'attacher de l'agrément à ce qui exerce les organes du corps sans les affoiblir, à toutes les occupations de l'esprit qui ne l'épuisent pas par une trop vive & trop longue contention, à tous les mouvemens du coeur que la haine & la contrainte n'empoisonnent pas, enfin à l'accomplissement de nos devoirs envers Dieu, envers nous-mêmes, & envers les autres hommes. Parcourons tous ces articles les uns après les autres.
1°. Il y a un agrément attaché à ce qui exerce les organes du corps, sans les affoiblir. L'aversion que les enfans ont pour le repos, justifie que les mouvemens qui ne fatiguent point le corps, sont naturellement accompagnés d'une sorte de plaisir ; la chasse a d'autant plus de charmes qu'elle est plus vive ; il n'est guere pour de jeunes personnes de plaisir plus touchant que la danse ; & la sensibilité au plaisir de la promenade se conserve même dans un âge avancé, elle ne s'émousse guere que par la foiblesse du corps. Les couleurs caractérisent les objets qui s'offrent à nous ; celle du feu est la plus agréable, mais à la longue elle fatigue la vue ; le verd fait une impression douce & jamais fatiguante ; le brun & le noir sont des couleurs tristes. La nature a reglé l'agrément des couleurs, sur le rapport de leur force à l'organe de la vue ; celles qui exercent davantage, sont les plus agréables, tant qu'elles ne le fatiguent point ; aussi les ténebres deviennent-elles pour nous une source d'ennui, dès qu'elles livrent les yeux à l'inaction. Les corps après s'être annoncés par les couleurs, nous frappent agréablement par leur nouveauté & leur singularité : avides de sentimens agréables, nous nous flattons d'en recevoir de tous les objets inconnus qui se présentent à nous ; d'ailleurs leur trace n'est point encore formée dans le cerveau, ils font alors sur ses fibres une impression douce qui s'affoiblit, dès que la trace trop ouverte laisse un chemin libre aux esprits ; la grandeur & la variété sont encore des causes d'agrément. L'immensité de la mer, ces fleuves qui du haut des montagnes se précipitent dans les abymes, ces campagnes où la vue se perd dans la multitude des tableaux qui s'offrent de toute part, tous ces objets font sur l'ame une impression dont l'agrément se mesure sur l'ébranlement des fibres du cerveau : une autre source féconde d'agrémens, c'est la proportion, elle met à portée de saisir & de retenir la position des objets. La symmétrie dans les ouvrages de l'art, de même que dans les animaux & dans les plantes, partage l'objet de la vue en deux moitiés semblables, & sur ce fond, pour ainsi dire, d'uniformité, d'autres proportions doivent d'ordinaire y porter l'agrément de la variété, la convenance des moyens avec leurs fins, à la ressemblance d'un ouvrage de l'art avec un objet connu, l'unité de dessein : sous ces différens rapports, la nature les a revêtus d'agrément, ils mettent l'esprit à portée de saisir & de retenir ce qui se présente à nos yeux. L'Architecture, la Peinture, la Sculpture, la déclamation doivent à cette loi une partie de leurs charmes ; de cette même source naît en partie l'agrément attaché aux graces du corps, elles consistent dans un juste rapport des mouvemens à la fin qu'on s'y propose, elles sont comme un voile transparent à-travers lequel l'esprit se montre : les lois qui reglent l'agrément des objets à la vue, influent sur les sons, le gazouillement d'un ruisseau, le murmure d'un vent qui se joue dans les feuilles des arbres ; tous ces tons doux agitent les fibres de l'ouie sans les fatiguer. Les proportions, la variété, l'imitation, l'unité de dessein, donnent à la Musique des charmes encore plus touchans qu'aux arts qui travaillent pour les yeux. Nous devons à la théorie de la Musique, cette observation importante, que les consonnances sont plus ou moins agréables, suivant qu'elles sont de nature à exercer plus ou moins les fibres de l'ouie sans les fatiguer. L'analogie qui regne dans toute la nature, nous autorise à conjecturer que cette loi influe sur toutes les sensations ; il est des couleurs dont l'assortissement plaît aux yeux, c'est que dans le fond de la rétine, elles forment, pour ainsi dire, une consonnance ; cette même loi s'étend apparemment aux êtres qui sont à portée d'agir sur l'odorat & sur le goût ; leur agrément caractérise, il est vrai, ceux qui nous sont salutaires, mais il ne paroît point parfaitement proportionné à leur degré de convenance avec la santé.
2°. Si le corps a ses plaisirs, l'esprit a aussi les siens ; les occupations soit sérieuses soit frivoles, qui exercent sa pénétration sans le fatiguer, sont accompagnées d'un sentiment agréable. A voir un joueur d'échecs concentré en lui-même, & insensible à tout ce qui frappe ses yeux & ses oreilles, ne le croiroit-on pas intimement occupé du soin de sa fortune ou du salut de l'état ? Ce recueillement si profond a pour objet le plaisir d'exercer l'esprit par la position d'une piece d'ivoire. C'est de ce doux exercice de l'esprit que naît l'agrément des pensées fines, qui de même que la bergere de Virgile, se cachent autant qu'il le faut pour qu'on ait le plaisir de les trouver. Il y a eu des hommes à qui on a donné le nom de philosophes, & qui ont cru que l'exercice de l'esprit n'étoit agréable que par la réputation qu'on se flattoit d'en recueillir. Mais tous les jours ne se livre-t-on pas à la lecture & à la réflexion, sans aucune vue sur l'avenir, & sans autre dessein que de remplir le moment présent ? Si on se trouvoit condamné à une solitude perpétuelle, on n'en auroit que plus de goût pour des lectures que la vanité ne pourroit point mettre à profit.
3°. Le coeur comme l'esprit & le corps a ses mouvemens & est fou des plaisirs, dès qu'ils ne doivent point leur naissance à la vue d'un mal présent ou à venir. Tout objet est sûr de nous plaire, dès que son impression conspire avec nos inclinations : une spéculation morale ou politique, peu amusante dans la jeunesse, intéresse dans un âge plus avancé, & une histoire galante qui ennuie un vieillard, aura des charmes pour un jeune homme. Dans la peinture que la Poésie fait des passions, ce n'est point la fidélité du portrait qui en fait le principal agrément ; c'est que telle est leur contagion, qu'on ne peut guere les voir sans les ressentir ; la tristesse même devient quelquefois délicieuse, par cette douceur secrette, attachée à toute émotion de l'ame. La tragédie divertit d'autant mieux, qu'elle fait couler plus de larmes ; tout mouvement de tendresse, d'amitié, de reconnoissance, de générosité & de bienveillance, est un sentiment de plaisir : aussi tout homme né bienfaisant est-il naturellement gai, & tout homme né gai est-il naturellement bienfaisant. L'inquiétude, le chagrin, la haine, sont des sentimens nécessairement désagréables, par l'idée du mal qui nous menace ou nous afflige ; aussi tout homme malfaisant est-il naturellement triste. On trouve cependant une sorte de douceur dans le mouvement de l'ame, qui nous porte à assurer notre conservation & notre félicité, par la destruction de ce qui fait obstacle ; c'est qu'il y a peu de sentimens qui ne soient pour ainsi dire composés, & où il n'entre quelque portion d'amour ; on ne hait guere, que parce qu'on aime.
4°. Enfin il y a du plaisir attaché à l'accomplissement de nos devoirs envers Dieu, envers nous-mêmes & envers les autres. Epicure fier d'avoir attaqué le dogme d'une cause intelligente, se flattoit d'avoir anéanti une puissance ennemie de notre bonheur. Mais pourquoi nous former cette idée superstitieuse d'un être qui en nous donnant des goûts, nous offre de toutes parts des sentimens agréables ; qui en nous composant de diverses facultés, a voulu qu'il n'y en eût aucune dont l'exercice ne fût un plaisir ? Les biens que nous possédons sont-ils donc empoisonnés par l'idée que ce sont des présens d'une intelligence bienfaisante ? N'en doivent-ils pas plutôt recevoir un nouveau prix, s'il est vrai que l'ame ne soit jamais plus tranquille & plus parfaite, que quand elle sent qu'elle fait de ces biens un usage conforme aux intentions de son auteur ? Cette idée qui épure nos plaisirs, porte le calme dans le coeur, & en écarte l'inquiétude & le chagrin. Placés dans l'univers comme dans le jardin d'Eden, si la providence nous défend l'usage d'un fruit par l'impuissance de le cueillir, ou par les inconvéniens qui y sont attachés, n'en acceptons pas avec moins de reconnoissance ceux qui se présentent à nous de toutes parts ; jouissons de ce qui nous est offert, sans nous trouver malheureux par ce qui nous est refusé : le desir se nourrit d'espérance, & s'éteint par l'impossibilité d'atteindre à son objet : nous devons à la puissance de Dieu, le tribut d'une soumission parfaite à tout ce qui résulte de l'établissement de ses lois ; nous devons à la sagesse l'hommage d'une persuasion intime ; que si nous étions admis à ses conseils, nous applaudirions aux raisons de sa conduite. Ces sentimens respectueux, un sentiment de plaisir les accompagne, une heureuse tranquillité les suit.
Il y a aussi du plaisir attaché à l'accomplissement de nos devoirs envers nous-mêmes ; le plaisir naît du sein de la vertu. Quoi de plus heureux que de se plaire dans une suite d'occupations convenables à ses talens & à son état ? La sagesse écarte loin de nous le chagrin, elle garantit même de la douleur, qui dans les tempéramens bien conformés ne doit guere sa naissance qu'aux excès : lorsqu'elle ne peut la prévenir, elle en émousse du moins l'impression, toujours d'autant plus forte qu'on y oppose moins de courage. Les indiennes, les sauvages, les fanatiques marquent de la gaité dans le sein des douleurs les plus vives ; ils maîtrisent leur attention au point de la détourner du sentiment désagréable qui les frappe, & de la fixer sur le phantôme de perfection auquel ils se dévouent. Seroit-il possible que la raison & la vertu apprissent de l'ambition & du préjugé à affoiblir aussi le sentiment de la douleur par d'heureuses diversions ?
Si nous voulons remplir tous nos devoirs envers les autres hommes, soyons justes & bienfaisans, la morale nous l'ordonne, la théorie des sentimens nous y invite ; l'injustice, ce principe fatal des maux du genre humain, n'afflige pas seulement ceux qui en sont les victimes, c'est une sorte de serpent qui commence par déchirer le sein de celui qui le porte. Elle prend naissance dans l'avidité des richesses ou dans celle des honneurs, & en fait sortir avec elle un germe d'inquiétude & de chagrin. L'habitude de la justice & de la bienveillance qui nous rend heureux, principalement par les mouvemens de notre coeur, nous le rend aussi par les sentimens qu'elle inspire à ceux qui nous approchent ; un homme juste & bienfaisant, qui ne vit que pour des mouvemens de bienveillance, est aimé & estimé de tous ceux qui l'approchent. Si l'on a dit de la louange, qu'elle étoit pour celui à qui elle s'adressoit, la plus agréable de toutes les musiques, on peut dire de même qu'il n'est point de spectacle plus doux que celui de se voir aimé ; tous les objets qui s'offriront lui seront agréables, tous les mouvemens qui s'éleveront dans son coeur, seront des plaisirs.
Il y a plusieurs sortes de plaisirs ; savoir, ceux du corps & ceux de l'esprit, & ceux du coeur ; c'est une suite de ce que nous venons de dire. Il se présente ici une question importante, qui bien avant la naissance d'Epicure & de Platon, a partagé le genre humain en deux sectes différentes. Les plaisirs des sens l'emportent-ils sur ceux de l'ame ? Et parmi les plaisirs de l'ame, ceux de l'esprit sont-ils préférables à ceux du coeur ? Pour en juger, imaginons-les entierement séparés les uns des autres & portés à leur plus haut point de perfection. Qu'un être insensible à ceux de l'esprit goûte ceux du corps dans toute sa durée ; mais que privé de toute connoissance, il ne se souvienne point de ceux qu'il a sentis, qu'il ne prévoye point ceux qu'il sentira, & que renfermé pour ainsi dire dans son écaille, tout son bonheur consiste dans le sentiment sourd & aveugle qui l'affecte pour le moment présent. Imaginons au contraire, un homme mort à tous les plaisirs des sens, mais en faveur de qui se rassemblent tous ceux de l'esprit & du coeur ; s'il est seul, que l'histoire, la géométrie, les belles-lettres, lui fournissent de belles idées, & lui marquent chaque moment de sa retraite par de nouveaux témoignages de la force & de l'étendue de son esprit ; s'il se livre à la société, que l'amitié, que la gloire, compagne naturelle de la vertu, lui fournissent hors de lui des preuves toujours renaissantes de la grandeur & de la beauté de son ame, & que dans le fond de son coeur sa conformité à la raison soit toujours accompagnée d'une joie secrette que rien ne puisse altérer ; il me semble qu'il est peu d'hommes nés sensibles aux plaisirs de l'esprit & du corps, qui placés entre ces deux états de bonheur, à-peu-près comme un philosophe l'a feint d'Hercule, préférassent au sort de l'être intelligent la félicité d'une huitre.
Les plaisirs du corps ne sont jamais plus vifs que quand ils sont des remedes à la douleur ; c'est l'ardeur de la soif qui décide du plaisir qu'on ressent à l'éteindre. La plûpart des plaisirs du coeur & de l'esprit ne sont point altérés par ce mélange impur de la douleur. Ils l'emportent d'ailleurs par leur agrément ; ce que la volupté a de délicieux, elle l'emprunte de l'esprit & du coeur ; sans leur secours elle devient bientôt fade & insipide à la fin. Les plaisirs du corps n'ont guere de durée, que ce qu'ils en empruntent d'un besoin passager ; dès qu'ils vont au-delà, ils deviennent des germes de douleur ; les plaisirs de l'esprit & du coeur leur sont donc bien supérieurs, n'eussent-ils sur eux que l'avantage d'être bien plus de nature à remplir le vuide de la vie.
Mais parmi les plaisirs de l'esprit & du coeur, auxquels donnerons-nous la préférence ? Il me semble qu'il n'en est point de plus touchant, que ceux que fait naître dans l'ame l'idée de perfection ; elle est comme un objet de notre culte, auquel on sacrifie tous les jours les plus grands établissemens, sa conscience même & sa personne. Pour se garantir de la flétrissure attachée à la poltronnerie, elle a précipité dans le sein de la mort des hommes, flattés d'acheter à ce prix la conservation de ce qui leur étoit cher. C'est elle qui rend les indiennes insensibles à l'horreur de se brûler vives, & qui leur ferme les yeux sur tous les chemins que leur ouvre la libéralité & la religion de leur prince, pour les dérober à ce supplice volontaire ; les vertus, l'amitié, les passions, les vices mêmes empruntent d'elle la meilleure partie de leur agrément.
Un comique grec trouvoit qu'on ne prenoit pas d'assez justes mesures, quand on vouloit s'assurer d'un prisonnier. Que n'en confie-t-on la garde au plaisir ? Que ne l'enchaîne-t-on par les délices ? Plaute & l'Arioste ont adopté cette plaisanterie ; mais tous ces poëtes auroient peu connu le coeur humain, s'ils eussent cru sérieusement que jamais leur captif n'auroit brisé ses chaînes. Il n'eût pas été nécessaire de faire briller à ses yeux tout l'éclat de la gloire ; qu'il se fût trouvé méprisable dans sa prison, ou qu'il y eût craint le mépris des autres hommes, il eût bientôt été tenté de préférer un péril illustre à une volupté honteuse. La gloire a plus d'attrait pour les ames bien nées, que la volupté ; tous craignent moins la douleur & la mort, que le mépris.
Les qualités de l'esprit, il est vrai, fournissent à ceux que la passion n'éblouit pas, un spectacle encore plus agréable que celui de la figure ; il n'y a que l'envie ou la haine qui puissent rendre insensible au plaisir d'appercevoir en autrui cette pénétration vive, qui saisit dans chaque objet les faces qui s'assortissent le mieux avec la situation où l'on est ; mais la beauté de l'esprit, quelque brillante qu'elle soit, est effacée par la beauté de l'ame. Les saillies les plus ingénieuses n'ont pas l'éclat des traits qui peignent vivement une ame courageuse, désintéressée, bienfaisante. Le genre humain applaudira dans tous les siecles, au regret qu'avoit Titus d'avoir perdu le tems qu'il n'avoit pas employé à faire des heureux ; & les échos de nos théatres applaudissent tous les jours aux discours d'une infortunée, qui abandonnée de tout le genre humain, interrogée sur les ressources qui lui restent dans ses malheurs, moi, répond-elle, & c'est assez. Il est peu de personnes qui soient du caractere d'Alcibiade, qui étoit plus sensible à la réputation d'homme d'esprit, qu'à celle d'honnête homme ; tant il est vrai que les sentimens du coeur flatent plus que les plaisirs de l'esprit. En un mot, les traits les plus réguliers d'un beau visage sont moins touchans que les graces de l'esprit, qui sont effacées à leur tour par les sentimens & par les actions qui annoncent de l'élévation dans l'ame & dans le courage : l'agrément naturel des objets se gradue toujours dans l'ordre que je viens d'exposer, & c'est ainsi que la nature nous apprend ce que l'expérience confirme, que la beauté de l'esprit donne plus de droit à la félicité, que celle du corps, & qu'elle en donne moins que celle de l'ame.
Parmi les plaisirs, il y en a qui sont tels par leur jouissance, que leur privation n'est point douleur : la vapeur des parfums, les spectacles de l'Architecture, de la Peinture, & de la déclamation ; les charmes de la Musique, de la Poésie, de la Géométrie, de l'Histoire, d'une société choisie ; tous ces plaisirs sont de ce genre. Ce ne sont point des secours qui soulagent notre indigence, ce sont des graces qui nous enrichissent & augmentent notre bonheur : combien de gens qui les connoissent peu, & qui jouissent pourtant d'une vie douce ! Il n'en est pas ainsi de quelques autres sortes de sentimens agréables ; la loi, par exemple, qui nous invite à nous nourrir ne se borne point à récompenser notre docilité, elle punit notre désobéissance. L'auteur de la nature ne s'est pas reposé sur le plaisir seul du soin de nous convier à notre conservation, il nous y porte par un ressort encore plus puissant, par la douleur.
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PLAIT | S. m. (Jurisprud.) du latin placitum, est un droit seigneurial, connu particulierement en Dauphiné ; c'est une espece de relief qui est dû aux mutations de seigneur & de vassal, ou emphitéote, ou aux mutations de l'un ou de l'autre seulement, suivant ce qui a été stipulé par le titre d'inféodation au bail emphitéotique.
Il a lieu sur les fiefs, comme sur les rotures.
Il n'est dû qu'en vertu d'une stipulation expresse, cependant il se divise en trois sortes ; savoir le plait conventionnel, le plait accoutumé, & le plait à mercy.
Le plait conventionnel est celui dont la quotité est reglée par le titre ; il peut être imposé en argent, en grain ou en plume.
Le plait accoutumé est celui dont la quotité se regle suivant l'usage du lieu, ou en tout cas, suivant l'usage le plus général du Dauphiné.
Le plait à merci est communément le revenu d'un an, comme le relief dans la coutume de Paris. Voyez Salvaing, de l'usage des Fiefs ; Guyot en son second volume des Fiefs, chap. xv. dist. 40. & en ses institutes féodales, pag. 739. (A)
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PLAMÉE | S. f. (Mégisserie) c'est le nom qu'on donne à la chaux dont les Tanneurs se sont servi dans leur tan, pour faire tomber le poil de leurs cuirs ; cette chaux n'est ni si belle, ni si bonne que de la chaux pure ; mais lorsqu'on bâtit en moëllon, on se sert volontiers de plamée, principalement dans les lieux où le plâtre est rare. (D.J.)
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PLAMER UN CUIR | (Tannerie) c'est lui faire tomber le poil ou bourre après qu'il a passé par le plain pour le disposer à être tanné. Quelques-uns disent peler, au lieu de plamer. La chaux employée à cet effet s'appelle plamée.
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PLAMOTER | en terme de Raffineur, c'est l'action de tirer les pains des formes en les frappant sur un bloc, voyez BLOC, pour voir s'ils ne contiennent plus de syrop à leur tête ; ce qui se connoît quand elle est blanche quoique humide. Alors on les remet sur leurs pots pendant quelques jours sans leur esquive, après avoir gratté la terre des bords de la forme, & l'avoir nettoyée avec une brosse. Mais ceux dont la tête est encore un peu jaunâtre, sont recouverts de leurs esquives, que l'on rafraîchit, voyez RAFRAICHIR, si l'on juge qu'elle ne soit pas assez humide pour chasser ce reste de syrop qui colore la tête du pain.
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PLAN | S. m. en Géométrie, signifie une surface à laquelle une ligne droite se peut appliquer en tout sens, de maniere qu'elle coincide toujours avec cette surface. Voyez SURFACE.
Comme la ligne droite est la distance la plus courte qu'il y ait d'un point à un autre, le plan est aussi la plus courte surface qu'il puisse y avoir entre deux lignes. Voyez COURBE.
En Géométrie, en Astronomie, &c. on se sert fort souvent de plans, &c. pour faire concevoir des surfaces imaginaires, qui sont supposées couper ou passer à-travers des corps solides ; & c'est de-là que dépend toute la doctrine de la sphere, & la formation des courbes appellées sections coniques ou sections du cône.
Quand un plan coupe un cône parallélement à l'un de ses côtés, la section est une parabole ; s'il la coupe parallélement à sa base, c'est un cercle. Voyez CONIQUES.
Toute la sphere s'explique par des plans que l'on imagine passer par les corps célestes, &c. Voyez SPHERE & CERCLE.
Les Astronomes démontrent que le plan de l'orbite de la lune est incliné au plan de l'orbite de la terre, ou de l'écliptique, sous un angle d'environ cinq degrés ; & que ce plan passe par le centre de la terre. Voyez ORBITE.
L'intersection de ce plan avec celui de l'écliptique, a un mouvement propre d'orient en occident ; de maniere que les noeuds répondent successivement à tous les degrés de l'écliptique, & font une révolution au-tour de la terre dans l'espace d'environ 19 ans. Voyez NOEUD & LUNE.
Les plans des orbites des autres planetes, comme celui de l'écliptique, passent par le centre du soleil, & sont différemment inclinés les uns aux autres. Voyez INCLINAISON.
Comme le centre de la terre est dans le plan de l'orbite de la lune, la section circulaire de ce plan sur le disque de la lune nous est représentée sous la forme d'une ligne droite qui passe par le centre de la lune, cette ligne est inclinée au plan de l'écliptique, en faisant un angle de 5°, quand la lune est dans ses noeuds ; mais cette inclinaison diminue, à mesure que cette planete s'éloigne des noeuds ; & lorsqu'elle en est distante d'environ 90 degrés, la section de l'orbite de la lune sur son disque devient à-peu-près paralléle au plan de l'écliptique. Les planetes du premier ordre devroient montrer les mêmes apparences à un spectateur placé dans le soleil.
Mais ces apparences sont différentes dans ces mêmes planetes, lorsqu'elles sont vues d'une autre planete, comme de la terre, les plans de leurs orbites ne paroissent passer par le centre de la terre, que quand elles sont dans leurs noeuds ; en toute autre situation la section circulaire du plan de l'orbite sur le disque ou la surface de la planete, ne paroît pas une ligne droite, mais une ellipse plus large ou plus étroite, selon que la terre est plus ou moins élevée au-dessus du plan de l'orbite de la planete.
Plan, en méchanique. Un plan horisontal est un plan de niveau, ou paralléle à l'horison. Voyez HORISON & HORISONTAL.
Tout l'art du nivellement consiste à déterminer de combien un plan donné s'éloigne du plan horisontal. Voyez NIVELLEMENT.
Plan incliné, en méchanique, est un plan qui fait un angle oblique avec un plan horisontal. Voyez OBLIQUE & INCLINE.
La théorie du mouvement des corps sur des plans inclinés est un des points principaux de la méchanique.
Le P. Sebastien a trouvé une machine pour mesurer l'accélération d'un corps qui tombe sur un plan incliné, & pour la comparer avec celle que l'on découvre dans la chute des corps qui tombent en liberté. On en voit la description dans les mémoires de l'académie royale des Sciences 1699 pag. 343. Voyez aussi PESANTEUR.
Lois de la descente des corps sur des plans inclinés. 1°. Si un corps est placé sur un plan incliné, sa pesanteur absolue sera à sa pesanteur relative, comme la longueur du plan A C est à sa hauteur A B. Pl. méch. fig. 58.
En effet, un corps qui est sur un plan incliné tend, en vertu de sa pesanteur, à tomber suivant la verticale Q F ; mais il ne peut tomber dans cette direction à cause du plan qui s'y oppose. Or l'action de la pesanteur, suivant Q F, est composée de deux autres actions ; l'une suivant Q G, perpendiculaire à A C ; l'autre suivant Q E, dans la direction de A C : l'effort suivant Q G, étant perpendiculaire à A C, est détruit & soutenu par le plan ; & il ne reste plus que l'effort suivant Q E, avec lequel le corps tend à tomber ou à glisser le long du plan, & glisseroit effectivement si quelque puissance ne le retenoit pas. Or l'effort Q E avec lequel le corps tend à tomber, est plus petit que l'effort absolu de la pesanteur suivant Q F, parce que l'hypothenuse Q F du triangle rectangle Q F E est plus grande que le côté O E ; ainsi on voit que le corps D tend à glisser sur le plan avec une force moindre que sa pesanteur, & que le plan en soutient une partie. De plus les triangles Q E F, A C B sont semblables ; car les angles en E & en B sont droits, & l'angle Q est égal à l'angle A ; d'où il s'ensuit que Q E est à Q F, comme A B est à A C ; donc l'effort du poids pour glisser est à son poids absolu, comme la hauteur du plan est à sa longueur ; donc la puissance nécessaire pour vaincre la tendance du poids à glisser, est au poids D dans le même rapport de la hauteur du plan à sa longueur.
D'où il s'ensuit 1°. que le corps D ne pesant sur le plan incliné qu'avec sa pesanteur respective ou relative, le poids L appliqué dans une direction verticale, le retiendra ou le soutiendra, pourvu que sa pesanteur soit à celle du corps D comme la hauteur du plan B A est à sa longueur A C.
2°. Si l'on prend pour sinus total la longueur du plan C A, A B sera le sinus de l'angle d'inclinaison A C B ; c'est pourquoi la pesanteur absolue du corps est à sa pesanteur respective, suivant le plan incliné, & le poids D est aussi au poids L, agissant suivant la direction L A ou A D sur le poids D qu'il soutient, comme le sinus total est au sinus de l'angle d'inclinaison.
3°. Les pesanteurs respectives du même corps sur différens plans inclinés, sont l'une à l'autre comme les sinus des angles d'inclinaison.
4°. Plus l'angle d'inclinaison est grand, plus aussi est grande la pesanteur respective.
5°. Ainsi dans un plan vertical où l'angle d'inclinaison est le plus grand, puisqu'il est formé par une perpendiculaire, la pesanteur respective est égale à la pesanteur absolue ; & dans un plan horisontal, où il n'y a aucune inclinaison, la pesanteur respective s'anéantit totalement.
II. Pour trouver le sinus de l'angle d'inclinaison que doit avoir un plan, afin qu'une puissance donnée y puisse soutenir un poids donné, dites : le poids donné est à la puissance donnée, comme le sinus total est au sinus de l'angle d'inclinaison du plan : ainsi supposant qu'un poids de 1000 livres doive être soutenu par une puissance de 50, on trouvera que l'angle d'inclinaison doit être de 2°. 52'.
Au reste, nous supposons dans toute cette théorie que la puissance tire parallélement à A C, c'est-à-dire, à la longueur du plan ; & c'est la maniere la plus avantageuse dont elle puisse être appliquée. Mais si elle tire dans toute autre direction, il ne sera pas fort difficile de déterminer le rapport de la puissance au poids. Pour cela on menera par le point de concours de la direction verticale du poids, & de la direction de la puissance, une perpendiculaire au plan A C ; or pour qu'il y ait équilibre, il faut 1°. que cette perpendiculaire tombe sur la base du corps, & non au-delà ou en-deçà, car autrement le corps glisseroit ; 1°. qu'elle soit la direction de la force résultante de l'action du poids & de celle de la puissance ; car il faut que la force résultante de ces deux actions soit détruite par la résistance du plan, & elle ne peut être détruite à moins qu'elle ne soit pas perpendiculaire au plan ; on fera donc un parallélogramme dont la diagonale soit cette perpendiculaire, & dont les côtés seront pris sur les directions de la puissance & du poids, & le rapport des côtés de ce parallélogramme sera celui de la puissance & du poids. Ceux qui voudront voir cette matiere plus approfondie peuvent consulter la Méchanique de Varignon.
III. Si le poids L descend selon la direction perpendiculaire A B, en élevant le poids D dans une direction parallele au plan incliné, la hauteur de l'élévation du poids D sera à celle de la descente du poids L, comme le sinus de l'angle d'inclinaison C est au sinus total.
D'où il s'ensuit 1°. que la hauteur de la descente du poids L est à la hauteur de l'élévation du poids D réciproquement, comme le poids D est au poids équivalent L.
2°. Que des puissances sont égales lorsqu'elles élevent des poids à des hauteurs qui sont réciproquement proportionnelles à ces poids ; & c'est ce que Descartes prend comme un principe par lequel il démontre les forces des machines.
On voit aussi la raison pourquoi il est beaucoup plus difficile de tirer un chariot chargé sur un plan incliné, que sur un plan horisontal, parce qu'on a à vaincre une partie du poids qui est à la pesanteur totale dans le rapport de la hauteur du plan à sa longueur.
IV. Les poids E F, fig. 53. n. 2. qui pesent également sur des plans inclinés A C, C B, de même hauteur C D, sont l'un à l'autre comme les longueurs des plans A C, C B.
Stevin a donné une espece de démonstration expérimentale de ce théorème : nous l'ajouterons ici à cause qu'elle est facile & assez ingénieuse. Sur un triangle G I H mettons une chaîne, dont les parties ou chaînons soient tous uniformes & également pesans, fig. 59. il est évident que les parties G H, K H se balanceront l'une l'autre. Si donc I H ne balançoit pas G I, la partie plus pesante l'emporteroit, & par conséquent il s'ensuivroit un mouvement perpétuel de la chaîne autour du triangle G I H ; mais comme cela est impossible, il est clair que les parties de la chaîne I H, G I, & par conséquent tous les autres corps qui sont comme les longueurs des plans I H & I G se balanceront l'un l'autre.
V. Un corps pesant descend sur un plan incliné avec un mouvement uniformément accéléré. En effet il doit descendre suivant la même loi que les corps graves qui tombent verticalement, avec cette seule différence qu'il descend avec une pesanteur moindre. Voyez MOUVEMENT & ACCELERATION.
D'où il s'ensuit 1° que les espaces de la descente sont en raison doublée des tems, de même qu'en raison doublée des vîtesses, c'est pourquoi les espaces parcourus en tems égaux, croissent comme les nombres impairs, 1, 3, 5, 7, 9, &c.
2°. L'espace parcouru par un corps pesant qui descend sur un plan incliné, est sousdouble de celui qu'il parcouroit dans le même tems avec la vîtesse acquise à la fin de sa chûte.
3°. Ainsi en général les corps pesans en descendant sur des plans inclinés, suivent les mêmes lois que s'ils tomboient perpendiculairement. Cette raison détermina Galilée, qui vouloit découvrir les lois du mouvement des corps dont la chûte est perpendiculaire, à faire ses expériences sur des plans inclinés, à cause que le mouvement y est plus lent. Les théorèmes suivans vont nous apprendre celles qu'il y découvrit.
VI. Si un corps pesant descend sur un plan incliné, sa vîtesse à la fin d'un tems donné quelconque, est à la vîtesse qu'il acquéroit en tombant perpendiculairement dans le même tems, comme la hauteur du plan incliné est à sa longueur.
VII. L'espace parcouru par un corps pesant sur un plan incliné A D, fig. 60, est à l'espace A B qu'il parcouroit en même tems dans un plan perpendiculaire, comme la vîtesse du corps sur le plan incliné au bout d'un tems quelconque, est à la vîtesse que ce même corps auroit acquise en tombant perpendiculairement durant le même tems.
D'où il s'ensuit 1° que l'espace parcouru sur le plan incliné, est à l'espace qui seroit parcouru en tems égal dans un plan perpendiculaire, comme la hauteur du plan A B est à sa longueur A C, & par conséquent comme le sinus de l'angle d'inclinaison C D est au sinus total.
2°. Or si de l'angle droit B l'on abaisse une perpendiculaire sur A C, l'on aura A C, A B : : A B, A D, donc un corps descendant sur un plan incliné viendroit du point A en D, dans le même tems qu'il tomberoit en ligne perpendiculaire du point A au point B.
3°. C'est pourquoi étant donné l'espace de la descente perpendiculaire dans la hauteur du plan A B ; si on fait tomber une perpendiculaire du point B sur A C, l'on a l'espace A D qui doit être parcouru dans le même tems sur le plan incliné.
4°. Pareillement étant donné l'espace A D parcouru sur le plan incliné, l'on a l'espace A B qui seroit parcouru perpendiculairement dans le même tems, en élevant une perpendiculaire qui rencontre le plan vertical en B.
5°. D'où il s'ensuit que dans le demi-cercle C D E F, fig. 61, un corps descendra en un tems égal par tous les plans A D, A E, A F, A C, c'est-à-dire dans le même tems qu'il tomberoit par le diametre A B, en le supposant perpendiculaire au plan horisontal L M.
VIII. L'espace A D, fig. 60, parcouru sur un plan incliné A C étant donné, détermine l'espace qui seroit parcouru dans le même tems, sur un autre plan incliné. Du point D élevez une perpendiculaire D B qui rencontre la verticale A B au point B, la longueur A B sera l'espace que le corps parcourt pendant ce tems en tombant perpendiculairement : c'est pourquoi si du point B l'on abaisse une perpendiculaire B E sur le plan A F, A E sera la partie de ce plan incliné que le corps parcourra dans le même tems qu'il tomberoit perpendiculairement du point A au point B, & par conséquent dans le même tems qu'il parcouroit la partie A D dans l'autre plan incliné A C.
Ainsi puisque A B est à A D comme le sinus total est au sinus de l'angle d'inclinaison C, & que A B est à A E comme le sinus total est au sinus de l'angle d'inclinaison F, les espaces A D, A E, que le corps parcourt dans le même tems sur différens plans inclinés, seront comme les sinus des angles d'inclinaisons C, F, ou comme les pesanteurs respectives sur les mêmes plans ; & par conséquent aussi réciproquement, comme les longueurs des plans d'égale hauteur A C, A F : d'où l'on voit que le problème peut être résolu de différentes manieres par le calcul.
IX. Les vîtesses acquises dans le même tems sur différens plans inclinés sont, comme les espaces parcourus dans le même tems. Il s'ensuit de-là qu'elles sont aussi comme les sinus des angles d'inclinaison C, F, ou comme les pesanteurs respectives sur les mêmes plans, & réciproquement comme les longueurs des plans A C, A F, d'égale hauteur.
X. Quand un corps qui descend sur un plan incliné A C arrive à la ligne horisontale C B, il a acquis la même vîtesse qu'il auroit acquise en descendant verticalement jusqu'à la même ligne horisontale C B.
Cela se peut prouver aisément par le principe d e = u d u de l'article FORCES ACCELERATRICES ; car on voit que u u est proportionnelle à e, & comme les forces accélératrices sur A C & sur A B sont entr'elles en raison inverse des longueurs parcourues A C & A B, c'est-à-dire en raison inverse de e, il s'ensuit qu'aux points C & B on a e égal de part & d'autre. Donc, &c.
Il suit de-là 1° qu'un corps pesant qui descend par différens plans inclinés A C, A G, A F, a acquis la même vîtesse quand il arrive à la même ligne horisontale C F.
XI. Le tems de la descente le long d'un plan incliné A C est au tems de la descente perpendiculaire par A B, comme la longueur du plan A C est à sa hauteur A B ; & les tems de la descente par différens plans inclinés d'égale hauteur A C, A G, sont comme les longueurs des plans : car dans le mouvement uniformément accéleré lorsque les vîtesses finales sont égales, les tems sont entr'eux comme les espaces parcourus. C'est une suite des principes posés au mot ACCELERATION.
XII. Si le diametre d'un cercle A B, fig. 61, est perpendiculaire à la ligne horisontale L M, un corps descendra d'un point quelconque de la circonférence D E le long des plans inclinés D B, E B, C B, &c. dans le même tems qu'il descendroit par le diametre A B ; cela se déduit aisément des propositions précédentes.
Toutes ces propositions sur les plans inclinés peuvent se démontrer aisément par la méthode suivante ; soit p la pesanteur, h le sinus d'inclinaison du plan, I étant le sinus total, p h sera la partie de la pesanteur qui agit pour mouvoir le corps le long du plan ; & si on nomme x la longueur d'une partie quelconque du plan, à commencer du point d'où le corps est parti, & u la vitesse du corps, on aura par le principe des forces accélératrices (voyez FORCES ACCELERATRICES), p h d x = u d u, & u u = 2 p h x, de plus le tems d t sera = = ; donc t = . On remarquera de plus, que si un corps tomboit de la hauteur x perpendiculairement, on auroit sa vitesse = , & le tems = . En voilà assez pour démontrer aisément toutes les propositions précédentes sur les plans inclinés.
Lois de l'ascension des corps sur des plans inclinés. I. Si un corps monte dans un milieu qui ne résiste point, suivant une direction quelconque perpendiculairement, ou le long d'un plan incliné, son mouvement sera uniformément retardé.
D'où il suit 1° qu'un corps qui monte perpendiculairement ou obliquement dans un milieu de cette nature, parcourt un espace sousdouble de celui qu'il parcouroit dans le même tems sur un plan horisontal avec une vîtesse uniforme, égale à celle qu'il a au commencement de son mouvement.
2°. Les espaces parcourus en tems égaux par un corps qui remonte ainsi, décroissent dans un ordre renversé, comme les nombres impairs 7, 5, 3, 1 ; & quand la force imprimée est épuisée, le corps redescend par la force de la pesanteur.
3°. C'est pourquoi ces espaces sont dans un ordre renversé, comme les espaces parcourus en tems égaux, par un corps qui descend le long de la même hauteur. Car supposons le tems divisé en quatre parties ; dans le premier moment, le corps A descend par l'espace 1, & B monte par 7 ; dans le second, A descend par 3, B monte par 5, &c.
4°. D'où il suit qu'un corps qui s'éleve avec une certaine vîtesse, monte à une hauteur égale à celle d'où il faut qu'il tombe pour acquérir à sa chûte la vîtesse initiale, avec laquelle il a monté.
5°. Donc réciproquement un corps qui tombe acquiert par sa chûte une force propre à le faire remonter à la hauteur d'où il est tombé. Voyez PENDULE.
II. Etant donné le tems qu'un corps emploie à monter à une hauteur donnée, déterminer l'espace parcouru à chaque instant ; supposez que le corps descende de cette même hauteur dans le même tems, & trouvez l'espace parcouru à chaque instant. Voyez MOUVEMENT & DESCENTE. En prenant ces espaces dans un ordre renversé, ils seront les mêmes que ceux que l'on cherche.
Supposez, par exemple, qu'on corps jetté perpendiculairement monte à une hauteur de 240 piés pendant le tems de quatre secondes, & que l'on demande les espaces qui sont parcourus dans les différens tems de cette ascension ; si le corps étoit descendu, l'espace parcouru dans la premiere minute auroit été 15 piés, dans la seconde 45, dans la troisieme 75, dans la quatrieme 105, &c. par conséquent l'espace parcouru en remontant dans la premiere minute sera 105, dans la seconde 75, &c.
III. Si un corps descend perpendiculairement par A D, fig. 62, ou dans toute autre surface F E D, & qu'avec la vîtesse qu'il y a acquise, il remonte le long d'une autre surface C D à des points d'égale hauteur ; par exemple, en G il aura la même vîtesse. Cette proposition est encore une suite des précédentes sur les plans inclinés.
Lorsqu'un corps se meut sur un plan & qu'il rencontre un autre plan, il est facile de voir par le principe de la décomposition des forces, que sa vîtesse le long du nouveau plan est à sa vîtesse le long du premier plan, comme le cosinus de l'angle des plans est au lieu total : donc la vîtesse perdue est comme le sinus verse de l'angle des plans ; or si cet angle est infiniment petit, le sinus verse est infiniment petit du second ordre. Ainsi lorsqu'un corps se meut sur une courbe, la perte de vîtesse qu'il fait à chaque instant est infiniment petite du second ordre, & par conséquent infiniment petite du premier ordre ou nulle dans un tems fini.
Le plan de gravité ou de gravitation, est un plan que l'on suppose passer par le centre de gravité d'un corps & dans la direction de sa tendance, c'est-à-dire perpendiculaire à l'horison. Voyez GRAVITE & CENTRE.
Plan de réflexion, en Captoptrique, c'est un plan qui passe par le point de réflexion, & qui est perpendiculaire au plan du miroir ou à la surface du corps réfléchissant. Voyez REFLEXION.
Plan de réfraction est, un plan qui passe par le rayon incident & le rayon réfracté ou rompu. Voyez REFRACTION.
Plan du tableau, en Perspective, c'est une surface plane qu'on imagine comme transparente, ordinairement perpendiculaire à l'horison, & placée entre l'oeil du spectateur & l'objet qu'il voit, on suppose que les rayons optiques qui viennent des différens points de l'objet jusqu'à l'oeil passent à travers cette surface, & qu'ils laissent dans leur passage des marques qui les représentent sur le plan. Voyez PERSPECTIVE.
Tel est le plan H I, Pl. perspect. fig. 1, que l'on appelle plan du tableau ; parce que l'on suppose que la figure de l'objet est tracée sur ce plan.
Plan géométral, en Perspective, est un plan parallele à l'horison, sur lequel on suppose placé l'objet que l'on se propose de mettre en perspective. Tel est le plan L M, Pl. persp. fig. 1 ; ce plan coupe ordinairement à angles droits le plan du tableau.
Plan horisontal, en Perspective, est un plan qui passe par l'oeil du spectateur parallélement à l'horison, coupant à angles droits le plan du tableau quand celui-ci est perpendiculaire au plan géométral.
Plan vertical, en Perspective, c'est un plan qui passe par l'oeil du spectateur perpendiculairement au plan géométral, & ordinairement parallele au plan du tableau. Voyez VERTICAL.
Plan de projection, dans la projection stéréographique de la sphere, est le plan sur lequel on suppose que les points de la sphere sont projettés, & que la sphere est représentée. Voyez PROJECTION, &c.
Plan d'un cadran, c'est la surface sur laquelle un cadran est tracé. Voyez CADRAN.
Déclinaison d'un plan. Voyez l'article DECLINAISON. Chambers. (O)
PLAN, pris substantivement, signifie aussi, en Géométrie, la représentation que l'on fait sur le papier de la figure & de différentes parties d'un champ, d'une maison, ou de quelqu'autre chose semblable. Voyez l'article suivant.
PLAN, LEVER UN, chez les Arpenteurs, c'est l'art de décrire sur le papier les différens angles & les différentes lignes d'un terrein, dont on a pris les mesures avec un graphometre, ou un instrument semblable, & avec une chaîne. Voyez ARPENTAGE.
Quand on leve un terrein avec la planchette, on n'a point besoin d'en faire le plan, il est tout fait ; cet instrument donnant sur le champ les différens angles & les différences en même tems qu'on les prend sur le terrein. Voyez PLANCHETTE.
Mais en travaillant avec le graphometre, ou le demi-cercle, on prend les angles en degrés, & les distances en chaînes & en chaînons. Voyez GRAPHOMETRE, DEMI-CERCLE, PLANCHETTE RONDE, ÉQUERRE D'ARPENTEUR, &c. Ensorte qu'il reste à faire une autre opération pour réduire ces nombres en lignes, & lever le plan ou la carte. Voyez CARTE.
Cela s'exécute par le moyen de deux instrumens, le rapporteur & l'échelle. Par le moyen du rapporteur, les différens angles que l'on a observés sur le terrein avec le graphometre ou instrument semblable, & dont on a écrit les degrés sur un registre, sont tracés sur le papier dans leur juste grandeur. Voyez RAPPORTEUR.
L'échelle sert à donner les véritables proportions aux différentes distances mesurées avec la chaîne, quand il s'agit de les tracer sur une carte. Voyez ÉCHELLE.
Sous ces deux articles on trouve séparément l'usage de ces instrumens respectifs, pour prendre des angles & des distances ; nous les donnerons ici conjointement, en exposant la maniere de faire le plan d'un terrein ou d'un champ, que l'on a levé avec la planchette ronde, ou avec le graphometre, l'un & l'autre garnis d'une boussole.
Méthode de faire un plan quand on a fait usage sur le terrein de la planchette ronde. Supposons que l'on ait levé le terrein A B C D E F G H K (Pl. d'Arpent. fig. 21.) que l'on ait pris les différens angles avec la planchette ronde, en tournant tout-autour, que l'on en ait mesuré les différentes longueurs avec une chaîne, & que l'on ait écrit sur un registre de la grandeur des angles des distances, tel que la table suivante le représente.
1°. Sur un papier ou sur une carte, dont les dimensions soient convenables, tel que L M N O (fig. 31.), tirez un nombre de lignes paralleles à égale distance, qui représentent des méridiens exprimés par les lignes ponctuées.
L'usage de ces lignes est de diriger la position du rapporteur, dont le diametre doit toujours être placé sur l'une de ces lignes, ou parallelement à l'une d'elles.
Après avoir ainsi préparé la carte ou le papier, prenez un point sur quelque méridien, comme A ; placez-y le centre du rapporteur, & couchez son diametre le long de ce méridien. Voyez après cela sur le mémoire ou le devis de votre terrein quelle est la grandeur du premier angle ; c'est-à-dire quel est le nombre de degrés coupés par l'aiguille aimantée de l'instrument au point A, que la table vous donne de 191 degrés.
Présentement, puisque 191 degrés sont plus grands qu'un demi-cercle ou que 180 degrés, il faut mettre en bas le demi-cercle du rapport, & l'arrêtant avec un stile au point où est placé son centre, faites une marque vis-à-vis 191 du point A, tirez par cette marque la ligne indéfinie A b.
Le premier angle ainsi tracé, consultez encore votre mémoire, pour savoir quelle est la longueur de la premiere ligne A B, vous y trouverez 10 chaînes 95 chaînons ; c'est pourquoi d'une échelle convenable, construite sur l'échelle d'arpenteur, prenez l'étendue de 10 chaînes, 75 chaînons ; avec un compas ordinaire, & mettant une de ses pointes au point A, marquez l'endroit où l'autre point tombe sur la ligne A b, supposons que ce soit en B ; tirez par conséquent la ligne pleine A B, pour le premier côté de votre terrein.
Procédez ensuite au second angle, & mettant le centre du rapport au point B, avec le diametre disposé comme ci-dessus, faites une marque, telle que c, vis-à-vis de 297, qui exprime les degrés coupés au point B, & tirez la ligne indéfinie B c. Sur cette ligne prenez, comme ci-dessus, avec l'échelle d'arpenteur, la longueur de votre seconde ligne, c'est-à-dire, 6 chaînes, 83 chaînons ; laquelle s'étendant de B en C, tirez la ligne B C pour le second côté.
Procédez maintenant au troisieme angle ou à la troisieme station : mettez donc, comme ci-dessus, le centre du rapporteur au point C ; faites une marque, telle que d, vis-à-vis le nombre des degrés coupés au point C, c'est-à-dire, vis-à-vis 216 ; tirez la ligne indéfinie C d, & prenez dessus la troisieme distance ou 7 chaînes, 82 chaînons ; laquelle se terminant par exemple en D, tirez la ligne pleine C D, pour troisieme côté.
Procédez à-présent au quatrieme angle D, & mettant le centre du rapporteur sur la pointe D, vis-à-vis 325 degrés coupés par l'aiguille aimantée, faites une marque e, tirez la ligne D e au crayon, & prenez sur elle la distance 6 chaînes, 96 chaînons, laquelle se terminant en E, tirez D E pour la quatrieme ligne, & allez au cinquieme angle, c'est-à-dire au point E.
Les degrés qui sont coupés par l'aiguille aimantée étant marqués 12°. 24'. (ce qui est plus petit qu'un demi-cercle) il faut placer le centre du rapporteur au point E, & le diametre sur le méridien, le limbe demi-circulaire tourne en-dessus. Dans cette situation, faites une marque comme ci-dessus, vis-à-vis le nombre des degrés coupé par l'index au point E, c'est-à-dire vis-à-vis 12°. 24'. tirez la ligne E f, sur laquelle vous n'avez qu'à prendre la cinquieme distance, c'est-à-dire, 9 chaînes, 71 chaînons ; laquelle s'étendant de E en F, tirez la ligne pleine E F pour le cinquieme côté de votre terrein.
Procédant de la même maniere & par ordre aux angles F, G, H, K, en plaçant le rapporteur, faites des marques vis-à-vis les degrés respectifs, tirez des lignes au crayon indéfinies, sur lesquelles vous n'avez qu'à prendre, comme ci-dessus, les distances respectives, vous aurez le plan de tout le terrein A B C, &c.
Telle est la méthode générale de construire un plan dont le terrein a été levé avec la planchette ronde. Mais il faut observer qu'en procédant de cette façon les lignes de station, c'est-à-dire, les lignes où l'on a placé l'instrument pour prendre les angles, & sur lesquelles on a fait courir la chaîne pour mesurer les distances ou les longueurs ; il faut observer, dis-je, que ce sont proprement ces lignes dont on a tracé le plan ; c'est pourquoi lorsque dans un arpentage les lignes de station sont à quelque distance des haies ou des limites du terrein, &c. on reprend les parties négligées, c'est-à-dire qu'à chaque station on mesure la distance de la haie à la ligne de station ; & même, s'il se rencontre dans les intervalles quelques enfoncemens considérables, on doit y avoir égard.
C'est pourquoi après avoir tracé les lignes de station comme ci-dessus, il faut décrire sur le papier les bandes ou les parties du terrein qui regnent depuis ces lignes jusqu'aux limites du champ, c'est-à-dire, qu'il faut élever sur le plan des perpendiculaires, qui en marquent les véritables longueurs depuis les lignes de station. Si l'on joint par des lignes les extrémités de ces perpendiculaires, elles donneront le plan tel qu'il doit être.
Si au lieu de tourner autour du champ, on a pris tous les angles & les distances par une seule station, l'exemple ci-dessus montre évidemment le procédé que l'on doit tenir pour lever le plan, puisqu'il suffit en ce cas de tracer, suivant la maniere que l'on a déja décrite, les différens angles & les différentes distances que l'on a prise sur le terrein au même point de station ; de les tracer, dis-je, sur le papier, en les faisant partir du même point ou centre. En joignant par des lignes les extrémités de ces lignes ainsi déterminées, on aura le plan requis.
Si le terrein a été levé par deux stations, on doit d'abord, comme ci-dessus, tracer la ligne de station ; prendre ensuite les angles & les distances de chaque point de station sur le terrein, & les rapporter sur le plan aux points respectifs.
La méthode de lever des plans, quand on a pris les angles avec le graphometre, est un peu différente. Voyez GRAPHOMETRE.
On ne fait point usage dans cette méthode de lignes paralleles, & au lieu de mettre constamment le rapporteur sur les méridiens ou sur des lignes paralleles aux méridiens, sa direction varie à chaque angle. La pratique en est telle qu'on peut la voir dans la description suivante.
Supposons qu'on ait levé le terrein ci-dessus avec le graphometre, & que l'on ait trouvé la quantité de chaque angle, soit tirée à volonté une ligne indéfinie, comme A K, fig. 31. & que l'on ait pris sur cette ligne la distance mesurée ; par exemple, 8 chaînes, 22 chaînons, ainsi qu'on l'a exécuté dans le premier exemple.
Maintenant, si la quantité de l'angle A a été trouvée de 140 degrés, on doit placer sur la ligne A K le diametre du rapporteur, son centre sur A ; & vis-à-vis le nombre des degrés, c'est-à-dire, vis-à-vis 140 faire une remarque ; tirer par-là au crayon une ligne indéterminée, & porter sur cette ligne avec l'échelle la longueur de la ligne A B.
On va de même au point B, sur lequel posant le centre du rapporteur, son diametre le long de la ligne A B, on rapporte l'angle B, en faisant une marque vis-à-vis le nombre de ses degrés, en tirant une ligne au crayon, & prenant sur cette ligne la distance B C, comme ci-dessus.
L'on procede ensuite au point C, en mettant le diametre du rapporteur sur B C, son centre sur C, rapportez l'angle C, & tirez la ligne C D ; en procédant ainsi par ordre à tous les angles & à tous les côtés, vous aurez le plan de tout le terrein A B C, &c. comme ci-dessus. Chambers. (E)
PLAN, se prend aussi adjectivement : figure plane, en Géométrie, c'est une figure décrite sur un plan, ou qu'on peut supposer avoir été décrite sur un plan, c'est-à-dire, une figure telle que tous les points de sa circonférence sont dans un même plan. Voyez FIGURE, PLAN.
L'angle plan est un angle contenu entre deux lignes droites ou courbes tracées sur un même plan. Voyez ANGLE.
On l'appelle ainsi pour le distinguer d'un angle solide, qui est formé par des lignes situées en différens plans. Voyez ANGLE SOLIDE.
Un triangle plan est un triangle renfermé entre trois lignes droites ; on l'appelle ainsi par opposition au triangle sphérique, qui est renfermé par des arcs de cercle, & dont tous les points ne sont pas dans le même plan. Voyez TRIANGLE.
La Trigonométrie plane est la théorie des triangles plans, de leurs mesures, de leurs proportions, &c. Voyez TRIGONOMETRIE.
Verre ou miroir plan, en Optique, c'est un verre ou un miroir dont la surface est plate ou unie. Voyez les phénomenes & les loix des miroirs plans à l'article MIROIR.
Les miroirs plans sont appellés vulgairement miroirs tout court.
Carte plane, en Navigation, c'est une carte marine où les méridiens & les paralleles sont représentés par des lignes droites paralleles, & où par conséquent les degrés de longitude sont les mêmes dans tous les paralleles de latitude. Voyez CARTE REDUITE, CARTE DE MERCATOR, &c. & NAVIGATION.
Navigation plane ; c'est l'art de calculer par le moyen d'une carte plane, ou bien de représenter sur une pareille carte les différens cas & les différentes circonstances du mouvement d'un vaisseau. Voyez CARTE PLANE.
La navigation plane est fondée sur la supposition que la terre soit plate : quoique cette supposition soit manifestement fausse, néanmoins en plaçant sur une carte les lieux conformément à cette idée, si l'on divise un long voyage en un grand nombre de petits, on pourra, avec une pareille carte, naviguer assez juste. Voyez NAVIGATION. Chambers. (E)
Nombre plan est celui qui peut résulter de la multiplication de deux nombres l'un par l'autre ; ainsi 20 est un nombre plan, produit par la multiplication de 5 par 4. Voyez NOMBRE.
Un lieu plan, en Géométrie, est un terme dont se servoient les anciens géometres pour exprimer un lieu géométrique, à la ligne droite ou au cercle par opposition à un lieu solide, qui étoit une parabole, une élipse ou une hyperbole. Voyez LIEU.
Problème plan, en Mathématiques, c'est un problème qui ne peut être résolu géométriquement que par l'intersection d'une ligne droite & d'un cercle, ou par l'intersection des circonférences des deux cercles. Voyez PROBLEME, ÉQUATION & CONSTRUCTION. Chambers. (E)
PLAN CONCAVE & PLAN CONVEXE, terme de Dioptrique, verre plan concave est celui dont une des surfaces est plane, & l'autre concave. Voyez VERRE & CONCAVE.
On suppose ici que la concavité soit sphérique, à moins que l'on ne dise expressément le contraire. Sur le foyer des verres plans concaves, voyez VERRE.
Plan convexe, verre plan convexe est celui dont une des surfaces est convexe, & l'autre plane. Voyez CONVEXE.
La convexité est supposée sphérique, à moins qu'on ne dise expressément le contraire. Sur le foyer de ces verres, voyez VERRE, &c.
Le verre plan convexe ou plan concave, a sa surface plane tournée vers l'objet, & sa surface convexe ou concave vers l'oeil ; & le verre convexe plan ou concave plan, a la surface plane tournée vers l'oeil, & la surface convexe ou concave vers l'objet. (O)
PLAN, (Archit. civile) Un plan est la représentation de la position des corps solides, qui composent les parties d'un bâtiment pour en connoître la distribution.
On nomme plan géométral, celui dont les solides & les espaces sont représentés dans leur naturelle proportion.
Plan relevé, celui où l'élévation est élevée sur le géométral, ensorte que la distribution en est cachée.
Plan perspectif, celui qui est par dégradation selon les regles de la Perspective, pour rendre les plans intelligibles. On en marque les massifs d'un lavis noir, les saillies qui posent à terre se tracent par des lignes planes ; & celles qui sont supposées au-dessus, par des lignes ponctuées. On distingue les augmentations ou réparations à faire, d'une couleur différente de ce qui est construit ; & les plaintes ou lavis de chaque plan, se font plus clairs, à mesure que les étages s'élevent.
Plan régulier, est celui qui est compris par des figures parfaites, dont les angles & les côtés opposés sont égaux.
Plan irrégulier, celui qui est au contraire de biais ou de travers, en tout ou en partie par quelque sujétion.
Plan figuré, celui qui est hors des figures, & est composé de plusieurs retours avec enfoncemens quarrés ou circulaires, angles saillans, pans coupés, & autres figures capricieuses qui peuvent tomber dans l'imagination des architectes, & qu'ils mettent en oeuvre pour se distinguer par des productions extraordinaires.
Plan en grand, est celui qui est tracé aussi grand que l'ouvrage, ou sur le terrein avec des lignes ou cordeaux attachés à des piques, pour en marquer les encoignures, les retours & les centres ; & pour faire la couverture des fondemens, ou sur une aire pour servir de parc aux appareilleurs, & planter avec exactitude le bâtiment.
On trouve dans les ouvrages d'architecture de Scamozzi, Palladio, Vignole, Goldman & Daviler, des modeles de plans d'architecture civile. (D.J.)
PLAN, (Archit. milit.) représentation du dessein ou trait fondamental d'un ouvrage de guerre, selon la longueur de ses lignes, selon les angles qu'elles forment, & selon les distances qui sont entr'elles, & qui déterminent les largeurs des fossés, & les épaisseurs des remparts & des parapets ; desorte que le plan représente un ouvrage tel qu'il paroîtroit à rez-de-chaussée, s'il étoit coupé de niveau sur ses fondemens : mais il ne marque pas les hauteurs & les profondeurs des parties de l'ouvrage, ce qui est le propre du profil, qui aussi n'en marque pas les longueurs, chacun d'eux ayant cela de commun qu'ils figurent les largeurs & les épaisseurs de ces parties.
Un plan, en terme d'architecture militaire, est donc le circuit intérieur d'une forteresse accompagnée de ses ouvrages extérieurs. On sépare dans les plans les parties élevées des autres, par des ombres grisâtres. On donne un peu de rouge aux murailles, & un peu de jaune au terre-plein ; le talus extérieur se peint en verd foncé ; les parapets sont un peu plus clairs ; le glacis fort clair ; le terre-plein & le chemin-couvert brun, & l'eau du fossé bleuâtre. Lorsque le fossé est sec, on le teint en brun, & on le ponctue.
PLAN, (Jardinage) c'est le dessein sur le papier qu'on se propose d'exécuter, soit d'un bâtiment, soit d'un jardin, d'un bois, d'un potager & autres.
PLAN, en Peinture, signifie généralement tous les lieux sur lesquels posent les objets qui entrent dans la composition d'un tableau. On dit cette figure, cet arbre, cette colonne, ne sont pas sur le même plan. Il faut qu'on distingue les plans sur lesquels posent les objets.
PLAN A VEUE D'OISEAU, terme de Dessein, c'est un objet, un dessein représenté tel qu'on le verroit si l'on étoit élevé comme cet oiseau, on dit dessiner une ville à veue d'oiseau. (D.J.)
PLAN DE JARDIN, (Dessein de Perspect.) plan qui est ordinairement relevé sur le plan géométral, & dont les arbres, le treillage & la broderie sont colorés de verd, les eaux de bleu, & la terre de gris, ou d'une couleur rougeâtre.
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PLAN-ORBIS | (Conchyliol.) coquillage univalve fluviatile ; il ne se trouve point dans la mer, mais il est commun dans les rivieres ; il est tout noir ou brun, avec trois contours relevés qui se terminent à l'oeil de sa volute. Sa tête sort d'une ouverture ronde, & est garnie de deux cornes fort pointues & fort longues, tenant à une couche baveuse qui lui sert à traîner sa coquille. Quand il est avancé autant que ses forces le lui permettent, il tire à lui sa coquille qui est fort mince, & recommence cette manoeuvre pour continuer sa marche. Il n'y a nulle cloison comme à la corne d'ammon & au nautile ; l'animal est fait comme un gros ver nageant dans une eau rousse : sa couche peut lui servir d'opercule ; mais si-tôt qu'on le touche, il se retire tout entier au milieu de son premier contour. On le voit quelquefois sortir presque tout son corps ; ses yeux sont placés à l'ordinaire, & marqués par deux points noirs.
Le plan-orbis est le coquillage le plus aisé à découvrir dans les eaux : c'est une sorte de limaçon dont on connoît huit especes ; savoir, le grand, à quatre spirales rondes ; le petit, à cinq spirales rondes ; le troisieme, à six spirales aussi rondes ; le quatrieme, à quatre spirales ou arêtes verticales ; le cinquieme, à six spirales à arêtes ; le sixieme, à trois spirales à arêtes ; le septieme s'appelle le plan-orbis à arêtes ; le huitieme se nomme le plan-orbis tuilé. Dargenville. (D.J.)
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PLANARIA | (Géog. anc.) 1°. île d'Italie dans la mer de Ligurie, à 60 milles de l'île de Corse, selon Pline, liv. III. ch. vj. Ce nom lui avoit été donné à cause de sa figure ; car elle est unie & basse. Elle conserve encore son nom, car on l'appelle aujourd'hui Pianosa, & en françois Planouse, île située au nord-ouest de l'île d'Ilva, entre la Toscane & l'île de Corse. 2°. Pline, liv. VI. ch. xxxij. donne ce nom à une des îles Fortunées. Le P. Hardouin dit que c'est l'île d'Enfer, ou l'île Ténériffe. (D.J.)
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PLANCHE | S. f. en Archit. voyez AIS.
PLANCHE, (Commerce de bois) ais ou piece de bois de sciage, large & peu épaisse. Les bois dont on fait le plus ordinairement les planches, sont le chêne, le hêtre, le sapin, le noyer, le poirier & le peuplier.
PLANCHE A PAIN, en terme de Blanchisserie, une planche percée jusqu'à la moitié de son épaisseur seulement, de deux rangées de cinq trous du moule, dans lesquels la cire prend la forme de pain. Voyez PAIN, & les fig. Pl. de la Blanchis. des cires, & l'article BLANCHIR.
PLANCHE DE PLOMB, terme & outil de Ceinturier, sur laquelle ils découpent leurs enjolivemens.
Cette planche de plomb est de la longueur d'environ 2 piés sur 6 pouces de large, & 2 pouces d'épaisseur.
PLANCHE, terme de Charron, c'est une piece de bois longue de 5 piés, large d'un pié & épaisse d'un pouce, qui sert aux laquais à être derriere le carrosse. Il y a aussi la petite planche en croix, qui se met dessus le lissoir de derriere, & vient s'appuyer sur le milieu de la planche de derriere. Il y a aussi une pareille grande planche au-devant du carrosse, derriere le siege du cocher. Voyez la Pl. du Sellier.
PLANCHE A SOUDER, (Chauderonnier) les Chauderonniers nomment ainsi une planche sur laquelle ils mettent d'un côté leur soudure, & de l'autre l'écuelle du borax, ou celle du zinc, du sel ammoniac & de la poix résine, lorsqu'ils se préparent à souder quelque piece.
PLANCHES A MOULES, (Cirier) on nomme ainsi dans le blanchissage des cires, des planches d'un pié de large, & de trois piés & demi de long, sur lesquelles sont les moules pour dresser les pains de cire planche. Savary.
PLANCHE ou PLAQUE, (Comm. de cuivre) dans le commerce de cuivre, on nomme ainsi de grandes pieces de cuivre plates, plus longues que larges, dont les Graveurs en taille-douce se servent pour graver, & que les Chauderonniers employent à divers de leurs ouvrages. Il y en a de différente grandeur & de différent poids. Savary. (D.J.)
PLANCHE DE BOIS GRAVEE, (Doreur sur cuir) qui sert à imprimer les cuirs. Voyez la Pl. du Doreur sur cuir, & l'article DOREUR SUR CUIR.
PLANCHE RAYEE, en terme d'Eventailliste, c'est une planche creusée de distance en distance, en forme de rayons, pour former les plis du papier d'un éventail, en l'y introduisant avec un jetton ou autre chose semblable. Voyez la Pl. de l'Eventailliste.
PLANCHE DE CUIVRE ROUGE, (Graveur) ce sont des feuilles de cuivre fort minces, sur lesquelles on grave pour tirer ensuite des estampes. Cette feuille s'appelle aussi planche lorsqu'elle est gravée ; ce que l'on imprime dessus se nomme estampe. Voyez GRAVURE EN TAILLE DOUCE.
Le cuivre dont les planches pour graver doivent être faites, & qu'on appelle rosette, doit être doux, plein, sans défaut ; on le plane d'abord sur un tas. Voyez PLANER. On le gratte ensuite avec un grattoir d'acier du côté que doit être la gravure ; on acheve ensuite de le planer avec un marteau très-poli ; on le pose ensuite sur un ais qui porte d'un bout au fond d'un baquet, & de l'autre sur la circonférence du même baquet, qui est rempli aux deux tiers d'eau ; ensorte que la planche de cuivre n'y est point plongée. La planche ainsi arrêtée sur l'ais par quelques points, on la dresse avec un grès pour effacer tous les coups de marteau, en frottant le grès mouillé dessus en long & en large, jusqu'à ce que tous les coups de marteau soient effacés ; on efface ensuite les traits que le grès a faits avec une pierre-ponce rude, & ceux que cette pierre fait, avec une autre pierre-ponce plus douce ; on finit par un charbon de bois de saule bien doux, qui efface tous les traits que la derniere pierre dont on s'est servi a laissés sur la planche. C'est en cet état que les chauderonniers qui fabriquent ces planches les livrent aux graveurs qui les ont commandées, qui les brunissent avant de s'en servir. Voyez BRUNISSOIR & GRAVURE EN TAILLE DOUCE.
PLANCHE, (Graveur en Bois) c'est un petit ais plat de bois de poirier, de buis, ou de quelque autre bois dur, uni, & sans noeud, sur lequel on grave en relief avec des canifs, des échopes, & des ciselets.
PLANCHE DE JARDIN, (Jardinage) c'est un espace de terre plus long que large, en maniere de platebande isolée, où l'on éleve des fleurs. Les planches d'un jardin sont séparées les unes des autres d'un sentier ; leur largeur est de quatre à cinq piés, & leur longueur est terminée par celle du jardin, ou le quarré dont elles font partie. On borde ces planches de fines herbes dans les beaux jardins potagers ; dans les autres on emploie le buis ou la brique.
On appelle planche costiere, celle qui est au pié d'une muraille ou d'une palissade. (D.J.)
PLANCHES, à la monnoie, on se sert de planches pour tenir les moules ; on en place une sur le moule & l'autre dessous ; elles sont de la grandeur des chassis, & on les serre avec la presse à moule & le coin.
Il y a aussi à la monnoie ce que l'on appelle planches gravées ; elles sont ainsi que la figure le représente, & l'oeil dans des objets si simples, en dit mille fois plus qu'un long détail ; il y a assez communément 7 barres sur la planche gravée ; ces barres de reliefs n'ont point de largeur déterminée, leur proportion étant conséquente du métal que l'on jette en moule.
PLANCHE DE HARNOIS, terme de riviere ; sont celles sur lesquelles monte le pilote d'un bateau foncet.
PLANCHE SUR BORD, se dit de la planche que les voituriers des coches sont obligés de mettre en certains endroits suivant les ordonnances.
PLANCHE, (Serrurerie) espece de petit foncet qui se place dans les serrures benardes ; où il partage la hauteur de la clé en deux parties égales, & reçoit le pertuis qu'on met à cette sorte de serrure. Il y a des planches foncées, hâtées & renversées en-dehors ; des planches foncées & hâtées en crochet ; des planches foncées en fût de vilebrequin. Des planches hâtées & renversées. Après qu'on a tourné celles-ci en rond comme elles doivent être, on observe de les laisser assez larges pour les différentes formes qu'on veut leur donner. Il faut prendre des viroles avec un mandrin qu'on ajuste par-devant, puis les renverser dessus du côté & de la forme qu'on aura limé les viroles au mandrin. On ne fait pas autrement à quelque serrure que ce soit. La planche foncée est une sorte de garde ; elle passe entre les barbes du pêne & la feuille de sauge, ou le ressort qui empêche qu'on n'atteigne avec le crochet les barbes du pêne, la feuille de sauge & le ressort. Elle sert aussi d'ornement. Elle tourne autour des rateaux & étochios, où elle est ajustée. Elle ne doit point excéder les dents du rateau par-dedans le panneton de la clé, afin de ne pas empêcher d'y fendre les rouets nécessaires. On la fait d'un morceau de fer doux, d'épaisseur convenable ; on l'élargit des deux côtés, on la lime, on la place, on fait passer le battant par derriere, on la tourne en rond de la hauteur qui convient ; cette derniere façon se donne à froid ou à chaud. On peut la mettre d'épaisseur en la forgeant ou après qu'elle est forgée.
PLANCHE, (Marine) mets la planche. C'est un commandement que l'on fait à l'équipage de la chaloupe, de mettre une planche dont un bout porte sur le bord de la chaloupe & l'autre à terre, pour servir de passage à ceux qui veulent s'embarquer dans la chaloupe, ou débarquer.
La planche est halée, la grande planche est halée ; c'est une maniere de parler pour dire qu'on ne va plus à terre, qu'on est embarqué pour rester à bord du navire. Planche est encore une autre piece de bois qui flotte sur l'eau après le naufrage.
PLANCHES, (Soierie) petits plateaux de bois très-minces, percés régulierement de trous où l'on fait passer les branches des arcades. Voyez ARCADES. Il y a aussi des plateaux de bois très-minces sur lesquels on plie les étoffes fabriquées.
PLANCHE, terme de Vinaigrier ; c'est une sorte de solive qui presse la lie.
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PLANCHEIER | verb. act. (Architect.) c'est couvrir un plancher d'ais joints à rainure & languette, & cloués sur des lambourdes. C'est aussi faire un plafond d'ais minces de sapin, cloués contre des solives.
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PLANCHEIEUR | S. m. (Police de riviere) officier sur les ports de Paris, qui depuis le bord de la riviere jusque sur les bateaux chargés, a soin de faire mettre de fortes planches sur des trétaux, afin d'aller & de venir sur des bateaux, & d'en décharger les marchandises.
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PLANCHER | S. m. (Architect.) certaine épaisseur faite de solives, qui sépare les étages d'une maison ; c'est aussi l'aire que cette épaisseur forme, & sur laquelle on marche. La premiere attention qu'on doit avoir lorsqu'on fait un plancher, c'est de prendre garde qu'il ne se rencontre point de murs au-dessous, comme ceux qui ne vont pas au haut de l'édifice ; & quand il y en a, on doit tenir le plancher un peu plus haut que le mur, parce que s'il venoit à s'abaisser des deux côtés, le mur le briseroit.
Cette précaution prise, voici comme on fait un plancher ; on pose des solives appuyées sur les murs, & sur elles on cloue des planches minces des deux côtés, afin d'empêcher qu'en se tourmentant, elles ne s'élevent par les bords ; on couvre ces planches de fougere ou de paille, pour les garantir de la chaux qui les gâteroit ; après quoi on met une couche de grosse maçonnerie, composée d'une partie de chaux, & de trois de caillous neufs, au moins aussi gros que le poing ou deux parties de chaux, & cinq parties de cailloux qui ont déja servi ; on bat cette couche pendant quelque tems, desorte qu'elle soit d'environ neuf pouces d'épaisseur ; là-dessus on pose une couche de six doigts d'épaisseur, faite d'une partie de chaux & de deux de ciment ; ce qu'on appelle faire le noyau. C'est sur ce noyau qu'on met le pavé bien dressé avec la regle, soit qu'il y ait des pieces rapportées, ou seulement des carreaux, & le plancher est fini.
On fait encore des planchers d'une autre façon ; après avoir cloué un rang de planches, on en couche un autre par-dessus en-travers, que l'on arrête aussi avec des clous. Dessus ce double plancher, on met la premiere couche faite de caillous neufs, mêlés avec une troisieme partie de tuileaux pilés, sur cinq parties de ce mêlange, & de deux parties de chaux ; cette couche se couvre avec une autre de forte maçonnerie. Vient ensuite le noyau qu'on bâtit comme nous venons de le dire, & on y attache dessus de grands carreaux épais de deux doigts, & posés ensorte qu'ils soient élevés par le milieu de deux doigts pour six piés. Ce plancher est meilleur que l'autre, mais aussi plus dispendieux.
Les Grecs suivoient une autre méthode dans la construction de leurs planchers. C'est ainsi que Vitruve la décrit : il s'agit ici d'un plancher du premier étage. On faisoit un creux de deux piés de profondeur, & on battoit la terre avec le bélier ; ce creux étoit rempli d'une couche de mortier ou de ciment, qui étoit un peu élevée au milieu. On couvroit ensuite cette couche avec du charbon, que l'on battoit & entassoit fortement, & ceci étoit couvert d'un autre enduit composé de chaux, de sable & de cendre, de l'épaisseur d'un demi-pié. On dressoit cet enduit à la regle & au niveau ; on emportoit le dessus avec la pierre à aiguiser, & on avoit un plancher fort uni. Archit. de Vitruve, liv. VII. ch. iij.
Selon Pline, le premier plancher de cette espece fut fait par Sosus, qui en est l'inventeur. Il étoit composé d'une infinité de petites pieces de différentes couleurs, en maniere de mosaïque, qui représentoient les ordures qui peuvent demeurer sur un plancher après un festin, & qui le faisoient paroître comme n'étant point balayé.
Plancher affaissé, ou arené ; c'est un plancher qui n'étant plus de niveau, panche ou d'un côté ou d'un autre, ou qui est courbe vers le milieu, à cause que sa charge est trop pesante, ou que ses bois sont trop foibles.
Plancher creux ; plancher qui est latté par-dessus à lattes jointes, recouvert d'une fausse aire de deux à trois pouces, pour porter le carreau, & enduit pardessous de plâtre au sas, sur un pareil lattis pour le plafonner.
Plancher enfoncé ; plancher dont le dessous est à bois apparent, avec des entrevoux couverts d'ais, ou enduits de plâtre sur un lattis.
Plancher hourdé ; plancher dont les entrevoux étant couverts par des ais ou des lattes, est ensuite maçonné grossierement pour recevoir la charge & le carreau, ou les lambourdes du parquet.
Plancher plein ; plancher dont les entrevoux sont remplis de maçonnerie, & enduits à fleur de solive, ou dont les bois restent apparens, ou sont recouverts de plâtre, comme on le pratiquoit autrefois ; mais cette sorte de plancher n'est plus en usage, à cause que la grande charge fait plier les solives.
Plancher ruiné & tamponné ; plancher dont les entrevoux sont remplis de plâtre & de platras, retenus par des tampons ou fentons de bois, avec des rainures hachées aux côtés des solives. Ce plancher est ordinairement enduit d'après les enduits par-dessous, & quelquefois par-dessus, sans aire ni charge. Daviler.
PLANCHER DE PLATE-FORMES, (Arch. hydraul.) c'est sur un espace peuplé de pilots, une aire faite de plate-formes ou madriers, posés en chevauchure sur des patins & racinaux, pour recevoir les premieres assises de pierre de la culée, ou de la pile d'un pont, d'un mole, d'une digue, &c.
PLANCHER, charge de (Maçon.) c'est la maçonnerie de certaine épaisseur qu'on met sur les solives, & ais d'entrevoux, ou sur le hourdi d'un plancher, pour recevoir l'aire de plâtre ou de carreau. On la nomme aussi fausse aire, lorsqu'elle doit être recouverte de quelque pavé ou parquet.
PLANCHER, asarota, (Littérature) nom donné par les Grecs à une espece de plancher noir de leurs salles à manger ; il avoit cette commodité que tout liquide répandu dessus, soit quand on rinçoit les verres, ou qu'on se lavoit la bouche, étoit incontinent séché.
La description que Vitruve fait des planchers des Grecs & de l'agrément qu'ils procuroient en séchant & buvant les liqueurs répandues dessus, fournit quelques lumieres pour deviner l'origine de l'épithete qu'on donnoit à ces sortes de planchers. L'étymologie que les Grammairiens en ont apprise de Pline, est bien bizarre ; cet auteur dit que le premier plancher de cette espece imaginé par Sosus, étoit composé d'une infinité de petites pieces de différentes couleurs en maniere de mosaïque, qui représentoient les ordures qui peuvent demeurer sur un plancher après un repas, & qui le faisoit paroître comme n'étant point balayé. Il est ce me semble plus croyable que ces planchers noirs, qui à cause de leur sécheresse, buvoient tout ce qui étoit répandu dessus, devroient plûtôt être appellés , parce qu'il ne les falloit point balayer, ni essuyer avec des éponges comme les autres planchers. (D.J.)
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PLANCHETTE | S. f. en Géométrie, c'est un instrument dont on se sert dans l'arpentage des terres, & avec lequel on a, sur le terrein même, le plan que l'on demande, sans être obligé de le construire à part. Voyez ARPENTAGE, LEVER UN PLAN, &c.
La planchette représentée (Pl. d'arpent. fig. 31. n. 2.) consiste en un parallelogramme de bois, long d'environ quinze pouces, & large de douze, entouré d'un chassis de buis, par le moyen duquel on attache une feuille de papier bien étendue, & pour ainsi dire bien collée sur la planchette, desorte que l'on peut tirer exactement dessus toutes les lignes dont on a besoin.
Sur chaque côté du chassis, & vers le bord intérieur, il y a des échelles de pouces subdivisés, outre cela on a projetté sur un côté les 360 degrés d'un cercle, en partant d'un centre de cuivre, qui est au milieu de la planchette ; chaque degré est coupé en deux parties égales, & à chaque dixieme degré sont marqués deux nombres, dont l'un exprime le degré & l'autre son complément à 360d. afin de n'être pas obligé de faire la soustraction : sur l'autre côté sont projettés les 180 degrés d'un demi-cercle en partant d'un centre de cuivre qui est au milieu de la longueur de la table, & à un quart de sa largeur : chaque degré est divisé en deux, & l'on a marqué deux nombres à chaque dixieme degré, c'est-à-dire le degré avec son complément, à 180d.
D'un côté de la planchette est une boussole qui sert à placer l'instrument : le tout est attaché à un genou par un bâton à trois branches, pour le soutenir ; on le fait tourner ou bien on le fixe par le moyen d'une vis, suivant le besoin. Enfin la planchette est accompagnée d'un index ; c'est une regle longue de seize pouces au moins, & large de deux, sur laquelle il y a ordinairement des échelles, &c. elle est accompagnée de deux pinnules placées perpendiculairement sur ses extrémités. Voyez PINNULES, &c.
Usage de la planchette. Prendre un angle avec la planchette, ou bien trouver la distance de deux endroits accessibles par une seule & même station.
Supposons que D A, D B (Pl. d'Arpent. fig. 32. n. 2.) soient les côtés de l'angle cherché, ou bien que A B soit la distance que l'on souhaite de connoître ; placez l'instrument horisontalement, le plus près de l'angle qu'il est possible, & prenez un point dans le papier ou la carte qui est sur la planchette, par exemple le point c ; appliquez-y le bord de l'index, en le faisant tourner jusqu'à ce que vous apperceviez le point B par les pinnules : la regle étant dans cette situation, tirez le long de son bord la ligne c e indéfinie. Faites tourner de la même maniere l'index sur le même point jusqu'à ce que vous apperceviez le point A à-travers les pinnules, & tirez la ligne droite c d indéfiniment, on a par cette méthode la quantité de l'angle tracé sur le papier.
Mesurez avec une chaîne les lignes D A, D B, (voyez CHAINE) & prenant ces mêmes mesures sur une échelle (voyez ÉCHELLE), portez-les sur les côtés respectifs de l'angle tracé sur le papier ; supposons qu'elles s'étendent de c en b, & de c en a ; de cette maniere c b & c a seront proportionnels aux côtés D B & D A sur le terrein.
Portez la distance a b sur la même échelle, & voyez quelle est sa largeur ; l'étendue que vous trouverez sera sa longueur ou la distance de la ligne A B que l'on cherchoit.
2°. Trouver avec la planchette la distance de deux endroits, dont l'un est inaccessible. Supposons que A B soit la distance cherchée (fig. 33.) & que A soit le point accessible. 1°. Placez la planchette en c, regardez par les pinnules jusqu'à ce que vous apperceviez A & B, & tirez a c, c b. Mesurez la distance de votre point de station au point A, & le prenant sur l'échelle, portez-la sur c a. Transportez la planchette au point A où elle doit être placée, de telle sorte que le point A représente a, & que l'index étant mis le long de la ligne a c, vous apperceviez la premiere station c en sens contraire.
3°. Après avoir arrêté l'instrument, tournez les pinnules vers B, & tirez la ligne a b.
4°. Mesurez sur l'échelle l'intervalle a b, il sera la distance des points A, B que l'on demande.
5°. Trouver avec la planchette la distance de deux endroits inaccessibles. Supposons que l'on veuille connoître la distance A B (Pl. d'Arpent. fig. 34.) 1°. après avoir choisi deux stations en C & en D, placez la planchette à la premiere station C par les pinnules, visez aux points D, B, A, & tirez le long du bord de l'index les lignes c d, c b, c a ; 2°. mesurez la distance des stations C D, & la prenant sur une échelle portez-la sur c d ; 3°. ôtant la planchette du point C, fixez-la en D, de maniere que le point d répondant directement au-dessus de l'endroit D, & que mettant ensuite l'index le long de la ligne c d, vous apperceviez par les pinnules la premiere station C. L'instrument étant ainsi fixé, dirigez les pinnules aux points A, B, & tirez les lignes droites d a, d b ; enfin trouvez sur l'échelle la longueur a b, elle marquera la distance A B que l'on demande.
On peut trouver de la même maniere par deux stations la distance d'un nombre quelconque de lieux proposés, & par ce moyen lever le plan d'un champ, ou même d'une partie de pays, &c.
4°. Usage de la planchette pour lever le plan d'un champ par une seule station, d'où l'on puisse voir tous les angles. En plaçant l'instrument au lieu de station, prenez un point dans le papier, pour représenter le point O, par exemple (fig. 21.) & mettant le bord de l'index à ce point, dirigez-le aux différens angles du champ A, B, C, D, E, F, &c. & tirez le long de son bord des lignes indéfinies, dirigées à chaque angle, c'est-à-dire les lignes C a, C b, C c, &c. Mesurez la distance de chaque angle au point de station, c'est-à-dire mesurez les lignes O A, O B, O C, O D, &c. & après les avoir prises sur une échelle, portez-les sur les lignes de la carte qui leur répondent : les extrémités de ces lignes donneront des points, lesquels étant joints par d'autres lignes a b, b c, &c. représenteront le champ proposé.
5°. Usage de la planchette pour lever le plan d'un champ, d'un bois, &c. en allant tout-autour. Placez l'instrument horisontalement au premier angle, par exemple en A ; prenez un point sur le papier pour représenter le point A, & mettez-y l'index que vous dirigerez jusqu'à ce que par les pinnules vous apperceviez une marque placée à l'angle B. Le long de cet index tirez une ligne indéfinie ; mesurez la distance de A en B, & après l'avoir prise sur une échelle, portez-la sur la ligne indéfinie que vous venez de trouver ; l'extrémité de cette distance représentera le point B. Transportez l'instrument au point B, où vous le disposerez de maniere que l'index étant vû le long de la derniere ligne, vous apperceviez la premiere station A à-travers les pinnules : fixez-le dans cette station, mettez l'index au point B, & faites-le tourner jusqu'à ce que vous apperceviez par les pinnules l'angle suivant C : tirez alors une ligne comme ci-dessus, mesurez la distance B C, prenez-la sur une échelle, & portez-la sur cette derniere ligne de la carte. Transportez l'instrument au point C, & continuez de même.
Ayant tourné de cette maniere tout-autour du champ, vous aurez exactement le plan de tout son contour sur la planchette : on peut alors le toiser, ou en faire le calcul & en déterminer l'aire.
Maniere de changer le papier qui est sur la planchette. Quand on trouve que dans de grandes pieces de terrein le plan excede les dimensions de la planchette, & qu'il s'étend au-delà du papier, il faut ôter la feuille de dessus la planchette & en mettre une nouvelle : voici la maniere de faire ce changement. Supposons que H, K, M, Z,, (fig. 35.) soient les limites de la planchette, de maniere qu'ayant tracé le champ de A en B, & de-là en C jusqu'en D, la place vienne à manquer, la ligne D E s'étendant au-delà du papier, tirez la partie de la ligne D E que le papier pourra contenir ; par exemple, la partie D O, & au moyen des divisions qui sont sur le bord du chassis ; tirez par le point O la ligne P Q parallele au bord de la planchette H M ; & par le même point O tirez O N parallele à M Z. Après cela ôtez le chassis, & en la place de la feuille de papier qui est sur la planchette, appliquez-en une nouvelle (fig. 36.), tirez sur cette feuille une ligne R S proche l'autre bord, auquel elle soit parallele : placez ensuite la premiere feuille sur la planchette, de maniere que la ligne P Q soit exactement couchée sur la ligne R S, afin que l'opération se fasse le plus avantageusement qu'il est possible, comme en O ; enfin tirez sur la nouvelle feuille la partie de la ligne O D que la planchette pourra contenir ; & du point O prolongez le reste de la ligne O D jusqu'en E : du point E continuez l'ouvrage comme ci-dessus aux points F, G, A.
Usage de la planchette quand on veut s'en servir comme d'un graphometre ou d'un demi-cercle. Le grand inconvénient de la planchette est que le papier rend cet instrument impraticable dans un tems humide ou pluvieux, on s'apperçoit même que la rosée du matin ou du soir enfle ou gonfle considérablement le papier, & par conséquent qu'elle déjette l'ouvrage. Pour éviter cet inconvénient & rendre cet instrument d'un usage sûr quelle que soit la température de l'air, on supprimera le papier en élevant au centre un stile ; il en naîtra un graphometre, un demi-cercle ou un cercle entier, qui aura les mêmes usages que tous ces instrumens.
La planchette dépouillée de son papier devient donc un graphometre ou un demi-cercle. Si l'on veut que la planchette serve de cercle entier, l'index doit constamment tourner autour du centre de cuivre percé au milieu de la planchette. Si l'on veut qu'elle serve de demi-cercle, il faut qu'il tourne sur l'autre centre de cuivre qui y est percé ; ce qui se fait dans l'un & l'autre cas par le moyen d'un stile planté dans les trous. Quand la planchette doit servir d'équerre d'arpenteur, on visse la boussole à l'index, &c.
Prendre un angle avec la planchette considérée comme un cercle entier. Supposons que l'on demande la quantité de l'angle E K G (figure 20.) placez l'instrument en K, en mettant l'index sur le diametre : faites tourner tout l'instrument, l'index demeurant toujours sur le diametre jusqu'à ce que vous observiez le point E à-travers les pinnules.
L'instrument étant dans cette situation, arrêtez-le bien ferme, & tournez l'index sur son centre jusqu'à ce que vous apperceviez le point G par les pinnules ; alors le degré que l'index coupe sur le chassis, est la quantité de l'angle cherché ; on peut le tracer sur le papier, selon la méthode commune de rapporter des angles. Voyez RAPPORTEUR.
Prendre un angle avec une planchette, considérée comme un demi-cercle. Il faut agir avec cet instrument, considéré comme un demi-cercle, de la même maniere qu'on le fait en le considérant comme un graphometre, où il n'y a seulement qu'à faire tourner l'index sur l'autre centre percé sur le milieu de la longueur & à un quart environ de la largeur de la planchette.
Prenez un angle avec la planchette, considérée comme un équerre d'arpenteur, & garnie d'une boussole ou comme une planchette ronde, placez l'instrument en K, la fleur-de-lys tournée de votre côté : dirigez les pinnules au point E, & observez le degré coupé par l'extrémité méridionale de l'aiguille ; supposons que ce soit 296, tournez l'instrument, la fleur-de-lys toujours de votre côté, & dirigez les pinnules au point G, & remarquez le degré que coupe l'autre extrémité de l'aiguille, que nous supposons ici être 182 : ôtez le plus petit du plus grand, le reste 114d. est la quantité de l'angle cherché. S'il arrive que le reste soit plus grand que 180d. on doit alors le soustraire encore de 360, ce second reste sera l'angle cherché, que l'on peut rapporter sur le papier, ainsi qu'il est enseigné à l'article RAPPORTEUR.
L'on peut de cette maniere faire avec la planchette tout ce que l'on exécute avec l'équerre d'arpenteur ordinaire ou planchette ronde. Voyez PLANCHETTE RONDE. Chambers. (E)
PLANCHETTE RONDE, c'est un instrument de Mathématiques, dont les Arpenteurs font un grand usage pour prendre des angles, des distances, des hauteurs, &c.
Cet instrument se fait de plusieurs manieres, différens auteurs ayant inventé différens moyens de le rendre plus simple, plus portatif, plus exact, plus expéditif. Celui dont nous allons rendre compte, ne le cede en rien à aucun de ceux que nous avons vus. Il est composé d'un cercle de cuivre d'environ un pié de diametre, ainsi qu'on le voit, fig. 25. Pl. d'Arpentage. Son timbre est divisé en 360 dégrés, & chaque degré est subdivisé en minutes.
Par-dessous en c c sont attachés deux petits piliers b b, fig. 25 n. 2. qui portent un axe sur lequel il y a un télescope à deux verres, renfermé dans un tube de cuivre, afin d'appercevoir les objets éloignés.
Au centre du cercle se meut l'index ou l'alidade C ; c'est un plan circulaire qui a une boussole dans le milieu, dont la ligne méridienne répond à la ligne de foi a a : en a a sont attachés des piliers pour soutenir un axe qui porte un télescope semblable au premier, dont la ligne de collimation, ou ligne suivant laquelle on vise, répond à la ligne de foi a a. A chaque extrémité de l'un & l'autre télescope est attachée une pinule. Voyez PINULE.
Les extrémités de l'index, ou de l'alidade a a, sont coupées circulairement pour s'ajuster aux divisions du limbe B, & la ligne de foi montre les dégrés & les minutes sur le limbe. Tout l'instrument est monté sur un genou soutenu par un support à trois branches.
La plûpart des planchettes rondes n'ont point de télescopes, mais seulement quatre pinnules ; il y en a deux attachées sur le limbe, & les deux autres aux extrémités de l'index ou de l'alidade.
L'usage de cet instrument est aisé à connoître par celui du demi-cercle, qui en est la moitié. Voyez DEMI-CERCLE, de même que par celui de la planchette simple, dont on se sert dans l'occasion, comme d'une planchette ronde ou graphometre. Voyez PLANCHETTE. Chambers. (E)
PLANCHETTE, (terme de Sellier) c'est une espece d'étrier qui supporte les piés des femmes qui vont assises à cheval. La planchette est de bois, & est soutenue par les deux bouts avec deux courroies de cuir qui sont attachées au siege, ou à la selle faite exprès pour les femmes.
PLANCHETTE, s. f. (Tissutier-Ruban.) c'est une petite planche de bois quarrée & très-mince, qui soutient la chaîne à l'endroit où le tissutier travaille.
PLANCHETTE, (Terme de Tourneur & de Vannier) petite planche que le tourneur & le vannier mettent devant leur estomac lorsqu'ils percent quelque chose un peu difficile à percer.
La planchette, en terme de Vannier, se dit aussi de certaines hottes ; ce sont trois brins d'osier debout, & travaillés à plein dos de ces mêmes hottes. (D.J.)
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PLANE | voyez PLIE.
PLANE, s. m. (Botan.) voyez PLATANE.
PLANE, (Instrument d'ouvriers) instrument qui sert à préparer, unir & polir le bois. Il y a aussi des planes pour l'étain, pour le plomb & pour d'autres matieres, mais qui sont différentes de la plane ordinaire. On en parle aux articles de ces métaux, ou à ceux des ouvriers qui y travaillent : on en a aussi reservé quelques-unes pour cet article.
La plane ordinaire est de deux sortes, c'est-à-dire à un tranchant ou à deux tranchans. L'une & l'autre sont de fer acéré, longues de dix-huit à vingt pouces, & ont deux manches pour les tenir & s'en servir : ces manches sont néanmoins diversement tournés ; ceux des planes à un tranchant plus courbés, & les manches de celles à deux tranchans presque droits.
Plusieurs ouvriers se servent de la plane, particulierement les faiseurs de treillages en échalats, les layetiers & les tonneliers, &c. ces derniers outre la plane plate dont ils préparent leurs douves, ont encore une plane ronde dont ils réparent leurs futailles en dedans quand elles sont montées.
Les planes des plombiers sont de trois sortes ; la plane de cuivre, la plane droite & la plane ronde, qu'on nomme aussi débordoir rond.
La plane de cuivre n'est pas un instrument tranchant, mais une petite table de ce métal de 7 à 8 pouces en quarré, épaisse d'un pouce, plate par-dessous, avec une poignée aussi de cuivre ; cette plane a deux usages, l'une pour planer ou planir le sable après qu'il a été labouré, & battu ensuite avec une batte ou un maillet, afin d'achever de l'unir & dresser avant d'y couler la table de plomb ; l'autre est pour unir & dresser cette table même par-dessus, après qu'elle a été coulée.
On se sert de la plane droite, qui n'est autre chose que la plane commune dont on a donné ci-dessus la description, pour couper les bavures des bords de la table nouvellement fondue ; c'est ce qu'on appelle déborder une table : on l'emploie aussi pour dresser les morceaux de plomb que l'on a débités pour les souder ensemble. La plane ronde sert à l'un ou l'autre usage.
La plane des arquebusiers est la plane à un ou à deux tranchans, dont on a parlé ci-dessus. Ils la nomment couteau à deux manches ; c'est avec cet instrument qu'ils ébauchent & dégrossissent les fûts des armes qu'ils veulent monter. Dictionn. de Comm. (D.J.)
PLANE, (outil d'Arquebusier) cette plane n'a rien de particulier, est faite comme la plane des tourneurs, & sert aux arquebusiers pour dégrossir les bois de fusil avant de les sculpter & de les polir. Voyez les Pl. d'Arquebusier.
PLANE RONDE, en Boisselerie, c'est un instrument de fer fort tranchant, recourbé en demi-cercle, & garni à chaque tour d'une petite poignée pour le rendre plus aisé à manier. Voyez la Pl. du Boisselier.
PLANE, (Charpent. Ménuis.) outil de fer qui a deux manches. On dit planir le bois, lorsqu'on le dresse avec ces sortes d'outils. Voyez RABOT.
PLANE, grosse & petite (outil de Charron) c'est un morceau d'acier ou de fer de la longueur de 2 piés, & quelquefois moins, dont un côté est un peu quarré en bande, l'autre côté est fort tranchant. Il peut avoir environ 2 pouces de large sur 3 à 4 lignes d'épaisseur du côté du dos ; les deux bouts sont ronds & plus menus, repliés en-dedans en oreille, quelquefois en-dehors, & quelquefois droits ; à ces deux oreilles l'on y met deux petits morceaux de bois ronds pour servir de poignée. Les charrons se servent communément de cet outil pour polir & planer leurs ouvrages. Voyez la Pl. du Charron.
PLANE, parmi les Formiers, est un instrument tranchant, long & étroit, & garni par un bout d'une poignée, & attachée de l'autre sur un banc pour lui donner plus d'action. Voyez les fig. Pl. du Formier.
L'ouvrier s'assied en A, une jambe deçà & l'autre de-là, il tient le manche M de la plane de la main droite, l'autre extrémité de cette plane est accrochée à un piton tournant O, qui traverse la table du banc, & qui y est retenu par une clé ; la main gauche sert à tenir l'ouvrage, qui est appuyé contre l'entaille B d'une piece de bois fortement clouée sur l'établi.
PLANE, (instrument de Plombier) les plombiers ont trois sortes de planes ; savoir la plane de cuivre, la plane droite, & la plane ronde.
La plane de cuivre est une petite table de cuivre de 7 ou 8 pouces en quarré, épaisse d'un pouce, & plate par dessous, & garnie d'une poignée de cuivre. Cette plane sert à planer le sable après qu'il a été labouré & battu avec un maillet, afin de l'unir entierement avant que d'y couler le plomb. Voyez les fig. Pl. du Plombier.
La plane droite est une plane ordinaire dont les plombiers se servent pour couper les bavures de la table aussi-tôt qu'elle a été coulée, & pour unir les morceaux de plomb qu'on veut souder ensemble, Voyez les figures.
La plane ronde est ce qu'on appelle le débordoir rond. Voyez DEBORDOIR ROND.
PLANE, en terme de Potier de terre, c'est un morceau de bois quarré & uni sur toutes ses faces, avec lequel on unit la terre dans les moules à carreau ou à brique. Voyez les Pl.
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PLANER | en terme de Bijoutier, c'est égaliser avec un marteau plat & poli sur un tas presque plat & également poli les pieces que l'on a précédemment étendues en tout sens avec un marteau tranchant ; cette opération unit la piece, enleve les creux que peut y avoir laissé la tranche du marteau dont on s'est servi, & acheve d'égaliser l'épaisseur de la piece ; ce qui n'est pas une des moindres attentions que doive avoir l'artiste, attendu que plus une piece est également forgée, & moins elle éprouve d'inconvéniens dans le reste des opérations qu'elle a à essuyer.
PLANER, en terme de Chauderonnier, est la même chose que chez les Orfévres. Voyez donc ce terme à l'article ORFEVRERIE.
PLANER L'ETAIN, (terme d'Ouvrier en étain) c'est le battre avec le marteau sur une platine de cuivre placée sur une enclume avec un cuir ou deux de carton entre l'enclume & la platine ; ce qu'on fait pour le rendre uni tant dessus que dessous. On appelle marteau à planer, le marteau dont on se sert pour battre l'étain.
PLANER, (terme de Fauconnerie) il se dit des oiseaux qui vont de plain, c'est-à-dire qui se soutiennent dans l'air & qui le rasent.
PLANER, (terme de Ferblantier) c'est rabattre sur le tas les grains du fer blanc, & lui donner une face plus brillante & plus polie en le planant avec un marteau propre à cet ouvrage. Voyez les Planches du Ferblantier.
PLANER, en terme de Formier, c'est une façon qu'on donne au bois pour le rendre moins matériel, & ôter la plus grande partie de ce qui étoit resté de trop après avoir été ébauché.
PLANER, marteau à, en terme d'Orfévre est un marteau bien poli des deux côtés, ayant deux planes, une fort plate, & l'autre un peu convexe.
PLANER LE PLOMB, (terme de Plombier) c'est l'unir & le dresser ; ce qui se fait avec une plane de cuivre. On le dit aussi de la façon qu'on lui donne après qu'il a été fondu en coupant & dressant les bavures avec une plane de fer ; ce qu'on appelle plus ordinairement déborder ; & la plane dont on se sert se nomme un débordoir. Savary. (D.J.)
PLANER LE SABLE, (même métier) c'est l'unir & le dresser avec la plane de cuivre après qu'il a été mouillé & labouré avant qu'on y verse le plomb.
PLANER UNE FORME, (terme de Sucrerie) c'est la mettre sur son pot, & la préparer à recevoir la terre qui blanchit la cassonade.
PLANER, (terme de Terrassier) planer un terrein, une allée, c'est l'unir.
PLANER DU BOIS, (terme de Tonnelier) planer du bois, des douves, &c. c'est les préparer, les unir & les polir avec la plane plate. On dit aussi planer le dedans d'une futaille, c'est-à-dire en égaler les joints avec la plane ronde.
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PLANETAIRE | adj. (Astr.) se dit en général de tout ce qui a rapport aux planetes. Voyez PLANETE.
Système planétaire est le système ou l'assemblage des planetes, tant premieres que secondaires, qui se meuvent chacune dans leurs orbites, autour du Soleil, comme centre commun. Voyez SYSTEME.
Heures planétaires, en chronologie. Voyez HEURE.
Jours planétaires. Chez les anciens la semaine étoit partagée entre les sept planetes, & chaque planete avoit un jour : c'est ce que nous apprennent Dion Cassius & Plutarque, sympos. l. IV. q. 7. Hérodote ajoute que les Egyptiens avoient les premiers découvert quel dieu, c'est-à-dire quelle planete devoit présider à chaque jour ; car chez ces peuples, les planetes présidoient à tout. C'est pour cela que dans plusieurs langues modernes, les jours de la semaine portent encore des noms tirés de ceux des planetes, comme dies Lunae, dies Martis, dies Mercurii, &c. & en françois, lundi, mardi, mercredi, &c. Voyez SEMAINE.
Années planétaires sont les périodes de tems que les planetes employent à faire leurs révolutions autour du Soleil ou de la Terre. Voyez AN, REVOLUTION.
Comme l'année solaire est le tems que la Terre met à tourner autour du Soleil, de même le tems que les différentes planetes mettent à tourner autour du Soleil, font autant d'autres années ; par exemple, l'année de Saturne est déterminée par 9 années égyptiennes 174 heures, 58 minutes : ce qui équivaut en nombres ronds à 30 années solaires ; l'année de Jupiter est de 12 années solaires environ ; celle de Mars de 2 années solaires ; celle de Vénus de 224 jours ; celle de Mercure de 87 jours. Voyez SATURNE, JUPITER, MARS, &c.
Quarrés planétaires sont les quarrés magiques des sept nombres depuis trois jusqu'à 9. Voyez QUARRE MAGIQUE.
Cornelius Agrippa, dans son fameux livre de magie, a donné la construction des 7 quarrés planétaires. M. Poignard, chanoine de Bruxelles, dans son traité des quarrés sublimes, a donné (selon qu'il est rapporté dans l'hist. acad. 1707) une méthode nouvelle, facile & générale, pour faire les 7 quarrés planétaires & tous autres à l'infini par des nombres qui suivent toutes sortes de progressions. Chambers. (O)
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PLANETE | S. f. en Astronomie, c'est un corps céleste qui fait sa révolution autour du Soleil comme centre, & qui change continuellement de position par rapport aux autres étoiles.
C'est de-là que lui est venu le nom de , errant, par opposition aux étoiles fixes ; aussi les planetes s'appellent-elles quelquefois étoiles errantes. Voyez ETOILE.
Les planetes se distinguent ordinairement en principales & secondaires.
Les planetes principales ou premieres, auxquelles on donne le simple nom de planetes, sont celles qui tournent autour du Soleil ; quoique la durée de leurs révolutions ne soit pas la même, elle est constante pour chacune ; telles sont Saturne, Jupiter, Mars, la Terre, Vénus & Mercure.
Nous mettons la Terre au nombre des planetes, en suivant le système qui est aujourd'hui le plus généralement adopté, & presque le seul qui soit reçu parmi les nations les plus éclairées de l'Europe. Mais quand on supposeroit que la Terre est immobile, & que c'est le Soleil qui fait chaque année une révolution dans l'écliptique, il ne sera pas moins vrai de dire qu'un spectateur placé dans le Soleil, verroit chaque année la Terre parcourir le cercle de l'écliptique.
Toutes les planetes se meuvent dans leurs orbites autour du Soleil, & à-peu-près dans le même plan ; leurs mouvemens se font d'occident en orient, c'est-à-dire qu'elles suivent toutes une même direction. Quand nous disons néanmoins que leurs orbites sont à-peu-près dans un même plan, c'est qu'elles sont fort peu inclinées l'une à l'autre, & que la ligne où se coupent les plans de ces orbites, passe toujours par le centre du Soleil. Or il suit de-là qu'un observateur placé à ce centre, seroit toujours dans le vrai plan de l'orbite de chaque planete ; il leur verroit faire exactement leurs révolutions périodiques dans le plan d'un grand cercle de la surface sphérique concave du ciel ; mais il ne pourroit, à la vûe simple juger de leur plus grande ou de leur plus petite distance au Soleil. C'est pourquoi, afin de mieux reconnoître les différentes distances des planetes au Soleil, aussi-bien que les principales inégalités apparentes de leurs mouvemens, il est à propos de transporter hors du Soleil l'oeil de l'observateur. On peut donc le supposer élevé au-dessus du plan des orbites des planetes, ou plûtôt dans la ligne perpendiculaire à l'orbite de la Terre, qui passe par le centre du Soleil, & de plus à la même distance à ce centre que la Terre. L'observateur placé en cet endroit du ciel, pourra juger facilement des différentes distances des planetes au Soleil, & des tems de leurs révolutions.
Les planetes secondaires sont celles qui tournent autour de quelque planete principale, comme centre, de la même maniere que les planetes principales tournent autour du Soleil ; telles sont la Lune, qui tourne autour de notre Terre, & ces autres planetes qui tournent autour de Saturne & de Jupiter, & que l'on appelle proprement satellites. Voyez la théorie des planetes secondaires, aux articles SATELLITES & SECONDAIRES.
Les planetes principales se distinguent encore en supérieures & inférieures.
Les planetes supérieures sont celles qui sont plus éloignées du Soleil que notre Terre ; telles sont Mars, Jupiter & Saturne.
Les planetes inférieures sont celles qui sont plus proches du Soleil que notre Terre, & situées entre la Terre & le Soleil, comme Vénus & Mercure. Voyez l'ordre, la position, &c. des planetes dans les Pl. d'Astron. fig. 44.
Cette figure représente la disposition des planetes dans le système de Copernic ; système qui est le plus ancien de tous, & qui a été enseigné autrefois par Pythagore & ses disciples. Ce philosophe qui l'avoit appris dans l'Orient, le répandit bientôt dans la Grece ; mais le commun des Philosophes embrasserent long-tems après un autre système, qui supposoit la Terre immobile, & qui attribuoit aux cieux tous les mouvemens apparens. Aristote & ceux de sa secte qui ont enseigné dans les écoles pendant les siecles suivans, avoient adopté cette opinion, & l'ont soutenue long-tems, jusqu'à ce que le savant astronome Copernic est venu tirer de l'oubli l'ancien système de Pythagore, l'unique & le vrai système du monde, comme il étoit aisé à tous les bons esprits de s'en convaincre, s'ils eussent réfléchi sur les solides raisons qu'il en a apportées. Ce système a été depuis appellé de son nom. Environ cent ans après, la découverte des lunettes d'approche a fait connoître aux hommes un nouveau ciel : on y a apperçu tant de phénomenes surprenans & inconnus aux anciens, que le système de Copernic a bientôt été reconnu pour le vrai système du monde. Voyez COPERNIC & SYSTEME.
On représente les planetes avec les mêmes caracteres dont se servent les chimistes pour désigner leurs métaux, à cause de quelque analogie ou rapport que l'on supposoit autrefois entre ces corps célestes & les métaux.
Saturne est représenté par le caractere , qui en chimie représente le plomb. Cette planete ne paroît à la vue simple, que d'une lumiere foible, à cause de sa grande distance. Elle acheve sa révolution autour du Soleil, dans l'espace d'environ trente années. Voyez SATURNE.
Jupiter marqué par le signe , qui en chimie représente l'étain, est une planete brillante, qui fait sa révolution autour du Soleil dans l'espace d'environ douze ans. Voyez JUPITER.
Mars caractérisé par le signe , qui en chimie représente le fer, est une planete d'une couleur rougeâtre, qui fait sa révolution en deux ans environ. Voyez MARS.
Vénus marquée , qui en chimie représente le cuivre, est la plus brillante de toutes les planetes ; elle accompagne constamment le Soleil & n'en est jamais éloignée de plus de 47 degrés ; elle acheve sa révolution en sept mois environ. Voyez VENUS.
Quand elle précede le Soleil ; on l'appelle Phosphorus & Lucifer, & quand elle le suit, on lui donne le nom d'Hesperus. Voyez PHOSPHORUS, &c.
Mercure caractérisé par le signe , qui en chimie représente ce qu'on appelle aussi mercure ou vif argent, est une petite planete brillante qui accompagne constamment le Soleil ; sa distance du Soleil n'est jamais de plus de 28 degrés, moyennant quoi elle est ordinairement cachée dans les rayons de cet astre. Elle acheve son cours en trois mois environ. Voyez MERCURE & ELONGATION.
Au nombre de ces planetes, on peut mettre à présent la Terre marquée , faisant sa révolution autour du Soleil, entre Mars & Vénus, dans l'espace d'une année. Voyez TERRE.
En faisant attention aux définitions que nous venons de donner, il n'y a personne qui ne puisse distinguer aisément toutes les planetes ; car, si après le Soleil couché, on voit une planete plus près de l'orient que de l'occident, on peut d'abord conclure que ce n'est ni Mercure ni Vénus, & l'on peut déterminer par la différence de couleur & de lumiere, si c'est Saturne, Jupiter ou Mars : on distinguera par le même moyen Vénus de Mercure.
Nature des planetes, en observant les différentes phases & les différentes apparences des planetes, on trouve qu'elles sont toutes parfaitement semblables à la Lune, que l'on a démontré à l'article LUNE, avoir une ressemblance parfaite avec notre Terre, d'où il suit que les planetes sont aussi des corps opaques, sphériques, &c. de même que la Terre.
Ce que l'on dit ici des planetes, peut être porté à la démonstration. 1°. Vénus observée avec le télescope paroît rarement pleine ; on lui trouve des phases variables, semblables à celles de la Lune, sa partie illuminée toujours tournée vers le Soleil, c'est-à-dire, vers l'orient, quand elle précede le Soleil, & vers l'occident quand elle le suit. On observe la même chose par rapport à Mars & à Mercure.
2°. Gassendy le premier, & d'autres après lui, ont observé Mercure sur la surface du Soleil, qu'il paroissoit traverser, semblable à une tache noire & ronde. Voyez PASSAGE. Horrose, en 1639, observa aussi Vénus sur le Soleil, où elle fit voir les mêmes apparences que Mercure.
3°. De la Hire, en 1700, observant Vénus avec un télescope de 16 piés, y découvrit des montagnes plus grandes que celles de la Lune.
4°. Cassini a observé deux taches sur Vénus, quatre sur Mars, semblables à celles que Campani y avoit vues, & plusieurs à la fois sur Jupiter ; par l'observation de ces taches on a trouvé que ces planetes tournoient autour de leur axe : on a même déterminé la vitesse de cette rotation, ou de la période dans l'espace de laquelle cette rotation s'acheve. Par exemple, celle de Jupiter se fait en 9 heures 56'; celle de Mars en 24 heures 40'& celle de Vénus en 24 heures. Voyez TACHE. Et puisque l'on trouve que le Soleil, la Lune, Jupiter, Mars, Vénus & la Terre tournent autour de leur axe, c'est-à-dire, ont une rotation diurne, il ne faut pas douter que Mercure & Saturne ne fassent la même chose, quoique la grande proximité de Mercure au Soleil, & la grande distance de Saturne empêchent que l'on n'y puisse observer quelques taches, qui serviroient à démontrer cette rotation.
5°. On observe dans Jupiter deux bandes ou deux especes de baudriers plus brillans que le reste de son disque, & qui sont mobiles ; on les voit quelquefois d'un côté, & quelquefois d'un autre, tantôt plus larges, & tantôt plus étroits. Voyez BANDES.
6°. En 1609 Sim. Marius observa le premier trois petites étoiles ou trois petites lunes, faisant leur révolution autour de Jupiter ; & en 1610, Galilée fit la même observation : on remarque à présent que ces petites étoiles disparoissent, quoique le ciel soit très-clair & très-net, quand Jupiter se trouve placé diamétralement entr'elles & le Soleil ; d'où il paroît qu'elles perdent leur lumiere, précisément lorsque les rayons du Soleil, interceptés par Jupiter, ne peuvent pas arriver en lignes droites jusqu'à ces étoiles, & qu'ainsi ce sont, comme la Lune, des corps opaques éclairés par le Soleil : & puisque Jupiter n'éclaire point ses satellites, quand ils sont derriere lui, il s'ensuit encore que Jupiter lui-même est privé de lumiere dans la partie de son corps qui ne regarde pas le Soleil.
7°. Quand les lunes ou les satellites de Jupiter sont placés diamétralement entre Jupiter & le Soleil, on apperçoit sur le disque de Jupiter une tache ronde ; il paroît de là que les satellites sont des corps opaques éclairés par le Soleil, qu'ils jettent une ombre sur le Soleil & que les taches rondes observées sur Jupiter sont les ombres des satellites ; & comme l'on trouve que la figure de cette ombre projettée sur le disque de Jupiter est un cercle, il s'ensuit aussi que cette ombre doit être conique, c'est pourquoi les satellites ont une figure sphérique, au moins sensiblement.
Maintenant pour résumer cette démonstration, 1°. puisque dans Vénus, Mercure & Mars, on ne voit briller que cette partie de leur disque, qui est éclairée par le Soleil ; & que de plus, Vénus & Mercure paroissent sur le disque du Soleil, comme des taches obscures, quand ils sont entre la Terre & le Soleil ; il est évident que Mars, Jupiter & Mercure sont des corps éclairés par une lumiere empruntée du Soleil : & que l'on doit dire la même chose de Jupiter, à cause qu'il est privé de lumiere dans cette partie de son disque, sur laquelle s'étend l'ombre des satellites ; aussi-bien que dans cette partie qui n'est pas tournée vers le Soleil ; il est donc suffisamment demontré que les satellites sont des corps opaques, & qu'ils réfléchissent la lumiere du Soleil.
C'est pourquoi, puisque Saturne avec son anneau & ses satellites, ne donne qu'une foible lumiere, & considérablement plus foible que celle des étoiles fixes (quoique celles-ci soient infiniment plus éloignées) & que celles de toutes les autres planetes, il est encore hors de doute que Saturne & ses satellites sont des corps opaques.
2°. Puisque Vénus & Mercure ne transmettent pas la lumiere du Soleil, lorsque ces planetes sont placées vis-à-vis de cet astre, il est évident que ce sont des corps denses, opaques : ce qui est pareillement évident de Jupiter, qui cache les satellites dans son ombre ; ainsi par analogie, on peut conclure la même chose de Saturne.
Quant à ce que la Lune, qui est aussi un corps dense opaque comme les éclipses de Lune & du Soleil le démontrent, jette une si grande lumiere en comparaison de celle de toutes les autres étoiles, & qu'elle nous paroît d'une grandeur à-peu-près égale à celle du Soleil, cela vient uniquement de ce qu'elle est fort proche de la terre ; car si on l'observoit du Soleil, elle ne paroîtroit pas sous un angle sensible, desorte qu'à peine seroit-elle visible. Ce seroit donc la même chose si elle étoit aussi éloignée de la Terre qu'est le Soleil ; on ne l'appercevroit guere avec la lunette d'approche que comme un petit point lumineux.
3°. Les taches variables qui paroissent sur Vénus, Mars & Jupiter, semblent prouver que ces planetes ont une atmosphere changeante ; ainsi en raisonnant toujours par analogie, on peut conclure la même chose des autres planetes.
4°. Pareillement on peut conclure des montagnes observées sur Vénus, qu'il y en a de semblables dans les autres planetes.
5°. Puisque Saturne, Jupiter & leurs satellites, Mars, Vénus & Mercure sont des corps opaques qui reçoivent leur lumiere du Soleil, qui sont couverts de montagnes, & environnés d'une atmosphere changeante, il paroît s'ensuivre que ces planetes ont des eaux, des mers, &c. aussi-bien que des terreins secs ; en un mot, que ce sont des corps semblables à la Lune, & par conséquent à la Terre. Par conséquent, selon plusieurs philosophes, rien ne nous empêche de croire que les planetes sont habitées. Huygens dans son Cosmothéoros, a prétendu donner des preuves très-fortes de l'existence des habitans des planetes : ces preuves sont tirées de la ressemblance des planetes avec la Terre, & de ce qu'elles sont, comme la Terre, des corps opaques, denses, raboteux, pesans, éclairés & échauffés par le Soleil ; ayant leur nuit & leur jour, leur été & leur hyver.
M. de Fontenelle a aussi traité cette question dans les entretiens sur la pluralité des mondes ; il y soutient que chaque planete est habitée, & il explique chemin faisant avec beaucoup de clarté, le systême de Copernic & les tourbillons de Descartes, qui étoient alors tout ce qu'on connoissoit de mieux. Ce livre a eu la plus grande réputation ; & on le regarde encore aujourd'hui comme un de ceux qui font le plus d'honneur à son auteur. Voyez PLURALITE DES MONDES, au mot MONDE.
Wolf s'appuyant sur des preuves d'une autre espece, va jusqu'à faire des conjectures sur les habitans des planetes : par exemple, il ne doute point que les habitans de Jupiter ne soient beaucoup plus grands que nous, & de taille gigantesque. La preuve qu'il en donne est si singuliere, qu'il ne sera peut-être pas inutile de la rapporter ici : on se souviendra que c'est M. Wolf qui parle. " On enseigne dans l'Optique que la prunelle de l'oeil est dilatée par une lumiere foible, & retraite par une lumiere forte : donc la lumiere du Soleil étant beaucoup moins grande pour les habitans de Jupiter que pour nous, parce que Jupiter est le plus éloigné du Soleil, il s'ensuit que les habitans de cette planete ont la prunelle beaucoup plus large & beaucoup plus dilatée que la nôtre. Or on observe que la prunelle a une proportion constante avec le globe de l'oeil, & l'oeil avec le reste du corps ; desorte que dans les animaux, plus la prunelle est grande, plus l'oeil est gros, & plus aussi le corps est grand.
Pour déterminer la grandeur des habitans de Jupiter, on peut remarquer que la distance de Jupiter au Soleil, est à la distance de la Terre au Soleil, comme 26 à 5 ; & que par conséquent la lumiere du Soleil, par rapport à Jupiter, est à sa lumiere par rapport à la Terre, en raison doublée de 5 à 26 ; or on trouve par l'expérience, que la prunelle se dilate en plus grand rapport, que l'intensité de la lumiere ne croît : autrement un corps placé à une grande distance, paroîtroit aussi nettement qu'un autre plus près. Ainsi le diametre de la prunelle des habitans de Jupiter, est au diametre de la nôtre, en plus grande raison que celle de 5 à 26. Supposons-le de 10 à 26, ou de 5 à 13 ; comme la hauteur ordinaire des habitans de la Terre, est de cinq piés quatre pouces environ, (c'est la hauteur que M. Wolf s'est trouvée à lui-même) on en conclud que la hauteur commune des habitans de Jupiter, doit être de 14 piés 2/3. Or cette grandeur étoit à peu-près celle de Og, roi de Basan, dont parle Moïse, & dont le lit de fer étoit long de neuf coudées, & large de quatre. "
Voilà les égaremens où tombe l'esprit humain, quand il se livre à la fureur de faire des systèmes ; car surquoi M. Wolf se fonde-t-il pour avancer que les habitans de Jupiter, supposé qu'ils voyent, ont la prunelle plus grande que la nôtre, & que la grandeur de leur prunelle est proportionnelle à la hauteur de leur corps. La lumiere est plus foible dans Jupiter que sur la terre, il est vrai, mais les habitans de Jupiter peuvent être d'une telle nature, que cette lumiere soit aussi forte pour eux que la nôtre l'est pour nous. Il suffit pour cela qu'ils aient l'organe plus sensible ; d'ailleurs est-il vrai que la grandeur du corps soit proportionnée au diametre de la prunelle ? Ne voyons-nous pas tous les jours le contraire dans les animaux ? Les chats ont la prunelle beaucoup plus grande que nous ; les cochons l'ont beaucoup plus petite que les chats, &c.
M. de Fontenelle est bien éloigné de faire des conjectures aussi puériles sur la figure des habitans des planetes ; il pense qu'elle est fort différente de la nôtre, & que nous n'en avons aucune idée ; & il appuie cette opinion par des raisons ingénieuses. " Quelle différence, dit-il, de notre figure, de nos manieres, &c. à celle des Américains ou des Africains ! Nous habitons pourtant le même Vaisseau dont ils tiennent la proue & nous la poupe ? Combien ne doit-il pas y avoir de différence de nous aux habitans des autres planetes, c'est-à-dire, de ces autres vaisseaux qui flottent loin de nous par les cieux " ? Cela est beaucoup plus vraisemblable ; mais cependant il n'est pas encore bien sûr (voyez MONDE) que les planetes soient habitées.
Mouvement des planetes. Il est évident par une infinité de phénomenes, que les planetes tournent autour du Soleil, comme centre, & non autour de la Terre.
1°. L'orbite dans laquelle Vénus se meut, environne certainement le Soleil, & par conséquent cette planete tourne autour du Soleil en décrivant cette orbite.
On prouve aisément que cette orbite environne le Soleil, par la raison que Vénus est quelquefois audessus du Soleil, quelquefois au-dessous, quelquefois derriere, & quelquefois du même côté ; ce qui est évident par les différentes circonstances de ses phases. Voyez PHASE.
Elle passe derriere le Soleil lorsque vers le tems de sa conjonction, quand elle nous paroît fort proche de ce corps lumineux, on l'apperçoit parfaitement ronde, sa lumiere étant également vive de toutes parts. Comme cette planete ne reçoit d'autre lumiere que celle du Soleil qui l'éclaire d'un côté, pendant que son hémisphere opposé au Soleil demeure dans les ténebres, il est évident que toutes les fois que cette planete nous paroît pleine ou parfaitement ronde, la surface ou la moitié de cette planete que nous appercevons, est précisément la même qui est tournée vers le Soleil, & qu'ainsi Vénus est pour lors à notre égard bien au-delà du Soleil. Au contraire, lorsque dans ses conjonctions au Soleil elle disparoîtra tout-à-fait, ou qu'on ne la verra que comme un croissant fort mince, on en doit conclure que cette planete est alors entre la Terre & le Soleil. Aussi lorsque Vénus est entre la Terre & le Soleil, il doit arriver quelquefois qu'elle passera sur le disque même du Soleil, où elle paroîtra comme une tache noire. Voyez VENUS.
Il n'est pas moins certain qu'elle ne tourne pas autour de la Terre, mais autour du Soleil, parce qu'on l'observe toujours dans le même quart de cercle avec le Soleil, & qu'elle ne s'en éloigne jamais beaucoup au-de-là de 45°. Elle n'est donc jamais en opposition avec le Soleil, ni même en quadrature ; ce qui arriveroit pourtant fréquemment, si cette planete se mouvoit autour de la Terre, & non autour du Soleil.
2°. On peut se convaincre de même, que Mercure tourne autour du Soleil, par les phases de cette planete, qui ressemblent à celle de Vénus & de la Lune ; & par le voisinage de cette planete au Soleil, dont elle s'éloigne encore moins que ne fait Vénus.
D'où il suit que Mercure doit avoir par cette raison une orbite beaucoup plus petite, & que cette orbite renferme le Soleil : c'est la même preuve que pour Vénus, avec cette différence que l'orbite de Mercure doit être renfermée dans celle de Vénus, parce qu'elle est plus petite ; mais le Soleil demeure constamment au centre de l'une & de l'autre orbite. Une autre preuve que Mercure est plus proche du Soleil, c'est que sa lumiere est très-vive & bien plus éclatante que celle de Vénus & des autres planetes.
3°. Il est certain que l'orbite de Mars renferme le Soleil, puisque Mars s'observe en conjonction & en opposition avec le Soleil, & que dans l'un & l'autre cas, sa face entiere est éclairée. Il est vrai que par ces mêmes circonstances, l'orbite de Mars paroît aussi renfermer la Terre ; mais comme le diametre de Mars paroît sept fois aussi gros dans l'opposition que dans la conjonction, il s'ensuit que dans l'opposition, cette planete est sept fois plus proche de la Terre que dans la conjonction. Ainsi il s'en faut beaucoup que la Terre ne soit le centre du mouvement de Mars, au lieu que Mars est toujours à-peu-près à la même distance du Soleil. De plus, Mars vû de la Terre, paroît se mouvoir fort irrégulierement ; il semble quelquefois aller fort vîte, quelquefois beaucoup plus lentement, quelquefois aller en avant, & quelquefois rétrograder. Voyez RETROGRADATION. Mais cette planete vue du Soleil paroîtroit se mouvoir à-peu-près avec une égale vîtesse ; d'où il faut conclure que c'est le Soleil & non la Terre qui est le centre de son mouvement. Quand Mars se trouve éloigné du Soleil environ de 90 degrés, alors sa rondeur est un peu altérée, parce que son hémisphere éclairé n'est pas entierement tourné vers nous ; & c'est le seul tems où on puisse l'observer sous cette phase : par-tout ailleurs il paroît assez exactement rond, comme il doit en effet le paroître.
4°. Les mêmes phénomenes qui prouvent que Mars tourne autour du Soleil, & non autour de la Terre, prouvent aussi que Jupiter & Saturne tournent autour du Soleil.
Il n'y a de différence que dans la quantité dont les diametres apparens de ces planetes, & par conséquent leurs distances à la Terre, varient dans le cours de chaque année ; car l'inégalité des diametres ou des distances est beaucoup moins considérable dans Jupiter que dans Mars, & beaucoup moins dans Saturne que dans Jupiter. Mais il suit néanmoins de ces variétés de diametres & de distances, que l'une & l'autre planete font leurs révolutions autour du Soleil dans des orbites qui sont fort au-delà de l'orbite de Mars. De plus, lorsqu'on observe de la Terre les mouvemens de ces deux planetes, ils nous paroissent inégaux & très-irréguliers, ainsi que ceux de Mars.
Enfin il est évident que la Terre tourne autour du Soleil, comme centre, tant par la place qu'elle occupe entre les orbites de Mars & de Vénus, que par les phénomenes des planetes supérieures vues de la Terre ; si la Terre étoit en repos, on ne verroit les planetes, ni stationnaires, ni retrogrades. La Terre se meut donc : or nous avons fait voir qu'elle doit se trouver entre les orbites de Mars & de Vénus : donc le Soleil est à-peu-près le centre : donc la Terre tourne autour du Soleil.
Les orbites des planetes sont toutes des ellipses, dont le foyer commun est dans le Soleil. C'est ce que Kepler a trouvé le premier, d'après les observations de Tycho : avant lui tous les Astronomes avoient cru que les orbites des planetes étoient des cercles excentriques. Voyez ORBITE, ELLIPSE, EXCENTRIQUE. Les plans de ces orbites se coupent tous dans des lignes qui passent par le Soleil ; & ces plans ne sont pas fort éloignés les uns des autres : en effet ils ne sont que fort peu inclinés entr'eux : & celui qui fait le plus grand angle avec le plan de l'écliptique ; c'est-à-dire de l'orbite de la Terre, est l'orbe de Mercure, qui ne fait qu'un angle de 6°. 52'. celui de l'orbite de Vénus est de 3°. 23'. celui de Mars de 1°. 52'. celui de Jupiter, de 1°. 20'. & celui de Saturne, de 2°. 30'.
La ligne dans laquelle le plan de chaque orbite coupe l'écliptique, est appellée la ligne des noeuds, & les deux points où les orbites elles-mêmes coupent le plan de l'écliptique sont appellés noeuds. Voyez NOEUD.
La distance entre le centre du Soleil, & le centre de chaque orbite, est appellée l'excentricité de la planete. Voyez EXCENTRICITE ; & l'angle sous lequel chaque plan coupe l'écliptique, est appellé inclinaison de ce plan. Voyez PLAN, INCLINAISON, LIPTIQUEIQUE.
Pour expliquer le mouvement des planetes autour du Soleil, il ne faut que supposer qu'elles ont d'abord reçu un mouvement de projection uniforme en ligne droite, & qu'elles ont une force de gravitation ou d'attraction, telles que nous l'observons dans tous les grands corps de notre système, car un corps A (Pl. astr. fig. 60. n. 2.) qui tend à avancer uniformément le long d'une ligne A B doit par la force d'un corps C qui l'attire, être détourné à chaque moment de son chemin rectiligne, & obligé de prendre un mouvement curviligne, selon les lois des forces centrales. Voyez FORCE & CENTRAL.
Donc si le mouvement de projection est perpendiculaire à une ligne C A tirée du corps attirant C & que la vîtesse de ce mouvement soit tellement proportionnée à la force d'attraction du corps A que les forces centrale & centrifuge soient égales, c'est-à-dire que l'effort pour tomber vers le corps central C en ligne droite, & l'effort pour avancer dans la direction de la tangente A B se contrebalancent l'un l'autre, le corps A doit faire sa révolution dans une orbite circulaire, x, B, j, s. Voyez CENTRIPETE & CENTRIFUGE.
Si le mouvement de projection de la planete ne contrebalance pas parfaitement l'attraction du Soleil, la planete décrira une ellipse ; si le mouvement de la planete est trop prompt, l'orbite sera plus grande qu'un cercle, & le foyer le plus proche sera dans le corps central même : si le mouvement est trop lent, l'orbite sera moindre qu'un cercle, & le corps central occupera le foyer le plus éloigné.
De plus la forme des orbites planetaires dépend non-seulement de la proportion entre le mouvement de projection, & la force attractive, mais aussi de la direction suivant laquelle ce mouvement peut être ou avoir été imprimé. Si la direction étoit suivant la tangente A B comme nous l'avons supposé jusqu'ici, & que les forces centrales se contrebalançassent exactement, les orbites seroient circulaires, mais si la direction étoit oblique, d'une obliquité quelconque, l'orbite de la planete seroit toujours une ellipse ; quelque rapport qu'il y eût d'ailleurs entre l'attraction & le mouvement de projection.
Les mouvemens des planetes dans leurs orbites elliptiques, ne sont pas uniformes, parce que le Soleil n'occupe pas le centre de ces orbites, mais leur foyer. Les planetes se meuvent donc tantôt plus vîte, tantôt plus lentement, selon qu'elles sont plus proches ou plus éloignées du Soleil : mais ces irrégularités sont elles-mêmes reglées, & suivent une loi certaine.
Ainsi supposons que l'ellipse B E P (Pl. astr. fig. 61. n. 2.) soit l'orbite d'une planete, & que le Soleil S occupe le foyer de cette ellipse, soit A P l'axe de l'ellipse appellé la ligne des apsides, le point A l'apside supérieure ou l'aphelie P l'apside inférieure ou le périhélie, S C l'excentricité, & E S la moyenne distance de la planete au Soleil. Voyez APSIDE, APHELIE, PERIHELIE, &c. Le mouvement de la planete dans son périhélie est plus prompt que par-tout ailleurs, & plus lent au contraire dans son aphélie ; au point E la vîtesse du mouvement est moyenne aussi-bien que la distance, c'est-à-dire ce mouvement est tel que s'il demeuroit uniforme, la planete décriroit son orbite dans le même tems qu'elle employe à la décrire réellement. La loi par laquelle le mouvement est réglé dans chaque point de l'orbite, est qu'une ligne ou un rayon tiré du centre du Soleil au centre de la planete, & qu'on suppose se mouvoir avec la planete, décrit toujours des aires elliptiques proportionnelles au tems. Supposons par ex. que la planete soit en A & que de-là elle parvienne en B après un certain tems ; l'espace ou l'aire que décrit le rayon S A est le triangle A S B : si on imagine ensuite que la planete arrive en P, & que tirant un rayon S D du centre du Soleil, l'aire elliptique P S D soit égale à l'aire A S B, la planete décrira l'arc P D dans le même tems qu'elle a décrit l'arc A B : ces arcs sont inégaux, & sont à-peu-près en raison inverse de leurs distances au Soleil, car il suit de l'égalité des aires que P D doit être à A B à peu-près comme S A à S P.
Kepler est le premier qui ait démontré cette loi par les observations, & M. Newton l'a depuis expliquée par des principes physiques : tous les astronomes admettent aujourd'hui & cette regle, & l'explication que M. Newton en a donnée, comme étant la plus propre à résoudre les phénomenes des planetes.
A l'égard du mouvement que toutes les planetes ont dans le même sens d'occident en orient, de leur mouvement de rotation autour de leurs axes, & de l'inclinaison de leurs orbites au plan de l'écliptique, ces phénomenes ne sont pas si faciles à expliquer dans le système newtonien, que leur mouvement autour du Soleil.
Descartes s'étant apperçu que les planetes alloient toutes dans le même sens, imagina de les faire nager dans un fluide très-subtil qui tournoit en tourbillon autour du Soleil, & qui emportoit toutes les planetes dans la même direction. M. Newton ne paroît point donner d'autre raison de ce mouvement commun, que la volonté du Créateur. Il en est de même du mouvement de rotation & de l'inclinaison des orbites des planetes au plan de l'écliptique. Tous ces mouvemens, dit-il, n'ont point de causes méchaniques. Hi motus originem non habent ex causis mechanicis. La raison qu'il en apporte, c'est que les cometes se meuvent autour du Soleil dans des orbites fort excentriques, & vont indifféremment en tous sens, les unes d'orient à l'occident, d'autres du midi au nord, &c. Il est certain que si le mouvement commun de toutes les planetes d'occident en orient, étoit causé par un tourbillon dont les couches les entraînassent, les cometes qui descendent fort loin dans ce tourbillon devroient aussi se mouvoir toutes dans le même sens : or c'est ce qui n'arrive pas. A l'égard de la rotation des planetes autour de leurs axes, dans le même sens qu'elles tournent autour du Soleil, c'est un phénomene que Descartes a tenté d'expliquer aussi par les tourbillons ; mais la plûpart de ses partisans l'ont abandonné là-dessus. On lui a objecté qu'en vertu de la construction de ses tourbillons, les planetes devroient tourner sur elles-mêmes en sens contraire, c'est-à-dire d'orient en occident ; & il ne paroît pas que jusqu'à-présent l'hypothese des tourbillons ait pu satisfaire à cette partie du système général du monde.
M. Bernoulli, dans le tom. IV. de ses oeuvres in-4°. imprimées à Lausanne en 1743, explique le mouvement de rotation des planetes dans le système de Newton, d'une maniere assez ingénieuse. Cet auteur remarque que tout corps à qui on imprime un mouvement de projection suivant une direction qui ne passe pas par son centre de gravité, doit tourner autour de son centre de gravité, tandis que ce centre va en avant, suivant une direction parallele à celle de la force qui a imprimé le coup. Il suffit donc pour imprimer la rotation des planetes, de supposer que le mouvement de projection qui leur a été imprimé d'abord suivant l'idée de M. Newton, avoit une direction qui ne passoit point par leur centre de gravité. A l'égard de l'inclinaison des orbites des planetes sur le plan de l'écliptique, voyez INCLINAISON ; & sur les aphélies des planetes, voyez APHELIE.
Les Cartésiens font sur le mouvement des planetes, une objection qu'ils croyent victorieuse contre le Newtonianisme. Si le Soleil, disent-ils, attiroit les planetes, elles devroient s'en approcher sans cesse, au-lieu que tantôt elles s'en approchent, tantôt elles s'en éloignent. Il est facile de répondre que les planetes à la vérité tendent à s'approcher du Soleil par leur gravitation vers cet astre, mais qu'elles tendent à s'en éloigner par leur mouvement de projection, qui les feroit aller en ligne droite : or si le mouvement de projection est tel, que les planetes en vertu de ce mouvement s'éloignent plus du Soleil que la gravitation ne les en approche, elles s'éloignent du Soleil nonobstant la gravitation, mais moins à la vérité que si la gravitation étoit nulle. C'est en effet ce qui arrive, comme le calcul le fait voir, quand les planetes sont arrivées à leur périhélie, où leur vîtesse de projection est la plus grande, & où par conséquent elles tendent à s'éloigner le plus du soleil en vertu de cette vîtesse. Il est vrai que le Soleil les attire aussi davantage dans ce même point ; mais comme le calcul le prouve, il ne les attire pas autant que leur vîtesse de projection les éloigne. Voilà une des grandes objections cartésiennes résolue sans replique ; on peut en voir une autre de la même force à l'article FLUX & REFLUX DE LA MER, tom. VI. p. 490.
Calcul du mouvement & du lieu d'une planete. Les périodes & les vîtesses des planetes, ou les tems qu'elles mettent à faire leurs révolutions, ont une analogie singuliere avec les distances de ces planetes au Soleil. Plus une planete est proche du Soleil, plus sa vîtesse est grande, & plus le tems de sa révolution est court ; la loi générale est que les quarrés des tems périodiques sont comme les cubes des distances des planetes aux centres de leurs orbites. Voyez PERIODE, DISTANCE, &c.
On doit la découverte de cette loi à la sagacité de Kepler, qui la trouva pour les planetes premieres : les Astronomes ont trouvé depuis qu'elle avoit aussi lieu pour les planetes secondaires. Voyez SATELLITE.
Kepler n'a déduit cette loi que des observations & de la comparaison qu'il a faite entre les distances des planetes & leurs tems périodiques ; la gloire de la découvrir par les principes physiques, étoit réservée à Newton, qui a démontré que cette loi est une suite de la gravitation. Voyez GRAVITATION.
Le mouvement ou la distance d'une planete par rapport à son apogée, est appellé l'anomalie de la planete ; ce mouvement se mesure par l'arc ou l'aire que la planete a décrite depuis son apogée. Voyez ANOMALIE. Quand on compte le mouvement de la planete depuis le premier point d'aries, son mouvement est appellé mouvement en longitude ; or ce mouvement est ou moyen, c'est-à-dire égal à celui que la planete auroit si elle se mouvoit uniformement dans un cercle ; ou vrai, c'est-à-dire, celui même par lequel elle décrit actuellement son orbite, & ce mouvement est mesuré par l'arc correspondant de l'écliptique. Voyez LONGITUDE, &c.
Par-là on peut toujours trouver le lieu d'une planete dans son orbite, l'intervalle de tems depuis qu'elle a passé par son aphelie, étant donné, car supposons que l'aire de l'ellipse soit tellement divisée par la ligne S G, que l'aire elliptique entiere soit à l'aire A S G comme le tems de la révolution de la planete, est au tems donné : en ce cas G sera le lieu de la planete dans son orbite. Voyez ANOMALIE & LIEU. Les phénomenes des planetes inférieures sont leurs conjonctions, élongations, stations, rétrogradations, phases, & éclipses. Voyez CONJONCTION, ÉLONGATION, STATION, RETROGRADATION, PHASE & ECLIPSE. Les phénomenes des planetes supérieures, sont les mêmes que ceux des planetes inférieures ; il y en a seulement un de plus dans les supérieures, savoir l'opposition. Voyez OPPOSITION, &c.
A l'égard des phénomenes particuliers de chaque planete, on les trouvera aux articles de chacune. Voy. JUPITER, MARS, &c.
On trouvera de même aux articles SYSTEME, SOLAIRE, DIAMETRE, DEMI-DIAMETRE, &c. les proportions générales, les diametres, les distances des différentes planetes.
Configuration des planetes. Voyez CONFIGURATION. Volf & Chambers. (O)
PLANETE, en terme de Vannerie, est un instrument dont on se sert pour applatir un brin d'osier à tel degré qu'on veut. Cet instrument est plat & d'environ quatre pouces de long sur deux de large. Son tranchant est monté sur une espece d'oreille placée de côté, au-dessus d'une lame de fer à ressort qui couvre l'instrument dans toute sa longueur & toute sa largeur, & est près ou loin de cette lame à proportion qu'on ferme ou qu'on ouvre une petite vis qui est dessous l'instrument, & sur laquelle est appuyée cette lame à ressort. Voyez les Planches.
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PLANETER | en terme de Tabletier-Cornetier, c'est adoucir & diminuer le morceau de corne destiné à faire un peigne, jusqu'à l'épaisseur qu'on veut lui donner.
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PLANEUR | S. m. terme d'Orfevre, c'est l'artisan qui gagne sa vie à planer la vaisselle, c'est-à-dire, à l'unir à force de petits coups de marteau. Ceux que les Orfevres appellent planeurs, les Potiers d'étain les appellent forgeurs. (D.J.)
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PLANGE | adj. (Marine). La mer est plange, c'est un terme bas dont se servent les matelots de Poitou, de Xaintonge & d'Aunis, pour dire que la mer est unie.
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PLANIMÉTRIE | S. f. (Géom.) c'est la partie de la Géométrie, qui considere les lignes & les figures planes. Voyez GEOMETRIE ; voyez aussi LIGNE & FIGURE.
La Planimétrie est particulierement bornée à la mesure des plans ou surfaces ; elle est opposée à la Stéréométrie, ou mesure des solides. Voyez STEREOMETRIE.
La Planimétrie, ou l'art de mesurer les surfaces planes, s'exécute par le moyen de quarrés plus ou moins grands, comme piés quarrés, pouces quarrés, toises quarrées, perches quarrées, &c. c'est-à-dire, par des quarrés dont les côtés font un pié, un pouce, une toise, une perche, &c. Ainsi on connoît la valeur d'une surface proposée, quand on sait combien elle contient de piés quarrés, ou de pouces quarrés, ou de toises quarrées, ou de perches quarrées, &c. Voyez AIRE, SURFACE, FIGURE, QUARRE, MESURER, &c. Chambers. (E)
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PLANISPHERE | S. m. (Astronomie) est une projection de la sphere & de ses différens cercles sur une surface plane, comme sur du papier, &c. Voyez PLAN, SPHERE & PROJECTION.
Dans ce sens les cartes célestes & terrestres, où sont représentés les méridiens & les autres cercles de la sphere, sont appellées planispheres. Voyez CARTE. Dans les projections ordinaires, le plan du tableau est un plan de projection situé entre l'oeil & l'objet, desorte que la projection se fait par le moyen des points où les différens rayons menés de l'oeil à l'objet coupent ce plan. Voyez PLAN PERSPECTIF ou PLAN DU TABLEAU. Mais dans les planispheres ou astrolabes le plan de projection est placé derriere l'objet qui est la sphere, & ce plan est toujours celui d'un des grands cercles de la sphere. Voyez CERCLE. Dans tous les planispheres on suppose que l'oeil est un point qui voit tous les cercles de la sphere, & qui les rapporte au plan de projection sur lequel la masse de la sphere est pour ainsi dire applatie.
Les cartes célestes où sont représentées les constellations, sont des especes de planisphere ; mais on appelle plus proprement planisphere la représentation des cercles ou orbites que les planetes décrivent, faite sur un plan, soit en dessein, soit en cartons concentriques ou appliqués les uns sur les autres : les cartes marines sont aussi appellées planispheres nautiques. Voyez CARTE MARINE.
Planisphere se dit aussi quelquefois d'un instrument astronomique, dont on se sert pour observer les mouvemens des corps célestes : il consiste dans une projection de la sphere céleste sur un plan, où sont représentées les étoiles & les constellations avec leurs situations, leurs distances, &c. Tel est l'astrolabe, qui est le nom ordinaire de ces sortes de projections. Voyez ASTROLABE.
Dans tous les planispheres, on suppose que l'oeil est un point qui voit tous les cercles de la sphere, & qui les rapporte au plan de projection sur lequel la masse de la sphere est pour ainsi dire applatie.
Parmi le nombre infini de planispheres que peuvent fournir les différens plans de projection & les différentes positions de l'oeil, il y en a deux ou trois qui ont été préférés aux autres. Tel est celui de Ptolemée, dans lequel le plan de projection est parallele à l'équateur ; celui de Gemma Frisius, dans lequel le plan de projection est le colure ou le méridien des solstices, & où l'oeil est au pole de ce méridien ; celui de Jean de Royas, espagnol, dans lequel le plan de projection est un méridien, & où l'oeil est place dans l'axe de ce méridien à une distance infinie. Cette derniere projection est appellée analemma. Voyez ANALEMMA.
Toutes ces projections ont un défaut commun : savoir que les figures des constellations y sont considérablement altérées & défigurées, desorte qu'il n'est pas aisé de les comparer entr'elles ; & quelques-unes tiennent si peu de place, qu'on peut à-peine s'en servir pour les opérations.
M. de la Hire, pour remédier à ces inconvéniens, a imaginé une nouvelle projection de la sphere ; il propose de placer l'oeil de telle maniere que les divisions des cercles projettés soient sensiblement égales dans chaque partie de l'instrument. Le plan de projection est un méridien. Voyez toutes ces choses plus au long à l'article ASTROLABE.
PLANISPHERE NAUTIQUE, voyez l'article NAUTIQUE.
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PLANOIR | S. m. en terme d'Orfévre en grosserie, s'entend d'un ciselet dont l'extrémité est applatie & fort polie. On s'en sert pour planer les champs qui sont enrichis d'ornemens de ciselure ou de gravure, où l'on ne pourroit point introduire le marteau. Voyez nos Planches.
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PLANOUSE | ILE DE, (Géog. mod.) en latin Planaria ; île d'Italie, dans la mer de Toscane, entre celle d'Elbe au nord-est, & celle de Corse au sud-ouest ; elle a environ quatre milles de longueur, & une demi-lieue de largeur. Elle est fort basse & remplie de bruscages ; on mouille à un quart de lieue de l'île par douze brasses d'eau. Lat. 42. 45. (D.J.)
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PLANT-D'ARBRES | S. m. (Jardin) espace planté d'arbres avec symmétrie, comme sont les avenues, quinconces, bosquets, &c. ce mot signifie aussi une pepiniere d'arbrisseaux, plantés sur plusieurs lignes paralleles.
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PLANTAGENETE | (Hist. anc.) est un surnom qui a été donné à plusieurs anciens rois d'Angleterre, Voyez SURNOM, &c.
Ce mot a fort embarrassé les critiques & les antiquaires, qui n'ont jamais pu en trouver l'origine & l'étymologie. Tout le monde convient qu'il fut donné d'abord à la maison d'Anjou, que le premier roi d'Angleterre qui le porta fut Henri II. & qu'il passa de ce roi à sa postérité jusqu'à Henri VII. pendant l'espace de plus de quatre cent ans ; mais on n'est point d'accord sur celui qui a le premier porté ce nom. Plusieurs auteurs anglois croyent que Henri II. l'hérita de son pere Geoffroy V. comte d'Anjou, fils de Foulques V, roi de Jérusalem, qui mourut en 1144 ; ces auteurs prétendent que Geoffroy est le premier à qui on a donné ce nom, & que Henri II. sorti de Geoffroy par Maud, fille unique de Henri I. est le second qui l'ait porté.
Cependant Ménage soutient que Geoffroy n'a jamais eu le nom de Plantagenete ; & en effet, Jean de Bourdigné, l'ancien analyste d'Anjou, ne l'appelle jamais ainsi ; Ménage ajoute que le premier à qui on a donné ce nom, est Geoffroy, troisieme fils de Geoffroy V ; néanmoins ce nom doit être plus ancien qu'aucun de ces princes, si ce que dit Skinner de son origine & de son étymologie, est vrai. Cet auteur raconte que la maison d'Anjou reçut ce nom d'un de ces princes, qui ayant tué son frere, pour s'emparer de ses états, s'en repentit, & fit un voyage à la Terre-Sainte pour expier son crime ; que la il se donnoit la discipline toutes les nuits, avec une verge faite de la plante appellée genêt ; ce qui le fit appeller Plantagenete.
Il est certain que notre Geoffroy fit le voyage de Jérusalem, mais il n'avoit point alors tué son frere : de plus, il ne fit point ce voyage par pénitence, mais seulement pour aller au secours de son frere Amaury : quel peut donc être ce prince de la maison d'Anjou ? Seroit-ce Foulques IV. ? il est vrai que ce prince détrôna Geoffroy, son frere aîné, & le mit en prison, mais il ne le fit pas mourir : de plus, comme le rapporte Bourdigné, Geoffroy fut tiré de prison par Geoffroy V, son fils, dont nous avons déja parlé.
Il est vrai que ce Foulques fit le voyage de Jérusalem, en partie dans des vûes de pénitence ; mais Bourdigné assure que ce fut par la crainte des jugemens de Dieu & de la damnation éternelle, pour la quantité de sang chrétien qu'il avoit répandu dans ces batailles. Cet historien ajoute que Foulques fit un second voyage à Jérusalem, mais qu'il y retourna pour remercier Dieu de ses graces : de plus, ce Foulques ne fut jamais appellé Plantagenete ; ainsi le recit de Skinner paroît être une fable.
Il y a encore une autre opinion, qui, quoique commune, n'est guere mieux fondée : on croit ordinairement que tous les princes de la maison d'Anjou, depuis Geoffroy V, ont eu le nom de Plantagenete, au lieu que ce nom n'a été porté que par très-peu de ces princes, qu'il servoit à distinguer des autres. Bourdigné ne le donne jamais qu'au troisieme fils de Geoffroy V, & le distingue par ce surnom des autres princes de la même famille ; cependant il est certain que ce nom fut aussi donné à Henri II, roi d'Angleterre, son frere aîné.
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PLANTAI | ou PLANTIN, s. m. (Hist. nat. Bot.) plantago, genre de plante à fleur monopétale en forme de soucoupe, & ordinairement divisée en quatre parties ; le pistil sort du fond de cette fleur, entouré le plus souvent de longues étamines, & devient dans la suite un fruit ou une coque presque ovoïde ou conique qui s'ouvre transversalement lorsqu'elle est mûre, en deux parties ; cette coque est divisée en deux loges par une cloison mitoyenne, & elle renferme des semences oblongues, attachées à un placenta. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
M. de Tournefort distingue trente-cinq especes de plantain, indépendamment de celles que les autres Botanistes nomment plantains aquatiques, & qui sont des especes de renoncules. La plus commune de toutes les especes de vrai plantain, est le grand, le large plantain, plantago latifolia, sinuata. Inst. rei herb. 127.
Sa racine est courte, grosse comme le doigt, garnie de fibres blanchâtres sur les côtés ; elle pousse des feuilles larges, luisantes, rarement dentelées en leurs bords, ordinairement glabres ou sans poils, marquées chacune de sept nerfs apparens dans leur longueur ; ces feuilles sont attachées à de longues queues & couchées à terre.
De la même racine & du milieu des feuilles, il s'éleve plusieurs tiges à la hauteur d'environ un pié, rondes, difficiles à rompre, quelquefois rougeâtres, un peu velues ; elles portent au sommet un épi oblong, qui soutient de petites fleurs blanchâtres ou purpurines ; chacune de ces fleurs est un tuyau fermé dans le fonds, évasé en-haut, découpé en quatre parties, & garni de plusieurs étamines. Lorsque la fleur est passée, il lui succede un fruit ou une coque membraneuse, ovale, pointue ou conique, qui s'ouvre en travers, comme une boëte à savonnette, & qui renferme plusieurs semences menues, de figure ovale, ou oblongue, & de couleur rougeâtre.
Cette plante croît presque par-tout le long des chemins, des haies, dans les cours, dans les jardins, aux lieux herbeux & incultes. Elle fleurit en Mai & Juin, & donne sa graine en Août ; on l'emploie beaucoup en Médecine, ainsi que le plantain blanc, plantago latifolia, incana ; & le plantain étroit, plantago angustifolia ; on les regarde comme détersifs, astringens & résolutifs.
L'espece de plantain des environs de Paris, nommé par Tournefort, plantago palustris, gramineo folio, monanthos parisiensis, a deux singularités ; l'une que sa fleur est à étamines, c'est-à-dire mâle & stérile ; & l'autre qu'au bas du pédicule de cette même fleur, il en naît deux ou trois fleurs à pistil ou femelles qui sont fécondes ; on peut lire à ce sujet les Observations de M. de Jussieu dans les Mém. de l'Acad. des Scienc. ann. 1742.
Finissons par remarquer que M. Linnaeus renferme dans la classe de ce genre de plante, non-seulement les différentes especes de plantain de Tournefort, mais encore le psyllium, le coronopus ou corne de cerf, & le gramen junceum ; voici briévement comme il caractérise ce genre de plante.
Son calice, quoique droit & court, est divisé en quatre quartiers dans les bords, & subsiste après que la fleur est tombée. La fleur est monopétale, en forme de tube cylindrique arrondi, avec des bords découpés en quatre parties ; les segmens sont abaissés & pointus ; ses étamines forment quatre filets capillaires & droits ; les bossettes sont oblongues, applaties & menues ; le germe du pistil est ovoïde, le style est délié, & de moitié moins long que les étamines ; le stigma est simple ; le fruit est une capsule ovale, s'ouvrant horisontalement, & contenant deux semences, les graines sont oblongues & nombreuses. (D.J.)
PLANTAIN, (Mat. méd.) grand, moyen & petit ; on employe indifféremment ces trois especes pour l'usage de la Médecine. Le plantain est mis au rang des plantes vulnéraires astringentes ; & on lui accorde de plus une qualité fébrifuge. On employe le suc des feuilles, la décoction de la racine & celle de la semence ; l'extrait & l'eau distillée du plantain sont aussi en usage ; & enfin on en retire une eau distillée à laquelle on attribue communément les mêmes vertus qu'à toutes les préparations précédentes.
Tous ces remedes sont employés communément pour l'usage intérieur, toutes les fois que les astringens sont indiqués, comme dans la dyssenterie, & toutes les especes d'hémorrhagie interne, & beaucoup plus rarement, mais quelquefois cependant contre les fievres intermittentes.
Le plantain étant absolument privé de tout principe volatil, il est démontré que son eau distillée ne possede aucune vertu médicamenteuse. Cette eau est cependant un excipient assez commun des juleps astringens, quoique de toutes les propriétés des végétaux, celle qui se transmet le moins à l'eau qu'on en sépare par la distillation, soit évidemment la qualité astringente. L'usage le plus commun de cette eau est pour les collyres toniques & répercussifs, qu'on employe très-souvent dans les ophtalmies. Il n'est pas inutile de répéter que l'eau de plantain est un ingrédient absolument inutile de ces collyres.
La racine & les feuilles de plantain entrent dans l'eau vulnéraire, & en sont un des ingrédiens puérils, & pour ainsi dire indécens, comme on peut le déduire facilement de ce que nous venons d'observer sur l'eau distillée de plantain. Voyez VULNERAIRE, eau. Les feuilles entrent dans la décoction astringente de la pharmacopée de Paris, dans le syrop d'althéa de Fernel, dans celui de consoude, &c. les semences dans la poudre diarrhodon, l'onguent de la comtesse, &c. (b)
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PLANTAIRE | adj. (Anat.) est le nom d'un muscle charnu dans son origine ; il vient de la partie postérieure supérieure du condile externe du fémur, & descend un peu entre les jumeaux & les solaires, où il se change en un tendon long & mince, qui s'avance à l'extérieur du tendon d'Achille, & s'insere à la partie supérieure & postérieure du calcaneum. Voyez nos Planches d'Anatomie. Voyez aussi PIE, PALMAIRE, &c.
Quelques auteurs comptent ce muscle parmi les extenseurs du pié. Voyez EXTENSEUR.
C'est le petit jambier postérieur de M. Winslow.
L'aponévrose plantaire vient des deux tubérosités qui se remarquent à la face inférieure du calcaneum, & recouvrant tous les muscles situés sous le pié, va se terminer aux parties latérales & supérieures des premieres phalanges.
Les arteres plantaires sont la continuation de l'artere péroniere & de la tibiale qui s'anastomosent dans la plante du pié, & forment un arc duquel il part différens rameaux qui se distribuent aux doigts & aux autres parties ; celle que produit la péroniere prend le nom de plantaire externe ; & celle qui est la suite de la tibiale se nomme plantaire interne. Voyez PERONIERE & TIBIALE.
Les nerfs plantaires sont des branches du nerf sciatique tibial. Voyez SCIATIQUE.
Le nerf plantaire interne se distribue au pié en se portant tout le long de la partie interne de la plante du pié, & fournit quatre rameaux pour les parties latérales & inférieures des trois premiers orteils, & pour la partie latérale voisine du quatrieme. Ces rameaux communiquent par leur rencontre de leurs extrémités au bout de chaque orteil.
Le nerf plantaire externe se porte vers les parties latérales externes & inférieures du pié, se distribue aux parties voisines, & forme des rameaux aux deux derniers orteils.
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PLANTARD | S. m. terme d'Agriculture ; grosse branche de saule, d'aulne, de peuplier, &c. qu'on choisit pour planter quand on étête ces arbres.
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PLANTAS | ou PLANÇON, s. m. (Jardinage) est un rameau que l'on coupe sur un arbre tel que le saule, & qu'après avoir éguisé on fiche en terre, où il reprend parfaitement sans racine.
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PLANTATION | S. f. (Moral.) je mets les plantations au rang des vertus, & j'appelle ce soin une vertu morale nécessaire à la société, & que tout législateur doit prescrire.
En effet, il n'est peut-être point de soin plus utile au public que celui des plantations ; c'est semer l'abondance de toutes parts, & léguer de grands biens à la postérité. Que les princes ne regardent point cette idée comme au-dessous de leur grandeur. Il y a eu des héros de leur ordre dans ce genre, comme dans l'art de la destruction des villes, & de la désolation des pays. Cyrus, dit l'histoire, couvrit d'arbres toute l'Asie mineure. Qu'il est beau de donner une face plus belle à une partie du monde ! La remplir de cette variété de scenes magnifiques, c'est approcher en quelque sorte de la création.
Caton, dans son livre de la vie rustique, donne un conseil bien sage. Quand il s'agit de bâtir, dit-il, il faut long-tems déliberer, & souvent ne point bâtir ; mais quand il s'agit de planter, il seroit absurde de déliberer, il faut planter sans délai.
Les sages de l'antiquité n'ont point tenu d'autres discours. Ils semoient, ils plantoient ; ils passoient leur vie dans leurs plantations & dans leurs vergers ; ils les cultivoient soigneusement, ils en parloient avec transport.
Hîc gelidi fontes, hîc mollia prata, Lycori,
Hîc nemus, hîc ipso tecum consumerer aevo.
Virg. Eclog. X. 42.
" Ah ! Lycoris, que ces clairs ruisseaux, que ces prairies & ces bois forment un lieu charmant ! c'est ici que je voudrois couler avec toi le reste de mes jours. "
Ipsae jam carmina rupes,
Ipsa sonant arbusta.
" Les rochers & les arbustes que tu as plantés tout autour de ce hameau, y répetent déja nos chansons. "
Virgile lui-même a écrit un livre entier sur l'art des plantations.
Ipse thymum, pinosque ferens de montibus altis
Tecta serat latè circùm, cui talia curae :
Ipse labore manum duro terat : ipse feraces
Figat humo plantas, & amicos irriget imbres.
" Que celui qui préside à vos ruches, ne manque pas de semer du thym aux environs ; qu'il y plante des pins & d'autres arbres, qu'il n'épargne point sa peine, & n'oublie pas de les arroser ! "
Atque equidem extremo ni jam sub fine laborum
Vela traham, & terris festinem advertere proram,
Forsitan & pingues hortos quae cura colendi
Ornaret canerem....
" Si je n'étois pas à la fin de ma course, je ne commencerois pas à plier déja mes voiles prêt d'arriver au port ; peut-être enseignerois-je ici l'art de cultiver les jardins, & de former des plantations dans les terres stériles. "
Namque sub Oebaliae memini me turribus altis,
Quâ niger humectat flaventia culta Galaesus,
Corycium vidisse senem, cui pauca relicti
Jugera ruris erant ; nec fertilis illa juvencis,
Nec pecori opportuna seges, nec commoda Baccho.
Hic rarum tamen in dumis olus, albaque circum
Lilia verbenasque premens, vescumque papaver,
Regum aequabat opes animis, serâque revertens
Nocte domum dapibus mensas onerabat inemptis.
Primus vere rosam, atque autumno carpere poma :
Et cum tristis hyems etiamnum frigore saxa
Rumperet, & glacie cursus fraenaret aquarum ;
Ille comam mollis jam tùm tondebat acanthi,
Aestatem increpitans seram, Zephyrosque morantes.
Illi tilia, atque uberrima pinus :
Quotque in flore novo pomis se fertilis arbos
Induerat, totidem autumno matura tenebat.
Ille etiam seras in versum distulit ulmos,
Eduramque pyrum, & spinos jam pruna ferentes,
Jamque ministrantem platanum potantibus umbram.
Verùm haec ipse equidem spatiis exclusus iniquis,
Praetereo.
Georg. liv. IV. 125. 150.
" Près de la superbe ville de Tarente, dans cette contrée fertile qu'arrose le Galèse, je me souviens d'avoir vu autrefois un vieillard de Cilicie, possesseur d'une terre abandonnée, qui n'étoit propre ni pour le pâturage, ni pour le vignoble ; cependant il avoit fait de ce terrein ingrat un agréable jardin, où il semoit quelques légumes bordés de lys, de vervene & de pavots. Ce jardin étoit son royaume. En rentrant le soir dans sa maison, il couvroit sa table frugale de simples mets produits de ses travaux. Les premieres fleurs du printems, les premiers fruits de l'automne naissoient pour lui. Lorsque les rigueurs de l'hiver fendoient les pierres, & suspendoient le cours des fleuves, il émondoit déja ses acanthes ; dèja il jouissoit du printems, & se plaignoit de la lenteur de l'été. Ses vergers étoient ornés de pins & de tilleuls. Ses arbres fruitiers donnoient en automne autant de fruits, qu'au printems ils avoient porté de fleurs. Il savoit transplanter & aligner des ormeaux déja avancés, des poiriers, des pruniers greffés sur l'épine, déja portant des fruits, & des planes déja touffus à l'ombre desquels il regaloit ses amis. Mais les bornes de mon sujet ne me permettent pas de m'arrêter plus longtems sur cette peinture ".
C'est pourquoi je me contenterai d'observer avec Virgile, que l'amusement des plantations ne procure pas seulement des plaisirs innocens, mais des plaisirs durables, & qui renaissent chaque année. Rien en effet ne donne tant de satisfaction que la vue des paysages qu'on a formés, & des promenades délicieuses à l'ombre des arbres qu'on a plantés de ses mains.
On pourroit même, ce me semble, charger un domaine entier de plantations différentes, qui tourneroient également au plaisir & au profit du propriétaire. Un marais couvert de saules, un coteau planté de chênes, seroit sans doute plus profitable qu'en abandonnant le terrein à sa stérilité naturelle. Des haies fortifiées & décorées d'arbres forment un rempart utile, agréable & solide.
Il n'est pas besoin de se montrer trop curieux de la symmétrie des plantations. Tout le monde est en état de remplacer des arbres à la ligne & à la regle, en échiquier, ou en toute autre figure uniforme ; mais doit-on s'astraindre à cette régularité sans oser s'en écarter ? Et ne feroit-on pas mieux de cacher quelquefois l'art du jardinier ? Présenter toujours des arbres qui s'élevent en cones, en globes, en pyramides, en éventail, sur chacun desquels on reconnoît la marque des ciseaux, est plutôt l'effet d'un goût peigné, que celui de la belle nature. Ce n'est pas ainsi qu'elle forme ses admirables sites. Des forêts de citronniers ne sont pas moins superbes avec toute l'étendue de leurs branches, que taillés en figures mathématiques. Un grand verger dont les pommiers sont en fleurs, plait bien davantage que les petits labyrinthes de nos parterres. Qui est celui qui ne préféreroit à nos arbres nains, des chênes de plusieurs centaines d'années, & des grouppes d'ormes, propres à mettre à couvert de la pluie un grand nombre de cavaliers.
Quoi qu'il en soit des plantations symmétriques ou sauvages, je ne recommande pas les unes ou les autres aux grands & aux riches, par la seule raison qu'elles sont un amusement agréable, en même tems qu'une décoration de leurs maisons de campagne ; j'ai des motifs plus nobles à leur proposer ; je leur recommande les plantations de toutes parts, parce que c'est un emploi digne d'un citoyen vertueux, & qu'il s'y doit porter par des principes tirés de la morale, & entr'autres par celui de l'amour du genre humain.
Ce n'est pas tout ; je soutiens qu'on est inexcusable de manquer à un devoir de la nature de celui-ci, & dont il est si facile de s'acquiter. Lorsqu'un homme pense que le soin de mettre chaque année, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, quelques rejettons en terre, peut servir à l'avantage d'un autre qui ne viendra dans le monde qu'au bout de cinquante ans ; lorsqu'il songe qu'il travaille peut-être au soutien ou à l'aisance d'un de ses arriere-neveux ; s'il trouve alors quelque répugnance à se donner cette peine, il doit en conclure qu'il n'a nuls principes, nul sentiment de générosité.
Quelqu'un a dit d'un citoyen industrieux & bienfaisant, qu'on peut le suivre à la trace. Ces deux mots peignent à merveille les soins d'un honnête homme, qui en cultivant des terres, y a laissé des marques de son industrie & de son amour pour ceux qui lui succéderont.
Ces réflexions ne viennent que trop à-propos dans un siecle où les arts les plus utiles à la conservation de la société sont entierement négligés, & les soins de la postérité pleinement abandonnés, si même ils ne sont pas tournés en ridicule. Nos forêts ne nous fourniroient plus de bois pour bâtir, si nos ancêtres avoient pensé d'une façon si basse & si méprisable.
Les Tartares du Daghestan, tout barbares qu'ils sont, habitans d'un pays stérile, ont une coutume excellente qu'ils observent soigneusement, & qui leur tient lieu de loi. Personne chez eux ne se peut marier, avant que d'avoir planté, en un certain endroit marqué, cent arbres fruitiers ; ensorte qu'on trouve actuellement partout dans les montagnes de cette contrée d'Asie, de grandes forêts d'arbres fruitiers de toute espece. On ne trouve au contraire dans ce royaume que des pays dénués de bois dont ils étoient autrefois couverts. Le dégât & la consommation en augmentent tellement, que si l'on n'y remedie par quelque loi semblable à celle de l'ancienne patrie des Thalestris, nous manquerons bien-tôt de bois de charpente pour nos usages domestiques. On ne voit que des jeunes héritiers prodigues, abattre les plus glorieux monumens des travaux de leurs peres, & ruiner dans un jour la production de plusieurs siecles.
En un mot, nous ne travaillons que pour nous & nos plaisirs, sans être aucunement touchés de l'intérêt de la postérité. Ce n'est pas cette façon de penser que la Fontaine prête à son octogénaire qui plantoit. On sait avec quelle sagesse il parle aux trois jouvenceaux surpris de ce qu'il se charge du soin d'un avenir qui n'étoit pas fait pour lui. Le vieillard, après les avoir bien écoutés, leur répond
Mes arrieres-neveux me devront cet ombrage.
Hé bien défendez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?
Cela-même est un fruit que je goûte aujourd'hui,
J'en puis jouir demain, & quelques jours encore.
Le Chevalier DE JAUCOURT.
PLANTATION, (Jardinage) se dit d'un jardin entier à planter : j'ai une grande plantation à faire.
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PLANTE | S. f. corps organisé, composé essentiellement d'une racine, & vraisemblablement d'une graine, & qui produit ordinairement des feuilles, un tronc ou une tige, des branches, & des fleurs destinées par la nature à quelque usage.
On peut définir une plante d'après Boerhaave, un corps organisé, composé de vaisseaux & de liqueurs ; qui a une racine, ou une partie par laquelle il s'attache à un autre corps ; & particuliérement à la terre, d'où il tire pour l'ordinaire sa subsistance & son accroissement. Voyez VEGETAL.
Les plantes sont distinguées des fossiles, en ce qu'elles sont des corps organisés, composés de vaisseaux & de liqueurs (voyez FOSSILE) ; & des animaux, en ce qu'elles sont toujours attachées à quelque corps d'où elles tirent leur nourriture. Voyez ANIMAL.
Plante est un nom général sous lequel sont compris tous les végétaux, comme les arbres, les arbrisseaux & les herbes. Voyez ARBRE, ARBRISSEAU, HERBE.
Par les observations de Malpighi, du docteur Grew, de MM. Reneaume, Bradley, & d'autres auteurs, il paroît que le méchanisme des plantes est fort semblable à celui des animaux : les parties des plantes semblent avoir une analogie constante avec les parties des corps animés ; & l'économie végétale paroît formée sur le modele de l'économie animale. Pour donner une idée de cette ressemblance, il est nécessaire d'expliquer & de décrire les parties dont une plante est composée.
Les parties des plantes sont : 1. la racine, corps spongieux, dont les pores sont disposés de la maniere la plus convenable pour recevoir certains sucs préparés dans le sein de la terre. La qualité de la racine dépend en effet beaucoup de la grandeur des pores & des vaisseaux qu'elle contient, comme le prouve l'expérience. Boerhaave considere la racine comme composée d'un nombre de vaisseaux absorbans, analogues aux veines lactées des animaux ; & M. Reneaume prétend qu'elle fait la même fonction que toutes les parties de l'abdomen, destinées à la nutrition, comme l'estomac, les intestins, &c. Voyez RACINE.
2. Le bois, consistant en tuyaux capillaires paralleles entr'eux, qui partent de la racine & s'étendent le long de la tige. Les ouvertures de ces tuyaux sont ordinairement trop petites pour être apperçues, excepté dans un morceau de charbon de bois, de canne, ou d'autres plantes semblables. M. Bradley appelle ces tuyaux, des vaisseaux artériels, parce qu'ils servent à porter la seve depuis la racine jusqu'au haut. Voyez BOIS.
3. Outre cela, il y a des vaisseaux plus larges, disposés au-dehors de ceux-ci, entre le bois & l'écorce intérieure, & qui descendent depuis le haut de la plante jusqu'à la racine. Le même auteur appelle ces tuyaux vaisseaux veineux, & croit qu'ils contiennent le suc liquide qu'on trouve dans les plantes au printems. Voyez VEINE, SEVE, &c.
4. L'écorce est un corps d'un tissu spongieux, & qui passant entre les arteres par plusieurs petits filets, communique avec la moëlle. Voyez ÉCORCE.
5. La moëlle ou pecten, qui consiste en petits globules transparens, joints ensemble à-peu-près comme les bouteilles dont l'écume d'une liqueur est composée. Voyez MOËLLE.
On peut ajouter que le tronc & les branches d'un arbre ont quelque ressemblance avec les parties & les membres extérieurs d'un animal, sans lesquels l'animal peut absolument subsister, quoique la perte de ces membres, ou les accidens qui leur arrivent, occasionnent souvent la destruction entiere de l'animal ; dans les arbres qui ont été endommagés, ou blessés, ou ébranchés, on observe des effets semblables à ceux qui arrivent aux membres des corps animés, comme l'extravasion, le calus, &c.
Economie ou usage des parties des plantes. La racine s'étant imbibée des sucs salins & aqueux que la terre renferme, & s'étant remplie de la matiere qui doit servir à la nourriture de l'arbre, ces sucs, ou cette matiere, sont mis en mouvement par la chaleur, c'est-à-dire sont changés en une vapeur, qui partant de la racine, entre par les ouvertures des vaisseaux artériels, & monte en-haut, avec une force proportionnée à la chaleur qui la met en mouvement. Par ce moyen cette vapeur ouvre peu-à-peu les petits vaisseaux roulés en bourgeons, & les épanouit pour en former des feuilles.
Or comme toutes les vapeurs se condensent par le froid, la vapeur dont il s'agit étant arrivée à l'extrémité des arteres, c'est-à-dire aux bourgeons, & trouvant en cet endroit un air froid, se condense en une liqueur, & sous cette forme, elle retombe par son propre poids vers la racine ; en traversant les vaisseaux veineux, & laissant après elle une partie de sa substance, telle que le tissu de l'écorce puisse la conserver, & la retenir pour sa nourriture.
Cette liqueur continue donc ainsi à circuler, après quoi le froid de l'hiver la congele & la réduit en une sorte de gomme qui demeure stagnante au-dedans des vaisseaux ; elle reste en cet état, jusqu'à ce que la chaleur renaissante du printems la mette en mouvement de nouveau. Alors la plante se met en vigueur, pousse de nouvelles branches & de nouvelles feuilles, &c.
Cette exposition abregée de l'économie végétale demande d'être expliquée plus au long, parce qu'elle renferme plusieurs points curieux, intéressans, & dignes d'être approfondis. La cause par laquelle la racine oblige à monter la liqueur dont elle s'est chargée, n'est pas encore bien connue. Quelques auteurs l'attribuent à la pression de l'athmosphere, comme l'élévation de l'eau dans les pompes : mais cette opinion est fondée sur une hypothèse gratuite, savoir que les petits tuyaux de la plante sont vuides d'air. D'ailleurs la pression de l'athmosphere ne pourroit élever la seve à plus de 32 piés ; au-lieu qu'elle s'éleve beaucoup plus haut, voyez ATHMOSPHERE. D'autres ont recours au principe de l'attraction, & croyent que la force qui éleve la seve dans les plantes est la même qui fait monter l'eau dans les tuyaux capillaires, ou dans les monceaux de sable, de cendre, &c. Mais cette force ne suffit pas non plus pour élever la seve jusqu'au haut des arbres. Voyez ATTRACTION, ASCENSION, CAPILLAIRE, &c.
On peut donc croire que la premiere réception du suc nourricier, & sa distribution dans le corps de la plante, est produite par différens moyens, ce qui est confirmé par l'analogie des animaux. Voyez NOURRITURE, CHALEUR, NUTRITION, &c.
Le mouvement du suc nourricier des plantes est produit comme celui du sang des animaux, par l'action de l'air. En effet, on remarque dans toutes les plantes quelque chose d'assez semblable à la respiration. Voyez RESPIRATION.
Nous devons cette découverte à l'admirable Malpighi, qui a observé le premier que les végétaux sont composés de deux suites ou ordres de vaisseaux, savoir. 1. Ceux dont nous avons parlé ci-dessus, qui reçoivent & portent les sucs destinés à la nourriture de la plante, & qui répondent aux arteres, aux veines & aux vaisseaux lactés des animaux. 2. Les trachées ou vaisseaux qui reçoivent l'air ; ce sont de longs tuyaux creux, qui pompent & chassent continuellement l'air, c'est-à-dire qui sont dans une inspiration & une expiration continuelle. Ces trachées, selon la remarque du même auteur, renferment toutes les autres especes de vaisseaux. Voyez TRACHEE.
De-là il s'ensuit que la chaleur de l'année, & même celle du jour, ou d'une heure, ou d'une minute, doit produire un effet sur l'air enfermé dans ces trachées, c'est-à-dire qu'elle doit le raréfier, & en conséquence dilater les trachées ; ce qui doit être une source perpétuelle d'action pour avancer la circulation dans les plantes. Voyez CHALEUR, RAREFACTION, &c.
Car par l'expansion des trachées, les vaisseaux qui contiennent les sucs sont comprimés ; par ce moyen les sucs que ces vaisseaux renferment sont continuellement poussés & accélerés, & par cette même impulsion les sucs sont continuellement raffinés, & rendus de plus en plus subtils, & par conséquent capables d'entrer dans des vaisseaux de plus en plus fins ; tandis que leur partie la plus épaisse est séparée & déposée dans les cellules latérales ou vésicules de l'écorce, pour défendre la plante contre le froid, & contre les autres injures de l'air. Voyez ÉCORCE.
Le suc nourricier étant ainsi parvenu du bas de la racine jusqu'à l'extrémité des plus hautes branches, & même jusqu'à la fleur, & ayant durant ce tems déposé une partie de la matiere qu'il contient pour nourrir & défendre les parties de la plante, le superflu passe dans l'écorce, dont les vaisseaux s'inserent dans ceux où la seve monte ; & ce superflu redescend ensuite vers la racine à-travers les vaisseaux de l'écorce, pour venir regagner la terre. Telle est la circulation qui se fait dans les plantes. Voyez CIRCULATION DE LA SEVE.
Voilà ce qui se passe dans les végétaux pendant le jour, sur-tout lorsque la chaleur du soleil est considérable. C'est ainsi que les vaisseaux destinés à charrier la seve sont comprimés, que la seve est élevée en-haut, & que les vaisseaux qui la contiennent s'en déchargent. Pendant la nuit, les trachées étant resserrées par le froid de l'air, les autres vaisseaux se relâchent, & se disposent ainsi à recevoir de nouveau suc nourricier, pour le digérer & le séparer le lendemain : on peut donc dire en ce sens, que les plantes mangent & boivent pendant la nuit. Voyez NUTRITION.
Les vaisseaux ou les parties des plantes ne sont que de la terre liée & conglutinée, pour ainsi dire, avec une huile ; cette huile étant épuisée par le feu, l'air, l'âge, &c. la plante se réduit en poudre, ou retourne de nouveau en terre. Ainsi dans les végétaux brûlés par le feu le plus violent, la matiere des vaisseaux se conserve entiere, & est indissoluble à la plus grande force ; par conséquent cette matiere n'est ni de l'eau, ni de l'air, ni du sel, ni du soufre, mais de la terre seulement. Voyez TERRE.
Le suc nourricier ou la seve d'une plante est une liqueur fournie par la terre, & qui se transforme en la substance de la plante ; elle est composée de quelques parties fossiles, de quelques autres fournies par l'air & par la pluie, & de quelques autres encore qui viennent de plantes & d'animaux putréfiés ; par conséquent les végétaux contiennent toutes sortes de sels, de l'huile, de l'eau, de la terre, & probablement aussi toutes sortes de métaux, d'autant que les cendres des végétaux fournissent toujours quelque chose que la pierre d'aimant attire. Voyez FER, AIMANT, &c.
Le suc nourricier entre dans la plante sous la forme d'une eau fine & subtile, qui conserve d'autant plus de sa propre nature qu'elle est plus près de la racine ; plus elle s'éloigne de la racine, plus elle souffre d'altération, & plus elle approche de la nature du végétal. Voyez DIGESTION.
Par conséquent lorsque le suc nourricier entre dans la racine, dont l'écorce est remplie de vaisseaux excrétoires propres à rejetter les parties excrémenteuses de ce suc, il est terreux, aqueux, acide, a peu de substance, & ne contient presque point d'huile. Voyez SUC.
Il commence ensuite à se préparer dans le tronc & dans les branches ; cependant il continue encore à y être acide, comme on le voit lorsqu'on perce un arbre dans le mois de Février ; car le suc aqueux qui en découle a un goût acide. Voyez PERCER.
Le suc nourricier étant porté de-là jusqu'aux boutons ou bourgeons, il s'y cuit davantage ; & ayant développé les feuilles, elles lui servent comme de poumons pour y circuler & pour y recevoir une nouvelle préparation ; car les feuilles encore tendres étant exposées à l'action alternative du froid & du chaud, des nuits humides & de la chaleur la plus considérable du jour, se contractent & se dilatent alternativement, ce qu'elles peuvent faire avec facilité à cause de leur tissu réticulaire. Voyez FEUILLE.
Par tous ces moyens le suc nourricier se digere & se prépare de nouveau, & il reçoit encore une nouvelle perfection dans les pétales ou feuilles des fleurs qui transmettent aux étamines ce suc encore subtilisé de nouveau. Les étamines communiquent le suc à la farine ou poussiere des sommets, où ayant reçu un nouveau dégré de maturité, il se répand sur le pistil ; là il acquiert le dernier point de perfection, & donne la naissance à un nouveau fruit, ou à une nouvelle plante. Voyez PETALES, ÉTAMINES, SOMMETS, FARINES, PISTIL, &c.
La génération des plantes a aussi une analogie parfaite avec celle des animaux, sur-tout de ceux qui n'ont point de mouvement local, comme on le remarque d'une infinité de poissons à coquillage qui sont hermaphrodites, & sont à-la-fois mâles & femelles. Voyez HERMAPHRODITE.
La fleur de la plante paroît être le pudendum ou le principal organe de la génération dans la plante, à cause de ses divers ornemens ; mais l'usage de ses différentes parties & la maniere dont s'opere ce méchanisme n'est que fort peu connue. Nous en donnerons un exemple dans une tulipe.
La fleur est composée de six pétales ou feuilles, du fond desquelles s'éleve au milieu une espece de tuyau, appellé pistil ; autour du pistil sont disposés des filets, appellés étamines, qui s'élevent aussi du fond de la fleur & qui se déterminent en-haut par de petites bosses appellées sommets, remplies d'une poussiere très fine qu'on nomme farine. Pour avoir une connoissance plus étendue des parties de la génération des plantes, voyez PISTIL, ÉTAMINE, FARINE, &c.
Telle est la structure générale des fleurs des plantes, quoique diversifiées d'une infinité de manieres, de façon que certaines ne paroissent point avoir de pistils, & d'autres point d'étamines ; que quelques-unes ont des étamines sans sommets, & qu'enfin ce qui est plus singulier, quelques plantes n'ont point du tout de fleurs. Mais il faut convenir que la structure générale, dont nous venons de parler, est de beaucoup la plus commune ; & si on suppose que dans les plantes où on ne la voit point, elle est seulement insensible, quoiqu'existente, on pourra expliquer dans ce système la génération des plantes. Le fruit est ordinairement à la base du pistil, desorte que quand le pistil tombe, avec le reste de la fleur, le fruit paroît à sa place. Le pistil est souvent le fruit même ; & quand il ne l'est pas, le pistil & le fruit sont tous deux placés au centre de la fleur, dont les feuilles disposées autour du petit embryon semblent n'être destinées qu'à préparer une liqueur fine dans leurs petits vaisseaux, pour conserver & nourrir le fruit autant de tems qu'il est nécessaire. Cependant M. Bradley croit que le principal usage de ses feuilles est de défendre le pistil. Les sommets des étamines sont de petites capsules ou sacs pleins d'une espece de farine ou de poussiere, qui tombe lorsque les capsules deviennent mûres & se crevent. M. Tournefort croyoit que cette poussiere n'étoit que l'excrément de la nourriture du fruit, & que les étamines n'étoient qu'une sorte de conduit excrétoire, qui filtroient cette matiere inutile, & en déchargeoient l'embryon. Mais M. Morland, M. Geoffroi, & d'autres donnent de plus nobles usages à cette poussiere. Selon ces auteurs, c'est la poussiere qui féconde le grain ou le fruit en tombant sur le pistil où il est renfermé, & pour cette raison on l'appelle farina faecundans. Ainsi l'étamine est dans leur système la partie mâle de la plante, le pistil en est la partie femelle, la poussiere en est le sperme, & l'on peut regarder la corolle comme le lit nuptial.
M. Bradley a observé au fond du pistil d'un lys un vaisseau qu'il a appellé uterus ou matrice, & dans lequel il y a trois ovaires pleins de petits oeufs ou principes de semence & commencemens de graine semblables à ceux qu'on trouve dans les ovaires des animaux ; il ajoute que ces oeufs diminuent continuellement & s'anéantissent enfin, à-moins qu'ils ne soient impregnés de la farine de la plante ou de quelqu'autre de la même espece. Les étamines, suivant cet auteur, servent à porter la graine mâle de la plante dans les sommets pour y être perfectionnée. Quand ces sommets sont mûrs, ils se crevent & répandent la graine en poussiere très-fine, dont quelques grains tombent sur l'ouverture du pistil, & sont portés de-là à l'utricule pour féconder les oeufs femelles ou demeurent dans le pistil, & par leur vertu magnétique attirent des autres parties de la plante les parties convenables à la nourriture de l'embryon, ce qui fait croître & grossir le fruit.
La disposition du pistil & des sommets qui l'environnent est toujours telle que la poussiere ou farine peut tomber sur l'ouverture du pistil. Il est ordinairement plus bas que les sommets ; & quand on le trouve plus haut, on peut conjecturer que le fruit a déja commencé à se former, & qu'il n'a plus besoin de la poussiere des étamines. A quoi il faut ajouter que dès que la génération est finie, les parties mâles tombent avec les feuilles, & le tuyau qui mene à l'uterus commence à diminuer. On doit aussi remarquer que le haut du pistil est toujours couvert d'une sorte de membrane ou tunique veloutée, ou qu'il est parsemé d'une liqueur glutineuse, pour mieux conserver la poussiere qui tombe des sommets. Dans les fleurs qui se tournent vers la terre, comme l'acanthe, le cyclamen & la couronne impériale, le pistil est beaucoup plus long que les étamines, afin que la poussiere des étamines puisse y tomber en quantité suffisante.
Ce système nous donne une grande idée de l'uniformité que la nature observe dans tous ses ouvrages ; il a même plusieurs caracteres de vérité ; mais l'expérience seule peut le constater.
M. Geoffroi, qui l'a adopté, dit que dans toutes les observations qu'il a faites, les plantes sont devenues stériles, & les fruits n'ont été que des avortons, lorsque le pistil a été coupé avant que d'avoir été impregné de poussiere ; & ce fait est confirmé par d'autres expériences de M. Bradley.
Dans plusieurs sortes de plantes, comme le saule, le chêne, le pin, le cyprès, le murier, &c. les fleurs sont stériles & séparées du fruit ; mais ces fleurs, comme M. Geoffroi l'observe, ont des étamines & des sommets dont la farine peut aisément impregner les fruits qui n'en sont pas éloignés.
Il faut avouer qu'il est un peu difficile d'accommoder ce système à deux especes de plantes, dont l'une porte des fleurs sans fruits ; l'autre de même genre & de même nom porte des fruits sans fleurs, & qui, pour cette raison, ont été appellées mâle & femelle, comme le palmier, le peuplier, le chanvre, le houblon : car comment la farine de la plante mâle peut-elle impregner la semence de la plante femelle ?
M. Tournefort conjecture que les filamens très-fins, & l'espece de coton ou de duvet qu'on trouve toujours sur les fruits de ces plantes, peut tenir lieu de fleurs & servir à l'impregnation : mais M. Geoffroi croit plutôt que le vent fait l'office de véhicule, & porte la poussiere des mâles aux femelles.
Il confirme son opinion par un fait qu'on lit dans Jovianus Pontanus. Cet auteur rapporte que de son tems il y avoit deux palmiers, l'un mâle, qu'on cultivoit à Brindes, l'autre femelle, dans le bois d'Otranto, éloigné du premier de 15 lieues ; que ce dernier fut quelques années sans porter du fruit, jusqu'à ce qu'enfin s'étant élevé au-dessus des autres arbres de la forêt, desorte qu'il pouvoit, dit le poëte, voir le palmier mâle de Brindes, il commença à porter des fruits en abondance.
Aussi M. Geoffroy est persuadé que le palmier femelle ne commença à porter du fruit que quand il fut assez élevé pour que la poussiere du mâle lui fût apportée par le vent.
Sur la maniere dont la poussiere rend les arbres féconds, M. Geoffroy avance deux opinions : 1°. que cette poussiere qui est toujours d'une nature sulphureuse & pleine de parties subtiles & pénétrantes, comme il paroît par son odeur forte, tombe sur la partie des fleurs, & s'y resout en petites parties, dont les plus subtiles pénetrent la substance du pistil & du fruit encore tendre, & excitent une fermentation suffisante pour ouvrir & développer la jeune plante enfermée dans l'embryon de la graine. Dans ce systeme on suppose que la graine contient la plante en petit, & pour ainsi dire, qu'elle n'a besoin du suc nourricier que pour en développer & en faire croître les parties.
La seconde opinion est que la poussiere de la fleur est le premier germe ou le premier bourgeon de la nouvelle plante, & qu'elle n'a besoin, pour être développée & pour croître, que du suc nourricier qu'elle trouve préparé dans les embryons de la graine.
Le lecteur peut remarquer que ces deux théories de la génération des végétaux ont une analogie très-exacte avec les deux théories ordinaires de la génération des animaux ; suivant l'une, le petit animal est dans la semence du mâle, & n'a besoin que des liqueurs contenues dans la matrice pour se développer & pour croître ; suivant l'autre, l'animal est renfermé dans l'oeuf de la femelle, & n'a besoin de la semence du mâle que pour exciter une fermentation. Voyez CONCEPTION, GENERATION, &c.
M. Geoffroy croit que la propre & véritable semence est plutôt dans la poussiere des étamines, parce qu'avec les meilleurs microscopes on ne peut découvrir la moindre apparence d'aucun bourgeon dans les petits embryons des graines, lorsqu'on les examine avant que la poussiere des étamines se soit répandue. Dans les plantes légumineuses, si on ôte les feuilles & les étamines, & que le pistil, ou la partie qui se change en cosse, soit regardée au microscope avant que les fleurs soient épanouies, les petites vésicules vertes & transparentes qui doivent se changer en graines paroîtront dans leur ordre naturel ; mais on n'y voit encore rien autre chose que la simple tunique ou peau de la graine. Si on continue cette observation plusieurs jours de suite, on verra qu'à mesure que ces fleurs avancent, les vésicules s'enflent & se remplissent par degrés d'une liqueur limpide, dans laquelle, lorsque la poussiere s'est répandue & que les feuilles de la fleur sont tombées, on remarque une petite tache, ou un petit lobule verdâtre, qui y flotte en liberté. D'abord on ne voit aucune apparence d'organisation dans ce petit corps, mais ensuite à mesure qu'il croît, on commence à y distinguer deux petites feuilles, comme deux cornes. La liqueur diminue insensiblement à mesure que le petit corps croît, jusqu'à ce qu'enfin la graine devient entierement opaque ; alors si on l'ouvre, on trouve son intérieur rempli par une petite plante en miniature, consistant en un petit germe, une petite racine & les lobes de la feve ou du pois.
Il n'est pas difficile de déterminer la maniere dont le germe contenu dans les sommets des étamines entre dans la vésicule de la graine. Car outre que la cavité du pistil s'étend depuis le haut du pistil jusqu'aux embryons des graines, ces graines ou vésicules ont une petite ouverture correspondante à l'extremité de la cavité du pistil ; desorte que la petite poussiere ou farine peut aisément tomber tout le long de cette cavité dans l'ouverture de la vésicule qui est l'embryon de la graine. Cette cavité ou cicatricule est à-peu-près la même dans un grand nombre de graines, & on peut sans microscope la voir aisément dans les feves, les pois, &c. La racine du petit germe est précisément vis-à-vis cette ouverture, & c'est par-là qu'elle passe quand la petite graine commence à germer.
Ce procédé de la nature dans la génération des végétaux, & les différens moyens qu'elle employe pour cela sont si curieux & si peu connus, qu'il ne sera pas inutile de l'expliquer plus au long par le secours de quelques figures. Nous prendrons pour exemple le melon, dans lequel les parties de la génération sont fort distinctes. On doit remarquer en passant, que quoique le melon ait les deux sexes, cependant la disposition de ses organes est différente de la disposition générale que nous avons expliquée ci-dessus, en parlant de la tulipe. En effet, il y a dans le melon deux fleurs distinctes, dont l'une fait l'office de mâle, l'autre de femelle, & que nous appellerons pour cette raison, l'une fleur mâle, l'autre fleur femelle.
Dans les Planches d'Histoire naturelle, on voit la fleur mâle de la courge dont les feuilles sont ôtées du cercle F F ; A B E représente la tête placée au centre de la fleur, formée de la circonvolution des sommets B, & soutenue par quatre colonnes G G G G. La partie B de la tête représente les circonvolutions des sommets, tandis qu'ils sont fermés, & la partie E les représente ouverts, & parsemés de la poussiere qu'ils renfermoient auparavant, & qui s'est répandue au-dehors quand la plante est parvenue à sa maturité. Chaque sommet forme une sorte de canal séparé en deux. D représente un grain de poussiere. H représente le pédicule qui soutient la fleur, & qui dans la fleur mâle ne produit rien.
La fig. suiv. représente la fleur femelle de la courge, ou celle qui porte le fruit. Les feuilles sont ôtées du cercle F F, comme dans l'autre, pour mieux laisser voir les parties intérieures. Le noeud de la fleur, ou l'embryon du fruit est représenté par A, le pistil est représenté par B B, & n'est qu'une continuation de l'embryon du fruit A. Le sommet du pistil se divise en B B en plusieurs corps oblongs, dont chacun peut se séparer en deux lobes. Ces corps sont fort raboteux ; ils sont garnis de poils & de petites vesicules, ce qui les rend propres à garder la poussiere de la fleur mâle, & à la conduire jusqu'à l'ouverture des canaux qui communiquent entr'eux aussi loin que les cellules des graines contenues dans le fruit encore tendre. Si on coupe le pistil transversalement dans sa plus petite partie, on trouve autant de canaux qu'il y a de divisions à la tête du pistil ; & ces canaux correspondent à autant de petites cellules dont chacune renferme deux rangs de graines ou de semences placées dans un placenta spongieux.
Cette théorie de la génération des plantes peut nous faire entrevoir comment on altere & on change le goût, la forme, les fleurs & la qualité d'un fruit en imprégnant la poussiere de ce fruit de la poussiere d'un autre de même classe.
C'est à ce mélange, & pour ainsi dire cet accouplement accidentel, qu'on doit attribuer non-seulement les variétés sans nombre qu'on observe dans les fruits & les fleurs nouvelles que la terre produit chaque jour, mais encore beaucoup d'autres phénomenes du regne végétal. Voyez MULET.
La perpendicularité qu'observent & qu'affectent en quelque maniere les troncs ou tiges des plantes, aussi-bien que leurs branches & leurs racines, est un phénomene fort singulier, auquel on n'a pris garde que dans ces derniers tems. La cause en est fort délicate, & a exercé la sagacité de différens philosophes, principalement de MM. Astruc, Dodart, la Hire & Parent. Voyez leurs différens systèmes à l'article PERPENDICULARITE.
La parallélisme constant que les touffes des arbres observent avec le sol ou le terrein sur lequel ils sont plantés, est aussi un phénomene digne d'attention. Voyez PARALLELISME.
Sur la fécondité des plantes, voyez FECONDITE.
Les plantes, eu égard à leur maniere d'engendrer, peuvent se diviser en :
1. Mâles, qui ne portent point de fruit ni de graines, & qui n'ont que l'organe masculin de la génération ; savoir, les étamines de cette espece sont :
Le palmier mâle, le saule mâle, le peuplier mâle, le chanvre mâle, l'ortie mâle & le houblon mâle.
2. Femelles qui portent du fruit, & qui ont l'organe féminin, savoir, le pistil, ou uterus, mais n'ont point d'étamines :
Tels sont le palmier femelle, le saule femelle, le peuplier femelle.
3. Hermaphrodites, qui ont à-la-fois les parties mâles & les parties femelles, c'est-à-dire le pistil & les étamines.
Cette derniere espece se subdivise en deux autres. 1. Celles dans lesquelles les fleurs des deux sexes sont unies, comme les lis, la giroflée, la tulipe, & la plus grande partie des especes végétales, dans lesquelles le pistil est environné d'étamines. 2. Celles dont les parties mâles & femelles sont distinguées & éloignées les unes des autres : telles sont la rose dont l'uterus est au-dessous des pétales, le melon & toutes les especes de concombres dont les fleurs mâles & femelles sont séparées, & tous les arbres qui portent du fruit, des noix & du gland ; comme la pomme, le prunier, le groseiller, le noyer, le noisettier, le chêne, le pin, le hêtre, le cyprès, le cedre, le genievre, le mûrier, le plantain, &c.
On peut encore distinguer les plantes eu égard à la maniere dont elles se nourrissent & à l'élément où elles vivent, en terrestres, c'est-à-dire celles qui ne vivent que sur terre, comme le chêne, le hêtre, &c. aquatiques, qui ne vivent que dans l'eau, soit dans les rivieres, comme le lis d'eau, le plantin d'eau, &c. soit dans la mer, comme le corail, la coralline : amphibies, qui vivent indifféremment sur la terre & dans l'eau, comme le saule, l'aune, la mente.
On divise encore les plantes eu égard à leur âge ou périodes, en
Annuelles dont la racine se forme & meurt dans la même année ; telles sont les plantes légumineuses, le froment, le riz, &c.
Bisannuelles qui ne produisent de grains & de fleurs que la seconde ou troisieme année après qu'elles se sont élevées, & meurent ensuite ; telles sont le fénouil, la mente, &c.
Eternelles, qui ne meurent jamais dès qu'elles ont une fois porté des graines. De ces plantes quelques-unes sont toujours vertes, comme la violette, &c. D'autres perdent leurs feuilles une partie de l'année, comme la fougere, le pas d'âne, &c.
On divise encore les plantes, eu égard à leurs différentes grandeurs, en
Arbres, arbores, comme le chêne, le pin, le sapin, l'orme, le sycomore, &c.
Arbrisseaux suffrutices, comme le houx, le buis, le lierre, le genievre, &c.
Herbes, comme la mente, la sauge, l'oseille, le thym, &c. Voyez ARBRE, ARBRISSEAU, HERBE, &c.
On les divise de plus, eu égard à certaines qualités remarquables, en
Sensitives, qui semblent donner quelques marques de sentiment.
Ces plantes étoient appellées par les anciens plantes aechynomeneuses, du verbe , être honteux, & par les modernes elles sont nommées plantes vivantes, ou mimiques.
Mais ces divisions sont plutôt populaires que justes & philosophiques. Les Botanistes ont fait des distributions plus exactes & plus délicates du regne végétal, en classes, genres, especes, &c. eu égard à la nature, & au caractere des différens végétaux. Ils ne sont point encore d'accord entr'eux sur ce qui doit principalement constituer la différence des genres. Quelques-uns, comme Gesner, Columna, Tournefort, choisissent la fleur & le fruit ; d'autres prennent les racines, les feuilles, les tiges, &c. Voyez l'article GENRE, &c.
L'ingénieux botaniste anglois, M. Ray, distribue les plantes en 25 genres ou classes, sous les dénominations suivantes.
1. Plantes imparfaites, qui paroissent n'avoir ni fleur ni graine. Telles sont les coraux, les éponges, les fungus, les truffes, les mousses, &c. Voyez CORAIL, EPONGE, CHAMPIGNON, TRUFFE, USSEUSSE.
2. Plantes qui produisent une fleur imparfaite, & dont la graine est trop petite pour être discernée à la vûe simple : telles sont la fougere, le polypode. Voyez FLEUR.
3. Celles dont les fleurs sont sans pétales ; telles sont le houblon, le chanvre, l'ortie, la patience. Voyez PETALE, HOUBLON, &c.
4. Celles qui ont une fleur composée, & desquelles il sort une liqueur laiteuse quand on les coupe ou qu'on les rompt : comme la laitue, la dent de lion, la chicorée. Voyez FLEUR COMPOSEE.
5. Celles qui ont une fleur composée en forme de disque, & dont la graine est ailée & couverte de duvet : comme le pas d'âne, l'herbe aux puces, &c. Voyez AILE.
6. Herbae capitatae, ou celles dont la fleur est couverte d'une peau écailleuse, & composée de longues fleurs fistuleuses, qui se terminent par une tête ronde formée de leur réunion, comme le chardon, la grande bardane, le bluet, &c.
7. Les plantes corymbiferes, dont la fleur est en forme de disque, mais n'a point de duvet : comme la marguerite, le mille-feuilles, le souci. Voyez CORYMBUS.
8. Les plantes umbelliferes, qui ont une fleur de cinq pétales & deux graines à chaque fleur. Voyez UMBELLAE. Ce genre qui est fort étendu, se subdivise en sept especes ; savoir, celles dont la graine est large, mince, & semblable à une petite feuille, comme le panais sauvage de jardin ; celles dont la graine oblongue & large, s'enfle dans le milieu, comme l'herbe de vache.
9. Celles dont la graine est plus petite, comme l'angélique ; celles dont la racine est pleine de tubérosités ; celles dont la graine est petite & striée, comme le saxifrage, & la pimprenelle ; celles dont la graine est raboteuse & velue, comme le persil, & la carotte sauvage ; celles dont les feuilles se subdivisent en dentelures, comme la sanicle.
10. Plantes étoilées, dont les feuilles croissent autour de la tige à certaines distances les unes des autres, & forment des especes d'étoiles, comme la garence. Voyez ETOILE, &c.
11. Plantes qui ont leurs feuilles placées alternativement, ou irrégulierement autour de la tige, comme la langue de chien, l'oreille de souris, &c.
12. Plantes suffructices ou verticillées, dont les feuilles viennent par paires sur leurs tiges, l'une précisément vis-à-vis de l'autre. La fleur de ces plantes est monopétale, & ordinairement en forme de casque, comme le thym, la mente, le pouliot, la verveine. Voyez VERTICILLEE.
13. Plantes polyspermes, dans lesquelles la fleur est suivie de plusieurs graines nues, au nombre de cinq, comme la renoncule, la mauve de marais, le quinte-feuille, la fraise, &c. Voyez POLYSPERMES.
14. Plantes bacciferes, qui portent des bayes, comme la brione, le chevre-feuille, le sceau de Salomon, le lis des jardins, la belle de nuit, l'asperge. Voyez BACCIFERE, YEBAYE.
15. Plantes à plusieurs cosses, ou plantes à cornes, dans lesquelles la fleur est suivie de plusieurs cosses longues & minces, où la graine est contenue ; comme le chicotin, le nombril de Vénus, la branche-ursine, la colombine, &c. Voyez PLANTE à plusieurs cosses.
16. Plantes vasculiferes, à fleur monopétale, dont la fleur est suivie d'une espece de vaisseau avec son calice, qui renferme la graine ; comme la jusquiame, le volubilis, la réponce, la gantelée, l'eufraise, &c. Voyez VASCULIFERE.
17. Celles qui ont une fleur uniforme & tétrapétale, & qui portent leurs graines dans des cosses oblongues ; comme la giroflée, la moutarde, la rave, &c.
18. Les plantes vasculiferes, dont la fleur semble tétrapétale, mais est d'un genre incertain & anomale, & n'est en effet que monopétale, toutes les feuilles étant rassemblées en une ; comme la véronique, le plantain, le pavot jaune & sauvage, &c.
19. Les plantes vasculiferes avec une fleur pentapétale à cinq têtes ; comme l'oeillet virginal, l'herbe de poulet, le moût de saint Jean, le lin, la prime-rose, l'oseille de bois.
20. Les plantes légumineuses ou qui portent des légumes, avec une fleur papilionacée, composée de quatre parties jointes ensemble par leur tranchant ; comme les pois, les feves, les vesses, l'ivraie, les lentilles, le tréfeuille, &c. Voyez LEGUMINEUX.
21. Les plantes qui ont une racine vraiment bulbeuse ; comme l'ail, l'asphodele, l'hyacinthe, le safran, &c. Voyez BULBE.
22. Celles dont les racines approchent fort de la forme bulbeuse ; comme la fleur de lis, la pinte de coucou, l'ellébore bâtard.
23. Les plantes culiniferes, qui ont une feuille, & la fleur imparfaite, dont la tige est longue, creuse, coupée par les jointures, & accompagnée des deux côtés d'une longue feuille pointue & piquante, & dont la graine est renfermée dans une cosse pleine de paille ; comme le froment, l'orge, le ris, l'avoine, & plusieurs sortes d'herbes. Voyez CALMIFERES.
24. Les plantes dont la feuille est herbeuse, mais qui ne sont point culmiferes, & qui ont une fleur imparfaite ou staminée ; comme le jonc, la queue de chat, &c.
25. Les plantes qui croissent dans des endroits incertains, principalement les plantes aquatiques ; comme le lis d'eau, la queue de souris. Sur la transmutation d'une espece de plantes, en une autre espece, voyez TRANSMUTATION, DEGENERATION, &c.
Quelques naturalistes ont remarqué que les propriétés & les vertus des plantes, ont de l'analogie avec leurs formes. Dans les Transactions philosophiques, on lit un discours de M. Jacques Pettivier, où cet auteur se propose de faire voir que les plantes de même ou de semblable figure, ont des vertus ou des usages qui sont les mêmes, ou qui sont semblables. Ainsi la tribune, bellifere, dit cet auteur, a un goût & une odeur carminative, est bonne pour chasser les vents, & en général pour les maladies venteuses. L'espece galeate ou verticillée, a un degré de chaleur & de force de plus que la précédente, & par conséquent elle peut être réputée aromatique, & bonne pour les maladies des nerfs. L'espece tétrapétale est chaude comme les deux autres ; mais elle exerce sa vertu d'une autre maniere ; savoir, par un sel volatil, diurétique, qui la rend bonne pour les maladies chroniques, les obstructions, les cacochymies, &c. (Chambers.)
PLANTES, (Bot. méth.) on sait sur le rapport de plusieurs auteurs anciens, que l'on s'appliquoit à la connoissance des plantes dès le tems de Pithagore, qui avoit lui-même écrit sur ce sujet ; mais il ne reste aucuns des ouvrages qui ont été fait sur les plantes avant Hippocrate : ce grand médecin a traité de leurs vertus, relativement à la Médecine. Il n'y avoit alors qu'un petit nombre de plantes connues ; Théophraste qui suivit de près Aristote, n'en connoissoit qu'environ cinq cent ; Dioscoride n'a fait mention que de six cent. Ces progrès étoient fort lents, puisqu'en quatre siécles qui s'écoulerent depuis le tems de Théophraste jusqu'à celui de Dioscoride, on n'ajouta que cent nouvelles plantes à celles qui étoient déja connues. Dans les quatre ou cinq siécles suivans, & du tems de Galien dans le second siécle de notre ère, la botanique ne fut guere plus avancée ; elle n'avoit point de principes fixes. Les médecins qui étoient les seuls botanistes, & qui n'avoient en vue que les proprietés médicinales des plantes, en découvrirent dans un très-grand nombre ; puisqu'à présent même nous ne connoissons pour le nombre guere plus de plantes usuelles, quoique la découverte du nouveau monde nous en ait procuré beaucoup que les anciens ne pouvoient pas connoître. Mais ces mêmes médecins ne prenoient aucunes précautions pour assurer la connoissance des propriétés des plantes par celle des plantes mêmes ; ils n'en faisoient point des descriptions exactes ; ils se contentoient d'indiquer celles qui étoient généralement connues, & ils leur rapportoient celles qui l'étoient moins, en les comparant les unes aux autres. Dès ce tems, les noms se multiplierent pour chaque plante ; à mesure que l'on en faisoit mention dans les écrits, pour constater & confirmer les propriétés connues, & pour en faire connoître de nouvelles, on rendoit ces mêmes propriétés inutiles, faute d'indiquer clairement, & de décrire exactement les plantes qui en étoient douées. Oribase, dans le troisieme siécle, Paul d'Egine & Aëtius, dans le cinquieme, traiterent des propriétés des plantes ; mais ils ne penserent pas à transmettre à la postérité par de bonnes descriptions la connoissance des plantes que les anciens avoient connues. Les médecins arabes Serapion, Rahzès, Avicennes, Mesué, Averroés, Abenbitar depuis le huitieme jusqu'au treizieme siécle, répandirent encore une nouvelle obscurité sur la nomenclature des plantes, en traitant de leurs vertus. Après ces médecins arabes, l'ignorance répandit ses ténebres sur la connoissance des plantes, comme sur les autres depuis le commencement du treizieme siécle jusqu'à la fin du quinzieme. On en a pour preuve les oeuvres de quelques auteurs qui écrivirent dans ces tems de barbarie. Au commencement du seizieme siécle, & même dès la fin du précédent, on reprit du goût pour la botanique avec celui des lettres en général ; plusieurs auteurs cultiverent cette science ; mais ils suivirent une très-mauvaise méthode dans leurs études ; ils entreprirent de restaurer la botanique des anciens, en interprétant & en commentant leurs ouvrages : aucun ne s'avisa de consulter la nature par préférence aux auteurs anciens, & d'observer des plantes, au lieu de feuilleter des livres. Quelles connoissances pouvoit-on tirer de ces ouvrages qui étoient devenus fautifs & incomplets par le laps des tems, & qui n'avoient jamais contenu que des noms de plantes ou des descriptions si imparfaites qu'il n'étoit pas possible d'y reconnoître la plûpart des plantes dont on y avoit fait mention ? Il auroit fallu parcourir, comme on l'a fait dans la suite, les pays que Théophraste, Dioscoride & les autres auteurs anciens avoient habités, & observer les plantes qui s'y trouvent, pour reconnoître celles qu'ils avoient eu pour objet dans leurs livres ; la tradition du pays pouvoit avoir conservé les anciens noms de quelques-unes de ces plantes, ou la connoissance de leurs propriétés anciennement connues. Mais n'y avoit-il pas en Europe un assez grand nombre de plantes pour occuper les botanistes, indépendamment de celles de l'Asie ? Au moins falloit-il commencer par connoître les caracteres distinctifs des plantes qui étoient sous leurs yeux, avant de rechercher celles dont les anciens ont fait mention. On prit ce parti sur la fin du seizieme siecle ; Dodonée, Césalpin, Clusius, Lobel, Colomna, Prosper Alpin, les deux Bauhins, &c. firent des recherches sur les plantes d'Europe, & leurs observations furent les vrais fondemens de la botanique.
Les matériaux s'accumulerent bientôt ; mais l'ordonnance manquoit à l'édifice. Après avoir décrit exactement un grand nombre de plantes, il falloit encore combiner leurs caracteres, pour trouver des signes distinctifs auxquels on pût les reconnoître aisément chacune en particulier ; ces signes devoient être établis sur des caracteres constans, & sur des différences invariables entre diverses especes de plantes, pour prévenir les erreurs que des variétés dans les individus d'une même espece auroient pû causer. Il y a plus de deux cent ans que Gesner donna la préférence aux caracteres pris sur les fruits, les semences & les fleurs ; Césalpin, environ vingt ans après Gesner, fut de la même opinion, en disant " que l'un avoit eu raison d'établir plusieurs genres de plantes sur la production & sur la structure des fruits, &c. " Voyez GENRE, METHODE, BOTANIQUE. Au commencement du dix-septieme siécle, Colomna pensa, comme Gesner & Césalpin " qu'il falloit juger des caracteres génériques par la fleur, par la capsule, ou pour mieux dire, par la semence même. " Mais ce plan de méthode pour la nomenclature des plantes fut négligé jusqu'à la fin du siécle dernier ; alors cette méthode fut renouvellée par Morisson, & Rai l'a suivi dans son histoire des plantes ; il les distribua en vingt-huit genres. Comme ces divisions méthodiques des productions de la nature en différens genres sont toujours établies sur des conditions arbitraires, on peut faire grand nombre de ces méthodes sur les mêmes principes, c'est-à-dire, en tirant les parties génériques des mêmes parties des plantes ; aussi en a-t-on déja fait plusieurs sur les parties de la fructification. Les méthodes de M. de Tournefort & de M. Linnaeus sont les plus célebres ; nous avons suivi celle de M. Tournefort dans ce Dictionnaire. Ce grand botaniste a été le premier qui ait distribué les genres des plantes en classes, comme on avoit déja avant lui distribué les especes en genres. Voyez les élémens de la Botanique 1694.
Nous allons donner quelqu'idée des principes & de la division générale de la méthode de M. Tournefort. " Une plante, selon cet auteur, est un corps organisé qui a essentiellement une racine, & peut-être une semence : & ce corps produit le plus souvent des feuilles, des tiges & des fleurs. " De ces cinq parties M. Tournefort préfere les fleurs & les fruits pour caractériser les genres, ainsi les plantes dont les fleurs & les fruits ont la même figure & la même disposition, sont du même genre. On prend dans chaque genre pour especes distinctes celles qui different les unes des autres pour les racines, les tiges ou les feuilles. Voyez RACINE, TIGE, FEUILLE. Lorsque les fleurs & les fruits ne suffisent pas pour déterminer quelques genres, l'auteur employe des caracteres pris non-seulement sur les racines, les tiges ou les fleurs, mais il admet aussi les propriétés de la plante, sa maniere de croître & son port. Les classes sont établies sur les différences des figures des fleurs. Voyez FLEUR.
Ces classes sont au nombre de vingt-deux : la premiere comprend les herbes & tous arbrisseaux à fleur monopétale en forme de cloches & de rosettes.
La seconde, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs monopétales, en forme d'entonnoir ou de rosette.
La troisiéme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs monopétales anomales.
La quatrieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs monopétales labiées.
La cinquieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs polipétales, en forme de croix.
La sixieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs polipétales, en forme de rose.
La septieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs polipétales, en rose & en ombelles ou parasol.
La huitieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs polipétales, en forme d'oeillet.
La neuvieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs, en forme de lis.
La dixieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs polipétales légumineuses.
La onzieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs polipétales anomales.
La douzieme, les herbes & sous-arbrisseaux dont les fleurs sont composées de fleurons.
La treizieme, les herbes & sous-arbrisseaux dont les fleurs sont composées de demi-fleurons.
La quatorzieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs radiées.
La quinzieme, les herbes & sous-arbrisseaux à fleurs, sans pétales ou à étamines.
La seizieme, les herbes & sous-arbrisseaux dont on ne connoit pas les fleurs, mais seulement les semences.
La dix-septieme, les herbes & les sous-arbrisseaux dont on ne connoit ni les fleurs ni les fruits.
La dix-huitieme, les arbres & les arbrisseaux dont les fleurs n'ont point de pétales.
La dix-neuvieme, les arbres & les arbrisseaux à fleurs à chatons, sans pétales.
La vingtieme, les arbres & les arbrisseaux à fleurs monopétales.
La vingt-unieme, les arbres & les arbrisseaux à fleurs en roses.
Enfin la vingt-deuxieme classe comprend les arbres & arbrisseaux à fleurs légumineuses.
Ces classes sont divisées en sections, & les sections en six cent soixante & treize genres. Elem. de bot. par M. Tournefort.
La méthode de M. Tournefort a été adoptée par plusieurs botanistes qui y ont rapporté grand nombre de genres nouveaux. Ces botanistes sont, le P. Plumier, minime, dans le livre intitulé, nova plantarum americanarum genera, in-fol. 1703, in-4°. Pontedera, professeur de botanique à Padoue, dans le livre qui a pour titre : Pontederae anthologia, sive de floribus naturae. Micheli, botaniste du grand duc de Toscane, dans le livre intitulé : nova plantarum genera, juxta Turnefortii methodum disposita, &c. in-fol. 1729.
On a fait des objections contre la méthode de M. Tournefort, & il y en aura toujours à faire contre les méthodes ; celle de M. Tournefort n'est pas universelle, puisqu'elle est établie sur des caracteres qui manquent dans plusieurs plantes ; il s'en trouve où on n'apperçoit ni fleurs ni semences ; M. Tournefort a été obligé d'en faire des genres à part. La fleur & le fruit ne lui suffisent pas toujours pour caractériser les genres ; il faut admettre d'autres caracteres : on ne peut faire usage de cette méthode que dans les tems où les plantes portent des fleurs ou des semences, &c. La méthode de M. Tournefort est sans doute défectueuse à bien d'autres égards ; mais au lieu d'insister sur cette critique, considérons que la nature se refuse aux conventions des hommes, & que les lois sont indépendantes des méthodes qu'ils peuvent imaginer pour la division de ses productions, en classes, en genres, &c. Pour juger du mérite de celle de M. Tournefort, il faut la comparer aux autres ; on verra que la célébrité de l'auteur & de son ouvrage est très-bien fondée.
M. Linnaeus travaille chaque jour à perfectionner son système de distribution méthodique des plantes, qu'il appelle méthode sexuelle, & dont il a déja donné dix éditions depuis quinze ans avec des corrections & des augmentations à chaque édition.
Cet auteur distingue dans les plantes, six parties principales ; savoir, les racines, le tronc, les supports, les feuilles, les fleurs & les fruits. Voyez RACINE, TRONC, SUPPORT, FEUILLE, FLEUR, FRUIT.
" Les plantes portent des fleurs visibles ou presque invisibles.
Les fleurs visibles sont ou hermaphrodites, c'est-à-dire, garnies chacune d'étamines & de pistils en même tems ; ou d'un seul sexe, c'est-à-dire toutes mâles, lorsqu'elles n'ont que des étamines sans pistils, ou toutes femelles quand elles n'ont que des pistils sans étamines.
Les étamines sont détachées les unes des autres, ou unies, soit entr'elles par quelques-unes de leurs parties, soit avec le pistil.
Les étamines ne gardent entr'elles aucune proportion exacte de longueur, ou bien il y en a constamment un certain nombre qui sont plus courtes que le reste.
Les classes dans la méthode sexuelle de M. Linnaeus, sont établies sur ces principes, & renferment les plantes suivant le nombre, la proportion & la situation des étamines. Savoir,
Pour les plantes qui portent des fleurs hermaphrodites.
I. Monandria, monandrie, une étamine.
II. Diandria, diandrie, deux étamines.
III. Triandria, triandrie, trois étamines.
IV. Tetrandria, tetrandrie, quatre étamines.
V. Pentendria, pentandrie, cinq étamines.
VI. Hexandria, hexandrie, six étamines égales, ou alternativement plus longues & plus courtes.
VII. Heptandria, heptandrie, sept étamines.
VIII. Octandria, octandrie, huit étamines.
IX. Enneandria, ennéandrie, neuf étamines.
X. Decandria, décandrie, dix étamines.
XI. Dodecandria, dodécandrie, douze étamines.
XII. Icosandria, incosandrie, plus de douze étamines attachées aux parois internes du calice, & non pas au placenta.
XIII. Polyandria, polyandrie, plus de douze étamines attachées au placenta.
Pour les plantes qui portent des fleurs dans lesquelles il se trouve constamment deux étamines plus courtes que les autres.
XIV. Didinamia, didinamie, deux étamines plus longues.
XV. Tetradynamia, tetradynamie, quatre étamines plus longues.
Pour les plantes dont les étamines sont unies, soit entr'elles par quelqu'unes de leurs parties, soit avec le pistil.
XVI. Monadelphia, monadelphie, toutes les étamines réunies par leurs filets en un seul corps.
XVII. Diadelphia, diadelphie, toutes les étamines réunies par leurs filets en deux corps.
XVIII. Polyadelphia, polyadelphie, toutes les étamines réunies par leurs filets, en trois ou en plusieurs corps.
XIX. Syngenesia, singénésie, toutes les étamines unies par leurs sommets en forme de cylindre.
XX. Gynandria, gynandrie, les étamines portées sur le pistil même, & non pas sur le placenta.
Pour les plantes qui ont des fleurs de différent sexe.
XXI. Monoecia, monoecie, fleurs mâles & fleurs femelles, sur le même individu.
XXII. Dioecia, dioecie, fleurs mâles & fleurs femelles, chacune sur des individus séparés.
XXIII. Polygamia, polygamie, fleurs hermaphrodites avec fleurs d'un seul sexe mâles ou femelles, sur le même individu.
Pour les plantes dont les fleurs sont presque invisibles.
XXIV. Criptogamia, criptogamie, fleurs renfermées dans le fruit, ou que leur petitesse empêche d'appercevoir.
Les ordres ou sous-divisions des classes sont établis sur les pistils, comme les classes le sont sur les étamines.
Le nombre des pistils se prend à la base du stile, & quand il n'y a point de stile, on compte les stigmates.
Les ordres des treize premieres classes, sont :
1. Monoginia, monoginie, un pistil.
2. Digynia, digynie, deux pistils.
3. Triginia, triginie, trois pistils.
4. Tetraginia, &c.
Polyginia, polyginie, pistils sans nombre.
La 14e classe (didynamie) se divise en deux ordres.
1. Gymnospermia, gymnospermie, quatre graines à découvert au fond du calice.
2. Angiospermia, angiospermie, les graines renfermées dans un péricarpe.
La 15e classe (tétradinamie) se divise aussi en deux ordres.
1. Siliculosa, à silicules, péricarpe sous-orbiculaire garni d'un stile à-peu-près de même longueur.
2. Siliquosa, à siliques, péricarpe très-long avec un stile apparent.
La 19e classe (singénésie) se divise en cinq ordres. "
Poligamia, poligamie, fleurs composées de plusieurs fleurons.
1. Poligamia aequalis, poligamie égale, fleur composée de fleurons hermaphrodites, tant dans son disque que dans sa circonférence.
" 2. Poligamia superflua, poligamie superflue, fleur composée de fleurons hermaphrodites dans le disque, & de fleurons femelles à la circonférence.
3. Poligamia frustranea, poligamie fausse, fleur composée de fleurons hermaphrodites dans le disque & de fleurons neutres à la circonférence.
4 Polygamia necessaria, polygamie nécessaire, fleur composée de fleurons mâles dans le disque, & de fleurons femelles à la circonférence.
5. Monogamia, monogamie, fleur qui n'est point composée de fleurons.
La 16e classe monadelphie ; la 17e, diadelphie ; la 18e, polyadelphie ; la 20e, gynandrie ; la 21e, monoecie ; la 22e, dioecie ; & la 23e, polygamie, établissent leurs ordres sur les caracteres des classes qui les précedent.
Enfin la derniere classe, cryptogamie, se divise en autant d'ordres qu'il a de familles qui la composent. " Flor. par. prod. pag. 48. & suiv. par M. Dalibard.
PLANTES, nombre des (Botan.) il y a dans les lettres philosophiques de Rai, un morceau curieux sur le nombre des plantes, & comme les lettres n'ont pas paru en françois, nous allons donner dans cet ouvrage un extrait des réflexions de ce savant botaniste, sur cette matiere.
S'il n'est pas absolument impossible, dit-il, de marquer précisément le nombre des plantes, il est dumoins moralement impossible de le faire ; mais sans nous arrêter à proposer des conjectures sur le nombre des plantes, il est nécessaire d'examiner deux questions. 1°. Si la terre a produit de nouvelles especes de plantes, ou si elle en produit tous les ans, outre celles qui furent créés au commencement du monde. 2°. Si quelques especes de plantes ont péri, ou s'il y en a qui puissent périr : si l'on peut assurer l'une ou l'autre de ces deux choses, il seroit inutile de faire des recherches sur le nombre des plantes, puisque ce nombre seroit incertain, qu'il varieroit tous les ans, & que la différence en pourroit être fort grande ou fort petite, car les causes de cette destruction, ou de cette nouvelle production étant accidentelles, il n'y a aucune raison qui puisse nous faire croire que l'un balance l'autre exactement, ou dans une assez juste proportion.
Ceux qui soutiennent l'affirmative de la premiere question, alleguent en leur faveur l'expérience commune : chaque année, disent-ils, ne produit-elle pas de nouvelles especes de fleurs & de fruits, & par conséquent de nouvelles especes de plantes ; nos jardins ne sont-ils pas enrichis tous les ans de nouvelles especes de tulipes par exemple, & d'anémones, & nos vergers de nouvelles especes de pommes & de poires ? Nos jardiniers ne les vendent-ils pas sur le pié de nouvelles especes, & les herboristes ne les mettent-ils pas dans le même rang ? Les livres de botanique ne font-ils pas les oeillets, par exemple, & les violettes à fleur double, des especes différentes de celles qui n'ont qu'une fleur simple ?
L'auteur répond que cela est vrai ; mais si l'on examine en quoi consistent ces différences, on aura lieu de douter que ces plantes soient des especes distinctes ; & l'on en conclura plutôt qu'elles ne le sont pas. La principale, pour ne pas dire la seule différence qui se trouve entre ces prétendues nouvelles especes, & les anciennes, consiste dans la couleur de la fleur, ou dans la multiplicité de ses feuilles ; or il est évident que ni l'une ni l'autre de ces deux choses ne suffit pour établir une différence spécifique, à moins que l'on n'admette qu'un européen & un éthiopien sont deux especes d'hommes, parce que l'un est blanc & l'autre noir, ou qu'un européen & un indien sont aussi deux différentes especes, parce que l'un a la barbe épaisse & l'autre n'en a point du tout, ou qu'il n'a que quelques poils au lieu de barbe. La diversité dont nous parlons, vient uniquement du climat, du terroir, ou des alimens, comme l'on voit dans les autres animaux.
Il y a deux manieres de produire ces différences dans les plantes. La premiere en mettant la semence d'une plante dont on souhaite avoir une nouvelle espece, dans un terroir fertile, ou différent de celui dans lequel cette plante croît. Si l'on met dans un bon terroir la semence de certaines fleurs simples, elle produira outre plusieurs racines qui ne porteront qu'une fleur simple, quelques autres racines qui porteront des fleurs doubles, & d'une couleur différente de leurs meres plantes. Les plantes qui se diversifient aisément de cette façon, sont les anémones, les primeveres, les marguerites, les violettes, &c. c'est la maniere ordinaire d'avoir des fleurs doubles de toutes les sortes. La plûpart des fleurs rouges & pourprées, & quelques fleurs jaunes, en répandant leur graine dans un jardin, produisent quelques fleurs blanches & de différentes couleurs : & même dans les champs, à peine trouve-t-on une plante à fleur rouge, pourprée, ou bleue, qui ne varie en quelque lieu, & qui ne produise une fleur blanche, ou de différentes couleurs. Les plantes à fleur jaune ne varient presque jamais dans les champs.
La seconde maniere de diversifier les plantes, est de les transporter souvent d'un lieu dans un autre. C'est ainsi que le chevalier Plot faisoit porter des fleurs doubles à des plantes qui n'ont que des fleurs simples : ce moyen paroît naturel, parce que les plantes qui sont long-tems dans un même lieu dégénerent insensiblement, ne portent qu'une fleur simple après avoir porté des fleurs doubles, & perdent leurs couleurs rares, qui sont suivies de couleurs communes.
Quoi qu'il en soit, toutes les variétés des plantes ne prouvent point que ces plantes soient des especes distinctes ; & c'est ce qu'on peut confirmer par deux raisons. La premiere est que si ces plantes sont longtems dans un même lieu sans être cultivées, elles dégénerent comme nous venons de le dire, elles perdent la beauté de leurs couleurs, & ne portent qu'une fleur simple au lieu d'une fleur double. La seconde raison est que la graine de ces plantes ne donne que des plantes qui n'ont qu'une fleur simple, & d'une couleur commune, si elle est semée dans le lieu & dans le terroir qui leur est naturel.
Pour ce qui est des arbres fruitiers, M. Ray observe que la principale différence qui se trouve entre les prétendues especes de ces arbres, consiste dans la figure & le goût du fruit, ce que l'on doit aussi attribuer à la différence du terroir, & aux différentes manieres d'enter. Le seul moyen, selon l'auteur, d'avoir de nouveaux fruits, est de semer dans un terroir des pepins de pommes & de poires, qui produiront des fruits sauvages d'une autre figure & d'un goût différent des premiers fruits ; mais on pourra leur donner un meilleur goût, & les perfectionner si l'on ente les arbres qui les produisent.
A l'égard des plantes dont les feuilles ont diverses couleurs, comme le houx, l'alaterne, le romarin, l'hysope, la menthe, le thim, elles sont encore moins de différentes especes que les fleurs & les fruits dont nous venons de parler ; leurs diverses couleurs ne sont que les symptômes d'une mauvaise constitution ; & quant à la différence de grosseur & de petitesse qui se rencontre entre plusieurs plantes de la même espece, l'on ne doit attribuer cette différence qu'à la fertilité ou la stérilité du terroir, à l'humidité ou la sécheresse de la saison, à la froideur ou à la chaleur du climat, à la culture plus ou moins savante, ou à quelqu'autre accident.
La seconde question est, si quelques especes de plantes ont péri, ou s'il y en a qui puissent périr. L'auteur répond, 1°. que quoiqu'il soit possible absolument & physiquement que certaines especes de plantes périssent, cela est pourtant fort improbable ; 2°. que si quelques especes de plantes périssoient, il seroit moralement impossible de s'en assurer.
Il est peu vraisemblable qu'aucune espece de plante ait péri. M. Ray ne sauroit se persuader qu'il y ait dans le monde aucune espece locale de plantes, c'est-à-dire si particuliere à un lieu qu'on ne sauroit la trouver ailleurs ; il n'a observé en aucun endroit de la Grande-Bretagne, aucune plante qu'il n'ait vûe dans les pays étrangers, ou du moins en divers lieux de la même latitude au-delà de la mer.
Quelques botanistes prétendent que certaines plantes sont particulieres à certains lieux, comme le baume, par exemple, à la Judée, &c. mais M. Ray demande qu'il lui soit permis de s'éloigner de leur sentiment, jusqu'à ce qu'ils ayent de meilleures preuves qu'un argument négatif. D'ailleurs, supposé qu'il y ait des plantes locales, on ne sauroit prouver qu'elles pussent périr, à moins qu'elles ne soient dans des îles englouties par la mer. Si les plantes locales étoient détruites par les hommes, ou par quelqu'accident, comme diverses graines resteroient dans le terroir où ces plantes croissent, ce terroir produiroit de nouveau les mêmes plantes ; & si le baume est une plante originaire de la Judée, supposé qu'on l'eût transporté en Egypte ou ailleurs, son ancien terroir l'auroit reproduit, à moins que la constitution de ce terroir n'eût été fort altérée par quelqu'accident, ou par quelque cause surnaturelle.
Secondement, si quelques especes de plantes périssoient, il seroit moralement impossible de s'en assurer. On ne peut savoir qu'il y ait des plantes locales, à moins qu'on n'ait visité toute la surface de la terre, ou qu'on n'en soit informé par des personnes très-intelligentes qui connoissent sans exception les plantes de tous les pays ; mais ces deux choses sont absolument impossibles. S'il n'y a point de plantes locales, comme M. Ray en est fortement persuadé, il est presqu'impossible que certaines causes concourent pour faire périr quelque espece de plante que ce soit ; & supposé que cela arrivât, personne ne pourroit le savoir, à cause de la vaste étendue de la terre, dont une très-grande partie est ou deserte ou habitée par des nations barbares qui n'ont aucune connoissance de la Botanique. Bibl. angl. tom. IV. p. 27-40. (D.J.)
PLANTE CAPILLAIRE, (Botan.) On appelle plantes capillaires, celles qui n'ont point de tiges principales, & qui portent leurs semences sur le dos de leurs feuilles. Ce nom leur a pû être donné, parce que leurs racines sont garnies de fibres chevelues ; la fougere, la polypode, la langue de cerf, l'osmonde & autres, sont des plantes capillaires. L'adiante de Montpellier, celui du Canada, l'adiante noir, le blanc, le rouge, le jaune, la sauvevie, le céterac, sont les plantes capillaires des boutiques de Pharmacie. L'Amérique est féconde en plantes capillaires, & tous les Botanistes savent que le P. Plumier en a fait une excellente histoire qu'il a intitulée, hist. des fougeres. Dans le repli de leurs feuilles sont contenues des capsules membraneuses, très-petites, qui s'ouvrent par la contraction d'un anneau élastique ; & on a découvert par le microscope, qu'elles sont pleines d'une fine poussiere ; mais on dispute encore si cette poussiere est la semence, ou une poussiere d'étamines semblable à celle qui se trouve dans les sommets des étamines des autres fleurs. (D.J.)
PLANTES ESCHYNOMENEUSES, voyez AESCHYNOMENEUSES.
PLANTES ETOILEES sont celles dont les feuilles naissent sur la tige à de certaines distances, en forme d'étoiles avec des rayons : ou ce sont des fleurs qui ressemblent à des étoiles, ou qui sont remplies de boutons semblables à des étoiles sur le bord. Voyez PLANTES.
M. Ray range ces sortes de plantes dans la dixieme classe des plantes d'Angleterre : telles sont les plantes appellées cross-wort, mollugo, garance sauvage, asperula ou woodruff, gallium ou ladies bed-straw, aparine ou cleavers, rubia tinctorum, ou garance des teinturiers, auxquelles il ajoute, comme approchantes de ce genre, le nasturtium indicum, le cresson des Indes ou pié d'allouette jaune.
PLANTES à plusieurs cosses sont les mêmes qu'on appelle autrement corniculatae plantae, & qui après chaque fleur ont diverses cosses pareilles à celles des légumes, toutes distinguées les unes des autres, menues & fréquemment courbées, où leur graine est renfermée. Quand ces cosses sont mûres, elles s'ouvrent d'elles-mêmes, & laissent tomber la graine. Voyez CORNICULATE & ACTION DE SEMER. Voyez aussi PLANTE.
PLANTES MARINES, productions de la mer qui sont formées par des insectes, & qui doivent par conséquent faire partie du regne animal. Cependant ces productions ont tant de ressemblance par leur forme avec les végétaux, qu'on les a prises pour des plantes, & qu'on les a placées pendant long-tems dans le regne végétal. Il n'est pas surprenant qu'il y ait dans la nature des especes de choses d'un même genre, ou des genres d'une même classe dont les caracteres distinctifs soient équivoques ; mais on croiroit que l'on ne pourroit pas se tromper dans la division générale des trois regnes de l'Histoire naturelle, au point de prendre des animaux pour des minéraux ou des végétaux. Tous les Naturalistes ont pourtant été pendant long-tems dans cette erreur ; on a cru que le corail, les madrepores, &c. étoient des pierres, des substances qui s'endurcissoient lorsqu'elles étoient hors de l'eau, ou des plantes qui devenoient pierreuses ; & en observant de plus près, on se persuada de plus en plus que c'étoit de vraies plantes. En 1706, M. le comte de Marsigli sembla en donner des preuves convaincantes, lorsqu'il découvrit sur le corail de petits corps organisés & découpés en plusieurs parties, dans lesquels il crut trouver tous les caracteres des fleurs : ces prétendues fleurs avoient environ une ligne & demie de longueur, & étoient soutenues par un calice blanc, duquel partoient huit rayons de la même couleur ; ces rayons étoient de la même longueur & à la même distance l'un de l'autre, formant une espece d'étoile. Il suivit ces recherches, & il vit encore de ces prétendues fleurs sur des productions de même nature que le corail, appellées plantes pierreuses, & sur beaucoup d'autres, dont quelques-unes sont molles, & qui toutes ont été mises au rang des vraies plantes. On ne doutoit plus que le corail, les madrepores, les litophites, &c. ne fussent des plantes, & même des plantes qui portoient des fleurs apparentes, lorsque M. Peissonnel, médecin botaniste du roi à la Guadeloupe, " désirant que l'idée qui résultoit de la découverte ingénieuse du comte de Marsigli, par rapport aux fleurs du corail, se vérifiât, s'embarqua étant à Marseille dans l'année 1723, alla en mer avec les pêcheurs du corail, bien instruit de ce que le comte de Marsigli avoit observé, & de la maniere dont il s'y étoit pris pour faire ses observations. Aussi-tôt que le filet avec lequel les pêcheurs tirent le corail fut près de la surface de l'eau, il y plongea un vase de verre dans lequel il fit entrer quelques branches de corail ; il remarqua quelques heures après qu'il paroissoit un grand nombre de petits points blancs de tous les côtés de cette écorce ; ces points répondoient aux trous qui perçoient l'écorce, & formoient une figure terminée par des rayons jaunes & blancs, dont le centre paroissoit creux, mais ensuite s'étendoit & présentoit plusieurs rayons ressemblans à la fleur de l'olivier : ce sont les fleurs du corail décrites par M. de Marsigli. Ayant tiré le corail hors de l'eau, les fleurs rentrerent dans l'écorce & disparurent ; mais ayant été remis dans l'eau, elles reparurent quelques heures après : elles ne lui sembloient pas aussi larges que le comte de Marsigli le rapporte, leur diametre excédant à peine celui de la tête d'une grosse épingle ; elles étoient molles, & leurs pétales disparoissent lorsqu'on les touche dans l'eau, formant alors des figures irrégulieres. Ayant mis quelques-unes de ces fleurs sur du papier blanc, elles perdirent leur transparence, & devinrent rouges à mesure qu'elles sécherent. Notre auteur remarque que ces fleurs partoient des branches dans toutes sortes de directions, des branches cassées comme de celles qui étoient entieres ; mais leur nombre diminuoit à mesure qu'on approchoit de la racine ; & après nombre d'observations, il détermina que ce que le comte de Marsigli avoit pris pour des fleurs, étoient de véritables insectes.
L'insecte du corail, que l'on appelle une petite ortie, pourpre, polype, & que le comte de Marsigli a pris pour fleur, se dilate dans l'eau, & se contracte dans l'air, ou lorsque vous le touchez dans l'eau avec la main, ou que vous versez dessus des liqueurs acides ; ce qui est ordinaire aux poissons & insectes de l'espece vermiculaire. Notre auteur étant sur les côtes de Barbarie en 1725, eut le plaisir de voir l'insecte du corail mouvoir les bras, & ces petits insectes s'étendre dans un vase plein d'eau de la mer qu'on avoit mis auprès du feu, où il y avoit du corail ; il augmenta le feu, & fit bouillir l'eau, & par ce moyen les tint dans leur état d'extension hors du corail, comme il arrive lorsqu'on fait bouillir des testacés, soit de terre ou de mer. Ayant répété ses observations, il vit clairement que les petits trous perceptibles sur l'écorce du corail, étoient les ouvertures par lesquelles ces insectes sortoient : ces trous correspondent à ces petites cavités ou cellules qui sont moitié dans l'écorce & moitié dans la substance du corail, ces cavités sont les niches que l'insecte habite. Dans les tubes qu'il avoit observés, est contenu l'organe de l'animal : les glandules sont les extrémités de ses piés ; & le tout contient la liqueur ou le suc laiteux du corail, qui est le sang ou le suc de l'animal. Lorsqu'il pressoit cette petite élévation avec les ongles, les intestins & tout le corps de l'animal sortoient ensemble, & ressembloient un suc épaissi, fourni par les glandes sébacées de la peau ; il vit que lorsque l'animal vouloit sortir de sa niche, il forçoit le sphincter situé à son entrée, & lui faisoit prendre la forme d'une étoile avec des rayons blancs, jaunes ou rouges. Lorsque l'insecte sort sans s'étendre, ses piés, son corps forment cette apparence blanchâtre observée par M. de Marsigli ; mais lorsqu'il sort & qu'il s'étend, il forme ce que ce comte & notre auteur prirent pour les pétales de la fleur du corail, & le calice de cette fleur supposée étoit le corps de l'animal sorti de sa cellule. Ce suc laiteux dont on a déja parlé, est le sang ou les liqueurs de l'animal, & il est plus ou moins abondant à proportion de sa santé ou de sa vigueur. Lorsque les insectes sont morts, ils se corrompent & communiquent à l'eau l'odeur de poisson pourri. La substance du corail fournit à peine par cette analyse chimique, de l'huile, du sel ou du phlegme, pendant que le corail vivant avec son écorce, fournit de ces substances environ une quarantieme partie de son poids, & que l'écorce du corail seul, dans laquelle sont contenus les animaux, en fournit la sixieme partie. Ces principes ressemblent à ceux que l'on tire du crâne humain, des cornes de cerf, & des autres parties d'animaux ". Extrait d'un article des Trans. phil. sur le corail, ann. 1753, in-12. 1756, p. 22. & suiv.
En 1726 ou 1727, M. Peyssonnel proposa son système sur les plantes marines, mais il fut contrarié ; on lui opposa un autre système qui réduisoit la végétation du corail à sa seule écorce : on la regardoit seule comme une plante qui se bâtissoit une tige en déposant des grains rouges & sablonneux dont on l'avoit trouvée remplie.
En 1738 M. Shaw, dans la relation de ses voyages en Afrique, mit en avant un autre système sur la végétation du corail ; il prétendoit que ces corps apparens sur toute l'écorce du corail & des autres lithophytons, étoient leurs racines qui disparoissoient lorsque ces plantes se trouvoient hors de la mer.
En 1741 M. Bernard de Jussieu fit un voyage pour observer les plantes marines, sur les côtes occidentales de la Normandie, avec M. Blot, alors jeune médecin de Caen, & maintenant professeur de Botanique dans l'université de cette ville, qui connoissoit parfaitement ces côtes. Ils les suivirent depuis Honfleur jusqu'au-dessous de Bayeux ; ils virent sortir des noeuds ou des articulations & des bouts de toutes les branches de plusieurs especes de plantes marines, de petits animaux qui se mouvoient plus ou moins en différens instans, qui s'épanouissent en certain tems, & qui rentroient en entier dans leurs petites cellules. Enfin M. de Jussieu reconnut que plusieurs especes de ces prétendues plantes marines, dont chacune a en effet l'extérieur d'une très-belle plante, ne sont que des assemblages de loges de polypes : ce qui confirma le système de M. Peyssonnel. Depuis ce tems, il n'est resté aucun doute à ce sujet. Les prétendues plantes marines ont été restituées au regne animal : on a même voulu changer leur faux nom de plantes en celui de polypiers qui leur conviendroit mieux. Mémoires de l'academie royale des Sciences, ann. 1742. Préface du VI. vol. des mémoires pour servir à l'histoire des insectes. On trouvera beaucoup de recherches sur le même sujet dans le livre de M. Donati, qui a pour titre : Della storia naturale marina dell' adriatico saggio, & dans celui de M. Ellis.
PLANTE PARASITE, (Botan.) plante qui croît sur d'autres plantes, & qui se nourrit de leur suc. Le lierre, la vigne de Canada, le jasmin de Virginie, la cuscute, le gui, l'hypociste, & sur-tout les mousses, se nomment avec raison plantes parasites ; mais les plus pernicieuses sont les lichens, espece de croûte à nos yeux mêlée de jaune & d'un blanc sale, qu'on voit sur les écorces des arbres. Toutes ces plantes leur sont fatales, parce qu'elles en dérobent la seve par une infinité de petites racines qui la sucent & l'interceptent.
Les semences des plantes parasites sont extrèmement fines, & en nombre presque infini, contenues ordinairement dans des petites capsules qui crevent d'elles-mêmes & les répandent ; le vent porte ces graines au hasard sur des murs, sur des toîts, sur des arbres, où des rencontres favorables les font éclorre.
La propriété qu'ont les plantes parasites de ne devoir qu'indirectement à la terre leur nourriture, & de ne pouvoir goûter qu'un suc affiné & épuré dans les vaisseaux des autres plantes, semble indiquer dans ces parasites une délicatesse plus marquée que dans les plantes qui les nourrissent : celles-ci cependant en ont une que les parasites n'ont pas ; toute sorte de terre ne leur est pas indifférente comme toute sorte de plantes l'est aux parasites, pourvû qu'elles puissent s'y attacher, & que la dureté ou la délicatesse de l'écorce des autres ne s'y oppose pas. Plusieurs des premieres aiment une terre légere, d'autres préferent une terre argilleuse & forte, où périroient celles que des sables les plus arides nourrissent abondamment : mais la cuscute & les plantes de cette nature s'accommodent de toutes les plantes, qui sont pour elles ce que la terre est pour celles qui y jettent leurs racines.
Les Botanistes ont établi une distinction entre les diverses plantes parasites ; savoir, les parasites qui se sement & vivent sur d'autres plantes comme le gui ; & celles qui se sement en terre, y germent, & s'attachent sur les racines d'une autre plante, comme les orobanches & l'hypociste, la clandestine & l'orobancoïde ; enfin, il y a des parasites qui vivent sur les autres plantes, mais peut-être sans en tirer d'aliment, puisqu'elles peuvent vivre sur terre également, ou attachées à d'autres corps comme à des rochers, à des murs : telles sont les lichens, les fucus de mer, & plusieurs autres. (D.J.)
PLANTES PENTAPETALES, ce sont celles dont les fleurs sont composées de cinq feuilles. Voyez PLANTE.
PLANTE VENENEUSE, (Botan.) plante nuisible ou mortelle. Nous serions heureux de connoître nos ennemis du regne végétal, ou, pour parler plus simplement, les plantes vénéneuses : on se plaint depuis longtems de ce que les Botanistes semblent s'attacher uniquement à caractériser les plantes, sans s'inquiéter de leurs propriétés ; mais ce n'est pas leur faute, il a fallu nécessairement s'assurer du caractere de chaque plante, & c'est au tems à nous en apprendre les vertus ou le danger. Ni l'analyse chimique, ni les expériences faites sur les animaux vivans, ni le goût, ni l'odeur, ni finalement les autres qualités sensibles des plantes, ne nous découvrent point quels effets elles sont capables de produire sur nous. De tous ces moyens, l'analyse chimique est sans doute le moins fidele. Quant aux essais faits sur les animaux, ils ne concluent rien pour nous ; les amandes ameres, le persil, tuent des oiseaux, & ne laissent pas de nous servir d'alimens ; au rebours les chevres broutent le tithymale pour réveiller leur appétit, & cette même plante empoisonne les poissons, & n'est pas moins dangereuse aux hommes.
Pour ce qui regarde les qualités sensibles, elles ne trompent que trop souvent. La ressemblance des caracteres botaniques, ou leur proximité dans les classes, ne nous assure pas davantage des affinités de leurs vertus ; car les ciguës, les phillandrium, les aenanthe, se trouvent dans la même famille que les angéliques, le fenouil, & autres plantes salutaires.
Rien ne nous assure donc des bonnes ou mauvaises propriétés des plantes à notre égard, que l'usage réitéré que nous en faisons ; or il est peu de botanistes, comme Gesner, assez zélés pour le bien public, jusqu'à risquer leur vie en éprouvant sur eux-mêmes les vertus des plantes. On raconte que ce savant homme mourut pour avoir essayé sur lui la vertu du doronic à racine de scorpion. La prudence veut donc qu'on attende patiemment les essais des empyriques téméraires, ou des paysans assez malheureux, pour se tromper quelquefois sur le choix des remedes & des alimens tirés des végétaux.
On voit par ce que nous venons de dire, que la recherche des vertus des plantes est très-risqueuse, & que c'est au tems & à des hasards heureux ou funestes à nous instruire là-dessus. Mais c'est des plantes vénéneuses que la connoissance nous intéresse le plus, car elles nous trompent souvent par les apparences des fruits doux & agréables ; témoins la bella dona, la christophoriane, & sur-tout le coriaria, ou le redoul, dont nous parlerons ailleurs : il est donc avantageux de faire connoître ces poisons afin qu'on les évite soigneusement.
Un autre motif qu'on ne soupçonne pas d'abord, doit encore nous engager à la recherche de ces sortes de plantes, c'est à cause de leurs vertus médicinales ; car toutes vénéneuses que sont plusieurs de ces plantes, elles peuvent fournir des remedes d'autant plus efficaces qu'elles sont plus dangereuses ; & au fond, les poisons ne different souvent des remedes que par la dose, ou par la maniere de les appliquer. On tire du laurier-cerise une eau très-vénéneuse, & cependant les feuilles de cet arbre donnent aux crêmes un goût d'amande amere, qu'on recherche très-avidement, & dont on se trouve bien. Le laurier-rose, poison violent même pour les chevaux, purge avec succès certains hommes robustes. L'opium, qui est un violent poison, devient un souverain remede, appliqué à-propos & à juste dose. (D.J.)
PLANTES de la Bible, (Botan.) On appelle ainsi les plantes dont il est parlé dans la Bible. La Botanique a éclairé de ses lumieres la Critique sacrée, & a répandu beaucoup de jour sur l'intelligence des endroits de l'Ecriture où il s'agit des plantes. Barreira, Cocquius, Lemnius, Ursinus, ont les premiers rompu la glace ; mais leurs ouvrages sont tombés dans l'oubli depuis ceux d'Hiller, abbé de Royal-Fontaine, & du médecin Celsius. Le traité d'Hiller est intitulé Hilleri hiero-phyticon, & a été imprimé à Utrecht en 1725, in-4°. L'ouvrage de Celsius, Celsii hiero-botanicon, a paru Amstael. 1748, en 2 vol. in-8°. (D.J.)
PLANTES, maladies des, (Agricult.) Tout ce qui végete a ses maladies, ou, pour parler plus simplement, tous les corps organisés sont sujets à certains changemens, à certaines dégénérations, que l'on peut appeller maladies, par rapport à leur état naturel ; un arbre, par exemple, dont le tronc se pourrit, ou qui perd ses feuilles avant la saison, est malade, parce qu'on ne l'appelle sain que lorsque ses parties sont bien conditionnées.
On peut rapporter les maladies des plantes aux causes suivantes : 1°. à la trop grande abondance du suc nourricier ; 2°. au défaut, ou manque de ce suc ; 3°. à quelques mauvaises qualités qu'il peut acquérir ; 4°. à sa distribution inégale dans les différentes parties des plantes ; 5°. enfin, à des accidens extérieurs.
La trop grande abondance de suc nourricier le fait sortir de lui-même hors de ces vaisseaux : ainsi les especes de pins distillent naturellement presque pendant toute l'année. L'épanchement est encore plus grand, si l'on fait des incisions à ces arbres à coups de hache ou autrement.
La liqueur qui en découle s'appelle térébenthine lorsqu'elle conserve sa fluidité, & galipot ou résine quand elle devient solide : mais si ce même suc, faute de vîtesse, se grumelle dans ses propres tuyaux ; s'il est obligé de s'y arrêter parce qu'ils sont devenus crasseux, & par conséquent plus étroits qu'ils n'étoient ; alors le suc qui continue de monter de la racine, s'imbibe peu-à-peu dans les trachées que l'on peut appeller les poumons des plantes, il en interrompt le commerce de l'air ; & la circulation étant interceptée, ces arbres sont suffoqués & meurent, par la même raison que les animaux qu'on étouffe.
Dans les pays chauds, la trop grande abondance de seve produit au bout des branches des arbres que l'on taille en buisson, des tumeurs d'une substance spongieuse qui se carie facilement ; & ces arbres en portent bien moins de fruit. Si l'on coupe du bois plus qu'il ne faut aux arbres à haute tige, ils donnent peu de fruit, parce que la seve trop abondante par rapport au bois qu'elle doit nourrir, ne fait que pousser de nouvelles branches, au lieu de faire fleurir les vieilles, dont les vaisseaux sont plus difficiles à pénétrer ; ainsi le grand secret dans la culture des arbres fruitiers, c'est de ne couper que les branches qui se croisent, & qui les rendroient difformes : mais les mains démangent aux curieux.
La langueur & la mort de plusieurs plantes montrent bien que le suc nourricier commence à leur manquer. Les feuilles ne jaunissent, ne se fanent, & ne tombent hors de leur saison, que faute de nourriture ; soit qu'elle leur soit dérobée par les petits vers qui s'y attachent, soit que le mal vienne des racines : ces parties perdent peu-à-peu leur ressort ; elles se carient, se chancissent, & leurs couloirs se remplissent d'un certain limon, qui empêche la filtration des sucs propres pour les autres parties. Si les racines se carient, le fumier de vache ou de cochon les rétablit & arrête la carie, de même que le storax liquide arrête la gangrene des animaux. Si elles sont chancies, il faut les bien laver dans l'eau claire, pour détacher & entraîner tous ces petits filets de mousses qui commençoient à s'y nourrir.
Quant au limon qui fait le relâchement des fibres, & ensuite des obstructions, le terreau & la fiente de pigeon y remédient. La cendre de vigne, la chaux, la fiente de poule & de pigeon, mêlées avec la terre qui couvre les racines des oliviers & des orangers paresseux, les excitent à fleurir & à porter des fruits : mais ces sortes de remedes ne conviennent pas à toutes sortes de plantes. L'urine, l'eau de chaux, l'eau de fumier un peu trop forte, les couches même trop chaudes, dessechent & brûlent, comme l'on dit, le chevelu des racines.
Il seroit trop long de parler ici de la mauvaise qualité de la seve, qui vient du défaut des terres, cette discussion demanderoit un traité d'Agriculture raisonnée ; mais il y a un vice qui rend les plantes stériles dans les meilleurs fonds, c'est quand le suc nourricier devient si gluant, qu'il ne sauroit circuler, ni faire développer les parties qui doivent paroître successivement les unes après les autres.
La squille, l'oignon portant laine, les especes d'aloës, & plusieurs plantes grasses, fleurissent avec beaucoup plus de facilité dans les pays chauds, parce que la terre leur fournit un suc assez maigre, que la chaleur fait couler aisément ; au lieu que dans les pays froids, ce suc est gluant, & devient comme une espece de mucilage, qui ne sauroit faire sortir les tiges du fond de leurs racines. Le seul remede est d'élever ces sortes de plantes sur couche & dans des terres sablonneuses.
Malgré cette précaution, les oignons qui viennent des Indes ne fleurissent qu'une seule fois dans ce pays-ci, parce que la jeune tige qui est dans le fond de la racine se trouve assez développée avant le transport pour pouvoir s'élever & s'épanouir ; mais après cela le suc nourricier qui devient trop gluant, n'a pas la force de faire développer le jeune embryon qui est dans le cul de l'oignon, & qui ne devoit paroître que dans un an.
La plûpart des narcisses & des jacinthes dont on coupe les feuilles après que leur fleur est passée, ne fleurissent pas bien l'année d'après. Il semble que le suc glaireux qui étoit en mouvement dans les racines de ces plantes, & qui passoit à l'ordinaire dans les feuilles, se décharge sur la jeune tige qui est au fond de la racine ; il s'imbibe, il s'épaissit, il se fige dans cet embryon, & l'empêche de se développer au printems.
La stérilité de plusieurs plantes ne dépend pas toujours de la mauvaise qualité du suc nourricier ; souvent c'est une maladie qui vient de la distribution imparfaite de ce suc ; il faut alors ébrancher la plante, en resserrer les racines dans un petit terrein. Les orangers & les figuiers plantés dans des petites caisses, donnent beaucoup plus de fruits que ceux dont la seve trouve à s'étendre dans les racines, au lieu de faire éclorre les fleurs & les embryons. C'est par cette méthode qu'on a de bonnes graines de pervenche & d'épimédium, qui en pleine terre s'amusent à tracer & ne nouent pas.
Pour ce qui est des maladies causées par les accidens extérieurs, elles surviennent ordinairement par la grêle, par la gelée, par la brouiture, par la moisissure, par les plantes qui naissent sur d'autres plantes, par la piquure des insectes, par différentes tailles & incisions que l'on fait aux plantes.
La grêle qui tombe sur les feuilles en meurtrit les fibres, & fait extravaser le suc nourricier qui forme une dureté élevée en tumeur. Si la pluie tombe avec la grêle, l'impression du coup est bien moindre, parce que les fibres amollies par l'eau, obéissent au coup ; d'ailleurs, cette eau détergeant & emportant le suc qui commence à s'épancher, donne lieu aux fibres de se rétablir par ressort, à-peu-près comme il arrive aux parties meurtries que l'on étuve sur le champ.
La gelée au contraire fait périr les plantes lorsqu'elles sont mouillées, parce que l'eau qui se gele dans leurs pores les déchire en se dilatant, tout comme elle fait casser les vaisseaux où elle est renfermée.
La brouiture, en latin uredo, est cet accident qui arrive aux plantes en été, lorsqu'après le beau tems il survient quelqu'orage accompagné d'une légere pluie, & que le soleil paroît immédiatement après : alors il brûle les feuilles & les fleurs sur lesquelles la pluie est tombée, & ôte l'espérance des fruits. Les naturalistes cherchent la cause d'un si étrange effet, & M. Huet, qui n'étoit point physicien, mais seulement homme d'esprit, paroît l'avoir imaginée le plus ingénieusement.
Dans les jours séreins de l'été, dit-il, il est visible qu'il s'assemble sur les feuilles & sur les fleurs, comme par-tout ailleurs, un peu de poussiere ; quand la pluie tombe sur cette poussiere, les gouttes se ramassent ensemble, & prennent une figure ronde, ou approchante de la ronde, comme on voit qu'il arrive souvent sur des planchers poudreux, lorsqu'on y répand de l'eau pour les balayer. Or ces boules d'eau ramassées sur ces feuilles & sur ces fleurs, tiennent lieu de ces verres convexes, que nous appellons miroirs ardens, & produisent le même effet sur les plantes que produiroient ces verres si on les en approchoit ; si la pluie est grosse & dure long-tems, le soleil survenant ne produit plus cette brûlure, parce que la force & la durée de cette pluie a abattu toute la poussiere qui arrondissoit les gouttes d'eau, les gouttes perdant leur figure brûlante, s'étendent & se répandent sans aucun effet extraordinaire.
Les plantes sont encore détruites par celles qu'on appelle parasites, & par la moisissure, véritable assemblage de très-petites plantes parasites. Voyez MOISISSURE. Les remedes seront de tenir les plantes au sec, de déraciner les parasites, de les arracher, de racler avec la serpette l'écorce des arbres auxquels elles s'attachent, d'en couper des branches, & de faire des incisions dans l'écorce jusqu'à fleur de terre.
Parmi les tumeurs des plantes, autre genre de maladie qui les attaque ; il y en a qui leur sont naturelles ou viennent d'une méchante conformation, & d'autres qui naissent de la piquure des insectes. Ces petits animaux qui n'ont pas la force de bâtir leurs nids avec de la paille, ou d'autre matiere, comme font les oiseaux, vont décharger leurs oeufs dans les parties des plantes qui les accommodent le mieux. La piquure est suivie d'une tumeur, & cette tumeur est une suite de l'épanchement du suc nourricier, qui s'imbibant dans les pores voisins, les fait gonfler à mesure qu'il en dilate les fibres, l'oeuf ne manque pas d'éclorre au milieu de ce nid, & le ver ou le puceron qui en sort trouve sa nourriture toute préparée. C'est ainsi que se forment les noix de galle, & toutes les tumeurs que l'on observe sur les plantes piquées.
Pour remplir le dénombrement des causes auxquelles l'on a rapporté les maladies des plantes, il nous reste à parler des bosses qui naissent autour des greffes. Comme les vaisseaux de la greffe ne répondent pas bout à bout aux vaisseaux du sujet sur lequel on l'a appliqué, il n'est pas possible que le suc nourricier les enfile à ligne droite ; desorte que le cal bossu est inévitable : d'ailleurs il se trouve bien de la matiere inutile dans la filtration qui se fait de la seve, qui passe du sujet dans la greffe, & cette matiere qui ne sauroit être vuidée par aucuns vaisseaux, ni déférens, ni excrétoires, ne laisse pas d'augmenter la bosse.
Les levres de l'écorce des arbres que l'on taille pour enter, ou pour émonder, se tuméfient d'abord par le suc nourricier qui ne sauroit passer outre, à cause que l'extrémité des vaisseaux coupés, est pincée, & comme cautérisée par le ressort de l'air ; il s'y fait donc comme une espece de bourlet qui s'étend insensiblement de la circonférence vers le centre, par l'allongement des fibres, & la blessure se couvre par une espece de calotte qui enveloppe le bois coupé. Les fibres du chicot au contraire, ne pouvant pas s'allonger, se dessechent, & deviennent extrêmement dures ; c'est ce qui forme les noeuds dans le bois. On en voit souvent dans les planches de sapin qui s'en détachent comme une cheville que l'on chasse de son trou. Le bois des arbres qui ont été souvent taillés, est revêche, comme disent les ouvriers, parce qu'il est tout traversé de gros chicots endurcis, dont les fibres n'ont pas la même direction que celles du reste du corps ligneux. (D.J.)
PLANTES, transport des (Agricult.) depuis que les sciences reparurent sur la fin du xv. siecle, c'est-à-dire depuis que la raison revint habiter parmi nous, la botanique n'a pas été la derniere science qu'on ait pensé à cultiver ; bientôt les hommes rendus plus sociables, parce qu'ils étoient éclairés, se communiquerent leurs lumieres ; bientôt le commerce & la navigation qui répandent par tout les richesses & l'abondance, porterent en Europe la connoissance de quantité de plantes exotiques ; dèslors on ne songea plus qu'à s'en procurer ; & l'art de leur transport & de leur culture, furent des connoissances nécessaires à acquérir.
Je ne déciderai point avec la Quintinie, si un jardinier est le genre, & le botaniste une espece ; mais celui qui se contente de savoir le nom des plantes, de les distinguer par classe, & d'en rechercher les vertus, n'est botaniste qu'à demi. S'il veut mériter un titre plus distingué, il doit entendre leur culture, l'art de les multiplier, de les conserver, de les transporter d'un pays à l'autre. Toutes ces connoissances tiennent à la perfection du botaniste. Le seul article du transport des plantes formeroit le sujet d'un traité ; mais je dois ici me borner à quelques remarques générales, tirées des ouvrages de Miller.
Quand on envoie des plantes d'un pays à l'autre, il faut principalement avoir attention à la saison qui y est la plus propre. Par exemple, s'il faut envoyer une partie de plantes d'un pays chaud dans un pays froid, il faut le faire au printems, afin que les plantes arrivant dans un pays plus froid, où la saison s'avance, elles aient le tems de se rétablir avant l'hiver, au cas qu'elles aient un peu souffert dans le trajet ; au lieu que celles qui arrivent en autonne périssent souvent pendant l'hiver, parce qu'elles n'ont pas eu le tems de se rétablir & de prendre racine avant le froid ; au contraire, les plantes qu'on envoie d'un pays froid dans un chaud, doivent être toujours expédiées en autonne, afin qu'elles puissent arriver à tems pour prendre racine avant les grandes chaleurs, autrement elles périroient bientôt.
La meilleure maniere d'empaqueter les plantes pour un voyage, est de les mettre dans des caisses portatives, faites avec des anses pour les manier & les remuer plus aisément sur le navire dans le mauvais tems. Ces caisses doivent être percées de plusieurs trous : il faut mettre une tuile plate ou une coquille d'huitre, pour empêcher la terre en s'éboulant, de les boucher. On remplira ces caisses de terre ; on y mettra les plantes aussi près les unes des autres qu'il sera possible, pour gagner de la place, ce qui est souvent absolument nécessaire, pour qu'elles n'incommodent point dans le vaisseau. Comme le seul but qu'on se propose ici est de leur conserver la vie, & non pas de les faire croître dans le passage, il est sûr qu'une petite caisse contiendra plusieurs plantes si l'on sait les y ranger avec adresse.
Il faut mettre les plantes dans la caisse quinze ou vingt jours avant que de les embarquer, afin qu'elles y soient plus affermies & enracinées. Pendant le cours du passage, on les laissera autant qu'il sera possible sur le tillac ou sur le pont, afin qu'elles soient airées. Pendant le mauvais tems & la tempête, on les couvrira d'une tente gaudronnée, pour les préserver de l'eau salée de la mer, qui les détruiroit si elles en étoient trop mouillées.
L'arrosement que demandent ces plantes pendant le voyage, doit être proportionné au climat d'où elles viennent, & à celui où on les transporte. Si elles vont d'un pays chaud dans un froid, elles requierent peu d'humidité, lorsqu'elles ont passé le tems des chaleurs : mais si elles sont portées d'un pays froid dans un chaud, elles ont un plus grand besoin d'arrosement à proportion qu'on s'avance dans un climat plus chaud. Alors il faut les abriter pendant le jour de la grande chaleur du soleil, qui sans un abri, ne manqueroit pas de les sécher & de les détruire.
Si les plantes envoyées d'un pays dans un autre sont telles qu'elles puissent vivre hors de la terre un tems considérable, ce que feront toutes celles qui sont pleines de seve, comme par exemple les joubarbes, les ficoïdes, les euphorbium, les cierges, &c. ces sortes de plantes, dis-je, n'exigent d'autre soin que de les bien empaqueter avec de la mousse dans une caisse ; on observera de les mettre assez serrées pour qu'elles ne souffrent pas des soubresauts & des secousses qui les briseroient, & pour que les plantes épineuses ne blessent pas les autres, si elles sont mélées ensemble. La caisse doit être placée dans un endroit à l'abri de l'humidité & des rats, qui ne manqueroient pas de ronger les plantes & de les détruire. Des plantes de cette espece, empaquetées avec précaution, & par assortiment, ne manqueront pas de réussir, quand même elles seroient quatre ou cinq mois en route, & elles souffriront moins que plantées dans des pots, parce que les matelots les font périr généralement, soit par négligence, soit en les arrosant outre mesure.
Il y a aussi diverses sortes d'arbres qu'on peut mettre en caisse de la même maniere, en les enveloppant de mousse tout-au-tour, & ils ne souffriront point hors de terre, pourvû que ce soit dans la saison où ils ne poussent point. C'est ce qu'on expérimente tous les jours par l'exemple des orangers, des jasmins, des capriers, des oliviers, des grenadiers, qu'on envoie chaque année d'Italie en Angleterre. Peu de ces arbres soigneusement empaquetés viennent à manquer, quoiqu'ils aient été très-souvent trois ou quatre mois hors de terre. Passons aux graines.
Quand on transporte des graines d'un pays dans un autre, il faut faire de petits paquets de chaque graine bien étiquetés, prendre toutes les précautions possibles pour les préserver de la vermine, & pour les conserver bien seches, sans quoi elles s'abatardiroient & se moisiroient.
La méthode de M. Catesby, connu par son amour pour l'Histoire naturelle, par ses ouvrages, par son voyage de la Floride, de la Caroline, & des îles Bahama, étoit d'empaqueter dans du papier ces graines bien seches, de les mettre ensuite dans des flacons secs de calebasses, & d'en cacheter l'ouverture ; de cette maniere, il a envoyé une très-grande quantité de graines de la Caroline en Angleterre, où elles ont rarement manqué de produire.
Il y a quelques personnes qui prétendent qu'il faut mettre les graines dans des verres qu'on scellera bien hermétiquement, pour empêcher l'accès de l'air extérieur ; mais après plusieurs expériences de M. Miller à ce sujet, il a trouvé que de telles graines ne réussissoient point, dès qu'elles ont été renfermées pendant un tems un peu considérable, & qu'elles exigent quelque portion d'air pour conserver leur qualité végétative.
Quand on n'a pas de commodités pour apporter ou envoyer des graines, le plus court parti est de les mettre dans un sac qu'on pendra dans un lieu sûr & sec du vaisseau ; ou bien on les mettra dans une bonne malle hors de la portée des rats & de la vermine ; c'est le moyen le plus simple de les conserver. Cependant la plus sure méthode pour la conservation de toutes sortes de graines, est de les faire venir dans la cosse, gousse, ou coque, dans laquelle elles se sont formées, pourvû qu'elles soient bien seches, parce que la propre couverture naturelle des graines leur fournira quelque nourriture quand elles n'auront pas été séparées du placenta. (D.J.)
PLANTE, (Chimie) voyez VEGETAL.
PLANTE DU PIE, en Anatomie, est la partie inférieure ou base du pié de l'homme, renfermée entre le tarse & les orteils. Voyez PIE.
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PLANTÉ | POIL (Maréchallerie) voyez POIL.
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PLANTE-VER | (Hist. nat.) nom d'une prétendue plante envoyée de la Chine en Europe. Son nom chinois hia-tsao-tom-tchom signifie plante en été, & ver en hiver. C'est une racine de l'extrémité de laquelle sort une figure d'un ver sec & jaunâtre, de neuf lignes, où l'on distingue sensiblement la tête, les piés, le ventre de l'animal, & jusqu'à ses yeux & les plis de son dos ; mais cela même qui fait la merveille pour les Chinois, & la feroit bien aussi pour le commun des François, la détruisit pour l'académie : on s'apperçut bien vîte que c'étoit une vraie dépouille de quelque chenille ; & M. de Réaumur s'en assura pleinement par un examen plus particulier. On prend la figure de ver pour une partie & un prolongement de la racine, parce qu'en effet elle y tient étroitement ; & par-là on croit que cette portion de la racine est devenue ver : mais en y regardant de plus près, M. de Réaumur a fort bien vu que la substance de la racine ligneuse à l'ordinaire, étoit toute différente de celle qui reste du ver. Il juge que la chenille prête à se métamorphoser en nymphe ou en aurélie, ronge l'extrémité de la racine, y fait une cavité où elle introduit sa queue, qui s'y peut attacher encore par quelque viscosité du corps de l'animal, & qu'ainsi elle se ménage un point fixe, un appui pour se débarrasser plus aisément de l'enveloppe qu'elle doit quitter.
Il n'est point singulier qu'un ver qui se transformera, vive jusques-là sous terre, on en a plusieurs exemples ; il y en a aussi qui ne se cachent sous terre que pour se transformer ; la chenille de la Chine sera dans l'un ou l'autre cas. On ne peut trop remercier les physiciens qui nous guérissent de notre penchant superstitieux pour les fausses merveilles ; il y en a tant de véritables, dignes de nous occuper ! (D.J.)
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PLANTER | PLANTER
Planter en motte ou en manequin ; c'est après avoir levé d'une pepiniere un arbre en motte, c'est-à-dire avec la terre qui est au-tour de ses racines, les mettre dans un manequin d'osier, pour pouvoir le transporter plus facilement où l'on veut, avec le manequin même, afin que les racines puissent s'étendre mieux.
Planter un parterre ; c'est former des compartimens & rinceaux de broderie avec du buis nain, sur un terrein bien dressé, en suivant exactement la trace du dessein. (D.J.)
Avant que de planter vos arbres sauvages, habillez-les, voyez HABILLER ; examinez ensuite la qualité de la terre qui se trouve dans vos trous : c'est suivant cet examen que vous devez choisir les plantes. Nec verò terrae ferre omnes omnia possunt, dit Virgile, Géogr. lib. II. v. 109.
Si la terre ne vous presente qu'un tuf, faites creuser de quatre à cinq piés de bas : vuidez ensuite toute cette terre, & mettez au fond du trou un lit de feuilles d'arbres, de grande litiere ou de gason retourné, couvert d'un demi-pié de bonne terre, ensuite rachevez de remplir le trou de la meilleure terre du pays.
Cet amandement procurera à l'arbre une plus sûre reprise, & le conservera jusqu'à ce qu'il soit assez fort pour gagner le fond naturel de la terre.
Si elle est bonne, on ne fera le trou qu'à deux ou trois piés de bas ; on jettera au fond les terres de dessus comme les meilleures, & on remplira le trou de celles qui étoient dans le fond.
Choisissez un tems sec, afin que la terre se glisse mieux autour des racines, sans y laisser aucun vuide appellé caves, & qu'il ne s'y fasse point de mortier qui en se durcissant, nuiroit aux nouvelles racines ; prenez un levier pour faire entrer la terre sous les racines, secouez un peu les arbres pour qu'elle descende, & marchez dessus pour la plomber.
Dans les terres seches il faut planter avant l'hiver, au lieu qu'on attend le mois de Mars dans les terreins humides, crainte que la trop grande humidité ou les pluies fréquentes en hiver, ne pourrissent les racines.
La profondeur où l'on doit mettre les arbres dans les trous, sera reglée suivant leur nature : un pié ordinairement leur suffit ; s'ils tracent sur la superficie de la terre, il faudra les planter peu avant. A l'égard de leur distance, elle se donne suivant leur force & la qualité de la terre ; les arbres isolés auront deux toises de distance dans les jardins, & trois ou quatre dans la campagne.
Les arbres sauvages se plantent à toute exposition, suivant l'alignement de deux ou trois jalons posés sur la même ligne.
Les portiques & décorations champêtres se plantent avec beaucoup plus de mesures, & demandent des arbres choisis dans les pépinieres. Les arcades veulent des charmilles un peu fortes, & des ormes dans les trumeaux pour former plutôt la corniche & les vases d'enhaut : on soutient le tout avec des treillages grossiers, sur lesquels on palisse les jeunes branches.
Quand à ce qui regarde les arbres fruitiers, le midi est l'exposition la plus favorable, ainsi que celle du levant pour le pêcher ; dans les terres légeres, l'exposition du couchant est bonne pour les pruniers & les poiriers : le chasselas & le muscat demandent le midi ; le nord est la plus mauvaise de toutes les expositions, cependant on y plante des pruniers.
Les arbres de demi-tige se plantent en espalier à douze piés l'un de l'autre, avec un nain entre deux, en observant de ne point tourner les bonnes racines du côté du mur : quand ces arbres sont de haute tige, ils seront espacés à quatre toises l'un de l'autre, ainsi que dans un verger. Pour les buissons, neuf piés de distance suffisent ; ces derniers ont l'avantage de n'être point sujets aux tignes, & de fructifier plus que les espaliers ; on tiendra leur tête un peu panchée, afin que leurs racines ne pivotent point, & ne courent que dans la bonne terre.
Les orangers, les mirthes & les arbres de fleurs qu'on éleve dans des caisses & des pots, se peuvent mettre à toute exposition ; on les plante en motte dans le milieu de la caisse, & on a soin de plomber les terres ; la plus grande attention est de les plomber bien d'aplomb, & dans les terres préparées.
Les parterres après avoir été dressés & maillés, suivant ce qui a été dit ci-dessus, seront plantés en buis nain bien habillé & coupé court par en haut ; on se servira pour la broderie, d'un plantoir serré, en l'enfonçant d'un demi-pié, de maniere qu'une des berges du trou suive toujours la face sur laquelle on accotera le buis de la main gauche, & on le garnira de terre avec la droite, ensorte qu'on ne voie sortir que ses feuilles.
Les buis, les plates-bandes & plusieurs plantes potageres se plantent encore en rigoles couvertes à la bêche, suivant la trace, & quelques-unes au plantoir.
La charmille, l'érable, & toutes les palissades se plantent dans des rigoles ouvertes, suivant un cordeau tendu sur la trace, en les soutenant d'une main, & les couvrant de terre avec l'autre. Ne choisissez point ces plants si forts, sur-tout dans les terres légeres.
Les bois & les pepinieres se plantent aussi en rigoles de deux piés en deux piés, en piquant des fruits de six piés en six piés ou en répandant des graines dans une terre bien préparée : ne craignez point de les planter un peu dru, afin qu'en grossissant, ils s'élevent plus droits & se conduisent l'un l'autre.
Si on avoit coupé des bois de haute-futaie qu'on voulût rétablir promptement en taillis ; pour les faire pousser sur souche, il faudroit garantir les troncs des arbres de la pluie qui en pénetre la moëlle & les pourrit, en les couvrant de bouse de vache mêlée de gazon, ou de poix préparée, alors ces troncs repousseront vigoureusement par le bas.
Les allées des bosquets se plantent en alignement avec des arbres un peu forts, & de la charmille au pié : on peut encore faire des allées dont les arbres soient isolés, & à six ou neuf piés de distance, tondre les taillis & brossailles, ce qui est fort agréable, & forme deux especes de contr' allées : ces sortes de palissades se conservent plus long-tems que les charmilles qui s'offusquent à la longue, & périssent sous une futaie.
Ne mettez jamais de fumier dans les trous de vos arbres ; les vers qu'il attire les font sûrement mourir : jettez seulement sur la superficie de la terre, de la litiere peu consommée pour les garantir des grandes chaleurs de l'été ; ce fumier étant rempli de sels & d'esprits végétaux fondra par le moyen des arrosemens sur les racines des arbres.
PLANTER un bâtiment, v. act. (Archit.) c'est disposer les premieres assises des pierres dures d'un bâtiment sur la maçonnerie des fondemens dressée de niveau suivant les cotes & mesures.
PLANTER des pieux, (Archit. hydraul.) c'est enfoncer des pieux avec la sonnette ou l'engin, jusqu'au refus du mouton ou de la hie.
PLANTER les formes, en terme de Raffineur, est l'action de les arranger dans l'emploi sur trois files & de les appuyer les unes contre les autres, & de soutenir le dernier rang par de mauvaises formes de deux en deux, pour les empêcher de tomber : elles sont plantées la pointe en-embas, & d'aplomb.
PLANTER le sucre, en terme de Raffinerie, c'est l'action de dresser les formes sur les pots dans les greniers, toutes à même hauteur, & le plus d'aplomb qu'il est possible, afin que l'eau de la terre dont on couvre ces formes, filtre également à-travers tout le pain. Il semble que les formes & les pots étant faits dans le même moule propre à chacun, cette grande attention de planter à la même hauteur sur-tout, seroit inutile, puisque les uns & les autres devroient être également grands. On répond à cela que malgré la justesse des moules, & les soins de l'ouvrier qui les fait, la terre se cuit & travaille plus ou moins, selon le degré de chaleur qu'elle trouve dans le four qu'il est impossible de chauffer également dans tous ses coins. On ne peut donc remédier à cette inégalité de hauteur & de grandeur qui se trouve dans les pots & dans les formes, qu'en plantant les plus grands sur des petits, & les moindres sur de plus grands, afin de donner à l'un ce que l'autre a de trop, le seul moyen de les rendre égaux. On évite par là les malheurs qui pourroient s'ensuivre de la maladresse des ouvriers qui sont obligés de travailler sans cesse au-dessus de ces formes, & même souvent de pousser en avant sur elles des sceaux pleins de terre, quand il est question de couvrir. Voyez TERRE & COUVRIR.
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PLANTEUR | S. m. (Colon. angl.) les Anglois nomment planteurs les habitans qui passent dans de nouvelles colonies pour établir des plantations, ce qui les distingue des avanturiers, qui sont ceux qui prennent des actions dans les compagnies formées pour soutenir ces colonies : les planteurs se nomment en France habitans, colons, ou concessionnaires, & les avanturiers actionnaires. Savary. (D.J.)
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PLANTOIR | S. m. (Jardinage) outil de jardinier en forme de bâton aiguisé, au bout duquel il y a du fer pour faire un trou en terre.
Il y en a de deux sortes ; le grand plantoir qui sert à planter les buis des parterres dans les naissances & contours des broderies où l'on ne peut planter à la rigole : celui-ci est plat, large d'un pouce & demi, & armé de fer par le bout ; son manche est recourbé par le haut.
Le petit plantoir n'est qu'une cheville ronde d'une médiocre grosseur, pointue d'un bout & courbée de l'autre ; c'est avec ce plantoir qu'on transplante & qu'on met en place les plantes qu'on a semées & élevées sur des couches. (D.J.)
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PLANUM | OS PLANUM, en Anatomie, comme qui diroit os dont la surface est plate, c'est la lame qui se remarque à la partie latérale externe de l'os ethmoïde, à laquelle les anciens avoient donné ce nom. Voyez ETHMOÏDE.
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PLANURE | S. f. terme d'Ouvriers en bois, c'est le bois que la plane coupe, & qui tombe aux piés de l'ouvrier qui plane. (D.J.)
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PLAQUE | S. f. (Conchyliol.) on appelle en Conchyliologie, plaque ou couche, la membrane charnue que quelques coquillages font sortir de leur écaille pour pouvoir marcher. (D.J.)
PLAQUE, (Archit.) Voyez CONTRECOEUR.
PLAQUE DE COUCHE, terme d'Arquebusier, c'est une plaque de fer, de cuivre, ou d'argent, que les Arquebusiers mettent pour garnir le bout de la crosse du fusil ; cette plaque est aussi longue & aussi large d'un côté que la face du bois qui s'appuye sur l'épaule, & le côté qui revient en-dessus de la crosse finit en pointe & est façonné ; ces deux côtés sont assujettis sur le bois avec deux vis, que l'on appelle vis de plaque.
PLAQUE DE BARRE A AIGUILLE, (Bas au métier). Voyez METIER A BAS.
PLAQUE, en terme de Blanchisserie de cire, est un morceau de fer-blanc de la forme d'une portion d'entonnoir, qu'on attache au robinet de la cuve, pour ramasser la cire qui en tombe au même point. Voyez nos Planches de la Blanchisserie des cires, & l'article BLANCHIR.
PLAQUE, est encore, parmi les Ciriers, une espece de poële percée & peu profonde, qu'on met sur le réchaut de feu pour modérer la chaleur, qui feroit jaunir la cire, si elle étoit trop vive. Quand elle l'est à un certain point, on met la plaque le fond dessous, pour l'étouffer & le ralentir ; quand elle est montée à un degré moindre, on met la plaque le fond en-dessus, afin d'empêcher simplement de pousser davantage. Voyez nos Planches du Cirier.
PLAQUE, en terme d'Epinglier, se dit d'une lame d'étain coupée en rond, un peu repliée sur les bords, & sur laquelle on étend les épingles pour les étamer ou blanchir. Voyez BLANCHIR. Il faut que les plaques soient de l'étain le plus fin ; elles peuvent servir jusqu'à ce qu'elles soient tombées en lambeaux. Voyez les Planches de l'Epinglier.
PLAQUES, (Comm. des Indes) nom que l'on donne à certains morceaux d'or ou d'argent de divers poids & titres, qui ont retenu la figure des vaisseaux dans lesquels ils ont été fondus ; on tire des Indes & d'Espagne de l'or & de l'argent en plaque.
PLAQUE, terme d'Eaux & Forêts, c'est la marque du marteau, qu'on met sur des arbres pour tirer des alignemens de l'un à l'autre. (D.J.)
PLAQUE, (Ferranderie) morceau de fer ou de fonte figuré, épais d'environ un bon pouce, haut d'un pié & demi, quelquefois plus, & large d'autant ou environ, que l'on attache avec des morceaux de fer, que l'on appelle pattes, au contrecoeur de la cheminée, afin que le feu ne le gâte pas. (D.J.)
PLAQUE. Les Fourbisseurs appellent ainsi la partie de la garde de l'épée qui couvre la main ; elle est ordinairement ouvragée ou treillisée. Voyez ÉPEE & GARDE, & la Pl. du Cizeleur-Damasquin. & la Pl. du Doreur sur métaux.
PLAQUE, parmi les Horlogers, signifie en général une piece de métal large & mince ; la plaque d'une pendule est celle sur laquelle on fixe le cadran d'un côté, & qui de l'autre s'attache au mouvement au moyen de quatre faux piliers, on l'appelle aussi fausse plaque.
Plaque du poussoir dans une montre à répétition se dit d'une piece d'acier, qui par le moyen de trois vis s'ajuste dans l'intérieur de la boëte contre le poussoir, voyez la fig. 59. Pl. XI. de l'Horlogerie. Cette plaque par sa partie en deux, partage le trou du canon de la boëte dans lequel entre le poussoir, par ce moyen elle l'empêche de tourner dans ce canon, & même d'en sortir. Voyez POUSSOIR.
PLAQUE, (Jardinage) est la partie de la fleur qui soutient son calice.
PLAQUE, (Lutherie) dans les orgues on appelle plaque, des morceaux de plomb de forme ronde que l'on soude sur certains tuyaux pour les boucher, & leur faire rendre ainsi un son plus grave d'une octave, que celui qu'ils rendroient s'ils étoient ouverts, voyez la fig. 32. B. Pl. d'Orgue, qui représente un tuyau des tailles du bourdon bouché à rase ; 3 est la plaque à souder sur le tuyau, 4 une autre plaque percée pour le tuyau à cheminée C : on commence par souder la cheminée 2 à la plaque, & l'on soude ensuite celle-ci au tuyau. Voyez l'article ORGUE.
PLAQUES de plomb, (Marine) pour divers usages, il y en a pour couvrir la lumiere des canons, & pour en boucher l'ame, pour étancher les voies d'eau qui se font dans un combat.
PLAQUE, piece d'argenterie ouvragée, au bas de laquelle il y a un chandelier ; on en fait aussi de glaces de miroir, de cuivre, & de fer-blanc. (D.J.)
PLAQUE, (Papeterie) piece de fer dentelée, qui s'ajuste dans la cuve du moulin à papier à cylindre ; voyez-en la description & l'usage à l'article MOULIN A PAPIER à cylindres, & la fig. Pl. de Papeterie.
PLAQUE, terme de Perruquiers, qui se dit des perruques en bonnets, c'est la partie de la perruque qui couvre précisément l'occiput.
PLAQUE, en terme de Cornetier, est une piece de fer, plate & presque quarrée, qui aide à applatir les gabins de la presse à vis, comme la presse à coins. Voyez PRESSE A VIS & PRESSE A COINS. Voyez Pl. du Cornetier.
PLAQUE, (Monnoie) ancienne monnoie d'argent de Flandres, & qui avoit cours dans les Pays-Bas, d'où son usage passa en France. M. le Blanc dit, en parlant de Charles VII, que pour monnoie d'argent, on fit pendant son regne des gros d'argent fin, & des plaques à l'imitation de celles que le duc de Bourgogne faisoit faire dans les Pays-Bas ; celles du roi se fabriquoient à Tournai ; elles étoient d'argent fin, & pesoient soixante-huit ou soixante-neuf grains ; il y en avoit aussi quelques-unes de billon, c'est-à-dire au-dessous de cinq deniers de loi. Il est parlé des plaques dans un édit d'Henri VI, roi d'Angleterre, en date du 26 Novembre 1426 ; ce mot s'écrivoit en anglois plake, & selon Skinner, venoit de plaque, qui signifioit une petite lame de métal. (D.J.)
PLAQUE-SEIN, s. m. terme de Vitrier, espece de petite écuelle de plomb un peu en ovale, dans laquelle les Vitriers détrempent le blanc dont ils signent ou marquent les endroits des pieces de verre, qu'ils veulent couper au diamant. Savary. (D.J.)
PLAQUES ANTIQUES, (Antiq. Rom.) il nous est resté de l'antiquité plusieurs plaques de différens métaux, & même d'or, lesquelles étoient ornées de figures en relief, ou de desseins en creux ; elles servoient à différens usages dont la plûpart nous sont inconnus, & nous ne faisons que soupçonner une partie des autres. Quoi qu'il en soit, le travail de ces monumens mérite l'attention des curieux. Vous en trouverez plusieurs gravures dans le recueil des Antiq. égypt. étrusq. grecq. & rom. de M. de Caylus, tom. II.
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PLAQUÉ | CUIR, (Corroyeur) on appelle cuirs plaqués, les cuirs forts qui ont été plainés & tannés, & qu'on a fait sécher après avoir été tirés de la fosse au tan.
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PLAQUER | v. act. (Architect.) Ce terme a deux significations dans l'art de bâtir ; on dit plaquer le plâtre, pour dire l'employer avec la main, comme pour gobeter & hourder, & plaquer le bois, qui est l'appliquer par feuilles minces sur un assemblage d'autre bois, comme le pratiquent les Ebénistes. (D.J.)
PLAQUER, (terme d'Ebéniste). On dit plaquer le bois, pour dire l'appliquer par feuilles déliées sur un assemblage d'autre bois.
PLAQUER, (Jardinage) c'est le vrai terme dont on doit se servir pour le gazon, & non pas dire poser. Voyez GAZON.
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PLAQUIS | S. m. (Archit.) espece d'incrustation d'un morceau mince de pierre ou de marbre, mal fait & sans liaison, qui dans l'appareil est un plus grand défaut qu'un petit clausoir dans un trumeau ou un cours d'assises.
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PLASENCIA | (Géog. mod.) ville d'Espagne dans l'Estramadure, au milieu des montagnes, sur la petite riviere de Xerte. Elle est dans un canton admirable nommé la Vera de Plasencia, à 30 lieues au midi de Salamanque, & 34 au couchant de Tolede.
Cette ville fut bâtie l'an 1170 par Alfonse III. roi de Castille, à l'endroit où étoit autrefois un village nommé Ambracius. Ce prince y fonda un évêché qui est suffragant de Compostelle, & qui jouit de 40 mille ducats de revenu. Elle a titre de cité, est bien bâtie & défendue par un château. Long. 12. 18'. latit. 39. 52'.
Le canton nommé la Vera de Plasencia, est un pays de montagnes & de vallées délicieux, le plus peuplé & le plus fertile de toute l'Espagne, après l'Andalousie. Il a 12 lieues de longueur sur 3 de largeur. Les campagnes y sont couvertes de jardins où croissent d'excellens melons, & des champs qui produisent du grain en abondance. Les vallons & les montagnes sont tapissés de forêts d'arbres fruitiers, chargés de pêches, d'abricots, de citrons, d'oranges, de grenades, de figues, &c. qui sont d'un goût exquis. On y fait d'excellent vin, & on y cultive le lin. Les fontaines y donnent de belle eau vive, & forment quantité de ruisseaux. En un mot, tout rit dans ce petit pays, & le soleil l'embellit de ses plus doux rayons. (D.J.)
PLASENCIA, (Géog. mod.) ville d'Espagne, dans le Guipuscoa ; elle est dans la vallée de Marquina, au bord de la riviere de Deva, à 3 lieues au-dessous de Mondragon, à 12 au sud-ouest de Bilbao, & à 25 nord-ouest de Pampelune. Il y a beaucoup de mines de fer aux environs, & on y fabrique toutes sortes d'armes. Long. 15. 3. lat. 43. 15.
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PLASMES | (Droguerie) émeraudes brutes propres à broyer pour les faire entrer dans quelques médicamens. Il vaudroit bien mieux les employer à quelqu'autre usage.
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PLASSAGE | S. m. (droit de seigneur) droit que l'on paye pour pouvoir occuper une place dans un marché afin de vendre & étaler sa marchandise. Il faudroit au contraire payer celui qui vient y vendre ses denrées. (D.J.)
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PLASTIQUE | (Métaphysique) nature plastique, principe que quelques philosophes prétendent servir à former les corps organisés, & qui est différent de la vie des animaux. On attribue cette opinion à Aristote, Platon, Empédocle, Héraclite, Hippocrate & aux Stoïciens, auxquels on joint les nouveaux Platoniciens, les Péripatéticiens modernes, & même les Paracelsistes qui ont donné dans les corps des animaux le nom d'archée à ce principe. Mais cette hypothèse a été sur-tout ramenée & étayée de toutes les preuves dont elle est susceptible, par M. Cudvorth dans son systême intellectuel.
Tous ces Philosophes disent que sans ces natures, il faudroit supposer l'une de ces deux choses, ou que dans la formation des corps organisés chaque chose se fait fortuitement sans la direction d'aucune intelligence, ou que Dieu fait lui-même, & pour ainsi dire, de ses propres mains les moindres animaux & leurs petites parties. Or, selon eux, ces deux suppositions sont insoutenables ; car 1°. assurer que tous les effets de la nature se font par une nécessité méchanique, ou par le mouvement fortuit de la matiere, sans aucune direction d'un autre être, c'est assurer une chose également déraisonnable & impie. Non-seulement on ne sauroit concevoir que l'infinie régularité qui est dans tout l'univers résulte constamment du simple mouvement de la matiere, mais il y a encore plusieurs phénomenes particuliers qui passent le pouvoir du mouvement méchanique, comme la respiration des animaux, & il y en a même qui sont contraires à ces lois, comme la distance du pole de l'équateur à celui de l'écliptique. Henri Morus a donné divers exemples de ces deux cas dans son Enchiridion metaphysicum, imprimé à Londres en 1699 avec le reste de ses oeuvres en trois vol. in-fol. Outre cela, ceux qui veulent que tout se fasse par les lois de la méchanique, font de Dieu un spectateur oisif de ce qui résultera des mouvemens fortuits ou nécessaires de la matiere, puisqu'il n'agit en aucune maniere au dehors. Ils rendent la même raison des effets de la nature, qu'un sculpteur, par exemple, rendroit de la maniere dont il auroit fait une statue, s'il disoit que son ciseau étant tombé sur tel ou tel endroit, il l'a creusé, que les autres sont demeurés relevés, & qu'ainsi toute la statue s'est trouvée faite, sans qu'il eût dessein de la faire. C'est tomber dans la même absurdité que de dire, pour rendre raison de la formation des corps des animaux, que les parties de la matiere dont ils sont formés, se sont mues, ensorte qu'elles ont fait, par exemple, le cerveau en tel endroit de telle maniere, le coeur là & de cette figure, & ainsi du reste des organes, sans que le dessein de ce mouvement fût de former un homme, tout cela étant seulement le résultat immédiat du mouvement. Dire d'un autre côté, que Dieu est l'auteur immédiat de tout, c'est faire la Providence embarrassée, pleine de soins & de distractions, & par conséquent en rendre la créance plus difficile qu'elle n'est, & donner de l'avantage aux Athées. C'est le jugement de l'auteur du livre de mundo, qui croit qu'il est indigne de Dieu de faire tout lui-même jusqu'aux moindres choses : " puisqu'il seroit, dit-il, au-dessous de la grandeur de Xerxès de faire tout lui-même, d'exécuter ce qu'il souhaite, & d'administrer tout immédiatement, combien plus seroit-ce une chose peu séante pour la divinité ? Il est bien plus conforme à sa grandeur, & plus décent, qu'une vertu qui soit répandue par tout le monde remue le soleil & la lune ". D'ailleurs, disent nos Philosophes, il ne paroît pas conforme à la raison, que la nature considérée comme quelque chose de distinct de la divinité, ne fasse rien du tout, Dieu faisant toutes choses immédiatement & miraculeusement. Enfin la lenteur avec laquelle tout est produit, paroîtroit une vaine pompe ou une formalité inutile, si l'agent étoit tout puissant. On ne comprendroit pas non plus comment il y auroit des désordres dans l'univers, où quantité de productions réussissent mal, parce que la matiere ne se trouve pas bien disposée, ce qui marque que l'agent n'a pas une puissance à laquelle rien ne peut résister, & que la nature aussi-bien que l'art est une chose qui peut quelquefois manquer, & être frustrée dans ses desseins, à cause de la mauvaise disposition de la matiere, comme un agent tout puissant peut faire ce qu'il se propose en un moment, il arrive toujours infailliblement à ses fins sans que rien l'en puisse empêcher.
Ce sont-là les raisons qui font conclure les philosophes que nous avons nommés, qu'il y a sous la divinité des natures plastiques, qui comme autant d'instrumens, exécutent les ordres de sa providence, en ce qui regarde les mouvemens réguliers de la matiere. Ces natures, à ce qu'ils prétendent, ne doivent point être confondues avec les qualités occultes des Péripatéticiens. Ceux qui attribuent un phénomene à quelque qualité occulte, n'en marquent aucune cause, ils témoignent seulement qu'elle leur est cachée ; mais ceux qui disent que l'ordre qu'on voit dans le monde vient d'une nature plastique, en marquent une cause distincte & intelligible ; car ce ne peut être qu'une intelligence qui soit la cause de cette régularité, & c'est ce qu'assurent ceux qui établissent une semblable nature ; au lieu que ceux qui établissent un méchanisme fortuit, pour parler ainsi, & qui ne reconnoissant aucune cause finale, ne veulent pas qu'une intelligence ait part à la formation des choses ; ces gens-là ne rendent aucune raison de l'ordre de l'univers, à moins qu'on ne dise que la confusion est cause de l'ordre, & le hasard de la régularité. Il y a donc une grande différence entre les qualités occultes & les natures plastiques. Mais les défenseurs de ces natures conviennent en même tems qu'il est très-difficile de s'en faire l'idée, & qu'on ne peut les connoître que par une espece de description. Aristote apprend, Physiq. liv. XVI. ch. viij. comment on peut concevoir la nature plastique en général, en disant que si l'art de bâtir des vaisseaux étoit dans le bois, cet art agiroit comme la nature, c'est-à-dire qu'il croîtroit des vaisseaux tous faits, comme il croît des fruits & d'autres choses semblables. Il en est de même de tous les autres arts. Si l'art de bâtir qui est dans l'esprit des architectes, étoit dans les pierres, dans le mortier & dans les autres matériaux, ils se rangeroient par le moyen de ce principe intérieur dans le même ordre auquel nous le mettons, comme les Poëtes ont dit qu'Amphion en jouant de la lyre, attiroit les pierres, ensorte qu'elles formoient d'elles-mêmes les murailles de Thèbes. La nature plastique est donc une espece d'artisan, mais elle a plusieurs avantages sur l'art humain. Au lieu que celui-ci n'agit qu'en dehors & de loin, sans pénétrer la matiere, qu'il se sert de beaucoup d'instrumens, & qu'il travaille à grand bruit pour imprimer avec peine dans la matiere la forme que l'artisan a dans l'esprit, la nature dont on parle, agit intérieurement & immédiatement sans instrument & sans aucun fracas, d'une maniere cachée, & avec beaucoup de facilité. M. Cudvorth dit que cet art est comme incorporé dans la matiere, & nomme sa maniere d'agir vitale, & même magique, pour l'opposer à la méchanique dont les hommes se servent. 2°. Au lieu que nos artisans sont souvent obligés de chercher comment ils feront pour venir à bout de leurs desseins, qu'ils consultent, qu'ils déliberent, & qu'ils corrigent souvent les fautes qu'ils avoient faites, la nature plastique au contraire ne s'arrête jamais, & n'est point en peine de ce qu'elle doit faire ; elle agit toujours sans jamais changer ou corriger ce qu'elle a fait ; elle est une empreinte de la toute-puissance divine qui est la loi & la regle de tout ce qu'il y a de meilleur dans chaque chose.
Néanmoins il faut bien se garder de confondre la nature plastique avec la divinité même. C'est quelque chose de tout différent & qui est fort au-dessous. L'art de la divinité, à proprement parler, n'est que la lumiere, l'intelligence & la sagesse qui est en Dieu lui-même, & qui est d'une nature si éloignée de celle des corps, qu'elle ne peut être mêlée dans la nature corporelle. La nature n'est pas cet art archetipe ou original qui est en Dieu, elle n'est qu'une copie, qui quoique vivante & semblable à divers égards à son original, conformément auquel elle agit, n'entend pas néanmoins la raison pour laquelle elle agit. On peut exprimer leur différence par la comparaison de la raison intérieure, ou du discours intérieur, & de la raison proférée, ou discours extérieur, le second quoique image du premier, n'étant qu'un son articulé, destitué de tout sentiment & de toute intelligence.
L'activité vitale des natures plastiques n'est accompagnée d'aucun sentiment clair & exprès. Ce sont des êtres qui ne s'apperçoivent de rien, & qui ne jouissent pas de ce qu'ils possedent. On allegue diverses raisons pour justifier cette partie de l'hypothèse, qui est une des plus difficiles à digérer.
1°. Les Philosophes mêmes qui veulent que l'essence de l'ame consiste dans la pensée, & que la pensée soit toujours accompagnée d'un sentiment intérieur, ne sauroient prouver avec quelque vraisemblance que l'ame de l'homme dans le plus profond sommeil, dans les léthargies, dans les apoplexies, & que les ames même des enfans dans le sein de leurs meres pensent, & sentent ce qu'elles pensent ; & néanmoins si elles ne pensent pas, il faut que, selon eux, elles ne soient pas. Si donc les ames des hommes sont pendant quelque tems sans ce sentiment intérieur, il faut que l'on accorde que ce sentiment-là du moins clair & exprès n'est pas nécessaire à un être vivant.
2°. Il y a une certaine apparence de vie dans les plantes que l'on nomme sensitives, auxquelles néanmoins on ne sauroit attribuer imagination ni sentiment.
3°. Il est certain que l'ame humaine ne sent pas toujours ce qu'elle renferme. Un géometre endormi a en quelque sorte tous ses théoremes & toutes ses connoissances en lui-même : il en est de même d'un musicien accablé d'un profond sommeil, & qui sait alors la musique & quantité d'airs sans le sentir. L'ame ne pourroit-elle donc pas avoir en elle-même quelque activité qu'elle ne sût pas ?
4°. Nous savons par l'expérience que nous faisons quantité d'actions animales sans y faire aucune attention, & que nous exécutons une longue suite de mouvemens corporels, seulement parce nous avons eu intention de les faire sans y penser davantage.
5°. Ce rapport vital par lequel notre ame est liée si étroitement à notre corps, est une chose dont nous n'avons aucun sentiment direct, & que nous ne connoissons que par les effets. Nous ne pouvons pas dire non plus de quelle maniere les différens mouvemens de notre corps produisent divers sentimens dans notre ame, ou comment nos ames agissent sur les esprits animaux dans notre cerveau, pour y produire les changemens dont l'imagination a besoin.
6°. Il y a une sorte de pouvoir plastique dans l'ame, s'il est permis de parler ainsi, par lequel elle forme ses propres pensées, & dont souvent elle n'a point de sentiment ; comme lorsqu'en songeant nous formons des entretiens entre nous & d'autres personnes, assez longs & assez suivis, & dans lesquels nous sommes surpris des réponses que ces autres personnes semblent nous faire, quoique nos ames forment elles-mêmes cette espece de comédie.
7°. Enfin non-seulement les mouvemens de nos paupieres & de nos yeux se font en veillant sans que nous les appercevions, mais nous faisons encore divers mouvemens en dormant sans les sentir. La respiration & tous les mouvemens qui l'accompagnent, dont on ne peut pas rendre des raisons méchaniques qui satisfassent, peuvent passer quelquefois plutôt pour des actions vitales, que pour des actions animales, puisque personne ne peut dire qu'il sent en lui-même cette activité de son ame qui produit ces mouvemens quand il veille, & encore moins quand il dort. De même les efforts que Descartes a faits pour expliquer les mouvemens du coeur, se trouvent refutés par l'expérience, qui decouvre que la systole est une contraction musculaire causée par un principe vital. Comme notre volonté n'a aucun pouvoir sur la systole & la dyastole du coeur, nous ne sentons aussi en nous-mêmes aucune action du nôtre qui les produise ; & nous en concluons qu'il y a une activité vitale qui est sans imagination & sans sentiment intérieur.
Il y a une nature plastique commune à tout l'univers. Il y a des natures particulieres qui sont dans les ames des animaux, & il n'est pas impossible qu'il n'y en ait encore d'autres dans des parties considérables du monde, & que toutes ne dépendent d'une ame universelle, d'une parfaite intelligence qui préside sur le tout. Telle est l'hypothèse des natures plastiques, contre laquelle on a formé diverses objections. Voici les principales.
1°. On lui reproche de n'être autre chose que la doctrine des formes substantielles ramenée sous une autre face. C'est M. Bayle qui forme cette accusation, dans sa continuation des pensées diverses, ch. xxj. On lui a opposé les réponses suivantes. 1°. Les défenseurs des natures plastiques suivent la philosophie corpusculaire ; ils disent que la matiere de tous les corps est une substance étendue, divisible, solide, capable de figure & de mouvement. 2°. Ils n'attribuent aucune autre forme à chaque corps considéré simplement comme tel, qu'une forme accidentelle qui consiste dans la grosseur, la figure, la situation ; & ils tâchent de rendre raison par-là des qualités des corps. 3°. Cette doctrine est très-éloignée de celle des Péripatéticiens, qui établissent je ne sais quelle matiere premiere, destituée de toutes sortes de qualités, & à laquelle une forme substantielle qui lui est unie, donne certaines propriétés. Cette forme est, selon leur définition, une substance simple & incomplete , qui en actuant la matiere (qui n'est autrement qu'une puissance) compose avec elle l'essence d'une substance complete . Une pierre, par exemple, est composée d'une matiere qui n'a point de propriété, mais qui devient pierre étant jointe à une forme substantielle. La nature plastique n'est pas une faculté du corps qui y existe comme dans son sujet, ainsi que la forme substantielle est appartenante à la matiere qui la renferme dans son idée. C'est une substance immatérielle qui est entierement distincte. Elle n'est pas non plus unie avec le corps pour faire un tout avec lui. Elle n'est pas engendrée & ne périt pas avec le corps, comme les formes substantielles.
2°. On prétend qu'elle favorise l'athéïsme. C'est encore M. Bayle qui objecte que la supposition des natures plastiques, que l'on dit agir en ordre sans en avoir d'idée, donne lieu aux Athées de retorquer contre nous l'argument par lequel nous prouvons qu'il y a un Dieu qui a créé le monde en faisant remarquer l'ordre qui y regne. " Cette objection, dit-il, hist. des Sav. Décembre, 1704, n °. 40. est fondée sur ce que quand même par un dato non concesso on accorderoit que la nature, quoique destituée de connoissance & de plusieurs autres perfections, existeroit d'elle-même, on ne laisseroit pas de pouvoir nier qu'elle fût capable de pouvoir organiser les animaux, vû que c'est un ouvrage dont la cause doit avoir beaucoup d'esprit ". On répond qu'à la vérité nul être n'a pu concevoir le dessein de former les animaux tels qu'ils sont, sans avoir beaucoup de lumieres ; mais la cause suprème & souverainement sage, après avoir conçu ce dessein, a pu produire des causes inférieures qui exécutent son projet sans en savoir les raisons ni les fins, & sans avoir d'idée de ce qu'on appelle ordre, qui est une disposition de parties rangées ensemble d'une maniere propre à parvenir à un certain but. Pourquoi Dieu ne pourroit-il pas faire un être immatériel dont il borne la connoissance & le pouvoir d'agir selon son plaisir ? Il est nécessaire que l'inventeur d'une machine ait beaucoup d'esprit, mais il n'est pas nécessaire que ceux à qui il la fait faire en sachent le dessein & les raisons. Il suffit qu'ils exécutent ses ordres suivant l'étendue de leurs facultés. La preuve que l'on donne de l'existence de Dieu par l'ordre que l'on voit dans la nature, n'est pas appuyée sur cette supposition, que tout ce qui contribue à cet ordre le comprend, mais seulement sur ce que cela ne s'est pu faire sans qu'au moins la cause suprème en ait eu une idée, & l'on démontre par-là son existence. Rien, dit-on, ne peut agir en ordre sans en avoir l'idée, ou sans avoir reçu cette faculté d'un être qui a cette idée. Or, si les Athées accordent cela, il faudra nécessairement qu'ils reconnoissent un Dieu, & ils ne pourront point retorquer l'argument. Les défenseurs des natures plastiques y donneroient lieu s'ils disoient que Dieu ne s'est point formé d'idée de l'univers avant qu'il fût fait, mais qu'une certaine nature l'a produit sans savoir ce qu'elle faisoit. L'ordre du monde, qui seroit alors un effet du hasard, ne prouveroit point dans cette hypothèse qu'il y a un Dieu ; mais il n'en est pas de même lorsqu'on suppose que Dieu, après avoir conçu l'ordre du monde, a produit des êtres immortels pour l'exécuter sous sa direction.
3°. On regarde enfin comme absurde la supposition de ces natures formatrices, qui ne savent ce qu'elles font, & qui font néanmoins les organes des plantes & des animaux. Cette troisieme difficulté se réduit à cette proposition : " S'il peut y avoir une nature immatérielle & agissante par elle-même, qui forme en petit par la faculté qu'elle en a reçue de Dieu, des machines telles que sont les corps des plantes & des animaux, sans néanmoins en avoir d'idées ". Les Plasticiens disent qu'oui, en supposant toujours que celui qui a fait cette nature, a en lui-même des idées très-distinctes de ce qu'elle fait. " Mais, continue l'antagoniste, cette nature est donc un pur instrument passif entre les mains de Dieu, ce qui revient à la même chose que de faire Dieu auteur de tout ". On répond que non, parce que suivant l'hypothèse, c'est une nature agissante par elle-même. Ici se présente l'exemple des bêtes, que les hommes employent pour faire diverses choses qu'elles ne savent pas qu'elles font, comme des instrumens actifs pour exécuter des choses que les hommes ne pourroient pas faire immédiatement, ou par leurs propres forces. Car tout ce que font les hommes dans ces occasions, c'est d'appliquer les bêtes d'une certaine maniere à la matiere par des cordes, ou autrement, ensorte qu'elles agissent nécessairement d'une certaine façon, & de les obliger de marcher en les piquant ou en les frappant. Ce n'est pourtant pas que M. Cudvorth ait prétendu que les natures formatrices soient tout-à-fait semblables à l'ame des bêtes, puisqu'il ôte tout sentiment à ces natures, au-lieu que les bêtes sentent. On ne se sert donc de cet exemple que pour faire voir qu'il y a des instrumens actifs, & qui agissent en ordre sans en avoir d'idée, lorsqu'ils sont appliqués aux choses sur lesquelles ils agissent par une intelligence qui sent quel est cet ordre. Il se peut faire, dit-on, que Dieu ait créé, outre les intelligences qui sont au-dessus de la nature humaine, outre les ames des hommes qui sentent & qui raisonnent, outre les ames des bêtes qui sentent, & qui font peut-être quelques raisonnemens grossiers, il se peut que Dieu ait créé des natures immatérielles qui ne sentent ni ne raisonnent ; mais qui ont la force d'agir en un certain ordre, non comme une matiere qui n'agit qu'autant qu'elle est poussée, mais par une activité intérieure, quoique nécessaire : il n'y a rien-là de contradictoire, ni d'absurde. On ajoute que cette nature aveugle peut-être bornée, ensorte qu'elle agit toujours d'une certaine façon sans pouvoir s'en éloigner.
M. Bayle demandoit à ce sujet, si Dieu pourroit faire une nature aveugle qui écrivît tout un poëme sans le savoir ; & il prétendoit que la machine du corps d'un animal est encore plus difficile à faire sans intelligence. On répondoit, 1°. Que si l'on avoit vu comment les principes des animaux se forment, on pourroit dire si cette formation est plus difficile que la composition d'un poëme, ou que l'action de l'écrire sans le savoir ; mais que comme on ne l'a point vu, personne n'en sait rien. 2°. Que Dieu peut tout ce qui n'est pas contradictoire, & qu'il pourroit faire une nature qui agiroit sur de la matiere dans un certain ordre nécessaire que Dieu auroit conçu, sans que cette nature sût ce qu'elle feroit, en autant de manieres & pendant autant de tems que Dieu le voudroit : cette nature donc ne pourroit pas écrire d'elle-même un poëme dont elle n'auroit aucune idée, sans que Dieu en eût réglé les actions d'une certaine maniere, dont elle ne sût s'écarter ; mais elle le pourroit dans cette supposition. Dieu ne seroit pas pour cela l'auteur immédiat de chacune de ses actions, parce qu'elle agiroit d'elle-même ; ainsi Dieu a fait nos ames ensorte qu'elles souhaitent nécessairement d'être heureuses, sans qu'elles puissent s'en empêcher, mais ce n'est pas Dieu qui produit chaque souhait en nous.
Ces raisons n'empêchent pas cependant que la supposition de ces natures formatrices ne soit fort inutile. C'est une vraie multiplication d'êtres faite sans nécessité. Les réponses précédentes peuvent peut-être mettre cette opinion à l'abri du reproche d'absurdité & de contradiction, mais je ne crois pas qu'on puisse y faire sentir de grandes utilités. Je sais bien qu'on a voulu s'en servir pour expliquer le premier principe de la fécondité des plantes & des animaux, & pour rendre raison de leur multiplication prodigieuse. Ce sont, dit-on, les natures plastiques qui travaillent immédiatement & sans cesse les semences des plantes & des animaux, à mesure que la propagation se fait. Comme elles travaillent sans savoir le succès de leur travail, elles font infiniment plus d'embryons qu'il n'en faut pour la propagation des especes, & il s'en perd sans comparaison plus qu'il n'y en a qui réussissent. Il semble que si ces ouvrages sortoient immédiatement de la main de Dieu qui sait ce qui doit arriver, le nombre en seroit plus réglé & la conservation plus constante ; mais il me semble d'un autre côté que l'on met Dieu encore plus en dépense, si je puis m'exprimer ainsi, dans la création de ce nombre infini de natures ouvrieres, que dans la perte d'une partie des semences dont on vient de parler. Quoi qu'il en soit, ceux qui voudront achever d'approfondir cette matiere, peuvent recourir au Système intellectuel de M. Cudvorth, & à la Bibliotheque choisie de M. le Clerc, tome II. art. 2. tome V. art. 4. tome VI. art. 7. tome VII. art. 7. & tome X. article dernier.
PLASTIQUE, PLASTICE, (Sculpture) art plastique, c'est une partie de la Sculpture qui consiste à modeler toutes sortes de figures en plâtre, en terre, en stuc, &c. Les artistes qui s'exercent à ces sortes d'ouvrages s'appellent en latin plastes. La Plastique differe de la Sculpture, en ce que dans la premiere les figures se font en ajoutant de la matiere, au lieu que dans l'autre on les fait pour ainsi du bloc en ôtant ce qui est superflu.
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PLASTRON | S. f. (Architect. & Sculpt.) ornement de sculpture en maniere d'anse de panier avec deux enroulemens, imité du bouclier naval antique. (D.J.)
PLASTRON, outil d'Arquebusier, c'est un morceau de bois plat fait à-peu-près comme un violon, mais un peu plus petit, sur le milieu duquel est un morceau de fer de la largeur du doigt & moitié plus épais, qui y est arrêté à demeure & qui est à moitié percé de plusieurs trous, les arquebusiers s'en servent pour mettre la tête du forêt dans un de ces demi-trous, ensuite ils posent le plastron sur leur estomac, & appuient l'autre bout sur la place où ils veulent percer le trou, & font tourner le forêt par le moyen de la boîte & de l'archet.
PLASTRON, (Cordonnerie) est un morceau de bufle, que les Cordonniers mettent devant eux pour ne pas couper leurs habits. Il est ordinairement cousu sur la bavette de leur tablier. Voyez la Planche du Cordonnier-Bottier.
PLASTRON, (Escrime) machine de cuir rembourré qui a la forme d'une cuirasse, & qui s'attache de même par des courroies qui passent autour du cou & autour de la ceinture.
Les maîtres en-fait-d'armes mettent ce plastron pour donner leçon, afin de recevoir dessus les bottes que les écoliers leur portent.
PLASTRON d'une tortue, terme de relation, on appelle de ce nom toute l'écaille du ventre de cet animal, sur lequel on laisse trois ou quatre doigts de chair avec toute la graisse qui s'y rencontre. Le plastron se met tout entier dans le four, & se sert de même tout entier sur la table. Labat. (D.J.)
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PLAT | voyez PALETTE.
PLAT, adj. (Gramm.) uni, sans inégalité ; c'est l'opposé de creux & de raboteux.
Il se dit au simple & au figuré. La Beausse est un pays plat ; un plat homme ; un plat ouvrage ; il est tombé plat ; un style plat ; des rimes plates où deux vers masculins succedent à deux vers féminins, & ainsi de suite ; le plat d'une épée, &c.
PLAT, (Cuisine) ustensile de ménage, sur lequel on sert les mets ; on dit un plat de soupe, des plats d'entre-mets, &c.
Il y a les plats de la balance, ce sont les deux écuelles où l'on met les choses à peser.
Des plats de verre, ce sont ces grands morceaux ronds qu'on coupe pour les distribuer en panneaux.
PLAT DE L'EQUIPAGE ou un PLAT DES MATELOTS, (Marine) c'est un nombre de sept rations ou portions, soit de chair, soit de poissons ou de légumes, pour nourrir sept hommes qui mangent ensemble ; chaque plat de l'équipage étant pour sept hommes.
Six, sept ou huit hommes à chaque plat, chez les Hollandois. Les Anglois ne sont que quatre à chaque plat, voyez GAMELLE. Ceux qui mangent à même plat.
Plats de bois, voyez GAMELLE.
Plat des malades ; être mis au plat des malades par le chirurgien du vaisseau, c'est être rangé au nombre des malades, pour avoir la subsistance qui leur est ordonnée.
Les malades sont soignés par ceux qui mangent ordinairement à même plat qu'eux.
Plat ; le plat de la maîtresse varangue ; c'est la partie de la varangue qui est le plus en ligne droite.
PLAT A VANNER, est parmi les Cloutiers d'épingles un ustensile de bois rond, peu profond, & ainsi appellé, parce qu'il ressemble assez à un grand plat, & sert à vanner les cloux d'épingle. Voyez VANNER, & les Planches du Cloutier d'épingles.
PLAT, (Maréchal) un cheval plat est celui qui a les côtes serrées.
PLAT D'ARGENT, rhombus patina, (Hist. rom.) le luxe des Romains pour la grandeur de ces sortes de plats, étoit si excessif, que Sylla en avoit qui pesoient deux cent marcs ; & Pline observe qu'on en auroit trouvé pour-lors à Rome plus de cinq cent de ce poids-là. Cette fureur ne fit qu'augmenter dans la suite, puisque du tems de l'empereur Claudius un de ses esclaves, appellé Drusillanus Rotundus, avoit un plat, appellé promulsis, de mille marcs pesant, qu'on servoit au milieu de huit petits plats de cent marcs chacun. Ces neuf plats étoient rangés à table sur une machine qui les soutenoit, & qui du nom du grand plat s'appelle promulsidarium. On connoît le plat de Vitellius qui, à cause de sa grandeur énorme, fut nommé le bouclier de Minerve. Cent boucliers de Minerve portés à l'hôtel des monnoies de Paris en 1759 auroient fait un beau produit en especes ; mais le plat de Vitellius n'a pas passé jusqu'à nous. (D.J.)
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PLAT-BORD | S. m. (Marine) c'est l'extrémité du bordage qui regne par en haut sur la lisse du vibord autour du pont, & qui termine les allonges de revers, ou bien plusieurs pieces de bois endentées tout le long des côtes d'un vaisseau, pour empêcher que l'eau n'entre dans les membres.
Les plats-bords sont les bouts des allonges de revers, contre les lisses, & sont assemblés à joints perdus pour tenir plus ferme ; on y fait des trous pour des chevillots, où l'on amarre des manoeuvres.
Le plat-bord d'un vaisseau de cent trente-quatre piés de long de l'étrave à l'étambord, doit avoir huit pouces de large & quatre pouces & demi d'épais.
Plat-bord, c'est-à-dire vibord, c'est ainsi que les gens des équipages, & la plûpart des autres après eux, ont confondu le plat-bord & le vibord, & ont donné au vibord le nom de plat-bord, qui est devenu même plus commun en ce sens que celui de vibord. Il est pourtant bon de les distinguer, parce que cela cause beaucoup de confusion : l'élévation des platbords doit être telle que les mousquetaires puissent tirer commodément par-dessus. Voyez VIBORD.
Le plat-bord à l'eau, c'est une maniere de parler qui signifie que le vaisseau étoit si fort couché sur le côté, que le plat-bord touchoit à l'eau. Notre vaisseau portoit si rudement les voiles, pour parer un cap sur lequel nous étions affalés, qu'il avoit le plat-bord à l'eau.
Plat-bord signifie aussi un retranchement, ou bâtardeau de planches, que l'on fait sur le haut du côté d'un vaisseau, pour empêcher que l'eau n'entre sur le pont & dans le vaisseau, lorsqu'on le met sur le côté pour le carener.
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PLAT | ou RIO DE LA PLATA, (Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale, dans le Paraguay, des deux côtés de la riviere de la Plata qui lui a donné son nom. Elle est bornée au Nord par la province de Parana, au Midi par le pays des Pampas, au Levant par l'Urciguay, & au Couchant par le Tucuman. On y trouve les villes de Buenos-Ayres, de Santa-Fé, de Corientes, & de Santa-Lucia.
PLATA, la, autrement CHUQUISATA, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale au Pérou, capitale de l'audience de Los-Charcas au nord-est du Potosi sur la petite riviere de Cachimayo. Elle fut bâtie l'an 1539 par Pedro-Anzurès, frere de François Pizaro, & il la nomma la Plata, c'est-à-dire l'argent à cause des mines de ce métal qui sont dans le voisinage. Elle a environ dix mille habitans, tant indiens qu'espagnols, au nombre desquels se trouvent plusieurs religieux & religieuses. Son évêché, établi en 1553, fut érigé en archevêché en 1608. Long. 313. lat. mérid. 19. 32.
PLATA, riviere de la, ou RIO DE LA PLATA, (Géog. mod.) grande riviere de l'Amérique méridionale, qui prend sa source au Pérou dans l'audience de Los-Charcas, & va se jetter dans la mer du nord par les 35 degrés de latit. mérid. à Buenos-Ayres, où elle a 60 lieues de large, & dans le reste de son cours 20 à 30. Elle fut découverte en 1515, & donne son nom à une province qui s'y est formée par des colonies espagnoles.
Le premier qui entra dans la riviere de la Plata est Juan Dias de Solis en 1515, mais il y fut massacré par les sauvages. Ensuite Sébastien Cabot, anglois, envoyé par Charles-Quint aux Moluques, fut contraint, faute de vivres, d'entrer dans cette riviere en 1526, & d'y essuyer plusieurs combats avec les sauvages. Il y bâtit pour sa défense un fort, où Diego Garcias, portugais, le trouva l'année ensuite ; comme ils recouvrerent par leur union quelque argent des sauvages, & qu'on n'en avoit pas encore apporté de l'Amérique en Espagne, cette riviere fut nommée rio de la Plata, c'est-à-dire riviere d'argent. Les Espagnols y envoyerent en 1535 Pedro de Mendosa qui mourut en chemin, & en 1540 Alvaro Nunnez. Alors le pays se découvrit peu-à-peu, & les Espagnols y formerent des colonies. Le P. Feuillée a donné un plan assez exact de la riviere de la Plata dans son Journal d'observations physiques.
Nos fleuves ne sont que des ruisseaux en comparaison de cette riviere semblable à une mer ; elle coule dans un silence majestueux, & traverse des royaumes inconnus, des mondes de solitude où le soleil sourit en vain, & où les saisons sont infructueusement abondantes ; elle nourrit plusieurs nations sauvages, & entoure plusieurs îles dans son sein. C'est le siege de Pan qui est demeuré plusieurs siecles sans être troublé par les crimes des cruels enfans de l'Europe. (D.J.)
PLATA, île de la, (Géog. mod.) île de l'Amérique méridionale au Pérou, sur la côte de l'audience de Quito, à 5 lieues du cap de S. Laurent. Elle a 4 milles de long, & un mille & demi de large. L'ancrage est à l'Orient vers le milieu de l'île, on y trouve 18 ou 19 brasses d'eau, latit. mérid. 1. 10.
PLATA, (Commerce) ce terme espagnol signifie de l'argent ; & de même le mot de vellon qu'on prononce veillon, signifie du cuivre. On use de ces deux termes non-seulement pour exprimer les especes de ces deux métaux qui sont fabriquées en Espagne, ou qui y ont cours, mais encore pour mettre de la différence entre plusieurs monnoies de compte dont les Espagnols se servent pour tenir leurs livres dans le commerce.
L'on dit dans cette derniere signification un ducat de plata & un ducat de vellon, un réal de plata & un réal de vellon, enfin un maravedis de plata & un maravedis de vellon ; ce qui augmente ou diminue les sommes de près de la moitié ; 34 maravedis de plata faisant 63 maravedis de vellon ; la piastre ou piece de huit vaut 272 maravedis de plata, & 510 maravedis de vellon. Savary. (D.J.)
PLATA-BLANCA, (Minéral.) sorte de minerai ou de métal, comme on parle au Pérou & au Chily, qui se tire des mines d'argent du Potosi, de Lipes & quelques autres montagnes de ces deux parties de l'Amérique espagnole. Ce minerai est blanc, tirant sur le gris, mêlé de quelques taches rouges & bleuâtres, d'où apparemment il a pris son nom, plata-blanca signifiant argent blanc en espagnol. Dict. du comm. (D.J.)
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PLATAIN | PLATIN, (Marine) c'est le nom qu'on donne dans le pays d'Aunis à une côte de la mer qui est plate. Il y a près de la Rochelle le platin d'Angoulin & le platin de Chatellaillon, lieux très-propres à faire une descente.
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PLATAMONA | (Géog. mod.) riviere de la Turquie européenne, dans le Coménolitari. Elle a sa source dans les montagnes de la Macédoine, à l'orient d'Ochrida, & se rend dans le golfe de Salonique, près de Stadia. C'est l'Aliacomon des anciens. (D.J.)
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PLATANE | platanus, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en chaton, en forme de peloton, & composé de plusieurs étamines ; cette fleur est stérile ; le jeune fruit, qui n'est d'abord qu'un globule contenant plusieurs embryons, devient dans la suite plus gros, & renferme des semences qui ont un peu de duvet. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PLATANE, platanus, (Jardinage) très-grand arbre qui vient naturellement en Asie & dans l'Amérique septentrionale. Après le cedre du Liban, c'est l'arbre le plus vanté de l'antiquité. Les auteurs de ces tems reculés font mention d'arbres de cette espece, qui ont attiré l'admiration, par leur grande stature, leur prodigieuse grosseur, leur vaste étendue & la beauté de leur feuillage. Ils citent à ce sujet des faits singuliers & mémorables. Les Poëtes & les Orateurs, les Historiens, les Naturalistes & les Voyageurs ont célebré le platane, & nous ont transmis des détails sur les qualités d'agrément & d'utilité qu'on lui reconnoît aujourd'hui. Cet arbre étoit connu en Grece dès les tems florissans de cette république, où chaque citoyen s'introduisoit à la philosophie : toutes les avenues des fameux portiques où s'assembloit la jeunesse pour différens exercices étoient plantés de platanes, afin de réunir la commodité à l'agrément par la fraîcheur de l'ombrage & de la beauté du feuillage. Bien-tôt après les Romains, dans l'âge éclatant de leur empire, tirerent cet arbre de l'Asie. Ils en faisoient leurs délices & l'ornement de leurs maisons de plaisance. Ils n'épargnoient ni soins, ni dépense pour le cultiver ; jusqu'à prendre plaisir à le faire arroser avec du vin : ce qui, dit-on, accéleroit considérablement son accroissement. On prétend que cet arbre fut ensuite apporté en France, où les plus grands seigneurs faisoient un si grand cas de son ombre, qu'on exigeoit un tribu des gens qui vouloient s'y reposer. Mais il ne paroît pas que le platane alors ait été fort répandu dans ce royaume, ni qu'il s'y soit soutenu long-tems. Quoi qu'il en soit, cet arbre est présentement assez commun en Italie, en Espagne & en Angleterre. A ce dernier égard, on croit que c'est le chancelier Bacon qui a fait planter les premiers arbres de cette espece dans les jardins de son château de Verulam. On ne date pas de si loin en France pour la derniere époque du retour de cet arbre : le platane le plus ancien que l'on y connoisse est au Jardin du Roi à Paris, il peut avoir 60 ans ; mais ce n'est que depuis trente années environ que quelques curieux ont commencé à tirer d'Angleterre des plants de cet arbre, qui restoit concentré dans le petit cercle des amateurs de collection d'arbres étrangers. M. de Buffon a été des premiers à faire usage des platanes pour l'ornement des jardins ; il a eu la satisfaction de les voir prospérer & donner des graines fécondes, dans sa terre de Montbard en Bourgogne : on a fait dans ce canton des essais pour la multiplication de cet arbre, qui ont parfaitement réussi, & donnent lieu à en répandre des plants dans le royaume. Cependant le platane n'étoit pas encore assez connu pour exciter une curiosité plus générale ; il a fallu l'exemple du prince. Depuis qu'on a fait venir d'Angleterre pour le roi une assez grande quantité de platanes, on voit croître tous les jours le goût d'employer cet arbre dans toutes les parties qui peuvent contribuer à l'embellissement des jardins.
Le platane est en grande estime dans la Perse, où on le cultive avec une prédilection singuliere : c'est cependant moins pour l'agrément qu'il procure, que dans des vues plus utiles & plus grandes. Les Persans prétendent que cet arbre contribue à la pureté de l'air & à la salubrité du pays. Voici ce que rapporte le chevalier Chardin dans la relation de ses voyages, édit. d'Amst. 1711. " Les arbres les plus communs de la Perse sont le platane, &c. Les Persans tiennent qu'il a une vertu naturelle contre la peste, & contre toute autre infection de l'air ; & ils assurent qu'il n'y a plus eu de contagion à Hispahan, leur capitale, depuis qu'on en a planté par-tout, comme on a fait dans les rues & dans les jardins. " Cet arbre répand en effet une odeur douce, balsamique & agréable, qui saisit légerement quand on approche ; mais qui ne se fait pas sentir plus vivement lorsque l'on manie ses feuilles. C'est l'ensemble des parties de l'arbre qui répand cette odeur, & ce n'est que par la quantité des plants qu'elle peut se généraliser & se porter au loin.
Le platane fait de lui-même une tige droite qui s'éleve à une grande hauteur. Il grossit à proportion, & sa tête prend une belle forme. L'écorce est de différente couleur dans chaque variété de cet arbre ; mais elle est toujours lisse & unie à tout âge, parce qu'elle se renouvelle chaque année pour la plus grande partie & par places inégales ; il s'en détache de tems-en-tems des lambeaux qui tombent peu-à-peu. Sa feuille est découpée en cinq parties ; elle differe pour la forme, la grandeur & la nuance de verdure, suivant la diversité des especes. L'arbre produit au commencement de Mai des globules qui rassemblent les fleurs mâles & les fleurs femelles ; ce sont quantité de petits filets qui n'ont nulle belle apparence ; ces filets correspondent aux graines qui sont rassemblées autour d'un noyau dur & ligneux. Il vient trois, quatre ou cinq de ces globules, le long d'un filet commun, qui a six ou sept pouces de longueur ; & chaque globule, qui a dans son état de perfection douze ou quatorze lignes de diametre, contient cinq à six cent graines, qui ont quelque ressemblance avec celle de la scabieuse.
Cet arbre a d'excellentes qualités ; on peut le multiplier très-aisément, son accroissement est extrêmement prompt, la plupart des expositions lui conviennent, & il réussit même dans des terreins de médiocre qualité. Il est très-robuste, il résiste dans la force de l'âge à l'impétuosité des vents ; il supporte très-aisément la transplantation, & on peut le tailler dans toutes les saisons sans aucun inconvénient. Enfin, il n'est sujet à aucune maladie ; il n'occasionne point de saleté, & jamais aucun insecte que ce soit n'attaque ses feuilles, ni même ne s'y arrête.
Tous les auteurs s'accordent à assigner au platane un terrein gras & humide : il est vrai qu'il se plaît dans les terres qui sont limoneuses, & dans le voisinage des eaux. Mais il ne faut pas que la terre soit trop forte, trop dure, ni mélée d'argile ou de glaise ; j'ai éprouvé que cet arbre s'y soutient difficilement, que son accroissement y est retardé de moitié, & qu'il n'y donne pas de belles feuilles. Mais j'ai vu au contraire qu'il réussit à souhait, & qu'il fait les plus grands progrès dans les terres meubles & douces, le long des canaux, sur le bord des ruisseaux, & particulierement dans les coteaux exposés au nord, qui ont peu de pente, & où il y a des suintemens d'eaux. Toutes les terres qui ont de la substance, de la fraîcheur & de la légereté lui conviennent, quand même elles seroient mêlées de sable & de pierrailles. Ces circonstances jusqu'ici sont préférables pour faire le mieux ; mais elles ne sont pas indispensables : on s'est assuré que le platane se contente d'un sol médiocre & élevé, qu'il ne craint pas absolument les terres légeres, même un peu séches, lorsqu'elles ont de la profondeur ; qu'il vient bien partout où le tilleul réussit, & que même on l'a employé avec succès pour remplacer dans des lieux élevés ce dernier arbre qui ne pourroit y profiter ni s'y soutenir.
Il y a différens moyens de multiplier le platane. On peut le faire venir de graine, de bouture, de branches couchées, & même par les racines. La semence est la voie la plus longue, la plus difficile & la plus désavantageuse. La bouture est le moyen le plus simple & le plus convenable quand on veut se procurer beaucoup de plants. La branche couchée est le parti le plus propre à accélerer l'accroissement. A l'égard des racines, c'est un expédient de peu de ressource. Nul moyen au reste de multiplier cet arbre par les rejettons ou par la greffe : le platane ne donne au pié aucuns rejettons enracinés, & il ne peut se greffer sur aucune autre espece d'arbre. Dès l'âge de 7 ans, cet arbre commence à porter des graines : elles ne sont en maturité que dans le mois de Janvier ; ce qui se manifeste lorsqu'en serrant le lobule avec les doigts, les graines se détachent aisément de l'espece de noyau qui les tient rassemblées. Cette graine leve difficilement & en bien petite quantité ; car il n'en réussit pas la dixieme partie. Mais ce qu'il y a de pis, c'est qu'elle ne produit que des plants bâtards : nonseulement ils ne sont pas de même feuille que l'arbre dont a tiré la graine, mais il y a tant de variété par des nuances insensibles dans la découpure des feuilles & dans la teinte de verdure, que presque tous les plants ont entr'eux de la différence. L'incertitude du succès des graines de cet arbre vient de deux circonstances ; d'abord de la configuration de la graine ; elle est enveloppée d'une gaîne assez longue, qui est garnie d'un duvet tenace, ce qui l'empêche de percer aisément la terre. Ensuite les plants qu'elle produit sont si petits, si minces, si foibles dans leur premiere venue, qu'ils sont très-sujets à pourrir dans les terres humides, ou à être brûlés par la trop grande ardeur du soleil. Ce n'est donc qu'en semant avec précaution, & en soignant les jeunes plants lorsqu'ils sont levés, qu'on peut les garantir. Il s'ensuit encore que cette graine réussit rarement en la semant en pleine terre, & qu'il y a plus d'avantage à la semer dans des terreins ou des caisses plates. Pour y parvenir, on emplira jusqu'à deux pouces du bord le vase dont on se servira, avec de la bonne terre de potager, bien meuble, & mélée d'une moitié de terreau de vieilles couches, bien consommé. On commencera par détacher les graines du noyau qui les rassemble, & qu'il faut rejetter : il faut une bonne poignée de graines pour semer une terrine : on en prendra la quantité nécessaire à proportion du nombre de terrines que l'on veut semer : ensuite on la mélera avec du terreau sec & bien consommé, que l'on aura passé dans un crible très-fin : puis on frottera ce mélange entre les mains pendant environ un quart-d'heure, tant pour mêler les graines avec la terre, que pour détacher le duvet qui les environne. Cette opération étant faite avec soin, car elle est essentielle, on mettra dans les terrines, qu'on suppose disposées comme on l'a dit, un pouce d'épaisseur environ, de ce mélange, sans qu'il soit besoin de le couvrir d'autre terre.
Le tems le plus propre à semer cette graine est du 10 au 20 Avril : elle levera au bout de trois semaines, & tout ce qui doit venir leve en 6 ou 8 jours ; après quoi il n'y a plus rien à attendre. Il faudra entretenir les terrines dans un état de fraîcheur par des arrosemens legers & fréquens. Dès que les graines commencent à lever, il faut redoubler d'attention en les abritant soit contre les pluies de durée, ou contre la trop vive ardeur du soleil, en les arrosant au besoin fort légerement.
Les jeunes plants s'élevent dès la premiere année à 12 ou 15 pouces. On les fera passer l'hiver dans l'orangerie, & on pourra les mettre en pepiniere au printems suivant. Si on les y soigne bien, ils seront en état au bout de quatre ou cinq ans d'être transplantés à demeure. On peut élever le platane de boutures qui réussissent très-aisément. Voyez la façon de faire ces boutures par une nouvelle méthode, au mot MEURIER. Elles s'élevent dès la premiere année jusqu'à six & sept piés, & la plupart font assez de racines pour être mises en pepiniere dès l'automne suivante. Au bout de trois ans elles seront en état d'être transplantées à demeure : mais si elles peuvent rester dans leur premiere place sans se nuire, on gagnera encore une année.
Un grand moyen de faire venir le platane, c'est de le multiplier en couchant ses branches, sans qu'il soit besoin de les marcotter. C'est le parti le plus prompt, le plus facile & le plus avantageux. La plupart des plants que l'on éleve de cette façon prennent dès la premiere année jusqu'à dix piés de hauteur sur une tige droite, forte & vigoureuse, qui souvent se trouve suffisamment enracinée pour être transplantée l'automne suivante. Mais si on les laisse en place, ils s'éleveront dans la seconde année jusqu'à 14 ou 15 piés, sur 4 à 5 pouces de circonférence. Ensorte qu'en 18 mois de tems, car on suppose que les branches ont été couchées au printems, on a des arbres faits, qui sont très-vigoureux, bien garnis de branches, & fort en état d'être transplantés à demeure. Il faut pour cela coucher en entier des arbres de trois ou quatre ans. Il est vrai que toutes les branches que l'on couche ne donnent pas des plants d'égale force, mais il ne faudra aux plantes foibles qu'une année de plus pour atteindre les plus forts. Sur la façon de coucher les branches, voyez le mot MARCOTTER.
Cet arbre, si petit soit-il, est robuste lorsqu'il a été élevé de graine, de branches couchées, ou par le moyen des racines. Mais il n'en est pas de même des plants qui sont venus de bouture ; comme ces boutures ne commencent à pousser vigoureusement qu'en été, & que leur seve se trouve encore en mouvement jusque bien avant dans le mois d'Octobre ; le bois ne se trouvant pas alors suffisamment saisonné, il arrive quelquefois qu'elles sont endommagées par les premieres gelées d'automne, & ce qu'il y a de plus facheux, c'est que pour peu que les plants aient été gelés à la cime, il en résulte une corruption dans la seve qui les fait entierement périr pour la plûpart. Mais outre que cet accident est rare, c'est qu'il n'arrive que dans des pays montagneux, dans des vallons serrés, dans des gorges étroites, & dans le voisinage des eaux où les gelées se font sentir plus promptement & plus vivement que dans les pays ouverts. Au surplus, cet inconvénient n'est à craindre que pour la premiere année : dès qu'elle est passée, les plants venus de bouture sont aussi robustes que ceux qui ont été élevés d'autre façon.
Le platane réussit aisément à la transplantation, parce qu'il fait de bonnes racines qui sont bien ramifiées. Le printems est la saison la plus convenable à cette opération, mais il faut s'y prendre le plutôt que l'on peut, & aussi-tôt que la terre est praticable, à la fin de Février ou au commencement de Mars. Ce n'est pas que cette transplantation ne puisse aussi se faire avec succès dans l'automne, pourvu que le terrein ne soit pas humide, & qu'il ne s'agisse pas de planter des arbres d'une premiere jeunesse, qu'un hiver rigoureux pourroit endommager : mais on peut parer ce dernier accident en enveloppant de paille la tige des jeunes plants. Le platane quoiqu'âgé, & déja dans sa force, peut se transplanter avec succès : on en a fait l'essai sur des arbres qui étoient de la grosseur de la jambe, & qui ont bien réussi. Quant à la forme des trous & à la façon de planter, il ne faut pas d'autre précaution, que celle que l'on prend ordinairement pour les ormes & les tilleuls.
On peut tailler cet arbre autant que l'on veut, & dans toutes les saisons ; même lui retrancher de grosses branches sans le moindre inconvénient. Mais ses rameaux ne sont pas assez menus pour y appliquer le volant ; d'ailleurs la tonte que l'on fait avec cet outil dans la belle saison ne convient pas pour les arbres à larges feuilles. Il faut donc se servir de la serpette ; plus on taillera le platane, mieux il profitera : ce secours est même nécessaire pour le rendre branchu, & le faire garnir dans les commencemens, parce qu'il s'élance trop dans la premiere fougue de la jeunesse : ainsi, soit qu'on le destine à former des allées, des quinconces, des salles, &c. il faut le tailler pendant plusieurs années sur deux faces, en arrêtant à environ six pouces ou un pié de la ligne les branches qui s'élancent ; c'est-à-dire, former ces arbres en hautes palissades sur des tiges de huit ou dix piés. Ce soin de culture leur est extrêmement essentiel ; si on le néglige, ce sera fort aux dépens de l'agrément. Comme on est souvent obligé de mettre des bâtons aux platanes pour les dresser & les soutenir dans leur jeunesse, il arrive presque toujours deux inconvéniens : les liens étranglent l'arbre promptement, & le vent qui a beaucoup de prise sur de grandes feuilles, casse la tige au-dessus du bâton. Il faut visiter & changer deux ou trois fois les liens pendant l'été, & on doit se servir de fortes & grandes perches, qui soient au moins de six piés plus hautes que l'arbre, afin de pouvoir y attacher la maîtresse tige à mesure qu'elle s'éleve. Mais dès que les arbres peuvent se soutenir, il faut supprimer les perches ; elles ne pourroient que leur nuire.
Le platane a plus de disposition à s'élever qu'à s'étendre : & il en est tout autrement de ses racines, qui pivotent rarement. On peut regler la distance de cet arbre à 15 ou 20 piés pour en former des avenues ou des allées, selon la qualité du terrein ou le desir de jouir. A l'égard des quinconces & des salles, il faut le serrer davantage, car le principal objet de pareilles dispositions étant de se procurer de l'ombre, on pourra restraindre la distance à 12 piés.
Je n'ai dit qu'un mot sur la greffe du platane ; il est bon d'y revenir pour détruire les fausses notions que peuvent donner à ce sujet quelques anciens auteurs qui ont traité de l'Agriculture & qui ont été respectés par plusieurs écrivains modernes. Ils ont vanté les prodiges qu'opéroit la greffe sur le platane ; à les en croire, on peut faire porter à cet arbre des pommes, des cerises & des figues : mais la nature ne se prête point à des alliances dénuées de tous rapports analogues, & bien loin que les greffes des fruitiers en question puissent réussir sur le platane, on s'est assuré par quantité d'épreuves, que c'est peut-être de tous les arbres celui qui est le moins propre à servir de sujet pour la greffe. Non-seulement les arbres fruitiers que l'on a cités n'y reprennent pas ; mais ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que les écussons pris sur un platane & appliqués sur le même arbre ne réussissent point : de plus, un écusson de figuier posé sur un platane le fait périr entierement l'hiver suivant, tant il y a d'oppositions entre les sucs séveux de ces deux genres d'arbres.
Il n'est guere possible encore de déterminer bien précisément la qualité du bois de platane, sa force, sa durée, ses usages : il faudroit de gros arbres pour en faire l'essai, & les avoir employés pour en pouvoir juger : tout ce qu'on en sait à présent, c'est que ce bois est blanc, assez compacte, un peu pliant, & d'une force moyenne : qu'il est d'un tissu serré & fort pesant quand il est verd ; mais qu'il perd beaucoup de son poids en sechant : que sa dureté ressemble à celle du bois d'hêtre, & que son essence tient un milieu entre celle du chêne & du hêtre. On assure que les Turcs s'en servent pour la construction de leurs vaisseaux. Ce qu'il y a de plus certain, c'est qu'en Canada on emploie avec succès aux ouvrages de charronage le bois de platane d'occident.
Les auteurs de Botanique & d'Agriculture ne font mention jusqu'à présent que de trois especes de platane.
1. Le vrai platane du levant. C'est l'espece la plus anciennement connue, & dont on a publié de si grands éloges ; mais il s'en faut bien que ce soit le plus beau des platanes, ni qu'il prévale par ses autres qualités : son écorce est plus brune, ses branches plus rameuses, ses feuilles plus petites, plus découpées, d'un verd plus obscur, & son accroissement plus long de moitié que dans les deux autres sortes de platane.
Le platane du levant fait une tige droite, prodigieusement grosse, s'éleve à une grande hauteur, & forme une belle tête très-garnie de branches, qui s'étendent au large & donnent beaucoup d'ombrage : son écorce d'une couleur brune & rougeâtre est toujours lisse & unie, quoique l'arbre soit âgé ; elle se détache peu-à-peu du tronc & elle tombe par lambeaux, qui ressemblent à des morceaux de cuir : sa feuille est profondément découpée en cinq parties, en maniere d'une main ouverte ; elle est de médiocre grandeur, épaisse, dure, & d'un verd foncé : elle a le défaut de rester sur l'arbre pendant tout l'hiver, quoique desséchée : ce platane vû d'un peu loin a l'apparence d'un chêne.
2. Le platane d'occident ou de Virginie. Cet arbre est très-commun dans la Louisiane, dans la plûpart des colonies angloises, & dans la partie méridionale du Canada, où il parvient à une hauteur & à une grosseur prodigieuse, mais on le trouve sur-tout dans les lieux bas & sur le bord des rivieres. C'est la plus belle espece de platane, & l'arbre le plus apparent que l'on puisse employer pour l'ornement d'un grand jardin ; il fait naturellement une tige droite & bien proportionnée ; ses branches qui se dressent & qui se soutiennent en ligne diagonale, forment une belle tête. Son écorce lisse, unie & d'un verd jaunâtre est d'un joli aspect. Ses feuilles sont fermes, unies & luisantes, plus larges que longues, d'une forme aussi singuliere qu'agréable, & de la plus belle verdure : leur largeur va souvent à un pié, & quelquefois jusqu'à un pié & demi ; mais elles ont communément huit à neuf pouces de largeur. L'accroissement de cet arbre est des plus prompts ; il n'y a guere que le peuplier de la Caroline qui fasse des progrès plus rapides. On voit actuellement, 1761, dans les jardins de M. de Buffon, que l'on a déjà cités, une grande allée de cette espece de platane, plantée depuis 12 ans, dont la plupart des arbres ont trente-huit à quarante piés de haut, sur environ deux piés & demi de circonférence. Cependant ces jardins sont au-dessus d'un monticule, dans un terrein sec, léger, & d'une profondeur assez médiocre ; ces arbres y rapportent tous les ans des graines qui sont fécondes ; il y avoit déjà en 1728 des plantes de cette force à Chelsea en Angleterre.
Ce platane est très-propre à former des avenues, des allées, des quinconces, des salles de verdure, &c. il fait un beau couvert, donne beaucoup d'ombre & de fraîcheur. Il ne souffre aucun insecte, il n'occasionne point de saleté, son feuillage par sa verdure tendre, vive & brillante est du plus grand agrément pendant tout l'été & la plus grande partie de l'automne.
3. Le platane du levant à feuille d'érable. C'est une variété qui ressemble plus au platane d'Occident qu'à celui du levant, mais elle n'a pas la beauté du premier.
Comme les graines de platane levent très-difficilement & qu'on a vû que bien des tentatives que l'on a faites pour le multiplier de cette façon ne réussissoient pas, on a cru pendant long-tems que c'étoit la faute des graines, que celles recueillies en France n'étoit point fécondes, & que celles qu'on tiroit des pays étrangers étoient surannées ou défectueuses ; mais depuis dix ans que je fais semer des graines de différens pays, elles n'ont jamais manqué de lever, & elles ont produit une grande quantité de variétés qui sont toutes bâtardes & dégénérées pour les feuilles, l'écorce, l'accroissement, & le port des arbres. Les plants qui sont venus de graines recueillies sur le vrai platane du levant, ont l'écorce grise, le bois plus gros, & l'accroissement plus prompt : leurs feuilles sont plus grandes, moins profondément découpées, & quelquefois divisées en sept parties au lieu de cinq ; & tout cela avec presque autant de variations par nuances insensibles, qu'il est venu de plants. Les graines au contraire prises sur le platane d'Occident ont donné des plants dont l'écorce sur les jeunes branches est rousse, grise, ou rougeâtre, &c. Leur bois est plus menu, les entre-noeuds plus serrés, les boutons tantôt très-obtus, & d'autres fois très-aigus, & leur accroissement est plus lent. Leurs feuilles sont plus petites, de différentes nuances de verd, tantôt mattes, tantôt luisantes, très-souvent plus découpées & quelquefois bien moins échancrées, & divisées seulement en trois parties : enfin la graine de ce platane d'occident produit tant de nuances de variétés qu'il n'est pas possible de les détailler, & ce qu'il y a encore de particulier, c'est que chaque année en amene d'un nouveau goût. Malgré cela on reconnoit toujours dans ces feuilles la forme capitale qui caractérise le platane, mais les modifications sont sans nombre, tant la nature a de ressources pour varier ses productions ; que seroit-ce encore si l'on semoit ces graines dans des terreins & sous des climats différens !
Parmi toutes ces variétés, il y en a trois qui m'ont paru mériter d'être multipliées par préférence.
Le platane du levant à feuille découpée en sept parties. Sa feuille est plus grande que celle du vrai platane, la forme en est agréable par la finesse des dentelures, & la verdure en est belle.
Le platane d'occident à feuille en patte d'oie. Cet arbre, sans avoir la beauté de l'espece d'où il dérive, a une apparence singuliere qui le distingue d'une façon marquée de toutes les autres variétés. Outre les différences de l'écorce qui est grise, un peu rude, & de la verdure de son feuillage qui est légere & mate, & de l'accroissement qui est moins prompt, sa feuille dont les deux côtés se recourbent en-dedans, ne laisse voir que les trois pointes de l'extrémité, ce qui a quelque apparence de la forme d'une patte d'oie.
Le platane d'occident à feuille peu découpée. C'est la plus belle de toutes les variétés qui me sont venues de semence jusqu'à présent ; il est vrai que sa feuille est plus petite & son accroissement plus lent que dans le platane d'occident ordinaire qui l'a produit ; mais cette variété ne lui cede rien pour l'agrément : son écorce est rougeâtre sur les jeunes branches ; les boutons sont obtus ; sa feuille est arrondie par le bas, les échancrures sont moins profondes, & les dentelures ou sinuosités de la bordure sont très-peu sensibles. C'est la feuille la moins échancrée de tous les platanes, & dont la verdure est la plus gaie, la plus vive, la plus brillante & la plus belle. Comme les noeuds sont plus serrés sur les branches, ce qui donne plus de rameaux, & par conséquent plus de feuillage, cet arbre réunit à la beauté du platane tout l'agrément du tilleul, attendu qu'on en peut tirer le même service, ce platane étant encore plus propre que les autres especes, à former des quinconces, de hautes palissades, des portiques, des salles de verdure, & toutes les autres dispositions qui peuvent contribuer à l'embellissement des jardins. Article de M. D'AUBENTON, subdélégué.
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PLATAN | ou PLATANO, (Géog. mod.) riviere de Sicile, dans le val de Mazara. Elle a sa source dans une montagne près de Castro-Novo, & va se perdre dans la mer, sur la côte méridionale de l'île. Cette riviere est le Camicus ou Halycus des anciens.
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PLATANISTE | S. m. (Antiq. grecq.) le Plataniste, dit la Guilletiere, est sur le rivage de Visilipotamos, au sud-est du Dromos, & la nature y produit encore quelques platanes, à la place de ceux de l'antiquité. Il n'y a guere de terrein dans la Grece plus célebre que celui-là ; c'est dans les prairies du Platanon, selon le poëte Théocrite, qu'on cueillit autrefois les fleurs qui servirent à faire la guirlande, dont la belle Hélene fut couronnée le jour de ses noces. C'étoit aussi l'endroit où les jeunes Spartiates faisoient leurs exercices & leurs combats ; cet endroit formoit une plaine, ainsi nommée de la quantité de platanes qu'on y cultivoit. Elle étoit toute entourée de l'Euripe, & l'on y passoit sur deux ponts : à l'entrée de l'un, il y avoit une statue d'Hercule ; & à l'entrée de l'autre, on trouvoit celle de Lycurgue. Voyez Pausanias.
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PLATANISTU | ou PLATANISTON, (Géog. anc.) 1°. fleuve de l'Arcadie. Il baignoit la ville de Lycosura, selon Pausanias, liv. VIII. chap. xxxix. 2°. Promontoire de l'Elide, selon Pline, liv. IV. ch. v. Le pere Hardouin remarque sur cet endroit de Pline, que tous les manuscrits portent Platanodes, & il accuse Hermolaüs d'avoir corrompu les exemplaires de Pline, en substituant Platanistus pour le vrai nom, qui est Platanodes. Le sentiment du P. Hardouin est confirmé par le témoignage de Strabon, liv. VIII. p. 348. quoique pourtant on lise dans ce dernier Platanodes, & non Platenodes ; 3°. lieu de la Cilicie, sur le bord de la mer selon Strabon, l. XIV. pag. 669. (D.J.)
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PLATE | adj. f. voyez PLAT.
PLATE, (Géog. mod.) petite île de France en Bretagne, sur la côte de l'évêché de Tréguier, & une des îles appellées par les anciens Siadae. (D.J.)
PLATE, voyez BORDELIERE.
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PLATE-BANDE | S. f. (Archit.) moulure quarrée, plus haute que saillante. Dans l'ordre dorique, la plate-bande est la face qui passe immédiatement sous les triglyphes, & qui est à cet ordre ce que la cymaise est aux autres. Ce terme est dérivé des deux mots plat & bande, comme si l'on disoit une bande qui est plate.
Plate-bande arasée, c'est une plate-bande dont les carreaux sont à têtes égales en hauteur, & ne font pas liaison avec les assises de dessus.
Plate-bande bombée & reglée, c'est la fermeture ou linteau d'une porte, ou d'une croisée qui est bombée dans l'embrasure ou dans le tableau, & droite par son profil.
Plate-bande circulaire, plate-bande d'un temple ou d'un porche, de figure ronde. Telle est la plate-bande de l'entablement ionique de l'église de S. André sur le mont Quirinal à Rome, qui subsiste avec beaucoup de portée par l'artifice de son appareil.
Plate-bande de baie, c'est la fermeture quarrée qui sert de linteau à une porte ou à une fenêtre, & qui est faite d'une piece, ou de plusieurs claveaux dont le nombre doit être impair, afin qu'il y en ait un au milieu qui serve de clé. Elle est ordinairement traversée par des barres de fer, quand elles ont une grande portée ; mais il vaut mieux les soulager par des arcs de décharge bâtis au-dessus.
Plate-bande de compartiment, c'est une face entre deux moulures qui bordent des panneaux, en maniere de cadres de plusieurs figures, dans les compartimens des lambris & des plafonds. Les guillochis sont formés de plates-bandes simples.
Plate-bande de fer, barre de fer encastrée sous les claveaux d'une plate-bande de pierre, dont elle soulage la portée.
Plate-bande de parquet, c'est un assemblage long & étroit, avec compartiment en losange, qui sert de bordure au parquet d'une piece d'appartement.
Plate-bande de pavé, nom général qu'on donne à toute dale de pierre, ou tranchée de marbre, qui dans les compartimens de pavé, renferme quelque figure. On nomme aussi plates-bandes de pavé, les compartimens en longueur, qui répondent sous les arcs doubleaux des voûtes. Daviler. (D.J.)
Après avoir donné la définition des différens ouvrages qui portent le nom de plates-bandes, nous allons parler de la maniere dont on les construit, dans l'article suivant qui appartient à l'article de couper les pierres. Voyez donc PLATE-BANDE, coupe des pierres.
PLATE-BANDE, c'est dans la coupe des pierres, une voûte droite & plane, de niveau ou rampante, qui sert de linteau ou de fermeture à une porte, à une fenêtre, ou à toute autre baie, comme d'architrave sur les entre-colonnemens. Les pierres qui en sont les parties, s'appellent claveaux, & non pas voussoirs, comme aux autres voûtes. La longueur de la plate-bande entre les piés droits, s'appelle portée ; c'est le genre de voûte qui a le plus de poussée, c'est-à-dire qui fait le plus d'effort pour renverser les piés droits. Cet effort est d'autant plus grand que le point E fig. 22. où se réunissent les joints de lits, est plus éloigné de la plate-bande A B, & il est en même proportion que l'aire du triangle A E B.
Comme on ne peut faire les angles C C B, que font les joints avec la plate-bande, aigus que jusqu'à un certain point, parce qu'il pourroit s'y faire des balevres, & qu'il est d'ailleurs essentiel de diminuer la poussée autant qu'il est possible, on s'est avisé de faire les joints de lits des claveaux de deux parties ; comme on voit du côté A de la même figure, en laissant un repos horisontal à chaque claveau pour recevoir la saillie de son voisin. Ce qui a assez bien réussi, surtout depuis qu'on a remédié à l'inconvénient de ne pas pouvoir facilement ficher les joints, en faisant une grande breche A, au ressaut qui empêchoit l'introduction du mortier, ainsi que l'on peut voir à la fig. 2. qui représente un claveau séparé, & un en perspective.
PLATE-BANDE, dans l'Artillerie, c'est une partie de la piece de canon, qui a un peu plus d'élévation que le reste de la piece. On peut la considérer comme une espece de gros ruban de métal, qui tourne autour de l'épaisseur du métal : cette piece précéde toujours une moulure.
Il y a ordinairement trois plates-bandes sur une piece réguliere ; la plate-bande & moulure de culasse ; la plate-bande & moulure du premier renfort ; & la plate-bande & moulure du second renfort. Voyez CANON. (Q)
PLATE-BANDE, (Jardinage) est une espece de planche ou grande longueur de terre labourée & fumée pour y élever des fleurs, des ifs & des arbrisseaux odorans.
Les plates-bandes sont formées par un trait de buis, & elles enclavent ordinairement les parterres ; on les place aussi le long d'un bâtiment ; quand elles ne sont que de gazon, on les appelle des massifs.
Il y a quatre sortes de plates-bandes, les unes continuées autour des parterres, sont, tantôt droites, tantôt circulaires ; d'autres sont coupées en compartiment ; les troisiemes sont plates & toutes de gazon ; les quatriemes sont toutes unies & simplement sablées, ainsi qu'on en voit dans les orangeries.
On voit encore des plates-bandes adossées contre des murs, bornées d'un trait de buis & remplies de grands arbres ; d'autres sont isolées, & leur proportion est de cinq à six piés de large pour les grandes, & de trois à quatre pour les petites.
Dans les premieres, on peut arranger quatre rangs d'oignons de chaque côté en lignes tirées au cordeau & recroisées par d'autres, de quatre à cinq pouces de distance ; dans les petites deux rangs d'oignons de chaque côté suffisent, sans oublier de laisser les places du milieu pour les plantes & racines ; ensorte que les oignons soient avec les oignons, & les plantes avec les plantes ; leur beauté est d'être en dos de carpe, bien sarclées, & que la terre en paroisse bien meuble & bien noire.
On doit toujours les distinguer & séparer des autres pieces, par des sentiers ou des allées.
Dans les potagers, les plates-bandes sont souvent formées par des herbes potageres ; telles que le thim, la lavande, l'oseille, le persil, le cerfeuil, &c.
On peut encore dans les parterres les entourer de mignardises, de staticées & de maroutes ; on en voit qui sont bordées de tringles de bois peintes en verd ; d'autres de pierres plates, & d'autres de brique pour y élever des fleurs ; ces bordures, à ce qu'on croit, empêchent la trainasse des taupes, & conviennent mieux aux plates-bandes que le buis, qui ne laisse pas de manger un peu de la terre & d'y attirer du chiendent.
PLATE-BANDE, (Serrurerie) barre de fer plat, étiré de longueur & largeur convenable à une moulure, sur les deux bords. Elle se pose sur les barres d'appui des balcons, rampes d'escalier, &c. Pour étirer les plates-bandes à moulures, on fait une étampe de la figure qu'on veut donner à la plate-bande. On arrête cette étampe sur l'enclume avec des brides, puis on prend une barre de fer quarrée ; on la chauffe ; on la place sur l'étampe, la posant sur l'angle, & un ou plusieurs compagnons frappent & étendent la barre dans l'étampe, de maniere toutefois qu'elle ne sorte pas des bords de l'étampe. On continue ce travail jusqu'à ce que toute la barre soit étampée & finie.
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PLATE-FORME | S. f. (Archit.) maniere de terrasse d'où l'on découvre une belle vûe ; on appelle aussi plate-forme, la couverture d'une maison sans comble, & couverte en terrasse de pierre, de ciment, ou de plomb.
PLATE-FORME DE FONDATION, (Archit. hydraul.) pieces de bois plates, arrêtées avec des chevilles de fer sur un pilotage, pour asseoir la mâçonnerie dessus, ou posées sur des racinaux dans le fond d'un réservoir, pour y élever un mur de douve. On construit ainsi une plate-forme sur un pilotage ; on enfonce, le plus qu'il est possible, des pieux de bon bois de chêne rond, ou d'aulne, ou d'orme ; on remplit tout le vuide avec des charbons, & par-dessus les pieux on met d'espace en espace des poutres de huit à neuf pouces, que l'on cloue sur la tête des pieux coupés d'égale hauteur. Ayant attaché sur ces poutres de grosses planches de cinq pouces d'épaisseur, on a une espece de plancher qui est ce qu'on appelle la plate-forme. Daviler. (D.J.)
PLATE-FORME, en terme de guerre, est une élévation de terre où l'on place le canon pour tirer sur l'ennemi. Voyez REMPART, BATTERIE.
La plate-forme est aussi un lieu préparé avec des madriers ou des planches de bois, pour recevoir & placer le canon que l'on veut mettre en batterie, soit sur des remparts, soit à un siége.
Pour faire une plate-forme, on commence à bien égaliser le terrein qu'elle doit occuper. Ensuite on place les gistes, qui sont cinq piéces de bois qu'on range dans l'espace fixé par la plate-forme, de maniere qu'ils puissent porter & soutenir les planches ou madriers qui la composent. On arrête les gistes dans les endroits, où on les place par des piquets que l'on enfonce à côté de part & d'autre. On couvre les gistes des madriers qui sont taillés, de maniere que la plate-forme étant achevée à sept piés & demi de largeur à l'endroit où elle touche le parapet ou l'épaulement de la batterie, 13 piés à son extrémité, & 18 ou 20 piés de longueur.
Le premier de ces madriers, c'est-à-dire celui qui touche le pié du parapet à 9 à 10 pouces de largeur & autant d'épaisseur, on le nomme heurtoir, parce que lorsqu'on tire le canon les roues de l'affut viennent d'abord heurter ou frapper contre ; d'où ensuite elles se reculent par l'effort que la poudre imprime au canon vers la culasse. Pour que ce recul soit moins considérable, on éleve un peu plus la plate-forme sur le derriere que sur le devant.
On construit aussi quelquefois les plate-formes, sans se servir de gistes. Pour cela, après que le terrein est préparé, on pose d'abord le heurtoir au pié de l'épaulement, puis les madriers dans l'ordre qu'on vient de dire, observant toujours que la plate-forme soit plus élevée à son extrémité qu'auprès du parapet.
Les mortiers ont aussi des plate-formes comme le canon ; elles doivent être encore plus solides, c'est-à-dire construites avec plus de soin, pour qu'elles ne s'affaissent point dans le service du mortier. M. Bélidor prétend que pour tirer long-tems sans être obligé de rétablir les plate-formes, il faut pour leur construction en tirer trois madriers de huit pouces de largeur sur six de longueur. Il faut en placer un qui réponde au milieu de la plate-forme, & les deux autres de maniere qu'ils déterminent sa largeur à droite & à gauche, tous à-peu-près perpendiculaires à l'épaulement de la batterie. Sur ces madriers, on en pose d'autres de travers ou parallelement à l'épaulement ; il faut que leur superficie soit bien unie & qu'aucun ne se trouve plus élevé que l'autre. (Q)
PLATE-FORMES DE COMBLE, (Charpenterie) pieces de bois plates, assemblées par des entretoises ; ensorte qu'elles forment deux cours, ou deux rangs, dont celui de devant reçoit dans ses pas entaillés par embrevement les chevrons d'un mur, & qui portent sur l'épaisseur des murs. Quand ces plate-formes sont étroites, comme dans les médiocres murs, on les nomme sablieres. (D.J.)
PLATE-FORME, (Horlogerie) plaque ronde, remplie de cercles, dans lesquels sont divisés les nombres dont on peut avoir besoin dans l'Horlogerie : cette plate-forme sert pour diviser les roues. (D.J.)
PLATE-FORME DES JUIFS, (Critique sacrée) la vulgate a fort bien rendu ce mot par celui des Latins, solarium. C'étoit une espece de terrasse construite au haut des maisons des Hébreux, exposée au soleil, & même tout-autour d'un mur à hauteur d'appui, pour empêcher qu'on ne tombât de-là dans la rue. Moïse qui n'oublia rien de la police des villes, l'avoit ainsi ordonné dans le Deutéronome, chap. xxviij. 8. On couchoit ordinairement sur ces terrasses, comme nous le voyons par l'exemple de Saül, I. Rois, ix. 25. Il y avoit au milieu de cette plateforme, une ouverture qui répondoit à la salle qui étoit au-dessous ; & c'est par cette ouverture qu'on avoit oublié de fermer d'une balustrade, que le roi Ochosias tomba dans la salle à manger, IV. Rois, j. 2. On pouvoit descendre de ces plate-formes par des escaliers qui étoient en-dehors de la maison ; c'est ce qu'on voit dans l'évangile où il est dit, que ceux qui portoient le paralytique, ne pouvant le faire entrer par la porte à cause de la foule, le porterent sur la plate-forme, par l'ouverture de laquelle ils le descendirent dans la salle où étoit J. C. & notre Seigneur ayant vû leur foi, dit au paralytique : " mon fils, vos péchés vous sont pardonnés ". Marc, ij. 4. Quant aux plate-formes des Romains, nous en avons parlé dans la description de leurs bâtimens. (D.J.)
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PLATE-LONGE | S. f. (Manege) longe de fil large de trois doigts, fort épaisse, longue de trois ou quatre toises, dont on se sert pour abattre un cheval, ou pour lever ses jambes dans un travail, afin de faciliter plusieurs opérations du maréchal.
PLATE-LONGE, (Chasse) bande de cuir longue, qu'on met au cou des chiens qui sont trop vîtes, afin de les arrêter : ces bandes s'appellent aussi bricoles.
PLATES, touches plates, (Peinture) se dit d'une façon de toucher la couleur en l'applatissant avec le pinceau ; ce qui forme une petite épaisseur presque insensible à chacun de ses côtés ; mais qui néanmoins donne un grand relief aux objets, lorsque ces touches partent d'une main savante. Rien ne caractérise tant l'homme certain de ses coups, que cette façon de faire, qui n'est cependant que pour les petits tableaux.
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PLATEAU | S. m. (Gramm.) vaisseau de bois à l'usage de l'économie domestique & rustique.
PLATEAU, (Art milit.) est un morceau de bois qui sert quelquefois dans l'artillerie aux mortiers. Voyez MORTIER & TAMPON.
PLATEAU, est aussi le haut d'une montagne où l'on trouve une espece de petite plaine, ou un espace de terrein à-peu-près horisontal, où l'on peut établir un corps de troupes & de l'artillerie. (q)
PLATEAU, terme de Balancier, c'est le fond de bois des grosses balances, propres à peser de lourds fardeaux : chaque balance a deux plateaux ; on met le poids sur l'un, & la marchandise qu'on doit peser sur l'autre.
PLATEAU, terme de Boulanger, c'est une maniere de petit plat de bois qui n'est pas si creux que les plateaux ordinaires de métal ou de fayance, & qui sert aux boulangers pour mettre le pain mollet. (D.J.)
PLATEAU, en terme de Cardier, c'est une planche quarrée, environnée d'une bordure haute d'un demi pouce, au milieu de laquelle tient un suppôt de bois qui, sur-tout quand le second doublet y est placé, partage la planche en deux parties égales. Dans l'une, à droite, sont les pointes pliées au premier doublet, & arrangées par petits tas. Dans l'autre, elles tombent confusément au sortir du second doublet, dans lequel on les a pliées. Voy. DOUBLET & PLIER. Voyez les Pl.
PLATEAU, terme de Chasse, ce sont les fumées des bêtes fauves, qui sont plates & rondes.
PLATEAU, (Ecrivain) c'est un vaisseau de bois ou de fayance, ou de porcelaine, rempli de poudre propre à mettre sur le papier.
PLATEAU, terme de Jardinier, les Jardiniers nomment ainsi les cosses des pois qui ne sont défleuries que depuis peu de jours. Ces cosses sont tendres & longuettes, les pois n'étant qu'à peine formés dedans : on dit alors les pois ne sont encore qu'en plateau.
PLATEAU, en terme de Metteur-en-oeuvre, est une espece de plat de fer-blanc, échancré comme un bassin à barbe, dont le milieu un peu concave, est percé de plusieurs trous semblables à un tamis. Au-dessous du plateau est une petite boëte de métal pour recevoir la limaille. Voyez Pl. du Metteur en oeuvre.
Cet outil peut s'appeller aussi cueilloir ou cueillepeau, parce qu'il sert à recueillir dans la peau les limailles & morceaux d'or ou d'argent qui y sont tombés en travaillant.
PLATEAU A ROULER LES ETOFFES DE SOIE. Le plateau est une planche très-mince, arrondie sur les bords. Il est de longueur proportionnée à la largeur des étoffes, & de six pouces environ de large.
Planches à conserver les étoffes de soie. Les planches ou ais propres à conserver les étoffes, sont des planchers de bois proportionnées en longueur & largeur aux étoffes que l'on veut mettre entre deux : elles sont d'un pouce d'épaisseur environ. A chaque planche il y a deux liteaux, d'un pouce de largeur & d'épaisseur ; ils débordent la planche de chaque côté de deux pouces d'épaisseur. Ces bouts qui débordent servent à y attacher des ficelles, avec lesquelles on serre les étoffes que l'on met entre les deux plateaux.
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PLATÉE | S. f. (Architect.) est un massif de fondement qui comprend toute l'étendue d'un bâtiment, comme aux aqueducs, arcs de triomphe & autres bâtimens antiques.
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PLATÉE | (Géog. anc.) ville de la Boeotie, dans les terres, au midi de Thèbes, aux confins de l'Attique & de la Mégaride, sur le fleuve Asope, en latin Plateae, selon Cornelius Nepos ; & Plataeae selon Justin, Pline, & la plus grande partie des Grecs.
Ce fut près de cette ville, que les Grecs gagnerent une fameuse bataille contre Mardonius, dans la soixante-quinzieme olympiade, l'an 275 de Rome. Pausanias, roi de Sparte, avoit dans ce combat le titre de généralissime des Grecs, & les Athéniens étoient commandés par Aristides, cet homme admirable que Platon, juste appréciateur du mérite, définit le plus irréprochable & le plus accompli de tous les Grecs.
Après la défaite de Salamine, Xerxès, roi de Perse, se retira dans ses états, & laissa à Mardonius, son intendant & son beau-frere, le soin de dompter la Grece. Dans cette vûe, Mardonius songea à corrompre les Athéniens, qui prêterent l'oreille à ses propositions ; mais à peine le sénateur Lycidas eut-il ouvert l'avis de les accepter, que les autres sénateurs & le peuple l'entourerent pêle-mêle, & le lapiderent. Si-tôt que les femmes eurent appris son avanture, & ce qui l'avoit causé, elles coururent en foule à la maison de Lycidas, & y massacrerent sa femme & ses enfans, comme autant de complices de sa perfidie.
Mardonius, irrité d'avoir fait des avances honteuses & inutiles, mit à feu & à sang toute l'Attique, & tourna vers la Boeotie, où les Grecs se porterent pour l'attendre. La bataille s'étant donnée, Mardonius la perdit avec la vie, & l'on tailla aisément en pieces les restes d'une armée sans chef. Les Athéniens attacherent sa lance dans un de leurs temples. Ils y placerent aussi le trône à piés d'argent, d'où Xerxès regardoit le combat de Salamine. Beaucoup de monumens semblables paroient les temples de la Grece, & rendoient témoignage des grandes actions dont ils perpétuoient la mémoire.
La ville de Platée étoit ennemie des Thébains, & si dévouée aux Athéniens, que toutes les fois que les peuples de l'Attique s'assembloient dans Athènes pour la célébration des sacrifices, le héraut ne manquoit pas de comprendre les Platéens dans les voeux qu'il faisoit pour la république.
Les Thébains avoient deux fois détruit la ville de Platée. Archidamus, roi de Sparte, la cinquieme année de la guerre du Péloponnèse, bloqua les Platéens & les força de se rendre à discrétion. Ils auroient eu bonne composition du vainqueur ; mais Thèbes unie avec Lacédémone, demanda qu'on exterminât ces malheureux, & le demanda si vivement qu'elle l'obtint.
Le traité d'Antalcidas dont parle Xénophon, liv. V. les rétablit ; ce bonheur ne dura pas, car trois ans avant la bataille de Leuctres, Thèbes indignée du refus que firent les Platéens de se déclarer pour elle contre Lacédémone, les remit dans le déplorable état qu'ils avoient éprouvé déja par sa barbarie.
Dans le lieu même où les Grecs défirent Mardonius, on éleva un autel à Jupiter éleuthérien ou libérateur, & auprès de cet autel les Platéens célébroient tous les cinq ans des jeux appellés éleuthéria. On y donnoit de grands prix à ceux qui couroient armés, & qui devançoient leurs compagnons.
Quand les Platéens vouloient brûler leurs capitaines après leur mort ; ils faisoient marcher un joueur d'instrumens devant le corps, & ensuite des chariots, couverts de branches de lauriers & de myrtes, avec plusieurs chapeaux de fleurs. Etant arrivés proche du bucher, ils mettoient le corps dessus, & offroient du vin & du lait aux dieux. Ensuite le plus considérable d'entr'eux vêtu de pourpre, faisoit retirer les esclaves, & immoloit un taureau. Le sacrifice étant accompli, après avoir adoré Jupiter & Mercure, il convioit à souper les meres de ceux qui étoient morts à la guerre.
Les Platéens célébroient chaque année des sacrifices solemnels aux Grecs qui avoient perdu la vie en leur pays pour la défense commune. Le seizieme jour du mois qu'ils appelloient monastérion, ils faisoient une procession devant laquelle marchoit un trompette qui sonnoit l'allarme ; il étoit suivi de quelques chariots, chargés de myrte & de chapeaux de triomphe, avec un taureau noir ; les premiers de la ville portoient des vases à deux anses pleins de vin, & d'autres jeunes garçons de condition libre tenoient des huiles de senteur dans des phioles.
Le prevôt des Platéens à qui il n'étoit pas permis de toucher du fer, ni d'être vêtu que d'étoffe blanche toute l'année, venoit le dernier portant une saie de pourpre, & tenant en une main une buire & en l'autre une épée nue ; il marchoit en cet équipage par toute la ville jusqu'au cimetiere, où étoient les sépulchres de ceux qui avoient été tués à la bataille de Platée ; alors il puisoit de l'eau dans la fontaine de ce lieu, il en lavoit les colonnes & les statues qui étoient sur ces sépulcres, & les frottoit d'huiles de senteur. Ensuite il immoloit un taureau, & après quelques prieres faites à Jupiter & à Mercure, il convioit au festin général, les ames des vaillans hommes morts, & disoit à haute voix sur leurs sépultures : je bois aux braves hommes qui ont perdu la vie en défendant la liberté de la Grece. (D.J.)
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PLATERON | voyez BORDELIERE.
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PLATEUR | S. f. (Minéralogie) c'est ainsi qu'on nomme dans les mines de charbon de terre, la partie où la couche de ce minéral, après s'être enfoncée, soit perpendiculairement, soit obliquement, commence à marcher horisontalement, & ensuite à remonter horisontalement vers la surface de la terre. Suivant M. de Tilly, les plateurs se trouvent ordinairement à trois ou quatre cent piés de profondeur ; quelques couches ne les ont qu'à sept cent piés ; celles qui sont le plus perpendiculaires, ont leur plateur à une très-grande profondeur. C'est dans cet état que les mines de charbon sont plus avantageuses & plus faciles à exploiter. Voyez mémoire sur l'exploitation du charbon minéral, par Mr. de Tilly. (-)
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PLATILLE | S. f. (Toilerie) on appelle platilles, certaines especes de toiles de lin très-blanches, qui se fabriquent en plusieurs endroits de France, particulierement dans l'Anjou, & en Picardie.
Les platilles se vendent en petites piéces de cinq aunes de long, sur trois quarts & demi de large, mesure de Paris ; les unes plus grosses, les autres plus fines. Ce sont les Espagnols à qui elles sont toutes envoyées, qui leur ont donné le nom de platilles. Elles sont pareillement propres au commerce qui se fait en quelques endroits des côtes d'Afrique, au-delà de la riviere de Gambie.
Il se tire de Silésie, particulierement de Breslaw, capitale de cette province d'Allemagne, quantité de toiles auxquelles l'on donne pareillement le nom de platilles. Ces sortes de toiles qui sont à-peu-près semblables à celles d'Anjou & de Picardie, sont aussi destinées pour les mêmes pays, c'est-à-dire pour l'Espagne, l'Amérique, & l'Afrique ; & elles y sont portées par les Hambourgeois. Savary. (D.J.)
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PLATINE | ou OR BLANC, s. f. (Hist. nat. Minéralogie & Métallurgie) en espagnol platina, platina di pinto, ou juan blanco. Ce nom a été donné à une substance métallique blanche comme de l'argent ; autant & même plus pesante que l'or, très-fixe au feu ; qui ne souffre aucune altération ni à l'air, ni à l'eau ; assez peu ductile, & qui seule est absolument infusible au degré de feu le plus violent, mais qui s'allie par la fusion avec tous les métaux.
Le mot espagnol plata, signifie argent ; celui de platina, signifie petit argent ; il paroît que ce nom a été donné à la substance dont nous parlons à cause de sa couleur blanche. Quelques-uns cependant l'ont appellé or blanc, parce que la platine a plusieurs propriétés communes avec le plus précieux des métaux : c'est ce que nous aurons occasion de faire voir dans le cours de cet article.
Il n'y a que peu d'années que l'on connoît cette substance ; elle se trouve dans l'Amérique espagnole. Le premier auteur qui en ait parlé, est dom Antonio d'Ulloa, dans son voyage du Pérou, imprimé à Madrid en 1748, il dit, que dans la province de Quito, au bailliage de Choco, il se trouve des mines d'or, que l'on a été obligé d'abandonner à cause de la platine dont le minerai est entremêlé. Il ajoute : " la platine est une pierre (piedra) si dure, qu'on ne peut la briser sur l'enclume, ni la calciner, ni par conséquent en séparer le minerai qu'elle renferme, sans un travail infini & sans beaucoup de dépenses ". Il est aisé de voir que c'est très-improprement que l'auteur appelle cette substance une pierre.
Dès l'an 1741, M. Charles Wood, métallurgiste anglois, avoit déjà apporté en Angleterre quelques échantillons de cette substance ; il les avoit reçus dans la Jamaïque ; on lui avoit dit qu'ils étoient venus de Carthagène ; sans lui déterminer précisément l'endroit d'où la platine avoit été tirée, on lui apprit seulement qu'il y en avoit des quantités considérables dans l'Amérique espagnole. On dit qu'il s'en trouve beaucoup, sur-tout près des mines de Santafé, & dans celles de Popayan. Quoi qu'il en soit, on assure que le roi d'Espagne a fait fermer ces mines, & a fait jetter à la mer une très-grande quantité de platines, pour prévenir les abus que ses sujets en faisoient. En effet, des personnes de mauvaise foi mêloient cette substance dans les lingots d'or, qu'ils adultéroient sans changer leur poids. Ce sont ces mesures si nécessaires, qui ont rendu la platine assez rare parmi nous. Quelques hollandois ayant été trompés de cette maniere, ne tarderent point à se venger cruellement des auteurs de cette supercherie ; étant revenus une seconde fois au même endroit, ils pendirent sans autre forme de procès aux mâts de leurs vaisseaux, les Espagnols qui leur avoient vendu de l'or falsifié avec de la platine. La fraude fut découverte, parce que les premiers lingots d'or s'étoient trouvés cassans comme du verre. Cette tromperie est d'autant plus dangereuse, que l'or allié avec la platine, ne souffre aucun changement dans son poids, & ne peut en être séparé par aucun des moyens connus dans la Chimie. Cependant on donnera à la fin de cet article les manieres de séparer l'or d'avec la platine.
Les Espagnols d'Amérique ont trouvé le secret de fondre la platine pour en faire des gardes d'épées, des boucles, des tabatieres, & d'autres bijoux semblables, qui sont très-communs chez eux, & qui s'y vendent à un prix très-inférieur à celui de l'argent.
En 1750, M. Watson communiqua à la société royale de Londres, dont il étoit membre, les échantillons de platine apportés par M. Wood, ainsi que quelques expériences qu'il avoit faites sur cette substance nouvelle & inconnue. Voyez les Transactions philosophiques, année 1750.
En 1752, M. Théodore Scheffer lut dans l'académie royale des Sciences de Stockholm, deux mémoires contenant les différentes expériences qu'il avoit eu occasion de faire sur la platine ; mais la petite quantité qu'il avoit reçue de cette substance, ne lui permit pas de pousser ses recherches aussi loin qu'il auroit souhaité. Ce même académicien suédois a encore publié en 1757, un nouveau mémoire sur la platine, dans lequel il releve quelques fautes qui étoient échappées à M. Lewis, savant chimiste anglois, à qui le public est redevable d'une suite complete d'expériences qu'il a insérées dans les Transactions philosophiques de l'année 1754, & dont nous allons donner l'extrait. Ces mémoires contiennent un examen suivi de la substance dont nous parlons : on en a publié en 1758, une traduction françoise, à laquelle on a joint tout ce qui avoit paru jusqu'alors sur la platine, à l'exception du dernier mémoire de M. Scheffer, dont on ne pouvoit avoir connoissance dans le tems de la publication de cet ouvrage, qui a pour titre, la platine, l'or blanc, ou le huitieme métal, &c.
On ne sait point positivement comment la platine se trouve dans le sein de la terre, c'est-à-dire, si elle est par masses ou par filons suivis, comme semble l'indiquer le récit de dom Antonio d'Ulloa. Une personne qui a fait un long séjour parmi les Espagnols de Carthagène en Amérique, m'a assuré n'avoir jamais vû de la platine qu'en particules déliées, ou sous la forme de sable ; & que c'est ainsi qu'on la trouvoit dans le pays où on ramasse cette espece de sable pour en séparer les paillettes d'or qu'il contient, au moyen du mercure. Cependant M. Bomare de Valmont a reçu en Hollande un échantillon de mine qu'on lui a dit être de la platine, dans lequel ce minéral est en masse attachée à une gangue, de même que quelques pyrites le sont à la leur.
Quoi qu'il en soit, la plûpart de la platine qui nous est venue en Europe, est sous la forme de sable, mêlé de particules ferrugineuses noires, attirables par l'aimant, parmi lesquelles on trouve quelquefois des paillettes d'or ; à l'égard de la platine même, elle est en grains blancs, de forme irréguliere, approchant pourtant de la triangulaire, & semblables à des coins dont les angles sont arrondis ; les facettes qui composent les plans de ces triangles ou coins, examinées au microscope, ont paru raboteuses & inégales en quelques endroits, & remplies de petites cavités noirâtres & raboteuses ; quelques-uns de ces grains sont attirables par l'aimant quoique foiblement.
Depuis, M. Lewis a trouvé dans la platine, qu'il a eu occasion d'examiner, quelques petites portions d'une substance noire & luisante semblable à du charbon de terre ou à du jayet, & qui mise au feu, en répandoit la fumée & l'odeur. Il y a découvert des petites particules noirâtres, brunes & rougeâtres, semblables à des petits fragmens d'émeri ou d'aimant, dont plusieurs étoient foiblement attirés par l'aimant. Il y a remarqué des petits feuillets minces & transparens, semblables à du spath. Enfin il y a découvert des petits globules de mercure ; de toutes ces observations il conclud que la platine ne nous vient point d'Amérique dans son état naturel, qu'on la tire probablement des mines en grandes masses, que l'on brise ces masses pour les traiter avec le mercure, afin d'en extraire les paillettes & les grains d'or.
Les grains les plus purs de la platine s'étendent assez bien sous le marteau, lorsqu'on les frappe à petits coups ; cependant ils peuvent se pulvériser dans un mortier de fer à grands coups de pilons, & ces grains après avoir été rougis, sont plus cassans que froids.
On prétend que la pesanteur spécifique de la platine est à celle de l'eau comme 18 1/4 est à 1, à en juger par les grains les plus purs, sur lesquels on découvroit pourtant encore au microscope des petites cavités garnies d'une matiere étrangere & noirâtre ; même après les avoir lavés & fait bouillir dans de l'eau forte & du sel ammoniac ; d'où l'on peut présumer que si on parvenoit à purifier parfaitement la platine, & à la dégager de toute matiere étrangere, elle auroit peut-être un poids égal ou même supérieur à celui de l'or. Ainsi on ne sait encore rien de certain sur la pesanteur spécifique de cette substance, & elle ne peut être déterminée avec exactitude par la balance hydrostatique, vu que pour la peser de cette maniere, il faudroit pouvoir fondre la platine seule, afin de la réduire en un corps dense & compacte ; mais comme on ne peut la peser que sous la forme d'un sable, ses grains laissent entr'eux de petits intervalles vuides, & occupent un plus grand volume que s'ils étoient en une masse.
L'action du feu le plus violent ne peut point parvenir à faire entrer en fusion la platine seule & sans addition ; quelquefois les petits grains semblent s'unir les uns aux autres, & avoir un commencement de fusion ; mais cela vient des particules ferrugineuses & étrangeres qui sont mêlées avec la platine. Elle ne se fond pas davantage, lorsqu'on y joint tous les fondans usités dans la chimie, tels que les sels alkalis, le flux noir, les matieres inflammables, les verres, le nitre, le soufre, &c. en un mot cette substance résiste au feu le plus violent qu'il soit possible de donner dans les fourneaux ordinaires, & dans les vaisseaux, soit fermés, soit lorsqu'on l'expose au contact immédiat des charbons, soit qu'on y joigne tous les fondans connus. Il ne paroît point que l'on ait encore essayé d'exposer cette substance au miroir ardent. Ainsi que l'or, la platine est dissoute par l'hépar ou le foie de soufre, & par-là elle devient miscible avec l'eau.
La platine ne se dissout nullement dans l'acide vitriolique, soit chaud, soit froid, soit foible, soit concentré ; elle ne se dissout pas plus dans l'acide du sel marin, soit en liqueur, soit appliqué dans toute sa force, comme dans la cémentation, soit concentré, comme il l'est dans le sublimé corrosif. Quand on met en cémentation un alliage d'or & de platine, cette derniere substance ne souffre aucun déchet ; ainsi ce qu'on appelle le cément royal, qui a toujours passé pour purifier l'or de toutes les matieres métalliques étrangeres, est un moyen insuffisant pour dégager l'or de la platine.
La platine résiste pareillement à l'action de l'acide nitreux, de quelque façon qu'on le lui applique.
L'eau régale, de quelque maniere qu'elle ait été faite, dissout la platine, ainsi que l'or. M. Lewis a trouvé qu'une partie de cette substance exigeoit environ 4 1/2 parties de ce dissolvant, pour que son entiere dissolution se fasse. Par-là le dissolvant devient d'abord d'une couleur jaune ; à mesure qu'il se charge de platine, il jaunit de plus en plus, & il finit par être d'un rouge brun.
Cette dissolution de la platine évaporée à une chaleur douce, & mise dans un lieu frais, a donné des crystaux presqu'opaques, d'un rouge foncé, feuilletés ; en les lavant avec de l'esprit de vin, la couleur en est devenue plus légere & semblable à celle du safran ; exposés au feu ces crystaux ont paru se fondre, ils ont répandu de la fumée blanche, & se sont changés en une chaux grisâtre.
La dissolution de la platine dans l'eau régale ne teint point en pourpre les matieres animales telles que la peau, les os, les plumes, &c. ni le marbre, comme on sait que l'eau fait la dissolution d'or. La platine dissoute ne se précipite pas non plus d'une couleur pourpre par le moyen de l'étain, comme la dissolution d'or. La platine n'est point dégagée de son dissolvant ni par le vitriol martial, ni par l'esprit de vin, ni par les huiles essentielles, comme il arrive à l'or.
L'alkali fixe & l'alkali volatil précipitent la platine dissoute sous la forme d'une poudre rouge brillante semblable à du minium qui ne détonne point comme l'or fulminant. Cependant les sels alkalis ne précipitent point totalement la platine, & le dissolvant reste toujours coloré jusqu'à un certain point.
L'acide vitriolique précipite la platine dissoute : elle est aussi précipitée, quoique fort imparfaitement, par le zinc, par le fer, par le cuivre, par le mercure, par l'or. Les précipités que l'on obtient de ces différentes manieres, ne sont point propres à colorer le verre, comme ceux des autres métaux.
La platine s'allie par la fusion à tous les métaux & demi-métaux ; ces alliages exigent différens degrés de feu qui doivent être toujours très-violens ; cependant elle marque plus de disposition à s'allier à quelques métaux qu'avec d'autres ; il paroît pourtant que dans ces sortes d'alliages il ne se fait qu'un mélange, & non une combinaison intime & parfaite. La platine durcit tous les métaux avec lesquels elle est alliée, leur ôte leur ductilité, & les rend cassans ; tous ces alliages, lorsqu'on les pese à la balance hydrostatique, ont, suivant Mr. Lewis, un poids moindre que le calcul ne l'annonçoit ; ce savant chimiste a donné une table des pesanteurs de ces différens alliages ; mais M. Scheffer a fait voir dans son dernier mémoire que souvent il s'est trompé dans ses calculs, & il prouve que la plûpart des alliages métalliques faits avec la platine ont une pesanteur spécifique plus grande que celle qui étoit indiquée par le calcul. En effet la balance hydrostatique est un moyen très-peu sûr pour connoître la pesanteur des alliages métalliques. Voyez METAUX.
L'étain allié avec la platine donne une matiere cassante, d'une couleur plus foncée que celle de l'étain pur, & qui devient terne à l'air.
Le plomb allié avec cette substance donne une masse d'une couleur de fer foncée, ou purpurine, qui se ternit à l'air, & qui est d'un tissu feuilleté ou fibreux ; le plomb acquiert par cet alliage un plus grand degré de dureté que tous les autres métaux.
La platine a plus de peine à s'allier avec l'argent ; il y a même une portion qui ne fait point d'union avec lui, & qui se précipite au fond du creuset pendant qu'il se refroidit. Par cette union, l'argent perd sa malléabilité, mais moins qu'avec l'étain ou le plomb. La couleur de l'argent est altérée très-foiblement par cet alliage.
Un alliage de parties égales de platine & d'or est d'un jaune plus pâle que l'or seul ; il est dur à la lime, devient aigre & cassant ; mais lorsqu'on le remet au feu, l'alliage devient assez ductile. S'il y a quatre parties d'or contre une de platine, l'alliage est assez ductile pour pouvoir être battu en lames très-minces sans se casser ; en le fondant avec du borax & du nitre, il devient fort pâle.
La platine augmente la dureté du cuivre, sans lui ôter ni sa couleur ni sa ductilité, lorsqu'elle n'y est qu'en petite quantité ; mais quand on en met beaucoup, l'alliage éclate sous le marteau. Cet alliage prend un très-beau poli, & ne se ternit point à l'air aussi promptement que le cuivre seul.
Le fer forgé ne peut s'allier avec la platine ; mais elle s'unit avec le fer de fonte ou le potin ; elle le rend si dur que la lime n'a point de prise sur lui ; il devient par-là si tenace & si ductile, qu'il est très-difficile à casser. Cet alliage est composé de grains d'une couleur foncée dans la fracture.
La platine, suivant M. Lewis, paroît former un commencement d'union avec le mercure ; mais selon M. Scheffer, elle ne s'y unit pas du tout ; il ajoute que l'on peut employer ce moyen pour séparer l'or, lorsqu'il est allié avec de la platine, le mercure s'amalgamera avec l'or, & ne touchera point à la platine.
Alliée avec le bismuth, la platine ne change rien à sa consistance ; la masse est fragile, se ternit à l'air, & est d'un gris bleuâtre dans la fracture ; alliée avec le zinc, elle le rend plus dur & si aigre qu'il éclate sous le marteau. Son alliage avec le régule d'antimoine est dur, résiste à la lime, & est d'une nuance plus foncée que le régule seul.
Un des phénomènes les plus singuliers que présente la platine, c'est la facilité avec laquelle l'arsenic la fait entrer en fusion ; elle est au point qu'une partie de ce demi-métal suffit pour fondre 24 parties de platine. Il résulte de cet alliage une composition cassante & grise dans la fracture. Cette expérience est dûe à M. Scheffer ; M. Lewis ne l'avoit point tentée, ne croyant pas que le corps le plus fixe au feu de la nature pût se fondre à l'aide de l'arsenic qu'une chaleur assez foible dissipe & volatilise.
La platine alliée avec le laiton ou cuivre jaune, le blanchit, le durcit, le rend aigre, & forme une masse qui prend très-bien le poli. Si on allie la platine avec du cuivre & de l'étain, l'alliage qui résulte est plus sujet à se ternir que celui du cuivre seul sans étain.
La platine jointe avec du plomb résiste à la coupelle, comme l'or, il se fait un iris ; mais l'éclair ne se forme point parfaitement, parce que la platine retient toujours une portion du plomb, dont elle empêche l'entiere scorification, & l'on ne peut plus séparer cette portion de plomb, quelque degré de feu qu'on emploie. Pareillement lorsqu'on coupelle un alliage d'or & de platine, ou bien d'argent & de cette substance, le bouton qui reste sur la coupelle retient une quantité de plomb assez considérable.
Si on se sert du bismuth pour coupeller la platine, elle en retient aussi une portion.
Elle résiste pareillement à l'antimoine, & en retient une portion qu'elle garantit contre l'action du feu, & qu'elle empêche de se dissiper. La platine retient aussi une portion du zinc qui s'est uni avec elle par la déflagration.
Ces dernieres expériences font voir que la coupelle & la purification par l'antimoine, sont des moyens insuffisans pour dégager l'or d'avec la platine. Lorsqu'on voudra y parvenir, on n'aura qu'à faire dissoudre l'or allié avec de la platine dans de l'eau régale, & mettre du vitriol martial dans la dissolution, il précipitera l'or seul, n'ayant pas la propriété de précipiter la platine ; on édulcorera le précipité, on l'amalgamera avec le mercure qui, comme il a été dit plus haut, ne s'unit point non plus avec la platine, & par-là l'or seul restera dans l'amalgame.
De toutes les expériences qui viennent d'être rapportées, on conclud que la platine, & par-là l'or seul restera dans l'amalgame.
De toutes les expériences qui viennent d'être rapportées, on conclud que la platine est un métal particulier, qui a plusieurs propriétés communes avec l'or, & qui d'un autre côté en differe à bien des égards ; la platine n'a point sa ductilité, ni sa ténacité, ni sa couleur ; elle est beaucoup plus dure, & n'entre point en fusion au degré de feu le plus violent. Les propriétés qui lui sont communes avec l'or, sont sa pesanteur, sa dissolution dans l'eau régale & dans le foie de soufre, la faculté de résister au plomb dans la coupelle & à l'antimoine, qui jusqu'ici passoit pour le moyen le plus sûr pour dégager l'or des substances métalliques étrangeres avec lesquelles il étoit combiné. Cette espece d'analogie que la platine a avec l'or, est ce qui a donné lieu de l'appeller or blanc ; les Alchimistes trouveront peut-être dans cette substance, cet or non mur si desiré, à qui il ne manque que l'ame, ou le soufre colorant pour être un or parfait.
Malgré toutes les expériences qui ont été rapportées, bien des chimistes doutent encore que la platine soit un métal particulier ; ils croyent plutôt qu'on doit la regarder comme une combinaison particuliere dont le fer est la base, & qui est de la nature de la pyrite ; c'est au tems à nous apprendre ce que l'on doit penser de ces conjectures.
Quant aux usages de la platine, nous avons déja dit que les Espagnols en Amérique en font différens bijoux : il y a tout lieu de croire qu'ils y joignent pour cela soit du cuivre, soit de l'argent, soit quelqu'autre substance métallique, que l'on pourroit aisément découvrir si la platine étoit assez commune parmi nous, pour pouvoir être employée à ces usages. Elle paroît sur-tout très-propre à faire des miroirs de réflexion pour les télescopes, par la faculté que quelques métaux alliés avec elle, ont de ne point se ternir à l'air. C'est au tems à nous apprendre si cette substance si singuliere a quelques vertus médicinales, & si elle peut être employée plus utilement dans la société. (-)
PLATINE, s. f. terme d'Arquebusier, s'entend de toutes les pieces & ressorts montés à vis sur le corps de platine, & qui servent toutes ensemble à faire partir un fusil ; elle se place ordinairement vers la lumiere du canon, dans une entaille pratiquée au fût ou bois de fusil du côté droit.
Les fusils à deux coups ont deux platines, l'une à droite, & l'autre à gauche, qui ont chacune leur détente.
PLATINE, (corps de) terme d'Arquebusier, c'est un morceau de fer taillé en losange qui est percé de plusieurs trous vissés en écrous, qui sont faits pour recevoir les vis des piéces qui composent la platine, qui sont la batterie, le ressort de la batterie, le grand ressort, la noix, la bride, la gachette & le ressort de gachette.
PLATINE de lumiere, (Artillerie) les platines de lumiere, sont des plaques de plomb en table, qui servent à couvrir la lumiere du canon. (D.J.)
PLATINE, (bas au métier) il y a les platines à ondes, les platines à plomb, les barres à platines, les gardes-platines, le moule à platine ; toutes ces parties appartiennent au métier à bas. Voyez cet article.
PLATINES, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) deux des piéces principales du moule, servant à fondre les caracteres d'Imprimerie. C'est la platine qui sert de point d'appui à toutes les autres, & sur laquelle elles sont assujetties par des vis & par des écrous. Voyez MOULE & nos Planches.
PLATINE, terme d'Horlogerie, est une plaque de laiton à laquelle on donne une épaisseur suffisante, pour qu'elle ne puisse pas ployer ; il y a deux platines dans chaque montre & dans chaque pendule. Les Horlogers appellent platine des piliers, celle sur laquelle ces piliers sont rivés, & qui porte le cadran, on la fait toujours un peu plus forte que l'autre qu'on appelle platine du nom, platine de dessus, ou petite platine, cette derniere porte le cocq, la coulisse, la rosette, &c. elle s'ajuste sur les piliers, & on l'y fixe par le moyen de coupilles ; les platines ainsi ajustées, font ce que les Horlogers appellent cage. Voyez CAGE, & voyez aussi nos figures, Pl. de l'Horlogerie, qui représentent les platines d'une montre vues des deux côtés.
PLATINE de presse d'Imprimerie, c'est une piece de cuivre très-poli, ou de bois bien uni ; son usage est de fouler sur la forme, par le moyen de la vis qui presse dessus, elle est attachée aux quatre coins de la boëte qui enveloppe la vis, avec des ficelles, mais dans plusieurs imprimeries avec des tirans de fer à vis. La platine est située entre les deux jumelles de la presse, & suit tous les mouvemens de la vis : elle foule lorsque la vis descend, & se releve lorsque la vis remonte ; c'est du bon ou du mauvais foulage d'une platine, que dépend souvent la qualité de l'impression : une platine doit être pour ses proportions, telle que l'exige le corps de presse pour laquelle elle a été faite : c'est pour cette raison qu'il y en a de différente grandeur. Voyez nos Pl. de l'Imprimerie.
PLATINE, (Ustensile de ménage) on s'en sert pour étendre, secher, & dresser le menu linge ; la platine est faite d'un rond de cuivre jaune fort poli. Un pié de platine est ce qu'on met sous les vrais piés de la platine pour l'élever.
Platine se dit aussi d'une plaque de fer ou de cuivre qu'on applique en plusieurs endroits ; une platine ou écusson de porte qu'on met au-devant d'une serrure ; une platine de pistolet, de fusil, où s'attachent le ressort & le chien ; une platine de montre qui soutient les roues, les ressorts, les piliers, l'aiguille. Voyez ici les divers sens du mot PLATINE. (D.J.)
PLATINE, en terme de Metteur-en-oeuvre, est cette partie de la chaîne d'une montre, derriere laquelle est le crochet pour suspendre la montre.
PLATINES, chez les Rubaniers, ce sont des plaques de plomb ou d'ardoise qu'on suspend sur chaque lisseron qui termine les hautes lisses ; quand le pié de l'ouvrier abandonne une marche, la platine fait retomber la haute lisse que le tirant avoit haussé.
PLATINE, (Serrur.) c'est une petite plaque de fer sur laquelle est attachée un verrouil ou une targette. On appelle platine à panaches, celle qui est chantournée en maniere de feuillage ; & platine ciselée, celle qui est emboutie ou relevée de ciselures.
Platine de loquet. Maniere de plaque de fer, plate & déliée, qu'on attache à la porte au-dessus de la serrure ; on l'appelle aussi entrée. (D.J.)
PLATINE, (Sucrerie) On nomme la platine d'un moulin à sucre, une piéce de fer acéré, longue de six pouces & large de trois, sur le milieu de laquelle on a pratiqué deux ou trois enfoncemens, pour recevoir la pointe du pivot du grand rôle ; elle s'emboîte dans ce qu'on appelle la table du moulin. Le P. Labat. (D.J.)
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PLATON | voyez BORDELIERE.
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PLATONICIENS | PLATONICIENS
Ce fut vers le milieu du quinzieme siécle que s'alluma l'espece de guerre civile des Platoniciens & des Aristotéliciens entre les philosophes grecs, qui florissoient alors en assez bon nombre à Venise, à Florence, à Rome, & dans le reste de l'Italie.
Gémiste Pléthon, homme savant, l'un des beaux génies de son siécle, & grand platonicien, entreprit de décrier Aristote, qui dominoit depuis long-tems dans les écoles d'occident, où les philosophes arabes avoient fort accrédité sa philosophie. Il publia d'abord un petit livre sous le titre de différence des sentimens d'Aristote & de Platon, . Il ne se borna pas dans cet écrit, qui a été imprimé, à marquer la différence qu'il y a entre l'une & l'autre philosophie, à préférer Platon à Aristote, mais il déchira impitoyablement ce dernier.
Il fut attaqué par trois hommes également illustres. Le premier, nommé George Scholarius, qui fut depuis patriarche de Constantinople, connu sous le nom de Gennadius, s'appliqua particulierement à faire voir que les principes d'Aristote s'accordoient beaucoup mieux que ceux de Platon avec la théologie chrétienne. Nous n'avons de cet ouvrage de Gennade, que ce que Pléthon lui-même nous en a conservé dans l'écrit intitulé, réponse aux raisons que Scholarius a alléguées pour la défense d'Aristote. Cette réponse n'a point été imprimée, mais elle se trouve en diverses bibliotheques. Pléthon y parle à son adversaire avec toute l'aigreur d'un homme piqué au vif, & avec toute la hauteur d'un maître qui fait la leçon à un écolier. Gennadius attendit une occasion favorable pour y répondre ; elle se présenta peu de tems après, & il ne la laissa pas échapper. Il fut que Pléthon composoit un livre à l'imitation de la république de Platon, & que dans ce livre il prétendoit établir un nouveau système de religion, & une théologie purement payenne. Il laissa là Platon & Aristote, & attaqua directement l'auteur du nouveau système, l'accusant de vouloir renverser la religion chrétienne, & rétablir le paganisme. Pléthon, effrayé de cette accusation, n'osa publier son livre, & il le tint caché tant qu'il vécut.
Après sa mort, Démétrius, prince grec de la famille des Paléologues, chez qui apparemment ce livre avoit été déposé, le fit remettre entre les mains de Gennade pour lors patriarche, qui le parcourut promptement, & le condamna au feu. On a une lettre de Gennade à Jean l'Exarque, où ce fait est raconté tout au long, & où la doctrine contenue dans le livre de Pléthon est réfutée. Quoique la censure du livre de Pléthon, publiée par Gennade, n'attaque directement ni Platon ni les Platoniciens, on voit bien cependant que le patriarche a eu dessein de justifier ce qu'il avoit écrit autrefois contre la philosophie de Platon, & de montrer combien la lecture des livres de ce philosophe étoit dangereuse, puisqu'elle avoit tellement gâté l'esprit de Gémiste, qu'elle lui avoit fait naître l'idée extravagante de reformer le gouvernement & la religion.
Théodore Gaza fut le second des adversaires de Pléthon, qui écrivirent directement contre lui. Mais George de Crete, connu sous le nom de George de Trébisonde, commença par attaquer le cardinal Bessarion, qui raconte lui-même l'origine de cette querelle dans son apologie de Platon. Voici le fait. Aristote, dans le second livre de sa physique, dit que tout ce que fait la nature, elle le fait pour quelque fin ; & que cependant elle ne fait rien à dessein, c'est-à-dire, avec préméditation, avec connoissance, avec raison. Cette thèse ayant été attaquée par Pléthon, qui prétendoit avec Platon que la nature n'a rien fait qu'avec raison & avec prudence, Gaza prit le parti d'Aristote, & en écrivit au cardinal Bessarion. Le cardinal, qui étoit disciple de Pléthon, & qui le consultoit tous les jours sur des matieres de Philosophie, fit une réponse très-succincte, où expliquant les termes dont Platon & Aristote se sont servis, il montra que ces deux philosophes n'étoient pas si éloignés de sentiment qu'ils le paroissoient. George de Trébisonde en vouloit depuis long-tems à Bessarion, parce qu'il lui avoit préféré Gaza, & par la même raison il en vouloit à ce dernier dont la réputation lui faisoit ombrage. La réponse de Bessarion, sur la question dont nous venons de parler, lui étant tombée entre les mains, il feignit de croire que cet écrit étoit de Gaza ; & l'ayant réfuté, il offensa également Bessarion, Gaza & Pléthon.
La querelle s'étant échauffée, d'autres grecs de moindre considération y entrerent. Michel Apostolius, attaché à Bessarion, écrivit contre Gaza & contre Aristote : son écrit, dit M. Boivin, n'étoit qu'un tissu d'injures grossieres, & une déclamation de jeune homme, qui décide hardiment sur des matieres qu'il n'entend pas. Andronic, surnommé Caliste, ou fils de Caliste, y fit une réponse. M. Boivin ne croit pas qu'il nous reste rien de ces deux pieces ; mais si l'on doit s'en rapporter à M. Fabricius, l'écrit d'Apostolius se trouve en manuscrit dans la bibliotheque impériale, & dans la bodléienne. Quoi qu'il en soit, on en fit peu de cas ; au lieu que la réponse d'Andronic fut approuvée par les personnes de bon goût, & surtout par Nicolas Secondin, homme de beaucoup d'esprit, qui le témoigna à Andronic lui-même par une lettre qu'il lui écrivit, datée de Viterbe, du 5 de Juin 1462. Il parle de l'ouvrage d'Apostolius comme d'un livre rempli d'injures & de calomnies ; & de celui d'Andronic avec de grands éloges.
Andronic, péripatéticien sage & modéré, envoya l'écrit d'Apostolius avec sa réponse au cardinal Bessarion, protecteur des Platoniciens, se soumettant entierement à ce qu'il plairoit au cardinal de décider sur les questions proposées. Bessarion, après avoir lû & examiné avec attention ces deux nouvelles pieces, condamna Apostolius, & approuva fort les réponses d'Andronic. On a dans un manuscrit de la bibliotheque du roi de France, deux lettres de même date sur ce sujet, toutes deux de Bessarion. La premiere adressée à Andronic, n'est que l'enveloppe de la seconde, qui est fort ample & adressée à Apostolius ; elle est datée des bains de Viterbe, le 19 Mai 1462. M. Boivin l'a donnée toute entiere, en françois d'abord, & ensuite en grec & en latin. Elle contient d'excellentes leçons touchant la vénération que l'on doit avoir pour les grands hommes qui ont inventé ou perfectionné les Arts & les Sciences, & sur-tout pour ceux dont la réputation est en quelque façon consacrée par l'approbation constante de tous les siecles.
Comme sa longueur nous empêche de l'insérer ici toute entiere, nous nous contenterons d'en rapporter quelques traits par lesquels le lecteur pourra juger du reste. " Ce n'est point, dit-il, par des injures, c'est par des raisons solides & convaincantes que l'on doit défendre ses amis, & combattre ses adversaires ". Il le censure ensuite d'avoir maltraité Théodore Gaza. " J'ai souffert avec peine que vous accusassiez d'ignorance un homme aussi savant que l'est Théodore. Mais, ajoute-t-il, que vous ayez traité aussi indignement Aristote même, Aristote notre guide & notre maître en tout genre d'érudition ; que vous ayez osé lui dire des injures grossieres, le nommer ignorant, extravagant, ingrat, & l'accuser de mauvaise foi.... je ne crois pas qu'il y ait d'audace pareille à celle-là. Je voudrois, ajoute le cardinal, lorsque Pléthon attaque Aristote, lorsque d'autres attaquent les deux princes des Philosophes (Platon & Aristote), je voudrois, dis-je, que cela se fît avec toute la modération qu'Aristote a gardée lorsqu'il a contredit ceux qui l'avoient précédé.... & nous qui, en comparaison de ces grands hommes, ne sommes que de très-petits personnages, nous avons la hardiesse de les traiter d'ignorans, & de les railler d'une maniere incivile.... en vérité, cette conduite est bien étrange & bien insensée ". Il seroit à souhaiter qu'on répétât souvent ces leçons de respect pour les grands hommes.
Dans le tems que cette lettre fut écrite, Gémiste Pléthon étoit extrêmement vieux, & demeuroit dans le Péloponnèse où il s'étoit retiré depuis plusieurs années. Son grand âge, & le crédit de Scholarius son ennemi, qui étoit devenu patriarche de Constantinople, ne lui permettoient pas de défendre sa cause aussi vivement qu'il l'avoit fait dans le commencement. Cependant ses ennemis mêmes, ou le craignoient encore, ou le respectoient. A peine fut-il mort, qu'ils se déchaînerent aussi-tôt contre Platon & contre lui. George de Trébisonde publia en latin : comparaison de Platon & d'Aristote, comparatio Platonis & Aristotelis, Venet. 1523, in-8°. Il ne se peut rien de plus amer & de plus violent que cet ouvrage ; c'est, dit M. Boivin, un déluge de bile, & de la bile la plus noire, contre Platon & ses défenseurs.
Un écrit de cette nature ne pouvoit manquer de faire beaucoup de bruit chez les Platoniciens ; aussi le cardinal Bessarion crut devoir le réfuter dans un traité qui parut à Venise en 1526, in-fol. & qui est divisé en quatre livres.
Ce fut dans ce tems-là que l'ouvrage de Pléthon fut censuré par Gennade, à cause des impiétés & du paganisme dont ce patriarche prétendoit qu'il étoit rempli. L'ouvrage de Pléthon, condamné par Gennade, étoit intitulé en grec traité des Lois, en trois livres. L'auteur se proposoit d'y donner une théologie conforme à celle de Zoroastre & de Platon ; une morale philosophique & stoïcienne ; un plan de république formé sur celui de Lacédémone, adouci par les principes de Platon ; une forme de culte & de cérémonies religieuses, un système de Physique tiré principalement d'Aristote ; enfin, des regles pour vivre heureusement. Léon Allatius regrette fort la perte de cet ouvrage ; il soutient que le dessein de l'auteur n'étoit nullement de renverser la religion chrétienne, mais seulement de développer le système de Platon & d'éclaircir ce que lui & les autres philosophes avoient écrit sur les matieres de religion & de politique.
Au reste, le livre du cardinal Bessarion effaça les mauvaises idées que celui de George de Trébisonde avoit données de Platon & de sa philosophie. Les sectateurs mêmes d'Aristote revinrent de leur prévention contre Platon. Les invectives cesserent de part & d'autre, & la paix régna pendant plusieurs années entre les philosophes des deux sectes. (D.J.)
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PLATONIQUE | adj. (Géom.) Les corps platoniques sont ceux que l'on appelle autrement & plus communément corps réguliers. Voyez REGULIER. On les appelle ainsi, parce qu'on croit que la premiere découverte des propriétés de ces corps est dûe à l'école de Platon, à qui la Géométrie a d'ailleurs tant d'autres obligations. Voyez GEOMETRIE. (O)
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PLATONISM | ou PHILOSOPHIE DE PLATON, (Histoire de la Philosophie) de toutes les sectes qui sortirent de l'école de Socrate, aucune n'eut plus d'éclat, ne fut aussi nombreuse, ne se soutint aussi longtems que le Platonisme. Ce fut comme une religion que les hommes professerent depuis son établissement, sans interruption, jusqu'à ces derniers tems. Elle eut un sort commun avec le reste des connoissances humaines ; elle parcourut les différentes contrées de l'Asie, de l'Afrique & de l'Europe, y entrant à mesure que la lumiere y poignoit, & s'en éloignant à mesure que les ténebres s'y reformoient. On voit Platon marcher d'un pas égal avec Aristote, & partageant l'attention de l'univers. Ce sont deux voix également éclatantes qui se font entendre l'une dans l'ombre des écoles, l'autre dans l'obscurité des temples. Platon conduit à sa suite l'éloquence, l'enthousiasme, la vertu, l'honnêteté, la décence & les graces. Aristote a la méthode à sa droite, & le syllogisme à sa gauche : il examine, il divise, il distingue, il dispute, il argumente, tandis que son rival semble prophétiser.
Platon naquit à Oegine : il fut allié par Ariston son pere à Codrus, & par sa mere Périctioné à Solon. Le septieme de Thargelion de la 87e olympiade, jour de sa naissance, fut dans la suite un jour de fête pour les Philosophes. Ses premieres années furent employées aux exercices de la Gymnastique, à la pratique de la Peinture, & à l'étude de la Musique, de l'Eloquence & de la Poésie dithyrambique, épique & tragique : mais ayant comparé ses vers avec ceux d'Homere, il les brûla & se livra tout entier à la Philosophie.
On dit qu'Apollon, épris de la beauté de sa mere Périctioné, habita avec elle, & que notre philosophe dut le jour à ce dieu. On dit qu'un spectre se reposa sur elle, & qu'elle conçut cet enfant sans cesser d'être vierge. On dit qu'un jour Ariston & sa femme sacrifiant aux muses sur le mont Hymette, Périctioné déposa le jeune Platon entre des myrtes, où elle le retrouva environné d'un essaim d'abeilles, dont les unes voltigeoient autour de sa tête & les autres enduisoient ses levres de miel. On dit que Socrate vit en songe un jeune cigne s'échapper de l'autel qu'on avoit consacré à l'Amour dans l'académie, se reposer sur ses genoux, s'élever dans les airs, & attacher par la douceur de son chant les oreilles des hommes & des dieux ; & que lorsqu' Ariston présenta son fils à Socrate, celui-ci s'écria : Je reconnois le cigne de mon songe. Ce sont autant de fictions que des auteurs graves n'ont pas rougi de débiter comme des vérités, & qu'il y auroit peut-être du danger à contredire, si Platon étoit le fondateur de quelque système religieux adopté.
Il s'attacha dans sa jeunesse à Cratile & à Héraclite. Socrate, sous lequel il étudia pendant huit ans, lui reconnut bientôt ce goût pour le syncrétisme, ou cette espece de philosophie qui cherchant à concilier entr'elles des opinions opposées, les adultere & les corrompt. Voyez l'article SYNCRETISME.
Il n'abandonna point son maître dans la persécution. Il se montra au milieu de ses juges ; il entreprit son apologie ; il offrit sa fortune pour qu'il fût sursis à sa condamnation : mais ceux qui lui avoient fermé la bouche par leurs clameurs lorsqu'il se défendoit, rejetterent ses offres, & Socrate but la ciguë.
La mort de Socrate laissa la douleur & la terreur parmi les Philosophes. Ils se réfugierent à Megare chez le dialecticien Euclide, où ils attendirent un tems moins orageux. De-là Platon passa en Egypte, où il visita les prêtres ; en Italie, où il s'initia dans la doctrine de Pithagore ; il vit à Cyrene le géometre Théodore, il ne négligea aucun moyen d'augmenter ses connoissances. De retour dans Athènes il ouvrit son école : il choisit un gymnase environné d'arbres, & situé sur les confins d'un fauxbourg ; ce lieu s'appelloit l'académie ; on lisoit à l'entrée, , on n'est point admis ici sans être géometre.
L'académie étoit voisine du Céramique. Là il y avoit des statues de Diane, un temple, & les tombeaux de Thrasibule, de Périclès, de Chabrias, de Phormion, & de ceux qui étoient morts à Marathon, & des monumens de quelques hommes qui avoient bien mérité de la république, & une statue de l'Amour, & des autels consacrés à Minerve, à Mercure, aux Muses & Hercule, & à Jupiter, surnommé , & les trois graces, & l'ombre de quelques platanes antiques. Platon laissa cette partie de son patrimoine en mourant à tous ceux qui aimeroient le repos, la solitude, la méditation & le silence.
Platon ne manqua pas d'auditeurs. Speusippe, Xénocrate & Aristote assisterent à ses leçons. Il forma Hyperide, Lycurgue, Démosthène & Isocrate. La courtisanne Lasthénie de Mantinée fréquenta l'académie ; Axiothée de Phliase s'y rendoit en habit d'homme. Ce fut un concours de personnes de tout âge, de tout état, de tout sexe, & de toute contrée. Tant de célébrité ne permit pas à l'envie & à la calomnie de rester assoupies : Xénophon, Antisthène, Diogene, Aristippe, Aeschine, Phédon s'éleverent contre lui, & Athénée s'est plû à transmettre à la postérité les imputations odieuses dont on a cherché à flétrir la mémoire de Platon ; mais une ligne de son ouvrage suffit pour faire oublier & ses défauts, s'il en eut, & les reproches de ses ennemis. Il semble qu'il soit plus permis aux grands hommes d'être méchans. Le mal qu'ils commettent passe avec eux ; le bien qui résulte de leurs ouvrages dure éternellement ; ils ont affligé leurs parens, leurs amis, leurs concitoyens, leurs contemporains, je le veux, mais ils continuent d'instruire & d'éclairer l'univers. J'aimerois mieux Bacon grand auteur & homme de bien ; mais s'il faut opter, je l'aime mieux encore grand homme & fripon, qu'homme de bien & ignoré : ce qui eût été le mieux pour lui & pour les siens, n'est pas le mieux pour moi : c'est un jugement que nous portons malgré nous. Nous lisons Homere, Virgile, Horace, Cicéron, Milton, le Tasse, Corneille, Racine, & ceux qu'un talent extraordinaire a placés sur la même ligne, & nous ne songeons guere à ce qu'ils ont été. Le méchant est sous la terre, nous n'en avons plus rien à craindre ; ce qui reste après lui de bien, subsiste & nous en jouissons. Voilà des lignes vraies que j'écris à regret, car il me plaîroit bien davantage de troubler le grand homme qui vit tranquille sur sa malfaisance, que de l'en consoler par l'oubli que je lui en promets ; mais après tout, cette éponge des siecles fait honneur à l'espece humaine.
Platon fut un homme de génie, laborieux, continent & sobre, grave dans son discours & dans son maintien, patient, affable ; ceux qui s'offensent de la liberté avec laquelle son banquet est écrit, en méconnoissent le but ; & puis il n'est pas moins important pour juger les moeurs que pour juger les ouvrages, de remonter aux tems & de se transporter sur les lieux ; nous sommes moins ce qu'il plaît à la nature qu'au moment où nous naissons.
Il s'appliqua toute sa vie à rendre la jeunesse instruite & vertueuse. Il ne se mêla point des affaires publiques. Ses idées de législation ne quadroient pas avec celles de Dracon & de Solon : il parloit de l'égalité de fortune & d'autorité qu'il est difficile d'établir, & peut-être impossible de conserver chez un peuple. Les Arcadiens, les Thébains, les Cyrénéens, les Syracusains, les Crétois, les Eléens, les Pyrrhéens, & d'autres qui travailloient à réformer leurs gouvernemens l'appellerent ; mais trouvant ici une répugnance invincible à la communauté générale de toutes choses, de la férocité, de l'orgueil, de la suffisance, trop de richesses, trop de puissance, des difficultés de toute espece, il n'alla point, il se contenta d'envoyer ses disciples. Dion, Pithon & Héraclide qui avoient puisé dans son école la haine de la tyrannie, en affranchirent le premier la Sicile, les deux autres la Thrace. Il fut aimé de quelques souverains. Les souverains ne rougissoient pas alors d'être philosophes. Il voyagea trois fois en Sicile ; la premiere, pour connoître l'île & voir la chaudiere de l'Etna ; la seconde, à la sollicitation de Denis & des Pythagoriciens qui avoient esperé que son éloquence & sa sagesse pourroient beaucoup sur les esprits ; ce fut aussi l'objet de la troisieme visite qu'il fit à Denis. De retour dans Athènes, il se livra tout entier aux Muses & à la Philosophie. Il jouit d'une santé constante & d'une longue vie, récompense de sa frugalité ; il mourut âgé de 81 ans, la premiere de la cent huitieme olympiade. Le perse Mithridate lui éleva une statue, Aristote un autel : on consacra par la solemnité le jour de sa naissance, & l'on frappa des monnoies à son effigie. Les siecles qui se sont écoulés, n'ont fait qu'accroître l'admiration qu'on avoit pour ses ouvrages. Son style est moyen entre la prose & la poésie ; il offre des modeles en tout genre d'éloquence : celui qui n'est pas sensible aux charmes de ses dialogues, n'a point de goût. Personne n'a su établir le lieu de la scene avec plus de vérité, ni mieux soutenir ses caracteres. Il a des momens de l'enthousiasme le plus sublime. Son dialogue de la sainteté est un chef-d'oeuvre de finesse ; son apologie de Socrate en est un de véritable éloquence. Ce n'est pas à la premiere lecture qu'on saisit l'art & le but du banquet : il y a plus à profiter pour un homme de génie dans une page de cet auteur, que dans mille volumes de critique. Homere & Platon attendent encore un traducteur digne d'eux : il professa la double doctrine. Il est difficile, dit-il dans le Timée, de remonter à l'auteur de cet univers, & il seroit dangereux de publier ce qu'on en découvriroit. Il vit que le doute étoit la base de la véritable science ; aussi tous ses dialogues respirent-ils le scepticisme. Ils en ressemblent d'autant plus à la conversation : il ne s'ouvrit de ses véritables sentimens qu'à quelques amis. Le sort de son maître l'avoit rendu circonspect ; il fut partisan jusqu'à un certain point du silence pythagorique ; il imita les prêtres de l'Egypte, les mortels les plus taciturnes & les plus cachés. Il est plus occupé à refuter qu'à prouver, & il échappe presque toujours à la malignité du lecteur à l'aide d'un grand nombre d'interlocuteurs qui ont alternativement tort & raison. Il appliqua les Mathématiques à la Philosophie ; il tenta de remonter à l'origine des choses, & il se perdit dans ses spéculations ; il est souvent obscur ; il est peut-être moins à lire pour les choses qu'il dit que pour la maniere de le dire, ce n'est pas qu'on ne rencontre chez lui des vérités générales d'une Philosophie profonde & vraie. Parle-t-il de l'harmonie générale. de l'univers, celui qui en fut l'auteur emprunteroit sa langue & ses idées.
De la Philosophie de Platon. Il disoit :
Le nom de sage ne convient qu'à Dieu, celui de philosophe suffit à l'homme.
La sagesse a pour objet les choses intelligibles ; la science, les choses qui sont relatives à Dieu & à l'ame quand elle est séparée du corps.
La nature & l'art concourent à former le philosophe.
Il aime la vérité dès son enfance, il a de la mémoire & de la pénétration, il est porté à la tempérance, il se sent du courage.
Les choses sont ou intelligibles ou actives, & la science est ou théorique ou pratique.
Le philosophe qui contemple les intelligibles imite l'Etre suprême.
Ce n'est point un être oisif ; il agira, si l'occasion s'en présente.
Il saura prescrire des lois, ordonner une république, appaiser une sédition, amender la vieillesse, instruire la jeunesse.
Il ne néglige ni l'art de parler, ni celui d'arranger ses pensées.
Sa dialectique aidée de la géométrie l'élevera au premier principe, & déchirera le voile qui couvre les yeux des barbares.
Platon dit que la dialectique est l'art de diviser, de définir, d'inférer & de raisonner ou d'argumenter.
Si l'argumentation est nécessaire, il l'appelle apodectique ; si elle est probable, épichérématique ; si imparfaite ou inthimématique, réthorique ; si fausse, sophismatique.
Si la philosophie contemplative s'occupe des êtres fixes, immobiles, constans, divins, existans par eux-mêmes, & causes premieres des choses, elle prend le nom de Théologie ; si les astres & leurs révolutions, le retour des substances à une seule, la constitution de l'univers sont des objets, elle prend celui de Philosophie naturelle ; si elle envisage les propriétés de la matiere, elle s'appelle Mathématique.
La philosophie pratique est ou morale, ou domestique, ou civile ; morale, quand elle travaille à l'institution des moeurs ; domestique, à l'économie de la famille ; civile, à la conservation de la république.
De la dialectique de Platon. La connoissance de la vérité naît de la sensation, quoiqu'elle n'appartienne point à la sensation, mais à l'esprit ; c'est l'esprit qui juge.
L'esprit ou l'entendement a pour objet les choses simples, intelligibles par elles-mêmes, constantes ou qui sont telles qu'on les conçoit, ou les choses sensibles, mais qui échappent à l'organe ou par leur petitesse, ou par leur mobilité qui sont en vicissitude ou inconstantes ; & il y a science & opinion ; science des premieres, opinion des secondes.
La sensation est une affectation de l'ame conséquente à quelque impression faite sur le corps.
La mémoire est la permanence de la forme reçue dans l'entendement en conséquence de la sensation.
Si le témoignage de la mémoire se confirme par celui de la sensation, il y a opinion ; s'ils se contredisent, il y a erreur.
L'ame humaine est une table de cire, où la nature imprime son image ; la pensée est l'entretien de l'ame avec elle-même ; le discours est l'énonciation extérieure de cet entretien.
L'intelligence est l'acte de l'entendement appliqué aux premiers objets intelligibles.
L'intelligence comprend ou les intelligibles qui lui sont propres & qui étoient en elle, & elle les comprend avant que l'ame fût unie au corps, ou les mêmes objets, mais après son union avec le corps, alors l'intelligence s'appelle connoissance naturelle.
Cette connoissance naturelle constitue la reminiscence qu'il ne faut pas confondre avec la mémoire ; la mémoire est des choses sensibles ; la reminiscence est des intelligibles.
Entre les objets intelligibles, il y en a de premiers, comme les idées ; de secondaires, comme les attributs de la matiere, ou les especes qui n'en peuvent être séparées. Pareillement entre les objets sensibles, il y en a de premiers, comme la blancheur, & les autres abstraits ; de secondaires, comme le blanc, & les autres concrets.
L'entendement ne juge point des objets intelligibles premiers, sans cette raison qui fait la science. C'est de sa part un acte simple, une appréhension pure & sans discours. Le jugement des objets intelligibles secondaires suppose la même raison & le même acte, mais moins simple ; & il y a intelligence.
Le sens ne juge point des objets sensibles premiers ou secondaires, sans cette raison qui fait l'opinion ; le jugement des concrets la suppose ainsi que le jugement des abstraits ; mais il y a sensation.
On est à ce qu'il y a de vrai & de faux dans la spéculation ; à ce qu'il y a de propre & d'étranger aux actions, dans la pratique.
C'est la raison innée du beau & du bon, qui rend le jugement pratique : cette raison innée est comme une regle dont nous faisons constamment l'application pendant la vie.
Le dialecticien s'occupera d'abord de l'essence de la chose, ensuite de ses accidens.
Il commencera par définir, diviser, resoudre ; puis il inférera & raisonnera.
Qu'est-ce que la division ? C'est la distribution d'un genre en especes, d'un tout en parties, d'accidens en sujets, de sujets en accidens. On ne parvient à la notion de l'essence, que par ce moyen.
Qu'est-ce que la définition ? Comment se fait-elle ? En partant du genre, passant à la différence la plus prochaine, & descendant de-là à l'espece.
Il y a trois sortes de résolutions : l'une qui remonte des sensibles aux intelligibles ; une seconde qui procede par voie de démonstration ; une troisieme par voie de supposition.
Il faut que l'orateur connoisse l'homme, les différences de l'espece humaine, les formes diverses de l'énonciation, les motifs de persuasion, & les avantages des circonstances : c'est-là ce qui constitue l'art de bien dire.
Il ne faut pas ignorer la maniere dont le sophisme prend le caractere de la vérité.
La connoissance des mots & la raison de la dénomination ou l'étimologie ne sont pas étrangeres à la dialectique.
De la philosophie contemplative de Platon, & premierement de sa théologie. Il ne se fait rien de rien.
Il y a deux causes des choses, l'une dont elles sont ; l'autre par laquelle elles sont. Celle-ci est Dieu ; l'autre est la matiere. Dieu & la matiere sont éternels & également indépendans, quant à leur essence, à leur existence.
La matiere est infinie en étendue & en durée.
La matiere n'est point un corps ; mais tous les corps sont d'elle.
Il y a dans la matiere une force aveugle, brute, nécessaire, innée, qui la meut témérairement, & dont elle ne peut être entierement dépouillée. C'est un obstacle que Dieu même n'a pu surmonter. C'est la raison pour laquelle il n'a pas fait ce que l'on conçoit de mieux. De-là, tous les défauts & tous les maux. Le mal est nécessaire ; il y en a le moins qu'il est possible.
Dieu est un principe de bonté opposé à la méchanceté de la matiere. C'est la cause par laquelle tout est ; c'est la source des êtres existans par eux-mêmes, spirituels & parfaits ; c'est le principe premier ; c'est le grand ouvrier ; c'est l'ordinateur universel.
Il est difficile à l'entendement de s'élever jusqu'à lui. Il est dangereux à l'homme de divulguer ce qu'il en a conçu.
On peut démontrer évidemment son existence & ses attributs.
Elle se manifeste à celui qui s'interroge lui-même, & à celui qui jette quelques regards attentifs sur l'univers.
Dieu est une raison incorporelle qu'on ne saisit que par la pensée.
Il est libre, il est puissant, il est sage, il dispose de la matiere, autant que l'essence de celle-ci le permet.
Il est bon ; un être bon est inaccessible à l'envie : il a donc voulu que tout fût bon ; qu'il n'y eût de mal que celui qu'il ne pouvoit empêcher.
Qu'est-ce qui l'a dirigé dans l'ordination du monde ? Un exemplaire éternel qui étoit en lui, qui y est, & qui ne change point.
Cet exemplaire éternel, cette raison premiere des choses, cette intelligence contient en elle les exemplaires, les raisons & les causes de toutes les autres : ces exemplaires sont éternels par eux-mêmes, immanens ; & les modeles de l'essence des choses passageres & changeantes.
Lorsque Dieu informa la matiere, lorsqu'il voulut que le monde fût, il y plaça une ame.
Il y a des dieux incréés ; il y en a de produits.
Ceux-ci ne sont par leur nature ni éternels, ni immortels, ni indissolubles ; mais ils durent & dureront toujours par un acte de la volonté divine qui les conserve & qui les conservera.
Il y a des démons dont la nature est moyenne entre celle des dieux & de l'homme.
Ils transmettent ce qui est de Dieu à l'homme, & ce qui est de l'homme à Dieu. Ils portent nos prieres & nos sacrifices en haut ; ils descendent en bas les graces & les inspirations.
L'Etre éternel, les dieux au-dessous de lui, mais éternels comme lui ; les dieux produits, les démons, les hommes, les animaux, les êtres matériels, la matiere, le destin, voilà la chaîne universelle.
De la physique de Platon. Rien ne se fait sans cause.
L'ouvrier a en soi le modele de son ouvrage ; il a les yeux sur ce modele en travaillant : il en réalise l'idée.
Puisque le monde est, il est par quelque principe.
C'est un grand automate.
Il est un, parce qu'il est tout.
Il est corporel, visible & tangible ; mais on ne voit rien sans feu, on ne touche point sans solidité. Il n'y a point de solidité sans terre : Dieu produisit donc d'abord le feu & la terre, ensuite l'eau qui servit de moyen d'union entre la terre & le feu.
Puis il anima la masse.
L'ame ordonna, la masse obéit, la masse fut sensible. L'ame diffuse échappa aux sens : on ne la conçut que par son action.
Il voulut que l'ame du monde fût éternelle ; que la masse du monde fût éternelle ; que le composé de l'ame & de la masse fût éternel. Mais comment attacha-t-il l'éternité à un tout produit & répugnant par sa nature, à cet attribut ? Ce fut par une image mobile de la durée que nous appellons le tems. Il tira cette image de l'éternité qui est une, & il en revêtit le monde.
Les corps ont de la profondeur : la profondeur est composée de plans ; les plans se résolvent tous en triangle : les élemens sont donc triangulaires.
La plus solide des figures, c'est le cube. La terre est cubique ; le feu est pyramidal ; l'air est en octaédre ; l'eau en icosaédre.
Les figures, les nombres, les mouvemens, les puissances furent coordonnées de la maniere la plus convenable à la nature de la matiere.
Le mouvement est un : il appartient à la grande intelligence ; il se distribue en sept especes.
Le mouvement ou la révolution circulaire du monde est un effet de la présence du mouvement en tout & par tout.
Le monde a ses périodes. A la consommation de ces périodes, il revient à son état d'origine, & la grande année recommence.
La lune, le soleil & le reste des astres ont été formés pour éclairer la terre & mesurer la durée.
L'orbe au-dessus de la terre est celui de la lune. L'orbe au-dessus de la lune est celui du soleil.
Un orbe général les emporte tous d'un commun mouvement, tandis qu'ils se meuvent chacun en des sens contraires au mouvement général.
Cette terre qui nous nourrit est suspendue par le pole. C'est le séjour de la lumiere & des tenebres. C'est la plus ancienne des divinités produites dans la profondeur du ciel.
La cause premiere abandonna la production des animaux aux dieux subalternes. Ils imiterent sa vertu génératrice : elle avoit engendré les dieux ; les dieux engendrerent les animaux.
De-là Platon descend à la formation des autres corps. Voyez LE TIMEE.
De l'ame selon Platon : ou de sa psychologie. Dieu ayant abandonné la formation de l'homme aux dieux subalternes, il versa dans la masse générale ce germe immortel, divin, qui devoit en être extrait, & anima l'être destiné à connoître la justice, & à offrir des sacrifices.
Ce germe fut infecté par son union avec la matiere. De-là, l'origine du mal moral, les passions, les vices, les vertus, la douleur, les châtimens, les peines & les récompenses à venir.
L'ame a trois parties différentes, & chacune de ces parties a son séjour ; une partie incorruptible placée dans la tête, une partie concupiscente placée dans le coeur, une partie animale placée entre le diaphragme & l'ombilic. Celle-ci préside aux fonctions animales ; la précédente aux passions, la supérieure à la raison.
L'ame est immortelle. Elle est le principe du mouvement : elle se meut, & meut le reste. Elle est l'élément de la vie ; elle s'occupe des choses permanentes, éternelles, immortelles, analogues à sa nature : elle se rappelle les connoissances qu'elle avoit avant que d'être unie au corps.
Avant que de les enfermer dans ce sépulcre, il a dit que si elles obéissoient fidelement aux loix de la nécessité & du destin auxquels il les soumettoit, elles seroient un jour récompensées d'un bonheur sans fin.
Voyez ce qu'il dit de la formation du corps dans le dialogue que nous avons dejà cité.
Platon regardoit les Mathématiques, comme la source la plus propre à accoutumer l'homme aux généralités & aux abstractions, & à élever des choses sensibles aux choses intelligibles.
Il s'en manquoit beaucoup qu'il méprisât l'Astronomie & la Musique ; mais la perfection de l'entendement & la pratique de la vertu étoient toujours le dernier terme auquel il les rapportoit. Ce fut un théosophe par excellence.
De la philosophie pratique de Platon, & premierement de sa morale. Dieu est le souverain bien.
La connoissance & l'imitation du souverain bien est la plus grande félicité de l'homme.
Ce n'est que par l'ame que l'homme peut acquérir quelque similitude avec Dieu.
La beauté, la santé, la force, les richesses, les dignités ne sont des biens que par l'usage qu'on en fait : ils rendent mauvais ceux qui en abusent.
La nature a doué de certaines qualités sublimes ceux qu'elles a destinés à la condition de philosophe. Ils seront un jour assis à la table des dieux : c'est-là qu'ils connoîtront la vérité, & qu'ils riront de la folie de ceux qui se laissent jouer par des simulacres.
Il n'y a de bon que ce qui est honnête.
Il faut préférer à tout la vertu, parce que c'est une chose divine : elle ne s'apprend point, Dieu la donne.
Celui qui sait être vertueux, sait être heureux au milieu de l'ignominie, dans l'exil, malgré la mort & ses terreurs.
Donnez tout à l'homme, excepté la vertu, vous n'aurez rien fait pour son bonheur.
Il n'y a qu'un grand précepte, c'est de s'assimiler à Dieu.
On s'assimile à Dieu par degrés, & le premier, c'est d'imiter les bons génies, & d'avoir leur prudence, leur justice & leur tempérance.
Il faut être persuadé de la matiere actuelle de sa condition, & regarder le corps comme une prison dont l'ame tirée par la mort, passera à la connoissance de la nature essentielle & vraie, si l'homme a été heureusement né, s'il a reçu une éducation, des moeurs, des sentimens conformes à la loi générale, & s'il a pratiqué les maximes de la sagesse.
L'effet nécessaire de ces qualités sera de le séparer des choses humaines & sensibles, & de l'attacher à la contemplation des intelligibles.
Voilà la préparation au bonheur : on y est initié par les mathématiques.
Les pas suivans consistent à dompter ses passions, & à s'accoutumer à la tâche du philosophe, ou l'exercice de la vertu.
La vertu est la meilleure & la plus parfaite affection de l'ame qu'elle embellit, & où elle assied la constance & la fermeté, avec l'amour de la vérité dans la conduite & les discours, seul ou avec les autres.
Chaque vertu a sa partie de l'ame à laquelle elle préside ; la prudence préside à la partie qui raisonne ; la force, à la partie qui s'irrite ; la tempérance, à la partie qui desire.
La prudence est la connoissance des biens, des maux & des choses qui tiennent le milieu : la force est l'observation légitime d'un decret doux ou pénible ; la tempérance est l'assujettissement des passions à la raison. La justice est une harmonie particuliere de ces trois vertus, en conséquence de laquelle chaque partie de l'ame s'occupe de ce qui lui est propre, de la maniere la plus conforme à la dignité de son origine : la raison commande, & le reste obéit.
Les vertus sont tellement enchaînées entr'elles, qu'on ne peut les séparer : celui qui péche est déraisonnable, imprudent & ignorant. Il est impossible que l'homme soit en même tems prudent, intempérant & pusillanime.
Les vertus sont parfaites ; elles ne s'augmentent & ne se diminuent point : c'est le caractere du vice.
La passion est un mouvement aveugle de l'ame frappée d'un objet bon ou mauvais.
Les passions ne sont pas de la partie raisonnable, aussi naissent-elles & passent-elles malgré nous.
Il y a des passions sauvages & féroces ; il y en a de douces.
La volupté, la douleur, la colere, la commisération, sont du nombre de ces dernieres ; elles sont de la nature de l'homme ; elles ne commencent à être vicieuses qu'en devenant excessives.
Les passions sauvages & féroces ne sont pas dans la nature ; elles naissent de quelque dépravation particuliere : telle est la misantropie.
Dieu nous a rendu capables de plaisir & de peine.
Il y a des peines de corps, des peines d'ame, des peines injustes, des peines outrées, des peines raisonnables, des peines mesurées, des peines contraires au bien, & d'autres qui lui sont conformes.
L'amitié est une bienveillance réciproque qui rend deux êtres également soigneux l'un du bonheur de l'autre ; égalité qui s'établit & qui se conserve par la conformité des moeurs.
L'amour est une espece d'amitié.
Il y a trois sortes d'amour ; un amour honteux & brutal, qui n'a d'objet que la volupté corporelle ; un amour honnête & céleste, qui ne regarde qu'aux qualités de l'ame ; un amour moyen qui se propose la jouissance de la beauté de l'ame & du corps.
De la politique de Platon. Les fonctions des citoyens dans la république, semblables à celles des membres du corps, se réduiront à la garder, à la défendre & à la servir. Les gardiens de la république veillent & commandent ; ses défenseurs prennent les armes & se battent ; ses serviteurs sont répandus dans toutes les autres professions.
La république la plus heureuse est celle où le souverain philosophe connoit le premier bien.
Les hommes vivront misérables, tant que les philosophes ne regneront pas, ou que ceux qui regnent privés d'une sorte d'inspiration divine, ne seront pas philosophes.
La république peut prendre cinq formes différentes ; l'aristocratie, où un petit nombre de nobles commande ; la timocratie, où l'on obéit à des ambitieux ; la démocratie, où le peuple exerce la souveraineté ; l'oligarchie, où elle est confiée à quelques-uns ; la tyrannie ou l'administration d'un seul, la plus mauvaise de toutes.
Si l'administration peche, il faut la corriger ; c'est l'usage d'un nombre d'hommes de tout âge & de toute condition, dont les différens intérêts se balanceront.
L'usage commun des femmes ne peut avoir lieu que dans une république parfaite.
La vertu de l'homme politique consiste à diriger ses pensées & ses actions au bonheur de la république.
Des successeurs de Platon. Ceux qui succéderent à Platon ne professerent point tous rigoureusement sa doctrine. Sa philosophie souffrit différentes altérations, qui distinguerent l'académie en ancienne, moyenne, nouvelle & derniere. L'ancienne fut de vrais Platoniciens, au nombre desquels on compte Speusippe, Xénocrate, Polemon, Cratès & Crantor. La moyenne, de ceux qui retinrent ses idées, mais qui éleverent la question de l'imbécillité de l'entendement humain, & de l'incertitude de nos connoissances, parmi lesquels on nomme Arcésilaüs, Lacyde, Evandre & Egesine. La nouvelle, qui fut fondée par Carnéade & Clitomaque, & qui se divisa dans la suite en quatrieme & cinquieme ; celle-ci sous Philon & Charmide, celle-là sous Antiochus.
De l'académie premiere ou ancienne, ou des vrais Platoniciens. De Speusippe. Ce philosophe occupa la chaire de Platon son oncle ; ce fut un homme d'un caractere doux ; il prit plus de goût pour Lasthenie & pour Axiothée ses disciples, qu'il ne convenoit à un philosophe valétudinaire. Un jour qu'on le portoit à l'académie sur un brancard, il rencontra Diogene, qui ne répondit à son salut qu'en lui reprochant la honte de vivre dans l'état miserable où il étoit. Frappé de paralysie, il se nomma pour successeur Xénocrate. On dit qu'il mourut entre les bras d'une femme. Il exigea un tribut de ses auditeurs. Il aima l'argent. Il avoit composé des poëmes ; on les lui faisoit réciter en le payant, quoiqu'ils fussent peu conformes aux bonnes moeurs. Au reste on peut rabattre de ces imputations odieuses, qui n'ont d'autres garands que le témoignage de Denis de Syracuse, qui avoit haï, persécuté & calomnié Platon, & qui peut-être n'en usa pas avec plus d'équité pour Speusippe, parent de Platon, ennemi de la tyrannie, & ami de Dion, que les terreurs de Denis tenoient en exil. Aristote acheta les ouvrages de Speusippe trois talens, somme exorbitante, mais proportionnée apparemment au mérite qu'il y attachoit, ou à la haine qu'il portoit au Platonisme, sorte de philosophie qu'il avoit médité d'éteindre à quelque prix & par quelque moyen que ce fût. Speusippe s'occupa à remarquer ce que les Sciences avoient de commun, à les rapprocher, & à les éclairer les unes par les autres. Il marcha sur les traces de Pythagore ; il distingua les objets en sensibles & en intellectuels, & il comparoit les sens aux doigts expérimentés d'une joueuse de flûte. Du reste il pensa sur le bonheur, sur la vérité, sur la vertu & la république, comme Platon, dont il différa moins par les idées que par l'expression.
Xenocrate naquit dans le cours de la 95e olympiade ; il eut l'intelligence lente & pesante. Platon le comparoit à un âne paresseux qui avoit besoin d'éperons ; & Aristote à un cheval fougueux à qui il falloit un mors. Il avoit les moeurs dures, l'extérieur rebutant, & son maître lui répétoit sans cesse de sacrifier aux graces. Il se comparoit lui-même à un vase dont le col étoit étroit, qui recevoit difficilement, mais qui retenoit bien. Il montra bien à la cour de Denis qu'il étoit capable d'attachement & de reconnoissance, en disant avec hardiesse au tyran, qu'on ne disposoit point de la tête de Platon sans avoir auparavant disposé de celle de Xénocrate. Il se conforma rigoureusement à la discipline & à la doctrine de l'académie ; il représenta Platon par la pureté de ses moeurs & la gravité de son maintien & de ses discours. Telle fut l'opinion qu'on eut de sa véracité, qu'appellé en témoignage, les juges le dispenserent du serment. Envoyé en ambassade à Philippe de Macédoine, les présens de ce souverain ne le tenterent point, & il refusa constamment de conférer avec lui secrettement. Il servoit utilement sa patrie en d'autres circonstances non moins importantes, sans qu'il en coûtât rien à son intégrité. Il remit à Alexandre la plus grande partie des cinquante talens qu'il lui fit offrir. Il n'est pas surprenant après ces marques de désintéressement qu'il fût pauvre, & qu'il ne se trouvât pas en état de payer le tribut qu'on exigeoit dans Athènes de ceux qui voyageoient ; mais il l'est beaucoup que faute de payement des Athéniens, dont il avoit si bien mérité l'estime, l'aient vendu, & qu'il n'ait été rendu à la partie que par la bienfaisance de Démétrius de Phalere, qui le racheta. Phryné, qui avoit fait gageure avec quelques jeunes libertins qu'elle le corromproit ; eût perdu la haute opinion qu'elle avoit de ses charmes, le préjugé qu'elle avoit conçu de la foiblesse de Xénocrate, & la somme qu'elle avoit déposée ; mais elle retira son argent, en disant qu'elle s'étoit engagée à émouvoir un homme, mais non une statue. Il falloit que celui qui résistoit à Phryné fût ou passât pour impuissant. On crut de Xénocrate qu'il s'étoit assuré de lui-même, en se détachant des organes destinés à la volupté, long-tems avant que de passer la nuit à côté de la célebre courtisanne. Les enfans même le respectoient dans les rues, & sa présence suspendoit leurs jeux. Ce fut un homme silencieux. Il disoit qu'il s'étoit quelquefois repenti d'avoir parlé, jamais de s'être tu. Il se distingua par sa clémence, sa sobriété, & toutes les vertus qui caractérisent l'homme de bien & le philosophe. Il vécut de longues années sans aucun reproche. Il éloigna de son école comme un vase sans ses anses, celui qui ignoroit la Géométrie, l'Astronomie & la Musique. Il définit la Rhétorique comme Platon. Il divisa la Philosophie en Logique, Physique & Morale. Il prétendit qu'il falloit commencer la Dialectique par le traité des mots. Il distingua les objets en sensibles, intelligibles & composés, & la connoissance en science, sensation & opinion. Il rapporta sa doctrine des dieux à celle des nombres, à la monade ou l'unité qu'il appella dieu, au nombre deux, dont il fit une divinité femelle, & à l'impair, qui fut Jupiter. Il admit des puissances subalternes, tels que le ciel & les astres ; & des démons diffus dans toute la masse de l'univers, & adorés parmi les hommes sous les noms de Junon, de Neptune, de Pluton & Cérès. Selon lui, l'ame qui se meut d'elle-même fut un nombre. Il imagina trois denses différens ; il composa les étoiles & le soleil de feu, & d'un premier dense ; la lune d'un air particulier & d'un second dense ; & la terre, d'air & d'eau, & d'un troisieme dense. L'ame ne fut susceptible ni de densité ni de rareté. Il disoit, tout ce qui est, est ou bien ou mal, ou indifférent ; la vertu est préférable à la vie, le plus grand des biens, &c. Il mourut âgé de 82 ou 84 ans.
Polemon fut un de ces agréables débauchés, dont la ville d'Athènes fourmilloit. Un jour qu'il sortoit au lever du soleil de chez une courtisanne avec laquelle il avoit passé la nuit, ivre d'amour & de vin, les cheveux épars, les piés chancelans, ses vétemens en désordre, la poitrine nue, ses brodequins tombans & à moitié détachés, une couronne en lambeaux, & placée irrégulierement sur sa tête, il apperçut la porte de l'école de Xénocrate ouverte ; il entra, il s'assit, il plaisanta le philosophe & ses disciples. Les idées qu'on avoit là du bonheur, quadroient peu avec celles d'un jeune homme qui auroit donné sa vie pour un verre de vin de Chio & un baiser de sa maîtresse. Xénocrate ne se déconcerta point ; il quitta le sujet dont il entretenoit ses auditeurs, & se mit à parler de la modestie & de la tempérance. D'abord la gravité du philosophe abattit un peu la pétulance du jeune libertin ; bientôt elle le rendit attentif. Polemon se tut, écouta, fut touché, rougit de son état, & on le vit, à mesure que le philosophe parloit, embarrassé, se baisser furtivement, rajuster son brodequin, ramener ses bras nuds sous son manteau, & jetter loin de lui sa couronne. Depuis ce moment il professa la vie la plus austere ; il s'interdit l'usage du vin ; il s'exerça à la fermeté, & il réussit au point que, mordu à la jambe par un chien enragé, il conserva sa tranquillité au milieu d'une foule de personnes que cet accident avoit rassemblées, & qui en étoient frappées de terreur. Il aima la solitude autant qu'il avoit aimé la dissipation. Il se retira dans un petit jardin, & ses disciples se bâtirent des chaumieres autour de la sienne. Il fut chéri de son maître & de ses disciples, & honoré de ses concitoyens. Il forma Crantor, Cratès le stoïcien, Zénon & Arcesilaüs. Sa philosophie fut pratique. Il faut plus agir, disoit-il, que spéculer ; vivre selon la nature ; imiter Dieu ; étudier l'harmonie de l'univers, & l'introduire dans sa conduite. Il mourut de phtisie dans un âge fort avancé.
Cratès l'athénien succéda à Polemon son maître & son ami. Jamais deux hommes ne furent unis d'un lien plus solide & plus doux que ceux-ci. Ils eurent les mêmes goûts, les mêmes études, les mêmes exercices, les mêmes amusemens, les mêmes sentimens, les mêmes vertus, les mêmes moeurs ; & quand ils moururent, ils furent enfermés dans un même tombeau. Cratès écrivit de la philosophie, composa des pieces de théâtre, & laissa des harangues. Arcésilaüs & Bion le boristhenite, se distinguerent dans son école. Il y eut plusieurs philosophes de son nom, avec lesquels il ne faut pas le confondre.
Crantor occupa l'académie après Polemon. Il fut philosophe & poëte dramatique. Son ouvrage de luctu eut beaucoup de réputation. Ciceron nous en a transmis les idées principales dans son livre de la consolation. Sa doctrine ne différa guere de celle de Platon. Il disoit : la vie de l'homme est un long tissu de miseres que nous nous faisons à nous-mêmes, ou auxquelles la nature nous a condamnés. La santé, la volupté & les richesses sont des biens, mais d'un prix fort différent. L'absence de la douleur est un avantage qui coûte bien cher : on ne l'obtient que de la férocité de l'ame ou de la stupeur du corps. L'académie ancienne ou premiere finit à Crantor.
De l'académie moyenne. Arcesilaüs ou Arcesilas en est le fondateur. Il naquit la premiere année de la cent seizieme olympiade ; il apprit les Mathématiques sous Autolique, la Musique, sous Xanthe, la Géométrie sous Hipponique, l'art Oratoire & la Poésie sous différens maîtres ; enfin la Philosophie dans l'école de Théophraste, qu'il quitta pour entendre Aristote, qu'il quitta pour entendre Polemon. Il professa dans l'académie après la mort de Crantor. Ce fut un homme éloquent & persuasif. Il ménageoit peu le vice dans ses disciples, cependant il en eut beaucoup. Il les aima ; il les secourut dans le besoin. Sa philosophie ne fut pas austere. Il ne se cacha point de son goût pour les courtisannes Théodorie & Philete. On lui reproche aussi le vin & les beaux garçons. A en juger par la constance qu'il montra dans ses douleurs de la goutte, il ne paroît pas que la volupté eût amolli son courage. Il vécut loin des affaires publiques, renfermé dans son école. On lui fait un crime de ses liaisons avec Hieroclès. Il mourut en délire âgé de 75 ans. Il excita la jalousie de Zenon, d'Hyeronimus le péripatéticien, & d'Epicure. La philosophie académique changea de face sous Arcesilas. Pour se former quelqu'idée de cette révolution, il faut se rappeller :
1. Que les Académiciens n'admettoient aucune science certaine des choses sensibles ou de la matiere, être qui est dans un flux & un changement perpétuel ; d'où ils inféroient la modestie dans les assertions, les précautions contre les préjugés, l'examen, la patience & le doute.
2. Qu'ils avoient la double doctrine, l'ésoterique & l'exotérique ; qu'ils combattoient les opinions des autres philosophes dans leurs leçons publiques, mais qu'ils n'exposoient leurs propres sentimens que dans le particulier.
3. Qu'au tems ou Socrate parut, Athènes étoit infectée de sophistes, & que Socrate ne trouva pas de meilleurs moyens de détromper ses concitoyens de ces hommes vains, que d'affecter l'ignorance & le doute, que de les interroger sur ce qu'il savoit mieux qu'eux, que de les embarrasser, & que de les couvrir de ridicule.
4. Que ce doute affecté de Socrate, devint dans quelques-uns de ses disciples le germe d'un doute réel, sur les sens, sur la conscience & sur l'expérience, trois témoignages auxquels Socrate en appelloit sans cesse.
5. Qu'il en résulta une sorte de philosophie incommode, inquisitive, épineuse, qui fut enseignée principalement dans les écoles dialectiques, mégariques & érétriaques, où la fureur de disputer pour & contre subsista très-long-tems.
6. Que Platon, homme d'un goût sain, d'un grand jugement, d'un génie élevé & profond, sentit bientôt la frivolité de ces disputes scholastiques, se tourna vers des objets plus importans, & songea à rappeller dans l'usage de la raison une sorte de sobriété, distinguant entre les objets de nos réflexions ceux qu'il nous étoit permis de bien connoître, & ceux sur lesquels nous ne pouvions jamais qu'opiner.
7. Qu'au tems d'Arcesilas, de Xénocrate & d'Aristote, il s'éleva une école nouvelle où l'on combattoit tous les systèmes connus, & où l'on élevoit sur leurs débris la doctrine de la foiblesse absolue de l'entendement humain, & de l'incertitude générale de toutes nos connoissances.
8. Qu'au milieu de cette foule de sectes opposées, la philosophie de Platon commença à souffrir quelque altération ; que le silence sur la doctrine ésoterique avoit été mal gardé ; que ce qu'on en avoit laissé transpirer étoit brouillé & confus dans les esprits, & qu'on pensa qu'il falloit mieux desaprendre ceux qui étoient mal instruits, que d'instruire ceux qu'on ne trouveroit peut-être pas assez dociles.
Voilà ce qui détermina Arcesilas à revenir à la méthode de Socrate, l'ignorance affectée, l'ironie & le doute. Socrate l'avoit employée contre les sophistes ; Arcesilas l'employa contre les sémi-philosophes platoniciens ou autres. Il dit donc :
Principes de la philosophie d'Arcesilas. On ne peut rien savoir, si ce n'est la chose que Socrate s'étoit réservée, c'est qu'on ne sait rien ; encore cette chose-là même est-elle incertaine.
Tout est caché à l'homme ; il ne voit rien ; il ne conçoit rien. Il ne faut donc ni s'attacher à aucune école, ni professer aucun système, ni rien affirmer, mais se contenir & se garantir de cette témérité courante, avec laquelle on assure les choses les plus inconnues, on débite comme des vérités les choses les plus fausses.
Il n'y a rien de plus honteux dans un être qui a de la raison, que d'assurer & d'approuver avant que d'avoir entendu & compris.
Un philosophe peut s'élever contre tous les autres, & combattre leurs opinions par des raisons au moins aussi fortes que celles qu'ils avancent en preuves.
Le sens est trompeur. La raison ne mérite pas qu'on la croie.
Le doute est très-raisonnable quant aux questions de la Philosophie ; mais il ne faut pas l'étendre aux choses de la vie.
D'où l'on voit qu'un académicien de l'académie moyenne, ou un sceptique, different très-peu ; qu'il n'y a pas un cheveu de différence entre le système de Pirrhon & celui d'Arcesilas ; qu'Arcesilas ne permettoit pas qu'on appliquât ses principes à la justice, au bien, au mal, aux moeurs, & à la société ; mais qu'il les regardoit seulement comme des instrumens très-incommodes pour l'orgueil dogmatique des sophistes de son tems.
Lacyde de Cyrene embrassa la doctrine d'Arcesilas. Il étoit établi dans les jardins de l'académie la quatrieme année de la cent trente-quatrieme olympiade. Il y professa pendant vingt-cinq ans. Il eut peu de disciples. On l'abandonna pour suivre Epicure. On préféra le philosophe qui préchoit la volupté de l'ame & des sens à celui qui décrioit la lumiere de l'une & le témoignage des autres ; & puis il n'avoit ni cette éloquence, ni cette subtilité, ni cette vigueur avec laquelle Arcesilas avoit porté le trouble parmi les dialectiques, les stoïciens & les dogmatiques. Lacyde céda sa place à ses deux disciples, Télecle & Evandre. Evandre eut pour successeur Egesine de Pergame, & celui-ci Carnéade, qui fut le chef de l'académie nouvelle.
De l'académie nouvelle, ou troisieme, quatrieme & cinquieme. Les Athéniens furent un peuple folâtre, où les poëtes ne perdoient aucune occasion de jetter du ridicule sur les philosophes, où les philosophes s'occupoient à faire sortir l'ignorance des poëtes, & à les rendre méprisables, & où le reste de la nation les prenoit les uns & les autres au mot, & s'en amusoit ; de-là cette multitude de mauvais contes qu'Athénée & Diogene de Laerce, & ceux qui ont écrit devant & après eux de l'histoire littéraire de la Grece, nous ont transmis. Il faut convenir qu'une philosophie qui ravaloit l'homme au-dessous de la bête, en le dépouillant de tous les moyens de connoître la vérité, étoit un sujet excellent de plaisanterie pour des gens oisifs & méchans.
Carnéade naquit la troisieme année de la cent quarante & unieme olympiade. Il étudia la dialectique sous le stoïcien Diogene ; aussi disoit-il quelquefois dans la dispute : ou je vous tiens, ou Diogene me rendra mon argent. Il fut un de ceux que les Athéniens envoyerent à Rome à l'occasion du sac d'Orope. Son éloquence étoit rapide & violente ; celle de Critolaüs solide & forte ; celle de Diogene sobre & modeste. Ces trois hommes parlerent devant les Romains & les étonnerent. Carnéade disputa de la justice pour & contre en présence de Galba & de Caton le censeur ; & Ciceron dit des raisons que Carnéade opposa à la notion du juste & de l'injuste, qu'il n'ose se promettre de les détruire, trop heureux s'il parvient à les émousser & à rassurer les lois & l'administration publique dont le philosophe grec a ébranlé les fondemens. Quoi qu'il en soit, Carnéade fut un imprudent. Son sujet étoit mal choisi ; & il n'étoit pas à présumer que les graves magistrats romains supportassent un art qui rendroit problématiques les vérités les plus importantes. Comment Caton le censeur eut-il la patience d'écouter celui qui accusoit de fausseté la mesure intérieure des actions ? ce Carnéade fut un homme terrible.
Il réunit en même tems la subtilité, la force, la rapidité, l'abondance, la science, la profondeur ; en un mot toutes les qualités avec lesquelles on dispose d'un auditeur. Ses principes différerent peu de ceux d'Arcésilas. Selon lui :
Nous n'avons aucun moyen incontestable de reconnoître la vérité, ni la raison, ni les sens, ni l'imagination ; il n'y a rien ni en nous ni hors de nous qui ne nous trompe.
Il n'y a aucun objet qui affecte deux hommes de la même maniere, ou le même homme en deux momens différens.
Aucun caractere absolu de vérité, ni relatif à l'objet, ni relatif à l'affection.
Comment s'en rapporter à une qualité aussi inconstante que l'imagination ?
Point d'imagination sans la sensation, point de raison sans l'imagination. Mais si le sens trompe, si l'imagination est infidele, ou s'ils disent vrai, & qu'il n'y ait aucun moyen certain de s'assurer des cas où ils ne trompent pas, que penser de la raison ?
Tous les axiomes de Carnéade se réduisent à décrier la mémoire, l'imagination, les sens & la raison.
D'où il s'ensuit que la doctrine de l'académie moyenne fut à-peu-près la même que celle de l'académie nouvelle.
Et que l'académie différoit du pirrhonisme, en ce qu'elle laissoit au philosophe la vraisemblance & l'opinion. L'académicien disoit, videre mihi videor, & le pirrhonien, nihil videre mihi videor.
Carnéade ne reconnoissoit point l'existence des dieux ; mais il soutenoit contre les stoïciens que tout ce qu'ils en débitoient étoit vague & incertain.
Il raisonnoit de la même maniere sur le destin. Il démontroit qu'il y a des choses en notre puissance ; d'où il concluoit la fausseté de la concaténation générale, & l'impossibilité même pour Apollon de rien prédire des actions de l'homme.
Il faisoit consister le bonheur à imiter la nature, à suivre ses conseils, & à jouir de ses présens.
Le carthaginois Clitomaque succéda à Carnéade ; il entra dans l'académie la deuxieme année de la cent soixante-deuxieme olympiade, & l'occupa environ trente ans. Celui-ci fut tout-à-fait pirrhonien ; il ne laissa pas même au philosophe le choix entre les choses plus ou moins vraisemblables. Il fit une énigme également inexplicable de l'homme & de la nature. Il décria & l'observation, & l'expérience, & la dialectique qu'il comparoit à la lune qui croît & décroît.
Philon étudia plusieurs années sous Clitomaque. Charmidas lui succéda, & l'académie cessa à Anthiochus l'Ascalonite.
Les académies premiere, moyenne & nouvelle, eurent des sectateurs chez les Romains. Voyez l'article PHILOSOPHIE DES ROMAINS.
Le Platonisme se renouvella sous les empereurs. On nomme parmi ces nouveaux Platoniciens Thrasile de Mende, qui vécut sous les regnes d'Auguste & de Tibere ; Théon de Smyrne ; Alcinoüs ; l'hermaphrodite ou l'eunuque Favorinus, qui se distingua sous Trajan & sous Adrien, parce qu'étant gaulois, il parla grec ; eunuque il fut accusé d'adultere, rival en philosophie de l'empereur, il conserva la liberté & sa vie ; Calvisius Taurus qui parut du tems d'Antonin le Pieux ; Lucius Apulée l'auteur du conte de l'âne d'or ; Atticus, qui fut contemporain de l'empereur philosophe Marc-Aurele Antonin ; Numenius d'Apamée, Maxime de Tyr, sous Commode, Plutarque & Galien.
Ce fut alors que le Platonisme engendra l'Eclectisme. Voyez l'article ECLECTISME, Philosophie.
Le Christianisme commençoit à s'établir. Voyez aux articles PHILOSOPHIE DE JESUS-CHRIST, DES APOTRES ET DES PERES, quel fut le sort du Platonisme dans l'Eglise.
Cette philosophie s'éteignit ainsi que toutes les autres connoissances, & ne se renouvella qu'au tems où les Grecs passerent en Italie. Le premier nom que l'on trouve parmi les restaurateurs de la doctrine de Platon, est celui de George Gemistus Plitho ; il vivoit à la cour de Michel Paleologue, douze ans avant le concile de Florence, qui fut tenu sous Eugene IV. l'an 1438, & auquel il assista avec Théodore Gaza & Bessarion. Il écrivit un livre des lois que le patriarche de Constantinople Gennade, fit brûler après la mort de l'auteur.
Bessarion fut disciple de Gemistus, & sectateur du Platonisme. La vie de Gemistus & de Bessarion appartient plus à l'histoire de l'Eglise qu'à celle de la Philosophie.
Mais personne dans ce tems ne fut plus sincérement platonicien que Marsille Ficin. Il naquit à Florence en 1433. Il professa publiquement la philosophie. Il forma Ange Politien, Arétin, Cabalcante, Calderin, Mercat, & d'autres. Il nous a laissé une traduction de Platon, si maigre, si seche, si dure, si barbare, si décharnée, qu'elle est à l'original, comme ces vieux barbouillages de peinture que les amateurs appellent des croutes, sont aux tableaux du Titien ou de Raphael.
Jean Pic de la Mirandole, qui encouragea ses contemporains à l'étude de Platon, naquit en 1436. Celui-ci connut tout ce que les Latins, les Grecs, les Arabes & les Juifs avoient écrit de la Philosophie. Il sçut presque toutes les langues. L'amour de l'étude & du plaisir abrégerent ses jours. Il mourut avant l'âge de trente-deux ans.
Alors la Philosophie prit une nouvelle face. Voyez l'article de la PHILOSOPHIE en général.
PLATONISME, subst. m. (Théologie) ce terme désigne, en Théologie, la doctrine de Platon & des Platoniciens, d'après laquelle les Anti-trinitaires prétendent que le dogme de la Trinité a été transporté dans le Christianisme. Il importe de les entendre parler eux-mêmes pour être en état de les combattre : voici donc en abrégé la maniere dont ils établissent leur opinion.
On peut, disent-ils, ramener au dogme chrétien de la Trinité l'idée de Platon touchant les trois principes qu'il semble enseigner. Les philosophes payens n'ont point agité de question plus importante que celle de savoir si le monde est éternel ; mais après de longues méditations, les plus sages d'entr'eux conclurent de la contemplation de l'univers, qu'il n'y avoit qu'un être tout sage & tout puissant qui pût avoir construit un ouvrage si admirable. Platon étoit de ce nombre ; ne concevant pas que l'origine du monde fût dûe à la rencontre fortuite des atômes, il comprit que c'étoit la production d'une profonde sagesse. Mais comme il appréhendoit le sort de Socrate, il enveloppa cette vérité sous des fictions, & n'osant s'opposer à l'erreur publique, il personnifia la Raison du créateur, sa Sagesse, sa Puissance, & en fit des divinités, pour ne pas choquer l'opinion regnante de la pluralité des dieux ; en un mot, gêné par la superstition des peuples, il feignit adroitement, pour philosopher en sureté, une généalogie de dieux, un pere, un fils engendré, & un troisieme dieu issu du pere & du fils.
Cette philosophie orientale jetta naturellement dans l'erreur les premiers chrétiens qui prirent à la lettre une chose purement allégorique. Ils cherchoient à tirer avantage de toutes les paroles des Payens, & dans cette vûe ils leur donnoient souvent une interprétation forcée. L'équivoque des mots peut souvent faire illusion à ceux qui n'y réfléchissent pas assez. Il est sur-tout très-aisé de se tromper dans l'explication de la doctrine de Platon, qui n'est pas claire & distincte, soit que ce philosophe ait voulu être allégorique & mystérieux politiquement, soit qu'il n'ait pas été bien éclairé lui-même sur les idées qu'il falloit se former de la divinité.
Il est arrivé de sa doctrine, ajoutent les Anti-trinitaires, que quelques peres entendant mal ce qu'il a dit du second dieu, terme par lequel Platon n'entendoit sans doute autre chose que le monde créé par la sagesse & la toute-puissance de Dieu, ils l'ont expliquée du verbe proféré & poussé au-dehors. De-là sont venus leurs termes de génération & prolation ; concevant qu'il y a eu un tems auquel le pere n'étoit point pere, & que le fils a commencé à être fils. Ils se sont aussi persuadés que Platon avoit connu trois personnes ou trois hypostases de la divinité, & ils ont porté dans le Christianisme ces idées de l'école de Platon.
Il est vrai que les premiers peres n'étoient point à l'égard de la Trinité dans le sentiment où fut l'Eglise après le concile de Nicée. Ils confondoient tellement la doctrine de l'Ecriture avec celle de Platon, qu'il est bien difficile de séparer leurs subtilités platoniciennes d'avec le Christianisme ; cherchant à ajuster la philosophie avec la religion, ils gâtoient l'une & l'autre. Ils vouloient éblouir les Philosophes, en leur montrant le Christianisme dans Platon, & il est arrivé de-là, disent encore les Anti-trinitaires, que le Platonisme, qui ne devoit être que l'ornement de la religion, en devint insensiblement le fond.
On voit, ajoutent les Sociniens, que les peres n'ont pas tous attaché une signification constante & uniforme aux mêmes termes ; & l'on ne doit pas s'en étonner, puisqu'on ne s'accorde pas encore aujourd'hui sur le sens qu'on doit leur donner. Les uns en voulant sauver la Trinité, ont laissé échapper l'unité ; les autres en concevant trois personnes de la Trinité comme trois substances distinctes, semblent constituer trois dieux séparés. D'autres pour éviter cette erreur n'ont regardé la dénomination des trois personnes que comme des modes & des attributs. Quand on demande, dit S. Augustin, ce que c'est que les trois personnes, on manque de termes pour les exprimer. On a pourtant dit trois personnes, parce qu'il ne faut pas demeurer muet.
Nous ne sommes ici que simples historiens, ce qui est une chose aisée ; mais la réfutation du sentiment des Anti-trinitaires, & la discussion de tous les passages qu'ils alleguent pour le soutenir, est trop audessus de nos forces pour que nous osions l'entreprendre ; notre crainte est d'autant mieux fondée, que d'habiles gens prétendent que le P. Baltus lui-même, n'a pas aussi bien réussi qu'il seroit à desirer dans son examen critique de cette matiere. Je le blâmerois en mon particulier des termes injurieux qu'il employe contre ses adversaires, parce qu'on ne tire jamais aucun avantage des injures, & qu'elles gâtent au contraire la défense d'une bonne cause.
Il faut donc joindre au pere Baltus Pierre Poiret, dans ses Opera posthuma, & Jean Frédéric Méyer dans sa Dissertation de , qui ont travaillé fortement à réfuter le Platonisme prétendu dévoilé par les Antitrinitaires. D'un autre côté Samuel Crellius a entrepris la défense de ses confreres dans son Artemonii initium Evangelii sancti Joannis illustratum, imprimé à Londres en deux volumes in-8°. C'est par la lecture de tous les ouvrages que je viens de citer, que les critiques se trouveront en état d'approfondir exactement la question délicate du Platonisme, que les Antitrinitaires prétendent s'être glissée dans la religion chrétienne.
Je ne dois pas oublier d'ajouter, que M. Leclerc est un de ceux qui, dans ces derniers tems, s'est déclaré avec plus d'habileté en faveur de ce sentiment, comme il paroît par la lecture de son Ars critica, & par celle de plusieurs tomes de ses Journaux, par exemple, dans sa Bibliotheque universelle, tom. IV. tom. X. & tom. XVIII. dans sa Bibliotheque choisie, tom. XIII. dans sa Bibliotheque ancienne & moderne, tom. V. & dans les Prolegomenes de son Historia ecclesiastica. C'est aussi lui qui, vraisemblablement a fait imprimer en 1700, in-8°. le livre de M. Souverain intitulé le Platonisme dévoilé, ou Essai sur le verbe platonicien ; mais c'est Daniel Zwickerus, écrivain socinien, qui s'est attaché le premier à établir que les premiers écrivains chrétiens ont tiré la Trinité & le ou verbe, des écrits de Platon mal entendus. (D.J.)
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PLATRAS | S. m. pl. (Maçonnerie) morceaux de plâtre qu'on tire des démolitions, & dont les plus gros servent pour faire le haut des murs de pignons, les panneaux des pans de bois & de cloison, les jambages de cheminée, &c.
Il y a, pour le dire en passant, dans les Mémoires de l'académie des Sciences année 1734, un mémoire curieux de M. Petit médecin, sur l'analyse des platras. Il dit n'avoir trouvé dans les platras ni salpetre ni sel marin par aucun procédé, & qu'il n'est pas possible d'en retirer à moins d'y ajouter un sel fixe ; mais il ajoute que cela ne démontre pas qu'il n'y en a point du tout, parce qu'il y en peut avoir, & qu'on n'ait pas l'art de l'en retirer ; mais on retire des platras un esprit de nitre & un esprit de sel, qui avec des sels volatils urineux forment un sel armoniac nitreux & un sel armoniac salin. (D.J.)
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PLATRE | S. m. (Architect.) pierre particuliere, cuite & mise en poudre, qu'on employe gachée aux ouvrages de maçonnerie : on trouve cette pierre aux environs de Paris. Elle est grisâtre, & a de petits grains, dont les surfaces sont polies. C'est une chose difficile que de bien cuire cette pierre. Du plâtre trop ou trop peu cuit est également mauvais. On connoit si la cuisson a été bien faite, lorsque le plâtre a une certaine onctuosité, & une graisse qui colle aux doigts quand on le manie. Par une raison contraire, le plâtre mal cuit est rude, & ne s'attache point aux doigts comme l'autre.
Afin de jouir de sa bonne qualité on doit l'employer immédiatement après sa cuisson, & on ne doit point trop l'écraser.
Lorsqu'on est obligé de faire des provisions de plâtre, parce qu'on n'est pas à portée des fours où on le cuit, on doit l'enfermer dans des tonneaux bien secs.
Une chose qui est en usage dans l'emploi du plâtre, c'est de s'en servir dans toutes les saisons. Cependant les ouvrages faits en hiver & en automne sont toujours de peu de durée, & sujets à tomber par éclats, parce qu'alors le froid saisit tout d'un coup le plâtre, glace l'humidité de l'eau, & amortit par-là l'esprit ou la chaleur du plâtre, qui dans cet état ne peut plus se lier & se durcir. Selon M. Lancelot, le mot plâtre vient du grec platis, propre à être formé. Nous allons considérer le plâtre selon ses qualités & selon son emploi.
Du plâtre selon ses qualités. Plâtre blanc, plâtre qui a été rablé, c'est-à-dire dont on a ôté le charbon dans la plâtriere ; le plâtre gris est celui qui n'a pas été rablé.
Plâtre crud, c'est la pierre de plâtre, propre à cuire, dont on se sert aussi quelquefois, au lieu de moilon, dans les fondations, & dont le meilleur est celui qu'on laisse quelquefois à l'air avant que de l'employer.
Plâtre éventé, plâtre qui ayant été long-tems à l'air, a perdu sa bonne qualité, se pulvérise, s'écaille, & ne prend point.
Plâtre gras, plâtre qui étant cuit à propos, est le plus aisé à manier, & le meilleur à l'emploi, parce qu'il se prend aisément, se durcit de même, & fait bonne liaison.
Plâtre mouillé, plâtre qui ayant été exposé à la pluie, n'est de nulle valeur.
Du plâtre selon son emploi. Plâtre au panier, plâtre qui est passé au manequin & qui sert pour les crépis.
Plâtre au sas, ou plâtre fin, plâtre qui passé au sas sert pour les enduits d'architecture & de sculpture.
Plâtre gras ou gros plâtre, c'est le plâtre qu'on employe comme il vient du four de la plâtriere, & dont on se sert pour épigeonner, &c.
On appelle aussi gros plâtre, les gravois de plâtre qui ont été criblés, & qu'on rebat pour s'en servir à renformir, hourder, & gobuer.
Plâtre serré, plâtre où il y a peu d'eau, & qui sert pour les soudures des enduits. Au contraire, plâtre clair est un plâtre où il y a beaucoup d'eau, & qui sert pour ragréer les moulures trainées ; & enfin plâtre noyé, est un plâtre qui nage presque dans l'eau, & qui ne sert que de coulis pour ficher les joints. Dict. d'Architect. (D.J.)
PLATRES, s. m. pl. (Maçonn.) on nomme ainsi généralement tous les menus ouvrages de plâtre d'un bâtiment, comme les lambris, corniches, manteaux de cheminée, &c. On marchande ces ouvrages, séparément des autres, à des compagnons maçons.
Plâtres de couverture, ce sont des plâtres qui servent à arrêter les tuiles, & à les raccorder avec les murs & les lucarnes, comme sont les tuilées, solins, arestiers, crossettes, cacilliers, devantures, paremens, filets, &c. Daviler. (D.J.)
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PLATRER | v. act. (Gram.) enduire de plâtre.
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PLATRIER | S. m. (Art méchan.) ce sont les ouvriers qui travaillent le plâtre à cuire.
Après que les Carriers ont tiré la pierre propre à faire du plâtre de la carriere, & qu'elle a été apportée auprès des fours, les Plâtriers la disposent ainsi qu'il va être expliqué. Un four à plâtre est un parallelipipede vuide, formé de trois murs de neuf à dix piés de haut ; les deux plus grands ont environ vingt piés de largeur, le troisieme est un quarré ; on voit dans nos Planches le plan de trois fours, & les trois mêmes fours en perspective ; par-dessus les fours on met ordinairement un comble en patte d'oie pour empêcher la pluie de tomber sur ce plâtre. Le premier four qui est presque vuide fait voir comment le plâtrier dispose les pierres en forme de pont de plusieurs arches, chacune assez grande pour qu'un homme ordinaire puisse y marcher en s'appuyant sur les genoux & sur les mains ; le vuide de chacune de ces arches forme un berceau qui s'étend jusqu'au fond du four. Le troisieme est entierement rempli ; la partie antérieure paroit comme un mur ; tout l'intérieur est rempli de petits libages, comme on le peut voir dans la figure : après que le four est rempli, on met du bois sous les arcades ou berceaux, & on y met le feu, que l'on entretient jusqu'à ce que le plâtre soit calciné ; on le laisse ensuite refroidir pendant plusieurs jours : les Plâtriers reviennent ensuite pour le battre, c'est-à-dire le réduire en poudre ; ils se servent pour cela du pic & du testu (voyez les fig.), alors le plâtre est entierement achevé & en état d'être vendu. Ils le mettent dans des sacs représentés dans les figures, qui doivent contenir deux boisseaux. On voit aussi, même Pl. un sac rempli de plâtre, & lié avec son cordon, un sac vuide & la pelle qui sert à mettre le plâtre dans les sacs, à le remuer lorsqu'on le bat, & à plusieurs autres usages.
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PLATRIERE | S. f. (Maçonn.) nom commun & à la carriere d'où l'on tire la pierre de plâtre, & au lieu où on la cuit dans les fours : les meilleures plâtrieres sont celles de Montmartre près Paris. (D.J.)
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PLATROUOIR | S. m. terme de Maçon, outil de maçon pour pousser la brique ou la pierre avec le plâtre dans les trous, quand ils font quelqu'ouvrage. (D.J.)
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PLATUS | ou PLATTUSE. Voyez PLIE.
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PLATYSMA-MYODES | en Anatomie. Voyez PEAUSSIERS.
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PLAUSIBLE | adj. PLAUSIBILITé, s. f. (Gram.) terme relatif à l'acquiescement, au consentement, à la croyance que nous donnons à quelque chose. Ce fait est plausible. Cette doctrine est plausible. Il y a quelque plausibilité dans cette accusation.
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PLAVEN | (Géog. mod.) ville d'Allemagne, au cercle de la basse Saxe, dans le duché de Meckelbourg, sur les confins de la marche de Brandebourg, sur le bord septentrional de l'Elde, à neuf milles de Swerin, près d'un lac qui en prend le nom de Plavencée. Long. 30. 18. lat. 53. 39. (D.J.)
PLAVEN, (Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans l'électorat de Saxe, au Voigtland, sur l'Estert, à un mille d'Olsnitz, & à 26 au sud-est de Dresde. C'est une des plus considérables de celles qui appartiennent à l'électeur dans le Voigtland. Long. 29. 55. lat. 50. 28.
Je connois deux théologiens nés à Plaven, en Voigtland : le premier est Pezelius (Christophe), mort à Bremen en 1604, à 65 ans. Il a publié un commentaire latin sur la genèse, & des ouvrages polémiques, qui sont tombés dans l'oubli.
L'autre théologien dont je veux parler est Frantzius (Wolfgang). Il mourut professeur en théologie à Wittemberg en 1628, âgé de 64 ans. Il publia grand nombre d'écrits concernant des controverses théologiques, mais il fit un livre plus recherché, c'est son Historia sacra animalium, imprimée plusieurs fois en Allemagne. (D.J.)
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PLAYE | S. f. Voyez PLAIE.
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PLÉBÉIEN | adj. & subst. (Hist. rom.) on nommoit plébéiens tous ceux qui ne descendoient pas des premiers sénateurs dont Romulus forma le sénat, & de ceux qui y furent appellés par les rois qui succéderent à Romulus. Un plébéien pouvoit devenir sénateur par le choix des censeurs, lorsqu'il avoit la quantité de biens ordonnée par les lois pour être du corps du sénat ; mais il ne cessoit pas d'être plébéien, puisqu'il ne descendoit pas des anciens sénateurs. De même un patricien qui n'avoit pas assez de bien pour être sénateur pouvoit être mis par les censeurs dans l'ordre des chevaliers, & ne cessoit pas pour cela d'être patricien, puisqu'il sortoit de famille patricienne. Enfin un patricien qui n'étoit ni chevalier, ni sénateur, étoit nécessairement du peuple sans être plébéien, desorte qu'un citoyen pouvoit être en même tems patricien & du peuple, sénateur & plébéien, patricien & sénateur, ou tout ensemble patricien, sénateur & chevalier, ou plébéien, sénateur & chevalier, ou plébéien & du peuple, &c.
Originairement les seuls patriciens faisoient le corps de la noblesse romaine ; mais dans la suite les plébéiens qui furent admis aux grandes charges de la république devinrent nobles en même tems, & eurent le droit d'avoir les images & les portraits de leurs ancêtres. Enfin, ceux qui n'en avoient point ni de leurs ancêtres, ni de leur chef, comme les nouveaux nobles qui étoient appellés novi, ceux, dis-je, qui n'avoient ni les unes, ni les autres, étoient ce que nous appellons aujourd'hui roturiers.
Comme depuis la seizieme année du bannissement de Tarquin on ne voyoit plus dans la république romaine que des disputes continuelles ; ces disputes, qui durerent plus de quarante ans, donnerent lieu à la demande que firent les plébéiens d'un corps de droit selon lequel ils pussent être gouvernés, & être à l'abri des vexations des patriciens.
Il paroît par ce que disent Tite-Live & Denis d'Halicarnasse que les plébéiens se plaignoient de deux choses ; savoir, de ce qu'on violoit leurs privileges dans toutes les occasions, & de ce que dans le gouvernement les patriciens suivoient plutôt leur volonté que les loix. Ces plaintes donnerent occasion à de grands troubles, & à la création des tribuns dont l'autorité s'éleva sur celle des patriciens, & les força d'accorder aux plébéiens les loix qu'ils demandoient. Je suis entré dans les principes de ces révolutions au mot PATRICIEN. (D.J.)
PLEBEIENS, JEUX, (Antiq. rom.) c'étoient des jeux que le peuple romain célebroit en mémoire de la paix qu'il fit avec les sénateurs après qu'il fut rentré dans la ville d'où il étoit sorti, pour se retirer sur le mont Aventin. D'autres disent, que ce fut après sa premiere reconciliation au retour du mont Sacré, l'an 261 de la fondation de Rome, & 493 avant Jesus-Christ. Quelques-uns veulent que ces jeux aient été institués pour témoigner une réjouissance publique de ce que les rois avoient été chassés de Rome l'an 245, & 509 avant J. C. après la victoire remportée par le dictateur Posthumius au lac Regille sur les Latins, & de ce que le peuple avoit commencé alors de jouir de la liberté. On les faisoit dans le cirque pendant trois jours, & on les commençoit le 17 avant les calendes de Décembre, qui répond au 15 de Novembre. Leur nom latin étoit ludi plebeii. Adrien institua des jeux plébéiens du cirque l'an 874 de la fondation de Rome, c'est-à-dire, la 121 année de l'ere chrétienne. (D.J.)
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PLÉBISCITE | (Jurisprudence) étoit ce que le peuple romain ordonnoit séparément des sénateurs & des patrices sur la réquisition d'un de ses magistrats, c'est-à-dire, d'un tribun du peuple.
Il y avoit au commencement plusieurs différences entre les plébiscites & les loix proprement dites.
1°. Les loix, leges, étoient les constitutions faites par les rois & par les empereurs, ou par le corps de la république, au lieu que les plébiscites étoient l'ouvrage du peuple seul, c'est-à-dire, des plébéiens.
2°. Les loix faites par tout le peuple du tems de la république étoient provoquées par un magistrat patricien. Les plébiscites se faisoient sur la réquisition d'un magistrat plébéien, c'est-à-dire, d'un tribun du peuple.
3°. Pour faire recevoir une loi, il falloit que tous les différens ordres du peuple fussent assemblés, au lieu que le plébiscite émanoit du seul tribunal des plébéiens ; car les tribuns du peuple ne pouvoient pas convoquer les patriciens, ni traiter avec le sénat.
4°. Les loix se publioient dans le champ de Mars ; les plébiscites se faisoient quelquefois dans le cirque de Flaminius, quelquefois au capitole, & plus souvent dans les comices.
5°. Pour faire recevoir une loi, il falloit assembler les comices par centuries ; pour les plébiscites on assembloit seulement les tribuns, & l'on n'avoit pas besoin d'un sénatus-consulte ni d'aruspices : il y a cependant quelques exemples de plébiscites pour lesquels les tribuns examinoient le vol des oiseaux, & observoient les mouvemens du ciel avant de présenter le plébiscite aux tribus.
6°. C'étoient les tribuns qui s'opposoient ordinairement à l'acceptation des loix, & c'étoient les patriciens qui s'opposoient aux plébiscites.
Enfin, la maniere de recueillir les suffrages étoit fort différente ; pour faire recevoir un plébiscite, on recueilloit simplement les voix des tribuns, au lieu que pour une loi il y avoit beaucoup plus de cérémonie.
Ce qui est singulier, c'est que les plébiscites, quoique faits par les plébéiens seuls, ne laissoient pas d'obliger aussi les patriciens.
Le pouvoir que le peuple avoit de faire des loix ou plébiscites lui avoit été accordé par Romulus, lequel ordonna que quand le peuple seroit assemblé dans la grande place, ce que l'on appelloit l'assemblée des comices, il pourroit faire des loix ; Romulus vouloit par ce moyen rendre le peuple plus soumis aux loix qu'il avoit faites lui-même, & lui ôter l'occasion de murmurer contre la rigueur de la loi.
Sous les rois de Rome, & dans les premiers tems de la république, les plébiscites n'avoient force de loi qu'après avoir été ratifiés par le corps des sénateurs assemblés.
Mais sous le consulat de L. Valerius, & de M. Horatius, ce dernier fit publier une loi qui fut appellée de son nom horatia ; par laquelle il fut arrêté que tout ce que le peuple séparé du sénat ordonneroit, auroit la même force que si les patriciens & le sénat l'eussent décidé dans une assemblée générale.
Depuis cette loi, qui fut renouvellée dans la suite par plusieurs autres, il y eut plus de loix faites dans des assemblées particulieres du peuple, que dans les assemblées générales où les sénateurs se trouvoient.
Les plébéiens enflés de la prérogative que leur avoit accordé la loi horatia, affecterent de faire grand nombre de plébiscites pour anéantir (s'il étoit possible) l'autorité du sénat ; ils allerent même jusqu'à donner le nom de loix à leurs plébiscites.
Le pouvoir législatif que le sénat & le peuple exerçoient ainsi par émulation, fut transferé à l'empereur du tems d'Auguste par la loi regia, au moyen de quoi il ne se fit plus de plébiscites.
On peut voir sur cette matiere le tit. 2. du liv. I. du digeste leg. 2. §. 28. & aux instituts le §. 4. du tit. 2. liv. I. & la jurisprudence romaine de M. Terrasson. (A)
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PLECTRONITAE | (Hist. nat.) nom employé par quelques naturalistes pour désigner les dents de poissons, minces, & semblables à des ongles d'oiseaux pétrifiés.
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PLECTRUM | S. m. (Musique instrum. ancienne) espece d'archet court, ou baguette faite d'ivoire, ou de bois poli, avec laquelle le musicien touchoit les cordes d'un instrument pour en tirer les sons : ce mot vient de , frapper. Les anciens avoient des instrumens à cordes sur lesquels on jouoit sans plectrum, comme le magadis ; & d'autres où on s'en servoit toujours comme le luth. C'étoit aussi dans les commencemens l'usage de ne toucher la lyre qu'avec le plectrum ; ensuite la mode vint de n'en pincer les cordes qu'avec les doigts.
Le lecteur curieux trouvera toutes les diverses formes de plectres dans Pignorius, dans Montfaucon, dans Buonarroti, osservasione sopra i Medaglioni, & dans d'autres antiquaires. (D.J.)
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PLEIADES | voyez l'article PLEYADES.
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PLEIBURG | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne au cercle d'Autriche, dans la Carinthie, sur la Freystrictz, au pié d'une haute montagne avec un château.
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PLEIGE | S. f. (Jurisprud.) est un ancien terme de pratique, qui signifie caution ou fidejusseur. Ducange la dérive de plegius, terme de la basse latinité, qui signifioit la même chose.
Dans quelques coutumes pleige s'entend singulierement de celui qui se porte caution judiciaire ; mais dans d'autres, pleige se prend pour toute caution en général.
L'article des placites de Normandie porte que l'obligation du pleige est éteinte quand la dette est payée par le principal obligé, lequel néanmoins peut subroger celui qui fournit les deniers pour acquiter la dette à l'hypothèque d'icelles sur ses biens seulement, & non sur ceux du pleige. Voyez CAUTION, FIDEJUSSEUR, OBLIGATION PRINCIPALE. (A)
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PLEIN | REMPLI, adj. (Synon.) il n'en peut plus tenir dans ce qui est plein. On n'en peut pas mettre davantage dans ce qui est rempli. Le premier a un rapport particulier à la capacité du vaisseau ; & le second à ce qui doit être reçu dans cette capacité.
Aux nôces de Cana les pots furent remplis d'eau, & par miracle ils se trouverent pleins de vin. Girard. (D.J.)
PLEIN, s. m. en Physique, est un terme usité pour signifier cet état des choses où chaque partie de l'espace ou de l'étendue est supposée entierement remplie de matiere. Voyez MATIERE & ESPACE.
On dit le plein, par opposition au vuide, qui est un espace que l'on suppose destitué de toute matiere.
Les Cartésiens soutiennent le plein absolu. Leur principe est que l'essence de la matiere consiste dans l'étendue ; d'où effectivement il est naturel de conclure, qu'il y a de la matiere partout où il y a de l'espace ou de l'étendue. Voyez ÉTENDUE.
Mais si ce principe est faux, la conséquence qu'ils en tirent devient nulle. Sur quoi voyez l'article MATIERE.
A l'article VUIDE on peut voir les argumens par lesquels on prouve qu'il y a du vuide dans l'univers. Chambers.
PLEIN, (Jurisprud.) se dit de ce qui est entier, complet & parfait.
Ainsi plein fief est celui qui est entier & non démembré, & qui releve nuement d'un seigneur.
Plein possessoire, c'est la pleine maintenue.
Pleine puissance & autorité royale, ces termes qui sont de style dans les ordonnances, servent à exprimer une puissance des plus étendues, & à laquelle il ne manque rien pour se faire obéir.
Pleine main-levée signifie une main-levée entiere & définitive. (A)
PLEIN, s. & adj. (Archit.) on dit le plein d'un mur pour en exprimer le massif.
PLEIN, s. m. terme d'Ecrivain ; c'est une certaine largeur ou grosseur du trait de plume, selon que la plume est maniée différemment. On distingue quatre sortes de pleins : le plein parfait, le plein imparfait, le demi-plein, & le délié. Voyez Barbedor, traité de l'écriture. (D.J.)
PLEIN, (Maréchal.) le flanc plein, les jarrets pleins, la bouche à pleine main. Voyez FLANC, JARRETS, BOUCHE PLEINE, une jument pleine. Voyez JUMENT.
PLEIN ou PLAIN, terme de Tanneur ; c'est une cuve profonde de bois ou de pierre enfoncée dans la terre, dans laquelle les Tanneurs mettent les peaux qu'ils veulent plamer, c'est-à-dire, dépouiller de leur poil par le moyen de la chaux détrempée dans de l'eau, pour les mettre ensuite dans la fosse au tan.
PLEIN, se dit aussi de la chaux même qui est dans la cuve. Ainsi on dit un plein mort, ou vieux, pour exprimer un plein dont la chaux a déja servi : plein neuf ou vif pour celui dont la chaux est nouvelle.
Les Mégissiers, Chamoiseurs & Maroquiniers se servent aussi de pleins pour préparer leurs cuirs. Voy. MEGISSIERS, &c.
PLEIN, adj. (Blason) on dit en terme de blason, porter les armes pleines d'une maison, pour signifier en porter les armes sans les écarteler & sans brisure. On dit aussi d'une maison qui ne porte qu'un émail, ou qu'une seule couleur dans l'écu de ses armes, qu'elle porte d'or plein ou d'or pur, de gueule plein. (D.J.)
PLEIN, JEU DU, on nomme ainsi ce jeu, parce que les joueurs ne cherchent qu'à remplir & faire leur plein, c'est-à-dire, à mettre douze dames couvertes, & accouplées dans la table du grand jan, qui se nomme au trictrac indifféremment grand jan, ou grand plein. Ce jeu ne peut être joué qu'entre deux personnes. Il se joue dans un trictrac garni de trente dames, quinze de chaque couleur. On ne joue qu'avec deux dez, & chacun se sert. On dispose son jeu tout de même que si l'on vouloit jouer au trictrac ; ensuite chacun empile ses dames sur la premiere case la plus éloignée du jour. Vos dames étant empilées, il faut abattre d'abord beaucoup de bois ; ensuite coucher six dames toutes plates sur les fleches du grand jan, parce qu'il est aisé de couvrir après qu'on a du bois abattu. Il est permis à ce jeu de mettre une seule dame dans le coin, qui se nomme au trictrac coin de repos. Les doublets s'y jouent doublement comme au revertier. Il faut bien prendre garde de ne point forcer son jeu, & tâcher d'avoir toujours les grands doublets à jouer. Celui qui a couvert le plutôt toutes ses dames dans la seconde table, a gagné la partie ; mais il n'a pas le dez pour la revenche, ainsi l'on tire à qui l'aura.
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PLEIN-CHANT | S. m. cantus, (Musique) & en italien canto fermo, ou simplement canto, est le chant en usage dans l'Eglise pour le service divin. On prétend que S. Ambroise ou S. Miroclet en fut l'inventeur ; que ce chant fut perfectionné par le pape S. Grégoire, d'où il porte encore le nom de chant grégorien, & que Guy Aretin institua les notes & autres caracteres qu'on y employe.
Le plein-chant ne se note que sur quatre lignes : on n'y employe que deux clés, savoir, la clé d'ut & la clé de fa ; qu'une seule transposition, savoir, un bémol ; & que deux figures de notes, savoir la longue ou quarrée, & la breve, qui est en losange.
Le plein-chant est d'une grande simplicité, image de celle des inventeurs ; il n'est point à plusieurs parties, car le faux-bourdon n'est pas de son institution. On n'y trouve ni changement de ton, ni dièses, ni bémols accidentels, si ce n'est dans quelques compositions modernes ; mais tout cela n'empêche point que chanté posément par un choeur de bonnes voix, il ne plaise par cette simplicité, & cette gravité même si convenable à l'usage auquel il est destiné. Voy. TONS DE L'EGLISE. (S)
PLEIN-JEU, (Musique) c'est le huitieme diapason de la musette qu'on nomme ainsi ; le huitieme, le quatrieme, le sixieme, le septieme & le neuvieme, sont des diapasons très-agréables ; mais ils ne sont pas si naturels au chalumeau que le cinquieme, nommé l'entre-main, ni que le huitieme que l'on appelle ordinairement plein-jeu. (D.J.)
PLEIN-PIE, s. m. (Jardinage) ce qu'on appelle plein-pié en fait de terrasse de jardins, se nomme dans les fortifications terre-plein ; c'est l'espace de terre compris entre deux terrasses, c'est-à-dire la plateforme soutenue par des murs ou des talus de gazon. Voyez l'article PIE.
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PLEINE | adj. f. voyez le mot PLEIN.
PLEINES, terme de Fondeur de caracteres d'Imprimerie, qui fait connoître les lettres dont la figure remplit tout le corps ; comme on appelle longues celles qui en occupent les deux tiers. Les pleines j, Q, ss, ffi, & toutes les autres lettres qui ne laissent rien à couper aux corps, soit par-dessus ou par-dessous. Voyez LONGUES, COURTES.
PLEINE-LUNE, c'est cette phase où état de la lune, dans lequel elle nous présente toute une moitié éclairée. La terre est alors entre le soleil & elle, & la lune est dans le signe du zodiaque, directement opposé à celui qu'occupe le soleil ; c'est-à-dire que si le soleil, par exemple, est au premier degré du bélier, la lune est au premier degré de la balance. Les éclipses de lune n'arrivent que dans les pleines-lunes, lorsque la lune se trouve précisement en ligne droite avec la terre & le soleil ; desorte que la terre empêche le soleil de l'éclairer. La face de la lune qui est alors tournée vers nous, au lieu de nous paroître brillante, nous paroît sombre & obscure. Voyez LUNE & PHASE. (O)
PLEINE-CROIX, s. f. (Serrurerie) garniture qui se met sur un rouet dans une serrure. Elle forme les deux bras de la croix, & le rouet en forme le montant. Pour faire la pleine-croix, on coupe & on lime le rouet de longueur ; on pratique au milieu, à la hauteur où la pleine-croix est fendue dans la clé, un trou avec un instrument de la longueur d'une ligne & demie, & de l'épaisseur de la fente de la clé. On fend à la même hauteur les deux bouts du rouet ; on tourne le rouet selon qu'il est tracé, & on le met en place pour le faire aller dans les fentes de la clé. Puis on l'ôte, & on pique sur une platine de fer doux, battu, mince, droit sur le palastre, tout autour, dehors & dedans, avec une pointe, marquant le lieu du trou, afin d'épargner une rivure. Ensuite on marque pareillement les fentes du bout du rouet, afin de ne pas les fendre dans la platine. C'est par ces deux extrémités que les deux faucillons se tiennent. Pour la solidité, on ménage un tenon au faucillon de dedans. La platine ainsi piquée, on l'ouvre jusqu'au droit des piés, épargnant les tenons. Cela fait, on place le rouet en courbant en-dedans les piés dans la pleinecroix, & l'on fait entrer la rivure de derriere dans les trous du rouet ; l'on redresse les piés du rouet ; on coupe la pleine-croix à la hauteur des fentes de la clé ; on la lime doucement ; on la remet & elle est finie.
Il y a des pleines-croix renversées en-dehors, & ce sont celles où le faucillon de dehors est renversé. Elles se font comme les pleines-croix renversées en-dedans, excepté que les viroles sont posées sur le dehors du rouet, & que l'on a laissé le faucillon de dehors plus haut.
Des pleines-croix renversées en-dedans, & ce sont celles où le faucillon de dedans est renversé. Elles se font comme les pleines-croix simples, excepté que le faucillon du dedans doit être renversé, & qu'il faut avoir deux viroles faites exprès de l'épaisseur de la renversure, entre lesquelles on place le faucillon de dedans. On rabat doucement & à petits coups de marteau, ce qui doit être renversé, en commençant par le milieu. De peur de corrompre le fer, on remue plusieurs fois la renversure pleine, on la lime & passe dans la clé.
On dit qu'une pleine-croix est renversée en-dehors & en-dedans, lorsque les deux faucillons sont renversés.
On appelle pleine-croix en fond de cuve à bâton rompu, celle qui est montée sur un fond de cuve à bâton rompu. Pleine-croix en fond de cuve simple, celle qui est montée sur un rouet en fond de cuve simple.
Il faut à la pleine-croix hastée en-dehors & renversée en-dedans, quatre viroles, deux pour la hasture & deux pour la renversée ; l'une des viroles de dehors sera hastée, & celle de dedans sera toute quarrée par-dessus.
La pleine-croix hastée en-dedans & renversée en-dehors se fait comme la précédente, excepté que l'une des viroles du dedans doit être hastée, & celle de dehors toute quarrée par-dessus.
La pleine-croix hastée en-dedans est celle dont le renversement double forme deux angles ; elle se fait comme la renversée avec deux viroles, excepté que la virole de dessus doit être assez épaisse pour y pratiquer une feuillure quarrée, limée justement de la hauteur de la fente de la clé. C'est sur cette virole que la pleine-croix se pliera, se hastera à petits coups de marteau ; on la lestera ensuite avec un petit ciselet quarré par le bout.
Les pleines-croix hastées en-dehors & en-dedans se font de la même maniere ; il faut aux pleines-croix hastées en-dedans mettre les viroles en-dedans du rouet, & aux pleines-croix hastées en-dehors mettre les viroles en-dehors du rouet.
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PLEIO | ou PAILLASSON, (Jardinage) voyez PAILLASSON.
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PLEMMYR | ou PLEMMYRIUM, (Géog. anc.) promontoire de Sicile, sur la côte orientale, vis-à-vis de Syracuse, dont il formoit le port. Virgile, Aeneid. l. III. vers. 693. Thucydide, l. VII. parlent de ce promontoire ; on l'appelle aujourd'hui Cabo di massa Olivierae ou d'Olivero. Il y avoit sur ce promontoire un château qui appartenoit aux Syracusains. Virgile appelle ce cap Undosum à cause que le pays est marécageux. (D.J.)
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PLEMPE | S. f. (Marine) c'est une sorte de petit bateau de pêcheur.
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PLÉNIER | adj. (Gramm. & Théolog.) ce qui est plein ou complet ; ainsi l'on dit, le pape accorde des indulgences plénieres, c'est-à-dire des remissions pleines & entieres des peines dûes à tous les péchés. Voyez INDULGENCE.
Ce mot est formé du latin plenarius, de plenus, plein.
PLENIER, se dit aussi dans l'histoire ecclésiastique, d'un concile général oecuménique. Ainsi S. Augustin dit que la question du baptême des hérétiques avoit été décidée dans un concile plénier, ce que la plûpart des Théologiens entendent du premier concile général de Nicée, qui avoit statué qu'on ne rebaptiseroit que ceux qui avoient été baptisés par des hérétiques qui avoient corrompu la forme du baptêmes ; & en ce sens plénier signifieroit la même chose que général ou universel. Voyez CONCILE.
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PLÉNIPOTENTIAIRE | S. m. (Hist. mod.) celui qui a une commission ou un plein pouvoir d'agir. Ce mot est composé de plenus, plein, & potentia, pouvoir, puissance.
On le dit particulierement des ambassadeurs que les rois envoyent pour traiter de paix, de mariages ou autres affaires importantes. Voyez MINISTRE, AMBASSADEUR.
La premiere chose qu'on examine dans les conférences de paix, c'est le pouvoir des plénipotentiaires. Voyez TRAITE.
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PLÉNIPRÉBENDÉ | S. m. (Jurisprud.) c'est celui qui a une prébende entiere, à la différence de quelques chanoines ou chapelains qui n'ont qu'une demi-prébende, & qu'on appelle à cause de cela semi-prébendés. Voyez PREBENDE. (A)
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PLÉNITUDE | S. f. (Gramm.) voyez PLETHORE.
PLENITUDE, (Critique sacrée) ce mot signifie dans l'Ecriture 1° ce qui remplit quelque chose, Domini est terra & plenitudo ejus, Is. xxiij. 1. la terre & tout ce qu'elle contient est au Seigneur ; ainsi plenitudo maris est tout ce que la mer renferme : 2° l'abondance de quelque chose, de frugibus terrae, & de plenitudine ejus, Deut. xxxiij. 16. 3° la perfection & l'accomplissement, plenitudo & sapientia, est timere Deum, Eccl. j. 20. la perfection de la sagesse consiste à craindre Dieu : 4° une assemblée nombreuse, in plenitudine sanctâ admirabitur, Eccl. xxiv. 3. on l'admirera dans l'assemblée des saints : 5° ce qui est entier, tollit plenitudinem ejus à vestimento, Matth. ix. 16. la piece neuve mise à un habit vieux emporte l'endroit même qu'elle devoit remplir, déchire l'habit davantage. (D.J.)
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PLÉONASME | S. f. (Gramm.) c'est une figure de construction, disent tous les Grammairiens, qui est opposée à l'ellipse ; elle se fait lorsque dans le discours on met quelque mot qui est inutile pour le sens, & qui étant ôté, laisse le sens dans son intégrité. C'est ainsi que s'en explique l'auteur du Manuel des Grammairiens, part. I. ch. xiv. n. 6. " Il y a pléonasme, dit M. du Marsais, article figure, lorsqu'il y a dans la phrase quelque mot superflu, ensorte que le sens n'en seroit pas moins entendu, quand ce mot ne seroit pas exprimé ; comme quand on dit, je l'ai vû de mes yeux, je l'ai entendu de mes oreilles, j'irai moi-même ; mes yeux, mes oreilles, moi-même sont autant de pléonasmes ". Sur le vers 212 du I. livre de l'Eneide, talia voce refert, &c. Servius s'explique ainsi, est, qui fit quotiens adduntur superflua, ut alibi, vocemque his auribus hausi : Terentius, his oculis egomet vidi.
C'est d'après cette notion généralement reconnue que l'on a donné à cette figure le nom de pléonasme, qui est grec ; , de , redundare ou abundare ; R. , plenus ; ensorte que le mot de pléonasme signifie ou plénitude ou superfluité. Si on l'entend dans le premier sens, c'est une figure qui donne au discours plus de grace, ou plus de netteté, ou plus de force, . Si on le prend dans le second sens, c'est un véritable défaut qui tend à la battologie. Voyez BATTOLOGIE.
Il me semble 1° que c'est un défaut dans le langage grammatical de désigner par un seul & même mot deux idées aussi opposées que le sont celle d'une figure de construction & celle d'un vice d'élocution. A la bonne heure, qu'on eût laissé à la figure le nom de pléonasme, qui marque simplement abondance & richesse ; mais il falloit désigner la superfluité des mots dans chaque phrase par un autre terme ; par exemple, celui de périssologie qui est connu, devoit être employé seul dans ce sens. Ce terme vient de , superfluus, & de , dictio ; & l'adjectif a pour racine l'adverbe , outre mesure. Je ferai usage de cette remarque dans le reste de l'article.
2°. Si c'est un défaut de n'avoir employé qu'un même nom pour deux idées si disparates, celui de vouloir les comprendre sous une même définition est bien plus grand encore ; & c'est cependant en quoi ont péché les Grammairiens même les plus exacts, comme on peut le voir par le début de cet article. Il faut donc tâcher de saisir & d'assigner les caracteres distinctifs de la figure appellée pléonasme, & du vice de superfluité que j'appelle périssologie.
I. Il y a pléonasme lorsque des mots qui paroissent superflus par rapport à l'intégrité du sens grammatical, servent pourtant à y ajouter des idées accessoires, surabondantes, qui y jettent de la clarté ou qui en augmentent l'énergie. Quand on lit dans Plaute, (Milit.) simile somnium somniavit, le mot somnium, dont la force est renfermée dans somniavit, semble surabondant par rapport à ce verbe ; mais il y est ajouté comme sujet de l'adjectif simile, afin que l'idée de cette similitude soit rapportée sans équivoque à celle du songe, simile somnium ; c'est un pléonasme accordé à la clarté de l'expression. Quand on dit, je l'ai vû de mes yeux, les mots de mes yeux sont effectivement superflus par rapport au sens grammatical du verbe j'ai vû, puisqu'on ne peut jamais voir que des yeux, & que qui dit j'ai vû, dit assez que c'est par les yeux, & de plus que c'est par les siens ; ainsi il y a, grammaticalement parlant, une double superfluité : mais ce superflu grammatical ajoute des idées accessoires qui augmentent l'énergie du sens, & qui font entendre qu'on ne parle pas sur le rapport douteux d'autrui, ou qu'on n'a pas vû la chose par hasard & sans attention, mais qu'on l'a vûe avec réflexion, & qu'on ne l'assûre que d'après sa propre expérience bien constatée ; c'est donc un pléonasme nécessaire à l'énergie du sens. " Cela est fondé en raison, dit Vaugelas, Rem. 160. parce que lorsque nous voulons bien assûrer & affirmer une chose, il ne suffit pas de dire simplement je l'ai vû, puisque bien souvent il nous semble avoir vû des choses, que si l'on nous pressoit de dire la vérité, nous n'oserions l'assûrer. Il faut donc dire je l'ai vû de mes yeux, pour ne laisser aucun sujet de douter que cela ne soit ainsi ; tellement qu'à le bien prendre (cette conclusion est remarquable), il n'y a point là de mots superflus, puisqu'au contraire ils sont nécessaires pour donner une pleine assûrance de ce que l'on affirme. En un mot, il suffit que l'une des phrases dit plus que l'autre pour éviter le vice du pléonasme, c'est-à-dire la périssologie, qui consiste à ne dire qu'une même chose en paroles différentes & oisives, sans qu'elles ayent une signification ni plus étendue, ni plus forte que les premieres ".
Le pléonasme d'énergie est très-commun dans la langue hébraïque, & il semble en faire un caractere particulier & propre, tant l'usage en est fréquent & nécessaire.
1°. Un nom construit avec lui-même, comme esclave des esclaves, cantique des cantiques, vanité des vanités, flamme de flamme, les siecles des siecles, &c. est un tour très-ordinaire dans la langue-sainte, & une superfluité apparente de mots : mais ce pléonasme est très-énergique, & il sert à ajouter au nom l'idée de sa propriété caractéristique dans un grand degré d'intensité ; c'est comme si on disoit, très-vil esclave, cantique excellent, vanité excessive, flamme très-ardente, la totalité des siecles ou l'éternité.
2°. Rien de plus inutile en apparence à la plénitude du sens grammatical que la répétition de l'adjectif ou de l'adverbe ; mais c'est un pléonasme adopté dans la langue hébraïque, pour remplacer ce qu'on appelle dans les autres le superlatif absolu. Voyez AMEN, IDIOTISME & SUPERLATIF.
3°. Un autre pléonasme est encore usité dans le même sens ampliatif ; c'est l'union de deux mots synonimes par la conjonction copulative ; comme verba oris ejus iniquitas & dolus, Ps. 35, vulg. 36, haebr. v. 4. c'est-à-dire, verba oris ejus iniquissima.
4°. Mais si la conjonction réunit le même mot à lui-même, c'est un pléonasme qui marque diversité ; in corde & corde locuti sunt. Ps. II. vulg. 12. haebr. v. 5. c'est-à-dire, cum diversis sensibus, quorum alter est in ore, alter in mente. Nous disons de même en françois, au-moins dans le style simple, il y a coutume & coutume, il y a donner & donner, pour marquer la diversité des coutumes & des manieres de donner. C'est dans notre langue un hébraïsme.
5°. Si le même nom est répété de suite sans conjonction & sans aucun changement de forme ; c'est un pléonasme qui remplace quelquefois en hébreu l'adjectif distributif chaque, ou l'adjectif collectif tout : (Issral aiss aiss mebith, en lisant comme Masclef), ce que les septante ont traduit par , homo, homo filiorum Israël, & la vulgate, homo quilibet de domo Israël. Levit. xvij. 3. ce qui est le véritable sens de l'hébraïsme. D'autres fois cette répétition est purement emphatique : , Deus meus, Deus meus ; ce pléonasme marque l'ardeur de l'invocation. Nous imitons quelquefois ce tour hébraïque dans la même vue ; on ne sauroit lire, sans la plus vive émotion, ce qu'a écrit l'auteur de Télémaque, liv. XI. sur les acclamations des peuples de l'Hespérie au sujet de la paix, & la jonction de ces deux mots, la paix, la paix, qui se trouve jusqu'à trois fois dans l'espace de quatre à cinq lignes, donne au récit un feu qui porte l'embrasement dans l'imagination & dans l'ame du lecteur.
6°. C'est un usage très-ordinaire de la langue hébraïque de mettre l'infinitif du verbe avant le verbe même : , comedere ou comedendo comedes ; Gen. ij. 16. , mori ou moriendo morieris. Ib. ij. 17. Quelques grammairiens prétendent que c'est dans ces exemples une pure périssologie, & que l'addition de l'infinitif au verbe n'ajoute à sa signification aucune idée accessoire. Pour moi j'ai peine à croire qu'une phrase essentiellement vicieuse ait pû être dans la langue sainte d'un usage aussi fréquent sans aucune nécessité. Je dis d'un usage fréquent ; car rien de plus commun que ce tour dans les livres sacrés ; & j'ajoute que ce seroit sans aucune nécessité, parce que la conjugaison simple fournissoit la même idée. Qu'on y prenne garde ; l'usage des langues est beaucoup moins aveugle qu'on ne le pense, & jamais il n'autorise sans raison une locution irréguliere : il faut, pour mériter l'approbation universelle, qu'elle supplée à quelque formation que l'analogie de la langue ne donne point, comme sont nos tems composés par le moyen des auxiliaires avoir, venir, devoir, aller, ou qu'elle renferme quelque idée accessoire dont ne seroit pas susceptible la locution réguliere, tels que sont les pléonasmes dont il s'agit ici. Le Clerc cependant (Art. critic. Part. II. sect. I. cap. 4, n °. 3, 4, 5.) soutient que cette addition de l'infinitif au verbe n'a en hébreu aucune énergie propre : haec additio ejusdem verbi... nullam habet in hebraïcâ... linguâ emphasin. Mais il faudroit, avant que d'adopter cette opinion, répondre à ce que je viens d'observer sur la circonspection de l'usage qui n'autorise jamais une locution irréguliere sans un besoin réel d'analogie ou d'énergie. Si d'ailleurs on s'en rapporte au moyen proposé par Leclerc, il me semble qu'il ne lui fournira pas une conclusion favorable : res... certa erit, dit-il, de hebraicâ, si quis expendat loca scripturae in quibus occurrit ea phrasis. N'est-il pas évident que comedendo comedes ne signifie pas simplement vous mangerez, mais vous aurez toute liberté de manger, vous mangerez librement, tant & si souvent que vous voudrez ? C'est la même énergie dans moriendo morieris ; cela ne veut pas dire simplement vous mourrez ; mais la répétition de l'idée de mort donne à l'affirmation énoncée par le verbe une emphase particuliere, vous mourrez certainement, infailliblement, indubitablement : & de-là vient que pour donner plus de poids à l'affirmation contraire ou à la négation de cette sentence, le serpent employa le même pléonasme : , nequaquam moriendo moriemini, Gen. 3, 4. il est certain que vous ne mourrez point. Voyez au surplus la grammaire hébraïque de Masclef, ch. xxiv. §§ 5, 8, 9 ; ch. xxv. § 8, & ch. xxvj. §§ 7, 8.
II. J'avoue néanmoins qu'il se rencontre, & même assez souvent, de ces répétitions identiques où nous ne voyons ni emphase, ni énergie. Dans ce cas, il faut distinguer entre les langues mortes & les langues vivantes, & soudistinguer encore entre les langues mortes dont il nous reste peu de monumens, comme l'hébreu, & les langues mortes dont nous avons conservé assez d'écrits pour en juger avec plus de certitude, comme le grec & le latin.
Par rapport à l'hébreu, quand nous n'appercevons pas les idées accessoires que la répétition identique peut ajouter au sens, il me semble qu'il est raisonnable de penser que cela vient de ce que nous n'avons plus assez de secours pour entendre parfaitement la locution qui se présente ; & c'est d'ailleurs un hommage que nous devons à la majesté de l'Ecriture sainte, & à l'infaillibilité du S. Esprit qui en est le principal auteur.
Pour les autres langues mortes, il est encore bien des cas où nous devons avoir par équité la même réserve ; & c'est principalement quand il s'agit de phrases dont les exemples sont très-rares. Mais en général nous ne devons faire aucune difficulté de reconnoître la périssologie, même dans les meilleurs écrivains de l'antiquité, comme nous la trouvons souvent dans les modernes. 1°. Nous entendons assez le grec & le latin pour en discuter le grammatical avec certitude ; & peut-être Démosthène & Cicéron seroient-ils surpris, s'ils revenoient parmi nous, & que nous pussions communiquer avec eux des progrès que nous avons faits dans l'intelligence de leurs écrits, quoique nous ne puissions pas parler comme eux. 2°. Le respect que nous devons à l'antiquité, n'exige pas de nous une adoration aveugle : les anciens étoient hommes comme les modernes, sujets aux mêmes méprises, aux mêmes préjugés, aux mêmes erreurs, aux mêmes fautes : osons croire une fois, que Virgile n'entendoit pas mieux sa langue, & n'étoit pas plus châtié dans son style que ne l'étoit notre Racine ; & Racine n'a point été entierement disculpé par l'Abbé des Fontaines, qui s'étoit chargé de le venger contre les remarques de M. l'Abbé d'Olivet. Disons donc que le sic ore locutus de Virgile, & mille autres phrases pareilles de ce poëte & des autres écrivains du bon siécle, ne sont que des exemples de périssologie, & des défauts réels plûtôt que des tours figurés. (B. E. R. M.)
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PLÉROTIQUES | adj. en Médecine, une espece de remedes, que l'on appelle autrement incarnatifs & sarcotiques. Voyez INCARNATIF & SARCOTIQUE. Ce mot est formé du mot grec , je remplis.
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PLESCOW | ou PLESKOW, ou PSKOW, (Géog. mod.) ville de Russie, capitale du duché du même nom, avec un archevêché du rit moscovite, & un château bâti sur un rocher. Elle fut réunie à la couronne de Russie par le grand Duc Jean Basilowitz, & Etienne Battori, roi de Pologne, fut obligé d'en lever le siége en 1507. Cette ville est située sur la riviere de Muldow, près de son embouchure dans le lac de Plescow, à 60 lieues nord-ouest de Riga, & à égale distance de Petersbourg. Long. 45, 18. latit. 57, 35.
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PLESS | ou PSEZINA, (Géog. mod.) petite ville de Silésie sur le bord septentrional de la Vistule, aux confins de la Pologne, sur la route de Cracovie à Vienne. Les Catholiques y ont une église, & les Luthériens en plus grand nombre y ont leur temple.
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PLESSIS-LEZ-TOURS | (Géog. mod.) ancienne maison royale de France, près de Tours, bâtie par Louis XI. qui y fonda une collégiale & un couvent de Minimes, le premier qu'ils aient eu en France.
C'est au Château de Plessis-lez-Tours que mourut Louis XI. le 30 Août 1483, âgé de 60 ans. Peu de tyrans, dit M. de Voltaire, ont fait périr plus de citoyens par les mains des bourreaux, & par des supplices plus recherchés. Les cachots, les cages de fer, les chaînes dont on chargeoit ces victimes, sont les monumens qu'il a laissés de son caractere. Le supplice de Jaques d'Armagnac, Duc de Nemours, qu'il fit juger par des commissaires, les circonstances & l'appareil de sa mort, le partage de ses dépouilles, les prisons où il enferma ses jeunes enfans, sont autant de traits odieux.
On avoit vu l'héroïsme éclater sous Charles VII ; sous Louis XI, il n'y eut nulle vertu ; le peuple fut tranquille comme les forçats le sont dans une galere. Cependant ce coeur artificieux & dur avoit deux penchans qui auroient dû mettre de l'humanité dans ses moeurs : c'étoit l'amour & la dévotion ; mais son amour tenoit de son caractere, & sa dévotion n'étoit que la crainte d'une ame coupable. Toujours couvert de reliques, & portant à son bonnet sa notre-Dame de plomb, on prétend qu'il lui demandoit pardon de ses forfaits, avant de les commettre. Il donna par contrat la comté de Boulogne à la Sainte Vierge. La piété ne consiste pas à faire la Sainte Vierge Comtesse, mais à s'abstenir des mauvaises actions.
Sentant sa mort approcher, renfermé dans son château, inaccessible à ses sujets, entouré de gardes, dévoré d'inquiétudes, il fit venir de Calabre un hermite nommé François Martorillo, révéré depuis sous le nom de S. François de Paule. Il se jette à ses piés ; il le supplie, en pleurant, d'intercéder auprès de Dieu, & de lui prolonger la vie ; comme si l'ordre éternel établi par l'être suprème, eût dû changer à la voix d'un calabrois dans un village de France, pour laisser dans un corps usé, une ame foible & perverse, plus long-tems que ne comportoit la nature.
Tandis qu'il demande ainsi la vie à un homme étranger, incapable de lui être utile, il croit en ranimer les restes, en s'abreuvant du sang qu'on tire à de jeunes enfans, dans la fausse espérance de corriger l'âcreté du sien. Enfin on ne peut éprouver un sort plus triste dans le sein des prospérités, que celui d'un malheureux prince qui n'a d'autres sentimens que l'ennui, les remords, la crainte, & le désespoir d'être haï.
Louis XI, dit Comines, étoit léger à parler des gens, sauf de ceux qu'il craignoit ; car il étoit assez craintif de sa propre nature... Il répétoit souvent que tout son conseil étoit dans sa tête, parce qu'en effet il ne consultoit personne : ce qui fit dire à l'amiral de Brezé, en le voyant monter sur un bidet très-foible, qu'il falloit que ce cheval fût plus fort qu'il ne paroissoit, puisqu'il portoit le roi & tout son conseil. Il étoit jaloux de son autorité, au point qu'étant revenu d'une grande maladie où il avoit perdu connoissance, & ayant appris que quelques-uns de ses officiers l'avoient empêché de s'approcher d'une fenêtre, apparemment dans la crainte qu'il ne se précipitât, il les chassa tous.
Avare par gout, & prodigue par politique, méprisant les bienséances, incapable de sentimens, confondant l'habileté avec la finesse, préférant celle-ci à toutes les vertus, & la regardant non comme le moyen, mais comme l'objet principal, enfin moins habile à prévenir le danger qu'à s'en tirer, né cependant avec de grands talens dans l'esprit, & ce qui est singulier, ayant relevé l'autorité royale, tandis que sa forme de vie, son caractère, & tout son extérieur auroient semblé devoir l'avilir.
Louis XI. avoit augmenté les tailles de trois millions, & levé, pendant vingt ans, quatre millions sept cent mille livres par an, ce qui pouvoit faire environ vingt-trois millions d'aujourd'hui, au lieu que Charles VII. n'avoit jamais levé par an que dixhuit cent mille francs.
Il avoit une plaisante superstition ; il ne vouloit point entendre parler d'affaires le jour des Innocens, il ne vouloit pas non plus prêter serment sur la croix de S. Lo (car l'usage de jurer sur les reliques subsistoit encore) ; cette croix de S. Lo l'emportoit alors sur toutes les reliques, même sur celles de S. Martin, si révérées & si redoutables sous la premiere race.
Le prétexte de ce prince étoit que c'eût été manquer de respect pour l'instrument de notre salut ; mais un de ses historiens nous apprend que sa répugnance ne venoit que d'une vieille croyance de son tems : ceux qui se parjuroient en jurant sur cette relique, mouroient, croyoit-on alors, misérablement dans l'année, & le bon prince étoit un peu plus attaché à la vie qu'à sa parole.
C'est lui qui a honoré les armoiries des Medicis de l'écusson de France. Il eut d'abord intention de se rendre chef de l'ordre de la Toison, & de la conférer à la mort de Charles le téméraire, comme étant aux droits de la maison de Bourgogne ; mais ensuite il le dédaigna, dit Brantôme & ne crut pas qu'il lui convînt de se rendre chef de l'ordre de son vassal. Voilà ce que dit de ce prince M. Hainault dans son abregé de l'histoire de France. Ajoutez-y que le titre de roi très-chrétien fut donné à Louis XI. en 1469.
Jamais prince n'en fut moins digne, & sa donation de Boulogne à la Sainte-Vierge doit plutôt être réputée pour artifice que pour extravagance. Le seul titre du contrat qu'il fit semble justifier cette réflexion. Voici le titre de ce contrat : " Transport de Louis XI. à la Vierge-Marie de Boulogne du droit & titre du fief & hommage du comté de Boulogne, dont releve le comté de Saint-Pol, pour être rendu devant l'image de ladite Dame par ses successeurs, en 1478 ".
Il n'est point nécessaire de rechercher le fond des affaires que ce prince avoit eues pour l'acquisition de ces deux terres : ce sont de ces sentimens dont il est ici question, & non pas des droits de la couronne. Il suffit de savoir qu'il crut que cet acte, tout bizarre qu'il est, étoit utile au bien de ses affaires, puisqu'il s'en avisa & qu'il le fit.
Il n'y a rien d'extraordinaire de consacrer, vouer, dédier le revenu de ses terres au service de Dieu, à l'usage de ses ministres, à l'ornement de leurs temples & de leurs autels ; mais de choisir des puissances célestes pour en faire les objets de notre libéralité ; qu'au lieu de leur demander, ou de feindre d'avoir reçu d'elles, on se soit ingéré de leur donner, comme si elles avoient besoin de nos biens, ainsi que nous avons besoin des leurs ; qu'elles en pussent jouir efficacement, ainsi que nous pouvons jouir des leurs, de leurs lumieres & de leur intelligence, quand il leur plaît de nous en communiquer quelque rayon ; cette fausse libéralité, dis-je, est un indigne artifice, & cependant il réussit à Louis XI. car nous ne voyons pas que de son tems on ait taxé de fraude cette action extraordinaire. Personne ne trouva étrange que ce prince contractât avec la Sainte-Vierge tout comme il auroit contracté avec un autre prince, & qu'il lui fît du-moins par fiction accepter un présent dont il ne demeuroit pas moins maître après cette prétendue libéralité.
Car enfin, est-ce que les baillifs, prevôts & autres officiers de la comté de Boulogne, quand on les auroit appellés les baillifs de la Vierge, ses prevôts & ses officiers, en devoient moins obéir au roi ? Est-ce que l'église de Boulogne jouissant du revenu de la terre, en étoit mieux desservie ? Est-ce que le roi en étoit moins comte pour avoir donné cette comté à la Vierge ? Non assurément. Mais le peuple d'alors ne voyoit pas tout cela comme nous le voyons ; ses vues ne portoient pas assez loin. Il y a eu des tems où l'on a pu hasarder sans crainte toutes sortes d'artifices prétendus religieux. (D.J.)
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PLESTORE | S. m. (Mythol.) nom propre d'un faux dieu des anciens Thraces. On ne sait ce que c'étoit que ce dieu ; tout ce que l'on en apprend d'Hérodote, est que les Thraces lui sacrifioient des hommes.
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PLÉTHORE | S. f. (Médec.) plénitude, en Médecine, signifie surabondance de sang & d'humeurs. La pléthore est une quantité de sang louable, plus grande qu'il ne faut pour pouvoir supporter les changemens qui sont inévitables dans la vie, sans occasionner des maladies. C'est de la pléthore dont parle Hippocrate, lorsqu'il dit dans le troisieme aphorisme de la premiere section, " que les personnes qui se portent le mieux sont dans un état dangereux, puisque ne pouvant demeurer dans le même état pendant longtems, ni changer pour le mieux, il faut nécessairement qu'elles tombent dans un état pire, desorte qu'on doit les en tirer le plus promptement qu'il est possible. "
La pléthore ne consiste point dans l'augmentation de toutes sortes d'humeurs indifféremment, mais seulement dans celle des sucs louables. Aussi Galien nous apprend-il, method. medend. lib. XIII. cap. vj. qu'on donne le nom de pléthore à l'augmentation mutuelle & uniforme des fluides ; au lieu que lorsque le sang abonde en bile noire ou jaune, en pituite, ou en humeurs séreuses, on appelle cette maladie une cacochimie, & non une pléthore.
La pléthore, ou la quantité augmentée des fluides, retarde leur circulation ; & les fluides languissant dans leur mouvement, tendent bientôt à produire des stases, des phlogoses, des embarras, & enfin des inflammations qui emportent en peu de tems les malades, si on n'y remédie promptement ; c'est ainsi que le sang superflu qui produit la pléthore dans les femmes & dans les hommes, & qui occasionne le flux menstruel ou hémorrhoïdal, n'est point mauvais en lui-même ; mais par son séjour & la pression qu'il fait sur les vaisseaux, il occasionne une compression, un étranglement dans les diametres des vaisseaux collatéraux, & de-là viennent les obstructions, les congestions inflammatoires, & les maladies aiguës & chroniques.
Les anciens distinguoient deux sortes de pléthore, l'une qui affecte les vaisseaux, & l'autre qui influe sur les forces, lorsque les vaisseaux sont tellement remplis de liqueurs louables, & qu'ils sont menacés de rupture, cela s'appelle simplement une plénitude ou pléthore des vaisseaux ; mais lorsque ces vaisseaux, sans contenir une trop grande quantité d'humeurs louables, en renferment cependant plus que la force vitale n'est en état d'en faire circuler, cela s'appelle plénitude, ou pléthore ad vires. C'est ainsi que Galien, en parlant de la plénitude, ch. iij. nous apprend qu'il y a deux sortes de pléthore, l'une qui affecte les forces & les facultés vitales, & l'autre les vaisseaux. Et dans son traité de la façon de traiter les maladies par la saignée, ch. vj. il dit " que plus une personne se sent pesante, plus la pléthore, eu égard aux forces, est considérable ; au lieu que celle des vaisseaux se manifeste par un sentiment de tension ".
On n'entend ordinairement la pléthore qu'en parlant des vaisseaux, & c'est dans ce sens que nous la considérons.
Cette espece de pléthore devient une vraie maladie. Cette quantité trop grande de sang reconnoît pour cause tout ce qui engendre beaucoup de chyle & de sang louable, & empêche en même tems l'atténuation & la dissipation de la transpiration ; car alors la recette étant plus grande que la dépense, il faut de nécessité que le sang s'amasse, qu'il stagne, qu'il croupisse, & qu'il produise la pléthore.
Les fonctions vitales & naturelles usent nécessairement les solides, & procurent la dissipation des fluides ; desorte que l'on est obligé de les réparer tous deux par les alimens. Lorsqu'on rend tous les jours au corps autant de substance qu'il en perd, il resulte un parfait équilibre qui est le signe le plus parfait & le plus constant de la santé ; car Sanctorius a prouvé par plusieurs expériences que le corps est dans l'état le plus parfait où il puisse être lorsqu'il reprend tous les jours son poids ordinaire ; après que la digestion est faite, le corps répare ses pertes à l'aide d'un chyle louable, & d'un sang qui en est formé : lors donc qu'il s'engendre une plus grande quantité de chyle & de sang qu'il ne faut pour réparer la dissipation qui s'est faite, il arrive un amas de sucs superflus qui augmente à proportion de l'efficacité des fonctions.
Les causes de la pléthore sont la forte contraction des visceres & organes chyliferes du coeur & des arteres, & en même tems le relâchement des veines & des autres petits vaisseaux ; les alimens doux qui se changent aisément en chyle, le trop long sommeil, l'inaction des muscles, le défaut des évacuations ordinaires du sang, soit naturelles ou artificielles auxquelles on est accoutumé.
Depuis que l'homme a été condamné en punition de son péché, à manger son pain à la sueur de son visage, l'exercice du corps est devenu absolument nécessaire pour la conservation de la santé ; aussi voit-on que ceux qui menent une vie oisive sont affligés des maladies les plus terribles.
Hippocrate nous apprend, dans son traité de la diete, liv. I. que tout homme qui mange ne sauroit se bien porter, s'il ne travaille à proportion de la nourriture qu'il prend ; car le travail est destiné à consumer ce qu'il y a de superflu dans le corps. Il ordonne dans le même traité, liv. III. d'examiner si la nourriture a excédé le travail, ou le travail la nourriture, ou s'ils sont l'un & l'autre dans la juste proportion ; car de leur inégalité naissent les maladies, comme la santé vient de leur équilibre & de leur égalité.
Il faut donc que l'équilibre entre la nourriture & le travail soit tel que la dissipation journaliere égale la quantité d'alimens dont on use ; car si l'on prend la même quantité de nourriture en même tems qu'on fait moins d'exercice, il faut nécessairement qu'il en résulte une pléthore. Lorsqu'on nourrit des chevaux dans une écurie sans les faire travailler, ils s'engraissent en peu de tems, mais on ne les a pas exercés pendant quelques jours, que leur embonpoint diminue.
Les femmes ont tous les mois une évacuation naturelle de sang superflu, de même que les hommes qui sont sujets au flux hémorrhoïdal ; ces évacuations font l'effet d'autant de saignées ; or on est convaincu par expérience que plus un homme se fait saigner, pourvu que ses forces ne soient pas entierement affoiblies, plus ses vaisseaux se remplissent ; & les personnes accoutumées à des saignées réitérées, sont affligées vers le tems auquel elles avoient coutume d'user de la saignée, des mêmes maladies que les femmes dont les regles sont supprimées ; au moyen de quoi leurs forces dégénerent, & ils acquierent une habitude aussi lâche & aussi foible que celle des femmes.
Symptomes. Tous les phénomenes de la pléthore dépendent de la plénitude des vaisseaux, ou de la raréfaction qu'elle cause dans le sang ; ce qui provient sur-tout de l'augmentation de sa vélocité & de la chaleur qui en résulte, ou d'autres causes que l'on peut reconnoître par l'observation : de-là vient la force, la grandeur & la plénitude du pouls, la dilatation des vaisseaux tant sanguins que lymphatiques, le dérangement des secrétions, la compression des veines sanguines & lymphatiques, l'interruption de la circulation, l'inflammation & la rupture des vaisseaux, la suppuration, la gangrene & la mort.
Diagnostic. On est assuré de la présence de la pléthore, si les causes qui engendrent une trop grande quantité de sang louable, & dont on a parlé ci-devant, ont précédé ; si l'on apperçoit une grande rougeur par tout le corps, sur-tout dans les parties où les vaisseaux sont comme à découvert ; comme dans les coins des yeux, sur la conjonctive, dans la face interne des paupieres, des narines, de la bouche, de la gorge & des levres ; si l'on sent une grande chaleur même dans les extrémités du corps ; si les veines sont gonflées, & le pouls fort & plein ; si après un exercice violent, des chaleurs excessives, l'usage du vin ou d'autre liqueur chaude ou spiritueuse, les malades apperçoivent dans tous leurs muscles une tumeur molle, pleine & distensive, accompagnée d'une certaine immobilité qui les empêche de pouvoir fermer les poings ; s'ils commencent à appercevoir en eux une certaine paresse & un assoupissement accompagné de larmes.
Prognostic. Tous les symptomes déja décrits pourront être prédits, & on pourra même annoncer que les fonctions du cerveau seront lésées, à cause qu'il y a une plénitude naturelle dans toutes les parties de la tête ; de-là vient que lorsque les gros vaisseaux remplis de sang rouge sont distendus, les vaisseaux les plus petits souffrent une compression, parce que les vaisseaux du crâne ne peuvent point céder ; desorte que toutes les maladies du cerveau, depuis le vertige le plus léger jusqu'à l'apoplexie la plus funeste, peuvent venir d'une pléthore.
La curabilité de la pléthore dépend de son degré, de la violence & du nombre de ses symptomes.
Curation. La cure de la pléthore consiste dans la saignée, le travail & les veilles, à se nourrir d'alimens âcres après les évacuations convenables, & à cesser ou omettre peu-à-peu ces mêmes évacuations.
1°. La saignée est nécessaire, elle évacue la trop grande abondance de sang louable qui est la cause de tous les accidens dont on vient de parler ; d'où il suit que tout ce qui est capable de la diminuer, doit être salutaire & nécessaire ; mais rien n'est plus propre pour cet effet que la saignée, qui appaise immédiatement tous les symptomes. En effet, le médecin ne peut mieux faire que de suivre la méthode que la nature suit & indique elle-même dans la pléthore. Or on sait que dans toutes les maladies qui proviennent de la raréfaction & de la pléthore, rien ne guérit plus sûrement & plus efficacement que les hémorrhagies salutaires, sur-tout par le nez ; de là vient que les médecins égyptiens font des scarifications dans la plûpart des maladies.
La diete aide & acheve ce que la saignée a commencé ; aussi voit-on que les gens qui joignent la diete à l'exercice sont moins pléthoriques & plus sains.
Mais quoique la saignée diminue la redondance du sang, non-seulement elle laisse le corps aussi sujet qu'auparavant à la réplétion, mais elle le dispose encore davantage à la génération d'une nouvelle pléthore, ainsi que nous l'avons déja observé. D'où il suit qu'il faut tellement le fortifier, qu'il ne puisse plus amasser à l'avenir une si grande quantité de sang.
L'exercice non-seulement dissipe le trop de sang qui s'étoit amassé dans le corps, mais il fortifie encore les solides à un tel point, qu'ils ne cedent plus avec la même facilité aux fluides qu'ils contiennent ; aussi voit-on rarement les personnes accoutumées à un travail pénible, sujettes à la pléthore, bien qu'elles prennent beaucoup de nourriture : mais un pareil exercice ne convient qu'après avoir dégagé les vaisseaux par le moyen de la saignée ; car sans cette précaution, ils ne manqueroient pas de se distendre & de se rompre en très-peu de tems.
Les veilles sont un grand remede contre la plénitude, si le sommeil est une cause de cette même plénitude ; aussi voit-on que ceux qui dorment peu sont rarement pléthoriques.
L'usage des alimens âcres ordonné après la saignée & la purgation est sagement indiqué ; car comme les alimens doux sont une cause de notre accroissement, & même de la pléthore, comme il le paroît par la nutrition & la formation du foetus qui n'est nourri que de lait & d'autres nourritures douces & humectantes, il suit que la diete opposée à celle des enfans, sera salutaire dans le cas de pléthore ; les alimens les plus durs à digérer, les substances âcres, aromatiques & irritantes sont les plus salutaires, parce qu'ils fournissent moins de chyle & de sang, & que les humeurs sont plus fouettées à l'aide de ces sortes de substances ; elles ne peuvent d'ailleurs s'accumuler dans les vaisseaux à cause du ressort de ceux-ci qui se trouve augmenté.
Les évacuations doivent être omises ou cessées par degré, leur continuation augmenteroit la pléthore, de même que leur cessation subite ; il faut les diminuer peu-à-peu, quant à leur quantité, & mettre un plus grand intervalle entr'elles pour pouvoir y renoncer insensiblement sans danger ; en prenant ces mesures on imite la méthode salutaire dont la nature se sert vers le tems que les regles commencent à cesser dans les femmes ; car cette évacuation devient successivement moins abondante, & ses retours sont moins fréquens jusqu'à ce qu'elle ait entierement cessé ; mais lorsque les regles viennent à cesser tout-d'un-coup, cet accident a pour l'ordinaire des suites très-fâcheuses.
La purgation est un remede aussi sûr que la saignée ; car elle diminue les humeurs des premieres voies, elle évacue le chyle surabondant, il s'en porte moins dans le sang, & celui-ci est nécessairement diminué dans sa source ; la purgation répétée occasionne moins la pléthore par elle-même, que la saignée, car elle ne désemplit pas spécialement les vaisseaux.
Les sudorifiques & les diurétiques sont aussi des remedes assurés, car ils augmentent les secrétions, diminuent la masse totale des liqueurs. Quelques gens même n'employent que ces remedes.
Pléthore fausse est une maladie où le sang, sans être augmenté dans la masse, l'est dans son volume ; de façon que vingt-cinq livres de sang équivalent en volume à trente livres ; c'est cet état que l'on nomme raréfaction des fluides.
La cause de cette pléthore est différente de celle de la vraie, elle dépend de la raréfaction même du sang ; les soufres & les autres fluides étant fort développés & divisés présentent plus de surface, ils emplissent davantage les vaisseaux, ceux-ci sont plus dilatés, plus tendus, plus vibratifs, le pouls est plus plein, plus fréquent : mais les causes de ces raréfactions sont les alimens âcres & de haut goût ; les remedes chauds & atténuans ordonnés dans l'épaississement ou dans la pléthore même, la pléthore elle-même occasionnée par la suppression des évacuations ordinaires, & sur-tout de la transpiration, le défaut d'exercice, l'usage des liqueurs spiritueuses, & enfin tout ce qui peut augmenter l'acrimonie, la chaleur & l'expansion des liqueurs.
Dans la pléthore fausse le sang est plus fouetté, plus divisé & atténué, aussi le pouls est plus plein, mais plus tendu & plus fréquent ; la chaleur y est plus marquée que dans la pléthore vraie, où le sang est plus étouffé, mais moins âcre & moins expansible. Les veilles continuelles, l'excès des passions & l'alkalescence des humeurs sont les vraies causes de cette maladie, qui est plus dangereuse que la pléthore vraie.
Curation. Les indications sont de condenser, d'adoucir & de resserrer la masse & le volume du sang.
Les remedes convenables sont la saignée moins copieuse & moins souvent répétée que dans les pléthores vraies.
Les adoucissans sont le petit-lait, les tisanes d'orge, de gruau, de riz & de semoule, les crêmes faites avec ces graines, les bains & les demi-bains.
Les rafraîchissans, les émulsions avec les semences froides majeures & mineures.
L'air frais, les alimens doux & balsamiques, les viandes des jeunes animaux, les bouillons & les gelées préparées de ces viandes.
L'eau simple pour boisson, ou le vin vieux fort trempé, l'exercice modéré, le repos ou le sommeil prolongé & pris dans un lieu temperé, où l'air ne soit ni trop chaud ni trop froid.
Tout ce que nous avons dit sur la pléthore suffit pour faire comprendre que cette cause des maladies est la plus générale & la plus ordinaire, & qu'on ne pourra les traiter ni les guérir sans combattre cette cause générale.
Les remedes anti-pléthoriques sont en général les diurétiques, les sudorifiques, les apéritifs, les cephaliques, les emmenagogues, les hépatiques, les splenétiques. Voyez tous ces articles. Voyez MEDICAMENS.
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PLÉTHORIQUES | médicamens qui font naître de la chair & remplissent les blessures. On donne aussi le nom de pléthoriques à toutes les causes de la pléthore, soit vraie, soit fausse. Voyez PLETHORE.
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PLÉTHRON | (Arpentag. des anc.) , espace de terrein chez les Grecs, qui contenoit cent piés en quarré ; ou quarré dont le côté étoit de cent piés. Le jugerum des Latins contenoit deux cent piés, c'est-à-dire, l'espace renfermé dans un parallélogramme de deux cent piés de long sur cent de hauteur, desorte que vingt des Grecs ne faisoient que dix jugera, ou arpens des Romains. Pline a commis perpétuellement cette faute dans les passages qu'il a tirés de Théophraste. Il n'a pas songé que son jugerum étoit une mesure double du . (D.J.)
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PLÉTHYPATE | (Calend. de Paphos) nom d'un mois de ceux de Paphos, suivant Gyraldus & le pere Hardouin ; il répondoit au mois de Juin. (D.J.)
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PLEUMOSII | (Géog. anc.) peuples de la Gaule belgique, dans la dépendance des Nerviens. Comme Jules-César, l. V. c. xxxix. est le seul qui ait nommé ces peuples, & qu'il ne dit rien qui puisse faire connoître où ils habitoient, on s'est exercé à les placer à fantaisie. Les uns ont dit que c'étoient les habitans de la Flandre ; les autres les ont mis dans la Flandre orientale : d'autres disent que ce sont les habitans de Courtrai ; & les remarques de M. Samson, sur la carte de l'ancienne Gaule, disent que c'est le pays de Peule, au diocèse de Tournai dans la Flandre wallone ou gallicane. (D.J.)
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PLEURER | v. neut. (Gramm.) voyez l'article PLEURS.
PLEURER, (Jardinage) on dit que la seve pleure, pour exprimer qu'elle est en grand mouvement, & qu'étant trop abondante, elle est obligée de sortir.
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PLEURES | S. f. pl. (Lainage) ce sont les laines qui se coupent sur la bête après qu'elle est morte, elles sont d'une très-mauvaise qualité, aussi ne les emploie-t-on qu'à la fabrique des couvertures les plus grossieres, en les mêlant avec les laines de Barbarie. Il en vient de Mulhausen, de Wismar, du Rhin, &c. Savary. (D.J.)
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PLEURÉSIE | S. f. (Médec.) se divise en vraie & en fausse : la vraie que l'on confond avec la péripneumonie, est une inflammation de la poitrine, qui a pour signes une fievre aiguë & continue, un pouls dur, une douleur de côté aiguë, inflammatoire, qui augmente beaucoup durant l'inspiration, qui diminue dans l'expiration, une toux seche continuelle qui cause de grandes douleurs, & qui met le malade en danger d'être suffoqué.
Toutes les parties de la poitrine sont le siege de cette maladie : on la distingue en vraie & en fausse, en seche & humide. La vraie est celle où la douleur attaque la plevre & ses expansions qui s'étendent sur le poumon. La fausse est celle où la douleur est plus profonde, & attaque les muscles intercostaux & les parties qui les recouvrent. Si les crachats abondent, on la nomme pleurésie humide ; & pleurésie seche, si les crachats sortent avec peine.
La pleurésie vient d'ordinaire aux adultes, qui sont d'un tempérament sanguin & qui font beaucoup d'exercice, qui sont exposés alternativement au chaud & au froid. On la nomme idiopathie, lorsqu'elle est produite par le vice local & la surabondance des humeurs ; & symptomatique, lorsqu'elle est la suite d'une maladie inflammatoire, dont la cause & la matiere ont été transportées de quelque autre partie sur la poitrine.
Les causes éloignées seront donc toutes celles de l'inflammation, appliquées à la poitrine, à ses membranes, ou à ses muscles. Voyez INFLAMMATION.
Les symptomes sont d'abord un appétit extraordinaire, suivi de froid, de frisson, de foiblesse, de lassitude, & de fievre violente ; dans son progrès, la chaleur devient insensiblement ardente, la douleur aiguë de foible qu'elle étoit, la respiration fort difficile ; dans son état, la fievre est violente, mais se manifeste moins, parce que la respiration est gênée par la violence de la douleur ; elle finit de différentes façons, ce qui dépend du siege de l'inflammation. Plus il y a de parties affectées à la fois, plus la circulation se fait avec force & vîtesse, & plus la respiration & les autres fonctions qui en dépendent sont dérangées & s'éloignent de leur état naturel.
La pleurésie, de même que toutes les autres inflammations, se guérit, dégénere en d'autres maladies, ou cause la mort. On parvient à la guérir par résolution lorsque les humeurs qui circulent sont douces & que leur cours est modéré ; & si la cause de l'obstruction n'est pas opiniâtre, dans ce cas il ne faut qu'aider la nature par des émolliens, des résolutifs, & de légers apéritifs. Elle se guérit par la coction & l'excrétion de sa cause : 1°. si le flux hémorrhoïdal ou les regles surviennent ; 2°. si les urines sont chargées & critiques avant le quatrieme jour, si elles sont épaisses, si elles sortent goutte à goutte, si elles sont rouges, si elles déposent un sédiment blanc & calment la maladie, ces urines sont un signe de guérison, même dans la pleurésie seche ; 3°. lorsque le malade est soulagé par des selles bilieuses avant le quatrieme jour ; 4°. lorsqu'il commence à paroître avant le sixieme jour autour des oreilles ou aux jambes des abscès ichoreux, purulens, fistuleux qui coulent long-tems ; 5°. lorsque le point de côté passe à l'épaule, à la main, au dos, avec un engourdissement & une pesanteur douloureuse dans ces parties ; 6°. quand les crachats sont abondans, soulagent le malade, ne sont point accompagnés de catarres, ressemblent à du pus, acquierent bien-tôt ou avant le quatrieme jour une couleur blanche, quand cette évacuation n'est point interrompue, ou reparoît aussi-tôt qu'elle a été supprimée ; car par-là le malade est hors de danger le neuvieme ou le onzieme jour.
Lorsqu'après avoir observé tous ces signes, on a reconnu quelle doit être la terminaison de cette maladie, il faut suivre les vûes de la nature & favoriser les voies qu'elle prend pour délivrer le malade.
Ainsi on doit favoriser l'écoulement des regles ou des hémorrhoïdes par les remedes propres, tels que les sang-sues, les apéritifs emmenagogues.
Si l'urine est abondante, on emploie les diurétiques.
Si les selles sont copieuses & indiquées, on les soutient par des remedes internes qui soient laxatifs, & des topiques émolliens appliqués sur le bas-ventre.
S'il se forme des écoulemens ou des dépôts vers les oreilles, on les aide par les topiques appropriés.
Si la douleur passe au dos, à l'épaule, à la main, on y attire la maladie par des frictions, des emplâtres, &c.
La méthode curative est la suivante. Lorsque la pleurésie est récente, qu'elle est accompagnée de symptomes fâcheux avant la fin du troisieme jour, qu'elle est seche, qu'elle se trouve dans un corps robuste, accoutumé à un exercice violent, d'un tempérament sec, que la coction paroît impossible, on doit suivre les indications suivantes :
1°. On saigne copieusement le malade.
2°. On fomente la partie avec des décoctions émollientes, par des linimens, des embrocations, des cataplasmes résolutifs.
3°. On donne intérieurement les mêmes remedes, & sur-tout les résolutifs, les adoucissans. Voyez ces articles.
4°. On doit les déterminer sur les lieux affectés, par les frictions & les topiques administrés en même tems.
5°. Le régime sera humectant, antiphlogistique, rafraîchissant ; on évitera ce qui augmente la circulation, ce qui desseche, comme la chaleur de l'air, du lit, des alimens, & des remedes.
Fomentation utile dans la pleurésie. Prenez des feuilles de mauve, de guimauve, de pariétaire, de chaque deux poignées ; de pavot rouge, de jusquiame, de chaque une poignée ; de fleurs de sureau, de camomille, de mélilot, de chaque trois onces : faites du tout une décoction dans du lait doux pour servir de fomentation.
Prenez de sucre de Saturne, deux gros ; de vinaigre, six gros ; d'huile de roses tirée par infusion, une once : faites-en un liniment.
Ou prenez d'onguent populeum, deux onces, ou d'emplâtre diapompholix, quantité suffisante : étendez-le sur du chamois, & appliquez-le sur le côté.
Boisson dans la pleurésie. Prenez des feuilles de tussilage, de mauve, de chaque deux poignées : de fleurs de pavot rouge & d'althaea, une poignée & demie ; de racine de persil, de salse-pareille, de chaque trois onces ; de graine de lin broyée, quatre gros ; de laitue, de chardon de Notre-Dame, de chaque une once : mettez le tout en décoction dans une assez grande quantité d'eau pour qu'il en reste six pintes ; le malade en boira deux verres par heure.
Les empyriques ordonnent sur-tout dans la pleurésie les sudorifiques & les diaphorétiques, tels que tous les remedes volatils, les sels volatils de vipere, de crâne humain, de corne de cerf, les yeux d'écrevisse, le sang de bouquetin, la fiente de mulet, & autres remedes semblables : mais ces remedes sont dangereux si l'on n'a pas eu soin de faire précéder les remedes généraux ; & d'ailleurs quand cette méthode seroit bonne, il est préjudiciable de faire des regles générales en Médecine, attendu que tous les tempéramens n'étant pas les mêmes, les maladies sont essentiellement différentes. Et de plus, les grands médecins conviennent eux-mêmes que la transpiration ne peut se rétablir par les diaphorétiques, qu'après avoir relâché & détendu les pores de la peau ; que l'érétisme, produit par l'orgasme & le resserrement convulsif de la peau, empêche la transpiration ; & que cette cause augmenteroit encore par tous les remedes chauds & stimulans, tels que sont tous les sudorifiques & diaphorétiques.
Enfin, les sudorifiques ne peuvent être administrés indifféremment à tout le monde ; on doit craindre leurs effets dans les personnes seches, arides, dans les vieillards & dans tous ceux dont les humeurs sont déjà épuisées par des évacuations trop abondantes, par des sueurs copieuses.
PLEURESIE FAUSSE, (Médec.) c'est une inflammation des muscles intercostaux, internes & externes, & même de la face externe de la plevre, elle est accompagnée d'une douleur de côté violente, de fievre aiguë, avec un pouls dur, une toux fréquente & seche, une difficulté de respirer des plus considérables.
Les causes sont les mêmes que celles de la pleurésie vraie, avec cette différence qu'elles sont appliquées plutôt aux enveloppes de la poitrine, qu'à la plevre même, ainsi le nom de pleurésie ne lui convient pas.
Ses symptomes sont les mêmes que ceux de la vraie pleurésie, elle attaque ordinairement les personnes d'un tempérament robuste, les ouvriers, sur-tout les porte-faix, les gens occupés aux travaux de la campagne. Cela est fort connu, & il est rare que les gens oisifs ayent des pleurésies, quoique cependant cela arrive quelquefois ; la terminaison est la même que celle de la pleurésie vraie, & de l'une & de l'autre péripneumonie, cependant celle-ci se termine avec moins de danger, & plus souvent par suppuration, ce qu'on appelle empyeme. Voyez EMPYEME.
Le traitement est le même que celui de l'inflammation, il faut seulement remarquer que l'on doit plus insister sur les saignées du bras ; on doit outre cela avoir recours aux remedes béchiques adoucissans ; il y a moins à expectorer que dans la pleurésie vraie qui est souvent confondue avec la péripneumonie vraie.
Les topiques émolliens appliqués sur la partie souffrante, sont d'un grand usage ; les embrocations, les cataplasmes émolliens, tiennent le premier rang, les vessies remplies de décoction des plantes de même nature, ou de lait tiede, sont d'une grande efficacité dans cette maladie.
Liniment anodin. Prenez du baume de Lucatel, 2 gros d'huile d'amandes douces : une once, d'huile de Macis, tirée par expression, de l'onguent de guimauve & de baume tranquille, de chaque deux gros : mêlez le tout & faites-en un liniment.
Nota. 1°. que la pleurésie fausse ou le point de côté se confond souvent avec des douleurs qui ont pour cause des affections spasmodiques, du foie, de la rate, & des parties voisines, ou des vents ramassés dans le colon, ce qui mérite une attention singuliere.
2°. Que la suppuration de la poitrine est à craindre, & que pour la prévenir il faut réitérer de bonne heure les saignées, c'est l'ordinaire des mauvais praticiens, & d'autres empyriques, qui se mêlent pour la plûpart de traiter ces maladies purement internes, d'insister davantage sur les remedes externes, en quoi ils ont grand tort, car la suppuration qu'ils peuvent déterminer par cette manoeuvre, est une seconde maladie pire que la premiere.
3°. Que la pleurésie fausse étant ordinaire aux gens robustes & qui ont fait beaucoup d'exercice ; il ne faut point ménager les remedes, & ordonner en même tems une diete & un régime conformes à l'état du pouls & des forces ; quoique la diete exacte ne convienne pas à tout le monde, cependant la nourriture entretient & allume la fievre. Voyez REGIME & DIETE.
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PLEUREUSES | S. f. pl. (Antiquités rom.) les Romains pour s'épargner la peine d'offrir une affliction extérieure dans les funérailles de leurs parens & de leurs amis, ou pour augmenter l'aspect de leur deuil, établirent l'usage d'un choeur de pleureuses, qu'ils plaçoient à la tête du convoi, & qui par des chants lugubres, & par des larmes affectées, tâchoient d'émouvoir le public en faveur du mort que l'on conduisoit au bucher. Elles avoient à leur tête une femme qui régloit le ton sur lequel elles devoient pleurer ; on les appelloit praeficae, comme nous l'apprenons de Festus. Praeficae dicuntur mulieres ad lamentandum mortuum conductae, quae dant caeteris modum plangendi, quasi in hoc ipsum prefectae. Le poëte Lucilius en a fait mention, au rapport de Nonius.
Mercede quae
Conductae flent alieno in funere praeficae.
Celle qui entonnoit la lamentation étoit nommée praefica, du terme praefari, parce qu'elle commençoit à pleurer la premiere. Les autres étoient aussi nommées praeficae, mais plus rarement que leur maîtresse ; & c'est ce qui fait croire que praefica ne vient pas de praefari, puisque toutes les pleureuses étoient honorées de cette illustre qualité.
Lorsque les Romains vouloient parler d'eux-mêmes avantageusement, ils prévenoient leurs auditeurs par ce mot praefiscine ; en quoi nous les imitons encore, lorsque nous voulons nous donner quelques louanges, car nous disons volontiers, cela soit dit sans vanité. Nous lisons dans l'Asinaria de Plaute, act. 2. scen. 4. que Léonida accusé de quelque tour de souplesse, commença sa justification par praefiscine, parce qu'il devoit dire du bien de lui-même.
Praefiscine, hoc nunc dixerim nemo me etiam accusavit.
Merito meo, neque me Athenis est alter hodie cui credi recte, aequè putent.
Et comme les pleureuses affectoient de donner de grandes louanges au mort, elles se servoient d'abord selon la coutume du terme praefiscine, pour prévenir les spectateurs, & attirer leur croyance ; d'où l'on a fait le mot praeficae. L'Ecriture nous fournit des exemples de ces pleurs publiques ; il est dit dans le chapitre 21 des Nombres, que l'on pleura trente jours sur le corps d'Aaron : omnis autem multitudo videns occubuisse Aaron, flevit super eo trigenta diebus per cunctas familias suas. Moïse fut pleuré de même pendant trente jours par tout Israël.
Aussi tôt que le malade étoit expiré, l'usage des Romains étoit d'appeller les pleureuses, que l'on plaçoit à la porte de la maison ; là s'étant instruites par les domestiques des circonstances de la vie du défunt, elles en composoient un éloge, où le mensonge & la flatterie n'étoient pas épargnés.
L'art des pleurs consistoit dans l'action & dans le chant. Le poëte Lucilius nous l'apprend par ces vers :
In funere, praeficae
Multo, & capillos scindunt, & clamant magis.
On reconnoît dans ces vers, les deux parties de l'art de pleurer. Capillos scindunt, voilà l'action ; & clamant magis, voilà le chant qu'elles accommodoient à certains vers lugubres, que l'on nommoit neniae, selon l'explication de Festus : nenia est carmen, quod in funere laudandi gratiâ cantatur, & c'est ainsi que Ciceron en parle dans le second livre des lois ; honoratorum virorum laudes in concione memorant, easque etiam ad cantus, ad tibicinem prosequuntur, cui nomen neniae, quo vocabulo etiam graeci cantus lugubres nominant.
On comprend aisément que ces pleureuses étoient vêtues de l'habit qui marquoit ordinairement le deuil & l'affliction : c'étoit une robe noire, que les Romains appelloient pulla, & ceux qui en étoient vêtus, étoient désignés par cette épithete, pullati, dont Juvénal fait mention dans sa troisieme satyre.
Si magna Arturici cecidit domus, horrida mater
Pullatos proceres differt vadimonia praetor.
Auguste, au rapport de Pétrone, défendit à ceux qui portoient cet habit, de se présenter aux spectacles. Sanxit ne quis pullatorum in mediâ caveâ sederet. Je suis du sentiment de Saint-Evremont : il y a, dit-il, une certaine douceur à pleurer la mort de celui qu'on a aimé ; votre amour vous tient lieu de votre amant dans la douleur, & de-là vient l'attachement à un deuil qui a des charmes.
Qui me console, excite ma colere,
Et le repos est un bien que je crains ;
Mon deuil me plaît, & doit toujours me plaire,
Il me tient lieu de celle que je plains. (D.J.)
PLEUREUSES, (Hist. des Grecs modernes) les Grecs modernes, suivant l'ancienne coutume, ont à la suite des enterremens des femmes à gage, dont la principale fonction est d'hurler, de pleurer, & de se frapper la poitrine, tandis que quelques autres chantent des élégies à la louange du mort ou de la morte ; ces sortes de chansons servant pour les deux sexes, & pour toutes sortes de morts, de quelque âge & qualité qu'ils soient.
Pendant cette espece de charivari, d'autres personnes apostrophoient de tems en tems le défunt ou la défunte, en lui disant : " te voilà bien-heureuse ; tu peux présentement te marier avec un tel ; & ce tel est un ancien ami que la chronique scandaleuse a mis sur le compte de la morte ". Au bout de ces propos, ou autres semblables, les pleureuses recommencent leurs cris & leurs larmes.
Enfin, dès qu'une personne est morte, les parens, les amis, les pleureuses, font leurs complaintes autour du corps que l'on porte à l'église, le plus souvent sans attendre qu'il soit froid ; cependant on l'inhume, après avoir récité quelques oraisons accompagnées de gémissemens feints ou véritables. (D.J.)
PLEUREUSES, PLEUREURS, (Critique sacrée) les Juifs avoient des pleureurs & des pleureuses à gages dans leurs funérailles, comme on le voit par quelques endroits de l'Ecriture. " Allez chercher des pleureuses & qu'elles viennent : envoyez querir des femmes qui savent faire des lamentations ; qu'elles se hâtent, & qu'elles commencent leurs lamentations sur le malheur de Sion, dit Jérémie, v. 16. On ne verra que deuil dans toutes les places ; & par-tout on n'entendra que ces mots, malheur, malheur ; on appellera le laboureur à ce deuil, & on fera venir pour pleurer, ceux qui savent faire les plaintes funebres ". Amos, v. 16. (D.J.)
PLEUREUSES, terme de Lingeres ; elles appellent pleureuses, de larges bandes de batiste qu'on met en partie sur le revers de la manche d'un juste-au-corps, dans les premiers tems d'un grand deuil. (D.J.)
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PLEURON | (Géog. anc.) ville d'Italie : Homere en parle, ainsi que Strabon, livre X. pag. 451, qui dit qu'elle étoit bâtie dans un terrein gras & uni, au voisinage de Calydon. Elle fut la patrie d'Alexandre dit de Pleuron, parce qu'il lui fit honneur ; il étoit poëte & grammairien, il avoit fait des tragédies, des élégies, & des mimes estimés, &c. mais il ne nous reste de tout cela que quelques fragmens qui sont cités par Strabon, par Athénée, par Aulu-gelle & par Macrobe.
Il y eut une autre ville nommée Pleuron, qui fut bâtie après la destruction de la premiere dans un autre endroit, savoir au pié du mont Aracymbus. Pline Lib. IV. c. ij. dit que cette seconde Pleuron étoit dans les terres. (D.J.)
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PLEURONIA | (Géog. anc.) canton de l'Etolie, ainsi nommé de la ville Pleuron. Strabon, lib. X. p. 465, nous apprend que ce canton s'appelloit auparavant Curétide, parce qu'il étoit habité par les Curetes, anciens colons de l'Etolie. (D.J.)
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PLEURS | S. m. pl. Voyez LARME. Par les pleurs, on ne doit pas entendre de simples larmes, car outre ces larmes, il y a dans l'action de pleurer, plusieurs affections de la poitrine, avec grande inspiration ; le thorax dilaté est comprimé alternativement & promptement, à-peu-près comme dans le ris, & une grande expiration aussi-tôt suivie du retour de l'air dans les poulmons. Lisez Schreiber de fletu pag. 8. Schaarsenude, Berl. Nachr. 1740, n°. 46. Walther, de erubescent. pag. 4. On a donc en pleurant les mêmes anxiétés qu'en riant ; on conserve à-peu-près la même figure, si ce n'est que les yeux sont plus poussés en avant, & s'enflent en quelque sorte, à force de pleurer ; au reste on pleure un peu à force de rire.
PLEURS, (Métaphys.) voyez LARMES. Les pleurs sont l'effet de toute violente émotion de l'ame, car on pleure d'admiration, de joie, de tristesse, &c. Les plus grands héros n'étoient point honteux chez les anciens de verser des larmes. Achille, Alexandre, Scipion, Annibal ont sçu pleurer. Comment les pleurs deshonoreroient-elles un grand homme, puisque la sensibilité dont elles procedent est une vertu ? Les larmes qu'Enée verse dans le mouvement de joie qu'il ressentit de voir l'honneur qu'on faisoit à sa patrie & aux braves guerriers qui l'avoient si courageusement défendue, étoient des larmes d'une ame bien née ; sunt lachrimae rerum, dit Virgile, locution latine qui est d'une élégance admirable.
PLEURS DE TERRE, (Architect. hydraul.) on appelle ainsi, dit Daviler, les eaux qu'on ramasse de diverses hauteurs à la campagne, par le moyen de puisards qu'on fait pour les découvrir, & des pierres glaisées dans le fond, avec goulotes de pierre pour les découvrir à un regard commun appellé réceptacle, où elles se purifient avant que d'entrer dans un aqueduc, &c. Dans l'usage ordinaire, on nomme pleurs de terre les eaux qui coulent & qui distillent entre les terres. (D.J.)
PLEURS, (Géog. mod.) dans la langue du pays Piuri, bourg d'Italie, au comté de Chiavenne, l'une des Grisons. Je ne parle de ce bourg que parce qu'il étoit magnifique, par de somptueux édifices qui l'embellissoient, lorsqu'en 1618, le 25 d'Août, la montagne voisine se détacha, & tombant sur ce bourg, l'abima au point qu'il n'en réchappa personne pour porter la nouvelle de cet affreux désastre. On dit qu'il y périt quinze cent ames, & de-là vint le nom qu'on lui donna tiré des pleurs que sa ruine fit répandre aux habitans des environs. (D.J.)
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PLEUVOIR | voyez l'article PLUIE. Il se prend au simple & au figuré : il pleut du sang, des pierres, des cailloux, des grenouilles ; il pleut des graces d'enhaut.
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PLEVINE | S. f. (Jurisprud.) est un terme particulier à la coutume de Bretagne pour exprimer un cautionnement. Ce terme étoit aussi usité dans l'ancienne coutume de Normandie. Voyez PLEGE. (A)
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PLEVRE | S. f. en Anatomie, est une membrane qui paroît composée de deux especes de sacs ou vessies, dont une des extrémités enfoncée vers l'autre reçoit de chaque côté le poumon & l'enveloppe immédiatement, tandis que l'autre tapisse par sa convexité l'intérieur du thorax. Voyez THORAX. Ce mot vient du grec , qui signifie originairement côté, les Latins l'appellent succingens. Ces deux sacs s'adossent vers la partie moyenne de la poitrine, & forment une cloison qu'on appelle le médiastin ; elles laissent cependant entr'elles un espace où est placé le péricarde, le thymus, &c. Voyez PERICARDE, THYMUS, &c.
Elle est d'un tissu fort semblable à celui du péritoine ; & son usage est de défendre l'intérieur du thorax & d'empêcher que les poumons ne soient gênés dans leur mouvement. Quoiqu'on ait trouvé dans l'ouverture de différens cadavres cette membrane remplie de corps glanduleux, ils ne sont cependant pas visibles dans l'état naturel. Cette membrane s'ossifie quelquefois en partie.
PLEVRE, maladies de la, (Médec.) cette membrane douée d'un sentiment très-exquis, qui tapisse toute la cavité interne de la poitrine, & se continue jusqu'au diaphragme & au médiastin, est sujette à differentes maladies générales, parmi lesquelles la pleurésie tient un triste rang.
Les blessures de la poitrine qui pénetrent jusqu'à la plevre, ramassent du sang, de l'air, & puis du pus dans le sac dilaté de cette membrane. Pour tirer ce pus, il faut avoir recours à une respiration artificielle ou à la suction. Les blessures qui vont au-delà de la plevre, produisent les mêmes maladies dans la cavité de la poitrine, dont la méthode curative appartient à celle des maux de cette partie.
Souvent il s'amasse du pus dans les cellules de la membrane externe de la plevre. 1°. Après une contusion de la poitrine, ou une blessure qui ne pénetre point. 2°. A la suite d'une assez violente pleurésie sans crachement de pus, mais dans laquelle la difficulté de respirer continue toujours, ainsi que la douleur quand on y touche ; sur-tout si l'on voit en même tems une tumeur & un changement de couleur dans les tégumens, & qu'on s'apperçoive qu'un linge mouillé qui y aura été appliqué seche trop vîte dans une petite partie. Quand l'abscès perce intérieurement, il procure d'abord une respiration plus libre, & bien-tôt après plus gênée. Avant qu'il creve, il le faut ouvrir de bonne heure ; mais quand une fois ce cas est arrivé, il convient de le traiter comme l'empyème.
Les autres maladies de la plevre, telles que l'inflammation, la sympathie, le catharre, le rhumatisme, l'hydropisie, la concrétion, se conçoivent aisément par la connoissance qu'on peut avoir de la structure des parties qui composent la poitrine. (D.J.)
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PLEXAURE | S. f. (Mythol.) une des océanides, & de celles qui présidoient à l'éducation des enfans mâles, avec Apollon & les fleuves, selon Hésiode. (D.J.)
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PLEXUS | S. m. en Anatomie, c'est un nom commun à plusieurs parties du corps figurées en réseau, par l'entrelacement de petits vaisseaux, ou de filets de nerfs. Voyez VAISSEAU & NERF.
On observe autour des parties génitales différens plexus veineux ; la huitieme paire forme avec le nerf intercostal différens plexus. Voyez VAGUE & INTERCOSTAL.
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PLEYADES | S. f. pl. en Astronomie, est un assemblage de six étoiles dans le cou de la constellation du taureau. Voyez ETOILE.
On les appelle ainsi du mot grec , navigare, naviguer, parce que les anciens regardoient ces étoiles comme fort redoutables aux marins, par les pluies qu'elles excitoient selon eux, & les tempêtes qu'ils croyoient s'élever avec elles.
On n'apperçoit plus à présent que six étoiles dans la constellation des pleyades : il y a apparence qu'il y en a une qui a disparu ; car les anciens en comptoient sept : peut-être aussi étoit-ce une erreur de leur part. Il est certain que du tems d'Ovide, il n'y en avoit que six : témoin ce vers,
Quae septem dici, sex tamen esse solent. (O)
PLEYADES, (dans la Mythologie) c'étoient les sept filles d'Atlas, dont les noms propres sont Maya, Electre, Taygese, Asterope, Alcione, Celeno, & Merope. Elles furent aimées, dit Diodore, des plus célebres d'entre les dieux & les héros, & elles en eurent des enfans qui devinrent fameux & chefs de plusieurs peuples. On ajoute qu'elles étoient très-intelligentes, & qu'en cette considération, les hommes les diviniserent, & les placerent dans le ciel sous le nom de pléyades. C'est une constellation septentrionale de sept étoiles assez petites, mais fort brillantes, placées au cou du taureau & au tropique du cancer ; la plus grande de toutes est de la troisieme grandeur, & s'appelle Lucida pleyadum. Les Latins les appelloient Vergiliae, du mot ver, printems ; parce que c'est vers l'équinoxe de cette saison, qu'elles commencent à paroître. Le vulgaire les appelle la Poussiniere ; la fable des Atlantides changées en astres, vient de ce qu'Atlas fut le premier qui observa cette constellation, & qui donna aux sept étoiles dont elle est composée, le nom de ses sept filles. Voyez TAUREAU & VERGILIES.
PLEYADE, (Poëtique) nom que les Grecs donnerent à sept poëtes célebres qui florissoient sous le regne de Ptolomée Philadelphe.
A l'imitation des Grecs, Ronsard forma une pléyade de poëtes françois sous le regne de Henri II. Ceux qui la composoient étoient le même Ronsard, Daurat, du Bellai, Remi Belleau, Baïf, Pontus de Thiard, & Jodelle, tous grands hommes pour ce tems-là ; mais si sottement infatués du grec, qu'on en trouve presque autant que de françois dans leurs ouvrages.
Dans le dernier siecle, on avoit aussi projetté de faire une pléyade de ceux de nos auteurs modernes qui ont excellé dans la poésie latine, mais on n'est encore convenu ni des noms de ceux qui doivent la composer, ni des rangs qu'ils occuperont, ni du poëte à qui l'on donnera le nom de la plus brillante des étoiles qui composent les pléyades, lucidissima pleyadum. M. Baillet nomme pour les sujets qu'elle devoit comprendre les peres Rapin, Commire, de la Rue, messieurs de Santeuil, Ménage, du Perrier, & Petit.
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PLEYON | S. m. terme de Jardinier, c'est de la paille de seigle longue & ferme dont on couvre les petites salades sur couche, & dont on fait les paillassons. On se sert aussi de pleyons ou de menus osiers pour lier la vigne, ou attacher les branches d'arbre. (D.J.)
PLEYON, terme de Nattier, les Nattiers de Paris appelle pleyon, de la paille bottée que vendent les Chandeliers, pour mettre dans les paillasses de lit, & dont se servent les Nattiers, pour faire les nattes & chaises de paille. Les gens du monde disent botte de paille. (D.J.)
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PLI | S. m. (Gram.) il se dit de l'endroit où une chose se plie ; le pli du coude ; le pli de la jambe ; le pli d'une étoffe.
PLI, (Architect.) c'est l'effet contraire du coude dans la continuité d'un mur.
PLI DE CABLE, (Marine) c'est la longueur de la roue du cable, de la maniere qu'il est roué dans sa place, qu'on nomme la fosse aux cables.
Ne mouille qu'un pli de cable, c'est-à-dire, qu'il ne faut filer que très-peu de cable en mouillant l'ancre ; ce qui se fait quand on mouille en un lieu où l'on n'a envie de demeurer que fort peu de tems.
PLIS, (Peinture) voyez DRAPERIE.
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PLIAGE | S. m. (Manufacture) maniere de plier les étoffes : le pliage des étoffes de lainage, se fait sur une espece de table ou métier, que l'on appelle plioir. Lorsque le pliage est achevé, on l'assure en mettant la piece entre deux plateaux, & la serrant raisonnablement dans une presse : on plie les étoffes après qu'elles ont été faudées, & devant que de les appointer. Savary.
Pliage des chaînes des étoffes de soye. Pour plier les chaînes sur l'ensuple, il faut commencer à la mettre sur le tambour qui est une roue de trois piés environ de diametre ; & ensuite après avoir passé les portées séparément dans chaque dent du rateau, on dévide la chaîne sur l'ensuple ; & au moyen de ce rateau, au-travers duquel passe la chaîne, on la devide de la largeur que l'on veut, & les portées se trouvent toujours les unes à côté des autres. On observe de décharger suffisamment le tambour, afin que la chaîne soit pliée ferme.
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PLIANT | adj. (Gram.) qui est flexible sur toute sa longueur : il se dit bien de l'osier & de tout autre corps qui fléchit facilement sans se briser, & qui se restitue mollement dans son premier état.
PLIANT, (Maréchal) la jointure pliante, se dit du paturon. Voyez JOINTURE. Les jarrêts plians, voyez JARRETS.
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PLICA POLONICA | (Médecine pratiq.) c'est une maladie, dont le principal symptome & celui de qui elle tire son nom est un entrelacement indissoluble des cheveux ; le mot plica est latin, il signifie entrelacement ; on ajoute communément, même en françois, l'épithete latine polonica, parce que cette maladie est très-familiere aux Polonois, & presque endémique dans leur pays ; ils l'appellent gozdziec, gwozdziec ou kolium.
La figure que prennent les cheveux en s'entrelaçant, & le plus ou moins d'étendue de cet entrelacement, ont donné lieu à une distinction assez futile du plica en mâle & femelle ; le plica mâle consiste dans des especes de cordons fort serrés, fermes, en forme de spirale, par les différens contours de cheveux, & qui pendent le long du dos. Dans le plica femelle tous les cheveux dressés, repliés & entrelacés, couvrent entierement la tête comme un chapeau ; ils présentent par-là un spectacle horrible & dégoutant. Quoique cette maladie puisse être regardée comme propre aux cheveux, on l'a quelquefois observé affecter le poil qui couvre les autres parties du corps. M. Jean Paterson Hain a inseré dans les mémoires des curieux de la nature, ann. 3. observ. 221. l'observation curieuse d'une femme qui avoit les poils du pubis d'une aune & demie de long & affectés d'un plica considérable ; elle étoit obligée de les rouler autour de sa cuisse pour empêcher qu'ils ne traînassent par terre. Sennert prétend que cette maladie n'est pas particuliere aux hommes, & qu'elle attaque aussi les animaux, & sur-tout les chevaux ; il raconte qu'un officier mena de Hongrie à Dresde, un cheval qui portoit un plica au col qui lui pendoit jusqu'aux piés.
Cette maladie singuliere s'annonce ordinairement dans les hommes par un abattement extraordinaire, par des douleurs vives dans tout le corps, dans les membres, les jointures, la tête, les os paroissent brisés, le visage est pâle, défait, un bourdonnement incommode fatigue continuellement les oreilles ; il survient quelquefois des convulsions, les membres se contournent, le dos est recourbé, le malade devient bossu ; après ce premier tems, une partie des symptomes disparoît, & toute la force du mal semble se porter à la partie extérieure & chevelue de la tête, une sueur abondante découle de cette partie, de petites écailles comme du son s'en détachent, les cheveux grossissent, s'allongent rapidement ; ils deviennent gras, onctueux, sales, fétides. Souvent alors ils sont infectés d'une quantité innombrable de poux. Voyez MAL PEDICULAIRE. Ils se crêpent ensuite, se replient en divers sens ; de leurs pores suinte une humeur tenace & glutineuse ; ils se collent l'un à l'autre, se compliquent, s'entrelacent & forment par ce moyen différens paquets, cirri, presque solides & si fortement tissus, que tout l'art du monde seroit vainement employé à les démêler & les défaire. Quelques auteurs ont assuré que dans cet état les cheveux se gorgeoient de sang & en laissoient échapper, lorsqu'on les coupoit ou racloit, quelques gouttes, & même dans certains cas une quantité considérable. Il y a à ce sujet une observation curieuse & intéressante d'Helwigius que nous rapporterons plus bas ; d'autres ont prétendu que jamais les cheveux ne pouvoient admettre du sang, & que de quelque façon qu'on les coupât, il n'en sortoit jamais une goutte ; & cette fausse prétention n'est étayée que sur un simple défaut d'observations qui leur soient propres. Ils ont conclu que ce qu'ils ne voyoient pas ne sauroit exister ; il est peu nécessaire de prouver combien cette logique qui ne laisse pas d'être assez suivie est fausse dans ses principes, & pernicieuse dans ses conséquences. Pour nous, nous conclurons plus justement sur des autorités respectables & d'après des observations décisives que le fait est très-certain, mais qu'il n'est sans doute pas constant. Dans le même tems que cet entrelacement se forme, & lorsque la maladie parvient à l'extrême degré de violence & d'intensité, les ongles, & sur-tout ceux qui sont aux pouces des piés croissent très-promptement, deviennent longs, raboteux, épais & noirs, semblables en tout à ceux des boucs, ils tombent sur la fin de la maladie, & reviennent ensuite naturels quand elle a une heureuse issue & que les cheveux commencent à se débrouiller ; ce fait rapporté par Schultzius, lui a été attesté par la comtesse de Donhoff qui en parloit d'après sa propre expérience.
Cette maladie est, comme nous l'avons déja remarqué, très-commune & endémique en Pologne ; elle a commencé, suivant le rapport des historiens du pays, à infester ce royaume par la partie qui confine la Russie, d'où elle s'est répandue dans cet empire, dans la Prusse, dans l'Allemagne, la Hongrie, le Brisgaw, l'Alsace, la Suisse, la Flandre rhenale, où l'on voit quelques vestiges, mais rares de cette maladie. Ronderic à Fonseca dit en avoir vû un exemple à Padoue.
On croit communément que le plica n'a pas toujours existé. Roderic Fonseca, Hercule Saxonia & quelqu'autres auteurs assurent, fondés sur l'autorité de Stadler, qu'il n'avoit pas paru avant l'année 1564 ; quelques autres en font remonter l'origine plus haut, & en fixent l'époque à l'année 1287. Sennert prétend au contraire, que cette maladie a dû être de tout tems, & que les causes qui la produisent étant très-anciennes, elle doit l'être aussi ; que si l'on n'en voit aucune mention dans les anciens auteurs, leur silence doit être uniquement imputé à leur petit nombre, à leur inexactitude, & à la rareté du plica. Quelque spécieux que soient ces raisonnemens, ce ne sont jamais que des raisonnemens opposés à des faits, & par-là même entierement détruits ; il ne s'agissoit que de vérifier le silence des écrivains sur cet article ; s'il est bien constaté, on ne peut douter qu'il ne soit occasionné par un défaut absolu d'observations : car cette maladie est assez singuliere pour devoir frapper la curiosité d'un observateur quelconque, médecin ou non, & pour mériter d'être remarquée, décrite & transmise à la postérité. Nous voyons dans tous nos recueils d'observations ce goût dominant pour le merveilleux, toujours soutenu au point qu'on y a souvent sacrifié l'utile. On trouve dans quelques anciens auteurs le mot latin plica ou plicatio, & le mot grec , qui lui répond ; mais ils sont employés dans un autre sens ; savoir, pour désigner une contorsion, avec ramollissement & sans fracture, des côtes & autres os, qu'on observe sur-tout dans les enfans.
S'il a été un tems où le plica n'existoit point, les causes qui le produisent actuellement ont donc été pendant tout ce tems sans force, sans action, ou absolument nulles. Quelle a donc été leur origine, ou qu'est-ce qui a reveillé leur activité ? Roderic Fonseca attribue cet effet au changement opéré dans l'atmosphere par l'aspect sinistre des astres ; d'autres ont eu recours à des causes insuffisantes, tirées de quelque erreur dans les six choses non-naturelles, de la malpropreté, de la négligence à se peigner, à se laver la tête, &c. Quelques-uns ont accusé des causes plus ridicules, chimériques, que la crainte enfante, que l'attrait frivole & puissant du merveilleux accrédite, & que l'ignorante crédulité soutient. Un vulgaire insensé qui est de tous les pays a cru, & des auteurs encore plus sots, parce qu'étant éclairés ils devoient l'être moins, ont écrit ; ceux-ci, que le plica devoit son origine à des enchantemens, des opérations magiques, & qu'il ne pouvoit être dissipé que par des secours surnaturels ; ceux-là, que l'entrelacement des cheveux étoit l'ouvrage des enfans morts, non baptisés, qui venoient travailler à cela pendant la nuit ; & pour perpétuer cette sottise, on a donné au plica le nom allemand de wichtel-zoepffe ; wichteln signifie dans l'ancien langage non baptisé, & zoepffe, noeud, entrelacement. Les uns, que c'étoit des incubes qui venoient sucer & nouer ainsi les cheveux ; les autres, que ces incubes paroissoient sous la forme d'une femme juive, & cette erreur populaire est encore marquée dans ce nom, juden-zoepffe, &c. &c.
L'origine de cette maladie la plus probable, dont je me garde bien cependant de garantir la vérité, est celle qui est fondée sur le rapport de la plûpart des historiens polonois, Spondanus, Bzowius, Cromerus Dhigosius, Joachimus Pastorius, & sur une tradition constante & presque universelle dans le pays ; d'où il résulte, que l'époque de l'origine de cette maladie doit être fixée vers l'année 1287 sous le regne de Lescus le noir en Pologne, tems auquel les Tartares firent une irruption dans la Russie rouge : ces peuples, dit Spondanus, naturellement méchans, magiciens & empoisonneurs, corrompirent toutes les eaux du pays par le moyen des coeurs qu'ils avoient arrachés de leurs prisonniers, qu'ils jetterent dans les rivieres après les avoir remplis d'herbes venimeuses, & où ils les retenoient avec des broches. Les eaux ainsi infectées donnerent la mort à ceux qui en burent d'abord, ou porterent dans leur sang les semences de la funeste maladie dont il s'agit. Cette disposition vicieuse des humeurs a dû se transmettre des peres aux enfans, répandre au loin & multiplier beaucoup le plica, elle a pu être favorisée par la nature de l'air, du climat, par la qualité permanente des eaux, des alimens, par la façon de vivre, par l'irrégularité de régime, par la complication avec la vérole, ou le scorbut, maladies avec lesquelles elle a, comme on voit, beaucoup de rapport, & par lesquelles elle est extrêmement aigrie. En souscrivant ainsi au témoignage des auteurs que nous avons cités, on explique assez plausiblement l'origine, l'invasion & l'endémicité de cette maladie ; mais il reste à déterminer encore en quoi consiste cette maladie, quel est le méchanisme, la façon d'agir des causes qui la produisent ; quel changement operent-elles sur les humeurs & les vaisseaux ; problèmes qui ne sont point encore résolus d'une maniere satisfaisante ; la saine philosophie qui se répand avec avantage dans la Médecine, refusant d'adopter toutes ces explications ridicules & imaginaires, fondées sur les acrimonies de différente espece, la volatilisation des soufres, l'exaltation des sels, &c. &c. Guillaume Davisson a coupé le noeud sans le résoudre : il s'est épargné la peine de chercher des explications de cette maladie, en niant qu'elle existât & qu'elle eût jamais existé autre part que dans la tête félée de quelques femmelettes superstitieuses, d'où elle a été transplantée, dit-il, dans le cerveau foible de quelques médicastres ignorans ; & partant de cette idée, il traite toutes les observations qu'on a recueillies sur ce sujet, de fables, de contes de vieilles, de chimeres, que la crainte, l'ignorance, l'imagination préoccupée, en fascinant les yeux, ont fait prendre pour des réalités. Mais toutes ces vaines déclamations, ces sorties indécentes ne sauroient, devant un juge impartial, infirmer le témoignage authentique d'un grand nombre de médecins & d'historiens respectables : on ne sait de quel titre qualifier la prétention ridicule de cet écrivain, d'ailleurs célebre, qui seul & de son autorité privée, s'oppose à l'assertion constante de plusieurs peuples sur une question de fait, & qui ne tend pas à moins qu'à les faire passer, eux & les auteurs de leur pays pour des sots & des fous. Voyez Comment. scot. in petr. Severin. ideam medicin. philosoph. pag. 450. & Vopisc. Fortunat. Plempius, de astutib. capillor.
On ne peut pas non plus tirer de grandes lumieres pour la connoissance intime de cette maladie, de la prétendue observation de Flovacius, médecin de Cracovie, qui dit avoir trouvé des poils très-longs dans le sang d'une personne attaquée du plica, & qui prédit en conséquence que la maladie étoit trop enracinée dans le sang pour pouvoir céder à l'efficacité des remedes. Cette observation a cependant donné lieu à Scultetus de penser que toute la disposition vicieuse du sang consistoit dans cette maladie à charrier des poils âcres & stimulans, comme il dit lui-même ; & il assure que dans les cadavres de ceux qui sont morts du plica, ces poils sont sensibles à la vûe. Credat judaeus apella, non ego ; tant il est vrai qu'une erreur conduit toujours à une autre.
Mais sans nous arrêter à toutes ces absurdités, il paroît, en examinant avec attention les symptomes qui précedent & accompagnent le plica, & rappellant les observations que les auteurs nous ont transmises sur cette maladie ; il paroît, dis-je, que c'est une espece de fievre maligne, ou de scorbut aigu qui a sa cause spécifique, & pour symptome particulier cet entrelacement des cheveux, qui pourroit aussi être regardé comme un dépôt critique qui se portant à l'extérieur débarrasse les parties nobles, & juge salutairement la maladie. 1°. On peut se ressouvenir que nous avons remarqué plus haut que dès que les cheveux commencent à être affectés, une grande partie des symptomes se dissipe ; 2°. il conste par plusieurs observations que si l'on empêche l'affection des cheveux en les coupant, par exemple, la maladie devient plus sérieuse, & les yeux sur-tout sont sur-le-champ attaqués par des fluxions opiniâtres ; ou bien il arrive, comme Helwigius l'a observé, que le sang dissous sort goutte à goutte des cheveux coupés, sans qu'il soit possible de l'arrêter ; le malade s'affaisse, éprouve de fréquentes syncopes, & meurt en peu de jours. 3°. La crise ordinaire dans les maladies malignes, venéneuses, se fait par des abscès aux parties extérieures, comme Hippocrate l'a judicieusement remarqué. 4°. L'augmentation subite, la noirceur, l'aspérité des ongles doivent aussi être regardées comme critiques, parce qu'on les voit survenir dans le même tems que l'entrelacement des cheveux ; & en second lieu, si on les coupe dans cet état, les fluxions des yeux & les autres accidens succedent aussi promptement que si on coupe les cheveux. Quant à la maniere dont cette crise s'opere, & la cause qui la détermine plûtôt vers cette partie que vers les autres, nous avouons sincérement que nous ne savons rien de positif là-dessus, & que ce méchanisme est aussi obscur & aussi ignoré que l'aitiologie des autres crises ; on peut seulement présumer que la nature de la maladie, de la cause morbifique, la disposition des humeurs, semblent affecter & déterminer un couloir particulier préférablement à tout autre ; que de même qu'une fluxion de poitrine, se juge par l'expectoration ou les sueurs, une maladie de la tête par les selles, une fievre maligne par une parotide, &c. de même le plica affecte déterminément les cheveux & les ongles. Il y a lieu de penser avec le docteur Derham, que les cheveux & les poils servent de canaux pour une insensible transpiration. Quelques expériences d'accord avec les observations faites sur les malades attaqués du plica, démontrent que les poils ont une cavité, qu'ils sont arrosés, humectés, lubréfiés, entretenus, réparés & nourris par une humeur particuliere qui circule dans leur tissu (voyez POIL, CHEVEUX) ; ils tirent cette humeur par une racine bulbeuse implantée dans la peau, de façon qu'ils sont sur le corps comme des plantes parasites qui vivent avec lui & sans lui, qui ont une vie commune & particuliere. Qu'on suppose que par un effort critique les humeurs soient poussées abondamment vers leurs bulbes, que ces petites glandes soient irritées, réveillées ; que leur jeu soit animé, leur action augmentée, elles suceront une plus grande quantité d'humeurs, elles en transmettront davantage dans les cheveux : ceux-ci s'allongeront, grossiront ; leur transpiration deviendra plus sensible ; ils seront humides, gras, onctueux ; l'irritation qu'excitera sur leur tissu sensible la quantité & peut-être la qualité des humeurs, les fera crisper, replier : de-là cette complication, cet entrelacement aidé, favorisé & fortifié par ce suc glutineux qui suinte de leurs pores, & qui colle les cheveux l'un à l'autre. La même cause qui détermine une plus grande quantité d'humeurs dans les bulbes des poils, y peut aussi faire parvenir le sang rouge ; car alors les vaisseaux sont dilatés, & il est probable que le sang est dissous. C'est par le même méchanisme, par l'abord plus considérable d'humeurs & même de sang, que les ongles grossissent, s'allongent, deviennent noirs & raboteux.
Quelque rapport qu'ait cette maladie avec la vérole & le scorbut, il est bien facile de l'en distinguer, soit en faisant attention aux symptomes propres à ces maladies, ce qui est nécessaire dans le premier période du plica, avant l'affection des cheveux, soit en considérant l'entrelacement des cheveux & l'altération des ongles ; mais ce signe qui est univoque & infaillible, ne peut servir que lorsque la maladie est tout-à-fait décidée, & qu'elle tend à sa fin.
Tous les auteurs, à l'exception de ce Guillaume Davisson dont nous avons parlé plus haut, s'accordent à regarder cette maladie comme très-dangereuse ; mais ils conviennent que le danger est beaucoup moindre lorsque l'entrelacement des cheveux est formé : du reste il varie suivant le nombre & l'intensité des symptomes ; si la crise est parfaite, c'est-à-dire si, après que le plica est décidé, la violence des accidens diminue, le malade peut être censé hors d'affaire. Quelques auteurs ont prétendu que le plica femelle étoit plus grave & plus dangereux que le plica mâle ; quelquefois l'entrelacement des cheveux subsiste pendant très-long-tems, la dépuration ne se faisant que petit-à-petit & par degrés ; quelquefois les paquets formés par les cheveux entrelacés tombent en peu de tems, mais ils reviennent ensuite, & alors on a observé que pendant le tems qui s'écouloit entre la chûte de ces paquets & leur renouvellement, il survenoit de fâcheux accidens qui ne se dissipoient qu'après la formation d'un nouveau plica. Il y a des gens qui ont porté toute leur vie sans incommodité un pareil entrelacement de cheveux toujours désagréable & dégoûtant ; d'autres, après avoir supporté patiemment pendant quelques années & ce désagrément & la malpropreté qui en est inséparable, ont été parfaitement guéris par la chûte spontanée de ces paquets. Mais le danger n'est jamais si prochain que lorsqu'on veut s'en débarrasser mal-à-propos, qu'on rase les cheveux, & qu'on coupe les ongles. On a vu des malades mourir victimes de l'inexpérience de leur médecin ou de leur propre imprudence. Les suites les plus ordinaires sont la cécité, des ophtalmies, des fluxions opiniâtres ; quelques-uns en sont devenus bossus, d'autres ont éprouvé divers accidens, suivant la nature & l'usage de la partie sur laquelle se jettoit, comme on dit, l'humeur morbifique, à qui on ôtoit par cette indiscrette précipitation son issue naturelle. On assure que les saignées & les purgations, les seules armes de bien des médecins, qu'a justement ridiculisés Moliere, ne sont pas moins nuisibles. Hercule Saxonia raconte avoir vû survenir des douleurs extrêmement aiguës, avec des tumeurs oedémateuses au bras & au pié, après des saignées faites dans ces parties au commencement du plica.
Quel parti doit donc prendre le médecin pour guérir surement & sans danger cette maladie ? Quel secours doit-il employer ? aucuns. Il n'a dans ce cas, comme dans presque toutes les maladies, qu'à laisser faire la nature, qu'à la suivre, lui obéir servilement, & se bien garder de prétendre la maîtriser ; elle est le vrai médecin, qui quoique peu instruite de la situation & de la structure des ressorts de la machine, sait mettre en mouvement les plus convenables dans le tems le plus propre & de la façon la plus sûre ; elle a su ménager une voie pour la terminaison de la maladie dont il s'agit. Si le médecin ne veut pas être tranquille & oisif spectateur de ses opérations ; s'il veut mettre une main qui ne soit qu'inutile à l'ouvrage, qui ne soit pas pernicieuse ; qu'il seconde la nature, qu'il pousse doucement les humeurs vers le couloir qu'elle affecte ; bien instruit de cet admirable axiome, quo natura tendit, &c. si souvent répété, mais qui ne sauroit l'être assez, & qui devroit, au grand avantage des malades, être profondément inculqué dans l'esprit de tous les médecins ; alors il pourra user de quelques légers sudorifiques, cordiaux, employer l'émétique, les décoctions de salsepareille, de houblon, & de la thériaque ; quelques gouttes d'esprits aromatiques huileux. Il évitera avec la derniere circonspection les purgatifs qui détournent & diminuent puissamment la transpiration, les saignées, qui font le même effet, & qui sont surement mortelles dans les maladies malignes ; secours qu'une observation plus particuliere a bannis plus sévèrement du traitement de cette maladie. Les lotions de la tête avec les décoctions de branche-ursine, de houblon, de mousse terrestre, &c. sont fort usitées dans le pays, & ne sont surement pas sans utilité, pouvant relâcher les pores de la peau, & déterminer la sueur vers cette partie. Peut-être pourroit-on trouver un antidote spécifique dans cette maladie, comme on en a pour la vérole & le scorbut ; mais en attendant on est obligé de s'en tenir à cette prudente inaction, ou à l'usage de ces foibles secours. Quelques auteurs ont prétendu que la mousse terrestre avoit la propriété spécifique de guérir cette maladie ; & on l'a appellé en conséquence plicaria. Il est certain qu'il résulte de plusieurs observations bien attestées, que des personnes atteintes du plica en sont guéries pendant son usage ; mais n'auroient-elles pas guéri sans cela ? La vertu de cette plante n'auroit-elle été établie que sur le rapport de sa figure avec celle des cheveux, suivant la doctrine des signatures, suivie par Crollius, Paracelse, Rolfinkius, &c ? C'est sur la même ressemblance qu'on a cru que la vigne, le lierre, la brioine, & toutes les especes de liserons, devoient avoir la même efficacité. Voyez les observations de Bernhardus à Berniz, Miscell. Germ. curios. ann. I. observ. 52. Le même auteur dit avoir souvent éprouvé que le mercure est aussi dans le plica un remede assuré ; mais rien n'égale les succès de la mousse terrestre employée à l'extérieur en fomentation, & prise intérieurement en décoction. Il me semble que quand le dépôt est formé, que l'entrelacement est bien décidé, le plus prudent & le plus sûr seroit de ne rien faire. (m)
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PLIÉ | participe, (Gramm.) Voyez PLIER.
PLIE, en terme de Blason, se dit de ce qui est simplement courbé, aussi-bien que des oiseaux qui n'étendent pas leurs aîles, & sur-tout de l'aigle qu'on dit alors au vol plié.
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PLIE | PLANE, PLATUSE, s. f. (Hist. nat. Ictiol.) passer, poisson de mer qui ressemble par la forme du corps au turbot & à la sole ; mais il est plus étroit que le premier, & plus large que le second ; les yeux sont placés sur la face supérieure de la tête ; la bouche est petite, dépourvue de dents, & semblable à celle de la sole. Ce poisson n'a qu'une nageoire qui occupe toute la longueur du ventre & du dos : il y a sur les côtés du corps un trait un peu tortueux qui s'étend depuis les ouies jusqu'à la queue. Les plies cherchent les endroits limoneux, comme la plûpart des autres poissons plats ; aussi sentent-elles presque toujours la boue : elles remontent dans les rivieres ; celles qu'on pêche dans la mer ont la chair moins molle & moins humide, & celles qui vivent quelque tems dans les eaux douces, deviennent insipides. Rondelet, Hist. nat. des Poissons, prem. part. liv. XI. ch. vj. Voyez POISSON.
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PLIER | v. act. (Gramm.) c'est par l'emploi de la flexibilité d'un corps, lui faire prendre une direction contraire à celle qu'il affecte naturellement, & cela sans le briser. On plie la branche d'un arbre. On plie le caractere d'un enfant au bien ou au mal.
On plie aussi une étoffe ; plier, en ce sens, signifie former des plis.
Il semble qu'on confond assez dans l'usage, les verbes plier & ployer, & qu'on pourroit attacher à plier, l'acception de faire un pli, & à ployer, l'acception du courber. L'aîle droite a plié, c'est-à-dire qu'elle s'est laissée enfoncer ou renverser.
PLIER, COURBER, (Synonymes) ces deux mots signifient proprement, mettre quelque chose hors de la ligne droite : tous deux s'employent également au propre & au figuré, en prose & en vers. On dit : ce ministre plie ou courbe sous le poids des affaires. Un de nos Poëtes a dit :
Lâches ambitieux, nous plions les génoux
Devant un homme foible & mortel comme nous.
Tout le monde connoît ces beaux vers de Corneille dans sa Toison d'or.
A vaincre tant de fois, mes forces s'affoiblissent ;
L'état est florissant, mais les peuples gémissent.
Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits,
Et la grandeur du trône accable les sujets.
Campistron les a travestis bien clairement dans sa Tragédie de Tiridate, acte II. scene ij.
Je sais qu'en triomphant les états s'affoiblissent ;
Le monarque est vainqueur, & les peuples gémissent :
Dans le rapide cours de ses vastes projets,
La gloire dont il brille accable les sujets. (D.J.)
PLIER LES ETOFFES, (Commerce) c'est leur faire prendre un pli au milieu dans toute leur longueur, & leur en faire ensuite plusieurs dans leur largeur, également distans les uns des autres, qu'on range alternativement en dedans & en dehors.
Plier se dit aussi chez les Marchands, pour remettre une étoffe dans ses premiers plis.
On plie aussi les soies, les fils ; c'est-à-dire les écheveaux de soie & de fil en deux ou trois, selon la longueur qu'on veut donner aux bottes. Dict. de comm.
PLIER, en terme d'Epinglier-Aiguilletier, c'est ramener l'extrémité d'une aiguille, de maniere qu'elle vienne entrer dans la châsse, en formant un angle. On se sert pour cela d'un outil de grandeur proportionnée à celle de la piece, nommé plioir. Voyez PLIOIR.
PLIER, en terme de faiseur de cardes, c'est courber le fil d'abord en deux, de maniere que la courbure forme deux angles distans l'un de l'autre d'environ une ligne, & deux branches qui sont pliées de nouveau toutes deux à la même hauteur. On se sert des doublets pour cette opération. Voyez DOUBLETS.
PLIER UN EVENTAIL, terme d'Eventailliste, c'est le monter, y mettre le bois. Il se dit quelquefois seulement des plis qui se font au papier, pour le mettre en état de recevoir la monture.
PLIER LES JARRETS, en terme de Manege, se dit d'un cheval qui manie sur les hanches. Plier les hanches, voyez HANCHES. Plier un cheval à droite ou à gauche, c'est l'accoutumer à tourner sans peine à ces deux mains. Plier le col d'un cheval, c'est le rendre souple, afin que le cheval obéisse plus promptement quand on veut le tourner ; mais c'est une très-mauvaise maxime, lorsqu'on ne fait pas suivre les épaules.
PLIER les pieces de bois, (Marine) c'est les faire courber en les chauffant : on dit les frais du feu pour chauffer le brai & le goudron, & pour plier les pieces de bois.
Plier le côté. Un vaisseau qui plie le côté, c'est-à-dire que ce vaisseau a le côté foible, & qu'il porte mal la voile. Ainsi il ne demeure pas droit ; mais il se couche lorsque le vent est frais. Notre navire porte mal la voile, car il plie le côté au moindre vent.
Plier le pavillon, plier les voiles, c'est les attacher, & ne laisser ni voltiger le pavillon, ni les voiles étendues.
PLIER, (Relieur) c'est mettre les feuilles de la grandeur que le livre doit avoir ; in-folio, la feuille se plie en deux ; in-4°. elle se plie en quatre ; in-8°. elle se plie en huit ; in-12. elle se plie en douze, ainsi des autres grandeurs : on se sert de plioir. Voyez PLIOIR.
PLIER sur la main, v. act. terme de Marchand de galons, c'est faire tenir les mains suspendues & un peu éloignées l'une de l'autre, & faire passer tout autour du galon ou de la soie, pour en faire un écheveau.
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PLIEUR | S. m. (Comm.) celui dont le métier ou l'occupation n'est que de plier. C'est le nom qu'on donne dans les manufactures de lainage, à des ouvriers uniquement occupés à faire le pliage des étoffes.
Il y a aussi des plieurs de soie & des plieurs de fil qui n'ont d'autre occupation que de faire le pliage de ces marchandises, & de les mettre en bottes. Ces plieurs ont de grosses & longues chevilles de bois sur lesquelles ils dressent & plient leurs soies & leurs fils, en les secouant & les tirant plusieurs fois à eux. Dict. de commerce.
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PLIMOUTH | (Géog. mod.) ville de l'Angleterre, dans le Dévonshire, sur la côte méridionale, à l'embouchure du Plim qui lui donne son nom, à 96 milles au sud-ouest de Londres. Son port est un des meilleurs & des plus fréquentés de tout le royaume. Il est défendu par trois forts & une citadelle. Le chevalier Drake partit de ce port en 1577, pour faire le tour du monde. Cette ville a titre de comté, & envoye deux députés au parlement. Long. 13. 30. latit. 50. 22.
Glanvill (Joseph) savant & spirituel écrivain du xvij. siecle, naquit à Plimouth, & fit des ouvrages très-estimables. Il publia en 1661 un livre intitulé la vanité des Décisions, prouvée par l'imperfection de nos connoissances. Il joignit à ce discours quelques réflexions contre le péripatetisme, & une apologie pour la Philosophie. L'année suivante il mit au jour son livre intitulé Lux orientalis, ou Recherches sur l'opinion des sages de l'orient, touchant la préexistence des ames. En 1665, parut un autre de ses ouvrages sous le titre de Scepsis scientifica, London, 1665, in-4°. En 1666 il donna son Plus ultra, ou les progrès des Sciences depuis le tems d'Aristote. Il prouve dans cet ouvrage que les deux principales voies d'avancer les sciences, sont 1°, d'augmenter l'histoire des faits ; 2°, de multiplier le commerce & la communication des connoissances. En 1670 il mit au jour une brochure rare & précieuse, intitulée Eloge & Défense de la raison en matiere de religion ; contre l'incrédulité, le scepticisme & le fanatisme de toutes les especes. L'année suivante 1671, parut sa Philosophia pia, ou discours sur le caractere & sur le but naturel de la Philosophie expérimentale, cultivée par la société royale, in-8°. Ces divers ouvrages & quelques autres du même auteur, mériteroient d'être recueillis en un seul corps. Il y regne du génie, du savoir, une imagination vive, belle & agréable, outre que l'auteur possédoit parfaitement sa langue, & qu'il est le premier qui a établi que la religion chrétienne est fondée sur la raison. Il mourut en 1680, à l'âge de 44 ans. Son article est très-instructif dans le dictionnaire de M. de Chaufepié. (D.J.)
PLIMOUTH, LA NOUVELLE, (Géog. mod.) the new-Plimouth, ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Angleterre, sur la côte méridionale d'une baie qui forme le cap de Cod, vers le midi de Boston. La premiere colonie angloise qui s'y établit, partit de Plimouth en Devonshire en 1520 ; cette colonie s'augmenta bientôt par la venue d'autres habitans qui, pour la plus grande partie, étoient puritains. (D.J.)
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PLINE | plinia, s. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale, campaniforme, ouverte & profondement découpée. Le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit mol, rond & strié, qui contient une semence de la même forme. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.
Ce genre de plante a été décrit par Plumier & Linnaeus : en voici les caracteres. Le calice de la fleur est petit, applati, & consiste en une seule feuille ; la fleur est aussi composée d'un seul pétale qui est divisé en cinq parties égales. Les étamines sont des filets nombreux, très-déliés, & de la longueur de la fleur ; les bossettes des étamines sont fort menues ; le germe du pistil l'est aussi ; le stile est pointu & de la longueur des étamines ; le stigma est simple, le fruit est une baie grosse, ronde, sillonnée, contenant une seule loge dans laquelle est une graine grosse, lisse, & sphérique. Linnaei, gen. plant. 239. Plumier, gen. 11. (D.J.)
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PLINGER | PLINGER
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PLINTHE | S. f. (Archit.) mot dérivé du grec , brique. C'est une table quarrée sous les moulures des bases d'une colonne & d'un piédestal.
Plinthe arrondie, c'est une plinthe dont le plan est rond, ainsi que le tore, comme le toscan de Vitruve.
Plinthe de figure, c'est la base plate, ronde ou quarrée qui porte une statue.
Plinthe de mur, moulure plate & haute, qui dans les murs de face marque les planchers, & sert à porter l'égoût d'un chaperon de mur de clôture, & le larmier d'une souche de cheminée.
Plinthe ravalée ; plinthe qui a une petite table refouillée, quelquefois avec des ornemens, comme des portes, guillochis, entrelas, &c.
Il y a de ces plinthes au palais Farnèse, à Rome. (D.J.)
PLINTHE, (Menuiserie) se dit d'une planche mince, & de la largeur convenable, qui regne au bas des lambris tout au pourtour. Voyez nos Planches d'Architecture.
Plinthe se dit encore d'une pierre quarrée qui est au bas des chambranles des portes & des cheminées, & aussi au bas des portes à placard. Voyez nos Planch. de Menuiserie & les Planch. d'Architect.
Plinthes, sont aussi de petits quarrés de bois qui recouvrent l'assemblage des petits bois des croisées.
Plinthes élégies, sont les mêmes plinthes que celles ci-dessus, avec cette différence qu'elles ne sont point rapportées comme les autres, mais reservées dans la masse, ce qui rend l'ouvrage plus solide.
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PLINTHINE | (Géog. anc.) dans Strabon Plinthyna, ville que Ptolomée, liv. IV. ch. v. place dans la Marmarique sur la côte du Nôme maréotique en Egypte. Cette ancienne ville s'appelle présentement la Tour des Arabes. (D.J.)
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PLINTHITIS | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une espece d'alun qui se trouve, diton, dans l'Archipel, sous la forme de feuillets, ce qui l'a aussi fait appeller placitis.
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PLINTHIUM | S. m. (Chirurgie anc.) machine de chirurgie des anciens pour les luxations. Oribase l'appelle plinthium Nilei, parce qu'elle avoit été inventée par Nileus.
Elle consiste dans une maniere de cadre plus long que large, les côtés les plus longs ayant 4 palmes de longueur, & un pouce d'épaisseur, & les plus courts ayant une palme de long sur la même épaisseur ; ceux-ci, qui servent de traversiers, ont dans leur milieu un trou par où passent des lacs, & les plus longs ont un trou rond assez ouvert pour passer un essieu, dont la tête, qui excede le côté gauche, a un manche ou manivelle. Ils ont aussi quatre anneaux de fer avec autant de courroies pour attacher le plinthium à une échelle. L'essieu a à ses deux extrémités deux roues remplies de crans, & des arrêts pour arrêter fermement l'essieu, en tournant avec le manche. Lorsque l'os du coude luxé ne pouvoit pas être remis par une bande passée sous l'aisselle, ni par un linge roulé en peloton, on attachoit le plinthium à l'échelle, & le coude serré étoit étendu par les lacs de la machine. On en trouvera la figure dans l'arsenal de Scultet, tab. xxij. c'est tout ce qu'il faut savoir de cette machine des anciens, dont on ne fait plus d'usage depuis long-tems. (D.J.)
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PLIOIR | S. m. en terme d'Epinglier Aiguilletier, est un outil composé d'une lame de fer pliée sur elle-même, qui se termine par une queue qui entre dans un manche de bois, on met l'aiguille dans ce plioir pour la plier à la longueur que son numero exige ; ce qui fait qu'il faut autant de plioirs qu'il y a de différens numeros en especes d'aiguilles. Voyez les fig. Pl. de l'Aiguillier-Bonnetier.
PLIOIR, en terme de Cirier ; c'est une petite planche de bois plus ou moins longue & large, & sur laquelle on plie la bougie filée. Cette planche est garnie d'un morceau de bois plus étroit, & percé dans son épaisseur d'une mortaise du même calibre que la planche, afin d'y pouvoir entrer pour resserrer les rangs de la bougie qu'on plie.
PLIOIR, (Gazerie) les fabriquans, marchands, faiseurs de gaze appellent plioir ou lanterne un instrument composé de plusieurs légers morceaux de bois qui sert à ourdir & monter les soies dont ils font la chaîne de leur gaze. Savary. (D.J.)
PLIOIR, (Lainage) métier ou instrument qui sert à plier. Dans les manufactures de lainage, il y a deux sortes de plioirs, l'un qui est pour les draps & les étoffes qui sont larges ; c'est une espece de table ou de métier sur lequel on les met pour en faire le pliage ; l'autre plioir qui sert aux petites étoffes, est une lame ou couteau de bois très-mince, large de quatre ou cinq pouces, & long de deux piés & davantage, avec une poignée ronde aussi de bois. C'est sur ce couteau ou plioir, qu'on dresse les plis en les mettant entre les deux parties de l'étoffe qui composent chaque pli. Les Drapiers se servent aussi de ce plioir. Diction. de comm. (D.J.)
PLIOIR, (Layetier) espece de pince de fer en forme de tenailles, de sept à huit pouces de longueur, de laquelle les Layetiers se servent pour couper & plier le fil de fer, dont ils usent presque toujours au lieu de cloux. (D.J.)
PLIOIR, (Relieur) les Relieurs & les marchands Merciers-Papetiers ont aussi des plioirs ; les uns pour plier des cahiers & des feuilles de livres qu'ils préparent pour la reliûre ; les autres pour plier le papier qu'ils veulent battre & rogner, particulierement le grand & petit papier à lettres. Les plioirs des uns & des autres sont d'ivoire, de buis, ou d'autres bois qui prennent le poli : ils sont en forme de régle très-mince, arrondie par les deux bouts, de huit ou dix pouces de long, & d'un pouce & demi de large. Savary. (D.J.)
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PLIS | S. m. pl. (Lainage) sortes de laines de la moindre qualité, qui se levent de dessus les bêtes tuées à la boucherie. Il y a de trois sortes de plis ; de fins, de moyens & de gros. Les fins s'employent dans des ratines, des serges & des reveches de certaines qualités ; les autres servent à faire des cordeaux & lisieres des étoffes.
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PLISSER | v. act. terme de couture ; ce mot de tailleur & de couturiere, veut dire faire plusieurs petits plis à une étoffe ou à de la toile, de rang & en long avec l'aiguille.
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PLISSON | PLISSON
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PLISTOBOLINDE | S. f. (Hist. anc.) jeu de dez où celui qui amenoit le plus de points avoit gagné.
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PLOC | S. m. (Marine) le ploc est proprement du poil de vache ou de boeuf ; mais comme il fait la principale partie d'une sorte de couroi ou de courée, qui est une composition qu'on met entre le doublage, & le francbord d'un navire ; on confond ces deux termes, & l'on donne le nom de ploc au couroi. On dit de même ploquer pour donner le couroi. Voyez COUREE.
PLOC, terme de Couverturiers ; le ploc de vache sert particulierement à faire des ouvertures. Il y a de ces couvertures qu'on appelle couvertures à ploc, & d'autres couvertures à poils. (D.J.)
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PLOCQUER | PLOQUER, (Marine) c'est mettre du poil de vache entre le doublage & le bordage des vaisseaux, qu'on double pour la navigation qui se fait entre les tropiques, où il s'engendre des vers dans le bordage qu'ils percent. On plocque pour empêcher que ces vers, qui s'attachent premierement au doublage, ne gagnent aussi jusqu'au franc bord ; ce qu'ils ne peuvent faire lorsqu'il y a du ploc entre deux, & ce ploc sert aussi à empêcher que le bordage & le doublage, qui sont l'un sous l'autre, ne s'échauffent.
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PLOCSKO | (Géog. mod.) ville de la grande Pologne, avec un évêché fondé en 965, & qui est suffragant de Gnesne. Cette ville est située sur la rive septentrionale de la Vistule, dans le palatinat du même nom, à 20 lieues nord de Varsovie. Long. 37. 45. lat. 52. 30.
Le palatinat de Plocsko est borné au nord par le royaume de Prusse, au midi par la Vistule, au levant par le palatinat de Mazovie, & au couchant par celui d'Inowladislow. (D.J.)
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PLOEN | (Géog. mod.) ville du duché de Holstein, dans la Wagrie, chef-lieu de la principauté de même nom, sur le lac de Ploen qui l'environne presque de tous les côtés, à 4 milles au sud-est de Kiell, & à 6 au nord-ouest de Lubeck, avec un château. Ses deux portes répondent à deux ponts, par lesquels la ville communique avec le continent.
Elle est très-ancienne, car elle existoit déja dans le tems que les Vénedes, maîtres de la Wagrie, reconnurent pour prince Crucon, qui étoit idolâtre comme eux. Adolphe, comte de Holstein, y éleva une citadelle, & en 1151, S. Vicolin y fit bâtir la premiere église. Ploen a été plusieurs fois réduite en cendres, tantôt comme en 1534, par les habitans de Lubeck, & tantôt par des incendies fortuits, comme en 1574. La pêche est le seul commerce des habitans. Long. 28. 4. lat. 54. 14. (D.J.)
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PLOERMEL | (Géog. mod.) petite ville de France dans la Bretagne, au diocèse de S. Malo, proche la riviere d'Ouest, à 8 lieues de Vannes. Cette petite ville députe aux états de la province, & a un gouverneur. Long. 15. 14. lat. 47. 57. (D.J.)
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PLOK-PENIN | S. m. (Commerce) un terme usité à Amsterdam dans les ventes publiques, pour exprimer une petite somme ou gratification que l'on donne au dernier enchérisseur.
Le plok-penin est une espece d'arrhes ou de denier-adieu, par lequel on fait connoître que la marchandise est adjugée. Voyez ARRHE.
Le plok-penin differe suivant la qualité de la marchandise, & le prix des lots. Il est quelquefois arbitraire, & à la volonté de l'acheteur ; quelquefois il est réglé par les ordonnances des bourguemestres.
Par exemple, les plok-penins des vins de France, sont fixés à deux florins ; ceux de Frontignan à vingt sols ; ceux du Rhin à deux florins ; ceux de vinaigre à vingt sols, & ceux d'eau-de-vie à trente sols.
Il y a aussi des marchandises où il n'y a point de plok-penins, & d'autres où il est double de celui dont nous avons fait mention. Dictionn. de comm.
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PLOMB | S. m. (Hist. nat. Min. & Métall.) en latin, plumbum, saturnus, plumbum nigrum. C'est un métal très-imparfait, d'un blanc bleuâtre fort brillant, lorsqu'il a été fraîchement coupé, mais qui devient d'un gris mat lorsqu'il est resté long-tems exposé à l'air ; il est très-mou, & si tendre, qu'on peut aisément le tailler ; c'est après l'or, le mercure & la platine, le corps le plus pesant de la nature ; il n'est ni sonore ni élastique ; il s'étend aisément sous le marteau, mais ses parties ont très-peu de ténacité ; il se fond avec beaucoup de promptitude à un feu médiocre, & sa surface se couvre d'une espece de crasse ou de chaux ; il se vitrifie avec beaucoup de facilité, & il a la propriété de changer pareillement en verre les autres métaux, à l'exception de l'or & de l'argent ; il change aussi en verre les terres & les pierres avec qui on le mêle ; l'air, l'eau, les huiles, les sels, en un mot, tous les dissolvans agissent sur lui.
Le plomb se trouve en différens états dans le sein de la terre. Les Minéralogistes ne sont point encore d'accord, pour savoir s'il se trouve du plomb vierge ou natif dans la nature, c'est-à-dire, si l'on rencontre ce métal tout pur & sans être minéralisé. On trouve à Massel, en Silésie, des grains & des masses de plomb, ductiles & malléables ; ces grains sont recouverts d'une substance blanche, semblable à de la céruse, mais on soupçonne que ce plomb a été porté par accident dans l'endroit où on le rencontre.
Quant aux mines de plomb, elles sont très-communes, & très-universellement répandues dans toutes les parties du monde. On les trouve ordinairement par filons suivis, qui sont plus riches à mesure qu'ils s'enfoncent plus profondément en terre ; cependant on en rencontre aussi par masses détachées. La mine de plomb la plus ordinaire, est ;
1°. La galene ; c'est une mine de plomb composée d'un assemblage de cubes qui ont la couleur brillante du métal qu'ils renferment lorsqu'il est fraîchement coupé. Ces cubes sont composés de lames ou de feuillets luisans, placés les uns sur les autres, & faciles à distinguer lorsque les cubes sont grands. En effet, ces cubes varient pour la grandeur, & quelquefois ils sont si petits, que l'oeil ne peut point distinguer leur figure. Il y a même des mines de plomb composées de particules si fines, qu'elles ressemblent à du fer ou à de l'acier dans l'endroit de la fracture. Dans d'autres ces particules sont disposées, de maniere que la mine paroît striée, ou par aiguilles. Les cubes dont la galene est composée, sont quelquefois si abondans en plomb, qu'on peut les couper avec un couteau. Dans toutes ces mines, le plomb est minéralisé avec le soufre ; il y en a qui sont si riches, qu'elles donnent jusqu'à 50, 60, & même 75 livres de plomb par quintal, mais elles ne sont point toutes, à beaucoup près, si chargées de métal. Ces mines de plomb ou galenes, contiennent plus ou moins d'argent. On a observé que celles qui sont composées de gros cubes, sont moins riches en argent, que celles qui sont en petites particules déliées ; les premieres n'en donnent guere qu'une ou deux onces d'argent par quintal, tandis que les dernieres en donnent souvent le double, & même davantage. Parmi les mines de plomb d'Europe, on ne connoît que celle de Villach en Esclavonie qui ne contienne point d'argent.
2°. De la mine de plomb, qui n'affecte point de figure réguliere, sa couleur est souvent la même que celle du plomb pur, & quelquefois elle est si tendre, qu'on peut la couper avec un couteau. Cette mine est composée de plomb minéralisé avec du soufre & de l'arsenic ; elle est quelquefois très-riche, au point que, selon M. de Justi, on en a trouvé dans les mines du Hartz, qui donnoit 82, & jusqu'à 84 livres de plomb au quintal. Les Allemands appellent cette mine pleyschweif.
3°. La mine de plomb crystallisée ; elle est ou verte, ou blanche ; elle forme des grouppes de crystaux oblongs, & prismatiques comme des sels ; c'est l'arsenic qui met le plomb dans l'état où il est dans ces sortes de mines ; elles contiennent une grande quantité de ce métal, & quelquefois jusqu'à 70 & 80 livres par quintal. M. de Justi croit que cette mine est une espece de sucre de saturne naturel, c'est-à-dire un plomb qui a été dissout par un acide, & crystallisé à la maniere des sels. Il conjecture que quelques-unes de ces mines ont pu aussi se former comme le plomb corné, c'est-à-dire, par une dissolution de plomb précipitée par le sel marin. Quoi qu'il en soit de ce sentiment, la mine de plomb crystallisée verte, est d'un verd plus ou moins vif ; ses crystaux sont tantôt des prismes très-bien formés, tantôt ils sont moins apparens, & ressemblent à la mousse fine qui s'attache au pié des arbres ; quelquefois elle est poreuse & remplie de creux comme une scorie. Cette mine est communément accompagnée d'une terre rougeâtre ou jaune, semblable à de l'ochre. A l'égard de la mine de plomb crystallisée blanche, elle est aussi formée par un assemblage de prismes blancs & luisans comme le gypse strié, ou comme l'asbeste. On trouve quelquefois ces crystaux blancs, mêlés avec les crystaux verds dont on vient de parler. Ces deux sortes de mines de plomb sont assez rares, & plus propres à orner les cabinets des curieux, qu'à être traitées pour en tirer le métal. Cependant on en trouve à Zschoppau & à Freyberg en Saxe, ainsi que dans quelques mines de Bohème & du Hartz. Quant à la mine de plomb verte, il y en a une grande quantité dans les mines du Brisgau, qui sont à peu de distance de Fribourg. Les Directeurs vendent cette mine aux potiers-de-terre, qui ne font que l'écraser pour en vernisser leurs poteries.
4°. La mine de plomb spathique ; c'est une mine de plomb composée de lames ou de feuillets opaques, comme le spath, à qui elle ressemble beaucoup. Cependant elle en differe, en ce qu'elle ne fait point effervescence avec l'eau forte, comme fait le spath, qui est une pierre calcaire. Cette mine est ou blanche ou grise, ou jaunâtre ; elle varie pour la figure & l'arrangement de ses feuillets ; elle est plus pesante que le spath ordinaire.
5°. La terre de plomb, que l'on pourroit appeller céruse fossile. Elle ressemble à de la craie ou à de la marne ; il y en a de blanche, de jaune, & de rouge ; ces couleurs sont dûes vraisemblablement à de l'ochre avec qui cette terre est mêlée ; on peut la reconnoître à son poids. Ces sortes de terres sont prodigieusement rares ; on en a cependant trouvé à Johann-Georgen-Stadt en Misnie, ainsi qu'en Pologne & dans la basse Autriche. M. de Justi conjecture qu'elles ont été précipitées des eaux qui tenoient le plomb en dissolution par un sel alkali, vû que ces terres font effervescence avec les acides, mais cela pourroit venir des autres terres avec qui elles sont mêlées. Il paroît certain qu'elles ont été charriées & transportées par des eaux.
Outre cela la mine de plomb cubique ou la galene se trouve mêlée avec presque toutes les mines des autres métaux, dans lesquelles on voit souvent très-sensiblement que la premiere est répandue. Quant aux pierres qui lui servent de matrice ou de miniere, c'est tantôt du quartz, tantôt du spath. Lazare Ercker parle d'un grais qui contenoit du plomb, ce qui paroît fort extraordinaire ; peut-être étoit-ce une pierre de la nature du spath composée de petits grains.
A l'égard du traitement des mines de plomb, on commence par les piler & les laver ; celles qui sont pures peuvent être portées au fourneau de fusion sans avoir été grillées ; d'autres, sur-tout celles qui sont arsénicales & chargées de beaucoup de soufre, ou mêlées de substances étrangeres, exigent d'être grillées, & même quelquefois à plusieurs reprises, avant que d'être mises en fusion. Lorsque les mines de plomb ont été ainsi préparées, on les porte au fourneau de fusion. Ce fourneau est plus étroit que ceux qui servent à la fonte des mines de cuivre ; on le dispose à l'ordinaire en le garnissant d'une brasque, c'est-à-dire d'un enduit de terre & de charbon pilés. Il est essentiel que ce fourneau soit construit de pierres solides & qui résistent au feu, parce que le plomb vitrifie aisément toutes les pierres. On échauffe pendant quelques heures le fourneau avec des charbons, pour achever de secher l'enduit dont il a été revêtu intérieurement. On arrange la tuyere de maniere qu'elle dirige le vent des soufflets horisontalement. Les choses ainsi disposées, on commence par charger le fourneau avec du charbon, ensuite on met alternativement des couches de minerai & de charbon ; on y joint des scories fraîches des dernieres opérations, de la litharge, de la chaux de plomb, & des crasses qui ont été produites dans les fusions précédentes. Quand le fourneau est rempli, on l'allume & l'on fond durant neuf heures la premiere fois, & ensuite pendant six heures pour les fontes subséquentes ; au bout de ce tems on laisse couler la matiere fondue par l'oeil du fourneau, c'est-à-dire par une ouverture qui est au bas de la partie antérieure du fourneau, & que l'on a tenue bouchée avec de la glaise pendant la fonte ; cette matiere fondue est reçue dans le bassin concave qui est au pié du fourneau, & cette matiere est ce qu'on appelle la matte de plomb ; c'est un mélange de plomb, de soufre, d'arsenic, d'argent, &c. en un mot de toutes les substances qui étoient contenues dans la mine qui a été fondue, & que le grillage n'a point pû entierement débarrasser. On prend une portion de cette matte pour en faire l'essai en petit, afin de s'assurer de ce qu'elle contient. A Freyberg on fait trente-six fontes en une semaine. Les différentes mattes qui résultent de ces fontes se grillent de nouveau, pour achever d'en dégager le soufre & l'arsenic ; on est obligé pour cela de les faire passer par trois ou quatre feux de grillage différens, après quoi on les remet de nouveau en fusion dans un fourneau semblable au premier.
On donne alors de l'inclinaison à la tuyere qui dirige le vent du soufflet. On joint à ces mattes grillées de la nouvelle mine de plomb grillée, des scories chargées de plomb, de la litharge & des crasses, &c. & l'on procede à une nouvelle fonte en faisant des couches alternatives de différentes matieres avec du charbon ; on laisse fondre le tout pendant quinze heures la premiere fois, & pendant huit heures seulement pour les fontes suivantes. Au bout de ce tems on laisse couler le plomb fondu dans le bassin qui est au-bas du fourneau. On referme l'oeil ou le trou aussitôt qu'on s'apperçoit qu'il se forme de la matte ou du laitier au-dessus du plomb qui a coulé ; on enleve cette substance avec un crochet de fer ; pour lors on verse le plomb fondu qui est chargé d'argent, & que l'on nomme plomb d'oeuvre, dans des bassines de fer enduites d'un mélange de glaise & de charbon ; alors l'essayeur prend des échantillons de ce plomb d'oeuvre pour en faire l'essai & pour savoir combien il contient d'argent. Pour enrichir encore davantage ce plomb d'oeuvre, on le remet de nouveau en fonte au fourneau à manche ; on y joint des mattes de plomb grillées, des scories encore chargées de métal, & des scories vitrifiées ou du laitier, de la litharge, &c. & on fait fondre ce mélange de la maniere qui a été décrite en dernier lieu. Lorsque le plomb est suffisamment enrichi, c'est-à-dire chargé d'argent, on le sépare au fourneau de grande coupelle, où l'on réduit le plomb en litharge, & l'argent reste pur & dégagé de toute substance étrangere. Voyez COUPELLE. Comme par cette opération le plomb a perdu sa force métallique, on est obligé de le faire fondre de nouveau par les charbons dans le fourneau de fusion, par ce moyen la litharge qui s'étoit faite dans l'opération de la grande coupelle se réduit en plomb ; mais comme ce métal n'est point parfaitement pur, vû qu'il s'est chargé des substances métalliques qui étoient jointes à l'argent qui a été coupellé, on le refond de nouveau. Cette fonte se fait à l'air libre dans un foyer entouré de murs peu élevés ; on y forme des lits avec des fagots, & l'on y jette le plomb qui se fond suffisamment & va couler dans le bassin destiné à le recevoir ; c'est dans ce bassin qu'on le puise avec des cuilleres de fer, & on le verse dans des moules de fer, pour lui donner la forme de masses ou de saumons qui sont alors propres au débit. Voilà la maniere dont se traite le plomb à Freyberg en Misnie. La facilité avec laquelle le feu dissipe ce métal est cause qu'il souffre du déchet dans chaque opération par laquelle il passe ; cette perte est inévitable, c'est à l'intelligence du métallurgiste à faire ensorte que cette perte soit la moindre qu'il est possible.
Lorsque la mine de plomb se trouve jointe avec de la mine de cuivre assez riche en métal pour qu'on veuille le retirer, le plomb uni avec l'argent, se séparera du cuivre par la liquation. Si la mine de cuivre ne contenoit point de plomb par elle-même, on seroit obligé de lui en joindre, afin qu'il se charge de l'argent qui peut y être contenu. Voyez LIQUATION & RAFRAICHIR. Voyez nos Pl. de Métallurgie.
Examinons actuellement les propriétés que les expériences chimiques font découvrir dans le plomb. Ce métal se fond très-promptement & avant que d'avoir rougi ; il n'y a que l'étain qui entre en fusion plus promptement que lui ; il se calcine avec beaucoup de facilité, pour cet effet on n'a qu'à le faire fondre, il se formera perpétuellement une pellicule grise à sa surface, qui se reproduit aussi-tôt qu'on l'a enlevée ; c'est une vraie chaux de plomb, mais elle n'est que foiblement privée de son phlogistique ; cette chaux est sous la forme d'une poudre grise ; si on l'expose à un feu plus violent elle devient d'un beau jaune, & forme la couleur que les Peintres nomment massicot. Si on calcine cette chaux au feu de reverbere, elle devient d'un rouge très-vif tirant un peu sur le jaune ; c'est ce qu'on appelle le minium ou le vermillon.
Le plomb mis dans un creuset avec partie égale de soufre, se réduit en une poudre noire, que l'on nomme plomb brûlé, plumbum ustum. Par cette opération le plomb loin d'être réduit en chaux, comme quelques-uns se l'imaginent, devient plus difficile à calciner, car alors ce métal est dans le même état que la matte qui résulte de la premiere fonte des mines de ce métal.
En faisant fondre de la chaux de plomb dans un creuset à grand feu, on obtient une matiere semblable à du verre d'une couleur jaune par écailles, & qui a peu de liaison, c'est ce qu'on nomme de la litharge ; on obtient aussi cette matiere par l'opération de la coupelle.
Si on mêle trois parties de chaux de plomb avec une partie de sable ou de caillou calciné & pulvérisé, & qu'on mette ce mélange en fusion dans un creuset, on aura un verre jaune & transparent, que l'on appelle verre de plomb. Le plomb est un des plus puissans fondans de la Chimie ; non-seulement il entre très-aisément en fusion lui-même, mais encore il vitrifie & fait entrer en fusion les autres substances auxquelles on le joint ; c'est à cause de cette propriété du plomb qu'on le fait entrer dans les couvertes ou les émaux dont on couvre les poteries & la fayance. Voyez FAYANCE & POTERIE. Mais la grande fusibilité du plomb fait qu'il perce très-aisement les creusets dans lesquels on le traite dans les fourneaux.
Lorsque le plomb a été mis dans l'état d'une chaux, on peut lui rendre sa forme métallique, ou réduire cette chaux, en lui joignant une matiere inflammable quelconque, telle que de la poudre de charbon, de la limaille de fer, du suif, du flux noir. &c.
Le plomb se dissout à l'air ; il y perd son éclat & se ronge peu à peu ; il s'y réduit en une poudre grisâtre ; la même chose lui arrive dans l'eau. Si on fait bouillir ce métal dans de l'huile, il se fait une effervescence, & l'huile le dissout ; cette résolution se fait plus promptement, si au lieu de plomb on prend de la litharge ou du minium, ou quelque autre chaux de ce métal ; par ce moyen l'huile prend une consistance épaisse, qui sert de base à tous les emplâtres de la Pharmacie. Cette huile est aussi d'un grand usage dans la peinture, où l'on emploie de l'huile de lin épaissie par l'ébullition avec la litharge.
Le plomb se dissout dans le vinaigre. Si on fait bouillir du vinaigre, & que l'on y jette de la litharge, elle s'y dissout avec effervescence, & il se précipite une poudre blanche, qui est un sel insoluble, & suivant M. Rouelle, demande 800 parties d'eau pour être mis en dissolution. Si on filtre la liqueur qui surnage à cette poudre, & qu'on la fasse évaporer, on aura un sel en crystaux que l'on appelle sucre de Saturne.
Des lames de plomb exposées à la vapeur acide du vin aigri que l'on a mis sur des grappes de raisin, se convertissent en une poudre blanche que l'on nomme céruse. Les peintres font usage de cette substance qui est un vrai sel neutre ; mais cette couleur est sujette à varier avec le tems, & à se gâter.
Si l'on verse de l'alkali fixe sur une dissolution de sucre de saturne, il se fera un précipité que l'on nomme magistere de saturne.
C'est sur la facilité avec laquelle le plomb se dissout dans l'acide du vin, qu'est fondé le secret funeste que mettent en pratique un grand nombre de marchands de vin pour adoucir les vins qu'ils voyent tirer à l'aigre ; souvent ils remédient à cet inconvénient en y mettant de la litharge. De plus les cabaretiers distribuent ordinairement le vin dans des vaisseaux d'un étain allié avec beaucoup de plomb ; ils font aussi doubler d'une lame de plomb les comptoirs sur lesquels ils mesurent leur vin ; par ce moyen ils distribuent au peuple un poison lent, qui peu à peu détruit entierement sa santé. Ces sortes de pratiques devroient être rigoureusement défendues ; & les contrevenans mériteroient d'être traités comme des empoisonneurs publics contre qui le gouvernement ne sauroit sévir avec assez de rigueur. En Allemagne, & sur-tout sur les bords du Rhin où il croît des vins assez acides, il y a peine de mort contre ceux qui adoucissent & falsifient les vins avec du plomb & de la litharge. En effet le plomb, surtout quand il est dissout, est un poison très-vif, & aucunes de ses préparations ne peuvent être prises innocemment ; elles occasionnent des coliques très-dangereuses & très-douloureuses, des tremblemens dans les nerfs, & souvent la mort. Pour reconnoître si du vin a été falsifié par du plomb ou par de la litharge, on n'a qu'à y verser quelques gouttes de la dissolution du foie de soufre arsénical, ou ce qu'on appelle de l'ancre de sympathie. C'est une liqueur faite avec une partie d'orpiment & deux parties de chaux vive sur lesquels on verse cinq ou six parties d'eau bouillante. Voyez ORPIMENT. Pour peu qu'on verse de cette liqueur dans du vin qui a été frelaté avec de la litharge ou du plomb, il deviendra noir ; s'il n'en contient point, il restera rouge, & ne fera que se troubler.
L'acide nitreux agit aussi sur le plomb ; mais il faut que cet acide soit étendu dans beaucoup d'eau ; on fait chauffer le mélange ; il se fait une légere effervescence ; en faisant évaporer cette dissolution, on obtient des crystaux en pyramides tronquées. Ces crystaux distillés à grand feu dans des vaisseaux fermés font une détonation très-vive & très-dangereuse pour celui qui opere, comme Kunckel l'a éprouvé. Quelques chimistes ont prétendu que ce sel formé par la combinaison de l'acide nitreux & du plomb, fournit un moyen de tirer le mercure de ce métal. Glauber fait cette mercurification, en joignant beaucoup de sel alkali & de la chaux vive à ce sel nitreux uni au plomb ; il distille ensuite, & dit avoir obtenu de cette façon quelques gouttes de mercure coulant. M. Grosse de l'académie des Sciences a prétendu tirer le mercure du plomb par un autre moyen ; mais M. Rouelle regarde avec raison son procédé comme suspect.
L'acide du sel marin versé sur du plomb divisé en petits morceaux le dissout avec effervescence, & il s'éleve beaucoup de vapeurs blanches. Si on met ce mêlange en distillation dans une cornue au bain de sable, l'acide du sel marin s'élévera, & entraînera avec lui le plomb, sous la forme d'une matiere épaisse que l'on appelle le plomb corné ou le beurre de saturne. C'est un vrai sel qui, si on le fait fondre, se change en une matiere semblable à de la corne.
En faisant bouillir du plomb dans de l'acide vitriolique, ce métal en sera dissout. On peut aussi combiner le plomb avec l'acide vitriolique d'une maniere plus simple ; il n'y a pour cela qu'à verser cet acide sur du sel ou du sucre de saturne, il chassera l'acide du vinaigre, & s'unira en sa place avec le plomb.
Le plomb s'unit très-aisément avec le mercure. C'est pour cette raison que quelques marchands se servent de plomb pour falsifier le mercure ; si l'on joint du bismuth à cet amalgame, il devient plus fluide, au point de passer avec le mercure au-travers d'une peau de chamoi. Voyez MERCURE. On sent que le mercure ainsi falsifié peut avoir des mauvaises qualités que le plomb lui communique.
Telles sont les propriétés que la Chimie découvre dans le plomb ; de toutes ces qualités M. Rouelle en conclud avec beaucoup de vraisemblance que ce métal approche beaucoup de la nature des sels, par la facilité avec laquelle il se dissout, par sa fusibilité, par sa volatilité & par sa vitrification.
Plusieurs chimistes ont regardé le plomb comme de l'argent qui n'étoit point encore parvenu à maturité ; ils se sont fondés sur l'affinité singuliere qui se trouve entre ces deux métaux ; en effet il y a presque toujours de l'argent dans les mines de plomb ; & d'ailleurs le plomb se charge dans la fusion de l'argent qui est joint à d'autres métaux ; mais ce qui semble encore plus fortifier cette conjecture, c'est que toutes les fois qu'on passe du plomb à la coupelle, on en obtient de nouvel argent : phénomène qui est constaté par une infinité d'expériences.
Quant à l'idée de ceux qui prétendent que le plomb dont quelques édifices & quelques églises sont couverts, se convertit à la fin en argent, après avoir été long-tems exposé à l'air, elle n'est nullement fondée : ce qui peut y avoir donné lieu, c'est que dans les tems auxquels on a employé ce plomb, l'on ne savoit point dégager l'argent de ce métal avec autant d'exactitude qu'aujourd'hui, & l'on y laissoit celui qui y étoit contenu, soit parce qu'on ignoroit qu'il en contînt, soit parce qu'on ne savoit pas la maniere de l'en séparer.
On a déja fait remarquer dans le cours de cet article, que le plomb étoit un poison très-violent. Il fait sentir ses mauvaises qualités non-seulement quand il est mis en dissolution dans quelque acide, mais encore sa vapeur est très-nuisible, comme on peut en juger par les maladies auxquelles sont exposés ceux qui travaillent ce métal. En effet les ouvriers qui travaillent dans les fonderies de plomb, sont sujets à des coliques spasmodiques très-violentes, & accompagnées de douleurs insupportables. Les Allemands nomment cette maladie hutten-katse, ce qui signifie le chat des fonderies. Les plombiers qui fondent du plomb, & les peintres qui employent beaucoup de ceruse parmi leurs couleurs, sont sujets à la même maladie que l'on nomme en France colique des plombiers ou colique des peintres. Les Anglois nomment cette maladie millreek. En voici les symptomes ; elle commence par une pesanteur sur l'estomac, & quelquefois par une colique vive dans les intestins ; les malades sentent un goût douçâtre dans la bouche, leur pouls est foible, leurs jambes s'affoiblissent & sont comme engourdies, ils éprouvent des lassitudes par tout le corps ; l'appétit se perd, les digestions se font mal ; quelquefois il survient une diarrhée qui peut soulager le malade, pourvu qu'elle ne dure point trop long-tems. Si l'on ne remédie à ces premiers symptomes, le mal augmente ; on sent une douleur fixe dans l'estomac & les intestins, surtout dans la partie inférieure de l'abdomen. On est fortement resserré, on sent ses entrailles comme déchirées, le pouls devient très-vif, la peau est brûlante, il survient un grand mal de tête accompagné d'un délire qui est suivi de tremblemens, de convulsions & d'une espece de fureur qui fait que les malades se déchirent & se mordent aux bras & aux mains ; le pouls devient intermittent, & ils meurent dans une espece de coma ou d'apoplexie.
On attribue avec raison cette funeste maladie à la fumée du plomb que le feu en dégage ; c'est une vraie chaux de plomb que les ouvriers respirent perpétuellement, & qui est portée dans l'estomac & les intestins, où elle ne trouve que trop d'acides propres à la dissoudre & à lui donner de l'activité. On assure que cette vapeur n'est pas moins funeste aux animaux. On dit que les oiseaux qui traversent la fumée des fonderies de plomb, tombent morts ; les bestiaux & les troupeaux ne peuvent paître sans danger dans les prairies du voisinage sur lesquelles retombe cette fumée pernicieuse ; les eaux mêmes des environs en sont empoisonnées, & les chiens qui en boivent ont des symptomes de la rage.
Pour se garantir d'une maladie si terrible, il faut surtout que les ouvriers qui s'occupent de ces travaux dangereux, s'abstiennent soigneusement de nourritures acides & vinaigrées, de salines, &c. ainsi que d'excès dans le vin & dans les liqueurs fortes. Il est à propos qu'ils ne travaillent jamais à jeun, qu'ils fassent usage de beurre, de laitage, & d'alimens gras.
Lorsqu'ils seront attaqués de cette maladie, il faudra sans délai leur faire prendre des vomitifs très-violens pour évacuer les premieres voies. On pourra encore appaiser les coliques des intestins en leur appliquant des fomentations sur le ventre. Il reste quelquefois long-tems après la cure, des douleurs dans les jambes semblables à celles que causent les rhumatismes ; on pourra les faire passer au moyen de l'exercice du cheval.
C'est vraisemblablement au plomb qu'il faut attribuer beaucoup de coliques & de maladies dont souvent on se trouve attaqué, sans en deviner la cause. En effet la plûpart de nos alimens sont préparés dans des casseroles de cuivre qui sont déja dangereuses par elles-mêmes. Voyez CUIVRE. Pour se garantir de ces dangers, on les étame, c'est-à-dire, qu'on double le cuivre avec de l'étain, qui est communément falsifié & mêlé avec une grande quantité de plomb. Les graisses, les sels, le vinaigre, &c. agissent sur ce plomb, & font qu'il s'en mêle une portion dans nos alimens. Le même danger subsiste pour les poteries de terre vernissées ; en effet le vernis ou la couverte dont on les enduit par dedans & par dehors, est un véritable verre de plomb, sur lequel le vin, le vinaigre & les acides peuvent agir ; par là on travaille peu-à-peu à se détruire. (-)
PLOMB, (Pharmac. & Mat. médic.) la premiere considération médicale sur ce métal doit se déduire d'une de ses propriétés chimiques ; savoir, de sa dissolubilité par les acides, par les alkalis & par les huiles, voyez PLOMB, Chimie ; ensorte que toutes les substances salines, à l'exception des sels parfaitement neutres, & les substances huileuses qui ont été enfermées dans des vaisseaux de plomb, doivent toujours être soupçonnées contenir quelques particules de ce métal. Cependant il ne faudroit pas en inférer que l'eau de fontaine ou de riviere qu'on garde dans des reservoirs de plomb, ou qui coule à-travers des conduits de ce métal pour servir aux usages économiques, soit altérée par cette imprégnation ; car l'eau commune ne contient aucun acide, aucun alkali salin nud ; & en supposant même qu'elle fût chargée d'un pareil menstrue, la croûte de terre seleniteuse qui ne tarderoit pas à se former dans l'intérieur de ces conduits ou reservoirs, préserveroit l'eau contre un pareil accident.
Les sels parfaitement neutres qu'on prépare dans des chaudieres de plomb, comme l'alun, dont la préparation est la même dans presque tous les pays, la cuite du sel marin qui se fait au feu artificiel sur les côtes de la Bretagne & autres contrées maritimes, où l'air est humide & le ciel ordinairement nébuleux, les sels d'Ebsum & de Seidlitz, tous ces sels, dis-je, parfaitement neutres n'empruntent aucune qualité malfaisante de ces chaudieres de plomb, n'en détachent & n'en entraînent rien.
Les différens produits du plomb employés le plus communément en Médecine, sont la chaux jaunâtre de plomb ou massicot, la chaux rouge ou minium, la chaux à-demi vitrifiée ou la litarge, qu'on divise mal-à-propos en litarge d'or & litarge d'argent, attendu que la premiere n'est pas un produit de l'affinage de l'or, ni la seconde un produit constant de l'affinage de l'argent, & qu'enfin elles ne different point essentiellement entr'elles ; le verre de plomb, les sels neutres préparés avec les acides végétaux & le plomb, le sel imparfait qui provient de l'acide du vinaigre, & qu'on appelle céruse, ou suivant quelques auteurs, & comme on le trouve dans la pharmacopée de Paris, plomb blanc, dénomination équivoque, puisqu'elle désigne ordinairement l'étain ; le sel neutre parfait, autrement appellé sucre ou sel de Saturne, qu'on retire des acides végétaux quelconques fermentés, & dont la propriété spéciale, de même que celle du sel formé du plomb & de l'acide nitreux, est d'avoir une saveur douce singuliere, suivie d'un arriere goût austere-stiptique ; les magisteres ou précipités de ces divers sels, un baume résultant d'une dissolution dans les huiles éthérées du plomb, soit dans son intégrité, soit calciné, ou du sucre de Saturne, enfin différentes chaux de plomb unies par une véritable mixtion à des huiles grasses, fournissent à la Médecine des emplâtres simples, & les bases de plusieurs emplâtres composés : on peut mettre encore au nombre des médicamens retirés du plomb, le blanc rhasis, qui est un composé de cire & d'huile par expression, & de céruse, & le nutritum commun, qui se prépare avec du vinaigre de Saturne & l'huile d'olive.
Les remedes qu'on tire du plomb pour les employer à l'extérieur, sont vantés par les vertus suivantes : ceux qui sont sous forme de poudre, entr'autres le minium & la céruse, & les emplâtres préparés avec ces dernieres substances, ont une vertu dessicative, vulnéraire, discussive, absorbante ; l'acide ou le sucre de Saturne, soit en lotion, soit employé dans les onguens, a une qualité repercussive, tonique, rafraîchissante, antiphlogistique, sédative ou calmante ; il est particulierement recommandé dans les ophtalmies, les brûlures, les dartres ulcérées, avec suppuration & démangeaison considérable : à l'égard du baume, il passe pour un bon mondificatif & un léger astringent ; néanmoins les médecins sages & expérimentés redoutent non-seulement cette qualité repercussive qui est commune à tous les remedes tirés du plomb ; mais ils font encore à ces remedes le reproche de renfermer un venin particulier, au point que l'application des lames ou plaques de plomb sur le pubis, à titre de ceinture de chasteté, si ridiculement vanté par quelques auteurs, n'est pas même sans danger, si l'on en croit ces médecins, qui désapprouvent à plus forte raison les gargarismes dans les angines, & les injections dans la gonorrhée, préparées avec le sel de Saturne ; mais il paroît que cette exclusion que ces médecins veulent donner aux préparations du plomb pour les usages externes, est trop générale & trop absolue ; on a constamment éprouvé au contraire que l'administration de ces remedes faite avec art & avec soin dans les cas énoncés, n'est non-seulement pas dangereuse, mais encore qu'elle a ses utilités ; nous en exceptons cependant les gargarismes & les injections déja mentionnées, comme approchant trop d'une application intérieure de ces remedes.
Les préparations de plomb destinées à l'usage intérieur sont, 1°. le vinaigre, l'huile & le sucre de Saturne, qui ne different entr'eux qu'en consistance, attendu que le vinaigre est une lessive d'une dissolution de sel de Saturne ; l'huile, la même liqueur concentrée, & le sucre un sel concret provenant des mêmes liqueurs, lequel doit presque être regardé comme étant toujours un ou le même, soit qu'on le prépare avec le vinaigre non distillé, soit avec le vinaigre distillé, soit enfin avec le tartre. A ces derniers remedes on peut joindre, comme leur étant très-analogue, la teinture anti-physique de Germanus, qui a été longtems en vogue en Allemagne, & qui est une solution ou extraction par l'esprit-de-vin, du sel de plomb vitriolique & du sel de Mars acéteux : tous ces remedes sont, au rapport de Boerhaave, très-salutaires dans l'hémopthisie, les hémorragies proprement dites, le pissement de sang, les gonorrhées, les fleurs blanches & autres maladies de cette espece ; cependant, de l'aveu de Boerhaave lui-même ; & de plusieurs autres médecins très-célébres, ils doivent être proscrits de l'art, comme dangereux, infideles, & bien éloignés d'ailleurs de tenir ce qu'ils promettent. Nous rapporterons, à l'appui de cette assertion, une remarque de Juncker, qui, à notre avis, n'est pas des moins graves. Voici ce que dit ce fameux auteur : " Les différens accidens funestes, dont nous avons fait mention, dissuadent de l'usage intérieur du plomb ; & il est surprenant qu'après la sévérité des défenses qu'on a faites de la dulcification des vins par la litharge, & qu'on a porté jusqu'à faire punir de mort il y a quelques années, un marchand de vin convaincu d'une pareille fraude, malgré ces défenses, dis-je, le sucre de Saturne soit regardé comme un remede salutaire dans plusieurs maladies, tandis qu'il n'est point de chimiste intelligent, pas même d'apprenti, qui ne s'apperçoive, d'après une juste analogie, qu'il doit y avoir un danger égal à employer des remedes qui proviennent de la même source ". Ferales casus passim notati internum ejus (plumbi scilicet) usum dissuadent, & mirum est cum vina lithargyrio dulcificata adeo damnata sint, ut quidam doliarius ob hanc fraudem supplicio capitis ante aliquot annos afficeretur, tamen saccharum Saturni multis in morbis salubre remedium praedicari, cum quivis industrius chimicus (& quidem vel rudissimus tiro) facile pervideat ex eodem fonte hic juxta comparatione parem noxam expectari oportere. Voyez Juncker, Conspect. therap. gener. Quant aux accidens que désigne l'auteur, il n'est personne qui ait fait quelque séjour dans les pays où l'on fait des vins verts, ou qui tirent des pareils vins des contrées voisines, qui n'ait été à portée de les observer : on accuse les marchands de vin allemands d'être dans l'usage de masquer par une manoeuvre vraiment punissable cette acidité désagréable qui annonce dans le vin une disposition à tourner au vinaigre. Cette manoeuvre consiste à mêler dans ces vins de la litharge ou du minium, qui en se mariant à l'acide du vin, déguise non-seulement sa saveur propre, mais lui donne encore un goût sucré, en faisant avec cet acide un véritable sel de Saturne. L'observation journaliere démontre que les terribles symptomes qui accompagnent la colique du Poitou, sont dûs bien souvent à la boisson de ces vins lithargirés. Il est fort commun de voir dans les hôpitaux de Paris de ces coliques dont la plûpart sont occasionnées par une pareille boisson.
Après avoir parlé de la maniere de sophistiquer les vins par la litharge, il ne sera pas inutile d'indiquer les moyens chimiques qu'on peut employer à découvrir cette fraude. 1°. Le goût seul chez les personnes qui ont les organes tant-soit-peu exercés par l'habitude des expériences chimiques, découvre cette douceur particuliere aux vins lithargirés ; cependant quoique ce témoignage des sens soit quelquefois d'une certitude qui va jusqu'au prodige, il ne sauroit former dans de pareilles occurrences un témoignage légal ; ainsi pour s'assurer de la maniere la moins équivoque de cette introduction du plomb dans les vins, on n'a qu'à y verser du foie d'arsenic préparé avec l'eau de chaux ; pour lors si les vins sont réellement lithargirés, ils se troubleront par l'apparition d'un précipité noirâtre. On a le complément de cette démonstration en décantant avec soin, ou en séparant par le filtre ce précipité, & le convertissant en plomb par le moyen d'un léger phlogistique, comme par exemple, le suif, &c. Voyez ENCRE SYMPATHIQUE.
Revenons maintenant à l'usage médicinal interne des sels retirés du plomb. Nous pensons, malgré les déclamations des auteurs contre l'administration de ces remedes, qu'ils pourront être employés comme secours externes dans certaines maladies rebelles, malo nodo, malus cuneus, toutes les fois qu'un maître de l'art, après une expérience raisonnée, suivie & variée de ces remedes, aura donné la maniere de les employer à d'autres observateurs prudens & circonspects comme lui, c'est-à-dire aux vrais médecins, qui seuls peuvent légitimement constater & évaluer l'utilité de pareilles observations, ou enfin, après que ces préparations de plomb auront été unanimement déclarées d'un usage sûr, & qu'on pourra les regarder sur le pié des remedes uniques, spécifiques, & qui méritent la préférence sur les vulgaires ; mais en attendant que des expériences de cette légitimité & autorité viennent enrichir l'art & rassurer l'artiste, il est d'un médecin raisonnable, & qui a l'ame honnête, de s'abstenir religieusement de l'administration d'un remede qui de sa nature est manifestement veneneux, ou tout-au-moins suspect, & qu'aucun succès, dumoins d'une évidence reconnue, n'a jusqu'ici pû sauver du reproche d'être dangereux.
Nous finirons par considérer le plomb comme compris dans la classe des choses appellées non naturelles, c'est-à-dire, à l'influence desquelles plusieurs personnes sont exposées, soit fortuitement, soit habituellement ou par état. Nous avons déja touché quelque chose des qualités mal-faisantes du vin lithargiré, ou dans lesquels on a dissout du sucre de Saturne, & des dangers d'une pareille boisson ; le plomb entier & ses produits quelconques, introduits sous forme de vapeurs ou de poussiere très-fine, très-volatile, dans le poumon ou dans l'estomac, ainsi que les particules grossieres des chaux de plomb qu'on détache imprudemment, soit en léchant des corps peints infectés de ces sels, soit en mordant sur les corps, & qu'on avale avec la salive, comme cela est ordinaire aux fondeurs des mines & aux essayeurs qui travaillent le plomb, ou qui s'occupent à l'affinage de l'or ou de l'argent, les plombiers, les potiers d'étain, les ouvriers qui préparent les dragées de plomb, les broyeurs des couleurs, les barbouilleurs qui employent une grande quantité de couleurs liquides qu'ils broyent eux-mêmes, tous ceux enfin qui sont dans la dangereuse habitude d'affiler ou nettoyer du bout des levres ou de la langue l'extrémité des pinceaux, les apothicaires imprudens, les potiers de terre, les lapidaires, les polisseurs de glaces de miroir & de verre, les cordonniers qui blanchissent les talons des souliers de femme avec une préparation de céruse, ou qui tirent avec les dents les peaux colorées avec du minium ou du massicot ; tous ces ouvriers, en un mot, dont le dénombrement exact est nécessaire pour mettre un médecin appellé par quelqu'un de ces ouvriers qui se plaint actuellement de quelque maladie extraordinaire, sur la voie de soupçonner l'origine de la maladie dans cet ouvrier, d'en découvrir la cause qui devient pour lui évidente, &c. & de fonder sur toutes ces notions un traitement méthodique & suivi d'un heureux succès ; tous ces ouvriers, dis-je, sont quelquefois attaqués d'asthmes terribles & incurables provenant de cette cause, & tombent plus ou moins vîte dans la colique appellée des Peintres, des Potiers, des Poitevins, colique minérale, & qu'on appelle plus convenablement encore colique des Plombiers ou de plomb. Voyez COLIQUE DU POITOU au mot général COLIQUE. Cet article est extrait des leçons de Matiere médicale de M. VENEL, professeur en Médecine de la faculté de Montpellier, & l'un des auteurs de ce Dictionnaire, par M. H. FOUQUET, docteur en Médecine de la même faculté.
PLOMB, (Géom.) ligne à plomb, est la même chose que ligne verticale ou perpendiculaire à l'horison. Voyez VERTICALE & HORISON, voyez aussi NIVEAU & NIVELER. (O)
PLOMB, avec son fouet & son chat, c'est dans l'Artillerie un petit morceau de plomb pendu à une ficelle ou cordelette, qui sert aux mineurs pour prendre les hauteurs dans les galeries & les rameaux des mines. (Q)
PLOMB, (Archit.) les Menuisiers, Charpentiers, Maçons & autres artisans qui sont obligés de placer leurs ouvrages d'à-plomb, c'est-à-dire perpendiculairement sur l'horison, ont diverses sortes d'instrumens qu'ils appellent plomb, à cause d'un petit morceau de ce métal qui en fait partie, quoique pourtant on y mette le plus souvent du cuivre ou du fer.
Le plomb des Maçons & des Menuisiers est ordinairement de cuivre, en forme de petit cylindre, de six ou sept lignes de diametre, & d'un pouce de hauteur. Il pend à une ficelle qui se nomme la corde ou cordeau, qui passe à-travers une petite platine aussi de cuivre, quarrée & très-mince, appellée le chat. Cette plaque qui n'a que la largeur du cylindre, monte & descend à volonté le long du cordeau, & sert à appuyer contre l'ouvrage qu'on veut mettre d'à-plomb.
Le plomb des Charpentiers n'a point de chat, il est plat en forme de rose à jour, de 2 pouces environ de diametre : on le fait de plomb, de fer ou de cuivre. Il est ainsi percé pour donner passage à la vûe, & que l'ouvrier puisse mieux adresser à l'endroit où il veut piquer le bois, c'est-à-dire le marquer.
Le plomb à niveau, qui est un véritable niveau, est un plomb dont la corde descend le long d'une regle ou de bois ou de cuivre, dressée perpendiculairement sur une autre.
Le plomb à talus, n'est autre chose que le niveau plein, dont la corde se déplace.
Le plomb à regle, est une simple regle qui a une échancrure à sa base, & une ligne perpendiculaire tracée du haut en bas, laquelle tient la corde où est attaché le plomb. (D.J.)
PLOMB, arrestier de, (Archit.) c'est un bout de table de plomb au bas de l'arrestier de la croupe d'un comble couvert d'ardoise. Dans les grands bâtimens sur les combles en dômes, ces arrestiers revêtent toute l'encoignure, & sont faits de diverses figures, ou en maniere de pilastre, comme au château de Clagny, ou en maniere de chaîne de bossages, ou pierres de refend, comme on en voit au gros pavillon du Louvre.
PLOMB D'ENFAITEMENT, c'est le plomb qui couvre le faîte d'un comble d'ardoise. Il doit avoir une ligne ou une ligne & demie d'épaisseur, sur 18 à 20 pouces de largeur. Le plomb des lucarnes a une ligne d'épaisseur, sur 15 pouces de largeur.
Plomb de revêtement, c'est le plomb dont on couvre la charpente des lucarnes-demoiselles. Il ne doit avoir qu'une ligne d'épaisseur, pour former le contour des moulures. Daviler. (D.J.)
PLOMB, (bas au métier) plomb à aiguilles, plomb à platine, moule de plomb, à platine & à aiguilles, instrumens ou parties du métier à bas. Voyez cet article.
PLOMBS, s. m. pl. terme de Coëffeuse, elles appelloient plombs, dans le siecle dernier, des pyramides ou cônes de plomb, d'argent ou d'autre métal, dont elles se servoient pour coëffer. Ces plombs de toilette tenoient par la cime à un ruban que les femmes attachoient à leur bonnet, pour le maintenir pendant qu'on ajustoit le reste de la coëffure.
PLOMB, (Commerce) en terme de Fabrique, est un cachet de plomb qu'on appose aux étoffes après qu'elles ont été visitées & examinées par les jurés gardes ou esgards, lequel vaut certificat qu'elles sont bien & duement fabriquées.
PLOMB, est enfin un morceau de plomb fondu exprès, de figure ronde & plate, marqué de quelqu'empreinte qui s'applique sur les étoffes d'or, d'argent, de soie, de laine, &c. même sur les balles, ballots, caisses, paquets de marchandises dont les droits de douanne ont été payés. Voyez MARQUE.
PLOMB D'ARRETS, (Police de manufac.) se dit des plombs ou marques que l'on appose sur les étoffes de laine défectueuses, que les maîtres & gardes, jurés ou esgards, arrêtent lors de leurs visites dans les bureaux, halles & foires. Savary.
PLOMB D'AUNAGE, (Pratiq. de commerce) c'est un plomb que les jurés Auneurs, les Presseurs, les Marchands fabriquans, &c. appliquent aux étoffes pour faire connoître le nombre d'aunes qu'elles contiennent, suivant l'aunage qui en a été fait. Savary. (D.J.)
PLOMB DE LOYAUTE, (Commerce) c'est le nom qu'on donne dans la manufacture de la sayetterie d'Amiens, aux plombs qui s'appliquent sur les étoffes apprêtées, que les jurés Sayetteurs ou Hautelissiers trouvent loyales & marchandes.
PLOMB DE VISITE, (Police de manufac.) ou plomb forain, c'est un plomb apposé sur les étoffes après que la visite en a été faite par les maîtres & gardes, dans les foires, halles & bureaux des villes & lieux où elles ont été envoyées ou apportées par les marchands forains ou manufacturiers, pour y être vendues ou débitées. Savary.
PLOMB DE CHEF-D'OEUVRE, terme de jurande, on appelle plomb de chef-d'oeuvre, le plomb le plus étroit & le plus propre, qui sert pour les pieces d'expériences & les chefs-d'oeuvres.
PLOMB DE CONTROLE, (Police de commerce) c'est un plomb qui s'appose aux étoffes de laine dans les foires & marchés, ou lieux de fabrique, par ceux qui ont droit de les contrôler, & de percevoir quelques droits sur chaque piece.
PLOMB, (Coutellerie) les maîtres Couteliers appellent le plomb, une masse de ce métal sur laquelle ils coupent avec le rosettier, ces petites rosettes dont ils se servent pour monter les lancettes & les rasoirs. (D.J.)
PLOMB A LA MAIN, terme des Graveurs en médailles, c'est une maniere de tirer l'épreuve du coin qu'ils gravent. Pour cet effet ils font fondre du plomb qu'ils versent sur un morceau de papier, & sur lequel avant qu'il ait cessé d'être coulant, ils appliquent le quarré du côté de la gravure, ils frappent en même tems avec la paume de la main sur le côté opposé, le coin s'enfonce facilement dans le plomb fondu, que l'on laisse prendre en cet état ; on ôte ensuite le coin, & on a une épreuve fidele de la gravure.
PLOMB, (Monn.) ce mot est pris bien souvent pour signifier toute la sonde, parce que la principale partie est de ce métal : on dit, les côtes de Hollande sont si dangereuses, qu'il faut toujours avoir le plomb à la main. Voyez SONDE.
PLOMB DE SONDE, c'est un plomb fait en cône, & attaché à une corde nommée ligne, avec lequel on sonde à la mer, pour savoir combien il y a de brasses d'eau, & de quelle qualité est le fond, s'il est de roche, de vase ou de sable, &c. Plomb de 6, de 12, de 25, de 36, &c.
PLOMB, terme de Miroitiers. L'on appelle plomb, parmi les ouvriers de ce métier qui mettent les glaces au teint, des plaques de plomb longues d'un pié, larges de cinq à six pouces, & de trois à quatre lignes d'épaisseur, avec une poignée de fer par-dessus pour les prendre & manier commodément.
Ces plombs servent à charger la glace quand elle a été placée sur le vif-argent, après néanmoins avoir pris la précaution de la couvrir de revêche ou de moleton, de crainte qu'ils ne la rayent ou ne la gâtent. Quelques-uns mettent des boulets de canons posés dans des especes de sébilles de bois, à la place des plombs ; mais les bons ouvriers ne se servent de boulets que pour arrêter les glaces, & non pour les charger. Savary. (D.J.)
PLOMB, en terme de Marchand de modes, est une espece de coffret de bois garni d'un tiroir, couvert d'une étoffe quelconque, & terminé en dos-d'âne en dessus, lequel est chargé de plomb pour l'appesantir, de son pour y piquer les épingles ou aiguilles, & d'un cordon attaché à chaque bout, devant & derriere le plomb, qui sert de poignée pour le prendre & le transporter. Ces sortes de plombs servent à retenir l'ouvrage qu'on travaille, soit en les plaçant dessus, soit en attachant des ouvrages creux.
PLOMB de Monoyage, sert à l'affinage de l'argent, & cet affinage s'exécute dans une grande coupelle que l'on fait dans un fourneau, couvert d'un chapiteau de brique pour déterminer la flamme à réverbérer sur les matieres, ce qu'on appelle feu de réverbere. On chauffe ce fourneau par un grand feu de bois, & l'on met du plomb dans la coupelle, à proportion de la quantité & de la qualité des matieres à affiner. Quand le plomb a bouilli quelque tems, on jette les matieres dans la coupelle, ce qu'on appelle charger la coupelle ; & quand elles ont bouilli, on se sert d'un gros soufflet pour souffler la surface des matieres, afin de les faire tourner & circuler, & qu'en circulant elles chassent la litharge ou l'impureté des métaux qui vient en écume au bord de la coupelle ; cette écume coule par un conduit que l'on fait au bord de la coupelle, & l'échancrant en un endroit, on continue le vent du soufflet jusqu'à ce que l'argent ait paru de couleur d'opale, ce qui fait connoître que tout l'impur en a été chassé, & que l'argent est pur, c'est-à-dire, à onze deniers dix-neuf à vingt grains.
PLOMB MINERAL, (Poterie). Il y en a de diverses sortes ; celui que l'on nomme ordinairement alquifoux, n'a autre usage en France que pour les Potiers-de-terre qui s'en servent, après l'avoir pulvérisé, à vernir leur poterie. (D.J.)
PLOMB BLANCHI (Plomberie). Les Plombiers appellent du plomb blanchi, les tables de plomb qu'ils ont étamées ou colorées avec de l'étain, de même que le fer blanc. Dans les bâtimens neufs, les Plombiers sont obligés, suivant l'article 33 de leurs nouveaux statuts, d'employer du plomb blanchi sur les enfaîtures, énusures & amortissemens, chesneaux, cuvettes, tuyaux de descente, & autres endroits qui sont en vue.
Le plomb en culot est du vieux plomb qui a servi, & qu'on a fait refondre & épurer dans une poële de fer. On lui donne le nom de plomb en culot, à cause de la forme ronde de culot, que le fond ou cul de la poële lui a donnée, ou pour le distinguer du plomb neuf, qui s'appelle du plomb en saumon, ou navette. Il est défendu en France à toutes personnes autres que les maîtres Plombiers, d'acheter, fondre, & mettre en culot les vieux plombs.
PLOMB EN POUDRE, (Arts méchan.) Les Potiers-de-terre s'en servent au lieu de l'alquifoux, ou plomb minéral pour vernir leurs ouvrages. Il se fait en jettant du charbon pilé dans du plomb bien fondu, & en les remuant long-tems. Pour en séparer le charbon, l'on n'a qu'à le laver dans l'eau, & le faire sécher. Les Potiers se servent aussi de la cendre ou écume de plomb, qui n'est autre chose que les scories du plomb que l'on a purifié pour quelque usage, ou qu'on a employé pour faire du même plomb, & de la dragée. Dict. du Comm.
PLOMB EN TABLE, (Plomberie) plomb fondu & coulé de plat sur une longue table couverte de sable bien uni. Sa largeur ordinaire est depuis quinze pouces de roi, jusqu'à soixante & douze, & son épaisseur plus ou moins forte, suivant les choses à quoi il peut être destiné.
Les maîtres Plombiers sont tenus, suivant l'article 35 de leurs statuts, de jetter le plomb en table avec telle égalité, que tous les bouts, endroits & côtés soient d'une épaisseur pareille, sans qu'ils en puissent vendre, ni mettre en oeuvre, qu'elles ne soient débordées, c'est-à-dire, que les deux côtés ou bords des tables n'ayent été coupés, & unis avec la plane, qui est un outil tranchant, propre à cet usage. Savary. (D.J.)
PLOMB, terme de Saline, espece de chaudiere plate & quarrée, & faite de plomb, dans laquelle on travaille au sel blanc dans les salines de Normandie. Chaque plomb est environ de trois piés de long, de deux de large, & de six pouces de profondeur ; quatre plombs font une saline. (D.J.)
PLOMB qui sert à rouler les étoffes de soie. Ce qu'on appelle communément plomb à rouler, est une caisse de bois très-forte, de huit pouces de large sur deux piés de long, de la hauteur de quatre pouces, dans laquelle on met environ cent livres de plomb ; cette caisse bien apée, est enveloppée de peau de veau, & bien rembourrée. Il y a d'un côté deux fers, au bout desquels il y a deux roulettes, & de l'autre deux poignées, avec lesquels on souleve cette machine ; & au moyen desdites roulettes, une personne seule la fait mouvoir d'un bout d'une banque à l'autre, & ensuite on la laisse aller sur l'étoffe qui est étendue sur cette banque ; ensuite on roule l'étoffe à l'autre bout de banque sur un plateau, & à mesure que l'étoffe se roule sur le plateau, le plomb avance du bout de la banque à l'autre, & au moyen des roulettes, on le transporte facilement, & jusqu'à la fin de la piece.
PLOMBS, terme de Tondeur. Les Tondeurs de draps & autres étoffes de laine, appellent plombs, certaines masses de plomb, ordinairement du poids de cinq, dix & vingt livres, dont ils se servent pour charger plus ou moins les forces dont ils tondent les étoffes. Plus la force est chargée de ces plombs, & plus elle tond de près. (D.J.)
PLOMB DE VITRES, (Vitrerie). Plomb fondu par petits lingots ou bandes dans une lingotiere, & ensuite étiré par verges à deux rainures dans un tire plomb, pour servir à entretenir & former les panneaux des vitres ; ou à une rainure pour les grands carreaux ; mais on ne s'en sert presque plus, parce qu'il ne défend pas du vent coulis.
La meilleure maniere d'employer le plomb, est d'arrêter ces carreaux avec une espece de mastic qui s'endurcit à l'air, & qui couvre la vitre de deux ou trois lignes au circuit, comme on le pratique dans la plûpart des grands hôtels, ou bien avec des pointes & des bandes de papier.
Un tire-plomb est la machine avec laquelle les Vitriers forment le plomb qu'ils employent pour assembler les vitres ensemble. Cette machine est composée des piéces qui suivent ; savoir, de deux jumelles de fer, A B C D, de deux arbres ou axes, E F à un bout de chacun de ses pignons I K, & à l'autre bout de l'arbre de dessous, de la manivelle N, qui sert à faire tourner ledit arbre, lequel fait mouvoir celui de dessus par le moyen de l'engrenement des deux pignons, de deux étoquiaux L M, ayant vis à écroux à chaque bout, servant à assembler lesdites deux jumelles de deux coussinets d'acier O P : entre lesdits coussinets sont les deux roues R Q, qui servent à former les fentes & coeur du plomb, elles sont montées sur lesdits arbres E F.
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PLOMBAGINE | S. f. (Hist. nat. Min.) plumbago scriptoria. C'est le nom que l'on donne à une substance minérale, plus connue sous le nom de crayon ou de mine de plomb ; on s'en sert pour dessiner. La plus pure est celle qui vient d'Angleterre ; celle d'Allemagne, est beaucoup plus grossiere, & paroît mêlée de substances étrangeres, & même de soufre, ce qui empêche que l'on ne puisse la tailler avec la même facilité que celle d'Angleterre qui est très-luisante, très-tendre, quoique d'un tissu si compacte, que l'on ne peut distinguer les parties dont elle est composée. Voyez l'article CRAYON.
Cette substance qui résiste à l'action du feu, paroît une combinaison de fer, de soufre & de zinc, de la nature de celle qui constitue la blende. Voyez BLENDE. (-)
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PLOMBATEUR | S. m. (Jurisprud.) est un officier de la chancellerie romaine ainsi appellé, parce qu'il scelle les bulles en plomb.
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PLOMBÉ | participe, voyez PLOMBER & PLOMB.
PLOMBE, marqué avec un plomb, (Comm.) on appelle étoffe, marchandise, balle plombée, celles sur lesquelles il a été apposé un plomb ou marque particuliere. Voyez PLOMB.
Les réglemens des manufactures de France veulent que toutes les étoffes de laine qui se fabriquent dans le royaume soient plombées des plombs & marques de fabrique, & des plombs de visite ou de vue.
Les caisses & balles de marchandises qui ont été une fois plombées dans les bureaux de douannes ou traites, ne doivent point être ouvertes en chemin, si ce n'est au dernier bureau de la route où elles doivent être controllées, pour connoître s'il n'y a point eu de fraude. Diction. de comm.
PLOMBE, terme de Relieur ; terme en usage chez les marchands Libraires & parmi les Relieurs ; il se dit d'une certaine composition faite de mine de plomb & de colle détrempée & broyée avec de l'eau, qui sert à plomber & colorer la tranche de quelques livres d'église ou de prieres, particulierement de ceux destinés pour les religieux & religieuses, ou pour les personnes qui sont en deuil. (D.J.)
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PLOMBER | en terme de Pêche ; on dit plomber des filets, c'est y attacher des plombs pour les faire descendre au fond de l'eau.
PLOMBER, opération de Chirurgien dentiste, qui consiste à mettre du plomb en feuille dans le creux d'une dent cariée, pour la conserver.
Pour plombler une dent, il faut nettoyer le creux que la carie a fait : on se sert à cet effet d'un instrument d'acier convenable. Ensuite on introduit à différentes reprises un petit bouton de coton proportionné à l'ouverture, afin d'emporter les ordures, les débris d'alimens qui pourroient s'y être introduits. Cela étant ainsi disposé, on porte un peu de coton imbibé d'essence de canelle dans le fond de la carie, pour dessecher le nerf, qui pourroit souffrir sans cette précaution, de la pression du plomb. Quand le nerf n'est pas douloureux, c'est-à-dire, lorsqu'on l'a desseché, ou dans les caries, qui n'ont pas encore assez fait de progrès pour le mettre à découvert, on procede à l'intromission du plomb, qu'on serre dans le creux de la dent avec une espece de fouloir, afin qu'il en remplisse bien tout le vuide. Une dent bien plombée reste ainsi sans faire de douleur jusqu'à ce que l'action des alimens contre les dents & l'air, la substance même de plomb, oblige à replomber la dent de nouveau. La carie est quelquefois placée si désavantageusement, & le trou est si peu propre à retenir le plomb, qu'on ne peut compter sur la conservation de la dent par ce moyen. Le plus court alors est d'en faire faire l'extraction. (Y)
PLOMBER, v. act. (Commerce) mettre, appliquer ou apposer un plomb, une marque à une piece d'étoffe, à une balle de marchandise. Voyez PLOMB.
Les marchands, manufacturiers, ouvriers sont obligés de faire plomber ou marquer leurs étoffes dans les bureaux, halles, foires, & lieux où doit s'en faire la visite.
A Amiens au lieu de dire plomber une étoffe, on dit la ferrer ; ailleurs on dit la marquer. Voyez FERRER.
Si les marchands veulent que les balles, ballots ou caisses de marchandises ne soient point ouvertes ni visitées en chemin, il faut qu'ils les fassent acquiter & plomber dans les bureaux des fermes du roi. Dict. de comm.
PLOMBER, (Archict.) c'est juger par un plomb de la situation, soit verticale, soit inclinée, d'un ouvrage de maçonnerie, d'un mur, par exemple. (D.J.)
PLOMBER, (Jardinage) se dit d'une terre meuble que l'on presse, & que l'on foule avec les piés pour l'affermir.
PLOMBER UN NAVIRE, (Marine) c'est voir avec un instrument ou avec de l'eau si le navire est droit, s'il est sur l'arriere, ou s'il est sur l'avant.
Plomber les écubiers, c'est coudre ou clouer du plomb en table tout-au-tour des écubiers, tant pour leur conservation que pour la conservation des cables qui y passent. En clouant ce plomb il faut faire ensorte qu'il soit retourné l'un sur l'autre, & attaché avec de bons clous à tête large ; ce qui empêche le plomb de se casser par le grand froid ; & il faut observer la même chose dans tous les endroits où l'on en doit coudre.
PLOMBER, terme d'Emailleur. Les Emailleurs disent que les émaux clairs sur un bas or plombent & deviennent louches, pour dire qu'il y a certain noir comme une fumée qui obscurcit la couleur de l'émail, ôte de sa vivacité & la bordoie, se rangeant tout-autour, comme si c'étoit du plomb noir. Voyez BORDOYER, BORDEMENT.
PLOMBER UN ARBRE, (Jardinage) c'est après qu'un arbre est planté d'alignement dans la terre, & comblé jusqu'au niveau de l'allée, peser du pié sur la terre pour l'affermir & l'assurer à demeure. (D.J.)
PLOMBER, en terme de Potier de terre ; c'est vernisser de la vaisselle de terre avec de la mine de plomb. Les Potiers employent ordinairement à cet usage de l'alquifoux ou plomb minéral, du plomb en poudre, qui se fait en jettant du charbon pilé dans du plomb en fusion, & des cendres de plomb, qui ne sont autre chose que son écume & ses scories. Voyez ALQUIFOUX, PLOMB EN POUDRE & POTIER DE TERRE.
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PLOMBERIE | S. f. (Art méchanique). De la plomberie en général. Sous le nom de plomberie on entend l'art d'employer le plomb, de lui donner des formes convenables aux lieux où il doit être placé. Ce mot vient du latin plumbus plomb, métal qui fait le principal objet de cet art.
Ce métal est un minéral qui se tire en France de quelques mines fort peu abondantes, encore n'est-il question que de celles du Limosin ; celles de Limarès en Espagne ne le sont pas beaucoup davantage. Il en vient d'Allemagne par la voie de Chambourg sous la forme de navette. Les Hollandois en tirent aussi de Pologne qu'ils envoyent en différens pays ; mais presque tout celui que l'on voit en France, vient d'Angleterre sous la forme de saumons, (fig. 2.) & se tire des mines de Neucastel, du Derby, de Combmartin, & sur-tout de celles de Péak, où la pierre minérale se trouve presque sur la surface de la terre ; ce qui fait que ces mines s'exploitent fort facilement & le plus souvent de plain-pié & à découvert. Le plomb que l'on en tire, est sans contredit le plus pur & le plus sain de tous, & par conséquent le meilleur.
La mine de plomb que l'on nomme aussi plomb minéral, est noire, quoique cependant en la cassant elle semble être remplie intérieurement d'une infinité de petits filets blancs qui ressemblent à ceux que l'on voit dans l'antimoine. On en tire d'assez gros morceaux quelquefois purs, mais le plus souvent mêlés de roche.
Pour fondre cette mine on la met dans un fourneau fait exprès avec beaucoup de feu & de charbon par-dessus. Le plomb fondu coule par un canal pratiqué à côté, & la terre & les pierres restent avec les cendres du charbon. On le purifie ensuite avant qu'il soit figé en écumant, & en y jettant des suifs, graisses ou résines ; cette écume appellée plomb des potiers de terre, leur est de grande utilité pour leurs ouvrages ; les moules où on le reçoit ont la forme de navette ou de saumons (fig. 1. & 2.) noms que l'on donne aux masses de plomb qu'on en tire, dont les unes pesent environ deux cent livres, & les autres cent vingt ou cent trente livres ; il se vend ainsi chez les marchands de fer depuis vingt-cinq jusqu'à trente francs le cent pesant, & pese environ huit cent livres le pié cubique : on appelloit autrefois les marchands saumons, & les plombiers navettes.
Quoique le plomb soit fort facile à fondre, les fondeurs anglois y employent cependant de grands feux, & sont très-attentifs à ne placer leurs fourneaux que sur des lieux élevés, & à les exposer au vent d'ouest, pour en rendre, par cette exposition, la chaleur plus vive, plus grande, exploiter plus de mine, & consommer moins de bois. D'habiles Physiciens ont cru que le poids du plomb augmentoit à l'air ; d'autres ont cru qu'il pourroit se produire dans les mines déja épuisées, en les laissant long-tems reposer, l'expérience nous a appris depuis que les uns & les autres s'étoient également trompés, & que rien n'étoit plus faux que leur système.
Quelques savans qui l'ont analysé, ont trouvé qu'il étoit composé d'un peu de soufre & de mercure ; mais de beaucoup de terre bitumineuse. Les Chimistes l'appellent saturne : en général, c'est de tous les métaux le plus mou & le plus facile à fondre lorsqu'il est purifié.
Le plomb est d'une grande utilité, non-seulement dans les bâtimens pour les couvertures, terrasses, réservoirs, conduites d'eau, ainsi que pour les figures, statues & ornemens d'architecture, mais encore pour l'affinage de tous les métaux, comme le cuivre, l'argent & l'or, auxquels on prétend qu'il communique son humidité : on s'en sert encore dans les ouvrages de vitrerie, balancerie, chauderonnerie, bimbeloterie, poterie de terre & d'étain, ainsi que pour la guerre & la chasse, où l'on ne laisse pas que d'en faire une grande consommation.
Les anciens, tel que Pline & quelques-autres, confondoient le plomb avec un autre mineral à-peu-près semblable, qu'ils ne distinguoient que par la couleur. Cette autre espece est l'étain, que l'on tire des mêmes mines, mais en beaucoup plus petite quantité ; raison pour laquelle il est infiniment plus cher ; il est plus blanc, plus dur & plus facile à fondre que le précédent. On l'employe à souder le plomb & tous les autres métaux ; il est évident que quelques modernes ne se sont pas moins trompés pour avoir adopté le sentiment des anciens, ou pour avoir mal interprété le savant naturaliste, qui, dans son traité des propriétés de ce minéral, rapporte qu'il est propre à souder les autres métaux ensemble, & à d'autres opérations chimiques, ce qui ne peut mieux convenir qu'à l'étain.
La plomberie est donc l'art de donner au plomb les formes que l'on juge à-propos, selon les différentes occasions que l'on a de l'employer : on la divise en trois especes ; la premiere est la fonte du plomb, la seconde en est le couler, & la troisieme est la maniere de le souder.
De la fonte du plomb. La fonte du plomb n'est point merveilleuse ; elle est au-contraire très-simple, le plomb étant de tous les métaux le plus facile à fondre : on n'est pas obligé pour cela d'employer une chaleur aussi grande & aussi vive que pour tous les autres métaux : tout cet art ne consiste qu'à mettre le plomb que l'on veut fondre dans un vaisseau de fer quelconque capable de le contenir, tel par exemple qu'une cuilliere de fer (figure 3.) & le présenter ensuite au feu jusqu'à ce qu'il devienne liquide. Si cette quantité monte beaucoup au-dessus de vingt-cinq ou trente livres, qu'on ne pourroit porter facilement à la main, on est obligé alors d'avoir recours à une marmite (figure 4.) ou poële (figure 5.) de fer ou de fonte que l'on pose à terre, & au premier endroit, dans laquelle on met le plomb : on enveloppe ensuite le tout d'un feu de bois ou de charbon pour échauffer & faire fondre plus promptement la masse du plomb ; & c'est-là la maniere dont les Plombiers se servent le plus souvent, lorsqu'ils n'en ont besoin que d'une petite quantité, surtout lorsqu'ils travaillent en ville (a). Si l'on a besoin pour de certains ouvrages d'entretenir liquide cette même quantité de plomb, on se sert à cet effet (ce qui économise beaucoup le charbon) d'une autre espece de poële de fer, fig. 6. & 7. appellée polastre, plus grande, de forme quarrée, circulaire ou ovale, dans laquelle (fig. 7.) on met le feu & la marmite qui contient le plomb ; ce feu ainsi concentré contient plus de chaleur & consomme moins de charbon : ce polastre
(a) On dit communément qu'un homme travaille en ville, lorsque son ouvrage se fait chez le propriétaire & hors de l'attelier.
sert aussi, & souvent en même tems à faire chauffer les fers à souder (fig. 32. & 34.) dont nous parlerons dans la suite, que l'on place chacun dans une échancrure A, pratiquée de distance à autre autour du polastre ; mais lorsque l'on a besoin d'une beaucoup plus grande quantité de plomb fondu à-la-fois, ce qui arrive le plus souvent dans l'attelier des plombiers ; ils ont alors chacun chez eux un fourneau (fig. 8. 9. & 10.) bâti en brique A de deux piés & demi à trois piés de hauteur sur quatre, cinq & quelquefois six piés en quarré, composé d'une grande marmite de fer B, en forme de chaudiere capable de contenir depuis cinq cent jusqu'à trois ou quatre milliers pesant de plomb, arasée par-dessus le fourneau, enclavée & soutenue dans la maçonnerie de brique A, par des armatures de gros fer à environ quinze pouces au-dessus du fond du fourneau C, fig. 8. ce qui forme par-dessous un vuide où l'on fait un feu de bois à brûler, dont la fumée sort par une ouverture D d'environ huit pouces de largeur, pratiquée fort près de la chaudiere, & s'éleve ensuite dans un tuyau de cheminée E, fig. 10. dont la hotte se trouve au-dessus du fourneau ; c'est dans cette espece de chaudiere que l'on met le plomb F, fig. 8. que l'on veut fondre, comme navettes, fig. 1. saumons, fig. 2. tels qu'ils arrivent des mines.
Du plomb coulé. Le plomb se coule de quatre manieres, qui se réduisent en deux principales, l'une que l'on appelle plomb en table, & l'autre plomb moulé.
La premiere se fait en forme de table dont les dimensions varient selon les circonstances : cette forme de plomb sert pour l'intérieur des réservoirs, les bassins, les bains, les couvertures des bâtimens, platesformes, terrasses, gouttieres, chaîneaux, hottes, lucarnes, cuvettes, bavettes de fontaines, &c. & quelquefois dans la maçonnerie pour les joints des pierres, on en fait aussi des tuyaux de descente pour l'écoulement des eaux, chausses, aisances, &c. le pié quarré sur une demi-ligne d'épaisseur pese environ 2 livres 14 onces ; sur une ligne, environ 5 livres 3 quarts, & le reste à proportion.
La seconde, qu'on appelle plomb moulé, se coule dans des moules faits exprès, soit pour des tuyaux dont la grosseur intérieure varie depuis 6 lignes jusqu'à 6 pouces de diametre, & l'épaisseur à proportion, depuis 2 lignes & demie jusqu'à 6 : je dis grosseur intérieure, parce qu'en général les tuyaux ne se mesurent jamais par l'extérieur, mais bien par l'intérieur ; leurs longueurs ne passent jamais 18 ou 20 piés, non qu'on ne puisse les faire beaucoup plus longs, si on le jugeoit à propos, mais parce que cette grande longueur seroit trop embarrassante pour leur transport, & seroit sujette à les tourmenter, casser ou rompre, soit encore pour des figures, statues & ornemens d'architecture & de sculpture.
Du plomb en table. Le plomb en table se divise en trois especes différentes ; la premiere, que l'on appelle plomb moulé en table ; la seconde, plomb laminé ; & la troisieme, plomb coulé sur toile.
Pour couler le plomb en table, selon la premiere espece, il faut d'abord employer à cet usage une table, fig. 11, appellée moule en table, que tous les Plombiers ont chacun dans leurs atteliers, faite en bois de chêne de 15 à 18 lignes d'épaisseur, 4 à 5 piés de largeur sur environ 20 piés de longueur, posée sur trois ou quatre forts supports ou treteaux de bois A solidement assemblés, en observant de lui donner environ 12 à 15 lignes de pente par toise pour procurer au plomb une plus grande facilité de couler ; le pourtour de cette table se trouve bordé d'une espece de chassis de planches B D de même bois de pareille épaisseur sur 8 à 10 pouces de hauteur, qu'on appelle éponge, dont l'intérieur C est rempli d'un sable jaune d'environ 5 à 6 pouces d'épaisseur, sur lequel étant préparé, on coule le plomb dont il est ici question : il faut remarquer que pour donner aux tables de plomb la largeur que l'on juge à propos, on enfonce dans le sable une autre éponge D mobile, que l'on soutient par derriere avec des masses de fer ou de plomb.
Lors donc qu'il s'agit de préparer le sable à recevoir le plomb, on commence par l'humecter un peu en y jettant de l'eau dessus en forme d'aspersion ; ce sable ainsi humecté, s'unit beaucoup plus facilement ; on le dresse ensuite de niveau en passant & repassant le rable E à différentes reprises sur toute sa longueur : ce rable, fig. 12, n'est autre chose qu'une planche A de bois de chêne d'environ 15 lignes d'épaisseur, & dont la longueur est égale à la largeur des tables que l'on veut faire : cette planche A est échancrée par chaque bout que l'on fait glisser le long des éponges B D, fig. 11, par le moyen d'un bâton C, fig. 12, de 4 à 5 piés de long emmanché dedans : l'intervalle des échancrures B s'enfonce dans la profondeur du moule, fig. 11, relativement à l'épaisseur que l'on veut donner à ces mêmes tables : le sable ainsi dressé, on le plane aussi sur toute sa longueur avec la plane, fig. 13, que l'on a soin de chauffer un peu, afin que le sable humide ne puisse s'y attacher, ce qui y formeroit autant de sillons : ceci fait, & le plomb fondu dans la grande chaudiere, fig. 8, 9 & 10, il faut prendre la précaution avant que de le couler, de le purifier avec des résines, suif ou autres graisses, & de l'écumer avec la cuillere percée, fig. 23, c'est-à-dire en supprimer toutes les ordures que ces graisses ont dû attirer : ensuite lorsqu'il s'agit de le couler, deux hommes en versent alternativement & par cuillerée au-moins autant, mais toujours un peu plus qu'il n'en faut pour la table que l'on veut faire, dans un auget, fig. 14, appellé poële à verser, placé au sommet du moule, fig. 11, comme on peut le voir dans la premiere Planche. La quantité de plomb étant suffisante, les deux mêmes hommes tenant la poële à verser, fig. 14, par la queue C, la soulevent doucement, & font ainsi couler le plomb qu'elle contient sur le sable C, fig. 11, tandis qu'un autre à 2 ou 3 piés plus loin le reçoit sur le rable E, même figure, qu'il passe presque dans le même d'un bout à l'autre du moule sur le plomb avant qu'il soit figé pour donner à la table une égale épaisseur par-tout, & le surplus du plomb va se loger dans une cavité F pratiquée dans le sable : au bout du moule, il faut prendre garde lorsque la table vient d'être coulée, d'en séparer promptement le surplus du plomb ; parce que comme le plomb, ainsi que tous les autres métaux, se retire à mesure qu'il se refroidit, la table n'auroit pas assez de force en se retirant pour amener avec soi la masse du plomb qui reste, & se romproit çà & là en différens endroits : on a soin encore avant que cette même masse de plomb soit figée, d'y placer intérieurement les branches d'un crampon de fer recourbé, fig. 15, afin de procurer par-là la facilité de l'enlever avec des leviers, fig. 51, pour la remettre de nouveau à la fonte : cette table ainsi faite, on la roule sur sa largeur, fig. 24, pour qu'elle occupe moins de place, & avec des leviers, fig. 51, on la transporte ailleurs où elle ne puisse être embarrassante ; ensuite on humecte de nouveau le sable, qui par la chaleur du plomb que l'on coule perpétuellement dessus, se seche toujours ; on le laboure d'environ un pouce d'épaisseur avec le bout A d'un bâton à labourer, fig. 50, bien également par-tout ; car si on l'enfonce plus d'un côté que de l'autre, le sable devient par conséquent plus foible, & forme les tables de plomb d'une inégale épaisseur : on le dresse ensuite avec le rable, fig. 12, & on le place de nouveau avec la plane, fig. 13, pour y couler ensuite le plomb comme auparavant.
Il faut observer que le meilleur ouvrier & le plus intelligent ne l'est pas trop pour cette opération : trop de hardiesse & trop de timidité seroient également nuisibles dans cette manoeuvre ; mais beaucoup de précaution, de prudence, & sur-tout d'usage sont seuls capables de procurer le moyen de faire de bon ouvrage.
La seconde espece de plomb en table est le plomb laminé. Cette partie inventée par les Anglois regarde plus particulierement une manufacture privilégiée établie à Paris à cet effet, que les Plombiers auxquels elle fait beaucoup de tort, & qui n'ont pas moins de talent, & ne sont pas moins en état qu'elle de faire ce qu'elle fait ; cette sorte de plomb se coule d'abord d'environ 18 lignes d'épaisseur & 4 à 4 piés & demi en quarré sur une table ou moule, de même forme & grandeur, bordé comme celui, fig. 11, que nous avons déja vu précédemment, que l'on fait passer ensuite au laminoir, dont on peut voir la description en son lieu. Voyez l'article LAMINOIR.
Comparaison du plomb coulé en table avec le plomb laminé. Toute sorte de plomb nouvellement coulé est sujet à une infinité de pores très-ouverts que le laminoir seul peut resserrer ; ce même plomb est beaucoup plus roide & plus cassant, lorsqu'il n'y a point passé : il est vrai que quelques-uns, pour resserrer ces pores & tenir lieu par-là du laminoir qu'ils méprisoient, ont imaginé de le forger (b) ; mais l'ont rendu, ainsi que tous les métaux que l'on frappe à froid, encore plus roide & plus cassant, & n'ont pu en rendre l'épaisseur aussi parfaitement égale que le laminoir le peut faire.
Si le plomb qui a passé au laminoir est beaucoup plus liant que le précédent, aussi est-il beaucoup plus feuilleté, & moins capable, selon le sentiment des Chimistes, de résister au soleil, à la gelée & aux intempéries des saisons ; la raison est que la masse du plomb que l'on destine à passer au laminoir, est sujette, comme toute espece de plomb qui vient d'être coulé d'une assez forte épaisseur, à être composée d'une infinité de globules d'air plus grandes les unes que les autres : plus cette masse passe de fois au laminoir, & plus toutes ces globules s'élargissent, & en s'élargissant se traversent, ce qui forme quantité de feuilles posées les unes sur les autres qui s'élevent successivement, soit par les grandes gelées ou les grandes chaleurs du soleil.
La troisieme maniere de couler le plomb en table, est de le couler sur toile, pour en faire des tables aussi minces que le papier. Cette espece de plomb est fort difficile à bien faire, & d'un usage assez rare, raison pour laquelle on en fait très-peu, aussi est-il fort cher ; on ne s'en sert que pour des couvertures extrêmement légeres, & qui n'ont pas besoin d'une longue durée ou pour des modèles, les facteurs d'orgue sont ceux qui en employent le plus pour leurs tuyaux.
De la maniere de couler le plomb sur toile. Lorsque l'on veut couler le plomb sur toile, il faut se servir pour cela d'une table ou planche A, fig. 25, d'environ 18 pouces de large sur 9 à dix piés de long, garnie de chaque côté B d'un petit bord pour empêcher que le plomb ne s'échappe, & couverte sur sa superficie d'une toile de coutil A, bien serrée & bien tendue, attachée de petits cloux tout-autour : cette planche ainsi séparée, on la pose sur deux treteaux C, dont l'un est plus élevé que l'autre, afin de donner à la table une obliquité convenable ; ensuite le plomb étant fondu, on le verse simplement dessus en passant & repassant le rable D autant qu'il est nécessaire, pour approcher le plus qu'il est possible d'une égale épaisseur : il faut observer que c'est non-seulement de l'obliquité de cette table, mais encore du degré de chaleur du plomb fondu que dépend l'épaisseur de la table que l'on veut faire ; c'est aussi de l'intelligence de l'ouvrier que dépend la bonne façon de cet ouvrage qui, quoique fait avec beaucoup de précaution & d'adresse, n'en est pas moins difficile, & ne réussit pas aussi-bien, qu'on pourroit le desirer ; c'est ce qui a fait prendre le parti aux associés de la manufacture du plomb laminé d'en faire venir d'Angleterre tout laminé, d'une épaisseur parfaitement égale, aussi mince & aussi uni que le papier le plus mince & le plus uni.
Du plomb moulé. Le plomb moulé n'est autre chose que du plomb fondu jetté dans les moules faits exprès, & de la forme que l'on juge à-propos. Il s'en fait de deux especes ; l'une consiste principalement dans les tuyaux de toutes grosseurs, dont les moules sont ordinairement en cuivre ; & l'autre dans les ornemens, comme armes, armoiries, blasons, trophées, figures, statues, & toutes sortes d'amortissemens, avec dorure ou sans dorure, où l'on veut éviter la dépense du bronze, & dont les moules se font en terre le plus souvent par les fondeurs, qui connoissent plus particulierement que personne cette partie.
Pour faire des tuyaux moulés, il faut d'abord savoir comment est fait le moule : c'est une espece de cylindre de cuivre A, fig. 16. 17. & 18, d'environ deux piés & demi à trois piés de longueur, creusé en dedans en forme de tuyau d'environ cinq à six lignes d'épaisseur proportionnément à sa grosseur, dont le diametre intérieur est relatif à la grosseur extérieure des tuyaux B que l'on veut mouler. Le milieu de ce moule est surmonté d'un jet C en forme d'entonnoir, aussi de cuivre, & tenant à la même piece par où l'on verse le plomb, comme on le peut voir dans la Pl. II. Ce moule est fait en deux morceaux, ressemblans chacun à celui fig. 18, séparé par le milieu sur la longueur, dont le joint traversant le milieu du jet C, le touche hermétiquement par-tout, pour empêcher par ce moyen le plomb de s'évader. Il est essentiel d'y pratiquer des ouvertures sur la longueur, afin que l'air remplacé par le plomb puisse s'échapper facilement.
Comme cette piece de cuivre est toujours fort échauffée, qu'elle a besoin de l'être pour empêcher que le plomb que l'on y coule ne se fige trop promptement, & que par conséquent il n'est pas possible alors de la manoeuvrer facilement, on y pratique par les deux bouts & de chaque côté quatre especes de gougeons D, même fig. pris à la masse même du moule, percés chacun d'un trou pour y arrêter, par le moyen d'une clavette, un collier de fer plat aussi D, à charniere par en bas, & à branche par en-haut ; ce collier de fer (fig. 19.) à charniere en D est garni d'une espece de boulon E, arrêté à demeure par un bout sur le collier, & percé d'un trou plat par l'autre ; ce boulon E traverse l'extrémité supérieure du collier, & se trouve arrêté & fermé par une clavette, & c'est par les branches F que l'on peut faire agir le moule, soit pour l'ouvrir ou le fermer. Dans son intérieur (fig. 16. & 17.) est un mandrin ou boulon G H, fig. 20, arrondi, à-peu-près de la longueur du moule, fait pour que le tuyau B se trouve évidé intérieurement ; ce mandrin G H est quelquefois plein & quelquefois creux ; plein, lorsqu'il ne passe pas environ deux pouces de diametre, & alors il est de fer bien arrondi, bien dressé, & creux ; lorsqu'il passe cette grosseur, on le fait en ce cas de cuivre, comme étant plutôt fait, coûtant beaucoup moins, & étant moins pesant. Ce mandrin ou boulon G H porte par une de ses extrémités G un anneau ou moufle I, dans lequel passe un crochet ou moufle K, retenu avec un boulon claveté : à son extrémité sont de fortes bandes
(b) On appelle forger, frapper un métal quelconque, pour on resserrer les pores.
ou sangles de cuir L, qui avec le secours du moulinet, fig. 22, font retirer le mandrin ou boulon G H de l'intérieur du tuyau, resserré alors par le refroidissement du plomb ; & pour mieux lui en procurer la facilité, on a soin de le graisser, & de tenir son extrémité H un tant-soit-peu plus petite que celle G. M, fig. 16. 17. & 21, sont des viroles de cuivre dont le côté N, plus mince, entre de toute son épaisseur dans le moule A, tel qu'on le voit dans la fig. 16, & le bout du tuyau B vient se terminer droit sur l'une de ces viroles, & obliquement sur l'autre, afin que lorsque l'on vient à verser du nouveau plomb par le jet C, il puisse se joindre avec le précédent, & faire corps avec lui, en le faisant fondre. La premiere ne sert que pour commencer un tuyau, & se place à l'extrémité du moule en P.
Nous venons de voir que le boulon G H se retiroit du moule par le secours d'un moulinet, fig. 22. G est donc le boulon ci-dessus expliqué ; L, la bande ou sangle de fort cuir qui le tient accroché en K. Les tuyaux moulés se font toujours sur une forte table A, fig. 22, posée sur de forts treteaux B, solidement assemblés. Cette table sert non-seulement à soutenir le moule pour faire les tuyaux, mais encore à soutenir le moulinet qui sert à retirer le boulon G ; ce moulinet est composé d'un rouleau C de fer bien arrondi, portant par chacune de ses extrémités un tourillon rond qui roule dans des coussinets D de cuivre, arrêté avec des vis à demeure sur la table ; au bout d'un de ces tourillons est un moulinet E à quatre branches, percé d'un trou quarré au milieu, & retenu par une clavette, par lesquelles branches on fait agir avec force le rouleau C, autour duquel tourne la sangle de cuir L qui tire le mandrin G hors du moule, pour que le moule A ne vienne pas avec le mandrin G. Lorsqu'on le retire avec le moulinet, on a soin de pratiquer sur la table des hausses ou calles retenues à demeure, contre lesquelles le moule vient s'arrêter par les charnieres des colliers.
De la maniere de faire les tuyaux moulés. Le moule préparé de la maniere qu'il vient d'être expliqué, on le pose de niveau & bien droit sur une table ou planche (fig. 22.) appuyée bien solidement sur plusieurs treteaux ; ensuite deux hommes versent, ainsi qu'on le voit dans la Pl. II. alternativement & sans interruption dans le jet C, fig. 16, du plomb liquide qu'ils prennent tour-à-tour dans la grande chaudiere du fourneau, & cela jusqu'à ce que le jet soit plein, parce que le plomb en refroidissant se retire de maniere à laisser toujours au milieu un petit trou qu'on appelle soufflure, qui s'il n'étoit pas plein, perceroit le tuyau dans cet endroit. Le moule étant plein, on laisse refroidir le tout suffisamment, pour que le plomb ne puisse se rompre en le remuant ; ensuite en appuyant sur les branches du moulinet fig. 22, on retire le boulon du moule fig. 16 ; on défait les clavettes E, & par les branches F des colliers, on ouvre le moule en deux parties, comme on le voit fig. 17, & il reste au milieu le tuyau B, portant la masse du plomb qui étoit dans le jet C, par où on l'accroche pour le retirer du moule. Cette opération finie, on n'a encore que deux piés & demi à trois piés de tuyau ; & pour en prolonger la longueur, on en laisse environ six pouces de long de celui qui est fait dans le moule, en plaçant son extrémité oblique audessous du jet C, afin que lorsque l'on vient à verser du nouveau plomb sur l'ancien, il puisse en le faisant fondre se joindre à lui, & ne faire qu'un corps. Ceci fait, on remet le boulon dans sa place, dont un bout entre dans les six pouces du tuyau déja faits ; on referme le moule, & on recommence l'opération comme auparavant, jusqu'à ce qu'enfin on soit arrivé à la longueur d'environ 12 piés, qui est la plus grande longueur que l'on donne ordinairement aux tuyaux.
Il faut observer que tout ce qui dépend du moule soit bien ajusté, car autrement si le moule n'est pas bien arrondi, le tuyau devient mal fait ; si le mandrin ou boulon n'est pas aussi bien arrondi, ou se trouve placé plus d'un côté que de l'autre, le tuyau est aussi plus épais d'un côté que de l'autre, & prend une mauvaise forme. Ainsi toutes ces observations sont absolument nécessaires pour bien opérer.
Il faut encore remarquer avant de couler le plomb, de le bien purifier dans la chaudiere, & que lorsque l'on vient à le couler, il soit assez chaud pour faire fondre l'ancien, afin que par-là il puisse se lier plus intimement avec lui. Il ne faut pas qu'il soit trop chaud, car en général le plomb trop échauffé se brûle, ce qui forme une infinité de pores très-ouverts, par où l'eau se perd quelquefois, sur-tout lorsqu'elle se trouve forcée par des reservoirs fort élevés : & c'est là le plus souvent le défaut qui occasionne les réparations continuelles des tuyaux de conduite.
La seconde espece de plomb moulé est, comme nous l'avons dit, celle que l'on emploie pour toutes sortes d'ornemens d'architecture & de sculpture, dont les moules se font en terre exprès pour chaque piece, & ne peuvent servir qu'une fois. Cette partie ne regarde en aucune maniere les Plombiers, mais plutôt les Fondeurs en cuivre, dont la plus grande difficulté consiste dans la façon des moules, & devient par conséquent étrangere à notre objet.
Du plomb selon ses façons. Plomb en table est celui qui a été fondu & coulé sur une table appellée moule, couverte d'un sable très-uni.
Plomb laminé est celui qui a été pressé également entre deux cylindres, qui par cette compression uniforme acquiert une épaisseur parfaitement égale, qualité que n'a pas le premier, dont l'épaisseur est toujours fort inégale.
Plomb coulé sur la toile est un plomb en table très-mince, très-rare, fort difficile à faire, & dont on se sert aussi très-rarement.
Plomb en culot est du vieux plomb qui a servi, & que l'on jette à la fonte.
Plomb alquifoux est l'écume du premier, que les Potiers de terre employent dans leurs ouvrages.
Plomb de mine ou mine de plomb, est une pierre que l'on taille, & dont on fait des crayons pour le dessein.
Plomb d'horloges sont des poids ou contrepoids qui servent à les faire mouvoir ou à en régler le mouvement.
Plomb se dit des balles de mousquet & autres charges d'armes à feu.
Plomb de vître est du plomb fondu en petits lingots dans une lingotiere (c), & ensuite tiré par verges à deux rainures dans un petit moulin appellé tire-plomb, à l'usage des compartimens de panneaux de vître.
Plomb de chef-d'oeuvre est le plus étroit & le plus proche à l'usage des pieces d'expérience & les chefs-d'oeuvres. Voyez le Dictionn. de Daviler.
Plomb se dit encore d'une espece de chaudiere plate & quarrée faite de plomb, dont on fait usage dans les salines de Normandie.
Plombs sont encore des morceaux de plomb ronds pesant près d'une livre, que l'on place dans les manches des robes des femmes pour leur faire prendre le pli qu'on juge à-propos.
Plombs de toilette étoient autrefois des especes de petits cônes en forme de pain de sucre, de plomb, d'argent ou d'autre métal, qu'on appelloit ainsi, & dont les femmes se servoient pour se coëffer, en les attachant par le sommet à un ruban qui tenoit à leur
(c) On appelle en lingotiere une cavité en longueur, pratiquée dans un morceau de fer ou de cuivre, pour y couler les métaux.
bonnet, pour le rendre ferme tandis qu'elles ajustoient le reste de la coëffure.
Plomb est un morceau de plomb que l'on suspend au bout d'une ficelle pour prendre des à-plombs, des niveaux & autres choses semblables, à l'usage des ouvriers dans les bâtimens.
Aplomb, ligne droite qui est suspendue perpendiculairement, & dont l'extrémité inférieure tend au centre de la terre.
Plomb ou niveau à regle, est lorsque le plomb pendant au bout d'un fil tendu arrêté au sommet d'une regle, bat d'un bout à l'autre sur son échancrure.
Plomb ou niveau à talus, est celui qui étant arrêté au sommet d'un triangle, bat sur la base.
Ces deux dernieres especes sont employées par les Maçons, & presque tous les ouvriers du bâtiment.
Plomb à chas est celui qui passe par le trou d'un petit ais.
Plomb, ou niveau de Paveurs, est celui dont se servent les paveurs, & qui est suspendu au bout d'une regle qui se leve à angle droit sur le milieu d'une autre de cuivre ou de bois.
Plomb, ou niveau des Mathématiciens, est celui qui se trouve placé dans presque tous les étuis dits étuis de mathématique ; ce n'est autre chose qu'une équerre à deux branches de long, d'une desquelles est suspendu un petit plomb par une soie.
Plomb de sonde, est en terme de marine, un plomb fait en cône attaché au bout d'une corde appellée ligne, avec lequel on sonde dans la mer, soit pour en mesurer la profondeur, soit pour distinguer la qualité du fond.
Plomb, est aussi le nom que l'on donne à une maladie dont sont quelquefois attaqués ceux qui travaillent aux vuidanges des fosses d'aisance. Lorsque l'on n'y est pas fait, elle est suffocante, & ressemble par ses symptomes à l'apoplexie ; on risque beaucoup d'en mourir, si on n'est promptement secouru en prenant l'air & en vomissant.
Plomb blanc, en terme de philosophie hermétique, c'est le plomb liquide : le plomb fondu, dit-on, est la matiere des sages ; lorsqu'il est parvenu au noir très-noir, c'est le plomb des philosophes ; c'est l'ouvrage de la pierre des sages, ou le mercure hermétique. Quelques-uns d'eux appellent leur plomb la matiere qui se cuit dans l'oeuf, lorsqu'elle est devenue comme de la poix fondue : c'est-là l'explication la plus véritable de leur sens caché.
Plombs de Rome, ou bulles sous plomb, étoient autrefois des especes de sceaux d'or, d'argent, de cire ou de plomb, apposés sur des papiers de conséquence : il y en avoit de deux sortes, l'une que l'on nommoit plomb de la chambre, étoit ordonné par le pape ; on lui apportoit les bulles auxquelles il donnoit sa bénédiction ; l'autre appellée plomb de la chancellerie, étoit ordonnée par quelques prélats qui y présidoient. Le plomb de Rome étoit très-cher : les officiers du plomb étoient le président, les collecteurs, les maîtres, & le receveur caissier.
Des soudures. La plomberie ne consiste pas seulement dans l'art d'employer le plomb des différentes manieres que nous l'avons vu, mais encore dans celui d'y faire les soudures nécessaires sur divers plans inclinés ou de niveau, pour le joindre avec d'autres métaux, & même pour joindre les métaux homogenes ou hétérogenes ensemble, ainsi que dans celui de composer une soudure analogue à chacun d'eux.
De la soudure en général. Lorsque l'on a des métaux à souder ensemble, on est obligé pour cela d'employer le même métal, ou au-moins un autre qui approche le plus qu'il est possible de sa nature, pour que ce nouveau métal puisse bien lier les autres ensemble, il faut qu'étant échauffé il puisse fondre avant eux, & en coulant s'étendre & s'agraffer à leurs surfaces, & faire un corps solide lorsqu'il est figé. Ainsi un métal de même nature que celui que l'on veut souder, ne fondroit pas plutôt, ce qui ne pourroit réussir. On est donc alors obligé d'en allier un autre avec lui plus facile à fondre, & qui le fasse couler plus promptement ; c'est ce que l'on fait dans les soudures de chaque métal, ainsi que dans la plomberie, pour souder le plomb.
De la soudure en particulier. Le métal qui approche le plus de la nature du plomb, est comme nous l'avons vu, l'étain que les marchands vendent depuis vingt-huit sols jusqu'à trente-deux sols la livre, selon sa qualité ; c'est celui que les anciens appelloient autrefois plomb blanc, pour le distinguer de celui qu'ils appelloient plomb noir, & que nous appellons maintenant plomb ; mais ce métal seul étant fondu, devient presque aussi liquide que de l'eau, coule trop facilement, & ne peut par conséquent demeurer en place lors de son emploi, quoique cependant avec un peu d'art on en puisse venir à bout. D'ailleurs, étant froid, il seroit si dur, qu'il feroit casser le plomb dans l'endroit où l'un & l'autre se joignent ; ce qui arrive encore quelquefois malgré les précautions que l'on a prises lorsqu'on veut l'employer ; il est très-facile de corriger ce défaut en l'alliant avec du plomb. Cet alliage est encore un art selon les lieux où on l'employe ; car comme les soudures se font également sur des plans horisontaux, verticaux, ou obliques, la soudure qui est trop facile à couler pour les uns, est très-bonne pour les autres ; & la dose de l'un & de l'autre est une connoissance nécessaire pour remédier à ces sortes d'inconvéniens.
Autrefois cette dose étoit de mêler ensemble autant de plomb que d'étain ; mais le tems ayant renchéri l'un & l'autre en proportion, les ouvriers plus avides maintenant du gain, ne mettent plus guere qu'un tiers d'étain sur deux tiers de plomb, & fort souvent un quart de l'un, & les trois quarts de l'autre ; ce qui fait une soudure beaucoup plus difficile à fondre & à employer, qui cependant devient convenable en certains cas, comme nous le verrons par la suite.
Des différentes soudures, & de la maniere de les faire. Il y a plusieurs manieres de faire les soudures ; les unes se font sur des plans horisontaux, & ce sont les plus faciles ; les autres sur des plans verticaux, & ce sont les plus difficiles ; d'autres sur des plans qui participent des deux especes, c'est-à-dire, sur des plans inclinés plus ou moins, selon les places qu'il n'est pas toujours en son pouvoir de choisir. Celles-ci ne sont difficiles qu'autant que l'obliquité du plan approche de la perpendiculaire ; c'est dans ce dernier cas, que l'on employe la soudure la plus dure à fondre, comme coulant plus difficilement, & demeurant plus facilement en place.
Les soudures se divisent en deux especes ; les unes appellées à côte, servent pour joindre les tables de plomb ensemble par leurs extrémités, soit pour doubler l'intérieur des réservoirs, la superficie des terrasses, plate-formes, &c. soit pour des tuyaux que l'on appelle alors tuyaux soudés, dont nous verrons l'explication ci-après ; les autres appellées à noeuds, servent non-seulement à joindre des tuyaux les uns au bout des autres pour des conduites d'eau, mais encore des corps de pompe, portes, clapets, calottes, ou brides de cuivre au bout de ces mêmes tuyaux, dont on fait aussi des enfourchemens de pompes, & autres choses semblables.
Des soudures à côtes. Lors donc que l'on a deux tables, A, fig. 26. à souder ensemble par leurs extrémités, on commence par gratter le plomb avec un grattoir, fig. 35, 36, ou 37 ; & de la largeur que doit être la soudure convenablement à l'épaisseur du plomb, jusqu'à ce qu'il devienne très-clair & très-brillant. Si le plomb n'a qu'une ligne d'épaisseur, une soudure d'environ deux pouces, est assez large ; si le plomb en a deux, la soudure doit avoir environ trois pouces, & le reste à proportion. C'est la même chose pour des tuyaux soudés, figure 27, qui ne sont autre chose que du plomb en table, dont la largeur relative à la circonférence du tuyau que l'on veut faire, est arrondie & repliée sur elle-même, & soudée à côté, comme dans la figure précédente.
Si le plomb qui a été gratté est d'une forte épaisseur, il est nécessaire avant que de le souder de l'échauffer, soit avec des torches de paille ou des charbons de feu placés dessus & autour de l'endroit que l'on veut souder, soit avec des polastres, (fig. 39. & 40.) remplis de charbons allumés que l'on pousse dans l'intérieur des tuyaux : ensuite après avoir frotté l'endroit de poix-résine, on jette dessus une ou plusieurs cuillerées de soudure liquide qui l'échauffe encore plus, & en frottant les fers à souder (fig. 38. & 34.) sur le plomb, en maniant & pétrissant à diverses reprises avec un porte soudure (fig. 38.), la soudure en forme de pâte mêlée toujours de tems en tems de poix-résine, qui attire à soi les ordures & les crasses qui empêcheroient la soudure de s'agraffer. On étame bien le plomb ; on lie bien toute la soudure ensemble, dont on ôte le superflu en lui donnant la forme du côté B, fig. 9, 26, 27, 29 & 30, d'où elle tire son nom.
Il faut remarquer que s'il est tombé par hasard de l'eau ou de la poussiere sur le plomb gratté, ou si on l'a laissé trois ou quatre heures gratté sans l'étamer, la soudure alors ne peut plus s'y agraffer, & il faut absolument le regratter de nouveau pour pouvoir l'étamer.
Il faut savoir encore qu'un seul homme ne peut souder & faire chauffer les fers en même tems, surtout pour des ouvrages un peu longs ; il lui faut alors un aide qui fasse ce dernier ouvrage, & qui lui porte de momens à autres un fer chaud, en reprenant l'ancien qu'il fait chauffer de nouveau.
Des soudures à noeuds. Lorsque l'on veut faire des soudures à noeuds, dites noeuds de soudure, comme par exemple si c'est pour joindre deux tuyaux de plomb A & B, fig. 28. ensemble bout à bout, il faut, pour les préparer, les amincir sur leur circonférence chacun par le bout A & B que l'on veut souder, ensuite les gratter extérieurement de la longueur que l'on veut faire le noeud, qui doit être proportionnée à la grosseur des tuyaux : on les joint ensemble bout à bout en les faisant entrer un peu l'un dans l'autre, on verse de la soudure dessus & avec les fers à souder on les étame, on broie bien la soudure avec le porte-soudure, fig. 38. en en ôtant le superflu & observant, comme nous l'avons vû, de les souder aussi-tôt après qu'ils ont été grattés : si leur grosseur extérieure ne passe pas quatre pouces de diametre, la soudure liquide que l'on verse dessus suffit seule pour les échauffer ; mais si elle va au-delà de quatre pouces, on est obligé alors d'avoir recours à un feu étranger.
Les noeuds de soudure, fig. 30. faits pour joindre le plomb A avec le cuivre C, ou le cuivre avec le cuivre, different seulement en ce que le cuivre étant plus difficile à étamer, il faut le faire par avance en limant d'abord la partie extérieure qui doit être soudée avec la lime ou rape, fig. 43. en l'étamant ensuite, soit en le frottant avec des étoupes (a) ou les fers à souder, fig. 32. & 34. on joint l'un & l'autre bout à bout & on fait le noeud.
Toutes les soudures de Plomberie ne different presque point de celles que nous venons de voir, ce sont toujours des soudures à côte ou à noeuds, ce sont toujours pour tels ouvrages que ce soit le porte-soudure, fig. 38. les fers à souder, fig. 32. & 34. la soudure liquide que l'on verse dessus la poix résine dont on se sert ; il est vrai que celles qui se font sur des plans inclinés non-seulement sont plus difficiles, mais encore font perdre beaucoup de soudure.
De la maniere de séparer la soudure des vieux plombs. La maniere de séparer la soudure des vieux plombs est fort simple : elle ne consiste qu'à les environner de paille à laquelle on met le feu, ce feu échauffe la soudure au point de la faire casser & se détacher d'elle-même du plomb, ensuite on la ramasse pour la mettre à part ; car quoiqu'ayant déja servi & n'ayant plus autant de qualité que la nouvelle, elle ne laisse pas encore d'avoir une certaine valeur : d'ailleurs si on ne la séparoit pas & qu'on la mît indistinctement à la fonte avec le vieux plomb, elle ne manqueroit pas de lui ôter sa pureté, & de le rendre dur & cassant.
Explication des instrumens de Plomberie & de toutes les parties qui y ont rapport. La fig. premiere & la fig. 2. sont les formes des masses de plomb, telles qu'elles arrivent des mines. Quoiqu'il y en ait de plusieurs autres formes, ce sont cependant là les plus ordinaires, plus grosses ou plus petites ; leur poids differe depuis environ cinquante livres jusqu'à cent cinquante & deux cent livres. Cette fig. premiere se nomme navette, & cette fig. 2. saumon ; néanmoins sous cette derniere dénomination on comprend toute sorte de masses de plomb. Les masses d'étain ont à-peu-près la même forme & le même poids ; la différence est que comme ce dernier est beaucoup plus cher, & que l'on en employe moins à la fois, on le réduit, pour la facilité du détail, à toute sorte de poids, jusqu'à des especes de petits chapeaux quarrés qui pesent environ six, huit & dix livres.
La fig. 3. est une cuillere de fer pour la commodité du transport du plomb liquide. Il y en a de plusieurs grandeurs selon le besoin que l'on en a, mais les plus grandes ne doivent guere contenir plus de quarante livres de plomb, poids qui seroit alors trop lourd pour la force d'un seul homme. Son extrémité inférieure est en forme de crochet, pour pouvoir la suspendre dans les atteliers.
La fig. 4. est une marmite de fer dans laquelle on peut faire fondre une certaine quantité de plomb ; elle est posée sur trois piés avec deux anses A, par lesquels on la transporte lorsqu'elle est pleine.
La fig. 5. est une poële aussi posée sur trois piés, avec deux anses A pour la transporter, employée aussi aux mêmes usages.
La fig. 6. est un instrument de fer mince, ou de forte tôle, appellé polastre, dans lequel on met de la braise ou charbon de bois allumé, pour faire chauffer les fers à souder fig. 32. & 34. en les plaçant tout-autour dans les échancrures A le gros bout en-dedans & la queue en-dehors. Cet instrument peut être quarré, rectangulaire, circulaire, ovale, ou d'autre forme que l'on juge à-propos.
La fig. 7. est un autre polastre dans lequel on peut aussi mettre la marmite à fondre le plomb ; & alors il sert aux deux usages à-la-fois, c'est-à-dire, à chauffer les fers & à fondre le plomb.
La fig. 8. est la coupe, la fig. 9. le plan géométral, & la fig. 10. l'élévation perspective du fourneau & de la chaudiere où on fait fondre le plomb, dont nous avons déja vû ci-devant la description.
La fig. 11. est le moule où l'on coule le plomb en table ; il est inutile de répéter l'explication que nous en avons déja vû ci-devant.
La fig. 12. est un instrument appellé rable, qui, comme nous l'avons dit, n'est autre chose qu'une planche de bois de chêne A, échancrée par chaque bout B, pour la faire entrer dans le moule qu'on meut d'un bout à l'autre par le manche C, & donner par ce moyen à la table de plomb l'épaisseur que l'on juge àpropos ;
(a) Des étoupes sont des tampons de filasse.
la longueur de la planche A de ce rable ne pouvant varier comme la largeur des tables de plomb dont on a besoin, on est obligé pour cela d'en avoir un pour chaque largeur différente.
La fig. 13. est un instrument appellé plane, qui sert à planer le sable C du moule, fig. 11. pour le rendre uni après y avoir passé le rable, fig. 12. Cette plane est une planche de cuivre A d'environ six à huit lignes d'épaisseur, bien unie par-dessous, portant une poignée B aussi de cuivre, & arrêtée à demeure sur la planche A, par laquelle on la tient pour planer. On a soin, avant que de s'en servir, de la faire chauffer un peu, afin que le sable humide ne puisse s'y attacher.
La fig. 14. est un instrument appellé poële à verser. C'est une espece d'auget de cuivre rouge A, contenu pour le soutenir dans un chassis de fer B à plusieurs branches, réunies à une seule C qu'on appelle queue de la poële. Cet instrument est fait pour contenir la quantité de plomb dont on a besoin pour faire la table dans le moule, fig. 11, au sommet duquel il est toujours placé sur un fort treteau de bois, solidement assemblé, & capable de soutenir sa pesanteur.
Les fig. 16. 17. 18. 19. 20 & 21. sont tout ce qui dépend des moules propres à faire les tuyaux moulés, dont nous avons déja vû ci-devant l'explication.
La fig. 22. est la table sur laquelle on fait les tuyaux moulés, dont nous avons aussi vû l'explication.
La fig. 23. est une cuillere percée, ou, pour la mieux nommer, poële à marrons. C'est vraiment d'une telle poële qu'on se sert pour écumer le plomb lorsqu'il est fondu. Pour s'en servir, on la tient par la queue A, on prend une quantité d'ordure ou de crasse qui nâge sur le plomb, on secoue la poële, le plomb coule par ces trous & l'écume reste, que l'on met à part pour les Potiers-de-terre ; la queue A de la poële se termine par en-haut d'une douille creuse B, dans laquelle on peut enfoncer un bâton pour allonger le manche en cas de nécessité.
La fig. 24. est un rouleau de plomb en table, que l'on roule ainsi lorsqu'il a été coulé pour être plus portatif & moins embarrassant. Lorsque l'on veut transporter ces sortes de rouleaux, on passe de chaque côté A le bout d'un levier, fig. 51. que plusieurs hommes transportent à bras (a), ou sur leurs épaules.
La fig. 25. est une table de toile posée sur deux treteaux, sur laquelle on coule le plomb, dit plomb coulé sur toile, dont nous avons déja parlé.
La fig. 26. sont deux fragmens de table de plomb A soudés à côte B.
La fig. 27. est une table de plomb, recourbée sur elle-même en forme de tuyau, aussi soudé à côte B.
La fig. 28. sont deux fragmens de tuyaux amincis par le bout A & B, & préparés à être soudés à noeuds.
La fig. 29. sont les deux bouts de tuyaux précédens soudés à noeuds en B.
La fig. 30. est aussi un noeud de soudure B, qui joint un bout de tuyau indéfini A avec une calotte de cuivre C à l'usage des pompes.
Nous avons déja vû l'explication de ces dernieres figures, ainsi il est inutile de s'y étendre davantage.
Les fig. 32. & 34. sont deux fers à souder, dont le premier est plus camus selon les différens endroits où l'on s'en sert : chacun d'eux se font chauffer alternativement dans le polastre, fig. 6. & 7. rempli de feu par les échancrures A ; leur degré de chaleur propre à souder est toujours lorsqu'ils commencent à rougir ; si on les laisse davantage au feu, ils se brûlent, c'est-à-dire, que les pores du fer s'ouvrent, & qu'il se forme dessus des écailles. On peut à-la-vérité les réparer en les frottant avec du grès, mais c'est un tems perdu que les soudures ne peuvent permettre, parce que, dit-on, lorsque le fer est chaud, il faut le battre. Aussi lorsque le tuyau que l'on soude & la soudure qui est déja dessus sont échauffés, il faut finir sans perdre de tems ; néanmoins, comme on a toujours soin d'en mettre cinq, six, ou huit à-la-fois au feu, s'il s'en brûle quelques-uns, on a le tems de les réparer pendant le service des autres.
Les fig. 31. & 33. sont deux demi-manches de bois, arrondis en-dehors & en-dedans, qui ensemble font le manche entier, avec lequel on prend les fers à souder par la queue, qui ordinairement sont toujours très-chauds, & que pour cela on ne sauroit prendre à la main.
La fig. 35. est un instrument appellé grattoir ; c'est une espece de triangle équilatéral A dont le périmetre est tranchant, posé & rivé par le milieu sur une tige de fer B à pointe emmanchée dans un manche de bois par lequel on le tient pour s'en servir. Son usage est de gratter le plomb que l'on veut souder, pour le rendre clair & brillant, afin que la soudure puisse mieux s'y agraffer.
Les fig. 36. & 37. sont aussi deux autres grattoirs à deux tranchans employés aux mêmes usages.
La fig. 38. est un instrument appellé porte-soudure ; c'est un morceau de coutil bien serré, plié en six, huit ou dix, formant un quarré ou rectangle d'environ huit pouces de large, dont la superficie est frottée de graisse ou de poix-résine, de peur que la soudure ne s'y attache : il sert à manier la soudure toute chaude en forme de pâte, & à lui donner la forme que l'on juge à propos.
Les fig. 39. & 40. sont des polastres de différentes longueurs, faits de tole, remplis de feu que l'on glisse dans les tuyaux que l'on veut souder, pour les échauffer. Ils sont percés de trous d'un bout à l'autre, afin que la chaleur puisse en sortir plus facilement.
La fig. 41. est un instrument appellé tranchel, qui sert à couper le plomb par le tranchant aciéré A, en le tenant par le manche B d'une main, & frappant de l'autre sur le dos C avec la batte, (fig. 46.)
La fig. 42. est un instrument appellé serpe, qui sert à couper du bois pour différens usages par le tranchant aciéré A, en le tenant par le manche B.
Il y a encore d'autres serpes beaucoup plus petites qu'on appelle pour cela serpettes, employées aux mêmes usages.
La fig. 43. est une lime ou rape qui sert à limer ou raper toutes sortes de choses, comme cuivre, plomb, bois, &c. pour les outils dont on a besoin.
La fig. 44. est un instrument appellé gouge, dont le taillant aciéré A est circulaire, emmanché dans un manche de bois, & dont on se sert pour couper le plomb ou le bois, selon les occasions que l'on a de s'en servir, en frappant sur le manche B avec la batte, (fig. 46.)
La fig. 45. est un ciseau aussi aciéré, servant aux mêmes usages que la gouge précédente, sur la tête A duquel on frappe aussi avec la batte, fig. 46.
La fig. 46. est un instrument de bois appellé batte, à demi-arrondi & sans précaution, dont on se sert en le tenant par le manche A, pour frapper sur les outils qui coupent le plomb. Cet instrument a beaucoup plus de coup (a) & frappe beaucoup plus fort qu'un marteau, (fig. 55) qui seroit de sa grosseur, & est beaucoup moins pesant, & par conséquent plus commode : on a soin de prendre pour cela du bois noueux, & qui se fende difficilement, comme l'orme, le frêne & autres.
Les fig. 47. 48. & 49. sont trois instrumens qui servent à monter sans échelle & sans échaffaud sur les bâtimens : celui-ci est une corde ou cordage, dite corde nouée, d'environ un pouce de diametre, ou
(a) On appelle transporter à bras, lorsque les hommes employent la force de leurs bras pour le transport des fardeaux.
(a) On dit qu'une masse ou marteau a plus de coup qu'un autre, lorsqu'étant plus léger ou de même poids, ses coups font plus d'effet.
trois pouces de tour (a) nouée d'environ quinze pouces en quinze pouces de distance que l'on suspend, & que l'on attache bien solidement au haut du bâtiment, ou de l'endroit où l'on doit monter.
La fig. 48. est un autre instrument appellé jambette, parce qu'il se passe dans les jambes : c'est une forte courroie qui passe dans une esse A arrêtée avec de la ficelle en B, à laquelle sont attachées deux autres courroies C qui traversent, y ayant à chacune une boucle. On place un pareil instrument dans chaque jambe, en observant de mettre la partie D de la courroie sous la plante du pié : ces deux instrumens étant ainsi bouclés, & la corde nouée (fig. 49) étant attachée, on accroche alternativement les esses A de chaque jambette (fig. 48) dans chaque noeud de la corde ; & de noeud en noeud, comme d'échelon en échelon, ou de degré en degré, on arrive enfin au haut de l'endroit où l'on a besoin de travailler : on a soin de porter avec soi en montant l'instrument (fig. 47) appellé sellette qui est composé d'une planchette A suspendue par quatre cordes B, & fixée aussi à une esse C pour l'accrocher dans un noeud de la corde nouée, lorsque l'on est arrivé au lieu où l'on a affaire ; & ainsi accrochée, on peut s'asseoir fort commodément dessus, & travailler fort à son aise.
La fig. 50. est un instrument appellé bâton à labourer : on s'en sert par le bout A qui est un peu aminci pour labourer le sable sur lequel on coule le plomb en table.
La fig. 51. est un levier de bois d'environ quatre, cinq ou six pouces de grosseur sur quatre, six & huit piés de long. Il y en a de plusieurs especes dans les atteliers, & ils servent tous pour lever des fardeaux de plomb, ou pour transporter des rouleaux en table ou autrement.
La fig. 52. est un instrument appellé batte plate : c'est une espece de demi-cylindre A de bois, portant dans son milieu un manche de bois B par lequel on le tient : on s'en sert pour dresser les tables de plomb en frappant à plat dessus.
La fig. 53. est une autre batte faite pour arrondir des tuyaux ou autres ouvrages de cette espece : le côté A qui est circulaire, est fort commode pour les dresser en frappant intérieurement.
La fig. 54. est encore une batte d'une autre forme aussi employée à-peu-près aux mêmes usages.
La fig. 55. est un marteau dit marteau de Plombier, parce qu'il differe de celui des autres arts, en ce que son manche est retenu dans l'oeil du marteau par des petites plates-bandes A à queue d'aronde attachées & rivées sur le manche : le côté B de ce marteau est appellé comme les autres, tête du marteau ; & le côté C panne du marteau.
La fig. 56. est un instrument appellé compas fait pour prendre des distances égales.
La fig. 57. est un instrument de fer appellé plane, garni d'un tranchant A aciéré : cet instrument est à pointes coudées par chaque bout B emmanché dans un manche de bois : on s'en sert en le tenant à deux mains, pour planer ou couper du bois propre à faire des calles, serres, ou autres choses nécessaires pour s'équiper. (b)
La fig. 58. est un instrument appellé niveau, qui sert à placer sur les chaîneaux, gouttieres, &c. pour leur donner une pente convenable pour l'écoulement des eaux, en faisant porter dessus les piés A : au milieu est un petit plomb B suspendu à une ficelle qui marque le degré d'inclinaison du plan sur lequel il est posé.
La fig. 59. est un instrument de fer appellé debordoir rond, avec un tranchant aciéré A à pointe par chacune de ses extrémités, & emmanché comme la plane (fig. 57.) dans deux manches de bois : on s'en sert aussi de la même maniere pour de pareilles choses.
La fig. 60. est un plomb A suspendu à une ficelle B qui sert à jauger si les ouvrages que l'on pose, sont perpendiculaires.
Les fig. 61, 62, 63, 64, 65, 66 sont divers ouvrages de plomberie les plus ordinaires, & dont nous n'avons point encore parlé.
La premiere (fig. 61.) est appellée plomb, & communément dans les maisons plomb : elle sert pour les tuyaux de descente pour l'écoulement des eaux, & pour la commodité des locataires, on en place ordinairement une à chaque étage, attachée sur le mur avec des crampons de fer & des cloux ; le tuyau inférieur va descendre dans la hotte de l'étage inférieur, & de hotte en hotte, les eaux s'écoulent jusqu'en bas.
La fig. 62. est un chaîneau de plomb de la longueur que l'on a besoin, & d'une grandeur proportionnée à la quantité des eaux qui y passent, fait pour transporter celles qui viennent d'un tuyau dans un autre, & qui assez souvent dans les maisons vont s'écouler dans les hottes dont nous venons de parler.
La fig. 63. est une gouttiere qui n'est autre chose qu'une table de plomb pliée en trois, qui excede de deux ou trois piés les bâtimens, pour jetter dehors les eaux qui s'amassent sur les combles : comme ce plomb ne sauroit se soutenir seul, ayant autant de saillie, on le supporte par dessous avec une barre de fer plat.
La fig. 64. est une gouttiere d'une autre espece qui n'est autre chose qu'une table de plomb pliée angulairement dans le milieu, supportée par une piece de bois de même forme qui sert comme la précédente à jetter dehors les eaux des combles.
La fig 65. est une lucarne de plomb que l'on place sur les combles, pour éclairer l'intérieur, ou donner de l'air dans les greniers, pour empêcher la charpente de se pourrir.
La fig. 66. est une portion de comble dont le faitage A, les arrestiers B & le poinçon C sont couverts de plomb de table.
Cette sorte de plomb sert pour toutes les especes de couverture de comble, soit en entier, soit en partie, les plates-formes, terrasses, & la plûpart des lieux d'une certaine importance, où l'on a besoin d'être à l'abri des pluies ou autres intempéries de l'air. Article de M. LUCOTTE.
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PLOMBEUR | S. m. (Chancellerie rom.) on appelloit autrefois plombeurs, ceux qui mettoient les plombs ou les bulles de plomb aux diplomes des papes, c'est-à-dire qui mettoient les sceaux ; ces sceaux étoient de quatre sortes, d'or, d'argent, de cire, & de plomb. Les papes ne mettoient le sceau à la bulle de plomb, qu'aux actes & aux diplomes de conséquence. D'abord ils avoient, dit-on, deux religieux de Citeaux, qui étoient chargés d'imprimer l'effigie sur ces plombs, & qu'on appelloit à cause de cela les freres du plomb ; ensuite on en chargea des ecclésiastiques, séculiers qui furent appellés plombeurs. (D.J.)
PLOMBEUR, (Commerce) celui qui plombe, qui applique les plombs ou marques aux étoffes & autres marchandises. Voyez PLOMB & PLOMBIER.
A Amiens on dit ferreur, & en d'autres endroits marqueur. Voyez FERREUR & MARQUEUR. Dictionn. de Comm.
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PLOMBIER | S. m. ouvrier qui fond le plomb, qui le façonne, qui le vend façonné & le met en oeuvre dans les bâtimens, les fontaines, &c.
Les Plombiers forment à Paris une communauté, dont les derniers statuts sont du mois de Juin 1648, & contiennent quarante articles.
(a) On dit, en terme de Cordier, qu'une corde ou cordage a tant de tour, c'est-à-dire de circonférence ; & c'est ainsi qu'ils les mesurent toujours.
(b) On appelle s'équiper, préparer tout ce qu'il faut pour un genre d'ouvrage.
Suivant ces statuts, la communauté doit être régie par trois chefs, l'un qui est nommé principal, & les deux autres jurés ; tous les ans on doit élire un nouveau principal & un des jurés.
Il faut pour parvenir à la maîtrise être né sujet du roi ou naturalisé françois, & avoir fait quatre ans d'apprentissage, & le chef-d'oeuvre prescrit par les jurés.
Les fils de maîtres sont exempts d'apprentissage & du chef-d'oeuvre, pourvû qu'ils aient travaillé du métier pendant deux ans chez leur pere, & sont reçus sur une simple expérience.
Les apprentis qui ne sont point de Paris ne peuvent être admis à la maîtrise qu'ils n'aient justifié de leur brevet d'apprentissage, & travaillé à Paris pendant deux ans chez les maîtres.
Les veuves peuvent, tant qu'elles sont en viduité, faire travailler & tenir boutique ouverte, pourvû qu'elles aient pour la conduite de leurs travaux un compagnon capable.
Les maîtres plombiers sont tenus de marquer de leurs coins tous les plombs qu'ils vendent ou qu'ils employent, & cette marque doit être apposée avant que le plomb sorte de leurs boutiques.
Il est défendu aux Plombiers de jetter du plomb sur toile, & de l'employer, non plus que celui qui a passé par le moulin.
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PLOMBIERES | (Géog. mod.) petite ville de Lorraine, dans la Voge, & sans muraille ; elle est à 2 lieues de Remiremont, à 4 de Luxeulx, & à 15 au-dessous de Larges, entre deux montagnes escarpées, sans rochers ni bois qui lui servent de clôture. Les bains qui ont rendu Plombieres renommée, sont les eaux chaudes qui sortent de ces deux montagnes. Il y en a de trois sortes, savoir pour le bain, pour suer, & pour boire ; mais c'est-là l'objet d'un article particulier. Il suffit de dire que Plombieres est un lieu bas, étroit, qui ne contient qu'une petite paroisse, & un couvent de capucins. On y trouve deux grands bains ; le particulier qui est ouvert, & ordinairement réservé pour les femmes, appartient aux chanoinesses de Remiremont, comme dames & patrones de ce lieu. Long. 24. 14. lat. 47. 58. (D.J.)
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PLOMÉE | S. f. (Architect.) selon le pere Derand, par corruption de plombée, est une ligne tirée à plomb.
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PLOMMER | terme de Potier de terre, c'est la même chose que plomber, c'est-à-dire vernisser la poterie de terre, parce que le vernis se donne avec du plomb, ou du-moins des minéraux qui en tiennent lieu, & des drogues tirées de ce métal.
Les Potiers se servent ordinairement à cet usage de l'alquifoux ou plomb minéral, du plomb en poudre, qui se fait en jettant du charbon pilé dans du plomb en fusion, & des cendres de plomb, qui ne sont autre chose que son écume & ses scories.
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PLOMO-RONCO | (Minéral) les Espagnols appellent plomo-ronco le plus riche de tous les minerais d'argent qui se tirent des mines du Chily & du Pérou, le plus facile à exploiter, & qui coûte le moins de fraix. Il est noir & mêlé de plomb, d'où il a pris son nom. On le fond sans avoir recours au vif argent ; le plomb poussé au feu s'évapore, & l'argent reste aussi net que si on l'avoit amalgamé. (D.J.)
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PLONGÉE | S. f. (Fortif.) on dit la plongée du parapet, pour la pente, la descente de son talus ou glacis.
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PLONGEON | PETIT PLONGEON DE RIVIERE, PLONGEON CASTAGNEUX, ZOUCET. Voyez CASTAGNEUX.
PLONGEON HUPPE, (Ornithol.) colymbus major cristatus, oiseau dont les plumes du derriere de la tête & de la partie supérieure du cou sont droites & forment une hupe. Le dessus de ces plumes est noir & les côtés sont roux ; le menton & l'espace qui est autour des yeux ont une couleur blanche entourée de roux ; la poitrine & le ventre sont d'un blanc mêlé de roux ; le dos est noirâtre, à l'exception de quelques plumes qui sont cendrées ; les grandes plumes des aîles ont une couleur brune, & les petites sont blanches. Rai, synops. met. avium. Voyez OISEAU.
PLONGEON DE RIVIERE, grand, colymbus major, Ald. Will. oiseau qui pese une livre. Il a environ un pié neuf pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, & autant d'envergeure ; la longueur du bec est à-peu-près de deux pouces depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche. Les plumes de cet oiseau sont courtes, minces, molles, & fort serrées les unes contre les autres. Il a la tête & le cou de couleur brune ; le dos est plus noirâtre ; les côtés du corps & le bas-ventre sont bruns ; la poitrine a une couleur blanche argentée ; la queue est si courte qu'on la voit à peine. Il y a environ trente grandes plumes dans chaque aîle ; les douze extérieures sont entierement noires, la treizieme a la pointe blanchâtre ; cette couleur occupe plus d'espace successivement dans les autres plumes jusqu'à la vingtieme : les quatre qui suivent sont entierement blanches ; la vingt-cinquieme a un peu de brun à la pointe ; les petites plumes des aîles sont blanches par-dessous. Le bec est noir, applati sur les côtés, & jaunâtre près des coins de la bouche ; toute la piece inférieure a la même couleur. La langue est longue & un peu fourchue ; les ongles sont larges & ressemblent à ceux de l'homme ; leur couleur est noire d'un côté & d'un blanc bleuâtre de l'autre. Les pattes sont larges & applaties ; elles ont par-derriere un double rang de pointes disposées comme les dents d'une scie. Les doigts sont larges, ils ont de chaque côté une large membrane en forme d'appendice, & ils ne sont point unis les uns aux autres. Willughbi, Ornit. Voyez OISEAU.
PLONGEON TACHETE, grand. Voyez COLIMB.
PLONGEON DE MER ; Albin a donné ce nom à la piette. Voyez PIETTE.
PLONGEON, s. m. (Artificier) on appelle ainsi un artifice qui se plonge dans l'eau & en ressort encore allumé ; on pourroit appeller de ce nom les genouilleres, mais les plongeons sont moins agités & presque stables.
Cet artifice consiste en une fusée massive, suspendue par la gorge à un collet de bois qui flotte sur l'eau en situation verticale.
On fait une fusée fort longue, comme de huit à neuf diametres ; on l'étrangle à un tiers près, & on la charge d'une composition de fusées volantes, mêlée d'une moitié de celle des lances à feu, ou si l'on veut de celle des étoiles ; on en met deux ou trois charges bien foulées & bien battues, ensuite la valeur de celle d'un pistolet de poudre grenée, continuant ainsi jusqu'à ce que le cartouche soit plein à un diametre près ; alors on acheve de le remplir de sable, pour le rendre si pesant par ce bout, qu'il s'enfonce dans l'eau, après l'avoir bouché avec un tampon.
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PLONGER | v. n. (Phys.) est l'art ou l'action de descendre dans l'eau jusqu'à une profondeur considérable, & d'y rester assez long-tems.
L'art de plonger est d'une très-grande utilité, surtout pour la péche des perles, des coraux, des éponges, &c.
On a imaginé différentes méthodes & différens instrumens pour rendre l'art de plonger plus sûr & plus aisé.
Le grand point est de procurer au plongeur un air frais, sans quoi il n'est pas possible qu'il reste longtems dans l'eau ; car il y périroit.
Ceux qui plongent dans la Méditerranée pour y pêcher des éponges, ont coutume d'avoir dans leurs bouches, lorsqu'ils sont au fonds de l'eau, des éponges trempées dans l'huile. Mais si l'on considere d'un côté, la petite quantité d'air qui est renfermée dans les pores d'une éponge, & de l'autre, combien cette petite quantité d'air est comprimée par l'air qui l'environne, il n'est pas possible qu'un pareil secours fasse long-tems subsister le plongeur ; car il est démontré par l'expérience qu'une certaine quantité d'air renfermé dans une vessie, & que par le moyen d'un tuyau l'on a alternativement respiré & fait sortir des poumons, ne peut suffire à la respiration que pour très-peu de tems, parce que son élasticité est altérée en passant dans les poumons, & qu'outre cela, l'air perd ses esprits vivifians & est épuisé.
Un plongeur qui est tout nud, & qui n'a point d'éponge dans la bouche, ne peut, suivant M. Halley, rester plus de deux minutes dans l'eau sans être suffoqué ; & s'il n'a pas un long usage de son métier, il y restera beaucoup moins de tems, une demi-minute suffisant pour étouffer ceux qui ne sont point dans cette habitude. De plus, si l'endroit est profond, la pression de l'eau sur les vaisseaux du corps remplit les yeux de sang, & en occasionne ordinairement le crachement.
C'est pour cette raison que pour pouvoir rester long-tems au fond de l'eau, quelques personnes ont imaginé deux tuyaux d'une matiere flexible, pour faire circuler l'air jusqu'au fond de l'eau dans la machine où le plongeur est renfermé comme dans une armure ; par ce moyen on lui procure l'air qui lui est nécessaire, on le garantit de la pression de l'eau, & sa poitrine se dilate librement pour respirer. L'effet de cette machine, qui fait entrer avec des soufflets l'air par l'un des tuyaux, & le fait sortir par l'autre, est le même que celui des arteres & des veines.
Mais cette invention ne peut servir dans les endroits où la profondeur de l'eau est de plus de trois brasses, parce que l'eau resserre si étroitement les parties qui sont à découvert, qu'elle y empêche la circulation du sang, & elle presse si violemment sur toutes les jointures de l'armure qui ne sont faites que de cuir, que s'il s'y rencontre le moindre défaut, l'eau s'y fait un passage, remplit dans un instant toute la machine, & met la vie du plongeur dans un grand danger.
La cloche du plongeur est une machine que l'on a inventée pour remédier à tous les inconvéniens dont on vient de parler ; on fait descendre le plongeur en sûreté dans cette machine jusqu'à une profondeur raisonnable, & il peut rester plus ou moins de tems dans l'eau, suivant que la cloche est plus ou moins grande. Voyez CLOCHE.
Le plongeur, assis sous cette cloche s'enfonce avec l'air qui y est renfermé, jusqu'à la profondeur qu'il veut ; & si la cavité du vaisseau peut contenir un tonneau d'eau, un seul homme peut rester une heure entiere à une profondeur de cinq ou six brasses, sans aucun danger.
Mais plus le plongeur s'enfonce dans l'eau, plus l'air est resserré par la pesanteur de l'eau qui le comprime ; l'inconvénient principal qui en résulte, provient de la pression qui s'exerce sur les oreilles dans lesquelles il y a des cavités dont les ouvertures sont en dehors : c'est ce qui fait que dès que la cloche commence à descendre dans l'eau, on sent une pression sur chaque oreille, qui par degrés devient plus incommode, jusqu'à ce que la force de la pression surmontant l'obstacle, & laissant entrer quelque peu d'air condensé, le plongeur se trouve alors à son aise. Si on fait descendre la cloche plus avant, l'incommodité recommence & cesse de même.
Mais le plus grand inconvénient de cette machine, c'est que l'eau y entrant resserre le volume d'air dans un si petit espace qu'il s'échauffe promptement, & n'est plus propre à la respiration, desorte qu'il faut nécessairement remonter cette machine pour en renouveller l'air, le plongeur ne pouvant d'ailleurs rester presqu'entierement couvert d'eau.
Pour remédier à ces défauts de la cloche de plongeur, M. Halley a trouvé des moyens non-seulement de renouveller & rafraîchir l'air de tems en tems, mais encore d'empêcher que l'eau n'entre dans la cloche, à quelque profondeur qu'on la fasse descendre. Voici ce qu'il a fait.
Il fit faire une cloche de plongeur de bois qui avoit environ 60 piés cubiques dans sa concavité, elle étoit revêtue en dehors d'une assez grande quantité de plomb, pour qu'elle pût s'enfoncer vuide dans l'eau ; & il mit au bas une plus grande quantité de plomb, pour qu'elle ne pût descendre que perpendiculairement ; au haut il y avoit un verre pour donner du jour dans l'intérieur de la cloche, avec un petit robinet pour laisser sortir l'air chaud ; & en-bas, environ une toise au-dessous de la cloche, il y avoit un plateau attaché à la cloche même par trois cordes, qu'il avoit chargées d'un poids de cent livres pour le tenir ferme.
Pour fournir l'air nécessaire à cette cloche, lorsqu'elle fut dans l'eau, il se servit de deux barrils garnis de plomb, de maniere qu'ils pouvoient descendre vuides : au fond de chacun, il y avoit un bondon pour laisser entrer l'eau, lorsqu'ils descendoient, & pour la laisser sortir, lorsqu'il les avoit retirés ; au haut de ces barrils il y avoit un autre trou auquel étoit attaché un tuyau de cuir assez long pour prendre audessous du bondon, étant abaissé par un poids qu'on y attachoit ; ensorte que l'air, à mesure que l'eau entroit, étant poussé dans la partie supérieure du barril, ne pouvoit, lorsque le barril descendoit, s'échapper par le haut du tuyau, à moins que l'extrémité qui pendoit en bas ne fût relevée.
Ces barrils pleins d'air étoient attachés à des cordages pour les faire monter & descendre alternativement, comme ceux des sceaux ; de petites cordes attachées au bord de la cloche servoient à les diriger dans leur descente, de maniere qu'ils se présentoient sous la main du plongeur qui se mettoit sur le plateau pour les recevoir, & qui relevoit les extrémités des tuyaux ; alors tout l'air renfermé dans la partie supérieure des barrils s'élançoit avec violence dans la cloche, & étoit remplacé par l'eau.
Lorsqu'on avoit ainsi vuidé un des barrils, après un signal donné, on le retiroit, & on en faisoit descendre un autre sur le champ, & par le moyen de cette alternative continuelle on renouvelloit l'air avec tant d'abondance que M. Halley fut lui-même un des cinq plongeurs qui descendirent dans l'eau jusqu'à la profondeur de 9 ou 10 brasses, & qui resterent une heure & demie sans le moindre danger, l'intérieur de la cloche ayant toujours été parfaitement sec.
Toute la précaution qu'il eut, fut de laisser descendre la cloche peu à peu & de suite jusqu'à la profondeur de 12 piés ; il la fit arrêter ensuite, prit, avant que de descendre plus avant, de l'air frais dans quatre ou cinq barrils, & fit sortir toute l'eau qui étoit entrée dans la cloche ; lorsqu'il fut arrivé à la profondeur qu'il vouloit, il laissa sortir par le robinet qui étoit au haut de la cloche, l'air chaud qui avoit été respiré, & en fit entrer du frais qu'il tira de chaque barril ; quelque petite que fût cette ouverture, l'air en sortit avec tant de violence qu'il fit bouillonner la surface de la mer.
Par ce moyen il a trouvé le secret de pouvoir faire au fond de l'eau tout ce que l'on veut, & de faire ensorte que dans un espace aussi large que toute la circonférence de la cloche, on n'eût point d'eau pardessus les souliers. De plus, par le moyen de la petite fenêtre pratiquée avec un verre au haut de la cloche, il y entre un jour assez considérable pour que dans un tems où la mer est bien nette, sur-tout lorsqu'il fait un beau soleil, on puisse lire & écrire très-facilement ; lorsqu'on retiroit les barrils d'air, il envoyoit des ordres écrits avec une plume de fer sur une plaque de plomb pour demander qu'on le changeât de place. D'autres fois lorsque l'eau étoit trouble & sale, & qu'il y faisoit aussi obscur que s'il eût été nuit, il avoit la facilité de tenir dans la cloche une bougie allumée.
Le même auteur assure que par un autre moyen qu'il a inventé, il a procuré au plongeur la liberté de sortir de la cloche, & de s'en éloigner à une assez grande distance, en lui fournissant un courant d'air continuel par de petits tuyaux qui lui servent de guides pour le ramener vers la cloche. Voyez l'article CLOCHE.
Le célebre Corn. Drebel a trouvé un secret fort supérieur à celui dont on vient de parler, si ce qu'on en dit est vrai : il a imaginé non-seulement un vaisseau propre à être conduit à la rame sous l'eau, mais encore une liqueur que l'on peut porter dans le vaisseau, & qui supplée à l'air frais.
Ce vaisseau a été fait pour le roi Jacques I. il contenoit douze rameurs, sans les passagers. L'essai en fut fait dans la Tamise, & un de ceux qui étoient de cette navigation sous l'eau, vivoit encore, lorsque M. Boyle en a écrit la relation.
Quant à la liqueur, M. Boyle dit qu'elle a été inventée par un physicien qui avoit épousé la fille de Drebel, qu'il en faisoit usage de tems en tems, lorsque l'air du vaisseau étoit échauffé par l'haleine de ceux qui y étoient, lorsqu'il ne pouvoit plus servir à la respiration ; dans cet instant il débouchoit le vase plein de cette liqueur, & rendoit à l'air une assez grande quantité d'esprits vitaux pour qu'on pût encore le respirer un tems assez considérable. Drebel n'a jamais voulu revéler son secret qu'à une seule personne qui l'a dit à M. Boyle. Chambers.
PLONGER, (Hydraul.) est un terme de terrassier, qui signifie qu'il faut creuser un endroit élevé pour y pratiquer quelqu'ouvrage.
PLONGER, (Hist. mod.) l'action de plonger quelqu'un dans l'eau en punition de quelque faute. Voyez CALLE.
Selle à plonger, dans les anciennes coutumes d'Angleterre, voyez CAGE A PLONGER.
PLONGER, (Marine) c'est mettre & enfoncer quelque chose dans l'eau.
Plonger, c'est s'enfoncer dans l'eau, de façon qu'on ne paroisse pas. Les bons nageurs prennent plaisir à plonger souvent.
Le canon plonge, c'est quand les décharges se font de haut en bas. Faire plonger.
PLONGER de la chandelle, (Chandelier) c'est lui donner plusieurs couches de suif en la trempant dans l'abysme, ou moule qui en est rempli.
PLONGER, (Jardinage) les Terrassiers s'en servent pour faire entendre qu'il faut creuser dans une pierre.
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PLONGET | voyez CASTAGNEUX.
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PLONGEUR | S. m. (Marine & Physiq.) on appelle ainsi ceux qui descendent dans la mer pour y chercher quelque chose, & qui ont contracté l'habitude d'y rester assez long-tems sans être étouffés. Voyez PLONGER & CLOCHE.
PLONGEURS, PLONGEONS, s. m. (Marine) on appelle plongeurs certains navigateurs qui descendent au fond de l'eau, & trouvent le moyen d'y demeurer quelque tems pour y chercher les choses que l'on voudroit retirer, ou pour faire quelque chose de singulier, soit en radoube de vaisseau, soit à dessein de faire périr un vaisseau ennemi, ou pour pêcher des perles, & ceux-ci s'appellent aussi urinateurs.
PLONGEUR, s. m. (Comm. & Conchyliol.) on se sert beaucoup de plongeurs dans les Indes, & c'est le meilleur moyen d'avoir de beaux coquillages ; leurs belles couleurs ne se conservent qu'autant qu'ils ont été pêchés vivans en pleine mer ou à la rade. Ceux que les flots amenent sur le rivage sont roulés ou frustrés, & les bivalves sont ordinairement dépareillées.
Les negres de l'Amérique, sur-tout à la Martinique & à S. Domingue, vont en canot, plonger sans aucune précaution à une demi-lieue du rivage, & à plusieurs brasses d'eau. Dans un calme, l'eau est si claire qu'ils voyent distinctement à huit & à dix brasses d'eau les coquillages & les productions marines qui sont au fond. Ils les vont détacher à la main l'une après l'autre, n'ayant point de paniers comme les plongeurs de perles. Quand les plantes tiennent sur le rocher, deux plongeurs vont passer un bâton & une corde dessous pour les tirer. A S. Domingue, & dans l'île de Cayenne, les huîtres s'attachent sur les branches pendantes du manglier, arbrisseau qui vient au bord de la mer.
Il n'y a que les jeunes negres qui puissent retenir assez long-tems leur haleine pour être propres au métier de plongeur. Ils se remplissent la bouche d'huile de palmier, afin de rejetter cette huile dans l'eau ; ce qui leur procure un moment de respiration. C'est un métier qu'ils ne peuvent faire que quatre ou cinq ans de suite ; ils ne sont presque plus maîtres de retenir suffisamment leur haleine à vingt-quatre ans. Un bon plongeur mange peu, & toujours des viandes seches.
Les plongeurs qui vont à cinq ou six lieues du rivage pêcher des huîtres & des coquillages, portent des paniers appellés canois, dans lesquels ils mettent les coquillages, & ce qu'ils rencontrent. Ils plongent huit à neuf fois de suite, ordinairement à 12 brasses d'eau. Ce qui les incommode le plus c'est la froideur de l'eau ; ils craignent encore un poisson appellé tiboron, grand comme un marsouin, lequel coupe tout ce qu'il rencontre. Pour prévenir ce danger, ils portent avec leur panier un bâton ferré pour l'enfoncer dans la gorge du poisson.
D'autres plongeurs descendent au fond de l'eau sous une cloche de verre, & sont obligés quelque tems après, de remonter pour respirer un air plus frais.
Quand on veut pêcher les huîtres qui portent des perles dans le golfe persique, à 10 ou 12 brasses d'eau, sur des bancs éloignés de terre de cinq à six lieues, la barque où est un plongeur & deux rameurs, part de la côte avant le lever du soleil, avec un vent de terre qui dure environ jusqu'à dix heures. Le plongeur se met du coton dans les oreilles, & se garantit le nez pour empêcher que l'eau n'y entre ; ensuite on lui lie sous les bras une corde, dont les rameurs tiennent le bout ; il s'attache au gros doigt du pié une pierre d'environ vingt livres pesant, dont la corde est tenue par les mêmes hommes. Le plongeur prend un réseau fait comme un sac, qu'un cerceau tient toujours ouvert, lequel est attaché à une corde, dont le bout est encore retenu dans la barque. Alors il descend dans la mer, où la pesanteur de la pierre l'entraîne au fond de l'eau ; il détache aussi-tôt la pierre, que ceux qui sont dans la barque retirent. Le plongeur remplit son réseau d'huîtres & des coquillages qu'il trouve. Si-tôt qu'il manque d'haleine, il en donne le signal en tirant la corde qui est liée sous ses bras : alors on le remonte le plus vîte que l'on peut. On retire ensuite le retz rempli de coquilles d'huîtres. Ce manege peut durer environ un demi-quart-d'heure, tant à retirer le réseau, qu'à donner au plongeur le tems de se reposer & de reprendre haleine : il retourne ensuite avec les mêmes précautions. Cette pêche dure sept à huit heures, pendant lesquelles il plonge une douzaine de fois.
Quand les huîtres perlieres sont tirées de la mer, on attend qu'elles s'ouvrent d'elles-mêmes ; car si on les ouvroit comme on ouvre nos huîtres à l'écaille, on pourroit endommager & fendre les perles. Mais dès que les huîtres sont ouvertes naturellement, ce qui arrive au bout d'une quinzaine de jours, on en retire les perles sans aucun accident.
Les habitans des îles de l'Archipel sont presque tous de bons plongeurs ; & dans l'île de Samos, on ne marie guere les garçons, selon Tournefort, qu'ils ne puissent plonger sous l'eau au moins à huit brasses de profondeur.
Hérodote, liv. VIII. rapporte que Scyllias macédonien, rendit son nom célebre sous le regne d'Artaxerxès Memnon, en faisant sous les eaux de la mer un trajet de huit stades, pour porter aux Grecs la nouvelle du naufrage de leurs vaisseaux. (D.J.)
PLONGEUR PIGEON, (Hist. nat.) on a donné ce nom à un oiseau fort beau qui se trouve sur les côtes de Spitzberg. Il est de la grosseur d'un canard ; son bec est long, mince, pointu & recourbé vers le bout, & rouge par-dedans ; ses pattes sont rouges & courtes, & la queue n'est pas longue. Il y en a de noirs, de mouchetés & de blancs vers le milieu du corps ; le dessous des aîles est d'une blancheur éblouissante. Ils ont le cri d'un pigeon ; c'est la seule chose par laquelle ils ressemblent à cet oiseau. Ils rasent la surface de la mer en volant, & se tiennent long-tems sous l'eau. Leur chair est d'un bon goût, pourvu qu'on en sépare la graisse.
PLONGEUR, (Papeterie) ouvrier dont la seule occupation est de plonger les formes ou moules dans la cuve où est la pâte, & de les remettre entre les mains du coucheur.
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PLOT | S. m. (Soierie) platre de l'ourdissoir.
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PLOTINOPOLIS | (Géog. anc.) ville de Thrace sur le fleuve Hébrus, sur la route d'Andrinopolis à Trajanopolis, presque à égale distance de ces deux villes, à 24 milles de la premiere, & à 22 de la seconde. Elle fut ainsi nommée en l'honneur de Plotine femme de Trajan. Les notices & Constantin Porphyrogenete nous apprennent qu'elle a fait partie de la province ou préfecture nommée Haeminoüs, dont Andrinopolis étoit la métropole ; elle fut aussi le siege d'un évêque.
Les villes de Thrace ordinairement ne gravoient point sur leurs médailles les noms de leurs premiers magistrats, mais celui du gouverneur de la province.
On lit sur une médaille de Plotinopolis frappée sous Antoine Pie, , sous le gouvernement de Pompeïus Vopiscus.
Les médailles de Plotinopolis sont rares : M. Vaillant n'en a donné que trois, & n'en a pas connu une quatrieme de moyen bronze singuliere par le revers, qui représente Minerve avec les attributs de la déesse Salus. En ce cas on peut dire Minerva salutaris, comme on lit sur les marbres Isidis salutaris, Jovi salutari, &c. Cette ville honoroit Esculape, qui est représenté avec le serpent entortillé autour d'un bâton sur une de ses médailles frappées sous Caracalla. (D.J.)
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PLOTOE | (Géog. anc.) îles de la mer Ionienne, autrement nommées Strophades, & qui sont au nombre de deux. On les appelle aujourd'hui Strofadi & Strivali.
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PLOYE-RESSORT | outil d'Arquebusier, c'est un ciseau de la longueur de six pouces, plat & un peu large qui sert aux Arquebusiers pour ployer le grand ressort à l'épaisseur qu'il est nécessaire : quand il est plus d'à-moitié ployé, ils mettent le ciseau ou ploye-ressort dans les deux branches, & frappent dessus jusqu'à ce que ces deux branches touchent au ploye-ressort.
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PLOYER | v. act. (Gramm.) courber, fléchir. Il y a peu de juges assez iniques pour enfreindre ouvertement les loix, mais ils les ployent quelquefois à leurs intérêts. On dit au simple & figuré ployer le genou devant quelqu'un, & mes jambes plient sous moi, & non ployent.
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PLOYON | S. m. (Art méch.) espece d'osier qui sert aux Couvreurs en chaume, aux Tonneliers & autres ouvriers pour lier leurs chaumes, leurs cerceaux. Les gerbes de ployon doivent avoir quatre piés de long.
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PLUBIUM | (Géog. anc.) ville de l'île de Sardaigne. Ptolomée, liv. III. ch. iij. la place sur la côte septentrionale, entre Erebentium promontorium, & Juliola civitas. Niger pense que c'est aujourd'hui Saffari. On croit communément que c'est le bourg de Ploague, qui a été ci-devant le siege d'un évêché. Cependant Ploague, au-lieu d'être sur la côte, se trouve dans les terres : desorte que s'il n'y a pas faute dans Ptolomée, il faut dire que la ville épiscopale de Plubium étoit différente de celle à laquelle Ptolomée donne le même nom.
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PLUDENTZ | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans le Tirol, chef-lieu du comté de même nom, sur la rive droite de l'Ill, dans une plaine.
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PLUIE | S. f. (Physiq.) amas de petites gouttes d'eau, qui tombent en différens tems de l'atmosphere sur notre globe, la pluie vient le plus souvent des nuées, dont les particules aqueuses, tant qu'elles sont séparées les unes des autres, demeurent suspendues en l'air. Mais lorsque ces particules s'approchent davantage, ensorte qu'elles puissent s'attirer mutuellement, elles se joignent & forment une petite goutte, laquelle commence à tomber, dès qu'elle est devenue plus pesante que l'air. Cette petite goutte rencontrant dans sa chûte un plus grand nombre de particules, ou d'autres petites gouttes d'eau qui sont aussi suspendues plus bas dans l'air ; elle se réunit encore avec elles & augmente en grosseur, jusqu'à ce qu'elle acquière celle que nous lui remarquons, lorsqu'elle tombe sur notre globe.
Nous disons que la pluie vient le plus souvent des nuées ; car il pleut aussi en été, quoiqu'il ne paroisse en l'air aucun nuage. Mais cette pluie n'est pas abondante, & elle ne tombe qu'après une chaleur excessive & presque étouffante, laquelle est suivie d'un grand calme qui dure quelque tems. Cette grande chaleur fait alors monter plus de vapeurs, que l'air n'en peut contenir & soutenir ; desorte que ces vapeurs s'étant un peu refroidies se réunissent d'abord, & retombent ensuite, après s'être changées en gouttes, si toute la nuée se change par-tout également, mais lentement, ensorte que les particules de vapeur se réunissent insensiblement, elles forment de très-petites gouttes, dont la pesanteur spécifique n'est presque pas différente de celle de l'air. Ces petites gouttes ne tombent alors que fort lentement & forment une bruine. Voyez BRUINE.
Diverses causes font retomber sur la terre les vapeurs, voici les principales ; 1°. toutes les fois que la densité, & par conséquent la pesanteur spécifique de l'air se trouve diminuée par quelque cause que ce soit, les exhalaisons, qui étoient auparavant en équilibre avec l'air, perdent cet équilibre & s'affaissent par l'excès de leur pesanteur. 2°. Lorsque les exhalaisons, qui ont été fort rarefiées & élevées par le feu viennent à se refroidir, elles se condensent, elles deviennent plus compactes, & par conséquent plus pesantes que l'air. 3°. Les corps qui se sont élevés en l'air à l'aide du feu, ou de quelqu'autre cause doivent aussi retomber ; lorsqu'ils ont perdu tout leur mouvement, tant par leur propre poids, que par la résistance de l'air. 4°. Lorsque plusieurs parties élevées dans l'air sont poussées les unes contre les autres par des vents contraires, ou qu'elles se trouvent comprimées par des vents qui soufflent contre des montagnes ou autres éminences ; elles se réunissent & acquierent par-là une pesanteur spécifique beaucoup plus grande qui les fait retomber. 5°. Il y a certaines exhalaisons qui sont de telle nature, que lorsqu'elles viennent à se rencontrer, elles fermentent ensemble, d'où il arrive que quelques-unes se précipitent. 6°. Il pleut, lorsque les exhalaisons sont poussées en-bas par des vents, en même tems que l'air dans lequel elles étoient suspendues. 7°. Lorsque les vents soufflent dans une direction horisontale, & qu'ils chassent l'air de l'endroit au-dessus duquel les vapeurs sont suspendues ; car alors il faut que la partie supérieure de l'atmosphere tombe par son poids avec tout ce qui s'y trouve, & qu'elle remplisse la place inférieure que l'air vient de quitter. 8°. Lorsque le soleil se leve, il darde sur notre globe ses rayons, qui rencontrent les exhalaisons suspendues dans l'air, & les déterminent à tomber vers la terre ; & comme ces rayons raréfient l'air par leur chaleur, & le rendent par conséquent beaucoup plus léger que les exhalaisons, il faut que le poids de celles-ci l'emporte, & qu'elles se précipitent en traversant l'air. 9°. Enfin, quand il s'éleve dans l'atmosphere plus de vapeurs que l'air n'en peut soutenir, tout ce qu'il y a de superflu retombe aussi-tôt qu'il a perdu le premier mouvement, à l'aide duquel il s'étoit élevé.
Le vent doit tenir le principal rang entre les causes de la pluie ; pour le prouver, aux observations précédentes, ajoutons celles-ci. 1°. Lorsque le vent souffle en-bas & qu'il rencontre en même tems une nuée, il faut qu'il la comprime, qu'il la condense, qu'il la pousse vers la terre, qu'il force ses parties à se réunir, & par conséquent qu'il la change en pluie. 2°. Lorsque le vent rencontrant quelques nuées de vapeurs qui viennent de la mer, & qui sont suspendues au-dessus, les chasse vers la terre & les pousse contre les hauteurs, les montagnes ou les bois, il les condense & les réduit en pluie. C'est pour cela que les pays de montagnes sont beaucoup plus sujets à la pluie que les pays plats, où les nuées roulent avec bien plus de liberté. 3°. De même que les montagnes rompent les nuées, deux vents qui ont une direction contraire, les poussent aussi les unes contre les autres, & les compriment. 4°. Comme il se forme beaucoup de nuées des vapeurs de la mer, les vents qui viennent de la mer vers notre continent, sont ordinairement accompagnés de pluie ; au lieu que les autres vents qui soufflent sur la terre ferme, n'emportent avec eux que peu de nuées, & ne sont par conséquent pas pluvieux.
La pluie n'est pas une eau pure, mais elle est imprégnée de sels, d'esprits, d'huile, de terre, de métaux, &c. parmi lesquels il se trouve une grande différence, suivant la nature du terrein, d'où partent les exhalaisons, & suivant les saisons ; c'est pour cela que la pluie du printems est bien plus propre à exciter des fermentations, que celle qui tombe en d'autres tems. La pluie qui tombe après une longue & grande sécheresse est beaucoup moins pure, que celle qui suit d'après une autre pluie. M. Boerhaawe a remarqué, que la pluie qui tombe, lorsqu'il fait fort chaud, & beaucoup de vent, est la plus sale & la plus remplie d'ordures, sur-tout dans les villes & dans les lieux bas & puans. Il flotte aussi dans l'air des semences de très-petites plantes, & de petits oeufs d'un nombre infini d'insectes qui tombent de l'air à terre en même tems que les pluies. De-là vient qu'on voit croître dans cette eau, non-seulement des plantes vertes, mais qu'on y découvre aussi un nombre prodigieux de petits animaux & de vers, qui la font comme fermenter, & lui communiquent une mauvaise odeur par leur corruption. Puisque la pluie se trouve mêlée avec un si grand nombre de corps étrangers, il n'est pas difficile de comprendre, pourquoi l'eau de pluie conservée dans une bouteille bien fermée, se change bientôt en de petits nuages blanchâtres, qui augmentent insensiblement, qui s'épaississent, & se changent enfin en une humeur visqueuse qui tombe au fond.
Il est rare que les gouttes de pluie aient plus d'un quart de pouce de diametre. On prétend qu'en Afrique, dans la Nigritie, il tombe des gouttes d'eau de la grosseur d'un pouce, & même que dans le Méxique les ondées sont si terribles, que les hommes sont quelquefois écrasés par leur chûte ; mais ces relations sont un peu suspectes.
Les gouttes de pluie tombent quelquefois fort proche les unes des autres, & d'autres fois à une plus grande distance, cela pourroit venir de la densité de la nuée. Lorsqu'une nuée n'est pas dense, & que ses parties se réunissent en gouttes, il faut qu'il y ait un certain espace dans lequel ces parties puissent former une goutte, & alors elles doivent être éloignées les unes des autres en tombant. Si au contraire la nuée est épaisse, il peut tomber beaucoup de parties supérieures immédiatement sur les inférieures, les gouttes se forment beaucoup plus vîte, & sont plus voisines. On peut examiner à cette occasion, pourquoi les gouttes de pluie sont plus grosses en été, mais plus éloignées les unes des autres, & pourquoi elles sont plus petites en hiver, mais moins éloignées. Il est certain, que l'air est plus rarefié en été, & qu'il résiste moins aux corps qui se meuvent à-travers. Les gouttes de pluie peuvent donc être plus grosses, puisqu'elles souffrent moins de résistance dans leur chûte ; mais en hiver, l'air est plus dense, il fait plus de résistance, & désunit par conséquent plutôt les gouttes d'eau.
Lorsque dans le vuide, on laisse tomber une goutte d'eau de la hauteur de quinze piés sur un morceau de papier ou sur une feuille d'arbre, elle fait un grand bruit, sans pourtant rompre la feuille ; mais si cette même goutte tomboit d'une nuée haute de six mille piés, elle auroit vingt fois plus de vitesse, & par conséquent quatre cent fois plus de force ; desorte qu'elle mettroit en pieces les tendres fleurs & les feuilles des plantes. Heureusement la résistance de l'air empêche la goutte de tomber sur la terre avec tant de rapidité, & elle en diminue d'autant la vitesse, qui n'est alors guere plus grande, que si la goutte étoit tombée de la hauteur de 15 piés.
Si l'on suppose deux gouttes d'eau, dont l'une soit huit fois plus grosse que l'autre, la surface de la petite goutte étant à celle de la grosse comme 1 à 4 & la résistance de l'air contre les corps qui tombent, étant comme la grandeur des surfaces, divisée par les masses, il s'ensuit que la résistance de l'air contre la plus petite goutte est double de la même résistance contre la plus grosse goutte. Si la bruïne étoit composée de petites gouttes, qui fussent cent quinze mille fois plus menues que la grosse goutte, leurs surfaces seroient cinquante fois plus petites, & rencontreroient par conséquent cinquante fois plus de résistance de la part de l'air, ce qui les feroit tomber fort lentement.
Il pleut rarement lorsqu'il fait un gros vent, à-moins que la direction du vent ne soit de haut enbas. Dans ce cas il peut toujours pleuvoir, car la pluie est poussée par le vent ; mais si le vent a une direction horisontale, & qu'il souffle avec une vitesse qui lui fasse parcourir seize piés en une seconde, il ne tombera pas de pluie, parce que ce vent pousse horisontalement chaque goutte avec beaucoup de rapidité. La quantité de pluie qui tombe dans les différens pays est fort différente, & on en peut apporter différentes causes. Telles sont la proximité ou l'éloignement de la mer, des lacs, des rivieres, la situation des lieux, selon qu'ils sont plus élevés ou plus bas, le voisinage des montagnes, des collines & des bois, qui forment certaines chaînes, dont les unes sont propres à repousser les vents humides, tandis que les autres leur donnent passage, & nous en parlerons plus en détail à la fin de cet article.
Nous tirons divers avantages de la pluie. 1°. Elle humecte & ramollit la terre qui se trouve desséchée, & durcie par la chaleur du soleil : la terre ainsi humectée par la pluie devient fertile ; desorte qu'on peut y semer des graines que l'humidité fait croître, & qui nous fournissent ensuite toutes sortes de plantes, des herbes. 2°. La pluie lave & purge l'air de toutes les ordures qui pourroient être nuisibles à la respiration ; & c'est pour cela que l'air paroît plus léger après la pluie quand on le respire. 3°. La pluie modere la chaleur de l'air près de notre globe, car elle tombe toujours en été d'une région de l'air plus haute & plus froide, & nous remarquons toujours à l'aide du thermometre, que l'air devient plus froid en été proche de la surface de la terre aussi-tôt qu'il a un peu plu. 4°. Enfin la pluie est la principale cause de toutes les sources, des fontaines & des rivieres ; car ce qui vient de la rosée ou des vapeurs, est très-peu de chose en comparaison de la pluie. Article de M. Formey, qui l'a tiré de M. Musschenbrock, Essai de Phys. §. 1547.
Sur les phénomenes de la pluie qui ont rapport au barometre. Voyez BAROMETRE & TEMS.
Quant à la quantité de pluie qui tombe, en quelle proportion elle tombe à différens lieux en même tems, & au même endroit en différens tems : on le trouve déterminé par des observations & des journaux exacts, dans les mémoires de l'académie royale des Sciences de Paris, dans les Transactions Philosophiques de Londres, &c.
Pour mesurer la quantité de pluie qui tombe chaque année, il en faut prendre la hauteur comme on le voit pratiqué dans les tables suivantes.
Hauteur de l'eau de pluie tombée en un an en différens lieux.
Ajoutons aux pluies naturelles quelques observations sur certaines pluies tout-à-fait singulieres que l'on a vu tomber, & qui doivent leur origine aux exhalaisons qui se mêlent avec la pluie & tombent de l'air avec elle. Telles sont, par exemple, les pluies de soufre, celles de sang, ou d'une liqueur rouge comme le sang ; celles de fer, de laine, de pierres, de poissons, de grenouilles, de lait, de chair, de terre, &c.
On peut ajouter divers exemples de pluie de soufre à celui que Moïse nous fournit dans la subversion de Sodôme. Spangenberg rapporte qu'il y eut en 1658, une pluie de soufre qui tomba dans le duché de Mansfeld. Nous apprenons d'Olaüs Wormius qu'il vit tomber en 1646, à Copenhague, une grosse pluie qui sentoit le soufre ; & qu'après que l'eau se fût écoulée, on pouvoit ramasser ce soufre en divers endroits. M. Siegesbeck fait mention dans les mémoires de Breslau, Octobre 1721, d'une pluie de soufre tombée à Brunswick, & qui étoit un vrai soufre minéral. Quelques chimistes nient la possibilité du fait, alléguant pour raison que le soufre a besoin d'une grande quantité de feu, avant que de devenir volatil. Scheuchzer, parlant d'une poudre jaune combustible, qui tomba à Zurich en 1677, soupçonne que ce n'étoit autre chose que la poussiere des fleurs des jeunes pins, que le vent avoit enlevé des arbres d'une forêt voisine. M. FORMEY.
A l'égard des pluies de sang on auroit tort d'adopter tous les récits des poëtes, & même des historiens sur de pareils phénomènes ; mais il y a pourtant des faits de cette nature bien avérés. Du tems de M. de Peiresc il tomba en France une pluie rouge, qui jetta une si grande épouvante parmi les paysans, qu'ils abandonnerent les champs pour se sauver dans leurs maisons. Peiresc qui se trouvoit alors à la campagne, rechercha avec soin la cause de ce phénomène. Il trouva que les gouttes de pluie étoient effectivement de couleur rouge ; mais qu'elles se trouvoient remplies de certains petits insectes rouges, qui voloient dans ce tems-là en grande quantité dans l'air. Cette découverte le porta à conclure que la pluie qui étoit tombée, n'étoit pas une pluie de sang, mais seulement d'eau ; & que sa teinture ne venoit que des petits insectes en question. D'autres physiciens ont fait à-peu-près les mêmes observations ; & toutes ces fameuses pluies de sang dépendent uniquement de pareilles causes naturelles.
Pour les pluies de fer, de laine, &c. on doit regarder presque tout cela comme de pures fictions ; car il est absolument impossible que ces sortes de corps se forment dans l'air, ou s'y soutiennent long-tems. Le vent seul peut quelquefois par sa force enlever de certains lieux, & transporter dans d'autres assez éloignés, des corps qui tombent alors naturellement de l'air ; mais sans y avoir été produits. Par exemple, lorsque ceux qui tondent les brebis viennent à rassembler leur laine, & à l'exposer à terre, un tourbillon peut en enlever quelques flocons en l'air, & les charrier loin de là. De même, un vent orageux élévera fort haut les eaux d'un lac poissonneux, & les brisant ensuite contre les côtes, les digues, les rochers, éparpillera dans l'air de petits poissons, ou des grenouilles, qui après avoir été emportés à quelque distance de-là, retombent enfin à terre ; de sorte qu'on diroit qu'il pleut des poissons ou des grenouilles dans les endroits où cela tombe. On a fort parlé de pluies de pierres, & l'on ne sauroit nier qu'il ne soit effectivement tombé des pierres de l'air ; mais on n'en sauroit conclure qu'elles y aient été formées : car il arrive dans les tremblemens de terre que le feu souterrain la fait crever avec violence, & qu'il la fait sauter en l'air avec tout ce qui repose sur sa surface. Il en est comme d'un roc sous lequel on creuse une grande mine, que l'on emplit de poudre à canon ; dès qu'on met le feu à cette poudre, on voit sauter le roc avec tout ce qui se trouve dessus, & il retombe ensuite par son propre poids ; mais tout en pieces & en morceaux qui se dispersent çà & là. On ne peut guere rapporter rien de plus remarquable à ce sujet, que la naissance de la nouvelle île de Santorino, qui s'éleva de dessous terre dans l'Archipel en 1707. On entendit d'abord pendant quelques jours un bruit affreux, comme celui du tonnerre ou du canon, & l'on vit continuellement une quantité de pierres ardentes qui sortoient de la mer, & se lançoient en l'air comme des fusées à perte de vûe : ces pierres retomberent ensuite dans la mer à cinq milles de l'endroit d'où elles avoient été jettées. Pendant tout ce tems-là l'air se trouva rempli d'une épaisse vapeur sulfureuse mêlée de cendres ; tout cela formoit un nuage affreux, entremêlé de petites pierres, qui retomberent si drues & en si grande quantité, que tout le pays d'alentour se trouva couvert. Le pere Montfaucon rapporte qu'il arriva quelque chose de semblable en 1538, proche du village de Tripergola en Italie. Cardan nous apprend qu'il tomba dans le voisinage d'Abdua environ 1200 pierres, qui étoient de couleur de fer, lisses & fort dures, & qui sentoient le soufre ; elles tomberent avec un violent tourbillon de vent qui ressembloit à un globe de feu. Une de ces pierres pesoit 120 livres, & une autre 60. On conserve encore aujourd'hui dans la paroisse de d'Ensisheim en Alsace, une pierre de cette nature, qui tomba en 1630. Elle est noirâtre, du poids d'environ 300 livres ; & on peut remarquer que le feu en a détaché tout-au-tour quelques éclats. Toutes ces pluies de pierres ne peuvent se rapporter qu'à la même cause, c'est-à-dire aux tremblemens de terre, qui sont produits par un feu souterrain.
Il tomba dans la partie occidentale de l'Angleterre, au mois de Décembre de l'année 1672, une espece de pluie fort singuliere. Nous avons plusieurs mémoires sur cette pluie dans les Transactions philosophiques.
Lorsque cette pluie touchoit, en tombant, quelque chose d'élevé sur la terre, comme des branches, ou autre chose semblable, aussi-tôt elle se congeloit ; & les petits glaçons augmentant sensiblement, devenoient si pesants, qu'ils rompoient & entraînoient avec eux tout ce sur quoi ils étoient attachés. La pluie qui tomboit sur la neige ne s'y enfonçoit point, mais elle se congeloit à sa surface.
Il est presque incroyable quel nombre d'arbres elle a détruits, & si, à ce que rapporte une personne qui étoit sur les lieux, " elle avoit été accompagnée de vent, elle auroit produit des effets terribles.
J'ai pesé, dit cette personne, une branche de frêne qui pesoit exactement trois quarts de livre, la glace qui s'y étoit attachée pesoit seize livres. Quelques-uns furent fort effrayés du bruit qu'ils entendirent dans l'air, & leur terreur ne se dissipa que quand ils apperçurent que ce n'étoit que le fracas des branches glacées qui se heurtoient les unes contre les autres ".
On remarque que pendant cette pluie, il n'y avoit pas de forte gelée sur la terre ; d'où on conclut que la gelée peut être très-violente & très-dangereuse sur les sommets de quelques montagnes, & dans quelques plaines, tandis qu'en d'autres endroits elle se tient comme suspendue à la hauteur de 3 ou 4 piés, au-dessus de la superficie de la terre, des rivieres, des lacs, &c. Cette glace a été suivie de grandes chaleurs, & les fleurs & les fruits furent beaucoup plus précoces qu'à l'ordinaire. Chambers.
PLUIE PRODIGIEUSE, (Histoire) nous nommons avec les anciens pluies prodigieuses, prodigia, toutes celles qui sont extraordinaires, & qu'ils attribuoient à des causes surnaturelles, parce qu'ils n'en appercevoient point les causes physiques. Leurs historiens parlent de plusieurs sortes de pluies prodigieuses, comme de pluie de pierres, de cendres, de terre, de fer, de briques, de chair, de sang & autres semblables.
La plus ancienne pluie de pierres dont il soit fait mention dans l'histoire romaine, est celle qui arriva sous le regne de Tullus Hostilius, après la ruine d'Albe. Nuntiatum regi, patribusque est, dit Tite-Live, livre I. chap. xxxj. in monte Albano lapidibus pluisse ; quod cum credi vix posset, missis ad id videndum prodigium in conspectu, haud aliter quam cum grandinem venti glomeratam in terras agunt, crebri cecidere coelo lapides. Et quelques lignes plus bas il ajoute : mansit solemne ut quandocumque idem prodigium nuntiaretur, feriae per novem dies agerentur. Les circonstances rapportées par Tite-Live semblent assurer la vérité de ce fait d'une maniere incontestable ; & il s'est répété tant de fois aux environs du même mont Albanus, qu'il n'est guere possible de le révoquer en doute : il n'est pas même bien difficile d'en déterminer la cause physique, puisque l'on peut supposer avec beaucoup de vraisemblance, qu'il y a eu dans les premiers tems un volcan sur le mont Albanus, & cette conjecture est assez fortement appuyée pour la faire tourner en certitude. On sait que c'est un effet ordinaire aux volcans de jetter des pierres & de la cendre dans l'air, qui retombant ensuite sur terre, peuvent être pris par le peuple grossier, pour une pluie prodigieuse. Quoique le mont Alban ne jettât ordinairement ni flammes ni fumée, le foyer de ce volcan subsistoit toujours, & la fermentation des matieres sulphureuses & métalliques qui y étoient contenues, avoit assez de force pour jetter en l'air des pierres, de la terre & divers autres corps qui retomboient du ciel dans les campagnes voisines.
Le Vésuve & les autres volcans qui en sont proches, causoient un effet tout semblable dans l'Italie inférieure ; mais comme leur embrasement étoit continuel, & ces évacuations assez fréquentes, les peuples qui s'étoient accoutumés à ce spectacle, n'étoient plus effrayés que des évaporations qui vomissoient ces matieres en plus grande quantité, ou qui les poussoient à une plus grande distance.
C'est à cette derniere cause, c'est-à-dire aux embrasemens & aux évacuations du Vésuve, que l'on doit rapporter ces pluies de terre dont il est souvent fait mention dans Tite-Live, & dans la compilation de Julius Obsequens. Caio Martio III. & Tito Manlio Torq. coss. dit-il, lapidibus pluit, & nox visa est interdiu in urbe Româ. Cette pluie de pierres étoit donc accompagnée d'un nuage de cendres assez épais pour cacher la lumiere aux habitans de la ville de Rome.
Dans les embrasemens considérables du Vésuve & du mont Etna, les cendres & les pierres calcinées sont portées à une distance très-considérable. Dion Cassius rapporte que lors du fameux embrasement du Vésuve, arrivé sous l'empereur Vespasien, le vent, porta les cendres & la fumée que vomissoit cette montagne, non-seulement jusqu'à Rome, mais même jusqu'en Egypte.
La chronique du comte Marcellin observe à l'année 472, c'est-à-dire sous le consulat de Marcien & de Festus, que cette même montagne s'étant embrasée, les cendres qui en sortirent se répandirent par toute l'Europe, & causerent un si grand effroi à Constantinople, que l'on célebroit tous les ans la mémoire de cet événement, par une fête établie le viij. des ides de Novembre.
Dans l'embrasement du mont Etna, arrivé en 1537, & décrit dans la Sicile de Fazelli, & dans le dialogue latin du cardinal Bembo, la cendre fut portée à plus de 200 lieues de la Sicile.
L'histoire romaine n'est pas la seule qui nous fournisse des exemples de pierres tombées du ciel ; on en trouve de semblables dans l'histoire grecque, & même dans les écrits des philosophes les plus exacts. Personne n'ignore que la seconde année de la lxxviij. olympiade, il tomba du ciel en plein jour, une pierre auprès du fleuve Egos dans la Thrace. Pline assure que l'on montroit encore de son tems cette pierre, & qu'elle étoit magnitudine vehis, colore adusto. Cet événement devint si fameux dans la Grece, que l'auteur de la chronique athénienne, publiée par Selden avec les marbres du comte d'Arondel, en a fait mention sur l'article 58, à l'année 1113 de l'ere attique ou de Cécrops.
Cette pierre qui tomba dans la Thrace, étoit apparement poussée par le volcan qui en fit tomber trois autres dans le même pays plusieurs siecles après, c'est-à-dire l'an de J. C. 452, l'année même de la ruine d'Aquilée par Attila. Hoc tempore, dit la chronique du comte Marcellin, tres magni lapides è coelo in Thraciâ cecidere.
On pourroit peut-être attribuer à la même cause la chûte de cette pierre qui tomba du ciel au mois de Janvier 1706, auprès de Larisse en Macédoine ; elle pesoit environ 72 livres, dit Paul Lucas qui étoit alors à Larisse. Elle sentoit le soufre, & avoit assez l'air de machefer : on l'avoit vue venir du côté du nord avec un grand sifflement, & elle sembloit être au milieu d'un petit nuage qui se fendit avec un très-grand bruit lorsqu'elle tomba.
Le fameux Gassendi dont l'exactitude est aussi reconnue que le savoir, rapporte que le 27 Novembre 1627, le ciel étant très-serein, il vit tomber vers les 10 heures du matin, sur le mont Vaisien, entre les villes de Guillaumes & de Peine en Provence, une pierre enflammée qui paroissoit avoir 4 piés de diametre ; elle étoit entourée d'un cercle lumineux de diverses couleurs, à-peu-près comme l'arc-en-ciel : sa chûte accompagnée d'un bruit semblable à celui de plusieurs canons que l'on tireroit à la fois. Cette pierre pesoit 59 livres ; elle étoit de couleur obscure & métallique, d'une extrême dureté. La pesanteur étoit à celle du marbre ordinaire, comme 14 à 11. Si l'on examine ces différens exemples, on conviendra qu'il n'y a rien que de naturel dans ces pluies de pierres rapportées dans les anciens.
La pluie de fer qui tomba dans la Lucanie, l'année qui précéda la mort & la défaite de Crassus, fut regardée comme un prodige dans cette province ; & peut-être aux environs du Vésuve n'y eût-on fait aucune attention, ces peuples étant accoutumés dans ces cantons à voir souvent tomber des marcassites calcinées, semblables à ce que l'on nomme machefer ; car le fer qui tomba en Lucanie étoit de cette espece : spongiarum ferè similis, dit Pline.
Quelquefois un ouragan a poussé des corps pesans du haut d'une montagne dans la plaine. Telle étoit cette pluie de tuiles ou de briques cuites, qui tomba l'année de la mort de T. Annius Milo, lateribus coctis pluisse.
A l'égard de cette pluie de chair dont Pline parle au même endroit, & qu'il dit être tombée plusieurs fois ; il n'est pas facile de déterminer la nature des corps que l'on prit pour de la chair, n'ayant aucune relation circonstanciée : on peut cependant assurer que ces corps n'étoient pas de la chair, puisque ce qui resta exposé à l'air ne se corrompit pas, comme Pline l'observe au même lieu.
Quant aux pluies de sang, on est aujourd'hui bien convaincu qu'il n'y a jamais eu de pluie de sang ; & que ce phénomène ne vient d'ordinaire que d'une grande quantité de certaines especes de papillons qui ont répandu des gouttes d'un suc rouge sur les endroits où ils ont passé, ou que ce sont seulement de petits pucerons aquatiques qui se multiplient pendant l'été dans les canaux & fossés bourbeux, en si grande quantité qu'ils rendent la surface de l'eau toute rouge. On a bien raison de penser qu'il n'en a pas fallu davantage pour donner lieu au vulgaire ignorant de croire qu'il a plu du sang ; & pour en tirer toutes sortes de présages sinistres. Mais ces généralités quoique très-vraies, ne suffisent pas aux naturalistes ; ils ont examiné tous ces faits attentivement, & ont communiqué au public le détail de leurs découvertes, dont voici le résultat.
Il est très-ordinaire aux mouches, & à toutes sortes de papillons, tant diurnes que nocturnes, qu'après s'être dégagés de leurs enveloppes de nymphes & de chrysalides, & que leurs aîles se sont déployées & affermies, au moment qu'ils se disposent à voler pour la premiere fois, ils jettent par la partie postérieure quantité d'humeurs surabondantes, dont la secrétion s'est faite lorsqu'ils étoient encore en nymphes & en chrysalides. Ces humeurs ne ressemblent en rien aux excrémens de ces insectes ; elles sont de différentes couleurs, & il y en a très-souvent de rouges parmi les papillons diurnes : telles sont, par exemple, celles de la petite chenille épineuse qui vit en société sur l'ortie.
Les chenilles de ces papillons & d'autres, quand elles doivent subir leurs changemens, s'écartent de la plante qu'elles habitent, & se suspendent volontiers aux murailles lorsqu'il y en a dans le voisinage. C'est ce qui a fait qu'on a trouvé contre les murailles ces taches rouges qu'on a prises autrefois pour des gouttes de pluie de sang.
M. de Peirese est, si je ne me trompe, le premier qui s'est donné la peine d'examiner ce phénomène ; & au mois de Juillet de l'an 1608, on assura qu'il étoit tombé une pluie de sang. Ce récit le frappa & l'engagea à ne rien négliger pour l'éclaircissement d'une chose aussi singuliere. Il se fit montrer ces grosses gouttes de sang à la muraille du cimetiere de la grande église d'Aix, & à celle des maisons de bourgeois & des paysans de tout le district, à un mille à la ronde. Il les considéra attentivement ; & après un mûr examen, il conclut que toutes les folies qu'on débitoit de cette pluie de sang, n'étoient qu'une fable. Cependant il n'en avoit point encore découvert la cause ; un hasard la lui fit trouver. Il avoit renfermé dans une boîte une belle & grande chrysalide. Un jour il entendit qu'elle rendoit un son ; il ouvrit la boîte, & il en sortit incontinent un beau papillon qui s'envola, laissant au fond de la boîte une assez grosse goutte rouge.
Il avoit paru dans le commencement du mois de Juillet une grande quantité de ces papillons. D'où M. de Peirese concluoit que ces taches rouges qui paroissoient sur les murailles, n'étoient autre chose que les excrémens de ces insectes. Il fut confirmé dans sa conjecture en examinant les trous dans lesquels ces sortes d'insectes se cachent ordinairement. D'ailleurs il remarqua que les murailles des maisons du milieu de la ville où les papillons ne volent point, n'avoient aucune de ces taches ; on n'en voyoit que sur celles qui touchoient à la campagne, jusqu'où ces insectes pouvoient s'être avancés. Enfin, il n'en remarqua point sur le sommet des maisons, mais seulement depuis les étages du milieu en bas ; ce qui est la hauteur à laquelle ces papillons s'élevent ordinairement. D'autres curieux ont fait depuis les mêmes observations ; entr'autres Becman dans une dissertation de prodig. sang.
Pour ce qui est des pucerons aquatiques qui multiplient dans l'été en si grande quantité, qu'ils rougissent la surface de l'eau, nous renvoyons le lecteur aux ouvrages de Swammerdam qui est entré dans tous les détails de ce phénomene, & qui a observé ces gouttes rouges dans la plûpart des insectes. quand ils se changent en nymphes. (D.J.)
PLUIE ARTIFICIELLE, (Hist. des spectacl. de Rome) les anciens avoient soin de tempérer la chaleur causée par la transpiration & les haleines de l'assemblée nombreuse qui assistoit à leurs spectacles, en faisant tomber sur les spectateurs une espece de pluie, dont ils faisoient monter l'eau jusqu'au-dessus des portiques, & qui retombant en forme de rosée par une infinité de tuyaux cachés dans les statues qui regnoient autour du théâtre, servoit non-seulement à y répandre une fraicheur agréable, mais encore à y exhaler les parfums les plus exquis ; car cette pluie étoit toujours d'eau de senteur. Ainsi ces statues, qui sembloient n'être mises au haut des portiques que pour l'ornement, étoient encore une source de délices pour l'assemblée, & enchérissant par leurs influences sur la température des plus beaux jours, mettoient le comble à la magnificence du théâtre, & servoient de toute maniere à en faire le couronnement. (D.J.)
PLUIE, (Critique sacrée) il est dit dans les actes des Apôtres vj. 3. veniet quasi imber vobis temporaneus & serotinus. Le secours du ciel descendra sur vous, comme la pluie de l'automne & du printems viennent sur la terre. Il y avoit deux sortes de pluies favorables dans la Palestine ; les premieres qui tomboient après les semailles, & qui faisoient que les grains prenoient racine ; les dernieres marquées par le mot serotinus, étoient celles du printems, qui achevoient de murir le grain. Pluie au figuré, marque un grand malheur, une grande affliction, erit in absconsionem à turbine & à pluvia, Is. iv. 6. Il sera votre retraite pour vous mettre à couvert des tempêtes & des afflictions. Ce mot désigne aussi la manne que Dieu donnoit dans le désert aux Israëlites. Ps. lxvij. 10. Enfin dans Joel, ij. 23. il indique l'abondance des bienfaits de Dieu. (D.J.)
PLUIE DE FEU, les Artificiers appellent ainsi une garniture de seules étincelles, dont on remplit un pot pour en faire une pluie de feu. On peut y employer de la sciûre de bois tendre & combustible, comme le pin, le laurier, le peuplier, le sureau, &c. qu'on fait bouillir dans de l'eau où l'on a détrempé du salpêtre ; & pendant qu'elle est humide on la mêle avec du poussier qui s'y attache, & l'amorce pour prendre feu dans les pots des fusées.
PLUIE DE FEU, même métier ; on fait des fusées volantes qui en tombant font des petites ondes en l'air, comme des cheveux à demi frisés. On les appelle fusées chevelues ; elles finissent par une espece de pluie de feu, qu'on a appellée pluie d'or, qui se fait de la maniere suivante.
Prenez une partie de soufre, une partie de salpêtre, une partie de poudre ; ou trois parties de soufre, trois de salpêtre, & quatre de poudre ; ou quatre parties de soufre, six de salpêtre, & huit de poudre. Battez fortement les matieres à part ; fondez après ce soufre dans un pot de terre plombé, ou dans un pot de cuivre, ce qui vaut beaucoup mieux ; & après qu'il sera fondu, mettez-y peu-à-peu le salpêtre en brassant toujours, ensuite la poudre, & que ce soit à petit feu ; il faut prendre garde en brassant que le feu n'y prenne. Ces trois matieres étant bien fondues & mêlées ensemble, & ne faisant plus qu'un corps, versez-en sur du papier ou sur une planche : cette composition s'endurcira ; & quand vous voudrez faire de la pluie de feu, vous en prendrez, la briserez en petits morceaux, & les mêlerez parmi la poudre du petard de votre fusée, & ce sera une pluie de feu.
PLUIE, (Manufacture) espece de droguet dont la chaîne est de soie ou de poil, & la treme en partie d'or ou d'argent. On lui donne le nom de pluie, à cause de petits brillans dont la superficie de cette étoffe est toute parsemée, qui paroissent comme une légere brouine qui y seroit tombée. Diction. de comm. (D.J.)
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PLUKNETE | S. f. (Hist. nat. Bot.) pluknetia ; genre de plante à fleur en rose, composée le plus souvent de quatre pétales disposés en rond. Cette fleur est stérile, les embryons naissent séparément des fleurs sur les mêmes individus ; ils sont quadrangulaires ; ils ont une espece de trompe, & dans la suite ils deviennent des fruits membraneux, quadrangulaires, & divisés en quatre loges, qui contiennent chacune une semence arrondie & applatie. Plumier, nov. plant. gener. Voyez PLANTE.
Ce genre de plantes a été ainsi nommé par le P. Plumier en l'honneur de Plukner, grand botaniste anglois. Voici les caracteres de ce genre de plante. Il produit des fleurs mâles & femelles sur les mêmes piés. Les fleurs mâles n'ont point de calice, mais sont composées de quatre pétales de forme ovale & déployée ; au lieu des étamines le centre de la fleur est occupé par un petit corps chevelu & pyramidal. Les fleurs femelles manquent aussi d'un calice ; leurs pétales sont disposés de même que dans les fleurs mâles ; le genre du pistil est quarré. Le stile est délié, long & crochu ; le stigmat est au centre, & divisé en quatre segmens, qui sont obtus, applatis, & qui ont chacun au milieu une tache remarquable : le fruit est une capsule plate, quarrée, creusée dans tous ses angles ; elle contient quatre loges partagées en deux cloisons ; les graines sont arrondies, applaties, & obtusement pointues à un des bouts.
Linnaeus observe sur cette description du P. Plumier, que comme c'est une fructification très-singuliere, il desireroit que quelque botaniste curieux voulût examiner avec soin cette plante dans son accroissement, parce qu'il soupçonne que le botaniste françois, quoique très-habile, a pu faire ici quelque méprise. Linnaei, gen. plant. p. 517. (D.J.)
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PLUMARD | S. m. (Charpent.) c'est une piece de bois scellée des deux bouts en murs, dans le milieu de laquelle est un trou qui reçoit le tourillon d'un moulinet.
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PLUMARIUM OPUS | (Critiq. sacrée) ouvrage en broderie. Ooliab artifex lignorum egregius fuit, & polymitarius atque plumarius, Exod. xxxviij. 23. Ooliab étoit un excellent ouvrier en bois, en étoffes tissues de différentes couleurs, & en broderie. Ces sortes d'ouvrages s'appelloient plumarium, parce qu'ils imitoient par leur variété les nuances des couleurs des plumes des oiseaux ; & comme cet art demande beaucoup d'industrie, il est nommé dans l'Ecriture opus cogitantis. Le voile déployé à l'entrée du saint, celui de l'entrée du tabernacle, & la ceinture du grand-prêtre, étoient des ouvrages en broderie faits avec des laines précieuses teintes des plus belles couleurs. (D.J.)
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PLUMASSEAU | S. m. terme de Chirurgie ; arrangement de plusieurs brins de charpie, qui se fait beaucoup plus large qu'épais, propre à être mis dans une plaie ou à la couvrir. Les plumaceaux doivent être proportionnés à la grandeur de la plaie. Ce mot vient du latin pluma, plume ; parce que les anciens cousoient des plumes entre deux linges pour le même usage.
On couvre les plumaceaux d'onguens, de baumes, & autres médicamens de consistance molle, ou on les trempe dans quelques liqueurs appropriées à l'état de la plaie ou de l'ulcere sur lequel on les applique. Voyez les fig. 7. & 10. Pl. II.
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PLUMASSERIE | S. f. est l'art de teindre, de blanchir & de monter toutes sortes de plumes d'oiseaux. Quoique cet art ne soit que de pur agrément, on ne peut nier que la société ne tire des avantages particuliers de l'industrie & du goût de ceux qui l'exercent ; les ambassadeurs, les rois, & les temples mêmes lui doivent leurs principaux ornemens, & il n'est point de cérémonie importante qui n'emprunte de lui une belle partie de sa magnificence.
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PLUMASSIER | S. m. (Art. méchaniq.) est celui qui fait & vend des ouvrages de toutes sortes d'oiseaux, comme capelines, panaches, bouquets de lits de dais, tours de chapeaux, &c. voyez CAPELINES, BOUQUETS, PANACHES, TOURS DE CHAPEAUX, &c. Les Plumassiers prennent aussi le nom de panachers de celui de panache, qui est un des principaux objets de leur art.
Leur négoce consiste en plumes d'autruche, de héron, d'aigrettes de queues de paon, & de toutes sortes d'autres plumes fines qui servent à la parure & à l'ornement.
Telles sont à-peu-près les principales opérations des Plumassiers, & les différentes façons qu'ils donnent aux plumes avant de les monter, selon l'ordre dans lequel on va les lire.
Après avoir reçu les plumes de la premiere main, ils les savonnent dans plusieurs eaux pour les dégraisser, les lavent dans une eau claire, les teignent, les blanchissent pour ôter le gros de la teinture, les mettent en craie, les relavent encore dans plusieurs eaux, les mettent au bleu, les ensoufrent ; ensuite ils les dressent pour écarter les franges & voir leur largeur, les frisent s'il le faut, les assortissent selon la grandeur & la couleur qui leur convient ; & enfin les montent en tel ouvrage que ce soit. Voyez chacun de ces mots à son article.
Les maîtres Plumassiers n'ont été érigés en communauté & en corps de jurande que sous le regne de Henri IV. Leurs lettres d'érection & leurs statuts sont du mois de Juillet 1599, confirmés par Louis XIII. en 1612, & par Louis XIV. en 1644. Ils n'ont que deux jurés, dont l'un s'élit tous les ans. Leur fonction est de prendre soin des affaires de la communauté, de faire les visites, de veiller sur les apprentis, de leur donner chef-d'oeuvre, & d'assister au serment qu'ils prêtent devant le procureur du roi au châtelet, s'ils sont jugés capables, & de leur délivrer des lettres de maîtrise.
Chaque maître ne peut avoir qu'un apprenti obligé pardevant notaire, au-moins pour six ans ; ils peuvent toutefois en recevoir un second à la fin de la quatrieme année du premier.
Pour qu'un apprenti qui se présente pour la maîtrise soit admis au chef-d'oeuvre, il doit avoir servi chez les maîtres en qualité de compagnon pendant quatre ans après son apprentissage. Les fils de maître sont dispensés du chef-d'oeuvre, ainsi que ceux qui épousent leurs veuves ou leurs filles.
Les assemblées générales sont composées des jurés qui y président, de tous les bacheliers, c'est-à-dire, de tous ceux qui ont passé par la jurande, de six maîtres qui ont été administrateurs de la confrérie & des deux modernes. Les jeunes maîtres peuvent aussi y assister, mais on n'est point tenu de les avertir.
Enfin, il n'y a que les maîtres de cette communauté qui ayent la faculté de faire tout ouvrage de plumes de quelques oiseaux que ce puisse être.
Il leur est néanmoins défendu de mêler aucunes plumes de héron faux parmi celles de héron fin, & des plumes de vautour, de héron, d'oie, avec celles d'autruche, si ce n'est dans les ouvrages de ballets & de mascarades.
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PLUMBAGO | S. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir profondément découpé : le calice a aussi la forme d'un entonnoir. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & il devient dans la suite une semence oblongue, & plus souvent pointue, qui meurit dans son calice. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
La racine de ce genre de plante est fibreuse, grosse, charnue, chaude & vivace ; ses feuilles sont alternes & entieres. L'extrémité du pédicule, qui est fort court, se déploie en un calice d'une seule piece, découpée en cinq segmens, velu, & fait en forme de tuyau, dans le centre duquel on trouve l'ovaire muni de son pistil. Ce dernier contient une fleur d'une seule piece faite en forme de tuyau ou d'entonnoir, dont l'extrémité supérieure est disposée en maniere de rayons : ce qui la fait ressembler au jasmin ; ces fleurs sont rangées en épics. La semence est oblongue & pointue.
Tournefort en compte quatre especes ; 1°. la commune, nommée dentillaria, Rondel ; 2°. la plumbago à fleur blanche ; 3°. l'américaine à larges feuilles, semblables à celles de la bette ; 4°. l'américaine rampante & piquante, à petite feuille de bette.
L'espece qu'on nomme la dentillaire de Rondelet, jette des tiges foibles, grêles & couvertes de feuilles, longues, étroites, vertes & blanchâtres. Ses fleurs sont disposées en épis, petites, purpurines, d'une seule piece, divisées en cinq segmens ; il leur succede des semences nues, rudes & solitaires. Sa racine est grosse, épaisse ; toute la plante est d'un goût chaud & mordicant, de même que le lepidium.
On lit dans les mém. de l'académie des Sciences, année 1739, p. 471. que c'est un caustique si fort, qu'une fille qui s'en étoit frottée pour se guérir de la gale, fut écorchée vive ; l'auteur de ce récit ajoute, qu'en conséquence de la même vertu de cette plante, il a vu trois cancers invétérés & censés incurables par leur adhérence à des parties osseuses, radicalement guéris. Ce remede, continue-t-il, dont le possesseur faisoit un grand secret, n'étoit autre chose qu'une huile d'olive, dans laquelle il avoit fait infuser les feuilles de plumbago, & de cette huile on oignoit trois fois par jour l'ulcere chancreux, en répétant cette application jusqu'à ce que l'escare noire se fût assez encroutée, pour que le malade ne souffrît plus de vives douleurs par l'application du remede, ce qui prenoit environ trois semaines : mais comment ce prétendu guérisseur de cancer n'a-t-il pas fait fortune ? (D.J.)
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PLUMBATA | S. f. (Hist. anc.) instrument de supplice fait de cordes garnies à leurs extrémités de balles de plomb. On en frappoit les Chrétiens, lorsqu'ils étoient gens d'un rang distingué. On appliquoit les autres sur le chevalet. A la guerre on entendoit par plumbata des javelots chargés de morceaux de plomb qui, leur donnant plus de poids, les fissent pénétrer plus avant dans les cuirasses.
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PLUMÉ | ou GOUTTIERE, (Coupe des pierres) est une excavation faite dans la pierre au marteau, ou avec le ciseau, suivant une cherche ou une regle en quelque position qu'elle soit. Ce nom vient apparemment de la ressemblance de la découverte que l'on fait de la peau d'un oiseau en ôtant la plume.
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PLUMER | v. act. c'est dépouiller de ses plumes ; on plume les oies tous les ans sur la poitrine, sous les aîles, & cette plume s'employe en coussins, en oreillers, en matelats.
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PLUMERIA | S. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante auquel Tournefort a donné ce nom en l'honneur du R. P. Plumier, qui a employé plusieurs années à la recherche des plantes américaines, dont il a publié un catalogue, outre deux volumes in-fol. sur le même sujet.
La plumeria ressemble à l'apocynum, & contient beaucoup de lait. L'extrémité du pédicule pénetre dans un petit calice d'une seule feuille, d'où sort la fleur de même que dans le nerium, avec cette différence qu'elle n'a point de couronne. L'ovaire qui croît au fond du calice se change en un gros fruit, oblong, fait comme une gaîne, s'ouvre dans sa longueur, & contient une grande quantité de semences disposées de la même maniere que dans l'apocynum, mais aîlées.
Le pistil de ce genre de plante s'éleve du calice, & est fixé en maniere de clou à la partie du derriere de la fleur. Le fruit dans lequel il se change est ordinairement double : les semences sont placées comme des écailles les unes sur les autres dans leurs gaînes, & attachées au placenta.
Tournefort compte trois especes de ce genre de plantes ; savoir, une à fleur très-odorante, couleur de rose ; la seconde, à fleurs d'un blanc de neige, & à longues feuilles étroites & pointues ; & la troisieme à fleurs blanches, mais à feuilles courtes & obtuses.
Ces plantes croissent sans culture aux Indes espagnoles, d'où elles ont été transportées dans les colonies angloises, où on les cultive dans les jardins. La premiere espece est plus commune à la Jamaïque & aux Barbades : ses fleurs répandent une excellente odeur : elles naissent en bouquets à l'extrémité des tiges, & paroissent une grande partie de l'année ; mais le suc laiteux de ce genre de plante est très-caustique, & passe pour un violent poison. (D.J.)
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PLUMES | PLUMES
Le tuyau de chaque plume est roide & creux vers le bas, ce qui le rend en même tems fort & léger, vers le haut il n'est pas seulement moins dur, mais de plus il est rempli d'une espece de moëlle huileuse qui le nourrit, & contribue en même tems à sa force & à sa légereté.
La barbe des plumes est rangée régulierement des deux côtés, mais avec cette différence qu'elle est large d'un côté & étroite de l'autre, pour mieux aider au mouvement progressif des oiseaux dans l'air.
Les bords des filets extérieurs & étroits de la barbe, se courbent en bas, au lieu que les intérieurs sont plus larges & se courbent en haut ; par ce moyen les filets tiennent fortement ensemble, ils sont clos & serrés lorsque l'aîle est étendue : desorte qu'aucune plume ne perd rien de sa force ou de l'impression qu'elle fait sur l'air.
On doit encore observer la maniere artificieuse avec laquelle les plumes sont coupées à leur bord : les intérieures vont en s'étrécissant, & se terminent en pointe vers la partie supérieure de l'aîle ; les extérieures se rétrécissent en un sens contraire de la partie supérieure de l'aîle vers le corps, du-moins dans beaucoup d'animaux : celles du milieu de l'aîle ayant une barbe par-tout égale, ne sont guere coupées de biais ; mais l'aîle étendue ou resserrée est toujours taillée aussi exactement que si elle avoit été coupée industrieusement avec des ciseaux.
La tissure de la barbe des plumes est composée de filets si artistement entrelacés, que la vûe n'en peut qu'exciter notre admiration, sur-tout lorsqu'on les regarde au microscope ; cette barbe ne consiste pas dans une seule membrane continue, car alors cette membrane étant une fois rompue ne se remettroit en ordre qu'avec beaucoup de peine ; mais elle est composée de quantité de petites lames ou de filets minces & roides, & qui tiennent un peu de la nature d'un petit tuyau de plume. Vers la tige ou le tuyau, sur-tout dans les grosses plumes de l'aîle, ces petites lames sont plus larges & creusées dans leur largeur en demi-cercle, ce qui contribue beaucoup à leur force, & à serrer davantage ces lames les unes sur les autres lorsque l'aîle fait des battemens sur l'air. Vers la partie supérieure de la plume, ces lames deviennent très-minces, & se terminent en pointe ; à la partie inférieure elles sont minces & polies, & leur extrémité se divise en deux parties garnies de petits poils, chaque côté ayant une différente sorte de poils : les uns sont larges à leur base ; leur moitié supérieure est plus menue & barbue. Comme les barbes crochues d'une lame sont toujours couchées auprès des barbes droites de la lame prochaine, elles se tiennent par ce moyen les unes aux autres ; & s'il arrive que la barbe de la plume se dérange, l'oiseau a l'industrie de la raccommoder facilement.
Je passe à d'autres observations. Je remarque d'abord que les plumes allant de la tête à la queue dans un ordre exact, & étant bien serrées les unes contre les autres, & rendues souples & polies par l'huile qui les humecte & les nettoie, trouvent un passage aisé par l'air, de la même maniere qu'une chaloupe nouvellement nettoyée & bien dressée s'avance facilement dans l'eau. Si au contraire les plumes eussent été rangées dans un ordre opposé, ou d'une autre maniere quelconque, comme elles auroient été placées indubitablement si le hasard y avoit présidé uniquement, elles auroient ramassé trop d'air, & causé de grands obstacles au vol des oiseaux.
Non-seulement les plumes sont placées avec beaucoup d'art pour faciliter le mouvement du corps des oiseaux, mais elles lui fournissent en même tems une couverture propre à le garantir des injures du dehors. Pour cet effet la plupart des plumes sont renversées en arriere, & couchées les unes sur les autres dans un ordre régulier : du côté du corps elles sont garnies d'un duvet mou & chaud ; du côté de l'air, elles sont fermes & fortement serrées les unes contre les autres, & tout-à-fait propres à défendre le corps contre la rigueur du froid & du mauvais tems. Dans le même dessein, comme aussi pour rendre le corps d'autant mieux disposé à passer & à glisser au-travers de l'air, on voit une autre précaution admirable de la nature dans la bourse qui contient l'huile dans les glandes, & dans tout l'appareil qui sert à graisser les plumes ; cette bourse huileuse a un mamelon percé ; & lorsque l'oiseau le presse avec le bec, il distille une espece d'huile liquide dans quelques-uns & dans d'autres, semblable à une graisse onctueuse. On sait l'adresse que les oiseaux employent pour humecter leurs plumes de cette huile.
Ce n'est pas une seule espece d'oiseau qui ait la bourse huileuse dont nous venons de parler ; elle se rencontre dans tous les genres volatiles, ayant les uns une, & les autres deux petites glandes sur leur croupion, avec des vaisseaux excrétoires autour desquels il croît des plumes en forme de pinceau.
Enfin le renouvellement des plumes des oiseaux qui se fait chaque année est un autre phénomène qui mérite notre attention, & dont nous avons parlé au mot MUE.
On peut lire encore sur les plumes des oiseaux la micrographie de Hook, les observations de Leeuwenhoek ; Derham, théolog. physique ; Grew, cosmologie ; les Transact. philosoph. en divers endroits ; & l'histoire de l'académie des Sciences, année 1699. (D.J.)
PLUME, s. f. (Hist. nat. Botan.) c'est la partie supérieure du germe d'une graine qui commence à se développer sensiblement. Il faut savoir qu'outre les deux globes de la graine, on découvre une espece de tuyau dont la partie inférieure qui contient en petit la véritable racine, s'appelle la radicule ; & la partie supérieure de ce même germe, qui renferme en petit la tige & tout le reste de la plante, se nomme la plume, à cause qu'elle ressemble quelquefois à un petit bouquet de plumes. (D.J.)
PLUME DE MER, PANACHE DE MER, insecte de mer de la classe des zoophites, auquel on a donné le nom de plume de mer, parce qu'il a de chaque côté environ sur la moitié de sa longueur, une rangée de barbes semblables à celles d'une plume à écrire. Cet insecte est lumineux pendant la nuit. Hist. des zoophites par Rondelet, chap. xxij. Voyez ZOOPHITE.
PLUME, LA, (Géog. mod.) petite ville de France dans le bas Armagnac, avec une justice royale. Long. 18. 10'. lat. 44. 8'.
PLUME A ECRIRE, (Ecriture) Les plumes à écrire sont des plumes de cygnes, de corbeaux, & de quelqu'autres oiseaux, mais particulierement d'oies, qui servent étant taillées à l'écriture à la main. Ces plumes que vendent les Papetiers, au millier, au cent, au quarteron, & même en détail à la piece, taillées ou non taillées, se tirent toutes des aîles de l'oie. On en distingue de deux sortes, les grosses plumes & les bouts d'aîles. (D.J.)
Choix de la plume. Je choisis la plume d'une moyenne grosseur, plus vieille que nouvellement apprêtée, de celles que l'on appelle secondes, & qui ne soit ni trop dure ni trop foible. Il faut qu'elle soit ronde, bien claire & bien nette, comme transparente, sans qu'il s'y rencontre aucune tache blanche, qui d'ordinaire empêche qu'elle ne se fende bien nettement, & cause de petites pellicules qui se séparent du corps du tuyau par-dedans, qu'on peut bien enlever à la vérité avec la lame du canif, mais toujours avec peine & perte de tems, joint à ce qu'elle ôte à la plume sa netteté & sa force premiere, desorte qu'elle ne reste plus après cela d'aussi bon service qu'elle étoit auparavant. Beaucoup de personnes préferent les bouts d'aîles à toutes autres plumes, parce qu'elles se fendent d'ordinaire plus nettement. C'est pour cette raison que les maîtres Ecrivains & leurs éleves s'en accommodent mieux.
PLUME, (Commerce) Plusieurs marchands & artisans en trafiquent, les apprêtent ou les employent.
Les maîtres Plumassiers font le commerce des plumes d'autruches, du héron, des aigrettes, & de toutes sortes d'autres plumes précieuses, qui servent à la parure & aux ornemens. Les Merciers-Papetiers vendent des plumes d'oie, de cygne & de corbeau, qui sont propres pour l'écriture & pour les desseins à la main. Les Merciers-ferroniers font négoce en gros de duvet ou plume à lit. Les Fourreurs préparent & vendent des peaux de cygne & de vautours garnies de leur duvet, en font des manchons & palatines, &c. Enfin les Tapissiers employent en lits de plume, en traversins & autres meubles, le duvet & l'aigledon ; les Chapeliers la laine fine ou poil d'autruche, dans la fabrique de quelques-uns de leurs chapeaux ; & les Manufacturiers de draps se servent du gros d'autruche pour faire les lisieres de ces sortes d'étoffes. (D.J.)
PLUMES, (Maréchall.) Donner des plumes à un cheval, c'est une opération que les Maréchaux pratiquent de la maniere suivante :
On commence par abattre le cheval sur quelqu'endroit mol, & on l'assujettit de façon qu'il ne puisse se mouvoir, après quoi on lui broie l'épaule avec un grès ou une brique, assez fort pour la meurtrir, en la mouillant de tems en tems avec de l'eau. On y fait ensuite deux ouvertures larges d'un pouce au bas, une à côté de l'endroit où touche le poitrail, & trois doigts loin de la jointe, l'autre contre le coude, derriere l'épaule, contre les côtes, prenant garde qu'elles ne soient point à l'endroit du mouvement où est la jointe, parce qu'on y attireroit de la matiere, ce qu'il faut éviter. Il faut ensuite détacher la peau avec l'espatule, & par ces deux trous souffler entre cuir & chair, pour détacher la peau de l'épaule jusqu'à la criniere, en broyant avec la main à mesure qu'on soufflera. Lorsqu'on trouve avec une grande spatule de bois que la peau est détachée tout au long & au large de l'épaule, on introduit par les ouvertures des plumes d'oie frottées de basilicum jusqu'au haut, en les posant de façon qu'elles ne puissent point sortir d'elles-mêmes.
Il faut tirer les plumes tous les jours, faire écouler la matiere, remettre les plumes frottées de vieux-oing, de graisse blanche ou de basilicum, & continuer le même traitement durant 15 ou 20 jours, selon la quantité de matiere, puis ôter les plumes tout-à-fait, après quoi les plaies se fermeront d'elles-mêmes. Soleysel.
PLUMES, en termes de marchand de modes, sont des especes d'aigrettes composées ou d'une seule plume, ou de plusieurs montées sur des branches de laiton, diversement dessinées & colorées. Voyez AIGRETTE.
PLUME PERPETUELLE, (Papetier) c'est une espece de plume faite de maniere à contenir une grande quantité d'encre qui coule petit à petit, & par ce moyen entretient fort long-tems l'écrivain, sans qu'il soit obligé de prendre de nouvelle encre. La plume perpétuelle (mauvais instrument) est composée de différentes pieces de cuivre, d'argent, &c. dont la piece du milieu porte la plume qui est vissée dans l'intérieur d'un petit tuyau, soudé lui-même à un autre canal de même diametre, comme le couvercle ; on a soudé à ce couvercle une vis mâle, afin de pouvoir le fermer à vis, de boucher aussi un petit trou qui est en cet endroit, & d'empêcher l'encre d'y passer. A l'autre extrémité de la piece est un petit tuyau, sur la face extérieure duquel on peut visser le principal couvercle : dans ce couvercle est un porte-crayon qui se visse dans le dernier tuyau dont on vient de parler, afin de boucher l'extrémité du tuyau, dans lequel on doit verser l'encre par le moyen d'un entonnoir.
Pour faire usage de cette plume, il faut ôter le couvercle & secouer la plume, afin que l'encre y coule plus librement.
PLUME HOLLANDEE, terme de Papetier, on appelle plumes hollandées des plumes à écrire, préparées à la maniere d'Hollande, c'est-à-dire dont on a passé le tuyau sous la cendre pour l'affermir, & en faire sortir la graisse. (D.J.)
PLUMES D'AUTRUCHE, en terme de Plumassiers sont celles qu'ils employent en plus grande quantité, ils en comptent de plusieurs sortes, entr'autres les premieres, les secondes, les tierces, les claires femelles, les femelles obscures, les bouts de queue, les bailloques, le noir grand & petit, & le petit-gris. Voyez ces termes chacun à son article.
Les plumes d'autruche naturellement noires ne se teignent jamais, on en augmente seulement le lustre & le noir en leur donnant une eau.
PLUMES PREMIERES, ce sont des plumes tirées des aîles de l'autruche, qui sont plus jeunes, mieux fournies, & moins usées.
PLUMES SECONDES, ce sont des plumes qui sont plus vieilles que les premieres, & qui se sont par conséquent usées davantage sur le corps de l'oiseau.
PLUMES D'AUTRUCHES APPRETEES, ce sont des plumes teintes ou blanchies, qui ont reçu les façons nécessaires, & qui sont montées en bouquets ou autres ouvrages, ou qui sont prêtes à l'être.
PLUMES BRUTES, en Plumasserie, se sont des plumes qui n'ont reçu aucune façon, qui sont telles que l'oiseau les portoit, & qui n'ont point encore eu aucun des apprêts que les Plumassiers ont coutume de leur donner avant que de les mettre en oeuvre.
PLUMES DE CHAPEAU, voyez PLUMET.
PLUME DE PAON, (Pierres précieuses) c'est une pierre fine de couleur verdâtre. Elle est rayée comme les barbes d'une plume, & quoiqu'elle soit verdâtre, elle paroît pourpre à la lumiere ; c'est une agate tendre, quoiqu'orientale. Le parfait jouaillier.
PLUME, dessein à la, (Peint.) les différentes façons de dessiner se réduisent ordinairement à trois, savoir au crayon, au lavis & à la plume.
Dans les desseins à la plume, tous les coups portent & ne peuvent plus s'effacer ; ainsi il paroît que cette maniere de dessiner convient mieux à ceux qui exécutent librement, qu'à ceux qui commencent. Pour apprendre à bien manier la plume, les estampes des Carraches sont d'excellens modeles. Quant à leurs desseins à la plume, ils sont touchés avec tant d'esprit & de goût, qu'il faut être bien avancé pour en profiter. Il y a plusieurs sortes d'encres employées par ceux qui dessinent à la plume ; il y en a de noire, de verte, de bleue, de rouge, mais l'encre de la Chine est celle dont on fait le plus d'usage. (D.J.)
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PLUMET | S. m. en terme de Plumasserie, n'est souvent qu'une simple plume d'autruche, placée à plat & cousue sur les bords du chapeau, desorte qu'elle paroît au-dessus du chapeau, dont elle fait à-peu-près tout le tour.
PLUMET, s. m. (Comm.) c'est ainsi qu'on nomme à Paris des gagne-deniers ou gens de peine qui travaillent sur les ports, places & halles de la ville, à porter sur la tête le charbon, les grains, la farine, &c. ce sont proprement les aides des jurés-porteurs de grains, farine & charbon. Dictionn. de commerce.
PLUMET DE PILOTE ou PANON, (Marine) ce sont plusieurs plumes que l'on met dans un petit morceau de liege, & qui voltigeant au gré du vent, font connoître d'où il vient plus précisément que les girouettes. Les mariniers hollandois ne s'en servent point : ils ne savent ce qu'on veut dire quand on leur en parle.
PLUMET, terme de Muletier, ils appellent plumets, des plumes de coq, qu'ils mettent sur la couverture des mulets.
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PLUMETÉ | adj. en terme de Blason, est la même chose que le moucheté ou papillonné. Ceba à Gènes, plumeté d'argent & d'azur.
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PLUMITIF | S. m. (Jurisprud.) qu'on appelloit autrefois plumétif, est un registre ou cahier, sur lequel les greffiers écrivent les jugemens sur le champ à mesure que le juge les prononce, ce qu'ils ne peuvent faire qu'à la hâte, & même communément par abrégé, en attendant qu'ils en écrivent la minute tout au-long & au net.
On appelle greffier au plumitif celui qui tient la plume à l'audience. Voyez au mot GREFFIER.
Les experts font aussi sur les lieux une espece de plumitif ou sommaire, qui leur sert ensuite à dresser la minute de leur rapport à tête reposée. Lorsque les juges sont présens à la visite, ils ne signent guere ce plumitif, à-moins que les parties ne le requierent. Voyez ce que dit Ferrieres à ce sujet sur l'article 184. & 185. de la coutume de Paris. (A)
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PLUMOTAGE | S. m. (Raffinage de sucre) il se dit d'une façon que l'on donne à la terre qui sert au raffinage en la rafraîchissant & la paîtrissant, sans l'ôter de dessus le sucre, & en y versant dessus une ou deux cuillerées de terre-claire. Les connoisseurs défendent aux Raffineurs de faire le plumotage, à cause du dommage que le maître de la sucrerie en reçoit ordinairement par la précipitation du coulage, qui rend les pains plus légers qu'ils ne devroient être à proportion de la matiere qu'on a mise dans les formes. Le P. Labat.
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PLUNTERIES | (Antiq. greq.) fête que les Athéniens célébroient tous les ans en l'honneur de Minerve, adorée sous le nom d'Agraulé ; c'est ce qui a trompé Hésychius & autres, qui ont cru que cette fête étoit célébrée en l'honneur d'Agraulé, fille de Cécrops. A cette fête on dépouilloit la statue de la déesse & on la lavoit, ce qui lui donna le nom de Plunteria. Ce jour étoit regardé comme un des jours malheureux : on environnoit les temples d'un cordon pour marquer qu'ils étoient fermés, comme cela se pratiquoit dans tous les jours funestes, & on portoit en procession des figues seches, parce que c'étoit le premier fruit que les Athéniens avoient cultivé, & ils attribuoient cette faveur à Minerve. Solon ordonna que dans la célébration de cette fête on ne jureroit que par les trois noms de Jupiter propice, Jupiter expiateur & Jupiter défenseur. Xénophon ajoute qu'il étoit défendu de faire aucun ouvrage dans les plunteries. (D.J.)
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PLURALITÉ | S. f. (Jurisprud.) quantité discrette, qui consiste en deux ou en un plus grand nombre d'unités. Voyez UNITE.
M. Huyghens a prétendu prouver la possibilité de la pluralité des mondes dans son Cosmothéores. M. de Fontenelle a fait un traité de la pluralité des mondes.
Voyez le principal argument dont on s'est servi pour prouver la pluralité des mondes aux mots LUNE, PLANETE, TERRE.
La plus grande absurdité de la religion payenne étoit la pluralité des dieux. Voyez DIEU.
PLURALITE DES BENEFICES, terme de droit ecclésiastique, est la possession de deux ou un plus grand nombre de bénéfices à charge d'ames, par un même ecclésiastique. Voyez BENEFICE.
L'Eglise n'a pas approuvé la pluralité des bénéfices, quoiqu'elle l'ait tolérée. Voyez BENEFICE.
La modicité des bénéfices a servi d'abord de prétexte à leur pluralité. Un ecclésiastique ne pouvant subsister avec un seul bénéfice, il fut permis d'en avoir plusieurs, & ce nombre à la fin n'eut plus de bornes.
On voulut réprimer cet abus sous Alexandre III. au troisieme concile de Latran, lequel fit défense de posseder plus d'un bénéfice, & le quatrieme concile de Latran sous Innocent III. confirma la même regle ; mais le même canon ayant permis au pape d'en dispenser en faveur des personnes distinguées, les dispenses devinrent si fréquentes que la défense devint inutile.
En Allemagne, le pape ne laisse pas d'accorder des dispenses de posséder plusieurs évêchés ensemble, sous prétexte que les princes ecclésiastiques ont besoin de grands revenus pour se soutenir avec les princes protestans. Voyez INCOMPATIBILITE.
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PLURIEL | LE, adj. c'est un titre particulierement propre à la Grammaire, pour caractériser un des nombres destinés à marquer la quotité. Voyez NOMBRE. On dit aujourd'hui, le nombre pluriel, une terminaison plurielle. " Il est certain, dit Th. Corneille sur la Rem. 442. de Vaugelas, que c'est seulement depuis la remarque de M. de Vaugelas, qu'on a commencé à dire pluriel : le grand usage a toujours été auparavant d'écrire plurier ". M. de Vaugelas lui-même reconnoît l'unanimité de cet usage contraire au sien : aussi trouva-t-il des contradicteurs dans Ménage & dans le P. Bouhours (Voyez la note de Th. Corneille, & les Rem. nouv. du P. Bouhours, tom. I. pag. 597.) ; & les grammaires de P. R. sont pour plurier. Aujourd'hui l'usage n'est plus douteux, & les meilleurs grammairiens écrivent pluriel, comme dérivé du latin pluralis, ou, si l'on veut, du mot de la basse latinité plurialis. C'est ainsi qu'en usent M. l'abbé Regnier, le P. Buffier, M. l'abbé d'Olivet, M. Duclos, M. l'abbé Girard, & la plûpart de ceux dont l'autorité peut être de quelque poids dans le langage grammatical.
On peut réduire à quatre regles principales, ce qui concerne le pluriel des noms & des adjectifs françois.
1°. Les noms & les adjectifs terminés au singulier par l'une des trois lettres s, z ou x, ne changent pas de terminaison au pluriel ; ainsi l'on dit également le succès, les succès ; le fils, les fils ; le nez, les nez ; le prix, les prix ; la voix, les voix, &c.
2°. Les noms & les adjectifs terminés au singulier par au & eu prennent x de plus au pluriel : on dit donc au singulier, beau, chapeau, feu, lieu, &c. & au pluriel on dit beaux, chapeaux, feux, lieux.
3°. Plusieurs mots terminés au singulier par al ou ail, ont leur terminaison plurielle en aux : on dit au singulier travail, cheval, égal, général, &c. & au pluriel on dit travaux, chevaux, égaux, généraux. Je dis que ceci regarde plusieurs mots terminés en al ou ail, parce qu'il y en a plusieurs autres de la même terminaison, qui n'ont point de pluriel, ou qui suivent la regle suivante qui est la plus générale.
4°. Les noms & les adjectifs qui ne sont point compris dans les trois regles précédentes, prennent au pluriel une s de plus qu'au singulier : on dit donc le bon pere, les bons peres ; ma chere soeur, mes cheres soeurs ; un roi clement, des rois clements, &c.
Je n'insiste point sur les exceptions qu'il peut y avoir à ces quatre regles, parce que ce détail n'appartient pas à l'Encyclopédie, & qu'on peut l'étudier dans toutes les Grammaires françoises, ou l'apprendre de l'usage : mais j'ajouterai quelques observations, en commençant par une remarque du pere Buffier. (Gramm. fr. n. 301.)
" L'x, dit-il, n'est proprement qu'un cs ou gz, & le z qu'une s foible ; c'est ce qui leur donne souvent dans notre langue, le même usage qu'à l's ". C'est assigner véritablement la cause pourquoi ces trois lettres sont également employées pour marquer le pluriel ; mais ce n'est pas justifier l'abus réel de cette pratique. Il seroit à desirer que la lettre s fût la seule qui caractérisât ce nombre dans les noms, les pronoms & les adjectifs ; & assurément, il n'y auroit point d'inconvénient, si l'usage le permettoit, d'écrire beaus, chevaus, heureus, feus, un né au singulier, & des nés au pluriel, &c. Du moins me semble-t-il que c'est de gaieté de coeur renoncer à la netteté de l'expression & à l'analogie de l'ortographe, que d'employer le z final pour marquer le pluriel des noms, des adjectifs & des participes dont le singulier est terminé par un é fermé, & d'écrire, par exemple, de bonnes qualitez, des hommes sensez, des ouvrages bien composez, au lieu de qualités, sensés, composés. Puisque l'usage contraire prévaut par le nombre des Ecrivains qui l'autorisent, c'est aujourd'hui une faute d'autant plus inexcusable, que c'est soustraire cette espece de mots à l'analogie commune, & en confondre l'ortographe avec celle de la seconde personne des tems simples de nos verbes dont la voyelle finale est un e fermé, comme vous lisez, vous lisiez, vous liriez, vous lussiez, vous lirez, &c.
On trouve dans le journal de l'académie françoise, par M. l'abbé de Choisy (Opusc. pag. 309.), que l'académie ne s'est jamais départie du z en pareil cas : cela pouvoit être alors ; mais il y a aujourd'hui tant d'académiciens & tant d'auteurs dignes de l'être, qui s'en sont départis, que ce n'est plus un motif suffisant pour en conserver l'usage dans le cas dont il s'agit.
Une seconde observation, c'est que plusieurs écrivains ont affecté, je ne sais pourquoi, de retrancher au pluriel des noms ou des adjectifs en ant ou ent, la lettre t qui les termine au singulier ; ils écrivent élémens, patiens, complaisans, &c. au lieu de éléments, patients, complaisants. " J'avoue, dit à ce sujet M. l'abbé Girard (tom. I. disc. v. pag. 271.), que le plus grand nombre des écrivains polis & modernes s'étant déclarés pour la suppression du t, je n'ose les fronder, malgré des raisons très-capables de donner du penchant pour lui. Car enfin il épargneroit dans la méthode une regle particuliere, & par conséquent une peine. Il soutiendroit le goût de l'étymologie, & l'analogie entre les primitifs & les dérivés. Il seroit un secours pour distinguer la différente valeur de certains substantifs, comme de plans dessinés, & de plants plantés : d'ailleurs son absence paroît défigurer certains mots tels que dens & vens ". Avec des raisons si plausibles, cet académicien n'auroit-il pas dû autoriser de son exemple la conservation du t dans ces mots ? Il le devoit sans doute, & il le pouvoit, puisqu'il reconnoît un peu plus haut (pag. 270.), que l'usage est partagé entre deux partis nombreux, dont le plus fort ne peut pas se vanter encore d'une victoire certaine.
Je ne voulois d'abord marquer aucune exception : en voici pourtant une que je rappelle, à cause de la réflexion qu'elle fera naître. Oeil fait yeux au pluriel, pour désigner l'organe de la vûe ; mais on dit en architecture, des oeils de boeuf, pour signifier une sorte de fenêtre. Ciel fait pareillement cieux au pluriel, quand il est question du sens propre ; mais on dit des ciels de lit, & en peinture, des ciels, pour les nuages peints dans un tableau. Ne seroit-il pas possible que quelques noms latins qui ont deux terminaisons différentes au pluriel, comme jocus qui fait joci & joca, les dussent à de pareilles vûes, plutôt qu'à l'inconséquence de l'usage, qui auroit substitué un nom nouveau à l'ancien, sans abolir les terminaisons plurielles de celui-ci ? Comme en fait de langage, des vûes semblables amenent presque toujours des procédés analogues, on est raisonnablement fondé à croire que des procédés analogues supposent à leur tour des principes semblables.
Il n'y a rien à remarquer sur les terminaisons plurielles des tems des verbes françois, parce que cela s'apprend dans nos conjugaisons. Je finirai donc par une remarque de syntaxe.
Dans toutes les langues il arrive souvent qu'on employe un nom singulier pour un nom pluriel : comme ni la colere ni la joie du soldat ne sont jamais modérées ; le paysan se sauva dans les bois ; le bourgeois prit les armes ; le magistrat & le citoyen à l'envi conspirent à l'embellissement de nos spectacles. C'est, diton, une synecdoque ; mais parler ainsi, c'est donner un nom scientifique à la phrase, sans en faire connoître le fondement : le voici. Cette maniere de parler n'a lieu qu'à l'égard des noms appellatifs, qui présentent à l'esprit des êtres déterminés par l'idée d'une nature commune à plusieurs : cette idée commune a une compréhension & une étendue ; & cette étendue peut se restraindre à un nombre plus ou moins grand d'individus. Le propre de l'article est de déterminer l'étendue, de maniere que, si aucune autre circonstance du discours ne sert à la restraindre, il faut entendre alors l'espece ; si l'article est au singulier, il annonce que le sens du nom est appliqué à l'espece, sans désignation d'individus ; si l'article est au pluriel, il indique que le sens du nom est appliqué distributivement à tous les individus de l'espece. Ainsi l'horreur de ces lieux étonna le soldat, veut faire entendre ce qui arriva à l'espece en général, sans vouloir y comprendre chacun des individus : & si l'on disoit l'horreur de ces lieux étonna les soldats, on marqueroit plus positivement les individus de l'espece. Un écrivain correct & précis ne sera pas toujours indifférent sur le choix de ces deux expressions. (B. E. R. M.)
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PLUS | DAVANTAGE, (Synonymes) Il est bon de distinguer ces deux adverbes. Plus ne se doit jamais mettre à la fin ; davantage s'y met d'ordinaire : exemple, les Romains ont plus de bonne foi que les Grecs : les Grecs n'ont guere de bonne foi ; les Romains en ont davantage. Ce ne seroit pas bien dit, les Romains ont davantage de bonne foi que les Grecs, les Romains en ont plus. Il y a des endroits où l'on peut mettre davantage devant que, aussi-bien que plus ; par exemple : vous avez tort de me reprocher que je suis emporté, je ne le suis pas davantage que vous ; si l'on répétoit emporté, il faudroit dire, je ne suis pas plus emporté que vous.
Quand davantage est éloigné du que, il a bonne grace au milieu du discours ; par exemple : il n'y a rien qu'il faille éviter davantage en écrivant, que les équivoques : lorsqu'il n'y a point de que qui suive, on met davantage au milieu & à la fin. Bouhours. (D.J.)
PLUS, prép. (Géom.) on se sert de ce mot en algebre, pour signifier l'addition. Son caractere est +. Voyez CARACTERE. Ainsi l'expression algébrique 4 + 10 = 14 ; signifie que quatre, plus dix, sont égaux à quatorze. Voyez ADDITION.
Toute quantité qui n'a point de signe, est censée avoir le signe +. L'opposé de ce signe est moins. Voyez MOINS. Voyez aussi POSITIF & NEGATIF. (O)
PLUS-PETITION, s. f. (Jurisprud.) c'est lorsque quelqu'un demande plus qu'il ne lui est dû.
La plus-pétition a lieu en plusieurs manieres ; savoir, pour la quantité, pour la qualité, pour le tems, pour le lieu du payement, & pour la maniere de l'exiger ; par exemple, si on demande des intérêts d'une chose qui n'en peut pas produire, ou que l'on conclue à la contrainte par corps dans un cas où elle n'a pas lieu.
Par l'ancien droit romain, la plus-pétition étoit punie ; celui qui demandoit plus qu'il ne lui étoit dû, étoit déchu de sa demande, avec dépens.
Dans la suite cette rigueur du droit fut corrigée par les ordonnances des empereurs : la loi 3. au code, liv. III. tit. x. dit qu'on évite la peine de la plus-pétition, en reformant sa demande avant la contestation en cause.
En France, les peines établies par les lois romaines contre ceux qui demandent plus qu'il ne leur est dû, n'ont jamais eu lieu ; mais si celui qui est tombé dans le cas de la plus-pétition, est jugé avoir fait une mauvaise confession, on le condamne aux dépens. (A)
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PLUS-QUE-PARFAIT | adj. (Gram.) quelquefois pris substantivement : on dit ou le prétérit plus-que-parfait, ou simplement le plus-que-parfait. Fueram, j'avois été, est le plus-que-parfait de l'indicatif ; fuissem, que j'eusse été, est le plus-que-parfait du subjonctif. On voit par ces exemples que ce tems exprime l'antériorité de l'existence à l'égard d'une époque antérieure elle-même à l'acte de la parole : ainsi quand je dis, coenaveram cùm intravit, j'avois soupé lorsqu'il est entré ; coenaveram, j'avois soupé, exprime l'antériorité de mon souper à l'égard de l'époque désignée par intravit, il est entré ; & cette époque est elle-même antérieure au tems où je le dis. On verra ailleurs (art. TEMS), par quel nom je crois devoir désigner ce tems du verbe : je remarquerai seulement ici que la dénomination du plus-que-parfait a tous les vices les plus propres à la faire proscrire.
1°. Elle ne donne aucune idée de la nature du tems qu'elle désigne, puisqu'elle n'indique rien de l'antériorité de l'existence, à l'égard d'une époque antérieure elle-même au moment où l'on parle.
2°. Elle implique contradiction, parce qu'elle suppose le parfait, susceptible de plus ou de moins, quoiqu'il n'y ait rien de mieux que ce qui est parfait.
3°. Elle emporte encore une autre supposition également fausse ; savoir, qu'il y a quelque perfection dans l'antériorité, quoiqu'elle n'en admette ni plus ni moins que la simultanéité ou la postériorité.
Ces considérations donnent lieu de croire que les noms de prétérits parfait & plus-que-parfait n'ont été introduits que pour les distinguer sensiblement du prétendu prétérit imparfait. Mais comme on a remarqué (art. IMPARFAIT) que cette dénomination ne peut servir qu'à désigner l'imperfection des idées des premiers nomenclateurs, il faut porter le même jugement des noms de parfait & de plus-que-parfait qui ont le même fondement. (B. E. R. M.)
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PLUTON | S. m. (Mytholog.) roi du vaste empire ténébreux, dont tous les hommes doivent un jour devenir les sujets.
Du monarque du sombre bord,
Tout ce qui vit sent la puissance ;
Et l'instant de notre naissance
Fut pour nous un arrêt de mort.
Pluton, fils de Saturne & de Rhéa, étoit le plus jeune des trois freres Titans. Il fut élevé par la Paix ; on voyoit à Athènes une statue où la Paix alaitoit Pluton, pour faire entendre que la tranquillité regne dans l'empire des morts.
Dans le partage du monde, les enfers furent assignés à Pluton ; c'est-à-dire, selon plusieurs mythologues, qu'il eut pour sa part du vaste empire des Titans, les pays occidentaux qui s'étendoient jusqu'à l'Océan, que l'on croit être beaucoup plus bas que la Grece.
D'autres s'imaginent que Pluton s'appliqua à faire valoir les mines d'or & d'argent qui étoient dans l'Espagne, où il fixa sa demeure ; & comme les gens destinés à ce travail, sont obligés de fouiller bien avant dans la terre, & pour ainsi dire jusqu'aux enfers, on débite que Pluton habitoit au centre de la terre. Ajoutons que ceux qui travaillent aux mines, ne vivent pas long-tems, & meurent assez souvent dans leurs souterreins ; ainsi Pluton pouvoit être regardé comme le roi des morts.
On donne plusieurs noms à ce dieu : les uns l'appellent Adès ou Aédès ; les Latins, Pluto, Diopater, ou Diospater, Jupiter infernal. Aédoneus, Orcus. Les cyclopes lui donnerent un casque, célebre dans la fable par sa vertu merveilleuse ; c'est que quiconque l'avoit sur la tête, voyoit tout le monde, & n'étoit vu de personne : Homere dit que Pallas elle-même en fit usage, pour se dérober aux yeux de Mars ; Ovide le fait prêter à Persée dans une expédition contre Méduse & contre Phinée. Il y a bien de l'apparence que c'est ce casque qui depuis a donné aux poëtes & aux romanciers, l'idée de ces nuages & de ces armes enchantées qui rendent les heros invisibles, & leur laissent la liberté de voir.
Comme Pluton étoit difforme, & que son empire respiroit la tristesse, il ne trouva point de femme qui voulût le partager avec lui : il fut donc obligé d'user de surprise, & d'enlever de force celle qui n'auroit jamais voulu de lui, si on l'avoit laissée à sa liberté.
On appelloit Pluton, summanus, c'est-à-dire summus manium, le souverain des manes ou des ombres, & les anciens lui dévouoient leurs ennemis.
Il étoit représenté dans un char tiré par quatre chevaux noirs, dont les noms sont, selon Claudien, Orphnéus, Aethon, Nyctéus & Alastor, noms qui marquent tous quelque chose de ténébreux & de funeste ; son sceptre est un bâton à deux pointes ou à deux fourches, à la différence du trident de Neptune, qui avoit trois pointes. Quelquefois on mettoit des clefs auprès de lui, pour signifier que son royaume étoit si bien fermé, qu'on n'en revenoit jamais.
Ce dieu étoit généralement haï, ainsi que tous les dieux infernaux, parce qu'on le croyoit inflexible, & qu'il ne se laissoit jamais toucher aux prieres des hommes. C'est pour cela qu'on ne lui érigeoit ni temple, ni autel, & qu'on ne composoit point d'hymne en son honneur.
On ne lui immoloit que des victimes noires, & la victime la plus ordinaire étoit le taureau. La principale cérémonie dans ses sacrifices, consistoit à repandre le sang des victimes dans des fosses près de l'autel, comme s'il avoit dû pénétrer jusqu'au royaume sombre de ce dieu. Tout ce qui étoit de mauvais augure, lui étoit spécialement consacré, comme le second mois de l'année, le second jour du même mois ; aussi le nombre deux passoit pour le plus malheureux des nombres.
Tous les Gaulois se vantent, dit César dans ses Commentaires, de descendre de Pluton, suivant la doctrine de leurs druides ; c'est pourquoi ils comptent les espaces du tems, non par les jours, mais par les nuits : les jours de la naissance, les mois & les années commencent chez eux par la nuit, & finissent par le jour. Il faut que Pluton ait été un des principaux dieux des anciens Gaulois, quoique César ne le dise pas, puisqu'ils le croyoient leur pere, & se glorifioient de lui devoir leur origine.
On mettoit sur le compte de Pluton, les tonnerres qui grondoient pendant la nuit. Sa fête suivoit immédiatement celle des saturnales ; elle étoit appellée sigillaire, à cause de petites figures qu'on prenoit soin de lui offrir.
Epiménide fit poser dans le temple des Euménides, les statues de Pluton, de Mercure & de la Terre ; elles étoient d'une forme agréable, dit Pausanias. Chacune d'elles étoit placée sur un autel différent.
Au revers d'une médaille de Gordien Pie, on voit une figure de Jovis ditis, double divinité adorée sous la forme d'une seule ; laquelle représentoit d'un côté Jupiter, qui commande au ciel & à la terre, & de l'autre, le dieu Plutus ou Pluton qui préside aux enfers, & à tous les lieux souterreins, sur-tout aux mines : c'est aussi à cause de ces deux différens rapports, qu'on représente ce dieu sur d'autres médailles, tantôt avec un aigle à la main droite, tantôt avec cerbere à ses piés. (D.J.)
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PLUTONIUM | (Géog. anc.) lieu aux environs d'Hiérapolis de Phrygie. Strabon, liv. XIV. p. 649. dit qu'on y voyoit un bois sacré, avec un temple dédié à Pluton & à Junon, ou plutôt à Proserpine, comme quelques-uns prétendent qu'on doit lire. (D.J.)
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PLUTUS | S. m. (Mythol.) dieu des richesses, étoit mis au nombre des dieux infernaux, parce que les richesses se tirent du sein de la terre, séjour de ces divinités. Hésiode le fait naître de Cérès & de Jason dans l'île de Crete, peut-être parce que ces deux personnages s'étoient appliqués toute leur vie à l'agriculture, qui procure les plus solides richesses.
Aristophane, dans sa comédie de Plutus, dit que ce dieu dans sa jeunesse avoit très-bonne vûe, mais qu'ayant déclaré à Jupiter qu'il ne vouloit aller qu'avec la vertu & la science, le pere des dieux, jaloux des gens de bien, l'avoit aveuglé pour lui ôter le discernement ; Lucien ajoute que depuis ce tems-là il va presque toujours avec les méchans ; car " comment un aveugle comme moi pourroit-il trouver un homme de bien, qui est une chose si rare ? au lieu que les méchans sont en grand nombre, & se trouvent par-tout, ce qui fait que j'en rencontre toujours quelqu'un ". Lucien fait encore Plutus boiteux ; " c'est pourquoi, dit-il, je marche lentement quand je vais chez quelqu'un, je n'arrive que fort tard, & souvent quand on n'a plus besoin de moi ; au contraire, lorsqu'il est question de retourner je vais vîte comme le vent, & l'on est tout surpris qu'on ne me voit plus. Mais, lui dit Mercure, il y a des gens à qui les biens viennent en dormant. Oh alors je ne marche pas, répond Plutus, l'on me porte ". Toutes ces allégories s'entendent sans peine, & ne méritent pas de nous arrêter.
Plutus avoit une statue à Athènes sous le nom de Plutus clairvoyant : elle étoit sur la citadelle, dans le fort, derriere le temple de Minerve, où l'on tenoit les trésors publics ; Plutus étoit placé là comme pour veiller à la garde de ces trésors. Dans le temple de la Fortune à Thèbes on voyoit cette déesse tenant Plutus dans ses bras sous la forme d'un enfant, comme si elle étoit sa nourrice ou sa mere. A Athènes la statue de la Paix tenoit le petit Plutus dans son sein, symbole des richesses que donne la paix. (D.J.)
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PLUVIAL | S. m. (Hist. ecclés.) c'est une grande chape que portent le chantre & le sous-chantre, à la messe & à vêpres, ainsi que l'officiant quand il encense. Le pluvial entoure toute la personne, & est attaché par le devant avec deux agraphes. Autres fois c'étoient la chape ou manteau que les ecclésiastiques, & sur-tout les religieux, portoient à la campagne pour se défendre de la pluie ; c'est de-là que lui vient son nom. (D.J.)
PLUVIAL, (Jurisprud.) eaux pluviales, ce sont les eaux qui tombent du ciel. Voyez EAUX, EGOUT. (A)
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PLUVIER | PLUVIER VERT, s. m. (Hist. nat. Ornithol.) pluvialis seu pardalis pluvialis viridis. Wil. oiseau de la grosseur du vanneau, ou un peu plus gros. Le dessus de la tête, le cou, les épaules, le dos, & en général toute la face supérieure de l'oiseau est noire, & a beaucoup de taches éparses, d'un jaune verdâtre ; cette couleur occupe les bords de chaque plume, & le milieu est noir ; le bec a un pouce de largeur ; il est noir & droit. Le cou est un peu court & ressemble à celui du vanneau. La poitrine a une couleur brune mêlée d'un jaune verdâtre. Le ventre est blanc ; les plumes des côtés du corps ont l'extrémité brune & sont traversées par des lignes de la même couleur. Les grandes plumes des aîles sont toutes brunes, excepté les cinq intérieures qui ont la même couleur que le dos ; les dix premieres plumes ont les barbes extérieures terminées en pointe ; la onzieme est obtuse : dans celles qui suivent ce sont au contraire les barbes intérieures qui ont une pointe. La queue est courte & composée de douze plumes de la même couleur que le dos. Les piés & les ongles sont noirs. Cet oiseau n'a point de doigt de derriere ; ce caractere le rend très-différent des autres oiseaux de son genre. Willughbi, Ornithologie. Voyez OISEAU.
PLUVIER GRIS, pluvialis cinerea. Wil. oiseau qui est de la grosseur du pluvier verd ; il a le bec long de plus d'un pouce ; & les piés ont une couleur verte obscure ; les plumes de la tête, du dos, & les petites plumes des aîles sont entierement noires, à l'exception de la pointe qui est d'un cendré verdâtre ; le menton est blanc, & il y a sur la gorge de petites lignes ou des taches oblongues brunes ; la poitrine, le ventre & les jambes sont blancs ; chaque aîle a vingt-six grandes plumes ; la queue est traversée alternativement par des bandes blanches & par des bandes noires. Willughbi, Ornit. Voyez OISEAU.
PLUVIER, (Diete) ce que nous avons observé des qualités diététiques du vanneau convient de la même maniere aux deux especes de pluviers que l'on mange communément parmi nous, savoir le jaune ou doré, & le gris ou cendré. Voyez VANNEAU, Diete. Il faut en excepter l'observation que nous avons faite sur la rareté des bons vanneaux, car au contraire les pluviers sont presque toujours gras & tendres. (b)
PLUVIERS, (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Beauce, à 6 lieues de Janville, à 7 d'Estampes, à 8 de Montargis, à 9 d'Orléans, & à 18 de Paris, sur un petit ruisseau, & près de la forêt d'Orléans. Cette petite ville, dont l'évêque d'Orléans est seigneur, est le siége d'une élection & d'une chatellenie ; son territoire produit seulement du blé.
Pluviers se nomment aussi Pithiviers, Petiviers, & Puviers, en latin moderne Pithiverium, castrum Pitiveris ; on dit qu'elle a pris son nom de Pluviers, de l'abondance des pluviers aux environs ; d'où vient que Robert Casal l'appelle Aviarium. Long. suivant Cassini 19d. 40'. 32''. lat. 48d. 30'. 50''. (D.J.)
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PLUVIEUX | adj. (Gramm.) on dit d'un tems qu'il est pluvieux, lorsque les pluies sont fréquentes pendant ce tems ; une saison pluvieuse. Pluvieux signifie aussi qui amene la pluie, qui menace de pluie ; un vent pluvieux, un ciel pluvieux.
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PLUVIUS | (Hist. nat.) nom donné à Jupiter par les anciens, qui dans les tems de sécheresse l'invoquoient pour obtenir de la pluie. Ce fut par ce motif que l'armée de Trajan, prête à perir faute d'eau, fit un voeu à Jupiter Pluvius, qui, dit-on, ne tarda pas à l'exaucer par une pluie abondante. En mémoire de cet évenement on grava depuis, sur la colonne trajane, la figure de Jupiter Pluvius, & les soldats romains recevant de l'eau dans le creux de leurs boucliers. Le dieu y est représenté sous la figure d'un vieillard à longue barbe ; avec des aîles, tenant les deux bras étendus & la main droite un peu élevée ; l'eau paroit sortir à grands flots de ses bras & de sa barbe.
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PLYE | Voyez PLIE.
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PLYNTERIES | S. f. pl. (Hist. anc.) fêtes à Athènes en l'honneur de Minerve, qu'on comptoit cependant parmi les jours malheureux. En ces jours Solon permit de jurer par ces trois noms, de Jupiter le propice, Jupiter l'expiateur, & Jupiter le défenseur. Xénophon assure qu'aux plynteries on fermoit le temple de Minerve, & qu'il étoit défendu ce jour-là de faire quoique ce soit, même en cas de nécessité ; on dépouilloit la statue de la déesse, mais on la couvroit aussi-tôt pour ne pas l'exposer nue, & on la lavoit ; outre cela on environnoit tous les temples d'un cordon, pour marquer qu'ils étoient fermés, cérémonie usitée dans les jours funestes ; enfin on portoit en procession des figues seches, sur ce fondement que les figues étoient le premier fruit que les Grecs eussent mangé après le gland, dit un auteur moderne qui donne à ces fêtes le nom de plunteria. Voyez l'article PLUNTERIES.
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PLYTHANI | (Géog. anc.) peuples de l'Inde. Arrien, pag. 29. dans son périple de la mer Rouge, dit qu'on apportoit quantité de pierres d'onyx de leur ville, qu'on croit avoir été nommée Plythana. (D.J.)
NEU'MA, (Critiq. sacrée) esprit ; ce mot est fort équivoque, & reçoit différentes acceptions ; il convient d'en faire la remarque pour l'intelligence de plusieurs passages de l'Ecriture. Les Juifs appelloient esprit, toute cause qui agit, & même cause inanimée, comme le vent, les tempêtes Ps. cxlviij. Il y a des esprit, , est-il dit dans l'Eccl. xxxix. 35. créés pour la vengeance, & qui ont affermi les maladies qu'ils ont causées. Qui sont ces esprits ? L'auteur le dit plus bas, v. 37. 38. le feu, la grêle, la famine, la mort ; il ajoute, v. 39. les bêtes farouches, les scorpions, les viperes, & le glaive.
Grotius observe sur le mot , qu'il faut entendre par-là dans l'Ecriture toute qualité active dont une chose est douée, & qui en émane, comme le souffle émane d'un homme. On en trouvera cent exemples dans Aristote, Plutarque, Thucydide, Xénophon ; désigne encore dans les auteurs les parties nobles nécessaires à la vie, le poumon, les vents, la difficulté de respirer ; c'est dans ce sens qu'on donne dans l'Ecriture le nom d'esprit aux maladies, sans que nous prétendions nier l'interprétation des passages où il est manifeste qu'il s'agit de l'opération des démons ; saint Marc & saint Luc parlent d'un jeune homme qui étoit possédé d'un esprit muet, , lequel le jettoit par terre subitement ; alors ce jeune homme écumoit, grinçoit les dents, &c. voilà les symptômes de l'épilepsie ; mais le miracle de Jesus-Christ n'en étoit pas moins grand : enfin puisqu'il s'agit ici de critique, nous finirons par observer, que veut dire encore dans les auteurs, une période ; sententia membris constans. Bud. ex Hermog. tom. IV. p. 90. (D.J.)
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PNEUMATIQUE | S. f. (Physiq.) que l'on appelle aussi Pneumatologie, & c'est proprement la science qui s'occupe des esprits & des substances spirituelles. Voyez ESPRIT.
Ce mot est formé du grec , spiritus, souffle ou air ; c'est pourquoi de la différente acception de ce mot, pris comme une substance incorporelle pour signifier l'air, il en naît deux sortes de science pneumatique.
Mais on se sert plus communément du mot pneumatique pour signifier la science des propriétés de l'air, & les loix que suit ce fluide dans sa condensation, sa raréfaction, sa gravitation, &c. Voyez AIR.
Quelques écrivains regardent la pneumatique comme une branche des méchaniques, à cause que l'on y considere le mouvement de l'air & ses effets. Il faut avouer que cette science est tout-à-fait semblable à l'hydrostatique, l'une considérant l'air de la même maniere précisément que l'autre considere l'eau. MECHANIQUE & HYDROSTATIQUE.
Wolf, au lieu du mot pneumatique, se sert du mot aérométrie, ou airométrie, qui signifie l'air. Voyez AEROMETRIE.
On trouve la doctrine & les lois des pneumatiques aux articles AIR, ATMOSPHERE, POMPE, SYPHON, RAREFACTION, &c.
PNEUMATIQUE, MACHINE, (Physique) autrement appellée machine à pomper l'air, ou machine de Boyle, ou machine du vuide, est une machine par laquelle on vuide, ou du-moins on rarefie considérablement l'air contenu dans un vase.
La machine pneumatique fut inventée vers l'année 1654 par Otto de Guericke, consul de Magdebourg, qui la mit le premier en usage. L'archevêque de Mayence ayant vû cette machine & ses effets à Ratisbonne, où l'inventeur l'avoit portée, engagea Otto de Guericke à venir chez lui, & à faire rapporter sa machine en son palais de Wurtzbourg ; c'est-là que le savant pere Schot, jésuite, qui professoit les Mathématiques dans cette université, & plusieurs autres savans, la virent pour la premiere fois.
Le bruit de ces premieres expériences se répandit aussi-tôt par les grandes correspondances que le pere Schot entretenoit avec tous les savans de l'Europe : mais sur-tout l'an 1657, quand il publia son livre, intitulé : mechanica-hydraulico-pneumatica, auquel, comme dans un appendix, il a ajouté un détail circonstancié des expériences de Magdebourg (c'est ainsi qu'on les appelloit). En 1664, il publia sa technica curiosa, dans laquelle on trouve les expériences nouvelles qu'on avoit faites depuis l'impression de son premier ouvrage. Enfin, Otto de Guericke se détermina à donner lui-même un recueil complet de ses expériences, dans un livre qu'il intitula : experimenta nova magdeburgica de vacuo spatio.
La machine pneumatique a été si généralement connue sous le nom de machine de Boyle, ou vuide de Boyle, que cela a fait croire à bien des gens qu'on en devoit l'invention à ce philosophe : il y a eu certainement grande part, tant pour l'avoir beaucoup perfectionnée, que pour l'avoir appliquée le premier à des expériences curieuses & utiles.
Quant à l'invention de l'instrument, il avoue ingénument qu'il n'en a pas la gloire, dans une lettre écrite deux ans après la publication du livre du pere Schot.
Il paroît par cette lettre que la premiere machine dont s'est servi M. Boyle, est de l'invention de M. Hook ; elle est certainement beaucoup plus parfaite que celle que le pere Schot a décrite dans sa mechanica-hydraulico-pneumatica. Cependant elle avoit encore plusieurs défauts, & n'étoit pas à-beaucoup-près aussi commode qu'on auroit pû le désirer, particulierement en ce que l'on ne pouvoit se servir que d'un seul récipient qui, étant toujours fixé à la machine, devoit être par conséquent très-grand pour servir commodément à toute sorte d'expériences : or cette grande capacité du récipient faisoit qu'il falloit un tems considérable pour le vuider, & c'étoit un inconvénient qu'on ne pouvoit aisément éviter dans beaucoup d'expériences qui demandoient une prompte évacuation ; c'est ce qui engagea M. Boyle, après qu'il eut fait ses premieres expériences, & qu'il les eut publiées dans un ouvrage, intitulé : experimenta physico-mechanica de vi aëris elasticâ & ejus affectibus, &c. à chercher à corriger cette machine. On peut voir la description de cette seconde machine pneumatique dans la premiere continuation de ses expériences physico-méchaniques ; elle n'a comme la premiere qu'un seul corps de pompe, mais il est appliqué de façon qu'il plonge dans l'eau de tous côtés, ce qui empêche le retour de l'air ; les récipients qui sont de différentes figures & grandeurs, posent sur une platine de fer sur laquelle ils sont fixés par le moyen d'un ciment mou, ainsi on en peut changer autant de fois qu'il est nécessaire. Il paroît qu'il n'avoit pas encore pensé à cet expédient si simple, de les fixer à la platine par le moyen d'un cuir mouillé.
Les expériences rapportées dans la seconde continuation, ont été faites avec une machine différente des deux premieres, elle est de l'invention de M. Papin, qui a beaucoup aidé M. Boyle dans toutes ses recherches ; cette troisieme machine est beaucoup plus parfaite que la précédente, son avantage consiste principalement en ces deux points. Premierement, au lieu que la derniere machine n'avoit qu'un seul corps de pompe & qu'un seul piston, celle-ci en a deux aussi-bien que deux corps de pompes ; ces deux pistons qui se haussent & baissent alternativement, font une évacuation d'air continuelle & non-interrompue, effet qu'on ne pouvoit espérer avec un seul piston : car dans les autres on ne sauroit se dispenser d'interrompre l'évacuation de l'air, tandis qu'on remonte le piston vers le fond de la seringue ; mais outre cet avantage de faire l'opération dans la moitié du tems qu'il faudroit employer si l'on n'avoit qu'un seul piston, la peine est aussi considérablement diminuée. Le grand inconvénient qu'on reprochoit aux machines à un seul corps de pompe, étoit la grande résistance que fait l'air extérieur sur le piston quand on l'abaisse, résistance qui augmente à mesure que le récipient se vuide ; car l'équilibre de l'air intérieur avec l'extérieur diminue toujours de plus en plus, desorte que si le corps de pompe est d'un diametre un peu considérable, la force d'un homme suffit à peine pour abaisser tant-soit-peu le piston : or cette résistance de l'air s'évanouit entierement en employant deux pistons, ils sont ajustés de façon que quand l'un monte l'autre descend ; par conséquent la pression de l'air extérieur empêche autant l'un de monter, qu'elle aide l'autre à descendre ; ainsi ces deux forces se détruisent mutuellement par des effets contraires.
Un autre avantage de cette nouvelle machine, ce sont les valvules : dans les deux autres, quand le piston étoit remonté tout au haut, on étoit obligé de tourner le robinet pour laisser passer l'air du récipient dans le corps de pompe, & de le fermer quand on vouloit l'en faire sortir, d'ôter la cheville pour le laisser passer, & de répéter cette manoeuvre à chaque coup de pompe ; or les valvules de la derniere machine suppléent à ce bouchon & au robinet, & sont infiniment plus commodes. Voyez les leçons de Phys. expér. de M. Cottes, treizieme leçon, d'où ceci a été tiré, ainsi que l'explication suivante.
Explication des parties de la machine pneumatique. La figure 17. pneum. représente la machine pneumatique de M. Hauksbée, qui n'est autre chose que la derniere de M. Boyle dont on vient de parler. AA, deux corps de pompe d'un pié de haut, & de deux pouces de diametre. B B, manches des pistons, qui sont deux especes de crics capables de recevoir la lanterne de la manivelle. C, la manivelle ; la lanterne est enfermée dans la boîte. D D D D, le tuyau qui conduit l'air du récipient au corps de pompe. E, le récipient. EF, boîte de fer blanc garnie de cuirs huilés, au-travers desquels passe une verge de fer, pour mouvoir ou suspendre différens corps dans le récipient. G G G, la jauge mercurielle, qui est un tuyau de verre ouvert par ses deux extrémités, dont l'une passe au-travers de la platine & communique avec le récipient, & l'autre est plongée dans une cuvette qui contient du mercure. H, la cuvette ; sur la surface du mercure qu'elle contient, nage un morceau de liege percé d'un trou à son centre ; on y a inséré une regle de buis verticale, divisée en pouces, lignes & quarts de lignes, ensorte que le mercure haussant & baissant dans la jauge, le liege & la regle baissent ou haussent en même tems. I I I I, les supports & la table.
Depuis les additions & les corrections que M. Hauksbée a faites à la machine pneumatique de Guericke & de Boyle, cette même machine a encore reçu divers changemens. On trouve à la fin des essais de Physique de M. Musschenbroeck, la description de deux machines pneumatiques, l'une double, l'autre simple, c'est-à-dire, dont l'une a deux corps de pompe & l'autre n'en a qu'un. Ces deux machines ont été inventées ou plutôt perfectionnées par le célebre M. Gravesande, professeur de Mathématiques à Leyde, mort depuis peu d'années. La pompe dont on se sert communément en Allemagne, se trouve décrite dans les élémens de Physique de M. Techmeier, professeur à Iene.
La machine pneumatique dont on se sert aujourd'hui le plus communément en France, consiste dans un tuyau ou corps de pompe vertical, auquel est adapté un piston terminé par un étrier dans lequel on met le pié pour faire descendre le piston ; on releve le piston par le moyen d'une espece de levier recourbé en-haut, lequel est attaché à l'extrémité du piston & terminé par un manche ; le cylindre ou corps de pompe communique par un tuyau avec le récipient ; ce tuyau est traversé en son milieu par un robinet percé d'un trou d'outre en outre, & outre cela traversé d'une rainure qui est environ à quatre-vingt-dix degrés du trou dont le robinet est percé. Lorsqu'on veut rarefier l'air du récipient, on tourne d'abord le robinet de maniere que le trou qui y est pratiqué réponde à l'ouverture du cylindre, & que par conséquent l'air du cylindre communique avec l'air du récipient, sans communiquer avec l'air extérieur ; on tire ensuite le piston en-bas, & par ce moyen on dilate l'air contenu dans le récipient & dans le cylindre, en lui faisant occuper un plus grand espace. Ensuite on tourne le robinet de maniere que la rainure réponde à l'ouverture du cylindre, par-là il arrive que l'air du cylindre a communication avec l'air extérieur. On pousse ensuite le piston en en-haut & on chasse dehors l'air qui étoit contenu dans la cavité du cylindre ; on retourne ensuite le robinet de maniere que son trou réponde à la cavité du cylindre, on abaisse le piston une seconde fois ; & il est clair que par cette opération on ôte continuellement du récipient une certaine portion d'air, laquelle se répand dans la cavité du cylindre quand on abaisse le piston, pour être ensuite jetté dehors quand le piston se releve ; par conséquent on rarefie continuellement l'air du récipient ; le récipient pose sur une platine, & cette platine est couverte d'un cuir mouillé auquel le récipient s'attache fortement quand on a commencé à pomper l'air ; de maniere que l'air extérieur ne sauroit rentrer dans le récipient, parce qu'il ne peut trouver aucun espace entre le récipient & le cuir mouillé auquel le récipient s'attache très-exactement. Ce cuir mouillé tient lieu du mastic qu'on seroit obligé de mettre à l'extrémité inférieure du récipient pour l'attacher à la platine, & pour boucher tous les petits interstices par lesquels l'air pourroit rentrer. Il ne sera peut-être pas inutile d'ajouter ici une figure de cette machine pneumatique simple : quoique la description que nous venons d'en donner soit fort facile à entendre, & que cette machine soit aujourd'hui extrèmement connue, on la voit représentée avec toutes ses parties ; Planche pneumatique, fig. 16. n °. 2. Voyez la description plus détaillée de la machine pneumatique, tant double que simple, & de ses parties, dans les mémoires de l'académie des Sciences de 1740.
Nous dirons seulement, pour faciliter l'intelligence du reste de cet article, que cette machine pneumatique est composée de cinq parties principales, savoir, 1°. d'un corps de pompe de cuivre A : 2°. d'un piston dont le manche est terminé en forme d'étrier B, pour être abaissé avec le pié, & garni d'une branche montante avec une poignée C, pour être relevé avec la main : 3°. d'un robinet dont on avoit la clé en D : 4°. d'une platine couverte d'un cuir mouillé, sur lequel on pose le récipient ou la cloche de verre E : 5°. d'un pié F G, avec deux tablettes H H, qui peuvent se hausser & se baisser à volonté.
Il paroît d'abord probable qu'à chaque coup de pompe, il doit toujours sortir une égale quantité d'air, & par conséquent, qu'après un certain nombre de coups de pompe, le récipient peut être entierement évacué ; mais si nous faisons attention, nous trouverons qu'il en arrive bien différemment. Pour le prouver, nous allons d'abord démontrer le théorème suivant, d'après M. Cottes, que nous ne ferons qu'abréger.
La quantité d'air qu'on fait sortir du récipient à chaque coup de pompe, est à la quantité que contenoit le récipient avant le coup, comme la capacité de la pompe dans laquelle l'air passe en sortant du récipient, est à la somme des capacités du corps de la pompe & du récipient.
Pour voir la vérité de ce principe, il faut observer, qu'en élevant le piston, & l'éloignant du fond de la pompe, il doit se faire un vuide dans ce nouvel espace ; mais ce vuide est prévenu par l'air qui s'y transporte du récipient ; cet air fait effort de tous côtés pour se répandre ; or il arrive de-là qu'il passe dans la partie vuide du corps de pompe que le piston vient d'abandonner, & il doit continuer ainsi à passer jusqu'à ce qu'il soit de même densité dans la pompe & dans le récipient ; ainsi l'air qui immédiatement avant le coup de pompe, étoit renfermé seulement dans le récipient & toutes ses dépendances, est à-présent uniformément distribué dans le récipient & le corps de la pompe : d'où il est clair que la quantité d'air contenue dans la pompe, est à celle que contiennent la pompe & le récipient tout ensemble, comme la capacité de la pompe est à celle de la pompe & du récipient tout ensemble ; mais l'air que contient la pompe, est celui-là même qui sort du récipient à chaque coup, & l'air contenu dans la pompe & le récipient tout ensemble, est celui que contenoit le récipient immédiatement avant le coup : donc la vérité de notre regle est évidente.
Nous allons démontrer à-présent que la quantité d'air qui résiste dans le récipient après chaque coup de pompe, diminue en progression géométrique. En effet, puisque la quantité d'air du récipient diminue à chaque coup de pompe, en raison de la capacité du récipient, à celle du même récipient & de la pompe jointes ensemble ; chaque reste est donc toujours moindre que le reste précédent dans la même raison donnée ; d'où il est clair qu'ils sont tous dans une progression géométrique décroissante.
Si les restes décroissent en progression géométrique, il est certain qu'à force de pomper, on pourra les rendre aussi petits qu'on voudra, c'est-à-dire, qu'on pourra approcher autant qu'on voudra, du vuide parfait ; mais on voit en même tems qu'on ne pourra tout évacuer.
Outre les effets & les phénomènes de la machine pneumatique, dont on a parlé aux articles VUIDE, AIR, &c. on peut y en ajouter quelques autres : par exemple, la flamme d'une chandelle mise dans le vuide s'éteint en une minute, quoiqu'elle y subsiste quelquefois pendant deux ; mais la meche continue d'y être en feu, & même il en sort une fumée qui monte en-haut. Du charbon allumé s'éteint totalement dans l'espace d'environ cinq minutes, quoiqu'en plein air il ne s'éteigne qu'après une demi-heure ; cette extinction se fait par degrés, en commençant par le haut & par les côtés extérieurs. L'absence de l'air n'affecte point le fer rougi au feu ; & néanmoins le soufre ou la poudre à canon ne prennent point flamme dans le vuide, ils ne font que s'y fondre. Une meche, après avoir paru long-tems totalement éteinte dans le vuide, se ranime lorsqu'on la remet à l'air. Si l'on bat le fusil dans le vuide, on y produit des étincelles aussi abondamment qu'en plein air : ces étincelles saillent dans toutes les directions, en-dessus, en-dessous, &c. comme dans l'air : l'aimant & les aiguilles aimantées ont les mêmes propriétés dans le vuide que dans l'air. Après qu'un flambeau est éteint dans un récipient épuisé d'air, la fumée descend par degrés au fond, où elle forme un corps noirâtre, en laissant la partie supérieure claire & transparente ; & si l'on incline le vase, tantôt d'un côté & tantôt d'un autre, la surface de la fumée se tient horisontalement semblable aux autres fluides. Le syphon ne coule point dans le vuide. L'eau s'y gêle. Dans un récipient épuisé d'air on peut produire de la chaleur par le frottement. Le camphre ne prend point feu dans le vuide. Quoique quelques grains d'un monceau de poudre s'allument dans le vuide par le moyen d'un miroir ardent, ils ne communiquent point le feu aux grains qui leur sont contigus. Les vers luisans perdent leur lumiere à mesure que l'air s'épuise, & à la fin ils s'obscurcissent totalement, mais ils recouvrent sur le champ tout leur éclat, quand on les remet à l'air. Le phosphore que l'on fait avec de l'urine ne cesse pas d'être lumineux dans le vuide ; on remarque aussi que l'esprit de nitre de Glauber mêlé avec de l'huile de carvi, s'enflamme dans le vuide, & met en pieces la fiole où il a été renfermé. Les viperes & les grenouilles s'enflent beaucoup dans le vuide ; mais elles y vivent une heure & demi ou deux heures, & quoiqu'alors elles paroissent tout-à-fait mortes, quand on les remet à l'air pendant quelques heures, elles se raniment. Les limaçons y vivent dix heures ; les lésards, deux ou trois jours ; les sangsues, cinq ou six jours ; les huîtres vivront dans le vuide pendant vingt-quatre heures sans aucun accident. Le coeur d'une anguille détaché de son corps continue de battre dans le vuide avec plus d'agilité que dans l'air, & cela pendant près d'une heure. Le sang chaud, le lait, le fiel éprouvent dans le vuide une effervescence & une ébullition considérable. On peut parvenir à faire vivre une souris ou d'autres animaux dans un air rarefié, plus longtems qu'ils ne vivroient naturellement, si l'on sait bien ménager les degrés de rarefaction. Si on enferme un animal sous un récipient dont on ne pompe l'air qu'en partie, il y vit à la vérité plus long-tems que si on pompoit l'air entierement, mais il ne laisse pourtant pas d'y mourir. Les oiseaux ont à cet égard quelques avantages sur les animaux terrestres ; car ils peuvent mieux supporter un air rarefié, étant accoutumés de s'élever à une hauteur souvent très-considérable, où ils rencontrent un air beaucoup moins épais que celui que nous respirons. On a cependant observé que si on pompe les 2/3 de l'air d'un récipient, ils ne peuvent plus vivre dans l'air qui reste, parce que cet air se trouve trop subtil. On voit par-là que les oiseaux ne peuvent s'élever que jusqu'à une certaine hauteur ; car s'ils voloient trop haut, ils ne respireroient qu'avec peine, comme l'ont expérimenté plusieurs voyageurs qui ont monté de fort hautes montagnes ; par exemple, le pic de Ténériffe.
Lorsqu'on veut priver les poissons d'air, on les met dans un grand verre plein d'eau qu'on place sous le récipient ; au moment qu'on pompe l'air, les poissons viennent flotter sur l'eau, & ne peuvent redescendre qu'avec beaucoup de peine, parce qu'ils ont au-dedans de leur corps une vessie pleine d'air qui venant à se dilater, les gonfle & les rend plus légers ; aussi-tôt qu'on fait rentrer l'air dans le verre, ils s'enfoncent, comme d'eux-mêmes ; mais, si on continue à pomper, la vessie pleine d'air se creve souvent dans leur corps. Il y a diverses sortes de poissons qui vivent assez long-tems dans le vuide, comme les anguilles ; d'autres qui y meurent assez vite. Les insectes peuvent aussi vivre assez long-tems sans air ; quelques-uns meurent, d'autres semblent ressusciter, lorsqu'on a fait rentrer l'air ; mais ils paroissent toujours fort languissans dans le vuide.
L'air peut y conserver sa pression ordinaire, après être devenu incapable de servir à la respiration. Les oeufs des vers à soie éclorront dans le vuide, &c.
Lorsqu'on a tiré le piston de la machine en bas, l'air extérieur qui le presse par son poids, & qui a plus de force que l'air du dedans de la machine, fait remonter le piston de lui-même, & souvent même on a besoin de modérer la vîtesse avec laquelle le piston est repoussé en haut.
Il faut avoir soin de mettre sur la platine un récipient convexe, & propre par conséquent par sa figure à résister à la pression de l'air extérieur ; car si on y met un récipient dont la surface soit applatie, comme une bouteille plate, elle se brise en mille morceaux.
Le son ne sauroit se répandre dans le vuide ; car si on suspend dans le récipient une petite cloche, le son de cette cloche devient plus foible à mesure qu'on pompe l'air, & à la fin il devient si foible qu'on ne l'entend plus du tout.
Dès qu'on a commencé à donner quelques coups de piston, il paroît dans le récipient une vapeur plus ou moins épaisse qui obscurcit l'intérieur du vase, & qui après quelques petits mouvemens en forme de circonvolutions, se précipite vers la partie inférieure. Plusieurs physiciens l'ont attribué à l'humidité des cuirs dont on couvre la platine pour aider l'application exacte du récipient, sans examiner en détail pourquoi les particules d'eau seroient détachées & déterminées à se mouvoir de haut en bas à l'occasion d'un air rarefié au-dessus ; mais ces philosophes se seroient bientôt détrompés, s'ils avoient remarqué qu'un récipient posé sur une platine & lutté avec de la cire ou du mastic, fait voir la même vapeur qu'on a coutume d'appercevoir dans un récipient posé sur un cuir mouillé. M. Mariotte est le premier qui ait expliqué ce phénomène d'une maniere plus satisfaisante ; selon lui la vapeur qui obscurcit le récipient, vient des petites parties aqueuses ou héterogènes, répandues dans l'air, & qui ne pouvant plus être soutenues par l'air, dès qu'il commence à être rarefié à un certain point, sont obligées de retomber & de s'attacher aux parois du récipient. Voyez son traité du mouvement des eaux, seconde partie, premier discours, pag. 364, de l'édition de Leyde 1717. Voyez aussi les mémoires de l'académie de 1740, pag. 243. On peut voir aussi le détail d'un grand nombre d'autres expériences faites avec la machine pneumatique dans l'essai de physique de M. Musschenbroeck, tout à la fin. Nous nous sommes contentés de rapporter ici, d'après ces habiles physiciens, les plus simples & les plus communes qui se font avec la machine dont il s'agit.
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PNEUMATOCELE | S. f. , (terme de Chirurgie) c'est une tumeur venteuse du scrotum. Les vapeurs renfermées causent quelquefois de la douleur par la tension qu'elles occasionnent.
Ce mot est formé du grec , air ou vent, & , tumeur.
Il y a deux sortes de pneumatocele ; dans l'une l'air est répandue entre le dartos & la peau : elle se connoit par un boursoufflement semblable à celui qu'on voit aux chairs des animaux que les bouchers ont soufflés immédiatement après les avoir tués ; voyez EMPHYSEME, & dans l'autre les vents sont contenus dans la cavité du dartos ; alors la tumeur résiste, & le scrotum est tendu comme un ballon.
On observe que quelquefois les vents n'occupent qu'un des deux côtés du dartos, & d'autres fois ils remplissent les deux cavités de cette membrane musculeuse. Voyez DARTOS.
Dionis dit avoir vu des petits gueux qui se perçoient le scrotum, & qui en soufflant au-dedans par le moyen d'un chalumeau de paille, l'emplissoient tellement de vent, qu'il devenoit d'une grosseur extraordinaire. Ils se couchoient ensuite à la porte d'une église, le scrotum découvert, & excitoient la pitié des passans dont ils recevoient les charités.
Le pneumatocele se guérit par les fomentations & les cataplasmes résolutifs, & par l'usage intérieur des remedes qui fortifient & augmentent la chaleur naturelle. Si ces moyens sont administrés sans succès, on peut avoir recours à la ponction, & ensuite à l'application des compresses trempées dans le vin aromatique chaud, qu'on contient avec le suspensoir qui est d'une grande utilité dans cette occasion. Voyez SUSPENSOIR. (Y)
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PNEUMATOMAQUES | S. m. pl. (Hist. eccl.) du grec , en latin Pneumatomachi, anciens hérétiques, qui ont été ainsi appellés parce qu'ils combattoient la divinité du Saint-Esprit, qu'ils mettoient au nombre des créatures. Voyez MACEDONIENS & SEMI-ARIENS.
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PNEUMATOMPHALE | S. f. (terme de Chirurgie) tumeur venteuse de l'ombilic. Ce mot est grec, & vient de , air, vent, & de , umbilicus, nombril. Voyez OMBILIC.
Les signes & les moyens curatifs du pneumatomphale sont les mêmes que du pneumatocele. Voyez PNEUMATOCELE.
Il faut observer bien attentivement que les auteurs scholastiques qui ont beaucoup trop multiplié les especes des maladies par des noms particuliers, ont prétendu parler d'une tumeur venteuse sans déplacement des parties ; alors on entendoit par pneumatomphale, une tumeur emphysemateuse au nombril, voyez EMPHYSEME. L'hernie ombilicale, formée par une portion d'intestin, passée à-travers l'anneau de l'ombilic, forme une tumeur venteuse par l'air contenu dans l'intestin ; alors les moyens curatifs ne doivent être relatifs qu'à la réduction de l'intestin. Voyez EXOMPHALE, RNIERNIE.
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PNEUMATOSE | S. f. est un terme dont quelques auteurs se servent pour désigner la formation ou la génération des esprits animaux dans le cerveau. Voyez ESPRIT & CERVEAU.
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PNEUMONIQUES | adj. (Médec.) médicamens propres pour les maladies du poumon, lorsque la respiration est affectée. Voyez POUMON & RESPIRATION. De ce nombre sont le soufre, le tussilage, le lierre terrestre & le pié-de-chat, que l'on emploie dans la phthisie, l'asthme, la péripneumonie & la pleurésie. Voyez ASTHMATIQUE, ANTI-PHTHISIQUE, &c. Voyez BECHIQUES.
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PNIGITIS TERRA | (Hist. nat.) nom par lequel M. Hill croit que Galien & les anciens ont voulu désigner une argille noire, pesante, onctueuse, assez tenace, douce au toucher, qui se durcit & devient rouge au feu.
D'autres auteurs ont cru au contraire que le pnigitis de Galien étoit une craie noire, creta nigra. V. Em. Mendez d 'Acosta, nat. history of fossils. Voyez NOIRE (PIERRE.)
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PNYCE | (Littérat. greq.) lieu célebre de la ville d'Athènes, où le peuple s'assembloit pour y délibérer des affaires publiques, & où tant de grands orateurs ont prononcé leurs éloquentes harangues. On n'oubliera jamais le Pnyce tant qu'on se souviendra de Démosthène. signifie lieu plein ; il se nommoit ainsi à cause du grand nombre ou de sieges qu'il contenoit, ou d'hommes qui s'empressoient de les remplir. Au-tour du tribunal érigé au milieu de cette place, il y avoit une petite étendue de terrein nommée periscaenisma, parce qu'elle étoit environnée de cordages, pour empêcher que la foule du peuple n'incommodât les juges. Le lytos, c'est-à-dire la grande pierre où montoit le crieur public pour faire faire silence, étoit à côté. Plus loin il y avoit un cadran solaire, & au bout du Pnyce étoit un temple dédié aux Muses. (D.J.)
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PO | LE, (Géog. mod.) en latin Padus, Eridanus ; c'est le fleuve le plus considérable d'Italie. Il a sa source dans le Piémont, au marquisat de Saluces, dans le mont Viso, & prend son cours en serpentant d'occident en orient. Après avoir passé la vallée du Pô, une partie du marquisat de Saluces, il arrose le Montferrat, le duché de Milan, coule entre le Crémonois & le Parmésan, traverse le duché de Mantoue, entre dans l'état de l'Eglise, & se jette enfin dans le golfe de Venise par plusieurs embouchures. Le Tasse parlant de la rapidité avec laquelle il se rend dans la mer, dit en poëte de génie, qu'il semble porter la guerre, & non pas un tribut à la mer :
E pare
Che guerra porti, e non tributo al mare.
Virgile appelle purpureum le golfe de Venise où le Pô se précipite. On sait que purpureum ne signifie pas toujours la couleur de pourpre, & qu'il a quelquefois la signification de candidum. Le même poëte appelle l'Eridan,
Gemina auratus Taurino cornua cornu.
C'étoit peut-être ainsi qu'on représentoit ce fleuve à cause des nombreux troupeaux de boeufs qui paissoient sur ses bords, & qui enrichissoient le pays. Dryden en a fait une belle peinture :
There Pô first issues from his dark abodes,
Aud awful in his cradle, rules the floods,
Two golden horns on his large front he wears,
And his grim face a bull's ressemblance bears :
With rapid course he seeks the sacred main,
And fattens as he runs the fruitful plain.
Un savant de l'académie des Belles-Lettres de Paris, prétend qu'il y avoit deux fleuves qui portoient le nom d'Eridan, l'un en Italie, l'autre en Allemagne, qui est la Vistule. Il fonde son opinion sur l'ambre que quelques auteurs anciens ont dit se trouver sur les bords de l'Eridan. Mais cela vient de ce que les négocians d'Italie faisoient venir l'ambre du nord ; & l'embarquant sur le Pô pour le transporter dans la Grece par la mer Adriatique, les Grecs s'imaginerent qu'il croissoit sur les bords de ce fleuve. (D.J.)
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POA | (Botan.) nom d'un genre de plante graminée, dont voici les caracteres, dans le système de Linnaeus. Le calice est une balle contenant plusieurs fleurs disposées en un épi oblong ; la fleur est formée de deux pieces ovales, pointues, creuses, applaties & sans barbes ; les étamines sont trois filets capillaires ; les anthères sont fendues à leur extrémité ; le germe du pistil est arrondi ; les stiles sont chevelus & recourbés ; les stigmats sont aussi très-fins ; la fleur adhere fermement à la semence, & ne s'ouvre point pour la laisser échapper ; cette semence est unique, oblongue, pointue aux deux bouts, & en quelque maniere applatie. Linnaei gen. plant. p. 20.
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POAILLIER | S. m. (terme de Fondeur) grosse piece de cuivre, dans laquelle porte le tourillon du sommier de la cloche qui la tient suspendue en l'air ; delà on a appellé par extension ou figurément poaillier, le clocher d'une église. On a aussi appellé autrefois pouaillier, la liste ou inventaire de tous les bénéfices de France, d'où est venu par corruption le mot de pouillé des bénéfices.
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POCATSJETTI | S. m. (Botan. exot.) nom qu'on donne dans l'Hortus malabaricus, à un petit arbrisseau du Malabare. Les habitans employent ses feuilles pour déterger les ulceres, & préparent de la racine pulvérisée & mêlée avec de l'huile, un onguent pour la gale. (D.J.)
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POCHE | S. f. en général sac, ou sachet de toile ou de peau où l'on enferme quelque chose. Voyez les articles suivans. Nos vestes, nos culottes, nos surtouts ont des poches, quelquefois doubles & triples ; les unes pour les mouchoirs, les clés ; les autres pour les choses précieuses, comme étuis, tabatieres, qu'on ne veut pas laisser frotter contre des corps durs qui gâteroient leurs formes.
POCHE, terme de Cloutier, c'est une espece de sac dans lequel on vend différentes sortes de broquettes. Chaque poche doit contenir soixante livres pesant de broquettes, à la reserve de celles dont le millier ne pese qu'un quarteron ; la poche de ces sortes de broquettes ne doit peser que trente livres. De-là on a fait le mot pochée, qui se dit de la quantité de broquettes qui peut tenir dans une poche d'une certaine grandeur. Ce n'est qu'à Tanchebray en basse Normandie que les broquettes se vendent à la pochée. Voyez CLOUS.
POCHE, terme d'Ecrivain, marque plus grosse & plus ronde que le trait que fait le corps de la lettre.
POCHE, (Luthier) instrument de Musique à cordes, de la classe des violons. Il a quatre cordes montées comme celles du violon, & se joue avec l'archet. Il ne differe de cet instrument que par la forme de son corps. Le violon est applati, le corps en est large & arrondi par le bout & du côté du manche, au lieu que la poche est longue & arrondie dans sa longueur, comme un cylindre, qui diminue insensiblement en avançant du côté du manche. Voyez la fig. 9. Pl. II. de Lutherie.
On ne se sert point de la poche dans les concerts ; mais elle est fort utile aux maîtres de danse, qui portent cet instrument dans leur poche lorsqu'ils vont donner leçon à leurs écoliers. C'est cet usage qui lui a fait donner le nom de poche.
La poche sonne l'octave du violon, & elle a la même tablature. Voyez VIOLON.
POCHE de navette, (Manufacture) c'est la partie creuse qui est au milieu de la navette, dans laquelle l'ouvrier place l'espoulle ou petit tuyau de roseau sur lequel on dévide le fil de la trame des étoffes ou des toiles. On l'appelle aussi boîte de navette.
POCHE, s. f. (terme de Meûnier) sac qui contient un sac de grains ou de farine. Il y a à Paris sur les ports & dans les halles & marchés où se vendent les grains, des personnes qui ne vivent que du gain qu'elles font en louant des poches ou sacs aux marchands meûniers ou aux particuliers pour le transport des blés, farines & autres grains qu'ils y achetent.
POCHE, en terme de Raffineur, n'est autre chose qu'un morceau de grosse toile, au milieu duquel on a cousu une poche de la grandeur des paniers à écumes. Voyez PANIERS à écumes, UMESUMES. Voyez les Pl.
POCHE, (terme de Rotisseur) espece de peau en forme de bourse qui est dans la gorge des volailles ; c'est leur jabot. (D.J.)
POCHE, terme de Tailleur, espece de petit sac de toile ou de cuir, qui est attaché à quelques habillemens des hommes & des femmes, & qui sert à mettre & porter diverses choses qu'on veut avoir sur soi. Il y a ordinairement des poches aux justes-aux-corps, aux surtous, aux vestes, & aux culottes : celles des culottes se font de cuir de mouton passé en mégie ; ce sont les maîtres Boursiers qui les taillent & fabriquent, d'où ils ont pris un de leurs noms. (D.J.)
POCHE, (Verrerie) espece de grande cuillere de fer, dont on se sert à terjetter le verre en fusion, c'est-à-dire, à le vuider d'un pot dans un autre, suivant son degré de cuisson. Voyez l'article de la VERRERIE. (D.J.)
POCHES, ou POCHETTES, (Chasse) ce sont des filets faits en forme de sac ou de bourse qu'on tend pour prendre des lapins, des perdrix, & des faisans ; on les fait toutes en mailles à losange, larges de deux pouces chacune, sur vingt mailles de levure ; mais les poches à faisan doivent être de fil fin retors, à trois fils & plus longues ; on leur donne quatre à cinq piés entre les deux boucles.
POCHES, (Pêcherie) les poches, en terme de pêcheurs, signifient certaines parties creuses qui se font autour du filet qu'on nomme épervier, en les relevant avec de la lignette : c'est dans ces poches que se prend le poisson. (D.J.)
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POCHETER | v. act. (Gram.) c'est garder dans sa poche : il ne se dit guere que des olives, qui pochetées, prennent du goût, & sont meilleures à manger.
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POCHETIER | S. m. terme de Tailleur, c'est proprement celui qui taille & fait des poches de cuir.
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POCILLATEURS | S. m. (Hist. anc.) échansons, ou jeunes gens préposés autour des tables pour verser à boire. Les dieux avoient Ganimede ; chez les Grecs, c'étoient des garçons bien nés & bien élevés ; chez les Romains, des valets, mais jeunes, vétus de blanc, l'habit retroussé avec des ceintures, & les cheveux frisés.
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POCOAIRÉ | (Hist. nat. Botan.) espece d'arbrisseau du Brésil, qui s'éleve ordinairement de dix ou douze piés de haut ; mais dont la tige est très-tendre : on dit que ses feuilles & son fruit ressemblent à ceux du platane commun d'Amérique.
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POCZAP | (Géog. mod.) ville détruite de l'empire russien, dans la Sévérie, sur la rive orientale de l'Ubiecz, aux confins du duché de Smolensko : c'étoit une opulente ville de la Sévérie, lorsqu'elle fut prise & réduite en cendres par les Polonois en 1564. (D.J.)
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PODAGRE | S. f. en terme de Médecine, c'est la goutte au pié. Voyez GOUTTE. Elle est ainsi appellée des mots grecs , pié, , capture, saisissement. On se sert quelquefois, quoiqu'assez improprement, des mots podagra dentium, pour signifier le mal de dents. Voyez ODONTALGIE, L DE DENTSENTS.
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PODALIA | (Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans la Lycie, province où elle est placée par Pline, liv. V. c. xxvij. & par Ptolomée, liv. V. c. iij. qui la nomme Podalia Myliadis, parce que la Myliade étoit une partie de la Lycie. (D.J.)
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PODÈRè | (Critique sacrée) mot grec, qui signifie une robe qui descendoit jusqu'aux piés, jusqu'aux talons : c'étoit la robe dont les prêtres juifs étoient revétus, durant leur service dans le temple. La robe du grand-prêtre ne traînoit pas seulement jusqu'aux piés ; mais tout le monde, , y étoit représenté, Sap. xviij. 24. On ne nommoit pas seulement cette robe , mais la robe de gloire ; , Sap. c. xxvij. 9. Josephe dit qu'elle avoit quatre couleurs, qui représentoient les quatre élémens. Les magistrats portoient aussi de longues robes, , pour marque de leur dignité. Ezéch. ix. 2. & 3. (D.J.)
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PODESTAT | S. m. (Hist. mod.) magistrat, officier de justice & de police dans une ville libre.
Ce mot est italien, podesta, & se dit spécialement des magistrats de Gènes & de Venise, dont la fonction est d'administrer la justice.
Cette charge répond à celle de préteur à Rome : il y a appel de leurs sentences aux auditeurs nouveaux, ou à la garantie civile nouvelle. Voyez GARANTIE.
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PODHAICE | (Géog. mod.) Podajecia, en latin par Cellarius, petite ville de la petite Pologne, au palatinat de Russie, dans le territoire d'Haliez, sur le Krepiecz. (D.J.)
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PODI | (Commerce) c'est le nom qu'on donne aux Indes orientales à une espece de farine ou de fleur de farine, dont les habitans se frottent le corps, pour se garantir des maux que causent le froid & les vents. En quelques endroits des Indes, cette farine se nomme sari.
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PODIUM | en Architecture, voyez ACOUDOIR.
PODIUM, s. m. (Hist. anc.) endroit du cirque ou de l'amphithéatre, séparé & élevé de douze à quinze piés, & bordé d'une balustrade. C'étoit-là que l'empereur avoit son siége, & d'où il voyoit le spectacle. Avant les empereurs, le même endroit étoit occupé par les consuls & les préteurs, environnés des licteurs ; il y avoit au-devant une grille qui en défendoit l'accès aux bêtes féroces. Les empereurs étoient assis sur le podium ; Néron avoit coutume de s'y coucher.
PODIUM, (Géog. anc.) mot latin, qui signifie balustrade, ou appui, le lieu du théatre où jouoient les mimes, & la place destinée au théatre pour les consuls & pour les empereurs. On l'a employé dans le moyen âge, pour signifier un lieu qui est sur le haut d'une montagne, particulierement lorsque cette montagne est tellement d'un des côtés voisins du lieu en question, que l'on n'y puisse point monter : à-peu-près comme ce que l'on appelle sur le bord de la mer une falaise. Plusieurs villes, bourgs, & villages de France, entr'autres du côté de la Provence & du Languedoc, où la langue latine a subsisté plus longtems, en ont emprunté le nom. C'est de ce nom podium, que les François ont leur mot puy, qui veut dire la même chose : comme le Puy en Vélay Podium : le Puy sainte Marie, Podium sanctae Mariae : Puy Laurent, Podium Laurentii, & tant d'autres. Ce mot est différemment prononcé dans la plûpart des provinces. Dans le Languedoc & dans les provinces voisines, on dit tantôt Puy, tantôt le Pech, ou le Puech ; en Berri on prononce Pie ; en Poitou le Peut ; en Dauphiné Poet, & en d'autres lieux Poeh, Peu, Puis, Pi, ou Pis, &c. (D.J.)
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PODLAQUIE | (Géog. mod.) duché & palatinat de Pologne, borné au nord par la Prusse & la Lithuanie, au midi par le Palatinat de Lublin, au levant encore par la Lithuanie, & au couchant par le palatinat de Mazovie. Il est composé de trois districts, savoir de Drogieczin, de Mielnick, & de Bielsk. Par rapport au temporel, ce pays est gouverné par un palatin & par un castellan ; & pour le spirituel, il est soumis à l'évêque de Lukao. (D.J.)
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PODOLIE | (Géog. mod.) palatinat de la petite Pologne, borné au nord par celui de Volhinie, au midi par la Moldavie & la Pokucie, au levant par le palatinat de Braclaw, & au couchant par celui de Russie. On y trouve des carrieres de marbre de diverses couleurs ; les boeufs & les chevaux qu'on y nourrit, sont estimés : ce pays est arrosé dans ces deux extrémités par le Bogh & le Niester ; il renferme trois territoires, celui de Kaminieck, de Framblowa, & de Lahiczow. (D.J.)
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PODOMETRE | S. m. (Gram. & Mathém.) compte-pas, machine à rouage qu'on attache dans une voiture ; par sa correspondance avec les roues de la voiture, son aiguille fait un pas à chaque tour de roue, & la route se trouve mesurée.
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POECILASIUM | (Géog. anc.) ville de l'île de Crete, située sur la côte méridionale, selon Ptolomée, l. III. c. xvij. Mercator la nomme Pentalo, & Niger l'appelle Selino. (D.J.)
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POECILE | LE, (Antiquit. d'Athènes). De tant de différens portiques ou galeries couvertes qui embellissoient la ville d'Athènes, celui-ci étoit le plus considérable ; & pour le distinguer des autres on le nommoit tout court le portique par excellence ; auparavant on l'appelloit Pisannetios. Pendant la splendeur d'Athènes, les premiers peintres de la Grece avoient représenté à l'envi dans ce portique les actions mémorables des grands capitaines de la république ; & l'artiste que les auteurs grecs ont tant vanté, le célebre Polygnote, y fit des chefs-d'oeuvre dont il ne voulut point de récompense. Mais si l'on en croit les Savans, la réputation du portique lui est venue du philosophe Zénon, qui y établit l'école des stoïciens ; car, ajoutent-ils, le mot grec stoa, d'où s'est formé celui de stoïciens, signifie un portique. Outre le poecile, il y avoit hors d'Athènes quantité d'autres portiques qui servoient de promenades ou de rendez-vous aux beautés effrontées, au point, dit Lucien dans ses dialogues, que sur les colonnes qui ornoient ces portiques, on n'y voyoit que leurs noms & ceux de leurs amans entrelacés ensemble. (D.J.)
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POECILÉ | (Géog. anc.) portique de la ville d'Athènes qu'on appelloit auparavant pisianactea ; c'étoit l'école des stoïciens.
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POEDICULI | (Géog. anc.) ou Poedicli, peuples d'Italie, selon Pline, l. III. cap. xj. Ils habitoient la plus grande partie de la terre de Bari, & possédoient trois villes, savoir Rudiae, Egnatiae & Barium. Les Grecs ont désigné les Poediculi sous le nom de Peucetii, à cause des forêts de pins dont est rempli le bras de l'Apennin qui traverse le pays. M. Freret distingue trois principales branches de Liburnes fixées dans la portion de l'Italie que les Romains nommerent Apulia & les Grecs Iapygia : ce sont les Apuli proprement dits, le Poediculi ou Poedicli, & les Calabres. Ces trois peuples parloient la même langue ; dans la suite ils adopterent la langue latine, mais sans renoncer à leur ancien jargon ; & c'est à cause de cet alliage qu'Horace, liv. IV. sect. 10, les nomme bilingues. Pline assure des Poediculi qu'ils étoient Illyriens. (D.J.)
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POELCHER | (Commerce) petite monnoie de Pologne dont il en entre 60 dans un florin polonois, & 180 dans un ryxthaler ou écu d'Allemagne. Ainsi un poelcher vaut environ deux liards de notre monnoie.
En Prusse le poelcher vaut deux liards & demi, & il n'en faut que cent vingt pour faire un écu d'Allemagne.
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POELE | S. m. (Fonderie & Poterie) grand fourneau de terre ou de métal, posé sur des piés embellis souvent d'ornemens & de petites figures, qui a un conduit par où s'échappe la fumée du feu qu'on y fait, & qui sert à échauffer une chambre sans qu'on voie le feu.
Les poëles sont nécessaires dans les antichambres, tant pour chauffer les domestiques, qu'afin que l'air froid ne s'introduise pas dans la chambre du maître. On s'en sert dans les pays froids, & on en voit de magnifiques & d'une grande dépense en Allemagne, où on donne le même nom aux chambres qu'échauffent les poëles. (D.J.)
POELE, (Littérat. antiq. rom.) Les Romains connoissoient deux sortes de poëles pour échauffer leurs chambres & les autres appartemens de leurs maisons. Les premiers étoient des fourneaux sous terre bâtis en long dans le gros mur, & ayant de petits tuyaux à chaque étage qui répondoient dans les chambres : on les nommoit fornaces, vaporaria. Mais les Romains avoient encore comme nous des poëles portatifs, hypocausta, qu'ils changeoient de place quand ils vouloient. Ciceron écrit qu'il venoit de changer ses poëles de place, parce que le tuyau par où sortoit le feu étoit sous la chambre. Hypocausta in alterum apodyterii angulum promovi, propterea quod ità erant posita, ut eorum vaporarium ex quo ignis erumpit, esset subjectum cubiculo. (D.J.)
POELE A FEU, (Hydr.) Voyez outil de fontainier, au mot FONTAINIER.
POELE à chandelles, (Chandel.) Les maîtres Chandeliers nomment ainsi en terme du métier, ce qu'on appelle communément une chaudiere. Cette poële, dans laquelle ils font fondre leur suif, est de cuivre jaune, avec bord de deux ou trois pouces de large, & d'un demi-pouce d'enfoncement. (D.J.)
POELE, (Chauderonnier). Les Chauderonniers appellent ainsi une poële de fonte garnie de sa cuillere de fer, pour faire fondre l'étain dont ils font l'étamure des marmites, casseroles, & autres ustensiles de cuivre qui servent à la cuisine.
Il faut remarquer, à l'égard de cette étamure, que le cuivre rouge s'étame avec la poix résine, & le jaune avec le sel ammoniac.
POELE, s. f. (Cirier). On nomme indifféremment poële ou bassine le grand bassin de cuivre sur lequel les Ciriers travaillent leurs ouvrages à la cuilliere.
POELE, (Ustensile de cuisine). Cet ustensile est fait de tole ou fer battu, avec une longue queue aussi de fer ; elle sert à cuire, fricasser & frire diverses sortes de mets & de ragoûts que les cuisiniers apprêtent.
La poële à confiture est de cuivre, sans queue, mais avec deux mains ou poignées de fer pour la mettre sur le fourneau ou l'en ôter.
Il y a aussi des poëles dans les hôtels des monnoies, pour y faire recuire les lames & les flaons. (D.J.)
POELE, terme de Gaînier, c'est une poële de fonte à deux oreilles, montée sur trois piés, dans laquelle on met de la cendre & du feu. Les Gaîniers sont obligés d'en avoir toujours une sur leur établi avec du feu dedans pour entretenir leur colle chaude, parce qu'ils s'en servent très-souvent.
POELE, terme de Peintre sur verre. La poële du fourneau des Peintres sur verre est de terre bien cuite, & propre à résister au feu, de forme quarrée, comme le fourneau même, profonde de sept à huit pouces. C'est dans cette poële que se mettent les pieces de verre après qu'elles sont peintes, pour y incorporer les couleurs. (D.J.)
POELE des Plombiers, c'est un ustensile de fonte ou de fer battu garni d'une longue queue aussi de fer, dont ces ouvriers se servent pour fondre le plomb, ou pour le verser quand il est fondu.
Les Plombiers se servent de plusieurs sortes de poëles ; ils en mettent une au fond de la grande fosse, elle est de fonte, assez semblable à une marmite, & sert à rassembler le plomb quand la fosse en est épuisée. Voyez les Pl. du Plombier.
La poële à fondre le plomb pour jetter en moule les tuyaux sans soudure, est une espece de chaudiere de fonte large & profonde, soutenue sur un trépié de fer, & maçonnée tout-au-tour avec du plâtre en forme de fourneau. Voyez PLOMBIER, à l'endroit où on explique la maniere de fondre les tuyaux sans soudure. Voyez les Pl. du Plombier.
La poële dont les Plombiers se servent pour verser le métal quand ils coulent les grandes tables, est aussi de fonte : sa figure est triangulaire ; elle est plate endessous, évasée par en-haut, plus longue que large, & garnie par derriere d'une forte queue, au moyen de laquelle on la leve quand on veut verser le plomb. Voyez l'endroit de l'article PLOMBIER où on détaille la méthode de couler les grandes tables de plomb. Voyez les Pl.
Les Plombiers ont encore des poëles ordinaires de fonte à trois piés, dans lesquels ils allument du charbon pour faire chauffer le fer à souder, ou pour fondre leur soudure dans une cuillere. Voyez PLOMBIER, & Pl. du Fontainier.
POELE, s. m. terme d'Eglise ; dais sous lequel on porte le saint sacrement aux malades & dans les processions. Ce mot se dit encore du voile qu'on tient sur la tête des mariés durant la bénédiction nuptiale. (D.J.)
POELE, (Droits honorifiques) dais qu'on présente aux rois, aux princes, & aux gouverneurs des provinces, lorsqu'ils font leur entrée dans une ville, ou dans d'autres cérémonies. (D.J.)
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POELETTES | S. f. pl. en terme de Raffineur, ce sont de petits bassins de cuivre disposés devant les grande chaudieres, pour recevoir ce qui s'en répand. Elles sont au niveau du plomb qui couvre le devant du fourneau. Voyez FOURNEAU, & les Pl.
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POELON | S. m. (Ustensile de cuisine) est une petite poële qui a la même forme qu'une poële, s'il est de fer ; & qui est presque aussi large au fond que vers les bords, s'il est de cuivre.
POELON, (Chauderonnier) On appelle chez les Chauderonniers, poëlon à poix résine, un petit poëlon de cuivre dans lequel ils tiennent leur poix résine toute écrasée, lorsqu'ils veulent étamer ou souder. (D.J.)
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POEMANINUM | (Géogr. anc.) petite contrée de l'île de Cyzique, selon Etienne le géographe, qui connoît aussi une ville de même nom. La notice de Léon le sage, & celle d'Hiéroclès, mettent la ville dans la province de l'Hellespont ; & Pline, liv. V. c. xxx. appelle ses habitans Poemaneni. (D.J.)
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POEME | S. m. (Poésie). Un poëme est une imitation de la belle nature, exprimé par le discours mesuré.
La vraie poésie consistant essentiellement dans l'imitation, c'est dans l'imitation même que doivent se trouver ses différentes divisions.
Les hommes acquierent la connoissance de ce qui est hors d'eux-mêmes, par les yeux ou par les oreilles, parce qu'ils voyent les choses eux-mêmes, ou qu'ils les entendent raconter par les autres. Cette double maniere de connoître produit la premiere division de la Poésie, & la partage en deux especes, dont l'une est dramatique, où nous entendons les discours directs des personnes qui agissent ; l'autre épique, où nous ne voyons ni n'entendons rien par nous-mêmes directement, où tout nous est raconté.
Aut agitur res in scenis, aut acta refertur.
Si de ces deux especes on en forme une troisieme qui soit mixte, c'est-à-dire mêlée de l'épique & du dramatique, où il y ait du spectacle & du récit ; toutes les regles de cette troisieme espece seront contenues dans celles des deux autres.
Cette division, qui n'est fondée que sur la maniere dont la Poésie montre les objets, est suivie d'une autre qui est prise dans la qualité des objets mêmes que traite la Poésie.
Depuis la divinité jusqu'aux derniers insectes, tout ce à quoi on peut supposer de l'action, est soumis à la Poésie, parce qu'il l'est à l'imitation. Ainsi, comme il y a des dieux, des rois, de simples citoyens, des bergers, des animaux, & que l'art s'est plu à les imiter dans leurs actions vraies ou vraisemblables, il y a aussi des opéra, des tragédies, des comédies, des pastorales, des apologues ; & c'est la seconde division dont chaque membre peut être encore sous-divisé, selon la diversité des objets, quoique dans le même genre.
Ces diverses especes de poëmes ont leur style & leurs regles particulieres dont il est parlé sous chaque article : c'est assez d'observer ici que tous les poëmes sont destinés à instruire ou à plaire, c'est-à-dire que dans les uns l'auteur se propose principalement d'instruire, & dans les autres de plaire, sans qu'un objet exclue l'autre. L'utile domine dans le premier genre, l'agrément dans le second ; mais dans l'un l'utile a besoin d'être paré de quelqu'agrément ; & dans l'autre l'agrément doit être soutenu par l'utile, sans quoi le premier paroît dur, sec & triste, l'autre fade, insipide & vuide. (D.J.)
POEME BUCOLIQUE, voyez PASTORALE, Poésie.
POEME COMIQUE, voyez COMEDIE COMIQUE, & POETE COMIQUE.
POEME CYCLIQUE, (Poésie) il y en a de trois sortes. Le premier est lorsque le poëte pousse son sujet depuis un certain tems jusqu'à un autre, comme depuis le commencement du monde jusqu'au retour d'Ulysse, & qu'il lie tous les évenemens par une enchaînure indissoluble, de maniere que l'on puisse remonter de la fin au commencement, comme on est allé du commencement à la fin. C'est de cette maniere que les métamorphoses d'Ovide sont un poëme cyclique, perpetuum carmen, parce que la premiere fable est la cause de la seconde ; que la seconde produit la troisieme, que la quatrieme naît de celle-ci ; & ainsi des autres. C'est pourquoi Ovide a donné ce nom à son poëme dès l'entrée.
Primaque ab origine mundi
In mea perpetuum deducite tempora carmen.
A cette sorte de poëme étoit directement opposée la composition que les Grecs nommoient atacte, c'est-à-dire, sans liaison, parce qu'on y voyoit plusieurs histoires sans ordre, comme dans la mopsonie d'Euphorion qui contenoit presque tout ce qui s'étoit passé dans l'Attique.
L'autre espece de poëme cyclique est, lorsque le poëte prend un seul sujet & une seule action pour lui donner une étendue raisonnable dans un certain nombre de vers ; dans ce sens l'Iliade & l'Enéide sont aussi des poëmes cycliques, dont l'un a en vue de chanter la colere d'Achille, fatale aux Troyens, & l'autre l'établissement d'Enée en Italie.
On compte encore une troisieme espece de poëme cyclique, lorsque le poëte traite une histoire depuis son commencement jusqu'à la fin : comme par exemple l'auteur de la théseide dont parle Aristote ; car il avoit ramassé dans ce seul poëme tout ce qui étoit arrivé à son héros ; comme Antimaque, qui avoit fait la thébaïde, qui a été appellée cyclique par les anciens, & celui dont parle Horace dans l'art poëtique.
Nec sic incipies ut scriptor cyclicus olim,
Fortunam Priami cantabo & nobile lethum.
Ce poëte n'avoit pas seulement parlé de la guerre de Troye dès son commencement ; mais il avoit épuisé toute l'histoire de ce prince, sans oublier aucune de ses avantures, ni la moindre particularité de sa vie ; il nous reste aujourd'hui un poëme dans ce goût : c'est l'achilléide de Stace ; car ce poëte y a chanté Achille tout entier. Homere en avoit laissé à dire plus qu'il n'en avoit dit ; mais Stace n'a voulu rien oublier. C'est cette derniere espece de poëme qu'Aristote blâme, avec raison, à cause de la multiplication vicieuse de fables, qui ne peut être excusée par l'unité du héros.
Il résulte de ce détail, que les poëtes cycliques sont ceux qui, sans emprunter de la poésie cet art de déplacer les événemens pour les faire naître les uns des autres avec plus de merveilleux, en les rapportant tous à une seule & même action, suivoient dans leurs poëmes l'ordre naturel & méthodique de l'histoire ou de la fable, & se proposoient, par exemple, de mettre en vers tout ce qui s'étoit passé depuis un certain tems jusqu'à un autre, ou la vie entiere de quelque prince, dont les avantures avoient quelque chose de grand & de singulier. (D.J.)
POEME DIDACTIQUE, (Poésie) poëme où l'on se propose par des tableaux d'après nature, d'instruire, de tracer les lois de la raison, du bon sens, de guider les arts, d'orner & d'embellir la vérité, sans lui faire rien perdre de ses droits. Ce genre est une sorte d'usurpation que la poésie a fait sur la prose.
Le fond naturel de celle-ci est l'instruction. Comme elle est plus libre dans ses expressions & dans ses tours, & qu'elle n'a point la contrainte de l'harmonie poétique, il lui est plus aisé de rendre nettement les idées, & par conséquent de les faire passer telles qu'elles sont dans l'esprit de ceux qu'on instruit. Aussi les récits de l'histoire, les sciences, les arts sont-ils traités en prose. La raison en est simple : quand il s'agit d'un service important, on en prend le moyen le plus sûr & le plus facile ; & ce moyen en fait d'instruction est sans contredit la prose.
Cependant, comme il s'est trouvé des hommes qui réunissoient en même tems les connoissances & le talent de faire des vers, ils ont entrepris de joindre dans leurs ouvrages ce qui étoit joint dans leur personne, & de revétir de l'expression & de l'harmonie de la poésie, des matieres qui étoient de pure doctrine. C'est de-là que sont venus les ouvrages & les jours d'Hésiode, les sentences de Théognis, la thérapeutique de Nicandre, la chasse & la pêche d'Oppien ; & pour parler des Latins, les poëmes de Lucrece sur la nature, les géorgiques de Virgile, la pharsale de Lucain & quelques autres.
Mais dans tous ces ouvrages, il n'y a de poétique que la forme. La matiere étoit faite ; il ne s'agissoit que de la revétir. Ce n'est point la fiction qui a fourni les choses, selon les regles de l'imitation, c'est la vérité même. Aussi l'imitation ne porte-t-elle ses regles que sur l'expression. C'est pourquoi le poëme didactique en général peut se définir : la vérité mise en vers : & par opposition, l'autre espece de poésie : la fiction mise en vers. Voilà les deux extrémités : le didactique pur, & le poétique pur.
Entre ces deux extrémités, il y a une infinité de milieux, dans lesquels la fiction & la vérité se mélent & s'entr'aident mutuellement ; & les ouvrages qui s'y trouvent renfermés sont poétiques ou didactiques, plus ou moins, à proportion qu'il y a plus ou moins de fiction ou de vérité. Il n'y a presque point de fiction pure, même dans les poëmes proprement dits ; & réciproquement il n'y a presque point de vérité sans quelque mélange de fiction dans les poëmes didactiques. Il y en a même quelquefois dans la prose. Les interlocuteurs des dialogues de Platon, ceux des livres philosophiques de Cicéron sont faits ; & leur caractere soutenu est poétique. Il en est de même des discours dont Tite-Live a embelli son histoire. Ils ne sont guere plus vrais que ceux de Junon ou d'Enée dans le poëme de Virgile. Il n'y a entr'eux de différence qu'en ce que Tite-Live a tiré les siens des faits historiques ; au lieu que Virgile les a tirés d'une histoire fabuleuse. Ils sont les uns & les autres également de la façon de l'écrivain.
Le poëme didactique peut traiter autant d'especes de sujets que la vérité a de genres : il peut être historique ; telle est la pharsale de Lucain ; voyez POEME HISTORIQUE, POEME PHILOSOPHIQUE. Il peut donner des préceptes pour régler les opérations dans un art, comme dans l'agriculture, dans la poésie, & telles sont les géorgiques de Virgile, & l'art poétique d'Horace, qu'on nomme simplement poëme didactique.
Mais toutes ces especes de poëmes ne sont pas tellement séparées, qu'elles ne se prêtent quelquefois un secours mutuel. Les sciences & les arts sont freres & soeurs ; c'est un principe qu'on ne sauroit trop répéter dans cette matiere. Leurs biens sont communs entr'eux ; & ils prennent partout ce qui peut leur convenir. Ainsi, dans la poésie philosophique il entre quelquefois des faits historiques, & des observations tirées des arts. Pareillement dans les poëmes historiques & didactiques, il entre souvent des raisonnemens & des principes. Mais ces emprunts ne constituent pas le fond du genre. Ils n'y viennent que comme auxiliaires, ou quelquefois comme délassemens, parce que la variété est le repos de l'esprit. Quand l'esprit est las d'un genre, d'une couleur, on lui en offre une autre qui exerce une autre faculté, & qui donne à celle qui étoit fatiguée le tems de réparer ses forces.
Il y a plus ; car quelles libertés ne se donnent pas les Poëtes ? Quelquefois ils se laissent emporter au gré de leur imagination ; & las de la vérité, qui semble leur faire porter le joug, ils prennent l'essor, s'abandonnent à la fiction, & jouissent de tous les droits du génie. Alors ils cessent d'être historiens, philosophes, artistes. Ils ne sont plus que poëtes. Ainsi Virgile cesse d'être agriculteur quand il raconte les fables d'Aristée & d'Orphée. Il quitte la vérité pour le vraisemblable ; il est maître & créateur de sa matiere. Ce qui pourtant n'empêche pas que la totalité de son poëme ne soit dans le genre didactique. Son épisode est dans son poëme, ce qu'une statue est dans une maison ; c'est-à-dire un morceau de pur ornement dans un édifice fait pour l'usage.
Les poëmes didactiques ont, comme tous les ouvrages, dès qu'ils sont achevés & finis, un commencement, un milieu & une fin. On propose le sujet, on le traite, on l'acheve. Voilà qui peut suffire sur la matiere du poëme didactique ; venons à la forme.
Les Muses savent tout, non-seulement ce qui est, mais encore ce qui peut être, sur la terre, dans les enfers, au ciel, dans tous les espaces soit réels, soit possibles. Par conséquent si les poëtes, quand ils ont voulu feindre des choses qui n'étoient pas, ont pu les mettre dans la bouche des Muses, pour leur donner par-là plus de crédit ; ils ont pu à plus forte raison, y mettre les choses vraies & réelles, & leur faire dicter des vers soit sur les sciences, soit sur l'histoire, soit sur la maniere d'élever & de perfectionner les arts. C'est là-dessus qu'est fondée la forme poétique qui constitue le poëme didactique ou de doctrine.
Il a toujours été permis à tout auteur de choisir la forme de son ouvrage ; & loin de lui faire un crime d'employer quelque tour adroit pour rendre le sujet qu'il traite plus agréable, on lui en sait gré, quand il soutient le ton qu'il a pris, & qu'il est fidele à son plan.
Les poëtes didactiques n'ont pas jugé à-propos de faire parler de simples mortels. Ils ont invoqué les divinités. Et comme ils se sont supposés exaucés, ils ont parlé en hommes inspirés, & à-peu-près comme ils s'imaginoient que les dieux l'auroient fait. C'est sur cette supposition que sont fondées toutes les regles générales du poëme didactique quant à la forme. Voici ses regles générales.
1°. Les poëtes didactiques cachent l'ordre jusqu'à un certain point. Ils semblent se laisser aller à leur génie, & suivre la matiere telle qu'elle se présente, sans s'embarrasser de la conduire par une sorte de méthode qui avoueroit l'art. Ils évitent tout ce qui auroit l'air compassé & mesuré. Ils ne mettront cependant point la mort d'un héros avant sa naissance, ni la vendange avant l'été. Le desordre qu'ils se permettent n'est que dans les petites parties, où il paroît un effet de la négligence & de l'oubli plutôt que de l'ignorance. Dans les grandes, ils suivent ordinairement l'ordre naturel.
2°. La seconde regle est une suite de la premiere. En vertu du droit que se donnent les poëtes, de traiter les matieres en écrivains libres & supérieurs, ils mêlent dans leurs ouvrages des choses étrangeres à leur sujet, qui n'y tiennent que par occasion ; & cela pour avoir le moyen de montrer leur érudition, leur supériorité, leur commerce avec les muses. Tels sont les épisodes d'Aristée & d'Orphée, les métamorphoses de quelque nymphe en souci, en riviere, en rocher.
3°. La troisieme regarde l'expression. Ils s'arrogent tous les privileges du style poétique. Ils chargent les idées en prenant des termes métaphoriques, au lieu des termes propres, en y ajoutant des idées accessoires par les épithètes qui fortifient, augmentent, modifient les idées principales. Ils employent des tours hardis, des constructions licencieuses, des figures de mots & de pensées qu'ils placent d'une façon singuliere. Ils sement des traits d'une érudition détournée & peu commune. Enfin, ils prennent tous les moyens de persuader à leurs lecteurs, que c'est un génie qui leur parle, afin d'étonner par-là leur esprit, & de maîtriser leur attention.
La quatrieme regle & la plus importante à suivre, est de rendre le poëme didactique le plus intéressant qu'il est possible. Tous les auteurs de goût qui ont composé de tels poëmes, & qui ont employé les vers à nous donner des leçons, se sont conduits sur ce principe. Afin de soutenir l'attention du lecteur, ils ont semé leurs vers d'images qui peignent des objets touchans ; car les objets, qui ne sont propres qu'à satisfaire notre curiosité, ne nous attachent pas autant que les objets qui sont capables de nous attendrir. S'il m'est permis de parler ainsi, l'esprit est d'un commerce plus difficile que le coeur.
Quand Virgile composa les géorgiques, qui sont un poëme didactique, dont le titre nous promet des instructions sur l'agriculture & sur les occupations de la vie champêtre, il eut attention à le remplir d'imitations faites d'après des objets qui nous auroient attachés dans la nature. Virgile ne s'est pas même contenté de ces images répandues avec un art infini dans tout l'ouvrage. Il place dans un de ses livres une dissertation faite à l'occasion des présages du soleil, & il y traite avec toute l'invention dont la poésie est capable, le meurtre de Jules-César, & le commencement du regne d'Auguste. On ne pouvoit pas entretenir les Romains d'un sujet qui les intéressât davantage.
Virgile met dans un autre livre la fable miraculeuse d'Aristée, & la peinture des effets de l'amour. Dans un autre c'est un tableau de la vie champêtre qui forme un paysage riant & rempli des figures les plus aimables. Enfin, il insere dans cet ouvrage l'avanture tragique d'Orphée & d'Euridice, capable de faire fondre en larmes ceux qui la verroient véritablement.
Il est si vrai que ce sont ces images qui sont cause qu'on se plaît tant à lire les géorgiques, que l'attention se relâche sur les vers qui donnent les préceptes que le titre a promis. Supposé même que l'objet qu'un poëme didactique nous présente fût si curieux qu'on le lût une fois avec plaisir, on ne le reliroit pas avec la même satisfaction qu'on relit une églogue. L'esprit ne sauroit jouir deux fois du plaisir d'apprendre la même chose ; mais le coeur peut jouir deux fois du plaisir de sentir la même émotion. Le plaisir d'apprendre est consommé par le plaisir de savoir.
Les poëmes didactiques, que leurs auteurs ont dédaigné d'embellir par des tableaux pathétiques assez fréquens, ne sont guere entre les mains du commun des hommes. Quel que soit le mérite de ces poëmes, on en regarde la lecture comme une occupation sérieuse, & non pas comme un plaisir. On les aime moins, & le public n'en retire guere que les vers qui contiennent des tableaux pareils à ceux dont on loue Virgile d'avoir enrichi les géorgiques.
Il n'est personne qui n'admire le génie & la verve de Lucrece, l'énergie de ses expressions, la maniere hardie dont il peint des objets pour lesquels le pinceau de la poésie ne paroissoit point fait, enfin sa dextérité pour mettre en vers des choses que Virgile lui-même auroit peut-être désesperé de pouvoir dire en langage des dieux : mais Lucrece est bien plus admiré qu'il n'est lu. Il y a plus à profiter dans son poëme de natura rerum, que dans l'énéide de Virgile : cependant tout le monde lit & relit Virgile ; & peu de personnes font de Lucrece leur livre favori. On ne lit son ouvrage que de propos délibéré. Il n'est point, comme l'énéide, un de ces livres sur lesquels un attrait insensible fait d'abord porter la main quand on veut lire une heure ou deux. Qu'on compare le nombre des traductions de Lucrece avec le nombre des traductions de Virgile dans toutes les langues polies, & l'on trouvera quatre traductions de l'énéide de Virgile, contre une traduction du poëme de natura rerum. Les hommes aimeront toujours mieux les livres qui les toucheront que les livres qui instruiront. Comme l'ennui leur est plus à charge que l'ignorance, ils préferent le plaisir d'être émus, au plaisir d'être instruits. (D.J.)
POEME DRAMATIQUE, (Poésie) représentation d'actions merveilleuses, héroïques ou bourgeoises.
Le poëme dramatique est ainsi nommé du mot grec , qui vient de l'éolique, ou , lequel signifie agir ; parce que dans cette espece de poëme, on ne raconte point l'action comme dans l'épopée, mais qu'on la montre elle-même dans ceux qui la représentent. L'action dramatique est soumise aux yeux, & doit se peindre comme la vérité : or le jugement des yeux, en fait de spectacle, est infiniment plus redoutable que celui des oreilles. Cela est si vrai, que dans les drames mêmes, on met en récit ce qui seroit peu vraisemblable en spectacle. On dit qu'Hippolyte a été attaqué par un monstre & déchiré par les chevaux, parce que si on eût voulu représenter cet événement plutôt que de le raconter, il y auroit eu une infinité de petites circonstances qui auroient trahi l'art & changé la pitié en risée. Le précepte d'Horace y est formel ; & quand Horace ne l'auroit point dit, la raison le dit assez.
On y exige encore non-seulement que l'action soit une, mais qu'elle se passe toute en un même jour, en un même lieu. La raison de tout cela est dans l'imitation.
Comme toute action se passe en un lieu, ce lieu doit être convenable à la qualité des acteurs. Si ce sont des bergers, la scène est en paysage : celle des rois est un palais, ainsi du reste.
Pourvu qu'on conserve le caractere du lieu, il est permis de l'embellir de toutes les richesses de l'art ; les couleurs & la perspective en font toute la dépense. Cependant il faut que les moeurs des acteurs soient peintes dans la scène même ; qu'il y ait une juste proportion entre la demeure & le maître qui l'habite ; qu'on y remarque les usages des tems, des pays, des nations. Un américain ne doit être ni vétu, ni logé comme un françois ; ni un françois comme un ancien romain ; ni même comme un espagnol moderne. Si on n'a point de modele, il faut s'en figurer un, conformément à l'idée que peuvent en avoir les spectateurs.
Les deux principales especes de poëmes dramatiques sont la tragédie & la comédie, ou comme disoient les anciens, le cothurne & le brodequin.
La tragédie partage avec l'épopée la grandeur & l'importance de l'action, & n'en differe que par le dramatique seulement. Elle imite le beau, le grand ; la comédie imite le ridicule. L'une éleve l'ame & forme le coeur ; l'autre polit les moeurs, & corrige le dehors. La tragédie nous humanise par la compassion, & nous retient par la crainte, : la comédie nous ôte le masque à demi, & nous présente adroitement le miroir. La tragédie ne fait pas rire, parce que les sottises des grands sont presque des malheurs publics.
Quidquid delirant reges, plectuntur achivi.
La comédie fait rire, parce que les sottises des petits ne sont que des sottises : on n'en craint point les suites. La tragédie excite la terreur & la pitié, ce qui est signifié par le nom même de la tragédie. La comédie fait rire, & c'est ce qui la rend comique ou comédie.
Au reste, la poésie dramatique fit plus de progrès depuis 1635 jusqu'en 1665 ; elle se perfectionna plus en ces 30 années-là, qu'elle ne l'avoit fait dans les trois siecles précédens. Rotrou parut en même tems que Corneille ; Racine, Moliere & Quinaut vinrent bientôt après. Quels progrès a fait depuis parmi nous cette même poésie dramatique ? aucun. Mais il est inutile d'entrer ici dans de plus grands détails. Voyez COMEDIE, TRAGEDIE, DRAME, DRAMATIQUE, OPERA, &c. (D.J.)
POEME EPIQUE, (Poésie) récit poétique de quelque grande action qui intéresse des peuples entiers, ou même tout le genre humain. Les Homere & les Virgile en ont fixé l'idée jusqu'à ce qu'il vienne des modeles plus accomplis.
Le poëme épique est bien différent de l'histoire, quoiqu'il ait avec elle une ressemblance apparente. L'histoire est consacrée à la vérité, mais l'épopée peut ne vivre que de mensonges ; elle ne connoît d'autres bornes que celles de la possibilité.
Quand l'histoire, continue M. le Batteux, a rendu son témoignage, tout est fait pour elle, on ne lui demande rien au-delà. On veut au contraire que l'épopée charme de lecteur, qu'elle excite son admiration, qu'elle occupe en même tems la raison, l'imagination, l'esprit ; qu'elle touche les coeurs, étonne les sens, & fasse éprouver à l'ame une suite de situations délicieuses, qui ne soient interrompues quelques instans que pour les renouveller avec plus de vivacité.
L'histoire présente les faits sans songer à plaire par la singularité des causes ou des moyens. C'est le portrait des tems & des hommes ; par conséquent l'image de l'inconstance & du caprice, de mille variations qui semblent l'ouvrage du hasard & de la fortune. L'épopée ne raconte qu'une action, & non plusieurs. Cette action est essentiellement intéressante ; ses parties sont concertées ; les causes sont vraisemblables : les acteurs ont des caracteres marqués, des moeurs soutenues ; c'est un tout entier, proportionné, ordonné, parfaitement lié dans toutes ses parties.
Enfin l'histoire ne montre que les causes naturelles ; elle marche, ses mémoires & ses dates à la main ; ou si, guidée par la philosophie, elle va quelquefois dans le coeur des hommes chercher les principes secrets des événemens, que le vulgaire attribue à d'autres causes ; jamais elle ne remonte au-delà des forces, ni de la prudence humaine. L'épopée est le récit d'une muse, c'est-à-dire d'une intelligence céleste, laquelle a vû non-seulement le jeu de toutes les causes naturelles, mais encore l'action des causes surnaturelles, qui préparent les ressorts humains, qui leur donnent l'impulsion & la direction pour produire l'action qui est l'objet du poëme.
La premiere idée qui se présente à un poëte qui veut entreprendre cet ouvrage, c'est d'immortaliser son génie, c'est la fin de l'ouvrier ; cette idée le conduit naturellement au choix d'un sujet qui intéresse un grand nombre d'hommes, & qui soit en même tems capable de porter le merveilleux : ce sujet ne peut être qu'une action.
Pour en dresser toutes les parties & les rédiger en un seul corps, il fait comme les hommes qui agissent, il se propose un but où se portent tous les efforts de ceux qu'il fait agir : c'est la fin de l'ouvrage.
Toutes les parties étant ainsi ordonnées vers un seul terme marqué avec précision, le poëte fait valoir tous les privileges de son art. Quoique son sujet soit tiré de l'histoire, il s'en rend le maître ; il ajoute, il retranche, il transpose, il crée, il dresse les machines à son gré, il prépare de loin des ressorts secrets, des forces mouvantes ; il dessine d'après les idées de la belle nature les grandes parties ; il détermine les caracteres de ses personnages ; il forme le labyrinthe de l'intrigue ; il dispose tous ses tableaux selon l'intérêt de l'ouvrage, & conduisant son lecteur de merveilles en merveilles, il lui laisse toujours appercevoir dans le lointain une perspective plus charmante, qui séduit sa curiosité, & l'entraîne malgré lui jusqu'au dénouement & à la fin du poëme.
Il est vrai que ni la société ni l'histoire ne lui offrent point de tableaux si parfaits & si achevés. Mais il suffit qu'elles lui en montrent les parties, & qu'il ait lui en soi les principes qui doivent le guider dans la composition du tout.
Le plan de toute l'action étant dressé de la sorte, il invoque la muse qui doit l'inspirer : aussi-tôt après cette invocation il devient un autre homme.
.... Cui talia fanti
.... Subito non vultus, non color unus ;
Et rabie fera corda tument, majorque videri,
Nec mortale sonans, afflatur numine quandò
Jam propiore dei.... Tros Anchisiade....
Il est autant dans le ciel que sur la terre : il paroît tout pénétré de l'esprit divin ; ses discours ressemblent moins au témoignage d'un historien scrupuleux qu'à l'extase d'un prophete. Il appelle par leurs noms les choses qui n'existent pas encore : il voit plusieurs siecles auparavant la mer Caspienne qui frémit, & les sept embouchures du Nil qui se troublent dans l'attente d'un héros.
Ce ton majestueux se soutient : tout s'annoblit dans sa bouche ; les pensées, les expressions, les tours, l'harmonie, tout est rempli de hardiesse & de pompe. Ce n'est point le tonnerre qui gronde par intervalle, qui éclate & qui se tait ; c'est un grand fleuve qui roule ses flots avec bruit, & qui étonne le voyageur qui l'entend de loin dans une vallée profonde : en un mot, c'est un dieu qui fait récit à des dieux.
Je ne discuterai point ici ce qui concerne le plan de l'épopée, son choix, son action, son noeud, son dénouement, ses épisodes, ses personnages & son style : toutes ces choses ont été traitées profondément au mot EPOPEE. J'y renvoye le lecteur, & je me borne aux remarques générales les plus importantes qu'on trouvera ingénieusement détaillées dans un discours de M. de Voltaire sur cette matiere.
Que l'action du poëme épique soit simple ou complexe, dit ce beau génie ; qu'elle s'acheve dans un mois ou dans une année, ou qu'elle dure plus longtems ; que la scène soit fixée dans un seul endroit, comme dans l'Iliade ; que le héros voyage de mers & en mers, comme dans l'Odyssée ; qu'il soit heureux ou infortuné, furieux comme Achille, ou pieux comme Enée ; qu'il y ait un principal personnage ou plusieurs ; que l'action se passe sur la terre ou sur la mer, sur le rivage d'Afrique comme dans la Luziada, dans l'Amérique comme dans l'Araucana, dans le ciel, dans l'enfer, hors des limites de notre monde, comme dans le paradis de Milton : il n'importe, le poëme sera toujours un poëme épique, un poëme héroïque, à-moins qu'on ne lui trouve un nouveau titre proportionné à son mérite.
Si vous faites scrupule, disoit le célebre M. Adisson, de donner le titre de poëme épique au paradis perdu de Milton, appellez-le, si vous voulez, un poëme divin ; donnez lui tel nom qu'il vous plaira, pourvu que vous confessiez que c'est un ouvrage aussi admirable en son genre que l'Enéide ; ne disputons jamais sur les noms, c'est une puérilité impardonnable.
Mais le point de la question & de la difficulté est de savoir sur quoi les nations polies se réunissent, & sur quoi elles différent. Un poëme épique doit par-tout être fondé sur le jugement, & embelli par l'imagination ; ce qui appartient au bon sens, appartient également à toutes les nations du monde. Toutes vous diront qu'une action, une & simple qui se développe aisément & par degré, & qui ne coute point une attention fatiguante, leur plaira davantage qu'un amas confus d'aventures monstrueuses. On souhaite généralement que cette unité si sage soit ornée d'une variété d'épisodes, qui soient comme les membres d'un corps robuste & proportionné.
Plus l'action sera grande, plus elle plaira à tous les hommes dont la foiblesse est d'être séduits par tout ce qui est au-delà de la vie commune. Il faudra surtout que cette action soit intéressante ; car tous les coeurs veulent être remués, & un poëme parfait d'ailleurs, s'il ne touchoit point, seroit insipide en tout tems & en tout pays. Elle doit être entiere, parce qu'il n'y a point d'homme qui puisse être satisfait, s'il ne reçoit qu'une partie du tout qu'il s'est promis d'avoir.
Telles sont à-peu-près les principales regles que la nature dicte à toutes les nations qui cultivent les lettres ; mais la machine du merveilleux, l'intervention d'un pouvoir céleste, la nature des épisodes, tout ce qui dépend de la tyrannie de la coutume & de cet instrument qu'on nomme goût ; voilà sur quoi il y a mille opinions, & point de regles générales.
Nous devons admirer ce qui est universellement beau chez les anciens, nous devons nous prêter à ce qui étoit beau dans leur langue & dans leurs moeurs, mais ce seroit s'égarer étrangement que de les vouloir suivre en tout à la piste. Nous ne parlons point la même langue ; la religion qui est presque toujours le fondement de la poésie épique, est parmi nous l'opposé de leur mythologie. Nos coutumes sont plus différentes de celles des héros du siege de Troie que de celles des Américains. Nos combats, nos sieges, nos flottes n'ont pas la moindre ressemblance ; notre philosophie est en tout le contraire de la leur. L'invention de la poudre, celle de la boussole, de l'Imprimerie, tant d'autres arts qui ont été apportés récemment dans le monde, ont, en quelque façon, changé la face de l'univers, ensorte qu'un poëte épique entouré de tant de nouveautés doit avoir un génie bien stérile, ou bien timide, s'il n'ose pas être neuf lui-même.
Qu'Homere nous représente ses dieux s'enyvrant de nectar, & riant sans fin de la mauvaise grace dont Vulcain leur sert à boire, cela étoit bon de son tems, où les dieux étoient ce que les fées sont dans le nôtre. Mais assûrément personne ne s'avisera aujourd'hui de représenter dans un poëme une troupe d'anges & de saints bûvant & riant à table. Que diroit-on d'un auteur qui iroit, après Virgile, introduire des harpies enlevant le dîner de son héros ?
En un mot, admirons les anciens ; mais que notre admiration ne soit pas une superstition aveugle : ne faisons pas cette injustice à la nature humaine & à nous-mêmes, de fermer nos yeux aux beautés qu'elle répand autour de nous, pour ne regarder & n'aimer que ses anciennes productions dont nous ne pouvons pas juger avec autant de sûreté.
Il n'y a point de monumens en Italie qui méritent plus l'attention d'un voyageur que la Jérusalem du Tasse ; Milton fait presque autant d'honneur à l'Angleterre que le grand Newton. Le Camoëns est en Portugal ce que Milton est en Angleterre.
C'est sans doute un grand plaisir pour un homme qui pense de lire attentivement tous ces poëmes épiques de différente nature nés en des siecles & dans des pays éloignés les uns des autres. En les examinant impartialement, on n'ira point demander à Aristote ce qu'il faut penser d'un auteur anglois ou portugais, ni à M. Perrault, comme on doit juger de l'Iliade. On ne se laissera point tyranniser par Scaliger & par le Bossu, mais on tirera ses regles de la nature & des exemples frappans, & pour-lors on jugera entre les dieux d'Homere & le vrai Dieu chanté par Milton, entre Calypso & Didon, Armide & Eve.
De beaux génies & de grands maîtres de l'art se sont ainsi conduits pour juger sainement les poëtes épiques ; &, comme j'ai leurs écrits sous les yeux, je puis aisément poncer ici quelques-uns des principaux traits de leurs desseins. Commençons par Homere.
Ce grand poëte vivoit probablement environ 850 ans avant l'ere chrétienne. Il étoit contemporain d'Hésiode, & fleurissoit trois générations après la guerre de Troie ; ainsi il pouvoit avoir vu dans son enfance quelques vieillards qui avoient été à ce siege ; & il devoit avoir parlé souvent à des Grecs d'Europe & d'Asie, qui avoient vu Ulysse & Ménélas. Quand il composa l'Iliade & l'Odyssée, il ne fit donc que mettre en vers une partie de l'histoire & des fables de son tems.
Les Grecs n'avoient alors que des poëtes pour historiens & pour théologiens ; ce ne fut même que 400 ans après Hésiode & Homere qu'on se réduisit à écrire l'histoire en prose. Cet usage qui paroîtra bien ridicule à beaucoup de lecteurs, étoit très-raisonnable. Un livre en ces tems-là étoit une chose aussi rare qu'un bon livre l'est aujourd'hui : loin de donner au public l'histoire in-folio de chaque village, comme on a fait à-présent, on ne transmettoit à la postérité que les grands événemens qui devoient l'intéresser. Le culte des dieux & l'histoire des grands hommes étoient les seuls sujets de ce petit nombre d'écrits : on les composa long-tems en vers chez les Egyptiens & chez les Grecs, parce qu'ils étoient destinés à être retenus par coeur & à être chantés : telle étoit la coutume de ces peuples si différens de nous. Il n'y eut jusqu'à Hérodote d'autre histoire parmi eux qu'en vers, & ils n'eurent dans aucun tems de poésie sans musique.
Celle d'Homere se chantoit par morceaux détachés, auxquels on donnoit des titres particuliers, comme le combat des vaisseaux, le Patroclée, la grotte de Calypso ; on les appelloit rapsodies, & ceux qui les chantoient rapsodistes. Ce fut Pisistrate, roi d'Athènes, qui rassembla ces morceaux, qui les arrangea dans leur ordre naturel, & qui en composa les deux corps de poésie que nous avons sous le nom d'Iliade & d'Odyssée. On en fit ensuite plusieurs éditions fameuses. Aristote en fit une pour Alexandre le Grand, qui la mit dans une précieuse cassette qu'il avoit trouvée parmi les dépouilles de Darius, & qu'on nomma l'édition de la cassette. Enfin Aristarque, que Ptolomée Philométor avoit fait gouverneur de son fils Evergetes, en fit une si correcte & si exacte, que son nom est devenu celui de la saine critique. On dit un Aristarque pour dire un bon juge en matiere de goût ; c'est son édition qu'on prétend que nous avons aujourd'hui.
Autant les ouvrages d'Homere sont connus, autant est-on dans l'ignorance sur sa personne. Tout ce qu'on sait de vrai, c'est que long-tems après sa mort on lui a érigé des statues & élevé des temples. Sept villes puissantes se sont disputé l'honneur de l'avoir vu naître ; mais la commune opinion est que de son vivant il fut exposé aux injures de la fortune, qu'il avoit à peine un domicile, & que celui dont la postérité a fait un dieu, a vécu pauvre & misérable, deux choses très-compatibles, & que plusieurs grands hommes ont éprouvé dans tous les tems & dans tous les lieux. On admire les qualités de son coeur qu'il a peint dans ses écrits, sa modestie, sa droiture, la simplicité & l'élévation de ses sentimens.
L'Iliade qui est son grand ouvrage, est plein de dieux & de combats. Ces sujets plaisent naturellement aux hommes ; ils aiment ce qui leur paroît terrible ; ils sont comme les enfans qui écoutent avidement ces contes de sorciers qui les effrayent. Il y a des fables pour tout âge, & il n'y a point de nation qui n'ait eu les siennes.
De ces deux sujets qui remplissent l'Iliade naissent les deux grands reproches que l'on fait à Homere, on lui impute l'extravagance de ses dieux & la grossiereté de ses héros ; c'est reprocher à un peintre d'avoir donné à ses figures des habillemens de son tems. Homere a peint les dieux tels qu'on les croyoit, & les hommes tels qu'ils étoient. Ce n'est pas un grand mérite de trouver de l'absurdité dans la théologie payenne, mais il faudroit être bien dépourvû de goût pour ne pas aimer certaines fables d'Homere. Si l'idée des trois graces qui doivent toujours accompagner la déesse de la beauté, si la ceinture de Vénus sont de son invention, quelles louanges ne lui doit-on pas pour avoir ainsi orné cette religion que nous lui reprochons ? Et si ces fables étoient déja reçues avant lui, peut-on mépriser un siecle qui avoit trouvé des allégories si justes & si charmantes ?
Quant à ce qu'on appelle grossiereté dans les héros d'Homere, on peut rire tant qu'on voudra, de voir Patrocle préparer le dîner avec Achille. Achille & Patrocle ne perdent rien à cela de leur héroïsme ; & la plûpart de nos généraux qui portent dans un camp tout le luxe d'une cour efféminée, n'égaleront jamais ces héros qui faisoient leur cuisine eux-mêmes. On peut se moquer de la princesse Nausica, qui, suivie de ses femmes, va laver ses robes & celles du roi & de la reine. Cette simplicité si respectable, vaut bien mieux que la vaine pompe & l'oisiveté dans lesquelles les personnes d'un haut rang sont nourries.
Ceux qui reprochent à Homere d'avoir tant loué la force de ses héros, ne savent pas qu'avant l'invention de la poudre, la force du corps décidoit de tout dans les batailles. Ils ignorent que cette force est l'origine de tout pouvoir chez les hommes, & que c'est par cette supériorité seule, que les nations du Nord ont conquis notre hémisphere, depuis la Chine jusqu'au mont Atlas. Les anciens se faisoient une gloire d'être robustes ; leurs plaisirs étoient des exercices violens ; ils ne passoient point leurs jours à se faire traîner dans des chars mollement suspendus, à couvert des influences de l'air, pour aller porter languissamment, d'une maison dans une autre, leur ennui & leur inutilité. En un mot, Homere avoit à représenter un Ajax & un Hector, non un courtisan de Versailles ou de Saint-James.
Je ne prétens pas cependant justifier Homere de tout défaut ; mais j'aime la maniere dont Horace le juge ; c'est un soupçon, plutôt qu'une accusation ; & il est même fâché d'avoir ce soupçon. Les beautés de ses ouvrages sont si grandes, que j'oublie les momens où il me paroît sommeiller. On retrouve partout dans ses poésies un génie créateur, une imagination riche & brillante, un enthousiasme presque divin. Il a réuni toutes les parties ; le gracieux, le riant, le grave & le sublime ; & à ce dernier égard il est bien supérieur à Virgile.
Je ne m'attacherai point à montrer son talent dans l'invention, son goût dans la disposition, sa force & sa justesse dans l'expression ; on peut lire tout ce qu'en dit l'auteur des principes de la Littérature. Je me contenterai seulement de remarquer, que le plus grand mérite d'Homere, est de porter par-tout l'empreinte du génie. Nous ne sommes plus en état de juger de son élocution, que toute l'antiquité grecque & latine admiroit. Nous savons tout au plus la valeur des mots : nous ne pouvons juger s'ils sont nobles, & à quel point ils le sont ; si chaque mot étoit le mot unique dans l'endroit où il est placé. Nous ne sommes point sûrs de la prononciation ; notre organe n'y est point fait : desorte que si Homere nous enchante, nous n'en avons presque obligation qu'à la beauté des choses, & à l'énergie de ses traits, qui, quoiqu'à demi effacés pour nous, nous paroissent encore plus beaux que la plûpart des modernes, dont le coloris est si frais.
S'il décrit une armée en marche, " c'est un feu dévorant, qui poussé par les vents, consume la terre devant lui. " Si c'est un dieu qui se transporte d'un lieu à un autre, " il fait trois pas, & au quatrieme, il arrive au bout du monde ". On entend dans les descriptions des combats, le bruit de guerre, le cliquetis des armes, le fracas de la mêlée, le tonnerre de Jupiter qui gronde, la terre qui retentit sous les piés des combattans. On n'est point avec le poëte, on est au milieu de ses héros. On ne lit point son ouvrage ; on croit être présent à tout ce qu'il raconte. L'esprit, l'imagination, le coeur, toute la capacité de l'ame est remplie par la grandeur des intérêts, par la vivacité des images, & par la marche harmonieuse de la poésie & du style.
Quand il décrit la ceinture de Vénus, il n'y a point de tableau de l'Albane qui approche de cette peinture riante. Veut-il fléchir la colere d'Achille, il personnifie les Prieres. " Elles sont filles du maître des dieux, elles marchent tristement, le front couvert de confusion, les yeux trempés de larmes, & ne pouvant se soutenir sur leurs piés chancelans, elles suivent de loin l'Injure, l'Injure altiere qui court sur la terre d'un pié léger, levant sa tête audacieuse ".
Si quelques-unes des comparaisons d'Homere ne nous paroissent pas assez nobles, la plûpart n'ont pas ce défaut. Une armée couverte de ses boucliers, descend de la montagne ; c'est une forêt en feu ; elle s'avance, & fait lever la poussiere ; c'est une nuée qui apporte l'orage. Un jeune combattant est atteint d'un trait mortel ; c'est un pavot vermeil qui laisse tomber sa tête mourante. En un mot, l'Iliade est un édifice enrichi de figures majestueuses, riantes, agréables, naïves, touchantes, tendres, délicates. Plus on la lit, plus on admire l'étendue, la profondeur, & la grandeur du génie de l'architecte.
Il n'est plus permis aujourd'hui de révoquer toutes ces choses en doute. Il n'est plus question, dit fort bien Despréaux, de savoir si Homere, Platon, Cicéron, Virgile, sont des hommes merveilleux. C'est une chose sans contestation, puisque vingt siecles en sont convenus ; & après des suffrages si constans, il y auroit non-seulement de la témérité, mais même de la folie, à douter du mérite de ces écrivains.
Passons à Virgile, le prince des poëtes latins, & l'auteur de l'Enéïde.
En lisant Homere, dit M. le Batteux, nous nous figurons ce poëte dans son siecle, comme une lumiere unique au milieu des ténebres, seul avec la seule nature, sans conseil, sans livres, sans sociétés de savans, abandonné à son seul génie, ou instruit uniquement par les muses.
En ouvrant Virgile, nous sentons au contraire, que nous entrons dans un monde éclairé, que nous sommes chez une nation où regne la magnificence & le goût, où tous les arts, la Sculpture, la Peinture, l'Architecture ont des chefs-d'oeuvres, où les talens sont réunis avec les lumieres.
Il y avoit dans le siecle d'Auguste, une infinité de gens de lettres, de philosophes, qui connoissoient la nature & les arts, qui avoient lû les auteurs anciens & les modernes, qui les avoient comparés, qui en avoient discuté, & qui en discutoient tous les jours les beautés de vive voix & par écrit. Virgile devoit profiter de ces avantages, & on sent en le lisant, qu'il en a réellement profité. On y remarque le soin d'un auteur qui connoît des regles, & qui craint de les blesser ; qui polit & repolit sans fin, & qui appréhende la censure des connoisseurs. Toujours riche, toujours correct, toujours élégant ; ses tableaux ont un coloris aussi brillant que juste ; en artiste instruit, il aime mieux se tenir sur les bords, que de s'exposer à l'orage. Homere, plein de sécurité, se laisse aller à son génie. Il peint toujours en grand, au risque de passer quelquefois les bornes de l'art ; la nature seule le guide.
Le premier pas que devoit faire Virgile, entreprenant un poëme épique, étoit de choisir un sujet qui pût en porter l'édifice ; un sujet voisin des tems fabuleux, presque fabuleux lui-même, & dont on n'eût que des idées vagues, demi-formées, & capables par-là de se prêter aux fictions épiques. En second lieu, il falloit qu'il y eût un rapport intéressant entre ce sujet, & le peuple pour qui il entreprenoit de le traiter. Or ces deux points se réunissent parfaitement dans l'arrivée d'Enée en Italie. Ce prince passoit pour être fils d'une déesse. Son histoire se perdoit dans la fable. D'ailleurs les Romains prétendoient qu'il étoit le fondateur de leur nation, & le pere de leur premier roi. Virgile a donc fait un bon choix en prenant pour sujet l'établissement d'Enée en Italie.
Pour jetter encore un nouvel intérêt dans cette matiere, le poëte usant des droits de son art, a jugé à propos de faire entrer dans son poëme plusieurs traits à la louange du prince & de la nation, & de présenter des tableaux allégoriques où ils pussent se reconnoître avec plaisir. Tout le monde fut enchanté de son poëme dès qu'il vit le jour. Les suffrages & l'amitié d'Auguste, de Mécene, de Tucca, de Pollion, d'Horace, de Gallus ne servirent pas peu, sans doute, à diriger les jugemens de ses contemporains, qui peut-être sans cela ne lui auroient pas rendu si-tôt justice. Quoi qu'il en soit, telle étoit la vénération qu'on avoit pour lui à Rome, qu'un jour comme il vint paroître au théâtre après qu'on y eut récité quelques-uns des vers de l'Enéide, tout le peuple se leva avec de grandes acclamations, honneur qu'on ne rendoit alors qu'à l'empereur.
La critique la plus vraie, la plus générale & la mieux fondée qu'on puisse faire de l'Enéide, c'est que les six derniers chants sont bien inférieurs aux six premiers ; cependant on y reconnoît par-tout la main de Virgile, & l'on doit convenir que ce que la force de son art a tiré de ce terrein ingrat est presque incroyable. Il est vrai que ce grand poëte n'avoit voulu réciter à Auguste que le premier, le second, le quatrieme & le sixieme livres, qui sont effectivement la plus belle partie de son poëme. C'est-là que Virgile a épuisé tout ce que l'imagination a de plus grand dans la descente d'Enée aux enfers, ou, si l'on veut, dans le tableau des mysteres d'Eleusis. Il a dit tout au coeur dans les amours de Didon. La terreur & la compassion ne peuvent aller plus loin que dans sa description du siege, de la prise & de la ruine de Troie. De cette haute élévation où il étoit parvenu au milieu de son vol, il étoit bien difficile de ne pas descendre.
Mais il est assez vraisemblable que Virgile sentoit lui-même que cette derniere partie de son ouvrage avoit besoin d'être retouchée. On sait qu'il ordonna par son testament que l'on brûlât son Enéide dont il n'étoit point satisfait ; mais Auguste se donna bien de garde d'obéir à sa derniere volonté, & de priver le monde du poëme le plus touchant de l'antiquité. Il tient aujourd'hui la balance presque égale avec l'Iliade : on trouve quelquefois dans Homere des longueurs, des détails qui ne nous paroissent pas assez choisis. Virgile a évité ces petites fautes, & a mieux aimé rester en-deçà que d'aller au-delà.
Enfin les Grecs & les Latins n'ont rien en de plus beau & de plus parfait en leurs langues que les poésies d'Homere & de Virgile ; c'est la source, le modele & la regle du bon goût. Ainsi il n'y a point d'homme de lettres qui ne doive savoir, & savoir bien les ouvrages de ces deux poëtes.
Ils ont tous deux dans l'expression quelque chose de divin. On ne peut dire mieux, avec plus de force, de noblesse, d'harmonie, de précision, ce qu'ils disent l'un & l'autre : & plutôt que de les comparer dans cette partie, il faut prendre la pensée du petit Cyrus & dire : " Mon grand-pere est le plus grand des Medes, & mon pere le plus beau des Perses ". Domitius Afer répondit à peu-près la même chose à quelqu'un qui lui demandoit son opinion sur le mérite des deux poëtes : Virgile, dit-il, est le second, mais plus près du premier que du troisieme.
Après avoir levé les yeux vers Homere & Virgile, il est inutile de les arrêter long-tems sur leurs copistes. Je passerai donc légerement en revûe Statius & Silius Italicus ; l'un inégal & timide, l'autre imitateur encore plus foible de l'Iliade & de l'Enéide.
Stace, ou plutôt Publius Papinius Statius, vivoit sous le regne de Domitien. Il obtint les bonnes graces de cet empereur, & lui dédia sa Thébaïde poëme de douze chants. Quelques louanges que lui ait donné Jules Scaliger, tous les gens de goût trouvent qu'il peche du côté de l'art & du génie : sa diction, quoiqu'assez fleurie, est très-inégale ; tantôt il s'éleve fort haut, & tantôt il rampe à terre. C'est ce qui a fait dire assez ingénieusement à un moderne, qu'il se représentoit sur la cime du Parnasse, mais dans la posture d'un homme qui n'y pouvant tenir, étoit sur le point de se précipiter. Ses vers cadencent à l'oreille sans aller jamais au coeur. Son poëme n'est ni régulier, ni proportionné, ni même épique, car les fictions qui s'y trouvent sentent moins le poëte que l'orateur timide, ou l'historien méthodique. Ses sylves, recueil de petites pieces de vers sur différens sujets, plaisent davantage, parce que le style en est pur & naturel. Son Achilléide est le moindre de ses écrits, mais c'est un ouvrage auquel il n'a point mis la derniere main. La mort le surprit vers la centieme année de Jesus-Christ, dans le tems qu'il retouchoit le second chant. Enfin lui-même reconnoît qu'il n'a suivi Virgile que de fort loin, & qu'en baisant ses traces qu'il adoroit ; c'est un sentiment de modestie, dont il faut lui tenir compte. Nous avons une belle & bonne édition de ses oeuvres faite à Paris en 1618 in-4°. M. de Marolles en a donné une traduction françoise, mais beaucoup trop négligée & à laquelle il manque les notes d'érudition.
Silius Italicus parvint aux honneurs du consulat, & finit sa vie au commencement du regne de Trajan, âgé de 75 ans. Il se laissa mourir de faim, n'ayant pas la constance de supporter la douleur de ses maux. Son style est à la vérité plus pur que celui de ses contemporains ; mais son ouvrage de la seconde guerre punique est si foible & si prosaïque, qu'il doit plutôt avoir le nom d'histoire écrite en vers, que celui de poëme épique.
Lucain (M. Annaeus Lucanus) est digne de nous arrêter davantage que Stace & Silius Italicus qu'il avoit précédés. Son génie original ouvrit une route nouvelle. Il n'a rien imité, & ne doit à personne ni ses beautés, ni ses défauts, & mérite par cela seul une grande attention. Voici ce qu'en dit M. de Voltaire.
Lucain étoit d'une ancienne maison de l'ordre des chevaliers. Il naquit à Cordoue en Espagne sous l'empereur Caligula. Il n'avoit encore que huit mois lorsqu'on l'amena à Rome, où il fut élevé dans la maison de Séneque son oncle. Ce fait suffit pour imposer silence à des critiques qui ont révoqué en doute la pureté de son langage. Ils ont pris Lucain pour un espagnol qui a fait des vers latins. Trompés par ce préjugé, ils ont cru trouver dans son style des barbarismes qui n'y sont pas, & qui, supposé qu'ils y fussent, ne peuvent assurément être apperçus par aucun moderne.
Il fut d'abord favori de Néron, jusqu'à ce qu'il eut la noble imprudence de disputer contre lui le prix de la poésie, & l'honneur dangereux de le remporter. Le sujet qu'ils traiterent tous deux étoit Orphée. La hardiesse qu'eurent les Juges de déclarer Lucain vainqueur, est une preuve bien forte de la liberté dont on jouissoit dans les premieres années de ce regne.
Tandis que Néron fit les délices des Romains, Lucain crut pouvoir lui donner des éloges, il le loue même avec trop de flatterie ; & en cela seul il a imité Virgile, qui avoit eu la foiblesse de donner à Auguste un encens que jamais un homme ne doit donner à un autre homme tel qu'il soit.
Néron démentit bien-tôt les louanges outrées dont Lucain l'avoit comblé. Il força Séneque à conspirer contre lui ; Lucain entra dans cette fameuse conjuration, dont la découverte coûta la vie à trois cent romains du premier rang. Etant condamné à la mort, il se fit ouvrir les veines dans un bain chaud, & mourut en récitant des vers de sa Pharsale, qui exprimoient le genre de mort dont il expiroit.
Il ne fut pas le premier qui choisit une histoire récente pour le sujet d'un poëme épique. Varius, contemporain, ami & rival de Virgile, mais dont les ouvrages ont été perdus, avoit exécuté avec succès cette dangereuse entreprise.
La proximité des tems, la notoriété publique de la guerre civile, le siecle éclairé, politique & peu superstitieux où vivoient César & Lucain, la solidité de son sujet ôtoient à son génie toute liberté d'invention fabuleuse.
La grandeur véritable des héros réels qu'il falloit peindre d'après nature, étoit une nouvelle difficulté. Les Romains, du tems César, étoient des personnages bien autrement importans que Sarpédon, Diomède, Mézence & Turnus. La guerre de Troie étoit un jeu d'enfans en comparaison des guerres civiles de Rome, où les plus grands capitaines, & les plus puissans hommes qui aient jamais été, disputoient de l'empire de la moitié du monde connu.
Lucain n'a osé s'écarter de l'histoire ; par-là il a rendu son poëme sec & aride. Il a voulu suppléer au défaut d'invention par la grandeur des sentimens ; mais il a caché trop souvent la sécheresse sous de l'enflure : ainsi il est arrivé qu'Achille & Enée, qui étoient peu importans par eux-mêmes, sont devenus grands dans Homere & dans Virgile, & que César & Pompée sont quelquefois petits dans Lucain.
Il n'y a dans son poëme aucune description brillante, comme dans Homere. Il n'a point connu, comme Virgile, l'art de narrer, & de ne rien dire de trop ; il n'a ni son élégance, ni son harmonie ; mais aussi vous trouvez dans la Pharsale des beautés qui ne sont ni dans l'Iliade, ni dans l'Enéïde. Au milieu de ses déclamations empoulées il y a de ces pensées mâles & hardies, de ces maximes politiques dont Corneille est rempli ; quelques-uns de ces discours ont la majesté de ceux de Tite-Live, & la force de Tacite. Il peint comme Salluste ; en un mot, il est grand partout où il ne veut point être poëte. Une seule ligne telle que celle-ci, en parlant de César, nil actum reputans, si quid superesset agendum, vaut une description poëtique.
Virgile & Homère avoient fort bien fait d'amener les divinités sur la scène. Lucain a fait tout-aussi-bien de s'en passer. Jupiter, Junon, Mars, Vénus, étoient des embellissemens nécessaires aux actions d'Enée & d'Agamemnon. On savoit peu de chose de ces héros fabuleux ; ils étoient comme ces vainqueurs des jeux olympiques que Pindare chantoit, & dont il n'avoit presque rien à dire. Il falloit qu'il se jettât sur les louanges de Castor, de Pollux & d'Hercule. Les foibles commencemens de l'empire romain avoient besoin d'être relevés par l'intervention des dieux ; mais César, Pompée, Caton, Labiénus vivoient dans un autre siecle qu'Enée : les guerres civiles de Rome étoient trop sérieuses pour ces jeux d'imagination. Quel rôle César joueroit-il dans la plaine de Pharsale, si Iris venoit lui apporter son épée, ou si Vénus descendoit dans un nuage d'or à son secours ?
Ceux qui prennent les commencemens d'un art pour les principes de l'art même, sont persuadés qu'un poëme ne sauroit subsister sans divinités, parce que l'Iliade en est pleine ; mais ces divinités sont si peu essentielles au poëme, que le plus bel endroit qui soit dans Lucain, & peut-être dans aucun poëte, est le discours de Caton, dans lequel ce stoïque ennemi des fables, refuse d'entrer seulement dans le temple de Jupiter Hammon.
Ce n'est donc point pour n'avoir pas fait usage du ministre des dieux, mais pour avoir ignoré l'art de bien conduire les affaires des hommes, que Lucain est si inférieur à Virgile. Faut-il qu'après avoir peint César, Pompée, Caton avec des traits si forts, il soit si foible quand il les fait agir ? Ce n'est presque plus qu'une gazette pleine de déclamations ; il me semble, ajoute M. de Voltaire, que je vois un portique hardi & immense qui me conduit à des ruines.
Le Trissin (Jean-George) naquit à Vicence en 1478, dans le tems que le Tasse étoit encore au berceau. Après avoir donné la fameuse Sophonisbe, qui est la premiere tragédie écrite en langue vulgaire, il exécuta le premier dans la même langue un poëme épique, Italia liberata, divisé en vingt-sept chants, dont le sujet est l'Italie délivrée des Goths par Bélisaire, sous l'empereur Justinien. Son plan est sage & bien dessiné, mais la poésie du style y est très-foible. Toutefois l'ouvrage réussit, & cette aurore du bon goût brilla pendant quelque tems, jusqu'à ce qu'elle fut absorbée dans le grand jour qu'apporta le Tasse.
Le Trissin joignoit à beaucoup d'érudition une grande capacité. Léon X. l'employa dans plus d'une affaire importante. Il fut ambassadeur auprès de Charles-Quint ; mais enfin il sacrifia son ambition, & la prétendue solidité des affaires publiques à son goût pour les lettres. Il étoit avec raison charmé des beautés qui sont dans Homere, & cependant sa grande faute est de l'avoir imité ; il en a tout pris hors le génie. Il s'appuie sur Homere pour marcher, & tombe en voulant le suivre : il cueille les fleurs du poëme grec, mais elles se flétrissent entre les mains de l'imitateur. Il semble n'avoir copié son modele que dans le détail des descriptions, & même sans images. Il est très-exact à peindre les habillemens & les meubles de ses héros, mais il ne dit pas un mot de leurs caracteres. Cependant il a la gloire d'avoir été le premier moderne en Europe qui ait fait un poëme épique régulier & sensé, quoique foible, & qui ait osé sécouer le joug de la rime en inventant les vers libres, versi sciolti. De plus, il est le seul des poëtes italiens dans lequel il n'y ait ni jeux de mots, ni pointes, & celui de tous qui a le moins introduit d'enchanteurs & de héros enchantés dans ses ouvrages ; ce qui n'étoit pas un petit mérite.
Tandis que le Trissin en Italie suivoit d'un pas timide & foible les traces des anciens, le Camoëns en Portugal, ouvroit une carriere toute nouvelle, & s'acquéroit une réputation qui dure encore parmi ses compatriotes, qui l'appellent le Virgile portugais.
Le Camoëns (Luigi) naquit dans les dernieres années du regne célebre de Ferdinand & d'Isabelle, tandis que Jean II. régnoit en Portugal. Après la mort de Jean, il vint à la cour de Lisbonne, la premiere année du regne d'Emmanuel, le grand héritier du trône & des grands desseins du roi Jean. C'étoit alors les beaux jours du Portugal, & le tems marqué pour la gloire de cette nation.
Emmanuel, déterminé à suivre le projet qui avoit échoué tant de fois, de s'ouvrir une route aux Indes orientales par l'Océan, fit partir en 1497 Vasco de Gama avec une flotte pour cette fameuse entreprise, qui étoit regardée comme téméraire & impraticable parce qu'elle étoit nouvelle : c'est ce grand voyage qu'a chanté le Camoëns.
La vie & les avantures de ce poëte sont trop connues de tout le monde pour en faire le récit ; d'ailleurs j'en ai déja parlé sous l'article de LISBONNE. On sait qu'il mourut à l'hôpital dans un abandon général, en 1579, âgé d'environ 50 ans.
A peine fut-il mort, qu'on s'empressa de lui faire des épitaphes honorables, & de le mettre au rang des grands hommes. Quelques villes se disputerent l'honneur de lui avoir donné la naissance ; ainsi il éprouva en tout le sort d'Homere. Il voyagea comme lui, il vécut & mourut pauvre, & n'eut de réputation qu'après sa mort. Tant d'exemples doivent apprendre aux hommes de génie que ce n'est point par le génie qu'on fait sa fortune, & qu'on vit heureux.
Le sujet de la Lusiade traité par un génie aussi vif que le Camoëns, ne pouvoit que produire une nouvelle espece d'épopée. Le fond de son poëme n'est ni une guerre, ni une querelle de héros, ni le monde en armes pour une femme ; c'est un nouveau pays découvert à l'aide de la navigation.
Le poëte conduit la flotte portugaise à l'embouchure du Gange, décrit en passant les côtes occidentales, le midi & l'orient de l'Afrique, & les différens peuples qui vivent sur cette côte ; il entremêle avec art l'histoire du Portugal. On y voit dans le troisieme chant la mort de la célebre Inès de Castro, épouse du roi dom Pedre, dont l'aventure déguisée a été jouée dans ce siecle sur le théâtre de Paris. C'est le plus beau morceau du Camoëns ; il y a peu d'endroits dans Virgile plus attendrissans & mieux écrits.
Le grand défaut de ce poëme est le peu de liaison qui regne dans toutes ses parties. Il ressemble aux voyages dont il est le sujet. Le poëte n'a d'autre art que de bien conter le détail des aventures qui se succedent ; mais cet art seul par le plaisir qu'il donne, tient quelquefois lieu de tous les autres. Il est vrai qu'il y a des fictions de la plus grande beauté dans cet ouvrage, & qui doivent réussir dans tous les tems & chez tous les peuples ; mais ces sortes de fictions sont rares, & la plûpart sont un mêlange monstrueux du paganisme & du christianisme : Bacchus & la Vierge-Marie s'y trouvent ensemble.
Le principal but des Portugais, après l'établissement de leur commerce, est la propagation de la foi, & Vénus se charge du succès de l'entreprise. Un merveilleux si absurde défigure tellement tout l'ouvrage aux yeux des lecteurs sensés, qu'il semble que ce grand défaut eût dû faire tomber ce poëme ; mais la poésie du style & l'imagination dans l'expression l'ont soutenu, de même que les beautés de l'exécution ont placé Paul Véronèse parmi les grands peintres.
Le Tasse né à Sorrento en 1544, commença la Gierusalem liberata dans le tems que la Lusiade du Camoëns commençoit à paroître. Il entendoit assez le portugais pour lire ce poëme, & pour en être jaloux. Il disoit que le Camoëns étoit le seul rival en Europe qu'il craignît. Cette crainte, si elle étoit sincere, étoit très-mal fondée ; le Tasse étoit autant audessus du Camoëns, que le portugais étoit supérieur à ses compatriotes. Il eût eu plus de raison d'avouer qu'il étoit jaloux de l'Arioste, par qui sa réputation fut si long-tems balancée, & qui lui est encore préféré par bien des italiens. Mais pour ne point trop charger cet article, je parlerai de l'Arioste au lieu de sa naissance qui est Reggio, voyez donc REGGIO, (Géog. mod.)
Ce fut à l'âge de 32 ans que le Tasse donna sa Jérusalem délivrée. Il pouvoit dire alors, comme un grand homme de l'antiquité : J'ai vécu assez pour le bonheur & pour la gloire. Le reste de sa vie ne fut plus qu'une chaîne de calamités & d'humiliations. Enveloppé dès l'âge de huit ans dans le bannissement de son pere, sans patrie, sans biens, sans famille, persécuté par les ennemis que lui suscitoient ses talens ; plaint, mais négligé par ceux qu'il appelloit ses amis ; il souffrit l'exil, la prison, la plus extrême pauvreté, la faim même ; & ce qui devoit ajouter un poids insupportable à tant de malheurs, la calomnie l'attaqua & l'opprima.
Il s'enfuit de Ferrare, où le protecteur qu'il avoit tant célébré, l'avoit fait mettre en prison ; il alla à pié, couvert de haillons, depuis Ferrare jusqu'à Sorrento dans le royaume de Naples, trouver une soeur dont il espéroit quelque secours ; mais dont probablement il n'en reçut point, puisqu'il fut obligé de retourner à pié à Ferrare, où il fut encore emprisonné. Le désespoir altéra sa constitution robuste, & le jetta dans des maladies violentes & longues, qui lui ôterent quelquefois l'usage de la raison.
Sa gloire poétique, cette consolation imaginaire dans des malheurs réels, fut attaquée par l'académie de la Crusca en 1585, mais il trouva des défenseurs ; Florence lui fit toutes sortes d'accueils ; l'envie cessa de l'opprimer au bout de cinq ans, & son mérite surmonta tout. On lui offrit des honneurs & de la fortune ; ce ne fut toutefois que lorsque son esprit fatigué d'une suite de malheurs étoit devenu insensible à tout ce qui pouvoit le flatter.
Il fut appellé à Rome par le pape Clément VIII. qui dans une congrégation de cardinaux avoit resolu de lui donner la couronne de laurier & les honneurs du triomphe, cérémonie qui paroît bizarre aujourd'hui sur-tout en France, & qui étoit alors très-sérieuse & très-honorable en Italie. Le Tasse fut reçu à un mille de Rome par les deux cardinaux neveux, & par un grand nombre de prélats & d'hommes de toutes conditions. On le conduisit à l'audience du pape : " Je desire, lui dit le pontife, que vous honoriez la couronne de laurier, qui a honoré jusqu'ici tous ceux qui l'ont portée ". Les deux cardinaux Aldobrandins neveux du pape, qui admiroient le Tasse, se chargerent de l'appareil de ce couronnement ; il devoit se faire au capitole ; chose assez singuliere, que ceux qui éclairent le monde par leurs écrits triomphent dans la même place que ceux qui l'avoient désolé par leurs conquêtes !
Il tomba malade dans le tems de ces préparatifs ; & comme si la fortune avoit voulu le tromper jusqu'au dernier moment, il mourut la veille du jour destiné à la cérémonie, l'an de Jesus-Christ 1595, à l'âge de 51 ans.
Le tems qui sappe la réputation des ouvrages médiocres, a assuré celle du Tasse. La Jérusalem délivrée est aujourd'hui chantée en plusieurs endroits de l'Italie, comme les poëmes d'Homère l'étoient en Grèce.
Si la Jérusalem paroît à quelques égards imitée de l'Iliade, il faut avouer que c'est une belle chose qu'une imitation où l'auteur n'est pas au-dessous de son modele. Le Tasse a peint quelquefois ce qu'Homère n'a fait que crayonner. Il a perfectionné l'art de nuer les couleurs, & de distinguer les différentes especes de vertus, de vices & de passions, qui ailleurs semblent être les mêmes. Ainsi Godefroi est prudent & modéré. L'inquiet Aladin a une politique cruelle ; la généreuse valeur de Tancrède est opposée à la fureur d'Argan ; l'amour dans Armide est un mêlange de coquetterie & d'emportement. Dans Herminie, c'est une tendresse douce & aimable ; il n'y a pas jusqu'à l'hermite Pierre, qui ne fasse un personnage dans le tableau, & un beau contraste avec l'enchanteur Ismene : & ces deux figures sont assurément au-dessus de Calcas & de Taltibius.
Il amene dans son ouvrage les aventures avec beaucoup d'adresse ; il distribue sagement les lumieres & les ombres. Il fait passer le lecteur des allarmes de la guerre aux délices de l'amour ; & de la peinture des voluptés, il le ramene aux combats ; il excite la sensibilité par degré ; il s'éleve au-dessus de lui-même de livre en livre. Son style est par-tout clair & élégant ; & lorsque son sujet demande de l'élévation, on est étonné comment la mollesse de la langue italienne prend un nouveau caractere sous ses mains, & se change en majesté & en force.
Voilà les beautés de ce poëme, mais les défauts n'y sont pas moins grands. Sans parler des épisodes mal-cousus, des jeux de mots, & des concetti puérils, espece de tribut que l'auteur payoit au goût de son siecle pour les pointes, il n'est pas possible d'excuser les fables pitoyables dont son ouvrage est rempli. Ces sorciers chrétiens & mahométans ; ces démons qui prennent une infinité de formes ridicules ; ces princes métamorphosés en poissons ; ce perroquet qui chante des chansons de sa propre composition ; Renaud destiné par la Providence au grand exploit d'abattre quelques vieux arbres dans une forêt ; cette forêt qui est le grand merveilleux de tout le poëme ; Tancrède qui y trouve sa Clorinde enfermée dans un pin ; Armide qui se présente à-travers l'écorce d'un myrthe ; le diable qui joue le rôle d'un misérable charlatan : toutes ces idées sont autant d'extravagances également indignes d'un poëme épique. Enfin, l'auteur y donne imprudemment aux mauvais esprits les noms de Pluton & d'Alecton, confondant ainsi les idées payennes avec les idées chrétiennes.
Sur la fin du seizieme siecle, l'Espagne produisit un poëme épique, célebre par quelques beautés particulieres qui s'y trouvent, par la singularité du sujet, & par le caractere de l'auteur.
On le nomme don Alonzo d'Ercilla y Cunéga. Il fut élevé dans la maison de Philippe II. suivit le parti des armes, & se distingua par son courage à la bataille de Saint-Quentin. Entendant dire, étant à Londres, que quelques provinces du Chily avoient pris les armes contre les Espagnols leurs conquérans & leurs tyrans, il se rendit dans cet endroit du nouveau monde pour y combattre ces américains.
Sur les frontieres du Chily, du côté du sud, est une petite contrée montagneuse, nommée Araucana, habitée par une race d'hommes plus robustes & plus féroces que les autres peuples de l'Amérique. Ils défendirent leur liberté avec plus de courage & plus long-tems que les autres américains.
Alonzo soutint contr'eux une pénible & longue guerre. Il courut des dangers extrêmes ; il vit, & fit des actions étonnantes, dont la seule récompense fut l'honneur de conquérir des rochers, & de réduire quelques contrées incultes sous l'obeissance du roi d'Espagne.
Pendant le cours de cette guerre, Alonzo conçut le dessein d'immortaliser ses ennemis en s'immortalisant lui-même. Il fut en même tems le conquérant & le poëte : il employa les intervalles de loisir que la guerre laissoit, à en chanter les événemens.
Il commence par une description géographique du Chily, & par la peinture des moeurs & des coutumes des habitans. Ce commencement qui seroit insupportable dans tout autre poëme, est ici nécessaire & ne déplaît pas, dans un sujet où la scene est par-delà l'autre tropique, & où les héros sont des sauvages, qui nous auroient été toujours inconnus s'il ne les avoit pas conquis & célébrés.
Le sujet qui étoit neuf a fait naître à l'auteur quelques pensées neuves & hardies. On remarque aussi de l'éloquence dans quelques-uns de ses discours, & beaucoup de feu dans les batailles ; mais son poëme peche du côté de l'invention. On n'y voit aucun plan, point de variété dans les descriptions, point d'unité dans le dessein. Enfin, ce poëme est plus sauvage que les nations qui en font le sujet. Vers la fin de l'ouvrage, l'auteur qui est un des premiers héros du poëme, fait pendant la nuit une longue & ennuyeuse marche, suivi de quelques soldats ; & pour passer le tems, il fait naître entr'eux une dispute au sujet de Virgile, & principalement sur l'épisode de Didon. Alonzo saisit cette occasion pour entretenir ses soldats de la mort de Didon, telle qu'elle est rapportée par les anciens historiens ; & enfin de restituer à la reine de Carthage sa réputation, il s'amuse à en discourir pendant deux chants entiers. Ce n'est pas d'ailleurs un défaut médiocre de son poëme d'être composé de trente-six chants : on peut supposer avec raison qu'un auteur qui ne sait, ou qui ne peut s'arrêter, n'est pas propre à fournir une telle carriere.
Milton (Jean) naquit à Londres en 1608. Sa vie est à la tête de ses oeuvres, mais il ne s'agit ici que de son poëme épique, intitulé : le paradis perdu, the paradise lost. Il employa neuf ans à la composition de cet ouvrage immortel ; mais à-peine l'eut-il commencé qu'il perdit la vûe. Il étoit pauvre, aveugle, & ne fut point découragé. Son nom doit augmenter la liste des grands hommes persécutés de la fortune. Il mourut en 1674, sans se douter de la réputation qu'auroit un jour son poëme, sans croire qu'il surpassoit de beaucoup celui du Tasse, & qu'il égaloit en beautés ceux de Virgile & d'Homere.
Les François rioient quand on leur disoit que l'Angleterre avoit un poëme épique, dont le sujet étoit le diable combattant contre Dieu, & un serpent qui persuadoit à une femme de manger une pomme. Ils imaginoient qu'on ne pouvoit faire sur ce sujet que des vaudevilles ; mais ils sont bien revenus de leur erreur. Il est vrai que ce poëme singulier a ses taches & ses défauts. Au milieu des idées sublimes dont il est rempli, on en trouve plusieurs de bisarres & d'outrées. La peinture du péché, monstre feminin, qui après avoir violé sa mere, met au monde une multitude d'enfans sortant sans cesse de ses entrailles, pour y rentrer & les déchirer, révolte avec raison les esprits délicats ; c'est manquer au vraisemblable que d'avoir placé du canon dans l'armée de satan, & d'avoir armé d'épées des esprits qui ne pouvoient se blesser. C'est encore se contredire que de mettre dans la bouche de Dieu le pere, un ordre à ses anges de poursuivre ses ennemis, de les punir & de les précipiter dans le Tartare : cependant Dieu parle & manque de puissance ; la victoire de ses anges reste indécise, & on vient à leur résister.
Mais enfin ces sortes de défauts sont noyés dans le grand nombre de beautés merveilleuses dont le poëme étincelle. Admirez-y les traits majestueux avec lesquels l'auteur peint l'Etre suprême, & le caractere brillant qu'il ose donner au diable. On est enchanté de la description du printems, de celle du jardin d'Eden, & des amours innocens d'Adam & d'Eve. En effet, il est bien remarquable que dans tous les autres poëmes l'amour est regardé comme une foiblesse ; dans Milton seul l'amour est une vertu. Ce poëte a su lever d'une main chaste le voile qui couvre ailleurs les plaisirs de cette passion. Il transporte le lecteur dans le jardin de délices ; il semble lui faire goûter les voluptés pures dont Adam & Eve sont remplis. Il ne s'éleve pas au-dessus de la nature humaine ; mais audessus de la nature humaine corrompue ; & comme il n'y a point d'exemple d'un pareil amour, il n'y en a point d'une pareille poésie.
Ce génie supérieur a encore réuni dans son ouvrage, le grand, le beau, l'extraordinaire. Personne n'a mieux su étonner & agir sur l'imagination. Son poëme ressemble à un superbe palais bâti de briques, mais d'une architecture sublime. Rien de plus grand que le combat des anges, la majesté du Messie, la taille & la conduite du démon & de ses collegues. Que peut-on se représenter de plus auguste que le pandaemonium (lieu de l'assemblée des démons), le paradis, le ciel, les anges, & nos premiers parens ? Qu'y a-t-il de plus extraordinaire que sa peinture de la création du monde, des différentes métamorphoses des anges apostats, & les avantures qu'éprouve leur chef en cherchant le paradis ? Ce sont-là des scenes toutes neuves & purement idéales ; & jamais poëte ne pouvoit les peindre avec des couleurs plus vives & plus frappantes. En un mot, le paradis perdu peut être regardé comme le dernier effort de l'esprit humain, par le merveilleux, le sublime, les images superbes, les pensées hardies, la variété, la force & l'énergie de la poésie. Toutes ces choses admirables ont fait dire ingénieusement à Dryden, que la nature avoit formé Milton de l'ame d'Homere & de celle de Virgile.
La France n'a point eu de poëme épique jusqu'au dixhuitieme siecle. Aucun des beaux génies qu'elle a produits n'avoit encore travaillé dans ce genre. On n'avoit vû que les plus foibles oser porter ce grand fardeau, & ils y ont succombé. Enfin, M. de Voltaire, âgé de 30 ans, donna la Henriade en 1723 sous le nom de poëme de la ligue.
Le sujet de cet ouvrage épique est le siege de Paris, commencé par Henri de Valois & Henri le Grand, & achevé par ce dernier seul. Le lieu de la scene ne s'étend pas plus loin que de Paris à Ivry, où se donna cette fameuse bataille qui décida du sort de la France & de la maison royale.
Le poëme est fondé sur une histoire connue, dont l'auteur a conservé la vérité dans les principaux événemens. Les autres moins respectables ont été ou retranchés, ou arrangés suivant le vraisemblable qu'exige un poëme.
Celui-ci donc est composé d'événemens réels & de fictions. Les événemens réels sont tirés de l'Histoire ; les fictions forment deux classes. Les unes sont puisées dans le système merveilleux, telles que la prédiction de la conversion d'Henri IV. la protection que lui donne saint Louis, son apparition, le feu du ciel détruisant les opérations magiques qui étoient alors si communes, &c. Les autres sont purement allégoriques : de ce nombre sont le voyage de la Discorde à Rome, la Politique, le Fanatisme personnifiés, le temple de l'Amour, enfin les passions & les vices :
Prenant un corps, une ame, un esprit, un visage.
Telle est l'ordonnance de la Henriade. A-peine eut-elle vû le jour que l'envie & la jalousie déchirerent l'auteur par cent brochures calomnieuses. On joua la Henriade sur le théâtre de la comédie italienne & sur celui de la foire ; mais cette cabale & cet odieux acharnement ne purent rien contre la beauté du poëme. Le public indigné ne l'admira que davantage. On en fit en peu d'années plus de vingt éditions dans toute l'Europe ; & Londres en particulier publia la Henriade par une souscription magnifique. Elle fut traduite en vers anglois par M. Lockman ; en vers italiens, par MM. Maffei, Ortolani & Nénéi ; en vers allemands, par une aimable muse madame Gotsched ; & en vers hollandois, par M. Faitema. Quoique les actions chantées dans ce poëme regardent particulierement les François, cependant comme elles sont simples, intéressantes, & peintes avec le plus brillant coloris, il étoit difficile qu'elles manquassent de plaire à tous les peuples policés.
L'auteur a choisi un héros véritable au lieu d'un héros fabuleux ; il a décrit des guerres réelles & non des batailles chimériques. Il n'a osé employer que des fictions qui fussent des images sensibles de la vérité ; ou bien il a pris le parti de les renfermer dans les bornes de la vraisemblance & des facultés humaines. C'est pour cette raison qu'il a placé le transport de son héros au ciel & aux enfers dans un songe, où ces sortes de visions peuvent paroître naturelles & croyables.
Les êtres invisibles sans l'entremise desquels les maîtres de l'art n'oseroient entreprendre un poëme épique, comme l'ame de saint Louis & quelques passions humaines personnifiées, sont ici mieux ménagées que dans les autres époques modernes ; & l'ouvrage entier soutient son éclat, sans être chargé d'une infinité d'agens surnaturels.
L'auteur n'a fait entrer dans son poëme que le merveilleux convenable à une religion aussi pure que la nôtre, & dans un siecle où la raison est devenue aussi sévere que la religion même.
Tout ce qu'il avance sur la constitution de l'univers, les loix de la nature & de la morale, dévoilent un génie supérieur, aussi sage philosophe qu'excellent physicien. Son ouvrage ne respire que l'amour de l'humanité : on y déteste également la rébellion & la persécution.
La sagesse de la composition, la dignité dans le dessein, le goût, l'élégance, la correction & les plus belles images, y regnent éminemment. Les idées les plus communes y sont ennoblies par le charme de la poésie, comme elles l'ont été par Virgile. Quel poëme enfin que la Henriade, dit un de nos collegues (au mot ÉPOPEE), si l'auteur eût connu toutes ses forces lorsqu'il en forma le plan ; s'il y eût déployé le pathétique de Mérope & d'Alzire, l'art des intrigues & des situations ! Mais c'est au tems seul qu'il appartient de confirmer le jugement des vivans, & de transmettre à la postérité les ouvrages dont ils font l'éloge.
Comme je n'ai parlé dans ce discours que des poëtes épiques de réputation, je ne devois rien dire de Chapelain & de quelques autres, dont les ouvrages sont promptement tombés dans l'oubli.
Chapelain (Jean), né à Paris en 1595, & l'un des premiers de l'académie françoise, mourut en 1674. Il fut pensionné par le cardinal de Richelieu, par le duc de Longueville, & par le cardinal Mazarin. Cet homme comblé des présens de la fortune, fut cinq ans à méditer son poëme de la Pucelle. Il l'avoit divisé en vingt-quatre chants, dont il n'y a jamais eu que les douze premiers chants d'imprimés. Quand ils parurent, ils avoient pour eux les suffrages des gens de lettres, & entr'autres de l'évêque d'Avranches. " Les bienfaits des grands avoient déja couronné ce poëme, & le monde prévenu par ces éloges l'attendoit l'encensoir à la main. Cependant si-tôt que le public eut lû la Pucelle, il revint de son préjugé, & la méprisa même avant qu'aucun critique lui eût enseigné par quelle raison elle étoit méprisable. La réputation prématurée de l'ouvrage, fut cause seulement que le public instruisit ce procès avec plus d'empressement. Chacun apprit sur les premieres informations qu'il fit, qu'on bâilloit comme lui en la lisant, & la Pucelle devint vieille au berceau ". (D.J.)
POEME HISTORIQUE, (Poésie didactique) espece de poëme didactique qui n'expose que des actions & des événemens réels, & tels qu'ils sont arrivés, sans en arranger les parties selon les regles méthodiques, & sans s'élever plus haut que les causes naturelles ; tels sont les cinquante livres de Nonnus sur la vie & les exploits de Bacchus, la Pharsale de Lucain, la Guerre punique de Silius Italicus, & quelques autres.
Les poëmes historiques ont des actions, des passions & des acteurs, aussi bien que les poëmes de fiction. Ils ont le droit de marquer vivement les traits, de les rendre hardis & lumineux. Les objets doivent être peints d'un coloris brillant, c'est une divinité qui est censée peindre. Elle voit tout sans obscurité, sans confusion, & son pinceau le rend de même. Il lui est aisé de remonter aux causes, d'en développer les ressorts ; quelquefois même elle s'éleve jusqu'aux causes surnaturelles. Tite-Live racontant la guerre punique, en a montré les événemens dans le récit, & les causes politiques dans les discours qu'il fait tenir à ses acteurs ; mais il a dû rester toujours dans les bornes des connoissances naturelles, parce qu'il n'étoit qu'historien, Silius Italicus qui est poëte, raconte de même que le fait Tite-Live ; mais il peint par-tout ; il tâche toujours de montrer les objets eux-mêmes, au lieu que l'historien se contente souvent d'en parler & de les désigner.
Le poëme de la Guerre civile de Pétrone, peint les évenemens de l'histoire avec ce style mâle & nerveux que l'amour de la liberté fait aimer. M. le président Bouhier a traduit ce poëme en vers françois, & c'est ainsi qu'il faut rendre les Poëtes. (D.J.)
POEME LYRIQUE, s. m. (Littérat.) les Italiens ont appellé le poëme lyrique ou le spectacle en musique, Opera, ce mot a été adopté en françois.
Tout art d'imitation est fondé sur un mensonge : ce mensonge est une espece d'hypothese établie & admise en vertu d'une convention tacite entre l'artiste & ses juges. Passez-moi ce premier mensonge, a dit l'artiste, & je vous mentirai avec tant de vérité que vous y serez trompés, malgré que vous en ayez. Le poëte dramatique, le peintre, le statuaire, le danseur ou pantomime, le comédien, tous ont une hypothese particuliere sous laquelle ils s'engagent de mentir, & qu'ils ne peuvent perdre de vûe un seul instant, sans nous ôter de cette illusion qui rend notre imagination complice de leurs supercheries ; car ce n'est point la vérité, mais l'image de la vérité qu'ils nous promettent ; & ce qui fait le charme de leurs productions, n'est point la nature, mais l'imitation de la nature. Plus un artiste en approche dans l'hypothese qu'il a choisie, plus nous lui accordons de talent & de génie.
L'imitation de la nature par le chant a dû être une des premieres qui se soient offertes à l'imagination. Tout être vivant est sollicité par le sentiment de son existence à pousser en de certains momens des accens plus ou moins mélodieux, suivant la nature de ses organes : comment au milieu de tant de chanteurs l'homme seroit-il resté dans le silence ? La joie a vraisemblablement inspiré les premiers chants ; on a chanté d'abord sans paroles ; ensuite on a cherché à adapter au chant quelques paroles conformes au sentiment qu'il devoit exprimer ; le couplet & la chanson ont été ainsi la premiere musique.
Mais l'homme de génie ne se borna pas long-tems à ces chansons, enfans de la simple nature ; il conçut un projet plus noble & plus hardi, celui de faire du chant un instrument d'imitation. Il s'apperçut bientôt que nous élevons notre voix, & que nous mettons dans nos discours plus de force & de mélodie, à mesure que notre ame sort de son assiette ordinaire. En étudiant les hommes dans différentes situations, il les entendit chanter réellement dans toutes les occasions importantes de la vie ; il vit encore que chaque passion, chaque affection de l'ame avoit son accent, ses inflexions, sa mélodie & son chant propres.
De cette découverte naquit la musique imitative & l'art du chant qui devint une sorte de poésie, une langue, un art d'imitation, dont l'hypothese fut d'exprimer par la mélodie & à l'aide de l'harmonie toute espece de discours, d'accent, de passion, & d'imiter quelquefois jusqu'à des effets physiques. La réunion de cet art, aussi sublime que voisin de la nature, avec l'art dramatique, a donné naissance au spectacle de l'Opéra, le plus noble & le plus brillant d'entre les spectacles modernes.
Ce n'est point ici le lieu d'examiner si le caractere du spectacle en musique a été connu de l'antiquité ; pour peu qu'on réfléchisse sur l'importance des spectacles chez les anciens, sur l'immensité de leurs théâtres, sur les effets de leurs représentations dramatiques sur un peuple entier, on aura de la peine à regarder ces effets comme l'ouvrage de la simple déclamation & du discours ordinaire, dépouillés de tout prestige. Il n'y a guere aujourd'hui d'homme de goût, ni de critique judicieux, qui doute que la mélopée ne fût une espece de récitatif noté.
Mais sans nous embarrasser dans des recherches qui ne sont point de notre sujet, nous ne parlerons ici que du spectacle en musique, tel qu'il est aujourd'hui établi en Europe, & nous tâcherons de savoir quelle sorte de poëme a dû résulter de la réunion de la Poésie avec la Musique.
La Musique est une langue. Imaginez un peuple d'inspirés & d'enthousiastes, dont la tête seroit toujours exaltée, dont l'ame seroit toujours dans l'ivresse & dans l'extase ; qui avec nos passions & nos principes, nous seroient cependant supérieurs par la subtilité, la pureté & la délicatesse des sens, par la mobilité, la finesse, & la perfection des organes, un tel peuple chanteroit au lieu de parler, sa langue naturelle seroit la musique. Le poëme lyrique ne représente pas des êtres d'une organisation différente de la nôtre, mais seulement d'une organisation plus parfaite. Ils s'expriment dans une langue qu'on ne sauroit parler sans génie, mais qu'on ne sauroit non plus entendre sans un goût délicat, sans des organes exquis & exercés. Ainsi ceux qui ont appellé le chant le plus fabuleux de tous les langages, & qui se sont moqués d'un spectacle où les héros meurent en chantant, n'ont pas eu autant de raison qu'on le croiroit d'abord ; mais comme ils n'apperçoivent dans la musique, que tout au plus un bruit harmonieux & agréable, une suite d'accords & de cadences, ils doivent le regarder comme une langue qui leur est étrangere ; ce n'est point à eux d'apprécier le talent du compositeur ; il faut une oreille attique pour juger de l'éloquence de Démosthene.
La langue du musicien a sur celle du poëte l'avantage qu'une langue universelle a sur un idiome particulier ; celui-ci ne parle que la langue de son siecle & de son pays, l'autre parle la langue de toutes les nations & de tous les siecles.
Toute langue universelle est vague par sa nature ; ainsi en voulant embellir par son art la représentation théâtrale, le musicien a été obligé d'avoir recours au poëte. Non-seulement il en a besoin pour l'invention de l'ordonnance du drame lyrique, mais il ne peut se passer d'interprete dans toutes les occasions où la précision du discours devient indispensable, où le vague de la langue musicale entraîneroit le spectateur dans l'incertitude. Le musicien n'a besoin d'aucun secours pour exprimer la douleur, le desespoir, le délire d'une femme menacée d'un grand malheur ; mais son poëte nous dit : cette femme éplorée que vous voyez, est une mere qui redoute quelque catastrophe funeste pour un fils unique... Cette mere est Sara, qui ne voyant pas revenir son fils du sacrifice, se rappelle le mystere avec lequel ce sacrifice a été préparé, & le soin avec lequel elle en a été écartée ; se porte à questionner les compagnons de son fils, conçoit de l'effroi de leur embarras & de leur silence, & monte ainsi par degrés des soupçons à l'inquiétude, de l'inquiétude à la terreur, jusqu'à en perdre la raison. Alors dans le trouble dont elle est agitée, ou elle se croit entourée lorsqu'elle est seule, ou elle ne reconnoît plus ceux qui sont avec elle.... tantôt elle les presse de parler, tantôt elle les conjure de se taire.
Deh, parlate : che forze tacendo
Par pitié parlez : peut-être qu'en vous taisant,
Men pietosi, più barbari siete.
Vous êtes moins compatissans que barbares.
Ah v'intendo. Tacete, tacete,
Ah, je vous entends ! Taisez-vous, taisez-vous,
Non mi dite che'l figlio morì.
Ne me dites point que mon fils est mort.
Après avoir ainsi nommé le sujet & créé la situation, après l'avoir préparée & fondée par ses discours, le poëte n'en fournit plus que les masses qu'il abandonne au génie du compositeur ; c'est à celui-ci à leur donner toute l'expression & à développer toute la finesse des détails dont elles sont susceptibles.
Une langue universelle frappant immédiatement nos organes & notre imagination, est aussi par sa nature la langue du sentiment & des passions. Ses expressions allant droit au coeur, sans passer pour ainsi dire par l'esprit, doivent produire des effets inconnus à tout autre idiome, & ce vague même qui l'empêche de donner à ses accens la précision du discours, en confiant à notre imagination le soin de l'interpretation, lui fait éprouver un empire qu'aucune langue ne sauroit exercer sur elle. C'est un pouvoir que la musique a de commun avec le geste, cette autre langue universelle. L'expérience nous apprend que rien ne commande plus impérieusement à l'ame, ni ne l'émeut plus fortement que ces deux manieres de lui parler.
Le drame en musique doit donc faire une impression bien autrement profonde que la tragédie & la comédie ordinaires. Il seroit inutile d'employer l'instrument le plus puissant, pour ne produire que des effets médiocres. Si la tragédie de Mérope m'attendrit, me touche, me fait verser des larmes, il faut que dans l'Opéra les angoisses, les mortelles allarmes de cette mere infortunée passent toutes dans mon ame ; il faut que je sois effrayé de tous les fantômes dont elle est obsédée, que sa douleur & son délire me déchirent & m'arrachent le coeur. Le musicien qui m'en tiendroit quitte pour quelques larmes, pour un attendrissement passager, seroit bien audessous de son art. Il en est de même de la comédie. Si la comédie de Térence & de Moliere enchante, il faut que la comédie en musique ravisse. L'une représente les hommes tels qu'ils sont, l'autre leur donne un grain de verve & de génie de plus ; ils sont tout près de la folie : pour sentir le mérite de la premiere, il ne faut que des oreilles & du bon sens ; mais la comédie chantée paroît être faite pour l'élite des gens d'esprit & de goût ; la musique donne aux ridicules & aux moeurs un caractere d'originalité, une finesse d'expression, qui pour être saisis exigent un tact prompt & délicat, & des organes très-exercés.
Mais la passion a ses repos & ses intervalles, & l'art du théâtre veut qu'on suive en cela la marche de la nature. On ne peut pas au spectacle toujours rire aux éclats, ni toujours fondre en larmes. Oreste n'est pas toujours tourmenté par les Euménides ; Andromaque au milieu de ses allarmes apperçoit quelques rayons d'espérance qui la calment ; il n'y a qu'un pas de cette sécurité au moment affreux où elle verra périr son fils ; mais ces deux momens sont différens, & le dernier ne devient que plus tragique par la tranquillité du précédent. Les personnages subalternes, quelque intérêt qu'ils prennent à l'action, ne peuvent avoir les accens passionnés de leurs héros ; enfin la situation la plus pathétique ne devient touchante & terrible que par degrés ; il faut qu'elle soit préparée, & son effet dépend en grande partie de ce qui l'a précédé & amené.
Voilà donc deux momens bien distincts du drame lyrique ; le moment tranquille, & le moment passionné ; & le premier soin du compositeur a dû consister à trouver deux genres de déclamation essentiellement différens & propres, l'un à rendre le discours tranquille, l'autre à exprimer le langage des passions dans toute sa force, dans toute sa vérité, dans tout son désordre. Cette derniere déclamation porte le nom de l'air, aria ; la premiere a été appellée le récitatif.
Celui-ci est une déclamation notée, soutenue & conduite par une simple basse, qui se faisant entendre à chaque changement de modulation, empêche l'acteur de détonner. Lorsque les personnages raisonnent, déliberent, s'entretiennent & dialoguent ensemble, ils ne peuvent que réciter. Rien ne seroit plus faux que de les voir discuter en chantant, ou dialoguer par couplets, ensorte qu'un couplet devint la réponse de l'autre. Le récitatif est le seul instrument propre à la scene & au dialogue ; il ne doit pas être chantant. Il doit exprimer les veritables inflexions du discours par des intervalles un peu plus marqués & plus sensibles que la déclamation ordinaire ; du reste, il doit en conserver & la gravité & la rapidité, & tous les autres caracteres. Il ne doit pas être exécuté en mesure exacte ; il faut qu'il soit abandonné à l'intelligence & à la chaleur de l'acteur qui doit le hâter ou le ralentir suivant l'esprit de son rôle & de son jeu. Un récitatif qui n'auroit pas tous ces caracteres, ne pourroit jamais être employé sur la scene avec succès. Le récitatif est beau pour le peuple, lorsque le poëte a fait une belle scene, & que l'acteur l'a bien jouée ; il est beau pour l'homme de goût, lorsque le musicien a bien saisi, non-seulement le principal caractere de la déclamation, mais encore toutes les finesses qu'elle reçoit de l'âge, du sexe, des moeurs, de la condition, des intérêts de ceux qui parlent & agissent dans le drame.
L'air & le chant commencent avec la passion ; dès qu'elle se montre, le musicien doit s'en emparer avec toutes les ressources de son art. Arbace explique à Mandane les motifs qui l'obligent de quitter la capitale avant le retour de l'aurore, de s'éloigner de ce qu'il a de plus cher au monde : cette tendre princesse combat les raisons de son amant ; mais lorsqu'elle en a reconnu la solidité, elle consent à son éloignement, non sans un extrème regret ; voilà le sujet de la scene & du récitatif. Mais elle ne quittera pas son amant sans lui parler de toutes les peines de l'absence, sans lui recommander les intérêts de l'amour le plus tendre, & c'est-là le moment de la passion & du chant.
Conservati fedele :
Conserve-toi fidéle,
Pensa ch'io resto e peno ;
Songe que je reste & que je peine ;
E qualche volta almeno
Et quelquefois du moins
Ricordati di me.
Ressouviens-toi de moi.
Il eût été faux de chanter durant l'entretien de la scene ; il n'y a point d'air propre à peser les raisons de la nécessité d'un départ ; mais quelque simple & touchant que soit l'adieu de Mandane, quelque tendresse qu'une habile actrice mît dans la maniere de déclamer ces quatre vers, ils ne seroient que froids & insipides, si l'on se bornoit à les réciter.
C'est qu'il est évident qu'une amante pénétrée qui se trouve dans la situation de Mandane, répétera à son amant, au moment de la séparation, de vingt manieres passionnées & différentes, les mots : Conservati fedele. Ricordati di me. Elle les dira tantôt avec un attendrissement extrème, tantôt avec résignation & courage, tantôt avec l'espérance d'un meilleur sort, tantôt dans la confiance d'un heureux retour. Elle ne pourra recommander à son amant de songer quelquefois à sa solitude & à ses peines, sans être frappée elle-même de la situation où elle va se trouver dans un moment : ainsi les mots, pensa ch'io resto e peno prendront le caractere de la plainte la plus touchante à laquelle Mandane fera peut-être succéder un effort subit de fermeté, de peur de rendre à Arbace ce moment aussi douloureux qu'il l'est pour elle. Cet effort ne sera peut-être suivi que de plus de foiblesse, & une plainte d'abord peu violente finira par des sanglots & des larmes. En un mot, tout ce que la passion la plus douce & la plus tendre pourra inspirer dans cette position à une ame sensible, composera les élémens de l'air de Mandane ; mais quelle plume seroit assez éloquente pour donner une idée de tout ce que contient un air ? Quel critique seroit assez hardi pour assigner les bornes du génie ?
J'ai choisi par exemple une passion douce, une situation intéressante, mais tranquille. Il est aisé de juger, d'après ce modele, ce que sera l'air dans des situations plus pathétiques, dans des momens tragiques & terribles.
Supposons maintenant deux amans dans une situation plus cruelle, qu'ils soient menacés d'une séparation éternelle, au moment où ils s'attendoient à un sort bien différent ; cette circonstance donneroit à l'air un caractere plus pathétique. Il ne seroit pas naturel non plus qu'également touchés l'un & l'autre, il n'y en eût qu'un qui chantât. Ainsi l'amant s'adressant à sa maîtresse désolée, lui diroit :
La destra ti thiedo,
Je te demande la main,
Mio dolce sostegno,
O mon doux soutien,
Per ultimo segno
Pour le dernier témoignage
D'amore e di fè.
D'amour & de fidélité !
Un tel adieu prononcé avec une sorte de fermeté, par un amant vivement touché, seroit l'écueil du courage de son amante éplorée ; elle fondroit sans doute en larmes, ou frappée d'un témoignage d'amour autrefois si doux, aujourd'hui si cruel, elle s'écrieroit :
Ah, questo fu il segno
Ah, ce fut jadis le signe
Del nostro contento :
De notre bonheur ;
Ma sento che adesso
Mais je sens trop qu'à présent
L'istesso non è.
Ce n'est pas la même chose.
Je n'ai pas besoin de remarquer quelle expression forte & touchante ces quatre vers assez foibles prendroient en musique. Le reste de l'air ne seroit plus que des exclamations de douleur & de tendresse. L'un s'écrieroit :
Mia vita ! Ben mio !
O ma vie ! ô mon bien !
L'autre :
Addio, sposo amato !
Adieu, époux adoré !
A la fin, leur douleur & leurs accens se confondroient sans doute dans cette exclamation si simple & si touchante.
Che barbaro addio !
Quel fatal adieu !
Che fato crudel !
Quel sort cruel !
Le duo ou duetto est donc un air dialogué, chanté par deux personnes animées de la même passion ou de passions opposées. Au moment le plus pathétique de l'air, leurs accens peuvent se confondre ; cela est dans la nature ; une exclamation, une plainte peut les réunir ; mais le reste de l'air doit être en dialogue. Il ne peut jamais être naturel qu'Armide & Hidraot, pour s'animer à la vengeance ; chantent en couplet :
Poursuivons jusqu'au trépas,
L'ennemi qui nous offense ;
Qu'il n'échappe pas
A notre vengeance !
Ils recommenceroient ce couplet dix fois de suite avec un bruit & des mouvemens de forcenés, qu'un homme de goût n'y trouveroit que la même déclamation fausse fastidieusement répétée.
On voit par cet exemple de quelle maniere les airs à deux, à trois & même à plusieurs acteurs peuvent être placés dans le drame lyrique.
On voit aussi par tout ce que nous venons de dire, ce que c'est que l'air ou l'aria, & quel est son génie. Il consiste dans le développement d'une situation intéressante. Avec quatre petits vers que le poëte fournit, le musicien cherche à exprimer non-seulement la principale idée de la passion de son personnage, mais encore tous ces accessoires & toutes ses nuances. Mieux le compositeur devinera les mouvemens les plus secrets de l'ame dans chaque situation, plus son air sera beau, plus il se montrera lui-même homme de génie. C'est-là où il pourra déployer aussi toute la richesse de son art, en réunissant le charme de l'harmonie au charme de la mélodie, & l'enchantement des voix au prestige des instrumens. L'exécution de l'air se partagera entre le chant & le geste ; elle sera l'ouvrage non-seulement d'un habile chanteur, mais d'un grand acteur ; car le compositeur n'a guere moins d'attention à désigner les mouvemens & la pantomime, qu'à marquer les accens de la passion dont son air présente le tableau.
Suivant la remarque d'un philosophe célebre, l'air est la récapitulation & la peroraison de la scene, & voilà pourquoi l'acteur quitte presque toujours la scene, après avoir chanté ; les occasions de revenir du langage de la passion à la déclamation ordinaire, au simple récitatif, doivent être rares.
Le génie de l'air est essentiellement différent du couplet & de la chanson : celle-ci est l'ouvrage de la gaieté, de la satyre, du sentiment, si vous voulez, mais jamais de la déclamation, ni de la musique imitative. La chanson ne peut donner aux paroles qu'un caractere général, qu'une expression vague ; mais le retour périodique du même chant à chaque couplet, s'oppose à toute expression particuliere, à tout développement, & un chant symmétriquement arrangé ne peut trouver place dans la musique dramatique que comme un souvenir. Anacréon peut chanter des couplets au milieu de ses convives ; lorsque Lise veut faire entendre à Dorval les sentimens de son coeur, la présence de sa surveillante l'oblige à les renfermer dans une chanson qu'elle feint d'avoir entendu dans son couvent ; cette tournure est ingénieuse & vraie, mais dans tous ces cas les couplets sont historiques ; c'est une chanson qu'on sait par coeur, & qu'on se rappelle. Dans la comédie les occasions de placer des couplets peuvent être fréquentes ; je n'en conçois guere dans la tragédie. Pour nous en tenir aux exemples déja cités, si Mandane eût fait des paroles, conservati fedele, un couplet au lieu d'un air, quelque tendre que fût ce couplet, il eût été froid, insipide & faux. Nous avons déjà remarqué que le comble de l'absurdité & du mauvais goût seroit de se servir du couplet pour le dialogue de la scene & l'entretien des acteurs.
L'air, comme le plus puissant moyen du compositeur, doit être réservé aux grands tableaux & aux momens sublimes du drame lyrique. Pour faire tout son effet, il faut qu'il soit placé avec goût & avec jugement : l'imitation de la nature, la vérité du spectacle & l'expérience sont d'accord sur cette loi. Il en est de la musique comme de la peinture. Le secret des grands effets consiste moins dans la force des couleurs que dans l'art de leur dégradation, & les procédés d'un grand coloriste sont différens de ceux d'un habile teinturier. Une suite d'airs les plus expressifs & les plus variés, sans interruption & sans repos, lasseroit bientôt l'oreille la mieux exercée & la plus passionnée pour la musique. C'est le passage du récitatif à l'air, & de l'air au récitatif qui produit les grands effets du drame lyrique ; sans cette alternative l'opéra seroit certainement le plus assommant, le plus fastidieux, comme le plus faux de tous les spectacles.
Il seroit également faux de faire alternativement parler & chanter les personnages du drame lyrique. Non-seulement le passage du discours au chant & le retour du chant au discours auroient quelque chose de désagréable & de brusque, mais ce seroit un mélange monstrueux de vérité & de fausseté. Dans nulle imitation le mensonge de l'hypothese ne doit disparoître un instant ; c'est la convention sur laquelle l'illusion est fondée. Si vous laissez prendre à vos personnages une fois le ton de la déclamation ordinaire, vous en faites des gens comme nous, & je ne vois plus de raison pour les faire chanter sans blesser le bon sens.
On peut donc dire que c'est l'invention & le caractere distinctif de l'air & du récitatif qui ont créé le poëme lyrique ; quoique celui-ci marche sans le secours des instrumens, & ne differe de la déclamation ordinaire qu'en marquant les inflexions du discours par des intervalles plus sensibles & susceptibles d'être notés, il n'en est pas moins digne de l'attention d'un grand compositeur qui saura y mettre beaucoup de génie, de finesse & de variété. Il pourra même le faire accompagner de l'orchestre, & le couper dans les repos de différentes pensées musicales dans tous les cas où le discours de l'acteur, sans devenir encore chant, s'animera davantage, & s'approchera du moment où la force de la passion le transformera en air.
Cette économie intérieure du spectacle en musique fondée d'un côté sur la vérité de l'imitation, & de l'autre, sur la nature de nos organes, doit servir de poétique élémentaire au poëte lyrique. Il faut à la vérité qu'il se soumette en tout au musicien ; il ne peut prétendre qu'au second rôle ; mais il lui reste d'assez beaux moyens pour partager la gloire de son compagnon. Le choix & la disposition du sujet, l'ordonnance & la marche de tout le drame sont l'ouvrage du poëte. Le sujet doit être rempli d'intérêt, & disposé de la maniere la plus simple, & la plus intéressante. Tout y doit être en action, & viser aux grands effets. Jamais le poëte ne doit craindre de donner à son musicien une tâche trop forte. Comme la rapidité est un caractere inséparable de la musique, & une des principales causes de ses prodigieux effets, la marche du poëme lyrique doit être toujours rapide. Les discours longs & oisifs ne seroient nulle part plus déplacés.
Semper ad eventum festinat.
Il doit se hâter vers son dénouement, en se développant de ses propres forces, sans embarras & sans intermittence. Rien n'empêchera que le poëte ne dessine fortement ses caracteres, afin que la musique puisse assigner à chaque personnage le style & le langage qui lui sont propres. Quoique tout doive être en action, ce n'est pas une suite d'actions cousues l'une après l'autre, que le compositeur demande à son poëte. L'unité d'action n'est nulle part plus indispensable que dans ce drame ; mais tous ses développemens successifs doivent se passer sous les yeux du spectateur. Chaque scene doit offrir une situation, parce qu'il n'y a que les situations qui offrent les véritables occasions de chanter. En un mot, le poëme lyrique doit être une suite de situations intéressantes tirées du fond du sujet, & terminées par une catastrophe mémorable.
Cette simplicité & cette rapidité nécessaires à la marche & au développement du poëme lyrique sont aussi indispensables au style du poëte. Rien ne seroit plus opposé au langage musical que ces longues tirades de nos pieces modernes, & cette abondance de paroles que l'usage & la nécessité de la rime ont introduites sur nos théâtres. Le sentiment & la passion sont précis dans le choix des termes. Ils haïssent la profusion des mots. Ils employent toujours l'expression propre comme la plus énergique. Dans les instans passionnés, ils la répéteroient vingt fois plûtôt que de chercher à la varier par de froides périphrases. Le style lyrique doit donc être énergique, naturel & facile. Il doit avoir de la grace, mais il abhorre l'élégance étudiée. Tout ce qui sentiroit la peine, la facture ou la recherche ; une épigramme, un trait d'esprit, d'ingénieux madrigaux, des sentimens alambiqués, des tournures compassées, feroient la croix & le desespoir du compositeur ; car quel chant, quelle expression donner à tout cela ?
Il y a même cette différence essentielle entre le poëte lyrique & le poëte tragique, qu'à mesure que celui-ci devient éloquent & verbeux, l'autre doit devenir précis & avare de paroles, parce que l'éloquence des momens passionnés appartient toute entiere au musicien. Rien ne seroit moins susceptible de chant que toute cette sublime & harmonieuse éloquence par laquelle la Clytemnestre de Racine cherche à soustraire sa fille au couteau fatal ; le poëte lyrique en plaçant une mere dans une situation pareille, ne pourra lui faire dire que quatre vers.
Rendimi il figlio mio....
Rends-moi mon fils....
Ah, mi si spezza il cor :
Ah, mon coeur se fend :
Non son più madre, oh dio,
Je ne suis plus mere, ô Ciel !
Non ò più figlio !
Je n'ai plus de fils.
Mais avec ces quatre petits vers la musique fera en un instant plus d'effet que le divin Racine n'en pourra jamais produire avec toute la magie de la poésie. Ah, comme le compositeur saura rendre la priere de cette mere pathétique par la variété de la déclamation ! Son ton suppliant me pénetrera jusqu'au fond de l'ame. Ce ton humble augmentera cependant à proportion de l'espérance qu'elle conçoit de toucher celui dont le sort de son fils dépend. Si cette espérance s'évanouit de son coeur, un accès d'indignation & de fureur succedera à la supplique, & dans son délire, ce rendimi il figlio mio, qui étoit il n'y a qu'un moment une priere touchante, deviendra un cri forcené. Cet instant d'oubli de son état, sera réparé par plus de soumission, & rendimi il figlio mio redeviendra une priere plus humble & plus pressante. Tant d'efforts & de dangers feront enfin tomber cette infortunée dans un état d'angoisse & de défaillance, où sa poitrine oppressée & sa voix à demi éteinte ne lui permettront plus que des sanglots, & où chaque syllabe du vers rendimi il figlio mio sera entrecoupée par des étouffemens qui m'oppresseront moi-même, & me glaceront d'effroi & de pitié. Jugeons d'après ce vers ce que le musicien saura faire de l'exclamation douloureuse : non son più madre ! avec quel art il saura varier & mêler tous ces différens cris de douleur & de desespoir ! & s'il y a un coeur assez féroce qui ne se sente déchirer, lorsqu'au comble de ses maux cette mere s'écrie : ah mi si spezza il cor. Voilà une foible esquisse des effets que la musique opere par un seul air ; elle peut défier le plus grand poëte, de quelque nation & de quelque siecle qu'il soit, de faire un morceau de poésie qui puisse soutenir cette concurrence.
Il résulte de ces observations, que le poëte, quelque talent qu'il ait d'ailleurs, ne pourra guere se flatter de réussir dans ce genre, s'il ne sait lui-même la musique ; il dépend trop d'elle à chaque pas qu'il fait pour en ignorer les élémens, le goût, & les délicatesses. Il faut qu'il distingue dans son poëme le récitatif & l'air avec autant de soin que le compositeur ; le plus beau poëme du monde où cette distinction fondamentale ne seroit point observée, seroit le moins lyrique & le moins susceptible de musique. Dans les airs le musicien est en droit d'exiger de son poëte un style facile, brisé, aisé à décomposer ; car le desordre des passions entraîne nécessairement la décomposition du discours, qu'une méchanique de vers trop pénible rendroit impraticable. Les vers alexandrins ne seroient pas même propres à la scene & au récitatif, parce que leur rythme est beaucoup trop long, & qu'il occasionne des phrases longues & arrondies que la déclamation musicale abhorre. On conçoit que des vers pleins d'harmonie & de nombre pourroient cependant être très-peu propres à la musique, & qu'il pourroit y avoir telle langue, où par un abus de mots assez étrange, on auroit appellé lyrique ce qu'il y a de moins susceptible d'être chanté.
Trois caracteres sont essentiels à la langue dans laquelle le poëme lyrique sera écrit.
Il faut qu'elle soit simple, & qu'en employant préférablement le terme propre, elle ne cesse point pour cela d'être noble & touchante.
Il faut donc qu'elle ait de la grace & qu'elle soit harmonieuse. Une langue où l'harmonie de la poésie consisteroit principalement dans l'arrondissement du vers, où le poëte ne seroit harmonieux qu'à force d'être nombreux, une telle langue ne seroit guere propre à la musique.
Il faut enfin que la langue du poëme lyrique, sans perdre de son naturel & de sa grace, se prête aux inversions que l'expression, la chaleur, & le désordre des passions rendent à tout instant indispensables.
Il y a peu de langues qui réunissent trois avantages si rares ; mais il n'y en a aucune que le poëte lyrique ne puisse parler avec succès, s'il connoit bien la nature de son drame & le génie de la musique.
Dans le cours du dernier siécle l'opéra créé en Italie fut bien-tôt imité dans les autres parties de l'Europe. Chaque nation fit chanter sa langue sur ses théâtres ; il y eut des opéra espagnols, françois, anglois, allemands. En Allemagne sur-tout, il n'y eut point de ville considérable qui n'eût son théâtre d'opéra, & le recueil des poëmes lyriques représentés sur différens théâtres, formeroit seul une petite bibliotheque ; mais le pays qui avoit vû naître ce beau & magnifique spectacle, le vit aussi se perfectionner, il y a environ cinquante ans ; toute l'Europe s'est alors tournée vers l'Italie avec l'acclamation :
Graiis musa dedit...
Cette acclamation a été le signal de la chûte de tous les spectacles lyriques, & l'opéra italien s'est emparé de tous les théâtres de l'Europe. Cette foule de grands compositeurs qui sont sortis d'Italie & d'Allemagne depuis ce tems-là, n'a plus voulu chanter que dans cette langue, dont la supériorité a été universellement reconnue. La France seule a conservé son opéra, son poëme lyrique, & sa musique, mais sans pouvoir la faire goûter des autres peuples de l'Europe, quelque prévention qu'on ait en général pour ses arts, ses goûts & ses modes. Dans ces derniers tems ses enfans même se sont partagés sur sa musique, & la musique italienne a compté des françois parmi ses partisans les plus passionnés. Il nous reste donc à examiner ce que c'est que l'opéra françois, & ce que c'est que l'opéra italien.
De l'opéra françois. Selon la définition d'un écrivain célebre, l'opéra françois est l'épopée mise en action & en spectacle. Ce que la discrétion du poëte épique ne montre qu'à notre imagination, le poëte lyrique a entrepris en France de le représenter à nos yeux. Le poëte tragique prend ses sujets dans l'histoire ; le poëte lyrique a cherché les siens dans l'épopée ; & après avoir épuisé toute la mythologie ancienne & toute la sorcellerie moderne ; après avoir mis sur la scene toutes les divinités possibles ; après avoir tout revêtu de forme & de figure, il a encore créé des êtres de fantaisie, & en les douant d'un pouvoir surnaturel & magique, il en a fait le principal ressort de son poëme.
C'est donc le merveilleux visible qui est l'ame de l'opéra françois ; ce sont les Dieux, les Déesses, les Demi-dieux ; des Ombres, des Génies, des Fées, des Magiciens, des Vertus, des Passions, des idées abstraites, & des êtres moraux personnifiés qui en sont les acteurs. Le merveilleux visible a paru si essentiel à ce drame, que le poëte ne croiroit pas pouvoir traiter un sujet historique sans y mêler quelques incidens surnaturels & quelques êtres de fantaisie & de sa création.
Pour juger si ce genre peut mériter le suffrage d'une nation éclairée, les critiques & les gens de goût examineront & décideront les questions suivantes.
Ne seroit-ce pas une entreprise contraire au bon sens, que le génie a toujours saintement respecté dans les arts d'imitation, que de vouloir rendre le merveilleux susceptible de la représentation théatrale ? Ce qui dans l'imagination du poëte & de ses lecteurs étoit noble & grand, rendu ainsi visible aux yeux, ne deviendra-t-il point puérile & mesquin ?
Sera-t-il aisé de trouver des acteurs pour les rôles du genre merveilleux, ou supportera-t-on un Jupiter, un Mars, un Pluton sous la figure d'un acteur plein de défauts & de ridicules ? Ne faudroit-il pas au-moins, pour de telles représentations, des salles immenses, où le spectateur placé à une juste distance du théâtre, seroit forcé de laisser au jeu des machines & des masques la liberté de lui en imposer ; où son imagination fortement frappée seroit obligée de concourir elle-même aux effets d'un spectacle dont elle ne pourroit saisir que les masses ? La présence des dieux pourra-t-elle être rendue supportable dans un lieu étroit & resserré où le spectateur se trouve, pour ainsi dire, sous le nez de l'acteur, où les plus petits détails, les nuances les plus fines sont remarqués du premier, où le second ne peut masquer ni dérober aucun des défauts de sa voix, de sa démarche, de sa figure ? L'observation d'Horace,
Major è longinquo reverentia,
qui n'est pas moins vraie des lieux que des tems, n'est-elle pas ici d'une application sensible ? Supposons donc qu'on eût pu mettre des dieux sur ces théâtres anciens & immenses qui recevoient un peuple entier pour spectateur, ne seroit-ce pas là précisément une raison pour les bannir de nos petits théâtres, qui ne représentent que pour quelques coteries qu'on a appellées le public ?
Si un spectacle rempli de dieux étoit le fruit du goût naturel d'un peuple, d'une passion nationale pour ce genre, ce peuple ne commenceroit-il pas par mettre sur ses théâtres les divinités de sa religion ? Des dieux de tradition, dont il ne connoit la mythologie qu'imparfaitement, pourroient-ils l'émouvoir & l'intéresser comme les objets de son culte & de sa croyance ? L'opéra ne deviendroit-il pas nécessairement une fête religieuse ?
N'exigeroit-on pas du-moins d'un tel peuple d'être connoisseur profond & passionné du nud, des belles formes, de l'énergie & de la beauté de la nature ; & que faudroit-il penser de son goût s'il pouvoit souffrir sur ses théâtres un Hercule en taffetas couleur de chair, un Apollon en bas blancs & en habit brodé ?
Si le précepte d'Horace,
Nec Deus intersit
est fondé dans la raison, que penser d'un spectacle où les dieux agissent à tort & à travers, où ils arrangent & dérangent tout selon leur caprice, où ils changent incontinent de projets & de volonté ? Qu'on se rappelle avec quelle discrétion les tragiques anciens employent les dieux dans des piéces, qui après tout étoient des actes de religion ! Ils montroient le dieu un instant, au moment décisif, tandis que notre poëte lyrique ne craint point de le tenir sans cesse sous nos yeux. En en usant ainsi, ne risque-t-il pas d'avilir la condition divine, si l'on peut s'exprimer ainsi ? Pour qu'un dieu nous imprime une idée convenable de sa grandeur, ne faut-il pas qu'il parle peu, & qu'il se montre aussi rarement que ces monarques d'Asie, dont l'apparition est une chose si auguste & si solemnelle, que personne n'ose lever les yeux sur eux, dans la seule occasion où il est permis de les envisager ? Seroit-il possible de conserver ce respect pour un Apollon qui se montreroit trois heures de suite sous la figure & avec les talens de M. Muguet ?
Quand il seroit possible de représenter d'une maniere noble, grande & vraie les divinités de l'ancienne Grece, qui sont après tout des personnages historiques, quoique fabuleux ; le bon goût & le bon sens permettroient-ils de personnifier également tous les êtres que l'imagination des poëtes a enfantés ? Un génie aérien, un jeu, un ris, un plaisir, une heure, une constellation, tous ces êtres allégoriques & bisarres, dont on lit avec étonnement la nomenclature dans les programmes des Opéra françois, pourroient-ils paroître sur la scene lyrique avec autant de droit & de succès qu'un Bacchus, qu'un Mercure, qu'une Diane ? & quelles seroient les bornes de cette étrange licence ?
Qu'on examine sans prévention les deux tableaux suivans qui sont du même genre ; dans l'un, le poëte nous montre Phedre en proie à une passion insurmontable pour le fils de son époux, luttant vainement contre un penchant funeste, & succombant enfin, malgré elle, dans le délire & dans des convulsions, à un amour effréné & coupable que son succès même ne rendroit que plus criminel. Voilà le tableau de Racine. Dans l'autre, Armide, pour triompher d'un amour involontaire que sa gloire & ses intérêts désavouent également, a recours à son art magique. Elle évoque la Haine : à sa voix, la Haine sort de l'enfer, & paroît avec sa suite dans cet accoutrement bizarre, qui est de l'étiquette de l'Opéra françois. Après avoir fait danser & voltiger ses suivans long-tems autour d'Armide, après avoir fait chanter par d'autres suivans qui ne savent pas danser, un couplet en choeur qui assure que
Plus on connoit l'amour, & plus on le déteste,
Et quand on veut bien s'en défendre,
Qu'on peut se garantir de ses indignes fers.
Après toutes ces cérémonies sans but, sans goût & sans noblesse, la Haine se met à conjurer l'Amour dans les formes, de sortir du coeur d'Armide, & de lui céder la place, précisément comme nos prêtres n'aguerre avoient la coutume d'exorciser le diable. Voilà le tableau de Quinault. Nous ne dirons point qu'il n'y a qu'un homme de génie qui puisse réussir dans le premier, & qu'un homme ordinaire peut se tirer du second avec succès ; mais nous nous en rapporterons à la bonne foi de ceux qui ont vu la représentation des deux piéces. Qu'ils nous disent si cette Haine avec sa perruque de viperes, avec son autre paquet de serpens en sa main droite, avec ses gants & ses bas rouges à coins étincelans de paillettes d'argent, les a jamais fait frémir de terreur ou de pitié pour Armide, & si Phedre mourante d'amour & de honte, seule dans les bras de sa vieille nourrice, ne déchire pas tous les coeurs ? Le destin dont la main invisible regle le sort des mortels irrévocablement, ce destin qu'aucun grand poëte n'a osé tirer des ténebres dont il s'est enveloppé ; n'est-il pas bien autrement effrayant & terrible que ce destin à barbe blanche que le poëte de l'Opéra françois nous montre si indiscrettement, & qui nous avertit en plein-chant que toutes les puissances du ciel & de la terre lui sont soumises ?
Le merveilleux visible ainsi représenté, n'auroit-il pas banni tout intérêt de la scene lyrique ? Un Dieu peut étonner, il peut paroître grand & redoutable ; mais peut-il intéresser ? Comment s'y prendra-t-il pour me toucher ? Son caractere de divinité ne rompt-il pas toute espece de liaison & de rapport entre lui & moi ? Que me font ses passions, ses plaintes, sa joie, son bonheur, ses malheurs ? Supposé que sa colere ou sa bienveillance influe sur le sort d'un héros, d'une illustre héroïne du drame, lesquels ayant les mêmes affections, les mêmes foiblesses, la même nature que moi, ont droit de m'intéresser à leur sort, quelle part pourrois-je prendre à une action où rien ne se passe en conséquence de la nature & de la nécessité des choses, où la situation la plus déplorable peut devenir en un clin d'oeil, par un coup de baguette, par un changement de volonté soudain & imprévu, la situation la plus heureuse, & par un autre caprice redevenir funeste ? Ne seroit-ce pas-là des jeux propres, tout au plus, à émouvoir des enfans ?
L'unité d'action essentielle à tout drame, & sans laquelle aucun ouvrage de l'art ne sauroit plaire, ne seroit-elle pas continuellement blessée dans l'Opéra merveilleux ? Des êtres qui sont au-dessus des lois de notre nature, qui peuvent changer à leur gré le cours des événemens, ne dissoudroient-ils pas tout le noeud dans les pieces de ce genre ? Un Opéra ne seroit donc qu'une suite d'incidens qui se succedent les uns aux autres sans nécessité, & par conséquent sans liaison véritable. Le poëte pourroit les allonger, abréger, supprimer à sa fantaisie, sans que son sujet en souffrît. Il pourroit changer ses actes de place, faire du premier le troisiéme, du quatriéme le second, sans aucun bouleversement considérable de son plan. Il pourroit dénouer sa piece au premier acte, sans que cela l'empêchât de faire suivre cet acte de quatre autres où il dénoueroit & renoueroit, autant de fois qu'il lui plairoit : ou pour parler plus exactement, il n'y auroit dans le fait, ni noeud, ni dénouement. Tout sujet de cette espece ne peut-il pas être traité en un acte, en trois, en cinq, en dix, en vingt, selon le caprice & l'extravagance du poëte lyrique ?
Si ce genre n'a pu enfanter que des drames dénués de tout intérêt & de toute vérité, n'auroit-il pas ainsi empêché les progrès de la musique en France, tandis que cet art a été porté au plus haut degré de perfection dans les autres parties de l'Europe ? Comment le style musical se seroit-il formé dans un pays où l'on ne fait chanter que des êtres de fantaisie dont les accens n'ont nul modele dans la nature ? Leur déclamation étant arbitraire & indéterminée, n'auroit-elle pas produit un chant froid & soporifique, une monotonie insupportable auxquels personne n'auroit résisté sans le secours des ballets ? Toute l'expression musicale ne se seroit-elle pas ainsi réduite à jouer sur le mot, ensorte qu'un acteur ne pourroit prononcer le mot larmes, sans que le musicien ne le fît pleurer, quoiqu'il n'eût aucun sujet d'affliction, & que dans la situation la plus triste il ne pourroit parler d'un état brillant sans que le musicien ne se crût en droit de faire briller sa voix aux dépens de la disposition de son ame ? Ne seroit-il pas résulté de cette méthode un dictionnaire des mots reputés lyriques, dictionnaire dont un compositeur habile ne manqueroit pas de faire present à son poëte, afin qu'il eût, en un seul recueil, tous les mots dont la musique ne sauroit rien faire, & qu'il ne faut jamais employer dans le poëme lyrique ?
Si vous choisissez deux compositeurs, que vous donniez à l'un à exprimer le désespoir d'Andromaque lorsqu'on arrache Astyanax du tombeau où sa piété l'avoit caché, ou les adieux d'Iphigénie qui va se soumettre au couteau de Calchas, ou bien les fureurs de sa mere éperdue au moment de cet affreux sacrifice ; & que vous disiez à l'autre, faites-moi une tempête, un tremblement de terre, un choeur d'aquilons, un débordement de Nil, une descente de Mars, une conjuration magique, un sabat infernal, n'est-ce pas dire à celui-ci, je vous choisis pour faire peur ou plaisir aux enfans, & à l'autre, je vous choisis pour être l'admiration des nations & des siécles ? N'est-il pas évident que l'un a dû rester barbare, & sans musique, sans style, sans expression, sans caractere, & que l'autre a dû, ou renoncer à son projet, ou, s'il y a réussi, devenir sublime ?
Deux poëtes qu'on auroit ainsi employés, ne seroient-ils pas dans le même cas ? L'un n'auroit-il pas appris à parler le langage du sentiment, des passions, de la nature ; l'autre ne seroit-il pas resté foible, froid & maniéré ? Quand il auroit eu le talent de la poésie, son faux genre l'auroit trompé sur l'emploi qu'il en faut faire. La pompe épique auroit pris dans son style la place du naturel de la poésie dramatique. Au lieu de scenes naturellement dialoguées, nous aurions eu des recueils de maximes, de madrigaux, d'épigrammes, de tournures & de cliquetis de mots pour lesquels la musique n'a jamais connu d'expression. Le goût se seroit si peu formé qu'on n'auroit point senti la différence de l'harmonie poétique & de l'harmonie musicale, ni compris que le plus beau morceau de Tibulle seroit déplacé dans le poëme lyrique, précisément par ce qui le rend si beau & si précieux. On auroit vu enfin l'étrange phénomene d'un poëte lyrique, plein de douceur & de nombre, plein de charme à la lecture, & dont il seroit cependant impossible de mettre les pieces en musique.
Ce faux genre où rien ne rappelle à la nature, n'auroit-il pas empêché le musicien françois de connoître & de sentir cette distinction fondamentale de l'air & du récitatif ? Un chant lourd & traînant, semblable au chant gothique de nos églises, seroit devenu le récitatif de l'opéra. Pour lui donner de l'expression, on l'auroit surchargé de ports de voix, de trilles, de chevrottemens ; & malgré ces laborieux efforts, on ne se seroit pas seulement douté de l'art de ponctuer le chant, de faire une interrogation, une exclamation en chantant. La lenteur insoutenable de ce récitatif, son caractere contraire à toute espece de déclamation, auroient d'ailleurs rendu l'exécution d'une véritable scene impossible sur ce théâtre. L'air, cette autre partie principale du drame en musique, seroit encore si peu trouvé que le mot même ne s'entendroit que des pieces que le musicien fait pour la danse, ou des couplets dans lesquels le poëte renferme des maximes qu'il fait servir au dialogue de la scene, & dont le compositeur fait des chansons que l'acteur chante avec une sorte de mouvement. On auroit pu ajouter aux divertissemens de ce spectacle, des ariettes, mais qui ne sont jamais en situation, qui ne tiennent point au sujet, & dont la dénomination même indique la pauvreté & la puérilité. Ces ariettes auroient encore merveilleusement contribué à retarder les progrès de la musique ; car il vaut sans doute mieux que la musique n'exprime rien que de la voir se tourmenter autour d'une lance, d'un murmure, d'un voltige, d'un enchaine, d'un triomphe, &c.
Par l'idée d'exposer aux yeux ce qui ne peut agir que sur l'imagination, & ne faire de l'effet qu'en restant invisible, le poëte n'auroit-il pas entraîné le décorateur dans des écarts & dans des bisarreries qui lui auroient fait méconnoître le véritable emploi d'un art si précieux à la représentation théâtrale ? Quel modele un jardin enchanté, un palais de fée, un temple aérien, &c. a-t-il dans la nature ? Que peut-on blamer ou louer dans le projet & l'exécution d'une telle décoration, à moins que le décorateur ne paroisse sublime à proportion qu'il est extravagant ? Ne lui faut-il pas cent fois plus de goût & de génie pour nous montrer un grand & bel édifice, un beau paysage, une belle ruine, un beau morceau d'architecture ? Seroit-ce une entreprise bien sensée de vouloir imiter dans les décorations les phénomenes physiques & la nature en mouvement ? Les agitations, les révolutions, celles qui attachent & qui effrayent, ne doivent-elles pas plûtôt être dans le sujet de l'action & dans le coeur des acteurs que dans le lieu qu'ils occupent ?
Quand il seroit possible de représenter avec succès les phénomenes de la nature, & tout ce qui accompagneroit l'apparition d'un dieu sur un théâtre de grandeur convenable, l'hypothèse d'un spectacle où les personnages parlent quoiqu'en chantant, n'est-elle pas beaucoup trop voisine de notre nature pour être employée dans un drame dont les acteurs sont des dieux ? Le bon goût n'ordonneroit-il pas de réserver de tels sujets au spectacle de la danse & de la pantomime, afin de rompre entre les acteurs & le spectateur, le lien de la parole qui les rapprocheroit trop, & qui empêcheroit celui-ci de croire les autres d'une nature supérieure à la sienne ? Si cette observation étoit juste, il faudroit confier le genre merveilleux à l'éloquence muette & terrible du geste, & faire servir la musique dans ces occasions à la traduction, non des discours, mais des mouvemens.
Voilà quelques-unes des questions qu'il faudroit éclaircir sans prévention, avant de prononcer sur le mérite du genre appellé merveilleux, & avant d'entreprendre la poétique de l'Opéra françois. Les arts & le goût public ne pourroient que gagner infiniment à une discussion impartiale.
De l'Opéra italien. Après la renaissance des Lettres, l'art dramatique s'est rapidement perfectionné dans les différentes contrées de l'Europe. L'Angleterre a eu son Shakespeare ; la France a eu d'un côté son immortel Moliere, & de l'autre, son Corneille, son Racine & son Voltaire. En Italie, on s'est aussi bientôt débarrassé de ce faux genre appellé merveilleux, que la barbarie du goût avoit introduit dans le siécle dernier sur tous les théatres de l'Europe ; & dès qu'on a voulu chanter sur la scene, on a senti qu'il n'y avoit que la tragédie & la comédie qui pûssent être mises en musique. Un heureux hasard ayant fait naître au même instant le poëte lyrique le plus facile, le plus simple, le plus touchant, le plus énergique, l'illustre Metastasio, & ce grand nombre de musiciens de génie que l'Italie & l'Allemagne ont produits, & à la tête desquels la postérité lira en caracteres ineffaçables, les noms de Vinci, de Hasse & de Pergolesi ; le drame en musique a été porté en ce siécle au plus haut degré de perfection. Tous les grands tableaux, les situations les plus intéressantes, les plus pathétiques, les plus terribles ; tous les ressorts de la tragédie, tous ceux de la véritable comédie ont été soumis à l'art de la Musique, & en ont reçu un degré d'expression & d'enthousiasme, qui a par-tout entraîné & les gens d'esprit & de goût, & le peuple. La Musique ayant été consacrée en Italie dès sa naissance à sa véritable destination, à l'expression du sentiment & des passions, le poëte lyrique n'a pu se tromper sur ce que le compositeur attendoit de lui ; il n'a pû égarer celui-ci à son tour, & lui faire quitter la route de la nature & de la vérité.
En revanche, il ne faut pas s'étonner que dans la patrie du goût & des arts, la tragédie sans musique ait été entierement négligée. Quelque touchante que soit la représentation tragique, elle paroîtra toujours foible & froide à côté de celle que la musique aura animée ; & en vain la déclamation voudroit-elle lutter contre les effets du chant & de ses impressions. Pour se consoler de n'avoir point égalé ses voisins en Musique, la France doit se dire que ses progrès dans cet art l'auroient peut-être empêché d'avoir son Racine.
Pourquoi donc l'Opéra italien avec des moyens si puissans n'a-t-il pas renouvellé de nos jours ces terribles effets de la tragédie ancienne dont l'histoire nous a conservé la mémoire ? Comment a-t-on pu assister à la représentation de certaines scenes, sans craindre d'avoir le coeur trop douloureusement déchiré, & de tomber dans un état trop pénible & trop voisin de la situation déplorable des heros de ce spectacle ? Ce n'est ni le poëte ni le compositeur qu'un critique éclairé accusera dans ces occasions d'avoir été au-dessous du sujet : il faut donc examiner de quels moyens on s'est servi pour rendre tant de sublimes efforts du génie, ou inutiles, ou de peu d'effet.
Lorsqu'un spectacle ne sert que d'amusement à un peuple oisif, c'est-à-dire à cette élite d'une nation, qu'on appelle la bonne compagnie, il est impossible qu'il prenne jamais une certaine importance ; & quelque génie que vous accordiez au poëte, il faudra bien que l'exécution théâtrale, & mille détails de son poëme se ressentent de la frivolité de sa destination. Sophocle en faisant des tragédies, travailloit pour la patrie, pour la religion, pour les plus augustes solemnités de la république. Entre tous les poëtes modernes, Metastasio a peut-être joui du sort le plus doux & le plus heureux ; à l'abri de l'envie & de la persécution, qui sont aujourd'hui assez volontiers la récompense du génie, comme elles l'étoient quelquefois chez les anciens, des vertus & des services rendus à l'état, les talens du premier poëte d'Italie ont été constamment honorés de la protection de la maison d'Autriche : que son rôle à Vienne est cependant différent de celui de Sophocle à Athènes ! Chez les anciens, le spectacle étoit une affaire d'état ; chez nous, si la police s'en occupe, c'est pour lui faire mille petites chicanes, c'est pour le faire plier à mille convenances bizarres. Le spectateur, les acteurs, les entrepreneurs, tous ont usurpé sur le poëme lyrique, un empire ridicule ; & ses créateurs, le poëte & le musicien, eux-mêmes victimes de cette tyrannie, ont été le moins consultés sur son exécution.
Tout le monde sait qu'en Italie, le peuple ne s'assemble pas seulement aux théâtres pour voir le spectacle ; mais que les loges sont devenues autant de cercles de conversation qui se renouvellent plusieurs fois pendant la durée de la représentation. L'usage est de passer cinq ou six heures à l'Opéra, mais ce n'est pas pour lui donner cinq ou six heures d'attention. On n'exige du poëte que quelques situations très-pathétiques, quelques scenes très-belles, & l'on se rend facile sur le reste. Quand le musicien a réussi de rendre ces fameux morceaux que tout le monde sait par coeur, d'une maniere neuve & digne de son art, on est ravi, on s'extasie, on s'abandonne à l'enthousiasme, mais la scene passée, on n'écoute plus. Ainsi deux ou trois airs, un beau duetto, une scene extrêmement belle, suffisent au succès d'un Opéra, & l'on est indifférent sur la totalité du drame, pourvu qu'il ait donné trois ou quatre instans ravissans, & qu'il dure d'ailleurs le tems qu'on s'est destiné à passer à la salle de l'Opéra.
Chez une nation passionnée pour le chant, qui fait au charme de la voix le plus grand des sacrifices, & où le chant est devenu un art qui exige, outre la plus heureuse disposition des organes, l'étude la plus longue & la plus opiniâtre, le chanteur a dû bien-tôt usurper un empire illégitime sur le compositeur & sur le poëte. Tout a été sacrifié à ses talens & à ses caprices. On s'est peu choqué des imperfections de l'action théâtrale, pourvu que le chant fût exécuté avec cette supériorité qui séduit & enchante. Le chanteur, sans s'occuper de la situation & du caractere de son rôle, a borné tous ses soins à l'expression du chant ; la scene a été récitée & jouée avec une négligence honteuse. Le public, de spectateur qu'il doit être, n'est resté qu'auditeur. Il a fermé les yeux, & ouvert les oreilles, & laissant à son imagination le soin de lui montrer la véritable attitude, le vrai geste, les traits & la figure de la veuve d'Hector, ou de la fondatrice de Carthage, il s'est contenté d'en entendre les véritables accens.
Cette indulgence du public a laissé d'un côté l'action théâtrale dans un état très-imparfait, & de l'autre, elle a rendu le chanteur, maître de ses maîtres. Pourvu que son rôle lui donnât occasion de développer les ressources de son art, & de faire briller sa science, peu lui importoit que ce rôle fût d'ailleurs ce que le drame vouloit qu'il fût. Le poëte fut obligé de quitter le style dramatique, de faire des tableaux, de coudre à son poëme quelques morceaux postiches de comparaisons & de poésie épique ; & le musicien, d'en faire des airs dans le style le plus figuré, & par conséquent le plus opposé à la musique théâtrale, & pour déterminer le chanteur à se charger de quelques airs simples & vraiement sublimes que la situation rendoit indispensables au fond du sujet, il fallut acheter sa complaisance par ces brillans écarts, aux dépens de la vérité & de l'effet général. L'abus fut porté au point que lorsque le chanteur ne trouvoit pas ses airs à sa fantaisie, il leur en substituoit d'autres qui lui avoient déja valu des applaudissemens dans d'autres pieces & sur d'autres théâtres, & dont il changeoit les paroles comme il pouvoit, pour les approcher de sa situation & de son rôle, le moins mal qu'il étoit possible.
Enfin l'entrepreneur de l'Opéra devint de tous les tyrans du poëte, le plus injuste & le plus absurde. Ayant étudié le goût du public, sa passion pour le chant, son indifférence pour les convenances & l'ensemble du spectacle, voici à-peu-près le traité qu'il proposa au poëte lyrique, en conséquence de ses découvertes.
" Vous êtes l'homme du monde dont j'ai le moins besoin pour le succès de mon spectacle : après vous, c'est le compositeur. Ce qui m'est essentiel, c'est d'avoir un ou deux sujets que le public idolâtre : il n'y a point de mauvais Opéra avec un Caffarelli, avec une Gabrieli. Mon métier est de gagner de l'argent. Comme je suis obligé d'en donner prodigieusement à mes chanteurs, vous sentez qu'il ne m'en reste que très-peu pour le compositeur, & encore moins pour vous : songez que votre partage est la gloire ".
" Voici quelques conditions fondamentales sous lesquelles je consens de hasarder votre poëme, de le faire mettre en musique, & de le faire exécuter par mes chanteurs ".
" 1. Votre poëme doit être en trois actes, & ces trois actes ensemble doivent durer au-moins cinq heures, y compris quelques ballets que je ferai exécuter dans les entr'actes ".
" 2. Au milieu de chaque acte il me faut un changement de scene & de lieu, ensorte qu'il y ait deux décorations par acte. Vous me direz que c'est proprement demander un poëme en six actes, puisqu'il faut laisser la scene vuide au moment de chaque changement ; mais ce sont des subtilités de métier dont je ne me mêle point.
3. Il faut qu'il y ait dans votre piece six rôles, jamais moins de cinq, ni plus de sept : savoir un premier acteur & une premiere actrice, un second acteur & une seconde actrice ; ce qui fera deux couples d'amoureux qui chanteront le soprano, ou dont un seul, soit homme, soit femme, pourra chanter le contralto. Le cinquieme rôle est celui de tyran, de roi, de pere, de gouverneur, de vieillard ; il appartient à l'acteur qui chante le tenore. Au surplus vous pouvez employer encore à des rôles de confident un ou deux acteurs subalternes.
4. Suivant cet arrangement judicieux & consacré d'ailleurs par l'usage, il vous faut un double amour. Le premier acteur doit être amoureux de la premiere actrice, le second de la seconde. Vous aurez soin de former l'intrigue de toutes vos pieces sur ce plan-là, sans quoi je ne pourrai m'en servir. Je n'exige point que la premiere actrice réponde précisément à l'amour du premier acteur ; au contraire, je vous permettrai toute combinaison & toute liberté à cet égard, car je n'aime pas à faire le difficile sans sujet ; & pourvu que l'intrigue soit double, afin que mes seconds acteurs ne disent pas que je leur fais jouer des rôles subalternes, je ne vous chicanerai point sur le reste. Chaque acteur chantera deux fois dans chaque acte, excepté peut-être au troisieme, où l'action se hâtant vers sa fin, ne vous permettra plus de placer autant d'airs que dans les actes précédens. L'acteur subalterne pourra aussi moins chanter que les autres.
6. Je n'ai besoin que d'un seul duetto : il appartient de droit au premier acteur & à la premiere actrice ; les autres acteurs n'ont pas de privilege de chanter ensemble. Il ne faut pas que ce duetto soit placé au troisieme acte ; il faut tâcher de le mettre à la fin du premier ou du second, ou bien au milieu d'un de ces actes, immédiatement avant le changement de la décoration.
7. Il faut que chaque acteur quitte la scene immédiatement après avoir chanté son air. Ainsi lorsque l'action les aura rassemblés sur le théâtre, ils défileront l'un après l'autre, après avoir chanté chacun à son tour. Vous voyez que le dernier qui reste a beau jeu de chanter un air brillant qui contienne une réflexion, une maxime, une comparaison relative à sa situation ou à celle des autres personnages.
8. Avant de faire chanter à un acteur son second air, il faut que tous les autres aient chanté leur premier ; & avant qu'il puisse chanter son troisieme, il faut que tous les autres aient chanté leur second, & ainsi de suite jusqu'à la fin ; car vous sentez qu'il ne faut pas confondre les rangs, ni blesser les droits d'aucun acteur ".
A ces étranges articles on peut ajouter celui que l'aversion de l'empereur Charles VI. pour les catastrophes tragiques, rendit d'une observation indispensable. Ce prince voulut que tout le monde sortît de l'Opéra content & tranquille, & Metastasio fut obligé de racommoder tout si bien que vers le dénouement tous les acteurs du drame fussent heureux. On pardonnoit aux méchans, les bons renonçoient à la passion qui avoit causé leur malheur ou celui des autres dans le cours du drame, ou bien d'autres obstacles disparoissoient : chaque acteur se prêtoit un peu, & tout étoit pacifié à la fin de l'Opéra.
Voilà les principes sur lesquels on fonda la poétique de l'Opéra italien. Le poëte lyrique fut traité à-peu-près comme un danseur de corde à qui on lie les piés, afin de rendre son métier plus difficile, & ses tours de force plus éclatans.
Si Metastasio, malgré ses entraves, a pu conserver encore à ses pieces du naturel & de la vérité, on en est justement surpris ; mais l'ensemble du poëme lyrique a dû nécessairement se ressentir de ces lois bisarres & absurdes ; la force des moeurs a dû disparoître avec celle de l'intrigue ; le second couple d'amoureux a dû entrainer cet amour épisodique qui dépare presque tous les opéra d'Italie. De cette maniere, le poëme lyrique est devenu un problême où il s'agissoit de couper toutes les pieces sur le même patron, de traiter tous les sujets historiques & tragiques à-peu-près avec les mêmes personnages.
L'Opéra-comédie ou bouffon n'a pas été sujet, à la vérité, à toutes ces entraves ; mais il n'a été traité en revanche que par des farceurs ou des poëtes médiocres, qui ont tout sacrifié à la saillie du moment. Ces pieces sont ordinairement pleines de situations comiques, parce que la nécessité de placer l'air produit la nécessité de créer la situation ; mais pourvu qu'elle fût originale & plaisante, on pardonnoit au poëte l'extravagance du plan & de l'ensemble, & les moyens pitoyables dont il se servoit pour amener les situations.
Ce qu'il faut avouer à la gloire du poëte & du compositeur, c'est qu'ils ne se sont jamais trompés un instant sur leur vocation ni sur la destination de leur art ; & si l'Opéra italien est rempli de défauts qui en affoiblissent l'impression & l'effet, heureusement il n'y en a aucun qu'on ne puisse retrancher sans toucher au fond & à l'essence du poëme lyrique.
De quelques accessoires du poëme lyrique. Nous avons dit ce qu'il faut penser des couplets, des duo, & de la maniere dont on peut faire chanter deux ou plusieurs acteurs ensemble sans blesser le bon sens & la vraisemblance ; il nous reste à parler des choeurs, qui sont très-fréquens dans les Opéra françois, & très-rares dans les Opéra italiens. Celui-ci est ordinairement terminé par un couplet que tous les acteurs réunis chantent en choeur, & qui ne tenant point au sujet, disparoîtra dès qu'il sera permis au poëte de dénouer sa piece comme le sujet l'exige. Il n'y a pas moyen de coudre un couplet au choeur après l'Opéra de Didon abandonnée. Dans l'Opéra françois chaque acte a son divertissement, & chaque divertissement consiste en danses & en choeurs chantans ; & les partisans de ce spectacle ont toujours compté les choeurs parmi ses principaux avantages.
Pour juger quel cas il en faut faire, on n'a qu'à se souvenir de ce qui a été dit plus haut au sujet du couplet, que le bon goût n'a jamais permis de regarder comme une partie de la musique théâtrale. S'il est contre le bon sens qu'un acteur réponde à l'autre par une chanson, avec quelle vraisemblance une assemblée entiere ou tout un peuple pourra-t-il manifester son sentiment, en chantant ensemble & en choeur le même couplet, les mêmes paroles, le même air ? Il faudra donc supposer qu'ils se sont concertés d'avance, & qu'ils sont convenus entr'eux de l'air & des paroles, par lesquels ils exprimeroient leur sentiment sur ce qui fait le sujet de la scene, & ce qu'ils ne pouvoient savoir auparavant ? Que dans une cérémonie religieuse le peuple assemblé chante une hymne à l'honneur de quelque divinité, je le conçois ; mais ce couplet est un cantique sacré que tout le peuple sait de tout tems par coeur ; & dans ces occasions les choeurs peuvent être augustes & beaux. Tout un peuple témoin d'une scene intéressante, peut pousser un cri de joie, de douleur, d'admiration, d'indignation, de frayeur, &c. Ce choeur qui ne sera qu'une exclamation de quelques mots, & plus souvent qu'un cri inarticulé, pourra être du plus grand effet. Voilà à-peu-près l'emploi des choeurs dans la tragédie ancienne ; mais que ces choeurs sont différens de ces froids & bruyans couplets que débitent les choristes de l'Opéra françois sans action, les bras croisés, & avec un effort de poumons à étourdir l'oreille la plus aguerrie !
Le bon goût proscrira donc les choeurs du poëme lyrique, jusqu'à ce que l'Opéra se soit assez rapproché de la nature pour exécuter les grands tableaux & les grands mouvemens avec la vérité qu'ils exigent. A ce beau moment pour les Arts, qu'on m'amene l'homme de génie qui sait la langue des passions & la science de l'harmonie, & je serai son poëte, & je lui donnerai les paroles d'un choeur que personne ne pourra entendre sans frissonner. Supposons un peuple opprimé, avili sous le regne d'un odieux tyran. Supposons que ce tyran soit massacré, ou qu'il meure dans son lit (car qu'importe après tout le sort d'un méchant ?), & que le peuple ivre de la joie la plus effrénée de s'en voir délivré, s'assemble pour lui proclamer un successeur. Pour que mon sujet devienne historique, j'appellerai le tyran Commode, & son successeur à l'empire, Pertinax ; & voici le choeur que je propose au musicien de faire chanter au peuple romain.
" Que l'on arrache les honneurs à l'ennemi de la patrie.... l'ennemi de la patrie ! le parricide ! le gladiateur !.. Qu'on arrache les honneurs au parricide.... qu'on traîne le parricide.... qu'on le jette à la voirie.... qu'il soit déchiré.... l'ennemi des dieux ! le parricide du sénat !... à la voirie, le gladiateur !... l'ennemi des dieux ! l'ennemi du sénat ! à la voirie, à la voirie !... Il a massacré le sénat, à la voirie !... Il a massacré le sénat, qu'il soit déchiré à coups de crocs !... Il a massacré l'innocent : qu'on le déchire.... qu'on le déchire, qu'on le déchire.... Il n'a pas épargné son propre sang ; qu'on le déchire.... Il avoit médité ta mort ; qu'on le déchire.... Tu as tremblé pour nous, tu as tremblé avec nous ; tu as partagé nos dangers.... O Jupiter, si tu veux notre bonheur, conserve nous Pertinax !... Gloire à la fidélité des prétoriens !... aux armées romaines !... à la piété du sénat !... Pertinax, nous te le demandons, que le parricide soit traîné.... qu'il soit traîné, nous te le demandons.... Dis avec nous, que les délateurs soient exposés aux lions.... Dis, aux lions le gladiateur... Victoire à jamais au peuple romain !... liberté ! victoire !... Honneur à la fidélité des soldats !... aux cohortes prétoriennes !... Que les statues du tyran soient abattues !... partout, partout !... Qu'on abatte le parricide, le gladiateur !... Qu'on traîne l'assassin des citoyens.... qu'on brise ses statues.... Tu vis, tu vis, tu nous commandes, & nous sommes heureux... ah oui, oui, nous le sommes.... nous le sommes vraiment, dignement, librement.... nous ne craignons plus. Tremblez, délateurs !... notre salut le veut.... Hors du sénat, les délateurs !.. à la hache, aux verges, les délateurs !.. aux lions, les délateurs !.. aux verges, les délateurs !.. Périsse la mémoire du parricide, du gladiateur !... périssent les statues du gladiateur !... à la voirie, le gladiateur !... César, ordonne les crocs... que le parricide du sénat soit déchiré... ordonne, c'est l'usage de nos ayeux... Il fut plus cruel que Domitien... plus impur que Néron... qu'on lui fasse comme il a fait !... Réhabilite les innocens... rends honneur à la mémoire des innocens.... Qu'il soit traîné, qu'il soit traîné !... ordonne, ordonne, nous te le demandons tous... Il a mis le poignard dans le sein de tous. Qu'il soit traîné !... Il n'a épargné ni âge, ni sexe ; ni ses parens, ni ses amis. Qu'il soit traîné !... Il a dépouillé les temples. Qu'il soit traîné !... Il a violé les testamens. Qu'il soit traîné !... Il a ruiné les familles. Qu'il soit traîné !... Il a mis les têtes à prix. Qu'il soit traîné !... Il a vendu le sénat. Qu'il soit traîné !... Il a spolié l'héritier. Qu'il soit traîné !... Hors du sénat, ses espions !... hors du sénat, ses délateurs !... hors du sénat, les corrupteurs d'esclaves !... Tu as tremblé avec nous... tu sais tout... tu connois les bons & les méchans. Tu sais tout... punis qui l'a mérité. Répare les maux qu'on nous a faits... nous avons tremblé pour toi... nous avons rampé sous nos esclaves... Tu regnes. Tu nous commandes. Nous sommes heureux... oui, nous le sommes... Qu'on fasse le procès au parricide !... ordonne, ordonne son procès... Viens, montre-toi, nous attendons ta présence... Hélas, les innocens sont encore sans sépulture !... que le cadavre du parricide soit traîné !... Le parricide a ouvert les tombeaux. Il en a fait arracher les morts... que son cadavre soit traîné " !
Voilà un choeur. Voilà comme il convient de faire parler un peuple entier quand on ose le montrer sur la scene. Qu'on compare cette acclamation du peuple romain à l'élévation de l'empereur Pertinax, avec l'acclamation des peuples des Zéphirs, lorsqu'Atys est nommé grand sacrificateur de Cybele :
Que devant vous tout s'abaisse & tout tremble.
Vivez heureux, vos jours sont notre espoir :
Rien n'est si beau que de voir ensemble
Un grand mérite avec un grand pouvoir.
Que l'on bénisse
Le ciel propice,
Qui dans vos mains
Met le sort des humains.
Ou, qu'on lui compare cet autre choeur d'une troupe de dieux de fleuves :
Que l'on chante, que l'on danse,
Rions tous, lorsqu'il le faut :
Ce n'est jamais trop-tôt
Que le plaisir commence.
On trouve bien-tôt la fin
Des jours de réjouissance ;
On a beau chasser le chagrin,
Il revient plutôt qu'on ne pense.
Quel peuple a jamais exprimé ses transports les plus vifs d'une maniere aussi plate & aussi froide ? Qu'on se rappelle maintenant l'air encore plus plat que Lully a fait sur ces couplets, & l'on trouvera que le musicien a surpassé son poëte de beaucoup.
Que les gens de goût décident entre ces choeurs & celui que je propose, & ils seront forcés de m'adjuger le rang sur le premier poëte lyrique de France. C'est que le tendre Quinault a cherché ses choeurs dans un genre insipide & faux ; & moi, j'ai pris le mien dans la vérité & dans l'Histoire où Lampride nous l'a conservé mot pour mot.
Ce choeur pourra paroître long, mais ce ne sera pas à un compositeur habile qui sentira au premier coup d'oeil avec quelle rapidité tous ces cris doivent se succéder & se répéter. Il me reprochera plutôt d'avoir empiété sur ses droits ; & au lieu de m'en tenir, comme le poëte le doit, à une simple esquisse des principales idées, dont l'interprétation appartient à la Musique, d'avoir déja mis dans mon coeur toute sorte de déclamations, tout le désordre, tout le tumulte, toute la confusion d'une populace effrénée ; d'avoir distribué, pour ainsi dire, tous les rôles & toute la partition ; d'avoir marqué les cris qui ne sont poussés que par une seule voix, tandis qu'un autre reproche part d'un autre côté, ou qu'une imprécation est interrompue par une acclamation de joie ; ou qu'on se met à rappeller tous les forfaits du tyran l'un après l'autre ; que l'un commence, il n'a épargné ni âge, ni sexe ; qu'un autre ajoute, ni ses parens : qu'un troisieme acheve, ni ses amis ; que tous se réunissent à crier : qu'il soit traîné ! voilà des entreprises dignes d'un homme de génie. Quel tableau ! je me sens frappé des cris d'un million d'hommes ivres de fureur & de joie ; je frémis à l'aspect de l'image la plus effrayante & la plus terrible de l'enthousiasme populaire.
De la danse. La danse est devenue dans tous les pays la compagne du spectacle en Musique.
En Italie & sur les autres théâtres de l'Europe, on remplit les entr'actes du poëme lyrique par des ballets qui n'y ont aucun rapport. Si cet usage est barbare, il est encore de ceux qu'on peut abolir, sans toucher au fond du spectacle ; & cela arrivera dès que le poëme lyrique sera délivré de ses épisodes, & serré comme son esprit & sa constitution l'exigent.
En France, on a associé le ballet immédiatement avec le chant & avec le fond de l'opéra. Arrive-t-il quelque incident heureux ou malheureux, aussi-tôt il est célébré par des danses, & l'action est suspendue par le ballet. Cette partie postiche est même devenue en ces derniers tems la principale du poëme lyrique ; chaque acte a besoin d'un divertissement, terme qui n'a jamais été pris dans une acception plus propre & plus stricte, & le succès d'un opéra dépend aujourd'hui, non pas précisément de la beauté des ballets, mais de l'habileté des danseurs qui l'exécutent.
Rien, ce semble, ne dépose plus fortement contre le poëme & la musique de l'opéra françois, que le besoin continuel & urgent de ces ballets. Il faut que l'action de ce poëme soit dénuée d'intérêt & de chaleur, puisque nous pouvons souffrir qu'elle soit interrompue & suspendue à tout instant par des menuets & des rigaudons ; il faut que la monotonie du chant soit d'un ennui insupportable, puisque nous n'y tenons qu'autant qu'il est coupé dans chaque acte par un divertissement.
Suivant cet usage, l'opéra françois est devenu un spectacle où tout le bonheur & tout le malheur des personnages se réduit à voir danser autour d'eux.
Pour juger si cet usage mérite l'approbation des gens de goût, & si c'est un avantage inestimable, comme on l'entend dire sans cesse, que l'opéra françois a sur tous les spectacles lyriques, de réunir la danse à la Poésie & à la Musique, il sera nécessaire de réfléchir sur les observations suivantes.
La danse, ainsi que le couplet, peut quelquefois être historique dans le poëme lyrique. Roland arrive au rendez-vous que la perfide Angélique lui a donné. Après l'avoir vainement attendue pendant quelque tems, il voit venir une troupe de jeunes gens qui, en chantant & en dansant, célebrent le bonheur de Médor & d'Angélique qu'ils viennent de conduire au port. C'est par ces expressions de joie d'une jeunesse innocente & vive que Roland apprend son malheur & la trahison de sa maîtresse. Cette situation est très-belle, & c'est avec raison qu'on a regardé cet acte comme le chef-d'oeuvre du théâtre lyrique en France. Voyons si l'exécution & la représentation théâtrale répondent à l'idée sublime du poëte, & si Quinault n'a pas été obligé lui-même de la gâter pour se conformer à l'usage de l'opéra. Roland, après avoir attendu long-tems, après avoir examiné les chiffres & les inscriptions, & réprimé les soupçons que son coeur jaloux en a conçus, entend une musique champêtre. C'est la jeunesse qui revient sur ses pas, après avoir conduit Médor & Angélique. Roland, dans l'espérance de trouver sa maîtresse parmi cette troupe joyeuse, quitte la scene & va au-devant du bruit. A l'instant même la jeunesse dansante & chantante paroît. Roland devroit reparoître avec elle ; mais apparemment qu'il s'est déja apperçu qu'Angélique n'y est point. Ainsi il va la chercher dans les lieux d'alentour, & abandonne la place aux danseurs & aux choristes. Ce n'est qu'après que ceux-ci nous ont diverti pendant une demi-heure par leurs couplets & leurs rigaudons, que le héros revient & s'éclaircit sur son malheur. Il est évident qu'en ne consultant sur ce ballet que le bon goût, la jeunesse ne fera autre chose que traverser le théâtre en dansant ; que dans le premier instant ils nommeront Médor & Angélique ; que dès cet instant Roland s'éclaircira sur son malheur en frémissant, & qu'il n'aura pas plus que nous la patience d'attendre que les entrées & les contre-danses soient finies pour apprendre un sort qui nous intéresse uniquement. J'avoue qu'il n'est pas contre la vraisemblance qu'une jeunesse pleine de tendresse & de joie s'arrête dans un lieu délicieux pour danser & chanter ; mais c'est seulement suspendre l'action du poëme au moment le plus intéressant : car ce ne sont ni les amours d'Angélique & de Médor, ni leur éloge, qui font le sujet de la scene. Eh que nous font tous les froids couplets qu'on chante à cette occasion ? c'est le malheur de Roland & la maniere naturelle & naïve dont il en est instruit, qui font le charme & l'intérêt de cette situation vraiment admirable.
Je me suis étendu exprès sur le ballet le plus heureusement placé qu'il y ait sur le théâtre lyrique en France, & l'on voit à quoi le goût & le bon sens réduisent ce ballet. Que feront-ils donc de ceux que le poëte amene à tout propos ; & si leur voix est jamais écoutée sur ce théâtre, sera-t-il permis à un héros de l'opéra de prouver à sa maîtresse l'excès de ses feux par une troupe de gens qui danseront autour d'elle ?
Mais l'idée d'associer dans le même spectacle deux manieres d'imiter la nature, ne seroit-elle pas essentiellement opposée au bon sens & au vrai goût ? Ne seroit-ce pas là une barbarie digne de ces tems gothiques où le devant d'un tableau étoit exécuté en relief, où l'on barbouilloit une belle statue pour lui faire des yeux noirs ou des cheveux châtains ? Seroit-il permis de confondre deux hypothèses différentes dans le même poëme, & de le faire exécuter moitié par des gens qui disent qu'ils ne savent parler qu'en chantant, moitié par d'autres qui prétendent n'avoir d'autre langage que celui du geste & des mouvemens ?
Pour exécuter ce spectacle avec succès, ne faudroit-il pas du-moins avoir des acteurs également habiles dans les deux arts, aussi bons danseurs qu'excellens chanteurs ? Comment seroit-il possible de supporter que les uns ne dansassent jamais, & que les autres ne chantassent jamais ? Seroit-il bien agréable pour un Dieu de ne savoir pas danser le plus méchant couplet d'une chaconne, & d'être obligé de céder sa place à M. Vestris, qui n'est qualifié dans le programme que du titre de suivant, mais qui écrase son Dieu en un instant par la grace & la noblesse de ses attitudes, tandis que celui-ci est relégué avec son rang suprème sur une banquette dans un coin du théâtre ?
Une exécution ou puérile ou impossible, voilà un des moindres inconvéniens de cette confusion de deux talens, de deux manieres d'imiter, qu'on a osé regarder comme un avantage, & qui a certainement empêché les progrès de la danse en France.
A en juger par l'emploi continuel des ballets, on seroit autorisé à croire que l'art de la danse est porté au plus haut degré de perfection sur le théâtre de l'opera françois ; mais lorsqu'on considere que le ballet n'est employé à l'opéra françois qu'à danser & non à imiter par la danse, on n'est plus surpris de la médiocrité où l'art de la danse est resté en France, & l'on conçoit qu'un françois plein de talens & de vues (M. Noverre), a pu être dans le cas d'aller créer le ballet loin de sa patrie.
Il est vrai qu'en lisant les programmes des différens opéra, on y trouve une variété merveilleuse de fêtes & de divertissemens ; mais cette variété fait place dans l'exécution à la plus triste uniformité. Toutes les fêtes se réduisent à danser pour danser ; tous les ballets sont composés de deux files de danseurs & de danseuses qui se rangent de chaque côté du théâtre, & qui se mêlant ensuite, forment des figures & des grouppes sans aucune idée. Les meilleurs danseurs cependant sont réservés pour danser tantôt seuls, tantôt deux ; dans les grandes occasions ils forment des pas de trois, de quatre, & même de cinq ou de six, après quoi le corps du ballet qui s'est arrêté pour laisser la place à ses maîtres, reprend ses danses jusqu'à la fin du ballet. Pour tous ces différens divertissemens, le musicien fournit des chaconnes, des loures, des sarabandes, des menuets, des passe-piés, des gavottes, des rigaudons, des contredanses. S'il y a quelquefois dans un ballet une idée, un instant d'action, c'est un pas de deux ou de trois qui l'exécute, après quoi le corps du ballet reprend incontinent sa danse insipide. La seule différence réelle qu'il y a d'une fête à une autre, se réduit à celle que le tailleur de l'opéra y met, en habillant le ballet tantôt en blanc, tantôt en verd, tantôt en jaune, tantôt en rouge, suivant les principes & l'étiquette du magasin.
Le ballet n'est donc proprement dans l'opéra françois qu'une académie de danse, où sous les yeux du public les sujets médiocres s'exercent à figurer, à se rompre, à se reformer, & les grands danseurs à nous montrer des études plus difficiles dans différentes attitudes nobles, gracieuses & savantes. Le poëte donne à ces exercices académiques cinq ou six noms différens dans le cours de son poëme ; il fait donner à ses danseurs tantôt des bas blancs, tantôt des bas rouges, tantôt des perruques blondes, tantôt des perruques noires ; mais l'homme de goût n'apperçoit d'ailleurs aucune diversité dans ces ballets, & ne peut que regretter que tant d'habiles danseurs ne soient employés qu'à faire sur un théâtre des pas & des tours de salle.
C'est en effet avoir méconnu trop long-tems l'usage de l'art qui agit sur nos sens avec le plus d'empire, & qui produit les impressions les plus profondes & les plus terribles. Que dirions-nous d'une académie de peintres & de statuaires qui dans une exposition publique de leurs ouvrages ne nous montreroient que des études, des têtes, des bras, des jambes, des attitudes, sans idée, sans application, sans imitation précise ? Toutes ces choses ont sans doute du prix aux yeux d'un connoisseur éclairé ; mais un sallon d'exposition est autre chose qu'un attelier.
Il en est de la danse comme du chant : la joie doit avoir créé les premieres danses comme elle a inspiré les premiers chants ; mais un menuet, une contredanse, & toute la danse récréative d'un bal, sont précisément aussi déplacés sur le théâtre que la chanson & le couplet. Ce n'est que lorsque l'homme de génie s'est apperçu qu'on pouvoit faire de la danse un art d'imitation propre à exprimer sans autre langue que celle du geste & des mouvemens tous les sentimens & toutes les passions, ce n'est qu'alors que la danse est devenue digne de se montrer sur la scene ; il est vrai que ce spectacle est celui de tous qui a fait le moins de progrès parmi les modernes ; & si nous en avons vû quelques essais en Italie, en Angleterre, en Allemagne, il faut convenir qu'il est encore loin de ces effets prodigieux des pantomimes dont l'histoire ancienne nous a conservé la mémoire.
Le spectacle en danse a besoin d'un poëte, d'un musicien, & d'un maître de ballets. Son hypothèse est d'imiter la nature par le geste & par la pantomime, sans autre discours, sans autre accent que celui que la musique instrumentale fournira à l'interprétation de ses mouvemens. Le poëme dansé, ou ballet, doit être suivi, noué, dénoué, comme le poëme lyrique. Il exige encore plus que lui la rapidité de l'action & une grande variété de situations. Comme le discours ne peut être exprimé dans ce drame que par le geste, rien n'y seroit plus déplacé que des scènes de raisonnement & de conversation, & le dialogue en général n'y peut être employé, soit dans la tragédie, soit dans la comédie, qu'autant qu'il sert indispensablement de passage & de préparation aux grands tableaux & aux situations intéressantes.
Toute la poétique du poëme lyrique s'applique naturellement & d'elle-même au poëme ballet. Comme rien n'est moins naturel qu'un opéra où l'on chante d'un bout à l'autre, rien aussi ne seroit plus faux qu'un ballet où l'on danseroit toujours. Le créateur du poëme ballet a dû connoître & distinguer dans la nature le moment tranquille & le moment passionné, celui de la scène & celui de l'air. Il a dû chercher deux manieres distinctes pour exprimer deux momens si différens, & partager son poëme entre la marche & la danse, comme le musicien partage le sien entre le récitatif & l'air.
Suivant ces principes, les personnages du poëme ballet ne danseront qu'au moment de la passion, parce que ce moment est réellement dans la nature celui des mouvemens violens & rapides. Le reste de l'action ne sera exécuté que par des gestes simples, par une marche cadencée, plus marquée, plus poétique, que la démarche ordinaire dont il n'y auroit pas moyen de passer naturellement & avec vérité au moment de la danse.
Ce moment tiendra dans le poëme ballet la place que l'air occupe dans le poëme lyrique ; mais l'on jugera aisément que ce moment ne peut être employé à danser des menuets, des gavottes ou des couplets de chaconne. Tous ces airs de danse ne signifient rien, n'imitent rien, n'expriment rien. L'air du moment de la danse dont le poëte aura indiqué le sujet & la situation, sera de la part du musicien le développement de la passion & de tous ses mouvemens. Le maître des ballets & le danseur intelligent, s'ils entendent cette langue, comme la profession de leur art l'exige, trouveront dans l'air du musicien tous leurs gestes notés avec la succession & les nuances de tous les mouvemens.
Lorsque le poëte aura créé un tel poëme, & que le spectacle en danse aura acquis le degré de perfection dont il est susceptible, un grand compositeur ne dédaignera plus de mettre le poëme ballet en musique, parce que ce ne sera plus un recueil de jolis menuets & d'autres petits airs de danse, plus dignes de la guinguette que du théâtre, & qu'on abandonne en Italie & en Allemagne avec raison au premier petit violon de l'orchestre. Cette suite de grandes & belles situations, puisée dans le sujet d'une action unique, & terminée par une catastrophe convenable, ouvrira au contraire au compositeur une vaste & brillante carriere, où il pourra déployer ses talens, & concourir à l'effet du spectacle le plus noble & le plus intéressant qu'on puisse offrir à une nation passionnée pour les beaux arts.
Le maître des ballets & le danseur sentiront de leur côté que l'exécution de ce poëme demande autre chose que des pirouettes & des gargouillades ; que des attitudes fortes ou gracieuses, des à-plombs & tout le détail des exercices académiques & des tours de salle, n'ont de prix sur le théâtre qu'autant qu'ils sont placés à-propos, avec goût & avec intelligence, qu'ils servent à l'expression d'une situation touchante, d'une action intéressante & pathétique, & qu'on apperçoit dans le danseur, indépendamment de cette science, une étude profonde de la nature & de la vérité de ses mouvemens.
Ce qui vient d'être dit ne contient que les premiers élémens d'une poétique de la danse, mais qui mériteroient pour les progrès d'un art bien peu perfectionné, d'être développés avec plus de soin & dans un plus grand détail. Les lettres pleines de chaleur & de vues que M. Noverre a publiées sur la danse, il y a quelques années, paroissent lui imposer le devoir d'écrire cette poétique, & de rendre à son art l'empire qui lui est dû & qu'il a exercé chez les anciens par la magie & l'enthousiasme de son langage.
De l'exécution du poëme lyrique. La réunion du chant & de la danse dans le même poëme ne seroit point impossible, & seroit peut-être une chose desirable ; mais cette association seroit bien différente de celle qu'on a imaginée dans l'opéra françois, & que le bon goût semble proscrire.
Le chant est un art si difficile, il demande tant d'application & d'étude, qu'il ne faut pas espérer qu'un grand chanteur puisse aussi être grand acteur. Ce cas seroit du-moins trop rare pour n'être pas regardé comme une exception. L'exécution du chant & l'expression qu'il exige occupent déja trop un chanteur pour lui permettre de donner le même soin à l'action. Très-souvent les mouvemens que la situation demande, sont si violens, qu'ils ne permettroient guere de chanter avec grace, ni même avec la force nécessaire ; & je crois impossible qu'au dernier période de la passion, le même acteur puisse chanter avec la chaleur & l'enthousiasme qu'il exige, & s'abandonner en même tems au délire & au plus grand désordre de la passion, sans que la précision de son chant en souffre.
D'un autre côté, en réfléchissant sur le génie de l'air ou aria des Italiens, on voit évidemment qu'il est dans son principe autant destiné à l'expression du geste qu'à celle du chant, & un pantomime intelligent trouvera dans la partie instrumentale de l'air tous ses gestes, toute la succession de ses mouvemens notés avec la plus grande finesse. La musique a encore sur ce point merveilleusement suivi la nature. Car la passion n'éleve pas seulement la voix, ne varie pas seulement les inflexions ; elle met la même variété & la même chaleur aussi dans le geste & dans les mouvemens : ainsi le moment de la passion doit être en effet la réunion de ces deux expressions. Comment les rendrons-nous donc sur nos théâtres, sans que l'une souffre par l'autre ?
Les plus grandes découvertes sont toujours l'ouvrage du hasard. A Rome, Andronicus, fameux acteur, c'est-à-dire chanteur & pantomime à-la-fois, est enroué un jour à force de bis ; revocatus obtudit vocem. Le public ne veut pas se passer d'un acteur chéri : Andronicus continue donc les jours suivans de danser la pantomime, agit canticum ; mais comme son enrouement ne lui permet pas de chanter, il place un enfant devant le flûteur ou l'orchestre, & cet enfant chante pour lui : puerum ante tibicinem statuit ad canendum.
Cet expédient plaît au peuple. Andronicus dispensé par un accident de chanter, s'abandonne avec plus de chaleur au geste & à la pantomime ; & depuis ce moment l'opéra, canticum, est exécuté par deux sortes d'acteurs qui représentent un même sujet en même tems, sur les mêmes airs, sur les mêmes mesures, sur la même scène, les uns par le chant, les autres par la danse ou pantomime. L'historien, ou le pantomime ne chante plus que de la main, histrionibus fabularum actus relinquitur ; & le chanteur ne joue plus que de la voix. La voix d'accord avec la flûte explique en chantant le sujet, tandis que la danse d'accord avec la mesure du chant, l'exécute en gesticulant. Ad manum cantatur.... Diverbia voci relicta. Voyez Tite-Live.
Ce que le hasard établit jadis sur le théâtre de Rome, une imitation réfléchie devroit nous le faire adopter dans l'exécution de notre poëme lyrique. Par ce moyen nos castrats qui sont ordinairement des chanteurs si excellens, & des acteurs si médiocres, ne seroient plus que des instrumens parlans placés dans l'orchestre & le plus près de la scène qu'il seroit possible. Ils exécuteroient la partie du chant avec une supériorité dont rien ne pourroit les distraire, tandis qu'un habile pantomime exécuteroit la partie de l'action avec la même chaleur & la même expression.
Plus on pénétrera l'esprit du poëme lyrique, plus on sera engoué de cette idée. L'opéra ainsi exécuté ne seroit plus restreint à ne charmer qu'un petit nombre d'hommes excessivement sensibles & qui entendent le langage de la musique. Le plus ignorant d'entre le peuple seroit aussi avancé que le plus grand connoisseur, parce que le pantomime auroit soin de lui traduire la musique mot pour mot, & de rendre intelligible à ses yeux ce qu'il n'a pu entendre de ses oreilles.
Cette maniere d'exécuter le poëme lyrique rendroit aussi au poëte & au compositeur l'empire que le chanteur & l'entrepreneur ont usurpé sur eux. Tout ce qui ne tient pas au fond du sujet ne seroit plus supportable sur ce théâtre. Tout le style figuré & épique disparoitroit des ouvrages dramatiques : car quel geste le pantomime trouveroit-il pour l'expression de telles paroles & de tels airs ? & comment nous feroit-il sentir, sans devenir ridicule, qu'il ressemble à un coursier indompté & fier, ou qu'il se compare à un vaisseau battu par la tempête ? Les situations les plus pathétiques ne seroient plus énervées par des épisodes froids & subalternes. Le poëte, peu embarrassé de la durée du spectacle & du nombre des acteurs, conduiroit son sujet par une intrigue simple, forte & rapide à la catastrophe que l'histoire ou la nature des choses auroit indiquée. Je ne sais combien d'actes, combien de décorations, combien d'acteurs il faudroit pour l'opéra d'Andromaque ou de Didon ainsi construit & exécuté ; mais je sais que ces sujets dépouillés de tout ce qui les défigure & les énerve, feroient les impressions les plus profondes & les plus terribles. Le musicien n'auroit rien changé à son faire ; le poëte auroit rapproché le sien de la simplicité & de la force du théâtre d'Athènes, & la représentation théâtrale auroit acquis une vérité & un charme dont il seroit téméraire de marquer les effets & les bornes.
Supposé que la durée d'un drame ainsi serré ne remplisse pas le tems consacré au spectacle, rien n'empêcheroit d'imiter encore l'usage d'Athènes en représentant plus d'une piece. Le poëme lyrique chanté & dansé seroit suivi du poëme-ballet : celui-ci seul seroit peut-être propre à représenter quelques instans d'un merveilleux visible.
Mais le sort de l'homme veut que sa petitesse paroisse toujours à côté de ses plus sublimes efforts de génie ; & nous mettons dans les affaires les plus sérieuses tant de négligence & d'inconséquence, qu'il ne faut pas nous croire capables de l'obstination & de la persévérance nécessaires à la perfection d'un simple art d'amusement. Et le sort des empires, & le sort des théâtres sont l'ouvrage du hasard : tout dépend de ce concours de circonstances qu'un heureux ou un mauvais hasard rassemble. Qu'il paroisse quelque part en Europe un grand prince ; & après avoir acquis par ses travaux le droit de consacrer un glorieux loisir à la culture des Beaux-Arts, qu'il porte ses vûes sur le plus beau de tous, & l'art dramatique deviendra sous son regne le plus grand monument érigé à la félicité publique & à la gloire du génie de l'homme.
Les Italiens ont un poëme lyrique qu'ils appellent oratorio ; ce sont des drames dont le sujet est tiré de nos livres sacrés. On les a quelquefois joués sur des théâtres élevés dans les églises ; mais ces exemples sont rares, & communément on ne fait aucun usage de ces pieces. Il est étonnant que la puissance spirituelle, qui favorise si fort en Italie les pompes religieuses, n'ait pas secondé la Poésie & la Musique dans le dessein de se consacrer à la Religion. De tels spectacles auroient pu devenir très-augustes & très-intéressans dans la célébration des solemnités de l'Eglise.
Il ne seroit pas singulier qu'un homme de goût fît plus de cas des oratorio de Metastasio, que de ses opéra les plus célebres. On s'apperçoit bien que le poëte n'y a pas été assujetti à une foule de lois arbitraires & absurdes, qui n'ont tendu qu'à le gêner & qu'à défigurer le poëme lyrique.
Le compositeur pourroit se permettre dans l'oratorio un style plus élevé, plus figuré que celui de l'opéra. La religion qui rend ce drame sacré, semble aussi autoriser le musicien d'éloigner ses personnages un peu plus de la nature par des accens moins familiers à l'homme, & par une plus forte poésie. Cet article est de M. GRIMM.
POEME PHILOSOPHIQUE, (Poésie didactiq.) espece de poëme didactique dans lequel on emprunte le langage de la Poésie, pour traiter par principes des sujets de morale, de physique ou de métaphysique. On y raisonne, on y cite des autorités, des exemples, on tire des conséquences. Tel est l'ouvrage de Lucrece parmi les anciens, celui de Pope parmi les modernes.
Le poëme philosophique doit tendre sur toutes choses à la lumiere, parce que le but des sciences est d'éclairer. Ainsi la méthode doit y être plus sensible que dans les autres poëmes didactiques & dans les poëmes de pure fiction. Ceux-là échauffent le coeur, ceux-ci éclairent l'esprit ou dirigent ses facultés. Il est donc moins permis d'y jetter des digressions qui empêchent de suivre le fil du raisonnement. Par la même raison, on s'attachera moins à y mettre des figures vives & poétiques, à moins qu'elles ne concourent à la clarté en donnant du corps aux pensées ; car autrement, il y auroit de la petitesse à sacrifier la netteté & la précision à l'éclat d'un beau mot ; aussi Lucrece suit-il constamment son objet. On ne le voit point au milieu d'un raisonnement, s'égarer dans des descriptions inutiles à son but. Il en a quelques-unes dont la matiere pourroit se passer ; mais il les place tellement, soit devant, soit après ses argumens, qu'elles servent, ou à préparer l'esprit à ce qu'il va dire, ou à le délasser, après lui avoir fait faire des efforts. Princip. de littérat. (D.J.)
POEME EN PROSE, (Belles-Lettres) genre d'ouvrage où l'on retrouve la fiction & le style de la poésie, & qui par-là sont de vrais poëmes, à la mesure & à la rime près ; c'est une invention fort heureuse. Nous avons obligation à la poésie en prose de quelques ouvrages remplis d'avantures vraisemblables, & merveilleuses à la fois, comme de préceptes sages & praticables en même tems, qui n'auroient peut-être jamais vû le jour, s'il eût fallu que les auteurs eussent assujetti leur génie à la rime & à la mesure. L'estimable auteur de Télémaque ne nous auroit jamais donné cet ouvrage enchanteur, s'il avoit dû l'écrire en vers ; il est de beaux poëmes sans vers, comme de beaux tableaux sans le plus riche coloris. (D.J.)
POEME SECULAIRE, (Belles-Lettres) carmen seculare, nom que donnoient les Romains à une espece d'hymne qu'on chantoit ou qu'on récitoit aux jeux que l'on célébroit à la fin de chaque siecle de la fondation de Rome, qu'on appelloit pour cela jeux séculaires. Voyez JEUX SECULAIRES.
On trouve un poëme de cette espece dans les ouvrages d'Horace, c'est une ode en vers saphiques qu'on trouve ordinairement à la fin de ses épodes, & qu'il composa par l'ordre d'Auguste l'an 737 de Rome, selon le pere Jouvency. Il paroît par cette piece que le poëme séculaire étoit ordinairement chanté par deux choeurs, l'un de jeunes garçons, & l'autre de jeunes filles. C'est peut-être par la même raison, que quelques commentateurs de ce poëte ont regardé comme un poëme séculaire la vingt-unieme ode de son premier livre, parce qu'elle commence par ces vers :
Dianam tenerae dicite virgines,
Intonsum pueri dicite Cynthium.
Mais la derniere strophe prouve que ce n'étoit qu'un de ces cantiques qu'on adressoit à ces divinités dans les calamités publiques, ou pour les prier de détourner des fléaux funestes, lorsque le peuple faisoit des voeux dans les temples de toutes les divinités adorées à Rome, ce qu'on appelloit supplicare ad omnia pulvinaria deorum.
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POEONIDAE | (Géog. anc.) municipe de l'Attique, dans la tribu Léontienne, selon Suidas, qui remarque que ces peuples différoient des Poenienses & des Poeonidi, deux autres municipes des Atheniens, dans la tribu Pandionide. (D.J.)
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POÉSIE | (Beaux Arts) c'est l'imitation de la belle nature exprimée par le discours mesuré ; la prose ou l'éloquence, est la nature elle-même exprimée par le discours libre.
L'orateur ni l'historien n'ont rien à créer, il ne leur faut de génie que pour trouver les faces réelles qui sont dans leur objet : ils n'ont rien à y ajouter, rien à en retrancher ; à peine osent-ils quelquefois transposer, tandis que le poëte se forge à lui-même ses modéles, sans s'embarrasser de la réalité.
Desorte que si l'on vouloit définir la poésie, par opposition à la prose ou à l'éloquence, que je prens ici pour la même chose ; on s'en tiendroit à notre définition. L'orateur doit dire le vrai d'une maniere qui le fasse croire, avec la force, & la simplicité qui persuadent. Le poëte doit dire le vraisemblable d'une maniere qui le rende agréable, avec toute la grace & toute l'énergie qui charment, & qui étonnent ; cependant comme le plaisir prépare le coeur à la persuasion, & que l'utilité réelle flatte toujours l'homme, qui n'oublie jamais son intérêt ; il s'ensuit que l'agréable & l'utile doivent se réunir dans la poésie & dans la prose ; mais en s'y plaçant dans un ordre conforme à l'objet qu'on se propose dans ces deux genres d'écrire.
Si l'on objectoit qu'il y a des écrits en prose qui ne sont l'expression que du vraisemblable ; & d'autres en vers qui ne sont l'expression que du vrai ; on répondroit que la prose & la poésie étant deux langages voisins, & dont le fonds est presque le même, elles se prêtent mutuellement, tantôt la forme qui les distingue, tantôt le fonds même qui leur est propre ; desorte que tout paroît travesti.
Il y a des fictions poétiques qui se montrent avec l'habit simple de la prose ; tels sont les romans & tout ce qui est dans leur genre. Il y a même des matieres vraies, qui paroissent revêtues & parées de tous les charmes de l'harmonie poëtique ; tels sont les poëmes didactiques & historiques. Mais ces fictions en prose, & ces histoires en vers, ne sont ni pure prose, ni poésie pure ; c'est un mêlange des deux natures, auquel la définition ne doit point avoir égard ; ce sont des caprices faits pour être hors de la regle, & dont l'exception est absolument sans conséquence pour les principes. Nous connoissons, dit Plutarque, des sacrifices qui ne sont accompagnés ni de choeurs, ni de symphonies ; mais pour ce qui est de la poésie, nous n'en connoissons point sans fables & sans fiction. Les vers d'Empédocles, ceux de Parménide, de Nicander, les sentences de Théognide, ne sont point de la poésie, ce ne sont que des discours ordinaires, qui ont emprunté la verve & la mesure poétique, pour relever leur style & l'insinuer plus aisément.
Cependant, il y a différentes opinions sur l'essence de la poésie ; quelques-uns font consister cette essence dans la fiction. Il ne s'agit que d'expliquer le terme, & de convenir de sa signification. Si par fiction, ils entendent la même chose que feindre ou fingere chez les Latins ; le mot de fiction ne doit signifier que l'imitation artificielle des caracteres, des moeurs, des actions, des discours, &c. tellement que feindre sera la même chose que représenter ou contrefaire ; alors cette opinion rentre dans celle de l'imitation de la belle nature que nous avons établie en définissant la poésie.
Si les mêmes personnes resserrent la signification de ce terme, & que par fiction, ils entendent le ministere des dieux que le poëte fait intervenir pour mettre en jeu les ressorts secrets de son poëme ; il est évident que la fiction n'est pas essentielle à la poésie ; parce qu'autrement la tragédie, la comédie, la plûpart des odes, cesseroient d'être de vrais poëmes, ce qui seroit contraire aux idées les plus universellement reçues.
Enfin, si par fiction on veut signifier les figures qui prêtent de la vie aux choses inanimées, & des corps aux choses insensibles, qui les font parler & agir, telles que sont les métaphores & les allégories ; la fiction alors n'est plus qu'un tour poétique, qui peut convenir à la prose même ; c'est le langage de la passion qui dédaigne l'expression vulgaire ; c'est la parure, & non le corps de la poésie.
D'autres ont cru que la poésie consistoit dans la versification ; ce préjugé est aussi ancien que la poésie même. Les premiers poëmes furent des hymnes qu'on chantoit, & au chant desquels on associoit la danse ; Homere & Tite-Live en donneront la preuve. Or, pour former un concert de ces trois expressions, des paroles, du chant, & de la danse, il falloit nécessairement qu'elles eussent une mesure commune qui les fit tomber toutes trois ensemble, sans quoi l'harmonie eut été déconcertée. Cette mesure étoit le coloris, ce qui frappe d'abord tous les hommes ; au lieu que l'imitation qui en étoit le fonds & comme le dessein, a échappé à la plûpart des yeux qui la voyent sans la remarquer.
Cependant cette mesure ne constitua jamais ce qu'on appelle un vrai poëme ; & si elle suffisoit, la poésie ne seroit qu'un jeu d'enfant, qu'un frivole arrangement de mots que la moindre transposition feroit disparoître.
Il n'en est pas ainsi de la vraie poésie ; on a beau renverser l'ordre, déranger les mots, rompre la mesure ; elle perd l'harmonie, il est vrai, mais elle ne perd point sa nature ; la poésie des choses reste toujours ; on la retrouve dans ses membres dispersés, cela n'empêche point qu'on ne convienne qu'un poëme sans versification ne seroit pas un poëme. Les mesures & l'harmonie sont les couleurs, sans lesquelles la poésie n'est qu'une estampe. Le tableau représentera, si vous le voulez, les contours ou la forme, & tout au plus les jours & les ombres locales ; mais on n'y verra point le coloris parfait de l'art.
La troisieme opinion est celle qui met l'essence de la poésie dans l'enthousiasme ; mais cette qualité ne convient-elle pas également à la prose, puisque la passion avec tous ses degrés ne monte pas moins dans les tribunes que sur les théatres ; & quand Périclès tonnoit, foudroyoit, & renversoit la Grece, l'enthousiasme régnoit-il dans ses discours avec moins d'empire, que dans les odes pindariques ? S'il falloit que l'enthousiasme se soutînt toujours dans la poésie, combien de vrais poëmes cesseroient d'être tels ? La tragédie, l'épopée, l'ode même, ne seroient poétiques que dans quelques endroits frappans ; dans le reste n'ayant qu'une chaleur ordinaire, elles n'auroient plus le caractere distinctif de la poésie.
Mais, dira-t-on, l'enthousiasme & le sentiment sont une même chose, & le but de la poésie est de produire le sentiment, de toucher & de plaire ; d'ailleurs, le poëte ne doit-il pas éprouver le sentiment qu'il veut produire dans les autres ? Quelle conclusion tirer de-là, que les sentimens de l'enthousiasme sont le principe & la fin de la poésie ; en sera-ce l'essence ? Oui, si l'on veut que la cause & l'effet, la fin & le moyen soient la même chose ; car il s'agit ici de précision.
Tenons-nous-en donc à établir l'essence de la poésie dans l'imitation, puisqu'elle renferme l'enthousiasme, la fiction, la versification même, comme des moyens nécessaires pour peindre parfaitement des objets.
De plus, les regles générales de la poésie des choses sont renfermées dans l'imitation ; en effet, si la Nature eût voulu se montrer aux hommes dans toute sa gloire, je veux dire avec toute sa perfection possible dans chaque objet ; ces regles qu'on a découvertes avec tant de peine, & qu'on suit avec tant de timidité, & souvent même de danger, auroient été inutiles pour la formation & le progrès des Arts. Les artistes auroient peint scrupuleusement les faces qu'ils auroient eues devant les yeux, sans être obligés de choisir. L'imitation seule auroit fait tout l'ouvrage, & la comparaison seule en auroit jugé.
Mais comme elle s'est fait un jeu de mêler ses plus beaux traits avec une infinité d'autres, il a fallu faire un choix ; & c'est pour faire ce choix avec plus de sureté, que les regles ont été inventées & proposées par le goût.
La principale de toutes est de joindre l'utile avec l'agréable. Le but de la Poésie est de plaire, & de plaire en remuant les passions ; mais pour nous donner un plaisir parfait & solide, elle n'a jamais dû remuer que celles qu'il nous est important d'avoir vives, & non celles qui sont ennemies de la sagesse. L'horreur du crime, à la suite duquel marche la honte, la crainte, le répentir, sans compter les autres supplices ; la compassion pour les malheureux, qui a presque une utilité aussi étendue que l'humanité même ; l'admiration des grands exemples, qui laissent dans le coeur l'aiguillon de la vertu ; un amour héroïque & par conséquent légitime : voilà, de l'aveu de tout le monde, les passions que doit traiter la Poésie, qui n'est point faite pour fomenter la corruption dans les coeurs gâtés, mais pour être les délices des ames vertueuses. La vertu déplacée dans de certaines situations, sera toujours un spectacle touchant. Il y a au fond des coeurs les plus corrompus une voix qui parle toujours pour elle, & que les honnêtes gens entendent avec d'autant plus de plaisir, qu'ils y trouvent une preuve de leur perfection. Quand la Poésie se prostitue au vice, elle commet une sorte de profanation qui la deshonore : les poëtes licencieux dégradent eux-mêmes ; il ne faut pas blâmer leurs beautés d'élocution, ce seroit injuste ou manque de goût ; mais il ne faut pas en louer les auteurs, de peur de donner du crédit au vice.
Il y a plus : les grands poëtes n'ont-ils jamais prétendu que leurs ouvrages, le fruit de tant de veilles & de travaux, fussent uniquement destinés à amuser la légereté d'un esprit vain, ou à reveiller l'assoupissement d'un Midas désoeuvré ? Si c'eût été leur but, seroient-ils de grands hommes ?
Ce n'est pas cependant que la Poésie ne puisse se prêter à un aimable badinage. Les muses sont riantes, & furent toujours amies des graces ; mais les petits poëmes sont plûtôt pour elles des délassemens que des ouvrages : elles doivent d'autres services aux hommes, dont la vie ne doit pas être un amusement perpétuel ; & l'exemple de la nature qu'elles se proposent pour modele, leur apprend à ne rien faire de considérable sans un dessein sage, & qui tende à la perfection de ceux pour qui elles travaillent. Ainsi de même qu'elles imitent la nature dans ses principes, dans ses goûts, dans ses mouvemens, elles doivent aussi l'imiter dans les vûes & dans la fin qu'elle se propose.
On peut réduire les différentes especes de poésies sous quatre ou cinq genres. Les Poëtes racontent quelquefois ce qui s'est passé, en se montrant eux-mêmes comme historiens, mais historiens inspirés par les muses ; quelquefois ils aiment mieux faire comme les Peintres, & présenter les objets sous les yeux, afin que le spectateur s'instruise par lui-même, & qu'il soit plus touché de la vérité. D'autres fois ils allient leur expression avec celles de la Musique, & se livrent tout entiers aux passions, qui sont le seul objet de celle-ci. Enfin il leur arrive d'abandonner entierement la fiction, & de donner toutes les graces de leur art à des sujets vrais, qui semblent appartenir de droit à la prose : d'où il résulte qu'il y a cinq sortes de Poésies ; la poésie fabulaire ou de récit ; la poésie de spectacle, ou dramatique ; la poésie épique, la poésie lyrique, & la poésie didactique. Voyez APOLOGUE, POESIE DRAMATIQUE, EPIQUE, LYRIQUE, DIDACTIQUE, &c.
Par cette division nous ne prétendons pas faire entendre que ces genres soient tellement séparés les uns des autres, qu'ils ne se réunissent jamais, car c'est précisément le contraire qui arrive presque par-tout ; rarement on voit régner seul le même genre d'un bout à l'autre dans aucun poëme. Il y a des récits dans le lyrique, des passions peintes fortement dans les poésies de récit : par-tout la Fable s'allie avec l'Histoire, le vrai avec le faux, le possible avec le réel. Les Poëtes obligés par état de plaire & de toucher, se croyent en droit de tout oser pour y réussir.
La Poésie se charge en conséquence de ce qu'il y a de plus brillant dans l'Histoire ; elle s'élance dans les cieux pour y peindre la marche des astres ; elle s'enfonce dans les abîmes pour y examiner les secrets de la nature ; elle pénetre jusque chez les morts, pour décrire les récompenses des justes & les supplices des impies ; elle comprend tout l'univers : si ce monde ne lui suffit pas, elle crée des mondes nouveaux qu'elle embellit de demeures enchantées, qu'elle peuple de mille habitans divers : c'est une espece de magie ; elle fait illusion à l'imagination, à l'esprit même, & vient à bout de procurer aux hommes des plaisirs réels par des inventions chimériques.
Cependant tous les genres de poésie ne plaisent & ne touchent pas également ; mais chaque genre nous touche à-proportion que l'objet qu'il est de son essence de peindre & d'imiter, est capable de nous émouvoir. Voilà pourquoi le genre élégiaque & le genre bucolique ont plus d'attraits pour nous que le genre dogmatique.
Les phantômes de passions que la Poésie sait exciter, en allumant en nous des passions artificielles, satisfont au besoin où nous sommes d'être occupés. Or les Poëtes excitent en nous ces passions artificielles, en présentant à notre ame les imitations des objets capables de produire en nous les passions véritables ; mais comme l'impression que l'imitation fait n'est pas aussi profonde, que l'impression que l'objet même auroit faite ; comme l'impression faite par l'imitation n'est pas sérieuse, d'autant qu'elle ne va pas jusqu'à la raison, pour laquelle il n'y a point d'illusion dans ses sensations ; enfin, comme l'impression faite par l'imitation n'affecte vivement que l'ame sensitive, elle s'efface bientôt. Cette impression superficielle faite par une imitation artificielle, disparoît sans avoir des suites durables, comme en auroit une impression faite par l'objet même que le poëte a imité.
Le plaisir qu'on sent à voir les imitations que les Poëtes savent faire des objets qui auroient excité en nous des passions dont la réalité nous auroit été à charge, est un plaisir pur : il n'est pas suivi des inconvéniens dont les émotions sérieuses qui auroient été causées par l'objet même, seroient accompagnées.
Voilà d'où procede le plaisir que fait la Poésie ; voilà encore pourquoi nous regardons avec contentement des peintures dont le mérite consiste à mettre sous nos yeux des avantures si funestes, qu'elles nous auroient fait horreur si nous les avions vûes véritablement. Une mort telle que la mort de Phedre ; une jeune princesse expirante avec des convulsions affreuses, en s'accusant elle-même des crimes atroces, dont elle s'est punie par le poison, seroit un objet à fuir. Nous serions plusieurs jours avant que de pouvoir nous distraire des idées noires & funestes qu'un pareil spectacle ne manqueroit pas d'empreindre dans notre imagination. La tragédie de Racine, qui nous présente l'imitation de cet événement, nous émeut & nous touche, sans laisser en nous la semence d'une tristesse durable. Nous jouissons de notre émotion, sans être allarmés par la crainte qu'elle dure trop long-tems. C'est sans nous attrister réellement que la piece de Racine fait couler des larmes de nos yeux ; & nous sentons bien que nos pleurs finiront avec la représentation de la fiction ingénieuse qui les fait couler. Il s'ensuit de-là que le meilleur poëme est celui dont la lecture ou dont la représentation nous émeut & nous intéresse davantage. Or c'est à proportion des charmes de la Poésie du style, qu'un poëme nous intéresse & nous émeut. Voyez donc POESIE DU STYLE. (D.J.)
POESIE DRAMATIQUE, voyez POEME DRAMATIQUE.
POESIE EPIQUE, voyez POEME EPIQUE.
POESIE DES HEBREUX, (Critique sacrée). Les pseaumes, les cantiques, le livre de Job, passent pour être en vers, cela se peut ; mais nous ne le sentons pas. Aussi malgré tout ce que les modernes ont écrit sur la poésie des Hébreux, la matiere n'en est pas plus éclaircie, parce qu'on n'a jamais sû & qu'on ne saura jamais la prononciation de la langue hébraïque ; par conséquent il n'est pas possible de sentir ni l'harmonie des paroles de cette langue, ni la quantité des syllabes qui constituent ce que nous nommons des vers. (D.J.)
POESIE LYRIQUE, (Poésie). Parlons-en encore d'après M. le Batteux. C'est une espece de Poésie toute consacrée au sentiment ; c'est sa matiere, son objet essentiel. Qu'elle s'éleve comme un trait de flamme en frémissant ; qu'elle s'insinue peu-à-peu, & nous échauffe sans bruit ; que ce soit un aigle, un papillon, une abeille, c'est toujours le sentiment qui la guide ou qui l'emporte.
La poésie lyrique en général est destinée à être mise en chant ; c'est pour cela qu'on l'appelle lyrique, & parce qu'autrefois quand on la chantoit, la lyre accompagnoit la voix. Le mot ode a la même origine ; il signifie chant, chanson, hymne, cantique.
Il suit de-là que la poésie lyrique & la Musique doivent avoir entr'elles un rapport intime, fondé dans les choses mêmes, puisqu'elles ont l'une & l'autre les mêmes objets à exprimer ; & si cela est, la Musique étant une expression des sentimens du coeur par les sons inarticulés, la poésie musicale ou lyrique sera l'expression des sentimens par les sons articulés, ou, ce qui est la même chose, par les mots.
On peut donc définir la poésie lyrique, celle qui exprime le sentiment dans une forme de versification qui est chantante ; or comme les sentimens sont chauds, passionnés, énergiques, la chaleur domine nécessairement dans ce genre d'ouvrage. De-là naissent toutes les regles de la poésie lyrique, aussi bien que ses privileges : c'est-là ce qui autorise la hardiesse des débuts, les emportemens, les écarts ; c'est de-là qu'elle tire ce sublime, qui lui appartient d'une façon particuliere, & cet enthousiasme qui l'approche de la divinité.
La poésie lyrique est aussi ancienne que le monde. Quand l'homme eut ouvert les yeux sur l'univers, sur les impressions agréables qu'il recevoit par tous ses sens, sur les merveilles qui l'environnoient, il éleva sa voix pour payer le tribut de gloire qu'il devoit au souverain bienfaiteur. Voilà l'origine des cantiques, des hymnes, des odes, en un mot de la poésie lyrique.
Les payens avoient dans le fond de leurs fêtes le même principe que les adorateurs du vrai Dieu. Ce fut la joie & la reconnoissance qui leur fit instituer des jeux solemnels pour célébrer les dieux auxquels ils se croyoient redevables de leur récolte. De-là vinrent ces chants de joie qu'ils consacroient au dieu des vendanges, & à celui de l'amour. Si les dieux bienfaisans étoient l'objet naturel de la poésie lyrique, les héros enfans des dieux devoient naturellement avoir part à cette espece de tribut, sans compter que leur vertu, leur courage, leurs services rendus soit à quelque peuple particulier, soit à tout le genre humain, étoient des traits de ressemblance avec la divinité. C'est ce qui a produit les poëmes d'Orphée, de Linus, d'Alcée, de Pindare, & de quelques autres qui ont touché la lyre d'une façon trop brillante pour ne pas mériter d'être réunis dans un article particulier. Voyez donc ODE, POETE LYRIQUE.
Nous remarquerons seulement ici que c'est particulierement aux poëtes lyriques qu'il est donné d'instruire avec dignité & avec agrément. La poésie dramatique & fabulaire réunissent plus rarement ces deux avantages ; l'ode fait respecter une divinité morale par la sublimité des pensées, la majesté des cadences, la hardiesse des figures, la force des expressions ; en même tems elle prévient le dégoût par la brieveté, par la varieté de ses tours, & par le choix des ornemens qu'un habile poëte sait employer àpropos. (D.J.)
POESIE ORIENTALE MODERNE, (Poésie) Les Beaux-Arts ont été long-tems le partage des Orientaux. M. de Voltaire remarque que comme les poésies du persan Sady sont encore aujourd'hui dans la bouche des Persans, des Turcs & des Arabes, il faut bien qu'elles ayent du mérite. Il étoit contemporain de Pétrarque, & il a autant de réputation que lui. Il est vrai qu'en général le bon goût n'a guère régné chez les Orientaux : leurs ouvrages ressemblent aux titres de leurs souverains, dans lesquels il est souvent question du soleil & de la lune. L'esprit de servitude paroît naturellement empoulé, comme celui de la liberté est nerveux, & celui de la vraie grandeur est simple. Ils n'ont point de délicatesse, parce que les femmes ne sont point admises dans la société. Ils n'ont ni ordre ni méthode, parce que chacun s'abandonne à son imagination dans la solitude où ils passent une partie de leur vie, & que l'imagination par elle-même est déréglée. Ils n'ont jamais connu la véritable éloquence, telle que celle de Démosthène & de Cicéron. Qui auroit-on eu à persuader en Orient ? des esclaves. Cependant ils ont de beaux éclats de lumiere : ils peignent avec la parole ; & quoique les figures soient souvent gigantesques & incohérentes, on y trouve du sublime. M. de Voltaire ajoute pour le prouver une traduction qu'il a faite en vers blancs d'un passage du célebre Sadi : c'est une peinture de la grandeur de Dieu ; lieu commun à la vérité, mais qui fait connoître le génie de la Perse.
Il sait distinguer ce qui ne fut jamais.
De ce qu'on n'entend point son oreille est remplie.
Prince, il n'a pas besoin qu'on le serve à genoux.
Juge, il n'a pas besoin que sa loi soit écrite.
De l'éternel burin de sa prévision,
Il a tracé nos traits dans le sein de nos meres.
De l'aurore au couchant il porte le soleil ;
Il seme de rubis les masses des montagnes ;
Il prend deux gouttes d'eau : de l'une il fait un homme ;
De l'autre il arrondit la perle au fond des mers.
L'être au son de sa voix fut tiré du néant.
Qu'il parle, & dans l'instant l'univers va rentrer
Dans les immensités de l'espace & du vuide.
Qu'il parle, & l'univers repasse en un clin-d'oeil
Des abîmes du rien dans les plaines de l'être.
Voltaire, Essai sur l'Histoire. (D.J.)
POESIE PASTORALE, voyez PASTORALE POESIE.
POESIE PROVENÇALE, (Poésie) la poésie provençale est le langage roman, & mérite un article à part.
Lorsque la langue latine fut négligée, les troubadours, les chanterres, les conteurs, & les jongleurs de Provence, & enfin ceux de ce pays qui exerçoient ce qu'on y appelloit la science gaye, commencerent dès le tems de Hugues Capet à romaniser & à courir la France, débitant leurs romans & leurs fabliaux, composés en langage roman : car alors les Provençaux avoient plus d'usage des Lettres & de la Poésie, que tout le reste des François.
Ce langage roman étoit celui que les Romains introduisirent dans les Gaules, après les avoir conquises, & qui s'étant corrompu avec le tems par le mélange du langage gaulois qui l'avoit précédé, & du franc ou tudesque qui l'avoit suivi, n'étoit ni latin, ni gaulois, ni franc, mais quelque chose de mixte, où le roman pourtant tenoit le dessus, & qui pour cela s'appelloit toujours roman, pour le distinguer du langage particulier & naturel de chaque pays ; soit le franc, soit le gaulois ou celtique, soit l'aquitanique, soit le belgique ; car César écrit que ces trois langues étoient différentes entr'elles ; ce que Strabon explique d'une différence, qui n'étoit que comme entre divers dialectes d'une même langue.
Les Espagnols se servent du mot de roman, au même sens que nous ; & ils appellent leur langue ordinaire romance. Le roman étant donc plus universellement entendu, les conteurs de Provence s'en servirent pour écrire leurs contes, qui de-là furent appellés romans. Les troubadours allant ainsi par le monde, étoient bien payés de leurs peines, & bien traités des seigneurs qu'ils visitoient, dont quelques-uns étoient si ravis du plaisir de les entendre, qu'ils se dépouilloient quelquefois de leurs robes pour les en revêtir.
Les Provençaux ne furent pas les seuls qui se plurent à cet agréable exercice ; presque toutes les provinces de France eurent leurs romanciers, jusqu'à la Picardie, où l'on composoit des servantois, pieces amoureuses, & quelquefois satyriques. M. Huet observe, qu'il est assez croyable que les Italiens furent portés à la composition des romans, par l'exemple des Provençaux, lorsque les papes tinrent leur siége à Avignon ; & même par l'exemple des autres françois, lorsque les Normands, & ensuite Charles, comte d'Anjou, frere de S. Louis, prince vertueux, & poëte lui-même, firent la guerre en Italie : car les Normands se mêloient aussi de la science gaye.
Les poëtes provençaux s'appelloient troubadours, ou trouveres, & furent en France les princes de la romancerie, dès la fin du dixieme siecle. Leur métier plut à tant de gens, que toutes les provinces de France eurent leurs trouveres. Elles produisirent dans l'onzieme siecle & dans les suivans, une grande multitude de romans en prose & en vers, & le président Fauchet, parle de cent vingt-sept poëtes, qui ont vécu avant l'an 1300.
M. Rymer, dans sa short view of tragedy, dit que les auteurs italiens, comme Bembo, Speron Sperone, & autres, avouent que la meilleure partie de leur langue & de leur poésie, vient de Provence ; & il en est de même de l'espagnol & de la plûpart des autres langues modernes. Il est certain que Pétrarque, un des principaux & des grands auteurs italiens, seroit moins riche, si les poëtes provençaux revendiquoient tout ce qu'il a emprunté d'eux. En un mot, toute notre poésie moderne vient des provençaux : jamais on ne vit un goût si général parmi les grands & le peuple pour la Poésie, que dans ce tems-là pour la poésie provençale ; ce qui fait dire à Philippe Mouskes, un de leurs romanciers, que Charlemagne avoit fait une donation de la Provence aux Poëtes, pour leur servir de patrimoine.
M. Rymer ajoute, qu'il insiste particulierement sur cet article, pour prévenir l'impression que les moines de ce tems-là pourroient faire sur les lecteurs, & sur-tout Roger Hoveden, qui nous apprend que le roi Richard I. qui avoit avec Geoffroy son frere demeuré dans plusieurs cours de Provence & aux environs, & avoit goûté la langue & la poésie provençale, achetoit des vers flateurs à sa louange, pour se faire un nom, & faisoit venir à force d'argent, des chanteurs & des jongleurs de France, pour le chanter dans les rues, & l'on disoit par-tout qu'il n'avoit pas son pareil.
Il est faux que ces chanteurs & ces jongleurs vinssent de France : les provinces dont ils venoient, étoient fiefs de l'empire. Frédéric I. avoit donné à Raimond Berenger, les comtés de Provence, de Forcalquier, & autres lieux voisins, à titre de fief. Raimond, comte de Toulouse, étoit le grand patron de ces poëtes, & en même tems le protecteur des Albigeois, qui allarmerent si fort Rome, & qui couterent tant de croisades pour les extirper. Guillaume d'Agoult, Albert de Sisteron, Rambaud d'Orange, (nom que le duc de Savoie a fait revivre) étoient des poëtes distingués. Tous les princes ligués en faveur des Albigeois contre la France & le pape, encourageoient & protégeoient ces poëtes. Or il est aisé par cet exposé, de juger de la raison qui irritoit si fort les moines contre les chanteurs & jongleurs, & qui leur faisoit voir avec chagrin, qu'ils eussent une si grande familiarité avec le roi.
Le même critique observe ensuite que de toutes les langues modernes, la provençale est la premiere qui ait été propre pour la Musique, & pour la douceur de la rime ; & qu'ayant passé par la Savoie au Montferrat, elle donna occasion aux Italiens de polir leur langue, & d'imiter la poésie provençale. Les conquêtes des Anglois de ce côté-là, & leurs alliances avec ceux de ces pays, leur procurerent plutôt encore la connoissance de la langue & de la poésie des Provençaux ; & ceux des Anglois qui s'appliquerent à la Poésie, comme le roi Richard, Savary de Mauléon, & Robert Grossetête, trouvant leur propre langue trop rude, se porterent aisément à se servir de celle de Provence, comme étant plus douce & plus fléxible. Chaucer a pris tous les termes provençaux, françois, & latins, qu'il a pu trouver, & les a mêlés avec l'anglois, après les avoir habillés à l'angloise.
On appelloit les poëtes provençaux, troubadours, jongleurs, & chanterres : ce dernier nom n'est pas étranger dans nos cathédrales. Roger Oveden rend le second par joculatores, ou joueurs, comme on pourroit traduire le premier par trompettes. Mais les troubadours s'appelloient aussi trouveres, comme qui diroit trouve-trésor. Les Italiens les nomment trovatori ; le nom de jongleurs, leur venoit apparemment de quelque instrument de musique (vraisemblablement la harpe) alors en usage, comme les Latins & les Grecs se nommoient poëtes lyriques. Du Verdier, Van Privas, & la Croix du Maine, vous feront connoître les principaux poëtes provençaux ; je n'en indiquerai que deux ou trois d'entre les plus anciens.
Belvezer (Aymeric de) florissoit vers l'an 1203, & fit quantité de vers à la louange de sa maîtresse, qui vivoit à la cour de Rémond comte de Provence. Ensuite il devint amoureux d'une princesse de Provence qui s'appelloit Barbosse ; cette dame ayant été nommée abbesse d'un monastere, Belvezer en mourut de douleur en 1264, parce qu'il ne lui étoit plus permis de la voir. Il lui envoya peu de tems avant sa mort, un petit ouvrage intitulé las amours de son ingrata.
Arnaud de Meyrveilh, poëte provençal du xiij. siecle, entra au service du vicomte de Beziers, & devint épris de la comtesse de Burlas son épouse. Comme il étoit très-bien fait de sa personne, chantoit bien, & lisoit les romans en perfection, la comtesse le traitoit avec beaucoup de bonté. Enfin, il s'enhardit à lui déclarer son amour par un sonnet intitulé, les chastes prieres d'Arnaud : la comtesse les écouta gracieusement, & fit au poëte des présens considérables. Il mourut l'an 1220 ; Pétrarque a fait mention de lui dans son triomphe de l'Amour.
Arnaud de Coutignac, poëte provençal du xiv. siecle, devint amoureux d'une dame nommée Ysnarde, à la louange de laquelle il fit plusieurs vers ; mais n'ayant rien pu gagner sur son esprit, il alla voyager dans le Levant, afin de se guérir de sa passion par l'absence, & d'oublier une personne qui paroissoit prendre plaisir à ses peines. Il lui adressa un ouvrage intitulé, las suffrensas d'amour, & mourut à la guerre en 1354. (D.J.)
POESIE SATYRIQUE, voyez SATYRE.
POESIE DU STYLE, voyez STYLE, Poésie du, (Poésie.)
POESIE DU VERS, (Poésie) voyez VERS, Poésie du ; car la lettre P est si chargée, qu'il faut permettre ces sortes de renvois, pourvû qu'on n'ait pas oublié de les remplir. (D.J.)
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POET | S. m. (Poids) gros poids dont on se sert en Moscovie, particulierement à Archangel ; il pese quarante livres du pays qui reviennent à environ trente-trois livres de Paris.
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POETE | S. m. (Belles-Lettres) écrivain qui compose des ouvrages en vers. Le mot grec , signifie faiseur, inventeur, de , facio, fingo ; c'est pourquoi l'on appelloit autrefois les poëtes, fatistes ; & nos ancêtres les nommoient troubadours ou trouveurs, c'est-à-dire inventeurs, sans doute à cause des fictions qu'ils imaginent, & pour lesquelles Horace leur accorde les mêmes priviléges qu'aux Peintres :
Pictoribus atque Poetis
Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas.
Art poétique.
Les Romains les appelloient vates, c'est-à-dire prophetes, hommes inspirés : aussi Cicéron rapporte-t-il comme un mot de Démocrite & de Platon, qu'on ne sauroit être poëte sine afflatu furoris, c'est-à-dire sans un grain de folie, & Horace atteste que Démocrite bannissoit de l'Hélicon tous les gens sages :
Excludit sanos helicone Poetas
Democritus. Art poétique.
Malgré cette prévention, les Poëtes ont été estimés & honorés dans tous les siecles ; ils ont été les premiers historiens. Anciennement ils récitoient ou chantoient leurs ouvrages ou sur les théatres, ou dans les jardins & les jeux publics, ou dans les thermes ; & ils étoient en même tems acteurs & musiciens. On a même regardé leurs noms comme synonymes à ceux de néocore & de panégyriste des dieux. Voyez NEOCORE. On regarde même les premiers d'entr'eux, tels qu'Homere, Hésiode, &c. comme les théologiens du paganisme. Presque tous se sont proposé d'envelopper sous leurs fictions & leurs allégories, des vérités ou de morale ou de physique ; les autres n'ont eu en vue que l'amusement. Il y avoit à Delphes des poëtes en titre d'office, dont l'emploi étoit de mettre en vers les oracles que les prêtres recueilloient de la bouche de la Pithie ; mais ces vers n'étoient pas toujours dignes d'Apollon, le dieu de la Poésie.
M. Spanheim prétend que les auteurs arabes sont beaucoup plus poëtes que ceux des autres peuples, & qu'il y a plus de vers écrits dans leur langue seule, que dans celle de toutes les autres nations.
La Grece décernoit des statues & des couronnes aux Poëtes ; on n'en faisoit pas moins de cas à Rome ; Horace & Virgile tenoient un rang distingué à la cour d'Auguste ; mais soit que les Poëtes se fussent avilis par la suite, soit qu'on ne les regardât point comme des gens fort utiles, on voit par une loi de l'empereur Philippe, insérée dans le code, lib. X. tit. 152, que les Poëtes sont exclus des immunités accordées aux autres professeurs des Sciences. Les modernes semblent les avoir dédommagés de ce mépris, en introduisant l'usage de couronner avec pompe les grands poëtes. On nommoit poëtes lauréats, ceux à qui l'on accordoit cet honneur ; tels ont été Pétrarque, Enéas Sylvius, Arias Montanus, Obrecht, le chevalier Perfetti ; & en Angleterre Jean Kay, Jean Gower, Bernard André, Jean Skelton, Dryden, Cyber. On peut voir sur cette matiere une dissertation de M. l'abbé du Resnel, dans les mém. de l'académie des Belles-Lettres, tome X.
On distingue les Poëtes, 1°. par rapport au tems où ils ont vécu, en deux classes, les anciens & les modernes ; 2°. par rapport aux climats qui les ont produits, & où ils ont vécu, ou par rapport à la langue dans laquelle ils ont écrit, en poëtes grecs, latins, italiens, espagnols, françois, anglois, &c. 3°. par rapport aux objets qu'ils ont traités ; en poëtes épiques, tels qu'Homere & Virgile, le Tasse, & Milton, &c. poëtes tragiques, comme Sophocle, Eurypide, Shakespear, Otwai, Corneille, & Racine, &c. poëtes comiques, Aristophane, Ménandre, Plaute, Térence, Fletcher, Johnson, Moliere, Renard ; poëtes lyriques, comme Pindare, Horace, Anacréon, Cowley, Malherbe, Rousseau, &c. poëtes satyriques, Juvenal, Perse, Regnier, Boileau, Dryden, Oldham, &c. poëtes élégiaques, &c. Voyez EPIQUE, COMIQUE, LYRIQUE, &c.
POETE BUCOLIQUE, (Poésie) les poëtes bucoliques sont ceux qui ont décrit en vers la vie champêtre, ses amusemens & ses douceurs. L'essence de leurs ouvrages consiste à emprunter des prés, des bois, des arbres, des animaux, en un mot, de tous les objets qui parent nos campagnes, les métaphores, les comparaisons & les autres figures dont le style des poëmes bucoliques est spécialement formé. Le fond de ces especes de tableaux doit toujours être, pour ainsi dire, un paysage ennobli. Le lecteur trouvera les caracteres des plus excellens peintres en ce genre, aux mots EGLOGUE, IDYLLE, & sur-tout au mot PASTORALE, poésie. (D.J.)
POETE COMIQUE, (Art dramat.) la tragédie imite le beau, le grand ; la comédie imite le ridicule. De-là vient la distinction de poëtes tragiques & comiques. Comme dans tous les tems la maniere de traiter la comédie étoit l'image des moeurs de ceux pour lesquels on travailloit, on reconnoit dans les pieces d'Aristophane, de Ménandre, de Plaute, de Térence, de Moliere, & autres célebres comiques, les goût du siecle de chaque peuple, & celui de chaque poëte.
Le peuple d'Athènes étoit vain, leger, inconstant, sans moeurs, sans respect pour les dieux, méchant & plus prêt à rire d'une impertinence, qu'à s'instruire d'une maxime utile. Voilà le public à qui Aristophane se proposoit de plaire. Ce n'est pas qu'il n'eût pu s'il eût voulu, réformer en partie ce caractere du peuple, en ne le flattant pas également dans tous ses vices ; mais l'auteur lui-même les ayant tous, il s'est livré sans peine au goût du public pour qui il écrivoit. Il étoit satyrique par méchanceté, ordurier par corruption de moeurs, impie par goût ; par-dessus tout cela pourvu d'une certaine gaieté d'imagination qui lui fournissoit des idées folles, ces allégories bisarres qui entrent dans toutes ses pieces, & qui en constituent quelquefois tout le fond. Voilà donc deux causes du caractere des pieces d'Aristophane, le goût du peuple & celui de l'auteur.
Le grec né moqueur, par mille jeux plaisans
Distilla le venin de ses traits médisans ;
Aux accès insolens d'une bouffonne joie,
La sagesse, l'esprit, l'honneur furent en proie.
On vit, par le public un poëte avoué,
S'enrichir aux dépens du mérite joué ;
Et Socrate par lui dans un choeur de nuées,
D'un vil amas de peuple attirer les huées.
Le Plutus d'Aristophane qui est une de ses pieces les plus mesurées, peut faire sentir jusqu'à quel point ce poëte portoient la licence de l'imagination, & le libertinage du génie. Il y raille le gouvernement, mord les riches, berne les pauvres, se mocque des dieux, vomit des ordures ; mais tout cela se fait en traits, & avec beaucoup de vivacité & d'esprit : de sorte que le fond paroît plus fait pour amener & porter ces traits, que les traits ne sont faits pour orner & revêtir le fond.
Aristophane vivoit 436 ans avant J. C. Les Athéniens qu'il avoit tant amusés, lui décernerent la couronne de l'olivier sacré. De 50 pieces qu'il fit jouer sur le théâtre, il nous en reste 11, dont nous devons à Kuster une édition magnifique, mise au jour en 1710 in-fol. La comédie d'Aristophane intitulée les Guepes, a été fort heureusement rendue par Racine dans les Plaideurs.
Ménandre, un peu plus jeune qu'Aristophane, ne donna point comme lui dans une satyre dure & grossiere, qui déchire la réputation des plus gens de bien ; au contraire il assaisonna ses comédies d'une plaisanterie douce, fine, délicate & bienséante. La licence ayant été réformée par l'autorité des magistrats :
Le théâtre perdit son antique fureur,
La comédie apprit à rire sans aigreur,
Sans fiel & sans venin sçut instruire & reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.
La muse d'Aristophane, dit Plutarque, ressemble à une femme perdue ; mais celle de Ménandre ressemble à une honnête femme. De 80 comédies que cet aimable poëte avoit faites, & dont à furent couronnées, il ne nous en reste que des fragmens qui ont été recueillis par M. le Clerc. Ménandre mourut à l'âge de 52 ans, admiré de ses compatriotes.
Les Romains avoient fait des tentatives pour le comique, avant que de connoître les Grecs. Ils avoient des histrions, des farceurs, des diseurs de quolibets, qui amusoient le petit peuple ; mais ce n'étoit qu'une ébauche grossiere de ce qui est venu après. Livius Andronicus, grec de naissance, leur montra la comédie à-peu-près telle qu'elle étoit alors à Athènes, ayant des acteurs, une action, un noeud, un dénouement, c'est-à-dire les parties essentielles. Quant à l'expression, elle se ressentit nécessairement de la dureté du peuple romain qui ne connoissoit alors que la guerre & les armes, & chez qui les spectacles d'amusemens n'avoient d'abord été qu'une sorte de combat d'injures. Andronicus fut suivi de Mévius & d'Ennius, qui polirent le théâtre romain de plus en plus, aussi bien que Pacuvius, Cecilius, Attius. Enfin vinrent Plaute & Térence qui porterent la comédie latine aussi loin qu'elle ait jamais été.
Plaute (Marcus Actius Plautus), né à Sarsine ville d'Ombrie, ayant donné la comédie à Rome, immédiatement après les satyres qui étoient des farces mêlées de grossieretés, se vit obligé de sacrifier au goût regnant. Il falloit plaire, & le nombre des connoisseurs étoit si petit, que s'il n'eût écrit que pour eux, il n'eût point du tout travaillé pour le public. De-là vient qu'il y a dans ces pieces de mauvaises pointes, des bouffonneries, des turlupinades, de petits jeux de mots. L'oreille d'ailleurs n'étoit pas de son tems assez scrupuleuse ; ses vers sont de toutes especes & de toutes mesures. Horace s'en plaint, & dit nettement qu'il y avoit de la sottise à vanter ses bons mots & la cadence de ses vers ; mais ces deux défauts n'empêchent pas qu'il ne soit le premier des comiques latins. Tout est plein d'action chez lui, de mouvemens & de feu. Un génie aisé, riche, naturel, lui fournit tout ce dont il a besoin ; des ressorts pour former les noeuds & les dénouer ; des traits, des pensées pour caractériser ses acteurs ; des expressions naïves, fortes, moëlleuses, pour rendre les pensées & les sentimens. Par-dessus tout cela, il a cette tournure d'esprit qui fait le comique, qui jette un certain vernis de ridicule sur les choses ; talent qu'Aristophane possédoit dans le plus haut degré. Son pinceau est libre & hardi ; sa latinité pure, aisée, coulante. Enfin c'est un poëte des plus rians & des plus agréables. Il mourut l'an 184 avant J. C. Entre les 20 comédies qui nous restent de lui, on estime sur-tout son Amphytrion, l'Epidicus & l'Aululaire. Les meilleures éditions de cet auteur sont celles de Douza, de Gruter & de Gronovius.
Térence (Publius Terentius, afer), naquit à Carthage en Afrique, l'an de Rome 560. Il fut esclave de Terentius Lucanus sénateur romain, qui le fit élever avec beaucoup de soin, & l'affranchit fort jeune. Ce sénateur lui donna le nom de Térence, suivant la coutume qui voulut que l'affranchi portât le nom du maître dont il tenoit sa liberté.
Térence a un genre tout différent de Plaute : sa comédie n'est que le tableau de la vie bourgeoise ; tableau où les objets sont choisis avec goût, disposés avec art, peints avec grace & avec élégance. Décent partout, ne riant qu'avec réserve & modestie, il semble être sur le théâtre, comme la dame romaine dont parle Horace, est dans une danse sacrée, toujours craignant la censure des gens de goût. La crainte d'aller trop loin le retient en-deçà des limites. Délicat, poli, gracieux, que n'a-t-il la qualité qui fait le comique : Utinam scriptis adjuncta foret vis comica ! C'étoit César qui faisoit ce voeu ; il gémissoit, il séchoit, de dépit, maceror, de voir que cela manquoit à des drames d'une élocution si parfaite. Térence étoit homme trop bon pour avoir cette partie ; car elle renferme en soi avec beaucoup de finesse, un peu de malignité. Savoir rendre ridicules les hommes, est un talent voisin de celui de les rendre odieux. Ce poëte a imprimé tellement son caractere personnel à ses ouvrages, qu'il leur a presque ôté celui de leur genre. Il ne manque à ses pieces dans beaucoup d'endroits, que l'atrocité des événemens pour être tragiques, & l'importance pour être héroïques : c'est un genre de drames presque mitoyen.
Rien de plus simple & de plus naïf que son style ; rien en même tems de plus élégant. On a soupçonné Lélius & Scipion l'Africain d'avoir perfectionné ses pieces, parce que ce poëte vivoit en grande familiarité avec ces illustres romains, & qu'ils pouvoient donner lieu à ces soupçons avantageux par leur rare mérite & par la finesse de leur esprit. Ce qu'il y a de sûr, de l'aveu de Cicéron, c'est que Térence est l'auteur latin qui a le plus approché de l'Atticisme, c'est-à-dire de ce qu'il y a de plus délicat & de plus fin chez les Grecs, soit dans le tour des pensées, soit dans le choix de l'expression. On doit sur-tout admirer l'art étonnant avec lequel il a sçu peindre les moeurs, & rendre la nature : on sait comme en parle Despréaux.
Contemplez de quel air un pere dans Térence,
Vient d'un fils amoureux gourmander l'imprudence ;
De quel air cet amant écoute ses leçons,
Et court chez sa maîtresse oublier ses chansons ;
Ce n'est pas un portrait, une image semblable,
C'est un amant, un fils, un pere véritable.
Térence sortit de Rome à 35 ans, & mourut dans un voyage qu'il alloit faire en Grece, vers l'an 160 avant J. C. Suétone, ou plutôt Donat, a fait sa vie. Il nous reste de lui six comédies que madame Dacier a traduites en françois, & qu'elle a publiées avec des notes.
Jean-Baptiste Pocquelin, si célébre sous le nom de Moliere, né à Paris en 1620, mort en 1673, a tiré pour nous la comédie du chaos, ainsi que Corneille en a tiré la tragédie. Il fut acteur distingué, & est devenu un auteur immortel.
Epris de passion pour le théâtre, il s'associa quelques amis qui avoient le talent de la déclamation, & ils jouerent au fauxbourg S. Germain & au quartier S. Paul. La premiere piece réguliere que Moliere composa fut l'Etourdi, en cinq actes, qu'il représenta à Lyon en 1653 ; mais ses Précieuses ridicules commencerent sa gloire. Il alla jouer cette piece à la cour qui se trouvoit alors au voyage des Pyrénées. De retour à Paris, il établit une troupe accomplie de comédiens, formés de sa main, & dont il étoit l'ame : mais il s'agit ici seulement de le considérer du côté de ses ouvrages, & d'en chanter tout le mérite.
Né avec un beau génie, guidé par ses observations, par l'étude des anciens, & par leur maniere de mettre en oeuvre, il a peint la cour & la ville, la nature & les moeurs, les vices & les ridicules, avec toutes les graces de Térence, le comique d'Aristophane, le feu & l'activité de Plaute. Dans ses comédies de caractere, comme le Misantrope, le Tartuffe, les Femmes savantes, c'est un philosophe & un peintre admirable. Dans ses comédies d'intrigues il y a une souplesse, une flexibilité, une fécondité de génie, dont peu d'anciens lui ont donné l'exemple. Il a sçu allier le piquant avec le naïf, & le singulier avec le naturel, ce qui est le plus haut point de perfection en tout genre. On diroit qu'il a choisi dans ses maîtres leurs qualités éminentes pour s'en revêtir éminemment. Il est plus naturel qu'Aristophane, plus resserré & plus décent que Plaute, plus agissant & plus animé que Térence. Aussi fécond en ressorts, aussi vif dans l'expression, aussi moral qu'aucun des trois.
Le poëte grec songeoit principalement à attaquer ; c'est une sorte de satyre perpétuelle. Plaute tendoit sur-tout à faire rire ; il se plaisoit à amuser & à jouer le petit peuple. Térence si louable par son élocution, n'est nullement comique ; & d'ailleurs il n'a point peint les moeurs des Romains pour lesquels il travailloit. Moliere fait rire les plus austeres. Il instruit tout le monde, ne fâche personne ; peint non-seulement les moeurs du siecle, mais celles de tous les états & de toutes les conditions. Il joue la cour, le peuple & la noblesse, les ridicules & les vices, sans que personne ait un juste droit de s'en offenser.
On lui reproche de n'être pas souvent heureux dans ses dénouemens ; mais la perfection de cette partie est-elle aussi essentielle à l'action comique, surtout quand c'est une piece de caractere, qu'elle l'est à l'action tragique ? Dans la tragédie le dénouement a un effet qui reflue sur toute la piece : s'il n'est point parfait, la tragédie est manquée. Mais qu'Harpagon avare, cede sa maîtresse pour avoir sa cassette, ce n'est qu'un trait d'avarice de plus, sans lequel toute la comédie ne laisseroit pas de subsister.
Quoi qu'il en soit, on convient généralement que Moliere est le meilleur poëte comique de toutes les nations du monde. Le lecteur pourra joindre à l'éloge qu'on vient d'en faire, & qui est tiré des Principes de littérature, les réflexions de M. Marmontel aux mots COMIQUE & COMEDIE.
Cependant les meilleures pieces de Moliere essuyerent, pendant qu'il vécut, l'amere critique de ses rivaux, & lui firent des envieux de ses propres amis ; c'est Despréaux qui nous l'apprend.
Mille de ses beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
L'ignorance & l'erreur à ces naissantes pieces,
En habits de marquis, en robes de comtesses,
Venoient pour diffamer son chef-d'oeuvre nouveau,
Et secouoient la tête à l'endroit le plus beau.
Le commandeur vouloit la scene plus exacte ;
Le vicomte indigné sortoit au second acte.
L'un défenseur zelé des bigots mis en jeu,
Pour prix de ses bons mots le condamnoit au feu ;
L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,
Vouloit venger la cour immolée au parterre.
Mais sitôt que d'un trait de ses fatales mains,
La Parque l'eût rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L'aimable comédie avec lui terrassée,
En vain d'un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
Epître vij.
En effet le Misanthrope, le Tartuffe, les Femmes savantes, l'Avare, les Précieuses ridicules & le Bourgeois gentilhomme, sont autant de pieces inimitables. Toutes les oeuvres de Moliere ont été imprimées à Paris en 1734, en 6 volumes in-4°. Mais cette belle édition est fort susceptible d'être perfectionnée à plusieurs égards.
Enfin je goûte tant cet excellent poëte, que je ne puis m'empêcher d'ajouter encore un mot sur son aimable caractere.
Moliere étoit un des plus honnêtes hommes de France, doux, complaisant, modeste & généreux. Quand Despréaux lui lut l'endroit de sa seconde satyre, où il dit au vers 91 :
Mais un esprit sublime en vain veut s'élever, &c.
" Je ne suis pas, s'écria Moliere, du nombre de ces esprits sublimes dont vous parlez ; mais tel que je suis, je n'ai rien fait en ma vie dont je sois véritablement content ".
J'ai dit qu'il étoit généreux, je ne citerai qu'un trait pour le prouver. Un pauvre lui ayant rapporté une piece d'or qu'il lui avoit donnée par mégarde : " Où la vertu va-t-elle se nicher, s'écria Moliere, tiens, mon ami, je te donne la piece, & j'y joins cette seconde de même valeur ; tu es bien digne de ce petit présent " !
Il apprit dans sa jeunesse la Philosophie du célebre Gassendi, & ce fut alors qu'il commença une traduction de Lucrece en vers françois. Il n'étoit pas seulement philosophe dans la théorie, il l'étoit encore dans la pratique. C'est cependant à ce philosophe, dit M. de Voltaire, que l'archevêque de Paris, Harlay, si décrié pour ses moeurs, refusa les vains honneurs de la sépulture. Il fallut que le roi engageât ce prélat à souffrir que Moliere fût déposé secrétement dans le cimetiere de la petite chapelle de saint Joseph, fauxbourg Montmartre. A peine fut-il enterré, que la Fontaine fit son épitaphe, si naïve & si spirituelle.
Sous ce tombeau gissent Plaute & Térence,
Et cependant le seul Moliere y gît.
Leurs trois talens ne formoient qu'un esprit
Dont son bel art enrichissoit la France.
Ils sont partis, & j'ai peu d'espérance
De les revoir. Malgré tous nos efforts,
Pour un long-tems selon toute apparence,
Plaute, Térence & Moliere sont morts.
(D.J.)
POETE COURONNE, (Littérat.) l'usage de couronner les poëtes est presque aussi ancien que la poésie même ; mais il a tellement varié dans tous les tems, qu'il n'est pas aisé d'établir rien de certain sur cette matiere. On se contentera d'observer que cet usage subsista jusqu'au regne de Théodose. Ce fut alors que les combats capitolins, dans lesquels les poëtes étoient couronnés avec éclat, furent abolis comme un reste des superstitions du paganisme. Vinrent après les inondations des barbares qui pendant plusieurs siecles désolerent l'Italie & l'Europe entiere. Les beaux arts furent enveloppés dans les ruines de l'ancienne Rome. On vit à la vérité depuis ce tems sortir encore quelques poëtes de ses débris ; mais comme il n'y avoit presque plus personne qui fût en état de les lire, & que d'ailleurs ils ne méritoient guere d'être lûs, il n'est pas étonnant que pendant plusieurs siecles les poëtes soient restés sans honneur & sans distinction.
Ce ne fut que vers le tems de Pétrarque que la poésie reprit avec un peu de lustre quelques-unes des prérogatives qui y étoient autrefois attachées. Il est vrai qu'au milieu-même de la barbarie du xij. siecle il y avoit des poëtes couronnés, mais ces poëtes doivent être regardés comme l'opprobre de leurs lauriers.
Vers ce tems, c'est-à-dire au commencement du xiij. siecle fut formé l'établissement des divers degrés de bachelier, de licencié & de docteur dans les universités ; ceux qui en étoient trouvés dignes, étoient dits avoir obtenu le laurier de bachelier, de docteur, laurea baccalaureatus, laurea doctoratus : non-seulement les docteurs en Médecine de l'université de Salerne prirent le titre de docteurs lauréats, mais à leur reception on leur mettoit encore une couronne de laurier sur la tête.
Les poëtes ne furent pas long-tems sans revendiquer un droit qui leur appartenoit incontestablement. Il ne tarderent pas à recevoir dans les universités des distinctions & des privileges à-peu-près semblables à ceux qui venoient d'être établis en faveur des théologiens, des jurisconsultes, des médecins, &c. La poésie fut donc comme aggrégée aux quatre facultés, mais cependant confondue dans la faculté de Philosophie, avec laquelle on lui trouvoit quelque rapport.
Du dessein qu'on prit insensiblement d'égaler les poëtes aux gradués, naquirent les jeux-floraux qui furent institués à Toulouse en 1324, & quelques années après l'usage d'y donner des degrés en poésie, à l'imitation de ceux qu'on recevoit dans les universités. Il suffisoit d'avoir remporté un prix aux jeux-floraux pour être reçu bachelier ; mais il falloit les avoir obtenus tous trois ; car pour lors il n'y en avoit pas davantage, pour mériter le titre de docteur. Dans leur réception, au-lieu de les couronner de laurier, on leur mettoit le bonnet magistral sur la tête, & on y suivoit les autres cérémonies qui se pratiquoient en pareille occasion dans les universités ; avec cette différence que les lettres de ces docteurs en gaie science, c'est ainsi qu'on appelloit la poésie dans leur académie, étoient expédiées en vers, & qu'il n'y étoit point permis de s'exprimer autrement.
A-peu-près dans le même tems on voit par un passage de Villani, que la qualité de poëte entraînoit avec elle certaines distinctions qui lui étoient particulieres. Cet historien observe que le Dante, qui mourut en 1325, fut enterré avec beaucoup d'honneur & en habit de poëte. Fû sepelito à grande honore in habito di poëta. Quel étoit cet habit de poëte ? Par quelle autorité Dante le portoit-il ? Doit-on le compter parmi les poëtes couronnés ? C'est ce qu'on laisse à d'autres à examiner.
Il est du moins certain qu'on ne peut refuser ce titre à Albertinus Mussatus qui ne survécut le Dante que de quatre ans. L'évêque de Padoue lui donna la couronne poétique, & il fut arrêté que tous les ans au jour de Noël, les docteurs, régens & professeurs des deux colleges de Padoue, un cierge à la main, iroient comme en procession à la maison de Mussatus, lui offrir une triple couronne.
Après ce couronnement vint immédiatement celui de Pétrarque, honneur qu'il n'accepta que pour se mettre à l'abri des persécutions dont lui & ses confreres étoient menacés. Il suffisoit de faire des vers pour devenir suspect de magie. C'étoit tout-à-la-fois avoir une grande idée de la poésie, & une bien mauvaise opinion des poëtes.
François Philelphe reçut l'honneur du couronnement en 1453. Environ dans le même tems, Publius Faustus Andrelini fut couronné par l'académie de Rome, à l'âge de 22 ans.
Quelques-uns placent le Mantouan parmi les poëtes couronnés ; mais il ne paroît pas qu'il l'ait été de son vivant. Il est du moins certain qu'après sa mort quelques-uns de ses compatriotes s'aviserent de lui faire ériger une statue couronnée de laurier ; & au scandale de toute la nation poétique, ils la placerent à côté de celle de Virgile & sous une même arcade.
Arioste & le Trissin n'ambitionnerent point le laurier poétique. Le Tasse n'eut point leur fausse délicatesse. Il consentit au desir qu'on avoit de le lui donner ; mais ce grand homme qui avoit toujours été malheureux, cessa de vivre lorsqu'il commençoit à espérer de voir finir ses infortunes. Il mourut la veille même du jour que tout étoit préparé pour la cérémonie de son couronnement.
Depuis ce tems il n'y eut aucun poëte distingué qu'on ait couronné en Italie jusqu'en l'année 1725, où l'on a essayé de faire revivre à Rome la dignité de poëte lauréat en faveur du chevalier Bernardin Perfetti, célebre par sa facilité à mettre en vers sur le champ tous les sujets qu'on ait pû lui présenter. Son couronnement s'est fait avec beaucoup de pompe, & sur le modele de celui de Pétrarque.
Charles Pascal, dans son traité des couronnes, dit expressément que de son tems, c'est-à-dire sous Henri IV. il ne connoissoit plus que l'Allemagne où l'usage de couronner les poëtes subsistât encore. On y a vu un poëte couronné par Frédéric I. Cependant plusieurs savans prétendent que les poëtes y doivent le rétablissement de cet usage à Frédéric III. & ils regardent Protuccius, comme le premier des allemans, qui ait reçu la couronne poétique.
Aenéas Sylvius, qui occupa le saint siege sous le nom de Pie II. fut encore déclaré poëte par le même empereur Frédéric à Francfort, long-tems avant son exaltation au pontificat.
Maximilien I. fonda à Vienne un college poétique, ainsi nommé parce que le professeur en poésie y reçut la prééminence sur tous les autres, & le privilege de créer des poëtes lauréats. Ce titre prostitué à des gens sans mérite, a inondé l'Allemagne de légions de poëtes lauréats dont il seroit ennuyeux de faire le dénombrement.
L'Espagne, cette nation qui plus qu'une autre a la foiblesse d'ambitionner les titres d'honneur, a été très-jalouse de celui dont il est question. Arias Montanus l'a reçu dans l'académie d'Alcala ; celle de Séville observe encore le même usage, dit Nicolas-Antoine dans sa bibliotheque des auteurs espagnols ; mais cet auteur n'entre là-dessus dans aucun détail.
L'Angleterre offre quelques exemples de poëtes couronnés. Jean Kay, dans son histoire du siege de Rhodes, écrite en prose, & dédiée à Edouard IV. qui mourut à la fin du xv. siecle, prend le titre d'humble poëte lauréat de ce prince, his humble poets laureate. On voit dans l'église de Sainte-Marie Overies à Londres la statue de Jean Gower, célebre poëte, qui fleurissoit dans le siecle suivant, sous Richard II. Gower y est représenté avec un collier, comme chevalier, & avec une couronne de lierre mêlée de roses comme poëte. Il y a dans les actes de Rymer une charte d'Henri VII. sous ce seul titre, pro poëta laureato, pour un poëte lauréat. Elle est en faveur de Bernard-André qui étoit de Toulouse, & religieux augustin. Jean Skelton a joui du même titre.
Il ne paroît pas néanmoins que parmi les Anglois les poëtes aient jamais été couronnés avec autant de solemnité qu'ils l'ont été en Italie & en Allemagne. Il est certain que les rois d'Angleterre ont eu de tems immémorial un poëte à leur cour, qui prenoit la qualité de poëte du roi. C'étoit comme une espece de charge à laquelle il y avoit quelques appointemens attachés. Dans les comptes de l'hôtel d'Henri III. qui vivoit au commencement du xiij. siecle, il est fait mention d'une somme d'argent payée au versificateur du roi, versificatori regis. Il y a donc apparence que dans la suite, ceux qui ont porté ce titre, pour se donner plus de relief, y ont ajouté celui de poëte lauréat, lorsque l'usage l'eut rendu éclatant.
L'illustre Dryden l'a porté comme poëte du roi, & c'est en cette qualité que le sieur Cyber, comédien & auteur de plusieurs pieces comiques, s'est trouvé de nos jours en possession du titre de poëte lauréat, auquel est attaché une pension de 200 liv. sterling, à la charge de présenter tous les ans deux pieces de vers à la famille royale.
L'empereur a aussi son poëte d'office. M. Apostolo Zeno, connu par son érudition & par son talent pour la poésie, a eu cet honneur. Il s'est qualifié seulement de poëte & d'historiographe de sa majesté impériale ; mais une pension toujours jointe à ce titre, l'a dédommagé de celui de poëte couronné qu'on ne lui donnoit point, & de trois opéra qu'il étoit obligé de faire chaque année.
Ce titre n'a pas été absolument inconnu en France. L'université de Paris se croyoit en droit de l'accorder. Elle l'offrit même à Pétrarque.
Quoique Ronsard soit ordinairement représenté avec une couronne de laurier, il n'y a cependant point d'apparence qu'il l'ait reçue dans les formes ; mais jamais poëte ne fut peut-être plus honoré que lui. Charles IX. ne dédaigna pas de composer à sa louange des vers qui font honneur au prince & à Ronsard. On les connoît.
L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons des couronnes ;
Mais roi je les reçois, poëte tu les donnes.....
Les faveurs de nos rois, & les récompenses qu'ils accordent aux poëtes en les élevant aux dignités de l'église & de l'état, leur inspirent sans doute de l'indifférence pour une vaine couronne qu'on n'accordoit ailleurs aux poëtes, que parce que l'on n'avoit communément rien de mieux à leur donner.
Il n'est donc pas surprenant que nous ayons eu parmi nous des poëtes tels qu'Adrelini, Dorat, Nicolas Bourbon, &c. qui se soient glorifiés du titre de poëte du roi, tandis que nous n'en connoissons aucun qui ait pris celui de poëte lauréat. (D.J.)
POETE DRAMATIQUE, voyez POETE COMIQUE, DRAME, TRAGEDIE, COMEDIE, &c.
POETE EPIQUE, (Poésie) on nomme poëtes épiques, les auteurs des poëmes héroïques en vers : tels sont Homere, Virgile, Lucain, Statius, Silius Italicus, le Trissin, le Camoëns, le Tasse, dom Alonzo d'Ercilla, Milton & Voltaire. Nous avons parlé de chacun d'eux & de leurs ouvrages au mot POEME EPIQUE.
POETE FABULISTE, (Poésie) vous trouverez le caractere de ceux qui se sont le plus distingués en ce genre depuis Esope jusqu'à nos jours, au mot FABLE & FABULISTE.
POETE LYRIQUE, (Poésie) tous les gens de lettres connoissent les poëtes lyriques du premier ordre, anciens & modernes : mais M. le Batteux en a tracé le caractere avec trop de goût pour ne pas rassembler ici les principaux traits de son tableau.
Pindare est à la tête des lyriques ; son nom n'est guere plus le nom d'un poëte, que celui de l'enthousiasme même. Il porte avec lui l'idée de transports, d'écarts, de désordre, de digressions lyriques. Cependant il sort beaucoup moins de ses sujets qu'on ne le croit communément. La gloire des héros qu'il a célébrés, n'étoit point une gloire propre au héros vainqueur. Elle appartenoit de plein droit à sa famille, & plus encore à la ville dont il étoit citoyen. On disoit une telle ville a remporté tous les prix aux jeux olympiques. Ainsi lorsque Pindare rappelloit des traits anciens, soit des aïeux du vainqueur, soit de la ville à laquelle il appartenoit, c'étoit moins un égarement du poëte, qu'un effet de son art.
Horace parle de Pindare avec un enthousiasme d'admiration qui prouve bien qu'il le trouvoit sublime. Il prétend qu'il est téméraire d'entreprendre de l'imiter. Il le compare à un fleuve grossi par les torrens, & qui précipite ses eaux bruyantes du haut des rochers. Il ne méritoit pas seulement les lauriers d'Apollon par les dithyrambes & par les chants de victoire ; il savoit encore pleurer le jeune époux enlevé à sa jeune épouse, peindre l'innocence de l'âge d'or, & sauver de l'oubli les noms qui avoient mérité d'être immortels. Malheureusement il ne nous reste de ce poëte admirable que la moindre partie de ses ouvrages, ceux qu'il a faits à la gloire des vainqueurs. Les autres dont la matiere étoit plus riche & plus intéressante pour les hommes en général ne sont point parvenus jusqu'à nous.
Ses poésies nous paroissent difficiles pour plusieurs raisons ; la premiere est la grandeur même des idées qu'elles renferment, la seconde la hardiesse des tours, la troisieme la nouveauté des mots qu'il fabrique souvent pour l'endroit même où il les place, enfin il est rempli d'une érudition détournée tirée de l'histoire particuliere de certaines familles & de certaines villes qui ont eu plus de part dans les révolutions connues de l'histoire ancienne.
Pindare naquit à Thebes en Boeotie la 65 olympiade, 500 ans avant Jesus-Christ. Quand Alexandre ruina cette ville, il voulut que la maison où ce poëte avoit demeuré fût conservée.
Avant Pindare la Grece avoit eu plusieurs lyriques, dont les noms sont encore fameux, quoique les ouvrages de la plûpart ne subsistent plus. Alcman fut célebre à Lacédémone, Stésichore en Sicile ; Sapho fit honneur à son sexe, & donna son nom au vers saphique qu'elle inventa. Elle étoit de l'île de Lesbos, aussi-bien qu'Alcée qui fleurit dans le même tems, & qui fut l'inventeur du vers alcaïque, celui de tous les lyriques qui a le plus de majesté.
Anacréon, de Tros, ville d'Ionie, s'étoit rendu célebre plusieurs siecles auparavant. Il fut contemporain de Cyrus, & mourut la vj. olympiade, âgé de 83 ans. Il nous reste encore un assez grand nombre de ses pieces, qui ne respirent toutes que le plaisir & l'amusement. Elles sont courtes. Ce n'est le plus souvent qu'un sentiment gracieux, une idée douce, un compliment délicat tourné en allégorie : ce sont des graces simples, naïves, demi-vêtues. Sa Colombe est un chef-d'oeuvre de délicatesse. M. le Fevre disoit qu'il ne sembloit pas que ce fût l'ouvrage d'un homme, mais celui des Muses mêmes & des Graces.
Quelquefois ses chansons ne présentent qu'une scène gracieuse, que l'image d'un gazon qui invite à se reposer :
" Mon cher Batylle, asseyez-vous à l'ombre de ces beaux arbres. Les zéphirs agitent mollement leurs feuilles. Voyez cette claire fontaine qui coule, & qui semble nous inviter. Hé qui pourroit, en voyant un si beau lieu, ne point s'y reposer " ?
Quelquefois c'est un petit récit allégorique :
" Un jour les Muses firent l'Amour prisonnier. Elles le lierent aussi-tôt avec des guirlandes de fleurs, & le mirent sous la garde de la Beauté. La déesse de Cythère vint pour racheter son fils ; mais les chaînes qu'il porte ne sont plus des chaînes pour lui ; il veut rester dans sa captivité ".
Rien n'est plus ingénieux & en même tems plus délicat que cette fiction. L'Amour apparemment avoit dressé des embuches aux Muses ; l'ennemi est pris, lié & mis en prison. C'est la Beauté qui est chargée d'en répondre. On veut lui rendre la liberté, il n'en veut plus, il aime mieux être prisonnier. On sent combien il y a de choses vraies, douces & fines dans cette image. Rien n'est si galant.
Horace le premier & le seul des latins qui ait réussi parfaitement dans l'ode, s'étoit rempli de la lecture de tous ces lyriques grecs. Il a, selon les sujets, la gravité & la noblesse d'Alcée & de Stésichore, l'élévation & la fougue de Pindare, le feu & la vivacité de Sapho, la mollesse & la douceur d'Anacréon. Néanmoins on sent quelquefois qu'il y a de l'art chez lui, & qu'il songe à égaler ses modeles. Anacréon est plus doux, Pindare plus hardi, Sapho dans les deux morceaux qui nous restent, montre plus de feu ; & probablement Alcée, avec sa lyre d'or, étoit plus grand encore & plus majestueux. Il semble même qu'en tout genre de littérature & de goût, les Grecs ayent eu une sorte de droit d'aînesse. Ils sont chez eux quand ils sont sur le Parnasse. Virgile n'est pas si riche, si abondant, si aisé qu'Homère. Térence, selon toutes les apparences, ne vaut pas tout ce que valoit Ménandre. En un mot, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, les Grecs paroissent nés riches, & les autres au contraire ressemblent un peu à des gens de fortune.
On peut appliquer au lyrique d'Horace ce qu'il a dit lui-même du destin ; " Qu'il ressemble à un fleuve, qui tantôt paisible au milieu de ses rives, marche sans bruit vers la mer, & tantôt quand les torrens ont grossi son cours, emporte avec lui les rochers qu'il a minés, les arbres qu'il déracine, les troupeaux & les maisons des laboureurs, en faisant retentir au loin les forêts & les montagnes ".
Quoi de plus doux que son ode sur la mort de Quintilius ! Jules Scaliger admiroit tellement cette piece, qu'il disoit qu'il aimeroit mieux l'avoir faite que d'être roi d'Aragon. Le sentiment qui y domine est l'amitié compatissante. Virgile avoit perdu un excellent ami : pour le consoler, Horace commence par pleurer avec lui ; & ensuite il lui insinue qu'il faut mettre fin à ses larmes. Il y a des réflexions très-délicates à faire sur ce tour adroit du poëte consolateur. Le ton de sa piece est celui de la douleur, mais d'une douleur qui fait pleurer ; c'est-à-dire qu'elle est mêlée de foiblesse, de langueur, d'abattement ; tout y est triste & négligé. Les idées semblent s'être arrangées à mesure qu'elles ont passé dans le coeur.
Malherbe est le premier en France qui ait montré l'ode dans sa perfection. Avant lui nos lyriques faisoient paroître assez de génie & de feu. La tête remplie des plus belles expressions des poëtes anciens, ils faisoient un galimatias pompeux de latinismes & d'hellénismes cruds & durs, qu'ils mêloient de pointes, de jeux de mots, de rodomontades. Aussi vains & aussi romanesques sur leurs pégases, que nos preux chevaliers l'étoient dans leurs joutes & dans leurs tournois, " ils décochoient leurs tempêtes poétiques dessus la longue infinité ; & vainqueurs des siecles, monstres à cent têtes, ils gravoient les conquêtes sur le front de l'éternité ".
Malherbe réduisit ces muses effrénées aux regles du devoir ; il voulut qu'on parlât avec netteté, justesse, décence ; que les vers tombassent avec grace. Il fut en quelque sorte le pere du bon goût dans notre poésie : & ses lois prises dans le bon sens & dans la nature, servent encore de regles, comme l'a dit Despréaux, même aux auteurs d'aujourd'hui. Malherbe avoit beaucoup de feu ; mais de ce feu qui est chaud & qui dure. Il travailloit ses vers avec un soin infini, & ménageoit la chûte des stances de maniere que leur éclat fût à demi enveloppé dans le tissu même de la période. Ce n'est point un trait épigrammatique qui est tout en saillie ; c'est une pensée solide qui ne se montre à la fin de la stance qu'autant qu'il le faut pour l'appuyer, & empêcher qu'elle ne soit traînante.
Pour trouver Malherbe ce qu'il est, il faut avoir la force de digérer quelques vieux mots, & d'aller à l'idée plutôt que de s'arrêter à l'expression. Ce poëte est grand, noble, hardi, plein de choses ; tendre & gracieux quand la matiere le demande.
Racan, disciple de Malherbe, a fait aussi quelques odes. Les choses n'y sont point aussi serrées que dans celles de son maître. C'étoit assez le défaut de ses pieces. La forme en étoit douce, coulante, aisée ; c'étoit la nature seule qui le guidoit ; mais comme il n'avoit point étudié les sources, il n'y avoit pas toujours au fond assez de ce poids qui donne la consistance.
Il a traduit les pseaumes : & quoique sa traduction soit ordinairement médiocre, il y a des endroits d'une grande beauté : tel est celui-ci dans la paraphrase suivante du pseaume 92.
L'empire du Seigneur est reconnu par-tout,
Le monde est embelli de l'un à l'autre bout,
De sa magnificence.
Sa force l'a rendu le vainqueur des vainqueurs ;
Mais c'est par son amour, plus que par sa puissance,
Qu'il regne dans les coeurs.
Sa gloire étale aux yeux ses visibles appas :
Le soin qu'il prend pour nous fait connoître ici bas
Sa prudence profonde :
De la main dont il forme & le foudre & l'éclair,
L'imperceptible appui soutient la terre & l'onde
Dans le milieu des airs.
De la nuit du chaos, quand l'audace des yeux
Ne marquoit point encor dans le vague des lieux
De zénit ni de zone,
L'immensité de Dieu comprenoit tout en soi,
Et de tout ce grand tout, Dieu seul étoit le trône,
Le royaume & le roi.
On vante son ode au comte de Bussy. Elle est toute philosophique. Il invite ce seigneur à mépriser la vaine gloire, & à jouir de la vie.
Bussy, notre printems s'en va presque expiré ;
Il est tems de jouir du repos assuré,
Où l'âge nous convie.
Fuyons donc ces grandeurs qu'insensés nous suivons,
Et sans penser plus loin, jouissons de la vie
Tandis que nous l'avons.
Que te sert de chercher les tempêtes de Mars,
Pour mourir tout en vie au milieu des hasards
Où la gloire te mene ?
Cette mort qui promet un si digne loyer,
N'est toujours que la mort qu'avecque moins de peine
L'on trouve en son foyer, &c.
Après Malherbe & Racan est venu le célebre Rousseau, qui par la force de ses vers, la beauté de ses rimes, la vigueur de ses pensées, a fait presque oublier nos anciens, sur-tout à ceux dont la délicatesse s'offense d'un mot suranné. Le vieux Corneille pouvoit-il tenir contre le jeune Racine ? Rousseau est sans doute admirable dans ses vers ; son style est sublime & parfaitement soutenu ; ses pensées se lient bien ; il pousse sa verve avec la même force depuis le début jusqu'à la fin : peut-être lui manque-t-il quelquefois un peu de cette douceur qui donne tant de graces aux écrits ; mais quel enthousiasme, quelle harmonie, quelle richesse de style, quel coloris regne dans sa poésie lyrique, profane & sacrée ! Il est le Pindare de la France ! Il a fini comme lui ses jours hors de sa patrie en 1741, âgé de 72 ans. Il ne publia ses odes qu'après la Motte : mais il les fit plus belles, plus variées, plus remplies d'images. Voyez ODE. (D.J.)
POETE SATYRIQUE, (Poésie) poëte qui a écrit des satyres, tels ont été chez les Romains Livius Andronicus, Ennius, Pacuvius, Terentius Varron, Lucilius, Horace, Juvenal & Perse ; & parmi les François Regnier & Boileau. On donnera le caractere de tous ces poëtes satyriques au mot SATYRE. (D.J.)
POETE TRAGIQUE, (Poésie dramatiq.) poëte qui a composé des tragédies : tels ont été Sophocle, Eschile, Euripide, Sénéque, Corneille, Racine, &c. on n'oubliera point de tracer le caractere de chacun d'eux au mot TRAGEDIE.
POETES, liberté des, (Poésie) la liberté des poëtes dont tout le monde parle, sans s'en être formé une idée juste, consiste à ôter des sujets qu'ils traitent, tout ce qui pourroit y déplaire, & à mettre tout ce qui peut y plaire, sans être obligé de suivre la vérité. Ils prennent du vrai ce qui leur convient, & remplissent les vuides avec des fictions. Et pourvu que les parties, soit feintes soit vraies, aient un juste rapport entr'elles, & qu'elles forment un tout qui paroissent naturel, c'est tout ce qu'on leur demande.
Le poëte peut encore réunir dans ses fictions ce qui est séparé dans le vrai, séparer ce qui est uni. Il peut transposer, étendre, diminuer quelques parties, mais il faut toujours que la nature le guide. Il n'ira point nous peindre des îles dans les airs : ce n'est pas-là leur place dans la nature : ou si par une concession toute gratuite, on lui permet d'en feindre dans quelque jeu d'imagination, supposé qu'il y mette des villes, des plantes, on ne lui permettra pas de dire que les serpens s'accouplent avec des oiseaux, & les brebis avec les tigres. (D.J.)
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POÉTIQUE | ART, (Poésie) L'art poétique peut être défini un recueil de préceptes pour imiter la nature d'une maniere qui plaise à ceux pour qui on fait cette imitation.
Or pour plaire dans les ouvrages d'imitation, il faut 1°. faire un certain choix des objets qu'on veut imiter ; 2°. les imiter parfaitement ; 3°. donner à l'expression par laquelle on fait l'imitation, toute la perfection qu'elle peut recevoir. Cette expression se fait par les mots dans la poésie ; donc les mots doivent y avoir toute la perfection possible. C'est à ces trois objets que se rapportent toutes les regles de la poétique d'Horace.
De ces trois points, les deux premiers sont communs à tous les arts imitateurs : par conséquent tout ce qu'Horace en dira, peut convenir exactement à la Musique, à la Danse, à la Peinture. Et même comme l'éloquence & l'Architecture empruntent quelque chose des beaux arts, il peut aussi leur convenir jusqu'à un certain point. Quant au troisieme article, si l'on en considere les régles détaillées, elles conviennent à la poésie seule, de même que les regles du coloris ne conviennent qu'à la Peinture, celle de l'intonation qu'à la Musique, celle du geste qu'à la Danse. Cependant les regles générales, les principes fondamentaux de l'expression sont encore les mêmes. Il faut que tous les arts, quelque moyen qu'ils emploient pour l'exprimer, l'expriment avec justesse, clarté, aisance, décence. Ainsi les préceptes généraux de l'élocution poétique sont les mêmes pour la Musique, pour la Peinture & pour la Danse. Il n'y a de différence que dans ce qui tient essentiellement aux mots, aux tons, aux gestes, aux couleurs. Voilà quelle est l'étendue de l'art poétique, & sur-tout de celui d'Horace ; parce que l'auteur s'éleve souvent jusqu'aux principes, pour donner à ses lecteurs une lumiere plus vive, plus sûre, & leur montrer plus de choses à-la-fois, s'ils ont assez d'esprit pour les bien comprendre.
Cependant, quoique l'ouvrage d'Horace ait pour titre l'art poétique, il ne faut pas croire pour cela qu'il contient les regles détaillées de tous les genres. L'auteur a traité sa matiere en homme supérieur. S'élevant par des vues philosophiques au-dessus des menues analyses, il s'est porté tout d'un coup aux principes, & a laissé au lecteur intelligent à tirer les conséquences. Il ne parle ni de l'apologue, ni de l'églogue, ni de l'épopée, ni même de la comédie ; ou s'il en parle, ce n'est que par occasion, & relativement à la tragédie, qu'il a choisie pour en faire l'objet de ses regles. Ayant étudié sa matiere à fond, il avoit compris qu'un seul genre renfermoit à-peu-près tous les autres ; que le vraisemblable seul contenoit l'univers poétique, & toutes les loix qui le reglent ; & qu'ainsi en traitant bien cet objet, quoique sur un seul genre, il expliqueroit assez les autres, sur-tout si ce genre étoit de nature à les renfermer presque tous : c'est ce qu'il a trouvé dans la tragédie. Héroïque comme l'épopée, dramatique comme la comédie, en vers comme tous les autres poëmes, formant tous ses caracteres d'après nature, & prenant un style décent selon les caracteres ; elle a toutes les parties qui font l'objet de la poétique ; par conséquent elle suffiroit pour en porter toutes les regles.
Il nous reste à parler de l'art poétique de Vida & de Despréaux.
Marc-Jerôme Vida naquit à Crémone, ville d'Italie l'an de J. C. 1507. Il fut évêque d'Albe, & mourut en 1566. Il vivoit dans le beau siecle de Léon X. qui avoit pour les lettres tous les sentimens qui étoient héréditaires dans la maison des Médicis. Et ce fut à la sollicitation de ce pontife & de Clément VII. qu'il entreprit d'écrire un art poétique. Il a fait aussi des hymnes sacrées, un poëme sur la passion de Notre Seigneur, & un autre sur les vers-à-soie & sur les échecs.
On reconnoît dans ses ouvrages un esprit aisé, une imagination riante, une élocution légere, facile, mais quelquefois trop nourrie de la lecture de Virgile : ce qui donne à quelques endroits de ses pieces une apparence de centons.
Son art poétique est agréable par sa versification ; mais il semble fait pour les maîtres moins que pour les commençans. Il prend au berceau l'éleve des muses ; il lui forme l'oreille, lui montre des modeles, & l'abandonne ensuite à son propre génie. Horace a fait beaucoup mieux ; il remonte jusqu'aux principes, & se place dans un point si haut, qu'il peut donner la loi à tous les artistes, quelque grands qu'ils soient : il prescrit même les regles de l'art, au lieu que Vida n'offre que la pratique des artistes. Cependant on ne laisse pas de trouver chez ce dernier des préceptes & conseils qui sont très-utiles. Ce qu'il dit sur l'élocution est d'une netteté charmante ; & la poésie latine est aussi bonne qu'un moderne en peut faire dans cette langue.
S'il est un poëme françois qui ait droit d'entrer dans l'étude des belles-lettres, c'est l'art poétique de Despréaux. Horace n'a traité que la tragédie ; Vida, à proprement parler, ne traite que le style de l'épopée ; mais Despréaux fait connoître en peu de mots tous les genres séparément, & donne des regles générales qui leur sont communes. Non-seulement les jeunes gens doivent le lire, mais l'apprendre par coeur comme la regle & le modele du bon goût. Le comte d'Ericeyra, le digne héritier du Tite-Live de sa patrie, a traduit ce bel ouvrage en vers portugais. (D.J.)
POETIQUE HARMONIE, (Poésie) il y a trois sortes d'harmonie dans la poésie : la premiere est celle du style, qui doit s'accorder avec le sujet qu'on traite, qui met une juste proportion entre l'un & l'autre. Les arts forment une espece de république, où chacun doit figurer selon son état. Quelle différence entre le ton de la tragédie & celui de la comédie, de la poésie lyrique, de la pastorale ! &c.
Si cette harmonie manque à quelque poëme que ce soit, il devient une mascarade : c'est une sorte de grotesque qui tient de la parodie : & si quelquefois la tragédie s'abaisse ou la comédie s'éleve, c'est pour se mettre au niveau de leur matiere, qui varie de tems en tems ; & l'objection même se retourne en preuve du principe.
Cette harmonie poétique est essentielle ; mais on ne peut que la sentir, & malheureusement les autres ne la sentent pas toujours assez. Souvent les genres sont confondus. On trouve dans le même ouvrage des vers tragiques, lyriques, comiques, qui ne sont nullement autorisés par la pensée qu'ils renferment.
Une oreille délicate reconnoît presque par le caractere seul du vers, le genre de la piece dont il est tiré. Citez-lui Corneille, Moliere, la Fontaine, Ségrais, Rousseau, elle ne s'y méprend pas. Un vers d'Ovide se distingue entre mille de Virgile. Il n'est pas nécessaire de nommer les auteurs : on les reconnoît à leur style, comme les héros d'Homere à leurs actions.
La seconde sorte d'harmonie poétique consiste dans le rapport des sons & des mots avec l'objet de la pensée. Les écrivains en prose même doivent s'en faire une regle ; à plus forte raison les Poëtes doivent-ils l'observer. Aussi ne les voit-on pas exprimer par des mots rudes, ce qui est doux ; ni par des mots gracieux, ce qui est désagréable & dur. Rarement chez eux l'oreille est en contradiction avec l'esprit.
La troisieme espece d'harmonie dans la poésie peut être appellée artificielle, par opposition aux deux autres especes ; parce que quoique fondée dans la nature, aussi-bien que les deux autres, elle ne se montre bien sensiblement que dans la poésie. Elle consiste dans un certain art, qui, outre le choix des expressions & des sons par rapport à leurs sens, les assortit entr'eux de maniere que toutes les syllabes d'un vers, prises ensemble, produisent par leur son, leur nombre, leur quantité, une autre sorte d'expression qui ajoute encore à la signification naturelle des mots.
La poésie a des marches de différentes especes pour imiter les différens mouvemens, & peindre à l'oreille par une sorte de mélodie, ce qu'elle peint à l'esprit par les mots. C'est une sorte de chant musical, qui porte le caractere non-seulement du sujet en général, mais de chaque objet en particulier. Cette harmonie n'appartient principalement qu'à la poésie ; & c'est le point exquis de la versification.
Qu'on ouvre Homere & Virgile, on y trouvera presque par-tout une expression musicale de la plûpart des objets. Virgile ne l'a jamais manquée : on la sent chez lui, lors même qu'on ne peut dire en quoi elle consiste. Souvent elle est si sensible, qu'elle frappe les oreilles les moins attentives :
Continuo ventis surgentibus, aut freta ponti
Incipiunt agitata tumescere, & aridus altis
Montibus audiri fragor, aut resonantia longè
Littora misceri, & nemorum increbescere murmur.
Et dans l'Enéide, en parlant du trait foible que lance le vieux Priam :
Sic fatus senior : telumque imbelle sine ictu
Conjecit, rauco quod protinus aere repulsum,
Et summo clypei nequicquam umbone pependit.
Nous n'omettrons point cet exemple tiré d'Horace :
Qua pinus ingens, albaque populus
Umbram hospitalem consociare amant
Ramis, & obliquo laborat
Lympha fugax trepidare rivo.
S'agit-il de décrire un athlete dans le combat ; les vers s'élevent, se courbent, se dressent, se brisent, se hâtent, se roidissent, s'allongent à l'imitation de celui dont ils représentent les mouvemens.
S'agit-il de baillemens, d'hiatus, de peindre quelque monstre à cinquante gueules béantes :
Quinquaginta atris immanis hiatibus hydra,
Intus habet sedemt.
Faut-il peindre les cris de douleurs qui se perdent dans les airs, les cliquetis des chaînes :
Hinc exaudiri gemitus, & saeva sonare
Verbera : tum stridor ferri, tractaeque catenae.
Citerai-je ces vers de Despréaux :
Les chanoines vermeils & brillans de santé,
S'engraissoient d'une longue & sainte oisiveté.
Le premier de ces deux vers est riant ; l'autre est lent & paresseux.
Citerai-je les vers de la mollesse :
Soupire, étend les bras, ferme l'oeil & s'endort.
Mais j'en appelle à ceux qui ont de l'oreille ; & s'il y a des gens à qui la nature a refusé le plaisir de cette sensation, ce n'est point pour eux qu'on a cité ces exemples d'harmonie poétique entre tant d'autres.
Quant à ce qui regarde l'harmonie du vers, en tant que composé de syllabes reglées par des mesures, & soumises à des regles fixes & positives, voyez VERS. (D.J.)
POETIQUE, STYLE, (Poésie) il consiste dans des images ou des figures hardies, par lesquelles le poëte imitateur parfait peint tout ce qu'il décrit ; & donnant du sentiment à tout, rend son image vivante & animée. Ce style poétique, qu'on appelle autrement style de fiction, inséparable de la Poésie, & qui la distingue essentiellement de la prose, est le style & le langage de la passion ; c'est-à-dire, de cet enthousiasme dont les Poëtes se disent remplis.
Le style poétique doit non-seulement frapper, enlever, peindre, toucher, mais même ennoblir des choses qui n'en paroissent pas susceptibles. Rien de plus simple que de dire que le vers iambe ne conviendroit pas à la tragédie, s'il n'étoit mêlé de spondées ; c'est ainsi qu'on parleroit en prose ; mais Horace, en qualité de poëte, personnifie l'iambe, qui, pour arriver aux oreilles d'un pas plus lent & plus majestueux, fait un traité avec le grave spondée, qu'il associe à l'héritage paternel, à condition qu'il n'usurpera ni la seconde ni la quatrieme place.
Tardior, ut paulo, graviorque veniret ad aures
Spondaeos stabiles, in jura paterna recepit,
Commodus & patiens, non ut de sede secundâ
Cederet, aut quartâ socialiter.
De même lorsque Boileau veut nous apprendre qu'il a 58 ans, il se plaint que la vieillesse
Sous ces faux cheveux blonds, déja toute chenue
A jetté sur sa tête avec ses doigts pesans
Onze lustres complets surchargés de trois ans.
Le style poétique abandonne les termes naturels pour en emprunter d'étrangers : il parle le langage des dieux dans l'olympe ; & quand il chante les combats, on croit voir Mars ou Bellone. Enfin dans le style poétique qui est fait pour nous enchanter,
Tout prend un corps, une ame, un esprit, un visage.
Chaque vertu devient une divinité :
Minerve est la prudence, & Vénus la beauté :
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre :
C'est Jupiter armé pour effrayer la terre.
Un orage terrible aux yeux des matelots,
C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots.
Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse :
C'est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainsi dans cet amas de nobles fictions,
Le poëte s'égaie en mille inventions,
Orne, éleve, embellit, aggrandit toutes choses ;
Et trouve sous sa main des fleurs toujours écloses.
(D.J.)
POETIQUE, COMPOSITION, (Peint.) la composition poétique d'un tableau est un arrangement ingénieux de figures, inventé pour rendre l'action qu'il représente plus touchante & plus vraisemblable. Elle demande que tous les personnages soient liés par une action principale ; car un tableau peut contenir plusieurs incidens, à condition que toutes ces actions particulieres se réunissent en une action principale, & qu'elles ne fassent toutes qu'un seul & même sujet. Les regles de la Peinture sont autant ennemies de la duplicité d'action que celles de la poésie dramatique. Si la Peinture peut avoir des épisodes comme la Poésie, il faut dans les tableaux, comme dans les tragédies, qu'ils soient liés avec le sujet, & que l'unité d'action soit conservée dans l'ouvrage du peintre comme dans le poëme.
Il faut encore que les personnages soient placés avec discernement & vétus avec décence, par rapport à leur dignité, comme à l'importance dont ils sont. Le pere d'Iphigénie, par exemple, ne doit pas être caché derriere d'autres figures au sacrifice où l'on doit immoler cette princesse. Il doit y tenir la place la plus remarquable après celle de la victime. Rien n'est plus insupportable que des figures indifférentes placées dans le milieu d'un tableau. Un soldat, ne doit pas être vétu aussi richement que son général, à moins qu'une circonstance particuliere ne demande que cela soit ainsi. En un mot, tous les personnages doivent faire les démonstrations qui leur conviennent ; & l'expression de chacun d'eux doit être conforme au caractere qu'on lui fait soutenir. Surtout il ne faut pas qu'il se trouve dans le tableau des figures oiseuses, & qui ne prennent point de part à l'action principale. Elles ne servent qu'à distraire l'attention du spectateur. Il ne faut pas enfin que l'artiste choque la décence ni la vraisemblance pour favoriser son dessein ou son coloris, & qu'il sacrifie la poésie à la méchanique de son art. Du Bos. (D.J.)
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POGE | S. m. (Com.) droit de coutume qui est dû à l'évêque de Nantes sur le hareng ou sardine blanc ou soret passant le trepas S. Nazaire ; ce droit est de demi-obole par millier. Diction. de comm.
POGE ou POUGE, (Marine) c'est un terme de commandement dont les levantins se servent sur mer, & qui signifie arrive-tout. L'officier prononce ce mot poge, quand il veut que le timonnier pousse sa barre sous le vent, comme si on vouloit faire vent arriere. Voyez POUGER.
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POGGIO | (Géog. mod.) bourg d'Italie, dans la Toscane, à dix milles de Florence, & à égale distance de Pistoie. Poggio est fameux par la maison de plaisance des grands-ducs. Ce palais fut commencé par Laurent de Médicis surnommé le magnifique, continué par Léon X. & achevé par le grand-duc François de Médicis. André del Sarto, Jacques Pontorno, & Alexandre Allori, l'ont enrichi de leurs peintures qui font autant d'allusions aux événemens de la vie de Médicis. (D.J.)
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POIDS | S. m. (Phys.) est l'effort avec lequel un corps tend à descendre, en vertu de sa pesanteur ou gravité. Il y a cette différence entre le poids d'un corps & la gravité, que la gravité est la force même ou cause qui produit le mouvement des corps pesans, & le poids comme l'effet de cette cause, effet qui est d'autant plus grand que la masse du corps est plus grande, parce que la force de la gravité agit sur chaque particule du corps. Ainsi le poids d'un corps est double de celui d'un autre, quand sa masse est double ; mais la gravité de tous les corps est la même, en tant qu'elle agit sur de petites parties égales de chaque corps. Voyez GRAVITE, PESANTEUR.
M. Newton a prouvé que le poids de tous les corps à des distances égales du centre de la terre est proportionnel à la quantité de matiere qu'ils contiennent ; & il suit de là que le poids des corps ne dépend en aucune maniere de leurs formes ou de leur texture, & que tous les espaces ne sont pas également remplis de matiere. Voyez VUIDE.
Le même M. Newton ajoute que le poids du même corps est différent à différens endroits de la surface de la terre à cause qu'elle n'est point sphérique, mais sphéroïde. En effet l'élévation de la terre à l'équateur fait que la pesanteur y est moindre qu'aux poles, parce que les points de l'équateur sont plus éloignés du centre que les poles ; c'est ce qu'on a vérifié par les expériences des pendules. Voyez FIGURE DE LA TERRE.
Un corps plongé dans un fluide qui est d'une pesanteur spécifique moindre que lui, perd de son poids une partie égale à celle d'un pareil volume du fluide ; en effet, si un corps étoit du même poids que l'eau, il s'y soutiendroit en quelque endroit qu'on le plaçât, puisqu'il seroit alors dans le même cas qu'une portion de fluide qui lui seroit égale & semblable en grosseur & en volume. Ainsi dans ce cas il ne feroit aucun effort pour descendre ; donc lorsqu'il est plus pesant qu'un pareil volume de fluide, l'effort qu'il fait pour descendre est égal à l'excès de son poids sur celui d'un égal volume de fluide. Voyez FLUIDE.
Par conséquent un corps perd plus de son poids dans un fluide plus pesant que dans un fluide qui l'est moins, & pese par conséquent plus dans un fluide plus léger que dans un plus pesant. Voyez PESANTEUR SPECIFIQUE, GRAVITE, FLUIDE, HYDROSTATIQUE, &c. De plus, toutes choses d'ailleurs égales, plus un corps a de volume, plus il perd de son poids dans un fluide où on le plonge. De là il s'ensuit qu'une livre de plomb & une livre de liege qui sont également pesantes lorsqu'elles sont posées dans l'air, ne le seront plus dans le vuide : la livre de liege sera alors plus pesante que la livre d'or, parce que la masse de liege qui pesoit une livre dans l'air, perdoit plus de son poids que la masse d'or qui avoit moins de volume. Si le corps est moins pesant qu'un égal volume de fluide, alors il ne s'enfonce pas tout-à-fait dans le fluide, il surnage, & il s'enfonce dans le fluide jusqu'à ce que sa partie enfoncée occupe la place d'un volume de fluide qui seroit d'une pesanteur égale à celle du corps entier.
Trouver le poids d'une quantité donnée de fluide, par exemple, du vin contenu dans un muid. Trouvez d'abord la quantité de liqueur par les regles de jaugeage ; suspendez ensuite dans cette liqueur un pouce cube de plomb par le moyen d'un crin, & voyez à l'aide de la balance hydrostatique ce que ce pouce cube de plomb perd de son poids, & vous aurez par ce moyen le poids d'un pouce cube du fluide donné. Cela fait, le fluide étant supposé homogène, & par conséquent proportionnel au volume, vous aurez le poids total par la regle de trois. Si, par exemple, la capacité du muid est de 86 piés cubes, & que le pié cube de vin pese 68 livres, le poids de tout le vin sera de 5984 livres.
Le poids du pié cube d'eau a été déterminé par plusieurs personnes ; mais comme dans les différentes fontaines, &c. les poids de l'eau est différent, & que le poids de la même eau ne reste pas constamment le même dans tous les tems, les différens auteurs qui en ont parlé ne se sont pas accordés. On fixe ordinairement le poids du pié cube d'eau commune ou douce à 70 livres. Le pié cube d'eau de mer pese environ 2 livres de plus.
Poids de l'air. On a trouvé par plusieurs expériences non-seulement que l'air pese, mais aussi la quantité précise du poids d'une certaine portion d'air déterminée.
Trouver le poids d'un pouce cube d'air. Pesez un vaisseau rond rempli d'air commun avec toute l'exactitude possible : tirez ensuite l'air, & pesez le vaisseau dont l'air aura été tiré : soustrayez le dernier poids du premier, & le reste sera le poids de l'air ôté. De plus, trouvez l'espace que contient le vaisseau par les lois de la stéréométrie (Voyez SPHERE) & la proportion qui est entre l'air actuel du vaisseau & l'air naturel tel qu'il étoit d'abord, par les moyens enseignés à l'article de la machine pneumatique ; cela fait, vous aurez le volume de l'air restant par la regle de trois, & soustrayant ce volume de la capacité du vaisseau, vous aurez le volume de l'air qui a été ôté. Si on a une excellente machine pneumatique avec laquelle on puisse pousser si loin l'exhaustion que l'air qu'on laisse dans le ballon puisse être négligé, on prendra pour le volume d'air ôté la capacité même du vaisseau.
Ayant donc par ce moyen le poids & le volume de l'air ôté qu'on a tiré, on aura par la regle de trois le poids d'un pouce cube d'air.
Otto Guericke est le premier qui ait employé cette méthode. Burcher de Volder s'en est servi ensuite, & a donné les circonstances suivantes de son expérience. Le poids du vaisseau sphérique plein d'air commun étoit de 7 livres 1 once 2 drachmes 48 grains ; lorsqu'il étoit vuide, de 7 livres 1 once 1 drachme 31 grains ; l'ayant rempli d'eau, il étoit de 16 livres 12 onces 7 drachmes 14 grains. Le poids de l'air étoit donc de 1 drachme 12 grains ou 77 grains. Le poids de l'eau de 9 livres 11 onces 5 drachmes 43 grains, ou de 74743 grains ; conséquemment la proportion entre la gravité spécifique de l'eau & de l'air étoit de 74743 à 77 ou de 970 53/77 à 1. De plus le poids d'un pié cube d'eau étant connu, on dira : comme 970 à 1, ainsi le poids d'un pié cube d'eau à un quatrieme terme, & on aura par la regle de trois, le poids du pié cube d'air. Voyez AIR & ATHMOSPHERE.
Poids de l'eau de mer. Le poids de l'eau de mer varie suivant les climats. M. Boyle ayant recommandé à un habile physicien qui alloit en Amérique, de peser de tems en tems l'eau de mer pendant le cours de son voyage avec une balance hydrostatique qu'il lui fournit, apprit par ce physicien qu'il avoit trouvé l'eau de mer plus pesante, à mesure qu'il approchoit de la ligne jusqu'à ce qu'il fut arrivé à la latitude d'environ 30 degrés, après quoi elle resta constamment du même poids jusqu'à ce qu'il arrivât aux Barbades. Voyez Trans. phis. n°. 18 Wolf & Chambers. (O)
Poids se dit aussi en général pour marquer un corps pesant ; ainsi on dit cet homme porte sur ses épaules un poids très-considérable ; on donne aussi le nom de poids à un corps d'une certaine pesanteur connue, dont on se sert pour peser les autres, comme la livre, l'once, le marc, &c. Poids se dit aussi dans un sens figuré, des choses pénibles & difficiles : ce prince, dit-on, soutient avec beaucoup de capacité le poids des affaires : cet homme est accablé du poids de ses malheurs, &c.
Poids en méchanique se dit de tout ce qui doit être élevé, soutenu ou mû par une machine, ou de ce qui résiste, de quelque maniere que ce soit, au mouvement qu'on veut imprimer. Voyez MOUVEMENT, MACHINE, &c.
Dans toutes les machines il y a une proportion nécessaire entre le poids & la puissance motrice. Si on veut augmenter le poids, il faut aussi augmenter la puissance, c'est-à-dire, que les roues ou autres agens doivent être multipliés, ou, ce qui revient au même, que le tems doit être augmenté ou la vîtesse diminuée. Voyez PUISSANCE.
Le centre de gravité F (Planche de la Méchanique fig. 55) d'un corps I H, avec le poids de ce corps étant donnés, trouver le point M par lequel il doit porter sur un plan horisontal, afin qu'un poids donné suspendu en L ne puisse pas faire écarter le corps I H de la situation horisontale.
Imaginez qu'il y ait au centre de gravité F, un poids égal à celui du corps H, & trouvez le centre commun de gravité M de ce poids & du poids G, le point M sera le point qu'on demande.
Supposons, par exemple, que F soit le centre de gravité d'un bâton éloigné de 18 pouces de son extrémité, le poids du sceau d'eau G de 24 livres, le poids du bâton de 2 livres, on aura L M = L F. F : (G + F) = 18. 2 : 26 = 18 : 13 ; c'est-à-dire, environ un pouce & demi ; il n'est donc pas étonnant que le sceau pende après le bâton qui est couché sur la table sans le faire tomber. Si on met un poids sur l'extrémité d'une table, il ne tombera point, tant que le centre de gravité de ce corps sera appuyé sur la table ; car le centre de gravité est le point où se réunit tout l'effort de la pesanteur. Ainsi un fort long bâton peut se soutenir sur une table, pourvu que la partie de ce bâton qui est hors de la table, soit un peu moins longue que celle qui porte sur la table ; car le centre de gravité du bâton est à son point de milieu, & par conséquent dans la situation dont nous parlons, le centre de gravité du bâton se trouvera appuyé sur la table. Le centre de gravité C (fig. 56.) d'un corps A B, avec son poids G étant donnés déterminer les points L & M, où des appuis étant placés, les parties du poids total portées par chacun de ces appuis soient en raison donnée.
Prenez dans la ligne horisontale A B qui passe par le centre de gravité C, les droites M C & C L, qui soient dans la raison donnée, & les points M & L seront ceux qu'on demande ; il suit de là que si aux points M & L on place, au lieu d'appuis, les épaules ou les bras de deux porte-faix, ils supporteront le poids donné, si les parts qu'ils doivent en supporter ne sont pas plus grandes que leurs forces. Par exemple, si l'un des porte-faix peut porter 150 livres, & l'autre 200, & que le poids pese 350 livres, on prendra C L à C M comme 4 à 3, & le plus fort des porte-faix étant placé en M, & l'autre en L, ils porteront le poids donné. Ainsi nous avons une maniere de partager une charge suivant une proportion donnée.
POIDS, (Hydr.) les liqueurs ne pesent que selon leur hauteur & la base qui les soutient ; ainsi dans une pompe on évalue la résistance de l'eau & son poids, en multipliant la superficie de la base du corps de pompe où est le piston, par la hauteur perpendiculaire du tuyau montant.
Le poids ou la pesanteur des eaux jaillissantes de même sortie & conduite avec différentes hauteurs de réservoirs, font équilibre avec des poids qui sont l'un à l'autre en la raison des hauteurs des mêmes réservoirs. Deux jets de six lignes de diametre ayant une même conduite de trois pouces dont l'eau vient d'un réservoir élevé de dix piés, & l'autre de trente, feront équilibre avec un poids de cent cinq livres pour le jet venant de trente pieds, & de trente-cinq livres pour celui de dix piés. On peut dire que trente contient trois fois le nombre dix, comme cent cinq comprend trois fois trente-cinq.
Les jets d'eau de même hauteur & de différentes sorties soutiennent des poids par leur choc qui sont l'un à l'autre en raison doublée des diametres des ajutages. Un jet de six lignes de diametre, & l'autre de douze venant tous deux d'un même réservoir de trente piés de haut, feront équilibre avec un poids de trente-six livres pour le jet de six lignes, & pour celui de douze lignes avec un poids de cent quarante-quatre livres ; & on dira le poids correspondant à l'ajutage de six lignes sera au poids correspondant à l'ajutage de douze lignes, comme 36 est à 144, ou comme 1 est à 4.
Quand on veut mesurer la solidité du cylindre ou de la colonne d'eau renfermée dans un tuyau, en même tems que son poids, pour y proportionner dans une pompe la force du moteur, on doit savoir qu'une pinte d'eau pese deux livres moins 7 gros, qu'une ouverture circulaire d'un pouce qui par minute donne environ 14 pintes pese 28 livres, qu'un pié cube contient 36 pintes, huitieme de 288 valeur du muid d'eau, & que ces 36 pintes à 2 livres moins 7 gros chacune, pesent 70 livres. Cependant le pié cylindrique qui est un solide, ayant une superficie de 144 pouces circulaires, est toujours plus petit que le quarré de son diametre n'ayant que 113 pouces 2 lignes quarrées provenans de la proportion du pié quarré au pié circulaire qui est de 14 à 11. Ainsi les 70 livres que pese le pié cube étant calculées suivant le même rapport de 14 à 11 qui est celui du cercle au quarré, il vient au quotient 55 livres pour le poids d'un pié cylindrique.
Le poids d'une colonne d'eau & sa résistance se trouvent en multipliant la superficie de la base du tuyau par sa hauteur perpendiculaire. Supposons que la base du tuyau ait six pouces de diametre & 30 piés de haut, on réduira d'abord les 30 piés en pouces en les multipliant par 12, ce qui donnera 360 pouces ; & l'on dira six fois 6 font 36 pour la superficie de la base du tuyau, qui, multipliée par 360 pouces valeur des 30 piés de haut, vous donnera 12960 que l'on divisera par 1728 pouces que contient le pié cylindrique, & le quotient sera 7 piés 1/2 cylindriques que l'on multipliera par 55 livres, pesanteur du pié cylindrique, & l'on aura pour le poids de la colonne d'eau 412 livres & 1/2 pesant ; ainsi un tuyau de 6 pouces de diametre, montant ou descendant d'un réservoir de 30 piés de haut, contiendra une colonne d'eau de 7 piés 1/2 cylindriques pesant 412 livres 1/2. (K)
POIDS ET MESURES des Grecs & des Romains, (Littérat. grecq. & rom.) Je ne puis rien faire de mieux, en conservant les mots grecs & latins, que de transporter ici les tables de M. Arbuthnot, qui indiqueront d'un coup-d'oeil les poids & les mesures ordinaires des Grecs & des Romains, avec leur réduction aux poids & mesures angloises. Ces tables donneront encore la connoissance des anciens poids des Arabes, réduits à ceux de la livre de troys ou de douze onces.
Les plus anciens poids grecs réduits aux poids troyens, ou de douze onces à la livre.
Réduction des poids grecs & romains moins anciens aux mêmes poids.
L'once romaine qui répond à l'once angloise avoir du poids, se partageoit en sept deniers ou huit dragmes. Chacun de ces deniers équivaloit à la dragme attique ; desorte que la dragme attique plus 1/8, considérée comme poids, étoit égale à la dragme romaine.
Nota que les Grecs divisoient l'obole en chalci & en . Diodore & Suidas partagent l'obole en six chalci, & chaque chalcus en sept . D'autres comptoient huit chalci dans l'obole, & huit ou minuta dans chaque chalcus.
Les plus grands poids réduits à ceux de douze onces à la livre, qui en Angleterre s'appelle livre de Troye ou Troyenne.
Nota. Il y avoit un autre talent attique, qui selon les uns consistoit en 80, & selon d'autres en 100 mines. Notez encore que chaque mine contient 100 dragmes, & chaque talent 60 mines ; mais que les talens different en poids selon la différence du titre de la dragme ou de la mine. La différente valeur des différentes mines & talens, par rapport à celle des mines & talens attiques, & des poids troyens ou de douze onces à la livre, est marquée dans la table suivante.
Les anciens poids des Arabes réduits à ceux de la livre de Troye, ou de douze onces.
Les poids de France réduits aux mêmes poids.
Les Romains divisoient l'as, la livre, ou tout autre entier, de la maniere suivante.
Mesures attiques servant à contenir des choses liquides, réduites à des mesures connues, prenant pour point de comparaison celles qui en Angleterre servent à mesurer le vin.
Nota que le gallon revient à-peu-près à quatre pintes, mesure de Paris, & la pinte d'Angleterre à la chopine de Paris, moyennant quoi il est aisé d'évaluer les mesures attiques sur les nôtres.
Mesures attiques pour les substances seches réduites aux mesures qui sont d'usage en Angleterre pour mesurer les grains.
Nota que le picotin est la quatrieme partie du boisseau ; que le gallon contient quatre pintes, mesure de Paris ; & que la pinte d'Angleterre revient à la chopine de Paris, ainsi qu'il a été dit ci-dessus : ce qui rend la réduction des mesures attiques aux nôtres aisée.
Nota 1°. qu'outre le medimnus qu'on appelloit medicus, il y en avoit un autre qu'on nommoit medimnus georgicus, & qui équivaloit à 6 modii romains.
Nota 2°. qu'il est fait mention d'autres mesures dans quelques auteurs, dont la valeur ignorée peut être aisément connue par le moyen de ces tables.
Mesures romaines pour les substances liquides réduites à celles d'Angleterre qui servent pour le vin.
Nota que le gallon contient à-peu-près quatre pintes mesure de Paris, & que la pinte angloise revient à notre chopine.
Nota 1°. que le quadrantal étoit la même chose que l'amphora, & que le cadus, le congiarius, & le dolium ne dénotoient pas des mesures particulieres.
Nota 2°. que les Romains divisoient le sextarius, ainsi que la livre, en douze parties égales, qu'ils appelloient cyathi ; de-là vient qu'ils appelloient les verres calices, sextantes, quadrantes, trientes, &c. selon le nombre de cyathi qu'ils contenoient.
Mesures romaines pour les substances seches réduites aux mesures angloises pour les grains.
Nota que le picotin d'Angleterre est la quatrieme partie de notre boisseau ; que le gallon contient quatre pintes, & la pinte d'Angleterre une chopine de Paris.
Explications des caracteres qui sont principalement en usage dans les Auteurs grecs & latins, pour désigner les poids & mesures.
Aux tables qu'on vient de lire, il faut joindre les détails particuliers qui se rapportent à chaque article, & d'autres détails généraux énoncés au mot MESURE. (D.J.)
POIDS DES HEBREUX, (Hist. des Juifs) les anciens Hébreux n'ayant point l'usage de la monnoie frappée à un coin, pesoient tout l'or & l'argent dans le commerce. Le nom général dont ils se servoient pour marquer un poids, étoit une pierre : n'ayez point dans votre sac, une pierre & une pierre, est-il dit dans le Deuter. xxv. 23. (ce qui signifie différens poids, un juste & un faux) mais seulement une pierre de perfection & de justice, c'est à-dire un poids juste & fidéle. Le sicle, le demi-sicle étoient non-seulement des noms de monnoie, mais aussi des noms de poids ; on lit dans les livres des rois, que les cheveux d'Absalon pesoient cent sicles, ce qui revient à environ 19 onces. Moïse distingue deux sortes de poids ; le poids du sanctuaire, qui étoit l'étalon sur lequel on jugeoit les autres poids ; & le poids ordinaire. Quelques interpretes imaginent qu'il y avoit une différence réelle entre ces deux poids ; & que le poids du sanctuaire étoit plus fort que les autres ; mais les meilleurs critiques sont persuadés que cette distinction est chimérique, & qu'il n'y avoit d'autre différence entre ces deux poids, qu'en ce que le premier étoit gardé dans le temple, pour servir de modele aux poids publics. Cette pratique n'étoit pas particuliere aux Hébreux ; elle étoit en usage chez les égyptiens, chez les Grecs, chez les Romains. Nous lisons dans le premier livre des Paralypomènes, xxiij. 29. qu'il y avoit un prêtre chargé de l'intendance des poids & des mesures. (D.J.)
POIDS DU ROI, (Critiq. sacrée) poids d'usage dans les états du roi de Babylone, & qui pesoit un certain nombre de sicles.
On lit dans le II. liv. de Samuel, c. xv. que quand Absalon faisoit couper ses cheveux ; ce qui arrivoit une fois l'an, parce qu'il étoit incommodé de leur poids : les cheveux de sa tête pesoient deux cent sicles au poids du roi. Il y a bien des difficultés dans ce passage ; 1°, si Absalon coupoit ses cheveux toutes les années ; 2°, s'il coupoit tous ses cheveux, ou seulement un partie ; 3°, si le poids de deux cent sicles étoit le poids de toute sa chevelure, ou seulement de ce qu'il faisoit couper ; 4°, ce que c'étoit que le poids du roi.
Il y a dans l'hébreu, depuis la fin des jours jusqu'aux jours, sans spécifier aucun jour particulier. Les septante ont rendu l'hébreu mot à mot, . Le targum traduit, à des tems réglés ; c'est-à-dire, quand ils devenoient trop longs & trop épais ; ce qui pouvoit arriver une fois en deux ans, plus ou moins.
Les Israélites portoient les cheveux fort longs, ainsi qu'il paroît par l'Ecriture & par Josephe, liv. VIII. c. 1. qui nous dit que les gardes du roi Salomon avoient de longs cheveux flottans sur leurs épaules, & qu'ils les poudroient tous les jours de petites paillettes d'or, qui les faisoient briller, lorsque les rayons du soleil donnoient dessus. Il n'est donc pas vraisemblable qu'Absalon coupât tous ses cheveux, qui faisoient son principal ornement.
On voit par expérience que les cheveux ne croissent dans un an, qu'environ quatre pouces en longueur ; ainsi ce qu'il faisoit couper ne pouvoit pas peser deux cent sicles des Juifs, puisque dans cette supposition, ce qui restoit auroit dû peser du moins cinq fois autant, ce qui est impossible de part & d'autre.
Ainsi la plus grande difficulté consiste à déterminer ce que c'est que le poids du roi, ou, comme porte l'hébreu, la pierre du roi. M. Pelletier croit que la différence entre le poids du roi & le poids ordinaire, n'a été connue qu'après que les Juifs ont été soumis aux Chaldéens ; & que l'auteur des deux livres de Samuel, vivoit vers la fin de la captivité de Babylone, ou peu-après, lorsque les Juifs étoient accoutumés depuis 60 ou 70 ans aux poids babyloniens, & ignoroient les poids hébreux, qui depuis long-tems n'étoient plus en usage : que cet auteur, pour se faire mieux entendre, a substitué le poids connu à la place de celui qu'il trouvoit marqué dans les mémoires sur lesquels il travailloit ; ce qui lui a fait dire que les cheveux d'Absalon pesoient deux cent sicles, poids de Babylone, poids du roi, auquel les Juifs étoient alors sujets. Or le sicle de Babylone pesoit le tiers du sicle juif, qui étoit égal à 219 grains, poids d'Angleterre ; ainsi le sicle babylonien pesoit 73 grains.
Les Rabbins & quelques autres écrivains qui prétendent que ces deux cent sicles étoient le prix que valoient les cheveux d'Absalon, & non ce qu'ils pesoient, disent que ses serviteurs vendoient ses cheveux aux femmes de Jérusalem. Mais Bochart prétend qu'il n'est pas vraisemblable qu'on ait vendu les cheveux d'un fils de roi, ni que personne ait voulu les acheter à un si haut prix.
D'autres imaginent qu'Absalon ayant coupé ses cheveux en divers tems, les avoit gardés jusqu'à ce qu'il y en eût le poids de deux cent sicles. Mais outre que cette fiction est contraire au texte, elle rend la remarque de l'Ecriture puérile, puisqu'il n'y auroit rien d'extraordinaire en cela.
Bochart conjecture que les cheveux d'Absalon ne pesoient deux cent sicles, que parce qu'il les poudroit d'une poudre d'or ; ce qui étoit fort ordinaire dans ce tems-là, & ce qui devoit augmenter fort le poids des cheveux ; & il démontre que ces deux cent sicles ne faisoient pas plus de trois livres & deux onces de notre poids. Mais l'Ecriture parle du poids réel des cheveux, & non d'un poids purement accidentel. Les septante ont réduit ce poids de deux cent sicles à la moitié : ils ne parlent que de cent sicles ; ce qui s'accorde avec le sentiment de ceux qui prétendent qu'il s'agit de sicles d'or, ou des sicles du roi, qui n'avoient que la moitié du poids de ceux du sanctuaire. Mais il faudroit prouver auparavant cette différence entre le poids ordinaire & celui du sanctuaire, entre le sicle d'or & celui d'argent.
De toutes les hypothèses qu'on vient de citer, celle de M. Pelletier nous paroît la plus simple, la plus naturelle, & cependant elle ne leve pas la difficulté du poids énorme de la coupe des cheveux d'Absalon ; dans son système même, je croirois plutôt qu'il s'est glissé quelque grossiere erreur de chiffre dans la copie du livre de Samuel ; & il faut bien que cela soit ainsi, puisqu'au lieu de deux cent sicles, les septante disent cent ; ce qui seroit encore, en adoptant le système de M. Pelletier, un poids cinq fois trop grand pour approcher de la vraisemblance. (D.J.)
POIDS de l'Europe, &c. (Commerce) chaque pays a ses poids différens, non-seulement en Europe, mais dans les échelles du levant, en Asie & en Afrique, &c. Cependant je n'en ferai qu'un article fort abrégé.
Le quintal, la livre, le marc, l'once, le gros, le denier, le grain, sont les poids d'usage dans la plus grande partie de l'Europe, pour toutes sortes de marchandises. Chacun de ces poids a ses divisions ; par exemple il y a le demi-quintal, le quart de quintal, la demi-livre, le quarteron, le demi-quarteron, la demi-once, le demi-gros, & ainsi du reste. On se sert de tous ces poids dans la plus grande partie de l'Europe, mais sous différens noms, sous différentes divisions & différentes pesanteurs.
L'Espagne a en particulier son quintal macho, ses arobes, ses adarmes ; & pour l'or ses castillans & ses tomins. L'Angleterre a ses hundreds, ses jods, ses stones & son pound. L'Italie, particulierement Venise, se sert de miglieri, de mirri & de saggi. Le Portugal pese à l'arate, au chego & au faratelle ; il a encore, comme en Sicile ses rotolis. L'Allemagne, le Nord, & les villes Anséatiques ont leurs schisponds, leurs lysponds & leurs stéens ; presque toutes, à la vérité, de différens poids.
A Constantinople, à Smyrne, & dans la plûpart des échelles du levant, on pese les marchandises au batteman, à l'ocos & au chequi, à la rote & au rotolis, dont il y a de trois sortes.
La Chine a pour poids, le pic, le picol, le bahar, le tael, le catis, le mas & les condorins ; le Tunquin a tous les poids, les mesures & les monnoies de la Chine. Le Japon n'a qu'un seul poids qui est le catis, différent pourtant de celui de la Chine & du Tunquin.
A Surate, à Agra, & dans tous les états du Mogol, on fait usage de la serre & du mein (autrement nommé par quelques-uns man, & par d'autres mao.) La serre est, à proprement parler, la livre indienne.
Les poids de Siam qu'ils nomment deingt, n'ont point d'autre nom que leurs monnoies.
Bantam, l'île de Java, Golconde, Visapour & Goa ont des poids particuliers, pour peser les diamans & autres pierreries ; d'autres pour peser les piastres & les ducats, d'autres enfin pour peser les soies & marchandises. En Perse l'on se sert de batmans ou mans, & de sahcheray, qui sont aussi en grand usage dans toutes les villes du golfe persique.
Les nations européennes qui occupent l'Amérique, se servent dans leurs colonies, des poids des princes de l'Europe dont ces colonies dépendent ; car pour la rote du Pérou qui pese 25 livres, on voit assez que ce n'est autre chose que l'arobe espagnole avec un nom un peu déguisé à l'indienne. A l'égard des poids de l'Afrique, il n'y a que l'Egypte & les côtes de Barbarie qui en aient ; & ce sont les mêmes que ceux des échelles du levant & des états du grand-seigneur.
L'île de Madagascar a pourtant les siens, mais qui ne passent point le gros, & qui ne servent qu'à peser l'or & l'argent ; les autres choses, marchandises & denrées ne se pesent point dans cette île.
On trouvera dans Savary, Ricard & autres, le rapport des poids d'Amsterdam, ou de son quintal avec ceux des villes du plus grand commerce de l'Europe ; mais quelque soin que l'on prenne pour trouver cette égalité des poids entre une ville & une autre, il arrive rarement qu'on y réussisse dans la pratique, & qu'on ne trouve du mécompte sur les marchandises qu'on tire d'un lieu, ou qu'on y envoie. (D.J.)
POIDS D'ANGLETERRE, (Commerce) dans tout le royaume de la grande Bretagne il y a deux poids ; l'un qu'on nomme poids-de-troye, & l'autre avoir-du-poids. Au poids-de-troye vingt-quatre grains font le denier sterling d'Angleterre, vingt deniers l'once, & douze onces la livre ; on se sert de ce poids pour peser les perles, les pierreries, l'or, l'argent, le blé, & toutes sortes de grains ; c'est aussi le poids des apoticaires, mais qui se divise autrement ; vingt grains font un scrupule, trois scrupules une dragme, & huit dragmes une once.
L'avoir-du-poids est de seize onces ; mais il s'en faut près d'un douzieme, c'est-à-dire quarante-deux grains, que l'once d'avoir-du-poids soit aussi pesante que l'once du poids-de-troye. C'est à l'avoir-du-poids que se pesent toutes les grosses marchandises, comme filasse, cuir, cire, beurre, fromage, fer, &c. Cent douze livres d'avoir-du-poids font le quintal, qu'en Angleterre on appelle hindred.
POIDS, dans le Commerce, est un corps d'une pesanteur connue, & qui sert par le moyen d'une balance, à connoître ce que pesent les autres corps. Voyez BALANCE, PESER.
Les poids sont communément de plomb, de fer, ou de cuivre, quoique dans différens endroits des Indes orientales on se serve de cailloux, & dans quelques lieux de petites féves.
La sureté du commerce dépendant en grande partie de l'exactitude des poids, il n'y a presque aucune nation qui n'ait pris des précautions pour prévenir toutes les falsifications qu'on y pourroit introduire. Le plus sûr moyen est de préposer des officiers particuliers pour marquer ces poids, & pour les regler d'après des modeles ou étalons fixes.
Cet expédient est très-ancien, & plusieurs auteurs pensent que ce qu'on appelloit sicles du sanctuaire chez les Juifs n'étoit autre chose qu'une sorte de poids qu'on conservoit dans le sanctuaire pour servir de regle aux poids communs. Voyez SICLE & POIDS DU SANCTUAIRE.
C'est ainsi qu'en Angleterre les étalons des poids sont conservés à l'échiquier par un officier particulier appellé le clerc ou le contrôleur du marché. En France l'étalon des poids est gardé sous plusieurs clés dans le cabinet de la cour des monnoies. Voyez ÉTALON.
La plûpart des nations chez qui le commerce fleurit ont leurs poids particuliers, & souvent même différens poids, suivant les différentes provinces, & suivant les différentes especes de denrées.
La diversité des poids fait un des articles des plus embarrassans dans le commerce, mais c'est un inconvénient irremédiable. Non-seulement la réduction des poids de toutes les nations à un seul est une chose impossible, mais la réduction même des différens poids établis dans une seule nation n'est pas praticable ; témoin les efforts inutiles qu'on a faits en France pour réduire les poids sous Charlemagne, Philippe-le-Long, Louis XI. François I. Henri II. Charles IX. Henri III. Louis XIV.
Les poids peuvent être distingués en anciens, modernes, étrangers & domestiques.
Poids modernes, usités dans les différentes parties de l'Europe & dans le Levant.
Poids anglois. Par le vingt-septieme chapitre de la grande charte, les poids sont les mêmes dans toute l'Angleterre, mais suivant les différentes marchandises on emploie de deux sortes de poids ; l'un poids-de-troye, de 12 onces à la livre ; l'autre poids d'avoir-du-poids, de 16 onces à la livre ; l'origine de l'une & de l'autre de ces mesures est rapportée aux grains de blé contenus dans l'épi. Dans les poids-de-troye 24 de ces grains font un denier de poids sterling, 20 deniers une once, & 12 onces une livre. Voyez ONCE, POIDS.
C'est avec ces poids qu'on pese l'or, l'argent, les pierreries, les grains, & les liqueurs. Les apoticaires emploient aussi le poids-de-troye, l'once & le grain, mais ils ont quelque chose de particulier quant aux divisions intermédiaires. Ils divisent l'once en 8 drachmes, la drachme en 3 scrupules, & le scrupule en 20 grains. Voyez DRACHME, SCRUPULE, &c.
Dans les poids avoir-du-poids la livre contient 16 onces, mais l'once est moindre d'un 1/12 que l'once de troye, cette derniere contenant 490 grains, & la premiere seulement 448.
L'once contient 16 drachmes ; 80 onces avoir-du-poids valent 73 onces de troye, & 17 livres de troye valent 14 livres avoir-du-poids. Voyez LIVRE.
C'est avec les poids avoir-du-poids qu'on pese le mercure, les épiceries, les métaux bas, la laine, le suif, le chanvre, les drogues, le pain, &c. Voyez AVOIR-DU-POIDS.
Table pour le poids de troye.
Table pour le poids aver du poids.
Les monnoyeurs & les jouailliers ont des poids particuliers ; pour peser l'or & pour les pierreries, ils se servent du karat & du grain ; & pour l'argent ils se servent de denier & de grain. Voyez KARAT, OR & ARGENT.
Les monnoyeurs ont encore une maniere particuliere de soudiviser le grain de troye.
Le grain en 20 pites ; la pite en 24 droits ; le droit en 20 périt ; le périt en 24 flans.
Les marchands de laine ont aussi leurs especes de poids particulieres ; le sac, le neigh, le tod, stone, &c. toutes mesures angloises sans termes françois. Voyez NEIGE & les proportions de ces poids à l'article précédent.
Poids employés en France. La livre commune à Paris est de 16 onces, & on la soudivise de deux manieres différentes. Dans la premiere on fait de la livre 2 marcs, du marc 8 onces, de l'once 8 gros, du gros 3 deniers, du denier 24 grains ; le grain étant équivalent à un grain de froment. Dans la seconde division, la livre se partage en deux demi-livres, la demi-livre en deux quarterons, le quarteron en deux demi-quarterons, le demi-quarteron en deux onces, l'once en deux demi-onces.
On employe la premiere division pour les marchandises de prix, la seconde pour celles de moindre valeur.
Mais la livre n'est pas la même par toute la France : à Lyon par exemple, la livre poids de ville, n'est que de quatorze onces ; ensorte que 100 livres de Lyon ne valent que 88 livres de Paris. D'ailleurs outre la livre poids de ville de Lyon, on en emploie une autre pour la soie, qui est de quinze onces : on appelle ce poids, poids de soie.
A Toulouse & dans tout le haut Languedoc, la livre qu'on nomme poids de table, n'est que de 13 1/2 onces du poids de Paris. A Marseille & dans toute la Provence, la livre est de 13 onces du poids de Paris. A Rouen, outre la livre commune de Paris, ils ont le poids de vicomté, qui est de demi-once six cinquiemes plus fort que le poids de marc.
Les poids dont on vient de parler à l'article de France & d'Angleterre, sont les mêmes que ceux dont on se sert dans la plus grande partie de l'Europe ; ce n'est guere que par des noms particuliers, ou par d'autres soudivisions qu'il peut y avoir quelque différence. Voyez LIVRE, GROS, DENIER, MARC, &c.
Chaque nation a cependant quelques sortes de poids particuliers. En Espagne, par exemple, il y a des arrobes qui contiennent 25 livres d'Espagne, ou un quart de quintal ; des quintaux machos qui sont de 150 livres, ou d'un quintal & demi ou de six arrobes ; des adarmes, qui sont la seizieme partie d'une once. Et pour l'or, il y a le castillan ou la centieme partie de la livre ; le tomin, qui est de 12 grains, ou d'un huitieme de castillan. Tous ces poids sont les mêmes dans la nouvelle Espagne.
Dans le Portugal il y a aussi des arrobes qui sont de 32 arates de Lisbonne, c'est-à-dire de 32 livres. Savary parle aussi du faratelle qui est de 2 livres de Lisbonne, & du rottoli qui est de 12 livres ; à l'égard de l'or on se sert du chego qui est de 4 karats ; & ce sont les mêmes poids dans les lieux de l'Orient soumis aux Portugais.
En Italie, & particulierement à Venise, on a le migliaro qui est de 3 mirres, la mirre qui est de 30 livres de Venise. Le saggir qui est la sixieme partie d'une once. A Genes on employe deux sortes de poids, les grands poids pour la douanne, le poids de caisse pour les piastres & autres especes, la cantasa ou quintal pour les marchandises grossieres, la grande balance pour la soie crue, & la petite pour les marchandises plus précieuses.
En Sicile on a le rottolo qui pese 32 livres & demi de Messine. Savary.
En Allemagne, en Flandre, en Hollande, dans les villes hanseatiques, en Suede, en Danemarck, en Pologne, &c. on a des schipponds qui sont à Anvers & à Hambourg de 300 livres, à Lubec de 320, & à Konisberg de 400 livres. En Suede le schippond de cuivre est de 320 livres, & le schippond ordinaire de 400 livres. A Riga & à Revel le schippond est de 400 livres, à Dantzic de 340, en Norvege de 300, & à Amsterdam le schippond est de 300 liv. & se divise en 20 lysponds, lesquels valent chacun 15 liv. Idem.
En Moscovie on compte les marchandises en gros par bercheroct ou berkeirtz, qui sont de 400 de leurs livres. Ils ont encore le poët ou poëde, qui est de 40 livres, c'est-à-dire 1/10 du bercheroct. Idem.
En Turquie, à Smirne, &c. on compte par batman ou battemant qui sont de six ocos ; l'occo est de 3 livres & 4/5 d'Angleterre. Ils ont un autre batman beaucoup moindre, qui consiste, ainsi que le premier, en 6 ocos ; mais ce sont des ocos qui ne pesent que 16 onces d'Angleterre ; 44 ocos de la premiere espece font un quintal turc.
Au Caire, à Alexandrette, à Alep, & à Alexandrie on se sert de rotto, rotton, ou rotoli. Le rotoli au Caire & dans les autres lieux de l'Egypte, est de 144 drachmes, & pese un peu plus que la livre angloise. A Alep il y a trois sortes de rotoli, le premier de 720 drachmes, vaut environ 7 livres d'Angleterre, & sert pour le coton, la noix de galle, & autres marchandises en gros ; le second de 624 drachmes, & sert pour la soie, excepté la blanche, pour laquelle on employe le troisieme rotoli, qui excede 600 drachmes.
A Seyde le rotto est de 600 drachmes.
Dans les autres ports du Levant que nous ne nommons pas ici, on se sert des mêmes poids, particulierement de l'occo, ou ocqua, du rotoli ou rotto.
Afin de faire voir la proportion de ces différens poids entr'eux ; nous ajouterons une réduction des différentes livres dont on fait usage en Europe, & qui servent de regle fixe pour y rapporter tous les autres ; le calcul de ces poids a été fait avec beaucoup de soins par M. Ricard, & a été publié dans la nouvelle édition de son excellent traité de commerce, 1722.
Proportion des poids des principales villes de l'Europe, à ceux d'Amsterdam.
Cent livres d'Amsterdam valent
Poids des différens lieux des Indes orientales. Dans la Chine on employe pour les marchandises en gros le pico, qui est de 100 catis ou cattis, quoique quelques auteurs le font de 126. Le cati se divise en 16 taels ou tales, chacun valant 1 1/3 d'once d'Angleterre, ou le poids d'un rial & 1/12, & se divisant en 10 mas ou masses, lesquelles masses valent chacune 10 condrins ; desorte que le pico chinois monte à 137 livres angloises avoir-du-poids, & que le cati pese 1 livre 8 onces ; le pico pour la soie est de 66 catis & 3/4 ; le batias, bakaise ou bars contient 300 catis.
Les Tonquinois se servent des mêmes poids & des mêmes mesures que les Chinois. Les Japonois n'ont qu'une sorte de poids qui est le catt ; mais il differe du cati des Chinois, en ce qu'il contient 20 taels.
A Surate, à Agra, & dans les autres lieux de l'obéissance du Grand-Mogol, on se sert du man ou maund, qui sont de deux especes ; le man royal ou poids de roi, & le man ordinaire. Le premier est employé à peser toutes les denrées communes, & contient 40 seerson ou serres équivalentes aux livres de Paris, quoique Tavernier prétende qu'elles soient moindres d'un septieme. Le man commun qui sert à peser les marchandises, consiste pareillement en 40 serres, chaque serre valant 12 onces de Paris, ou les 3/4 des autres serres.
Le man peut être regardé comme le poids commun des Indes orientales, quoiqu'il change de nom ou plutôt de prononciation. A Cambaye on l'appelle mao, & dans les autres lieux mein & maun. Le seer est, à proprement parler, la livre indienne, & est d'un usage général ; on en peut dire autant du bahar, tael, & du cati ci-dessus mentionnés.
Les poids de Siam sont les pices qui contiennent deux schans ou catis. Quant au cati de Siam, il n'est que la moitié de celui du Japon, ce dernier contenant 20 taels, tandis que le premier n'en contient que 10 ; quelques auteurs font le cati chinois de 16 taels, & celui de Siam de 8.
Le tael contient 4 baats ou ticals, chacun d'environ une once de Paris ; le baat contient 4 selins ou mayons, le mayon 2 fouangs, le fouang 4 payes, la paye 2 clans, le sous-paye la moitié du fouang. Savary.
Il faut remarquer que ces noms conviennent également aux monnoies & aux poids, parce que l'or & l'argent dans ces pays-là se vendent aux poids comme les autres marchandises. Voyez MONNOIE.
Dans l'île de Java, & particulierement à Bantam, on se sert du gansart qui pese à-peu-près 2 livres hollandoises. A Golconde, à Visapour & à Goa, on a la furatelle, qui est du poids de 1 livre & 14 onces d'Angleterre ; le mangalis ou mangelin qui sert à peser le diamant, les pierres précieuses, & dont le poids est à Goa de 5 grains, & à Golconde de 5 1/2 grains. On a aussi le rotolo valant 14 1/4 onces d'Angleterre, le metricol qui est la sixieme partie d'une once, le vall pour les piastres & les ducats, & qui vaut la soixante-treizieme partie d'un rial.
Dans la Perse on se sert de deux sortes de batmans ou mans, l'un appellé cahi ou cheray, qui est le poids du roi, & l'autre est appellé batman de Tauris, d'un nom des principales villes de Perse.
Le premier, suivant Tavernier, pese 13 livres 12 onces d'Angleterre, le second 6 3/4 livres. Suivant le chevalier Chardin le batman du roi est de 13 livres 14 onces, & le batman de Tauris de 6 1/2 livres : on les divise en vatel, qui en font la seizieme partie ; en derhem ou drachme, qui sont la cinquantieme partie ; en meschal moitié du derhem ; en dung, qui est la sixieme partie d'un meschal, & qui équivaut à 6 grains de carat, & enfin en grain, qui est la quatrieme partie du dung. Il y a aussi le vakié, qui excede un peu l'once d'Angleterre, le sahcheray valant la 1170e partie du derhem, & le toman qu'on employe pour faire de grands payemens sans parler ; son poids est celui de 50 abassis. Savary. Voyez TOMAN.
Poids d'Afrique & d'Amérique. Nous avons peu de chose à dire des poids qu'on employe en Amérique, parce que dans les différentes colonies qui y sont établies on employe les mêmes poids que ceux des pays de l'Europe auxquels elles sont soumises. Quant à la roue du Pérou, qui est de 27 livres, c'est évidemment le même poids que l'arrobe espagnol, dont le nom a été un peu altéré.
Quant à l'Afrique, il y a peu d'endroits où l'on se serve de poids, excepté en Egypte & dans les côtes de l'Afrique, dont les poids ont été comptés parmi ceux des ports du Levant, &c.
Sur les côtes qui sont par-delà le Cap-verd, comme la Guinée, le Congo, à Stofala, Mozambique, il n'y a pas de poids particuliers ; mais les Anglois, les François, les Hollandois, les Portugais y ont introduit leurs poids, chacun dans leur établissement.
Dans l'île de Madagascar il y a des poids particuliers, mais aucun de ces poids n'excede une drachme, ils ne servent qu'à peser l'or & l'argent, car ils ne pesent jamais les autres choses ; le gros s'y nomme sompi, le demi-gros vari, le scrupule ou denier sacare, le demi-scrupule ou obole nanqui, les six grains nangue ou nanque ; pour le grain il n'a point de nom propre. On trouvera dans ce Dictionnaire tous les noms de ces différens poids expliqués, & leur évaluation avec les poids de France ou d'Angleterre. Voyez chaque nom de poids sous son titre particulier.
POIDS, BON POIDS, (Comm.) on appelle bon poids en Hollande, & particulierement à Amsterdam, un excédent de poids que le vendeur accorde à l'acheteur par gratification.
Cet excédent est de deux sortes ; l'un qui est établi depuis long-tems & qu'on paye toujours sans contestation ; l'autre qui est nouveau, & qui cause souvent des disputes. La déduction pour le bon poids anciennement établie, va pour l'ordinaire à un pour cent, & au plus à deux, suivant la nature des marchandises. On peut consulter sur cette matiere la table qu'en a donnée le sieur Ricard dans son traité du négoce d'Amsterdam, imprimé en 1722. Quant au nouvel excédent de bon poids, c'est aux acheteurs à le solliciter & à l'obtenir, & aux vendeurs à se défendre de l'accorder. Dictionnaire de commerce.
POIDS DU ROI ou POIDS-LE-ROI, c'est en France une balance publique établie dans la douanne de Paris, pour peser toutes les marchandises qui y arrivent, & qui sont contenues dans les tarifs dressés à cet effet.
L'établissement du poids-le-roi à Paris est d'une grande antiquité, & l'on en trouve des traces dès avant le tems de Louis VII. Jusqu'au regne de ce prince, il avoit été du domaine royal, mais en 1069 il fut aliéné à des particuliers à la charge néanmoins de la foi & hommage. Il paroît qu'en 1238 les droits du poids-le-roi étoient retournés au domaine, ce qui dura plus d'un siecle ; après quoi ayant été de nouveau aliéné, une partie passa au chapitre de Paris en 1384, ce corps en acquit l'autre moitié en 1417, & il en a été depuis en possession jusqu'en 1693 qu'il fut de nouveau réuni au domaine.
Sauval remarque que pendant très-long-tems les poids dont on se servoit pour peser les marchandises au poids-le-roi n'étoient que des cailloux d'où l'aide du peseur étoit appellé lieve-caillou, ce qui lui fait conjecturer qu'alors les étalons n'étoient eux-mêmes que de pierre, ce que paroissent autoriser les poids de quelques cantons & villes d'Allemagne, qui conservent encore le nom de pierre. Voyez PIERRE.
Le droit de poids-le-roi dont il est tenu registre par les commis du poids, est de deux sortes ; l'un qui est de 10 sols 5 deniers par cent pesant, & du plus ou du moins par proportion jusqu'à une livre, se paye sur toutes les drogueries & épiceries ; & l'autre qui n'est que de 3 sols aussi le cent pesant, & du plus ou du moins sur toutes les autres marchandises communes d'oeuvre-de-poids, comme parlent les ordonnances. Voyez OEUVRE-DE-POIDS.
Amsterdam a aussi ses poids publics, dont l'un est établi dans la place du Dam devant l'hôtel-de-ville, où il y a sept balances pour peser les grosses marchandises, comme sucres, prunes, fanons, laines, &c. & une pour peser les marchandises fines, telles que les soies, la cochenille, l'indigo, &c. un second poids public établi dans le marché-neuf a cinq balances, & un troisieme dans le marché au beurre en a seulement quatre.
On ne s'y sert que du poids de marc. Depuis une livre jusqu'à 25 livres le droit du poids est comme de 25 livres ; depuis 25 livres jusqu'à 50 livres comme de 50, depuis 50 jusqu'à 75 comme de 75, & depuis 75 jusqu'à 100 comme de 100. On peut voir dans le traité du négoce d'Amsterdam de Jean-Pierre Ricard, un tarif des droits du poids de toutes les marchandises qui y sont sujettes, & quelques tarifs particuliers pour quelques especes de marchandises, entre autres les fromages, beurres, syrops. Ces droits, dont partie appartient à la ville & partie à la province, sont régis par des fermiers qu'on renouvelle de trois ans en trois ans. Ils ont sous eux des peseurs qui ne font que mettre les marchandises dans les balances & estimer le poids, & auxquels il est défendu de toucher les cordes desdites balances pour les faire pancher à leur gré. Toute marchandise qui se vend au poids est sujette au droit de ce poids, aucun marchand ne pouvant avoir chez soi de grandes balances sans une permission du fermier, pour laquelle on paye 20, 30, jusqu'à 50 florins plus ou moins, sans préjudice des droits dûs pour le poids public. Quand ils veulent en vendre, ils sont obligés de les faire transporter à quelqu'une des places dont nous avons parlé, ou bien les peseurs publics les pesent devant leur porte à l'aide d'une machine qu'on nomme prikel, ce qui ne coute que 3 florins 3 sols pour le droit du bureau, & 6 à 8 s. pour le port de la machine. Voyez PRIKEL.
En Angleterre, les droits de poids-le-roi sont de 5 sols sterlings pour une pesée d'un millier, & de 2 sols pour une pesée de deux cent, & dont les François payent deux tiers plus que les Anglois.
Dans les anciennes archives d'Angleterre, poids, pondus, signifie un droit que l'on paye au roi, suivant le poids des marchandises. Voyez PONDAGE.
Poids du roi, pondus regis, c'est le nom qu'on donne en Angleterre, à ce qu'on appelle ailleurs étalon, c'est-à-dire à un poids original qui étoit anciennement réglé par le roi ; ce poids est de 12 onces à la livre. Voyez POIDS & ETALON. Savary, Dict. de commerce, & Chambers.
POIDS, (Comm.) considérés par rapport à leur matiere, sont ou de cuivre, ou de fer, ou de plomb, & il y en a d'autres qu'on appelle cloches.
Les poids de cuivre ou de marc sont des poids de cuivre qui viennent pour la plûpart de Nuremberg, & qui étant subdivisés & emboîtés l'un dans l'autre, servent, en les séparant, à peser les marchandises les plus précieuses ; on les appelle poids de marc, parce que tous ensemble, la boîte comprise, ils pesent juste huit onces ou le marc. Voyez MARC.
Les poids de fer sont ordinairement carrés, & ont un anneau aussi de fer pour les prendre plus commodément, sur-tout ceux dont la pesanteur est considérable. On les fabrique dans les forges à fer. Il y en a depuis un quarteron jusqu'à cent livres : on s'en sert pour peser les marchandises les plus pesantes & du plus grand volume.
Les poids de plomb servent au contraire à peser les marchandises les plus legeres, ou celles qui sont en plus petite quantité.
Les poids qu'on appelle cloches de la figure qu'ils ont approchante de celle d'une cloche, sont pleins & massifs. Ils se font par les fondeurs, & s'achevent par les balanciers qui ajustent aussi tous les autres, on les étalonne sur ceux de la cour des monnoies. Voyez ÉTALON.
L'ordonnance du mois de Mars 1673 enjoint à tous négocians & marchands, tant en gros qu'en détail, d'avoir chacun à leur égard des poids étalonnés, & leur fait défenses de s'en servir d'autres, à peine de faux & de 150 livres d'amende. Dictionn. de commerce.
POIDS DORMANT, (Comm.) on appelle ainsi en Flandre & dans le reste des pays conquis le poids ou marc, matrice & étalon que l'on garde dans la monnoie de Lille. Il fut réformé sous le regne de Louis XIV. en 1686, & a depuis pour marque une L à la place du soleil & de la fleur de lys qu'il avoit auparavant. Voyez MARC & ÉTALON. Dict. de commerce, tome III. p. 904.
POIDS ETALONNE, est un poids qui a été marqué par les officiers de la cour des monnoies, après avoir été vérifié & pesé sur le poids matrice ou original, qui se garde dans le cabinet de cette cour. L'étalonnage se fait avec un poinçon d'acier. Voyez ÉTALON, ÉTALONNAGE. Dictionnaire de commerce, tome III. p. 903.
POIDS DE MARC, (Comm.) poids de huit onces ; c'est par cette raison qu'à Paris & dans toutes les villes de l'Europe, quand on parle d'une livre poids de marc, on l'entend toujours d'une livre de seize onces ou de deux marcs. En Hollande, particulierement à Amsterdam, le poids de marc se nomme poids de Troie.
POIDS, (Docimastique) 1°. Un essayeur bien occupé de son art, a besoin d'autant d'especes de poids qu'un artiste est obligé d'en avoir pour peser les mines qu'il travaille en grand, autrement il seroit exposé à des erreurs & perdre son tems à calculer pour réduire ses poids. Il est des occasions où ils no sont pas tous nécessaires, parce que les quantités communes de quelques-uns d'entr'eux facilitent leur réduction ou comparaison. La différence qu'il y a entre les poids ordinaires ou réels, & ceux des essais fictifs, imaginaires ou représentans, c'est que ceux-ci sont mille fois plus petits que les poids réels, devant servir à peser de très-petites quantités de métaux ou de mines dont on veut avoir l'essai. Ces poids en petit se divisent en autant de parties de même nom que les poids réels employés dans les travaux en grand.
Comme les noms & les soudivisions de ces sortes de poids varient selon les différens pays, nous ne nous amuserons pas à entrer dans le détail immense où cette matiere nous jetteroit. Nous ne parlerons seulement que des especes les plus ordinaires. Ceux qui en souhaiteront davantage pourront examiner les poids en usage dans les différens pays, & les comparer avec ceux qui leur sont connus. On trouve dans les traités des monnoies & dans plusieurs ouvrages d'arithmétique leurs noms & leurs proportions.
2°. Le poids le plus commun dans les fonderies, où les métallurgistes tirent les métaux des minerais & des terres métalliques, est le quintal. On le divise en cent parties égales, quelquefois en cent dix, & même en un plus grand nombre, qu'on appelle des livres, en allemand pfund. La livre se divise en trente-deux parties nommées demi-onces, loth ; le loth ou demi-once en deux siciliques, & le sicilique en deux demi-siciliques ou drachmes, quintlein. On ne se sert pas de poids plus petits que ceux-ci, excepté pourtant que les essayeurs divisent encore le demi-sicilique en deux, parce qu'on est quelquefois obligé d'avoir égard à ces sortes de minuties. Mais pour peser toutes les parties dont nous venons de parler, outre un poids de cent livres, il faut encore avoir tous ceux qui sont nécessaires pour les différentes portions de ce quintal. Peu importe qu'on fasse usage d'un quintal de plus de cent livres, la division est toujours la même. On doit donc avoir,
3°. Voici quelles sont les divisions & les noms des poids employés par les Métallurgistes & les Essayeurs, avec cette différence que le quintal de métallurgistes, ou celui dont on se sert dans la société pese 100 livres réelles ou plus, (§. précédent), & que celui des essayeurs ne pese qu'un gros ou demi-sicilique, ensorte qu'il n'est tout-au-plus que 1/12800 du quintal ordinaire ou réel.
4°. Comme les derniers des poids fictifs ou d'essais sont très-petits (§. précédent), & conséquemment très-sujets à se perdre ; & que l'on ne trouve pas par-tout des ouvriers capables de les réparer, un essayeur doit les savoir faire lui-même : c'est ce dont je vais parler.
5°. Ces sortes de poids (§. 2.) se font de lames d'argent quarrées assez étendues pour recevoir la marque de leur poids. On commence par le poids de 64 livres, qui est environ les deux tiers du gros réel, & on lui imprime la marque qui lui convient ; celui-ci sert à régler tous les autres. On met ce poids (soixante-quatre livres) dans la balance d'essai garnie de ses bassins ; & du côté opposé de la grenaille de plomb très-menue, ou du sable fin bien lavé, séché, & passé à-travers un tamis serré jusqu'à ce qu'on en ait l'équilibre, on ôte ensuite le poids & on partage également la grenaille ou le sable : on vuide l'un des bassins, se gardant bien d'y rien laisser de la grenaille : on met à la place un poids qui n'est que la moitié du précédent ; on le marque 32 livres : on peut l'avoir préalablement ébauché dans une balance moins délicate. Si ce second poids surpasse de beaucoup la pesanteur de la grenaille, on lui ôte son excédent avec une lime fine ; mais si cet excès est peu de chose, on se sert d'une pierre fine à aiguiser, sur laquelle on le frotte jusqu'à ce qu'on l'ait rendu capable de faire un équilibre parfait avec la grenaille, observant de le lui comparer de tems en tems. On change pour-lors les bassins pour voir si on n'est point tombé dans l'erreur, ou si la balance n'a point de défauts.
L'on continue la même manoeuvre par tous les autres poids jusqu'à celui d'une livre. Quant à celui du quintal, on met ensemble, pour le régler, ceux de soixante-quatre, de trente-deux & de quatre livres, & on le marque. La division des demi-onces se fait aisément en prenant toujours leur moitié, ainsi qu'il suit. Le poids d'une livre étant une fois bien réglé, l'on mettra en équilibre avec lui un fil d'argent très-droit, recuit au feu, & parfaitement cylindrique. On le divisera en deux parties égales, à l'aide d'un rapporteur & d'un coin bien tranchant, chaque moitié sera un poids de demi-livre, ou de seize demi-onces. Si l'on en divise une en deux, chaque nouvelle division sera un poids de huit demi-onces ou loths, & ainsi de suite jusqu'au gros, voyez la table du §. 2. On se servira des segmens de ce cylindre pour ajuster les petites lames d'argent sur lesquelles on aura empreint le caractere des demi-onces.
Il n'est pas nécessaire d'avoir des divisions de poids au-delà d'une demi-once ; car les drachmes sont déja de très-petits segmens du fil d'argent que l'on est obligé d'applatir légerement, & de courber pour avoir l'aisance de les prendre. On se sert de points pour marquer le nombre des drachmes, ou bien l'on se contente de reconnoître leur poids au rang qu'ils occupent & à leur grandeur. On a aussi une quantité de poids assez considérable pour faire aisément toutes les parties du quintal.
6°. On a souvent besoin d'un quintal qui pese plus d'un gros réel : on peut facilement en faire un, selon les regles que nous avons prescrites au §. précédent, de tel poids que l'on voudra. Il est cependant à propos qu'il soit en proportion avec le petit quintal fictif, comme, par exemple, qu'il lui soit comme deux ou quatre sont à un, parce qu'alors le plus petit peut en faire partie avec toutes ses divisions.
7°. On vérifie les poids neufs, ou l'on s'assûre si les vieux n'ont contracté aucun défaut par l'usage en comparant les grandes quantités aux petites ; comme, par exemple, le quintal avec les poids de soixante-quatre, trente-deux & quatre livres ; celui de soixante-quatre livres avec celui de trente-deux, & deux autres de seize livres, & ainsi des autres. Il est à propos d'avoir deux poids pour chaque division du quintal ; & l'on doit goûter cet avis que, comme l'on a beaucoup de peine & d'ennui à ajuster la grenaille, il n'en coute presque pas davantage pour faire deux poids semblables que pour un seul.
8°. Ces poids, §. 5 & 6, seront tenus renfermés dans une petite boîte plate, munie d'une fermeture, & divisée en petits cassetins garnis de cuir ou de drap ; chacun aura son rang marqué, afin qu'on puisse l'avoir sous sa main. On se gardera bien d'en mettre deux ensemble, car le frottement ne manqueroit pas de leur faire perdre leur justesse.
Quelques artistes ont coutume de faire leurs poids, §. 5, en commençant par le plus petit, & d'aller ainsi en le multipliant jusqu'au quintal. Mais il arrive qu'ils multiplient aussi en même tems l'erreur qu'ils peuvent avoir commise dès le premier, quoique peu sensible, & qu'ils perdent ainsi toutes leurs peines : d'autres au contraire commencent par le plus grand, & éprouvent beaucoup de difficultés pour trouver les petits ; car en partageant toujours par moitié, on ne passe guere aisément le poids de vingt-cinq livres. C'est la raison pour laquelle on doit commencer par soixante-quatre livres, & ne faire point de poids de cinquante livres ni de vingt-cinq, vû qu'on les peut composer de l'assemblage des autres.
9°. Le quintal réel differe en plusieurs endroits. Souvent il contient plus de cent livres, & va même jusqu'à cent dix & au-delà. Lors donc qu'un essayeur sera obligé de faire un essai de quelque matiere dont le poids soit en proportion avec celui du quintal réel, il ajoutera au quintal représentant autant de livres que le quintal réel en contient en sus.
10°. On se sert d'un poids de marc ou de demi-livre pour les essais d'or & d'argent ; & pour connoître le titre des monnoies d'argent allié au cuivre ou à quelqu'autre métal. On le divise en seize demi-onces ou loths, chaque loth en quatre demi-siciliques, quintlein ; le demi-sicilique en quatre deniers, pfenning ; & le denier en deux mailles, heller. On donne à cette suite représentant le marc le nom de poids-de-semelle, pfenning-gewicht.
11°. Le poids de marc du §. précédent n'est pas absolument nécessaire, parce qu'on peut se servir à sa place du quintal d'essai (§. 2. & 5.), en prenant le poids de seize livres de celui-ci pour les seize demi-onces du poids de semelle, qui y est représenté dans toutes ses parties. Chaque livre du quintal fictif répondra donc à une demi-once du poids de marc représentant : huit demi-onces à un demi-sicilique : deux demi-onces à un denier, & une demi-once à une maille.
12°. Si l'on veut avoir un poids de marc fictif pour allier le cuivre à l'argent, on le divise ainsi que le précédent en seize loths. Mais chaque loth est sousdivisé en dix-huit grains, & selon Georges Agricola en quatre siciliques ; chaque grain en quatre parties. Le plus fort poids de cette suite est donc le marc, lequel peut, comme celui du §. précédent, être représenté par celui de seize livres du quintal d'essai, auquel cas la livre de celui-ci vaudra un loth de celui-là.
Le second poids de ce marc est petit, c'est-à-dire, le plus fort après le premier sera de huit loths ; le troisieme, de quatre ; le quatrieme, de deux ; le cinquieme, d'un seul ou de dix-huit grains ; le sixieme, d'un demi-loth ou de neuf grains. On peut encore substituer à ce dernier la demi-livre du quintal fictif. Quant à la division des grains du poids en question, on aura recours aux mêmes expédiens que pour les demi-onces du quintal en petit, c'est-à-dire, au cylindre d'argent (§. 5.). Son septieme poids sera donc de six grains ; le huitieme, de trois ; le neuvieme, de deux ; le dixieme, d'un seul ; l'onzieme, d'un demi ; & le douzieme enfin, d'un quart de grain. Ces grains auront des causes particulieres, de peur qu'on ne les confonde avec les demi-onces du quintal imaginaire.
Au reste, s'il prenoit fantaisie à quelque artiste de se faire un poids particulier en suivant notre division, nous n'avons pas d'autres avis à lui donner que ceux que nous avons exposés au §. 5. & suivans ; excepté pourtant que son principal poids de marc ne doit être tout-au-plus que de l'équivalent de celui de seize livres du quintal d'essai, comme nous l'avons dit aussi. Il est arbitraire à-la-vérité de choisir tel poids absolu qu'on voudra, pour lui donner les divisions reçues : mais aussi un poids trop considérable est contraire aux vûes de l'art, puisqu'il ne s'occupe que de travaux en petit & non en grand. On fait principalement usage en Allemagne des deux poids de marc du §. 5. & de celui-ci.
13°. Dans la Flandre, au lieu des poids exposés aux §. 10. & 12. on se sert d'un poids de semelle que l'on divise idéalement en douze deniers, chacun desquels est sous-divisé en vingt-quatre grains. Ces douze deniers pesent un demi-gros réel ; c'est donc le poids que l'on donne au premier de la suite. Le second est de six deniers ; le troisieme, de trois ; le quatrieme, de deux ; le cinquieme, d'un seul ; le sixieme, de douze grains ; le septieme, de six ; le huitieme, de trois ; le neuvieme, de deux ; & le dixieme, d'un seul. On néglige les autres divisions.
14°. Quant à l'alliage de l'or par l'argent & le cuivre, on y fait usage d'un poids de semelle (carath-gewicht), que l'on divise idéalement en vingt-quatre karats (carath). Chaque karat se divise aussi imaginairement en douze grains ; le premier poids de la suite pese donc, ainsi qu'il convient, vingt-quatre karats ; le second, douze ; le troisieme, six ; le quatrieme, trois ; le cinquieme, deux ; le sixieme, un seul ; le septieme, un demi ou six grains ; le huitieme, trois ; le neuvieme, deux ; le dixieme, un grain.
Il y a encore un grand nombre d'especes de poids, différentes de celles dont nous venons de parler §. 1. & suivans. Mais toute l'étendue dont cette matiere est susceptible n'est point de notre plan. On peut consulter à ce sujet le septieme livre de la métallique de Georges Agricola ; Docimastiq. de Crammer. (D.J.)
POIDS, (Pharmacie). Les Apothicaires se servoient autrefois de la livre de Médecine, qui étoit composée de douze onces, chacune moindre d'un sixieme que l'once poids de marc usité à Paris. Car cette once de Médecine étoit composée de huit gros ou dragmes qui n'étoient chacune que de soixante grains, au lieu que le gros poids de marc contient soixante-douze des mêmes grains.
Aujourd'hui les Apothicaires ne se servent plus en France & dans presque tous les pays de l'Europe, que de la livre civile ou marchande usitée dans chaque pays ; & lorsque quelques auteurs désignent une quantité de quelque remede par la livre de Médecine, ils ont soin d'ajouter l'épithete medica au mot libra. Reste donc à savoir seulement quelle est la livre usitée en chaque pays. Voyez LIVRE, Commerce.
La livre se désigne ainsi dans les formules de Médecine par ce caractere ; l'once, par celui-ci ; le gros, par celui-ci ; le tiers du gros, que les Médecins appellent scrupule, par celui-ci ; & enfin le grain, par les lettres initiales gr. (b)
POIDS, terme de Monnoie, c'est l'épreuve de la bonté des especes de monnoie.
Ces poids sont ordinairement de cuivre, de plomb ou de fer ; dans quelques endroits des Indes orientales, ils ne sont que de pierre : mais comme la sûreté & la bonne foi du commerce, dépendent en partie de la fidélité & de la justesse des poids, il n'y a guere de nation, pour peu qu'elle soit policée, qui n'ait pris des précautions pour en empêcher la falsification. La plus sûre de ces précautions est ce qu'on appelle communément l'étalonnage, c'est-à-dire, la vérification & la marque des poids, par des officiers publics sur un poids matrice & original, qu'on appelle étalon, déposé dans un lieu sûr, pour y avoir recours quand on en a besoin. Cet usage est de la premiere antiquité. En Angleterre, l'étalon est gardé à l'échiquier ; & tous les poids de ce pays-là sont étalonnés sur ce pié original, conformément à la grande charte. En France, le poids-étalon se garde dans le cabinet de la cour des monnoies. (D.J.)
POIDS ORIGINAUX, (Monnoie) ce sont des poids de cuivre avec leurs boîtes de même métal, assez proprement travaillés, & que le roi Jean qui régnoit en 1350 fit faire. On les a mis en dépôt à la cour des monnoies à Paris, & on s'en sert en cas de nécessité pour régler tous les autres poids. (D.J.)
POIDS, clous au, (Clouterie). Les clous au poids, dans le négoce de Clouterie, sont plus forts que les broquettes, & commencent où elles finissent ; ils vont depuis deux livres jusqu'à quarante livres au millier. Ils s'achetent presque tous à la somme, composée de douze milliers ; dans le détail on les vend ou à la livre, ou au compte. (D.J.)
POIDS DU SANCTUAIRE, (Théologie) expression fort usitée dans l'Ecriture. Moïse parle souvent du poids du sanctuaire, lorsqu'il est question de marquer un poids juste, public & sûr.
Plusieurs savans ont prétendu que ce poids du sanctuaire étoit plus fort que le poids ordinaire. D'autres au contraire ont donné un plus grand poids au poids commun qu'au poids du sanctuaire. Ils sont encore partagés sur la valeur & sur le poids de ces deux sicles, & sur la distinction qu'il y a à faire entre le sicle du sanctuaire & le sicle public, ou le sicle du roi ou le sicle commun. Voyez SICLE.
Les uns croient que le poids du sanctuaire & le poids du roi sont mis par opposition au poids des peuples étrangers comme les Egyptiens, les Chananéens, les Syriens. D'autres veulent que le poids du roi signifie le poids babylonien, & que par le poids du sanctuaire il faut entendre le poids des Juifs.
Les meilleurs critiques soutiennent que la distinction du poids du sanctuaire & du poids public est chimérique ; que toute la différence qu'il y a entre ces deux poids est celle qui se trouve entre les étalons qui se conservent dans un temple ou dans une maison de ville, & les poids étalonnés dont se servent les marchands & les bourgeois. On voit par les Paralipom. liv. I. c. xxij. v. 29. qu'il y avoit un prêtre dans le temple qui avoit soin des poids & des mesures : super omne pondus & mensuram. Et Moïse ordonne, Levitic. xxvij. 25. que toutes choses estimables à prix d'argent seront estimées sur le pié du poids du sanctuaire. D'ailleurs il ne marque point de différence entre ce poids & le poids public. Ni Josephe, ni Philon, ni saint Jérôme, ni aucun ancien ne marquent cette distinction prétendue du poids du temple & du poids du peuple.
Au reste la coutume de conserver les étalons des poids & des mesures dans les temples n'étoit pas particuliere aux Hébreux. Les Egyptiens, au rapport de saint Clément d'Alexandrie, avoient dans le college de leurs prêtres un officier dont la fonction étoit de reconnoître toutes les mesures, & d'en conserver les mesures originales. Les Romains avoient la même coutume. Fannius, parlant de l'amphore, dit :
Amphora fit cubitis, quam ne violare liceret,
Sacravêre Jovi Tarpeïo in monte Quirites.
Et Justinien, par sa novelle CXXVIII. c. xv. ordonna que l'on garderoit les poids & les mesures dans les églises des Chrétiens. Calmet, Dict. de la Bibl. tom. III. pag. 240.
Poids du sanctuaire se prend aussi, dans un sens figuré & moral, pour un jugement exact & rigoureux. Peser ses actions au poids du sanctuaire, c'est examiner scrupuleusement si elles sont conformes à la loi, sans les flatter, ou se déguiser ce qu'elles peuvent avoir de vicieux.
POIDS, (Critiq. sacrée) dans la vulgate pondus, onus ; ce mot se prend au figuré pour la grandeur des choses ; cette grandeur, en parlant du bonheur à venir, est opposée à la légereté des afflictions de cette vie, dans la II. aux Corinthiens, iv. 17. Les Hellénistes se servent de ce mot pour marquer la force, la puissance, le nombre. Une pesante troupe, ; I. Macch. j. 18. c'est une puissante armée. Ailleurs, je louerai Dieu parmi un grand peuple ; Ps. xxxv. xviij. & Ps. xxxiv. selon les septante : il y a dans l'original un peuple pesant, ; voyez PESANT.
Poids veut dire aussi travail, fatigue ; Matt. xx. 12. nous avons supporté toute la fatigue du jour, portavimus pondus diei, . 3°. Ce mot désigne une charge, une commission pénible : pourquoi soutiens-je seul la charge de tout le peuple ? pondus universi populi. 4°. Il signifie punition, châtiment : j'étendrai sur Jérusalem la punition de la maison d'Achab ; IV. des Rois, xxj. 13. pondus domûs Achab. 5°. Il marque aussi la proportion des peines : je vous jugerai dans un rapport juste entre la peine & la faute, ponam in pondere judicium ; Isaïe, xxviij. 17. (D.J.)
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POIG | (Géog. Hist. nat.) riviere de la Carniole, qui prend sa source dans une montagne qui est à une lieue de Adelsberg, & qui se perd tout-d'un-coup sous terre dans une grotte souterreine d'une étendue immense, & dans laquelle on peut se promener l'espace de plusieurs lieues. Le bruit que font les eaux de cette riviere ainsi absorbée est très-fort ; elle va de-là reparoître dans un endroit appellé Planina, après quoi elle se perd encore une fois sous une roche, & enfin elle se remontre encore, & alors elle prend le nom de Laubach.
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POIGNARD | S. m. (Hist. mod.) dague ou petite arme pointue que l'on porte à la main, à la ceinture, ou qu'on cache dans la poche.
Ce mot vient de poignée. Le poignard étoit autrefois fort en usage, mais aujourd'hui il n'y a que des assassins qui s'en servent. Voyez ASSASSIN.
Les duélistes se battoient ci-devant à l'épée & au poignard ; les Espagnols s'y battent encore. Le maniement de l'épée & du poignard fait encore une partie de l'exercice que l'on apprend des maîtres en fait d'armes.
Les Turcs, & sur-tout les Janissaires, portent à la ceinture un poignard.
POIGNARD, (Littérat.) Le poignard étoit la marque du pouvoir souverain des empereurs ; ils le faisoient porter par le préfet du prétoire. En effet Lampride a remarqué dans la vie de Commode, que ce prince fit trois préfets du prétoire, contre la coutume, l'un desquels étoit affranchi, & portoit le poignard devant lui ; ensorte qu'on l'appelloit libertus à pugione.
Quelquefois l'empereur portoit lui-même ce poignard, comme on peut le voir dans Tacite, où Vitellius se déposant lui-même de l'empire, tira le poignard qu'il portoit à son côté, comme un titre qu'il avoit sur la vie des citoyens, & le remit entre les mains du consul Celius Simplex, qui étoit présent à cette action.
Galba, dans Suétone, portoit son poignard pendu au col. Si nous en croyons Xiphilin, on se moquoit à Rome de voir ce prince tout cassé & tout usé de vieillesse, & d'ailleurs tout noué de gouttes, portant une arme qu'il ne pouvoit manier, & qui ne lui servoit que d'un fardeau inutile & embarrassant. Et certes il ne sied guère qu'à un jeune prince de répondre, comme fit Charles IX. aux principaux seigneurs de sa cour, qui sollicitoient ardemment la charge de connétable après la mort d'Anne de Montmorency : Je n'ai que faire de personne pour porter mon épée, je la porterai bien moi-même. Cet exemple de Galba peut servir à confirmer la vérité de ces beaux vers :
Ceux à qui la chaleur ne bout plus dans les veines,
En vain dans les combats ont des soins diligens.
Mars est comme l'Amour, ses travaux & ses peines
Veulent de jeunes gens.
Richelet. (D.J.)
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POIGNÉE | S. f. (Gramm.) ce que la main peut contenir. Prenez une poignée de laitue, &c. une poignée de gens, &c.
Poignée se dit aussi de la partie par laquelle on prend une épée, une canne, &c.
POIGNEE, BARRE A POIGNEE, partie du métier à bas. Voyez l'article METIER A BAS.
POIGNEE, terme d'Emballeur. Ce terme signifie une certaine oreille ou pointe de toile que les emballeurs laissent aux quatre coins d'un ballot, pour le pouvoir remuer facilement.
POIGNEE, en terme de Fourbisseur, est proprement cette partie ovale d'une garde que la main embrasse en tenant l'épée. Les poignées étoient autrefois toutes remplies de tresses d'or ou d'argent ; mais à cette mode ont succédé les poignées pleines ou de même matiere, qui sont encore aujourd'hui les plus recherchées.
On fait aujourd'hui les poignées de bois, que l'on entoure d'un fil d'or, d'argent ou de cuivre ; ces fils d'or ou d'argent sont filés l'un sur l'autre, & entourent en spirale le corps de la poignée, laquelle par ce moyen est remplie d'inégalités semblables à celles d'une lime, ce qui l'affermit d'autant plus dans la main de celui qui s'en veut servir. C'est aussi pour cette raison que l'on fait le noyau quarré. Les poignées de métal au contraire par leur poli, échappent des mains plus facilement.
POIGNEE, (Graveur-Ciseleur.) Les graveurs en cachets appellent poignée un morceau de bois rond de deux à trois pouces de diametre, & de trois à quatre pouces de longueur, sur le bout duquel ils mettent le ciment dans lequel ils enfoncent à chaud le cachet, qui se trouve par ce moyen solidement affermi sur la poignée. Voyez dans les Planches & leur explication, la poignée, le cachet, dont la queue est dans la poignée ; le ciment qui l'environne, qui est composé d'une partie de poix grecque, & d'une autre de brique pulvérisée. Toutes les matieres bitumineuses mêlées avec des sables, sont également propres à faire ce ciment, qui doit être facile à fondre, & très-dur après qu'il est refroidi ; mais on choisit celle dont l'odeur est plus supportable, ou qui est à meilleur marché.
C'est une chose digne de remarque, que dans tous les arts lorsque les ouvriers ont à opérer sur de petites pieces, ou que leurs doigts ne sauroient tenir fermement, qu'ils se servent de différentes tenailles, poignées, valets, ou autres inventions, dont les uns retiennent le petit corps sur lequel ils veulent opérer par une sorte de soudure, comme par exemple la poignée des Graveurs, qui est le sujet de cet article ; d'autres seulement par la pression de quelques parties de l'ouvrage entre d'autres parties de la machine qui sert à les tenir, comme, par exemple, l'étau, voyez ÉTAU. Le même besoin qui fait que nos ouvriers se servent encore de ces inventions, est celui qui jadis les a fait inventer.
POIGNEES dont les Facteurs d'orgue se servent pour tenir les fers à souder avec lesquels ils soudent les tuyaux & autres pieces de plomb ou d'étain dont l'orgue est composée, sont des demi-cylindres de bois D E, fig. 28. Pl. d'orgue, convexes-concaves. Pour faire des poignées on prend une petite buche de bois de chêne bien ronde, & assez grosse pour remplir la main ; on coupe cette buche par tronçons d'environ un demi-pié de long : chaque tronçon, que l'on fend en deux parties égales, selon le fil du bois & le diametre de la buche, fait une poignée. Lorsque les deux moitiés sont séparées, on creuse dedans avec un ciseau une espece de gouttiere E qui doit occuper toute la longueur de la poignée ; ces gouttieres reçoivent le manche ou la queue du fer à souder A B C, qui doit entrer juste dedans, afin que lorsque l'on serre les deux poignées l'une vers l'autre, le fer ne puisse échapper. Après que les deux moitiés de la poignée sont faites, on colle un morceau de peau qui joint les deux parties ensemble, afin de ne point les dépareiller.
POIGNEE, en terme de Metteur en oeuvre, est une moitié de fuseau sur le gros bout de laquelle on met du ciment pour y affermir les pierres qu'on veut travailler ; l'autre bout allant toujours en diminuant, entre dans la boule à sertir, voyez BOULE A SERTIR. Voyez Pl. du Metteur en oeuvre.
POIGNEE, en terme d'Orfevre en grosserie, c'est la partie d'un chandelier sur laquelle est la place de la main quand on veut le transporter. La poignée commence ordinairement & finit par un panache. Voyez PANACHE.
POIGNEES, (Salines) Ce terme est en usage dans le négoce de la saline, & signifie deux morues. Ainsi l'on dit une poignée de morue, pour dire deux morues. En France les morues se vendent sur le pié d'un certain nombre de poignées au cent, & ce nombre est plus ou moins grand, suivant les lieux. A Paris, le cent est de cinquante-quatre poignées ou cent huit morues ; à Orléans, à Rouen, & dans tous les ports de Normandie, le cent est de soixante-six poignées, ou cent trente-deux morues. A Nantes, & dans tous les autres ports du royaume, le cent est de soixante-deux poignées, ou cent vingt-quatre morues. Diction. de Comm. (D.J.)
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POIGNET | S. m. (Gramm.) l'endroit où la main finit & où le bras commence, & où se fait le mouvement de la main.
POIGNET, terme de Lingere, c'est la partie de la chemise ou d'autre ouvrage de toile où sont les arrieres-points & les pommettes.
On appelle aussi poignets des fausses manches qu'on met dans quelques pays, pour conserver propres les manchettes & les poignets des chemises. (D.J.)
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POILLIER | S. m. (Architect.) grosse piece de fer qui porte la fusée & la meule dans un moulin ; c'est sur cette piece que pose la poilette, qui est un vaisseau de gros fer dans lequel on met la graisse. (D.J.)
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POILS | S. m. (Anatomie) ce qui croît sur la peau de l'animal en forme de filets déliés. Voyez PEAU.
Il y a de deux sortes de poils ; les uns dont nous parlerons plus loin, naissent de leur propre bulbe dans la graisse ; les autres sont plus courts, & ne percent pas la peau, ils paroissent venir des papilles ; mais soit qu'ils en viennent ou de plus loin, c'est-à-dire de la membrane cellulaire, ils ont une tige molle qui se distingue sous l'épiderme, s'éleve audessus de la peau, trouve une propre fossette dans l'épiderme, entre dans un entonnoir quelquefois long de deux lignes, & de la surface de l'épiderme arrive au poil ; & ne faisant qu'un tout avec ce même petit entonnoir, devenu cylindrique, se change ainsi en poil, qui pour cette raison suit l'épiderme lorsqu'on l'arrache.
Presque tous les auteurs n'ont décrit que les poils plantés dans la graisse ; ils se démontrent beaucoup plus facilement qu'ailleurs, à la tête & au pubis ; & les animaux n'en ont que de cette espece, suivant Malpighi, Chirac, &c. Il y a dans la membrane adipeuse des bulbes ou follicules propres, d'où le poil prend son origine, étant d'abord elliptique ; ils deviennent pointus & grêles vers la peau, ou ronds de toutes parts. Le bulbe reçoit des artérioles, de petites veines, des nerfs qui se divisent tous dans la membrane du bulbe ; &, suivant Chirac, des fibrilles tendineuses qui viennent de la peau. Du sein du bulbe s'éleve la tige cylindrique & molle du poil que forment la membrane extérieure du bulbe & la moëlle contenue en dedans, avec les parties internes du bulbe, de laquelle naissent divers filamens très-fins, qui se joignent en une seule tige. Cette moëlle est, dit-on, coupée de rides transverses & inégales quand la tige parvient à la peau ; elle se fait un trou ou dans la peau, ou au-travers de quelque papille, ou d'une glande sebacée, & alors elle entre dans sa gaîne, comme on l'a dit ; elle a deux enveloppes, dont l'externe est fournie par l'épiderme, l'autre est fournie par le bulbe ; ce que je ne crois pas qu'ait observé Malpighi, lui qui a cependant vû les tuyaux élémentaires de l'enveloppe du poil. Les poils viennent solitaires le plus souvent dans l'homme, par paquets dans les oiseaux ; ils ne naissent pas seulement dans la graisse sous cutanée, mais souvent dans celle qui se trouve dans les diverses parties internes du corps, dans l'ovaire, dans l'épiploon, dans la matrice, dans l'estomac & ailleurs.
Tous les quadrupedes sont des animaux à poils ; parmi les oiseaux, les uns ont des poils qui poussent toujours, & aux autres ils ne poussent que lorsqu'ils sont jeunes. L'homme n'a qu'un petit nombre de poils courts, excepté à la tête. Les gens malpropres qui ne changent pas de linge, qui vivent dans les forêts, sont velus comme des satyres : c'est par cette raison qu'on voit quelquefois des femmes qui ont de la barbe : on en a vu qui avoient tout le visage & tout le corps couverts de poils. Dans les pays chauds, les animaux ont peu de poils, qui tombent facilement ; & c'est dans les pays froids qu'on trouve ces belles peaux d'ours & de renards. Les negres qui habitent la zone torride ont peu de poils ; ils sont courts & cotonneux. L'histoire ne nous rapporte cependant pas que les Laponois & ceux de la Groënlande soient plus velus que nous, quoique la barbe, & sur-tout les cheveux soient plus abondans & plus clairs dans le Nord.
M. Winslow fait venir l'huile qui enduit les poils du bord même de la fossette qui lui donne passage ; & cela paroît devoir être toutes les fois que le poil se fait jour par un follicule. Portius cite des trous très-fins, par lesquels transsude la moëlle interne même ; il met les plus grands au bulbe, & les petits vers la pointe du poil : mais personne ne les a vûs, ni l'auteur même, si ce n'est dans les poils de cochon. Chirac dit que la membrane même du bulbe est glanduleuse ; ce qu'il y a de certain, c'est que les glandes cutanées abondent par-tout où il y a des poils. Ce liniment gras dont j'ai parlé étoit nécessaire aux poils ; s'ils se sechent, ils se fendent & meurent, ce qui s'observe fréquemment dans les cochons. Mais qu'arrive-t-il dans cette autre maladie nommée plica ? Il se fait une si grande secrétion aux bulbes des cheveux, qu'ils deviennent d'une longueur demesurée, longs de quatre aunes quelquefois ; & se fendant faute de nourriture, ils laissent passer le sang : preuve certaine qu'il se fait une succession continuelle d'une très-grande partie de la moëlle qu'ils reçoivent du bulbe. L'accroissement naturel des cheveux vient de cette moëlle qui pousse sans cesse & monte par la structure vasculeuse de la moëlle, comme il arrive ordinairement dans les plantes, & prend elle-même un accroissement continuel de celui de l'épiderme, de son enveloppe extérieure. L'augmentation de la résistance fait que les poils se resserrent insensiblement en pointe conique : ces figures qu'on nous donne de poils branchus ou à noeuds, sont des fautes des observateurs, ou des effets de maladies ; à moins que ces noeuds ne soient peut-être dans quelques animaux. Les crins dont certains auteurs font mention, ne paroissent pas plus vraisemblables. La couleur des cheveux vient de celle de la moëlle qui les nourrit ; leur écorce est de la même couleur que l'épiderme. Lorsqu'on vient au monde, les cheveux sont blonds, & blanchissent dans la vieillesse, avec une transparence, effet du desséchement. Dans les lievres, les ours & les renards des Alpes & du Nord, on voit assez communément les poils devenir blancs peu-à-peu en hiver, & reprendre en été leur premiere couleur. Le cheveu au-reste devient peu-à-peu de blanc jaune, brun, cendré, noir, à-moins que ces gradations ordinaires ne soient interrompues & troublées par des accidens subits, comme la terreur, qui fit blanchir les cheveux dans une seule nuit, suivant Boyle & Borelli.
La tête transpire bien autrement que les autres parties, à cause de la grande quantité des follicules. Comme les poils retiennent la matiere de la transpiration, ils forment une chaleur humide fort amie des poux qui s'y amassent, quand on néglige de se peigner. Les poils transpirent-ils eux-mêmes ? Telle est la conjecture de Kaaw. Portius tâche de le démontrer, mais la nature même de la chose suffit pour nous en convaincre. Si le suc médullaire qui parcourt toute l'étendue du poil, depuis sa racine jusqu'à son extrémité ne s'exhaloit pas, que deviendroit-il ? Cela n'est-il pas prouvé par les places vuides des poils, que Malpighi a vûs pleins d'air ? On a vû dans les poils mêmes, non-seulement des animaux chauds, tels que les chats, mais dans ceux de la tête de l'homme ; on a vû, dis-je, sortir des étincelles d'une lueur transparente ; phénomene singulier observé par nombre d'auteurs, & dont la cause n'est pas encore connue. On connoît cette maladie nommée athézême ; elle a son siége dans les ampoules des poils, ou huileuses, ou sébacées, qui ne décharge point leurs sucs, parce que leurs orifices sont bouchés ; & comme il en vient toujours de nouveaux par les artères, elles se gonflent d'une façon énorme. Dans la phrénésie, dans les maux de tête ; en un mot, si on sent trop de chaleur, il est utile de se faire raser les cheveux ; il faut s'en donner garde à ce qu'on dit dans la plica, parce que la liqueur qui se consumoit en cette moëlle superflue de cheveux, croupit, rentre, & va attaquer les yeux & autres parties nobles, & les os mêmes. Et cette théorie est fondée, ajoute-t-on, sur l'expérience. Un auteur parle d'un moine aveugle qui se guérit en se faisant faire la barbe, sans la laisser jamais croître, suivant sa coutume. Est-il bien vrai que les poils soient entre chaque partie, comme autant de piquets faits pour les tenir séparées & ne pas troubler leurs fonctions ? Je crois plutôt qu'il n'y a aucuns poils, où le tact est très-fin, où l'on sue souvent, & où par conséquent l'arrangement des papilles & des vaisseaux cutanés est fort nécessaire. L'homme a-t-il eu des poils, pour se couvrir comme les bêtes, quand la société lui refusoit d'autre habit ? je le crois au pubis comme à l'anus, cette intention de la nature me paroît évidente. Spigel a observé autrefois, que le dos des brutes & la poitrine de l'homme sont couverts de poils ; chacun pour se garantir des injures de la pluie & des vents qui agissent toujours plus sur la poitrine de l'homme que sur le dos.
POIL, (Anat.) les poils contre nature, qu'on trouve quelquefois en différens endroits du corps dans les parties intérieures de l'homme, ne se nourrissent point comme les poils de la peau ; ils n'ont point de racines ; ils ne sont point adhérens aux parties ; ils y sont simplement collés, & on les en détache facilement. Enfin, on les trouve dans des parties grasses, ou confusément mêlés avec une matiere onctueuse. Ainsi l'origine de ces poils pourroit bien être une matiere grasse & onctueuse, qui ayant séjourné dans des follicules, s'épaissit au point nécessaire pour faire des brins velus ou soyeux, lorsque cette matiere a été filée par des trous excréteurs, ou par des pores. (D.J.)
POIL, (Science microscop.) Malpighi a trouvé que les poils des animaux étoient composés d'un grand nombre de tubes extrêmement petits ; c'est en examinant la criniere & la queue d'un cheval, & les soies d'un verrat, qu'il a fait cette découverte. On distingue fort aisément ces tubes vers le bout des poils où ils paroissent plus ouverts, & il en a quelquefois compté plus de vingt. Dans les pointes des hérissons qui sont de la nature des poils, il apperçut ces tubes fort clairement, & il y vit des valvules & des cellules médullaires.
Il y a aussi dans les poils de plusieurs animaux, des lignes, qui dans les uns sont transversales, dans les autres spirales, & de couleur noirâtre. Les poils d'un rat sont de cette espece, ils paroissent comme s'ils avoient des articulations semblables à celles de l'épine du dos ; ils ne sont pas unis, mais dentelés par les côtés, & terminés par une pointe d'une finesse inconcevable. Les poils du ventre sont moins opaques & plus propres au microscope.
Les poils des hommes, des chevaux, des brebis, des cochons, &c. sont composés de fibres creusées en tubes, longues & minces, ou de plus petits poils entourés d'une écorce ; par ce moyen un poil fendu paroît semblable à un bâton qui s'est rompu en frappant ; ils ont des racines de différentes figures en différens animaux ; ils s'allongent par impulsion, & sont plus épais au milieu qu'aux deux bouts.
Les poils des cerfs indiens sont percés de part en part ; ceux des cerfs d'Angleterre paroissent couverts d'une écorce écailleuse. Les moustaches des chats, coupées en travers, ont quelque chose au milieu qui ressemble à la moëlle du sureau. Les pointes du porc-épic ou du hérisson, ont aussi une moëlle blanchâtre & étoilée ; & le poil de l'homme coupé de la même maniere, présente une grande variété de vaisseaux qui ont des figures fort régulieres.
Les poils tirés de la tête, des sourcils, des narines, de la main, & des autres parties du corps paroissent différens, tant dans les racines que dans les poils même, & varient comme les différentes especes d'un même genre de plante. (D.J.)
POIL DES INSECTES, (Scienc. microscop.) on trouve plusieurs especes d'insectes qui sont revêtus de poils ; quelquefois très-visibles, & quelquefois si fins qu'on ne peut les voir qu'à l'aide d'une bonne loupe. Les insectes n'ont pas de poils dans toutes les parties de leurs corps. Quelques-uns en ont à la tête, où ils font l'effet que les barbes font aux plumes ; dans d'autres le corcelet est tout couvert de poils antérieurement ; d'autres ont la partie postérieure de leur dos toute velue. L'on découvre encore dans quelques-uns des poils sur leurs aîles, tant inférieures que supérieures, & sur leurs jambes. Les poils de divers insectes sont roides & cassans ; c'est ce qui rend les piquures de ceux des chenilles si incommodes, & qui a fait regarder ces insectes comme venimeux.
Ces poils sont de différentes couleurs, qui changent cependant lorsque les insectes vieillissent, & qu'ils sont prêts à former leur coque ; c'est sur-tout dans ces derniers cas, où les insectes cessent de manger, & vont se disposer à changer d'état, qu'il arrive quelquefois des changemens très-considérables à leurs poils. De bons observateurs ont remarqué des chenilles d'un poil naturellement très-blanc, & qui se change alors en noir en moins de quelques heures.
Les poils sont clair-semés sur quelques-uns ; sur d'autres assez abondans, & d'autres en sont hérissés. Il y a des insectes qui sont ornés de brosses, les unes quarrées, les autres rondes ; en d'autres les poils égalisés par le haut, ressemblent aux aigrettes de verre que les Turcs portent à leurs turbans, ou se terminent en pointe comme l'extrémité d'un pinceau. L'on en voit dont les poils sont si gros, si piquans, qu'on les peut appeller des épines.
Chacune de ces épines se divise encore quelquefois en plusieurs branches dures, & souvent si petites, qu'elles ne tombent pas sous les sens. Elles sont pareillement de différentes couleurs, comme on le remarque dans les diverses especes de chenilles épineuses : chacune de ces épines n'a pas le même nombre de branches ; les unes en ont trois, d'autres quatre, ou même plus ; leur position est aussi très-différente. Dans les uns, les épines sont placées autour de chaque anneau sur une même ligne ; dans d'autres, elles y sont placées sur deux lignes différentes, obliquement, & toujours à des distances si égales, qu'on diroit qu'elles ont été mesurées dans la derniere exactitude.
Ces poils & ces épines ont leur usage ; ils garantissent tels insectes d'un trop grand frottement, qui ne pourroit qu'endommager leur peau ; ils servent d'armes aux antres qui les emploient à piquer leurs ennemis avec assez de force. Enfin, parmi ceux qui vivent sous l'eau, il y en a qui y renferment entre leur poil une bulbe d'air qui leur sert pour remonter plus facilement sur l'eau. (D.J.)
POILS, (Chymie) poils & cheveux. Voyez SUBSTANCES ANIMALES.
POIL, (Commerce) filets déliés, qui sortent par les pores de la plûpart des animaux à quatre piés, & qui servent de couverture à toutes les parties de leur corps.
Il se fait en France, en Angleterre, en Hollande & ailleurs, un commerce & une consommation prodigieuse de plusieurs sortes de poils, qui s'emploient en diverses especes de manufactures. Les uns sont filés, & les autres encore tels qu'ils ont été levés de dessus la peau des animaux qui les ont fournis.
Les principaux sont le castor ou bievre, la chevre, le chameau, le lapin, le lievre, le chien, le boeuf, la vache & le veau. Savary. (D.J.)
POILS, (Jardinage) les poils qu'on voit à nombre de végétaux, ne sont point surement des parties superflues, ainsi que plusieurs jardiniers se l'imaginent ; elles servent ainsi que dans les animaux, pour la transpiration de leurs trachées & pour l'écoulement de leurs superfluités ; rien, comme l'on sait, n'est inutile dans la nature.
POIL DE CHEVAL : le poil que les Académistes & les Maréchaux appellent vulgairement la robbe du cheval, fait un des principaux objets de leur science. Voyez CHEVAL.
Si le poil d'un cheval, & sur-tout celui qui est autour du cou, & sur les parties découvertes, se trouve lisse, poli & serré, c'est une marque de santé & d'embonpoint : mais s'il est rude, hérissé & bigarré, il marque de la froideur, de la pauvreté, ou quelque défaut interne. Pour lisser, polir & adoucir le poil d'un cheval, il faut le tenir chaud, le faire suer souvent & le bien étriller chaque fois.
Le fanon ou toupet de poil qui vient au derriere du boulet de plusieurs chevaux, sert à en défendre la partie qui s'avance quand il marche dans des chemins pierreux, ou dans le tems de gelée. Quand il y avoit quelqu'endroit chauve ou dégarni, ou que le poil y étoit trop court, les anciens maréchaux avoient coutume de le laver avec de l'urine d'un jeune homme, & ensuite avec une lessive de chaux vive, de céruse & de litharge. Les modernes ont plusieurs méthodes différentes : les uns lavent ces parties avec une décoction de racine d'althéa ou de guimauve, les autres avec du lait de chevre, dans lequel on a broyé de l'agrimoine. Quelques-uns frottent les parties avec de la semence d'ortie pilée, avec de l'eau de miel & du sel ; d'autres les bassinent avec du jus d'oignon ou de rave ; d'autres avec une composition d'alun, de miel, de crotte de chevre, & de sang de porc ; d'autres avec la racine de lis blancs bouillie dans l'huile : d'autres avec du goudron, de l'huile d'olives & du miel ; & d'autres enfin avec des coquilles de noix pulvérisées, & mêlées avec du miel, de l'huile & du vin.
Pour ôter le poil de quelqu'endroit, on y applique un emplâtre fait de chaux vive bouillie dans l'eau, auquel on ajoute de l'orpiment.
La largeur d'un poil fait la quarante-huitieme partie d'un pouce, en fait de mesure.
Poil planté ou poil piqué, se dit quand on voit le poil du cheval tout droit, au lieu d'être couché à son ordinaire, c'est signe que le cheval a froid, ou qu'il est malade.
Poil lavé, voyez LAVE. Souffler au poil, voyez SOUFFLER.
Avoir toujours l'éperon au poil, se dit du cavalier qui picote sans cesse le poil de son cheval avec les éperons, ce qui est un défaut.
POIL DE LAINE, (Plumassier) duvet que fournit l'autruche : il y en a de deux sortes, l'un fin & l'autre gros, dont le premier entre dans la fabrique des chapeaux communs, & l'autre sert à faire les lisieres des draps blancs les plus fins, pour être destinés à teindre en noir. (D.J.)
POIL DE VELOURS ; on appelle poil de velours, la chaîne qui sert à faire la barbe du velours. Voyez FABRIQUE DE VELOURS.
POIL des étoffes en soie & en dorure ; on appelle poil des étoffes de soie, la chaîne qui sert à faire le figuré des étoffes où l'on en a besoin, ou celle qui sert à lier les dorures.
POIL, terme de Fauconnerie ; mettre l'oiseau à poil, c'est le dresser à voler le gibier à poil.
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POINCILLADE | S. f. poinciana, (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont la fleur est composée ordinairement de cinq pétales disposés en rond, & au milieu desquels il y a une touffe d'étamines recourbées. Le pistil sort du calice qui est divisé en cinq feuilles, dont l'inférieure est crochue & pliée en gouttiere ; ce calice devient dans la suite une silique applatie & dure, qui s'ouvre en deux parties, & qui renferme des semences arrondies, minces & séparées les unes des autres par des cloisons. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Ce genre de plante, remarquable par la beauté de ses fleurs, est le frutex pavoninus, sive crista pavonis, de Breyxius, cent. j. 61. acacia orbis americani altera, flore pulcherrimo, hort. reg. Paris. Erythraxylon indicum minus, spinosum, colutae foliis, siliquis angustioribus, flore ex luteo & rubro eleganter variegatis, Parad. bat. prodr. 333.
Cet arbrisseau étranger a six ou sept piés de haut. Son écorce est unie & purpurine pendant qu'il est jeune. Ses feuilles sont oblongues, attachées plusieurs sur une côte de couleur purpurine, & toutes armées dans le haut d'une épine crochue en maniere d'hameçon. Ses fleurs sont d'une grande beauté, & rangées jusqu'à cinquante en un long épi, qui vient aux sommités des branches : elles brillent par leur couleur purpurine tirant sur le rouge. Chacune de ses fleurs portée sur un pédicule purpurin, est composée de plusieurs pétales disposés en rond, avec dix étamines au milieu, fort longues, courbes, purpurines, soutenues d'un calice découpé profondement en cinq parties. Il leur succede une grande silique, plate, dure, couleur de chataigne en-dehors, blanche en-dedans, formée de deux cosses qui contiennent des semences presque rondes, rougeâtres, enfermées séparément dans une loge, qui est séparée par des cloisons. Cette plante croît en plusieurs lieux de l'Amérique. (D.J.)
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POINÇON | outil de divers artisans ; les Relieurs de livres, Papetiers, Tailleurs, Tapissiers, Selliers, Bourreliers, Couturieres, &c. ont un petit outil de fer emmanché de bois, qu'ils appellent un poinçon, dont ils se servent pour percer des trous dans les différentes matieres, cuirs, étoffes, cartons qu'ils emploient dans leurs ouvrages.
Les Couteliers nomment pareillement un poinçon ce petit outil d'acier poli, quelquefois percé par le haut en forme d'aiguille, qu'ils mettent assez souvent dans un même étui avec une paire de ciseaux.
Le poinçon des maîtres Layetiers est ordinairement un bout de vieille lame d'épée très-appointée & affutée sur le grès, avec un manche de bois grossierement fait. Savary. Voyez les articles suivans. (D.J.)
POINÇON DE MAÇON, (Architect.) est un outil fait en forme de clou sans tête, pointu quarrément par un bout, de la longueur de vingt à trente pouces, ou plus, selon le besoin, pour faire des petits trous dans un mur.
POINÇON A PIQUER, outil d'Arquebusier ; c'est un poinçon quarré fort aigu qui sert aux Arquebusiers pour marquer un trou avant de le percer, ils posent ce poinçon sur la piece, & avec un marteau ils frappent dessus jusqu'à ce que le poinçon ait marqué un petit trou.
POINÇON A ARRET. Les Artificiers appellent ainsi un instrument qui ne differe d'un poinçon ordinaire que parce qu'il est traversé près de sa pointe par une grosseur qui l'empêche de pénétrer plus avant qu'il ne faut pour percer un carton d'une certaine épaisseur, sans entrer dans la matiere combustible qu'il contient.
POINÇON A AIGUILLE ou à rapetisser. Voyez l'article METIER A BAS.
POINÇON, en terme de Bijoutier ; cet outil arrondi par un bout est une pointe très-courte, dont on se sert pour marquer la place où l'on doit percer & commencer les trous dans les pieces minces. Voyez Pl. d'Horlogerie.
POINÇON, instrument de Bourrelier ; c'est un outil de fer d'environ vingt pouces de longueur fait comme une espece de bouton garni d'une tête ronde par un bout, & de l'autre terminé en pointe. Le poinçon est à-peu-près de la grosseur du pouce par en-haut, & va en diminuant de grosseur jusqu'à l'autre extrémité : cet instrument sert pour aggrandir les trous des souspentes, qui ont déja été formés par l'emporte-piece. Voyez les fig. Pl. du Bourrelier.
POINÇON, en terme de Cardier ; c'est un morceau de fer pointu & garni d'un manche de bois, dont on se sert pour faire les trous par lesquels les peaux sont accrochées aux pointes qui regnent le long du pointeur. Voyez POINTEUR. Voyez les figures.
POINÇON A ARRIERE-POINT, terme & outil du Ceinturier, qui leur sert pour marquer la distance à laquelle il faut piquer en arriere-point. Ce poinçon est fait comme les autres, & a les dents placées toutes droites, rondes & point tranchantes. Voyez les fig. Pl. du Ceinturier.
Poinçon en coquille, qui leur sert à découper en feston dentelé des enjolivemens pour les cartouches. Cet outil est fait par en-haut comme les autres poinçons, mais le bas est fait en demi-cercle, & a des petites dents tranchantes qui découpent & forment des festons dentelés à de la peau qui se colle sur les cartouches. Voyez les fig. Pl. du Ceinturier.
Poinçon à croisette, outil qui sert aux Ceinturiers pour former sur leur ouvrage un dessein, pour ensuite le faire piquer. Cet outil est exactement fait comme le poinçon à dent de rat, excepté que les dents sont tranchantes, & que les dents du poinçon à croisette ne sont faites que pour marquer.
Poinçon à dent de rat, autre outil de ceinturier, qui lui sert pour faire des enjolivemens pour les cartouches. C'est un morceau de fer de la longueur de quatre pouces, rond par la tête, gros d'environ un pouce, large & plat par en-bas de la largeur de trois pouces, qui est garni de petites dents tranchantes, ressemblantes à des dents de rat. Voyez la fig. Pl. du Ceinturier.
Poinçon à onde, à croisette : outil de ceinturiers qui leur sert pour former des desseins sur leurs ouvrages, pour ensuite les faire piquer. Cet outil est exactement fait comme les autres poinçons, & ne differe que par la figure qu'il donne à l'ouvrage, & qu'il n'a point les dents tranchantes.
Poinçon à faire des plumes, outil qui leur sert pour marquer sur leur ouvrage un dessein qui ressemble à la barbe d'une plume, & qu'ils font couvrir ensuite avec de l'or ou de l'argent.
POINÇON ou aiguille, (Charpent.) c'est la piece de bois de bout où sont assemblées les petites forces & le faîte d'une forme. C'est aussi en-dedans des vieilles églises qui ne sont pas voutées, une piece de bois à plomb, de la hauteur de la montée du ceintre, qui étant retenue avec des étriers & des boulons, sert à lier l'entrait avec le tirant.
On nomme encore poinçon l'arbre d'une machine sur lequel elle tourne verticalement, comme d'une grue, d'un gruau, &c. (D.J.)
POINÇON, en terme de Chauderonnier, est un morceau de fer aceré à tête, & dont l'autre extrémité pointue sert à percer les pieces qu'on veut clouer ensemble, comme calendes, &c. Voyez les Pl. du Chauderonnier & leur explic.
POINÇON, (Manufact.) chaque marchand drapier a son poinçon, sur lequel est gravé son nom ou son chiffre pour marquer les étoffes qu'ils envoyent aux apprêts, afin d'empêcher qu'elles ne soient changées contre d'autres par inadvertance ou par malice.
Il y a aussi des poinçons dans chaque manufacture pour apposer aux draps & autres étoffes le plomb de fabrique. Diction. de comm.
POINÇON, (Commerce) est en quelques endroits de France, & particulierement à Nantes & en Touraine, une mesure pour les liquides.
Le poinçon dans la Touraine & le Blaisois est la moitié d'un tonneau d'Orléans & d'Anjou.
A Paris c'est la même chose que la demi-queue. Voyez QUEUE. A Rome il contient treize boisseaux. Voyez BOISSEAU. Diction. de comm.
POINÇON, se dit dans l'Ecriture, d'un instrument propre à percer toutes les pieces d'un dossier pour y insérer des liasses, & les unir ensemble : le manche de cet instrument ressemble assez à un cône, & le fer ou l'acier qui y est attaché à une grosse aiguille de tapisserie, à l'exception qu'il a à sa partie supérieure un bouton au lieu d'une fente.
POINÇON, est parmi les Cloutiers d'épingle, un morceau d'acier à un des bouts duquel on a pratiqué un trou creux & exactement concave, pour y faire les clous à tête ronde. Voyez CLOUS A TETE RONDE.
POINÇON, chez les mêmes ouvriers, se dit d'un morceau de fer enfoncé dans une pesée de plomb dont la tête gravée d'un petit trou, tombe directement sur l'enclume, & forme la tête de l'épingle en la pressant fortement. Voyez METIER, & les fig. Pl. de l'Epinglier. Le poinçon entre par sa partie supérieure dans le canon du contre-poids, figure de la même Planche.
POINÇON, se dit encore parmi les Epingliers, de petites pointes de fer de différentes grosseurs, dont on se sert pour faire les trous aux filieres pour le tirage.
POINÇON, est aussi en terme d'Epingliers, un outil d'acier rond, dont la pointe qui n'est pas aiguë, mais un peu arrondie, sert à former dans les enclumes & les poinçons du métier une cavité hémisphérique qui sert à former la tête de l'épingle. Voyez les figures, Planches de l'Epinglier.
POINÇON, en terme d'Eperonnier, signifie un morceau de fer obtus dont on se sert pour rapprocher deux parties éloignées, & qu'on veut rabattre l'une sur l'autre.
POINÇON D'ENLEVURE, chez les mêmes ouvriers, signifie encore un poinçon monté sur son manche, comme la tranche l'est sur le sien. Voyez TRANCHE. On s'en sert pour former un trou dans la branche d'enlevure, & à ébaucher le banquet. Voyez BANQUET.
POINÇONS A DECOUPER, (outils de Ferblantiers) ce sont des petits morceaux de fer longs de deux pouces, ronds & gros d'un demi-pouce par en-haut ; il y en a qui représentent des coeurs, des étoiles, des croissans, des carreaux, des fleurs-de-lis, &c. Ils sont tous tranchans par en-bas, & servent pour entailler les figures qu'ils portent sur des feuilles de fer blanc. Voyez les figures, Planches du Ferblantier, où l'on a représenté les différentes sortes de poinçons.
Les Ferblantiers se servent encore d'un poinçon qui est un petit morceau de fer long de deux pouces, & gros comme le petit doigt, qui a la tête ronde & plate, & le bas fort aigu ; il sert pour piquer les grilles de rapes.
POINÇONS A LETTRE, GRAVURE DES, pour les caracteres d'Imprimerie. La beauté de l'impression dépend principalement de celle des caracteres qui servent à les former ; celle des caracteres dépend de la perfection des poinçons ; c'est une affaire de goût & de dessein.
Pour graver les poinçons, qui sont du meilleur acier que l'on puisse trouver, le dessein de la lettre étant arrêté, comme on le voit dans les fig. à la lettre B majuscule que nous avons prise pour exemple, qui est composée de parties blanches & de noires ; les premieres sont creuses & les secondes saillantes. Pour former les parties creuses, on commence par former un contre poinçon d'acier de la forme des parties blanches. Voyez les figures dans les Planches de la Gravure, qui représente le contre-poinçon de la lettre B. Ce contre-poinçon bien dressé sur la pierre à huile, & trempé dur & un peu revenu du recuit, pour qu'il ne s'égrene pas facilement, est entierement achevé.
Présentement pour faire le poinçon, on prend du bon acier d'une grosseur convenable, que l'on fait rougir au feu pour le ramollir ; on le coupe par tronçons de deux pouces & demi ou environ de longueur ; on arrondit un des bouts qui doit servir de tête, & on dresse bien à la lime l'autre bout ; ensorte que la face soit bien perpendiculaire à l'axe du poinçon ; ce qu'on connoît en le passant dans l'équerre à dresser sur la pierre à huile, ainsi qu'il sera expliqué ci-après.
On observe aussi de bien dresser deux longues faces du poinçon, qui sont celles qui doivent s'appliquer contre les parois internes de l'équerre à dresser ; on fait quelque marque de repere sur une de ces faces. Cette marque a deux usages ; 1°. celui de faire connoître le haut ou le bas de la lettre, selon qu'elle est placée à l'un de ces deux côtés du poinçon ; 2°. à faire que les mêmes faces du poinçon regardent à chaque fois qu'on le remet dans l'équerre, les faces de l'équerre vers lesquelles elles étoient tournées la premiere fois, ce qu'il est très-essentiel d'observer, sans quoi on ne parviendroit jamais à dresser la face du poinçon où doit être la lettre.
Le poinçon ainsi préparé, on le fait rougir au feu ; on le met ensuite dans un fort étau de serrurier où on l'affermit en serrant la vis ; on présente ensuite sur la face du poinçon qui est en-haut, le contre-poinçon qu'on enfonce à coup de masse d'une ligne ou environ, dans le corps du poinçon, qui reçoit ainsi l'empreinte du creux de la lettre. Cette opération faite, on retire le contre-poinçon & le poinçon de dedans l'étau ; on le dresse sur la pierre à huile avec l'équerre, & on dessine avec une pointe d'acier bien aiguë, le contour extérieur des épaisseurs de la lettre, & on emporte l'excédent avec des limes, observant de ne point gâter le contour de la lettre que l'on dresse sur la pierre à huile pour emporter les rebarbes que la lime fait autour de la lettre, que l'on finit à la lime & au burin, jusqu'à ce qu'il ne reste de la face qui est la base du poinçon, que la figure B, ou autre, si c'est une autre lettre. Voyez lae figure qui représente le poinçon de la lettre B, entierement achevé, où on voit que la lime a abattu en talut l'excédent du poinçon sur la figure extérieure de la lettre.
L'équerre à dresser, représentée dans les fig. est un morceau de bois ou de cuivre formé par deux parallélipipedes A B C D, A B E F, qui se joignent à angle droit, à la ligne A B ; ensorte que lorsque l'équerre est posée sur un plan, comme les figures le représentent, cette figure A B, y soit perpendiculaire ; la partie inférieure de l'équerre, est une semelle d'acier bien dressée sur la pierre à huile, qui doit être elle-même parfaitement droite. On place le poinçon dans le vuide de l'équerre, où on l'assujettit en le pressant avec le pouce, pendant que les autres doigts pressent l'équerre extérieurement. On fait glisser le tout sur la pierre à huile, sur laquelle est étendue une légere couche d'huile d'olive ; la pierre use à-la-fois la semelle de l'équerre & la partie du poinçon qui porte sur elle ; mais comme l'axe du poinçon conserve toujours le parallélisme avec l'arrête angulaire A B de l'équerre, qui conserve parfaitement à cause de la grande étendue de sa base, la direction perpendiculaire au plan de la pierre, il suit que le poinçon la conserve aussi, & qu'il est dressé, ensorte que le plan de la lettre est perpendiculaire à son axe.
On trempe ensuite le poinçon pour le durcir ; on le fait un peu parvenir pour qu'il ne soit pas sujet à s'égrener, en marquant les matrices. C'est de cette opération que dépend la bonté ; car s'il est trop dur, il se brise facilement, & c'est du tems perdu que celui qu'on a employé à le façonner. S'il est trop tendre, les angles de la lettre s'émoussent ; il faut recommencer à le tailler ou limer.
Tous les poinçons des lettres majuscules d'un même corps, doivent avoir exactement la même hauteur ; on les égalise au moyen d'un calibre qui est un morceau de léton plat, dans lequel est une entaille d'une longueur égale à la hauteur qu'on veut donner au caractere, & que la lettre du poinçon doit remplir exactement ; ensorte qu'après que les caracteres sont fondus, leurs sommets & leurs bases se trouvent précisément dans les mêmes lignes, ainsi que l'exemple suivant le fait voir. A B C D E F G H I K L M N O P Q R S T V U X Y Z. Les lettres minuscules doivent être calibrées aussi très-exactement ; ensorte que toutes celles qui n'ont point de queues, soient en ligne droite, & que les queues de celles qui en ont, ayent toutes la même longueur : a b c d e f g h i k l m n o p q r s t u v x y z, &c. Les poinçons servent aux Fondeurs de caracteres, pour imprimer les matrices, qui sont des morceaux de cuivre de rosette bien dressés sur toutes leurs faces, dans l'une desquelles on fait entrer le poinçon à coups de marteau d'une ligne ou une ligne & demie de profondeur : le métal n'est enfoncé que par les parties saillantes du poinçon ; ce qui fait un creux au fond duquel est la face de la lettre, parfaitement semblable à celle du poinçon. On dresse ensuite les faces de la matrice, ensorte que la face supérieure soit exactement parallele à celle de la lettre, les deux faces latérales perpendiculaires à celle-ci, & paralleles entr'elles ; celle de dessous est parallele à celle de dessus, & a deux entailles. Voyez les figures dans les Pl. de la fonte des caracteres d'Imprimerie, & l'article MATRICE & MOULE des Fondeurs de caracteres, dans lequel les matrices doivent s'ajuster exactement.
POINÇONS, on appelle ainsi en terme de Fondeur de caracteres, un petit barreau d'acier d'environ 2 pouces de long, au bout duquel est gravée une lettre en relief, c'est-à-dire que les parties qui forment la lettre sont plus élevées que les autres qui sont plus basses. Voyez les figures, Pl. de la gravure, qui représentent le poinçon de la lettre B, & l'article GRAVURE DES POINÇONS A LETTRE.
POINÇON, pour les monnoies ou médailles, quand on fait des médailles au marteau, & sans se servir du balancier, ou autres machines. On appelle pile, coins & trousseau, les poinçons avec lesquels on les marque.
POINÇONS, dont se servent les Graveurs en cachets, ce sont des morceaux d'acier qui sont de différentes formes & grosseurs, & dont l'un des bouts est gravé en relief. Ils représentent tous différens objets, comme fleurs de lys, fleurons de couronnes, houpes de chapeaux de cardinaux, casques de front, de trois quarts, ou de côtés ou de profils, en résinetes, petites feuilles, feuilles de panaches, suppôts de toutes sortes, pieces de blason, &c. Ces ouvriers en ont tous en grande quantité, & sont néanmoins obligés d'en faire tous les jours de nouveaux pour le besoin. Voyez les fig. Pl. de la Gravure, qui représentent un poinçon sur lequel est gravé une fleur de lys en relief. Ces poinçons sont fabriqués au ciselet & à la lime, & sont trempés après qu'ils sont achevés.
POINÇON A RIVER, (Horlogerie) Pl. d'Horlogerie & leur explic. les Horlogers font usage de cet outil pour river les roues sur leurs pignons : voici comment ils s'en servent. Ils appuyent la partie V sur la rivure, & pressent avec un doigt la rainure r, contre la tige du pignon ; ensuite ils frappent sur le poinçon en A à petits coups de marteau, & en tournant la roue. Voyez BANC A RIVER.
Il y a deux sortes de poinçons à river ; les uns, que l'on appelle poinçons à couper, sont tranchans en r ; dans les autres, que l'on nomme poinçons à rabattre, la partie r V, comme dans la fig. forme un angle droit avec la longueur V A.
POINÇON, en terme de Layetterie, c'est un morceau de lame d'épée monté sur un manche de bois, dont les Layetiers se servent pour percer leurs planches. Voyez les fig. Pl. du Layetier.
POINÇON, terme de Manege, pointe de fer fichée dans un manche de bois, pour piquer un cheval à la croupe ; c'est ainsi qu'on donne les aides à un cheval sauteur. (D.J.)
POINÇON, (Maréchal.) on appelle ainsi dans les maneges un petit bout de bois rond, long de 5 à 6 pouces, pointu par le bout, & quelquefois armé & terminé par une pointe de fer, dont on se sert pour exciter les chevaux à sauter entre deux piliers. Voyez PILIER.
POINÇON, (Marine) c'est la principale piece de bois qui soutient les grues, engins & autres machines à élever des fardeaux. Ce poinçon est assemblé par le bout d'en-bas, à tenon & à mortaise dans ce qu'on appelle la sole assemblée à la fourchette, & il est appuyé par l'échelier & par deux liens en contrefiche. Voyez GRUAU.
POINÇON A DECOUVRIR, en terme de Metteur en oeuvre, c'est un morceau de fer quarré, & aigu par le bout dont on se sert pour découvrir un ouvrage. Voyez DECOUVRIR, voyez les Pl. du Metteur en oeuvre.
POINÇON A SERTIR, c'est une espece de ciselet grainé dont les Metteurs en oeuvre se servent pour rabattre & serrer les sertissures avec le marteau à sertir, sur le fileti des pierres. Voyez les Pl. du Metteur en oeuvre.
Les Metteurs en oeuvre se servent encore d'un poinçon à grains ; c'est un poinçon rond, & creux en forme de perloir, avec lequel on forme les grains d'entre-deux du serti, & les têtes des griffes : il y en a de toutes grosseurs. Cette opération se fait avec la main, en appuyant la main sur le manche du poinçon, & non avec le marteau ; n'étant question que d'achever de donner la forme exacte à ces petits grains qui sont déjà tous formés à l'outil.
POINÇON, à la Monnoie, sur lequel on a gravé en relief les différentes figures, effigies, armes, inscriptions, lettres, &c. qui doivent produire & être dans les quarrés ou matrices avec lesquels les flancs doivent être frappés ou marqués.
Les Monnoyeurs ont trois sortes de poinçons ; les premiers contiennent en entier & relief l'effigie ; les seconds qui sont plus petits, contiennent chacun une partie des armes, comme une fleur de lys, la couronne, la branche de lauriers, &c. & la troisieme espece de poinçon, contient les lettres, chiffres, defferens, &c. Par l'assemblage de toutes ces empreintes la matrice est formée.
Quant à la maniere de graver, tremper & estamper les poinçons, voyez GRAVURE EN ACIER.
POINÇON, (Art numismatique chez les anciens) la forme des poinçons qu'on employoit pour les médailles étoit ronde, ovale ou quarrée, de 3 & de 4 à 5 lignes de diametre. Ces poinçons étoient gravés en creux & à rebours, afin que leur impression rendît en relief & dans le sens naturel, les figures & les lettres dont ils étoient chargés. (D.J.)
POINÇON A POINT, (Orfevre) c'est un morceau de fer aigu sur lequel on cherche le milieu d'une piece en la mettant en équilibre. Voyez POINT, voyez les Pl.
POINÇON, outil dont les Relieurs se servent pour piquer les cartons & pour endosser ; ils doivent être d'acier.
POINÇON, (Outil de Sculpteur) les Sculpteurs, sur-tout ceux qui travaillent sur les métaux, & qui jettent des statues en fonte ou en plomb, ont des poinçons d'acier bien acerés, pour les reparer au sortir des moules. Les Sculpteurs en marbre & en pierre en ont aussi ; mais ils les appellent communément des pointes. Il y en a néanmoins un qu'ils appellent spécialement poinçon, qui est d'acier renforcé par le bout par lequel on le frappe, & pointu en demi rond par l'autre. (D.J.)
POINÇON, (Outil de Serrurier) les Serruriers sont ceux de tous les ouvriers qui se servent de poinçons, qui en ont de plus de différentes sortes. Ils en ont pour percer à froid, ceux-ci conservent le nom de poinçons ; pour les autres, on les appelle des mandrins.
Des poinçons à froid, il y en a de quarrés, de ronds & en ovale, pour percer les ouvrages chacun suivant sa figure. Les poinçons plats, qu'on appelle communément poinçons à piquer, servent à piquer les rouets des serrures, & autres pieces limées en demi rond. Il y a d'autres poinçons à piquer, dont se servent les Arquebusiers, avec lesquels ils ouvrent les trous des pieces qu'ils veulent forer ou fraser. Ceux-ci ont une petite pointe, ou cône pointu très-acéré, qui fait une ouverture raisonnable à la piece sur laquelle on le frappe.
Les poinçons barlongs servent à percer les trous des piés des ressorts, des coques, & autres pieces de cette façon. Les contre-poinçons des Serruriers ont autant de façons qu'il y a de poinçons, & servent à contre-percer les trous & à river les pieces. Outre ces poinçons à percer, il y a encore ceux qu'ils appellent poinçons à emboutir, & poinçons à relever rosettes : ces deux sortes leur servent à travailler le fer en relief sur le plomb, ou sur quelqu'autre matiere, comme est le mastic des Orfevres : ce sont des especes de ciselets. (D.J.)
POINÇON, (Soierie) pointe de fer qui sert à piquer les ensuples, afin d'y mettre les pointes d'aiguille.
POINÇON, (Sucrerie) ou un bâton long d'un pié, avec lequel on perce la tête des formes à sucre pour les faire purger. (D.J.)
POINÇON, en terme de Cornetier-Tabletier, est un outil de fer trempé, aigu par son extrémité, large un peu plus haut & tourné en demi-cercle, & se terminant par une queue qui passe dans une poignée placée à plat ou transversalement, si le poinçon a la pointe en-bas. Cet outil sert principalement à percer les galiers pour les mettre en paquets. Voyez GALIERS. Voyez les Planches.
POINÇON, (Tailland.) Le poinçon du taillandier est un outil fait d'un morceau de fer acéré par le bout, & qu'il employe à percer tant à froid qu'à chaud. Il en a de différentes formes & grosseurs.
En général, on donne le nom de poinçon à tout instrument pointu, qui sert à former une marque ou une empreinte sur quelque chose que ce soit. Il y en a un qu'on appelle poinçon à emboutir. Voyez EMBOUTIR.
Le poinçon se fait comme les ciseaux à couper les métaux. On prend une barre de fer de la longueur & de la grosseur convenable. On l'aciere d'un bout & on lui donne la forme qu'on veut. Cela fait, on le trempe, & l'on s'en sert.
POINÇON, (Tailleur) est un petit outil de fer d'une certaine longueur, rond, & qui se termine en pointe. Les poinçons sont emmanchés de bois & servent aux Tailleurs, Selliers, Tapissiers, Couturieres, &c. pour faire des trous dans différentes matieres qu'ils travaillent.
POINÇON, outil de Vannier, c'est une grosse cheville de fer, pointue par un bout, avec une forte tête de l'autre.
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POINDRE | v. neut. (Gram.) Il se dit du jour & de l'herbe. Le jour commence à poindre. L'herbe commence à poindre ou à sortir de terre. Je ne sai s'il ne se dit pas aussi de la douleur. J'ai au côté une douleur qui me poind, écrit le Dict. de. Trév. mais il faut écrire poing ; car ce mot poing vient de pungere, poigner & non poindre.
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POING | S. m. Il se dit de la main fermée. Donner un coup de poing. Il se dit aussi de la main ouverte, & le poing est la partie comprise depuis l'endroit où la main s'attache & se meut jusqu'à l'extrémité des doigts. Couper le poing. Il est quelquefois synonyme à poigner.
On dit un flambeau de poing, pour un flambeau qu'on porte à la main. Un oiseau de poing, &c.
POING, on dit, en Fauconnerie, voler de poing en fort.
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POINT | S. m. (Gramm.) ce mot vient du verbe poindre, qui signifie piquer ; & il conserve quelque chose de cette signification primitive dans tous les sens qu'on y a attachés. On dit le point ou la pointe du jour pour en marquer le premier commencement, parce que le commencement frappe les yeux comme une pointe, ou qu'il est à l'égard du jour entier, ce que le point est à l'égard de la ligne. L'extrémité d'une ligne s'appelle point, parce que si la ligne étoit d'une matiere inflexible, son extrémité pourroit servir à poindre. Un point de côté cause une douleur semblable à celle d'une piquure violente & continue, &c.
En Grammaire, c'est une petite marque qui se fait avec la pointe de la plume posée sur le papier comme pour le piquer. On se sert de cette marque à bien des usages.
1°. On termine par un point toute la proposition dont le sens est entierement absolu & indépendant de la proposition suivante ; & il y a pour cela trois sortes de points : le point simple, qui termine une proposition purement expositive ; le point interrogatif, ou d'interrogation, qui termine une proposition interrogative, & qui se marque ainsi ? ; enfin le point admiratif, ou d'admiration, que l'on nomme encore exclamatif ou d'exclamation, & que j'aimerois mieux nommer point pathétique, parce qu'il se met à la fin de toutes les propositions pathétiques ou qui énoncent avec le mouvement de quelque passion ; il se figure ainsi !.
2°. On se sert de deux points posés verticalement, ou d'un point sur une virgule, à la fin d'une proposition expositive, dont le sens grammatical est complet & fini ; mais qui a avec la proposition suivante une liaison logique & nécessaire. Pour ce qui regarde le choix de ces deux ponctuations & l'usage des deux points dont on vient de parler, voyez PONCTUATION.
3°. On met deux points horisontalement au-dessus d'une voyelle, pour indiquer qu'il faut la prononcer séparément d'une autre voyelle qui la précede, avec laquelle on pourroit croire qu'elle feroit une diphtongue, si l'on n'en étoit averti par cette marque qui s'appelle diérèse, comme dans Saül, qui sans la diérèse, pourroit se prononcer Saul, comme nous prononçons Paul. J'ai exposé en parlant de la lettre I, l'usage de la diérèse, & j'y ai dit qu'un second usage de ce signe est d'indiquer que la voyelle précédente n'est point muette comme elle a coutume de l'être en pareille position, & qu'elle doit se faire entendre avant celle où l'on met les deux points ; qu'ainsi il faut écrire aiguïlle, contiguïté, afin que l'on prononce ces mots autrement que les mots anguille, guidé, où l'u est muet. Mais c'est de ma part une correction abusive à l'orthographe ordinaire : si l'on écrit aiguïlle comme contiguïté, on prononcera l'un comme l'autre, ou en divisant la diphtongue ui du premier de ces mots, ou en l'introduisant mal-à-propos dans le second. Il faut donc écrire contiguïté, ambiguë, à la bonne heure ; l'u n'y est point muet, & cependant il n'y a pas diphtongue : mais je crois maintenant qu'il vaut mieux écrire aigüille, Güise (ville) ; en mettant la diérèse sur l'u, elle servira à marquer sans équivoque que l'u n'est point muet comme dans anguille, guise (fantaisie), & n'empêchera point qu'on ne prononce la diphtongue, parce qu'elle ne sera pas sur la seconde voyelle. Cujusvis hominis est errare, nullius nisi insipientis in errore perseverare. Cic. Philipp. XII. 2.
4°. On dispose quelquefois quatre points horisontalement dans le corps de la ligne, pour indiquer la suppression, soit du reste d'un discours commencé, & qu'on n'acheve pas par pudeur, par modération, ou par quelqu'autre motif, soit d'une partie d'un texte que l'on cite, ou d'un discours que l'on rapporte. Quos ego.... sed motos praestat componere fluctus. Virg. Aen. I. 139.
5°. Enfin la crainte qu'on ne confondît l'i écrit avec un jambage d'u, a introduit l'usage de mettre un point au-dessus : c'est une inutilité qu'on ne doit pourtant pas abandonner, puisqu'elle est consacrée par l'usage.
Les Hébraïsans connoissent une autre espece de point qu'ils appellent points-voyelles, parce que ce sont en effet des points ou de très-petits traits de plume qui tiennent lieu de voyelles dans les livres hébraïques. On connoît l'ancienne maniere d'écrire des Hébreux, des Chaldéens, des Syriens, des Samaritains, qui ne peignoient guere que les consonnes, parce que l'usage très-connu de leur langue fixoit chez eux les principes de la lecture de maniere à ne s'y pas méprendre. Depuis que ces langues ont cessé d'être vivantes, on a cherché à en fixer ou à en revivifier la prononciation, & l'on a imaginé les points-voyelles pour indiquer les sons dont les consonnes écrites marquoient l'explosion. Ainsi le mot , dbr, se prononce de différentes manieres & a des sens différens, selon la différence des points que l'on ajoute aux consonnes dont il est composé : , dbr signifie chose & parole ; , dbr, signifie peste, ruine ; , dbr, veut dire bercail, &c. Avant l'invention des points-voyelles, l'usage, la construction, le sens total de la phrase, la suite de tout le discours, servoient à fixer le sens & la prononciation des mots écrits.
Il y a trois classes différentes de points-voyelles, cinq longs, cinq brefs, & quatre très-brefs. Les cinq longs sont appellés :
Outre qu'il est très-aisé dans un si grand nombre de lignes si peu sensibles, de confondre ceux qui sont les plus différenciés, il y en a qui différent très-peu, & le kamets ou â long est précisément le même que le kamets-kateph, ou o bref. D'ailleurs l'emploi de tous ces signes entraîne des détails innombrables & des exceptions sans fin, qu'on ne saisit & qu'on ne retient qu'avec peine, & qui retardent prodigieusement les progrès de ceux qui veulent étudier la langue sainte.
Après avoir examiné en détail toutes les difficultés & les variations de la lecture de l'hébreu par les points-voyelles, Louis Cappel (Crit. sacr. l. VI. c. ij.), remarque que les points étant une invention des Massorètes, dont l'autorité ne doit point nous subjuguer, les regles de la grammaire hébraïque doivent être d'après les mots écrits sans points, & qu'il faut conséquemment retrancher toutes celles qui tiennent à ce système factice. Il ajoûte que dans la lecture il ne faudroit avoir égard qu'aux lettres matrices, matres lectionis, ; mais que comme elles manquent très-fréquemment dans le texte, cette maniere de lire lui paroît difficile à établir. Voici sa conclusion : Age sanè punctationi massorethicae eatenùs adhaereamus, quatenùs neque certior, neque commodior vocales ad vocum enuntiationem necessarias designandi ratio usque hodiè inventa est ; atque ex consequenti eam tradendae & docendae grammaticae rationem sequantur quae illi punctationi innititur, ne que temerè eam convellamus aut sollicitemus, nisi fortè aliquis aliam rationem certiorem & commodiorem inveniret punctandi.
Au lieu d'imaginer un système plus simple de points-voyelles, M. Masclef, chanoine de la cathédrale d'Amiens, inventa une maniere de lire l'hébreu sans points. Cette méthode consiste à supposer après chaque consonne la voyelle qu'on y met dans l'épellation alphabétique. Ainsi comme le se nomme beth, on suppose un é après cette consonne ; comme le s'appelle daleth, on y suppose un a, &c. , ou dbr doit donc se lire daber. Ce système révolta d'abord les savans, & cela devoit être ainsi : 1°. C'étoit une nouveauté, & toute nouveauté allarme toujours les esprits jaloux, & ceux qui contractent fortement & aveuglément les habitudes : 2°. ce système réduisit à rien toutes les peines qu'il en avoit couté aux érudits pour être initiés dans cette langue, & il leur sembloit ridicule de vouloir y introduire de plain-pié & sans embarras, ceux qui viendroient après eux. On fit pourtant des objections que l'on crut foudroyantes ; mais dans l'édition de la grammaire hébraïque de Masclef, faite en 1731 par les soins de M. de la Bletterie, on trouve dans le second tome, sous le titre de novae grammaticae argumenta ac vindiciae, tout ce qui peut servir à établir ce système & à détruire toutes les objections contraires. Aussi le Masclefisme fait-il aujourd'hui en France, & même en Angleterre, une secte considérable parmi les hébraïsans : & il me semble qu'il est à souhaiter d'en voir hâter les progrès.
Les Massoretes avoient encore imaginé d'autres signes pour la distinction des sens & des pauses, lesquels sont appellés dans les grammaires hébraïques écrites en latin, accentus pausantes & distinguentes, & gardent en françois le nom de points. Ils ont encore, pour la plûpart tant de ressemblance avec les points-voyelles, qu'ils ne servent qu'à augmenter les embarras de la lecture ; & Masclef, en souhaitant qu'on introduisît notre ponctuation dans l'hébreu, en a donné l'exemple. Puisque nos signes de ponctuation n'ont aucun équivoque, & sont d'un usage facile : iis non uti, dit Masclef (Gramm. heb. cap. j. n °. 5.) nihil aliud est quàm, invento panne, glande vesci. (B. E. R. M.)
POINT, en Géométrie, c'est, selon Euclide, une quantité qui n'a point de parties, ou qui est indivisible. Voyez QUANTITE & INDIVISIBLE, &c.
Wolf définit le point ce qui se termine soi-même de tous côtés, ou ce qui n'a d'autres limites que soi-même. C'est ce que l'on appelle autrement le point mathématique : quelques-uns prétendent qu'on ne le conçoit que par imagination, c'est-à-dire, qu'il n'existe pas réellement hors de l'esprit ; mais qu'y a-t-il de plus réel dans la matiere ou dans les dimensions des corps que leurs limites ou leurs extrémités ? Une ligne n'a-t-elle pas deux bouts ou deux termes ; or ce sont ces termes que l'on appelle points ? Voyez là-dessus le premier tome des institutions de Géométrie, imprimées en 1746, pag. 260. (E)
On peut dire cependant dans un autre sens, & avec beaucoup de vérité, que le point, la ligne, la surface n'existent que par une abstraction de l'esprit, puisqu'il n'existe point réellement dans la nature de surface fans profondeur, de ligne sans largeur, & de point sans étendue. Tout ce qui existe a nécessairement les trois dimensions. Voyez DIMENSION. Ce n'est que par abstraction de l'esprit qu'on regarde une ou deux de ces dimensions comme non-existante. Sur quoi voyez l'article GEOMETRIE. (O)
Si l'on se représente qu'un point coule, il tracera une ligne ; & une ligne qui couleroit engendreroit une surface, &c. Cette maniere de considérer la génération des dimensions ou des propriétés des corps, paroît être le premier fondement de la Géométrie moderne, c'est-à-dire, de la Géométrie analytique qui fait usage du calcul différenciel & intégral ; il semble aussi que la méthode des indivisibles soit dans le même cas : cependant, malgré les especes de miracle que produisent ces deux méthodes, il subsiste contre leurs principes des difficultés si fortes, que les génies les plus fins ou les plus sublimes n'ont pû jusqu'à-présent les résoudre directement ; aussi beaucoup de personnes s'en servent-elles comme de ces machines qui nous montrent la durée du tems, & dont il est si commun d'ignorer les ressorts : on ne sauroit croire combien ces sortes de nuages ralentissent le progrès des Sciences, & par conséquent combien ils sont contraires à l'utilité publique ; il est impossible d'inventer dans les choses que l'on ne comprend pas. Si Descartes avoit manifesté tout le secret de sa géométrie en la mettant au jour, on n'auroit pas eu le désagrément de la voir, pendant près de cent ans, être l'objet des commentaires de très-bons esprits, lesquels, après avoir épuisé la vigueur de leur génie à expliquer des découvertes avec une juste étendue, sont devenus incapables d'en faire : combien d'autres, qui avoient très-bien compris les élémens de Géométrie, ont renoncé à cette belle science, ou, pour ainsi dire, à cette unique science de la raison, parce qu'ils ont senti que de vouloir pénétrer dans ses profondeurs, c'est s'enfoncer dans des obscurités.
Si l'on veut donc que les Sciences marchent à grands pas vers leur perfection, il faut en rendre la route la plus unie qu'il est possible, & être intimement convaincu que de perfectionner une découverte, c'est en faire une nouvelle : il seroit donc de la très-grande utilité publique que nos sublimes géometres voulussent bien se rabattre vers les premiers principes des nouvelles méthodes ; qu'ils les éclaircissent avec tout le soin imaginable, & qu'ils y missent toute la sagacité & la pénétration dont ils sont capables ; il nous semble qu'il est bien aussi glorieux d'être utile au public qu'à un petit nombre de particuliers, dont on ne doit guere attendre que la jalousie ; par-là le mérite de ces bienfaiteurs du genre humain étant plus connu, seroit aussi mieux récompensé. Revenons à notre point.
Une ligne n'en peut couper une autre qu'en un point. Trois points quelconques étant donnés, pourvû qu'ils ne soient pas en ligne droite, on pourra toujours y faire passer un cercle ou une partie de cercle. Voyez CERCLE.
Ce sont des problèmes fort communs que de tirer une parallele, une perpendiculaire, une tangente, &c. d'un point donné. Voyez PARALLELE, PERPENDICULAIRE, TANGENTE, &c. (E)
On appelle, dans la haute Géométrie, point d'inflexion, celui où une courbe se plie ou se fléchit dans un sens contraire à celui où elle étoit auparavant ; quand elle tourne, par exemple, sa convexité vers son axe ou quelqu'autre point fixe du côté duquel elle tournoit sa concavité. Voyez COURBE & INFLEXION.
Quand la courbe revient vers le côté d'où elle est partie, le point où elle commence ce retour est appellé point de rebroussement. Voyez REBROUSSEMENT & COURBE.
En Physique, on appelle point, punctum, le plus petit objet sensible à la vûe : on le marque avec une plume, la pointe d'un compas, &c.
C'est ce que l'on appelle vulgairement un point physique, qui a réellement des parties ; quoique l'on n'y ait pas d'égard, toutes les grandeurs physiques sont composées de ces points. Voyez GRANDEUR.
Ce point physique est ce que M. Locke appelle le point sensible, & ce qu'il définit la moindre particule de la matiere ou de l'espace, que nous puissions discerner. Voyez VISION. Chambers.
POINT simple d'une courbe, est un point tel que, quelque direction qu'on donne à l'ordonnée, elle n'aura jamais en ce point qu'une seule valeur à-moins qu'elle ne soit tangente, auquel cas elle aura deux valeurs seulement. Voyez TANGENTE.
Point singulier, est un point où l'ordonnée étant supposée touchante, peut avoir plus de deux valeurs. Tels sont les points d'inflexion, de serpentement, de rebroussement, &c. Voyez ces mots.
POINT DOUBLE, TRIPLE, QUADRUPLE, &c. ou en général point multiple, se dit du point commun, où deux, trois, quatre, &c. & en général plusieurs branches d'une courbe se coupent. Il est d'abord évident que sans un pareil point l'ordonnée a plusieurs valeurs égales, savoir deux si le point est double, trois s'il est triple, &c. cependant il n'en faut pas toujours conclure que si l'ordonnée a plusieurs valeurs égales, le point est un point multiple ; car si l'ordonnée touche la courbe en un point simple, elle y aura deux valeurs égales ; si elle touche la courbe en un point d'inflexion, elle aura trois valeurs égales, &c.
Le caractere du point multiple est qu'en ce point ait différentes valeurs représentées par une équation de cette forme, + + + &c.... + D = 0, car alors donne par les différentes valeurs la direction des différentes branches de la courbe. C'est là-dessus qu'est fondée toute la théorie des points multiples. La nature de cet ouvrage ne nous permet pas de nous étendre davantage sur ce sujet. Il nous suffit d'avoir donné le principe ; on trouvera tout ce qu'on peut desirer sur ce sujet dans l'introduction à l'analyse des lignes courbes, par M. Cramer, chap. x. & xiij.
Dans le cas où le point est multiple, si on différencie l'équation de la courbe à la maniere ordinaire, on trouvera = o/o, ce qui ne fait rien connoître ; mais alors au lieu de différencier à l'ordinaire, il faudra substituer au lieu de y, y + d y, & les puissances sans rien négliger, & de même au lieu de x, x + d x, & les puissances sans rien négliger ; & si le point est double, on aura une équation du second degré dont sera le premier terme ; (en négligeant les plus hautes puissances de , comme , si le point est triple, l'équation sera du troisieme degré, & sera son premier terme, les puissances plus basses se détruisant, & ainsi de suite.
Veut-on savoir à présent si une courbe a des points multiples, il n'y a qu'à substituer dans son équation y + d y & ses puissances à y, x + d x & ses puissances à x ; & voir s'il y a des valeurs correspondantes de x & de y qui donnent le coefficient de d x & celui de d y, chacun = 0. Si cela est, il y a au moins un point d'oubli ; si le coefficient de d y 2, celui de d x 2 & celui de d x d y sont aussi = 0 ; le point est au moins triple, & ainsi du reste ; mais encore une fois, il seroit trop long d'entrer dans le détail de cette théorie, nous renvoyons à l'ouvrage cité qui contient là-dessus tout ce qu'on peut desirer. (O)
POINT, en terme de Navigation & de Géographie, POINTS de l'horison ou du compas, ce sont certains points formés par les intersections de l'horison avec les cercles verticaux. Voyez HORISON.
Le nombre de ces points est réellement le même que celui des points que l'on conçoit dans l'horison, c'est-à-dire qu'il est infini, quoique dans la pratique on n'en distingue que trente-deux. Voyez COMPAS DE MER.
Ces points sont marqués ou vus par des lignes droites, tirées d'un point pris dans un plan horisontal.
Un point du compas de mer est pris vulgairement pour la trente-deuxieme partie de tout le compas, ou pour un arc de 11 degrés 15 minutes, dont la moitié, c'est-à-dire 5 degrés 37 minutes & 1/2 s'appelle un demi-point, & la moitié de ce dernier ou 2 degrés 48 minutes & 3/4 est appellé un quart-de-point. Voyez COMPAS DE MER.
Ces points du compas se divisent en points cardinaux & points collatéraux.
Les points cardinaux sont les intersections de l'horison & du méridien, appellés points du nord & de sud, & les intersections de l'horison avec le premier vertical que l'on appelle l'est & l'ouest. Voyez NORD, SUD, &c.
Ce sont ces points que les latins appellent cardines mundi, ils sont éloignés les uns des autres d'un quart-de-cercle ou de 90 degrés.
Les points collatéraux ou intermédiaires sont ceux qui sont entre les points cardinaux, les premiers points collatéraux ou de la premiere espece, sont également distans de deux points cardinaux, tels sont le nord-est & le sud-ouest ; les points secondaires ou de la seconde espece sont ou du premier ordre, comme ceux qui sont à égale distance d'un point cardinal & d'un point de la premiere division, tel que le nord-nord-est, ou du second ordre, c'est-à-dire à égale distance d'un point cardinal ou d'un point de la premiere division, & d'un secondaire du premier ordre, tel que le nord-est quart-de-nord.
Les premiers points collatéraux sont donc à 45 degrés des points cardinaux ; les points secondaires du premier ordre sont à 22 degrés 30 minutes d'un cardinal & d'un premier collatéral qui suit immédiatement ; & les points secondaires du second ordre sont à 11 degrés 15 minutes d'un cardinal ou d'un premier collatéral, & d'un second collatéral.
POINT D'UN PILOTE, (Marine) c'est le lieu marqué sur la carte de l'endroit où le pilote croit être à la mer.
Points du bas de la voile. C'est le coin ou l'angle du bas de la voile ; les points du grand & petit pacfi portent des écoutes, des couets & des cargues-points. Point du haut de la voile.
POINTS DE STATION, dans l'Astronomie, sont les degrés du zodiaque, dans lesquels une planete paroît être absolument stationnaire & ne se mouvoir point du tout. Voyez STATION. Chambers.
POINT D'ETE, (Cosmogr.) point de l'écliptique, dans lequel le soleil s'approche le plus du zénith au midi ; ce qui arrive dans la partie septentrionale de la terre, lorsque le soleil entre dans l'écrevisse ; & dans la partie méridionale, quand il est dans le Capricorne.
POINT D'HIVER, (Cosmogr.) point de l'écliptique auquel le soleil est le plus éloigné du zénith, ou dans lequel la hauteur méridienne du soleil est la moindre : cela arrive quand le soleil est dans le capricorne pour les peuples de la partie septentrionale de la terre, & quand il est dans l'écrevisse pour les autres.
POINTS CARDINAUX, (Cosmogr.) les Cosmographes entendent par points cardinaux quatre points de l'horison, qui le divisent en quatre parties égales. Un de ces points est celui où le soleil se leve au vrai orient. Le second est au vrai occident où le soleil se couche. Les deux autres points sont éloignés de ceux-ci de 90 lieues, & se trouvent au vrai midi & au vrai nord.
POINTS HORISONTAUX, (Cosmogr.) ce sont des points également éloignés du centre de la terre ; par exemple, lorsqu'on doit continuer une ligne horisontale sur le bord d'une riviere, & que cette ligne s'y trouve interrompue par plusieurs inégalités, alors les points horisontaux sont les points de la ligne horisontale, où il faut la rompre & la diviser en plusieurs autres.
POINTS SOLSTITIAUX, (Cosmogr.) points de l'écliptique les plus éloignés de l'équateur ; ce sont les points d'été & les points d'hiver ; voyez ces deux mots. (D.J.)
POINT, dans la Perspective, est un mot dont on fait usage pour marquer les différentes parties ou les différens endroits qui ont rapport au plan du tableau. Voyez PLAN du tableau.
L e point de vûe est un point F ou plan H I, tab. perspect. fig. 12, est coupé par une ligne droite O F, tirée de l'oeil perpendiculairement au plan.
Ce point est dans l'intersection du plan horisontal avec le plan vertical. Voyez PLAN.
Quelques auteurs appellent ce point le point principal, & ils donnent le nom de point de vûe ou de vision au point où l'oeil est actuellement placé, & où tous les rayons se terminent tel que O.
POINT ACCIDENTEL, (Opt.) voyez ACCIDENTEL.
POINT, dans la Catoptrique & la Dioptrique, le point de concours est celui où les rayons convergens se rencontrent, appellé plus ordinairement le foyer. Voyez FOYER.
POINT D'INCIDENCE, (Opt.) est un point sur la surface d'un miroir ou d'un autre corps où tombe un rayon. Voyez INCIDENCE.
Point de dispersion est celui d'où les rayons commencent à être divergens, on l'appelle ordinairement le foyer virtuel. Voyez FOYER VIRTUEL.
Point de distance, c'est un point comme P Q, fig. 2. perspect. dans la ligne horisontale P F, qui est éloigné du point F autant que l'oeil O est éloigné de ce même point.
Point objectif, c'est un point sur le plan géométral dont on demande la représentation sur le plan du tableau.
Point rayonnant ou radieux est le point qui envoie ou duquel partent des rayons.
Point de réfraction, est le point où un rayon se rompt sur la surface d'un verre, ou sur toute autre surface restringente. Voyez REFRACTION.
Point de réflexion, est le point d'où un rayon se réfléchi sur la surface d'un miroir ou de tout autre corps.
POINT LACRYMAL, en terme d'Anatomie, signifie un petit trou qui est dans chaque paupiere, & qui s'ouvrent dans un sac appellé sac lacrymal. Voyez LACRYMAL.
POINT ou POINCT, s. m. (Musique.) Le point signifie plusieurs choses différentes.
Dans nos musiques anciennes il y a point de perfection, point d'imperfection, point de division, point d'altération, point de translation, &c. Il faut donner une idée de ces différens points.
1. Dans la mesure appellée tems parfait, voyez TEMS, une breve ou quarrée, suivie d'une autre note égale ou de plus grande valeur, vaut ordinairement trois semi-breves ou une mesure entiere ; mais suivie de quelque note de moindre valeur, elle ne vaut plus que deux tems ; desorte que pour qu'elle vaille alors la mesure entiere, il faut lui ajouter un point qu'on appelle par cette raison point de perfection.
2. Le point d'imperfection est celui qui placé à la gauche de la longue, diminue sa valeur quelquefois d'une ronde, quelquefois de deux. Dans le premier cas, on met une ronde entre la longue & le point ; dans le second, on met deux rondes à la droite de la longue.
3. Le point de division a à-peu-près un sens semblable ; à la gauche d'une ronde suivie d'une breve ou quarrée dans le tems parfait, il ôte un tems à cette breve, & fait qu'elle ne vaut plus que deux rondes.
4. Un point entre deux rondes situées elles-mêmes entre deux breves ou quarrées, ôte un tems à chacune de ces deux breves ; desorte que chaque breve n'en vaut plus que deux. C'est le point d'altération.
Ce même point devant une ronde, laquelle est suivie de deux autres rondes enfermées entre deux breves ou quarrées, double la valeur de la derniere de ces rondes.
5. Si une ronde entre deux points se trouve suivie de deux ou plusieurs breves, le second point transfere sa signification à la derniere de ces breves, & la fait valoir trois tems : c'est le point de translation.
Comme tout cela n'a lieu que dans le tems parfait, qui forme des divisions triples, & que ces divisions ne sont plus d'usage dans la Musique moderne ; toutes ces significations du point, qui, à dire le vrai, sont fort embrouillées, se sont abolies depuis longtems.
Aujourd'hui le point pris comme valeur de note, vaut toujours la moitié de celle qui le précede ; ainsi après la ronde, le point vaut une blanche ; après la blanche, une noire ; après la noire, une croche, &c. Mais cette maniere de fixer la valeur du point, n'est certainement pas la meilleure qu'on eût pu imaginer, & cause souvent bien des embarras inutiles.
Point d'orgue, ou point de repos, est une autre espece de point dont j'ai parlé au mot COURONNE. C'est relativement à ce point, qu'on appelle généralement point d'orgue, ces sortes de chants & de successions harmoniques qu'on fait passer sur une seule note de basse, toujours prolongée.
Enfin, il y a encore une autre espece de point qui se place immédiatement au-dessus ou au-dessous du corps des notes ; on en met toujours plusieurs de suite, & cela montre que les notes ainsi ponctuées, doivent être marquées par des coups de langue ou d'archet égaux, secs & détachés. (S)
POINT D'HONNEUR, (Morale du monde) c'est proprement le caractere de chaque profession ; mais il est plus marqué chez les gens de guerre, & c'est le point d'honneur par excellence. Il seroit difficile de le peindre, car les regles & les maximes qui le constituent sont variables. Autrefois la noblesse suivoit en ce genre d'autres lois qu'aujourd'hui, & ces lois étoient si séveres qu'on ne pouvoit sans une peine plus cruelle que la mort, je ne dis pas les enfreindre, mais en éluder la plus petite disposition. Lettres persanes. (D.J.)
POINT, (Blason) Il se dit de la division de l'écu en plusieurs quarrés, tantôt au nombre de neuf, tantôt de quinze, dont les uns sont d'un émail, & les autres de l'autre, qu'on appelle aussi points équipollés. On nomme pareillement points les divisions de la componure. Il y a aussi une autre division de l'écu en plusieurs points, où se trouvent le point d'honneur, le nombril, &c.
Le point d'honneur se dit de la place qui est dans un écu, répondant au milieu du chef & au dessous.
On appelle le nombril de l'écu, un point qui est au milieu du dessous de la face, & qui la sépare de la pointe. Ainsi on dit N. porte d'or à un écusson de gueules mis au nombril. (D.J.)
POINT D'APPUI, (Architect.) voyez ORGUEIL.
Point d'aspect. C'est l'endroit où l'on s'arrête à une distance fixée, pour jouir de l'aspect le plus avantageux d'un bâtiment. Ce point se prend ordinairement à une distance pareille à la hauteur du bâtiment. Exemple. On veut juger de l'ensemble de l'église des Invalides. Comme sa hauteur est de trente-cinq toises, on doit d'abord s'en éloigner de cette distance. On vient ensuite à l'ordonnance de sa façade, & à la régularité de ses ordres, & on s'en éloigne autant que le portail a de hauteur, qui est de seize toises ou environ. Enfin, pour examiner les corrections des profils & le goût de la sculpture, on ne doit en être éloigné que selon l'élévation de l'ordre dorique, laquelle est de sept toises & demie, parce que si on en étoit plus près, les parties raccourcies ne paroîtroient plus de proportion.
Le point d'aspect est opposé au point vague, d'où regardant un bâtiment d'une distance indéterminée, on ne peut que se former une idée de la grandeur de sa masse, par rapport aux autres édifices qui lui sont contigus.
Point de vûe. C'est un point, dans la ligne horisontale d'un bâtiment, où se termine le principal rayon visuel, & auquel tous les autres qui lui sont paralleles vont aboutir.
Points perdus. Ce sont trois points qui n'étant pas donnés sur une même ligne, peuvent être compris dans une portion de cercle, dont le centre se trouve par une opération géométrique : ce qui sert pour les cherches rallongées.
On appelle aussi points perdus des centres de cercle qui, étant recroisés, forment des losanges curvilignes, qu'on rend différens par les couleurs des marbres & par la variété des ornemens. Le pavé qui est sous la coupole, & dans les chapelles du Val-de-Grace, & celui de l'Assomption, rue saint Honoré, à Paris, sont faits de cette maniere. Daviler. (D.J.)
POINT DE PARTAGE, (Hydr.) est le bassin où l'eau s'étant rendue, se distribue par plusieurs conduites en différens endroits, tels que sont les châteaux-d'eau ou bassins de distribution. (K)
POINT DE SUJETION, (Hydr.) est le point déterminé d'où part un nivellement, & celui où il doit finir dans un nivellement en pente douce. Dans un autre nivellement, le point de sujétion est la hauteur déterminée d'où l'on part, ou la hauteur du lieu où doit se rendre l'eau. (K)
POINT, en terme de Brodeuse, c'est un composé de plusieurs coups d'aiguille, lesquels diversement combinés & arrangés représentent sur un morceau de mousseline la figure qu'on veut. Tous ces différens tours & passages d'aiguilles forment un point qui prend le nom ou de l'objet naturel avec lequel il a quelque ressemblance, ou du point de dentelle sur lequel il a été fait. On dit point de tartelette, point de croix de chevalier, point de Saxe & d'Hongrie. Il est d'autant plus difficile de donner un dénombrement de tous les points de broderie, qu'ils changent comme la mode ; ainsi des recherches à cet égard seroient sans utilité comme sans succès. Nous nous contenterons d'en donner un certain nombre qui servent de base à ceux qu'on a inventés & qu'on inventera. Que peut-on faire de mieux dans une matiere sujette à tant de révolutions ?
POINT ALLONGE, en terme de Broderie au métier, se fait avec de la soie plate sur du satin, à-peu-près comme le point fendu, mais en y mettant la moitié moins de nuances. Ce point n'est guere d'usage que pour les meubles.
POINT D'AMANDE, en terme de Brodeuse, trois rayures en-haut & en-bas, huit fils entr'elles. On prend le premier de ces fils sur l'aiguille, on continue d'un fil à l'autre jusqu'à huit. On recommence une autre amande à côté, à huit fils de la premiere. On remplit les intervalles du haut & du bas par d'autres amandes qui se font de même.
POINT D'ANGLETERRE BROCHE, en terme de Brodeuse, est composé d'une rangée d'Angleterre uni, & une autre rangée qui n'en est différente que parce que l'on passe l'aiguille dans l'un des points latéraux de la premiere rangée, & que ce fil ainsi amené vers le milieu du trou forme une croix. Voyez ANGLETERRE UNI.
POINT D'ANGLETERRE UNI, en terme de Brodeuse, se fait en-travers, en prenant cinq fils de long & cinq de travers, en passant l'aiguille deux fois sur les cinq de travers & une seulement sur ceux de long ; ainsi de même, dans la seconde rangée, en observant de passer dans les trous latéraux de la premiere. Quand on a fait quatre rangs de cette sorte, & qu'on en fait deux autres de point turc, cela s'appelle de l'Angleterre rayé. Voyez POINT TURC.
POINT D'ANNELET, en terme de Brodeuse, c'est un point monté sur six d'oeillet de hauteur, en quarré. On passe l'aiguille au milieu du carreau ; on tourne tout-autour dans les trous d'oeillet, excepté vers les angles haut & bas où l'on ne plante l'aiguille qu'à quatre fils loin d'eux.
POINT D'ARRETE DOUBLE, en terme de Brodeuse, se fait en comptant trois fils de travers & en prenant six sur l'aiguille, en portant d'abord l'aiguille en long & coupant cette portée précisément au milieu. Ce point est monté sur cinq de haut & rempli de trois mouches, deux à quatre fils en-travers, & de six tours d'aiguille ; & la troisieme au milieu sur douze fils de travers, & de seize tours d'aiguille.
POINT A CARREAUX, se monte sur quatre de long & quatre de travers, ensuite on croise ce point en passant par le même trou & sur la même rayure. On fait une seconde rayure à quatre fils de la premiere ; puis une troisieme en-travers sur les premieres, qui représente en effet un carreau.
POINT DE CROIX DE CHEVALIER, est monté sur quatre de tous côtés, deux points de hauteur, ou point riche. Voyez POINT RICHE. Vous descendez de côté & plus bas à droite, en faisant encore un point riche ; de-là vous passez l'aiguille dans le trou du point de l'autre angle, vous la ramenez dans celui de l'angle vis-à-vis, vous la portez dessus, vous la repassez dessous par le trou qu'a laissé le point riche fait sous la croix.
POINT D'ESPRIT, se monte sur cinq fils de long & cinq de travers, en laissant à chaque fois deux fils qui font une croix. Les cinq fils, en tous sens, sont embrassés d'un point noué.
POINT A GERBE, en terme de Brodeuse, se monte sur quatre faces. On passe l'aiguille à fil double pour les remplir de trous en trous par en-haut, & toujours dans le même en-bas, ce qui forme la gerbe.
POINT D'HONGRIE, en terme de Brodeuse, sont trois rayures sans intervalles. On fait au-dessous de la troisieme une espece de piqué qui commence par quatre fils sur l'aiguille en descendant, puis cinq, puis six, ainsi des autres en remontant, ensorte qu'il y ait toujours un fil de long entr'eux par en-haut, ce qui forme le triangle. On recommence sur la même ligne ; & la place qui reste entre deux triangles en-haut en-bas, se remplit par d'autres de la même façon.
POINT DE LENTILLE, en terme de Brodeuse, se fait sur quatre fils embrassés en long, à quatre fils l'un de l'autre, & autant entre les deux rayures. De façon qu'au premier tour il y a quatre fils embrassés & quatre qui ne le sont pas. Les uns & les autres vis-à-vis de ceux qui sont ou embrassés ou vuides. Ces derniers sont embrassés au second tour par une troisieme rangée en travers ; ceux qui se trouvent en ce sens le sont de même, ce qui forme une lentille assez semblable au légume de ce nom.
POINT DE MARLY, en terme de Brodeuse, se monte sur quatre fils de long & quatre de travers, en revenant une seconde fois sur les rayures pour croiser le point ; ces rayures sont près l'une de l'autre sans intervalle.
POINT DE MIGNONNETTE, en terme de Brodeuse en mousseline, représente un carreau parfait, & se forme en comptant trois fils de travers, & en en prenant huit après sur l'aiguille ; ensorte néanmoins qu'il y ait de gauche à droite toujours quatre fils de longueur entre les points, parce qu'on laisse tant à droite qu'à gauche deux fils de côté. La seconde rangée se fait de même, & se commence trois fils au-dessous de la premiere. Ensuite au milieu du carreau composé de huit fils on en met quatre sur l'aiguille en travers & quatre au long, & on en fait un point riche. Prenant de l'autre côté deux fils de derriere l'aiguille & deux devant, ce qui forme les quatre dont ce point est fait. Voyez POINT RICHE ; ainsi des autres rangées. Ces rangées, dans quelque point que ce soit, se font toujours de bas en-haut.
POINT MORDU, en terme de Brodeur au métier, ce sont d'assez grands points dont le second mord sur le premier ; ainsi du reste.
POINT DE MOUSSELINE, en terme de Brodeuse, se fait en-travers. On prend cinq fils de longueur, à côté desquels en passant l'aiguille pour en aller prendre cinq autres de travers, on en laisse deux de même sens. La seconde rangée se fait comme la premiere, en passant l'aiguille sur une branche de celle-ci vis-à-vis des deux fils qu'on a laissés, ce qui répété dans cette seconde rangée forme un petit cercle à quatre rayons en croix.
POINT DE MOUSSELINE RAYEE, en terme de Brodeuse, s'appelle ainsi, parce qu'il est composé d'une rangée ou raie de points d'Angleterre unis, & d'une autre de points de mousseline unis. Voyez POINT D'ANGLETERRE UNI & POINT DE MOUSSELINE. On laisse toujours entre chaque raie neuf fils de distance.
POINT D'OEILLET, en terme de Brodeuse, se monte sur six points de hauteur en tout sens, quatre fils de long sur l'aiguille, & deux en travers ; le carreau formé, on passe l'aiguille du centre dans tous les trous de point de la circonférence, ce qui fait autant de rayons que de points.
POINT PLAQUE, au terme de Brodeur au métier, ce sont trois couleurs mal nuées dont les passages mal ménagés produisent des fleurs baroques, ou qu'on suppose étrangeres.
POINT DE QUADRILLE, en terme de Brodeuse : prenez quatre fils en long & autant en travers sur l'aiguille ; ce qui se répétant en descendant, forme un quarré oblong. Ce point se monte sur quatre points de hauteur qui achevent la figure.
POINT RICHE, en terme de Brodeuse en mousseline, c'est un ouvrage qui se fait en poussant l'aiguille sous quatre fils en long & quatre fils en travers de droite à gauche, & de gauche à droite. Ce point représente une piece d'échelle. Il se fait de plusieurs rangées à côté l'une de l'autre. La seconde se forme en passant l'aiguille sous les quatre points de travers de la premiere, en prenant deux fils du premier chaînon & deux du second ; ensorte que le second rang descend de deux fils plus bas que le second, ainsi des autres rangs.
POINT RICHE A CROIX, en terme de Brodeuse ; on prend huit fils à droite & huit fils à gauche, en laissant toujours un de ces fils pris derriere l'aiguille & un devant. La même chose répétée en montant ou descendant le long de la premiere rayure & vis-à-vis des points, & des deux fils laissés l'un derriere & l'autre devant l'aiguille, forme une croix dans le point riche. Voyez cet article.
POINT DE SAXE, en terme de Brodeuse, commence par un point de tartelette en travers. Voyez POINT DE TARTELETTE ; trois de hauteur, deux rayures en zig-zag, distantes de seize fils l'une de l'autre. Ces seize fils sont partagés en trois parties, une de six enbas, une de quatre au milieu, & une de six en-haut. On prend celle de quatre sur l'aile, on continue en descendant d'un fil, & en montant de même, jusqu'à ce que les seize soient pris. On recommence en diminuant ce qui forme la pomme ; on fait ensuite quatre points sans hausser ni baisser, qui représentent la queue d'une pomme que l'on fait comme la premiere, ainsi du reste.
POINT DE GRAND SAXE, en terme de Brodeuse ; on fait des points d'oeillet sur quatre fils en long & en travers. Voyez POINT D'OEILLET. On met six de haut le carreau que ces points forment d'un trou de point d'oeillet à un autre ; on jette un tour de fil à piquer, & commençant à l'angle de travers on finit par l'autre, & on remplit le carreau.
POINT DE TARTELETTE PETITE, en terme de Brodeuse, se fait sur quatre fils, & de quatre en quatre à faces seulement ; les deux points de ces faces sont un peu inclinés ; le troisieme s'applique près d'eux en arrondissant vers ses extrémités ; & le quatrieme endessous. Il se monte sur trois points en tous sens, & représente un carreau un peu allongé.
POINT DE TARTELETTE REMPLI, monté sur huit points de hauteur formant un quarré rempli de points de petit tas, on part du point du milieu, par lequel on a fermé le carreau en point de tartelette, voyez cet article. On fait deux points riches du même sens, puis trois, puis deux, voyez POINT RICHE. Dans le second carreau on fait du point de mignonnette, excepté qu'on ne prend que deux fils de travers. Le point de mignonnette se fait le long du tartelette. Voyez POINT DE MIGNONNETTE.
POINT DE PETIT TAS, en terme de Brodeuse ; prenez vingt fils de longueur & quatre de travers en passant l'aiguille deux fois sur l'un & l'autre ; faites huit rangées, la premiere d'un point, la seconde de deux, la troisieme de trois, la quatrieme & cinquieme de six, la sixieme de six, la septieme de deux, & la huitieme d'un. Il y a toujours quatre fils entre chaque quarré.
POINT DE TRAVERS, en terme de Brodeuse, se fait sur quatre fils de long & quatre de travers, en fichant l'aiguille de quatre fils en quatre fils, & en en prenant toujours quatre sur l'aiguille.
POINT TURC, se fait sur cinq fils de long & autant de travers, en faisant quatre faces couvertes toutes d'un point noué. La derniere faite, on rapporte l'aiguille sur la croix, & on la fiche sous un de ses brins ; de-là on prend cinq autres fils comme en commençant, & on fait son second point.
POINT DE ZIG-ZAG, en terme de Brodeuse ; trois rayures croisées, voyez POINT DE CARREAU ; audessous on laisse seize fils, puis trois autres rayures au milieu, on prend six fils sur son aiguille en zigzag.
POINT, terme de Cartier, c'est une marque qui est rouge ou noire sur les cartes, & qu'on appelle pique, treffle, coeur ou carreau, parce que ces points ont quelque rapport avec le coeur, le treffle, le carreau & les fers d'une pique. (D.J.)
POINT, terme de Cordonnier, ce mot désigne différentes dimensions de la longueur des souliers.
POINT, (Dentelle) ce mot se dit de toutes sortes de dentelles & passemens de fil faits à l'aiguille, comme points de France, point de Paris, point de Venise, &c. quelquefois il s'entend aussi de celles qui sont faites au fuseau, comme point d'Angleterre, point de Malines, point du Havre ; mais ces dernieres especes s'appellent plus ordinairement dentelles.
POINTS COURANS, s. m. p. (Jard.) petites lignes en maniere de hachures, qui servent à marquer dans les plans, les sillons des terres labourées & les couches d jardin.
POINT, (Maréchal.) on appelle ainsi des trous faits avec le poinçon aux étrivieres & aux courroies des sangles, pour y faire entrer les ardillons des boucles qui les tiennent. Ainsi allonger ou raccourcir les étrivieres d'un point, c'est mettre l'ardillon à un trou plus haut ou plus bas qu'il n'étoit auparavant. Mettre la gourmette à son point, c'est faire entrer suivant le cas, la premiere ou la seconde maille dans le crochet qui tient à l'oeil de la bride. Voyez GOURMETTE. On dit que les étrivieres sont au point du cavalier, lorsqu'elles sont proportionnées à la longueur de ses jambes. Voyez CHAPELET, ETRIVIERE.
POINT SECRET, terme de Monnoie, c'est un petit point qui se met ordinairement sous les lettres des légendes, pour marquer le lieu de la fabrication.
POINTS, (Art numismat.) marque qu'on voit sur quelques médailles, & par conséquent sur des monnoies romaines : elle est faite ainsi. On trouve sur les médailles romaines un certain nombre de points mis des deux côtés, mais qui ne passent pas quatre, pour marquer la troisieme partie de l'as qui se divisoit en douze parties : uncia, sextans, dodrans, quadrans, triens. Le sextans se marquoit.. le quadrans... le triens.... &c. par O ou par L libra, qui en spécifie le poids.
On trouve des points marqués principalement sur les médailles consulaires, mais ce ne sont pas les seules sur lesquelles on en trouve ; on en voit aussi sur quelques médailles d'argent de Tribonien Galle, tantôt un, tantôt deux, tantôt trois, & jamais plus de quatre : toujours en nombre pareil, tant dans l'exergue du revers, que derriere le buste du prince, du côté de la tête. Ces points se trouvent avec différens revers, comme Aequitas Aug. Felicitas publica. Pax Aug. Victoria Aug. Saecullum novum. Ubertas Aug. &c. Dans le cabinet de M. l'abbé de Rothelin, il y avoit quatre de ces médailles de Gallus, dont le revers représente un temple, avec la légende Saecullum novum, la premiere n'a qu'un point en bas, & un autre derriere le buste ; la seconde deux points ; la troisieme trois ; & la quatrieme quatre, & toujours autant derriere le buste, que dans l'exergue du revers. Cette remarque de M. le baron de la Bastie, n'est peut-être pas indigne de l'attention des curieux. Il ajoute que la médaille même de Gallus paroîtroit copiée ou à dessein, ou par méprise sur la médaille de Philippe, si elle n'étoit pas assez commune, & si saecullum n'étoit pas toujours écrit par deux ll, pendant que le même mot est écrit avec une seule l sur les médailles de Philippe. (D.J.)
POINTS, s. m. pl. terme de faiseuse de points, ce sont plusieurs petits points qui sont faits à l'aiguille, rangés proprement les uns auprès des autres, & dont le différent arrangement fait autant de diverses figures. Il y a le point clair, le point ferme, le point riche, le point de deux, le point de losange, le point vitré, &c.
POINT, en terme d'Orfevre en grosserie, c'est l'endroit où une piece dont on cherchoit le milieu sur le poinçon, est restée en équilibre. Voyez POINÇON.
POINTS, s. m. pl. terme de Sellier & de Bourrelier, petits trous que ces artisans font à des étrivieres, à des courroies, ou à des souspentes de carrosses, pour y passer l'ardillon. (D.J.)
POINT, (Jeu) ce mot a deux acceptions au jeu : par exemple au piquet, on dit combien avez-vous de point ? J'ai le point, & j'ai fait 30 points. Dans ce dernier cas, le nombre des points est celui de tout le coup joué ; & dans le premier, c'est la valeur d'un certain nombre de cartes d'une même couleur.
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POINTAGE | POINTAGE
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POINTAL | S. m. (Charpent.) c'est toute piece de bois qui mise en oeuvre à-plomb, sert d'étai aux poutres qui menacent ruine, ou à quelque autre usage. Ce mot vient de l'italien puntale, poinçon.
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POINTE | S. f. (Gram.) se dit en général de l'extrémité aiguë de quelque corps que ce soit.
Selon cette définition, on dit la pointe d'une aiguille, d'une lance, d'une épée, d'un couteau, &c. mais on s'en sert quelquefois dans l'Astronomie pour exprimer les cornes du croissant de la lune, ou d'un autre astre. Il est vrai que le mot latin cuspis, ou le mot françois cornes, est beaucoup plus en usage pour cela que le mot françois pointe. Voyez LUNE, CROISSANT, CORNES, ECLIPSE, &c. (O)
POINTE, (Géom.) les pointes d'un compas sont les extrémités aiguës de cet instrument, avec lesquelles on trace des lignes.
POINTES, (Conchyl.) en latin aculei, mucrones, spinae, clous, épines ; tous termes synonymes, pour signifier les piquans qui se trouvent sur la superficie d'une coquille, comme par exemple, sur l'huitre épineuse. (D.J.)
POINTE du coeur, mucro cordis, (Anatomie) est l'extrémité inférieure & pointue du coeur. Voyez COEUR.
POINTE, (Art de parler & d'écrire) jeu d'esprit qui roule sur les mots.
Jadis de nos auteurs les pointes ignorées,
Furent de l'Italie en nos vers attirées.
La raison outragée ouvrant enfin les yeux,
La bannit pour jamais des discours sérieux,
Et dans tous ses écrits la déclarant infâme,
Par grace lui laissa l'entrée en l'épigramme ;
Pourvû que sa finesse éclatant à-propos,
Roulât sur la pensée, & non pas sur les mots.
Ce n'étoit pas seulement dans les ouvrages d'esprit qu'on imaginoit devoir donner place aux pointes, elles faisoient les plus riches ornemens de nos sermonaires. Un prédicateur de ces tems-là, parlant de S. Bonaventure, promit de montrer dans les deux parties de son discours, qu'il avoit été le docteur des séraphins, & le séraphin des docteurs. Le P. Caussin dans sa Cour sainte, dit que les hommes ont bâti la tour de Babel, & les femmes la tour de babil. " Tout est souple devant vous, dit le P. Coton à Henri IV. votre sceptre est un caducée qui conduit, induit & réduit les ames à ce qu'il veut ". Mais pour venir à des exemples plus modernes, ce que dit Mascaron dans l'Oraison funebre de Henriette d'Angleterre, ne doit-il pas passer pour une pointe des plus ridicules ? " Le grand, l'invincible, le magnanime Louis à qui l'antiquité eût donné mille coeurs, elle qui les multiplioit dans les héros selon le nombre de leurs grandes qualités, se trouve sans coeur à ce spectacle ".
Le moyen de découvrir si une pointe est bonne ou mauvaise, c'est de la tourner dans une autre langue ; lorsqu'elle soutient cette épreuve, on peut la regarder pour être de bon aloi ; mais c'est tout le contraire quand elle s'évanouit dans l'opération. On pourroit appliquer à la véritable pointe ingénieuse, l'éloge qu'Aristenite faisoit d'une belle femme, qu'il trouvoit toujours belle, soit qu'elle fût parée ou en deshabillé.
On ne substitue souvent les pointes à la force du discours, que parce qu'il est plus facile d'avoir de l'esprit, que d'être à la fois touchant & naturel. Quand on ne fut plus capable d'admirer le style noble & simple des écrivains du siecle d'Auguste, on goûta le style hérissé de pointes des écrits de Séneque. C'est ainsi que parmi nous, nous voyons la décadence des sciences sortir de ce nouvel esprit de pointes & de frivolités, qui causa celle dont on commençoit à se plaindre à Rome immédiatement après le siecle d'Auguste.
Je ne prétens pas cependant qu'il soit toujours défendu, dans quelques petits ouvrages, de donner place à des pensées qui suppléent par leur vivacité à ce qui leur manque du côté de la justesse. Il en est de ces traits comme des faux brillans qu'on a quelquefois ingénieusement mis en oeuvre, & qu'on ose porter sans deshonneur avec de vrais diamans. (D.J.)
POINTE de l'épigramme, (Poésie) c'est ainsi qu'on nomme la pensée de l'épigramme qui pique le lecteur & qui l'intéresse. Toute épigramme a deux parties, l'exposition du sujet, & la pensée ou la pointe qui en résulte.
Cy git ma femme ! Voilà l'exposition du sujet :
Ah, qu'elle est bien pour son repos & pour le mien !
Voilà la pointe. Cette pointe doit être présentée heureusement & en peu de mots : elle doit être intéressante, soit par le fond, soit par le tour : elle intéresse encore par la finesse de l'idée, comme dans l'épigramme de l'Anthologie renfermée en un seul vers :
Je chantois, Homere écrivoit.
Quelquefois la plaisanterie fait la pointe de l'épigramme, comme dans celle du chevalier de Cailly.
Dis-je quelque chose assez belle ?
L'antiquité toute en cervelle
Me dit : Je l'ai dit avant toi.
C'est une plaisante donzelle ;
Que ne venoit-elle après moi ?
J'aurois dit la chose avant elle.
Dans quelques occasions, c'est le jeu de mots.
Huissiers, qu'on fasse silence,
Dit, en tenant l'audience,
Un président de Baugé ;
C'est un bruit à tête fendre :
Nous avons déja jugé
Dix causes, sans les entendre.
D'autrefois c'est la malignité : il est inutile d'en rapporter des exemples. Quelquefois c'est une absurdité qui n'étoit pas entendue. Tel est ce bon mot de Caton, rapporté par S. Augustin.
Autrefois un Romain s'en vint fort affligé,
Raconter à Caton que la nuit précédente
Son soulier des souris avoit été rongé :
Chose qui lui sembloit tout-à-fait effrayante ;
Mon ami, dit Caton, reprenez vos esprits :
Cet accident en soi n'a rien d'épouvantable :
Mais si votre soulier eût rongé les souris,
ç'auroit été sans doute un prodige effroyable.
Barraton.
Mais de toutes les especes de pointes épigrammatiques, il n'y en a guere qui frappent plus que les retours inattendus :
Un gros serpent mordit Aurele,
Que croyez-vous qu'il arriva ?
Qu'Aurele en mourut ? bagatelle.
Ce fut le serpent qui creva.
(D.J.)
POINTE, (Géog. mod.) mot employé dans la Géographie, comme dans la Marine, pour désigner une longueur de terre qui s'avance dans la mer. On dit, par exemple, la pointe de l'est, de l'ouest, du sud ou du nord, pour dire la pointe d'une terre qui regarde quelqu'une de ces différentes parties du monde. Assez souvent on prend le mot pointe pour dire une langue de terre, & même un cap : il répond alors aux mots promontorio, capo ou ponta des Italiens, & aux mots promontorio, cabo & punta des Espagnols.
Ainsi on appelle pointe de S. Pierre, la partie la plus orientale de l'île de Cadix sur la côte d'Espagne. Ce lieu se nommoit anciennement Heraclium à cause du fameux temple d'Hercule qu'on y avoit bâti.
On appelle pointe de S. Sébastien la partie la plus occidentale de Cadix, nommé autrefois Cronium, à cause d'un temple de Saturne qui y étoit. (D.J.)
POINTE, terme de Blason, la partie inférieure de l'écu qui aboutit ordinairement à une petite pointe. C'est aussi une piece qui monte du bas de l'écu enhaut, & qui étant plus étroite dans sa largeur que le chappé, occupe seulement le tiers de la pointe de l'écu. On appelle pointe en bande, pointe en barre, celle qui est posée dans la situation de la bande ou de la barre. Pointe en face est celle qui est mouvante d'un des flancs de l'écu ; & pointe renversée celle qui étant mouvante du chef contre-bas, occupe les deux tiers du chef en diminuant jusqu'à la pointe de l'écu, sans la toucher néanmoins.
POINTE, s. f. (Archit.) c'est l'extrémité d'un angle aigu, comme l'encoignure d'un bâtiment, du bout d'une île, d'un mole, &c.
On appelle aussi pointe le sommet d'un clocher, d'une obélisque, d'un comble, &c.
POINTE, s. f. terme générique d'ouvriers, extrémité d'un corps aigu, propre à percer ou à trancher quelque chose. Il y a plusieurs ouvriers & artisans qui donnent le nom de pointes à quelques-uns de leurs outils, mais qui sont bien différens les uns des autres, soit pour la forme, soit pour l'usage. Voyez les articles suivans. (D.J.)
POINTE A TRACER, outil d'Arquebusier, c'est un morceau de fer quarré par le milieu, & fort pointu de deux côtés ; cet outil est environ long d'un demi-pié ; les Arquebusiers s'en servent pour tracer des ornemens sur les bois de fusil & autres.
POINTE, (Ardoiserie) voyez l'article ARDOISE.
POINTE, coup de, (Métier à bas) voyez cet article.
POINTE, en terme de Boutonnier, est une lame aiguë, taillée en langue de serpent, & montée sur un mandrin de bois, qui s'enfonce dans une poupée jusqu'à une espece de bourrelet, qui termine ce mandrin du côté du fer. La pointe sert à percer diverses prises d'ouvrages qui ont besoin de l'être, & elle est fortement emmanchée dans son mandrin.
Pointe, c'est un instrument de fer aigu, mais en langue de serpent, montée sur une mollette. Cet outil sert à faire les quatre trous pour la corde à boyau.
Pointes, se sont des aiguilles sans tête que l'on fiche dans le bas du moule le plus près du bord qu'il est possible à distances égales, pour asseoir les premiers jets de poil, soie ou or. C'est sur ces pointes que se font les coins. Voyez COINS.
POINTE A TRACER, en terme de Bijoutier, c'est une espece de petit ciselet dont on se sert pour former légerement dans l'ouvrage les traits qu'on n'a fait que marquer avec les crayons.
POINTE, en terme de Bourserie, est un morceau d'étoffe coupé en triangle, qui entre dans la fabrique d'un bonnet ou d'une calotte.
POINTES POUR TRIER, terme de Cartier, ce sont des petits bouts de lames de couteau garnies de leurs manches, dont ces ouvriers se servent pour éplucher le papier avec lequel ils fabriquent les cartes, & en ôter toutes les saletés & les inégalités.
POINTE, (Ciseleur) les Ciseleurs appellent pointes de petits ciselets pointus, dont ils se servent pour achever les figures, & leur donner plus de relief.
POINTE, s. f. terme de Cloutier, clou sans tête, dont les Tapissiers, &c. se servent pour attacher les tapisseries au mur.
POINTE, s. f. terme de Coëffeuse, c'est la partie de la coëffure qui vient sur le front.
POINTE, s. f. terme de Coutelier, c'est la partie la plus grosse & la plus large du rasoir qui est vers le bout. (D.J.)
POINTE, en terme d'Epinglier, s'entend de l'extrémité aiguë de l'épingle qui se fait sur une meule de fer dentelée, sans avoir aucun égard au degré de finesse qu'elle y acquiert. Voyez MEULE, petite & grosse POINTE.
Grosse pointe, est celle que forme la grosse meule dans l'ébauche ; elle est courte & épaisse, au lieu que la petite pointe est allongée & fort fine.
Pointe fine, s'entend de la perfection où l'on met la pointe d'une épingle après l'ébauchage, ce qui s'appelle proprement repasser. Voyez ÉBAUCHER & REPASSER.
POINTE, (Fourbisseur) c'est un morceau de fer, de bon acier, de dix à onze pouces de long, de forme triangulaire, dont les angles qui sont très-tranchans se terminent en pointe d'un côté, & en une queue de l'autre, qui sert à le monter dans un manche de bois. Cet outil sert à percer & ouvrir le pommeau, qui est la derniere piece de la monture d'une épée. (D.J.)
POINTES, petites, outil de Graveur à l'eau-forte, sont des aiguilles à coudre de la meilleure qualité, c'est-à-dire de bon acier, qu'ils emmanchent dans un petit bâton, & qui leur servent à emporter le vernis dont la planche est couverte, & y former les traits les plus fins. Voyez GRAVURE A L'EAU-FORTE, & les fig. Planches de la Gravure. On aiguise les pointes sur la pierre à huile comme tous les autres outils qui sont à leur usage. Le petit bâton qui sert de manche aux pointes est de quatre pouces de long, & a une pointe à chaque bout ; on se sert des pointes grosses ou petites comme d'un crayon, avec lesquelles on dessine sur le vernis ce qu'on s'est proposé de faire.
POINTES dont se servent les Graveurs en taille-douce ; les ouvriers font eux-mêmes ces pointes avec des aiguilles cassées de différentes grosseurs. On les emmanche au bout d'un petit morceau de bois ou de canne, & on leur fait la pointe sur la pierre à huile, faisant attention à les rendre bien vives & bien rondes, afin qu'engravant on puisse s'en servir en tout sens.
On fait aussi des pointes émoussées qui servent à calquer, voyez CALQUER, à graver de grands sujets & des paysages.
Outre ces pointes, on en fait encore de plus grosses avec des burins passés, que l'on appelle pointes seches : elles servent à graver sur le cuivre à cru des objets délicats & qui ne sont point susceptibles de grande force, comme les lointains, les montagnes, les bâtimens, les nuées, &c. Il y a une façon d'ébarber cette gravure ; c'est de l'ébarber positivement dans le sens qu'elle a été faite. Voyez ÉBARBER, & les fig. Planches de la Gravure.
POINTE à graver en bois, qu'aucun dictionnaire (excepté celui des monogrammes) n'appelle de son véritable nom, le confondant avec le burin, est un instrument composé d'une lame d'acier mise dans un manche de bois fendu & tortillé d'une ficelle. Cet outil a plutôt la forme d'un canif que de tout autre instrument. Voyez à GRAVURE EN BOIS, sa description & son usage.
POINTE à mettre un diamant, outil qui sert aux Graveurs en pierres fines. C'est une tige de cuivre à l'extrémité de laquelle est monté un diamant, dont l'usage est (après que la pointe est montée sur le touret) de creuser diligemment les parties des pierres que l'on grave, qui doivent être profondes, & que la poudre d'éméril ou de diamant n'useroit qu'en beaucoup de tems.
POINTE, ustensile d'Imprimerie dont se sert le compositeur pour corriger les formes ; c'est un ferrement aigu, de la figure d'une grosse aiguille ou carrelet, monté sur un petit manche de bois tendre ; avec cette pointe l'ouvrier pique le dessous de l'oeil de la lettre qu'il a dessein d'ôter, & y supplée à l'instant celle qui doit la remplacer. Les ouvriers de la presse se servent aussi de la pointe pour compter le papier dans les petits nombres, mais plus ordinairement pour enlever les ordures qui surviennent dans l'oeil de la lettre pendant le tems même qu'ils travaillent.
POINTE du tympan, terme d'Imprimerie, elle est composée d'une branche & d'un aiguillon, & est attachée au tympan avec deux vis, afin d'aider à faire le registre.
POINTES-NAÏVES, (Joaillerie) c'est le nom que les Diamantaires & Lapidaires donnent à certains diamans bruts d'une forme extraordinaire, qui se tirent particulierement de la mine de Soumelpont, autrement de la riviere de Gonel, au royaume de Bengale.
POINTES, outils de Lapidaires, ce sont de petits morceaux ou pieces de fer que les Lapidaires rapportent sur leur tour, & au bout desquels ils enchassent une pointe de diamant ; elles servent à percer des pierres précieuses quand ils en ont besoin. (D.J.)
POINTE A GRATTER, dont les Facteurs d'orgue se servent pour gratter les tuyaux & toutes les pieces d'étain & de plomb, qu'il faut souder dans la partie où la soudure doit être appliquée, est une moitié de ciseaux que l'on emmanche, comme on voit à la fig. 66. Planche d'Orgue ; on tient cet outil ensorte que le manche B passe entre le petit doigt & le doigt annulaire de la main droite ; le pouce & le doigt indicateur de la même main étant appliqués sur la partie C, ou même plus avant sur le fer pour le tenir plus fermement. Voyez les articles SOUDURE & ORGUE.
POINTE, terme de manege : un cheval fait une pointe, lorsqu'en maniant sur les voltes, il ne suit pas régulierement ce rond, & que sortant un peu de son train ordinaire, il fait une espece d'angle ou de pointe à sa piste circulaire. Pour empêcher qu'un cheval fasse des pointes, & faire ensorte qu'il s'arrondisse bien, il faut avoir soin de hâter la main.
Pointe de l'arçon, sont les parties qui forment le bas de l'arçon de devant d'une selle. Voyez SELLE & ARÇON.
POINTE, (Marine) ce mot se dit d'une longueur de terre qui avance dans la mer, comme la pointe de Scage en Sutlande. La pointe d'un mole, d'une digue, est la partie de ces constructions la plus avancée dans l'eau.
A la pointe de l'est, de l'ouest, du nord, du sud ; c'est-à-dire, à la pointe d'une terre qui regarde quelqu'une de ces différentes parties du monde.
Pointe de l'éperon ; c'est la derniere piece de bois & la plus avancée au-devant du vaisseau, sur laquelle quelque figure d'un monstre marin ou d'un lion est ordinairement appuyée. Voyez ÉPERON.
Pointes de compas de mer, ou de boussole, ou traits de compas ; c'est chacune des marques & des divisions de la boussole, ou du compas de mer. Il y en a trente-deux qui marquent les vents. Un rumb de vent vaut quatre pointes ; un demi-rumb vaut deux pointes ; & un quart de rumb en vaut une, en supposant huit rumb de vents principaux.
POINTE A TRACER, (Marqueterie) outil d'ébéniste ; c'est une pointe d'acier, par exemple, d'une très-grosse aiguille à coudre, ou d'un bout de lame d'épée, emmanchée d'un petit manche de bois, garni d'une frette ; il sert à ces ouvriers pour tracer sur les feuilles de bois, dont le placage doit être fait, le contour des desseins, selon lequel elles doivent être découpées. Voyez les fig. Planches de Marqueterie.
POINTE DE PAVE, (Maçonnerie) c'est la jonction en maniere de fourche, des deux ruisseaux d'une chaussée en un ruisseau, entre deux revers de pavé.
POINTE A TRACER, (Menuiserie) les menuisiers de placage & de marqueterie s'en servent pour tracer leurs desseins sur les feuilles de métaux ou de bois, qu'ils veulent contourner avec la scie ; elle a encore quelques autres usages dont on parle ailleurs. Cet outil est une espece de poinçon d'acier, avec un manche de bois proportionné à sa petitesse. (D.J.)
POINTE DE CHEVEUX, (Perruquier) c'est cette extrémité de cheveux par où les Perruquiers commencent à tourner la boucle de la frisure : l'autre bout s'appelle la tête ; c'est par la tête que les cheveux se tressent.
POINTE, terme de Plumassier ; on nomme dans le commerce des plumes d'autruche noires, fin à pointe, les grandes plumes noires qui sont propres à faire des panaches ; les moindres de cette qualité s'appellent petit noir à pointe plate. (D.J.)
POINTE, terme de Reliure, outil qui sert à couper le carton de la couverture, d'une largeur & longueur convenables à la tranche ; il est de fer avec un manche de bois, de dix-huit ou vingt pouces de long, y compris le manche. Le bout de l'outil est coupé en chanfrain & très-tranchant.
POINTE, (Outil de Sculpt. & de Tailleur de pierre) la pointe des Sculpteurs en marbre, & des Tailleurs de pierre, est une espece de ciseau de fer acéré, aigu par un bout, avec une tête de l'autre. Ils servent, les uns pour ébaucher leur ouvrage, ce qu'on appelle approcher à la pointe ; les antres pour percer des trous, & travailler dans les endroits étroits & profonds, où les ciseaux quarrés ne pourroient approcher. Les Sculpteurs nomment pointe double ou dent de chien, un ciseau quarré partagé en deux par le bas en forme de dents ; ils s'en servent après avoir approché à la pointe. (D.J.)
POINTE, (Sculpture) c'est un outil de fer bien acéré, dont les Sculpteurs en marbre se servent pour ébaucher leurs ouvrages, après que le marbre a été dégrossi ou épanelé, ce qu'ils appellent approcher à la pointe. Quand on a travaillé avec cet outil, on en prend un autre qui a double pointe pour ôter moins de matiere ; & ensuite lorsque l'ouvrage est plus avancé, on se sert du ciseau, ce que l'on nomme aussi approcher du ciseau. Voyez les Pl.
POINTES, s. f. pl. (Serrur.) ce sont des clous longs & déliés, avec une petite tête ronde, qui servent à attacher les targettes, les verroux, &c. & dont on ferre les grandes fiches.
POINTES, terme de Serrurier, ce sont des clous qui n'ont point de tête ; ils servent aux Serruriers à ferrer les fiches qui s'attachent aux portes, croisées & guichets. On les achete en gros ou à la somme, qui est de douze milliers, ou au compte quand ce sont celles qu'on appelle fiches au poids ; dans le détail, on les vend à la livre & au compte. Savary. (D.J.)
POINTES, (Tireurs d'or) les Tireurs d'or nomment ainsi certains petits poinçons d'acier, très-fins & très-pointus, qui vont toujours en diminuant de grosseur, dont ils se servent pour polir les pertuis ou trous neufs de cette sorte de petite filiere, qu'ils appellent fer à tirer. Il y a de ces pointes si fines, que le fil d'or que l'on tire par les pertuis qu'ils ont poli, n'a pas la grosseur d'un cheveu.
POINTE, (Outil de Tourneur) les tourneurs donnent le nom de pointes à deux pieces de fer pointues par un bout, qui s'entaillent dans les poupées de leur tour. Elles forment à-peu-près la figure d'un Z, dont la ligne du milieu seroit perpendiculaire, & non diagonale. (D.J.)
POINTE, en terme de Vannier ; c'est cet intervalle plein qu'il y a de la premiere torche à la seconde, d'où on commence à nommer combles, tous les cordons qui sont au-dessus.
POINTES, terme de Vitrier ; les pointes dont les Vitriers se servent pour attacher les panneaux & carreaux de verre sur les bois des croisées & chassis, ne sont pas ordinairement des clous faits exprès, mais seulement le bout des clous que les maréchaux employent à ferrer les chevaux.
POINTE DE DIAMANT, (Vitrerie) c'est un petit morceau de diamant, taillé en pointe, & enchâssé dans du plomb & dans du bois, dont les vitriers se servent pour tailler le verre.
POINTE, s. f. terme de Fauconnerie, on dit qu'un oiseau fait pointe, lorsqu'il va d'un vol rapide en s'élevant ou en s'abaissant.
POINTE, adj. (Blason). On appelle écu pointé fascé, un écu chargé de plusieurs pointes en fasces, qui sont en nombre égal, d'émaux différens. Pointé se dit aussi d'un écu marqué de pointures ou piquures, comme les pointes qui servent de masse à la rose, tandis qu'elle est en bouton. Il porte trois roses boutonnées d'or & pointées de sinople.
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POINTEAU | S. m. outil d'Horloger. C'est un poinçon d'acier trempé, pointu par le bout, qui sert à marquer ou faire des trous dans des pieces de laiton ou de cuivre. C'est ordinairement avec cet outil qu'ils font les trous dans les pointes de leur tour. Voyez TOUR D'HORLOGER.
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POINTER | POINTER
Maniere de pointer le canon. Pour pointer ou diriger le canon vers un endroit où l'on veut faire porter le boulet, on éleve sa culasse par le moyen d'un coin O, que l'on place dessous sur la semelle de l'affût ; ce coin se nomme coin de mire.
En l'avançant sous la culasse, il éleve & fait baisser la volée ; on l'avance autant qu'il en est besoin pour que la volée soit dans la direction que l'on veut. On met quelquefois plusieurs de ces coins les uns sur les autres, lorsqu'on veut faire plonger le canon de haut en bas.
Le canon étant plus gros vers la culasse que vers la bouche, & faisant une espece de cône tronqué, la ligne que l'on imagine passer par le milieu de son ame, comme la ligne A H, n'est pas parallele à la partie supérieure du canon C G : c'est pourquoi si on alignoit le canon selon le prolongement de C G, le boulet, au lieu d'aller en D, prolongement de C G, iroit en B, prolongement de l'A H, c'est-à-dire qu'il porteroit plus haut que le point d'alignement observé. Pour remédier à cet inconvénient, on adapte sur l'extrémité de la volée une piece de bois concave dans sa partie intérieure, de maniere qu'elle puisse, pour ainsi dire, être achevalée sur l'extrémité de la volée, & que sa hauteur ou sa partie supérieure réponde à la quantité d'épaisseur que le métal de la culasse a de plus que celui de la volée.
Cette piece se nomme fronteau de mire, voyez FRONTEAU DE MIRE. Il sert, comme on le voit, à faire porter le boulet dans l'endroit desiré ; car par son moyen la ligne de mire est parallele à la ligne que l'on imagine passer au milieu du canon, c'est-à-dire à celle que doit décrire le boulet, supposant qu'il suive la direction de cette ligne qui est droite. Ainsi alignant la partie supérieure de la culasse & celle du fronteau avec un point quelconque, le boulet chassé dans cette direction, sera porté vers ce point, mais plus bas, de la quantité seulement du demi-diametre de la culasse ; ensorte que si on aligne le canon à un point plus élevé de la quantité de ce demi-diametre, le boulet donnera dans le point où l'on veut le faire porter. On fait ici abstraction de toutes les causes qui peuvent déranger, & qui dérange effectivement dans la pratique la justesse du coup.
Pour ce qui concerne le pointage du mortier, voyez MORTIER. (p)
POINTER, v. act. (Architect.) On dit pointer une piece de trait ; c'est, sur un dessein de coupe de pierre, rapporter avec le compas le plan ou le profil au développement des panneaux. C'est aussi faire la même opération en grand avec la fausse équerre, sur des cartons séparés, pour en tracer les pierres. (D.J.)
POINTER une aiguille, terme d'Aiguiller, c'est former la pointe d'une aiguille avec la lime.
POINTER, (Manufacture) en terme de manufacture, c'est faire quelques points d'aiguille avec de la soie, du fil ou de la ficelle, à une piece de drap ou autre étoffe, pour conserver les plis, & empêcher qu'elle ne se chiffonne.
POINTER, (Marine) c'est se servir du compas pour trouver sur la carte en quel parage le vaisseau peut être, ou quel air de vent il faut faire pour arriver au lieu où l'on veut aller.
POINTER, en Fauconnerie ; on dit qu'un oiseau pointe lorsqu'il va d'un vol rapide, soit en s'abaissant, soit en s'élevant. On dit aussi voler en pointe.
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POINTEUR | S. m. terme d'Eglise. Dans la plûpart des églises cathédrales & collégiales, on nomme pointeur celui qui marque sur un registre les noms de ceux qui sont absens de tel ou tel office du choeur. Ce registre se nomme pointe, & l'action du pointeur, pointer. (D.J.)
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POINTICELLE | S. m. (Soierie) petite broche qui retient la cannette dans la navette ou l'espolin.
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POINTIL | S. m. (Verrerie) Le pointil est une longue & forte verge de fer, à l'un des bouts de laquelle il y a une traverse aussi de fer, qui avec la verge forme une espece de T. Quand on veut pointiller une glace, on enfonce le pointil du côté de la traverse dans un des pots à cueillir ; & avec le verre liquide qu'on en rapporte, on l'attache par les deux bouts de cette traverse à l'extrémité de la glace qui a été coupée.
Lorsque le pointil est suffisamment assuré, on sépare de la felle l'autre extrémité de la glace, & l'on se sert du pointil au lieu d'elle, pour la porter aux fours destinés à cet usage, ou par plusieurs chauffes qu'on lui donne, on acheve de l'élargir également dans toute sa longueur. C'est après cette façon qu'on coupe la glace avec des forces, non-seulement du côté qu'elle a tenu à la felle, mais encore dans toute la longueur du cylindre qu'elle forme ; afin qu'ayant été suffisamment chauffée, on puisse parfaitement l'ouvrir, l'étendre & l'applatir, ce qui se fait à-peu-près comme au verre de Lorraine. Voyez VERRE. (D.J.)
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POINTILLAGE | S. m. (Peinture en miniature) Ce sont les petits points qu'on fait dans les ouvrages de miniature, & cela s'appelle pointiller, travailler par point.
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POINTILLÉ | c'est, dans la gravure en bois, faire les petits point qui s'exécutent sur les chairs ou au bout des tailles sur certaines parties d'ouvrage ; delà on dit chairs pointillées, tailles pointillées.
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POINTILLER | Les peintres en miniature se servent de ce terme pour exprimer l'action de travailler leurs ouvrages. En effet, la miniature ne se fait que par l'assemblage de différens points que l'on marque sur le vélin avec différentes couleurs, & par l'arrangement & variété desquels on forme à son gré des figures, des paysages, &c.
Avant que de donner un coup de pinceau pour pointiller sur le vélin, on le porte sur les levres pour sentir s'il a assez ou trop de couleurs, & encore mieux pour lui faire la pointe, qui s'accommode parfaitement bien sur les levres.
Pointiller se dit encore des ouvrages qu'on pointille sur le vélin, le papier, avec une pointe d'argent. Portraits pointillés à la pointe d'argent.
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POINTU | adj. (Gramm.) aigu, qui se termine en pointe. Un discours pointu, un instrument pointu, un chapeau pointu. Voyez POINTE.
POINTU se dit en Botanique des fleurs dont les feuilles se terminent par une pointe semblable à celle d'une lance.
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POINTURE | en terme de Formier, c'est la longueur de la forme, ou, pour parler plus clairement, la forme prise dans toute sa longueur, depuis le talon jusqu'à la pointe.
POINTURES. Les Imprimeurs appellent ainsi deux petites languettes de fer plat, longues depuis deux pouces jusqu'à cinq ou six pouces ; une des deux extrémités se terminent en deux branches un peu distantes ; l'autre est armée d'un petit aiguillon ou pointe, pour percer les marges de la feuille que l'on imprime. C'est par le secours de ces deux pointes, attachées aux deux côtés & vers le milieu du tympan par des vis qui se montent & se démontent à volonté, que l'on fait venir en registre la deuxieme impression qui se fait au dos de celle faite d'abord en papier blanc ; & de façon que de quelque côté que l'on examine une feuille imprimée, on ne puisse appercevoir une page déborder celle qui est derriere, ni la surpasser dans les extrémités, soit pour la longueur égale des lignes, soit pour la hauteur des pages.
POINTURE, (Marine) c'est un raccourcissement de la voile dont on ramasse & trousse le point pour l'attacher à la vergue & bourser la voile, afin de ne prendre qu'un peu de vent ; ce qui se fait de gros tems à l'artimon & à la misene.
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POINTUS | S. m. terme de Chapelier. C'est ainsi qu'on appelle les quatre petits morceaux d'étoffe plus fins ordinairement que le reste du chapeau, qu'on applique sur les capades. Cela s'appelle aussi parmi ces ouvriers, faire le dorage du chapeau. Voyez CHAPEAU.
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POIRE | S. f. (Botan.) c'est un fruit charnu, plus mince ordinairement vers la queue que vers l'autre bout, où il est garni d'un nombril formé par les découpures du calice. On trouve dans son intérieur cinq loges remplies de pepins, c'est-à-dire des semences couvertes d'une peau cartilagineuse.
Quoiqu'on ne voie dans une poire, à l'exception des pepins, qu'une chair, un parenchime uniforme qui n'a point de parties distinctes les unes de autres, cependant quelques grands observateurs ont trouvé par la macération & par d'autres voies, l'art de séparer ses parties, & d'en faire la dissection. M. Duhamel distingue quatre membranes dans la poire ; il appelle la premiere épiderme, la seconde tissu muqueux, à cause d'une certaine viscosité ; la troisieme tissu pierreux, & la quatrieme tissu fibreux.
L'épiderme de la poire semble destiné à la défendre des injures du dehors, & à réduire la transpiration du fruit à être de la quantité nécessaire, parce que son tissu serré en empêche l'excès, & parce que le grand nombre de pores dont il est percé ouvre assez de passages. Cet épiderme tombe par petites écailles comme celle de l'homme, & se régénere de même sans laisser de cicatrice.
Le tissu muqueux, immédiatement posé sous l'épiderme, & très-difficile à s'en détacher, est peut-être formé par un entrelacement de vaisseaux très-déliés, & pleins d'une liqueur un peu visqueuse. Il est verd naturellement : mais quand la poire a pris du rouge par le soleil, quelquefois cette couleur ne passe pas l'épiderme, quelquefois elle pénétre jusqu'au tissu muqueux, & le pénétre même tout entier. Il est sujet à des accidens & à des maladies ; les coups de grêle le meurtrissent & le desséchent, la trop grande humidité le corrompt ; quelques chenilles s'en nourrissent : après avoir détruit l'épiderme, une très-petite mitte qui n'a point entamé l'épiderme, va le manger. Quand il est détruit dans toute son épaisseur, il ne se régénere point, il se forme à sa place une espece de gale gommeuse.
La troisieme enveloppe ou partie de la peau totale de la poire, est le tissu pierreux. On sait assez ce que c'est que ce qu'on appelle pierres dans la poire, ces grumeaux plus durs que le reste de la substance, tantôt plus, tantôt moins gros, & quelquefois amoncelés en petits rochers. On nomme les poires cassantes ou fondantes, selon qu'elles en ont ou n'en ont pas, ou en ont moins. Ces pierres n'appartiennent pas seulement à cette enveloppe, qui est le tissu pierreux, elles se trouvent répandues dans tout le reste du fruit ; mais elles sont arrangées dans ce tissu plus régulierement les unes à côté des autres, & enfin elles le sont d'une maniere à former une enveloppe, ce qui suffit ici. Comme elles sont de la même nature que les autres, il sera à propos de les considérer toutes ensemble.
Elles commencent dès la queue de la poire, & s'étendent sur toute sa longueur, posées entre les tégumens de cette queue, & un faisceau de vaisseaux qui en occupent l'axe. Quand elles sont entrées dans son fruit, il y en a une partie qui s'épanouit & va former le tissu pierreux, en tapissant toute la surface intérieure du tissu muqueux ; l'autre partie se tient serrée le long de la queue prolongée, ou de l'axe de la poire, & y forme un grand canal pierreux d'une certaine largeur. Ce canal arrivé à la région des pepins, se partage à droite & à gauche, prend plus de largeur de part & d'autre, & ensuite va se réunir audessus des pepins, & reprend la forme de canal pour aller aboutir à l'ombilic ou à la tête de la poire ; il y trouve le tissu pierreux auquel il s'unit, & tous deux ensemble forment un rocher très-sensible.
Cela n'empêche pas qu'il n'y ait des parties jettées çà & là moins régulierement dans le reste du corps de la poire ; elles sont liées par une substance plus molle & plus douce ; il y en a, mais de beaucoup plus petites, jusques dans les poires que l'on appelle fondantes. Ces pierres ne sont pas sensibles dans les fruits nouvellement noués ; ce ne sont que de petits grains blancs sans solidité, mais ils durcissent ensuite & grossissent à tel point, que les fruits encore fort petits, ne sont presque que des pierres, moins dures cependant qu'au tems de la maturité, mais en plus grand nombre, par rapport au volume du fruit ; car à mesure que le fruit croît depuis un certain point, les pierres ou croissent moins ou ne croissent plus, & même il en disparoît. Quand elles sont dans leur parfaite grosseur, on peut voir quantité de filets ou qui y entrent ou qui en sortent ; leur substance n'est point formée par lames ou par couches, mais par grains.
La quatrieme enveloppe qui fait partie de la peau de la poire, & qui est posée sur le tissu pierreux, paroît formée d'un entrelacement perpétuel de vaisseaux anastomosés les uns avec les autres ; nous les nommons vaisseaux par analogie, car on n'y voit aucune cavité, mais seulement une espece de duvet remplissant l'intérieur de ce vaisseau, qui n'est donc plus qu'un simple filet solide ; cependant l'idée de vaisseaux est trop nécessaire pour être abandonnée.
Il nous reste à considérer la partie la plus importante de tout le fruit, celle à laquelle tout le reste paroît subordonné, parce qu'elle assure la perpétuité de l'espece : ce sont les pepins ou semences de la poire dont je veux parler. Ils sont logés deux à deux en cinq capsules, vers le milieu de l'axe, & même de tout le corps du fruit. Il est à remarquer que les filets ou vaisseaux qui font de ce milieu une espece de globe qu'ils enveloppent, ont dix branches plus grosses que les autres, dont cinq répondent assez exactement aux capsules des pepins, & les cinq autres aux intervalles qu'elles laissent entr'elles : desorte que toute la poire divisée selon la position & dans le sens de ces vaisseaux, le seroit en dix parties égales. Mais la méchanique des pepins & de tout ce qui leur appartient, n'est point connue ; le fin de tout le mystere, la maniere dont se fait la génération du fruit, échappe à tous les yeux. Cependant le lecteur trouvera des choses bien curieuses sur cette matiere, dans Malpighi, dans Grew, Leuwenhoeck, Ruysch, & dans trois mémoires sur l'anatomie de la poire, par M. Duhamel, insérés dans le recueil de l'académie des Sciences, années 1730, 1731, & 1732, avec figures.
POIRE des Indes, (Botan. exot.) nom donné par divers botanistes au fruit d'un grand arbre des Indes orientales. L'écorce de cet arbre est fort unie, rougeâtre en-dehors & blanche en-dedans. Ses feuilles sont petites, épaisses, d'un verd pâle. Sa fleur est composée de trois longs pétales irréguliers, qui, quand ils sont fermés, représentent une espece de fausse pyramide, dont l'odeur est très-désagréable. Son fruit est de figure conique, de la grosseur du doigt, & d'une contexture ligneuse ; il se partage en plusieurs filamens qui s'étendent & percent dans toute sa substance. Ce fruit acquiert en mûrissant une écorce ou plutôt une peau rouge, lisse & fine, ce qui est tout le contraire des autres fruits des Indes, qui ont presque toujours la peau fort épaisse, pour les mettre en état de soutenir la grande chaleur du climat. L'intérieur de ce fruit est une pulpe blanche, douce au toucher, sucrée, agréable au goût, & qu'on enleve avec une cuiller ; il contient au milieu, comme nos poires européennes, plusieurs pepins lisses & noirs. Quand ce fruit a passé le tems de sa parfaite maturité, sa partie pulpeuse s'échappe de ses fibres, lesquelles demeurent dans cet état long-tems attachées, & pendantes au pédicule. (D.J.)
POIRE de terre, (Botan.) voyez TOPINAMBOUR & POMME DE TERRE, Botan.
POIRE, (Balancier) ou autrement dite masse ou contrepoids, est ce morceau de métal ordinairement de cuivre ou de fer, attaché à un anneau, qu'on coule le long de la verge romaine ou peson, pour trouver la pesanteur des marchandises qu'on met au crochet de cette balance.
POIRE à bourse, en terme de Boutonnier, c'est une piece d'ouvrage tournée en ventre diminué d'un bout, & long & étroit par l'autre. On s'en sert pour faire des glands de bourses, dont elles ont tiré leur nom.
POIRES secrettes, (terme d'Eperonnier) c'est une sorte d'embouchure du mords d'un cheval.
POIRES, s. f. (terme de Chasseur) fournimens faits de carton couvert d'un cuir mince coloré, qui sert à mettre de la poudre à canon ou à giboyer. Il y a de grosses & de petites poires ; les unes qu'on met dans la poche, les autres qu'on porte pendues en écharpe avec une grosse tresse de soie. On les nomme poires, parce qu'elles ont assez la figure du fruit à qui on a donné ce nom. Ce sont les marchands merciers-quincailliers qui en font le négoce. Ils les tirent presque toutes de Rouen. (D.J.)
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POIRÉ | ou CIDRE DE POIRE, s. m. (Boisson artific.) liqueur vineuse, claire, approchante en couleur & en goût du vin blanc ; elle est faite avec le suc tiré par expression de certaines poires acerbes & âpres à la bouche, lesquelles on cultive en Normandie. Ce suc en fermentant devient vineux comme le cidre & le vin, parce que son sel essentiel atténue, rarefie, & exalte ses parties huileuses & les convertit en esprit ; il enivre presqu'aussi vîte que fait le vin blanc, & l'on en tire une eau-de-vie par la distillation. Il contient un sel tartareux qui peut le réduire en vinaigre par une seconde fermentation quand il est vieux. Le poiré est apéritif. (D.J.)
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POIREAU | S. m. (Hist. nat. Botan.) porrum, genre de plante à fleur liliacée, presque en forme de cloche, & composée de six pétales. Le pistil occupe le milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit arrondi & divisé en trois loges, qui renferme des semences arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les étamines sont larges, applaties & terminées par trois filamens ; celui du milieu a un sommet. Les fleurs sont rassemblées en un bouquet presque rond : enfin les racines sont longues, cylindriques & composées de tuniques qui deviennent des feuilles plates ou quelquefois pliées en gouttiere. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Le poireau est incisif, pénétrant, apéritif, resolutif ; il excite le crachat, les urines & les mois aux femmes ; il est propre contre la morsure des serpens, pour guérir la brûlure, les hémorrhoïdes, le bruissement d'oreille, pour aider à la suppuration : on s'en sert à l'intérieur & à l'extérieur.
POIREAU, (Maréchall.) les Maréchaux appellent ainsi une verrue ou excroissance de chair spongieuse qui vient aux paturons de derriere des chevaux ; elle est grosse à-peu-près comme une noix, & jette & suppure des eaux rousses & puantes. Le poireau ne se guérit que pour un tems, il revient toujours.
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POIRÉE | S. f. (Hist. nat. Botan.) beta, genre de plante dont la fleur est composée de plusieurs étamines qui sortent d'un calice à cinq feuilles. Plusieurs fleurs se réunissent en forme de tête, & leurs calices deviennent dans la suite un fruit presque rond qui renferme des semences. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE.
POIREE blanche ou rouge (Botan.) beta alba seu rubra, voyez BETTE.
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POIRIER | S. m. (Hist. nat. botan.) pyrus, genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le calice de cette fleur devient dans la suite un fruit plus petit ordinairement du côté de la queue qu'à l'autre bout. Ce fruit a un ombilic ; il est divisé en loges & il renferme des semences oblongues. Ajoutez aux caracteres de ce genre le port particulier du poirier. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
POIRIER, (Jardinage) pyrus, grand arbre qui se trouve plus communément dans les climats tempérés de l'Europe que dans les autres parties du monde. La France en particulier semble être le sol le plus favorable à cet arbre. On s'est attaché avec succès depuis un siécle à rassembler les meilleures especes de poires & à les perfectionner par la greffe. Le poirier s'éleve beaucoup & s'étend peu. Il fait une tige droite & dégagée dont la tête est garnie de beaucoup de rameaux qui sont épineux. Ses racines tendent à pivoter, & pénétrent à une grande profondeur. Son écorce, dès que l'arbre est dans sa force, devient sillonnée & extrêmement rude. Sa feuille est oblongue, pointue, de médiocre grandeur & d'un verd fort luisant. Ses fleurs sont blanches, elles viennent par bouquets & paroissent au mois d'Avril. Son fruit est communément pyramidal, quelquefois rond, mais de différente forme & grosseur, selon la diversité des especes. La couleur, le goût & le tems de la maturité varient aussi par la même raison.
Le poirier est le plus estimé des arbres fruitiers à pepin. Il fait le plus grand nombre dans les jardins potagers & fruitiers des particuliers qui sont au-dessus de la médiocrité, au lieu que c'est le pommier qui abonde dans les vergers des gens du commun. La raison de préférence à ce dernier égard vient de ce que l'acide qui domine dans les pommes & sur-tout dans les reinettes que l'on cultive le plus, fait qu'elles se gardent long-tems, & qu'on peut les manger même avant leur maturité, parce que l'acide corrige le verd ; au-lieu que les poires ne sont mangeables qu'à-peu-près dans le tems de leur maturité. Mais les bonnes especes de poires, par leur variété, par les différens tems de leur maturité, & par le goût relevé & exalté de la plûpart, sont infiniment supérieures aux meilleures especes de pommes.
On peut multiplier le poirier de semence, & par la greffe. Le premier moyen n'est propre qu'à procurer des sujets pour la greffe ; car en semant les pepins d'une bonne poire, non-seulement ils ne produisent pas la même espece, mais les poires qui en viennent sont communément bâtardes & dégénérées ; il est vrai qu'il s'en peut trouver quelques-unes de bonne qualité ; mais c'est un hasard qui arrive si rarement, qu'on ne peut y compter : ce n'est donc que par la greffe qu'on peut se procurer sûrement la même espece de poire.
Le poirier se greffe en fente, ou en écusson sur le poirier sauvage, sur le poirier franc, sur le coignassier, ou sur l'aubepin. On ne se sert pas de ce dernier sujet, parce qu'il desseche le fruit. On n'emploie le premier que quand on ne peut faire autrement, parce que le poirier sauvage conserve toujours une âcreté qui se communique aux fruits que l'on y a greffés. Mais on greffe ordinairement sur le poirier franc, pour élever les arbres que l'on veut mettre à plein vent, & sur le coignassier pour former les poiriers que l'on veut mettre en espalier, ou tenir en buisson.
Pour avoir des sujets de poirier, il faut semer des pepins de toutes sortes de poires bonnes à manger ; & pour se procurer des sujets de coignassier, on les éleve de bouture, ou de branches couchées. Lorsque les sujets sont assez forts, on greffe en fente, ou en écusson les poiriers francs, & toujours en écusson les coignassiers. Sur le tems & la façon de faire toutes ces différentes opérations, voyez le mot PEPINIERE.
Pour désigner la qualité du terrein qui convient au poirier, il faut considérer cet arbre sous deux faces ; le poirier sauvage & le poirier franc veulent un autre terrein que le coignassier : car quand on plante un poirier greffé sur coignassier, ce n'est pas un poirier qu'on plante mais un coignassier.
Le poirier sauvage se plaît dans les lieux froids & humides, & toutes les expositions lui conviennent ; les plaines, les côteaux, les montagnes ; il vient partout, même dans les endroits serrés & ombragés. Il n'est pas plus difficile sur la qualité du sol ; il se plaît dans des terres grasses, fortes & grossieres, mêlées d'argille ou de glaise. Souvent on le voit réussir dans des terreins secs, mêlés de pierres, de sable ou de gravier, & profiter aussi-bien dans l'argille bleue la plus compacte. Ses racines pénétrent jusque dans les rochers : il n'y a guere que le tuf qui puisse arrêter cet arbre & l'affoiblir.
Le poirier greffé sur franc, demande une terre franche, limoneuse, douce & fertile ; en un mot, une terre à froment.
Quant au poirier greffé sur le coignassier, il lui faut un lieu frais & humide ; le côteau est la meilleure exposition qu'on puisse lui donner ; il se plaît dans une terre douce & noirâtre, plutôt mêlée de sable que d'argille. Mais il craint les terreins secs & légers, trop maigres & trop superficiels ; il y jaunit & dépérit bien-tôt.
Les poiriers greffés sur coignassier donnent souvent du fruit au bout de trois ans ; mais ces arbres sont de moindre durée que ceux qui sont greffés sur le poirier franc. Le coignassier est un sujet extrêmement convenable pour les poires fondantes & beurrées ; elles y prennent un degré de perfection qu'elles n'ont pas lorsque la greffe a été faite sur le poirier franc, qui d'ailleurs ne donne du fruit qu'au bout de 12 ou 15 ans ; mais il faut convenir aussi que quand on veut planter des poiriers dans un terrein sec & aride, les arbres sur franc y conviennent mieux que ceux sur coignassier ; ils y poussent plus vigoureusement, & ils se soutiennent mieux dans les lieux élevés ; d'ailleurs les especes de poires qui sont cassantes ou pierreuses, deviennent meilleures sur un sujet franc ; & il y a même plusieurs especes de poires qui ne réussissent pas sur le coignassier.
On pourroit encore greffer le poirier sur l'aubepin, dont on ne se sert plus parce qu'il rend les fruits secs & cotonneux ; sur le pommier & sur le nefflier, mais ces sujets ne donnent que des arbres foibles, languissans & de courte durée. Il en est de même de quelques arbres que l'on peut greffer sur le poirier, comme le pommier, le néflier & l'azerolier ; il n'y a que le coignassier qui réussit bien sur le poirier, mais cela ne sert d'aucune utilité.
On éleve le poirier sous différentes formes ; tantôt on lui laisse prendre à son gré une haute tige ; souvent on le retient en espalier, au moyen de la taille, & quelquefois on lui donne la forme d'un buisson. Pour les hautes tiges, les poiriers sur franc ou sur sauvage, sont les plus convenables. Mais on se sert plus ordinairement des poiriers sur coignassier pour mettre ses arbres dans un état de contrainte & de rabaissement.
Lorsqu'on tire de la pépiniere des poiriers de basse tige pour les planter à demeure, il faut choisir des plants vigoureux, d'une écorce unie, & dont la greffe soit bien recouverte. Ceux d'un an de greffe, sont ordinairement trop foibles. A trois ans ils sont souvent trop formés ; mais ceux de deux ans sont presque toujours les plants qu'il faut préférer. Cet arbre est si robuste, qu'il vaut toujours mieux le transplanter en automne, la reprise en est plus assurée que quand on attend le printems ; & il pousse vigoureusement dès la premiere année : ce qui est avantageux pour disposer la direction des jeunes arbres. On peut donner 20 ou 24 piés de distance à ceux qu'on veut élever à haute tige ; 12 à 15 à ceux qu'on se propose de former en buisson, & 10 ou 12 pour ceux qu'on destine à l'espalier : c'est la qualité & la profondeur du terrein qui doit en décider.
Le poirier souffre très-aisément la taille ; on peut lui couper en tout tems & à tout âge des branches d'une grosseur moyenne sans inconvénient. Il faut tailler dès l'automne les arbres foibles ; & attendre le printems pour ceux qui sont trop vigoureux. On ne taille les arbres de haute tige que les premieres années, pour en façonner la tête ; ensuite on se contente d'ôter le bois mort & les branches surabondantes ou nuisibles. Pour donner une belle disposition aux arbres que l'on veut mettre en espalier, ceux qu'on destine à remplir le haut de la muraille, doivent avoir une tige de 5 à 6 piés ; à l'égard de ceux qui sont destinés à garnir le bas, il faut les tenir tout près de terre. Ensuite on doit diriger de part & d'autre une quantité suffisante de fortes branches à distances à-peu-près égales pour former exactement l'éventail, ensorte qu'il n'y ait aucun vuide, ni branches qui se croisent ; enfin que le tout soit arrêté à sa juste place pour donner aux arbres l'agrément de la forme, & les préparer à une production utile. On s'applique à ménager le cours de la seve, de maniere qu'elle agisse également sur toutes les branches. On retranche, ou on accourcit celles qui se nuisent, qui se croisent, qui s'élancent trop, & qui sont inutiles ou défectueuses ; mais on laisse plutôt les branches se croiser que de souffrir un vuide.
Quant aux arbres que l'on veut former en buisson, la beauté de cette figure consiste à ce que la tige soit fort basse, le grouppe du buisson parfaitement arrondi, exactement évuidé dans le milieu, & bien formé en vase, à ce qu'il ait une égale épaisseur, à ce qu'il soit garni uniformément dans son contour, & à ce qu'il ne s'éleve pas à plus de 6 ou 7 piés. Au surplus, comme en cherchant l'agrément des formes, on ne doit pas perdre de vue l'utilité qui peut en résulter, l'attention du jardinier doit aussi se porter à ménager la taille, de façon qu'il laisse sur les arbres une quantité de fruit relative à leur force & à leur étendue. On n'entrera pas ici dans le détail des regles que l'art du jardinage prescrit pour l'exactitude de la taille ; la nature de cet ouvrage ne le permet pas. Voyez le mot TAILLE.
L'accroissement du poirier est plus lent que celui du pommier, mais il est bien moins difficile sur la qualité du terrein ; il est de plus longue durée, & son bois a plus d'utilité.
Le bois du poirier sauvage est dur, pesant, compacte, d'un grain très-fin, & d'une couleur rougeâtre. Il prend un beau poli, & il n'est point sujet à être piqué par les insectes. Les charpentiers l'emploient pour des jumelles de presses & pour les menues pieces des moulins. Il est recherché par les Menuisiers, les Tourneurs, les Ebénistes, les Luthiers, les Graveurs en bois & les Relieurs de livres. Ce bois prend si bien la couleur noire, qu'il ressemble à l'ébene, & qu'on a peine à les distinguer l'un de l'autre ; mais il a le défaut d'être un peu sujet à se tourmenter, & il n'est pas si bon à brûler que celui du pommier.
En exprimant le suc des poires, on fait une boisson que l'on connoît sous le nom de poiré ; elle est assez agréable dans la nouveauté, mais elle ne se conserve pas aussi long-tems que le cidre. Le marc des poires peut servir à faire des mottes à brûler.
Nul genre d'arbres que l'on connoisse, n'a produit dans ses fruits autant de variétés que le poirier. Nos jardiniers françois qui ont écrit sur la fin du dernier siecle, font mention de plus de sept cent sortes de poires qui ont pour le moins quinze cent noms françois ; mais il y a bien du choix à faire, si l'on ne veut que de bonnes poires : celles qui passent pour avoir cette qualité, vont tout-au-plus au nombre de quarante ; on en compte autant qui ne sont que médiocres ; toutes les autres ne valent guere mieux que la plûpart de celles que l'on trouve dans les forêts. Il n'est guere possible d'entrer ici dans le détail de toutes ces variétés, qui d'ailleurs sont rapportées dans presque tous les livres qui traitent du jardinage ; mais voyez sur-tout à ce sujet les catalogues des RR. PP. Chartreux de Paris, & de M. l'abbé Nolin.
Il y a quelques poiriers qui peuvent être intéressans pour l'agrément, comme l'espece à fleur double, & une autre variété que l'on nomme la double fleur, qui est différente ; enfin, le poirier à feuilles panachées dont la rareté fait le plus grand mérite. (Article de M. D'AUBENTON, Subdélégué.)
POIRIER, (Commerce de bois) il se fait un grand négoce de bois de poirier, & on l'employe en divers ouvrages de menuiserie, de tabletterie, de tour. On s'en sert aussi pour faire des instrumens de musique à vent, particulierement des bassons & des flûtes.
Une de ses principales qualités est de prendre un aussi beau poli, & un noir presqu'aussi brillant que l'ébene ; ce qui fait qu'on le substitue à ce dernier en bien des occasions.
Les marchands de bois le font débiter pour l'ordinaire en planches, poteaux & membrures. Les planches sont d'onze à douze pouces de large, sur treize lignes d'épaisseur franc-sciées, & six, neuf ou douze piés de longueur : le poteau a quatre pouces de gros en quarré, depuis six jusqu'à dix piés de long ; la membrure a vingt-cinq lignes franc-sciées d'épaisseur, sur six, sept & huit pouces de large, & six, neuf & douze piés de long, ainsi que les planches. Dict. du commerce. (D.J.)
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POIS | S. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur papilionacée. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite une longue silique qui renferme des semences arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les tiges sont creuses, & le plus souvent foibles ; il y a des feuilles qui embrassent les tiges, de façon qu'elles semblent les traverser ; les autres feuilles naissent par paires sur des côtes terminées par des mains. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort compte vingt-deux especes de ce genre de plante à fleurs légumineuses ; celle qu'on cultive davantage est le pois des jardins, qu'on nomme petit pois, pisum hortense majus, flore, fructuque albo. C. B. P. 342, I. R. H. 394.
Sa racine est grêle, fibreuse ; elle pousse des tiges longues, creuses, fragiles, d'un verd blanchâtre, rameuses, lesquelles se répandent à terre, si on ne les soutient par des échalats. Ses feuilles sont oblongues & de la couleur des tiges ; les unes qui paroissent être enfilées par la tige, s'embrassent à chaque noeud ; & les autres naissent comme par paires, sur des côtes terminées par des mains ou vrilles, qui s'attachent à tout ce qu'elles rencontrent. Ses fleurs qui sortent des aisselles des feuilles deux ou trois ensemble sur le même pédicule, sont légumineuses & en forme de papillon, blanches, marquées d'une tache purpurine. Cette plante se cultive dans les jardins & dans les champs ; elle fleurit au mois de Mai, & son fruit est excellent à manger en Juin. Il lui faut une terre meuble & bien amandée.
POIS VERDS, PETITS POIS, (Diete) ce légume dont l'usage est si familier parmi nous, est un des plus salutaires, comme un des plus agréables ; sur-tout les pois écossés qu'on mange frais, n'ayant pas atteint leur degré de maturité, ayant la peau très-tendre, verte & transparente, & la chair succulente, sucrée, point encore farineuse ; en un mot dans l'état qui les fait appeller à Paris petits & fins.
Une espece de pois qu'on mange avec leur gousse qui est tendre, succulente, grasse, & assez sucrée, passe pour moins salutaire ; mais il paroît qu'elle n'est que moins agréable.
Les pois mûrs & secs sont un des légumes qui fournissent la purée la plus délicate, & l'aliment le moins grossier. Au reste à peine le pois posséde-t-il quelques qualités diétetiques particuliers, du-moins bien connues ; ce que nous en savons de plus positif, c'est ce que nous avons dit des légumes en général à l'article LEGUME. Voyez cet article.
Les botanistes n'ont pas manqué de lui trouver plusieurs vertus médicamenteuses, tant pour l'intérieur que pour l'extérieur ; mais ces prétendues propriétés sont absolument méconnues ou négligées. (b)
POIS d'Angola, s. m. (Botan.) arbuste originaire de la côte d'Angola en Afrique, & très-commun dans les Antilles. Il s'éleve de six à sept piés, produisant beaucoup de branches rameuses, assez droites, menues, liantes, garnies de feuilles longuettes, flexibles, d'un verd cendré, & d'une odeur aromatique qui n'est pas desagréable : aux petites fleurs dont ces branches sont presque couvertes en tout tems, succedent des gousses longues d'un pouce & demi ou environ, plates, velues, souples, coriaces comme du parchemin mouillé, & difficiles à rompre ; elles renferment quatre ou cinq pois de moyenne grosseur, à-peu-près ronds, & d'une couleur brune-verdâtre. Ces pois sont excellens lorsqu'ils sont cuits & accommodés comme des lentilles : leur goût est difficile à comparer, & leur qualité est si parfaite, qu'ils n'incommodent jamais. Les bourgeons des branches étant infuses dans de l'eau bouillante, comme du thé, sont une boisson assez agréable, étant prise avec un peu de sucre ou de syrop de capillaire ; on l'estime très-bonne pour la poitrine.
POIS CHICHE, cicer, genre de plante à fleur papilionacée. Le pistil sort du calice & devient dans la suite une silique courte & semblable à une vessie gonflée : cette silique renferme des semences qui ont en quelque maniere la forme d'une tête de bélier. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
On cultive dans les jardins plusieurs especes de pois chiches, qui ne different que par la couleur des fruits ou même des fleurs ; il y en a sur-tout deux especes qui sont d'usage en Médecine, & dans les cuisines ; savoir, les pois chiches à fleur blanche, & les rouges que plusieurs botanistes regardent comme une simple variété de la même plante.
Les pois chiches à fleur blanche, sont le cicer sativum flore candido, I. R. H. 389. Les pois chiches rouges sont le cicer floribus & seminibus ex purpurâ rubescentibus, de C. B. P. 347.
La racine de l'une & l'autre de ces plantes est menue, blanchâtre, tirant sur le roux, fibreuse & chevelue. La tige est droite, branchue, velue. Les feuilles sont arrondies, dentelées, cotonneuses, rangées par paires sur une côte terminée par une impaire. Les fleurs sont légumineuses, blanches ou purpurines, & naissent des aisselles des côtes qui portent les feuilles, soutenues sur des pédicules grêles. Leur calice est velu, divisé en six parties pointues. Le pistil se change en un fruit gonflé en maniere de vessie, long d'environ un pouce, & terminé par un filet grêle : il renferme une ou deux graines arrondies, plus grosses que le pois ordinaire, n'ayant qu'un angle aigu, blanches ou rougeâtres, & presque de la figure d'une tête de belier : pour l'usage de la Médecine, on préfere les pois chiches rouges. On les seme dans les champs en plusieurs provinces méridionales de la France, en Italie & en Espagne.
Le pois chiche s'appelle kali en hébreu. Il est dit au IV. liv. des rois, ch. vj. 25. que pendant le siége de Samarie, sous le regne d'Achab, roi d'Israel, la famine fut si grande, que l'on vendit jusqu'à cinq sicles, c'est-à-dire quinze schellings, ou environ dix-huit livres de notre monnoie, le quart d'un cab de fiente de pigeon (le cab étoit une mesure qui tenoit un demi septier, un poisson, un pouce cube, & un peu plus) ; mais on n'entend pas pourquoi la fiente de pigeon se vendoit si cher : aussi est-ce une ridicule interprétation de l'original. Il s'agit ici de pois chiches, nommés par les Arabes usnen ou kali. Or les Hébreux appelloient kali, les pois chiches rotis à la poële, dont on use encore beaucoup dans l'orient, & dont il y a des boutiques au Caire & à Damas, où l'on ne fait autre chose que frire des pois chiches pour la provision des voyageurs. (D.J.)
POIS CHICHES, (Diete & Mat. méd.) ce n'est que la semence de cette plante qui est d'usage ; aussi est-ce à cette partie qu'appartient proprement le nom de pois chiche, que la plante a emprunté de sa semence. Les pois chiches mûrs & secs se mangent cuits dans le bouillon & dans l'eau, & assaisonnés dans ce dernier cas, avec le beurre ou l'huile, c'est-à-dire sous la forme du potage gras ou maigre : on en prépare aussi des purées ; on les mange avec des viandes roties, &c. Ceux qui croissent dans les pays froids & les terreins gras & humides, tels que les potagers ou marais & dans les bonnes terres, ont un goût acerbe & sauvage, & un tissu dense & serré, qui les rend très-difficile à cuire ; aussi ce légume est-il absolument rejetté des bonnes tables, & même presqu'absolument inusité à Paris & dans les provinces voisines : au lieu que ceux qui croissent dans les pays chauds & dans les terreins maigres & arides, sont d'un très-bon goût, & se ramollissent facilement par la cuite. Ils tiennent le premier rang parmi les légumes secs dans les provinces méridionales du royaume ; & ceux qu'on y apporte d'Espagne sont encore meilleurs.
Il est écrit dans les ouvrages de Médecine, que ce légume fournit une nourriture abondante, mais grossiere, venteuse, & un peu laxative. On n'observe rien de tout cela dans les sujets ordinaires & sains, qui sont cependant les seuls sur qui il faille évaluer les propriétés diététiques.
La décoction de pois chiches est comptée parmi les plus puissans diurétiques, & même parmi ceux dont l'activité peut devenir funeste dans les cas où les voies urinaires peuvent être ulcérées ou déchirées par des graviers, ou même simplement irritées & devenues très-sensibles. Les anciens médecins ont poussé l'opinion qu'ils avoient de cette inefficacité, jusqu'à avancer qu'elle portoit même jusque sur la substance du calcul, que le pois chiche étoit un lithontriptique des plus actifs. Au reste, si on peut compter au moins sur la qualité diurétique, on ne doit pas la chercher dans les pois chiches préparés dans les cuisines, parce que leur premiere préparation consiste à les faire bouillir dans une eau qu'on rejette, & que c'est vraisemblablement dans cette premiere décoction que doit passer le principe diurétique.
POIS à gratter, (Botan.) nom d'une espece de phaséole d'Amérique, appellée par le P. Plumier, phaseolus siliquis latis, hispidis & rugosis, fructu nigro. Voyez MUCUNA. (D.J.)
POIS DE MERVEILLE, corindum, genre de plante à fleur papilionacée, composée de quatre grands pétales apposés en forme de croix, & de quatre petits qui sont le plus souvent crochus & situés au milieu de la fleur. Le pistil sort du calice qui est composé de quatre feuilles, & devient dans la suite un fruit semblable à une vessie, & divisé en trois loges ; ce fruit renferme des semences presque rondes qui ont une tache de la figure d'un coeur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort compte trois especes de ce genre de plante, dont la principale est le corindum à larges feuilles, & à gros fruit, corindum ampliore folio, fructu majore.
Cette espece pousse des tiges menues & branchues, hautes de trois ou quatre piés, sans poil, cannelées, foibles, ayant besoin d'être soutenues ; ses feuilles sont divisées à-peu-près comme celles de l'ache, d'une belle couleur verte, d'un goût visqueux ; il sort de leurs aisselles des pédicules chargés de fleurs, composées chacune de huit feuilles blanches, quatre grandes, & quatre petites disposées en croix, soutenues par un calice à quatre feuilles ; quand ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits en vessies à trois coins, divisées chacune en trois loges qui renferment des semences semblables à des petits pois, en partie noirs, en partie blancs, & marqués ordinairement d'un coeur ; sa racine est grosse comme le doigt, mais plus courte, ligneuse, assez dure, fibreuse. Aucune des trois especes de ce genre de plante n'est d'usage en Médecine. (D.J.)
POIS, arbre aux, (Hist. nat. Botan.) robinia Linnaei. Aspalatus, caragana siberica, pseudo-acacia. C'est un arbre de la même famille que celui que l'on trouvera décrit sous le nom de pseudo-acacia. On le nomme arbre aux pois, parce qu'il produit des siliques qui renferment un fruit semblable aux pois, qui sont précédées de fleurs d'un beau jaune ; il croît sans culture en Sibérie, sur-tout dans un terrein léger & dans le voisinage des rivieres. Le plus grand froid ne le fait point périr ; on peut le multiplier de graine & de boutures ; il est ordinairement de la grandeur d'un bouleau moyen. Les habitans de la Sibérie nommés Tunguses, nourrissent leurs bestiaux avec la feuille de cet arbre ; on mange aussi le fruit ou les pois qu'il renferme dans ses siliques ; mais il faut pour cela, les faire bouillir dans une premiere eau, pour leur enlever une certaine amertume que l'on y trouve. M. Bielcke de l'académie de Stockholm, a essayé de faire moudre ce fruit, & en a fait faire des galettes ou gâteaux qui étoient d'un très-bon goût. Il prétend que le fruit de cet arbre est plus léger sur l'estomac que les pois ordinaires.
Le même M. Bielcke a trouvé que les feuilles de cet arbre pouvoient à l'aide de la putréfaction, donner une couleur bleue aussi propre à la teinture que l'indigo & le pastel. Voyez les mémoires de l'académie de Suede, année 1750, & voyez l'article PSEUDO-ACACIA. (-)
POIS MARTIAUX, (Hist. nat.) c'est le nom que quelques naturalistes donnent à une mine de fer en petits globules semblables à des pois que l'on appelle en latin pisa ferrea. Il paroît que c'est une mine de fer qui n'est composée que d'un assemblage de petites étites ou pierres d'aigle. Il y en a de différentes grandeurs. Près de Bayeux en Normandie, on trouve des cornes d'ammon remplies de ces sortes de pois ferrugineux. Quand ces étites sont ovales ou allongées, on les nomme mine de fer en feves, minera ferri fabalis. Il se trouve de la mine de fer de cette espece en Allemagne, dans la principauté de Hesse-Hombourg.
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POISON | S. m. (Littérat.) le mot venenum des latins ne signifie pas toujours du poison ; il désigne encore assez souvent ces drogues dont les Peintres & les Teinturiers se servent ; c'est dans ce sens, par exemple, que Virgile l'employe au second livre des géorgiques,
Alba neque assyrio fucatur lana veneno.
" L'étoffe n'est pas teinte en couleur de pourpre. " Horace, ode 27, liv. I. dit :
Quis te solvere thessalis
Magus venenis ? Quis poterit deus ?
" Quel enchanteur avec toutes les herbes de Thessalie, toute la force de ses charmes, que dis-je, quel dieu pourra vous tirer de ce mauvais pas ? " Les thessala venena d'Horace sont des sucs d'herbes magiques, propres à corriger la malignité du plus puissant poison.
Du tems d'Horace, on n'avoit point encore oublié l'histoire que Tite-Live, dec. 1. l. VIII. raconte de plusieurs dames romaines qui composerent des poisons, & qui furent découvertes par une esclave. Sur les recherches que fit l'édile, on trouva 170 patriciennes coupables d'empoisonnement, & qui furent condamnées aux derniers supplices. Les morts qu'elles avoient causées étoient en si grand nombre qu'on attribua d'abord ce malheur à l'intempérie pestilentielle de l'air, & l'on nomma exprès un dictateur qui alla attacher en cérémonie un clou au temple de Jupiter, ainsi qu'on le pratiquoit dans une calamité publique. (D.J.)
POISON, (Médec.) les choses prises intérieurement, ou appliquées de quelque maniere que ce soit, sur un corps vivant, capables d'éteindre les fonctions vitales, ou de mettre les parties solides & fluides hors d'état de continuer la vie, s'appellent poisons. Dans ce sens, on peut rapporter à cette classe grand nombre d'autres corps qui ne peuvent nuire qu'autant que l'usage immodéré qu'on en fait, empêche ou détruit les fonctions vitales.
Les corps âcres, méchaniques, qui en blessant ou en détruisant les parties solides, menacent de la mort, lorsqu'on les a avalés, ne peuvent être évacués d'abord que par le secours des onctueux, qui pris en grande quantité, enveloppent leurs parties nuisibles.
Tout ce qui est capable, en coagulant les humeurs, d'arrêter la circulation, doit être délayé à la faveur des aqueux saponacés ; & dès qu'on connoît la nature de la coagulation, il faut employer les contre-poisons convenables pour la dissiper.
A l'égard des corps qui détruisent l'union qui se trouve dans les parties solides & les fluides, ils sont très-dangereux ; l'usage des acides & des doux astringens est capable d'arrêter le progrès de leur action.
Dans la peste & les autres maladies contagieuses, la nature présente des poisons d'une espece incompréhensible, qui paroissent seulement attaquer les actions vitales : on ne peut venir à bout de les détruire par l'application des principes de la médecine rationelle, mais uniquement par un contrepoison que l'expérience a découvert.
On connoît encore de semblables poisons qui changent tellement la nature de l'air, qu'il devient mortel à l'économie animale. Telle est la fumée des charbons, du soufre, celle d'une liqueur fermentante, ces vapeurs fortes & suffocantes que les auteurs ont nommées esprits sauvages ; il faut éviter toutes ces choses, ou y remédier à l'aide du feu, ou de quelqu'autre vapeur qui y soit contraire.
POISON, (Jurisprud.) ou crime de poison est le crime de ceux qui font mourir quelqu'un par le moyen de certaines choses venimeuses, soit qu'on les mêle dans les alimens ou dans quelque breuvage, soit qu'on insinue le poison par la respiration ou par la transpiration, soit par une plaie ou morsure de quelque bête.
Cette maniere de procurer la mort est des plus barbares & des plus cruelles ; & la loi 1 & 3 au code ad legem corneliam de sicariis & veneficiis, disent que plus est hominem extinguere veneno quàm gladio. La raison est que l'on se défie ordinairement & que l'on peut se précautionner contre l'homicide qui se commet par le fer, au lieu que l'homicide qui se commet par le poison, se fait sourdement, & est souvent commis par ceux dont on se défie le moins, de maniere qu'il est plus difficile de s'en garantir.
Ce crime a toujours été en horreur chez toutes les nations policées.
Gravina a avancé mal-à-propos qu'avant l'an 422 de la fondation de Rome, on n'avoit point encore fait de loi contre les empoisonneurs.
Il est vrai que dans les premiers tems de Rome où l'innocence des moeurs s'étoit encore conservée, on ne connoissoit point l'usage du poison, au moyen de quoi l'on n'avoit point établi de peine contre ce crime.
Mais la fréquentation des nations voisines ayant peu-à-peu corrompu les moeurs, la loi des 12 tables, laquelle fut affichée à Rome en 304, prononça des peines contre les empoisonneurs.
Ce qui a sans doute induit Gravina en erreur, est que ce fut vers l'an 422, sous le consulat de Valerius Flaccus & de M. Claudius Marcellus, qu'on vit paroître pour la premiere fois dans Rome une troupe de dames, qui par des poisons qu'elles débitoient, firent un grand ravage dans la république.
La mort subite de plusieurs personnes de toutes sortes de qualités ayant rempli la ville d'étonnement & de crainte, la cause de ce désordre fut révélée par une esclave qui en avertit le magistrat, & lui découvrit que ce qu'on avoit cru jusqu'alors être une peste causée par l'intempérie de l'air, n'étoit autre chose qu'un effet de la méchanceté de ces dames romaines lesquelles préparoient tous les jours des poisons, & que si on vouloit la faire suivre, elle en feroit connoître la vérité.
Sur cet avis, on fit suivre cette esclave, & l'on surprit en effet plusieurs dames qui composoient des poisons & quantité de drogues inconnues que l'on apporta dans la place publique ; on y fit aussi amener vingt de ces dames ; il y en eu deux qui soutinrent que ces médicamens n'étoient pas des poisons, mais des remedes pour la santé ; mais comme l'esclave qui les avoit accusées, leur soutenoit le contraire, on leur ordonna de boire les breuvages qu'elles avoient composés : ce qu'elles firent toutes & en moururent. Le magistrat se saisit de leurs complices, desorte qu'outre les 20 dont on vient de parler, il y en eut encore 170 punies.
Une femme de Smyrne fut accusée devant Dolabella, proconsul dans l'Asie, d'avoir empoisonné son mari, parce qu'il avoit tué un fils qu'elle avoit eu d'un premier lit ; Dolabella se trouva embarassé, ne pouvant absoudre une femme criminelle ; mais ne pouvant aussi se résoudre à condamner une mere qui n'étoit devenue coupable que par un juste excès de tendresse, il renvoya la connoissance de cette affaire à l'aréopage qui ne put la décider, il ordonna seulement que l'accusateur & l'accusée comparoîtroient dans cent ans pour être jugés en dernier ressort.
L'empereur Tibere ayant fait empoisonner Germanicus par le ministere de Pison, gouverneur de Syrie, lorsqu'on brûla le corps de Germanicus, selon la coutume des Romains, son coeur parut tout entier au milieu des flammes ; on prétend que l'on vit la même chose à Rouen, lorsque la pucelle d'Orléans y fut brûlée. C'est une opinion commune que le coeur étant une fois imbu de venin, ne peut plus être consumé par les flammes.
Les médecins regardent aussi comme un indice certain de poison dans un corps mort, lorsqu'il se trouve un petit ulcere dans la partie supérieure de l'estomac ; cependant le docteur Sebastiano Rotari, en son traité qui a pour titre Allegazioni medicophysice, soutient que cet indice est fort trompeur, & que ce petit ulcere peut venir de plusieurs autres causes qu'il explique.
Pour revenir aux peines prononcées contre les empoisonneurs : environ 200 ans après le fait des dames romaines, Lucius Cornelius Sylla fit une loi appellée de son nom Cornelia de veneficis, par laquelle il prononça la même peine contre les empoisonneurs que contre les homicides, c'est-à-dire, l'exil & le bannissement qui sont la même chose que l'interdiction de l'eau & du feu ; cette loi fut préférée à celle que César, étant dictateur, publia dans la suite sur la même matiere.
Il y eut aussi quelques senatus-consultes donnés en interprétation de la loi Cornelia de veneficis, & dont l'esprit est le même. On voit dans la loi 3, ff. ad leg. cornel. de sic. & venef. qu'un de ces senatus-consultes prononçoit la peine d'exil contre ceux qui sans avoir eu dessein de causer la mort d'une femme, l'avoient cependant fait mourir en lui donnant des remedes pour faciliter la conception.
Le paragraphe suivant fait mention d'un autre senatus-consulte qui décerne la peine portée par la loi Cornelia contre ceux qui auroient donné ou vendu des drogues & des herbes malfaisantes, sous prétexte de laver ou purger le corps.
Enfin la loi 8, au même titre, enjoignoit aux présidens des provinces d'envoyer en exil les femmes qui faisoient des efforts surnaturels, ou qui employoient de mauvaises pratiques pour se procurer l'avortement. Ces drogues & autres moyens contraires à la nature étoient regardés comme des poisons, & ceux qui s'en servoient, traités comme des empoisonneurs.
En France, le crime de poison est puni par le feu ; & lorsqu'il s'est trouvé des empoisonneurs qui avoient nombre de complices, on a quelquefois établi une chambre ardente pour faire le procès à ces coupables.
La déclaration de Louis XIV. du mois de Juillet 1682, est la regle que l'on suit sur cette matiere.
Elle porte que ceux qui seront convaincus de s'être servi de poison, seront punis de mort, soit que la mort des personnes auxquelles ils auront voulu faire prendre le poison, se soit ensuivie ou non.
Ceux qui sont convaincus d'avoir composé & distribué du poison pour empoisonner, sont punis des mêmes peines.
Ceux qui ont connoissance que l'on a travaillé à faire du poison, qu'il en a été demandé ou donné, sont tenus de dénoncer incessamment ce qu'ils en savent au procureur général, ou à son substitut, & en cas d'absence, au premier officier public des lieux, à peine d'être procédé contr'eux extraordinairement, & d'être punis selon les circonstances & l'exigence des cas, comme fauteurs & complices de ces crimes, sans que les dénonciateurs soient sujets à aucune peine, ni même aux intérêts civils, lorsqu'ils auront déclaré & articulé des faits ou indices considérables qui seront trouvés véritables & conformes à leur dénonciation ; quoique dans la suite les personnes comprises dans lesdites dénonciations, soient déchargées des accusations, dérogeant à cet effet à l'article 73 de l'ordonnance d'Orléans, pour l'effet du poison seulement, sauf à punir les calomniateurs selon la rigueur de l'ordonnance.
La peine de mort a lieu contre ceux qui sont convaincus d'avoir attenté à la vie de quelqu'un par poison ; ensorte qu'il n'ait pas tenu à eux que ce crime n'ait été consommé.
L'édit répute au nombre des poisons, non-seulement ceux qui peuvent causer une mort prompte & violente, mais aussi ceux qui en altérant peu-à-peu la santé, causent des maladies, soit que les poisons soient simples, naturels, ou composés.
Il est défendu en conséquence à toutes personnes, à peine de la vie, même aux Médecins, Chirurgiens, & Apothicaires, à peine de punition corporelle, d'avoir & garder de tels poisons simples ou préparés, qui retenant toujours leur qualité de venin, & n'entrant en aucune composition ordinaire, ne peuvent servir qu'à nuire, étant de leur nature pernicieux & mortels.
A l'égard de l'arsenic, du réalgal, de l'orpiment, & du sublimé, quoique ce soient des poisons dangereux, comme ils entrent dans plusieurs compositions nécessaires, pour empêcher qu'on n'en abuse, l'article 7 ordonne qu'il ne sera permis qu'aux marchands qui demeurent dans les villes, d'en vendre & d'en délivrer eux-mêmes seulement aux Médecins, Apothicaires, Chirurgiens, Orfévres, Teinturiers, Maréchaux, & autres personnes publiques, qui par leur profession sont obligés d'en employer, lesquels néanmoins en les prenant, écriront sur un registre du marchand, leur nom, qualité, & demeure, & la quantité qu'ils auront pris de ces minéraux.
Les personnes inconnues aux marchands, telles que les chirurgiens & maréchaux des bourgs & villages, doivent apporter un certificat du juge des lieux, ou d'un notaire & deux témoins, ou du curé & de deux principaux habitans.
Ceux auxquels il est permis d'acheter de ces minéraux, doivent les mettre en lieu sûr & en garder la clé, & écrire sur un registre l'emploi qu'ils en ont fait.
Les Médecins, Chirurgiens, Apothicaires, Epiciers-Droguistes, Orfévres, Teinturiers, Maréchaux, & tous autres, ne peuvent distribuer des minéraux en substance à quelque personne, ni sous quelque prétexte que ce soit, sous peine corporelle.
Ils doivent composer eux-mêmes, ou faire composer en leur présence par leurs garçons, les remedes où il doit entrer des minéraux.
Personne autre que les Médecins & Apothicaires, ne peut employer aucuns insectes venimeux, comme serpens, viperes, & autres semblables, même sous prétexte de s'en servir à des médicamens, ou à faire des expériences, à-moins qu'ils n'en ayent la permission par écrit.
Il est aussi défendu à toutes personnes autres que les médecins approuvés dans le lieu, aux professeurs de Chymie, & aux maîtres Apothicaires, d'avoir aucuns laboratoires, & d'y travailler à aucune préparation de drogues ou distillation, sous quelque prétexte que ce soit, sans en avoir la permission par lettres du grand sceau, & qu'après en avoir fait leur déclaration aux officiers de police.
Enfin, les distillateurs même & vendeurs d'eau-de-vie, ne peuvent faire aucune distillation que celle de l'eau-de-vie, sauf à être choisi entr'eux le nombre qui sera jugé nécessaire pour la confection des eaux-fortes, dont l'usage est permis ; & ils ne peuvent y travailler qu'en observant les formalités dont il est parlé dans l'article précédent.
Cette déclaration de 1682 a, comme on voit, pour objet non-seulement de punir ceux qui seroient convaincus de s'être servis de poison, pour attenter à la vie de quelqu'un, mais aussi d'ôter toutes les occasions de s'en pouvoir servir pour un pareil dessein. Voyez le traité de Linder, de venenis, & Zachias, la Rocheflavin, la biblioth. canon. Duperrier. (A)
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POISSER | v. neut. & quelquefois actif, (Gram.) POISSER, v. act. c'est enduire de poix : POISSER, v. n. c'est laisser aux mains une viscosité qui les attache ; on dit ce corps poisse.
POISSER, c'est chez les Vergettiers, coller les soies des ballets dans des trous qui ne percent pas d'outre en outre du bois, avec de la poix, de la poix de Bourgogne fondue.
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POISSON | S. m. (Hist. nat. Icthiologie) animal qui manque de piés, mais qui a des nageoires. Les poissons ont des ouies ou des poûmons ; ils restent ordinairement dans l'eau, & y nagent par le moyen de leurs nageoires seules, ou en s'aidant aussi du mouvement des inflexions de leur corps. Il y a des poissons qui sortent quelquefois de l'eau pour se mettre à terre ; d'autres s'élevent en l'air, & volent en agitant leurs nageoires pectorales comme des aîles.
Les nageoires sont des membranes saillantes à l'extérieur du corps des poissons, & soutenues par des rayons durs ou cartilagineux. Les poissons different les uns des autres par le nombre, la situation, la figure, & les proportions de leurs nageoires ; car il y a des poissons qui n'en ont qu'une, y compris la queue ; & d'autre en ont deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, ou dix, & même un plus grand nombre. Les nageoires sont placées de chaque côté du corps sur le dos & sous le ventre de la plûpart des poissons ; il s'en trouve qui n'en ont que sur le dos ou seulement sous le ventre ; celles du dos & du ventre sont placées plus en-avant & plus en-arriere sur différens poissons. Les nageoires sont triangulaires, rondes, parallélogrammes, ou d'autres figures : elles sont plus ou moins grandes, relativement à la grandeur du poisson.
Le plan de la queue est vertical dans la plûpart des poissons, & horisontal dans quelques-uns ; il s'en trouve qui n'ont point de queue ; l'extrémité de cette partie est ronde ou en ligne droite, ou pointue, ou concave ; la queue est fourchue dans certains poissons, & faite en forme de faulx dans d'autres.
La tête des poissons est comprimée sur les côtés, applatie par le dessus & par le dessous, ou à-peu-près cylindrique ; elle est lisse ou hérissée de piquans, plus étroite, plus large, ou à-peu-près aussi large que le milieu du corps.
La plûpart des poissons ont la bouche placée au bout de la tête, & quelques-uns sur la face inférieure ; la direction de l'ouverture de la bouche est transversale dans la plûpart des poissons, & oblique dans d'autres ; la figure de cette ouverture est plus ou moins longue, à proportion de la largeur de la tête.
Le bec des poissons a différentes formes ; il est applati en-dessus & en-dessous, en quelque façon triangulaire, conique, ou terminée en pointe longue & à-peu-près cylindrique.
Les dents des poissons de différentes especes, sont placées ou seulement dans la gorge qui est dans ces animaux l'entrée de l'estomac ; ou seulement dans les mâchoires ; ou dans les mâchoires & sur la langue ; ou dans les mâchoires, sur la langue & sous le palais ; ou dans les mâchoires sur la langue, sous le palais, & dans la gorge seulement ; ou enfin dans les mâchoires sous le palais & dans la gorge. Il y a aussi de grandes différences dans la forme des dents des poissons ; elles sont pointues dans la plûpart : dans d'autres poissons, les dents ont le bout obtus & même terminé par une face plate ; il y en a qui sont coniques ou applaties sur les côtés, ou droites ou courbes, ou convexes seulement d'un côté, ou lisses, ou dentelées sur les côtés : les dents sont de grandeur égale ou inégale dans le même poisson.
Il y a peu de poissons qui aient de vraies levres.
Il se trouve de chaque côté un ou deux orifices de narines dans la plûpart des poissons, & il y en a qui n'ont point de narines. La figure de l'ouverture des narines est ronde, ovale, ou oblongue ; elles sont placées à égale distance du bec & de l'oeil, ou plus près de l'une ou de l'autre de ces parties.
Dans la plûpart des poissons les yeux sont applatis ; il y en a aussi de convexes comme ceux des quadrupedes ; il s'en trouve d'arrondis & d'oblongs : dans le plus grand nombre des poissons les yeux sont situés sur les côtés de la tête, & dans d'autres sur la partie supérieure ; ils sont placés fort près ou fort loin l'un de l'autre ; ils paroissent plus ou moins grands, à proportion de la grandeur du corps ; les yeux sont à découvert, ou couverts en partie ou en entier par la peau de la tête : les poissons n'ont point d'autres paupieres, excepté les cétacées qui sont aussi les seuls qui aient un cou.
Il y a des différences dans la forme du dos ; consideré dans sa longueur il est droit, ou convexe & bossu ; consideré dans sa largeur, il est plat, convexe, ou aigu. Les côtés du corps ont aussi des différences dans leur largeur & leur convexité relativement aux autres parties du corps ; la poitrine & le ventre sont plats, convexes ou aigus ; dans quelques poissons le ventre est aigu entre les nageoires ventrales & l'anus ; tandis que le reste du ventre & la poitrine sont plats.
L'anus se trouve placé plus près de la queue, ou plus près de la tête & sous le ventre, dans presque tous les poissons.
Les poissons ovipares n'ont point de parties extérieures de la génération ; mais le mâle a des vésicules séminales au-dedans du corps, & la femelle un ovaire. Parmi les poissons vivipares, tels que les cétacées & la plûpart des cartilagineux, le mâle a au-dehors une verge, & la femelle une vulve comme les quadrupedes.
Les écailles sont des corps plats demi-transparens, de substance analogue à celle de la corne & des ongles ; elles se trouvent sur le corps des poissons, des serpens, & des lézards ; cependant il y a des poissons qui n'en ont point, & d'autres n'en ont que peu. Elles sont séparées les unes des autres, ou placées les unes sur les autres, &c. Elles sont arrondies ou ovales, ou de figure irréguliere, & de différentes grandeurs : il y en a de molles & de lisses, de dures & rudes qui ont de petits piquans.
Il y a le long des côtés du corps de la plûpart des poissons une ligne formée par une suite de points ou de petites ouvertures, ou par une conformation particuliere de quelques écailles : certains poissons ont deux de ces lignes de chaque côté : elles se trouvent dans différens poissons situées près du dos ou du ventre, ou au milieu des côtés du corps : elles sont droites ou courbes, unies ou rudes.
Les barbillons sont des pendans charnus qui ressemblent à des vers, & qui tiennent à la mâchoire inférieure ou à quelqu'autre partie de la bouche ; il y en a qui sont creux près de leur racine ; mais ils n'ont point d'orifice à leur extrémité, & on n'en peut faire sortir aucune humeur. La plûpart des poissons n'ont point de barbillons ; il ne s'en trouve qu'un dans quelques poissons, & d'autres en ont plusieurs : ces barbillons tiennent à la mâchoire du dessous, aux angles de la bouche ou aux deux mâchoires. Ils sont petits & plus courts que la tête, ou plus longs.
Outre les piquans qui sont sur la tête de certains poissons & les osselets pointus des nageoires, il y a sur le corps de plusieurs poissons des tubercules & des piquans, comme dans les raies, l'esturgeon, &c.
Il n'y a que les poissons cetacées qui aient des conduits auditifs ; on ne voit rien de pareil dans les autres poissons, excepté dans la raie & dans la lamproie, & on doute beaucoup qu'ils entendent, puisqu'ils sont privés, tout au-moins en apparence, des organes de l'ouie. Cependant M. Klein a donné la figure & le dénombrement de certains petits osselets qui se trouvent dans le crâne de plusieurs especes de poissons, & qu'il conjecture pouvoir constituer l'organe de l'ouie ; d'ailleurs il y a des faits qui pourroient faire croire que les poissons entendent. Lorsque les pêcheurs veulent les surprendre, ils gardent le silence & agissent sans bruit ; Pline, Rondelet, Boyle, &c. rapportent que des poissons domestiques s'assembloient au bruit d'une cloche ou de quelqu'autre instrument, lorsqu'on vouloit leur donner à manger ; Pline ajoute que les poissons que l'on gardoit à Baies, aujourd'hui Pouzzole, dans les viviers de Domitien, accouroient lorsqu'on les appelloit par leur nom ; on sait que les grands bruits, surtout celui du tonnerre, effraient les poissons. Mais cela ne prouve pas qu'ils entendent ; le trémoussement de l'eau peut les avertir de certains bruits ; une vue subtile, ou quelqu'autre sensation peut suppléer à l'ouie dans certain cas ; enfin il y aura toujours à douter si les poissons entendent véritablement jusqu'à ce que l'on ait découvert en eux quelqu'organe auditif qui ressemble au nôtre. L'eau ne mettroit aucun obstacle à la sensation de cet organe. Recueil de l'acad. royale des Sciences, année 1743. Mémoire sur l'ouie des poissons & sur la transmission des sons dans l'eau par M. l'abbé Nollet. Voyez les mém. présentés à la même académie, tom. II. mém. sur l'organe de l'ouie des reptiles, & de quelques poissons, &c. par M. Geoffroy, docteur en médecine.
Tous les poissons, excepté les lamproies & les cetacées, ont des ouies ; ce sont des organes que l'on croit tenir lieu de poumons ; ils se trouvent de chaque côté de la gorge, & ils communiquent au-dehors par un, par cinq ou par sept ouvertures de chaque côté. Voyez OUIES.
Les poissons cetacées ont une langue dont ils se servent, comme les quadrupedes ; mais celle des autres poissons est fort différente : elle est immobile & adhérente à la partie inférieure de la bouche ; aussi elle ne contribue pas aux inflexions de la voix, les poissons n'en ayant point. Cette langue ne paroît guere plus propre à gouter les alimens qu'à les charrier dans la bouche, puisqu'elle est non-seulement immobile, mais aussi cartilagineuse. Elle peut faciliter la déglutition par l'élevation qu'elle forme dans la bouche ; lorsqu'elle est hérissée de piquans, elle peut aussi retenir les alimens dans la bouche, principalement la proie vivante que le poisson a saisie.
Il n'y a qu'un ventricule & qu'une oreillette dans le coeur des poissons qui ont des ouies.
La plûpart des poissons épineux ont une vessie remplie d'air placée dans l'intérieur du corps ; cette vessie communique à l'estomac ou à l'orifice de l'estomac par un conduit que l'on appelle pneumatique, parce qu'il sert de passage à l'air. Plus il y a d'air dans la vessie, plus le poisson a de facilité à s'élever au-dessus de l'eau ; moins il y a d'air, plus le poisson descend vers le fond de l'eau. On sait que ceux qui n'ont plus cette vessie, ne peuvent pas s'élever dans l'eau ; & l'on a éprouvé, que lorsqu'elle a été percée dans un poisson qui en est pourvu, il ne peut plus quitter le fond de l'eau. Cette vessie a différentes formes, différentes grandeurs, &c. dans diverses especes de poissons.
La plûpart des visceres des poissons correspondent à ceux des animaux quadrupedes ; mais ils ont, surtout dans la tête & dans les muscles du corps, un très-grand nombre d'os & d'osselets qui manquent aux quadrupedes ; par exemple, on en a compté quatre-vingt dans la tête de la perche ; on ne sait que trop que la chair de plusieurs especes de poissons est traversée par un grand nombre de petits os, que l'on appelle des arêtes, & qui ne se trouvent dans aucun des autres animaux.
Les poissons se nourrissent de plantes, d'insectes aquatiques, de grenouilles, de couleuvres, & même de poissons, &c. on croit qu'il y en a qui vivent très-longtems.
Il y a plusieurs méthodes sur la nomenclature des poissons. Oppien, Rondelet, Aldrovande, Jonston, Charleton ont établi la division méthodique des poissons sur la différence de lieux où ils se trouvent. Aristote les a divisés en cetacées, cartilagineux, & épineux ; Wolton a suivi à-peu-près la même méthode ; Willughby & Rai ont ajouté pour les poissons épineux d'autres caracteres tirés des nageoires.
Artedi, dans son ichthyologie, distingue les poissons par la situation de leur queue, qui est verticale dans la plûpart, & horisontale dans les autres ; l'auteur a donné à ceux-ci le nom de plagiuri, ce sont les cetacées.
Parmi ceux dont la queue est verticale, les rayons des nageoires sont osseux ou cartilagineux. Les poissons qui ont ces rayons osseux sont nommés chondropterygii.
Les poissons dont les rayons des nageoires sont osseux ont aussi des os dans les ouies ou n'y en ont point : ceux qui n'ont point d'os dans les ouies sont désignés par le nom branchiostegi.
Les nageoires des poissons qui ont des os dans les ouies sont piquantes ou non-piquantes : les poissons à nageoires piquantes portent le nom d'acanthopterygii.
Enfin ceux dont les nageoires ne sont pas piquantes ont le nom de malacopterygii. Voyez Petri Artedi ichthyologia.
M. Linnaeus qui avoit adopté la méthode d'Artedi pour les poissons, en a donné une nouvelle dans la dixieme édition du systema naturae. Il exclud les cetacées du nombre des poissons : & les range avec les quadrupedes. Suivant la nouvelle méthode de M. Linnaeus, les poissons ont l'ouverture des ouies garnie ou dépourvue d'opercules & de nageoires : ceux dont l'ouverture des ouies est dépourvue d'opercules ou de nageoires sont appellés branchiostegi.
Parmi les poissons dans lesquels ces opercules & ces nageoires se trouvent à l'ouverture des ouies, les uns n'ont point de nageoires ventrales, l'auteur les désigne par le nom d'apodes ; d'autres ont les nageoires ventrales situées au-devant des nageoires pectorales, ils sont appellés jugulaires ; d'autres ont les nageoires ventrales situées au-dessous des pectorales, ils sont nommés thoracici ; d'autres enfin ont les nageoires ventrales situées derriere les pectorales, ils sont appellés abdominales.
POISSON ARME, PORC-EPIC DE MER, orbis echinatus, muricatus. Ce poisson se pêche dans l'Océan septentrional ; on lui a donné le nom de poisson armé, parce qu'il a le corps couvert de piquans longs & durs, semblables à des pointes de fer. Il n'a point d'autres nageoires que celle de la queue. Le corps est plus rond & plus grand que celui du suetolt. Rondelet, hist. nat. des poissons, prem. part. l. XV. c. iij. Voyez POISSON.
POISSON D'AVRIL, voyez MAQUEREAU.
POISSON-BOEUF, (Ichthyol.) je dessinai d'après nature à S. Paul d'Omagnas, dit M. de la Condamine, le plus grand des poissons connus d'eau douce, à qui les Espagnols & les Portugais ont donné le nom de pexe, poisson-boeuf, qu'il ne faut pas confondre avec le phoca ou veau-marin. Celui dont il est question, paît l'herbe des bords de la riviere ; sa chair & sa graisse ont assez de rapport à celles du veau. La femelle a des mamelles qui lui servent à alaiter ses petits.
Le P. d'Acunha rend la ressemblance avec le boeuf encore plus complete , en attribuant à ce poisson des cornes dont la nature ne l'a pas pourvu. Il n'est pas amphibie, à proprement parler, puisqu'il ne sort jamais de l'eau entierement & n'en peut sortir, n'ayant que deux nageoires assez près de la tête, plates & rondes, en forme de rame, de 15 à 16 pouces de long, lesquelles lui tiennent lieu de bras & de piés, sans en avoir la figure, comme Laet le suppose faussement, en citant Clusius. Il ne fait qu'avancer sa tête hors de l'eau pour atteindre l'herbe sur le rivage.
Celui que vit M. de la Condamine étoit femelle ; sa longueur étoit de sept piés & demi de roi ; & sa plus grande largeur de deux piés. Il y en a de plus grands. Les yeux de cet animal n'ont aucune proportion avec la grandeur de son corps, ils sont ronds, & n'ont que trois lignes de diametre ; l'ouverture de ses oreilles est encore plus petite, & ne paroît qu'un trou d'épingle.
Quelques-uns ont cru ce poisson particulier à la riviere des Amazones, mais il n'est pas moins commun dans l'Orinoque. Il se trouve aussi, quoique moins fréquemment dans l'Oyapor, & dans plusieurs autres rivieres des environs de Cayenne, de la côte de la Guyane & des Antilles. C'est le même qu'on nommoit autrefois manati, & qu'on nomme aujourd'hui lamentin dans les îles Françoises d'Amérique, l'espece de la riviere des Amazones est peut-être un peu différente. Il ne se rencontre pas en haute-mer ; il est même rare d'en voir près des embouchures des fleuves, mais on le trouve à plus de mille lieues de la mer, dans le Guallaga, le Pastuca, &c. Il n'est arrêté dans l'Amazone que par le Pongo, au-dessus duquel on n'en trouve plus. Mém. de l'acad. an. 1745. (D.J.)
POISSON JUIF, voyez MAQUEREAU.
POISSON ROND, FLASCOPSARO, orbis (Pl. XIII. fig. 8.) ce poisson se pêche dans la haute-mer, on en trouve aussi aux bouches du Nil ; il a le corps rond comme une boule ; la peau n'est pas couverte d'écailles ; elle est dure & hérissée de petits tubercules pointus. Ce poisson n'a que quatre dents ; elles sont larges ; l'ouverture de la bouche est petite ; il y a deux nageoires près des ouies, & deux autres près de l'extrémité de la queue, l'une sur la face supérieure, & l'autre en-dessous. On ne mange pas ce poisson. Rondelet, hist. nat. des poissons, prem. part. l. XV. ch. j. Voyez POISSON.
POISSON VOLANT, HIRONDELLE, ARONDELLE, RATEPENADE, RONDOLE, hirundo, poisson de mer dont la tête est dure & presqu'entierement osseuse ; elle a par-derriere deux aiguillons dirigés du côté de la queue. Les yeux sont grands, ronds & rougeâtres. Tout le corps est couvert d'écailles roides & dures comme des os. La tête & la queue sont quarrés, & le corps est rond. Le ventre a une couleur blanche, le dos est d'un noir mêlé de rougeâtre. La couleur de ces poissons varie ; on trouve des individus de cette espece qui sont presqu'entierement rouges ; cependant, pour l'ordinaire, ils ont beaucoup plus de noir que de rouge. Les nageoires des ouies sont très-longues & fort larges ; elles s'étendent presque jusqu'à la queue ; elles ont une couleur noirâtre parsemée de taches en forme d'étoiles de différentes couleurs. Les deux nageoires du dos ont aussi de pareilles taches. Il y a près des ouies deux barbillons cartilagineux, le dedans de la bouche est rouge. On distingue plusieurs sortes de poissons volans ; celui-ci a les plus grandes aîles, aussi il vole le plus long-tems ; il ne s'éleve pas beaucoup au-dessus de l'eau, & il se soutient en l'air jusqu'à ce que ses aîles soient desséchées. Sa chair est dure, seche & nourrissante, mais difficile à digerer. Rondelet, hist. nat. des poissons, prem. part. l. X. c. j. Voyez POISSON.
POISSONS, écailles des, (Science microscop.) les écailles ou couvertures extérieures des poissons sont d'une beauté & d'une régularité surprenante, & elles présentent dans les différentes especes de poissons une variété infinie de figures & d'arrangement. Quelques-unes sont un peu longues, quelques-unes rondes, d'autres triangulaires, d'autres quarrées, & d'autres de toutes les figures que l'on peut imaginer ; quelques-unes encore sont armées de pointes acérées comme celles de la perche, de la sole, &c. d'autres ont le tranchant fort uni, comme celles du merlus, de la carpe, de la tanche, &c.
Il y a également une grande variété dans un même poisson ; car les écailles tirées du ventre, du dos, des côtés, de la tête & des autres parties du corps sont fort différentes ; & certainement, quant à la variété, beauté, régularité & ordre de leur arrangement, les écailles des poissons ont beaucoup de ressemblance avec les plumes qui sont sur le corps & sur les aîles des teignes & des papillons.
On ne croit pas que ces écailles tombent toutes les années, ni qu'elles soient les mêmes pendant toute la vie du poisson ; mais il se fait tous les ans une addition d'une nouvelle écaille, qui vient au-dessous de la précédente, & s'étend de tous côtés au-delà du tranchant de celle-là, à-proportion de l'accroissement du poisson, à-peu-près de la même maniere que le bois des arbres s'élargit annuellement, par l'addition d'un nouveau cercle auprès de l'écorce ; & comme on peut connoître l'âge d'un arbre par le nombre des anneaux dont le tronc est composé, ainsi dans les poissons, le nombre des plaques qui composent leurs écailles, nous marque l'âge. Il est également probable, que comme il y a un tems de l'année où les arbres cessent de croître ou d'avoir une addition nouvelle à leur masse, la même chose doit arriver aux écailles des poissons ; & qu'enfin dans un autre tems de l'année, il se fait une nouvelle addition ou accroissement. Les plumes des oiseaux & les poils des animaux terrestres, nous font voir quelque chose de semblable.
M. Leeuwenhoeck tira plusieurs écailles d'une carpe extraordinairement grosse ; elle avoit 42 pouces & demi de long & 33 & un quart de large au milieu, mesure de Rhynlande ; les écailles étoient aussi épaisses qu'une rixdale : il les fit macérer dans l'eau chaude pour pouvoir les couper plus aisément, & il en coupa une obliquement, en commençant par la très-petite écaille, qui avoit été formée la premiere, & qui étoit près du centre ; il découvrit clairement avec son microscope quarante petites lames ou écailles, collées les unes sur les autres, d'où il conclut que le poisson étoit âgé de 40 ans.
On croit communément que l'anguille n'a point d'écailles ; mais si on la nettoie bien, & qu'on lui ôte toute la boue, on verra au microscope, que sa peau est toute couverte de très-petites écailles, rangées avec beaucoup d'ordre, & fort joliment ; il semble donc qu'on a droit de penser qu'il y a peu de poissons qui soient sans écailles, excepté ceux à coquilles.
La maniere de préparer les écailles, est de les tirer proprement avec une paire de pinces, de les bien laver, & de les placer sur un papier uni, entre les feuilles d'un livre, pour les applatir en les séchant, & empêcher qu'elles ne se rident ; il faut ensuite les mettre entre vos talcs dans les glissoirs, & les garder pour l'observation ; mais le serpent, la vipere, les lézards, &c. présentent une nouvelle variété d'écailles différente de celles des poissons, quoique les Physiciens n'aient pas encore daigné les examiner. (D.J.)
POISSONS, les, (Astronom.) constellation qui est le douzieme signe du zodiaque. Voyez SIGNE & CONSTELLATION.
Les poissons ont, dans le catalogue de Ptolomée, trente-huit étoiles, trente-trois dans celui de Ticho, & dans le catalogue britannique. (O)
POISSON VOLANT, en Astronomie, c'est une petite constellation de l'hémisphere méridional, inconnue aux anciens, & qui n'est pas visible dans nos contrées septentrionales. Voyez CONSTELLATION. (O)
POISSON AUSTRAL, (Astronomie) constellation de l'hémisphere méridional ; on ne peut la voir à notre latitude. Voyez CONSTELLATION.
POISSON DE MER, (Commerce) on en fait un grand commerce, & on tire de plusieurs diverses marchandises & drogues.
Les poissons salés, comme saumon, morue, hareng, sardine, anchois, maquereau, &c. composent le commerce de salines.
Le poisson mariné est du poisson de mer frais, roti sur le gril, ensuite frit dans de l'huile d'olive, & mis dans des barrils, avec une sauce composée de nouvelle huile d'olive, d'un peu de vinaigre, du sel, du poivre & des feuilles de laurier ; les meilleurs poissons marinés sont le thon & l'esturgeon.
Les poissons secs sont des poissons qui ont été salés & dessechés, soit par l'ardeur du soleil, soit par le feu ; tels sont la morue que l'on nomme merluche, le stockfish, le hareng sor, & la sardine sorette.
Les poissons que l'on appelle en France poissons royaux, sont les dauphins, les esturgeons, les saumons, & les truites ; on les nomme royaux parce qu'ils appartiennent au roi quand ils se trouvent échoués sur les bords de la mer.
Les poissons à lard sont les baleines, les marsouins, les thons, les souffleurs, les veaux de mer, & autres poissons gras ; lorsqu'il s'en rencontre d'échoués sur les greves de la mer, ils sont partagés comme épaves, ainsi que les autres effets échoués. (D.J.)
POISSON DE SOMME, (Commer. de poisson) dans ce commerce on appelle poisson de somme, le poisson qu'on assomme, & qu'après avoir empaillé, & mis dans un panier d'osier, on transporte sur des chevaux ou sur des fourgons & charettes.
POISSON, huile de, (Comm.) l'huile de poisson, n'est autre chose que de la graisse ou du lard de poisson fondu, ou que l'on a tiré du poisson, soit en le pressant, soit par le feu ; & c'est de la baleine dont on en tire le plus. (D.J.)
POISSON, (Critiq. sacrée) Moïse met les poissons au nombre des reptiles ; l'Histoire naturelle n'étoit pas encore cultivée chez les Juifs dans le tems du regne de ce législateur. Comme il y a des poissons qui ont des écailles sans nageoires, & d'autres qui n'ont ni nageoires ni écailles, Moïse fonda sur cette différence sa distinction des poissons purs & immondes. Il mit ceux qui n'ont ni nageoires ni écailles au rang des poissons impurs, & défendit d'en manger, ne permettant l'usage que des poissons qui ont des nageoires & des écailles.
L'Ecriture désigne quelquefois figurément les hommes sous le nom de poissons ; les poissons de vos rivieres tiendront à vos écailles, dit Ezéchiel xxix. 4. c'est-à-dire la perte de vos sujets sera inséparable de la vôtre.
La porte des poissons, Sophon. j. 2. étoit une porte de Jérusalem, ainsi nommée parce que c'étoit parlà qu'on apportoit le poisson dans la ville.
POISSONS, (Mythol.) la mythologie envisage ce signe du zodiaque d'une autre maniere que l'Astronomie ; ce n'est point une constellation composée d'un grand nombre d'étoiles ; ce n'est point ce signe du zodiaque, lorsque le soleil y entre dans le mois de Février, mais c'est Vénus & Cupidon qui se jetterent dans l'Euphrate, & se métamorphoserent en poissons, pour se dérober à la fureur du frere d'Osiris. (D.J.)
POISSONS, les (Littérature) plusieurs de ces animaux furent l'objet d'un culte superstitieux, chez les Egyptiens, chez les Syriens, & dans quelques contrées de la Lydie. En certaines villes d'Egypte, les uns plaçoient sur leurs autels des tortues, & d'autres des monstres marins auxquels ils offroient de l'encens.
POISSON, (Blason) on le distingue diversement en blason. Les dauphins sont toujours courbés ; les bars ou barbeaux adossés, les chabots péris en pal. Quand ils sont en fasce, on les représente nageant, & on n'exprime point leur assiete, mais seulement lorsqu'ils sont en pal ou en bande.
POISSON, s. m. (Mesure de liqueur) c'est l'une des petites mesures pour les liqueurs ; elle ne contient que la moitié d'un demi septier, ou le quart d'une chopine, ou la huitieme partie d'une pinte, mesure de Paris. Le poisson est de six pouces cubiques ; on lui donne encore les noms de posson ou de roquille.
Poisson se dit aussi d'une liqueur mesurée ; un poisson de vin, un poisson d'eau-de-vie, &c. Savary.
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POISSONNIERE | S. f. (Chauderonnerie) c'est un ustensile de cuisine qui sert à cuire le poisson. Cet ustensile est un vaisseau de cuivre fait en long, médiocrement creux, avec des rebords & une anse, qu'on étame proprement.
POISSONNIERE, s. f. (Vendeuse de poisson) à Paris les poissonnieres étalent dans les halles & marchés dans des baquets qu'elles ont devant elles, où le poisson vivant nage & se conserve dans l'eau, dont ces baquets sont remplis ; le nom de poissonniere ne se donne qu'à des marchandes de poisson d'eau douce ; les autres se nomment marchandes de marée, si leur commerce est de poisson de mer frais ; ou marchandes de saline, si elles font commerce de poisson de mer salé.
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POISS | (Géog. mod.) petite ville de l'île de France, au bord de la forêt de Saint-Germain, sur la rive gauche de la Seine, à une lieue au-dessous du confluent de l'Oyse avec la Seine. Il y a un monastere de religieuses de S. Dominique, que Philippe-le-Bel commença, & qui fut achevé par Philippe de Valois en 1330 ; mais le feu du ciel tomba sur l'église en 1695, & consuma la pyramide revêtue de plomb, qui avoit quarante-cinq toises de haut. Il y a encore à Poissy une collégiale, une paroisse, un couvent de Capucins, un d'Ursulines, & un hôpital.
Cette ville, où se tient aujourd'hui un gros marché de bestiaux pour l'approvisionnement de Paris, est connue dans l'histoire par l'assemblée de Catholiques & de Protestans qui y fut convoquée en 1561, & où se rendirent Charles IX. Catherine de Médicis sa mere, & toute la famille royale. Cette assemblée appellée le colloque de Poissy, n'eut aucun succès ; la vanité du cardinal de Lorraine qui comptoit y briller fut la seule cause qui procura cette assemblée, & Théodore de Beze s'y distingua en portant la parole pour les Protestans. Long. de Poissy 19. 40. lat. 48. 56.
Ce lieu qui est fort ancien se nomme en latin Pinciacum, comme il est marqué dans les chartres & dans les capitulaires des rois. Le pays des environs s'appelle pagus Pinciacensis, & en françois le Pincerais ; nos anciens rois ont quelquefois demeuré à Poissy, & y avoient un château dès le tems même que celui de Saint-Germain-en-Laye fut bâti.
Louis IX. y naquit le 25 Avril 1215. Il a été un des plus grands hommes & des plus singuliers, dit le pere Daniel. " En effet, ajoute M. Henault, ce prince d'une valeur éprouvée, n'étoit courageux que pour de grands intérêts. Il falloit que des objets puissans, la justice, ou l'amour de son peuple, excitassent son ame, qui hors de-là sembloit foible, simple & timide ; c'est ce qui faisoit qu'on le voyoit donner des exemples du plus grand courage, quand il combattoit les rebelles, les ennemis de son état, ou les infideles ; c'est ce qui faisoit que tout pieux qu'il étoit, il savoit résister aux entreprises des papes & des évêques, quand il pouvoit craindre qu'elles n'excitassent des troubles dans son royaume ; c'est ce qui faisoit que sur l'administration de la justice, il étoit d'une exactitude digne d'admiration ; mais quand il étoit rendu à lui-même, quand il n'étoit plus que particulier, alors ses domestiques devenoient ses maîtres, sa mere lui commandoit, & les pratiques de la dévotion la plus simple remplissoient ses journées ; à la vérité, toutes ces pratiques étoient annoblies par les vertus solides jamais démenties, qui formerent son caractere ".
Le lecteur sera bien aise de trouver encore ici la peinture que M. de Voltaire a faite de ce prince, & de ses actions.
Il paroissoit, dit-il, destiné à rendre la France triomphante & policée, & à être en tout le modele des hommes. Sa piété, qui étoit celle d'un anachorete, ne lui ôta aucune vertu de roi ; sa libéralité ne déroba rien à une sage économie ; il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte ; prudent & ferme dans le conseil, intrépide dans les combats sans être emporté, compatissant comme s'il n'avoit jamais été que malheureux ; il n'est pas donné à l'homme de porter plus loin la vertu.
Conjointement avec la régente sa mere qui savoit regner, il modéra la puissance de la jurisdiction trop étendue des ecclésiastiques : distinguant sagement entre les lois civiles auxquelles tout doit être soumis, & les lois de l'Eglise, dont l'empire doit ne s'étendre que sur les consciences, il ne laissa pas plier les lois du royaume sous l'abus des excommunications. Ayant dès le commencement de son administration, contenu les prétentions des évêques & des laïcs dans leurs bornes, il avoit réprimé les factions de la Bretagne ; il avoit gardé une neutralité prudente entre les emportemens de Grégoire IX. & les vengeances de Fréderic II.
Son domaine déjà fort grand, s'accrut de plusieurs terres qu'il acheta. Les rois de France avoient alors pour revenus leurs biens propres, & non ceux des peuples ; leur grandeur dépendoit d'une économie bien entendue, comme celle d'un seigneur particulier.
Cette administration le mit en état de lever de fortes armées contre le roi d'Angleterre Henri III. & contre des vassaux de France unis avec l'Angleterre. Henri III. moins riche, moins obéi de ses Anglois, n'eut ni d'aussi bonnes troupes, ni d'aussi-tôt prêtes. Louis le battit deux fois, & sur-tout à la journée de Taillebourg en Poitou en 1241. Cette guerre fut suivie d'une paix utile, dont Henri III. paya les fraix, & les vassaux de France rentrés dans leurs devoirs, n'en sortirent plus. Quand on songe que Louis IX. n'avoit pas vingt-quatre ans lorsqu'il se conduisit ainsi, & que son caractere étoit fort au-dessus de sa fortune, on voit ce qu'il eût fait, s'il fût demeuré dans sa patrie, & on gémit que la France ait été si malheureuse par ces vertus mêmes qui devoient faire son bonheur.
L'an 1244, Louis attaqué d'une maladie violente, crut, dit-on, dans une létargie, entendre une voix qui lui ordonnoit de prendre la croix contre les infideles. A peine put-il parler qu'il fit voeu de se croiser. La reine sa mere, la reine sa femme, son conseil, tout ce qui l'approchoit, sentit le danger de ce voeu funeste, l'évêque de Paris même lui en représenta les conséquences ; mais Louis regardoit ce voeu comme un lien sacré, qu'il n'étoit pas permis aux hommes de dénouer. Il prépara pendant quatre années son expédition ; enfin laissant à sa mere le gouvernement du royaume, il partit avec sa femme & ses trois freres, que suivirent aussi leurs épouses, & presque toute la chevalerie de France l'accompagna. La flotte qui portoit tant de princes & de soldats, sortit de Marseille, & d'Aiguemortes, qui n'est plus un port aujourd'hui.
Si la fureur des croisades & la religion des sermens avoient permis à Louis d'écouter la raison, non-seulement il eût vû le mal qu'il faisoit à son pays en l'appauvrissant & le dépeuplant, mais il eût vû encore l'injustice de cet armement qui lui paroissoit si juste. Il mouilla dans l'île de Chypre, & aborda en Egypte, où après la mort de son frere, Robert d'Artois, il fut pris par le soudan d'Egypte en 1250 avec ses deux autres freres, & leur rançon coûta huit cent mille besans.
Saint Louis délivré de captivité, revint dans sa patrie, pour former une croisade nouvelle. Pendant son séjour en France il augmenta ses domaines de l'acquisition de Namur, de Péronne, d'Avranches, de Mortagne, du Perche. Il pouvoit ôter aux rois d'Angleterre tout ce qu'ils possédoient dans ce royaume, les querelles d'Henri III. & de ses barons lui en facilitoient les moyens ; mais il préféra la justice à l'usurpation. Il les laissa jouir de la Guienne, du Périgord, du Limousin, & se contenta de les faire renoncer pour jamais à la Touraine, au Poitou, & à la Normandie, réunis à la couronne par Philippe-Auguste ; ainsi la paix fut affermie.
Il établit le premier la justice de ressort ; & les sujets opprimés par les sentences arbitraires des juges des baronies commencerent à pouvoir porter leurs plaintes à quatre grands bailliages royaux, créés pour les écouter. Sous lui des lettrés commencerent à être admis aux séances des parlemens, dans lesquels des chevaliers, qui rarement savoient lire, décidoient de la fortune des citoyens. Il joignit à la piété d'un religieux la fermeté éclairée d'un roi, en réprimant les entreprises de la cour de Rome, par cette fameuse pragmatique, qui conserve les anciens droits de l'église, nommés libertés de l'église gallicane.
Treize ans de sa présence réparoient en France tout ce que son absence avoit ruiné, lorsque sa passion pour les croisades l'entraîna. Il partit une seconde fois, non du côté de la Palestine ni du côté de l'Egypte, mais il fit cingler sa flotte vers Tunis, où il fut bien-tôt assiégé lui-même par les Maures. Les maladies que l'intempérance de ses sujets transplantés, & le changement de climats, avoient attirées dans son camp en Egypte, désolerent son camp de Carthage. Un de ses fils, né à Damiette pendant la captivité, mourut de cette espece de contagion devant Tunis. Enfin le roi en fut attaqué ; il se fit étendre sur la cendre, & expira le 25 Août 1270, à l'âge de cinquante-six ans, avec la piété d'un religieux, & le courage d'un grand homme. Ce n'est pas un des moindres exemples des jeux de la fortune, que les ruines de Carthage aient vû mourir un roi chrétien qui venoit combattre des Musulmans, dans un lieu où Didon avoit apporté les dieux des Syriens.
Joinville, Mis de la Chaise & de Choisi, ont écrit la vie de saint Louis, car Boniface VIII. canonisa ce prince à Orviete le 11 Août 1297. Il le méritoit par sa foi, qui étoit si grande, dit M. Bossuet, qu'on auroit cru qu'il voyoit plutôt les mysteres divins qu'il ne les croyoit.
Je ne connois qu'un homme de lettres né à Poissy, c'est Mercier (Nicolas), qui mourut à Paris en 1656. On a de lui un manuel des Grammairiens imprimé plusieurs fois, & un traité latin de l'Epigramme, ouvrage estimé, dont Baillet a eu tort de faire honneur à M. le Venier, puisque celui-ci a comblé l'auteur d'éloges, & que Mercier, qui étoit très en état de composer un pareil ouvrage, étoit incapable de s'en attribuer un qui ne fût pas de lui. (D.J.)
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POITIERS | (Géog. mod.) ville de France, capitale du Poitou, sur une colline, à la rive gauche de la petite riviere de Clain, à 20 lieues au sud-ouest de Tours, 45 sud-ouest d'Orléans, 48 nord-est de Bordeaux, 74 sud-ouest de Paris. Long. suivant Cassini, 17. 46. 30. lat. 46. 34.
On compte dans Poitiers outre la cathédrale, 4 chapitres, 22 paroisses, 9 couvents d'hommes, 12 de filles, 2 séminaires.
L'évêque établi vers l'an 260, est suffragant de Bordeaux ; cet évêché vaut plus de 40000 livres de revenu. L'université de Poitiers fut fondée en 1431 par Charles VII ; elle a les quatre facultés, dont aucune n'est brillante. Il y a outre cela, intendance, bureau des finances, présidial, élection, maréchaussée, hôtel des monnoies ; mais il n'y a presque aucun commerce, & cette ville malgré son enceinte considérable est une des plus désertes & des plus ruinées du royaume.
Les restes de murailles, les souterreins qu'on trouve au vieux Poitiers, sont une preuve qu'il y a existé anciennement un château fortifié ; la situation entre les rivieres de Vienne & du Clain, & près de leur confluent, étoit fort avantageuse pour une place de défense ; mais ses ruines & la dénomination du lieu, ne prouvent point que ce soit l'emplacement de l'ancienne capitale des peuples Pictavi.
La ville de Poitiers a été décorée par des ouvrages des Romains, d'un amphithéatre, & d'un magnifique aqueduc, dont on voit encore des vestiges ; on ne découvre au vieux Poitiers aucun monument de la grandeur romaine.
La ville de Poitiers étoit au quatrieme siecle, le siége de l'évêque, la capitale du peuple, & une des plus célebres de l'Aquitaine ; enfin, il est démontré qu'elle est l'ancienne Limonum ou Limonum Pictavorum, ville considérable au second siecle du tems de Ptolomée, & place importante lors de la conquête des Gaules. Il est donc constant que Poitiers n'est point une ville nouvelle, & que depuis le siecle de Jules-César, elle a toujours existé dans la situation, je ne dis pas dans le triste état, où elle est présentement.
L'histoire moderne a rendu son nom célebre, par la bataille qui fut donnée dans son territoire le lundi 19 Septembre 1356, entre le roi Jean & Edouard, prince de Galles, que le gain de la bataille de Crecy avoit déja rendu fameux. Ce prince surpris à deux lieues de Poitiers dans des vignes, dont il ne pouvoit se sauver, demanda la paix au roi Jean, offrant de rendre tout ce qu'il avoit pris en France, & une trève de sept ans. Le roi Jean refusa toutes ces conditions, attaqua huit mille hommes avec quatrevingt mille ; fut vaincu, fait prisonnier, conduit à Bordeaux, & l'année suivante en Angleterre.
Poitiers a produit quelques hommes de lettres, que je me hâte de nommer, & je souhaite que ce ne soient pas les derniers. S. Hilaire y est né dans le quatrieme siecle ; mais j'ai parlé de ce célebre docteur de l'Eglise à l'article PERES DE L'EGLISE.
Aubert (Guillaume) naquit dans cette ville vers l'an 1534. Il paroît par ses ouvrages, qu'il avoit cultivé les belles-lettres & la poésie, conjointement avec le droit, vous trouverez son article dans les Mém. du P. Niceron, tom. XXXV.
Berenger (Pierre) disciple d'Abailard, fit l'apologie de son maître, contre saint Bernard. Elle se trouve dans les oeuvres d'Abailard, & ne demande pas ici de plus grands détails.
Billettes (Gilles Filleau des) né en 1634, possédoit le détail des Arts, & fut aggrégé par cette raison à l'académie des Sciences, il mourut en 1720, âgé de quatre-vingt-six ans.
Bois (Philippe Goibaut du) de l'académie Françoise, naquit l'an 1626, devint gouverneur du duc de Guise, & mourut en 1694. Il a traduit plusieurs ouvrages de S. Augustin, & quelques-uns de Ciceron. La monotonie du style & l'empreinte du travail sont visibles dans ses écrits ; peut-être que la belle élocution de Ciceron l'ayant souvent désespéré, & celle de S. Augustin l'ayant dégouté plus souvent encore, il s'est cru permis de leur prêter à l'un & à l'autre son style personnel qui est toujours uniforme, quoique le langage de l'orateur de Rome & du rhéteur de Tagaste, soient si différens l'un de l'autre.
Bouchel (Jean) s'est fait honneur par ses annales d'Aquitaine, qui subsistent encore, au lieu que tous ses ouvrages en vers sont tombés dans l'oubli.
Nadal (Augustin) étoit de l'académie des inscriptions & belles lettres, où il a donné quelques mémoires assez intéressans ; celui des vestales a été imprimé à part. Il a aussi composé des tragédies, mais qui n'ont point eu de succès ; il entra dans l'état ecclésiastique, & mourut dans son pays natal en 1740 à soixante-six ans.
Quintinie (Jean de la) né en 1626, a la gloire d'avoir créé en France l'art de la culture des jardins, perfectionné depuis en Angleterre & en Hollande. J'ai fait ailleurs l'éloge de cet habile homme dans son art ; j'ajouterai seulement ici que ses talens furent récompensés magnifiquement par Louis XIV.
Aux hommes de lettres dont on vient de lire les noms, je joins deux muses de Poitiers, célebres dans leur patrie au seizieme siecle ; je veux parler de Catherine des Roches & de sa fille, qui l'une & l'autre composerent divers ouvrages en prose & en vers. Leur maison, dit Scevole de Sainte-Marthe, étoit une académie d'honneur, où tous ceux qui faisoient profession des sciences & des lettres, étoient accueillis ; ces deux dames vécurent ensemble dans la plus étroite union, jusqu'au moment où la peste qui ravagea Poitiers en 1587, termina leur vie dans un même jour. (D.J.)
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POITOU | LE, (Géog. mod.) province de France, bornée au nord par la Bretagne & l'Anjou ; au midi, par l'Angoumois & la Saintonge ; au levant, par la Touraine, le Berri & la Marche ; au couchant, par la mer de Gascogne. Elle a 75 lieues du levant au couchant, & 25 du midi au nord.
Le Poitou comprend deux évêchés, celui de Poitiers & celui de Luçon ; il se divise en haut & en bas. Le haut Poitou est la partie orientale, qui touche à la Touraine & au Berri. Le bas Poitou est la partie occidentale, qui confine avec l'Océan & le pays Nantois.
Quant au temporel, le Poitou est du ressort du parlement de Paris, & il n'y a qu'un seul présidial établi à Poitiers, mais qui est d'une grande étendue. Le Poitou se divise, par rapport aux finances & aux impositions, en neuf élections.
Il y a un gouverneur général & deux lieutenans de roi pour le haut Poitou ; & un lieutenant-général avec deux lieutenans de roi pour le bas Poitou. Le siége d'amirauté est établi aux sables d'Olone, & le bureau des finances se tient à Poitiers.
Cette province produit du blé, nourrit quantité de bestiaux, & fait d'ailleurs peu de commerce. La Vienne & la Sevre Niortoise, sont les deux seules rivieres navigables. Le Clain l'étoit autrefois de Poitiers à Chatelleraut ; cette navigation seroit facile à rétablir.
Le Poitou & Poitiers sa capitale, ont pris leur nom des anciens peuples, Pictavi, qui étoient célebres entre les Celtes du tems de Jules-César, & ensuite Auguste les attribua à l'Aquitaine. Leur territoire étoit de beaucoup plus grande étendue que n'est le Poitou, parce qu'il comprenoit celui des Cambolectres Agesniates qui leur étoient joints, comme Pline l'assure ; & outre cela, les Poitevins s'étendoient jusqu'à la riviere de Loire, qui les séparoit des Nantois, comme nous l'apprenons de Strabon.
Du tems qu'Ammien Marcellin faisoit la guerre dans les Gaules, il n'y avoit alors qu'une Aquitaine dont le Poitou faisoit partie ; mais sous l'empire de Valentinien I. l'Aquitaine ayant été divisée en deux, le Poitou fut attribué à la seconde, & soumis à la métropole de Bordeaux.
Après l'invasion des Barbares dans les terres de l'empire Romain, au cinquieme siecle, les Visigoths se rendirent les maîtres du Poitou, que les Francs conquirent lorsque Alaric eut été tué en bataille par Clovis, près de Poitiers.
On voit dans Grégoire de Tours, & les autres anciens monumens de notre histoire, que par le partage qui fut fait de l'Aquitaine, entre les fils & petits-fils de Clovis ; le Poitou obéissoit aux rois d'Austrasie, qui jouirent toujours de ce pays jusqu'au tems de Childeric II, lequel réunit les deux royaumes. On ne trouve point que les Poitevins ni les autres Aquitains se soient séparés de l'obéissance de ces rois & de leurs maires, avant la mort de Pepin le Gros ; c'est dans ce tems-là, qu'on voit qu'Eudes étoit duc de l'Aquitaine, dont il se maintint toujours en possession, nonobstant les efforts de Charles Martel, aussi-bien que Hunaud, fils d'Eudes ; mais Gaifre, fils de Hunaud, ayant été attaqué par Pepin, perdit ses états & la vie.
Ce roi, pere de Charlemagne, se rendit maître du Poitou, qui fut gouverné sous les Carlovingiens par plusieurs comtes qui n'étoient que de simples gouverneurs. Enfin, les rois de cette race ayant perdu leur autorité, ce fut sous Louis d'Outremer, que Guillaume s'empara de Poitiers, dont il fut fait comte par le roi Louis d'Outremer, aussi-bien que de Limoges, d'Auvergne & du Vélay.
Ses successeurs acquirent ensuite les pays qui sont entre la Garonne & les Pyrénées, avec la ville de Bordeaux. Le dernier duc d'Aquitaine eut une fille & unique héritiere, nommée Aliénor ou Eléonor, qui ayant été répudiée par Louis le jeune, roi de France, son premier mari, épousa Henri, roi d'Angleterre, & lui apporta en mariage le Poitou avec ses autres grands états, qui furent conquis pour la plûpart sur Jean Sans-terre par Philippe-Auguste.
Alphonse son petit-fils, frere de S. Louis, eut le Poitou en partage, & Henri III. roi d'Angleterre, céda cette province à la France, par le traité de l'an 1259. Philippe le Bel donna le comté de Poitou à son fils Philippe, dit le Long, qui fut roi de France, cinquieme de nom. Il ne laissa que trois filles, pour l'aînée desquelles Eudes, duc de Bourgogne, demanda le Poitou, mais il ne put venir à bout de ses prétentions ; & ce pays ayant été conquis après la défaite & la prise du roi Jean par les Anglois, il leur fut cédé en toute souveraineté par le traité de Brétigny.
Après la mort du roi Jean, Charles V reconquit le Poitou, qu'il donna à son frere Jean, duc de Berry, pour lui & ses successeurs mâles. Ce duc n'eut que des filles, & après sa mort, Charles VI donna le Poitou à son fils Jean, qui mourut jeune & sans enfans ; depuis ce tems-là, le Poitou n'a pas été séparé du domaine. (D.J.)
POITOU, Colique de, (Médec.) Voyez COLIQUE DE POITOU, ou plutôt lisez Tronchin, de colica Pictonum, Genevae 1757. in-8°. vous y trouverez sur ce sujet, l'exposition abrégée d'une profonde théorie, & l'indication d'une vraie méthode curative, dont la ville d'Amsterdam n'oubliera pas sitôt les brillans succès. Je sais qu'on a donné à Paris de faux exposés de cet excellent livre, indépendamment de quelques libelles injurieux, mais les chansons satyriques étoient à Rome du cortege des triomphateurs. On n'appliquera pas du-moins à l'auteur de l'ouvrage sur la colique de Poitou, l'extrait du vaudeville qui fut fait pour Vintidius Bassus : mulos qui fabricat, ecce consul factus est ; aussi les princes, les rois, & les fils des rois, n'ont pas dédaigné d'attacher quelques guirlandes de fleurs au chapeau de M. Tronchin. (D.J.)
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POITRAIL | (Maréchal.) partie du cheval, comprise entre ses deux épaules au-dessous de l'encolure. La mauvaise qualité du poitrail est d'être trop serré, il faut qu'il ait une largeur proportionnée à la figure & à la taille du cheval.
POITRAIL, terme de Bourrelier ; c'est une piece du harnois des chevaux de tirage, qui regne horisontalement devant leur poitrine. Il consiste en une large bande de cuir fort, qui se termine des deux bouts aux anneaux faits en boucles, où aboutissent les reculemens, & est encore soutenu des deux côtés par deux bandes de cuir ou montant qui descendent du coussinet. Le poitrail sert en partie à assujettir les autres pieces du harnois, & en partie à faire reculer l'équipage au moyen de la chaînette qui y est passée. Voyez les Pl. du Bourrelier.
POITRAIL, s. m. (Charpent.) grosse piece de bois, comme une poutre, destinée à porter sur des piés-droits, ou jambes étrieres, un mur de face ou un pan de bois. Elle doit être posée un peu en talut par dehors, pour empêcher le déversement du pan de bois. (D.J.)
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POITRINAL | S. m. (Arme) c'étoit une arme qui tenoit le milieu entre l'arquebuse & le pistolet ; on s'en servoit sous François I, & il en est fait mention dans une relation du siége de Rouen, par Henri IV. en 1592. Cette arme plus courte que le mousquet, mais d'un plus gros calibre, étoit portée à cause de sa pesanteur à un baudrier, & couchée sur la poitrine de celui qui la vouloit tirer, c'est pourquoi elle étoit appellée poitrinal. (D.J.)
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POITRINE | on comprend communément sous ce nom, tout ce qui répond à l'étendue du sternum, des côtes, des vertebres du dos, soit au-dehors, soit au-dedans : les Anatomistes l'appellent thorax.
On divise le thorax en partie antérieure, nommée particulierement poitrine ; en partie postérieure, sous le nom de dos ; & en parties latérales, appellées simplement côtés, & distinguées en côté droit & en côté gauche.
Les parties externes du thorax, outre la peau & la membrane graisseuse, sont principalement les mamelles & les muscles qui couvrent la surface externe des côtes, & remplissent leurs intervalles. Les muscles sont principalement ceux-ci : les grands & les petits pectoraux, les sous-claviers, les grands dentelés, les dentelés postérieurs supérieurs, les grands dorsaux, les vertébraux, auxquels on peut ajouter ceux qui couvrent les omoplates. Voyez SOUS-CLAVIER, DENTELE, &c.
Les parties internes du thorax sont renfermées dans la grande cavité de cette portion du tronc, à laquelle cavité les anciens ont donné le nom de ventre moyen, comme j'ai dit ci-dessus, & à laquelle les modernes donnent simplement celui de cavité de la poitrine. Cette cavité est tapissée d'une membrane appellée plevre. Voyez PLEVRE.
Ces parties sont principalement le coeur, le péricarde, le tronc de l'aorte, la grande courbure de l'aorte, le tronc des arteres carotides, les arteres sous-clavieres, les troncs des arteres vertébrales, des arteres axillaires, la portion supérieure de l'aorte descendante, les arteres intercostales, la veine cave supérieure, la veine azigos, les veines sous-clavieres, les troncs des veines jugulaires, des veines vertébrales, des veines axillaires, une portion de la trachée-artere, une portion de l'oesophage, le conduit lactée ou canal thorachique, les poumons, l'artere pulmonaire, les veines pulmonaires, &c. Voyez COEUR, POUMON, &c.
Les arteres ou les veines particulieres propres du thorax, sont les arteres & les veines thorachiques supérieures & inférieures, les arteres & les veines mammaires internes & externes, les arteres & les veines intercostales supérieures & inférieures, les arteres & les veines spinales, avec les sinus veineux du canal de l'épine vertébrale. Voyez ARTERE, &c.
Les nerfs qui se distribuent au thorax, sont les lymphatiques moyens ou la huitieme paire, les lymphatiques universels ou grands lymphatiques, communément dits nerfs intercostaux, la derniere paire cervicale, les 12 paires dorsales, les nerfs diaphragmatiques. Voyez NERF.
La cavité de la poitrine se termine en bas par le diaphragme, qui la sépare d'avec celle du bas-ventre. Winslow. Voyez DIAPHRAGME.
La poitrine forme dans l'homme une espece de sphéroïde applati sur le devant ; mais dans les animaux elle est applatie sur les côtés : les efforts violens que font ces animaux en sautant sur les piés de devant, demandoient nécessairement cette figure. Voyez SAUT.
Les côtes sont tellement disposées que celles du côté droit ne peuvent se baisser sans avancer vers le côté gauche ; il en est de même par rapport à celles du côté gauche : c'est donc une nécessité qu'elles supposent un obstacle mutuel sur le sternum, car elles s'y soutiennent comme autant de cintres ; mais ce n'est pas la seule cause qui suspende la poitrine. La premiere côte forme sur l'épine un cercle d'un diametre fort petit ; le cercle que forme la seconde côte est beaucoup plus grand : il est donc évident que le premier cercle ne sauroit suivre le second, puisque la partie antérieure du second parcouroit un plus grand arc, au lieu que ce premier cercle seroit obligé d'abandonner le sternum : donc la poitrine doit être suspendue par sa propre structure. Voyez STERNUM, &c.
Les intercostaux sont presque les seuls muscles qui élevent les côtes ; car quand on a dépouillé la poitrine d'un chien des muscles qui pourroient agir extérieurement sur les côtes, la respiration marche comme auparavant. Voyez INTERCOSTAL.
L'usage du plan interne & du plan externe n'a pas paru facile à déterminer. Quelques physiciens ont cru que le plan externe sert à l'inspiration, & que le plan interne sert à l'expiration ; mais soient deux plans paralleles, soit un de ces plans mobile & l'autre immobile, soient joints ces deux plans par deux cordes qui se croisent obliquement ; il est certain que si ces cordes se raccourcissent, le plan mobile s'approchera de l'immobile, & que l'action des deux cordes croisées concourra à rapprocher ces plans : or prenez deux côtes, la premiere & la seconde par exemple, les muscles intercostaux par l'action de leurs deux plans éléveront toujours la seconde côte.
La raison pour laquelle le plan externe des muscles intercostaux finit aux cartilages, n'est pas difficile à trouver, puisque les côtes s'éloignent par la contraction des muscles intercostaux, & que les deux plans approchent de la perpendiculaire, & sont par conséquent presque paralleles, à proportion qu'ils arrivent plus près du sternum. C'étoit donc une nécessité que la nature terminât ce plan avant qu'il arrivât au sternum, puisqu'il est évident que deux pieces paralleles, jointes ensemble par deux cordes paralleles, doivent s'approcher quand les cordes se raccourcissent ; & que les côtes au contraire sont éloignées lorsque ces deux plans des muscles intercostaux se contractent.
Telle est la caisse qui renferme les poumons ; elle est bandée par les muscles intercostaux, & la force avec laquelle ils agissent paroîtroit surprenante si on en jugeoit par certains tours, qui ont souvent attiré l'admiration du public. Il y a des hommes qui ayant une enclume sur la poitrine, souffrent qu'on casse sur cette enclume une barre de fer à grands coups de marteau ; c'est dans l'enclume & dans le marteau qu'il faut chercher le noeud de la difficulté. Soit un marteau pesant un quart de livre, & ayant un degré de vîtesse ; soit une enclume qui pese 600 livres, l'enclume frappée aura 400 fois moins de vîtesse que le marteau : on voit par-là que le coup de marteau peut être assez violent sans que l'enclume parcoure plus d'une ligne : or la poitrine en s'applatissant & diminuant d'une ligne son petit diametre, ne souffrira pas beaucoup.
Pour trouver la cause de la force de la poitrine pour soutenir un poids aussi énorme que le poids d'une enclume, on n'a qu'à se souvenir qu'une vessie gonflée, & qui s'ouvre par un tuyau fort étroit, soutiendra un poids fort pesant, lorsqu'une force infiniment plus petite que la pesanteur du poids comprimera le tuyau. Les poumons doivent être regardés dans le cas dont il s'agit, comme une vessie gonflée d'air, & la glotte représentera le petit tuyau. Une force très-petite qui resserrera la glotte, retiendra l'air dans les poumons, & l'air étant retenu dans la poitrine, elle pourra soutenir des corps très-pesans : de-là vient que ceux qui font cette rude épreuve ne parlent point durant le tems qu'ils sont chargés de l'enclume.
La capacité de la poitrine croît successivement dans le foetus ; mais les poumons ne croissent pas proportionnellement, on les trouve à la partie postérieure du thorax, formant un volume très-resserré ; cet espace est donc occupé par le thymus. Heist. Anat. avec des essais. Voyez THYMUS.
POITRINE, maladie de la, (Médec.) Les maladies qui attaquent différentes parties de la poitrine, exigent une cure particuliere. Les blessures qui ne pénétrent point, forment un sac qui se rompt intérieurement comme dans la contusion de cette partie ; celles au contraire qui sont pénétrantes, deviennent dangereuses à raison de l'effusion du sang, & de la lésion des organes intérieurs. La fistule de la poitrine est difficile à guérir ; pour y réussir, il faut empêcher l'air d'y entrer. La déformité alors plus fréquente tant dans les côtes que dans les vertebres & le sternum, se prévient & se guérit par le moyen des machines propre au rétablissement de ces parties. On trouve dans la Chirurgie ce qui concerne la luxation des os, & la fracture de cette partie.
L'amas de quelque humeur que ce soit dans la cavité de la poitrine, s'évacue plus difficilement que par-tout ailleurs. Son enflure extérieure, signe d'une hydropisie de poitrine ordinairement difficile à connoître, ou de l'empyème, ne permet guere une compression extérieure, mais elle exige les diurétiques. On remédie à la fréquence de la respiration qu'on y remarque alors, par la suction de l'humeur amassée, & par une respiration artificielle ; ensuite il faut avoir soin de couvrir l'ouverture extérieure.
L'échymose & l'abscès dans les parties extérieures veulent être ouvertes plutôt qu'ailleurs. La métastase qui se fait à l'extérieur n'est point dangereuse, mais celle qui arrive intérieurement l'est extraordinairement. On connoît les crachats, le pus, & l'eau contenus dans l'intérieur par leurs signes propres & particuliers.
La matiere arthritique, catharreuse, rhumatique, podagrique, & toutes les douleurs qui attaquent les parties extérieures de la poitrine, rendent la maladie plus difficile que dans les extrémités, sans cependant qu'elle soit absolument dangereuse. Mais si la matiere vient une fois à se porter à l'intérieur, le danger augmente considérablement.
Il y a une très-grande sympathie entre la poitrine, les voies urinaires, & les extrémités inférieures ; c'est pourquoi la matiere morbifique de cette partie doit y être attirée. Les battemens de la poitrine prognostiquent quelquefois l'haemophthysie : mais la palpitation se trouve souvent jointe aux maladies convulsives & à celles du coeur. L'inflammation & l'érésipele extérieures suivent la cure générale. La sueur qui dans les maladies phthisiques, empyématiques, & certaines autres aiguës, ne paroît que sur la poitrine, annonce du danger.
Les maladies aiguës de l'intérieur de la poitrine présentent contre l'ordinaire un pouls foible & mou : les chroniques plus que toutes les autres, rendent l'urine épaisse & trouble. (D.J.)
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POITRINIERE | LA, s. f. (Rubanier) traverse qui passe d'un montant à l'autre à l'endroit où est la poitrine de l'ouvrier ; à cette poitriniere est attaché un rouleau, sur lequel passe l'ouvrage à mesure que l'on fait tourner l'ensuple de devant sur laquelle l'ouvrage s'enroule ; c'est aussi à cette poitriniere que sont attachées des bretelles par leurs bouts d'en-bas. Voyez BRETELLES.
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POIVRADE | S. f. (Cuisine) sauce que les Cuisiniers font avec du vinaigre, du sel, de l'oignon ou des ciboules, de l'écorce de citron ou d'orange, & du poivre ; le tout ensemble.
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POIVRE | S. m. (Hist. des drog. exot.) espece d'aromate qui a toujours été recherché dans tous les siecles & dans tous les pays pour assaisonner les alimens. Il est aussi connu qu'employé par les anciens grecs, les arabes, & les modernes. Dioscoride, Galien, & d'autres auteurs, en distinguent trois sortes ; savoir, le noir, le blanc & le long, qu'ils croient être les mêmes fruits, mais seulement différens entr'eux par le degré de maturité : mais le poivre noir & le poivre long que nous connoissons sont des fruits de différentes plantes, que nous considérerons aussi séparément.
Les Grecs appellent cet aromate , les Arabes fulfel, & nos botanistes latins piper. On en distingue différentes especes que nous décrirons séparément, en nous bornant ici à quelques remarques sur cet aromate en général. (D.J.)
POIVRE NOIR,, (Hist des drog. exot.) Le poivre noir est le piper rotundum de C. B. P. 411. C'est un fruit, ou une graine desséchée, petite, de la grosseur d'un pois moyen, sphérique, & revêtue d'une écorce ridée, noire ou brune ; cette écorce étant ôtée, on voit une substance un peu dure & compacte, dont l'extérieur est d'un verd jaune & l'intérieur blanc. Elle laisse une fossette vuide à son milieu ; cette graine est âcre, vive, brûlant la bouche & le gosier. On nous l'apporte des parties des Indes orientales qui sont sous la domination des Hollandois. On choisit le plus gros, le plus pesant, & le moins ridé.
La plante sur laquelle ce fruit croît, s'appelle en françois poivrier ; par Pison, lada ; aliis, molanga sive piper aromaticum ; Pison. mant. arom. 180. molago-coddi : hort. malab. tom. VII. xxiij.
Sa racine est petite, fibreuse, flexible, noirâtre ; elle pousse des tiges sarmenteuses en grand nombre, souples, pliantes, grimpantes, vertes, ligneuses, qui se couchent sur la terre comme fait le houblon, lorsqu'elles ne sont pas soutenues par des échalas ; elles ont plusieurs noeuds, de l'entre deux desquels sortent des racines qui entrent dans la terre, lorsqu'elles sont couchées dessus. De chaque noeud naissent des feuilles solitaires, disposées alternativement ; elles sont à cinq nervures, arrondies, larges de deux ou trois pouces, longues de quatre, terminées en pointe, épaisses, fermes, d'un verd clair en-dessus ; portées par des queues courtes, épaisses, vertes, & cannelées intérieurement.
Les fleurs viennent en grappes soutenues par un seul pédicule ; elles sont monopétales, partagées en trois à leur bord. Quand elles sont tombées, il leur succede des fruits, ou des grains tantôt plus gros, tantôt plus petits, sphériques, de la grosseur d'un pois moyen ; il y en a jusqu'à vingt, & même jusqu'à trente attachés sur un petit pédicule commun ; ils sont verds d'abord, rouges lorsqu'ils sont mûrs, unis à leur superficie, laquelle se ride & se noircit lorsqu'on les seche. Tantôt ces grappes viennent à l'extrémité des tiges, & ce sont celles que le vulgaire appelle femelles : tantôt elles naissent dans la partie moyenne des tiges sur les noeuds, & opposés à la queue des feuilles ; celles-ci sont nommées fleurs mâles.
Cette plante fleurit tous les ans, & même deux fois lorsqu'elle est vigoureuse. On recueille ses fruits mûrs quatre mois après que ses fleurs sont tombées, & on les expose au soleil pendant sept ou huit jours, pendant lesquels l'écorce se noircit. On trouve cette plante dans les îles de Java & de Sumatra, & dans tout le Malabar. On la cultive en plantant dans la terre des morceaux de ses branches que l'on a coupés, & que l'on met à la racine des arbres ; ou bien on la soutient avec des échalas comme la vigne.
En ôtant l'écorce du poivre noir, on fait par l'art le poivre blanc qui est le seul que l'on nous apporte aujourd'hui. On enleve cette écorce en faisant macérer dans l'eau de la mer le poivre noir ; l'écorce extérieure s'enfle & s'ouvre par la macération, & on en retire très-facilement le grain qui est blanc, & que l'on seche ; il est beaucoup plus doux que le noir, & lui est préférable.
Ce n'est pas seulement les grains de poivre qui ont de l'acrimonie, c'est encore toute la plante ; car les feuilles soit vertes, soit seches, les sarmens, & la racine quand on les mâche, brûlent la langue & le gosier, & excitent la salive. (D.J.)
POIVRE BLANC, (Hist. des drog. exot.) Le poivre blanc, piper album, & leucopiper off. piper rotundum, album, C. B. P. 413. est de deux sortes : l'un naturel que l'on nous apporte très-rarement, l'autre factice très-commun ; ce n'est autre chose que le poivre noir dont on a ôté l'écorce avant de le sécher. Il ne differe du noir que par la couleur grise ou blanchâtre.
On ne découvre aucune différence entre la plante qui porte le poivre noir, & celle qui porte le blanc ; de la même maniere que la vigne qui porte le raisin noir, n'est distinguée de celle qui porte le raisin blanc, que lorsque les raisins y sont encore attachés, & même qu'ils sont mûrs : mais les plantes qui portent le poivre blanc sont très-rares, & ne naissent que dans quelques endroits du Malabar, & de Malaca, & encore en petite quantité. Etienne de Flacourt, dans sa description de l'île de Madagascar, raconte qu'il y vient une espece de poivrier blanc ; mais comme il ne l'a pas décrite nous ne pouvons assurer si c'est la même plante que celle qui porte notre poivre blanc, ou si elle en est différente. (D.J.)
POIVRE LONG, (Hist. des drog. exot.) Le poivre long, piper longum, & macropiper off. piper longum, orientale, C. B. P. 412. est un fruit desséché avant sa maturité, long d'un pouce ou d'un pouce & demi, semblable aux chatons de bouleau ; il est oblong, cylindrique, & cannelé obliquement comme en spirale avec des tubercules placés en forme de réseau. Il est partagé intérieurement en plusieurs petites cellules membraneuses, rangées sur une même ligne en rayons ; chacune de ces cellules contient une seule graine, arrondie, large à-peine d'une ligne, noirâtre en-dehors, blanche en-dedans, d'un goût âcre, brûlant, un peu amer. Ces chatons sont attachés à un pédicule grêle d'un pouce de longueur. On choisit celui qui est gros, entier, récent, qui ne pique pas la langue aussi-tôt, mais dont l'impression dure longtems ; on rejette celui qui est percé, carié, ou falsifié.
La plante qui porte le poivre long, s'appelle pimpilim, sive piper longum, par Pison, mantiss. arom. 182. catta-tirpali, hort malab. tom. VII. p. 27. Elle differe du poivrier à fruit rond par ses tiges qui sont moins ligneuses, par les queues des feuilles, & par les feuilles même qui sont plus longues, d'un verd plus foncé, découpées vers leur base, plus minces & plus molles, ayant deux ou trois petites nervures outre la côte qui regne dans le milieu ; ces nervures sont saillantes des deux côtés, s'étendent depuis la base jusqu'à la pointe, & la nervure extérieure jette en se courbant d'autres petites nervures transversales qui se répandent vers le bord.
Les fleurs sont monopétales, partagées en cinq ou six lanieres, & fort attachées au fruit. Ce fruit est cylindrique, cannelé par des spirales obliques & paralleles, couvert dans les intersections comme par de petites feuilles arrondies en forme de bouclier : parmi ces spirales il paroît des boutons sur lesquels les fleurs étoient appuyées ; ils sont saillans, marqués d'un point noir, verd, jaune d'abord, d'un blanc jaunâtre en-dedans, ensuite d'un verd foncé, & enfin étant mûrs & secs, ils sont d'un gris noirâtre. Lorsqu'on coupe ces fruits transversalement, on y remarque des cellules disposées en rayons, lesquelles cellules contiennent des graines oblongues & noirâtres. On cueille ces fruits avant qu'ils soient mûrs, & on les fait sécher pour l'usage. (D.J.)
POIVRE d'Afrique, (Hist. des drog. exot.) il est autrement nommé poivre de Guinée, poivre indien, maniguette, malaguette, méleguette, & cardamome d'Afrique, car il a tous ces noms. Cordus l'appelle en latin meleguetta, seu cardamomum piperatum. C'est une graine luisante, anguleuse, plus petite que le poivre, rousse ou brune à sa superficie, blanche en dedans, âcre, brûlante comme le poivre & le gingembre, dont elle a aussi l'odeur. On nous en apporte en grande quantité, & on s'en sert à la place du poivre pour assaisonner les nourritures. Cette graine croît en Afrique & dans l'île de Madagascar, d'où les Hollandois l'apportent en Europe. J'ai lu dans le recueil des voyages, les descriptions de la plante qui produit ce poivre ; on ne peut y ajouter aucune foi, parce qu'elles sont toutes infideles, & se contredisent les unes les autres. (D.J.)
POIVRE d'Ethiopie, (Hist. des drog. exot.) en latin piper Aethiopicum, silicosum. J. B. piper nigrum, & granum zelim, Serap. On trouve sous ce nom de poivre d'Ethiopie dans quelques boutiques de droguistes curieux, plusieurs gousses attachées à une tête, longues de deux, trois, quatre pouces cylindriques, de la grosseur d'une plume d'oie, noirâtres, un peu courbées, divisées en petites loges, selon le nombre de graines qu'elles contiennent ; ridées, composées de fibres longues, pliantes, difficiles à rompre, & d'une substance rouge-cendrée. Les graines sont ovalaires, & chacune est dans une loge séparée par des cloisons charnues ; il est difficile de les tirer de leur gousse. Elles sont de la grosseur de la plus petite feve, noires en-dehors & luisantes, d'une substance un peu dure, roussâtre, à texture en maniere de réseau, semblable à un rayon de miel. Le goût tant de la gousse que des graines approche de celui du poivre noir. Ce poivre naît en Ethiopie ; c'est de-là que lui vient le nom qu'il a parmi les Arabes. Les Ethiopiens s'en servent pour les douleurs de dents ; ils pourroient en faire un meilleur usage. (D.J.)
POIVRE de Guinée, (Botan.) autrement nommé poivre d'Inde, poivre du Brésil, piment ; &c. Ce n'est point un fruit, une graine, une baye ; c'est le genre de plante que les Botanistes appellent capsicum. Voici ses caracteres selon Ray.
La fleur est une rosette à cinq pointes ; son fruit est une capsule composée d'une seule peau charnue, partagée en trois loges, quelquefois en deux, qui renferment des semences plates. M. de Tournefort caractérise le capsicum de la maniere suivante :
Sa fleur est monopétale, découpée en divers segmens sur les bords ; le pistil qui s'éleve du calice est fixé en maniere de clou au centre de la fleur ; il mûrit insensiblement en un fruit doux & membraneux, qui contient plusieurs graines applaties, & taillées en forme de rein. Le même botaniste distingue 26 especes de capsicum ; la plus commune est celle qu'on appelle vulgairement poivre de Guinée, & en Botanique capsicum vulgare, siliquis longis, propendentibus. I. R. H. 152.
La racine de cette plante est courte, grêle, garnie sur les côtés d'un grand nombre de fibres ; elle pousse une tige à la hauteur d'un ou de deux piés, anguleuse, dure, velue, rameuse ; ses feuilles sont longues, pointues, plus larges que celles de la persicaire, un peu épaisses & charnues, glabres ou sans poil, d'un verd brun, tirant quelquefois sur le jaune, attachées à des queues longues d'un pouce ou deux, sans dentelures.
Sa fleur, qui sort des aisselles des feuilles & à la naissance des rameaux, est une rosette à plusieurs pointes, de couleur blanchâtre, ressemblante à celle de la morelle commune, mais plus grande, soutenue par un pédicule assez long, charnu & rouge. Après que cette fleur est passée, il lui succede un fruit qui est une capsule longue & grosse comme le pouce, droite, formée par une peau luisante, polie, verte d'abord, puis jaune, enfin rouge comme du corail ou purpurine quand elle est en maturité. Cette capsule est divisée intérieurement en deux ou trois loges, qui renferment beaucoup de semences applaties de couleur blanchâtre tirant sur le jaune, formées ordinairement comme un petit rein.
Toutes les parties de cette plante ont beaucoup d'âcreté, mais particulierement son fruit, qui brûle la bouche ; elle croît naturellement en Guinée & au Brésil : on la cultive & on l'éleve aisément de graine dans les pays chauds, comme en Espagne & en Portugal, en Languedoc, en Provence & dans nos jardins, où la couleur rouge de ses capsules fait plaisir à voir. On les confit au sucre pour les adoucir, & les Vinaigriers en mettent dans leur vinaigre pour le rendre fort & piquant. (D.J.)
POIVRE de Guinée, (Hist. des drogues exot.) c'est encore le poivre autrement nommé poivre d'Afrique, voyez POIVRE D'AFRIQUE.
POIVRE de la Chine, (Hist. des drog. exot.) Le P. le Comte dans ses mémoires dit que le poivre de la Chine a les mêmes propriétés que celui des Indes. L'arbre qui le produit est grand comme nos noyers. Son fruit est de la grosseur d'un pois, de couleur grise mêlée de quelques filets rouges. Quand il est mûr, il s'ouvre de lui-même, & fait voir un petit noyau noir comme du jay. Après qu'on l'a cueilli, on l'expose au soleil pour le sécher, & l'on jette le noyau, qui est d'un goût trop fort, ne réservant que l'écorce. L'odeur de ces arbres à poivre est si violente, qu'il en faut cueillir le fruit à plusieurs reprises, crainte d'en être incommodé. (D.J.)
POIVRE de la Jamaïque, (Hist. des drog. exot.) On appelle en françois poivre de la Jamaïque, poivre de Theves, piment de la Jamaïque, amomi, ou toutes épices, un fruit ou une certaine baie aromatique, que l'on apporte depuis quelque tems de l'île de la Jamaïque, & dont les Anglois font un très-grand usage dans leurs sauces. Cette baie est entierement différente des especes de poivre dont nous venons de parler : celui-ci est nommé pimienta ou the Jamaica-pepper tree en anglois ; piper jamaïcense quibusdam par Dale, pharmacol. 421 ; piper odoratum jamaïcense nostratibus, par Ray, hist. 1507 ; cocculi indici, aromatici, dans le mus. reg. soc. Lond. 1218.
C'est un fruit desséché avant sa maturité, orbiculaire, ordinairement plus gros qu'un grain de poivre ; son écorce est brune, ridée ; il a un ombilic ou petite couronne au haut partagée en quatre, contenant deux noyaux noirs, verdâtres, séparés par une paroi mitoyenne, d'un goût un peu âcre, aromatique, & qui approche du clou de girofle.
L'arbre qui porte ce fruit est appellé par le chevalier Hans Sloane, dans son catal. plant. jamaïc. myrthus arborea, aromatica, foliis laurinis latioribus & subrotundis ; & par le P. Plumier, botan. Americ. mss. myrtus arborescens, citri foliis glabris, fructu racemoso, caryophilli sapore.
Cet arbre surpasse en hauteur nos noyers d'Europe lorsqu'il est dans une bonne terre ; mais comme il se plaît dans les forêts seches, il ne s'éleve alors que médiocrement ; il est branchu & touffu ; son tronc est le plus souvent droit & haut ; son bois est dur, pesant, d'un rouge noirâtre d'abord, ensuite devenant avec le tems noir comme l'ébene, ce que l'on doit entendre du coeur. Il est couvert d'un obier épais, blanchâtre, & d'une écorce lisse, mince, & qui tombe quelquefois par lames. L'arbre entier fait une belle figure, par la disposition de ses branches & par son feuillage.
Ses feuilles sont très-lisses & d'un verd fort agréable ; elles naissent deux-à-deux, & opposées à chaque noeud des rameaux ; elles sont de différentes grandeurs : les plus amples sont longues de quatre, cinq ou six pouces, larges de trois ou quatre, de la figure d'une langue, fermes, d'un verd foncé, luisantes, parsemées de petite veines paralleles & obliques, que l'on a peine à appercevoir, & portées sur des queues d'un pouce de longueur ; elles sont d'une odeur & d'une saveur qui approche beaucoup de la cannelle & du clou de girofle, légérement astringentes, & d'une amertume qui n'est pas désagréable.
L'extrémité des tiges est terminée par plusieurs pédicules longs d'un pouce, portant chacun une petite fleur composée de cinq pétales blancs, arrondie, concave, & disposée en rose ; du fond du calice de la fleur, s'éleve un pistil pointu, accompagné d'étamines blanches. Quand ces fleurs sont tombées, il leur succede beaucoup de baies couronnées ou creusées en maniere de nombril ; elles sont d'abord petites & verdâtres ; mais dans leur maturité elles sont plus grosses que les baies de génievre, noires, lisses & luisantes ; elles contiennent une pulpe humide, verdâtre, âcre, aromatique.
Cette pulpe renferme le plus souvent dans le centre deux graines hémisphériques, séparées par une membrane mitoyenne, ensorte qu'elles forment ensemble un petit globe ; c'est pourquoi Clusius, qui a décrit le premier cet aromate, ne lui attribue qu'une seule graine divisée en deux parties.
Cet arbre vient dans les îles Antilles ; le R. P. Plumier l'a observé dans les îles de Sainte-Croix, de Saint-Domingue, & les Grenadines ; mais il croît par-tout dans les forêts qui sont sur les montagnes de la Jamaïque, & en particulier du côté du septentrion, où il porte des feuilles tantôt plus larges, tantôt plus étroites. On le cultive aujourd'hui précieusement à la Jamaïque ; il fleurit en Juin, Juillet & Août, suivant les pluies & l'exposition, mais le fruit mûrit bientôt ensuite.
Les negres montent sur quelques-uns de ces arbres pour cueillir le fruit ; ils en coupent d'autres & les abattent ; ils prennent les rejettons chargés de fruits verds, qu'ils séparent des petites branches des feuilles & des baies qui sont mûres ; ensuite ils les exposent sur de l'étoffe pendant plusieurs jours aux rayons du soleil, depuis son lever jusqu'à son coucher, prenant garde qu'ils ne soient mouillés de la rosée du matin & du soir. Ces baies étant ainsi séchées, se rident, & de vertes qu'elles étoient, elles deviennent brunes & en état d'être vendues. Les Anglois les regardent comme un des meilleurs aromates qui soient en usage ; & son goût agréable, & qui tient du clou de girofle, de la cannelle & du poivre, avec plus de douceur, fait qu'ils lui donnent un nom qui signifie tous les aromates ensemble.
Ce fruit distillé dans un ballon, fournit une huile essentielle qui va au fond de l'eau, & dont l'odeur est agréable. On employe ce fruit pour assaisonner les alimens ; il fortifie l'estomac, il aide la digestion, il récrée les esprits, & augmente le mouvement du sang. Les chirurgiens du pays employent les feuilles de cet arbre dans les bains pour les jambes des hydropiques, & pour faire des fomentations sur les membres paralytiques. Phil. trans. n°. 192. (D.J.)
POIVRE à queue, (Hist. des drog. exot.) Les habitans de l'île Bourbon appellent poivre à queue une graine aromatique qui n'est guère plus grosse qu'un grain de millet ; cette graine a un goût piquant & poivré ; elle vient en bouquets à l'extrémité des branches d'une plante sarmenteuse qui croît aux Indes dans les bois, & s'entortille autour des arbres comme nos vignes sauvages. (D.J.)
POIVRE PETIT, (Botan.) nom vulgaire donné à la semence de l'agnus castus. Cette semence est presque ronde, grise, grosse comme le poivre, ayant un goût un peu âcre & aromatique.
POIVRE, EAU DE, (Science microscop.) Le microscope a découvert quantité de sortes de petits animaux dans de l'eau de poivre factice : voici la maniere de la préparer & d'examiner les insectes qu'elle contient.
Jettez du poivre noir ordinaire, grossierement pulvérisé, dans un vaisseau ouvert, ensorte que le fond en soit couvert de la hauteur environ d'un demi-pouce : versez-y de l'eau de pluie ou de riviere, ensorte qu'elle s'éleve au-dessus du poivre d'un pouce ou à-peu-près : agitez bien l'eau & le poivre la premiere fois que vous les mêlez ensemble, mais n'y touchez plus dans la suite : exposez votre vaisseau à l'air sans le couvrir, & dans peu de jours vous y verrez une petite pellicule qui couvrira toute la surface de l'eau, & qui réfléchira les couleurs du prisme. Vous trouverez au microscope que cette pellicule contient des millions de petits animaux que vous aurez peine à distinguer au commencement, même avec la plus forte lentille, mais qui deviennent tous les jours plus gros, jusqu'à ce qu'ils aient pris leur grandeur naturelle. Quoique leur nombre croisse excessivement chaque jour, jusqu'à ce qu'à la fin presque tout le fluide paroisse en vie, cependant ces animaux restent principalement sur la surface de l'eau, & ne s'y enfoncent pas beaucoup, à-moins qu'ils ne soient effrayés ou détournés ; mais lorsque cela arrive ils s'y précipitent quelquefois tous à-la-fois, & ne paroissent plus de quelque tems. Dans les chaleurs de l'été cette pellicule s'éleve plutôt sur la surface, & l'on s'apperçoit qu'elle est plus serrée que dans un tems froid, quoique cependant au milieu de l'hiver l'expérience réussisse si l'eau n'est pas glacée.
Si vous prenez de cette écume environ la grosseur de la tête d'une épingle, avec le bec d'une plume nouvellement taillée, ou avec un petit pinceau, & si vous l'appliquez à un morceau de talc, vous verrez d'abord avec la troisieme lentille, ensuite avec la premiere, différentes sortes d'insectes plus petits les uns que les autres, & qui different considérablement non-seulement en grandeur, mais en especes.
Voici ceux que l'on a observé. 1°. La longueur de la premiere espece est d'environ le diametre d'un cheveu, & leur largeur trois ou quatre fois plus petite ; leurs corps sont fort minces & transparens, mais le côté qui paroît en-dessous est plus noir que l'autre. Ils se tournent eux-mêmes dans l'eau très-souvent, & présentent tantôt le dos, & tantôt le ventre. Leur contour est comme garni d'une frange ou d'un grand nombre de piés extraordinairement petits, qui se distinguent sur-tout aux deux extrémités ; dans l'une on voit aussi certaines soies plus longues que les piés, & qui ressemblent à une queue : leur mouvement est rapide ; & comme ils tournent, retournent & s'arrêtent subitement, il semble qu'ils sont continuellement occupés à chasser leur proie. Ils peuvent se servir de leurs piés pour marcher, comme pour nager ; car lorsqu'on met un cheveu parmi eux, on les voit souvent courir sur ce cheveu d'un bout à l'autre, & prendre différentes postures extraordinaires.
2°. Une espece assez commune, est celle de ceux dont la longueur est environ le tiers de l'épaisseur d'un cheveu, & qui ont des queues cinq ou six fois aussi longues que le corps. Quelquefois lorsqu'ils sont sans mouvement, ils poussent en-dehors une langue frangée ou barbue, & l'on voit continuellement un courant qui coule vers eux, & qui est causé vraisemblablement par le mouvement précipité de quelques nageoires fines, ou de quelques jambes trop subtiles pour être discernées.
3°. Une autre espece de la grandeur de la derniere, mais sans queue, paroît quelquefois sous une figure ovale, semblable au poisson plat nommé carrelet. On peut voir leurs piés, qui sont fort petits, & c'est lorsque l'eau est sur le point de s'évaporer, car alors ils les meuvent fort promptement. De tems en tems on en voit deux joints ensemble.
4°. Une quatrieme espece paroît semblable à des vers fort minces, environ cinquante fois aussi longs que larges ; leur épaisseur est à-peu-près la centieme partie de celle d'un cheveu ; leur mouvement est uniforme & lent, balançant leur corps ordinairement, mais fort peu en s'avançant ; ils nagent aussi facilement en avant qu'en arriere, mais il est difficile de déterminer l'extrémité où leur tête est placée.
5°. Une cinquieme sorte est si prodigieusement petite, que le diametre d'un grain de sable en contiendroit plus de cent bout-à-bout, & qu'il en faudroit par conséquent plus d'un million pour égaler un grain de sable en volume : leur figure est presque ronde.
6°. Une sixieme sorte est environ de l'épaisseur des précédentes, mais ils sont presque doubles en longueur. Il y en a surement d'autres especes, qu'il n'est pas possible de distinguer.
Il est assez agréable pendant que ces petits animaux sont devant le microscope, d'observer les différens effets que produisent parmi eux les différentes mixtions : par exemple, si l'on y verse la plus petite goutte qu'on puisse imaginer d'esprit de vitriol avec la pointe d'une épingle, on voit ces animaux s'étendre immédiatement après, & tomber morts. Le sel distillé les tue, mais avec cette différence, qu'au lieu de s'applatir comme dans le premier cas, ils se roulent en figure ovale. La teinture de sel de tartre les jette dans des mouvemens convulsifs, après quoi ils deviennent foibles, languissans, & meurent sans changer de figure. L'encre les tue aussi promptement que l'esprit de vitriol, mais elle semble les resserrer en différentes manieres. Le sucre dissous les fait aussi périr, mais alors quelques-uns meurent plats, & les autres ronds.
Si l'on laisse évaporer l'eau sans aucun mêlange, quelques-uns de ces insectes périssent d'abord, mais d'autres non ; & si l'on y verse une goutte d'eau fraîche, en peu de tems plusieurs de ces derniers revivent & se mettent à nager de nouveau. (D.J.)
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POIVRER | v. act. (Cuisine) c'est assaisonner de poivre.
POIVRER, terme de Fauconnerie ; on dit poivrer l'oiseau ; c'est le laver avec de l'eau & du poivre quand il a la gale ou la vermine ; on poivre aussi l'oiseau pour l'assurer.
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POIVRIER | S. m. (Botan. exot.) c'est l'arbre ou l'arbrisseau qui produit le poivre ; mais comme cette graine, ce fruit, cette baie est fort variée suivant les pays, vous trouverez aux différentes especes de poivre la description de la plante qui les produit ; ainsi voyez POIVRE NOIR, POIVRE LONG, POIVRE de la Jamaïque, POIVRE d'Afrique, &c.
POIVRIER du Pérou, (Botan.) nom de relation donné à l'espece de lentisque du Pérou, que Ray, Clusius, & autres botanistes appellent molli ou molle. Voyez MOLLE. (D.J.)
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POIVRIERE | S. f. (Gramm.) ustensile de table ; petit vase ou de porcelaine, ou de fayence, ou de fer blanc, ou d'argent, de la forme de la saliere, dans lequel on sert le poivre.
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POIX | pix ; c'est une espece de suc ou de gomme tenace qui se tire des bois gras, principalement des pins & des sapins, dont on se sert pour la construction des vaisseaux, en Médecine & en plusieurs autres arts.
La poix est proprement un suc de l'écorce de l'arbre appellé picea, pesse, & l'on conçoit que ce n'est autre chose que l'huile de cet arbre, beaucoup plus épaissie, & devenue beaucoup plus noire que dans le baume. Voyez ÉCORCE & BAUME.
Pour tirer la poix on fend l'arbre en petites buches, que l'on met dans un four qui a deux ouvertures ; par l'une on met le feu, & par l'autre on recueille la poix, laquelle suintant du bois, coule sur le plancher du four, & tombe dans des bassins que l'on y met pour cet effet ; la fumée, qui y est fort épaisse, la rend noire comme on la voit. Quelques-uns prétendent que notre poix commune n'est que le suc qui vient le dernier, & que le goudron est celui qui découle d'abord. Voyez GOUDRON.
Wheeler nous donne une autre méthode de tirer la poix que l'on pratique dans le levant ; on fait un creux dans la terre qui a deux aunes de diametre par le haut, mais qui se retrécit à mesure qu'il devient plus profond ; on le remplit de branches de pin fendues en morceaux ; ensuite on recouvre de feu le haut de ce creux ; le feu brûlant jusqu'au fond, la poix se distille & coule par un trou qui y est pratiqué.
La poix reçoit différens noms suivant ses différentes préparations, selon sa couleur & ses qualités. On l'appelle barras quand elle distille du bois, mais ensuite elle prend un nom double ; la plus fine & la plus claire se nomme galipot, & la plus grossiere barras marbré.
Avec le galipot on fait ce que l'on appelle de la poix blanche, ou de la poix de Bourgogne, qui n'est que du galipot fondu avec de l'huile de térébenthine ; quoique ce soit, selon quelques-uns, une poix naturelle qui distille d'un arbre résineux qui vient ou croît dans les montagnes de Franche-Comté.
Ce même galipot sert pareillement à faire une préparation de ce que l'on appelle résine ou poix résine, en faisant bouillir la poix jusqu'à une certaine consistance, & en la mettant en gâteaux. Voyez RESINE.
La poix noire, qui est ce que l'on appelle proprement poix selon quelques-uns, est le galipot liquide brûlé & réduit à la forme & à la consistance que nous y voyons, en y mêlant du goudron lorsqu'il est chaud.
La meilleure est celle qui vient de Suede & de Norwege ; on juge de sa bonté par une couleur noire, lustrée ou brillante, & lorsqu'elle est bien seche & bien cassante.
La poix navale, pix navalis, se tire de vieux pins, que l'on arrange & que l'on brûle de la même maniere que l'on fait le charbon, en y mêlant des étoupes & des cables battus ; elle sert à poisser les vaisseaux.
On appelle aussi poix navale celle qui est raclée des côtés des vieux navires ; & que l'on croit avoir acquis une vertu astringente par le moyen de l'eau de la mer ; on s'en sert à faire des emplâtres, quoiqu'il soit certain que les Apothicaires donnent ordinairement en sa place de la poix noire commune.
La poix grecque ou la poix d'Espagne, est celle que l'on a fait cuire ou bouillir dans l'eau jusqu'à ce qu'ayant perdu son odeur naturelle, elle devienne seche & friable.
Les anciens l'appelloient colophone à cause qu'il en venoit une grande quantité d'une ville de Grece nommée Colophon. Voyez COLOPHONE.
L'huile de poix, oleum picinum, est une huile qui vient de la poix, en séparant la matiere aqueuse, ou l'aquosité qui nage sur la poix fondue. On l'appelle aussi baume de poix, à cause des grandes vertus qu'on lui attribue.
POIX, (Art méchan.) voici comme en Provence on recueille différentes sortes de poix & autres préparations résineuses du pin sauvage, nommé pinus sylvestris par C. B. P. 491.
On fait à cet arbre plusieurs incisions par degrés, d'abord d'un côté près de la racine, l'année suivante plus haut, & ainsi de suite, jusqu'à la hauteur de dix à douze piés, & jusqu'à ce que la liqueur cesse de couler de ce côté-là ; alors on fait des incisions de la même maniere aux autres côtés de l'arbre ; la liqueur qui en découle est reçue dans de petites fosses ; sa partie supérieure s'épaissit par la chaleur du soleil, & elle se change en une certaine croûte résineuse, que l'on appelle communément barras. Si cette croûte est blanche & sans ordures, elle s'appelle galipot, garipot, résine blanche, encens blanc ; mais si elle est brune ou pleine d'ordures, on l'appelle encens madré, ou encens de village. Les ciriers employent bien souvent la résine blanche ou le galipot, avec la cire pour faire des cierges.
Quand on a retiré cette liqueur des fosses, on la passe au-travers de certains paniers ; la partie la plus fluide coule, & on l'appelle térébenthine : celle qui est plus grossiere, & qui reste dans les paniers, est mise dans les alembics avec deux ou trois fois autant d'eau, & elle donne par la distillation un esprit & une huile de térébenthine. Il reste au fond du vaisseau une masse dure, friable, roussâtre, nommée palimpissa, poix seche, & communément arcançon, ou bray sec.
On compose une espece de poix noire avec le bray sec & la poix noire liquide commune ; avec cette poix noire artificielle, le bray sec, le suif de boeuf, & la poix noire liquide & commune, fondues ensemble, on prépare la poix navale dont on a coutume d'enduire les vaisseaux avant de les lancer à l'eau. Mais cette poix étant restée long-tems sur les vaisseaux, & ayant contracté quelque salin de l'eau de la mer, s'appelle zopissa. La résine blanche étant fondue avec de la térébenthine & de l'huile de térébenthine, fait la poix que l'on appelle poix de Bourgogne.
Dans quelques endroits, on fait des creux autour des vieux pins, que l'on brûle, & il en découle une liqueur noire, résineuse & huileuse, que l'on appelle poix noire, & communément tare, goudron & bray liquide. Dans d'autres endroits on coupe des morceaux de ce que l'on appelle torche, & on les place dans un fourneau de pierre ou de briques fait exprès, auquel on laisse un trou pour y mettre le feu, & par où la flamme puisse sortir d'abord. Lorsque ces morceaux de bois sont allumés, on ferme le tout exactement. Alors il sort par la violence du feu beaucoup de liqueur noire, qui coule dans des canaux faits avec art, par lesquels cette poix est conduite dans des creux, ou dans des vaisseaux propres à la recevoir.
La poix noire liquide étant reposée assez longtems dans des vaisseaux convenables, il nage au-dedans une liqueur fluide, noire, huileuse, que l'on appelle huile de poix, & improprement huile de cade. Quelques-uns font cuire la partie la plus grossiere de la poix jusqu'à siccité, & ils forment une autre espece de poix seche, ou de bray sec.
De toutes ces substances résineuses brûlées, on retire une suie noire & légere, que l'on appelle communément noir de fumée, & que l'on employe très-souvent pour préparer quelques couleurs, ou l'encre dont se servent les Imprimeurs. (D.J.)
POIX MINERALE, (Hist. nat.) pix mineralis ; c'est le nom qu'on donne à une espece de bitume solide ou d'asphalte, qui a la consistance de la poix, & qui comme elle, s'attache fortement aux doigts. Voyez ASPHALTE, BITUME, &c.
POIX, (Géog. anc.) bourg de France en Picardie, sur un ruisseau de même nom, au bailliage d'Amiens, érigé en duché-pairie, sous le nom de Crequi, en 1652. Elle s'éteignit en 1687 ; mais Poix a conservé le titre de principauté, quoiqu'il n'y ait jamais eu d'acte d'érection de ce lieu en principauté ; il est vrai que les anciens seigneurs de cet endroit prenoient la qualité de domini & principes de castello de Poix ; mais ce titre principes ne dit rien de plus que domini. Il y a dans ce bourg deux paroisses & un prieuré.
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POKKOE | (Hist. nat.) oiseau singulier qui se trouve en Afrique, & qui est, dit-on, particulier à la côte de Guinée. Il est de la grosseur d'une oie ; ses aîles sont d'une grosseur prodigieuse & couvertes de plumes, qui ressemblent plutôt à des poils d'une couleur brune. Il a au-dessous du bec une espece de poche qui a environ neuf pouces de longueur, dans laquelle il amasse sa nourriture ; cette poche ressemble à la membrane de la tête d'un coq d'Inde. Son cou est fort long, & soutient une tête si grande, qu'elle n'a point de proportion avec le reste du corps. Ses yeux sont grands, noirs & vifs. Il se nourrit de poissons, dont il consomme une quantité prodigieuse, & qu'il avale tout entiers ; il en fait autant des rats, dont il est, dit-on, très-friand. Bosman dit avoir apprivoisé un de ces oiseaux qui le suivoit par-tout. On les trouve communément dans les environs de la riviere de Bourtry, près d'Elmina.
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POKUTI | (Géogr. mod.) contrée de la petite Pologne, dans le palatinat de Russie, au nord de la Transylvanie, & à l'occident de la Moldavie. Elle fait partie du territoire d'Halicz, & fut vendue aux Polonois par Alexandre Vaivode de Valaquie, pour soixante marcs d'argent. La Pruth est la principale riviere qui l'arrose. Il y a quelques bourgs & quelques forteresses.
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POLA | (Géogr. anc. & mod.) en latin Pola, ville d'Italie dans la partie méridionale de l'Istrie, sur la côte occidentale, au fond d'un golfe, à 30 lieues S. E. de Venise.
Apollonius de Rhodes raconte qu'une troupe de Colques, envoyée à la poursuite des Argonautes pour retirer Médée de leurs mains, n'ayant pû réussir dans ce projet, prirent terre en Istrie, où ils fonderent le fameux port de Pola, si connu depuis sous le nom de Julia Pietas. Ce port devint pour ainsi dire le rendez-vous des nations qui négocioient tant sur les côtes du golfe Adriatique, qu'au pays des Noriques, & dans les contrées voisines.
Pola est donc une des plus anciennes villes de l'Istrie ; mais s'il n'y restoit pas quelques marques de son ancienne grandeur, personne ne l'imagineroit ; car c'est aujourd'hui un endroit délabré, qui contient à peine 700 habitans. Les Vénitiens y ont bâti une petite citadelle imparfaite, où ils tiennent dix à douze soldats, qui craignent plus la famine que la guerre. Ce n'est plus le tems que Pola étoit une république riche, florissante, & où le culte de toutes les divinités, jusqu'à celui d'Isis, étoit accueilli. On a découvert une inscription gravée sur la base d'une statue de l'empereur Severe, où cette ville est appellée respublica Polensis. Ce marbre est à la cour du dôme, autrement dit l'église cathédrale, & on faillit à le mettre aux fondemens du clocher.
Les autres antiquités de Pola sont du tems des empereurs romains. Il y avoit sur le fronton d'un petit temple l'inscription de sa dédicace, à Rome & à Auguste. L'espece d'arc de triomphe, qui sert maintenant de porte à la ville, la porta dorata, avoit été érigée à l'honneur d'un certain Sergius Lepidus, par les soins de sa femme. Palladio a donné dans son architecture le plan & les dimensions de l'ancien amphithéatre de Pola. Il étoit tout bâti de belles pierres d'Istrie, à trois rangs de fenêtres l'une sur l'autre, & au nombre de 72 à chaque rang.
Pola est érigée en évêché, dont l'évêque est suffragant d'Udine. Long. 31. 42. lat. 44. 54. (D.J.)
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POLAINE | voyez POULAINE.
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POLAIRE | adj. (Astron.) se dit en général de tout ce qui a rapport aux poles du monde. Voyez POLE.
Les cercles polaires sont deux petits cercles de la sphere, paralleles à l'équateur, éloignés de 23 degrés 1/2 de chaque pole ; on en fait usage pour marquer le commencement des zones froides. Voyez ZONE.
Les cercles polaires sont ainsi nommés de leur voisinage avec les poles arctique & antarctique. Voyez ARCTIQUE & ANTARCTIQUE. Les habitans de ces polaires ont un jour dans l'année de 24 heures, où le soleil ne se couche point, & une nuit de 24 heures, où le soleil ne se leve point. Le jour de 24 heures est celui de notre solstice d'été, pour les habitans du cercle polaire arctique ou septentrional, & le jour du solstice d'hiver pour les habitans du cercle polaire antarctique ou méridional ; & la nuit de 24 heures est pour les premiers, le jour de notre solstice d'hiver, & pour les autres, le jour de notre solstice d'été.
Cadrans polaires, ce sont ceux dont les plans sont paralleles à quelque grand cercle qui passe par les poles, ou à quelqu'un des cercles horaires ; ensorte que le pole est censé dans le plan de ce cadran.
C'est pourquoi un pareil cadran ne sauroit avoir de centre, l'axe de la terre lui étant parallele, & par conséquent les lignes horaires y sont aussi paralleles. Voyez CADRAN.
Un cadran polaire est un cadran horisontal par rapport à quelques-uns de ceux qui habitent sous l'équateur ou sous la ligne.
Pour construire un cadran polaire, voyez l'article CADRAN.
Projection polaire est une représentation de la terre ou du ciel projettés sur le plan de l'un des cercles polaires, voyez PROJECTION, MAPPEMONDE, &c. Chambers. (O)
POLAIRE, (Astr.) est l'étoile qui est la derniere de la queue de la petite ourse, & fut ainsi nommée par ceux qui l'observerent les premiers, parce qu'étant très-peu éloignée du pole, ou du point sur lequel tout le ciel paroît tourner, elle décrit à l'entour un cercle si petit, qu'il est presqu'insensible, ensorte qu'on la voit toujours vers le même point du ciel ; cependant la distance de l'étoile polaire au pole change annuellement.
Feu M. Cassini & le P. Riccioli observerent à Bologne en 1686, la distance de cette étoile au pole de 2°. 32'. 30''. Le détail de ses observations est rapporté par le P. Riccioli dans son Hydrographie, liv. VII. ch. xv. M. Maraldi détermina en Décembre 1732, cette distance à 2°. 7'. 9''. La distance de l'étoile polaire au pole est donc diminuée en 76 ans, intervalle entre les observations de M. Maraldi & celles de M. Cassini & du P. Riccioli, de 25'. 2''. ce qui est à raison de 20 secondes par an. Ticho-Brahé avoit trouvé la même diminution annuelle par des observations immédiates, voyez ses Progymn. liv. I. p. 362. Cette variation de la distance entre l'étoile polaire & le pole du monde, est parfaitement conforme aux observations du mouvement des autres étoiles fixes. Les observations de Tycho prouvent qu'elle a été de même depuis 155 ans. Car si on compare la distance de l'étoile polaire au pole observée par Tycho l'an 1577, qui étoit de 2°. 58'. 50''. à la distance observée en 1732 de 2°. 7'. 9''. la différence qui est de 57'. 41''. étant divisée par 155, donne précisément 20''. pour le mouvement annuel de l'étoile polaire vers le pole du monde pendant ce tems. Ce mouvement ne sera pas toujours de la même quantité, il diminuera à mesure que l'étoile polaire approchera du commencement du cancer, où ce mouvement sera imperceptible pendant plusieurs années. Suivant les hypothèses du mouvement des étoiles fixes, la distance de l'étoile polaire au pole diminuera encore pendant 362 années, après lesquelles elle sera le plus proche du pole qu'elle puisse être. Si elle n'étoit pas plus éloignée du pole de l'écliptique que l'est le pole du monde, elle auroit été se placer au pole-même du monde, ainsi que quelques astronomes anciens l'ont cru devoir arriver ; mais comme elle est éloignée du pole de l'écliptique de 26'1/2 plus que ne l'est le pole du monde, elle ne peut s'approcher plus près de ce pole que de 26'1/2, pourvu que la distance entre ces deux poles & la latitude de l'étoile ne changent point. Si Scaliger avoit été exercé dans ces sortes d'observations, il n'auroit pas nié si hardiment ce mouvement de l'étoile polaire & des autres étoiles fixes vers le pole du monde, ni insulté à tous les astronomes qui le soutiennent. Il est tombé dans cette erreur, parce qu'il étoit persuadé que cette étoile, qui est à l'extrémité de la queue de la petite ourse, qui est présentement la polaire, comme la plus proche du monde, avoit toujours été la plus boréale de cette constellation. Le P. Petau qui a refuté très-savamment l'erreur de Scaliger, a fait voir que la derniere étoile de la queue de la petite ourse, qui est présentement la polaire, étoit du tems d'Eudoxus, la plus éloignée du pole, & que la plus proche étoit une de l'épaule, qu'il appelle superior praecedentium in laterculo. Voyez PRECESSION. Article de M. FORMEY.
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POLAQUE | ou POLACRE, s. f. (Marine) vaisseau levantin, dont on se sert sur la Méditerranée ; sa voile d'avant est latine, mais la maistre & le hunier sont quarrés. Il porte couverte, & va à voiles & à rames. Il est armé de cinq ou six canons, & de pierriers, & monté de vingt-cinq à trente matelots. Il est employé à faire des découvertes quand il est au service des grands navires.
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POLARD | S. m. (Monnoie) nom donné par quelques historiens à une petite monnoie courante de cuivre mêlé d'un peu d'argent, & qu'on nommoit plus communément croquart. Cette petite monnoie de France passa en Irlande sous le regne d'Edouard I. On la nommoit aussi rosaire, mitre lionine, suivant ses marques ; mais comme elle ressembloit aux sous du pays où il y avoit beaucoup plus d'argent, elle servit à contrefaire la monnoie courante du royaume. Pour y porter remede, le prince ordonna que dans chaque livre d'argent pesant 12 onces, il entreroit 11 onces & plus d'argent, & proscrivit tout argent au moindre titre. La monnoie d'Irlande fut réglée de la même maniere, elle se trouva la même que celle d'Angleterre ; & l'an 1300 les croquarts, polards & autres monnoies de bas aloi, furent décriées, avec peine de mort & confiscation de biens pour quiconque en transporteroit dans le royaume. Tel fut le commencement du bon argent qu'on vit en Irlande, & l'an 1304, l'Angleterre y envoya tous les outils nécessaires pour y frapper monnoie. Les sous & les demi-sous avoient pour marque la tête du roi mise en triangle ; le sou pesoit 22 grains, & les demi-sous 10 grains & demi : mais les farthings de ce tems-là sont si rares, qu'il n'est presque plus possible d'en trouver dans les cabinets des personnes les plus curieuses en ce genre. (D.J.)
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POLARITÉ | S. f. (Physiq.) c'est la propriété qu'a l'aimant ou une aiguille aimantée de se diriger vers les poles du monde.
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POLASTRE | S. m. terme de Plombier, c'est une espece de poële de cuivre fort mince, longue de deux à trois piés, large & haute de quatre à cinq pouces, quarrée par son ouverture & arrondie par le bas, & garnie d'un long manche de bois. Cet instrument sert aux plombiers pour chauffer en-dedans les grands tuyaux de plomb qu'ils veulent souder. Voyez TUYAU DE PLOMB. Voyez les fig. Pl. du Plombier.
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POLATI | ou PULATI, (Géog. mod.) peuples des états du Turc en Europe dans la haute Albanie. Ils habitent à l'orient du lac de Scutari, & au nord du Drin-noir. Ils ne possedent que cinq méchans bourgs & villages où se trouvent des chrétiens, mais tous sous la puissance des Turcs.
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POLDRACK | (Commerce) petite monnoie de Pologne. Cinq poldracks font un gros d'Allemagne ; 60 poldracks font un écu d'Allemagne, c'est-à-dire, environ 3 livres 15 sous argent de France ; ainsi le poldrack vaut environ cinq liards de notre monnoie.
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POLE | S. m. en terme d'Astronomie, se dit de chacune des extrémités de l'axe sur lequel la sphere du monde est censée faire sa révolution. Voyez SPHERE. Ce mot vient du grec , vertere, tourner.
Ces deux points éloignés de l'équateur de 90 degrés chacun, sont aussi appellés les poles du monde. Tels sont les points P & Q, Pl. astronom. fig. 21. celui des deux qui nous est visible, comme P, c'est-à-dire, qui est élevé sur notre horison, s'appelle le pole arctique ou septentrional, & celui qui lui est opposé, tel que Q, est appellé antarctique ou méridional. Voyez ARCTIQUE & ANTARCTIQUE.
POLE, en terme de Géographie, est l'extrémité de l'axe de la terre, ou l'un des points sur la surface de notre globe par lesquels passe l'axe.
Tels sont les points P, Q, Pl. géograph. fig. 1. celui des deux qui est élevé sur notre horison, est appellé le pole arctique ou septentrional ; & son opposé Q s'appelle pole antarctique ou méridional. Voyez GLOBE.
M. Halley prétend que le jour du solstice, sous le pole, est aussi chaud que sous la ligne, quand le soleil est au zénith. A toutes les heures de ce jour, sous le pole, les rayons du soleil sont inclinés à l'horison, avec lequel ils font un angle de 23 degrés & demi ; au lieu que sous la ligne, quoiqu'il soit vertical, il n'éclaire pas plus de 12 heures, & il est absent autant ; outre que pendant 3 heures 8 minutes de ces 12 heures qu'il est sur l'horison de la ligne, il n'est pas autant élevé que sous le pole. Voyez CHALEUR.
La hauteur ou l'élévation du pole est un arc du méridien intercepté entre le pole & l'horison. Voyez HAUTEUR, ELEVATION.
La maniere de trouver cette élévation est un problème très-commun dans l'Astronomie, la Géographie & la Navigation ; la hauteur du pole & la latitude d'un lieu étant la même chose, c'est-à-dire, l'un donnant l'autre. Voyez LATITUDE.
Pour observer la hauteur du pole, on se sert d'un quart de cercle, avec lequel on observe la plus grande & la plus petite hauteur méridienne de l'étoile polaire. Voyez MERIDIEN.
On ôte ensuite la plus petite hauteur de la plus grande, & on divise cette différence par 2 ; le quotient est la distance de l'étoile au pole ; cette distance ajoutée à la plus petite hauteur trouvée, donne l'élévation du pole que l'on demandoit.
Ainsi M. Couplet étant à Lisbonne en 1697 sur la fin de Septembre, observa que la plus grande hauteur méridienne étoit de 41°. 8'. 40''. & la plus petite de 36°. 28'. 0''. dont la différence est 4°. 37'. 40''. & la moitié de cette différence 2°. 18'. 59''. ajoutée à la plus petite hauteur, donne 38°. 46'. 50''. pour la hauteur du pole à Lisbonne. Voyez HAUTEUR.
La hauteur du pole & la ligne méridienne étant ensemble la base de toutes les observations astronomiques, pour les déterminer le plus exactement qu'il est possible, on doit corriger les hauteurs méridiennes par la doctrine des réfractions. Voyez REFRACTION.
Moyennant quoi, M. Couplet soustrayant 1'. 25''. dans l'exemple proposé, réduit la hauteur corrigée à 38°. 45'. 25''. La hauteur du pole ôtée de 90 degrés, fait connoître la hauteur de l'équateur, c'est-à-dire, l'angle de l'équateur avec l'horison. Voyez EQUATEUR.
Si la plus grande hauteur méridienne de l'étoile polaire ou d'une autre étoile quelconque de l'hémisphere septentrional, excede la hauteur de l'équateur, en soustrayant cette derniere de la premiere, on aura la déclinaison septentrionale de l'étoile. Si la hauteur de l'étoile est plus grande que celle de l'équateur, la premiere étant soustraite de la derniere, donne la déclinaison méridionale de l'étoile. Voyez DECLINAISON.
Si au lieu de quart de cercle, on se veut servir de gnomon pour avoir la hauteur du pole, en y employant les observations du soleil, il faudra calculer sa déclinaison, laquelle suppose qu'on connoisse son vrai lieu déduit des tables ou éphémérides ; & marquant sur la ligne méridienne le centre de l'image, on aura par conséquent sa distance au zénith. Cette distance au zénith étant connue, on y ajoutera ou on en retranchera la déclinaison du soleil, selon que cet astre est au sud ou au nord de l'équateur ; & l'on aura ainsi la distance de l'équateur au zénith, laquelle est toujours égale à la hauteur du pole. Au reste, si la déclinaison du soleil excede la hauteur du pole du lieu, ce qui peut arriver dans la zone torride, lorsque le soleil est moins éloigné du pole que le zénith du lieu, alors la différence entre la déclinaison du soleil & sa distance au zénith sera la hauteur du pole du lieu. Voyez LATITUDE.
M. Hook & quelques autres croyent que la hauteur du pole, & la position des principaux cercles dans le ciel, ont une situation différente de celle qu'ils avoient anciennement ; mais M. Cassini croit que cette conjecture n'est pas fondée, & que toute la différence que l'on trouve dans les latitudes des lieux, &c. par rapport aux anciennes supputations, vient de l'inexactitude des anciennes observations ; sur quoi voyez au mot ECLIPTIQUE & OBLIQUITE la question de l'obliquité de l'écliptique qui revient à celle-ci.
Pole dans les sphériques, est un point également éloigné de toutes les parties de la circonférence d'un grand cercle de la sphere, comme est un centre dans une ligne plane.
Le pole est un point éloigné de 90 degrés du plan d'un cercle, & qui est dans une ligne qui passe perpendiculairement par le centre, appellée axe.
Le zénith & le nadir sont les poles de l'horison. Les poles de l'équateur sont les mêmes que ceux de la sphere ou du globe. Voyez ZENITH, NADIR, &c.
Poles de l'écliptique sont deux points sur la surface de la sphere, éloignés des poles du monde de 23°. 30'. & de 90 degrés de tous les points de l'écliptique. Voyez ECLIPTIQUE, &c.
Dans la géométrie des courbes, on appelle pole un point fixe par lequel passent des lignes tirées à cette courbe, & qui ont servi à sa description. Ainsi on dit pole de la conchoïde. Voyez CONCHOÏDE.
L'étoile du pole, ou l'étoile polaire, est une étoile de la seconde grandeur, qui est la derniere de la queue de la petite ourse. Voyez OURSE & POLAIRE.
Le voisinage de cette étoile au pole, qui fait qu'elle ne se couche jamais, est d'un grand secours dans la navigation, &c. pour déterminer le méridien, l'élévation du pole, & par conséquent la latitude, &c. Voyez MERIDIEN & LATITUDE. Chambers. (O)
POLES, dans l'aimant, ce sont deux points de l'aimant qui correspondent aux poles du monde, dont l'un regarde le nord, & l'autre le sud. Voyez AIMANT.
Si l'on rompt l'aimant en tant de parties que l'on voudra, chaque fragment aura ses deux poles. Si l'on coupe un aimant par une ligne perpendiculaire à l'axe, les deux parties qui se touchoient auparavant, deviendront les deux poles opposés dans chaque segment.
Pour aimanter une aiguille, &c. la partie que l'on veut diriger vers le nord, doit être touchée avec le pole méridional de l'aimant, & avec son pole septentrional, l'extrémité qui doit être tournée au midi. Voyez AIGUILLE.
Un morceau de fer acquiert des poles en restant long-tems debout & dans une situation constante ; mais ces poles ne sont pas fixes.
Gilbert, dans son traité de l'aimant, dit que si l'on chauffe l'extrémité d'une verge, & qu'on la laisse refroidir dans une direction septentrionale, elle deviendra un pole fixe septentrional ; & si on la met dans une direction méridionale, elle sera un pole fixe méridional : néanmoins cela n'arrive pas dans tous les cas.
Si l'on tient en bas ou vers le nadir l'extrémité refroidie, elle acquiert un peu plus de magnétisme que si elle se refroidissoit dirigée horisontalement vers le nord ; mais le meilleur est de la laisser un peu inclinée vers le nord. Il n'est pas plus avantageux de la chauffer plusieurs fois qu'une seule.
D'autres ajoutent que si l'on tient une verge dirigée vers le nord, & que dans cette position l'on frappe à coups de marteau l'extrémité septentrionale, elle deviendra un pole fixe septentrional ; & que le contraire arrivera si l'on frappe à coups de marteau l'extrémité méridionale. Ce que l'on dit des coups de marteau doit pareillement s'entendre de l'effet de la lime, de la meule, de la scie, &c. & même un frottement doux, pourvu qu'il soit continué longtems, fera naître des poles.
Plus les coups sont forts, le reste égal, plus aussi le magnétisme a de force. Un petit nombre de coups bien appliqués, produisent autant d'effet qu'un grand nombre. Les vieux forets & les poinçons qui ont servi long-tems ont leur pole fixe septentrional, à cause qu'on les met presque toujours dans une position verticale, quand on en fait usage. Les forets nouveaux ont des poles changeans, ou le pole septentrional fort léger. Si l'on fore horisontalement avec quelqu'un de ces instrumens dirigé vers le sud, il est rare que l'on produise un pole méridional fixe, & encore plus rare si l'on incline vers le bas l'instrument dirigé au sud ; mais si en le frottant on l'incline en haut, en le dirigeant toujours vers le sud, on fera un pole méridional fixe. Voyez à l'article AIMANT un plus grand détail sur les poles de cette pierre. Chambers.
POLES de la terre, (Géog. mod.) les poles de la terre sont deux points fixes, opposés diamétralement & placés à l'extrémité de l'axe autour duquel la terre tourne ; ils répondent exactement aux deux points des cieux, autour desquels les étoiles paroissent faire leur révolution. Le pole qui est sous la grande ourse est le pole arctique ou septentrional, l'autre se nomme antarctique ou méridional. Chacun de ces poles est à 90d. de l'équateur. Tout cela se comprend encore mieux à l'inspection du globe que par des explications. Le mot pole vient du grec , je tourne, parce que c'est par rapport à l'action de tourner que ces deux points ont été ainsi nommés. (D.J.)
POLE, poisson de mer qui est une espece de sole, à laquelle il ressemble par la forme du corps ; il est cependant plus épais & moins allongé ; ses écailles sont aussi plus petites, & découpées sur les bords. On distingue encore aisément ce poisson de la sole en ce qu'il a un mauvais goût désagréable. Rondelet, Hist. nat. des poissons, part. I. liv. XI. chap. xij. Voyez SOLE, POISSON.
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POLÉMARQUE | (Hist. anc.) magistrat d'Athènes. C'étoit le troisieme des neuf archontes, & son département étoit le militaire sur-tout pendant la guerre, ce qui n'empêchoit pas qu'il ne connût aussi des affaires civiles avec ses autres collegues. On lui donnoit aussi le titre d'archistrateque ou de généralissime dans les guerres importantes. Dans celles de moindre conséquence, on se contentoit de créer dix strateques ou généraux, autant qu'il y avoit de tribus à Athènes. Le polémarque devoit consulter ces strateques. Il avoit outre cela sous lui deux hipparques ou généraux de la cavalerie, & dix phylarques qui en étoient comme les mestres de camp, dix taxiarques ou colonels qui commandoient l'infanterie. Dans la suite, le polémarque devint un magistrat purement civil, dont les fonctions furent renfermées dans le barreau. Chez les Etoliens on donnoit ce nom à celui qui avoit la garde des portes de la ville.
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POLÉMIENS | S. m. (Hist. ecclésiast.) hérétiques qui parurent dans le iv. siécle, & qui furent ainsi nommés de leur chef Polémus, disciple d'Apollinaire. Ils soutenoient entr'autres choses que dans l'incarnation le verbe & la nature humaine avoient été unis si étroitement qu'ils s'étoient confondus l'un dans l'autre. On les a regardés comme une branche des Apollinaristes. Voyez APOLLINARISTES. Théodoret, lib. IV. haeretic. fabular. Baronius, ad ann. Chr. 373.
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POLÉMIQUE | (Théolog.) titre ou épithete qu'on donne aux livres de controverse, principalement en matiere de théologie.
Ce mot vient du grec , guerre, combat, parce que dans ces sortes d'ouvrages on dispute sur quelque point de dogme ou d'histoire. Ainsi l'on dit théologie polémique, pour signifier une théologie de controverse. La question des ordinations angloises dans ces derniers tems a produit plusieurs écrits polémiques de part & d'autre.
On donne aussi ce nom dans la littérature à tout écrit, où l'on entreprend la défense ou la censure de quelque opinion. Les exercitations de Scaliger contre Cardan sont un livre purement polémique.
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POLÉMONIUM | S. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, en rosette & profondément découpée. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou au milieu de la fleur, & devient dans la suite un fruit ou une coque arrondie qui s'ouvre ordinairement en trois parties, & qui est divisé en trois loges, dans lesquelles on trouve des semences le plus souvent oblongues. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE.
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POLÉMOSCOPE | S. m. terme d'Optique, c'est une espece de télescope ou de lunette d'approche, qui est recourbée, pour voir les objets qui ne sont pas directement opposés à l'oeil.
Il a été inventé par Hévélius en 1637, qui le nomma ainsi des mots grecs , combat, & , je vois, parce que l'on peut s'en servir à la guerre, dans les batailles, &c.
On a présentement quelque chose de semblable dans ce que l'on appelle lorgnettes ou lorgnettes d'opéra, avec lesquelles on peut voir une personne lorsque l'on paroît en regarder une autre. Voyez LORGNETTE.
Construction du polémoscope. Tout télescope sera un polémoscope, si l'on en fait un tube recourbé semblable au syphon rectangulaire A B D M, fig. 70. Opt. & qu'entre le verre objectif A B & le premier oculaire G H, (s'il y a plusieurs oculaires), on dispose en K un miroir plan de maniere qu'il soit incliné à l'horison de 45 degrés, & que l'image réfléchie soit au foyer du verre oculaire G H.
Car, par ce moyen, les objets situés vis-à-vis le verre ou la lentille A B paroîtront vis-à-vis le verre oculaire G H dans la direction G C, de même que s'il n'y avoit point de miroir K, & que le verre objectif & le verre oculaire & les objets fussent dans une même ligne droite.
Si l'on veut regarder par O, & non par M, il faut ajouter un autre miroir plan en N. Wolf & Chambers. (T)
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POLENTA | S. f. Colum. (Diététiq.) orge nouveau rôti médiocrement, & ensuite moulu. Nous apprenons de Pline que les anciens composoient leur polenta de différentes manieres ; les uns arrosoient l'orge, le faisoient sécher pendant une nuit, le fricassoient le lendemain, & d'abord après le réduisoient en farine. D'autres prenoient de l'orge cueilli fraîchement, ensuite battu ; & l'ayant arrosé d'eau, ils le lavoient, le séchoient au soleil, le piloient dans un mortier ou le faisoient moudre ; d'autres faisoient rôtir l'orge tout simplement, & ensuite moudre bien menu avec un peu de millet : d'autres y ajoutoient de la coriandre, du moût, de l'hydromel, &c. Quoi qu'il en soit, leur polenta servoit de nourriture au peuple, & particulierement aux soldats. Les Grecs l'appelloient . Hippocrate prescrit souvent à ses malades l' préparé sans sel. Paul d'Egine en recommande l'usage dans de l'eau pour appaiser la soif. Il paroît par les livres saints que les Juifs s'en servoient déja du tems de David. Les Syriens employoient l'orge rôti dans leur boisson, pour corriger la qualité de l'eau.
Il est assez vraisemblable que les Arabes qui étoient voisins des Syriens, & qui habitoient un pays sec qui produisoit peu d'orge, mais beaucoup de caffé, sans presque aucune culture, imaginerent de faire leur polenta avec les baies de caffé ; mais les effets de ces deux boissons sont tout opposés ; l'un humecte, rafraîchit ; l'autre échauffe, agite, & met les esprits en mouvement. (D.J.)
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POLENTINA-PLEBS | (Littérat. géogr.) on trouve ce nom dans Suétone, in Tiberio, qui veut désigner par-là les habitans de Pollentia : mais comme il y a eu plusieurs villes de ce nom, savoir l'une dans une des îles Baléares, une autre dans le Picenum, & une autre dans les Alpes ; voilà la difficulté de décider de laquelle Suétone entend parler. Il semble néanmoins qu'il doit être question de cette derniere. Ce que Suétone ajoute un peu plus bas, du royaume de Cottus, paroit le prouver, car ce royaume étoit dans le quartier des Alpes appellé les Alpes cottiennes. (D.J.)
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POLESIN | LE (Géog. mod.) quelques-uns écrivent la Polesine, & l'on dit aussi le Polesin ou la Polesine de Rovigo ; c'est une province d'Italie dans les états de Venise. Elle est ainsi nommée de sa situation entre le Pô, l'Adige, & l'Adigesto, qui en font une presqu'île ; car Polesin & presqu'île signifient à-peu-près la même chose.
Cette province est bornée au nord par le Padouan, au midi par le Ferrarois, au levant par le Dogado, & au couchant par le Véronois. Son étendue est de 50 milles du levant au couchant, & de 20 du midi au nord. Le blé & le bétail font la richesse de ses habitans. Elle est gouvernée par quelques nobles Vénitiens que la république y envoye. Rovigo est la capitale du Polesin ; on y trouve aussi l'ancienne ville d'Adria, & tout ce pays étoit sujet aux ducs de Ferrare, avant que les Vénitiens l'eussent conquis.
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POLETES | S. m. pl. (Antiq. grecq.) , étoient chez les Athéniens dix magistrats qui, conjointement avec les trois chargés de l'argent consacré aux pompes publiques, avoient la direction de l'argent des impôts, & de la vente des biens confisqués. En outre, leur pouvoir s'étendoit encore jusqu'à vendre à l'encan ceux qui n'avoient pas payé le tribut nommé . Potter, Arch. graec. l. I. c. xiv.
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POLI | CIVIL, HONNÊTE, AFFABLE, GRACIEUX, (Synon.) nous sommes honnêtes par l'observation des usages de la société ; nous sommes civils par les honneurs que nous rendons à ceux qui se trouvent à notre rencontre ; nous sommes polis par les façons flatteuses que nous avons dans la conversation & dans la conduite, pour les personnes avec qui nous vivons ; nous sommes gracieux par des airs prevenans pour ceux qui s'adressent à nous ; nous sommes affables par un abord doux & facile à nos inférieurs, qui ont à nous parler.
Les manieres honnêtes sont une marque d'attention ; les civiles sont un témoignage de respect ; les polies sont une marque ou démonstration d'estime ; les gracieuses sont un moyen de prévenance flatteuse ; les affables sont une insinuation de bienveillance : toutes ces choses s'acquierent par l'usage du monde, & ne sont que l'écorce de la vertu.
POLI d'une glace, (Manufact. de glaces) on appelle le poli d'une glace, la derniere façon qu'on lui donne avec l'émeril ou la potée, & l'on nomme dans les manufactures, l'attélier du poli, le lieu destiné à donner aux glaces cette derniere façon. (D.J.)
POLI, (Orfev.) le poli de l'argent se fait presque tout à l'huile, avec de la pierre ponce à l'huile, & du tripoli à l'huile ; il se termine par la potée à sec.
POLI & POLIR L'ETAIN, (Potier d'étain) c'est la même façon que pour l'argent ; on se sert de ponce en poudre & de tripoli à l'huile, qu'on appelle rouge d'Angleterre ; ensuite on essuie l'ouvrage avec un linge & du blanc d'Espagne en poudre. Polir c'est dégraisser & ôter le suif qu'on a mis sur la vaisselle d'étain avant de la forger, avec un linge & du blanc d'Espagne ; & à la poterie & menuiserie d'étain, c'est l'essuyer sur le tour après avoir été brunie, avec un linge qu'on nomme pour cela polissoir.
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POLIA | (Hist. nat.) nom qui a été donné à l'amianthe qui est composé de fils ou de fibres paralleles & flexibles.
POLIA, (Géog. mod.) petite ville des états du Turc, en Asie, sur la route de Constantinople à Ispahan. Cette ville, dont Tavernier vous donnera de plus grands détails, est principalement habitée par des Grecs. (D.J.)
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POLIADE | (Mythol.) Minerve eut deux temples dans la Grece sous le nom de Minerve Poliade ; l'un à Erythrès en Achaïe, & l'autre à Tégée dans l'Arcadie. La statue de Minerve Poliade à Erythrès étoit de bois, d'une grandeur extraordinaire, assise sur une espece de trône, tenant une quenouille des deux mains, & ayant sur la tête une couronne surmontée de l'étoile polaire. Dans le temple de Minerve Poliade à Tégée, on conservoit des cheveux de Méduse, dont Minerve avoit fait présent aux Tégéates, disoit-on, en les assurant que par-là leur ville deviendroit imprenable ; le temple étoit desservi par un prêtre qui n'y entroit qu'une fois l'année. Poliade signifie celle qui habite dans les villes, ou la patrone d'une ville.
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POLICANDRO | (Géog. mod.) île de l'Archipel, & l'une des Cyclades, à l'orient de l'île de Milo, à l'occident de celle de Siquino, & au midi de celle de Paros & d'Antiparos.
Il y a beaucoup d'apparence que Policandro est l'île nommée Pholégandros par Strabon & par Pline : outre la ressemblance des noms, le premier de ces auteurs marque précisément que navigeant d'Ios vers le couchant, on rencontre Sicenos, Lagusa, & Pholegandros. Ce qu'Aratus dit de Pholegandros, dans Strabon, convient bien à Policandro, savoir qu'on l'appelloit une île de fer, car elle est toute hérissée de rochers ; Etienne le géographe, qui cite le même passage d'Aratus, assure qu'elle a pris son nom de Pholegandros, l'un des fils de Minos.
Cette île n'a point de port : le bourg qui en est à trois milles du côté du nord-est, assez près d'un rocher effroyable, n'a d'autres murailles que celles qui forment le derriere des maisons, & contient environ cent familles du rite grec, lesquelles en 1700, payerent pour la capitation & pour la taille réelle 1000 écus.
Quoique cette île soit pierreuse, seche, pelée, on y recueille assez de blé & assez de vin pour l'usage des habitans. Ils manquent d'huile, & l'on y sale toutes les olives pour les jours maigres. Le pays est couvert du tithymale, arbrisseau que l'on y brûle faute de meilleur bois. L'île d'ailleurs est assez pauvre, & l'on n'y commerce qu'en toiles de coton : la douzaine de serviettes n'y vaut qu'un écu ; mais elles n'ont guere plus d'un pié en quarré : pour le même prix on en donne huit qui sont un peu plus grandes, & bordées de deux côtés d'un passement.
Cette île ne manque pas de papas & de chapelles ; celle de la Vierge est assez jolie, située sur la grande roche, tout près des ruines de Castro, vieux château des ducs de Naxie, bâti sans doute sur les ruines de l'ancienne ville, laquelle portoit le nom de Philocandros, suivant Ptolomée. Il reste dans cette chapelle quelques morceaux de colonnes de marbre. Pour la statue ancienne dont parle M. Thevenot, on nous assura, dit Tournefort, qu'elle avoit été sciée, & employée à des montans de porte : on y découvrit, dans le dernier siécle, le pié d'une figure de bronze, que l'on fondit pour faire des chandeliers à l'usage de la chapelle. Au reste, cette île paroît assez gaie dans sa secheresse. Il y a un consul de France, qui fait aussi les fonctions d'administrateur & de vaivode. Il y a encore dans cette effroyable roche, dont on vient de parler, une fort belle grotte. Long. du bourg de l'île, 33. lat. 46. 35.
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POLICASTRO | (Géog. mod.) ville ruinée d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté citérieure, sur la côte méridionale du golfe de même nom, à 22 lieues sud-est de Salerne, & 24 sud-est de Naples. Cette ville se nommoit autrefois Palaeocastrum, & à ce qu'on croit, avoit été bâtie des ruines de l'ancienne Buxentum, ville de Lucanie ; son évêque, suffragant de Salerne, réside à Orsaïa, bourg voisin ; l'évêché de Policastro étoit érigé dès l'an 500. Long. 33. 14. lat. 40. 7. (D.J.)
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POLICE | S. f. (Gouvern.) Ce mot vient de , ville, dont les Grecs ont fait , & nous police. Il a différentes acceptions qui demandent quelque détail pour être bien entendues. La vie commode & tranquille fut le premier objet des sociétés : mais les erreurs étant plus communes peut-être, l'amour propre plus raffiné, les passions, sinon plus violentes, dumoins plus étendues dans les hommes rassemblés que dans les hommes épars, il est presque arrivé le contraire de ce qu'on s'étoit proposé ; & celui qui n'entendant que la valeur des mots, tâcheroit, sur celui de société, de se former une idée de la chose, devineroit exactement le contraire de ce que c'est. On a cherché des remedes à ce terrible inconvénient, & l'on a fait les lois. Les lois sont des regles de conduite tirées de la droite raison & de l'équité naturelle que les bons suivent volontairement, & auxquelles la force contraint les méchans de se soumettre du moins en apparence. Entre les lois, les unes tendent au bien général de la société ; les autres ont pour but le bien des particuliers. La connoissance des premieres est ce qu'on entend par la science du droit public. La science du droit privé a pour objet la connoissance des secondes.
Les Grecs donnoient le nom de police à la premiere branche : leur s'étendoit donc à toutes les formes différentes de gouvernement : on pouvoit même dire en ce sens la police du monde, monarchique ici, aristocratique ailleurs, &c. & c'étoit l'art de procurer à tous les habitans de la terre une vie commode & tranquille. En restreignant ce terme à un seul état, à une seule société, la police étoit l'art de procurer les mêmes avantages à un royaume, à une ville, &c.
Le terme police ne se prend guere parmi nous que dans ce dernier sens. Cette partie du gouvernement est confiée à un magistrat qu'on appelle lieutenant de police. C'est lui qui est particulierement chargé de l'exécution des lois publiées pour procurer aux habitans d'une ville, de la capitale par exemple, une vie commode & tranquille, malgré les efforts de l'erreur & les inquiétudes de l'amour propre & des passions. Voyez l'article suivant.
On voit évidemment que la police a dû varier chez les différens peuples. Quoique son objet fût le même par-tout, la commodité & la tranquillité de la vie, c'est le génie des peuples, la nature des lieux qu'ils habitoient, les conjectures dans lesquels ils se trouvoient, &c. qui ont décidé des moyens propres à obtenir ces avantages.
Les Hébreux, les premiers peuples de la terre, ont été les premiers policés. Qu'on ouvre les livres de Moïse, on y verra des lois contre l'idolâtrie, le blasphème, l'impureté ; des ordonnances sur la sanctification du jour du repos & des jours de fêtes ; les devoirs réciproques des peres, des meres, des enfans, des maîtres & des serviteurs fixés, des decrets somptuaires en faveur de la modestie & de la frugalité ; le luxe, l'intempérance, la débauche, les prostitutions, &c. proscrites : en un mot, un corps de lois qui tendent à entretenir le bon ordre dans les états ecclésiastiques, civils & militaires ; à conserver la religion & les moeurs ; à faire fleurir le commerce & les arts ; à procurer la santé & la sûreté ; à entretenir les édifices ; à sustenter les pauvres ; & à favoriser l'hospitalité.
Chez les Grecs, la police avoit pour objet la conservation, la bonté, & les agrémens de la vie. Ils entendirent par la conservation de la vie ce qui concerne la naissance, la santé & les vivres. Ils travailloient à augmenter le nombre des citoyens, à les avoir sains, un air salubre, des eaux pures, de bons alimens, des remedes bien conditionnés, & des médecins habiles & honnêtes gens.
Les Romains, en 312, envoyerent des ambassadeurs en Grece chercher les lois & la sagesse. De-là vient que leur police suivit à-peu-près la même division que celle des Athéniens.
Les François & la plûpart des habitans actuels de l'Europe ont puisé leur police chez les anciens. Avec cette différence, qu'ils ont donné à la religion une attention beaucoup plus étendue. Les jeux & les spectacles étoient chez les Grecs & les Romains une partie importante de la police : son but étoit d'en augmenter la fréquence & la somptuosité ; chez nous elle ne tend qu'à en corriger les abus & à en empêcher le tumulte.
Les objets particuliers de la police parmi nous sont la religion, les moeurs, la santé, les vivres, la sûreté, la tranquillité, la voirie, les Sciences & arts libéraux ; le commerce, les manufactures & arts méchaniques, les domestiques, manoeuvres & pauvres.
Nous venons de voir quels étoient les objets de la police chez les différens peuples, passons aux moyens dont ils ont usé pour la faire.
L'an 2904 du monde, Menès partagea l'Egypte en trois parties, chaque partie en dix provinces ou dynasties, & chaque dynastie en trois préfectures Chaque préfecture fut composée de dix juges, tous choisis entre les prêtres ; c'étoit la noblesse du pays. On appelloit de la sentence d'une préfecture à celle d'un nomos, ou de la jurisdiction ou parlement d'une des trois grandes parties.
Hermès Trismegiste, secrétaire de Menès, divisa les Egyptiens en trois classes ; le roi, les prêtres, & le peuple : & le peuple en trois conditions ; le soldat, la laboureur, & l'artisan. Les nobles ou les prêtres pouvoient seuls entrer au nombre des ministres de la justice & des officiers du roi. Il falloit qu'ils eussent au-moins vingt ans, & des moeurs irréprochables. Les enfans étoient tenus de suivre la profession de leurs peres. Le reste de la police des Egyptiens étoit renfermée dans les lois suivantes. Premiere loi, les parjures seront punis de mort. Seconde loi, si l'on tue ou maltraite un homme en votre présence, vous le secourrez si vous pouvez, à peine de mort : sinon, vous dénoncerez le malfaiteur. Troisieme loi, l'accusateur calomnieux subira la peine du talion. Quatrieme loi, chacun ira chez le magistrat déclarer son nom, sa profession : celui qui vivra d'un mauvais commerce, ou fera une fausse déclaration, sera puni de mort. Cinquieme loi, si un maître tue son serviteur, il mourra ; la peine devant se régler, non sur la condition de l'homme, mais sur la nature de l'action. Sixieme loi, le pere ou la mere qui tuera son enfant, sera condamné à en tenir entre ses bras le cadavre pendant trois jours & trois nuits. Septieme loi, le parricide sera percé dans tous les membres de roseaux pointus, couché nud sur un tas d'épines, & brûlé vif. Huitieme loi, le supplice de la femme enceinte sera différé jusqu'après son accouchement : en agir autrement, ce seroit punir deux innocens, le pere & l'enfant. Neuvieme loi, la lâcheté & la désobéissance du soldat seront punies à l'ordinaire : cette punition consistoit à être exposé trois jours de suite en habit de femme, rayé du nombre des citoyens, & renvoyé à la culture des terres. Dixieme loi, celui qui révélera à l'ennemi les secrets de l'état, aura la langue coupée. Onzieme loi, quiconque altérera la monnoie, ou en fabriquera de fausse, aura les poings coupés. Douzieme loi, l'amputation du membre viril sera la punition du viol. Treizieme loi, l'homme adultere sera battu de verges, & la femme aura le nez coupé. Quatorzieme loi, celui qui niera une dette dont il n'y aura point de titre écrit, sera pris à son serment. Quinzieme loi, s'il y a titre écrit, le débiteur payera ; mais le créancier ne pourra faire excéder les intérêts au double du principal. Seizieme loi, le débiteur insolvable ne sera point contraint par corps : la société partageroit la peine qu'il mérite. Dix-septieme loi, quiconque embrassera la profession de voleur, ira se faire inscrire chez le chef des voleurs qui tiendra registre des choses volées & qui les restituera à ceux qui les réclameront, en retenant un quart pour son droit & celui de ses compagnons. Le vol ne pouvant être aboli, il vaut mieux en faire un état, & conserver une partie que de perdre le tout.
Nous avons rapporté ces regles de la police des Egyptiens, parce qu'elles sont en petit nombre, & qu'elles peuvent donner une idée de la justice de ces peuples. Il ne sera pas possible d'entrer dans le même détail sur la police des Hébreux. Mais nous aurons ici ce qui nous manque d'un autre côté ; je veux dire une connoissance assez exacte des ministres à qui l'exécution des lois fut confiée.
Moïse, sur les avis de Jéthro son beau-pere, reconnoissant, malgré l'étendue de ses lumieres & sa capacité, son insuffisance pour l'exercice entier de la police, confia une partie de son autorité à un certain nombre d'hommes craignant Dieu, ennemis du mensonge & de l'avarice ; partagea le peuple en tribus de 1000 familles chacune, chaque tribu en départemens de 100 familles, chaque département en quartiers de 50, & chaque quartier en portions de 10 ; & créa un officier intendant d'une tribu entiere, avec d'autres employés subalternes pour les départemens & leurs divisions. Cet intendant s'appella sara alaphem, ou préfet, ou intendant de tribu ; ses subalternes, sara meot, préfet de 100 familles ; sara hhamischein, préfet de 50 familles ; sara hazaroth, préfet de 10 familles.
Il forma de plus un conseil de soixante-dix personnes, appellées, de leur âge & de leur autorité, zekemni, seniores & magistri populi. Ce conseil étoit nommé le sanhedrin. Le grand-prêtre y présidoit. On y connoissoit de toutes les matieres de religion. Il veilloit à l'observation des lois. Il jugeoit seul des crimes capitaux ; & on y portoit appel des jurisdictions inférieures.
Au-dessous du sanhedrin, il y avoit deux autres conseils où les matieres civiles & criminelles étoient portées en premiere instance ; ces tribunaux subalternes étoient composés chacun de sept juges, entre lesquels il y avoit toujours deux lévites.
Tel fut le gouvernement & la police du peuple dans le desert : mais lorsque les Hébreux furent fixés, l'état des sare changea ; ils ne veillerent plus sur des familles, mais sur des quartiers ou portions de ville, & s'appellerent sare pelakim, le kireiah.
Jérusalem qui servit de modele à toutes les autres villes de la Judée, fut distribuée en quatre régions appellées pelek bethacaram, ou le quartier de la maison de la vigne ; pelek bethsur, le quartier de la maison de force ; pelek malpha, le quartier de la guérite ; pelek ceila, le quartier de la division. Il y eut pour chaque quartier deux officiers chargés du soin de la police & du bien public ; l'un supérieur qui avoit l'intendance de tout le quartier, on l'appelloit sare pelek, préfet du quartier. Le sarahhtsi pelek, l'officier subalterne, n'avoit inspection que sur une portion du quartier. C'étoit à-peu-près comme le commissaire ancien & les nouveaux commissaires parmi nous ; & leurs fonctions étoient, à ce qu'il paroît, entierement les mêmes. Voilà en général ce qui concerne la police & le gouvernement des Hébreux.
Police des Grecs dans Athènes. Ce fut aussi chez les Grecs la maxime de partager l'autorité de la magistrature entre plusieurs personnes. Les Athéniens formoient un sénat annuel de cinq cent de leurs principaux citoyens. Chacun présidoit à son tour, & les autres membres de cette assemblée servoient de conseil au président.
Ces cinq cent juges se distribuoient en dix classes qu'on appelloit prytanes ; & l'année étant lunaire & se partageant aussi chez eux en dix parties, chaque prytane gouvernoit & faisoit la police pendant 35 jours ; les quatre jours restans étoient distribués entre les quatre premiers prytanes qui avoient commencé l'année.
Entre les cinquante juges qui étoient de mois, on en élisoit dix toutes les semaines qu'on nommoit présidens, proeres ; & entre ces dix on en tiroit sept au sort, qui partageoient entr'eux les jours de la semaine ; celui qui étoit de jour s'appelloit l'archai. Voilà pour la police de la ville.
Voici pour l'administration de la république. Entre les dix prytanes ils en prenoient une pour ces fonctions. Les neuf autres leur fournissoient chacune un magistrat, qu'on appelloit archonte. De ces neuf archontes, trois étoient employés à rendre au peuple la justice pendant le mois : l'un avoit en partage les affaires ordinaires & civiles, avec la police de la ville ; on le nommoit poliarque, préfet ou gouverneur de la ville : l'autre, les affaires de religion, & s'appelloit basileus, le roi : le troisieme, les affaires étrangeres & militaires, d'où il tiroit le nom de polemarque ou commandant des armées. Les six autres archontes formoient les conseils du poliarque, du roi & du polemarque. Ils examinoient en corps les nouvelles lois, & ils en faisoient au peuple le rapport ; ce qui les fit nommer du nom générique de thesmotetes.
Tous ces officiers étoient amovibles & annuels. Mais il y avoit un tribunal toujours composé des mêmes personnes, c'étoit l'aréopage. C'étoit une assemblée formée de citoyens qui avoient passé par l'une des trois grandes magistratures, & toutes les autres jurisdictions leur étoient subordonnées. Mais ce n'étoient pas là les seuls officiers ni du gouvernement ni de la police ; les Grecs avoient conçu qu'il n'étoit guere possible d'obvier aux inconvéniens qu'à force de subdivisions ; aussi avoient-ils leurs doesismates ou exploratores, leurs panepiscopes ou inspectores omnium rerum, leurs chorepiscopes ou inspectores regionum urbis. Les Lacédémoniens comprenoient tous ces officiers sous le nom commun de nomophulaques, dépositaires & gardiens de l'exécution des lois.
Les autres villes de la Grece étoient pareillement divisées en quartiers, les petites en deux, les moyennes en trois, & les grandes en quatre. On appelloit les premieres dipolis, les secondes tripolis, & les troisiemes tetrapolis. Dans Athènes, chaque quartier avoit son sophroniste, & dans Lacédémone, son armosin, ou inspecteur de la religion & des moeurs ; un gunaiconome, ou inspecteur de la décence & des habits des femmes ; un opsinome, ou inspecteur des festins ; un astunome, ou inspecteur de la tranquillité & commodité publique ; un agoranome, ou inspecteur des vivres, marchés & commerce ; un métronome, ou inspecteur des poids & mesures. Tels furent les officiers & l'ordre de la police des Grecs.
Les Romains eurent la leur, mais qui ne fut pas toujours la même : voyons ce qu'elle fut sous les rois & ce qu'elle devint sous les consuls & les empereurs. Les Romains renfermés dans une petite ville qui n'avoit que mille maisons & douze cent pas de circuit, n'avoient pas besoin d'un grand nombre d'officiers de police ; leur fondateur suffisoit, & dans son absence un vice-gérent, qu'il nommoit sous le titre de préfet, praefectus urbis.
Il n'y avoit que les matieres criminelles qui fussent exceptées de la jurisdiction du souverain ou du préfet de la ville ; les rois qui se réserverent la distribution des graces, renvoyoient au peuple la punition des crimes ; alors le peuple s'assembloit ou nommoit des rapporteurs.
Il n'y avoit encore d'autre juge de police que le souverain & son préfet, car le sénateur n'étoit qu'un citoyen du premier des trois ordres, dans lesquels Romulus avoit divisé le peuple romain ; mais la ville s'agrandissant, & le peuple devenant nombreux, on ne tarda pas à sentir la nécessité d'en créer d'autres. On institua donc deux officiers pour la recherche des crimes, sous le nom de quaesteurs ; voilà tout ce qui se fit sous les rois, soit jalousie de leur part, soit peu de besoin d'un plus grand partage de l'autorité.
Tarquin fut chassé & on lui substitua deux consuls. Les consuls tinrent la place du souverain, & créerent, à son exemple, un préfet de la ville, en cas d'absence. Les choses demeurerent cent seize ans dans cet état ; mais le peuple las de ne donner aucun magistrat à l'état, fit des efforts pour sortir de cet avilissement. Il demanda des tribuns tirés de son ordre ; il étoit le plus fort, & on lui en accorda deux. Les tribuns demanderent des aides, & les édiles furent créés : les tribuns veilloient à la conservation des droits du peuple, & les édiles à celle des édifices.
Cependant les consuls étoient toujours les seuls législateurs de l'état. Le peuple exigea, par la bouche des tribuns, des lois écrites auxquelles il pût se conformer. Il fallut encore céder & envoyer en Grece des députés, pour en obtenir de ces peuples policés.
Les députés séjournerent trois ans dans la Grece, & en apporterent un recueil de ce qu'ils avoient observé de plus sage. On en forma dix tables, auxquelles deux autres furent ajoutées dans la suite, & l'on eut la loi des douze tables.
Cependant Rome s'étendoit, & les officiers se multiplioient au point que deux consuls n'y suffisoient plus. On créa donc deux nouveaux officiers sous le nom de censeurs. L'emploi des censeurs étoit de faire tous les cinq ans le dénombrement du peuple, de veiller aux édifices considérables, au parc, à la propreté des rues, aux réparations des grands chemins, aux aqueducs, au recouvrement des revenus publics, à leur emploi, & à tout ce qui concerne les moeurs & la discipline des citoyens.
Ce district étoit étendu, & les censeurs se choisirent des édiles comme ils en avoient le droit, sur lesquels ils se déchargerent du soin des rues & du parc. On fut si content de ces officiers qu'on ajouta à leur intendance, celle des vivres, des jeux & des spectacles, & leur emploi fut le premier degré aux grandes charges de la république. Ils prirent le titre de curatores urbis, celui d'édiles ne leur convenant plus.
Les édiles étoient tirés de l'ordre plébeïen ; l'importance de leur charge excita la jalousie des sénateurs, qui profiterent d'une demande du peuple, pour leur ravir une partie de cet avantage. Le peuple demandoit qu'il y eût un consul de l'ordre plébeïen, & les sénateurs en revanche demanderent deux édiles de l'ordre patricien. Le peuple fut étonné de cette démarche du sénat ; mais les édiles se trouvant alors dans l'impossibilité de donner au peuple les grands jeux dont la dépense excédoit leurs moyens, la jeune noblesse s'offrit à en faire les fraix, à condition de partager la dignité. On accepta cette proposition, & il y eut un consul plébeïen & deux édiles patriciens ou curules : ils tenoient ce nom d'un petit siége d'ivoire qu'ils faisoient porter dans leur char.
L'autorité des consuls se bornoit à la réprimande, ignominia : lorsque la sentence des juges confirmoit cette réprimande, la perte entiere de la réputation, ou l'infamie, infamia, s'ensuivoit.
L'accroissement des affaires occasionna une nouvelle création d'officiers. On sépara les affaires de la république & du gouvernement de celles de la police & de la jurisdiction contentieuse, & il y eut un préteur ; ce magistrat rendit la justice, & fit pour les consuls ce que les rois avoient fait par eux-mêmes pendant deux cent quarante ans, & les consuls pendant cent quarante-quatre.
Le préteur devint donc, pour ainsi dire, collegue des consuls, & fut distingué par les mêmes marques de dignité, & eut droit, ainsi que les questeurs, de se donner des aides ; les édiles lui furent subordonnés, & n'agirent jamais que par ses ordres & comme ses commis.
Les lois s'accumulerent nécessairement à mesure que le nombre des magistrats différens augmenta. Il fallut du tems pour s'en instruire, & plus de savoir qu'un seul homme n'en pouvoit acquérir ; ce fut par cette raison que le préteur créa les centumvirs, de 5 hommes pris dans chacune des trente-cinq tribus. Il avoit recours à ce conseil dans les affaires de droit. Il se nommoit dans celles de fait tels assesseurs qu'il jugeoit à propos : quant aux matieres criminelles, c'étoit l'affaire des questeurs d'en informer le peuple à qui il avoit appartenu de tout tems d'en juger.
Mais l'inconvénient d'assembler le peuple dans toute occasion capitale, donna lieu à la création des questeurs perpétuels, & au renvoi de la plainte des questeurs, au tribunal du préteur, qui fit par conséquent la police pour le civil & pour le criminel. Les questeurs qui jusqu'alors avoient dépendu du peuple, commencerent donc à être soumis au préteur, qui eut sous lui les édiles & les questeurs.
On donna aux édiles des aides au nombre de dix, sous le nom de décemvirs ; ces aides sans titres trouverent de la difficulté dans l'exercice de leurs fonctions, & ils obtinrent celui d'édiles, mais restraints aux incendies, aediles incendiorum extinguendorum. Jules César en créa dans la suite deux pour les vivres, aediles cereales : il y eut donc seize édiles, deux plébeïens, deux curules, dix incendiorum extinguendorum, & deux cereales ; mais tous furent soumis au préteur, ils agirent seulement delegatione & vice praetoris.
Ces officiers firent dans la suite quelques tentatives pour se soustraire à cette jurisdiction & former un corps indépendant ; ils réussirent au point de jouir du droit de publier en leur nom collectif, un édit sous le titre d'edictum aedilium ; mais ce désordre dura peu ; ils rentrerent dans leur devoir ; & pour les empêcher dorénavant d'en sortir, on écrivit dans les lois que, edicta aedilium sunt pars juris praetorii ; mais que edicta praetorum habent vim legis.
Ce fut ainsi que l'autorité du préteur se conserva pleine & entiere jusqu'au tems où des factions se proposant la ruine de la république, & s'appercevant quel obstacle faisoit à leurs desseins la puissance de ce magistrat, se proposerent de l'affoiblir d'abord, puis de l'anéantir entierement en la divisant. Le préteur de Rome avoit un collegue pour les affaires étrangeres, sous le titre de praetor peregrinus. Les mécontens parvinrent à lui faire donner six adjoints pour les affaires criminelles. Ces adjoints furent pris du nombre des préteurs désignés pour les provinces, sous prétexte qu'ils avoient besoin d'instruction. On ajouta encore dans la suite deux préteurs pour les vivres ; enfin le partage fut poussé si loin que sous le triumvirat, qui acheva la ruine de la police & du bon ordre, on comptoit jusqu'à soixante-quatre préteurs, qui tous avoient leurs tribunaux ; ce fut alors que recommencerent les attentats des édiles, & comme si l'on eût eu peur que ce fût sans succès, on continua d'affoiblir les préteurs en les multipliant.
Tel étoit l'état des choses lorsqu'Auguste parvint à l'empire. Il commença la réforme par la réduction du nombre des préteurs à seize, dont il fixa la compétence aux seules matieres civiles en premiere instance. Il les subordonna à un préfet de la ville, dont la jurisdiction s'étendoit sur Rome & sur son territoire jusqu'à cinquante stades aux environs, ce qui revient à trente-cinq de nos lieues. Il fut le seul magistrat de police, & cette préfecture, qui avoit toutes les prérogatives de notre lieutenance de police, fut un poste si important qu'Auguste en pourvut, pour la premiere fois, son gendre Agrippa, qui eut pour successeurs Mécene, Messala, Corvinus, Statilius Taurus, &c.
Le nouveau magistrat fut chargé de tout ce qui concerne l'utilité publique & la tranquillité des citoyens, des vivres, des ventes, des achats, des poids & mesures, des arts, des spectacles, de l'importation des blés, des greniers publics, des jeux, des bâtimens, du parc, de la réparation des rues & grands chemins, &c.
Auguste attaqua ensuite le corps remuant des édiles ; il en retrancha dix, & ôta à la jurisdiction de ceux qui restoient ce qu'ils avoient usurpé sur le dernier préteur, qu'il supprima. Il substitua aux préteurs & aux édiles quatorze curatores urbis, inspecteurs de ville, ou commissaires, qui servirent d'aides au préfet de la ville, adjutores praefecti urbis. Il institua autant de quartiers dans Rome qu'il avoit créé de commissaires ; chaque commissaire eut un quartier pour son district.
L'innovation d'Auguste entraîna, sous Constantin, la suppression des édiles. Les quatorze commissaires étoient plébeïens. Ce nombre fut doublé par Alexandre Sévere, qui en choisit quatorze autres dans l'ordre patricien, ce qui fait présumer que Rome fut subdivisée en quatorze autres quartiers.
Les Romains convaincus de la nécessité d'entretenir soigneusement les greniers publics, avoient créé, sous Jules César, deux préteurs & deux édiles, pour veiller à l'achat, au transport, au dépôt, & à la distribution des grains. Auguste supprima ces quatre officiers, & renvoya toute cette intendance au préfet de la ville, à qui il donna pour soulagement un subdélégué, qu'il nomma praefectus annonae, le préfet des provisions ; cet officier fut tiré de l'ordre des chevaliers.
La sureté de la ville pendant la nuit fut confiée à trois officiers qu'on appelloit triumvirs nocturnes. Ils faisoient leurs rondes, & s'assuroient si les plébeïens chargés du guet étoient à leur devoir. Les édiles succéderent à ces triumvirs nocturnes, & pour cet effet leur nombre fut augmenté de dix, qu'Auguste supprima, comme nous avons dit. Il préféra à ce service celui de mille hommes d'élite dont il fit sept cohortes qui eurent chacune leur tribun. Une cohorte avoit par conséquent la garde de deux quartiers ; tous ces tribuns obéissoient à un commandant en chef appellé prefectus vigilum, commandant du guet, cet officier étoit subordonné au préfet de la ville. Il ajouta à ces officiers subordonnés au préfet de Rome, un commissaire des canaux & autres ouvrages construits, soit pour la conduite, soit pour la conservation des eaux, un commissaire du canal ou lit du Tibre & des cloaques ; quant à la censure, il s'en réserva l'autorité, confiant seulement à un officier qui portoit le titre de magister censûs le soin de taxer les citoyens & de recouvrer les deniers publics. Il créa un commissaire des grands ouvrages, un commissaire des moindres édifices, un commissaire des statues, un inspecteur des rues & de leur nettoyement, appellé praefectus rerum nitentium.
Pour que les commissaires de quartiers fussent bien instruits, il leur subordonna trois sortes d'officiers, des dénonciateurs, des vicomaires, & des stationnaires. Les dénonciateurs au nombre de dix pour chaque quartier instruisoient les commissaires des désordres ; pour savoir ce que c'étoit que les vicomaires, il faut observer que chaque quartier étoit subdivisé en départemens ; quatre officiers annuels avoient l'inspection de chaque département. Ils marchoient armés & prêtoient main forte aux commissaires : tel étoit l'emploi des vicomaires. Il y avoit à Rome quatorze quartiers ; chaque quartier se subdivisoit en quatre cent vingt-quatre départemens, vici. Il y avoit donc pour maintenir l'ordre & la tranquillité publique & faire la police dans cette étendue, soixante & dix-huit commissaires, vingt-huit dénonciateurs, & mille six cent quatre-vingt-seize vicomaires. Les stationnaires occupoient les postes fixés dans la ville, & leur fonction étoit d'appaiser les séditions.
Voilà pour la police de Rome, mais quelle fut celle du reste de l'empire ? Les Romains maîtres du monde, poserent pour premier principe d'un sûr & solide gouvernement, cette maxime censée, omnes civitates debent sequi consuetudinem urbis Romae. Ils envoyerent donc dans toutes les provinces subjuguées un proconsul ; ce magistrat avoit dans la province l'autorité & les fonctions du préfet de Rome, & du consul. Mais c'en étoit trop pour un seul homme ; on le soulagea donc par un député du proconsul, legatus proconsulis. Le proconsul faisoit la police & rendoit la justice. Mais dans la suite on jugea à propos, pour l'exactitude de la police, qui demande une présence & une vigilance ininterrompue, de fixer dans chaque ville principale des députés du proconsul, sous le titre de servatores locorum. Auguste ne toucha point à cet établissement, il songea seulement à le perfectionner, en divisant les lieux dont les députés du proconsul étoient les conservateurs, en des départemens plus petits, & en augmentant le nombre de ces officiers.
Les Gaules furent partagées en dix-sept provinces, en trois cent cinq peuples ou cités, & chaque peuple en plusieurs départemens particuliers. Chaque peuple avoit sa capitale, & la capitale du premier peuple d'une province s'appella la métropole de la province. On répandit des juges dans toutes les villes. Le magistrat dont la jurisdiction comprenoit une des dix-sept provinces entieres, s'appella président ou proconsul, selon que la province étoit du partage de l'empereur ou du sénat. Les autres juges n'avoient d'autres titres que celui de juges ordinaires, judices ordinarii, dans les grandes villes ; de juges pedanés, judices pedanei, dans les villes moyennes ; & de maires des bourgs ou villages, magistri pagorum, dans les plus petits endroits. Les affaires se portoient des maires aux juges ordinaires de la capitale, de la capitale à la métropole, & de la métropole à la primatie, & de la primatie quelquefois à l'empereur. La primatie fut une jurisdiction établie dans chacune des quatre plus anciennes villes des Gaules, à laquelle la jurisdiction des métropoles étoit subordonnée.
Mais tous ces appels ne pouvoient manquer de jetter les peuples dans de grands fraix. Pour obvier à ces inconvéniens, Constantin soumit tous ces tribunaux à celui d'un préfet du prétoire des Gaules, où les affaires étoient décidées en dernier ressort, sans sortir de la province.
Les juges romains conserverent leurs anciens noms jusqu'au tems d'Adrien ; ce fut sous le regne de cet empereur qu'ils prirent ceux de ducs & de comtes : voici à quelle occasion. Les empereurs commencerent alors à se former un conseil ; les membres de ce conseil avoient le titre de comtes, comites. Ils en furent tellement jaloux que, quand ils passerent du conseil de l'empereur à d'autres emplois, ils jugerent à propos de le conserver, ajoutant seulement le nom de la province où ils étoient envoyés ; mais il y avoit des provinces de deux sortes ; les unes pacifiques, & les autres militaires. Ceux qu'on envoyoit dans les provinces militaires étoient ordinairement les généraux des troupes qui y résidoient ; ce qui leur fit prendre le titre de ducs, duces.
Il y avoit peu de chose à reprocher à la police de Rome ; mais celle des provinces étoit bien imparfaite. Il étoit trop difficile, pour ne pas dire impossible, à des étrangers de connoître assez bien le génie des peuples, leurs moeurs, leurs coutûmes, les lieux, une infinité d'autres choses essentielles, qui demandent une expérience consommée, & de ne pas faire un grand nombre de fautes considérables. Aussi cela arriva-t-il ; ce qui détermina l'empereur Auguste, ou un autre, car la date de cette innovation n'est pas certaine, à ordonner que les députés des consuls & les conservateurs des lieux feroient tirer du corps même des habitans, un certain nombre d'aides qui les éclaireroient dans leurs fonctions. Le choix de ces aides fut d'abord à la discrétion des présidens ou premiers magistrats des provinces ; mais ils en abuserent au point qu'on fut obligé de le transférer à l'assemblée des évêques, de leur clergé, des magistrats, & des principaux citoyens. Le préfet du prétoire confirmoit cette élection. Dans la suite les empereurs se réserverent le droit de nommer à ces emplois.
Ces aides eurent différens noms ; ils s'appellerent comme à Rome, curatores urbis, commissaires ; servatores locorum, défenseurs des lieux ; vicarii magistratuum, vice-gérens des magistrats ; parentes plebis, peres du peuple ; defensores disciplinae, inquisitores, discussores ; & dans les provinces grecques, irenarchi, modérateurs ou pacificateurs. Leurs fonctions étoient très-étendues, & afin qu'ils l'exerçassent surement, on leur donna deux huissiers : les huissiers des barrieres, apparitores stationarii, avoient aussi ordre de leur obéir.
Il y eut entre ces nouveaux officiers de police, & les officiers romains, des démêlés qui auroient eu des suites fâcheuses, si les empereurs ne les eussent prévenues, en ordonnant que les aides des députés des consuls & des conservateurs des lieux seroient pris entre les principaux habitans, ce qui écarta d'eux le mépris qu'en faisoient les officiers romains. L'histoire de la police établie par les Romains dans les Gaules, nous conduit naturellement à celle de France où nous allons entrer.
Police de France. Il y avoit 470 ans que les Gaules étoient sous la domination des Romains, lorsque Pharamond passa le Rhin à la tête d'une colonie, s'établit sur ses bords, & jetta les fondemens de la monarchie françoise à Treves, où il s'arrêta. Clodion s'avança jusqu'à Amiens : Mérovée envahit le reste de la province, la Champagne, l'Artois, une partie de l'île de France, & la Normandie. Childeric se rendit maître de Paris ; Clovis y établit son séjour, & en fit la capitale de ses états. Alors les Gaules prirent le nom de France, province d'Allemagne, d'où les François sont originaires.
Trois peuples partageoient les Gaules dans ces commencemens : les Gaulois, les Romains & les François. Le seul moyen d'accorder ces peuples, que la prudence de nos premiers rois mit en usage, ce fut de maintenir la police des Romains. Pour cet effet ils distribuerent les primaties, les duchés & les comtés du premier ordre à leurs officiers généraux ; les comtés du second ordre à leurs mestres-de-camp & colonels, & les mairies à leurs capitaines, lieutenans, & autres officiers subalternes. Quant aux fonctions elles demeurerent les mêmes ; on accorda seulement à ces magistrats à titre de récompense, une partie des revenus de la jurisdiction.
Les généraux, mestres-de-camp & colonels, accepterent volontiers les titres de patrice, primat, duc & comte ; mais les capitaines & autres officiers aimerent mieux conserver leurs noms de centeniers, cinquanteniers & dixainiers, que de prendre ceux de juges pédanés, ou maires de village. La jurisdiction de dixainiers fut subordonnée à celle des cinquanteniers, & celle-ci à celle des centeniers ; & c'est de là que viennent apparemment les distinctions de haute, moyenne & basse justice.
On substitua au préfet du prétoire des Gaules, dont le tribunal dominoit toutes ces jurisdictions, le comte du palais, comes palatii, qui s'appella dans la suite maire du palais, duc de France, duc des ducs.
Tel étoit l'état des choses sous Hugues Capet. Les troubles dont son regne fut agité, apporterent des changemens dans la police du royaume. Ceux qui possédoient les provinces de France s'aviserent de prétendre que le gouvernement devoit en être héréditaire dans leur famille. Ils étoient les plus forts, & Hugues Capet y consentit, à condition qu'on lui en feroit foi & hommage, qu'on le serviroit en guerre, & qu'au défaut d'enfans mâles, elles seroient reversibles à la couronne. Hugues Capet ne put mieux faire.
Voilà donc le roi maître d'une province, & les seigneurs souverains des leurs. Bien-tôt ceux-ci ne se soucierent plus de rendre la justice ; ils se déchargerent de ce soin sur des officiers subalternes, & de là vinrent les vicomtes, vice-comites ; les prevôts, praepositi juridicundo ; les viguiers, vicarii ; les chatelains, castillorum custodes ; les maires, majores villarum, premiers des villages.
Les ducs & comtes qui s'étoient réservé la supériorité sur ces officiers, tenoient des audiences solemnelles quatre fois ou six fois l'année, ou plus souvent, & présidoient dans ces assemblées composées de leurs pairs ou principaux vassaux, qu'ils appelloient assises.
Mais les affaires de la guerre les demandant tout entiers, ils abandonnerent absolument la discussion des matieres civiles aux baillis ; bailli est un vieux mot gaulois qui signifie protecteur ou gardien ; en effet les baillis n'étoient originairement que les dépositaires ou gardiens des droits des ducs & comtes. On les nomma dans certaines provinces sénéchaux ; sénéchal est un terme allemand qui se rend en françois par ancien domestique, ou chevalier, parce que ceux à qui les ducs & comtes confioient préférablement leur autorité, avoient été leurs vassaux. Telle est l'origine des deux degrés de jurisdiction qui subsistent encore dans les principales villes du royaume, la vicomté, viguerie, ou prevôté, & le bailliage ou la sénéchaussée.
La création des prevôts succéda à celle des baillis. Les prevôts royaux eurent dans les provinces de la couronne toute l'autorité des ducs & des comtes, mais ils ne tarderent pas à en abuser. Les prélats & chapitres éleverent leurs cris ; nos rois les entendirent, & leur accorderent pour juge le seul prevôt de Paris. Voilà ce que c'est que le droit de garde-gardienne, par lequel les affaires de certaines personnes & communautés privilégiées sont attirées dans la capitale.
On eut aussi quelqu'égard aux plaintes de ceux qui ne jouissoient pas du droit de garde-gardienne. On répandit dans le royaume des commissaires pour redresser les torts des prevôts, des ducs & des comtes, ce que ces seigneurs trouverent mauvais ; & comme on manquoit encore de force, on se contenta de réduire le nombre des commissaires à quatre, dont on fixa la résidence à Saint-Quentin, autrefois Vermande, à Sens, à Mâcon & à Saint-Pierre-le-Moutier. Aussi-tôt plusieurs habitans des autres provinces demanderent à habiter ces villes, ou le droit de bourgeoisie, qui leur fut accordé à condition qu'ils y acquerroient des biens & qu'ils y séjourneroient. De là viennent les droits de bourgeoisie du roi, & les lettres de bourgeoisie.
Ces quatre commissaires prirent le titre de baillis, & le seul prevôt de Paris fut excepté de leur jurisdiction. Mais en moins de deux siecles, la couronne recouvra les duchés & comtés aliénés ; les bailliages & sénéchaussées devinrent des juges royaux, & il en fut de même de ces justices qui ont retenus leurs anciens noms de vicomtés, duchés, & prevôtés.
Les titres de bailli & de sénéchal ne convenoient proprement qu'aux vice-gérens des ducs & des comtes ; cependant de petits seigneurs subalternes en honorerent leurs premiers officiers, & l'abus subsista ; & de là vint la distinction des grands, moyens & petits bailliages subordonnés les uns aux autres, ceux de villages à ceux des villes, ceux-ci à ceux des provinces. De ces petits bailliages il y en eut qui devinrent royaux, mais sans perdre leur subordination.
Les baillis & sénéchaux avoient droit de se choisir des lieutenans, en cas de maladies ou d'absence ; mais les lois s'étant multipliées, & leur connoissance demandant une longue étude, il fut ordonné que les lieutenans des baillis & sénéchaux seroient licentiés en droit.
Tel étoit à peu près l'état de la police de France.
Ce royaume étoit divisé en un grand nombre de jurisdictions supérieures, subalternes, royales & seigneuriales, & ce fut à-peu-près dans ces tems que le bon ordre pensa être entierement bouleversé par ceux qui manioient les revenus du roi. Leur avidité leur fit comprendre dans l'adjudication des domaines royaux, les bailliages & sénéchaussées. La prevôté de Paris n'en fut pas même exceptée.
Mais pour bien entendre le reste de notre police, & ses révolutions, il faudroit examiner comment les conflits perpétuels de ces jurisdictions donnerent lieu à la création des bourgeois intendans de police, & se jetter dans un dédale d'affaires dont on auroit bien de la peine à se tirer, & sur lequel on peut consulter l'excellent ouvrage de M. de la Mare. Il suffira seulement de suivre ce que devint la police dans la capitale, &c.
Elle étoit confiée en 275, sous l'empereur Aurélien, à un principal magistrat romain, sous le titre de praefectus urbis, qu'il changea par ostentation en celui de comte de Paris, comes parisiensis. Il se nommoit en cas de maladie ou d'absence, un vice-gérent, sous le titre de vicomte, vicecomes.
Hugues le Grand obtint en 554 de Charles le simple son pupille, l'inféodation du comté de Paris, à la charge de reversion au défaut d'hoirs mâles. En 1082 Odon, comte de Paris, mourut sans enfant mâle ; le comté de Paris revint à la couronne, & Falco fut le dernier vicomte de Paris. Le magistrat que la cour donna pour successeur à Falco, eut le titre de prevôt, avec toutes les fonctions des vicomtes dont le nom ne convenoit plus.
Saint Louis retira la prevôté de Paris d'entre les mains des fermiers, & la finance fut séparée de la magistrature dans la capitale. Philippe-le-Bel & Charles VII. acheverent la réforme dans le reste du royaume, en séparant des revenus royaux, les sénéchaussées, bailliages, prevôtés, & autres justices subalternes.
L'innovation utile de saint Louis donna lieu à la création d'un receveur du domaine, d'un scelleur & de soixante notaires. Originairement le nom de notaire ne signifioit point un officier, mais une personne gagée pour écrire les actes qui se passoient entre des particuliers. On ne trouve aucun acte passé par-devant notaire comme officier avant 1270 ; ces écritures étoient ensuite remises au magistrat, qui leur donnoit l'autorité publique en les recevant inter acta, & qui en délivroit aux parties des expéditions scellées.
La prevôté de Paris fut un poste important jusqu'à la création des gouverneurs. Louis XII. en avoit établi dans ses provinces. François I. en donna un à Paris ; & ce nouveau magistrat ne laissa bien-tôt au prevôt de toutes ses fonctions, que celle de convoquer & conduire l'arriere-ban ; ce fut un grand échec pour la jurisdiction du châtelet. Elle en souffrit un autre, ce fut la création d'un magistrat supérieur, sous le titre de bailli de Paris, à qui l'on donna un lieutenant conservateur, douze conseillers, un avocat, un procureur du Roi, un greffier & deux audienciers. Mais cet établissement ne dura que quatre ans, & le nouveau siége fut réuni à la prevôté de Paris.
Le prevôt de Paris, les baillis & les sénéchaux jugeoient autrefois en dernier ressort ; car le parlement alors ambulatoire, ne s'assembloit qu'une ou deux fois l'année au lieu que le roi lui désignoit, & tenoit peu de jours. Il ne connoissoit que des grandes affaires ; mais la multitude des affaires obligea Philippe le Bel, par édit de 1302, de fixer ses séances, & d'établir en différens endroits de semblables cours, & l'usage des appels s'introduisit.
Le prevôt de Paris avec ses lieutenans, y exerçoient la jurisdiction civile & criminelle en 1400 ; mais il survint dans la suite des contestations entre les lieutenans même de ce magistrat, occasionnées par les ténebres qui couvrent les limites de leurs charges. Ces contestations durerent jusqu'en 1630, que la police fut conservée au tribunal civil du châtelet. Les choses demeurerent en cet état jusque sous le regne de Louis XIV. ce monarque reconnoissant le mauvais état de la police, s'appliqua à la réformer. Son premier pas fut de la séparer de la jurisdiction civile contentieuse, & de créer un magistrat exprès qui exerçât seul l'ancienne jurisdiction du prevôt de Paris. A cet effet l'office de lieutenant civil du prevôt de Paris fut éteint en 1667, & l'on créa deux offices de lieutenans du prevôt de Paris, dont l'un fut nommé & qualifié conseiller & lieutenant civil de ce prevôt, & l'autre conseiller & lieutenant du même prevôt pour la police. L'arrêt qui créa ces charges fut suivi d'un grand nombre d'autres, dont les uns fixent les fonctions, d'autres portent défenses aux baillis du palais de troubler les deux nouvelles jurisdictions du châtelet. Il y eut en 1674 réunion de l'office de lieutenant de police de 1667 avec celui de la même année 1674, en la personne de M. de la Reynie. Voilà donc un tribunal de police érigé dans la capitale, & isolé de tout autre.
Après avoir conduit les choses où elles sont, il nous reste un mot à dire des officiers qui doivent concourir avec ce premier magistrat, à la conservation du bon ordre.
Les premiers qui se présentent sont les commissaires ; on peut voir à l'article COMMISSAIRE & dans le traité de M. de la Mare, l'origine de cet office, & les révolutions qu'il a souffertes. Je dirai seulement que très-anciennement les commissaires assistoient les magistrats du châtelet dans l'exercice de la police ; qu'il y avoit 184 ans qu'ils étoient fixés au nombre de seize, par l'édit de Philippe de Valois, du 21 Avril 1337, lorsque François I. doubla ce nombre ; qu'on en augmenta encore le nombre ; que ce nombre fut ensuite réduit ; enfin qu'il fut fixé à 55. Je ne finirois point si j'entrois dans le détail de leurs fonctions : c'est ce qu'il faut voir dans le traité de M. de la Mare, pag. 220, tom. I. où cette énumération remplit plusieurs pages. On peut cependant les réduire à la conservation de la religion, à la pureté des moeurs, aux vivres & à la santé ; mais ces quatre tiges ont bien des branches.
Les commissaires sont aidés dans leurs fonctions par des inspecteurs, des exempts, des archers, &c. dont on peut voir leurs fonctions aux articles de ce Dictionnaire qui les concernent.
Quelques personnes désireroient peut-être que nous entrassions dans la police des autres peuples de l'Europe. Mais outre que cet examen nous méneroit trop loin, on y verroit à-peu-près les mêmes officiers sous des noms différens ; la même attention pour la tranquillité & la commodité de la vie des citoyens ; mais on ne la verroit nulle part peut-être poussée aussi loin que dans la capitale de ce royaume.
Je suis toutefois bien éloigné de penser qu'elle soit dans un état de perfection. Ce n'est pas assez que d'avoir connu les desordres, que d'en avoir imaginé les remedes ; il faut encore veiller à ce que ces remedes soient appliqués ; & c'est là la partie du problème qu'il semble qu'on ait négligée ; cependant sans elle, les autres ne sont rien.
Il en est du code de la police comme de l'amas des maisons qui composent la ville. Lorsque la ville commença à se former, chacun s'établit dans le terrein qui lui convenoit, sans avoir aucun égard à la régularité ; & il se forma de là un assemblage monstrueux d'édifices que des siecles entiers de soins & d'attention pourront à peine débrouiller. Pareillement lorsque les sociétés se formerent, on fit d'abord quelques lois, selon le besoin qu'on en eut ; le besoin s'accrut avec le nombre des citoyens, & le code se grossit d'une multitude énorme d'ordonnances sans suite, sans liaison, & dont le desordre ne peut être comparé qu'à celui des maisons. Nous n'avons de villes régulieres que celles qui ont été incendiées ; & il sembleroit que pour avoir un système de police bien lié dans toutes ses parties, il faudroit brûler ce que nous avons de recueilli. Mais ce remede, le seul bon, est peut-être encore impraticable. Cependant une expérience que chacun est à portée de faire, & qui démontre combien notre police est imparfaite, c'est la difficulté que tout homme de sens rencontre à remédier d'une maniere solide, au moindre inconvénient qui survient. Il est facile de publier une loi ; mais quand il s'agit d'en assurer l'exécution, sans augmenter les inconvéniens, on trouve qu'il faut presque tout bouleverser de fond en comble.
POLICE, (Jurisprudence) les François ont conservé le même ordre que les Romains ; ils ont comme eux établi différens magistrats pour maintenir une bonne police dans le royaume, & en particulier dans chaque ville.
Mais au lieu que les payens se proposoient pour premier objet de la police, la conservation de la vie naturelle, les premiers empereurs chrétiens, & nos rois après eux, ont rapporté le premier objet de la police à la religion.
La police est exercée dans les justices seigneuriales par les juges des seigneurs, & autres officiers établis à cet effet.
L'édit de Cremieu, du 19 Juin 1536, avoit attribué la police en premiere instance aux prevôts royaux dans l'étendue de leurs prevôtés.
Il fut ordonné par l'article 72 de l'ordonnance de Moulins, que dans les villes on éliroit des bourgeois tous les ans ou tous les six mois, pour veiller à la police sous la jurisdiction des juges ordinaires ; & que ces bourgeois pourroient condamner en l'amende jusqu'à 60 sols sans appel.
Des édits postérieurs ordonnerent de tenir des assemblées fréquentes dans les villes, pour déliberer avec les notables sur les réglemens qu'il convenoit faire ; mais les inconvéniens qui en résultoient firent abroger ces assemblées.
La police étoit exercée à Paris en premiere instance par les lieutenans civil & criminel du châtelet, qui avoient souvent des contestations pour leur compétence dans ces matieres.
Il arrivoit la même chose entre les officiers des bailliages, ceux des prevôtés royales, les juges des seigneurs, & les juges municipaux.
Par édit du mois de Mars 1667, il fut créé un lieutenant général de police pour Paris ; & par un autre édit du mois d'Octobre 1699, il en fut créé de même pour les autres villes.
Dans celles où il y a un juge royal & quelque justice seigneuriale, la police générale appartient au juge royal seul ; & pour la police particuliere dans la justice seigneuriale, le juge royal a la prévention. Edit du mois de Décembre 1666.
Outre les lieutenans généraux de police, il y a dans quelques villes des procureurs du roi de police, des commissaires de police, des inspecteurs de police, & des huissiers particuliers pour la police.
Un des principaux soins du magistrat de police, est de faire publier les réglemens de police ; il peut lui-même en faire, pourvu qu'il n'y ait rien de contraire à ceux qui sont émanés d'une autorité supérieure ; il est préposé pour tenir la main à l'exécution des réglemens.
Il est aidé dans ses fonctions par les commissaires de police, & autres officiers. Voyez COMMISSAIRES.
Les soins de la police peuvent se rapporter à onze objets principaux ; la religion, la discipline des moeurs, la santé, les vivres, la sûreté & la tranquillité publique, la voirie, les Sciences & les Arts libéraux, le Commerce, les Manufactures & les Arts méchaniques, les serviteurs domestiques, les manouvriers, & les pauvres.
Les fonctions de la police par rapport à la religion, consistent à ne rien souffrir qui lui soit préjudiciable, comme d'écarter toutes les fausses religions & pratiques superstitieuses ; faire rendre aux lieux saints le respect qui leur est dû ; faire observer exactement les dimanches & les fêtes ; empêcher pendant le carême la vente & distribution des viandes défendues ; faire observer dans les processions & autres cérémonies publiques, l'ordre & la décence convenable ; empêcher les abus qui se peuvent commettre à l'occasion des confrairies & pélerinages ; enfin, veiller à ce qu'il ne se fasse aucuns nouveaux établissemens, sans y avoir observé les formalités nécessaires.
La discipline des moeurs, qui fait le second objet de la police, embrasse tout ce qui est nécessaire pour réprimer le luxe, l'ivrognerie, & la fréquentation des cabarets à des heures indues, l'ordre convenable pour les bains publics, pour les spectacles, pour les jeux, pour les loteries, pour contenir la licence des femmes de mauvaise vie, les jureurs & blasphémateurs, & pour bannir ceux qui abusent le public sous le nom de magiciens, devineurs, & pronostiqueurs.
La santé, autre objet de la police, l'oblige d'étendre ses attentions sur la conduite des nourrices & des recommandaresses, sur la salubrité de l'air, la propreté des fontaines, puits & rivieres, la bonne qualité des vivres, celle du vin, de la biere, & autres boissons, celle des remedes ; enfin, sur les maladies épidémiques & contagieuses.
Indépendamment de la bonne qualité des vivres, la police a encore un autre objet à remplir pour tout ce qui a rapport à la conservation & au débit de cette partie du nécessaire ; ainsi la police veille à la conservation des grains lorsqu'ils sont sur pié ; elle prescrit des regles aux moissonneurs, glaneurs, laboureurs, aux marchands de grain, aux blatiers, aux mesureurs-porteurs de grains, meuniers, boulangers ; il y a même des lois particulieres pour ce qui concerne les grains en tems de cherté.
La police étend pareillement ses attentions sur les viandes, & relativement à cet objet sur les pâturages, sur les bouchers, sur les chaircuitiers, sur ce qui concerne le gibier & la volaille.
La vente du poisson, du lait, du beurre, du fromage, des fruits & légumes, sont aussi soumises aux lois de la police.
Il en est de même de la composition & le débit des boissons, de la garde des vignobles, de la publication du ban de vendanges, & de tout ce qui concerne la profession des Marchands de vin, des Brasseurs & Distillateurs.
La voierie qui est l'objet de la police, embrasse tout ce qui concerne la solidité & la sûreté des bâtimens, les regles à observer à cet égard par les Couvreurs, Mâçons, Charpentiers, Plombiers, Serruriers, Menuisiers.
Les précautions que l'on doit prendre au sujet des périls éminens ; celles que l'on prend contre les incendies ; les secours que l'on donne dans ces cas d'accidens ; les mesures que l'on prend pour la conservation des effets des particuliers, sont une des branches de la voierie.
Il en est de même de tout ce qui a rapport à la propreté des rues, comme l'entretien du pavé, le nettoyement ; les obligations que les habitans & les entrepreneurs du nettoyement, ont chacun à remplir à cet égard le nettoyement des places & marchés, les égoûts, les voiries, les inondations ; tout cela est du ressort de la police.
Elle ne néglige pas non plus ce qui concerne l'embellissement & la décoration des villes, les places vuides, l'entretien des places publiques, la saillie des bâtimens, la liberté du passage dans les rues.
Ses attentions s'étendent aussi sur tous les voituriers de la ville ou des environs, relativement à la ville, sur l'usage des carosses de place, sur les charretiers & bateliers-passeurs d'eau, sur les chemins, ponts & chaussées de la ville & fauxbourgs & des environs, sur les postes, chevaux de louage, & sur les messageries.
La sûreté & la tranquillité publique, qui font le sixieme objet de la police, demandent qu'elle prévienne les cas fortuits & autres accidens ; qu'elle empêche les violences, les homicides, les vols, larcins, & autres crimes de cette nature.
C'est pour procurer cette même sûreté & tranquillité, que la police oblige de tenir les portes des maisons closes passé une certaine heure ; qu'elle défend les ventes suspectes & clandestines ; qu'elle écarte les vagabonds & gens sans aveu ; défend le port d'armes aux personnes qui sont sans qualité pour en avoir ; qu'elle prescrit des regles pour la fabrication & le débit des armes, pour la vente de la poudre à canon & à giboyer.
Ce n'est pas tout encore ; pour la tranquillité publique, il faut empêcher les assemblées illicites, la distribution des écrits séditieux, scandaleux, & diffamatoires, & de tous les livres dangereux.
Les magistrats de police ont aussi inspection sur les auberges, hôtelleries, & chambres garnies, pour savoir ceux qui s'y retirent.
Le jour fini, il faut encore pourvoir à la tranquillité & sûreté de la ville pendant la nuit ; les cris publics doivent cesser à une certaine heure, selon les différens tems de l'année : les gens qui travaillent du marteau ne doivent commencer & finir qu'à une certaine heure ; les soldats doivent se retirer chacun dans leur quartier quand on bat la retraite ; enfin, le guet & les patrouilles bourgeoises & autres veillent à la sûreté des citoyens.
En tems de guerre, & dans les cas de trouble & émotion populaire, la police est occupée à mettre l'ordre, & à procurer la sûreté & la tranquillité.
Les Sciences & les Arts libéraux, qui font le septieme objet de la police, demandent qu'il y ait un ordre pour les universités, colléges & écoles publiques, pour l'exercice de la Médecine & de la Chirurgie, pour les Sages-femmes, pour l'exercice de la Pharmacie, & pour le débit des remedes particuliers, pour le commerce de l'Imprimerie & de la Librairie, pour les estampes, pour les colporteurs, & généralement pour tout ce qui peut intéresser le public dans l'exercice des autres sciences & arts libéraux.
Le Commerce qui fait le huitieme objet de la police, n'est pas moins intéressant : il s'agit de régler les poids & mesures, & d'empêcher qu'il ne soit commis aucune fraude par les marchands, commissionnaires, agens de change ou de banque, & par les courtiers de marchandises.
Les manufactures & les arts méchaniques font un objet à part : il y a des réglemens particuliers concernant les manufactures particulieres ; d'autres concernant les manufactures privilégiées : il y a aussi une discipline générale à observer pour les arts méchaniques.
Les serviteurs, domestiques & manouvriers, font aussi un des objets de la police, soit pour les contenir dans leur devoir, soit pour leur assurer le payement de leurs salaires.
Enfin, les pauvres honteux, les pauvres malades ou invalides, qui font le dernier objet de la police, excitent aussi ses soins, tant pour dissiper les mendians valides, que pour le renfermement de ceux qui sont malades ou infirmes, & pour procurer aux uns & aux autres les secours légitimes.
Nous passerions les bornes de cet ouvrage, si nous entreprenions de détailler ici toutes les regles que la police prescrit par rapport à chacun de ces différens objets. Pour s'instruire plus à fond de cette matiere, on peut consulter l'excellent traité de la Police, du commissaire de la Mare, continué par M. le Clerc du Brillet, & le code de la Police, de M. Duchesne, lieutenant général de police à Vitry le François. (A)
POLICE, en terme de Commerce, se prend pour les ordonnances, statuts & réglemens dressés pour le gouvernement & discipline des corps des marchands & des communautés des arts & métiers, & pour la fixation des taux & prix des vivres & denrées qui arrivent dans les halles & marchés, soit dans les halles & marchés, soit dans les ports des grandes villes, ou qui se débitent à la suite de la cour, & dans les camps & armées.
Police se dit encore des conditions dont les contractans conviennent ensemble pour certaines sortes d'affaires ; ce qui pourtant n'a guere lieu que dans le commerce ; en ce sens on dit une police d'assurance, & presque dans le même sens, une police de chargement. Voyez POLICE D'ASSURANCE & POLICE DE CHARGEMENT.
Police signifie aussi quelquefois un état, un tarif, sur lequel certaines choses doivent se régler. C'est de ces sortes de polices qu'ont les Fondeurs de caracteres d'Imprimerie, pour fixer le nombre des caracteres que chaque corps & fonte de lettres doivent avoir. Voyez POLICE en terme de Fondeur. Dict. du Commerce.
POLICE D'ASSURANCE, terme de Commerce de mer. C'est un contrat ou convention, par lequel un particulier que l'on appelle assureur, se charge des risques qui peuvent arriver à un vaisseau, à ses agrès, apparaux, victuailles, marchandises, soit en tout, soit en partie, suivant la convention qu'ils en font avec les assurés, & moyennant la prime qui lui en est par eux payée comptant. Voyez ASSURE, ASSUREUR & PRIME.
Le terme de police en ce sens est dérivé de l'espagnol polica, qui signifie cédule ; & celui-ci est venu des Italiens & des Lombards, & peut-être originairement du latin pollicitatio, promesse. Ce sont les négocians de Marseille qui l'ont mis en usage dans le commerce parmi nous.
Autrefois on faisoit des polices simplement de parole qu'on appelle police de confiance, parce qu'on supposoit que l'assureur les écrivoit sur son livre de raison ; mais maintenant on les fait toujours par écrit. Voyez ASSURANCE.
On trouve dans le Dictionnaire de Commerce de Savari, de qui nous empruntons ceci, tout ce qui concerne les polices d'assurance à Amsterdam tant sur les marchandises que pour la liberté des personnes, avec la forme ordinaire de ces sortes de conventions. Voyez cet ouvrage.
POLICE DE CHARGEMENT, terme de Commerce de mer, qui signifie la même chose sur la Méditerranée que connoissement sur l'Océan. C'est la reconnoissance des marchandises qui sont chargées dans un vaisseau. Elle doit être signée par le maître ou par l'écrivain du bâtiment. Voyez CONNOISSEMENT. Dictionn. de Commerce.
Police signifie aussi billet de change ; mais ce terme n'est en usage que sur mer ou sur les côtes. Voyez BILLET DE CHANGE. Dictionn. de Comm.
POLICE, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) elle sert pour connoître la quantité qu'il faut de chaque lettre en particulier, pour faire un caractere complet & propre à imprimer un livre. Cette police est un état de toutes les lettres servant à l'impression, où est marqué la quantité qu'il faut de chacune d'elles relative à leur plus ou moins d'usage, & à la quantité de livres pesant que l'Imprimeur voudra avoir de caractere.
Il demandera, par exemple, un caractere de cicéro propre à composer quatre feuilles, ce qui fera huit formes. Pour cet effet on fera une fonte dont le nombre de toutes les lettres montera à cent mille, qui peseront trois cent vingt à trois cent trente livres, qui, avec les quadrats & espaces, feront environ quatre cent livres, parce que la feuille est estimée cent livres. Pour remplir ce nombre de 100000 lettres, on fera cinq mille a, mille b, trois mille c, dix mille e, six cent &, deux mille virgules, trois cent A capitaux, deux cent de chaque des chiffres, & ainsi des autres lettres à proportion.
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POLICHINELLE | S. m. (Littér.) sorte de bouffon, bossu, contrefait, imbécille, qu'on employe dans les farces, & dont le personnage contraire s'appelle le compere.
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POLICHNA | (Géog. anc.) il y a quatre villes de ce nom ; savoir, 1°. celle de la Troade, près de Palaescepsis, qui étoit, comme nous l'apprend Strabon, liv. XIII. pag. 603. au sommet du mont Ida. Il est parlé de cette ville dans Thucydide, l. VIII. p. 171. ainsi que dans la notice d'Hiéroclès, qui la place dans la province de l'Hellespont. Les habitans de Polichna sont nommés Polichnaei par Pline, liv. V. ch. xxx. 2°. Celle de Crete, selon Etienne le géographe ; Hérodote, l. VII. ch. clxx. nomme les habitans de cette ville Polichnitani. 3°. Celle de l'Argie ; Polybe, l. IV. n °. 36. dit qu'elle fut prise par Lycurgue. 4°. Enfin, celle de Sicile au voisinage de Siracuse, selon Diodore de Sicile, l. XIII. & XIV. (D.J.)
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POLICHNION | (Géog. anc.) selon Denys de Byzance, & fanum Europae Byzantinorum, selon Strabon & Polybe. Aujourd'hui on nomme cette petite ville Jeron Romelias, parce qu'elle est située en Europe dans la Romélie ; elle est au voisinage de Constantinople. Petrus Gillius, de Bosphoro Thracio, liv. II. ch. xix.
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POLIECIN | S. m. en terme de Tabletier cornetier, est un morceau de feutre ou gros chapeau plié en plusieurs doubles, dont on se sert pour polir les peignes. Voyez POLIR, voyez les Pl.
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POLIÉES | S. f. pl. (Antiq. grecq.) , fête solemnelle qu'on célébroit à Thèbes en l'honneur d'Apollon, surnommé , c'est-à-dire le gris, parce que par un usage contraire à celui de toute la Grece, ce dieu étoit représenté dans cette ville avec des cheveux gris. Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 426.
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POLIEUS | (Mythol.) Jupiter avoit un temple dans la citadelle d'Athènes sous le nom de polieus, c'est-à-dire protecteur de la ville. Lorsqu'on lui sacrifioit, on mettoit sur son autel de l'orge mêlé avec du froment, & on ne laissoit personne auprès ; le boeuf qui devoit servir de victime, mangeoit un peu de ce grain en s'approchant de l'autel ; le prêtre destiné à l'immoler, l'assommoit d'un coup de hache, puis s'enfuyoit ; & les assistans, comme s'ils n'avoient pas vû cette action, appelloient la hache en jugement. Pausanias qui raconte cette cérémonie, n'en rend aucune raison. (D.J.)
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POLIGNANO | (Géog. mod.) en latin Polinianum & Pulianum ; petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Bari, sur le golfe de Venise, où elle avoit un port qui fut comblé par les Vénitiens ; elle est à 8 milles au sud-est de Bari, dont son évêché établi au douzieme siecle, est suffragant. Long. 34. 50. lat. 40. 55.
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POLIGNY | (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Franche-Comté, chef-lieu d'un bailliage de même nom, sur un ruisseau qui va se perdre dans le Doux, à 6 lieues au sud-ouest de Salins, & à douze de Besançon. Elle est jolie, & composée d'environ 3000 habitans. Il y a une collégiale exempte de la jurisdiction archiépiscopale, une maison des PP. de l'Oratoire, quatre couvens d'hommes, & un d'Ursulines.
Poligny est appellé Polemniacum dans le partage de Lothaire, entre Louis le germanique & Charles le chauve en l'année 870. Dans le siecle suivant, il est nommé Poliniacum ; c'est un lieu ancien qui étoit situé dans le pays de Warasche, pagus Warascus, ainsi nommé des peuples Warasci, qui faisoient partie des Séquaniens, & étoient établis sur le Doux des deux côtés de la riviere. Long. de Poligny, 23. 21. latit. 46. 50.
Oucin (Gad de) dominicain, poëte & écrivain du quatorzieme siecle, étoit de Poligny, & traduisit en vers françois la consolation philosophique de Boëce en 1336 ; traduction que divers écrivains de nos jours attribuent, je crois, mal-à-propos à un autre dominicain du même tems nommé frere Regnault de Louens, poëte inconnu à Fauchet, la Croix du Maine, du Verdier, Sorel, Goujet, & autres bibliothéquaires françois.
C'est par une assez plaisante équivoque que les PP. Quetif & Echard, les plus récens bibliographes des écrivains de leur ordre de S. Dominique, ont fait Gad de Oucin polonois, au lieu de françois & bourguignon. F. Gad de Oucin, disent-ils, natione polonus, nostris nomenclatoribus hactenùs incognitus, hoc eodem anno M. CCC. XXXVI. in Galliis agebat. Parisios forte de more pro ratione provinciae suae missus ad Gymnasium san-jacobeum, linguam gallicam, qualem tunc loquebantur, familiarem sibi fecit ; & cela en conséquence de ces vers qu'ils ont lûs à la fin d'un ouvrage qu'ils lui attribuent :
Fut cil romans à Poloignie
Dont li freres s'est pourloignie,
Qui le romans en rime a mis,
Dieu gart au frere ses amis.
Or ce Pouloignie pris pour la Pologne par les PP. Quetif & Echard, n'est autre chose que la petite ville de Poligny en Franche-Comté. Cette bévue est d'autant plus surprenante de la part de ces deux habiles bibliographes, qu'ils n'ignoroient point avoir une maison ou un couvent de leur ordre à Poligny, domus polinianensis, & qu'ils en ont fait eux-mêmes mention deux ou trois fois dans leurs écrits ; c'est d'ailleurs ce qu'ils auroient appris de Borel & de du Verdier, qui ayant vû le Boëce en manuscrit, dit qu'il est d'un moine de Poligny, & en copie ses six vers de la fin.
L'an mil trois cens six avec trente,
Le derrain jour de Mai prenez,
Si sçaurez quand à fin menez
Fut ce roman à Poligny.
Donc le frere est de Poligny,
Qui ce romans en rime a mis.
Au reste, la traduction en vers françois de Boëce, par le frere Oucin, n'est pas la premiere, car elle avoit été précédée de tout un siecle par celle qu'avoit faite de cet ouvrage Jean de Meun, surnommé Clopinel, parce qu'il clopinoit ou boitoit, mais plus connu encore par sa continuation du fameux roman de la Rose commencé par Guillaume de Lorris ; il dédia sa traduction de la consolation philosophique de Boëce à Philippe le Bel ; en ces termes : " A ta royale majesté.... " jaçoit ce que entendes bien le latin, &c. (D.J.)
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POLIIFOLIUM | (Botan.) genre de plante décrit par Buxbaum ; ses fleurs sont monopétales, du genre de celles qui sont faites en cloches sphéroïdes ; le vaisseau séminal est divisé en cinq parties, & contient plusieurs semences arrondies. Les feuilles sont semblables à celles du polium de montagne, d'où lui vient son nom ; les fleurs ressemblent à celles de l'arboisier, & le fruit à celui de ciste. Cette plante est connue depuis long-tems, mais mal nommée, & confondue avec d'autres genres ; c'est celle que Ray nomme sedum arbuti flore ; ce genre appartient proprement à celui des plantes qui s'élevent en arbrisseaux, & qui portent des fruits secs ; ainsi on peut le placer communément après les chamoerhododendros. Il y en a une autre espece africaine, dont les fleurs sont plus courtes & plus arrondies.
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POLIMATRIU | ou POLIMARTIUM, (Géog. anc.) ville d'Italie, l'une de celles dont les Lombards se rendirent maîtres, & que l'exarque de Ravenne reprit. Elle subsiste encore aujourd'hui, & se nomme par corruption Bornarzo.
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POLIMENT | (Art méchan. & Gram.) l'art de polir, consiste à donner aux choses un vernis ou un lustre, particulierement aux pierres précieuses, au marbre, aux glaces, aux miroirs, ou à quelque chose de semblable. Voyez LUSTRE, &c.
Le poliment ou poli des glaces, des lentilles, &c. se fait après qu'on les a bien frottées pour en ronger les inégalités. Voyez ACTION DE MOUDRE, voyez aussi GLACES, LENTILLE, &c.
Le poliment ou poli est la derniere préparation que reçoit un miroir, avec de la poudre d'émeri ou de la potée. Voyez MIROIR, quant au poli des diamans, &c. Voyez LAPIDAIRE, &c.
POLIMENT, s. m. (Joaill. Sculpt. &c.) c'est l'action qui donne le lustre & l'éclat à quelque pierre ; il se dit aussi du lustre même & de l'éclat qu'une chose a reçû de l'ouvrier qui l'a polie. Cette émeraude a pris un beau poliment ; le poliment de ces marbres est parfait. (D.J.)
POLIMENT des statues, (Sculpt. antiq.) il n'est pas douteux qu'on donnoit chez les anciens le poli aux statues de marbre en les cirant. Pline nous l'apprend liv. VII. ch. ix. mais nous ne connoissons plus cette pratique ; plus cette couche de cire étoit mince, plus les statues conservoient l'esprit du travail du sculpteur : & c'étoit apparemment dans ce sens, que Praxitele donnoit la préférence à celles de ses statues auxquelles Nicias, artiste expérimenté, avoit ainsi donné cette espece de poli. Il est vrai que nous ne voyons dans les statues antiques qui subsistent, aucune trace de cette espece de poliment ; mais cela ne doit point surprendre ; le tems l'a dû effacer ; la croute étoit trop mince pour être de durée. J'ajouterai néanmoins que le poliment des anciens paroît préférable à celui dont nous nous servons ; car il étoit exempt de frottement dans l'opération, & different en cela de celui de la pierre-ponce que nous pratiquons, qui doit nécessairement émousser certaines petites arêtes, dont la vivacité ne contribue pas peu à rendre un travail ferme & spirituel. (D.J.)
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POLIMITES | S. m. (Manufact.) nom que les Flamands donnent à certaines étoffes fort légeres, qui ne sont autre chose que des especes de petits camelots de la fabrique de Lille, dont la largeur est d'un quart & demi, ou trois huitiemes d'aune de Paris. Il s'en fait de différentes longueurs, les unes toutes de laine, les autres de laine mêlées de fil de lin, d'autres dont la chaîne est de laine & la trame de poil, & d'autres toutes de poil de chevre.
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POLIMUR | ou POLINEUR, (Géogr. mod.) ville des états du Turc dans l'Anatolie sur le bord de la mer de Marmora, au fond du golfe de Montagna, à l'occident d'Isnich, ou Nicée.
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POLINO | ou L'ISLE BRULÉE, (Géog. mod.) petite île de l'Archipel, sur la côte de l'île de Milo, du côté de l'orient septentrional ; elle s'appelloit anciennement Polyegos. (D.J.)
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POLIR | v. act. (Gramm.) en général c'est ôter les inégalités, applanir la surface, & lui donner de l'éclat. Ce mot se dit au simple & au figuré. On polit le marbre, on polit l'acier ; on polit les moeurs, on polit l'esprit ; on ne polit pas le coeur, on en exerce & augmente la sensibilité.
POLIR LES AIGUILLES, terme d'Aiguillier, qui signifie leur donner le poli nécessaire pour qu'elles puissent glisser aisément dans les étoffes ou toiles lorsqu'on s'en sert pour coudre. Voyez AIGUILLE.
POLIR, en terme d'Epinglier-Aiguilletier, est l'action d'ôter tous les coups de la lime douce d'une aiguille : voici comme on s'y prend. On enferme les aiguilles dans un morceau de treillis neuf, on en fait un rouleau que l'on lie avec des cordes serrées le plus qu'il a été possible. On y met de l'huile & de l'émeri ; ensuite, à l'aide d'une planche attachée & suspendue par chaque bout à une corde qui tombe du plancher, & recouverte d'une grosse pierre, on le frotte fort long-tems en roulant cette planche sur les aiguilles qui sont posées sur une table.
POLIR, terme d'Arquebusier, c'est rabattre les inégalités qui sont sur le bois d'un fusil ou d'un pistolet après qu'il a été sculpté. Les arquebusiers se servent pour cela de pierre-ponce & de prêle.
POLIR, en terme de Boutonnier, c'est l'action de rendre unis & égaux les moules de boutons planés, en les frottant tous ensemble à force de bras dans une corbeille avec de la cire jaune.
POLIR, en terme de Bijoutier, c'est comme dans tout autre art, effacer les traits que peuvent avoir faits les différens outils dont on s'est servi ; toutes les pierres, potées, ou autres ingrédiens dont on se sert à cet effet, ne font que substituer des traits plus fins à ceux qu'ils enlevent, & tout l'art consiste à se servir de pierres ou poudres qui en laissent de tellement fins & tellement raccourcis que l'oeil ne puisse les appercevoir.
Le poliment de l'or se fait ainsi. On se sert d'abord de pierres vertes qui se tirent de Bohème, pour dresser les filets, gravures, ornemens & les champs d'iceux du dessus des tabatieres.
Pour les dedans des tabatieres, également de grandes pierres vertes & larges, & de grosses pierres de ponce ; après cette opération, qui a enlevé les traits de la lime & les inégalités de l'outil, on se sert de pierre-ponce réduite en poudre, broyée & amalgamée avec de l'huile d'olive qui adoucit les traits de la pierre, & de la grosse ponce ; à cette seconde opération succede celle du tripoli : rien n'est plus difficile que le choix de la pierre de tripoli & sa préparation ; il faut la choisir douce, & cependant mordante ; il faut la piler bien proprement, la laver de même, & ce n'est que du résultat de sept à huit lotions faites avec grand soin, dont on se sert, & que l'on conserve bien proprement ; le moindre mêlange de mal-propreté nuit, & fait qu'on est souvent obligé de recommencer : on employe cette poudre fine de tripoli avec du vinaigre, ou de l'eau-de-vie ; lorsqu'on a avec cette poudre effacé les traits de la ponce à l'huile, on termine par donner le vif à l'ouvrage. On se servoit autrefois pour cette derniere opération de la corne de cerf réduite en poudre & employée avec l'esprit-de-vin ; mais depuis quelques années on s'est fixé à une poudre rouge, qu'on appelloit d'abord rouge d'Angleterre, mais qui s'est depuis multipliée à Paris, & qui n'est autre chose que le caput mortuum des acides nitreux qui composent l'eau forte ; cette poudre employée avec l'eau-de-vie ou l'esprit-de-vin donne un beau vif, & termine le poliment de l'or.
POLIR, (Coutel.) c'est effacer les traits de la meule sur la polissoire. Voyez POLISSOIRE.
POLIR, en terme de Doreur, c'est effacer les traits qui ont pu rester sur la piece après le gratage, & lui donner un beau lustre.
POLIR, en terme d'Eperonnier, c'est adoucir les coups de lime d'une piece, & lui donner un certain éclat par le moyen du polissoir. Voyez POLISSOIR, & la fig. qui la représente.
POLIR une glace, (Manufacture de glace) c'est lui donner sa derniere façon avec l'émeri, de l'eau & de la potée qui est une terre rouge. L'ouvrier qui polit les glaces s'appelle polisseur, & l'instrument dont il se sert, polissoir.
POLIR, fer à, (outil de Gaînier) c'est un morceau de fer large de deux pouces, long environ de trois ou quatre, plat & recourbé dans sa longueur, formant une espece de demi-cercle, dont le bas est fait en meche pour s'emmancher dans un petit morceau de bois de la longueur de deux pouces, & gros à proportion. Les Gaîniers font chauffer un peu ce fer, & polissent leurs ouvrages. Voyez les figures, Planches du Gaînier.
POLIR, signifie en Horlogerie, rendre une piece de métal unie, douce & brillante. Il est de la derniere conséquence que certaines pieces des montres & pendules soient bien polies : de ce genre sont les pivots, les pignons, les dentures, & toutes les parties de l'échappement.
Pour bien polir une piece, les Horlogers commencent par l'adoucir le mieux qu'ils peuvent, voyez ADOUCIR ; ensuite, si ce corps est de laiton, comme les roues, la potence, les barettes, &c. ils prennent un bois doux, tel que le fusin, le bois blanc, &c. qu'ils enduisent de pierre pourrie & lavée, mêlée avec un peu d'huile ; ils la frottent ensuite jusqu'à ce que sa surface & celle du bois soient seches & brillantes. Si les pieces à polir sont d'acier & plates, comme celles des quadratures, les ressorts de cadran, les petits corps, &c. ils prennent de la potée d'étain, ou du rouge d'Angleterre ; ils frottent ensuite avec des limes de fer ou de cuivre, comme nous l'avons vu ci-devant, jusqu'à ce que la piece & la lime soient seches & brillantes : mais si la piece d'acier est fort délicate ; si, comme les pignons, elle a des sinuosités qu'une lime de fer ou de cuivre ne pourroit remplir que très-difficilement, pour lors ils prennent un bois dur, tel que le buis, avec du rouge, ou de la potée & de l'huile ; puis ils frottent, ainsi qu'il a été dit ci-dessus. Lorsque les parties, par leur structure ou leur disposition, sont difficiles à polir, les Horlogers ont alors recours à différens outils, tels sont les outils à faire des faces, à polir les vis, &c.
POLIR, en terme de Lapidaire, c'est l'action de donner le brillant & l'éclat à une pierre en la frottant sur une roue plus ou moins dure, selon la qualité de la pierre, laquelle roue est humectée de tems en tems d'eau & de tripoli. Voyez TRIPOLI.
POLIR, en terme d'Orfévre en grosserie, c'est au moyen de la pierre ponce, du tripoli & de la potée, adoucir jusqu'aux plus petits traits du rifloir ou de la lime douce, dont on s'est servi au réparage. Voyez REPARAGE.
POLIR au papier, (Lunetier) c'est après qu'un verre a été travaillé au bassin, & poli avec l'émeri ou la potée, on acheve le poliment sur un morceau de papier qu'on colle au fond du bassin où il a été fait.
POLIR, en terme de Tabletier-Cornetier, est unir & rendre luisant les peignes qui ont reçu toutes leurs autres façons ; ce qui s'opere en les frottant avec force à l'aide d'un policien de tripoli & d'urine. Voyez POLICIEN.
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POLIS | (Géog. anc.) mot grec qui répond proprement à ce que nous appellons une ville. Ce nom a été donné à diverses villes, quelquefois seul, quelquefois joint avec un autre dont il étoit tantôt précédé, & tantôt suivi. Il y a divers endroits ainsi nommés ; savoir 1°. un village qu'Etienne le géographe dit être dans les îles, sans dire de quelles îles il entend parler ; 2°. un village dans le pays des Locres Ozoles, que Thucydide, liv. III. pag. 240. donne au peuple Hiaei ; 3°. une ville d'Egypte, selon Etienne le géographe, &c. (D.J.)
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POLISSOIRE | S. f. (terme général.) Les polissoires sont différentes, suivant les ouvrages & les ouvriers. Les Doreurs sur métal en ont de fer pour préparer les métaux avant que de les dorer, & de pierre sanguine pour les brunir à clair, après qu'ils sont dorés. Les Doreurs en détrempe se servent aussi de la sanguine, & encore de dent de loup ou de chien, emmanchées dans du bois.
POLISSOIRE, (Aiguillier) c'est souvent le lieu ou l'établi, où se fait le poliment des aiguilles ; c'est ainsi que les Aiguilliers appellent la table sur laquelle ils dérouillent leur marchandise, & donnent le poli à leurs aiguilles, épingles, &c.
POLISSOIRE des Couteliers, leurs polissoires sont des especes de meules de bois de noyer d'un pouce environ d'épaisseur, & d'un diametre à volonté : c'est sur ces meules que la grande roue fait tourner, qu'ils adoucissent & polissent leur ouvrage avec de l'émeri & de la potée, suivant l'ouvrage. (D.J.)
POLISSOIR, en terme de Doreur, est un morceau d'acier pointu sans être tranchant, fort poli ; il est monté sur un bâton, & sert à polir les pieces quand elles ont été grattées. Voyez GRATTER. Il y en a de toutes formes & de toute grosseur. Voyez Planches du Doreur, des ouvriers occupés à polir différens ouvrages.
POLISSOIR. Les Ebénistes appellent ainsi un instrument dont ils se servent pour polir leurs ouvrages. Il consiste en un faisceau de jonc fortement ficelé, comme une espece de gratte-bosse : on s'en sert pour polir l'ouvrage après qu'il a été frotté de cire. Il est représenté dans les Pl. de Marqueterie.
POLISSOIR de l'Eperonnier. Le polissoir ou brunissoir des Eperonniers, est un outil avec lequel ils polissent ou brunissent les ouvrages étamés. Cet outil est composé de deux pieces principales, de l'archet & du polissoir.
L'archet, qui est de fer, est d'un pié & demi, recourbé par les deux bouts, dont l'un est emmanché dans du bois pour lui servir de poignée, & l'autre est fait en crochet, pour y recevoir un piton à queue ; au milieu de l'archet est ce polissoir, qui est une petite piece d'acier ou de fer bien aciéré, large par en-bas de deux pouces, & longue de trois, qui est rivée à l'archet, & qui le traverse.
Pour se servir de cet outil, l'on met dans le grand étau de l'établi un morceau de bois quarré par le bout, par où le mords de l'étau le serre ; le piton de l'archet ayant été enfoncé par sa queue dans un trou que ce bois, qu'on appelle bois à polir, a du côté qu'il est engagé dans l'étau, l'ouvrier prend de la main droite l'archet par son manche ; & tenant de la gauche l'ouvrage qu'il veut polir, qu'il appuie sur l'extrémité arrondie du bois, il y passe à plusieurs reprise le polissoir qui tient à l'archet ; c'est ce qu'il réitere jusqu'à ce que l'ouvrage étamé ait ce brillant qu'on appelle poli ou brunissure. (D.J.)
POLISSOIRS, (Lunettier) morceaux de bois d'un pié & plus de longueur, de sept ou huit pouces de largeur, & de dix-huit lignes on environ d'épaisseur, couverts par-dessus d'un vieux feutre de chapeau de castor, sur lequel les maîtres Miroitiers-Lunettiers polissent les chassis d'écaille ou de corne qui servent à monter leurs lunettes.
POLISSOIR, (Manufact. des glaces.) Les polissoirs dont on se sert dans les manufactures des glaces, pour leur donner le poli, n'ont rien de semblable aux polissoirs des autres ouvriers. Ceux-ci sont composés de deux pieces de bois, l'une plate, qu'on appelle la plaque, qui est doublée de chapeau épais ; l'autre plus longue & demi-ronde, est attachée par-dessus la plaque : celle-ci s'appelle le manche. Cette derniere piece qui excede la plaque de quelques pouces des deux côtés, afin que le polisseur la puisse empoigner, a par-dessus un trou, où quand on travaille au poliment, on fait entrer ce qu'on appelle le bouton de la fleche. Il y a de ces polissoirs de diverses grandeurs ; les plus grands ont huit à dix pouces de longueur, & les plus petits trois ou quatre : ceux-ci ne servent qu'au poli des biseaux. (D.J.)
POLISSOIR des Serruriers ; il est tout de fer, mais moins composé que celui des Eperonniers. (D.J.)
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POLITESSE | S. f. (Morale.) Pour découvrir l'origine de la politesse, il faudroit la savoir bien définir, & ce n'est pas une chose aisée. On la confond presque toujours avec la civilité & la flatterie, dont la premiere est bonne, mais moins excellente & moins rare que la politesse, & la seconde mauvaise & insupportable, lorsque cette même politesse ne lui prête pas ses agrémens. Tout le monde est capable d'apprendre la civilité, qui ne consiste qu'en certains termes & certaines cérémonies arbitraires, sujettes, comme le langage, aux pays & aux modes ; mais la politesse ne s'apprend point sans une disposition naturelle, qui à la vérité a besoin d'être perfectionnée par l'instruction & par l'usage du monde. Elle est de tous les tems & de tous les pays ; & ce qu'elle emprunte d'eux lui est si peu essentiel, qu'elle se fait sentir au-travers du style ancien & des coutumes les plus étrangeres. La flatterie n'est pas moins naturelle ni moins indépendante des tems & des lieux, puisque les passions qui la produisent ont toujours été & seront toujours dans le monde. Il semble que les conditions élevées devroient garantir de cette bassesse ; mais il se trouve des flatteurs dans tous les états, quand l'esprit & l'usage du monde enseignent à déguiser ce défaut sous le masque de la politesse, en se rendant agréable, il devient plus pernicieux ; mais toutes les fois qu'il se montre à découvert, il inspire le mépris & le dégoût, souvent même aux personnes en faveur desquelles il est employé : il est donc autre chose que la politesse, qui plaît toujours & qui est toujours estimée. En effet, on juge de sa nature par le terme dont on se sert pour l'exprimer, on n'y découvre rien que d'innocent & de louable. Polir un ouvrage dans le langage des artisans, c'est en ôter ce qu'il y a de rude & d'ingrat, y mettre le lustre & la douceur dont la matiere qui le compose se trouve susceptible, en un mot le finir & le perfectionner. Si l'on donne à cette expression un sens spirituel, on trouve de même que ce qu'elle renferme est bon & louable. Un discours, un sens poli, des manieres & des conversations polies, cela ne signifie-t-il pas que ces choses sont exemptes de l'enflure, de la rudesse, & des autres défauts contraires au bon sens & à la société civile, & qu'elles sont revêtues de la douceur, de la modestie, & de la justice que l'esprit cherche, & dont la société a besoin pour être paisible & agréable ? Tous ces effets renfermés dans de justes bornes, ne sont-ils pas bons, & ne conduisent-ils pas à conclure que la cause qui les produit ne peut aussi être que bonne ? Je ne sai si je la connois bien, mais il me semble qu'elle est dans l'ame une inclination douce & bienfaisante, qui rend l'esprit attentif, & lui fait découvrir avec délicatesse tout ce qui a rapport avec cette inclination, tant pour le sentir dans ce qui est hors de soi, que pour le produire soi-même suivant sa portée ; parce qu'il me paroît que la politesse, aussi bien que le goût, dépend de l'esprit plutôt que de son étendue ; & que comme il y a des esprits médiocres, qui ont le goût très-sûr dans tout ce qu'ils sont capables de connoître, & d'autres très-élevés, qui l'ont mauvais ou incertain, il se trouve de même des esprits de la premiere classe dépourvus de politesse, & de communs qui en ont beaucoup. On ne finiroit point si on examinoit en détail combien ce défaut de politesse se fait sentir, & combien, s'il est permis de parler ainsi, elle embellit tout ce qu'elle touche. Quelle attention ne faut-il pas avoir pour pénétrer les bonnes choses sous une enveloppe grossiere & mal polie ? Combien de gens d'un mérite solide, combien d'écrits & de discours bons & savans qui sont fuis & rejettés, & dont le mérite ne se découvre qu'avec travail par un petit nombre de personnes, parce que cette aimable politesse leur manque ? Et au contraire qu'est-ce que cette même politesse ne fait pas valoir ? Un geste, une parole, le silence même, enfin les moindres choses guidées par elle, sont toujours accompagnées de graces, & deviennent souvent considérables. En effet, sans parler du reste, de quel usage n'est pas quelquefois ce silence poli, dans les conversations même les plus vives ? c'est lui qui arrête les railleries précisément au terme qu'elles ne pourroient passer sans devenir piquantes, & qui donne aussi des bornes aux discours qui montreroient plus d'esprit que les gens avec qui on parle n'en veulent trouver dans les autres. Ce même silence ne supprime-t-il pas aussi fort à propos plusieurs réponses spirituelles, lorsqu'elles peuvent devenir ridicules ou dangereuses, soit en prolongeant trop les complimens, soit en évitant quelques disputes ? Ce dernier usage de la politesse la releve infiniment, puisqu'il contribue à entretenir la paix, & que par-là il devient, si on l'ose dire, une espece de préparation à la charité. Il est encore bien glorieux à la politesse d'être souvent employée dans les écrits & dans les discours de morale, ceux mêmes de la morale chrétienne, comme un véhicule qui diminue en quelque sorte la pesanteur & l'austérité des préceptes & des corrections les plus séveres. J'avoue que cette même politesse étant profanée & corrompue, devient souvent un des plus dangereux instrumens de l'amour-propre mal reglé ; mais en convenant qu'elle est corrompue par quelque chose d'étranger, on prouve, ce me semble, que de sa nature elle est pure & innocente.
Il ne m'appartient pas de décider, mais je ne puis m'empêcher de croire que la politesse tire son origine de la vertu ; qu'en se renfermant dans l'usage qui lui est propre, elle demeure vertueuse ; & que lorsqu'elle sert au vice, elle éprouve le sort des meilleures choses dont les hommes vicieux corrompent l'usage. La beauté, l'esprit, le savoir, toutes les créatures en un mot, ne sont-elles pas souvent employées au mal, & perdent-elles pour cela leur bonté naturelle ? Tous les abus qui naissent de la politesse n'empêchent pas qu'elle ne soit essentiellement un bien, tant dans son origine que dans les effets, lorsque rien de mauvais n'en altere la simplicité.
Il me semble encore que la politesse s'exerce plus fréquemment avec les hommes en général, avec les indifférens, qu'avec les amis, dans la maison d'un étranger que dans la sienne, sur-tout lorsqu'on y est en famille, avec son pere, sa mere, sa femme, ses enfans. On n'est pas poli avec sa maîtresse ; on est tendre, passionné, galant. La politesse n'a guere lieu avec son pere, avec sa femme ; on doit à ces êtres d'autres sentimens. Les sentimens vifs, qui marquent l'intimité, les liens du sang, laissent donc peu de circonstances à la politesse. C'est une qualité peu connue du sauvage. Elle n'a guere lieu au fond des forêts entre des hommes & des femmes nuds, & tout entiers à la poursuite de leurs besoins ; & chez les peuples policés, elle n'est souvent que la démonstration extérieure d'une bienfaisance qui n'est pas dans le coeur.
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POLITI | ou POLLIZI, (Géog. mod.) petite ville de la Sicile, dans la vallée de Mazara, sur les confins de celle de Demona, au pié du mont Madonia, à 15 lieues au sud-est de Palerme. Il y a un collége de jésuites, six couvens d'hommes & deux de filles. Long. 31. 44'. lat. 37. 50'. (D.J.)
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POLITIQUE | (Philosophie) La philosophie politique est celle qui enseigne aux hommes à se conduire avec prudence, soit à la tête d'un état, soit à la tête d'une famille. Cette importante partie de la Philosophie n'a point été négligée par les anciens, & sur-tout par l'école d'Aristote. Ce philosophe élevé à la cour de Philippe, & témoin de ces grands coups de politique qui ont rendu ce roi si célebre, ne manqua point une occasion si favorable de pénétrer les secrets de cette science si utile & si dangereuse ; mais il ne s'amusa point, à l'exemple de Platon son maître, à enfanter une république imaginaire, ni à faire des lois pour des hommes qui n'existent point : il se servit au contraire des lumieres qu'il puisa dans le commerce familier qu'il eut avec Alexandre-le-grand, avec Antipater, & avec Antiochus, pour prescrire des lois conforme à l'état des hommes, & à la nature de chaque gouvernement. Voyez sa morale & sa politique. Cependant quelque estimables que soient les préceptes qu'on trouve dans les écrits de ce philosophe, il faut avouer que la plûpart seroient peu propres à gouverner les états qui partagent maintenant le monde. La face de la terre a éprouvé tant de révolutions, & les moeurs ont si fort changé, que ce qui étoit très-sage dans le tems où Aristote écrivoit, ne seroit rien moins que cela si on le mettoit maintenant en pratique. Et voilà sans doute la raison pourquoi de toutes les parties de la Philosophie la politique est celle qui a le plus éprouvé de changemens, & pourquoi, parmi le grand nombre d'auteurs qui ont traité de cette science, il n'y en a pas un seul qui n'ait proposé une maniere différente de gouverner. Nous ne parlerons ici que de ceux d'entre les modernes qui se sont rendus les plus célebres par leurs ouvrages sur la politique.
Jean Bodin né en Anjou, fut d'abord religieux de l'ordre des Carmes ; mais comme il avoit fait ses voeux dans sa premiere jeunesse, il en fut dispensé, & il s'adonna à l'étude avec beaucoup d'assiduité. Il avoit l'esprit si étendu, qu'après avoir acquis une connoissance extraordinaire des langues, il embrassa tous les arts & toutes les sciences. D'abord il s'attacha au barreau de Paris ; mais ennuyé de cette guerre de paroles & d'écrits, il s'appliqua tout entier à la composition, & il fit son coup d'essai sur les cynégétiques d'Oppian qu'il traduisit en latin avec élégance, & qu'il explique par de savans commentaires. Le roi Henri III. s'entretint plusieurs fois avec lui, & ces entretiens lui firent beaucoup d'honneur ; car comme il avoit l'esprit présent, & que pour ainsi dire il avoit en argent comptant toutes les richesses de son esprit, il étaloit une incroyable abondance de choses curieuses, que son excellente mémoire lui fournissoit sur-le-champ. Depuis, la jalousie de quelques personnes lui ayant attiré la disgrace du roi, il se retira auprès du duc d'Alençon, à qui quelque tems après les Hollandois déférerent la souveraineté de leurs provinces, & il fut extrêmement considéré de ce prince, à cause de sa rare érudition & de ses belles connoissances. Il accompagna ce duc dans son voyage d'Angleterre, & après sa mort il se retira à Laon, dont on lui donna la judicature ; & il y rendit la justice avec beaucoup d'intégrité jusqu'à l'année 1588. Enfin il y mourut de la peste âgé de plus de 70 ans. De Thou, lib. CXVII.
M. Diecman (Diecman, de naturalisno Bodini) découvrit dans le dernier siecle un manuscrit de Bodin intitulé, Colloquium heptaplomeres de abditis rerum sublimium arcanis. Chaque interlocuteur a sa tâche dans cet ouvrage ; les uns attaquent, les autres défendent. L'Eglise romaine est attaquée la premiere, les Luthériens viennent ensuite sur les rangs ; le troisieme choc tombe sur toutes les sectes en général ; le quatrieme sur les Naturalistes ; le cinquieme sur les Calvinistes ; le sixieme sur les Juifs ; & le dernier sur les sectateurs de Mahomet. L'auteur ménage de telle sorte ses combattans, que les chrétiens sont toujours battus : le triomphe est pour les autres, & sur-tout pour les naturalistes & pour les Juifs. Bodin acheva ce mauvais ouvrage l'an 1588, âgé d'environ 63 ans, & mourut l'an 1596, sans qu'il ait paru renoncer aux sentimens qu'il avoit exposés dans son livre. On dit au contraire qu'il mourut juif.
Le plus considérable de ses ouvrages, & celui qui lui a fait le plus d'honneur, ce sont ses livres de la république, dont M. de Thou parle en ces termes : Opus magnum de republicâ Gallicè publicavit, in quo, ut omni scientiarum genere, non tincti, sed imbuti ingenii fidem fecit, sic nonnullis, qui rectè judicant, non omninò ab ostentationis innato genti vitio vacuum se probavit. Il soutint parfaitement dans sa conduite les maximes dont il avoit rempli son ouvrage ; car ayant été député en 1576 par le tiers-état de Vermandois aux états de Blois, il y soutint fortement les droits du peuple. " Il y remontra, dit Mezerai, avec une liberté gauloise, que le fonds du domaine royal appartenoit aux provinces, & que le roi n'en étoit que le simple usager. Ce que le roi Henri III. ne trouva pas mauvais, disant que Bodin étoit homme de bien ".
Quelques auteurs ont disputé à Bodin la qualité d'écrivain exact & judicieux, mais du-moins ne lui a-t-on pu refuser un grand génie, un vaste savoir, une mémoire & une lecture prodigieuses. Montagne dit qu'il étoit accompagné de beaucoup plus de jugement que la tourbe des écrivailleurs de son siecle, & qu'il mérite qu'on le lise & qu'on le considere. Voyez Bayle, Dictionn. tom. II. p. 33, &c.
Balthasar Gracian, jésuite espagnol, mourut l'an 1658 à l'âge de 54 ans. Ses ouvrages sont l'homme de cour, le héros, le criticon & le discret. Le premier est une espece de rudiment de cour, dit M. Amelot de la Houssaie, qui l'a traduit, & de code politique, ou un recueil des meilleures & des plus délicates maximes de la vie civile & de la vie de cour. Dans le second, Gracian a entrepris de former le coeur d'un grand homme. Le troisieme n'est qu'une censure assez ingénieuse des vices ; & dans le dernier l'auteur a tâché de donner l'idée d'un homme parfait. Cet auteur a certainement de très-bonnes choses, mais ses ouvrages sont remplis d'idées peu naturelles, & d'expressions trop recherchées & trop guindées. L'homme de cour est son meilleur ouvrage. " On peut le regarder, dit Bayle, comme la quintessence de tout ce qu'un long usage du monde, & une réflexion continuelle sur l'esprit & le coeur humain, peuvent apprendre pour se conduire dans une grande fortune ; & il ne faut pas s'étonner si la savante comtesse d'Aranda, donna Louisa de Padilla, se formalisoit de ce que les belles pensées de Gracian devenoit communes par l'impression ; ensorte que le moindre bourgeois pouvoit avoir pour un écu des choses, qui à cause de leur excellence, ne sauroient être bien en de telles mains. On pourroit appliquer à cet auteur l'éloge qu'il a donné à Tacite, de n'avoir pas écrit avec de l'encre, mais avec la sueur précieuse de son vigoureux esprit. "
Trajan Boccalin étoit natif de Rome ; l'inclination qui le portoit à la satyre se découvrit de bonne heure, & ses premiers essais furent dans ce genre pernicieux. C'est à son humeur enjouée & médisante, que nous devons ses relations du Parnasse, ouvrage recommandable par la variété des matieres, par l'agrément du style, & par la façon ingénieuse dont il critique les vices. Il tomba dans le défaut ordinaire des satyriques ; & après avoir attaqué impunément les vices en général, il osa s'élever contre les têtes couronnées, & sur-tout contre l'Espagne. Il prétendit démontrer que la haute idée qu'on avoit des forces de cette couronne n'étoit qu'un préjugé ; & il indiqua des moyens assez propres pour abaisser cette puissance. Voyez son ouvrage intitulé lapis lydius politicus. La sagacité avec laquelle il en découvrit la foiblesse, lui mérita le nom de grand politique, mais elle lui fut funeste. Il fut assassiné à Venise par quelques soldats. Au reste cet homme qui trouvoit des défauts dans tous les gouvernemens, & qui censuroit toute la terre, fit voir qu'il est plus facile d'inventer des regles que de les appliquer. La jurisdiction qu'il exerça dans quelques lieux de l'état ecclésiastique, souleva tout le monde contre lui. Voici comment Nicius Erythreus qui a écrit sa vie, en parle : quamobrem fiebat ut Romam crebrae de ipsius injuriis querimoniae deferrentur ; ac locus proverbio fieret, quo dicitur, tria esse hominum genera, qui nihil ferè legibus, quas ipsi aliis imponunt, utantur, nimirum jurisconsultos, medicos atque theologos : nulli enim magis in negociis ab jure, ab aequitate discedunt, quam jurisconsulti ; nulli tuendae valetudinis rationem minus servant quam medici : nulli conscientiae aculeos minus metuunt quam theologi.... quod tamen de iis tantum intelligendum qui ea studia non seriò ac sedulò, verum in speciem, & dici causa, profitentur.
Nicolas Machiavel naquit à Florence ; il reçut, dit-on, de la nature un esprit si vif & si pénétrant, qu'il n'eut pas besoin de le cultiver par l'étude des lettres grecques & latines. Cependant on a de la peine à se persuader qu'il fût aussi ignorant qu'on le dit. On sait qu'il fit quelques comédies à l'imitation de celles d'Aristophane & de Plaute, qui lui mériterent les éloges de Léon X. D'ailleurs ses discours sur Tite-Live ne laissent aucun lieu de douter qu'il ne fût très au fait de l'histoire ancienne, & qu'il ne l'eût par conséquent étudiée avec attention. Son génie brilla principalement dans sa maniere de traiter l'histoire moderne. Il ne s'attacha point, à l'exemple des auteurs de son tems, à toutes ces minuties historiques qui rendent cette étude si dégoutante ; mais il saisit par une supériorité de génie, les vrais principes de la constitution des états, en démêla les ressorts avec finesse, expliqua les causes de leurs révolutions ; en un mot, il se fraya une route nouvelle, & sonda toutes les profondeurs de la politique. Pour ramener les hommes à l'amour du devoir & de la vertu, il faudroit mépriser jusqu'aux talens qui osent en violer les regles. Les louanges qu'on donna à Machiavel échaufferent son génie naturellement trop hardi, & l'engagerent à établir des principes qui ont fait un art de la tyrannie, & qui enseignent aux princes à se jouer des hommes. Son zele pour l'état républicain lui attira la haine de la maison de Médicis, contre laquelle il s'étoit déclaré. Il fut soupçonné d'être entré dans une faction opposée à cette puissante maison ; en conséquence il fut mis en prison, & ensuite appliqué à la question ; mais n'ayant rien avoué, il fut mis en liberté. On le chargea d'écrire l'histoire de sa patrie, & on lui donna des appointemens considérables. Mais de nouveaux troubles l'arracherent à son travail, & lui firent perdre sa pension. Il se forma une conjuration contre les Médicis, qu'on accusoit de vouloir élever leur puissance sur les ruines de la liberté publique. Cette conjuration ayant été découverte, on accusa Machiavel d'en avoir animé les ressorts, en proposant aux conjurés les exemples fameux de Brutus & de Cassius. Il ne fut point convaincu, mais le soupçon resta ; & sa pension ne lui ayant point été rendue, il tomba dans la derniere misere. Il mourut quelques années après à l'âge de 48 ans.
Nous avons de Machiavel plusieurs ouvrages qui ont été traduits en toutes sortes de langues ; telles sont ses dissertations sur Tite-Live, & son histoire de Florence, qui fut estimée des connoisseurs. Mais celui qui a fait le plus de bruit, c'est celui qui est intitulé le prince de Machiavel. C'est là qu'il a développé les principes de politique, dont ses autres ouvrages ne renferment que les germes. C'est-là qu'on l'accuse d'avoir réduit la trahison en art & en science, d'avoir rendu la vertu esclave d'une prévoyance à laquelle il apprend à tout sacrifier, & d'avoir couvert du nom de politique la mauvaise foi des princes. Funeste aveuglement, qui sous le voile d'une précaution affectée, cache la fourbe, le parjure & la dissimulation. Vainement objecte-t-on que l'état des princes demande de la dissimulation ; il y a entre la mauvaise foi & la façon sage & prudente de gouverner, une grande différence. Quel monarque eut plus de candeur & de bonne foi que Henri IV ? la franchise & la sincérité de ce grand roi ne détruisirent-ils pas tous les vains projets de la politique espagnole ? Ceux qui se figurent qu'un prince n'est grand qu'autant qu'il est fourbe, donnent dans une erreur pitoyable. Il y a, comme nous l'avons déja dit, une grande différence entre la prudence & la mauvaise foi ; & quoique dans ce siecle corrompu on leur donne le même nom, le sage les distingue très-aisément. La véritable prudence n'a pas besoin des regles qui lui apprennent le moyen de secouer le joug de la vertu & de l'honneur. Un roi n'est point obligé à découvrir ses desseins à ses ennemis, il doit même les leur cacher avec soin ; mais il ne doit point aussi sous de vaines promesses, sous les appâts d'un raccommodement feint, & sous le voile d'une amitié déguisée, faire réussir les embuches qu'il veut leur tendre. Un grand coeur, dans quelqu'état qu'il soit placé, prend toujours la vertu pour guide. Le crime est toujours crime, & rien ne lui fait perdre sa noirceur. Que de maux n'éviteroit-on pas dans le monde, si les hommes étoient esclaves de leurs sermens ! quelle paix, quelle tranquillité ne régneroit point dans l'univers ! les rois auroient toujours des sujets fideles, & soumis à l'obéissance qu'ils leur ont jurée ; les souverains d'un autre côté, attentifs à remplir les conditions qu'ils ont promis d'exécuter en montant sur le trône, deviendroient les peres d'un peuple toûjours prêt à obéir, parce qu'il n'obéiroit qu'à la justice & à l'équité.
Les Antimachiavelistes. Nous ne devons point oublier ici les auteurs qui ont assez aimé le bonheur des peuples ; & en même tems la véritable grandeur des princes, pour mettre dans tout son jour le faux d'une doctrine si opposée à ces deux objets. Nous en ferions ici un catalogue assez long, si notre but étoit de faire une bibliotheque philosophique. On peut consulter sur ce sujet, Struvius, Bibl. Phil. c. vij. Reinhardus, in theatro prudentiae civilis. Budeus, Isagog. hist. theol. annot. in hist. phil. Nous indiquerons seulement ceux qui se sont les plus distingués. 1°. De tous les auteurs qui ont écrit contre Machiavel, Possevin & Thomas Bossius sont ceux qui l'ont le plus maltraité. Le premier dans son livre intitulé jugement sur quatre auteurs ; le second dans plusieurs ouvrages, & surtout dans celui qui porte pour titre, l'empire de la vertu.
2°. Machiavel a eu encore un adversaire redoutable dans un auteur anonyme qui nous a donné trois livres de commentaires pour apprendre à bien gouverner quelque état que ce soit, contre Machiavel. Ce livre fut imprimé à Lausanne, & eut plusieurs éditions consécutives. On conjecture qu'il est de Vincent Gentillet, natif du Dauphiné.
Mais de tous les ouvrages qu'on a fait contre Machiavel, le plus estimable sans contredit, soit par la solidité, soit par le nom respectable de son auteur, c'est l'antimachiavel, qu'on attribue communément à un homme dont la moindre qualité est d'être monarque. Le but que nous nous proposons ici nous empêche de nous étendre sur le mérite de cet excellent ouvrage : nous dirons seulement avec Platon, heureux un état lorsque son roi sera philosophe, ou qu'un philosophe sera son roi !
POLITIQUE ARITHMETIQUE ; c'est l'application des calculs arithmétiques aux sujets ou aux usages de la politique ; comme aux revenus publics, au nombre des habitans, à l'étendue & à la valeur des terres, aux taxes, aux arts, au commerce, aux manufactures ; à tout ce qui regarde la puissance, la force, les richesses, &c. de quelque nation ou république. Voyez ARITHMETIQUE.
Les principaux auteurs qui ont essayé des calculs de cette espece, sont M. Guillaume Petty, Mayor Grand, Halley, Davenant & King ; ce qu'ils ont principalement déterminé se réduit à ce qui suit.
Suivant les supputations de M. Guillaume Petty, quoique le territoire de Hollande & Zélande ne contienne pas plus de 1000000 d'acres, & que celui de France n'en contienne pas moins que 8000000, néanmoins la Hollande est presque un tiers aussi riche & aussi forte que la France. Il suit du même calcul que les rentes ou les revenus des terres en Hollande sont à celles de France, comme 7 ou 8 à 1 ; que le peuple d'Amsterdam est les 2/3 de celui de Paris ou de Londres ; car à son compte, le peuple de Londres & celui de Paris ne different pas plus d'un vingtieme. Que la valeur des flottes de l'Europe monte à deux millions de tonneaux, dont l'Angleterre en a 500000, la Hollande 900000, la France 100000, Hambourg, Danemarc, la Suede & Dantzick, 250000 ; l'Espagne, le Portugal, l'Italie, &c. environ autant. Que la valeur des marchandises que l'on exporte tous les ans de France dans toutes les parties du monde, est quadruple de celle que l'on exporte de France dans l'Angleterre seule, & par conséquent l'exportation en tout, monte à 5000000 liv. Que ce qui étoit alors exporté d'Hollande en Angleterre, montoit à 300000 liv. & que ce qui en étoit exporté dans tout le monde alloit à 18000000 liv. Que l'argent levé tous les ans par le roi de France, est d'environ 6 1/2 millions de livres sterling. Que l'argent levé en Hollande & Zélande, est environ 2100000 liv. & dans toutes les provinces ensemble, environ 3000000 liv. Que le peuple d'Angleterre monte environ à six millions ; que leur subside à 7 liv. par tête chaque année, est de 42000000 liv. ou de 800000 liv. la semaine. Que la rente des terres est d'environ 8 millions ; que les intérêts & les profits des biens mobiliaires vont à autant. Que la rente des maisons en Angleterre est de 4000000 liv. Que les revenus du travail de tout le monde montent à 26000000 liv. par an. Qu'il y a environ en Irlande 1200000 ames. Que le grain dépensé en Angleterre à 5 s. le boisseau pour le froment, & à 2 s. 6 d. pour l'orge, monte à dix millions par an. Que de son tems, la marine d'Angleterre avoit besoin de 36000 hommes pour monter ses vaisseaux ; que les autres métiers & la navigation en demandoient environ 48000. Qu'en France, toute la navigation en général n'employoit pas plus de 15000 hommes. Que tout le peuple de France consiste environ en treize millions & demi d'hommes ; & celui d'Angleterre, d'Ecosse & d'Irlande ensemble, monte environ à neuf millions & demi. Que dans les trois royaumes d'Angleterre, il y a environ 20 mille prêtres, & en France environ 270 mille. Que dans toute l'étendue des états d'Angleterre, il y a environ 40 mille hommes de mer, & en France pas plus de 10 mille. Qu'en Angleterre, l'Ecosse & l'Irlande, & dans toutes les autres parties qui en dépendent, il y avoit alors environ 60 mille tonneaux d'embarquement ; ce qui fait environ la valeur de quatre millions & demi d'argent. Que le circuit de l'Angleterre, de l'Ecosse, de l'Irlande, & des îles adjacentes, est d'environ 3800 milles. Que dans tout le monde il y a environ 300 millions d'hommes, parmi lesquels ceux avec qui les Anglois & les Hollandois ont quelque commerce, ne vont pas à plus de 80 millions. Que la valeur des marchandises de négoce en tout, ne va pas au-dessus de 45 millions. Que les fabriques qu'on fait sortir d'Angleterre montent environ à 5000000 liv. par an. Le plomb, l'étain, le charbon de terre, est évalué 500000 liv. par an. Que la valeur des marchandises de France, que l'on apportoit alors en Angleterre, n'excédoit pas 1200000 liv. par an. Que toute la caisse d'Angleterre en monnoie courante, montoit de son tems environ à 6000000 liv. sterling.
M. Davenant donne de bonnes raisons par lesquelles il paroît que l'on ne doit pas compter entiérement sur tous les calculs de M. Guillaume Petty ; c'est pourquoi il en produit d'autres de son chef, fondées sur les observations de M. King.
Voici quelques-uns de ses calculs. Le territoire d'Angleterre contient 39 millions d'acres ; le nombre du peuple est d'environ 5545000 ames, l'augmentation qui s'en fait chaque année étant d'environ 9000 hommes, sans compter ce qu'emporte la peste, la guerre, la navigation, les colonies, &c. Il évalue le peuple de Londres à 530000 ; celui des autres cités & des villes où il y a marché, à 870000 ; celui des villages & des hameaux, à 4100000. Il fait monter la rente annuelle des terres à 10000000 liv. celle des maisons & des édifices à 2000000 liv. par an. Il compte que le produit de toutes sortes de grains est de 9075000 liv. année commune. Que le revenu des terres à grain produit annuellement 2000000 liv. & que leurs boeufs produisent plus de 9000000 liv. que le revenu des pâturages, des prairies, des bois, des forêts, des communes, des bruyeres, &c. est de 7000000 liv. Il pense que le produit annuel des bestiaux, en beurre, en fromage, lait, est d'environ 2500000 liv. Que la valeur de la laine qu'on tire des animaux chaque année est d'environ 2000000 liv. celle des chevaux que l'on y nourrit, est d'environ 250000 liv. par an. Que la viande que l'on y dépense tous les ans pour la nourriture, monte environ à 3350000 liv. que la valeur des suifs & des cuirs est d'environ 600000 liv. que celle du foin que les chevaux consomment tous les ans est d'environ 1300000 liv. que ce qui en est consommé par les autres bestiaux monte à 1000000 liv. Que la valeur du bois que l'on coupe tous les ans pour la construction des édifices est de 500000 liv. celle du bois que l'on brûle, &c. est d'environ 500000 liv. Que le terrein d'Angleterre par rapport à ses habitans, est à présent d'environ sept acres par tête, l'un portant l'autre. Que la valeur du froment, du seigle, de l'orge, nécessaires pour la subsistance de l'Angleterre, ne monte pas à moins que 6000000 liv. sterling par an. Que la valeur des manufactures de laine que l'on y fait, est d'environ 8000000 liv. par an ; que nos exportations de toutes sortes de manufactures de laines montent à plus de 2000000 liv. par an. Que le revenu annuel d'Angleterre, sur quoi tout le peuple vit & subsiste, & dont on paye les taxes de toute espece, est à-présent d'environ 43000000 liv. que celui de France est de 81000000 liv. & celui d'Hollande de 18250000 livres.
M. Grand, dans ses observations sur les listes des morts, compte que le terrein d'Angleterre contient 39000 mille quarrés ; qu'en Angleterre & dans le pays de Galles, il y a 4600000 d'ames ; que le peuple de Londres est d'environ 640000 d'hommes, ce qui fait une quatrieme partie du peuple de toute l'Angleterre. Qu'en Angleterre & dans le pays de Galles, il y a environ 10000 paroisses ; que l'Angleterre & le pays de Galles contient 25 millions d'acres, c'est-à-dire environ quatre acres par tête, l'un portant l'autre. Que sur 100 enfans depuis leur naissance jusqu'à l'âge de 6 ans, il n'y en a que 64 qui vivent ; qu'il n'y en a que 40 sur 100 au bout de 16 ans qui subsistent ; 25 sur 100 au bout de 26 ans ; 16 au bout de 36 ans ; 10 au bout de 46 ans ; 6 au bout de 56 ans ; 3 au bout de 66 ans ; & qu'enfin sur 100 hommes, il n'y en a qu'un qui subsiste au bout de 76 ans : & que le peuple de Londres devient double de ce qu'il étoit après 64 ans révolus.
M. Guillaume Petty, dans son traité de la proportion doublée, nous apprend de plus qu'il est démontré par l'expérience qu'il y a plus de personnes qui vivent entre 16 & 26 ans, que dans tout autre âge ; & posant cela comme un fait, il en infere que les racines quarrées de chaque nombre d'âges d'hommes au-dessous de 16 (dont la racine quarrée est 4), montrent la proportion de probabilité qu'il y a que ces personnes atteindront l'âge de 70 ans.
Ainsi il est quatre fois plus probable qu'un homme âgé de 16 ans, vivra 70 ans, qu'un enfant d'un an. Il est trois fois aussi probable qu'une personne de 9 ans en vivra 70, qu'un enfant qui vient de naître, &c. que le rapport de certitude qu'une personne de 25 ans mourra avant une de 16, est comme 5 est à 4 ; que le rapport de certitude qu'une personne âgée de 36 ans mourra avant celle qui n'en a que 25, est comme 6 est à 5 (toujours conformément au rapport des racines quarrées des âges) & ainsi de suite jusqu'à 70 ans, en comparant chaque âge avec un nombre pris entre 4 & 5, où l'on doit trouver à-peu-près la racine quarrée de 21, qui est le tems où la loi établit que l'on est majeur.
M. Halley fait une estime très-exacte des degrés de mortalité de l'homme, qu'il établit sur une table très-curieuse des naissances & des enterremens de la ville de Breslaw, capitale de Silésie, avec un essai pour fixer le prix des annuités sur la durée de la vie, suivant une table qu'il en a calculée & publiée dans les Transactions philosophiques, où l'on déduit les usages suivans.
1°. Pour trouver dans un corps quelconque de peuple la proportion des hommes propres à porter les armes, qu'il prend depuis 18 jusqu'à 56 ans ; & il en compte environ la quatrieme partie du tout. 2°. Pour montrer les différens degrés de mortalité, ou plutôt de la durée de la vie dans tous les âges, il trouve par ce moyen le degré de certitude qu'il y a qu'une personne d'un âge quelconque, ne mourra point dans un certain nombre d'années, ou avant qu'elle ait atteint un tel âge. 3°. Pour montrer le nombre d'années où il y a à parier avec un égal avantage, qu'une telle personne ne mourra point ; & il trouve, par exemple, qu'il y a un égal avantage à parier qu'un homme âgé de 30 ans, vivra entre 27 & 28 ans. 4°. Pour régler le prix des assurances sur les vies ; 5°. l'évaluation des annuités sur les vies ; 6°. comment on peut évaluer deux ou trois vies, en suivant la même méthode. Voyez ANNUITE.
De tout cela il en tire deux excellentes observations. 1°. Combien est injuste la coutume où l'on est de se plaindre de la briéveté de la vie ; car il paroît que la moitié de ceux qui sont nés, ne vivent pas plus de 17 ans.
2°. Que de tout ce qui compose notre nature, il n'y a rien qui s'oppose plus à l'accroissement & à la multiplication des hommes, que les difficultés recherchées que font la plûpart des hommes à propos des inconvéniens auxquels on s'expose dans l'état du mariage ; & c'est pour cette raison que tous les gouvernemens sages doivent établir un ordre tel qu'il y ait très-peu à gagner pour ceux qui vivent dans le célibat ; mais que l'on encourage par tous les moyens possibles ceux qui ont un grand nombre d'enfans. Tel étoit le jus trium liberorum, &c. chez les Romains.
De plus, cet auteur fait des observations particulieres, qui concernent le nombre des naissances & des enterremens, la proportion des mâles & des femelles, &c. Voyez les articles MARIAGE, MORTALITE, &c.
Critique politique. Voyez CRITIQUE.
POLITIQUE, GRACE, s. f. ce mot a des acceptions différentes : l'usage les a fixées ; il a voulu que l'on dit dans de certaines circonstances, faire grace ; dans d'autres, faire une grace : ce qu'un grammairien devoit démêler, & qu'un philosophe devoit voir & sentir, le monde l'a soupçonné ; mais il faut lui montrer ce qu'il a entrevu.
Faire grace ; on entend par-là suspendre & empêcher l'effet d'une loi quelconque. Il est évident qu'il n'y a que le législateur qui puisse abroger une loi qu'il a portée. Une loi n'est telle, & n'a de force, que la force que le peuple lui en a donnée en la recevant. Les loix qui gouvernent un peuple sont donc à lui ; il est donc le même tant que ses loix sont les mêmes : il est donc modifié quand ses loix sont changées. Je remarquerai que c'est dans le gouvernement où ces loix peuvent souffrir plus de modifications, qu'elles peuvent être anéanties plus tôt, & que par conséquent ce seront les loix moins intimes entr'elles & moins nécessaires qui seront plus sujettes aux révolutions. Lorsque les hommes étoient gouvernés seulement par les loix de la sociabilité, la société seroit détruite, si l'exécution des loix qui la forment étoit suspendue ; d'où nous conclurons que lorsqu'une loi peut être abolie sans bouleverser le gouvernement, que ce gouvernement est lâche ; & que si elle peut être abolie sans y produire un grand effet, que ce gouvernement est monstrueux.
Les recherches qui nous conduiroient à découvrir dans quel état les loix fondamentales peuvent être détruites par d'autres loix, ou par le changement des moeurs, ne sont pas de mon sujet. Je dirai seulement que lorsque les moeurs ne découlent pas des loix, qu'alors on peut frapper les loix ; & que lorsqu'elles en découlent, c'est la corruption des moeurs qui les changent. Il en résulte de ceci qu'il est absurde de dire qu'un seul homme puisse faire une loi ; qu'il est dangereux d'en faire de nouvelles ; plus dangereux encore d'arrêter l'exécution des anciennes : & que le pouvoir le plus effrayant est celui de l'homme qui revêt l'iniquité du sceau de la justice. Les despotes n'en peuvent pas venir à ce point ; aussi certains déclamateurs contre les despotes ont bien servi les tyrans.
Faire des graces ; grace dans ce sens signifie dons, faveurs, distinctions, &c. accordés aux hommes qui n'ont d'autres prétentions pour les obtenir que d'en être susceptibles par leur naissance ou leur état.
Les graces sont en rapport des principes qui meuvent les gouvernemens : l'amour de l'égalité qui produit la liberté des républiques, exclut les graces ; & comme la vertu qui en est le principe, est étroitement liée à l'amour de la liberté, ces gouvernemens ne comportent qu'une seule espece de grace, celle d'être nourri & enterré aux dépens du public, ou de recevoir des dons du fisc. En effet, que manque-t-il à un homme vertueux ? que donneroient des hommes libres à un homme libre comme eux ? Le citoyen qui avoit sauvé la vie à un citoyen avoit droit à la couronne civique ; le soldat qui avoit monté le premier à l'assaut d'une ville ennemie avoit droit à la couronne murale, &c. Ces récompenses à Rome & dans la Grece n'avoient rien d'arbitraire, les services rendus avoient leur prix.
Dans les états despotiques les graces sont identifiées avec les charges ; il faut que le despote choisisse un esclave pour gouverner d'autres esclaves, & il l'appellera visir ou bacha : comme la nature de ce gouvernement exclut les droits, il faut que son principe établisse les graces que la nature de ce gouvernement exige : elles ne peuvent pas devenir abusives, parce que ce gouvernement est lui-même l'excès de tous les abus.
C'est dans les monarchies que les graces sont plus intimement liées avec le principe de ce gouvernement ; l'honneur est relatif ; il suppose donc des distinctions : la vertu, principe des républiques, les exclut, pour ainsi dire ; l'honneur en exige, mais il en dédaigne plusieurs : il faut aussi que la nature des graces suive la marche de l'honneur, sans quoi l'enchantement de ce gouvernement ne subsistera plus, l'opinion seroit détruite. Un roi peut établir, par exemple, un ordre dans son royaume ; c'est l'opinion des hommes susceptibles de cet honneur qui a rendu cette marque distinctive plus ou moins désirable : mais elle la rend toujours l'objet de l'ambition la plus déréglée, parce qu'elle donne aux hommes une grandeur plus idéale, & par conséquent plus éloignée de celle qu'ils partageront avec leurs égaux. Dans cet état tous les ordres qui le composent tendent vers le monarque ; il est élevé au sommet de la pyramide, sa base moyennant cela n'est pas écrasée ; mais aussi les malheurs qui peuvent renverser l'édifice monarchique sont peut être innombrables. Je vais jetter seulement ici un regard sur les malheurs & sur le bien que peuvent produire les graces.
Nous avons dit qu'il n'étoit point d'honneur sans distinctions, & moyennant cela, qu'il falloit que les distinctions suivissent la marche de l'honneur ; en effet, si elles le dénaturent, le gouvernement sera bouleversé ; les distinctions renferment toutes les graces possibles, les biens, les charges qui en rapportent, & auxquelles sont joints des honneurs, les places du royaume, & les marques honorables sans biens. Tant que le luxe n'aura point corrompu les ames, l'aisance sera générale, au moins il y aura une proportion établie dans la fortune des particuliers ; alors les hommes auront encore cette force élastique qui les fera remonter où ils étoient avant d'être pliés. L'ordre de l'Etoile fut-il avili, il fallut créer celui de S. Michel ; celui-ci fut-il prostitué, il fallut qu'Henri III. créât celui du Saint-Esprit. Ce qui peut introduire inévitablement le luxe, & pis encore, la soif de l'or, dans un état monarchique, c'est la distribution des graces & leur nature. Si l'on ne distingue pas les bienfaits, les dons, les récompenses, les graces proprement dites, par lesquelles je n'entends désormais que les marques purement honorables, tout sera perdu. Louis XIV. a senti une partie de ce que je dis : il répandoit ses bienfaits, ils tiennent à la générosité ; il accorda des dons à ceux qui étoient attachés au service de sa personne, cela tient à la reconnoissance ; récompensa les artistes célebres & les gens de lettres illustres, cela tient à la gloire ; fit des graces aux seigneurs de sa cour, cela tient à la dignité : il eût tout fait s'il n'avoit pas attaché au bonheur de lui plaire des graces que partageoient ceux qui avoient l'honneur de servir dans ses armées, & qu'il n'eût pas donné à ses courtisans des biens immenses qui les rendoient l'objet de la jalousie de ceux dont à leur tour ils envioient les grades. Le danger de ce mal étoit moins voisin, que s'il eût tout confondu ; il en étoit presque le maître : mais ce mal devoit jetter des racines profondes, & qui ébranleroient la machine si on vouloit les déraciner. C'est le luxe qu'il devoit produire ; quand il sera poussé à l'excès, on demandera les charges pour jouir de leurs émolumens. Alors on pourra prostituer les honneurs ; on les desirera ces honneurs, & on les partagera avec des gens qui les dégradent, parce que le tems sera venu de demander combien avez-vous d'argent ? quia tanti scis, quantum habeas. C'étoit-là le beau siécle d'Auguste. Il est pourtant un moyen de reculer ces tems détestables, c'est de n'attacher aux grades, aux marques, aux places honorifiques nul revenu ; cela arrêteroit le luxe ; on ne se ruineroit plus pour avoir un gouvernement, mais on feroit un bon usage de son bien pour se rendre digne de commander une province. Sed tandem sit finis quaerendi.
POLITIQUES, s. m. pl. (Hist. mod.) nom d'un parti qui se forma en France pendant la ligue en 1574. C'étoient des catholiques mécontens, qui sans toucher à la religion, protestoient qu'ils ne prenoient les armes que pour le bien public, pour le soulagement du peuple, & pour réformer les désordres qui s'étoient glissés dans l'état par la trop grande puissance de ceux qui abusoient de l'autorité royale ; on les nomma aussi royalistes, quoique dans le fond ils ne fussent pas trop soumis au souverain. Ils se joignirent aux Huguenots, sous la conduite d'Henri de Montmorenci, maréchal de Damville & gouverneur de Languedoc, qui pour se maintenir dans sa place avoit formé ce parti, & y avoit attiré le vicomte de Turenne son neveu, qui fut depuis duc de Bouillon.
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POLITORIUM | (Géog. anc.) ville d'Italie dans le Latium, & selon Pline, liv. III. ch. v. dans la premiere région. Tite-Live, liv. I. ch. xxxiij. dit que cette ville fut prise par le roi Ancus. On ne sait point aujourd'hui sa position.
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POLIUM | S. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale & labiée ; les étamines se trouvent sur la levre supérieure ; la levre d'en-bas est divisée en cinq parties comme dans les fleurs de la germandrée. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les fleurs naissent sur les branches & sur les tiges, & qu'elles sont réunies en forme de tête. Tournefort, Institut. rei herbar. Voyez PLANTE.
Ce genre de plante, en anglois the montain-poley, est bien nombreux en especes. Tournefort en compte trente-sept ; il y en a deux employées principalement en Médecine, le jaune & le blanc.
Le polium jaune, polium montanum, luteum, I. R. H. 206. a la racine ligneuse, garnie de quelques fibres. Elle pousse plusieurs tiges grêles, dures, hautes d'environ un demi-pié, cotonneuses, dont les unes se tiennent couchées sur terre, & les autres redressées. Ses feuilles sont petites, oblongues, épaisses, dentelées sur leurs bords, garnies en-dessus & en-dessous d'un duvet ou coton blanchâtre.
Ses fleurs naissent au sommet des tiges & des branches ; elles sont formées en gueules, petites, ramassées plusieurs ensemble en maniere de tête, de couleur jaune comme de l'or, d'une odeur pénétrante & aromatique, d'un goût amer : chacune de ses sleurs est un tuyau évasé par le haut & prolongé en une levre découpée en cinq parties ; la levre supérieure est si courte qu'on ne la voit point, & sa place est occupée par quelques étamines. Après que les fleurs sont passées, il leur succede des semences menues, presque rondes, renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur.
Cette plante croît dans les pays chauds sur les montagnes, les collines & autres lieux élevés, secs & pierreux, comme en Languedoc, en Provence, en Dauphiné. On la cultive dans les jardins où elle fleurit en été, ordinairement en Juillet & Août. Clusius dit qu'en Espagne, aux royaumes de Grenade & de Valence, elle fleurit dès le mois de Mars.
Le polium à fleur blanche, polium montanum, album, I. R. H. 206. ne differe du précédent qu'en ce que ses feuilles sont plus petites & moins cotonneuses, & en ce que ses fleurs sont blanches de même que ses têtes.
Le polium résiste à la putréfaction ; il est amer, & approche beaucoup de la nature de la germandrée ; il est apéritif, sudorifique, emménagogue. Il entre dans plusieurs confections, dans les opiates & dans la thériaque ; on employe particulierement ses sommités fleuries, qu'on appelle coma polii, seu comam poliatam ; mais on ne connoît point le polium des anciens.
Il y a une espece de polium rare dans les boutiques, & plus odorant que les autres, c'est le polium de Crete, nommé polium maritimum, erectum, monspeliacum, par C. B. P. 221. Rai, Hist. I. 524. Tournefort, I. R. H. 206.
Cette espece a environ un pié de haut ; elle est fort branchue, & pousse des tiges quarrées & velues, des noeuds desquelles sortent deux petites feuilles blanches, cotonneuses, d'environ demi-pouce de long & d'environ trois lignes de large, mousses & découpées vers leurs extrémités. Les fleurs naissent aux sommets des tiges dans des épis ronds, cotonneux, épais ; elles sont petites & de couleur blanche, en gueule, sans casque, & portées sur un calice blanc, velu, à cinq segmens. Les fleurs & les feuilles ont une odeur aromatique, fort agréable. Elle croit en Italie & dans les provinces méridionales de France, & fleurit au mois de Juillet. (D.J.)
POLIUM DE MONTAGNE, (Mat. méd.) les sommités fleuries de cette plante entrent dans les fameux antidotes des anciens, tels que le mithridate & la thériaque. Elles entrent aussi dans l'hiere de coloquinte. Elle est encore un des ingrédiens de l'eau générale de la pharmacopée de Paris, & de plusieurs compositions officinales analogues, mais inusitées parmi nous. On ne l'employe point communément dans les prescriptions magistrales. Ses sommités fleuries & ses feuilles infusées à la maniere du thé, sont recommandées cependant par des botanistes comme diurétiques, emménagogues, désobstruantes & alexipharmaques. (b)
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POLIUS | (Mythol.) , nom sous lequel les Thébains honoroient Apollon ; il signifie le blanc & le beau, parce que ce dieu étoit toujours représenté avec la fleur de la jeunesse. On lui sacrifioit un taureau ; mais un jour, à la fête du dieu, comme ceux qui étoient chargés d'amener la victime n'arrivoient point, & que le tems pressoit, un chariot attelé de deux boeufs étant venu à passer par hasard, dans le besoin où on étoit, on prit un de ces boeufs pour l'immoler ; & depuis il passa en coutume de sacrifier un boeuf qui eût été sous le joug.
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POLLARD | S. m. (Comm.) nom d'une fausse monnoie d'Angleterre, qui eut cours dans le xiij. siécle. Le roi Edouard la décria en 1301. On présume qu'elle portoit le nom de celui qui l'avoit fabriquée.
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POLLENTIA | S. f. (Gram. Mythol.) déesse de la puissance chez les Romains.
POLLENTIA, (Géog. anc.) 1°. Ville d'Italie dans le Picenum. Tite-Live lui donne le nom de colonie romaine. 2°. Pollentia, ville de la Ligurie. Ptolomée, liv. III. ch. j. qui écrit pollentia, place cette ville dans les terres. Selon Columelle, liv. VII. ch. ij. on faisoit cas anciennement des laines noires & brunes de Pollentia : ce qui a fait dire à Martial, liv. IV. Ep. 157.
Non tantum Pullo lugentes vellere lanas.
Et à Silius Italicus, liv. VIII. v. 599.
Fuscique ferax Pollentia villi.
Cette ville conserve son ancien nom. On l'appelle présentement Polenza. Elle est au confluent du Tanaro & de la Stura. 3°. Pollentia est aussi une ville qui étoit la plus grande des îles Baléares. Les anciens lui donnent le titre de colonie romaine. On l'appelle aujourd'hui Puglienza. (D.J.)
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POLLINA | (Géog. mod.) riviere de Sicile au val Demona ; elle a sa source dans les montagnes de Madonia, & son embouchure sur la côte septentrionale, entre le cap de Cefalu & celui de Mariazo. La Pollina est le Monalus des anciens.
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POLLINCTEURS | S. m. pl. (Hist. anc.) hommes dont le métier étoit de laver & d'embaumer les morts. Les Grecs les appelloient nécrocosmes. C'étoient des gens aux gages des libitinaires.
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POLLUCTUM | S. m. (Hist. anc.) sacrifice à Jupiter Dapales, ou à Hercule, ou quelqu'autre dieu ; il étoit suivi d'un repas. Polluctum vient de pollucere, offrir. Decimam partem Herculi pollucere, c'étoit donner la dixme à Hercule. Le repas qui suivoit le sacrifice étoit somptueux. D'où l'on a fait les expressions obsecrare pollucibiliter, pour vivre ou servir splendidement ; pollucibilis caena, pour un repas splendide.
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POLLUSTINI | (Géog. anc.) peuples d'Italie, que Pline l. III. c. v. met dans la premiere région ; c'étoient les habitans de Polusca.
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POLLUTION | S. f. POLLUER, v. act. (Morale) effusion de semence hors l'usage du mariage. Les théologiens moralistes en distinguent de deux sortes : l'une volontaire, & l'autre involontaire.
La pollution volontaire est celle qu'on se procure par mollesse ; les casuistes la nomment mollities, immunditia. Tous conviennent que c'est un péché contre-nature. Les rabbins la mettent au rang des homicides ; & saint Paul dit que ceux qui tombent dans ce crime n'entreront point dans le royaume de Dieu. I. Cor. vj. 10.
La pollution involontaire est celle qui arrive pendant le sommeil, en conséquence de quelque songe qui a troublé l'imagination. On l'appelle autrement illusion ; & elle ne rend pas coupable la personne à qui elle arrive, à-moins qu'elle n'y ait donné occasion en s'arrêtant avec complaisance à quelque pensée impure.
POLLUTION NOCTURNE, (Médecine pratiq.) maladie dont le symptome caractéristique, & celui d'où elle tire son nom, est une éjaculation involontaire, plus ou moins fréquente, de la semence, qui se fait pour l'ordinaire pendant la nuit à l'occasion des songes voluptueux. Les Grecs l'ont appellé en conséquence ou , mot composé d', songe, & , semence qui signifie littéralement songe vénérien ; c'est sous ce nom que Coelius Aurelianus, un des plus anciens auteurs qui ait parlé de cette maladie, en donne une description assez imparfaite.
Il ne faut pas confondre avec l'affection dont il s'agit ici une espece de pollution qui n'est du tout point maladive, & qui sert plutôt à entretenir la santé par l'excrétion nécessaire d'une humeur superflue. C'est celle qui est familiere aux personnes de l'un & l'autre sexe qui vivent dans une continence trop rigoureuse : la nature qui, au grand avantage de l'humanité, ne perd jamais ses droits, les trompe par des mensonges heureux dans des rêves agréables, pourvoit à leur besoin, & leur fait goûter les plaisirs dont ils ont la cruauté ou la vertu de se priver, & qui les dédommagent souvent avec usure de la réalité ; ces personnes, après avoir éprouvé pendant la nuit une de ces pollutions innocentes & salutaires, loin d'en être affoiblies, n'en sont que mieux portantes, plus alertes, & plus dispos.
Il n'en est pas ainsi de ceux qui ont des pollutions nocturnes, excitées moins par le besoin que par une disposition vicieuse des parties de la génération ou du cerveau, & qui méritent à si juste titre le nom affreux de maladie : ces éjaculations plus ou moins réitérées, que le besoin n'a point préparées, que l'appétit ou les desirs n'ont point assaisonnées, n'occasionnent souvent aucun plaisir même momentané ; elles causent au contraire dans plusieurs des douleurs cuisantes, il leur semble que la semence brûle & dévore toutes les parties qu'elle traverse. Mais les suites sont bien plus funestes : après ces éjaculations qui interrompent son sommeil, le malade est plongé dans une espece d'anéantissement, ses yeux s'obscurcissent, une langueur extrême s'empare de tous ses sens, il lui semble n'exister qu'à-demi ; cette terrible idée qui lui retrace sans cesse sa foiblesse & son néant, qui souvent entraîne avec elle l'image d'une mort prochaine, qui la lui représente le bras levé, la faux déployée prête à moissonner ses jours, le plonge dans une tristesse accablante, & jette peu-à-peu les fondemens d'une affreuse mélancolie ; le sommeil vient-il de nouveau fermer sa paupiere, le dérober à lui-même, mettre fin à ses cruelles réflexions, ce n'est que pour lui en procurer une nouvelle matiere ; à-peine est-il endormi, que les songes les plus voluptueux présentent à son imagination échauffée des objets lascifs, la machine suit sa pente naturelle, des foibles desirs naissent aussi-tôt, mais plus promptement encore les parties qui doivent les satisfaire obéissent à ces impressions, & plus encore à la disposition maladive dont elles sont attaquées ; le nouveau feu qui s'allume ne tarde pas à procurer l'évacuation qui en est le sceau & la fin ; le malade se réveille par le plaisir ou par la douleur, & retombe avec plus de force dans l'anéantissement horrible qu'il avoit déja éprouvé. Dans quelques-uns, un nouveau sommeil prépare encore de nouvelles éjaculations & de nouveaux tourmens encore plus terribles. Après avoir passé de pareilles nuits, quelle doit être la situation des malades pendant le jour ? on les voit pâles, mornes, abattus, ayant de la peine à se soutenir, les yeux enfoncés, sans force & sans éclat, leur vûe s'affoiblit, une maigreur épouvantable les défigure, leur appétit se perd, les digestions sont dérangées, presque toutes les fonctions s'alterent, la mémoire n'a plus sa vivacité, & ce n'est pas le plus grand mal ; il seroit même à souhaiter qu'ils en fussent dépourvus au point d'oublier tout-à-fait les fautes qui les ont ordinairement plongés dans cet effroyable état ; bien-tôt des douleurs vagues se répandent dans différentes parties du corps, un feu intérieur les dévore, des ardeurs d'urine s'y joignent, la fievre lente survient, & enfin la phthisie dorsale, suite funeste des excès dans l'évacuation de la semence. Voyez MANUSTUPRATION. Je ne mets pas au nombre de leurs maux la mort à laquelle ils échappent rarement, parce qu'elle est plutôt un remede le seul souvent qui leur reste, & qui se rend toujours trop tard à leurs desirs. Le portrait que je viens de tracer est sans doute affreux, mais il est fait d'après nature : il n'y a malheureusement que trop d'occasions d'en appercevoir la conformité. J'ai observé tous ces symptomes dans un homme d'un tempérament vif, très-sensible, dont la vie n'avoit été qu'un tissu de débauches, qui, après lui avoir attiré plusieurs fois des maladies vénériennes, l'avoient enfin jetté dans cette cruelle maladie : il m'assuroit que loin de goûter du plaisir dans la consommation d'un acte pour l'ordinaire si voluptueux, il n'en ressentoit que des douleurs si aiguës qu'il en poussoit les hauts cris ; il éprouvoit pendant l'éjaculation, aux environs des prostates & dans le reste du canal de l'urethre, une sensation semblable à celle qu'auroit pû faire un fer ardent placé dans ces endroits. Confié aux soins de M. de Lamure, célebre professeur de Montpellier, il en fut traité avec tant de prudence qu'il recouvra enfin une parfaite santé. J'ai vû un autre malade de cette espece, & je n'en rappelle qu'avec horreur le souvenir, dont la fin fut plus déplorable : cloué depuis plusieurs mois sur un lit de douleur où il étoit retenu par une extrême foiblesse, il y étoit en proie au plus cruel martyre ; il éprouvoit même pendant le jour & étant bien éveillé des atteintes de cette maladie auxquelles il lui étoit impossible de résister ; malgré tous ses efforts, sa verge entroit dans une violente érection, des mouvemens convulsifs appropriés agitoient tout son corps, ses yeux étoient hagards, sa mine égarée, des cris plaintifs sortoient de sa bouche, & enfin il éjaculoit avec les plus vives douleurs quelques gouttes de semence ; alors il tomboit dans un affaissement qui paroissoit mortel, dont il ne sortoit que pour renouveller l'horrible scene qu'il venoit de jouer ; il se passoit vers les derniers jours de sa vie peu d'heures qu'il n'eût ainsi quelque pollution : on peut juger à quel point de foiblesse & de maigreur, &c. il étoit réduit ; mais il est impossible de se représenter toute l'horreur du désespoir qui l'agita dans ses derniers momens.
On regarde ordinairement une continence outrée & l'excès dans les plaisirs vénériens, comme causes de la pollution nocturne ; sur quoi nous remarquerons que la continence ne produit que la pollution naturelle, qui n'a lieu qu'autant que la quantité de la semence est trop considérable, & qu'elle irrite par-là les vésicules séminales & les parties correspondantes : mais la pollution nocturne vraiment maladive est toujours l'effet des débauches immodérées & de corps & d'esprit, lorsque non-content de se livrer sans excès aux plaisirs vénériens, on se repaît continuellement l'imagination d'images lascives, voluptueuses, par des conversations sales, des lectures libertines & deshonnêtes ; alors les songes qui ne sont souvent qu'une représentation des objets qui ont le plus occupé l'esprit pendant le jour, roulent sur les mêmes matieres ; les parties de la génération, qu'un exercice fréquent & une imagination échauffée tiennent dans une tension continuelle, sont beaucoup plus susceptibles des impressions lascives, elles obéissent avec facilité au moindre aiguillon, & les mouvemens destinés à l'éjaculation de la semence, devenus presque habituels, s'exécutent sans effort. Ces mêmes causes continuant d'agir avec plus de force, à mesure qu'elles agissent plus souvent, enracinent le mal & le portent au point où nous l'avons vû si terrible ; la chaleur du lit contribue beaucoup à l'augmenter, sur-tout de ces lits de duvet préparés pour la mollesse, où tout le corps est comme enseveli ; la situation du corps couché sur le dos, favorise aussi les pollutions, sans doute à cause de la chaleur plus considérable des reins, il arrive souvent que la tension des parties génitales est augmentée beaucoup au-dessus de l'état naturel ; alors le chatouillement voluptueux, occasionné par l'éjaculation de la semence, dégénere en douleur qui est d'autant plus aiguë que cette tension est plus forte ; & que la semence est plus active, plus chaude, plus irritante, tant la douleur est voisine du plaisir ! Quant aux autres symptomes, ils sont une suite naturelle de l'évacuation d'une humeur précieuse qui prive les parties de leur nourriture & de leur force ; mais de tous les excès vénériens la manustupration est celui qui produit & plus tôt & plus constamment ces effets : voyez cet article. Les personnes livrées à cette infâme passion, & sacrifiant sans mesure à cette fausse Vénus, en sont plus cruellement tourmentées ; par où l'on voit que la nature ne manque pas de supplices pour faire expier les crimes commis contre ses loix, & qu'elle peut en proportionner la violence à la gravité du mal.
Il n'est pas besoin, je pense, de nous arrêter ici à retoucher les signes qui peuvent faire connoître cette maladie, il n'est pas possible de s'y méprendre ; ni à retracer le tableau effrayant des maladies qu'elle peut entraîner à sa suite, on peut facilement en juger par ce que nous avons dit plus haut : nous nous bornerons à observer que ce qui ajoute encore au danger attaché aux pollutions nocturnes, c'est la difficulté de trouver des remedes convenables. Comme la maladie s'est formée peu-à-peu, elle a eu le tems de pousser des profondes racines avant qu'on ait pensé à les arracher ; elle attaque d'ailleurs la machine par le côté le plus foible & par où les ravages sont les plus funestes, c'est en empêchant la nutrition. Il est aisé d'appercevoir combien ce défaut est difficile à réparer ; ainsi, quoiqu'on puisse guérir cette maladie, le tempérament en est affoibli pour toujours.
Les remedes qu'une expérience la moins malheureuse a consacrés, sont 1°. les secours moraux qui doivent tendre à éloigner de l'esprit des malades toute idée lascive, en écartant les livres deshonnêtes, les objets voluptueux, les amis libertins, & y substituant des lectures agréables & décentes, car il faut amuser le malade, l'ennui ne pourroit qu'augmenter son mal : voilà pourquoi les livres de morale & de piété, quoique dans le fond meilleurs, seroient moins convenables, d'autant mieux que le changement étant trop rapide ne seroit pas naturel ; on pourroit aussi remplir le tems par des parties de jeu, par des concerts ; dans l'état où sont nos spectacles, ils ne me paroissent pas propres à détourner l'esprit des idées voluptueuses. 2°. Les secours diététiques qui doivent être propres à nourrir légérement en rafraîchissant, en tempérant le feu & l'agitation des humeurs ; en conséquence on peut nourrir ces malades avec la viande des jeunes animaux, & s'en servir pour faire leurs bouillons & potages dans lesquels il faut faire entrer le riz, l'orge, ou les herbes rafraîchissantes, la laitue, la chicorée, le pourpier, &c. On doit éviter avec beaucoup de circonspection tous les mets salés, épicés, les liqueurs fortes, aromatiques, & le vin même, à-moins que l'estomac affoibli ne l'exige : sine Baccho & Cerere friget Venus, dit le proverbe. Au nombre des secours diététiques est encore l'attention qui n'est pas indifférente qu'il faut avoir au lit du malade ; il doit être aussi dur que le malade pourra le soutenir, & fort large, afin qu'il puisse changer souvent de place & chercher les endroits frais ; du reste il aura soin de se tenir couché sur le côté, ou sur le ventre, quand il sera prêt à s'endormir. 3°. Les remedes que la Pharmacie fournit, sont les rafraîchissans employés de différentes façons : parmi les remedes intérieurs, le nymphaea passe pour le plus propre à calmer les irritations vénériennes ; on pourra s'en servir en tisane, en julep, en syrop, faire prendre tous les soirs en se couchant des émulsions composées avec la décoction ou le syrop de cette fleur aquatique ; on pourra y joindre les semences d'agnus castus, & toutes les autres plantes rafraîchissantes : il faudra prendre garde cependant qu'elles ne dérangent pas l'estomac ; & pour parer à cet inconvénient, comme pour donner du ton aux parties génitales, on peut conseiller l'usage de quelque léger tonique, comme du mars ou du quinquina. A l'extérieur, les remedes généraux sont les bains sur-tout un peu froids : on peut enfin tenter la vertu des applications extérieures qui passent pour modérer le feu vénérien, telles sont les ceintures avec l'herbe de nymphaea, les fomentations sur les reins avec des linges ou des éponges imbibées d'oxicrat, d'extrait de Saturne, de décoction de nymphaea, de balaustes, d'hypocistis, &c. telle est aussi, à ce que l'on prétend, l'application d'une plaque de plomb sur la région des lombes. Lorsque la maladie commencera à s'appaiser, il faudra graduellement diminuer les rafraîchissans, & insister sur les toniques amers ou martiaux. (m)
POLLUTION, (Jurisprud.) signifie souillure : la pollution d'une église arrive, lorsqu'on y a commis quelque profanation, comme quand il y a eu effusion de sang en abondance.
En cas de pollution des églises, les évêques avoient coutume autrefois de les consacrer de nouveau ; mais présentement la simple réconciliation suffit. Voyez RECONCILIATION & les Mém. du Clergé, tom. VI. (A)
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POLLUX | en terme d'Astronomie ; c'est la partie postérieure de la constellation des gémeaux ou gémini. Voyez GEMEAUX.
Pollux est aussi une étoile fixe de la seconde grandeur dans la même constellation ; elle est placée dans la tête du gémeau postérieur, pollux. Chambers. (O)
POLLUX, (Mythol.) nom propre d'un demi-dieu, selon la Mythologie ; Pollux étoit censé fils de Jupiter & de Léda, au lieu que son frere Castor n'étoit fils que de Tyndare ; c'est pourquoi celui-ci étoit mortel, tandis que le fils de Jupiter devoit jouir de l'immortalité ; mais l'amitié qui regnoit entre les deux freres, sut mettre de l'égalité dans deux conditions si dissemblables ; Pollux demanda à Jupiter que son frere participât à sa divinité, & obtint que tour-à-tour l'un seroit parmi les dieux, tandis que l'autre seroit parmi les morts ; ainsi les deux freres ne se trouvoient jamais de compagnie dans l'assemblée de l'olympe. La constellation des gémeaux qui sont Castor & Pollux, a pu donner naissance à cette fable, parce que quand l'un des gémeaux entre dans les rayons du soleil, l'autre en sort & paroît. L'histoire dit que Pollux étoit un excellent athlete ; il vainquit au combat du ceste Amycus, fils de Neptune.
Quoique les deux freres allassent presque toujours ensemble dans les honneurs & dans le culte qu'on leur rendit après leur mort ; cependant on trouve que Pollux avoit un temple à lui seul, près de la ville de Téraphné en Laconie, outre une fontaine du même endroit qui lui étoit spécialement consacrée, & qu'on appelloit Polydocée, ou la fontaine de Pollux. (D.J.)
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POLNA | (Géog. mod.) petite ville de Bohème, sur les confins de la Moravie, près de la source de la Sazava. Long. 32. 22. latit. 50. 10.
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POLOCZK | ou POLOCZK, (Géog. mod.) ville du grand duché de Lithuanie, capitale du palatinat de même nom, au confluent de la Dwine & de la Polotta, à 30 lieues au levant de Braslaw, à 20 sud-ouest de Witepsk, à 50 milles au nord oriental de Vilna, avec deux châteaux. Les Moscovites s'en emparerent en 1563. Les Polonois la reprirent en 1579. Long. 47. 28. lat. 35. 32.
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POLOCZKO | (Géog. mod.) palatinat du grand duché de Lithuanie, dans sa partie septentrionale, borné au nord, par la Moscovie ; au midi, par la Dwina ; au levant, par le palatinat de Witepsk ; & au couchant, par la Livonie. Il avoit autrefois le titre de duché, & avoit des princes particuliers ; c'est un pays rempli de bois. Poloczki est la capitale.
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POLOGNE | (Géog. mod.) grand royaume d'Europe, borné au nord, par la mer Baltique qui le sépare de la Suede ; à l'orient, par la Tartarie & la Moscovie ; au midi, par le Pont-Euxin, la Valachie, la Moldavie, la Transsylvanie & la Hongrie ; à l'occident, par la Poméranie, le Brandebourg, la Silésie & la Moravie.
Ce royaume étoit autrefois plus vaste ; car il occupoit encore la Silésie, la Livonie, les duchés de Smolensko, de Séverie, de Czernichovie, le palatinat de Kiow, &c. il est malgré cela très-étendu ; sa longueur depuis l'extrémité du Marggraviat de Brandebourg, jusqu'aux frontieres de Moscovie, est de 210 lieues polonoises. Sa largeur depuis le fond de la Pokucie jusqu'au Parnau, en Livonie, est de près de 200 lieues du même pays ; c'est en grande partie ce qu'on appelloit autrefois Sarmatie.
Ce vaste état se divise en trois parties principales, la grande Pologne au nord, la petite Pologne au milieu, & le grand duché de Lithuanie, au sud-est ; Ces trois parties contiennent vingt-sept palatinats, qui ont chacun un gouverneur & un castellan.
Les principales rivieres de la Pologne sont la Vistule, le Bogh, la Varte, la Niemen, le Nieper, & le Niester. Cracovie est la capitale du royaume, & Varsovie la résidence la plus ordinaire des rois polonois de naissance. Long. depuis le 33d. jusqu'au 45. lat. du 47d. jusqu'au 56.
L'histoire & le gouvernement de la Pologne, demandent un article à part ; mais les curieux qui forment des bibliotheques considérables, où ils font entrer l'histoire de toutes les monarchies du monde, peuvent recueillir sur la Pologne les livres suivans ; d'abord pour la géographie, Ortelius, Bertius, Cluvier, Briet, Alexandre Guagnini de Vérone, sarmat. europ. descriptio, & mieux encore Andreae Cellarii, noviss. descript. Poloniae. Petri Rzaczinschi, hist. naturalis regni Poloniae, Sandomiriae 1720. in-4°.
Plusieurs auteurs ont compilé l'histoire de ce royaume, entr'autres Matthias Mickow, in chronicis ; Sarnic, annal. Polon. Neughbaveri res Polonorum ; Kedlubek, hist. Polon. Les suivans sont plus estimés, Dlugloss, hist. Polon. Martini Cromer, hist. Polon. Hartknock, de republicâ polonicâ. Simon Okolski, orbis polonus ; enfin, on a recueilli en un corps les meilleurs historiens de Pologne.
Les François, comme le Laboureur, Davity, Rochefort, Hauteville, Beaujeu, Massuet, &c. n'ont fait qu'effleurer très-superficiellement l'histoire du gouvernement de Pologne ; mais il n'en est pas de même de l'auteur de la vie de Sobieski ; il a recouru aux sources, & a peint avec goût. Voyez l'article suivant. (D.J.)
POLOGNE, histoire & gouvernement de, (Hist. & Droit politique) un tableau général de l'histoire & gouvernement de la Pologne, ne peut qu'être utile ; mais quand il est aussi-bien dessiné, que l'a fait M. l'abbé Coyer à la tête de sa vie de Sobieski, il plaît encore ; il instruit, il intéresse, il offre des réflexions en foule au philosophe & au politique ; on en jugera par l'esquisse que j'en vais crayonner. Qu'on ne la regarde pas cette esquisse comme une superfluité, puisque ce royaume est beaucoup moins connu que les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suede & le Danemarck.
D'ailleurs, l'histoire des royaumes héréditaires & absolus, ne produit pas ordinairement le grand intérêt que nous cherchons dans les états libres. La monotonie d'obéissance passive, salutaire si le monarque est bon, ruineuse s'il est méchant, ne met guere sur le théâtre de l'histoire, que des acteurs qui n'agissent qu'au gré d'un premier acteur ; & quand ce premier acteur est sans crainte, il n'a pas le pouvoir lui-même de nous intéresser vivement.
Il n'en est pas ainsi d'un pays dont le roi est électif ; ou ses vertus le portent sur le trône, ou c'est la force qui l'y place. S'il s'éleve par ses vertus, le spectacle est touchant ; si c'est par la force, il attire encore les regards en triomphant des obstacles ; & lorsqu'il est au faîte de la puissance, il a un besoin continuel de conseil & d'action pour s'y maintenir. Le roi, la loi, & la nation, trois forces qui pesent sans cesse l'une sur l'autre, équilibre difficile. La nation sous le bouclier de la loi, pense, parle, agit avec cette liberté qui convient à des hommes. Le roi, en suivant ou en violant la loi, est approuvé ou contredit, obéi ou désobéi, paisible ou agité.
Les Polonois avant le sixieme siecle, lorsqu'ils étoient encore Sarmates, n'avoient point de rois. Ils vivoient libres dans les montagnes & les forêts, sans autres maisons que des chariots, toujours méditant quelque nouvelle invasion ; mauvaises troupes pour se battre à pié, excellentes à cheval. Il est assez étonnant qu'un peuple barbare, sans chef & sans loix, ait étendu son empire depuis le Tanaïs jusqu'à la Vistule, & du Pont-Euxin à la mer Baltique ; limites prodigieusement distantes, qu'ils reculerent encore en occupant la Bohème, la Moravie, la Silésie, la Lusace, la Misnie, le Mecklenbourg, la Poméranie & les Marches Brandebourgeoises. Les Romains qui soumettoient tout, n'allerent point affronter les Sarmates.
Ce paradoxe historique montre ce que peuvent la force du corps, une vie dure, l'amour naturel de la liberté, & un instinct sauvage qui sert de loix & de rois. Les nations policées appelloient les Sarmates des brigands, sans faire attention qu'elles avoient commencé elles-mêmes par le brigandage.
Il s'en faut beaucoup que les Polonois, qui prirent ce nom au milieu du sixieme siecle, aient conservé tout l'héritage de leurs peres. Il y a long-tems qu'ils ont perdu la Silésie, la Lusace, une grande partie de la Poméranie, la Bohème, & tout ce qu'ils possédoient dans la Germanie. D'autres siecles ont encore amené de nouvelles pertes ; la Livonie, la Podolie, la Volhinie, & les vastes campagnes de l'Ukraine ont passé à d'autres puissances ; c'est ainsi que tant de grands empires se sont brisés sous leur propre poids.
Vers l'an 550, Leck s'avisa de civiliser les Sarmates ; sarmate lui-même, il coupa des arbres, & s'en fit une maison. D'autres cabanes s'éleverent autour du modèle. La nation jusqu'alors errante se fixa ; & Gnesne, la premiere ville de Pologne, prit la place d'une forêt. Les Sarmates apparemment connoissoient mal les aigles ; ils en trouverent, dit-on, plusieurs nids en abattant des arbres ; c'est de-là que l'aigle a passé dans les enseignes polonoises. Ces fiers oiseaux font leurs aires sur les plus hauts rochers, & Gnesne est dans une plaine. Leck attira les regards de ses égaux sur lui, & déployant des talens pour commander autant que pour agir, il devint leur maître, sous le nom de duc, pouvant prendre également celui de roi.
Depuis ce chef de la nation jusqu'à nos jours, la Pologne a eu d'autres ducs, des vaivodes, aujourd'hui palatins, des rois, des reines, des régentes & des interregnes. Les interregnes ont été presqu'autant d'anarchies ; les régentes se sont fait haïr ; les reines en petit nombre n'ont pas eu le tems de se montrer ; les vaivodes ne furent que des oppresseurs. Parmi les ducs & les rois, quelques-uns ont été de grands princes ; les autres ne furent que guerriers ou tyrans. Tel sera toujours à-peu-près le sort de tous les peuples du monde, parce que ce sont des hommes & non les loix qui gouvernent !
Dans cette longue suite de siecles, la Pologne compte quatre classes de souverains ; Leck, Piast, Jagellon, voilà les chefs des trois premieres races. La quatrieme qui commence à Henri de Valois, forme une classe à part, parce que la couronne y a passé d'une maison à une autre, sans se fixer dans aucune.
La succession dans les quatre classes montre des singularités, dont quelques-unes méritent d'être connues.
L'an 750 les Polonois n'avoient pas encore examiné si une femme pouvoit commander à des hommes ; il y avoit long-tems que l'Orient avoit décidé que la femme est née pour obéir. Venda regna pourtant & glorieusement ; la loi ou l'usage salique de la France fut ensuite adopté par la Pologne ; car les deux reines qu'on y a vûes depuis Venda, savoir, Hedwige en 1382 & Anne Jagellon en 1575, ne monterent sur le trône, qu'en acceptant les époux qu'on leur désigna pour les soutenir dans un poste si élevé. Anne Jagellon avoit soixante ans, lorsqu'elle fut élûe. Etienne Battori, qui l'épousa pour régner, pensa qu'une reine étoit toujours jeune.
Des siecles antérieurs avoient ouvert d'autres chemins à la souveraineté. En 804, les Polonois furent embarrassés pour le choix d'un maître ; ils proposerent leur couronne à la course : pratique autrefois connue dans la Grece, & qui ne leur parut pas plus singuliere, que de la donner à la naissance. Un jeune homme nourri dans l'obscurité la gagna, & il prit le nom de Lesko II. Les chroniques du tems nous apprennent qu'il conserva sous la pourpre, la modestie & la douceur de sa premiere fortune ; fier seulement & plein d'audace lorsqu'il avoit les armes à la main.
Presque tous les Polonois soutiennent que leur royaume fut toujours électif ; cette question les intéresse peu, puisqu'ils jouissent. Si on vouloit la décider par une suite de faits pendant six ou sept siecles, on la décideroit contr'eux, en montrant que la couronne dans les deux premieres classes, a passé constamment des peres aux enfans ; excepté dans les cas d'une entiere extinction de la maison regnante. Si les Polonois alors avoient pû choisir leurs princes, ils auroient pris parmi leurs palatins des sages tout décidés.
Les eût-on vu aller chercher un moine dans le fond d'un cloître, pour le porter sur le trône, uniquement parce qu'il étoit du sang de Piast ? Ce fut Casimir I. fils d'un pere détesté, Miecislaw II. & d'une mere encore plus exécrable. Veuve & régente, elle avoit fui avec son fils ; on le chercha cinq ans après pour le couronner : la France l'avoit reçu. Les ambassadeurs polonois le trouverent sous le froc dans l'abbaye de Clugny, où il étoit profès & diacre. Cette vue les tint d'abord en suspens, ils craignirent que son ame ne fût flétrie sous la cendre & le cilice ; mais faisant réflexion qu'il étoit du sang royal, & qu'un roi quelconque étoit préférable à l'interregne qui les désoloit, ils remplirent leur ambassade. Un obstacle arrêtoit ; Casimir étoit lié par des voeux & par les ordres sacrés ; le pape Clément II. trancha le noeud, & le cénobite fut roi. Ce n'est qu'à la fin de la seconde classe, que le droit héréditaire périt pour faire place à l'élection.
Le gouvernement a eu aussi ses révolutions : il fut d'abord absolu entre les mains de Leck, peut-être trop : la nation sentit ses forces, & secoua le joug d'un seul ; elle partagea l'autorité entre des vaivodes ou généraux d'armée, dans le dessein de l'affoiblir. Ces vaivodes assis sur les débris du trône, les rassemblerent pour en former douze, qui venant à se heurter les uns & les autres, ébranlerent l'état jusque dans ses fondemens. Ce ne fut plus que révoltes, factions, oppression, violence. L'état dans ces terribles secousses, regretta le gouvernement d'un seul, sans trop penser à ce qu'il en avoit souffert : mais les plus sensés chercherent un homme qui sût regner sur un peuple libre, en écartant la licence. Cet homme se trouva dans la personne de Cracus, qui donna son nom à la ville de Cracovie, en la fondant au commencement du septieme siecle.
L'extinction de sa postérité dès la premiere génération, remit le sceptre entre les mains de la nation, qui ne sachant à qui le confier, recourut aux vaivodes qu'elle avoit proscrits. Ceux-ci comblerent les desordres des premiers ; & cette aristocratie mal constituée ne montra que du trouble & de la foiblesse.
Au milieu de cette confusion, un homme sans nom & sans crédit, pensoit à sauver sa patrie : il attira les Hongrois dans un défilé où ils périrent presque tous. Przémislas (c'est ainsi qu'on le nommoit) devint en un jour l'idole du peuple ; & ce peuple sauvage qui ne connoissoit encore d'autres titres à la couronne que les vertus, la plaça sur la tête de son libérateur, qui la soutint avec autant de bonheur que de gloire, sous le nom de Lesko I. dans le huitieme siecle.
Ce rétablissement du pouvoir absolu ne dura pas long-tems, sans éprouver une nouvelle secousse. Popiel II. le quatrieme duc depuis Przémislas, mérita par ses crimes d'être le dernier de sa race ; l'anarchie succéda, & les concurrens au trône s'assemblerent à Kruswic, bourgade dans la Cujavie. Un habitant du lieu les reçut dans une maison rustique, leur servit un repas frugal, leur montra un jugement sain, un coeur droit & compatissant, des lumieres au-dessus de sa condition, une ame ferme, un amour de la patrie, que ces furieux ne connoissoient pas. Des ambitieux qui desesperent de commander, aiment mieux se soumettre à un tiers qui n'a rien disputé, que d'obéir à un rival. Ils se déterminerent pour la vertu ; & par-là ils réparerent en quelque sorte tous les maux qu'ils avoient faits pour parvenir au trône ; Piast regna donc au neuvieme siecle.
Les princes de sa maison, en se succédant les uns aux autres, affermissoient leur autorité ; elle parut même devenir plus absolue entre les mains de Boleslas I. dans le dixieme siecle. Jusqu'à lui les souverains de Pologne, n'avoient eu que le titre de duc : deux puissances se disputoient alors le pouvoir de faire des rois, l'empereur, & le pape. A examiner l'indépendance des nations les unes des autres, ce n'est qu'à elles-mêmes à titrer leurs chefs. Le pape échoua dans sa prétention : ce fut l'empereur Othon III. qui touché des vertus de Boleslas, le revétit de la royauté, en traversant la Pologne.
On n'auroit jamais cru qu'avec cet instrument du pouvoir arbitraire (un diplome de royauté, donné par un étranger), le premier roi de Pologne eût jetté les premieres semences du gouvernement républicain. Cependant ce héros, après avoir eu l'honneur de se signaler par des conquêtes, & la gloire bien plus grande d'en gémir, semblable à Servius Tullius, eut le courage de borner lui-même son pouvoir, en établissant un conseil de douze sénateurs, qui pût l'empêcher d'être injuste.
La nation qui avoit toujours obéi en regardant du côté de la liberté, en apperçut avec plaisir la premiere image : ce conseil pouvoit devenir un sénat. Nous avons vu que dès les commencemens elle avoit quitté le gouvernement d'un seul pour se confier à douze vaivodes. Cette idée passagere de république ne l'avoit jamais abandonnée ; & quoique ses princes, après son retour à sa premiere constitution, se succédassent les uns aux autres par le droit du sang, elle restoit toujours persuadée qu'il étoit des cas où elle pouvoit reprendre sa couronne. Elle essaya son pouvoir sur Miecislaw III. prince cruel, fourbe, avare, inventeur de nouveaux impôts : elle le déposa. Ces dépositions se renouvellerent plus d'une fois ; Uladislas Laskonogi, Uladislas Loketek, se virent forcés à descendre du trône, & Casimir IV. auroit eu le même sort, s'il n'eût fléchi sous les remontrances de ses sujets. Poussés à bout par la tyrannie de Boleslas II. dans le treizieme siécle, ils s'en délivrerent en le chassant.
Une nation qui est parvenue à déposer ses rois, n'a plus qu'à choisir les pierres pour élever l'édifice de sa liberté, & le tems amene tout. Casimir le grand, au quatorzieme siécle, pressé de finir une longue guerre, fit un traité de paix, dont ses ennemis exigerent la ratification par tous les ordres du royaume. Les ordres convoqués refuserent de ratifier ; & ils sentirent dès ce moment qu'il n'étoit pas impossible d'établir une république en conservant un roi.
Les fondemens en furent jettés avant la mort même de Casimir ; il n'avoit point de fils pour lui succéder ; il proposa son neveu Louis, roi de Hongrie. Les Polonois y consentirent ; mais à des conditions qui mettoient des entraves au pouvoir absolu : ils avoient tenté plus d'une fois de le diminuer par des révoltes ; ici c'est avec des traités. Le nouveau maître les déchargeoit presque de toute contribution ; il y avoit un usage établi, de défrayer la cour dans ses voyages ; il y renonçoit. Il s'engageoit pareillement à rembourser à ses sujets les dépenses qu'il seroit contraint de faire, & les dommages même qu'ils auroient à souffrir dans les guerres qu'il entreprendroit contre les puissances voisines : rien ne coûte pour arriver au trône.
Louis y parvint, & les sujets obtinrent encore que les charges & les emplois publics seroient desormais donnés à vie aux citoyens, à l'exclusion de tout étranger, & que la garde des forts & des châteaux ne seroit plus confiée à des seigneurs supérieurs au reste de la noblesse, par une naissance qui leur donnoit trop de crédit. Louis possesseur de deux royaumes, préféroit le séjour de la Hongrie, où il commandoit en maître, à celui de la Pologne, où l'on travailloit à faire des lois. Il envoya le duc d'Oppellen pour y gouverner en son nom : la nation en fut extrêmement choquée, & le roi fut obligé de lui substituer trois seigneurs polonois agréables au peuple : Louis mourut sans être regretté.
Ce n'étoit pas assez à l'esprit républicain, d'avoir mitigé la royauté ; il frappa un autre grand coup, en abolissant la succession ; & la couronne fut déférée à la fille cadette de Louis, à condition qu'elle n'accepteroit un époux que de la main de l'état. Parmi les concurrens qui se présenterent, Jagellon fit briller la couronne de Lithuanie, qu'il promit d'incorporer à celle de Pologne. C'étoit beaucoup : mais ce n'étoit rien, s'il n'avoit souscrit à la forme républicaine. C'est à ce prix qu'il épousa Hedwige, & qu'il fut roi.
Il y eut donc une république composée de trois ordres : le roi, le sénat, l'ordre équestre, qui comprend tout le reste de la noblesse, & qui donna bientôt des tribuns sous la dénomination de nonces. Ces nonces représentent tout l'ordre équestre dans les assemblées générales de la nation qu'on nomme dietes, & dont ils arrêtent l'activité, quand ils veulent, par le droit de veto. La république romaine n'avoit point de roi : mais dans ses trois ordres, elle comptoit les plébéïens, qui partageoient la souveraineté avec le sénat & l'ordre équestre ; & jamais peuple ne fut ni plus vertueux, ni plus grand. La Pologne différente dans ses principes, n'a compté son peuple qu'avec le bétail de ses terres. Le sénat qui tient la balance entre le roi & la liberté, voit sans émotion la servitude de cinq millions d'hommes, autrefois plus heureux lorsqu'ils étoient Sarmates.
La république polonoise étant encore dans son enfance, Jagellon parut oublier à quel prix il regnoit : un acte émané du trône se trouva contraire à ce qu'il avoit juré ; les nouveaux républicains sous ses yeux même, mirent l'acte en piece avec leurs sabres.
Les rois, qui avant la révolution décidoient de la guerre ou de la paix, faisoient les lois, changeoient les coutumes, abrogeoient les constitutions, établissoient des impôts, disposoient du trésor public, virent passer tous ces ressorts de puissance dans les mains de la noblesse ; & ils s'accoutumerent à être contredits. Mais ce fut sous Sigismond Auguste, au seizieme siécle, que la fierté républicaine se monta sur le plus haut ton.
Ce prince étant mort sans enfans en 1573, on pensa encore à élever de nouveaux remparts à la liberté. On examina les loix anciennes ; les unes furent restraintes, les autres plus étendues, quelques-unes abolies ; & après bien des discussions, on fit un decret qui portoit que les rois nommés par la nation, ne tenteroient aucune voie pour se donner un successeur ; & que conséquemment ils ne prendroient jamais la qualité d'héritiers du royaume ; qu'il y auroit toujours auprès de leur personne seize sénateurs pour leur servir de conseil ; & que sans leur aveu, ils ne pourroient ni recevoir des ministres étrangers, ni en envoyer chez d'autres princes ; qu'ils ne leveroient point de nouvelles troupes, & qu'ils n'ordonneroient point à la noblesse de monter à cheval sans l'aveu de tous les ordres de la république ; qu'ils n'admettroient aucun étranger au conseil de la nation ; & qu'ils ne leur conféreroient ni charges, ni dignités, ni starosties ; & qu'enfin ils ne pourroient point se marier, s'ils n'en avoient auparavant obtenu la permission du sénat, & de l'ordre équestre.
Tout l'interregne se passa à se prémunir contre ce qu'on appelloit les attentats du trône. Henri de Valois fut révolté à son arrivée de ce langage républicain qui dominoit dans toutes les assemblées de l'état. La religion protestante étoit entrée dans le royaume sous Sigismond I. & ses progrès augmentoient à proportion des violences qu'on exerçoit contr'elle. Lorsque Henri arriva à Cracovie, on y savoit que Charles IX. son frere venoit d'assassiner une partie de ses sujets pour en convertir une autre. On craignoit qu'un prince élevé dans une cour fanatique & violente, n'en apportât l'esprit : on voulut l'obliger à jurer une capitulation qu'il avoit déja jurée en France en présence des ambassadeurs de la république, & sur-tout l'article de la tolérance, qu'il n'avoit juré que d'une façon vague & équivoque. Sans l'éloquent Pibrac, on ne sait s'il eût été couronné ; mais quelques mois après, le castellan de Sendomir Ossolenski, fut chargé lui sixieme, de déclarer à Henri sa prochaine déposition, s'il ne remplissoit plus exactement les devoirs du trône. Sa fuite précipitée termina les plaintes de la nation, & son regne.
C'est par tous ces coups de force, frappés en différens tems, que la Pologne s'est conservé des rois sans les craindre. Un roi de Pologne à son sacre même, & en jurant les pacta conventa, dispense les sujets du serment d'obéissance, en cas qu'il viole les loix de la république.
La puissance législative réside essentiellement dans la diete qui se tient dans l'ancien château de Varsovie, & que le roi doit convoquer tous les deux ans. S'il y manquoit, la république a le pouvoir de s'assembler d'elle-même : les diétines de chaque palatinat, précedent toujours la diete. On y prépare les matieres qui doivent se traiter dans l'assemblée générale, & on y choisit les représentans de l'ordre équestre : c'est ce qui forme la chambre des nonces. Ces nonces ou ces tribuns sont si sacrés, que sous le regne d'Auguste II. un colonel saxon en ayant blessé un legerement pour venger une insulte qu'il en avoit reçue, fut condamné à mort & exécuté, malgré toute la protection du roi : on lui fit seulement grace du bourreau ; il passa par les armes.
Pour connoître le sénat qui est l'ame de la diete, il faut jetter les yeux sur les évêques, les palatins, & les castellans. Ces deux dernieres dignités ne sont pas aussi connues que l'épiscopat : un palatin est le chef de la noblesse dans son palatinat. Il préside à ses assemblées ; il la mene au champ électoral pour faire ses rois, & à la guerre lorsqu'on assemble la pospolite ou l'arriere-ban. Il a aussi le droit de fixer le prix des denrées, & de regler les poids & mesures ; c'est un gouvernement de province. Un castellan jouit des mêmes prérogatives dans son district, qui fait toujours partie d'un palatinat, & il représente le palatin dans son absence. Les castellans autrefois étoient gouverneurs des châteaux forts, & des villes royales. Ces gouvernemens ont passé aux starostes qui exercent aussi la justice par eux-mêmes, ou par ceux qu'ils commettent. Une bonne institution, c'est un registre dont ils sont dépositaires : tous les biens du district libres ou engagés, y sont consignés : quiconque veut acquérir, achete en toute sûreté.
On ne voit qu'un staroste dans le sénat, celui de Samogitie ; mais on y compte deux archevêques, quinze évêques, trente-trois palatins, & quatre-vingt-cinq castellans ; en tout cent trente-six sénateurs.
Les ministres ont place au sénat sans être sénateurs ; ils sont au nombre de dix, en se répétant dans l'union des deux états.
Le grand maréchal de la couronne.
Le grand maréchal de Lithuanie.
Le grand chancelier de la couronne.
Le grand chancelier de Lithuanie.
Le vice-chancelier de la couronne.
Le vice-chancelier de Lithuanie.
Le grand trésorier de la couronne.
Le grand trésorier de Lithuanie.
Le maréchal de la cour de Pologne.
Le maréchal de la cour de Lithuanie.
Le grand maréchal est le troisieme personnage de la Pologne. Il ne voit que le primat & le roi au-dessus de lui. Maître du palais, c'est de lui que les ambassadeurs prennent jour pour les audiences. Son pouvoir est presque illimité à la cour, & à trois lieues de circonférence. Il y veille à la sureté du roi, & au maintien de l'ordre. Il y connoît de tous les crimes, & il juge sans appel. La nation seule peut réformer ses jugemens. C'est lui encore qui convoque le sénat, & qui reprime ceux qui voudroient le troubler. Il a toujours des troupes à ses ordres.
Le maréchal de la cour n'a aucun exercice de jurisdiction que dans l'absence du grand maréchal.
Le grand chancelier tient les grands sceaux ; le vice-chancelier les petits. L'un des deux est évêque, pour connoître des affaires ecclésiastiques. L'un ou l'autre doit répondre au nom du roi en polonois ou en latin, selon l'occasion. C'est une chose singuliere que la langue des Romains, qui ne pénétrerent jamais en Pologne, se parle aujourd'hui communément dans cet état. Tout y parle latin jusqu'aux domestiques.
Le grand trésorier est dépositaire des finances de la république. Cet argent, que les Romains appelloient le trésor du peuple, aerarium populi, la Pologne se garde bien de le laisser à la direction des rois. C'est la nation assemblée, ou du moins un sénatus-consulte qui décide de l'emploi ; & le grand trésorier ne doit compte qu'à la nation.
Tous ces ministres ne ressemblent point à ceux des autres cours. Le roi les crée ; mais la république seule peut les détruire. Cependant, comme ils tiennent au trône, la source des graces, & qu'ils sont hommes, la république n'a pas voulu leur accorder voix délibérative dans le sénat.
On donne aux sénateurs le titre d'excellence, & ils prétendent à celui de monseigneur, que les valets, les serfs, & la pauvre noblesse leur prodiguent.
Le chef du sénat est l'archevêque de Gnesne, qu'on nomme plus communément le primat, & dont nous ferons un article à part : c'est assez de dire en passant qu'il est aussi chef de l'église, dignité éminente qui donne à ce ministre de l'humble christianisme tout le faste du trône, & quelquefois toute sa puissance.
Le sénat hors de la diete, remue les ressorts du gouvernement sous les yeux du roi : mais le roi ne peut violenter les suffrages. La liberté se montre jusque dans les formes extérieures. Les sénateurs ont le fauteuil, & on les voit se couvrir dès que le roi se couvre. Cependant le sénat hors de la diete, ne décide que provisionnellement. Dans la diete, il devient législateur conjointement avec le roi & la chambre des nonces.
Cette chambre ressembleroit à celle des communes en Angleterre, si, au lieu de ne représenter que la noblesse, elle représentoit le peuple. On voit à sa tête un officier d'un grand poids, mais dont l'office n'est que passager. Il a ordinairement beaucoup d'influence dans les avis de la chambre. C'est lui qui les porte au sénat, & qui rapporte ceux des sénateurs. On le nomme maréchal de la diete, ou maréchal des nonces. Il est à Varsovie ce qu'étoit le tribun du peuple à Rome ; & comme le patricien à Rome ne pouvoit pas être tribun, celui qui étoit est le tribun des tribuns doit être pris dans l'ordre équestre, & non dans le sénat.
Lorsque la diete est assemblée, tout est ouvert, parce que c'est le bien public dont on y traite. Ceux qui n'y portent que de la curiosité sont frappés de la grandeur du spectacle. Le roi sur un trône élevé, dont les marches sont décorées des grands officiers de la cour ; le primat disputant presque toujours de splendeur avec le roi ; les sénateurs formant deux lignes augustes ; les ministres en face du roi, les nonces en plus grand nombre que les sénateurs, répandus autour d'eux, & se tenant debout : les ambassadeurs & le nonce du pape y ont aussi des places marquées, sauf à la diete à les faire retirer, lorsqu'elle le juge à-propos.
Le premier acte de la diete, c'est toujours la lecture des pacta conventa qui renferment les obligations que le roi a contractées avec son peuple ; & s'il y a manqué, chaque membre de l'assemblée a droit d'en demander l'observation.
Les autres séances pendant six semaines, durée ordinaire de la diete, amenent tous les intérêts de la nation ; la nomination aux dignités vacantes, la disposition des biens royaux en faveur des militaires qui ont servi avec distinction, les comptes du grand trésorier, la diminution ou l'augmentation des impôts selon la conjoncture, les négociations dont les ambassadeurs de la république ont été chargés, & la maniere dont ils s'en sont acquités, les alliances à rompre ou à former, la paix ou la guerre, l'abrogation ou la sanction d'une loi, l'affermissement de la liberté, enfin tout l'ordre public.
Les cinq derniers jours qu'on appelle les grands jours, sont destinés à réunir les suffrages. Une décision pour avoir force de loi, doit être approuvée par les trois ordres d'un consentement unanime. L'opposition d'un seul nonce arrête tout.
Ce privilege des nonces est une preuve frappante des révolutions de l'esprit humain. Il n'existoit pas en 1652, lorsque Sicinski, nonce d'Upita, en fit le premier usage. Chargé de malédictions, il échappa avec peine aux coups de sabre ; & ce même privilege contre lequel tout le monde s'éleva pour lors, est aujourd'hui ce qu'il y a de plus sacré dans la république. Un moyen sûr d'être mis en piéces, seroit d'en proposer l'abolition.
On est obligé de convenir que, s'il produit quelquefois le bien, il fait encore plus de mal. Un nonce peut non-seulement anéantir une bonne décision ; mais s'il s'en prend à toutes, il n'a qu'à protester & disparoître : la diete est rompue. Il arrive même qu'on n'attend pas qu'elle soit formée pour penser à la dissoudre. Le prétexte le plus frivole devient un instrument tranchant. En 1752 les nonces du palatinat de Kiovie avoient dans leurs instructions d'exiger du roi, avant tout, l'extirpation des francs-maçons, société qui n'effraie que les imbécilles & qui ne faisoit aucune sensation en Pologne.
Le remede aux dietes rompues, c'est une confédération dans laquelle on décide à la pluralité des voix, sans avoir égard aux protestations des nonces ; & souvent une confédération s'éleve contre l'autre. C'est ensuite aux dietes générales à confirmer ou à casser les actes de ces confédérations. Tout cela produit de grandes convulsions dans l'état, sur-tout si les armées viennent à s'en mêler.
Les affaires des particuliers sont mieux jugées. C'est toujours la pluralité qui décide ; mais point de juges permanens. La noblesse en crée chaque année pour former deux tribunaux souverains : l'un à Petrikow pour la grande Pologne, l'autre à Lublin pour la petite. Le grand duché de Lithuanie a aussi son tribunal. La justice s'y rend sommairement comme en Asie. Point de procureurs ni de procédures : quelques avocats seulement qu'on appelle juristes, ou bien on plaide sa cause soi-même. Une meilleure disposition encore, c'est que la justice se rendant gratuitement, le pauvre peut l'obtenir. Ces tribunaux sont vraiment souverains ; car le roi ne peut ni les prévenir par évocation, ni casser leurs arrêts.
Puisque j'en suis sur la maniere dont la justice s'exerce en Pologne, j'ajouterai qu'elle se rend selon les statuts du royaume, que Sigismond Auguste fit rédiger en un corps en 1520 ; c'est ce qu'on appelle droit polonois. Et quand il arrive certains cas qui n'y sont pas compris, on se sert du droit saxon. Les jugemens se rendent dans trois tribunaux supérieurs, à la pluralité des voix, & on peut en appeller au roi. Ces tribunaux jugent toutes les affaires civiles de la noblesse. Pour les criminelles, un gentilhomme ne peut être emprisonné, ni jugé que par le roi & le sénat.
Il n'y a point de confiscation, & la proscription n'a lieu que pour les crimes capitaux au premier chef, qui sont les meurtres, les assassinats, & la conjuration contre l'état. Si le criminel n'est point arrêté prisonnier dans l'action, il n'est pas besoin d'envoyer des soldats pour l'aller investir ; on le cite pour subir le jugement du roi & du sénat. S'il ne comparoit pas, on le déclare infâme & convaincu ; par-là il est proscrit, & tout le monde peut le tuer en le rencontrant. Chaque starostie a sa jurisdiction dans l'étendue de son territoire. On appelle des magistrats des villes au chancelier, & la diete en décide quand l'affaire est importante.
Les crimes de lèze-majesté ou d'état sont jugés en diete. La maxime que l'église abhorre le sang, ne regarde point les évêques polonois. Une bulle de Clément VIII. leur permet de conseiller la guerre, d'opiner à la mort, & d'en signer les decrets.
Une chose encore qu'on ne voit guere ailleurs, c'est que les mêmes hommes qui déliberent au sénat, qui font des loix en diete, qui jugent dans les tribunaux, marchent à l'ennemi. On apperçoit par-là qu'en Pologne la robe n'est point séparée de l'épée.
La noblesse ayant saisi les rênes du gouvernement, les honneurs & tous les avantages de l'état, a pensé que c'étoit à elle seule à le défendre, en laissant aux terres tout le reste de la nation. C'est aujourd'hui le seul pays où l'on voie une cavalerie toute composée de gentilshommes, dont le grand duché de Lithuanie fournit un quart, & la Pologne le reste.
L'armée qui en résulte, ou plutôt ces deux armées polonoise & lithuanienne, ont chacune leur grand général indépendant l'un de l'autre. Nous avons dit que la charge de grand maréchal, après la primatie, est la premiere en dignité : le grand général est supérieur en pouvoir. Il ne connoît presque d'autres bornes que celles qu'il se prescrit lui-même. A l'ouverture de la campagne, le roi tient conseil avec les sénateurs & les chefs de l'armée sur les opérations à faire ; & dès ce moment le grand général exécute arbitrairement. Il assemble les troupes, il regle les marches, il décide des batailles, il distribue les récompenses & les punitions, il éleve, il casse, il fait couper des têtes, le tout sans rendre compte qu'à la république dans la diete. Les anciens connétables de France qui ont porté ombrage au trône, n'étoient pas si absolus. Cette grande autorité n'est suspendue que dans le cas où le roi commande en personne.
Les deux armées ont aussi respectivement un général de campagne, qui se nomme petit général. Celui-ci n'a d'autorité que celle que le grand général veut lui laisser ; & il la remplit en son absence. Un autre personnage, c'est le stragénik qui commande l'avant-garde.
La Pologne entretient encore un troisieme corps d'armée, infanterie & dragons. L'emploi n'en est pas ancien. C'est ce qu'on appelle l'armée étrangere, presqu'entierement composée d'allemands. Lorsque tout est complet, ce qui arrive rarement, la garde ordinaire de la Pologne est de quarante-huit mille hommes.
Une quatrieme armée la plus nombreuse & la plus inutile c'est la pospolite ou l'arriere-ban. On verroit dans un besoin plus de cent mille gentilshommes monter à cheval, pour ne connoître que la discipline qui leur conviendroit ; pour se révolter, si on vouloit les retenir au-delà de quinze jours dans le lieu de l'assemblée sans les faire marcher ; & pour refuser le service, s'il falloit passer les frontieres.
Quoique les Polonois ressemblent moins aux Sarmates leurs ancêtres, que les Tartares aux leurs, ils en conservent pourtant quelques traits. Ils sont francs & fiers. La fierté est assez naturelle à un gentilhomme qui élit son roi, & qui peut être roi lui-même. Ils sont emportés. Leurs représentans, dans les assemblées de la nation, décident souvent les affaires le sabre à la main. Ils font apprendre la langue latine à leurs enfans ; & la plûpart des nobles, outre la langue esclavonne, qui leur est naturelle, parlent allemand, françois & italien. La langue polonoise est une dialecte de l'esclavonne ; mais elle est mêlée de plusieurs mots allemands.
Ils ont oublié la simplicité & la frugalité des Sarmates leurs ancêtres. Jusqu'à la fin du regne de Sobieski, quelques chaises de bois, une peau d'ours, une paire de pistolets, deux planches couvertes d'un matelas, meubloit un noble d'une fortune honnête. Aujourd'hui les vêtemens des gentilshommes sont riches : ils portent pour la plûpart des bottines couleur de soufre, qui ont le talon ferré, un bonnet fourré, & des vestes doublées de zibeline, qui leur vont jusqu'à mi-jambe ; c'est ainsi qu'ils paroissent dans les dietes ou dans les fêtes de cérémonies. D'autres objets de luxe se sont introduits en Pologne sous Auguste II. & les modes françoises déja reçues en Allemagne, se sont mêlées à la magnificence orientale, qui montre plus de richesse que de goût. Leur faste est monté si haut, qu'une femme de qualité ne sort guere qu'en carosse à six chevaux. Quand un grand seigneur voyage d'une province à une autre, c'est avec deux cent chevaux, & autant d'hommes. Point d'hôtelleries ; il porte tout avec lui ; mais il déloge les plébéïens qui ne regardent cette haute noblesse que comme un fléau ; elle est de bonne heure endurcie au froid & à la fatigue ; parce que tous les gentilshommes se lavent le visage & le cou avec de l'eau froide, quelque tems qu'il fasse. Ils baignent aussi les enfans dans l'eau froide de très-bonne heure, ce qui endurcit leurs corps à l'âpreté des hivers dès la plus tendre jeunesse.
Un usage excellent des seigneurs, c'est qu'ils passent la plus grande partie de l'année dans leurs terres. Ils se rendent par-là plus indépendans de la cour, qui n'oublie rien pour les corrompre, & ils vivifient les campagnes par la dépense qu'ils y font.
Ces campagnes seroient peuplées & florissantes, si elles étoient cultivées par un peuple libre. Les serfs de Pologne sont attachés à la glèbe ; tandis qu'en Asie même on n'a point d'autres esclaves que ceux qu'on achete, ou qu'on a pris à la guerre : ce sont des étrangers. La Pologne frappe ses propres enfans. Chaque seigneur est obligé de loger son serf. C'est dans une très-pauvre cabane, où des enfans nuds sous la rigueur d'un climat glacé, pêle-mêle avec le bétail, semblent reprocher à la nature de ne les avoir pas habillés de même. L'esclave qui leur a donné le jour verroit tranquillement brûler sa chaumiere, parce que rien n'est à lui. Il ne sauroit dire mon champ, mes enfans, ma femme ; tout appartient au seigneur, qui peut vendre également le laboureur & le boeuf. Il est rare de vendre des femmes, parce que ce sont elles qui multiplient le troupeau ; population misérable : le froid en tue une grande partie.
Envain le pape Alexandre III. proscrivit dans un concile la servitude au xij. siecle, la Pologne s'est endurcie à cet égard plus que le reste du christianisme : malheur au serf si un seigneur ivre s'emporte contre lui. On diroit que ce que la nature a refusé à de certains peuples, c'est précisément ce qu'ils aiment avec le plus de fureur. L'excès du vin & des liqueurs fortes font de grands ravages dans la république. Les casuistes passent légerement sur l'ivrognerie, comme une suite du climat ; & d'ailleurs les affaires publiques ne s'arrangent que le verre à la main.
Les femmes disputent aux hommes les jeux d'exercice, la chasse, & les plaisirs de la table. Moins délicates & plus hardies que les beautés du midi, on les voit faire sur la neige cent lieues en traîneau, sans craindre ni les mauvais gîtes, ni les difficultés des chemins.
Les voyageurs éprouvent en Pologne que les bonnes moeurs valent mieux que les bonnes loix. La quantité des forêts, l'éloignement des habitations, la coutume de voyager de nuit comme de jour, l'indifférence des starostes pour la sureté des routes, tout favorise le vol & l'assassinat ; dix ans en montrent à peine un exemple.
La Pologne avoit déjà cette partie des bonnes moeurs avant que de recevoir le christianisme. Elle fut idolâtre plus long-tems que le reste de l'Europe. Elle avoit adopté les dieux grecs qu'elle défigura, parce qu'ignorant les lettres, & ne se doutant pas de l'existence d'Homere ni d'Hésiode, elle n'avoit jamais ouvert les archives de l'idolâtrie ; elle marchoit au crépuscule d'une tradition confuse.
Vers le milieu du dixieme siecle, le duc Miécislaw, premier du nom, cédant aux sollicitations de la belle Dambrowka sa femme, née chrétienne, embrassa la foi, & entreprit de la répandre. Dieu se sert de tout, adorable en tout. Ce sont des femmes sur le trône, qui en engageant leurs maris à se faire baptiser, ont converti la moitié de l'Europe ; Giselle, la Hongrie ; la soeur d'un empereur grec, la Russie ; la fille de Childebert, l'Angleterre ; Clotilde, la France.
Cependant si le christianisme, en s'établissant, avoit été par-tout aussi violent qu'en Pologne, il manqueroit de deux caracteres de vérité qui le faisoient triompher dans les trois premiers siecles, la douceur & la persuasion. L'évêque de Mersebourg, qui vivoit au tems de Miécislaw, nous apprend qu'on arrachoit les dents à ceux qui avoient mangé de la viande en carême ; qu'on suspendoit un adultere ou un fornicateur à un clou par l'instrument de son crime, & qu'on mettoit un rasoir auprès de lui, avec la liberté de s'en servir pour se dégager ou de mourir dans cette torture. On voyoit d'un autre côté des peres tuer leurs enfans imparfaits, & des enfans dénaturés assommer leurs peres décrépits ; coutume barbare des anciens Sarmates, que les Polonois n'ont quittée qu'au treizieme siecle. Le terrible chrétien Miécislaw avoit répudié sept femmes payennes pour s'unir à Dambrowka, & lorsqu'il l'eut perdue, il finit, si l'on en croit Baronius & Dithmar, par épouser une religieuse, qui n'oublia rien pour étendre la foi.
Son fils & son successeur, Boleslas I. étouffa sans violence les restes de l'idolâtrie. Humain, accessible, familier, il traita ses sujets comme des malades. Les armes qu'il employa contre leurs préjugés, furent la raison & la mansuétude ; le pere leur avoit ordonné d'être chrétiens, le fils le leur persuada.
Cet esprit de paix & de douceur dans les rois, passa à la nation. Elle prit fort peu de part à toutes les guerres de religion qui désolerent l'Europe au xvj. & xvij. siecle. Elle n'a eu dans son sein ni conspiration des poudres, ni saint Barthelemy, ni sénat égorgé, ni rois assassinés, ni des freres armés contre des freres ; & c'est le pays où l'on a brûlé moins de monde pour s'être trompé dans le dogme. La Pologne cependant a été barbare plus long-tems que l'Espagne, la France, l'Angleterre, & l'Allemagne ; ce qui prouve qu'une demi-science est plus orageuse que la grossiere ignorance ; & lorsque la Pologne a commencé à discourir, un de ses rois, Sigismond I. prononça la peine de mort contre la religion protestante.
Un paradoxe bien étrange, c'est que tandis qu'il poursuivoit avec le fer, des hommes qui contestoient la présence de Jesus-Christ sur les autels, il laissoit en paix les Juifs qui en nioient la divinité. Le sang couloit, & devoit couler encore plus ; mais la république statua que désormais, les rois en montant sur le trône, jureroient la tolérance de toutes les religions.
On voit effectivement en Pologne des calvinistes, des luthériens, des grecs schismatiques, des mahométans & des juifs. Ceux-ci jouissent depuis longtems des privileges que Casimir-le-grand leur accorda en faveur de sa concubine, la juive Esther. Plus riches par le trafic que les naturels du pays, ils multiplient davantage. Cracovie seule en compte plus de vingt mille, qu'on trouve dans tous les besoins de l'état ; & la Pologne qui tolere près de trois cent synagogues, s'appelle encore aujourd'hui le paradis des Juifs : c'est-là qu'ils semblent revenus au regne d'Assuérus, sous la protection de Mardochée.
Il n'est peut-être aucun pays où les rites de la religion romaine soient observés plus strictement. Les Polonois, dès les premiers tems, ne trouverent point ces rites assez austeres, & commencerent le carême à la septuagésime ; ce fut le pape Innocent IV. qui abrogea cette surérogation rigoureuse, en récompense des contributions qu'ils lui avoient fournies pour faire la guerre à un empereur chrétien, Ferdinand II. A l'abstinence ordinaire du vendredi & du samedi, ils ont ajouté celle du mercredi.
Les confrairies sanglantes de Flagellans sont aussi communes dans cette partie du nord que vers le midi ; c'est peut-être de-là que le roi de France, Henri III. en rapporta le goût.
Aucune histoire, dans la même étendue de siecles, ne cite autant de miracles. On voit à cinq milles de Cracovie les salines de Bochnia ; c'est sainte Cunégonde, femme de Boleslas le chaste, disent toutes les chroniques, qui les a transportées de Hongrie en Pologne. Comme l'étude de la nature y est moins avancée que dans tout le reste du nord, le merveilleux, qui fut toujours la raison du peuple, y conserve encore plus d'empire qu'ailleurs.
Leur respect pour les papes s'est fait remarquer dans tous les tems. Lorsque Clément II. releva de ses voeux le moine Casimir, pour le porter du cloître sur le trône en 1041, il imposa aux Polonois des conditions singulieres, qui furent observées très-religieusement. Il les obligea à porter désormais les cheveux en forme de couronne monachale, à payer par tête tous les ans à perpétuité, une somme d'argent pour l'entretien d'une lampe très-chere dans la basilique de saint Pierre ; & il voulut qu'aux grandes fêtes, durant le tems du sacrifice, tous les nobles eussent au cou une étole de lin pareille à celle des prêtres : la premiere condition se remplit encore aujourd'hui.
Ce dévouement outré pour les decrets de Rome, se déborda jusqu'à engloutir la royauté. Boleslas I. avoit reçu le titre de roi de l'empereur Othon, l'an 1001. Rome s'en souvint lorsque Boleslas II. versa le sang de l'évêque Stanislas. Dans ce tems-là Hildebrand, qui avoit passé de la boutique d'un charron sur la chaire de saint Pierre, sous le nom de Grégoire VII. se rendit redoutable à tous les souverains. Il venoit d'excommunier l'empereur Henri IV. dont il avoit été précepteur. Il lança ses foudres sur Boleslas, excommunication, dégradation, interdit sur tout le royaume, dispense du serment de fidélité, & défense aux évêques de Pologne de couronner jamais aucun roi sans le consentement exprès du saint siege. On ne sait ce qui étonne le plus, la défense du pontife, ou l'obéissance aveugle des Polonois. Pas un évêque n'osa sacrer le successeur, & cette crainte superstitieuse dura pendant deux siecles, dans les sujets comme dans les princes, jusqu'à Przémislas, qui assembla une diete générale à Gnesne, s'y fit sacrer, & reprit le titre de roi, sans prendre les auspices de Rome.
Aujourd'hui les papes ne tenteroient pas ce qu'ils ont exécuté alors ; mais il est encore vrai que leur puissance est plus respectée en Pologne que dans la plûpart des états catholiques. Une nation qui a pris sur elle de faire ses rois, n'a pas osé les proclamer sans la permission du pape. C'est une bulle de Sixte V. qui a donné ce pouvoir au primat. On voit constamment à Varsovie un nonce apostolique avec une étendue de puissance qu'on ne souffre point ailleurs. Il n'en a pourtant pas assez pour soutenir l'indissolubilité du mariage. Il n'est pas rare en Pologne d'entendre dire à des maris, ma femme qui n'est plus ma femme. Les évêques témoins & juges de ces divorces, s'en consolent avec leurs revenus. Les simples prêtres paroissent très-respectueux pour les saints canons, & ils ont plusieurs bénéfices à charge d'ames.
La Pologne, telle qu'elle est aujourd'hui dans le moral & dans le physique, présente des contrastes bien frappans ; la dignité royale avec le nom de république ; des loix avec l'anarchie féodale ; des traits informes de la république romaine avec la barbarie gothique ; l'abondance & la pauvreté.
La nature a mis dans cet état tout ce qu'il faut pour vivre, grains, miel, cire, poisson, gibier ; & tout ce qu'il faut pour l'enrichir, blés, pâturages, bestiaux, laines, cuirs, salines, métaux, minéraux ; cependant l'Europe n'a point de peuple plus pauvre ; la plus grande source de l'argent qui roule en Pologne, c'est la vente de la royauté.
La terre & l'eau, tout y appelle un grand commerce, & le commerce ne s'y montre pas. Tant de rivieres & de beaux fleuves, la Duna, le Bog, le Niester, la Vistule, le Niemen, le Borysthène, ne servent qu'à figurer dans les cartes géographiques. On a remarqué depuis long-tems, qu'il seroit aisé de joindre par des canaux l'Océan septentrional & la mer Noire, pour embrasser le commerce de l'Orient & de l'Occident ; mais loin de construire des vaisseaux marchands, la Pologne, qui a été insultée plusieurs fois par des flottes, n'a pas même pensé à une petite marine guerriere.
Cet état, plus grand que la France, ne compte que cinq millions d'habitans, & laisse la quatrieme partie de ses terres en friche ; terres excellentes, perte d'autant plus déplorable.
Cet état large de deux cent de nos lieues, & long de quatre cent, auroit besoin d'armées nombreuses pour garder ses vastes frontieres ; il peut à peine soudoyer quarante mille hommes. Un roi qui l'a gouverné quelque tems, & qui nous montre dans une province de France ce qu'il auroit pû exécuter dans un royaume ; ce prince fait pour écrire & pour agir, nous dit qu'il y a des villes en Europe dont le trésor est plus opulent que celui de la Pologne, & il nous fait entendre que deux ou trois commerçans d'Amsterdam, de Londres, de Hambourg, négocient pour des sommes plus considérables pour leur compte, que n'en rapporte tout le domaine de la république.
Le luxe, cette pauvreté artificielle, est entré dans les maisons de Pologne, & les villes sont dégoutantes par des boues affreuses ; Varsovie n'est pavée que depuis peu d'années.
Le comble de l'esclavage & l'excès de la liberté semblent disputer à qui détruira la Pologne ; la noblesse peut tout ce qu'elle veut. Le corps de la nation est dans la servitude. Un noble Polonois, quelque crime qu'il ait commis, ne peut être arrêté qu'après avoir été condamné dans l'assemblée des ordres : c'est lui ouvrir toutes les portes pour se sauver. Il y a une loi plus affreuse que l'homicide même qu'elle veut réprimer. Ce noble qui a tué un de ses serfs met quinze livres sur la fosse, & si le paysan appartient à un autre noble, la loi de l'honneur oblige seulement à en rendre un ; c'est un boeuf pour un boeuf. Tous les hommes sont nés égaux, c'est une vérité qu'on n'arrachera jamais du coeur humain ; & si l'inégalité des conditions est devenue nécessaire, il faut du-moins l'adoucir par la liberté naturelle & par l'égalité des loix.
Le liberum veto donne plus de force à un seul noble qu'à la république. Il enchaîne par un mot les volontés unanimes de la nation ; & s'il part de l'endroit où se tient la diete, il faut qu'elle se sépare. C'étoit le droit des tribuns romains ; mais Rome n'en avoit qu'un petit nombre, & ce furent des magistrats pour protéger le peuple. Dans une diete polonoise on voit trois ou quatre cent tribuns qui l'oppriment.
La république a pris, autant qu'elle a pû, toutes les précautions pour conserver l'égalité dans la noblesse, & c'est pour cela qu'elle ne tient pas compte des décorations du saint empire qui seme l'Europe de princes. Il n'y a de princes reconnus pour tels par les lettres d'union de la Lithuanie, que les Czartoriski, les Sangusko, & les Wieçnowiecki, & encore le titre d'altesse ne les tire pas de l'égalité ; les charges seules peuvent donner des préséances. Le moindre castellan précede le prince sans charge, pour apprendre à respecter la république, plus que les titres & la naissance : malgré tout cela, rien de si rampant que la petite noblesse devant la grande.
Puisque le royaume est électif, il semble que le peuple, qui est la partie la plus nombreuse & la plus nécessaire, devroit avoir part à l'élection : pas la moindre. Il prend le roi que la noblesse lui donne ; trop heureux s'il ne portoit pas des fers dans le sein de la liberté. Tout ce qui n'est pas noble vit sans considération dans les villes, ou esclave dans les campagnes ; & l'on sait que tout est perdu dans un état, lorsque le plebéïen ne peut s'élever que par un bouleversement général. Aussi la Pologne n'a-t-elle qu'un petit nombre d'ouvriers & de marchands, encore sont-ils allemands, juifs, ou françois.
Dans ses guerres, elle a recours à des ingénieurs étrangers. Elle n'a point d'école de Peinture, point de théâtre ; l'Architecture y est dans l'enfance ; l'Histoire y est traitée sans goût ; les Mathématiques peu cultivées ; la saine Philosophie presque ignorée ; nul monument, nulle grande ville.
Tandis qu'une trentaine de palatins, une centaine de castellans & starostes, les évêques & les grands officiers de la couronne jouent les satrapes asiatiques, 100 mille petits nobles cherchent le nécessaire comme ils peuvent. L'histoire est obligée d'insister sur la noblesse polonoise, puisque le peuple n'est pas compté. Le droit d'élire ses rois est celui qui flatte le plus, & qui la sert le moins. Elle vend ordinairement sa couronne au candidat qui a le plus d'argent ; elle crie dans le champ électoral qu'elle veut des princes qui gouvernent avec sagesse ; & depuis le regne de Casimir le grand, elle a cherché en Hongrie, en Transilvanie, en France & en Allemagne, des étrangers qui n'ont aucune connoissance de ses moeurs, de ses préjugés, de sa langue, de ses intérêts, de ses loix, de ses usages.
Qui verroit un roi de Pologne dans la pompe de la majesté royale, le croiroit le monarque le plus riche & le plus absolu : ni l'un ni l'autre. La république ne lui donne que six cent mille écus pour l'entretien de sa maison ; & dans toute contestation, les Polonois jugent toujours que le roi a tort. Comme c'est lui qui préside aux conseils & qui publie les decrets, ils l'appellent la bouche, & non l'ame de la république. Ils le gardent à vûe dans l'administration : quatre sénateurs doivent l'observer par-tout, sous peine d'une amande pécuniaire. Son chancelier lui refuse le sceau pour les choses qu'il ne croit pas justes. Son grand chambellan a droit de le fouiller ; aussi ne donne-t-il cette charge qu'à un favori.
Ce roi, tel qu'il est, joue pourtant un beau rôle s'il sait se contenter de faire du bien, sans tenter de nuire. Il dispose non-seulement, comme les autres souverains, de toutes les grandes charges du royaume & de la cour, des évêchés & des abbayes, qui sont presque toutes en commende, car la république n'a pas voulu que des moines qui ont renoncé aux richesses & à l'état de citoyen, possédassent au-delà du nécessaire ; il a encore un autre trésor qui ne s'épuise pas. Un tiers de ce grand royaume est en biens royaux, tenutes, advocaties, starosties, depuis sept mille livres de revenu jusqu'à cent mille ; ces biens royaux, le roi ne pouvant se les approprier, est obligé de les distribuer, & ils ne passent point du pere au fils aux dépens du mérite. Cette importante loi est une de celles qui contribuent le plus au soutien de la république. Si cette république n'est pas encore détruite, elle ne le doit qu'à ses loix : c'est une belle chose que les loix ! Un état qui en a & qui ne les enfreint point, peut bien éprouver des secousses ; mais c'est la terre qui tremble entre les chaînes de rochers qui l'empêchent de se dissoudre.
Résumons à-présent les traits frappans du tableau de la Pologne, que nous avons dessiné dans tout le cours de cet article.
Cette monarchie a commencé l'an 550, dans la personne de Leck, qui en fut le premier duc. Au neuvieme siecle, l'anarchie qui déchiroit l'état finit par couronner un simple particulier qui n'avoit pour recommandation qu'une raison droite & des vertus. C'est Piast qui donna une nouvelle race de souverains qui tinrent long-tems le sceptre. Quelques-uns abuserent de l'autorité, ils furent déposés. On vit alors la nation, qui avoit toujours obéi, s'avancer par degrés vers la liberté, mettre habilement les révolutions à profit, & se montrer prête à favoriser le prétendant qui relâcheroit davantage les chaînes. Ainsi parvenue peu-à-peu à donner une forme républicaine à l'administration, elle la cimenta, lorsque sur la fin du xiv. siecle ses nobles firent acheter à Jagellon, duc de Lithuanie, l'éclat de la couronne par le sacrifice de sa puissance.
Le Christianisme ne monta sur le trône de Pologne que dans le x. siecle, & il y monta avec cruauté. Cette auguste religion y a repris finalement l'esprit de douceur qui la caractérise : elle tolere dans l'état des sectes que mal-à-propos elle avoit bannies de son sein ; mais en même tems la Pologne est restée superstitieusement soumise aux decrets du pontife de Rome, dont le nonce à Varsovie a un pouvoir très-étendu. Un archevêque, celui de Gnesne, est le chef du sénat comme de l'église ; les autres prélats polonois munis comme lui du privilege d'un pape, ont par ce privilege le droit de teindre leurs mains pacifiques du sang de leurs enfans, en les condamnant à la mort. Il n'y a dans toute la Pologne que trois ou quatre villes qui puissent posséder des terres ; & quoiqu'on soit accoutumé à voir dans l'histoire de ce pays le malheureux sort des paysans, on frémit toujours en contemplant cette dégradation de l'humanité, qui n'a pas encore cédé au christianisme mal épuré de ce royaume.
La puissance souveraine réside dans la noblesse ; elle est représentée par ses nonces ou députés dans les dietes générales. Les loix se portent dans ses assemblées, & obligent le roi même.
Dans l'intervalle de ces parlemens de la nation, le sénat veille à l'exécution des loix. Dix ministres du roi, qui sont les premiers officiers de la couronne, ont place dans ce conseil, mais n'y ont point de voix. Les rois de Pologne en nommant à toutes les charges, peuvent faire beaucoup de bien, &, pour ainsi dire, point de mal.
Le gouvernement est en même tems monarchique, & aristocratique. Le roi, le sénat & la noblesse, forment le corps de la république. Les évêques, qui sont au nombre de quinze sous deux archevêques, tiennent le second rang, & ont la presséance au sénat.
On voit dans ce royaume des grands partageant la puissance du monarque, & vendant leurs suffrages pour son élection & pour soutenir leur pompe fastueuse. On ne voit en même tems point d'argent dans le trésor public pour soudoyer les armées, peu d'artillerie, peu ou point de moyens pour entretenir les subsides ; une foible infanterie, presqu'aucun commerce : on y voit en un mot une image blafarde des moeurs & du gouvernement des Goths.
En vain la Pologne se vante d'une noblesse belliqueuse, qui peut monter à cheval au nombre de cent mille hommes : on a vû dix mille russes, après l'élection du roi Stanislas, disperser toute la noblesse polonoise assemblée en faveur de ce prince, & lui donner un autre roi. On a vu dans d'autres occasions cette armée nombreuse monter à cheval, s'assembler, se révolter, se donner quelques coups de sabres, & se séparer tout de suite.
L'indépendance de chaque gentilhomme est l'objet des loix de ce pays ; & ce qui en résulte par leur liberum veto, est l'oppression de tous.
Enfin ce royaume du nord de l'Europe use si mal de sa liberté & du droit qu'il a d'élire ses rois, qu'il semble vouloir consoler par-là les peuples ses voisins, qui ont perdu l'un & l'autre de ces avantages.
Pour achever complete ment le tableau de la Pologne, il ne nous reste qu'à crayonner les principaux d'entr'eux qui l'ont gouvernée depuis le vj. siecle jusqu'à ce jour. Dans ce long espace de tems elle compte des chefs intelligens, actifs & laborieux, plus qu'aucun autre état ; & ce n'est pas le hasard qui lui a donné cet avantage, c'est la nature de sa constitution. Dès le xiv. siecle elle a fait ses rois : ce ne sont pas des enfans qui naissent avec la couronne avant que d'avoir des vertus, & qui dans la maturité de l'âge peuvent encore sommeiller sur le trône. Un roi de Pologne doit payer de sa personne dans le sénat, dans les dietes, & à la tête des armées. Si l'on n'admire que les vertus guerrieres, la Pologne peut se vanter d'avoir eu de grands princes ; mais si l'on ne veut compter que ceux qui ont voulu la rendre plus heureuse qu'elle ne l'est, il y a beaucoup à rabattre.
Leck la tira des forêts & de la vie errante, pour la fixer & la civiliser. L'histoire ne nous a pas conservé son caractere, mais on sait en général que les fondateurs des empires ont tous eu de la tête & de l'exécution.
Cracus, dans le vij. siecle, leur donna les premieres idées de la justice, en établissant des tribunaux pour décider des différends des particuliers. L'ordre régna où la licence diminuoit. Cracovie idolâtre honora long-tems son tombeau : c'étoit son palladium.
Au jx. siecle, Piast enseigna la vertu en la montrant dans lui-même : ce qu'il ne pouvoit obtenir par la force du commandement, il le persuadoit par la raison & par l'exemple. Son regne s'écoula dans la paix, & des barbares commencerent à devenir citoyens.
Dans le x. siecle, Boleslas Chrobri, plein d'entrailles, les accoutuma à regarder leur souverain comme leur pere, & l'obéissance ne leur coûta rien.
Casimir I. fit entrevoir les Sciences & les Lettres dans cette terre sauvage, où elles n'étoient jamais entrées. La culture grossiere qu'on leur donna attendoit des siecles plus favorables pour produire des fruits : ces fruits sont encore bien âpres ; mais le tems qui mûrit tout, achevera peut-être un jour en Pologne ce qu'il a perfectionné en d'autres climats.
Dans le siecle suivant, Casimir II. qui ne fut nommé le juste qu'après l'avoir mérité, commença à protéger les gens de la campagne contre la tyrannie de la noblesse.
Au xiv. siecle, Casimir III. ou Casimir le grand, qu'on appelloit aussi le roi des paysans, voulut les mettre en liberté ; & n'ayant pu y réussir, il demandoit à ces bonnes gens lorsqu'ils venoient se plaindre, s'il n'y avoit chez eux ni pierres ni bâtons pour se défendre. Casimir eut les plus grands succès dans toutes les autres parties du gouvernement. Sous son regne, des villes nouvelles parurent, & servirent de modele pour rebâtir les anciennes. C'est à lui que la Pologne doit le nouveau corps de loix qui la regle encore à-présent. Il fut le dernier des Piast, race qui a régné 528 ans.
Jagellon fit tout ce qu'il voulut avec une nation d'autant plus difficile à gouverner, que sa liberté naissante étoit toujours en garde contre les entreprises de la royauté. Il est étonnant que le trône toujours électif dans sa race, n'en soit pas sorti pendant près de 400 ans ; tandis qu'ailleurs des couronnes héréditaires passoient à des familles étrangeres. Cela montre combien les événemens trompent la sagesse humaine.
Le fils de Jagellon, Uladislas VI. n'avoit que 10 ans lorsqu'on l'éleva au trône, chose bien singuliere dans une nation qui pouvoit donner sa couronne à un héros tout formé ; c'est qu'on en appercevoit déja l'ame à-travers les nuages de l'enfance. La république nomma autant de régens qu'il y avoit de provinces, & des Burrhus se chargerent d'instruire l'homme de la nation. Il prit les rênes de l'état à 18 ans ; & en deux ans de regne il égala les grands rois. Il triompha des forces de la maison d'Autriche ; il se fit couronner roi de Hongrie ; il fut le premier roi de Pologne qui osa lutter contre la fortune de l'empire Ottoman. Cette hardiesse lui fut fatale ; il périt à la bataille de Varne, à peine avoit-il 20 ans ; & la Pologne regrettant également l'avenir & le passé, ne versa jamais de pleurs plus amers.
Elle n'essuya bien ses larmes que dans le xvj. siecle, sous le regne de Sigismond I. Ce prince eut un bonheur rare dans la diete d'élection ; il fut nommé roi par acclamation, sans division des suffrages. Une autre faveur de la fortune lui arriva, parce que les grands hommes savent la fixer. Il abattit la puissance d'un ordre religieux qui désoloit la Pologne depuis trois siecles ; je parle des chevaliers teutoniques. Sigismond étoit doué d'une force extraordinaire, qui le faisoit passer pour l'Hercule de son tems ; il brisoit les métaux les plus durs, & il avoit l'ame aussi forte que le corps. Il a vécu 82 ans, presque toujours victorieux, respecté & ménagé par tous les souverains, par Soliman même, qui ne ménageoit rien. Il a peut-être été supérieur à François I. en ce que plus jaloux du bonheur de ses peuples que de sa gloire, il s'appliqua constamment à rendre la nation plus équitable que ses loix, les moeurs plus sociables, les villes plus florissantes, les campagnes plus cultivées, les Arts & les Sciences plus honorés, la religion même plus épurée.
Personne ne lui ressembla plus parmi ses successeurs, qu'Etienne Battori, prince de Transilvanie, à qui la Pologne donna sa couronne, après la fuite d'Henri de Valois. Il se fit une loi de ne distribuer les honneurs & les emplois qu'au mérite ; il réforma les abus qui s'étoient accumulés dans l'administration de la justice ; il entretint le calme au-dedans & au-dehors. Il régna dix ans : c'étoit assez pour sa gloire, pas assez pour la république.
Sigismond III. prince de Suede, lui succéda sans le remplacer ; il n'eut ni les mêmes qualités ni le même bonheur ; il perdit un royaume héréditaire pour gagner une couronne élective ; il laissa enlever à la Pologne, par Gustave-Adolphe, l'une de ses plus belles provinces, la Livonie. Il avoit deux défauts qui causent ordinairement de grands malheurs ; il étoit borné & obstiné.
Casimir V. (Jean) fut le dernier de la race des Jagellons. Rien de plus varié que la fortune de ce prince. Né fils de roi, il ne put résister à l'envie d'être religieux, espece de maladie qui attaque la jeunesse, dit l'abbé de Saint-Pierre, & qu'il appelle la petite vérole de l'esprit. Le pape l'en guérit en le faisant cardinal. Le cardinal se changea en roi ; & après avoir gouverné un royaume, il vint en France pour gouverner des moines. Les deux abbayes que Louis XIV. lui donna, celle de S. Germain-des-Prés & celle de S. Martin de Nevers, devinrent pour lui une subsistance nécessaire, car la Pologne lui refusoit la pension dont elle étoit convenue ; & pendant ce tems-là il y avoit en France des murmures contre un étranger qui venoit ôter le pain aux enfans de la maison. Il voyoit souvent Marie Mignot, cette blanchisseuse que le caprice de la fortune avoit d'abord placée dans le lit d'un conseiller du parlement de Grenoble, & ensuite dans celui du maréchal de l'Hôpital. Cette femme singuliere, deux fois veuve, soutenoit à Gourville qu'elle avoit épousé secrettement le roi Casimir. Elle étoit avec lui à Nevers lorsqu'il y tomba malade & qu'il y finit ses jours en 1672.
Michel Wiecnoviecki fut élu roi de Pologne en 1669, après l'abdication de Casimir. Jamais roi n'eut plus besoin d'être gouverné ; & en pareil cas ce ne sont pas toujours les plus éclairés & les mieux intentionnés qui gouvernent. Au bout de quelques années il se forma une ligue pour le détrôner. Les Polonois ont pour maxime que tout peuple qui peut faire un roi, peut le défaire. Ainsi ce qu'on appelleroit ailleurs conjuration, ils le nomment l'exercice d'un droit national. Cependant les seigneurs ligués ne pousserent pas plus loin leur projet, par la crainte de l'empereur, & en considération de la misérable santé du roi, qui finit ses jours l'année suivante sans postérité, à l'âge de 35 ans, après quatre ans de troubles & d'agitations. Si le sceptre peut rendre un mortel heureux, c'est seulement celui qui le sait porter. L'incapacité du roi Michel fit son malheur & celui de l'état ; ses yeux se fermerent en 1673 la veille de la victoire de Choczin.
Jean Sobieski, qui remporta cette victoire, fut nommé roi de Pologne l'année suivante, & se montra un des grands guerriers du dernier siecle. C'est à l'article OLESKO, lieu de sa naissance, que vous trouverez son caractere. Il mourut à Varsovie dans la 66e année de son âge.
Frédéric Auguste I. électeur de Saxe, devint roi de Pologne au moyen de son abjuration du Luthéranisme, & de l'argent qu'il répandit. Il se ligua en 1700 avec le roi de Danemarck & le czar, contre Charles XII. Il se proposoit par cette ligue d'assujettir la Pologne, en se rendant plus puissant par la conquête de la Livonie ; mais les Polonois le déposerent en 1704, & élurent en sa place Stanislas Lesczinski, palatin de Posnanie, âgé de 26 ans. Les Saxons ayant été battus par ce prince & par le roi de Suede, Auguste se vit obligé de signer un traité de renonciation à la couronne polonoise. La perte de la bataille de Pultowa en 1709, fut le terme des prospérités de Charles XII. Ce revers entraîna la chûte de son parti. Auguste rentra dans la Pologne, & le Czar victorieux l'y suivit pour l'y maintenir. Le roi Stanislas ne pouvant résister à tant de forces réunies, se rendit à Bender auprès du roi de Suede.
Les événemens de la vie du roi Stanislas sont bien remarquables. Son pere Raphaël Lesczinski avoit été grand général de la Pologne, & ne craignit jamais de déplaire à la cour pour servir la république. Grand par lui-même, plus grand encore dans son fils, dont Louis XV. est devenu le gendre ; les Polonois témoins de sa valeur, & charmés de la sagesse & de la douceur de son gouvernement, pendant le court espace qu'avoit duré son regne, l'élurent une seconde fois après la mort d'Auguste (en 1733). Cette élection n'eut pas lieu, par l'opposition de Charles VI. que soutenoient ses armes, & par celles de la Russie. Le fils de l'électeur de Saxe qui avoit épousé une niece de l'empereur, l'emporta de force sur son concurrent ; mais Stanislas conservant toujours de l'aveu de l'Europe le titre de roi, dont il étoit si digne, fut fait duc de Lorraine, & vint rendre heureux de nouveaux sujets qui se souviendront long-tems de lui.
L'Histoire juge les princes sur le bien qu'ils font. Si jamais la Pologne a quelque grand roi sur le trône pour la rétablir, ce sera celui-là seul, comme le dit M. l'abbé Coyer, " qui regardant autour de lui une terre féconde, de beaux fleuves, la mer Baltique & la mer Noire, donnera des vaisseaux, des manufactures, du commerce, des finances & des hommes à ce royaume ; celui qui abolira la puissance tribunitienne, le liberum veto, pour gouverner la nation par la pluralité des suffrages ; celui qui apprendra aux nobles que les serfs qui les nourrissent, issus des Sarmates leurs ancêtres communs, sont des hommes ; & qui, à l'exemple d'un roi de France plus grand que Clovis & Charlemagne, bannira la servitude, cette peste civile qui tue l'émulation, l'industrie, les arts, les sciences, l'honneur & la prospérité : c'est alors que chaque Polonois pourra dire :
Nam que erit ille mihi semper deus ".
(D.J.)
POLOGNE, sacre des rois de, (Hist. des cérémonies de Pologne) la Pologne, pour le choix de la scene du couronnement, fait comme la France. Au lieu de sacrer ses rois dans la capitale, elle les mene à grands fraix dans une ville moins commode & moins belle, à Cracovie, parce que Ladislas Loketek, au iv. siecle, s'y fit couronner.
Ceux qui aiment les grands spectacles, sans penser à ce qu'ils coûtent aux peuples, seroient frappés de celui-ci. On y voit la magnificence asiatique se mêler au goût de l'Europe. Des esclaves éthiopiens, des orientaux en vêtemens de couleur du ciel, de jeunes Polonois en robes de pourpre, une armée qui ne veut que briller ; les voitures, les hommes & les chevaux disputant de richesses, l'or effacé par les pierreries : c'est au milieu de ce cortege que le roi élu paroît sur un cheval magnifiquement harnaché.
La Pologne, dans l'inauguration de ses rois, leur présente le trône & le tombeau. On commence par les funérailles du dernier roi, dont le corps reste en dépôt jusqu'à ce jour ; mais comme cette pompe funébre ressemble en beaucoup de choses à celle des autres rois, je n'en citerai qu'une singularité. Aussitôt que le corps est posé sur le catafalque dans la cathédrale, un hérault à cheval, armé de pié en cap, entre par la grande porte, court à toute bride, & rompt un sceptre contre le catafalque. Cinq autres courant de même, brisent l'un la couronne, l'autre le globe, le quatrieme un cimeterre, le cinquieme un javelot, le sixieme une lance, le tout au bruit du canon, des trompettes & des tymbales.
Les reines de Pologne ont un intérêt particulier au couronnement. Sans cette solemnité, la république, dans leur viduité, ne leur doit point d'apanage, (cet apanage ou douaire est de deux mille ducats assignés sur les salines & sur les starosties de Spiz & de Grodeck), & même elle cesse de les traiter de reines. Il s'est pourtant trouvé deux reines qui ont sacrifié tous ces avantages à leur religion, l'épouse d'Alexandre au xvj. siecle, & celle d'Auguste II. au xvij. siecle : la premiere professoit la religion grecque, la seconde le luthéranisme qu'Auguste venoit d'abjurer ; ni l'une ni l'autre ne furent couronnées.
La pompe finit par un usage assez singulier. Un évêque de Cracovie assassiné par son roi dans l'onzieme siecle, étant à son tribunal, c'est-à-dire dans la chapelle où son sang fut versé, cite le nouveau roi comme s'il étoit coupable de ce forfait. Le roi s'y rend à pié, & répond comme ses prédécesseurs " que ce crime est atroce, qu'il en est innocent, qu'il le déteste, & en demande pardon en implorant la protection du saint martyr sur lui & sur le royaume ". Il seroit à souhaiter que dans tous les états, on conservât ainsi les monumens des crimes des rois. La flatterie ne leur trouve que des vertus.
Ensuite le roi, suivi du sénat & des grands officiers tous à cheval, se rend à la place publique. Là sur un théâtre élevé, couvert des plus riches tapis de l'Orient, il reçoit le serment de fidélité des magistrats de Cracovie, dont il ennoblit quelques-uns. C'est la seule occasion où un roi de Pologne puisse faire des nobles. La noblesse ne doit se donner que dans une diete après dix ans au-moins de service militaire. Histoire de Sobieski, par M. l'abbé Coyer. (D.J.)
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POLOGRAPHIE | S. f. (Gramm.) description astronomique du ciel. Ce nom est fait de , ciel, & de , je décris.
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POLON | (Hist. nat. Botan.) c'est une espece d'arbre particulier au royaume de Juida en Afrique ; il produit un duvet semblable au coton, mais beaucoup plus fin ; les voyageurs assûrent que l'on pourroit en faire des étoffes d'une grande beauté & d'une grande force. On croit même que préparé convenablement, ce duvet deviendroit propre à faire des chapeaux.
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POLONGA | (Hist. nat.) serpent fort dangereux, qui se trouve dans l'île de Ceylan ; il y en a de verds, & d'autres d'un gris rougeâtre tacheté de blanc. Il attaque sur-tout les bestiaux.
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POLOSUM | S. m. (Fonderie) espece de cuivre rouge que l'on allie avec de l'étain pour en faire ce métal composé que l'on appelle de la fonte verte.
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POLTEN | SAINT, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la basse Autriche, sur le ruisseau de Drasam, à 3 milles du Danube & à 6 de Vienne. Elle appartient à l'évêque de Passau.
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POLTRON | LACHE, (Synon.) le lâche recule ; le poltron n'ose avancer. Le premier ne se défend pas ; il manque de valeur. Le second n'attaque point, il peche par le courage.
Il ne faut pas compter sur la résistance d'un lâche, ni sur le secours d'un poltron. Le mot lâche se prend figurément pour un homme qui manque de coeur & de sentiment.
Quiconque pour l'empire eut la gloire de naître,
Est un lâche s'il n'ose ou se perdre ou regner.
Lâche désigne encore au figuré ce qui est bas, honteux, infâme. Une lâche complaisance dégénere en fadeur. La trahison est une des plus lâches actions qu'on connoisse. (D.J.)
POLTRON se dit, en Fauconnerie, d'un oiseau auquel on a coupé les ongles des pouces qui sont les doigts de derriere où sont ses armes & sa force, pour lui ôter le courage & empêcher qu'il ne vole le gros gibier ; on le dit encore en un autre sens. Voyez VILAIN.
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POLUSCA | (Géogr. anc.) ville d'Italie dans le pays des Volsques, & peu éloignée de Longula, au tre ville des Volsques. Ce fut, selon Tite-Live, l. II. c. xxxix. une des places que Coriolan enleva au peuple romain. Denys d'Halicarnasse appelle les habitans Poluscani, & Pline, l. III. c. v. les nomme Pollustini. (D.J.)
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POLUSKE | (Commerce) monnoie de cuivre en usage dans l'empire russien, qui vaut un liard monnoie de France. Quatre poluske font un kopeck ou un sol, & cent kopecks font un rouble ou un écu de Russie, qui vaut cinq livres de notre monnoie.
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POLVILLA | (Commerce) c'est le nom que les Espagnols de la nouvelle Espagne en Amérique donnent à une poudre d'une odeur délicieuse, dont il se sait un débit surprenant dans toutes les provinces du Mexique & du Pérou. Elle se vend très-cher, & il n'y a, dit-on, que les religieuses de Guaxaca qui ayent le secret de sa composition.
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POLYACANTHUS | S. m. (Bot.) c'est une des belles especes de chardons qu'on cultive dans les jardins, & qui est nommée par Tournefort carduus, sive polyacantha vulgaris. Cette plante est haute d'environ trois piés ; sa tige est ronde, blanche, douce au toucher ; ses feuilles sont longues de près d'un pié, pointues, armées au côté d'épines fines, longues, piquantes, jaunâtres, rangées par intervalles deux-à-deux, ou trois-à-trois, ou quatre-à-quatre ; sa fleur est à plusieurs fleurons purpurins évasés par le haut, découpés en lanieres, soutenus par un calice composé de plusieurs feuilles posées les unes sur les autres, & terminées chacune par un piquant. Lorsque la fleur est passée, cet embryon devient une petite graine oblongue, noire, luisante, garnie d'une aigrette. Cette plante est apéritive. (D.J.)
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POLYACOUSTIQUES | adj. (Physiq.) sont des instrumens qui servent à multiplier les sons, comme les lunettes à facettes ou polyscopes multiplient les objets. Voyez PHONIQUE, SON, &c.
Ce mot est composé du Grec , beaucoup, & , j'entends. Voyez ACOUSTIQUES.
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POLYAEGOS | (Géog. anc.) île que Pline, l. IV. c. xij. met au nombre des îles Sporades. Pomponius Mela, l. II. c. vij. connoît cette île ; & dans le trésor de Goltzius on trouve une médaille avec cette inscription, . Le P. Hardouin dit que c'est aujourd'hui l'île Polégasa, près de celle de Standia. (D.J.)
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POLYANDRIE | S. f. (Hist. morale & politique) ce mot indique l'état d'une femme qui a plusieurs maris.
L'histoire, tant ancienne que moderne, nous fournit des exemples de peuples chez qui il étoit permis aux femmes de prendre plusieurs époux. Quelques auteurs qui ont écrit sur le Droit naturel, ont cru que la polyandrie n'avoit rien de contraire aux loix de la nature ; mais pour peu que l'on y fasse attention, on s'appercevra aisément que rien n'est plus opposé aux vûes du mariage. En effet, pour la propagation de l'espece une femme n'a besoin que d'un mari, puisque communément elle ne met au monde qu'un enfant à-la-fois : d'ailleurs la multiplicité des maris doit anéantir ou diminuer leur amour pour les enfans, dont les peres seront toujours incertains. Concluons de-là que la polyandrie est une coutume encore plus impardonnable que la polygamie ; qu'elle ne peut avoir d'autre motif qu'une lubricité très-indécente de la part des femmes, à laquelle les législateurs n'ont point dû avoir égard ; que rien n'est plus propre à rompre ou du-moins à relâcher les liens qui doivent unir les époux ; enfin que cette coutume est propre à détruire l'amour mutuel des parens & des enfans.
Chez les Malabares, les femmes sont autorisées par les loix à prendre autant de maris qu'il leur plaît, sans que l'on puisse les en empêcher. Cependant quelques voyageurs prétendent que le nombre des maris qu'une femme peut prendre est fixé à douze ; ils conviennent entr'eux du tems pendant lequel chacun vivra avec l'épouse commune. On assûre que ces arrangemens ne donnent lieu à aucune mésintelligence entre les époux ; d'ailleurs dans ce pays les mariages ne sont point des engagemens éternels, ils ne durent qu'autant qu'il plaît aux parties contractantes. Ces mariages ne sont pas fort ruineux, le mari en est quitte pour donner une piece de toile de coton à la femme qu'il veut épouser ; de son côté, elle a rempli ses devoirs en préparant les alimens de son mari, & en tenant ses habits propres & ses armes bien nettes. Lorsqu'elle devient grosse, elle déclare de qui est l'enfant, c'est le pere qu'elle a nommé qui en demeure chargé. D'après des coutumes si étranges & si opposées aux nôtres, on voit qu'il a fallu des loix pour assûrer l'état des enfans ; ils suivent toujours la condition de la mere qui est certaine. Les neveux par les femmes sont appellés aux successions comme étant les plus proches parens, & ceux dont la naissance est la moins douteuse.
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POLYANTHE | terme de Fleuriste, plante qui produit beaucoup de fleurs. Voyez PLANTE & FLEUR. Ce mot est composé de , beaucoup, & , fleur.
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POLYCÉPHALE | NOME, (Poésie anc.) c'étoit chez les Grecs un fameux air de flûte inventé en l'honneur d'Apollon ou de Pallas. Plutarque dit qu'Olympe composa sur la flûte en l'honneur d'Apollon l'air ou le nome appellé polycéphale, . Pindare, dans sa derniere ode pythique, parle de ce cantique polycéphale, ou à plusieurs têtes, & l'appelle . Il en fait Pallas l'inventrice, ainsi que de la flûte même qu'elle fabriqua pour imiter les gémissemens des soeurs de Méduse, après que Persée lui eut coupé la tête.
Le scholiaste de Pindare, en cherchant l'origine de la dénomination du cantique polycéphale, en allegue ces trois raisons. 1°. Les serpens qui couvroient la tête de Méduse siffloient sur différens tons, & parce que la flûte imitoit cette variété de sifflemens dans le cantique en question, on l'appella polycéphale, (à plusieurs têtes). 2°. D'autres prétendent que c'étoit à cause que cet air s'exécutoit par un choeur de cinquante musiciens, auxquels un joueur de flûte donnoit le ton. 3°. Quelques-uns entendent par ce mot , têtes, des poëmes, des hymnes ou préludes, & assûrent que ce cantique en avoit plusieurs qui précédoient apparemment les différentes strophes dont il étoit composé ; & ces derniers en attribuoient la composition à Olympe, en quoi ils étoient, comme l'on voit, d'accord avec Plutarque ; mais celui-ci ajoute que cet air étoit consacré au culte d'Apollon, & nullement à celui de Pallas. Voyez M. Burette dans les Mémoires des Inscriptions, tome X. (D.J.)
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POLYCOMBUS | (Botan. anc.) nom donné par Néophytus & autres anciens à la plante que les Botanistes appellent polygonum, & en françois la renouée, le centinode ; comme le nom de polycombus est formé de deux mots grecs, , plusieurs, & , noeud, ce terme n'est pas seulement applicable à la renouée, mais à toutes les autres plantes nouées ; c'est-à-dire, dont les tiges sont garnies de noeuds d'espace en espace. Telle est, par exemple, l'equisetum ou la presle. (D.J.)
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POLYCRESTE | adj. (Gramm.) a plusieurs usages ; les Chymistes ont des fourneaux polycrestes ; la Pharmacie a des sels polycrestes.
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POLYCRONE | S. m. (Hist. anc.) c'étoit dans l'église grecque un hymne, par lequel on demandoit à Dieu une vie longue pour les empereurs. On prioit pour les empereurs gentils dans la primitive église, mais l'hymne polycrone n'est pas de cette date.
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POLYDEUCEA | (Géog. anc.) fontaine de la Laconie, près de la ville Téraphée. Quelques-uns veulent, dit Pausanias, l. III. c. xx. que cette fontaine ait été autrefois nommée Messéïdes.
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POLYEIDAE | POLYEIDAE
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POLYGALA | S. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale & anomale en forme de masque, la partie antérieure qui n'est pas percée par derriere a deux levres, dont la supérieure est fendue en deux parties, & l'inférieure est frangée. Le pistil sort du fond de cette fleur, & devient dans la suite un fruit applati & divisé en deux loges, qui s'ouvre en deux pieces & qui renferme des semences oblongues : ordinairement ce fruit est enveloppé du calice qui est composé de cinq feuilles, dont il y en a trois petites & deux grandes ; celles-ci embrassent le fruit en forme d'aîles. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Le même botaniste établit 18 especes de polygala, du nombre desquelles nous allons décrire la commune, polygala vulgaris, C. B. P. 215. I. R. H. 174. Polygala foliis linearibus, lanceolatis caulibus diffusis herbaceis. Linn. Hort. Cliffort. 352. en anglois, the common blew-flovered Milkwort.
Cette plante a la racine ligneuse, dure, menue, vivace, d'un goût amer, un peu aromatique. Elle pousse plusieurs tiges à la hauteur d'un demi-pié, grèles, les unes droites, les autres couchées à terre ; d'un verd un peu rouge ; revêtues de petites feuilles rangées alternativement. Ses fleurs sont petites, disposées en maniere d'épi, depuis le milieu des tiges jusqu'au sommet, & d'une couleur bleue : chacune de ces fleurs est un tuyau fermé, dans le fond évasé, & découpé par le haut en deux levres dont la supérieure est échancrée, & l'inférieure frangée. A ces fleurs succede un fruit ou une bourse applatie, divisée en deux loges, remplies de semences oblongues ; ce fruit est enveloppé du calice de la fleur, composée de cinq feuilles, trois petites & deux grandes, qui sont comme deux aîles qui embrassent le fruit.
Cette plante croît par-tout aux lieux champêtres, fleurit en Mai & en Juin. On dit que son nom lui vient de la quantité de lait qu'elle procure aux bestiaux qui en mangent. (D.J.)
POLYGALA, (Mat. méd.) M. Duhamel de l'académie des Sciences, a donné en 1739, un mémoire à l'académie royale des Sciences, dans lequel il rapporte plusieurs observations médicinales par lesquelles il paroît que la décoction, ou l'infusion dans l'eau bouillante, de cette plante entiere, à la dose d'une poignée sur une pinte d'eau, donnée pour boisson ordinaire dans la pleurésie & la fluxion de poitrine, fournissoit un secours très-efficace contre ces maladies. Gesner assure que cette plante infusée dans du vin, purge la bile fort doucement. (b)
POLYGALA de Virginie, (Botan.) Voyez SENEKA.
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POLYGAME | S. m. (Gram.) celui qui a épousé plusieurs femmes, soit qu'il les ait eues successivement, soit qu'il les ait eues ensemble.
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POLYGAMIA | S. f. (Hist. nat. Botan.) nom heureusement trouvé pour désigner la classe générale des plantes qui ont une diversité de combinaison de parties mâles & femelles de leurs fleurs, & plusieurs manieres de fructification dans la même espece ; quelques-unes ont des fleurs mâles, d'autres des fleurs femelles, chacune distincte & parfaite dans leur genre ; & d'autres ont des fleurs hermaphrodites, avec les parties mâles & femelles de fructification réunies dans chacune. On compte dans les plantes de cette classe l'arroche, la pariétaire, la pluknetia & quantité d'autres.
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POLYGAMIE | (Théolog. & Critiq. sacrée) la plûpart des théologiens & des commentateurs de l'Ecriture, prétendent que Lamech fut le premier qui donna l'exemple de la polygamie, parce que Moïse, Gen. c. iv. . 3. 4. raconte que Lamech prit deux femmes, l'une nommée Adha, l'autre Tsilla ; & qu'il ne dit la même chose d'aucun autre homme avant le déluge, ce qui forme, ajoutent les Théologiens, une preuve assez vraisemblable que Lamech enfreignit le premier la loi de la monogamie ; cependant on peut répondre que dans une histoire aussi peu circonstanciée que l'est celle de la Genese ; il n'est pas raisonnable de conclure de ce qu'une action est la seule dans son espece dont il soit fait mention, qu'elle soit la seule, ou la premiere de son espece qui ait été faite. Par exemple, Moïse dit d'Isaac, l'enfant crut, & fut sevré. La même chose n'est dite d'aucun autre, & cependant personne ne s'imagine qu'Isaac ait été le premier enfant qu'on ait sevré. Pour ne pas sortir du sujet de la polygamie, personne ne doute qu'elle ne fût d'un usage assez fréquent parmi les Juifs dès les premiers tems ; & quoique la famille d'Abraham, & en particulier de la postérité de Jacob jusqu'au tems des rois, nous ait été conservée dans les livres de Moïse, de Josué, des Juges, de Ruth & de Samuel, d'une maniere sans comparaison plus détaillée que ne l'est celle du genre humain dans les premiers chapitres de la Genese ; Elkana, pere de Samuel, est l'unique dans ce période de tems, dont il soit dit qu'il ait eu deux femmes. Si Moïse eût eu dessein de désigner Lamech sur le pié de novateur, il est probable qu'il eût ajouté à ce qu'il dit de ce bigame, quelque expression propre à faire connoître son dessein ; mais au contraire il s'exprime dans des termes aussi simples qu'il l'avoit fait quelques versets plus haut, en parlant des oblations de Caïn & d'Abel.
Quoi qu'il en soit, le discours que Lamech tint à ses deux femmes, en les apostrophant par ces paroles : Femmes de Lamech entendez ma voix, j'ai tué un homme pour ma blessure, & un jeune homme pour ma meurtrissure ; & Caïn sera vengé sept fois, & Lamech soixante & dix fois. Ce discours, dis-je, est une énigme beaucoup plus difficile à expliquer que la polygamie de l'époux d'Agha & de Tsilla. Cependant je ne puis taire à cette occasion, l'explication qu'en a donnée M. Shuckford dans son histoire sacrée & profane, tome I.
Les descendans de Caïn, dit ce judicieux historien, craignirent pendant quelque tems que le reste de la famille d'Adam n'entreprît de se venger sur eux de la mort d'Abel. On croit que ce fut pour cette raison que Caïn bâtit une ville, afin que ses enfans demeurant près les uns des autres, fussent mieux en état de se réunir pour leur commune défense. Lamech tâcha de bannir leurs craintes ; c'est pourquoi ayant assemblé sa famille, il parla à-peu-près de cette maniere. " Pourquoi troublerions-nous la tranquillité de notre vie par des défiances mal fondées ; quel mal avons-nous fait pour que nous soyons toujours dans la crainte ? Nous n'avons tué personne ; nous n'avons pas fait la moindre injure à nos freres de l'autre famille, & certainement la raison doit leur apprendre qu'ils ne peuvent avoir aucun droit de nous nuire. Il est vrai que Caïn, un de nos ancêtres, tua Abel son frere. Mais Dieu a bien voulu pardonner ce crime jusqu'à menacer de punir sept fois au double, quiconque oseroit tuer Caïn. S'il est ainsi, ceux qui auroient la hardiesse de tuer quelqu'un de nous, devroient s'attendre à une punition beaucoup plus rigoureuse encore ; si Caïn est vengé sept fois, Lamech, ou qui que ce soit de son innocente famille, sera vengé soixante & dix-sept fois ". J'ai tué un homme, doit donc être traduit d'une maniere interrogative, ai-je tué un homme ? c. à. d. je n'ai pas tué un homme, ni un jeune homme, pour que je doive recevoir du mal, ou être puni. Le targum d'Onkelos justifie cette explication du passage ; car elle le rend ainsi : " Je n'ai pas tué un homme, pour que le crime m'en soit imputé ; ni un jeune homme, pour que ma postérité doive être retranchée par cette raison ".
Un anonyme a donné une autre explication fort ingénieuse du même passage de la Genese, c. iv. . 23. Il soupçonne qu'il pourroit bien y avoir quelque légere faute de copiste, & il croit être parvenu à découvrir la véritable maniere en laquelle Moïse a écrit. La simple inspection des caracteres hébreux suffit, dit-il, pour se convaincre de la ressemblance qu'il y a entre les mots , & ; le premier qui signifie j'ai tué, se trouve aujourd'hui dans le texte, & y cause beaucoup d'embarras ; le second qui lui ressemble fort, & qui signifie j'ai engendré, formeroit un sens aisé & très-intelligible. Cette maniere de traduire, qui porte avec elle l'explication du passage, satisfait à toutes les regles qu'on s'est prescrites, & a outre cela divers avantages.
I. La liaison entre la premiere & la seconde partie du discours de Lamech, est sensible. Il a un fils propre à le défendre & à le venger ; ainsi il a lieu de s'attendre que si quelqu'un ose attenter à sa vie, sa mort ne demeurera point impunie. Peut-être Lamech s'imaginoit-il que Tubalcaïn étoit celui que la providence avoit destiné à être le vengeur de Caïn ; & personne en effet, ne semble avoir été plus propre à être le vengeur des torts & le réparateur des offenses, que celui qui avoit inventé les instrumens d'airain & de fer, dont on fait un si grand usage dans la guerre, & qui selon le témoignage de Josephe, étoit lui-même un grand guerrier. Josephe, antiq. l. I. c. v. Or Tubalcain ayant des relations bien plus proches avec Lamech qu'avec Caïn, puisque l'un étoit son pere, & l'autre seulement son cinquieme aïeul, il étoit naturel de penser qu'il prendroit les intérêts de l'un encore plus à coeur que ceux de l'autre, & qu'il vengeroit sa mort bien plus séverement. II. Si la confiance de Lamech a été fondée sur la bravoure de son fils, & non pas sur la sienne propre, elle a dû être de la même espece que celle de Caïn, qui ne s'attendoit pas à se venger soi-même, mais à être vengé par un autre. III. On conserve l'affirmation. IV. Le sujet est intéressant, glorieux pour Lamech, & digne de toute l'emphase avec laquelle il parle ; surtout si l'on se transporte dans ces tems reculés, où l'usage fréquent des arts les plus utiles ne les ayant point encore avilis, on sentoit tout le prix de l'invention. La gloire de son fils est d'ailleurs une gloire domestique, dont il est naturel qu'il se félicite au milieu de sa famille. V. En suivant cette interprétation, le discours de Lamech roule sur le sujet dont Moïse parle immédiatement avant de le rapporter. Ainsi l'on voit pourquoi, & à quelle occasion il le fait. Chaufepié, diction. hist. & crit. (D.J.)
POLYGAMIE, s. f. (Théolog.) mariage d'un seul homme avec plusieurs femmes.
Ce mot est composé du Grec , plusieurs, & , mariage.
On distingue deux sortes de polygamie ; l'une simultanée & l'autre successive. La polygamie simultanée est lorsqu'un homme a tout à la fois plusieurs femmes. La polygamie successive est lorsqu'un homme épouse plusieurs femmes l'une après l'autre, après la mort de la premiere, de la seconde, &c. ou qu'il convole à des secondes, troisiemes, quatriemes noces. Voyez MARIAGE.
La pluralité des hommes pour une femme est quelque chose de mauvais en soi ; elle est contraire par elle-même à la fin principale du mariage, qui est la génération des enfans : aussi voit-on par l'histoire qu'il a toujours été défendu aux femmes d'avoir plusieurs maris. Il faut raisonner tout autrement de la polygamie simultanée par rapport aux hommes ; par elle-même elle n'est point opposée au droit naturel, ni à la premiere fin du mariage.
Cette espece de polygamie étoit tolérée parmi les Hébreux, & autorisée par l'exemple des patriarches. On ne la voit établie par aucune loi, & l'Ecriture qui nous donne le nom du premier bigame (Lamech) & de ses deux femmes, semble insinuer que son action ne fut pas approuvée des gens de bien, & qu'il en craignoit les suites.
Les Rabbins soutiennent que la polygamie étoit en usage dès le commencement du monde, & qu'avant le déluge chaque homme avoit deux femmes. Tertullien croit au contraire que ce fut Lamech, qu'il appelle un homme maudit, qui pervertit le premier l'ordre établi de Dieu. Le pape Nicolas I. accuse Lamech d'adultere à cause de sa polygamie ; & le pape Innocent III. cap. gaudemus extra de divortio, soutient qu'il n'a jamais été permis d'avoir plusieurs femmes à la fois, sans une permission & une révélation particuliere de Dieu.
C'est par cette raison qu'on justifie la polygamie des patriarches. On croit que Dieu la leur permit, ou du moins qu'il la toléra pour des vûes supérieures. S. Augustin ne la condamna qu'autant qu'elle est interdite dans la loi nouvelle par des loix positives. " La polygamie, dit ce pere, lib. II. cont. Faust. c. xlvij. n'étoit pas un crime lorsqu'elle étoit en usage. Si elle est aujourd'hui criminelle, c'est que l'usage en est aboli. Il y a différentes sortes de péchés, continue-t-il ; il y en a contre la nature, il y en a contre les usages & coutumes, & il y en a contre les loix. Cela posé, quel crime peut-on faire au S. homme Jacob d'avoir eu plusieurs femmes ? Si vous consultez la nature, il s'est servi de ces femmes pour avoir des enfans, & non pour contenter sa passion. Si vous avez égard à la coutume, la coutume autorisoit la polygamie. Si vous écoutez la loi, nulle loi ne lui défendoit la pluralité des femmes. Pourquoi donc la polygamie est-elle aujourd'hui un péché ? c'est qu'elle est contraire à la loi & à la coutume ".
Les loix de Moïse supposent manifestement cet usage, & ne le condamnent point. Les Rabbins permettent au roi jusqu'à dix-huit femmes, à l'exemple de Roboam roi de Juda qui en avoit autant ; & ils permettent aux Israélites d'en épouser autant qu'ils en peuvent nourrir. Toutefois les exemples de polygamie parmi les particuliers, n'étoient pas trop communs, les plus sages en voyoient trop les inconvéniens. Mais au lieu de femmes on prenoit des concubines, c'est-à-dire des femmes d'un second rang, ce qui n'étoit pas sujet aux mêmes désordres. On met cette différence entre une femme & une concubine, selon les Rabbins, qu'une femme étoit épousée par contrat, & qu'on lui donnoit sa dot ; au lieu que les autres se prenoient sans contrat, qu'elles demeuroient dans la soumission & la dépendance de la mere de famille, comme Agar envers Sara, & que les enfans des concubines n'héritoient pas des biens fonds, mais d'un présent que leur faisoit leur pere.
Jésus-Christ a rétabli le mariage dans son premier & légitime état, en révoquant la permission qui toléroit la polygamie & le divorce. Il ne permet aux Chrétiens qu'une seule femme selon ces paroles de la Genese : Dieu créa au commencement l'homme mâle & femelle ; l'homme s'attachera à sa femme, & ils ne feront ensemble qu'une seule chair.
La polygamie n'est plus permise à-présent aux Juifs, ni en Orient, ni en Occident. Les empereurs Théodose, Arcade & Honorius, la leur défendirent par leurs rescrits de l'an 393. Les Mahométans qui ne se refusent pas cette liberté, ne l'accordent point aux Juifs dans leur empire. Les Samaritains fort attachés aux loix de Moïse, n'épousent qu'une seule femme, & font un crime aux Juifs de leur polygamie secrette en Orient.
Un auteur nommé Lyserus, natif de Saxe, & déguisé sous le nom de Théophilus Aletheus, donna sur la fin du siecle dernier, un gros ouvrage où il prétendoit prouver que la polygamie étoit non-seulement permise, mais nécessaire, & qui fut imprimé à Lunden en Scanie, vers 1683. On peut voir dans les nouvelles de la république des lettres de Bayle, ann. 1685, mois d'Avril, l'extrait qu'il a donné de cet ouvrage extravagant, que quelques auteurs, & entr'autres Brusmannus, ministre de Copenhague, ont pris la peine de refuter sérieusement. Le livre de ce dernier est intitulé : Monogamia triumphatrix, par opposition au titre de Polygamia triumphatrix, que porte celui de Lyserus.
Les Calvinistes & les Luthériens sont extrêmement opposés sur le fait de la polygamie, les premiers soutenant qu'elle est contraire à la loi naturelle, & taxant en conséquence d'adultere tous les anciens patriarches qui ont eu en même tems plusieurs femmes. Luther au contraire prétendoit que la polygamie étoit permise de droit naturel, & même qu'elle n'avoit pas été abolie par l'Evangile ; puisque par une consultation signée de lui, de Mélancthon, de Bucer & de plusieurs autres docteurs de son parti, & qu'on peut voir dans l'histoire des variations de M. Bossuet, il permit en 1539, à Philippe landgrave de Hesse, d'épouser une seconde femme du vivant de sa premiere.
La polygamie successive est autorisée par les loix civiles, & tolérée dans l'Eglise, quoiqu'avec assez de répugnance, les conciles & les peres ayant souvent témoigné qu'ils ne louoient pas les secondes noces, & les canons ne recevant pas dans les ordres sacrés les bigames, à moins qu'ils n'ayent dispense. On lit dans Athénagore, que les secondes noces sont un adultere honorable, adulterium decorum ; & dans S. Basile, qu'elles sont une fornication mitigée, castigatam fornicationem, expressions trop fortes. Les Montanistes & les Novatiens condamnoient aussi les secondes noces ; mais l'Eglise sans en faire l'éloge, ni les conseiller, ne les a jamais blâmées. Je déclare hautement, dit S. Jérôme, epist. xxx. ad Pammach. qu'on ne condamne pas dans l'Eglise ceux qui se marient deux, trois, quatre, cinq & six fois, & même davantage ; mais si on ne proscrit pas cette répétition, on ne la loue pas. Calmet, dictionn. de la bibl. t. III. page 244.
POLYGAMIE, (Jurisprud.) est le mariage d'un homme avec plusieurs femmes, ou d'une femme avec plusieurs hommes ; ainsi la polygamie comprend la bigamie, qui est lorsqu'un homme a deux femmes, ou une femme deux maris.
Le mariage, qui est d'institution divine, ne doit être que d'un homme & d'une femme seulement ; masculum & foeminam creavit eos, dit l'Ecriture ; & ailleurs il est dit, & erunt duo in carne unâ.
Cette loi si sainte fut bientôt violée par Lamech, lequel fut le premier qui eut plusieurs femmes. Son crime parut plus grand aux yeux de Dieu que le fratricide même, puisque l'Ecriture dit que le crime de Lamech seroit puni jusqu'à la 77 génération, au-lieu que pour le meurtre d'Abel il est dit seulement qu'il sera vengé jusqu'à la septieme. Cependant la polygamie continua d'être pratiquée, les patriarches même de l'ancien Testament ne s'en abstinrent pas.
La pluralité des femmes fut pareillement en usage chez les Perses, chez les Athéniens, les Parthes, les Thraces ; on peut même dire qu'elle l'a été presque par tout le monde, & elle l'est encore chez plusieurs nations.
Elle étoit ainsi tolérée chez les Juifs à cause de la dureté de leur coeur ; mais elle fut hautement reprouvée par J. C.
Les Romains, séveres dans leurs moeurs, ne pratiquoient point d'abord la polygamie, mais elle étoit commune parmi les nations de l'orient. Les empereurs Théodose, Honorius & Arcadius la défendirent par une loi expresse l'an 393.
L'empereur Valentinien I. fit un édit par lequel il permit à tous les sujets de l'empire d'épouser plusieurs femmes. On ne remarque point dans l'histoire ecclésiastique que les évêques se soient recriés contre cette loi en faveur de la polygamie ; mais elle ne fut pas observée.
Saint Germain, évêque d'Auxerre, excommunia Cherebert fils de Lothaire, pour avoir épousé en même tems deux femmes, & même qui étoient soeurs ; il ne voulut pourtant pas les quitter, mais celle qu'il avoit épousée en second lieu mourut peu de tems après.
Charlemagne ordonna que celui qui épouseroit une seconde femme du vivant de la premiere, seroit puni comme adultere.
Athalaric roi des Goths & des Romains, fit aussi un édit contre la polygamie.
Il y a chez les Russiens un canon de Jean, leur métropolitain, qui est honoré chez eux comme un prophete, par lequel celui qui quitteroit une femme, pour en épouser une autre, doit être retranché de la communion.
Mais le divorce est encore un autre abus différent de la polygamie, le divorce consistant à répudier une femme pour en prendre une autre ; au lieu que la polygamie consiste à avoir plusieurs maris ou plusieurs femmes à-la-fois.
Nous ne parlons point ici de la communauté des femmes, qui est un excès que toutes les nations policées ont eu en horreur.
Pour ce qui est de la pluralité des maris pour une même femme, il y en a bien moins d'exemples que de la pluralité des femmes.
Lelius Cinna, tribun du peuple, avoua qu'il avoit eu ordre de César de publier une loi portant permission aux femmes de prendre autant de maris qu'elles voudroient : son objet étoit la procréation des enfans ; mais cette loi n'eut pas lieu.
Innocent III. dans le canon gaudemus, dit que cette coutume étoit usitée chez les Payens.
En Lithuanie, les femmes, outre leurs maris, avoient plusieurs concubins.
En Angleterre, les femmes, au rapport de César, avoient jusqu'à dix ou douze maris.
Parmi nous, la peine de la polygamie est le bannissement ou les galeres, selon les circonstances.
Les auteurs qui ont traité de la polygamie sont Tertullien, Estius, Bellarmin, Tostat, Gerson, Didier, &c. Voyez BIGAMIE, MARIAGE. (A)
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POLYGAMISTES | S. m. (Hist. eccl.) hérétiques du xvj. siecle, qui permettoient à un homme d'avoir plusieurs femmes. Bernardin Ochin, qui après avoir été général des Capucins, étoit passé chez les Hérétiques, fut, dit-on, l'auteur de cette infame secte, qui ne paroît pas s'être fort étendue. Consultez, mais avec précaution, Sandere, haer. 203. Prateole, V. polygam. Florimond de Raimond, liv. III. chap. v. n. 4. &c.
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POLYGLOTTA | (Ornitholog.) oiseau des Indes, ainsi nommé dans Jonston. Il est, dit-il, grand comme un étourneau, blanc & rougeâtre, marqué principalement sur la tête & vers la queue de taches blanches imitant des couronnes. Il habite les pays chauds, s'apprivoise en cage, vit de graines, & chante à ravir. (D.J.)
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POLYGLOTTE | S. f. en termes de Théologie & de Critique, signifie une bible imprimée en diverses langues. Voyez BIBLE. Il vient du grec & , langue, langage. La premiere est celle du cardinal Ximenès, imprimée en 1515 à Alcala de Henares, & on l'appelle communément la bible de Complute.
Elle contient le texte hébreu, la paraphrase chaldaïque d'Onkelos sur le Pentateuque seulement, la version grecque des septante, & l'ancienne version latine. Voyez PENTATEUQUE, PARAPHRASE, &c.
Il n'y a point dans cette polyglotte d'autre version latine sur l'hébreu, que cette derniere ; mais on en a joint une littérale au grec des septante. Le texte grec du nouveau Testament y est imprimé sans accens, pour représenter plus exactement l'original des Apôtres, ou au moins les plus anciens exemplaires grecs où les accens ne sont point marqués. Voyez ACCENT.
On a ajouté à la fin un apparat des Grammairiens, des dictionnaires, & des indices ou tables. François Ximenès de Cisneros, cardinal & archevêque de Tolede, qui est le principal auteur de ce grand ouvrage, marque dans une lettre écrite au pape Léon X. qu'il étoit à propos de donner l'Ecriture-sainte dans les originaux, parce qu'il n'y a aucune traduction, quelque parfaite qu'elle soit, qui les représente parfaitement.
La seconde polyglotte est celle de Philippe II. imprimée par Plantin à Anvers en 1572, par les soins d'Arias Montanus.
On y a ajouté outre ce qui étoit déjà dans la Bible de Complute, les paraphrases chaldaïques sur le reste de l'Ecriture, outre le Pentateuque, avec l'interprétation latine de ces paraphrases. Il y a aussi dans cette polyglotte une version latine fort littérale du texte hébreu, pour l'utilité de ceux qui veulent apprendre la langue hébraïque.
Et à l'égard du nouveau Testament, outre le grec & le latin de la bible d'Alcala, on a mis dans cette édition l'ancienne version syriaque, en caracteres syriaques, & en caracteres hébreux, avec des points voyelles pour en faciliter la lecture à ceux qui étoient accoutumés à lire l'hébreu. On a aussi joint à cette version syriaque une interprétation latine composée par Guy le Fevre, qui étoit chargé de l'édition syriaque du nouveau Testament.
Enfin l'on trouve dans la Polyglotte d'Anvers un plus grand nombre de grammairiens & de dictionnaires, que dans celle de Complute, & l'on y a ajouté plusieurs petits traités qui ont été jugés nécessaires pour éclaircir les matieres les plus difficiles du texte.
La troisieme polyglotte est celle de M. le Jay, imprimée à Paris en 1645. Elle a cet avantage sur la bible royale de Philippe II. que les versions syriaque & arabe de l'ancien Testament y sont avec des interprétations latines. Elle contient de plus sur le Pentateuque le texte hébreu samaritain, & la version samaritaine en caracteres samaritains.
A l'égard du nouveau Testament, on a mis dans cette nouvelle polyglotte tout ce qui est dans celle d'Anvers ; & outre cela, on y a ajouté une traduction arabe avec une interprétation latine. Mais il y manque un apparat, & les grammaires & les dictionnaires qui sont dans les deux autres polyglottes, ce qui rend ce grand ouvrage imparfait.
La quatrieme polyglotte est celle d'Angleterre imprimée à Londres en 1657, que quelques-uns nomment la bible de Walton, parce que Walton, depuis évêque de Winchester, prit soin de la faire imprimer.
Elle n'est pas à la vérité si magnifique, tant pour la grandeur du papier, que pour la beauté des caracteres, que celle de M. le Jay, mais elle est plus ample & plus commode.
On y a mis la vulgate, selon l'édition revue & corrigée par Clement VIII. ce qu'on n'a pas fait dans celle de Paris, où la vulgate est telle qu'elle étoit dans la bible d'Anvers avant la correction. Voyez VULGATE.
Elle contient de plus une version latine interlinéaire du texte hébreu ; au lieu que dans l'édition de Paris il n'y a point d'autre version latine sur l'hébreu que notre vulgate. Le grec des septante qui est dans la polyglotte d'Angleterre n'est pas celui de la bible de Complute, qu'on a gardé dans les éditions d'Anvers & de Paris, mais le texte grec de l'édition de Rome, auquel on a joint les diverses leçons d'un autre exemplaire grec fort ancien, appellé alexandrin, parce qu'il est venu d'Alexandrie. Voyez SEPTANTE.
La version latine du grec des septante est celle que Flaminius Nobilius a fait imprimer à Rome par l'autorité du pape Sixte V. Il y a de plus dans la polyglotte d'Angleterre quelques parties de la Bible en éthiopien & en persan, ce qui ne se trouve point dans celle de Paris. Enfin cette édition a cet avantage sur la bible de M. le Jay, qu'elle contient des discours préliminaires, qu'on nomme prolegomenes, sur le texte des originaux & sur les versions, avec un volume de diverses leçons de toutes ces différentes éditions.
On peut aussi mettre au nombre des polyglottes deux Pentateuques, que les Juifs de Constantinople ont fait imprimer en quatre langues, mais en caracteres hébreux.
On voit dans l'un de ces Pentateuques imprimé en 1551, le texte hébreu en gros caracteres, qui a d'un côté la paraphrase chaldaïque d'Onkelos en caracteres médiocres, & de l'autre côté une paraphrase en persan, composée par un Juif nommé Jacob avec le surnom de sa ville.
Outre ces trois colonnes, la paraphrase arabe de Saadias est imprimée au haut des pages en petits caracteres ; on y a de plus ajouté au bas des pages le commentaire de Rasch.
L'autre Pentateuque polyglotte a été imprimé à Constantinople en 1547, sur trois colonnes, comme le premier. Le texte hebreu de la loi est au milieu ; à un des côtés est une traduction en grec vulgaire, & à l'autre une version en langue espagnole. Ces deux versions sont en caracteres hébreux, avec les points voyelles qui fixent la prononciation. On a mis au haut des pages la paraphrase chaldaïque d'Onkelos, & au bas des mêmes pages le commentaire de Rasch.
On ajoutera pour septieme polyglotte le Pseautier qu'Augustin Justinien, religieux dominicain & évêque de Nebio, a fait imprimer en quatre langues à Gènes en 1516. Ce pseautier contient l'hébreu, l'arabe, le grec & le chaldéen, avec les interprétations latines & des gloses. Voyez PSEAUTIER.
Il y a plusieurs autres éditions de la Bible, soit entiere, soit par parties, qu'on pourroit appeller polyglottes. La bible de Gutter, imprimée à Hambourg, en hébreu, en chaldéen, en grec, en latin, en allemand, en saxon, en françois, en italien, en esclavon, en danois, doit être placée au rang des Bibles polyglottes.
Telles sont encore les Hexaples & les Octaples d'Origene. Voyez HEXAPLE & OCTAPLES.
On a encore les Bibles polyglottes de Vatable en hébreu, grec & latin, & de Volder en hébreu, grec, latin & allemand. Celle de Polken, imprimée en 1546, en hébreu, en grec, en chaldéen, ou plutôt en éthiopien & en latin. Celle de Jean Draconits de Carlostad en Franconie, qui en 1565 donna les Pseaumes, les Proverbes de Salomon, les prophetes Michée & Joel en cinq langues ; en hébreu, en chaldéen, en grec, en latin & en allemand. Le pere le Long de l'oratoire a traité avec soin des Polyglottes dans un vol. in-12 qu'il a publié sur ce sujet.
POLYGLOTTE de Ximenès, (Littérat.) c'est ainsi qu'on appelle l'édition de la Bible procurée par les soins & aux dépens de François Ximenès, archevêque de Tolede, & premier ministre d'Espagne sous Isabelle & le roi Ferdinand. L'histoire de sa vie est intéressante parce qu'elle est sans cesse liée avec celle du royaume. Cet homme célebre naquit à Torrelaguna en 1437, & mourut en 1517 dans un bourg voisin de sa patrie nommé Bos-Eguillas, après avoir gouverné l'Espagne pendant vingt-deux ans. Voyez TORRELAGUNA, (Géog. mod.)
Dans l'épître adressée au pape Léon X. Ximenès marque les raisons qui l'avoient déterminé à cette entreprise ; c'est qu'il étoit à propos de donner l'Ecriture-sainte dans les originaux, parce qu'il n'y a aucune traduction de la Bible qui puisse représenter parfaitement ces mêmes originaux. Il ajoute qu'en outre il a cru devoir se conformer à l'autorité de S. Jérôme, de S. Augustin, & des autres Peres, qui ont pensé qu'il falloit avoir recours au texte hébreu pour les livres du vieux Testament, & au texte grec pour le nouveau.
Afin d'exécuter son dessein il prit les mesures les plus sages ; voici ce que son historien Gomez, que M. Flechier a suivi, nous en apprend. Il fit venir les plus habiles gens de ce tems-là ; Démétrius de Crete, grec de nation, Antoine de Nebrissa, Lopés de Stunica, Fernand Pincian, professeurs des langues grecque & latine ; Alfonse, médecin d'Alcala, Paul Coronel & Alfonse Zamora, savans dans les lettres hébraïques, qui avoient autrefois professé parmi les Juifs, & qui avoient depuis embrassé le Christianisme. Il leur exposa son projet, leur promit de fournir à toutes les dépenses, & leur assigna de bonnes pensions à chacun. Il les exhorta sur-tout à la diligence, de peur que lui ne vint à leur manquer, ou qu'eux ne lui manquassent. Il les excita si bien par ses discours & par ses bienfaits, que depuis ce jour-là, jusqu'à ce que l'ouvrage fut achevé, quinze ans après, ils ne cesserent de travailler. Il fit chercher, de tous côtés des manuscrits de l'ancien Testament, sur lesquels on pût corriger les fautes des dernieres éditions, restituer les passages corrompus, & éclaircir ceux qui seroient obscurs ou douteux.
Le pape Léon X. lui communiqua tous les manuscrits de la bibliotheque du Vatican. Il tira de divers pays sept exemplaires manuscrits, qui lui coûterent quatre mille écus d'or, sans compter les grecs qu'on lui envoya de Rome, & les latins en lettres gothiques, qu'il fit venir des pays étrangers, & des principales bibliotheques d'Espagne, tous anciens de sept ou de huit cent ans ; en un mot, les pensions des savans, les gages des copistes, le prix des livres, les fraix des voyages & de l'impression, lui coûterent plus de cinquante mille écus d'or.
Cette bible contient le texte hébreu, la paraphrase chaldaïque pour le Pentateuque seulement, la version grecque des septante, & la vulgate latine ; on a joint au grec des septante une version littérale faite en partie par d'habiles gens d'Alcala, formés sous Démétrius & Pincian, & en partie par Démétrius lui-même & par Lopés de Stunica. Pour le nouveau Testament, le texte grec bien correct, sans aucun accens, & la vulgate. Il voulut qu'on ajoutât un volume d'explications des termes hébreux, & des façons de parler hébraïques.
Le nouveau Testament parut en 1514, le vocabulaire en 1515, & l'ancien Testament en 1517, peu de tems avant la mort de Ximenès. Voici le titre de l'ouvrage tel que nous le fournit le pere le Long : BIBLIA SACRA, vetus Testamentum multiplici linguâ, nunc primò impressum. Et imprimis Pentateuchus hebraïco atque chaldaïco idiomate.
Adjuncta unicuique suâ latinâ interpretatione, IV. vol. in-fol. ad quorum calcem leguntur haec verba :
Explicat quarta & ultima pars totius veteris Testamenti hebraïco, graecoque & latino idiomate nunc primùm impresso, in hâc praeclarissimâ Complutensi universitate.
De mandato & sumptibus reverendissimi in Christo patris Domini, Domini Francisci Ximenii de Cisneros, tituli sanctae Balbinae, sacrosanctae romanae Ecclesiae presbyteri cardinalis, & Hispaniarum primatis, & regnorum Castelli archicancellarii, archiepiscopi Toletani. Industriâ & solertiâ honorabilis viri Arnoldi-Gulielmi de Brocario, artis Impressoriae magistri. Anno Domini millesimo quingentesimo decimo septimo, mensis Julii die decimo. NOVUM TESTAMENTUM graecè & latinè noviter impressum.
In fine voluminis reperiuntur haec verba : Ad laudem & gloriam Dei & Domini Jesu-Christi sacrosanctum opus novi Testamenti & libri vitae, graecis latinisque characteribus noviter impressum, atque studiosissimè emendatum, felici fine absolutum est in hâc praeclarissimâ Complutensi universitate. De mandato & sumptibus, &c. Anno Domini millesimo quingentesimo decimo quarto, mensis Januarii die decimo.
Telle est l'histoire de la polyglotte de Ximenès, qui a été depuis effacée par d'autres polyglottes beaucoup plus belles, celles de Paris & de Londres. (D.J.)
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POLYGONATUM | (Botan.) on nomme vulgairement cette plante sceau de Salomon.
Tournefort compte douze especes de ce genre de plante, dont la principale est à larges feuilles, polygonatum latifolium vulgare, C. B. P. 303. I. R. H. 78. en anglois the common broad, leav'd Salomon's seal.
Sa racine est longue, fibreuse, située transversalement, à fleur de terre, grosse comme le doigt, genouillée d'espace en espace par de gros noeuds fort blancs, d'un goût douçâtre. Elle pousse des tiges à la hauteur d'un à deux piés, rondes, lisses, sans rameaux, un peu recourbées en leur sommité ; d'une odeur agréable, si on les froisse ou qu'on les coupe par morceaux ; revêtues de plusieurs feuilles disposées alternativement, oblongues, larges, assez semblables à celles du muguet ; nerveuses, d'un verd brun luisant en-dessus, & d'un verd de mer endessous.
Ses fleurs naissent des aisselles des feuilles le long de la tige, attachées à de courts pédicules, une à une, deux à deux, ou trois à trois, rangées plusieurs de suite du même côté ; chacune de ces fleurs est une cloche allongée en tuyau, & découpée en six crenelures sans calice, de couleur blanche, mais verdâtre dans ses bords.
Quand les fleurs sont tombées, il leur succede des baies grosses comme celles du lierre, presque rondes, un peu molles, vertes, purpurines ou noirâtres, lesquelles renferment ordinairement trois semences grosses comme celles de la vesce, ovales, dures, blanches. Cette plante croît presque par-tout, aux lieux ombrageux, le long des haies, dans les bois & les forêts, où elle se multiplie par ses racines qui tracent, & dont les noeuds ont une figure approchante de celle d'un sceau ou cachet qu'on y auroit imprimé : elle fleurit en Mai & Juin, & ses baies sont mûres au mois d'Août. Sa racine passe en Médecine appliquée extérieurement pour vulnéraire-astringent. On en tire par sa distillation une eau cosmétique, bonne pour adoucir & embellir la peau. (D.J.)
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POLYGONE | S. m. en terme de Géométrie ; se dit d'une figure de plusieurs côtés, ou d'une figure dont le contour ou le périmetre a plus que quatre côtés & quatre angles. Ce mot est formé du grec , plusieurs, & , angle.
Si les côtés & les angles en sont égaux, la figure est appellée polygone régulier. Voyez REGULIER. Sur les polygones semblables, voyez SEMBLABLE.
On distingue les polygones suivant le nombre de leurs côtés ; ceux qui en ont cinq s'appellent pentagones ; les hexagones en ont six, les heptagones sept, les octogones huit, &c. Sur les propriétés particulieres de chaque polygone, consultez les articles PENTAGONE, HEXAGONE, &c.
Propriétés générales des polygones. Euclide démontre les propriétés suivantes : 1°. que tout polygone peut être divisé en autant de triangles qu'il a de côtés. Voyez TRIANGLE.
Ce qui se fait en prenant un point comme F (Pl. Géomet. fig. 28.), en quelqu'endroit que ce soit au-dedans du polygone, d'où l'on tire des lignes à chaque angle, F a, F b, F c, F d, &c.
2°. Que les angles d'un polygone quelconque, pris ensemble, font deux fois autant d'angles droits, moins quatre, que la figure a de côtés ; ce qui est aisé à démontrer ; car tous les triangles font deux fois autant d'angles droits que la figure a de côtés ; & il faut retrancher de cette somme les angles autour du point F, qui valent quatre angles droits.
Par conséquent si le polygone a cinq côtés, en doublant on a dix, d'où ôtant quatre, il reste six angles droits.
3°. Tout polygone circonscrit à un cercle, est égal à un triangle rectangle, dont un des côtés est le rayon du cercle, & l'autre est le périmetre ou la somme de tous les côtés du polygone.
D'où il suit que tout polygone régulier est égal à un triangle rectangle, dont un des côtés est le périmetre du polygone, & l'autre côté une perpendiculaire tirée du centre sur l'un des côtés du polygone. Voyez TRIANGLE.
Tout polygone circonscrit à un cercle est plus grand que le cercle, & tout polygone inscrit est plus petit que le cercle, par la raison que ce qui contient est toujours plus grand que ce qui est contenu.
Il suit encore que le périmetre de tout polygone circonscrit à un cercle est plus grand que la circonférence de ce cercle, & que le périmetre de tout polygone inscrit à un cercle est plus petit que la circonférence de ce cercle ; d'où il suit qu'un cercle est égal à un triangle rectangle, dont la base est la circonférence du cercle, & la hauteur est le rayon, puisque ce triangle est plus petit qu'un polygone quelconque circonscrit, & plus grand qu'un inscrit.
C'est pourquoi il n'est besoin pour la quadrature du cercle que de trouver une ligne égale à la circonférence d'un cercle. Voyez CERCLE, QUADRATURE.
Pour trouver l'aire d'un polygone régulier, multipliez un côté du polygone comme A B, par la moitié du nombre des côtés, par exemple le côté d'un hexagone par 3, multipliez encore le produit par une perpendiculaire abaissée du centre du cercle circonscrit sur le côté A B, le produit est l'aire que l'on demande. Voyez AIRE.
Ainsi supposons AB = 54, & la moitié du nombre des côtés = 2 1/2, le produit ou le demi-périmetre = 135 ; supposant alors que la perpendiculaire soit 29, le produit 3915 de ces deux nombres est l'aire du pentagone cherché.
Pour trouver l'aire d'un polygone irrégulier ou d'un trapèse, résolvez-le en triangle ; déterminez les différentes aires de ces différens triangles (voyez TRIANGLE), la somme de ces aires est l'aire du polygone proposé. Voyez TRAPESE.
Pour trouver la somme de tous les angles d'un polygone quelconque, multipliez le nombre des côtés par 180d ; ôtez de ce produit le nombre 360, le reste est la somme cherchée.
Ainsi dans un pentagone, 180 multipliés par 5, donne 900 ; d'où soustrayant 360 ; il reste 540, qui est la somme des angles d'un pentagone ; d'où il suit que si l'on divise la somme trouvée par le nombre des côtés, le quotient sera l'angle du polygone régulier.
On trouve la somme des angles d'une maniere plus expéditive, comme il suit : multipliez 180 par un nombre plus petit de deux que le nombre des côtés du polygone ; le produit est la quantité des angles cherchés : ainsi 180 multipliés par 3, qui est un nombre plus petit de deux que le nombre des côtés, donne le produit 540 pour la quantité des angles, ainsi que ci-dessus.
La table suivante représente la somme des angles de toutes les figures rectilignes, depuis le triangle jusqu'au dodécagone ; & elle est utile tant pour la description des figures régulieres que pour vérifier si l'on a trouvé exactement ou non la quantité des angles que l'on a pris avec un instrument.
Pour inscrire un polygone régulier dans un cercle, divisé 360 par le nombre des côtés du polygone proposé, afin d'avoir la quantité de l'angle E F D, prenez cet angle E F D au centre, & portez-en la corde E D sur la circonférence autant de fois qu'elle pourra y aller ; de cette maniere on aura le polygone inscrit au cercle.
Quoique la résolution de ce problème soit méchanique, on ne doit pas la mépriser à cause qu'elle est aisée & générale. Euclide à la vérité nous donne la construction du pentagone, du décagone, & du pentadécagone ; & d'autres auteurs donnent celles de l'heptagone, de l'ennéagone, de l'endécagone ; mais ces dernieres constructions s'éloignent trop de la rigueur géométrique ; & celles d'Euclide, qui sont fondées sur la description du pentagone, sont moins commodes qu'une description méchanique faite avec un bon rapporteur. Voyez RAPPORTEUR.
Pour circonscrire un cercle à un polygone régulier, ou pour circonscrire un polygone régulier à un cercle, coupez deux des angles du polygone donné, comme A & E, en deux également, par les lignes droites A F & E F, qui concourent en F ; & du point de concours avec le rayon E F, décrivez un cercle.
Pour circonscrire un polygone à un cercle, divisez 360 par le nombre des côtés requis, afin d'avoir l'angle C F ; formez cet angle au centre F, & tirez la ligne e g qui se divise en deux également, tirez ensuite la tangente e g a, & sur cette ligne construisez un polygone, ainsi qu'on l'enseigne dans le problème suivant.
Sur une ligne donnée E D construire un polygone régulier quelconque donné. Cherchez dans la table l'angle de ce polygone, & construisez-en un angle qui lui soit égal, en traçant E A = E D. Par les trois point A, E, D, décrivez un cercle (voyez CERCLE), appliquez-y la ligne droite donnée autant de fois qu'elle pourra y aller ; par ce moyen on aura décrit la figure requise.
Pour inscrire ou circonscrire trigonométriquement un polygone régulier, trouvez le sinus de l'arc, qui vient en divisant la demi-circonférence 180 par le nombre des côtés du polygone ; le double de ce sinus est la corde de l'arc double, & par conséquent le côté A E qui doit être inscrit au cercle : donc si le rayon d'un cercle, dans lequel on doit inscrire un pentagone, par exemple, est donné en une certaine mesure, comme 345, on trouvera le côté du pentagone en même mesure par la regle de trois, en faisant, comme le rayon 1000 est à 1176, ainsi 3450 est à 4057, qui est le côté du pentagone ; c'est pourquoi avec le rayon donné, décrivez un cercle, & portez sur la circonférence de ce cercle le côté du polygone autant de fois que vous le pourrez ; vous aurez de cette maniere un polygone inscrit au cercle.
Afin d'éviter l'embarras de trouver par les tables des sinus le rapport d'un côté du polygone à son rayon, nous ajouterons une table qui exprime les côtés des polygones en parties, dont le rayon en contient 100000000. Dans la pratique on retranche autant de figures de la droite que l'on en juge de superflues par les circonstances du cas proposé.
Pour décrire trigonométriquement un polygone régulier sur une ligne droite donnée, & pour circonscrire un cercle autour d'un polygone donné, en prenant dans la table le rapport d'un côté au rayon, déterminez le rayon sur la même échelle que le côté donné ; or ayant un côté & le rayon, on peut décrire un polygone par le dernier problème ; donc si avec l'intervalle du rayon & des extrémités de la ligne donnée, on trace deux arcs qui se coupent, le point d'intersection sera le centre du cercle circonscrit.
Ligne des polygones ; c'est une ligne sur le compas de proportion, qui contient les côtés des neuf premiers polygones réguliers inscrits au même cercle, c'est-à-dire depuis le triangle équilatéral jusqu'au dodécagone. Voyez COMPAS DE PROPORTION.
Nombre polygone en Algebre, c'est la somme d'une rangée de nombres en proportion arithmétique, qui commencent depuis l'unité. On les appelle ainsi, à cause que les unités dont ils sont composés, peuvent être disposées de maniere à former une figure de plusieurs côtés & de plusieurs angles égaux. Voyez l'article FIGURE où cela est expliqué.
On divise les nombres polygones eu égard au nombre de leurs termes, en triangulaires, dont la différence des termes est 1 ; en quadrangulaires ou quarrés, dont la différence est 2 ; en pentagone, où la différence est 3 ; en hexagone, où elle est 4 ; en heptagone, où elle est 5 ; en octogone, où elle est 6, &c.
Les exemples suivans peuvent faire concevoir la génération de plusieurs especes de nombres polygones formés par plusieurs progressions arithmétiques.
Le côté d'un nombre polygone est le nombre de termes de la progression arithmétique qui le compose ; & le nombre des angles est ce qui fait connoître combien cette figure a d'angles, & c'est de-là que le nombre polygone a pris son nom.
C'est pourquoi il y a trois angles dans le nombre triangulaires, quatre dans les tétragones ou les quadrangulaires, cinq dans les pentagonaux, &c. par conséquent le nombre des angles surpasse de deux la différence commune des termes.
Pour trouver un nombre polygone, le côté & le nombre de ses angles étant donné, voici la regle. Le nombre polygone est la demi-différence des produits du quarré du côté par le nombre des angles, moins deux unités ; & du même côté par le nombre des angles, moins quatre unités.
En effet un terme quelconque d'une des progressions arithmétiques ci-dessus, est évidemment 1 + (n - 1) (m - 2) en nommant n le nombre des termes, & m l'exposant du nombre polygone (voyez PROGRESSION) ; de plus la somme de tant de termes qu'on voudroit de cette progression est égale à la somme des deux termes extrêmes multipliés par la moitié du nombre des termes, c'est-à-dire à n/2 ; donc la somme cherchée, ou le nombre polygone est = n/2 (2+.) = ; ce qui revient à l'énoncé de la regle.
Les sommes des nombres polygones rassemblées de la même maniere que les nombres polygones eux-mêmes, pris des progressions arithmétiques, sont appellées nombres pyramidaux. Voyez PYRAMIDAL & FIGURE. (O)
POLYGONE EXTERIEUR, se dit dans la fortification du polygone, dans lequel la fortification est enfermée, & dont le sommet des angles de la circonférence du polygone est aussi celui des angles flanqués des bastions, ou c'est celui qui est formé par les côtés extérieurs. Voyez COTE EXTERIEUR.
POLYGONE INTERIEUR, c'est aussi dans la fortification le polygone formé par les côtés intérieurs, ou celui sur les côtés duquel sont formées les courtines. (Q)
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POLYGONOIDE | S. f. (Hist. nat. Bot.) polygonoides, genre de plante à fleur monopétale, en forme de rosette, & profondément découpée. Le pistil sort du milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit strié, ailé, & le plus souvent hérissé de poils. Tournefort, corol. inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Il y a une plante exotique, ainsi nommée, & décrite par Tournefort, qui l'a découverte dans la plaine de l'Araxe en Arménie.
C'est un arbuste de trois ou quatre piés de haut, fort touffu & fort étendu sur les côtés ; son tronc est tortu, dur, cassant, épais comme le bras, couvert d'une écorce roussâtre, divisé en branches & rameaux, d'où naissent, au lieu de feuilles, des brins cylindriques, composés de plusieurs pieces articulées bout-à-bout, si semblables aux feuilles de l'éphédra, qu'il n'est pas possible de les distinguer sans voir les fleurs. Des articulations de ces brins poussent quelques fleurs de trois lignes de diametre. Ce sont des bassins découpés en cinq parties. Du fond de chaque bassin sort un pistil entouré d'étamines blanches, dont les sommets sont purpurins. Le pistil devient un fruit long d'environ demi-pouce, épais de quatre lignes, de figure conique, cannelé profondément dans sa longueur. Quand on coupe le fruit en-travers, on découvre la partie moëlleuse, laquelle est blanche & angulaire ; les fleurs ont l'odeur de celles du tilleul, ne se fannent que tard, & restent à la base du fruit, comme une espece de rosette. (D.J.)
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POLYGONUM | (Botan.) sa racine est fibreuse & rampante ; ses tiges & ses rameaux sont pleins de noeuds ; le calice est profondément découpé en cinq segmens, qui sont verds dans leur partie inférieure, & couleur de chair dans la supérieure. Lorsque cette plante est mûre, le calice se change en un capsule remplie de semences. Ses fleurs sortent des aisselles des feuilles, & sont cachées quand elles commencent à paroître dans une membrane extrêmement mince. Sa semence est triangulaire.
Tournefort compte douze especes de polygonum, dont la premiere, qu'il suffira de décrire, est le polygonum latifolium I. R. H. 510 ; le vulgaire l'appelle en françois, renouée ou traînasse, en anglois the broad knot-grass.
Sa racine est longue, assez grosse pour la grandeur de la plante, simple, dure, ligneuse, tortue, garnie de plusieurs fibres ; elle est difficile à arracher, rampante, & d'un goût astringent. Elle pousse plusieurs tiges longues d'un pié ou d'un pié & demi, grêles, rondes, solides, tenaces, quelquefois droites, mais le plus souvent couchées à terre, lisses, ayant beaucoup de noeuds assez près les uns des autres ; elles sont revêtues de feuilles oblongues, étroites, pointues, d'un verd de mer, attachées à des queues fort courtes, & rangées alternativement. Ses fleurs sortent de l'aisselle des feuilles, petites, composées chacune d'un seul pétale, divisées en cinq parties, & de huit étamines blanches ou purpurines à sommet jaunâtre, sans calice. Après que la fleur est passée, il lui succéde une semence assez grosse, triangulaire, de couleur de chataigne, renfermée dans une capsule.
Cette plante croît indifféremment presque partout aux lieux incultes ou cultivés, principalement le long des chemins ; c'est une des plus communes de la campagne ; elle fleurit en été, & demeure verte presque toute l'année, excepté durant l'hiver. Elle passe pour rafraîchissante, dessicative, astringente & vulnéraire. Linnaeus observe après Rai, que le polygonum varie par ses feuilles qui sont plus ou moins allongées, plus ou moins étroites, & que ces variétés qui viennent du terrein, ne doivent pas établir des especes différentes. (D.J.)
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POLYGRAMME | S. m. (Géom.) mot employé par les anciens géométres, & qui n'est plus en usage ; une figure géométrique composée de plusieurs côtés. Harris. (E)
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POLYGRAMMOS | (Hist. nat.) nom par lequel quelques auteurs ont désigné un jaspe rouge, moucheté & rayé de blanc qui se trouve aussi nommé garamantias ou grammatias.
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POLYGRAPHE | S. f. (Gram.) art d'écrire de différentes manieres secrettes, dont on ne vient à bout que par l'art de dessiner.
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POLYHEDRE | S. m. en terme de Géométrie, est un corps compris sous plusieurs faces ou plans rectilignes. Voyez CORPS & SOLIDE. Ce mot est formé du grecs , plusieurs & , siege ou face.
Si les faces du polyhédre sont les polygones réguliers, tous semblables & égaux, le polyhédre est un corps régulier, qui peut être inscrit dans une sphere, c'est-à-dire, que l'on peut lui circonscrire une sphere, dont la surface touche tous les angles solides de ce corps. Voyez CORPS REGULIERS, &c. Il n'y a que cinq corps réguliers au polyhédre ; savoir, le tétrahédre, l'exahédre ou le cube, l'octahédre, le dodécahédre, & l'icosahedre. Voyez ces mots.
Un polyhédre gnomonique, est une pierre à plusieurs faces, sur lesquelles on a fait la projection de différentes especes de cadrans. Voyez CADRAN.
Tel étoit celui de cet endroit de Londres que les Anglois appellent privy garden, qui a été détruit, & qui étoit autrefois le plus beau qu'il y eût en Europe.
POLYHEDRE ou POLYSCOPE, ou verre à facettes, en terme d'Optique, est un verre dont la surface est composée de plusieurs surfaces plates, faisant entre elles différens angles.
Phénomenes de polyhédre. Si plusieurs rayons tels que EF, AB, CD, (Pl. Opt. fig. 71.) tombent parallélement sur une des surfaces d'un polyhédre, ils continueront d'être paralleles après la réfraction. Voy. RAYON & REFRACTION.
Si l'on suppose donc que le polyhédre est régulier, les lignes LH, HI, IM, seront comme des tangentes à une des lentilles convexes sphériques en F, B & D, par conséquent, les rayons qui tombent sur le point de contact, coupent l'axe ; c'est pourquoi, puisque tous les autres rayons leur sont paralleles, ils s'entrecoupent ; les rayons rompus par les différentes faces, s'entre-couperont mutuellement en G.
D'où il suit que si l'oeil est placé à l'endroit où les rayons paralleles se croisent, les rayons du même objet seront réunis en autant de différens points de la rétine a, b, c, que le verre a de faces.
Par conséquent l'oeil, à travers un polyhédre, voit les objets répétés autant de fois qu'il a de faces ; & ainsi, puisque les rayons qui viennent des objets éloignés sont paralleles ; on voit, à travers un polyhédre, un objet éloigné aussi souvent répété, que le polyhédre a de faces.
2. Si les rayons A B, A C, A D, (fig. 72.) qui viennent d'un point rayonnant A, tombent sur différentes faces d'un polyhédre régulier, après la réfraction ils se croiseront en G.
D'où il suit que, si l'oeil est placé à l'endroit où les rayons, qui viennent de différens plans, se croisent, les rayons seront réunis en autant de différens points de la rétine a, b, c, que le verre a de faces ; par conséquent l'oeil étant placé au foyer G verra même un objet proche à-travers le polyhédre, autant de fois répété que le polyhédre a de faces.
Ainsi, l'on peut multiplier les images des objets dans une chambre obscure, en plaçant un polyhédre à son ouverture, & en y ajoutant une lentille convexe à une distance convenable. Voyez CHAMBRE OBSCURE.
Pour faire une anamorphose, c'est-à-dire, une image défigurée, qui paroisse réguliere & bien faite à-travers un polyhédre ou un verre qui multiplie les objets, à une extrémité d'une table horisontale, élevez-en une autre à angles droits, où l'on puisse dessiner une figure ; & sur l'autre extrémité élevez-en une seconde, qui serve comme d'appui ou de support, & qui soit mobile sur la table horisontale : appliquez à la table, qui sert de support, un polyhédre plan convexe, consistant, par exemple, en 24 triangles plans ; ajoutez le polyhédre dans un tube qui se tire, c'est-à-dire, qui peut s'allonger & se raccourcir, l'extrémité tournée vers l'oeil ne doit avoir qu'une très-petite ouverture, & être un peu plus éloignée que le foyer. Eloignez la table d'appui de l'autre table perpendiculaire, jusqu'à ce qu'elle soit hors de la distance du foyer, & cela d'autant plus que l'image doit être plus grande ; au-devant de la petite ouverture placez une lampe ; & sur le plan vertical ou sur du papier que l'on y appliquera, mettez au trait avec du noir de plomb les aréoles lumineuses qui viennent des faces du polyhédre.
Dans ces différentes aréoles, dessinez les différentes parties d'une image de maniere qu'étant jointes ensemble elles fassent un tout, ayant soin de regarder de tems-en-tems à-travers le tube, pour guider & corriger les couleurs, & pour voir si les différentes parties se répondent ou s'assortissent bien exactement.
Remplissez les espaces intermédiaires de toutes sortes de figures ou de desseins à volonté que vous imaginerez, de maniere qu'à l'oeil nud tout fasse voir une apparence fort différente de celle que l'on se propose de représenter avec le polyhédre.
Si l'on se remet à regarder par la petite ouverture du tube, on verra les différentes parties ou les différens membres qui sont dispersés dans les aréoles, représenter une image continue ; parce que tous les objets intermédiaires disparoissent totalement. Voyez ANAMORPHOSE. Wolf & Chambers. (O)
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POLYHYMNIE | ou POLYMNIE, (Mythol.) de , beaucoup, & , hymne ; c'est une des muses, ainsi nommée de la multiplicité des chansons ; on la regarde comme l'inventrice de l'harmonie, c'est pourquoi on la représente avec une lyre, ou un barbiton, selon Horace. Hésiode & plusieurs autres la nomment Polymnie, & alors on dérive son nom de se ressouvenir, pour la faire présider à la mémoire & à l'histoire qui en dépend. On la peint avec une couronne de perles, la main droite étendue, comme à un orateur, & à la gauche un rouleau, sur lequel on lit suadere, persuader : en ce cas elle présidoit à l'éloquence. (D.J.)
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POLYMATHIE | S. f. (Belles-Lettres) connoissance de plusieurs arts & sciences, grande & vaste étendue de connoissances différentes. Voyez ENCYCLOPEDIE. Ce mot vient du grec , multum, & , disco, j'apprends.
Juste Lipse, Scaliger, Saumaise, Pétau, Kircker, Vossius & Léibnitz étoient de grands polymathes. Les anciens appelloient ces sortes de gens polyhistores.
La polymathie n'est souvent qu'un amas confus de connoissances inutiles, qu'on débite à-propos & hors de propos pour en faire parade. La véritable polymathie est une vaste érudition, une connoissance d'un grand nombre de choses, bien pénétrées, bien digérées, que l'on applique à propos, & pour la nécessité seule du sujet que l'on traite.
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POLYMITHIE | S. f. (Belles-Lettres) terme de poétique qui signifie une multiplicité de fables dans un poëme épique ou dramatique, au lieu de l'unité d'action qui doit y regner. Voyez FABLE, UNITE, ACTION.
La polymithie est un des plus grands défauts qui puissent se rencontrer dans un poëme. Car outre qu'elle y jette la confusion en compliquant des fables ou des actions qui ne concourent pas à un même but, elle partage nécessairement l'intérêt, & par conséquent elle l'affoiblit. Voyez ACTION.
Telle seroit l'idée d'une théseïde, d'une héracléïde, d'une achilléïde ou d'autres poëmes semblables, qui comprendroient toutes les actions, toute la vie des héros qui en feroient le sujet, comparées à l'Iliade ou à l'Enéïde. Voyez HEROS, ÉPIQUE.
Quelques pieces de notre ancien théâtre, de Lope de Vega, de Shakespear péchent par la polymithie, l'Henri VI. & le Richard III. de ce dernier ne font point de ces pieces où regne l'unité d'action, ce sont des histoires d'événemens arrivés dans le cours de plusieurs années.
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POLYMITUM OPUS | (Critique sacrée) , ouvrage tissu de fils ou de soies de diverses couleurs. Fecit ei tunicam polymitam, Gen. xxxvij. 3. Jacob fit à Joseph une tunique de différentes couleurs. Ezéchiel voulant reprocher à la ville de Jérusalem son luxe & ses débauches, lui dit, qu'elle s'étoit parée d'habits & de robes précieuses de diverses couleurs : ornata est auro & argento, & vestita bysso ac polymito. Exod. v. 28. 6.
Polymitarius dans l'Ecriture, est l'ouvrier qui fait des ouvrages, des voiles, de divers fils & de diverses couleurs. Ceux qui excelloient dans cet art que Moïse vouloit encourager parmi les Juifs, sont dits y avoir été formés par Dieu même : cunctos erudivit sapientia, ut faciant opera abietarii, polymitarii, plumarii, de hyacinto, purpurâ coccoque tincto, & bysso. Exod. xxxviij. 23. (D.J.)
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POLYMITUS LAPIS | (Hist. nat.) pierre dans laquelle on voit un grand nombre de couleurs.
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POLYNOME | (Géom.) Voyez MULTINOME.
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POLYOPTRE | S. m. terme d'Optique, qui se dit d'un verre, à-travers lequel les objets paroissent multipliés, mais plus petits ; ce mot est formé du grec ; beaucoup, & de , je vois.
Le polyoptre, tant dans sa structure que dans ses phénomenes, différe des verres ordinaires, qui multiplient les objets, & que l'on appelle polyhédre. Voyez POLYHEDRE.
Construction du polyoptre. Prenez un verre AB plan des deux côtés, dont le diametre soit d'environ trois pouces (Pl. d'Opt. fig. 73.), faites dans son épaisseur des segmens sphériques, dont la largeur ait à peine la cinquieme partie d'un doigt.
Alors si vous éloignez le verre de votre oeil, jusqu'à ce que vous puissiez embrasser toutes les concavités d'un seul coup d'oeil, vous verrez le même objet comme à-travers d'autant de verres concaves qu'il y a de concavités ; mais cet objet vous paroîtra fort petit.
Ajustez ce verre de la même maniere qu'un verre objectif, à un tube A B C D, dont l'ouverture A B soit égale au diametre du verre, & l'autre ouverture C D soit égale à celle d'un verre oculaire c, a, d, d'environ la largeur d'un pouce.
La longueur du tube A C doit être égale à la distance que l'on trouvera par expérience entre le verre objectif, & le verre oculaire.
Ajustez en D un verre oculaire convexe, ou en sa place un menisque, dont la distance du foyer principal soit un peu plus grande que la longueur du tube, afin que le point d'où les rayons commencent à être divergens après leur réfraction dans le verre objectif puisse être au foyer de l'oculaire. Alors si l'on approche l'oeil du verre oculaire, on verra un seul objet répété autant de fois qu'il y a de concavités dans le verre objectif, mais il sera fort diminué. Wolf & Chambers. (T)
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POLYPE | POULPE, polypus, s. m. (Hist. nat.) insecte aquatique, du genre des vers zoophytes. Il y a plusieurs especes de polypes ; les uns sont dans l'eau salée, & les autres dans l'eau douce. Les plus grands polypes de mer ressemblent au calmar & à la seche, par la bouche, les yeux, & les visceres, & par le nombre des cornes, que l'on peut regarder comme des bras ou comme des jambes, car l'animal s'en sert comme de mains & de piés ; ces bras different de ceux de la seche & du calmar, en ce qu'ils sont tous d'égale longueur, & qu'ils ont deux rangs de suçoirs. Les polypes n'ont point de nageoires ; ils different aussi des autres animaux mous, en ce que leur ventre est plus petit & que leurs bras sont plus longs. Ils ont dans une vessie située au-dessous de l'estomac une liqueur rougeâtre, comme la seche a une liqueur noire. On trouve de ces polypes dans la haute mer, & d'autres sur les côtes. Ils sortent de l'eau ; leurs bras renaissent lorsqu'ils ont été mutilés ; ces animaux vivent de coquillages & de feuilles de figuier & d'olivier ; leur chair est dure & indigeste.
Les polypes de la seconde espece ont moins de volume que ceux de la premiere ; ils sont mouchetés, & ils ne valent rien à manger.
Ceux de la troisieme espece ont le corps plus court & plus arrondi que les autres, & les bras plus longs ; il n'y a qu'un rang de suçoirs sur chaque bras : ces polypes ont une odeur de musc.
On a donné le nom de polype à l'animal du coquillage appellé nautile. Voyez NAUTILE. Rondelet, Hist. des poissons, liv. XVII.
Les polypes d'eau douce ont été connus dans le commencement du siecle présent ; il en a été fait mention dans les Transactions philosophiques pour l'année 1703, par Leuwenhoeck, & par un auteur anglois anonyme, qui avoient des notions de la maniere naturelle dont les polypes se multiplient ; mais ce n'a été qu'en 1740 que M. Trembley, de la société royale de Londres, a découvert cette reproduction merveilleuse qui se fait dans toutes les parties d'un polype après qu'on les a séparées. M. Trembley a décrit trois especes de polypes qui sont doués de cette propriété, & qu'il appelle polypes d'eau douce, à bras en forme de cornes.
Les polypes de la plus petite de ces trois especes sont d'un assez beau verd ; lorsqu'on les voit attachés à la tige d'une plante aquatique & immobile, ils ressemblent à une plante parasite, à des brins d'herbes, ou à l'aigrette de la semence de dent de lion ; mais lorsqu'ils retirent leurs bras & qu'ils les font disparoître, lorsqu'ils se contractent subitement & si fort que le corps ne paroît être qu'un grain de matiere verte, lorsqu'ensuite les bras reparoissent & s'étendent, & que le corps reprend sa premiere forme ; enfin lorsqu'on les voit marcher, on ne peut plus douter qu'ils ne soient des animaux. Leur corps est assez délié ; de l'une de ses extrémités sortent des cornes qui servent de piés & de bras & qui sont encore plus déliés que le corps : on peut donner à cette extrémité le nom de tête, parce que la bouche s'y trouve. Le corps & même les bras des polypes s'accourcissent & deviennent plus gros en se contractant ; ils se réduisent quelquefois à une ou deux lignes de longueur. Ils s'allongent & deviennent plus minces en se dilatant. Le corps de la plûpart des polypes verds a cinq ou six lignes de longueur lorsqu'il est étendu. La longueur du corps des polypes de la seconde & de la troisieme espece, est long au moins de huit lignes & au plus d'un pouce & demi ; la couleur de ces polypes est teinte de rouge & de brun. Le nombre des bras varie dans les polypes de ces trois especes, depuis six jusqu'à douze ou treize, & même dix-huit ; ceux des polypes verds n'ont que trois lignes de longueur ; les bras des polypes de la seconde espece sont ordinairement longs d'un pouce, & s'étendent jusqu'à deux & même trois pouces ; les bras ont jusqu'à huit pouces & demi de longueur dans les polypes de la troisieme espece ; aussi M. Trembley les a-t-il appellés polypes à longs bras.
Tous les insectes se contractent lorsqu'on les tire de l'eau ; la chaleur les anime, le froid les engourdit, mais il en faut un degré approchant de celui de la congelation pour les réduire à une parfaite inaction ; alors ils restent plus ou moins contractés dans l'état où ils étoient lorsque le froid les a saisis.
Les polypes renflent leur corps & le courbent à leur gré ; ils fléchissent aussi leurs bras en tout sens ; ils marchent comme les chenilles appellées arpenteuses, & divers autres insectes aquatiques. Lorsqu'un polype suspendu dans l'eau par la partie postérieure de son corps à la tige d'une plante veut changer de place, il courbe son corps en arc de cercle, & il applique la partie antérieure, ou seulement un bras, ou tous les bras contre la même tige ; il approche la partie postérieure de l'antérieure ; ensuite il éloigne l'antérieure de la postérieure, & par ce moyen il fait un pas. En répétant cette manoeuvre les polypes se transportent d'un lieu à un autre, mais fort lentement ; ils ne parcourent qu'une longueur de sept à huit pouces en une journée d'été, & lorsqu'il fait moins chaud ils sont encore plus lents. Ces insectes ont différentes façons de marcher ; ils font quelquefois des culbutes au lieu de faire des pas : lorsqu'ils sont fixés par les deux extrémités de leurs corps étant courbés en arc, ils relevent l'une des extrémités en s'étendant en ligne droite, & la font retomber de l'autre côté en se recourbant en sens contraire. Ils peuvent marcher sous la surface de l'eau, en s'y attachant comme à un corps solide ; pour cet effet ils font passer une des extrémités de leur corps ou de leurs bras au-dessus de l'eau & l'y laissent secher ; étant seche elle s'y soutient, & l'insecte y trouve un point d'appui de la même façon qu'une épingle que l'on couche doucement sur l'eau y reste : le polype marche en faisant sortir & rentrer successivement les extrémités de son corps à différens points de la surface de l'eau.
Le corps des polypes est un tuyau creux d'un bout à l'autre ; l'orifice qui se trouve à l'extrémité antérieure du corps est la bouche, comme il a déjà été dit ; il y a aussi un orifice à l'extrémité postérieure, mais il ne s'ouvre que rarement ; il ne fait pas les fonctions d'un anus, car les polypes rendent leurs excrémens par la bouche. Les bras sont creux, & leurs cavités communiquent avec celles du corps. Les polypes se nourrissent de petits insectes ; ils les arrêtent & ils les saisissent avec leurs bras, qui ont la propriété de se coller & d'adhérer aux différens corps qu'ils rencontrent, & de s'en séparer au gré de l'animal. Lorsqu'un polype a saisi un insecte avec ses bras, il les contracte & les raccourcit pour l'attirer vers sa bouche ; dès qu'elle touche à la poitrine, elle se dilate ; les levres s'étendent pour envelopper ce qui se présente & l'attirent dans le corps du polype par une sorte de suction. M. Trembley a nourri des polypes en leur donnant des mille-piés assez déliés, longs de sept à huit lignes, qui ont une trompe ou dard charnu au-devant de la tête ; de petits pucerons branchus, qui ont été ainsi nommés parce qu'ils ont deux bras ramifiés qui s'élevent au-dessus de leur tête, & qui leur servent de nageoire ; de petits vers & d'autres insectes aquatiques. Les polypes en avalent qui sont plus longs & plus gros que leur corps ; la bouche & le corps se dilatent, & le ver se trouve replié de maniere qu'il n'en reste aucune partie au-dehors du corps des polypes. Lorsque deux de ces insectes attaquent un même ver, ils l'avalent chacun par une de ses extrémités ; & lorsque leurs bouches se rencontrent sur le milieu du ver, il arrive quelquefois que l'un des polypes n'est pas arrêté par cet obstacle, il avale l'autre polype avec la portion du ver qui se trouve dans son corps ; mais au bout d'une heure ce polype sort sain & sauf du corps de celui qui l'avoit englouti ; il n'y perd que sa proie. On a vû aussi des polypes avaler leurs bras lorsqu'ils étoient entrelacés avec leur proie ; au bout de vingt-quatre heures le bras sortoit du corps du polype sans paroître y avoir été altéré. Ces faits prouvent que les polypes ne se mangent pas les uns les autres, ou au-moins qu'ils ne peuvent pas digérer leurs semblables. M. Trembley est parvenu à introduire des polypes vivans dans l'estomac d'autres polypes. Après y être restés pendant quatre ou cinq jours, ils en sont toujours sortis vivans, au-lieu que les autres animaux qui leur servent de nourriture n'y peuvent pas vivre plus d'un quart-d'heure. Les polypes mangent plus en été qu'en hiver ; le volume des alimens qu'ils peuvent prendre en une seule fois est triple ou quadruple de celui de leur corps. Ils se passent de nourriture pendant long-tems ; M. Trembley en a eu qui ont vécu pendant quatre mois sans aucun aliment, mais le volume de leur corps étoit diminué ; au contraire, l'accroissement des polypes est fort prompt lorsqu'ils mangent beaucoup & souvent. La couleur des alimens, leur présence ou leur absence, la contraction ou la dilatation du corps des polypes, font varier leur couleur, & la rendent plus ou moins foncée.
M. Trembley a nourri des polypes qui vivoient encore après deux ans ; ces insectes sont sujets à avoir de petits poux, très-communs dans les eaux, qui les incommodent, & qui même les mangent & les font mourir. Pour avoir des polypes il faut les chercher dans les recoins que forment les fossés, les mares & les étangs, dans ces endroits où le vent pousse & rassemble les plantes qui flottent sur l'eau ; on les trouve indifféremment sur toutes sortes de corps, sur toutes les plantes aquatiques ; ils sont posés sur le fond des fossés, ou suspendus à la superficie de l'eau. Il est plus difficile de les trouver en hiver qu'en été, parce qu'ils restent au fond de l'eau avec les plantes.
Leuwenhoeck & l'auteur anonyme, dont il a déja été fait mention, avoient découvert au commencement de ce siecle la génération naturelle des polypes. M. Trembley n'ayant aucune connoissance de ces observations, fit la même découverte en 1741 ; il apperçut, le 25 Février, sur le corps d'un polype une petite excrescence d'un verd foncé ; dès le lendemain, cette excrescence avoit environ un quart de ligne de longueur & une figure à-peu-près cylindrique ; le 28, elle étoit longue au-moins d'une demi-ligne ; le même jour, quatre bras commencerent à pousser sur cette excrescence : ils avoient déja trois lignes de longueur le 18 de Mars, lorsque le jeune polype se sépara de sa mere. Cette séparation se fait aisément, parce qu'alors les deux polypes ne tiennent l'un à l'autre que par un fil très-délié ; ils s'appuyent sur quelque corps, & le moindre effort qu'ils font en se contractant, suffit pour rompre le foible lien qui les unissoit. Les bras ne poussent pas tous ensemble ; il n'en paroît d'abord que quatre ou cinq ; les autres sortent dans la suite, & même après que le jeune polype est séparé du corps de sa mere. C'est ainsi que M. Trembley appelle le polype, qui produit ou qui a produit des petits ; il est aussi-bien le pere que la mere, comme on le dira dans la suite. Avant que le jeune polype soit séparé de sa mere, il prend des alimens ; il saisit la proie qui se rencontre ; il l'approche de sa bouche & l'avale. Il croît très-promptement, lorsqu'il fait chaud & que les alimens ne manquent pas : vingt-quatre heures suffisent pour son accroissement, & deux jours après avoir paru sur le corps de sa mere, il s'en détache ; mais en hiver il y en a qui ne prennent leur accroissement qu'en quinze jours, & qui ne se séparent de leur mere qu'après cinq ou six semaines : lorsque la nourriture manque au jeune polype, il quitte sa mere plus tôt qu'il ne le feroit, s'il n'étoit pas pressé par la faim. La cavité du corps du jeune polype communique avec celle du corps de la mere ; il est formé par un prolongement de la peau de cette mere. Les alimens qu'il prend, après avoir passé d'un bout à l'autre de son estomac, c'est-à-dire, de la cavité de son corps, car il n'y a point de visceres, entrent dans celui de la mere, & réciproquement ceux qu'elle prend entrent dans l'estomac du jeune polype. S'il y a plusieurs polypes sur la même mere, il suffit que l'un d'eux ou la mere prennent des alimens pour qu'ils soient tous nourris ; mais lorsqu'ils ont pris leur accroissement, & qu'ils approchent du tems où ils doivent se séparer de leur mere, le diametre de la partie postérieure de leur corps, qui tient à celui de la mere, s'accourcit ; l'orifice qui servoit de communication entre la cavité du corps de la mere & celle du corps du jeune polype, se ferme, & alors les alimens ne peuvent plus passer du corps de l'un dans celui de l'autre.
Les polypes sont très-féconds lorsqu'il fait chaud & que les alimens sont abondans. Un seul polype en produit environ vingt en un mois, & chacun de ces vingt commence à en produire d'autres quatre ou cinq jours après son apparition sur le corps de sa mere. M. Trembley en a vû une qui portoit sa troisieme génération ; du petit qu'elle produisoit sortoit un autre petit, & de celui-ci un troisieme. Un polype à longs bras, que le même auteur a observé, quinze jours après avoir commencé à sortir du corps de sa mere & neuf jours après s'en être séparé, avoit un pouce & un quart de longueur lorsqu'il étoit bien étendu ; dix jeunes polypes sortoient en même tems de son corps, & quatre ou cinq de ces jeunes étoient longs de sept à huit lignes ; il y en avoit huit d'entr'eux qui étoient parfaitement formés & en état de manger ; de plus, cinq de ces derniers produisoient des petits ; de l'un de ces cinq il en sortoit trois, de deux autres il en sortoit deux, & enfin les deux derniers en poussoient chacun un. Quelques-uns des polypes de cette seconde génération avoient déja des bras & prenoient même des pucerons : M. Trembley en fournissoit en abondance à ce grouppe de polypes qu'il nourrissoit chez lui. Ceux qui n'ont pas tant d'alimens ne sont pas si féconds : M. Trembley n'en a jamais trouvé dans des fossés qui eussent plus de sept petits attachés à leur corps. Il s'est assuré par un grand nombre d'expériences que tous les polypes produisent des petits, qu'ils se multiplient par rejettons sans accouplement, sans aucune communication des uns avec les autres. On a apperçû sur ces insectes des corps sphériques que l'on pourroit regarder comme des oeufs ; M. Trembley a soupçonné qu'un de ces corps étoit devenu un polype ; M. Allamand a eu le même soupçon : mais ni l'un ni l'autre n'a vérifié ce fait. M. Trembley a vû quelques polypes qui se séparent d'eux-mêmes en deux parties qui deviennent chacune un polype entier. Il y a des polypes qui ont un ou deux bras fourchus ; d'autres ont deux têtes l'une à côté de l'autre. M. Trembley en a vû un qui avoit une tête, des bras, & une bouche à chacune de ses extrémités, & qui mangeoit indifféremment par l'une ou par l'autre de ses bouches : le corps étoit creux dans toute son étendue.
Lorsqu'on a coupé un polype en deux parties par le milieu de sa longueur, il arrive souvent que la partie antérieure marche & mange dès le jour même de l'opération, si elle a été faite en été. Dans le fort de cette saison, au bout de vingt-quatre heures, la seconde partie du polype, qui a été coupée, commence à pousser des bras, & en deux jours elle est en état de manger ; mais dans un tems froid, la tête ne se forme qu'en quinze ou vingt jours. Si l'on coupe transversalement un polype qui pousse des petits, ils continuent à croître après la section ; quelquefois même il s'en forme de nouveaux avant que la partie coupée ait pû manger. Quelques petites que soient les parties coupées, quel que soit le nombre de ses parties, elles deviennent chacune un polype parfait : mais lorsqu'on n'a coupé que les bras, ils ne sont pas devenus des polypes. Les portions du corps de ces insectes, coupés longitudinalement, produisent un polype entier comme celles qui ont été coupées transversalement. Lorsqu'un polype entier n'a été coupé qu'en deux portions longitudinales, chacune ayant des bras prend bien-tôt la forme d'un polype parfait ; en une heure chaque portion se plie en gouttiere, approche ses bords latéraux l'un de l'autre, & les réunit de façon qu'il n'y reste aucune cicatrice, &, pour l'ordinaire, au bout de vingt-quatre heures le nouveau polype est en état de saisir sa proie & de l'avaler. En quelque nombre de portions longitudinales que l'on coupe un polype, chacune produit un polype entier. Si l'on divise les deux extrémités du corps d'un polype, ou seulement l'une ou l'autre en plusieurs parties, sans les détacher du reste du corps, ces parties ne se réunissent pas, mais elles deviennent chacune une tête ou une queue selon leur situation : M. Trembley a fait croître jusqu'à huit têtes sur un seul polype. Si on coupe ces têtes, il s'en forme de nouvelles sur le polype, & les têtes coupées deviennent chacune un polype entier. Si l'on hache un de ces insectes par morceaux, chacun de ces morceaux se gonfle d'abord & forme une cavité dans son intérieur & une bouche à l'une de ses extrémités : en peu de jours c'est un polype en état de manger de petites parcelles de vers. Tous ces polypes qui n'ont pour origine que des portions de polypes, ne différent en aucune maniere de ceux qui ont été produits naturellement par un polype entier, & produisent aussi d'autres polypes. Il a déja été dit que le corps des polypes est creux d'un bout à l'autre : M. Trembley a trouvé le moyen de le retourner comme un gant, desorte que ses parois internes se trouvassent à l'extérieur, & les externes à l'intérieur. Mais l'insecte se remettoit bien-tôt dans son premier état ; il a fallu, lorsque le corps étoit retourné, passer une soie de sangliers à-travers près des levres, pour l'empêcher de reprendre son premier état ; car c'est en rabattant les levres en-dehors vers l'extrémité postérieure du corps, qu'un polype qui a été retourné commence à cesser de l'être. Les polypes que M. Trembley a retournés & traversés par une soie, mangeoient trois ou quatre jours plus ou moins après l'opération ; ils croissoient & multiplioient comme les autres. Si le polype que l'on retourne porte un jeune polype qui soit déja grand, il se trouve après l'opération en partie dans l'estomac de la mere, & en partie au-dehors, car la tête & les bras du jeune polype passent au-dehors de la bouche de la mere : mais il se détache bien-tôt. Si ce jeune polype est fort petit, l'estomac de la mere le renferment en entier au moment qu'elle est retournée, mais dans l'espace de quelques minutes il se retourne de lui-même, & en se retournant il passe au-dehors de l'estomac de la mere par l'ouverture qui servoit de communication entre la cavité de son corps & celle du corps de la mere, avant qu'ils ne fussent retournés ni l'un ni l'autre ; ensuite il continue à croître, & il se détache comme ceux qui n'ont pas été retournés. Lorsqu'un polype retourné a rabattu ses levres en-dehors sur son corps, il se forme à l'endroit où se trouvent ses levres, une ou plusieurs bouches, & il arrive des changemens fort extraordinaires à ce polype. M. Trembley a introduit un polype dans le corps d'un autre polype, mais il en sortoit quoiqu'ils fussent traversés tous les deux par une soie de sanglier : le polype intérieur fendoit le polype extérieur & se trouvoit placé à côté de lui, étant toujours traversés l'un & l'autre par la soie de sanglier : il est arrivé qu'ils ne se sont pas séparés en entier mais seulement en partie, & qu'ils restoient en partie unis l'un à l'autre & pour ainsi dire entés l'un sur l'autre. M. Trembley ayant retourné un polype & l'ayant introduit dans le corps d'un autre, de maniere que la tête du polype intérieur sortoit au-dehors de la bouche du polype extérieur, les deux polypes étant traversés par une soie de sanglier, ils sont restés l'un dans l'autre ; la bouche du polype extérieur s'est collée sur le cou du polype intérieur : M. Trembley n'a pû savoir si le reste du corps de ce polype avoit été dissous dans l'estomac du polype extérieur, ou s'il s'étoit incorporé avec sa substance. Quoi qu'il en soit, il est certain que de deux polypes on n'en fait qu'un par ce moyen, tandis qu'au contraire on fait plusieurs polypes d'un seul en les coupant par morceaux. On peut réunir deux portions d'un polype ou de différens polypes de la même espece, car il est douteux que cette réunion se fasse sur des portions de polypes de différentes especes, pour cette opération, on place les deux portions de polypes l'une contre l'autre ; si elles s'écartent, on les rapproche & on les maintient de façon qu'elles se touchent ; après que les deux bouts se sont touchés pendant un quart d'heure, une demi-heure ou une heure, on commence à s'appercevoir qu'ils s'attachent l'un à l'autre. Mém. pour serv. à l'hist. d'un genre de polypes d'eau douce à bras en forme de cornes, par M. Trembley. Voyez dans son ouvrage la description d'un polype à panache.
POLYPE, c'est un nom générique commun à différens corps, qui n'ont d'autre analogie que la multitude de piés, de branches, ou de ramifications. C'est cette figure, ce caractere qui a donné lieu à leur dénomination : le mot polype est tiré du grec , composé de , plusieurs, & , pié ; il signifie aussi littéralement, qui a plusieurs piés. Il y a un insecte singulier & merveilleux de ce nom ; on trouve quelquefois dans le coeur & les gros vaisseaux des concrétions que l'on a appellées ainsi ; il s'en présente aussi dans les narines, assez différentes, auxquelles on a donné le même nom ; & ainsi polype envisagé sous ces trois points de vûe, est l'objet particulier du médecin, du naturaliste, & du chirurgien.
POLYPE du coeur, (Médecine pratiq.) Nous allons extraire cet article du traité du coeur du célebre M. de Senac, ouvrage excellent qui ne laisse rien à desirer sur la structure, l'action, & les maladies de cet organe essentiel & auparavant peu connu : nous sommes fâchés d'être réduits à ne donner qu'un extrait des détails intéressans où il entre sur la question présente ; & ce n'est pas un léger embarras que de pouvoir se décider judicieusement sur le choix de ce qu'il faut omettre ou rapporter. Nous renvoyons le lecteur, curieux de s'instruire plus à fond, à l'ouvrage même qui est entre les mains de tout le monde, liv. IV. chap. x. tom. II. pag. 442. & suiv.
Définition & nature du polype. Les concrétions qu'on trouve par l'ouverture des cadavres, soit dans le coeur, soit dans les gros vaisseaux, sont désignées par différens auteurs sous les noms de caroncule, de graisse, de mucosité, de substances charnues, de lambeaux charnus, de masses de chair noire, de membranes longues & tenues, &c. Bartholet passe pour le premier qui leur a donné le nom de polype, ou matiere polypeuse : cette dénomination tirée de sa figure, a été adoptée par Pistinus, Tulpius, Bartholin, Malpighi, & tous les auteurs qui les ont suivis.
La matiere dont les polypes sont composés ne peut être que des fluides privés de leur état de fluidité, épaissis & condensés plus ou moins fermement : à en juger par les différens noms que les polypes ont reçu, ils sont tantôt des excrescences charnues, tantôt des matieres pituiteuses, quelquefois ils ne sont qu'une gelée ou une concrétion muqueuse, &c. mais ces noms tirés des variétés accidentelles dans la couleur & la forme de ces excrescences, plutôt que d'un examen attentif & des expériences certaines, ne doivent rien décider sur la nature des polypes. On peut tirer plus de lumieres de deux différences générales qu'on observe dans leur couleur, & auxquelles doivent se rapporter toutes les autres variétés ; les uns sont blancs, les autres sont rouges ; ceux-ci, plus semblables au sang, paroissent être en grande partie un tissu de globules rouges ; ceux-là, analogues à la substance lymphatique & gélatineuse qui fait partie du sang, paroissent en être entierement composés : la différente combinaison de ces parties produira les variétés dans la consistance & les couleurs ; le sang est quelquefois tout blanc, selon les observations de Lower, de Borel, de Rhodius, de M. de Senac, &c. alors sa coagulation formera des polypes de la même couleur : dans les cas même où il conserve sa couleur naturelle, la partie lymphatique qui contient des matieres gélatineuses en forme de vessie, de la graisse, de la mucosité, n'a qu'à se séparer de la partie rouge, elle s'épaissira, se condensera, les concrétions qui en seront composées seront blanches si cette même substance, facile à se coaguler par le repos & le froid, retient les globules rouges enveloppés dans son tissu visqueux, elle donnera naissance aux polypes rouges : il ne paroît pas en effet que le sang dépouillé de cette partie lymphatique, pût se coaguler au point de former une substance compacte ; les globules rouges seuls ne peuvent se rassembler en une masse qui ait tant de consistance, ils conservent aussi leur fluidité pendant long-tems, dès qu'on leur a enlevé cette espece de lien qui les enchaîne & les rapproche.
L'arrangement des parties qui composent le polype ne paroît pas fortuit, il ressemble au tissu d'une toile ; cette espece de réseau est également formé par les parties blanches & par les globules rouges ; cette disposition singuliere avoit fait regarder ces concrétions comme un tissu organique. Trompés par quelques traînées de globules rouges, plusieurs auteurs & Manget entr'autres, avoient cru que des vaisseaux sanguins concouroient à former & entretenir ces excrescences ; c'est à la plus ou moins grande facilité qu'ont les différentes parties à s'unir, à leur différent degré de cohésion, à leur hétérogénéité, qu'on doit attribuer la structure de ce tissu réticulaire ; le mouvement du sang & l'action des vaisseaux en agitant les concrétions, serrent & allongent les aires qui résultent de filamens croisés, & rendent ces masses plus compactes en leur donnant plus d'étendue. La plûpart des polypes & même tous, suivant Bartholet, peuvent être divisés en plusieurs membranes ; ils sont composés de plusieurs couches, ou lames comme membraneuses, roulées les unes sur les autres à-peu-près comme dans les racines bulbeuses. La structure & la disposition de ces couches, confirmées par l'anatomie que Malpighi fit d'un polype de la grosseur des deux poings, trouvé par Borelli dans l'aorte, ne peuvent dépendre que de la diversité des tems où arrivent ces coagulations ; il se fait d'abord une couche sur les matieres auxquelles le polype est attaché, ensuite il s'en dépose une autre sur la seconde, & ainsi de suite : c'est ainsi que se forment les calculs biliaires, c'est ainsi qu'étoient formées les coagulations que Malpighi trouva autour d'une aiguille dans l'estomac d'une poule.
Variétés des polypes. La diversité des matieres qui se condensent, & des endroits où se forme le polype, donnent lieu aux variétés qu'on observe dans leur substance, leur dureté, leur couleur, leur attache, leur figure & leur étendue ; les parties lymphatiques sont la base de toutes les concrétions polypeuses ; mais elles peuvent être mêlées avec une plus ou moins grande quantité de matieres graisseuses, muqueuses, ou de globules rouges ; de là les polypes, qu'on appelle graisseux, muqueux, ou sanguins ; de là ces dénominations qu'ont employé Vormius, Vesale, Schenckius, Spigel, Riolan, Severin, Ambroise Paré, &c. par lesquelles ils ont prétendu indiquer la nature des concrétions qu'ils ont trouvées dans le coeur. On a cru avoir vû des polypes pierreux, mais de telles observations sont incertaines ; on ne trouve qu'un seul exemple rapporté par Posternius, de polype dont la substance fût friable. Leur consistance varie beaucoup, & augmente à proportion de la quantité de parties lymphatiques qu'ils renferment, & de leur ancienneté, d'où l'on peut tirer un signe assuré pour distinguer s'ils sont vrais ou faux. On appelle faux polype, ceux qui se forment sur la fin des maladies, ou après la mort ; ils sont molasses, faciles à diviser, peu différens du sang coagulé ; les vrais polypes sont ceux qui se sont formés long-tems avant la mort des malades, & qui ont même occasionné une partie des accidens, & rendu la maladie plus dangereuse ; ils sont plus durs, plus élastiques, plus membraneux. La couleur des polypes sera d'autant plus blanche, qu'il y aura moins de mêlange dans la lymphe ; elle tirera sur le rouge ou le noir, le gris ou le jaune, suivant qu'il y aura plus de globules rouges & qu'ils seront plus pressés, & suivant le mêlange de la sérosité de la gelée de la bile. Riolan, Bartholin & Malpighi assurent avoir observé que les polypes qui naissent dans le ventricule droit sont ordinairement blancs, semblables au lardon, à la pituite, & qu'ils sont noirâtres dans le ventricule gauche ; ces observations vraies le plus souvent, ne souffrent que des exceptions très-rares.
Les variétés qu'on remarque dans les polypes, relativement à leurs attaches, viennent de ce que les uns sont attachés plus ou moins fortement aux parois du coeur ou des vaisseaux : d'autres suivant les observations rapportées dans les actes de Berlin, sont flottans, & peuvent changer de place à chaque instant. Parmi ceux qui sont adhérens, il y en a qu'on ne peut séparer que très-difficilement du coeur ; telles étoient les concrétions polypeuses dont parle Posternius, qui étoient incorporées aux parois des ventricules, de façon qu'on ne put bien les détacher sans déchirer la substance du coeur ; telles étoient aussi les polypes que Kisternius appelle innés. La plûpart des polypes ont des branches ou des appendices qui s'attachent aux colonnes des ventricules ou à ses valvules ; les membranes forment quelquefois des anneaux, comme l'a observé M. de Senac ; elles se prolongent souvent dans les cavités voisines. On a vû des polypes extrêmement allongés s'étendre du coeur dans les vaisseaux qui s'y abouchent jusques à une distance très-considérable. On en voit d'autres renfermés dans les ventricules & les oreillettes ; mais dans ces cavités leur volume n'est pas moins différent ; il est quelquefois excessif. Vesale dit avoir trouvé dans le coeur deux livres de chair noirâtre. Les différens endroits du coeur où naissent les polypes sont comme autant de moules qui en diversifient les figures à l'infini ; ainsi suivant ces situations fortuites, il y en a d'applatis, d'allongés, de cylindriques, &c. il n'est point de formes qu'ils ne prennent ou ne puissent prendre ; rien de plus varié & de plus arbitraire que ces figures ; rien aussi de plus inutile que celles que Kerckringius, Bartholin & Tulpius ont fait dessiner des polypes qu'ils ont observés ; mais parmi toutes ces figures, les plus singulieres sont celles des polypes creux ; la matiere dont ils sont tissus s'applique quelquefois aux parois du coeur, & forment une cavité ; leurs branches qui passent dans les vaisseaux, sont en certains cas des canaux où le sang coule comme dans les arteres & les veines. Tel étoit le polype que Malpighi trouva dans le coeur d'un jeune homme.
Causes des polypes. Il y a dans la lymphe & dans le sang, un principe de cohésion qui tend à rapprocher leurs parties & à les condenser en une masse solide ; mais le dernier effet de ce principe est dans l'état de santé, empêché par le mouvement progressif du sang, & par l'agitation intestine de ses globules ; dans le sang tiré dans une palette nous voyons la coagulation suivre à l'instant la cessation du mouvement progressif ; mais en même tems on observe que la coagulation diminue & se dissipe tout-à-fait lorsque le mouvement intestin parvenu à son dernier période, a mis le sang dans l'état de putréfaction. Est-il nécessaire que le sang soit tout-à-fait arrêté pour donner naissance aux polypes ? & ces concrétions ne se forment-elles, comme l'a pensé Kerckringius, que lorsque le froid de la mort s'est répandu dans tous les membres & a fait cesser tout mouvement ? Les observations sur lesquelles cet auteur étaye son sentiment sont peu concluantes, & ses expériences fautives. Il a trop généralisé son assertion : il auroit eu sans doute raison s'il se fût contenté de prétendre que toutes les concrétions polypeuses n'existent pas avant la mort, que la plûpart sont l'ouvrage du froid ou de quelque maladie dans les derniers efforts de la machine qui se détruit ; mais il y a de ces concrétions extrêmement dures & tenaces, que nous avons appellé polypes vrais, qui se sont formés pendant la vie, qui ont altéré la santé & se sont manifestés par un dérangement considérable dans l'action du coeur, un trouble constant dans le mouvement du sang. Les polypes naissent ordinairement dans les cavités du coeur ou des gros vaisseaux, sur-tout quand ces vaisseaux sont dilatés par quelque anévrisme ; mais ils sont, suivant la remarque de Morgagni, beaucoup plus sujets à former des concrétions polypeuses lorsque leur surface interne devient inégale & raboteuse par quelque lésion ou par quelque déchirement ; la preuve en est que ces coagulations ne s'observent pas dans des arteres qui ne sont que dilatées sans que leurs parois soient déchirées ; cette inégalité sert à arrêter quelques parties de sang qui ont plus de dispositions à se coaguler ; celles-ci forment une espece de noyau autour duquel les autres parties mues très-lentement viennent se coller ; la matiere de ces noyaux ou la base, & le premier fondement des polypes, sont pour l'ordinaire les parties lymphatiques qui se figent le plus aisément ; plus la lymphe durcira promptement, & plus elle retiendra de parties rouges ; la différente coagulation faite en divers tems du sang ou de la lymphe, formera les couches plus ou moins nombreuses de polypes ; la multiplicité des colonnes dont le coeur est rempli & composé, sont autant d'obstacles qui arrêtent le mouvement du sang, & autant de causes qui favorisent la génération des polypes dans le coeur ; le sang s'arrête facilement dans tous les interstices que ces piliers laissent entr'eux, lorsque le coeur ne se vuide pas entierement, que ses contractions sont insensibles ; lorsqu'il y a quelqu'obstacle dans l'artere pulmonaire, l'aorte, les oreillettes, & les ventricules ; ces obstacles étant plus multipliés dans le ventricule droit & son oreillette, les polypes doivent y être plus fréquens ; le sang qui y aborde continuellement en grande quantité est épais, peu mêlé avec la lymphe ; il trouve dans le ventricule droit beaucoup de colonnes fort entrelacées : ce ventricule n'a pas une grande force, il doit pousser le sang à-travers le poumon, qui lui résiste souvent à cause des maladies auxquelles il est sujet, & à cause des mouvemens dont il est agité. Les polypes qui se forment dans les grands anévrismes des arteres, ceux qui naissent dans le coeur prouvent démonstrativement qu'il arrive des concrétions polypeuses dans le sein même des agens, qui sont dans un mouvement continuel, & qui mettent en jeu tous les autres ressorts des corps animés, & par conséquent qu'il n'est pas nécessaire pour la génération des polypes, que les humeurs soient dans un repos absolu ; une diminution de mouvement suffit ; & c'est à quoi se réduit l'effet de la plûpart des causes éloignées de ces concrétions, ou des maladies à la suite desquelles on les trouve.
Ces causes sont, suivant des observations cadavériques souvent répétées, les passions violentes, une colere vive, une frayeur subite, des craintes continuelles, des chagrins excessifs, des efforts trop grands ; toutes les maladies du poumon, sans en excepter la phtisie, plusieurs affections convulsives, & sur-tout la syncope cardiaque. Lorsque le poumon est affecté, le sang acquiert plus de disposition à se figer ; pour l'ordinaire il devient coëneux ; il a d'ailleurs de la peine à circuler par tous les petits vaisseaux de ce viscere : double cause qui favorise la génération des polypes. Il se rencontre encore dans les asthmatiques une autre cause qu'a manifestée l'ouverture des cadavres ; c'est la distillation des ventricules & des oreillettes, très-ordinaire dans cette maladie, suivant les actes de Berlin & de Bauhin, qui donne lieu à l'accumulation & à la coagulation du sang ; mais cette dilatation contre nature ne seroit-elle point une suite des obstacles qu'apportent à la circulation l'engorgement ou la constriction des vaisseaux pulmonaires d'un asthmatique ? Les polypes fréquens dans les phtisiques doivent surprendre ceux qui pensent que dans cette maladie le sang est extrêmement dissous ; mais est-il bien certain que le fait soit vrai ? N'a-t-on pas confondu un peu plus de fluidité avec une dissolution ? Ne pourroit-on pas penser que cet excès de fluidité dépend de l'immiscibilité de la lymphe avec la partie rouge, comme il arrive aux hydropiques & aux personnes attaquées des pâles couleurs, qui ne sont pas moins sujettes aux concrétions polypeuses ? Et dans ces cas le défaut de mouvement intestin, la séparation trop facile des parties lymphatiques nullement dissoutes, la langueur de la circulation, son passage difficile dans les poumons phtisiques, ne sont-ce pas autant de causes qui doivent concourir à la formation des polypes ?
Effets & signes des polypes. L'amas du sang dans les ventricules, ou dans les oreillettes, ou dans les veines, est le premier effet qui doit suivre la formation des polypes ; il variera suivant leur grosseur & leur situation : cet effet est commun à tous les obstacles qui gênent & retardent la circulation des humeurs. Les malades sentiront donc une pesanteur ou une oppression dans la région du coeur, qui est la source des inquiétudes & des angoisses familieres aux polypeux dont plusieurs écrivains ont parlé. A ces accidens se joindra un sentiment douloureux, comme Vesale & Hartman l'ont observé. De ces obstacles opposés au cours du sang dans le coeur, naîtront ces mouvemens irréguliers, ces efforts redoublés pour les emporter, & l'espece d'inquiétude de cet organe, connus sous le nom de palpitation de coeur, voyez ce mot. Quoique les polypes produisent des palpitations, on les a souvent attribuées sans raison aux concrétions qu'on a trouvées dans le coeur ; c'est une erreur dans laquelle Vieussens est tombé, comme l'observe M. de Senac. L'inégalité du pouls doit suivre & manifester le défaut d'uniformité qui se trouve dans l'action du coeur & des vaisseaux, & dans le mouvement du sang ; cette inégalité sera d'autant plus marquée, que les polypes pourront avoir divers mouvemens : selon qu'ils se présenteront aux orifices du coeur, ou qu'ils s'éloigneront, le sang passera diversement ; de plus, la substance de ces concrétions peut céder & changer un peu de figure ; ces changemens doivent nécessairement varier les pulsations des arteres, & produire dans le pouls une inégalité variable ; cet effet ne pouvant être produit que par ces concrétions, en devient un des signes les plus assurés. Pour avoir un diagnostic exact, il faut aussi consulter ceux qu'on peut tirer des autres accidens, & sur-tout remonter à l'examen des causes qui ont précédé.
Les divers dérangemens produits par les polypes dans les voies de la circulation, en doivent aussi occasionner dans les organes qui servent à la respiration. En effet, ces malades ont presque toujours une grande difficulté de respirer, souvent sans toux ; il y en a même qui ont un crachement de sang habituel, qui sont menacés de suffocation, qui éprouvent des especes d'attaques d'asthme ; ces effets sont toujours plus marqués lorsque les polypes occupent les cavités gauches du coeur, parce que le sang sort des poumons avec plus de difficulté. Les syncopes fréquentes sont une suite très-ordinaire des polypes, sur-tout lorsqu'ils sont parvenus à une certaine grosseur ; & enfin la mort subite en est le dénouement le plus familier : par où l'on voit combien cette maladie est dangereuse, & comment, lorsque le polype est bien décidé, on doit établir le prognostic.
Curation du polype. Plus le danger est grand, & plus il est important de le dissiper ; mais par une fatalité attachée à la nature humaine, les maladies les plus graves sont les plus difficiles à guérir ; instruits des moyens par lesquels on peut prévenir ou affoiblir certaines causes qui produisent des polypes, nous ne connoissons aucun remede assuré pour les emporter quand ils sont formés ; & ce qui augmente encore l'inutilité des remedes qu'on emploie si souvent sans succès dans cette maladie, c'est qu'on ne la connoît que tard, que lorsque le mal rendu plus opiniâtre par l'ancienneté, n'est plus susceptible de guérison.
On pourra prévenir la formation des polypes à la suite des passions violentes, d'une colere vive, d'une joie excessive, d'une frayeur subite, d'un chagrin cuisant, d'un effort immodéré, par une ou plusieurs saignées, & par des boissons incisives, aqueuses : dans la tristesse habituelle ou la mélancholie, les saignées, à l'exception de quelque cas de pléthore très-rares, seroient déplacées, les remedes les plus appropriés sont les remedes moraux, qui tranquillisent & dissipent l'esprit, qu'on peut seconder par les eaux minérales ferrugineuses, l'usage du mars & des délayans convenables. Ces mêmes remedes peuvent aussi être employés dans les maladies chroniques, où les concrétions polypeuses sont à craindre. Quoique dans ces maux qui gênent le passage du sang elles ne méritent l'attention que comme des objets éloignés ou des effets rares, il est très-important de ne jamais les perdre de vûe.
Quand les polypes sont formés, on peut opposer à leur accroissement les remedes généraux dont nous avons parlé ; pour empêcher que le sang n'ajoute de nouvelles couches, on ne peut que faciliter son cours, en diminuant sa quantité par les saignées, entretenir les excrétions, dont les dérangemens produiroient de nouveaux obstacles. Les accidens que causent les polypes, deviennent plus fréquens & plus dangereux lorsque le corps est agité par les passions ou les mouvemens violens : les excès de table, & l'usage des liqueurs spiritueuses, ne sont pas moins redoutables. C'est sur ces considérations qu'on doit établir le régime de ces malades, leur recommander une agitation légere de corps, une diete plus ou moins forte, mais appropriée, & une grande tranquillité d'esprit. Par ce moyen on écarte, on diminue les accidens, & on empêche l'augmentation des polypes.
Mais pour les fondre entierement, il faudroit avoir un dissolvant convenable ; il n'est point encore connu. M. de Senac s'est appliqué à cette recherche importante ; & après diverses tentatives pour trouver quelque matiere qui pût détruire ces concrétions, il a observé que le vinaigre distillé, le sel ammoniac, la terre foliée, les esprits de térébenthine & de cochléaria, l'eau de miel, la décoction d'aristoloche, leur ont donné plus de consistance & de blancheur. Les seuls agens qui ont fait une dissolution de la lymphe figée & durcie, sont l'esprit volatil de sel ammoniac, le sel de tartre, le savon, l'eau de chaux, & les eaux de la Mothe. L'esprit de sel ammoniac a paru le plus efficace & le plus prompt ; mais on ne peut pas en faire intérieurement beaucoup d'usage, & en donner une quantité assez considérable pour en obtenir un effet sensible. Les autres remedes pourroient être tentés ; il n'est cependant pas décidé si, ayant passé par les premieres voies, ces dissolvans conserveroient leur efficacité : les expériences qu'on a faites sur l'eau de chaux, employée comme lithontriptiques en constatant cette vertu, ont prouvé qu'elle passoit presqu'inaltérée dans le sang. Au reste ce n'est qu'un essai qu'on propose, dicté par l'amour de l'humanité ; on doit savoir très-bon gré à l'auteur des ressources qu'il offre, quelques légeres qu'elles soient, puisqu'elles présentent toujours une lueur d'espérance dans une maladie qui passe pour désespérée, & qui à chaque instant menace d'une mort subite. (m)
POLYPE, terme de Chirurgie, tumeur qui se forme dans les narines par l'engorgement de la membrane pituitaire, ou par une congestion d'humeurs dans le tissu spongieux de cette membrane. Le nom de polype a été donné à cette maladie, parce qu'elle ressemble, selon quelques-uns, à la chair du poisson polype par sa couleur & par sa consistance ; & d'autres la nomment ainsi, à cause de la pluralité de ses racines, semblables à celles des piés de ce poisson.
Cette dénomination ne tombe donc que sur les différences purement accidentelles ; & effectivement le polype n'est point un germe de maladie, mais une espece qu'on doit ranger dans la classe des sarcomes.
Les polypes different en ce que les uns sont mols & charnus, d'autres ont une molesse muqueuse ; les uns sont indolens, d'autres sont douloureux ; il y en a de skirrheux, des carcinamuteux, &c. les uns sont accompagnés d'hémorrhagie ; il y en a dont la cause est benigne, d'autres sont causés par un virus scrophuleux, vérolique, & autres. Les uns restent long-tems petits, d'autres croissent beaucoup en peu de tems ; ceux qui ont acquis un volume considérable font voûter la cloison du nez dans l'autre narine, remplissent tout l'espace qui est derriere la luette, jettent le voile du palais en devant ; ils bouchent la trompe d'Eustache ; en appuyant sur les cornets ou lames spongieuses inférieures du nez, ils les affaissent peu-à-peu contre les os maxillaires supérieurs, ce qui comprime & oblitere l'orifice du conduit lacrymal : alors les larmes ne pouvant plus couler dans le nez, l'oeil est larmoyant, le suc lacrymal se dilate, & peut former par sa rupture & celle des tégumens qui le recouvrent, une fistule lacrymale. Voyez FISTULE LACRYMALE.
Les signes diagnostics des polypes du nez ne sont point difficiles ; la difficulté du passage de l'air par les narines lorsque le polype est petit, le vice de la voix qui en est l'effet, l'impossibilité absolue de respirer sans avoir la bouche ouverte quand le polype est gros ; la présence d'un corps étranger dont le malade se plaint, sont des symptomes suffisans pour déterminer à faire l'examen d'une maladie qu'on reconnoît à la simple vûe.
Pour juger des différences accidentelles des polypes, il faut, outre les signes rationnels qui en indiquent beaucoup à un chirurgien éclairé, avoir recours à la sonde flexible & mousse, pour sentir où est l'attache principale de la tumeur, si elle a des adhérences à la voûte du palais, à la cloison des narines, aux cornets supérieurs ou inférieurs du nez, &c. les connoissances qu'on tire de cet examen, doivent diriger l'habile chirurgien dans l'opération.
Le prognostic est différent, suivant la nature, les accidens, les complications du polype : ceux qui sont blancs ou rougeâtres, d'une consistance charnue & indolens, sont ceux dont on doit le plus, toutes choses d'ailleurs égales, espérer la guérison.
Elle s'obtient par la cautérisation, la section, l'extirpation & la ligature. La discussion des avantages & des inconvéniens de ces différens moyens, qui peuvent être utilement employés selon les circonstances, fournit matiere à un grand traité ; nous allons, suivant les bornes qui nous sont prescrites, dire un mot de chacun d'eux.
La cautérisation est rejettée mal-à-propos par la plûpart des praticiens. J'ai vu réussir en portant par les moyens méthodiques, du beurre d'antimoine sur l'excroissance. Voyez PORTE-BOUGIE, sous l'article PORTE-AIGUILLE. L'impression du caustique produit une petite escare, & la réitération peut consumer totalement la maladie. Il seroit peut-être dangereux de prendre cette voie pour un polype carcinomateux, car on sait que l'application des caustiques effarouche beaucoup l'humeur cancéreuse. Voyez CANCER.
La section a été proposée par les anciens ; ils conseilloient d'introduire dans les narines une petite spatule tranchante pour couper les racines du polype. On sent assez que ces auteurs n'avoient sur la Chirurgie que des connoissances spéculatives : un instrument tranchant ne doit & ne peut jamais être porté à nud dans aucun endroit soustrait à la vûe, à-moins qu'il ne soit guidé par la présence du doigt. Fabrice d'Aquapendente a cependant trouvé un moyen de faire avec assurance la section des polypes du nez ; il a imaginé des pincettes dont les extrémités recourbées en dedans sont tranchantes, & qui par conséquent coupent la portion du polype qu'elles ont saisie, sans risque d'endommager l'organe du nez dans aucune de ses parties.
L'auteur assure s'être servi plusieurs fois de cet instrument avec succès ; & son autorité est d'un si grand poids, sur-tout dans les choses pratiques, qu'on pourroit, je pense, se servir bien utilement, du-moins en bien des circonstances, de cet instrument entierement abandonné.
L'extirpation ou l'arrachement est le moyen le plus usité pour la cure radicale des polypes. Le malade, qu'on a préparé par les remedes généraux & particuliers convenables à son état, s'assied sur une chaise, un peu penché, & tourné de façon que le jour permette de voir autant dans la narine qu'il est possible. Un aide-chirurgien tient le malade dans cette situation, en posant les mains croisées dessus son front ; & d'autres aides lui tiennent les bras. L'opérateur prend les pinces fenêtrées (voyez PINCETTE A POLYPE) ; il les tient avec la main droite, & en introduit l'extrémité dans la narine ; il embrasse la tumeur le plus avant qu'il peut ; & quand il l'a serrée, il fait deux ou trois tours pour tordre le pédicule, & il l'arrache en donnant des demi-tours de main.
M. de Garengeot ne conseille pas qu'on détache violemment le polype par l'extirpation. Lorsqu'il y en a quelque peu hors de la narine, on y doit faire, selon lui, une ligature avec un fil double & ciré, puis embrasser la tumeur avec les pinces pour la tirer encore un peu : on fera ensuite une seconde ligature audessus de la premiere, & on coupera le polype audessous de cette seconde ligature, ou d'une troisieme si l'on a pu le tirer encore. On ne détachera point, suivant cette méthode, tout-à-fait le polype du nez, le reste tombera par la suppuration avec la ligature. On se propose, par cette maniere d'opérer, de prévenir l'hémorrhagie, dont on assure que quelques personnes sont mortes après l'extirpation d'un polype nazal.
J'ai fait plusieurs fois l'extraction d'un polype sans toutes ces précautions, & j'en ai emporté la totalité sans avoir eu d'hémorrhagie menaçante. Fabrice d'Aquapendente n'a jamais vû survenir dans l'usage de ses pinces tranchantes, d'hémorrhagie qui n'ait cédé à l'injection du gros vin, ou simple, ou alumineux. Quelques praticiens se servent d'eau à la glace ; je me suis servi quelquefois d'oxicrat. Si l'hémorrhagie est imminente, & qu'elle ne cede point à ces moyens, il faut faire usage de celui dont M. Ledran est l'inventeur. On porte l'extrémité d'une bandelette avec le doigt index de la main gauche derriere le voile du palais, puis avec des pincettes introduites dans le nez on saisit cette bandelette, sur le milieu de laquelle on a cousu un bourdonnet assez gros pour boucher l'ouverture postérieure de la fosse nazale : on tampone antérieurement la narine avec de la charpie ; par ce moyen le sang est retenu dans la cavité du nez, & le massif que sa coagulation y formera, est un moyen de compression sur le vaisseau, d'où vient l'hémorrhagie.
Si le polype a quelques restes qu'on veuille mettre en suppuration, on peut, au moyen d'une bandelette ou seton chargé des médicamens convenables, panser journellement l'intérieur du nez dans toute l'étendue de la fosse nazale. La propreté exige qu'on tire la bandelette de la bouche dans le nez.
Les tumeurs polypeuses qui descendent derriere la luette, & qui jettent la cloison charnue en-devant, doivent être tirées par la bouche : dans ce cas on se sert de pincettes dont les branches sont courbes & suffisamment allongées ; on peut même dans quelques circonstances, à l'imitation de M. Petit, couper avec un bistouri la cloison charnue du palais.
M. Levret, de l'académie royale de Chirurgie, a publié un traité sur la cure radicale de plusieurs polypes de la matrice, de la gorge & du nez, opérée par de nouveaux moyens de son invention. Il propose la ligature pour ceux du nez comme pour ceux des autres parties : l'étroitesse du lieu, souvent exactement rempli jusque dans toutes ses anfractuosités par la présence du corps polypeux, pourra rendre cette ligature difficile à pratiquer. L'auteur donne tous les moyens de surmonter les obstacles autant qu'il est possible ; il a particulierement inventé un speculum oris, pour opérer avec sureté dans la gorge. Voyez SPECULUM ORIS. Les instrumens qu'il propose pour le nez, sont, au volume près, les mêmes que ceux dont nous allons parler pour les polypes de la matrice.
POLYPES DE LA MATRICE : la membrane qui tapisse intérieurement la matrice est sujette à une extension contre-nature, par la congestion des humeurs dans le tissu cellulaire qui l'unit au corps de cet organe. L'obstruction des vaisseaux excrétoires suffit ici, comme au nez, pour former une tumeur sarcomateuse ; cette tumeur, en augmentant, passe par l'orifice de la matrice qu'elle dilate un peu ; mais parvenue une fois dans le vagin, & ne trouvant aucun obstacle, elle y croît en tout sens, & forme une tumeur lisse & piriforme, ayant une base large & attachée au fond ou aux parois internes de la matrice par un pédicule qui passe à-travers l'orifice de cet organe.
Quelques auteurs ont cru, & ce n'est pas sans vraisemblance, que dans quelques circonstances cette maladie pourroit bien avoir été originairement une mole. Voyez MOLE.
Les accidens du sarcome utérin, qu'on nomme ordinairement polype, sont, outre la gêne que cause la présence d'un corps étranger, des écoulemens blancs fort incommodes, & des pertes de sang fréquentes, qui ruinent insensiblement le tempérament des malades, & les font à la fin périr d'inanition.
L'hémorrhagie est l'effet de la rupture des vaisseaux variqueux, qui rampent sur la surface de la tumeur. Voyez VARICE.
Il faut exactement distinguer la maladie dont nous parlons, de la chûte & du renversement de matrice : la chûte de matrice forme une tumeur plus grosse par la partie supérieure que par l'inférieure, & plus cet organe s'abaisse & descend du côté de la vulve, moins le vagin qui lui sert alors de ligament a de profondeur. Le renversement de matrice, c'est-à-dire l'accident par lequel le fond de cet organe passe à-travers son orifice, présente, de même que le polype, une tumeur dont la partie supérieure est étroite & passe à-travers l'orifice ; mais le pédicule n'est dans ce cas ni lisse, ni uni, comme dans le polype : d'ailleurs le renversement est un accident fort grave & imminent ; le polype au contraire est une maladie dont les accidens ne sont point urgens, & qui est des plus chroniques. Le renversement de la matrice est ordinairement occasionné dans un accouchement par les tentatives indiscrettement faites pour l'extraction du placenta trop adhérent au fond de la matrice.
Le renversement de la matrice exige une prompte réduction, où la gangrene survient par l'étranglement que fait l'orifice. Le sarcome ou polype de la matrice présente une autre indication ; on ne peut guérir la malade que par la soustraction de la tumeur, & on ne peut la faire sûrement que par la ligature. La difficulté est de la pratiquer, cette ligature, lorsque la tumeur ne paroît point à l'extérieur : M. Levret a rendu un grand service à la Chirurgie par l'invention des instrumens qu'il a mis au jour, pour lier les polypes tout près de l'orifice de la matrice, sans être obligé de les tirer en-dehors ; tiraillement infructueux quand la matrice est dans son lieu naturel, & qui tourmenteroit cruellement les malades.
M. Levret avoit d'abord présenté ses instrumens à l'académie royale de Chirurgie en 1743 ; mais ayant fait de nouvelles réflexions, il les a corrigés & multipliés, & il vient d'en faire part au public, en 1749, dans un ouvrage particulier sur la cure des polypes. Comme je me suis servi moi-même des premiers instrumens avec beaucoup de succès, j'ai cru que l'on verroit avec plaisir ceux qui sont essentiels pour pratiquer cette ligature, & la façon dont il faut s'en servir, renvoyant au surplus le lecteur curieux à la source que nous indiquons.
Je fus appellé au mois de Septembre 1747 par feu M. Soumain, célebre accoucheur, pour voir une femme à qui il avoit reconnu un sarcome dans le vagin, dont le pédicule passoit par l'orifice de la matrice. La malade étoit réduite à l'extrémité par les pertes de sang auxquelles elle étoit habituellement sujette. Le volume de la douleur égaloit celui d'un petit oeuf de poule, & le pédicule étoit gros comme l'extrémité du doigt index. On reconnut la nécessité de faire la ligature de la tumeur près de l'orifice de la matrice, & on y disposa la malade par les remedes généraux.
Je me chargeai volontiers de faire l'opération, comptant sur les instrumens de mon confrere qui eut la complaisance de me les prêter.
Je fis asseoir la malade sur le bord de son lit, le tronc panché en arriere sur des oreillers : je lui mis un tabouret d'une hauteur convenable sous chaque pié. Placé entre ses jambes, j'introduisit le doigt index de la main gauche dans le vagin à la partie latérale droite de l'excroissance, & je glissai à la faveur de ce doigt une des branches de la pincette (fig. 1. Pl. XXXIV.) qui en prit la place. Je plaçai pareillement du côté opposé du polype l'autre branche de la pincette, dont je fis ensuite la jonction. La méchanique de cette jonction est détaillée pour la commodité des Couteliers, n °. 1, 2, 3, 4, même Planche. La jonction fut assujettie au point nécessaire par le bracelet de la branche femelle sur la cremaillere qui forme le manche ou partie postérieure de la branche mâle de cette pincette.
J'avois préparé auparavant l'anse du fil qui devoit embrasser le pédicule, & j'avois monté les deux extrémités du fil sur les poulies de la pincette, nommée serre-noeud, fig. 2. Pl. XXXIV. il faut en outre pincer le centre de cette anse qui est l'extrémité opposée au noeud, fig. 3. & le fixer par le stilet d'une sonde de poitrine après l'avoir fait passer par ses yeux, voyez la SONDE DE POITRINE, fig. 1. Pl. X. M. Levret a un instrument particulier, qu'il appelle, à cause de son usage, conducteur de l'anse. Au moyen de ces deux instrumens, c'est-à-dire du serre-noeud que je tenois de ma main droite, & du conducteur qui étoit dans ma main gauche, je conduisis l'anse du fil pardessus les tenettes jusqu'au pédicule. M. Soumain soutint alors le manche du conducteur jusqu'à ce que j'eusse serré suffisamment, par des petits mouvemens d'écartement & de rapprochement alternatif de l'extrémité antérieure des pincettes à poulies, l'anse du fil sur le pédicule. Voyez l'attitude propre à exécuter ces mouvemens, Pl. XXXIV. fig. 4. Alors je retirai le conducteur ; j'éloignai ensuite les anneaux du serre-noeud avec les précautions requises ; la malade se plaignit comme si on l'eût pincée. Je retirai la pincette à poulies, & ayant fait des deux extrémités du fil un noeud simple qui fut conduit jusqu'à la vulve, je renfilai chaque bout sur les poulies, & M. Soumain en retint les extrémités, tandis qu'avec des petits mouvemens alternatifs & successifs de l'écartement & du rapprochement des anneaux, je conduisois ce second noeud sur le premier pour l'affermir : je coupai les extrémités de la ligature à deux doigts de l'orifice du vagin, après avoir retiré les pincettes qui serroient le polype.
La tumeur & la ligature tomberent au bout de deux fois vingt-quatre heures ; &, quoique le pédicule fût gros comme le doigt, l'anse de la ligature auroit à peine contenu le corps d'une plume d'oie. Nous avons touché la malade après la chûte de l'excroissance ; nous avons trouvé l'orifice de la matrice en fort bon état : la malade a recouvré ses forces de jour en jour, & il n'a plus été question de pertes de sang, ni découlement blanc : elle a joui depuis d'une santé parfaite.
Cette observation prouve également la nécessité qu'il y a de lier les polypes utérins, & l'utilité des instrumens avec lesquels cette ligature a été pratiquée.
M. Levret a beaucoup simplifié les moyens de faire la ligature des polypes de la matrice. Il a donné à ce sujet un excellent mémoire dans le troisieme tome des Mémoires de l'académie royale de Chirurgie. Il serre le pédicule avec un fil d'argent, dont les deux extrémités passent dans deux cylindres creux adossés. La torsion du fil d'argent fait de la maniere la plus simple & la plus sûre la constriction du pédicule de la tumeur. Voyez l'ouvrage indiqué. (Y)
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POLYPÉTALE | FLEUR, (Botan.) c'est-à-dire fleur à plusieurs pétales ou feuilles, car tout le monde sait qu'on donne le nom de pétale aux feuilles des fleurs, pour les distinguer des feuilles de la plante.
Les fleurs composées, c'est-à-dire qui ont pour enveloppe des pétales, sont d'une ou de plusieurs pieces, ce qui les a fait appeller ou monopétales ou polypétales. Il y a des polypétales régulieres & des irrégulieres.
Les polypétales régulieres sont à deux pieces comme dans le circéa, ou à quatre comme dans le géroflier, disposition qui leur fait donner le nom de fleurs en croix : ou ces pieces y sont au nombre de cinq comme dans le fenouil, classe qui porte le nom d'ombellifere ; ou elles sont à six pieces comme dans le lis blanc, ce qui a donné lieu d'appeller fleurs en lis celles de cette classe.
De quelque quantité égale ou inégale qu'elles puissent surpasser celles de six pieces, elles forment une autre classe de fleurs polypétales, j'entends celles de fleurs en rose, dans laquelle classe se rangent toutes celles qui, quoique du nombre de trois, quatre, cinq ou six pieces, different néanmoins tellement par leurs fruits de celles de ces classes supérieures, qu'on a été obligé de les en séparer : telle est la fleur de plantain aquatique, qui nonobstant qu'elle soit à trois pieces seulement, par le rapport néanmoins de sa semence avec celle des renoncules, se range dans cette derniere classe ; telle est la fleur de la tormentille, qui, quoiqu'elle soit à quatre pieces, ne peut, à cause de son fruit différent de siliques des fleurs en croix, être placée parmi elles : tel est l'oeillet, qui, quoiqu'à cinq pieces, se met cependant hors de la classe des ombelliferes, parce que son fruit ne se divise pas en deux parties ; telle est la fleur de la joubarbe & des anémones, qui, quoiqu'à six pétales, ne donnent jamais des fruits divisés en trois loges, comme ceux des fleurs de lis, & ne peuvent par conséquent appartenir à cette classe.
Les polypétales irrégulieres sont ainsi appellées, à cause de la figure & de la disposition bizarre de leurs pétales en quelque nombre qu'ils puissent être ; telles sont celles de deux pieces ressemblant à deux mufles, comme dans la fumeterre, ou celles de cinq pieces ressemblant à des papillons communes à toutes les plantes légumineuses, &c.
Ce mot vient de , beaucoup, & de , une feuille ; polypétale signifie donc qui a beaucoup de feuilles. (D.J.)
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POLYPHEME | (Mytholog.) le plus célebre & le plus affreux des Cyclopes, il passoit pour fils de Neptune. Homere nous a donné le portrait de ce monstre affreux, & de son histoire avec Ulysse. Les Mythologues ont imaginé que Polypheme étoit un roi de Sicile, dont Ulysse enleva la fille nommée Elpé, ce qui fit que ceux des compagnons d'Ulysse qui tomberent entre les mains du roi furent mis à mort, & lui-même poursuivi jusqu'à ce qu'il sortît de l'île. Euripide a laissé une piece intitulée le Cyclope, qui n'est ni comédie, ni tragédie, mais qui tient de l'une & de l'autre. (D.J.)
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POLYPIER | grouppe composée de plusieurs polypes & de leurs loges. On a proposé de donner le nom de polypiers aux productions de mer, qui ont été appellées plantes marines, quoiqu'elles soient produites par des polypes qu'elles renferment ; mais cette nouvelle dénomination n'est pas en usage.
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POLYPODE | S. m. polypodium, (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui n'a point de branches & dont les feuilles sont découpées presque jusqu'à la côte en portions étroites & oblongues. Ajoutez aux caracteres de ce genre le port particulier du polypode. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Dans le système de Linnaeus, c'est un genre distinct de plante capillaire qui renferme le polypodium & le lonchitis de Tournefort. Sa fructification est marquée par des taches rondes, qui se trouvent sur la partie inférieure du disque de la feuille.
Des vingt-six especes de polypodes distinguées par Tournefort, nous parlerons seulement de la plus commune, polypodium vulgare, I. R. H. 540.
Sa racine est longue d'un demi-pié, presque de la grosseur du petit doigt, rampante à fleur de terre, garnie de fibres menues comme des poils, relevée de petits tubercules semblables aux piés d'un insecte ; elle est brune en-dehors & verdâtre en-dedans, d'un goût douçâtre, légerement aromatique, à la fin un peu acerbe & stiptique.
Elle jette des feuilles qui ressemblent à celles de la fougere mâle, mais beaucoup plus petites, découpées profondement jusques vers la côte, en partie longues & étroites, couvertes sur le dos d'une maniere de poussiere adhérente, rougeâtre, entassée comme par petits tas. Cette poudre examinée au microscope offre un assemblage de coques sphériques & membraneuses, qui s'ouvrent en deux parties comme une boîte à savonnette, & laissent tomber de leur cavité quelques semences menues, jaunes, faites en forme de rein, à-peu-près comme celles de la luzerne.
Cette plante qui est de la classe des capillaires, & par conséquent des plantes qui ne fleurissent point, croît dans les forêts, les vallées, & sur les montagnes ombrageuses, entre les pierres couvertes de mousse, sur les troncs des vieux arbres, comme frêne, hêtre, coudrier, aulne, & sur les vieilles murailles. Ce polypode est verd toute l'année, & se peut ramasser en tout tems. Au printems, il pousse de nouvelles feuilles ; &, suivant la remarque de Césalpin, les tubercules de la racine ne sont autre chose que les vestiges des feuilles qui tombent chaque année. (D.J.)
POLYPODE DE CHENE, (Mat. méd.) les Pharmacologistes ont cru que le polypode qui croissoit sur le chêne étoit une espece particuliere de cette plante, & qu'elle étoit la meilleure pour les usages médicinaux ; c'est pourquoi on trouve toujours l'épithete quercinum ou quernum de chêne unie au mot polypode toutes les fois, qu'il est question de cette plante dans les livres de médecine. Il est reconnu aujourd'hui que cette plante est absolument la même en soi, & par rapport à ses vertus médicinales, soit qu'on la cueille sur le chêne, sur d'autres arbres, sur les rochers, sur les murailles, &c.
Ce n'est presque que la racine qui est d'usage en Médecine. Elle a un goût sucré, & elle est légerement laxative, ce qui la fait ranger avec les fruits secs appellés doux, tels que les figues, les dattes, les raisins secs, &c. On l'emploie, comme ces fruits, dans les décoctions pectorales, & dans celles qui servent assez communément d'excipient aux potions purgatives. La douceur de la racine de polypode concourt sur-tout assez efficacement à corriger & masquer le mauvais goût du sené ; voyez CORRECTIF. Cette racine est employée à ce dernier titre, c'est-à-dire comme correctif dans plusieurs anciens électuaires purgatifs, tels que le catholicum, le lénitif, la confection hamech, le diaprun.
Les feuilles de polypode entrent dans la poudre contre la rage de paulmier. (b)
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POLYPTOTE | S. m. (Rhétor.) terme grec qui veut dire les mêmes mots répétés en différens cas. Quintilien, liv. IX. ch. iij. comprend cette figure au nombre de celles qu'il appelle per iterationem, & dit qu'elle se fait en plusieurs manieres. La chose n'est pas assez importante pour nous arrêter long-tems. J'observerai seulement qu'il parle d'une espece de polyptotes que Cécilius appelloit métabole, & qu'il appelle rerum conjunctarum diversitatem. C'est une figure qui paroît consister dans l'union de différentes choses, qui tendent toutes au même but, & qui malgré leur variété, servent à faire naître la même idée. Si l'on jette les yeux sur l'endroit de Quintilien, auquel je renvoie le lecteur, on verra que différentes figures portent le nom de polyptotes, & que les unes appartiennent aux pensées, les autres aux mots. On ne peut pas douter que les polyptotes lorsqu'ils sont figures de pensées, ne puissent contribuer au pathétique, puisqu'ils offrent la même idée sous différens points de vue, & l'on sent que la grande éloquence peut souvent en avoir besoin.
Pour les polyptotes qui ne sont que figures de mots, & qui font l'emploi d'un nom dans ses différens cas, ou d'un verbe dans les différens tems, à-moins qu'on ne s'en serve bien à-propos, & qu'ils ne soient soutenus du fond même des choses, je ne vois pas qu'ils puissent être d'un grand secours pour le pathétique. L'auteur de la Rhétorique à Hérennius, liv. IV. ch. xxiij. dit avec raison qu'ils diminuent la sévérité, la gravité, l'autorité du discours oratoire. D'où l'on peut conclure que l'usage de la plûpart des figures de mots ne doit pas être fréquent. On va voir cependant par un seul exemple de Virgile, Enéid. liv. X. v. 355. que les polyptotes de ce genre ajoutent quelquefois à la force du discours, & servent même à faire image.
Expellere tendunt
Nunc hi, nunc illi : certatur limine in ipso
Ausoniae. Magno discordes aethere venti
Praelia seu tollunt, animis & viribus aequis :
Non ipsi inter se, non nubila, non mare cedunt,
Anceps pugna diù : stant obnixu omnia contra.
Haud aliter trojanae acies, aciesque latinae
Concurrunt : haeret pede pes, densusque viro vir.
Voilà des polyptotes de mots heureusement mis en usage. Nunc hi, nunc illi ; trojanae acies, aciesque latinae ; pede pes, viro vir. (D.J.)
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POLYREN | (Géog. anc.) ville de l'île de Crete, selon Etienne le géographe. Polybe, liv. IV. n °. 53. & 61. appelle les habitans Polyrrhenii. C'est la même ville qui est appellée Polyrrhenium par Pline, liv. IV. ch. xij. & Polyrrhenia par Ptolomée, liv. IV. ch. xvij.
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POLYSCOPE | S. m. (Optiq.) verre qui multiplie les objets, c'est-à-dire, qui représente un objet aux yeux comme s'il y en avoit plusieurs. Il est aussi appellé verre à facettes & polyhedre. Voyez POLYHEDRE.
Ce mot vient des mots grecs , je vois, & , beaucoup. Voyez aussi POLYOPTRE. Chambers.
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POLYSPASTON | S. m. (Méch.) est le nom que Vitruve a donné à une machine composée de plusieurs poulies : on l'appelle aujourd'hui poulie multiple, ou moufle. Voyez POULIE & MOUFLE. Ce mot est formé des deux mots grecs , beaucoup, & , je tire, parce que la poulie sert à tirer ; & que le polyspaston est un assemblage de plusieurs poulies.
Au reste, on appelle ainsi une machine composée de plus de quatre poulies ; car celles qui ont trois poulies s'appellent trispaston, celles de quatre tetraspaston, &c. (O)
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POLYSPERMATIQUE | en Botanique, se dit de ces plantes qui ont plus de quatre semences qui viennent après que la fleur est passée, sans aucun ordre ou nombre certain. Voyez PLANTE. Ce mot vient du grec & , semence.
M. Rai en fait une espece distincte d'herbes, & il les appelle herbae semine nudo polyspermae ; où il entend par les mots semine nudo, des semences qui ne se dépouillent pas d'elles-mêmes des tégumens ou des enveloppes qu'elles ont, ou qu'elles paroissent avoir, mais qui tombent de la même plante toutes couvertes. Voyez SEMENCE.
On subdivise les herbes polyspermatiques, 1°. en celles qui ont un calice ou périanthium, qui consiste premierement en trois feuilles & une fleur tripétale, tel que le plantain aquatique & la sagittaire, qui sont toutes deux des plantes aquatiques ; ou en fleur polypétale, & le calice qui tombe avec elle, comme la petite chélidoine ; ou qui reste après que la fleur est passée, comme dans l'hépatique mobile. Secondement, de cinq feuilles, qui dans quelques-unes tombent avec la feuille, comme dans la renoncule ; & dans d'autres sont permanentes, comme dans l'ellébore noire ferulacée ; ou annuelles, comme dans la fleur adonis. Troisiemement, de huit feuilles, comme la mauve & l'alcée. Quatriemement, de dix feuilles, comme la caryophille, la fragaria, le pentapsillum, la tormentille, l'argentine, la guimauve & la pentaphilloïde.
2°. Celles qui n'ont point de calice ou de périanthium, comme la clematitis, la filipendule, l'ulmaire, l'anémone des forêts, la pulsatille, &c.
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POLYSYLLABIQUES | adj. (Phys.) sont ceux qui répetent plusieurs syllabes ou plusieurs mots. Voyez ECHO.
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POLYSYNDETON | (Belles-Lettres) figure de Rhétorique qui consiste à multiplier dans une même phrase les conjonctions copulatives ; comme dans celle-ci : me prae caeteris, & colit, & observat, & diligit. L'asyndeton est opposée à cette figure. Voyez ASYNDETON.
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POLYTHÉISME | S. m. (Métaphysiq.) le polythéisme est une opinion qui suppose la pluralité des dieux. Il est étonnant dans quels excès l'idolâtrie a précipité ses sectateurs. Lisez-en la description dans le discours de M. de Meaux sur l'Histoire universelle. " Tout étoit dieu, dit ce grand prélat, excepté Dieu lui-même, & le monde que Dieu avoit fait pour manifester sa puissance, sembloit être devenu un temple d'idoles. Le genre humain s'égara jusqu'à adorer ses vices & ses passions ; & il ne faut pas s'en étonner, il n'y avoit point de puissance plus inévitable ni plus tyrannique que la leur. L'homme accoutumé à croire divin tout ce qui étoit puissant, comme il se sentoit entraîné au vice par une force invincible, crut aisément que cette force étoit hors de lui, il s'en fit bien-tôt un dieu. C'est par-là que l'amour impudique eut tant d'autels, & que des impuretés qui font horreur, commencerent à être mêlées dans les sacrifices. La cruauté y entra en même tems. L'homme coupable qui étoit troublé par le sentiment de son crime, & regardoit la divinité comme ennemie, crut ne pouvoir l'appaiser par les victimes ordinaires. Il fallut verser le sang humain avec celui des bêtes. Une aveugle fureur poussoit les peres à immoler leurs enfans, & à les brûler à leurs dieux au lieu d'encens. Ces sacrifices étoient communs dès le tems de Moïse, & ne faisoient qu'une partie de ces horribles iniquités des Amorrhéens dont Dieu commit la vengeance aux Israélites. Mais ils n'étoient pas particuliers à ces peuples. On sait que dans tous les peuples du monde, sans en excepter aucun, les hommes ont sacrifié leurs semblables ; & il n'y a point eu d'endroits sur la terre où l'on n'en ait servi à ces tristes & affreuses divinités, dont la haine implacable pour le genre humain exigeoit de telles victimes. Au milieu de tant d'ignorances l'homme vint à adorer jusqu'à l'oeuvre de ses mains. Il crut pouvoir renfermer l'esprit divin dans ses statues ; & il oublia si profondement que Dieu l'avoit fait, qu'il crut à son tour pouvoir faire un dieu. Qui le pourroit croire, si l'expérience ne nous faisoit voir qu'une erreur si stupide & si brutale n'étoit pas seulement la plus universelle, mais encore la plus enracinée & la plus incorrigible parmi les hommes ? Ainsi il faut reconnoître, à la confusion du genre humain, que la premiere des vérités, celle que le monde prêche, celle dont l'impression est la plus puissante, étoit la plus éloignée de la vue des hommes. "
Les Athées prétendent que le culte religieux rendu à des hommes après leur mort, est la premiere source de l'idolâtrie, & ils en concluent que la religion est originairement une institution politique, parce que les premiers hommes qui furent déifiés, étoient ou des législateurs, ou des magistrats, ou d'autres bienfaiteurs publics. C'est ainsi que parmi les anciens, Evhémerus, surnommé l'athée, composa un traité pour prouver que les premiers dieux des Grecs étoient des hommes. Cicéron qui pénétra son dessein, observe fort judicieusement que ce sentiment tend à renverser toute religion. Parmi les modernes, l'anglois Toland a écrit une brochure dans le même dessein, intitulée, de l'origine de l'idolâtrie, & des motifs du paganisme. La conduite uniforme de ces deux écrivains est singuliere. Evhémerus prétendoit que son dessein étoit seulement d'exposer la fausseté de la religion populaire de la Grece, & Toland a prétendu de même que son dessein n'étoit que d'écrire contre l'idolâtrie payenne, tandis que le but réel de l'un & de l'autre étoit de détruire la religion en général.
On doit avouer que cette opinion sur la premiere origine de l'idolâtrie a une apparence plausible, mais cette apparence n'est fondée que sur un sophisme qui confond l'origine de l'idolâtrie avec celle de tout culte religieux en général. Or il est non-seulement possible, mais même il est extrêmement probable que le culte de ce qu'on croyoit la premiere & la grande cause de toutes choses, à été antérieur a celui des idoles, le culte idolâtre n'ayant aucune des circonstances qui accompagnent une institution originaire & primitive, ayant au contraire toutes celles qui accompagnent une institution dépravée & corrompue. Cela est non-seulement possible & probable, mais l'histoire payenne prouve de plus que le culte rendu aux hommes déifiés après leur mort, n'est point la premiere source de l'idolâtrie.
Un auteur dont l'autorité tient une des premieres places dans le monde savant, aussi différent de Toland par le coeur que par l'esprit, je veux dire le grand Newton, dans sa chronologie grecque, paroît être du même sentiment que lui sur l'origine de l'idolâtrie. " Eacus, dit-il, fils d'Egina, & de deux générations plus ancien que la guerre de Troie, est regardé par quelques-uns comme le premier qui ait bâti un temple dans la Grece. Vers le même tems les oracles d'Egypte y furent introduits, ainsi que la coutume de faire des figures pour représenter les dieux, les jambes liées ensemble, de la même maniere que les momies égyptiennes. Car l'idolâtrie naquit dans la Chaldée & dans l'Egypte, & se répandit de-là, &c. Les pays qu'arrosent le Tygre & le Nil, étant extrêmement fertiles, furent les premiers habités par le genre humain, & par conséquent ils commencerent les premiers à adorer leurs rois & leurs reines après leur mort ". On voit par ce passage que cet illustre savant a supposé que le culte rendu aux hommes déifiés, étoit le premier genre d'idolâtrie, & il ne fait qu'en insinuer la raison ; savoir que le culte rendu aux hommes après leur mort, a introduit le culte des statues. Car les Egyptiens adorerent d'abord leurs grands hommes décédés en leurs propres personnes ; c'est-à-dire leur momies ; & après qu'elles eurent été perdues, consumées ou détruites, ils les adorerent sous des figures qui les représentoient, & dont les jambes, à l'imitation des momies, étoient liées ensemble. Il paroît que M. Newton s'est lui-même donné le change en supposant que le culte des statues étoit inséparablement uni à l'idolâtrie en général ; ce qui est contraire à ce que rapporte Hérodote, que les Perses qui adoroient les corps célestes, n'avoient point de statues de leurs dieux, & à ce que Denys d'Halicarnasse nous apprend, que les Romains, dont les dieux étoient des hommes déifiés après leur mort, les adorerent pendant plusieurs siecles sans statues.
Mais ce qui est remarquable, c'est que dès l'entrée de la question, les esprits forts renversent eux-mêmes ce qu'ils prétendent établir. Leur grand principe est que la crainte a d'abord fait des dieux, primus in orbe deos fecit timor ; & cependant si on veut les croire, ces premiers dieux furent des hommes déifiés après leur mort, à cause de leurs bienfaits envers leur patrie & le genre humain. Sans m'arrêter à cette contradiction, il est certain que ce grand principe de crainte est en toute maniere incompatible avec leur système. Car les siecles où la crainte régnoit le plus, & étoit la passion dominante du genre humain, furent ceux qui précéderent l'établissement des sociétés civiles, lorsque la main de chaque homme étoit tournée contre son frere. Si la crainte étoit donc le principe de la religion, il s'ensuivroit incontestablement que la religion existoit avant l'établissement des sociétés.
Comme l'espérance & la crainte, l'amour & la haine sont les grands ressorts des pensées & des actions des hommes, je ne crois pas que ce soit aucune de ses passions en particulier, mais je crois que toutes ensemble ont contribué à faire naître l'idée des êtres supérieurs dans l'esprit des premiers mortels, dont la raison brute n'avoit point acquis la connoissance du vrai Dieu, & dont les moeurs dépravées en avoient effacé la tradition.
Ces premiers hommes encore dans l'état de nature, où ils trouvoient toute leur subsistance dans les productions de la terre, ont dû naturellement observer ce qui avançoit ou retardoit ces productions ; ensorte que le soleil qui anime le système du monde dût bientôt être regardé comme la divinité éminemment bienfaisante. Le tonnerre, les éclairs, les orages, les tempêtes furent regardés comme des marques de sa colere ; & chaque orbe céleste en particulier fut envisagé sous la même face, à proportion de son utilité & de sa magnificence ; c'est ce qui paroît de plus naturel sur l'origine de l'idolâtrie, & les réflexions suivantes le vont mettre entierement dans son jour.
On trouve des vestiges de l'adoration des astres chez toutes les nations. Moyse Maimonide prétend qu'elle a précedé le déluge, & il en fixe la naissance vers le tems d'Enoch ; c'est aussi le sentiment de la plûpart des rabbins, qui assurent que ce fut-là un des crimes que Dieu châtia par les eaux du déluge. Je ne détaillerai point ici leurs raisons, qui sont combattues par les SS. Peres & par les meilleurs interpretes de l'ancien testament, & je tomberai d'accord avec ces derniers, que l'idolâtrie n'a commencé qu'après le déluge ; mais en même tems je dois avouer qu'elle fit des progrès si rapides & si contagieux, que les origines de tous les grands peuples qui tirerent leur naissance ou des enfans ou des petits enfans de Noé, en furent infectés. Les Juifs, hors quelques intervalles d'égarement, se conserverent dans la créance de l'unité de Dieu, sous la main duquel ils étoient si particulierement. Ils ne méconnurent point le grand ouvrier, pour admirer les beautés innombrables de l'ouvrage. Il faut cependant convenir, que si le peuple hébreu n'a point adoré les astres, il les a du moins regardé comme des êtres intelligens qui se connoissent eux-mêmes, qui obéissent aux ordres de Dieu, qui avancent ou retardent leurs courses, ainsi qu'il le leur prescrit. Origène va encore plus loin, & il soupçonne que les astres ont la liberté de pécher & de se repentir de leurs fautes. Sans doute que lui, qui allégorisoit toutes choses, prenoit à la lettre ce passage de Job : les cieux & les astres ne sont pas purs devant Dieu. Que d'erreurs grossieres sont nées de l'ignorance de l'Astronomie ! combien les découvertes modernes nous ont dévoilé de vérités capitales, de points importans !
Les peuples les plus anciens du nord & du sud, les Suèves, les Arabes, les Africains, qui ont vécu long-tems sans être civilisés, adoroient tous les corps célestes. M. Sale, auteur anglois, entierement versé dans l'histoire des Arabes, rapporte qu'après de longues observations & expériences sur les changemens qui surviennent dans l'air, ces peuples attribuerent enfin aux étoiles une puissance divine. Les Chinois, les Péruviens & les Méxicains paroissent aussi avoir d'abord adoré les corps célestes ; actuellement même les Chinois lettrés, qui forment une secte particuliere, semblent se faire une divinité d'une certaine vertu répandue dans l'univers, & sur-tout dans le ciel matériel.
En un mot, toute l'antiquité est unanime sur ce point, & elle nous apprend que le premier culte religieux rendu à des créatures, a eu pour objet les corps célestes ; c'étoit une vérité si évidente & si universellement reconnue, que Critius fameux athée, a été obligé de l'admettre. Il ne peut y avoir que la force de la vérité qui lui ait arraché cet aveu, puisque cela même détruit entierement son système sur l'origine de la religion ; voici le passage.
" Il y eu un tems où l'homme vivoit en sauvage, sans loix, sans gouvernement, ministre & instrument de la violence, où la vertu n'avoit point de récompense, ni le vice de châtiment. Les loix civiles furent inventées pour refréner le mal ; alors la justice présida à la conduite du genre humain. La force devint l'esclave du droit, & un châtiment inexorable poursuivit le coupable ; ne pouvant plus désormais violer ouvertement la justice, les hommes conspirerent secrettement pour trouver le moyen de nuire aux autres. Quelque politique rusé, habile dans la connoissance du coeur humain, imagina de combattre ce complot par un autre, en inventant quelque nouveau principe, capable de tenir dans la crainte les méchans, lorsque même ils diroient, penseroient ou feroient du mal en secret ; c'est ce qu'il exécuta en proposant aux peuples la créance d'un Dieu immortel, être d'une connoissance sans bornes, d'une nature supérieure & éminente. Il leur dit que ce Dieu pouvoit entendre & voir tout ce que les mortels faisoient & disoient ici bas, & que la premiere idée du crime le plus caché ne pouvoit point se dérober à la connoissance d'un être, dont la connoissance étoit l'essence même de sa nature ; c'est ainsi que notre politique en inculquant ces notions, devint l'auteur d'une doctrine merveilleusement séduisante, tandis qu'il cachoit la vérité sous le voile brodé de la fiction ; mais pour ajouter la terreur au respect, il leur dit que les dieux habitoient les lieux consacrés à tous les phantômes & à ces horreurs paniques, que les hommes ont été si ingénieux à imaginer pour s'épouvanter eux-mêmes, ajoutant des miseres imaginaires à une vie déja surchargée de maux. Ces lieux où la lumiere foudroyante des météores enflammés, accompagnée des éclats horribles du tonnerre, traverse la voûte étoilée des cieux, l'ouvrage admirable de ce vieux & sage architecte, le tems où les cohortes associées des spheres lumineuses, remplissent leurs révolutions régulieres & bienfaisantes, & d'où des pluies rafraîchissantes descendent pour recréer la terre altérée ; telle fut l'habitation qu'il assigna à ses dieux, place propre à l'exercice de leurs fonctions ; telles furent les terreurs dont il se servit pour prévenir les maux, étouffer les désordres dans leur naissance, faire jouer le ressort de ses loix, & introduire la religion si nécessaire aux magistrats. Tel est à mon avis, l'artifice dont on s'est servi pour faire croire à des hommes mortels, qu'il y avoit des êtres immortels. "
Ce seroit abuser de la patience du lecteur, que d'accumuler des citations ; mais comme l'Egypte & la Grece, de tous les pays, sont ceux où la politique & l'économie civile prirent les racines les plus profondes & s'étendirent de-là presque par-tout, effacerent la mémoire de l'ancienne idolâtrie, par l'idolâtrie plus récente de déifier les hommes après leur mort, & que plusieurs auteurs modernes en ont conclu, que ce dernier genre d'idolâtrie avoit été le premier de tous ; je rapporterai ici seulement deux témoignages de l'antiquité, pour prouver que l'adoration des corps célestes a été le premier genre d'idolâtrie dans ces deux pays, aussi-bien que dans tous les autres. " Il me paroît, dit Platon dans son Cratylus, que les premiers hommes qui ont habité la Grece, n'avoient point d'autres dieux que ceux que plusieurs barbares adorent encore actuellement ; savoir, le soleil, la lune, la terre, les étoiles, les cieux ". Par ces nations barbares, Platon entend également, celles qui étoient civilisées & celles qui ne l'étoient pas ; savoir, les Perses & les sauvages d'Afrique, qui au rapport d'Hérodote, adoroient également les astres, dont la lumiere bienfaisante renouvelle toute la nature.
Le second témoignage que j'ai à rapporter, regarde les Egyptiens, & il est tiré du premier livre de Diodore de Sicile. " Les premiers hommes, dit-il, en parlant de cette nation, levant les yeux vers le ciel, frappés de crainte & d'étonnement à la vûe du spectacle de l'univers, supposerent que le soleil & la lune en étoient les principaux dieux & qu'ils étoient éternels ". La raison que cet historien rapporte rend sa proposition générale, l'étend à toutes les nations, & fait voir qu'il croyoit que ce genre d'idolâtrie avoit été le premier en tout autre lieu aussi bien qu'en Egypte.
En général, les anciens croyoient que tout ce qui se meut de lui-même & d'une maniere réglée, participe bien surement à la divinité, & que le principe intérieur par lequel il se meut, est non-seulement incréé, mais encore exempt de toute altération. Cela supposé, on voit que dans la pensée où étoient les anciens, que les astres se mouvoient d'eux-mêmes, ils devoient nécessairement les regarder comme des dieux, comme les auteurs & les conservateurs de l'univers.
Au reste, c'étoient le soleil & la lune, qui par leur éclat & leur lumiere se rendoient dignes des principaux hommages, dont le peuple superstitieux honoroit les astres. Le soleil se nommoit le roi, le maître & le souverain ; & la lune la reine, la princesse du ciel. Tous les autres globes lumineux passoient ou pour leurs sujets, ou pour leurs conseillers, ou pour leurs gardes, ou pour leur armée. L'Ecriture-sainte paroît elle-même s'accommoder à ce langage, en faisant mention de la milice du ciel, à qui le peuple offroit ses hommages.
Théodoret, en voulant piquer les payens sur le culte qu'ils rendoient encore de son tems aux astres, fait une réflexion bien sensée. Le souverain arbitre de la nature, dit-il, a doué ses ouvrages de toutes les perfections dont ils étoient susceptibles ; mais comme il a craint que l'homme foible & timide n'en fût ébloui, il a entremêlé ces mêmes ouvrages de quelques défauts & de quelques imperfections, afin que d'un côté ce qu'il y a de grand & de merveilleux dans l'univers s'attirât notre admiration, & que de l'autre, ce qui s'y trouve d'incommode & de différence, nous ôtât la pensée de lui rendre aucun culte divin. Ainsi de quelque éclat, de quelque lumiere dont brillent le soleil & la lune, il ne faut qu'un simple nuage pour effacer l'un en plein midi, & pour obscurcir l'autre pendant les plus belles nuits de l'été. Ainsi la terre est une source inépuisable de trésors, elle ne ressent aucune vieillesse, elle renouvelle ses libéralités en faveur des hommes laborieux ; mais de peur qu'on ne fût tenté de l'adorer & de lui offrir des respects, Dieu en a fait un théatre des plus grandes agitations, le séjour des maladies cruelles & des guerres sanglantes. Parmi les animaux utiles se trouvent les serpens venimeux, & parmi les plantes salutaires se cueillent des herbes qui empoisonnent.
On invoquoit plus particulierement le soleil sur les hauts lieux ou toîts des maisons, à la lumiere & en plein jour : on invoquoit de la même maniere la lune dans les bocages & les vallées, à l'ombre & pendant la nuit ; & c'est à ce culte secret qu'on doit rapporter l'origine de tant d'actions indécentes, de tant de coutumes folles, de tant d'histoires impures, dont il est étonnant que des hommes, d'ailleurs sensés & raisonnables, ayent pû faire une matiere de religion. Mais de quoi ne sont pas capables ceux qui viennent à s'oublier eux-mêmes, & qui font céder la lumiere de l'esprit aux rapides égaremens du coeur ? A cette adoration des astres tenoit celle du feu, en tant qu'il est le plus noble des élémens, & une vive image du soleil. On ne voyoit même autrefois aucun sacrifice ni aucune cérémonie religieuse, où il n'entrât du feu. Celui qui servoit à parer les autels, & à consumer les victimes qu'on immoloit aux dieux, étoit traité avec beaucoup d'égard & de distinction. On feignoit qu'il avoit été apporté du ciel, & même sur l'autel du premier temple que Zoroastre avoit fait bâtir dans la ville de Zix en Médie. On n'y jettoit rien de gras ni d'impur ; on n'osoit même le regarder fixément : tanta gentium in rebus frivolis, s'écrie Pline, plerumque religio est. Pour en imposer davantage, les prêtres payens toujours fourbes & imposteurs, entretenoient ce feu secrettement, & faisoient accroire au peuple, qu'il étoit inaltérable & se nourrissoit de lui-même. Le lieu du monde où l'on revéroit davantage le feu, étoit la Perse. Il y avoit des enclos fermés de murailles & sans toît, où l'on en faisoit assidument, & où le peuple soumis venoit à certaines heures pour prier. Les personnes qualifiées se ruinoient à y jetter des essences précieuses & des fleurs odoriférantes. Les enclos qui subsistent encore peuvent être regardés comme les plus anciens monumens de la superstition.
Ce qui embarrasse les Savans sur l'origine de l'idolâtrie, c'est qu'on n'a pas fait assez d'attention aux degrés par lesquels l'idolâtrie des hommes déifiés après leur mort, a supplanté l'ancienne & primitive idolâtrie des corps célestes. Le premier pas vers l'apothéose a été de donner aux héros & aux bienfaiteurs publics le nom de l'être qui étoit le plus estimé & le plus révéré. C'est ainsi qu'un roi fut appellé le soleil, à cause de sa munificence, & une reine la lune, à cause de sa beauté. Ce même genre d'adulation subsiste encore parmi les nations orientales, quoique dans un degré subordonné ; ces titres étant aujourd'hui plutôt un compliment civil, qu'un compliment religieux. A mesure qu'un genre d'adulation fit des progrès, on retourna la phrase, & alors la planete fut appellée du nom du héros, afin sans doute d'accoutumer plus facilement à ce nouveau genre d'adoration, ce peuple déja accoutumé à celle des planetes. Diodore de Sicile après avoir dit que le soleil & la lune furent les premiers dieux d'Egypte, ajoute qu'on appella le soleil du nom d'Osiris, & la lune du nom d'Isis.
Par cette maniere d'introduire un nouveau genre d'idolâtrie, l'ancienne & la nouvelle furent confondues ensemble. On peut juger de l'excès de cette confusion par la savante collection de Vossius, sur la théologie des payens, où l'on voit de combien d'obscurités on a embrouillé ce point de l'antiquité, en se proposant de l'expliquer, dans la supposition qu'un de ces deux genres d'idolâtrie, n'étoit qu'une idée symbolique de l'autre.
M. l'abbé Pluche, dans son histoire du ciel, a inventé un nouveau systême sur l'origine de l'idolâtrie. Il prétend que ce n'est point l'admiration du soleil qui a fait adorer le soleil à la place de son auteur. Jamais, dit-il, ce spectacle de l'univers n'a corrompu les hommes : jamais il ne les a détournés de la pensée d'un être moteur de tout, & de la reconnoissance qu'ils doivent à une providence toujours féconde en nouvelles libéralités ; il les y rappelle, loin de les en détourner. L'écriture symbolique des Egyptiens, si on l'en croit, par l'abus que la cupidité en a fait, est la source du mal. Toutes les nations s'y sont empoisonnées, en recevant les caracteres de cette écriture sans en recevoir le sens. Une autre conséquence de ce systême, tout aussi naturelle, c'est que les anciens dieux n'ont point été des hommes réels ; la seule méprise des figures hiéroglyphiques a donné naissance aux dieux, aux déesses, aux métamorphoses, aux augures, & aux oracles. C'est-là ce qu'il appelle rapporter toutes les branches de l'idolâtrie à une seule & même racine ; mais ce systême est démenti par les mystères si célebres parmi les payens ; on y enseignoit avec soin que les dieux étoient des hommes déïfiés après leur mort. M. l'abbé Pluche tâche de prouver son sentiment par l'autorité de Cicéron, & Cicéron dit positivement dans ses tusculanes, que les cieux sont remplis du genre humain. Il dit encore dans son traité de la nature des dieux, que les dieux étoient des hommes puissans & illustres, qui avoient été déïfiés après leur mort. Il rapporte qu'Evhémerus enseigne où ils sont enterrés, sans parler, ajoute-t-il, de ce qui s'enseigne dans les mysteres d'Eleusis & de Samothrace. Cependant malgré des preuves si décisives, M. l'abbé Pluche, en parlant des mysteres, prétend que ce ne sont point des dieux qu'il faut chercher sous ces enveloppes, qu'elles sont plutôt destinées à nous apprendre l'état des choses qui nous intéressent ; & ces choses qui nous intéressent ne sont, selon lui, que le sens des figures qu'on y représentoit, réduit aux réglemens du labourage encore informe, aux avantages de la paix, & à la justice qui donne droit d'espérer une meilleure vie.
Mais pour renverser de fond en comble tout le systême de M. l'abbé Pluche, je vais rapporter un témoignage décisif, tiré de deux des plus grands peres de l'église, & qui prouve que l'hiérophante dans les mystères même d'Egypte, où M. l'abbé Pluche a placé le lieu de la scene, enseignoit que les dieux nationaux étoient des hommes qui avoient été déïfiés après leur mort. Le trait dont il s'agit est du tems d'Alexandre, lorsque l'Egypte n'avoit point encore succé l'esprit subtil & spéculatif de la philosophie des Grecs. Ce conquérant écrit à sa mere que le suprème hiérophante des mystères égyptiens lui avoit découvert en secret les instructions mystérieuses que l'on y donnoit, concernant la nature des dieux nationaux. Saint Augustin & saint Cyprien nous ont conservé ce fait curieux de l'histoire ancienne : voici ce qu'en dit le premier dans le huitieme livre de la Cité de Dieu. " Ces choses sont de la même espece que celles qu'Alexandre écrivit à sa mere, comme lui ayant été révélées par un certain Léon, le suprème hiérophante des mysteres d'Egypte ; savoir que Picus, non-seulement Faunus, Enée, Romulus, & même Hercule, Esculape, Bacchus, fils de Sémelé, Castor & Pollux, & les autres de même rang, étoient des hommes que l'on avoit déïfiés aprés leur mort ; mais encore que les dieux de la premiere classe, auxquels Cicéron paroît faire allusion dans ses tusculanes, comme Jupiter, Junon, Saturne, Neptune, Vulcain, Vesta, & plusieurs autres, que Varron voudroit par des allégories transformer dans les élémens où les parties du monde, avoient été de même que les autres, des hommes mortels. Léon rempli de crainte, sachant qu'en révélant ces choses, il révéloit les secrets des mysteres, supplia Alexandre, qu'après les avoir communiquées à sa mere, il lui ordonnât de brûler sa lettre ". Saint Cyprien dit que la crainte du pouvoir d'Alexandre extorqua de l'hiérophante le secret des hommes dieux.
Ces différens témoignages confirment de plus en plus que les mysteres avoient été destinés à découvrir la fausseté des divinités populaires, afin de soutenir la religion des hommes de bon sens, & de les exciter au service de leur patrie. Dans cette ancienne institution imaginée par les hommes les plus sages & les plus habiles, en enseignant que les dieux étoient des hommes déïfiés à cause de leurs bienfaits envers la société : rien n'étoit plus propre que l'histoire de ces bienfaits à exciter le zéle à l'héroïsme. D'un autre côté, la découverte du véritable état de ces héros sur la terre, qui avoient participés à toutes les foiblesses de la nature humaine, prévenoit le mal qu'auroit pû produire l'histoire de leurs vices & de leurs déréglemens ; histoire propre à faire accroire aux hommes qu'ils étoient autorisés par l'exemple des dieux à donner dans les mêmes excès. Si l'on suppose avec M. Pluche, que tous les dieux provenoient d'un alphabet égyptien, quel motif peut-on supposer dans les peuples, qui les ait entraînés vers l'idolâtrie ? Ils s'y seroient précipités, pour ainsi dire, de gaieté de coeur, sans y avoir été déterminés, sans aucune de ces passions vives & véhémentes qui agissent également sur le coeur & sur l'esprit, qui accompagnent toujours les grandes révolutions, & qui régnant avec une force universelle dans le coeur de tous les hommes, peuvent seules être envisagées comme la cause d'une pratique universelle. Mais que l'on suppose au contraire ce que toute l'antiquité nous apprend, que les peuples ont adoré leurs ancêtres & leurs premiers rois, à cause des bienfaits qu'ils en avoient reçu, on ne peut alors concevoir un motif plus puissant ni plus capable de les avoir conduits à l'idolâtrie ; & de la sorte l'histoire du genre humain se concilie avec la connoissance de la nature humaine, & celle de l'effet des passions.
Ce n'est point une simple conjecture que de croire qu'une reconnoissance superstitieuse fit regarder comme des dieux les inventeurs des choses utiles à la société. Eusebe juge compétent, s'il y en eut jamais, des sentimens de l'antiquité, atteste ce fait, comme un fait notoire & certain. Ce savant évêque dit que ceux qui dans les premiers âges du monde excellerent par leur sagesse, leur force, ou leur valeur, ou qui avoient le plus contribué au bien commun des hommes, ou inventé, ou perfectionné les Arts, furent déïfiés durant leur vie même, ou immédiatement après leur mort. C'est ce qu'Eusebe avoit lui-même puisé dans une des histoires des plus anciennes & des plus respectables, l'histoire phénicienne & sanchoniate, qui donne un détail fort exact de l'origine du culte des héros ; & qui nous apprend expressément que leur déïfication se fit immédiatement après leur mort, tems où le souvenir de leurs bienfaits étoit encore récent dans la mémoire des hommes, & où les mouvemens d'une reconnoissance vive & profonde absorbant, pour ainsi dire, toutes les facultés de leur ame, enflammoient les coeurs & les esprits de cet amour & de cette admiration, que M. Pope a si parfaitement dépeint dans son essai sur l'homme.
Un mortel généreux, par ses soins, sa valeur,
Du public qu'il aimoit, faisoit-il le bonheur ?
Admiroit-on en lui les qualités aimables
Qui rendent aux enfans les peres respectables ?
Il commandoit sur tous, il leur donnoit la loi,
Et le pere du peuple en devenoit le roi.
Jusqu'à ce tems fatal, seul reconnu pour maître,
Tout patriarche étoit le monarque, le prêtre,
Le pere de l'état qui se formoit sous lui.
Ses peuples après Dieu n'avoient point d'autre appui.
Ses yeux étoient leur loi, sa bouche leur oracle,
Jamais ses volontés ne trouverent d'obstacle ;
De leur bonheur commun il devint l'instrument,
Du sillon étonné tira leur aliment.
Il leur porta les Arts, leur apprit à réduire
Le feu, l'air, & les eaux aux loix de leur empire,
Fit tomber à leurs piés les habitans des airs,
Et tira les poissons de l'abyme des mers.
Lorsqu' enfin abattu sous le poids des années
Il s'éteint & finit ses longues destinées,
Cet homme comme un dieu si long-tems honoré,
Comme un foible mortel par les siens est pleuré.
Jaloux d'en conserver les traits & la figure,
Leur zele industrieux inventa la peinture.
Leurs neveux attentifs à ces hommes fameux
Qui par le droit du sang avoient régné sur eux,
Trouvent-ils dans leur suite un grand, un premier pere,
Leur aveugle respect l'adore & le révere.
Ces premiers sentimens antérieurs à l'idolâtrie, en furent la premiere cause par les passions d'amour & d'admiration qu'ils exciterent dans un peuple encore simple & ignorant. On ne doit pas être étonné qu'un peuple de ce caractere ait été porté à regarder comme des especes de dieux, ceux qui avoient enseigné aux hommes à s'assujettir les élémens. Ils devinrent le sujet de leurs hymnes, de leurs panégyriques, & de leurs hommages ; & l'on peut observer que parmi toutes les nations, les hommes dont la mémoire fut consacrée par un culte religieux, sont les seuls de ces tems anciens & ignorans, dont le nom n'ait point été enseveli dans l'oubli.
On a vu dans ces tems postérieurs, lorsque les circonstances étoient semblables, des hommes parvenir aux honneurs divins avec autant de facilité & de succès, que les anciens héros, qu'Osiris, Jupiter, ou Bélus ; car la nature en général est uniforme dans ses démarches. On s'est à la vérité moqué des apothéoses d'Alexandre & de César ; mais c'est que les nations au milieu desquelles ils vivoient, étoient trop éclairées. Il n'en fut pas de même d'un Odin, qui vivoit vers le tems de César, & qui fut mis par le peuple du nord au-dessus de tous les autres dieux. C'est que ces peuples étoient encore barbares & sauvages, & qu'une pareille farce ne peut être jouée avec applaudissement, que le lieu de la scene ne soit parmi un peuple grossier & ignorant.
Tacite rapporte que c'étoit une coutume générale parmi les nations du nord, que de déifier leurs grands hommes, non à la maniere des Romains leurs contemporains, uniquement par flatterie & par persuasion intime, mais sérieusement & de bonne foi. Un trait qui se trouve dans Ezéchiel, confirme que l'apothéose se faisoit souvent du vivant même des rois. Ton coeur s'en glorifie, dit Dieu en s'adressant au roi de Tyr par la bouche de son prophete, tu as dit, je suis un dieu, je suis assis sur le trône de Dieu au milieu de la mer, cependant tu n'es qu'un homme & non un dieu.... Diras-tu encore que tu es un dieu ?.... Mais tu trouveras que tu es un homme & non un dieu. Ce passage indique, ce me semble, que les sujets du roi de Tyr rendoient à ce prince un culte idolâtre, même durant sa vie, & il est assez vraisemblable qu'il devint dans la suite un des Neptunes grecs.
Sous prétexte d'expliquer l'antiquité, M. Pluche la renverse & la détruit entierement. Sa chimere est que toutes les coutumes civiles & religieuses de l'antiquité sont provenues de l'agriculture, & que les dieux & les déesses mêmes proviennent de cette moisson fertile. Mais s'il y a deux faits dans l'antiquité, que le scepticisme même avoit honte, dans ses momens de sincérité & de bon sens, de révoquer en doute, c'est que ce culte idolâtre des corps célestes, a eu pour premier fondement l'influence sensible & visible qu'ils ont sur les corps sublunaires, & que les dieux tutélaires des passions payennes étoient des hommes déifiés après leur mort, & à qui leurs bienfaits envers le genre humain ou envers leurs concitoyens avoient procuré les honneurs divins ; qui croiroit que ces deux faits puissent être niés par une personne qui prétend à la connoissance de l'antiquité, & qui se propose de l'expliquer ? Mais ni les hommes, ni les dieux ne peuvent tenir contre un système. M. Pluche nous assure que tout cela est illusion ; que l'antiquité n'a eu aucune connoissance de cette matiere ; que les corps célestes n'ont point été adorés à cause de leur influence ; qu'Osiris, Isis, Jupiter, Pluton, Neptune, Mercure, que même les héros demi-dieux, comme Hercule & Minos, n'ont jamais existé ; que ces prétendus dieux n'étoient que les lettres d'un ancien alphabet, de simples figures qui servoient à donner des instructions au laboureur égyptien. Ses hiéroglyphes sont presqu'entierement confinés à la seule agriculture & à l'usage des calendriers ; ce qui suppose ou qu'ils n'ont point été destinés dans leur origine à représenter les pensées des hommes, sur quelques sujets qu'elles pussent rouler, ou que les soins de ces fameux personnages de l'antiquité, qui ont établi, affermi & gouverné les sociétés, étoient absorbés par l'agriculture, ou qu'ils n'étoient occupés d'aucune autre idée. L'agriculture, en un mot, est la base principale & fondamentale à ce système de l'antiquité ; tout le reste n'y est inséré que pour l'ornement de la scène. Ce système, que l'on peut regarder comme le débordement d'une imagination féconde, est lui-même comme l'ancienne, dont les débordemens du Nil couvroient les terres les plus fertiles de l'Egypte ; & qui, échauffée & mise en fermentation par les rayons puissans du soleil, produisoit des hommes & des monstres. Les dieux de M. l'abbé Pluche paroissent sortir des sillons, comme l'on dit qu'il est autrefois arrivé au dieu Tagès.
Mais comment prouve-t-il la justesse du principe sur lequel il fonde son système, & la vérité des conséquences qu'il en déduit ? Il les prouve alternativement l'un par l'autre, le principe par la conséquence, & la conséquence par le principe. Toutes les fois qu'il veut prouver qu'un hiéroglyphe que l'on prenoit pour la figure réelle d'un dieu, n'est qu'un symbole de l'agriculture, il suppose que ce ne peut être la figure réelle d'un dieu, parce que les dieux n'ont point existé ; il en conclut que c'est un symbole ; il lui plaît que ce soit un symbole de l'agriculture ; & lorsqu'il veut prouver que les dieux n'ont point existé, alors il suppose que l'hiéroglyphe que l'on prenoit pour la figure réelle d'un dieu, n'étoit qu'un symbole de l'agriculture.
En général on peut dire contre le système de M. Pluche, qu'il est absurde de supposer que les Egyptiens n'aient fait usage des hiéroglyphes que pour les choses qui concernent le labourage. Il est fort naturel de croire, que l'esprit n'ayant pas encore inventé des signes qui servissent à représenter les sons & non les choses, les législateurs & les magistrats auront été obligés de puiser dans cette source, c'est-à-dire, de recourir aux hiéroglyphes pour s'exprimer aux yeux du peuple sur les matieres relatives au culte religieux, au gouvernement de la société, à l'histoire des héros, aux arts & aux sciences. Le genre d'expression étoit extrêmement imparfaite, & le sujet des méprises infinies, toutes les fois qu'au défaut des images réelles on étoit obligé d'employer des images symboliques. Souvent on substituoit le symbole à l'idée ; & c'est ainsi qu'après s'être servi de la figure des animaux & des végétatifs, pour exprimer les attributs des dieux & des héros, on a substitué à ces dieux & à ces héros les animaux & les végétatifs même. On a cru que ces dieux les animoient, qu'ils s'étoient cachés sous leur figure, & on les a adorés. Ce progrès est sensible dans l'exemple d'Osiris & d'Apis.
De ce qui n'étoit que l'origine d'une seule branche de l'idolâtrie, M. Pluche en a voulu faire l'origine de toute l'idolâtrie. Des images empruntées de la diversité des objets visibles qui sont sur la terre & dans les cieux, ne pouvant manquer d'avoir quelque rapport avec les productions de l'agriculture, qui sont en même tems les effets de la fécondité de la terre & de l'influence des astres. De ce rapport M. Pluche a conclu qu'il falloit expliquer les hiéroglyphes relativement à l'agriculture ; & ce qui s'y trouvoit sur les dieux, sur le gouvernement & sur l'histoire, est devenu dans son esprit un instrument ou une instruction pour le labourage. Il a employé les monumens même de l'antiquité pour la détruire, comme le pere Hardouin s'est servi de médailles pour renverser l'histoire. Ses conjectures ont pris la place des faits, l'imagination a dégradé la vérité ; & j'oserois dire qu'il ne seroit pas difficile, en conséquence des mêmes principes, de prouver que les dieux d'Egypte, au lieu de provenir de l'agriculture proviennent des jeux de cette nation ; de leurs fêtes, de leurs combats, de leur maniere de chasser, de pêcher, & même si l'on vouloit de leur cuisine, & les langues orientales ne manqueroient pas de fournir des étimologies pour soutenir ces différens sentimens.
L'idolâtrie ayant déifié les hommes, il étoit tout naturel qu'elle communiquât à ses dieux les défauts des hommes. C'est aussi ce qui arriva. Les dieux du paganisme furent donc hommes en toutes manieres, à cela près qu'ils étoient plus puissans que des hommes. Les hommes jouissoient du plaisir secret de voir retracée dans de si respectables modèles l'image de leurs propres passions, & d'avoir pour fauteurs & pour complices de leurs débauches, les dieux mêmes qu'ils adoroient. Sous le nom de fausses divinités, c'étoient en effet leurs propres pensées, leurs plaisirs & leurs fantaisies qu'ils adoroient. Ils adoroient Vénus, parce qu'ils se laissoient dominer par l'amour sensuel, & qu'ils en aimoient la puissance. Ils érigeoient des autels à Bacchus le plus enjoué de tous les dieux, parce qu'ils s'abandonnoient & qu'ils sacrifioient, pour ainsi dire, à la joie des sens plus douce & plus enivrante que le vin. La manie de déifier alla si loin, qu'on déifia même les villes, & Rome fut considérée comme une déesse.
Le polythéisme considéré en lui-même, est également contraire à la raison & aux phénomenes de l'univers. Quand on a une fois admis l'existence d'une nature infiniment parfaite, il est facile de comprendre qu'elle est l'unique, & qu'aucun être ne peut l'égaler. Si notre raison peut s'élever jusqu'à ce principe, il existe une telle nature, elle fera aisément & sans nul secours cet autre pas, qui est plus facile sans comparaison que le premier, donc il n'y a qu'un seul dieu. S'il pouvoit y avoir trois ou quatre de ces natures, il pourroit y en avoir non-seulement dix millions, mais aussi une infinité, car on ne sauroit trouver aucune raison d'un certain nombre plutôt que d'un autre. Comme donc le nombre binaire enfermeroit une superfluité qui choque notre raison, l'ordre demande que l'on se réduise à l'unité. Si chacune de ces matieres étoit souverainement parfaite, elle n'auroit besoin que d'elle-même pour jouir d'une félicité infinie ; la société des autres ne lui serviroit donc de rien, & ainsi notre raison ne pourroit souffrir aucune pluralité. C'est un de ses axiomes, que la nature ne fait rien en vain, & que c'est en vain que l'on emploie plusieurs causes pour un effet qu'un plus petit nombre de causes peut produire aussi commodément : la maxime qui a été appellée la raison des nominaux, parce qu'elle leur a servi à retrancher des écoles de philosophie une infinité d'excrescences & d'entités superflues ; la maxime, dis-je, qu'il ne faut point multiplier les êtres sans nécessité, est un principe qu'aucune secte de philosophie n'a rejetté ; or elle ruine sans ressource le polythéisme.
Le polythéisme n'est pas moins contraire aux phenomenes qu'à la raison, puisqu'on ne voit aucun désordre dans le monde, ni aucune confusion dans ses parties qui puissent faire soupçonner qu'il y a plusieurs divinités indépendantes auxquelles il soit soumis. Or cependant c'est ce qui arriveroit, si le polythéisme avoit lieu. M. Bayle prouve parfaitement bien que la religion payenne étoit un principe d'anarchie. En effet, ces dieux qu'elle répandoit partout, & dont elle remplissoit le ciel & la terre, la mer & l'air, étant sujets aux mêmes passions que l'homme, la guerre étoit immanquable entr'eux. Ils étoient & plus puissans & plus habiles que les hommes : tant pis pour le monde. L'ambition ne cause jamais autant de ravages que lorsqu'elle est secondée d'un grand pouvoir & d'un grand esprit.
Le désordre commença bientôt dans la famille divine. Titan le fils aîné du premier des dieux fut privé de la succession par les intrigues de ses soeurs, qui ayant gagné leur mere, firent ensorte qu'il cédât son droit à Saturne son frere puîné, desorte qu'une cabale de femmes troubla la loi naturelle dès la premiere génération. Saturne dévoroit ses enfans mâles pour tenir parole à Titan, mais son épouse le trompa, & fit nourrir en secret trois de ses fils. Titan ayant découvert ce manege, résolut de tirer raison de cette injure, & fit la guerre à Saturne & le vainquit, & l'enferma dans une noire prison lui & sa femme. Jupiter fils de Saturne, soutint la guerre, & remit en liberté son pere & sa mere ; & alors Titan & ses fils, chargés de fers, furent enfermés dans le tartare, qui étoit la même prison où Saturne & son épouse avoient été enchaînés. Saturne redevable de sa liberté à son fils, n'en fut pas reconnoissant. Un oracle lui avoit prédit que Jupiter le détroneroit ; il tâcha de prévenir cette prédiction. Mais Jupiter s'étant apperçu de l'entreprise, le renversa du trône, le chargea de chaînes, & le précipita dans le tartare. Il le châtia même, comme Saturne en avoit usé envers son pere. Le sang qui coula de la plaie que Saturne reçut en cette occasion, tomba sur la terre, & produisit des géans, qui s'efforcerent de déposer Jupiter. Le combat fut rude & douteux pendant assez long-tems. Enfin la victoire se déclara pour Jupiter.
Ce sont les principales guerres divines dont les Payens aient fait mention. Ils se sont autant éloignés du vraisemblable, en ne continuant point l'histoire de cette suite de rébellions, qui ont dû être fréquentes, qu'ils s'y étoient conformés en la conduisant jusqu'à la gigantomachie. Rien ne choque plus la vraisemblance, que de voir qu'ils ont supposé que les autres dieux ne conspiroient pas souvent contre Jupiter, & que par des ligues & des contre-ligues ils ne tâchoient pas de s'aggrandir, ou de s'exposer aux usurpateurs. La suite naturelle & inévitable du caractere qu'on leur donne, étoit qu'ils se querelassent plus souvent, & qu'ils entreprissent plus fréquemment de s'emparer des états les uns des autres, que les hommes ne se querellent & ne forment de pareilles entreprises. Cela va loin, comme vous voyez. Junon seule, telle qu'on la représente, devoit tailler plus de besogne à Jupiter son mari, qu'il n'en eût su expédier. Elle étoit jalouse, fiere, vindicative excessivement, & se voyoit tous les jours trahie par son mari. Quels tumultes ne devoit-elle pas exciter ? Quels complots ne devoit-elle pas former contre un époux si infidele ? Il se tira d'une guerre qu'elle lui avoit suscitée, & d'une seconde conspiration où elle entra. Quels désordres ne causa-t-elle pas dans le monde pour se venger de ses rivales, & pour perdre tous ceux qui lui déplaisoient ? Il n'y a rien de plus vraisemblable dans l'Enéide, que le personnage qu'elle y joue ; personnage si pernicieux, qu'elle fait sortir des enfers une furie, pour inspirer la rage martiale à des peuples qui ne songeoient qu'à la paix. Souvenez-vous qu'il y avoit encore d'autres déesses. Il n'eût fallu que celle-là pour mettre le trouble parmi les dieux. Cela rendoit inévitables les fonctions & les intrigues, les complots & les querelles. Un bel esprit (le chevalier Temple) les a bien décrites, en disant que ce sont des guerres d'anarchie, dont les mauvais fruits murissent tôt ou tard, & bouleversent quelquefois les sociétés les plus florissantes. L'histoire est toute remplie de ces sortes de choses. Voici donc comme je raisonne. Malgré toutes les précautions qu'on a prises dans les états, malgré les différentes formes de gouvernement qu'on y a successivement introduites, on n'a jamais pu ôter les semences de l'anarchie, ni empêcher qu'elle ne levât la tête de tems en tems. Les séditions, les guerres civiles, les révolutions sont fréquentes dans tous les états, quoique plus ou moins dans les uns que dans les autres. Pourquoi cela ? C'est que les hommes sont sujets à des mauvaises passions. Ils sont envieux les uns des autres. L'avarice, l'ambition, la volupté, la vengeance les possédent. Ceux qui doivent commander, s'en acquitent mal. Ceux qui doivent obéir, s'en acquitent encore quelquefois plus mal. Vous donnez des bornes à l'autorité royale ; c'est le moyen d'inspirer l'envie de parvenir à la puissance despotique. En un mot, les uns abusent de l'autorité, & les autres de la liberté. Or puisque les dieux étoient sujets aux mêmes passions que l'homme, il falloit donc nécessairement qu'il y eût des guerres entr'eux, & des guerres d'autant plus funestes, qu'ils surpassoient l'homme en esprit & en puissance ; des guerres qui ébranlassent jusqu'au centre de la mer & de la terre, l'air & les cieux, des guerres enfin qui missent l'anarchie, le trouble & la confusion dans tous les corps de l'univers. Or puisque cette anarchie n'est point venue, c'est une marque qu'il n'y a point eu de guerre entre les dieux ; & c'est en même tems une preuve qu'ils n'existoient point, car s'ils eussent existé, ils n'eussent point pu être d'accord. Je ne voudrois point d'autre raison que celle-là pour me convaincre de la fausseté de la religion payenne.
Le polythéisme étant si absurde en lui-même, & si contraire en même tems aux phénomenes, vous me demanderez peut-être ce qu'en pensoient les plus sages d'entre les Payens. C'est à quoi je vais satisfaire. Il y avoit autrefois trois classes de dieux, rangés avec beaucoup d'adresse : les poétiques, les politiques, & les philosophiques. C'est la division qu'en fait le grand pontife Scevola, qui se trouvant à la tête de tous les ministres de la superstition, ne devoit point s'y méprendre. Les dieux poétiques sembloient abandonnés au vulgaire qui se repaît de fictions. Les politiques servoient dans les occurrences délicates, où il falloit relever les courages abattus, les manier avec dextérité, leur donner une nouvelle force. Les philosophiques enfin n'offroient rien que de noble, de pur, de convenable au petit nombre d'honnêtes gens qui parmi les payens, savoient penser. Ces derniers ne reconnoissoient qu'un seul Dieu qui gouvernoit l'univers par le ministere des génies ou des démons, à qui ils donnoient le nom de divinités subalternes. M. Bayle prétend qu'aucun philosophe payen n'a eu connoissance de l'unité de Dieu ; car tous ceux, dit-il, qui semblent reconnoître cette vérité, ont réduit à la seule divinité du soleil tous les autres dieux du paganisme, ou n'ont point admis d'autre dieu que l'univers même, que la nature, que l'ame du monde. Or on comprend aisément, pour peu qu'on y fasse attention, que l'unité ne peut convenir ni au soleil ni au monde, ni à l'ame du monde. Cela est visible à l'égard du soleil & du monde ; car ils sont composés de plusieurs portions de matiere réellement distinctes les unes des autres ; & il ne seroit pas moins absurde de soutenir qu'un vaisseau n'est qu'un seul être, ou qu'un éléphant n'est qu'une seule entité, que de l'affirmer du monde, soit qu'on le considere comme une simple machine, soit qu'on le considere comme un animal. Toute machine, tout animal est essentiellement un composé de diverses pieces. L'ame du monde est aussi composée de parties différentes. Ce qui anime un arbre n'est point la même chose que ce qui anime un chien. Personne n'a mieux décrit que Virgile le dogme de l'ame du monde, laquelle il prenoit pour Dieu.
Esse apibus partem divinae mentis & haustus
Aethereos dixere : Deum namque ire per omnes
Terrasque, tractusque maris, coelumque profundum,
Hinc pecudes, armenta, viros, genus omne ferarum,
Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitam.
Virg. Georg. lib. IV. v. 220.
On voit par-là clairement la divinité divisée en autant de parties qu'il y a de bêtes & d'hommes. Cet esprit, cet entendement répandu, selon Virgile, par toute la masse de la matiere, peut-il être composé de moins de parties que la matiere ? ne faut-il pas qu'il soit dans l'air par des portions de sa substance numériquement distinctes des portions par lesquelles il est dans l'eau réellement ; donc les philosophes qui semblent avoir enseigné l'unité de Dieu ont été plus polythéistes que le peuple. Ils ne savoient ce qu'ils disoient, s'ils croyoient dire que l'unité appartient à Dieu. Elle ne peut lui convenir selon leur dogme, que de la maniere qu'elle convient à l'Océan, à une nation, à une ville, à un palais, à une armée. Le dieu qu'ils reconnoissoient être un amas d'une infinité de parties, si elles étoient homogènes, chacune étoit un dieu, ou aucune ne l'étoit. Or si aucune ne l'avoit été, le tout n'auroit pas pû être dieu. Il falloit donc qu'ils admissent au pié de la lettre une infinité de dieux, ou pour le moins un plus grand nombre qu'il n'y en avoit dans le poëme d'Hésiode, ni dans aucune autre lithurgie. Si elles étoient hétérogenes, on tomboit dans la même conséquence, car il falloit que chacune participât à la nature divine & à l'essence de l'ame du monde. Elle n'y pouvoit participer sans être un dieu, puisque l'essence des choses n'est point susceptible du plus ou du moins. On l'a toute entiere, ou l'on n'en a rien du tout. Voilà donc autant de dieux que de parties dans l'univers. Que si la nature de Dieu n'avoit point été communiquée à quelques-unes des parties, d'où seroit venu qu'elle auroit été communiquée à quelques autres ? & quel composé bizarre & monstrueux ne seroit-ce pas qu'une ame composée de parties non vivantes & non animées, & de parties vivantes & animées ? Il seroit encore plus monstrueux de dire qu'aucune portion de dieu n'étoit un dieu, & que néanmoins toutes ensemble elles composoient un dieu ; car en ce cas-là, l'être divin eût été le résultat d'un assemblage de plusieurs pieces non divines, il eût été fait de rien, tout comme si l'étendue étoit composée de points mathématiques.
Qu'on se tourne de quelque côté qu'on voudra ; on ne peut trouver jamais dans les systèmes des anciens philosophes, l'unité de Dieu ; ce sera toujours une unité collective. Affectez de dire sans nommer jamais l'armée, que tels ou tels bataillons ont fait ceci, ou sans jamais articuler ni régimens, ni bataillons, que l'armée a fait cela, vous marquerez également une multitude d'acteurs. S'il n'y a qu'un seul Dieu, selon eux, c'est de la même maniere qu'il n'y a qu'un peuple romain, ou que, selon Aristote, il n'y a qu'une matiere premiere. Voyez dans saint Augustin les embarras où la doctrine de Varron se trouve réduite. Il croyoit que Dieu n'étoit autre chose que l'ame du monde. On lui fait voir que c'est une division de Dieu en plusieurs choses, & la réduction de plusieurs choses en un seul Dieu. Lactance aussi a très-bien montré le ridicule du sentiment des Stoïques, qui étoit à-peu-près le même que celui de Varron. Spinoza est dans le même labyrinthe. Il soutient qu'il n'admet qu'une substance, & il la nomme Dieu. Il semble donc n'admettre qu'un Dieu ; mais dans le fond il en admet une infinité sans le savoir. Jamais on ne comprendra que l'unité de substance, à quoi il réduit l'univers, soit autre chose que l'unité collective, ou que l'unité formelle des Logiciens, qui ne subsiste qu'idéalement dans notre esprit. S'il se trouve donc dans les philosophes payens quelques passages qui semblent autoriser d'une maniere plus orthodoxe l'unité de Dieu, ce ne sont la plûpart du tems qu'un galimathias pompeux ; faites-en bien l'analyse, il en sortira toujours une multitude de dieux. On n'est parfaitement unitaire qu'autant qu'on reconnoît une intelligence parfaitement simple, totalement distinguée de la matiere & de la forme du monde, productrice de toutes choses, & véritablement spirituelle. Si l'on affirme cela, l'on croit qu'il n'y a qu'un Dieu ; mais si on ne l'affirme pas, on a beau siffler tous les dieux du paganisme, & témoigner de l'horreur pour la multitude des dieux, on en admettra réellement une infinité. Or c'est là précisément le cas de tous les anciens philosophes que nous avons prouvé ailleurs n'avoir aucune teinture de la véritable spiritualité.
Si M. Bayle s'étoit contenté de dire qu'en raisonnant conséquemment, on ne se persuaderoit jamais que l'unité de Dieu fût compatible avec la nature de Dieu, telle que l'admettoient les anciens philosophes, je me rangerois à son avis. Il me semble que ce qu'ils disoient de l'unité de Dieu, ne couloit point de leur doctrine touchant la nature de cet Etre. Je parle même de la doctrine des premiers peres de l'Eglise, qui mettoient dans Dieu une espece de matérialisme. Cette doctrine bien pénétrée, & conduite exactement de conséquence en conséquence, étoit l'éponge de toute religion. Les raisonnemens de M. Bayle, que j'ai apportés en objection, en sont une preuve bien évidente. Mais comme les opinions, inconséquemment & très-impertinemment tirées d'une hypothese, n'entrent pas moins facilement dans les esprits, que si elles émanoient nécessairement d'un bon principe ; il faut convenir que les philosophes payens ont véritablement reconnu l'unité de Dieu, quoiqu'elle ne coulât pas de leur doctrine sur la nature d'un Etre suprême. Il n'y a point eu de philosophes payens qui ayent plus insisté sur les dogmes de la Providence que les Stoïques. Ils croyoient pourtant que Dieu étoit corporel. Ils joignoient donc ensemble la nature corporelle à une intelligence répandue par-tout. Or l'unité proprement dite, n'est pas plus difficile à concilier avec une telle nature, que la Providence, ou plutôt elles sont toutes deux également incapables de lui être assorties. Combien de philosophes modernes, qui sur les traces de M. Locke, s'imaginent que leur ame est matérielle ! en sont-ils pour cela moins persuadés de sa véritable unité ? L'idée de l'unité de Dieu est si naturelle & si conforme à la droite raison, qu'ils l'ont entée sur leur système, quelque discordant qu'il fût avec cette idée. Ils se sont rapprochés de l'orthodoxie par ces inconséquences, car il est sûr que s'ils avoient bien suivi leur pointe, je veux dire qu'ils se fussent attachés régulierement aux résultats de leur principe, ils auroient parlé de Dieu moins noblement qu'ils n'ont fait. Tous les systèmes des anciens philosophes sur la nature de Dieu, conduisoient à l'irréligion ; & si tous les philosophes ne sont point tombés dans cet abîme, ils en ont été redevables, encore un coup, au défaut d'exactitude dans le raisonnement. Ils sont sortis de leur route, attirés ailleurs par les idées que la nature avoit imprimée dans leur esprit, & que l'étude de la morale nourrissoit & fortifioit.
Un des plus grands esprits de l'ancienne Rome, s'avisa d'examiner les opinions des philosophes sur la nature divine. Il disputa pour & contre avec beaucoup d'attention. Qu'en arriva-t-il ? c'est qu'au bout du compte, il se trouva athée, ou peu s'en fallut, ou qu'au moins il n'évita ce grand changement que parce qu'il eut plus de déférence pour l'autorité de ses ancêtres que pour ses lumieres philosophiques.
Mais une chose qu'on ne peut pardonner aux anciens philosophes qui reconnoissoient un seul Dieu, c'est que satisfaits de ne point tomber dans l'erreur, ils regardoient comme une de leurs obligations d'y entretenir les autres. Le sage, avoue l'orateur philosophe, doit maintenir tout l'extérieur de la religion qu'il trouve établi, & conserver inviolablement les cérémonies brillantes, sacrées, auxquelles les ancêtres ont donné cours. Pour lui qu'il considere la beauté de l'univers, qu'il examine l'arrangement des corps célestes, il verra que sans rien changer aux choses anciennes, il doit adorer en secret l'Etre suprême. En cela consistoit toute la religion des Payens, gens d'esprit. Ils reconnoissoient un Dieu qu'ils regardoient comme remplissant le monde de sa grandeur, de son immensité. Ils retenoient avec cela les principaux usages du pays où ils vivoient, craignoient sur-tout d'en troubler la paix par un zele furieux, ou par trop d'attachement à leurs opinions particulieres. C'est sur quoi appuie Séneque d'une maniere très-sensée. Quand nous plions, dit-il, devant cette foule de divinités qu'une vieille superstition a entassée les unes sur les autres, nous donnons ces hommages à la coutume, & non pas à la religion. Nous voulons par-là contenir le peuple, & non point nous avilir honteusement.
Suivant quelques philosophes, tout le polythéisme poétique, tout ce qu'il y a eu de divinités parmi les Grecs, tout ce qui entre dans le détail de leurs généalogies, de leurs familles, de leurs domaines, de leurs amours, de leurs avantures, n'est autre chose que la physique mise sur un certain ton & agréablement tournée. Ainsi Jupiter n'est plus que la matiere éthérée, & Junon la masse liquide de notre athmosphere. Apollon est le soleil, & Diane est la lune. Pour abreger, tous les dieux ne sont que les élémens & les corps physiques ; la nature se trouve partagée entre eux, ou plutôt ils ne sont tous que les différentes parties de divers effets de la nature.
Il faut convenir que cette premiere institution des dieux, est un fait d'histoire assez constant, du-moins pris en général. On sait que dans l'origine du paganisme, la physique qui n'avoit pas encore formé de science, laissoit les écrivains dans une si grande sécheresse sur le fond des choses, que pour la corriger, ils emprunterent le secours des allusions & des fables, genre d'écrire que favorisoit le penchant, & en quelque sorte l'enfance des lecteurs, comme il paroît dans Cicéron. Mais ce fait même, la défense du paganisme dans le tems que le Christianisme s'élevoit sur ses ruines & ses débris, étoit la plus forte démonstration contre lui. 1°. Si les dieux n'étoient que des portions de l'univers, il demeuroit évident que l'univers prenoit la place de son auteur, & que l'homme aveugle décernoit à la créature, l'adoration qui n'est dûe qu'au Créateur. 2°. Quand même les dieux n'auroient été dans l'origine que les élémens personnifiés, cette théologie symbolique ne devenoit-elle pas une occasion de scandale & d'erreur impie ? Quelle que fût l'origine physique du mot Jupiter, n'étoit-il pas dans la signification d'usage, le nom propre d'un Dieu, pere des autres dieux ? Lorsque le peuple lisoit dans ses poëtes que Jupiter frappoit Junon son épouse & sa soeur, concevoit-il qu'il ne s'agissoit là que du choc des élémens ? Recouroit-il aux allusions pour l'intelligence des autres fables, où il voyoit un sens clair, qui dès le premier aspect, fixoit sa croyance ? Où étoit le poëte qui eût appris à distinguer ces images allégoriques d'avec la simplicité de la lettre ? Où étoient même les poëtes qui n'eussent pas représenté le même Dieu sous des emblèmes tous différens, & quelquefois opposés ? Il étoit donc impossible que le vulgaire ignorant saisît au milieu de ces variations un point fixé d'allégorie qui le déterminât, & dèslors il ne lui restoit qu'un système scandaleux où la raison trompée n'offroit à la morale que des exemples trompeurs.
Quelque parti que prît l'Idolatrie, soit qu'elle regardât ses dieux comme des élémens qu'elle avoit personnifiés, soit qu'elle les regardât comme des hommes qu'elle avoit déifiés après leur mort, pour les bienfaits dont ils avoient comblé les humains, toujours est-il vrai de dire que son fonds étoit une ignorance brutale, & une entiere dépravation du sens humain. Ajoutez à cela que les Poëtes épuiserent en sa faveur tout ce qu'ils avoient d'esprit, de délicatesse & de graces, & qu'ils s'étudierent à employer les couleurs les plus vives pour fonder des vices & des crimes qui seroient tombés dans le décri, sans la parure qu'ils leur prêtoient, pour en couvrir la difformité, l'absurdité & l'infamie.
On sait que le plus sage des philosophes condamnoit sans réserve ces fictions profanes, si manifestement injurieuses à la divinité. " Nous ne devons, disoit-il, admettre dans notre république, ni les chaînes de Junon formées par son propre fils ; ni la chûte de Vulcain, précipité du haut des cieux pour avoir pris la défense de sa mere contre Jupiter qui levoit la main sur elle ; ni les autres combats des dieux, soit que ces idées servent de voiles à d'autres, soit que le poëte les donne pour ce qu'il semble qu'elles sont. La jeunesse qui ne peut démêler ces vûes différentes, se remplit par-là d'opinions insensées qui ne s'effacent qu'avec peine de son esprit. Il faut au contraire lui montrer toujours Dieu comme juste & véritable dans ses oeuvres, autant que dans ses paroles. Et en effet, il est constant dans ses promesses, il ne séduit ni par de vaines images, ni par de faux discours, ni par des signes trompeurs, ni durant le jour, ni durant la nuit ".
La raison même au milieu des plus épaisses ténebres, ne pouvoit se dérober à ces rayons de vérité, tant il est impossible à l'homme d'anéantir l'idée de l'Etre unique, saint & parfait qui l'a tiré du néant.
Mais si ces fables dont on repaissoit le peuple étoient, de l'aveu même de Platon, si injurieuses à la divinité, & en même tems si funestes à la pureté des moeurs, pourquoi ne travailloit-il pas à le détromper, en lui inspirant une idée saine de la divinité ? Pourquoi, de concert avec les autres philosophes, fomentoit-il encore son erreur ? Le voici, c'est qu'il s'imaginoit que le polythéisme étoit si fort enraciné, qu'il étoit impossible de le détruire sans mettre toute la société en combustion. " Il est très-difficile, dit-il, de connoître le pere, le souverain arbitre de cet univers ; mais si vous avez le bonheur de le connoître, gardez-vous bien d'en parler au peuple ". Les Philosophes, aussi bien que les Législateurs, étoient dans ce principe, que la vérité étoit peu propre à être communiquée aux hommes. On croyoit sans aucune répugnance qu'il falloit les tromper, ou du moins leur exposer les choses adroitement voilées. De-là vient, dit Strabon, que l'usage des fables s'est si fort étendu, qu'on a feint & imaginé, par une espece de devoir politique, le tonnerre de Jupiter, l'égide de Pallas, le trident de Neptune, les flambeaux & les serpens des Furies vengeresses ; & ce sont toutes ces traditions ajoutées les unes aux autres, qui ont formé l'ancienne théologie, dans la vûe d'intimider ceux qui se conduisent par la crainte plutôt que par la raison, trop foible, hélas ! sur l'esprit des hommes corrompus. Séneque dit que le Jupiter du peuple est celui qui est armé de la foudre, & dont la statue se voit au milieu du Capitole ; mais que le véritable Jupiter, celui des Philosophes, est un Etre invisible, l'ame & l'esprit universel, le maître & le conservateur de toutes choses, la cause des causes, dont la nature emprunte sa force, & pour ainsi dire sa vie. Varron le plus savant des Romains, dans un fragment de son traité sur les religions, cité par S. Augustin, dit qu'il y a de certaines vérités qu'il n'est pas à-propos de faire connoître trop généralement pour le bien de l'état ; & d'autres choses qu'il est utile de faire accroire au peuple quoiqu'elles soient fausses, & que c'est par cette raison que les Grecs cachent leurs mysteres en général. Quelque système qu'on embrasse, il faut que le peuple soit séduit ; & il veut lui-même être séduit. Orphée en parlant de Dieu disoit, je ne le vois point, car il y a un nuage autour de lui qui me le dérobe.
Une autre raison qui portoit les législateurs à ne point déprévenir l'esprit des peuples des erreurs dont ils étoient imbus, c'est qu'ils avoient eux-mêmes contribué à l'établissement ou à la propagation du polythéisme, en protestant des inspirations, & se servant des opinions religieuses quoique fausses, & dont les peuples étoient prévenus, pour leur inspirer une plus grande vénération pour les loix. Le polythéisme fut entierement corrompu par les Poëtes, qui inventerent ou publierent des histoires scandaleuses des dieux & des héros ; histoires dont la prudence des législateurs auroit voulu dérober la connoissance au peuple, ce qui plus que toute autre chose, contribuoit à rendre le polythéisme dangereux pour l'état, comme il est aisé de s'en convaincre par le passage de Platon que j'ai cité ci-dessus. Trouvant donc les peuples livrés à une religion qui étoit faite pour le plaisir, à une religion dont les divertissemens, les fêtes, les spectacles, & enfin la licence même faisoit une partie du culte, les trouvant, disje, enchantés par une telle religion, ils se virent forcés de se prêter à des préjugés trop tenans & trop invétérés. Ils crurent qu'il n'étoit pas dans leur pouvoir de la détruire, pour y en substituer une meilleure. Tout ce qu'ils purent faire, ce fut d'établir avec plus de fermeté le corps de la religion ; & c'est à cet usage qu'ils employerent un grand nombre de pompeuses cérémonies. Dans la suite des tems, le génie de la religion suivit celui du gouvernement civil ; & ainsi elle s'épura d'elle-même comme à Rome, ou elle se corrompit de plus en plus comme dans la Syrie. Si les législateurs eussent institué une religion nouvelle, ainsi qu'ils instituerent de nouvelles loix, on auroit trouvé dans quelques-unes de ces religions des institutions moins éloignées de la pureté de la religion naturelle. L'imperfection de ces religions est une preuve qu'ils les trouverent déjà établies, & qu'ils n'en furent pas les inventeurs.
On peut dire que ni les Philosophes, ni les Législateurs n'ont reconnu cette vérité essentielle, que le vrai & l'utile sont inséparables. Par-là les uns & les autres ont très-souvent manqué leur but. Les premiers négligeant l'utilité, sont tombés dans les opinions les plus absurdes sur la nature de Dieu, & sur celle de l'ame ; & les derniers n'étant pas assez scrupuleux sur la vérité, ont beaucoup contribué à la propagation du Polythéisme, qui tend naturellement à la destruction de la société. Ce fut même la nécessité de remédier à ce mal qui leur fit établir les mysteres sacrés avec tant de succès ; & on peut dire qu'ils étoient fort propres à produire cet effet. Dans le Paganisme l'exemple des dieux vicieux & corrompus avoit une forte influence sur les moeurs : Ils ont fait cela, disoit-on, & moi chétif mortel je ne le ferois pas ? Ego homuncio hoc non facerem ? Térence, Eunuq. acte III. scene v. Euripide met le même argument dans la bouche de plusieurs de ses personnages en différens endroits de ses tragédies.
Voilà ce que l'on alléguoit pour sa justification, lorsqu'on vouloit s'abandonner à ses passions déréglées, & ouvrir un champ libre à ses vastes desirs. Or dans les mysteres on affoiblissoit ce puissant aiguillon, & c'est ce que l'on faisoit en coupant la racine du mal. On découvroit à ceux des initiés qu'on en jugeoit capables, l'erreur où étoit le commun des hommes : on leur apprenoit que Jupiter, Mercure, Vénus, Mars, & toutes les divinités licencieuses, n'étoient que des hommes comme les autres, qui durant leur vie avoient été sujets aux mêmes passions & aux mêmes vices que le reste des mortels ; qu'ayant été à divers égards les bienfaiteurs du genre humain, la postérité les avoit déifiés par reconnoissance, & avoit indiscrétement canonisé leurs vices avec leurs vertus. Au reste on ne doit pas croire que la doctrine enseignée dans les mysteres, d'une cause suprême, auteur de toutes choses, détruisît les divinités tutélaires, ou pour mieux dire les patrons locaux. Ils étoient simplement considérés comme des êtres du second ordre, inférieurs à Dieu ; mais supérieurs à l'homme, & placés par le premier être pour présider aux différentes parties de l'univers. Ce que la doctrine des grands mysteres détruisoit, c'étoit le polythéisme vulgaire, ou l'adoration des hommes déifiés après leur mort.
L'unité de Dieu étoit donc établie dans les grands mysteres sur les ruines du polythéisme ; car dans les petits on ne démasquoit pas encore les erreurs du polythéisme : seulement on y inculquoit fortement le dogme de la Providence, & ceci n'est pas une simple conjecture. Les mystagogues d'Egypte enseignoient dans leurs cérémonies secrettes le dogme de l'unité de Dieu, comme M. Ladworth savant anglois, l'a évidemment prouvé. Or les Grecs & les Asiatiques emprunterent leurs mysteres des Egyptiens, d'où l'on peut conclure très-probablement qu'ils enseignoient le même dogme. Pythagore reconnoissoit que c'étoit dans les mysteres d'Orphée qui se célébroient en Thrace, qu'il avoit appris l'unité de la cause premiere universelle. Cicéron garde aussi peu de mesure. " Si j'entreprenois d'approfondir l'antiquité, & d'examiner les relations des historiens grecs, on trouveroit que les dieux de la premiere classe ont habité la terre avant que d'habiter les cieux. Informez-vous seulement de qui sont ces sépulchres que l'on montre dans la Grece ; ressouvenez-vous, car vous êtes initié, de ce que l'on enseigne dans les mysteres ? Vous concevrez alors toute l'étendue que l'on pourroit donner à cette discussion ". On pourroit, s'il étoit nécessaire, citer une nuée de témoins pour confirmer de plus en plus cette vérité.
S'il restoit encore quelques nuages, ils seroient bientôt dissipés par ce qui est dit de l'unité de Dieu dans l'hymne chantée par l'hiérophante, qui paroissoit sous la figure du créateur. Après avoir ouvert les mysteres, & chanté la théologie des idoles, il renversoit alors lui-même tout ce qu'il avoit dit, & introduisoit la vérité en débutant ainsi. " Je vais déclarer un secret aux initiés, que l'on ferme l'entrée de ces lieux aux profanes. O toi, Musée, descendu de la brillante Sélene, sois attentif à mes accens : je t'annoncerai des vérités importantes. Ne souffre pas que des préjugés ni des affections antérieures, t'enlevent le bonheur que tu souhaites de puiser dans la connoissance des vérités mystérieuses. Considere la nature divine, contemple-la sans cesse, regle ton esprit & ton coeur, & marchant dans une voie sûre, admire le maître unique de l'univers. Il en est un, il existe par lui-même. C'est à lui seul que tous les autres êtres doivent leur existence. Il opere en tout & par-tout ; invisible aux yeux des mortels, il voit lui-même toutes choses ".
Avant de finir cet article, il est à-propos de prévenir une objection que fait M. Bayle au sujet du polythéisme, qu'il prétend pour le moins être aussi pernicieux à la société que l'athéisme. Il se fonde sur ce que cette religion si peu liée dans toutes ses parties, n'exigeoit point les bonnes moeurs. Et de quel front, disoit-il, les auroit-elle exigées ? Tout étoit plein des crimes, des iniquités diverses qu'on reprochoit à l'assemblée des dieux. Leur exemple accoutumoit au mal, leur culte même applanissoit le chemin qui y conduit. Qu'on remonte à la source du paganisme, ou verra qu'il ne promettoit aux hommes que des biens physiques, comme des cérémonies d'éclat, des sacrifices, des décorations propres à faire respecter les temples & les autels, des jeux, des spectacles pour les passions si difficiles à corriger, ou plutôt à retenir dans de justes bornes (car les passions ne se corrigent jamais entierement). Il leur laissoit une libre étendue, sans les contraindre en aucune maniere, sans aller jamais jusqu'au coeur. En un mot, la religion payenne étoit une espece de banque, où en échange des offrandes temporelles, les dieux rendoient des plaisirs, des satisfactions voluptueuses.
Pour répondre à cette objection, il faut remarquer que dans le paganisme il y avoit deux sortes de religion, la religion des particuliers, & la religion de la société. La religion des particuliers étoit inférieure à celle de l'état, & en étoit différente. A chacune de ces religions présidoit une Providence particuliere. Celle de la religion des particuliers ne punissoit pas toujours le vice, ni ne récompensoit pas toujours la vertu en ce bas monde, idée qui entraînoit nécessairement après elle celle du dogme des peines & des récompenses d'une autre vie. La Providence, sous la direction de laquelle étoit la société, étoit au contraire égale ou uniforme dans sa conduite, dispensant les biens & les maux temporels, selon la maniere dont la société se comportoit envers les dieux. De-la vient que la religion faisoit partie du gouvernement civil. On ne délibéroit sur rien, ni l'on n'exécutoit rien sans consulter l'oracle. Les prodiges, les présages étoient aussi communs que les édits des magistrats ; car on les regardoit comme dispensés par la Providence pour le bien public ; c'étoient ou des déclarations de la faveur des dieux, ou des dénonciations des châtimens qu'ils étoient sur le point d'infliger. Tout cela ne regardoit point les particuliers considérés comme tels. S'il s'agissoit d'accepter un augure, ou d'en détourner le présage, de rendre graces aux dieux, ou d'appaiser leur colere, la méthode que l'on suivoit constamment, étoit ou de rétablir quelque ancienne cérémonie, ou d'en instituer de nouvelles ; mais la réformation des moeurs ne faisoit jamais partie de la propitiation de l'état. La singularité & l'évidence de ce fait ont frappé si fortement M. Bayle, que s'imaginant que cette partie publique de la religion des payens en faisoit le tout, il en a conclu avec un peu trop de précipitation, que la religion payenne n'instruisoit point à la vertu, mais seulement au culte externe des dieux ; & de-là il a tiré un argument pour soutenir son paradoxe favori en faveur de l'athéisme. La vaste & profonde connoissance qu'il avoit de l'antiquité ne l'a point, en cette occasion, garanti de l'erreur ; & l'on doit avouer qu'il y a été en partie entraîné par plusieurs passages des peres de l'Eglise dans leurs déclamations contre les vices du paganisme. Quoiqu'il soit évident que cette partie publique de la religion payenne n'eût aucun rapport à la pratique de la vertu, & à la pureté des moeurs ; on ne sauroit prétendre la même chose de l'autre partie de la religion, dont chaque individu étoit le sujet. Le dogme des peines & des récompenses d'une autre vie en étoit le fondement ; dogme inséparable du mérite des oeuvres qui consiste dans le vice & la vertu. Je ne nierai cependant pas que la nature de la partie publique de la religion n'ait souvent donné lieu à des erreurs dans la pratique de la religion privée, concernant l'efficacité des actes extérieurs en des cas particuliers. Mais les mysteres sacrés auxquels bien des personnes se faisoient initier, corrigeoient les maux que le polythéisme n'avoit pas la force de réprimer.
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POLYTIMETOS | (Géog. anc.) fleuve que Quinte-Curce, Arrien & Strabon mettent dans la Sogdiane. Niger appelle ce fleuve Amo. (D.J.)
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POLYTRIC | S. m. trichomanes, (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont les feuilles sont composées de petites feuilles qui sont le plus souvent arrondies, & qui naissent de chaque côté de la côte comme par paire. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Le polytric est une plante chevelue du genre des mousses ; c'est l'espece d'adiantum ou de capillaire, qu'on nomme autrement capillaire rouge, trichomanes sive polytrichum, I. R. H. 539.
Sa racine est chevelue, fibreuse & noirâtre ; ses tiges sont longues d'une demi-palme ou d'une palme, d'un rouge foncé, luisantes, cylindriques, un peu roides, cassantes. Ses feuilles naissent de part & d'autre par conjugaisons ou alternativement ; elles sont arrondies, obtuses, vertes, lisses, chargées en-dessous de petites éminences écailleuses, formées de plusieurs capsules membraneuses, presque sphériques, garnies d'un anneau élastique, de même que dans les fruits du capillaire ; les capsules, par la contraction de cet anneau, s'ouvrent & jettent des graines brunes en forme de poussiere très-fine. Cette plante vient à l'ombre, dans des endroits élevés, sur de vieux murs, & dans les fentes humides des rochers. (D.J.)
POLYTRIC, (Mat. méd.) Le polytric est une des plantes appellées capillaires (voyez CAPILLAIRE) : on l'ordonne rarement seul, & presque toujours avec parties égales des autres capillaires. Mais toutes ces plantes étant censées avoir la même vertu, on peut employer chacune d'elles, & par conséquent le polytric séparément ; ou au lieu de cet assemblage ordinaire : dans ce cas on l'ordonneroit en infusion, ou on le feroit bouillir légérement à la dose d'une petite poignée sur une livre d'eau. Une pareille liqueur est fort usitée, comme tisane ou boisson ordinaire dans tous les cas où l'on a principalement en vûe la boisson aqueuse, & où les diverses substances dont on charge l'eau commune pour la convertir en tisane, sont ou doivent être comptées à-peu-près pour rien. Nous n'exceptons pas même de ces cas les rhumes ou la toux, contre laquelle la tisane de capillaire est employée comme une sorte de spécifique. Au reste ceci est fort éloigné de l'opinion commune qui regne dans les livres sur l'efficacité des capillaires. Un médecin de Montpellier les recommande comme un remede universel : des auteurs dont le ton est beaucoup plus circonspect, les louent cependant encore comme admirables contre la toux, l'asthme, la péripneumonie, la pleurésie, les obstructions du mésentere, du foie, des reins, & sur-tout contre celles de la rate, comme provoquant les regles, &c. Voyez CAPILLAIRE. (b)
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POMACIES | S. f. pl. (Hist. nat.) c'est une espece d'escargot assez curieuse, qui vient des montagnes de Gènes, & dont la coquille est blanche & dure. (D.J.)
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POMATIA | (Conchyol.) Le limaçon nommé pomatia par les Naturalistes, est celui des vignes ou des jardins : c'est le plus commun de tous. Il a la bouche ronde ; sa couleur tire sur le jaune, avec deux ou trois bandes plus grises ; & sa robe est toute striée avec cinq tours assez serrés ; il n'y en a point dont la plaque soit plus étendue ; son col est terminé par sa tête, qui a quatre cornes, dont deux plus longues & deux petites au-dessus. Les yeux sont marqués par deux points noirs, aux extrêmités des plus grandes cornes ; l'opercule est à un des bouts de la plaque. (D.J.)
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POMEGUE | (Géog. mod.) île de France, sur la côte de Provence, près de l'île d'If. C'est une des trois petites îles communément appellées îles de Marseille, parce qu'elles en défendent le port, n'étant qu'à une lieue de son entrée. Elle n'a qu'un mille & demi de longueur, & un demi-mille de largeur. Cette île forme une partie du canal qui est entre les trois îles de Marseille ; il n'y a qu'une tour où l'on envoie un détachement de la garnison d'If. Elle est stérile, comme les autres îles voisines. (D.J.)
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POMER | (Jardinage) pomé se dit des laitues, des choux qui forment une couronne ou tête ronde en forme de pommes. On dit encore des pommes d'artichaux.
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POMÉRANIE | (Géog. anc.) province d'Allemagne, avec le titre de duché, dans le cercle de la haute Saxe, bornée au nord par la mer Baltique, au midi par la marche de Brandebourg, au levant par la Prusse & la Pologne, & au couchant par le duché de Meckelbourg. Son nom lui vient du voisinage de la mer. C'est l'ancien pays des Vénedes & des Sueves. Les Slaves s'y établirent, & y fonderent un royaume qui finit au xij. siecle. La plus grande partie est au roi de Prusse, le reste est à la Suede. La riviere de Péenne en fait la séparation. On divise la Poméranie en citérieure & ultérieure, que l'on nommoit autrefois Poméranie orientale & Poméranie occidentale. L'Oder coule entre deux.
La Poméranie citérieure s'étend le long de l'Oder, depuis la marche de Brandebourg jusqu'à la mer Baltique, & depuis les frontieres de Meckelbourg jusqu'à l'Oder. On y trouve Stettin, Gustrow, l'île de Rugen, &c.
La Poméranie ultérieure est entre la mer Baltique, la Prusse, & la marche de Brandebourg. Ses villes sont Stargard, Colberg, Rugenwalde, &c. (D.J.)
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POMÉRELLIE | (Géog. anc.) contrée de Pologne bornée au nord par la mer Baltique, au midi par la Pologne, au levant par la Prusse, & au couchant par la Poméranie ultérieure. Dantzick est la capitale. Les habitans de cette contrée se donnerent à Primislas Il. roi de Pologne. (D.J.)
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POMETIA | ou SUESSA-POMETIA, (Géog. anc.) ville d'Italie, & la capitale des Volsques, selon Strabon, l. V. Denis d'Halicarnasse, l. VI. p. 364. lui donne le même titre. Cet auteur, de même que Tite-Live, l. I. c. liij. & l. II. c. xxv. se sert du nom de Suessa-Pometia. Pometia est un surnom qui fut donné à cette ville pour la distinguer d'une autre Suessa qui étoit chez les Arunci ; mais comme la capitale des Volsques étoit plus considérable que celle-ci, on la nomme quelquefois simplement Suessa, & quelquefois on ne la désigne que par son surnom. Strabon, par exemple, dit que Tarquin le superbe prit Suessa, entendant par ce mot Suessa-Pometia ; & Tite-Live, l. II. c. xvj. qui dans les deux endroits déja cités écrit Suessa-Pometia, dit simplement Pometia dans deux autres endroits.
De Pometia on fit Pometinus. Tite-Live, l. I. c. lv. en parlant des dépouilles faites sur les habitans de Pometia, les appelle Pometinae manubiae ; & par contraction, il dit, l. IV. c. xxv. Pomptinus ager, en parlant du territoire de cette ville. Strabon écrit , Pomentinus campus, parce que la plûpart des Grecs écrivoient Pomentia pour Pometia, que quelques-uns ont écrit Pomtia & Pontia par contraction. Ce nom se conserve encore aujourd'hui dans les marais Pontines. (D.J.)
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POMMADE | S. f. (Pharmac.) composition faite avec des pommes & des graisses, pour adoucir, embellir la peau, pour en guérir quelques légeres maladies, comme des élevures, des boutons, des gersures. On fait des pommades de jasmin, d'orange, de jonquille, de tubéreuse, c'est-à-dire on leur donne l'odeur de ces fleurs-là avec leur huile essentielle. La pommade commune se fait avec de la graisse de chevreau, des pommes de court-pendu, un citron tranché par rouelles : on y ajoute un verre d'eau de mélisse ou de fleur d'orange, & demi-verre de vin blanc bouillis, coulés & ensuite arrosés d'huile d'amande douce ; mais les Parfumeurs ont leurs petits secrets pour la composition des pommades dont les dames font le plus d'usage. Ce ne sont pas sans doute celles dont parle Rochefort dans ses mémoires. Il raconte que se promenant un jour dans les appartemens des filles de la reine, il apperçut sur une toilette une petite boîte de pommade d'une autre couleur que celle de l'ordinaire ; & qu'en ayant mis imprudemment sur ses levres, où il avoit un peu mal, il y sentit un mal enragé, que sa bouche se retrécit, & que ses gencives se riderent. (D.J.)
POMMADE BLANCHE des boutiques, (Pharmac.) Selon la description de la pharmacopée de Paris, prenez racine d'iris de Florence, une once ; acorus vrai & benjoin, de chacun demi-once ; bois de roses & cloux de girofle, de chacun deux gros : pilez ces drogues grossierement, serrez-les dans un nouet, & faites-les cuire à feu doux avec deux livres & demie de sain-doux, douze pommes de reinette coupées par morceaux, quatre onces d'eau-rose, & deux onces d'eau de fleurs d'orange ; après une cuite très-légere, passez sans expression, séparez de l'eau la pommade refroidie qui nagera dessus, & gardez-la pour l'usage.
Cette pommade n'est proprement que du sain-doux fondu, lavé & aromatisé : elle a dans l'usage extérieur les propriétés des graisses, & de plus l'agrément du parfum. Voyez GRAISSE, Mat. méd. (b)
POMMADE ROUGE des boutiques, (Pharm.) Selon la pharmacopée de Paris, prenez cire blanche coupée à morceaux, & moëlle de boeuf, de chacune une once ; pommade blanche, trois onces : faites fondre ces matieres dans un vaisseau de fayance à un feu leger ; ajoutez alors un gros de racine d'orcanette écrasée ; remuez de tems en tems avec une spatule de bois, jusqu'à ce que la pommade ait acquis une belle couleur rouge : alors passez à-travers un linge, & gardez pour l'usage.
Cette pommade a la même vertu que la pommade blanche ; elle a un peu plus de consistance : mais il ne paroît pas que cette qualité change quelque chose à ses vertus. On l'employe principalement pour les gersures des levres, & pour les boutons & les petites croûtes qui viennent autour de la bouche. (b)
POMMADE, terme de voltigeur, c'est un saut que fait le voltigeur en tournant sur le cheval de bois, & en appuyant seulement la main sur le pommeau de la selle.
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POMME | S. f. (Jardin.) fruit à pepin très-connu, que produit le pommier. Les pommes sont rondes ou oblongues, & elles sont attachées à l'arbre par une queue qui est très-courte ; elles varient pour la grosseur, la couleur & le goût, selon les différentes especes de pommier. On les distingue en pommes d'été & pommes d'hiver ; ces dernieres durent si long-tems, qu'il y en a de plusieurs sortes qui peuvent se conserver pendant deux ans. On divise aussi ces fruits par leurs bonnes, médiocres ou mauvaises qualités, & ces dernieres font le plus grand nombre. On en compte environ douze sortes des meilleures, & peut-être quinze des médiocres. On fait aussi une différence des pommes qui sont bonnes à cuire & à faire des compotes ; à cet égard la reinette l'emporte sur toutes les autres. Il y a aussi des especes de pommes cultivées qui sont douçâtres jusqu'à être fades, & d'autres qui sont âpres, aigres & austeres, que l'on nomme pommes sûres, & que l'on cultive aussi malgré leur goût détestable ; mais ces mauvais fruits servent à faire le cidre. On peut faire avec les pommes sauvages d'assez bon vinaigre qui se garde long-tems. Enfin les pommes de bonne qualité sont fort saines lorsqu'elles sont cuites, & on fait un syrop de ces fruits qui est de quelqu'usage en Médecine. Voyez le mot POMMIER.
POMME, (Diete, Pharmac. & Mat. méd.) fruit du pommier, & l'un des plus communs de tous ceux dont nous usons à titre d'aliment.
Les pommes & principalement les pommes crues, sont un des fruits dont les auteurs de Médecine ont dit le plus de mal. Hippocrate, Galien, les plus célebres d'entre les Arabes, les auteurs de l'école de Salerne, les anciens commentateurs de cet ouvrage, & plusieurs auteurs de Médecine plus modernes en ont représenté l'usage comme peu salutaire, & même dangereux, comme capable d'engendrer des vents & de la bile noire ; de produire la fievre, la dyssenterie, des vertiges, des palpitations, la pierre des reins, de faire perdre la mémoire, d'affoiblir la vue, &c. L'expérience réitérée, journaliere, constante, prouve que ce sont-là des imputations vagues, gratuites, fausses. Les pommes même crues, mangées modérément lorsqu'elles sont bien mûres & saines, sont un aliment indifférent dans la plûpart des cas pour tous les sujets sains, & un aliment très-salutaire pour toutes les personnes qui se trouvent, soit habituellement, soit par accident échauffées, pressées d'une soif opiniâtre, tourmentées de rapports nidoreux, semi-putrides, qui sont sujettes aux coliques bilieuses, aux digestions fongueuses, &c. C'est une très-bonne ressource contre le mauvais état de l'estomac qui suit l'ivresse & la gloutonnerie, hesternam crapulam, que de manger quelques pommes crues. Les ivrognes prétendent de plus que ce secours les préserve de l'ivresse, & même qu'il la dissipe.
Les meilleures pommes sont celles qui sont douces, aigrelettes, & bien parfumées ; telles que la pomme de reinette, & le calville blanc. La chair de la pomme d'api est peut-être un peu trop dure, & souvent indigeste par cette qualité.
Les pommes crues doivent être cependant interdites aux estomacs foibles, & qui refusent les crudités ; car il est vrai que la pomme doit être regardée, par la fermeté de sa chair, comme étant, pour ainsi dire, éminemment crue, aegrè domabilis. L'expérience confirme cette observation. L'excès des pommes donne de véritables indigestions. Voyez INDIGESTION. On les rend presqu'entieres, & avec des tranchées très-vives ; au lieu que les figues, le raisin, la pêche, &c. mangés avec le même excès, ne donnent que le devoiement simple, ou, ce qui est la même chose, ne font que purger. On peut observer facilement cette différence chez les enfans qui sont fort sujets à ces sortes d'incommodités par l'usage immodéré des divers fruits.
Les pommes cuites, soit à la maniere la plus vulgaire, en les exposant devant le feu, ou bien en les mettant au four, soit avec le sucre, sous forme de compote ou de marmelade, soit enfin leur décoction épaissie avec du sucre en consistance de gelée ; toutes ces préparations, dis-je, & sur-tout les plus simples, les pommes cuites devant le feu ou au four, fournissent un aliment léger, & aussi salutaire qu'agréable, pour les personnes en santé, pour les convalescens, & tous ceux qui ont besoin d'une nourriture bienfaisante, légere, & qui en même tems lâche doucement le ventre. Outre cette derniere propriété légerement médicamenteuse, qui est fort évidente, on les regarde encore comme douées d'une vertu pectorale, ou bechique adoucissante, qui n'est pas à beaucoup près aussi manifeste. Cependant les pommes cuites sont d'un fort bon usage dans les rhumes, à quelque titre que ce soit, aussi-bien que la tisane qu'on prépare avec leur suc ou leur décoction, & à laquelle on ajoute communément le chiendent & les fruits doux, comme jujubes, dates, raisins secs, &c. On fait entrer souvent aussi la pomme dans les tisanes ordinaires & domestiques que l'on fait boire aux malades dans les maladies aiguës ; & c'est un de ces ingrédiens indifférens qui conviennent très-bien par cela même à ce genre de boisson. Voyez TISANE.
La pomme ne se cuit point par la friture dans les beignets, on doit donc en estimer les qualités dans cette préparation sur le pié des pommes crues.
Les pommes cuites réduites en pulpe, ou sous forme de cataplasme, sont encore un bon remede extérieur, capable de ramollir & de calmer la douleur, lorsqu'on l'applique sur les tumeurs inflammatoires, résistantes & douloureuses. Cette application est surtout très-bonne dans l'ophtalmie recente, & accompagnée de beaucoup de douleur, & sur-tout lorsque cette maladie est principalement palpébrale. On employe aussi à ce dernier usage la pomme pourrie ; mais il paroît que la pulpe cuite d'une pomme saine & bien mûre vaut mieux.
On prépare avec le suc de pommes un syrop simple, qui doit être rangé avec ceux qui sont purement agréables. On ne lui connoît point d'autre qualité bien réelle.
La pomme donne aussi son nom à plusieurs syrops médicamenteux composés, entre lesquels celui qui est appellé syrop de pommes du roi Sapor, est le plus célebre. En voici la préparation, selon la pharmacopée de Paris, qui est réformée, c'est-à-dire, différente à plusieurs égards de celle des vieux dispensaires.
Syrop de pommes composé, ou du roi Sapor. Prenez séné mondé, demi livre ; semences de fenouil, une once ; clous de girofle, un gros : faites infuser pendant un jour, dans quatre livres de suc de pommes de reinette, trois livres de suc de bourache, & autant de suc de buglose ; faites bouillir légerement ; après l'infusion prescrite, passez & exprimez ; faites bouillir de nouveau le marc dans s. q. d'eau, passez encore avec expression ; mêlez les deux colatures ; &, avec quatre livres de sucre, clarifiez & cuisez en consistance de syrop.
On peut, ce me semble, faire sur la préparation de ce syrop, d'après les bonnes regles de l'art, les observations suivantes. 1°. Ces regles déclarent vaine & puérile la longue infusion du séné demandée, au lieu de sa décoction longue ou courte, puisque c'est sans doute une vue très-illusoire que de ménager des principes volatils, en les faisant passer par le moyen de l'infusion, dans une liqueur que l'on expose ensuite à une très-longue décoction, telle qu'elle est nécessaire pour réduire environ douze livres de liqueur en consistance de syrop avec quatre livres de sucre ; car pour obtenir cette consistance, il faut dissiper par une forte ébullition neuf à dix livres de liqueur.
Secondement, la nouvelle décoction du marc de la premiere expression paroîtra au-moins une manoeuvre fort singuliere à ceux qui remarqueront que c'est un second extrait du séné, de girofle & de semences de fenouil que l'on obtient par cette seconde décoction, & qui sauront qu'il est bien connu en Chimie, que ces seconds extraits sont en général plus austeres, plus terreux, moins salins, moins médicamenteux que ceux qu'on obtient par une premiere décoction ; que celui du séné en particulier est à-peu-près sans vertu médicamenteuse, & qu'il est plutôt âcre, tormineux, que purgatif ; que l'usage constant de ne faire bouillir le séné que très-légerement, ou même de n'en faire que l'infusion, paroît fondé sur des observations constantes, &c. & enfin que cette nouvelle décoction, ne fît-elle que multiplier inutilement le volume d'eau à dissiper par la suite, seroit un péché pharmaceutique grave.
On pourroit encore se recrier sur les longues décoctions des aromates employés à titre de correctifs, d'après les idées des anciens. Voyez CORRECTIF ; & observer que Lémeri a mieux fait de substituer à cette inutile décoction du girofle & des semences de fenouil, l'infusion du safran dans le syrop tout fait & encore chaud. Un nouet de girofle pilé introduit dans le même tems de la préparation, l'aromatiseroit aussi très-bien.
Le syrop de pomme composé est un léger purgatif, qui contient par once l'extrait d'un peu moins d'un gros de séné. On l'ordonne assez souvent dans les potions purgatives.
La pharmacopée de Paris fait son syrop de pommes helléborisé en décuisant le précedent avec une infusion d'hellébore noir, & cuisant de nouveau la liqueur en consistance de syrop, qu'elle aromatise avec le safran.
Ce syrop, qui est peu d'usage, est recommandé pour purger les mélancholiques & les foux ; contre les obstructions de la rate, du pancréas, du mesentere, & pour exciter les regles. La dose en est depuis demi-once jusqu'à une once.
On fait entrer les pommes dans la composition de plusieurs onguens, auxquels elles ont donné le nom de pommade. Ce nom est devenu ensuite générique, & synonyme de celui d'onguent, soit qu'il entrât des pommes dans leur composition, ou qu'il n'y en entrât point. Pommade est le nom honnête des onguens ; & ce dernier est devenu, pour ainsi dire, obscene, ou, si l'on veut, burlesque même dans la bouche des gens de l'art.
La pulpe de pomme entre dans la pommade blanche & dans la pommade rouge des boutiques ; entre, c'est-à-dire, est demandée dans les dispensaires. Le syrop de pomme composé entre dans les pilules aloétiques émollientes, & dans l'opiate mesentérique. (b)
POMME D'ADAM, (Botan.) pomum Adami, nom donné par quelques botanistes au limon fructu aurantii de Ferrarius, Hesper. 313. Voyez ORANGE & LIMON, ou CITRON.
POMMES D'AMOUR, (Jardinage) lycopersicon, est une des plantes des plus hautes que nous ayons dans les jardins, & on la soutient avec des baguettes. Sa tige se partage en plusieurs rameaux garnis tout du long de feuilles découpées, dentelées, & de couleur d'un verd pâle. Des fleurs jaunes naissent entre les feuilles par bouquets le long de ces rameaux, & en forme de rosette. Ses fruits forment de petites pommes rondes, de couleur d'un jaune rougeâtre, renfermant la graine.
Cette fleur robuste est d'une culture fort aisée, se seme en pleine terre, & veut être souvent arrosée.
POMME D'AMOUR, voyez plus bas POMME DOREE.
POMME DE CANNELLE, (Botan.) cachiment espagnol, fruit d'Amérique très-commun aux îles Antilles ; il est plus gros que le poing, presque rond, & couvert de tubercules qui lui donnent extérieurement quelque ressemblance avec la pomme de pin ; sa peau est moyennement épaisse, flexible & d'une couleur verte tirant sur le jaune lorsque le fruit est mûr ; l'intérieur renferme une substance blanche, presqu'en bouillie, dont le goût approche de celui d'une crême cuite très-sucrée, & parfumée d'une petite odeur d'ambre & de cannelle fort agréable. Cette pomme contient plusieurs semences longuettes, assez dures, & ressemblantes à des petits haricots bruns ; guanabanus fructu aureo, & molliter aculeato. Voyez les différentes especes de cachiment dans l'ouvrage du P. Plumier, minime.
POMME DOREE, ou pomme d'amour, (Botan.) ce sont deux noms vulgaires de la plante, qui a été mise par la plûpart des botanistes entre les especes de solanum ; mais Tournefort en a fait un genre différent, sous le nom de lycopersicon, parce que son fruit est partagé en plusieurs loges, & que celui du solanum ne l'est pas. Voyez LYCOPERSICON. (D.J.)
POMME EPINEUSE, stramonium, genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir, & profondement découpée. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit le plus souvent arrondi, & souvent garni de piquans, qui est divisé en quatre loges par une cloison en forme de croix ; ces loges ont chacune un placenta, & plusieurs semences qui y sont attachées : ses semences ont ordinairement la forme d'un rein. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
POMME EPINEUSE, (Botan.) voyez STRAMONIUM.
POMME EPINEUSE, (Médec.) noix metel, herbe aux sorciers, herbe du diable, &c. toute cette plante est absolument venéneuse dans l'usage intérieur, & de l'ordre des poisons stupéfians, enivrans, causant des vertiges, le délire, &c. Voyez POISON. Quant à son usage extérieur, on se sert assez fréquemment des feuilles de cette plante réduite sous forme de cataplasme, ou bien sous celle d'onguent, étant convenablement pilée avec du sain-doux, contre la brûlure, les hémorrhoïdes & les tumeurs inflammatoires très-douloureuses. On employe presque indifféremment dans ces cas les feuilles de pomme épineuse, ou celles des morelles. Voyez les articles MORELLE. (b)
POMME DE MERVEILLE, momordica, genre de plante dont les fleurs sont monopétales, en forme de cloche ouverte, & découpées ordinairement de façon qu'elles paroissent être composées de cinq pétales. Il y a de ces fleurs qui sont stériles, & qui n'ont point d'embryon ; les autres sont placées sur un embryon qui devient dans la suite un fruit dont la forme approche plus ou moins de celle d'une poire ; il est creux, charnu ; il s'ouvre par une force élastique, & jette au dehors ses semences qui sont couvertes d'une coëffe ou d'une enveloppe applatie & ordinairement crénelée. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
POMME DE MERVEILLE, (Botaniq.) voyez MOMORDICA.
POMME DE MERVEILLE, (Mat. méd.) balsamine mâle ou rampante. C'est de la haute opinion que les Pharmacolistes ont eue de la vertu vulnéraire balsamique de cette plante, que lui est venu le nom de balsamine, c'est-à-dire balsamique par excellence. Ce n'est cependant que son fruit dont on fait usage ; on ne l'employe que sous une seule forme, & pour l'extérieur seulement : ce remede extérieur unique est une huile par infusion & par décoction préparée avec le fruit mûr & mondé de ses semences. Cette huile est fort vantée dans les livres, dans la piqûure des tendons, où il est clair qu'elle ne vaut rien ; & pour les hémorrhoïdes, les gersures des mamelles, les engelures, la brûlure, la chûte du fondement, &c. & encore donnée en lavement dans l'accouchement difficile, les coliques intestinales, violentes, &c. tous usages dans lesquels on peut mettre raisonnablement les succès, s'ils sont réels, sur le compte de l'huile comme telle. (b)
POMME DE TERRE, (Botan.) racine tubéreuse, oblongue, inégale, quelquefois grosse comme le poing, couverte d'une écorce brune ou rouge, ou noirâtre, blanche en-dedans & bonne à manger ; C'est la racine de l'espece de solanum, nommée solanum tuberosum esculentum. C. B. P. 167. I. R. H. 149. Ray, Hist. 675.
Cette plante pousse une tige à la hauteur de deux ou trois piés, & même plus dans les pays chauds, grosse comme le pouce, velue, tachetée de petits points rougeâtres, creuse, cannelée, rameuse, pleine de suc. Ses feuilles sont rangées par paires le long d'une côte, velues, sans queues, entre-mêlées çà & là d'autres petites feuilles arrondies. Ses fleurs sont des rosettes découpées en cinq pointes, soutenues par un calice verdâtre, blanches, avec cinq étamines à fleurs jaunes dans leur milieu ; quand ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits ronds, d'un rouge brun dans leur maturité, & pleins de suc. Ils contiennent plusieurs semences menues & arrondies, semblables à celles de la morelle ordinaire.
Cette plante, dont la tige périt tous les ans, a été d'abord apportée de Virginie en Angleterre, d'où elle a passé dans les autres contrées de l'Europe. Elle se multiplie considérablement ; & c'est la seule espece de solanum dont l'usage intérieur soit sans mauvais effet.
Plusieurs Indiens, au rapport d'Acosta, vivent de la racine de cette plante qu'ils font cuire, & qu'ils assaisonnent à leur maniere ; lorsqu'ils la veulent conserver du tems, ils la coupent par tranches & la font sécher au soleil. Les Européens la cuisent sous la cendre, en ôtent ensuite la peau & l'assaisonnent ; son goût naturel approche de celui du panais. (D.J.)
POMME DE TERRE, TOPINAMBOUR, BATATE, TRUFFE BLANCHE, TRUFFE ROUGE, (Diete) cette plante qui nous a été apportée de la Virginie est cultivée en beaucoup de contrées de l'Europe ; & notamment dans plusieurs provinces du royaume, comme en Lorraine, en Alsace, dans le Lyonnois, le Vivarais, le Dauphiné, &c. Le peuple de ces pays, & sur-tout les paysans, font leur nourriture la plus ordinaire de la racine de cette plante pendant une bonne partie de l'année. Ils la font cuire à l'eau, au four, sous la cendre, & ils en préparent plusieurs ragoûts grossiers ou champêtres. Les personnes un peu aisées l'accommodent avec du beurre, la mangent avec de la viande, en font des especes de beignets, &c. Cette racine, de quelque maniere qu'on l'apprête, est fade & farineuse. Elle ne sauroit être comptée parmi les alimens agréables ; mais elle fournit un aliment abondant & assez salutaire aux hommes, qui ne demandent qu'à se sustenter. On reproche avec raison à la pomme de terre d'être venteuse ; mais qu'est-ce que des vents pour les organes vigoureux des paysans & des manoeuvres ? (b)
POMME D'ADAM, en terme d'Anatomie, c'est une protubérance dans la partie antérieure de la gorge. Voyez GORGE.
Quelques-uns croient, par une imagination fort étrange, qu'elle a été ainsi appellée d'un morceau du fruit défendu que mangea Adam, & qui s'arrêtant en cet endroit, occasionna cette protubérance.
Mais ce n'est réellement que la partie convexe du premier cartilage du larynx, appellé scutiforme. Voyez LARYNX & SCUTIFORME.
POMMES-DE-PIN, (Littérat.) elles étoient employées non-seulement dans les mysteres de Cybele, mais encore dans ceux de Bacchus, dans ses sacrifices, dans les orgies, & dans les pompes ou processions. On offroit même des sacrifices de pommes-de-pin, & on en voyoit souvent sur les autels de Cybele, de Bacchus & d'Esculape. (D.J.)
POMME-DE-PIN, terme d'Architecture, est un ornement de sculpture, qui se met dans les angles du plafond de la corniche ionique de Vignole avec des denticules, ou sur les vases d'amortissemens, &c.
POMME D'AMBRE, (Parfum.) on fait les pommes d'ambre avec des poudres odoriférantes, auxquelles on joint des huiles essentielles qu'on reçoit dans de la cire, du storax liquide, ou du mucilage de gomme adragant, avec un peu de térébenthine pour les rendre ténaces au besoin ; ensuite, en les humectant de quelque liqueur convenable, on leur donne telle figure & telle grandeur qu'on juge à propos. On y mêle aussi quelquefois de l'ambre, dont elles ont pris leur nom. Cette espece de parfum n'est plus d'usage. (D.J.)
POMMES, (Marine) ce sont certains ornemens faits comme de grosses boules de bois qu'on met sur mer aux flammes, aux girouettes & aux pavillons.
Pommes de flammes. Ce sont des manieres de pommes de bois que l'on tourne en rond ou en cul-de-lampe, & qui se mettent à chaque bout de bâton de la flamme.
Pommes de girouettes. Les pommes de girouettes sont en cul-de-lampe : on les met au haut des fers des girouettes, pour les empêcher de sortir de leur place. L'an 1666, l'électeur de Brandebourg, le prince d'Orange, & plusieurs autres princes & grands seigneurs étant allés visiter l'armée navale de Hollande, il y eut un matelot qui, pour les divertir, monta à la girouette du grand mât, & se mit sur la pomme la tête en-bas & les deux piés en l'air.
Pomme de pavillon. Les pommes de pavillon se mettent sur le haut du bâton de pavillon & d'enseigne, & sont tournées rondes & plates. Les pommes de pavillon du grand mât & celle d'enseigne, ou du pavillon de l'arriere, doivent avoir de diamêtre un pouce par chaque deux piés de la largeur du bâtiment.
Pommes de raque, voyez RAQUE.
POMME, (Critique sacrée) ce mot, dans l'Ecriture, s'étend à toutes sortes de fruits d'arbres bons à manger. Elles mangerent tout ce qui se trouva de fruits sur les arbres, quidquid pomorum in arboribus fuit, Exod. x. 15. Moïse, dans la bénédiction qu'il donne à la tribu de Joseph, lui souhaite poma coeli, solis, lunae ac collium aeternorum, Deuter. xxxiij. 14. c'est-à-dire les fruits qui croissent par les influences du ciel, par la chaleur du soleil & l'humidité de la lune, & qui viennent sur les montagnes & les collines : façon de parler orientale, qui désigne toutes sortes de prospérités. Le psalmiste se plaint de ce que les ennemis ont réduit Jérusalem, in pomorum custodiam, Ps. lxxviij. 1. c'est-à-dire, en un désert, en une cabane de sentinelle qui garde les fruits. Des vaisseaux chargés de toutes sortes de fruits sont nommés naves poma portantes, Ps. xxxj. 26. (D.J.)
POMME, s. m. (Boisson) cette boisson se fait avec le jus ou suc qu'on exprime des pommes, en les écrasant sous un pressoir ; on le nomme plus ordinairement cidre. Voyez CIDRE.
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POMMEAU | S. m. terme général d'ouvriers, ce mot se dit, par exemple, en parlant de selle de cheval, d'épée, de fleuret, &c. C'est pour l'épée ce qui est en forme de petite pomme au bout de la poignée de l'épée ; pour la selle, c'est ce qui est en maniere de pomme au haut, & sur le milieu du devant de la selle du cheval. (D.J.)
POMMEAU, en terme de Manege, est une piece de cuivre qui est au haut & au milieu de l'arçon de la selle où l'on attache les pistolets, le chapelet ou quelques hardes qu'on porte. Voyez SELLE.
Pommeau, est aussi un gros bouton de fer ou d'argent, que l'on met au bout de la poignée ou de la garde d'une épée pour y servir en quelque façon de contrepoids.
Balzac observe qu'on trouve encore des privileges accordés par Charlemagne, & scellés du pommeau de son épée, lequel lui servoit de sceau & de cachet ; & il promet de les garantir avec cette même épée. Voyez SCEAU, SIGNATURE.
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POMMELÉ | (Maréchal) voyez GRIS.
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POMMELLE | S. f. (Bonneterie) instrument dont se servent quelquefois les fouleurs & apprêteurs de bas, pour tirer la laine des ouvrages de bonneterie en les foulant & apprêtant.
L'article 32. des statuts des Bonnetiers de Paris du mois de Juin 1618, & l'article 18. du reglement des bas au métier du 30 Mars 1700, défendent aux fouleurs & apprêteurs de bas, bonnets, camisoles, & autres ouvrages de bonneterie de laine, de se servir de pommelles & cardes de fer, pour apprêter & appareiller ces sortes de marchandises. Savary.
POMMELLE, s. f. terme de Carrier, ce sont les deux petits coins ou morceaux de chêne qu'on met des deux côtés des coins de fer pour faire partir la pierre, c'est-à-dire l'entr'ouvrir & la séparer du banc dont elle fait partie. Ces pommelles sont si nécessaires à cet usage, que si le coin n'en étoit point appuyé quelque gros qu'il fût, & avec quelque force qu'on le poussât, il ne feroit jamais partir la pierre.
POMMELLE, s. f. (Corroierie) instrument dont on se sert pour l'apprêt des cuirs corroyés. Il y en a de trois sortes, deux de bois & l'autre de liege montée sur du bois.
La grande pommelle de bois est un instrument plat, épais d'environ un pouce & demi ou deux pouces, long de douze & large de six ; le dessous est coupé en-travers par des especes de dents qui tiennent toute sa largeur ; & dessus, il y a une manicle de cuir par où le corroyeur passe la main pour la faire aller & venir sur le cuir. Cette pommelle sert à le manier & à le rendre plus mol, c'est-à-dire plus maniable & plus doux.
La pommelle moyenne, qui est aussi de bois, sert à étirer le cuir pour lui couper le grain ; la pommelle de liege, qui est toute semblable à l'autre, à la réserve qu'à la place des dents elle a un morceau de liege fortement attaché sur le bois ; est la troisieme pommelle dont les Corroyeurs font usage, elle s'employe à étirer & manier le cuir après qu'il a été rebroussé. (D.J.)
POMMELLE, s. f. terme de Plombier, table de plomb battu en rond, & pleine de petits trous ; on met la pommelle à l'embouchure d'un tuyau, pour empêcher les ordures de passer. (D.J.)
POMMELLE, (Serrurerie) espece de penture qu'on met aux portes légeres ; il y en a de coudées, à pivot, en S double, &c.
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POMMERAIE | S. f. (Jardinage) lieu planté de pommiers. Voyez POMMIER.
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POMMET | ou POMMÉS, adj. en terme de Blason, se dit des boutons ronds dont on orne les extrêmités de plusieurs pieces de l'écu ; une croix pommetée. Voyez CROIX.
Ray au comté de Bourgogne, de gueules au Ray d'escarboucle, pommeté & fleureté d'or.
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POMMETTE | S. f. (Botan.) nom qu'on donne en Languedoc & en Provence à l'azerolier. Voyez AZEROLIER.
POMMETTE, os de la, en Anatomie, épithete des os situés sous cette partie du visage, qui ordinairement est assez rouge & ressemble à une pomme.
On les appelle aussi os zigomatiques, & os malum ou malaire. Voyez nos Planches.
Cet os est articulé avec l'os des tempes, avec le coronal, le sphénoïde & l'os maxillaire. Voyez SPHENOÏDE, CORONAL, &c.
POMMETTE, (Médec.) en grec , en latin malum, maladie de l'oeil, qui est une espece de staphylome, dans lequel, par un ulcere de la cornée, l'uvée est sortie en si grande quantité, qu'elle forme une tumeur un peu plus grande & un peu plus grosse que celle du staphylome, & représentant en quelque façon une petite pomme. Cette maladie est incurable, détruit entierement la vûe, &, pour comble de malheur, fait une triste difformité. (D.J.)
POMMETTE, terme d'Arquebusier, ce sont des plaques creuses & rondes qui ont des oreilles assez longues, de fer, de cuivre ou d'argent, avec lesquelles les Arquebusiers garnissent le haut des crosses, tant des pistolets de poche que d'arçon, & les y attachent avec des vis.
POMMETTE, s. f. terme de Lingeres, elles appellent pommettes de fort petits pelotons de fil placés également sur les poignets des chemises, & de quelques autres ouvrages entre les arriere-points.
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POMMETTER | ou PLYETER, terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de la Rochelle ; cette pêche se pratique entre la pointe ou le grouin de la tour des Baleines jusque vers les portes où il se trouve des fonds de vase & de grève, où les Pêcheurs, hommes & femmes, viennent de basse-eau faire une pêche à pié sans autre instrument qu'un petit digon de fer, & quelquefois même sans instrument. Pour cet effet, de basse marée ils marchent sur le terrein qui n'a que peu ou point d'eau, & par le mouvement qu'ils se donnent, ils amollissent les sables & les vases, & y sentent aisément le poisson qui s'y est enfoncé, qu'ils prennent à la main ; cette pêche est semblable à celle des flets ou autres poissons plats ; elle se fait de basse mer, tant de jour que de nuit, au feu comme celle de la foüane, fougne, ou houche. On nomme cette sorte de pêche, ou plutôt l'action de prendre le poisson de cette maniere, pommetter & plyeter.
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POMMIER | malus, s. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le calice de cette fleur devient dans la suite un fruit charnu, presque rond, & qui a ordinairement à chaque bout un ombilic : ce fruit est divisé en loges, & renferme des semences calleuses & oblongues. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
POMMIER, malus, (Jardinage) grand arbre qui se trouve plus ordinairement dans les climats tempérés de l'Europe que dans les autres parties du monde. Cet arbre s'étend beaucoup plus qu'il ne s'éleve ; sa tige est courte ; sa tête est garnie de quantité de rameaux épineux, qui en prenant une direction horisontale se courbent sous le poids des feuilles & des fruits, & retombent souvent jusqu'à terre. Son écorce se renouvelle & tombe par lambeaux ; ses racines loin de pivoter rampent près de la surface de la terre. Ses feuilles sont oblongues, dentelées, pointues, & posées alternativement sur les branches. Ses fleurs, dont la couleur blanche est mêlée d'une teinte purpurine, paroissent au commencement du mois de Mai, & elles ont une odeur assez agréable ; son fruit est rond ou oblong, ou quelquefois applati ; mais il varie pour la couleur, la grosseur, le goût, & le tems de la maturité, selon la différence des especes.
De tous les arbres fruitiers, le pommier est celui que l'on cultive le plus communément. Il fait le principal fond des vergers. Cependant la pomme est inférieure à la poire pour le goût, le parfum, la variété des especes ; mais la pomme a un avantage plus à la convenance du menu peuple ; elle se garde longtems, & on peut la manger avant sa maturité ; elle n'est que verte alors, au-lieu que la poire avant d'être mûre a une âpreté qui n'est pas supportable ; d'ailleurs l'accroissement du pommier est plus promt, il donne plus ordinairement du fruit ; & comme il fleurit quinze jours plus tard que le poirier, il est moins sujet à être endommagé par les vicissitudes qui flétrissent les plantes au renouvellement des saisons ; enfin les pommes n'ont pas besoin d'autant de chaleur que les poires pour arriver à leur perfection ; on a même observé que les pommiers en espalier contre des murs bien exposés, ne donnoient pas de bons fruits.
On peut multiplier le pommier de semence & par greffe ; il y a même quelques especes qui varient très-aisément de bouture. Le premier moyen n'est propre qu'à procurer des sujets pour la greffe ; car en semant les pepins d'une bonne espece de pomme, non-seulement ils ne produisent pas la même sorte de fruit, mais les pommes qui en viennent sont communément bâtardes & dégénérées. Il est vrai qu'il peut s'en trouver quelques-unes de bonne qualité ; mais c'est un hasard qui est si rare qu'on ne peut y compter : les deux especes de pommiers qui viennent de bouture ne sont propres non plus qu'à servir de sujet ; ainsi ce n'est que par la greffe qu'on peut se procurer surement l'espece de pomme que l'on desire avoir.
Le pommier se greffe en fente ou en écusson sur le sauvageon, sur le franc, sur le doucin, & sur le paradis, & ces quatre sujets sont du genre du pommier. On tire le pommier sauvage des bois, mais on ne l'employe que quand on ne peut faire autrement, parce qu'il conserve toujours une âcreté qui se communique aux fruits que l'on y a greffés ; mais on se sert de trois autres sujets qui ont des qualités différentes. Le pommier franc convient pour avoir de grands arbres ; le doucin ne parvient qu'à une moyenne hauteur ; & le pommier de paradis ne fait que des arbres nains qui ne s'élevent qu'à trois piés.
Pour avoir des sujets de pommier franc, il faut semer les pepins de toutes sortes de pommes bonnes à manger. A l'égard du doucin, que l'on nomme aussi fichet, & du pommier de paradis, on les éleve très-aisément de bouture. Lorsque ces différens sujets sont assez forts, on les greffe en fente ou en écusson. Sur le tems & la façon de faire ces diverses opérations, ainsi que sur la maniere de conduire ces arbres, voyez le mot PEPINIERE.
Le pommier se plait en pays plat, aux expositions plutôt froides que chaudes, dans les terres grasses, noires, & un peu humides. Il se soutient assez bien dans les terres fortes où il y a de la fraîcheur : mais il se refuse absolument à la craie vive & à l'argille pure.
Les greffes faites sur ces différens sujets donnent divers résultats. Quand on greffe sur le poirier sauvage il fait un grand arbre, des plus forts & des plus durables. Sur le poirier franc il en vient aussi un grand arbre, dont l'accroissement est même plus promt, mais il n'est pas de si longue durée. Sur le doucin on y gagne encore plus la vîtesse de l'accroissement, mais la stature de l'arbre n'est que médiocre non plus que la durée ; enfin sur le pommier de paradis on jouit encore bien plus tôt, & on a des fruits plus gros, plus beaux, de meilleur goût, & en plus grande quantité ; il est vrai aussi qu'on n'a qu'un arbre tout-à-fait nain, & qui passe en peu d'années.
Les poiriers greffés sur le sauvageon & sur franc, ne sont propres qu'à faire des arbres de haute tige. Ceux greffés sur le doucin se prêtent à toutes les formes ; mais lorsque le pommier de paradis sert de sujet, il ne convient qu'à former des espaliers ou des buissons.
On réussit quelquefois de greffer le pommier sur le poirier, sur le coignassier, & sur l'aubépin ; mais ces sujets sont des arbres foibles, languissans, & de courte durée ; il en est de même lorsque le pommier leur sert de sujet.
Les pommiers de basse tige que l'on tire de pepiniere pour les planter à demeure, doivent être vigoureux, d'une belle écorce & dont la greffe soit bien recouverte. Ceux qui ont deux ans de greffe sont les meilleurs. Cet arbre est si robuste qu'il vaut toujours mieux le transplanter en automne ; la reprise en est plus assurée que quand on attend le printems, & il pousse plus vigoureusement dès la premiere année, ce qui est très-avantageux pour disposer les jeunes arbres à la forme que l'on veut leur faire prendre. Il faut donner vingt-cinq à trente piés de distance aux pommiers greffés sur sauvageon ou sur franc, que l'on veut faire venir à haute tige, & même jusqu'à quarante piés pour les grandes plantations. On ne sauroit croire combien il est important pour la qualité du fruit de laisser à ces arbres un espace suffisant pour les faire jouir d'un air libre & de l'aspect du soleil. Il suffira de vingt à vingt-cinq piés d'intervalle pour les pommiers de haute tige greffés sur doucin ; douze à quinze piés pour la même qualité d'arbres lorsqu'ils sont destinés à former des buissons ou des espaliers. A l'égard des pommiers greffés sur paradis, il ne leur faut que huit à dix piés de distance, soit pour l'espalier ou pour le buisson. C'est aussi sur la qualité & la profondeur du terrein qu'on doit déterminer ces différentes distances.
La taille du pommier doit être simple & ménagée ; c'est de tous les arbres fruitiers celui qui peut le mieux s'en passer. Il ne faut retrancher que les branches nuisibles, & celles qui contrarient la forme à laquelle on veut assujettir l'arbre. Les playes qu'on lui fait se recouvrent difficilement, & les branches que l'on accourcit trop se dessechent. Il faut tailler dès l'automne les arbres foibles, & attendre le printems pour ceux qui sont trop vigoureux. Le pommier croît plus promtement que le poirier, mais il est de moindre durée, & son bois n'est pas de si bonne qualité.
On doit se tenir en garde sur la culture de cet arbre. Les labours lui font tort quand il est dans sa force & qu'il s'est bien établi. M. l'abbé de la Chataigneraie dans son traité sur la connoissance parfaite des arbres fruitiers, a observé, & j'en ai fait l'épreuve par moi-même, que la culture fait périr le pommier en peu d'années. Il paroît que cet arbre demande que la terre soit affermie sur ses racines.
Outre l'usage que l'on fait des pommes de la meilleure qualité pour la table ; on tire aussi du service de celles qui ne sont pas bonnes à manger. On en fait du cidre dans les pays où la vigne ne peut réussir. Les pommes douces font un cidre délicieux & agréable à boire, mais qui n'est pas de garde. Celles qui sont d'un goût âpre & austere que l'on nomme pommes sûres, font un cidre qui a plus de force, & qui se garde long-tems. On peut encore, avec ces différens cidres, faire du vinaigre & de l'eau-de-vie. La Médecine tire quelque service des pommes de bonne qualité, comme la reinette, dont on fait différens usages dans la Pharmacie.
Le bois du pommier sauvage est pesant & compacte, fort doux & très-liant, mais moins dur & moins coloré que celui du poirier. Il est recherché par les Ebénistes, les Tourneurs, les Luthiers, les Graveurs en bois, & les Charpentiers, pour les menues pieces des moulins, & il est bon à brûler. Le bois du pommier franc est plus propre que le sauvage à tout ce qui concerne la menuiserie.
Nos jardiniers françois font mention de près de trois cent variétés de pommes, dont il y en a au-plus une douzaine de bonne qualité, peut-être de quinze sortes qui peuvent passer pour médiocres, toutes les autres ne méritent pas qu'on les cultive. La nature de cet ouvrage ne permet pas d'entrer dans le détail des qualités particulieres de ces différens fruits. Voyez à ce sujet les Catalogues des R R. P P. Chartreux de Paris, & de M. l'abbé Nolin.
Il y a quelques pommiers qui peuvent être intéressans pour l'agrément, comme le pommier sauvage à feuilles panachées de blanc, le pommier franc à feuilles tachées ; ce dernier a plus d'agrément que l'autre ; le pommier à fleur double, qui est plus rare que beau, & le pommier sauvage de Virginie, à fleurs odorantes ; celui-ci peut exciter la curiosité par rapport à l'odeur très-suave qu'il répand ; mais son fruit n'est pas d'excellente qualité. Art. de M. D'AUBENTON, le subdélégué.
POMMIER D'ADAM, (Jardinage) est une espece de limonier ou de citronnier, qui porte un fruit plus gros qu'une orange & dont les feuilles sont plus larges. Il est d'un jaune plus foncé & d'une odeur moins forte ; son écorce est peu épaisse, ayant plusieurs crevasses, sa chair est semblable à celle du citron, remplie d'un suc comme celui de l'orange, mais peu agréable. On prétend que notre premier pere mangea du fruit de cet arbre ; sa culture est celle de l'oranger.
POMMIER D'INDE, (Hist. nat. Botan.) petit arbre des Indes orientales, dont les feuilles sont très-petites, & qui porte un fruit de la grosseur d'une noix, avec un noyau fort dur & d'un goût très-révoltant.
POMMIER, (Ferblanterie & Poterie) c'est un petit ustensile de ménage, qui sert à faire cuire des pommes, des poires, & autres fruits, devant le feu. Les Ferblantiers en font de fer-blanc, en forme de demi-cylindre, qui se soutiennent avec de gros fils-de-fer. Les Potiers de terre en fabriquent aussi de terre. Ils sont les uns & les autres du nombre des ouvrages qu'il leur est permis de faire par leurs statuts. Savary. (D.J.)
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POMMIFERE | adj. qui porte des pommes, c'est un nom, en Botanique, que l'on donne à ces plantes qui portent les fruits les plus larges, qui sont couverts d'une écorce dure & épaisse ; ce qui les distingue des bacciferes dont le fruit n'a qu'une peau mince. Voyez PLANTE & BACCIFERE. Ce mot vient de pomum, pomme, & fero, je porte.
Les especes pommiferes ont une fleur nue, monopétale, divisée en cinq partitions ; elle croît sur l'extrêmité du fruit qui doit venir. Elles sont divisées :
1°. En capréolées, c'est-à-dire, qui rampent le long de la terre, &c. par le moyen de leurs jeunes branches ; comme la cucurbite, le melon, le concombre, le cepo, la balsamine, l'angurie & la coloquinte. Voyez CAPREOLI ou TENDRONS.
2°. Sans tendrons ; comme la cucurbita clypeata, ou le melo-cepo-clypeiformis. Voyez ARBRE, FRUIT, &c.
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POMOERIU | ou PROSIMURIUM, (Littérat.) étoit un terrein sacré qui se trouvoit au pié des murs de la ville. Les critiques sont fort partagés sur sa situation. Les uns prétendent qu'il ne s'étendoit point à la partie voisine des murailles qui étoit du côté de la campagne, & le réduisent à cet espace qui étoit laissé entre la muraille & les bâtimens intérieurs de la ville. Les autres au contraire le réduisent au terrein qui étoit au pié du mur du côté de la campagne, où il n'étoit point permis de bâtir ni de labourer, de peur d'ébranler les fondemens de la muraille. Une troisieme opinion a situé le Pomoerium tant au-dedans que dehors les murs.
Tacite semble insinuer que le terrein jusqu'où s'étendoit le Pomoerium de Rome, étoit marqué par des especes de bornes qui avoient été posées au pié du mont Palatin par l'ordre de Romulus ; & c'étoit près de ces bornes qu'étoient posés les autels sur lesquels on faisoit divers sacrifices : il n'étoit permis à aucun particulier de faire entrer sa charrue dans l'enceinte comprise sous le nom de Pomoerium. Personne au reste ne pouvoit transplanter ces bornes dans la vûe d'aggrandir la ville, s'il n'avoit étendu celles de l'empire par ses conquêtes. Il avoit alors la liberté de le faire sous le prétexte de contribuer au bonheur & à l'ornement de la ville, en y recevant de nouveaux citoyens qui y apportoient leurs talens, & qui pouvoient y perfectionner les Arts & les Sciences. Tacite & Aulugelle ont marqué les tems dans lesquels on a étendu l'enceinte de la ville de Rome, & par conséquent reculé le Pomoerium. Hist. de l'acad. des Insc. tom. III. in-4 °. (D.J.)
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POMON | ou MAINLAND, (Géog. mod.) île la plus grande & la plus considérable entre les Orcades. Elle a environ neuf lieues de long du levant au couchant, sur cinq de large du midi au nord. On y trouve la ville de Kirkvall, la seule qui soit dans ces îles. (D.J.)
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POMONE | S. f. (Mythol.) aimable nymphe, dont tous les dieux champêtres disputoient la conquête. Son adresse à cultiver les jardins autant que sa beauté, leur inspira ces tendres sentimens : mais Vertumne sur-tout cherchoit à lui plaire, & pour avoir occasion de la voir davantage, il prenoit toutes sortes de figures. Enfin, s'étant un jour métamorphosé en une vieille femme, il trouva le moyen de lier conservation avec Pomone ; & après lui avoir donné mille louanges sur ses charmes, & sur son goût pour la vie champêtre, il lui raconta tant d'avantures fatales, arrivées à celles qui comme elle se refusoient à la tendresse, qu'il la rendit sensible, & devint son époux.
Cette Pomone, disent les Mythologues, étoit sans doute quelque belle personne qui mérita les honneurs divins par son génie dans la culture des arbres fruitiers ; & comme elle se distingua particulierement dans celle des pommiers, elle en reçut le nom de Pomone, à ce qu'Ovide nous assure.
On la représentoit assise sur un grand panier plein de fruits, tenant de la main gauche un grouppe de pommes, & de la droite un bouquet de fleurs. On lui donne un habit qui lui descend jusqu'aux piés, & qu'elle replie par-devant, pour soutenir les branches de pommiers chargées de pommes. Elle eut à Rome un temple & des autels. Son prêtre portoit le nom de flamen pomonal, & lui offroit des sacrifices pour la conservation des fruits de la terre. (D.J.)
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POMPE | S. f. est le nom qu'on donne, en Méchanique, à une machine faite en forme de seringue, & dont on se sert pour élever l'eau. Voyez SERINGUE.
Vitruve attribue la premiere invention des pompes à Ctesebes, athénien : d'où les Latins ont appellé cette machine, machina ctesebiana.
On distingue les pompes en différentes especes, eu égard à leur différente maniere d'agir, savoir :
1°. La pompe commune, appellée aussi pompe aspirante, qui agit par le moyen de la pression de l'air, & dans laquelle l'eau est élevée de bas en-haut, jusqu'à la hauteur de trente-deux piés, & jamais audelà. En voici la structure & l'action.
I. On prend un cylindre creux A B C D (Planche hydrost. fig. 27.) fait de quelque matiere solide, ordinairement de bois, & on le place perpendiculairement dans l'eau ; après avoir adapté à la base inférieure une valvule ou soupape I, qui s'ouvre de bas en-haut.
II. On fait entrer dans ce cylindre un piston E K, qu'on appelle aspirant, & qui est aussi garni d'une valvule L, qui s'ouvre de bas en-haut ; & afin que ce piston puisse se mouvoir librement dans l'intérieur du cylindre, on y adapte un levier ou manche G H. Voyez PISTON, VALVULE, SOUPAPE.
Le piston E L étant tiré de I vers L, laissera l'espace L I vuide d'air, au-moins en grande partie : par conséquent la pression de l'air extérieur sur la surface de l'eau stagnante, obligera l'eau qui répond à l'ouverture inférieure du cylindre, de monter dans l'intérieur de la pompe en ouvrant la valvule I. Voyez AIR & SYPHON.
Maintenant, si on vient à baisser le piston, la valvule inférieure sera nécessairement fermée par le poids de l'eau qui sera montée au-dessus ; & cette eau par conséquent étant ainsi foulée ouvrira la valvule supérieure, & montera au-dessus du piston, pour aller se décharger ensuite par la gouttiere N.
Le piston s'éleve donc & se baisse ainsi alternativement. Voyez la théorie des pompes expliquée plus exactement à l'article SERINGUE.
2°. La pompe foulante. En voici la structure.
I. On prend un cylindre creux A B (fig. 28.), que l'on divise en deux parties par un diaphragme, ou piece de traverse C D ; on y adapte une valvule E qui s'ouvre de haut en-bas, & on met ce cylindre dans l'eau.
II. On place dans ce cylindre un piston garni d'une valvule G ; on ajuste à ce piston une verge de fer, qui peut se mouvoir sur des especes de gonds, & par le moyen de laquelle une main appliquée en K éleve & abaisse le piston autant qu'il est nécessaire.
En abaissant le piston F, l'eau ouvrira la valvule G & montera dans la cavité du cylindre B C ; mais si on leve ensuite le piston, la valvule G se ferme, desorte qu'elle ne permet plus à l'eau de descendre : l'eau ouvre donc la valvule E & monte de nouveau, &, par cette manoeuvre répétée, elle vient enfin se décharger par la gouttiere M.
Cette pompe est fort difficile à rectifier quand elle se dérange, attendu que le principal siege de son action est sous la surface de l'eau. C'est pour cela qu'on n'a point recours à cette pompe, quand on peut s'en passer.
La pompe de Ctesebes, qui est la premiere & la plus belle de toutes, est à-la-fois foulante & aspirante : voici sa structure & la maniere dont elle agit. 1°. On place dans l'eau un cylindre creux de cuivre A B C D, garni d'une valvule en L. 2°. Dans l'intérieur de ce cylindre, on fait entrer un piston fait de bois verd, parce que ce bois ne s'enfle point dans l'eau, & on ajuste ce piston à l'ouverture du cylindre avec un couvercle de cuivre, mais sans valvule. En H est adapté un autre tube N H, avec une valvule en I, qui s'ouvre de bas en-haut.
Le piston E K étant levé, l'eau ouvre la valvule L, & monte dans la cavité du cylindre ; & quand on baisse le piston, la valvule I s'ouvre, & l'eau passe dans le tuyau N H. Chambers. (O)
POMPES, (Hydr.) La regle qui établit la hauteur de l'aspiration des pompes, est que le poids de l'athmosphere qui nous environne est égal à une colonne d'eau de base égale & de trente-deux piés de haut, ou à une colonne de mercure de vingt-huit pouces de haut & de même base, ce que l'on connoît par le barometre.
Cette expérience a réglé la hauteur de l'aspiration des pompes, qui ne peut s'élever plus haut que trente-deux piés, pourvû que l'air extérieur comprime la surface de l'eau du puits ou de la riviere dans laquelle trempe le tuyau de l'aspiration, alors la colonne d'eau fait équilibre avec la colonne d'air.
On peut élever l'eau par différentes machines : 1°. par la force des pompes à bras & à cheval ; 2°. en se servant des trois élémens, de l'air, de l'eau, & du feu.
Les pompes à bras qui sont mues à force de bras d'homme sont les moindres de toutes les machines ; le peu d'eau qu'elles fournissent, & la fatigue d'un homme qui sans cesse leve les bras pour faire marcher le balancier, les rendent peu propres aux eaux jaillissantes ; on ne s'en sert ordinairement que pour avoir de l'eau pour arroser ou pour remplir des auges de cuisine ou d'écurie. Les pompes à cheval au contraire, c'est-à-dire, celles qui sont menées par un ou plusieurs chevaux, sont d'une grande utilité, & fournissent souvent plus d'eau en une heure qu'une source ordinaire n'en amene en quatre jours.
La seconde maniere d'élever les eaux est d'employer la force des élémens, & c'est la meilleure de toutes. Les moulins que fait tourner l'eau ont l'avantage d'en fournir abondamment & pour ainsi dire jour & nuit ; la proximité de la riviere, ou la chûte de quelque ruisseau, détermine à se servir de ces sortes de moulins qui, par l'extérieur, ressemblent aux moulins à blé & ne different que dans la composition du dedans ; il y a même de ces moulins qui moulent du blé & montent de l'eau quand on veut en décrochant la manivelle. Ils vont par le moyen de la chûte d'un ruisseau sur la roue, ou quand ils sont dans le fil d'une riviere par la force du courant, tels sont la machine de Marli, la pompe Notre-Dame, la Samaritaine, les moulins de Saint-Maur, de Maisons, Conflans, Clichy, Chantilli près Senlis, Liancourt, Colorne dans le Parmesan, Nimphynbourg dans la Baviere, &c.
Dans les endroits éloignés des rivieres & ruisseaux, tel que peut être un lieu élevé sur quelque côteau dont la situation est très-exposée aux vents, les moulins à vent y conviennent parfaitement ainsi que dans une plaine qui n'est point masquée par quelque bois qui arrêteroit le vent. Ces moulins ressemblent à des moulins à vent ordinaires ; ils ont cependant une plus grande commodité, qui est de se mettre d'eux-mêmes au vent par le moyen d'une queue en forme de gouvernail, portant sur un pivot qui se tourne de tout sens. On en a exécuté de pareils à Versailles, Marli, Meudon, Chatillon, Argenville, Bercy, Porcherons.
La machine à feu des anglois dont on a construit deux modeles aux environs de Paris, est une invention des plus heureuses ; on en voit une dans une grande tour à Londres sur le bord de la Tamise. Il sera parlé plus amplement de toutes ces machines au mot machines. Voyez MACHINES HYDRAULIQUES au mot HYDRAULIQUE. Voyez aussi FEU.
" On distingue de deux sortes de pompes, la foulante & l'aspirante, la premiere porte l'eau d'une riviere sur le haut d'une montagne sans aucune reprise, ce que l'aspirante ne peut faire que dans la longueur de la tringle de fer qui passe dans son tuyau ; cette derniere même égale dans toutes ses parties à la foulante, amene toujours moins d'eau qu'elle.
Dans l'aspirante, le piston étant levé par la tringle du balancier ou de la manivelle presqu'au haut du corps de pompe, y laisse un grand vuide rempli d'un air si dilaté, qu'il n'est plus en équilibre avec l'air extérieur. Cet air par sa pesanteur oblige l'eau de monter, & par son ascension éleve le clapet, & l'eau entre dans le corps de pompe ; la portion d'air renfermée dans le tuyau montant se trouve si affoiblie, qu'elle donne lieu au poids de la colonne de l'athmosphere qui presse extrêmement sur la superficie de l'eau de la riviere, du puits ou de la bache dans laquelle trempe l'aspirant, & fait monter cette eau dans le tuyau aspirant jusqu'à une certaine hauteur ; le piston en descendant ferme le clapet de l'aspirant afin d'empêcher l'eau de descendre dans le bas, & ouvre le sien pour laisser passer à-travers l'eau qui est dans le corps de pompe ; enfin, le piston en se levant plusieurs fois de suite, l'eau de l'aspirant parvient dans le corps de pompe au-dessus du clapet du piston ; l'eau qui se trouve refoulée par la descente du piston passe au-dessus, & en se succédant s'éleve peu-à-peu par le tuy au montant jusqu'à la cuvette du reservoir où elle tombe ; c'est donc à l'action de l'air antérieur & aux mouvemens successifs des deux clapets qu'on doit tout le jeu de cette pompe.
Dans la pompe foulante, le piston est renversé, & il y a quelque différence dans la position du corps de pompe qui doit tremper dans l'eau. Le piston est attaché à un chassis de fer qui est mû par la tringle du balancier ou de la manivelle, & le tuyau montant est dévoyé pour laisser agir la tringle perpendiculairement. Le piston qu'on suppose presqu'au bas du corps de pompe, y laisse en descendant un espace vuide rempli d'un air très-dilaté : alors l'eau de la superficie du puits pressée par les colonnes d'eau des côtés, & aidée du poids de l'athmosphere, est poussée de bas en haut, elle ouvre le clapet du piston, passe au travers & monte dans le corps de pompe. Quand le piston remonte, le clapet se referme pour empêcher l'eau de retomber, & l'eau au-dessus étant refoulée de bas en haut, ouvre le clapet supérieur du corps de pompe, & passe dans le tuyau montant qui successivement le remplit jusqu'à sa chûte dans le reservoir.
On employe souvent l'une & l'autre de ces pompes dans la même machine : on place dans le bas d'une riviere ou d'un puits l'aspirante, qui porte l'eau jusqu'à 25 piés dans une bache ou cuvette, ou dans un corps de pompe, d'où elle s'éleve successivement dans le tuyau montant jusqu'au reservoir. Quand la hauteur où on veut porter l'eau est considérable, ou que le puits est trop profond, on met dans cette bache une pompe foulante qui reprend l'eau, & la porte jusqu'au reservoir ; alors c'est le même mouvement qui fait agir les deux pistons liés par une tringle au-dessus l'un de l'autre, de maniere qu'un piston aspire pendant que l'autre refoule l'eau. "
On observera dans les pompes foulantes, de faire le tuyau montant de même diamêtre que le corps de pompe, afin qu'il y passe le même volume d'eau.
Dans la pompe aspirante le tuyau aspirant doit être beaucoup plus petit que celui du corps de pompe, mais le tuyau montant doit toujours être de même diamêtre que le corps de pompe.
Le défaut de la plûpart des pompes foulantes qui ont une manivelle à tiers-points avec trois corps de pompe, dont l'un aspire pendant que les deux autres foulent & contrefoulent l'eau, c'est l'étranglement des fourches, où l'eau est si resserrée, que ne pouvant y passer, elle cause un ébranlement à toute la machine qui la met en risque d'être brisée. Si, par exemple, un des corps de pompe a 8 pouces de diamêtre, il y passera 64 pouces d'eau circulaires ; & si la fourche qui reçoit l'eau de ce corps de pompe & qui se raccorde au tuyau montant, n'a que 4 pouces, il n'y passera que 16 pouces d'eau, parce que 4 fois 4 font 16 ; or, 64 pouces d'eau du corps de pompe ne peuvent passer dans 16 ; il faudroit donc que chaque fourche de cet équipage eût le même diamêtre du corps de pompe, ou au moins qu'elle l'eût par le bas en venant diminuer à 6 pouces par en-haut, pour se raccorder au tuyau montant, lequel aura de diamêtre celui du corps de pompe qui est ici de 8 pouces ; c'est ainsi qu'on évitera les étranglemens & les accidens si fréquens dans les machines, & que l'eau sera portée plus facilement & en plus grande abondance dans les reservoirs. (K)
Machine de Pontpéan, ce sont les machines qui servent à épuiser les mines de ce lieu & à en tirer le minéral ; il y a pour remplir cet objet une infinité de machines différentes, mais celles exécutées à Pontpéan, passent sans contredit pour être les plus parfaites ; en voici les descriptions, tant de celles établies pour épuiser les eaux de la nouvelle mine, que celles de l'ancienne.
La premiere est composée d'une roue à augets, de 16 piés de diamêtre, dont on trouve les développemens dans la seconde Planche ; cette roue a 8 piés d'épaisseur, son arbre a 13 piés de longueur, & est terminé par des manivelles doubles, dont les développemens se trouvent aussi dans la seconde Planche ; les augets au nombre de quarante reçoivent successivement l'eau qui y est apportée par le canal K F, creusé en terre & raccordé avec un coffre de bois, posé sur des chevalets dans toute la partie du terrein, qu'il a été nécessaire de creuser pour laisser aux tirans la liberté de se mouvoir. La partie 9 F de ce canal est mobile, de deux sens différens en long, de 9 en F, & en hauteur vers g, mais ce mouvement en long ne pouvant se faire, sans que la portion du canal r F s'éloigne de la partie m K du canal, laquelle est fixe, il a fallu trouver un moyen pour empêcher l'eau de se perdre. Pour cet effet, on a placé entre r & m plusieurs chassis, 10, 10, composés chacun d'une solive, dont la face supérieure affleure le fond du canal. Vers les extrêmités de cette solive, sont des montans de même grosseur assemblés à tenons & mortaises ; ces montans sont reliés ensemble par le haut, par un chapeau dans lequel ils s'assemblent, lequel en empêche l'écartement, une chaîne ou barre de fer produiroit le même effet ; ces chassis au nombre de quatre, espacés également sont mobiles, selon la longueur du canal, sur deux poutres 12, sur lesquelles portent aussi les roulettes de la portion mobile du canal. Les intervalles que les chassis laissent entr'eux sont fermés ; savoir, le fond & les côtés par des cuirs gras, cloués sur les solives & les montans du chassis, ensorte que l'eau ne puisse point s'échapper.
Il résulte de cette construction, que le canal peut s'allonger & se raccourcir, à-peu-près comme un soufflet, s'ouvre & se ferme, sans que l'eau se perde ; quand le canal est allongé les cuirs sont tendus, & dans le raccourcissement le poids de l'eau les fait bourser en dehors.
Les manivelles B 21, fig. 1, 2 & 5, sont coudées de maniere, que la partie 21 n'est pas dans le même plan que la partie B 2, mais fait avec elle un angle de 45°. La longueur de la partie 21 est à la longueur de la partie B 2, comme la corde de la quatrieme partie du cercle est au rayon ; ensorte que les trois centres des tourillons B 2, 1, forment un triangle isocele rectangle en B, il en est de même de la manivelle qui est à l'autre extrêmité de l'arbre, avec cette condition que les coudes des manivelles sont diamétralement opposés ; ensorte que les quatre tourillons 2, 1, 2, 1, des deux manivelles regardent quatre points de la roue équidistans les uns des autres.
Les tourillons 2 & 1 des manivelles reçoivent les extrêmités des tirans 2, 13, 15, 1, 13, 14, qui font agir les pompes 17 ; ces tirans sont suspendus dans le milieu de leur longueur à des chaînes S 13, dont l'extrêmité inférieure 13 faite en étrier embrasse le corps du tirant où il est fixe, par un boulon ; l'autre extrêmité S de ces chaînes est accrochée à un des bouts des bascules S P R, mobiles en P sur un chevalet qui traverse le canal, ou suspendues à quelques-unes des parties du bâtiment qui renferme la machine, l'extrêmité R des menues bascules est chargée d'un poids en quantité suffisante pour tenir les tirans en équilibre, sans cependant gêner leurs mouvemens.
Les extrêmités supérieures 14, 15, 16 des tirans, sont raccordées par une chaîne à une bande de fer fixée sur la circonférence des quarts de cercle L, représenté séparément par la fig. 11. Pl. II. au moyen desquels le mouvement d'horisontal qu'il étoit, devient vertical dans les corps de pompes M N, 17, 17, 17, qui descendent dans les puits ou bure de la mine, dont les terres environnantes sont soutenues par un cuvelage de charpente ; on voit en 18, fig. 2. l'emplacement de l'échelle par laquelle on descend au fond de la mine.
Les quarts de cercle ont six piés de rayon ; & la bande de fer qui en couvre une partie, & dont nous avons parlé, est terminée à chacune de ses extrêmités par une moufle qui reçoit un piton qui est le dernier anneau des chaînes. Ce piton est fixé dans la moufle par un boulon qui traverse les deux pieces ; l'une des deux chaînes communique au tirant, & l'autre au piton.
L'eau élevée par les pompes est versée dans le bac b, d'où elle s'écoule par une rigole ou canal souterrein d f l, dans le coursier l C D E de la roue, dont elle peut encore recharger les augets, au cas que par le canal supérieur K m r F ils ne soient pas remplis suffisamment, d'où elle sort par-dessous l'arcade E, qui termine le coursier du côté d'aval.
Les tourillons B des manivelles de la roue, posent sur les paliers de cuivre encastrés dans les pieces de bois 4 qu'on appelle aussi paliers, dont les extrêmités terminées en languettes ou tenons sont mobiles dans les rainures des coulisses 6, 6. Au moyen de deux vis ou verins 3, 3 qui traversent le palier 4 taraudé en écrou pour les recevoir, les extrêmités inférieures des vis posent sur la semelle ou plate-forme 7 l qui porte, & dans laquelle sont assemblés les montans 5, 6, 6, 5 de la cage de charpente qui renferme la roue ; ces montans sont reliés par le haut par un cours de chapeaux 7, 7, h, 7, 7, h, dans lesquels ils sont assemblés, & que les têtes des vis traversent ; sur ces chapeaux sont établies des solives qui composent un plancher sur lequel on monte pour manoeuvrer les verins, dont la tête garnie d'une frette de fer est percée de part en part de deux mortaises dans lesquelles on place des leviers, au moyen desquels en tournant d'un sens ou d'autre, on éleve ou on abaisse les paliers 4 qui soutiennent les tourillons de la roue, & par ce moyen la roue elle-même, dont on remet l'axe dans la situation horisontale, au cas que quelqu'accident l'ait dérangé. Toute cette partie de la machine est renfermée dans un bâtiment ou angard, dont on voit le plan fig. 2.
La portion F 9 du canal, fig. 1, F r, fig. 2, peut s'élever & s'avancer sur la roue pour donner plus ou moins d'eau ; cette portion de canal est soutenue par un essieu du côté de P r, dont les extrêmités reçoivent chacune une roulette 12, 12, qui peuvent rouler sur des couches 5, 12, pour avancer ou éloigner le canal de la roue. La portion antérieure F est soutenue par un rouleau, z, fig. 10, Pl. II. d'un pié de diamêtre ; à chacune des extrêmités de ce rouleau, dont la largeur est de 9 piés, est fixée une roue de fer x y, dentée en rochet l'une d'un sens, comme dans la fig. 7, & l'autre dans le sens opposé. Les extrêmités des tourillons de ce rouleau sont mobiles dans des rainures pratiquées aux faces intérieures des montans l h l h du chassis vertical, dans lequel passe le canal mobile F ; ces deux montans sont reliés par un chapeau h h dans lequel ils sont assemblés : ce chapeau est percé de deux mortaises verticales pour recevoir les deux poulies s u, sur lesquelles passent les chaînes asx, bux, dont les derniers anneaux reçoivent les crochets x des pitons ou brides, dont l'oeil reçoit les tourillons du rouleau Z, qui se trouve par ce moyen suspendu dans les coulisses des montans l h. Les extrêmités supérieures de ces chaînes sont accrochées aux crochets qui terminent l'écrou a b, que l'on éleve ou qu'on abaisse en faisant tourner d'un sens ou d'autre la vis g t, par le moyen de la manivelle ou clé g ; cette vis qui repose en t sur une crapaudine, est affermie dans la situation verticale par une bande de fer h 4 5 h qui lui sert de chassis ; il est aisé d'entendre qu'en élevant l'écrou a b, les chaînes couleront sur les poulies s u, ce qui élevera le rouleau Z, & par conséquent le canal F qui repose sur lui.
Pour avancer ou éloigner le canal, c'est-à-dire pour l'allonger ou le raccourcir, on fait tourner le rouleau Z sur lui-même par le moyen des rochets y, l'un denté, comme dans la fig. 7, pour accourcir le canal, & l'autre dans le sens opposé, pour l'allonger. Chacun de ces rochets est armé d'un levier de la garouste 5 4 y, mobile en y sur le tourillon du rouleau qui en traverse l'oeil ; le cliquet 4 3 de ce levier saisit à chaque oscillation une ou plusieurs dents du rochet, ce qui fait tourner le rouleau & accourcir le canal, la roulette 12 roulant sur la poutre sur laquelle elle repose ; ou en se servant de l'autre levier placé à l'autre extrêmité du rouleau, qui est aussi bien que son rochet disposé en sens contraire, on fait approcher le canal, que l'on allonge par ce moyen ; & les cuirs dont on a parlé se prêtent avec facilité à tous ces mouvemens.
Reste à dire un mot de la construction détaillée de la roue représentée fig. 3 & 4, & de celle des quarts de cercle fig. 11. On voit par la fig. 4 que le tambour de cette roue est composé de trois cours de courbes soutenues chacune par huit rais A B qui sont disposés de maniere qu'ils se contreventent l'un l'autre alternativement, & sont assemblés dans l'arbre de la roue de deux piés 8 pouces de gros, & de 13 piés de long, réduit à huit pans. Pour que les rais s'assemblent perpendiculairement dans les faces, les extrêmités de l'arbre sont arrondies sur trois piés de long, & garnies chacune de quatre frettes de fer ; c'est dans ces parties arrondies que sont encastrées les queues des manivelles. Les rais A B & C D sont d'une seule piece, aussi bien que ceux qui coupent ceux-ci en angles droits, & qui sont du même sens, au lieu que les intermédiaires E F sont inclinés en sens contraire. On prend ces rais dans du bois qui ait de lui-même à-peu-près la courbure requise, afin que le fil du bois soit moins tranché ; deux rais qui s'entrecroisent à angle droit sont entaillés de moitié de leur épaisseur, l'un dans sa concavité, & l'autre dans sa convexité, afin qu'ils se trouvent dans un même plan ; & pour pouvoir les monter sur l'arbre, on est obligé de faire une des mortaises une demi-fois plus longue qu'elle ne devroit être, pour pouvoir faire entrer le rai, que l'on place le second : on remplit ensuite le sur plus de la mortaise avec un coin ou une cale, lorsque l'entaille de ce second rai a saisi ce qui reste du premier, qui a aussi été entaillé de même, ensorte que deux rais ainsi placés dans deux mortaises de l'arbre qui se croisent à angle droit, sont dans un même plan, & s'empêchent réciproquement de sortir.
Sur les extrêmités supérieures F A E D E des rais, qui doivent se trouver toutes dans un même plan, on assemble les goussets G G, fig. 3, 4 & 6, de quatre piés de longueur, sur un pié de haut, entaillés, comme on voit dans la figure, pour recevoir les jantes des courbes H H, entaillés de maniere que leurs crochets saisissent les crochets des goussets. Chaque assemblage est encore fortifié par trois boulons à clavettes ou à vis, qui assurent les jonctions des seize pieces qui composent un cours de courbes.
Sur ces trois cours de courbes de 14 piés de diamêtre, & éloignées l'une de l'autre de milieu en milieu d'environ trois piés, sont clouées des planches de 8 piés de long, qui forment le tambour ou le fond des augets ou pots, au nombre de 40 ; la profondeur des augets est de 15 pouces, mesuré sur le rayon de la roue ; les cloisons qui les séparent sont obliques au rayon, avec lequel elles font un angle d'environ 45 degrés ; elles sont aussi coudées vers le centre, à un tiers environ de la profondeur des augets. Les cloisons, le fond & les côtés des augets doivent être bien étanchés, pour que l'eau qu'ils reçoivent ne puisse se perdre qu'après que par son poids elle aura fait agir la machine, & que les augets qui la contiennent seront descendus dans la partie inférieure de la roue.
Quant aux quarts de cercle, leur construction sera facilement entendue après ce qui vient d'être dit de celle de la roue, & en considérant la fig. 11. Pl. II. A B, A C, les deux bras assemblés à angle droit, à tenons & mortaises doubles, que le boulon L, fig. 1. & 2, traverse : c'est-là le centre du mouvement du quart de cercle. G, le gousset ou tasseau porté par une barre de fer A G. E D, F H, les courbes reliées chacune sur le gousset par trois boulons, & ensemble par la plate bande de fer E F, aux extrêmités de laquelle sont attachées les chaînes, comme il a été dit ci-dessus. Enfin ces deux courbes, dont la convexité est éloignée de six piés du centre, sont encore affermies par les deux liens D H qui s'assemblent d'un bout dans les bras, & de l'autre près les extrêmités des courbes.
Description de la machine pour épuiser les eaux de l'ancienne mine de Pontpéan en Bretagne, & pour en tirer le minéral. Premierement, la machine pour épuiser les eaux : cette machine, représentée dans les Pl. III. IV. & V, est mue par une chûte d'eau qui est reçue dans les augets d'une roue A B de 33 piés de diamêtre, & trois piés d'épaisseur ; les augets, au nombre de 80, sont disposés comme ceux de la roue de la machine de la nouvelle mine ; cette roue est renfermée dans un coursier & dans une cage de charpente, représentée en profil dans la Pl. IV ; l'axe de la roue, de trois piés quatre pouces de gros, sur dix piés de long, est embrassé dans sa partie quarrée par les rais de la roue ; ses deux extrêmités, qui sont arrondies & garnies de plusieurs frettes de fer, sont terminées par une manivelle simple C D ou 1, 2, 3, représentée plus en grand au bas de la Planche III. E F C D 6, la manivelle vue de profil ; E F, la queue qui entre dans l'arbre : cette partie est applatie. E, un trou dans lequel passe un fort boulon qui retient la manivelle à l'arbre. F, tourillons sur lesquels la roue tourne ; C D, bras de la manivelle ; D 6, tourillon qui reçoit l'étoile de fonte, par le moyen de laquelle le mouvement est communiqué aux chaînes auxquelles les pitons sont suspendus ; 7, 8, 9, le disque que nous avons nommé étoile, percé au centre pour recevoir le tourillon D 6, a de chaque côté un rebord de deux pouces environ, qui forme un canon quatre à cinq fois plus long que ce disque n'a d'épaisseur. Cette étoile est aussi percée de six trous équidistans les uns des autres & du centre du grand trou qui reçoit le tourillon de la manivelle ; chacun de ces trous reçoit un boulon, par le moyen desquels on fixe à l'étoile les brides ou boucles qui terminent chacune des six chaînes 1, 7, 2, 8, 3, 8, 4, 9, 5, 9, 6, 7, & qui en sont les derniers maillons. Les boulons traversent l'épaisseur de l'étoile, & les deux yeux des brides où ils sont retenus d'un coté par une tête, & de l'autre par une clavette double ou un écrou si l'extrêmité des boulons est taraudée en vis.
Chacune des six chaînes qui partent de l'étoile D, Pl. IV. vient s'enrouler sur les poulies c e g cc ee gg ; de trois piés de diamêtre, fixées à une des extrêmités d'un arbre horisontal que l'on voit représenté séparément au bas de la Pl. III. & dans le profil, Pl. V. b, la poulie qui reçoit la chaîne qui vient de l'étoile, laquelle est arrêtée par un crochet ou piton à une cheville placée à la circonférence de la poulie b. C, une autre poulie toute semblable à la précédente, fixée à l'autre extrêmité de l'arbre. Cette poulie reçoit la chaîne par laquelle le piton est suspendu dans l'un des corps de pompes E F G H, disposés dans le puits de la mine de maniere à former deux ou trois ou six relais, au cas que la profondeur de la mine l'exige.
Il y a six arbres & douze poulies. Il faut observer que les six chaînes qui partent de l'étoile D, s'enroulent sur les poulies qui les reçoivent d'un sens opposé à celui des chaînes des pistons ; ensorte que quand la chaîne de l'étoile s'enveloppe, celle du piston se développe d'une égale quantité, ce qui permet au piston de descendre & d'aspirer l'eau, soit au fond de la mine, ou dans une des basches qui servent de relais. La levée de chaque piston est à chaque coup de pompe égale au diamêtre du cercle que décrit le centre du tourillon de l'étoile, c'est-à-dire double du rayon de la manivelle ; cette quantité est de sept piés.
Les six arbres dont la situation est horisontale, sont placés dans une cage de charpente P S g gg, Pl. IV. & aussi éloignés les uns que les autres du centre C de la grande roue. Les tourillons des deux supérieurs c cc portent sur des paliers encastrés dans le chapeau M N, qui relie ensemble les quatre montans O P S T qui composent un des côtés de la cage. Les deux autres arbres e ee sont portés par les deux montans P S, & les deux inférieurs g gg par une traverse qui est assemblée dans ces mêmes montans. Les parties inférieures des montans sont assemblées dans les couches ou semelles L K, servant d'empatement à toute la machine.
Les tourillons C C de la grande roue reposent sur des paliers de fonte encastrés dans une piece de bois appellée semelle ; cette semelle repose & est embrevée & chevillée sur la traverse horisontale V X ; cette traverse est percée en V & X de deux trous taraudés en écrou pour recevoir les vis ou verins R X, Q V, au moyen desquelles on éleve ou on abaisse l'axe de la grande roue pour le placer horisontalement & à une hauteur convenable. Les deux extrêmités de la traverse V X sont terminées en tenons, auxquels des rainures pratiquées dans les faces latérales des montans S g P gg, servent de guide. Les extrêmités supérieures des vis sont quarrées & percées de deux trous dans lesquels on embarre des leviers pour faire tourner les vis, soit à droite soit à gauche.
De la machine pour tirer le minéral. Pl. III. & V. C'est un treuil de trois piés de diamêtre, & dix piés de long, sur lequel s'enroule la chaîne à laquelle le seau y est suspendu ; la chaîne passe sur la poulie u encastrée dans la piece verticale t x, terminée par les deux extrêmités par deux tourillons sur lesquels elle est mobile ; les tourillons sont reçus par des collets ou crapaudines posées sur quelques-unes des pieces de la charpente du comble, qui recouvre toute la machine : le mouvement de cet arbre vertical permet à la chaîne qui passe sur la poulie u de s'enrouler sur le treuil, sans doubler sur elle-même.
Le treuil est terminé par deux tourillons, & son axe doit être exactement le prolongement de celui de la roue qui fait mouvoir toute la machine. Le tourillon du côté de la roue est prolongé, & forme une manivelle simple 4, 3, qui étant rencontrée par l'extrêmité du tourillon 3, qui reçoit l'étoile, est forcée de tourner du même sens, ensorte que la roue & le treuil commencent & achevent ensemble leurs révolutions, ce qui fait enrouler la chaîne sur le treuil, & monter le seau y qui contient le mineral.
Le seau étant arrivé à la hauteur 5, voici comment le treuil s'arrête de lui-même sans que le mouvement de la roue soit interrompu : pour cela il faut savoir que les collets qui reçoivent les tourillons du treuil sont encastrés dans deux pieces de bois verticales pk, lh, assemblées à charnieres par leurs parties inférieures en h & k : ces deux pieces de bois sont reliées ensemble par le tirant de fer lp, dont les extrêmités terminées en pitons, sont reçues dans des mortaises pratiquées dans les faces intérieures des montans lh, pk, où elles sont boulonées ; la partie supérieure des mêmes montans est mobile entre deux solives disposées parallélement à l'axe du treuil ; ensorte que les deux montans peuvent s'incliner en marchant par leurs parties supérieures entre les solives qui leur servent de guide du côté de lp, sans que leur distance respective change par ce mouvement : le treuil s'éloigne de la roue, & sa manivelle cesse d'être en prise au tourillon 3 de l'étoile, & son mouvement est interrompu. Or voici comment ce mouvement s'exécute. A une des sablieres de la cage de cette machine est fixé & assemblé en 10 un lever du second genre 10, 9, 8, placé dans le même plan que les deux montans lh, pk ; ce levier reçoit en 9 un piton adherant au montant pk, avec lequel il est assemblé par un boulon ; & la partie inférieure 7 du même levier est reçue dans l'extrêmité 7 du levier 5, 6, 7 du premier genre mobile en 6, l'extrêmité 7 de ce levier terminée par un anneau ou pié de biche reçoit, comme nous avons dit, la partie inférieure du grand levier, l'extrêmité 5 de l'autre bras 6, 5, est destinée à rencontrer le seau y qu'il éleve : lorsqu'il est parvenu en 5 par le mouvement, l'extrêmité 7 s'abaisse en décrivant un arc de cercle, ce mouvement éloigne du point k, l'extrêmité 8 du grand levier, ce qui fait marcher les deux montans l h, p k, entre leurs guides, allant de l vers p, & par conséquent le treuil entier, dont la manivelle 4, 3 cesse, par ce moyen, d'être en prise au tourillon 2, 3 de la manivelle de la grande roue, & le treuil cesse de tourner.
Le treuil est armé à une de ses extrêmités d'un rochet q, dont les dents reçoivent le valet en pié de biche r, mobile à charniere par son autre extrêmité sur une des pieces de la cage de la machine. Ce rochet & son enclictage sont nécessaires pour empêcher que la charge du seau y ne fasse retrograder le treuil, lorsque sa manivelle cesse d'être appuyée par celle de la roue.
Lorsqu'on a vuidé le seau y, on le laisse redescendre ; pour cet effet on dégage, soit avec une pince, ou en tirant avec une corde le valet de dedans les dents du rochet ; alors le poids du seau & de la chaîne font retrograder avec rapidité le treuil ; pour moderer ce mouvement, on a ajusté un frein s, qui est une piece de bois mobile, à charniere, par une de ses extrêmités, sur une des pieces dormantes de la cage ; le milieu est échancré circulairement pour faire place au rouet fixé sur le treuil, & sur lequel on comprime le frein, qui est un levier du second genre, par un autre levier n m aussi du second genre. Ce dernier levier est lié à l'extrêmité du premier par le tirant de fer s n, assemblé par ses extrêmités à charnieres boulonnées : en appuyant avec la main, plus ou moins fortement sur l'extrêmité m du levier n m, on modere à volonté la vîtesse du treuil lors de la descente du seau y. Le seau ayant été rechargé, on rend le mouvement au treuil, en relevant l'extrêmité 7 du levier 5, 6, 7, & rapprochant l'extrêmité 8 du levier 10, 8, du point k, ce qui remet la manivelle du treuil en prise avec celle de la roue, & c'est l'état que la figure représente. Les machines précédentes sont de l'invention de M. Laurent, & la description de M. Goussier.
POMPE DE MER, (Marine) c'est une grosse colonne qui paroît sur la surface de la mer, presqu'en figure d'un fagot long & étroit, avec ses branches & son pié, c'est-à-dire, large au haut & au bas, ou comme un arbre arraché qui a ses branches & ses racines. Cette colonne est d'eau, & cette eau qui semble être tirée de la mer par une pompe, retombe souvent tout d'un coup. Quelques-uns croyent qu'elle vient de la mer, & qu'elle en a été attirée par le soleil. Les matelots s'affligent quand ils voient cette pompe, tant parce que si elle venoit à tomber sur leur vaisseau, elle pourroit le couler à fond, ou le faire sombrer sous voiles, que parce qu'ordinairement elle est suivie de violentes tempêtes, qui ne sont pas moins à craindre pour eux. Voyez SIPHON & PUCHOT. Voyez aussi TROMBE.
POMPE, terme d'Oiselier ; espece d'auge fait de bois, de terre, de fayence, ou de plomb, qui a une ouverture au milieu pour laisser passer la tête de l'oiseau, & un autre au haut, où l'on fait entrer le gouleau d'une fiole pleine d'eau ou de mangeaille, & qui est renversée perpendiculairement sur la pompe.
POMPE, s. f. (Gramm.) appareil somptueux, employé pour rendre quelqu'action publique plus solemnelle & plus recommandable. C'est l'art d'en imposer aux yeux. Une pompe funebre, c'est l'appareil de l'inhumation d'un grand ; sa vanité, pour ainsi dire, lui survit encore. Il descend au tombeau où les vers l'attendent pour s'en repaître, & la cendre froide de ses ayeux pour se rejoindre à la sienne, au milieu des signes de sa grandeur. Il n'est plus rien lorsque tout annonce qu'il fut un grand. De pompe, on a fait l'adjectif pompeux.
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POMPEIA-PALUS | (Géog. anc.) marais d'Italie, dans la Campanie, au voisinage de la ville Pompeii, qui lui donnoit son nom. Columelle, l. X. v. 135, dit qu'il y avoit des salines dans le voisinage :
Quae dulcis Pompeia-palus vicina salinis
Herculeis.
POMPEIA-TROPHAEA, (Géog. anc.) lieu maritime, dans l'Espagne tarragonoise, entre l'embouchure de l'Iberus & l'extrêmité des Pyrénées, selon Strabon, liv. III. p. 156. Pline, liv. III. c. iij. met ce lieu dans les Pyrénées mêmes. Mais peut-être y avoit-il deux lieux de ce nom, l'un sur le bord de la mer, l'autre dans les Pyrénées. (D.J.)
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POMPEIANA | autrement MESE, (Géog. anc.) une des îles Stoéchades, qui sont Proté, Mése & Hypaea, dans le voisinage de Marseille, selon Pline, l. III. c. v. qui dit : tres Sthoechades à vicinis Massiliensibus dictae per ordinem, quas item nominant singulis vocabulis, Proten & Mesen quae & Pompeiana vocatur, tertia Hypaea. Il faut lire Pompeiana, suivant l'ancienne leçon des manuscrits, comme dans l'édition de 1587, & dans la note de Daléchamp, à laquelle le P. Hardouin n'a pas fait attention, & non pas Pomponiana, qui se trouve dans quelqu'autres éditions.
Quelques géographes modernes croient que cette île est aujourd'hui celle de Pomegut, d'autres que c'est l'île de Porqueyroles, ou qu'elle fait partie des îles d'Hieres. Quoi qu'il en soit, il est certain, au rapport de Pline, qu'elle étoit du nombre des îles voisines de la côte de Marseille & de Toulon. (D.J.)
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POMPEIANUM | (Géog. anc.) maison de campagne de Ciceron, en Italie, environ à 12 milles de Naples, près de Nola. Ciceron en fait mention en plus d'un endroit dans ses lettres à Atticus. Quelques-uns disent que ce lieu se nomme aujourd'hui S. Maria Annunciata, & d'autres Pomilianum.
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POMPEII | (Géog. anc.) ancienne ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Campanie, un peu plus loin de la mer que ce qu'on appelle aujourd'hui Civita. Cette ville fut engloutie par l'éruption du Vésuve, qui l'ensevelit avec Herculanum, l'an 76 de J. C. & la premiere année du regne de Titus. A quatre milles de Naples, à l'orient, on a trouvé sous les cendres du mont Vésuve le hameau nommé Torre del Greco, la Tour du Grec ; & c'est là où l'on croit qu'est ensevelie la ville Pompeii.
Selon la fable, cette ville, ainsi qu'Herculanum, eurent Hercules le Phénicien pour fondateur ; mais tout ce que l'histoire nous apprend, c'est que le marais de Pompeii, Pompeia palus, étoit au voisinage d'Herculanum, & qu'il y avoit de ce côté-là une rade propre à charger de gros bâtimens ; c'est pourquoi Stace a pris occasion de cette ville de donner au fleuve Sarno le nom de Pompeianus.
Nec Pompeiani placeant magis otia Sarni.
Le paysage de la côte de Pompeii étoit le plus beau du monde ; Ciceron en a fait souvent l'éloge, & il y avoit une maison de plaisance ; c'est-là que ce grand homme composa les livres de la nature des dieux, celui de la vieillesse, celui de l'amitié, les deux de la gloire, & les topiques, tout cela dans la même année. Il falloit aimer singulierement le travail, & avoir une facilité bien merveilleuse, pour produire ces divers chefs-d'oeuvres si promtement, & dans un tems même où il avoit l'esprit fort agité des grandes affaires de la république. (D.J.)
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POMPEION | (Ant. grec.) , bâtiment splendide d'Athènes dans lequel on gardoit tous les ustensiles sacrés dont on faisoit usage pour toutes les différentes fêtes, & où toutes les choses nécessaires pour leur célébration étoient mises en dépôt. Ce bâtiment se voyoit à l'entrée de l'ancienne cité du côté du port de Phalere, & il étoit embelli de quantité de statues de héros. Le mot est dérivé de , je marche avec pompe, parce qu'on y transportoit, ou qu'on en tiroit en procession tous les ustensiles sacrés. Potter, archaeol. graec. liv. I. ch. viij. (D.J.)
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POMPEIOPOLIS | (Géog. anc.) 1°. ville de Mysie, selon Ortelius, que cite Cedrene ; & l'histoire miscellanée, où il est dit que cette ville souffrit beaucoup d'un tremblement de terre arrivé du tems de l'empereur Justinien. 2°. Pompeiopolis étoit une ville de Cilicie, entre les embouchures du Lamus & du Cydnus. Son premier nom étoit Soli, voyez SOLI. 3°. Pompeiopolis étoit encore une ville de la Galatie dans la Paphlagonie.
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POMPELON | (Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise. Strabon, liv. III. pag. 161. & Ptolémée, liv. II. ch. vj. la donnent aux Vascones. C'est aujourd'hui la ville de Pampelune, capitale du royaume de Navarre. Il semble qu'on devoit écrire Pompoelon au lieu de Pompelon ; car d'anciennes inscriptions, selon Andr. Schotus, ad Antonin. itiner. portent Pompaelonenses. (D.J.)
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POMPER | v. act. (Gramm.) c'est attirer ou avec une pompe, ou en imitant sa fonction de quelque maniere que ce soit. Nos corps pompent l'humidité.
POMPER, en terme de Raffineur, n'est autre chose que l'action de jetter avec le couteau en empalant ou en mouvant, de la matiere d'une forme qui est trop pleine dans une autre qui l'est moins. Voyez COUTEAU, EMPALER & MOUVER.
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POMPEUX | adj. (Gram.) qui s'est fait en pompe. Voyez l'article POMPE. On dit une entrée pompeuse ; un style pompeux.
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POMPHOLIX | (Mat. méd.) espece de chaux de zinc, voyez ZINC.
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POMPILE | pompilus, (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer que l'on confond souvent avec le thon ; il en differe, selon Rondelet, en ce qu'il est lisse & qu'il n'a point d'écailles ; les côtés du corps sont marqués d'un trait courbe qui s'étend depuis les ouïes jusqu'à la queue ; il y a aussi de petites bandes formées par des points qui descendent transversalement depuis le trait longitudinal jusqu'au ventre. La bouche est de moyenne grandeur, & les yeux sont petits proportionnellement à la grosseur du corps ; le dessus des yeux & l'espace qui est entr'eux sont d'une belle couleur d'or. Ce poisson a deux nageoires aux ouïes, deux au ventre près de celles des ouïes, une autre au-dessous de l'anus & une longue sur le dos. La queue n'est pas en forme de croissant, comme celle du thon, ni fourchue. Le pompile suit les vaisseaux & reste toujours dans la haute mer. Rondelet, Hist. nat. des poissons, premiere partie, l. VIII. ch. xiij. Voyez POISSON.
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POMPON | S. m. terme de Marchand de modes, ce sont de petits agrémens faits de clinquant & de soie, montés sur des fils de laiton, & qui représentent des fleurs ; cela sert aux femmes pour mettre dans leurs cheveux. Ils ne sont plus guere de mode.
POMPONS DOUBLES, en terme de Boutonnier, sont deux ronds de velin découpés à l'emporte-piece, attachés l'un à l'autre, mis en soie & bordés de canetille ou de millerai. Voyez CANETILLE & METTRE EN SOIE.
POMPONS DE DIAMANS, (Metteur en oeuvre) ce sont tous les ajustemens de tête des dames en diamans, comme des fleurs, des papillons, des épingles, des cornes, &c. tous ces ajustemens se fourrent dans les cheveux & s'y retiennent au moyen d'une grande queue de laiton très-flexible, que l'on enlace avec les cheveux.
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POMPONA | (Botan. exot.) nom donné par les Espagnols en Amérique à une espece de vanille dont les gousses sont plus courtes & plus épaisses que celles de la vanille commune ; leur odeur est aussi plus forte, mais moins agréable. La substance pulpeuse qu'elles contiennent est plus liquide que celle de la vanille marchande, & ses graines sont beaucoup plus grosses. On ne trouve jamais à acheter cette espece de vanille que séparément. Les Indiens qui en font la recolte la mêlent finement avec les autres especes ; c'est à l'acquéreur à la trier & à l'ôter lui-même, car elle cause des maux de tête & l'hystérisme aux femmes dont les nerfs sont délicats. On ignore encore si c'est le fruit d'une vanille particuliere, ou si elle en differe seulement par la vieillesse de la plante ou par le terroir. Voyez VANILLE.
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POMPONIANUM | (Géog. anc.) lieu d'Italie apparemment dans le territoire de Cumes, puisque Pline le jeune, lib. VI. epist. ad Tacitum suum, dit qu'il n'étoit séparé de Stabiae que par un golfe. Ortélius soupçonne que ce pourroit être le même lieu que Pompeïanum. (D.J.)
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POMPTIN CHAMP | (Hist. rom.) le champ Pomptin tout environné de marais, étoit une certaine étendue du pays du territoire des Volsques, qui donna son nom à la tribu Pomptine ; elle tiroit elle-même le sien de la ville de Pométie, que les Latins appelloient Suessia, Pometiae, Pometia & Pontia. Festus nous instruit de cette origine : Pomptina tribus, dit-il, à Pontia urbe dicta, à quâ palus quoque Pomptina appellata est juxta Terracinam.
Tite-Live, liv. VI. ch. v. nous apprend que lorsque les Volsques furent entierement subjugués par les succès de Camille, les tribuns du peuple réveillant leurs prétentions pour le partage des terres, commencerent à flatter le peuple de l'espérance du champ Pomptin dont la possession n'étoit plus douteuse ; mais le sénat différa d'en faire le partage, jusqu'à ce que voyant toute l'Italie prête à se soulever, il jugea à propos de l'accorder au peuple, afin de le déterminer plus aisément à prendre les armes. (D.J.)
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POMPTINA PALUS | ou Pontina palus, (Géog. anc.) le marais Pontine ; marais célébre dans le Latium. Il tiroit son nom de la ville de Pométia. Tite-Live, liv. XLVI. nous apprend que le consul Cornelius Cethegus fit dessécher la meilleure partie de ce marais, & le mit en état de pouvoir être cultivé ; mais comme on le négligea dans la suite, les eaux gagnerent, & le marais retourna dans son premier état. Théodoric, roi des Goths, le fit dessécher pour la seconde fois, comme le porte une inscription qui s'est conservée : mais par le peu de soin que l'on a eu d'entretenir l'ouvrage, presque tous les champs se trouvent maintenant inondés tant par l'eau des rivieres qui ont leurs cours dans ce quartier, que par les sources abondantes qui sortent du pié des montagnes voisines. (D.J.)
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PONANDÉ | S. m. (Financ.) c'est ainsi qu'à la chambre des comptes de Paris les clercs appellent la premiere apostille qui se met sur le commencement d'un compte, & l'étiquette de parchemin de la liasse des acquits du compte.
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PONANT | S. m. (Marine) ce terme est en usage parmi les marchands & négocians qui font le commerce de la mer. Il signifie la mer océane Atlantique, par opposition à la Méditerranée, qu'on appelle la mer du Levant. Ainsi, négocier dans le ponant, signifie négocier chez toutes les nations qui habitent les côtes de l'Océan.
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PONC | (Hist. nat. Botan.) arbre des Indes orientales dont le bois est assez tendre, ce qui fait qu'on l'employe dans les ouvrages qui doivent être vernis.
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PONCE | pumex, voyez l'article PIERRE-PONCE.
PONCE, s. f. (Dessein) la ponce est un nouet d'un morceau de toile assez claire qu'on emplit de charbon bien pilé, si c'est pour poncer sur un corps blanc ; ou de plâtre fin & sec, si c'est pour poncer sur un corps brun.
PONCE, (Toilerie) dans le négoce des toiles, c'est une sorte d'encre composée de noir de fumée broyée avec de l'huile, dont on se sert pour imprimer certaines marques sur le bout des pieces de toile ; cela se fait avec un morceau de cuivre ou de fer gravé que l'on noircit ou qu'on frotte de cette encre par le moyen d'une espece de balle à imprimer qui en est imbibée. La ponce ne peut être ôtée ni s'en aller au blanchissage, & c'est la raison qui fait qu'on s'en sert pour marquer les toiles.
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PONCEAU | S. m. (Archit. hydraul.) petit pont d'une arche pour passer un ruisseau ou petit canal. On compte à Venise jusqu'à 363 de ces petits ponts.
PONCEAU, (Teinture) c'est un rouge foncé qui fait un beau couleur de feu. Les étoffes & les rubans de soie teints en ponceau, sont d'un prix considérable. Les rubans d'Angleterre de cette couleur sont fort estimés, & ne peuvent guere être imités ni pour la teinture, ni pour la fabrique, dans les rubaneries des autres nations.
Cette couleur a pris son nom de la fleur du ponceau, qui n'est autre chose que le petit pavot simple, appellé vulgairement coquelico, qui croît naturellement dans les blés, & dont la couleur est d'un parfaitement beau rouge. (D.J.)
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PONCER | (terme d'Ouvriers) c'est se servir d'une pierre-ponce pour enlever de dessus quelque superficie le raboteux qui y est afin de rendre l'étoffe plus unie & plus douce.
PONCER, terme de Chapelier, qui signifie tondre un chapeau, ou en ôter les plus longs poils pour le rendre plus ras, en passant la pierre-ponce par-dessus. Quand on fait cette opération avec de la peau de chien de mer, on l'appelle rober. Voyez ROBER.
PONCER UN CUIR, (Corroyerie) c'est enlever avec une pierre-ponce très-rude les petits morceaux de chair qui peuvent rester sur les peaux qu'on corroye, après qu'ils ont été boutés & écharnés par le corroyeur ; cette façon ne se donne qu'aux peaux de veaux, & s'appelle poncer de chair.
PONCER LE PARCHEMIN, terme de Parcheminier, qui signifie le bien unir en passant la pierre-ponce par-dessus après qu'il a été bien raturé sur le sommier. Cette façon se donne sur une forme ou banquette couverte de toile & rembourrée, qu'on appelle selle à poncer. Quand le parchemin a été poncé, il est en état pour-lors de recevoir l'écriture & d'être mis en vente.
PONCER, (Orfévrerie) ce mot se dit chez les Orfévres, lorsqu'on rend la vaisselle d'argent matte, en la frottant avec de la pierre-ponce. (D.J.)
PONCER, (Dessein) c'est une maniere de transporter un dessein au papier, sur quelque corps que ce soit, en piquant tout le contour du dessein avec la pointe d'une aiguille, & en faisant passer une poussiere au-travers des trous, pour marquer tous les traits chacun à leur place. On se sert quelquefois de cette méthode dans plusieurs ouvrages de peinture & dans la broderie, mais sur-tout dans les ornemens. (D.J.)
PONCER UNE TOILE, (Toilerie) c'est la marquer à l'un des bouts de la piece avec une sorte d'encre faite de noir de fumée broyé avec de l'huile. (D.J.)
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PONCHE | voyez PUNCH.
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PONCIRE | S. m. (Jardinage) est une espece de citronnier qui ne differe que par ses fruits qui forment de gros citrons, ayant la côte fort épaisse & peu de jus ; on fait confire de l'écorce de citronnier ou poncire.
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PONCIS | S. m. (Dessein) on appelle poncis, le dessein piqué, lequel sert de modele pour être imité en broderie, ou en peinture. Geldorp peintre allemand, gagnoit sa vie par le moyen des poncis. Comme il manioit passablement bien les couleurs, & qu'il avoit de la peine à dessiner, il avoit fait faire par d'autres peintres, plusieurs têtes, plusieurs piés, & plusieurs mains sur du papier, dont il avoit fait des poncis, pour lui servir dans ses tableaux. (D.J.)
PONCIS, terme d'Ecrivain, c'est une demi-feuille de papier coupé avec le canif & la regle, le plus droit qu'il est possible, qu'on met sur le papier où l'on veut écrire pour aller droit. (D.J.)
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PONCTION | S. f. en terme de Chirurgie, signifie une ouverture que l'on fait au bas-ventre d'un hydropique, pour en faire sortir l'eau qui y est contenue ; on l'appelle aussi paracentese. Voyez PARACENTESE & HYDROPISIE. On fait la ponction à la vessie dans certaines rétentions d'urine. Voyez RETENTION D'URINE.
Ponction signifie aussi une plaie faite par un instrument piquant, comme aiguille, couteau, épée, bayonnette, &c. Voyez PIQUURE. (Y)
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PONCTUALITÉ | S. f. (Gramm.) voyez PONCTUEL.
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PONCTUATEUR | S. m. (Hist. ecclés.) c'est dans les chapitres & autres communautés celui qui est chargé de remarquer les absences & autres fautes sujettes à amendes, qui se commettent à l'église pendant l'office ou autrement.
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PONCTUATION | S. f. c'est l'art d'indiquer dans l'écriture par les signes reçus, la proportion des pauses que l'on doit faire en parlant.
Il existe un grand nombre de manuscrits anciens, où ni les mots, ni les sens, ni les propositions, ne sont distingués en aucune maniere ; ce qui porteroit à croire que l'art de la ponctuation étoit ignoré dans les premiers tems. Les principes en sont même aujourd'hui si incertains, si peu fixés par l'usage uniforme & constant des bons auteurs, qu'au premier aspect on est porté à croire que c'est une invention moderne ; le pere Buffier, Gramm. fr. n°. 975. & M. Restaut, chap. xvj. disent expressément que c'est une pratique introduite en ces derniers siecles dans la Grammaire.
On trouve néanmoins dans les écrits des anciens, une suite de témoignages qui démontrent, que la nécessité de cette distinction raisonnée s'étoit fait sentir de bonne heure ; qu'on avoit institué des caracteres pour cette fin, & que la tradition s'en conservoit d'âge en âge ; ce qui apparemment auroit porté l'art de ponctuer à sa perfection, si l'Imprimerie, qui est si propre à éterniser les inventions de l'esprit humain, eût existé dès ces premiers tems.
Dans le vij. siecle de l'ere chrétienne, Isidore de Séville parle ainsi des caracteres de la ponctuation connue de son tems : quaedam sententiarum notae apud celeberrimos auctores fuerunt, quasque antiqui ad distinctionem scripturarum carminibus & historiis apposuerunt. Nota est figura propria in litterae modum posita, ad demonstrandam unamquamque verbi, sententiarumque, ac versuum rationem. Orig. I. 20.
Vers la fin du iv. siecle, & au commencement du v. S. Jérome traduisit en latin l'Ecriture sainte qu'il trouva sans aucune distinction dans le texte original ; c'est sa version que l'Eglise a adoptée sous le nom de vulgate, excepté les pseaumes, qui sont presque entierement de l'ancienne version. Or le saint docteur remarque dans plusieurs de ses préfaces, que l'on trouve à la tête des bibles vulgates (in Josue, in lib. paralip. in Ezech.), qu'il a distingué dans sa version les mots, les membres des phrases, & les versets.
Ciceron connoissoit aussi ces notes distinctives, & l'usage qu'il convenoit d'en faire. On peut voir (article ACCENT) un passage de cet orateur (Orat. lib. III. n. xliv.), où il est fait mention des Librariorum notis, comme de signes destinés à marquer des repos & des mesures.
Aristote, qui vivoit il y a plus de 2000 ans, se plaint (Rhet. III. 5.) de ce qu'on ne pouvoit pas ponctuer les écrits d'Héraclite, sans risquer de lui donner quelque contre-sens. Nam scripta Heracliti interpungere operosum est, quia incertum utri vox conjungenda, an priori, an verò posteriori, ut in principio ipsius libri ; ait enim : Rationis existentis semper imperiti homines nascuntur, () ; incertum est enim illud semper () utri interpunctione conjungas. Ce passage prouve que le philosophe de Stagyre, non-seulement sentoit la nécessité de faire avec intelligence des pauses convenables dans l'énonciation du discours, & de les marquer dans le discours écrit, mais même qu'il connoissoit l'usage des points pour cette distinction : car le mot original , rendu ici par interpungere & interpunctione, a pour racines le verbe , pungo, & la préposition , qui, selon l'auteur des racines grecques de P. R. vient de , divido ; ensorte que , signifie proprement pungere ad dividendum, ou punctis distinguere.
Comment est-il donc arrivé que si long-tems après l'invention des signes distinctifs de la ponctuation, il se soit trouvé des copistes, & peut-être des auteurs, qui écrivoient sans distinction, non-seulement de phrases ou de membres de phrases, mais même de mots ? Par rapport aux livres saints, il est facile de le concevoir. Antérieurs de beaucoup, pour la plûpart, à l'art de ponctuer, ils ont dû être écrits sans aucun signe de distinction. Les Israëlites faisant profession de n'avoir point de commerce avec les autres peuples, ne durent pas être instruits promtement de leurs inventions ; & les livres inspirés, même dans les derniers tems, durent être écrits comme les premiers, tant pour cette cause, que par respect pour la forme primitive. Ce même respect, porté par les Juifs jusqu'au scrupule & à la minutie, ne leur a pas permis depuis d'introduire dans le texte sacré le moindre caractere étranger. Ce ne fut que longtems après leur derniere dispersion dans toutes les parties de la terre, & lorsque la langue sainte devenue une langue morte eut besoin de secours extraordinaires pour être entendue & conservée, que les docteurs juifs de l'école de Tibériade, aujourd'hui connus sous le nom de Massoretes, imaginerent les points voyelles (voyez POINT), & les signes de la ponctuation que les Hébraïsans nomment accentus pausantes & distinguentes : mais les témoignages que je viens de rapporter d'une tradition plus ancienne qu'eux sur la ponctuation, prouvent qu'ils n'en inventerent point l'art ; ils ne firent que le perfectionner, ou plutôt que l'adapter aux livres sacrés, pour en faciliter l'intelligence.
Pour ce qui est des autres nations, sans avoir le même attachement & le même respect que les Juifs pour les anciens usages, elles purent aisément préférer l'habitude ancienne aux nouveautés que les bons esprits leur présentoient : c'est une suite de la constitution naturelle de l'homme ; le peuple sur-tout se laisse aller volontiers à l'humeur singeresse dont parle Montagne, & il n'y a que trop de savans qui sont peuples, & qui ne savent qu'imiter ou même copier. D'ailleurs la communication des idées nouvelles, avant l'invention de l'Imprimerie, n'étoit ni si facile, ni si promte, ni si universelle, qu'elle l'est aujourd'hui : & si nous sommes étonnés que les anciens ayent fait si peu d'attention à l'art de ponctuer, il seroit presque scandaleux, que dans un siecle éclairé comme le nôtre, & avec les moyens de communication que nous avons en main, nous négligeassions une partie si importante de la Grammaire.
" Il est très-vrai, dit M. l'Abbé Girard, (tome II. disc. xvj. pag. 435.) que par rapport à la pureté du langage, à la netteté de la phrase, à la beauté de l'expression, à la délicatesse & à la solidité des pensées, la ponctuation n'est que d'un mince mérite... mais... la ponctuation soulage & conduit le lecteur. Elle lui indique les endroits où il convient de se reposer pour prendre sa respiration, & combien de tems il y doit mettre. Elle contribue à l'honneur de l'intelligence, en dirigeant la lecture de maniere que le stupide paroisse, comme l'homme d'esprit, comprendre ce qu'il lit. Elle tient en regle l'attention de ceux qui écoutent, & leur fixe les bornes du sens : elle remédie aux obscurités qui viennent du style ".
De même que l'on ne parle que pour être entendu, on n'écrit que pour transmettre ses pensées aux absens d'une maniere intelligible. Or il en est à-peu-près de la parole écrite, comme de la parole prononcée : " le repos de la voix dans le discours, dit M. Diderot (article ENCYCLOPEDIE), & les signes de la ponctuation dans l'écriture, se correspondent toujours, indiquent également la liaison ou la disjonction des idées ". Ainsi il y auroit autant d'inconvénient à supprimer ou à mal placer dans l'écriture les signes de la ponctuation, qu'à supprimer ou à mal placer dans la parole les repos de la voix. Les uns comme les autres servent à déterminer le sens ; & il y a telle suite de mots qui n'auroit, sans le secours des pauses ou des caracteres qui les indiquent, qu'une signification incertaine & équivoque, & qui pourroit même présenter des sens contradictoires, selon la maniere dont on y grouperoit les mots.
On rapporte que le général Fairfax, au lieu de signer simplement la sentence de mort du roi d'Angleterre Charles I. songea à se ménager un moyen pour se disculper dans le besoin, de ce qu'il y avoit d'odieux dans cette démarche, & qu'il prit un détour, qui, bien apprécié, n'étoit qu'un crime de plus. Il écrivit sans ponctuation, au bas de la sentence : si omnes consentiunt ego non dissentio ; se réservant d'interprêter son dire, selon l'occurrence, en le ponctuant ainsi : si omnes consentiunt ; ego non ; dissentio, au lieu de le ponctuer conformément au sens naturel qui se présente d'abord, & que sûrement il vouloit faire entendre dans le moment : si omnes consentiunt, ego non dissentio.
" C'est par une omission de points & de virgules bien marquées, dit le P. Buffier, (Gramm. fr. n°. 975.) qu'il s'est trouvé des difficultés insurmontables, soit dans le texte de l'Ecriture-sainte, soit dans l'exposition des dogmes de la Religion, soit dans l'énonciation des lois, des arrêts, & des contrats de la plus grande conséquence pour la vie civile. Cependant, ajoute-t-il, on n'est point encore convenu tout-à-fait de l'usage des divers signes de la ponctuation. La plûpart du tems chaque auteur se fait un systême sur cela ; & le systême de plusieurs, c'est de n'en point avoir.... Il est vrai qu'il est très-difficile, ou même impossible, de faire sur la ponctuation un systême juste & dont tout le monde convienne ; soit à cause de la variété infinie qui se rencontre dans la maniere dont les phrases & les mots peuvent être arrangés, soit à cause des idées différentes que chacun se forme à cette occasion ".
Il me semble que le P. Buffier n'a point touché, ou n'a touché que trop légérement la véritable cause de la difficulté qu'il peut y avoir à construire & à faire adopter un systême de ponctuation. C'est que les principes en sont nécessairement liés à une métaphysique très-subtile, que tout le monde n'est pas en état de saisir & de bien appliquer ; ou qu'on ne veut pas prendre la peine d'examiner ; ou peut-être tout simplement, qu'on n'a pas encore assez déterminée, soit pour ne s'en être pas suffisamment occupé, soit pour l'avoir imaginée toute autre qu'elle n'est.
Tout le monde sent la justesse qu'il y a à définir la ponctuation, comme je l'ai fait dès le commencement ; l'art d'indiquer dans l'écriture, par les signes reçus, la proportion des pauses que l'on doit faire en parlant.
Les caracteres usuels de la ponctuation, sont la virgule, qui marque la moindre de toutes les pauses, une pause presque insensible ; un point & une virgule, qui désigne une pause un peu plus grande ; les deux points qui annoncent un repos encore un peu plus considérable ; & le point qui marque la plus grande de toutes les pauses.
Le choix de ces caracteres devant dépendre de la proportion qu'il convient d'établir dans les pauses, l'art de ponctuer se réduit à bien connoître les principes de cette proportion. Or il est évident qu'elle doit se régler sur les besoins de la respiration, combinés néanmoins avec les sens partiels qui constituent les propositions totales. Si l'on n'avoit égard qu'aux besoins de la respiration, le discours devroit se partager en parties à-peu-près égales ; & souvent on suspendroit maladroitement un sens, qui pourroit même par-là devenir inintelligible ; d'autres fois on uniroit ensemble des sens tout-à-fait dissemblables & sans liaison, ou la fin de l'expression d'un sens avec le commencement d'un autre. Si au contraire on ne se proposoit que la distinction des sens partiels, sans égard aux besoins de la respiration ; chacun placeroit les caracteres distinctifs, selon qu'il jugeroit convenable d'anatomiser plus ou moins les parties du discours : l'un le couperoit par masses énormes, qui mettroient hors d'haleine ceux qui voudroient les prononcer de suite : l'autre le réduiroit en particules qui feroient de la parole une espece de bégayement, dans la bouche de ceux qui voudroient marquer toutes les pauses écrites.
Outre qu'il faut combiner les besoins des poûmons avec les sens partiels, il est encore indispensable de prendre garde aux différens degrés de subordination qui conviennent à chacun de ces sens partiels dans l'ensemble d'une proposition ou d'une période, & d'en tenir compte dans la ponctuation par une gradation proportionnée dans le choix des signes. Sans cette attention, les parties subalternes du troisieme ordre, par exemple, seroient séparées entr'elles par des intervalles égaux à ceux qui distinguent les parties du second ordre & du premier ; & cette égalité des intervalles ameneroit dans la prononciation une sorte d'équivoque, puisqu'elle présenteroit comme parties également dépendantes d'un même tout, des sens réellement subordonnés les uns aux autres, & distingués par différens degrés d'affinité.
Que faudroit-il donc penser d'un systême de ponctuation qui exigeroit, entre les parties subalternes d'un membre de période, des intervalles plus considérables qu'entre les membres primitifs de la période ? Tel est celui de M. l'abbé Girard, qui veut (tome II. page 463.) que l'on ponctue ainsi la période suivante :
Si l'on fait attention à la conformation délicate du corps féminin : si l'on connoît l'influence des mouvemens histériques : & si l'on sait que l'action en est aussi forte qu'irréguliere ; on excusera facilement les foiblesses des femmes.
C'est l'exemple qu'il allegue d'une regle qu'il énonce en ces termes : " Il n'est pas essentiel aux deux points de servir toujours à distinguer des membres principaux de période : il leur arrive quelquefois de se trouver entre les parties subalternes d'un membre principal qui n'est distingué de l'autre que par la virgule ponctuée. Cela a lieu lorsqu'on fait énumération de plusieurs choses indépendantes entr'elles, pour les rendre toutes dépendantes d'une autre qui acheve le sens ". Mais, je le demande, qu'importe à l'ensemble de la période l'indépendance intrinseque des parties que l'on y réunit ? S'il y faut faire attention pour bien ponctuer, & s'il faut ponctuer d'après la regle de l'académicien ; il faut donc écrire ainsi la phrase suivante :
L'officier : le soldat : & le valet se sont enrichis à cette expédition.
Cependant M. Girard lui-même n'y met que des virgules ; & il fait bien, quoiqu'il y ait énumération de plusieurs choses indépendantes entr'elles, rendues toutes dépendantes de l'attribut commun, se sont enrichis à cette expédition, lequel attribut acheve le sens. Ce grammairien a senti si vivement qu'il n'y avoit qu'une bonne métaphysique qui pût éclaircir les principes des langues, qu'il fait continuellement les frais d'aller la chercher fort loin, quoiqu'elle soit souvent assez simple & assez frappante : il lui arrive alors de laisser la bonne pour des pointilles ou du précieux.
Il s'est encore mépris sur le titre de son seizieme discours, qu'il a intitulé de la ponctuation françoise. Un systême de ponctuation construit sur de solides fondemens, n'est pas plus propre à la langue françoise qu'à toute autre langue. C'est une partie de l'objet de la Grammaire générale ; & cette partie essentielle de l'Orthographe ne tient de l'usage national que le nombre, la figure, & la valeur des signes qu'elle employe.
Mais passons au détail du systême qui doit naître naturellement des principes que je viens d'établir. J'en réduis toutes les regles à quatre chefs principaux, relativement aux quatre especes de caracteres usités dans notre ponctuation.
I. De la virgule. La virgule doit être le seul caractere dont on fasse usage par-tout où l'on ne fait qu'une seule division des sens partiels, sans aucune soudivision subalterne. La raison de cette premiere regle générale est que la division dont il s'agit se faisant pour ménager la foiblesse ou de l'organe ou de l'intelligence, mais toujours un peu aux dépens de l'unité de la pensée totale, qui est réellement indivisible, il ne faut accorder aux besoins de l'humanité que ce qui leur est indispensablement nécessaire, & conserver le plus scrupuleusement qu'il est possible, la vérité & l'unité de la pensée dont la parole doit présenter une image fidele. C'est donc le cas d'employer la virgule qui est suffisante pour marquer un repos ou une distinction, mais qui, indiquant le moindre de tous les repos, désigne aussi une division qui altere peu l'unité de l'expression & de la pensée. Appliquons cette regle générale aux cas particuliers.
1°. Les parties similaires d'une même proposition composée doivent être séparées par des virgules, pourvû qu'il y en ait plus de deux, & qu'aucune de ces parties ne soit soudivisée en d'autres parties subalternes.
Exemples pour plusieurs sujets : la richesse, le plaisir, la santé, deviennent des maux pour qui ne sait pas en user. Théor. des sent. ch. xiv.
Le regret du passé, le chagrin du présent, l'inquiétude sur l'avenir, sont les fléaux qui affligent le plus le genre humain. Ib.
Exemple de plusieurs attributs réunis sur un même sujet : un prince d'une naissance incertaine, nourri par une femme prostituée, élevé par des bergers, & depuis devenu chef de brigands, jetta les premiers fondemens de la capitale du monde. Vertot, Révol. rom. liv. I.
Exemple de plusieurs verbes rapportés au même sujet : il alla dans cette caverne, trouva les instrumens, abattit les peupliers, & mit en un seul jour un vaisseau en état de voguer. Télémaque, liv. VII.
Exemple de plusieurs complémens d'un même verbe : ainsi que d'autres encore plus anciens qui enseignerent à se nourrir de blé, à se vêtir, à se faire des habitations, à se procurer les besoins de la vie, à se précautionner contre les bêtes féroces. Trad. par M. l'abbé d'Olivet, de cette phrase de Ciceron, qui peut aussi entrer en exemple : etiam superiores qui fruges, qui vestitum, qui tecta, qui cultum vitae, qui praesidia contrà feras invenerunt. Tuscul. I. 25.
M. l'abbé Girard (tom. II. pag. 456.) se conforme à la regle que l'on vient de proposer, & ponctue avec la virgule la phrase suivante.
Je connois quelqu'un qui loue sans estimer, qui décide sans connoître, qui contredit sans avoir d'opinion, qui parle sans penser, & qui s'occupe sans rien faire.
Quatre lignes plus bas, il ponctue avec les deux points une autre phrase tout-à-fait semblable à celle-là, & qui par conséquent n'exigeoit pareillement que la virgule.
C'est un mortel qui se moque du qu'en dira-t-on : qui n'est occupé que du plaisir : qui critique hardiment tout ce qui lui déplaît : dont l'esprit est fécond en systêmes, & le coeur peu susceptible d'attachement : que tout le monde recherche & veut avoir à sa compagnie.
Dire pour justifier cette disparate, que les parties similaires du premier exemple sont en rapport d'union, & celles du second en rapport de partie intégrante, c'est fonder une différence trop réelle sur une distinction purement nominale, parce que le rapport de partie intégrante est un vrai rapport d'union, puisque les parties intégrantes ont entr'elles une union nécessaire pour l'intégrité du tout : d'ailleurs quelque réelle que pût être cette distinction, elle ne pourroit jamais être mise à la portée du grand nombre, même du grand nombre des gens de lettres ; & ce seroit un abus que d'en faire un principe dans l'art de ponctuer, qui doit être accessible à tous. Il ne faut donc que la virgule au lieu des deux points dont s'est servi l'académicien, & la seule virgule qu'il a employée, il faut la supprimer en vertu de la regle suivante.
2°. Lorsqu'il n'y a que deux parties similaires, si elles ne sont que rapprochées sans conjonction, le besoin d'indiquer la diversité de ces parties, exige entre-deux une virgule dans l'orthographe & une pause dans la prononciation. Exemple : des anciennes moeurs, un certain usage de la pauvreté, rendoient à Rome les fortunes à-peu-près égales. Montesquieu, grandeur & décad. des Rom. ch. iv.
Si les deux parties similaires sont liées par une conjonction, & que les deux ensemble n'excedent pas la portée commune de la respiration, la conjonction suffit pour marquer la diversité des parties, & la virgule romproit mal-à-propos l'unité du tout qu'elles constituent, puisque l'organe n'exige point de repos. Exemples : l'imagination & le jugement ne sont pas toujours d'accord. Gramm. de Buffier, n°. 980. Il parle de ce qu'il ne sait point ou de ce qu'il sait mal. La Bruyere, ch. xj.
Mais si les deux parties similaires réunies par la conjonction, ont une certaine étendue qui empêche qu'on ne puisse aisément les prononcer tout de suite sans respirer ; alors, nonobstant la conjonction qui marque la diversité, il faut faire usage de la virgule pour indiquer la pause : c'est le besoin seul de l'organe qui fait ici la loi. Exemples : il formoit ces foudres dont le bruit a retenti par-tout le monde, & ceux qui grondent encore sur le point d'éclater. Pelisson. Elle (l'Eglise) n'a jamais regardé comme purement inspiré de Dieu, que ce que les Apôtres ont écrit, ou ce qu'ils ont confirmé par leur autorité. Bossuet, Disc. sur l'hist. univ. part. II.
M. Restaut (ch. xvj.) veut qu'on écrive sans virgule : l'exercice & la frugalité fortifient le tempérament. Je ne veux plus vous voir ni vous parler. Et il fait bien. " Mais on met la virgule, dit-il, avant ces conjonctions, si les termes qu'elles assemblent sont accompagnés de circonstances ou de phrases incidentes, comme quand on dit : l'exercice que l'on prend à la chasse, & la frugalité que l'on observe dans le repas, fortifient le tempérament. Je ne veux plus vous voir dans l'état où vous êtes, ni vous parler des risques que vous courez ". Cette remarque indique une raison fausse : l'addition d'une circonstance ou d'une phrase incidente ne rompt jamais l'unité de l'expression totale, & conséquemment n'amene jamais le besoin d'en séparer les parties par des pauses : ce n'est que quand les parties s'allongent assez pour fatiguer l'organe de la prononciation, qu'il faut indiquer un repos entre-deux par la virgule ; si l'addition n'est pas assez considérable pour cela, il ne faudra point de virgule, & l'on dira très-bien sans pause : un exercice modéré & une frugalité honnête fortifient le tempérament. Je ne veux plus vous voir ici ni vous parler sans témoins : dans ce cas la regle de M. Restaut est fausse, pour être trop générale.
3° Ce qui vient d'être dit de deux parties similaires d'une proposition composée, doit encore se dire des membres d'une période qui n'en a que deux, lorsque ni l'un ni l'autre n'est subdivisé en parties subalternes, dont la distinction exige la virgule : il faut alors en séparer les deux membres par une simple virgule. Exemples : la certitude de nos connoissances ne suffit pas pour les rendre précieuses, c'est leur importance qui en fait le prix. Théor. des sent. ch. j. On croit quelquefois haïr la flaterie, mais on ne hait que la maniere de flater. La Rochefoucault, pensée 329. éd. de 1741. Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres. Id. pensée 31.
M. l'abbé Girard, au lieu d'employer un point & une virgule dans les périodes suivantes (tom. I. pag. 458), auroit donc dû les ponctuer par une simple virgule, en cette maniere : l'homme manque souvent de raison quoiqu'il se définisse un être raisonnable. Si César eût eu la justice de son côté, Caton ne se seroit pas déclaré pour Pompée. Non-seulement il lui a refusé sa protection, mais il lui a encore rendu de mauvais services.
4°. Dans le style coupé, où un sens total est énoncé par plusieurs propositions qui se succedent rapidement, & dont chacune a un sens fini, & qui semble complet, la simple virgule suffit encore pour séparer ces propositions, si aucune d'elles n'est divisée en d'autres parties subalternes qui exigent la virgule. Exemple : les voilà comme deux bêtes cruelles qui cherchent à se déchirer ; le feu brille dans leurs yeux, ils se raccourcissent, ils s'allongent, ils se baissent, ils se relevent, ils s'élancent, ils sont altérés de sang. Télémaque, liv. XVI. On débute par une proposition générale : les voilà comme deux bêtes cruelles qui cherchent à se déchirer ; & elle est séparée du reste par une ponctuation plus forte ; les autres propositions sont comme différens aspects & divers développemens de la premiere.
Autre exemple : il vient une nouvelle, on en rapporte les circonstances les plus marquées, elle passe dans la bouche de tout le monde, ceux qui en doivent être les mieux instruits la croyent & la répandent, j'agis sur cela ; je ne crois pas être blâmable. " Toutes les parties de cette période, dit le P. Buffier (Gramm. fr. n°. 997.), ne sont que des circonstances ou des jours particuliers de cette proposition principale : je ne crois pas être blâmable ". C'est aussi pour cela que je l'ai séparée du reste par une ponctuation plus forte ; ce que n'a pas fait le P. Buffier.
Quoique chacune des propositions dont il s'agit ici soit isolée par rapport à sa constitution grammaticale, elle a cependant avec les autres une affinité logique, qui les rend toutes parties similaires d'un sens unique & principal ; si elles ne sont unies sensiblement par aucune conjonction expresse, c'est pour arrêter moins la marche de l'esprit par l'attirail traînant de mots superflus, & pour donner au style plus de feu & de vivacité. L'exemple du Télémaque offre une peinture bien plus animée, & celui du P. Buffier est une apologie qui a beaucoup plus de chaleur que si l'on avoit lié scrupuleusement par des conjonctions expresses les parties de ces deux ensembles. Ce seroit donc aller directement contre l'esprit du style coupé, & détruire sans besoin la vérité & l'unité de la pensée totale, que d'en assujettir l'expression à une prononciation appesantie par des intervalles trop grands. Il en faut pour la distinction des sens partiels & pour les repos de l'organe ; mais rendons-les les plus courts qu'il est possible, & contentons-nous de la virgule quand une division subalterne n'exige rien de plus.
C'est pourtant l'usage de la plûpart des écrivains, & la regle prescrite par le grand nombre des grammairiens, de séparer ces propositions coupées par un point & une virgule, ou même par deux points. Mais outre que je suis persuadé, comme je l'ai déja dit, que l'autorité dans cette matiere ne doit être considérée qu'autant qu'elle vient à l'appui des principes raisonnés ; si l'on examine ceux qui ont dirigé les grammairiens dont il s'agit, il sera facile de reconnoître qu'ils sont erronés.
" On le met, dit M. Restaut parlant du point (ch. xvj.), à la fin d'une phrase ou d'une période dont le sens est absolument fini, c'est-à-dire lorsque ce qui la suit en est tout-à-fait indépendant. Nous observerons, ajoute-t-il un peu après, que dans le style concis & coupé, on met souvent les deux points à la place du point, parce que les phrases étant courtes, elles semblent moins détachées les unes des autres ".
Il est évident que ce grammairien donne en preuve une chose qui est absolument fausse ; car c'est une erreur sensible de faire dépendre le degré d'affinité des phrases de leur plus ou moins d'étendue ; un atôme n'a pas plus de liaison avec un atôme, qu'une montagne avec une montagne : d'ailleurs c'est une méprise réelle de faire consister la plénitude du sens dans la plénitude grammaticale de la proposition, s'il est permis de parler ainsi ; les deux exemples que l'on vient de voir le démontrent assez ; & M. l'abbé Girard va le démontrer encore dans un raisonnement dont j'adopte volontiers l'hypothèse, quoique j'en rejette la conséquence, ou que j'en déduise une toute opposée.
Il propose l'exemple que voici dans le style coupé, & il en sépare les propositions partielles par les deux points : l'amour est une passion de pur caprice : il attribue du mérite à l'objet dont on est touché : il ne fait pourtant pas aimer le mérite : jamais il ne se conduit par reconnoissance : tout est chez lui goût ou sensation : rien n'y est lumiere ni vertu : " Pour rendre plus sensible, dit-il, ensuite (tom. II. p. 461.) la différence qu'il y a entre la distinction que doivent marquer les deux points & celle à qui la virgule ponctuée est affectée, je vais donner à l'exemple rapporté un autre tour, qui, en mettant une liaison de dépendance entre les portions qui les composent, exigera que la distinction soit alors représentée autrement que par les deux points : l'amour est une passion de pur caprice ; qui attribue du mérite à l'objet aimé ; mais qui ne fait pas aimer le mérite ; à qui la reconnoissance est inconnue ; parce que chez lui tout se porte à la volupté ; & que rien n'y est lumiere ni ne tend à la vertu ".
Il est vrai, & c'est l'hypothèse que j'adopte, & qu'on ne peut pas refuser d'admettre ; il est vrai que c'est le même fonds de pensée sous deux formes différentes ; que la liaison des parties n'est que présumée, pour ainsi dire, ou sentie sous la premiere forme, & qu'elle est expressément énoncée dans la seconde ; mais qu'elle est effectivement la même de part & d'autre. Que suit-il de-là ? L'académicien en conclut qu'il faut une ponctuation plus forte dans le premier cas, parce que la liaison y est moins sensible ; & qu'il faut une ponctuation moins forte dans le second cas, parce que l'affinité des parties y est exprimée positivement. J'ose prétendre au contraire que la ponctuation doit être la même de part & d'autre, parce que de part & d'autre il y a réellement la même liaison, la même affinité, & que les pauses dans la prononciation, comme les signes qui les marquent dans l'écriture, doivent être proportionnées aux degrés réels d'affinité qui se trouvent entre les sens partiels d'une énonciation totale.
Mais il est certain que dans tous les exemples que l'on rapporte du style coupé, il y a, entre les propositions élémentaires qui font un ensemble, une liaison aussi réelle que si elle étoit marquée par des conjonctions expresses, quand même on ne pourroit pas les réduire à cette forme conjonctive : tous ces sens partiels concourent à la formation d'un sens total & unique, dont il ne faut altérer l'unité que le moins qu'il est possible, & dont par conséquent on ne doit séparer les parties, que par les moindres intervalles possibles dans la prononciation, & par des virgules dans l'écriture.
5°. Si une proposition est simple & sans hyperbate, & que l'étendue n'en excéde pas la portée commune de la respiration ; elle doit s'écrire de suite sans aucun signe de ponctuation. Exemples : L'homme injuste ne voit la mort que comme un fantôme affreux. Théor. des sent. ch. xiv. Il est plus honteux de se défier de ses amis que d'en être trompé. La Rochefoucault, pens. 84. Mea mihi conscientia pluris est quàm omnium sermo. Cic. ad Attic. xij. 28. Je préfere le témoignage de ma conscience à tous les discours qu'on peut tenir de moi. M. l'abbé d'Olivet, trad. de cette pensée de Ciceron.
Mais si l'étendue d'une proposition excede la portée ordinaire de la respiration, dont la mesure est à-peu-près dans le dernier exemple que je viens de citer ; il faut y marquer des repos par des virgules, placées de maniere qu'elles servent à y distinguer quelques-unes des parties constitutives, comme le sujet logique, la totalité d'un complément objectif, d'un complément accessoire ou circonstanciel du verbe, un attribut total, &c.
Exemple où la virgule distingue le sujet logique : La venue des faux christs & des faux prophêtes, sembloit être un plus prochain acheminement à la derniere ruine. Bossuet, disc. sur l'hist. univ. part. II.
Exemple où la virgule sépare un complément circonstanciel : Chaque connoissance ne se développe, qu'après qu'un certain nombre de connoissances précédentes se sont développées. Fontenelle, préf. des élém. de la Géom. de l'infini.
Exemple où la virgule sert à distinguer un complément accessoire : L'homme impatient est entraîné par ses desirs indomptés & farouches, dans un abîme de malheurs. Télémaque, liv. XXIV.
Lorsque l'ordre naturel d'une proposition simple est troublée par quelque hyperbate ; la partie transposée doit être terminée par une virgule, si elle commence la proposition ; elle doit être entre deux virgules, si elle est enclavée dans d'autres parties de la proposition.
Exemple de la premiere espece : Toutes les vérités produites seulement par le calcul, on les pourroit traiter de vérités d'expérience. Fontenelle, ibid. C'est le complément objectif qui se trouve ici à la tête de la phrase entiere.
Exemple de la seconde espece : La versification des Grecs & des Latins, par un ordre réglé de syllabes brèves & longues, donnoit à la mémoire une prise suffisante. Théor. des sent. ch. iij. Ici c'est un complément modificatif qui se trouve jetté entre le sujet logique & le verbe.
Il n'en est pas de même du complément déterminatif d'un nom ; quoique l'hyperbate en dispose, comme cela arrive fréquemment dans la poësie, on n'y employe pas la virgule, à moins que le trop d'étendue de la phrase ne l'exige pour le soulagement de la poitrine. Le grand prêtre Joad parle ainsi à Abner. Athalie, act. I. sc. j.
Celui qui met un frein à la fureur des flots,
Sait aussi des méchants arrêter les complots.
Rousseau (Ode sacrée tirée du ps. 90.) employe une semblable hyperbate :
Le juste est invulnérable ;
De son bonheur immuable,
Les anges sont les garants.
Remarquez encore que je n'indique l'usage de la virgule, que pour les cas où l'ordre naturel de la proposition est troublé par l'hyperbate ; car s'il n'y avoit qu'inversion, la virgule n'y seroit nécessaire qu'autant qu'elle pourroit l'être dans le cas même où la construction seroit directe.
De tant d'objets divers le bizarre assemblage. Racine.
Je ne sentis point devant lui le désordre où nous jette ordinairement la présence des grands hommes. Dialog. de Sylla & d'Eucrate. Il ne faut point de virgule en ces exemples, parce qu'on n'y en mettroit point si l'on disoit sans inversion : Le bizarre assemblage de tant d'objets divers ; je ne sentis point devant lui le désordre où la présence des grands hommes nous jette ordinairement.
La raison de ceci est simple. Le renversement d'ordre, amené par l'inversion, ne rompt pas la liaison des idées consécutives, & la ponctuation seroit en contradiction avec l'ordre actuel de la phrase, si l'on introduisoit des pauses où la liaison des idées est continue.
6°. Il faut mettre entre deux virgules toute proposition incidente purement explicative, & écrire de suite sans virgule toute proposition incidente déterminative. Une proposition incidente explicative est une espece de remarque interjective, qui n'a pas, avec l'antécédent, une liaison nécessaire, puisqu'on peut la retrancher sans altérer le sens de la proposition principale ; elle ne fait pas avec l'antécédent un tout indivisible, c'est plutôt une répétition du même antécédent sous une forme plus développée. Mais une proposition incidente déterminative est une partie essentielle du tout logique qu'elle constitue avec l'antécédent ; l'antécédent exprime une idée partielle, la proposition incidente déterminative en exprime une autre, & toutes deux constituent une seule idée totale indivisible, de maniere que la suppression de la proposition incidente changeroit le sens de la principale, quelquefois jusqu'à la rendre fausse. Il y a donc un fondement juste & raisonnable à employer la virgule pour celle qui est explicative, & à ne pas s'en servir pour celle qui est déterminative : dans le premier cas, la virgule indique la diversité des aspects sous lesquels est présentée la même idée, & le peu de liaison de l'incidente avec l'antécédent ; dans le second cas, la suppression de la virgule indique l'union intime & indissoluble des deux idées partielles exprimées par l'antécédent & par l'incidente.
Il faut donc écrire avec la virgule : Les passions, qui sont les maladies de l'ame, ne viennent que de notre révolte contre la raison. Pens. de Cic. par M. l'abbé d'Olivet. Il faut écrire sans virgule : La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l'acquérir. La Rochefoucault, pens. 157.
Les propositions incidentes ne sont pas toujours amenées par qui, que. dont, lequel, duquel, auquel, laquelle, lesquels, desquels, auxquels, où, comment, &c. c'est quelquefois un simple adjectif ou un participe suivi de quelques complémens, mais il peut toujours être ramené au tour conjonctif. Ces additions sont explicatives quand elles précedent l'antécédent, ou que l'antécédent précede le verbe, tandis que l'addition ne vient qu'après : dans l'un & l'autre cas il faut user de la virgule pour la raison déja alléguée. Exemples.
Soumis avec respect à sa volonté sainte,
Je crains Dieu, cher Abner, & n'ai point d'autre crainte.
Athalie, act. I. sc. j.
Avides de plaisir, nous nous flattons d'en recevoir de tous les objets inconnus qui semblent nous en promettre. Théor. des sent. ch. iv.
Le fruit meurt en naissant, dans son germe infecté.
Henriade, ch. iv.
Si ces additions suivent immédiatement l'antécédent, on peut conclure qu'elles sont explicatives, si on peut les retrancher sans altérer le sens de la proposition principale ; & dans ce cas on doit employer la virgule.
Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan & sur elle
Répandre cet esprit d'imprudence & d'erreur,
De la chûte des rois funeste avant-coureur.
Athalie, I. j.
7°. Toute addition mise à la tête ou dans le corps d'une phrase, & qui ne peut être regardée comme faisant partie de sa constitution grammaticale, doit être distinguée du reste par une virgule mise après, si l'addition est à la tête ; & si elle est enclavée dans le corps de la phrase, elle doit être entre deux virgules. Exemples :
Contre une fille qui devient de jour en jour plus insolente, qui me manque, à moi, qui vous manquera bientôt, à vous. Le pere de famille, act. III. sc. vij. Cet à moi, & cet à vous sont deux véritables hors-d'oeuvres, introduits par énergie dans l'ensemble de la phrase, mais entierement inutiles à sa constitution grammaticale.
Oculorum, inquit Plato, est in nobis sensus acerrimus, quibus sapientiam non cernimus. Cic. de Finibus, II. 16. Ici l'on voit la petite proposition, inquit Plato, insérée accidentellement dans la principale, à laquelle elle n'a aucun rapport grammatical, quoiqu'elle ait avec elle une liaison logique.
Non, non, bien loin d'être des demi-dieux, ce ne sont pas même des hommes. Télémaque, liv. XVII. Ces deux non qui commencent la phrase n'ont avec elle aucun lien grammatical ; c'est une addition emphatique dictée par la vive persuasion de la vérité qu'énonce ensuite Télémaque.
O mortels, l'espérance enivre. Médit. sur la foi, par M. de Vauvenargues. Ces deux mots ô mortels, sont entierement indépendans de la syntaxe de la proposition suivante, & doivent en être séparés par la virgule ; c'est le sujet d'un verbe sousentendu à la seconde personne du pluriel, par exemple, du verbe écoutez, ou prenez-y garde : or si l'auteur avoit dit, mortels, prenez-y garde, l'espérance enivre, il auroit énoncé deux propositions distinctes qu'il auroit dû séparer par la virgule ; cette distinction n'est pas moins nécessaire parce que la premiere proposition devient elliptique, ou plutôt elle l'est encore plus, pour empêcher qu'on ne cherche à rapporter à la seconde un mot qui ne peut lui convenir.
Il suit de cette remarque que, quand l'apostrophe est avant un verbe à la seconde personne, on ne doit pas l'en séparer par la virgule, parce que le sujet ne doit pas être séparé de son verbe ; il faut donc écrire sans virgule : Tribuns cédez la place aux consuls. Révol. rom. liv. II. Cependant l'usage universel est d'employer la virgule dans ce cas-là même ; mais c'est un abus introduit par le besoin de ponctuer ainsi dans les occurrences où l'apostrophe n'est pas sujet du verbe, & ces occurrences sont très-fréquentes.
Vous avez vaincu, plébéiens. Ib. Il faut ici la virgule, quoique le mot plébéiens soit sujet de avez vaincu ; mais ce sujet est d'abord exprimé par vous, lequel est à sa place naturelle, & le mot plébéiens n'est plus qu'un hors-d'oeuvre grammatical.
Pour mademoiselle, elle paroît trop instruite de sa beauté. M. l'abbé Girard. Ces deux mots, pour mademoiselle, doivent être distingués du reste par la virgule, parce qu'ils ne peuvent se lier grammaticalement avec aucune partie de la proposition suivante, & qu'ils doivent en conséquence être regardés comme tenant à une autre proposition elliptique, par exemple : Je parle pour mademoiselle.
Il seroit apparemment très-facile de multiplier beaucoup davantage les observations que l'on pourroit faire sur l'usage de la virgule, en entrant dans le détail minutieux de tous les cas particuliers. Mais je crois qu'il suffit d'avoir exposé les regles les plus générales & qui sont d'une nécessité plus commune ; parce que quand on en aura compris le sens, la raison, & le fondement, on saura très-bien ponctuer dans les autres cas qui ne sont point ici détaillés : il suffira de se rappeller que la ponctuation doit marquer ou repos, ou distinction, ou l'un & l'autre à-la-fois, & qu'elle doit être proportionnée à la subordination des sens.
Mais avant que de passer au second article, je terminerai celui-ci par une remarque de M. l'abbé Girard, dont j'adopte volontiers la doctrine sur ce point, sans garantir le ton dont il l'énonce. " Quelques personnes, dit-il, (disc. 16. tom. II. pag. 445.) ne mettent jamais de virgule avant la conjonction &, même dans l'énumération ; en quoi on ne doit pas les imiter, du moins dans la derniere circonstance ; car tous les énumératifs ont droit de distinction, & l'un n'en a pas plus que l'autre. La virgule est alors d'autant plus nécessaire avant la conjonction, qu'elle y sert à faire connoître que celle-ci emporte là une idée de clôture, par laquelle elle indique la fin de l'énumération ; & cette virgule y sert de plus à montrer que le dernier membre n'a pas, avec celui qui le précéde immédiatement, une liaison plus étroite qu'avec les autres. Ainsi la raison qui fait distinguer le second du premier, fait également distinguer le troisieme du second, & successivement tous ceux dont l'énumération est composée : il faut donc que la virgule se trouve entre chaque énumératif sans exception " J'ajouterai que, si les parties de l'énumération doivent être séparées par une ponctuation plus forte que la virgule, pour quelqu'une des causes que l'on verra par la suite, cette ponctuation forte doit rester la même avant la conjonction qui amene la derniere partie.
II. Du point avec une virgule. Lorsque les parties principales dans lesquelles une proposition est d'abord partagée, sont soudivisées en parties subalternes, les parties subalternes doivent être séparées entr'elles par une simple virgule, & les parties principales par un point & une virgule.
On ne doit rompre l'unité de la proposition entiere que le moins qu'il est possible ; mais on doit encore préférer la netteté de l'énonciation orale ou écrite, à la représentation trop scrupuleuse de l'unité du sens total, laquelle, après tout, se fait assez connoître par l'ensemble de la phrase, & dont l'idée subsiste toujours tant qu'on ne la détruit pas par des repos trop considérables, ou par des ponctuations trop fortes : or la netteté de l'énonciation exige que la subordination respective des sens partiels y soit rendue sensible, ce qui ne peut se faire que par la différence marquée des repos & des caracteres qui les représentent.
S'il n'y a donc dans un sens total que deux divisions subordonnées, il ne faut employer que deux especes de ponctuations, parce qu'on ne doit pas employer plus de signes qu'il n'y a de choses à signifier ; il faut y employer la virgule pour l'une des deux divisions, & un point avec une virgule pour l'autre, parce que ce sont les deux ponctuations les moins fortes, & qu'il ne faut rompre que le moins qu'il est possible l'unité du sens total : le point avec une virgule doit distinguer entr'elles les parties principales ou de la premiere division, & la simple virgule doit distinguer les parties subalternes ou de la soudivision, parce que les parties subalternes ont une affinité plus intime entr'elles que les parties principales, & qu'elles doivent en conséquence être moins désunies. Tels sont les différens degrés de la proportion requise dans l'art de ponctuer. Passons aux cas particuliers.
1°. Lorsque les parties similaires d'une proposition composée ou les membres d'une période, ont d'autres parties subalternes distinguées par la virgule, pour quelqu'une des raisons énoncées ci-devant ; ces parties similaires ou ces membres doivent être séparés les uns des autres par un point & une virgule. Exemples :
Quelle pensez-vous qu'ait été sa douleur, de quitter Rome, sans l'avoir réduite en cendres ; d'y laisser encore des citoyens, sans les avoir passés au fil de l'épée ; de voir que nous lui avons arraché le fer d'entre les mains, avant qu'il l'ait teint de notre sang ? II. Catil. trad. par M. l'abbé d'Olivet. Les parties similaires distinguées ici par un point & une virgule, sont des complémens déterminatifs du nom douleur.
Qu'un vieillard joue le rôle d'un jeune homme, lorsqu'un jeune homme jouera le rôle d'un vieillard ; que les décorations soient champêtres, quoique la scene soit dans un palais ; que les habillemens ne répondent point à la dignité des personnages ; toutes ces discordances nous blesseront. Théor. des sent. ch. iij. C'est ici l'idée générale de discordance présentée sous trois aspects différens ; & le tout forme le sujet logique de blesseront.
Quoique vous ayez de la naissance, que votre mérite soit connu, & que vous ne manquiez pas d'amis ; vos projets ne réussiront pourtant point sans l'aide de Plutus. M. l'abbé Girard, tom. II. p. 460. C'est une période de deux membres, dont le premier est séparé du second par un point & une virgule, parce qu'il est divisé en trois parties similaires subordonnées à la seule conjonction quoique.
Comme l'un des caracteres de la vraie religion a toujours été d'autoriser les princes de la terre ; aussi, par un retour de piété, que la reconnoissance même sembloit exiger, l'un des devoirs essentiels des princes de la terre, a toujours été de maintenir & de défendre la vraie religion. Bourdaloue, or. fun. de Henri de Bourbon prince de Condé, II. part. C'est une autre période de deux membres séparés l'un de l'autre par un point & une virgule, parce que le second est séparé par des virgules en diverses parties pour différentes raisons ; par un retour de piété, que la reconnoissance même sembloit exiger, se trouve entre deux virgules par la cinquieme regle du I. article, parce qu'il y a hyperbate ; cette même phrase est coupée en deux par une autre virgule, par la VI. regle, parce que la proposition incidente est explicative ; il y a une virgule après l'un des devoirs essentiels des princes de la terre, par la V. regle, qui veut que l'on assigne des repos dans les propositions trop longues pour être énoncées de suite avec aisance.
2°. Lorsque plusieurs propositions incidentes sont accumulées sur le même antécédent, & que toutes ou quelques-unes d'entr'elles sont soudivisées par des virgules qui y marquent des repos ou des distinctions ; il faut les séparer les unes des autres par un point & une virgule : si elles sont déterminatives, la premiere tiendra immédiatement à l'antécédent sans aucune ponctuation ; si elles sont explicatives, la premiere sera séparée de l'antécédent par une virgule, selon la VI. regle du I. article.
Exemple : Politesse noble, qui sait approuver sans fadeur, louer sans jalousie, railler sans aigreur ; qui saisit les ridicules avec plus de gaieté que de malice ; qui jette de l'agrément sur les choses les plus sérieuses, soit par le sel de l'ironie, soit par la finesse de l'expression ; qui passe légérement du grave à l'enjoué, sait se faire entendre en se faisant deviner, montre de l'esprit sans en chercher, & donne à des sentimens vertueux le ton & les couleurs d'une joie douce. Théor. des sent. ch. v. Ce sont ici des propositions incidentes explicatives, & c'est pour cela qu'il y a une virgule après l'antécédent, politesse noble. Si au contraire on disoit, par exemple : Eudoxe est un homme qui sait approuver, &c. comme les mêmes propositions incidentes deviendroient déterminatives de l'antécédent homme, on ne mettroit point de virgule entre cet antécédent & la premiere incidente : mais la ponctuation resteroit la même partout ailleurs.
3°. Dans le style coupé, si quelqu'une des propositions détachées qui forment le sens total, est divisée, par quelque cause que ce soit, en parties subalternes distinguées par des virgules ; il faut séparer par un point & une virgule les propositions partielles du sens total.
Exemple : Cette persuasion, sans l'évidence qui l'accompagne, n'auroit pas été si ferme & si durable ; elle n'auroit pas acquis de nouvelles forces en vieillissant ; elle n'auroit pu résister au torrent des années, & passer de siecle en siecle jusqu'à nous. Pens. de Cic. par M. l'abbé d'Olivet. Ciceron parle ici de la persuasion de l'existence de la divinité, aliquod numen praestantissimae mentis. Nat. deor. II. 2.
4°. Dans l'énumération de plusieurs choses opposées ou seulement différentes, que l'on compare deux à deux, il faut séparer les uns des autres par un point & une virgule, les membres de l'énumération qui renferment une comparaison ; & par une simple virgule, les parties subalternes de ces membres comparatifs. Exemples :
Nec erit alia lex Romae, alia Athenis ; alia nunc, alia posthac. Cic. frag. lib. III. de rep.
M. l'abbé d'Olivet rend ainsi cette pensée, avec les mêmes signes de distinction : elle n'est point autre à Rome, autre à Athènes ; autre aujourd'hui, & autre demain.
En général, dans toute énumération dont les principaux articles sont subdivisés pour quelque raison que ce puisse être ; il faut distinguer les parties subalternes par la virgule, & les articles principaux par un point & une virgule. Exemple :
Là brillent d'un éclat immortel les vertus politiques, morales & chrétiennes des le Telliers, des Lamoignons, & des Montausiers ; là les reines, les princesses, les héroïnes chrétiennes, reçoivent une couronne de louange qui ne périra jamais ; là Turenne paroît aussi grand qu'il l'étoit à la tête des armées & dans le sein de la victoire. M. l'abbé Colin, dans la préface de sa traduction de l'Orateur de Ciceron, parle ainsi des oraisons funebres de M. Fléchier.
III. Des deux points. La même proportion qui regle l'emploi respectif de la virgule & du point avec une virgule, lorsqu'il y a division & soudivision de sens partiels, doit encore décider de l'usage des deux points, pour les cas où il y a trois divisions subordonnées les unes aux autres. Ainsi
1°. Si ce que les Rhéteurs appellent la protase ou l'apodose d'une période, renferme plusieurs propositions soudivisées en parties subalternes ; il faudra distinguer ces parties subalternes entr'elles par une virgule, les propositions intégrantes de la protase ou de l'apodose par un point & une virgule, & les deux parties principales par les deux points. Exemples :
Si vous ne trouvez aucune maniere de gagner honteuse, vous qui êtes d'un rang pour lequel il n'y en a point d'honnête ; si tous les jours c'est quelque fourberie nouvelle, quelque traité frauduleux, quelque tour de fripon, quelque vol ; si vous pillez & les alliés & le trésor public ; si vous mendiez des testamens qui vous soient favorables, ou si même vous en fabriquez (protase) : dites-moi, sont-ce là des signes d'opulence ou d'indigence ? (apodose). Pensées de Cic. par M. l'abbé d'Olivet.
Etsi ea perturbatio est omnium rerum, ut suae quemque fortunae maximè poeniteat ; nemoque sit quin ubivis, quàm ibi ubi est esse malit (protase) : tamen mihi dubium non est quin hoc tempore, bono viro, Romae esse miserrimum sit (apodose). Cic. ad Torquatum.
2°. Si après une proposition qui a par elle-même un sens complet, & dont le tour ne donne pas lieu d'attendre autre chose, on ajoute une autre proposition qui serve d'explication ou d'extension à la premiere ; il faut séparer l'une de l'autre par une ponctuation plus forte d'un degré que celle qui auroit distingué les parties de l'une ou de l'autre.
Si les deux propositions sont simples & sans division, une virgule est suffisante entre deux. Exemple : La plûpart des hommes s'exposent assez dans la guerre pour sauver leur honneur, mais peu se veulent exposer autant qu'il est nécessaire pour faire réussir le dessein pour lequel ils s'exposent. La Rochefoucault, pensée ccxix.
Si l'une des deux ou si toutes deux sont divisées par des virgules, soit pour les besoins de l'organe, soit pour la distinction des membres dont elles sont composées comme périodes ; il faut les distinguer l'une de l'autre par un point & une virgule. Exemple : Roscius est un si excellent acteur, qu'il paroît seul digne de monter sur le théâtre ; mais d'un autre côté il est si homme de bien, qu'il paroît seul digne de n'y monter jamais. Cic. pour Roscius, trad. par M. Restaut, ch. xvj.
Enfin si les divisions subalternes de l'une des deux propositions ou de toutes deux exigent un point & une virgule ; il faut deux points entre les deux. Exemple : Si les beautés de l'élocution oratoire ou poëtique étoient palpables, qu'on pût les toucher au doigt & à l'oeil, comme on dit ; rien ne seroit si commun que l'éloquence, un médiocre génie pourroit y atteindre : & quelquefois, faute de les connoître assez, un homme né pour l'éloquence reste en chemin ou s'égare dans la route. M. Batteux, princ. de la littérat. part. III. art. iij. §. 9.
3°. Si une énumération est précédée d'une proposition détachée qui l'annonce, ou qui en montre l'objet sous un aspect général ; cette proposition doit être distinguée du détail par deux points, & le détail doit être ponctué comme il a été dit, regle 4. du II. article. Exemples :
Il y a dans la nature de l'homme deux principes opposés : l'amour-propre, qui nous rappelle à nous ; & la bienveillance, qui nous répand. M. Diderot, ép. dédic. du Pere de famille.
Il y a diverses sortes de curiosités : l'une d'intérêt, qui nous porte à desirer d'apprendre ce qui nous peut être utile ; & l'autre d'orgueil, qui vient du desir de savoir ce que les autres ignorent. La Rochefoucault, pensée clxxiij.
4°. Il me semble qu'un détail de maximes relatives à un point capital, de sentences adaptées à une même fin, si elles sont toutes construites à-peu-près de la même maniere, peuvent & doivent être distinguées par les deux points. Chacune étant une proposition complete grammaticalement, & même indépendante des autres quant au sens, du-moins jusqu'à un certain point, elles doivent être séparées autant qu'il est possible ; mais comme elles sont pourtant relatives à une même fin, à un même point capital, il faut les rapprocher en ne les distinguant pas par la plus forte des ponctuations : c'est donc les deux points qu'il y faut employer. Exemple :
L'heureuse conformation des organes s'annonce par un air de force : celle des fluides, par un air de vivacité : un air fin est comme l'étincelle de l'esprit : un air doux promet des égards flateurs : un air noble marque l'élévation des sentimens : un air tendre semble être le garant d'un retour d'amitié. Théor. des sent. ch. v.
5°. C'est un usage universel & fondé en raison, de mettre les deux points après qu'on a annoncé un discours direct que l'on va rapporter, soit qu'on le cite comme ayant été dit ou écrit, soit qu'on le propose comme pouvant être dit ou par un autre ou par soi-même. Ce discours tient, comme complément, à la proposition qui l'a annoncé ; & il y auroit une sorte d'inconséquence à l'en séparer par un point simple, qui marque une indépendance entiere : mais il en est pourtant très-distingué, puisqu'il n'appartient pas à celui qui le rapporte, ou qu'il ne lui appartient qu'historiquement, au lieu que l'annonce est actuelle ; il est donc raisonnable de séparer le discours direct de l'annonce par la ponctuation la plus forte audessous du point, c'est-à-dire par les deux points. Exemples :
Lorsque j'entendis les scenes du paysan dans le faux généreux, je dis : " voilà qui plaira à toute la terre & dans tous les tems, voilà qui fera fondre en larmes ". M. Diderot, de la Poësie dramatique.
La Mollesse en pleurant, sur un bras se releve,
Ouvre un oeil languissant, & d'une foible voix,
Laisse tomber ces mots, qu'elle interrompt vingt fois :
" O nuit, que m'as-tu dit ? quel demon sur la terre
Souffle dans tous les coeurs la fatigue & la guerre ?
Helas ! qu'est devenu ce tems, ces heureux tems
Où les rois s'honoroient du nom de fainéans,
S'endormoient sur le trône, &c. " Despréaux.
Dans la tragédie d'Edouard III. M. Gresset fait parler ainsi Alzonde, héritiere du royaume d'Ecosse : (act. j. sc. j.)
S'élevant contre moi de la nuit éternelle,
La voix de mes ayeux dans leur séjour m'appelle ;
Je les entends encor : " Nous regnons, & tu sers !
Nous te laissons un sceptre, & tu portes des fers !
Regne : ou prête à tomber si l'Ecosse chancelle,
Si son regne est passé ; tombe, expire avant elle :
Il n'est dans l'univers, dans ce malheur nouveau,
Que deux places pour toi, le trône ou le tombeau ".
Il faut remarquer que le discours direct que l'on rapporte, doit commencer par une lettre capitale, quoiqu'on ne mette pas un point à la fin de la phrase précédente. Si c'est un discours feint, comme ceux des exemples précédens, on a coûtume de le distinguer du reste par des guillemets : si c'est un discours écrit que l'on cite, il est assez ordinaire de le rapporter en un autre caractere que le reste du discours où celui-là est introduit, soit en opposant l'italique au romain, soit en opposant différens corps de caracteres, de l'une ou de l'autre de ces deux especes. Voyez CARACTERE.
IV. Du point. Il y a trois sortes de points ; le point simple, le point interrogatif, & le point admiratif ou exclamatif.
1°. Le point simple est sujet à l'influence de la proportion qui jusqu'ici a paru regler l'usage des autres signes de ponctuation : ainsi il doit être mis après une période ou une proposition composée, dans laquelle on a fait usage des deux points en vertu de quelqu'une des regles précédentes ; mais on l'employe encore après toutes les propositions qui ont un sens absolument terminé, telle, par exemple, que la conclusion d'un raisonnement, quand elle est précédée de ses prémisses.
On peut encore remarquer que le besoin de prendre des repos un peu considérables, combiné avec les différens degrés de relation qui se trouvent entre les sens partiels d'un ensemble, donne encore lieu d'employer le point. Par exemple, un récit peut se diviser par le secours du point, relativement aux faits élémentaires, si je puis le dire, qui en font la matiere.
En un mot, on le met à la fin de toutes les phrases qui ont un sens tout-à-fait indépendant de ce qui suit, ou du-moins qui n'ont de liaison avec la suite que par la convenance de la matiere & l'analogie générale des pensées dirigées vers une même fin. Je voudrois seulement que l'on y prît garde de plus près que l'on ne fait ordinairement : la plûpart des écrivains multiplient trop l'usage du point, & tombent par-là dans l'inconvénient de trop diviser des sens qui tiennent ensemble par des liens plus forts que ceux dont on laisse subsister les traces. Ce n'est pas que ces auteurs ne voyent pas parfaitement toute la liaison des parties de leur ouvrage ; mais ou ils ignorent l'usage précis des ponctuations, ou ils négligent d'y donner l'attention convenable : par-là ils mettent dans la lecture de leurs oeuvres, une difficulté réelle pour ceux mêmes qui savent le mieux lire.
Je me dispenserai de rapporter ici des exemples exprès pour le point : on ne peut rien lire sans en rencontrer ; & les principes de proportion que l'on a appliqués ci-devant aux autres caracteres de la ponctuation, s'ils ont été bien entendus, peuvent aisément s'appliquer à celui-ci, & mettre le lecteur en état de juger s'il est employé avec intelligence dans les écrits qu'il examine.
2°. Le point interrogatif se met à la fin de toute proposition qui interroge, soit qu'elle fasse partie du discours où elle se trouve, soit qu'elle y soit seulement rapportée comme prononcée directement par un autre.
Premier exemple : En effet, s'ils sont injustes & ambitieux (les voisins d'un roi juste), que ne doivent-ils pas craindre de cette réputation universelle de probité qui lui attire l'admiration de toute la terre, la confiance de ses alliés, l'amour de ses peuples, l'estime & l'affection de ses troupes ? De quoi n'est pas capable une armée prévenue de cette opinion, & disciplinée sous les ordres d'un tel prince ? M. l'abbé Colin, disc. couronné à l'acad. Franç. en 1705. Ces interrogations font partie du discours total.
Second exemple où l'interrogation est rapportée directement : Miserunt Judaei ab Jerosolymis sacerdotes & levitas ad eum, ut interrogarent eum : Tu quis es ? Joan. j. 19.
S'il y a de suite plusieurs phrases interrogatives tendantes à une même fin, & qui soient d'une étendue médiocre, ensorte qu'elles constituent ce qu'on appelle le style coupé ; on ne les commence pas par une lettre capitale : le point interrogatif n'indique pas une pause plus grande que les deux points, que le point avec la virgule, que la virgule même, selon l'étendue des phrases & le degré de liaison qu'elles ont entr'elles. Peut-être seroit-il à souhaiter qu'on eût introduit dans l'orthographe des ponctuations interrogatives graduées, comme il y en a de positives. Mais pour qui sont tous ces apprêts ? à qui ce magnifique séjour est-il destiné ? pour qui sont tous ces domestiques & ce grand héritage ? Hist. du ciel, l. III. §. 2. Quid enim, Tubero, tuus ille districtus in acie pharsalicâ gladius agebat ? cujus latus ille mucro petebat ? qui sensus erat tuorum armorum ? quae tua mens, oculi, manus, ardor animi ? quid cupiebas ? quid optabas ? Cic. pro Ligario.
Si la phrase interrogative n'est pas directe, & que la forme en soit rendue dépendante de la constitution grammaticale de la proposition expositive où elle est rapportée ; on ne doit pas mettre le point interrogatif : la ponctuation appartient à la proposition principale, dans laquelle celle-ci n'est qu'incidente. Mentor demanda ensuite à Idomenée quelle étoit la conduite de Protesilas dans ce changement des affaires. Télémaque, l. XIII.
3°. La véritable place du point exclamatif est après toutes les phrases qui expriment la surprise, la terreur, ou quelque autre sentiment affectueux, comme de tendresse, de pitié, &c. Exemples :
Que les sages sont en petit nombre ! Qu'il est rare d'en trouver ! M. l'abbé Girard, tom. II. pag. 467. admiration.
O que les rois sont à plaindre ! O que ceux qui les servent sont dignes de compassion ! S'ils sont méchans, combien font-ils souffrir les hommes, & quels tourmens leur sont préparés dans le noir tartare ! S'ils sont bons, quelles difficultés n'ont-ils pas à vaincre ! quels piéges à éviter ! que de maux à souffrir ! Télémaque, l. XIV. sentimens d'admiration, de pitié, d'horreur, &c.
J'ajouterai encore un exemple pris d'une lettre de madame de Sévigné, dans lequel on verra l'usage des trois points tout-à-la-fois : En effet, dès qu'elle parut : Ah ! mademoiselle, comment se porte M. mon frere ? Sa pensée n'osa aller plus loin. Madame, il se porte bien de sa blessure. Et mon fils ? On ne lui répondit rien. Ah ! mademoiselle ? mon fils ! mon cher enfant ! répondez-moi, est-il mort sur-le-champ ? n'a-t-il pas eu un seul moment ? ah ! mon Dieu ! quel sacrifice !
Je me suis peut-être assez étendu sur la ponctuation, pour paroître prolixe à bien des lecteurs. Mais ce qu'en ont écrit la plûpart des grammairiens m'a paru si superficiel, si peu approfondi, si vague, que j'ai cru devoir essayer de poser du moins quelques principes généraux qui pussent servir de fondement à un art qui n'est rien moins qu'indifférent, & qui, comme tout autre, a ses finesses. Je ne me flatte pas de les avoir toutes saisies, & j'ai été contraint d'abandonner bien des choses à la décision du goût : mais j'ai osé prétendre à l'éclairer. Si je me suis fait illusion à moi-même, comme cela n'est que trop facile, c'est un malheur : mais ce n'est qu'un malheur. Au reste, en faisant dépendre la ponctuation de la proportion des sens partiels combinée avec celle des repos nécessaires à l'organe, j'ai posé le fondement naturel de tous les systèmes imaginables de ponctuation : car rien n'est plus aisé que d'en imaginer d'autres que celui que nous avons adopté ; on pourroit imaginer plus de caracteres & plus de degrés dans la subordination des sens partiels, & peut-être l'expression écrite y gagneroit-elle plus de netteté.
L'ancienne ponctuation n'avoit pas les mêmes signes que la nôtre ; celle des livres grecs a encore parmi nous quelque différence avec la vulgaire ; & celle des livres hébreux lui ressemble bien peu.
" Les anciens, soit grecs, soit latins, dit la méthode grecque de P. R. liv. VII. Introd. §. 3. n'avoient que le point pour toutes ces différences, le plaçant seulement en diverses manieres, pour marquer la diversité des pauses. Pour marquer la fin de la période & la distinction parfaite, ils mettoient le point au haut du dernier mot : pour marquer la médiation, ils le mettoient au milieu : & pour marquer la respiration, ils le mettoient au bas, & presque sous la derniere lettre ; d'où vient qu'ils appelloient cela subdistinctio ". J'aimerois autant croire que ce nom étoit relatif à la soudistinction des sens subalternes, telle que je l'ai présentée ci-devant, qu'à la position du caractere distinctif : car cette gradation des sens subordonnés a dû influer de bonne heure sur l'art de ponctuer, quand même on ne l'auroit pas envisagée d'abord d'une maniere nette, précise, & exclusive. Quoi qu'il en soit, cette ponctuation des anciens est attestée par Diomède, liv. II. par Donat, edit. prim. cap. ult. par saint Isidore, Orig. j. 19. & par Alstedius, Encyclop. lib. VI. de Gram. lat. cap. xix. & cette maniere de ponctuer se voit encore dans de très-excellens manuscrits.
" Mais aujourd'hui, dit encore l'auteur de la Méthode, la plûpart des livres grecs imprimés marquent leur médiation en mettant le point au haut du dernier mot, & le sens parfait en mettant le point au bas ; ce qui est contre la coutume des anciens, laquelle M. de Valois a tâché de rappeller dans son Eusebe : mais pour le sens imparfait, il se sert de la virgule comme tous les autres. L'interrogation se marque en grec au contraire du latin. Car au lieu qu'en latin on met un point & la virgule dessus (?) en grec on met le point & la virgule dessous ainsi (;) ".
Vossius, dans sa petite Grammaire latine, p. 273. destine le point à marquer les sens indépendans & absolus ; & il veut, si les phrases sont courtes, qu'après le point on ne mette pas de lettres capitales. L'auteur de la Méthode latine de P. R. adopte cette regle de Vossius & cite les mêmes exemples que ce grammairien. C'étoit apparemment l'usage des littérateurs & des éditeurs de ce tems-là : mais on l'a entierement abandonné, & il n'y a plus que les phrases interrogatives ou exclamatives dans le style coupé, après lesquelles on ne mette point de lettres capitales.
M. Lancelot a encore copié, dans le même ouvrage de Vossius, un principe faux sur l'usage du point interrogatif : c'est que si le sens va si loin que l'interrogation qui paroissoit au commencement vienne à s'allentir & à perdre sa force, on ne la marque plus ; ce sont les termes de Lancelot, qui cite ensuite le même exemple que Vossius. Pour moi, il me semble que la raison qu'ils alleguent pour supprimer le point interrogatif, est au contraire un motif de plus pour le marquer : moins le tour ou la longueur de la phrase est propre à rendre sensible l'interrogation, plus il faut s'attacher au caractere qui la figure aux yeux ; il fait dans l'écriture le même effet que le ton dans la prononciation. Le savant Louis Capel sentoit beaucoup mieux l'importance de ces secours oculaires pour l'intelligence des sens écrits ; & il se plaint avec feu de l'inattention des Massoretes, qui, en inventant la ponctuation hébraïque, ont négligé d'y introduire des signes pour l'interrogation & pour l'exclamation. Lib. I. de punctorum antiquitate, cap. xvij. n. 16.
Finissons par une remarque que fait Masclef, au sujet des livres hébreux, & que je généraliserai davantage : c'est qu'il seroit à souhaiter que, dans quelque langue que fussent écrits les livres que l'on imprime aujourd'hui, les éditeurs y introduisissent le systême de ponctuation qui est usité dans nos langues vivantes de l'Europe. Outre que l'on diminueroit par-là le danger des méprises, ce systême fournit abondamment à toutes les distinctions possibles des sens, sur-tout en ajoutant aux six caracteres dont il a été question dans cet article, le signe de la parenthese, les trois points suspensifs, les guillemets, & les alinéa. Voyez PARENTHESE, POINT, GUILLEMET, INEAINEA. (E. R. M. B.)
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PONCTUEL | adj. (Gramm.) exactitude, considérée relativement au tems des engagemens. Ponctuel à payer ; ponctuel à venir.
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PONCTUER | v. act. (Gramm.) c'est observer les regles de la ponctuation. Voyez PONCTUATION. On dit cette copie est belle, mais elle est mal ponctuée. On entend encore par ponctuer, désigner par un point.
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PONDAGE | S. m. (Jurisprud.) c'est un subside accordé au roi de la grande-Bretagne sur toutes sortes de marchandises à l'entrée & à la sortie, & cela sur tous marchands soit naturels, naturalisés, ou étrangers.
Il est appellé pondage, parce qu'il est fixé à raison de tant par livre (angl. pound.), c'est-à-dire, d'un schelling par chaque livre, ou d'un schelling sur vingt schellings ; & un schelling de plus pour les marchandises d'Angleterre que les étrangers emportent.
Ce droit fut d'abord accordé à Edouard VI. sa vie durant seulement ; il le fut ensuite à Charles II. Voyez TONNAGE.
PONDAGE, (Minéralogie) c'est ainsi que les ouvriers qui travaillent aux mines de charbon, appellent la pente ou l'inclinaison de la couche ou du lit de charbon de terre qu'ils exploitent.
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PONDE | S. f. (Commerce) qu'on nomme aussi pond, poids de Moscovie, dont on se sert particulierement à Archangel. La ponde est de quarante livres, poids du pays, qui revient environ à trente-trois livres de France, le poids de Moscovie étant près de dix-huit par cent plus foible que celui de Paris. Dictionnaire de Commerce.
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PONDÉRATION | S. f. (Peint.) Ce mot se dit d'une figure & de la composition d'un tableau.
En fait de figure, c'est l'égalité du poids de ses parties balancées, & reposées sur un centre qui la soutiennent, soit dans une action de mouvement, soit dans une attitude de repos.
En fait de composition d'un tableau, c'est son ordonnance tellement ménagée, que si quelque corps s'éleve dans un endroit, il y en ait quelqu'autre qui le balance, ensorte que la composition présente dans ses différentes parties une juste pondération.
Plus dans un tableau, suivant la remarque de M. de Watelet, les contrastes sont justes & conformes à la pondération nécessaire, plus ils satisfont le spectateur, sans qu'il se rende absolument compte des raisons de cette satisfaction qu'il ressent. C'est, ajoute-t-il, de la proportion de l'ensemble, & de ce qui concerne l'équilibre des figures, & de leur mouvement, que naissent la beauté & la grace. Or, comme ces mots équilibre & pondération sont tout-à-fait synonymes en Peinture, on s'instruira complete ment en lisant l'article ÉQUILIBRE, Peinture.
J'ajoute seulement que Léonard de Vinci, & quelques autres peintres qui ont le plus réfléchi sur cette partie essentielle de l'art, ont fait les remarques suivantes, qui passent pour autant d'axiomes reçus dans la Peinture.
Ils ont observé que la tête doit être tournée du côté du pié qui soutient le corps ; qu'en se tournant, elle ne doit jamais passer les épaules ; que les mains ne doivent pas s'élever plus haut que la tête, le poignet plus haut que l'épaule, le pié plus haut que le genou ; qu'un pié ne doit être distant de l'autre que de sa longueur ; que lorsqu'on représente une figure qui éleve un bras, toutes les parties de ce côté-là doivent suivre le même mouvement ; que la cuisse, par exemple, doit s'allonger, & le talon du pié s'élever ; que dans les actions violentes & forcées, ces mouvemens à la vérité ne sont pas tout-à-fait si compassés, mais que l'équilibre ne doit jamais se perdre ; qu'enfin, sans cette juste pondération, les corps ne peuvent agir comme il faut, ni même se mouvoir. Les mouvemens ne sont jamais naturels, si les membres ne sont également balancés sur leur centre dans une égalité de poids, qu'ils ne se contrastent les uns les autres. (D.J.)
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PONDICHER | ou PONTICHERY, (Géog. mod.) ville détruite des Indes orientales, sur la côte de Coromandel, à la bande de l'est de la presqu'île des Indes, en-deçà du Gange. Cette ville étoit grande, fortifiée régulierement, & avoit ses rues tirées au cordeau. Les maisons des Européens y étoient bâties de brique, & celle des Indiens de terre enduite de chaux.
Pondichery étoit le plus bel établissement qu'ait eu aux Indes orientales la compagnie françoise ; cet établissement ne contenoit pas seulement les marchandises que fournit la côte de Coromandel, il servoit aussi d'entrepôt pour toutes celles qui s'enlevent de Bengale, de Surate, & de toute la côte de Malabar. Les marchandises qui se fabriquoient à Pondichery même, étoient des toiles de coton blanches : les toiles peintes qui s'y vendoient, se tiroient de Masulipatan, & en portent le nom ; celles qu'on y tiroit d'ailleurs, étoient des étoffes de soie, des mouchoirs de coton & de soie, du coton filé & en bourre, des pierreries fines de Golconde, de l'indigo, & du riz.
Les PP. Capucins avoient un couvent à Pondichery ; les Jésuites & MM. des Missions étrangeres y avoient aussi chacun une maison & une église.
Les Hollandois prirent cette ville en 1693, & la rendirent à la paix de Riswick ; mais les Anglois l'ont prise en 1760, & l'ont rasée de fond en comble.
Long. suivant Cassini, 98. 51. 30. latit. 11. 55. long. orient. suivant le P. Feuillée & M. le Monnier, 97. 32. 30. latit. 11. 50. On peut voir par-là l'erreur énorme qui s'étoit glissée dans les anciennes cartes géographiques de Samson & Duval, qui éloignoient cette côte de plus de quatre cent lieues qu'elle ne l'est effectivement. (D.J.)
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PONDIG | ou PONDICO, (Géog. mod.) petite île deserte de l'Archipel, à la pointe septentrionale de l'île de Négrepont ; c'est celle que les anciens nommoient Cicynetus. (D.J.)
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PONDRE | v. act. (Gramm.) c'est déposer son oeuf. Il ne se dit que des oiseaux & des tortues.
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PONENT | S. m. (Gramm. & Hist. ecclés.) c'est le cardinal nommé par le pape pour conduire ce qui concerne la béatification & la canonisation d'un saint.
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PONÉROPOLIS | (Géog. anc.) c'est-à-dire, la ville des méchans ; elle étoit située vers les confins de la Thrace. Philippe, pere d'Alexandre, l'avoit peuplée de calomniateurs, de faux témoins, de traîtres, & d'autres scélérats rassemblés de toutes parts. Cette ville a eu jusqu'à cinq noms, Ponéropolis, Philippopolis, Trimonium, Cabyle & Calybe. Elle portoit ce dernier nom quand Luculle s'en empara. (D.J.)
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PONFERRADA | (Géog. mod.) on croit que c'est l'Interamnium Flavium des anciens : petite ville d'Espagne, au royaume de Léon, dans sa partie septentrionale, à quatorze lieues au nord-ouest d'Astorga, au milieu de hautes montagnes. Long. 12. 5. latit. 42. 22. (D.J.)
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PONGA | S. m. (Hist. nat. Botan.) arbre des Indes orientales qui est toujours verd ; son fruit est attaché immédiatement aux rameaux & est couvert de piquans ; il est verd au commencement, & ensuite il devient rouge & se remplit de semences oblongues, arrondies, pointues & rougeâtres. On s'en sert dans des cataplasmes pour mûrir les tumeurs.
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PONGÉLION | S. m. (Hist. nat. Botan.) grand arbre des Indes orientales. On ne nous apprend rien de sa forme ; quant à ses vertus médicinales, on dit que son écorce pilée fournit une huile qui attire les humeurs vicieuses du corps lorsqu'on s'en frotte. Il découle de cet arbre un suc qui, pris avec le lait de coco, chasse les vents du corps.
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PONGO | (Zoolog.) Le pongo est l'espece des plus grands singes qu'on connoisse ; ce sont les singes géans qui se rencontrent fréquemment épars dans les forêts du royaume de Mayombé, qui fait partie de celui de Benin.
Le pongo (dit en substance André Battel, dans les voyages de Purchass, l. VII. c. iij. p. 974.) a plus de cinq piés : il est de la hauteur d'un homme ordinaire, mais deux fois plus gros. Il a le visage sans poil, & ressemblant à celui d'un homme, les yeux assez grands quoiqu'enfoncés, & des cheveux qui lui couvrent la tête & les épaules. Son corps, à la réserve des mains, est couvert d'un poil tanné, sans épaisseur ; il a les piés sans talon, & semblables à ceux des singes, ce qui ne l'empêche ni de se tenir debout, ni de courir. Ces animaux grimpent sur les arbres pour y passer la nuit : ils s'y bâtissent même des especes d'abris contre les pluies dont ce pays est inondé pendant l'été. Ils ne vivent que de fruits & de plantes : ils couvrent leurs morts de feuilles & de branches ; ce que les Négres regardent comme une sorte de sépulture. Lorsque les pongos trouvent le matin les feux que les Négres allument la nuit, en voyageant au-travers de ces forêts, on les voit s'en approcher avec une apparence de plaisir. Néanmoins, ils n'ont jamais imaginé de les entretenir en y jettant du bois. Aussi les Négres assurent-ils que les pongos n'ont aucun langage, & qu'on ne leur voit donner aucune marque d'intelligence, qui puisse les faire placer dans une classe supérieure à celle des animaux. Leur force est surprenante : ils attaquent quelquefois les éléphans avec des massues dont ils s'arment, & quelquefois ils ont l'avantage. Comme ils rompent tous les pieges qu'on leur tend pour les prendre, les Négres prennent le parti de les tuer avec des fléches empoisonnées.
Ce sont des pongos que les Carthaginois, qui découvrirent cette côte sous Hannon, prirent pour des hommes sauvages, & les pongos femelles pour des femmes. Voyez PERIPLE.
Au bout du compte, dit M. de Bougainville, leur méprise étoit plus raisonnable que celle de quelques universités fameuses, qui prétendirent que les Américains étoient une espece moyenne entre l'homme & le singe, & le soutinrent jusqu'à ce qu'un bref eut proscrit des écoles cette inhumaine absurdité. (D.J.)
PONGO, (Géog. mod.) anciennement puncu dans la langue du Pérou, terme qui signifie porte ; on donne ce nom en cette langue à tous les passages étroits, mais celui-ci le porte par excellence. C'est ici que le Maragnon tournant à l'est depuis Jaën après plus de deux cent lieues de cours au nord, & après s'être ouvert un passage au milieu des montagnes de la Cordeliere, rompt la derniere digue qu'elle lui oppose, en se creusant un lit entre deux murailles paralleles de rochers coupés presque à plomb. Il y a un peu plus d'un siecle que quelques soldats espagnols de Sant-Jago découvrirent ce passage, & se hasarderent à le franchir. Deux missionnaires jésuites de la province de Quito les suivirent de près, & fonderent en 1639 la mission de Maynas qui s'étend fort loin en descendant le fleuve. Le canal du Pongo, creusé des mains de la nature, commence une petite demi-lieue au-dessous de Sant-Jago, & parvient à n'avoir que vingt-cinq toises dans son plus étroit. La Condamine, acad. des Sciences, mém. 1745, p. 416. (D.J.)
PONGOS, s. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme des especes de trompettes faites avec des dents d'éléphant creusées, qui sont en usage à la cour des rois de Congo, de Loango, & d'autres états d'Afrique. On dit que ces trompettes ont un son qui n'est rien moins qu'agréable.
Quelques voyageurs donnent aussi le nom de pongos à une espece de dais, ou plutôt de parasol que l'on met au-dessus du trône des rois du même pays ; cependant d'autres leur donnent le nom de pos & de mani.
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PONNA | S. m. (Hist. nat. Botan.) arbre des Indes orientales qui ne croît que dans les terreins sablonneux. Il produit une espece d'amandes, dont on tire par expression une huile dont on se sert dans les lampes & pour se frotter le corps.
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PONNAGAM | S. m. (Botan. exot.) grand arbre des Indes orientales. Il est toujours couvert de feuilles, de fleurs & de fruits. Son fruit est lisse & partagé en trois loges, dont chacune contient une seule graine.
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PONS | (Géog. mod.) en latin Pontes, petite ville de France dans la Saintonge, près la riviere de Suigne, (en latin Santona), à quatre lieues de Saintes. Les Calvinistes, dans les guerres de religion, en avoient fait une place de sûreté, mais Louis XIII. la fit démanteler en 1621. Elle est partagée par la Suigne, sur laquelle il y avoit autrefois plusieurs ponts, qui probablement ont donné le nom à la ville.
Elle a eu des seigneurs qu'on appelloit sires, à cause du nombre de fiefs nobles qui en relevoient, & qu'ils ont possédés dans la même maison jusqu'à la fin du xvj. siecle. Guillaume de Nangis rapporte dans sa chronique que le seigneur de Pons, nommé Renaud, alla trouver S. Louis en 1242, & fit en sa présence hommage à Alphonse, comte de Poitiers, frere du roi. La maniere dont les sires de Pons rendoient hommage est assez singuliere pour mériter d'être rapportée. Le sire de Pons, armé de toutes pieces, ayant la visiere baissée, se présentoit au roi, & lui disoit : " Sire, je viens à vous pour vous faire hommage de ma terre de Pons, & vous supplier de me maintenir en la jouissance de mes privileges ". Le roi le recevoit, & lui devoit donner par gratification l'épée qu'il avoit à son côté.
César Phebus d'Albret, maréchal de France, laissa une fille qui épousant le comte de Marsan, de la maison de Lorraine, lui remit en propre la sirie de Pons avec tous ses biens. Long. 17. 4. latit. 45. 36. (D.J.)
PONS-MILVIUS, MOLVIUS ou MULVIUS, (Géog. anc.) pont d'Italie sur le Tibre près de Rome. Ce pont est célebre dans l'histoire, sur-tout par la victoire que Constantin y remporta sur le tyran Maxence. Aujourd'hui ce pont est vieux, fort simple, assez mal bâti, & n'est remarquable que par quelques inscriptions que l'on y voit sur des tables de marbre. Le pont ancien a été détruit : c'est sur ses fondemens qu'on a bâti celui d'aujourd'hui, à qui on a donné le nom de Ponte-Mole. De ce pont à Rome il y a deux milles ou deux tiers de lieues. Tout ce chemin peut être regardé comme le fauxbourg de Rome, parce qu'on y voit des deux côtés presque continuellement des maisons de plaisance, qu'on appelle vignes, & entr'autres celle du pape Jules III. (D.J.)
PONS-SARVIX ou PONS-SARAVI, (Géog. anc.) ville de la Gaule belgique sur la Sare. L'itinéraire d'Antonin la met sur la route de Lugdunum, capitale des Germanies, à Strasbourg, entre Divodurum & Strasbourg, à 24 milles de la premiere & à 22 milles de la seconde. Cette position fait juger que ce doit être aujourd'hui la ville de Sarbrug.
PONS-SOCIORUM, (Géog. anc.) ville de la Pannonie, selon l'itinéraire d'Antonin, qui la met sur la route de Sopianae à Acincum. Lazius dit qu'on la nomme aujourd'hui Baboleza.
PONS-TRAJANI, (Géog. anc.) pont magnifique que l'empereur Trajan fit faire sur le Danube, & dont Dion Cassius (Hist. rom. l. LXVIII. ex Xiphilino) a ébauché la description.
Quoique, dit-il, tous les ouvrages de Trajan soient superbes, cependant celui-ci l'emporta sur tous les autres. Les piles de ce pont, ajoute-t-il, qui étoient de pierre de taille (lapide quadrato) étoient au nombre de vingt, & chacune, sans y comprendre les fondemens, avoit 150 piés de hauteur sur 60 de largeur : il y avoit entre chacune un espace de 170 piés, & elles étoient jointes par des arches ou ceintres. La dépense d'un pareil ouvrage devoit être excessive : mais ce qui est encore plus surprenant, c'est qu'on ait fait ce pont sur un fleuve rempli de gouffres, dont le lit n'est que vase & dont le cours ne pouvoit être détourné ailleurs. Quoique la largeur du Danube ne soit pas immense en cet endroit, puisqu'il y en a quelques-uns où il est du double & même du triple plus large, il est constant qu'il n'y avoit point d'endroit moins commode que celui-là pour y construire un pont. Comme le fleuve se rétrécissoit au-dessus & s'élargissoit un peu au-dessous, il en avoit plus de rapidité & plus de profondeur, ce qui augmentoit la difficulté de l'entreprise.
Ce pont du tems de Dion Cassius n'étoit plus d'aucun usage : on n'y passoit plus, & il n'en restoit que les piles qui prouvoient encore son ancienne magnificence. Enfin l'empereur Hadrien craignant que si les Barbares venoient à se rendre maîtres du fort qui étoit à la tête, ne se servissent de ce pont pour entrer dans la Moesie, fit détruire toute la partie supérieure.
Elle étoit de pierre, selon Dion Cassius ; mais M. de Marsilly, après avoir examiné à Rome la colonne de Trajan sur laquelle est représenté ce fameux pont & où tout le haut paroît être en bois, reprend Dion Cassius d'avoir dit qu'il étoit de pierre. Il releve pareillement cet historien de quelques autres erreurs dans lesquelles il est tombé dans sa description. Voyez l'ouvrage de M. de Marsilly sur le Danube, l. II. part. I. (D.J.)
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PONS-DE-TOMIERES | SAINT, (Géog. mod.) petite ville de France dans le bas Languedoc, à 9 lieues au nord-ouest de Narbonne dans un vallon, entouré de montagnes & traversé par la riviere de Jaur. Elle doit son origine à une abbaye d'hommes de l'ordre de S. Benoit, fondée l'an 936. Elle fut érigée en évêché par le pape Jean XXII. en 1318, & l'évêque en est seul seigneur ; son diocese n'est composé que de quarante paroisses ; les montagnes qui environnent cette petite ville sont fécondes en carrieres de beaux marbres. Long. 20. 29. latit. 43. 32. (D.J.)
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PONSIF | en terme de Fondeur en sable, c'est un sac de toile qui contient du charbon pulvérisé dont on saupoudre les modeles, afin qu'ils se détachent facilement du sable dont le moule est composé ; on se sert aussi d'un sable très-fin & sec pour le même usage. Voyez l'article FONDEUR EN SABLE, & les fig. Planches du Fondeur en sable.
Le sable dont on se sert à Paris pour poncer se tire de Fontenay-aux-Roses, village près de Paris ; il est blanc & très-friable.
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PONT | (Gloss. géogr.) en latin pons, en italien ponte, en espagnol puente, en allemand bruck, & en anglois bridge. C'est un bâtiment de pierre ou de bois, élevé au-dessus d'une riviere, d'un ruisseau ou d'un fossé pour la facilité du passage. Il y en a aussi qui sont faits de plusieurs bateaux attachés ensemble & couverts de planches pour communiquer d'une rive à l'autre. Les ponts sont marqués dans les cartes géographiques par deux petites lignes droites & paralleles entr'elles au-travers des rivieres. La commodité des ponts pour le commerce, & leur importance pour la communication d'un pays à l'autre les a quelquefois fait fortifier de châteaux & de tours ; & les peuples étant venus peu-à-peu s'établir auprès de ces ponts, il s'y est enfin formé de grandes villes. Il y a néanmoins des villes plus anciennes que leurs ponts. On reconnoît la plûpart de celles auxquelles les ponts ont donné naissance par les mots de pont, ponte, puente, bruck ou bridge, joints à leurs noms avec le nom de la riviere sur le bord de laquelle elles sont bâties. De tous tems on a vû aussi des ponts qui n'avoient point de villes voisines, & qui servoient seulement pour l'usage des voyageurs ou pour le passage des armées. (D.J.)
PONT, (Charpenterie) cet ouvrage est le plus important de la Charpenterie : nous allons donc suppléer ici tout ce qu'on auroit dû placer à l'article CHARPENTE.
De la Charpenterie en général. Par le mot de Charpenterie l'on entend l'art de tailler & assembler avec justesse & solidité des bois de différente grosseur pour la construction des grands ouvrages, comme dans les bâtimens, les combles, planchers, pans de bois, cloisons, escaliers, lucarnes, &c. les ponts de bois, de bateau, & ceintres, pour ceux de pierre, les batardeaux, fondemens de piles & culées, les échafaudages, les vaisseaux, navires, & toutes sortes de bateaux, grands & petits, les moulins à vent & à l'eau, les presses & pressoirs, & presque tous les ouvrages méchaniques, mais encore celui de conduire, transporter & élever toute sorte de fardeaux, pour lesquels la connoissance de la géométrie, & sur-tout des méchaniques, est absolument nécessaire. Ce mot vient du latin carpentarius ou carpentum, un char, à cause du rapport qu'il y a des ouvrages de charron avec ceux du charpentier.
Anciennement tous ceux qui travailloient le bois ne formoient qu'une seule & unique profession, & étoient appellés Charpentiers. Il y en avoit de deux sortes : les uns étoient appellés charpentiers de la grande coignée (nom d'un des principaux instrumens de cette profession), qui employoient les gros bois pour les gros ouvrages de charpenterie : les autres au contraire étoient appellés charpentiers de la petite coignée, qui employoient les menus bois à toute sorte de petits ouvrages. Vers la fin du quinzieme siecle, ceux-ci, à cause des menus bois qu'ils employoient, prirent le nom de menuisiers, c'est-à-dire ouvriers en menus ; de-là vinrent les différentes sortes de menuisiers, comme menuisiers d'assemblage, menuisiers de placage ou ébénistes, & plusieurs autres. Quelque tems après on divisa encore la charpenterie en deux especes : l'une le charronage, dont les ouvrages sont les charrettes, équipages, & toutes sortes de voitures ; & l'autre la charpenterie proprement dite, qui est celle dont nous allons traiter.
Origine de la Charpenterie. Il paroit assez vraisemblable que l'art de charpenterie est le premier & le plus ancien de tous. Le bois, dit Vitruve, ayant servi d'abord aux premieres habitations des hommes accoutumés alors à vivre comme les bêtes dans le fond des forêts, ils n'avoient comme elles qu'une nourriture sauvage. Il arriva un jour qu'un feu allumé tout-à-coup par le frottement violent de plusieurs arbres, causé par la force du vent, les rassembla tous en un même lieu, & donna matiere à une dissertation sur ce nouveau phénomene, dont ils tirerent par la suite de très-grands avantages : assemblés ainsi ils se parloient par signes, articuloient des mots dont ils convenoient de la signification, & peu-à-peu ils formerent société ; enfin pour être plus à la portée, ils se firent des demeures près les unes des autres & à l'abri des injures du tems. Leurs premieres idées furent de faire des toîts en croupe, espece de comble dont nous parlerons dans la suite, qui n'étoient que des pieux dressés debout, & appuyés l'un contre l'autre par leurs extrêmités supérieures pour soutenir des branches d'arbre, des joncs, de la paille, ou des branches d'osier entrelacées, garnies de terre, & cela pour se garantir des ardeurs du soleil pendant le jour, du serein pendant la nuit, des rigueurs du froid pendant l'hiver, & des pluies & mauvais tems. Ce qui se présenta de plus favorable à cet usage fut le bois qui venoit de soi-même dans les forêts. Devenant peu-à-peu industrieux, ils s'en firent des cabanes, ensuite des maisons, & enfin des édifices plus importans, selon les matériaux des pays & la richesse des peuples. Ils sont parvenus à équarrir le bois au-lieu de l'employer brute ; les mortaises ont succédé aux trous, les tenons aux chevilles, enfin l'art de charpenterie s'est perfectionné à un tel point que nous verrons par la suite des chefs-d'oeuvre de cet art.
La charpenterie se divise en quatre especes différentes, la premiere est la connoissance des bois propres à cet art, la seconde est la maniere de les équarrir, la troisieme en est l'assemblage, & la quatrieme est celui de les joindre ensemble pour en fabriquer toute sorte d'ouvrages.
Des bois en général. De tous les bois que l'on employe dans la charpenterie, il en est qui ne peuvent se conserver à l'air, parce qu'ils se fendent, se déjettent (a), & se tourmentent, soit par les grandes chaleurs de l'été ou les grands froids de l'hiver, ce qui cause quelquefois des interruptions & des dommages dans les ouvrages qui en sont faits ; d'autres qui ne peuvent se conserver dans l'eau parce qu'ils se pourrissent ; d'autres encore qui ne peuvent se conserver exposés tantôt aux ardeurs du soleil & tantôt à l'humidité, raison pour laquelle il est absolument nécessaire à un charpentier d'en connoître la nature & la qualité, afin de pouvoir en faire un bon choix, & prévenir par-là une infinité d'inconvéniens. Pour parvenir à cette connoissance, il faut examiner la situation des forêts & comment les bois y sont venus, si le terrein est graveleux, sablonneux & pierreux, exposé aux rayons du soleil : que les arbres soient éloignés les uns des autres & à découvert, les bois en seront durs, francs, secs, nets, & très-bons pour la charpenterie ; mais les menuisiers, sculpteurs, & autres, ne pourront s'en servir à cause de leur dureté ; si au contraire le terrein est humide, que les arbres soient pressés & couverts, les bois en seront trop tendres pour la charpenterie, mais en récompense seront très-propres pour la menuiserie & la sculpture ; aussi l'expérience nous a-t-elle toujours montré que les bois exposés au nord & au levant sont préférables à ceux qui sont exposés au midi & au couchant, à cause des vents humides qui viennent de ces côtés-là.
Les bois dont on se sert dans la charpenterie nous viennent principalement des provinces de Lorraine, de Champagne, de Bourgogne, de Brie, de Picardie, de Normandie, & quelques autres ; les uns par charrois, les autres par bateaux, & d'autres encore par flottes, selon la commodité des rivieres qui les amenent, quelquefois à fort peu de frais : ils arrivent ordinairement à Paris tout débités, de différens calibres, c'est-à-dire en pieces quarrées, en planches, en voliges, mairrains, lattes, échalas & autres ; le Bourbonnois & le Nivernois en fournissent aussi, mais non en grosses pieces, parce que les rivieres de ces endroits-là ne peuvent en permettre la navigation : la province d'Auvergne & ses environs fournissoient autrefois beaucoup de sapins pour la charpenterie, mais depuis que l'on n'en employe plus, le commerce en est cessé.
Le chêne est de tous les bois celui qui est le plus en usage dans cet art : on employoit beaucoup autrefois le sapin & le châtaignier ; on se sert encore quelquefois, mais fort rarement, de bois d'orme, de frêne, de hêtre, de charme, de tilleul, de peuplier, de tremble, d'aune, de noyer, de poirier, de cormier, neffliers, sauvageons, alisiers, & autres. Tous ces bois se réduisent à trois especes différentes : la premiere sont les bois taillis ; la seconde, les bois baliveaux ; & la troisieme, les bois de futaie. Les bois taillis sont ceux qui ne passent point l'âge de quarante ans, & que l'on coupe pour mettre en vente. Les baliveaux sont ceux qu'on a laissés sur pié après la coupe, dont les principaux ou maîtres brins se nomment baliveaux sur souche ; on appelle encore baliveaux sur taillis ceux qui ont depuis cinquante jusqu'à quatrevingt ans. Les bois de futaie sont de trois sortes : la premiere, que l'on appelle jeune ou basse-futaie, dont les arbres sont de quarante à soixante ans ; la seconde, que l'on appelle moyenne ou demi-futaie, dont les arbres sont de soixante à cent vingt ans ; & la troisieme, que l'on appelle grande ou haute-futaie, dont les arbres sont de cent vingt ou deux cent ans ; après ce
(a) Un bois se dejette lorsque les surfaces, de droites qu'elles étoient, deviennent tortueuses, & cessent d'être planes.
tems on les appelle bois de vieille-futaie, parce qu'alors les bois ne pouvant plus profiter, & commençant à dépérir par leur trop grande vieillesse, ils ne sont plus propres à rien.
Il n'est pas moins dangereux de laisser trop vieillir les arbres, que de les couper trop jeunes, puisque dans le premier cas ils n'ont plus ni force ni vigueur, & que dans le dernier ils sont trop petits & sans force ; c'est donc depuis cent vingt jusqu'à deux cent ans qu'est le tems le plus propre pour la coupe.
Des tems propres pour la coupe des bois, & de la maniere de les couper. Pour éviter de tomber dans l'inconvénient d'employer les bois trop vieux ou trop jeunes, il faut, avant que de les couper, avoir une connoissance exacte de leur âge, en s'informant d'abord aux gens des environs du tems de leurs différentes plantations & de celui de leur derniere coupe, ou bien encore par soi-même en en sciant quelques-uns par le pié, figure premiere, & comptant les années de leur pousse par le nombre de cercles A, qui se trouvent marqués sur le tronc B depuis le centre C.
Il est aisé de concevoir que tous les végétaux reçoivent leur nourriture de la terre ; que c'est par le plus ou moins de cette nourriture qu'ils accroissent ou dépérissent, puisque l'automne les dépouille toujours des fruits & des feuilles qu'ils avoient reçus du printems : la raison est que la fraîcheur de ce tems venant à dissiper la seve qui les entretenoit, empêche le cours ordinaire de leur nourriture, ce qui fait qu'ils demeurent dans l'inaction pendant les hivers ; c'est alors que les pores du bois se resserrent & se raffermissent, jusqu'à ce que la terre venant à s'échauffer de nouveau par les douceurs du printems, fournit une nourriture nouvelle qui, travaillant avec une telle vivacité entre le bois & l'écorce, forme autour de l'arbre une ceinture d'un nouveau bois, qui est un des cercles dont nous venons de parler & celui de la derniere année.
Le tems le plus propre pour la coupe des bois, dit Vitruve, est depuis le commencement de l'automne jusqu'au printems, c'est-à-dire, depuis le mois d'Octobre jusqu'au mois de Mars, & sur-tout dans les derniers quartiers de la lune, afin qu'ils ne soient pas si sujets à être mangés des vers ; parce que, dit-il, au printems, la tige de tous les arbres est comme enceinte des feuilles & des fruits qu'ils doivent produire, en quoi ils employent toute la vertu de leur substance ; & l'humidité dont la disposition du tems les emplit infailliblement, les rend alors beaucoup plus foibles, semblables à des femmes dont la santé est reconnue imparfaite pendant le tems de leur grossesse : la raison, ajoute encore cet auteur, est que ce qui a été conçu venant à croître, attire à soi la meilleure partie de la nourriture, ensorte que tandis que le fruit se fortifie en mûrissant, ce qui l'a produit perd de sa force & de sa fermeté, ce que les arbres ne peuvent recouvrer qu'en automne par le suc qu'ils retiennent, lorsque les fruits sont mûrs & que les feuilles commencent à se flétrir ; c'est alors que, comme les femmes qui ont accouché, ils reprennent leur premiere force, & le froid de l'hiver survenant les resserre & les affermit.
Des bois propres à la Charpenterie. Le sapin étoit autrefois fort en usage dans la Charpenterie à cause de son peu de poids dans les bâtimens ; mais ayant reconnu que ce bois étoit très-foible, spongieux, sujet à se pourrir promtement, & fort dangereux dans les incendies, on l'a abandonné. Le châtaignier étoit aussi fort en usage, parce qu'il ne se pourrissoit point & qu'il étoit ferme & solide ; mais étant devenu très-rare en France, on lui a préféré le chêne qui est sans contredit meilleur, & presque le seul maintenant que l'on employe dans cet art.
On divise communément le bois de charpente en deux especes ; l'une se nomme bois de brin, & l'autre bois de sciage. Le bois de brin, fig. 2. qui est le plus solide, est celui qui demeurant dans sa grosseur naturelle, est équarri sur quatre faces A, en supprimant les quatre dosses B de l'arbre qui peuvent servir à faire des plate-formes : c'est ainsi que l'on fait les plus grosses pieces de bois, appellées poutres, qui ont toujours besoin de solidité pour porter les solives, comme nous le verrons dans la suite. Ces pieces ont environ deux piés de grosseur sur sept à huit toises de longueur ; d'autres diminuent en proportion de grosseur & de longueur jusqu'à quinze à seize pouces de gros & environ vingt-quatre piés de long, qu'on appelle petites poutres ou poutrelles : il en est encore d'autres qui n'ont qu'un pié de grosseur, celles-là servent dans les combles & dans les planchers des grands appartemens.
Le bois de sciage, fig. 3. est celui qui est refendu en plusieurs morceaux A à la scie, pour en faire des chevrons, poteaux, solives, limons d'escaliers, &c. ainsi que des plate-formes, madriers, & autres ; il est moins solide que le précédent, parce que les fibres du bois n'étant pas ordinairement paralleles entr'eux, il arrive rarement qu'une piece de bois refendue ne soit traversée de quelques fils qui la coupent, ou affamée par quelques noeuds vicieux ; c'est avec celles-ci que l'on fait toutes les pieces qui n'ont pas besoin d'une grande solidité.
Les plus belles pieces & les mieux faites sont les plus droites, d'égale grosseur, sans aubier (b), flache (c), ni noeuds vicieux, & dont les arêtes sont vives : lorsqu'elles sont tortueuses, remplies de flaches, d'aubier, ou de noeuds vicieux, on les réserve pour les courbes.
Tous les bois de charpente arrivent à Paris en pieces de différente sorte ; la premiere sont les poutres & poutrelles, la seconde les poteaux, la troisieme les solives, la quatrieme les chevrons, & la cinquieme les limons & quartiers tournans des escaliers.
Les poutres & poutrelles sont toujours en chêne & en bois de brin pour plus de solidité ; elles ont de grosseur depuis 15 pouces en quarré, sur environ 24 piés de long, jusqu'à 2 piés, & 7 à 8 toises de longueur ; on s'en sert dans les planchers des bâtimens pour soutenir la portée des solives.
Les poteaux sont aussi toujours en chêne, & portent depuis 4 pouces jusqu'à environ 9 pouces de grosseur ; on s'en sert dans les pans de bois pour les huisseries (d) des portes & croisées.
Les solives se faisoient autrefois en bois de sapin, mais depuis que l'on a reconnu que ce bois étoit très-foible, & sujet au feu & à se pourrir, on lui a substitué le chêne ; ces pieces portent ordinairement six à sept pouces de grosseur ; mais ayant toujours plus de largeur que d'épaisseur, elles servent à soutenir les aires (e) dans les planchers des bâtimens.
Les chevrons sont quelquefois en bois de châtaignier, mais le plus souvent en bois de sapin ou de chêne : le premier est sans contredit le meilleur, parce qu'il ne se pourrit point, qu'il n'est pas fort pesant, & qu'il est solide ; mais depuis qu'il est devenu rare, on ne s'en sert plus : le second plus léger est aussi le plus foible ; on ne laisse pas néanmoins de s'en servir : le dernier, quoiqu'un peu plus pesant que les autres, est néanmoins beaucoup plus fort & solide ; leur grosseur est ordinairement de quatre à cinq pouces en quarré ; on s'en sert pour la couverture des bâtimens.
Les limons & quartiers tournans d'escaliers sont
(b) L'aubier est une ceinture blanche autour de tous les bois, qui est la pousse de la derniere année.
(c) Flache est un moins dans les bois.
(d) Huisserie est un nom que l'on donnoit autrefois aux portes.
(e) Aire est une surface.
ordinairement des pieces de bois courbes & tortueuses de différente grosseur, raison pour laquelle on les réserve pour ces sortes d'ouvrages.
Il faut observer que la longueur des bois differe toujours de trois en trois piés, & leur grosseur à proportion, depuis 6 piés jusqu'à 30 ; c'est-à-dire qu'ils sont de 6, 9, 12, 15, 18, 21, 24, 27, 30 piés & plus ; passé cette mesure, leur longueur est indéterminée : tous ces bois se vendent sur les ports de la Rapée & de l'Hôpital à Paris.
En général le meilleur bois est celui qui est sain, net & de droit fil, dont tous les fibres sont à-peu-près paralleles aux deux bords des pieces, qui n'a aucuns noeuds vicieux, tampons (f), aubiers, ni malandres (g) ; on peut le connoître après l'avoir scié par les deux bouts, en prêtant l'oreille d'un côté tandis que l'on frappe de l'autre ; si le son est clair, c'est une marque que la piece est bonne, s'il est sourd & cassé, c'est une marque que la piece est gâtée ; quelques-uns prétendent qu'avec un peu d'huile bouillante, on en peut connoître les différentes propriétés.
Du bois selon ses especes. On appelle bois de chêne rustics ou durs, ceux qui étant venus dans un terrein ferme, pierreux, sablonneux, & sur le bord des forêts, est par conséquent d'un fil gros & dur ; c'est de celui-là que l'on se sert dans la charpenterie.
Bois de chêne tendre, est celui qui étant venu dans un terrein humide, & à l'abri du soleil, est gras, moins poreux que le précédent, & qui a fort peu de fils ; c'est pour cela qu'on l'employe dans la menuiserie & la sculpture ; on l'appelle encore bois de Vauge ou de Hollande.
Bois précieux & durs, sont des bois très-rares de plusieurs especes & de différentes couleurs, qui nous viennent des Indes, qui reçoivent un poli très-luisant, & que l'on employe dans l'ébénisterie & la marqueterie.
Bois légers, sont des bois blancs dont on se sert au lieu de chêne, tels que le sapin, le tilleul, & quelques autres, que l'on employe dans les planchers, les cloisons, &c. pour en diminuer le poids.
Bois tortueux est celui qui étant de différente forme, & dont les fils étant courbés, est reservé pour faire des courbes & autres parties ceintrées.
Du bois selon ses façons. On appelle bois en grume, un bois ébranché dont la tige n'est point équarrie ; on l'employe de sa grosseur pour les pieux & palées des pilotis.
Bois de brin ou de tige, est celui dont on a ôté seulement les quatre dosses flaches.
Bois de sciage ; celui qui est propre à refendre, ou qui est débité à la scie, fig. 28. Pl. (des outils) pour en faire des membrures (h), chevrons (i), ou planches.
Bois d'équarrissage, est celui qui est équarri, & qui au-dessus de six pouces de grosseur, change de nom selon les dimensions.
Bois de refend, est celui que l'on refend par éclat pour en faire du mairrain (k), des lattes, contrelattes, échalas, bois de boisseaux, & autres choses semblables.
Bois méplat, est celui qui a beaucoup plus de largeur que d'épaisseur, tels que les membrures de menuiserie, &c.
Bois d'échantillon, sont des pieces de bois des grosseur & longueur ordinaires, telles qu'on les trouve dans les chantiers des marchands.
Bois refait, est celui qui de gauche & de flache qu'il étoit, est équarri & dressé sur ses faces au cordeau.
Bois lavé, est celui dont on a ôté tous les traits avec la besaiguë, fig. 32. dans les Pl. ou le rabot, fig. 48. Pl. des outils.
Bois corroyé, est celui qui est repassé au rabot.
Bois affoibli, est un bois dont on a beaucoup supprimé de sa forme d'équarrissage, pour lui donner celle d'une courbe droite ou rampante, ou à dessein de former des bossages aux poinçons des corbeaux, aux poteaux des membrures, &c.
Bois apparent, est celui qui étant mis en oeuvre dans les planchers, cloisons ou pans de bois, n'est point recouvert de plâtre.
Du bois selon ses qualités. On appelle bois sain & net, celui qui n'a aucuns noeuds vicieux, malandres, gales, fistules, &c.
Bois vif, celui dont les arêtes sont bien vives & sans flache, & où il ne reste ni écorce, ni aubier.
Du bois selon ses défauts. On appelle bois blanc, celui qui tenant de la nature de l'aubier se corrompt facilement.
Bois flache, est celui dont les arêtes ne sont pas vives, & qui ne peut être équarri sans beaucoup de déchet : les ouvriers appellent cantibay, celui qui n'a du flâche que d'un côté.
Bois gauche ou deversé, est celui qui n'est pas droit par rapport à ses angles & à ses côtés.
Bois bouge ou bombé, est celui qui a du bombement, ou qui courbe en quelque endroit.
Bois qui se tourmente, est celui qui se déjette ou se cauffine, lorsqu'il seche plus d'un côté que de l'autre, dans un endroit que dans un autre, sur-tout lorsqu'il est exposé au soleil ou à la pluie.
Bois noueux ou nouailleux, est celui qui a beaucoup de noeuds, qui quelquefois font casser les pieces lorsqu'elles sont chargées de quelque fardeau, ou lorsqu'on les débite.
Bois tranché, est celui dont les noeuds vicieux ou les fils sont obliques, & qui traversant la piece la coupent & l'empêchent de résister à la charge.
Bois roulé, est celui dont les cernes sont séparées, & qui ne faisant pas corps n'est pas propre à débiter : ce défaut arrive ordinairement lorsque dans le tems de sa seve il a été battu par les vents.
Bois gelif, est celui qui ayant été exposé à la gelée, ou aux ardeurs du soleil, est rempli de fentes & de gersures.
Bois carié ou vicié, est celui qui a des malandres, gales ou noeuds pourris.
Bois vermoulu, est celui qui est piqué de vers.
Bois rouge, est celui qui s'échauffe & qui est sujet à se pourrir : ce bois est encore rempli d'une infinité de petites taches blanches, rousses & noires ; ce qui lui fait donner le nom de pouilleux par les ouvriers de quelques provinces.
Bois mort en pié, est un bois qui est sans substance, & qui n'est bon qu'à brûler.
De la maniere d'équarrir les bois. Il y a deux manieres d'équarrir les arbres : l'une, en supprimant les dosses flaches B, fig. 2. en les débitant (n) à la scie, fig. 28. Planches (des outils) ; & l'autre, en les charpentant d'un bout à l'autre avec la coignée, fig. 33. Planches (des outils). La premiere, beaucoup plus promte & plus facile, est celle dont on se sert le plus souvent : d'ailleurs, ces quatre dosses B, fig. 2. qui restent sont encore très-propres à faire des plateformes, madriers, & autres planches qui, dans le dernier cas, sont réduites en copeaux.
Lorsque l'on veut équarrir les bois, il est absolument nécessaire de les tracer avant, en tirant géométriquement toutes les lignes qui doivent servir de divisions droites & régulieres, que l'on suit après
(f) Tampon est le petit morceau de bois que l'on met pour boucher un trou.
(g) Malandres, espece de fentes.
(h) Membrures, grosses pieces refendues.
(i) Chevrons, bois qu'on employe dans les couvertures.
(k) Espece de lattes qui servent à couvrir.
(n) Débiter, c'est scier ou refendre les bois.
avec la scie, fig. 28. Pl. des outils, ou la coignée, fig. 33. Pl.
Pour y parvenir, ainsi que pour toutes les opérations quelconques que l'on a à y faire, il faut commencer d'abord par les mettre en chantier (o), c'est-à-dire, placer, par exemple, la piece de bois A, fig. 4. que l'on veut travailler sur deux calles (p) B, ou autres pieces de bois quarrées ou méplates que l'on appelle chantier de bois, ce qui la faisant mieux porter (q) la rend beaucoup plus solide : la raison est premierement, qu'il est peu de terrein parfaitement uni ; secondement, qu'il est aussi très-peu de pieces de bois parfaitement droites, raisons pour lesquelles il ne peut ainsi porter solidement ; car si on la posoit simplement à terre, elle pirouetteroit & tourneroit çà & là au gré des outils ou autres instrumens avec lesquels on opéreroit ; de plus, étant un peu élevée, on est plus à son aise pour les différentes opérations que l'on veut y faire.
Cette piece de bois A, fig. 4. étant en chantier, on en ôte d'abord l'écorce ; ensuite les deux extrêmités C & D étant sciées bien quarrément (r), on y trace par chaque bout un quarré de la grosseur que la piece de bois peut porter, en observant qu'ils se regardent & soient tous deux placés bien juste sur le même plan. La Géométrie-pratique enseigne plusieurs manieres à cet effet, mais la plus courte & la plus sûre est d'abord de tracer par un bout C un quarré ; ensuite, pour faire que celui qui doit être placé à l'autre extrêmité D soit sur le même plan du précédent, il suffit d'en avoir un côté E sur le même plan d'un des côtés de celui de l'extrêmité C de la piece, une regle F parallele à un des côtés du quarré C déja tracé, & placer ensuite par l'autre bout une seconde regle G parallele à la premiere, & d'après cette derniere tirer une ligne E parallele pour former le côté E que nous cherchons ; ce côté ainsi trouvé, il est bien facile maintenant d'achever le quarré ; les deux quarrés ainsi tracés, il faut tirer d'un bout à l'autre de la piece de bois, fig. 5. des lignes qui correspondent à leurs côtés A & B : cette opération se fait de deux manieres.
La premiere, beaucoup plus promte, plus facile & plus juste que toutes les autres, & celle aussi que l'on employe le plus souvent, sur-tout lorsque les pieces de bois sont longues & mal-faites, se fait ainsi : on frotte d'abord de noir (s), ou de blanc de craie (t), un cordeau (u) A & B, même figure, que l'on pose le long de la piece, ajustant les deux bouts A & B sur l'extrêmité des lignes qui forment les quarrés ; ensuite, prenant le cordeau par son milieu C, on le tend en l'élevant de bas en haut, & on le lâche aussi-tôt ; ce cordeau retombant avec rapidité sur la piece de bois sur laquelle il pose, se dépouille d'une partie du noir ou du blanc dont il étoit revêtu, pour le communiquer à l'endroit où il est retombé, ce qui forme une ligne parfaitement droite ; ce que l'on réitere sur les quatre faces.
La seconde, dont on ne se sert presque jamais, à moins que les pieces de bois ne soient fort courtes, est de placer au lieu de cordeau une regle un peu plus longue que la piece de bois, dont les deux bouts sont aussi posés sur l'extrêmité des lignes des quarrés, ensuite avec une pierre de craie, ou mieux une pierre noire, qui parce qu'elle s'efface moins facilement que les autres est celle dont on se sert le plus souvent dans la charpenterie, on tire une ligne d'un bout à l'autre de la piece ; ce que l'on réitere aussi sur les quatre faces.
Ces quatre lignes tirées, on refend la piece, de laquelle on retire les deux dosses D & E opposées l'une à l'autre.
Ceci fait, fig. 6, on tire avec le cordeau sur les deux côtés sciés, de nouvelles lignes A B & C D qui aboutissent aux deux autres côtés de chacun des quarrés, & on refend la piece comme auparavant, de laquelle on retire aussi les deux autres dosses E & F, ce qui rend la piece de bois quarrée, de ronde qu'elle étoit.
De la maniere de débiter les bois. La maniere de débiter les bois telle qu'on le voit en a dans la vignette de la premiere Planche, est fort simple ; elle ne consiste qu'à arrêter bien solidement la piece de bois que l'on veut refendre, sur deux forts treteaux de bois d'assemblage, fig. 31, Pl. (des outils), & à la scier ensuite avec la scie à refendre, fig. 28, Planches (des outils). Nous allons donner la description d'une ingénieuse machine à l'eau pour débiter les bois.
Description d'un moulin à débiter les bois. La Planche XXXIV. représente le plan & l'élévation intérieure prise sur la longueur ; la Planche XXXV. le plan souterrein & l'élévation intérieure prise sur la largeur d'un moulin exécuté en Hollande, propre à débiter des pieces de bois. Cette machine pratiquée dans un bâtiment couvert, partie dans la terre, & partie hors de terre, est composée d'une roue A mûe par un ruisseau, au milieu de laquelle est un grand arbre B porté sur deux tourillons appuyés d'un côté sur un mur C, & de l'autre, sur un support D soutenu de sommiers & de liens portant un rouet denté E engrenant dans deux lanternes F & G, dont la premiere porte avec soi un treuil H porté sur deux tourillons appuyés sur des supports I & K soutenus de sommiers & de liens ayant un cordage L servant à amener les pieces de bois M sur des rouleaux ou traîneaux N. Lorsque ces pieces M sont amenées assez près de la machine, on leve l'arcboutant O, & le support K à charniere par en-bas n'étant plus retenu, s'éloigne aussi-tôt de sa place, & entraîne avec soi la lanterne F, qui n'engrenant plus dans le rouet E, cesse de faire tourner son treuil H, & d'amener la piece M. L'autre lanterne G porte une manivelle coudée P, qui ayant ses tourillons appuyés sur des supports Q, sert en tournant à manoeuvrer par un tirant R attaché à la traverse inférieure d'un chassis S mouvant de haut en bas dans deux coulisses T arrêtées à demeure sur une piece de U attachée au plancher & à une autre supérieure V, plusieurs scies X attachées haut & bas aux deux traverses du chassis, & s'étendant plus ou moins par le secours des vis Y ; la piece de bois a que l'on veut scier, arrêtée par ses deux extrêmités avec des liens b sur des traverses c posées à demeure sur un chassis composé d'entretoises d & de longrines e glissant d'un bout à l'autre sur un chassis à coulisse f ; les dents pratiquées au-dessous des longrines e, s'engrenant dans deux lanternes g montées sur un arbre h, à l'extrêmité duquel est une petite roue dentée i, qu'un échappement k fait tourner d'une dent à chaque vibration montante des scies X, font avancer à mesure la piece de bois a, & le chassis d e, sur lequel elle est portée.
Des assemblages. On appelle assemblage de charpente l'union de plusieurs pieces de bois ensemble ; il en est de deux sortes : les uns, que l'on appelle assemblages à tenons & mortaises, les autres assemblages à queue d'aronde.
(o) On appelle mettre une piece de bois en chantier, l'élever sur deux calles.
(p) Calle est une piece qui en soutient une autre pendant une opération.
(q) On dit qu'une piece de bois porte, quand étant callée, elle ne peut chanceler.
(r) Quarrément, c'est-à-dire à angles droits.
(s) Ce noir peut être de paille brulée, ou autre noir qui peut se réduire en poussiere fine.
(t) Craie, espece de pierre blanche que l'on tire des carrieres de Champagne.
(u) Un cordeau ou ficelle ; il faut que ce soit de celle qu'on appelle fouet.
Les premiers se divisent aussi en deux especes ; l'une qu'on appelle assemblage à tenon & mortaise quarré ou droit, & l'autre assemblage à tenon & mortaise en about. Les premiers se font de deux manieres différentes ; la premiere, fig. 7, en supprimant les deux tiers de l'épaisseur de la piece de bois par son extrêmité A, qu'on appelle alors tenon, que l'on nourrit (x) quelquefois au collet (y) d'une petite masse de bois B, fig. 9 ou fig. 10, qu'on y laisse ; la mortaise C est un trou toujours de la forme du tenon, fait dans le milieu d'une autre piece de bois à dessein de l'y contenir, pour former de ces deux pieces ce qu'on appelle un assemblage, que l'on perce d'un trou pour y enfoncer une cheville de bois fig. 8.
La deuxieme, fig. 11, differe de cette derniere, en ce que son assemblage est placé à l'extrêmité de la piece, formant une espece d'équerre, raison pour laquelle on laisse toujours au bout de la mortaise une épaisseur de bois B, que l'on supprime au tenon en A, & cela pour donner plus de force & de solidité à la mortaise.
Il arrive quelquefois que pour rendre ces sortes d'assemblages encore beaucoup plus forts, sur-tout lorsque les pieces de bois qui portent les mortaises sont assez fortes, qu'au lieu d'un seul tenon & d'une seule mortaise on en fait deux, ce qu'on appelle alors assemblage doubles.
Les assemblages en about sont ceux fig. 12, 13, 14, 15 & 16, dont les tenons A sont coupés en onglet, de maniere qu'étant ajustés dans leurs mortaises B, les deux pieces forment un angle aigu : on les appelle ainsi, parce que leur plus grand poids est appuyé sur le bout A du tenon ; aussi entaille-t-on quelquefois pour cela le bout de la piece A figures 14 & 15, qui porte le tenon dans celle C, qui porte la mortaise, ce qui donne à cet assemblage toute la solidité que l'on peut desirer.
On peut aussi, comme aux précédens, doubler les tenons A, fig. 13 & 15, de ces sortes d'assemblages.
Il est encore une autre espece d'assemblage en about, fig. 17 & 18, mais sans tenon & mortaise : ce n'est autre chose qu'une piece de bois D, coupée en talut par son extrêmité inférieure, portant une espece de petit tenon E pointu, dont le bout entre dans la mortaise F, & le reste se trouve entaillé un tant soit peu dans la piece inférieure G, quelquefois soutenue par une autre piece de bois H assemblée à tenon & mortaise, & posée verticalement.
Le dernier des assemblages est celui nommé à queue d'aronde, fig. 19 & 20 ; c'est l'union de deux pieces de bois A & B par leur extrêmité, dont l'une A porte une espece de tenon évasé en C, fig. 19, qui entre dans une espece de mortaise D à jour, de même forme & figure que le tenon, ajustés ensemble en E, fig. 20, tel que cette figure le représente. Cette sorte d'assemblage n'est pas des plus solides, puisque pour faire les tenons d'une part, & la mortaise de l'autre, ces deux pieces se trouvent presque coupées dans cet endroit ; mais comme on ne s'en sert ordinairement que pour les plates-formes appellées sablieres, qui portent le pié des chevrons des combles, comme nous le verrons dans la suite, & qu'ainsi se trouvant appuyées d'elles-mêmes sur les murs, cet assemblage est suffisamment solide pour les retenir par leurs extrêmités, & les empêcher de s'écarter au-delà des murs.
De la maniere de faire un assemblage à tenon & mortaise. Lorsque l'on veut faire un assemblage à tenon & mortaise, fig. 22, il faut tracer l'un & l'autre sur la même mesure, c'est-à-dire que si l'on commence par le tenon, il faut tracer la mortaise de la même mesure que le tenon ; & réciproquement si l'on commence par la mortaise, il faut tracer le tenon suivant la mortaise.
La fig. 22 est l'assemblage que l'on veut faire ; A & B, fig. 21, sont les deux pieces de bois que l'on veut assembler ; A est la piece qui doit porter le tenon par une de ses extrêmités, & B est celle qui doit porter la mortaise. Ainsi comme il est indifférent de commencer cet assemblage par l'un ou par l'autre, comme nous venons de le voir, nous allons le commencer par le tenon.
De la maniere de faire les tenons. Pour faire un tenon, il faut d'abord le tracer en A, fig. 23. ce qui se fait en tirant une ligne d A e quarrément de chaque côté de la piece de bois de la longueur que l'on veut faire le tenon ; & ensuite divisant sa largeur tant dessus que dessous en trois parties égales d A e, on en donne une au tenon placée ici au milieu en A : ceci fait, on tire une ligne B de chaque côté opposé l'un à l'autre, qui ensemble vont joindre les deux lignes d A e des deux autres côtés, ensuite avec une scie, fig. 29. Pl. (des outils) ; on coupe la piece B de chaque côté bien quarrément jusqu'au tiers A, que l'on supprime avec l'ébauchoir, fig. 41. Pl. (des outils) & que l'on équarrit après avec la besaiguë, fig. 32. Pl. des outils, pour en former le tenon, fig. 24. que l'on vouloit faire.
Si l'on vouloit faire un tenon double, fig. 25. & 26. au lieu de diviser la largeur de la piece de bois en trois parties égales, il faudroit la diviser en cinq b A c A A d, & en donner une à chacun des tenons A & A A ; les deux pieces B de part & d'autre se coupent & se suppriment, comme au précédent tenon, avec la scie, fig. 29. Planc. (des outils) & pour séparer la partie c entre les deux tenons A & A A, il faut percer tout au-travers de la piece en C un trou de tariere, fig. 25. Planc. (des outils), & ensuite la scier par le bout D des deux côtés avec la scie, fig. 29. Planc. (des outils), en suivant les deux lignes tracées qui séparent les deux tenons A & A A, alors cet intervalle C ne tenant presque plus à rien, on le fait partir facilement en frappant sur le bout D ; ceci fait, on équarrit les deux tenons A & A A, comme nous l'avons vu pour celui de la fig. 24. avec la besaiguë, fig. 32. Planc. (des outils), tel qu'on le voit dans la fig. 26.
De la maniere de faire des mortaises. Une mortaise, comme nous l'avons déja vu, est un trou méplat, fait dans une piece de bois pour recevoir le tenon dont nous venons de parler, ce qui forme un assemblage, fig. 22.
Lorsque l'on veut faire une mortaise, & que le tenon, fig. 24. se trouve déja fait, il faut mettre en chantier la piece de bois, fig. 27. sur laquelle on veut faire la mortaise, ensuite prendre son épaisseur A, fig. 24. & la porter en A, fig. 27. au milieu, si le tenon A, fig. 24. est au milieu de sa piece de bois B, ensuite prendre la largeur A C, fig. 24. & la porter en A C, fig. 27. ce qui fait la mesure de la mortaise ; si le tenon A, fig. 24. se trouvoit plus d'un côté que de l'autre, il faudroit commencer par prendre la largeur d, même fig. & la porter en d, fig. 27. l'épaisseur du tenon A, fig. 24. & la porter en A, fig. 27. & si les pieces de bois, fig. 24. & 27. sont d'égale grosseur, la partie e, fig. 24. qui reste, si l'opération est juste, sera égale à celle e, fig. 27.
La mortaise A, fig. 28. ainsi tracée, il faut y percer des trous a a a, fort près les uns des autres ; d'abord verticalement, & après obliquement de part & d'autre, sur tous les sens d'une profondeur égale à la longueur du tenon, avec une tariere, fig. 25. Pl. ou laceret, fig. 24 même Pl. (des outils) dont la grosseur ne doit point excéder l'épaisseur de la mortaise que l'on équarrit ensuite intérieurement avec la besaiguë,
(x) Un tenon, un angle, & autre chose semblable, est nourri, lorsqu'il est fort & gras.
(y) Collet d'un tenon est la partie qui le joint avec la piece.
fig. 32. Planc. (des outils), pour lui donner la forme qu'elle a en A, fig. 29.
Si le tenon étoit double, comme celui A & A A, de la fig. 26. il faudroit aussi tracer deux mortaises A & A A, fig. 30. l'une près de l'autre, en prenant la largeur b, fig. 26. & la portant en b, fig. 30. l'épaisseur du tenon A, fig. 26. en A, fig. 30. l'intervalle c des deux tenons A, A A, fig. 26. en e, fig. 30. l'épaisseur du deuxieme tenon A A, fig. 26. en A A, fig. 30. & si les deux pieces de bois, fig. 26. & 30. sont d'égale grosseur, & que l'on ait opéré juste, la partie d, qui reste de part & d'autre, doit être aussi égale : ces deux mortaises se font chacune de la maniere que nous avons vu celle de la fig. 28. & lorsqu'elles sont faites, elles doivent ressembler à celles A, A A de la fig. 31.
Comme les assemblages en about ne different des assemblages quarrés que par leur inclinaison, & que pour cette raison les uns ne sont pas plus difficiles à faire que les autres ; nous ne parlerons en aucune façon de la maniere de les faire, ce que nous avons dit pour les uns pouvant très-bien servir pour les autres.
Des ouvrages de charpenterie. Les ouvrages de charpenterie étant d'une très-grande étendue, nous les diviserons en quatre parties différentes. La premiere aura pour objet la construction des bâtimens : la seconde celle des ponts : la troisieme celle des machines : & la quatrieme, celle des vaisseaux, navires, bateaux, &c.
Des ouvrages de charpenterie pour des bâtimens. Les ouvrages de charpenterie pour les bâtimens sont les pans de bois, les cloisons, les planchers, les escaliers, les combles & les lucarnes.
Des pans de bois. On appelle pan de bois l'union de toutes les pieces de charpente qui composent la façade d'un bâtiment : ce genre de bâtir occupe à la vérité beaucoup moins de place qu'une maçonnerie en pierre ou en moilons, chose fort avantageuse dans les endroits où le terrein est petit & fort cher ; mais en récompense est-il plus sujet aux incendies, & n'est pas, à beaucoup près, si propre ni si durable : il en est de deux sortes ; les uns appellés à bois apparens, sont ceux dont les bois sont à découvert, & sans être enduits de plâtre : les autres appellés à bois recouverts, sont ceux dont les bois sont lattés (z) & enduits de plâtre par-dessus : ceux-ci, peuvent devenir un peu plus propres, & susceptibles de décoration, ayant en-dehors une apparence de maçonnerie, & pouvant, par conséquent, recevoir des nouvelles plinthes, corniches & autres membres d'architecture & de sculpture : les uns & les autres commencent quelquefois au premier étage, fig. 32. & 33. étant appuyés sur un mur de maçonnerie A, fig. 32. ou sur des piliers de bois ou de pierre A, fig. 33. ou sur de la maçonnerie A, & des poteaux B, fig. 33. pour en faire des boutiques, & quelquefois au rez-de-chaussée, fig. 34. 35. & 36. mais toujours appuyé sur un massif A, même fig. servant de retraite, & cela pour préserver les bois de l'humidité du terrain, qui infailliblement le pourriroit en fort peu de tems.
Les anciens les distinguoient de trois manieres différentes : la premiere, fig. 32, qu'ils appelloient simple, étoit un composé de plusieurs pieces de bois B posées debout & perpendiculairement assemblées à tenon & mortaise par en-haut & par en-bas dans d'autres pieces de bois C plus fortes qui les traversoient ; les extrêmités étoient soutenues par d'autres D plus fortes ; & pour empêcher que le tout ne s'inclinât d'un côté ou d'un autre, on en plaçoit d'autres E diagonalement opposées entr'elles, que l'on appelle proprement guêtres ou décharge, parce qu'elles servent à décharger les pieces supérieures d'une partie de leur poids ; si l'on pratiquoit des ouvertures, comme pour des croisées, on supprimoit deux ou trois de ces pieces de bois B, on en plaçoit une autre H en travers appellée traverse, & à la hauteur qu'on vouloit faire l'appui, (&) assemblée à tenon & mortaise dans celles F appellées poteaux des croisées, soutenues par d'autres I placées perpendiculairement, & assemblées aussi à tenon & mortaise haut & bas.
La deuxieme maniere K, même figure, étoit nommée à losange entrelacé : c'étoit plusieurs pieces de bois K entrelacées diagonalement, formant des losanges (a), & entaillées l'une dans l'autre, moitié par moitié, c'est-à-dire, chacune de la moitié de son épaisseur à tenon & à mortaise dans les pieces supérieures & inférieures C, dans celles des extrêmités D, & dans les poteaux des croisées F.
La troisieme maniere, fig. 33, étoit appellée à brins de fougere : c'étoit plusieurs potelets B disposés diagonalement, & assemblés à tenon & mortaise dans les intervalles de plusieurs poteaux C D posés perpendiculairement, dont quelques-uns D servoient aux croisées, ressemblans en quelque sorte à des branches de fougere, dont les potelets représentent les brins ; quoique tous ces potelets fissent chacun presque l'office de décharge, on ne laissoit pas que d'en placer en E qui soutenoient en même tems les assemblages.
Chacun des pans de bois que nous venons de voir, étoit quelquefois surmonté d'une espece d'attique composée de plusieurs poteaux F posés à plomb, entretenus par plusieurs pieces de bois G, disposés en croix de saint André (b).
Si les pans de bois, fig. 34, ne sont pas des plus modernes, ils n'en sont pas moins solides ; on en voit encore plusieurs de cette façon sur le pont Notre-Dame à Paris & ailleurs ; il est vrai qu'ils employent beaucoup de bois : c'est à quoi l'on a remédié dans les modernes, fig. 35 & 36, en les faisant plus à claire-voye (c).
La figure 34 représente un pan de bois appuyé sur un massif ou petit mur A d'environ dix-huit pouces d'épaisseur, qui, comme nous l'avons vu, sert à empêcher les pieces de bois les plus proches de la terre de se pourrir. B est une piece de bois d'environ un pié de grosseur, appellée sabliere, posée sur le milieu du massif A, sur laquelle pose tout le pan de bois. C sont de gros poteaux d'environ douze à quinze pouces de grosseur, appellés maîtres-poteaux, parce qu'ils entretiennent, de distance en distance, l'assemblage de tous les autres. D E F sont d'autres sablieres assemblées par chaque bout à tenon & mortaise dans les maîtres-poteaux C, dont celles D & E se trouvent placées à la hauteur des planches : c'est sur ces sablieres B D E F, que sont assemblés à tenon & mortaise par en-haut & par en-bas, les poteaux G des croisées d'huisserie K, de remplage Q R T, de guêtres & guétrons N S, décharges X, tournisses V, croix de saint André P, &c. dont les grosseurs sont toutes d'environ sept à huit pouces. G sont les poteaux des croisées, qui avec leurs linteaux H, & leur appui I, posés en-travers & assemblés à tenon & mortaise par leur extrêmité dans les poteaux G, forment les baies (d) des croisées. K sont les poteaux
(z) Latter est poser des lattes avec des clous.
(&) Un appui est une piece où l'on s'appuie.
(a) Un losange est une espece de quarré écrasé en rampant.
(b) Une croix de S. André est une croix dont les quatre angles sont égaux de deux en deux ; on l'appelle ainsi, parce que celle qui a servi au martyre de S. André, étoit de cette façon.
(c) Clairevoie ou plus écartés les uns des autres, ayant plus de jeu.
(d) Une baie est le tableau d'une porte ou croisée, pris sur son épaisseur.
d'huisserie, qui avec leurs linteaux L assemblés aussi à tenon & mortaise par leur extrêmité, forment les bayes des portes. Au-dessous des appuis I des croisées, sont des petits potelets M, & des petites guêtres ou guétrons N posés obliquement, assemblés à tenon & mortaise par en-haut & par en-bas. Au-dessus des linteaux H des croisées, & de ceux L des portes, sont des petits poteaux ou potelets O aussi assemblés à tenon & mortaise. Les espaces entre les croisées sont remplis de trois manieres différentes : la premiere, de deux pieces de bois P en forme de croix de saint André, entre deux poteaux Q appellés poteaux de remplage : la seconde, d'un poteau de remplage R, & de deux guêtres S : & la troisieme, de deux poteaux de remplage T, & de plusieurs tournisses V assemblées à tenon & mortaise dans une décharge X. Au-dessus de la sabliere E, est un remplissage de poteaux de remplage a & autres b & de guétrons c. d sont des consoles saillantes d'environ douze à quinze pouces, surmontées d'une espece de chapiteau quarré e : le tout entaillé d'un pouce d'épaisseur dans l'extrêmité supérieure des maîtres-poteaux C, & des poteaux de remplage a, & attaché de plusieurs chevilles de fer, fig. 72, pour supporter les blochets f, qui à leur tour supportent le pié des chevrons g aussi saillant en-dehors, & par-là garantir la façade du bâtiment, des pluies & mauvais tems. Au-dessus de la sabliere F, sont les poteaux h des croisées, les guêtres i, poteaux de remplage k, & tournisses l assemblés à tenon & mortaise par en-haut & par en-bas, partie dans la ferme ceintrée m, & partie dans un entrait n formant les linteaux des croisées, au-dessus duquel sont les poteaux de remplissage o & des guêtres ou contrefiches p assemblés aussi à tenon & mortaise par en-bas dans l'entrait n, & par en-haut dans la ferme ronde m.
La figure 35 est un pan de bois à la moderne, dont par économie les poteaux sont écartés les uns des autres. A est une maçonnerie qui monte en partie jusqu'au premier étage, & qui avec des poteaux B d'environ quinze à dix-huit pouces de grosseur assemblés à tenon & mortaise par en-haut, soutiennent une poutre ou poitrail (e) C, dont la grosseur est déterminée par la longueur de sa portée & la pesanteur des planchers & pieces supérieures : ce rez-de-chaussée est destiné à faire des boutiques de marchands ou artisans, entre deux desquelles est une allée pour communiquer aux appartemens supérieurs. D est le linteau de la porte. E sont des poteaux d'environ huit à dix pouces de grosseur assemblés par enhaut à tenon & mortaise, & appuyés par en-bas sur les appuis des boutiques qui avec les linteaux F, en forment la porte. G sont des petits poteaux de remplissage aussi assemblés à tenon & mortaise haut & bas. H sont les bouts des solives des planchers qui portent sur la poutre C, & sur la sabliere I, au-dessus desquels sont les sablieres K, qui ensemble sont assemblés à tenon & mortaise, d'un côté, dans le poteau cornier L, & de l'autre, dans de forts poteaux M, espacés de distance en distance pour soutenir la charpente ; sur les sablieres K, sont aussi assemblés les poteaux N des croisées composés de leurs linteaux O, de leur appui P, & de leurs potelets Q : les décharges R, & leurs poteaux ou tournisses S, les croix de saint André T V sont d'autres sablieres plus petites destinées à porter le pié des chevrons des combles.
La figure 36 est un autre pan de bois à la moderne, mais sans boutique, composé d'un petit massif de maçonnerie A, de poteau cornier B, dans lequel est assemblé toute la charpente des sablieres inférieures C pour chaque étage, ainsi que de celles D, qui portent le pié des chevrons des combles de sablieres supérieures E, qui portent les planchers F, dans chacune desquelles sont assemblés à tenon & mortaise haut & bas les poteaux des croisées G composées de leur linteau H, de leur appui I, & de leurs potelets K, ou décharges L, & leurs tournisses M, & de croix de saint André N.
Des cloisons. On appelle cloison, fig. 37. un assemblage de pieces de bois ou poteaux, posés perpendiculairement, dont les intervalles sont remplis de maçonnerie, pour séparer plusieurs pieces d'un appartement, & quelquefois en même tems pour soutenir une partie des planchers. Elles sont composées de plusieurs poteaux A, espacés de 15 à 18 pouces de distance ; de charge B, depuis 4 jusqu'à 8 pouces de grosseur, & tournisses C : & s'il y a des portes de poteaux d'huisserie D, linteaux E, & potelets F, assemblés haut & bas dans des sablieres G, comme celles C & E du pan de bois, fig. 36. on les fait de trois manieres différentes. La premiere appellée cloison pleine à bois apparent, se fait en emplissant simplement les intervalles des poteaux A de maçonnerie, arrasés des deux côtés. La seconde appellée cloison pleine hourdée, se fait en couvrant les deux côtés de cette derniere d'un enduit de plâtre. La troisieme appellée cloison creuse, se fait en lattant des deux côtés par-dessus les poteaux A, sans emplir les intervalles que l'on enduit ensuite de plâtre.
Il est encore une autre espece de cloison, fig. 38. appellée cloison mince ou d'huisserie, que l'on employe pour les corridors, séparations de petites chambres, cabinets, garde-robes, & sur-tout dans les galetas & chambres de domestiques ; elles sont composées de plusieurs planches de bateau (f) A, espacées tant pleins que vuides, entées par en-haut & par en-bas, dans la rainure ou feuillure d'une coulisse B, fig. 39. assemblée à tenon & mortaise, s'il y a des portes dans les poteaux d'huisserie C, fig. 38. appellés tiers poteaux.
Il arrive quelquefois lorsque les cloisons sont hourdées, premierement que les poteaux d'huisserie D, fig. 37. & tiers poteaux C, fig. 38. & leurs linteaux sont de l'épaisseur de la cloison hourdée, c'est-à-dire à bois apparent ; deuxiemement qu'ils ont une feuillure du côté A, fig. 40. & 41. plan d'iceux, pour recevoir le battement de la porte de menuiserie ; & troisiemement qu'ils ont aussi une feuillure des deux côtés B, même fig. dans laquelle on peut clouer des lattes, & poser l'enduit de plâtre.
Des planchers. On appelle plancher, un assemblage de pieces de bois posées horisontalement, formant une épaisseur qui sert à séparer les différens étages d'un bâtiment, & à en multiplier les surfaces : il en est de deux sortes ; les uns avec poutres, & les autres sans poutres.
Les premiers qu'on employe le plus souvent pour les grands appartemens, se font de trois manieres ; la premiere, appellée plancher à poutre apparente, fig. 42. & 43. est composée d'une poutre A, d'une grosseur proportionnée à sa longueur & à la charge qu'elle doit porter, posée sur des murs de face & de refend, sur laquelle vient s'appuyer une partie d'assemblage de chevêtre B, solives d'enchevêtrure D, de longueur E, de remplissage F, &c. qui ensemble forment le plancher dont l'autre partie est appuyée sur une sabliere K, posée sur un mur H, ou cloison, ou enfin sur une autre poutre. La seconde, appellée plancher à poutre demi-apparente, fig. 44. 45. & 46. est lorsque toutes ces pieces étant assemblées à tenon & mortaise dans la poutre A, ou posées sur des lambourdes (g) G qui y sont attachées, il n'en reste
(e) Un poitrail est une poutre qui porte un mur.
(f) Planches de bateaux sont des planches tirées des débris de vieux bateaux, & qui sont encore bonnes à quelque chose.
(g) Piece de bois ou solive attachée à une poutre.
plus en contrebas (h) que la moitié de l'épaisseur. La troisieme, appellée plancher à poutre perdue, fig. 47. & 48. est lorsque le plancher H & I étant double, la poutre A se trouve perdue dans son épaisseur, & procure par-là le moyen de faire un plafond (i) uni.
La seconde sorte de plancher, fig. 49. & celle que l'on employe de nos jours, sur-tout lorsqu'il s'agit de pieces peu spacieuses, se fait en employant seulement des solives de bois de brin, d'environ 10 à 12 pouces de grosseur, & quelquefois plus selon le diametre des pieces qui déterminent leurs longueurs, & qui, comme nous l'avons vu précédemment, sont beaucoup plus fortes que celles de bois de sciage, & supprimant pour cet effet les poutres qui traversant pour l'ordinaire le milieu de ces pieces, empêchent l'unité des plafonds, & qui diminuent la dépense & le poids d'un double plancher, si on ne veut point qu'elles soient apparentes.
Il faut observer autant qu'il est possible, pour conserver la portée de ces poutres, solives & autres bois qui composent les planchers, non seulement de les poser sur des plates-formes, madriers ou autres pieces de bois K, fig. 42. & 47. mais encore de leur procurer de l'air par des ouvertures pratiquées à leurs extrêmités, l'expérience ayant fait voir de tout tems, que le bois enfermé dans la maçonnerie se brûle & se pourrit en fort peu de tems.
Des escaliers. Un escalier, du latin scala, échelle, est l'assemblage d'une certaine quantité de marches dans une ou plusieurs pieces de bois perpendiculaires ou rampantes qui les portent, appellés noyaux, limous ou échiffres, c'est dans la Charpenterie un des ouvrages les plus difficiles à l'égard des courbes (k), sur-tout lorsqu'il s'agit d'économiser le bois. Il en est de deux especes ; les uns appellés grands escaliers, & placés dans des pieces appellées cages d'escalier (l), servent à communiquer de bas en haut des vestibules (m), péristiles (n), ou porches (o), dans les appartemens des étages supérieurs ; les autres appellés petits escaliers, ou escaliers de dégagement, privés, secrets ou dérobés, placés dans des petites pieces, servent à dégager aussi de bas en haut, dans des cabinets, gardes-robes, entresolles, chambres de domestiques, &c. Les uns & les autres sont placés dans des cages de forme circulaire, fig. 50. & 51. 58. & 59. ovales, fig. 52. & 53. quarrées, fig. 54. & 55. 60. & 61. rectangulaires, fig. 56. & 57. 62. & 63. 64. & 65. 66. & 67. ou enfin irrégulieres, fig. 68. & 69. on les fait de quatre manieres différentes.
La premiere, appellée à noyau, est de deux sortes ; l'une appellée à noyau circulaire, fig. 50 & 51. 52. & 53. est composée d'une ou plusieurs pieces de bois A, appellées noyaux arrondis, d'environ 12 à 15 pouces de diametre, qui montent depuis le bas jusqu'en haut, & entées l'une sur l'autre à tenon & mortaise, dans lesquelles sont aussi assemblées à tenon & mortaise par un bout B, chacune des marches B C, delardées (p) par dessous pour être lattées & enduites de plâtre, dont l'autre bout C est scellé dans les murs G, & les intervalles D se remplissent comme de coutume de maçonnerie. L'autre, fig. 54. & 55. 56. & 57. appellée à noyau quarré, ne differe des précédentes que parce que le noyau A au lieu d'être circulaire est quarré, & les cages d'escaliers au lieu d'être circulaires ou ovales sont quarrées ou rectangulaires.
La deuxieme maniere appellée suspendue, est celle dont le limon (q) suspendu en tournant sur lui-même forme au milieu un vuide qui laisse appercevoir une partie de la cage de l'escalier. Il en est de quatre especes différentes. La premiere, fig. 58. & 59. appellée en limace circulaire, est lorsque le limon rampant A, d'environ 10 à 12 pouces de hauteur, sur 6 & 8 pouces de largeur, formant un cercle par son plan, vient s'arrondir par en-bas D en forme de limaçon d'où il tire son nom, & les marches B C delardées par dessous, sont assemblées à tenon & mortaise par un bout B, & par l'autre C scellées dans le mur G, comme nous venons de le voir en parlant des escaliers à noyau. La seconde espece appellée en limace ovale, ne differe de la précédente que par le limon rampant A, qui au lieu d'être circulaire est ovale par son plan. La troisieme espece, fig. 60. & 61. appellé à limon quarré, est celle dont le limon rampant A est quarré par son plan. La quatrieme espece, fig. 62. & 63. 68. & 69. appellée à limon rectangulaire, est lorsque le limon A tournant comme les autres sur lui-même, forme un rectangle par son plan.
La troisieme maniere appellée en péristile, fig. 64. & 65. est lorsque le limon rampant A est soutenu par chaque bout par une piece de bois qui monte de fond (r).
La quatrieme maniere, fig. 66. & 67. appellée à échiffre, est lorsque les limons A qui portent les marches sont posés à-plomb les uns des autres.
Chacun de ces limons est composé de plusieurs pieces de bois A, dans lesquelles est assemblé à tenon & mortaise le collet B des marches B C, dont l'autre côté C est scellé dans les murs G : on les assemble aussi à tenon & mortaise de différente maniere. La premiere, fig. 60. & 61. 62. & 63. dans des petits montans D, par une entaille D, fig. 60. & 61. faite en eux-mêmes sur une partie de la charpente des paliers quarrés H, fig. 61. & 63. ou continues H, fig. 65. 67. & 69. ou sur des quartiers tournans I, fig. 63. ou bien encore sur de longues pieces de bois D, fig. 64. qui montent de fond, c'est-à-dire depuis le dessus du patin K appuyé sur de la maçonnerie L jusqu'en haut du bâtiment. Ces limons A sont ordinairement surmontés d'une rampe ou gardefou en fer M, fig. 62. & 64. ou d'un autre limon N, appellé limon d'appui, assemblé à tenon & mortaise par chaque bout dans les montans D, fig. 62. ou par un bout dans les montans D, fig. 64. & par l'autre dans le limon supérieur A dont l'intervalle est divisé de balustres (s) rampans O, fig. 62. 64. & 66. ou horisontaux P, fig. 66. méplats, circulaires ou quarrés par leur plan.
Il arrive fort souvent, & cela est beaucoup mieux, que l'on fait la premiere marche E de tous ces escaliers en pierre, dont l'extrêmité F arrondie ou quarrée, supporte le pié du noyau ou limon A, & cela pour préserver l'un & l'autre des humidités de la terre ; c'est aussi pour cette raison, que l'on surmonte les patins K d'une maçonnerie L, de quinze à dixhuit pouces de hauteur.
Des combles. Nous avons vu au commencement
(h) Contrebas & contrehaut, deux termes qui signifient de haut en bas, & de bas en haut.
(i) Surface inférieure d'un plancher.
(k) Des courbes sont des pieces de bois rampantes de toutes sortes de formes.
(l) On appelle cage d'escalier la piece où il est construit.
(m) Un vestibule est une piece intérieure qui n'est point fermée, & qui précede toutes celles d'un appartement.
(n) Un péristile est un lieu extérieur décoré de colonnes, qui précede toutes les autres pieces d'un appartement.
(o) Un porche est une espece de vestibule extérieur pour le passage des voitures.
(p) Le délardement d'une marche est sa vis arrêtée que l'on supprime par dessous.
(q) Le limon est la piece de bois qui soutient toutes les marches d'un escalier.
(r) Une piece de bois, cloison ou autre monte de fond, lorsque commençant au rez-de-chaussée, elle va jusqu'au sommet du bâtiment.
(s) Balustres sont des especes de vases.
de cet article, que l'origine des combles est venue de la nécessité que les anciens avoient de se mettre à l'abri des mauvais tems ; nous allons voir maintenant que la hauteur qu'on leur donne, vient de la température plus ou moins grande des différens climats.
Autrefois on donnoit aux combles autant de hauteur que de base ; on a fait ensuite des triangles équilatéraux ; enfin, on est parvenu au point de leur donner de hauteur la moitié de leur base ; celle qu'on leur donne ordinairement en France est environ depuis un jusqu'aux deux tiers de la base, mais elle differe encore selon les matériaux dont on se sert pour les couvrir. Cette hauteur, dit Vitruve, doit augmenter à proportion que l'on approche des régions septentrionales, où les pluies & les neiges sont abondantes, & par la même raison diminuer à mesure qu'on s'en éloigne ; aussi sont-ils très-élevés vers le nord, fort bas en Italie, encore plus au levant, n'y ayant presque que des terrasses. Il en est de cinq especes différentes ; la premiere, sont les combles à deux égouts ; la deuxieme, les combles brisés, dits à la mansarde ; la troisieme, ceux en tour ; la quatrieme, ceux à l'impériale ; & la cinquieme, ceux en dome ou calottes.
Des combles à deux égouts. Les combles à deux égouts sont en France les plus simples de tous, & ceux qui coutent le moins ; il en est de circulaires, ovales, quarrés, rectangulaires, & à pans coupés par leurs plans ; on les divise en deux especes : l'une appellée à deux égouts, fig. 70. est lorsque les chevrons A étant inclinés des deux côtés, l'eau peut s'écouler de part & d'autre ; l'autre appellée à un seul égout ou en appenti, fig. 71. & qui tient de la premiere, est lorsque les chevrons A, n'étant placés que d'un côté, l'eau ne peut par conséquent s'écouler que d'un côté.
Ces deux manieres se font avec exhaussement & sans exhaussement ; la premiere, fig. 77. & 86, est lorsque le tirant ou la poutre B placée plus bas que l'extrêmité des noeuds C, forme un étage, partie dans l'enceinte des murs C, & partie dans les combles ; la seconde, fig. 70. 74. 79, &c. est lorsque le même tirant ou poutre B, vient aboutir au pié des chevrons A ou arbalêtrier G ; l'une & l'autre se font encore de deux manieres ; la premiere, en y plaçant des fermes (f) ou demi-fermes, & la deuxieme, en les y supprimant. Lorsque l'on y place des fermes, fig. 70. ou demi-fermes, fig. 71, il faut les éloigner d'environ douze piés de distance l'une de l'autre, & elles doivent être composées d'une poutre ou tirant B, qui sert à retenir l'écartement des arbalêtriers G, & quelquefois celui des murs C, & à soutenir un poinçon D, sur lequel est assemblé à tenon & mortaise le bout E d'une contre-fiche E F, sur laquelle à son tour vient s'appuyer par l'autre F une force ou arbalêtrier G, assemblé à tenon ou mortaise par son extrêmité inférieure dans la poutre ou tirant B, & par l'autre dans le poinçon D ; ces forces G sont faites pour porter une, deux, & quelquefois trois pieces de bois H, appellées pannes, espacées à distances égales sur la hauteur allant d'une ferme à l'autre, posées sur des tasseaux I, qui servent à les caler, chevillées dans la force ou arbalêtrier G, & appuyées sur les chantignoles K, assemblées à tenon & mortaise, ou attachées avec de fortes chevilles de fer, fig. 72. de sept à huit pouces de long, & entaillées en forme de talon par son extrêmité inférieure dans l'épaisseur de l'arbalêtrier G ; ces pannes H contribuent à soutenir le poids de la couverture que portent les chevrons A, dont l'extrêmité supérieure est appuyée sur une piece de bois L, appellée faîte, qui va de l'une à l'autre ferme, & qui les entretient par le haut du poinçon D, & dont le pié est appuyé & entaillé sur une plate-forme ou sabliere M, posée sur les murs C, & cela pour préserver le pié des chevrons des humidités du plâtre.
Chacune de ces fermes est entretenue par un assemblage de pieces de bois appellé faîtage, fig. 73, dont, comme nous venons de le voir, D est le poinçon appuyé sur la poutre ou tirant B, qui dans la fig. 70. & 71. entretient l'écartement des murs C ; ce faîtage, fig. 73. est composé d'une piece de bois L, appellée faîte, où sont assemblés à tenon & mortaise les poinçons D, & sur laquelle viennent s'appuyer par le haut les chevrons A, fig. 70. & 71. soutenus sur sa longueur par des liens N, en forme de potence, assemblés à tenon & mortaise par un bout dans le faîte L, & par l'autre dans le poinçon D.
Il arrive souvent qu'aux demi-fermes dont le mur C monte jusqu'en haut d'un côté, on supprime le faîtage, fig. 73. & par conséquent le poinçon D ; alors l'extrêmité supérieure de l'arbalêtrier G, fig. 71. & le bout E de la contre-fiche E F, sont scellés dans le grand mur C.
La fig. 74. est un grand comble sans exhaussement avec ferme, composé d'une poutre ou tirant B, appuyé par chaque bout sur des sablieres M, posées sur les murs C, garnis de bossages par en-haut & par en-bas, & aux endroits où plusieurs mortaises placées à la même hauteur, pourroient lui avoir ôté une partie de sa force, sur lequel sont assemblés par un bout à tenon & mortaise des contrefiches E & entrait F, assemblés par l'autre aussi à tenon & mortaise dans les arbalêtriers G, sur chacun desquels sont appuyées trois pannes H pour porter les chevrons A, soutenus de tasseaux I & de chantignoles K ; l'entrait F est soutenu sur sa longueur d'esseliers O, assemblés à tenon & mortaise par un bout dans l'entrait F, & par l'autre dans les arbalêtriers G ; P sont des jambettes assemblées à tenon & mortaise par chaque bout, contribuant par l'un à soutenir les arbalêtriers G, & appuyées par l'autre, l'une sur l'entrait F, & l'autre sur le tirant B. Q sont des petites pieces de bois appellées coyaux, assemblées par un bout à tenon & mortaise, ou attachées de clous sur les chevrons A, & par l'autre appuyées sur les murs C.
Si l'on jugeoit à-propos de supprimer l'extrêmité inférieure du poinçon D, pour pratiquer dans le comble un grenier commode, il faudroit le faire porter alors sur l'entrait F, que l'on feroit un peu plus fort & d'un seul morceau.
Chacune des fermes de ce comble est entretenue par un faîtage, fig. 75. composé du poinçon D & de la poutre B de la ferme dont nous venons de parler, d'un faîte L & d'un sous-faîte S, assemblés par chaque bout à tenon & mortaise dans les poinçons D, soutenus & liés ensemble avec des liens N, assemblés dans le faîte L, dans le sous-faîte S & dans le poinçon D.
La fig. 76. est un grand comble exhaussé, composé d'une poutre B qui porte un plancher, dont les extrêmités appuyées dans les murs C sont surmontées de jambes de force R, qui avec les esseliers O portent une ferme, composée de poinçon D, de contrefiches E, d'entrait F qui peut aussi porter un plancher de jambettes P, d'arbalêtriers G, de pannes H qui portent les chevrons A, de tasseaux I, de chantignoles K & de faîte L ; à l'extrêmité supérieure des murs C sont des plate-formes M pour porter le pié des chevrons A, garnis de coyaux Q.
Les fermes de ce comble sont aussi entretenues de faîtage, fig. 77. composées de jambes de force R, appuyées sur la poutre B, & du poinçon D appuyé sur l'entrait E, dont nous venons de parler, sur lequel
(t) Une ferme est l'assemblage de plusieurs pieces de bois qui soutiennent les chevrons.
sont assemblés le faîte L, le sous-faîte S, & leurs liens NT sont les solives des planchers qui traversent d'une poutre B à l'autre, ou d'un extrait E à l'autre.
Lorsque les combles, fig. 78. & demi-combles, fig. 79. sont petits, & que les chevrons ne sont pas trop longs pour ne pouvoir se soutenir d'eux-mêmes sans le secours des pannes ; alors on les supprime, & on place les fermes de maniere, que les chevrons étant distribués, comme nous venons de le voir, sur la longueur du faîte L, les arbalêtriers G peuvent servir en même tems de chevrons lorsqu'ils se rencontrent ; ces sortes de fermes sont composées de tirans B, appuyés sur les murs C, de poinçon D, d'entrait F & d'arbalêtriers G ; on y place aussi comme aux précédentes des faîtages, fig. 80. pour les entretenir, composés de poinçon D, de faîte L, de sous-faîte S, & de liens N.
La deuxieme maniere à un & deux égoûts, fig. 81. & 82. 83 & 85. & faisant servir pour ainsi dire chaque chevron A d'arbalêtrier, qu'on appelle alors maître-chevron, à autant de fermes dont les bois sont à la vérité plus petits & plus légers que les autres, mais qui néanmoins multiplient beaucoup les façons, sans procurer pour cela plus de solidité ; chacune de ces petites fermes est composée de maîtres chevrons A, de tirans B appuyés sur les murs C, de poinçon D, & de contrefiches E assemblées à tenons & mortaises dans chacun des chevrons A, qui ensemble n'ont pas besoin de faîtage pour être entretenus, mais seulement d'entretoises V, assemblées à tenons & mortaises par chaque bout au sommet des poinçons D, & par en-bas dans les tirans B ; ces entretoises sont inutiles pour les demi-combles, fig. 76. l'extrêmité des chevrons A & des tirans B se trouvant arrêtée suffisamment dans les murs C.
La fig. 83. est un grand comble sans exhaussement, composé de poutre ou tirant B, scellé par chaque bout dans les murs C, surmonté d'un poinçon D qui peut comme celui, figure 76. & pour la même raison, se terminer sur le grand entrait F, sur lequel vient s'appuyer une maîtresse ferme, composée des chevrons A, garnis de coyaux Q, soutenus d'un bout à l'autre d'un petit entrait f, d'un grand entrait F, garni d'esseliers O & de jambettes P, appuyées par leur extrêmité inférieure sur des blochets X, entaillés de leur épaisseur dans des sablieres M allant d'un bout à l'autre du mur C, & entretenues de six piés en six piés sur la longueur d'entretoises Y, assemblées à tenon & mortaise dans l'une & dans l'autre, comme on peut le voir sur le plan au bas de la fig. 84.
Ces sortes de combles ont besoin, à cause de leur grande hauteur, d'être entretenus par des faîtages, fig. 84. composés de tirans B & de poinçons D, dont nous venons de parler, dont l'intervalle est divisé de petites fermes appellées fermes de remplage, composées comme les autres, de chevrons, entraits, esseliers, jambettes, blochets & coyaux ; ces faîtages sont aussi composés d'un faîte L, d'un sous-faîte S, sur lequel sont appuyés les petits entraits f des chevrons de liernes Z, sur lesquels sont assemblés à tenon & mortaise les grands entraits F, des chevrons soutenus & liés ensemble avec croix de saint André, &c. & liens N *. La même figure, est le plan de l'enrayure (v) à la hauteur des liernes Z.
La fig. 85. est un grand comble exhaussé, composé d'une poutre B, scellée par les deux bouts dans les murs C d'un poinçon D, sur lequel est appuyé comme dans la figure précédente, une maîtresse ferme composée de chevrons A, garnis de petits entraits f, de grands entraits F, d'esselier O & jambettes P, dont le pié est appuyé sur des blochets X, entaillés dans des sablieres M, entretenues d'entretoises Y ; tel qu'on le voit en plan au bas de la fig. 87.
Ce comble est aussi entretenu de faîtage, fig. 86, composé de poinçon D, dont l'intervalle est aussi subdivisé de ferme, de remplage, de faîte L, de sous-faîte S, sur lequel sont un peu entaillés des petits entraits f, des chevrons de lierne Z, où sont aussi entaillés par dessous les grands entraits F des mêmes chevrons soutenus & liés ensemble avec des liens N *. La même fig. est le plan de l'enrayure à la hauteur des liernes Z.
Tous ces différens combles se terminent par leurs extrêmités de deux manieres ; l'une appellée à pignon, est lorsque le mur appellé alors mur de pignon, montant jusqu'au faîte, tient lieu de ferme à la charpente qui vient s'appuyer dessus. La seconde appellée en croupe, est lorsque le comble étant oblique par son extrêmité, se termine par des demi-fermes appellées alors ferme de croupe. Cette obliquité ordinairement plus grande que celle des combles, est composée d'une demi-ferme dans chaque angle A D dont les arrêtiers A D & chevrons A A vont s'assembler à tenon & mortaise au sommet du poinçon D, & les autres qui deviennent plus courts à mesure qu'ils approchent de l'angle, vont se joindre aux arrêtiers A D.
Des combles brisés. L'usage des combles brisés, dits à la mansarde, n'est pas fort ancien : c'est au célebre Mansard que nous en devons l'invention. Cet homme admirant la solidité du ceintre de charpente, fig. 111. que fit Antonio Sangallo, sous les ordres de Michel Ange, pour la construction du dôme de S. Pierre de Rome, trouva cette forme si belle qu'il en imagina les combles dont nous parlons, & qui portent maintenant son nom. Cette forme semblable en quelque sorte à celle d'un comble à deux égoûts, tronqué dans son sommet, fut trouvée si agréable dès les premiers tems, qu'elle passa dans la suite pour une beauté de décoration en architecture. L'on s'en est servi assez heureusement aux écuries du Roi à Versailles, au château de Clagny & ailleurs, où ils sont d'une fort belle proportion. Il est vrai que s'ils ont l'avantage de rendre l'étage en galetas plus quarré, & par conséquent plus habitable que les autres, aussi ont-ils le désavantage d'avoir deux pentes inégales ; l'une depuis le faîte jusqu'au brisis (x), appellée faux comble, si douce que les neiges y séjournent fort longtems ; & l'autre depuis le brisis jusqu'au chaîneau (y), aussi roide qu'un talus. On les employe seulement aux bâtimens ou pavillons rectangulaires, quarrés ou à pans coupés : on les fait comme les précédens, sans exhaussement & avec exhaussement ; l'un & l'autre se font de deux manieres ; l'une avec ferme, & l'autre sans ferme.
La premiere, fig. 87. est composée d'une maîtresse ferme, composée elle-même d'une poutre ou tirant B, appuyé par chaque bout sur des sablieres M, posées sur les murs C, de jambes de force R, avec leurs grands esseliers O O, de chevrons de brisis a, & leurs coyaux Q, surmontés d'un entrait F, sur lequel est appuyé l'assemblage d'une autre ferme ou fermette ; composée de poinçon D, sur lequel sont assemblées les contrefiches E, qui avec les jambettes P, appuyées sur l'entrait F, soutiennent les arbalêtriers G. Les chevrons de faîte aa sont appuyés par un bout sur le faîte L, & par l'autre sur les pannes de brisis h, assemblées par chaque bout dans les entraits F, qui avec le faîte L, assemblé aussi par chaque bout dans les poinçons D, servent à entretenir les fermes.
La seconde maniere, fig. 88. fort peu en usage,
(v) Assemblage de charpente posée horisontalement, servant à retenir les fermes.
(x) Endroit où le comble est brisé.
(y) Chaîneau est une rigole de plomb, posée aux piés des chevrons des combles.
sert néanmoins quelquefois, sur-tout lorsque les murs sont minces ; c'est un assemblage de fermes d'un bois menu & leger, fort près les unes des autres, dont chaque chevron de brisis a & de faîte aa tiennent lieu d'arbalêtrier ; semblables en quelque sorte à ceux de la deuxieme maniere, à un & deux égoûts, fig. 83. & 85. Ces fermes sont composées chacune d'un tirant B, appuyé sur des sablieres M, posées sur les murs C, de chevrons de brisis a, garnis chacun de leurs esseliers O, jambettes P, & coyaux Q, surmonté d'une fermette composée de poinçon D, de contrefiches E, d'entrait F, de jambettes P, & de chevrons de faîte aa, entretenus d'entretoises V, comme celles de la fig. 81. dont nous avons dejà parlé.
La fig. 89. est l'élévation d'un comble à la mansarde sans exhaussement, pour un pavillon à l'extrêmité d'un corps de logis, couvert d'une autre mansarde plus élevée, composée de fermes & fermettes avec pannes de long, pan H, tasseaux I, & chantignoles K, le faîte du pavillon servant de panne H au corps de logis en retour ; l'un & l'autre sont séparés par une espece d'arrestier appellé nouë, placé dans l'angle rentrant qu'ils forment entr'eux.
La fig. 90. est le plan de ce pavillon, dont un côté * est celui de l'enrayure à la hauteur de l'entrait F, composé de coyers b & de goussets c, & l'autre + celui du faîte où l'on voit l'arrestier A D, sur lequel viennent s'appuyer des chevrons d'arrête a & aa.
La fig. 91. est un comble à la mansarde sans tirant ni poutre, pour y contenir une voûte en maçonnerie, composé d'un fort entrait F, soutenu par chaque bout de jambes de force R, & chevrons de brisis a, garnis de coyaux Q, appuyés sur les blochets X, sablieres N, & entretoises Y, posées sur les murs C ; l'entrait F est surmonté d'une fermette garnie de poinçon D, d'arbalêtrier G, de jambettes P, de chevrons de faîte aa, de pannes de longs pans H, pannes de brisis h & faîte L, avec leurs liens qui entretiennent les fermettes ensemble, & pour soutenir la maçonnerie de la voûte. L'intervalle des maîtresses fermes est subdivisé d'environ deux en deux piés, de petites fermes dont la principale, assemblée dans les jambes de force R, & dans le grand entrait F, est composé de grand esselier OO, sur lequel est assemblé à tenon & mortaise un petit entrait f, soutenu de liens N, & de petits esseliers O, entretenus ensemble d'entretoise V.
La fig. 92. est un comble à la mansarde, exhaussé avec maîtresse ferme composée de poutre B, scellée par chaque bout dans les murs C de jambes de force R, & leurs grands esseliers OO de chevrons de brisis a, leurs coyaux Q & sablieres M surmontés d'une fermette composée d'un entrait F, de poinçon D, d'arbalêtrier G, de jambettes P, de pannes de longs pans H, pannes de brisis h, chevrons de faîte aa entretenus d'un faîtage L & les liens.
Des combles en tour. Les combles en tour à l'usage des pavillons, peuvent être circulaires, quarrés, ovales ou à pans coupés par leur plan ; les circulaires, fig. 93. & 94. disposés en forme de cône ou pain de sucre par leur élevation, sont composés d'un tirant B en forme de croix par son plan, appuyé de part & d'autre sur des sablieres M posées sur les murs C surmontés de chevrons A garnis de leurs esseliers O, jambettes P, blochets X & coyaux Q, d'un grand entrait F, d'un petit f & d'un poinçon D. * est le plan de l'enrayure à la hauteur du grand entrait F, & +, celui de l'enrayure à la hauteur du petit f.
Les autres ne different de ce dernier que par leur plan.
Des combles à l'impériale. Les combles à l'impériale aussi à l'usage des pavillons, ne different en aucune façon les uns des autres, que par leur plan qui peut être circulaire, quarré, ovale, rectangulaire, ou à pan coupé.
Les quarrés, fig. 95 & 96. sont composés de jambes de force R garnies de béliers O, de jambettes P, & de blochets X appuyés sur des sablieres M entretenus d'entretoises Y posées sur les murs C, de chevrons courbes a, leurs supports Y & entretoises V, d'un entrait F formant une enrayure, comme on le voit dans le plan en * fig. 105 garnis de coyers b & goussets c surmontés d'un assemblage de pieces de bois en pyramide, au milieu duquel est un poinçon D pour soutenir une boule d, pomme de pin, croix, fleurs-de-lis, &c.
Des combles en dôme. La derniere espece de comble sont ceux en dôme, ou calottes. Il en est comme les précédens, de quarrés, circulaires, ovales, rectangulaires ou à pans coupés par leur plan surbaissés, circulaires ou paraboliques (z) par leur élevation : il en est de plus grands, & par conséquent plus compliqués les uns que les autres. Celui, fig. 97. & 98. est un comble surbaissé, quarré par son plan d'environ 40 à 50 piés de diametre, composé de plusieurs tirans B entrelacés pour entretenir les murs C avec coyers b & goussets c appuyés par chaque bout sur des sablieres M entretenues d'entretoises Y posées sur les murs C, soutenues dans le milieu de montans e qui vont jusqu'au sommet du comble, entretenus de croix de saint André, &c. Aux extrêmités des tirans B, sont des jambes de force R appuyées sur des blochets X posés sur les sablieres M ; & l'entrait F composé d'une enrayure, est soutenu sur sa longueur, d'esseliers O & contrefiches E, & surmonté d'arcboutant g soutenu de jambette P & autres contrefiches E ; sur les arcboutans g & les jambes de force R sont appuyés des supports y pour soutenir les chevrons courbes a garnis d'entretoises V : au sommet de ce comble est un petit poinçon D soutenu de petits arcboutans ou contrefiches, à dessein de porter, comme ce dernier, une boule, pomme de pin, fleur-de-lis, &c.
La fig. 99 est l'élevation parabolique à celle 100. Le plan quarré d'un comble disposé intérieurement en voûte d'environ soixante à quatre-vingt piés de diametre, tel que pourroit être celui du pavillon de la principale entrée des Tuileries à Paris, composé de jambes de force R appuyées sur des blochets X posés sur des sabliers M entretenus d'entretoises Y sur lesquelles est appuyée l'enrayure * d'un grand entrait F composé de plusieurs tirans entrelacés avec coyers b & goussets c, soutenu de grands & petits esseliers OO & O disposés en maniere de voûte, surmonté dans le milieu des montans e qui vont jusqu'au sommet du comble, entretenus de croix de saint André, &c. & par chaque bout d'autres jambes de force R qui portent un petit entrait f soutenu d'esseliers O & contrefiches E : ce petit entrait f est surmonté à son tour d'arcboutans g soutenus de jambettes P ; c'est sur les jambes de force R & les arcboutans g, que sont appuyés les supports y qui contiennent les chevrons courbes a entretenus d'entretoises V. Le sommet de ce comble est surmonté de plusieurs chassis k & l avec potelets m, dont un l porte des fortes solives n posées horisontalement, à dessein de porter un réservoir.
Les fig. 101. & 102. sont l'élevation & le plan d'un comble appellé plus proprement dôme ou calotte, circulaire par son plan, & parabolique par son élévation qui est la forme pour ainsi dire reçue pour ces sortes de combles faits ordinairement pour recevoir des voûtes intérieurement : ils n'ont point de tirans, & sont composés de jambes de force R, appuyés sur des blochets X posés sur des sabliers M entretenus d'entretoises Y sur lesquelles est appuyée l'enrayure *
(z) Figure mathématique, ou section d'un cône (espece de pyramide en forme de pain de sucre), parallele à l'une de ses parties inclinées.
d'un extrait F composé de tirans entrelacés avec coyers b & goussets c entretenus d'entretoises V soutenues de grands & petits esseliers OO & O disposés en forme de voûte, surmontés dans le milieu de montans e qui vont jusqu'au sommet du comble, entretenus de croix de saint André & ; l'entrait F est surmonté d'arcboutans g soutenus de jambettes P, qui, avec les jambes de force R, soutiennent les supports y qui portent les chevrons courbes a : le sommet de ce comble est surmonté de plusieurs chassis k grands & petits, à dessein de porter un piédestal pour un vase, une figure, un grouppe ou autres choses semblables.
Les fig. 103. & 104. sont l'élévation parabolique & le plan circulaire d'un dôme, d'un diametre beaucoup plus grand que le précédent, tels que pourroient être ceux de la Sorbonne, du Val-de-Grace ou des Invalides à Paris, composés de jambes de force R, de blochets X, sabliers M & entretoises Y surmontés d'un entrait F dont l'enrayure * est composée de plusieurs tirans entrelacés avec coyers b & goussets c soutenus d'une seconde jambe de force R, de grands & petits esseliers OO & O surmonté par ses extrêmités d'arcboutans g avec liens N, qui, avec les jambes de force R, soutiennent des supports y, sur lesquels sont appuyés les chevrons courbes a entretenus d'entretoises V : le milieu de l'entrait F est surmonté de montans e entretenus sur leur hauteur, de croix de saint André &, de plusieurs chassis k sur lesquels est appuyé l'assemblage d'une lanterne garnie de poteaux d'huisserie p, linteaux ceintrés q, appuis r, consoles s surmontés d'une calotte composée d'un petit entrait f, de poinçons D, de chevrons courbes a, supports y & entretoises V.
Des lucarnes & oeils de boeuf. Une lucarne, du latin lucerna, lumiere, est une espece d'ouverture en forme de fenêtre, pratiquée dans les combles dont nous venons de parler, pour procurer du jour aux chambres en galetas & aux greniers ; il en est de quatre especes différentes.
La premiere, appellée lucarne faîtiere, fig. 105, est celle qui se termine par en-haut en pignon, & dont le faîte est couvert d'une tuile faîtiere (a) d'où elle tire son nom. Cette lucarne est composée de deux montans A, assemblés par en-bas à tenon & mortaise dans un appui ou sabliere B, & par en-haut dans un linteau courbe C portant sa moulure ou cimaise (b), surmonté d'un petit poinçon D & de chevrons E, pour en former la couverture.
La deuxieme, appellée lucarne flamande, fig. 106. est celle qui se termine par en-haut en fronton ; elle est composée comme la précédente de deux montans A, assemblés par en-bas dans un appui ou sabliere B, & par en-haut dans un linteau C portant sa cimaise, surmonté de deux autres pieces de bois E, portant aussi leur cimaise, appuyée l'une sur l'autre en forme de fronton, en aligneul desquels sont des chevrons qui lui servent de couverture.
La troisieme, appellée lucarne à la capucine, fig. 107, est celle qui est couverte en croupe de comble ; elle est composée de deux montans A, assemblés par en-bas dans un appui ou sabliere B, & par en-haut dans un linteau C portant sa corniche, surmonté d'un toît en croupe composé de poinçons D, d'arrestiers E, & de chevrons F.
La quatrieme, appellée lucarne demoiselle, est celle qui porte sur les chevrons des combles, & dont la couverture est en contre-vent ; elle est aussi composée de deux montans A, assemblés par en-bas, quelquefois sur des chevrons, & quelquefois sur un appui B, & par en-haut dans un linteau C, surmonté de deux pieces de bois D, pour soutenir la couverture disposée en contre-vent.
Les oeils de boeuf, nom qu'on leur a donné parce que les premiers étoient circulaires, sont des ouvertures aussi hautes que larges faites comme les lucarnes, pour procurer du jour aux greniers & chambres en galetas. On les fait maintenant circulaires, quarrés, surbaissés en anse de panier ou autrement.
La fig. 109 en est un circulaire composé de deux montans A assemblés par en-bas sur un appui ou sabliere B, & par en-haut dans un linteau courbe C ; la partie inférieure D est un morceau de plate-forme découpé pour terminer le bas arrêté dans les montans & l'appui.
La fig. 110 est un autre oeil de boeuf surbaissé, composé de deux montans A, assemblés par en-bas dans un appui ou sabliere B, & par en-haut dans un linteau courbe C, surmonté d'une moulure ou cimaise.
De la construction des ponts. La construction des ponts, une des choses les plus avantageuses pour le commerce, est aussi une de celles que l'on doit le moins négliger ; l'objet en est si étendu pour ce qui regarde la charpenterie, que fort peu de gens possedent entierement cette partie.
Les ponts se font de trois manieres différentes ; la premiere en pierre, & alors le bois n'y entre que pour la construction des voûtes & arcades, & n'est pas fort considérable ; la seconde se fait en bois d'une infinité de manieres, beaucoup moins cheres à la vérité que la précédente, mais jamais si solides ni si durables, le bois étant sujet à se pourrir par les humidités inévitables : c'est toujours le besoin & la nécessité que l'on en a, l'usage que l'on en veut faire, la situation des lieux & la rareté des matériaux, qui détermine la façon de les faire. La troisieme se fait avec plusieurs bateaux que l'on approche les uns des autres, & que l'on couvre de poutres, solives, madriers, & autres pieces de bois.
Nous diviserons cette science en quatre parties principales ; la premiere dans la construction des ceintres de charpente capables de soutenir de grands fardeaux pour l'édification de toutes sortes de voûtes & arcades, & sur-tout pour celle des ponts en pierre ; la seconde dans celle des ponts dits de bois ; la troisieme dans celle des fondations de piles palées, bâtardeaux, échafaudages, & toutes les charpentes qui y sont nécessaires ; la quatrieme dans celle des ponts dits de bateaux.
Des ceintres de charpente. Personne n'ignore que les voûtes & arcades petites ou grandes, ne pouvant se soutenir d'elles mêmes, qu'elles ne soient faites, ont besoin pour leur construction de ceintres de charpente plus ou moins compliqués, selon leur grandeur ; on peut les faire de différente maniere : celui fig. 111. que fit Antonio Sangallo sous les ordres de Michel Ange, lors de la construction du dôme de S. Pierre de Rome, d'une admirable invention pour la solidité, passe pour un des plus beaux morceaux de ce genre ; c'est un composé de chevrons de ferme A, appuyés d'un côté sur un poinçon B, & de l'autre sur l'extrêmité d'un entrait C soutenu dans le milieu de liens en contrefiches D ; l'entrait C est soutenu de trois pieces de bois E appellées semelles, dont celles des extrêmités sont appuyées sur des jambes de force F & contrefiches G, entretenues ensemble de liens H ; & celle du milieu sur un assemblage de pieces de bois composé de sous-entrait I, de contrefiches K, & liens posés en chevrons de ferme L, & l'extrêmité de part & d'autre est appuyée sur une piece de bois M d'un diametre égal à celui de la voûte.
La fig. 112 est un ceintre de charpente plus grand que le précédent, & d'une très-grande solidité, fait pour la construction d'une arcade ou voûte surbaissée, composée de chevrons de ferme A, appuyés d'un
(a) Tuile courbée qui joint les deux parties inclinées d'un comble.
(b) Membre de corniche en Architecture.
côté sur un poinçon B, & de l'autre sur l'extrêmité d'un entrait C, soutenus dans leur milieu de liens & contrefiches D ; l'entrait est aussi soutenu de trois semelles E, dont celles de l'extrêmité sont appuyées sur des jambes de forces F & contrefiches G, entretenues de liens H, & celles du milieu sur un assemblage de pieces de bois composé de sous-entrait I, sous-contrefiches K, & liens en chevrons de ferme L ; sur les chevrons de ferme A, & sur les jambes de force F sont appuyés des supports ou liens M, qui soutiennent des especes de chevrons courbes N, sur lesquels sont placés des pieces de bois O en longueur, pour soutenir les voussoirs P ; l'extrêmité de cet assemblage de charpente est posée de part & d'autre sur des pieces de bois horisontales Q, appuyées sur des pieux R lorsque ce sont des arcades de ponts, ou sur des corniches, consoles & autres saillies, lorsque ce sont des voûtes.
La fig. 113 est un ceintre de charpente surbaissé, qui quoique différent des précédens n'en est pas pour cela moins solide ; c'est un assemblage de charpente composé de chevrons de ferme A, assemblés à tenon & mortaise d'un côté dans un poinçon B posé sur une petite pile de maçonnerie fondée lorsque ce sont des arcades de ponts, ou sur quelqu'autre chose de solide, lorsque ce sont des voûtes, & de l'autre dans un entrait C soutenu dans le milieu de liens en supports d ; l'entrait est assemblé à tenon & mortaise dans le poinçon B, & soutenu sur sa longueur de jambes de force F, grandes contrefiches G, entretenues ensemble de liens H & de petites contrefiches g ; sur les chevrons de ferme A & les jambes de force F, sont appuyés des liens ou supports M qui soutiennent des chevrons courbes N, sur lesquels sont posés des pieces de bois O en longueur, pour soutenir les voussoirs P. L'extrêmité de cette charpente est appuyée comme la précédente de part & d'autre sur des pieces de bois horisontales Q, posées sur des pieux R lorsque ce sont des arcades de ponts, ou sur des corniches, consoles & autres saillies lorsque ce sont des voûtes.
La fig 114 est un autre ceintre de charpente des plus surbaissés, fait pour la construction d'une arcade ou voûte d'une grande largeur, composé de chevrons de ferme A assemblés partie dans les poinçons B, posés sur des petites piles de maçonnerie fondées S lorsque ce sont des arcades de ponts, ou sur quelque autre chose de solide, lorsque ce sont des voûtes, & partie dans un entrait C, liés & entretenus ensemble avec des liens en supports d ; l'entrait C est aussi assemblé dans les poinçons B, soutenus de jambes de force F & grandes contrefiches G, entretenus ensemble de liens H & de petites contrefiches g ; sur les chevrons de ferme A & les jambes de force F, sont appuyés des liens ou supports M pour soutenir des chevrons courbes N, sur lesquels sont posés des pieces de bois O en longueur, pour soutenir les voussoirs P. L'extrêmité de cette charpente est appuyée comme les autres des deux côtés sur des pieces de bois horisontales Q, posées sur des pieux R lorsque ce sont des arcades de ponts, ou sur des corniches, consoles & autres saillies, lorsque ce sont des voûtes.
Il faut observer ici que les charpentes dont nous parlons, quoique semblables dans leur principe, sont bien differentes selon ce qu'elles ont à porter ; car lorsqu'elles sont destinées pour des arcades, elles ne peuvent que tenir lieu de ferme (nous avons vu ci-devant ce que c'étoit qu'une ferme) qu'on appelle en ce cas travée ; il faut réitérer ces travées de six, neuf ou douze en douze piés de distance l'une de l'autre, selon le poids de leurs. voussoirs ; c'est alors que sur leurs chevrons courbes N & sous chaque voussoir P, l'on pose des pieces de bois O qui vont de l'une à l'autre travée ; & lorsqu'elles sont destinées à porter des voûtes de quelque forme qu'elles soient, on fait des travées en plus ou moins grande quantité, selon la grandeur des voûtes, mais dont le milieu de chacune vient aboutir & s'assembler dans un poinçon central. C'est à un charpentier intelligent qu'il appartient de les distribuer à propos, selon l'exigence des cas.
Des ponts de bois. Quoique les ponts de bois ne soient pas d'une aussi parfaite solidité que ceux de pierre, ils ne laissent pas cependant que d'avoir leur avantage particulier ; premierement en ce qu'ils ne sont pas longs à construire, deuxiémement en ce qu'ils coutent peu, sur-tout dans les pays où le bois est commun : on les divise en deux especes, l'une qu'on appelle pont de bois proprement dit, & l'autre pont de bateau ; les premiers fondés pour la plûpart comme ceux de pierre, sur des pilotis placés dans le fond des rivieres, sont de plusieurs especes ; la premiere appellée pont dormant, sont ceux qui étant construits, ne peuvent changer de situation en aucune maniere, raison pour laquelle on les appelle dormans ; la deuxieme appellée pont-levis, sont ceux qui placés à l'entrée d'une ville de guerre, château, fort, ou autre place fortifiée, se levent pendant la nuit, ou à l'approche de l'ennemi ; la troisieme appellée pont à coulisse, sont ceux qui placés aux mêmes endroits que les précédens, & employés aux mêmes usages se glissent en roulant sur des poulies ; la quatrieme appellée pont tournant, sont ceux qui tournent sur pivot en une ou deux parties ; la cinquieme & derniere, appellée pont suspendu, sont ceux que l'on suspend entre deux montagnes où il est souvent impossible d'en pratiquer d'une autre maniere pour communiquer de l'une à l'autre.
Des ponts dormans. Les ponts dormans se font d'une infinité de manieres, grands ou petits, à une ou plusieurs arches, selon la largeur des rivieres ou courans des eaux, forts ou foibles, selon la rapidité plus ou moins grande de leur cours, & les charrois qui doivent passer dessus.
La fig. 115 est un pont de cette derniere espece exécuté en Italie, par l'architecte Palladio, de 16 à 17 toises d'ouverture d'arches ; appuyé de part & d'autre sur des piles de pierre A, ayant six travées éloignées l'une de l'autre, d'environ 16 à 17 piés, composée chacune de deux sommiers inférieurs a, d'environ 12 pouces de grosseur ; un supérieur b & deux autres contrebutans c, assemblés par un bout dans le sommier inférieur a & moisé en d par l'autre ; les sommiers supérieurs sont soutenus de poinçons e, contrebutés à leur sommet de contrefiches f.
La fig. 116. est un pont que quelques-uns prétendent avoir été exécuté en Allemagne singulierement à Nerva en Suede. Palladio assure le contraire, néanmoins il est d'une assez bonne construction, ayant, comme le précédent, plusieurs travées appuyées par leurs extrêmités sur des piles de maçonnerie A, composées chacune de sommiers inférieurs a, sommiers supérieurs b, moises d, contrebutées de contrefiches f ou croix de saint-André g.
La fig. 117. est un pont exécuté à Lyon sur la riviere de Saône, ayant trois arches ; celle du milieu de 15 toises d'ouverture, & les deux autres de 12, avec plusieurs travées, dont l'extrêmité B de celles des petites est posée sur une pile de maçonnerie A, & l'aure C sur une poutre h appuyée sur une file de pieux, faisant partie d'une seconde palée ; ces travées sont composées de sommiers inférieurs a sommiers supérieurs b, sommiers contrebutans c, moises d, contrefiches f & croix de saint-André g ; les palées sont composées chacune de plusieurs files de pieux i & k, recouvertes de plate-formes ou madriers l pour les conserver, surmontés d'un sommier a, & de contrefiches d.
La fig. 118. est un pont de dix toises d'ouverture d'arche, appuyé de part & d'autre sur plusieurs pieces de bois à potence m, scellées dans les piles de maçonnerie A, ayant plusieurs travées composées chacune de sommiers inférieurs a, sommiers supérieurs b, sommiers contrebutans c, sur une grosse & forte moise d, placée au milieu, entretenue de liens n.
La fig. 119 est un pont d'environ six à sept toises d'ouverture, appuyé des deux côtés sur des piles de maçonnerie A, & sur des contrefiches f, scellées dans la maçonnerie, ayant plusieurs travées composées chacune de sommiers inférieurs a sommiers supérieurs & courbes bb, sommiers contrebutans c, moises d, & croix de saint-André g.
La fig. 120. est un pont en forme d'arc surbaissé, dont les extrêmités sont appuyées de part & d'autre sur des contrefiches dd posées & engagées par en-bas dans une pile de maçonnerie A, avec plusieurs travées composées chacune de sommiers inférieurs courbes aa, sommiers supérieurs aussi courbes bb, poinçons e, tendans à un centre commun & croix de saint-André g.
La fig. 121. est un pont aussi en arc surbaissé d'environ six à sept toises d'ouverture d'arche, appuyé par chacune de ses extrêmités, partie sur des piles de maçonnerie A, & partie sur un grand poinçon E, aussi posé sur la même maçonnerie, ayant plusieurs travées composées chacune de sommiers inférieurs a, formant ensemble une courbe ; sommiers supérieurs b, sommiers intermédiaires b, entretenus de moises d, poinçons e, & croix de saint-André g.
La fig. 122 est un pont d'environ 25 toises de largeur d'une pile à l'autre, sur environ 12 d'élevation, dont les extrêmités de part & d'autre sont appuyées sur des sommiers faisant l'office de coussinet () ae, posés sur des piles de maçonnerie A, ayant plusieurs travées moisées & liernées ensemble, selon la force & la solidité que l'on veut donner au pont, composées chacune de plusieurs pieces de bois o, disposées en pans coupés, retenues ensemble de moises d & liens n, assemblés partie sur de grands poinçons E posés sur des poutres h, & partie sur un sommier inférieur a, surmonté d'un sommier supérieur b, & de poinçon e, entretenus de croix de saint-André g.
La fig. 123. est l'élevation d'un grand pont beaucoup plus solide que les précédens, fait pour le passage de gros charrois, tels que l'on en voit à Paris & en beaucoup d'autres endroits, ayant plusieurs arches d'environ six à sept toises de largeur chacune, & par conséquent plusieurs piles à plusieurs files de pieux, selon la qualité du terrein où l'on construit, & la solidité que l'on veut donner au pont ; chacune de ces piles est composée de sept, huit, neuf ou dix grands pieux A, fig. 123. & 124. disposés comme on les voit dans les planches, fig. 125 & 126, d'environ 18 pouces de grosseur liés ensemble, avec des moises horisontales B C, & inclinées D ; les deux inférieures C plus longues que les supérieures, & placées à la hauteur des plus basses eaux, sont liées ensemble avec des calles E, & soutenues de chaque côté d'une file de petits pieux a, fig. 123, servant à entretenir un assemblage de charpente, appellé avant-bec, fig. 124. composé de quelques pieux S, sur lesquels est posée & assemblée une piece de bois T à angle aigu, qu'on appelle brise-glace, & qui sert en effet à briser les glaces ; le sommet des grands pieux A est assemblé à une petite poutre F qui les lie ensemble, sur laquelle est appuyée l'extrêmité d'autant de grosses poutres G qu'il y a de pieux A d'environ 22 pouces de grosseur, chacune soutenues sur leur longueur de contrefiches H appuyées sur le premier rang de moises B, soutenues de tasseaux I ; ces mêmes poutres G sont traversées de plate-formes, madriers ou solives de brin K pour porter le pavé L, à l'extrêmité desquelles est une espece de garde-fou composé de sommiers inférieurs M, sommiers supérieurs N servant d'appuis, poinçon O, contrefiches contrebutantes P, liens Q, & croix de saint-André R.
Si l'on veut augmenter la solidité des piles pour mieux soutenir le pont, fig. 123. on peut y ajouter deux files de pieces de bois de bout A A, surmontées & assemblées chacune dans une petite poutre f, qui traverse les grosses poutres G, & appuyées par enbas sur deux contremoises c liées avec les moises C qui leur sont voisines, soutenues de deux autres files de petits contrepieux aa.
Des ponts levis. Les ponts levis faits pour la sureté des villes & places fortifiées se placent quelquefois à l'entrée ou au milieu d'un fossé ou d'un pont pour en défendre le passage ; les uns ont leurs extrêmités posées de part & d'autre sur les bords du fossé, bâtis pour l'ordinaire en maçonnerie solide, & les autres sur deux piles du pont.
La fig. 127. est l'élevation, & la fig. 128 le plan d'un pont-levis placé au milieu d'un pont de bois, & est composé d'un plancher appuyé de part & d'autre sur deux piles A & B ; ce plancher est composé de plusieurs poutrelles C surmontées de madriers, plateformes ou solives de brin D, qui bien arrêtées ensemble forment l'aire du pont ; leurs extrêmités E F sont surmontées d'un assemblage de charpente servant d'appuis, composé de sommiers inférieurs G, sommiers supérieurs H, poinçons I, contrefiches K & liens L ; au-dessus de la pile A est la porte du pont composée de quatre poteaux montans M, retenus de liens en contrefiches N, surmontés d'un linteau O, assemblé à tenon & mortaise par chaque bout dans les deux montans du milieu ; leur extrêmité supérieure est surmontée de chaque côté d'une forte piece de bois P Q R, appellée fleche, portant dans son milieu P un tourillon par une de ses extrêmités Q, une chaîne attachée au bout du pont ; & par l'autre, qui est beaucoup plus grosse, pour augmenter par-là le contrepoids, une autre chaîne par laquelle on se suspend pour enlever le pont.
Des ponts-à-coulisse. Les ponts-à-coulisse different des précédens, en ce qu'au lieu de s'enlever, ils se poussent ou se glissent sur des poulies, & n'ont par conséquent pas besoin de fleches.
La figure 129 est l'élevation, & la figure 130 le plan d'un pont-à-coulisse composé d'un plancher A porté, comme le précédent, sur des poutrelles C, mais qui au lieu de s'enlever, glissent avec le plancher, sur des poulies ou rouleaux pratiqués sur la surface des poutres B, de deux fois la longueur du pont, que l'on prend soin de glisser auparavant par dessous.
Des ponts-tournans. Les ponts tournans sont, comme nous l'avons déja vu, des ponts qui tournent sur un pivot, en tout ou en partie ; ces sortes de ponts ont à la vérité l'avantage de ne point borner la vue, comme les autres, mais aussi ont-ils le désavantage de n'être pas aussi sûrs.
La figure 131 est l'élevation, & la figure 132 le plan d'un pont-tournant très-solide & fort ingénieux, tel qu'on peut le voir exécuté à Paris à l'une des principales entrées du jardin des Tuileries, inventé en 1716, par le frere Nicolas de l'ordre de saint Augustin ; ce pont s'ouvre en deux parties dont chacune est composée d'une forte poutre A d'environ quinze à seize pouces de grosseur, posée debout, frettée par les deux bouts, portant par son extrêmité inférieure un pivot sur lequel roule le pont, & arrêté par son extrêmité supérieure à un collier de fer B scellé dans le mur : c'est sur cette seule piece de bois qu'est porté tout l'assemblage du pont composé d'un chassis, fig. 133, garni de longrines C, traversines D, croix de saint André E, & autres pieces F, formant la partie circulaire traversée de plusieurs plateformes ou madriers G, fig. 132, pour la facilité du passage : le tout soutenu sur sa longueur de plusieurs pieces de bois H, fig. 131, en forme de potence ; les angles I, fig. 132, de ce pont nécessairement arrondis sont recouverts de chassis à charniere & de même forme, que l'on leve, lorsqu'on ferme le pont, & que l'on baisse, lorsqu'on l'ouvre.
Les fig. 134 & 135 sont l'élévation & le plan d'un autre pont-tournant, ouvrant aussi en deux parties composées chacune d'un plancher, fig. 135, garni de longrines A, traversines B, & coyers C, sur lesquelles sont posées plusieurs plate-formes ou madriers D, pour la facilité du passage ; la portée ne pouvant être soutenue par-dessous au précédent, l'est au contraire par-dessus par une espece de ferme, fig. 134, composée de tirant E, de poinçon F, arbaletriers G, contrefiches H, & jambes de force I ; ce plancher surmonté d'un appui ou garde-foux, composé de poinçon K, sommiers inférieurs L, sommiers supérieurs M, roule sur un pivot placé au milieu, à quelque distance duquel sont plusieurs poulies N arrêtées au chassis du pont.
Des ponts suspendus. Les ponts suspendus sont d'un très-grand avantage pour les pays montagneux, où ils sont plus en usage que dans les autres, puisqu'ils ouvrent un passage entre deux provinces, fermé par des fleuves ou précipices entre des rochers escarpés où tout autre pont seroit impraticable. Celui que l'on voit dans la vignette de la Planche XVIII, en est un de cette espece, qui au rapport de Ficher, liv. III, est exécuté en Chine près la ville de Kintung ; c'est un composé de plusieurs planchers garnis chacun de longrines & traversines bien arrêtées ensemble, suspendues sur environ vingt fortes chaînes attachées aux extrêmités de deux montagnes : ce pont, quoique chancelant lors du passage des charrois, ne laisse pas d'être encore très-solide.
Des pilotis & échafaudages pour la construction des ponts. L'art de piloter dans le fond des rivieres pour la construction des piles de ponts en pierre, n'est pas une chose des moins intéressantes, pour ce qui regarde la Charpenterie, puisqu'elle seule en fait la principale partie ; nous n'avons eu jusqu'à présent qu'une seule & unique maniere de le faire, & qui coute considérablement ; en effet couper des rivieres (c), construire des batardeaux (d), établir des pompes (e) pour l'épuisement des eaux, une grande quantité d'hommes que l'on est obligé d'employer pour toutes ces manoeuvres, un nombre infini d'inconvéniens presqu'insurmontables, & qu'il est impossible de prévoir en pareil cas, sont autant de considérations qui ont souvent empêché de bâtir des ponts en pierre. Nous verrons dans la suite des productions admirables d'un homme de génie qui vient de nous apprendre les moyens de les construire sans le secours de toutes ces dépenses immenses.
Maniere ancienne de piloter. Les moyens que l'on a employé jusqu'à présent pour construire les piles des ponts sont de deux sortes : la premiere, en détournant, s'il est possible, le cours de la riviere sur laquelle on veut faire un pont ; alors on diminue beaucoup la dépense, toutes les difficultés sont levées, & l'on bâtit à sec, sans avoir à craindre aucun inconvénient : la seconde, après avoir déterminé le lieu où l'on veut construire le pont, & en conséquence planté tous les repairs (f) & les alignemens nécessaires, on construit les piles l'une après l'autre ; on commence d'abord par environner celle que l'on veut élever d'un batardeau composé de deux files de pieux A & B, Pl. XIX, distans d'environ huit à dix piés l'un de l'autre, & éloignés entr'eux d'environ quatre piés, battus & enfoncés dans la terre, fort près de chacun desquels, & à environ quatre pouces de distance intérieurement, sont d'autres pieux battus légérement pour procurer le moyen d'enfoncer de part & d'autre jusqu'au fond de l'eau, des madriers C posés de champ (g), les uns sur les autres, dont on remplit ensuite l'intervalle D de bonne terre grasse, après avoir retenu la tête des pieux A & B de fortes moises E boulonnées : ce circuit de glaise fait, forme dans son milieu un bassin rempli d'eau que l'on épuise alors à force de pompe, jusqu'à ce que le fond soit à sec, & que l'on entretient ainsi par leurs secours, jusqu'à ce qu'après avoir enfoncé plusieurs files de pieux F jusqu'au bon terrein, & au refus du mouton (h) G, les avoir recouverts d'un grillage de charpente composé de longrines H, & traversines I, entaillées les unes dans les autres, moitié par moitié, & recouverts ensuite d'un plancher de plate-formes K attachées de cloux ; on éleve dessus la maçonnerie qui forme la pile : ceci fait, on défait le batardeau pour le placer de la même maniere dans l'endroit où l'on veut construire une autre pile.
Maniere moderne de piloter. L'art de piloter, selon la nouvelle maniere, pour la construction des piles de poutre en pierres, est d'un très-grand avantage. M. Belidor, célebre Ingénieur, connu par plusieurs excellens ouvrages, considéroit, & se plaignoit même depuis longtems de toutes les dépenses qu'on étoit obligé de faire lors de la construction des ponts en pierre, sachant bien qu'il étoit possible de piloter, sans détourner le cours des rivieres, & sans le secours des batardeaux, comme on le fait pour les ponts de bois ; la difficulté ne consistoit qu'à scier les pieux dans le fond de l'eau horisontalement & à égale hauteur, d'y poser un grillage de charpente recouvert de plate-formes, & d'y placer les premieres assises (i) des piles ; il avoit en conséquence tenté les moyens d'imaginer une scie qui pût scier au fond de l'eau horisontalement, dans l'espérance de trouver l'invention des autres choses qui paroissoient bien moins difficiles ; ses recherches n'ayant pas été heureuses, M. de Vauglie, inspecteur des ponts & chaussées de France, homme industrieux & connu par ses talens, s'attacha beaucoup à cette partie, & nous donna en 1758, des fruits merveilleux de son génie.
Lors donc que l'on veut construire une pile en pierre, on commence pour la facilité des opérations par environner le lieu où l'on veut l'élever d'un échafaud ou plancher solide composé de plusieurs files de petits pieux B, Pl. XX. sur lesquels sont appuyées plusieurs pieces de bois C assemblées entr'elles, & arrêtées sur des petits pieux B, surmontés de madriers ou plate-formes l & m, solidement attachés sur les pieces de bois C, ensuite on plante plusieurs files de gros pieux D au refus du mouton E, à environ 3 piés de distance l'un de l'autre, & autant qu'il en faut pour soutenir la pile avec solidité ; tous ces pieux ainsi enfoncés plus ou moins, selon la profondeur du bon terrein, se recepent tous au fond de l'eau, à la hauteur que l'on juge à propos, & de niveau avec une scie méchanique dont nous allons voir la description.
Description des moyens mis en usage pour fonder sans batardeaux ni épuisemens les piles du pont de Saumur
(c) Couper une riviere, c'est lui donner un cours nouveau.
(d) Un bâtardeau est un circuit de terre grasse pour empêcher l'eau de pénétrer dans son intérieur.
(e) Les pompes sont des machines pour élever l'eau.
(f) Les repairs sont des marques que l'on fait pour se reconnoître sur le terrein.
(g) De champ, c'est-à-dire que le côté le plus mince regarde la terre.
(h) Billot de bois pour enfoncer les pieux.
(i) Une assise de pierre est un rang de pierre d'égale hauteur sur toute une superficie.
sur le grand bras de la riviere de Loire en 1757 & années suivantes. La riviere de Loire se divise à l'entrée de la ville de Saumur en six bras ou canaux sur lesquels sont construits cinq ponts & une arche.
Le mauvais état de ces ponts & principalement de celui construit en bois, situé sur le grand bras de la riviere, ayant déterminé le conseil à en ordonner la reconstruction en pierre, il fut fait en 1753 & 1754 un projet général par le sieur de Voglie, ingénieur du roi en chef pour les ponts & chaussées de la généralité de Tours, par lequel il réduit les six bras à trois, en augmentant néanmoins considérablement le débouché de la riviere.
Ce projet général fut approuvé par le ministre, & la construction du pont sur le grand bras, composé de douze arches de dix toises chacune de diamêtre, jugée la plus urgente.
L'ingénieur forma les devis & détail des ouvrages à faire pour la construction de ce pont ; il en entama même l'exécution dans le courant de l'année 1756, avec batardeaux & épuisemens, suivant l'usage adopté jusqu'à ce jour ; mais il ne tarda pas à reconnoître les difficultés presqu'insurmontables que devoit occasionner ce travail, par la profondeur de l'eau sous l'étiage, où les basses eaux étoient en quantité d'endroits de 15 à 18 piés : on laisse à juger de la difficulté de trouver des bois propres à la construction des batardeaux, de celle de les mettre en oeuvre, & encore plus du peu de solidité de ces mêmes batardeaux, toujours exposés à des crues fortes & fréquentes, ce qui en rendant le succès des épuisemens fort douteux, en auroit augmenté considérablement la dépense, & n'eût jamais permis de descendre les fondations de ce pont à une profondeur suffisante sous l'étiage. L'ingénieur convaincu de tous ces inconvéniens, crut donc devoir recourir à des moyens de construction plus simples, plus sûrs & moins dispendieux, en ne faisant usage ni de batardeaux ni d'épuisemens.
Le succès de deux campagnes & des fondations de trois piles, le suffrage de plusieurs ingénieurs, & l'approbation des inspecteurs généraux des ponts & chaussées nommés par le ministre pour examiner cette nouvelle méthode de fonder, ne laissent aucun doute ni inquiétude tant sur la solidité des ouvrages que sur les avantages & l'économie considérable qui en résultent. On va donner les détails de ces différens moyens imaginés & mis en usage par le sieur de Voglie, ingénieur du roi en chef pour les ponts & chaussées de la généralité de Tours, & par le sieur de Cessart, ingénieur ordinaire des ponts & chaussées au département de Saumur.
Avant cependant d'entrer dans aucun détail sur cette nouvelle méthode, il paroît indispensable de donner une idée de la maniere de construire avec batardeaux & épuisemens, pour mettre toute personne en état de juger plus sûrement de l'une & de l'autre méthode.
Maniere de fonder avec batardeaux & épuisemens. Pour construire un pont, ou tout ouvrage de maçonnerie dans l'eau, soit sur pilotis, soit en établissant les fondations sur un fond reconnu bon & solide, on n'a point trouvé jusqu'à ce jour de moyen plus sûr pour réussir, que celui de faire des batardeaux & des épuisemens. Ces batardeaux ne sont autre chose qu'une enceinte formée de double rang de pieux battus dans le lit de la riviere sur deux files paralleles, de palplanches ou madriers battus jointivement & debout au-devant de chacun desdits rangs de pieux, de terre glaise dans l'intérieur de ces palplanches, & de pieces de bois transversales qui servent à lier entr'eux les pieux & madriers pour en empêcher l'écartement par la poussée de la glaise. Cette enceinte comprend ordinairement deux piles ; & lorsqu'elle est exactement fermée, on établit sur le batardeau même un nombre suffisant de chapelets, ou autres machines semblables, propres à enlever toute l'eau qu'elle contient à la plus grande profondeur possible. Cette opération une fois commencée, ne discontinue ni jour ni nuit, jusqu'à ce que les pieux de fondation sur lesquels la pile doit être assise soient entierement battus au refus du mouton très-pesant, que ces mêmes pieux soient recépés de niveau à la plus grande profondeur possible, & qu'ils soient coëffés d'un grillage composé de fortes pieces de bois recouvertes elles-mêmes de madriers jointifs ; c'est sur ces madriers ou plate-formes qu'on pose la premiere assisse en maçonnerie, qui dans tous les ouvrages faits dans la Loire, n'a jamais été mise plus bas qu'à six piés sous l'étiage par la difficulté des épuisemens. Lorsque la maçonnerie est élevée au-dessus des eaux ordinaires, on cesse entierement le travail des chapelets ou autres machines hydrauliques, on démolit le batardeau, & l'on arrache tous les pieux qui le composoient. Cette opération se répete toutes les fois qu'il est question de fonder. On imagine sans peine les difficultés, les dépenses & l'incertitude du succès de ces sortes d'opérations.
Nouvelle méthode de fonder sans batardeaux ni épuisemens. Cette nouvelle façon de fonder consiste essentiellement dans la construction d'un caisson, ou espece de grand bateau plat ayant la forme d'une pile, qu'on fait échouer sur les pieux bien battus & sciés de niveau à une grande profondeur par la charge même de la maçonnerie à mesure qu'on la construit. Les bords de ce caisson sont toujours plus élevés que la superficie de l'eau ; & lorsqu'il repose sur les pieux sciés, les bords, au moyen des bois & assemblages qui les lient avec le fond du caisson, s'en détachent facilement en deux parties en s'ouvrant par les pointes pour se mettre à flot : on les conduit ainsi au lieu de leur destination, & on les dispose de maniere à servir à un autre caisson. Voyez nos Planches & leur explication.
Personne n'ignore que M. de la Belye est le premier qui ait fait avec succès usage d'un pareil caisson pour la construction du pont de Westminster, en le faisant, par le secours des vannes, échouer sur le terrein naturel dragué bien de niveau. Il manquoit à cette ingénieuse invention le mérite de ne laisser aucune inquiétude sur la nature du terrein sur lequel on a fondé, soit par son propre affaissement, soit par les affouillemens toujours redoutables dans les grandes rivieres : l'expérience a même fait connoître que le terrein sur lequel on a fondé le pont de Westminster, quoique jugé très-propre à recevoir les fondations de ce pont sans aucun pilotis, n'étoit point à l'abri de ces affouillemens. Il étoit donc d'autant plus indispensable de chercher des moyens de remédier à cet inconvénient essentiel, que dans l'emplacement du pont de Saumur, la hauteur des sables ou de l'eau est de plus de 18 piés sous l'étiage, & qu'on ne pouvoit se flatter par quelque moyen qu'on mît en usage, d'aller chercher à cette profondeur le terrein qui paroît solide. C'est à quoi l'on a remédié en faisant usage des pieux battus à un refus constant, & les sciant ensuite tous de nouveau à une profondeur déterminée sous la surface des basses eaux, au moyen d'une machine dont on donnera ci-après la description : on commencera par détailler les opérations & ouvrages faits pour remplir le travail qu'on vient d'annoncer, en indiquant en même tems tous les autres moyens de construction dont on a fait usage pour donner à cette nouvelle méthode de fonder la solidité desirable.
Il est bon de prévenir qu'il y a jusqu'à ce jour trois piles construites de cette maniere pendant deux campagnes consécutives ; qu'elles ont toutes 54 piés de longueur d'une pointe à l'autre, sur 12 piés d'épaisseur de corps quarré, sans les retraites & empatemens, qu'elles sont fondées à 9 piés de maçonnerie sous le plus bas étiage ; que la hauteur ordinaire de l'eau dans l'emplacement du pont est depuis 7 piés jusqu'à 18, les crues moyennes de 6 piés sur l'étiage, & les plus grandes crues de 17 à 18 piés ; d'où l'on voit que dans les grands débordemens, il se trouve dans quantité d'endroits jusqu'à 36 piés de hauteur d'eau.
Détails des constructions. Les premieres opérations ont consisté dans la détermination des lignes de direction du pont ; savoir, la capitale du projet, & la perpendiculaire qui passe par le centre des piles & les pointes des avant & arriere becs ; lorsque ces lignes furent assurées par des points constans, suivant la convenance des lieux, on établit sur quelques pieux & appontemens provisionnels dans le milieu de l'emplacement de la pile, deux machines à draguer, que l'on fit manoeuvrer en différens endroits ; on battit ensuite de part & d'autre de la perpendiculaire au centre de la pile, une file de pieux parallele à ladite ligne dont le centre étoit distant d'icelle de 12 piés & demi de part & d'autre, pour former une enceinté de 25 piés de largeur d'un centre à l'autre des files de pieux.
Ces pieux d'un pié de grosseur réduite en couronne, étoient espacés à 18 pouces de milieu en milieu sur leur longueur ; de maniere que depuis le pieu du milieu qui se trouvoit dans la ligne capitale du projet, jusqu'au centre de celui d'angle ou d'épaulement, il y avoit de part & d'autre environ 25 piés de longueur.
Sur ce pieu d'épaulement fut formé en amont seulement avec la file parallele à la longueur de la pile, un angle de 35 degrés, suivant lequel furent battues de part & d'autre les files qui devoient se réunir sur la perpendiculaire du centre de la pile traversant les pointes des avant & arriere-becs. Du côté d'aval, il ne fut point formé de battis triangulaire semblable à celui d'amont ; mais la file des pieux fut prolongée d'environ 20 piés par des pieux plus éloignés entr'eux.
Pendant qu'on battoit ces pieux d'enceinte, les machines à draguer établies dans le centre de la pile, ne cessoient de manoeuvrer, ce qui facilitoit d'autant le battage par l'éboulement continuel des sables dans les fosses des dragues ; ces sables se trouvoient cependant en quelque maniere retenus par des pierres d'un très-grand poids qu'on jettoit continuellement en-dehors de l'enceinte des pieux, qui appuyées contre ces mêmes pieux, descendoient continuellement à mesure que les dragues manoeuvroient plus bas. Ce travail a été exécuté avec tout le succès possible, puisque le draguage ayant été fait dans tout l'emplacement de la pile jusqu'à 15 & 18 piés sous la surface des eaux ordinaires, ces mêmes pierres ainsi jettées au hasard, ont formé dans tout le pourtour des pieux d'enceinte, une espece de digue ou d'empatement de plus de 9 piés d'épaisseur réduite sur 7 & 8 piés de hauteur, se terminant à 4 piés sous le plus bas étiage, pour ne point nuire à la navigation ; cette digue une fois faite, & l'emplacement de la pile entre les pieux d'enceinte dragué le plus de niveau qu'il a été possible à environ 12 piés sous l'étiage, on forma, au moyen des pieux d'enceinte & d'un second rang provisionnel & parallele, battu à 8 piés de distance, un échafaud de 9 piés de largeur regnant dans tout le pourtour de l'emplacement de la pile, excepté dans la partie d'aval ; il étoit élevé de 3 piés sur l'étiage. Voyez toute cette manoeuvre représentée & expliquée dans nos Planches.
Le travail ainsi disposé, on battit dans l'emplacement de la pile plusieurs pieux propres à recevoir des appontemens pour le battage de ceux de fondation, ayant 15 & 16 pouces en couronne, & environ 23 piés de longueur réduite. Ils furent espacés sur six rangs paralleles sur la longueur, c'est-à-dire à 3 piés 9 pouces de milieu en milieu ; les files transversales n'étoient qu'à trois piés entr'elles. Ils avoient constamment 26 piés de longueur au-dessous de l'étiage ou environ 15 à 16 piés de fiche. Le résultat du battage fait pendant toute la campagne de 1758, sur deux cent trente-deux pieux de fondation que contiennent les deux piles fondées dans le même tems, est que l'on n'a battu à la tâche qu'un pieu, un cinquieme par jour, que chaque sonnette composée de cinquante hommes a frappé par jour de travail réduit six mille coups d'un mouton de 1200 livres en douze heures de travail effectif, & que le pieu le moins battu, quoique mis au refus absolu, a reçu plus de quatre mille coups de ce mouton & le plus battu huit mille.
Les pieux de fondation ainsi battus au refus, on s'occupa des moyens de les scier à 10 piés 1 pouce sous le plus bas étiage, pour pouvoir déduction de l'épaisseur du fonds du caisson, donner à la pile 9 piés de maçonnerie sous les plus basses eaux ; cette opération fut faite au moyen d'une machine mise en mouvement par quatre hommes qui scient les pieux les uns après les autres, & dont les détails & desseins sont joints à ce mémoire ; nous en donnerons ci-après la description & les moyens de la faire manoeuvrer. Il suffit de dire pour le présent, que ce sciage a été exécuté avec la plus grande précision pour le niveau des pieux entr'eux à 10 piés 1 pouce sous le plus bas étiage, & 12 à 13 piés sous les eaux, telles qu'elles étoient pendant le tems du travail ; cette opération n'a même duré que six ou sept jours pour les cent seize pieux de fondation de chaque pile.
Il fut ensuite question de faire entrer le caisson dans l'emplacement de la pile entre les pieux d'enceinte, de le charger par la construction de la pile même & de le faire échouer sur les pieux de fondation destinés à le porter, en l'assujettissant avec la plus grande précision aux lignes de directions principales, tant sur la longueur que sur la largeur du pont. Avant d'entrer dans le détail de ces différentes manoeuvres, il est nécessaire de détailler la construction & dimension de ce caisson.
Il avoit 48 piés de longueur de corps quarré, 20 piés de largeur de dehors en dehors, & 14 piés de hauteur de bords compris celle du fond ; les deux extrêmités étoient terminées en avant bec ou triangle isocele, dont la base étoit la largeur du corps quarré ; les deux côtés pris de dehors en dehors avoient chacun 13 piés 3 pouces de longueur, le fond tenant lieu de grillage étoit plein & construit de la maniere suivante.
Le pourtour de ce grillage est formé par un cours de chapeau, conformément aux dimensions générales qui viennent d'être prescrites ; il a 15 pouces de longueur sur 12 pouces de hauteur, & est assemblé suivant l'art & avec la plus grande solidité à la rencontre de différentes pieces qui le composent ; sur ce chapeau sont assemblés des racinaux jointifs d'un pié de longueur & de 9 pouces de hauteur, de trois un à queue d'aronde, & les deux restans entre chaque queue d'aronde à pomme grasse & quarrée en-dessous, portant sur le dit chapeau qu'ils affleurent exactement en-dessous & avec lequel ils ne forment qu'une même superficie. Pour donner à ce fonds toute la solidité possible, on a relié ce cours de chapeau par trois barres de fer qui traversent toute la largeur du caisson, sont encastrées dans un racinal, pénetrent le chapeau, & portent à leurs extrêmités de forts anneaux pour faciliter les différentes manoeuvres que devoit éprouver le caisson ; tous les racinaux sont en outre liés entr'eux sur le côté par de fortes chevilles de bois pour ne former qu'un même corps ; & comme ils n'ont que 9 pouces de hauteur & le chapeau 12, ce dernier a été entaillé de 3 pouces de hauteur sur 8 pouces de largeur dans tout son intérieur pour recevoir une longuerive de pareille longueur, & d'un pié de hauteur sur dix de largeur, qui recouvre toutes les queues d'aronde & pommes grasses des racinaux, & est chevillée de distance en distance avec forts boulons traversant toute l'épaisseur du chapeau contre cette piece, & dans l'intérieur est placé un autre cours de longuerives de pareille largeur & hauteur, boutonné comme le premier avec toute la solidité requise ; l'espace restant dans l'intérieur du grillage entre ce second cours de longuerives, ayant 15 piés 10 pouces de largeur, a été ensuite garni de madriers de 4 pouces d'épaisseur bien jointifs & posés suivant la longueur du fond, pour couper à angle droit les joints des racinaux sur lesquels ils sont chevillés ; l'épaisseur totale du fond est par ce moyen de 13 pouces, & le second cours intérieur de longuerives de 8 pouces au-dessus desdits madriers.
A mesure qu'on a construit ce fond ou grillage, on a eu l'attention de bien garnir les joints de féries pour empêcher l'eau d'y pénétrer. Ces féries se font en pratiquant une espece de rainure d'environ un pouce de largeur sur tous les joints de l'intérieur du caisson ayant à-peu-près pareille profondeur déterminée en triangle. Cette rainure se remplit ensuite de mousse chassée avec coins de bois à coups de marteau & battue à force. Sur cette mousse on applique une espece de latte que les ouvriers nomment gavel ; elle a 9 lignes de largeur & 3 d'épaisseur, & est percée à distances égales de deux pouces pour recevoir sans s'éclater, les clous avec lesquels on la fixe sur tous les joints intérieurs préalablement garnis de mousse, ainsi qu'on l'a dit ; ces clous entrent dans la rainure, l'un à droite, l'autre à gauche alternativement ; cette maniere d'étancher dont on fait usage pour les bateaux de Loire, est très-bonne & a bien réussi.
Le fond du caisson ainsi construit de niveau sur un appontement préparé à cet effet sur le bord de la riviere, on a travaillé à la construction des bords ; ils sont composés de pieces ou poutrelles de six pouces de grosseur & des plus grandes longueurs qu'on a pû trouver, bien droites, dressées à la besaiguë, & assemblées entr'elles à mi-bois dans tous leurs abouts ; ces pieces sont placées horisontalement les unes sur les autres, bien chevillées entr'elles, & posées à l'affleurement du parement extérieur du premier cours de longuerives ; elles sont en outre reliées dans l'intérieur seulement par des doubles montans placés à distances égales, & des pieces en écharpes entre les montans sur toute la hauteur des bords.
Devant chacun de ces montans sont des courroies au nombre de trente-six, tant pour l'intérieur que pour l'extérieur du caisson, lesquelles servent à faire séparer les bords du fond lorsqu'on le juge nécessaire ; ces courroies sont assemblées dans le chapeau pour l'extérieur, & dans le second cours de longuerives pour l'intérieur. Leur assemblage dans ces pieces est tel, que la mortaise qui les reçoit a l'un de ses côtés coupé en demi-queue d'aronde, & l'autre à plomb le long duquel se place un coin de bois de la même hauteur que les bords ; ces courroies portant par des mentonnets supérieurs sur les bords du caisson, restent ainsi suspendues en laissant un vuide de deux pouces dans le fond des mortaises, & tiennent leur principale action de la force avec laquelle elles sont serrées par le coin.
Toutes ces courroies de l'intérieur & de l'extérieur étant directement opposées & sur la même ligne, ont ensuite été reliées par des entretoises de 8 pouces de grosseur ; sur toute la largeur du caisson, au moyen d'un mentonnet dont on a parlé, qui repose sur la derniere poutrelle des bords & d'un tenon qui s'embreve dans l'entretoise.
Les faces des parties triangulaires du caisson ont été solidement réunies à celles du corps quarré par trois rangs de courbes, posées les unes sur les autres dans les angles d'épaulement, & les poutrelles encastrées à mi-bois à leurs rencontres dans lesdits angles pour ne former qu'une seule & même piece, & pouvoir ainsi qu'on l'a fait, détacher du fonds ces bords en deux pieces seulement, en les mettant à flot sur le corps quarré les deux pointes en l'air.
Ce caisson ainsi construit, le fonds, les bords bien garnis de féries & de chaînes avec anneaux de fer, tant en dedans qu'en dehors, pour plus grande facilité de la manoeuvre, on s'est occupé des moyens de le lancer à l'eau sur le travers & non par la pointe ; il pesoit alors environ 180000 liv.
Nous avons dit qu'il étoit établi au bord de la riviere sur un appontement disposé à cet effet ; cet appontement étoit composé de trois files de pieux paralleles, deux sous les bords, suivant la longueur, l'autre au milieu ; la file du côté des terres étoit coëffée d'un chapeau placé à trois piés sur l'étiage, ainsi que celui du milieu arrondi en forme de genou ; celui du côté de l'eau étoit posé 3 piés 4 pouces plus bas, & le caisson soutenu de niveau par des étais de pareille hauteur, étoit disposé de maniere, que la ligne du centre de gravité se trouvoit d'environ 6 pouces plus du côté des terres que de celui de l'eau, ce qui donnoit à tout ce côté une charge excédante d'environ 15000 liv. Sur les chapeaux étoient de longues pieces d'un pié de grosseur, servant de chantiers ou coulisses au caisson, & que pour cet effet, on avoit eu soin d'enduire de suif.
Sur le chapeau placé à l'affleurement de l'eau, étoient chevillés dix autres grands chantiers de 12 à 15 pouces d'épaisseur, placés dans la riviere en prolongation de la pente que devoit prendre le caisson, qui, suivant ce qui a été dit précédemment, étoit du tiers de sa base ou largeur.
Lors donc qu'il fut question de le lancer à l'eau, on commença par fixer avec des retraits sur le chapeau de la file des pieux du côté des terres, tous les abouts des chantiers ou coulisses qui portoient le caisson, & avoient été réunis entr'eux par une grande piece de bois. On fit ensuite partir tous les étais posés sur le chapeau à l'affleurement de l'eau ; cette premiere manoeuvre ne fit pas faire le moindre effet au caisson qui resta ainsi en l'air ; on lâcha ensuite les retraits, & l'on enleva par de grands leviers placés en abatage du côté des terres, tous les chantiers ou coulisses ; le caisson prit incontinent sa course avec rapidité en se plongeant également dans l'eau, où par sa propre charge, il s'enfonça de vingt-sept pouces ; cette manoeuvre est représentée dans la Planche.
Ce caisson fut conduit sur le champ au lieu de sa destination, & introduit dans l'enceinte de la pile par la partie d'aval, non fermée à ce dessein. On fit aussi-tôt les opérations nécessaires pour le placer dans la direction des capitales, de longueur & largeur du pont, auxquelles il fut assujetti sans peine par de simples pieces de bois placées sur l'échafaud, dont les abouts terminés en demi cercle entroient dans des coulisses fixées au bord du caisson, qui lui permettoient de descendre à mesure qu'on le chargeoit sans le laisser écarter de ses directions.
Le service de la maçonnerie, soit pour le bardage des pierres, soit pour le transport du mortier, se fit sans peine jusqu'à neuf piés sous l'étiage, par des rampes pratiquées dans le caisson qui communiquoient aux bateaux sur lesquels on amenoit des chantiers, la pierre, le mortier & le moilon.
Au moment que le caisson reposa sur la tête des pieux à 10 piés un pouce sous l'étiage, on eut la satisfaction de reconnoitre par différens coups de niveau, qu'il n'y avoit rien à désirer, tant pour la justesse du sciage, que pour toutes les autres manoeuvres. La charge sur ces pieux étoit alors 1100000 livres, & la hauteur de l'eau sur les bords, de 13 piés 6 pouces ; on les avoit soulagés à différentes hauteurs, par des étais appuyés contre la maçonnerie.
Il fut ensuite question de fermer l'enceinte d'aval. Pendant le tems même de la construction de la maçonnerie de la pile, on fit battre des pieux suivant le même plan que la pointe d'amont, que l'on garnit pareillement de grosses pierres au-dehors.
L'échafaud d'enceinte fut incontinent démoli, les pieux qui le portoient sciés à quatre piés sous l'étiage, & les bords du caisson enlevés ; cette derniere manoeuvre se fit sans peine en frappant les courroies, qui en entrant de deux pouces, ainsi qu'on l'a dit précédemment, dans les mortaises inférieures, firent sauter les coins de bois qui les retenoient au fond : ces bords furent sur-le-champ conduits à flot à leur destination, entre deux grands bateaux, les pointes en l'air, pour passer l'hiver dans l'eau, & pouvoir servir sur de nouveaux fonds aux piles qui restent à fonder.
A peine ce travail fut-il exécuté, qu'on fit approcher le long de la pile deux grands bateaux chargés de grosses pierres, avec lesquelles on remplit tout l'espace restant entre la maçonnerie de la pile & les pieux d'enceinte jusqu'à environ quatre piés sous l'étiage, pour se trouver à-peu-près à l'affleurement de la digue faite à l'extérieur, dont on a parlé précédemment.
Telles sont les différentes opérations qu'on a faites jusqu'à ce jour, pour la fondation de trois piles du pont de Saumur, sans batardeaux ni épuisemens. Il suffit d'avoir mis en usage cette derniere façon de fonder, pour se convaincre des avantages de la nouvelle méthode, qui supprime les uns & les autres. La certitude qu'on a de réussir dans une entreprise de cette conséquence, l'avantage de descendre les fondations à une profondeur presque double, l'emploi de tous les matériaux au profit de l'ouvrage, & sa plus grande solidité, ne sont pas les moindres avantages qu'on en retire : l'expérience de plusieurs années a fait connoître qu'il y a moins de dépense qu'en faisant usage des batardeaux & épuisemens.
Description de la machine à scier les pieux, représentée en détail dans nos Pl. voyez ces Pl. & leur explication. Cette machine est composée d'un grand chassis de fer qui porte une scie horisontale. A 14 piés environ au-dessus de ce chassis, est un assemblage ou échafaud de charpente sur lequel se fait la manoeuvre du sciage, & auquel est suspendu le chassis par quatre montans de fer de 16 piés de hauteur, portant chacun un cric dans le haut pour élever & baisser le chassis suivant le besoin.
Ce premier échafaud est porté sur des cylindres qui roulent sur un autre grand échafaud traversant toute la largeur de la pile d'un côté à l'autre de celui d'enceinte ; ce grand échafaud porte lui-même sur des rouleaux qui servent à le faire avancer ou reculer à mesure qu'on scie les pieux, sans qu'il soit besoin de le biaiser en cas d'obliquité de quelques pieux ; le petit échafaud auquel est suspendue la machine, remplissant aisément cet objet au moyen d'un plancher mobile que l'on fait au besoin sur le grand échafaud. Voyez dans nos Planches la figure de cette machine en perspective.
On doit distinguer dans cette machine deux mouvemens principaux ; le premier, qu'on nommera latéral, est celui du sciage ; le second, qui se porte en avant à mesure qu'on scie le pieu, & peut néanmoins revenir sur lui-même, sera celui de chasse & de rappel.
Le mouvement latéral s'exécute par deux leviers de fer un peu coudés sur leur longueur, portant à une de leurs extrêmités un demi-cercle de fer recourbé, auquel est adaptée une scie horisontale ; les points d'appui de ces leviers sont deux pivots reliés par une double entre-toise, distans l'un de l'autre de 20 pouces, lesquels ont leur extrêmité inférieure encastrée dans une rainure ou coulisse qui facilite le mouvement de chasse & de rappel, ainsi qu'on l'expliquera ci-après ; ils sont soutenus au-dessus du chassis de fer par une embase de deux pouces de hauteur, & déchargés à leurs extrêmités par quatre rouleaux de cuivre.
Ces leviers sont mus du dessus de l'échafaud supérieur par quatre hommes, appliqués à des bras de force attachés à des leviers inclinés, dont le bas est arrêté sur le plateau, & sur lesquels est fixée la base d'un triangle équilatéral, dont le sommet est arrêté au milieu d'une traverse horisontale.
Cette traverse qui embrasse les extrêmités des bras de levier de la scie, s'embreve dans une coulisse de fer pratiquée dans le chassis, où portant sur des rouleaux, elle va & vient, & procure ainsi à la scie le mouvement latéral ; au moyen des ouvertures ovales formées à l'autre extrêmité, lesdits bras de levier leur permettent de s'allonger & de se raccourcir alternativement, suivant leur distance du centre de mouvement. Ces ouvertures ovales embrassent des pivots fixés sur le demi-cercle de la scie dont nous avons parlé, & portent dans le haut, au moyen de plusieurs rondelles de cuivre intermédiaires, les extrêmités d'un second demi-cercle adhérant par des renvois à deux tourillons roulans, ainsi qu'un troisieme placé au milieu du cercle dans une grande coulisse qui reçoit le mouvement de chasse & de rappel.
Ce second mouvement consiste dans l'effet d'un cric horisontal placé à-peu-près aux deux tiers du chassis, dont les deux branches sont solidement attachées sur la coulisse dont nous venons de parler ; c'est par le moyen de ces deux branches, dont partie dentelée s'engrene dans deux roues dentées, que la scie, lors de son mouvement latéral, conserve son parallélisme avec la coulisse, presse par un mouvement lent & uniforme le pieu à mesure qu'elle le scie, & revient dans sa place par un mouvement contraire lorsqu'elle l'a scié. Tout le mouvement de ce cric s'opere du dessus de l'échafaud supérieur & mobile, par un levier horisontal qui s'emboîte quarrément dans l'extrêmité d'un arbre placé au centre de la roue de commande du cric, qui est le régulateur de toute la machine.
Le chassis horisontal est composé de fortes barres de fer disposées de maniere à le rendre le plus solide & le moins pesant qu'il est possible.
Sur le devant de ce chassis est une piece de fer formant saillie, servant de garde à la scie, & placée de maniere que la scie est recouverte par la dite piece lorsqu'elle ne manoeuvre pas. Sur deux fortes barres de fer qui portent en partie cette piece de garde en saillie, sont placés deux montans de fer qui les traversent, & sont retenus dessus par des embases ; ces montans arrondis pour tourner facilement dans leurs supports, ont à leur extrêmité sous le chassis un quarré propre à recevoir deux especes de demi-cercles ou grapins de 10 pouces de longueur, auquel ils sont fixés solidement par des clavettes en écroux ; ils s'élevent jusqu'au-dessus du petit échafaud supérieur, où on leur adapte deux clés de quatre piés de long, qui les faisant tourner sur leurs axes, font ouvrir & fermer les grapins, qui saisissent le pieu qu'on scie avec une force proportionnée à la longueur des clés, qu'on serre autant qu'on le juge à-propos. On comprend facilement que ces grapins embrassant le pieu au-dessous de la section de la scie, donnent à la machine toute la solidité nécessaire pour ne point souffrir des ébranlemens préjudiciables. Comme la grande hauteur des montans pourroit néanmoins occasionner des vibrations trop fortes, on y remédie aisément & de maniere à rendre la machine immobile, en appliquant sur les montans du derriere de grands leviers qui pressent sur le chassis aux piés desdits montans, & sont serrés près des crics sur l'échafaud supérieur par des coins de bois.
Il pourroit aussi arriver au triangle du mouvement quelques vibrations, si l'on vouloit scier à une grande profondeur : on y remédiera sans peine par une potence de fer qui sera fixée aux deux montans à une hauteur convenable, & portera une coulisse qui assujettira le triangle de mouvement.
Pour faire usage de cette scie, il faut se rappeller ce qu'on a dit des différens échafauds qui la composent. Cela posé, lorsqu'on voudra scier un pieu, on commencera par déterminer avec précision la profondeur à laquelle il faudra le scier sous l'étiage ; on placera en conséquence à l'autre extrêmité de la pile deux grandes mires fixes & invariables ; on fera faire une grande verge ou sonde de fer de la longueur précise du point de mire à la section, pour pouvoir s'en servir sans inquiétude à chaque opération du sciage. On fera ensuite descendre au moyen des crics dont chaque dent ne hausse ou baisse que d'une demi-ligne, le chassis portant la scie, jusqu'à ce qu'en faisant reposer la sonde sur la scie elle-même (ce dont on jugera aisément par l'effet de son élasticité), le dessus de ladite sonde se trouve exactement de niveau avec les deux mires dont on a parlé, ainsi que le dessus des quatre montans ou de quatre points repétés sur iceux, pour s'assurer du niveau du chassis & de la scie.
Toutes ces opérations faites avec la précision requise, on saisira le pieu avec les grapins, on vérifiera de nouveau avec la sonde le point de section de la scie ; & après s'en être assuré, on serrera les grapins à demeure : le maître serrurier prendra la conduite du régulateur, & quatre ouvriers feront jouer la scie.
Le succès de cette machine a été tel pendant deux campagnes, qu'en recépant les pieux à 12 & 13 piés sous la surface des eaux, on n'a éprouvé aucune différence sensible sur le niveau de leurs sections ; qu'on a constamment scié 15 & 20 pieux par jour, & que huit hommes ont servi à toutes les manoeuvres du sciage.
Pour fonder avec encore plus de solidité, il faudroit fonder quelques piés plus bas que le lit de la riviere, ce qui ne se peut qu'en faisant usage des caisses pyramidales sans fond, au moyen desquelles, comme d'un bâtard-terre, on pourroit pousser le draguage beaucoup plus bas qu'on ne peut faire sans leur secours. Ces caisses formées par différens cours de charpente, doivent être plus larges par le bas que par le haut, & entourées de palplanches à onglets solidement chevillées sur les divers cours de charpente qui forment le circuit de la caisse. La hauteur des palplanches doit être égale à la profondeur que l'on veut donner à la fondation, à prendre du dessous du lit de la riviere, & non du dessous de l'eau. Aux angles d'épaule & le long des longs côtés de la caisse, & à l'avant-bec, doivent être fixés des poteaux montans assemblés avec les cours de charpente qui en forment le pourtour ; ces poteaux sont placés à l'intérieur, car l'extérieur de la caisse doit être le plus lisse qu'il sera possible. Les poteaux montans, dont la longueur doit être de deux ou trois piés plus grande que la profondeur de l'eau, & celle de la fondation sous le lit de la riviere prises ensemble, doivent être réunis par des chapeaux & entre-toises, sur lesquels on établira les appontemens nécessaires pour établir les machines à draguer, & les sonnettes pour battre les pieux, ainsi que l'on a fait sur les ponts sédentaires dont il est parlé ci-dessus. On chargera les ponts avec une quantité suffisante de matériaux, pour faciliter, à mesure que le draguage avancera, la descente de la caisse sous le lit de la riviere. On continuera le draguage jusqu'à ce que le haut des palplanches en affleure le lit : on aura par ce moyen fait une excavation d'environ deux toises plus large, & de quatre toises plus longue que la largeur & la longueur du caisson dans lequel on doit fonder la pile. C'est dans ce vuide que l'on battra les pieux, après toutefois y avoir descendu une grille à claire-voie, dans les cases de laquelle on chassera alternativement des pieux placés en échiquier. On recépera les pieux de niveau & l'affleurement de ce premier grillage, avec la machine décrite ci-dessus, à laquelle on fera les changemens convenables ; on remplira ensuite les cases vuides de la grille, & les vuides qui pourroient être au-dessous, avec des cailloux, de bon mortier, & de la chaux vive ; on introduira toutes ces choses par un entonnoir quarré, dont le bout inférieur entrera de quelques pouces dans les cases vuides de la grille, où ces différentes matieres se consolideront comme dans une eau stagnante, n'étant point exposés au courant, à cause de l'abri de la caisse pyramidale & d'un vanage du côté d'amont, s'il est besoin. C'est sur cette grille ou plate-forme que l'on assoiera le caisson, ainsi qu'il a été expliqué ci-devant.
Après avoir retiré les parois du caisson, on comblera l'intervalle d'une toise ou environ qui reste entre la pile & le pourtour de la caisse, avec une bonne maçonnerie de pierres perdues, à laquelle on fournira le mortier par des entonnoirs. Dessus cette maçonnerie on formera un lit de cailloux ou de libages sans mortier, dont la surface ne doit point surpasser de plus d'un pié ou deux le bord supérieur de la caisse, & par conséquent la surface du lit de la riviere.
On enlevera ensuite les ponts établis sur les poteaux montans de la caisse pyramidale, on les recépera au niveau du terrein du lit de la riviere, où on les enlevera pour les faire servir à une autre caisse, si on a eu la précaution de les ajuster à coulisses : de cette maniere la caisse restant ensablée, elle garantira & la maçonnerie qu'elle contient, & la fondation de la pile, de tous affouillemens & autres accidens quelconques. On pourroit de cette maniere fonder jusqu'à 50 ou 60 piés sous l'étiage.
Si en faisant le draguage on rencontroit sous les palplanches ou dans l'intérieur de la caisse quelques cartiers de rocher, il faudroit les mettre en pieces, soit en se servant d'une demoiselle de fer ou d'un mouton avec lequel on chasseroit des pieux ferrés, & en faire ensuite le déblai. Une attention essentielle aussi, est de ne point embarrasser le pié de la pile par une digue saillante au-dessus du lit de la riviere : ces digues en retrécissant le passage de l'eau, ne sont propres qu'à la forcer à passer sous la fondation, où une pareille voie d'eau est fort dangereuse. L'eau qui est sous la fondation doit être aussi stagnante que celle qui est au-dessous du lit de la riviere : c'est l'avantage que procure la maniere de fonder dans les eaux courantes que nous proposons, puisque la fondation descend beaucoup plus bas que le lit de la riviere.
On devroit aussi observer de faire la maçonnerie des piles au-dessous de l'étiage principalement, toute entiere de pierres d'appareil posées alternativement en carreaux & boutisses dans le travers de la pile d'un côté à l'autre, plutôt que de remplir l'intérieur de libages, qui ne font presque jamais liaison avec les parpins. On pourroit, en opérant ainsi, donner au corps quarré de la pile une moindre épaisseur, sans cependant diminuer l'empatement, en faisant les retraites à chaque assise plus grandes, ou en en faisant un plus grand nombre.
Récapitulation abregée de la scie de M. de Voglie. La scie dont nous parlons est un assemblage de plusieurs pieces de fer + Pl. XXI. représenté dans le fond d'une riviere, suspendu par quatre barres de fer A, d'environ 15 à 18 piés de longueur, portant chacune, dans presque toute leur longueur, des especes de broches appellées goujons, qui avec les pignons B qui s'y engrainent, mus par une clé, & retenus dans un petit chassis de fer C, attaché de vis sur le plancher, font monter & descendre horisontalement & à la hauteur que l'on juge à propos l'assemblage + : à ces pignons B sont assemblées des petites roues D, près desquelles sont des cliquets E pour les retenir, qui ensemble empêchent ce même assemblage de descendre de soi-même : à l'extrêmité inférieure des quatre barres A sont des mouffles à patte F, partie à vis & partie à demeure sur un chassis de fer composé de plusieurs longrines & traversines garnies des deux côtés G & H de forte tôle ou fer applati, sur lesquelles vont & viennent des roulettes I pour soutenir la portée des branches K, qui d'un côté font mouvoir le chassis double L de la scie M, avancé & reculé, selon le besoin, par une espece de té à deux branches N, évuidées par un côté, & mues par un tourne-à-gauche O, placé à l'extrêmité supérieure de la tige P, d'une des deux roues dentées Q, & de l'autre arrêtées par les crampons d'une coulisse R, dont les vibrations se font par la branche S, d'un té retenu par son tourillon à l'extrêmité supérieure d'un support à quatre branches T, les deux autres branches V du té correspondantes par le moyen des tringles ou tirans X aux leviers Y, dont les points d'appui sont arrêtés à la moufle d'un trépié Z, arrêté de vis sur le plancher, se meuvent alternativement de bas en haut & de haut en bas, en sens opposé l'un à l'autre par le secours des leviers Y ; a sont deux autres tourne-à-gauche, arrêtés solidement à l'extrêmité supérieure de deux tiges de fer b qui descendent jusqu'en bas, embrassent par leur extrêmité inférieure c, en forme de croissant, chacun des pieux d que l'on veut scier. Il faut observer que pour faire mouvoir tout cet équipage & le conduire dans tous les endroits où il y a des pieux à scier, il est retenu, comme nous l'avons, vû, par quatre tiges de fer A, Pl. XX. & XXI. a un chassis formé de chassis c, & de plate-formes f, allant & venant en largeur sur des rouleaux g par le moyen des treuils h, suivant les directions de i en k & de k en i, posés sur un autre chassis, mais plus grand, occupant tout l'espace entre les deux échafauds à demeure l m & roulant dessus aidé de ses rouleaux n, suivant les directions de l en m & de m en l.
Les pieux dont nous avons parlé ci-dessus étant coupés par cette machine dans le fond de l'eau à égale hauteur, reste à poser maintenant un grillage surmonté de la maçonnerie d'une pile ; pour y parvenir on fait ce grillage à l'ordinaire & de même maniere que celui que nous avons vû Pl. XIX. recouvert de plate-formes ou madriers bien ajustés près l'un de l'autre & bien calfatés ensemble afin que l'eau n'y puisse passer, ce qui fait le fond d'une espece de bateau Pl. XXII. que l'on met en chantier sur des cales A posées sur des pieces de bois B, appuyées sur d'autres C posées sur des pieux D placés sur les bords de la riviere, ce grillage est bordé de plusieurs sortes de pieces de bois E qui y sont adhérantes, entaillées par leurs extrêmités moitié par moitié, surmontées d'autant de costieres, composées chacune de forts madriers F, de 5 à 6 pouces d'épaisseur sur 10 à 12 pouces de hauteur, en plus ou moins grande quantité, selon la profondeur des rivieres, assemblés les uns sur les autres à rainure & languette, dont les joints sont bien calfatés & garnis de lanieres de cuir de vache détrempées ; ces madriers sont retenus à demeure de quatre en quatre, pour la facilité de leur transport, par des pieces de bois extérieures & intérieures G, & par des fortes vis prises dans leur épaisseur, formant ensemble des costieres dont les joints sont serrés de haut en bas avec de grands boulons à vis H traversant leur épaisseur, & dont l'ensemble est retenu intérieurement & extérieurement de pieces de bois I, arrêtées haut & bas à d'autres K & L, faisant l'office de moises garnies de calles M & vis N, les costieres des extrêmités ne pouvant être retenues de la même maniere à cause de leur obliquité, les pieces de bois L sont assemblées solidement par l'autre bout à une longue piece O, ou à plusieurs liées ensemble, allant d'un bout à l'autre qui les retiennent ensemble ; ceci fait, il faut avoir grand soin de boucher exactement tous les trous, & lorsque l'on est prêt de lancer à l'eau, on supprime les cales A, après y avoir substitué par-dessous, & de distance à autre des rouleaux, & on le fait ensuite rouler dans la riviere, ou ce qui est beaucoup mieux, on le lance à l'eau comme on le fait pour les vaisseaux sur les bords de la mer. Voyez le traité de la Marine.
Ce bateau ainsi lancé à l'eau, on le conduit bien juste sur les pieux que l'on a plantés, & où l'on veut construire la pile ; on bâtit dans le fond qui est le grillage jusqu'à ce que s'enfonçant à mesure qu'il se trouve chargé, il vienne se poser de soi-même sur les pieux ; ensuite posé & appuyé solidement on desserre les écroux des boulons H, les vis N, on défait les moises K & L, les cales M, les pieces de bois I, & on enleve les madriers pour les assembler de nouveau à un grillage de charpente pour une autre pile.
Il faut remarquer ici qu'il n'a pas été question jusqu'à présent de faire des costieres pour ces grillages autrement qu'on n'a jamais eu coûtume de les faire pour toute sorte de bateaux, & qu'ainsi faites, elles ne peuvent servir qu'une fois ; dépense, que l'on peut diminuer par cette machine à proportion de la quantité des piles que l'on a à construire, car une fois faite on peut s'en servir à tous les grillages de charpente, & par conséquent pour toutes les piles que l'on a à bâtir.
Des moutons & de leur construction. L'usage des moutons, vulgairement appellés sonnettes, parce que leur manoeuvre est à-peu-près semblable à celle des cloches, est d'enfoncer les pieux. Il en est de différente espece, & plus commodes les uns que les autres, selon les occasions que l'on a de les employer.
Celui marqué * Pl. XX. est composé d'un billot de bois E, appellé mouton ou bélier, parce qu'il est le principal objet de cet instrument, fretté & armé de fer attaché à un cable F roulant sur une poulie G, que plusieurs hommes tirent par l'autre bout H, divisé en plusieurs cordages, & laissant retomber alternativement de toute sa pesanteur sur les pieux D pour les enfoncer ; cette poulie G qui porte tout le fardeau de cette machine est arrêtée solidement à un boulon dans une chape () appuyée d'un côté sur l'extrêmité d'un support ou montant I entretenu de contre-fiches K, posés sur le devant d'un assemblage L, appellé fourchette, & d'un autre support en contrefiche M, posé sur le derriere de la fourchette L, soutenu dans son milieu par une piece de bois debout N, dans l'intervalle de laquelle & du montant I est un treuil O avec un cordage P pour remonter avec peu de force le mouton E, en cas de nécessité la partie supérieure de la poulie est retenue au chapeau Q qui entretient deux jumelles R boulonnées par enbas sur le devant de la fourchette L, & le long desquels glisse le mouton E.
La fig. 138. Pl. XXIII. est un mouton d'une autre espece, mu par des leviers horisontaux A, traversant un arbre en deux parties B & C autour duquel s'enveloppe en C le cordage D qui enleve le mouton E ; cet arbre B porte avec soi par enbas un pivot de fer appuyé sur une piece de bois F butante d'un côté à une plate-forme G sur laquelle sont appuyées deux jumelles H & deux contre-fiches I couvertes d'un chapeau K surmonté d'un petit assemblage pour porter la poulie L & de l'autre assemblé quarrément dans une piece de bois M, entretenue avec la plate-forme G de deux entre-toises N formant chassis surmontés d'un support O avec ses liens P portant l'extrêmité d'une piece de bois Q renforcie au milieu pour soutenir l'effort du tourillon de l'arbre B, & à fourchette par l'autre bout, assemblée dans les deux contre-fiches I, & dans un support R, portant une autre poulie pour renvoyer le cordage D.
Ce mouton a, fig. 139, fretté par chaque bout, est surmonté d'un valet b, portant l'un & l'autre de chaque côté une languette k, fig. 140, glissant de haut en bas le long d'une rainure pratiquée dans les jumelles c, fig. 139 ; le valet b porte dans son épaisseur des pinces de fer à croissant d'un côté d, & à crochet par l'autre e, dans l'intervalle desquelles est un ressort pour les tenir toujours ouvertes par le haut, & fermées par le bas.
Lorsque le mouton a & son valet b sont montés ensemble par le secours du cordage f, presqu'au haut de la machine, les croissans d des pinces viennent toucher aux tasseaux obliques g, & se resserrant à mesure qu'il se leve, la partie e qui se trouvoit accrochée au crampon h du mouton a, s'ouvre & laisse tomber tout-à-coup le mouton sur le pieu s, fig. 138, ce qui l'enfonce en raison de son poids, & de la hauteur d'où il est tombé ; aussi-tôt après on appuie sur le petit levier T, même figure ou l, figure 141, qui fait descendre le grand pêne m, & le faisant sortir de sa cavité n, donne le moyen au rouleau c, fig. 138, de tourner avec liberté, & au cordage D, de se défiler par le poids du valet, jusqu'à ce que, retombant avec rapidité sur le mouton E, les deux crochets e de la pince, fig. 139, viennent en s'ouvrant embrasser l'anneau du mouton & se refermer aussi-tôt ; ensuite on lâche le petit levier l, figure 141, dont le grand pêne m s'empresse de rechercher sa cavité n, par le secours d'un ressort placé au-dessous, & remet les choses dans l'état où elles étoient précédemment, après quoi on remonte le mouton comme auparavant.
La fig. 142, Pl. XXIV. est une machine dont on s'est servi en Angleterre pour enfoncer les pilotis du nouveau pont de Westminster. Cette machine inventée par Jacques Vaulove, horloger, est fort ingénieuse ; car placée comme elle est sur un bateau, on peut la transporter facilement par-tout où l'on a besoin de s'en servir. Ce bateau A est traversé de plusieurs poutrelles B, sur montées de plusieurs autres C, avec madriers formant un plancher D, sur lequel est posé l'assemblage de toute la machine, qui mue par plusieurs chevaux, va perpétuellement sans s'arrêter & sans sujétion ; ces chevaux en tournant, font tourner l'arbre E, sur lequel est assemblé un rouet denté F, qui engrene dans une lanterne G, surmontée en H de deux pieces de bois croisées, formant volans, pour empêcher que les chevaux ne tombent lorsque le bélier K est lâché : cet arbre E porte à son extrêmité supérieure un tambour L, autour duquel s'enveloppe le cordage M, qui enleve le bélier K. Au-dessus du tambour L, est une fusée (k) ou barrillet spiral N, fig. 144, autour duquel s'enveloppe un petit cordage o, chargé d'un poids P, fig. 142, pour modérer la chûte du valet Q, dans l'intérieur duquel les pinces, fig. 145, étant placées, & tenant le bélier K accroché de la même maniere que nous l'avons vu dans la figure précédente, en s'approchant des parties inclinées R, s'ouvrent & lâchent le bélier K, qui en tombant enfonce le pieu S ; le valet Q montant toujours pendant ce tems-là, souleve avec soi un contre-valet T, qui éleve par le cordage V un grand levier X, dont l'autre extrêmité à charniere en a, fig. 143, appuie par le bout sur une tige de fer B, qui, passant à-travers l'arbre E, abaisse la bascule D du côté du grand pêne e, pour le décrocher du tambour f, & donner par-là la liberté au cordage de se défiler, & au valet de tomber sur le bélier & de s'y accrocher de nouveau ; au même instant le levier n'appuyant plus par son extrêmité a sur la tige b, & le cordage o, fig. 144, étant au bout de la fusée N, même fig. il s'y ouvre un échappement qui retenoit la tige b, fig. 143, & qui, par le moyen du contrepoids g la releve, & replace en même tems le grand pêne e dans le tambour f, & les chevaux continuant de tourner, enlevent le bélier comme auparavant. Cette machine est composée de plusieurs pieces de bois de charpente, tendantes toutes à sa solidité, avec une échelle Y pour monter à son sommet Z, & y pouvoir faire facilement les opérations nécessaires.
La fig. 146. Pl. XXIV, est une machine à enfoncer des pieux, mais obliquement, autant & aussi peu qu'on le juge à propos ; c'est un composé de jumelles A, portant un bélier B, son valet C & ses pinces D attachées au cordage E, renvoyé par une poulie F, & tiré à l'autre bout par des hommes, comme dans celui marqué *, Pl. XX, ou par une machine composée d'un treuil, autour duquel s'enveloppe le cordage E, par le secours de plusieurs roues G, à la circonférence desquelles sont attachées plusieurs planches H, sur lesquelles plusieurs hommes marchent en montant pour élever le bélier B ; les tourillons I de ce treuil, soutenu sur sa longueur de plusieurs assemblages de charpente, tournent de chaque côté dans un autre semblable composé d'entretoises K, retenues dans deux moutons L, assemblés haut & bas dans deux chassis composés de sommiers M, & d'entretoises N. L'extrêmité inférieure des jumelles A, boulonnées par en bas à deux contre-jumelles O, appuyées sur l'extrêmité de deux sommiers P, & soutenues de liens Q, & contrefiches R, appuyées sur une traverse S, forme une espece de charniere, qui, avec le secours des cordages & des poulies T, attachées d'un côté au chapeau des contre-jumelles O, & de l'autre au sommet des jumelles A, entretenues de contrefiches V, procure le moyen d'enfoncer des pieux X, à telle inclinaison que l'on juge à propos.
Lorsque le bélier B est lâché de la même maniere que ceux des figures précédentes, Pl. XXIII. & XXIV, on lâche le valet c en appuyant sur la bascule a, fig. 137, qui en baissant, décroche le cliquet b de la roue dentée c, & par ce moyen fait défiler le cordage jusqu'à ce que le valet en tombant se soit accroché de nouveau au bélier pour le remonter comme auparavant ; & afin de modérer la vivacité du treuil occasionnée par la chûte précipitée du bélier, on appuie sur la bascule d, fig. 148, qui par l'autre bout fait un frottement autour du treuil, & lui sert de frein.
Des ponts de bateaux. La seconde espece de ponts de bois, sont ceux dits de bateaux, & construits en
(k) Terme d'Horlogerie, le barrillet spiral où s'enveloppe la chaîne d'une montre.
effet sur des bateaux pour le passage des charrois dans des pays où il n'est pas possible, soit par la profondeur des rivieres, leur trop grande largeur, ou leurs variations continuelles, d'en bâtir d'une autre espece, sans une très-grande dépense ; ces sortes de ponts ont l'avantage de n'être pas fort longs à construire, de se démonter facilement lorsqu'on le juge à propos, & de pouvoir encore s'en servir par fragmens en d'autres occasions ; mais en recompense il coûte beaucoup à les entretenir en bon état. Il en est de deux sortes ; les uns qu'on appelle ponts dormans, sont ceux qu'on n'a jamais occasion de changer de place ; les autres qu'on appelle ponts volans, employés le plus souvent dans l'art militaire, sont ceux dont les équipages se transportent sur des voitures pour s'en servir dans le besoin à traverser des rivieres, fossés & autres choses en pareil cas.
La fig. 149, Pl. XXVI, est un pont construit à Rouen sur la riviere de Seine, de l'invention du frere Nicolas, augustin, auteur du pont tournant, dont nous avons déja parlé : ce pont qui se démonte dans le tems des glaces, de peur de danger, est très-ingénieux : il est composé de dix-huit à vingt bateaux, chacun de dix-huit piés de largeur, sur neuf à dix toises de longueur, d'environ vingt piés de distance l'un de l'autre, entretenus de liens croisés A, & de poutrelles B moisées, fig. 150, traversant les bateaux surmontés de plate-formes C, portant un pavé D d'environ dix-huit piés de largeur, retenu par ses bords de pieces de bois E. Les deux côtés de ce pont sont bordés d'un trotoir F, fig 149, composé de plate-formes G, fig. 150, soutenues de charpente H, & bordé d'une balustrade I, composée de sommiers & de poinçons appuyés sur les poutrelles B K, fig. 149 ; on y voit des bancs distribués de distance à autres pour asseoir le peuple qui s'y promene. Plusieurs de ces bateaux sont retenus par d'autres L, retenus à leur tour par leur extrêmité à des assemblages M moisés, fig. 150 & 151, glissant de haut en bas le long des jumelles N, selon la hauteur de la marée, arrêtés à des supports O, contrefiches P, & liens Q, posés sur le plancher R d'une espece de palée à demeure, soutenue de poutrelles S, appuyées sur des pieux T, plantés dans le fond de la riviere en plus grande quantité du côté d'amont, pour donner plus de solidité au brise-glace V, soutenu de supports X, liens en contrefiche Y, sommiers Z, & chapeau, &c. Ce pont dont le passage est gardé par des sentinelles placées dans les loges AB, s'ouvre en deux parties AA, fig. 149 & 152, Pl. XXVII, d'environ trente piés de largeur pour le passage des navires, par le moyen d'un arbre a qui se découvre par une petite trappe b, autour duquel s'enveloppe un cable c, renvoyé par une poulie d ; à mesure que le bateau d'ouverture approche, les pieces de bois e qui y étant arrêtées par un bout, & portant par l'autre un crochet f, servant à le conduire, celles g qui portent les trotoirs h, celles i qui portent le pavé, roulent les unes entre deux poulies k, & les autres ayant des poulies placées au-dessous d'elles sur des pieces de bois l.
Il faut remarquer que l'élévation de ce pont variant selon la hauteur de la marée, & qu'en conséquence les chassis de charpente AD, se levant & s'abaissant, il y faut quelquefois monter, & quelquefois descendre pour y arriver.
Les ponts volans, Pl. XXVIII, XXIX & XXX, ayant été expliqués par M. Guillot, il n'est point nécessaire de les répéter ici.
PONT MILITAIRE, (Architecture militaire) En remontant à la naissance de la plûpart des arts, & en comparant l'état où leur histoire nous les presente dans leur origine avec celui où nous les voyons aujourd'hui ; si l'on sent d'un côté toutes les obligations que l'on a aux premiers inventeurs, de l'autre on est contraint d'accorder quelque mérite à ceux qui ont travaillé d'après leurs idées, & qui ont perfectionné leurs inventions.
Y a-t-il plus loin de l'ignorance entiere d'un art à sa découverte, que de sa découverte à sa derniere perfection ? C'est une question à laquelle je crois qu'il est impossible de répondre avec exactitude ; la découverte étant presque toujours l'effet d'un heureux hasard, & le dernier point de perfection où une découverte puisse être poussée, nous étant presque toujours inconnue. La seule chose qu'on puisse avancer, c'est qu'il étoit naturel que les Arts dûssent leur naissance aux hommes les plus éclairés, malgré l'expérience qu'on a du contraire, comme ils doivent leurs progrès & leur perfection aux bonnes têtes qui ont succédé aux inventeurs.
Une découverte est presque toujours le germe d'un grand nombre d'autres. Il n'y a aucune science, aucun art qui ne me fournisse cent preuves de cette vérité ; mais pour nous en tenir à l'objet de ce mémoire, nous en tirerons la démonstration de l'art de la guerre même.
Les hommes naissoient à peine, qu'ils se battirent : ce fut d'abord un homme contre un homme ; mais dans la suite une société d'hommes s'arma contre une autre société. Le desir de se conserver aiguisa les esprits, & l'on vit de siecles en siecles les armes se multiplier, changer, se perfectionner, tant celles qu'on employoit dans les combats, que celles dont on usoit dans les siéges. La défense suivit toujours pié-à-pié les progrès de l'attaque. La mâchoire d'un animal, une branche d'arbre, une pierre, une fronde, furent les premieres armes. Quelle distance entre ces armes & les nôtres ! celle des tems est moins considérable.
Bien-tôt on fabriqua les arcs, les lances, les fleches & les épées, & on opposa à ces armes les casques, les cuirasses & les boucliers.
Les remparts, les murailles & les fossés donnerent lieu à la construction des tours ambulantes, des béliers, des ponts, & d'une infinité d'autres machines.
Tel étoit à-peu-près l'état des choses, lorsque le hasard ou l'enfer produisit la poudre à canon. La face de l'attaque & de la défense changea tout-à-coup : on vit paroître des armes nouvelles ; & il me seroit facile de suivre jusqu'au tems où nous sommes les progrès de l'architecture militaire, si je ne craignois (dit l'auteur de cet article) d'exposer superficiellement des matieres profondement connues de la compagnie à qui j'ai l'honneur de parler. (C'étoit l'académie des Sciences).
Laissant donc-là ce détail, je demanderai seulement si tout est trouvé ; si l'art de la guerre a atteint dans toutes ses parties le dernier point de la perfection ; s'il en est de toutes les machines qu'on employe, ainsi que des canons, des mortiers à bombe, des fusils, & de quelques autres armes dont il paroît que les effets sont tels qu'on les peut désirer, & à la simplicité desquelles il semble qu'il ne reste rien à ajouter.
Avons-nous des ponts portatifs tels que nous les concevons possibles ? nos armées traversent-elles des rivieres qui aient quelque largeur, quelque profondeur & quelque rapidité, avec la facilité, la promtitude & la sécurité qu'on doit se promettre d'une pareille machine ? On n'établit pas un pont sur des eaux pour s'y noyer ; savons-nous construire d'assez grands ponts pour qu'une armée nombreuse puisse passer en peu d'heures d'un bord à l'autre d'une riviere, d'assez solides pour résister à la pesanteur des plus grands fardeaux, & d'assez faciles à jetter pour n'être pas arrêtés un tems considérable à cette manoeuvre ?
A m'en rapporter à la connoissance que j'ai de l'état des ponts portatifs parmi nous, & aux vains efforts qu'on a fait jusqu'à présent pour les perfectionner, je juge que nous sommes encore loin du but. Toute notre ressource est dans des pontons, qui n'ont ni la grandeur, ni la commodité, ni la solidité requises. On jette sur ces frêles appuis des pieces de bois informes, & on couvre ces pieces de planches en désordre. Voilà la chaussée sur laquelle on expose l'officier & le soldat ; aussi arrive-t-il souvent que le pont s'ouvre & qu'une troupe d'hommes destinés & bien résolus à vendre chérement leur vie à l'ennemi, disparoît sous les eaux.
Ont-ils eu le bonheur d'échapper à ce danger ? Autre embarras : les grosses armes dont ils ont besoin, soit pour attaquer, soit pour se défendre, ne peuvent les suivre. Avant qu'ils aient du canon, il faut construire un pont en regle, c'est-à-dire jetter des bateaux, fixer ces bateaux tellement quellement par des cables ; se transporter dans quelque forêt, se pourvoir des bois nécessaires ; & cependant l'armée qui occupe l'autre bord de la riviere demeure à la merci d'un ennemi bien pourvu des armes dont elle manque, du-moins c'est ainsi que je conçois que les choses sont. Lorsqu'on nous a annoncé qu'on a construit sur une riviere la tête d'un pont, il s'écoule plusieurs jours avant que nous apprenions que la grosse artillerie a passé.
On n'en est pas à sentir toute l'importance de ces inconvéniens, ni à chercher tous les moyens d'y remédier ; mais on en est encore à réussir, la plûpart de ceux qui s'y sont appliqués s'étant occupés à combattre des obstacles qu'il s'agissoit d'éluder ; plus ils ont connu la force & les caprices de l'élément auquel ils avoient à faire, plus ils l'ont redouté. Qu'en est-il arrivé ? qu'au lieu de travailler à amortir pour ainsi dire ses efforts, en y cédant ils se sont exposés à toute leur énergie par une résistance mal entendue. Au lieu d'imaginer une machine souple & d'un méchanisme analogue à la nature de l'agent qu'ils avoient à dompter, ils ont mis toute leur espérance dans la roideur de celles qu'ils ont méditées ; mais pour obtenir cette roideur dans un degré suffisant, il falloit ou accorder considérablement à la pesanteur, ou risquer de construire un pont trop foible, si on craignoit qu'il ne fût trop pesant. Tous sont tombés dans ce dernier inconvénient ; les eaux ont brisé les especes de digues qu'on leur opposoit, & j'ose assurer qu'il en sera toujours ainsi toutes les fois qu'on luttera contr'elles avec une machine inflexible & roide. Construire un pont inflexible capable d'une construction promte & facile, & en état de porter les grands poids qui suivent une armée, problème presque toujours impossible.
Comme nous en sommes encore réduits aux pontons, & qu'on ne fait aucun usage des ponts portatifs ou autres qu'on a proposés jusqu'à-présent, il seroit inutile d'entrer dans le détail de leurs défauts. On a grand besoin de ponts à l'armée ; on n'en a point : tous ceux qu'on a imaginés sont donc mauvais ? Voilà qui suffit.
Voyons maintenant si j'aurai tenté plus heureusement que ceux qui m'ont précédé, la solution de ce problème d'architecture militaire. Tel est l'objet du mémoire suivant, que je diviserai en quatre parties.
Dans la premiere, qui sera fort courte, j'exposerai les propriétés du pont ou de la machine qu'on demande, & que je crois avoir trouvée.
Dans la seconde, je donnerai dans tout le détail possible, la construction de cette machine.
Dans la troisieme, je ferai voir qu'elle a toutes les propriétés requises.
Dans la quatrieme, je déduirai quelques observations importantes & relatives au sujet.
Problème d'Architecture militaire. Trouver un pont portatif qui puisse se construire avec promtitude & facilité, recevoir dix hommes de front, & supporter les fardeaux les plus lourds qui suivent une armée.
Solution. Premierement construisez un bateau A B D E C F, tel que vous le voyez en-dedans, Planche XXVIII. de charpente, fig. premiere.
Soient A B sa longueur prise de l'extrêmité supérieure de la proue, à l'extrêmité supérieure de la poupe, de 31 piés 6 pouces.
a b sa longueur prise de l'extrêmité d'un des becs du fond à l'autre extrêmité de l'autre bec, de 28 piés.
A C, A D, B F, B E, les bords supérieurs de sa poupe & de sa proue, de 6 piés 3 pouces.
C F, D E, les bords supérieurs de ses côtés, de 20 piés de long.
a g, a h, b e, b f, les côtés des becs de son fond de 4 piés 6 pouces.
M N, sa largeur par en-haut, ou la distance d'un de ses bords à l'autre dans oeuvre, de 6 piés, & hors d'oeuvre, 6 piés 6 pouces, y compris 2 pouces de saillies de chaque côté desdits bords.
r s, la largeur de son fond de 4 piés dans oeuvre, & de 4 piés 2 pouces hors d'oeuvre.
e h, f g, les grands côtés de son fond, de 20 piés.
Prenez pour montans des pieces de bois de chêne c o, c o, &c. d'un côté, & d q, d q, &c. de l'autre, de 3 piés un pouce de long sur 3 pouces & demi d'équarrissage, qui soient au nombre de 26 à égale distance les unes des autres, & auxquelles soient attachées les planches dont le bateau sera latéralement revêtu.
c d, c d, &c. treize traverses de bois de chêne de 4 piés de long sur 4 pouces d'équarrissage à égale distance les unes des autres, & auxquelles soient attachées les planches du fond du bateau.
a b, sommier inférieur, est une piece de bois de chêne de 27 piés de long sur 6 pouces d'équarrissage, placée sur les traverses d c, d c, d c, &c. & assemblée avec la poupe & la proue en a & b, voyez la fig. 1, & la fig. 2.
Pour la poupe & la proue, fig. 2, A C, B D deux pieces de bois de chêne de figure prismatique de 5 piés 9 pouces de long, & dont deux des côtés des surfaces auxquelles les extrêmités des planches qui revêtent le bateau, sont attachées, soient de 12 pouces, & l'autre côté de 9 pouces.
Formez les surfaces latérales du bateau, & celles de la poupe & de la proue de planches de chêne d'un pouce d'épais, & le fond de pareilles planches d'un pouce 6 lignes d'épais.
Assemblez perpendiculairement avec le sommier a b, fig. 2, où l'on voit le bateau coupé de la poupe à la proue, 9 supports ou pieces de bois m n qui laissent entr'elles les mêmes intervalles que les traverses auxquelles elles correspondent, & qui ayent 3 piés 3 pouces de long sur 4 pouces d'équarrissage.
Arcboutez chacun des supports m n, Pl. XXVIII. de Charp. fig. 3, n. 1. & n. 2, où l'on voit le bateau coupé selon sa largeur de deux arcs-boutans qui s'assemblent par une de leurs extrêmités g, avec le support même, & par l'autre f f avec les traverses d c, d c qui soient par conséquent au nombre de 18, & qui ayent 3 piés 6 pouces de long sur 4 pouces d'équarrissage.
Fortifiez les arcs-boutans fg, fg, fig. 3, par d'autres h i, h i horisontaux, assemblés par une de leurs extrêmités i, i, avec les arcs-boutans f g, f g, & par l'autre h, h, avec les montans D d, C c, qui soient par conséquent au nombre de 27, & qui ayent un pié 6 pouces de long sur 3 pouces d'équarrissage.
Assemblez, fig. 2, dans les premier & dernier supports m n deux arcs-boutans ik, ik, chacun par une de leurs extrêmités i i avec les deux supports, & par l'autre extrêmité k k avec le sommier a b inférieur, & que ces deux arcboutans ayent 3 piés 4 pouces de long sur 4 pouces d'équarrissage.
Fortifiez les arcboutans I K, I K, de deux autres arcboutans horisontaux r t, r t, assemblés chacun par une de leurs extrêmités r, r, avec les arcboutans I K des supports, & par leur autre extrêmité t, t, avec deux autres arcboutans I K, assemblés chacun par un de leurs bouts k k avec le sommier inférieur a b, & par l'autre bout i i avec les pieces prismatiques A C, B D de la proue & de la poupe fig. 2. Pl. XXVIII. que les deux arcboutans r t, r t ayent chacun 3 piés 10 pouces de long sur 4 pouces d'équarrissage.
Et les deux arcboutans I K, I K de la poupe & de la proue, qui sont semblables à ceux des deux supports extrêmes ayent, comme ces arcboutans, 3 piés 4 pouces de long sur 4 pouces d'équarrissage.
Placez entre chaque support m n un rouleau z élevé de deux pouces au-dessus des côtés du bateau ; que ce rouleau ait 15 pouces de long sur 4 pouces de diametre.
Ayez pour chaque bateau deux mâts de sapin de 18 piés de long sur 6 pouces de diametre par le bas.
Secondement, assemblez, Pl. XXIII. fig. 2, sur les neuf supports m n le sommier supérieur f g, ou une piece de bois de chêne de 18 piés de long sur 5 pouces d'équarrissage.
Que sa surface supérieure soit arrondie, & que l'arc de son arrondissement ait un pié de rayon.
Qu'elle soit garnie à des distances convenables, Pl. XXIX. fig. 2, de onze goujons de fer g g g d'un pouce de diametre sur 3 pouces 3 lignes de haut.
Que chacun de ces goujons parte du milieu d'une embrassure de fer, dont le sommier soit revêtu dans les endroits où ces goujons seront placés.
Que ce sommier soit percé, Pl. XXVIII. fig. 2. à 9 pouces de chacune de ses extrêmités d'un trou u de 9 lignes de diametre.
Et qu'il porte à 6 pouces de chacune de ses extrêmités deux bouts de chaîne u chacun de 6 pouces de long, & que ces bouts de chaîne partent d'une embrassure de fer, Pl. XXVIII. fig. 2.
Troisiemement, ayez des barres de fer r s, r s, Pl. XXVIII. fig. 5, de 24 piés de long sur 6 lignes de diametre.
Quatriemement, ayez des pieces de bois de chêne, Pl. XXVIII. fig. 5, o, o, o, o, o, o, o, o, o, o, o, o, o, o, &c. Pl. II. de 19 piés de long sur 8 pouces d'équarrissage.
Pratiquez à 6 pouces de chacune de leurs extrêmités des ouvertures x, y, z, Pl. XXIX. fig. 1, en forme de cône renversé, dont la hauteur soit de 3 pouces 6 lignes, la base la plus petite d'un pouce 4 lignes de diametre, & la base la plus grande de 3 pouces 6 lignes.
Garnissez chacune de ces pieces à chacune de ces ouvertures d'une plaque de fer entaillée dans la piece & percée d'un trou correspondant à celui de la piece dont le diametre soit d'un pouce 4 lignes, Pl. XXVIII. fig. 4.
Terminez, Pl. XXIX. fig. 1, la partie supérieure des extrêmités de chacune de ces pieces de biseaux l, b, t, de 6 pouces de long sur un pouce de haut.
Que celles de ces pieces qui occupent les parties latérales des travées soient garnies chacune à leur partie supérieure de trente-un pitons, & de même nombre à la partie inférieure ; que celui de dessous soit posé perpendiculairement à celui de dessus, Pl. XXVIII. fig. 3 & 5.
Que toutes les pieces de bois des travées O O soient garnies de pitons à leurs extrêmités X X X X, Pl. XXVIII. fig. 4 & 5.
Cinquiemement, ayez des attaches de fer r, s, v, Pl. XXVIII. fig. 3, n°. 1 & 2, composées de deux parties assemblées & mobiles en s, dont la partie r passe d'une ouverture pratiquée au bord du bateau en D ou C, & l'autre partie V se rende à la piece O, O, & qu'elles puissent jouer l'une & l'autre, l'une en D ou C, & l'autre en V.
Que ces attaches soient de 18 pouces sur 6 lignes de diametre.
Sixiemement, ayez des madriers p q, Pl. XXVIII. fig. 5, de 16 piés de long sur 6 pouces de large & sur 4 pouces d'épais.
Que ces madriers ayent à leurs extrêmités des pitons x x.
Qu'ils soient percés à 3 pouces de leur extrêmité d'un trou c c de 9 lignes de diametre.
Que le nombre de trente-un madriers servant aux travées, & portant sur les cinq pieces, formant ladite travée, soient percés à 2 piés & à un pié de leur extrêmité, d'un trou t, t, de 6 lignes de diametre, & que le même nombre de trente-un madriers servant & portant sur les travées garnies de 6 pieces, soient percés à un pié & à 2 piés de leur extrêmité d'un trou t, t, de 6 lignes de diametre, afin de servir indifféremment à l'une ou l'autre des travées.
Septiemement, ayez des boulons de fer I, I, Pl. XXVIII. fig. 3, n °. 5, de 15 pouces de long sur 6 lignes de diametre.
Huitiemement, des pilastres K, Pl. XXVIII. fig. 3, n °. 2, & un chassis de fer de 6 lignes d'équarrissage, de 18 pouces de large & de 3 piés 6 pouces de haut, couvert de tole, Pl. XXIX, fig. 1.
Que ces pilastres soient garnis d'une barre de fer S, Pl. XXIX. fig. 1, de 19 pouces de long, de 9 lignes d'équarrissage même figure.
Neuviemement, ayez des balustrades L L L L, Pl. XXVIII. & XXIX. fig. 3. & 1, dont le chassis soit de 17 piés de long sur trois & demi de haut, & assemblé par 5 montans de 4 piés de long.
Que ce chassis porte 15 balustres de tole.
Dixiemement, ayez des treteaux a a p q, Pl. XXIX. fig 3, construits de la maniere suivante :
Soient a b, a b, leurs piés inégaux & ferrés.
c d, c d, les arcs-boutans de ces piés.
e f, un arc-boutant des arcs-boutans c d, c d.
g h, un sommier inferieur & immobile de 4 piés de long sur 8 pouces de large & 6 d'épais.
I K, I K, deux barres de fer de 3 piés de long sur 15 lignes d'équarrissage fixées dans le sommier supérieur m, n, & mobiles dans l'inférieur.
Soit m, n, un sommier supérieur mobile à l'aide des vis de bois l l.
Que les têtes des vis l l soient arrondies & garnies d'un goujon qui entre dans une ouverture conique, pratiquée dans le sommier supérieur m n. Voyez la fig. 4, Pl. XXIX.
r s, r s, deux vis de fer capables de fixer la piece de bois t représentée dans toute sa longueur tt, fig. 5, dont on ne voit ici que le bout t, & qui est parallele aux sommiers supérieurs assemblés avec les supports & qui portent les pieces des travées d'un bateau à un autre bateau.
Le treteau est vû de côté dans cette figure.
Onziemement, ayez une piece de bois t t, Pl. XXIX. fig. 5, de 18 piés de long sur 8 pouces d'équarrissage, arrondie par sa partie supérieure & garnie d'onze goujons avec leur embrassure.
Que l'arc de son arrondissement soit d'un pié de rayon.
Douziemement, un mouton A D B C, tel qu'on le voit Pl. XXIX fig. 6.
Treiziemement, des pieux, des pioches, des pelles, des cordages, & quelques outils de menuiserie, de charpenterie & de serrurerie.
Quatorziemement, des chariots tels qu'on en voit un, Pl. XXIX. fig. 2.
Soient F G les roues : celles de derriere F, sont d'un pié & demi plus hautes que celles de devant G h i ; une piece de bois assemblée au train de derriere pour qu'il soit tiré en même tems que celui de devant & sans fatiguer.
l l l, fig. 2. Pl. XXIX. & fig. 7. des crics à dent de loup qui portent des fortes courroies qui passent sous le bateau, & le tiennent suspendu pendant la marche.
m m. fig. 2. Pl. XXIX. des courroies qui passent sur le bateau & qui l'empêchent de vaciller, tenues par de moyens crics à dent de loup n n.
o o o, des rouleaux.
Quinziemement, que les bateaux, tels qu'on en voit un, Pl. XXIX. fig. 2. soient transportés dans le chariot que je viens de décrire, sur le bord d'une riviere, & les autres pieces dans des voitures ordinaires à quatre roues.
Cela fait, j'ai sur le bord de la riviere tout ce qui doit servir à la construction du pont que j'exécute de la maniere suivante.
Je commence par m'assurer de la largeur de la riviere.
Pour cet effet, j'ai un cordon divisé de 18 piés en 18 piés, distance fixe que je laisse toujours entre mes bateaux.
Je donne l'extrêmité de ce cordon à un homme qui passe dans une petite barque à l'autre bord.
Je lui enjoins de s'arrêter dans un endroit où la riviere ait au moins 3 piés & demi d'eau ; & j'en fais autant de mon côté, observant de me mettre avec mon second dans une direction perpendiculaire au cours de la riviere.
Il arrive de ces deux choses l'une, ou que la distance qui nous sépare contient 18 piés un nombre de fois juste & sans aucun reste, ou qu'elle contient 18 piés un certain nombre de fois avec un reste.
Si cette distance contient 18 piés un nombre de fois juste & sans reste, je laisse ma sonde à 3 piés & demi de haut où je l'ai posée ; je regarde ce point comme le milieu de mon premier bateau, & je fais planter à 18 piés de-là vers mon bord trois treteaux selon le cours de la riviere.
Mais si la distance qui est entre mon second & moi n'est pas d'un certain nombre de fois juste de 18 piés, je partage l'excès en deux parties égales, & je m'avance dans la riviere d'une de ces parties, ou de la moitié de l'excès ; je regarde le nouveau point où je me trouve comme le milieu de mon premier bateau, & je fais planter à 18 piés de-là vers mon bord trois treteaux selon le cours de la riviere.
La distance qu'on laissera entre chaque treteau doit être de 7 piés.
Pendant cette opération on a monté les moutons, enfoncé un ou plusieurs pieux à différentes distances, selon que la riviere est plus ou moins large, & jetté les bateaux à l'eau.
Ils ont tous au mât de leur poupe une corde qui va se rendre à un cable qui part d'un des pieux D, fig. 9. Pl. XXIX. c'est à l'aide de cette corde & d'une manoeuvre semblable à celle qui s'exécute dans nos coches d'eau, qu'ils se mettent & se tiennent à la distance, dans la direction & le parallélisme convenables.
Ils viennent se mettre en ligne vis-à-vis les uns des autres & de mes treteaux.
Alors je travaille à placer au niveau de l'eau & sur une parallele au premier bateau la piece t t, arrondie par sa surface supérieure, & garnie de 11 goujons, voyez la Pl. XXIX. fig. 5. & je fais construire l'avant-pont composé de six pieces telles que celles qui forment les travées O O, Pl. XXVIII. fig. 5. portant d'un bout sur la terre & soutenues de l'autre bout sur la piece t t, Pl. XXIX. fig. 5.
J'entends par une travée cinq ou six pieces o, o, o, Pl. XXVIII. fig. 5. alternativement, de même longueur & grosseur, paralleles entr'elles, & occupant un intervalle de 18 piés.
Tandis que l'avant-pont se construit & se couvre des madriers p q, Pl. XXVIII. fig. 5. qui forment le commencement de la chaussée, on arrête à la distance de 18 piés de la piece t t, Pl. XXIX. fig. 5. portée sur les treteaux, le premier bateau en place ; ce qui se fait à l'aide de deux chevrons de sapin percés d'un trou à chacune de leurs extrêmités, & fixés à la partie la plus élevée de la poupe & de la proue de deux bateaux, dans deux goujons destinés à cet usage.
On fait ensuite porter huit madriers de sapin, qu'on appuie d'un bout sur les treteaux, & de l'autre sur les rouleaux z z, Pl. XXVIII. fig. 2. du premier bateau ; ils servent d'échafauds aux pontonniers, qui apportent en même tems les cinq ou six pieces o, o, o, o, o, qui forment la premiere travée, & qui servent d'échafaud aux porteurs des trente-un madriers p q, p q, qui couvrent cette travée & font la chaussée.
Pendant que les trente-un madriers formant la chaussée se posent, on fait glisser les madriers de sapin des rouleaux du premier bateau sur ceux du second bateau ; on pose les pieces o, o, o, de la seconde travée, on les couvre de madriers p q, & la seconde travée est construite.
Les madriers de sapin étant glissés des rouleaux du second bateau sur les rouleaux du troisieme bateau, alors les pieces o, o, o, qui forment la troisieme travée, se posent, elles sont suivies des madriers p q qui les couvrent ; & la troisieme travée est construite, & ainsi de suite d'un bateau à un autre.
Cependant on place les pilastres, on plante la balustrade, on met les boulons I I, Pl. XXVIII. fig. 3. n °. dans les trous t t, même Pl. fig. 5. on ajuste les attaches L, S, V, Pl. XXVIII. fig. 3. n. 1. on accroche les barres de fer, r, s. Pl. XXVIII. fig. 5. & l'on satisfait au même détail de la construction, qui ne demande presque aucune force, peu d'intelligence, & n'emploie point un tems particulier à celui de la construction du pont, tout se construisant en même tems.
De l'assemblage de ces différentes pieces, dont le méchanisme est simple, & qui sont en assez petit nombre pour une travée ; savoir de
résulte le pont représenté Pl. XXIX. ce qui est évident.
Or, je soutiens que ce pont se construit promtement & facilement, reçoit dix hommes de front, peut porter les fardeaux les plus pesans qui suivent une armée, & ne sera rompu ni par l'action de ces fardeaux, ni par les mouvemens de l'eau.
C'est ce que je vais maintenant démontrer.
Démonstration. Je diviserai cette démonstration en trois parties.
Je ferai voir dans la premiere, que ce pont est capable de supporter les fardeaux les plus pesans qui suivent une armée.
Dans la seconde, que les mouvemens de l'eau les plus violens & les plus irréguliers ne le rompent point.
Et dans la troisieme, que sa construction est promte & facile, & qu'il peut recevoir dix hommes de front.
Premiere partie. Le pont proposé est capable de supporter les fardeaux les plus pesans qui suivent une armée.
Premierement la chaussée est capable de résister aux fardeaux les plus pesans ; car cette chaussée est composée de madriers de 19 piés de long sur 6 pouces de large & 4 d'épais.
Ces madriers portent alternativement sur cinq & six pieces de bois qui forment la travée.
Ces pieces de bois sont de 19 piés de long sur 8 pouces d'équarrissage, & laissent entr'elles 2 piés d'intervalle.
Les madriers qui composent la chaussée sont donc partagés par ces grosses pieces en parties de 2 piés de long.
Or, si l'on consulte les tables que M. de Buffon a données en 1741 sur la résistance des bois, & que l'académie a inserées dans le recueil de ses mémoires, on verra que 30000 pesant ne suffiroit pas pour faire rompre des morceaux de chêne de 2 piés de long sur 6 pouces de large & 4 pouces d'épais.
Les expériences de M. de Buffon ont été faites avec tant de soin & de précision que j'aurois pû y ajouter toute la foi qu'elles méritent, & m'en tenir à ces résultats ; mais j'ai, pour ma propre satisfaction, fait placer un de ces madriers sur 5 pieces de bois placées à la distance qu'elles occupent dans la travée qu'elles forment, & 11 milliers n'ont pas suffit pour produire la moindre inflexion, soit dans le madrier, soit dans les pieces qui le soutenoient ; quoique j'aye observé de laisser reposer dessus cette charge pendant six heures de suite.
Secondement les pieces de la travée qui sont alternativement au nombre de 5 & de 6, sont capables de soutenir la chaussée chargée des fardeaux les plus lourds.
Car on trouve par les tables de M. de Buffon, qu'une seule piece de bois de 18 piés de portée, c'est-à-dire, de la portée de celles qui forment mes travées, (car quoiqu'elles soient de 19 de long, elles n'en ont réellement que 18 de portée) on trouve dis-je, que pour faire rompre une seule de ces pieces, il faut la charger de 13500.
Quel énorme poids ne faudroit-il donc pas accumuler, je ne dis pas pour rompre, mais pour en arcuer cinq, qui posées paralleles les unes aux autres, se fortifieroient mutuellement ? C'est ce que je laisse à présumer à ceux qui ont quelque habitude de méchanique pratique, & qui connoissent un peu par expérience la résistance des solides.
Je me contenterai d'observer que ces cinq ou six pieces prises ensemble ne seront jamais chargées d'un poids tel que les tables de M. de Buffon l'exigent, pour en faire éclater une seule. Voyez les mémoires de 1741.
Troisiemement, le sommier supérieur est capable de supporter la travée, la chaussée & les poids les plus lourds dont cette chaussée puisse être chargée.
Car ce sommier est de 18 piés de long, sur 5 pouces d'équarrissage.
Il est porté sur 9 supports qui le divisent en 8 parties de 19 pouces chacune.
Or conçoit-on quelque force capable de faire rompre un morceau de chêne de fil non tranché, de un pié 7 pouces de long, sur 5 pouces d'équarrissage ? S'il avoit 7 piés de long sur le même équarrissage, c'est-à-dire que s'il étoit plus de quatre fois plus long qu'il n'est, il n'y auroit qu'un fardeau de 11773 livres qui le fît rompre ; encore ne faudroit-il pas que l'action de ce fardeau fût passagere. On voit par les tables de M. de Buffon qu'il s'est écoulé 58 minutes entre le premier éclat & l'instant de la rupture.
Quatriemement, les neuf supports qui soutiennent le sommier supérieur, les bois de la travée, la chaussée & le fardeau dont on la chargera, étant des pieces de 3 piés 3 pouces de long sur 4 pouces d'équarrissage, placées perpendiculairement & solidement arcboutées en tout sens, comme il paroît par la fig. 5. Pl. III. & ainsi que nous l'avons détaillé dans la construction du bateau, les poids les plus énormes ne peuvent ni les déplacer, ni les faire fléchir ; cela n'a pas besoin d'être démontré. Il n'y a personne qui ne connoisse plus ou moins par expérience, quelle est la résistance des bois chargés perpendiculairement à leur équarrissage.
Cinquiemement, le sommier inférieur avec lequel les 9 supports sont perpendiculairement assemblés, est capable de résister à l'action de toutes les charges qui lui seront imposées, au poids des supports, à celui du sommier supérieur, à celui des travées, à celui de la chaussée & à celui du fardeau qui passera sur la chaussée.
Car ce sommier est de 27 piés de long, sur 6 pouces d'équarrissage.
Il porte sur 13 traverses qui le divisent en 14 parties de 19 pouces chacune.
On voit par les tables de M. de Buffon, que quand même le constructeur auroit eu la mal-adresse de faire porter ses supports sur les parties du sommier inférieur comprises entre les traverses, ces parties étant de 19 pouces seulement chacune, sur 6 d'équarrissage, il eût fallu pour les faire rompre, un poids beaucoup plus grand qu'aucun de ceux dont on peut les supposer chargées.
Que sera-ce donc si les supports au lieu d'appuyer dans ces intervalles, sont placés sur les parties du sommier inférieur qui correspondent aux traverses ? & c'est ce qu'il a observé dans la construction de son bateau : ainsi qu'il paroît à l'inspection des fig. 10. Pl. XXIX.
Mais, me demandera-t-on, qu'est-ce qui empêchera l'effort de l'eau pendant l'enfoncement du bateau, d'en jetter les côtés en-dedans ?
Ce qui l'empêchera ? ce seront 26 arcs-boutans horisontaux de 18 pouces de long, sur 3 pouces d'équarrissage, assemblés d'un bout dans les montans du bateau, & de l'autre dans les arcs-boutans des supports.
Voyez fig. 10. Pl. XXIX. mn est un support, gf, gf, sont ses arcs-boutans ; Dd, Cc, sont des montans, & hi, hi, sont les arcs-boutans dont il s'agit. Il y en a autant que de montans, ils font le tour du bateau en-dedans ; il n'y a donc aucune de ses parties qui ne soit fortifiée, & qui n'en fortifie d'autres : car telle est la nature des pieces arcboutées avec quelque intelligence, comme on ose se flatter qu'elles le sont ici, qu'elles se communiquent mutuellement de la force & du secours.
Il est donc démontré que les parties du pont sont capables de résister à leur action les unes sur les autres, & à l'action des fardeaux les plus pesans sur elles toutes.
Mais il ne suffit pas que les parties du pont soient capables de résister à leur action les unes sur les autres, & à l'action des grands fardeaux sur elles toutes.
Toute cette machine est posée sur un élément qui cede, & qui cede d'autant plus que le fardeau dont il est chargé est plus grand, & le volume qu'il occupe plus petit.
Nous n'avons donc rien démontré si nous ne faisons voir que nous ne chargeons point cet élément d'un poids qu'il n'est pas en état de porter : c'est ce qui nous reste à faire, & ce que nous allons exécuter avec la derniere rigueur.
Il ne s'agit que d'évaluer toutes les parties d'un bateau, toutes celles dont il est chargé, ajouter à ce poids celui du fardeau le plus pesant qui suive une armée, & comparer ce poids total avec le volume d'eau qu'il peut déplacer ; c'est-à-dire que le poids d'une travée, d'un bateau, & du plus grand fardeau dont la travée puisse être chargée, étant donné, il s'agit de trouver l'enfoncement du bateau. Nous allons procéder à la solution de ce problème avec la derniere exactitude, & nous imposer la loi de ne nous jamais écarter de la précision, à moins que l'écart quelque léger qu'il puisse être, ne nous soit défavorable : ensorte que sans cet écart le résultat nous seroit plus avantageux encore que nous ne l'aurons trouvé.
Par plusieurs expériences réiterées sur des morceaux de bois de chêne, on trouve qu'un pié de ce bois sur 4 pouces d'équarrissage, pese 6 livres 12 onces, ou 27/4 de livre.
La longueur des côtés du bateau, sans compter ni la proue ni la poupe, étant de 21 piés, & la ligne qui sépare le flanc du bateau d'avec la poupe ou la proue, de 3 piés 9 pouces, une des faces latérales du bateau est de 10800 pouces quarrés, les deux faces latérales de 21600 pouces quarrés.
Mais les planches qui forment ces faces, sont d'un pouce d'épaisseur ; donc la solidité de cette partie du bateau est de 21600 pouces solides ; & j'en aurai le poids en disant d'après mes expériences, 1 pié de chêne sur 4 pouces d'équarrissage, ou 192 pouces solides, sont à 27/4 de livre, comme 21600 pouces solides au poids de ce nombre de pouces, il me vient pour ce poids 758 livres.
La surface de la moitié de la proue, ou de la moitié de la poupe, a 3 piés 9 pouces d'une dimension, 6 piés 3 pouces de l'autre, 4 piés 6 pouces de la troisieme, ce qui donne pour sa mesure 2902 pouces quarrés.
Pour la mesure de la surface de la poupe ou de la proue en entier, 5804 pouces quarrés.
Pour la mesure de la surface de la proue & de la poupe prises ensemble, 11608 pouces quarrés, & les planches qui forment cette surface n'étant comme celles des faces latérales que d'un pouce, la solidité de cette partie du bateau sera de 11608 pouces cubiques, dont je trouve par la proportion, 192. 27/4 : : 11608 x.
Récapitulation.
Maintenant pour déterminer de combien ces poids font enfoncer le bateau, je considere qu'il ne peut être entierement enfoncé, qu'en déplaçant autant d'eau qu'il occupe d'espace ; mais pour cet effet, il faut qu'il pese du-moins autant qu'une masse d'eau de pareil volume que lui.
Mais j'aurai le poids d'une masse d'eau de pareil volume que le bateau, en prenant la solidité du bateau, en cherchant combien cette solidité donne de piés cubiques, & en multipliant ce nombre de piés cubiques par 70 l. poids d'un pié cubique d'eau.
Pour avoir la solidité du bateau, je le transforme en un solide dont les tranches aient les mêmes dimensions dans toute sa hauteur.
Pour cet effet, je prends une base moyenne entre son fond & son ouverture.
Je trouve par un calcul fort simple, que cette base moyenne a les dimensions suivantes :
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PONT S. ESPRIT | (Géog. mod.) ville de France au bas Languedoc, dans l'Usege ou l'Usegais. C'est une place forte sur la rive droite du Rhône, qu'on y passe sur un pont, à 8 lieues nord-est d'Usez, à 20 nord-est de Montpellier, & à 136 de Paris.
Le Pont S. Esprit est un grand passage sur le Rhône, & c'est le dernier pont de pierre qui soit aujourd'hui sur ce fleuve, n'y ayant au-dessous que des ponts de bateaux. Quatre bastions font le plan de la citadelle, & renferment l'église du S. Esprit, de laquelle la ville a pris le nom qu'elle porte aujourd'hui. Long. 22. 20'. lat. 44. 18'.
Le pont de cette ville est d'une belle construction, à cause de la largeur, de la profondeur & de la rapidité du fleuve. Il a 420 toises de long, sur 2 toises 4 piés 4 pouces de largeur. Il est soutenu par vingt-six arches, dix-neuf grandes & sept petites qui sont aux extrêmités & forment les rampes. Ce pont, qui a grand besoin de réparation à tous égards, fut commencé en 1265, & bâti d'offrandes qu'on faisoit alors à un petit oratoire dédié au S. Esprit. Il fut achevé vers l'an 1309.
Le pape Nicolas V. dans une bulle qui accorde beaucoup d'indulgences à ceux qui iront visiter l'église du S. Esprit, dit que Dieu, touché du malheur des fideles qui faisoient naufrage en cet endroit du Rhône, avoit envoyé un ange pour marquer le lieu où il falloit faire un pont & bâtir une église, ainsi qu'un hôpital. Cet ange avoit été un bon & digne citoyen qui chercha le bien de son pays, ensorte que le pont, l'église & l'hôpital furent bâtis & fondés dans cet endroit. Pour fournir à l'entretien de ces trois objets, on leve un droit sur le sel qui passe sous ce pont, ce qui monte à environ 8000 livres par année. Ce lieu s'appelloit auparavant le port, nom qui est demeuré à un monastere voisin.
Il y a au-dessous du Pont S. Esprit un territoire de cinq à six lieues d'étendue le long du Rhône. Ce territoire dépend pour le spirituel d'Avignon ; mais pour le temporel il est de la province de Languedoc, & du ressort du parlement de Toulouse. (D.J.)
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PONT-A-MOUSSON | (Géog. mod.) en latin du moyen âge Mussi-Pontum, ville de France dans la Lorraine, avec titre de marquisat, sur la Moselle qui la divise en deux parties, dont une est du diocese de Toul, & l'autre du diocese de Metz, à 6 lieues au N. O. de Nancy, & à 5 au S. O. de Metz.
L'empereur Charles IV. qui dès l'an 1354 avoit érigé le Pont-à-Mousson en marquisat, le créa bientôt après cité de l'empire, avec les prérogatives des autres cités ; il confirma cette création à Prague en 1373, déclarant qu'il n'entendoit pas que l'honneur qu'il faisoit à cet endroit affoiblît les droits du comte ou duc de Bar, marquis du Pont-à-mousson.
Cette ville s'est accrue dès-lors, & sur-tout depuis que Charles III. duc de Lorraine y fonda une université en 1572. Les jésuites y occupent la belle maison des religieux de S. Antoine le Viennois. Il y a dans la même ville des capucins qui s'y sont établis en 1607, des carmes en 1623, & des minimes en 1632. Il y a aussi quelques maisons de religieuses ; mais comme le commerce manque dans cette ville, elle est peu riche & peu peuplée. Longit. 23. 40'. latit. 48. 56 '.
C'est ici qu'est né en 1582 Jean Barclay, homme d'esprit, comme le prouvent ses ouvrages ; il fit un séjour de dix années à Londres, où le roi Jacques le combla de faveurs. Il revint ensuite en France, & delà il passa à Rome en 1617, sous le pontificat du pape Paul V. Il y trouva d'illustres protecteurs, & y mourut en 1620. Ses principaux ouvrages sont 1° Argenis, 2° un recueil de poësies en trois livres, 3°. Satyricon Euphormionis, 4° Notae in Statii Thebaïdem, &c. Sa prose est plus estimée que ses vers : on lui reproche d'avoir trop affecté d'imiter Pétrone dans son Argenis, aussi-bien que dans sa poësie. Bayle, Baillet & le P. Nicéron ont fait son article, consultez-les. (D.J.)
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PONT-AUDEMER | (Géog. mod.) ville de France, en Normandie, au diocèse de Lisieux, sur la Rille, qu'on y passe sur un pont, à douze lieues au couchant de Rouen, à sept au nord-est de Lisieux, à cinq est d'Honfleur, & à trente-six au nord-ouest de Paris. Cette ville a un bailliage, une vicomté, une élection, un grenier à sel, & une maîtrise des eaux & forêts ; elle a aussi un gouverneur, un lieutenant de police, & une maison de ville. Elle est fermée de murailles, a des places publiques où l'on tient foires & marché, & la riviere de Rille la sépare du diocèse de Rouen. Le commerce des habitans consiste en blés, laines, & tanneries.
Elle a pris son nom du pont qui est sur la riviere de Rille, & que bâtit autrefois un françois nommé Audomer ou Audemer ; ainsi on ne doit point écrire le nom de cette ville le ponteau-de-mer ou le pont-eau-de-mer, ni traduire en latin ponticulus maris ou pons aquae marinae.
Cette place avoit été donnée au roi de Navarre, Charles d'Evreux, par le roi Jean, l'an 1353. Mais Charles III. roi de Navarre, céda ses prétentions sur cette ville au roi Charles VI. l'an 1404 ; & ensuite les Anglois ayant conquis la Normandie, & même la plus grande partie de la France, Henri qui se disoit roi de France & d'Angleterre, réunit le Pont-Audemer & plusieurs lieux au domaine de Normandie ; cette réunion fut confirmée par Charles VII. lorsqu'il fut maître de cette province. Long. 18. 16. latit. 49. 22.
Vallemont (Pierre de), prêtre, naquit à Pont-Audemer en 1649, & y mourut en 1721. Il se nommoit le Lorrain, & prit, je ne sai pourquoi, le nom d'abbé de Vallemont. Son principal ouvrage est les élemens de l'Histoire, en 4 vol. in-12. ce n'est pas un bon livre, mais il vaut encore mieux que son traité de la baguette divinatoire. (D.J.)
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PONT-BEAUVOISIN | (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Dauphiné, sur la petite riviere de Gier ou Guyer, qui sépare cette province de la Savoie, & divise cette petite ville en deux. La partie occidentale est du Dauphiné, & l'autre est de la Savoie. Pont-Beauvoisin est, selon les apparences, le Labisco des anciens. (D.J.)
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PONT-D'ADAM | (Géog. mod.) en hollandois Adams-Brugh ; c'est ainsi qu'ils appellent des bancs de sable qui se trouvent dans le canal de la mer des Indes, entre le royaume de Maduré à l'occident, & l'île de Manar sur la côte de l'île de Ceylan à l'orient. (D.J.)
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PONT-DE-L'ARCHE | (Géog. mod.) en latin du moyen âge Pons-Arcûs, Pons-Arcuensis ou Pons-Arcuatus ; petite ville de France dans la haute Normandie au diocèse d'Evreux, sur la Seine, qu'on y passe sur un beau pont, à trois lieues au-dessus de Rouen, à quatre d'Andely au nord-ouest, à deux au nord de Louviers, & à vingt-six au nord-ouest de Paris. Elle fut bâtie par l'empereur Charles-le-chauve. Elle est munie d'un château. Il y a vicomté, bailliage, grenier à sel, maîtrise des eaux & forêts, & un gouverneur. C'est la premiere ville qui se soumit à Henri IV. à son avénement à la couronne. Long. 18. 46. latit. 49. 18. (D.J.)
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PONT-DE-ROYAN | (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt gros bourg de France, dans le Dauphiné, le chef & seul lieu du marquisat de Royanes, sur la petite riviere de Borne, qui va se rendre dans l'Isère, sur la rive gauche. (D.J.)
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PONT-DE-SÉ | (Géog. mod.) petite ville de France, dans l'Anjou, sur la Loire, qu'on y passe sur un pont, à une lieue d'Angers, & à soixante-dix de Paris. Elle est défendue par un château, & est un des plus importans passages sur la Loire. Long. 17. 6. lat. 47. 24.
Cette ville s'appelle en latin moderne Pons-Saii, car l'ancien nom de ce lieu est Saïum, Seïum, Saum, & en quelques titres, Saïacum. Ce lieu étoit connu sous ces noms-là il y a environ sept cent ans, d'où il suit qu'on ne doit point écrire Pont-de-Cé, mais Pont-de-Sé. Cette petite ville fut donnée à l'abbaye de Fontevraud par Foulque Nerra, & par Aremburge du Maine, sa femme. Philippe de Valois étant parvenu à la couronne en 1328, y réunit le Pont-de-Sé, que son pere Charles avoit racheté de l'abbaye de Fontevraud en 1293.
Son pont, moitié pierre & moitié bois, est connu dans l'Histoire par la défaite des troupes de la reine Marie de Médicis & de ses confédérés, qui furent mises en déroute, en 1620, par l'armée de Louis XIII. que commandoit le maréchal de Crequi.
MM. Sanson, dans leurs remarques sur la carte des Gaules, prétendent que le pont, nommé dans les commentaires de César, l. VIII. c. xxvij. pons Ligeris, est le Pont-de-Sé, sur lequel Dumnacus, chef des Angevins, faisoit sa retraite, & où il fut battu par Fabius. (D.J.)
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PONT-DE-VAUX | (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Bresse, sur la Ressouze, à six lieues de Bourg, à deux de Tournus, & à trois de Mâcon. Il n'y a qu'une paroisse, un grenier à sel, un couvent de Cordeliers, & un d'Ursulines. Long. 22. 30. latit. 46. 24. (D.J.)
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PONT-DE-VESLE | (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Bresse, chef-lieu d'un mandement de même nom, à cinq lieues au couchant de Bourg, à dix au nord de Lyon, & à une au sud-est de Mâcon, sur la riviere de Vesle, qu'on y passe sur un pont. Il y a une paroisse, un hôtel-Dieu, & un gouverneur, quoique ce lieu ne soit pas fortifié. Long. 22. 28. lat. 46. 14. (D.J.)
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PONT-DU-CHATEL | (Géog. mod.) petite ville ou bourg de France, dans l'Auvergne sur l'Allier, élection de Clermont, avec titre de marquisat. (D.J.)
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PONT-EUXIN | (Géog. anc.) Pontus Euxinus. Ce n'est pas un pont comme le croyoit une de nos dames de la cour ; c'est une grande mer d'Asie qui s'appelle aussi communément la mer Noire, & qu'on nommeroit plus proprement un lac qu'une mer, parce qu'elle est enfoncée dans les terres comme dans un cul-de-sac.
Pline, lib. IV. c. xij. dit que cette mer s'appelloit autrefois Axenus, c'est-à-dire inhospitalier ; selon Pomponius Mela, lib. I. c. xix. qui ajoute que ce nom lui avoit été donné à cause de la barbarie des peuples qui habitoient ses bords, mais que ce nom fut changé en celui d'Euxinus lorsque ces mêmes peuples furent devenus plus humains par le commerce qu'ils eurent avec les autres nations.
Cette mer est entre la petite Tartarie & la Circassie au nord, la Géorgie à l'orient, la Natolie au midi, & la Turquie d'Europe à l'occident. Elle s'étend en longueur depuis les 45d. 12'. de longitude, jusqu'au 60d. 10'. en largeur, environ depuis les 40d. 12'. de latitude septentrionale jusqu'au 45d. quoiqu'en certains endroits elle avance bien au-delà.
Pline, lib. IV. c. xij. lui donne la figure d'un arc scythique ; & Strabon, lib. II. p. 125. aussi-bien qu'Agathemere, géogr. lib. II. c. xiv. disent la même chose. Sur quoi le P. Hardouin remarque que la partie méridionale, en la prenant depuis Chalcédoine jusqu'au Phase, représentoit la corde de cet arc, & la côte méridionale formoit comme les deux branches, dont les deux courbures étoient représentées par les deux golfes qui sont sur cette côte, parce que l'arc scythique avoit la figure du des Grecs ; car, ajoute-t-il, quoiqu'il soit constant que cette ancienne lettre des Grecs étoit formée comme le C des Latins ; il n'est pas moins vrai qu'ils en eurent une autre qui, comme le dit Agathémere, avoit la figure d'un arc scythique.
Cette mer a encore eu divers autres noms. Elle est nommée Pontus Amazonius par Claudien : Pontus Scyticus par Valérius Flaccus : Scyticus sinus par Martianus Capella : Pontus Tauricus par Festus Avienus : mare Cimmerium par Hérodote & par Orose : mare Colchicum par Strabon : mare Caucaseum par Apollonius : mare Ponticum par Tacite & par Plutarque : Phasianum mare par Aristide : Sarmaticum mare par Ovide : mare Boreale par Hérodote. Procope dit que les Goths l'appelloient Tanaïs ; aujourd'hui les Italiens la nomment mar Majore ; les Turcs lui donnent le nom de Kara-Dignisi ; & les François celui de mer Noire.
A cette occasion M. Tournefort, voyage du Levant, lettre xvj. remarque que, quoi qu'en ayent dit les anciens, la mer Noire n'a rien de noir pour ainsi dire que le nom. Les vents n'y soufflent pas avec plus de furie, & les orages n'y sont guere plus fréquens que sur les autres mers. Il faut pardonner ces exagérations aux poëtes anciens, & surtout au chagrin d'Ovide. En effet, le sable de la mer Noire est de même couleur que celui de la mer Blanche, & ses eaux sont aussi claires. En un mot, si les côtes de cette mer qui passent pour si dangereuses, paroissent sombres de loin, ce sont les bois qui les couvrent, ou le grand éloignement qui les font paroître comme noirâtres.
M. de Tournefort ajoute qu'il a éprouvé pendant un voyage sur cette mer, un ciel beau & serein, ce qui l'obligea de donner une espece de démenti à Valerius Flaccus, qui en décrivant la route des Argonautes, assure que le ciel de la mer Noire est toujours embrouillé, & qu'on n'y voit jamais de tems bien formé.
Il y a apparence que dans l'état de perfection où l'on a porté la navigation, on y voyageroit aujourd'hui aussi surement que dans les autres mers, si les vaisseaux étoient conduits par de bons pilotes. Mais les Grecs & les Turcs ne sont guere plus habiles que Tiphys & Nauphius qui conduisirent Jason, Thésée, & les autres héros de la Grece, jusque sur les côtes de la Colchide ou de la Mingrélie.
On voit par la route qu'Apollonius de Rhodes leur fait tenir, que toute leur science aboutissoit suivant le conseil de Phinée, cet aveugle roi de Thrace, à éviter les écueils qui se trouvent sur la côte méridionale de la mer Noire, sans oser pourtant se mettre au large, c'est-à-dire qu'il falloit n'y passer que dans le calme.
Les Grecs & les Turcs ont presque les mêmes maximes ; ils n'ont pas l'usage des cartes marines, & sachant à peine qu'une des pointes de la boussole se tourne vers le nord, ils perdent, comme l'on dit, la tramontane, dès qu'ils perdent les terres de vûe. Ceux qui ont le plus d'expérience parmi eux, se croyent fort habiles quand ils savent que pour aller à Caffa il faut prendre à main gauche en sortant du canal de la mer Noire, & que pour aller à Trébisonde, il faut détourner à droite.
On a beau répéter que les vagues de la mer Noire sont courtes, & par conséquent violentes ; il est certain qu'elles sont plus étendues & moins coupées que celles de la mer Blanche, laquelle est partagée par une infinité de canaux qui sont entre les îles. Ce qu'il y a de plus fâcheux pour ceux qui navigent sur la mer Noire, c'est qu'elle a peu de bons ports, & que la plûpart de ses rades sont découvertes ; mais ces ports seroient inutiles à des pilotes qui, dans une tempête, n'auroient pas l'adresse de se retirer.
Pour assurer la navigation dans cette mer, toute autre nation que les Turcs formeroit de bons pilotes, répareroit les ports, bâtiroit des moles, établiroit des magasins ; mais leur génie n'est pas tourné de ce côté-là. Les Génois n'avoient pas manqué de prendre toutes ces précautions lors de la décadence de l'empire des Grecs, & surtout dans le commerce de la mer Noire, après en avoir occupé les meilleures places. On y reconnoît encore les débris de leurs ouvrages, & surtout de ceux qui regardent la marine. Mahomet II. les en chassa entierement ; & de puis ce tems-là les Turcs qui ont tout laissé ruiner par leur négligence, n'ont jamais voulu permettre aux Francs d'y naviger, quelques avantages qu'on leur ait proposés pour en avoir la permission.
La célebre époque que Diodore de Sicile nous a conservée touchant le débordement du Pont-Euxin dans la mer de Grece, nous rassure fort sur la plûpart des avantures qui se sont passées dans quelques-unes de ces îles. Cette époque au moins nous découvre le fondement de plusieurs fables qu'on a publiées. Il est bon de les rapporter ici. Diodore donc assure, que les habitans de l'île de Samothrace n'avoient pas oublié les prodigieux changemens qu'avoit fait dans l'Archipel le débordement du Pont-Euxin, lequel d'un grand lac qu'il étoit auparavant, devint enfin une mer considérable par le concours de tant de rivieres qui s'y dégorgent.
Ces débordemens inonderent l'Archipel, en firent périr presque tous les habitans, & reduisirent ceux des îles les plus élevées à se sauver aux sommets de leurs montagnes. Combien de grandes îles vit-on alors partagées en plusieurs pieces, s'il est permis de se servir de ce terme ? N'eut-on pas raison après cela de regarder ces îles comme un nouveau monde, qui ne put être peuplé que dans la suite des tems ? Est-il surprenant que les Historiens & les Poëtes ayent publié tant d'avantures singulieres arrivées dans ces îles, à mesure que des gens courageux quitterent la terre ferme pour les venir reconnoître ? Est-il surprenant que Pline parle de certains changemens incroyables à ceux qui ne refléchissent pas sur ce qui s'est passé dans l'univers depuis tant de siecles ? (D.J.)
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PONT-FRAET | ou PONT-FRET, ou PONT-FRACT, (Géogr. mod.) ville à marché d'Angleterre dans l'Yorckshire, sur l'Are, à 60 lieues au nord-ouest de Londres. Son nom lui vient à ce que l'on prétend, d'un pont de bois qui se rompit dans le tems du passage de Guillaume, archevêque d'Yorck, neveu d'Etienne, roi d'Angleterre. Il y avoit autrefois dans cette ville un château, où Richard II. fut assassiné ; ce château a été détruit dans les guerres civiles sous le regne de Charles I. Pont-Fraet envoie deux députés au parlement d'Angleterre. Longit. 13. 12. lat. 53. 37.
Bramhall, (Jean) primat d'Irlande, naquit dans cette ville en 1593. Il fit recevoir à Dublin les 39 articles de la confession de foi de l'église anglicane ; mais en même tems (& c'est un trait à sa gloire) il distingua toujours les articles de paix des articles de foi. Ses ouvrages ont été imprimés in-folio, & sa vie a été mise à la tête.
C'est à Pont-Fraet que Richard II. finit ses jours en 1400 à 33 ans. Ce prince monta sur le trône en 1377, à l'âge de 11 ans, & ne suivit malheureusement ni les traces du fameux prince de Galles son pere, ni celles d'Edouard III. son ayeul. Il ne pensa qu'aux plaisirs, n'écouta que des flatteurs, & se jetta dans des dépenses excessives, qu'il voulut soutenir par toutes sortes de voies ; ce furent là les causes de sa ruine. On lui reproche justement la mort du comte d'Arundel, du comte de Warwick, du duc de Glocester son oncle. Dès que les mécontens irrités se virent assez forts pour le détrôner, ils appellerent à leur tête le duc de Lancastre, qui surprit Richard dans un château où il s'étoit réfugié, & l'obligea de résigner sa couronne. Le parlement accepta cette démission, & nomma roi le duc de Lancastre. Richard fut enfermé dans la tour de Londres, & bientôt après conduit à Pont-Fraet, où il mourut d'une mort violente, dont le peuple crut que le duc de Lancastre son successeur n'étoit pas innocent. (D.J.)
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PONT-L'ÉVÊQUE | (Géog. mod.) petite ville de France, en Normandie, sur la Touque, à 10 lieues de Caën, à 7 de Pont-Audemer, à 4 de Lisieux, à 3 de Honfleur & de la mer. Elle est toute ouverte, sans murailles ni forteresse. Il y a bailliage, vicomté, élection, maîtrise des eaux & forêts, gouverneur, lieutenant de police, maire, & autres officiers de ville. Son église paroissiale, dédiée à saint Michel, est assez bien bâtie. Son territoire consiste principalement en herbages & en prairies, où l'on nourrit du gros bétail. Son élection comprend 138 paroisses. Long. 47d. 48'. lat. 49''. 16'.
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PONT-LEVIS | dans la Fortification, est une partie du pont par lequel on entre dans la place ou dans quelques-uns de ses dehors, laquelle partie touche immédiatement la partie extérieure du rempart, & qui se leve & se baisse ainsi qu'on le veut pour boucher ou fermer le passage de la porte.
La partie du pont dont est retranchée le pont-levis se nomme pont-dormant, à cause de sa situation fixe & immobile.
Il y a des pont-levis à bascule & à fleches.
Les ponts-levis à bascules sont composés d'une espece de chassis, dont une partie est dessous la porte, & l'autre en-dehors. Cette partie qui est en-dehors se nomme le tablier du pont : c'est elle qui forme proprement le pont-levis. Ce pont se meut sur une espece d'axe ou essieu, ensorte qu'en baissant sa partie qui est sous la porte, celle qui joint le pont dormant s'éleve & bouche la porte, & qu'en élevant ensuite cette partie, l'autre s'abaisse pour se réunir avec le pont dormant & former le passage ou l'entrée de la place ou de l'ouvrage auquel le pont appartient.
La partie du pont qui est sous la porte se baisse dans une espece de cage ou d'enfoncement, pratiquée à cet effet, qu'on nomme par cette raison la cage de la bascule.
Les ponts-levis à fleches sont ceux qui se meuvent par le moyen de deux pieces de bois suspendues en bascule au haut de la porte, & auxquelles le pont est attaché avec des chaînes de fer par sa partie qui tombe sur le pont dormant. Ces pieces de bois se meuvent sur une espece d'essieu placé sur le bord extérieur de la porte ; elles sont appellées fleches, ce qui a fait donner ce nom aux ponts-levis, où elles sont employées. A la partie extérieure des fleches, c'est-à-dire à leur extrêmité sous la porte, il y a des chaînes attachées qui servent à tirer cette partie des fleches en-bas pour faire lever le pont ; ce pont étant levé, il couvre la porte comme dans les ponts à bascule & le passage ou l'entrée de la ville se trouve alors interrompue & la porte bouchée.
On ne fait plus de ponts-levis à fleches aux places neuves, parce que les fleches font voir de loin quand le pont est levé ou baissé, & que le canon de l'ennemi peut facilement le rompre, & faire ainsi baisser le pont sans que ceux de la place puissent l'empêcher : un autre défaut encore de ces ponts, c'est qu'ils obligent de couper les plus beaux ornemens du frontispice de la porte pour loger les fleches.
Il y a encore une autre espece de pont-levis qu'on a pratiqué à Givet & à Toul, dont les fleches par la disposition du pont ne sont pas vûes de la campagne. On nomme cette espece de pont-levis ponts à zigzague. On en trouve de cette maniere à Hambourg & à Lubec. Il y a apparence que ceux qui l'ont proposé en France, en avoient pris l'idée de ceux de ces villes ; car ils sont beaucoup plus anciens que ceux qui ont été construits en France selon cette méthode. Voyez sur ce sujet le livre de la science des Ingénieurs, par M. Bélidor, & l'article capit. PONT. (Q)
PONT ou TILLAC, (Marine) c'est un des étages du vaisseau. Les plus grands vaisseaux de guerre n'ont que trois ponts à cinq piés de hauteur l'un sur l'autre. Les frégates de guerre n'en ont que deux. Le premier pont est celui qui est le plus près de l'eau. Cela est ainsi entendu parmi les Charpentiers, quoique quelques officiers entendent que le premier pont est celui qui est le plus élevé, & qu'ils appellent second ou troisieme pont, selon qu'il y a deux ou trois ponts dans un vaisseau, celui qui regne sur le fond de cale. Il est certain cependant qu'on donne le nom de premiere batterie à celle qui est sur le pont le plus bas, & le nom de seconde à celle qui est au-dessus ; desorte qu'il semble qu'il faut donner le nom de premier pont à celui d'en-bas qu'on nomme aussi franc-tillac. Chaque pont est soutenu par des poutres appellées baux ou barrost. Voyez BAUX.
Premier pont ou franc-tillac. C'est le pont qui est le plus près de l'eau à un vaisseau qui a plusieurs ponts.
Second pont. C'est le pont qui est au-dessus du premier pont.
Troisieme pont. C'est le pont le plus haut du vaisseau, lorsqu'il est à trois ponts. Voyez Pl. V. fig. 1. coupe d'un vaisseau dans sa largeur où l'on voit le premier & le second pont.
Faux-pont. C'est une espece de pont fait à fond de cale pour la commodité & pour la conservation de la charge du vaisseau, ou pour loger les soldats. Voyez FAUX-BAUX.
Pont-volant. C'est un pont de vaisseau qui est si léger qu'on ne sauroit poser de canon dessus.
Pont de cordes. C'est un entrelacement de cordages dont on couvre tout le haut du vaisseau en forme de pont. Il n'y a guere que les vaisseaux marchands qui portent cette sorte de pont. Il sert à se défendre contre les ennemis qui viennent à l'abordage, parce que de dessous ce pont on perce aisément à coups d'épée ou d'esponton ceux qui ont sauté dessus.
Pont-coupé. C'est celui qui n'a que l'accastillage de l'avant & de l'arriere, sans regner entierement de proue à poupe : ainsi le pont coupé est le contraire du pont courant devant l'arriere.
Vaisseau à pont coupé, pont courant devant arriere, c'est-à-dire qu'il est entier à la différence des ponts coupés.
Pont à caillebotis ou à treillis. Ces sortes de ponts sont affectés aux vaisseaux de guerre, pour laisser évaporer la fumée du canon.
Pont à rouleaux, sur lequel on fait passer des bâtimens d'une eau à l'autre par le moyen d'un moulinet.
Pont de bateaux. Ce sont des bateaux qu'on joint ensemble par divers moyens pour passer une riviere.
PONT, terme de fonte de cloche, c'est une des anses de la cloche qui n'est point recourbée, qui sort du milieu du cerveau de la cloche, & à laquelle les autres anses viennent se joindre par le haut. Voyez l'article FONTE DES CLOCHES, & les fig. 4. & 5. Planche de la fonderie des cloches ; c'est le pont dans la premiere figure.
PONT, terme d'Horlogerie, espece de coq ou de potence, qui sert à porter les roues d'une pendule ou d'une montre, qui, par leur position, ne pourroient rouler dans les platines ou sur des chevilles placées sous le cadran. Voyez nos Planches d'Horlogerie & leur explication.
PONT-LEVIS, en terme de Manege, se dit du désordre & de la désobéissance du cheval, quand il se cabre plusieurs fois, & se dresse si haut sur les jambes de derriere, qu'il est en danger de se renverser & de renverser le cavalier. Ce cheval est dangereux à monter, à cause des ponts-levis qu'il fait souvent. Il faut rendre la main au cheval qui fait des ponts-levis. Les chevaux ramingues sont sujets à doubler des reins, & à faire des ponts-levis. Voyez RAMINGUE.
PONT, (Rubanier) c'est une planche de la largeur du métier attachée sur deux montans d'un pié environ de haut ; il se met au bout du métier du côté du siege, il sert comme d'échelon à l'ouvrier pour monter sur le métier ; il sert encore à recevoir dans la cavité la broche où sont enfilées les marches, les bouts de cette broche entrent dans deux trous faits aux montans, au moyen de quoi les marches se trouvent un peu élevées de terre.
PONT, le (Mythol.) c'est le nom qu'Hésiode & d'après lui bien d'autres écrivains donnent à la mer. Ce poëte en fait un dieu né de la Terre, & qui s'allia ensuite avec elle, & en eut plusieurs enfans. Nérée est le premier de tous, vieillard vénérable & ennemi du mensonge, qu'on appelle vieux à cause de sa douceur, & parce qu'il aime la justice. Le second fils de la Terre & du Pont fut Thaumas. Eurybie fut le troisieme fruit de cette alliance. Il est inutile d'entrer dans d'autres détails, dont l'explication est également inintelligible. (D.J.)
PONT DE VAROLE, pons Varolii, en terme d'Anatomie, est le dessus d'un conduit qui se trouve dans le troisieme ventricule du cerveau, situé dans le cervelet, & qui va à l'entonnoir. Voyez nos Planches anatomiques & leur explication. Voyez aussi CERVEAU, VENTRICULE, ENTONNOIR, &c.
On l'a ainsi appellé de Varole, médecin italien qui florissoit dans l'université de Padoue vers l'an 1572, & qui en a fait la découverte.
D'autres Anatomistes ont aussi comparé les grosses branches de la moëlle allongée à deux rivieres, & la protubérance à un pont sous lequel passoit le confluent des deux rivieres, & lui ont donné le même nom. Voyez PROTUBERANCE.
PONT, LE (Géog. anc.) Pontus ou regio pontica, est une grande région de l'Asie mineure le long de la côte méridionale du Pont-Euxin, qui forme aujourd'hui la bande septentrionale de la Natolie. Cette contrée se portoit depuis le fleuve Halys jusqu'à la Colchide, & elle prenoit son nom du Pont-Euxin. Pline & Ptolémée joignent le pont avec la Cappadoce.
On a aussi donné au Pont le nom de royaume de Mithridate. Cependant le royaume de Mithridate étoit d'abord d'une bien moindre étendue que le Pont : il s'accrut peu-à-peu, & à la fin il s'étendit même audelà des bornes du Pont.
Ptolémée n'a décrit le Pont que de la maniere dont il étoit sous les empereurs : il le distingue en trois parties, & donne à chacun le nom de Pont, & point celui de Cappadoce. Il appelle la partie occidentale du Pont, le Pont Galatique, la partie orientale, le pont de Cappadoce ; & celle du milieu, le pont Polémoniaque.
L'origine de la premiere division du Pont vint de Marc-Antoine, qui ayant eu l'orient dans le partage des terres de la république entre les triumvirs, fit divers changemens dans les royaumes, & dans les provinces. Il donna premierement le Pont à Darius, fils de Pharnace, comme nous l'apprend Appien, Civil. l. V. Ensuite il le donna à Polemon, qui, dans le tems qu'Antoine marcha contre les Medes, regnoit dans le Pont, selon le témoignage de Dion Cassius, l. XLIX. p. 407. La veuve de Polémon, nommée Pithodoris regnoit dans ce pays du tems de Strabon, qui fait, l. XII. l'éloge de cette reine. Caligula rendit à Polémon, fils de cette princesse, le royaume qu'avoit possédé son pere ; & de son consentement, Néron en fit une province romaine, comme le disent Suétone, ch. viij. & Eutrope, liv. VII. ch. ix.
Les bornes de ce royaume que posséderent les deux Polémons & Pythodoris, n'avoient pas la même étendue que le Pont polémoniaque que décrit Ptolémée ; ce dernier est beaucoup plus resserré. En effet, Strabon, l. XII. dit que Pythodoris possédoit le pays des Thibarènes & celui des Chardéens jusqu'à la Colchide, avec les villes de Pharmacia & de Traperante que Ptolémée place dans le Pont cappadocien.
Il faut ainsi que du tems de Ptolémée la division des provinces romaines fût différente ; car il divise tellement le Pont, que le Pont galatique comprenoit sur la côte du Pont-Euxin la ville de Thémiscyre, & dans les terres Sébastopolis, Amasia, & Comana Pontica. Le pont polémoniaque renfermoit sur la côte l'embouchure du Thermodonte, Polemonium & Eotyorum ; & dans les terres Néocésarée, Zela, Sébaste, & Mégalassus : enfin le Pont cappadocien comprenoit sur la côte Pharnacie, Cerasus & Traperus, & dans les terres, Cocalia, Cordyle, Trapezusae, Asiba, & quelques autres lieux peu connus. Cette division ne fut pas même constante depuis Ptolémée. A la vérité le nom de Pont polémoniaque se conserva, mais on y comprit d'autres villes, comme Néocésarée, Comana, Posemonium, Césarus, Trapezus, qui sont les cinq seules villes que les notices épiscopales mettent dans cette province.
Nicomède, roi de Bithynie, en mourant, ayant fait don de ses états au peuple romain, son royaume fut réduit en province romaine, que l'on appella la province du Pont, provincia Ponti, ou provincia pontica. Les Romains n'en tirerent pourtant grand fruit, que lorsque Mithridate, qui avoit fait alliance avec Sertorius, pour s'emparer de la Bithynie, eût été défait par Lucullus. Mais après que la guerre de Mithridate fut finie, Pompée augmenta la province du Pont d'une partie du royaume de ce prince, & des terres dont il s'étoit emparé.
Enfin Auguste ajoûta à cette province la Paphlagonie, lorsque la race de ses rois fut éteinte en la personne de Déjotarus Philadelphe. Mais quoique cette province fût ainsi accrue, elle ne laissa pas de conserver encore son ancien nom, en même tems qu'on l'appelloit province du Pont, ou province Pontique. Le premier nom lui est donné par Pline le jeune, l. IV. p. 9. & le second dans une inscription conservée à Milan. C'est cette même Bithynie avec ses accroissemens que gouverna Pline le jeune ; & par ses lettres à Trajan, on peut juger quelles étoient les bornes de cette province ; car il les étend depuis la ville de Chalcédoine jusqu'à celle d'Amisus.
Ptolémée a décrit toutes les villes du Pont galatique, Polémoniaque & Cappadocien, qui étoient de son tems sur la côte du Pont-Euxin, & dans les terres. Les notices ecclésiastiques ne connoissent que deux provinces du Pont ; savoir la province du Pont ou de Bithynie, & la province du Pont Polémoniaque.
On a aussi transporté le nom de Pont à cette partie de la Scythie européenne qui borde la mer Noire au couchant, au-dessus & au-dessous des bouches du Danube. La capitale du Pont en Asie s'appelloit Heraclea Mariandynorum, aujourd'hui Penderachi.
M. Vaillant a composé une histoire des rois de Pont, qui quoique instructive, ne peut être regardée que comme une ébauche très-imparfaite. Polybe en parlant des rois de cette contrée de l'Asie, dit qu'ils faisoient remonter leur origine jusqu'à l'un des seigneurs persans qui conspirerent contre le mage Smerdis ; mais aucun de tous ces rois n'a fait plus de bruit dans le monde que le grand Mithridate, qui monta sur le trône à l'âge d'environ 13 ans, l'an 123 avant J. C. Voici le portrait qu'en fait Velleius Paterculus, c'est un portrait de main de maître, je n'en connois point de plus beau. Mithridatus rex Ponticus, vir neque silendus, neque dicendus sine curâ, bello acerrimus, virtute eximius ; aliquando fortuna, semper omnino maximus ; consiliis dux, miles manu, odio in Romanos Annibal. (D.J.)
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PONT-ORSON | (Géog. mod.) en latin du moyen âge, Pons ursonis ; petite ville de France dans la basse Normandie, sur le Couesnon, aux confins de la Bretagne, à 3 lieues au sud-est d'Avranches, & à deux au midi du mont Saint-Michel. Louis XIII. après la prise de la Rochelle, la fit démanteler ; elle servoit autrefois de boulevard contre les Bretons. Long. 16. 8'. 13''. lat. 48. 34'. (D.J.)
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PONT-SAINTE-MAIXENCE | (Géog. modern.) petite ville de l'île de France, sur l'Oise, au diocèse de Beauvais, à deux lieues de Senlis. On y passe la riviere sur un pont fort caduc, pour entrer en Picardie ; cependant la ville est marchande, peuplée, & forme un gouvernement particulier. Long. 20. 14'. lat. 49. 18'.
Cette petite ville s'appelloit Sancta-Maxentia du tems de l'auteur des gestes de nos rois de la premiere race, qui dit qu'Ebroin, aussi-tôt après la mort du roi Childéric, vint à Sainte-Maixence, y tua les gardes du pont, & passa au-delà du côté d'Amiens. Il y a apparence que c'est le plus ancien des passages de l'Oise avec Pontoise, & qu'il est plus ancien que celui de Creil & de Beaumont. Ce pourroit être celui que tenoient les troupes romaines lorsqu'elles venoient de Beauvais ou Amiens à Senlis. Une vierge chrétienne appellée Maxentia, y souffrit le martyre dans le tems des persécutions. Il y a sur la route de Senlis une chapelle sous son invocation ; cette chapelle a été rebâtie & dédiée en 1706.
Pont-Sainte-Maixence est la patrie de Guérin, chevalier de l'ordre de S. Jean de Jérusalem, évêque de Senlis, & chancelier de France sous le regne de Philippe-Auguste. Les historiens de son siecle lui donnent la principale gloire de la journée de Bouvines, où il rangea l'armée du roi en bataille en qualité de lieutenant général ; mais en qualité d'évêque de Senlis, il se mit en prieres dans l'oratoire du roi pendant tout le tems que dura le combat. (D.J.)
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PONT-SUR YONNE | (Géog. mod.) petite & chetive ville de France au diocese de Sens, aux confins de la Champagne & du Gatinois, sur la gauche de l'Yonne qui lui donne son nom, & à 3 petites lieues de la ville épiscopale. Long. 20. 58'. latit. 48. 13'.
Ce lieu n'est pas si moderne qu'on le croit ; car, dans la vie de S. Loup, archevêque de Sens, il y est nommé Pons Syriacus, & dit être à la distance de dix-sept mille pas de la ville de Sens ; de plus, le nécrologe, manuscrit du X. siecle de la cathédrale de Sens, appelle aussi cet endroit Pons Syriacus. (D.J.)
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PONT-SUR-SEINE | (Géog. mod.) en latin moderne Pons ad Sequanam, petite ville de France dans la Champagne sur la Seine, à 8 lieues de Troyes, & à 23 au sud-est de Paris. Le surintendant Bouthillier de Chavigni y a fait bâtir un beau château, qui est du dessein & de l'exécution de le Muet, un des habiles architectes françois de son tems. Long. 21. 12'. latit. 48. 26'. (D.J.)
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PONTAC | (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Béarn, recette de Pau. Longit. 17. 9'. latit. 43. 13 '.
Cette ville florissoit du tems d'Henri IV. & a donné la naissance à Jean de la Placette, ministre calviniste, sage & éclairé, mort à Utrecht en 1718, à 81 ans. Ses ouvrages de morale, qu'il a publiés sous le nom d'essais, & qui forment douze volumes in-12. sont également estimés des Protestans & des Catholiques. On fait cas particulierement de son traité de la conscience, de celui de la restitution, de son traité des jeux de hasard, & de son traité du serment. Enfin sa morale chrétienne abrégée est encore un très-bon livre ; la meilleure édition est de 1701, in-8°. (D.J.)
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PONTAL | (Géog. mod.) c'est ainsi qu'on appelle le vaste canal qui sert de port à Cadix ; car l'espace qui est devant la ville & qui s'étend jusqu'au port de Ste Marie, ne peut être regardé que comme la partie intérieure & la plus saine d'une baie, dont l'entrée est entre Rota & la pointe de S. Sebastien, & qui est partagée en deux parties par les rochers appellés los Puertos. L'entrée du port du Pontal paroît large d'environ 500 toises. Elle est défendue par deux forts bâtis sur deux pointes de terre & de rochers, qui s'avancent à la mer vis-à-vis l'un de l'autre. Le fort du côté de Cadix s'appelle aussi le Pontal ; mais quand les Espagnols parlent de tous les deux, ils les appellent los Pontales. (D.J.)
PONTAL ou CREUX D'UN NAVIRE, (Marine) pontal se dit sur la Méditerranée, & creux sur l'Océan. Voyez CREUX.
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PONTANNIER | S. m. (Commerce) celui qui perçoit sur les marchandises un droit de pontenage. Voyez PONTENAGE.
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PONTARLIER | (Géog. mod.) autrefois Pont-Elie, ville de France, dans la Franche-Comté, sur le Doux, près du mont Jura, ou mont Joux, au passage le plus commode pour passer de France en Suisse. Il étoit déja très-important du tems de César, qui le décrit au premier livre de ses commentaires de la guerre des Gaules, c. vj. Ce passage est aujourd'hui défendu par un château, situé sur un rocher presque inaccessible, à demi-lieue de Pontarlier, & qu'on nomme le château de Joux, du mont Jura ou Joux. La ville de Pontarlier est le siege d'un bailliage & d'une recette ; on y compte environ deux mille habitans. (D.J.)
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PONTE | S. f. (terme d'Oiselier) ce sont les oeufs que pondent les oiseaux ; ce mot se dit aussi des tortues.
PONTE, s. m. (terme de Jeu) se dit, au pharaon & à la bassette, de tout joueur différent du banquier, c'est-à-dire, qui ne taille pas. Voyez BASSETTE, PHARAON, &c.
PONTE, au jeu de quadrille, c'est la quatrieme carte en rouge, c'est toujours l'as de coeur ou de carreau ; ponte enleve le roi, la dame, & ainsi des autres.
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PONTÉ | S. m. (terme de Fourbisseur) c'est la partie de l'épée qui couvre le corps de la garde ; ainsi on dit une garde d'épée à ponté.
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PONTE-DE-LIMA | (Géog. mod.) petite ville de Portugal, dans la province entre Duero-e-Minho, sur la riviere de Lima, qu'on y passe sur un pont, à trois lieues de Viana, à six lieues au nord-ouest de Braga, & à soixante-huit au nord de Lisbonne. Long. 9. 25. latit. 41. 37. (D.J.)
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PONTE-DI-LIMOSANO | (Géog. mod.) pont de pierre antique, bâti dans le comté de Molise au royaume de Naples, où on conjecture avec beaucoup de vraisemblance qu'étoit le Tiferinum oppidum des anciens. Ce fut Antonin le Débonnaire qui fit bâtir ce pont de pierre, sur un des piliers duquel on découvrit en 1724 l'inscription suivante :
Imp. Caesari Divi Hadriani Fil. Divi Trajani-Parthici Nap.
Divi Nervae. Pron. T. Aelio
Hadriano Antonio Augusto, Pio. Pont. Max.
Trib. Pot. III. Cos. III.
P. P.
A Parius Q. F. Vol. Sevir Ob. Honor. Quinquen.
De H. S. IIII.
M. N. Ex D D.
Cujus dedicas epulum dedit Decur. Et Augustal. Sing.
h. S. III. Plebi H. S. II. N.
(D.J.)
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PONTE-FELL | ou PONTEBA, (Géog. mod.) petite ville, située aux frontieres de l'Italie & de la Carinthie, sur les bords de la riviere Fella qui sépare les terres de l'empereur de celles des Vénitiens. L'on ne peut pas passer plus vîte d'un pays à un autre qu'on y passe dans cette ville, car d'un côté du pont demeurent les Italiens sujets de la république de Venise, & de l'autre sont les Allemands qui obéissent à l'empereur ; c'est le passage le plus aisé des Alpes : Lazius croit que c'est l'ancien Julium carnicum. Long. 30. 46. latit. 46. 35. (D.J.)
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PONTE-STURA | (Géog. mod.) bourgade d'Italie, dans le Montferrat, au confluent de la Stura & du Pô, à quatre milles sud-est de Casal, & à dix sud-ouest de Verceil. Long. 25. 56. latit. 45. 7. (D.J.)
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PONTE-VEDRA | (Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la Galice, à l'embouchure de la petite riviere du Leriz dans la mer. Quelques auteurs croient que c'est l'Hellenes de Strabon. Ses habitans vivent du débit des sardines, dont il s'y fait une pêche abondante. Long. 29. 27. latit. 42. 20. (D.J.)
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PONTE-VICO | (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg d'Italie, dans l'état de Venise, au Bressan, avec un petit port, sur l'Oglio. (D.J.)
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PONTEAU | Se d'une piece du métier d'étoffe de soie. Le ponteau n'est autre chose qu'un bois rond, échancré, ou coché à chaque bout, qui sert à fixer & arrêter le bois du métier pour le rendre solide : pour cet effet, on en met un certain nombre qui touchent d'un bout à l'estase du métier, & de l'autre au plancher contre quelque solive, & on les fait entrer de force pour buter les uns contre les autres.
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PONTELER | v. act. (Soierie) poser les ponteaux, pour monter la charpente du métier.
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PONTENAGE | S. m. (Jurisprud.) est une espece de péage qui se paye au roi ou à quelqu'autre seigneur, pour les personnes, les bêtes, voitures & marchandises qui passent sur un pont ; il est appellé pontaticum dans les anciens titres. Voyez les coutumes d'Amiens, de Bearn & de Péronne ; l'ordonnance de Charles VI. de l'an 1413, art. ccxlv. & le gloss. de M. de Lauriere. (A)
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PONTENIER | S. m. (Officier de Pontenage) c'est celui qui est commis par un seigneur pour percevoir les droits de pontenage, sur les marchandises qui y sont sujettes au passage des rivieres.
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PONTES | (Hist. rom.) ce mot dans l'histoire ne désigne pas, comme M. de S. Réal le pensoit, des tables hautes & étroites, où l'on donnoit les suffrages dans les assemblées publiques ; mais c'étoient réellement de véritables ponts faits de planches. Il y en avoit un pour chaque tribu, ou pour chaque centurie, selon que l'assemblée étoit formée ; & tous les citoyens passoient sur ces ponts pour donner leurs suffrages. On leur remettoit deux bulletins à l'un des bouts ; & lorsqu'ils étoient à l'autre, ils jettoient dans une corbeille le bulletin qu'ils vouloient. Il faut savoir que l'un de ces bulletins avoit une marque pour approuver, & c'étoit la premiere lettre de ces deux mots, uti rogas, qui veulent dire soit fait ; & l'autre pour refuser, étoit marqué de la premiere lettre du mot antiguo, qui veut dire j'abolis. De-là vint le proverbe, de ponte dejicere, priver du droit de suffrage.
Pour éviter la confusion & les tromperies, on avoit fait ces ponts fort étroits, desorte qu'il n'y pouvoit passer que peu de monde à la fois. Marius même les fit encore retrécir de son tems ; enfin on y préposa du monde pour maintenir l'ordre & la regle. Mais dans la décadence de la république, toutes ces précautions n'aboutirent à rien. Ciceron dit dans une de ses lettres, que les coupe-jarrêts de Clodius, pour empêcher le peuple d'autoriser la proposition que le sénat lui avoit faite, s'emparerent des ponts en question, & ne fournirent à ceux qui devoient donner leurs suffrages que les bulletins qui marquoient le refus. Ainsi allerent les affaires de Rome, jusqu'à ce que toute liberté fut détruite par la puissance des empereurs. (D.J.)
PONTES, (Hist. nat. Minéral.) c'est ainsi qu'on nomme dans les mines de France la roche qui sert de couverture, & celle qui sert d'appui à un filon ou veine métallique. Celle qui est au-dessus se nomme ponte courante ; celle qui est au-dessous se nomme ponte couchante. Quelquefois la premiere s'appelle le toît de la mine, & la seconde le sol ou le plancher. Voyez MINE.
PONTES, (Géog. anc.) 1°. ville d'Angleterre. L'itinéraire d'Antonin la met sur la route de Regnum à Londres, entre Calleva Attrebatum (Henley), & Londres, à 18 milles du premier de ces lieux, & à 22 milles du second : c'est aujourd'hui Colebrook, qui tire son nom de la riviere Cole qui se partage en quatre bras, sur chacun desquels il y avoit un pont ; & ces quatre ponts sont l'origine de l'ancien nom pontes. M. Thomas Gale (Antonin. itiner. Brit. pag. 107.) de qui est cette remarque, avertit que l'itinéraire d'Antonin est fautif dans les milles, pour la position de Pontes. L'erreur vient de ce qu'il ne marque que 18 milles entre Calleva Attrebatum & Pontes, au lieu qu'il devoit en mettre 22. 2°. ville de la Gaule Belgique. L'itinéraire d'Antonin la place sur la route de Lyon, entre Ambiani & Gessoriacum, à 36 milles du premier de ces lieux, & à 39 milles du second. (D.J.)
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PONTHIEU | LE (Géogr. mod.) en latin Pagus pontivus, contrée de France, dans la Picardie, avec titre de comté ; elle s'étend depuis la Somme jusqu'à la Canche. Son nom lui vient de la quantité des ponts qu'on y trouve. Hugues Capet, pour arrêter les courses des Danois & des Normands, sit fortifier l'an 992 Abbeville, & donna le gouvernement de tout le pays à un seigneur nommé Hugues. Voilà l'origine du comté de Ponthieu, qui fut réuni pour la deuxieme fois à la couronne par Louis XI. C'est un pays abondant en grains, fruits & pâturages. Il a aussi le commerce de la mer, & sa coûtume particuliere. Les lieux principaux du Ponthieu sont Abbeville, Montreuil & Saint-Valery.
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PONTIA | ou PONTIAE, (Géogr. anc.) île de la côte d'Italie, dans la mer de Toscane, vis-à-vis de la ville de Formies. Cette île étoit fameuse du tems des Romains, par le malheur de plusieurs personnes illustres qu'on y avoit envoyées en exil. L'empereur Tibere y relégua Néron ; Caligula y relégua ses soeurs. Cette île fut aussi choisie pour être le lieu de l'exil de divers martyrs, relégués principalement de la ville de Rome. L'empereur Domitien y relégua sainte Flavie Domitille.
En 1583 on bâtit quelques maisons dans cette île, qui étoit demeurée déserte depuis fort long-tems ; car anciennement elle avoit été peuplée par les Volsques ; elle avoit même eu le titre de colonie romaine. Jerôme Zurita (annal. aragon.) remarque que les Génois remporterent près de cette île une grande victoire le 5 Août 1435, sur l'armée d'Alphonse V. roi d'Aragon, qu'ils firent prisonnier, aussi-bien que Jean, roi de Navarre, son frere.
Cette île se nomme aujourd'hui Pouza, & les François l'appellent Ponce. Elle appartient à l'état ecclésiastique, & elle a appartenu autrefois aux ducs de Parme. Cette île est petite ; mais comme le terrein est bon, & que l'air est assez sain, on ne laisse pas de la cultiver. Il y a une grosse tour où les habitans se retirent quand il y a quelque chose à craindre de la part des corsaires de Barbarie, qui rodent souvent sur ces côtes.
2°. Pontia, ou Pontiae, est une autre île sur la côte d'Italie, dans la mer de Toscane, vis-à-vis de Velia, & dans le voisinage de l'île Ischia. C'étoit, à ce que nous apprend Strabon, liv. VI. & Pline, liv. III. ch. viij. l'une des îles Aenotrides.
3°. Pontia est encore le nom d'une île que Ptolémée, liv. IV. ch. iij. place sur la côte d'Afrique, près celle de Myfinus.
4°. Pontia étoit une ville d'Italie chez les Volsques près de Terracine, & qui étoit une colonie romaine, selon Tite-Live, liv. IX. ch. xxviij.
PONTIA, (Mythol.) Vénus avoit un temple dans le territoire de Corinthe, sous le nom de Vénus Pontia, c'est-à-dire Vénus qui présidoit à la mer, appellée chez les Grecs & les Latins pontus. La statue de la déesse étoit remarquable par sa grandeur & par sa beauté.
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PONTICA GEMMA | (Hist. nat.) nom donné par les anciens à une agate blanche remplie de taches rouges & noires, placées sans ordre.
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PONTICI | (Géogr. anc.) Pomponius Mela, liv. I. ch. ij. donne ce nom à divers peuples qui habitoient aux environs du Pont-Euxin, les uns à un bout, les autres à l'autre ; & que l'on comprenoit tous sous le nom général de Pontici. (D.J.)
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PONTIERE | S. f. (Gramm.) ouverture de l'intestin par lequel la poule, ou les oiseaux en général, rendent leurs oeufs.
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PONTIFE | GRAND PONTIFE, ou GRAND PRETRE, pontifex, (Théolog.) chez les Juifs c'étoit le chef de la religion & des sacrificateurs de l'ancienne loi. Aaron, frere de Moïse, fut le premier revêtu de cette dignité, qui fut remplie par ses descendans, & ensuite par d'autres juifs, pendant 1578 ans, jusqu'à la prise de Jérusalem par l'empereur Tite.
Le grand pontife étoit non-seulement le chef de la religion & le juge ordinaire des difficultés qui la concernoient, mais encore de tout ce qui regardoit la justice & les jugemens de la nation juive, comme il paroît par le chap. xviij. du Deuteronome, & par plusieurs passages de Philon & de Josephe. Lui seul avoit le privilege d'entrer dans le sanctuaire une fois l'année, qui étoit le jour de l'expiation solemnelle. Voyez EXPIATION.
Dieu avoit attaché à la personne du grand-prêtre l'oracle de la vérité ; ensorte que quand il étoit revêtu des ornemens de sa dignité & de l'urim & thummim, il répondoit aux demandes qu'on lui faisoit, & Dieu lui découvroit les choses cachées & futures. Il lui étoit défendu de porter le deuil de ses proches, pas même de son pere & de sa mere, d'entrer dans un lieu où il y auroit eu un cadavre, de peur d'en être souillé. Il ne pouvoit épouser ni une veuve, ni une femme répudiée, ni une courtisanne, mais seulement une fille vierge de sa race, & devoit garder la continence pendant tout le tems de son service. Voyez URIM & THUMMIN. Exod. xxviij. 30. IV. Reg. xxiij. 9. Levit. xxj. 10. Ibid. v. 13.
L'habit du grand pontife étoit beaucoup plus magnifique que celui des simples prêtres. Il avoit un caleçon & une tunique de lin, d'une tissure particuliere. Sur la tunique il portoit une longue robe couleur de bleu céleste, ou d'hyacinthe, en bas de laquelle étoit une bordure composée de sonnettes d'or & de pommes de grenade, faites de laine de différentes couleurs, & rangées de distance en distance les unes auprès des autres. Cette robe étoit serrée par une large ceinture en broderie. C'est ce que l'Ecriture appelle éphod. Il consistoit en deux rubans d'une matiere précieuse, qui prenant sur le col & descendant de dessus les épaules, venoient se croiser sur l'estomac, puis retournant par-derriere, servoient à ceindre la robe dont nous venons de parler. L'éphod avoit sur les épaules deux grosses pierres précieuses, sur chacune desquelles étoient gravés six noms des tribus d'Israel ; & par-devant sur la poitrine, à l'endroit où les rubans se croisoient, se voyoit le pectoral ou rational, qui étoit une piece quarrée d'un tissu très-précieux & très-solide, large de dix pouces, dans lequel étoient enchâssées douze pierres précieuses, sur chacune desquelles étoit gravé le nom d'une des tribus d'Israel. Quelques-uns croyent que le rational étoit double comme une poche ou une gibeciere, dans laquelle étoient renfermés l'urim & le thummim. La tiare du grand pontife étoit aussi plus ornée & plus précieuse que celle des simples prêtres. Ce qui la distinguoit principalement, c'étoit une lame d'or qu'il portoit sur le devant de son bonnet, sur laquelle étoient écrits ou gravés ces mots, la sainteté est au Seigneur. Cette lame étoit liée par-derriere la tête avec deux rubans qui tenoient à ses deux bouts. Voyez CIDARIS.
La consécration d'Aaron & de ses fils se fit dans le desert par Moïse, avec beaucoup de solemnités qui sont décrites dans l'exode, c. xl. 12. & dans le lévitique, viij. 1. 2. 3. &c. On doute si à chaque nouveau grand-prêtre, on réitéroit toutes ces cérémonies. Il est très-probable qu'on se contentoit de revêtir le nouveau grand-prêtre des habits de son prédécesseur ; quelques-uns pensent qu'on y ajoutoit l'onction de l'huile sainte. Voyez ONCTION.
PONTIFE, souverain (Hist. rom.) pontifex maximus, nom distinctif du chef du college des pontifes à Rome dans le tems du paganisme. On ne choisit dans les premiers tems que des patriciens pour remplir cette dignité, créée par Numa, mais environ l'an 500, on prit parmi les plébéiens, Tiberius Coruncanus ; il avoit été censeur, dictateur & consul avec P. Valerius Laevinus. L'an 473 il fut élu souverain pontife, selon l'usage dans les comices par tribus.
Les fonctions du souverain pontife consistoient, 1°. à régler le culte public, & ordonner les cérémonies sacrées : 2°. réformer le calendrier, & déterminer les jours consacrés au repos en l'honneur de quelque divinité, & ceux où il étoit permis de rendre la justice & vaquer aux affaires civiles : 3°. juger de l'autorité des livres qui contenoient des oracles, des prédictions ; & décider des circonstances où il étoit nécessaire de consulter ceux qu'il avoit jugés véritablement prophétiques : 4°. juger les prêtres & les prêtresses : 5°. dispenser des regles prescrites par la religion : 6°. connoître les différends en matiere de religion, & châtier les fautes contre les divinités adorées dans l'empire : 7°. recevoir les vestales : 8°. faire la dédicace des temples : 9°. offrir des sacrifices : 10°. assister aux jeux établis en l'honneur des divinités, &c.
Les grands-prêtres des Romains étoient obligés d'habiter une maison qui appartenoit à la république. On donnoit à cette maison le titre de maison royale, regia, parce que le roi des sacrifices, rex sacrorum, y avoit aussi son logement. Ils avoient la liberté de subroger un des autres pontifes en leur place, lorsque des raisons importantes les empêchoient de vaquer aux fonctions de leur ministere. Ils étoient dans l'usage de n'approcher d'aucun cadavre, lorsqu'ils devoient sacrifier, & ils se regardoient comme souillés lorsqu'ils en voyoient, ou en approchoient quelques-uns, quoiqu'il n'y eût cependant aucune loi qui leur en fît la défense.
La robe des souverains pontifes différoit de celle des autres pontifes, mais il seroit difficile de dire en quoi consistoit cette différence.
La liaison étroite qu'il y a toujours eu dans les états entre la religion & le gouvernement politique, fit penser aux empereurs romains que pour être maîtres absolus dans l'empire, il étoit nécessaire qu'ils fussent revêtus d'une dignité de laquelle dépendoit tout ce qui appartenoit au culte des dieux. Ils jugerent donc à propos de s'arroger le souverain pontificat, & de joindre pour jamais le titre de pontife souverain à celui d'empereur. La différence qui se trouva entre le souverain pontife des tems précédens, & l'empereur jouissant de cette dignité, c'est que du tems de la république, l'autorité du souverain pontife semble avoir été bornée à la ville de Rome & à sa banlieue ; mais l'autorité que les empereurs avoient relativement à cette dignité, ne paroît avoir eu d'autres bornes que celles de l'empire. Lorsqu'il arrivoit dans les provinces quelque fait qui intéressoit la religion, les gouverneurs avoient soin d'en informer l'empereur, & de lui demander ses ordres ; & le prince les donnoit, sans qu'il paroisse qu'il prît l'avis du college des pontifes.
Les élections des grandes prêtrises des provinces, qui se faisoient auparavant à la pluralité des voix dans les colleges sacerdotaux, ne se firent plus que par l'empereur, qui y envoyoit qui bon lui sembloit, Quelquefois même les empereurs laissoient ce soin aux gouverneurs des provinces ; quelquefois ils laissoient le college pontifical, même à Rome, choisir des juges, & nommer aux places sacerdotales, parmi leurs collegues, pour remplir celles qui venoient à y vaquer.
Du tems de la république, lorsqu'un citoyen vouloit en adopter un autre, il falloit auparavant qu'il consultât le college des pontifes, & ils décidoient s'il n'y avoit aucun empêchement religieux ou civil qui y mît obstacle. Tout cela fut changé sous les empereurs ; différentes lois du digeste & du code nous apprennent qu'alors il ne fut plus question de l'autorité du college des pontifes par rapport aux adoptions ; l'intervention de l'empereur ou d'un magistrat y fut substituée.
Plutarque prétendoit que le souverain pontife, du tems de la république, ne pouvoit sortir de Rome ; mais il y a lieu de croire qu'il se trompe ; il lui étoit seulement défendu de sortir de l'Italie. Pareille défense étoit aussi faite à tout le corps sacerdotal. Ainsi Fabius Pictor fut empêché d'aller en Sardaigne, parce qu'il étoit prêtre de Quirinus.
Pendant tout le tems de la république, on ne vit jamais deux souverains pontifes à la fois, & ce titre a continué d'être unique sous les premiers empereurs. Dans la suite on l'a rendu commun à tous les augustes qui régnoient ensemble : les médailles frappées à leur coin, les inscriptions gravées en leur honneur, nous l'ont appris depuis long-tems. Mais il y a une grande diversité d'opinions sur les empereurs qui ont commencé les premiers de partager le souverain pontificat : le sentiment général a été cependant depuis près d'un siecle, que cette nouveauté s'introduisit à l'avénement de Balbin & de Pupien à l'empire, c'est-à-dire que Balbin & Pupien prirent tous deux en même tems le titre de souverains pontifes. Leurs successeurs, lorsqu'ils ont gouverné ensemble, ont aussi pris la même qualité, sans excepter Constantin, quoiqu'il eût abandonné la religion de ses peres pour embrasser le Christianisme. On peut en dire de même de ceux qui lui succéderent, & entr'autres de Valentinien & de Valens.
La qualité de souverain pontife ne cessa d'être prise par les empereurs, que lorsque Gratien succéda à Valentinien son pere, l'an de J. C. 375. Les pontifes étant allés suivant l'usage, lui présenter la robe pontificale, il la refusa, ne trouvant pas qu'il fût permis à un chrétien de se revêtir de cet habillement. Il trouva le titre de souverain prêtre des cérémonies payennes incompatible avec la religion qu'il professoit ; & au lieu de réunir en sa personne le sacerdoce & l'empire, il refusa ce titre très-important, qu'à son exemple, ses successeurs laisserent aussi tomber.
PONTIFE, (Hist. rom.) pontifex ; les pontifes étoient ceux qui avoient la principale direction des affaires de la religion chez les Romains, qui connoissoient de tous les différends qu'elle occasionnoit, qui en régloient le culte & les cérémonies. Ils formoient à Rome un college qui dans la premiere institution faite par Numa, ne fut composée que de quatre pontifes pris du corps des patriciens ; ensuite on en adopta quatre autres choisis entre les plébéïens. Sylla le dictateur en augmenta le nombre jusqu'à quinze, dont les huit premiers prenoient le titre de grands pontifes, pontifices majores ; & les sept autres celui de petits pontifes, pontifices minores, quoique tous ensemble ne fissent qu'un même corps, dont le chef étoit appellé le souverain pontife, pontifex maximus. Mais le nombre des pontifes ne resta point fixe ; il y en eut tantôt plus, tantôt moins. Cette dignité étoit si considérable, qu'on ne la donna d'abord, comme on vient de le dire, qu'aux patriciens. Quoique les plébéïens eussent été consuls, & qu'ils eussent eu l'honneur du triomphe, ils en étoient cependant exclus. Decius Mus fut le premier de cet ordre qui parvint au sacerdoce, après avoir vivement représenté au peuple l'injustice qu'on lui faisoit en le privant de cet honneur. Depuis ce tems, il n'y eut plus de distinction entre les patriciens & les plébéïens, par rapport à cette dignité.
Plutarque tire l'étymologie du mot pontifes, du soin qu'ils avoient de réparer le pont de bois qui conduisoit au-delà du Tibre, & il combat le sentiment de Denis d'Halicarnasse, qui prétendoit qu'ils bâtirent ce pont ; parce que, dit-il, du tems de Numa, qui institua les pontifes, il n'y avoit point de pont à Rome.
Les pontifes étoient regardés comme des personnes sacrées ; ils avoient le pas au-dessus de tous les magistrats ; ils présidoient à tous les jeux du cirque, de l'amphithéatre & du théatre, donnés en l'honneur des divinités. Ils pouvoient se subroger un de leurs collegues, lorsque de fortes raisons les empêchoient de remplir leurs fonctions.
Leur habillement consistoit en une de ces robes blanches bordées de pourpre, qu'on appelloit praetextes, & que portoient les magistrats curules. (D.J.)
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PONTIFICAL | S. m. pontificale, (Théologie) livre où sont contenus les rits & les cérémonies qu'observent le pape & les évêques dans l'administration des sacremens de confirmation & d'ordre, dans la consécration des évêques & des églises, & autres fonctions réservées à leur dignité. On croit communément que le pontifical romain vient de saint Grégoire.
PONTIFICAL, adj. se dit des choses qui concernent un pontife, comme siege pontifical, habits pontificaux, &c.
PONTIFICAL, collége, (Antiq. rom.) le collége pontifical étoit composé chez les Romains, de ceux qui avoient la principale direction des affaires de la religion, qui connoissoient de tous les différends qu'elle occasionnoit, qui en regloient le culte, les cérémonies, & en expliquoient les mysteres.
Ce collége, dans sa premiere institution faite par Numa, ne fut composé que de quatre pontifes pris du corps des patriciens, ensuite on en adopta quatre autres choisis entre les plébéïens. Sylla le dictateur en augmenta le nombre jusqu'à quinze, dont les huit premiers prenoient le titre de grands pontifes, & les sept autres de petits pontifes, quoique tous ensemble ne fissent qu'un même corps, dont le chef étoit appellé le souverain pontife, pontifex maximus.
Ces pontifes étoient regardés comme des personnes sacrées ; ils avoient le pas au-dessus des magistrats ; ils présidoient à tous les jeux du cirque, de l'amphithéâtre, & du théâtre, donnés en l'honneur de quelques divinités. Quand il vacquoit une place dans ce collége, elle étoit remplie par celui dont le grand pontife faisoit élection à la pluralité des voix ; cependant son privilege ne dura que jusqu'au tems de la loi domitia, qui attribua au peuple assemblé le droit d'élire à la place vacante.
Mais ce droit a souffert bien des vicissitudes, selon les divers tems, & suivant la forme du gouvernement de l'état ; tantôt il a passé aux empereurs, & tantôt il a été rendu au collége des pontifes.
Anciennement le souverain pontife n'avoit dans son corps qu'une autorité à peu près pareille à celle qu'ont de nos jours les chefs des tribunaux & des cours souveraines. Il avoit à la vérité droit d'inspection & de correction sur tous les prêtres & prêtresses ; on s'adressoit à lui quand il s'agissoit de consulter le collége pontifical ; mais c'étoit au nom de ce collége qu'il en prononçoit les décisions, ce que Ciceron appelle, pro collegio respondere. S'il décidoit quelque chose de son chef, on pouvoit appeller de sa décision au collége pontifical assemblé ; & même lorsqu'il avoit prononcé à la tête du collége, la cause pouvoit encore être portée devant le peuple par appel.
Les choses changerent bien de face après que le souverain pontificat eut été uni à l'empire. Il est vrai que les empereurs avoient soin, lorsqu'ils vouloient affecter quelque apparence de modération & d'équité, de faire assembler solemnellement les pontifes, pour discuter avec eux les affaires dont la connoissance appartenoit à cet ordre, & pour prononcer comme leurs chefs les décisions faites en commun, mais le collége s'en remettoit le plus souvent à la volonté de l'empereur ; & plus souvent encore le collége pontifical s'adressoit à l'empereur pour lui demander sa décision sur les cas qui paroissoient douteux ou nouveaux.
Il est bien vrai que les empereurs laisserent au collége pontifical une autorité qui n'avoit pas toujours besoin de leur concours, pour permettre ou défendre certaines choses. C'est par cette raison qu'un affranchi de Trajan étant mort à Selinunte, ville de la Cilicie, ses os furent rapportés à Rome sur une permission accordée par les pontifes, ainsi que nous l'apprend une inscription recueillie par Gruter. L'empereur Vespasien fit aussi donner certains réglemens par le collége pontifical, & se servit du nom & de l'autorité de ce collége pour faire restituer le terrein d'une vigne publique usurpée par quelques particuliers : mais dans les mêmes circonstances on voit trop les empereurs agir uniquement de leur chef, & par conséquent on en peut conclure que le collége pontifical ne décidoit que des choses dont l'empereur vouloit bien lui laisser le soin. (D.J.)
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PONTIFICAT | S. m. (Hist. rom.) étoit chez les Romains la dignité dont étoient revêtus les chefs de l'ordre sacerdotal. Ils regloient les affaires de la religion, les disputes qui naissoient à son occasion, le culte, les cérémonies, & les mysteres. Ils avoient à leur tête un pontife, qui portoit le nom de pontifex maximus, souverain pontife. Voyez PONTIFE, NTIFE SOUVERAINRAIN.
PONTIFICAT, (Hist. des papes) c'est ainsi qu'on nomme la dignité papale, qui autrefois avoit besoin de la confirmation des empereurs, voyez PAPE ; & pour ne pas vous renvoyer séchement sans un petit mot sur le pontificat, j'ajouterai, d'après l'observation de M. de Marca, liv. VIII. ch. xiv. qu'autrefois la consécration des papes étoit toujours différée, jusqu'à ce que l'empereur eût donné son consentement, parce que sa confirmation étoit d'une absolue nécessité. Ce fut Louis-le-débonnaire qui le premier abandonna son privilége, en souffrant qu'Etienne V. & Paschal I. se missent en possession du pontificat sans attendre qu'il eût confirmé leur élection ; sur quoi Pasquier fait la remarque suivante : " Les Italiens, qui en s'aggrandissant de l'effet de nos dépouilles, ne furent chiches de belles paroles, voulurent attribuer ceci à une piété, & pour cette cause honorerent Louis du mot latin pius ; mais les sages mondains de notre France l'imputant à un manque & faute de courage, l'appellerent le débonnaire, couvrant sa pusillanimité du nom de débonnaireté ".
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PONTIGNY | (Géog. mod.) bourgade de France, dans la Champagne, sur les confins de la Bourgogne, à quatre lieues au nord d'Auxerre, sur la riviere de Serain, avec une riche abbaye réguliere de Cîteaux, & la seconde fille de l'ordre, fondée l'an 1114.
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PONTIL | S. m. (Verrerie) instrument de fer dont on se sert dans la fabrique des glaces qui se soufflent à la felle. Il est composé de deux pieces ; l'une est une forte baguette, ou verge de fer, longue d'environ cinq piés ; l'autre est une traverse aussi de fer, depuis huit jusqu'à dix-huit pouces de long, qui est attachée à l'une des extrêmités de la verge, & qui forme avec elle une espece de T. Le pontil sert à reprendre la glace quand on l'a coupée du côté opposé à la felle, afin qu'en ayant été détachée, elle tienne lieu de felle, pour reporter la glace au grand ouvreau, où elle doit être chauffée, afin d'en élargir le diametre. (D.J.)
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PONTILLER | v. a. (Verrerie) c'est se servir du pontil, pour reprendre la glace à l'opposite de la felle.
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PONTILLES | (Marine) Voyez EPONTILLES.
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PONTION | (Hist. nat. Botan.) racine qui croît dans les Indes orientales, & sur-tout sur la côte de Coromandel où vient la meilleure ; elle passe pour un excellent fébrifuge.
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PONTIVY | (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Bretagne, au diocèse de Vannes, dans les terres, sur la riviere de Blavet, entre Guemené & Rohan. Il y a dans cette petite ville une manufacture de toiles. Long. 14d. 54'. lat. 48d. 6'. (D.J.)
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PONTOIS | ou PONT-OYSE, (Géog. mod.) c'est-à-dire pont sur la riviere d'Oyse, en latin Brivisara, selon l'Itinéraire d'Antonin, & Brivaisara, selon la Table de Peutinger ; ville de France, capitale du Vexin françois, sur la riviere d'Oyse, qu'on passe sur un pont à 20 lieues au sud-est de Rouen, & à 7 au nord-ouest de Paris. Il y a un bailliage & une élection, une collégiale, une abbaye d'hommes de l'ordre de saint Benoît, plusieurs paroisses & communautés : l'archevêque de Rouen y tient un grand-vicaire.
Cette ville fut prise d'assaut sur les Anglois en 1442. Les états généraux y furent assemblés en 1561. Le parlement de Paris y a été transféré trois fois, savoir en 1652, en 1720, & en 1753 ; mais de telles translations ne peuvent jamais être de longue durée, parce que les affaires publiques en souffriroient un trop grand dommage. Long. 19d. 45'. lat. 49d. 3'.
Pontoise étoit autrefois appellé Briva-Isarae ; on sait que briva, breva ou briga dans la langue des Celtes signifioit un pont ; ainsi Briva-Isaurae, signifie pont sur Oyse. Les écrivains du moyen âge l'ont nommée Pons-Isarae, Pontisara, Pontisera, Pons-Juisae, Pons-Oesiae, Pontesia, &c. car le nom Isara, l'Oyse, fut changé en celui de Oesia, selon le témoignage de Vibius Sequester.
Cette riviere fut aussi appellée Inisa, comme nous l'apprenons de l'auteur de la vie de saint Ouen. Cet anonyme vivoit au commencement du huitieme siecle, & il assure que Thierry, roi de France, avec la reine & tous les grands, allerent conduire le corps de saint Ouen, mort à Clichy, près de Paris, jusqu'au pont de l'Oyse, usque ad pontem Inisae. Il ajoute que les prélats & le clergé ayant pris le corps du saint, le porterent à la ville du Vexin, ad oppidum Vulgassinum, qui est Pontoise, & de-là le convoi alla à Rouen, où le saint fut enterré.
La voie romaine, de Rouen à Paris, passoit par Pontoise ; l'ancienne chaussée a même subsisté jusqu'à ces derniers tems, entre Magny & Pontoise ; on la nomme encore la chaussée de César. On attribue assez ordinairement à Jules-César plusieurs monumens anciens de la Gaule, quoiqu'il n'ait aucune part à leur construction. Cette chaussée faisoit autrefois la séparation des anciennes châtellenies de Meulan, & de Chaumont-en-Vexin.
Philippe, duc de Bourgogne, quatrieme fils de Jean de Valois roi de France, naquit à Pontoise le 15 de Janvier 1341. Il fut blessé & fait prisonnier à la bataille de Poitiers l'an 1356, après avoir donné des marques d'un grand courage en combattant auprès de son pere. On sait combien sa rivalité avec le duc d'Orléans pour le gouvernement de l'état fut funeste au royaume. Il mourut à Hal le 26 d'Avril 1404, & laissa tant de dettes que sa veuve se crut obligée de frustrer les créanciers. " Ses meubles, dit M. le Laboureur, liv. XXIV. ch. ij. ne suffirent pas pour les payer ; & c'est ce qui fit faire à sa veuve ce que les plus chetives femmes ne font pas sans regret, non plus que sans injure, c'est-à-dire de se servir du privilege de la renonciation, pour se délivrer de toute demande ". Elle observa les cérémonies ordinaires dans cette renonciation, " car elle desceignit sa ceinture avec ses clés & sa bourse sur le cercueil de son mari ". Pontus Heuterus nous apprend que cet acte arrêtoit les intérêts, & ôtoit tout droit aux créanciers sur les meubles.
Cependant Philippe de Bourgogne n'avoit été adonné ni au jeu, ni au vin, ni à l'amour ; on ne trouve point qu'il ait eu ni de maîtresses, ni de bâtards ; mais il fit des dépenses folles pour entretenir des troupes, & pour fortifier des villes ; il suça le peuple à ce métier, & ruina ses créanciers pour enrichir d'autres personnes, sans justice & sans raison.
D'un autre côté, sa femme impérieuse lui rendit la vie dure & amere. Tandis qu'il ne trouvoit presque rien dans le royaume qu'il ne soumît à sa loi, non pas même le propre frere de son souverain, il se vit obligé de plier sous l'empire d'une femme orgueilleuse de son naturel, & par sa fécondité, & par son beau patrimoine. Il vérifia ce mot des anciens : " recevoir un bienfait, c'est perdre sa liberté ".
Cette femme, après la mort de son mari, tint sa petite cour à part, dit Mézerai, " mêlant bisarrement les voluptés & la dévotion, l'amour des lettres & celui de la vanité, la charité chrétienne & l'injustice : car comme elle se piquoit d'être vue souvent à l'église, d'entretenir des savans, & de donner la dixme de ses revenus aux moines ; elle faisoit gloire d'avoir toujours quelque galanterie, d'inventer de nouveaux divertissemens, & de ne payer jamais ses dettes ".
Il faut à présent nommer quelques hommes de lettres nés à Pontoise. Chevillier (André), bibliothécaire de Sorbonne, est du nombre : il étoit savant & charitable. Il mourut en Sorbonne en 1700, à soixante-quatre ans. On a de lui une Dissertation latine sur le concile de Chalcédoine, l'origine de l'Imprimerie de Paris in-4°. & quelques autres ouvrages peu importans.
Deslyons (Jean), docteur de Sorbonne comme Chevillier, fut doyen & théologal de Senlis, où il mourut le 26 Mars 1700, à quatre-vingt-cinq ans. Il est auteur de quelques ouvrages singuliers, & entre autres d'un intitulé, le paganisme du roi-boit. Il mit au jour d'autres ouvrages polémiques, qui péchent plus par des idées bisarres que par l'érudition. Enfin il alla jusqu'à se persuader que le monde alloit bientôt finir ; on lui auroit passé de croire que le monde alloit de mal en pis.
Duval (André), autre docteur de Sorbonne, mais qui en abandonna les principes, en soutenant les opinions des Ultramontains par la théologie qu'il publia, & par son traité intitulé, de supremâ romani pontificis in Ecclesiam potestate. Il mourut doyen de la faculté de Théologie de Paris en 1638, à soixante-quatorze ans.
Flamel (Nicolas), n'étoit point docteur de Sorbonne, mais si habile à acquérir du bien, qu'il est resté pour constant parmi quelques alchimistes, qu'il avoit trouvé la pierre philosophale, comme il le feignit lui-même, quand il craignit d'être recherché avec Jean de Montaigu, qui eut la tête tranchée en 1409. Ils s'enrichirent vraisemblablement l'un & l'autre dans les finances, & dans l'art de profiter des confiscations des Juifs. Pour racheter ses péchés il fit diverses fondations, comme à sainte Génevieve des Ardens, à saint Jacques de la Boucherie où l'on voit sa statue de demi-relief, & au cimetiere des Innocens, où l'on dit qu'il fut enterré avec sa femme nommée Perronelle.
Vaillant (Sébastien), très-habile botaniste, naquit près de Pontoise le 26 Mai 1660, & mourut le 26 Mai 1722. C'est M. Boerhaave qui a acheté de ses héritiers le Botanicum parisiense de Vaillant, & qui l'a fait imprimer à Ley de en 1727, in-fol.
Villon (François), ainsi qu'il se nomme lui-même dans ses poésies, & non pas Corbueil, comme l'ont écrit vingt auteurs depuis Fauchet, naquit selon plusieurs auteurs en 1431, à Auvers, près de Pontoise, & selon d'autres plus probablement, à Paris.
Quoi qu'il en soit, Villon avoit beaucoup d'esprit & un génie propre à la poésie ; mais se livrant sans mesure à son tempérament voluptueux, il se jetta impétueusement dans la débauche, & par une suite presque inévitable de la débauche, dans la friponnerie. Il en fit de si grandes qu'il fut condamné à être pendu par sentence du châtelet ; mais le parlement de Paris commua la peine de mort en celle de simple bannissement. Il est vraisemblable que son crime étoit quelque vol d'église, de sacristie, pour avoir dérobé les ferremens de la messe, & les avoir mussez soubs le manche de la paroece, ainsi que s'exprime plaisamment le satyrique Rabelais. Villon mourut vers la fin du quinzieme siecle ou le commencement du seizieme, soit à Paris, soit à Saint-Maixent en Poitou.
On a donné plusieurs éditions de ses Oeuvres ; la premiere est à Paris, chez Antoine Verard, sans date & en caractere gothique ; la seconde est à Paris chez Guillaume Nyverd, sans date également, & pareillement en caractere gothique ; ensuite chez Gaillot du Pré en 1532 & 1533, in-16. Enfin les deux meilleures éditions sont celles de Paris en 1723, chez Coustelier, in-8°. & à la Haye plus complete ment, en 1742, in-8°.
Les ouvrages de Villon consistent dans ses deux testamens, ses requêtes, des rondeaux, des ballades, &c. Le style simple, léger, naïf & badin en fait le caractere. Despréaux dit en parlant de ce poëte :
Villon sut le premier, dans ces siecles grossiers,
Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers.
(D.J.)
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PONTONNIER | S. m. (Marine) c'est un batelier qui tient un bac ou grand bateau pour traverser les rivieres aux lieux où les ports sont établis. On a dit autrefois pantonnier & pautonnier.
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PONTONS | C'est ainsi qu'on nomme dans l'Artillerie des bateaux qui joints ensemble à côté l'un de l'autre à une certaine distance, & couverts de planches, servent à former les ponts sur lesquels on fait passer des troupes & le canon, sur les fossés, canaux, fleuves ou rivieres. Voyez PONTS DE BATEAUX, SSAGES DES RIVIERESERES.
Il y a des pontons de différentes sortes ; il y en a qui sont de bois, fort légers, pour pouvoir être portés en campagne ; d'autres de bateaux d'osier poissé, & couverts de toile cirée ; d'autres de bateaux de corde, de fer blanc, & enfin de cuivre, qui sont les plus en usage à présent : ils se portent sur des haquets faits exprès.
Les Hollandois s'en sont servis de fer blanc ; on leur en prit de cette espece à la bataille de Fleurus.
Il y a encore des pontons de cuir bouilli. Ceux qui n'approuvent pas ces derniers pontons, dit M. le chevalier de Folard, prétendent que les vers s'y mettent aisément, que les souris s'en accommodent, & qu'ils se gersent par l'ardeur du soleil ou par la sécheresse ; mais on répond à cela, ajoute-t-il, qu'il seroit aisé de remédier à cet inconvénient, par le moyen d'une graisse qui pût les garantir de tous ces défauts. Suivant cet auteur, cette graisse est trouvée ; il en avoit le secret d'un des plus savans officiers généraux de l'Europe. Il est à souhaiter que ce secret, dont le service pourroit tirer de grands avantages, ne soit pas perdu. Voyez dans les mémoires d'artillerie de Saint-Remy, tome II. seconde edition, p. 366 & suivantes, les différentes dimensions des pontons. Ils sont voiturés à la suite des armées, sur des haquets construits pour cet effet. Le poids d'un ponton entierement construit, est d'environ 700 livres.
Ponton est encore un vaisseau dont il est fait mention dans les commentaires de César, & dans Aulugelle ; mais ces auteurs parlent d'un vaisseau quarré servant à passer les rivieres, & propre à recevoir les chevaux & voitures : c'est ce qu'on appelle maintenant bac. Le mot de ponton vient du latin ponto, qui signifie un bac. (Q)
PONTON, s. m. (Marine) c'est une machine dont on se sert quand on a quelques bras d'eau à passer. C'est proprement un pont composé de deux bateaux qui sont à quelque distance l'un de l'autre, & tous deux couverts de planches, ainsi que l'intervalle qui est entre deux. Ils ont des appuis & des garde-fous ; & la construction en est si solide, que cette sorte de pont peut transporter du canon & de la cavalerie.
Ponton, voyez BAC.
Ponton, c'est un grand bateau plat qui a trois ou quatre piés de bord, qui porte un mât, & qui sert à soutenir les vaisseaux quand on les met sur le côté pour leur donner la carene ; auquel effet, à défaut d'un pont, on peut se servir d'un vaisseau. Le ponton est garni de cabestans, de vis, & autres machines, qui servent à coucher & à relever les grands vaisseaux, à nettoyer les ports, en tirer la vase, les pierres, ancres, bris de vaisseaux, & autres choses qui les pourroient combler. Le ponton sert aussi à mâter, la machine à mâter n'étant même qu'une espece de ponton.
Les pontons ont ordinairement 60 piés de long, 16 piés & demi de large, & six piés & demi de creux.
PONTON à recreuser les canaux & les ports de mer. Les pontons destinés à cet usage sont de deux especes ; les plus simples servent seulement à diriger & à retrécir le passage d'une eau courante, pour l'obliger à entraîner des dépôts qui s'y seroient arrêtés. On les échoue à côté de l'endroit qu'on veut recreuser, & au-dessus, dans le lieu le plus propre à y jetter les eaux. Si leur action n'est pas encore assez grande, on peut l'augmenter par d'autres pontons placés à flot au-dessus du recreusement à faire, & chargés jusqu'à ce qu'ils tirent assez d'eau pour, en resserrant celle qui est dessous, lui donner une vîtesse suffisante. Le service de ces pontons est plus commode sur les ports de l'Océan que partout ailleurs, parce que la marée fournit un moyen aisé de les échouer pendant quelque tems, & de les remettre ensuite à flot pour les changer de place. Il seroit inutile d'entrer dans le détail de la maniere dont ils peuvent être construits ; leur usage suffit pour faire connoître ce qu'il y a de nécessaire dans la forme qu'ils doivent avoir.
Avec les pontons de la premiere espece, on n'employe d'autre agent que l'action de l'eau ; ainsi son courant est absolument nécessaire. Au contraire dans ceux de la seconde espece l'agent étant pris d'ailleurs, l'eau ne sert qu'à porter la machine, & son mouvement est plus incommode qu'utile. Un bateau plat soutient l'équipage nécessaire pour faire mouvoir deux grandes cuillers de fer qui se chargent alternativement des matieres à déblayer, & les vuident de même dans une barque destinée à les transporter. Ces machines sont d'un grand usage, sur tout dans les ports de la Méditerranée, & sur les canaux faits en Languedoc dans les étangs voisins de cette mer. Comme leur construction est bien plus compliquée que celle des premiers pontons, nous rapporterons la maniere dont on les fait dans le port de Cette. Ils different peu de ceux qu'on exécute à Toulon & à Brest, suivant les descriptions qu'en a données M. Belidor dans le dernier volume de son architect. hydraul. après celles des pontons de la premiere espece.
Le bateau a environ 54 piés de longueur de l'étrave à l'étambor ; sa plus grande largeur est de 20 piés, & le creux de cinq. Le tillac est bordé de chaque côté par 10 poteaux debout, couronnés à sept piés de haut par un cours de lisses ou de chapeaux de 46 piés de longueur, sans compter une saillie de six piés au-delà de la poupe, qui est soulagée par un onzieme poteau en décharge. Cette saillie est surmontée par une grosse piece de bois qui sert de grue, pour la manoeuvre de la cuiller ; son extrêmité porte une poulie de dix-huit pouces de diametre, sur neuf pouces d'épaisseur, serrée à la circonférence avec des bandes posées en-travers, & garnie au centre d'une boîte de cuivre qui reçoit un boulon de 20 lignes de grosseur.
Les deux cours de chapeaux sont entretenus par quatre traverses qui vont de l'un à l'autre ; ils portent deux roues à tympan, l'une de 26 piés de diametre, l'autre de 13, dont les centres sont à la même hauteur ; ensorte que la petite roue est en entier au-dessus du tillac, tandis que la grande descend jusqu'à quatre pouces du fond de cale, en traversant une écoutille de 22 1/2 piés de longueur, sur 6 1/2 piés de largeur.
L'aissieu de la grande roue est de bois ; il est placé à 23 piés de la poupe : sa grosseur est de 14 pouces ; & cependant comme il fait quelquefois un très-grand effort, indépendamment des lisses qui en portent les bouts, il est encore soulagé tout près de la roue de chaque côté, par un autre support en forme de chevalet, composé d'un chapeau & de trois poteaux, un debout, & deux en décharge. Les deux parties de l'aissieu qui sont de chaque côté de la roue entre les deux supports, sont grossies jusqu'à dix-huit pouces par un revêtement de planches reliées avec des cordages. Sur ces deux parties sont roulées en sens contraire deux chaînes de fer de 90 piés de longueur, dont chacune après avoir passé sur la poulie de la grue qui lui répond, se divise en deux branches de trois piés de longueur, pour s'attacher des deux côtés au devant de la cuiller, près de la traverse qui porte l'extrêmité de son manche.
L'aissieu de la petite roue est aussi de bois ; il est placé à 43 1/2 piés de la poupe ; il a 8 pouces de diametre, & 28 piés de longueur, ensorte qu'il excede de chaque côté d'environ quatre piés les lisses qui lui servent de support. Autour de ces deux parties en saillie sont roulés en sens contraire deux libans ou cordes de jonc d'environ deux pouces de diametre, nommées tire-arriere ; l'extrêmité de chacun de ces libans est attachée au milieu d'une chaîne de six piés de longueur, dont les bouts sont fixés des deux côtés derriere la cuiller, aux tiers de sa hauteur.
Sur la face extérieure de chaque lisse est attachée une galerie ou chassis de dix-huit pouces de saillie, & de 13 piés de longueur, porté par deux corbeaux assemblés, le premier au poteau qui est sous l'aissieu de la grande roue, & le second au troisieme poteau, à compter de la poupe. Ces galeries sont formées par deux jumelles qui laissent entr'elles un intervalle d'environ 9 pouces de largeur, dont la longueur est réduite à 10 piés par un rouleau placé près de chaque extrêmité : elles servent à contenir le manche de la cuiller, en lui laissant le jeu nécessaire.
Ce manche, qui est de bois, a environ 40 piés de longueur, sur 4 pouces de diametre au petit bout, & 10 pouces au gros bout par lequel il est attaché à la cuiller au moyen de deux mains de fer, l'une ronde, l'autre quarrée, scellées à deux travers de gros fer. Toutes les principales pieces de la cuiller sont de fer de même force ; le reste est un grillage de fer méplat, doublé de planches de peuplier. Sa coupe en long est un triangle rectangle de 4 1/2 piés de longueur, sur 3 1/2 piés de hauteur ; le derriere est un quarré long de 4 piés de largeur, sur 3 1/2 de hauteur, dont le tiers vers le haut est arrêté à demeure, & les deux tiers restans sont fermés par une porte suspendue à deux gonds, & accrochée dans le bas à un mantonnet par un gros loqueteau à ressort.
Un ponton, pendant le tems du travail, est monté de neuf hommes, un patron & huit matelots ; il est fixé au-dessus de l'endroit qu'on veut recreuser, par quatre amarres qui répondent à autant d'ancres ou d'arganaux. Six matelots marchent dans la grande roue pour la faire tourner : par ce mouvement la chaîne qui se roule sur l'aissieu fait avancer sa cuiller, tandis que l'autre chaîne qui se dévide laisse à la seconde cuiller la liberté de reculer & d'obéir à la corde qui la tire en arriere par l'action de deux matelots qui marchent dans la petite roue, dont le mouvement donne aussi la liberté à la premiere cuiller de faire chemin.
Lorsque la cuiller commence de mordre dans le fond, son manche est panché vers la poupe, & il porte sur le rouleau qui est au bout du chassis de ce côté. Le patron saisit une corde appellée carguiere, attachée à la partie supérieure du manche ; il lui fait faire deux tours sur un taquet assemblé en-travers au quatrieme poteau de poupe, & il roidit cette corde jusqu'à ce qu'il juge que la cuiller est chargée. Bientôt après la cuiller avançant toujours, son manche panche dans un sens contraire au premier, & va s'appuyer sur le rouleau du chassis vers la proue. Enfin la cuiller s'éleve hors de l'eau ; le bateau qui doit recevoir les matieres qu'elle a enlevées passe dessous ; le patron ouvre avec une gaffe le loqueteau qui tient la porte fermée, & dès que la cuiller est vuidée, il referme la porte en la poussant avec la même gaffe. Une manoeuvre qui ne differe de la précédente qu'en ce que les hommes marchent dans les roues & les font tourner en un sens contraire au premier, enleve la seconde cuiller, & ainsi de suite alternativement.
Le bateau qui reçoit les déblais au sortir des cuillers, & qui les transporte au loin dans la mer, est une petite tartane montée de quatre hommes, dont la plus grande longueur est d'environ 44 piés, la largeur de 14, & le creux de 5 1/2 piés. A 13 piés de la poupe commence une casse en forme de trémie, dans laquelle les cuillers se vuident ; elle a 9 piés sur chaque face au tillac, 4 piés 4 pouces dans le bas, & 5 1/2 piés de hauteur, ensorte qu'elle contient 250 piés cubes. Le fond de cette caisse est fermé par une porte suspendue d'un côté à deux gonds par deux longues pentures, & de l'autre attachée aux deux branches d'une chaîne qui monte au-dessus du tillac : un levier au bout duquel cette chaîne est accrochée, sert à ouvrir, à fermer & à assujettir la porte au moyen d'une corde amarrée à l'autre bout du levier, & à un taquet ou à un arganeau. Cette porte a fait donner au bateau le nom de trébuchet ; elle épargne beaucoup de peine & de tems lorsqu'il faut le vuider.
On ne travaille dans le port de Cette que depuis l'équinoxe du printems jusqu'à celui de l'automne. La profondeur varie depuis 12 jusqu'à 24 piés : la moyenne est de 18. Les ouvriers du ponton gagnent 30 sols, & ceux du trébuchet 22 sols, ce qui fait en tout 52 sols pour chaque caisse pleine qui contient une toise cube un sixieme. Ainsi la toise cube revient à 44 sols 7 deniers. Le travail commence grand matin ; la journée ordinaire est de 10 caisses ou trébuchets. Dès que cette quantité est faite, les ouvriers fatigués se retirent, quand même il ne seroit que midi ou une heure, quoique tout ce qu'ils feroient de plus leur fût payé sur le même taux.
La valeur & l'entretien des machines n'est pas compris dans ce marché : on estime un ponton neuf avec tous ses agrêts, 10000 livres, & un trébuchet 2500 livres. Il faut trois trébuchets pour le service de deux pontons ; & l'entretien annuel de deux pontons & de trois trébuchets, avec celui de tous leurs agrêts, est estimé 5000 livres.
Le poids du fer d'une cuiller est d'environ seize quintaux, & celui de sa chaîne en differe peu.
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PONTREMOLI | (Géog. mod.) ville fortifiée d'Italie dans la Toscane, aux confins du Parmesan, du Plaisantin, & des terres de la république de Gènes. Elle est sur la riviere de Magra, au pié de l'Apennin, à 28 lieues au nord de Florence. Le grand duc de Toscane Ferdinand II. l'acheta des Espagnols en 1650. On croit que c'est l'ancienne Apua. Long. 27. 30'. lat. 44. 26'.
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PONTS | S. m. (Architecture) Nouvelle méthode de fonder les ponts sans batardeaux, ni épuisemens. Avant d'entrer dans aucun détail sur cette nouvelle méthode, il paroît indispensable de donner une idée de la maniere de construire avec batardeaux & épuisemens, pour mettre toute personne en état de juger plus sûrement de l'une & de l'autre méthode.
Méthode de fonder avec batardeaux & épuisemens. Pour construire un pont ou tout ouvrage de maçonnerie dans l'eau, soit sur pilotis, soit en établissant les fondations sur un fonds reconnu bon & solide, on n'a point trouvé jusqu'à ce jour de moyen plus sûr que celui de faire des batardeaux & des épuisemens. Ces batardeaux ne sont autre chose qu'une enceinte composée de pieux battus dans le lit de la riviere sur deux files paralleles de palplanches, ou madriers battus jointivement & debout au-devant de chacun desdits rangs de pieux, de terre-glaise dans l'intérieur de ces palplanches, & de pieces de bois transversales qui servent à lier entr'eux les pieux & madriers pour en empêcher l'écartement par la poussée de la glaise. Cette enceinte comprend deux ou trois piles ; lorsqu'elle est exactement formée, on établit sur le batardeau même un nombre suffisant de chapelets ou autres machines semblables à enlever toute l'eau qu'elle contient à la plus grande profondeur possible. Cette opération une fois commencée ne discontinue ni jour ni nuit, jusqu'à ce que les pieux de fondation sur lesquels la pile doit être assise soient entierement battus au refus d'un mouton très-pesant, que ces mêmes pieux soient récépés au niveau le plus bas, & qu'ils soient coëffés d'un grillage composé de fortes pieces de bois recouvertes elles-mêmes de madriers jointifs. C'est sur ces madriers ou plateforme qu'on pose la premiere assise en maçonnerie, qui dans tous les ouvrages faits dans la Loire a rarement été mise plus bas qu'à 6 piés sous l'étiage par la difficulté des épuisemens. Lorsque la maçonnerie est élevée au-dessus des eaux ordinaires, on cesse entierement le travail des chapelets ou autres machines hydrauliques ; on démolit le batardeau, & l'on arrache tous les pieux qui le composoient. Cette opération se répete ainsi toutes les fois qu'il est question de fonder ; on imagine sans peine les difficultés, les dépenses & l'incertitude du succès de ces sortes d'opérations.
Nouvelle méthode de fonder sans batardeaux ni épuisemens. Cette nouvelle façon de fonder consiste essentiellement dans la construction d'un caisson ou espece de grand bateau plat, ayant la forme d'une pile qu'on fait échouer sur des pieux bien battus & sciés de niveau à une grande profondeur, par la charge même de la maçonnerie à mesure qu'on la construit. Les bords de ce caisson sont toujours plus élevés que la superficie de l'eau ; & lorsqu'il repose sur les pieux sciés, ces bords, au moyen des bois & assemblages qui les lient avec le fond du caisson, s'en détachent facilement en deux parties en s'ouvrant par les pointes pour se mettre à flot ; on les conduit ainsi au lieu de leur destination, où on les dispose de maniere à servir à un autre caisson. Cette méthode ayant été récemment employée avec succès au pont de Saumur sur la riviere de Loire, on va donner le détail de toutes les opérations qui ont été faites pour sa fondation.
Détails des constructions. Les piles du pont de Saumur ont toutes 54 piés de longueur de la pointe de l'avant-bec à celle de l'arriere-bec sur 12 piés d'épaisseur de corps quarré, sans les retraites & empatemens ; elles sont fondées à 12 piés de maçonnerie sous le plus bas étiage ; la hauteur ordinaire de l'eau dans l'emplacement du pont est depuis 7 piés jusqu'à 18 ; les crues moyennes sont de 6 piés sur l'étiage, & les plus grandes de 17 à 18 piés, d'où l'on voit que dans les grands débordemens il se trouve dans quantité d'endroits jusqu'à 36 piés de hauteur d'eau.
Les premieres opérations ont consisté dans la détermination des lignes de direction du pont ; savoir, la capitale du projet & la perpendiculaire qui passe par le centre des piles & les pointes des avant & arriere-becs ; lorsque ces lignes furent assurées par des points constans suivant la convenance des lieux, on établit sur quelques pieux & appontemens provisionnels dans le milieu de l'emplacement de la pile, deux machines à draguer que l'on fit manoeuvrer en différens endroits ; on battit ensuite de part & d'autre de la perpendiculaire du centre de la pile une file de pieux parallele à ladite ligne, dont le centre étoit distant d'icelle de douze piés & demi de part & d'autre, pour former une enceinte de 25 piés de largeur d'un centre à l'autre des files de pieux.
Ces pieux d'un pié de grosseur réduits en couronne, étoient espacés à 18 pouces de milieu en milieu sur leur longueur, de maniere que depuis le pieu du milieu qui se trouvoit dans la ligne capitale du projet, jusqu'au centre de celui d'angle ou d'épaulement, il y avoit de part & d'autre environ 25 piés de longueur.
Sur ce pieu d'épaulement, fut formé en amont seulement avec la file parallele à la longueur de la pile, un angle de 35 degrés, suivant lequel furent battus de part & d'autre les files qui devoient se réunir sur la perpendiculaire du centre de la pile, traversant les pointes des avant & arriere-becs ; du côté d'aval il ne fut point formé de battis triangulaire semblable à celui d'amont, mais la file des pieux fut prolongée d'environ 20 piés par des pieux plus éloignés entr'eux.
Pendant qu'on battoit ces pieux d'enceinte, les machines à draguer établies dans le centre de la pile ne cessoient de manoeuvrer, ce qui facilitoit d'autant le battage par l'éboulement continuel des sables dans les fosses que formoient les dragues ; ces sables se trouvoient cependant en quelque maniere retenus par des pierres d'un très-grand poids qu'on jettoit continuellement en-dehors de l'enceinte des pieux, lesquelles appuyées contre ces mêmes pieux, descendoient à mesure que les dragues manoeuvroient plus bas ; ce travail a été exécuté avec tout le succès possible, puisque le draguage ayant été fait dans tout l'emplacement de la pile jusqu'à 18 piés sous la surface des eaux ordinaires, ces mêmes pierres ainsi jettées au hazard ont formé dans tout le pourtour des pieux d'enceinte, une espece de digue ou d'empatement de plus de 24 piés d'épaisseur réduite, se terminant à 4 piés sous le plus bas étiage pour ne point nuire à la navigation.
Cette digue une fois faite, & l'emplacement de la pile entre les pieux d'enceinte, dragué le plus de niveau qu'il a été possible à environ 15 piés sous l'étiage, on forma au moyen des pieux d'enceinte, & d'un second rang provisionnel & parallele battu en-dehors à 8 piés de distance, un échafaud de 9 piés de largeur dans tout le pourtour de l'emplacement de la pile, excepté dans la partie d'aval ; il étoit élevé de 3 piés sur l'étiage.
Le travail ainsi disposé, on battit dans l'emplacement de la pile plusieurs pieux propres à recevoir des appontemens pour le battage de ceux de fondation, ayant 15 & 16 pouces en couronne, & environ 33 piés de longueur réduite ; ils furent espacés sur six rangs paralleles sur la longueur, c'est-à-dire à 3 piés 9 pouces de milieu en milieu ; les files transversales n'étoient qu'à 3 piés entr'elles ; ils avoient constamment 27 piés de longueur au-dessous de l'étiage, ou environ 14 piés de fiche dans un terrein solide.
Il fut ensuite question de scier ces pieux de niveau à 13 piés 1 pouce sous le plus bas étiage, pour pouvoir, déduction de l'épaisseur du fond du caisson, donner à la pile 12 piés de maçonnerie sous les plus basses eaux ; cette opération fut faite au moyen d'une machine mise en mouvement par quatre hommes, laquelle scie les pieux les uns après les autres, & dont les détails & desseins sont joints à ce mémoire, nous en donnerons ci-après la description & les moyens de la faire manoeuvrer ; il suffit de dire pour le présent, que ce sciage a été exécuté avec la plus grande précision pour le niveau des pieux entr'eux à 13 piés sous le plus bas étiage, & à 15 & 16 piés sous les eaux ordinaires pendant le tems du travail ; cette opération n'a même duré que six ou sept jours pour les cent seize pieux de fondation de chaque pile.
Il restoit à faire entrer le caisson dans l'emplacement de la pile entre les pieux d'enceinte, à le charger par la construction de la pile même, & à le faire échouer sur les pieux de fondation destinés à le porter, en l'assujettissant avec la plus grande précision aux lignes de directions principales, tant sur la longueur que sur la largeur du pont : avant d'entrer dans le détail de ces différentes manoeuvres, il est nécessaire de détailler la construction & les dimensions de ce caisson.
Il avoit 48 piés de longueur de corps quarré, 20 piés de largeur de dehors en-dehors, & 16 piés de hauteur de bords compris celle du fond ; les deux extrémités étoient terminées en avant bec ou triangle isocele dont la base étoit la largeur du corps quarré, les deux côtés pris de dehors en-dehors avoient chacun 13 piés 3 pouces de longueur ; le front tenant lieu de grillage, étoit plein & construit de la maniere suivante.
Le pourtour de ce grillage est formé par un cours de chapeau, conformément aux dimensions générales qui viennent d'être prescrites ; il a 15 pouces de largeur sur 12 pouces de hauteur, & est assemblé suivant l'art & avec la plus grande solidité, à la rencontre des différentes pieces qui les composent ; sur ce chapeau sont assemblés des racinaux jointifs d'un pié de largeur & de 9 pouces de hauteur, de trois un à queue d'hironde, & les deux restans entre chaque queue d'hironde à pomme grasse & quarrée en-dessous, portant sur ledit chapeau qu'ils affleurent exactement en-dessous & avec lequel ils ne forment qu'une même superficie ; pour donner à ce fond toute la solidité possible, on a relié ce cours de chapeau par trois barres de fer, qui traversant toute la largeur du caisson, sont encastrées dans un racinal, pénetrent le chapeau, & portent à leurs extrémités de forts anneaux pour faciliter les différentes manoeuvres que doit éprouver ce caisson : tous les racinaux sont en outre liés entr'eux sur le côté par de fortes chevilles de bois pour ne former qu'un même corps, & comme ils n'ont que 9 pouces de hauteur, & le chapeau 12, ce dernier a été entaillé de 3 pouces de hauteur, sur 8 pouces de largeur dans tout son intérieur, pour recevoir une longuerive de pareille longueur, & d'un pié de hauteur sur dix de largeur, qui recouvre toutes les queues d'hironde & pommes grasses des racinaux, & est chevillée de distance en distance avec forts boulons traversant toute l'épaisseur du chapeau ; contre cette piece & dans l'intérieur est placé un autre cours de longuerives de pareilles largeur & hauteur boulonné comme le premier, avec toute la solidité requise ; l'espace restant dans l'intérieur du grillage entre ce second cours de longuerives ayant 15 piés 10 pouces de largeur, a été ensuite garni de madriers de 4 pouces d'épaisseur, bien jointifs & posés suivant la longueur du fond, pour couper à angle droit les joints des racinaux sur lesquels ils sont chevillés ; l'épaisseur totale du fond est par ce moyen de 13 pouces, & le second cours intérieur de longuerives de 8 pouces au-dessus desdits madriers.
A mesure qu'on a construit ce fond ou grillage, on a eu l'attention de bien garnir les joints de feries pour empêcher l'eau d'y pénétrer ; ces feries se font en pratiquant une espece de rainure d'environ un pouce de largeur sur tous les joints de l'intérieur du caisson, ayant à-peu-près pareille profondeur & terminée en triangle ; on la remplit de mousse chassée avec coins de bois à coups de marteau & battue à force ; sur cette mousse on applique une espece de latte, que les ouvriers nomment gavet ; elle a 9 lignes de largeur & 3 d'épaisseur, & est percée à distances égales de 2 pouces pour recevoir sans s'éclater, les clous avec lesquels on la fixe sur tous les joints intérieurs, préalablement garnis de mousse ainsi qu'on l'a dit ; ces clous entrent dans la rainure, l'un à droite l'autre à gauche alternativement : cette maniere d'étancher dont on fait usage pour les bateaux de Loire, est très-bonne & a bien réussi.
Le fond du caisson ainsi construit de niveau sur un appontement préparé à cet effet sur le bord de la riviere, on a travaillé à la construction des bords ; ils sont composés de pieces & de poutrelles de six pouces de grosseur, & des plus grandes longueurs qu'on a pû trouver, bien droites, dressées à la bisaiguë, & assemblées à mi-bois dans tous leurs abouts ; ces pieces sont placées horisontalement les unes sur les autres, bien chevillées entr'elles, & posées à l'affleurement du parement extérieur du premier cours de longuerives ; elles sont en outre reliées dans l'intérieur seulement par des doubles montans placés à distances égales, & des pieces en écharpe entre les montans sur toute la hauteur des bords.
Devant chacun de ces montans sont des courroies au nombre de trente-six, tant pour l'intérieur que pour l'extérieur du caisson, lesquelles servent à faire séparer les bords du fond lorsqu'on le juge nécessaire. Ces courroies sont assemblées dans le chapeau pour l'extérieur & dans le second cours de longuerives pour l'intérieur ; leur assemblages dans ces pieces est tel, que la mortaise qui les reçoit a l'un de ces côtés coupé en demi-queue d'hironde, & l'autre à-plomb, le long duquel se place un coin de bois de la même hauteur que les bords ; ces courroies portant par des mentonnets sur les bords supérieurs du caisson, restent ainsi suspendues en laissant un vuide de deux pouces dans le fond des mortaises, & tiennent leur principale action de la force avec laquelle elles sont serrées par le coin.
Toutes ces courroies, de l'intérieur & de l'extérieur, étant directement opposées & sur la même ligne, ont ensuite été retirées par des entretoises de huit pouces de grosseur sur toute la longueur du caisson au moyen du mentonnet dont on a parlé, qui repose sur la derniere poutrelle des bords, & d'un tenon qui s'embreve dans l'entretoise.
Les faces des parties triangulaires du caisson ont été solidement réunies à celles du corps quarré par trois rangs de courbes posées les unes sur les autres dans les angles d'épaulement, & les poutrelles encastrées à mi-bois à leur rencontre dans lesdits angles, pour ne former qu'une seule & même piece, & pouvoir, ainsi qu'on la fait, détacher du fond ces bords en deux pieces seulement, en les mettant à flot sur le corps quarré, les deux pointes en l'air.
Ce caisson ainsi construit, le fond, les bords bien garnis de feries & de chaînes avec anneaux de fer, tant en-dedans qu'en-dehors ; pour plus grande facilité de la manoeuvre, on s'est occupé des moyens de le lancer à l'eau sur le travers & non par la pointe ; il pesoit alors environ 180000 livres.
Nous avons dit qu'il étoit établi au bord de la riviere sur un appontement disposé à cet effet ; cet appontement étoit composé de trois files de pieux paralleles, deux sous les bords suivant sa longueur, l'autre au milieu ; la file du côté des terres étoit coëffée d'un chapeau placé à trois piés sur l'étang, ainsi que celui du milieu, arrondi en forme de genouil ; celui du côté de l'eau étoit posé trois piés quatre pouces plus bas, & le caisson soutenu de niveau par des étais de pareille hauteur, étoit disposé de maniere que la ligne du centre de gravité se trouvoit d'environ six pouces plus du côté des terres que celui de l'eau, ce qui donnoit à tout ce côté une charge excédente d'environ 15000 livres ; sur les chapeaux étoient de longues pieces d'un pié de grosseur, servant de chantiers ou coulisses au caisson, & que pour cet effet on avoit eu soin d'enduire de suif.
Sur le chapeau placé à l'affleurement de l'eau étoient chevillés dix autres grands chantiers de douze & quinze pouces d'épaisseur, placés dans la riviere en prolongation de la pente que devoit prendre le caisson qui, suivant ce qui a été dit précédemment, étoit du tiers de sa base ou largeur.
Lors donc qu'il fut question de le lancer à l'eau, on commença par fixer avec des retraits sur le chapeau de la file des pieux du côté des terres tous les abouts des chantiers ou coulisses qui portoient le caisson, & avoient été réunis entr'eux par une grande piece de bois ; on fit ensuite partir tous les étais posés sur le chapeau à l'affleurement de l'eau ; cette premiere manoeuvre ne fit pas faire le moindre effet au caisson qui resta ainsi en l'air ; on lâcha ensuite les retraits, & l'on enleva par de grands leviers placés en abatage du côté des terres, tous les chantiers ou coulisses ; le caisson prit incontinent sa course avec rapidité en se plongeant également dans l'eau, où par sa propre charge il s'enfonça de vingt-sept pouces.
Ce caisson fut conduit sur-le-champ au lieu de sa destination, & introduit dans l'enceinte de la pile par la partie d'aval non fermée à ce dessein ; on fit aussi-tôt les opérations nécessaires pour le placer dans la direction des capitales de longueur & largeur du pont, auxquelles il fut assujetti sans peine par de simples pieces de bois placées sur l'échaffaud, dont les abouts terminés en deux cercles, entroient dans des coulisses fixées aux bords extérieurs du caisson, qui lui permettoient de descendre à mesure qu'on le chargeoit, sans le laisser écarter de ses directions.
Le service de la maçonnerie, soit pour le bardage des pierres, soit pour le transport du mortier, se fit sans peine par des rampes pratiquées dans le caisson qui communiquoient aux bateaux sur lesquels on amenoit des chantiers, la pierre, le mortier & le moilon.
Au moment que le caisson reposa sur la tête des pieux à treize piés un pouce sous l'étiage, on eut la satisfaction de reconnoître par différens coups de niveau qu'il n'y avoit rien à desirer, tant pour la justesse du sciage que pour toutes les autres manoeuvres : la charge sur ces pieux étoit alors de plus de 1200000 livres, & la hauteur de l'eau sur les bords de treize piés six pouces ; on les avoit soulagés à différentes hauteurs par des étais appuyés contre la maçonnerie.
Il faut ensuite fermer l'enceinte d'aval ; pendant le tems même de la construction de la maçonnerie de la pile on avoit fait battre des pieux suivant le même plan que la pointe d'amont ; on les garnit pareillement de grosses pierres au-dehors.
L'échaffaud d'enceinte fut incontinent démoli, les pieces qui le portoient sciées à quatre piés sous l'étiage & les bords du caisson enlevés ; cette derniere manoeuvre se fit sans peine en frappant les courroies, qui en entrant de deux pouces, ainsi qu'on l'a dit précédemment, dans les mortaises inférieures, firent sauter les coins des bois qui les retenoient au fond ; ces bords furent sur le champ conduits à flot à leur destination entre deux grands bateaux, les pointes en l'air, pour passer l'hiver dans l'eau & pouvoir servir sur de nouveaux fonds aux piles qui restoient à fonder.
A peine ce travail fut-il exécuté qu'on fit approcher le long de la pile deux grands bateaux chargés de grosses pierres, avec lesquelles on remplit tout l'espace restant entre la maçonnerie de la pile & les pieux d'enceinte jusqu'à environ quatre piés sous l'étiage, pour se trouver à-peu-près à l'affleurement de la digue faite à l'extérieur dont on a parlé précédemment.
Telles sont les différentes opérations qu'on a faites jusqu'à ce jour pour la fondation de cinq piles du pont de Saumur sans batardeaux ni épuisemens ; il suffit d'avoir mis en usage cette façon de fonder pour se convaincre de ses avantages : la certitude qu'on a de réussir dans une entreprise de cette conséquence, l'avantage de descendre les fondations à une double profondeur, l'emploi de tous les matériaux au profit de l'ouvrage & sa plus grande solidité ne sont pas les moindres avantages qu'on en retire ; l'expérience de plusieurs années a fait connoître qu'il y a la moitié moins de dépense qu'en faisant usage des batardeaux & des épuisemens.
Description de la machine à scier les pieux. Cette machine est composée d'un grand chassis de fer, qui porte une scie horisontale ; à 14 piés environ au-dessus de ce chassis, est un assemblage ou échaffaud de charpente, sur lequel se fait la manoeuvre du sciage, & auquel est suspendu le chassis par quatre montans de fer de 18 piés de hauteur, portant chacun un cric dans le haut, pour élever & baisser ce chassis suivant le besoin.
Ce premier échaffaud est porté sur un des cylindres qui roulent sur un autre grand échaffaud, traversant toute la largeur de la pile, d'un côté à l'autre de celui d'enceinte ; ce grand échaffaud porte lui-même sur des rouleaux, qui servent à le faire avancer ou reculer à mesure qu'on scie les pieux, sans qu'il soit besoin de le biaiser en cas d'obliquité de quelques pieux, le petit échaffaud auquel est suspendu la machine, remplissant aisément cet objet au moyen d'un plancher mobile que l'on fait au besoin sur le grand échaffaud. Voyez la figure de cette machine en perspective, Pl. de Charp.
On doit distinguer dans cette machine deux mouvemens principaux ; le premier qu'on nomme latéral, est celui du sciage ; le second, qui se porte en avant à mesure qu'on scie le pieu, & peut néanmoins revenir sur lui-même, est celui de chasse & de rappel.
Le mouvement latéral s'exécute par deux leviers de fer, un peu coudés sur leur longueur, portant à une de leurs extrémités un demi-cercle de fer recourbé, auquel est adaptée une scie horisontale ; les points-d'appui de ces leviers sont deux pivots reliés par une double entretoise, distans l'un de l'autre de 20 pouces, lesquels ont leur extrémité inférieure encastrés dans une rainure ou coulisse, qui facilite le mouvement de chasse & de rappel, ainsi qu'on l'exprimera ci-après. Ils sont soutenus au-dessus du chassis de fer par une embase de 2 pouces de hauteur, & déchargés à leurs extrémités par quatre rouleaux de cuivre.
Ces leviers sont mus du dessus de l'échaffaud supérieur par quatre hommes, appliqués à des bras de force attachés à des leviers inclinés, dont le bas est arrêté sur le plateau, & sur lesquels est fixée la base d'un triangle équilatéral, dont le sommet est arrêté au milieu d'une traverse horisontale.
Cette traverse qui embrasse les extrémités des bras du levier de la scie, s'embreve dans une coulisse de fer pratiquée dans le chassis, où portant sur des rouleaux, elle va & vient, & procure ainsi à la scie le mouvement latéral, au moyen des ouvertures ovales formées à l'autre extrémité desdits bras de levier qui leur permettent de s'allonger & de se raccourcir alternativement, suivant leur distance du centre de mouvement ; ces ouvertures ovales embrassent des pivots fixés sur le demi-cercle de la scie dont nous avons parlé, & portent dans le haut au moyen de plusieurs rondelles de cuivre intermédiaires, les extrémités d'un second demi-cercle adhérent par des renvois à deux tourillons roulans, ainsi qu'un troisieme placé au milieu du cercle dans une grande coulisse qui reçoit le mouvement de chasse & de rappel.
Ce second mouvement consiste dans l'effet d'un cric horisontal, placé à-peu-près aux deux tiers du chassis, dont les deux branches sont solidement attachées sur la coulisse dont nous venons de parler ; c'est par le moyen de ces deux branches, dont la partie dentelée s'engrene dans deux roues dentées que la scie, lors de son mouvement latéral, conserve son parallélisme avec la coulisse, presse par son mouvement lent & uniforme, le pieu à mesure qu'elle le scie, & revient dans sa place par un mouvement contraire lorsqu'elle l'a scié ; tout le mouvement de ce cric s'opere du dessus de l'échaffaud supérieur & mobile, par un levier horisontal qui s'emboîte quarrément dans l'extrémité d'un arbre placé au centre de la roue de commande du cric, qui est le régulateur de toute la machine.
Le chassis horisontal a environ 8 piés de longueur sur 5 piés 9 pouces de largeur ; il est composé de fortes barres de fer plat, disposées de maniere à le rendre le plus solide & le moins pesant qu'il est possible.
Sur le devant de ce chassis est une piece de fer formant saillie, servant de garde à la scie, & placée de maniere que la scie est recouverte par ladite piece lorsqu'elle ne manoeuvre pas ; sur deux fortes barres de fer qui portent en partie cette piece de garde en saillie, sont placés deux montans de fer qui les traversent, & sont retenus dessus par des embases ; ces montans arrondis pour tourner facilement dans leurs supports, ont à leur extrémité, sous le chassis, un quarré propre à recevoir deux especes de demi-cercles ou grappins de 10 pouces de longueur, auquel ils sont fixés solidement par des clavettes ou écroux ; ils s'élevent jusqu'au-dessus du petit échaffaud supérieur, où on leur adapte deux clés de 4 piés de long, qui les faisant tourner sur leurs axes, font ouvrir & fermer les grappins qui saisissent le pieu qu'on scie, avec une force proportionnée à la longueur des clés que l'on serre autant qu'on le juge à-propos. On comprend facilement que ces grappins embrassant le pieu au-dessous de la section de la scie, donnent à la machine toute la solidité nécessaire pour ne point souffrir des ébranlemens préjudiciables ; comme la grande hauteur des montans pourroit néanmoins occasionner des vibrations trop fortes, on y remédie aisément & de maniere à rendre la machine immobile, en appliquant sur les montans du derriere, deux grands leviers qui pressent sur le chassis aux piés desdits montans, & sont serrés près des crics sur l'échaffaud supérieur par des coins de bois.
Il peut aussi arriver au triangle de mouvement quelques vibrations, sur-tout lorsqu'on scie à une grande profondeur ; on y remédie sans peine par une potence de fer fixée aux deux montans à une hauteur convenable, laquelle porte une coulisse qui assujettit le triangle de mouvement.
Pour faire usage de cette scie, il faut se rappeller ce qu'on a dit des différens échaffauds qui la composent. Lors donc qu'on voudra scier un pieu, on commencera par déterminer avec précision la profondeur à laquelle il faudra le scier sous l'étiage ; on placera en conséquence à l'autre extrémité de la pile, deux grandes mires fixes & invariables ; on fera faire une grande verge ou sonde de fer, de la longueur précise du point de mire à la section, pour pouvoir s'en servir sans inquiétude à chaque opération du sciage : on fera ensuite descendre, au moyen des crics dont chaque dent ne hausse ou baisse que d'une demi ligne le chassis portant la scie, jusqu'à ce qu'en faisant reposer la sonde sur la scie elle-même (ce dont on jugera aisément par l'effet de son élasticité), le dessus de ladite sonde se trouve exactement de niveau avec les deux mires dont on a parlé, ainsi que le dessus des quatre montans, ou de quatre points repairés sur iceux pour s'assurer du niveau du chassis & de la scie.
Toutes ces opérations faites avec la précision requise, on saisira le pieu avec les grappins ; on vérifiera de nouveau avec la sonde, le point de section de la scie, & après s'en être assuré, on serrera les grappins à demeure ; le maître serrurier prendra la conduite du régulateur, & quatre ouvriers feront jouer la scie.
Le succès de cette machine a été tel que sur plus de 600 pieux, sciés à 12 & 15 piés sous la surface des eaux, on n'a éprouvé aucune différence sensible sur le niveau de leurs sections ; qu'on en a constamment scié quinze & vingt par jour, & que huit hommes ont servi à toutes les manoeuvres du sciage. Article de M. DE VOGLIE, ingénieur du roi en chef dans la généralité de Tours.
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PONTY | (Verrerie) c'est un terme employé dans les Verreries, lorsque l'on veut parler d'une piece faite sans que l'ouvrier, pour former l'ouverture, ait attaché sa canne au fond de cette piece. Cette manoeuvre y laisse plus ou moins de matiere, & toujours une cassure nécessaire pour séparer la piece ; & c'est-là ce qu'on appelle le ponty.
L'usage de faire des vaisseaux avec le fond plat est entierement aboli. Il est assez vraisemblable que la fayence & la porcelaine qui sont devenus si communes en Europe, ont beaucoup contribué à faire disparoître les vaisseaux de verre devenus moins nécessaires ; leur fragilité naturelle en a dégoûté, on leur a préféré des matieres plus solides, & les Verriers ont voulu soutenir leurs manufactures en donnant leurs ouvrages à meilleur marché. Ainsi le ponty s'est établi au point qu'il est devenu général ; cependant il forme dans le vaisseau une inégalité qui le rend plus facile à casser, & qui le met hors d'état de soutenir le feu.
Tout l'art de s'abstenir de faire de ponty, ainsi que les Romains l'ont pratiqué, se réduit à tenir le verre que l'on a commencé à former, avec une espece de tenaille de fer à trois ou à quatre branches. Les Verriers donnent à cet instrument le nom de canne à ressort ; elle est formée par trois ou par quatre lames de fer, dont la largeur est d'un pouce & la longueur depuis un pié jusqu'à trois, suivant le volume de verre que l'on veut exécuter.
L'épaisseur de ces lames ne doit jamais être considérable, mais elle doit toujours être proportionnée à leur largeur, de façon cependant qu'elles soient flexibles. On sent aisément qu'elles sont soudées à l'extrêmité, & appliquées aux quatre faces de la barre. Cette barre qui forme la canne est un peu arrondie, & d'une grosseur proportionnée à la longueur des lames. On se sert donc d'une espece d'anneau de fer pour retenir les vases entre les lames : la figure de cet anneau est conique ; il a quelques lignes d'épaisseur, & sa hauteur est en proportion avec la grandeur de la canne : il doit être fort & bien battu ; on le passe dans la canne, de façon que sa partie la plus large soit du côté des lames pour les mieux serrer & contenir.
La maniere dont on employe cette canne à ressort est des plus simples. Quand l'ouvrier a soufflé un vase, un autre ouvrier présente la canne à ressort, dont il a écarté les lames ; il embrasse le vase en serrant les lames à la faveur de l'anneau. Quand le vase est bien assujetti, le premier ouvrier prend la canne à ressort, coupe ou sépare celle qui lui a servi à souffler, & rien ne l'empêche de former l'ouverture du vase & de la finir à la maniere ordinaire. Après ce détail, on ne doit pas être surpris de voir des vases de verre quarrés, & sur leurs fonds des cercles tracés en relief. Je dois toutes ces remarques à M. de Caylus, qui les a insérées dans ses Antiq. égypt. étrus. & rom. tome I. (D.J.)
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PONZA | L'ILE, (Géog. mod.) les François disent Ponce, île de la mer méditerranée, sur la côte d'Italie, à l'entrée du golfe de Gaëte. Elle est située environ 25 milles au sud-sud-ouest du mont Cercello ; elle appartient au duché de Parme, & a environ 12 à 15 milles de tour. Long. 30. 40. latit. 40. 58.
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POOL | (Géog. mod.) petite ville d'Angleterre dans le Dorsetshire, à 25 lieues au sud-ouest de Londres : elle envoye deux députés au parlement. Il y a un fort beau port presque environné d'un bras de mer. La marée y monte & descend quatre fois en vingt-quatre heures. Long. 15. 47'. latit. 50. 45'.
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POP | ou POPE, s. m. (Hist. anc. antiq. rom.) ministre qui égorgeoit les victimes dans les sacrifices après qu'elles étoient assommées. L'office de ces ministres consistoit encore à fournir les victimes nécessaires. Ils portoient une espece de couronne sur la tête, mais ils étoient à demi-nuds, ayant les épaules, les bras & le haut du corps découvert jusqu'au nombril, le reste du corps étoit couvert jusques à demi-jambes d'un tablier de toile ou de peaux des victimes ; c'est ainsi du-moins qu'ils étoient dépeints dans la colonne trajane. Il y a cependant d'autres figures anciennes, qui les représentent avec une aube pendante depuis les aisselles, & retroussée pour loger leur coutelas.
Le tablier qui les couvroit jusqu'à mi-jambe s'appelloit limus, parce qu'il y avoit au bas une bande de pourpre qui étoit cousue en serpentant ; c'est ce que nous apprenons de Servius. Limus, dit-il, vestis est quâ ab umbilico usque ad pedes teguntur pudibunda poparum : haec autem vestis in extremo sui, purpuram limam, id est flexuosam habet : unde & nomen accepit, nam limum obliquum dicimus. (D.J.)
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POPAYAN | LE, (Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale au nouveau royaume de Grenade, entre l'audience de Panama, celle de Quito & la mer du sud. Balalcaçar, espagnol, la découvrit en 1536. Il y a de riches mines d'or, & de pierres précieuses ; on en tire aussi du baume, du sang de dragon, de l'agate & du jaspe. Les sauvages qui habitent cette province sont grands ennemis des Espagnols, & presque toujours en guerre avec eux.
POPAYAN, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale au royaume de la nouvelle Grenade, capitale de la province de même nom, à une lieue de la riviere de Cauca. C'est le siege d'un évêque suffragant de Santa-Fé, & la résidence d'un gouverneur ; On y compte environ vingt mille ames, parmi lesquelles se trouvent plusieurs familles issues de grandes maisons d'Espagne. L'abondance des mines d'or des environs y attire beaucoup de monde, & à mesure que les autres établissemens s'affoiblissent, Popayan se peuple de plus en plus, malgré les tremblemens de terre qui y sont fréquens. Une grande partie de la ville fut renversée le 2 Février 1735. Long. 304. 30. latit. 2. 28.
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POPERINGUE | (Géog. mod.) bourg de France en Flandres, dans la châtellenie de Cassel, & à 2 lieues d'Ypres. Poperingue est un lieu ancien, qui s'appelloit autrefois en latin du moyen âge Pupurnengahemum ; c'est maintenant un gros bourg tout ouvert, qui vaut mieux que bien des villes, puisqu'on y compte environ deux mille habitans. La moitié de son territoire est en bois & en houblon, & le reste est en terres labourables. Long. 20. 32. latit. 50. 51.
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POPFINGEN | (Géog. mod.) petite ville impériale dans la Souabe, sur l'Eger, à 3 lieues de Dunckespeil. (D.J.)
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POPLICAIN | POPULICAIN, POBLICAIN, PUBLICAIN, (Histoire ecclésiastique) Manichéens : s'ils ont été appellés de ces noms différens, c'est en France ou du-moins dans l'Occident. En Orient, on les nommoit Pauliciens. En 1198, on découvrit en Nivernois quelques Poblicains ; on tira leur chef, nommé Terrie, d'une grotte souterreine où il étoit caché à Corbigni, & il fut convaincu & brûlé. Quelle indignité ? brûlé ! Et pourquoi, malheureux, brûler celui qui ne pense pas comme vous ? Est-ce par le fer & le feu que la vérité veut être défendue ? Si vous craignez que des sentimens ne se répandent ; si vous les croyez dangereux, dites à ceux qui les professent : Prenez ce qui vous appartient, & allez-vous-en. Mais quel droit avez-vous sur leurs femmes, leurs enfans, leurs biens, leur vie, leur liberté, leurs opinions ? En 1160, on tint un concile en Angleterre contre les Poplicains : ils étoient sortis de Gascogne. Il y en avoit en France, en Espagne, en Italie & en Allemagne. Est-il donc si extraordinaire que des êtres raisonnables, frappés des vices physiques & moraux de ce monde, ayent le malheur d'y méconnoître la sagesse d'un Dieu, ou la folie de recourir à deux principes, l'un du mal & l'autre du bien ? Si on en avoit usé dans les premiers tems avec les Manichéens, comme vous avez fait avec les Poblicains, vous eussiez privé l'Eglise d'une de ses plus grandes lumieres, S. Augustin qui a professé long-tems le Manichéisme. Sept ou huit ans après le concile de 1160, l'archevêque de Rheims découvrit des Poblicains en France.
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POPLIT | ou JARTIER, s. m. (Anatomie) c'est un muscle qui vient de la partie postérieure & inférieure du condile externe du fémur, & passant obliquement sur l'articulation, va s'insérer à la partie supérieure & postérieure du tibia. Voyez JAMBE.
POPLITEE, adj. en Anatomie, est un nom que l'on donne à une artere & à une veine de la jambe. Voyez VEINE.
La veine vient du talon, où elle se forme de plusieurs branches qui viennent tant du talon que de la cheville du pié. Elle s'enfonce assez profondément dans le muscle ; & montant jusqu'au jarret, elle se termine dans la veine crurale. Voyez CRURAL, &c.
L'artere crurale étant parvenue dans le jarret, prend le nom d'artere poplitée : cette artere, après avoir jetté différens rameaux dans ces parties, gagne la partie postérieure & supérieure de la jambe, où elle se divise ordinairement en trois branches principales, qui sont la tibiale antérieure, la tibiale postérieure & la premiere. Voyez TIBIALE & PREMIERE.
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POPOÇATEPEC | (Géog. mod.) montagne de l'Amérique septentrionale, au Méxique : elle jette souvent des flammes, du feu, & de la fumée ; elle est toute couverte de cendres, de pins, de cyprès, de chênes, & sur son sommet il y a de la neige toute l'année ; cependant les champs voisins de cette montagne, sont estimés les plus fertiles de la nouvelle Espagne. (D.J.)
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POPOGAIOS | (Hist. nat. Navigation) les Espagnols du Méxique nomment ainsi un vent qui se fait sentir pendant les mois de Mai, de Juin, & de Juillet, dans la mer du sud, sur la côte de Mexique, dans un espace d'environ quatre-vingt lieues ; il souffle quelquefois pendant trois ou quatre jours sans intermission ; quelquefois il dure pendant huit jours.
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POPOLO | (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'Abruzze citérieure, sur la Pescara, qu'on y passe sur un pont, à huit milles au nord de Sulmona ; c'est l'ancienne Corfinium. Long. 31. 36. latit. 42. 1. (D.J.)
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POPULAGO | S. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit membraneux qui renferme plusieurs graines recourbées en-bas & réunies en forme de tête ; ces graines contiennent des semences le plus souvent oblongues. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Ce genre de plante est nommé communément souci d'eau ou de marais ; en anglois de même, marsh-marygold. Tournefort en compte trois especes, qui ne sont différentes que par des fleurs simples ou doubles, plus grandes ou plus petites.
Le populago à grandes fleurs, flore majore, I. R. H. 273. est une plante dont les feuilles ressemblent à celles de la petite chélidoine ; mais elles sont trois ou quatre fois plus grandes, de plus longue durée, & larges, arrondies, lisses, légerement crénelées en leurs bords. Il s'éleve d'entr'elles des tiges rameuses, portant des fleurs à plusieurs pétales, disposées en roses, de couleur jaune-dorée. Quand ces fleurs sont tombées, il leur succede des fruits composés chacun comme de plusieurs gaines recourbées enbas, & entassées en maniere de têtes ; chaque gaîne contient plusieurs semences oblongues. Cette plante croît dans les marais, & paroît avoir une qualité caustique, qui fait que les bestiaux n'en mangent point, quand même ils se trouvent privés d'autres pâturages. (D.J.)
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POPULAIRE ETAT | (Gouvernement.) L'état populaire est celui où le peuple en corps a la souveraine puissance ; on l'appelle autrement démocratie. Voyez DEMOCRATIE.
Deux mots suffiront ici. Dans un état populaire, le particulier regne par la puissance de la loi, & par la liberté des suffrages ; s'il souffre qu'on lui enleve ce double gage de son pouvoir, il anéantit lui-même sa souveraineté ; sa conservation dépend principalement de l'exacte observation des lois. La vertu, c'est-à-dire, l'amour des lois & de la patrie, est le principe de ce gouvernement. Lorsque cette vertu cesse, l'état est déja perdu ; l'ambition entre dans les coeurs qui peuvent la recevoir, & l'avarice entre dans tous. Si les Romains, disoit Pontius général des Samnites, pouvoient jamais se laisser entamer par l'avarice, & par la corruption, c'est alors que je demanderois à naître : je dompterois bien vîte cette nation, actuellement invincible. Cicéron ajoute sur ce beau mot : puisque Pontius auroit sû si bien dompter les Romains corrompus, j'aime mieux qu'il ait vécu du tems de nos peres que du nôtre. (D.J.)
POPULAIRE, (Hist. Morale, Politique) on nomme populaires, ceux qui cherchent à s'attirer la bienveillance du peuple. Dans tous les états libres, on s'est toujours défié des hommes trop populaires ; nous voyons que dans les tems de la république romaine, plusieurs citoyens illustres ont été punis pour s'être rendus trop agréables au peuple. Ce traitement paroîtra sans doute injuste, ou trop rigoureux ; mais, si l'on y fait attention, on sentira que dans un état républicain, toute distinction doit faire ombrage ; qu'il est dangereux de montrer au peuple un chef à qui il puisse s'adresser dans ses mécontentemens ; enfin, que comme le peuple n'est point aimable, il faut supposer des vûes secrettes à ceux qui le caressent. César n'asservit sa patrie, qu'après avoir épuisé son patrimoine en largesses, & en spectacles donnés aux Romains. Les tyrans les plus odieux qui ont opprimé Rome, ne manquoient pas de se rendre populaires, par les amusemens qu'ils procuroient à un peuple qui leur pardonnoit tous leurs excès, pourvu qu'il eût du pain & des spectacles, panem & circenses.
POPULAIRES, qui concerne le peuple, voyez COMMUN. La noblesse romaine étoit divisée en deux factions, les grands, optimates, qui étoient étroitement attachés au ministere, au sénat, & par opposition au peuple ; & les populaires, qui favorisoient les droits & les prétentions du peuple. Voyez OPTIMATES.
POPULAIRE, erreur populaire. Voyez ERREUR.
POPULAIRE, ou ENDEMIQUE, , maladies populaires ; ce sont celles qui deviennent communes, & qui courent par-tout ; on les appelle aussi endémiques, ou maladies épidémiques. Voyez EPIDEMIQUE & ENDEMIQUE.
Hippocrate a écrit expressément de morbis popularibus ; ces maladies sont sur-tout ordinaires dans l'été, dans le tems des équinoxes, à cause de la quantité des fruits & de la variété des influences de l'air.
Telles sont dans l'été les fievres malignes & inflammatoires, le pourpre & la porcelaine, qui attaquent les habitans de la campagne ; les fatigues & le poids de la chaleur & du jour que ces pauvres forçats de l'été endurent du matin au soir, épaississent le sang, le brûlent, y occasionnant des miasmes putrides qui portent leur action & leur malignité dans toute la machine. Les évacuans modérés & les cordiaux doux, acides & froids, sont excellens dans ces cas.
Dans l'automne, & sur-tout vers la fin de l'été, les fievres intermittentes, les continues putrides, viennent de la quantité des fruits & de la chaleur immodérée ; l'un & l'autre produisent dans les visceres une fermentation qui donne naissance à des levains qui se répandent dans tous les habitans d'une même contrée.
L'air infecté, raréfié & chargé des vapeurs malignes, est aussi une cause ordinaire de ces maladies.
Le manque d'alimens restaurans, & de boisson adoucissante ou rafraîchissante dans les grandes chaleurs, joint aux travaux qui épuisent les forces continuellement, sans qu'on ait le tems ou le moyen de les réparer, sont une cause commune & plus que suffisante pour produire les maladies populaires qui désolent les campagnes.
Les meilleurs remedes seroient des alimens nourrissans & restaurans pris de tems à autre & en petite quantité ; le repos aideroit le recouvrement des forces & l'effet de ces secours.
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POPULARIA | S. f. pl. (Hist. anc.) places que le simple bourgeois occupoit au théâtre ; elles étoient distinguées des equestres & des orchestrae ; les premieres étoient pour les chevaliers, les secondes pour les senateurs.
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POPULARITÉ | S. f. (Gram.) attention à se rendre agréable au peuple : la popularité est une chose bonne ou mauvaise, selon le caractere de l'homme populaire & ses vues.
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POPULATION | S. f. (Phys. Polit. Morale) ce mot est abstrait, pris dans l'acception la plus étendue, il exprime le produit de tous les êtres multipliés par la génération ; car la terre est peuplée non-seulement d'hommes, mais aussi des animaux de toutes especes qui l'habitent avec eux. La production de son semblable est dans chaque individu le fruit de la puissance d'engendrer ; la population en est le résultat. Mais cette expression s'applique plus particulierement à l'espece humaine ; & dans ce sens particulier, elle désigne le rapport des hommes au terrein qu'ils occupent, en raison directe de leur nombre & inverse de l'espace.
A-t-il été un tems où il n'existoit qu'une seule créature humaine de chaque sexe sur la terre, & la multitude des hommes répandus aujourd'hui sur la surface est-elle le produit d'une progression continue de générations dont ce couple originel & solitaire est le premier terme ?
Cela ne paroîtra pas impossible, si l'on considere avec quelle prodigieuse abondance l'espece humaine se reproduit ; quoique de toutes les especes d'êtres connues, elle soit une des moins fécondes.
Dans une table de progression donnée par M. Wallace, savant auteur anglois, dans un ouvrage qu'il a publié sur le nombre des hommes, & qui a été traduit dans notre langue ; il établit, qu'à commencer par ce premier couple, & en supposant qu'il n'ait procréé, ainsi que tous les couples qui en sont provenus, que six enfans chacun, moitié mâles & moitié femelles, le nombre des hommes a dû s'accroître en 1233 ans, c'est-à-dire, depuis la création jusqu'aux approches du déluge, à la quantité de 412, 316, 860, 416 ; en supprimant le tiers des enfans nés pour ceux qui ne parviennent pas à l'âge de maturité, & ne faisant produire chaque couple, qu'à l'âge de 27 ans à-peu-près, & en divisant le nombre des années qui forment cette époque en 37 périodes de 33 ans 1/3 chacune.
Ce calcul pourroit paroître spécieux, si l'expérience ne lui étoit pas contraire. Le nombre des enfans supposés engendrés par chaque couple, n'est pas trop considérable ; il est plus ordinaire de le voir excéder dans chaque mariage que d'en voir provenir un nombre moindre. La soustraction du tiers de ces enfans pour ceux qui meurent avant l'âge de maturité, paroît encore suffisante. Il en meurt davantage, dira-t-on : oui ; mais il faut observer que c'est sur un plus grand nombre qui naissent, ce qui ne diminue rien au produit total résultant des calculs de M. Wallace. Car, si en effet sur 15 ou 16 enfans, qu'il n'est pas rare de voir sortir d'un même pere & d'une même mere, il en périt la moitié, ou même les deux tiers dans l'enfance, le reste sera toujours plus considérable que cet auteur n'en laisse subsister de chaque couple.
Si cette propagation est vraisemblable, si le nombre des enfans qui naissent communément de chaque mariage, prouve que les produits assignés par M. Wallace ne sont pas trop forts, de quel nombre d'hommes la terre ne devroit-elle pas être couverte ? Elle ne pourroit plus contenir la multitude de ses habitans. Car si l'on calcule sur le même principe la propagation depuis le déluge, on trouvera que la quantité en seroit innombrable. Elle le seroit même encore, en réduisant à moitié les produits supposés dans l'ouvrage que nous avons cité.
Les trois fils de Noë, avec lui sauvés du déluge, avoient chacun leur femme. Il y avoit donc trois couples alors pour multiplier. La propagation a donc dû être beaucoup plus rapide & plus abondante que dans l'époque antécédente où elle n'avoit commencé que par un seul couple ; ainsi, comme nous l'avons déja dit, en la réduisant à moitié de celle que M. Wallace suppose pendant cet intervalle précédent, il seroit encore impossible de nombrer la quantité des hommes qui subsisteroient ; puisque indépendamment de la plus grande quantité de multiplians, il se trouve aussi un beaucoup plus grand espace de tems depuis le déluge jusqu'à présent que depuis la création jusqu'au déluge, qui est la période calculée, laquelle n'en contient que 37 de 33 ans un tiers chacune, au lieu que la seconde en comprend 123 de la même étendue.
M. de Voltaire dit dans le premier volume de l'essai sur l'histoire générale : " que des savans chronologistes ont supputé qu'une seule famille après le déluge toujours occupée à peupler, & ses enfans s'étant occupés de même, il se trouva en 250 ans beaucoup plus d'habitans, que n'en contient aujourd'hui l'univers ".
Le genre humain est bien loin d'être en effet si nombreux. M. Wallace établit lui-même par un autre calcul, qu'en fixant l'étendue de la terre d'après les observations de Thomas Templeman, dans sa nouvelle revue du globe, & prenant le terme moyen de la population des différens états de l'Europe, supposant ensuite le reste de la terre habitée dans la même proportion, elle doit contenir mille millions d'hommes.
D'où vient donc cette prodigieuse différence ? Les hommes n'ont-ils autant multiplié que pendant un tems ? Quand on ne fixeroit par une évaluation commune le produit de chaque couple qu'à deux enfans, ils seroient infiniment plus nombreux ; en le réduisant à un seul, le genre humain n'existeroit plus. La cause d'un effet si extraordinaire mériteroit bien d'être recherchée. Supposer avec M. Wallace que l'espece humaine est dépérie en elle-même, & diminuée en quantité : prétendre en trouver la raison dans les maux physiques & moraux qui l'assiegent, tels que la tempé rature des climats plus ou moins favorable, la stérilité de la terre dans d'autres, l'inclémence des saisons, les tremblemens de terre, les inondations de la mer, les guerres, les pestes, les famines, les maladies, ajoutons-y même les travaux périlleux que les hommes entreprennent, enfin la corruption des moeurs & les vices des différens gouvernemens ; c'est n'opposer que des causes accidentelles & locales à une difficulté générale.
Tous ces accidens sont bien en effet des motifs des destruction pour les hommes, mais 1°. tout le genre humain n'en est pas affligé en même tems ; on ne connoît que deux exemples où le monde entier en ait été attaqué. Le premier, que la forme sphérique de la terre pourroit rendre problématique, seroit un déluge universel ; le second une peste dont parle l'histoire, & qui fut, dit-on, si générale & si violente, qu'elle ébranla les racines des plantes, qu'elle se fit sentir dans tout le monde connu, & même jusqu'à l'empire du Catay, dit M. de Montesquieu : à l'exception de ces deux fléaux, les autres ont toujours été particuliers, & n'ont porté que sur une partie du genre humain, souvent sur la plus petite.
2°. Si l'on considere la médiocrité du nombre des hommes qui peuvent périr dans ces cas particuliers, & qu'on les compare à la prodigieuse quantité qu'il devroit y en avoir, suivant les calculateurs dont nous avons parlé, on conviendra que ces pertes ont dû être insensibles, & dans le rapport du fini à l'infini.
Ce n'est donc point dans ces causes que l'on trouvera celle de la différence qui existe entre la population réelle & celle qui résulteroit de ces supputations. C'est plutôt dans les fausses opinions sur lesquelles elles sont fondées ; c'est dans la vérité des lois invariables de la nature, qui, sans doute a déterminé le nombre des êtres de tous les tems.
Abandonnons tous les calculs ; les suppositions sur lesquelles ils peuvent être établis sont trop imaginaires. Il est trop difficile de fixer la maniere & le tems où le genre humain a commencé. En parlant philosophiquement, & abstraction faite pour ce moment, de tout dogme respectable & révélé. L'origine de la nature est plus éloignée qu'on ne croit. Pourquoi auroit-elle été une éternité sans exister ? Et puis qu'est-ce que c'est qu'une éternité sans durée ? Et qu'est-ce que la durée sans existence ?
Voyons néanmoins s'il est possible que la terre ait été plus abondamment peuplée dans les siecles reculés, qu'elle ne l'est de nos jours, & sur quels principes on a pu le penser.
" La grandeur des monumens anciens, dit M. Wallace, nous offre une scene plus vaste & plus magnifique, des armées plus nombreuses, ce qui suppose une plus grande foule de monde que ne nous l'offrent les siecles modernes. "
Le récit des historiens de l'antiquité justifie l'opinion de cet auteur, & celle des savans qui ont pensé comme lui.
Par l'énumération que fait Homere, liv. II. de l'Iliade, des vaisseaux employés par les Grecs pour le transport des troupes destinées au siége de la ville de Troie, & du nombre d'hommes que portoit chacun de ces vaisseaux, il paroît que leur armée étoit de 100810 hommes ; Thucydide observe dans le I. l. de son histoire, que les Grecs auroient pu mettre sur pié une armée plus nombreuse, s'ils n'avoient pas craint de manquer de vivres dans un pays étranger.
Suivant ce qu'Athenée rapporte du nombre des habitans d'Athènes & de l'Attique ; la Grece, composée seulement de l'Epire, de la Thessalie, de l'Achaïe & du Péloponnèse, devoit contenir quatorze millions d'habitans, en les évaluant proportionnellement au nombre de ceux qui se trouvoient à Athènes & dans l'Attique.
Si l'on en croit Hérodote, l'Egypte du tems d'Amasis, un peu avant la fondation de l'empire des Perses par Cyrus, étoit très-peuplée ; elle contenoit 20000 villes toutes habitées. On y tenoit quelquefois à la solde 410000 soldats, tous nés égyptiens. Le nombre des citoyens devoit être dans cette proportion de plus de 30 millions. Il est vrai que Thèbes & Memphis étoient des villes considérables. La premiere est connue pour une des plus grandes que le monde ait vû ; on en peut croire Tacite, qui en parle de cette maniere ; mais le reste des 20000 villes de l'Egypte étoit tout au plus de grands villages, dont il ne faut point se faire une idée sur celle qu'on a de la ville de Thèbes.
Diodore de Sicile remarque aussi que cette partie de la terre étoit anciennement le pays le plus peuplé de l'univers ; il rapporte un fait singulier qui le confirmeroit & qui mérite d'être cité.
Le jour, dit-il, que Sesostris vint au monde, il naquit en Egypte plus de 1700 enfans mâles. Le pere de ce jeune prince, qui y régnoit alors, fit élever tous ces enfans avec son fils, & leur donna la même éducation, espérant que nourris & vivant avec lui dès leur plus tendre enfance, ils seroient toujours ses amis. Henri IV. faisant promener ses enfans dans les rues de Paris, & se plaisant à les voir baiser & caresser par son peuple, peut être comparé au pere de Sesostris. Il n'y a que les grands rois qui sachent que l'amour de leurs sujets vaut mieux que leur crainte. Sesostris eut en effet beaucoup d'amis, de sages conseillers, de grands généraux, & son regne fut illustre.
S'il naissoit chaque jour dans ses états autant d'enfans mâles qu'il en vint au monde le jour de sa naissance, & que l'on ajoute la même quantité pour les filles, l'Egypte devoit être peuplée de plus de 34 millions d'habitans ; mais l'action de son pere & la remarque même des historiens, prouve que l'on regarda la naissance de ces 1700 enfans mâles en un même jour, comme un événement fort extraordinaire ; ainsi ce fait ne prouve rien pour la population de l'Egypte, non plus que pour la dépopulation qui s'y trouve aujourd'hui.
On lit dans le même historien, que de son tems il regardoit déjà la terre comme dépeuplée ; il ne vouloit pas qu'on jugeât du récit qu'il faisoit des nombreuses armées des anciens, par le petit nombre de celles qui existoient alors. Il écrit que Ninus mena contre les Bactriens 1700000 hommes d'infanterie, 210000 de cavalerie, 10600 chariots, & que le roi de Bactrie vint au-devant de cette armée avec 400000 hommes. Dans un autre endroit, il dit que Sémiramis assembla deux millions d'hommes pour bâtir Babylone ; que cette princesse avoit dans l'Inde une armée de trois millions de fantassins, d'un million & demi de cavaliers, 100000 chariots & 100000 hommes sur des chameaux préparés comme des éléphans. En parlant d'une expédition des Medes contre les Cadusiens, il remarque qu'ils avoient une armée de 800000 hommes, & les Cadusiens de 200000.
On trouve dans Strabon que beaucoup d'états & de villes étoient fort déchus de son tems ; que les Getes & les Daces, qui mettoient autrefois 200000 hommes sur pié, ne pouvoient plus en rassembler la moitié.
Ces historiens, & tous ceux qui en ont parlé, font l'Italie beaucoup plus peuplée avant que les Romains l'eussent subjuguée. Le récit qu'ils font des guerres que la Sicile eut à soutenir contre Carthage & d'autres puissances qui l'attaquerent ; des fortes armées que cette île opposoit à ses ennemis, sur-tout de celles qu'elle eut sous les deux Dions, supposent encore que le nombre de ses habitans étoit prodigieux.
César dans ses commentaires, estime que la Gaule, composée de la France, d'une partie des Pays-bas, & d'une autre partie de la Suisse, contenoit au moins 32 millions d'habitans.
Suivant M. Wallace, la Palestine, pays étroit & aride, en avoit 6764000 ; mais pour trouver les Israëlites si nombreux dans un si petit espace & sur un aussi mauvais terrein, il avoue lui-même qu'il faut avoir recours aux prodiges : & sans cela, il ne voit pas pourquoi ce pays eût été plus peuplé proportionnellement que ceux qui l'environnoient ; mais on voit aussi combien la nécessité d'avoir recours à une pareille cause, affoiblit la véracité du fait.
Le même auteur parcourt les îles de la Méditerranée, celles de la mer Egée, l'Asie mineure, les côtes de la Méditerranée vers l'Afrique, la Colchide, & toute l'étendue entre le Pont-Euxin & la mer Caspienne, l'ancienne Hircanie & les autres pays vers le nord ou nord-est de la Perse, & trouve tous ces cantons infiniment plus peuplés dans les tems anciens qu'ils ne le sont aujourd'hui ; mais il reconnoît aussi que l'Angleterre l'étoit beaucoup moins. Ne pourroit-on pas ajouter que l'Allemagne, le Danemarck, la Suede, la Moscovie l'étoient beaucoup moins aussi ? Alors on ne connoissoit ni l'intérieur de l'Afrique, ni l'Amérique : il est probable que les nations de ces vastes contrées n'étoient pas aussi multipliées que celles dont on cite la fécondité.
On ne conteste pas que ces nations ne fussent beaucoup plus nombreuses qu'elles ne le sont de nos jours ; mais de toute la surface de la terre, elles n'occupoient qu'environ les trois quarts de l'Europe, une partie de l'Asie, & une fort petite étendue des côtes de l'Afrique. Ainsi en accordant la proposition, cela prouvera que ces cantons furent plus peuplés autrefois, mais non pas que la terre entiere le fût davantage.
Ces nations étoient les seules qui fussent policées ; les arts, les sciences & le commerce qui y fleurissoient, étoient entiérement ignorés des autres ; il est donc naturel que la population y fût plus abondante qu'elle ne l'est ; il paroît même certain qu'elle le fut plus que dans les tems modernes, parmi les nations qui les ont remplacées dans la possession des arts, des sciences & du commerce. C'est tout l'avantage que peuvent tirer de leurs recherches les partisans de l'ancienne population ; mais ceci n'est qu'une comparaison particuliere de quelques nations à quelques nations, & non pas du tout au tout ; ainsi l'on n'en peut tirer aucune induction convaincante en faveur de l'ancienne population universelle sur la nouvelle.
On sait qu'un grand nombre de savans ont pensé que l'espece humaine avoit souffert de grandes réductions. On voit que c'étoit déja l'opinion de Diodore de Sicile, celle de Strabon, & de tous les historiens de l'antiquité, dont il seroit trop long de citer ici tous les passages, & qui d'ailleurs n'ont fait que se répéter. Vossius met une différence encore plus forte entre la quantité des hommes dans les tems anciens & dans les siecles modernes. Le calcul qu'il publia sur ce sujet en 1685 est insoutenable. Il réduit le nombre des habitans de l'Europe à 30 millions, dans lesquels il ne comprend ceux de la France que pour 5 millions ; on sait que jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes, on a toujours compté 20 millions d'habitans dans ce royaume : c'est à quoi les portent le dénombrement qui en fut fait à la fin du siecle dernier, & l'auteur de la dixme royale attribuée à M. le maréchal de Vauban.
Hubner dans sa géographie, ne porte les habitans de l'Europe qu'à 30 millions comme Vossius.
M. de Montesquieu, dans l'esprit des lois & dans la 112e lettre persane, dit qu'après un calcul aussi exact qu'il peut l'être dans ces sortes de choses, il a trouvé qu'il y a à peine sur la terre la dixieme partie des hommes qui y étoient autrefois ; que ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'elle se dépeuple tous les jours, & que si cela continue, dans dix siecles elle ne sera plus qu'un désert.
On auroit pû rassurer M. de Montesquieu sur cette crainte, que Strabon & Diodore de Sicile ont pû avoir comme lui & avant lui. Les portions du globe qu'il a parcourues se dépeupleront peut-être plus qu'elles ne le sont encore aujourd'hui ; mais il y a grande apparence que tant que la terre subsistera, il subsistera des hommes pour l'habiter. Il est peut-être aussi nécessaire à son existence qu'il y en ait, qu'il est nécessaire à l'univers qu'elle existe.
Nous ne connoissons pas encore la moitié de son étendue ; nous ne jugeons du reste du globe que par comparaison. On le connoissoit encore moins autrefois ; & cependant il semble qu'on se soit plu dans tous les tems à penser que les hommes y étoient plus rares que dans les siecles précédens. Sur quoi donc sont établies les conjectures qui ont donné lieu à cette opinion ? Quelles seroient les causes d'un si grand dépérissement ? si elles étoient morales, elles ne seroient que particulieres, & n'agiroient que sur une partie des hommes, ce qui ne suffit pas pour dépeupler la terre. Il faudroit donc que ces causes fussent physiques & universelles : à l'exception de deux dont nous avons fait mention, & dont les effets doivent être réparés depuis long-tems, en les supposant réels, il n'est arrivé aucuns changemens remarquables dans la nature, ceux qui ont eu lieu dans le ciel n'ont point produit de dérangemens sensibles. A peine s'apperçoit-on à Lisbonne du dernier tremblement de terre qui engloutit presque cette ville entiere, & cette terrible convulsion ne se fit sentir que dans une fort petite étendue du globe : d'ailleurs nous ne voyons point la même diminution dans les autres êtres que celle supposée dans le nombre des hommes. Pourquoi, si elle étoit réelle, seroient-ils les seuls qui l'eussent éprouvée ? Il est vrai que deux maladies cruelles & dévastantes, les ont particuliérement attaqués dans les tems modernes. Sans les remedes qu'on y a trouvés, le genre humain périssoit dans sa source par l'une de ces maladies. On défendit par un arrêt, d'en sauver la douzieme partie, que la seconde détruit à chaque génération, jusqu'à ce que la Théologie eut décidé qu'il n'étoit point contraire à la religion & desagréable à Dieu, d'empêcher les hommes de périr par la petite vérole. Le sort des choses utiles & bienfaisantes est d'éprouver tous les obstacles qui devroient être réservés pour le mal, & qu'il ne rencontre jamais. Tant de motifs gouvernent les hommes ! malgré ces défenses & malgré les entraves que la superstition, l'intérêt, la mauvaise foi, & la stupidité ne cesseront de mettre aux progrès de nos connoissances & aux avantages qui en résultent pour le bien public, il faut espérer que la sage méthode de l'inoculation, dont toutes les nations ressentent déja les plus heureux effets, achevera d'arrêter les ravages de cette maladie, jusqu'à présent si funeste à l'humanité.
On peut donc considérer dès ce moment comme moins destructeur, ce fléau que l'on croit l'une des causes principales de la dépopulation moderne ; il paroîtra même aux siecles à venir n'avoir été qu'instantané, si la raison & l'expérience l'emportent enfin sur les préjugés & la prévention. Mais d'ailleurs n'a-t-il existé aucune de ces maladies générales dans les tems anciens ? Sans parler de toutes celles dont l'histoire fait mention, & qui sont presque inconnues à la médecine moderne ; la lepre dont le peuple de Dieu fut toujours affligé & à laquelle on ne trouva jamais de remede, étoit-elle moins destructive ? Tout considéré, la somme des biens & des maux que la nature a attachés à notre existence, est la même dans tous les tems ; l'univers l'est aussi par rapport à nous ; s'il n'est point incorruptible, s'il a eu un commencement, s'il doit avoir un progrès & un dépérissement, ce n'est point à des êtres dont la durée est si courte & la vûe si foible, qu'il est permis d'appercevoir ces révolutions graduelles. Il n'y a qu'un jour que le monde existe pour nous, & nous voulons, dans cette période d'un moment que comprennent l'histoire & la tradition, avoir discerné ses changemens ; pouvons-nous seulement dire qu'il en dût éprouver ?
Tout se tient dans l'univers ; ce n'est qu'un tout subsistant par l'accord & la correspondance de toutes ses parties. Il n'y existe rien, jusqu'au plus petit atome, qui n'y soit nécessaire. Les corps qu'il renferme ne se maintiennent que par les rapports de leurs masses & de leurs mouvemens. Ces corps ont leurs lois particulieres émanées de la loi générale qui les dirige, & suivant lesquelles ils doivent ou ne doivent pas produire des êtres qui les habitent. Ne peut-on pas présumer que par une suite de ces lois la quantité de ces êtres est déterminée en raison directe de la nécessité réciproque qui est entr'eux & les globes dont ils couvrent la surface ? que le nombre n'en sauroit diminuer sensiblement sans altérer la constitution de ces globes, & conséquemment l'harmonie où ils doivent être avec les autres, pour le maintien de l'ordre universel.
" L'existence de la mouche est nécessaire à la subsistance de l'araignée : aussi le vol étourdi, la structure délicate, & les membres déliés de l'un de ces insectes, ne le destinent pas moins évidemment à être la proie, que la force & la vigilance de l'autre à être le prédateur. Les toiles de l'araignée sont faites pour les aîles des mouches ; enfin le rapport mutuel des membres du corps humain, dans un arbre, celui des feuilles aux branches, & des branches au tronc, n'est pas mieux caractérisé que l'est dans la conformation le génie de ces animaux, leur destruction réciproque.
Les mouches servent encore à la subsistance des poissons & des oiseaux ; les oiseaux à la subsistance d'une autre espece. C'est ainsi qu'une multitude de systèmes différens se réunissent, & se fondent pour ainsi dire, pour ne former qu'un seul ordre de choses.
Tous les animaux composent un système, & ce système est soumis à des lois méchaniques, selon lesquelles tout ce qui y entre est calculé. Or si le système des animaux se réunit au système des végétaux, & celui-ci au système des autres êtres qui couvrent la surface de notre globe, pour constituer ensemble le système de la terre, il faudra dire que tous ces systèmes ne sont que des parties d'un système plus étendu. Enfin si la nature entiere n'est qu'un seul & vaste système que tous les êtres composent, il n'y aura aucun de ces êtres qui ne soit mauvais ou bon par rapport au grand tout dont il est partie ; car si cet être est superflu ou déplacé, c'est une imperfection, & conséquemment un mal absolu dans le système général ". Essai sur le mérite & la vertu.
De ces principes il résulte que la population en général a dû être constante, & qu'elle le sera jusqu'à la fin ; que la somme de tous les hommes pris ensemble est égale aujourd'hui à celle de toutes les époques que l'on voudra choisir dans l'antiquité, & à ce qu'elle sera dans les siecles à venir ; qu'enfin à l'exception de ces évenemens terribles où des fléaux ont quelquefois dévasté des nations, s'il a été des tems où l'on a remarqué plus ou moins de rareté dans l'espece humaine, ce n'est pas que sa totalité se diminuoit, mais parce que la population changeoit de place, ce qui rendoit les diminutions locales.
Ces déplacemens sont bien marqués par ce qui est arrivé lorsque des conquérans & des nations guerrieres ont ravagé la terre ; on a vû les peuples du midi reculés jusque dans le nord, & revenir occuper la place qu'ils avoient quittée, ou d'autres dans des climats favorables, aussi-tôt que la violence & l'oppression cessoient. Il est clair qu'alors ce n'étoit qu'une partie de la terre qui se dépeuploit pour en peupler une autre ; & c'est, si l'on y prend garde, ce qui arrive à-peu-près dans tous les tems. Ceux de dévastation causent certainement de grandes pertes à l'espece ; mais tandis qu'elle les éprouve dans une partie du monde, elle se multiplie dans les autres, & répare même ses pertes avec accroissement dans celles qui ont été dévastées, dans les tems de repos qui suivent ceux de ces calamités ; les hommes ne sentent jamais autant le besoin qu'ils ont les uns des autres qu'après ces désastres, dont le malheur commun les rapproche & ranime en eux le sentiment d'affection si favorable à la propagation.
Tout ce que rapportent les historiens de l'antiquité, fondé sur des instans & des cas particuliers, a bien peu de force contre des lois éternelles & générales, d'ailleurs les faits qu'ils avancent sont-ils incontestables ? Hérodote, témoin oculaire de ce qui se passoit en Egypte, & même des embaumemens qu'il a décrits d'une maniere si incorrecte, dit lui-même qu'il ne garantit pas une grande partie de ce qu'il écrit. Comment concilier l'observation de Thucydide, qui remarque que les Grecs ne menerent au siége de Troie que 100810 hommes, parce qu'ils craignirent de manquer de vivres dans un pays étranger, avec ces millions d'hommes armés que donne Diodore de Sicile à Ninus & à Sémiramis ? étoit-il plus aisé de faire subsister ces multitudes que les 100810 grecs qui furent au siége de Troie ? On trouve dans Xénophon, que l'armée d'Artaxerxès, contre laquelle il combattit avec les Grecs qui étoient dans celle du jeune Cyrus, étoit de 1,200,000 hommes : il ne dit en aucun endroit qu'il l'ait vûe, mais seulement qu'on la faisoit monter à ce nombre ; & dans l'histoire de la retraite des dix mille, on voit qu'ils ont traversé plusieurs déserts immenses qui faisoient partie de l'empire des Perses. Or on ne peut pas dire qu'un royaume où il se trouve de si vastes régions inhabitées soit abondamment peuplé.
César, dans le dénombrement qu'il fait des habitans de la Gaule, paroit moins éloigné de la vérité ; on en trouveroit presque le même nombre encore aujourd'hui dans les pays que comprend ce dénombrement. Cela doit servir à prouver combien il faut se défier de ceux que nous ont laissés les autres historiens de l'antiquité. Ne devons-nous pas croire en effet que Diodore de Sicile & les autres ont été trompés par de faux calculs & des récits peu fideles ? Qui est-ce qui, dans l'avenir, ne croira pas pouvoir assurer, d'après les calculs de Vossius & la géographie d'Hubner, que l'Europe, au seizieme siecle, n'étoit peuplée que de trente millions d'habitans, appuyé sur-tout du témoignage du célebre Montesquieu ?
Convenons cependant, nous l'avons déja dit, que les anciennes nations policées pouvoient être plus nombreuses que celles des tems modernes ; nous en pouvons juger par les Grecs & par les Romains, de l'état desquels nous sommes plus assurés. Il est certain aussi que les nations actuelles qui les ont remplacées dans la possession des arts & des sciences, le sont moins elles-mêmes qu'elles ne l'étoient autrefois.
La raison de cette différence est évidemment celle qui est arrivée dans les religions, dans les gouvernemens, dans la politique en général, & principalement dans les moeurs : les lois & les coûtumes des anciens étoient donc plus favorables à la propagation que les nôtres ?
Le Mahométisme & le Christianisme qui ont remplacé les religions payennes, y sont certainement contraires ; c'est actuellement une vérité démontrée par l'expérience de plusieurs siecles, & qui n'est plus contestée que par ceux dont la superstition a pour jamais obscurci les lumieres de la raison.
La premiere de ces religions autorise la polygamie que les autres défendoient ; mais elle ordonne en même tems de satisfaire toutes les femmes que l'on prendra ; c'est permettre & défendre tout-à-la-fois. Si la premiere partie du précepte est observée, il est impossible que la seconde le soit. Un nombre prodigieux de femmes est renfermé dans les serrails, & avec elles autant d'eunuques pour les garder & les servir ; il n'y a aucun lieu au monde où il naisse moins d'enfans avec autant d'êtres destinés à en produire. On nous dit pourtant qu'un sultan a eu jusqu'à deux cent enfans. Si le fait est vrai, & que tous eussent fait de même, il seroit resté fort peu de femmes oisives ; mais pour un sultan qui en cultive deux cent, deux cent sultans n'en cultivent que chacun une. Il faudroit bien méconnoître l'étendue de nos affections, pour ne pas savoir que le goût est limité. On a deux cent femmes parce qu'il est de la magnificence d'en avoir ce nombre ; mais on finit par ne coucher qu'avec une seule.
Le Christianisme n'a pas proprement pour objet de peupler la terre ; son vrai but est de peupler le ciel ; ses dogmes sont divins, & il faut convenir que cette religion sainte y réussiroit si sa croyance étoit universelle, & si l'impulsion de la nature n'étoit malheureusement plus forte que toutes les opinions dogmatiques.
Ce culte proscrit le divorce que permettoient les anciens, & en cela il devient un obstacle aux fins du mariage ; ajoutez que la pureté de sa morale réduit l'acte de la génération à l'insipidité du besoin physique, & condamne rigoureusement les attraits du sentiment qui peuvent y inviter, & vous conclurez que des êtres enchaînés dans de semblables fers, ne se porteront guere à en procréer d'autres ; d'ailleurs si l'un des deux n'est pas propre à la génération, la vertu prolifique de l'autre reste nulle & en pure perte pour la société.
Abstraction faite toujours des choses religieuses & respectables, ne pouvons-nous pas dire avec un anglois célebre, que toute méprise sur la valeur des choses qui tend à détruire quelqu'affection raisonnable, ou à en produire d'injuste, rend vicieux, & que nul motif ne peut excuser cette dépravation. Que nul ne sauroit faire respecter non plus tout dogme qui conduiroit à des infractions grossieres de la loi naturelle.
Celui de l'immortalité de l'ame, bien antérieur au Christianisme, qui l'a sanctifié, pouvoit être utile à l'humanité. Il est pourtant d'expérience qu'il lui a toujours été funeste. L'ouvrage de Platon sur cette doctrine fit un si prodigieux effet sur l'esprit chaud & bouillant des Africains, qu'on fut obligé d'en défendre la lecture pour arrêter la fureur qu'ils avoient de se tuer. Cela prouve que dans le sens où ce dogme a été reçu parmi les hommes, son seul effet est de flatter leur orgueil, il les rend ingrats envers la nature ; ils croyent ne tenir d'elle que des choses méprisables qu'ils ne doivent chercher ni à conserver, ni à transmettre. Quel intérêt des êtres pénétrés de ces idées pourroient-ils prendre au maintien & à la propagation d'une société dans laquelle ils ne se considerent que comme des passagers, qui ne regardent ce monde que comme un vaste caravanserai dont ils ont grande hâte de sortir ? Pour eux la Providence fera tout, ils ne se mêleront de rien.
La doctrine de Foë, dit un philosophe chinois, dont le pere du Halde rapporte le passage, " établit que notre corps est notre domicile, & l'ame l'hôtesse immortelle qui y loge ; mais si le corps de nos parens n'est qu'un logement, il est naturel de le regarder avec le même mépris qu'on a pour un amas de terre. N'est-ce pas vouloir arracher du coeur la vertu de l'amour des parens ? Cela porte même à négliger le soin du corps & à lui refuser la compassion & l'affection si nécessaires pour sa conservation. Aussi les disciples de Foë se tuent à milliers ". Et aussi chez tous les autres peuples, les hommes trop affectés de la même idée, se détruisent-ils peu-à-peu.
Enfin c'est parce que les Indiens croyoient que l'on vivoit après la mort, que leurs esclaves, leurs sujets, & tous ceux qui leur étoient le plus attachés, se dévouoient à leur trépas pour aller les servir dans l'autre monde. Cette coutume existe encore de nos jours chez plusieurs nations.
Ne nous lassons point de citer ce qu'on trouve pour le bien de l'humanité dans les ouvrages approuvés des honnêtes gens : " Dans toute hypothèse de religion où l'espoir & la crainte sont admis comme motifs principaux & premiers de nos actions, l'intérêt particulier, qui naturellement n'est en nous que trop vif, n'a rien qui le tempere, & doit par conséquent se fortifier chaque jour par l'exercice des passions. Dans les matieres de cette importance il y a donc à craindre que cette affection servile ne triomphe à la longue, & n'exerce son empire dans toutes les conjonctures de la vie ; qu'une affection habituelle à un intérêt particulier ne diminue d'autant plus l'amour du bien général, que cet intérêt sera grand ; enfin que le coeur & l'esprit ne viennent à se rétrécir ; défaut, à ce qu'on dit en morale, remarquable dans les zélés de toutes religions ".
Les hommes en effet ne se conduisent jamais que par l'opinion. On n'empêcha les filles de Millet de se tuer, qu'en les menaçant de les exposer nues en public après leur mort. Si donc l'opinion reçue donne aux hommes l'espoir d'un grand bien particulier, ils ne prendront aucun intérêt au bien général ; ceux que leur offrent les religions modernes dans un état futur, les dégoûtent de ce monde-ci ; sans-cesse en opposition avec la nature, elles exigent toujours le sacrifice de celle-ci pour mériter les récompenses qu'elles promettent. Il est impossible de vivre sans transgresser l'une ou l'autre de ces lois, souvent toutes les deux à-la-fois, & sans risquer continuellement son bonheur éternel. Ce qu'il y a donc de mieux à desirer, est de mourir promtement. Le pere le plus religieux & le meilleur sera celui qui fera le moins pour multiplier sa famille, & pour assurer la vie & la subsistance de ses enfans. A quoi ne les exposeroit-il pas en cherchant à conserver leurs jours ? Ces idées peuvent conduire les hommes à de si terribles conséquences, que les hérésiarques d'une certaine secte prenoient leurs enfans par un pié, & leur brisoient la tête contre une pierre pour les garantir de la damnation, & pour assurer leur félicité éternelle ; & l'Eglise concourut avec la loi civile pour arrêter cette fureur.
Les grands législateurs ont su faire un meilleur usage de la facilité qu'ont les hommes à se persuader tout ce qui leur est le plus incompréhensible. Un prince, que l'Europe admire, que l'étendue de son génie & de ses connoissances, que son amour pour la vérité & pour les sciences qu'il cultive avec succès, rendront plus admirable encore aux siecles à venir que ses victoires ; un roi philosophe enfin, a trouvé le moyen de rendre utile à ses états la doctrine des recompenses & des peines futures. Il ne punit de mort la désertion parmi ses troupes que quand elle est récidivée ; mais à la seconde fois, il prive les déserteurs & ceux qui les ont débauchés, des consolations spirituelles, ou refuse des confesseurs aux catholiques, & des ministres à ceux des autres communions. On ne sauroit croire combien la crainte de mourir sans être réconcilié avec le ciel, retient ses soldats dans le devoir & dans la fidélité. C'est ainsi que le grand homme forcé de plier son génie à celui de son siecle, obligé de se servir de ce qu'il trouve, ne pouvant faire tout le bien dont il seroit capable, fait au-moins tout celui qui lui est possible.
Les Perses n'ont été si nombreux, dit M. de Montesquieu (j'ajoute & leur pays si cultivé), que parce que la religion des mages enseignoit que l'acte le plus agréable à Dieu, étoit de faire un enfant, de labourer un champ, & de planter un arbre.
Les gymnosophistes de l'Inde vouloient qu'on laissât après soi deux enfans qui remplaçassent leur pere ou leur mere ; ils s'abstenoient de connoître leurs femmes aussi-tôt qu'ils en avoient eu deux enfans ; mais ces bons philosophes ne voyoient pas que pour amener deux hommes à l'état nubile il faut bien plus de deux enfans. Leur dogme étoit contraire à la population ; ils demeuroient en reste & avec l'espece humaine & avec la société.
Les cultes européens lui sont encore plus contraires. Leur doctrine porte les hommes à s'isoler, elle les éloigne des devoirs de la vie civile. Chez eux l'état le plus parfait est le plus opposé à la nature, & le plus préjudiciable au bien public ; c'est le célibat. Une multitude d'êtres des deux sexes vont ensevelir avec eux dans des retraites des postérités perdues ; sans compter les ministres de la religion & les rigoristes, qui font voeu d'être inutiles à la propagation de l'espece ; & cette abstinence est dans ces religions la vertu par excellence. Comme si le plus grand des vices n'étoit pas de tromper la nature, & de subsister aux dépens de l'espece envers laquelle on ne remplit aucune de ses obligations. Un homme dont personne ne contestera la vertu, les bonnes moeurs & les lumieres, l'abbé de **** fortement touché des obligations de la nature, avoit consacré un des jours de la semaine à la propagation.
La politique des Grecs & des Romains sur cet objet étoit bien opposée aux usages modernes ; ils avoient des lois pénales contre ceux qui vouloient se soustraire au mariage ; & les Grecs accordoient des distinctions aux citoyens qui en avoient donné d'autres à la république : ceux qui n'étoient point mariés étoient notés d'infamie ; ils étoient exclus par les lois de Licurgue, de certaines cérémonies, obligés d'aller nuds au milieu du marché en hiver, & de chanter une chanson à leur honte ; les jeunes gens étoient dispensés de leur rendre le respect qu'ils devoient à leurs aînés : " Tu ne dois pas attendre de moi, dans le tems que je suis jeune, un honneur que tes enfans ne sauront me rendre lorsque je serai vieux ", disoit dans une assemblée publique un jeune lacédémonien à Dercylle, homme puissant, qu'il refusoit de saluer parce qu'il vivoit dans le célibat.
Ces nations se fortifioient en souffrant parmi elles toutes sortes de cultes. Lorsque l'on voulut à Rome les réduire à un seul, la puissance des Romains fut détruite. Cet exemple s'est répété trop souvent. Quelques contrées de l'Europe ne répareront peut-être jamais les pertes que l'une a faites par l'expulsion des Maures, & l'autre par la révocation d'un édit. Rien ne prouve mieux l'étendue de ces pertes, dit l'illustre historien du czar Pierre le Grand, que le nombre de refugiés qui se trouva dans le regiment que forma dans le même tems en Russie le général Le Fort.
A la Chine on est si convaincu que la tranquillité de l'état, sa prospérité & le bonheur des peuples dépendent de la tolérance de l'administration en matiere religieuse, que pour être mandarin, & par conséquent magistrat, il faut par une condition absolue, n'être attaché à aucun culte particulier.
Chez les anciens, le magistrat non moins éclairé pensoit de même. Il n'avoit garde de considérer les cultes comme exclusifs, & de souffrir qu'aucun prétendît à la prééminence sur les autres. Aussi les religions anciennes ne rendoient-elles ni cruel, ni intolérant. Elles conservoient les hommes au lieu de les détruire, elles les encourageoient à se multiplier aulieu de les en détourner. Les horreurs des guerres de religion y étoient inconnues. Parmi nous, les fureurs du dogme, le zele forcené des guerres d'outremer en ont égorgé des millions.
Gélon réduit les Carthaginois à l'humiliante nécessité de lui demander la paix ; la seule condition qu'il leur impose, est de ne plus immoler à l'avenir leurs propres enfans. Alexandre ayant vaincu les Bactriens, les oblige à ne plus faire mourir leurs peres vieux. Les Espagnols découvrent les Indes, ils en font la conquête, & tout-à-coup un peuple entier est anéanti de la surface de la terre, & c'est la gloire du culte qui en est le prétexte. Voilà les faits, il n'y a qu'à comparer & juger.
On sait ce qu'il en a coûté à une puissance de l'Europe, lorsqu'elle entreprit de détruire toutes les sectes par la violence. Ses provinces resterent inhabitées ; la superstition montroit au souverain le nombre des fidèles augmenté, mais elle lui cachoit avec soin la diminution de ses sujets, fuyant en foule chez les puissances voisines, y portant leurs richesses & leur industrie. Le prince pieusement abusé qui dévastoit ainsi ses états, croyoit plaire à l'être suprème : on lui disoit qu'il exécutoit sa volonté. Le même motif détermina son prédécesseur à donner la loi qui rendoit esclaves les negres de ses colonies. Il se faisoit une peine extrême d'y souscrire ; on lui persuada que c'étoit la voie la plus sure pour les convertir : il y consentit.
Cette fureur de ramener tous les hommes à une même formule religieuse, & de les contraindre à penser tous de même dans une matiere où l'on est si peu maître de sa maniere de penser, est un fléau dont l'humanité n'a point éprouvé les horreurs dans le paganisme. Les cultes anciens étoient si éloignés d'inspirer tant de cruauté, qu'on punit à Athènes un aréopagite qui avoit tué un moineau poursuivi par un épervier, qui s'étoit sauvé dans son sein. On y fit mourir un enfant qui annonçoit un de ces caracteres féroces, par le plaisir qu'il avoit pris à crever les yeux d'un oiseau.
Enfin ce despotisme spirituel qui prétend assujettir jusqu'à la pensée à son sceptre de fer, doit encore avoir le terrible effet de produire à la longue le despotisme civil. Celui qui croit pouvoir forcer les consciences, ne tarde pas à se persuader qu'il peut tout. Les hommes ont trop de penchant à augmenter l'autorité qu'ils ont sur les autres ; ils cherchent trop à s'égaler à ce qu'ils croyent au-dessus d'eux, pour résister à l'exemple que le fanatisme leur donne au nom de la divinité. Aussi voyons-nous d'un côté la liberté lutter sans-cesse contre le pouvoir absolu, tandis que de l'autre elle a succombé tout-à-fait sous le Mahométisme.
Un autre inconvénient des cultes nouveaux qui n'est pas moins préjudiciable à la multiplication de l'espece que tout ce que nous venons de dire, c'est de séparer les hommes non-seulement pour le spirituel, mais encore corporellement. Ils élevent entre eux des barrieres que tous les efforts de la raison ne peuvent briser. On diroit que ce ne sont ni des êtres d'une même espece, ni les habitans d'un même globe. Chaque culte, chaque secte forme un peuple à part qui ne se mêle point avec les autres ; & dans le fond il faut convenir qu'ils sont conséquens à leurs systèmes, car s'ils pouvoient se mêler, ils auroient à côté d'eux des exemples de vices & de vertus, communs à toutes les sectes, qui les conduiroient infailliblement à réduire à sa juste valeur la petite importance que méritent les opinions qui les divisent. Cependant la nature qui n'a gravé qu'un culte au fond des coeurs, feroit naître près l'un de l'autre deux êtres qui sentiroient bientôt mutuellement qu'il est une impulsion plus forte que tous les intérêts religieux qui les séparent. Une passion innocente & pure, mais violente, les entraîneroit, & ils méconnoîtroient bientôt l'absurdité de ces différences. Si le zele dogmatique de leurs parens s'opposoit à leur union, ils les détesteroient ; & malheureux pour jamais, ils maudiroient les opinions dont ils seroient les victimes : mais non, le penchant de la nature l'emporteroit, & il faudroit les marier. Alors leurs enfans élevés entr'eux ne seroient proprement d'aucune secte, mais ils seroient honnêtes ; leur affection pour les hommes ne seroit point retrécie dans le petit cercle de ceux d'un même culte ; ils aimeroient tous leurs freres en général. La morale particuliere de ces cultes pourroit bien y perdre quelque chose, mais la morale universelle & la population y gagneroient beaucoup, & elles sont d'une bien autre importance. Loin de les condamner, le magistrat devroit donc favoriser ces unions ; mais nos lois tiennent encore trop de leur origine pour se proposer ces avantages.
Entre toutes les formes de gouvernemens possibles, dont le despotisme doit toujours être écarté, il seroit difficile d'assigner celle où rien absolument ne seroit contraire à la multiplication de l'espece : toutes ont leurs avantages & leurs inconvéniens. Un gouvernement dont les institutions seroient incorruptibles, qui assureroient pour toujours la durée de la société, son bonheur & celui des individus qui la composeroient, leur tranquillité & leur liberté, est encore à trouver : c'est un chef-d'oeuvre auquel l'esprit humain n'osera jamais prétendre, & que sa propre inconstance rend impossible. Les lois de la Chine sont peut-être les seules où l'on puisse trouver tant de stabilité ; il faut qu'elles soient bien sages, puisqu'elles n'ont point varié, malgré toutes les sortes de dominations par lesquelles les Chinois ont passé : ils les ont données à toutes les nations qu'ils ont vaincues ; celles qui les ont subjugués les ont reçues & s'y sont soumises. Aussi quelque fertile que soit cette vaste contrée, elle suffit à peine quelquefois pour nourrir les deux tiers des habitans. Cet exemple est unique ; en général l'abus de toutes choses, le tems qui les use & les détruit, les révolutions trop fréquentes parmi les hommes, l'augmentation ou la perte de leurs connoissances, rendent toutes les lois politiques aussi variables qu'eux, & laisseront toujours dans cette importante matiere de grands problèmes à résoudre. Solon, à qui l'on demandoit si les lois qu'il avoit données aux Athéniens étoient les meilleures, répondit qu'il leur avoit donné les meilleures de toutes celles qui pouvoient leur convenir.
On remarque pourtant dans tous les tems & dans tous les climats, que l'espece humaine a fructifié davantage dans les gouvernemens populaires & tolérans, qui en général par leur constitution ne peuvent être trop étendus, & dans lesquels les citoyens jouissent d'une plus grande liberté religieuse & civile. La grande population ne s'est jamais trouvée dans les grands états ; & c'est en quoi les gouvernemens modernes sont moins propres à la produire que les anciens.
Dans les vastes empires d'aujourd'hui l'administration publique est obligée de passer par trop de canaux : c'est un arbre dont les branches sont trop étendues & trop multipliées, la seve se seche avant de parvenir du corps aux extrêmités. Il est impossible de veiller sur toutes les provinces & sur toutes les parties ; il faut s'en rapporter à une multitude d'agens intermédiaires, dont l'intérêt personnel est toujours la premiere loi, & qui portent tous un esprit différent dans l'exécution d'une même chose. On ne peut voir que par leurs yeux, & agir que par leur ministere. Le maître ne connoît ses peuples, leur situation, leurs besoins, que comme on veut les lui faire connoître ; assez malheureux pour ignorer toujours la vérité. Souvent les peuples ne le connoissent à leur tour que par les vexations que l'on exerce sous son nom.
L'esprit de conquête, qui est ordinairement celui des grandes monarchies, les troupes nombreuses qu'il faut entretenir pour la défense & pour l'attaque ; la disproportion des rangs & plus encore celle des fortunes ; le faste du maître & des courtisans ; un commerce porté dans des contrées trop éloignées, & qui ne sera qu'artificiel ; un luxe désordonné, & la corruption des moeurs qui en est la suite : voilà autant d'obstacles à la population, auxquels il faut ajouter la consommation des grandes villes & sur-tout des capitales, qui absorbent chaque année une partie des hommes qui naissent dans les provinces.
La Grece ; que tout le monde convient avoir été de tous les pays de l'antiquité le plus peuplé, étoit divisée en plusieurs petites républiques dont tous les citoyens étoient égaux & libres ; l'administration pouvoit veiller sur toutes les parties de l'état & y maintenir les lois dans leur intégrité, parce qu'aucune de ces parties n'étoit trop éloignée du centre. Tous concouroient à la prospérité publique, parce qu'elle étoit celle de tous, parce qu'il n'y en avoit point d'individuelle que l'on y préférât, & que chacun y avoit un même intérêt ; les actions utiles & les services rendus à la patrie y constituoient la vertu, le mérite & le savoir y distinguoient les hommes, & l'estime publique en étoit la récompense, sans qu'il fût besoin d'épuiser les trésors de la nation.
Les Romains ne sont si admirables en aucuns tems, ni si nombreux, que dans les beaux jours de la république, où ils se gouvernoient par les mêmes principes. Rome étoit alors une fourmiliere de héros & de grands hommes ; dès qu'elle voulut s'étendre, il fallut admettre des étrangers & des esclaves au droit des citoyens, pour réparer les pertes que faisoit journellement la race des premiers Romains. Rome par des conquêtes qui étonnent encore aujourd'hui l'univers, préparoit sa chûte ; sa puissance s'affoiblissoit à mesure qu'elle s'étendoit ; l'austérité des moeurs se perdoit par l'association des moeurs étrangeres ; les conquêtes produisirent les richesses ; les richesses devenues l'équivalent & la mesure de tout, remplacerent toute distinction honorable & flatteuse ; toute vertu, tout talent, tout mérite, furent bientôt l'unique ambition des ames ; l'esprit de patriotisme s'éteignit ; le luxe naquit, & le luxe perdit l'empire : il succomba enfin sous le poids de sa propre grandeur ; il avoit envahi toutes les nations, il ne lui fut plus possible de les gouverner. On connoît toutes les pertes que fit le genre humain dans cet ébranlement général que causa la chûte de ce grand corps. Ses propres sujets trop éloignés des lois & de l'autorité pour les reconnoître & pour les craindre, le mirent en pieces. Si Rome fut toujours peuplée tant qu'elle resta le siége de l'empire, ce fut aux dépens de toutes les provinces, dévastées d'ailleurs par la rapacité, l'avarice, l'ambition & la tyrannie de ces intendans que l'on appelloit proconsuls.
Dans tous les tems les mêmes causes ont produit les mêmes effets : il semble qu'il y ait pour la grandeur & la durée des empires, comme pour toutes les autres entreprises des hommes, un certain terme donné qu'il est impossible de passer.
Depuis Constantin jusqu'au dernier empereur de Constantinople, le monde fut ravagé par la fureur des conquérans, & par les opinions religieuses ; il n'est aucun tems peut-être où ces opinions aient tant coûté d'hommes à l'Europe & à l'Asie, que durant cette époque.
L'empire de Charlemagne dura moins que celui des Romains, & proportionnellement fut aussi destructeur pour l'espece humaine. On est touché de compassion, quand on voit tout ce que le fanatisme religieux & la gloire des conquérans lui ont fait souffrir. Des nations entieres égorgées plusieurs fois, traînant ensuite leurs déplorables restes jusqu'au fond du nord pour chercher un asyle contre les massacres du héros, qui offroit au ciel les victimes de son ambition.
L'énorme puissance de Charles-Quint eut encore des effets plus funestes à l'humanité : un auteur célebre dit, en parlant des prospérités de ce prince, qu'un nouveau monde se découvrit pour lui. Ce fut un malheur de plus pour le genre humain, puisqu'il fit de ce nouveau monde un désert. Tandis qu'il conquéroit tant de nations au loin, qu'on les exterminoit par des cruautés dont le recit saisit d'horreur, la sienne se dépeuploit, ses provinces se soulevoient, & le démembrement de son empire se préparoit. L'Espagne s'épuisa d'hommes ensuite, pour repeupler l'Amérique & les Indes qui ne le seront jamais, & qu'elle avoit dévastées.
Il n'est pas nécessaire de pousser plus loin nos remarques, pour prouver que l'esprit des grandes monarchies est contraire à la grande population. C'est dans les gouvernemens doux & bornés, où les droits de l'humanité seront respectés, que les hommes seront nombreux.
La liberté est un bien si précieux que, sans être accompagnée d'aucune autre, elle les attire & les multiplie. On connoît les efforts surnaturels de courage qu'elle a fait faire dans tous les tems pour sa conservation. C'est elle qui a tiré la Hollande du sein des eaux, qui a rendu ses marais un des cantons le plus peuplé de l'Europe, & qui retient la mer dans des bornes plus resserrées. C'est la liberté qui fait que la Suisse, qui sera la derniere des puissances subsistantes de l'Europe, fournit, sans s'épuiser, des hommes à toutes les puissances de l'Europe, malgré l'ingratitude de son sol, qui semble n'être capable d'aucune autre production.
Il n'est point de gouvernement où l'on ne pût en tirer les mêmes avantages. La tyrannie fait des esclaves & des déserts, la liberté fait des sujets & des provinces : moins elle sera gênée par les lois & par la volonté du souverain, moins ces lois seront transgressées, & plus le souverain sera sûr de la fidélité & de l'obéissance de ses peuples. C'est quand l'autorité exige des choses contraires au droit naturel & aux conventions de la société, que l'obéissance est pénible & qu'elle se refuse, alors on se croit obligé de punir la désobéissance, l'autorité prend la place de la loi, on soupçonne la fidélité des sujets qui suspectent à leur tour l'autorité. Tous les liens qui formoient la société se rompent, le pouvoir arbitraire s'établit, & l'amour du souverain & de la patrie s'éteint.
Les hommes ne naissent point où la servitude les attend, ils s'y détruisent. Voyez chez les despotes ; pour qu'ils se multiplient, il faut que leur liberté ne dépende que des lois, qu'ils n'ayent à craindre qu'elles ; & qu'en les observant, chaque citoyen ne puisse être privé de la sienne.
On peut offenser trop de monde, il est trop facile de devenir coupable ou d'en être soupçonné, quand il est si facile d'offenser les lois, le prince & la religion. La superstition, l'ignorance, les haines particulieres, l'envie, la calomnie & l'intérêt sont autant de dangers qui menacent sans cesse la liberté de l'homme de bien ; celui qui aura le plus de mérite y sera le plus exposé, comme le plus à craindre pour les petites ames. Blâme-t-on en elles quelques vices ou quelques ridicules, aussi-tôt les lois, le prince & la religion sont en danger ; ce sont ces trois puissances qu'on attaque dans leurs personnes, & elles sont intéressées à les vanger. " Un homme avoit fait un libelle contre les ministres d'un roi d'Angleterre, on dit qu'il avoit mal parlé du gouvernement, il fut condamné au pilori. Le monarque le vit en passant, & demanda la cause de ce châtiment, on la lui apprit. Le grand sot, dit le roi, que ne faisoit-il son libelle contre moi, on ne lui auroit rien fait ". Combien de fois l'autorité a servi de cette maniere les animosités personnelles ? & combien ces abus, qui ne laissent aux citoyens qu'une liberté précaire à la merci de quiconque veut l'attaquer, ne doivent-ils pas disperser les hommes !
La justice & la douceur du gouvernement les rendront toujours nombreux. Le contraire peut les porter par humanité à des excès dont l'humanité même frémit. Les femmes de l'Amérique se faisoient avorter pour que leurs enfans n'eussent pas des maîtres aussi cruels que les Espagnols.
Les Saxons se firent massacrer plusieurs fois pour les droits naturels dont Charlemagne vouloit les priver. Louis le Débonnaire son fils leur rendit ces droits, & ce fut le plus bel acte de son regne : les Saxons lui furent toujours fideles.
Ceux qui ont dit que plus les sujets étoient pauvres, plus les familles étoient nombreuses ; que plus ils étoient chargés d'impôts, plus ils se mettoient en état de les payer, ont blasphémé contre le genre humain & contre la patrie ; ils se sont déclarés les plus cruels ennemis de l'un & de l'autre en insinuant des maximes qui ont toujours causé & qui causeront à jamais la destruction des hommes & la ruine des empires. Il falloit les réduire dans la cruelle indigence où ils vouloient que fussent leurs concitoyens, afin de leur apprendre qu'avec un mensonge ils avoient dit une atrocité qui méritoit peut-être une plus grande punition. A quel excès l'intérêt & l'ambition avilissent, puisque la bassesse & la flatterie à laquelle ils portent peuvent dégrader la nature humaine jusqu'au point de s'outrager elle-même ! O Henri ! c'est contre tes enfans que ces maximes homicides ont été prononcées ! ton oreille n'en eût point été souillée ! les meurtriers de tes sujets ne t'eussent point approché !
L'excès des tributs anéantit la liberté, éteint toute émulation & tous sentimens patriotiques, décourage les hommes & les empêche de se reproduire ; l'extrême pauvreté conduit au désespoir, le désespoir à l'accablement, l'accablement à la paresse & à l'indifférence de tout bien.
Comme la société a ses avantages auxquels doivent participer tous les membres qui la composent ; elle a ses charges aussi qu'il est juste qu'ils supportent. Chaque citoyen est obligé de lui fournir sa contribution de travail & sa part des impôts que la conservation commune exige ; celui qui se dispense de ces deux contributions est mauvais citoyen, c'est un membre inutile, une charge de plus pour la société qui, en bonne police, ne doit pas y être soufferte : mais les impôts doivent être dans le rapport exact des richesses du pays, & repartis dans la juste proportion des facultés particulieres de chaque citoyen. Quand les besoins de l'état excedent ces rapports, la levée devient difficile & le mal commence ; quand la disproportion devient énorme, la levée devient impossible, c'est le tems des calamités publiques ; tous les ressorts sont forcés, & la machine est prête à se briser au premier choc.
Les Francs trouverent les Gaules dans cette position lorsqu'ils en firent la conquête. " Ils reconnurent, dit M. de Boulainvilliers, que l'excès des tributs étoit la cause de la destruction de l'empire romain ; que l'épuisement de l'argent des provinces en rendoit la perception impossible. La rigueur des subsides en argent accabloit les peuples sans soulager l'état, désoloit les campagnes, empêchoit la culture des terres, faisoit perpétuellement flotter les hommes entre les horreurs de la faim & la non-valeur des recoltes, & rendoit enfin leur condition si misérable, que les maladies épidémiques étoient regardées comme une faveur du ciel qui vouloit délivrer ses élus de la désolation générale de ce siecle. Ces subsides pécuniaires étoient au-dessus des forces de ceux à qui on les demandoit ; ils réduisoient les peuples à vendre ce qu'ils avoient pour s'en acquiter ; les terres ne produisoient pas assez, ou le prix de leur vente en non-valeur ne suffisoit pas. Les peuples réduits au désespoir appelloient les étrangers à leur secours, se soumettoient à leur gouvernement, & se trouvoient plus heureux dans ce nouvel esclavage, que dans la jouissance d'une fausse liberté que les Romains leur avoient laissée ".
La même chose a produit l'étonnante facilité de la conquête de l'empire de Constantinople par les Mahométans.
C'est donc toujours sur les facultés des peuples que doivent se regler les tributs. Si les besoins en exigeoient de plus considérables, ce ne seroit plus ceux de l'état, ce seroit des besoins particuliers : car les besoins de l'état ne peuvent être que ceux des peuples, ou plutôt ceux que leur intérêt a nécessités ; & les peuples ne sauroient avoir de besoins auxquels ils ne puissent fournir : quelles en seroient les causes ?
S'ils ne sont point en état de supporter les dépenses, ils ne feront point la guerre. Ils ne formeront point d'établissement, si, pour les fonder, il faut prendre sur leur subsistance. Ils se contenteront de réparer les masures, & n'éleveront point de superbes édifices, s'il faut bâtir sur leurs ruines. Ils ne payeront point le vice & la mollesse de cette foule de courtisans bas & fastueux, la magnificence du trône sera le bonheur public, il y aura moins d'esclaves & plus de citoyens ; leurs besoins ne seront jamais portés jusqu'à les forcer de vendre à d'autres le droit de les opprimer sous toutes les formes possibles, & jusque sous le nom de la justice ; ils ne conserveront de troupes que ce qui en sera nécessaire pour leur sûreté & celle de leurs possessions. Pouvant s'adresser eux mêmes directement à la divinité, ils n'entretiendront point au milieu de la société de grands corps paralytiques qui consument sa substance, & ne lui rendent rien. Enfin ils supprimeront toutes ces causes de besoins, qui, encore un coup, ne sont pas ceux de l'état. Quand les besoins de l'état sont ceux des peuples, alors ils suffiront aux impôts nécessaires, ils seront modérés, l'état sera puissant, l'agriculture & le commerce y fleuriront, & les hommes y seront nombreux, parce qu'ils croissent toujours en raison du bien-être dont ils jouissent.
Le contraire arrivera par le contraire, si les tributs absorbent le produit des terres & celui du travail, ou qu'il n'en reste pas assez pour assurer la subsistance du laboureur & de l'artisan ; les champs resteront incultes, & l'on ne travaillera plus : c'est-là que l'on verra des vieillards mourir sans regret, & de jeunes gens craindre d'avoir des enfans. Des gens qui ne peuvent compter sur leur nourriture s'exposeront-ils à donner la vie à de nouveaux malheureux, qui accroîtroient leur désespoir par l'impossibilité où ils seroient de les nourrir ? Est-ce un sein desséché par la misere qui les allaitera ? Est-ce un pere affoibli par le besoin qui soutiendra & qui alimentera leur jeunesse ? Il n'en auroit ni la force ni la possibilité. La misere publique refuse tout travail à ses bras paternels ; & quels êtres encore naîtroient dans cet état de détresse ? Des enfans foibles & débiles qui ne s'élevent point ; le tempérament de ceux qui échappent à leur mauvaise constitution & aux maladies populaires, acheve de se perdre par la mauvaise nourriture qu'ils reçoivent. Ces créatures éteintes, pour ainsi dire avant que d'avoir existé, sont bien peu propres ensuite à la propagation. Ainsi donc là où les peuples sont misérables, l'espece dégénere & se détruit ; là où est l'abondance générale, elle augmente en force & en nombre. La nature & le bien-être invitent les individus à se reproduire.
A l'aspect d'une campagne dont les terres bien cultivées sont chargées d'abondantes moissons, je ne demande point si le pays est heureux & peuplé, je l'apprend par les beautés que m'offre la nature. Mon ame s'émeut & se remplit d'une joie douce & pure en admirant les trésors qu'elle accorde à ces hommes innocens, dont elle fructifie la race & les travaux. Je me sens pénétré d'attendrissement & de reconnoissance ; je la bénis, & je bénis aussi le gouvernement sous lequel ils multiplient leur espece & ses dons.
S'il faut des distinctions dans la société, c'est à ces hommes vertueux & utiles qui l'enrichissent sans la corrompre, qu'elles sont dues. Ils en ont eu dans les gouvernemens les plus policés & les plus illustres. Romulus ne permit aux hommes libres que deux exercices, les armes & l'agriculture. Aussi les plus grands hommes de guerre & d'état étoient agriculteurs. Caton l'ancien cultivoit la terre, & en a fait un traité. Xénophon, dialogue de Socrate & de Critobule, fait dire par le jeune Cyrus à Lysandre, qu'il ne dînoit jamais sans avoir fait jusqu'à la sueur quelque exercice guerrier ou rustique. A la Chine elle est encore plus honorée. L'empereur fait tous les ans la cérémonie d'ouvrir les terres ; il est informé chaque année du laboureur qui s'est le plus distingué, & le fait mandarin du huitieme ordre, sans qu'il lui soit permis de quitter sa profession. Le P. du Halde nous apprend que Venty, troisieme empereur de la troisieme dynastie, cultivoit la terre de ses propres mains : aussi la Chine est-elle le pays le plus fertile & le plus peuplé du monde. On lit encore dans M. de Montesquieu, que chez les anciens Perses le huitieme jour du mois nommé chorrent-ruz, les rois quittoient leur faste pour manger avec les laboureurs. Ce qui me touche dans ces usages, ce n'est pas le stérile honneur que le souverain faisoit à la portion la plus nombreuse & la plus utile de ses sujets ; mais c'est le préjugé doux & légitime qu'il sentoit toute l'importance de leur état, & qu'il ne l'excédoit pas d'impositions. Or combien tous ces usages ne devoient-ils pas encourager l'agriculture & la population ? Combien ceux de nos jours n'y sont-ils pas contraires ?
La différence que met dans la condition des hommes, l'inégalité des rangs & des fortunes qui a prévalu dans la politique moderne, est une des causes qui doit le plus contribuer à leur diminution. Un des plus grands inconvéniens de cette humiliation est d'éteindre en eux tous les sentimens naturels & réciproques d'affection qu'ils se doivent. Il y a tant de disproportion entre leur sort, que lorsqu'ils se considerent d'un état à l'autre, ils ont peine à se croire de la même espece. On a vu des hommes, oubliant qu'ils pouvoient naître dans l'abjection, & qu'ils ne tenoient leurs dignités que des conventions, dégrader d'autres hommes au point de les employer à des choses pour lesquelles ils auroient répugné à se servir de leurs animaux ; & se persuader que leurs semblables n'étoient susceptibles ni des mêmes biens, ni des mêmes maux que ceux qu'ils pouvoient éprouver.
C'est cet orgueil démesuré, & l'envie de perpétuer après soi l'autorité que l'on a eu sur les autres, qui ont donné l'idée au droit d'aînesse, établi contre la nature & le bien public. On craignoit tant à Athènes la réunion des biens, que pour éviter celle de deux hérédités dans une même famille, il y étoit permis d'épouser sa soeur consanguine, & non pas sa soeur utérine qui pouvoit devenir l'héritiere d'un autre patrimoine.
Ces lois contre l'inégalité de fortune, ont fait la prospérité & l'abondante population des Grecs & des premiers Romains. Tous étoient citoyens, parce que tous étoient propriétaires ; car c'est la propriété qui fait les citoyens : c'est le sol qui attache à la patrie. Alors les charges & les avantages de la société étoient communs entre tous ses membres, chacun jouissant d'une fortune semblable, se livroit également à la population ; le luxe & la débauche de l'opulence, le découragement & la foiblesse de l'indigence n'y mettoient point d'obstacles. C'est un mauvais citoyen, disoit Curius, que celui qui regarde comme peu de chose la quantité de terre suffisante pour faire vivre un homme.
Quand toutes les richesses de la nation sont réunies & possédées par un petit nombre, il faut que la multitude soit misérable, & le fardeau des impositions l'accable. Quelle proportion y a-t-il en effet entre le nécessaire qu'ils enlevent aux malheureux, & la légere partie de l'énorme superflu dont ils privent les autres ? Leurs vastes possessions sont encore plus funestes à la société ; elles envahissent toutes les propriétés ; les terres produisent peu, & le peu qu'elles produisent elles ne le produisent plus que pour eux, & ne sont plus habitées que par leurs esclaves, ou par les journaliers qu'ils employent pour les cultiver. Ces étendues de pays qui appartiennent à un seul, feroient le patrimoine d'un nombre infini de familles qui y trouveroient leur subsistance ; & ces familles expulsées de la nation par les acquisitions des riches, peupleroient les provinces d'habitans & de citoyens dont la patrie est privée. Les terres en seroient mieux cultivées & plus fertiles, car elles produisent toujours en raison de la culture qu'on leur donne ; & le propriétaire n'en possédant que la quantité nécessaire pour fournir à ses besoins & à ceux de sa famille, n'épargneroit rien pour en augmenter les productions autant qu'il seroit possible. Une foule d'êtres répandus sur toute la surface de l'état, en travaillant pour leur bien particulier, feroient le bien général que les grandes possessions détruisent par l'abondance meurtriere qu'elles procurent, qui sera toujours assez considérable pour que ceux qui en jouissent ne se donnent pas pour l'accroître, des soins dont d'ailleurs ils seroient incapables dans la mollesse où ils vivent.
Ce n'est pas non plus dans cette mollesse qu'ils multiplieront l'espece : les gens riches font moins d'enfans que les pauvres. Il ne reste à ceux-ci que ce seul adoucissement à tous les maux qui les accablent ; il est naturel qu'ils le recherchent & qu'ils en jouissent autant que l'extrême misere ne les y rend point insensibles. Les autres au contraire, plongés dans des plaisirs de toutes especes dont le choix seul les embarrasse, abusant de tout par des excès qui les exténuent, épuisant la nature avant qu'elle soit formée, ont prodigué & perdu la faculté d'être peres avant l'âge de le devenir. S'ils le deviennent ensuite, leurs enfans sont frèles & débiles comme ceux des pauvres ; mais par des causes différentes. Ils portent la peine de la profusion de leur pere, & la fragilité de son épuisement. D'ailleurs le droit de primogéniture, qui assigne toute sa succession à un seul, & qui destine tous les autres à ne rien avoir, quoiqu'ils soient nés avec les mêmes droits, les empêchera de naître : le pere ne pouvant avoir qu'un enfant qui soit riche, ne veut pas en avoir plusieurs. S'il les a, ce sont autant d'ennemis au sein de sa famille ; l'intérêt y produit des animosités qui ne s'éteindront jamais, & qui brisent les liens sacrés du sang : des freres privés par leur frere de l'aisance dont ils jouissoient dans la maison paternelle, ne voyent en lui qu'un ravisseur qui les opprime, & qui les dépouille d'un bien auquel ils avoient un droit commun. L'aîné seul prend le parti du mariage ; les autres attirés par l'oisiveté & la facilité de s'enrichir sans soins, sans peines & sans travaux, prennent celui de l'état ecclésiastique. S'ils ne peuvent y parvenir, ils vont vivre plus inutilement encore dans des cloîtres, ou bien ils restent garçons. Des sépultures anticipées sont les asyles qui attendent les filles. Des parens dénaturés immolent plus que la vie de leurs enfans à l'orgueil d'un seul. Dans les pays où ce droit barbare n'est point établi, ils poussent la cruauté jusqu'à employer la violence au défaut de la séduction, pour procurer à l'idole de leur vanité les avantages que la loi ne lui accorde point.
Tels sont les préjudices que porte à la propagation l'inégalité, & principalement celle des fortunes dans la politique moderne. Telle est aussi l'utilité si vantée par leurs partisans, de ces retraites meurtrieres où l'avarice, l'ambition & la cruauté, traînent des victimes & engloutissent les races futures.
Le savant M. Hume, philosophe anglois, dans un discours plein d'érudition qu'il a donné sur la population, compare cette coutume d'enfermer les filles dans des monasteres, à celle qu'avoient les anciens d'exposer leurs enfans, & donne avec beaucoup de raison la préférence à celle-ci. En effet, tous les enfans exposés ne périssoient pas, ils étoient recueillis, & le plus grand nombre n'étoit pas perdu pour la nature & pour la société. Les premiers au contraire, sont anéantis pour l'une & pour l'autre.
La loi de Solon qui permit de les tuer montre bien plus de génie & d'humanité. Ce grand homme philosophe & législateur, pressentit qu'il seroit bien rare qu'un pere se permît ce que la loi autorisoit ; il jugea que l'on pourroit bien se déterminer à abandonner ou à enterrer tout vivans des enfans à qui on auroit donné le jour, mais non pas à les égorger.
La nature n'a que deux grands buts, la conservation de l'individu & la propagation de l'espece. Or s'il est vrai que tout tende à exister ou à donner l'éxistence, s'il est vrai que nous n'ayons reçu l'être que pour le transmettre, il faut convenir que toute institution qui tend à nous éloigner de ce but, n'est pas bonne, & qu'elle est contraire à l'ordre de la nature.
De même, s'il est vrai que tous les membres d'une société doivent conspirer concurremment à son bien général ; si les meilleures lois politiques sont celles qui ne laisseront aucun citoyen, aucuns bras inutiles dans la république, qui en feront circuler les richesses & qui sauront diriger tous ses mouvemens vers la chose publique, comme autant de ressorts agissans pour sa conservation & sa prospérité : il faudra convenir que les établissemens qui enlevent à l'état une grande partie des citoyens, qui envahissent ses richesses, sans les restituer jamais en nature ou en échanges, sont des établissemens pernicieux qui doivent miner un état & le perdre à la longue.
Nos anciens (dit un empereur de la famille des Tang, dans une ordonnance que l'on trouve dans le pere Duhalde) tenoient pour maxime, que s'il y avoit un homme qui ne labourât point, une femme qui ne s'occupât point à filer, quelqu'un souffroit le froid & la faim dans l'empire, & sur ce principe il fit détruire une infinité de monasteres de faquirs.
Ce principe sera toujours celui des gouvernemens sages & bien reglés. Ces grands corps de célibataires produisent une dépopulation d'autant plus grande, que ce n'est pas seulement en s'abstenant de rendre ce qu'ils doivent à la nature & à la société qu'ils la privent de citoyens ; c'est encore par les maximes sur lesquelles ils se régissent, c'est par leurs richesses & par les étendues immenses de terrein qu'ils possedent.
Les richesses des gens de main-morte, & en général de tous les corps, dont les acquisitions prennent un caractere sacré & deviennent inaliénables, n'ont pas plus d'utilité pour l'état, qu'un coffre fort n'en a pour un avare, qui ne l'ouvre jamais que pour y ajouter.
Un auteur moderne, estimable d'ailleurs par ses intentions en faveur de l'humanité, avance que les grandes possessions des moines sont les mieux cultivées, parce qu'étant riches, ils peuvent en faire la dépense, & qu'en cela au-moins ils sont utiles à l'état.
Quand il ne suffiroit pas de méconnoître & de tromper le voeu de la nature pour être dans l'absence de tous biens ; on a vû par ce qui a été dit ci-devant des inconvéniens des grandes propriétés, que l'auteur de la théorie de l'impôt s'est trompé, & qu'en cela comme en tout, ces établissemens sont tellement à charge à la société ; que si l'on n'y prend garde, ils parviendront à la fin à la détruire & à envahir tous ses biens. Le magistrat ou le ministere public a plus d'une fois été obligé de mettre un frein à cette cupidité.
Ne seroit-il pas plus avantageux à la république, que ces domaines d'une si grande étendue, fissent vivre autant de familles dans le travail qu'ils entretiennent de citoyens célibataires & isolés, dans l'oisiveté ? Je le demande à tout bon esprit qui ne sera pas superstitieux, & je ne crains point que la réponse soit négative. Il n'est pas nécessaire de répéter que ces domaines seroient encore mieux cultivés qu'ils ne le sont ; encore une fois, moins on possede, plus on est intéressé à le faire valoir ; & les terres qui produiront le plus, seront celles dont tout le produit sera suffisant, mais nécessaire pour les besoins du propriétaire & pour ceux de sa famille.
Par ce partage entre des citoyens utiles, des biens de ceux qui ne le sont pas, il est clair que la société seroit plus nombreuse ; les charges de l'état qui pourroient être reparties sur une plus grande quantité de personnes, seroient moins pesantes pour chacune ; l'état seroit plus riche & les particuliers moins oppressés.
Tous ces effets sont prouvés, & sous nos yeux : il n'y a point de prince protestant, dit l'auteur de l'esprit des lois, qui ne leve sur ses peuples beaucoup plus d'impôts que le souverain pontife n'en leve sur ses sujets ; cependant les derniers sont pauvres, pendant que les autres vivent dans l'opulence ; le commerce ranime tout chez les uns, & le monachisme porte la mort par-tout chez les autres.
Dans les pays de gens de main-morte, les ministres du culte national ne fournissent jamais rien à l'état ; ce qu'ils lui donnent, ils le lui ont pris. Ce n'est point de leurs propres fonds qu'ils payent les subsides qu'ils accordent, c'est de ceux qu'ils empruntent des autres citoyens ; ensorte que ceux-ci supportent indépendamment de leurs impositions personnelles, celles des premiers par les prêts qu'ils leur font pour les acquiter ; ainsi, c'est toujours de la seule portion des richesses qui circulent entre les autres classes de la société, que se tirent tous les tributs. Les richesses de cet autre corps singulier qui sont les plus considérables, restent dans leur intégrité, & s'augmentent sans cesse plutôt que de diminuer ; de cette maniere, elles doivent par une suite de tems absorber en totalité toutes celles de la république.
Il est aisé de sentir en quoi cet abus influe sur la population ; tout se tient en politique, tout est correspondant, comme en morale & en physique. Si ces gens n'empruntoient pas des autres citoyens, les fonds qu'ils prendroient sur eux pour acquiter leurs charges, passeroient dans la société. Ceux qu'ils empruntent n'y resteroient pas moins ; les uns & les autres en circulation favoriseroient l'agriculture, le commerce, l'industrie ; & sans agriculture, sans commerce, & sans industrie, il n'y a point de population.
Nos institutions militaires ont les mêmes inconvéniens, & ne sont pas moins opposées à la propagation que celles dont nous venons de parler. Nos armées ne multiplient point, elles dépeuplent autant en paix que pendant la guerre : nos maximes de guerre sont moins destructives, il est vrai, que celles des anciens, c'est-à-dire pour la maniere de la faire, pour celle de combattre, pour le pillage & les massacres qui sont beaucoup moins fréquens ; mais il faut vouloir se faire illusion à soi-même pour croire, par cette seule différence, que nos usages sont moins destructifs que ceux qu'ils avoient.
Notre tactique qui étend les troupes sur un plus grand espace, l'usage de l'artillerie & de la mousqueterie qui décide plus promtement le sort des batailles, les rend moins meurtrieres qu'elles ne l'étoient autrefois ; nous perdons moins de monde par les armes, mais il en périt davantage par la misere & par les fatigues auxquelles nos troupes ne sont point accoutumées.
Les pertes que causoient les guerres anciennes étoient plus grandes, mais elles étoient momentanées ; les nôtres sont constantes & continuelles.
Les armées étoient composées de citoyens qui ne coutoient rien, ou fort peu à l'état ; ils étoient mariés ; ils avoient des biens dans la république, & se retiroient chez eux après la guerre. Nos armées sont toujours subsistantes, même pendant la paix ; leur entretien occasionne la surcharge des impôts, qui réduit dans la misere les peuples qui les supportent, & par conséquent les éloigne eux-mêmes de la propagation. Elles sont composées de mercenaires, qui n'ont de bien que leur solde ; on les empêche de se marier, & l'on fait une chose raisonnable. Qui est-ce qui nourriroit leurs femmes & leurs enfans ? Leur paye ne suffit pas pour les faire vivre eux-mêmes ; c'est une multitude de célibataires perpétuellement existante, qui ne se reproduisent point, qu'il faut renouveller sans cesse par d'autres célibataires que l'on enleve à la propagation ; c'est un antropophagie monstrueuse, qui dévore à chaque génération une partie de l'espece humaine. Il faut convenir que nous avons des opinions & des contrariétés bien bizarres ; on trouve barbare de mutiler des hommes pour en faire des chanteurs, & l'on a raison ; cependant on ne trouve point qu'il le soit de les châtrer pour en faire des homicides.
C'est le desir de dominer ; c'est le faste, le luxe & la vanité, plutôt que la sureté des états, qui ont introduit en Europe l'usage de conserver même en pleine paix, ces multitudes de gens armés dont on ne tire aucune utilité, qui ruinent les peuples, & qui épuisent également les hommes & les richesses des puissances qui les entretiennent. Plus il y a de gens à commander, plus il y a de dignités ; plus il y a de dignités, plus il y a de dépendance & de courtisans pour les obtenir. Aucune puissance n'a gagné pour sa sureté à cet accroissement de charges qu'elle s'est donnée. Toutes ont augmenté leurs troupes dans la proportion de celles que leurs voisins ont laissé sur pié. Les forces se sont mises de niveau, comme elles l'étoient auparavant : l'état qui étoit gardé avec cinquante mille hommes, ne l'est pas plus aujourd'hui avec deux cent mille, parce que les forces contre lesquelles il a voulu se garantir ont été portées au niveau des siennes. Les avantages de la plus grande sureté, qui ont été le prétexte de cette plus grande dépense, sont donc réduits à zéro ; il n'y a que la dépense & la dépopulation qui restent.
Rien n'indemnise la société de ces dépenses ; les troupes lorsque l'Europe est tranquille, sont tenues dans une inaction qui leur est funeste à elles-mêmes, lorsque la guerre revient. L'inhabitude du travail les énerve, la moindre fatigue qu'elles sont obligées de supporter ensuite les détruit.
Les armées romaines n'étoient point entretenues de cette maniere, & ne craignoient pas le même dépérissement. Elles n'avoient pas plutôt achevé de vaincre, qu'elles se livroient à de grands travaux utiles au bien public, & qui ont immortalisé cette nation autant que ses victoires l'ont illustrée. On connoît la magnificence de ces fameux chemins qu'elles ont construits pendant la paix. Aussi les fatigues que pouvoient supporter les soldats romains à la guerre, paroissent-elles de nos jours des prodiges presqu'incroyables. Il est étonnant qu'on ne cherche pas à tirer les mêmes avantages des nôtres, avec tant de moyens de les rendre utiles par des travaux qui dédommageroient au-moins de leur stérilité. La servitude la plus cruelle que les Laboureurs connoissent est celle des corvées, elles sont contr'eux une source intarissable de vexations. Elles les détournent de la culture des terres, & souvent les bestiaux qu'ils sont obligés de fournir y périssent sans qu'ils en soient dédommagés. On les affranchiroit de cette sujétion, on amélioreroit le sort des soldats, on les rendroit plus robustes & plus en état de souffrir les fatigues auxquelles ils sont destinés, si l'on employoit tour-à-tour une partie des troupes chaque année à la construction des chemins, que les habitans de la campagne sont obligés de faire par des corvées qui leur causent un si grand préjudice. Il n'en est point qui, pour s'en dispenser, n'accordât une légere contribution dont on formeroit pour les soldats une augmentation de paye qui rendroit leur subsistance plus aisée, qui les maintiendroit dans l'exercice du travail, & qui soulageroit les peuples d'un fardeau sous lequel ils gémissent : on dit que ces travaux courberoient les troupes & les rendroient difformes, je ne sai si cela est vrai ; mais apparemment que les Romains pouvoient être sveltes & combattre avec bravoure, quoiqu'ils fussent contrefaits.
Des armées trop nombreuses occasionnent la dépopulation, les colonies la produisent aussi. Ces deux causes ont le même principe, l'esprit de conquêtes & d'agrandissement. Il n'est jamais si vrai que cet esprit ruine les conquérans comme ceux qui sont conquis, que dans ce qui concerne les colonies.
On a dit qu'il ne falloit songer à avoir des manufactures que quand on n'avoit plus de friches, & l'on a dit vrai ; il ne faut songer à avoir des colonies que quand on a trop de peuple & pas assez d'espace. Depuis l'établissement de celles que possedent les puissances de l'Europe, elles n'ont cessé de se dépeupler pour les rendre habitées, & il en est fort peu qui le soient ; si l'on en excepte la Pensylvanie qui eut le bonheur d'avoir un philosophe pour législateur, des colons qui ne prennent jamais les armes, & une administration qui reçoit sans aucune distinction de culte tout homme qui se soumet aux lois. On ne nombreroit pas la quantité des hommes qui sont passés dans ces nouveaux établissemens, on compteroit sans peine ceux qui en sont venus. La différence des climats, celle des subsistances, les périls & les maladies du trajet, une infinité d'autres causes, font périr les hommes. Quels avantages a-t-on tiré pour la population de l'Amérique, du nombre prodigieux de negres que l'on y transporte continuellement de l'Afrique ? ils périssent tous ; il est triste d'avouer que c'est autant par les traitemens odieux qu'on leur fait souffrir, & les travaux inhumains auxquels on les employe, que par le changement de température & de nourriture. Encore une fois, quels efforts les Espagnols n'ont-ils pas fait pour repeupler les Indes & l'Amérique qu'ils ont rendues des déserts. Ces contrées le sont encore, & l'Espagne elle-même l'est devenue : ses peuples vont tirer pour nous l'or du fond des mines ; & ils y meurent. Plus la masse de l'or sera considérable en Europe, plus l'Espagne sera déserte ; plus le Portugal sera pauvre, plus long-tems il restera province de l'Angleterre ; sans que personne en soit vraiment plus riche.
Par-tout où les hommes peuvent vivre, il est rare de n'y en point trouver. Quand un pays est inhabité sans que la violence & la force l'aient fait abandonner, c'est une marque à-peu-près certaine que le climat ou le terrein n'est pas favorable à l'espece humaine. Pourquoi l'exposer à y périr par des transplantations dont la ruine paroît sûre ? les hommes sont-ils si peu de chose que l'on doive les hasarder comme on hasarde de jeunes arbres dans un terrein ingrat dont la nature du sol est ignorée ? les Romains, suivant Tacite, n'envoyoient en Sardaigne que les criminels & les juifs dont ils se soucioient fort peu.
Si le pays dont on veut s'emparer est peuplé, il appartient à ceux qui l'occupent. Pourquoi les en dépouiller ? quel droit avoient les Espagnols d'exterminer les habitans d'une si grande partie de la terre ? quel est celui que nous avons d'aller chasser des nations de l'espace qu'elles occupent sur ce globe dont la jouissance leur est commune avec nous ? la possession dans laquelle elles sont n'est-elle pas le premier droit de propriété & le plus incontestable ? en connoissons-nous qui ait une autre origine ? nous le réclamerions si l'on venoit nous ravir nos possessions, & nous en dépouillons les autres sans scrupule.
Encore si nous n'avions envahi que l'espace ; mais nous avons fait épouser à ses habitans, aux sauvages même, nos haines ; nous leur avons porté quelques-uns de nos vices, & des liqueurs spiritueuses qui les détruisent jusque dans leur postérité. On oppose à ces vérités des maximes politiques, & l'on fait valoir sur-tout l'intérêt du commerce ; mais ces maximes sont-elles si sages & ce commerce si intéressant que l'on paroît le penser ? La Suisse, qui sera certainement, comme je l'ai déja dit, le gouvernement le plus durable de l'Europe, est aussi le plus peuplé & le moins négociant.
M. de Montesquieu dit que le grand Sha-abas voulant ôter aux Turcs le moyen d'entretenir leurs armées sur la frontiere, transporta presque tous les Arméniens hors de leur pays, qu'il en envoya plus de vingt mille familles dans la province de Guilan, qui périrent presque toutes en très-peu de tems. Voilà l'effet que produisent les colonies. Loin d'augmenter la puissance, elles l'affoiblissent en la partageant ; il faut diviser ses forces pour les conserver, & encore comment défendre des conquêtes d'un continent à l'autre ? si elles fructifient, il vient tôt ou tard un tems où elles secouent le joug, & se soustraient à la puissance qui les a fondées.
On ne voit point qu'aucunes des nations anciennes les plus peuplées eussent de semblables établissemens. Les Grecs, au rapport d'Hérodote, ne connoissoient rien au-delà des colonnes d'Hercule. Leurs colonies ne peuvent être appellées de ce nom en les comparant aux nôtres ; elles étoient toutes pour ainsi dire sous les yeux de la métropole, & à si peu de distance qu'il faut plutôt les regarder comme des extensions que comme des colonies. Les Carthaginois avoient découvert les côtes de l'Amérique. Ils s'apperçurent que le commerce qu'on y faisoit dépeuploit la république, ils le défendirent.
Ces exemples donnent du-moins des présomptions très-fortes contre les avantages prétendus de ces établissemens & du commerce qui les occasionne, mais d'ailleurs ne peut-on commercer avec les nations, sans les dévaster, sans les priver de leur pays & de leur liberté ? S'il en étoit ainsi, loin d'être utile aux hommes par la communication qu'il met entr'eux, le commerce seroit de toutes leurs inventions la plus fatale à l'humanité. Par sa nature actuelle, il contribue certainement beaucoup à la dépopulation. Les richesses qu'il procure, en les supposant réelles, ont peut-être des effets encore plus funestes. Nous ne les examinerons ici que dans le rapport qu'ils ont avec l'accroissement ou la diminution du nombre des hommes. C'est embrasser presque leur universalité. Car quelle institution, quel usage, quelle coutume n'influe pas sur ces deux choses ?
On lit dans le premier tome de l'histoire de la Chine du pere Duhalde, que le troisieme empereur de la vingt-unieme dynastie fit fermer une mine d'où l'on avoit tiré des pierres précieuses, ne voulant pas fatiguer ses sujets à travailler pour des choses qui ne pouvoient ni les vêtir ni les nourrir. A ce propos, je ne puis m'empêcher de rapporter ici un mot du sage Locke : il disoit, " qu'il falloit toujours prêcher notre culte aux sauvages ; que quand ils n'en apprendroient qu'autant qu'il en faut pour se couvrir le corps d'habit, ce seroit toujours un grand bien pour les manufactures d'Angleterre ". Une colonie est nuisible, quand elle n'augmente pas l'industrie & le travail de la nation qui la possede.
Nos voyages dans les contrées éloignées où nous allons chercher des effets à-peu-près de la même espece que des pierres luisantes, sont bien plus destructifs que n'auroient été les travaux d'une mine. Tout ce qui sépare l'homme de l'homme est contraire à sa multiplication. Les nombreux équipages qu'exigent les armemens qui se font pour ces voyages, retranchent chaque année une quantité considérable d'hommes du commerce des femmes. Une partie de ces hommes périt par la longueur & les dangers de la route, par les fatigues & par les maladies. D'autres restent dans ces contrées, & il n'arrive jamais qu'un vaisseau rentre en Europe avec autant de monde qu'il en avoit en partant ; on calcule même au départ la perte qui s'en fera. Mais ce n'est là que la moindre de celles que cause à l'humanité, l'espece de commerce à laquelle nous sommes le plus attachés.
Plus le commerce fleurit dans un état, plus, diton, les hommes s'y multiplient. Cette proposition n'est pas vraie dans toute l'étendue que l'on pourroit lui donner. Les hommes ne se sont multipliés nulle part autant que dans la Grece, & les Grecs faisoient peu de commerce. Ils ne le sont encore en aucun endroit autant qu'en Suisse, & les Suisses, comme nous l'avons déja remarqué, ne sont point commerçans. Mais d'ailleurs plus il y a d'hommes aussi dans un état & plus le commerce y fleurit, il ne faut donc pas qu'il détruise les hommes, il se détruiroit lui-même, & cela arrive quand il n'est pas fondé sur les causes naturelles qu'il doit avoir. Ajoutons que pour être réellement utile & favorable à la population, le commerce doit être dans le rapport & même dans la dépendance des productions du pays. Il faut qu'il en excite la culture & non pas qu'il l'en détourne, qu'elles en soient la base & non pas l'accessoire ; alors nous aurons établi, je crois, les véritables principes du commerce, du-moins pour les nations dont le sol produit des matieres traficables.
Ces principes ne sont pas ceux qui prévalent aujourd'hui dans la plûpart des nations. Depuis la découverte du nouveau monde & nos établissemens dans les Indes, toutes les vûes se sont tournées sur les riches matieres que renferment ces contrées, nous ne faisons plus qu'un commerce de luxe & de superfluités. Nous avons abandonné celui qui nous étoit propre & qui pouvoit nous procurer des richesses solides. Où sont les avantages qui en ont résulté ? où ne sont pas plutôt les préjudices que nous en avons soufferts ?
En multipliant les besoins beaucoup au-delà des moyens qu'elles nous ont donnés pour les satisfaire, toutes les richesses tirées de ces parties du monde nous ont rendu trois fois plus pauvres que nous n'étions auparavant. Une simple comparaison des valeurs numéraires suffit pour nous en convaincre : avec une fois plus d'or & d'argent que nous n'en avions, les valeurs en sont plus que doublées. Est-ce l'effet de l'abondance, que d'augmenter le prix de la denrée ? Malgré la plus grande quantité, les especes numéraires sont donc plus rares, puisque l'on a été forcé de recourir à l'augmentation de leur valeur ; & d'où provient cette rareté, si ce n'est de ce que la quantité des richesses a été fort inférieure au besoin qu'elles nous ont donné d'en avoir ?
En général, toute richesse qui n'est point fondée sur l'industrie de la nation, sur le nombre de ses habitans, & sur la culture de ses terres, est illusoire, préjudiciable, & jamais avantageuse.
Tous les trésors du nouveau monde & des Indes, n'empêcherent pas Philippe second de faire une fameuse banqueroute. Avec les mêmes mines que possede aujourd'hui l'Espagne, elle est dépeuplée, & ses terres sont en friche ; la subsistance du Portugal dépend des Anglois ; l'or & les diamans du Brésil en ont fait le pays le plus aride, & l'un des moins habités de l'Europe ; l'Italie autrefois si fertile & si nombreuse en hommes, ne l'est plus autant depuis que le commerce des choses étrangeres & de luxe, a pris la place de l'Agriculture & du trafic des denrées qui en proviennent.
En France ces effets sont remarquables : depuis le commencement du siecle dernier, cette monarchie s'est accrue de plusieurs grandes provinces très-peuplées ; cependant ses habitans sont moins nombreux d'un cinquieme, qu'ils ne l'étoient avant ces réunions, & ses belles provinces, que la nature semble avoir destinées à fournir des subsistances à toute l'Europe, sont incultes. C'est à la préférence accordée au commerce de luxe qu'il faut attribuer en partie ce dépérissement. Sulli, ce grand & sage administrateur, ne connoissoit de commerce avantageux pour ce royaume, que celui des productions de son sol. C'étoit en favorisant l'Agriculture qu'il vouloit le peupler & l'enrichir : ce fut aussi ce que produisit son ministere, qui dura trop peu pour le bonheur de cette nation. Il semble qu'il prévoyoit tout le mal qu'on y feroit un jour par des maximes contraires : La France, disoit-il en 1603 à Henri IV. qui le pressoit d'applaudir aux établissemens qu'il vouloit faire de quelques manufactures de soie, " la France est généralement pourvue plus que royaume du monde, de tant de bons terreins qu'elle peut mettre en valeur, dont le grand rapport consistant en grains, légumes, vins, pastels, huiles, cidres, sels, lins, chanvres, laines, draps, pourceaux, & mulets, est cause de tout l'or & l'argent qui entre en ce royaume. Par conséquent la culture de ces productions qui entretient les sujets dans des occupations pénibles & laborieuses, où ils ont besoin d'être exercés, vaut mieux que toutes les soies & manufactures d'étoffes riches, qui leur feroient contracter l'habitude d'une vie méditative, oisive, & sédentaire, qui les jetteroient dans le luxe, la volupté, la fainéantise, & l'excessive dépense, qui ont toujours été la principale cause de la ruine des royaumes & républiques, les destituant de loyaux, vaillans, & valeureux citoyens, desquels V. M. a plus de besoin que de tous ces petits marjolets de cour & de villes vêtus d'or & de pourpre. Si pour le présent, ajoutoit-il, vous méprisez ces raisons, peut-être un jour aurez-vous regret de n'y avoir pas eu plus d'égards ". Mém. de Sulli, tome I. pages 180. & 181. de l'édition in-folio.
Le commerce de luxe & les arts de la même espece, joignent à tous ces inconvéniens la dangereuse séduction d'offrir aux hommes plus de bénéfice & moins de fatigues, qu'ils n'en trouvent dans les travaux de la campagne. Qui est-ce qui tracera de pénibles sillons ? qui, le corps courbé depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, cultivera les vignes, moissonnera les champs, supportera enfin dans des travaux si durs les ardeurs de l'été & la rigueur des hivers ; quand à l'abri des saisons, tranquille & assis le long du jour, on pourra gagner davantage en filant de la soie, ou en préparant d'autres matieres dans les manufactures de luxe ? Aussi ces manufactures & ce commerce ont-ils attiré les hommes dans les villes, & leur donnent l'apparence d'une abondante population ; mais pénétrez dans les campagnes, vous les trouverez desertes & desséchées. Leurs productions n'étant pas l'objet du commerce, il n'y en aura de cultivées que la quantité indispensable pour la subsistance du pays ; il n'y aura d'hommes que le nombre nécessaire pour cette culture ; car jamais ils ne multiplient au-delà de cette proportion.
C'est ainsi que le commerce de luxe dépeuple les campagnes pour peupler les villes ; mais ce n'est qu'accidentellement. Cette population, ainsi que les richesses de ce commerce, sont précaires & dépendent de tous les événemens. La moindre circonstance les fait évanouir ; la guerre, l'établissement de manufactures semblables, le transport même des vôtres dans d'autres états ; le défaut des matieres que l'on met en oeuvre ; une infinité d'autres causes anéantissent ce commerce, & font cesser les travaux de ces manufactures. Alors un peuple entier que l'on a enlevé à la culture des terres, reste dans l'inaction ; il ne peut plus gagner sa nourriture, que l'état est pourtant obligé de fournir. Voilà tout-à-coup de nombreuses familles mendiant leur pain, ou s'expatriant pour aller chercher chez l'étranger le travail que vous ne pouvez plus leur procurer. Ces hommes devenus à charge à la société, l'auroient enrichie & peuplée, si on ne les eût point détourné de leurs véritables occupations. Ils avoient de petites possessions par lesquelles ils tenoient au sol, & qui les rendoient citoyens ; en devenant de simples journaliers, ils ont cessé d'être patriotes : car celui qui ne possede rien n'a point de patrie ; il porte par-tout ses bras & son industrie, & se fixe où il trouve à vivre. On reste ainsi sans commerce, sans richesses, & sans peuple, parce qu'on a méconnu & abandonné la véritable cause qui produit les uns & les autres.
Un autre ministre dont l'administration est admirable par tant d'autres endroits, donna tout au faste & rien à l'utile ; sacrifia des richesses réelles à des richesses artificielles, quand il défendit la sortie des grains de la France, pour favoriser l'établissement des manufactures de luxe : ce fut un ordre de mort pour l'Agriculture & la population.
Avec bien d'autres institutions dont la sagesse produit des effets tout contraires, les Anglois ont encore eu le bon esprit de s'emparer du trésor que le ministre étranger immoloit aux richesses de vanité. Ce peuple semble fait pour donner aux autres des leçons en tous genres. En faisant des matieres de nécessité l'objet principal de son commerce, l'Angleterre est devenue l'arbitre de celui de l'Europe, la puissance maritime la plus forte, le terroir le mieux cultivé, le plus fertile, & la nation commerçante la plus nombreuse.
Le commerce produit les richesses, & les richesses produisent le luxe : les Arts & les Sciences naissent des richesses & du luxe. On en a conclu que sans luxe il n'y avoit ni commerce, ni richesses, ni arts, ni sciences ; mais en raisonnant ainsi, on a fait une pétition de principe ; on ne s'est pas apperçu que de ce qui ne doit être que l'effet du commerce, on en faisoit la cause ; & qu'alors on sembloit dire que le seul qui pût produire les Arts & les Sciences, étoit celui de luxe ; ce qui n'est pas juste.
Il n'est point de nation où les Arts & les Sciences ayent fleuri autant que chez les Grecs ; & leur commerce ne consistoit que dans l'échange des denrées de premiere nécessité. Voyez Thucydide, Isocrate, Démosthène, Suidas, & Héliodore, qu'il cite ; voy. Xénophon & Plutarque. Ils vous apprendront que dès le tems de Solon, la Grece étoit riche sans ce commerce de superfluités. Les Arts & les Sciences sont encore très-cultivés à la Chine, & les Chinois ne sortent point pour commercer avec les étrangers.
Ce n'est point ici le lieu d'examiner jusqu'à quel point le luxe peut être nécessaire pour soutenir le commerce, & jusqu'à quel point le commerce doit s'en occuper pour ne pas corrompre les moeurs, ni préjudicier à l'Agriculture & à la population. Ses progrès sont si rapides, qu'il est difficile de lui prescrire des bornes ; il est aussi-tôt immodéré qu'introduit ; & dès-lors tous ces effets tendent à la destruction de l'espece humaine. La mollesse, la dépendance, la dissolution, la futilité, & les excès de toutes especes où il plonge les opulens, ruinent en eux les facultés physiques comme les qualités morales ; ce n'est pas pour être pere, que l'on a perdu le pouvoir de le devenir ; au contraire on outrage la nature en se livrant à son penchant, & ce qu'on craint le plus, c'est de donner l'être en abusant de la puissance de le procurer, qu'elle ne nous a accordée que pour cette fin.
C'est le luxe qui entretient pour l'usage d'un seul, cette foule de gens oisifs qui languissent & se perdent dans le desoeuvrement, qui se jettent par l'ennui de leur inutilité, dans toutes sortes de débauches & de perversités, aussi funestes à la propagation que les plaisirs recherchés de leurs maîtres. Il va jusqu'au sein des campagnes les ravir aux productions utiles, & les dévaster. Un homme qui ne peut occuper qu'une place, veut posséder des terreins immenses qu'il n'habitera jamais, rien n'est assez vaste pour son luxe ; &, comme s'il craignoit de manquer d'espace pour le contenir, il chasse tous ceux qui l'environnent. Le surintendant Fouquet achete trois hameaux entiers, & en fait enfermer toutes les terres dans les jardins de son palais de Vaux. (Voyez le tome VII. de l'Essai sur l'histoire générale, par M. de Voltaire.) Les desordres du luxe se multipliant dans tous les états, ces agrandissemens meurtriers deviennent des especes d'usages. Une infinité de gens d'une condition bien inférieure à celle du surintendant, suivent & enchérissent même sur son exemple. Une terre nouvellement acquise, quelqu'étendue qu'elle soit, ne l'est jamais assez, elle est aussi-tôt dépeuplée. On a vu de ces nouveaux seigneurs devenir les seuls propriétaires de leurs paroisses, en expulser tous les habitans, en achetant fort cher leurs petites possessions, & s'emparer de tout le sol que ces cultivateurs fructifioient à l'avantage de la société, pour ne l'employer qu'à étaler une opulence insultante pour les malheureux ; mais c'est aussi par ces mêmes excès que le luxe immodéré conduit de l'extrême opulence à l'extrême pauvreté, & qu'il est encore également destructeur du bien public & de l'espece humaine. Ceux qui ont ruiné l'état, qui ont anéanti les causes de sa prospérité par leurs dépenses exorbitantes, lui deviennent à charge par l'excès de leur misere & par celle dans laquelle ils entraînent une foule d'artisans & d'ouvriers qui leur ont fourni de quoi soutenir leur faste, lorsqu'ils n'étoient plus en état de le supporter. Ils avoient été mauvais citoyens dans la richesse, ils le sont encore plus dans la pauvreté. On vit à Rome, dit Salluste, une génération de gens qui ne pouvoient plus avoir de patrimoine, ni souffrir que d'autres en eussent.
C'est peut-être à ces pernicieux effets du luxe qu'il faut attribuer cette multitude de mendians dont l'Europe est inondée depuis quelques siecles, & dont la vie dissolue & vagabonde est si opposée à la population. Le luxe, comme nous venons de le dire, se détruit de lui-même ; il se consume de sa propre substance ; l'épuisement des richesses qu'il produit, devenu général ; tous les travaux qu'il entretenoit, cessent. Ceux qui vivoient de ces travaux, restent sans subsistance & sans moyens de s'en procurer. L'inoccupation les conduit à la fainéantise, à la mendicité, & à tous les vices qui accompagnent une telle existence. L'établissement des hôpitaux, que l'on peut regarder comme une suite de ces effets, peut avoir favorisé le penchant qu'ont les ames basses à embrasser ce genre de vie, qui les fait subsister dans la licence, sans autre peine que celle de mendier. On demandoit à un souverain pourquoi il ne bâtissoit point d'hôpitaux, il répondit : je rendrai mon empire si riche, qu'il n'en aura pas besoin. Il auroit dû ajouter, & mes peuples si aisés par le produit d'un travail utile, qu'ils pourront se passer de ces secours. Les hôpitaux ne sont bons, a dit un medecin même, que pour les Medecins, parce que c'est là qu'ils immolent les pauvres à la conservation des riches. Si les revenus assignés pour ces établissemens, au lieu de nourrir dans l'oisiveté une foule de misérables, étoient employés à des travaux publics, auxquels chacun d'eux seroit occupé selon sa force & les facultés qui lui restent, il y auroit certainement moins de pauvres. Les hôpitaux les invitent à la paresse, en leur assurant une ressource, lorsque celle de l'aumône viendra à leur manquer, & contribuent beaucoup par cette raison à en augmenter le nombre.
On a mis en question si l'institution des enfans-trouvés n'avoit pas les mêmes inconvéniens, & si au lieu d'être favorable à la population, elle n'y étoit pas contraire, en ce que la facilité d'y recevoir les fruits de la débauche, pouvoit l'encourager. Si les moeurs n'étoient pas entierement corrompues, il pourroit être bon de ne recueillir dans cette maison que les enfans légitimes de parens sages, mais trop pauvres pour pouvoir les élever ; mais cette institution n'a été faite, ainsi que toutes celles de la même espece, que lorsque le mal étoit parvenu au plus haut degré. Ce n'est plus alors la dissolution que l'on veut réprimer, il n'est plus tems ; ce sont des maux plus grands encore qui commencent à se faire sentir, & que l'on veut prévenir. Dans l'état actuel des moeurs il y auroit peut-être beaucoup de dangers à introduire quelque réforme dans l'administration de l'hospice des enfans-trouvés. On n'arrêteroit point le libertinage, si l'on refusoit d'y recevoir les êtres qu'il produit, & qu'au moins on y conserve à l'humanité & à la société ; cette sévérité pourroit produire le crime ; & ce seroit un mal encore plus grand que celui que l'on voudroit détruire.
C'est principalement dans les villes, & sur-tout dans les capitales des grands empires, où la dépravation des moeurs est excessive, que l'espece humaine souffre un dépérissement sensible. Ce sont pour les provinces des especes de colonies qu'elles sont obligées de repeupler tous les ans. A Rome il falloit renouveller continuellement les esclaves. Il en est de même aujourd'hui à Constantinople : Paris, Londres, & les autres siéges des monarchies de l'Europe, exigent des recrues considérables. Ce sont autant de gouffres qui engloutissent l'or & les habitans des provinces : on diroit que l'opulence dont elles ont l'air, & la magnificence des monumens qu'elles étalent, sont formées des débris des campagnes ; mais un homme qui juge de la richesse d'un peuple par l'éclat de la capitale, ressemble à celui qui jugeroit de la fortune d'un commerçant par la richesse de son habit. Ceux qui jouissent dans ces villes de l'opulence qu'elles annoncent, & qui en abusent, y dépérissent, & ne peuvent se reproduire, par l'intempérance, la mollesse, l'évaporation, l'abnégation de tous les devoirs ; par l'éloignement des occupations utiles, par l'indifférence de toutes les choses honnêtes, par les nourritures somptueuses & recherchées, enfin par l'abandon à tous les plaisirs & la révolte de toutes les passions dans lesquels ils vivent. Les autres, par les travaux périlleux qu'ils entreprennent, par la paresse, l'indigence & la mauvaise nourriture, qui ont un effet également contraire à la population. Le nombre prodigieux de domestiques que le luxe rassemble dans ces villes, consomme seul une grande quantité des hommes de chaque génération. On les empêche de se marier & on ne veut plus s'en servir quand ils le sont. Ainsi la nature n'a de ressource en eux que la débauche, c'est-à-dire le moyen le plus opposé à la progéniture. On diroit que les usages modernes sont tous établis contr'elle : cela a fait penser à quelques-uns des auteurs qui ont écrit sur la population actuelle & sur celle des siecles passés, que la coûtume de l'esclavage domestique qu'avoient les anciens, étoit plus favorable à la multiplication de l'espece, que la condition présente des domestiques & la maniere de faire subsister les pauvres.
On se croit fait pour être le maître quand on raisonne ainsi. Dans la supposition contraire on ne manqueroit pas de se dire que nul n'a le droit d'acquérir la possession individuelle d'un autre ; que la liberté est une propriété de l'existence inaliénable, qui ne peut se vendre ni s'acheter ; que les conditions d'un tel marché seroient absurdes ; qu'enfin les hommes n'appartiennent qu'à la nature, & qu'ils l'outragent par une coûtume qui les avilit & qui la dégrade.
Quand tous les avantages que l'on suppose à cette coûtume sur l'usage qui l'a remplacé, seroient aussi réels qu'ils le sont peu, il faudroit louer à jamais les institutions qui l'ont aboli, qui ont restitué le genre humain dans ses droits, & qui l'ont soustrait à cette infamie.
Quelque affreux que soit le despotisme civil, il est moins dur & moins cruel que la servitude domestique ; au moins dans le premier, la condition est générale, le malheureux n'a pas sans cesse sous les yeux la comparaison odieuse de son sort à celui dont jouit un autre être de son espece qui exerce sur lui une autorité tyrannique que rien au monde n'a pû lui donner ; l'esclavage est commun entre tous, & la nature humaine n'est foulée qu'aux piés d'un seul.
Une preuve, dit M. Hume, de la barbarie que cet usage criminel inspire, c'est que toutes les lois concernant les esclaves étoient contr'eux, & qu'il n'y en avoit aucune pour engager les maîtres à des devoirs réciproques de douceur & d'humanité. Démosthene loue une loi d'Athènes qui défendoit de frapper l'esclave d'autrui. Conçoit-on rien de plus atroce que la coûtume qui a existé à Rome, d'exposer les esclaves que la vieillesse, les maladies ou la foiblesse rendoient incapables de travailler, dans une île du Tibre pour y mourir de faim ! & ce sont des hommes qui ont traité ainsi d'autres hommes !
Mais il s'en faut de beaucoup que ces malheureux contribuassent, autant qu'on le croit, à multiplier l'espece. Ils peuploient les grandes villes en dépeuplant les campagnes, comme font encore aujourd'hui nos domestiques. Tous les anciens historiens nous disent que Rome tiroit perpétuellement des esclaves des provinces les plus éloignées. Strabon assure qu'on a souvent vendu en un jour en Cilicie dix mille esclaves pour le service des Romains ; si ces esclaves eussent peuplé en raison de leur nombre, & comme on le suppose, bien-tôt l'Italie entiere n'auroit pas suffi pour les contenir. Cependant le peuple n'augmentoit point à Rome ; ces levées n'étoient donc que pour en réparer les pertes ; l'intérêt qu'avoient les maîtres de les exciter à la population, ne prévaloit donc pas sur la rigueur des maux qu'on leur faisoit souffrir. Sans avoir le même intérêt, au lieu de retenir nos domestiques dans le célibat, que ne les encourageons-nous à se marier, en préférant de nous servir de ceux qui le sont ; ils en seront plus honnêtes & plus sûrs ; leurs enfans ne devant point être le patrimoine du maître, seront plus nombreux que ceux des esclaves, qui devoient trembler d'associer à leurs tourmens de nouvelles victimes de la férocité de leurs tyrans. Ce seront de nouveaux liens qui retiendront ces domestiques dans le devoir & dans la fidélité. Il est rare qu'en devenant pere on ne devienne plus homme de bien ; enfin il ne tient qu'à nous de les rendre beaucoup moins à charge à la société & plus utiles à la propagation. Il faudroit ne pas les payer assez mal pour qu'ils ne puissent jamais être que des pauvres quand ils seront vieux. L'oisiveté & l'aisance du moment leur ferme les yeux sur la misere qui les attend. M. le duc de la Rochefoucault, le dernier mort, a donné aux maîtres un bel exemple à suivre. Il ne gardoit jamais un domestique que dix ans, pendant lesquels il étoit nourri, entretenu, & ne touchoit rien de ses gages. Au bout de ce terme, ce maître bienfaisant & citoyen, payoit son domestique & le forçoit de prendre un commerce ou une profession. Il ne lui permettoit plus de rester chez lui. Cet exemple d'humanité & d'intérêt public, si rare dans les grands, méritoit d'être cité : il y a des familles où il semble que la pratique du bien & de la vertu soit héréditaire.
Au reste, les causes de l'accroissement ou de la diminution des hommes sont infinies. Comme ils font partie de l'ordre universel physique & moral des choses, comme ils sont l'objet de toutes les institutions religieuses & civiles, de tous les usages, que tout enfin se rapporte à eux, tout aussi influe sur la faculté qu'ils ont de se produire, en favorise les effets ou les suspend. La nature de cet ouvrage ne nous a pas permis d'entrer dans le détail de toutes ces causes, & de nous étendre sur les principales que nous avons traitées, autant qu'une matiere aussi importante l'exigeroit ; mais de tout ce que nous avons dit on peut conclure, que le nombre total des hommes qui habitent la surface de la terre, a été, est, & sera toujours à-peu-près le même dans tous les tems, en les divisant en époques d'une certaine étendue ; qu'il n'y a que certains espaces qui soient plus ou moins habités, & que la différence dépendra du bonheur ou de la peine qu'ils y trouveront ; que tout étant égal d'ailleurs, le gouvernement dont les institutions s'éloigneront le moins de celles de la nature, où il se trouvera plus d'égalité entr'eux, plus de sureté pour leur liberté & leur subsistance, où il y aura plus d'amour de la vérité que de superstition, plus de moeurs que de lois, plus de vertus que de richesses, & par conséquent où ils seront plus sédentaires, sera celui où les hommes seront le plus nombreux, & où ils multiplieront davantage. (Cet article est de M. D'AMILAVILLE. )
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POPULEUM | (Onguent) voyez PEUPLIER.
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POPULI FUNDI | S. m. pl. (Hist. anc.) nations qui s'étoient alliées aux Romains, à condition de conserver leurs lois & d'autres privileges. Ils ne prenoient du droit romain que ce qui leur convenoit, dans les cas où leurs usages ne décidoient rien ; ils étoient libres ; ils jouissoient de la protection de la république. Fundus est synonyme d'auctor, & ils signifient l'un & l'autre, celui qui s'est soumis ou rendu de son propre mouvement.
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POPULIFUGES | S. m. (Antiq. rom.) populifugia ; fête que célébroient les Romains, en mémoire, selon les uns, de ce que les rois avoient été chassés, & le gouvernement monarchique aboli ; & selon d'autres, avec plus de vraisemblance, en l'honneur de la déesse Fugia, qui avoit favorisé la déroute des ennemis ; cette fête, disent-ils, fut instituée à l'occasion de la victoire qui fut remportée sur les Fidénates, & les peuples voisins, lorsqu'ils voulurent s'emparer de Rome, le lendemain que le peuple s'en fut retiré, selon le rapport de Varron. (D.J.)
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POPULONIA | S. f. (Mythol.) divinité champêtre, à laquelle on offroit des sacrifices, pour empêcher les mauvais effets de la grêle, de la foudre & des vents ; c'étoit Junon prise pour l'air qu'on adoroit sous ce nom-là, comme Jupiter sous le nom de Fulgur.
POPULONIA, (Géog. anc.) Pline, liv. XIV. ch. j. la nomme Populonium, & liv. III. c. v. Populonium Etruscorum ; ville d'Italie, dans la Toscane ; elle a été épiscopale, & son évêché subsistoit dès l'an 550. Les uns croyent que Piombino a été bâtie des ruines de Populonia, & d'autres prétendent que c'est Porto-Barato. (D.J.)
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POQUE | S. m. (Le jeu du) ce jeu a beaucoup de rapport à celui du hoc, on y joue depuis trois jusqu'à six. Lorsque l'on est six, les cartes sont au nombre de trente-six ; mais si l'on n'étoit que trois ou quatre on ôteroit les six, & le jeu ne seroit que de trente-deux.
Après avoir vû à qui fera, celui qui doit mêler ayant fait couper à sa gauche, donne à chacun des joueurs cinq cartes, par deux & trois ; il y a de l'avantage d'avoir la main. Pour la commodité des joueurs, ils doivent prendre chacun un enjeu qui est ordinairement de vingt jettons & de quatre fiches, qui valent cinq jettons chacune, & dont on met la valeur si haut & si bas qu'on veut.
On a ensuite six poques, voyez POQUES, dans lesquels on met d'abord un jetton chacun, puis celui qui a mêlé ayant distribué, comme nous avons dit plus haut, en tourne une sur le talon, & si c'est une de celles qui sont marquées sur les poques ; par exemple, s'il tourne un as, un roi, une dame, &c. il tirera les jettons qui sont dans le poque marqué de la carte tournée.
Après cela chacun voit son jeu, & examine s'il n'a point poque, voyez POQUE ; & si celui qui est à parler l'a, il doit dire je poque d'un jetton, de deux, ou davantage, s'il veut ; & si ceux qui le suivent l'ont aussi, ils peuvent tenir au prix où est porté le poque, ou bien renvier de ce qu'ils veulent, ou l'abandonner, sans s'exposer au risque de payer le renvi, s'ils le perdoient après que les renvis ont été faits ; chacun dit quel est son poque, & le met bas ; & celui qui a le plus haut gagne, non-seulement tout ce qui est dans le poque, mais encore tous les renvis qui ont été faits ; quand quelqu'un des joueurs dit je poque de tant, & que personne ne répond rien là-dessus, soit qu'on n'ait pas poque, ou qu'on l'ait trop bas, le joueur qui a parlé le premier leve le poque, sans être obligé de montrer son jeu. Le poque de trois cartes emporte celui de deux ; celui de quatre, celui de trois, &c. encore que le poque de moins de cartes fût beaucoup supérieur par sa valeur.
Lorsque le poque est levé, on voit dans son jeu, si l'on n'a point l'as, le roi ou la dame de la couleur de la carte qui tourne, & celui des joueurs qui a l'une ou l'autre, ou plusieurs à la fois, leve les poques marqués aux cartes qu'il en a, & ceux qui ne sont pas levés restent pour les coups suivans.
Il faut observer que pour bien jouer les cartes au poque, on doit toujours s'en aller de ses plus basses, parce qu'il arrive souvent que ne pouvant rentrer en jeu, elles resteroient en main & feroient payer à celui qui les auroit, autant de jettons à chaque joueur, qu'elles marqueroient de points.
Il est prudent de se défaire aussi des as d'abord qu'on le peut ; on doit les jouer avant toute autre, parce qu'on ne risque pas pour cela de perdre la primauté à cause qu'on ne peut en mettre de plus hautes, & jouer ensuite ses cartes autant de suite qu'on le peut, comme par exemple, sept, huit, neuf, &c.
Supposez donc qu'on commence à jouer par un sept, on dira sept, huit, si on a le huit de la même couleur ; autrement il faudra dire, sept sans huit. Et celui qui a le huit de cette même couleur continue de jouer le neuf de la même couleur, s'il l'a, & autrement, il dit sans neuf, & ainsi des autres ; si tous les joueurs se trouvent n'avoir point la carte appellée, celui qui a joué le premier joue la carte de son jeu qu'il veut, & la nomme de la même maniere ; ce qui se fait de la sorte jusqu'à ce qu'un des joueurs se soit défait de toutes ses cartes ; & celui qui l'a fait le premier tire un jetton de chaque carte que les joueurs ont en main, lorsqu'il a fini ; ce qui n'empêche pas que celui qui en a davantage ne paye encore à chaque joueur, autant de jettons qu'il a de cartes en main.
POQUE, au jeu qui porte ce nom, est le sixieme & le dernier des cassetins qui est marqué poque.
Poque se dit encore à ce jeu, c'est deux, trois, quatre cartes, de même espece & de même valeur, comme trois as, trois rois, & ainsi des autres cartes jusqu'aux plus basses ; l'as étant la premiere & la plus haute de toutes à ce jeu.
Poque de retour, au jeu de poque, se dit de trois cartes de même espece & de même valeur, dont on n'a que deux en main, & la troisieme en retourne ; celui qui auroit, par exemple, deux sept en main & un de retourne, gagneroit deux as en main, & ainsi des autres cartes, d'où l'on voit que poque de retour vaut mieux que poque d'as même.
Poques au jeu de ce nom, ce sont des especes de petits coffrets ou cassetins de la grandeur d'une carte, & fort bas de bord, que l'on marque selon l'ordre dans lequel ils sont arrangés, par as, roi ou dame, &c. dans ces petits coffrets qui sont sur la table au nombre de six, on met chacun un jetton.
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POQUELLE | S. f. (Teinture) cette plante que l'on trouve dans le Chily, sur les côtes de la mer du Sud, a la fleur faite en une espece de bouton d'or, qui sert à teindre en jaune, & sa tige s'employe à teindre en verd. (D.J.)
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POQUER | au jeu de poque, se dit d'un joueur qui a dans son jeu une poque de quelque espece que ce soit, & qui met tant au jeu pour ce poque, tirant ce qui est au jeu si personne ne met la même chose, ou plus.
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PORA | (Hist. mod. Mythol.) ce mot signifie Dieu dans la langue des habitans du royaume d'Arrakan aux Indes orientales. On donne ce nom à une montagne, située dans le voisinage de la ville de Ramu, au sommet de laquelle est un idole, sous la figure d'un homme assis les jambes croisées, pour qui les Indiens ont la plus grande vénération.
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PORACÉ | ou PORRACé, adj. (Gramm.) qui a la couleur verte du porreau. Il se dit en médecine de la bile.
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PORC | voyez COCHON.
PORC, (Diete, &c.) voyez COCHON.
PORC, porcus, s. m. (Hist. nat. Icht.) poisson de mer qui ressemble en quelque sorte au pagre, quoiqu'il ait le corps plus rond & plus applati. Ses écailles sont si dures & si fortement adhérentes, qu'on peut polir du bois, & même de l'ivoire avec la peau de ce poisson. Il a les yeux très-ronds ; les dents sont fortes & pointues ; la bouche est petite proportionnellement à la grosseur du corps ; les ouies n'ont pas de couverture comme dans la plûpart des autres poissons ; elles consistent en une petite fuste, près de laquelle il y a une nageoire. Ce poisson a sur la partie antérieure du dos trois aiguillons unis ensemble par une membrane, & dont le premier est le plus long : sa chair a une mauvaise odeur, elle est dure & difficile à digérer. Rondelet, hist. nat. des poissons, prem. part. l. V. c. xxvj. Voyez POISSONS.
PORC-EPIC, histrix ; animal quadrupede couvert d'aiguillons comme le hérisson. Les Italiens, les Espagnols & les Anglois donnent au porc-épic un nom qui signifie dans notre langue porte épines, & nous l'appellons porc-épic, peut-être à cause que ses piquans ressemblent aux barbes d'un épi de blé. Il differe du hérisson par la figure des aiguillons & du reste du corps, principalement des piés, du museau & des oreilles. Albert, l. XXII. tract. ij. c. 1. de anim. rapporte que le porc-épic se tient caché pendant l'été, au contraire du hérisson, qui ne se cache que l'hiver.
Le plus grand des porcs-épics dont M. Perrault a donné la description, avoit deux piés & demi de longueur depuis le bout du museau jusqu'au coccyx ; les jambes étoient fort courtes ; celles de derriere n'avoient que six pouces de longueur depuis le ventre jusqu'à terre, & celles de devant seulement quatre. Les plus grands piquans couvroient le dos & les flancs ; il y avoit sur le reste du corps d'autres piquans plus déliés, plus courts, plus flexibles & moins pointus, presque semblables à ceux du hérisson. Ces piquans étoient entremêlés de poils de couleur grise, brune & fins comme des cheveux ; il y avoit sur le derriere de la tête & du col une sorte de panache formé des piquans fort déliés, flexibles, assez semblables à des soies de sanglier, & de longueur inégale ; les plus longs avoient un pié ; ils étoient en partie blancs & en partie gris. Les plus longs poils des moustaches avoient six pouces ; ils étoient tous fort gros à la racine, très-déliés à la pointe, noirs & luisans. Il y avoit entre les piquans du dos & des flancs un poil plus fin & plus long que celui du reste du corps : ces piquans étoient de deux sortes ; les uns avoient depuis six pouces jusqu'à un pié de long ; trois à quatre lignes de diamêtre à l'endroit le plus gros, qui se trouvoit dans le milieu de leur longueur ; ils étoient gros, forts & pointus ; blancs vers la racine, de couleur de châtain, bruns à la pointe, & variés de noir & de blanc dans le reste de leur étendue par intervalles d'un ou de deux doigts : quelques uns de ces piquans étoient blancs en entier : les autres piquans étoient flexibles, avoient jusqu'à 15 pouces de longueur, & une ligne & demie de diametre. Il y avoit sur l'extrêmité du coccyx une autre sorte de piquans un peu relevés en haut ; leur extrêmité sembloit avoir été coupée, & le reste étoit creux, comme un tuyau de plume ; ils étoient blancs, transparens & rayés de petites cannelures sur leur longueur ; ils avoient deux lignes & demie de diametre, & trois pouces de long.
Il y avoit cinq doigts à chaque pié, mais l'un des doigts des piés de devant ne paroissoit au-dehors que comme un ergot. La jambe & le pié, excepté la plante, étoient garnis de poils & de piquans ; le museau ressembloit à celui du lievre, la levre supérieure étant fendue ; chaque mâchoire avoit deux longues dents incisives, comme celles du castor. La langue étoit garnie par-dessous à son extrêmité de plusieurs petits corps durs en forme de dents. Les oreilles ressembloient à celles de l'homme ; elles étoient légerement couvertes de poil. Mém. de l'acad. royale des Sciences, tom. III. part. ij. On trouve ce porc-épic en Afrique, à Sumatra & à Java.
Le porc-épic de la nouvelle Espagne est de la grandeur d'un chien de moyenne taille ; ses piquans sont menus & longs de trois pouces, il n'y en a point sur le ventre, sur les jambes, ni sur le bout de la queue ; ces parties sont seulement couvertes de poils noirs : il y a aussi des poils entre les piquans excepté sur la tête.
Le porc-épic de la baie d'Hudson est de la grandeur du castor ; il a la tête allongée comme celle du lievre, le nez plat, les oreilles & les jambes très-courtes, & la queue de longueur médiocre. Cet animal est couvert de poils de couleur brune, obscur ; il y en a dont la pointe est de couleur blanche sale : tous les poils de la partie supérieure de la tête, du corps & de la queue cachent des piquans longs de trois pouces au plus, noirs à la pointe, & blancs dans le reste de leur étendue ; on trouve ce porc-épic dans l'Amérique septentrionale.
Le porc-épic d'Amérique est long d'environ un pié depuis le derriere de la tête jusqu'à la queue ; il a la tête & les oreilles petites, le museau allongé, les yeux ronds, la queue plus longue que le corps : les piés n'ont que quatre doigts. Cet animal est couvert de piquans longs de trois ou quatre pouces au plus : il n'y a point de piquans sur les piés ni à la queue. On trouve ce porc-épic en Amérique.
Le grand porc-épic d'Amérique ne differe du précédent qu'en ce qu'il est plus grand.
Le porc-épic des Indes orientales a la tête grosse, la levre supérieure fendue comme celle du lievre, les yeux grands, les oreilles petites & rondes & le corps gros & court. Les piés de derriere sont plus longs que ceux de devant, & il y a cinq doigts à chaque pié, la queue est très-longue & garnie de piquans, comme tout le reste du corps. Reg. anim. par M. Brisson.
PORC-EPIC de mer, voyez POISSON ARME.
PORC-EPIC, ordre du, (Hist. de France) c'est le nom d'un ordre de chevalerie, appellé autrement l'ordre du camail. Il fut institué par Louis duc d'Orléans, fils de Charles V. à la cérémonie du baptême de son fils Charles, l'an 1394. Il étoit composé de 25 chevaliers, y compris le prince qui en étoit le chef. Leur habillement consistoit en un manteau de velours violet, le chaperon & le mantelet d'hermine, & une chaîne d'or pour collier, de laquelle pendoit sur l'estomac un porc-épic de même, avec cette dévise, cominus & eminus, de loin & de près. Cet ordre fut aussi nommé l'ordre du camail, parce que le duc d'Orléans donnoit avec le collier une bague d'or garnie d'un camaieu, ou pierre d'agate, sur laquelle étoit gravée la figure d'un porc-épic. L'on prétend qu'il prit la figure de cet animal, pour la devise de son ordre, afin de montrer à Jean duc de Bourgogne, qu'il ne manquoit ni de courage, ni d'armes pour se défendre. Cet honneur s'accordoit quelquefois à des femmes ; car dans une création de chevaliers du 8 Mars 1438, le duc d'Orléans le donna à mademoiselle de Murat, & à la femme du sieur Poton de Saintrailles. Louis XII. le conféra encore à son avénement à la couronne, après quoi il fut aboli. Trévoux. (D.J.)
PORC sauvage, voyez SANGLIER.
PORC ou COCHON, (Métallurgie) dans l'art de la fonderie, on donne ce nom à plusieurs substances différentes. 1°. On appelle porc les scories qui, dans la premiere fonte des mines retiennent encore une portion du minerai qui n'est point entré en fusion ; ce qui vient communément de ce que le feu n'a pas été assez fort, ni soutenu assez également, ou de ce que l'on n'a point rendu le mêlange assez fusible en y joignant des fondans convenables.
2°. On appelle ainsi dans la fonte & dans la liquation du cuivre les scories qui contiennent encore une portion de ce métal.
3°. On appelle porc ou cochon l'effet que fait sur la grande coupelle l'argent, lorsqu'il souleve le test ou la cendrée, & va se fourrer au-dessous.
4°. Enfin on appelle ainsi le réservoir où va se rendre le minerai pulvérisé qui a passé par le lavoir.
PORC, s. m. (Chaircuiterie & Commerce) les Chaircuitiers font à Paris le commerce de la chair de porc fraîche & cuite, & de toutes les marchandises & issues qu'on peut tirer de cet animal. Il fournit aussi plusieurs choses pour le négoce & les manufactures ; savoir, les jambons qui font partie du commerce des épiciers, le poil ou soie qui se vend par les merciers-quincailliers ; le saindoux & la graisse dont on se sert dans les manufactures pour l'ensimage des étoffes de laine. (D.J.)
PORC TROYEN, (Hist. anc.) c'étoit un cochon rôti entier, & farci en dedans de saucisses, d'oiseaux, de volailles & autres choses. On l'appelloit troyen, par allusion au cheval de Troye.
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PORCA | (Géog. mod.) royaume des Indes, sur la côte de Malabar. Il est borné au nord par le royaume de Cochin, au midi par celui de Calicoulan, & à l'occident par la mer. Les habitans sont idolâtres, & vivent de la pêche qu'ils font pendant l'hiver. La capitale de cet état porte le même nom, & appartient présentement aux Hollandois ; c'est une conquête qu'ils ont faite sur le Portugal. Long. 49. 2. lat. 9. 15. (D.J.)
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PORCELAINE | S. f. (Conchyliolog.) en latin porcellana ou concha venerea, en anglois the porcelainshell. Genre de coquille univalve, avec une bouche d'une ouverture longue & étroite, garnie de dents des deux côtés. La forme de cette coquille est ronde, oblongue, quelquefois bossue, quelquefois terminée par des mamelons.
On conçoit bien d'où vient l'origine du nom concha venerea, donné par les Latins à cette coquille, surtout quand on sait quelle partie du beau sexe ils nommoient porculus ou porcellus, en faisant allusion à celle de Vénus ; & d'ailleurs on connoît la forme de la bouche de la porcelaine ; cependant le nom de concha venerea, coquille de Vénus, donné à la porcelaine, est propre à produire de la confusion, parce qu'il y a une autre coquille d'un genre différent, & de la famille des bivalves, qu'on appelle aussi coquille de Vénus.
On nomme encore ce testacée le pucelage ; c'est le cauris des îles Maldives & de la Guinée, où il sert de monnoie. Enfin, quelques-uns l'appellent la colique, parce qu'on a imaginé qu'en en prenant en poudre après l'avoir calciné, il guérissoit cette maladie ; mais de tous les noms que porte cette coquille, il faut nous en tenir à celui de porcelaine, qui lui est consacré, quoiqu'il soit aussi ridicule que les autres ; l'important est de savoir, que la bouche est la partie essentielle qui détermine le genre des porcelaines ; cette bouche doit être oblongue, étroite en forme de fente, & ordinairement bordée de dents au-moins d'un côté.
Aldrovandus compte douze especes de porcelaines, en y comprenant les différentes couleurs de la robe ; mais alors il y en auroit un beaucoup plus grand nombre ; ou pour mieux dire, elles sont si nombreuses, qu'il faut les ranger sous certains chefs, pour en distinguer les especes avec régularité.
Dans la classe des porcelaines arrondies & épaisses, les cabinets des curieux contiennent les especes suivantes. 1°. la porcelaine nommée la carte géographique ; 2°. la carte géographique à lettres arabes ; 3°. la peau de tigre ; 4°. la peau de serpent ; 5°. le pou de mer ; 6°. le cloporte ; 7°. la porcelaine pointillée ; 8°. la tannée ; 9°. la chinoise ; 10°. la porcelaine au sommet pointu ; 11°. la violette ; 12°. la rougeâtre ; 13°. la bariolée ; 14°. la porcelaine imitant l'écaille de tortue ; 15°. l'arlequine ; 16°. la porcelaine séparée dans le milieu en quatre zones rouges ; 17°. la porcelaine représentant un ovale bleu.
La classe des porcelaines minces & faites en poire, fournit les especes suivantes. 1°. La porcelaine en poire, semée de taches jaunes avec la bouche arquée ; 2°. la même espece marquée de deux bandes ; 3°. l'oeuf de Rumphius, avec des mamelons ; 4°. la navette de tisserand.
La classe des porcelaines de forme oblongue & épaisse est très-nombreuse. Elle offre 1°. le grand argus ; 2°. le petit argus ; 3°. le faux argus ; 4°. la bleuâtre à trois bandes brunes ; 5°. la même à trois bandes blanches, les levres pointillées de rouge ; 6°. le levreau ; 7°. la petite vérole verte ; 8°. la petite vérole blanche à points saillans ; 9°. la porcelaine à trois bandes en S ; 10°. le petit âne ; 11°. la souris ; 12°. la taupe ; 13°. la rousse à zone rouge ; 14°. la brune à bandes rousses ; 15°. celle qui vient de Panama à bandes violettes ; 16°. la tachetée de couleur verdâtre ; 17°. la porcelaine couleur d'agate, traversée par une raie fauve ; 18°. celle qui est vergettée de lignes brunes ; 19°. la bleuâtre en forme de poisson ; 20°. la chinoise marbrée ; 21°. la chinoise tachetée.
La classe des porcelaines bossues en quelqu'endroit, donne les especes suivantes ; 1°. la porcelaine blanche, bossue, avec des mamelons rouges & des dents ; 2°. la même sans mamelons & sans dents ; 3°. la jaune sans manchon ni dents ; 4°. la monnoie de Guinée ou la colique, qui a six bosses en-dessus, & la bouche garnie de dents ; 5°. la grande porcelaine au dos bossu.
Enfin on observe plusieurs autres variétés dans la famille des porcelaines, qui ne peuvent se rapporter à aucune classe. Il y a des porcelaines légeres, d'autres pesantes ; il y en a dont la tête forme une petite pyramide. On en voit dont la fente est toute droite, & d'autres dont la bouche est de travers. Quelquefois le sommet des porcelaines est applati, d'autrefois on n'y voit qu'un seul bouton.
Dans ce nombre étendu d'especes de porcelaines, les curieux estiment beaucoup la porcelaine qui est bossue par le dos, celle qu'on nomme l'oeuf, qui a deux boutons saillans aux extrêmités, la navette, le grand argus, la taupe, la carte géographique, &c.
L'animal qui habite la porcelaine ne nous arrêtera pas long-tems. Il rampe sur une couche à la maniere des limaçons. Cette couche ou pié se termine d'un côté en pointe, dont le contour est frangé, ainsi que tout son pourtour ou cordon. L'autre bout présente un col assez long, fort détaché du pié, avec une tête, d'où partent deux cornes très-pointues qui forment un arc ; c'est dans leur milieu que sont situés les deux yeux, exprimés à l'ordinaire par deux points noirs assez gros. La bouche placée au-dessus de la tête n'est pas grande, & forme un petit trou rond : elle est garnie de dents des deux côtés ; savoir, vingt-cinq à droite & vingt-une seulement du côté gauche ; ces dents lui servent de défense, n'ayant pas d'opercule. On ne lui voit point non plus de museau, comme dans les autres testacées de cette espece.
Ce coquillage a une langue fort pointue, qui couvre entierement son ouverture, regnant d'un bout à l'autre. La plaque sur laquelle elle marche est dentelée dans son pourtour, & se termine en pointe à l'extrêmité opposée à la tête. Hist. nat. éclaircie. (D.J.)
PORCELAINE de la Chine, (Art de la poterie) la porcelaine qui est un des meubles les plus ordinaires des Chinois, & l'ornement de leurs maisons, a été si recherchée en Europe, & il s'y en fait encore un si grand commerce, qu'il est à propos d'exposer tous les détails de sa fabrique.
On ne travaille à la porcelaine que dans une seule bourgade de la province de Kiang-si. Cette bourgade se nomme King-te-tching, & a plus d'un million d'ames. Le pere Dentrecolles y avoit une église, & parmi ses chrétiens il en comptoit plusieurs qui travailloient à la porcelaine, ou qui en faisoient un grand commerce ; c'est d'eux qu'il a tiré des connoissances exactes de toutes les parties de ce bel art. Outre cela, il s'est instruit par lui-même, & a consulté les livres chinois qui traitent de cette matiere ; nous ne pouvons donc rien faire de mieux que d'user ici de son mémoire, qui se trouve dans les lettres des Missionnaires, & dans l'histoire de la Chine du pere du Halde.
Incertitude de l'époque de la porcelaine. Ce pere a cherché inutilement quel est celui qui a inventé la porcelaine. Les annales n'en parlent point, & ne disent pas même à quelle tentative, ni à quel hasard on est redevable de cette invention. Elles disent seulement que la porcelaine étoit anciennement d'un blanc exquis, & n'avoit nul défaut ; que les ouvrages qu'on en faisoit, & qui se transportoient dans les autres royaumes, ne s'appelloient pas autrement que les bijoux précieux de Ja-tcheou : plus bas on ajoute, la belle porcelaine qui est d'un blanc vif & éclatant, & d'un beau bleu céleste, sort toute de King-te-tching. Il s'en fait dans d'autres endroits, mais elle est bien différente soit pour la couleur, soit pour la finesse.
En effet, sans parler des ouvrages de poterie qu'on fait par toute la Chine, auxquels on ne donne jamais le nom de porcelaine, il y a quelques provinces, comme celle de Canton & de Fokien, où l'on travaille en porcelaine ; mais les étrangers ne peuvent s'y méprendre : celle de Fokien est d'un blanc de neige qui n'a nul éclat, & qui n'est point mêlangée de couleurs. Des ouvriers de King-te-tching y porterent autrefois tous leurs matériaux, dans l'espérance d'y faire un gain considérable, à cause du grand commerce que les Européens faisoient alors à Emouy ; mais ce fut inutilement, ils ne purent jamais y réussir.
L'empereur Cang-hi, qui ne vouloit rien ignorer, fit conduire à Peking des ouvriers en porcelaine, & tout ce qui s'employe à ce travail. Ils n'oublierent rien pour réussir sous les yeux du prince ; cependant on assure que leur ouvrage manqua. Il se peut faire que des raisons d'intérêt & de politique eurent part à ce peu de succès. Quoiqu'il en soit, c'est uniquement King-te-tching qui a l'honneur de donner de la porcelaine à toutes les parties du monde. Le Japon même vient en acheter à la Chine.
Ce qu'il faut savoir sur la porcelaine. Tout ce qu'il y a à savoir sur la porcelaine, dit le pere Dentrecolles, se réduit à ce qui entre dans sa composition, & aux préparatif qu'on y apporte ; aux différentes especes de porcelaine, & à la maniere de les former ; à l'huile qui lui donne de l'éclat, & à ses qualités ; aux couleurs qui en font l'ornement, & à l'art de les appliquer ; à la cuisson, & aux mesures qui se prennent pour lui donner le degré de chaleur qui lui convient : enfin on finira par quelques réflexions sur la porcelaine ancienne, sur la moderne, & sur certaines choses qui rendent impraticables aux Chinois des ouvrages dont on a envoyé & dont on pourroit envoyer les desseins. Ces ouvrages où il est impossible de réussir à la Chine, se feroient peut-être facilement en Europe, si l'on y trouvoit les mêmes matériaux.
Du nom de la matiere de la porcelaine. Mais avant que de commencer, il est à-propos de détromper ceux qui croiroient peut-être que le nom de porcelaine vient d'un mot chinois. A la vérité il y a des mots, quoiqu'en petit nombre, qui sont françois & chinois tout ensemble : ce que nous appellons thé par exemple, a pareillement le nom de thé dans la province de Fokien, quoiqu'il s'appelle tcha dans la langue mandarine ; mais pour ce qui est du nom de porcelaine, c'est si peu un mot chinois, qu'aucune des syllabes qui le composent ne peut ni être prononcée, ni être écrite par des chinois, ces sons ne se trouvant point dans leur langue. Il y a apparence que c'est des Portugais qu'on a pris ce nom, quoique parmi eux porcelana signifie proprement une tasse ou une écuelle, & que loca soit le nom qu'ils donnent généralement à tous les ouvrages que nous nommons porcelaine. Les Chinois l'appellent communément tse-ki.
La matiere de la porcelaine se compose de deux sortes de terre, l'une appellée pe-tun-tse, & l'autre qu'on nomme ka-olin ; celle-ci est parsemée de corpuscules qui ont quelque éclat, l'autre est simplement blanche & très-fine au toucher. En même tems qu'un grand nombre de grosses barques remontent la riviere de Jaotheou à King-te-tching pour se charger de porcelaine, il en descend de Ki-mu en presque autant de petites, qui sont chargées de pe-tun-tse & de ka-olin réduits en forme de briques ; car King-te-tching ne produit aucun des matériaux propres à la porcelaine.
Les pe-tun-tse dont le grain est si fin, ne sont autre chose que des quartiers de rochers qu'on tire des carrieres, & auxquels on donne cette forme. Toute sorte de pierre n'est pas propre à former le pe-tun-tse, autrement il seroit inutile d'en aller chercher à vingt ou trente lieues dans la province voisine. La bonne pierre, disent les Chinois, doit tirer un peu sur le verd.
De sa préparation. Voici quelle est la Ie. préparation : on se sert d'une massue de fer pour briser ces quartiers de pierre ; après quoi on met les morceaux brisés dans des mortiers, & par le moyen de certains leviers, qui ont une tête de pierre armée de fer, on acheve de les réduire en une poudre très-fine. Ces leviers jouent sans cesse, ou par le travail des hommes, ou par le moyen de l'eau, de la même maniere que font les martinets dans les moulins à papier.
On jette ensuite cette poussiere dans une grande urne remplie d'eau, & on la remue fortement avec une pelle de fer. Quand on la laisse reposer quelques momens, il surnage une espece de crême épaisse de quatre à cinq doigts ; on la leve, & on la verse dans un autre vase plein d'eau. On agite ainsi plusieurs fois l'eau de la premiere urne, recueillant à chaque fois le nuage qui s'est formé, jusqu'à-ce qu'il ne reste plus que le gros marc que son poids précipite d'abord : on le tire, & on le pile de nouveau.
Au regard de la seconde urne où a été jetté ce que l'on a recueilli de la premiere, on attend qu'il se soit formé au fond une espece de pâte : lorsque l'eau paroît au-dessus fort claire, on la verse par inclination pour ne pas troubler le sédiment ; & l'on jette cette pâte dans de grands moules propres à la secher. Avant qu'elle soit tout-à-fait durcie, on la partage en petits carreaux qu'on achete par centaines. Cette figure & sa couleur lui ont fait donner le nom de petun-tse.
Les moules où se jette cette pâte sont des especes de caisses fort grandes & fort larges ; le fond est rempli de briques placées selon leur hauteur, de telle sorte que la superficie soit égale. Sur le lit de briques ainsi rangées, on étend une grosse toile qui remplit la capacité de la caisse ; alors on y verse la matiere, qu'on couvre peu-après d'une autre toile, sur laquelle on met un lit de briques couchées de plat les unes auprès des autres. Tout cela sert à exprimer l'eau plus promtement ; sans que rien se perde de la matiere de la porcelaine, qui en se durcissant, reçoit aisément la figure des briques.
Il n'y auroit rien à ajouter à ce travail, si les Chinois n'étoient pas accoutumés à altérer leurs marchandises : mais des gens qui roulent de petits grains de pâte dans de la poussiere de poivre pour les en couvrir & les mêler avec du poivre véritable, n'ont garde de vendre les pe-tun-tse sans y mêler du marc ; c'est pourquoi on est obligé de les purifier encore à King-te-tching, avant que de les mettre en oeuvre.
Le ka-olin qui entre dans la composition de la porcelaine, demande un peu moins de travail que le petun-tse ; la nature y a plus de part. On en trouve des mines dans le sein des montagnes qui sont couvertes au-dehors d'une terre rougeâtre. Ces mines sont assez profondes : on y trouve par grumeau la matiere en question, dont on fait des quartiers en forme de carreaux, en observant la même méthode que j'ai marquée par rapport au pe-tun-tse. Le pere Dentrecolles n'est pas éloigné de croire que la terre blanche de Malthe, qu'on appelle de St. Paul, auroit dans sa matrice beaucoup de rapport avec le ka-olin, quoiqu'on n'y remarque pas les petites parties argentées dont est semé le ka-olin.
C'est du ka-olin que la porcelaine tire toute sa fermeté : il en est comme les nerfs. Ainsi c'est le mêlange d'une terre molle qui donne de la force aux pe-tun-tse, lesquels se tirent des plus durs rochers. On dit que des négocians européens on fait acheter des petun-tse pour faire de la porcelaine ; mais que n'ayant point pris de ka-olin, leur entreprise échoua.
Du hoa-ché qui entre dans la porcelaine. On a trouvé une nouvelle matiere propre à entrer dans la composition de la porcelaine : c'est une pierre ou une espece de craie qui s'appelle hoa-ché. Les ouvriers en porcelaine se sont avisés d'employer cette pierre à la place du ka-olin. Peut-être que tel endroit de l'Europe où l'on ne trouvera point du ka-olin, fourniroit la pierre hoa-ché. Elle se nomme hoa, parce qu'elle est glutineuse & qu'elle approche en quelque sorte du savon.
La porcelaine faite avec le hoa-ché est rare & beaucoup plus chere que l'autre : elle a un grain extrêmement fin ; & pour ce qui regarde l'ouvrage du pinceau, si on la compare à la porcelaine ordinaire, elle est à-peu-près ce qu'est le vélin au papier. De plus, cette porcelaine est d'une légereté qui surprend une main accoutumée à manier d'autres porcelaines ; aussi est-elle beaucoup plus fragile que la commune, & il est difficile d'attraper le véritable degré de sa cuite. Il y en a qui ne se servent pas du hoa-ché pour faire le corps de l'ouvrage ; ils se contentent d'en faire une colle assez déliée, où ils plongent la porcelaine quand elle est seche, afin qu'elle en prenne une couche, avant que de recevoir les couleurs & le vernis : par-là elle acquiert quelque degré de beauté.
De la maniere de mettre en oeuvre le hoa-ché. Mais de quelle maniere met-on en oeuvre le hoa-ché ? c'est ce qu'il faut expliquer. 1°. Lorsqu'on l'a tiré de la mine, on le lave avec de l'eau de riviere ou de pluie pour en séparer un reste de terre jaunâtre qui y est attachée. 2°. On le brise, on le met dans une cuve d'eau pour le dissoudre, & on le prépare en lui donnant les mêmes façons qu'au ka-olin. On assure qu'on peut faire de la porcelaine avec le seul hoa-ché préparé de la sorte, & sans aucun mêlange ; cependant l'usage est de mettre sur huit parts de hoa-ché deux parts de pe-tun-tse ; & pour le reste ; on procede selon la méthode qui s'observe quand on fait la porcelaine ordinaire avec le pe-tun-tse & le ka-olin. Dans cette nouvelle espece de porcelaine, le hoa-ché tient la place du ka-olin ; mais l'un est beaucoup plus cher que l'autre. La charge de ka-olin ne coûte que 20 sous, au-lieu que celle de hoa-ché revient à un écu. Ainsi il n'est pas surprenant que cette sorte de porcelaine coûte plus que la commune.
Il faut encore faire une observation sur le hoa-ché. Lorsqu'on l'a préparé & qu'on l'a disposé en petits carreaux semblables à ceux du pe-tun-tse, on délaie dans l'eau une certaine quantité de ces petits carreaux, & l'on en forme une colle bien claire ; ensuite on y trempe le pinceau, puis on trace sur la porcelaine divers desseins ; après quoi, lorsqu'elle est seche, on lui donne le vernis. Quand la porcelaine est cuite, on apperçoit ces desseins qui sont d'une blancheur différente de celle qui est sur le corps de la porcelaine. Il semble que ce soit une vapeur déliée répandue sur la surface. Le blanc de hoa-ché s'appelle le blanc d'ivoire, siang-ya-pé.
Du che-kao, autre matiere de la porcelaine. On peint des figures sur la porcelaine avec du che-kao, qui est une espece de pierre ou de minéral semblable à l'alun, de même qu'avec le hoa-ché ; ce qui lui donne une autre espece de couleur blanche ; mais le che-kao a cela de particulier, qu'avant que de le préparer comme le hoa-ché, il faut le rôtir dans le foyer ; après quoi on le brise, & on lui donne les mêmes façons qu'au hoa-ché : on le jette dans un vase plein d'eau ; on l'y agite, on ramasse à diverses reprises la crême qui surnage ; & quand tout cela est fait, on trouve une masse pure qu'on emploie de même que le hoa-ché purifié.
Le che-kao ne sauroit servir à former le corps de la porcelaine ; on n'a trouvé jusqu'ici que le hoa-ché qui pût tenir la place du ka-olin, & donner de la solidité à la porcelaine. Si, à ce qu'on dit, l'on mettoit plus de deux parts de pe-tun-tse sur huit parts de hoa-ché, la porcelaine s'affaisseroit en la cuisant, parce qu'elle manqueroit de fermeté, ou plutôt que ses parties ne seroient pas suffisamment liées ensemble.
Du vernis qui blanchit la porcelaine. Outre les barques chargées de pe-tun-tse & de koa-lin, dont le rivage de King-te-tching est bordé, on en trouve d'autres remplies d'une substance blanchâtre & liquide ; cette substance est l'huile qui donne à la porcelaine sa blancheur & son éclat : en voici la composition. Il semble que le nom chinois yeou, qui se donne aux différentes sortes d'huile, convient moins à la liqueur dont je parle, que celui de tsi, qui signifie vernis. Cette huile ou ce vernis se tire de la pierre la plus dure ; ce qui n'est pas surprenant pour ceux qui prétendent que les pierres se forment principalement des sels & des huiles de la terre qui se mêlent & qui s'unissent étroitement ensemble.
Quoique l'espece de pierre dont se font les pe-tun-tse puisse être employée indifféremment pour en tirer de l'huile, on fait choix pourtant de celle qui est la plus blanche, & dont les taches sont les plus vertes. L'histoire de Feou-Leang, dit que la bonne pierre pour l'huile est celle qui a des taches semblables à la couleur de feuilles de cyprès, ou qui a des marques rousses sur un fond un peu brun, à peu-près comme la linaire.
Il faut d'abord bien laver cette pierre, après quoi on y apporte les mêmes préparations que pour le petun-tse : quand on a dans la seconde urne ce qui a été tiré de plus pur de la premiere, après toutes les façons ordinaires, sur cent livres ou environ de cette crême, on jette une livre de che-kao, qu'on a fait rougir au feu & qu'on a pilé. C'est comme la presure qui lui donne de la consistance, quoiqu'on ait soin de l'entretenir toujours liquide.
Cette huile de pierre ne s'employe jamais seule : on y en mêle une autre, qui en est comme l'ame ; on prend de gros quartiers de chaux vive, sur lesquels on jette avec la main un peu d'eau pour les dissoudre & les réduire en poudre. Ensuite on fait une couche de fougere seche, sur laquelle on met une autre couche de chaux amortie. On en met ainsi plusieurs alternativement les unes sur les autres, après quoi l'on met le feu à la fougere. Lorsque tout est consumé, l'on partage ces cendres sur de nouvelles couches de fougere seche, cela se fait cinq ou six fois de suite : on peut le faire plus souvent, & l'huile en est meilleure.
Autrefois, dit l'histoire de Feou-Leang, outre la fougere, on y employoit le bois d'un arbre dont le fruit s'appelle se-tse ; à en juger par l'âcreté du fruit, quand il n'est pas mûr, & par son petit couronnement, il semble que c'est une espece de neffle. On ne s'en sert plus maintenant, apparemment parce qu'il est devenu fort rare. Peut-être est-ce faute de ce bois que la porcelaine moderne n'est pas si belle que celle des premiers tems. La nature de la chaux & de la fougere contribue aussi à la bonté de l'huile.
Quand on a des cendres de chaux & de fougere jusqu'à une certaine quantité, on les jette dans une urne remplie d'eau. Sur cent livres, il faut y dissoudre une livre de che-kao, bien agiter cette mixtion, ensuite la laisser reposer, jusqu'à ce qu'il paroisse sur la surface un nuage ou une croûte qu'on ramasse, & qu'on jette dans une seconde urne ; & cela à plusieurs reprises : quand il s'est formé une espece de pâte au fond de la seconde urne, on en verse l'eau par inclination, on conserve ce fond liquide, & c'est la seconde huile qui doit se mêler avec la précedente. Par un juste mêlange, il faut que ces deux especes de purée soient également épaisses. Afin d'en juger, on plonge à diverses reprises dans l'une & dans l'autre des petits carreaux de pe-tun-tse : en les retirant, on voit sur leur superficie si l'épaississement est égal de part & d'autre. Voilà ce qui regarde la qualité de ces deux sortes d'huile.
Pour ce qui est de la quantité, le mieux qu'on puisse faire, c'est de mêler dix mesures d'huile de pierre avec une mesure d'huile faite de cendres de chaux & de fougere : ceux qui l'épargnent, n'en mettent jamais moins de trois mesures. Les marchands qui vendent cette huile, pour peu qu'ils ayent d'inclination à tromper, ne sont pas fort embarrassés à en augmenter le volume : ils n'ont qu'à jetter de l'eau dans cette huile, &, pour couvrir leur fraude, y ajouter du che-kao à proportion, qui empêche la matiere d'être trop liquide.
D'un autre vernis de la porcelaine. Il y a une autre espece de vernis, qui s'appelle tsi-kin-yeou, c'est-à-dire, vernis d'or bruni. On pourroit le nommer plutôt vernis de couleur de bronze, de couleur de café, ou de couleur de feuille morte. Ce vernis est d'une invention nouvelle : pour le faire, on prend de la terre jaune commune, on lui donne les mêmes façons qu'au pe-tun-tse ; quand cette terre est préparée, on n'en employe que la matiere la plus déliée qu'on jette dans l'eau, & dont on forme une espece de colle aussi liquide que le vernis ordinaire appellé pe-yeou, qui se fait de quartiers de roche. Ces deux vernis, le tsi-kin & le pe-yeou, se mêlent ensemble, & pour cela ils doivent être également liquides. On en fait l'épreuve en plongeant un pe-tun-tse dans l'un & dans l'autre vernis. Si chacun de ces vernis pénetre son pe-tun-tse, on les juge également liquides, & propres à s'incorporer ensemble.
On fait aussi entrer dans le tsi-kin du vernis, ou de l'huile de chaux & de cendres de fougere préparée, & de la même liquidité que le pe-yeou : mais on mêle plus ou moins de ces deux vernis avec le tsi-kin, selon qu'on veut que le tsi-kin soit plus foncé ou plus clair. C'est ce qu'on peut connoître par divers essais, par exemple, on mesure deux tasses de peyeou, puis sur quatre tasses de cette mixtion de tsi-kin & de pe-yeou, on mettra une tasse de vernis fait de chaux & de fougere.
Il y a peu d'années qu'on a trouvé le secret de peindre en violet, & de dorer la porcelaine ; on a essayé de faire une mixtion de feuilles d'or avec le vernis & la poudre de caillou, qu'on appliquoit de même qu'on applique le rouge à l'huile : mais cette tentative n'a pas réussi, & on a trouvé que le vernis tsi-kin avoit plus d'éclat.
Il a été un tems que l'on faisoit des tasses, auxquelles on donnoit par-dehors le vernis doré, & par-dedans le pur vernis blanc. On a varié dans la suite, & sur une tasse ou sur un vase qu'on vouloit vernisser de tsi-kin, on appliquoit en un ou deux endroits un rond ou un quarré de papier mouillé ; après avoir donné le vernis, on levoit le papier, & avec le pinceau on peignoit en rouge, ou en azur, cet espace non-vernissé. Lorsque la porcelaine étoit séche, on lui donnoit le vernis accoutumé, soit en le soufflant, soit d'une autre maniere. Quelques-uns remplissent ces espaces vuides d'un fond tout d'azur, ou tout noir, pour y appliquer la dorure après la premiere cuite. C'est sur quoi on peut imaginer diverses combinaisons.
Des différentes élaborations de la porcelaine. Avant que d'expliquer la maniere dont cette huile, ou plutôt ce vernis s'applique, il est à-propos de décrire comment se forme la porcelaine. Je commence d'abord par le travail qui se fait dans les endroits les moins fréquentés de King-te-tching. Là, dans une enceinte de murailles, on bâtit de vastes apentis, où l'on voit étage sur étage un grand nombre d'urnes de terre. C'est dans cette enceinte que demeurent & travaillent une infinité d'ouvriers, qui ont chacun leur tâche marquée. Une piece de porcelaine, avant que d'en sortir pour être portée au fourneau, passe par les mains de plus de vingt personnes, & cela sans confusion. On a sans doute éprouvé que l'ouvrage se fait ainsi beaucoup plus vîte.
Le premier travail consiste à purifier de nouveau le pe-tun-tse, & le kao-lin, du marc qui y reste quand on le vend. On brise les pe-tun-tse, & on les jette dans une urne pleine d'eau ; ensuite, avec une large spatule, on acheve en les remuant de les dissoudre : on les laisse reposer quelques momens, après quoi on ramasse ce qui surnage, & ainsi du reste, de la maniere qu'il a été expliqué ci-dessus.
Pour ce qui est des pieces de kao-lin, il n'est pas nécessaire de les briser ; on les met tout simplement dans un panier fort clair, qu'on enfonce dans une urne remplie d'eau ; le kao-lin s'y fond aisément de lui-même. Il reste d'ordinaire un marc qu'il faut jetter : au bout d'un an ces rebuts s'accumulent, & font de grands monceaux d'un sable blanc & spongieux, dont il faut vuider le lieu où l'on travaille.
Ces deux matieres de pe-tun-tse & de kao-lin ainsi préparées, il en faut faire un juste mêlange : on met autant de kao-lin que de pe-tun-tse pour les porcelaines fines ; pour les moyennes, on employe quatre parts de kao-lin sur six de pe-tun-tse. Le moins qu'on en mette, c'est une part de kao-lin sur trois de petun-tse.
Après ce premier travail, on jette cette masse dans un grand creux bien pavé & cimenté de toutes parts : puis on la foule, & on la pétrit jusqu'à ce qu'elle se durcisse : ce travail est fort rude, parce qu'il ne doit point être arrêté.
De cette masse ainsi préparée on tire différens morceaux, qu'on étend sur de larges ardoises. Là on les pêtrit, & on les roule en tous les sens, observant soigneusement qu'il ne s'y trouve aucun vuide, ou qu'il ne s'y mêle aucun corps étranger. Faute de bien façonner cette masse, la porcelaine se fêle, éclate, coule, & se déjette. C'est de ces premiers élémens que sortent tant de beaux ouvrages de porcelaine, dont les uns se font à la roue, les autres se font uniquement sur des moules, & se perfectionnent ensuite avec le ciseau.
Tous les ouvrages unis se font de la premiere façon. Une tasse, par exemple, quand elle sort de dessous la roue, n'est qu'une espece de calotte imparfaite, à-peu-près comme le dessus d'un chapeau, qui n'a pas encore été appliqué sur la forme. L'ouvrier lui donne d'abord le diametre & la hauteur qu'on souhaite, & elle sort de ses mains presqu'aussi-tôt qu'il l'a commencée : car il n'a que trois deniers de gain par planche, & chaque planche est garnie de vingt-six pieces. Le pié de la tasse n'est alors qu'un morceau de terre de la grosseur du diametre qu'il doit avoir, & qui se creuse avec le ciseau, lorsque la tasse est séche & qu'elle a de la consistance, c'est-à-dire, après qu'elle a reçu tous les ornemens qu'on veut lui donner.
Effectivement cette tasse au sortir de la roue, est reçue par un second ouvrier qui l'asseoit sur la base. Peu-après elle est livrée à un troisieme qui l'applique sur son moule, & lui imprime la figure. Ce moule est sur une espece de tour. Un quatrieme ouvrier polit cette tasse avec le ciseau, sur-tout vers les bords, & la rend déliée, autant qu'il est nécessaire, pour lui donner de la transparence ; il la racle à plusieurs reprises, la mouillant chaque fois tant-soit-peu, si elle est trop séche, de peur qu'elle ne se brise. Quand on retire la tasse de dessus le moule, il faut la rouler doucement sur ce même moule, sans la presser plus d'un côté que de l'autre, sans quoi il s'y fait des cavités, ou bien elle se déjette. Il est surprenant de voir avec quelle vîtesse ces vases passent par tant de différentes mains. On dit qu'une piece de porcelaine cuite a passé par les mains de soixante-dix ouvriers.
Des grandes pieces de porcelaine. Les grandes pieces de porcelaine se font à deux fois : une moitié est élevée sur la roue par trois ou quatre hommes qui la soutiennent chacun de son côté, pour lui donner sa figure ; l'autre moitié étant presque seche s'y applique : on l'y unit avec la matiere même de la porcelaine délayée dans l'eau, qui sert comme de mortier ou de colle. Quand ces pieces ainsi collées sont tout-à-fait seches, on polit avec le couteau en-dedans & en-dehors l'endroit de la réunion, qui, par le moyen du vernis dont on le couvre, s'égale avec tout le reste. C'est ainsi qu'on applique aux vases, des anses, des oreilles, & d'autres pieces rapportées.
Ceci regarde principalement la porcelaine qu'on forme sur les moules, ou entre les mains ; telles que sont les pieces cannelées, ou celles qui sont d'une figure bizarre, comme les animaux, les grotesques, les idoles, les bustes que les Européens ordonnent, & d'autres semblables. Ces sortes d'ouvrages moulés se font en trois ou quatre pieces, qu'on ajoute les unes aux autres, & que l'on perfectionne ensuite avec des instrumens propres à creuser, à polir, & à rechercher différens traits qui échappent au moule.
Des ornemens de la porcelaine. Pour ce qui est des fleurs & des autres ornemens qui ne sont point en relief, mais qui sont comme gravés, on les applique sur la porcelaine avec des cachets & des moules : on y applique aussi des reliefs tout préparés, de la maniere à-peu-près qu'on applique des galons d'or sur un habit.
Quand on a le modele de la porcelaine qu'on desire, & qui ne peut s'imiter sur la roue entre les mains du potier, on applique sur ce modele de la terre propre pour les moules : cette terre s'y imprime & le moule se fait de plusieurs pieces, dont chacune est d'un assez gros volume : on le laisse durcir quand la figure y est imprimée.
Lorsqu'on veut s'en servir, on l'approche du feu pendant quelque tems, après quoi on le remplit de la matiere de porcelaine à proportion de l'épaisseur qu'on veut lui donner : on presse avec la main dans tous les endroits, puis on présente un moment le moule au feu. Aussi-tôt la figure empreinte se détache du moule par l'action du feu, laquelle consume un peu de l'humidité qui colloit cette matiere au moule.
Les différentes pieces d'un tout tirées séparément, se réunissent ensuite avec de la matiere de porcelaine un peu liquide. C'est ainsi qu'on fait des figures d'animaux toutes massives : on laisse durcir cette masse, & on lui donne ensuite la figure qu'on se propose, après quoi on la perfectionne avec le ciseau, ou l'on y ajoute des parties travaillées séparément. Ces sortes d'ouvrages se font avec grand soin, tout y est recherché.
Quand l'ouvrage est fini, on lui donne le vernis, & on le cuit : on le peint ensuite, si l'on veut de diverses couleurs ; & on y applique l'or, puis on le cuit une seconde fois. Des pieces de porcelaines ainsi travaillées, se vendent extrêmement cher. Tous ces ouvrages doivent être mis à couvert du froid ; leur humidité les fait éclater, quand ils ne sechent pas également. C'est pour parer à cet inconvénient qu'on fait quelquefois du feu dans ces laboratoires.
Des moules de la porcelaine. Ces moules se font d'une terre jaune, grasse, & qui est comme en grumeaux : on la tire d'un endroit qui n'est pas éloigné de King-te-tching. Cette terre se pêtrit ; quand elle est bien liée & un peu durcie, on en prend la quantité nécessaire pour faire un moule, & on la bat fortement. Quand on lui a donné la figure qu'on souhaite, on la laisse sécher ; après quoi on la façonne sur le tour. Ce travail se paye chérement. Pour expédier un ouvrage de commande, on fait un grand nombre de moules, afin que plusieurs troupes d'ouvriers travaillent à la fois.
Quand on a soin de ces moules, ils durent très-long-tems. Un marchand qui en a de tout prêts pour les ouvrages de porcelaine qu'un Européen demande, peut donner sa marchandise bien plus tôt & à meilleur marché, & faire un gain plus considérable que ne feroit un autre marchand qui auroit ces moules à faire. S'il arrive que ces moules s'écorchent, ou qu'il s'y fasse la moindre breche, ils ne sont plus en état de servir, si ce n'est pour des porcelaines de la même figure, mais d'un plus petit volume. On les met alors sur le tour, & on les rabote afin qu'ils puissent servir une seconde fois.
Des peintres sur la porcelaine. Il est tems d'ennoblir la porcelaine en la faisant passer entre les mains des peintres. Ces hoa pei ou peintres de porcelaine, ne sont guere moins gueux que les autres ouvriers : il n'y a pas de quoi s'en étonner, puisqu'à la réserve de quelques-uns d'eux, ils ne pourroient passer en Europe que pour des apprentifs de quelques mois. Toute la science de ces peintres chinois n'est fondée sur aucun principe, & ne consiste que dans une certaine routine, aidée d'un tour d'imagination assez bornée. Ils ignorent toutes les belles regles de cet art. Il faut pourtant avouer qu'ils ont le talent de peindre sur la porcelaine, aussi bien que sur les éventails & sur les lanternes d'une gaze très-fine, des fleurs, des animaux & des paysages qui font plaisir.
Le travail de la peinture est partagé dans un même laboratoire, entre un grand nombre d'ouvriers. L'un a soin de former uniquement le premier cercle coloré, qu'on voit près des bords de la porcelaine : l'autre trace des fleurs que peint un troisieme : celui-ci est pour les eaux & pour les montagnes : celui-là pour les oiseaux & pour les autres animaux. Les figures humaines sont d'ordinaire les plus maltraitées : certains paysages & certains plans de ville enluminés, qu'on apporte d'Europe à la Chine, ne nous permettent pas de railler les Chinois sur la maniere dont ils représentent dans leurs peintures.
Des différentes couleurs de la porcelaine. Pour ce qui est des couleurs de la porcelaine, il y en a de toutes les sortes. On n'en voit guere en Europe que de celle qui est d'un bleu vif, sur un fond blanc. Il s'en trouve dont le fond est semblable à celui de nos miroirs ardens : il y en a d'entierement rouges ; & parmi celles-là, les unes sont d'un rouge à l'huile, les autres sont d'un rouge soufflé, & sont semés de petits points à-peu-près comme nos miniatures. Quand ces deux sortes d'ouvrages réussissent dans leur perfection, ce qui est assez difficile, ils sont extrêmement chers.
Enfin il y a des porcelaines où les paysages qui y sont peints, se forment du mêlange de presque toutes les couleurs relevées par l'éclat de la dorure. Elles sont fort belles si l'on y fait de la dépense ; mais autrement la porcelaine ordinaire de cette espece, n'est pas comparable à celle qui est peinte avec le seul azur. Les annales de King-te-tching disent qu'anciennement le peuple ne se servoit que de porcelaine blanche : c'est apparemment parce qu'on n'avoit pas trouvé aux environs de Jao tcheou un azur moins précieux que celui qu'on employe pour la belle porcelaine, lequel vient de loin & se vend assez cher.
On raconte qu'un marchand de porcelaine ayant fait naufrage sur une côte déserte, y trouva beaucoup plus de richesses qu'il n'en avoit perdu. Comme il erroit sur la côte tandis que l'équipage se faisoit un petit bâtiment du débris du vaisseau, il apperçut que les pierres propres à faire le plus bel azur y étoient très-communes : il en apporta avec lui une grosse charge ; & jamais, dit-on, on ne vit à King-te-tching de si bel azur. Ce fut vainement que le marchand chinois s'efforça dans la suite de retrouver cette côte où le hasard l'avoit conduit.
Telle est la maniere dont l'azur se prépare : on l'ensevelit dans le gravier qui est de la hauteur d'un demi-pié dans le fourneau : il s'y rôtit pendant 24 heures, ensuite on le réduit en une poudre impalpable, ainsi que les autres couleurs, non sur le marbre, mais dans de grands mortiers de porcelaine, dont le fond est sans vernis, de même que la tête du pilon qui sert à broyer.
Il y a là-dessus quelques observations à faire : 1°. Avant que de l'ensevelir dans le gravier du fourneau où il doit être rôti, il faut le bien laver afin d'en retirer la terre qui y est attachée : 2°. il faut l'enfermer dans une caisse à porcelaine bien luttée : 3°. lorsqu'il est rôti on le brise, on le passe par le tamis, on le met dans un vase vernissé, on y répand de l'eau bouillante après l'avoir un peu agité, on en ôte l'écume qui surnage ; ensuite on verse l'eau par inclination. Cette préparation de l'azur avec de l'eau bouillante, doit se renouveller deux fois, après quoi on prend l'azur ainsi humide, & réduit en une espece de pâte fort déliée pour le jetter dans un mortier, où on le broye pendant un tems considérable.
On dit que l'azur se trouve dans les minieres de charbon de pierre, ou dans des terres rouges voisines de ces minieres. Il en paroît sur la superficie de la terre ; & c'est un indice assez certain qu'en creusant un peu avant dans un même lieu, on en trouvera infailliblement. Il se présente dans la mine par petites pieces, grosses à-peu-près comme le pouce, mais plates & non pas rondes. L'azur grossier est assez commun ; mais le fin est très-rare, & il n'est pas aisé de le discerner à l'oeil : il faut en faire l'épreuve si l'on ne veut pas y être trompé.
Cette épreuve consiste à peindre une porcelaine & à la cuire. Si l'Europe fournissoit du beau lear ou de l'azur, & du beau tsiu, qui est une espece de violet, ce seroit pour King-te-tching une marchandise de prix, & d'un petit volume pour le transport ; & on apporteroit en échange la plus belle porcelaine. On a déjà dit que le tsiu se vendoit un taël huit mas la livre, c'est-à-dire neuf livres : on vend deux taëls la boëte du beau lear, qui n'est que de dix onces, c'est-à-dire 20 sols l'once.
On a essayé de peindre en noir quelques vases de porcelaine, avec l'encre la plus fine de la Chine ; mais cette tentative n'a eu aucun succès. Quand la porcelaine a été cuite, elle s'est trouvée très-blanche. Comme les parties de ce noir n'ont pas assez de corps, elles s'étoient dissipées par l'action du feu ; ou plutôt elles n'avoient pas eu la force de pénétrer la couche de vernis, ni de produire une couleur différente du simple vernis.
Le rouge se fait avec de la couperose : peut-être les Chinois ont-ils en cela quelque chose de particulier, c'est pourquoi je vais rapporter leur méthode. On met une livre de couperose dans un creuset, qu'on lutte bien avec un second creuset ; au-dessus de celui-ci est une petite ouverture, qui se couvre de telle sorte qu'on puisse aisément la découvrir s'il en est besoin. On environne le tout de charbon à grand feu ; & pour avoir un plus fort reverbere, on fait un circuit de briques. Tandis que la fumée s'éleve fort noire, la matiere n'est pas encore en état ; mais elle l'est aussitôt qu'il sort une espece de petit nuage fin & délié. Alors on prend un peu de cette matiere, on la délaye avec de l'eau, & on en fait l'épreuve sur du sapin. S'il en sort un beau rouge, on retire le brasier qui environne & couvre en partie le creuset. Quand tout est refroidi, on trouve un petit pain de ce rouge qui s'est formé au bas du creuset. Le rouge le plus fin est attaché au creuset d'en-haut. Une livre de couperose donne quatre onces de rouge dont on peint la porcelaine.
Bien que la porcelaine soit blanche de sa nature, & que l'huile qu'on lui donne serve à augmenter sa blancheur, cependant il y a de certaines figures en faveur desquelles on applique un blanc particulier sur la porcelaine qui est peinte de différentes couleurs. Ce blanc se fait d'une poudre de caillou transparent, qui se calcine au fourneau de même que l'azur. Sur demi-once de cette poudre on met une once de céruse pulvérisée : c'est aussi ce qui entre dans le mêlange des couleurs. Par exemple, pour faire le verd, à une once de céruse & à une demi-once de poudre de caillou, on ajoute trois onces de ce qu'on appelle toug-hoa-pien. On croiroit sur les indices qu'on en a, que ce sont les scories les plus pures du cuivre qu'on a battu.
Le verd préparé devient la matrice du violet, qui se fait en y ajoutant une dose de blanc : on met plus de verd préparé, à proportion qu'on veut le violet plus foncé. Le jaune se fait en prenant sept dragmes de blanc préparé, comme on l'a dit, auxquelles on ajoute trois dragmes de rouge couperosé.
Toutes ces couleurs appliquées sur la porcelaine déjà cuite après avoir été huilée, ne paroissent vertes, violettes, jaunes ou rouges, qu'après la seconde cuisson qu'on leur donne. Ces diverses couleurs s'appliquent avec la céruse, le salpêtre & la couperose.
Le rouge à l'huile se fait de la grenaille de cuivre rouge, & de la poudre d'une certaine pierre ou caillou qui tire un peu sur le rouge. Un médecin chrétien a dit que cette pierre étoit une espece d'alun qu'on employe dans la médecine. On broye le tout dans un mortier, en y mêlant de l'urine d'un jeune homme & de l'huile ; mais on n'a pu découvrir la quantité de ces ingrédiens, ceux qui ont le secret sont attentifs à ne le pas divulguer.
On applique cette mixtion sur la porcelaine lorsqu'elle n'est pas encore cuite, & on ne lui donne point d'autre vernis. Il faut seulement prendre garde que durant la cuite, la couleur rouge ne coule point au bas du vase. On assure que quand on veut donner ce rouge à la porcelaine, on ne se sert point de petun-tse pour la former, mais qu'en sa place on employe avec le kao-lin de la terre jaune, préparée de la même maniere que le petun-tse. Il est vraisemblable qu'une pareille terre est plus propre à recevoir cette sorte de couleur.
Peut-être sera-t-on bien aise d'apprendre comment cette grenaille de cuivre se prépare. On sait qu'à la Chine il n'y a point d'argent monnoyé : on se sert d'argent en masse dans le commerce, & il s'y trouve beaucoup de pieces de bas-aloi. Il y a cependant des occasions où il faut les réduire en argent fin ; comme par exemple, quand il s'agit de payer la taille, ou de semblables contributions. Alors on a recours à des ouvriers dont l'unique métier est d'affiner l'argent dans les fourneaux faits à ce dessein, & d'en séparer le cuivre & le plomb. Ils forment la grenaille de ce cuivre, qui vraisemblablement conserve quelques parcelles imperceptibles d'argent ou de plomb.
Avant que le cuivre liquefié se congele, on prend un petit balai qu'on trempe légérement dans l'eau, puis en frappant sur le manche du balai, on asperge d'eau le cuivre fondu ; une pellicule se forme sur la superficie, qu'on leve avec de petites pincettes de fer, & on la plonge dans l'eau froide, où se forme la grenaille qui se multiplie autant qu'on réitere l'opération. Si l'on employoit de l'eau-forte pour dissoudre le cuivre, cette poudre de cuivre en seroit plus propre pour faire le rouge dont on parle ; mais les Chinois n'ont point le secret des eaux-fortes & régales : leurs inventions sont toutes d'une extrême simplicité.
L'autre espece de rouge soufflé se fait de la maniere suivante. On a du rouge tout préparé ; on prend un tuyau, dont une des ouvertures est couverte d'une gaze fort serrée : on applique doucement le bas du tuyau sur la couleur dont la gaze se charge ; après quoi on souffle dans le tuyau contre la porcelaine, qui se trouve ensuite toute semée de petits points rouges. Cette sorte de porcelaine est encore plus chere & plus rare que la précédente, parce que l'exécution en est plus difficile si l'on veut garder toutes les proportions réquises.
On souffle le bleu de même que le rouge contre la porcelaine, il est beaucoup plus aisé d'y réussir. Les ouvriers conviennent que si l'on ne plaignoit pas la dépense, on pourroit de même souffler de l'or & de l'argent sur de la porcelaine dont le fond seroit noir ou bleu, c'est-à-dire y répandre par-tout également une espece de pluie d'or ou d'argent. Cette sorte de porcelaine, qui seroit d'un goût nouveau, ne laisseroit pas de plaire. On souffle aussi quelquefois les vernis : on a fait pour l'empereur des ouvrages si fins & si déliés, qu'on les mettoit sur du coton, parce qu'on ne pouvoit manier des pieces si délicates, sans s'exposer à les rompre ; & comme il n'étoit pas possible de les plonger dans les vernis, parce qu'il eût fallu les toucher de la main, on souffloit le vernis, & on couvroit entierement la porcelaine.
On a remarqué qu'en soufflant le bleu, les ouvriers prennent une précaution pour conserver la couleur qui tombe sur la porcelaine, & n'en perdre que le moins qu'il est possible. Cette précaution est de placer le vase sur un piédestal, d'étendre sous le piédestal une grande feuille de papier, qui sert durant quelque tems. Quand l'azur est sec, ils le retirent, en frottant le papier avec une petite brosse.
De la composition des différentes couleurs. Mais pour mieux entrer dans le détail de la maniere dont les peintres chinois mélangent leurs couleurs, & en forment de nouvelles, il est bon d'expliquer quelle est la proportion & la mesure des poids de la Chine.
Le kin, ou la livre chinoise, est de seize onces, qui s'appellent léangs ou taëls.
Le léang ou taël, est une once chinoise.
Le tsien ou le mas, est la dixieme partie du léang ou taël.
Le fuen est la dixieme partie du tsien ou du mas.
Le ly est la dixieme partie du fuen.
Le har est la dixieme partie du ly.
Cela supposé, voici comment se compose le rouge qui se fait avec de la couperose, qui s'emploie sur les porcelaines recuites ; sur un taël ou léang de céruse, on met deux mas de ce rouge ; on passe la céruse & le rouge par un tamis, & on les mêle ensemble à sec ; ensuite on les lie l'un avec l'autre avec de l'eau empreinte d'un peu de colle de vache, qui se vend réduite à la consistance de la colle de poisson. Cette colle fait qu'en peignant la porcelaine, le rouge s'y attache & ne coule pas. Comme les couleurs, si on les appliquoit trop épaisses, ne manqueroient pas de produire des inégalités sur la porcelaine, on a soin de tems en tems de tremper d'une main légere le pinceau, dans l'eau, & ensuite dans la couleur dont on veut peindre.
Pour faire de la couleur blanche, sur un léang de céruse, on met trois mas & trois fuens de poudre de cailloux des plus transparens, qu'on a calcinés, après les avoir luttés dans une caisse de porcelaine enfouie dans le gravier du fourneau, avant que de le chauffer. Cette poudre doit être impalpable. On se sert d'eau simple, sans y mêler de la colle, pour l'incorporer avec la céruse.
On fait le verd foncé, en mettant sur un taël de céruse, trois mas & trois fuens de poudre de caillou, avec huit fuens ou près d'un mas de toug-hoa-pien, qui n'est autre chose que la crasse qui sort du cuivre lorsqu'on le fond. On vient d'apprendre qu'en employant du toug-hoa-pien pour le verd, il faut le laver, & en séparer avec soin la grenaille de cuivre qui s'y trouveroit mêlée, & qui n'est pas propre pour le verd. Il ne faut y employer que les écailles, c'est-à-dire les parties de ce métal qui se séparent lorsqu'on les met en oeuvre.
Pour ce qui est de la couleur jaune, on la fait en mettant sur un taël de céruse, trois mas & trois fuens de poudre de caillou, & un fuen huit lys de rouge pur, qui n'ait point été mêlé avec la céruse.
Un taël de céruse, trois mas & trois fuens de poudre de caillou, & deux lys d'azur, forment un bleu foncé, qui tire sur le violet.
Le mêlange de verd & de blanc, par exemple, d'une part de verd sur deux parts de blanc, fait le verd d'eau, qui est très-clair.
Le mêlange du verd & du jaune, par exemple, de deux tasses de verd foncé sur une tasse de jaune, fait le verd coulon, qui ressemble à une feuille un peu fanée.
Pour faire le noir, on délaye l'azur dans de l'eau ; il faut qu'il soit tant-soit-peu épais : on y mêle un peu de colle de vache macérée dans la chaux, & cuite jusqu'à consistance de colle de poisson. Quand on a peint de ce noir la porcelaine qu'on veut recuire, on couvre de blanc les endroits noirs. Durant la cuite, ce blanc s'incorpore dans le noir, de même que le vernis ordinaire s'incorpore dans le bleu de la porcelaine commune.
De la couleur appellée tsiu. Il y a une autre couleur appellée tsiu : ce tsiu est une pierre ou minéral, qui ressemble assez au vitriol romain, & qui vraisemblablement se tire de quelque mine de plomb, & portant avec lui des parcelles imperceptibles de plomb ; il s'insinue de lui-même dans la porcelaine, sans le secours de la céruse, qui est le véhicule des autres couleurs qu'on donne à la porcelaine recuite.
C'est de ce tsiu qu'on fait le violet foncé. On en trouve à Canton, & il en vient de Peking ; mais ce dernier est bien meilleur. Aussi se vend-il un taël huit mas la livre, c'est-à-dire 9 liv.
Le tsiu se fond, & quand il est fondu ou ramolli, les orfevres l'appliquent en forme d'émail, sur des ouvrages d'argent. Ils mettront par exemple, un petit cercle de tsiu dans le tour d'une bague, ou bien ils en rempliront le haut d'une aiguille de tête, & l'y enchâssent en forme de pierrerie. Cette espece d'émail se détache à la longue ; mais on tache d'obvier à cet inconvénient en le mettant sur une legere couche de colle de poisson ou de vache.
Le tsiu, de même que les autres couleurs dont on vient de parler, ne s'emploie que sur la porcelaine qu'on recuit. Telle est la préparation du tsiu : on ne le rôtit point comme l'azur ; mais on le brise & on le réduit en une poudre très-fine ; on le jette dans un vase plein d'eau, on l'y agite un peu, ensuite on jette cette eau où il se trouve quelque saleté, & l'on garde le crystal qui est tombé au fond du vase. Cette masse ainsi délayée perd sa belle couleur, & paroît en-dehors un peu cendrée. Mais le tsiu recouvre sa couleur violette dès que la porcelaine est cuite. On conserve le tsiu aussi long-tems qu'on le souhaite. Quand on veut peindre en cette couleur quelques vases de porcelaine, il suffit de la délayer avec de l'eau, en y mêlant si l'on veut, un peu de colle de vache ; ce que quelques-uns ne jugent pas nécessaire. C'est de quoi l'on peut s'instruire par l'essai.
Pour dorer ou argenter la porcelaine, on met deux fuens de céruse sur deux mas de feuilles d'or ou d'argent qu'on a eu soin de dissoudre. L'argent sur le vernis tsi-kin a beaucoup d'éclat. Si l'on peint les unes en or & les autres en argent, les pieces argentées ne doivent pas demeurer dans le petit fourneau autant de tems que les pieces dorées, autrement l'argent disparoîtroit avant que l'or eût pû atteindre le degré de cuite qui lui donne son éclat.
De la porcelaine colorée & de sa fabrique. Il y a une espece de porcelaine colorée qui se vend à meilleur compte que celle qui est peinte avec les couleurs dont on vient de parler. Pour faire ces sortes d'ouvrages, il n'est pas nécessaire que la matiere qui doit y être employée, soit si fine ; on prend des tasses qui ont déja été cuites dans le grand fourneau, sans qu'elles y aient été vernissées & par conséquent qui sont toutes blanches, & qui n'ont aucun lustre : on les colore en les plongeant dans le vase où est la couleur préparée, quand on veut qu'elles soient d'une même couleur ; mais si on les souhaite de différentes couleurs, tels que sont les ouvrages qui sont partagés en espece de panneaux, dont l'un est verd & l'autre jaune, &c. on applique ces couleurs avec un gros pinceau. C'est toute la façon qu'on donne à cette porcelaine, si ce n'est qu'après la cuite, on met en certains endroits un peu de vermillon, comme par exemple, sur le bec de certains animaux : mais cette couleur ne se cuit pas, parce qu'elle disparoîtroit au feu ; aussi est-elle de peu de durée.
Quand on applique les autres couleurs, on recuit la porcelaine dans le grand fourneau avec d'autres porcelaines qui n'ont pas encore été cuites : il faut avoir soin de la placer au fond du fourneau & au-dessous du soupirail, où le feu a moins d'activité, par conséquent grand feu anéantiroit les couleurs.
Des couleurs de la porcelaine colorée. Les couleurs propres de cette sorte de porcelaine se préparent de la sorte : pour faire la couleur verte on prend du salpêtre & de la poudre de caillou ; on n'a pas pû savoir la quantité de chacun de ces ingrédiens : quand on les a réduits séparément en poudre impalpable, on les délaye, & on les unit ensemble avec de l'eau.
L'azur le plus commun avec le salpêtre & la poudre de caillou, forme le violet.
Le jaune se fait en mettant, par exemple, trois mas de rouge de couperose sur trois onces de poudre de caillou, & sur trois onces de céruse.
Pour faire le blanc, on met sur quatre mas de poudre de caillou, un taël de céruse. Tous ces ingrédiens se délayent avec de l'eau.
De la porcelaine noire. La porcelaine noire a aussi son prix & sa beauté : ce noir est plombé, & semblable à celui de nos miroirs ardens ; l'or qu'on y met lui procure un nouvel agrément. On donne la couleur noire à la porcelaine lorsqu'elle est seche, & pour cela on mêle trois onces d'azur avec sept onces d'huile ordinaire de pierre. Les épreuves apprennent au juste quel doit être ce mêlange, selon la couleur plus ou moins foncée qu'on veut lui donner. Lorsque cette couleur est seche, on cuit la porcelaine ; après quoi on y applique l'or, & on la recuit de nouveau dans un fourneau particulier.
Le noir éclatant ou le noir de miroir, se donne à la porcelaine, en la plongeant dans une mixtion liquide composée d'azur préparé. Il n'est pas nécessaire d'y employer le bel azur ; mais il faut qu'il soit un peu épais, & mêlé avec du vernis peyeou & du tsikin, en y ajoutant un peu d'huile de chaux, & de cendres de fougere ; par exemple sur dix onces d'azur pilé dans le mortier, on mélera une tasse de tsikin, sept tasses de peyeou, & deux tasses d'huile de cendres de fougere brûlée avec la chaux. Cette mixtion porte son vernis avec elle, & il n'est pas nécessaire d'en donner de nouveau. Quand on cuit cette sorte de porcelaine noire, on doit la placer vers le milieu du fourneau, & non pas près de la voûte, où le feu a plus d'activité.
De la porcelaine en découpure. Il se fait à la Chine une autre espece de porcelaine toute percée à jour en forme de découpure : au milieu est une coupe propre à contenir la liqueur ; la coupe ne fait qu'un corps avec la découpure. On a vû d'autres porcelaines où des dames chinoises & tartares étoient peintes au naturel ; la draperie, le teint & les traits du visage, tout y étoit recherché : de loin on eût pris ces ouvrages pour de l'émail.
Il est à remarquer que quand on ne donne point d'autre huile à la porcelaine que celle qui se fait de cailloux blancs, cette porcelaine devient d'une espece particuliere, toute marbrée & coupée en tous les sens d'une infinité de veines : de loin on la prendroit pour de la porcelaine brisée dont toutes leurs pieces demeurent en leur place ; c'est comme un ouvrage à la mosaïque. La couleur que donne cette huile est d'un blanc un peu cendré. Si la porcelaine est toute azurée, & qu'on lui donne cette huile, elle paroîtra également coupée & marbrée, lorsque la couleur sera seche.
De la porcelaine olive. La porcelaine dont la couleur tire sur l'olive, est aussi fort recherchée. On donne cette couleur à la porcelaine en mêlant sept tasses de vernis tsikin avec quatre tasses de peyeou, deux tasses ou environ d'huile de chaux & de cendres de fougere, & une tasse d'huile faite de cailloux. Cette huile fait appercevoir quantité de petites veines sur la porcelaine : quand on l'applique toute seule, la porcelaine est fragile, & n'a point de son lorsqu'on la frappe : mais quand on la mêle avec les autres vernis, elle est coupée de veines, elle résonne, & n'est pas plus fragile que la porcelaine ordinaire.
De la porcelaine par transmutation. La porcelaine par transmutation se fait dans le fourneau, & est causée ou par le défaut ou par l'excès de chaleur, ou bien par d'autres causes qu'il n'est pas facile d'assigner. Une piece qui n'a pas réussi selon l'idée de l'ouvrier, & qui est l'effet du pur hasard, n'en est pas moins belle ni moins estimée. L'ouvrier avoit dessein par exemple, de faire des vases de rouge soufflé ; cent pieces furent entierement perdues ; une par hasard sortit du fourneau semblable à une espece d'agate. Si l'on vouloit courir les risques & les frais de différentes épreuves, on découvriroit à la fin de faire ce que le hasard produit une fois. C'est ainsi qu'on s'est avisé de faire de la porcelaine d'un noir éclatant. Le caprice du fourneau a déterminé à cette recherche, & on y a réussi.
De l'or de la porcelaine. Quand on veut appliquer l'or, on le broye & on le dissout au fond d'une porcelaine, jusqu'à ce qu'on voie au-dessous de l'eau un petit ciel d'or. On le laisse sécher, & lorsqu'on doit l'employer, on le dissout par parties dans une quantité suffisante d'eau gommée. Avec trente parties d'or, on incorpore trois parties de céruse, & on l'applique sur la porcelaine de même que les couleurs.
Comme l'or appliqué sur la porcelaine s'efface à la longue & perd beaucoup de son éclat, on lui rend son lustre en mouillant d'abord la porcelaine avec de l'eau nette, & en frottant ensuite la dorure avec une pierre d'agate. Mais on doit avoir soin de frotter le vase dans un même sens, par exemple, de droit à gauche.
Des gerçures de la porcelaine. Ce sont principalement les bords de la porcelaine qui sont sujets à s'écailler : pour obvier à cet inconvénient, on les fortifie avec une certaine quantité de charbon de bambou pilé, qu'on mêle avec le vernis qui se donne à la porcelaine, & qui rend le vernis d'une couleur de gris cendré ; ensuite avec le pinceau, on fait de cette mixtion une bordure à la porcelaine déja seche, en la mettant sur la roue ou sur le tour. Quand il est tems, on applique le vernis à la bordure comme au reste de la porcelaine ; & lorsqu'elle est cuite, ses bords n'en sont pas moins d'une extrême blancheur. Comme il n'y a point de bambou en Europe, on y pourroit suppléer par le charbon de saule, ou encore mieux par celui de sureau, qui a quelque chose d'approchant du bambou.
Il est à observer 1°. qu'avant que de réduire le bambou, il faut en détacher la peau verte, parce qu'on assure que la cendre de cette peau fait éclater la porcelaine dans le fourneau. 2°. Que l'ouvrier doit prendre garde de toucher la porcelaine avec les mains tachées de graisse ou d'huile : l'endroit touché éclateroit infailliblement durant la cuite.
Opération pour le vernis de la porcelaine. Avant que de donner le vernis à la porcelaine, on acheve de la polir, & on en retranche les plus petites inégalités ; ce qui s'exécute par le moyen d'un pinceau fait de petites plumes fort fines. On humecte ce pinceau simplement avec de l'eau, & on le passe par tout d'une main légere ; mais c'est principalement pour la porcelaine fine qu'on prend ce soin.
Quand on veut donner un vernis qui rende la porcelaine extrêmement blanche, on met sur treize tasses de peyeou, une tasse de cendres de fougere aussi liquides que le peyeou ; ce vernis est fort, & ne doit point se donner à la porcelaine qu'on veut peindre en bleu, parce qu'après la cuite, la couleur ne paroîtroit pas à-travers le vernis. La porcelaine à laquelle on a donné le fort vernis peut être exposée sans crainte au grand feu du fourneau. On la cuit ainsi toute blanche, ou pour la conserver dans cette couleur, ou bien pour la dorer & la peindre de différentes couleurs, & ensuite la recuire. Mais quand on veut peindre la porcelaine en bleu, & que la couleur paroisse après la cuite, il ne faut mêler que sept tasses de peyeou avec une tasse de vernis, ou de la mixtion de chaux & de cendres de fougere.
Il est bon d'observer encore en général, que la porcelaine dont le vernis porte beaucoup de cendres de fougere, doit être cuite à l'endroit tempéré du fourneau, c'est-à-dire ou après trois premiers rangs, ou dans le bas à la hauteur d'un pié ou d'un pié & demi. Si elle étoit cuite au haut du fourneau, la cendre se fondroit avec précipitation, & couleroit au bas de la porcelaine.
Quand on veut que le bleu couvre entierement le vase, on se sert d'azur préparé & délayé dans de l'eau à une juste consistance, & on y plonge le vase. Pour ce qui est du bleu soufflé, on y employe le plus bel azur préparé de la maniere qu'on l'a expliqué ; on le souffle sur le vase, & quand il est sec, on donne le vernis ordinaire.
Il y a des ouvriers, lesquels sur cet azur, soit qu'il soit soufflé ou non, tracent des figures avec la pointe d'une longue aiguille : l'aiguille leve autant de petits points de l'azur sec qu'il est nécessaire pour représenter la figure, puis ils donnent le vernis : quand la porcelaine est cuite, les figures paroissent peintes en miniature.
Il n'y a point tant de travail qu'on pourroit se l'imaginer, aux porcelaines sur lesquelles on voit en bosses des fleurs, des dragons, & de semblables figures ; on les trace d'abord avec le burin sur le corps du vase, ensuite on fait aux environs de légeres entaillures qui leur donnent du relief, après quoi on donne le vernis.
Porcelaine particuliere. Il y a une espece de porcelaine qui se fait de la maniere suivante : on lui donne le vernis ordinaire ; on la fait cuire, ensuite on la peint de diverses couleurs, & on la cuit de nouveau. C'est quelquefois à dessein qu'on réserve la peinture après la premiere cuisson ; quelquefois aussi on n'a recours à cette seconde cuisson, que pour cacher les défauts de la porcelaine, en appliquant des couleurs dans les endroits défectueux. Cette porcelaine, qui est chargée des couleurs, ne laisse pas d'être au goût de bien des gens.
Il arrive d'ordinaire qu'on sent des inégalités sur ces sortes de porcelaine, soit que cela vienne du peu d'habileté de l'ouvrier, soit que cela ait été nécessaire pour suppléer aux ombres de la peinture, ou bien qu'on ait voulu couvrir les défauts du corps de la porcelaine. Quand la peinture est seche aussi-bien que la dorure, s'il y en a, on fait des piles de ces porcelaines, & mettant les petites dans les grandes, on les range dans le fourneau.
Des fourneaux pour cuire la porcelaine. Ces sortes de fourneaux peuvent être de fer, quand ils sont petits : mais d'ordinaire ils sont de terre, quelquefois de quatre à cinq piés de haut, & presque aussi larges que nos tonneaux de vin. Ils sont faits de plusieurs pieces de la matiere même des caisses de porcelaine : ce sont de grands quartiers épais d'un travers de doigt, hauts d'un pié, & longs d'un pié & demi. Avant que de les cuire, on leur donne une figure propre à s'arrondir : on les place bien cimentés les uns sur les autres ; le fond du fourneau est élevé de terre d'un demi-pié, & placé sur deux ou trois rangs de briques ; autour du fourneau est une enceinte de briques bien maçonnées, laquelle a en bas trois ou quatre soupiraux, qui sont comme les soufflets du foyer.
On doit bien prendre garde dans l'arrangement des pieces de porcelaine, qu'elles ne se touchent les unes les autres par les endroits qui sont peints ; car ce seroit autant de pieces perdues. On peut bien appuyer le bas d'une tasse sur le fond d'une autre, quoiqu'il soit peint, parce que les bords du fond de la tasse emboitée n'ont point de peinture ; mais il ne faut pas que le côté d'une tasse touche le côté de l'autre. Ainsi, quand on a des porcelaines qui ne peuvent pas aisément s'emboiter les unes dans les autres, les ouvriers les rangent de la maniere suivante.
Sur un lit de ces porcelaines qui garnit le fond du fourneau, on met une couverture ou des plaques faites de la terre dont on construit les fourneaux, ou même des pieces de caisses de porcelaines ; car à la Chine tout se met à profit. Sur cette couverture on dispose un lit de ces porcelaines, & on continue de les placer de la sorte jusqu'au haut du fourneau.
Quand tout cela est fait, on couvre le haut du fourneau des pieces de poterie semblables à celles du côté du fourneau ; ces pieces qui enjambent les unes dans les autres, s'unissent étroitement avec du mortier ou de la terre détrempée. On laisse seulement au milieu une ouverture pour observer quand la porcelaine est cuite. On allume ensuite quantité de charbon sous le fourneau, & on en allume pareillement sur la couverture, d'où l'on en jette des monceaux dans l'espace qui est entre l'enceinte de brique & le fourneau ; l'ouverture qui est au-dessus du fourneau se couvre d'une piece de pot cassé. Quand le feu est ardent, on regarde de tems en tems par cette ouverture ; & lorsque la porcelaine paroît éclatante & peinte de couleurs vives & animées, on retire le brasier, & ensuite la porcelaine.
Application de l'huile sur la porcelaine. Au reste, il y a beaucoup d'art dans la maniere dont l'huile se donne à la porcelaine, soit pour n'en pas mettre plus qu'il ne faut, soit pour la répandre également de tous côtés. A la porcelaine qui est fort mince & fort déliée, on donne à deux fois deux couches légeres d'huile ; si ces couches étoient trop épaisses, les foibles parois de la tasse ne pourroient les porter, & ils plieroient sur le champ. Ces deux couches valent autant qu'une couche ordinaire d'huile, telle qu'on la donne à la porcelaine fine qui est plus robuste. Elles se mettent, l'une par aspersion, & l'autre par immersion. D'abord on prend d'une main la tasse par le dehors, & la tenant de biais sur l'urne où est le vernis, de l'autre main on jette dedans autant qu'il faut de vernis pour l'arroser par-tout ; cela se fait de suite à un grand nombre de tasses. Les premieres se trouvant seches en-dedans, on leur donne l'huile dehors de la maniere suivante ; on tient une main dans la tasse, & la soutenant avec un petit bâton sous le milieu de son pié, on la plonge dans le vase plein de vernis, d'où on la retire aussi-tôt.
J'ai dit que le pié de la porcelaine demeuroit massif ; en effet, ce n'est qu'après qu'elle a reçu l'huile, & qu'elle est seche, qu'on la met sur le tour pour creuser le pié, après quoi on y peint un petit cercle, & souvent une lettre chinoise. Quand cette peinture est seche, on vernit le creux qu'on vient de faire sous la tasse, & c'est la derniere main qu'on lui donne ; car aussi-tôt après, elle se porte du laboratoire au fourneau pour y être cuite.
Préparatif pour la cuisson. L'endroit où sont les fourneaux présente une autre scene ; dans une espece de vestibule qui précéde le fourneau, on voit des tas de caisses & d'étuis faits de terre, & destinés à renfermer la porcelaine. Chaque piece de porcelaine pour peu qu'elle soit considérable, a son étui, les porcelaines qui ont des couvercles, comme celles qui n'en ont pas. Ces couvercles qui ne s'attachent que foiblement à la partie d'en bas durant la cuisson, s'en détachent aisément par un petit coup qu'on leur donne. Pour ce qui est des petites porcelaines, comme sont les tasses à prendre du thé ou du chocolat, elles ont une caisse commune à plusieurs. L'ouvrier imite ici la nature, qui pour cuire les fruits, & les conduire à une parfaite maturité, les renferme sous une enveloppe, afin que la chaleur du soleil ne les pénétre que peu-à-peu, & que son action au-dedans ne soit pas trop interrompue par l'air qui vient de dehors, durant les fraîcheurs de la nuit.
Ces étuis ont au-dedans une espece de petit duvet de sable ; on le couvre de poussiere de kao-lin, afin que le sable ne s'attache pas trop au pié de la coupe qui se place sur ce lit de sable, après l'avoir pressé, en lui donnant la figure du fond de la porcelaine, laquelle ne touche point aux parois de son étui. Le haut de cet étui n'a point de couvercle ; un second étui de la figure du premier, garni pareillement de sa porcelaine, s'enchâsse dedans, de telle sorte qu'il le couvre tout-à-fait, sans toucher à la porcelaine d'en bas ; & c'est ainsi qu'on remplit le fourneau de grandes piles de caisses de terre toutes garnies de porcelaine. A la faveur de ces voiles épais, la beauté, & si on peut s'exprimer ainsi, le teint de la porcelaine n'est point hâlé par l'ardeur du feu.
A l'égard des petites pieces de porcelaine qui sont renfermées dans de grandes caisses rondes, chacune est posée sur une soucoupe de terre de l'épaisseur de deux écus, & de la largeur de son pié ; ces bases sont aussi semées de poussiere de kao-lin. Quand ces caisses sont un peu larges, on ne met point de porcelaine au milieu, parce qu'elle y seroit trop éloignée des côtés, que par-là elle pourroit manquer de force, s'ouvrir & s'enfoncer, ce qui feroit du ravage dans toute la colonne. Il est bon de savoir que ces caisses ont le tiers d'un pié en hauteur, & qu'en partie elles ne sont pas cuites, non plus que la porcelaine ; néanmoins on remplit entierement celles qui ont déja été cuites, & qui peuvent encore servir.
Maniere dont la porcelaine se met dans les fourneaux. Il ne faut pas oublier la maniere dont la porcelaine se met dans ces caisses ; l'ouvrier ne la touche pas immédiatement de la main ; il pourroit ou la casser, car rien n'est plus fragile, ou la faner, ou lui faire des inégalités. C'est par le moyen d'un petit cordon qu'il la tire de dessus la planche, ce cordon tient d'un côté à deux branches un peu courbées d'une fourchette de bois qu'il prend d'une main, tandis que de l'autre il tient les deux bouts du cordon croisés & ouverts, selon la largeur de la porcelaine ; c'est ainsi qu'il l'environne, qu'il l'éleve doucement, & qu'il la pose dans la caisse sur la petite soucoupe ; tout cela se fait avec une vîtesse incroyable.
J'ai dit que le bas du fourneau a un demi-pié de gros gravier ; ce gravier sert à asseoir plus surement les colonnes de porcelaine, dont les rangs qui sont au milieu du fourneau, ont au moins 7 piés de hauteur. Les deux caisses qui sont au bas de chaque colonne sont vuides, parce que le feu n'agit pas assez en bas, & que le gravier les couvre en partie ; c'est par la même raison que la caisse qui est placée au haut de la pile demeure vuide ; on remplit ainsi tout le fourneau, ne laissant de vuide qu'à l'endroit qui est immédiatement sous le soupirail.
On a soin de placer au milieu du fourneau les piles de la plus fine porcelaine ; dans les fonds, celles qui le sont moins ; & à l'entrée, on met celles qui sont un peu fortes en couleur, qui sont composées d'une matiere où il entre autant de petun-tse que de kaolin, & auxquelles on a donné une huile faite de la pierre qui a des taches un peu noires ou rousses, parce que cette huile a plus de corps que l'autre. Toutes ces piles sont placées fort près les unes des autres, & liées en haut, en bas, & au milieu avec quelques morceaux de terre qu'on leur applique, de telle sorte pourtant que la flamme ait un passage libre pour s'insinuer de tous côtés ; & peut-être est-ce là à quoi l'oeil & l'habileté de l'ouvrier servent le plus pour réussir dans son entreprise.
Des terres propres à construire les caisses. Toute terre n'est pas propre à construire les caisses qui renferment la porcelaine ; il y en a de trois sortes qu'on met en usage, l'une qui est jaune & assez commune ; elle domine par la quantité, & fait la base ; l'autre est une terre forte, & la troisieme une terre huileuse. Ces deux dernieres terres se tirent en hiver de certaines mines fort profondes, où il n'est pas possible de travailler pendant l'été. Si on les mêloit parties égales, ce qui couteroit un peu plus, les caisses dureroient long-tems. On les apporte toutes préparées d'un gros village qui est au bas de la riviere, à une lieue de King-te-tching.
Avant qu'elles soient cuites, elles sont jaunâtres ; quand elles sont cuites, elles sont d'un rouge fort obscur. Comme on va à l'épargne, la terre jaune y domine, & c'est ce qui fait que les caisses ne durent guere que deux ou trois fournées, après quoi elles éclatent tout-à-fait. Si elles ne sont que légerement fêlées ou fendues, on les entoure d'un cercle d'ozier ; le cercle se brûle, & la caisse sert encore cette fois-là sans que la porcelaine en souffre.
Il faut prendre garde de ne pas remplir une fournée de caisses neuves, lesquelles n'ayent pas encore servi ; il y en faut mettre la moitié qui ayent déja été cuites. Celles-ci se placent en-haut & en-bas, au milieu des piles se mettent celles qui sont nouvellement faites. Autrefois, toutes les caisses se cuisoient à part dans un fourneau, avant qu'on s'en servît pour y faire cuire la porcelaine ; sans doute, parce qu'alors on avoit moins d'égard à la dépense, qu'à la perfection de l'ouvrage. Il n'en est pas de même à présent, & cela vient apparemment de ce que le nombre des ouvriers en porcelaine s'est multiplié à l'infini.
De la construction des fourneaux & de leur échauffement. Venons maintenant aux fourneaux ; on les place au fond d'un assez long vestibule, qui sert comme de soufflet, & qui en est la décharge. Il a le même usage que l'arche des verreries. Les fourneaux sont présentement plus grands qu'ils n'étoient autrefois ; alors ils n'avoient que 6 piés de hauteur & de largeur ; maintenant ils sont hauts de deux brasses, & ont près de quatre brasses de profondeur. La voûte aussi bien que le corps du fourneau est assez épaisse pour pouvoir marcher dessus, sans être incommodé du feu ; cette voûte n'est en dedans, ni plate, ni formée en pointe ; elle va en s'allongeant, & se retrécit à mesure qu'elle approche du grand soupirail qui est à l'extrêmité, & par où sortent les tourbillons de flamme & de fumée.
Outre cette gorge, le fourneau a sur sa tête cinq petites ouvertures, qui en sont comme les yeux, & on les couvre de quelques pots cassés, de telle sorte pourtant qu'ils soulagent l'air & le feu du fourneau ; c'est par ces yeux qu'on juge si la porcelaine est cuite ; on découvre l'oeil qui est un peu devant le grand soupirail, & avec une pincette de fer l'on ouvre une des caisses.
Quand la porcelaine est en état, on discontinue le feu, & l'on acheve de murer pour quelque tems la porte du fourneau. Ce fourneau a dans toute sa largeur un foyer profond & large d'un ou de 2 piés ; on le passe sur une planche pour entrer dans la capacité du fourneau, & y ranger la porcelaine. Quand on a allumé le feu du foyer, on mure aussi-tôt la porte, n'y laissant que l'ouverture nécessaire pour y jetter des quartiers de gros bois longs d'un pié, mais assez étroits. On chauffe d'abord le fourneau, pendant un jour & une nuit, ensuite deux hommes qui se relevent ne cessent d'y jetter du bois ; on en brûle communément pour une fournée jusqu'à cent quatre-vingt charges.
On juge que la porcelaine qu'on a fait cuire dans un petit fourneau est en état d'être retirée, lorsque regardant par l'ouverture d'en-haut on voit jusqu'au fond toutes les porcelaines rouges par le feu qui les embrase ; qu'on distingue les unes des autres les porcelaines placées en pile ; que la porcelaine peinte n'a plus les inégalités que formoient les couleurs, & que ces couleurs se sont incorporées dans le corps de la porcelaine, de même que le vernis donné sur le bel azur, s'y incorpore par la chaleur des grands fourneaux.
Pour ce qui est de la porcelaine qu'on recuit dans de grands fourneaux, on juge que la cuite est parfaite, 1°. lorsque la flamme qui sort n'est plus si rouge, mais qu'elle est un peu blanchâtre ; 2°. lorsque regardant par une des ouvertures on apperçoit que les caisses sont toutes rouges ; 3°. lorsqu'après avoir ouvert une caisse d'en-haut & en avoir tiré une porcelaine, on voit quand elle est refroidie que le vernis & les couleurs sont dans l'état où on les souhaite ; 4°. enfin lorsque regardant par le haut du fourneau, on voit que le gravier du fond est luisant. C'est par tous ces indices qu'un ouvrier juge que la porcelaine est arrivée à la perfection de la cuite.
Après ce que je viens de rapporter, on ne doit point être surpris que la porcelaine soit chere en Europe : on le sera encore moins quand on saura qu'outre le gros gain des marchands européens & celui que font sur eux leurs commissionnaires chinois, il est rare qu'une fournée réussisse entierement : il arrive souvent qu'elle est toute perdue, & qu'en ouvrant le fourneau on trouve les porcelaines & les caisses réduites à une masse dure comme un rocher. Un trop grand feu, ou des caisses mal conditionnées peuvent tout ruiner : il n'est pas aisé de regler le feu qu'on leur doit donner : la nature du tems change en un instant l'action du feu, la qualité du sujet sur lequel il agit, & celle du bois qui l'entretient. Ainsi, pour un ouvrier qui s'enrichit, il y en a cent autres qui se ruinent, & qui ne laissent pas de tenter fortune, dans l'espérance dont ils se flattent, de pouvoir amasser dequoi lever une boutique de marchand.
D'ailleurs la porcelaine qu'on transporte en Europe se fait presque toujours sur des modeles nouveaux, souvent bisarres, & où il est difficile de réussir ; pour peu qu'elle ait de défaut, elle est rebutée des Européens, & elle demeure entre les mains des ouvriers, qui ne peuvent la vendre aux Chinois, parce qu'elle n'est pas de leur goût. Il faut par conséquent que les pieces qu'on prend portent les frais de celles qu'on rebute.
Selon l'histoire de King-te-tching, le gain qu'on faisoit autrefois étoit beaucoup plus considérable que celui qui se fait maintenant : c'est ce qu'on a de la peine à croire, car il s'en faut bien qu'il se fît alors un si grand débit de porcelaine en Europe. Mais peut-être cela vient de ce que les vivres sont maintenant bien plus chers ; de ce que le bois ne se tirant plus des montagnes voisines qu'on a épuisées, on est obligé de le faire venir de fort loin & à grands frais ; de ce que le gain est partagé entre trop de personnes ; & qu'enfin les ouvriers sont moins habiles qu'ils ne l'étoient dans ces tems reculés, & que par-là ils sont moins surs de réussir. Cela peut venir encore de l'avarice des mandarins, qui occupant beaucoup d'ouvriers à ces sortes d'ouvrages, dont ils font des présens à leurs protecteurs de la cour, payent mal les ouvriers, ce qui cause le renchérissement des marchandises, & la pauvreté des marchands.
J'ai dit que la difficulté qu'il y a d'exécuter certains modeles venus d'Europe, est une des choses qui augmentent le prix de la porcelaine ; car il ne faut pas croire que les ouvriers puissent travailler sur tous les modeles qui leur viennent des pays étrangers ; il y en a d'impraticables à la Chine, de même qu'il s'y fait des ouvrages qui surprennent les étrangers, & qu'ils ne croyent pas possibles : telles sont de grosses lanternes, des flûtes composées de plaques concaves qui rendent chacune un son particulier ; des urnes de plusieurs pieces rapportées, & ne formant ensemble qu'un seul corps, &c.
D'une espece de porcelaine rare. Il y a une autre espece de porcelaine dont l'exécution est très-difficile, & qui par-là devient fort rare. Le corps de cette porcelaine est extrêmement délié, & la surface en est très-unie au-dedans & au-dehors ; cependant on y voit des moulures gravées, un tour de fleurs, par exemple, & d'autres ornemens semblables. Voici de quelle maniere on la travaille : au sortir de dessus la roue on l'applique sur un moule où sont des gravures qui s'y impriment en-dedans ; en dehors on la rend la plus fine & la plus déliée qu'il est possible, en la travaillant au tour avec le cizeau, après quoi on lui donne l'huile, & on la cuit dans le fourneau ordinaire.
Les marchands européens demandent quelquefois aux ouvriers chinois des plaques de porcelaine dont une piece fasse le dessus d'une table & d'une chaise, ou des quadres de tableaux : ces ouvrages sont impossibles ; les plaques les plus larges & les plus longues sont d'un pié ou environ ; si on va au-delà, quelqu'épaisseur qu'on leur donne, elles se déjettent, l'épaisseur même ne rendroit pas plus facile l'exécution de ces sortes d'ouvrages ; & c'est pourquoi au lieu de rendre ces plaques épaisses, on les fait de deux superficies qu'on unit, en laissant le dedans vuide : on y met seulement une traverse, & l'on fait aux deux côtés deux ouvertures pour les enchâsser dans des ouvrages de menuiserie, ou dans le dossier d'une chaise, ce qui a son agrément.
De la porcelaine ancienne & de la moderne. La porcelaine étant dans une grande estime depuis tant de siecles, peut-être souhaiteroit-on savoir en quoi celle des premiers tems differe de celle de nos jours, & quel est le jugement qu'en portent les Chinois. Il ne faut pas douter que la Chine n'ait ses antiquaires, qui se préviennent en faveur des anciens ouvrages. Le chinois même est naturellement porté à respecter l'antiquité : on trouve pourtant des défenseurs du travail moderne ; mais il n'en est pas de la porcelaine comme des médailles antiques, qui donnent la science des tems reculés. La vieille porcelaine peut être ornée de quelques caracteres chinois, mais qui ne marquent aucun point d'histoire. Ainsi les curieux n'y peuvent trouver qu'un goût & des couleurs qui la leur font préférer à celle de nos jours.
C'est une erreur de croire que la porcelaine, pour avoir sa perfection, doit avoir été long-tems ensevelie en terre ; il est seulement vrai qu'en creusant dans les ruines des vieux bâtimens, & sur-tout en nettoyant de vieux puits abandonnés, on y trouve quelquefois de belles pieces de porcelaine qui ont été cachées dans des tems de révolution. Cette porcelaine est belle, parce qu'alors on ne s'avisoit guere d'enfouir que celle qui étoit précieuse, afin de la retrouver après la fin des troubles. Si elle est estimée, ce n'est pas parce qu'elle a acquis dans le sein de la terre de nouveaux degrés de beauté, mais c'est parce que son ancienne beauté s'est conservée ; & cela seul a son prix à la Chine, où l'on donne de grosses sommes pour les moindres ustensiles de simple poterie dont se servoient les empereurs Yao & Chun, qui ont régné plusieurs siecles avant la dynastie des Tang, auquel tems la porcelaine commença d'être à l'usage des empereurs.
Tout ce que la porcelaine acquiert en vieillissant dans la terre, c'est quelque changement qui se fait dans son coloris, ou, si l'on veut, dans son teint, qui montre qu'elle est vieille. La même chose arrive au marbre & à l'ivoire, mais plus promtement, parce que le vernis empêche l'humidité de s'insinuer aisément dans la porcelaine.
Il n'y a rien de particulier dans le travail de ceux qui tâchent d'imiter les anciennes porcelaines, sinon qu'on leur met pour vernis une huile faite de pierre jaune qu'on mêle avec de l'huile ordinaire, ensorte que cette derniere domine : ce mélange donne à la porcelaine la couleur d'un verd de mer. Quand elle a été cuite, on la jette dans un bouillon très-gras fait de chapon & d'autres viandes ; elle s'y cuit une seconde fois, après quoi on la met dans un égoût le plus bourbeux qui se puisse trouver, où on la laisse un mois & davantage. Au sortir de cet égoût, elle passe pour être de trois ou quatre cent ans, ou dumoins de la dynastie précédente de Ming, sous laquelle les porcelaines de cette couleur & de cette épaisseur étoient estimées à la cour. Ces fausses antiques sont encore semblables aux véritables, en ce que lorsqu'on les frappe elles ne résonnent point, & que si on les applique auprès de l'oreille, il ne s'y fait aucun bourdonnement.
Parallele de la porcelaine avec le verre. On est presqu'aussi curieux à la Chine des verres & des crystaux qui viennent d'Europe, qu'on l'est en Europe des porcelaines de la Chine ; cependant quelqu'estime qu'en fassent les Chinois, ils n'en sont pas venus encore jusqu'à traverser les mers pour chercher du verre en Europe ; ils trouvent que leur porcelaine est plus d'usage : elle souffre les liqueurs chaudes ; on peut même sans anse tenir une tasse de thé bouillant sans se brûler, si on la sait prendre à la chinoise, ce qu'on ne peut pas faire même avec une tasse d'argent de la même épaisseur & de la même figure. La porcelaine a son éclat ainsi que le verre ; & si elle est moins transparente, elle est aussi moins fragile. Ce qui arrive au verre qui est fait tout récemment, arrive pareillement à la porcelaine ; rien ne marque mieux une constitution de parties à-peu-près semblables : la bonne porcelaine a son clair comme le verre ; si le verre se taille avec le diamant, on se sert aussi du diamant pour réunir ensemble & coudre en quelque sorte des pieces de porcelaine cassée ; c'est même un métier à la Chine : on y voit des ouvriers uniquement occupés à remettre dans leur place des pieces brisées ; ils se servent du diamant comme d'une aiguille, pour faire de petits trous au corps de la porcelaine, où ils entrelacent un fil de laiton très-délié, & parlà ils mettent la porcelaine en état de servir, sans qu'on s'apperçoive presque de l'endroit où elle a été cassée.
Usage des débris de la porcelaine. On a dit dans ce mémoire qu'il peut y avoir trois mille fourneaux à King-te-tching ; que ces fourneaux se remplissent de caisses & de porcelaine ; que ces caisses ne peuvent servir au plus que trois ou quatre fournées, & que souvent toute une fournée est perdue. Il est naturel qu'on demande ce que deviennent depuis treize cent ans tous ces débris de porcelaine & de fourneaux ; ils servent d'un côté aux murailles des édifices de King-te-tching, & les morceaux inutiles se jettent sur le bord de la riviere qui passe au bas de King-te-tching. Il arrive par-là qu'à la longue on gagne du terrein sur la riviere ; ces décombres humectés par la pluie, & battus par les passans, deviennent d'abord des places propres à tenir le marché, ensuite on en fait des rues. Ainsi la porcelaine brisée sert à aggrandir King-te-tching, qui ne subsiste que par la fabrique de cette poterie ; & tout concourt à lui maintenir ce commerce. (Le Chevalier DE JAUCOURT )
Observations sur l'article précédent. Quoique le nombre des manufactures de porcelaine se soit actuellement fort multiplié, & que chacune de ces manufactures employe des matieres différentes dont elle fait mystere, & qu'elle regarde comme un secret qui lui est particulier, on peut cependant réduire la porcelaine en général à deux especes ; savoir la porcelaine des Indes, & sous ce nom on comprend celle qui se fait à la Chine & au Japon ; la seconde espece peut être appellée porcelaine d'Europe, & sous ce nom on comprend toutes les différentes manufactures qui s'en sont établies en Europe, quoique ces deux especes de porcelaine paroissent se ressembler au premier coup-d'oeil, & être toutes d'une espece de demi-vitrification, on fera voir qu'elles different beaucoup quant aux matieres dont elles sont composées, & quant aux qualités qu'elles renferment.
La porcelaine des Indes & la porcelaine d'Europe peuvent être regardées toutes deux comme une espece de demi-vitrification ; mais avec la différence que la demi-vitrification de la porcelaine d'Europe peut être rendue complete , c'est-à-dire qu'elle peut devenir totalement verre si on lui donne un feu plus violent, ou qui soit continué plus long-tems ; au lieu que la porcelaine des Indes une fois portée à son degré de cuisson, ne peut plus par la durée du même feu, & même d'un plus violent, être poussée à un plus grand degré de vitrification. L'usage que l'on en a fait en l'employant pour servir de support aux matieres que l'on a exposées au feu des miroirs ardens les plus forts, est une preuve qui paroît ne rien laisser à désirer là-dessus.
Nous n'entrerons point ici dans le détail des différentes matieres dont on se sert pour faire la porcelaine en Europe : chaque manufacture a la sienne, & en fait un grand secret ; tout ce que l'on sait en général, c'est que la base ordinaire des porcelaines d'Europe est une fritte (Voyez FRITTE & VERRE). Cette fritte est une composition pareille à celle dont on se sert pour faire le verre & le crystal : c'est un mélange d'alkali fixe (on employe ordinairement la potasse), & de pierres vitrifiables calcinées, comme pierres à fusil, sable blanc, &c. On expose ce mélange sous le four qui sert à cuire la porcelaine, afin que les matieres grasses qu'il peut contenir se brûlent, ce qui le purifie, & qu'il y prenne un commencement de vitrification. Comme cette manipulation est la même que l'on observe pour faire le verre & le crystal, il n'est pas douteux que cette matiere n'en produisît de fort beau & de fort transparent, si l'on venoit à la pousser davantage au feu ; mais comme il ne faut qu'une demi-vitrification pour faire la porcelaine, & que cette composition qui est friable ne pourroit ni se mouler ni se travailler au tour, on la mêle après l'avoir pulvérisée, avec une terre gluante qui retarde la vitrification, & la rend en même tems susceptible de pouvoir être travaillée. C'est dans le choix de cette terre que consiste la grande difficulté de la manipulation des porcelaines d'Europe ; c'est aussi dans le choix de cette terre que consiste le secret des différentes manufactures. Il faut que cette terre soit gluante pour qu'on la puisse travailler ; il faut aussi qu'elle soit blanche après avoir passé par le feu, sans quoi la porcelaine qui en seroit faite ne seroit pas blanche, qualité essentielle sur-tout à ceux qui mettent dessus une couverte ou vernis transparent. Si on mêle cette terre avec la fritte en trop petite dose, la fritte étant une poudre de verre, diminue l'aggrégation de la terre, & produit une pâte courte qui n'a point assez de liaison pour pouvoir être travaillée. Si au contraire on employe la terre en trop grande dose, la pâte à la vérité se travaille bien ; mais n'y ayant point assez de fritte pour lier ensemble dans la fonte toutes les parties de la terre grasse, les ouvrages après la cuisson se mettent en pieces & cassent aussitôt qu'on y touche.
On peut conclure de ce que l'on vient de voir, que la meilleure terre pour les porcelaines d'Europe, que l'on nommera porcelaine à fritte, est celle qui en admettant la plus grande quantité de fritte en se fondant avec au feu, fait une pâte qui peut être travaillée plus facilement. Il y a même des manufactures où l'on est obligé de rendre gommeuse ou visqueuse l'eau avec laquelle on forme la pâte. Cette terre, dans la plus grande partie des manufactures, est calcaire ; ce n'est pas que l'argille n'y fût aussi propre, & peut-être meilleure, mais on trouve difficilement de l'argille blanche & qui reste telle au feu. D'ailleurs il y a des terres calcaires colorées naturellement, qui blanchissent au feu, au lieu que dans les argilles la moindre couleur au lieu d'être emportée par le feu, ne fait qu'y devenir plus foncée. Ce qui doit faire conjecturer que les métaux attachés à une terre calcaire sont plus aisément emportés par le feu que ceux qui se trouvent dans l'argille, parce que l'argille seule entre en fusion, ce que ne fait pas la terre calcaire seule.
On juge aisément par tout ce que l'on vient de dire touchant la nature des matieres qui composent la porcelaine d'Europe, de tous les inconvéniens auxquels elle doit être sujette. La fritte, qui est la matiere même avec laquelle on fait le verre, entrant dans la composition communément pour les 2/3, pour peu que le feu soit trop violent ou continue trop long-tems, sa vitrification s'acheve. Il faut donc saisir le moment où la vitrification est à moitié faite, pour cesser le feu. Comment peut-on espérer que ce degré de feu se sera distribué également dans toute la capacité du fourneau ; que les pieces qui auront le plus d'épaisseur auront été assez échauffées, & que les plus minces ne l'auront pas été trop ? Il arrive très-souvent que le feu agit avec plus de force dans certaines parties du fourneau que dans les autres ; la fusion de la porcelaine ou plutôt d'un vase, est par-là plus accélérée dans une de ses parties que dans les autres, & le vase se trouve nécessairement déformé. Cet accident est si ordinaire, que l'on ne manque jamais d'ajuster aux gobelets, avant de les exposer au four, un couvercle qui embrassant extérieurement le cercle du gobelet, le contient dans sa rondeur. Comme ce couvercle doit être de la même pâte que le gobelet, & qu'il ne sert qu'une fois, cela fait une partie de la matiere en pure perte. On est obligé de mettre des supports aux pieces où il se trouve des parties détachées qui avancent, pour les ôter après la cuisson. Il ne doit donc pas paroître étonnant que l'on trouve dans cette porcelaine un aussi grand nombre de pieces défectueuses & déformées, & qu'il se trouve beaucoup de morceaux qu'il ne soit pas possible d'exécuter. On voit par la cassure de cette porcelaine, qui est lisse comme celle du verre, & point grainée, que ce n'est à proprement parler qu'un verre rendu opaque par une terre grasse.
La porcelaine de Saxe mérite cependant une exception parmi les porcelaines d'Europe. On soupçonne qu'elle est composée d'une terre grasse, mêlée avec du spath fusible calciné. On peut voir dans la Lithogéognosie de M. Pott, avec quelle facilité le spath fusible vitrifie toutes les terres avec lesquelles on le mêle ; il n'a donc plus été question dans la porcelaine de Saxe que de chercher la dose de spath fusible propre à ne produire que la demi-vitrification qui constitue la porcelaine, & cette dose s'étant trouvée beaucoup plus petite que celle de la fritte qu'on est obligé d'employer vis-à-vis de la terre grasse dans les autres porcelaines d'Europe dont on vient de parler, & d'ailleurs plus facile à se lier ; il en est résulté une pâte plus facile à travailler, & sujette à moins d'accidens. En un mot, dans les porcelaines à fritte, la terre grasse mêlée avec la fritte fait une porcelaine, quand on saisit la matiere à moitié vitrifiée ; & dans la porcelaine de Saxe, le spath met en fusion, vitrifie la terre grasse, & fait une porcelaine, lorsqu'on n'a mis que la quantité nécessaire de spath pour vitrifier la terre grasse à moitié.
Il faut convenir que la porcelaine de Saxe est fort au-dessus de toutes les autres porcelaines d'Europe, dont la fritte fait la plus grande partie de la composition ; elle se vitrifie beaucoup plus difficilement, puisque l'on peut faire fondre un gobelet de porcelaine à fritte dans un gobelet de porcelaine de Saxe, sans que ce dernier en soit endommagé. Comme il n'entre point de sels dans sa composition comme dans celle de la fritte, le passage à l'entiere vitrification est beaucoup plus difficile & plus long que dans la porcelaine à fritte, dont la facilité des sels à se mettre en fusion fait un passage plus promt de la demi-vitrification à la vitrification entiere.
Par conséquent les pieces qui auront plus d'épaisseur se trouveront suffisamment cuites, sans que les pieces plus minces ayent passé à la vitrification ; & les ouvrages dans lesquels il se trouve des endroits minces & d'autres plus épais, ne seront point déformés ; ce qui rend cette porcelaine moins sujette à produire des pieces de rebut, & plus propre à exécuter des ouvrages délicats que la porcelaine à fritte.
On a exposé de la porcelaine de Saxe à côté de la porcelaine de la Chine au feu le plus violent pendant deux fois vingt-quatre heures, les deux terres ont également résisté à la fusion, & leurs cassures n'en ont paru que plus blanches & plus belles ; mais la couverte de la porcelaine de la Chine a coulé en une espece de verre verd, tandis que celle de la porcelaine de Saxe est seulement devenue plus aride, & n'en est pas restée moins blanche. Dans l'une & dans l'autre porcelaine, les couleurs qui étoient sur la couverte ont été détruites, & celles qui étoient dessous ont été fort endommagées.
La porcelaine des Indes n'est par sa nature sujette à aucun des inconvéniens de la porcelaine d'Europe, on a vû que dans cette derniere son principal défaut se trouvoit plus grand à proportion qu'elle avoit plus de facilité à être poussée à l'entiere vitrification. Celle des Indes ne peut pas, pour ainsi dire, être poussée jusqu'à ce point, puisqu'on l'a employée à servir de support aux matieres les plus difficiles à fondre que l'on a exposées aux miroirs ardens les plus forts. Il n'entre que deux, ou tout-au-plus trois matieres différentes dans sa composition, dans laquelle les verres & par conséquent les sels ne sont pour rien ; chacune des manufactures d'Europe fait un grand secret des matieres qu'elle employe pour la porcelaine ; il n'y a que celle des Indes qui n'en soit point un. Le P. d'Entrecolles, jésuite, a donné une description très-ample des matieres qui la composent & de leurs manipulations, dans le recueil des lettres édifiantes ; cette description a depuis été copiée dans l'histoire de la Chine du P. du Halde, dans le dictionnaire du commerce, dans l'histoire des voyages, & dans le recueil d'observations curieuses ; il est donc inutile de répéter ici une chose qui a été dite tant de fois ; on fera seulement quelques observations sur la nature des matieres, & sur quelques points de manipulation que le P. d'Entrecolles peut n'avoir pas bien vus. En attendant on commence par assûrer que quelque différence que l'on imagine entre le terroir des Indes & celui de l'Europe, on peut cependant trouver en ce pays-ci & dans beaucoup d'autres de cette partie du monde des matieres qui, si elles ne sont pas absolument semblables à celles dont on fait la porcelaine dans les Indes, leur sont assez analogues pour qu'on soit certain d'en faire une qui aura les mêmes qualités, & sera pour le moins aussi belle.
Le pe-tun-tse & le kao-lin sont les deux matieres dont on se sert pour faire la porcelaine des Indes. Le pe-tun-tse est une pierre qui paroît d'abord avoir beaucoup de ressemblance avec plusieurs des pierres à qui nous donnons le nom de grès dans ce pays-ci, mais qui, quand on vient à examiner sa nature de près, se trouve fort différente. Le grès frappé avec l'acier donne beaucoup d'étincelles, celle-ci n'en donne presque point, & avec beaucoup de peine : deux morceaux de grès frottés l'un contre l'autre ne laissent point de traces de lumiere : deux morceaux de pe-tun-tse frottés pendant quelque tems l'un contre l'autre dans l'obscurité, laissent une trace de lumiere phosphorique, à-peu-près comme deux morceaux de spath fusible frottés de la même maniere. Le grès mis en poudre assemblé dans un petit tas humecté & mis sous le four d'une fayancerie ne fait point corps, & reste friable ; le pe-tun-tse traité de la même maniere se lie & prend un commencement de fusion. Le grain de pe-tun-tse paroît plus fin & plus lié que celui du grès, de façon qu'il représente une espece d'argille spathique pétrifiée. Si nous joignons à ces qualités celle de n'être dissoluble dans aucun acide, pas même après avoir passé au feu, vous serez assûré d'avoir un véritable pe-tun-tse.
Le kao-lin est une terre blanche remplie de morceaux plus ou moins gros d'un sable vitrifiable & parsemé d'une grande quantité de paillettes brillantes qui sont un véritable talc ; elle paroît être un detritus d'un de ces granits talqueux & brillans, dans lequel la terre blanche qui lie les grains de sable gris auroit abondé en très-grande quantité. Comme, suivant la manipulation des Chinois, on jette le kao-lin tel qu'il est dans des cuves pleines d'eau, & qu'après l'avoir un peu laissé reposer, on ne prend que l'eau qui surnage, on voit aisément que le sable vitrifiable reste au fond, & que par conséquent il n'entre point dans le kao-lin préparé qui ne reste composé que de la terre blanche & du talc ; l'un & l'autre paroît indissoluble dans les acides. Il est difficile de croire, comme quelqu'un l'a avancé, que la terre blanche ne soit que le talc plus affiné ; quelque soin que l'on prenne à broyer le talc avec de l'eau, il ne produira jamais une matiere gluante comme la terre blanche ; il faut donc regarder cette terre blanche comme une véritable argille dont le gluten est nécessaire pour lier le pe-tun-tse qui n'en a point, & rendre la pâte susceptible d'être travaillée. Il est vrai que dans le kao-lin en pain & tout préparé pour le mêler avec le pe-tun-tse tel que les Chinois le travaillent, on voit encore beaucoup de paillettes talqueuses, mais on doit se souvenir que dans les expériences de la Lithogéognosie de M. Pott, le mélange du talc avec l'argille & la pierre vitrifiable en accélere la fusion.
Lorsque les Chinois veulent faire une porcelaine plus blanche & plus précieuse, ils substituent à la place du kao-lin une terre blanche qu'ils nomment hoa-ché ; elle s'appelle hoa, parce qu'elle est glutineuse, & qu'elle approche en quelque sorte du savon. Par la description qu'en donne le P. d'Entrecolles, & par celle qu'on trouve dans le manuscrit d'un médecin chinois, qui est entre les mains de M. de Jussieu, on ne peut pas douter que le hoa-ché des Chinois ne soit la même terre décrite dans l'histoire naturelle de Pline, dans le traité des pierres de Théophraste, dans Mathiole sur Dioscoride, & dans le metallotheca de Mercati, sous le nom de terre cimolée, ainsi appellée, parce que les anciens qui la tiroient de l'île de Cimole dans l'Archipel, d'où ils la faisoient venir principalement pour dégraisser leurs étoffes, ne connoissoient point encore l'usage du savon. Cette graisse, qui n'est attaquable par aucun acide, est une argille très-blanche & très-pure ; exposée seule sous le four d'une fayancerie, elle commence à prendre une fusion au point qu'on pourroit en faire des vases ; il faut la séparer d'une terre rouge de la même espece, que Pline appelle cimolia purpurascens, qui se trouve toujours dans son voisinage, & de quelques parties jaunâtres qui se trouvent mêlées avec elle : plus elle est seche, plus elle devient blanche ; elle contient très-peu de sable ; & lorsqu'elle est bien seche & qu'on la met dans de l'eau, elle y fait un petit sifflement approchant de celui de la chaux. Lorsqu'elle est seche, elle s'attache très-fortement à la langue, & elle emporte parfaitement les taches sur les étoffes ; lorsqu'après l'avoir délayée dans de l'eau & appliquée dessus, on vient à frotter l'étoffe lorsqu'elle est seche. Voilà tous les caracteres auxquels on peut la reconnoître ; on peut ajouter qu'il s'en trouve en France en plus d'un endroit.
On employe cette terre à la place du kao-lin en la joignant avec le pe-tun-tse ; sa préparation est bien décrite dans la relation du P. d'Entrecolles ; il ne prescrit pas exactement les doses, parce que cette terre étant très-gluante, on est le maître d'en mettre moins, & la pâte se travaille toujours très-aisément ; on croit cependant que la dose de parties égales est celle qui réussit le mieux.
Pour ce qui regarde les manipulations que les Chinois employent pour former une pâte, soit du petun-tse & du kao-lin, soit du pe-tun-tse & du hoa-ché, ou terre cimolée, toutes celles qui sont décrites dans les lettres du P. d'Entrecolles sont très-vraies & fort exactes ; si l'on en excepte ce que le P. d'Entrecolles dit de la crême qu'il prétend se former sur la surface de l'eau, dans laquelle on a délayé les matieres : il est certain qu'il ne se forme point de crême sur la surface de cette eau qui ait une épaisseur très-apparente. Le P. d'Entrecolles voyant que les ouvriers ne prenoient que la surface de cette eau, a conjecturé l'existence de la crême sans l'avoir bien examinée. Cette opération ne se fait que pour avoir les parties les plus subtiles de chaque matiere, qui n'ayant pas encore eu le tems, à cause de leur extrême finesse, de se précipiter au fond, se trouvent enlevées avec l'eau qui est à leur surface. Ce que dit ensuite le P. d'Entrecolles, confirme cette opinion. Il assûre que les ouvriers, après avoir enlevé la premiere surface de l'eau, agitent la matiere avec une pelle de fer, pour reprendre un moment après la surface de l'eau, comme ils avoient fait la premiere fois. Comment pourroit-on imaginer qu'une matiere de cette espece qui n'est point dissoluble dans l'eau pût reproduire la seconde fois une crême à sa surface ?
Il faut même avoir attention, après avoir agité la matiere & l'eau, de ne pas attendre trop long-tems à prendre la surface de l'eau, sans quoi on n'auroit rien ou presque rien.
Pour ce qui est de ce qu'il dit de conserver les pains que l'on fait avec le mélange des matieres longtems humides avant d'en former des vases, cela paroît de la plus grande utilité ; l'eau dont cette pâte est abreuvée se putréfie avec le tems, & contribue par-là à affiner & à mieux disposer les matieres à se joindre.
C'est par cette raison que l'on recommande de conserver les pains formés avec la pâte dans des caves humides, & même de les couvrir de linges, sur lesquels on jette un peu d'eau de tems en tems ; au bout de quelques semaines, la putréfaction s'y apperçoit au point de rendre la pâte d'un verd bleuâtre.
Ce qui paroît de plus embarrassant, c'est que le P. d'Entrecolles fait entendre dans ses lettres que la porcelaine des Chinois ne va au four qu'une seule fois, & que l'on met l'émail, autrement dit la couverte, sur les vases à crud, & avant qu'ils ayent eu la moindre cuisson, rien ne paroît si extraordinaire que cette manoeuvre ; comment peut-on imaginer que des pieces aussi grandes que celles que l'on fait à la Chine puissent être trempées toutes entieres dans une composition qui doit avoir la consistance d'une purée ? Car il ne faut pas s'y tromper ; pour que la couverte soit bien unie, il faut absolument que la piece soit trempée dans la composition qui doit former la couverte, ou que cette composition soit versée sur la piece. Lorsque l'on a voulu se servir du pinceau pour mettre la couverte, comme cela est arrivé sur des magots de la Chine, dont on vouloit laisser plusieurs parties sans couverte, il est très-facile d'y distinguer les traits du pinceau, & la couverte n'y paroît jamais bien unie.
La méchanique de ce que dit le P. d'Entrecolles du pié des tasses que l'on laisse massif, & qu'on ne met sur le tour pour le creuser qu'après avoir donné le vernis ou la couverte en-dedans & en-dehors, & l'avoir laissée sécher paroît assez difficile à expliquer. On sent bien que les Chinois, en laissant le pié des tasses massifs, se servent de ce pié pour coller avec de la pâte les tasses sur le tour toutes les fois qu'elles changent de main ; mais comment une tasse lorsqu'elle est vernie & seche peut-elle être assez assujettie sur le tour pour que l'on puisse en creuser le pié avec un outil, sans que les points de contact qui assujettissent la tasse en dérangent le vernis ?
Il paroît cependant constant dans plusieurs autres endroits de la relation du P. d'Entrecolles, que le vernis est mis sur la porcelaine avant la cuisson ; puisqu'il y est dit qu'on a fait pour l'empereur des ouvrages si fins & si délicats, qu'on étoit obligé de souffler le vernis dessus, parce qu'il n'avoit pas été possible de les plonger dedans sans s'exposer à les rompre, & qu'on les mettoit sur du coton. Il est certain que quelque minces que fussent ces ouvrages, on n'auroit pas été exposé à cette crainte, s'ils avoient eu une premiere cuisson.
Le même auteur, parlant d'une espece de porcelaine colorée qui se vend à meilleur compte, dit qu'on fait cuire celles-là sans qu'elles ayent été vernissées, par conséquent toutes blanches & n'ayant aucun lustre. Il ajoute qu'on les colore après la cuisson en les plongeant dans un vase où la couleur est préparée, & qu'on les remet de nouveau au fourneau, mais dans un endroit où le feu a moins d'activité, parce qu'un grand feu anéantiroit les couleurs.
Puisque le P. d'Entrecolles fait une distinction de cette espece de porcelaine avec l'autre, il en faut conclure qu'il a bien vû que les Chinois mettoient leur vernis sur la porcelaine avant qu'elle eût été cuite, & que tout se trouvoit achevé au fourneau par une seule & même cuisson ; si la porcelaine ordinaire des Chinois avoit eu besoin d'aller deux fois au feu, il n'auroit pas manqué de le dire, comme il l'a fait au sujet de cette derniere-ci.
Quant à la difficulté de donner le vernis aux grandes pieces, on voit que les Chinois ont donné plus d'épaisseur à proportion de la grandeur à leurs vases ; & que lorsqu'ils ont voulu donner le vernis à des vases qu'ils avoient tenu très-minces, ils ont, suivant le P. d'Entrecolles, eu la précaution de donner deux couches en attendant pour donner la seconde que la premiere fût seche, le besoin des deux couches suppose que dans ce cas le vernis étoit trop liquide pour qu'une seule pût être suffisante ; ce qui prouve que le vernis trop épais expose les pieces minces à se casser quand on le leur donne, & que par conséquent ces pieces n'avoient point été cuites.
Pour ce qui est de l'inconvénient de toucher aux pieces déja vernies, il paroît que l'on peut moins gâter le vernis lorsqu'il a été donné à une piece qui n'a point été cuite, que lorsqu'il a été appliqué sur une piece qui a eu sa cuisson ; dans le premier cas le vernis pénetre un peu dans la surface de la piece, & dans l'autre il n'y pénetre point du tout ; ce qui le rend plus facile à être enlevé. Il paroît donc constant que les Chinois donnent le vernis à leur porcelaine avant qu'elle ait passé au feu des fourneaux ; ce qui la rend à meilleur marché, puisqu'il en coûte de moins le bois qu'on employeroit à la cuisson de la couverte. Mais comment cette porcelaine peut-elle souffrir d'être plongée dans le vernis sans se rompre ? Il faut se souvenir que le pere d'Entrecolles dit que le premier ouvrier forme la tasse sur la roue en élevant le morceau de pâte destiné à la faire, comme nous le pratiquons ; que cette tasse passe à un second ouvrier qui l'assied sur sa base, c'est-à-dire, qui forme son pié de la grosseur qu'il doit avoir, sans cependant la creuser ; afin que ce pié massif serve à attacher sur le tour la tasse avec de la pâte, lorsque la tasse passe aux autres ouvriers ; le troisieme ouvrier reçoit alors la tasse, & la met sur son moule qui est une espece de tour ; il la presse sur ce moule également de tous les côtés : il faut que ce soit le moule & la pression que l'on fait de la pâte par son moyen, qui contribue à rendre les parois de la tasse assez forts pour, lorsqu'elle est seche, résister à l'impression qu'y cause le vernis : d'ailleurs on commence à donner le vernis dans le dedans de la tasse, & on le laisse secher avant que de le donner en-dehors ; la couche de vernis du dedans étant seche, fait une épaisseur de plus qui donne de la force à la tasse pour supporter la couche du dehors.
La méchanique du creusement du pié, après que la tasse a eu entierement son vernis, paroît assez difficile à imaginer ; cela ne peut pas s'exécuter en renversant la tasse sur le tour : comment y assujettir la tasse sans gâter le vernis, & comment préserver le vernis de la poussiere que le travail de l'outil y répandroit ? Il est plus vraisemblable d'imaginer que le pié se creuse en tenant la tasse dans sa situation naturelle, collée sur le tour par un morceau de pâte qui éleve le pié, & donne moyen de le creuser en-dessous avec un outil crochu.
Puisqu'on connoît en Europe des matieres de la même qualité que celles dont les Chinois font leur porcelaine, on connoîtra aussi celles qui sont décrites par le pere d'Entrecolles, pour en faire le vernis. Il n'y a qu'une matiere que les Chinois nomment du ché-kao, qui pourroit embarrasser ; mais on trouve ce minéral que les uns ont cru mal-à-propos être du borax, & les autres de l'alun, très-bien décrit dans le manuscrit du médecin chinois, que M. de Jussieu a entre les mains, & qu'on a déja cité. Le médecin chinois dit que le ché-kao est blanc & brillant, qu'il est friable ; & que quand on le fait passer par le feu, il se réduit aisément en un sel blanc, fin & brillant, mais qui tient un peu du verre, & où on remarque de petites lignes longues & fines comme des filets de soie : il ajoute qu'il se trouve en morceaux avec des raies droites, & des especes de côtes blanches & dures comme des dents de cheval ; quand on le frappe, il se rompt aisément en diverses pieces, mais en-travers ; il a différentes lames qui se séparent facilement & qui sont brillantes, mais ce brillant se perd à la calcination.
Il y en a de parfaitement semblable aux environs de Toulouse ; & comme on a vu que ce n'est qu'un beau gyps, il y a lieu de croire que l'on pourroit employer pour le même effet avec succès tous les gyps transparens.
Ce minéral calciné sert à rendre le vernis des Chinois plus épais ; & conjointement avec la chaux, il sert aussi à le rendre un peu opaque, & blanc lorsque le feu l'a mis en fusion. Car en regardant le pié de toutes les porcelaines de la Chine, dont on a ôté le vernis pour qu'elles ne s'attachassent point par-là dans la cuisson, il n'y a personne qui ne voie clairement que la couverte de la porcelaine de la Chine doit être un peu opaque & blanche, pour cacher entierement à la vue la terre qui n'est pas de la premiere blancheur. On a cependant grand soin, lorsque les ouvrages ont été peints sur le crud, comme les bleus, de ne point rendre la couverte assez opaque pour qu'on ne puisse pas voir les couleurs au-travers.
Il ne faut point que l'on fasse cuire la porcelaine tout-à-fait avant que de la mettre en couverte, il seroit même beaucoup mieux de lui donner la couverte à crud ; mais comme les pieces qui n'ont pas beaucoup d'épaisseur sont sujettes à casser lorsqu'on les plonge dans la couverte, on peut faire passer ces pieces au four, & les en retirer aussi-tôt qu'elles ont été simplement rougies ; on donne ensuite deux fois vingt-quatre heures de cuisson pour la pâte & la couverte.
Cette couverte des Chinois est analogue à leur pâte, puisque le pe-tun-tse qui en est une des principales matieres, y entre pour beaucoup ; il n'y a, pour ainsi dire, de différence que dans la vitrification, qui au moyen du sel de la fougere, se fait dans la couverte, & n'est point dans le corps de la porcelaine : comme elle est appliquée avant que la porcelaine soit cuite, elle en pénetre un peu la surface, & la cuisson étant la même, elle s'y trouve jointe plus parfaitement que si elle avoit été mise après une premiere cuisson de la porcelaine : la différence est aisée à appercevoir lorsqu'on examine avec une loupe la cassure des porcelaines de la Chine, & celle des porcelaines d'Europe. Il faut sur-tout se bien garder de chercher à employer une couverte qui ait déja été vitrifiée. Il faut regarder comme un principe que la vitrification de la couverte doit se faire sur la piece même ; il est aisé de faire une composition de verre opaque & très-blanc : mais quelque soin que l'on se donne pour broyer ce verre, il ne s'étendra jamais aussi-bien & ne se joindra point aussi intimement à la porcelaine, qu'une composition qui formera la vitrification opaque & blanche sur la porcelaine même.
On n'employe ordinairement sur les porcelaines à fritte que l'on fait en Europe, que des couvertes faites avec une composition qui a déja été vitrifiée ; il n'est pas étonnant qu'elles y réussissent ; la pâte dont elles sont composées contenant les 2/8 de fritte, qui est la matiere du verre, se trouve tout-à-fait analogue avec ces couvertes, & s'y joint très-bien ; aulieu que la pâte de la porcelaine de la Chine est trop éloignée de la vitrification pour se joindre à une matiere qui n'est purement qu'un verre. L'expérience s'est trouvée conforme à ce raisonnement toutes les fois qu'on a voulu tenter de mettre les couvertes d'Europe sur la porcelaine faite à la maniere des Chinois.
On a vu que les degrés de bonté de la pâte d'une porcelaine devoient se mesurer à la difficulté que l'on rencontroit à la faire passer à l'entiere vitrification ; on en doit conclure que celle que l'on fait aux Indes doit l'emporter sur toutes celles d'Europe, puisque l'on peut faire fondre un gobelet de porcelaine à fritte dans un gobelet de Saxe, & dans un gobelet de porcelaine des Indes. Il est vrai que la porcelaine des Indes demande un beaucoup plus grand degré de feu pour être portée à son entiere cuisson, que les autres porcelaines ; mais comme on n'est obligé de l'y mettre qu'une seule fois, il n'en coûte pas plus de bois pour la cuire, que pour la porcelaine d'Europe, que l'on met deux fois au feu.
Au reste, si l'on veut se donner la peine d'étudier & de suivre les manipulations décrites par le pere d'Entrecolles, on est assuré de faire de la porcelaine qui aura les mêmes qualités que celle que l'on fait dans les Indes, & se pourra donner à meilleur compte que toutes celles que l'on fait en Europe : on croit cependant qu'il ne sera pas inutile de faire attention à l'eau que l'on employe dans les manipulations. Le P. d'Entrecolles dit que les mêmes ouvriers qui la font à King-te-tching, n'en ont pas pu faire de pareille à Peking ; il attribue ce manque de succès à la différence des eaux, & il pourroit bien avoir raison. On a vu qu'il falloit garder la pâte liquide pendant un certain tems après l'avoir faite, & qu'il s'y passoit une fermentation : tout le monde sait que la différence des eaux produit des effets singuliers lorsqu'il s'agit de fermentation, comme il est aisé de le voir dans la biere, les teintures, &c.
Pour ce qui est des peintures que l'on applique sur la porcelaine après qu'elle est faite, je crois que l'on peut se passer de prendre les Chinois pour modeles ; leurs couleurs sont assez médiocres & en très-petit nombre ; la céruse, ou quelque autre préparation de plomb leur sert toujours de fondant. Le plomb se revivifie, c'est-à-dire, reprend sa forme métallique fort aisément, alors il noircit & gâte les couleurs ; ces couleurs s'étendent, & font des traits qui ne sont ni déliés, ni bien terminés. On voit bien que je ne parle ici que des couleurs qui se mettent sur la porcelaine après qu'elle a reçu son vernis & sa cuisson entiere ; car pour celles que les Chinois mettent sur le crud, en mettant le vernis par-dessus, il est impossible d'en former des desseins tant-soit-peu corrects.
On croit donc qu'il vaut mieux abandonner tout-à-fait les couleurs dont se servent les Chinois, pour y substituer celles que l'on employe pour peindre sur l'émail. Comme ces couleurs sont exposées à supporter un feu très-fort, on ne peut y employer que les matieres dont la couleur ne peut être enlevée par la force du feu ; il faut donc renoncer à toutes les couleurs tirées des végétaux & des animaux, pour s'en tenir uniquement à celles que peuvent fournir les terres & les pierres, qui conservent leur couleur après la calcination ; mais comme celles-ci ne sont colorées que par le moyen des métaux, la chaux des métaux, ou ce qui est la même chose, les métaux privés de leur phlogistique pour la calcination, fournissent la seule matiere que l'on puisse employer avec succès ; d'autant plus que les terres & les pierres donnent toujours des couleurs plus ternes & plus sales, à cause de la grande quantité de terre qu'ils contiennent.
On trouvera ces manipulations décrites fort au long dans mon traité de la Peinture en émail. On peut être assuré que toutes les couleurs qui réussissent dans cette peinture, réussiront également bien dans celle sur la porcelaine ; on y verra que l'on employe pour principes de ne point se servir de couleurs déja vitrifiées, comme les verres colorés, les pains d'émaux, &c. & que l'on exclut pareillement toutes les compositions où il entre du plomb : les raisons que l'on y rapporte pour bannir ces couleurs de la peinture en émail, subsistent également pour les exclure de la peinture sur la porcelaine ; on y verra que l'étain donne les blancs pour éclaircir & rehausser toutes les autres couleurs ; que l'or donne les pourpres, les gris-de-lin, les violets & les bruns ; que l'on tire du fer les vermillons, les marrons, les olives & les bruns ; que le cobolt fournit les bleus & les gris ; que le jaune de Naples donne le jaune ; que le mélange du blanc & du rouge fait les couleurs de rose ; que le mélange du bleu & du jaune fait tous les verds ; & enfin que le mélange du bleu, du rouge & du jaune fait toutes les trois couleurs. On voit par-là que l'on est en état de peindre sur la porcelaine avec une palette garnie d'un aussi grand nombre de couleurs que celle d'un peintre à l'huile.
Il y a cependant une remarque essentielle à faire qui apporte une espece de différence entre la peinture sur la porcelaine & la peinture en émail. Pour transporter la couleur des métaux, on plutôt celle de leurs chaux, sur l'émail, on est obligé de joindre à la chaux de ces métaux un verre, qu'on appelle fondant, qui par sa fusion vitrifie les couleurs, & les fait pénétrer dans l'émail. Pour que les couleurs puissent pénétrer dans l'émail sur lequel on peint, on sent qu'il est nécessaire que l'émail commence à entrer en fusion lorsque les couleurs y sont déja, parce que les couleurs resteroient de relief sur l'émail, s'il n'entroit point en fonte ; il faut donc qu'il se trouve une proportion dans la facilité à fondre entre l'émail sur lequel on peint, & le fondant que l'on mêle avec les couleurs.
On voit aisément que la même proportion dans la facilité à fondre doit se trouver entre la couverte de la porcelaine sur laquelle on peint, & le fondant qu'on aura mêlé avec les couleurs ; & la couverte de la porcelaine étant beaucoup plus difficile à mettre en fusion que l'émail, on doit employer dans les couleurs à peindre sur la porcelaine un fondant beaucoup moins facile à mettre en fusion, que dans celles à peindre en émail ; ce qui dépend d'employer moins de salpêtre & de borax dans la composition du fondant. Comme on ne doit point employer de plomb dans la composition du fondant, il est plus facile d'en faire un qui soit dur à fondre, que de faire celui qui est propre à la peinture en émail, à cause de la quantité des sels qu'on est obligé de mettre dans ce dernier qui, à moins que ce verre ne soit bien fait, s'y font sentir, & gâtent les couleurs.
La principale qualité du verre qui servira de fondant, est d'être blanc, & qu'il ne soit point entré de préparation de plomb dans sa composition, comme la céruse, le minium, la litharge, &c. Pour ce qui est du plus ou moins de facilité qu'il doit avoir à entrer en fusion, il faut qu'elle soit proportionnée à celle de la couverte de la porcelaine, c'est-à-dire, que la couverte ne soit pas assez dure à fondre, pour que la fusion du verre qui sert de fondant n'entraîne pas la sienne dans les endroits où les couleurs sont appliquées. On peut donc essayer de se servir de verres blancs de différens degrés de fusibilité, pour s'arrêter à celui qui se trouvera convenir au degré de fusibilité de la couverte. Le verre dont on fait les tuyaux des barometres est le plus facile à mettre en fusion ; celui des glaces vient après, & ensuite celui des crystaux de Bohème, &c.
On ne doit point craindre que la force du feu nécessaire pour mettre ces verres en fonte emporte les couleurs ; celles dont on vient de parler sont toutes fixes, & y résisteront : il n'y a que les couleurs tirées du fer dont jusqu'à présent l'usage a été très-difficile, à cause de leur volatilité au feu ; mais il sera aisé de voir dans le traité de la Peinture en émail, qu'en tenant les safrans de Mars exposés au grand feu pendant deux heures, avec le double de leur poids de sel marin, & les édulcorant ensuite, on les rend tout aussi fixes que toutes les autres couleurs.
La proportion du fondant à mettre avec les chaux des métaux est la même que celle de la peinture en émail, c'est-à-dire, presque toujours en poids trois parties de fondant sur une partie de couleur : si l'on s'appercevoit que quelqu'une de ces couleurs ne prît pas dans la fonte le luisant qu'elle doit avoir, on en seroit quitte pour ajouter quelques parties de fondant de plus ; par exemple, les couleurs tirées de l'or exigent jusqu'à six parties de fondant.
Ces couleurs s'employent facilement au pinceau avec la gomme ou l'huile essentielle de lavande, avec la précaution, si l'on s'est servi d'huile essentielle de lavande, d'exposer les pieces peintes à un très-petit feu jusqu'à ce que l'huile soit totalement évaporée, avant de les enfourner.
On ne parlera point des couleurs qui se mettent sous la couverte ; il faut les placer sur le crud, dans lequel venant à s'emboire, on ne peut former avec elles aucun dessein correct. Elles ne seroient donc propres qu'à employer à faire des fonds d'une seule couleur, & en ce cas il vaut mieux mêler la chaux des métaux avec la matiere de la couverte, & tremper les vases dedans.
Il résulte de tout ce que l'on vient de dire, que les porcelaines dans lesquelles on employe de la fritte, sont les plus mauvaises de toutes, & qu'on ne doit jamais chercher à en faire sur ce principe ; par conséquent qu'il ne faut employer aucuns sels pour mettre en fusion les matieres qui doivent composer la porcelaine.
Que le spath fusible est le principal agent pour la liaison des terres que l'on doit employer dans la porcelaine, puisque le pe-tun-tse est une pierre composée de spath, d'argille & de sable, qui jointe à une terre onctueuse, fait la porcelaine de la Chine ; & que celle de Saxe est composée sur les mêmes principes, avec cette différence seulement que le pe-tun-tse est déja composé d'une partie de ces matieres par la nature, & que dans la porcelaine de Saxe on est obligé de la faire des mêmes différentes matieres séparées que l'on rassemble ; ce qui fait voir que les combinaisons faites par la nature même, sont supérieures à celles faites par la main des hommes.
Quant à ce que l'on appelle l'émail ou la couverte, il ne falloit jamais chercher à la faire avec une vitrification toute faite ; mais il falloit que la vitrification ne se fît que sur la porcelaine même ; que l'on n'employât jamais des métaux, comme des préparations de plomb ou d'étain dans la couverte ; qu'il entroit du spath dans celle de la Chine, puisqu'il y entroit du pe-tun-tse, qui est une pierre spathique ; qu'il y avoit toute apparence que le spath entroit aussi pour beaucoup dans la couverte de la porcelaine de Saxe, & même pour davantage que dans la porcelaine de la Chine, puisque la force du feu ne la faisoit pas couler comme celle de la Chine.
Pour ce qui regarde les couleurs, il ne falloit jamais employer des verres colorés tous faits, & surtout ceux dans lesquels le plomb étoit entré, comme les pains d'émaux, &c. mais que la vitrification des couleurs se fît sur la couverte, & en la pénétrant. Observ. de M. DE MONTAMI.
PORCELAINE fossile, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une pierre argilleuse fort tendre, & qui prend au tour toutes les formes qu'on veut lui donner. Elle se durcit dans le feu, & l'on peut en faire des vases de toute espece ; il s'en trouve une grande quantité en Allemagne, entre Gopfersgrun & Thiersheim, dans les terres du marggrave de Bareuth. Cette pierre est si tendre, qu'on peut la tailler avec un couteau ; mais le feu la durcit au point de donner des étincelles lorsqu'on la frappe avec de l'acier ; c'est une vraie pierre ollaire. Voyez OLLAIRE.
PORCELAINE tour de, (Invent. chinois.) cette fameuse tour de porcelaine est dans une plaine près de Nanking, capitale de ce royaume. C'est une tour octogone à neuf étages voutés, de 90 coudées de hauteur, revêtue de porcelaine par dehors, & incrustée de marbre par dedans. A chaque étage est une galerie ou cloison de barreaux ; & aux côtés des fenêtres sont de petits trous quarrés & treillissés de fer blanc.
Toutes les galeries sont couvertes de toits verds qui poussent en dehors des soliveaux dorés ; ces soliveaux soutiennent de petites cloches de cuivre, qui étant agitées par le vent, rendent un son fort agréable. La pointe de cette tour, qu'on ne sauroit toucher qu'en dehors, est couronnée d'une pomme de pin qu'on dit être d'or massif ; & tout cela est travaillé avec tant d'art, qu'on ne peut distinguer ni les soudures, ni les liaisons des pieces de porcelaines, & que l'émail & le plomb dont elle est couverte à différens endroits, glacés de verd, de rouge, & de jaune, la fait paroître toute couverte d'or, d'émeraudes, & de rubis.
Fischer a représenté cette tour dans son essai d'architecture historique.
Les Tartares forcerent les Chinois de la bâtir il y a près de 700 ans, pour servir de trophée à la conquête qu'ils firent de ce royaume, & qu'ils ont reconquis au commencement du siecle dernier. Daviler. (D.J.)
PORCELAINE, (Maréchal) poil de cheval dont le fond est blanc, mêlé de taches irrégulieres & jaspé, pour ainsi dire, principalement d'un noir mal teint, qui a un oeil bleu ardoisé.
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PORCELET | voyez CLOPORTE.
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PORCELETS | PORCELETS
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PORCHAITON | c'est un sanglier qui est gras.
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PORCHE | S. m. (Architect.) disposition de colonnes isolées, ordinairement couronnées d'un fronton, qui forme un lieu couvert devant un temple ou un palais ; on l'appelle tétrastyle, quand il a quatre colonnes de front ; exastyle, lorsqu'il y en a six ; octostyle, huit ; décastyle, dix, &c.
Porche ceintré, porche dont le plan est sur une ligne courbe. Tel est le porche du palais Massinei, du dessein de Baltazar de Sienne, à Rome.
Porche circulaire, porche dont le plan est en rond, c'est-à-dire, a la forme d'un cercle. Il y a un porche de cette espece devant l'église de notre-Dame de la Paix, restaurée par Pierre de Cortone à Rome.
Porche fermé, espece de vestibule devant une église avec des grilles de fer. C'est ainsi que sont les porches de saint Pierre de Rome, & de saint Germain l'Auxerrois à Paris.
Porche ou tambour ; c'est en dedans de la porte d'une église, une cage de menuiserie, couverte d'un plafond, qui sert, & pour empêcher la vue des passans, & afin de garantir du vent par une double porte. Dans l'église de la Sorbonne à Paris, pour ne citer que celui-là, est un porche de cette façon.
Il y a de ces porches qui sont ceintrés par leurs encoignures, comme, par exemple, ceux de la sainte-Chapelle, & des peres Chartreux à Paris.
Les porches des temples ont été inventés pour mettre à couvert du soleil ou de la pluie, ceux qui ne pouvoient pas entrer dans l'église ; les Latins l'ont appellé atrium, & l'ont toujours regardé comme faisant une partie du temple, pour laquelle on devoit avoir de la vénération. Baronius a remarqué que Constance n'osa pas faire enterrer Constantin son pere dans l'église, & qu'il se contenta de le faire inhumer dans le porche, in atrio ; & au rapport de Balzamon, sur le second canon des apôtres, on encensoit les porches comme les églises. On plaçoit dans les porches des puits, des fontaines, des cuves pleines d'eau, où l'on se lavoit avant que d'entrer dans l'église. C'étoit en cet endroit qu'on mettoit les pénitens du premier ordre, qu'on appelloit pleureurs : ils étoient-là, dit Tertullien, pour commencer à réparer le scandale qu'ils avoient donné au public, & à demander des prieres à ceux qui entroient dans l'église. On y plaidoit autrefois les causes : mais les conciles & les peres se récrierent contre cet usage qui fut aboli. Au reste ceux qui voudroient être instruits de cette matiere, peuvent lire le traité que M. Thiers en a composé. (D.J.)
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PORCHER | S. m. (Econom. rust.) gardeur de cochons.
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PORCIEN | (Géog. mod.) petite principauté de France, en Champagne, dont le chef-lieu s'appelle Château-Porcien. Le pays de Château-Porcien est nommé dans les capitulaires pagus Porticensis, & s'étendoit autrefois jusqu'à la riviere de Meuse. (D.J.)
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PORCIFERA | (Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Ligurie, selon Pline, l. III. c. v. C'est aujourd'hui selon le P. Hardouin, la petite riviere de Bisagua, ou Bisague, qui mouille la ville de Gènes du côté de l'orient, & s'y jette dans la mer Méditerranée. Léander & Mazin disent cependant que c'est le Porzevera, qui est la riviere Porcifera des anciens. Le Porzevera coule au voisinage de Gènes, mais à quelque distance de cette ville du côté du couchant.
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PORCUNNA | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, au royaume de Cordoue, dans le voisinage de Castro-Rio, & de Valna, à quatre lieues du Guadalquivir : c'est une commanderie de l'ordre de Calatrava. Elle étoit connue anciennement sous les noms d'Obulco, Obulcula, & Municipium pontificense ; & elle fut célebre dans l'histoire romaine, parce que Jules César y vint de Rome dans vingt-sept jours, pour n'être pas prévenu par les fils du grand Pompée qui étoient en Espagne. Cette ville a changé de nom, & on lui a donné avec le tems celui de Porcunna, en mémoire, comme on croit, d'une truie, qui y fit trente petits d'une ventrée, événement dont on perpétua le souvenir, en faisant dresser une statue de cette bête, avec l'inscription suivante :
C. Cornelius, C. F. C. N. Gal. Caeso. Aed. Flamen. II. Vir. Municipii Pontif. C. Corn. Caeso. F. Sacerdos, Gens. Municipii, Scrofam cum porcis xxx. impensa ipsorum D. D. Long. 13. 46. latit. 37. 40.
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PORDOSÉLENÉ | (Géog. anc.) île d'Asie, dans le détroit qui se trouve entre l'île de Lesbos, & le continent de la Mysie, selon Hésiche, cité par Cellarius, Géogr. ant. l. III. c. iij. le périple de Scylax, pag. 34. fait aussi mention de cette île, & dit qu'il y avoit une ville de même nom. Dans la suite on changea ce nom obscene en un nom plus honnête : on appella cette île Porosélene, comme nous l'apprend Strabon, l. XIII. p. 619. Pline, l. V. c. xxxj. écrit aussi Porosélene, & donne une ville à cette île comme Scylax. (D.J.)
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PORE | S. m. (Physique) on donne ce nom aux petits intervalles qui se trouvent entre les particules de la matiere dont les corps sont composés ; intervalles qui sont vuides ou remplis d'un fluide invisible. Voyez CORPS & MATIERE.
Le mot pore vient du grec , ouverture ou conduit, par où une chose peut passer.
M. Musschenbroeck, dans son essai de Physique, c. ij. est entré dans un assez grand détail sur l'existence & la nature des pores : nous allons extraire ici une partie de ce qu'il a dit.
Tous les corps qui sont venus jusqu'à présent à notre connoissance, & qui sont de telle grandeur que nous puissions les manier, se trouvent avoir des pores.
1°. Les microscopes nous feront voir cela d'une maniere évidente. Que l'on mette un morceau de feuille d'or bien mince & bien battu sur un verre ou plaque de verre de Moscovie, sur laquelle on a coûtume d'exposer les objets : ce morceau étant considéré à l'opposite de la lumiere à l'aide d'un microscope, qui grossisse beaucoup les objets, on remarquera qu'il est rempli d'un grand nombre de pores. On peut découvrir la même chose dans l'argent, dans le cuivre, dans le plomb, & dans l'étain réduits en lames fort minces.
On peut encore remarquer plus facilement ces pores dans toute sorte de bois & dans les végétaux, & voir en même tems la grande différence qui se trouve entr'eux. Les peaux des corps des animaux ont aussi un grand nombre de pores, mais qui sont beaucoup plus petits que ceux des végétaux.
2°. Si nous remarquons que de gros corps soient pénétrés par d'autres corps beaucoup plus subtils, il faut nécessairement que ces derniers s'y insinuent à-travers les pores. La lumiere est un corps, elle pénetre & s'insinue dans tous les autres corps minces ; car il n'y a aucun éclat de quelque corps que ce soit, d'entre ceux que nous connoissons jusqu'à présent, qui n'ait paru transparent, en le considérant à l'aide d'un microscope. Nous sommes nous-mêmes transparens. Pour vous en convaincre, rendez une chambre entierement obscure, faites un petit trou, de la grandeur d'un pois, à la fenêtre, de maniere que le soleil puisse y entrer, tenez contre ce petit trou votre doigt qui paroîtra aussi transparent que de la corne, sur-tout à l'endroit où l'on voit les ongles : si cette recherche vous paroît trop gênante, joignez seulement les doigts de votre main les uns contre les autres, & regardez-les le soir à la lumiere de la chandelle, & vous les trouverez alors en quelque maniere transparens à chaque côté de leur jonction. La lumiere, qui pénetre à-travers ces corps est par conséquent une preuve qu'ils ont des pores. Le feu démontre aussi la même chose. En effet, y a-t-il aucun corps, soit solide ou liquide, qui ne devienne chaud par le moyen du feu ? Cet élément s'insinue donc dans les corps, & il y pénetre à-travers leurs pores.
3°. Le mercure pénetre dans l'or, dans l'argent, dans le cuivre rouge, dans le cuivre jaune, dans l'étain, & dans le plomb, de la même maniere que l'eau entre dans une éponge. On a aussi découvert que l'eau renfermée dans une boule d'argent, d'étain, ou de plomb, peut en entrant dans les pores la pénétrer, & traverser jusque sur la surface externe du métal, où elle se rassemble comme une rosée. L'eau pénetre à travers toutes les membranes du corps animal ; car si on les met tremper dans l'eau, lorsqu'elles sont seches & dures, elles y deviendront mollasses & humides. L'eau s'insinue dans les plantes, soit qu'elles soient vertes ou seches, & par conséquent dans toute sorte de bois ; car elle leur sert de nourriture, ou du moins elle la leur porte avec elle. L'eau entre dans le sable, dans plusieurs poudres, dans le sucre, & dans les sels : les huiles pénetrent dans le soufre.
Nous voyons donc par-là que les corps solides sont poreux ; mais en est-il de même à l'égard des liquides, peuvent-ils aussi se pénétrer mutuellement, de la même maniere que l'eau s'insinue dans le sable ?
M. de Reaumur (Hist. de l'acad. royale ann. 1733.) ayant versé dans un tuyau de verre deux parties d'eau, & par-dessus une partie d'eau-de-vie, remarqua d'abord jusqu'à quelle hauteur la surface supérieure de l'eau-de-vie montoit ; ensuite secouant le tout ensemble, jusqu'à ce que l'eau-de-vie fût bien mêlée avec l'eau, il trouva que ces deux liquides occupoient dans le tuyau moins de place qu'auparavant, & même que pour remplir le tuyau à la même hauteur il falloit y ajouter de nouveau une 120e partie d'eau-de-vie. On connoit encore d'autres liquides qui se pénetrent mutuellement. Versez dans un tuyau de verre de l'huile de vitriol jusqu'à la hauteur de trois pouces, versez ensuite par-dessus trois pouces d'eau, & il se fera alors une ébullition : bouchez le tuyau sur ces entrefaites, & dès que ces deux liquides ne seront plus en mouvement, on trouvera que ce tuyau n'est pas rempli jusqu'à la hauteur de six pouces : si l'on joint à dix parties d'huile de vitriol quarante parties d'eau, la diminution sera de deux parties.
La grandeur, la multitude, & les figures des pores des corps sont d'une grande diversité, & il est impossible d'en donner la description, comme il paroit clairement lorsqu'on considere & qu'on examine ces corps à l'aide du microscope. Celui qui n'a ni l'occasion, ni le loisir de faire lui-même cette recherche, peut consulter à ce sujet les excellens ouvrages de Malpighi & de Leuwenhoeck.
Il est fâcheux qu'il ne se trouve aucun grand corps qui n'ait des pores, car s'il y en avoit de tels, nous pourrions savoir au juste combien il y a d'étendue poreuse dans chaque corps. Car supposons qu'un corps de la grandeur d'un pouce cubique soit de la pesanteur d'une livre, & que ce même corps n'ait absolument aucun pore : supposons ensuite qu'un autre corps de la même grandeur ne pese qu'une demi-livre, la moitié de ce dernier ne consistera donc qu'en pores, & l'autre moitié sera composée de matiere solide. De cette maniere nous pourrions toujours savoir au juste quelle est la quantité de matiere ou de pores qui se rencontre dans un corps ; mais on ne connoit encore jusqu'à présent aucun corps de cette nature, & nous ne pouvons par conséquent rien déterminer à cet égard.
L'or est fort pesant & en même tems poreux : supposons pour un moment que les pores fassent la moitié de son étendue, & que l'autre moitié soit composée de matiere solide : la pesanteur d'une certaine quantité d'eau qui a le même volume que l'or, est d'environ 19 1/2 moindre que celle de l'or ; il y aura donc dans l'étendue de l'or 19 1/2 fois plus de matiere que dans celle de l'eau, & ainsi ce qu'il y a de poreux dans l'eau, sera à l'égard de ce qu'il y a aussi de poreux dans l'or, comme 19 1/2 à 1 ; mais nous supposons que la moitié de l'or est poreux, par conséquent l'étendue poreuse, qui se trouve dans l'eau, sera par rapport à la matiere de ce liquide, comme 39 à 1. Le liége est 81 1/2 fois plus léger que l'or ; ainsi on peut conclure, que dans un morceau de liége de la grandeur d'un pouce cubique, l'étendue des pores est par rapport à la solidité, comme 163 à 1. Qui auroit jamais cru qu'il y eût si peu de matiere dans les corps ? & peut-être en ont-ils encore moins que ce que nous venons de marquer. En effet, combien l'eau, le verre, & les diamans doivent-ils être poreux, puisque de quelque maniere qu'on les tienne & qu'on les expose, la lumiere y entre & y pénetre de tous côtés si aisément.
Afin de donner une idée des corps & de leurs pores, supposons que plusieurs tamis, percés de grands trous, soient mis les uns sur les autres, il s'en formera de cette maniere une masse qui se trouvera de tous côtés percée d'outre en outre par de grands trous. De même que la poussiere passe par un crible, lorsqu'elle est plus petite que les trous qui s'y trouvent, de même aussi les parties les plus fines pourront passer à-travers la masse précédente, formée de plusieurs tamis posés les uns sur les autres. Tous les corps sont de pareilles masses faites en maniere de tamis ; ainsi nous pouvons par-là concevoir plusieurs effets & phénomenes, qui nous surprenoient autrefois. Si l'on enveloppe une piece d'argent bien nette dans beaucoup de papier & de linge, & qu'on la tienne suspendue au-dessus de l'esprit volatil fumant de soufre, elle deviendra dans peu toute noire ; l'esprit volatil de ce soufre traversant aisément les pores du papier & du linge, & pénétrant jusqu'à l'argent, sur lequel il produit cet effet. L'esprit de salpêtre, fait avec l'huile de vitriol, de la maniere que nous l'enseigne M. Geoffroi, de même que le sel volatil de l'urine, se font un passage à-travers les pores du verre & s'évaporent. Les parties odoriférantes qui s'exhalent du musc & de la civette s'échappent par les pores des boîtes de bois. Les esprits du vin & l'eau-de-vie s'évaporent à-travers les pores des tonneaux, & c'est par cette raison qu'on doit remplir toutes les semaines les tonneaux dans lesquels on a mis du vin du Rhin. Il arrive cependant que des matieres subtiles ne s'échappent pas à-travers de certains corps percés de larges trous, à cause d'une disposition particuliere qui se trouve dans ces mêmes corps : en voici un exemple. Les pores du liége sont infiniment plus larges que les petites parties de l'eau ou du vin, cependant aucun de ces deux liquides ne sort à-travers les pores du liége ; car renversez une bouteille pleine d'eau ou de vin, & bien bouchée avec du liége, il n'en sortira pas une seule goutte.
Prenez un morceau de bon bouracan, espece d'étoffe qui se fait avec du poil de chameau, quelque poreuse qu'elle soit, l'eau ne la pénétrera pas, & c'est pour cela que cette étoffe est fort propre pour en faire des manteaux contre la pluie. La lumiere pénetre à peine à-travers un papier blanc bien fin, quoiqu'il soit fort poreux, & que le diamêtre de ses pores soit infiniment plus grand que celui des corpuscules de la lumiere.
Mais en général, & à l'exception de quelque cas singulier, toutes les petites parties qui ont moins de grandeur que les pores, doivent nécessairement y passer, de la même maniere que la poussiere passe à travers un tamis. Voyez OPACITE, DIAPHANEITE, &c. Mussch. Ess. de Phys. §. 38. & suiv.
PORE, en Anatomie, ce sont des intervalles entre les parties de la peau, qu'il est facile de pénétrer. C'est par-là que sort la sueur & que la transpiration s'échappe, &c. Voyez nos Planches anatomiques & leur explication. Voyez aussi PEAU & TRANSPIRATION.
Les pores se font plus remarquer aux mains & aux piés qu'ailleurs ; en regardant avec un verre ordinaire la paume de la main, après qu'on l'a bien lavée, on y voit une multitude innombrable de petits sillons, d'une grandeur & d'une distance égale, qui vont parallélement les uns aux autres, particulierement aux bouts & aux articulations des doigts, &c. où ils sont régulierement disposés en ellipses & en triangles sphériques.
Sur ces sillons il y a des pores semblablement rangés, assez grands pour être vus par un bon oeil sans microscope ; mais si l'on regarde avec cet instrument, on voit chaque pore semblable à une petite fontaine, on peut y remarquer la sueur qui y paroît aussi claire que de l'eau de roche, & à mesure qu'on l'essuie, elle y revient. Voyez SUEUR.
Les pores sont placés sur les sillons & non pas dans les cannelures qui les séparent, afin qu'en les comprimant il soit moins facile de les boucher. Pour cette même raison les pores des piés & des mains sont plus grands que les autres, ces parties étant exposées à la pression & au frottement ; de-là vient encore qu'il n'y a point de sillons sur les autres parties.
Ces pores sont des issues fort commodes pour les parties les plus nuisibles du sang, qui y est apporté en abondance par l'usage continuel que l'on fait des piés & des mains ; c'est pourquoi les hypocondriaques & les hystériques ressentent une chaleur continue & immodérée aux paumes des mains & aux plantes des piés.
On croit communément que la maladie appellée vulgairement le rhume est causée par l'obstruction de ces pores ; quoique M. Keill soit du sentiment tout-à-fait opposé dans une dissertation qui est à la fin de sa medicina statica britannica. Voyez RHUME.
Dans les Transactions philosophiques on a l'exemple d'un étudiant près de Leyde, très-attaché à l'Astronomie, & qui ayant passé bien des nuits à observer très-attentivement les étoiles, avoit tellement obstrué les pores de sa peau, par l'humidité & le froid de ces nuits, qu'il ne sortoit presque aucune transpiration de son corps ; comme il parut, en ce que la chemise qu'il avoit portée cinq à six semaines étoit alors aussi blanche que si elle n'avoit été portée qu'un seul jour ; cependant il se fit un amas d'eau sous la peau, dont le malade fut guéri par la suite.
PORE BILIAIRE, voyez BILIAIRE.
PORE BILIAIRE, (Anat.) conduit qui forme avec le cholidoque le canal commun de l'aorte. Riolan a remarqué que le pore biliaire étoit quelquefois fourchu, mais qu'il se réunissoit bientôt. Fallope s'est trompé, quand il a cru qu'il portoit la bile dans la vésicule du foie. Il la verse dans l'intestin par le canal commun ; car si l'on souffle dans le pore biliaire, l'intestin s'enfle, comme l'ont remarqué Bartholin & Dionis.
PORES, (Jardinage) les végétaux ainsi que toutes les parties de la matiere, tels que les pierres & les minéraux, ont des orifices ou de petites ouvertures qui les criblent appellées pores ; ces pores sont autant de petits points imperceptibles à nos yeux, par lesquels l'air a son entrée & sa sortie ; par ce même moyen les rosées & humidités s'insinuent & pénetrent jusqu'aux plus petites parties des plantes.
PORES du bois, (Science microsc.) comme le liége & le sapin sont les bois les plus légers, ce sont aussi ceux qui sont les plus propres à découvrir au microscope le nombre prodigieux, la figure & la disposition de leurs pores, en coupant ces bois en morceaux aussi minces qu'il est possible. M. Hoock, (Micograph. 114.) a observé que dans un morceau de liége, les vaisseaux de l'air, ceux de la seve, & les pores du bois, sont merveilleux dans leur figure, leur nombre, & leur disposition, comme on le voit clairement lorsqu'on en coupe des morceaux aussi minces qu'il est possible, & qu'on les présente à la vue. Le sapin & le liége sont les plus propres à cette observation, mais les autres especes de bois peuvent être disposées à cet examen, quoiqu'avec un peu plus de peine. Dans un morceau de liége de la longueur de la dix-huitieme partie d'un pouce, on a compté soixante cellules en ligne droite, d'où il suit qu'il en a 1080 dans la longueur d'un pouce, un million 166 mille 400 dans un pouce quarré, & 1259 millions 712 mille dans un pouce cubique. (D.J.)
PORES, (Hist. nat. Minéral.) pori, indurata, nom générique donné par Wallerius & quelques autres naturalistes à des substances du regne minéral qui ont pris de la consistance & de la dureté, soit dans le feu, soit dans l'eau ; les pores de la premiere espece sont les pierres-ponces, les laves, &c. qui sont produites par les volcans ; & de la seconde espece sont les incrustations, les stalactites, le tuf, &c. il paroît que le nom de pores leur a été donné à cause du tissu poreux & spongieux de ces pierres. Voyez TUF.
Quelques auteurs ont donné le nom de pore à la pierre à filtrer, à cause de la propriété qu'elle a d'être poreuse au point de donner passage à l'eau. Voyez FILTRER, pierre à.
Les anciens donnoient encore le nom de porus à un marbre blanc qui le disputoit au marbre de Paros, pour la blancheur & la dureté, mais il étoit remarquable par sa légereté qui lui avoit fait donner son nom.
Luidius donne le nom de porus à une pierre remplie de coraux ou de madrépores. (-)
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PORELLA | S. f. (Hist. nat. Bot.) nom donné par Dillenius à un genre de mousse qu'il caractérise ainsi. Les capsules contiennent une poussiere semblable à celle des autres mousses ; mais elles n'ont point de coëffe, d'enveloppe, ni de pédicule. Leur maniere de répandre leur poussiere, n'est pas non plus en se séparant en deux parties, comme il arrive au lycopodium, ou pié de loup, & à d'autres ; mais en la laissant sortir par différens trous de toutes parts. Ce genre de mousse, dont on ne connoît qu'une seule espece, se trouve fréquemment aux lieux humides, en Virginie, Pensilvanie, Maryland, & autres parties de l'Amérique septentrionale. Dillen. Hist. musc. p. 459. (D.J.)
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PORENTRU | (Géog. mod.) ville de Suisse, dans l'Elsgow, capitale des états de l'évêque de Basle, sur la riviere de Hallen, aux confins de la Franche-Comté, proche le mont Jura, à 8 lieues au sud-ouest de Basle. Elle n'est pas grande, mais peuplée, & défendue par un château, où l'évêque fait sa résidence ; cependant cette ville est du diocèse de Besançon.
Le pays de Porentru a environ dix lieues de longueur, & autant de largeur. L'évêque est prince de l'empire, membre du cercle du haut Rhin, & par conséquent sujet aux taxes de l'empire ; mais les Suisses pour leur repos particulier, ont soin de garantir des fureurs de la guerre le territoire de cet évêque.
Au reste, le mot Porentru est un mot corrompu, pour pont Rentrud, ou pont Raintru, en latin pons Reintrudis, ou Pons-Raintrudis, ou Pons-Regintrudis, & en allemand Bruntrout, ou Pou-rentrout. Long. 25. 4. lat. 47. 36.
Matthieu (Pierre) historiographe de France, naquit à Porentru, en 1563, & mourut à Toulouse, en 1621. Il a composé en françois l'histoire des choses mémorables arrivées sous le regne de Henri le Grand. Cette histoire intéresse, mais le style est de mauvais goût, parce qu'il est affecté, plein de citations & de métaphores. (D.J.)
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POREUX | adj. (Gramm.) qui a des pores. La terre ne produiroit rien si elle n'étoit poreuse. Plus les corps sont poreux, plus ils croissent, mieux ils se nourrissent. Il y a quelqu'apparence que les pores du corps humain ont une action de suction, & que nous recevons les vapeurs de l'air, le feu de l'atmosphere, le phlogistique & la vie par la respiration & par les pores.
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POREWITH | (Myth. des Germains) divinité des anciens Germains ; ils lui donnoient cinq têtes, & une sixieme sur la poitrine, comme celle que portoit Minerve dans son égide. Autour du piédestal qui soutenoit sa statue étoit un grand amas d'épées, de lances, & de toutes sortes d'armes ; ce qui désignoit le dieu de la guerre. (D.J.)
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PORISME | S. m. (Géom.) est la même chose que lemme, qui est aujourd'hui seul usité. C'est une proposition dont on a besoin, pour passer à une autre plus importante ; ce mot vient de , passage. Voyez LEMME. (O)
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PORISTIQUE | adj. (Mathém.) quelques auteurs appellent méthode poristique la maniere de déterminer par quels moyens, & de combien de différentes façons un problème peut être résolu. Voyez PROBLEME, DETERMINE, ÉQUATION, RACINE, SOLUTION. Chambers. (O)
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POROROCA | S. m. (Physiq. génér.) phénomène singulier du flux de la mer que l'on observe entre Macapa & le cap-Nord, dans l'endroit où le grand canal du fleuve se trouve le plus resserré par les îles, & sur-tout vis-à-vis de la grande bouche de l'Arawary, qui entre dans l'Amazone du côté du nord.
Pendant les trois jours les plus voisins des pleines & des nouvelles lunes, tems des plus hautes marées, la mer au lieu d'employer près de six heures à monter, parvient en une ou deux minutes à sa plus grande hauteur : on juge bien que cela ne se peut passer tranquillement. On entend d'une ou de deux lieues de distance un bruit effrayant qui annonce le pororoca ; c'est le nom que les Indiens de ces cantons donnent à ce terrible flot. A mesure qu'il approche, le bruit augmente, & bientôt l'on voit s'avancer une masse d'eau de 12 à 15 piés de haut, puis une autre, puis une troisieme, & quelquefois une quatrieme qui se suivent de près, & qui occupent toute la largeur du canal ; cette lame chemine avec une rapidité prodigieuse, brise & rase en courant tout ce qui lui résiste. On a vu en plusieurs endroits des marques de ses ravages, de très-gros arbres déracinés, des rochers renversés, la place d'un grand terrein récemment emporté. Partout où elle passe, le rivage est net comme s'il eût été balayé. Les canots, les pirogues, les barques même n'ont d'autre moyen de se garantir de la fureur de la barre (c'est ainsi qu'on nomme le pororoca à Cayenne), qu'en mouillant dans un endroit où il y ait beaucoup de fond.
M. de la Condamine a examiné avec attention en divers endroits toutes les circonstances de ce phénomène, & particulierement sur la petite riviere de Guama, voisine du Para. Il a toujours remarqué qu'il n'arrivoit que proche de l'embouchure des rivieres, & lorsque le flot montant & engagé dans un canal étroit rencontroit en son chemin un banc de sable, ou un haut fond qui lui faisoit obstacle ; que c'étoit-là & non ailleurs que commençoit ce mouvement impétueux & irrégulier des eaux, & qu'il cessoit un peu au-delà du banc, quand le canal redevenoit profond, ou s'élargissoit considérablement. Il faut supposer que ce banc soit à-peu-près de niveau à la hauteur où atteignent les eaux vives, ou les marées de nouvelle & pleine lune. C'est à sa rencontre que le cours du fleuve doit être suspendu par l'opposition du flux de la mer, qui forme un courant opposé. C'est-là que les eaux arrêtées de part & d'autre doivent s'élever insensiblement tant que le courant peut soutenir l'effort du flux, & jusqu'à ce que celui-ci l'emportant, rompe enfin la digue, & déborde au-delà en un instant. On dit qu'il arrive quelque chose d'assez semblable aux îles Orcades au nord de l'Ecosse, & à l'entrée de la Garonne aux environs de Bordeaux, où l'on appelle cet effet des marées, le mascaret. Voyez MASCARET. (D.J.)
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POROS | (Géog. mod.) îles de l'Archipel, à l'entrée du golfe d'Engia, sur la côte de la Sacanie, au nord du cap Skilli. C'est l'île Caulauria des anciens. (D.J.)
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POROTIQUES | adj. (Médec.) ce sont des remedes qui bouchent les pores & produisent le cal, en remettant dans les pores le suc nourricier qui avoit été emporté : ils ont une qualité dessicative, épaississante & astringente ; ils changent une partie de la nourriture en une matiere charnue & calleuse. Blancard. Voyez AGGLUTINANS & SARCOTIQUES.
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POROUY | (Géogr. mod.) on appelle porouys les sauts que fait le Niéper à-travers des pierres de roche prodigieuses, qui lui forment dans son cours comme autant de digues naturelles. C'est entre la riviere Samatra & celle de Kuhaczow que se trouvent les fameux sauts du Niéper qu'on appelle porouys, & qui ont donné le nom aux Cosaques porouys.
Porouy est un mot russien, qui signifie pierre de roche : desorte que ces porouys sont comme une chaîne de ces pierres étendues tout au-travers de la riviere ; quelques-unes sous l'eau, d'autres à fleur d'eau, & d'autres hors de l'eau, de plus de huit à dix piés. Elles sont grosses comme des maisons, & fort proches les unes des autres : ainsi elles forment comme une digue qui arrête le cours de la riviere qui tombe de la hauteur de cinq à six piés en quelques endroits, & en d'autres de six à sept piés, selon que le Niéper est plus ou moins enflé.
Quoiqu'il semble qu'il soit impossible de passer tous les différens porouys du Niéper dans un canot, il est néanmoins certain qu'on a trouvé l'art de les franchir tous sans exception. (D.J.)
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PORPAX | (Géog. anc.) fleuve de Sicile, selon Elien, dans son histoire mêlée. Il le place dans le pays des Aegestani. Cluvier, Sicil. ant. l. II. dit qu'on ne connoît point aujourd'hui ce fleuve. Thomas Fazel, décad. 1. l. VII. c. iv. néanmoins veut que l'on entende par Porpax ces eaux chaudes qui se jettent avec le Termestre dans le Scamandre, & qu'on appella Aegestanae ou Segestanae aquae ; mais on ignore l'origine de cette dénomination. (D.J.)
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PORPHYRE | (Hist. nat.) c'est une pierre ou roche composée, qui est ordinairement d'un rouge pourpre remplie de petites taches blanches ; cependant quelquefois ces taches sont d'autres couleurs. Cette pierre est d'une très-grande dureté ; elle se trouve par masses d'une grandeur immense, & jamais par couches.
M. Hill distingue trois especes de porphyres. Le premier est d'un rouge pourpre avec des taches blanches ; le second est, selon lui, d'un rouge vif, comme le minium, avec des veines vertes ; le troisieme est d'un rouge pâle, ou de couleur de chair, rempli de taches noires, vertes & blanches.
Wallerius compte quatre especes de porphyres. 1°. Le premier est ou rouge ou brun avec des petites taches blanches. 2°. Le second est d'un rouge pourpre avec des taches de différentes couleurs ; c'est celui qu'on nomme porphyristes. 3°. Le troisieme est rouge avec des taches jaunâtres ; c'est le marmor thebaicum des anciens. 4°. Le porphyre rouge avec des taches noires, appellé par les anciens sycnites, stignites, pyropaecilon, & par les Italiens granito rosso.
Le granite paroît être de la même nature que le porphyre, la différence vient seulement de la couleur rouge pourpre appellée par les Grecs, au lieu que le granite est un assemblage de pierre d'une autre couleur ; joignez à cela que les petites pierres ou taches dont le porphyre est composé, sont plus petites & mieux liées que celles du granite. Voyez GRANITE.
M. de Justi prétend que les parties blanches qui se trouvent dans le porphyre sont du marbre ou du spath, & il assure avoir trouvé que ces parties faisoient effervescence avec les acides dans toutes les especes de porphyres. Voyez plan. du regne minéral, p. 229.
Il faut conclure de-là que les pierres que M. de Justi a ainsi éprouvées, n'étoient point du vrai porphyre, dont il est bien certain qu'aucune partie n'est calcaire, ni propre à se dissoudre par les acides.
M. Pott dit avoir trouvé que le porphyre pulvérisé & calciné devenoit phosphorique, & que cette pierre entroit en fusion à un feu violent sans addition, & s'y changeoit en une scorie d'un brun foncé. Voyez la lithogéognosie, tom. II.
C'est à tort que quelques auteurs ont placé le porphyre au rang des marbres, & qu'il faut le regarder comme une pierre composée de parties silicées ou vitrifiables qui varient uniquement pour la couleur ; & dans ce cas M. Wallerius est fondé à le mettre au rang des jaspes.
Le porphyre se trouve par masses immenses dans l'Egypte, l'Arabie, ainsi que dans quelques parties de l'Europe. On en rencontre, dit-on, en Angleterre, & dans la Dalie orientale, en Suede, &c. (-)
PORPHYRE, PORPHYRISER, PORPHYRISATION, (Chimie & Pharm.) porphyriser ou exécuter la porphyrisation, c'est reduire en poudre subtile un corps dur, en l'écrasant sur une pierre très-dure, appellée porphyre, au moyen d'un instrument appellé molette. Voyez MOLETTE & PULVERISATION.
La Chimie a cette opération de commune avec plusieurs arts ; mais elle a cela de propre, qu'il est essentiel à l'exactitude des opérations ultérieures, auxquelles elle peut employer des sujets porphyrisés, que ces sujets n'aient contracté aucune impureté par la porphyrisation, soit par une action chimique, c'est-à-dire, en dissolvant quelques parties du porphyre ou de la molette, soit par une action méchanique, c'est-à-dire, si le corps porphyrisé étant plus dur que le porphyre ou la molette, il avoit usé l'un ou l'autre de ces instrumens, dont les débris resteroient alors mêlés au corps porphyrisé ; mais cette considération a lieu sur-tout au premier égard, pour tous les instrumens & vaisseaux chimiques. Voyez INSTRUMENS & VAISSEAUX, Chimie.
Au reste ce mot porphyre, qui convient proprement à un genre particulier de pierre, est devenu générique par l'usage, & convient aussi bien à l'instrument de chimie que nous venons de décrire, de quelque matiere dure qu'il soit fait. (b)
PORPHYRE de l'Essayeur, des Essayeurs, ou d'Essayeur, (Docimastique) plaque de fer fondu fort unie, sur laquelle on concasse en petits morceaux certaines mines, pour les disposer à être soumises à l'essai. Voyez ESSAI, Docimastique.
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PORPHYREU | ou PORPHYREON, (Géog. anc.) ville de Phénicie, selon Polybe, l. V. n°. 68. Schelstrate, qui cite un manuscrit de la bibliotheque de la reine de Suede, dit que cette ville qu'il appelle Porphirium, étoit à six milles de Scariathia, à deux du mont Carmel. Il ajoute que c'étoit autrefois une belle ville au pié du mont Carmel, sur le bord de la mer. La notice du patriarchat d'Antioche, & autres notices, font de Porphyreon une ville épiscopale, sous la métropole de Tyr. Quelques-uns veulent que le nom moderne soit Hayphe, d'autres l'appellent Scafasso. (D.J.)
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PORPHYRIEN | S. m. (Hist. ecclés.) Ce nom fut donné aux Ariens dans le quatrieme siecle par l'autorité de Constantin. Voyez ARIEN.
Ce prince publia un édit contre Arius & ses écrits, dans lequel il dit : " puisqu'Arius a imité Porphyre en composant des écrits impies contre la religion, il mérite d'être noté d'infamie comme lui ; & comme Porphyre est devenu l'opprobre de la postérité, & que ses écrits ont été supprimés, de même je veux qu'Arius & ses sectateurs soient nommés porphyriens ".
On croit qu'il donna ce nom aux Ariens pour montrer qu'ils vouloient ramener l'idolâtrie : car disant que le Fils qu'ils appelloient Dieu engendré, étoit une créature, ils mettoient la créature au rang de Dieu, & lui en donnoient le nom, & ne différoient des Payens qu'en ce qu'ils ne donnoient la qualité de Dieu qu'à une créature, & que ceux-là la donnoient à plusieurs.
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PORPHYRION | voyez POULE SULTANE.
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PORPHYRITE | (Géog. anc.) nom d'une ville de l'Arabie, près de l'Egypte, & d'une montagne de l'Egypte même, où l'on trouvoit des carrieres de porphyre. (D.J.)
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PORPHYROGÉNÈTE | S. m. (Hist. de l'emp. d'Orient) c'est-à-dire, né dans le palais de Porphyre, qui étoit l'appartement où accouchoient les impératrices. Quand l'empire romain fut réduit à l'empire grec, la succession des empereurs fut tellement interrompue, que ce titre de porphyrogénète devint un titre distinctif, que peu de princes de diverses familles purent porter. Aussi n'oublia-t-on point de le mettre dans l'occasion sur les médailles ; voyez PORPHYROGENETE, Art numismat. (D.J.)
PORPHYROGENETE, (Art numismat.) en grec , porphyrogenitus ; c'est un titre qui se trouve quelquefois sur les médailles du bas-empire, frappées à Constantinople : on voit ce titre entr'autres sur les médailles des Comnènes, & de ceux qui les ont suivis. Ce mot vient d'un appartement du palais que Constantin avoit fait bâtir, pavé & revêtu d'un marbre fort précieux, à fonds rouge & moucheté de blanc ; cet appartement étoit destiné aux couches des impératrices, d'où les enfans se nommoient ensuite porphyrogénètes. (D.J.)
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PORPITE | S. f. (Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à la pierre lenticulaire ou à la pierre numismale, c'est-à-dire, à un corps marin de la forme d'une lentille qui se partage en deux parties égales, & dont l'intérieur est marqué de petits rayons qui partent d'un centre vers la circonférence. Voyez LENTICULAIRE, pierre ; & NUMISMALE, pierre. On les nomme en latin porpites, lapis numismalis, nux vomica, &c.
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PORQUEROLE | ou PORQUEYROLES, (Géog. mod.) île de France, sur la côte de Provence ; cette île qui est la plus grande des îles Staecades des anciens, & qui, à cause de cela, fut nommée en grec , c'est-à-dire, la premiere, a pris son nom moderne de la quantité de sangliers qui y passent à la nage de la Terre-ferme, pour manger le gland des chênes verds qui s'y trouvent en abondance. Elle peut avoir quatre lieues de long sur une de large, & elle est défendue par un vieux château. On voit encore dans cette île quelques ruines d'un monastere très-ancien, qui se nommoit monasterium Arearum. (D.J.)
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PORQUES | S. f. pl. (Marine) ce sont des pieces de charpente qui se mettent sur la carlingue, & qui sont paralleles aux varangues. Leur usage est de faire la liaison des pieces qui forment le fond du bâtiment, & chaque porque a ses allonges qui servent à entretenir & à lier toute la masse du bâtiment.
Porques de fond. Celles-ci se mettent vers le milieu de la carlingue, & sont moins cintrées & plus plates que les porques nommées porques acculées, parce que le fond du vaisseau est plus plat vers le milieu de la carlingue. Voyez Planche IV. fig. 1. n°. 24.
Dans les navires de guerre on met des porques sur le serrage du fond, à huit ou dix piés les unes des autres : elles font le même effet sur le serrage que les varangues sur le bordage. On proportionne leur largeur & épaisseur à leur longueur & à la grandeur du navire. En général on tient celles qui sont au milieu toutes aussi grosses qu'il se peut, mais on ne les tient pas si grosses dans les bouts. On n'en met point dans les vaisseaux marchands ; elles occuperoient trop d'espace dans le fond de cale.
Il y a deux porques au pié du grand mât ; elles ont quatorze pouces de large, & douze pouces d'épais.
Elles sont posées dans un vaisseau de cent trente-quatre piés de long de l'étrave à l'étambord, à trois piés & demi l'une de l'autre. Celle qui est au côté de l'avant répond au derriere du ban de la grande écoutille.
Elles sont fortifiées de quatre genoux, dont il y en a deux du côté de l'avant & deux du côté de l'arriere : ils ont dix pouces d'épais, & par le bas leur largeur est égale à celle des porques. Leurs branches d'en-bas ont huit piés de long, & celles d'en-haut ont sept piés, & sont moins larges de deux pouces que celles d'en-bas.
A chaque côté de la carlingue il y a un traversin, qui la surmonte de quatre pouces, & il y a quatre pouces d'épais. Les porques au-dessus & au-dessous du pié du mat de misene, doivent avoir douze pouces de large & dix pouces d'épais. Il y a quatre genoux par le bas & deux par le haut, larges de dix pouces & épais de neuf. Voyez CARLINGUE DE PIE DE MAT. La premiere de ces figures est d'une porque de fond ; & la seconde, d'une porque de carlingue.
Porques acculées. On met ces porques vers les extrêmités de la carlingue à l'arriere. Voyez Planche IV. fig. 1. n°. 25.
On met dans l'arriere quatre porques acculées, c'est-à-dire, dans un vaisseau de cent trente-quatre piés de long, & chacune a ses genoux ; elles ont dix pouces de large, & sept pouces & demi d'épais : les branches des genoux ont six, sept, ou huit piés de long.
Allonges de porques. Ce mot a été omis sous la lettre A. Ce sont des allonges qui viennent joindre les porques, & qui sont dans les côtés des plus grands vaisseaux par-dessus le serrage.
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PORRACÉE | adj. en terme de Médecine, c'est un mot dont on se sert pour faire entendre que la bile, les excrémens, &c. ont une couleur verte qui approche de celle du porreau. Ce mot vient du latin porrum, porreau.
La bile porracée & érugineuse est très-âcre & corrosive ; elle produit de cruelles maladies, telles que les volvulus, les inflammations d'entrailles, les dyssenteries, & autres maladies qui dépendent de l'irritation des intestins. Voyez BILE & INFLAMMATION.
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PORREA | ou POIREAU, s. m. (Botan.) Ses bulbes ou racines sont oblongues, étroites, presque cylindriques, & revêtues de plusieurs membranes, qui deviennent en se développant des pellicules unies & quelquefois carinées. Sa fleur est à six pétales, faite enforme de cloche, ornée d'étamines larges, applaties, & terminées par trois filets, dont celui du milieu porte un sommet. Cette fleur est presque disposée en bossette. L'ovaire se change en un fruit arrondi, divisé en trois loges, remplies de semences presque rondes.
Tournefort compte six especes de porreau ; je décrirai le porreau commun, porrum commune capitatum, C. B. P. 72. I. R. H. 382. en anglois, the common headed-leek.
Il a une racine longue de quatre à cinq doigts, grosse d'un ou de deux pouces, presque cylindrique, composée de plusieurs tuniques blanches, lisses, luisantes, jointes les unes aux autres, garnies en-dessous de plusieurs fibres : elle est d'un goût plus doux que celle de l'oignon, croissant, s'élevant, se développant, & devenant des feuilles longues d'un pié, assez larges, situées alternativement, plates, ou pliées en gouttiere, d'un verd pâle, d'un goût d'oignon.
Il sort d'entre ces feuilles une tige qui se porte à la hauteur de quatre ou cinq piés, grosse d'un doigt & plus, ferme, solide, remplie de suc ; cette tige soutient en son sommet un gros bouquet de petites fleurs blanches tirant sur le purpurin, composées chacune de six pétales, disposées en lis, & attachées à un pédicule avec autant d'étamines larges & cylindriques. Après que ces fleurs sont tombées, il leur succede des fruits presque ronds, triangulaires, noirs, divisés intérieurement en trois loges, remplies de plusieurs semences oblongues.
Toute cette plante a une odeur d'oignon potager & culinaire, mais moins pénétrante ; elle fleurit en Juillet, & sa graine est mûre au mois d'Août. Elle demande une terre grasse & fumée ; & elle peut se conserver trois ans. (D.J.)
PORREAU ou POIREAU, (Diete & Mat. méd.) c'est la racine ou bulbe de cette plante qui est d'usage en Pharmacie, mais beaucoup plus dans les cuisines. Le porreau a beaucoup d'analogie avec l'oignon. On le mange dans les potages comme cette derniere racine ; mais on ne l'employe d'aucune autre maniere dans les alimens. Il se trouve assez de personnes qui craignent le goût & l'odeur du porreau ; mais il n'est constaté par aucune bonne observation, qu'il produise aucun effet remarquable bon & mauvais chez ceux qui le mangent avec plaisir, ou au-moins sans répugnance. La plûpart des auteurs de diete l'ont fait passer pourtant pour un aliment fort pernicieux, fort indigeste, fort venteux, &c.
Quant aux vertus du porreau employé à titre de remede, son suc est évidemment diurétique comme celui d'oignon, quoique vraisemblablement en un degré un peu inférieur ; aussi est-il presque entierement inusité à ce titre. Le porreau passe pour emmenagogue, remédiant à la stérilité des femmes, & augmentant la secrétion de l'humeur séminale. Hippocrate s'en servoit dans les maladies des femmes tant intérieurement qu'extérieurement. Le porreau passe aussi pour fort utile contre l'asthme humide, les toux invétérées & pituiteuses, l'extinction de voix, &c. Les semences du porreau sont diurétiques. La maniere ordinaire de les donner est de les concasser & de les faire infuser dans du vin blanc. On recommande aussi le porreau pour plusieurs usages extérieurs, dont le seul qui soit encore pratiqué quelquefois, c'est l'injection de leur suc dans les oreilles pour en appaiser le tintement ou bruissement. (b)
PORREAU, Maladie de la peau, voyez VERRUE.
PORREAU, s. m. (terme de Maréchal) espece de verrue qui vient aux boulets, aux pâturons, aux piés de derriere des chevaux, & qui suppure ; il faut l'enlever & corriger l'humeur âcre qui le produit. (D.J.)
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PORRETAIN | S. m. (Hist. ecclés.) nom de secte, sectateur de Gilbert de la Porrée, évêque de Poitiers, qui fut condamné dans le XII. siecle, pour avoir été soupçonné d'admettre une distinction physique entre Dieu & ses attributs : ou bien comme dit Marsham, pour avoir écrit trop curieusement du mystere de la Trinité ; car on ne sait point trop bien quel étoit son sentiment.
Quel qu'il fût, il donna occasion aux soupçons que l'on conçut de lui, en soutenant que cette proposition, Deus est bonitas, n'étoit pas vraie, si on ne la réduisoit à celle-ci, Deus est bonus ; & il y a des endroits de Saint Bernard qui écrit fortement contre lui, où il semble admettre une distinction réelle entre la nature de Dieu & ses attributs. Les Porretains sont opposés aux Nominaux. Voyez NOMINAUX.
On accusoit encore Gilbert de la Porrée d'avoir soutenu que l'essence divine n'étoit point Dieu, qu'il n'y avoit point de mérite que celui de Jesus-Christ, & que personne n'étoit véritablement baptisé, s'il n'étoit sauvé. Ces erreurs furent condamnées par Eugene III. dans le concile de Rheims tenu en 1147. Gilbert se soumit aux décisions du concile, & gouverna encore son église jusqu'en 1154 ; ainsi l'on ne doit point le compter au nombre des hérétiques. Ses disciples n'imiterent pas sa soumission : c'est pourquoi nous les avons ici qualifiés de sectaires.
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PORRICERE | (Lang. lat.) terme des sacrifices des Romains ; il signifie jetter les entrailles de la victime dans le feu du sacrifice, après les avoir considérées, pour en tirer de bons ou de mauvais présages ; de là ces mots qu'on trouve souvent dans les auteurs, inter caesa & porrecta, entre l'égorgement de la victime & l'inspection des entrailles : proverbe employé par Ciceron même, pour marquer un incident qui survient, lorsqu'on est sur le point de finir une affaire, & qui l'empêche d'être terminée. (D.J.)
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PORT | (Botan.) en latin plantae facies exterior ; on se sert de ce mot en parlant des plantes, dans le même sens qu'on employe celui d'air, en parlant des animaux. On dit, cette plante a le port de la ciguë, approche de l'angélique par son port, & non pas cette plante a l'air de la ciguë ou de l'angélique. Le port ne résulte pas de la structure de quelques parties d'une plante, mais plutôt du tout ensemble.
PORT, s. m. (Marine) c'est un poste de mer proche des terres, destiné au mouillage des vaisseaux, & qui y est plus ou moins propre, selon qu'il a plus ou moins de fond & d'abri.
Port de havre, havre d'entrée, havre de toute marée, ce sont ceux où les vaisseaux peuvent entrer en tout tems, y ayant toujours assez de fond. Voyez MAREE.
Port brute, havre brute, c'est celui qui est fait sans art & sans artifice.
Port de barre, havre de barre, ce sont les ports où les vaisseaux ont besoin du flot & de la haute marée pour y entrer, parce qu'ils ne sont pas assez profonds, ou parce que l'entrée en est fermée par quelques bancs de sable ou de roches. Il y a une infinité de semblables ports sur l'Océan. Voyez BARRE. C'est un port de barre, l'entrée en est fermée par un banc, on n'y peut entrer que pendant le vif de l'eau.
Port à l'abri par les montagnes qui l'environnent, avoir un port sous le vent ; on dit avoir un port sous le vent, pour dire, avoir un lieu de retraite dans le besoin.
Entrer dans le port, fermer les ports ou ports fermés, c'est empêcher la sortie de tous les bâtimens qui y sont. Quand le roi de France veut faire un enrôlement de matelots pour servir sur ses vaisseaux, il ordonne la clôture des ports, afin de faire une revue des matelots, & de choisir ceux qui sont capables de service. On a permis l'ouverture des ports après un mois de clôture. Fermer un port avec des chaînes, des barres & des bateaux. Conduire heureusement dans le port.
PORT, ce mot se dit aussi de certains lieux sur les rivieres, où les bâtimens qui abordent, se chargent & se déchargent.
PORT d'un vaisseau, portée, ce mot se prend pour exprimer la capacité des vaisseaux, ce que l'on spécifie par le nombre de tonneaux que le vaisseau peut contenir : ainsi on dit qu'un vaisseau est du port de deux cent tonneaux, pour dire que sa capacité est telle qu'il pourroit porter une charge de quatre cent mille livres, parce que chaque tonneau est pris pour un poids de deux mille livres. On compte qu'un tel vaisseau chargé de deux cent tonneaux occupe, en enfonçant, un espace qui contiendroit deux cent tonneaux d'eau de mer. Suivant l'ordonnance, il n'est réputé y avoir erreur en la déclaration de la portée du vaisseau, si elle n'est au-dessus de la quarantieme.
PORT, (Géog. anc. & mod.) petit golfe, anse, avance, enfoncement d'une côte de mer, qui entre dans les terres, où les vaisseaux peuvent faire leur décharge, prendre leur chargement, éviter les tempêtes, & qui est plus ou moins propre au mouillage, selon que le lieu a plus ou moins de fonds & d'abri. Ce mot port vient du latin portus, & répond au des Grecs : les Italiens disent porto, & porticello si le lieu est petit ; & les Espagnols écrivent puerto ; c'est ce que les Allemands entendent par leur mot meerhaffen, & les Anglois & les Hollandois par celui de haven, d'où les François ont fait leur mot havre, qui veut dire la même chose que port.
Comme les vaisseaux ne peuvent pas aborder indifféremment à toutes les côtes, parce qu'elles sont ou trop hautes, ou que la mer qui les lave est trop basse pour porter des bâtimens, parce qu'elles sont garnies d'écueils, ou parce qu'elles sont trop exposées à la fureur des vents ; on a donné le nom de port aux endroits où ces difficultés ne se rencontrent pas, & où les navires peuvent facilement arriver, décharger & demeurer. C'est sur la connoissance de ces ports, & sur celle de la route des vents qui y peuvent porter les vaisseaux, qu'est fondée ce que nous appellons la carte marine, & cette connoissance fait aussi une des parties les plus essentielles de la Géographie.
La figure des ports, comme on a pu le voir par la définition que j'en ai donnée, est ordinairement en forme de petit golfe, d'anse, ou d'enfoncement, & la côte est communément bordée, en tout ou en partie, de montagnes ou de collines qui mettent les vaisseaux à l'abri des vents. La nature a donné elle-même quelques-uns de ces avantages à certains ports : c'est l'industrie des hommes qui les a perfectionnés dans d'autres, ou même qui les leur a entierement donnés. Sur les cartes, pour connoître un port, & la sûreté qu'il y a d'y mouiller, on représente ordinairement la figure d'une ancre.
On donne le nom de port aux places maritimes qui ont des endroits sûrs pour la retraite des vaisseaux, qui y peuvent outre cela charger & décharger leurs marchandises. On le donne aussi aux lieux qui sont destinés pour y construire des vaisseaux, ou pour les y conserver. On le donne encore à quelques places situées sur des rivieres, où il y a des ports, comme celui de la Seine à Rouen, celui de la Garonne à Bordeaux, celui de la Tamise à Londres, celui de l'Elbe à Hambourg, & tant d'autres. Enfin le mot port se prend en divers sens, qui en marquent les avantages ou les inconvéniens. Ainsi,
Le port, ou havre de barre, est un port dont l'entrée est fermée par un banc de roches ou de sable, dans lequel on ne peut entrer que de pleine mer.
Le port de havre, ou de toute marée, est celui où les vaisseaux peuvent entrer en tout tems, y ayant toujours assez de fond.
Le port, ou havre brute, est celui qui est fait par la nature, & auquel l'art n'a en rien contribué. Les Américains donnent le nom de cul-de-sac à ces sortes de ports.
On distingue généralement les ports en naturels & artificiels. Entre les ports naturels il s'en trouve de retirés ou enfoncés dans le rivage en forme d'amphithéatre, propres à mettre en sûreté les navires qui s'y retirent contre l'impétuosité des vents & orages. Les autres anticipent dans la mer, & s'avancent en forme de croissant, dont les cornes recourbées laissent une ouverture propre à recevoir les vaisseaux.
Thucydide a remarqué que la ville d'Athènes avoit trois ports naturels, aussi bien faits que s'ils eussent été construits par l'industrie des hommes pour leur sûreté & leur commodité. Tel étoit anciennement le port de Carthage la neuve, ville d'Espagne sur la Méditerranée. Ce port étoit le plus assûré de toute l'Espagne, & capable de contenir les plus grandes flottes. Tite-Live le décrit au XXVI. livre de son histoire. C'est sur le modele de ce port que Ludovicus Nonius, médecin espagnol, dit que Virgile l'a dépeint dans son premier livre de l'Enéïde par ces mots :
Est in secessu longo locus, insula portum
Efficit objectu laterum quibus omnis ab alto
Frangitur, inque sinus scindit sese unda reductos.
Hinc atque hinc vastae rupes, geminique minantur
In coelum scopuli, quorum sub vertice latè
Aequora tuta silent.
" On voit dans le fond une baye assez profonde, & à son entrée une isle, qui met les vaisseaux à l'abri des vents, & forme un port naturel. Les flots de la mer se brisent contre les rivages de cette isle. A droite & à gauche sont des vastes rochers, dont deux semblent toucher le ciel, & entretiennent le calme dans ce port. "
Il y a d'autres ports naturels qui par l'industrie & le travail des hommes sont devenus beaux, sûrs, & de facile abord. Tels sont presque tous ceux mentionnés dans l'histoire de Strabon, Pline, & d'autres auteurs des livres de Géographie. Les Grecs & les Latins appellent ces ports catones ou cotones, suivant le témoignage de Festus, qui dit catones seu cotones appellantur portus in mari tutiores arte & manu facti. Tel étoit le port de la ville de Carthage en Afrique, par lequel Scipion commença d'y mettre le siege, au rapport d'Appian, qui dit, ineunte deinde vere, Scipio Byrsam simul & portum, quem cotonem vocant, agressus est. Strabon, parlant de la ville de Pouzzole près de Naples, dit qu'elle étoit devenue avec le tems une riche cité, à cause du trafic facilité par les havres & les ports que les habitans y avoient faits. Urbs autem amplissimum factum est emporium, manufactos cotones & stationes habens. On perfectionne les ports naturels par des moles, des jettées, & par des défenses qui les mettent à couvert de l'ennemi.
Au défaut des ports naturels, les souverains peuvent faire construire des ports artificiels, soit pour augmenter le négoce établi chez eux, soit pour l'y attirer, en pourvoyant par ce moyen à la sûreté des vaisseaux qui y aborderont. (D.J.)
PORTS antiques, (Archit. antiq.) les ports les plus recommandables dans l'antiquité sont ceux de Tyr, de Carthage, de Micenes, d'Alexandrie, de Syracuse, de Rhodes, de Messine. Nous nous bornerons à donner une idée succinte des ports de Tyr & de Syracuse, pour qu'on puisse juger quel étoit le goût des anciens en ce genre.
Il y avoit deux ports à Tyr. Le plus grand étoit presque ovale, & contenoit plus de 500 bâtimens. Il étoit situé au nord de la ville qui le couvroit des vents du midi. Au côté opposé étoit une petite île de rochers qui lui rompoit la mer ; & au levant il avoit la côte de Phénicie, où il étoit abrité par les montagnes du Liban.
Deux moles fondés à pierres perdues à la profondeur de 25 à 30 piés d'eau, dirigés en portion de cercle & s'étendant dans la mer, formoient l'entrée de ce port. Un troisieme mole couvroit l'entrée, & en la garantissant de l'impétuosité des vagues, abritoit les vaisseaux. Deux tours fort élevées, situées aux têtes de ce mole, & sur les extrêmités des deux premiers, servoient à défendre les deux embouchures que ces moles formoient, & on y allumoit des fanaux pour indiquer pendant la nuit aux navigateurs, la route qu'ils devoient tenir pour y entrer.
Le second port de Tyr destiné pour les vaisseaux marchands, n'a rien de remarquable que son entrée qui étoit décorée d'une magnifique architecture, & couverte d'un mole avancé pour empêcher que les vents du midi n'en rendissent l'accès difficile.
Le port de Syracuse a été aussi un port très-célebre. Il avoit 10600 toises du nord au sud, & environ 1600 de l'est à l'ouest. La ville l'abritoit du côté du nord, des montagnes du côté du sud & au couchant, & il étoit couvert du côté de la mer par le promontoire Plemmyre & par l'île d'Ortigie.
Les curieux trouveront la description des autres ports dans l'Hydrographie du P. Fournier, & dans l'architecture hydraulique de M. Bélidor, & ils verront aussi les ports de Toulon, de Marseille, d'Antibes, & autres des modernes. (D.J.)
PORT, (Littérat. grecq) la plûpart des mots dont les Grecs se servent pour exprimer un port & ses dépendances, , , , , , , , , , &c. mots qu'il ne faut pas confondre ensemble.
est proprement le port ; , est tout lieu où les vaisseaux sont à l'ancre ; , quasi, , fulcrum stabilimentum ; mais on se sert aussi de ce mot pour signifier port en général.
, navale, est le lieu du port où sont les vaisseaux, . Aussi Eustathe appelle , une assemblée, un amas de vaisseaux. Il est vrai que les Latins appelloient encore navalia, les lieux où l'on construisoit les vaisseaux ; & c'est par cette raison que les navalia se nommoient aussi textrina : car selon la remarque de Gronovius, texere est le mot propre pour signifier construire un vaisseau.
& , signifient une même chose, savoir de petites loges que l'on bâtissoit dans le port, & où l'on mettoit les vaisseaux à couvert : chacune de ces petites loges contenoit un vaisseau, & quelquefois deux. Homere appelle cette sorte de petites loges , ioniquement pour .
Il faut remarquer que differe de & de , comme le tout de la partie ; car ou , n'est autre chose qu'une petite loge de vaisseau, & est l'assemblage de toutes ces petites loges : quelques interpretes s'y sont trompés.
est l'entrée du port. Les Latins la nomment ostium : ante ostium portûs acie instructâ steterunt, dit Tite-Live. Leur flotte rangée en bataille, se présenta à l'entrée du port. Et Virgile dans le premier livre de l'Enéide : aut portum tenet, aut plenis subit ostia velis. Votre flotte est dans le port, ou du moins elle y entre à pleines voiles.
est l'endroit du port le plus enfoncé dans les terres, & où par conséquent les vaisseaux sont le plus à couvert de toute insulte.
étoient les canaux par où l'on tiroit les vaisseaux de leurs loges, pour les mettre en mer.
Ces sortes de remarques d'érudition ont leur utilité pour l'intelligence des auteurs, & prouvent en même tems la richesse de la langue grecque. (D.J.)
PORT, fermer un, (Police marit.) c'est empêcher que les vaisseaux qui y sont n'en sortent, ou que ceux qui y viennent de dehors n'y entrent. Quelquefois les ports ne sont fermés que pour l'entrée, & quelquefois seulement pour la sortie. Souvent c'est raison de commerce ; plus souvent encore ce sont raisons de politique qui obligent de tenir les ports fermés.
PORT, (Marine) signifie la charge d'un vaisseau, ce qu'il peut porter. Cette charge ou port, s'évalue par tonneaux de 2000 livres pesant chaque tonneau. Aussi quand on dit, un bâtiment du port de 100 tonneaux, on entend un bâtiment capable de porter (tant en marchandises qu'en lest, munitions, armes & hommes d'équipage) cent fois 2000 livres, ou 200000 livres pesant, ou 2000 quintaux ; ce qu'on doit entendre à-proportion de ceux de 1000, & de 2000 tonneaux & au-delà, qui sont les plus grands : & qu'en fait de guerre l'on nomme vaisseaux du premier, du second rang, &c. dont le port suivant cette évaluation, passe souvent le poids de 4000000 de livres. Diction. de com.
PORT de charge, c'est un port où les voituriers par eau prennent les marchandises dont ils composent la charge de leurs bateaux.
PORT de décharge, qu'on nomme aussi port de vente. C'est un port où les voituriers par eau doivent conduire les marchandises chargées sur leurs bateaux pour y être vendues. Tenir port, c'est rester dans un port de décharge le tems prescrit par les ordonnances & réglemens de police. Diction. de Com.
PORT, s'entend encore de ce qu'il en coûte pour le salaire des crocheteurs & portefaix. J'ai payé 20 sols pour le port de ma valise.
Il se prend aussi pour les frais de voiture que l'on paye aux messagers, maîtres de carrosse, & autres voituriers, soit par eau, soit par terre.
On le dit aussi du droit taxé pour les lettres qui arrivent par les couriers des postes. Une lettre affranchie de port, ou franche de port, est celle dont le port a été payé au commis de la poste d'où elle est partie, ou qui n'étoit tenue d'aucun droit, comme sont les lettres pour les affaires du roi, qui sont envoyées des bureaux des ministres & secrétaires d'état, dont le cachet des armes & le nom mis sur l'enveloppe marquent l'affranchissement. Dictionn. de comm.
PORT-FRANC, en termes de Commerce de mer, c'est un port où il est libre à tous marchands, de quelques nations qu'ils soyent, de décharger leurs marchandises, & de les en retirer lorsqu'ils n'ont pu les vendre, sans payer aucun droit d'entrée ni de sortie.
Les Marchands jouissent de cette franchise dans le port de Gènes, près duquel il y a un vaste bâtiment appellé Porto franco, à cause de la liberté dont les marchandises y jouïssent, & où il se trouve des magasins grands & commodes pour les mettre en dépôt. Voyez PORTO FRANCO. Diction. de com.
PORT-FRANC, se dit aussi de la franchise totale, & de l'exemption qu'ont les marchandises de tous droits, soit pour les marchandises qu'ils apportent dans les ports de quelqu'état, soit pour celles du crû du pays qu'ils en veulent remporter. Les Anglois ont jouï pendant quelque tems de cette franchise générale dans le port d'Archangel. Diction. de com.
PORT-ANGELS, (Géog. mod.) ou Port-des-anges ; port de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle Espagne, dans la province de Guaxaca, sur la côte de la mer du sud. On y peut ancrer à 30, 20, ou 12 brasses d'eau : la marée y monte jusqu'à 5 piés. L'endroit où l'on y débarque le plus commodément est à l'ouest : c'est une rade toute ouverte. Latitude 15. (D.J.)
PORT-AUX-PRUNES, (Géog. mod.) port d'Afrique sur la côte orientale de Madagascar : c'est un pays fertile en riz & en paturages. Les habitans cultivent la terre avec soin : ils sont circoncis, doux, hospitaliers ; ils traitent leurs esclaves avec bonté, & les regardent comme leurs enfans. Ils se gouvernent par villages, & élisent un ancien de la lignée pour être leur arbitre. Enfin ils font desirer de vivre au milieu d'eux ; leur pays est d'une assez grande étendue, & leur port est situé sous les 18d. 30'. de latit. méridionale.
PORT D'ARCHANGEL, (Géog. mod.) port de la capitale de la province de Dwina, située environ à 200 lieues de Moscow. La longitude de la ville d'Archangel & de son port est 57. 15'. latit. 64. 26'.
Ce port ne fut découvert que dans l'année 1553, par des Anglois qui cherchoient de nouvelles terres vers le nord, à l'exemple des Portugais & des Espagnols qui avoient fait tant de nouveaux établissemens au midi, à l'orient & à l'occident. Deux vaisseaux anglois périrent de froid à cette découverte ; enfin un troisieme aborda le port d'Archangel sur la Dwina, dont les bords n'étoient habités que par des sauvages. Les anglois crurent pouvoir faire quelques établissemens dans ce port, & ils ont eu raison ; car ils devinrent alors presque les seuls maîtres du commerce des pelleteries précieuses de la Russie ; mais ils ne jouïssent plus des mêmes avantages depuis la fondation de Pétersbourg.
PORT DE LA CABRERA, (Géog. mod.) port d'Espagne, dans la Méditerranée, sur la côte de l'île de Cabrera, du côté du nord-ouest. Il est propre pour des galeres, & même pour des vaisseaux : on y peut mouiller par 4 à 5 brasses d'eau. (D.J.)
PORT-DE-PAIX, (Hist. mod.) ou Port-Pey, bourg & paroisse considérable dans l'île de St. Domingue, à la bande du nord, vis-à-vis l'île de la Tortue, entre la pointe des Palmiers & l'embouchure des trois rivieres ; c'est le premier établissement que les François ont eu dans l'île de St. Domingue ; mais la rade n'en est pas bonne, l'air y est mauvais, & le terrein stérile. Long. suivant des Hayes 318. 35'. 30''. latit. 19. 58.
PORT-DE-SALLAGUA, (Géog. mod.) port de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, sur la côte de la mer du Sud. On y peut ancrer par-tout à 10 ou 12 brasses d'eau. Lat. 13. 52.
PORT-DESIRE, (Géog. mod.) port de l'Amérique méridionale dans la terre Magellanique, ainsi appellée par Jean le Maire en 1616. Il y a toujours assez d'eau en basse marée. Dans les hautes marées l'eau monte environ trois brasses. Latit. méridionale 47. 30.
PORT-DU-PRINCE, (Géog. mod.) Voyez PORTO-DEL-PRINCIPE.
PORT-FORNELLE, (Géog. mod.) port de la Méditerranée dans l'île de Minorque, au nord de l'île ; il est bon pour toute sorte de bâtimens. On trouve à son entrée 10 à 11 brasses d'eau. Il y a quelques roches près de l'île. Lat. 40. 41.
PORT-LIGAT, (Géog. mod.) port de la Méditerranée en Espagne, sur la côte de la Catalogne. Son entrée est du côté de l'est. On y peut mouiller par 4 à 5 brasses d'eau, fond d'herbes vaseux. Il est à 2 milles au nord-est de Cadequié ; & lorsque les François prirent cette place au commencement du siecle, ils débarquerent au Port-Ligat les troupes & les munitions pour le siege. (D.J.)
PORT-LOUIS, (Géog. mod.) on l'appelloit Blavet avant Louis XIII. ville de France en Bretagne, à l'embouchure de la riviere de Blavet, à 10 lieues au couchant de Vannes. Il y a une citadelle & des fortifications faites par Louis XIII. qui a donné son nom à la ville. Son port est très-bon, & les plus grands vaisseaux peuvent y arriver aisément. Ils passent jusqu'au fond de la baie dans le lieu appellé l'Orient, à l'embouchure de Pontcros. C'est dans ce lieu qu'est le magasin de la compagnie des Indes depuis l'an 1666.
Il se fait à Port-Louis un commerce de sardines & de congres, que les marchands de Saint-Malo débitent par toute l'Espagne, & le long des côtes de la Méditerranée. La pêche du congre se fait dans l'île de Groix sur des bancs de rochers qui y sont ; on ne sale pas le congre, mais on le seche comme la morue de Terre-neuve.
Il y a au Port-Louis un gouverneur, un état-major & garnison. Long. 14. 15. lat. 45. 35. (D.J.)
PORT-MAHON, (Géog. mod.) port de l'île de Minorque, & l'un des plus beaux de la Méditerranée. Il paroît avoir tiré ce nom du fameux capitaine Magon, qui y aborda le premier, & qui rendit tant de services à la république de Carthage dont il étoit sujet.
L'entrée du Port-Mahon est un peu difficile à cause des écueils qu'on y rencontre ; mais quand on les a surmontés, & qu'on y est arrivé, on s'y trouve à l'abri de toutes sortes des vents, pendant les mois de Juin, de Juillet & d'Août. Il avance une grande demi lieue dans la terre, & renferme dans son sein trois ou quatre petites îles. Les plus gros vaisseaux entrent dans ce port, dont le fond d'ailleurs est très-bon ; on peut carener en divers endroits dans de petites anses, qui ressemblent à des bassins faits à dessein, & que la nature cependant a travaillées elle-même. Les rochers qui bordent une partie de l'île sont d'une pierre fort dure, & leur coupe est horisontale ou de niveau, ce qui prouve que le bassin de la mer y est bien différent de celui du golfe de Palme.
Port-Mahon est situé à 70 lieues de Marseille, & à 15 des côtes d'Afrique. Cette île faisoit anciennement partie des îles Baléares. Sa figure est oblongue. Elle a 18 lieues de longueur sur 9 dans sa plus grande largeur.
A main droite du port est le fort Philippe, & plus avant dans la terre on voit la ville qui donne le nom au port. Elle n'est pas grande, mais passablement riche à cause du commerce que les Anglois y soutiennent. On dit qu'elle a été fondée par les Carthaginois ; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elle a été connue des anciens. Elle est nommée Mago dans Pline, liv. III. c. v. & dans Pomponius Méla, liv. II. c. vij. Elle est au sud-est de l'île de Minorque, à environ 60 lieues sud-est de Barcelone, & à 20 sud de Majorque. Long. 21. 29'. lat. selon le pere Feuillée, 39. 53'. 45''.
On mouille ordinairement devant cette ville où on trouve 7 à 8 brasses d'eau. Les Anglois la prirent en trois semaines en 1708 sur les Espagnols ; & elle leur a été cédée par l'article xj. du traité d'Utrecht. Les François ont à leur tour pris Port-Mahon sur l'Angleterre en 1756, & ce sera l'objet d'un échange au retour de la paix. (D.J.)
PORT MAUDIT, (Géog. anc.) nom donné autrefois par les Grecs à un port appartenant aux Cyrrhéens ; les Amphictions le détruisirent, & le déclarerent maudit, parce que les Cyrrhéens avoient pillé le temple de Delphes ; dans la suite, les Amphisiens rétablirent ce port, & y mirent un droit de péage sur les vaisseaux qui passoient ; mais les Amphictions le ruinerent une seconde fois.
PORT-MAURICE, (Géog. mod.) port de la Méditerranée sur la côte de Gènes, & qui a été comblé par ordre de la république, pour faire rechercher le port principal. Près de ce port est un bourg ou petite ville de même nom, située sur une éminence & entourée de murailles. Long. 25. 34'. 30''. lat. 43. 52'. 30''. (D.J.)
PORT-ROYAL, (Géog. mod.) aujourd'hui Annapolis, en l'honneur de la reine Anne, ville de l'Amérique septentrionale, capitale de l'Acadie, ou de la nouvelle Ecosse, sur la côte de la baie de Chaleurs. Elle est située à 44d. 40'. de latitude, sur le bord d'un très-beau bassin, qui a près de 2 lieues de long, & 1 lieue de large. Long. 313.
Ce bassin est le port qui donne le nom à la ville. A l'entrée de ce port on trouve 18 à 20 brasses d'eau ; de grands vaisseaux y peuvent mouiller, & ils y sont en sûreté. La beauté de ce port lui a valu son nom de Port-Royal. On a bâti dans le fond du bassin un fort assez considerable. Les Anglois s'en emparerent ainsi que de la ville en 1690, & finalement toute l'Acadie leur a été cédée par le traité d'Utrecht.
On donne encore le nom de Port-Royal à une ville de l'Amérique septentrionale, sur la côte méridionale de la Jamaïque, à quatre lieues ou environ de St. Yago. Il n'est pas de port meilleur ni de plus commode en Amérique ; l'ancrage y est bon par-tout ; des vaisseaux de mille tonneaux peuvent y aborder, & il est défendu par un des plus forts châteaux, où il y a toujours bonne garnison. Aussi se fait-il dans ce port un prodigieux commerce. Lat. 18. long. 301. (D.J.)
PORT-SAINTE-MARIE, (Géog. mod.) en espagnol el Puerto de Santa Maria, ville d'Espagne, dans l'Andalousie, sur le Guadelet, à 7 milles au nord-est de Cadix. Voyez MARIE (SAINTE.)
Nous ajouterons seulement ici que la ville de Sainte-Marie est la capitale d'un comté érigé en faveur de Louis de la Cerda, premier duc de Médina-coeli. Le port Sainte-Marie étoit connu dans l'antiquité sous le nom de Mnesthei portus. Il ne peut y entrer que de petits bâtimens, car il ne reste de basse mer qu'une brasse & demie d'eau en certains endroits, & de haute mer trois brasses. Long. 12. 3'. lat. 36. 34'.
PORT-SAINT-JULIEN, (Géog. mod.) port de l'Amérique méridionale, dans la terre Magellanique, sur la côte de la mer du nord, au pays des Patagons, à l'embouchure de la riviere Saint-Julien. Ce fut en 1520 que Ferdinand Magellan découvrit ce port, & lui donna ce nom.
PORT-SUR-SAONE, (Géog. mod.) bourg considérable de France, dans la Franche-Comté, sur la Saone, à 2 lieues de Vesoul. M. Dunord, & M. le Beuf croyent que cet endroit est l'ancien portus Bucini ou portus Abucini, de la notice des Gaules décrite sous l'empereur Honorius. Long. 23. 49. latit. 47. 37. (D.J.)
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PORT'ÉTOILES | PORT'ÉTOILES
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PORT-GREVE | S. m. (Hist. mod.) c'étoit autrefois le principal magistrat d'un port de mer ou d'une ville maritime. Ce mot vient du saxon port, un port ou une autre ville, & geref, un gouverneur ; les Anglois l'écrivent quelquefois port-reve. Voyez BAILLIF.
Cambden observe que le premier magistrat de Londres, s'appelloit autrefois port-greve ; Richard I. établit deux baillifs en sa place ; & bien-tôt après le roi Jean donna aux citoyens un maire pour leur magistrat annuel. Voyez MAIRE.
La charte de Guillaume le Conquérant à la ville de Londres s'exprime ainsi : " Guillaume roi, salut à Guillaume évêque, à Godefroi port-greve, & à tous les bourgeois de la ville de Londres, françois & anglois : Je vous déclare que ma volonté est que vous viviez tous sous la même loi, selon laquelle vous étiez gouvernés du tems du roi Edouard ; que ma volonté est aussi que tout enfant soit l'héritier de son pere, & que je ne souffrirai pas que l'on vous fasse aucun tort ; & que Dieu vous ait en sa sainte garde ".
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PORT-ROYAL | (Hist. mod.) terme qui tient un rang considérable dans la république des lettres. Voici quelle a été son origine.
Philippe-Auguste s'étant égaré seul en chassant près de Chevreuse, au couchant de Paris, trouva une petite chapelle où il s'arrêta, en attendant que quelqu'un de ses officiers vînt le joindre : ce qui arriva. Il nomma pour cela ce lieu Port du roi, ou Port-Royal ; & pour remercier Dieu de l'avoir tiré de l'embarras & de l'inquiétude où il étoit, il résolut d'y faire bâtir un monastere.
Odon de Sulli, évêque de Paris, l'ayant su, prévint le roi, & avec Mathilde, femme de Matthieu de Montmorenci, seigneur de Marly, il bâtit cette abbaye en 1204, & y mit des religieuses de Citeaux, qui ont toujours été soumises à la jurisdiction du général de cet ordre jusqu'en 1627, qu'elles furent transférées au fauxbourg S. Jaques à Paris, où on leur donna une maison.
En 1647 elles quitterent l'habit de Citeaux, & elles résolurent d'embrasser l'institut de l'adoration perpétuelle du S. Sacrement. L'archevêque de Paris leur permit la même année de renvoyer des religieuses à Port-Royal des Champs, & d'y rétablir ce monastere.
Quelque tems après, la souscription du formulaire d'Alexandre VII. ayant été ordonnée dans tout le royaume, les religieuses du Por-Royal de ville le signerent ; celles de Port-Royal des Champs ne s'y soumirent qu'après de grandes difficultés, & avec restriction.
Ces filles étant toujours demeurées dans les mêmes sentimens jusqu'en 1709, le roi crut qu'il n'y avoit d'autres moyens de les soumettre, que de les disperser, ce qui fut exécuté, & le monastere de Port-Royal des Champs fut entierement détruit, & ses biens rendus à Port-Royal de Paris.
Plusieurs ecclésiastiques qui étoient dans les mêmes sentimens que ces religieuses, se retirerent à Port-Royal, où on leur donna des appartemens. Ils y ont fait plusieurs livres qu'ils ont imprimés, tant sur ces matieres que sur d'autres ; c'est ce qui fit donner à tout leur parti le nom de Port-royalistes, & à leurs livres celui de livres de Port-royal.
Ainsi l'on dit les écrivains de Port-royal, messieurs de Port-royal, les traductions de Port-royal, les méthodes grecque & latine de Port-royal, qui sont des grammaires de ces langues.
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PORTA AUGUSTA | (Géog. anc.) ville d'Espagne chez les Vacciens, selon Ptolémée, liv. II. ch. vj. qui la place entre Viminatium & Antraca. Aucun autre auteur ancien ne parle de cette ville.
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PORTA SANTA | (Hist. nat.) nom que les Italiens donnent à un marbre d'un gris plus ou moins foncé, rempli de taches blanches & d'un rouge pâle ; il prend un très-beau poli, & se trouve en Italie.
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PORTAGE | S. m. (Gramm.) action de porter. Il faudra tant d'hommes & tant de chevaux pour le portage de ces marchandises.
PORTAGE, (Marine) c'est le privilege par lequel chaque officier, ou chaque matelot d'un vaisseau, a pouvoir d'y embarquer pour soi, jusqu'au poids de tant de quintaux, ou jusqu'à un certain nombre de barrils.
Portage, c'est aussi la quantité de poids ou d'arrimage que peuvent porter ou embarquer des passagers sur le prix de leur passage.
Faire portage, c'est-à-dire, porter le canot par terre avec ce qui est dedans pour passer des chûtes d'eau qui se trouvent dans quelques fleuves, tel qu'est celui de Saint-Laurent, où il y a des chûtes d'eau qui empêchent de remonter un canot.
PORTAGE, (terme des îles d'Amérique) c'est un trajet que les coureurs de bois, & ceux des habitans de la nouvelle France à qui on accorde la traite avec les sauvages, qu'ils font ordinairement avec des canots ou petits bateaux sur les rivieres & étangs, aux bords desquels se trouvent les habitations de ces sauvages, sont obligés de faire à pié, lorsqu'ils trouvent des sauts & des endroits difficiles dans leur chemin ; pendant cette course ils doivent porter sur leurs dos leurs canots, hardes, marchandises & provisions. (D.J.)
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PORTAIL | S. m. (Archit.) c'est la façade d'un grand bâtiment où est la principale porte ; on l'entend néanmoins plus particulierement des églises. Cette partie est très-susceptible du bon goût de l'Architecture, mais les François y ont prodigué les colifichets, comme au portail des grands Jésuites de Paris ; ou bien ils ont chargé mal-à-propos leurs portails de plusieurs ordres d'Architecture, comme par exemple, le portail de S. Gervais.
Nous avons de beaux intérieurs d'églises, tels que le dôme des Invalides & du Val-de-Grace, celui des chapelles de Fresne & de Versailles ; mais nous n'avons point encore réussi à la composition des portails. Nos plus habiles architectes françois ont affecté d'élever plusieurs ordres d'architecture les uns audessus des autres dans la décoration de leurs portails. Cette ordonnance qui a passé comme en usage depuis la réputation du portail de S. Gervais, ne paroît pas naturelle ; elle semble donner au-dehors de nos églises l'air d'un édifice ordinaire : car les différens ordres extérieurs ont coutume d'annoncer les différens étages de l'intérieur d'un bâtiment, ce qu'il est ridicule de supposer dans une église.
Outre cela, cette décoration est tout-à-fait contraire à tout ce que l'antiquité nous a laissé de modeles en ce genre. Un seul ordre colossal formant péristile, & couronné par un fronton du côté de l'entrée, est l'unique décoration qui puisse donner au frontispice d'un temple l'air noble & majestueux qui lui convient. C'est ainsi qu'étoient décorés les plus beaux temples de la Grece & de l'Italie. C'est ainsi que Michel Ange & Palladio, les deux plus habiles architectes modernes, ont exécuté les différens portails qu'ils ont fait élever à Venise & en d'autres lieux.
On pourroit objecter que la grande élévation des couvertures de nos églises oblige d'élever ainsi plusieurs ordres d'architecture, pour pouvoir les cacher ; mais on répondra qu'il n'y a qu'à supprimer ces énormes charpentes, qui ne sont qu'un usage abusif sans aucune nécessité. La voûte plein-ceintre de la nef d'une église couverte de pierres à recouvrement, est le seul toit qui convienne au sanctuaire de la divinité. Ainsi étoient couverts les temples des anciens.
Enfin, il résulteroit d'un ordre colossal dans nos portails, qu'en le faisant regner à l'entour de nos églises, leur extérieur qui a coutume d'être si fort négligé, seroit décoré naturellement, & cacheroit les arcs-boutans qui font toujours à l'oeil un effet désagréable ; & quoique par la même raison les croisées de la nef ne s'apperçussent pas en-dehors, l'intérieur de nos églises n'en seroit pas moins bien éclairé, comme on peut le remarquer dans celle de St. Pierre de Rome. (D.J.)
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PORTALEGRE | (Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province d'Alentejo, au pié d'une haute montagne, dans une belle campagne, à 20 lieues au nord-est d'Evora, & à 37 au nord-est de Lisbonne. Elle est environnée de bonnes murailles. Le pape Paul III. y érigea un évêché suffragant de Lisbonne. Long. 10. 20. lat. 39. 11. (D.J.)
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PORTANT | S. m. terme de Ceinturier, c'est la partie du baudrier & du ceinturon qui pend depuis la fin d'un des côtés de la bande jusqu'aux pendans, & qui sert à raccourcir ou à allonger soit le baudrier, soit le ceinturon.
PORTANT, terme de porteur de chaise ; fer courbé & attaché au côté des chaises des porteurs, où l'on met les bâtons pour porter les chaises.
PORTANT, terme de Bahutier ; c'est un fer en forme d'anse attaché aux côtés des coffres, des malles, des cassettes & des bahuts, dont on se sert pour les soulever & les porter où l'on veut. (D.J.)
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PORTATIF | adj. se dit de ce qui est aisé à porter. On dit, cette machine est d'autant meilleure, qu'elle est portative. On fait à l'armée des ponts, des moulins, des fours portatifs.
PORTATIF, (Commerce) On nomme ainsi à Bordeaux une espece d'agenda ou journal manuel que portent les visiteurs tant d'entrée de mer que d'issue, sur lequel ils mettent un état abrégé des visites qu'ils font sur les vaisseaux qui entrent ou qui sortent du port de cette ville, pour ensuite les mettre tout au long sur leur registre. Dictionn. de Commerce.
PORTATIF se dit aussi pour les commis & employés aux aides, d'un petit registre long & étroit sur lequel ils font leurs extraits lorsqu'ils vont faire la visite dans les caves & celliers des vendans vin. Ces portatifs doivent être signés de deux commis en chaque exercice qui se fait sur chacun desdits vendans vin. Il faut de plus qu'il y soit fait mention que les feuilles ont été délivrées & laissées aux cabaretiers & taverniers chez lesquels ledit exercice a été fait. Dict. de Comm.
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PORTE | S. f. (Architecture) ouverture pratiquée dans un mur pour entrer dans un lieu clos & pour en sortir.
On appelle proprement porte l'assemblage de menuiserie ou de charpenterie qui ferme cette ouverture.
Les premieres portes étoient quarrées, & les anciens ne donnoient une figure ronde qu'aux arcs de triomphe & aux grands passages publics. Vignole fait la hauteur des portes double de leur largeur ; comme Vignole est suivi, cette proportion est presque généralement adoptée. Cependant les dimensions des portes doivent être réglées par les ordres d'architecture qui les accompagnent. D'après cette observation, on a trouvé que dans l'ordre toscan les portes en plein-ceintre doivent avoir de hauteur deux fois leur largeur, deux fois & un sixieme dans l'ordre dorique, deux fois & un quart dans l'ordre ionique, deux fois & demi dans l'ordre corinthien, & deux fois & un tiers dans l'ordre composite. A l'égard des portes à plate bande, on détermine leur proportion en divisant leur largeur en douze parties, dont on donne 23 à la hauteur de la porte toscane, 24 à la dorique, 25 à l'ionique, 26 à la corinthienne, & 25 & demie à la composite. Ainsi la porte toscane sera moins haute que le double de la largeur, d'un douzieme ; la porte dorique aura sa hauteur double de sa largeur ; l'ionique aura un douzieme plus que le double ; la corinthienne un sixieme, & la composite un huitieme.
Le mot porte vient de porter ; & voici comment Donat le prouve. Anciennement lorsqu'on faisoit le dessein & l'alignement des murs d'une ville, ce qui se faisoit avec observation des cérémonies religieuses, celui qui tenoit le manchereau de la charrue tirée par un taureau & une vache, dont le soc alloit marquant d'une raie le lieu & le contour de la muraille future ; quand il étoit arrivé aux endroits où les portes de la ville devoient être faites, il portoit à force de bras le soc suspendu & en l'air, afin que la terre ne fût ouverte celle part, ne rayée ne renversée par-dessus.
Porte à pans, porte qui a sa fermeture en trois parties, dont l'une est de niveau, & dont les deux autres sont rampantes. Telle est la porte Pie à Rome, & celle de l'hôtel de Condé à Paris.
Porte attique ou atticurgue, c'est, selon Vitruve, une porte dont le seuil est plus long que le linteau, ses piédroits n'étant pas paralleles. De cette maniere est la porte du temple de Vesta ou de la Sybille à Tivoli, près de Rome.
Porte avec ordre, porte qui étant ornée de colonnes ou de pilastres, prend son nom de ces colonnes ou de ces pilastres, comme porte toscane, porte dorique.
Porte bâtarde, porte qui sert d'entrée à une maison, & qui a cinq ou six piés de large.
Porte biaise, porte dont les tableaux ne sont pas d'équerre avec le mur.
Porte bombée, porte dont la fermeture est en portion de cercle.
Porte bourgeoise, porte qui a ordinairement quatre piés de largeur.
Porte charretiere, simple porte dans les murs d'un clos, pour le passage des charrois.
Porte crénelée, porte d'un vieux château qui a des créneaux comme dans la continuité de son mur.
Porte croisée, fenêtre sans appui qui sert de passage pour aller sur un balcon ou sur une terrasse.
Porte dans l'angle, porte qui est à pan coupé dans l'angle rentrant d'un bâtiment.
Porte de clôture, moyenne porte dans un mur de clôture.
Porte de croisée, c'est la porte à droite ou à gauche de la croisée d'une grande église. Quand cette église est située conformément aux canons, & qu'elle a son portail tourné vers le couchant, & son grand autel vers le levant, la porte droite de la croisée est celle du nord, comme à Notre-Dame de Paris est celle du côté du cloître, la gauche celle du midi, comme la porte du côté de l'archevêché.
Porte de dégagement, petite porte qui sert pour sortir des appartemens sans passer par les principales pieces.
Porte d'enfilade ; on nomme ainsi toutes les portes qui se rencontrent d'alignement dans les appartemens.
Porte de fauxbourg, ou fausse porte, porte qui est à l'entrée d'un fauxbourg.
Porte de ville, c'est une porte publique à l'entrée d'une grande rue, qui prend son nom ou de la ville voisine, ou de quelque fait ou usage particulier. Par exemple, on appelle porte triomphale une porte bâtie plutôt par magnificence que par nécessité, en mémoire de quelque expédition militaire, comme celles de S. Denis & de S. Martin à Paris.
Porte ébrasée, porte dont les tableaux sont à pans coupés en-dehors ; telles sont les portes de la plûpart des églises gothiques.
Porte en niche ; porte qui est en maniere de niche : de cette façon est la grande porte de l'hôtel de Conti à Paris, du dessein de François Mansard.
Porte en tour ronde, porte qui est percée dans un mur circulaire, & qui est vûe par-dehors ; & porte en tour creuse est celle qui fait l'effet contraire.
Porte flamande, porte qui est composée de deux jambages avec un couronnement, & une fermeture de grille de fer, comme par exemple, les deux portes du cours la Reine à Paris.
Porte rampante, porte dont le ceintre ou la plate bande est rampante, comme dans un mur d'échiffre.
Porte rustique, porte dont les paremens de pierre sont en bossages rustiqués.
Porte secrette ; c'est une petite porte pratiquée dans le bas d'un château ou d'une grande maison, pour y entrer & en sortir secrettement.
Porte surbaissée, porte dont la fermeture est en anse de panier.
Porte sur le coin, porte qui ayant une trompe audessus, est en pan coupé sous l'encoignure d'un bâtiment.
Porte mobile. C'est toute fermeture de bois ou de bronze qui remplit la baie d'une porte, & qui s'ouvre à un ou deux venteaux.
Porte à deux venteaux, porte qui est en deux parties appellées venteaux ou battans, attachés aux deux piédroits de sa baie.
Porte à jour, c'est une porte faite de grilles de fer ou de barreaux de bois : on la nomme aussi porte à claire-voie.
Porte à placard, porte qui est d'assemblage de menuiserie, avec cadres, chambranle, corniche, & quelquefois un fronton.
Porte arasée, c'est une porte de menuiserie dont l'assemblage n'a point de saillie, & est tout uni.
Porte brisée, porte dont la moitié se double sur l'autre. On nomme encore porte brisée une porte qui est à deux venteaux.
Porte cochere, c'est un grand assemblage de menuiserie qui sert à fermer la baie d'une porte où peuvent passer des carrosses, & qui est composée de deux venteaux faits au-moins chacun de deux battans ou montans, & de trois traverses qui en forment le bâti, & renferment des cadres & des panneaux, avec un guichet dans l'un de ces venteaux. Les plus belles portes cocheres sont ornées de corniches, consoles, bas reliefs, armes, chiffres, & autres ornemens de sculpture, avec ferrures de fer poli ; comme, par exemple, les portes des hôtels de Biscuit, de Pussort, &c. Quelquefois ces ornemens sont postiches & faits de bronze, tels qu'on en voit aux portes de l'hôtel-de-ville & de l'église du Val-de-grace à Paris. Cette sorte de porte qui est arasée par derriere, est rarement à deux paremens ; quand sa baie est ceintrée ou qu'elle est trop haute, elle est surmontée d'un dormant d'assemblage qui en reçoit le battement. La largeur de cette porte doit être de sept piés & demi au moins, & sa hauteur d'une largeur & demie, ou plutôt de deux largeurs.
Porte collée & emboîtée, c'est une porte faite d'ais debout, collés & chevillés avec emboîtures qui les traversent par le haut & par le bas.
Porte coupée, porte à deux ou à quatre venteaux attachés à un ou à deux piédroits de la baie. Ces venteaux sont ou coupés à hauteur d'appui, comme aux boutiques, ou à hauteur de passage, comme aux portes croisées, dont quelquefois la partie supérieure reste dormante.
Porte d'assemblage, c'est tout ventail de porte dont le bâti renferme des cadres & des panneaux à un ou à deux paremens.
Porte de bronze, porte qui est jettée en bronze, & dont les parties qui imitent les compartimens d'une porte de menuiserie, sont attachées & rivées sur un bâti de forte menuiserie, & enrichies d'ornemens postiches de sculpture. Telles sont les portes du Panthéon & de S. Jean de Latran à Rome.
Il y a aussi de ces portes faites en partie de lames d'acier ciselées & gravées, & en partie fondues, qui recouvrent un gros assemblage de bois, comme par exemple celle de S. Denis en France, & celle du Vatican à Rome.
Porte de fer, porte composée d'un chassis de fer qui retient des barreaux & des traverses, ou des panneaux avec des enroulemens de fer plat & de tole ciselée. Il y a deux portes de fer d'une singuliere beauté, une au château de Versailles, & l'autre à celui de Maisons.
On appelle encore porte de fer une porte dont les chassis & les barreaux sont recouverts de plaques de tole, & qui sert aux lieux qui renferment des choses précieuses, & où l'on craint le feu. C'est ainsi que sont les portes des trésors & des archives.
Porte double, porte opposée à une autre dans une même baie, soit pour la sureté ou le secret du lieu, soit pour y conserver la chaleur.
Porte en décharge, porte composée d'un bâti de grosses membrures, dont les unes sont de niveau, & les autres inclinées en décharge, toutes assemblées par entailles de leur demi-épaisseur, & chevillées ; ensorte qu'elles forment une grille recouverte par-dehors de gros ais en rainures & languettes, cloués dessus avec ornemens de bronze ou de fer fondu. Telles sont les portes de l'église de Notre-Dame de Paris.
Porte feinte, c'est une décoration de porte de pierre ou de marbre, ou un placard de menuiserie avec des venteaux dormans, opposé ou parallele à une vraie porte pour la symmétrie.
Porte traversée, porte qui étant sans emboîtures est faite d'ais debout croisés quarrément par d'autres ais retenus par des clous dispersés en compartimens losangés. Les portes traversées les plus propres, ont près du cadre une moulure rapportée pour former une feuillure sur l'arrête de la baie qu'elles ferment. Dans les lieux où le chêne est rare, ces portes se font de bois tendres, tels que le sapin, l'aube, le tilleul, &c.
Porte vîtrée, porte qui est partagée en tout ou à moitié, avec des croisillons de petit bois, dont les vuides sont remplis de carreaux de verre ou de glaces. Dict. d'Archit. (D.J.)
PORTE, s. m. (Stéreotom.) c'est une baie qui prend le nom, 1°. du mur dans lequel elle est percée, comme porte en tour ronde, si elle est convexe ; porte en tour creuse, si elle est concave ; 2°. de l'endroit où elle est placée, dans un angle rentrant, c'est une porte dans l'angle ; dans un saillant, c'est une porte sur le coin ; 3°. de la direction, comme porte droite, qui est perpendiculaire à sa direction ; biaise, si elle lui est oblique ; ébrasée si les piés droits s'ouvrent en-dehors, comme aux églises gothiques de Notre-Dame de Paris, de Rheims, &c. (D.J.)
PORTE, (Litt.) en latin janua, parce que Janus présidoit aux portes des temples & des maisons particulieres. Ovide le fait même portier des cieux, l. I. fastor.
Praesideo foribus coeli, cum mitibus horis
Et redit officio Jupiter, itque meo.
Dans le propre, la porte est l'ouverture par laquelle on entre ou l'on sort d'une maison ; & dans le figuré ce terme signifie le commencement d'une chose. On dit ouvrir la porte à la licence. Souvent les Latins se sont servis du mot limen, pour signifier une maison. Virg. Aenéïd. VII.
Reserat stridentia limina consul, &c.
Les Jurisconsultes ont dit in limine litis, dans le commencement du procès, dès que la porte est ouverte à la chicane ; & c'est dans le sens figuré qu'ils ont fait le terme postliminium, qui signifie le retour d'une personne dans sa patrie, dans ses biens & dans sa maison, dont on avoit perdu la propriété en changeant d'état & de condition, par la perte de sa liberté ou du droit de cité.
Les portes des grands étoient toujours fermées à Rome ; ils avoient des portiers : celles des tribuns étoient au contraire toujours ouvertes, afin que le peuple pût en tout tems leur parler. Ceux qui briguoient des charges, affectoient de tenir de même leurs premieres portes ouvertes. Les Grecs & les Romains y mettoient des marteaux, dont Pollux & Eustathius ont fait mention ; Lucrece les appelle marculi, l. I. v. 317. & l'on croit que Plaute a entendu dans ses Menech. act. I. sc. ij. v. 64, par cantharum, le marteau de la premiere porte.
Le portier avoit une petite chambre où il se retiroit ; & c'étoit dans ce même endroit que l'on tenoit de grands chiens enchaînés pour garder la maison pendant la nuit ; & afin qu'on ne s'approchât de trop près de ces animaux pendant le jour, on écrivoit sur la muraille ces mots, cave canem, dont Pétrone a fait mention, ainsi que Virgile dans son églogue huitieme.
Bylax in limine latrat.
Au reste les Grecs & les Romains ouvroient leurs portes en les poussant sur la rue ; & de crainte de blesser les passans, le portier avoit coutume de frapper en-dedans la porte avant que de l'ouvrir, pour avertir ceux qui passoient. A l'égard des portes de l'intérieur des maisons, on y mettoit des voiles que nous nommons aujourd'hui portieres.
On entroit d'abord dans un vestibule, où l'on plaçoit les statues, les portraits & les armes des ancêtres, dont ils tâchoient par ce moyen de conserver & d'honorer la mémoire ; ils y plaçoient même des statues de leurs dieux. Aelien rapporte dans le ch. xlj. du second livre de ses histoires, que Xénocrate de Chalcédoine revenant vainqueur d'un festin qu'on avoit donné au public, mit sur la tête d'une statue de Mercure qui étoit dans son vestibule, la couronne qu'il venoit de gagner.
On peignoit les portes de différentes couleurs : on les ornoit par des inscriptions, par l'exposition des dépouilles des ennemis que l'on avoit vaincus, par quelques animaux qu'on avoit tués à la chasse, selon le témoignage de Manilius :
Hoc habet, hoc studium portas ornare superbis
Pellibus, & captas manibus praefigere praedas.
usage qui subsiste encore parmi les gentilshommes.
Enfin, dans les occasions de fête & de réjouissance, on couronnoit les portes avec des guirlandes de toutes sortes de fleurs, avec des feuillages, & des arbres entiers qu'on plantoit à la porte solemnellement ; & dans les occasions de deuil, on se servoit d'un cyprès.
Et fronde coronas
Funereâ,
dit Virgile, 4 Aeneïd. lib. VI.
Ferales ante cupressos
Constituunt.
Les plaintes que les amans font contre les portes qu'ils trouvent fermées, ne sont guère raisonnables. Ovide étoit de ces chantres nocturnes, élegie iij, lib. III.
Ille ego musarum purus Phoebique sacerdos
Ad rigidas canto carmen inane fores.
Sans doute qu'il ne se souvenoit pas, quand il fit ces vers, d'avoir fait celui-ci :
Ebrius ad durum formosae limen amicae
Cantat. (D.J.)
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PORTÉ | en terme de Blason ; une croix portée, c'est une croix qui n'est pas debout, comme sont généralement les croix, mais qui est couchée de travers sur l'écusson, en forme de bande, comme si elle étoit portée sur l'épaule d'un homme. Voyez CROIX.
Colombiere assure que quelques-uns disent porté, parce que notre Sauveur allant souffrir la mort, fut obligé de porter sa croix, qui est toujours représentée de travers & inclinée de cette maniere.
PORTE, ou VEINE PORTE, terme d'Anatomie, c'est une veine très-considérable, qui sert à porter le sang de différentes parties, par un nombre infini de branches dans lesquelles elle se divise, à le porter, dis-je, au foie, dans la substance duquel elle le distribue. Voyez nos Pl. anatom. & leur explication. Voyez aussi VEINE & FOIE.
La veine-porte est formée de deux grosses veines, la mésentérique & la splénique, qui sont encore formées de plusieurs autres petites veines qui viennent de l'estomac, des intestins, de la rate, de l'épiploon, &c. Voyez MESENTERIQUE & SPLENIQUE.
Les anciens lui ont donné le nom de porta, parce qu'ils s'imaginoient que par sa branche mésentérique elle portoit le chyle des intestins au foie ; mais quelques modernes lui ont trouvé un autre usage.
La veine-porte a cela de remarquable, qu'à la maniere des arteres, d'un tronc qu'elle est, elle se divise en branches, & se perdant enfin dans les capillaires, elle décharge le sang dans la veine-cave, qui le rapporte immédiatement au coeur. Voyez CAVE.
La veine-porte se forme du concours de différentes veines, qui par leur rencontre en font un des plus considérables troncs veineux de tout le corps, quant à sa grosseur ; quoique contraire au cours des autres veines, elle ne va pas loin sous la forme d'un tronc ; mais comme on l'a déjà observé, elle se distribue bien-tôt au foie par des ramifications.
Cette veine se divise vulgairement en branches hors du foie, en branches dans le foie, & en un tronc intermédiaire ; mais cette division n'est pas fort claire, les branches que l'on appelle hors du foie étant plus proprement des racines que des branches, que les Anatomistes ont distinguées par des noms particuliers qui sont des parties d'où viennent ces branches.
Les veines qui conspirent à la formation de ce tronc, & sur lesquelles nous ne nous étendrons pas ici, parce qu'elles ont été ou qu'elles seront décrites aux articles qui les regardent en particulier, viennent du placenta dans le foetus, de la veine ombilicale, de la vésicule du fiel, des deux cystiques, de la partie supérieure de l'estomac, de la veine pilorique, de la gastrique droite, qui va au tronc ; de la grande gastrique & de la mineure gauche, qui vient de l'estomac (dont la majeure est formée de la coronaire du ventricule) ; de l'épiploïque gauche & postérieure qui vient de l'épiploon ; des vasa brevia, qui viennent de l'estomac ; de la splénique, qui vient de la rate, lesquelles se réunissent pour former la branche gauche ou la branche splénique de la porte.
La branche droite ou mésentérique est composée de la gastrique & de l'épiploïque droite, qui vient de l'estomac & de l'épiploon ; de la duodenaire, qui vient du duodenum & du jejunum ; de l'hémorroïdale interne, qui vient de l'intestin rectum & du colon, des mésaraïques, qui viennent du mésentere.
Par le moyen de tous ces vaisseaux la veine-porte reçoit le sang de la plûpart des visceres de l'abdomen, & après la réunion de toutes ses branches, elle commence un tronc dans le foie, sous la surface duquel immédiatement après avoir formé une espece de sinus, elle se divise en deux branches principales, & celles-ci encore en cinq autres, qui jettent ou répandent une infinité de ramifications à-travers toute la substance du foie.
M. Keill croit avoir découvert le véritable usage de cette veine, inconnu jusqu'ici : voici comme il s'explique. La bile, dit-il, devant se mêler avec le chyle, comme il vient de l'estomac dans le duodenum, ne pouvoit être séparée du sang plus avantageusement qu'à l'endroit où est placé le foie ; mais si toutes les branches de l'artere coeliaque portoient au foie tout le sang dont la bile doit être séparée, il est évident, en considérant la proximité du foie au coeur, & le mouvement intestin du sang, qu'une sécrétion aussi visqueuse que la bile, ne pourroit jamais être assez perfectionnée. Voyez BILE.
C'est pourquoi la nature est ici forcée de déroger à sa méthode constante, d'envoyer le sang à toutes les parties du corps par le moyen des arteres ; elle forme une veine moyennant laquelle elle envoye le sang au foie des branches des arteres mésentériques & coeliaques.
Par ces moyens le sang fait un grand tour avant que d'arriver au foie ; de maniere que sa vîtesse étant diminuée, tous les corpuscules qui doivent former la bile, peuvent avoir le tems de s'attirer les uns les autres, & de s'unir avant que d'arriver à leurs vaisseaux sécrétoires. Keill. anim. secret. pag. 36. &c. Voyez SECRETION.
PORTE, maladie de la veine (Médec.) le vaisseau en partie veineux & en partie artériel, avec un tronc intermédiaire, recevant le sang des organes de la chylification, pour le conduire par le moyen du foie, dans la veine-cave, & fournissant l'humeur destinée à la sécrétion de la bile, est connu des Anatomistes sous le nom de veine-porte ; ce vaisseau est sujet, ainsi que les autres organes, à des maladies, quoiqu'on en trouve rarement la description.
1°. Cependant comme l'action du coeur & des arteres ne peut pas seul conduire le sang de la veine-porte dans la veine-cave par le foie, mais que cette opération est favorisée par l'action particuliere de ce vaisseau, & par celle de la capitale de Glisson, quand cette même action se trouve affoiblie par le défaut d'appui & de soutien, ou embarrassée par la rigidité ou le relâchement, le sang s'amasse nécessairement dans toute l'étendue de ce vaisseau ; de là naît le gonflement de la partie, l'anxiété, la pesanteur & la corruption de ce sang arrêté, d'où résulte le premier principe de la mélancolie. Il faut alors aider l'action de ce vaisseau par des frictions artificielles, par des secousses ou l'exercice du corps, & par l'usage externe & interne des corroborans. Si ces remedes ne réussissent pas, il faut y joindre ceux qui conviennent spécialement au traitement de la mélancolie.
2°. Si le concours de la circulation du sang de la rate ne diminue point la disposition de stagnation, si naturelle à celui qui est contenu dans le sein de la veine-porte, il arrive souvent des obstructions dans cette partie. Dès qu'une fois elles sont formées par un sang grumeleux, par des compressions extérieures, ou quelque maladie du foie, il en résulte nécessairement un défaut de bile. Tous ces maux demandent l'usage des résolutifs continués long-tems, car ce sang rempli de matiere bilieuse, circulant avec lenteur, a une grande disposition à se changer en bile noire.
3°. Le sang étant ainsi amassé, & peu-à-peu altéré, cause des anxiétés, le gonflement des hypocondres, & plusieurs autres maux ; mais il s'ouvre quelquefois un chemin pour retrograder par les vaisseaux courts dans le ventricule, par les vaisseaux mésentériques dans les intestins, par les hémorrhoïdaux qui viennent de l'anus, soit au soulagement du malade, soit sans qu'il en ressente aucun bien : tout cela dépend de la quantité & de la nature du sang mélancolique qui s'évacue ; cela dépend encore des parties affectées & des symptomes qui accompagnent cette crise, mais le médecin ne doit point la troubler. (D.J.)
PORTE, en terme d'Epinglier, faiseur de crochets ; est un fil d'archal ou de laiton, presque tourné en cercle, dont les deux extrêmités réunies s'éloignent l'une de l'autre, sont recourbées en-dehors, & forment un anneau qui sert d'attache à la porte. Tels sont les signes des noeuds en caracteres astronomiques.
PORTE, en terme d'Epinglier ; c'est un morceau de bois dans lequel est enfoncé un anneau de la grosseur du fil. L'ouvrier le tient à pleine main, & s'en sert pour conduire le fil sur le moule. Voyez MOULE, & les fig. Pl. de l'Epinglier.
PORTE, terme de jeu de paume ; c'est la partie de la galerie qui est toute ouverte jusqu'en bas, & par où on entre dans le jeu. Il y a deux portes à tous les jeux de paume ; une de chaque côté de la corde.
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PORTE-AIGUILLE | S. m. instrument de Chirurgie dont on se sert pour embrasser exactement les aiguilles, & leur donner plus de longueur, lorsqu'elles sont si fines & si petites qu'on ne sauroit les tenir avec les doigts. Cet instrument est une tige d'acier ou d'argent, longue de deux pouces, fendue selon presque toute sa longueur, en deux branches, pour former une espece de pincette qui se ferme par le moyen d'un anneau ; au-dedans de chaque branche est une petite rainure longitudinale pour loger la tête de l'aiguille : elles se tiennent écartées par leur propre ressort ; elles s'approchent quand on glisse l'anneau en avant, & s'ouvrent quand on le retire. La partie postérieure de la tige, qui sert de manche, est une petite tête creuse garnie dans sa cavité de trous semblables à ceux d'un dé à coudre, pour pousser l'aiguille en cas de besoin. Le porte-aiguille n'est peut-être utile que pour faire les sutures aux plaies superficielles. Voyez la fig. 12. Pl. III. La fig. 13. représente une autre espece de porte-aiguille inventé par M. Petit.
Porte-bougie, instrument de Chirurgie, cannule d'argent qui a environ cinq pouces de longueur ; on l'introduit dans l'urethre jusque sur les carnosités, & on pousse avec le stilet les médicamens qu'on juge convenables. Voyez CARNOSITE & BOUGIE.
On peut s'en servir pour porter avec une paille une goutte de beurre d'antimoine sur un polype du nez. Voyez POLYPE.
Porte-pierre infernale, instrument de Chirurgie fait comme un porte-crayon. Voyez la fig. 19. Pl. III. Le porte-crayon s'engage au moyen d'une vis dans un étui garni d'un écrou. Le manche du porte-pierre peut être fait en cannule, & servir de porte-aiguille comme on le voit par la figure. (Y)
PORTE-AIGUILLE, s. m. terme d'Aiguillier ; instrument dont il se sert pour embrasser exactement les aiguilles, & leur donner plus de longueur lorsqu'elles sont si fines & si petites, qu'on ne peut les tenir avec les doigts.
PORTE-AIGUILLE, outil de Gainier ; c'est un petit morceau de fer de la longueur de deux pouces, de l'épaisseur de deux lignes, fendu en deux en forme de petites pinces, qui est enchâssé dans un petit manche de bois de la longueur d'un pouce. Au milieu du porte-aiguille il y a une petite virole qui sert pour resserrer l'aiguille dans les pinces & l'assujettir. Voyez la fig. Pl. du Gainier.
PORTE-AIGUILLE, en terme de Piqueur en tabatiere, signifie le manche de l'aiguille dont on se sert pour piquer. C'est un morceau de fer fendu à une de ses extrêmités pour recevoir l'aiguille qui y est retenue par le moyen d'un anneau qui se glisse le long du porte-aiguille comme celui d'un porte-crayon.
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PORTE-ASSIETTE | S. m. terme d'Orfévrerie ; rond de métal en forme de collier, dont on se servoit autrefois pour mettre sous les plats à ragoûts.
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PORTE-AUGE | S. m. terme de Maçonnerie ; c'est un maçon qui ne travaille pas à la journée, mais qu'on va querir dans les carrefours au besoin.
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PORTE-AUNE | S. m. terme de Marchands ; machine de bois dont se servent quelques marchands pour soutenir leur aune, afin de faire eux seuls l'aunage de leurs draps, étoffes, toiles, rubans, & autres marchandises. (D.J.)
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PORTE-BAGUETTE | terme d'Arquebusier ; ce sont de petites viroles de cuivre ou de fer, qui sont un peu plus longues qu'épaisses, & qui s'attachent au nombre de trois avec des goupilles le long de la rainure qui est dessous le bois de fusil pour y placer la baguette. Elles servent pour retenir la baguette quand elle est passée dedans, & empêcher qu'elle ne se perde.
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PORTE-BALANCE | PORTE-BALANCE
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PORTE-BALLE | terme de Mercier, s. m. petit mercier qui court la campagne, & qui porte sur son dos une balle ou une caisse légere remplie de menue mercerie, qu'il débite dans les villages. Il y en a qui ne vendent que des toiles, & d'autres de petits bijoux ; ces derniers étant la plûpart savoyards qui ont été ramonneurs, s'appellent aussi quelquefois des haut-à-bas. (D.J.)
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PORTE-BOSSOIR | S. m. (Marine) c'est un appui sous le bossoir en forme d'arc-boutant, dont le haut est ordinairement ouvragé en tête de more. Dans un vaisseau de 134 piés de long de l'étrave à l'étambord, les porte-bossoirs doivent avoir dix pouces d'épaisseur & un pié de largeur. Voyez BOSSOIR.
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PORTE-BROCHES | S. m. (Arquebuserie) outils dont se servent les Arquebusiers ; c'est un manche mobile fait de bois avec une virole de fer, où peuvent s'emmancher les différentes broches qui sont propres à ces ouvriers.
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PORTE-CARREAU | subst. m. (Menuiserie) petit quarré de menuiserie soutenu par des pommes, & sur lequel on met un carreau. (D.J.)
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PORTE-CÉDULE | S. m. terme de Marchand, petit porte-feuille long & étroit, ordinairement couvert de cuir, dans lequel les négocians, banquiers, & gens d'affaires, portent sur eux les lettres & billets de change, mémoires, promesses & autres papiers de conséquence qu'ils doivent avoir à la main. (D.J.)
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PORTE-CHAPE | S. m. terme de Traiteur, c'est une des qualités que prennent dans leurs statuts les maîtres traiteurs de Paris, du mot de chape, qui signifie le couvercle ordinairement de fer-blanc, fait en forme de cône, qui sert à couvrir les plats des divers services des grandes tables, afin de les maintenir chauds.
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PORTE-CHATELET | terme de Gazier, c'est une traverse placée au haut du métier des gazes, qui sert à porter les trois bricoteaux. Voyez GAZE.
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PORTE-COFFRE | (Chancellerie de France) officier de la grande chancellerie. La fonction d'un porte-coffre consiste à aller prendre l'ordre du garde des sceaux toutes les semaines, pour le jour qu'il lui plaît de donner le sceau, d'en avertir le grand audiencier, le contrôleur général, les secrétaires du roi, & autres officiers nécessaires au sceau. Le porte-coffre a aussi le soin de faire préparer dans la salle la table sur laquelle on scelle, & le coffre où on met les lettres après qu'elles sont scellées.
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PORTE-COL | S. m. terme de Gabelle, ce sont de pauvres gens qui gagnent leur vie en revendant à petites mesures, depuis quatre deniers jusqu'à douze, l'eau-de-vie qu'ils ont achetée des détailleurs, au pot ou à la pinte. Un porte-col est aussi une espece d'agraffe qui retient le linge du col appellé col, attaché par ses deux pattes sur la nuque.
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PORTE-CRAYON | (Peinture) dont les peintres se servent ordinairement, est un cylindre de cuivre ou d'autre métal creusé, long de sept ou huit pouces, & dont le diametre est d'environ trois lignes. Il y a une fente à chaque bout de cet instrument qui va jusqu'à son tiers, & chacune des parties qui sépare cette fente a une courbure qui les fait écarter l'une de l'autre vers le milieu d'un peu plus d'une ligne, & rapprocher par ses extrêmités. Au corps de cet instrument sont deux anneaux de cuivre qu'on pousse plus ou moins vers ses extrêmités, pour assujettir le crayon qu'on place entre ces parties fendues.
On fait des porte-crayons plus petits qu'on renferme dans des étuis ou cylindres de cuivre ; ils différent des autres, en ce qu'on n'y met du crayon que d'un côté, & de l'autre une plume ou un pinceau. Ce cylindre ou étui a une fente qui commence vers son milieu & qui est du tiers de sa longueur, le long de laquelle on fait aller un bouton, qui tenant à ce corps du porte-crayon, le fait sortir de l'étui par le bout qu'on veut. Les porte-crayons sont divisés en pouces, & les pouces en lignes ; on varie les porte-crayons de forme, & on en fait de tout métal. Voyez les Pl. de Dessein.
PORTE-CRAYON BRISE, (Gravure en taille-douce) est un porte-crayon représenté dans les Pl. de gravure ; il est composé de trois pieces, dont deux A B qui sont taraudées se montent sur les vis c c de la piece du milieu O N, dont l'extrêmité N est une pointe non-aiguë qui sert à calquer les desseins, voyez CALQUER ; l'autre est une pointe à piquer les desseins, c'est une aiguille à coudre montée dans une espece de petit porte-crayon c o, où elle est retenue par l'anneau r qui fait serrer les deux lames du porte-crayon contre l'aiguille. Les deux anneaux s s des autres pieces ont le même usage, si ce n'est qu'au lieu d'aiguille on met des crayons, soit de sanguine qui est une sorte de bol rouge ou mine de plomb, ou de pierre noire dure ou tendre, ou enfin de craie ; cet instrument fait ordinairement partie de l'étui de mathématique, & est de cuivre, argent ou autre métal.
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PORTE-CROIX | S. m. (Hist. anc.) cruciferes, ou religieux de sainte Croix, ordre de religieux qui fut établi vers l'an 1160, sous le pontificat d'Alexandre III. On prétend ridiculement que le pape Cletus avoit donné commencement à cet institut, & que Cyriaque le rétablit à Jérusalem, après que sainte Helene, mere de Constantin, y eut trouvé la vraie croix du Fils de Dieu. Le pape Alexandre III. lui donna des regles & des constitutions ; & Clément IV. ordonna que le premier monastere, chef de l'ordre, seroit à Boulogne, à sancta Maria di Morello ; mais comme cet institut déchut beaucoup dans les quatorze & seizieme siecles, on en donna les monasteres en commande, & le cardinal Bessarion eut le prieuré de celui de Venise. Le pape Pie V. rétablit vers l'an 1561 l'ordre des porte-croix, qui fut enfin aboli par le pape Alexandre VII. en 1656. On donna les biens des monasteres qui étoient dans l'état de Venise à la république, pour pouvoir soutenir la guerre qu'elle avoit contre les Turcs. Ce changement regardoit la congrégation des porte-croix d'Italie ; il y en a une dans les Pays-Bas qui comprend les monasteres de France ; les religieux sont vêtus de blanc, & portent un scapulaire noir, avec une croix blanche & rouge par-dessus. Le général demeure à Huy, & a des monasteres à Liege, à Mastricht, à Namur, à Boisleduc, à Bruges, à Tournay, &c. celui de sainte Croix de la Bretonnerie de Paris en dépend aussi. Il y a en Portugal des porte-croix, qui ont un riche monastere à Evora. Cet ordre a fleuri autrefois en Syrie. Maurolicus, Mare ocean. Baronius, le Mire, &c.
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PORTE-DIEU | (Hist. ecclés.) parmi les Catholiques dans les grandes paroisses, est un prêtre spécialement chargé de porter le saint Viatique aux malades. Voyez VIATIQUE.
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PORTE-DRAGON | (Milice anc.) dragonarius, chez les anciens. Plusieurs nations, comme les Perses, les Parthes, les Scythes, &c. portoient des dragons sur leurs étendards, c'est ce qui fit appeller dragons, dracones, les étendards eux-mêmes. Les Romains emprunterent cette coutume des Parthes ; ou comme dit Casaubon, des Daces, ou selon Codin, des Assyriens.
Les dragons romains étoient des figures de dragons peints en rouge sur leurs drapeaux, ainsi que Ammien-Marcellin nous le fait connoître ; mais chez les Persans & les Parthes c'étoient, comme les aigles romaines, des figures en plein-relief ; de maniere que les Romains s'y trompoient fréquemment, & les prenoient pour des dragons réels.
Les Romains appelloient dragonarius, le soldat qui portoit le dragon ou le drapeau ; les Grecs l'appelloient & ; car les empereurs en rapporterent avec eux la coutume à Constantinople.
Pet. Diacorus, chron. casin. liv. IV. ch. xxxix. observe que les bajuli, cercostarii, staurophori, aquiliferi, leoniferi & draconarii, marchoient tous devant le roi Henri, quand il fit son entrée dans Rome. Chambers.
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PORTE-ENSEIGNE | (Milice de France) on donnoit ce nom dans l'infanterie françoise à l'officier qui porte le drapeau, & qui aujourd'hui s'appelle simplement enseigne. Comme le drapeau des Suisses est plus pesant & plus embarrassant que les nôtres, chaque compagnie marchant en campagne fait porter le sien par un bas officier appellé tachni uncher, c'est-à-dire porte enseigne, qui met le drapeau entre les mains de l'enseigne pour prendre une halebarde, quand les officiers de la compagnie font la parade, ou dans les autres occasions d'éclat. Il y a aussi des porte-drapeaux, appellés gentilshommes à drapeaux dans le régiment des gardes-françoises. Diction. militaire. (D.J.)
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PORTE-ÉPERON | S. m. terme de Cordonnier, petit morceau de cuir cousu trois ou quatre doigts audessus du talon de la botte, pour soutenir l'éperon du cavalier. (D.J.)
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PORTE-ÉTRIER | S. m. terme de Sellier, petit bout de courroie attaché au derriere de la selle, pour trousser les étriers quand on est descendu de cheval, ou que le cheval est à l'écurie.
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PORTE-FAIX | S. m. (Ouvrier) celui qui porte des fardeaux à prix d'argent & pour la commodité du public ; on le nomme plus communément crocheteur à cause des crochets dont il se sert, & fort à cause de la force qu'il faut avoir pour cette profession.
PORTE-FAIX d'en-bas, (Bas au métier) parties du métier à bas. Voyez cet article.
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PORTE-FEU | c'est, dans l'Artillerie, le bois d'une fusée à bombe ou à grenade. Il y en a de cuivre pour les boulets creux. Quand on craint qu'une piece ne creve, on met une fusée à grenade ou un petit porte-feu de carte sur la lumiere ; la composition lente dont il est plein donne le tems au canonnier de se retirer lorsqu'il y a mis le feu.
On appelle aussi porte-feu le conduit où l'on met de l'amorce pour faire jouer successivement des fusées dans les feux d'artifice, c'est-à-dire tous les petits artifices en fusées ou en étoupilles, qui communiquent le feu d'un endroit à l'autre. Leur durée se regle par la maniere plus ou moins vive dont elles sont composées.
PORTE-FEU BRISE, c'est, dans les feux d'artifice, un cartouche plié en ligne courbe par des échancrures, dont on rapproche & colle les bords pour les assujettir à la courbure requise. (Q)
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PORTE-FEUILLE | (Littérat.) en latin scrinium, c'étoit anciennement un petit coffret où l'on mettoit des livres, des papiers, des lettres, & qui se fermoit à clé. Les anciennes médailles nous en présentent plusieurs avec une serrure : de-là vinrent ces quatre charges de la maison d'Auguste, magister scrinii epistolarum, maître du porte-feuille des lettres ; magister scrinii libellorum, maître du porte-feuille des placets ; magister scrinii memoriae, maître du porte-feuille du journal, & magister scrinii dispositionum, maître du porte-feuille des commandemens. Ces quatre charges dépendoient d'un surintendant, qui se nommoit magister scriniorum, maître des porte-feuilles.
PORTE-FEUILLE, s. m. terme de Relieur, il compose ordinairement un porte-feuille avec deux morceaux de carton couvert de veau, de basanne ou de marroquin, & quelques enjolivemens de dorures sur la couverture, & à chaque côté il y a un morceau d'étoffe ou de marroquin taillé en pointe ; mais les Anglois font des porte-feuilles fort supérieurs aux nôtres, avec de petites serrures & de petites clés pour les fermer. (D.J.)
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PORTE-FORET | outil des Bijoutiers, consiste en une platine ronde, percée de plusieurs trous dans une écumoire, dans lesquels on fait passer le fût des forets dont les cuivrots restent en-dessus. Cette platine est rivée sur un petit pilier de fer, qui est lui-même rivé sur une autre plaque qui sert de pié à toute la machine. Voyez les fig. Planches du Bijoutier.
PORTE-FORET, en terme d'Orfévrerie, c'est un petit étau ou tenaille à boucle, pointu par l'extrêmité opposée à ses mâchoires. En relâchant la boucle ou la vis de l'étau, on met dans ses mâchoires un foret de telle grosseur ou grandeur que l'on desire, quelquefois même ce n'est qu'une aiguille dont on a formé la tête en foret ; on assûre le foret dans son porte-foret en resserrant la boucle ou la vis, on y adapte une poulie & son archet, & en appuyant la partie pointue de l'étau contre un clou creux, & le foret contre la piece que l'on veut percer, on forme son trou, on évite par cet outil de faire des forets dans toutes leurs longueurs, & cela abrege beaucoup les opérations.
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PORTE-GLAIVE | PORTE-ÉPÉE, (Hist. mod.) c'est un ordre de chevaliers en Pologne, appellés en latin ensiferi. Voyez CHEVALIER.
On les nomme ainsi, parce qu'Albert, évêque de Riga, entre les mains duquel les premiers d'entr'eux firent leurs voeux, leur ordonna de porter pour habit une robe de serge blanche avec la chape ou manteau noir, sur lequel ils portoient du côté de l'épaule gauche une épée rouge croisée de noir, & sur l'estomac deux pareilles épées passées en sautoir.
Cet ordre fut confirmé par le pape Innocent III. Il l'envoya en Livonie, pour défendre les prédicateurs de l'Evangile contre les infideles dans les commencemens de la conversion de cette contrée. Mais n'étant pas assez forts pour exécuter ce dessein, ils s'unirent aux chevaliers teutoniques par l'autorité du pape ; & au lieu de chevaliers de l'épée, on les nomma chevaliers de la croix. Mais ils en furent séparés en 1541 sous Univivus leur grand-maître, ou selon d'autres en 1525, lorsqu'Albert de Brandebourg renonçant à la grande-maîtrise de l'ordre teutonique embrassa le Luthéranisme.
Quand les chevaliers teutoniques furent dépossédés de la Prusse & que les porte-glaives eux-mêmes vinrent à donner dans les opinions de Luther, leur ordre tomba en décadence ; car en 1557 ils se brouillerent avec l'évêque de Riga de la maison de Brandebourg, parce qu'il ne vouloit pas embrasser leurs opinions ; & que, pour mettre son propre bien en sûreté, il livra la ville de Riga aux Polonois.
Ensuite les Moscovites ayant pris sur les chevaliers la plus grande partie de la Livonie, ceux-ci se mirent sous la protection de Sigismond-Auguste, roi de Pologne, en 1559. Mais Guillaume de Furstemberg leur grand-maître ayant été trahi par ses propres gens ou mercenaires, qui le livrerent aux Moscovites, Gothard Ketler, son successeur, suivant l'exemple d'Albert grand-maître de Prusse, transigea pour tout l'ordre avec Sigismond : il fut arrêté que Sigismond pourroit disposer de l'ordre dans le château de Riga ; on lui remit la croix, le sceau de l'ordre, les chartes & les brefs des différens papes & empereurs qui le concernoient, comme aussi les clés de la ville & du château de Riga, la dignité de grand-maître, les droits de monnoie, & tous les pouvoirs & privileges qui y étoient attachés ; & par retour, Radzivil, plénipotentiaire du roi, fit présent à Gothard Ketler du duché de Courlande, pour lui, pour ses hoirs, & à perpétuité.
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PORTE-HAUBAN | ou ÉCOTARDS, (Marine) on appelle ainsi de longues pieces de bois mises en rebord & en saillie, & qui sont clouées & chevillées de côté à l'arriere de chaque mât sur les côtés du haut d'un vaisseau pour soutenir les haubans & les mettre au large, afin d'empêcher qu'ils ne portent contre le bordage. Les écotards qui sont sur l'avant du vaisseau vers les bosseurs, servent aussi à placer l'ancre : les matelots vont s'y reposer de beau tems. Voyez Pl. I fig. 2. n °. 27. les porte-haubans.
Les grands porte-haubans doivent avoir de longueur une cinquieme partie de la longueur du vaisseau, leur largeur doit être de l'épaisseur de l'étrave, leur épaisseur doit être d'un tiers de l'épaisseur de l'étrave. Les porte-haubans du mât d'avant doivent avoir un peu moins de longueur, de largeur & d'épaisseur. Les porte-haubans du mât d'artimon ne doivent avoir que le tiers de la longueur & de la largeur des grands porte-haubans, mais ils doivent avoir autant d'épaisseur que ceux du mât d'avant. Les charpentiers qui ont réglé les proportions d'un vaisseau de 134 piés de long, donnent 28 piés & demi de long aux grands porte-haubans, 17 pouces de large, 3 pouces & demi d'épais. Leur bout qui regarde l'avant doit être au niveau du devant du grand-mât, & porter sur la plus haute ceinte. Les lisses qui sont en-dehors doivent avoir 3 pouces & demi de large, & 2 pouces & demi d'épais. Il y a sept cadenes ; la premiere en avant est aussi au niveau du devant du mât ; les chevilles des cadenes doivent avoir 2 pouces de diametre.
Les porte-haubans du mât d'avant doivent avoir 22 piés 3 pouces de long, 16 de large & d'épaisseur. Leur bout qui regarde l'avant passe de 6 pouces le devant du mât & porte sur la lisse de vibord. Leurs lisses doivent avoir 3 pouces de large & 2 d'épais. Il y a six cadenes, dont la premiere du côté de l'avant est au niveau du mât ; les chevilles ont aussi 2 pouces de diametre.
Les porte-haubans du mât d'artimon doivent avoir 10 piés de long, 6 pouces de large, 2 pouces & un cinquieme de pouce d'épais. Leur bout qui regarde l'avant est au niveau du derriere du mât, & porte sur la lisse de vibord. Leurs lisses ont 2 pouces & demi de large, & 2 pouces d'épais. Il y a quatre cadenes, dont la premiere est au niveau du derriere du mât ; les chevilles ont un pouce & demi de diametre.
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PORTE-HUILE | petit outil, voyez nos Pl. d'Horlogerie, dont se servent les Horlogers pour mettre de l'huile aux pivots des roues d'une montre ou d'une pendule. Il ne consiste qu'en une partie T, qui a une petite cavité dans son milieu, & une tige M fort menue. Pour qu'il soit bien fait, la tige contre la partie T doit être la plus déliée qu'il est possible. La figure de cet outil est fondée sur les lois de l'attraction de cohésion des fluides. On sait que, selon les lois, les fluides s'attachent toujours aux parties d'un corps, où le même volume de fluide peut toucher en même tems le plus grand nombre des parties du corps ; par conséquent supposant une goutte d'huile entre M & T, elle montera vers T, la surface de ce corps étant plus grande vers ce point ; ainsi en trempant cet outil dans l'huile, on l'en retirera chargé d'une petite goutte qui sera toujours fixée au bout T. Cet outil, quoique de peu de conséquence, est fort utile dans les montres, parce qu'on est souvent obligé de mettre de l'huile à certaines parties, sans en mettre à celles qui l'environnent ; car souvent elle seroit fort nuisible, comme si en en mettant au pivot d'en-bas du balancier, on en mettoit à la palette ; de plus, cette huile déplacée fait souvent extravaser celle que l'on a mis dans l'endroit où elle étoit nécessaire.
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PORTE-LAME | (Tisserand) est une piece de bois de la largeur du métier, appuyé des deux bouts sur les traverses latérales du haut du métier qui soutient la corde à laquelle sont suspendus les pouliets & les poulies qui font hausser & baisser les lames par le mouvement des marches.
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PORTE-LANTERNE | (Hist. nat.) insecte d'Amérique d'une conformation très-singuliere. M. de Reaumur l'a mis au nombre des pro-cigales par rapport à la forme de sa trompe. Cet insecte est très-grand ; on lui a donné le nom de porte-lanterne parce qu'il est très-lumineux pendant la nuit, & que la lumiere qu'il répand, sort de la partie antérieure de la tête, & non pas de dessous le ventre comme dans l'insecte que nous nommons ici ver luisant. M. Merian, Métamorp. des ins. de Surinam, dit que la mouche porte-lanterne d'Amérique jette assez de lumiere pour que l'on puisse lire la nuit à sa clarté, la gazette de Hollande. Les yeux sont à réseau. Les aîles supérieures ont une couleur verte jaunâtre marquée de petits points blanchâtres ; il y a aussi près de leur base quelques petites taches noires ; elles ne sont qu'à demi-transparentes. Les aîles inférieures ont chacune une grande tache ronde, à-peu-près semblable à celle du papillon paon, auxquelles on a donné le nom d'yeux ; ces aîles sont plus transparentes, moins longues, mais plus larges que les premieres aîles. Mém. sur les insectes, par M. de Reaumur, tom. V. Voyez INSECTE.
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PORTE-LAURIERS | fête, (Antiq. grecq.) on appelloit ainsi la fête qu'on célebroit tous les neuf ans en Béotie à l'honneur d'Apollon Isménien. Son nom grec étoit . Indiquons-en l'origine. Les Eoliens qui habitoient Arne & les lieux circonvoisins, en étant sortis pour obéir à un oracle, vinrent ravager le territoire de Thèbes, qu'assiegeoient alors les Pélasges. Les deux armées se trouvant en même tems dans l'obligation de chommer une fête d'Apollon, il y eut suspension d'armes, pendant laquelle les uns couperent des lauriers sur l'Hélicon, les autres sur les bords du fleuve Mélas, & tous en firent au dieu une offrande. D'un autre côté Polémathas, chef des Béotiens, vit en songe un jeune garçon qui lui faisoit présent d'une armure complete , avec ordre de consacrer tous les neuf ans des lauriers au même dieu ; & trois jours apres ce songe, ce général défit les ennemis. Il eut soin de célebrer la fête ordonnée, & la coutume s'en est depuis conservée religieusement. Voici maintenant en quoi consistoit cette fête.
On prenoit le bois d'un olivier, on le couronnoit de lauriers & de diverses fleurs, & on en décoroit le sommet d'une sphére de cuivre, à laquelle on en suspendoit d'autres plus petites. Le milieu de ce bois étoit environné de couronnes pourpres, moindres que celles qui en ornoient le sommet, & le bas étoit enveloppé d'une étoffe à frange de couleur jaune. La sphere supérieure désignoit le soleil, qui étoit Apollon ; la seconde représentoit la lune ; & les plus petites figuroient pour les autres planetes & pour les étoiles. Les couronnes, qui étoient au nombre de 365, offroient une image de la révolution annuelle. Un jeune garçon, ayant pere & mere, menoit la marche, & son plus proche parent portoit devant lui l'olivier couronné, qu'on appelloit . Le jeune garçon le suivoit le laurier à la main, les cheveux épars, la couronne d'or sur la tête. Il étoit vétu d'une robe brillante qui lui descendoit jusqu'aux piés, & ayant pour chaussure celle qui devoit son nom à Iphicrate. Il étoit suivi d'un choeur de jeunes filles, portant des branches de laurier, chantant des hymnes, en équipage de suppliantes ; & la procession se terminoit au temple d'Apollon Isménien. (D.J.)
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PORTE-LETTRE | qu'on nomme autrement porte-cédule. Voyez PORTE-CEDULE.
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PORTE-LISSES | S. m. (Ruban. en soie) est un chassis emmortoisé, posé sur les grandes traverses du haut du métier : les deux grandes pieces de ce chassis peuvent s'approcher ou se reculer, au moyen de deux petites traverses qui les unissent ; ce chassis peut lui-même s'approcher ou se reculer du battant, en le faisant glisser sur ses mortaises le long des grandes traverses du métier ; les deux pieces paralléles de ce chassis ainsi composé, sont percées horisontalement de plusieurs trous qui se répondent, c'est-à-dire, qui sont percés vis-à-vis les uns des autres pour recevoir les broches qui portent les poulies.
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PORTE-MANCHON | S. m. terme de Fourreur ; c'est un grand anneau d'argent avec un bouton de même métal qu'on met aux manchons, & au travers duquel anneau passe un ruban qu'on attache à la ceinture, & qui sert à soutenir le manchon. (D.J.)
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PORTE-MANTEAU | S. m. (Hist. mod.) se dit d'un officier de la maison du roi de France. Il y en a 12. Leur charge consiste à garder le chapeau du roi, ses gants, sa canne, son épée, &c. de les recevoir de sa main, & de les lui apporter quand il en a besoin. Le porte-manteau suit le roi à la chasse, avec une valise ou porte-manteau garni de mouchoirs, chemises, & autre linge de corps ; afin que S. M. puisse changer en cas de besoin.
Le dauphin a aussi son porte-manteau. Les cardinaux à Rome ont des officiers ecclésiastiques qu'on nomme caudataires, parce qu'ils portent la queue traînante de leur robe, & en France des valets-de-chambre chargés du même office, qui ont quelque rapport avec le porte-manteau.
Les évêques de l'église romaine ont aussi leur porte-croix, leur porte-mitre, &c. c'est-à-dire, des porteurs de croix, des porteurs de mitre, &c.
PORTE-MANTEAUX, ouvrages de menuiserie qu'on attache contre la muraille, dans les garderobes & dans les armoires, servant à suspendre les chapeaux, manteaux, habits, &c.
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PORTE-MIROIR | S. m. (Hist. nat.) c'est le nom que les Hollandois donnent à un papillon de Surinam ; il est de couleur d'or rouge, avec des raies blanches sur les aîles, dont chacune est ornée d'une tache transparente comme du verre, environnée d'un cercle blanc & noir, ce qui lui a valu son nom. Ce papillon est produit par une chenille qui se trouve sur les citronniers du pays ; elle a le dos jaune, le ventre rouge, & sur le dos une double raie qui forme une flamme ; elle produit une soie plus épaisse que la soie ordinaire, mais cette chenille est assez rare.
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PORTE-MISSEL | S. m. (Menuiserie) sorte de petit pupitre avec un pié & des rebords, qu'on met sur l'autel, & dont on se sert pour soutenir le missel lorsqu'on dit la messe. (D.J.)
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PORTE-MOUCHETTE | S. m. terme de Fondeur ; instrument de métal qui a des rebords, & un peu plus que la longueur des mouchettes ; il sert à mettre dessus les mouchettes, quand on ne s'en sert pas.
Les porte-mouchettes commencent déja à tomber de mode, parce qu'on ne fait plus usage que de bougies, & que pour les moucher, on se sert de mouchettes d'acier d'Angleterre, qui n'ont point besoin de porte-mouchettes. (D.J.)
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PORTE-OR | S. m. (Hist. nat.) nom d'un marbre très-estimé, qui est d'un beau noir, & rempli de veines & de taches jaunes comme de l'or. Ses veines sont ordinairement assez fines, & elles se croisent en tout sens ; quelquefois on y trouve aussi des veines blanches. Ce marbre étoit connu des anciens, qui l'appelloient marmor thebaicum. Bruckmann dit qu'il s'en trouve en Carniole, & Scheuchzer prétend qu'il y en a en Suisse dans le canton de Berne.
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PORTE-OUTIL | S. m. en terme de Boursier, espece d'étui ou de trousse, où les soldats enferment le tranchant de leurs pioches, haches, bêches ; on l'attache sur le col par une bande de cuir, qui prend aux deux côtés du porte-outil, & qui est garnie d'anneaux aussi de cuir, pour retenir les manches de chaque outil.
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PORTE-PRESSE | qui se nommoit anciennement un âne, est un meuble utile aux Relieurs ; il est composé de quatre piliers, d'un fond, de deux bouts, de deux côtés, & de deux barres sur lesquels porte la presse. Voyez les Pl. de la Relieure.
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PORTE-PUTAINS | petit bateau pêcheur de cayeux : terme de pêche usité dans l'amirauté de Saint Valery en Somme.
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PORTE-RAMES | S. m. (Manufact.) c'est une planche percée d'une large rainure, au milieu de laquelle est un cylindre roulant, sur lequel glissent les ficelles qui s'appellent rames. On s'en sert dans les métiers de plusieurs ouvriers qui travaillent de la navette, particulierement dans ceux des Tissutiers-Rubaniers.
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PORTE-ROSTEINS | instrument du métier d'étoffe de soie. Les porte-rosteins sont des bois ronds de la longueur d'un pié, d'un pouce de diametre ; on les cloue aux piés de métier de derriere ; ils entrent de pointe dans le rostein, sur lequel est la cordeline ; elle se dévide à mesure que l'étoffe se fabrique, le rostein ayant la liberté de tourner sur le porte-rostein, & étant fixé seulement par un contrepoids qui monte à mesure que le rostein tourne. Le rostein sert aussi pour le cordon.
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PORTE-SOUDURE | (Hydr.) Voyez outil de Fontenier au mot FONTENIER.
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PORTE-TAPISSERIE | S. m. (Menuiserie & Serrur.) machine composée de plusieurs tringles de bois, & quelquefois de fer, & qu'on attache souvent au haut des portes pour soutenir un pan de tapisserie qui tient lieu de portiere, & qui va & vient avec la porte.
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PORTE-TAREAU | outil d'Arquebusier, c'est un morceau de fer long de deux ou trois pouces, quarré & épais d'environ un pouce, creux en-dedans de la profondeur d'un pouce, dans lequel les Arquebusiers mettent la tête du tareau pour le faire travailler plus aisément.
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PORTE-TARIERE | S. m. (terme d'Armurier) outil d'Arquebusier qui sert à enmancher les tarrieres. (D.J.)
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PORTE-TORCHE | S. m. (Antiq. grecq.) Voyez LAMPADOPHORE ; j'ajoute en passant, que c'étoit un office considérable dans les fêtes de Cérès, parce que celui qui en jouissoit, étoit admis aux mysteres les plus secrets d'Eleusis. Dans le tems de leur célébration, on le reconnoissoit à ses longs cheveux étalés, & à sa tête ceinte d'un bandeau.
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PORTE-TRAIT | S. m. (terme de Bourrelier) petit morceau de cuir plié en deux, pour soutenir le trait des chevaux de carrosse.
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PORTE-VENT | PORTE-VENT
PORTE-VENTS de plomb, (Luth.) dans les orgues sont des tuyaux de ce métal dont l'usage est de porter le vent du sommier à un tuyau de montre ou autre que son volume empêche d'être placé sur le sommier.
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PORTE-VERGUES | (Marine) ce sont des pieces de charpenterie en forme d'arc, ou à peu près, & qui faisant la partie la plus élevée de l'éperon dans un vaisseau, regnent sur l'aiguille depuis le chapiteau ou bastion, jusqu'au-dessous des bosseurs. Voyez Planche IV. fig. 1, n °. 118, les porte-vergues.
Ce sont les porte-vergues qui donnent à tout l'éperon l'air qu'il doit avoir : ils s'étendent jusqu'au revers ; & il y en a ordinairement trois de chaque côté ; le plus haut s'étend depuis le bout de la herpe d'éperon jusqu'au revers, où il est cloué sous la cagouille ; on y met un marmot sur le bout qui est du côté de la herpe. Par ce même bout il doit avoir de largeur la moitié de la largeur de l'étrave en-dedans, & le quart de la même largeur de l'étrave par le bout du devant.
Les charpentiers qui ont proportionné le vaisseau de 234 piés de long, donnent au plus haut porte-vergue 8 pouces de large par-derriere, & quatre pouces & demi d'épais. Ils donnent au second porte-vergue 6 pouces de large & quatre pouces & demi d'épais par-derriere ; quatre pouces & demi de large, & trois pouces & demi d'épais par-devant. Ils donnent au plus bas porte-vergue six pouces & demi de large, & quatre pouces d'épais par-derriere, & cinq pouces de large par devant. Voyez la figure des porte-vergues dans celle d'un éperon sous le mot ÉPERON.
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PORTE-VIS | terme d'Arquebusier, c'est une piece d'ornement qui se place du côté gauche d'un fusil, vis-à-vis la platine, dont les deux bouts sont percés pour recevoir les deux grandes visses de la platine, & leur servir d'écrou.
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PORTE-VOIX | S. m. (Phys.) instrumens à l'aide desquels on augmente le son, & on le porte même beaucoup plus loin, que si on ne se servoit pas de ces instrumens. Le son est augmenté par la force élastique du porte-voix ; car dès qu'elle a une fois commencé à frémir à l'aide du son qui la met en mouvement, ce frémissement continue quelque tems ; lorsqu'il y a un long intervalle entre le premier son & les derniers frémissemens de la trompette, nous pouvons alors distinguer le premier son du dernier : ce qui produit un éclat ou retentissement, lequel fait que le son qui part du porte-voix, n'est pas si distinct, que si l'on parloit sans l'aide de cet instrument : par conséquent si l'on veut se faire entendre à une grande distance par le moyen d'un porte-voix, il faut prononcer chaque parole bien distinctement, afin que le bourdonnement ne cause aucune confusion.
On dit qu'Alexandre avoit un semblable porte-voix, à l'aide duquel il rassembloit son armée, quelque grande & quelque dispersée qu'elle pût être, & lui donnoit ses ordres, comme s'il se trouvoit en présence de chaque soldat, & qu'il parlât à chacun d'eux en particulier. Kircher a donné la figure de cette sorte de trompette, & en a fait faire une sur son modele. Mais depuis que le chevalier Morland s'est appliqué à perfectionner ces trompettes, elles ont commencé à être bien connues. La trompette entiere A B (fig. 16, n °. 4. Pneum.) est composée d'une portion elliptique A C, & d'une autre portion parabolique C B : on introduit la bouche dans le foyer de l'ellipse A, d'où partent tous les rayons sonores, comme A E, A F, A G, A H, qui, après avoir été portés contre les parois de cette portion, réfléchissent & se réunissent ensuite à l'autre foyer C. Ce même foyer doit être aussi le foyer de la parabole C B ; par conséquent les rayons sonores partiront comme de ce foyer, & seront portés en C K, C L, C M, C N, d'où ils seront réfléchis par les parois de la trompette parabolique, & avanceront directement en formant des lignes paralleles les unes aux autres, comme K O, L P, M R, N S, desorte qu'ils pourront être portés à une fort grande distance. Lorsqu'on ne veut avoir qu'une courte trompette-parlante, il suffit de lui donner une figure parabolique. Voyez ECHO, CABINETS-SECRETS, CORNETS, &c. Essai de Phys. de Mussch. p. 722.
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PORTÉE | S. f. (Gram.) étendue en longueur considérée relativement à l'action de quelque instrument. La portée d'un fusil. La portée de son esprit.
PORTEE, en Artillerie, est la ligne que décrit un boulet de canon depuis l'embouchure de la piece jusqu'à l'endroit où il va frapper. Voyez CANON, BOULET, &c.
Si la piece est pointée parallelement à l'horison, on l'appelle coup droit ou de niveau. Voyez HORISONTAL.
S'il est pointé à 45 degrés, le boulet a sa plus grande portée, & on dit que la piece est tirée à toute volée. A proportion toutes les autres portées qui sont depuis 0 degrés jusqu'à 45 degrés, sont appellées portées intermédiaires. Voyez PROJECTILE, COUP, &c. Chambers.
Le boulet, en sortant du canon, ne décrit point une ligne droite dans toute l'étendue de sa portée, parce que sa pesanteur l'approche de la terre pendant toute la durée de son mouvement. Mais comme en sortant du canon il se meut avec une très-grande rapidité, la pesanteur ne paroît pas agir bien sensiblement sur lui dans les premiers instans : c'est pourquoi on peut considérer la ligne qu'il décrit alors comme sensiblement droite ; l'étendue de cette ligne se nomme la portée de but en blanc de la piece ; ainsi l'on peut définir cette portée l'étendue de la ligne sensiblement droite que décrit le boulet en sortant du canon.
La portée du but en blanc est bien moindre que la portée totale du boulet ; mais on ne peut aligner le canon ou le pointer vers un objet déterminé, que cet objet ne soit dans l'étendue de la portée de but en blanc ; hors cette portée les coups de canon sont trop incertains.
On a fait différentes expériences pour examiner la portée du canon de but en blanc, & il en résulte que cette portée est de 300 toises.
M. de Saint-Remi rapporte dans ses mémoires des expériences faites par M. Dumetz, lieutenant-général des armées du roi, & lieutenant de l'artillerie en Flandre, par lesquels il fut trouvé, les pieces étant tirées à toute volée, & chargées aux deux tiers de la pesanteur du boulet,
Quelque soin que l'on se donne pour faire ces expériences, il y a tant de choses différentes qui concourent à augmenter ou diminuer la portée du boulet, que l'on n'y compte pas absolument ; on les regarde seulement comme donnant à-peu-près l'étendue des portées.
A l'égard de la portée du fusil, voyez FEU MILITAIRE. (Q)
PORTEE, en Musique, est la collection des cinq lignes paralleles dont nous nous servons pour noter la musique, plaçant chaque note sur une ligne, ou dans l'espace qui est entre deux lignes, selon le degré qui convient à cette note. La portée de musique est composée de cinq lignes ; mais celle du plainchant n'en a que quatre. Je ne crois pas cependant que dans l'institution, Guy d'Arezze ait pu borner ses lignes à un si petit nombre ; car s'il est vrai, comme on le prétend, qu'il ne s'avisa pas d'abord de placer des notes dans les espaces, il lui fallut nécessairement autant de lignes que de différentes notes ; or personne n'imaginera que la musique de ce célebre auteur fût bornée à quatre ou cinq notes seulement.
A ce nombre de lignes fixes dans la musique & dans le plain-chant, on en ajoute d'accidentelles, quand cela est nécessaire, & que les notes passent en-haut ou en-bas l'étendue de la portée. Cette étendue, dans une portée de musique, est en tout d'onze différentes notes, faisant dix degrés diatoniques, & dans celle du plain-chant, de neuf notes formant seulement huit degrés. Voyez CLE, NOTES, LIGNES. (S)
PORTEE, en terme de commerce de mer, signifie une certaine quantité de marchandises qu'on permet aux gens d'équipage d'un vaisseau marchand de porter & d'embarquer pour leur compte, sans payer de fret : c'est ce que l'on nomme aussi pacotille : lorsqu'il n'y a que leurs coffres & leurs hardes, on l'appelle ordinaire ; & c'est ce qui doit être chargé le premier. Voyez ORDINAIRE & PACOTILLE.
PORTEE est encore un terme de Marine relatif au commerce, qui signifie la capacité d'un vaisseau. Désigner la portée d'un navire, c'est en exprimer la grandeur & le port. Voyez PORT, Dictionn. de Commerce.
PORTEE, (Econ. rustiq.) se dit des animaux à quatre piés ; la portée d'une lapine, c'est le nombre de petits qu'elle met bas. Portée se dit aussi du tems que la femelle porte ses petits.
PORTEE, s. f. (Archit.) c'est ce qui reste d'une plate-bande entre deux colonnes ou deux pié-droits. C'est aussi la longueur d'un poitrail entre ses jambages, d'une poutre entre deux murs, & d'une travée entre deux poutres. Les corbeaux soulagent la portée des poutres. Les solives n'ont pas cet avantage ; aussi doit-on les proportionner à leurs portées dans les travées.
On entend aussi par portée, le sommier d'une platebande, d'un arrachement de retombée, ou du bout d'une piece de bois qui entre dans un mur, ou qui porte sur une sabliere. C'est pourquoi une poutre doit avoir sa portée dans un mur mitoyen, jusqu'à deux pouces près de son parpain.
Portée signifie aussi une saillie au-delà du mur de face, comme la saillie d'une gouttiere, d'un auvent, d'une cage de croisée, &c. (D.J.)
PORTEE, s. f. terme d'Arpenteur, c'est une mesure qui est de la longueur de la chaîne de l'Arpenteur, laquelle mesure il porte d'un piquet à l'autre. (D.J.)
PORTEE, en terme d'Epinglier, c'est une plaque plus forte que les autres, qui, dans la chaudiere du blanchissage, sépare ou la quantité ou l'espece des épingles. Voyez les fig. dans nos Planches de l'Epinglier. La premiere représente la portée unie par dessus, & la seconde, la portée unie par-dessous.
PORTEE, terme d'Horlogerie, c'est la petite assiette où un pivot prend naissance, & sur laquelle les arbres ou tiges portent, quand ils sont dans la verticale. Pour éviter un trop grand frottement sur les portées, elles doivent être bien plates, bien polies, & n'avoir qu'une largeur raisonnable.
PORTEE, (Metteur en oeuvre.) Ce terme désigne la place dans laquelle doit être logée la pierre que l'on veut sertir. Quand on dispose un chaton pour y recevoir une pierre, on forme sur le bord du chaton un biseau à la lime ; c'est sur ce biseau que l'on creuse avec une échope ronde la portée. La facilité & la beauté du serti dépendent de l'ajustage de la portée. Il faut que le feuilleti de la pierre repose bien également, que la pierre ne soit pas trop enfoncée, & que l'ajustage ne soit pas trop lâche : sans ces conditions il peut résulter nombre d'inconvéniens au serti, tel que celui de courir risque de casser la pierre lorsqu'elle porte à faux en quelqu'endroit de la portée, de n'avoir pas assez de matiere pour remplir les entre-deux des pierres lorsque l'ajustage est trop lâche, &c.
PORTEES, s. f. pl. terme de Plombier. Les Plombiers nomment les portées d'un moule à fondre les tuyaux sans soudure, deux petits tuyaux de cuivre de deux pouces de long ou environ, & de l'épaisseur que l'on veut donner aux tuyaux de plomb qui traversent les rondelles qui sont aux deux bouts du moule. (D.J.)
PORTEE, s. f. (Manufact. de lainage) C'est un certain nombre de fils qui font partie de la chaîne d'étoffe.
La chaîne d'une étoffe de laine doit être composée d'une certaine quantité de portées, & chaque portée d'un certain nombre de fils. Le nombre des portées que chaque étoffe doit avoir, est fixé par les réglemens du lieu où elle se fabrique, suivant la largeur, son espece & sa qualité. Ainsi lorsque l'on dit que la chaîne d'une étoffe aura soixante-sept portées de quarante fils chacune, cela doit s'entendre que cette chaîne doit contenir en tout deux mille six cent quatre-vingt fils.
Les chaînes des étoffes de laine s'ourdissent ordinairement par demi-portées, c'est-à-dire, que chaque portée est partagée en deux, & cela pour avoir plus de facilité à les mettre sur le métier. Il y a des lieux de manufactures où les demi-portées sont appellées cuissette. Savary.
PORTEE, s. f. (Manufacture de soierie) Ce mot signifie, comme dans la manufacture de lainages, un certain nombre de fils de soies, qui font une portion de la chaîne d'une étoffe ; ensorte que lorsque l'on dit qu'un taffetas de onze vingt-quatriemes d'aune de largeur entre les lisieres, aura vingt-quatre portées de vingt-quatre fils chacune, cela doit s'entendre que toute la chaîne qui est employée à faire ce taffetas, doit être composée de dix-neuf cent vingt fils.
En fait de velours, les portées se distinguent en portées de poil, & en portées de chaîne. Un velours à trois poils doit avoir soixante portées de chaîne, & chacune de ces portées doit être de quatre-vingt fils.
Les portées que doivent avoir toutes sortes de velours, taffetas, & tabis, suivant leurs différentes largeurs, especes & qualités, sont réglées par les statuts des ouvriers en draps d'or, d'argent & de soie, des villes de Paris, Lyon & Tours, faits en 1667 ; on y devroit changer bien des choses. (D.J.)
PORTEE, (Ruban.) s'entend dans l'ourdissage du ruban, de la descente & de la remontée du blin. Pour entendre ceci, il faut savoir que l'on ourdit ordinairement à 16 rochets, ce qui produit la demi-portée. Cette demi-portée est encroisée en haut, en commençant par deux fils de soie à la fois, voyez ENCROISER. L'on descend ainsi, & lorsqu'on est arrivé à l'encroisure d'en-bas, on encroise seulement tous les 16 brins à-la-fois, c'est-à-dire, qu'on les tourne à l'entour des boutons de cette encroisure, puis l'on remonte comme l'on étoit descendu pour encroiser encore par deux fils, comme il vient d'être dit, & voilà ce qu'on appelle une portée : ainsi on dit du ruban à 16, 18 ou 20 portées, selon la largeur que l'on veut lui donner. Voyez ENCROISER, CROISURESURE.
PORTEES, s. f. pl. terme de Chasse ; action du cerf, qui passant dans un bois épais, jeune & tendre, fait plier & tourner les branches avec sa tête. Salnove dit que le cerf de dix cors commence à faire des portées de la tête à la mi-mai. (D.J.)
PORTEE, en Fauconnerie. On dit l'oiseau a bonne portée ; il faut tirer le filet, c'est-à-dire, l'oiseau est attaché avidement à l'appât.
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PORTELOTS | S. m. pl. (Charpent.) Ce sont des pieces de bois qui regnent au pourtour d'un bateau-foncet au-dessus des plat-bords. (D.J.)
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PORTENDIC | (Géog. mod.) baie sur la côte occidentale d'Afrique, entre Arguin & le Sénégal. Deux grands bancs de sable, & qui joignent des deux côtés le continent, lui servent de défense naturelle, & forment un canal d'environ 80 brasses de largeur. Les François y ont un comptoir sous la dépendance de celui d'Arguin. Latit. 18. 6. (D.J.)
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PORTEPAGE | S. m. dans l'Imprimerie, est un morceau de papier fort, ou plusieurs feuilles pliées doubles les unes sur les autres ; sur ce portepage le compositeur pose les pages, d'une moyenne ou petite forme, après les avoir liées d'une ficelle, comme in-8°. in 12. &c. pour les mettre ensuite en rang sur une planche qui est dessous sa casse. Une page posée sur un portepage est maniable, & peut se transporter sans craindre que rien ne s'en détache. Pour les pages in-4 °. & in-folio on les laisse sur la coulisse. Le compositeur qui va en paquet met aussi chaque paquet sur un portepage. Le portepage doit déborder la page ou le paquet d'un doigt au moins tout-autour.
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PORTEPLEIN | (Marine) les voiles, ou simplement porteplein ; c'est un commandement que fait le pilote, le capitaine, ou quelque officier qui s'apperçoit le premier que le timonnier serre le vent de trop près, & fait barbeyer ou friser la voile du côté du lof. A ce commandement on arrime tant-soit-peu pour faire porter plein, & empêcher de prendre le vent sur la voile ou autrement, de prendre vent devant. Enfin, c'est un commandement pour gouverner, ensorte que les voiles soient toujours pleines. Ce n'est pas un avantage de chicaner le vent, sur tout dans les longues routes, & il vaut mieux faire porter plein.
Porte à route ; c'est quand, par accident, on a été contraint de courir sur un autre air de vent que celui de la route, & qu'on commande au timonnier de se remettre sur ce rhumb.
Porte tant de long, tant de gros. On dit qu'une piece de bois porte tant de long & tant de gros, pour dire que cette piece de bois a tant de longueur & tant de grosseur.
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PORTER | APPORTER, TRANSPORTER, EMPORTER, (Gramm.) Porter n'a précisément rapport qu'à la charge du fardeau ; apporter renferme l'idée du fardeau, & celle du lieu où l'on le porte ; transporter a non-seulement rapport au fardeau & au lieu où l'on doit le porter, mais encore à l'endroit d'où on le prend ; emporter enchérit pardessus toutes ces idées, en y ajoutant une attribution de propriété à l'égard de la chose dont on se charge.
Nous faisons porter ce que, par foiblesse, ou par bienséance, nous ne pouvons porter nous-mêmes ; nous ordonnons qu'on nous apporte ce que nous souhaitons avoir ; nous faisons transporter ce que nous voulons changer de place ; nous permettons d'emporter ce que nous laissons aux autres, ou ce que nous leur donnons.
Les crocheteurs portent les fardeaux dont on les charge ; les domestiques apportent ce que leurs maîtres les envoyent chercher ; les voituriers transportent les marchandises que les commerçans envoyent d'une ville dans une autre ; les voleurs emportent ce qu'ils ont pris.
Virgile a loué le pieux Enée d'avoir porté son pere Anchise sur ses épaules, pour le sauver du sac de Troie. Saint Luc nous apprend, que les premiers fideles apportoient aux apôtres le prix des biens qu'ils vendoient. L'histoire nous montre que la Providence punit l'abus de l'autorité, en la transportant en d'autres mains. Si un de nos traducteurs avoit bien fait attention aux idées accessoires qui caractérisent les synonymes, il n'auroit pas dit que le malin esprit emporta, au lieu de dire transporta Jesus-Christ.
Porter, transporter, emporter, se disent figurément en choses morales & spirituelles ; ainsi on dit porter son jugement sur quelque chose, porter impatiemment un affront. Saint Paul fut transporté au troisieme ciel, où il vit des choses ineffables ; Cyrus transporta l'empire des Medes aux Perses, & Alexandre l'empire des Perses aux Grecs ; les Stoïciens l'emportent sur tous les autres Philosophes ; la perte d'une bataille emporte la désolation du pays ; le sublime & le pathétique entraînent & emportent toute notre admiration. (D.J.)
Le verbe porter a un grand nombre d'acceptions différentes. Voyez les articles suivans, & le mot PORTEE.
PORTER, (Critique sacrée) ce terme pris au figuré dans l'Ecriture, signifie mener, conduire, protéger, se charger ; portasti eum in fortitudine tuâ, Exod. xv. 13. " Dieu a conduit son peuple avec les marques de sa puissance divine, dans la terre qu'il lui avoit promise " : porter l'iniquité des autres, Exod. xij. 38. c'est se charger de leurs fautes, ou en supporter la peine.
PORTER, v. n. terme de teneur de livres, c'est la même chose qu'écrire, ou mettre un article, une partie, une dette, un payement à l'endroit d'un registre ou d'un compte qui leur convient, suivant leur différente nature. On dit porter sur le grand livre, porter sur le journal, porter à compte, porter en débit, porter en crédit, porter en recette, en dépense, en reprise, &c. Ricard. (D.J.)
PORTER parole, PORTER la parole, (Commerce) porter parole, c'est faire des offres ; on m'a porté parole de cent mille livres pour ma part dans le retour du vaisseau l'Amphitrite : porter la parole, c'est parler au nom d'une assemblée, d'un corps. Dans chacun des six corps des marchands de la ville de Paris, c'est le grand garde qui porte la parole : les syndics & les jurés dans les communautés des arts & métiers, portent la parole chacun pour leur corps.
PORTER, (Marine) toutes les voiles portent, le vent est dans les voiles ; porter peu de voiles, c'est n'en déployer qu'une petite partie : porter, c'est-à-dire, gouverner, faire route, courir ou faire voiles ; ainsi l'on dit d'un vaisseau, qu'il porte au sud, qu'il porte le cap au sud, pour dire qu'il fait route au sud. On dit qu'il est porté d'un vent de sud, qu'il est porté d'un vent d'est, pour dire qu'il est conduit par l'un ou l'autre de ces vents : on dit aussi qu'il est porté d'un vent frais.
Porter sur l'ennemi, porter sur l'escadre rouge. Voyez PORTER LE CAP, GOUVERNER.
Porter à route, c'est aller en droiture sans louvoyer, au lieu où l'on doit aller.
PORTER, se dit quelquefois de la charge dont un vaisseau marchand est capable, & des équipages & canons dont il est monté. Ce vaisseau porte vingt pieces de canons, cent soldats, à proportion de matelots & d'officiers, & plus de deux mille tonneaux de marchandises.
PORTER, terme de Blason, l'on dit de quiconque a des armes, qu'il porte les différentes pieces dont est chargé son écusson : si, par exemple, il y a trois lions rampans, on dit qu'il les porte. Voy. PIECE, &c.
PORTER, v. act. (Archit.) ce terme a plusieurs significations dans l'art de bâtir. On dit qu'une piece de bois ou qu'une pierre porte tant de long & de gros, pour dire qu'elle a tant de longueur & de grosseur. Par exemple les deux pierres servant de cimaise au fronton du portail du Louvre, portent chacune 52 piés de long, sur 8 piés de large, & sur 18 pouces d'épaisseur.
Porter de fond, c'est porter à plomb, & par empatement dès le rez-de-chaussée.
Porter à crud ; on dit qu'un corps porte à crud, lorsqu'il est sans empatement ou retraite. Telle étoit anciennement la colonne dorique.
Porter à faux, c'est porter en saillie, & par encorbellement, comme un balcon en saillie, & le retour d'angle d'un entablement ; tel est celui, par exemple, de l'ordre toscan de la grotte de Meudon. On dit qu'une colonne ou qu'un pilastre porte à faux, quand il est hors de son aplomb. Dict. d'Archit.
PORTER, (Jardinage) on dit que les arbres qui sont chargés de beaucoup de fruits, portent beaucoup cette année.
PORTER, en terme de Manége, signifie pousser un cheval, le faire marcher en avant d'un côté & d'autre, d'un talon sur l'autre ; le porter de côté, c'est le faire marcher sur deux pistes dont l'une est marquée par les épaules & l'autre par les hanches. Porter un cheval d'un côté & d'autre sur deux lignes paralleles, le porter d'un talon sur l'autre. Porter, chasser un cheval en avant.
On dit aussi qu'un cheval porte beau, ou en beau lieu, lorsqu'il a une encolure belle, haute, tournée en arc à la façon des cignes ; & qu'il tient la tête haute sans contrainte, ferme & bien placée. On dit qu'il porte bas, quand il a l'encolure molle, mal tournée, & qu'il baisse la tête. Tout cheval qui s'arme, porte bas ; mais il peut porter bas sans s'armer. Voyez S'ARMER.
Lorsqu'il s'arme, il a l'encolure trop souple, & veut fuir la sujétion de la bride ; & quand il porte bas, il a l'encolure mal placée & mal tournée.
On dit qu'il porte au vent, quand il leve le nez aussi haut que les oreilles, & ne porte pas en beau lieu : la différence de porter au vent & de battre à la main, est que le cheval qui bat à la main, secoue la tête, & résiste à la bride ; & celui qui porte au vent, leve la tête sans la secouer, & quelquefois bat à la main : le contraire de porter au vent, est de s'armer & de porter bas. La martingale ramene quelquefois des chevaux qui portent au vent. Voyez MARTINGALE.
PORTER, en terme de Manufacture & de Commerce d'étoffes & de tapisserie ; signifie la longueur & la largeur qu'elles ont. Ce drap porte vingt aunes de longueur sur une aune de largeur : cette tapisserie porte quinze à seize aunes. Voyez AUNE.
PORTER, terme de Paumier, qui signifie l'action d'une balle, qui frappe, soit de volée, soit du premier bond contre le mur de l'une ou l'autre des extrêmités du jeu de paume.
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PORTEREAU | S. m. (Archit. hydraul.) c'est une construction de bois qu'on fait sur de certaines rivieres, pour les rendre plus hautes en retenant l'eau ; ce qui facilite la navigation. Cette construction forme une espece de bonde d'étang ; elle consiste en une grande pale de bois qui barre la riviere, & qui s'éleve par le moyen d'un grand manche tourné en vis, quand quelque bateau arrive : ce manche est dans un écrou, & placé au milieu d'un fort chevalet.
On appelle encore portereau, en charpenterie, un bâton court de bris, qui sert pour porter des pieces au chantier, & de-là au bâtiment.
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PORTES D'ENFER | (Mythol.) Selon Virgile, ce sont deux portes appellées les portes du sommeil, l'une de corne, l'autre d'ivoire. Par celle de corne passent les ombres véritables qui sortent des enfers & qui paroissent sur la terre ; par celle d'ivoire sortent les vaines illusions & les songes trompeurs. Enée sortit par la porte d'ivoire. (D.J.)
PORTES DE ROME, (Antiq. rom.) Pline dit que de son tems il y avoit trente-sept portes à la ville de Rome. Il en reste encore neuf anciennes sans celles de trans Tebero & du Vatican.
La premiere & la principale s'appelloit anciennement Flumentana ou Flaminia, aujourd'hui del Popolo, sur le bord du Tibre, vers le couchant d'hiver, selon la description de Martian, liv. I. ch. viij.
La seconde étoit à main droite en tirant vers la colline des jardinages qu'on appelloit Collatina, par où on sortoit pour aller à Collatie, ville des Sabins, & le grand chemin se nommoit via Collatina.
La troisieme étoit appellée anciennement Quirinalis, parce qu'on passoit par-là pour aller au Quirinal ; on la nomme aujourd'hui Porta salasa, parce qu'on amene le sel par cette porte dans la ville.
La quatrieme s'appelloit Viminalis, à cause du mont Viminal : elle est nommée aujourd'hui Momentane ou de sainte Agnès.
La cinquieme est l'Esquiline, ou la Taurine & Tiburtine, parce qu'on y passoit pour aller à Tivoli.
La sixieme étoit porta Coelimontana, par où on alloit au mont Célion.
La septieme se nommoit porta Latina ou Ferentina, qui conduisoit au pays des Latins.
La huitieme s'appelloit Capena, elle étoit au pié du mont Aventin & proche le Tibre, & elle conduisoit dans la via Appia ; son nom lui venoit d'une petite ville qui n'étoit pas éloignée de Rome : cette porte étoit encore appellée Fontinalis, à cause de plusieurs fontaines dont elle étoit environnée, ce qui fait dire à Juvénal, en parlant d'Umbricius qui quittoit Rome : Substetit ad veteres arcus, madidamque Capenam, " Il s'arrêta aux anciens portiques & à la porte Capéne qui est baignée d'eau ". Enfin on appelloit aussi cette porte la porte Triomphale, parce que ceux qui étoient honorés du triomphe, faisoient leur entrée par cette porte ; c'est aujourd'hui la porte saint Sébastien.
La neuvieme étoit nommée Ostiensis & Trigemina, parce que celui des trois Horaces qui tua les trois Curiaces, entra par-là.
Il y avoit trois portes en trans Tevere, in trans-Tiberina ; la premiere auprès du port, nommée Ripa, où abordent les barques qui viennent d'Ostie & de la mer, qu'on appelloit autrefois Portuensis & Navalis. La seconde au haut du Janicule, appellée Aurelia, du chemin qu'un certain Aurelius, homme consulaire, fit paver ; on alloit de cette porte le long de la mer de Toscane jusqu'à Pise. La troisieme est au pié du Janicule, appellée Septimiana, de Septimus Severus qui la fit faire. (D.J.)
PORTE, (Critiq. sacrée) ce mot se prend souvent dans l'Ecriture au figuré ; la porte du ciel ; les portes de la justice, sont les portes du tabernacle. Les portes de la mort sont les dangers qui conduisent à la mort. Porte se prend pour la ville même, Genèse, xxiv. 60. Ce mot désigne aussi le tribunal de justice, parce que les Juifs étant la plûpart employés aux travaux de la campagne, on avoit établi qu'on s'assembleroit à la porte des villes, & qu'on y rendroit souverainement la justice, afin de ménager le tems de ces villageois, Deutéron. xvj. 18. On peut voir une forme de ces jugemens dans l'acquisition que fait Abraham d'un champ pour enterrer Sara : c'est pourquoi le jugement, la sentence est appellée porta : ne conteras egenum in porta, Prov. xxij. 22. " n'opprimez point le pauvre dans votre jugement " ; de-là vient encore que ce mot signifie les bornes de la jurisdiction, Exod. xxvj. 33. , Act. xiv. 13. est aussi la porte de la ville. Il est rapporté dans les mêmes Actes, que la servante Rhodes ayant apperçu Pierre, ne lui ouvrit point la porte, mais courut dans la maison pour annoncer que Pierre étoit là. Il y a dans le grec la porte de la porte, , dit Grotius, c'est la porte qui ferme l'ouverture, & , c'est l'ouverture même faite à la muraille, les poteaux. (D.J.)
PORTE DE SUZAN, (Critique sacrée) nom de la porte orientale extérieure du temple de Jérusalem ; cette porte fut ainsi nommée après que le temple de Jérusalem fut achevé, l'an 515 avant Jesus-Christ, en vertu de la permission de Darius, fils d'Histape, qui l'accorda dans son palais de Suze ou Suzan ; les Juifs par reconnoissance représenterent en sculpture la ville de Suze au-dessus de la porte de ce nom ; & ce monument subsista jusqu'à la destruction du temple par les Romains.
PORTE D'UNE PLACE DE GUERRE, (Archit. mil.) la porte d'une place de guerre doit être au milieu d'une courtine pour être bien défendue des flancs & des faces : celles qui sont dans le flanc embrassent la partie la plus nécessaire de la fortification, & quand elles sont dans la face, elles embrassent encore plus la masse du bastion, dont le terrein doit être libre, & propre aux retranchemens qui s'y doivent faire en cas de besoin. Le moins qu'une place ait d'entrée est le meilleur. Toutes les portes ont un pont qu'on leve tous les soirs, outre cela elles sont défendues par des herses, qui sont soutenues par une corde, qu'on lâche pour se garantir des surprises, ou des orgues, qui sont de grosses pieces de bois détachées, qu'on laisse tomber les unes après les autres, pour former une porte. (D.J.)
PORTE MERIDIONALE, (Jurisprud.) dans les anciennes coûtumes, signifioit la porte d'une église tournée au midi, vers laquelle se faisoit autrefois la purgation canonique, c'est-à-dire que lorsqu'on ne pouvoit constater suffisamment le fait d'un crime, on conduisoit l'accusé à la porte méridionale de l'église, où il faisoit serment en présence du peuple, qu'il étoit innocent du crime dont il étoit accusé. Voyez PURGATION.
Cette purgation étoit appellée jugement de Dieu, & c'est pour cette raison que l'on faisoit anciennement de vastes portiques à la porte méridionale des églises. Voyez JUGEMENT DE DIEU.
PORTE, la, (Hist. des Turcs) c'est le nom qu'on donne à l'empire des Turcs. Leurs conquêtes ont affoibli cet empire, parce qu'ils n'ont pas su les mettre à profit par de sages réglemens ; détruisant pour conserver, ils n'ont acquis que du terrein. Leur religion ennemie des arts, du commerce & de l'industrie qui fait fleurir un état, a laissé regner des vainqueurs dans des provinces dévastées, & sur les débris des puissances qu'ils ont ruinées ; enfin le despotisme a produit dans la monarchie ottomane tous les maux dont il est le germe.
On a remarqué que tout gouvernement despotique devient militaire, dans ce sens que les soldats s'emparent de toute l'autorité. Le prince qui veut user d'un pouvoir arbitraire en gouvernant des hommes, ne peut avoir que de vils esclaves pour sujets ; & comme il n'y a aucune loi qui retienne sa puissance dans de certaines bornes, il n'y en a aussi aucune qui la protege, & qui soit le fondement de sa grandeur. Se servant de la milice pour tout opprimer, il est nécessaire que cette milice connoisse enfin ce qu'elle peut, & l'opprime à son tour, parce que ses forces ne peuvent être contrebalancées par des citoyens qui ne prennent aucun intérêt à la police de l'état, & qui cependant dans le cas de la révolte des gens de guerre, font la seule ressource du prince.
Soliman I. connoissant tous les dangers auxquels ses successeurs seroient exposés, fit une loi pour défendre que les princes de sa maison parussent à la tête des armées, & eussent des gouvernemens de provinces. Il crut affermir les sultans sur le trône, en ensevelissant dans l'obscurité tout ce qui pouvoit leur faire quelque outrage. Par cette politique il crut ôter aux janissaires le prétexte de leurs séditions, mais il ne fit qu'avilir ses successeurs. Corrompus par l'éducation du serrail, ils porterent en imbécilles l'épée des héros qui avoient fondé & étendu l'empire. Les révolutions devinrent encore plus fréquentes ; les sultans incapables de regner, furent le jouet de l'indocilité & de l'avarice des janissaires ; ceux auxquels la nature donna quelques talens, furent déposés par les intrigues de leurs propres ministres, qui ne vouloient point d'un maître qui bornât leur pouvoir.
Malgré les vastes états que possede le grand-seigneur, il n'entre presque pour rien dans le système politique de l'Europe. Les Turcs sont pour ainsi dire inconnus dans la chrétienté, ou bien on ne les y connoît que par une tradition ancienne & fausse, qui ne leur est point avantageuse. Si la Porte entretenoit des ambassadeurs ordinaires dans toutes les cours ; que se mêlant des affaires, elle offrit sa médiation & la fît respecter ; que ses sujets voyageassent chez les étrangers, & qu'ils entretinssent un commerce reglé, il est certain qu'elle forceroit peu-à-peu les princes chrétiens à s'accoûtumer à son alliance.
Mais il n'est pas vraisemblable que la Porte change de politique ; elle pensera toujours que son gouvernement doit avoir pour base l'ignorance & la misere des sujets.
L'Europe n'a pas lieu de craindre beaucoup les forces de la Porte. L'empereur, la Pologne, la Russie, & la république de Venise forment une barriere que les Turcs ne peuvent forcer. On ne sauroit même douter que ces quatre puissances ne fussent en état de repousser le grand-seigneur en Asie, s'il étoit de l'intérêt des autres princes chrétiens, de leur laisser exécuter une pareille entreprise, ou si elles pouvoient elles-mêmes réunir leurs forces pour un semblable dessein. Ainsi la Porte conservera l'empire qu'elle a acquis en Europe, parce que d'ailleurs sa ruine agrandiroit trop quelques puissances, sur-tout la Russie, & qu'il importe à tous les peuples qui font le commerce du levant, que la Grece & les autres provinces de la domination ottomane, soient entre les mains d'une nation oisive, paresseuse, & qui ignore l'art de tirer parti des avantages que lui présente sa situation. (D.J.)
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PORTEUR | (Commerce) celui qui porte pour autrui. Il y a à Paris des porteurs de sel, des porteurs de grains & farines, & des porteurs de charbon, qui sont des officiers du roi ou de la ville.
Les porteurs de sel que l'ordonnance de la ville de l'an 1672 nomme jurés hanouards (vieux terme qu'on trouve dans une ordonnance du roi Jean en 1350), ont été établis pour porter le sel du bateau au grenier, & du grenier aux maisons des bourgeois, moyennant un certain droit qui leur est attribué par minot.
Les jurés porteurs de grains & farines doivent résider dans la ville, se trouver sur les ports & places, y décharger les sacs de grains & farines, les charger après que la vente en a été faite ; en quoi ils peuvent se faire aider par des gagne-deniers ou plumets qu'ils sont tenus de payer, sans que ceux-ci puissent rien exiger des marchands & bourgeois. Les jurés porteurs de grains ne doivent point s'entremettre d'achats de grains sur les ports & places, s'ils n'ont avec eux les bourgeois acheteurs, ni prendre des grains en payement de leurs droits.
Les jurés porteurs de charbon sont obligés de se rendre tous les jours sur les ports & places de la ville, pour porter le charbon chez le bourgeois, & peuvent se faire aider dans cette fonction par des gagne-deniers, aux mêmes conditions que les porteurs de grains. Ce sont eux enfin qui doivent porter au bureau de la ville les échantillons des charbons qui doivent servir à en fixer le prix, sur le rapport des jurés mesureurs. Dict. de Commerce.
PORTEURS D'ARGENT, (Comm.) c'est le nom que dans les caisses considérables & chez les gros marchands, négocians & banquiers, on donne à certains serviteurs qui sont uniquement employés à porter l'argent sur leur dos dans de petites hottes ou paniers d'osier faits exprès.
Ce sont ordinairement ces porteurs d'argent qui vont faire accepter les lettres-de-change ; qui les reçoivent à leurs échéances, & qui ont soin de faire faire des protêts faute de payement ou d'acceptation. Ils aident pareillement à peser & compter les sacs, à reporter ceux qui ne sont pas bons, & font tout le gros ouvrage de la caisse.
Ceux qui sont obligés à se servir de ces porteurs, n'en doivent point prendre sans répondant, ni qui ne sache lire & écrire, pour tenir bordereau de toutes les parties qu'ils vont recevoir en ville. Dict. de Com.
PORTEUR, (Jurisprud.) On appelle un billet au porteur, celui qui n'est rempli du nom de personne en particulier, mais par lequel on promet de payer à celui qui en sera le porteur. Voyez BILLET AU PORTEUR.
Porteur d'ordre est celui au profit duquel on a passé l'ordre d'un billet payable à ordre. Voyez BILLET A ORDRE & ORDRE.
Porteur de pieces, se dit d'un huissier ou sergent, entre les mains duquel on a remis un arrêt, sentence ou obligation & autres pieces, pour pouvoir exercer des contraintes contre quelqu'un. Voy. CONTRAINTE, EXECUTION, HUISSIER, SERGENT. (A)
PORTEUR, (Maréchal) cheval porteur, est celui sur lequel le postillon est monté, quand un équipage est attelé de plusieurs chevaux.
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PORTHMUS | (Géog. anc.) 1°. ville de l'Eubée, sur la mer Egée. Pline, liv. IV. c. xij. Suidas & Demosthene, Orat. in Philipp. parlent de cette ville : elle étoit fixée à l'occident de l'île de Chios, & au midi de celle de Scyros : la notice de Hiéroclès en fait une ville épiscopale. 2°. Pline, liv. III. c. v. dit aussi que les Grecs donnoient ce nom au détroit que les Latins appelloient Gaditanum fretum, aujourd'hui le détroit de Gibraltar. Porthmus, , signifie simplement un détroit. (D.J.)
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PORTICI | (Géog. mod.) village d'Italie, dans la terre de Labour, à six milles de Naples, & à un mille de la mer, vis-à-vis le mont Vésuve. Je ne parle de ce village, que parce qu'il est devenu fameux par la maison de plaisance du roi des deux Siciles, dans laquelle il a rassemblé les morceaux d'antiquité tirés des ruines d'Herculanum. Voyez HERCULANUM.
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PORTICO | (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de la Romagne, illustré pour avoir été la patrie d'Ambroise le camadulle, homme aimable & savant dans un siecle d'ignorance ; car il mourut en 1439, après avoir publié plusieurs ouvrages, & même une traduction de Diogene Laerce. L'étude, dit Paul Jove, ne le rendit point farouche, la piété ne le rendit point sévere, & il étoit toujours d'une humeur agréable. Fuit hic vir, quod rarò evenit, sine oris tristitiâ, sanctus, semper utique suavis atque serenus. (D.J.)
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PORTIER | S. m. (Gram.) celui qui est commis à une porte pour la garder, & pour avertir les maîtres & les autres personnes qui habitent, qu'on les demande, écrire les visites rendues, recevoir les lettres, &c.
PORTIER, s. m. (Théolog.) ostiarius ou janitor, celui qui a la garde ou le soin des portes. Ministre ecclésiastique dont l'ordre est un des quatre ordres mineurs. Voyez ORDRE.
Les Grecs les nommoient , ou préposés aux portes ; mais il ne paroît pas qu'ils ayent compté cette fonction parmi les ordres mineurs. Car outre que dans leurs rituels on ne trouve point d'ordination particuliere pour les portiers, le concile in Trullo, qui fait l'énumération de tous les ordres, ne parle point de celui-là. Jean, évêque de Citre, & Codin, cités par le pere Morin, comptent les portiers parmi les officiers de l'église de Constantinople ; mais ils ne font pas de leur emploi un ordre particulier. Coutelier, dans ses notes sur le II. liv. de Constitutions apostoliques, remarque que la garde des portes n'étoit point un ordre, mais un office qu'on confioit quelquefois à des diacres, à des soûdiacres, à d'autres clercs inférieurs, & même à des laïques.
Dans l'Eglise latine l'ordre des portiers a toujours été regardé comme un des ordres mineurs. Il en est fait mention dans l'épître du pape S. Corneille à Sabin d'Antioche, rapportée par Eusebe, Hist. ecclés. lib. VI. c. xliij. dans le quatrieme concile de Carthage, tenu en 398 ; dans le sacramentaire de S. Gregoire, Isidore de Séville, Alcuin, Amalaire, Raban Maur, & tous les autres anciens liturgistes, aussi-bien que dans S. Cyprien, epist. 34. & dans le premier concile de Tolede, can. 4.
Les portiers, dit M. Fleury, étoient nécessaires du tems que les Chrétiens vivoient au milieu des infideles, pour empêcher ceux-ci d'entrer dans l'église, de troubler l'office, & de profaner les mysteres. Ils avoient soin de faire tenir chacun en son rang, le peuple séparé du clergé, les hommes des femmes, & de faire observer le silence & la modestie, à quoi l'on peut ajouter que lorsque la messe des catéchumenes étoit finie, c'est-à-dire après le sermon de l'évêque, ils faisoient sortir non-seulement les catéchumenes & les pénitens, mais encore les Juifs & les infideles, auxquels on permettoit d'entendre les instructions, & généralement tous ceux qui n'avoient pas droit d'assister à la célébration des saints mysteres, & alors ils fermoient la porte de l'église.
Dans le pontifical romain, les fonctions marquées par l'instruction que leur donne l'évêque à l'ordination, & par les prieres qui l'accompagnent, sont de sonner les cloches, & de distinguer les heures de la priere, garder fidelement l'église jour & nuit, & avoir soin que rien ne s'y perde, ouvrir & fermer à certaines heures l'église & la sacristie, ouvrir le livre à celui qui prêche. En leur donnant ou leur faisant toucher les clefs de l'église, il leur dit : " gouvernez-vous, comme devant rendre compte à Dieu des choses qui sont ouvertes par ces clefs ". Sic age, quasi redditurus Deo rationem de his rebus quae his clavibus recluduntur. C'est la formule de leur ordination prescrite par le ive. concile de Carthage. Les portiers devoient enfin avoir soin de la netteté & de la décoration des églises. En rassemblant toutes ces fonctions, on voit qu'ils avoient de quoi s'occuper ; aussi étoient-ils plus ou moins nombreux, selon la grandeur des églises, & l'on en comptoit jusqu'à cent dans celle de Constantinople. Cet ordre se donnoit à des gens d'un âge assez mûr pour pouvoir l'exercer : plusieurs y demeuroient toute leur vie ; quelques-uns devenoient acolythes ou mêmes diacres. Quelquefois on donnoit cette charge à des laïques ; & c'est à-présent l'usage le plus ordinaire de leur en laisser les fonctions. Fleury, instit. au droit ecclés. tom. I. part. I. chap. vj. Voy. aussi Bingham, orig. ecclésiast. tom. II. lib. III. c. vij. §. 123. & seq.
PORTIER du Temple, (Critiq. sacrée) les lévites faisoient les fonctions de portiers du temple la nuit & le jour. David mit dans ce poste les fils d'Idithum, I. Paral. xvj, 42. Cette charge étoit de confiance, parce que les portiers gardoient les trésors du temple & ceux du roi ; c'étoit un emploi laborieux, parce qu'ils avoient soin des réparations du temple : ce qui leur donnoit une grande autorité. Enfin ils exerçoient quelquefois les fonctions de Juges dans les matieres qui concernoient la police du temple ; mais ils devoient surtout veiller soigneusement à ne laisser entrer dans le temple personne qui fût impur. II. Paralip. xxiij, 19. (D.J.)
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PORTIERE | (Littérat.) le véritable mot latin est protyrum, qui signifie une avant-porte, une portiere. Les Romains mettoient des pieces d'étoffe magnifiques devant les portes de leurs galeries ou de leurs portiques, témoin ces vers de Properce, lib. II. eleg. 32, v. x, 11.
Scilicet umbrosis sordet Pompeia columnis
Porticus aulaeis nobilis attalicis.
Ulpien, dans la loi Quaesitum, de instrument. & instruc. leg. distingue quatre especes de voiles, propylea. 1°. Il y en avoit dont on se servoit dans les maisons, pour y donner du frais. 2°. D'autres étoient disposés pour éloigner le vent, & s'opposer à la pluie. 3°. On couvroit les statues de certains voiles. 4°. Enfin il y avoit un voile appellé penula, dont on couvroit la porte de la maison. On se servoit aussi de voiles dans l'intérieur des maisons, & ils étoient semblables à nos portieres. Lampride loue l'empereur Alexandre de l'accès facile qu'il donnoit à tout le monde ; les portes de sa chambre étoient toujours ouvertes & sans portieres. (D.J.)
PORTIERES, dans l'Artillerie, sont deux morceaux ou venteaux de bois qui se placent quelquefois dans l'embrasure d'une batterie, & qui se ferment quand la piece a tiré, afin d'ôter visiere à l'ennemi. Elles ne se mettent guere qu'aux batteries du chemin-couvert, ou aux autres batteries fort proches de l'ennemi. (Q)
PORTIERE, Sellier-Carrossier ; on appelle ainsi l'entrée d'un carrosse.
PORTIERE, (Modes) garniture de porte en forme de grand rideau, qu'on met en-dehors, pour empêcher l'entrée du vent & de l'air froid, dans une chambre, un cabinet, &c.
L'idée des portieres est fort ancienne, comme on peut s'en convaincre par les planches d'un vieux manuscrit de Térence, qui est dans la bibliotheque du roi. On voit par ces planches qu'il y avoit chez les Romains des portieres presque à toutes les portes. Cet usage a été perdu pendant plusieurs siecles, voy. PORTIERE, (Littérat.) mais il a commencé à reparoître en France, il n'y a pas si long-tems ; mais depuis lors notre délicatesse en a porté le raffinement, l'aisance & la somptuosité, bien plus loin que n'avoient fait les Romains. (D.J.)
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PORTIFORIUM | S. m. (Hist. ecclés.) c'étoit autrefois une espece de drapeau ou de banniere dans toutes les cathédrales & les paroisses, qu'on portoit solemnellement à la tête de toutes les processions. Cet usage dure encore aujourd'hui dans l'église romaine pour la plûpart des paroisses de ville & de la campagne. Voyez BANNIERE.
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PORTION | S. f. (Gram.) partie d'une chose divisée réellement, ou considérée comme telle. Une portion de maison à louer. La portion d'un héritage. Une portion de sphere. La portion d'un moine, ou ce qu'on lui sert pour un repas.
PORTION dure & molle, en termes d'Anatomie, c'est une division de la cinquieme paire de nerfs du cerveau, laquelle est visiblement divisée en deux branches, avant que de sortir de la dure-mere, dont l'une assez dure & assez ferme est appellée portion dure, portio dura ; & l'autre lâche & molle se nomme portio mollis, la portion molle. Voyez NERF & AUDITIF.
PORTION, (Hydr.) on nomme portion de couronne de petites lignes courbes fendues d'espace en espace, & servant de sortie sur la platine d'une gerbe d'eau. (K)
PORTION, (Jurisprud.) ce terme est usité en différens cas.
On dit part & portion personnelle, pour exprimer ce dont quelqu'un est tenu personnellement & sans aucun recours.
Portion canoniale est la part qu'un chanoine a dans les revenus du chapitre & dans les distributions manuelles. Voyez CANONICAT, CHANOINE, CHAPITRE, DISTRIBUTIONS MANUELLES, PREBENDE. (A)
PORTION CANONIQUE est celle dont la distribution est ordonnée par les canons : c'est la même chose que portion congrue ; voyez l'article suivant.
PORTION CONGRUE est une pension dûe au Curé, ou vicaire perpétuel qui dessert une cure, ou au vicaire amovible du curé ou vicaire perpétuel, par ceux qui perçoivent les grosses dixmes dans sa paroisse.
Anciennement & suivant les dispositions du droit canonique, toutes les dixmes d'une paroisse appartenoient à l'église paroissiale.
Mais il y eut un tems où l'ignorance des prêtres séculiers étoit si grande, que les moines de l'ordre de saint Benoit & les chanoines réguliers de l'ordre de saint Augustin s'étant emparés des cures, ils les desservirent d'abord eux-mêmes, & par ce moyen se mirent en possession des dixmes.
Dans la suite, ces moines ayant été rappellés dans leur monastere, il leur fut permis de mettre à leur place dans les cures, des prêtres séculiers en qualité de vicaires révocables à volonté, auxquels ne donnant que fort peu de chose, ils ne pouvoient trouver que des prêtres incapables de s'acquiter dignement de cet emploi.
L'état déplorable où se trouvoient les paroisses, ayant causé beaucoup de scandale dans l'Eglise & excité de grandes plaintes, il y fut pourvu au concile général de Latran, tenu sous Alexandre III, & au concile provincial d'Avranches, où il fut ordonné que les religieux qui avoient des cures unies à leurs menses conventuelles, les feroient desservir par un de leurs religieux idoine, ou par un vicaire perpétuel & non révocable, qui seroit institué par l'évêque sur leur présentation, & auquel ils seroient tenus d'assigner une portion congrue, ou pension suffisante sur le revenu de la cure : telle est l'origine des portions congrues.
En exécution des décrets du concile de Latran, les chanoines réguliers de l'ordre de saint Augustin opterent de desservir eux-mêmes les cures unies à leurs menses, & pour cet effet y établirent leurs religieux en qualité de prieurs ; c'est de-là que les prieurés-cures de cet ordre ont pris naissance.
Les religieux de l'ordre de saint Benoit opterent le contraire ; ils ont retenu pour eux les dixmes & autres revenus des cures unies à leurs menses avec la qualité de curés primitifs, & ont établi des vicaires perpétuels, auxquels n'ayant donné que le moins qu'ils ont pu, l'indigence de ces vicaires perpétuels a donné lieu à une infinité de demandes de leur part, pour avoir la portion congrue.
Cette portion n'a pas été fixée par le droit canonique à une somme certaine ; on ne pouvoit même pas la fixer à perpétuité, attendu que le prix des denrées augmente par succession de tems à mesure que l'argent devient commun.
Dans les églises qui ont reçu la discipline du concile de Trente, le pouvoir des évêques pour l'augmentation des portions congrues des curés ou vicaires est plus étendu qu'en France.
La portion congrue des curés & vicaires perpétuels fut d'abord fixée en France à 120 liv. par an, les charges ordinaires déduites : c'est ce qui fut réglé par l'art. 9 de l'édit de Charles IX. du mois d'Avril 1571.
Le concile de Rheims tenu en 1583, régla la portion congrue des curés ou vicaires à 100 liv. au moins, toutes charges déduites.
Elle fut ensuite augmentée jusqu'à la somme de 300 liv. par l'article 13 de l'ordonnance du mois de Janvier 1629, à la charge que les curés seroient tenus d'entretenir pour le moins, un chapelain ou vicaire.
Mais par une déclaration du 17 Août 1632, elle fut réduite à 200 liv. pour les diocèses de Bretagne & les provinces de delà la Loire, comprenant même dans lesdites portions les petites dixmes, le fond des cures, les fondations des obits, & autres revenus ordinaires. Cette déclaration fut registrée au grand conseil.
Par une autre déclaration du 18 Décembre 1634 ; cette réduction à 200 liv. fut étendue aux curés & vicaires perpétuels, qui sont en-deçà de la Loire, & où il n'y a point de vicaire ; mais elle fut fixée à 300 liv. pour ceux qui ont eu ci-devant, & qui sont encore obligés d'avoir des vicaires.
Cette même déclaration veut qu'outre la portion congrue, les curés & vicaires perpétuels ayent les offrandes & droits casuels des églises, ensemble les fondations des obits, & non les petites dixmes, ni les revenus des fonds & domaines des cures & autres revenus ordinaires, lesquels seront précomptés sur les portions congrues.
Ces déclarations qui réduisoient la portion congrue à 300 liv. pour certaines cures, n'ayant été enregistrées qu'au grand-conseil, les parlemens condamnoient les décimateurs indistinctement à payer aux curés 300 liv. de portion congrue.
Mais la jurisprudence des cours fut rendue uniforme par la déclaration du 29 Janvier 1686, qui porte que les portions congrues que les décimateurs sont obligés de payer aux curés & vicaires perpétuels, demeureront à l'avenir fixées dans toute l'étendue du royaume à la somme de 300 liv. & ce outre les offrandes, les honoraires & droits casuels que l'on paye tant pour les fondations que pour d'autres causes, ensemble les dixmes & novales sur les terres qui seront défrichées depuis que les curés ou vicaires perpétuels auront fait l'option du revenu de la portion congrue au lieu du revenu de leur cure.
Il est aussi ordonné par cette déclaration que pour les vicaires il sera payé la somme de 150 liv., & aux prêtres commis à la desserte des cures celle de 300 livres.
Ces sommes de 300 liv. ou de 150 liv. dûes pour portion congrue, selon les personnes, doivent, suivant la déclaration, être payées franches & exemptes de toutes charges.
Il faut cependant excepter le droit de procuration dû pour la visite des archidiacres, du payement duquel les curés qui ont opté la portion congrue, ne sont point exempts.
L'obligation de fournir la portion congrue est à la charge de ceux à qui les dixmes ecclésiastiques appartiennent ; & si elles ne sont pas suffisantes, ceux qui ont les dixmes inféodées, en sont tenus subsidiairement.
Quoique la portion congrue soit dûe en argent, il y a néanmoins quelques réglemens particuliers suivant lesquels, dans certains lieux, elle peut se payer autrement ; par exemple, suivant un concordat du 5 Octobre 1638, passé entre les décimateurs & les curés du diocèse de Vienne, & homologué au parlement de Dauphiné, la portion congrue des curés peut être payée en une certaine quantité de grains.
La déclaration du 30 Juillet 1690, donne l'option aux gros décimateurs ou de payer aux curés la somme de 300 livres par an, ou de leur abandonner toutes les dixmes qu'ils perçoivent dans leurs paroisses, auquel cas ils demeureront déchargés des portions congrues.
Sur cette somme de 300 livres les curés & vicaires perpétuels sont tenus, suivant cette déclaration, de payer par chacun an leur part des décimes qui sont imposées sur les bénéficiers, sans que cette quote-part puisse excéder la somme de 50 livres pour les décimes ordinaires & extraordinaires, dons gratuits, & pour toutes autres sommes qui pourroient être imposées à l'avenir sur le clergé. Néanmoins cette charge a été augmentée de 10 livres en 1695 pour la capitation, laquelle avoit cessé en 1697, mais elle a été remise en 1701.
Pour faciliter le payement de la portion congrue, la déclaration de 1690 veut qu'en déduction de la somme de 300 livres, les curés & vicaires perpétuels gardent la jouissance des fonds, domaines & portion de dixmes qu'ils possédoient lors de la déclaration du mois de Janvier 1686, & ce, suivant l'estimation qui en sera faite à l'amiable entre les gros décimateurs & les curés & vicaires perpétuels, & en cas de contestation par experts.
Si par l'événement de l'estimation, les fonds, domaines & portions de dixmes ne se trouvent pas suffisans pour remplir la portion congrue, le surplus doit être payé en argent.
Le payement des 300 liv. ou de ce qui en reste dû, compensation faite avec les fonds, doit être fait de quartier en quartier & par avance.
Enfin la déclaration de 1690 veut que les curés & vicaires perpétuels jouissent de toutes les oblations & offrandes tant en cire ou en argent, & autres retributions qui composent le casuel de l'église, ensemble des fonds, chargés d'obits pour le service divin, sans aucune diminution de leurs portions congrues, & ce nonobstant toutes transactions, abonnemens, possessions, sentences & arrêts. La déclaration du 18 Decembre 1654 avoit déja réglé la même chose à l'égard des offrandes, droits casuels, & fondations des obits.
Les dixmes & novales qui sont à prendre sur des terres défrichées depuis l'option, ne doivent point être imputées sur la portion congrue ; telle est la disposition de la déclaration du 29 Janvier 1686, & de celle du 19 Juillet 1690 ; en quoi la déclaration de 1632 n'étoit pas si favorable aux portions congrues, car elle y comprenoit les petites dixmes, les fonds des cures, les fondations des obits & autres revenus ordinaires.
Les transactions passées par les curés pour la réduction de leurs portions congrues sont sujettes à rescision.
Les curés des villes sont en droit, comme les autres, de demander aux décimateurs la portion congrue ; cependant quelques arrêts en ont exclu les curés qui ont un casuel considérable.
Quant aux juges qui doivent connoître des portions congrues, la jurisprudence a varié. Anciennement on renvoyoit ces questions au juge ecclésiastique ; l'ordonnance de Charles IX. du mois d'Avril 1571, défendoit aux juges royaux d'en connoître.
Depuis ce tems, la connoissance en a été rendue aux juges royaux en premiere instance, & par appel aux parlemens.
Mais suivant un arrêt du conseil du 12 Août 1687, revêtu de lettres-patentes, il a été reglé que toutes les contestations qui surviendront pour l'exécution des déclarations de 1686, dans lesquelles les ordres religieux, les communautés & les particuliers qui ont leurs évocations au grand-conseil, se trouveront portées en premiere instance devant les baillifs & sénéchaux ordinaires des lieux, & en cas d'appel, au grand-conseil.
Voyez les mémoires du Clergé, la bibliotheque de Jovet, au mot Portion congrue ; Tournet, lettre P ; le Prêtre, cent. I. ch. xiv. des Maisons, lettre P, n°. 5. & 6. le traité de du Parrey ; le recueil de Borjon, le code des curés. (A)
PORTION VIRILE, virilis pars, est celle qu'un héritier a dans la succession, soit ab intestat, ou testamentaire, & qui est égale à celle des autres héritiers.
On l'appelle virile, à cause de l'égalité qui est entre cette portion & celle des autres héritiers.
On entend quelquefois singulierement par portion virile, celle que les pere & mere prennent en propriété dans la succession d'un de leurs enfans auquel ils succedent avec leurs autres enfans freres & soeurs du défunt. Voyez la novel. CXVIII. ch. ij.
Il y a encore une autre sorte de portion virile, qui est celle que le conjoint survivant gagne en propriété dans les gains nuptiaux quand il demeure en viduité ; mais pour distinguer celle-ci des autres, on l'appelle ordinairement virile simplement, & celle des héritiers qui est égale entr'eux, portion virile. Voyez AUGMENT, BAGUES & JOYAUX, CONTRE-AUGMENT, GAINS NUPTIAUX ET DE SURVIE, & VIRILE. (A)
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PORTIONCULE | S. f. (nom de lieu & Hist. eccl.) la premiere maison de l'ordre de St. François fondée par lui-même, près d'Assise, dans le duché de Spolete en Italie. N'ayant pas de quoi loger ceux qui desiroient se joindre à lui & à ses douze premiers disciples, il demanda aux Bénédictins l'église de la Portioncule, la plus pauvre de ces quartiers, & qu'il avoit autrefois reparée. Elle lui fut accordée. Il s'y établit ; & cette maison devint la pepiniere de toute la nombreuse race des freres Mineurs. On dit que l'indulgence de la Portioncule a été accordée à St. François par Jesus-Christ-même, & on écrit tant d'autres fables qu'on auroit tort de douter de celle-ci.
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PORTIONNAIRE | S. m. (Hist. ecclés.) c'est en Toscane un bénéficier qui est obligé d'officier avec le chanoine. On le nomme aussi portion, parce qu'il partage la mense capitulaire.
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PORTIQUE | S. m. (Archit.) espece de galerie avec arcades sans fermeture mobile, où l'on se promene à couvert, qui est ordinairement voûtée & publique ; & quelquefois avec sophite, ou de plancher, comme par exemple, les portiques de la grande cour de l'hôtel royal des Invalides. Les plus célebres portiques de l'antiquité sont ceux du temple de Salomon, qui formoient l'atrium, & qui environnoient le sanctuaire ; celui d'Athènes, bâti pour le plaisir du peuple, & où s'entretenoient les philosophes ; ce qui donna occasion aux disciples de Zénon de s'appeller Stoïques, du grec , portique ; celui de Pompée à Rome, élevé par magnificence, & formé de plusieurs rangs de colonnes qui portoient une plate-forme de grande étendue. Serlio a donné le dessein de ce portique dans ses bâtimens antiques. Le plus fameux portique moderne est celui de la place de St. Pierre du Vatican à Rome.
Quoique le mot portique soit dérivé de porte, on appelle cependant portique, toute disposition de colonne.
Portique circulaire, c'est une galerie avec arcades à-l'entour d'une tour ronde ; tels sont les portiques du château de Caprarole.
Portique rhodien, c'étoit chez les Grecs celui des quatre portiques qui regnoit autour d'une cour ; il étoit plus large que les autres, & avoit son exposition au midi. Voyez l'architecture de Vitruve, liv. VI. ch. x. (D.J.)
PORTIQUE, (Ant. rom.) galerie jointe aux édifices publics ou particuliers.
La magnificence & la beauté des portiques étoit quelque chose d'étonnant parmi les Romains. Il y en avoit de publics qui servoient à l'ornement des théâtres & des basiliques, & il y en avoit de particuliers qui servoient à la commodité des palais qui leur étoient contigus.
Ces portiques étoient couverts ou découverts. Les portiques couverts étoient de longues galeries soutenues par un ou plusieurs rangs de colonnes de marbre enrichies en-dedans de statues, de tableaux & d'autres ornemens, avec des voûtes superbes. Les côtés étoient percés de plusieurs fenêtres garnies de pierres spéculaires, presqu'aussi transparentes que notre verre ; on ouvroit ces fenêtres en hiver du côté du midi pour y laisser entrer le soleil, & l'été on les ouvroit du côté du septentrion. Ces portiques couverts servoient à se promener & à s'y entretenir agréablement, sans être exposé aux injures du tems : on les appelloit studiatae porticus. Les portiques découverts, qu'on nommoit subdiales ambulationes, servoient quelquefois aux athletes pour les combats de la lutte.
De tous les portiques qui furent bâtis à Rome, les trois plus considérables ont été celui de Pompée, d'Auguste & de Néron. Pompée fit faire le sien devant sa cour, & c'étoit la plus délicieuse promenade de la ville, & la plus fraîche en été ; aussi les poëtes l'appelloient par excellence Pompeiam umbram ; c'est ce que fait Ovide :
Tu modo Pompeiâ lentus spatiare sub umbrâ
Cum sol Herculei terga leonis adit.
Le portique d'Auguste servoit d'ornement à son palais & à sa bibliothéque. Les colonnes de ce portique étoient de marbre de Numidie, & l'on y voyoit les statues des cinquante filles de Danaüs rangées par ordre.
Néron fit enrichir son palais de trois portiques, chacun de trois mille pas de long, qui furent appellés pour cela porticus milliariae.
On comptoit du tems d'Auguste plus de quarante-cinq portiques publics à Rome remplis de boutiques de marchands qui vendoient toutes sortes de bijoux. Entre les portiques de princes, ceux qui portoient le nom de portique Palatin, portiques d'Apollon, de Pompée, de Livie, d'Octavie, d'Agrippa, étoient les plus superbes.
Il y en avoit deux à Rome qui portoient le nom d'Agrippa ; le portique de Neptune étoit nommé indifféremment le portique des Argonautes ou d'Agrippa, parce qu'Agrippa l'avoit embelli de tableaux qui représentoient l'histoire de Jason. Le portique d'Agrippa proprement ainsi nommé, fut ensuite appellé le portique de l'heureux événement, porticus boni eventûs. Il étoit près du Panthéon, à l'entrée du champ de Mars, & c'étoit le lieu le plus fréquenté de Rome, parce que le champ de Mars, comme la grande place romaine, étoit le rendez-vous ordinaire des gens qui vouloient paroître & se faire voir.
Un peu avant Caton, les particuliers n'avoient point encore de grands portiques qui regardassent le septentrion pour y prendre le frais en été ; mais bientôt après on ne vit plus à Rome de maison qui n'eût un lieu propre à se délasser pour y recevoir le vent du nord, & les bâtimens y font aujourd'hui tournés de cette maniere.
Les Romains, ce peuple si pauvre, si simple dans son origine, devint si délicat & si dédaigneux après ses conquêtes de Grece & d'Asie, qu'il ne put plus ni se reposer, ni se promener qu'à couvert. Ne voulant plus que ses divertissemens dépendissent de la disposition du ciel, il eut recours à l'art, & se fit des promenoirs couverts & des portiques, où la propreté disputoit avec la magnificence. Il n'étoit pas raisonnable, selon lui, qu'on attendît le beau tems pour prendre l'air, ni qu'on pût être exposé aux injures du tems.
Balnea sexcentis, & pluris porticus in quâ
Gestetur dominus, quoties pluit ; aut ne serenum
Expectet, spargatve luto jumenta recenti ?
Hic potiùs, namque hic mundae nitet ungula mulae.
Juven. sat. VII. 178.
Ciceron qui conservoit encore quelque chose des moeurs antiques, parle assez modestement d'un portique qu'il vouloit ajouter à sa maison : tecta igitur ambulatiuncula addenda est. Quelle différence de cette galerie à celles qu'on vit sur la fin du même siecle, & qui pour leur longueur furent appellées milliaires ! Vitruve & Columella prescrivirent la maniere dont il falloit les tourner afin qu'elles fussent de toutes les saisons : ut & hieme plurimùm solis, & aestate minimùm recipiant. Les grands seigneurs avoient ces sortes de commodités autour de leurs palais, quelques-uns même dans les fauxbourgs.
Pline parlant des portiques ou des galeries qu'il avoit dans sa maison de campagne, en fait une description qui excite encore aujourd'hui l'admiration de tout le monde ; & il est à croire que ce n'étoit pas les seules qui fussent si belles & si spacieuses. Dans les anciens tems de la république on n'employoit le marbre qu'à embellir les temples des dieux, ou les places publiques, & non pas à former de vastes galeries pour un usage particulier.
Nulla decem pedis
Metata privatis opacam
Porticus excipiebat arcton,
Nec fortuitum spernere cespitem
Leges sinebant, oppida publico
Sumpta jubentes, & deorum
Templa novo decorare saxo.
Les portiques étoient cependant utiles à bien du monde. C'étoient ordinairement dans ces lieux que ceux qui aimoient les plaisirs tranquilles passoient les premieres heures de leur après-dînée. Les uns s'entretenoient de choses graves, les autres de choses agréables, selon leurs goûts & leur caractere. Les poëtes profitoient assez souvent de l'oisiveté qui régnoit dans ces promenoirs & dans ces momens, pour réciter leurs ouvrages à qui vouloit les entendre ; c'est ce qui a fait dire à Juvenal que les portiques de Fronton devoient savoir & répéter comme un écho, les fables d'Eole, d'Eaque, de Jason, des Cyclopes, & tous les autres sujets des poëmes vulgaires. (D.J.)
PORTIQUE des Persans, (Architec. grecq.) , ancien monument de Lacédémone, dont on voit encore quelques vestiges à Misitra. Les Grecs modernes l'appellent le palais du roi Ménélas. Ce fut à la construction de ce portique que l'on employa pour la premiere fois dans le monde des colonnes travaillées en statues d'hommes pour soutenir des voûtes, des ornemens d'architecture, & faire l'effet des statues de femmes qu'on appelle des caryatides.
Il y a plus de 1700 ans que Vitruve a rendu raison de cet usage, qui de son tems n'étoit pas une nouveauté : ce qu'il rapporte du portique des Persans est si glorieux aux Lacédémoniens, que ce seroit leur dérober un ornement, que d'omettre ici le passage qui les concerne à cet égard.
" Les Lacédémoniens, dit le prince de l'architecture romaine, après avoir défait avec une poignée d'hommes la puissante armée des Perses, à la bataille de Platée, emmenerent leurs prisonniers, & bâtirent du butin des ennemis le portique qu'ils appellerent persique, dans lequel la voûte étoit soutenue par des statues représentant des perses captifs. Ils imaginerent cet opprobre pour punir une nation orgueilleuse, laisser à la postérité un monument de leurs victoires, rendre leur valeur redoutable, & exciter le peuple à la défense de sa liberté. "
Depuis lors, à l'imitation des Lacédémoniens, plusieurs architectes firent soutenir les architraves & autres ornemens sur des statues persiques, & enrichirent leur ouvrage de ce genre d'invention. Ce fameux portique de Sparte étoit d'une figure quarrée. Le trait fondamental de ses quatre faces se reconnoît par les ruines. Dans le dernier siecle on trouvoit encore dans le voisinage des entre-colonnes de cet édifice avec leurs entablemens, les voûtes mêmes étoient bien maintenues ; & c'est un miracle de la fortune que ces tristes débris se soient si long-tems conservés. Je ne sai s'il en subsiste aujourd'hui quelque chose, mais je crains fort que quelque vizir n'ait fait enlever tout le reste du marbre de ce portique célebre pour l'employer à un minaret ou à une mosquée. (D.J.)
PORTIQUE d'arbres, (Jardin.) on appelle portique d'arbres, certains portiques artificiels qu'on fait avec des arbres, dont on assujettit les branches. Pour leur faire prendre les contours nécessaires on les plie, on les entrelace, & l'on abat ce qui est superflu afin que la figure soit exacte, ce que l'on continue de faire à mesure qu'il pousse quelque nouveau jet.
PORTIQUE de treillage, s. m. (Décorat. de jardin) c'est une décoration d'architecture de pilastres, montans, frontons, &c. faits de barres de fer & d'échalas de chênes maillés, & qui sert pour l'entrée d'un berceau dans un jardin.
PORTIQUE d'appui, (Archit.) especes de petites arcades en tiers-point qui servent de balustres, & qui garnissent les appuis évidés des bâtimens gothiques. (D.J.)
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PORTLAND | pierre de, (Hist. nat.) nom donné par les Anglois à un grès grossier, composé de particules d'un sable très-sensible, d'un blanc sale, pesantes & d'un tissu peu serré, dont les parties semblent collées ensemble par un spath luisant : cette pierre ne fait point feu. Son nom lui vient de l'île de Portland en Dorsetshire où il y en a de grandes carrieres. Voy. d 'Acosta, Hist. nat. of fossils.
PORTLAND, (Géog. mod.) petite île d'Angleterre dans la Manche, sur la côte du Dorsetshire, à quelques milles au midi de Dorchester. Elle a titre de comté, est très-fertile & remarquable par ses belles carrieres de pierres presque aussi dures que le marbre ; elle est défendue par deux châteaux, dont l'un a été bâti par Henri VIII. Ces deux châteaux commandent tous les navires qui passent dans cette rade, qu'on appelle le cours de portland, parce que la mer a un gros courant dans cet endroit. Long. 15. 12. latit. 50. 32. (D.J.)
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PORTO | (Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province d'Entre-Duero-e-Minho, à une lieue audessus de l'embouchure du Duero, à 12 au midi de Braga, & à 58 au nord de Lisbonne.
Il y a dans cette ville un conseil souverain qui est le second du royaume. L'évêque est suffragant de Braga, & jouit de quinze mille ducats de revenu. La riviere forme un bon havre dans lequel les vaisseaux ne peuvent entrer qu'en pleine mer, & sous la conduite d'un pilote portugais.
Quoiqu'on ne compte dans Porto qu'environ quatre mille bourgeois, il s'y fait cependant un grand commerce, sur-tout avec les Anglois qui en tirent beaucoup de vin.
Cette ville est bâtie sur la pente d'une montagne assez roide, dans un terrein très-fertile. Elle s'appelloit autrefois Portu-calo ; & lorsqu'elle eut donné son nom au royaume de Portugal, elle ne retint que celui de Porto. Quelques-uns l'appellent aujourd'hui Port-à-port. Long. 8. 55. lat. 41. 5.
Porto est la patrie d'Acosta (Gabriel ou Uriel), qui embrassa tour-à-tour le Catholicisme, le Judaïsme, le Saducéisme, & finalement ayant été maltraité par les Juifs, il finit par se tuer à Amsterdam vers l'an 1640.
Lobeira (Vasquez), naquit aussi à Porto, vers la fin du xiij. siecle. Il passe en Espagne pour le premier auteur du roman d'Amadis de Gaule, dont Fontenelle dit :
Quand je lis d'Amadis les faits inimitables,
Tant de châteaux forcés, de géans pourfendus,
De chevaliers occis, d'enchanteurs confondus,
Je n'ai point de regret que ce soient-là des fables.
La traduction françoise de ce vain amusement a eu les plus grands & les plus promts succès ; il en faut dire de même des traductions en italien & en d'autres langues : les hommes aiment le romanesque & le merveilleux.
PORTO, (Géog. mod.) petite ville fortifiée d'Italie dans l'état de Venise, sur l'Adige au Véronois, à 8 lieues au-dessus de Vérone vers le sud-est. Long. 28. 31. lat. 45. 24.
PORTO, (Géog. mod.) ville ruinée d'Italie dans l'état de l'Eglise, à la droite du Tibre, environ à deux milles d'Ostie, & à une distance à-peu-près égale de la mer. On prétend que l'empereur Claude fit le grand port de cette ville, & Trajan le petit port ; quoi qu'on ne trouve qu'une douzaine de cabanes dans cet endroit, il y a cependant un évêché attaché au sous-doyen des cardinaux depuis l'an 1120. Long. 30. 12. lat. 41. 41. (D.J.)
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PORTO-BELO | (Géog. mod.) ville & port de l'Amérique, sur la côte septentrionale de l'île de Panama. Christophe Colomb en fit la découverte en 1502. La ville fut bâtie sous le regne de Philippe II. roi d'Espagne, après la ruine de Nombre de Dios qui n'en est qu'à 5 lieues. Elle est longue & étroite ; l'air y est mauvais, parce que le terrein y est marécageux du côté de l'est : d'ailleurs les chaleurs y sont excessives, ce qui produit des orages mêlés d'éclairs & de tonnerres épouvantables, dont le bruit est augmenté par les montagnes du voisinage. Cependant le port est vaste & commode ; l'entrée en est étroite, & la mer est haute presque contre le rivage, de 5 à 6 brasses au milieu du port qui est défendu par deux forts, auprès de l'un desquels est la maison du gouverneur. Les galions d'Espagne y chargent les trésors du Pérou qu'on y conduit par terre de Panama, car c'est-là l'entrepôt des trésors du nouveau monde.
Williams Parker surprit la ville de Porto-belo en 1591 & la pilla. Le chevalier Morgan s'en rendit aussi maître. Enfin l'amiral Vernon prit Porto-belo en 1740, & en rasa les fortifications. Long. suivant le P. Feuillée, Cassini, Lieutaud & Desplaces, 297-41' 30'' lat. 9-33'.
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PORTO-CAGLIE | (Géog. mod.) port de la Morée dans le Brazzo di Maina, à 7 lieues du cap Matapan du côté de l'orient septentrional. Il y a sur le rivage de ce port un gros bourg de même nom, & qui a une des plus belles fontaines qui soient au monde. Il s'appelloit autrefois Teuthrone, & c'étoit une colonie d'athéniens. C'est-là que la côte fait un grand arc dans les terres pour former le golfe de Colophina, appellé anciennement le golfe de Laconie. Porto-caglie ou Porto delle quaglie, a tiré son nom de la quantité de cailles qui s'y assemblent tous les ans.
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PORTO-CONSTANZA | (Géog. mod.) port de l'île de Chypre avec un village qui lui donne son nom. Il est situé sur la côte près de Famagouste, du côté du nord. On croit que c'est l'ancienne Salamis, qui s'appelloit Constantia selon Etienne le géographe.
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PORTO-CROS | (Géog. mod.) petite île de France dans la Méditerranée, sur la côte de Provence. C'est la seconde des îles d'Hieres, anciennement nommées Mere, c'est-à-dire celle du milieu, ou mediana, comme on l'appella après l'abolition de la langue grecque dans le pays. (D.J.)
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PORTO-DEL-PRINCIPE | (Géog. mod.) les François disent Port-du-prince, ville de l'Amérique septentrionale sur la côte de Cuba, avec un port estimé des navigateurs, & appellé sainte-Marie. La ville est dans une grande prairie où les Espagnols nourrissent une quantité prodigieuse de bétail. On trouve près du rivage de la mer une terre bitumineuse dont on tire du bitume de mauvaise odeur, & noir comme de la poix. Les Espagnols en usent pour enduire leurs vaisseaux, & le mêlent avec du suif pour le mieux étendre. Long. 300. 30. lat. 21. 10.
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PORTO-DELLE-BOTTE | (Géog. mod.) port de la Morée sur la côte de Brazzo di Maina, entre Napoli di Romania au nord, & Malvasia au midi. Ce port a un bourg de même nom, & qui selon les apparences est l'ancienne ville de Cyphanta.
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PORTO-ESCONDEDO | (Géog. mod.) port de l'Amérique septentrionale, dans la baie de Campèche sur la côte d'Yucatan. C'est une grande entrée dans un lac salé de 10 lieues de longueur sur 3 de largeur. L'entrée du port a une barre, mais l'ancrage est bon des deux côtés.
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PORTO-FARINA | (Géog. mod.) port d'Afrique, sur la côte de la Méditerranée, au royaume de Tunis. Les vaisseaux qui navigent le long de la côte, font aiguade dans ce port, & c'est où aborda l'armée de Charles-Quint, quand elle alla attaquer Tunis.
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PORTO-FERRAIO | (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'île d'Elbe, sur la pointe de l'ouest d'une grande baie de même nom. Elle est fortifiée, & appartient au grand-duc de Toscane, qui y tient garnison. Le port ferme à chaîne ; on y peut mettre cinq ou six galeres, y ayant trois à quatre brasses d'eau ; il est au midi de la ville. Long. 28. 12. latit. 43. 53. & la variation est de près de sept degrés vers le nord-ouest.
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PORTO-FINO | (Géog. mod.) port de la Méditerranée, sur la côte de Gènes, entre deux montagnes : on y peut ranger huit galeres ; son entrée a 10 à 12 brasses d'eau, & quatre dans le milieu, fond d'herbe vaseux. Sur la droite du port, est le village de Porto-Fino, que quelques-uns qualifient de bourg. Il y a un château à une de ses extrêmités sur un rocher escarpé.
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PORTO-FRANCO | (Comm. de Gènes) c'est à Gènes un magasin où tous les Marchands & Négocians étrangers, de quelque nation qu'ils soient, peuvent apporter leurs marchandises, & où elles sont reçues sans payer aucun droit pour le simple dépôt.
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PORTO-GALETTE | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Biscaie, près de l'Océan, sur le bord d'une riviere qui la baigne, & qui entre jusque dans les maisons. Long. 14. 25. lat. 43. 26.
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PORTO-GRUARO | (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg d'Italie, dans le Frioul, sur la riviere de Leme, à trois milles de Concordia, dont l'évêque réside à Porto-Gruaro, parce que Concordia est ruinée. Le bourg de Gruaro est un lieu où l'on charge sur des bateaux les marchandises d'Allemagne qui doivent être portées à Venise. Long. 30. 31. latit. 45. 54.
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PORTO-HECOLE | (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg d'Italie, en Toscane, dans l'état appellé Delli-Presidii, & dans la partie orientale du mont Argentaro ; ce bourg est défendu par un château, & le port qui lui donne son nom, est aujourd'hui comblé. Long. 28. 50. latit. 45. 36.
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PORTO-LIONE | (Géog. mod.) nom moderne du Pirée, ancien port d'Athènes ; il est à trois lieues de Colouri. Les terres de Porto-Lione, dit la Guilletiere, se courbent en trois arcs différens, & font par leurs détours, trois ports que l'ancrage, l'abri, & la capacité, rendent admirables, & qui justifient bien la prudence de Thémistocle, qui les préféra à celui de Phalere. Quatre cent vaisseaux y peuvent mouiller commodément sur neuf, dix, & douze brasses, & même en quelques endroits sur quinze. Ils sont couverts du côté de l'ouest par la petite île Belbina, que l'on nomme aujourd'hui Blenda. L'île n'est point habitée, mais les vaisseaux y vont faire du bois.
Des trois ports, celui du milieu est proprement le Porto-Lione ; son enfoncement ou bassin, court nord-nord-est ; l'entrée en est étroite, & c'est ce qui en faisoit la sûreté. On voit encore sur des rochers dans la mer, les piles de pierres qui soutenoient la chaîne pour le fermer. Dans son enfoncement il y a un moindre bassin, où se retirent les galeres ; c'est ce que les Italiens appellent darse ou darsine. Les anciens appelloient un des trois ports Aphrodision, à cause du temple de Vénus qui étoit tout proche ; ils nommoient le second Cantharon, à cause du héros Cantharus ; & le troisieme Zéa, parce qu'il étoit destiné à décharger du blé.
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PORTO-LONGONE | (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'île d'Elbe, près du port d'où elle reçoit son nom. Elle est bâtie sur la côte orientale de l'île, en tirant vers le nord, & elle a une forteresse sur le haut d'un rocher, où le roi d'Espagne tient garnison, quoique la place soit au prince de Piombino. Cette petite ville a soutenu deux siéges, l'un en 1646, & l'autre en 1650.
Son port en latin portus Longonis, est fort long ; d'où lui vient son nom ; son entrée est étroite, & sa profondeur a plus de trois milles. Les gros bâtimens peuvent y mouiller, & y être à couvert des vents ; le fond en est bon par-tout. Long. 28. 14. latit. 42. 50.
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PORTO-MARINO | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Galice, sur le Minho, qui la partage en deux villes, à quelques lieues au-dessous de Lugo, & à 10 au-dessus d'Orenze. C'est la grande route du royaume de Léon à Saint Jacques de Compostelle. Long. 10. 27. latit. 42. 53.
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PORTO-NOVO | (Géog. mod.) petite ville des Indes, sur la côte de Coromandel, à une journée de Pondichery en allant vers le sud. Les Portugais qui étoient autrefois en grand nombre dans ce lieu, lui ont apparemment donné le nom de Porto-Novo. Long. 100. 30. latit. 11. 45.
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PORTO-PEDRO | (Géog. mod.) port d'Espagne dans la Méditerranée, sur la côte méridionale de l'île de Majorque. On y peut mouiller avec des vaisseaux & des galeres. Il y a par-tout dans le milieu, depuis 10 jusqu'à quatre brasses d'eau. La latitude est de 39d. 29'. & la variation de 5d. vers le nord-ouest. (D.J.)
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PORTO-RAPHTI | (Géog. mod.) port de la Morée, dans la Zacanie, à environ deux lieues d'Athènes, mais sans habitation. La Guilletiere croit que ce port est le Potamos des anciens ; son nom lui vient d'une espece de colosse de marbre blanc qui est à l'entrée, & qui représente grossierement un tailleur coupant du drap, que les Grecs appellent raphti.
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PORTO-RICO | ou PUERTO-RICO, & par les François PORTORIC, (Géog. mod.) île de l'Amérique septentrionale, une des Antilles, au levant de celle de Saint-Domingue, & au couchant des îles sous le vent. Christophe Colomb la découvrit en 1493 ; elle a 20 lieues du nord au sud, & 40 du levant au couchant ; il y a de hautes montagnes, beaucoup de collines, & des vallées très-fertiles ; les productions sont les mêmes qu'à Saint-Domingue ; son nom lui vient des mines d'or que les Espagnols y trouverent ; Porto-Rico est la capitale. Elle est située dans la partie septentrionale de l'île, & le chevalier François Drake, ne put pas la prendre en 1685.
Le port qui donne le nom à la ville est spacieux, à l'abri des vents, & défendu par un fort château. Latit. de la ville 18. 17.
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PORTO-SANTO | (Géog. mod.) île d'Afrique, au nord oriental de celle de Madere, découverte en 1418 par Gonzalés Lançao, & Tristan Vaz, portugais : ils la trouverent peuplée ; mais ils y porterent des bestiaux, & y semerent des grains de toute espece. Cette île a cinq lieues de tour, n'a point de port, mais un golfe commode pour les vaisseaux qui viennent des Indes, ou pour ceux d'Europe qui vont en Afrique. Preston armateur anglois, s'empara de cette île en 1585 ; on y recueille le sang-dragon ; elle est à deux degrés & demi du premier méridien, sous les 32. 30. de latitude septentrionale. (D.J.)
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PORTO-SEGURO | (Géog. mod.) gouvernement ou capitainerie de l'Amérique méridionale, sur la côte orientale du Brésil ; elle est bornée au nord par celle dos Ilheos, au midi par celle de Spiritu-Santo, au levant par la mer du nord, & au couchant par les Tupiques. Alvaro Cabral portugais, en fit la découverte en 1500. Cette province abonde en toute sorte de vivres, dont les habitans transportent une partie chez leurs voisins ; c'est ce qui fait leur commerce : Porto-Seguro est la capitale. Elle est bâtie sur la côte de la mer du nord, à l'embouchure d'une riviere, sur le sommet d'une roche blanche. Ce lieu est fort petit, & n'est habité que par une centaine de familles portugaises. Long. 338. latit. mérid. 17.
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PORTO-VECCHIO | (Géog. mod.) anciennement Syracusanus portus ; grande baie, sur la côte orientale de l'île de Corse, vers la pointe du sud. On y pourroit mouiller plusieurs vaisseaux & galeres, & être à couvert de plusieurs vents. La latitude est de 41d 39'. & la variation de 7d. nord-ouest.
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PORTO-VENERE | (Géog. mod.) port d'Italie, sur la côte de Gènes, à l'entrée du golfe de la Specia. Il y a sur ce port, à sa pointe occidentale, un bourg mal-bâti, sale, pauvre, & de même nom qu'il ne mérite guere ; cependant les Italiens honorent ce bourg du nom de ville. Long. 27. 29. latit. 44. 3.
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PORTRAIT | IMAGE, FIGURE, EFFIGIE, (Synon.) L'effigie est pour tenir la place de la chose même. L'image est pour en représenter simplement l'idée. La figure est pour en montrer l'attitude & le dessein. Le portrait est uniquement pour la ressemblance.
On pend en effigie les criminels fugitifs. On peint des images de nos mysteres. On fait des figures équestres de nos rois. On grave les portraits des hommes illustres.
Effigie & portrait, ne se disent dans le sens littéral qu'à l'égard des personnes. Image & figure, se disent de toutes sortes de choses.
Portrait se dit dans le sens figuré pour certaines descriptions que les Orateurs & les Poëtes font, soit des personnes, des caracteres, ou des actions. Image se prend aussi dans le même sens, mais le but qu'on se propose dans les images poétiques, c'est l'étonnement & la surprise ; au lieu que dans la prose, c'est de bien peindre les choses : il y a pourtant cela de commun, qu'elles tendent à émouvoir dans l'un & dans l'autre genre. Enfin, image se dit encore au figuré des idées, des peintures qui se font dans l'esprit, par l'impression des choses qui ont passé par les sens : l'image des affronts qu'on reçoit ne s'efface point si-tôt de la mémoire. (D.J.)
PORTRAIT, (Peinture) ouvrage d'un peintre qui imite d'après nature l'image, la figure, la représentation d'une personne en grand, ou en petit. On fait des portraits à l'huile, en cire, à la plume, au crayon, en pastel, en miniature, en émail, &c.
Le principal mérite de ce genre de peinture, est l'exacte ressemblance, qui consiste principalement à exprimer le caractere & l'air de physionomie des personnes qu'on représente. Si la personne que vous peignez est naturellement triste, ne lui donnez pas de la gaieté qui seroit toujours quelque chose d'étranger sur son visage. Si elle est enjouée, faites paroître cette belle humeur par l'expression des parties de la physionomie où elle se montre. Si elle est grave & majestueuse, les ris sensibles rendroient cette majesté fade & niaise. Chaque personne a un caractere distinctif qu'il faut saisir. Il y a des vûes du naturel qui sont plus ou moins avantageuses ; il y a des positions & des momens où ce naturel se développe davantage ; on doit les étudier.
L'air, le coloris, les ajustemens, l'attitude, sont des choses essentielles à la perfection d'un portrait. L'air est cet accord des parties dans le moment, qui marque la physionomie, l'esprit en quelque sorte, & le tempérament d'une personne. Le coloris ou le teint dans les portraits, est cet épanchement de la nature qui sert à faire connoître d'ordinaire le caractere propre d'une personne. La distinction des états & du rang se tire en grande partie des ajustemens, & l'on doit avoir soin que les draperies soient bien choisies & bien jettées. L'attitude est la posture & comme l'action de la figure. On sent bien que cette attitude ne doit pas seulement convenir à l'âge, au sexe, au tempérament, mais qu'elle doit être propre à chacun pour produire son exacte ressemblance.
Tous les portraits des peintres médiocres sont placés dans la même attitude ; ils ont tous le même air, parce que ces peintres n'ont pas les yeux assez bons pour discerner l'air naturel qui est différent dans chaque personne, & pour le donner à chaque personne dans son portrait. Mais le peintre habile sait donner à chacun l'air & l'attitude qui lui sont propres en vertu de sa conformation ; il a le talent de discerner le naturel qui est toujours varié. Ainsi la contenance & l'action des personnes qu'il peint sont toujours variées. L'expérience aide encore beaucoup à trouver la différence qui est réellement entre les objets, qui au premier coup d'oeil nous paroissent les mêmes. Ceux qui voyent des negres pour la premiere fois, croyent que tous les visages des negres sont presque semblables ; mais à force de les voir, ils trouvent les visages des negres aussi différens entr'eux, que le sont les visages des hommes blancs.
Il est impossible de faire choix dans les objets animés, d'une attitude assez permanente, pour qu'elle soit absolument analogue à l'immobilité de la Peinture ; mais la raison veut au-moins qu'on choisisse celle qui en approche davantage, quelque éloignée qu'elle puisse être. Tout doit contribuer à la ressemblance d'un portrait ; or plus on choisit dans la nature de circonstances approchantes de celles où la Peinture est assujettie, plus on se trouve avoir rassemblé de circonstances illusoires qui contribueront à la ressemblance du portrait à son original, ou, si l'on peut le dire, de l'original à son portrait.
Une attitude forcée déplaît dans un portrait, dès qu'on le regarde beaucoup plus long-tems que cette attitude n'auroit pû durer dans la nature. Sa continuation détruit alors, sans qu'on y pense, l'illusion qu'on cherchoit à se faire ; elle révele trop grossierement & trop tôt l'imposture agréable de l'art, lors même qu'on tâchoit avec plaisir de s'y prêter. Il seroit aisé de donner plusieurs exemples de l'absurdité de l'introduction des attitudes instantanées dans le portrait.
Le sourire, par exemple, seroit désagréable dans la nature, s'il étoit perpétuel. Il dégénéreroit en idiotisme, en fadeur, en imbécillité. Le peintre qui le perpétue en l'introduisant dans un portrait, sous prétexte de peindre une grace, assujettit son ouvrage au même défaut. Dans tout portrait, on ne peut trop le dire, la ressemblance est la perfection essentielle. Tout ce qui peut contribuer à l'affoiblir, ou à la déguiser, est une absurdité ; c'est pour cela que tout ornement introduit dans un portrait aux dépens de l'effet de la tête, est une inconstance. C'est pour cela pareillement que tout attribut, qui, sous prétexte de faire tableau, égare nos idées & nous fait manquer la reconnoissance, est une erreur, une foiblesse, une défiance prématurée, de pouvoir remplir suffisamment la principale intention de l'ouvrage, la ressemblance ; & qui, en cherchant d'avance à en composer le défaut, le produit. En effet peut-on aisément reconnoître le portrait de sa femme, ou de tout autre à qui on s'intéresse, dans l'image payenne d'une folle échappée de l'olympe, parcourant les airs sur une nue, ou d'une Minerve avec le casque d'un soldat, &c. Mais les personnes qui se font peindre aiment ces déguisemens ; elles se font masquer, & sont surprises de n'être pas reconnues.
Le genre de peinture le plus suivi & le plus recherché en Angleterre est celui du portrait. Dobson, Lely & Ramsay, s'y sont distingués. La maniere de colorer des peintres anglois, est ce que les Artistes appellent larges & simples. Ils colorent les portraits des femmes sur-tout avec un art singulier, & une pureté extrêmement agréable, mais ils négligent trop les détails. Leurs portraits du beau sexe se ressentent souvent des graces de l'original ; s'ils pouvoient y ajouter le caractere, ils peindroient une décence extrême dans les façons & dans la parure ; une modestie fine, séduisante, pleine d'esprit, & quelquefois un air d'innocence le plus capable d'enflammer. Voyez Rouquet, état des arts en Angleterre. (D.J.)
PORTRAIT en pié, (Peinture) c'est un portrait en grand comme nature, & qui représente la personne toute entiere debout. Nous avons quelques portraits en pié de rois, de princes, de généraux ; mais il étoit réservé à la folie de Néron de se faire peindre en pié sur une toile de cent vingt piés de haut. C'est Pline qui nous l'apprend, l. XXXV. c. vij. voici ses termes : & nostrae aetatis insaniam ex picturâ non omittam ; Nero princeps jusserat colosseum se pingi cxx. pedum in linteo incognitum ad hoc tempus. Ce fait extrêmement singulier & unique dans l'Histoire, a fourni à M. de Caylus quelques réflexions que je trouve trop curieuses pour les passer sous silence.
Premierement, dit-il, ce fait nous indique les grands moyens d'exécution que les Artistes d'alors pouvoient avoir. Si ce colosse a été bien exécuté, & s'il a eu ce qu'on appelle de l'effet, comme on ne peut presque en douter, puisque Néron l'exposa à la vûe de tout le peuple, on doit regarder ce morceau nonseulement comme un chef-d'oeuvre de la Peinture, mais comme une chose que peu de nos modernes auroient été capables de penser & d'exécuter. Michel-Ange l'auroit osé, & le Corrège l'auroit peint ; car aucun de nos modernes n'a vû la Peinture en grand comme ce dernier. Les figures colossales de la coupole de Parme qu'il a hasardées le premier en sont une preuve : car il n'est pas douteux qu'un pareil ouvrage de Peinture ne soit plus difficile que toutes les choses de Sculpture ; chaque partie dans ce dernier genre conduit nécessairement aux proportions de celle qui l'approche. D'ailleurs la Sculpture porte ses ombres avec elle, & dans la Peinture il faut les donner, il faut les placer, &, pour ainsi dire, les créer successivement ; il faut enfin avoir une aussi grande machine tout à-la-fois dans la tête ; il est absolument nécessaire qu'elle n'en sorte point, non-seulement pour les proportions & le caractere, mais pour l'accord & l'effet. L'esprit a donc beaucoup plus à travailler pour un tableau d'une étendue si prodigieuse, que pour tous les colosses dépendans de la Sculpture.
Cette immense production de l'art fut exposée dans les jardins de Marius ; c'est une circonstance qui ne doit rien changer à nos idées : car elle ne prouve pas que ces espaces réservés dans Rome fussent plus étendus que nous ne le croyons ; le terrein étant aussi cher, & les maisons aussi proches les unes des autres, la distance nécessaire pour le point de vûe de ce tableau n'étoit pas fort grande. La regle la plus simple de ce point de vûe donne une distance égale à la hauteur ; ajoutons-y deux toises, pour faire encore mieux embrasser l'objet à l'oeil, & nous n'aurons jamais que vingt-deux toises ; ce qui n'est pas fort considérable si l'on pense que ces jardins de Marius étoient publics, & si l'on suppose avec quelque apparence de raison que l'on aura choisi le terrein le plus espacé.
Cet ouvrage surprenant, mais ridicule en lui-même, fut consumé par la foudre, comme si l'entreprise étoit trop audacieuse pour la Peinture. Pline rapporte nuement ce fait comme s'il étoit tout simple, cependant on peut le regarder comme une opération de l'art vraiment merveilleuse. (D.J.)
PORTRAIT, (Prose & Poésie) L'art de bien peindre les qualités particulieres de l'esprit & du coeur d'une personne, n'est pas une chose facile. Il faut aussi caractériser l'air qui forme la ressemblance.
" Mademoiselle de Chatillon étoit une grande fille bise & seche, d'une physionomie ambiguë, d'un maintien équivoque ; elle se présentoit de bonne grace, s'asseyoit de mauvaise grace, dansoit noblement, marchoit mal. Elle avoit ordinairement de l'esprit, rarement du bon sens, jamais de la raison. Elle étoit vive dans ses reparties, turbulente dans ses manieres, froide dans le courroux, évaporée dans la joie. Ses gestes, ses paroles, son action, tout avoit l'activité d'un éclair, tout annonçoit l'orage, la grêle, le tonnerre. Elle avoit du penchant à l'amour, & de l'aversion pour la galanterie. Délicatesse, inquiétude, discrétion, mystère, ménagement, petits soins, en un mot, toutes les graces riantes & légeres qui accompagnent la tendresse, lui déplaisoient mortellement. Elle vouloit du bruyant, du brusque, de l'éclat. Elle étoit coquette, mais par imitation après les modeles les plus vils & les plus décriés ".
M. de Saint-Evremont & l'abbé de Saint-Réal nous ont donné tous les deux le portrait de la belle Hortense Mancini, niece du cardinal Mazarin, qui avoit épousé le duc de la Meilleraye. On trouve bien des choses finement pensées dans l'un & l'autre tableau ; mais on y voudroit plus de laconisme & de précision : il faut savoir peindre fortement & en peu de mots.
" Les nations, dit M. de Voltaire, crurent l'Angleterre ensevelie sous ses ruines, jusqu'au tems où elle devint tout-à-coup plus formidable que jamais, sous la domination de Cromwel qui l'assujettit, en portant l'Evangile dans une main, l'épée dans l'autre, le masque de la religion sur le visage, & qui dans son gouvernement couvrit des qualités d'un grand roi tous les crimes d'un usurpateur ". Voilà dans ce peu de lignes toute la vie de Cromwel.
Voulez-vous un portrait de fiction noblement écrit, lisez celui d'Artenice par la Bruyere.
" Elle occupe, dit-il, les yeux & le coeur de ceux qui lui parlent : on ne sait si on l'aime, ou si on l'admire : il y a en elle de quoi faire une parfaite amie, il y a aussi de quoi vous mener plus loin que l'amitié : trop jeune & trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop modeste pour songer à plaire, elle ne tient compte aux hommes que de leur mérite, & ne croit avoir que des amis. Pleine de vivacités & capable de sentimens, elle surprend & elle intéresse ; & sans rien ignorer de ce qui peut entrer de plus délicat & de plus fin dans les conversations, elle a encore ces saillies heureuses qui entr'autres plaisirs qu'elles font, dispensent toujours de la réplique : elle vous parle comme celle qui n'est pas savante, qui doute, & qui cherche à s'éclaircir ; & elle vous écoute comme celle qui sait beaucoup, qui connoît le prix de ce que vous lui dites, & auprès de qui vous ne perdez rien de ce qui vous échappe.
Loin de s'appliquer à vous contredire avec esprit, & d'imiter Elvire qui aime mieux passer pour une femme vive, que marquer du bon sens & de la justesse, elle s'approprie vos sentimens, elle les croit siens, elle les étend, elle les embellit, vous êtes content de vous d'avoir pensé si-bien, & d'avoir mieux dit encore que vous n'aviez cru.
Elle est toujours au-dessus de la vanité, soit qu'elle parle, soit qu'elle écrive ; elle oublie les traits où il faut des raisons, elle a déja compris que la simplicité est éloquente. S'il s'agit de servir quelqu'un & de vous jetter dans les mêmes intérêts, laissant à Elvire les jolis discours, & les belles-lettres qu'elle met à tous usages, Artenice n'employe auprès de vous que la sincérité, l'ardeur, l'empressement & la persuasion.
Ce qui domine en elle, c'est le plaisir de la lecture, avec le goût des personnes de nom & de réputation, moins pour en être connue, que pour les connoître. On peut la louer d'avance de toute la sagesse qu'elle aura un jour, & de tout le mérite qu'elle se prépare par les années, puisqu'avec une bonne conduite elle a de meilleures intentions, des principes sûrs, utiles à celles qui sont comme elle exposées aux soins & à la flatterie ; & qu'étant assez particuliere, sans pourtant être farouche, ayant même un peu de penchant pour la retraite, il ne lui auroit peut-être manqué que les occasions, ou ce qu'on appelle un grand théâtre, pour y faire briller toutes ses vertus. "
L'auteur de Télémaque a fait en ce genre des portraits d'une grande beauté, mais il n'en a point fait qui soit au-dessus du portrait de la reine d'Egypte par l'abbé Terrasson. Il mérite bien d'être transcrit dans cet ouvrage.
" Le grand-prêtre de Memphis, conducteur du convoi de la reine, monta sur le pié du char, & se tenant debout & la tête nue, il prononça ce discours.
Inexorables dieux des enfers, voilà notre reine que vous avez demandée pour victime dans le printems de son âge, & dans le plus grand besoin de ses peuples. Nous venons vous prier de lui accorder le repos dont sa perte va peut-être nous priver nous-mêmes. Elle a été fidele à tous ses devoirs envers les dieux. Elle ne s'est point dispensée des pratiques extérieures de la religion, sous le prétexte des occupations de la royauté ; & les seules pratiques extérieures ne lui ont point tenu lieu de vertu. On appercevoit au-travers des soins qui l'occupoient dans ses conseils, ou de la gaieté à laquelle elle se prêtoit quelquefois dans sa cour, que la loi divine étoit toujours présente à son esprit, & regnoit toujours dans son coeur.
De toutes les fêtes auxquelles la majesté de son rang, le succès de ses entreprises, ou l'amour de ses peuples l'ont engagée, il a paru que celles qui l'amenoient dans nos temples étoient pour elles les plus agréables & les plus douces. Elle ne s'est point laissé aller, comme bien des rois, aux injustices dans l'espoir de les racheter par ses offrandes ; & sa magnificence à l'égard des dieux a été le fruit de sa piété, & non le tribut de ses remords. Au lieu d'autoriser l'animosité, la vexation, la persécution, par les conseils d'une piété mal entendue ; elle n'a voulu tirer de la religion que des maximes de douceur, & elle n'a fait usage de la sévérité, que suivant l'ordre de la justice générale, & par rapport au bien de l'état.
Elle a pratiqué toutes les vertus des bons rois avec une défiance modeste, qui la laissoit à peine jouir du bonheur qu'elle procuroit à ses peuples. La défense glorieuse des frontieres, la paix affermie au-dedans & au-dehors du royaume, les embellissemens, & les établissemens de différente espece ne sont ordinairement de la part des autres princes, que des effets d'une sagesse politique que les dieux, juges du fond des coeurs, ne récompensent pas toujours : mais de la part de notre reine, toutes ces choses ont été des actions de vertu, parce qu'elles n'ont eu pour principe que l'amour de ses devoirs, & la vue du bonheur public.
Bien loin de regarder la souveraine puissance comme un moyen de satisfaire ses passions, elle a conçu que la tranquillité du gouvernement dépendoit de la tranquillité de son ame, & qu'il n'y a que les esprits doux & patiens qui sachent se rendre véritablement maîtres des hommes. Elle a éloigné de sa pensée toute vengeance ; & laissant à des hommes privés la honte d'exercer leur haine dès qu'ils le peuvent, elle a pardonné comme les dieux avec un plein pouvoir de punir.
Elle a réprimé les esprits rébelles, moins parce qu'ils résistoient à ses volontés, que parce qu'ils faisoient obstacle au bien qu'elle vouloit faire. Elle a soumis ses pensées aux conseils des sages, & tous les ordres du royaume à l'équité de ses loix. Elle a désarmé les ennemis étrangers par son courage, & par la fidélité à sa parole ; & elle a surmonté les ennemis domestiques par sa fermeté & par l'heureux accomplissement de ses projets.
Il n'est jamais sorti de sa bouche ni un secret, ni un mensonge ; & elle a cru que la dissimulation nécessaire pour regner ne devoit s'étendre que jusqu'au silence. Elle n'a point cédé aux importunités des ambitieux ; & les assiduités des flatteurs n'ont point enlevé les récompenses dues à ceux qui servoient leur patrie loin de sa cour.
La faveur n'a point été en usage sous son regne ; l'amitié même qu'elle a connue & cultivée, ne l'a point emportée auprès d'elle sur le mérite, souvent moins affectueux & moins prévenant. Elle a fait des graces à ses amis ; & elle a donné les postes importans aux hommes capables. Elle a répandu des honneurs sur les grands, sans les dispenser de l'obéissance ; & elle a soulagé le peuple sans lui ôter la nécessité du travail. Elle n'a point donné lieu à des hommes nouveaux de partager avec le prince, & inégalement pour lui les revenus de son état ; & les deniers du peuple ont satisfait sans regret aux contributions proportionnées qu'on exigeoit d'eux ; parce qu'elles n'ont point servi à rendre leurs semblables plus riches, plus orgueilleux & plus méchans.
Persuadée que la providence des dieux n'exclud point la vigilance des hommes qui est un de ses présens, elle a prévenu les miseres publiques par des provisions régulieres ; & rendant ainsi toutes les années égales, sa sagesse a maîtrisé en quelque sorte les saisons & les élemens. Elle a facilité les négociations, entretenu la paix & porté le royaume au plus haut point de la richesse & de la gloire par l'accueil qu'elle a fait à tous ceux que la sagesse de son gouvernement attiroit des pays les plus éloignés ; & elle a inspiré à ses peuples l'hospitalité qui n'étoit point encore assez établie chez les Egyptiens.
Quand il s'est agi de mettre en oeuvre les grandes maximes du gouvernement, & d'aller au bien général malgré les inconveniens particuliers ; elle a subi avec une généreuse indifférence les murmures d'une populace aveugle, souvent animée par les calomnies secrettes des gens plus éclairés, qui ne trouvent pas leur avantage dans le bonheur public. Hazardant quelquefois sa propre gloire pour l'intérêt d'un peuple méconnoissant, elle a attendu sa justification du tems ; & quoiqu'enlevée au commencement de sa course, la pureté de ses intentions, la justesse de ses vues, & la diligence de l'exécution lui ont procuré l'avantage de laisser une mémoire glorieuse, & un regret universel.
Pour être plus en état de veiller sur le total du royaume, elle a confié les premiers détails à des ministres sûrs, obligés de choisir des subalternes qui en choisissoient encore d'autres, dont elle ne pouvoit plus répondre elle-même, soit par l'éloignement, soit par le nombre. Ainsi j'oserai le dire devant nos juges, & devant ses sujets qui m'entendent ; si dans un peuple innombrable, tel que l'on connoît celui de Memphis, & de cinq mille villes de la Dynastie, il s'est trouvé, contre son intention, quelqu'un d'opprimé ; non seulement la reine est excusable par l'impossibilité de pourvoir à tout ; mais elle est digne de louange, en ce que connoissant les bornes de l'esprit humain, elle ne s'est point écartée du centre des affaires publiques, & qu'elle a réservé toute son attention pour les premieres causes & pour les premiers mouvemens.
Malheur aux princes dont quelques particuliers se louent, quand le public a lieu de se plaindre ; mais les particuliers même qui souffrent n'ont pas droit de condamner le prince, quand le corps de l'état est sain, & que les principes du gouvernement sont salutaires. Cependant quelque irréprochable que la reine nous ait paru à l'égard des hommes, elle n'attend par rapport à vous, ô justes dieux, son repos & son bonheur que de votre clémence ".
Si l'on compare ce morceau au portrait qu'a fait Bossuet de Marie Thérese, on sera surpris de voir combien le grand maître de l'éloquence est au-dessous de l'abbé Terrasson dans son éloge.
Un portrait en vers est une petite piece de vers dans laquelle on peint, comme on fait en prose, une personne par les traits les plus propres à faire connoître ses agrémens & son caractere. Tel est le portrait de madame de Rochefort par M. le duc de Nivernois.
Sensible avec délicatesse,
Et discrette sans fausseté ;
Elle sait joindre la finesse
A l'aimable naïveté.
Sans caprice, humeur ni folie
Elle est jeune, vive & jolie ;
Elle respecte la raison ;
Elle déteste l'imposture,
Trois syllabes forment son nom,
Et les trois graces sa figure.
Voici celui d'une autre dame par M. de Voltaire.
Etre femme sans jalousie
Et belle sans coquetterie,
Bien juger sans beaucoup savoir,
Et bien parler sans le vouloir ;
N'être haute ni familiere,
N'avoir point d'inégalité ;
C'est le portrait de la Valiere,
Il n'est ni fini, ni flatté.
Il y a des portraits satyriques ; j'en supprime les exemples quelque bons, quelque vrais en eux-mêmes que soient ces portraits ; car la qualité des objets ne fait rien à la chose, dès qu'on la peint avec tous les traits qui lui conviennent. Que ce soit les graces ou les furies, il n'importe, Ciceron dit : Gorgonis os pulcherrimum crinitam anguibus. Orat. 4, in Verrem.
Un portrait plein d'énergie & d'une heureuse simplicité, est celui de l'empereur Titus par Ausone.
Felix imperio, felix brevitate regendi,
Expers civilis sanguinis, orbis amor.
Enfin, on fait quelquefois des portraits en vers à la gloire des beaux génies. Despreaux fit ceux-ci pour être mis au bas du portrait de Racine.
Du théâtre françois l'honneur & la merveille,
Il sut ressusciter Sophocle & ses écrits,
Et dans l'art d'enchanter les coeurs & les esprits,
Surpasser Euripide & balancer Corneille.
(D.J.)
PORTRAIT, s. m. (Paveur) les maîtres paveurs appellent ainsi un des marteaux dont ils se servent pour fendre & tailler le pavé de grès, particulierement celui qu'on nomme du petit échantillon. (D.J.)
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PORTRAITURE | LIVRE DE, (Peint.) c'est un livre de desseins qui contient la représentation linéale du corps humain.
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PORTSMOUTH | (Géog. mod.) en latin portus magnus ; ville de la grande-Bretagne, dans le Hampt-Shire ou Haut-Shire : c'est un des plus fameux ports d'Angleterre, dans l'île de Portsey, qui a environ quatorze milles de tour. Portsmouth est bien fortifié, fort peuplé, a le titre de duché, & envoye deux députés au parlement. Il y a un chantier pour les vaisseaux de guerre, & des magasins pour les équiper ; c'est une pépiniere de mariniers, & Spithead, dans son voisinage, est le rendez-vous de la flotte royale allant à l'ouest, ou revenant de l'est. Long. 16. 30. latit. 50. 48. (D.J.)
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PORTUGAISE | ou PORTUGALOISE, (Monn.) grosse piece d'or frappée en Portugal, du poids d'une once trois deniers au titre de 23 carats 3 quarts. Ces especes d'or ont eu cours en France bien avant sous le regne de Louis XIII. (D.J.)
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PORTUGAL | (Géog. mod.) en latin Lusitania, royaume le plus occidental de l'Europe, borné au nord par la Galice, au midi & au couchant par l'Océan, au levant par l'Andalousie, la nouvelle-Castille, & le royaume de Léon. Son étendue est du nord au sud. Il a 120 lieues de longueur, & 50 de largeur.
L'air y est assez tempéré, pur & sain. C'est un très-bon pays ; le blé n'y manque pas, les fruits sont exquis, les huiles délicieuses : on y trouve quantité de miel ; les laines sont admirables ; les salines très-abondantes ; les bestiaux & les chevaux très-estimés : on sait combien les orangers, les vins, sur-tout ceux d'Alentéjo & des Algarves sont recherchés.
Il y a des mines d'or & d'argent, des carrieres de beau marbre, & de pierres précieuses, des rubis, des émeraudes, des hyacinthes.
Il est arrosé d'un grand nombre de rivieres. Les principales sont le Tage, la Guadiana, le Duero, &c. La religion catholique est la seule permise. Il y a beaucoup de Juifs, mais cachés. L'inquisition y est très-sévere. Il y a trois archevêchés & dix évêchés, sans compter ceux des Indes & d'Afrique.
On divise le Portugal en six parties ; savoir, le royaume des Algarves ; les provinces Entre-Duero-e-Minho, Béïra, l'Alentéjo, Tra-los-Montes, l'Estramadoure portugaise : outre cela le royaume de Portugal a des possessions considérables dans l'Amérique, comme le Brésil, dans l'Afrique & dans l'Asie.
La langue portugaise est un composé de la latine, de la françoise & de la castillane. Elle est grave & élégante ; & comme elle ne manque pas d'élévation pour les sujets héroïques, de même elle est remplie de douceur pour les délicatesses de l'amour.
Lisbonne est la capitale du royaume. Long. 9. 12. lat. 37. 42.
Le royaume de Portugal est la Lusitanie des anciens ; cependant la Lusitanie comprenoit des pays qui ne sont point aujourd'hui du Portugal ; & le Portugal renferme quelques contrées qui n'étoient point de la Lusitanie. Ses premiers habitans formoient plusieurs républiques, & se gouvernoient selon leurs loix & leurs coutumes.
Les Phéniciens ayant abordé sur les côtes de la Lusitanie, se fortifierent dans l'île de Cadix, d'où ils passerent dans le continent, & y firent des conquêtes par le secours des Carthaginois, environ 510 ans avant J. C. Ce pays fut ensuite soumis par les Romains, & successivement par les Alains, les Sueves, les Vandales, les Goths & les Maures.
Alphonse VI. roi de Castille & de Léon, fit la conquête de la meilleure partie de la Lusitanie sur les Maures en 1094. Il maria sa fille Therese légitimée de Castille, à Henri de Bourgogne, & lui donna pour dot la ville de Porto avec le titre de comte de Portugal.
Henri conquit bien du pays sur les Maures, fonda proprement le royaume de Portugal, & fut couronné en 1139, après la fameuse bataille d'Ourique. Alors le pape Alexandre III. ne manqua pas d'exiger de lui pour la confirmation de cette couronne, en 1160, un tribut de deux marcs d'or ; le roi s'y soumit, sachant que dans les querelles de tant de souverains, le suffrage du pape, payé par une bonne rente, pouvoit quelquefois faire pancher la balance.
Ce nouveau royaume se soutint glorieusement, & les Portugais commencerent à mériter dans le xv. siecle une gloire aussi durable que l'univers, par le changement du commerce du monde, qui fut bientôt le fruit de leurs découvertes. Ce fut cette nation qui, la premiere des nations modernes, navigea sur l'Océan atlantique. Elle n'a dû qu'à elle seule le passage du cap de Bonne-Espérance, au lieu que les Espagnols dûrent à des étrangers la découverte de l'Amérique.
Le Portugal s'occupa toujours de ses grandes navigations & de ses succès en Afrique, sans prendre aucune part aux événemens de l'Italie qui allarmoient le reste de l'Europe.
Enfin ce royaume depuis Alphonse I. surnommé Henriquez, dura l'espace de quatre cent quarante-neuf ans, sous seize rois, & finit en 1578 par la mort tragique de l'infortuné don Sébastien, qui périt en Afrique dans une bataille contre les Maures. On peut dire néanmoins que ce royaume ne finit qu'en 1580, dans la personne de don Henri II. qui, quoique prêtre & cardinal, fut reconnu roi de Portugal, après la mort de son neveu don Sébastien.
Philippe II. roi d'Espagne, se trouvant plus à portée que les autres prétendans, pour faire valoir ses prétentions sur la couronne de Portugal, s'empara de ce royaume, & le réunit à la monarchie espagnole en 1580. Il fut le premier qui, depuis les rois Goths, eut la gloire de voir toute l'Espagne sous sa domination, après avoir été divisée près de huit cent ans. Les successeurs de Philippe II. la posséderent dans le même état jusqu'à l'an 1640 que les Portugais, par un soulevement général, sécouerent le joug des rois castillans.
Une conspiration aussi bien exécutée que bien conduite, dit M. de Voltaire, mit sur le trône la maison de Bragance. Jean de Bragance fut partout proclamé roi sans le moindre tumulte ; un fils ne succede pas plus paisiblement à son pere. La maniere dont Olivarez annonça à Philippe IV. la perte du Portugal est célebre ; rien ne fait mieux voir comme on sait déguiser aux rois des nouvelles tristes. " Je viens vous annoncer, dit-il, une heureuse nouvelle ; votre majesté a gagné tous les biens du duc de Bragance ; il s'est avisé de se faire proclamer roi, & la confiscation de ses terres vous est acquise par son crime ".
Cette confiscation n'eut pas lieu, le Portugal devint un royaume considérable, surtout lorsque les richesses du Brésil, & les traités avec l'Angleterre, rendirent son commerce florissant. Joseph de Bragance, arriere petit-fils de Jean, est aujourd'hui sur le trône, & peu s'en est fallu qu'il n'ait perdu dernierement, par un assassinat, la couronne & la vie.
Cette couronne est héréditaire, & passe même aux enfans naturels au défaut des enfans légitimes.
Plusieurs écrivains ont donné les antiquités, l'histoire & la description du Portugal. Tels sont Gaspard Estazo, antiq. de Port. Antonio Vasconcellos, anaceph. reg. Lusitan. Jerôme Conertaggio, Edouard de Nugnez, Texeira, histor. de Port. Imhoff, stemma regum Lusitan. Maugin, description du Portugal ; Lequien de la Neuville, hist. de Portugal, 2 vol. in-4°. La Clede, hist. de Portugal. Vertot, révolutions de Portugal. Enfin le chevalier d'Oliveyra a indiqué les historiens & les écrivains de ce royaume dans des mémoires sur le Portugal, publiés à la Haye en 1743, in-12. (D.J.)
PORTUGAL, bol de (Hist. nat.) bolus lusitanica, nom donné par quelques auteurs à une terre argilleuse, d'un beau rouge, pesante, qui colore les mains, qui s'attache à la langue & se dissout aisément dans la bouche, où elle est d'un goût astringent. On en trouve dans les royaumes d'Espagne & de Portugal ; elle abonde sur-tout dans le voisinage de la ville d'Estremos, dans la province d'Alentéjo. On regarde cette terre comme un grand astringent. Les femmes mâchent cette terre, & la regardent comme propre à absorber les acides.
Cette terre bolaire se durcit au feu, & y devient plus luisante ; c'est pourquoi les Portugais & les Espagnols en font des poteries appellées bucaros, & que l'on appelle du boucaro en France, voyez BUCARO. On dit qu'il s'en trouve à la Havane. Voyez Eman. Mendez d'Acosta, hist. nat. des Fossilles.
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PORTUMNALES | S. f. (Antiq. Grecq. & Rom.) portumnalia, jeux, combats en l'honneur de Portumne, dieu marin ; on les célébroit à Rome le 17 du mois d'Août.
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PORTUNU | ou PORTUMNUS, s. m. divinité romaine qui présidoit aux ports, comme son nom le signifie. C'étoit, selon les uns, Mélicerte qu'on honoroit sous ce nom ; & d'autres croyent que c'étoit Neptune : quoiqu'il en soit, le dieu Portumnus avoit un temple à Rome dans la quatorzieme région.
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PORTUOSUS-SINUS | (Géog. mod.) golphe de la grande-Bretagne, sur la côte duquel Ptolémée, l. II. chap. iij. place les Parisi, & une ville nommée Petuaria. Voyez PETUARIA. (D.J.)
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PORTUS | (Hist. nat.) nom qu'on a donné à une pierre précieuse blanche, mais moins éclatante que la perle.
PORTUS, (Géog. anc.) ville d'Italie à l'embouchure du Tibre, & à cent vingt-six stades de Rome, selon Procope, Gothicor. l. I. cap. 26. L'itinéraire d'Antonin l'appelle le port de la ville d'Auguste. Xiphilin, in Severo, la nomme le port d'Auguste, il falloit dire le port de Claude ; & Cassiodore, Variar. l. VII. lui donne le nom de port de la ville de Rome. Ortelius dit qu'un ancien commentateur de Juvenal écrit, que l'empereur Trajan répara ce port, le rendit beaucoup plus sûr pour les vaisseaux, & lui donna son nom. Ortelius ajoute, que ce commentateur appelle ce port Tyrrhenum pharon, à cause d'un phare qui étoit à l'entrée. Ce lieu a conservé son ancien nom. On le nomme encore présentement Porto. (D.J.)
PORTUS ANNIBALIS, (Géog. anc.) ville de la Lusitanie, selon Pomponius Mela, l. III. chap. 1. Quelques-uns prétendent que c'est aujourd'hui Alvor, bourgade de Portugal ; & d'autres disent, villa nova di Porti-Mahon, deux lieux voisins l'un de l'autre, sur la côte méridionale de l'Algarve.
PORTUS HERCULIS, (Géog. anc.) nom d'un port d'Italie dans l'Etrurie, selon Strabon, l. VI. p. 256 ; c'est aujourd'hui porto Hercole ; c'est encore un port de la Ligurie, selon Ptolémée, l. III. chap. 1 ; il se nomme aussi dans Strabon, portus Monocaei, aujourd'hui Monaco.
PORTUS JULIUS, (Géog. anc.) port d'Italie dans la Campanie, selon Suétone, in Augusto, qui dit qu'Auguste bâtit ce port près de Bayes, en faisant entrer la mer dans le lac Lucrin, & dans le lac Averne. Virgile le décrit dans ces beaux vers.
Lucrinoque addita claustra,
Atque indignatum magnis stridoribus aequor
Julia quâ ponto longè sonat unda refuso.
PORTUS MAGNUS, (Géog. anc.) 1°. port de la Boetie ; on le nommoit aussi le port profond, à ce que nous apprend Strabon, l. X. p. 403, qui le place entre les villes Oropus & Aulis : 2°. Portus magnus, port de l'Espagne Bétique, selon Ptolémée, l. II. chap. iv. qui le place sur la mer d'Ibérie, entre Adara & le promontoire de Charideme ; quelques-uns veulent que ce soit présentement Almeria : 3°. Portus magnus, est un port de l'Afrique, que Strabon, l. XVII. p. 832, place entre Césarée & Triton. Il ajoute qu'on le nommoit aussi Sarda ; 4°. Portus magnus, est encore le nom d'un port de la Mauritanie césarienne. Le P. Hardouin croit que c'est présentement Melilla. Mercator, Marmol & Gomez, disent que le nom moderne est Marzachibir, qui signifie la même chose que Portus magnus ; 5°. Portus magnus, est un port de la grande Bretagne ; il étoit, selon Ptolémée, l. II. chap. 3, sur la côte méridionale de l'île, entre l'embouchure du fleuve Alaunius, & celle du Trisanton. Ortelius, qui cite Hamfredus, dit que c'est aujourd'hui Portsmouth. (D.J.)
PORTUS MAURITIUS, (Géog. anc.) ville de la Ligurie sur la côte de la mer. Ce port a conservé son ancien nom ; car on l'appelle présentement Porto Moriso.
PORTUS MONOECI, (Géog. anc.) ville de la Ligurie, selon Strabon, l. IV. p. 201, & Ptolémée, l. III. chap. 1. On convient assez généralement que c'est présentement la ville de Monaco. Tacite, hist. l. III. & Pline, l. III. c. v. disent portus Herculis Monoeci.
PORTUS ORESTIS, (Géog. anc.) On est fort peu d'accord sur la situation de ce port. Bari prétend que Portus Orestis s'appelle aujourd'hui Ravogoso ; car, dit-il, c'est le seul endroit où Oreste pouvoit se purifier, suivant l'oracle, c'est-à-dire, où sept fleuves mêloient leurs eaux ensemble, & cette conjecture paroît assez bien fondée. Quoi qu'il en soit, ce port ne devoit pas être loin du Métaurius dans la Calabre citérieure, sur la mer Tyrrhénienne.
PORTUS VENERIS, (Géog. anc.) port de la Gaule narbonnoise, selon Pomponius Mela, l. II. cap. v. qui dit que ce port étoit célebre par un temple de Vénus ; 2°. Portus Veneris étoit un port de la Ligurie à trente milles de Ségesta ; 3°. Portus Veneris, Porto Venere, port d'Italie dans l'état de Gènes, sur la gauche, en entrant dans le golfe de la Specia. (D.J.)
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PORUS | S. m. (Mythol.) dieu de l'abondance, & fils de Métis, déesse de la prudence. Voici le conte que fait Platon sur ce dieu. A la naissance de Venus, les divinités de l'olympe célébrerent une fête à laquelle se trouva Portus, dieu de l'abondance. Quand ils furent hors de table, la Pauvreté, ou Pénie, crut que sa fortune étoit faite, si elle pouvoit avoir un enfant de Porus ; c'est pourquoi elle alla se coucher à ses côtés, & quelque tems après elle mit l'amour au monde. De-là vient, dit notre philosophe, que l'amour s'est attaché à la suite & au service de Venus, ayant été conçu le jour de sa fête. Comme il a pour pere l'Abondance & la Pauvreté, aussi tient-il de l'un & de l'autre.
PORUS, (Géog. anc.) nom commun à deux différens endroits ; 1°. Suidas le donne à un municipe d'Athènes, dans la tribu Acamentide ; 2°. c'est une île sur la côte de la Morée, entre Egine & le promontoire Scillicum. Elle a environ neuf lieues de circuit, & n'est habitée que par des Albanois, qui ont la plus grande partie de leurs biens sur les côtes de la Morée. Cette île s'appelloit autrefois Calabrea ou Calauria. (D.J.)
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POSADE | voyez PESADE.
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POSAGE | S. f. (Arts méchaniq.) l'action de mettre en place une porte, un parquet, des fenêtres, un lambris, des tapisseries en papier. J'ai donné tant pour le posage.
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POSÉ | adj. voyez POSER.
POSE, en terme de Blason, se dit d'un lion, d'un cheval ou d'une autre bête arrêtée sur ses quatre piés, pour indiquer qu'il n'est pas dans une posture de mouvement.
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POSEA | S. f. (Hist. anc.) boisson du soldat romain, composée d'un peu de vinaigre dans de l'eau. On l'appelloit aussi oxycratum. Le soldat romain portoit toujours avec lui du vinaigre.
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POSEG | ou POSSEGA, (Géog. mod.) ville de Hongrie dans l'Esclavonie, capitale d'un comté de même nom sur l'Orlava, à 26 lieues nord-est de Jaïcza, 44 au couchant de Belgrade, 50 de Bude, 70 de Vienne. Les Impériaux l'enleverent aux Turcs en 1687. Long. 35. 44. lat. 45. 37. (D.J.)
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POSEIDIES | S. f. pl. (Antiq. Grecq.) , fête en l'honneur de Neptune nommé , voyez Potter, Archaeol. graec. lib. II. cap. xx. On nommoit aussi cette fête Poseïdonies.
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POSEIDON | (Mythol.) surnom donné à Neptune, qui signifie brise-vaisseaux, à cause que ce dieu présidoit aux tempêtes qui brisent les vaisseaux. On célébroit en son honneur des fêtes qui s'appelloient poseidies ou poseïdonies. Dans l'île de Délos, une des Cyclades, dit Strabon, il y a dans un bois hors de la ville un vaste temple remarquable par les salles à manger qu'on y voit, qui servent à une grande foule de gens, lorsqu'on célebre les poséïdonies. (D.J.)
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POSER | v. act. (Gram.) C'est asseoir, fixer, mettre en place. On dit poser le modele ; ceux qui s'en mêlent devroient bien du moins quelquefois le poser plus naturellement, & d'une maniere plus analogue aux passions de l'homme & aux actions de la vie ; poser une pierre, poser les armes ; cette poutre porte ou pose à faux ; huit & huit font seize, je pose six & retiens un ; je pose en fait, pour constant, en principes ; je l'ai tiré posé ; poser d'abord clairement l'espece ; poser de bons fondemens à une tour ; c'est un homme posé.
POSER, v. act. (Architect.) c'est mettre une pierre en place & à demeure ; & déposer, c'est l'ôter de sa place, parce qu'elle ne la remplit pas, étant trop maigre ou défectueuse, ou parce qu'elle est en délit. Poser à sec, c'est construire sans mortier ; ce qui se fait en frottant les pierres avec du grès & de l'eau, par leurs joints de lit bien dressés, jusqu'à ce qu'il n'y reste point de vuide. C'est de cette maniere que sont construits la plûpart des bâtimens antiques, & qu'a été commencé l'arc de triomphe du fauxbourg Saint-Antoine à Paris. Poser à crud, c'est dresser sans fondation, un pilier, une étaie ou un pointal, pour soutenir quelque chose.
Poser de champ, c'est mettre une brique sur son côté le plus mince, & une piece de bois sur son fort, c'est-à-dire, sur sa face la plus étroite. Poser de plat, c'est le contraire ; & poser en décharge, c'est poser obliquement une piece de bois pour empêcher la charge, pour arcbouter, & pour contreventer.
On dit la pose d'une pierre, pour signifier l'endroit où elle est placée à demeure. Daviler. (D.J.)
POSER les pieces d'une machine.
POSER un cordage. (Marine)
Poser de plat, lorsqu'on met une piece de bois sur sa plus large face.
Poser en décharge, lorsqu'on met une piece de bois obliquement, soit pour empêcher la charge, soit pour arcbouter & contre-éventer.
POSER une forme, (Imprimerie) c'est la même chose que la dresser.
POSER n'est terme de peinture que dans cette phrase. Poser le modele, c'est mettre un homme ou une femme dans différentes attitudes, pour dessiner ou peindre d'après ce modele. C'est le professeur du mois qui est chargé du soin de poser le modele à l'académie. Voyez ACADEMIE. On dit, cet homme entend bien à poser le modele.
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POSEUR | S. m. (Archit.) c'est le nom qu'on donne à l'ouvrier qui reçoit la pierre de la grue, ou élevée avec la grue, & qui la met en place de niveau, d'alignement, & à demeure. Contreposeur est celui qui aide le poseur. (D.J.)
POSEUR, s. m. (Maçonnerie) c'est dans les grands atteliers de maçonnerie un maçon habile & expert, qui prend le soin de poser chaque pierre, après qu'elle a été taillée, à l'endroit qui lui convient, & avec l'à-plomb & fruit qu'elle doit avoir ; le reste de l'ouvrage se fait par les maçons ordinaires, ou par de simples limosins. (D.J.)
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POSIDÉON | S. m. (Calend. des Athéniens) un des douze mois de l'année attique, qui selon le pere Petau, répondoit au mois de Février ; on l'appelloit posidéon, parce qu'il étoit consacré à Neptune, qui se nomme en grec .
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POSIDIANAE | POSIDIANAE
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POSIDIUM | (Géog. anc.) nom commun à plus sieurs lieux. 1°. Posidium, ville d'Egypte, selon Strabon, liv. XVI. p. 776, elle étoit dans la partie la plus enfoncée du golfe arabique : c'est présentement la ville de Xuez, ou Quez : c'étoit autrefois un entrepôt pour les marchandises d'Asie qui passoient de-là au Caire, & ensuite à Alexandrie, pour être transportées à Venise.
2°. Posidium étoit un promontoire de Bithynie sur la côte de la Propontide. Ptolémée, liv. V. ch. j. le place entre Nicomédie & l'embouchure du fleuve Ascanius. C'est, selon Ortelius, le Neptuni fanum de Pomponius Mela, & selon Thevet, le nom moderne est Cabo-fagona.
3°. Posidium, lieu de la Bithynie sur la côte du Pont-Euxin ; Arrien, dans son périple du Pont-Euxin, pag. 14, met Posidium entre Metroum & Tyndaridae, à quarante stades du premier de ces lieux, & à quarante-cinq du second.
4°. Posidium, promontoire de Macédoine dans la Phthiotide sur la côte du golfe pélasgique. Ptolémée, liv. III. ch. 13, le place entre Démétriade & Parisse. Thevet l'appelle Selassis.
5°. Hérodote met une ville du nom de Posidium aux confins de la Cilicie & de la Syrie, & ajoute qu'elle avoit été bâtie par Amphiloque, fils d'Amphiarus.
6°. Posidium est un promontoire de l'Ionie vers les confins de la Carie ; selon Pomponius Mela, liv. I, ch. xvij. & Pline, liv. V, ch. xxjx. ce dernier y met une ville du même nom. Strabon, liv. XIV, p. 632, y place pareillement une ville qu'il appelle Posideum Milesiorum. Ce promontoire retient quelque chose de son ancien nom ; car, comme le remarque le P. Hardouin, on le nomme aujourd'hui capo di Melazzo.
7°. Posidium est un promontoire de l'île de Samos.
8°. Posidium, promontoire de l'île de Chio.
9°. Posidium, ville de l'Asie mineure dans l'île Carpathus.
10°. Posidium, lieu de l'Epire dans la Thesprotie, que Ptolémée, liv. III, ch. 14, dit être un promontoire.
11°. Posidium, petit cap situé au sud-est d'Alexandrie, ainsi nommé, selon Strabon, à cause d'un temple dédié à Neptune. Marc-Antoine allongea ce cap par un mole dont la tête subsiste. Il y fit bâtir un palais : quand la mer est calme, tout enseveli qu'il est sous l'eau, on en distingue encore assez de débris pour laisser juger qu'il étoit considérable.
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POSIDONIA | (Géog. anc.) nom que les Grecs donnoient à la ville de Poestum en Italie. Velleius Paterculus, l. I. c. xv. rend le nom grec par Neptunia. C'étoit une colonie romaine. 2°. Posidonia, tribu de l'Attique, selon Ortelius qui cite Pollux.
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POSIDONIATAE | (Géog. anc.) peuples d'Italie qu'Athénée, l. XIV. place sur le golfe de Tyrrhene, en remarquant néanmoins que ces peuples étoient grecs. Strabon, l. VI. p. 154, nous apprend qu'ils furent vaincus par les Lucaniens qui s'emparerent de leur ville. (D.J.)
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POSIDONIUM | (Géog. anc.) lieu d'Italie chez les Brutiens, au voisinage & à l'opposite du promontoire Pelorum ; selon Strabon, l. VI, p. 257, on ne peut pas assurer que Posidonium fût une ville, mais on sait qu'il y avoit un temple de Neptune au voisinage de Rhegium : ce qui suffit pour dire que Posidonium étoit différent de la ville de Posidonia ou Poestum. 2°. Posidonium, selon quelques exemplaires de Solin, c. xxxij. & Posideum, selon l'édition de Saumaise, est le nom de l'un des trois canaux qui conduisoient les vaisseaux dans le port d'Alexandrie. Pline, l. V. c. xxxj. qui parle de ces trois canaux, en nomme un Posideum ; & il n'y a pas de doute que c'est ainsi qu'il faut lire. Ce canal tiroit son nom d'un temple de Neptune, comme nous l'apprend Strabon, l. XVII, p. 764.
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POSIQUIT | S. m. (Ornith.) nom donné par les habitans des îles Philippines à un oiseau très-commun dans leur pays, ressemblant beaucoup au canari, mais plus petit, & qui ne possede pas son chant harmonieux. (D.J.)
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POSITI | (Antiq. rom.) nom qu'on donnoit chez les Romains aux morts placés à la porte des maisons jusqu'au moment de leurs funérailles.
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POSITIF | VE, adj. (Gram.) ce terme, dans l'usage ordinaire, est opposé à l'adjectif négatif ; & il veut dire, qui suppose l'existence ou la réalité, ou qui énonce la réalité ; au lieu que le mot négatif sert à détruire la supposition d'existence ou de réalité ; c'est conformément à cette acception que les mots , aequalis, égal, sont positifs ; au lieu que les mots , inaequalis, inégal, sont négatifs. Voyez NEGATION.
Mais les Grammairiens font encore usage de ce terme positif dans un autre sens, qui differe du sens primitif que l'on vient de voir en ce qu'il exclut l'idée de comparaison, d'augmentation & de diminution actuelle ; dans cette nouvelle acception, le mot positif est opposé à ceux de comparatif & de superlatif. C'est donc ainsi qu'il faut entendre ce que l'on dit en grammaire, de certains adjectifs & de certains adverbes, qu'ils sont susceptibles de différens degrés de comparaison, savoir, le positif, le comparatif & le superlatif.
Le degré positif, que d'ordinaire on nomme simplement le positif, c'est la signification primitive & fondamentale de l'adjectif ou de l'adverbe, sans aucun rapport au plus ni au moins dont elle est susceptible ; comme quand on dit : un bon livre, des meubles magnifiques, un profond silence, les hommes courageux, écrire bien, meublé magnifiquement, méditer profondément, combattre courageusement.
Puisque le positif est un des degrés dont est susceptible la signification de certains adjectifs & de certains adverbes, & que ce degré exclut toute idée de comparaison, d'augmentation, ou de diminution actuelle ; il est évident qu'il ne doit pas être censé ni appellé un degré de comparaison ; que cette dénomination, pour me servir des termes de l'école, est de falso supponente, & qu'au lieu de dire des degrés de comparaison, il seroit plus vrai & plus raisonnable de dire des degrés de signification. Au reste on peut voir au mot SUPERLATIF, un examen plus approfondi de la doctrine des Grammairiens sur ces degrés, dont M. de Marsais a à peine donné une idée légere & très-imparfaite au mot DEGRES de comparaison ou de signification. (B. E. R. M.)
POSITIF, quantité positive, (en Algebre) c'est une quantité qui a, ou qui est censée avoir le signe + ; elle est ainsi appellée par opposition à la quantité négative, plus petite. Voyez QUANTITE, NEGATIF.
POSITIF, (Jurisp.) a dans cette matiere deux significations différentes. On appelle droit positif celui que les hommes ont fait, & qui est arbitraire, à la différence du droit naturel & du droit divin qui est immuable.
On appelle un fait positif, lorsqu'il est articulé très-nettement & bien précisément, & non en termes équivoques. (A)
POSITIF, s. m. c'est dans les grandes orgues d'église le petit orgue qui est au-devant du grand. Voyez le plan C D E F, Planche I, fig. 1.
Les jeux du positif sont ceux qui suivent la montre de 8 piés ou de 4 piés ouverts : ce jeu est d'étain : le bourdon de 4 piés bouchés : le prestant de 4 piés ouverts : la doublette de deux piés ouverts : la flûte allemande de deux piés à cheminée : la fourniture a trois tuyaux sur chaque touche : la cymbale de deux tuyaux sur chaque touche : le nazard : le cromorne de 4 piés, qui sonne l'unisson du prestant : le larigot. Voyez les articles particuliers de ces jeux, & l'article JEUX.
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POSITION | S. f. en Physique, est une affection de lieu qui exprime la maniere dont un corps y est placé. Voyez CORPS, LIEU, &c.
POSITION, en Astrologie, la position de la sphere est droite, parallele ou oblique : ce qui cause l'inégalité des jours & la différence des saisons, &c. Voyez SPHERE.
On appelle en Astrologie cercles de position, six grands cercles, qui passent par l'intersection du méridien & de l'horison, & qui divisent l'équateur en douze parties égales.
Ce sont les espaces renfermés entre ces cercles, que les Astrologues appellent les douze maisons, & qu'ils rapportent aux douze triangles marqués dans leurs thèmes célestes. En voilà assez, & trop sur ces chimeres.
Fausse position, en termes d'Arithmétique, c'est une regle ainsi appellée, parce qu'elle a pour base une supposition. Une regle de fausse position se fait quand on calcule sur des nombres faux, & que l'on suppose à sa fantaisie, & que par les différences qui s'y rencontrent, on trouve le vrai nombre inconnu qu'on cherchoit. Chambers. (E)
La regle de fausse position consiste en une ou plusieurs regles de trois. On suppose que le nombre cherché soit d'une certaine valeur à volonté, & en conséquence on trouve un résultat tel que doit le donner ce nombre ; ensuite on fait cette regle de trois comme le faux résultat trouvé est au nombre pris à volonté, ainsi le véritable résultat donné est au nombre qu'on cherche.
Quand il n'y a qu'une seule regle de trois, & par conséquent une seule fausse supposition, la regle est appellée simple ; quand il y a deux fausses positions, & par conséquent plusieurs regles de trois, la regle est appellée double. Au reste la plûpart des problèmes auxquels on employe la regle de fausse position, se résolvent plus directement par l'algebre ordinaire ; exemple :
Trois marchands A, B, C, conviennent de donner 1000 l. à eux trois pour quelque entreprise, de maniere que A ne paye que la sixieme partie de ce que payera B, & B les deux tiers de ce que payera C ; on demande ce qu'ils doivent donner.
Par la regle de fausse position, supposons que A donne 100 liv. B donnera donc 600 liv. & C 900 liv. & à eux trois ils donneroient 1600 livres ; mais comme ils ne doivent donner que 1000 liv. par la supposition, faites cette proportion : comme le faux résultat donné (1600 liv.) est au faux nombre supposé 100 liv. ainsi le vrai résultat 1000 liv. est à la mise cherchée du marchand A, qui sera 62 liv. 10 s.
Par l'algebre, soit x la mise de A, on aura x + 6 x + 9 x = 1000 ; équation d'où il est facile de tirer la valeur de x. Voyez EQUATION.
Ceux qui voudront plus de détails sur la regle de fausse position tant simple que double, peuvent consulter différens ouvrages d'arithmétique & d'algebre, & entr'autres, l'arithmétique angloise de Weston. Londres, 1729, ch. 15. (O)
POSITION, en terme de Géométrie, est un mot dont on se sert quelquefois par une espece de distinction du mot grandeur ; ainsi on dit qu'une ligne est donnée de position, quand sa situation ou sa direction est donnée par rapport à quelqu'autre ligne ; au contraire, une ligne donnée de grandeur, quand sa longueur est donnée, & non pas sa situation. Chambers. (E)
POSITION, en termes d'Architecture, la situation d'un bâtiment par rapport aux points de l'horison. Voyez BATIMENS.
Vitruve veut que la position d'un bâtiment soit telle que les quatre encoignures soient directement opposées aux quatre vents cardinaux.
POSITION en Musique, est le lieu de la portée où est placée une note, pour fixer le degré d'élévation du son qu'elle représente.
Les notes n'ont, par rapport aux lignes, que deux différentes positions ; savoir sur une ligne ou dans un espace ; & ces positions sont toujours alternatives en procédant diatoniquement : c'est ensuite le lieu de la ligne même ou de l'espace dans la portée & par rapport à la clé, qui détermine la véritable position de la note dans le clavier général. Voyez CLE, LIGNES, NOTES, PORTEE.
On appelle aussi position le tems de la mesure qui se marque en frappant, en baissant ou posant la main. Voyez THESIS. (S)
POSITION, terme de Peinture, c'est-à-dire posture. Un peintre doit choisir une attitude dont les membres soient grands, amples & inégaux dans leur position, ensorte que ceux de devant contractent les autres qui sont en arriere, & qu'ils soient tous également balancés sur leur centre.
POSITION se dit aussi dans l'Ecriture, des attitudes nécessaires pour opérer avec liberté. Après l'attitude de la tête & du corps, il y a celle des piés, qu'on peut tenir croisés le gauche sur le droit, ou écartés l'un de l'autre d'environ un pié & demi, les bras bien ouverts, le poignet en-dedans, la plume entre la premiere jointure du doigt index sortant de toute sa taille du doigt du milieu ; le pouce enfin entre l'extrêmité & la premiere jointure du doigt index.
POSITION des piés (Danse) premiere leçon que les Maîtres à danser donnent à leurs éleves. Il y en a cinq principales. Dans la premiere on doit avoir les jambes fort étendues, les deux talons l'un près de l'autre, & les piés en dehors également. Cette position sert dans les pas assemblés, & pour prendre ses mouvemens lorsque l'on doit plier, parce que tous les pas qui commencent par des demi-coupés, commencent aussi par cette position.
La seconde position est la distance qu'il faut observer dans les pas ouverts qui se font en allant de côté : elle exige que les deux jambes soient écartées, mais seulement de la longueur du pié distant entre les deux. Il faut observer qu'une épaule ne soit pas plus haute que l'autre ; que les deux piés soient posés sur une même ligne, & tournés également en-dehors ; on doit avoir les jambes étendues comme dans la premiere position.
La troisieme position que l'on nomme emboîture, se fait en étendant si exactement les jambes l'une contre l'autre, que l'on ne puisse point voir de jour entre-deux. Les deux piés sont à-plomb, le gauche devant, mais croisé devant le talon au droit du cou-de-pié ; cette position est d'usage dans les pas emboîtés & autres.
La quatrieme position est à-peu-près la même que les précédentes, excepté que le pié gauche est devant, & le droit derriere sur une ligne droite, & sans être croisés, à distance l'un de l'autre. Cette position regle les pas en avant ou en arriere, & leur donne la proportion nécessaire, soit pour marcher, soit pour danser.
La cinquieme position est inséparable de la seconde, parce qu'elles servent l'une & l'autre aux pas croisés qui sont faits de côté soit à droite ou à gauche, sans se tourner, & maintiennent le corps toujours en présence ; elle veut que le talon du pié qui croise ne passe point la pointe de celui qui est derriere, parce que le corps ne seroit plus dans son à-plomb, & que le pié se croisant plus que la pointe, le pié qui marche reviendroit en-dedans.
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POSNANIE | (Géog. mod.) palatinat de la grande Pologne, borné au nord par la Poméranie, au midi par le palatinat de Kalisch & par la Silésie, au levant par la Pomerelle, & au couchant par la marche de Brandebourg. Posnanie est la capitale.
POSNANIE ou POSEN, (Géog. mod.) en latin moderne Posna ; ville de la grande Pologne, capitale du palatinat du même nom, sur la rive gauche de la Warta, dans une belle plaine, à 11 lieues au couchant de Gnesne, à 18 de Kalisch, & à 50 de Varsovie.
Cette ville prétend être la capitale de la grande Pologne : elle est du-moins ville commerçante, & l'entrepôt des marchandises qu'on apporte d'Allemagne en Pologne, ou qu'on transporte de Pologne en Allemagne. Miecislas I. duc de Pologne, y fonda un évêché en 966. Lubrantius, évêque de Posnanie, y établit un collége public. Long. 35. 8. latit. 52. 25. (D.J.)
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POSPOLITE | S. m. (Hist. mod.) C'est ainsi que l'on nomme en Pologne un ordre par lequel dans les besoins pressans de l'état, tous les sujets tant nobles que roturiers qui sont en état de porter les armes, sont obligés de se rendre en un lieu marqué, & de servir la république à leurs dépens pendant l'espace de six semaines. Quelquefois les ecclésiastiques eux-mêmes ne sont point exempts de la nécessité d'obéir à cette convocation.
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POSSÉDÉ | (Critique sacrée) . Cette troupe de possédés qui se trouva du tems de Jesus-Christ, & qui continua jusqu'à l'abolition du Paganisme, surprend des lecteurs qui ne sont que médiocrement crédules. D'où vient que cette maladie a cessé avec les lumieres de la Médecine ? c'est qu'elle n'avoit que des causes naturelles qui nous sont connues. Aussi d'habiles gens qui respectent l'autorité des saints livres, ont peine à se persuader que les possédés dont parle l'Evangile, fussent réellement tourmentés par des démons.
Cette opinion ne doit scandaliser personne, parce que les miracles de Jesus-Christ, qui guérissoit ces sortes de malades, n'en sont que plus grands ; car que des êtres malfaisans obéissent au commandement de Jesus-Christ, ce n'est pas une chose si miraculeuse que de faire cesser des maladies les plus opiniâtres, les plus rebelles & les plus incurables, en n'employant cependant qu'une simple parole, un signe, un attouchement. Notre Sauveur ne jugeoit point devoir corriger les erreurs des Juifs sur la nature de ces maladies ; il ne disputoit pas, il guérissoit.
De plus, il paroît étrange à ceux qui réfléchissent, qu'il fallût plus d'un mauvais esprit pour tourmenter une personne. Les sept démons de Marie Magdeleine pouvoient sans-doute loger dans une seule femme ; mais un seul ne suffisoit-il pas pour la rendre très-malheureuse ? Le démoniaque qui s'appelloit Légion, n'étoit autre chose qu'un furieux, un phrénétique à qui ses forces faisoient dire qu'il s'appelloit Légion, parce qu'il croyoit être possédé de démons en grand nombre.
Enfin, le mot est un terme vague qui dans les auteurs grecs se prend pour génie, fortune, destinée, sort, malencontre ; genium, fortunam, fatum, sortem. signifie intemperiis agor, dit Budée ; ainsi, continue-t-il, dans S. Luc , sumi videtur pro eo qui intemperiis agitur. Ce mot dans Plutarque, vie de Périclès, se prend pour insanio, furore teneor. veut dire malheureux, misérable, dans Platon. au neutre, signifie ombres, spectres. (D.J.)
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POSSÉDER | AVOIR, (Synon.) Il n'est pas nécessaire de pouvoir disposer d'une chose, ni qu'elle soit actuellement entre nos mains, pour l'avoir, il suffit qu'elle nous appartienne ; mais pour la posséder, il faut qu'elle soit entre nos mains, & que nous ayons la liberté actuelle d'en disposer ou d'en jouïr. Ainsi nous avons des revenus, quoique non payés ou même saisis par des créanciers ; & nous possédons des trésors. On n'est pas toujours le maître de ce qu'on a, on l'est de ce qu'on posséde.
Ces deux mots se disent aussi au figuré, & alors posséder signifie en choses spirituelles & morales, tenir, régir, gouverner, administrer, remplir. On a les bonnes graces des personnes à qui l'on plaît. On possede l'esprit de celles que l'on gouverne absolument. Un mari a de cruelles inquiétudes lorsque le démon de la jalousie le possede. Un avare peut avoir des richesses dans ses coffres, mais il n'en est pas le maître ; ce sont elles qui possedent & son coeur & son esprit. Un amant a le coeur d'une dame lorsqu'il est aimé ; il le possede lorsqu'elle n'aime que lui.
En fait de sciences & de talens, il suffit pour les avoir d'y être médiocrement habile ; pour les posséder, il y faut exceller. Alors posséder signifie savoir parfaitement. Ceux qui ont la connoissance des arts, en savent & suivent les regles ; mais ceux qui les possédent, font & donnent des regles à suivre. (D.J.)
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POSSESSEUR | S. m. (Jurisp.) est celui qui détient quelque chose.
On distingue deux sortes de possesseurs, l'un de bonne foi, l'autre de mauvaise foi.
Le possesseur de bonne foi est celui qui a lieu de penser que sa possession est légitime.
A moyens égaux & dans le doute, la cause de celui qui possede est toujours la meilleure.
Il a aussi l'avantage de faire les fruits siens, & de répéter en tout événement les impenses utiles & nécessaires, & même voluptuaires qu'il fait de bonne foi.
Le possesseur de mauvaise foi est celui qui ne peut ignorer qu'il détient la chose d'autrui.
Il est obligé de restituer tous les fruits qu'il a perçus ou dû percevoir.
A l'égard des impenses, il ne peut répéter que les nécessaires ; & quant à celles qui ne sont qu'utiles ou voluptuaires, elles sont perdues pour lui, à moins qu'il ne puisse enlever ce qu'il a édifié sans endommager le surplus.
Depuis la contestation en cause, le possesseur de bonne foi devient pour l'avenir de même condition que le possesseur de mauvaise foi, c'est-à-dire qu'il ne gagne plus les fruits. Voyez au cod. livre III. le titre XXXII. & les mots BONNE FOI, MAUVAISE FOI, POSSESSION, POSSESSOIRE. (A)
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POSSESSIF | VE ; (Gramm.) adjectif usité en Grammaire pour qualifier certains mots que l'on regarde communément comme une sorte de pronoms, mais qui sont en effet une sorte d'adjectifs distingués des autres par l'idée précise d'une dépendance relative à l'une des trois personnes.
Les adjectifs possessifs qui se rapportent à la premiere personne du singulier, sont mon, ma, mes ; mien, mienne, miens, miennes : ceux qui se rapportent à la premiere personne du pluriel, sont notre, nos ; nôtre, nôtres.
Les adjectifs possessifs qui se rapportent à la seconde personne du singulier, sont ton, ta, tes, tien, tienne, tiens, tiennes : ceux qui se rapportent à la seconde personne du pluriel, sont votre, vos ; vôtre, vôtres.
Les adjectifs possessifs qui se rapportent à la troisieme personne du singulier, sont son, sa, ses ; sien, sienne, siens, siennes : ceux qui se rapportent à la troisieme personne du pluriel, sont leur, leurs.
Sur cette premiere division des adjectifs possessifs, il faut remarquer que chacun d'eux a des terminaisons relatives à tous les nombres, quoique la dépendance qu'ils expriment soit relative à une personne d'un seul nombre. Ainsi mon livre veut dire le livre (au singulier) qui appartient à moi (pareillement au singulier) ; mes livres, c'est-à-dire les livres (au pluriel) qui appartiennent à moi (au singulier) : notre livre signifie le livre (au singulier) qui appartient à nous (au pluriel) ; nos livres, c'est la même chose que les livres (au pluriel) qui appartiennent à nous (pareillement au pluriel). C'est que la quotité des êtres qualifiés par l'idée précise de la dépendance, est toute différente de la quotité des personnes auxquelles est relative cette dépendance.
Dans la plûpart des langues, il n'y a qu'un adjectif possessif pour chacune des trois personnes du singulier, & un pour chacune des trois personnes du pluriel ; mais en françois, nous en avons de deux sortes pour chaque personne : l'un qui ne s'employe jamais qu'avant un nom, & qui exclut tout autre article ; l'autre qui est toujours précédé de l'un des articles, le, la, les, & qui n'est jamais accompagné d'aucun nom, mais qui est toujours en concordance avec un nom déja exprimé auquel il se rapporte. C'est la même chose dans la langue allemande.
Les possessifs de la premiere espece sont mon, ma, mes, pour la premiere personne du singulier ; notre, nos, pour la premiere du pluriel : ton, ta, tes, pour la seconde personne du singulier ; votre, vos, pour la seconde du pluriel : son, sa, ses, pour la troisieme du singulier ; & leur, leurs, pour la troisieme du pluriel.
Les possessifs de la seconde espece sont le mien, la mienne, les miens, les miennes, pour la premiere personne du singulier ; le nôtre, la nôtre, les nôtres, pour la premiere du pluriel : le tien, la tienne, les tiens, les tiennes, pour la seconde personne du singulier ; le vôtre, la vôtre, les vôtres, pour la seconde du pluriel : le sien, la sienne, les siens, les siennes, pour la troisieme personne du singulier ; & le leur, la leur, les leurs, pour la troisieme du pluriel.
L'exacte différence qu'il y a entre les deux especes, c'est que les possessifs de la premiere espece me paroissent renfermer dans leur signification celle des possessifs de la seconde & celle de l'article ; ensorte que mon signifie le mien, ton signifie le tien, son signifie le sien, nos signifie les nôtres, &c. Mon livre, selon cette explication, veut donc dire le mien livre ou le livre mien ; nos livres, c'est les livres nôtres, &c. Et c'est ainsi que parlent les Italiens, il mio libro, i nostri libri ; ou bien il libro mio, i libri nostri. " On disoit autrefois, comme l'écrivent encore aujourd'hui ceux qui n'ont pas soin de la pureté du langage, un mien frere, une tienne soeur, un sien ami ". (Vaugelas, rem. 338.). Cette observation est fondamentale pour rendre raison des différens usages des deux sortes d'adjectifs.
1°. Ce principe explique à merveille ce que Vaugelas a dit (rem. 513.) qu'il faut répéter le... possessif de la premiere espece comme on répete l'article, & aux mêmes endroits où l'on répéteroit l'article : par exemple, on dit le pere & la mere, & non pas les pere & mere ; & il faut dire de même son pere & sa mere, & non pas ses pere & mere, ce qui est, selon M. Chapelain, du style de pratique, & selon M. de Vaugelas, une des plus mauvaises façons de parler qu'il y ait dans toute notre langue. On dit aussi, les plus beaux & les plus magnifiques habits, ou les plus beaux & plus magnifiques habits, sans répéter l'article au second adjectif ; & l'on doit dire de même ses plus beaux & ses plus magnifiques habits, ou ses plus beaux & plus magnifiques habits, selon la même regle. Cette identité de pratique n'a rien de surprenant, puisque les adjectifs possessifs dont il est ici question, ne sont autre chose que l'article même auquel on a ajouté l'idée accessoire de dépendance relativement à l'une des trois personnes.
2°. C'est pour cela aussi que cette sorte d'adjectif possessif exclut absolument l'article, quand il se trouve lui-même avant le nom ; ce seroit une véritable périssologie, puisque l'adjectif possessif comprend l'article dans sa signification.
3°. On explique encore par-là pourquoi ces possessifs operent le même effet que l'article pour la formation du superlatif ; ainsi ma plus grande passion, vos meilleurs amis, leur moindre souci, sont des expressions où les adjectifs sont au même degré que dans celles-ci, la plus grande passion, les meilleurs amis, le moindre souci : c'est que l'article qui sert à élever l'adjectif au degré superlatif, est réellement renfermé dans la signification des adjectifs possessifs, mon, ton, son, &c.
C'est apparemment pour donner à la phrase plus de vivacité, & conséquemment plus de vérité, que l'usage a autorisé la contraction de l'article avec le possessif dans les cas où le nom est exprimé ; & c'est pour les intérêts de la clarté que, quand on ne veut pas répéter inutilement un nom déja exprimé, on exprime chacun à part l'article & le possessif pur, afin que l'énonciation distincte de l'article réveille plus surement l'idée du nom dont il y a ellipse, & qui est annoncée par l'article.
Presque tous les grammairiens regardent comme des pronoms les adjectifs possessifs de l'une & de l'autre espece, & voici l'origine de cette erreur : ils regardent les noms comme un genre qui comprend les substantifs & les adjectifs, & ils observent qu'il se fait des adjectifs de certains noms qui signifient des substances, comme de terre, terrestre. Ainsi meus est formé de mei, qui est le génitif du pronom ego ; tuus de tui, génitif de tu, &c. Or, dans le systême de ces grammairiens, le substantif primitif & l'adjectif qui en est dérivé sont également des noms : & ils en concluent que ego & meus, tu & tuus, &c. sont & doivent être également des pronoms. D'ailleurs ces adjectifs possessifs doivent être mis au rang des pronoms, selon M. Restaut (ch. v. art. 3), parce qu'ils tiennent la place des pronoms personnels ou des noms au génitif : ainsi mon ouvrage, notre devoir, ton habit, votre maître, son cheval, en parlant de Pierre, leur roi en parlant des François, signifient l'ouvrage de moi, le devoir de nous, l'habit de toi, le maître de vous, le cheval de lui ou de Pierre, le roi d'eux ou des François.
Par rapport au premier raisonnement, le principe en est absolument faux ; & l'on peut voir au mot SUBSTANTIF que ce que l'on appelle communément le substantif & l'adjectif sont des parties d'oraison essentiellement différentes. J'ajoute qu'il est évident que bonus, tuus, scribendus & anterior ont une même maniere de signifier, de se décliner, de s'accorder en genre, en nombre & en cas avec un sujet déterminé ; & que la nature des mots devant dépendre de la nature & de l'analogie de leur service, on doit regarder ceux-ci comme étant à cet égard de la même espece. Si on veut regarder tuus comme pronom, parce qu'il est dérivé d'un pronom, c'est une absurdité manifeste, & rejettée ailleurs par ceux même qui la proposent ici, puisqu'ils n'osent dire qu'anterior soit une préposition, quoiqu'il soit dérivé de la préposition ante. Les racines génératives des mots servent à en fixer l'idée individuelle ; mais l'idée spécifique qui les place dans une classe ou dans une autre, dépend absolument & uniquement de la maniere de signifier qui est commune à tous les mots de la même classe. Voyez MOT.
Quant au principe prétendu raisonné de M. Restaut, j'y trouve deux vices considérables. Premierement il suppose que la nature du pronom consiste à tenir la place du nom ; & c'est une erreur que je crois solidement détruite ailleurs. Voyez PRONOM. En second lieu, l'application qu'en fait ici ce grammairien doit être très-suspecte d'abus, puisqu'il en peut sortir des conséquences que cet auteur sans doute ne voudroit pas admettre. Regius, humanus, evandrius, &c. signifient certainement regis, hominis, evandri ; M. Restaut concluroit-il que ces mots sont des pronoms ?
Tous les grammairiens françois & allemands reconnoissent dans leurs langues les deux classes de possessifs que j'ai distinguées dès le commencement ; mais c'est sous des dénominations différentes.
Nos grammairiens appellent mon, ton, son, & leurs semblables possessifs absolus ; & ils regardent le mien, le tien, le sien, &c. comme des possessifs relatifs : ceux-ci sont nommés relatifs, parce que n'étant pas joints avec leur substantif, dit M. Restaut, ils le supposent énoncé auparavant, & y ont relation : mais personne ne dit pourquoi on appelle absolus les possessifs de la premiere espece ; & M. l'abbé Regnier paroît avoir voulu éviter cette dénomination, en les nommant simplement non-relatifs. Le mot de relatif est un terme dont il semble qu'on ne connoisse pas assez la valeur, puisqu'on en abuse si souvent ; tout adjectif est essentiellement relatif au sujet déterminé auquel on l'applique, soit que ce sujet soit positivement exprimé par un nom ou par un pronom, soit que l'ellipse l'ait fait disparoître & qu'il faille le retrouver dans ce qui précede. Ainsi les deux especes de possessifs sont également relatives, & la distinction de nos grammairiens est mal caractérisée.
Les grammairiens allemands ont apparemment voulu éviter ce défaut, & M. Gottsched appelle conjonctifs les possessifs de la premiere espece, mon, ton, son, &c. & il nomme absolus ceux de la seconde, le mien, le tien, le sien, &c. Les premiers sont nommés conjonctifs, parce qu'ils sont toujours unis avec le nom auquel ils se rapportent ; les autres sont appellés absolus, parce qu'ils sont employés seuls & sans le nom auquel ils ont rapport. Voilà comment les différentes manieres de voir une même chose, amenent des dénominations différentes & même opposées. M. de la Touche qui a composé en Angleterre l'art de bien parler françois, a adopté cette seconde maniere de distinguer les possessifs.
Avec un peu plus de justesse que la premiere, je ne crois pourtant pas qu'elle doive faire plus de fortune. Les termes techniques de grammaire ne doivent pas être fondés sur des services accidentels, qui peuvent changer au gré de l'usage ; la nomenclature des sciences & des arts doit être immuable comme les natures dont elle est chargée de reveiller les idées, parce qu'elle doit en effet exprimer la nature intrinséque, & non les accidens des choses. Or il est évident que mien, tien, sien, &c. ne sont absolus, au sens des grammairiens allemands, que dans l'usage présent de leur langue & de la nôtre ; & que ces mêmes mots étoient conjonctifs lorsqu'il étoit permis de dire un mien frere, un sien livre, comme les Italiens disent encore il mio fratello, il suo libro.
M. Duclos, qui apparemment a senti le vice des deux nomenclatures dont je viens de parler, a pris un autre parti. " Mon, ton, son, ne sont point des pronoms, dit-il Remarque sur le chap. viij. de la II. part. de la gramm. gén. puisqu'ils ne se mettent pas à la place des noms, mais avec les noms mêmes : ce sont des adjectifs possessifs. Le mien, le tien, le sien, sont de vrais pronoms ". Ce savant académicien juge que ces mots se mettent au lieu du nom qui n'est point exprimé ; mais, comme je l'ai déja dit, ce n'est point là le caractere distinctif des pronoms : & d'ailleurs les adjectifs mien, tien, sien, &c. ne se mettent pas au lieu du nom. On les employe sans nom à la vérité, mais ils ont à un nom une relation marquée qui les assujettit aux lois de la concordance comme tous les autres adjectifs ; & l'article qui les accompagne nécessairement est la marque la plus assurée qu'il y a alors ellipse d'un nom appellatif, la seule espece de mot qui puisse recevoir la détermination qui est indiquée par l'article.
C'est donc la différence que j'ai observée entre les deux especes de possessifs, qui doit fonder celle des dénominations distinctives de ces especes. Mon, ton, son, &c. sont des articles possessifs, puisqu'ils renferment en effet dans leur signification, celle de l'article & celle d'une dépendance relative à quelqu'une des trois personnes du singulier ou du pluriel ; que d'ailleurs ils font avec les noms qu'ils accompagnent l'office de l'article, qu'on ne peut plus énoncer sans tomber dans le vice de la périssologie. Mien, tien, sien, &c. sont de purs adjectifs possessifs, puisqu'ils ne servent qu'à qualifier le sujet auquel ils ont rapport, par l'idée d'une dépendance relative à quelqu'une des trois personnes du singulier ou du pluriel.
Content d'avoir examiné la nature des adjectifs possessifs, ce qui est véritablement de l'objet de l'Encyclopédie, je ne m'arrêterai point ici à détailler les différens usages de ces adjectifs par rapport à notre langue ; c'est à nos grammaires françoises à discuter ces lois accidentelles de l'usage ; mais je m'arrêterai à deux points particuliers, dont l'un concerne notre langue, & l'autre la langue allemande.
L'examen du premier point peut servir à faire voir combien il est aisé de se méprendre dans les décisions grammaticales, & combien il faut être attentif pour ne pas tomber dans l'erreur sur ces matieres. " Plusieurs ne peuvent comprendre, dit Vaugelas, remarque 320, comment ces.... possessifs, mon, ton, son, qui sont masculins, ne laissent pas de se joindre avec les noms féminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet).... Quelques-uns croyent qu'ils sont du genre commun, servant toujours au masculin, & quelquefois au féminin, c'est-à-dire à tous les mots féminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet), afin d'éviter la cacophonie que feroient deux voyelles.... D'autres soutiennent que ces pronoms sont toujours du masculin, mais qu'à cause de la cacophonie on ne laisse pas de les joindre avec les féminins qui commencent par une voyelle (ou par un h muet), tout de même, disent-ils, que les Espagnols qui se servent de l'article masculin el pour mettre devant les noms féminins commençant par une voyelle, disant el alma, & nom pas la alma. De quelque façon qu'il se fasse, il suffit de savoir qu'il se fait ainsi, & il n'importe guere, ou point du tout, que ce soit plutôt d'une maniere que de l'autre ".
Cela peut n'être en effet d'aucune importance s'il ne s'agit que de connoître l'usage de la langue & de s'y conformer : mais cela ne peut être indifférent à la Philosophie, si ce n'est à la philosophie sceptique qui aime à douter de tout. Thomas Corneille crut apparemment qu'une décision valoit mieux que l'incertitude, & il décide, dans sa note sur cette remarque, que cet usage de notre langue n'autorise pas à dire que mon, ton, son, sont du genre commun. " Je ne puis comprendre, dit l'abbé Girard à ce sujet, tom. I. discours vij. pag. 376. par quel goût, encore moins par quelle raison, un de nos puristes veut que mon, ton, son, ne puissent être féminins, & qu'ils sont toujours masculins, même en qualifiant des substantifs féminins. Il dit que la vraie raison qui les fait employer dans ces occasions est pour éviter la cacophonie : j'en conviens ; mais cette raison n'empêche pas qu'ils n'y soient employés au féminin : bien loin de cela, c'est elle qui a déterminé l'usage à les rendre susceptibles de ce genre. Quel inconvénient y a-t-il à les regarder comme propres aux deux, ainsi que leur pluriel ? Quoi ! on aimera mieux confondre & bouleverser ce que la syntaxe a de plus constant, que de convenir d'une chose dont la preuve est dans l'évidence du fait ? Voilà où conduit la méthode de supposer des maximes & des regles indépendantes de l'usage, & de ne point chercher à connoître les mots par la nature de leur emploi ". L'opinion de M. l'abbé Girard, & la conséquence qu'il en tire contre la méthode trop ordinaire des grammairiens, me paroissent également plausibles ; & je révoque volontiers & sans détour, ce que je me rappelle d'avoir écrit de contraire à l'article GALLICISME.
Je passe à l'observation qui concerne la langue allemande : c'est que l'usage y a introduit deux articles & deux adjectifs possessifs qui ont rapport à la troisieme personne du singulier ; l'un s'employe quand la troisieme personne est du féminin, & l'autre, quand elle est du masculin. Cette différence ne sert qu'à déterminer le choix du mot, & n'empêche pas qu'il ne s'accorde en genre avec le nom auquel on l'applique. Ainsi son, quand la troisieme personne est du masculin, se dit en allemand sein, m. seine, f. & sein, n. & sien se dit seiner, m. seine, f. seines, n. ou bien der seinige, m. die seinige, f. das seinige, n. & tous ces mots sont dérivés du génitif masculin seiner (de lui). Mais si la troisieme personne est du feminin, son se dit en allemand ihr, m. ihre, f. ihr, n. & sien se dit ihrer, m. ihre, f. ihres, n. ou bien der ihrige, m. die ihrige, f. das ihrige, n. & tous ces mots sont dérivés du génitif féminin ihrer (d'elle). On peut concevoir, par cette propriété de la langue allemande, combien l'usage a de ressources pour enrichir les langues, pour y mettre de la clarté, de la précision, de la justesse, & combien il importe d'examiner de près les idiotismes pour en demêler les finesses & le véritable sens. C'est la conclusion que j'ai prétendu tirer de cette observation. (B. E. R. M.)
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POSSESSION | S. f. (Jurisprud.) est la détention & la jouïssance d'une chose, soit qu'il s'agisse d'une chose mobiliaire que l'on peut tenir en sa main, soit qu'il s'agisse d'un héritage ou autre immeuble, ou droit réel reputé immeuble, dont la possession s'acquiert & se conserve par des actes tendans à user de la jouïssance, ou à en disposer comme propriétaire.
On distingue plusieurs sortes de possessions, savoir la possession de fait, & celle de droit ; la possession naturelle & la possession civile, & autres, ainsi qu'on l'expliquera dans les subdivisions suivantes.
La possession est de fait & de droit ; mais pour connoître quand elle est acquise, on a plutôt égard à la volonté qu'au seul fait.
On peut acquérir la possession par autrui ; savoir par un fermier ou locataire, par un dépositaire, un fondé de procuration, un tuteur.
La possession du défunt se continue en la personne de l'héritier ; elle est regardée comme la même & non comme une possession nouvelle.
Celui qui a la possession d'une chose, quoiqu'il n'en soit pas le véritable propriétaire, a beaucoup d'avantage sur ceux qui ne la possedent pas ; c'est pourquoi l'on dit en droit, in pari causâ, melior est possidentis.
Lorsqu'il est troublé dans sa possession, après an & jour, il peut intenter complainte, & par ce moyen se faire maintenir en sa possession, même contre le véritable propriétaire, auquel il ne reste plus que la ressource du pétitoire, & de demander la restitution des fruits. Voyez Complainte & POSSESSOIRE.
Le possesseur n'est pas obligé de montrer son titre, il lui suffit de dire qu'il possede parce qu'il possede ; & en cas de dénégation, on peut ordonner la preuve par témoins.
Quand la chose est sujette à prescription, & que le propriétaire en a laissé jouir paisiblement le possesseur assez long-tems pour acquérir la prescription, le possesseur devient lui-même légitime propriétaire.
Le tems nécessaire pour donner cet effet à la possession, est différent selon les objets dont il s'agit, & aussi selon les pays, ainsi qu'il sera expliqué au mot PRESCRIPTION.
Celui qui a été dépossédé par force & par violence, peut intenter dans l'an & jour l'action de réintégrande, pour être rétabli dans sa possession ; & cette action est si favorable que quand ce seroit le propriétaire qui auroit commis la violence, & qu'il justifieroit sur le champ de sa propriété, on ne l'écouteroit point jusqu'à ce qu'il ait retabli celui qu'il a dépouillé : c'est la maxime des Canonistes, spoliatus ante omnia restituendus est. Voyez REINTEGRANDE.
La possession se perd par négligence & par le défaut d'exercice, ou par un jugement d'éviction qui envoye un autre en possession de la chose. Voyez au digeste le livre XLII. le tit. 4 de acquirendâ vel amittendâ possessione, & livre XLII. les tit. 4. & 5. au code, livre VII. tit. 32. de acquirendâ & retin. possessione ; les lois civiles, & Argout, tit. de la possession.
POSSESSION ACTUELLE, est celle que l'on a réellement & dans le moment présent.
POSSESSION D'AN ET JOUR, est celle qui a duré pendant une année entiere & encore un jour au-delà. Pour pouvoir s'aider de cette possession, il faut qu'elle ait duré pendant l'an & jour qui ont précédé le trouble.
POSSESSION ANNALE, c'est ainsi qu'en matiere canonique & bénéficiale on appelle la possession du bénéficier qui jouit paisiblement depuis un an de son bénéfice.
Cette possession se compte du jour de la prise de possession du bénéfice, & doit être paisible & non interrompue par aucun exploit.
Elle donne droit au pourvu de demeurer en possession du bénéfice, jusqu'à ce que le pétitoire soit jugé.
Telle est la teneur de la regle de chancellerie romaine, appellée regle de annali possessore.
Cette regle étoit suivie en France du tems de Rebuffe & de Dumolin, mais présentement elle n'y est plus suivie ; & il n'y a point de provisions par dévolu dans lesquelles on ne déroge à cette regle, & quand la dérogation ne s'y trouveroit pas nommément exprimée, elle y seroit toujours sous-entendue. Voyez ci-après POSSESSION TRIENNALE.
POSSESSION ARTIFICIELLE ou FEINTE, est une fiction de droit qui nous fait réputer possesseur d'une chose qu'un autre possede sous notre nom, comme dans le cas de la relocation, du constitut ou précaire. Voyez CONSTITUT, PRECAIRE, RELOCATION.
POSSESSION DE BONNE FOI, est celle où le possesseur est convaincu qu'il possede légitimement. Voyez PRESCRIPTION.
POSSESSION CENTENAIRE, est celle qui dure depuis cent ans ; cette possession est aussi appellée possession ancienne & immémoriale : elle vaut titre.
POSSESSION CIVILE, est celle qui est plus de droit que de fait, comme quand on dit suivant la regle, le mort saisit le vif, qu'un héritier est en possession de tous les biens du défunt dès le moment de son décès. Cela est vrai selon les principes ; mais cette possession est purement civile, & n'est qu'une fiction de droit, parce que cet héritier ne possede naturellement & réellement les choses que quand il les a appréhendées, & qu'il les a mises de fait en sa main & jouissance.
On appelle aussi possession civile, celle d'un bénéficier qui a pris possession de droit. Il acquiert par ce moyen la qualité & les actions de possesseur, quoiqu'il ne jouisse pas & réellement, & même qu'il y ait un autre pourvu qui jouisse du même bénéfice.
Quelquefois au contraire le terme de possession civile est opposé à la possession naturelle ; on entend alors par possession civile la détention d'une chose avec affection de la tenir comme en ayant la propriété, quoiqu'on ne l'ait pas encore véritablement. Telle est la possession d'un possesseur de bonne foi, lequel ayant acheté un fonds de celui qu'il en croyoit le véritable propriétaire, quoiqu'il ne le fût pas. Il en est le possesseur & non pas le propriétaire, quoique la cause de sa possession soit translative de propriété ; la raison est que celui de qui il a acheté n'a pu transférer en sa personne plus de droit qu'il n'en avoit lui-même. Cette possession civile sert néanmoins au possesseur à faire les fruits siens tant que sa possession n'est pas interrompue par le propriétaire : elle lui sert aussi à acquérir la propriété de la chose par le moyen de la prescription.
Quoique cette possession ne puisse être acquise par la seule intention de posséder sans une possession réelle & actuelle ; elle peut néanmoins se conserver par l'intention seule. Ainsi un homme qui sort de sa maison à dessein d'y revenir, en conserve la possession civile jusqu'à ce qu'un autre s'en soit emparé : en quoi notre usage differe du droit romain, suivant lequel le premier possesseur conservoit sa possession civile tant qu'il ignoroit qu'un autre se fût emparé de la chose. Voyez POSSESSION NATURELLE.
POSSESSION CLANDESTINE, est celle qui a été acquise secrétement & non publiquement : cette possession ne sert point pour la prescription.
POSSESSION CONTINUE, est celle qui a toujours été suivie & non interrompue.
POSSESSION CORPORELLE, est lorsque l'on possede réellement & véritablement la chose, & non pas lorsqu'on a une simple possession de droit, qui est magis animi quam facti.
POSSESSION DE DROIT, est celle qui est fondée sur une saisine légale, & qui est plutôt de volonté présumée que de fait, comme la possession d'un héritier présomptif ; ou bien comme celle d'un pourvu qui prend une possession fictive d'un bénéfice dont un autre est en possession réelle : cette possession est la même chose que la possession civile. (A)
POSSESSION DE FAIT, n'est qu'une détention de la chose sans intention ni habileté, pour en acquérir la propriété. Telle est la possession du dépositaire, du commodataire, du fermier, & autres qui possedent pour & au nom d'autrui. Voyez POSSESSION PRECAIRE.
POSSESSION DE FAIT & DE DROIT, animi & facti, est celle où la détention de la chose est accompagnée de l'intention de la posseder propriétairement, telle que la possession d'un acheteur légitime.
POSSESSION FICTIVE, est celle qui n'est pas réelle, mais que l'on suppose comme si elle existoit réellement ; telle est la possession civile ou de droit simplement.
POSSESSION FURTIVE, est celle qui a été usurpée par de mauvaises voyes, & qui n'est ni publique ni légitime, comme quand on a enlevé les grains la nuit.
POSSESSION IMMEMORIALE, est celle qui passe la mémoire des personnes vivantes, & dont on ne voit point le commencement. La possession centenaire est une possession de cent ans, une possession immémoriale ; mais il n'est pas nécessaire de prouver cent ans de possession, pour pouvoir qualifier sa possession d'immémoriale : il suffit qu'elle soit au-dessus de trente ans.
POSSESSION MANUELLE est celle que l'on a d'une chose que l'on tient en ses mains, comme un meuble ou effet mobilier. Il n'y a point de possession manuelle pour les immeubles, ces sortes de biens ne pouvant être tenus dans la main.
POSSESSION DE MAUVAISE FOI, est celle où le possesseur a connoissance que la chose ne lui appartient pas.
POSSESSION MOMENTANEE, est celle qui n'a point été suivie, & en vertu de laquelle on n'a pu acquérir ni la possession ni la propriété.
POSSESSION NATURELLE, est la détention de quelque chose qui appartient à autrui : cette possession est de deux sortes ; l'une qui est juste, comme quand un créancier possede la chose qui lui a été donnée en gage par son débiteur ; l'autre qui est injuste, est celle d'un voleur & d'un possesseur de mauvaise foi, qui joint à la détention de la chose, l'envie de la retenir, quoiqu'il n'ait pas droit de le faire. Voyez POSSESSION CIVILE.
POSSESSION PAISIBLE, est celle qui n'a point été interrompue de fait ni de droit. Voyez INTERRUPTION & PRESCRIPTION.
POSSESSION PRECAIRE est celle que l'on tient d'autrui & pour autrui, & dont l'objet n'est point de transférer la propriété au possesseur : telle est la possession d'un fermier ou locataire, d'un dépositaire ou sequestre.
POSSESSION PUBLIQUE est celle qui a été acquise au vu & au sçu de tous ceux qui étoient naturellement à portée d'être témoins de cette possession.
POSSESSION (QUASI) est celle que le détenteur n'acquiert pas pour lui, mais pour un autre ; de maniere qu'il n'est pas censé être personnellement en possession : telles sont toutes les possessions précaires des fermiers, dépositaires, sequestres, & autres semblables.
POSSESSION REELLE est la même chose que possession corporelle : elle est différente de la possession naturelle & de fait seulement, en ce que la possession réelle peut être tout à la fois de fait & de droit.
POSSESSION TRIENNALE, en matiere bénéficiale, est celle d'un bénéficier qui a possédé paisiblement & avec un titre coloré, pendant trois années consécutives & non interrompues.
Cette possession opere en sa faveur une prescription qui le rend possesseur paisible tant au possessoire qu'au pétitoire.
L'exception résultante de la possession triennale, a lieu pour les bénéfices consistoriaux, de même que pour les autres.
Si celui qui a la possession triennale est troublé par quelqu'un prétendant droit au bénéfice, obtient en chancellerie des lettres ou commissions appellées de pacificis possessoribus, par lesquelles le roi ordonne aux juges de maintenir l'exposant, s'il leur appert qu'il soit en possession plus que triennale.
Au moyen de ces lettres, il excipe de sa possession & de la regle de triennale possession, ou de pacificis possessoribus, qui est du pape Paul III.
Ceux qui sont intrus ne peuvent, quoiqu'ils ayent possédé paisiblement pendant trois années, se servir de la regle de pacificis, parce que le tems ne diminue pas l'énormité du crime.
Il en est de même de celui qui est coupable de simonie.
On tient néanmoins qu'il en est autrement de celui qui est entré dans un bénéfice avec irrégularité, parce que ce cas n'est pas excepté de la regle de pacificis.
La possession triennale d'un bénéfice pour lequel on est en procès, s'acquiert lorsque le collitigant a discontinué sa procédure pendant trois ans ; mais elle ne court point dans le cas de l'appel comme d'abus, parce que l'abus ne se couvre pas.
Pour interrompre la possession triennale, il faut qu'il y ait eu assignation donnée au possesseur ; qu'en conséquence les parties se soient communiqué leurs titres & capacités, & que les délais établis par les ordonnances, avant que d'entrer dans la véritable contestation, soient expirés.
L'interruption civile ne suspend la possession triennale qu'à l'égard de celui qui a fait le trouble, & non à l'égard d'un tiers ; mais l'interruption naturelle & la dépossession servent à tous les contendans.
La possession triennale n'est pas interrompue par la résignation, lorsque le résignant rentre dans son bénéfice par la voie du regrès, parce que sa possession est toujours fondée sur le même titre. Voyez la pragmatique, §. de pacific. possess. & la glose ; le concordat de pacific. possess. §. statuimus, d'Héricourt, chap. de la prise de possession. Bouchel, somme de ref. verbo patronage. Pérard & Castel.
POSSESSION VICIEUSE est celle qui est infectée de quelque défaut, comme de mauvaise foi, ou qui est furtive ou fondée sur quelque titre vicieux. (A)
POSSESSION du démon, (Théolog.) état d'une personne dont le démon s'est emparé, dans le corps de laquelle il est entré, & qu'il tourmente.
On met cette différence entre l'obsession & la possession du démon, que dans la premiere le démon agit au-dehors, & que dans l'autre il agit au-dedans. Voyez OBSESSION.
Les exemples de possession sont communs sur-tout dans le nouveau Testament. Jesus-Christ & ses apôtres ont guéri une infinité de possédés, & les histoires ecclésiastiques en fournissent encore un grand nombre ; mais comme on sait par plusieurs expériences, que souvent on a abusé de la crédulité des simples par des obsessions & des possessions feintes & supposées ; quelques prétendus esprits forts se sont imaginés que toutes ces obsessions ou possessions étoient des maladies de l'esprit, & des effets d'une imagination fortement frappée ; que quelquefois des personnes se croyoient de bonne-foi possédées ; que d'autres feignoient de l'être, pour parvenir à certaines fins ; qu'en un mot il n'y avoit ni possessions ni obsessions véritables ; & voici les raisons sur lesquelles ils se fondent.
Le démon, dit-on, ne peut naturellement agir sur nos corps. Il est d'une nature toute spirituelle, & ne peut par sa seule volonté, remuer nos membres, ni agir sur nos humeurs & nos organes, sans une permission expresse de Dieu. S'il avoit naturellement ce pouvoir, tout le monde seroit plein de possédés & d'obsédés : il exerceroit à tout moment sa haine contre les hommes, & feroit éclater sa puissance & son empire avec tout l'éclat dont son orgueil pourroit s'aviser. Combien ne verroit-on pas tous les jours d'hommes possédés, agités, tourmentés, précipités, étouffés, étranglés, brûlés, noyés, &c. si l'on accordoit au démon le pouvoir dont nous parlons ? Si l'on dit que Dieu modere ce pouvoir, qu'il reprime le démon, & ne lui permet pas d'exercer sa malice contre des pécheurs & des méchans, ne voyons-nous pas au contraire que ce malin esprit obsede ou possede des personnes très-innocentes ? On sait ce qu'il fit souffrir à Job : on voit des enfans possédés & d'autres personnes dont la vie paroît avoir été sans crime & sans desordre.
Pourquoi, ajoutent-ils, ne voit-on des possédés qu'en certains tems & dans certains pays ? Qu'il y a des nations entieres oû on ne connoît point de possédés ? D'où vient que l'on n'en voit que dans les pays dont les peuples sont superstitieux, & que ces accidens n'arrivent qu'à des personnes d'un esprit peu solide, & d'un tempérament mélancolique ? Qu'on examine tous ceux ou celles qui se disent ou qui se sont dits possédés ou possédées, il est certain qu'il ne s'en trouvera aucun qui n'ait quelques-unes des qualités ou des foiblesses dont on vient de parler.
Si l'on suppose, continuent-ils, que le démon arrête ou suspend les opérations de l'ame d'un possédé pour se mettre lui-même en la place de l'ame, ou même que plusieurs démons agitent & possedent un même homme, la difficulté sera encore plus grande. Comment concevoir cette ame qui n'agit plus dans le corps qu'elle anime, & qui se livre, pour ainsi-dire, au pouvoir du démon ? Comment tant de mauvais esprits peuvent-ils s'accorder à gouverner un seul homme ? Si tout cela se peut faire sans miracle, que deviendra la preuve des miracles pour les incrédules ? Ne diront-ils pas que tout ce qu'on appelle miracles, sont des opérations du démon ? Et s'il faut un miracle pour qu'un homme soit possédé du démon, voilà Dieu auteur, ou au moins coopérateur du démon dans les obsessions & dans les possessions des hommes.
Enfin, disent-ils, on a tant d'exemples de choses toutes naturelles, qui toutefois paroissent surnaturelles, qu'on a lieu de croire que ce qu'on appelle possessions du démon n'est pas d'autre sorte. Tant de gens s'imaginent être changés en loups, en boeufs, être de verre ou de beurre, être devenus rois ou princes ; personne dans ces cas ne recourt au démon ni au miracle : on dit tout simplement que c'est un dérangement dans le cerveau, une maladie de l'esprit ou de l'imagination, causée par une chaleur de visceres, par un excès de bile noire ; personne n'a recours aux exorcismes ni aux prêtres : on va aux médecins, aux remédes, aux bains ; on cherche des expédiens pour guérir l'imagination du malade, ou pour lui donner une autre tournure. N'en seroit-il pas de même des possédés ? Ne réussiroit-on pas à les guérir par des remedes naturels, en les purgeant, les raffraîchissant, les trompant artificieusement, & leur faisant croire que le démon s'est enfui & les a quittés ? On a sur cela des expériences fort singulieres ; mais quand on les rapporteroit, les partisans des possessions diroient toujours que ces gens-là n'étoient pas possédés ; qu'ils ne nient pas qu'il n'y ait dans cette matiere bien de l'illusion, mais qu'ils soutiennent que parmi ce grand nombre d'énergumenes, on ne peut nier qu'il n'y en ait eu de vraiment possédés. Les autres soutiennent qu'il n'y en a aucun, & qu'on peut expliquer naturellement tout ce qui arrive aux possédés, sans recourir au démon. C'est-là tout le noeud de la difficulté.
Les défenseurs de la réalité des possessions du démon, remarquent que si tout cela n'étoit qu'illusion, J. C. les apôtres & l'Eglise seroient dans l'erreur, & nous y engageroient volontairement en parlant, en agissant, en priant, comme s'il y avoit de vrais possédés. Le Sauveur parle & commande aux démons qui agitoient les énergumenes : ces démons répondent, obéissent, & donnent des marques de leur présence, en tourmentant ces malheureux qu'ils étoient obligés de quitter ; ils leur causent de violentes convulsions, les jettent par terre, les laissent comme morts ; se retirent dans des pourceaux, & précipitent ces animaux dans la mer. Peut-on nommer cela illusion ? Les prieres & les exorcismes de l'Eglise ne sont-ils pas un jeu & une momerie, si les possédés ne sont que des malades imaginaires ? Jesus-Christ dans S. Luc, c. vij. v. 20 & 21. donne pour preuve de sa mission, que les démons seront chassés : & dans S. Marc, chap. xvj. v. 17. il promet à ses apôtres le même pouvoir. Tout cela n'est-il que chimere ?
On convient qu'il y a plusieurs marques équivoques d'une vraie possession, mais il y en a aussi de certaines. Une personne peut contrefaire la possédée, & imiter les paroles, les actions & les mouvemens d'un énergumene ; les contorsions, les cris, les hurlemens, les convulsions, certains efforts qui paroissent tenir du surnaturel, peuvent être l'effet d'une imagination échauffée, ou d'un sang mélancolique, ou de l'artifice : mais que tout-d'un-coup une personne entende des langues qu'elle n'a jamais apprises ; qu'elle parle de matieres relevées qu'elle n'a jamais étudiées ; qu'elle découvre des choses cachées & inconnues ; qu'elle agisse & qu'elle parle d'une maniere fort éloignée de son inclination naturelle ; qu'elle s'éleve en l'air sans aucun secours sensible ; que tout cela lui arrive sans qu'on puisse dire qu'elle s'y porte par intérêt, par passion, ni par aucun motif naturel, si toutes ces circonstances, ou la plûpart d'entr'elles, se rencontrent dans une possession, pourra-t-on dire qu'elle ne soit pas véritable ?
Or, il y a plusieurs possessions où plusieurs de ces circonstances se sont rencontrées. Il y en a donc de véritables, sur-tout celles que l'Evangile nous donne pour telles. Dieu permit que du tems de Jesus-Christ, il y en eût un grand nombre dans Israël, pour lui fournir plus d'occasions de signaler sa puissance, & pour nous fournir plus de preuves de sa mission & de sa divinité.
Quoiqu'on avoue que les vraies possessions du démon sont très-rares, & qu'elles sont difficiles à reconnoître, toutefois on ne convient pas qu'elles soient miraculeuses. Elles n'arrivent pas sans la permission de Dieu ; mais elles ne sont ni contraires, ni même supérieures aux lois naturelles. Personne ne recourt au miracle pour dire qu'un bon ange nous inspire de bonnes pensées, ou qu'il nous fait éviter un danger ; on suppose de même qu'un démon peut nous instruire au mal, exciter dans nos corps des impressions déréglées, causer des tempêtes, &c. L'Ecriture attribue aux mauvais anges la mort des premiers nés de l'Egypte, & la défaite de l'armée de Sennacherib ; elle attribue aux bons anges la pluie de feu qui consuma Sodome & Gomorrhe. Ces événemens sont miraculeux en certaines circonstances, mais non pas en toutes. Dieu ne fait que laisser agir les démons, ils exercent en cela un pouvoir qui leur est naturel, & qui est ordinairement arrêté & suspendu par la puissance de Dieu. On décide trop hardiment sur la nature de cet esprit que l'on connoît si peu.
Voilà les raisons de part & d'autre, telles que les propose dom Calmet dans son dictionnaire de la Bible, & qu'on peut voir traitées avec plus d'étendue dans une dissertation particuliere qu'il a donnée sur les possessions & obsessions des démons.
Dans ces derniers tems, à l'occasion des prétendus miracles & des convulsions qui arrivoient à St. Médard, on a beaucoup traité de la réalité des possessions. Dom la Taste, alors bénédictin, & dans la suite évêque de Bethléem, dans ses lettres théologiques aux écrivains défenseurs des convulsions, a prouvé la réalité des possessions par les endroits de l'Evangile qu'indique le pere Calmet dans ce qu'on vient de lire. Il y ajoute des preuves tirées de la tradition. " Nous appuyons, dit-il, ce sentiment d'une maxime non moins conforme à la raison & au bon sens, qu'elle est importante à la religion, c'est qu'une doctrine crue de tous les Chrétiens, dans toutes les nations, & dans tous les tems, ne sauroit être une erreur, mais qu'elle coule infailliblement d'une tradition divine ; c'est la judicieuse remarque de Tertullien, lib. de praescrip. cap. jx. ecquid verisimile est, ut tot ac tantae in unam fidem erraverint ? caeterum quod apud multos unum invenitur non est erratum, sed traditum. Or en jettant les yeux sur toutes les nations qui professent le Christianisme, Catholiques ou même schismatiques, l'on trouve la croyance de ces démons puissans & malins, même uniformité si l'on remonte de notre siecle jusqu'à celui des Apôtres.
Cette doctrine, ajoute-t-il, est encore appuyée de beaucoup de faits non équivoques, faits de plusieurs sortes ; mais je me borne à réfléchir sur une seule, sur ce qu'opéroient les démons dans les énergumenes. Je dis donc que l'on a vu dans le Christianisme de réelles possessions du démon, accompagnées de merveilles très-considérables. Sulpice Sévere, St. Hilaire, St. Jerôme, St. Paulin nous assurent que l'on voyoit de leur tems des personnes extraordinairement tourmentées par les démons sur les tombeaux ou en présence des saints ".
Un de ses adversaires lui avoit répondu " que ces prétendus énergumenes qu'on voyoit aux tombeaux des martyrs, étoient des épileptiques ou des convulsionnaires qu'on ne manquoit pas de traiter de possédés, selon l'ancienne erreur, qui faisoit donner à ces accidens le nom de maux sacrés, qu'ils conservent encore aujourd'hui parmi les bonnes femmes. Les Peres entraînés par les préjugés de l'enfance & par l'ignorance des causes naturelles, ont parlé comme le peuple ".
" Je n'examinerai point, replique dom la Taste, si cette ancienne erreur étoit aussi répandue & parmi les idolâtres, & parmi les Chrétiens que vous le supposez. Mais n'est-on qu'épileptique ou convulsionnaire lorsqu'on s'éleve en l'air & qu'on y demeure suspendu, la tête en bas, sans que l'on tienne à quoi que ce soit ? Faut-il être une bonne femme pour ne pas confondre ces phénomenes avec ceux de l'épilepsie & avec de simples convulsions ? Or c'est sur ces phénomenes que les Peres ont décidé que ces personnes étoient possédées. Leur décision n'étoit-donc pas un préjugé & une erreur populaire " ?
" Point du tout, répondoient les adversaires de dom la Taste. Ces choses-là sont vraiment surnaturelles au moins dans la maniere dont elles sont opérées ; mais les Peres ont évidemment parlé contre la vérité, lorsqu'en rapportant ces terribles prodiges, ils les ont attribués au démon ; il n'y avoit que le Dieu créateur de toutes choses qui pût les opérer ". Et pour détruire la réalité des faits, ils ajoutent : " ces énergumenes ou convulsionnaires faisoient des sauts & des culbutes comme ceux de St. Médard, & pour en exagérer le merveilleux effrayant, on disoit qu'ils restoient suspendus en l'air. St. Jerôme, St. Hilaire, St. Paulin, Sulpice Sévere & d'autres, l'ont dit de même. Voilà le vrai dénouement de la difficulté ".
" Quelle pénétration ! quels yeux ! quel homme ! s'écrie dom la Taste, du coin de son feu il découvre ce qui se passoit en Europe & en Asie il y a plus de treize siecles, comme s'il y eût été présent, & il est en état de redresser sur de purs faits tous les historiens de ce tems-là ".
Ensuite il montre qu'in dépendamment du respect que la religion inspire pour eux, c'est une folie que de refuser de les en croire sur ces faits, puisque ce n'est pas pour en avoir entendu parler, mais pour les avoir vus qu'ils les racontent. Voici ce qu'en dit entr'autres St. Paulin :
His potiora etiam, tamen & spectata profabor.
Ante alios illum cui membra vetustior hostis
Obsidet....
.... Corpore verso,
Suspendi pedibus spectantem tecta supinis
Quodque magis mirum atque sacrum est, nec in ora relapsis
Vestibus, &c.
Et Sulpice Sévere, dialog. III. cap. vj. Vidi quemdam appropinquante Martino, in aëra raptum manibus extensis in sublime suspendi, ut nequaquam solum pedibus attingeret. D'où il conclut que les possessions sont réelles, & qu'elles ont le démon pour auteur. Et parce que ses adversaires admettent au-moins celles qui sont mentionnées dans l'Evangile, il en tire avantage contr'eux, ou pour admettre toutes les autres, ou pour se jetter dans l'incrédulité ; & en effet, les raisons que nous venons de citer de leur part en approchent fort. Lettres théologiques aux écrivains défenseurs des convulsions, lettre VII. n°. xxxi. & suiv.
Mais comme l'autorité des Peres les gênoit, ils ont tenté de s'en débarasser par plusieurs raisons. " Les Peres, dit l'un d'entr'eux, n'avoient-ils pas des préjugés sur la nature & sur les opérations des démons ? 1°. Tous les Peres ont presque tous cru pendant plusieurs siecles, & jusqu'aux derniers, que les démons avoient des corps. 2°. S'ils leur ont donné quelque pouvoir sur les corps, c'étoit par leurs propres forces corporelles qu'ils leur faisoient exercer ce pouvoir ". Mais comme aujourd'hui ces deux suppositions sont démontrées fausses, il s'ensuit que les possessions qu'on fondoit sur ces hypothèses n'ont point été réelles.
Dom la Taste répond, " qu'il est vrai que quelques peres ont pensé que les démons ont de vrais corps, ne regardant néanmoins ce sentiment que comme une pure opinion, ainsi que St. Augustin, l'un d'entr'eux, s'en est expliqué, lib. XXI. de civitate Dei ; mais que tous, ou presque tous les peres jusqu'aux derniers siecles, ayent eu la même idée, c'est ce qui est certainement faux. N'est-il pas constant que de ceux qui ont attribué des corps aux démons, plusieurs ne donnoient point au nom de corps le sens que nous y donnons, qu'ils opposoient corporel à immense, comme ont fait St. Jean Damascene, lib. II. de fid. orthod. & St. Grégoire le Grand, lib. II. moral. cap. iij. & que quelquefois ils les appelloient corps, comme une substance revêtue d'accidens ? N'est-il pas même certain que le plus grand nombre des Peres ont enseigné que les démons sont de purs esprits, conformément à la doctrine de l'Apôtre, Ephes. cap. vj. " ? Ainsi la premiere objection porte à faux.
" La seconde, ajoute-t-il, n'est pas plus solide. On y soutient que si les Peres ont donné quelque pouvoir aux démons sur les corps, c'est parce qu'ils les supposoient revêtus de corps, & que ce n'est que par leurs forces corporelles qu'ils les faisoient agir. Erreur manifeste. Est-ce en les supposant corporels que ceux d'entre les peres qui les croyoient de purs esprits leur attribuoient ce pouvoir sur les corps ? Est-ce par leurs facultés corporelles que les faisoient opérer tant d'autres peres, qui n'osant assurer qu'ils aient un corps, assuroient pourtant qu'ils ont sur les corps un grand pouvoir ? Or il est indubitable que tous ou presque tous les peres sont compris dans ces deux classes. En un mot, beaucoup ont nié que le démon ait un corps, beaucoup en ont douté, & nul n'a nié son pouvoir sur les corps, nul n'en a douté. C'est donc indépendamment de l'idée sur la nature diabolique que les Peres ont reconnu le pouvoir du démon sur les corps, & par conséquent la réalité des possessions ".
Mais, ajoutoient les défenseurs des convulsions, les Peres étoient imbus du platonisme, c'est-là une des sources, & peut-être la principale de leur sentiment sur le pouvoir du démon, & après-tout c'étoit une pure opinion dont il est permis de s'écarter. A cela dom la Taste répond que ni Eusebe, ni St. Justin, ni Lactance, ni St. Augustin, ni Théodoret, ni St. Epiphane, ni les autres n'ont pas été puiser des principes dans une philosophie qu'ils ont rejettée, méprisée, déclarée fausse, &c. Mais il faut avouer que cette réponse générale ne détruit pas l'objection ; car il passe pour constant que si les Peres n'ont pas été servilement attachés aux idées du platonisme, on en trouve du-moins beaucoup de traces, &, s'il est permis de s'exprimer ainsi, d'assez fortes teintes dans leurs écrits ; mais c'étoit sur l'Ecriture qu'ils avoient formé leur langage. Ce qu'il ajoute est beaucoup plus solide, savoir que les Peres ont si peu regardé cette matiere comme une chose d'opinion, qu'ils l'ont crue liée à la foi. C'est ainsi du-moins qu'en parle St. Augustin : Addimus, dit-il, lib. XXI. de civitate Dei, cap. vj. per homines daemonicarum artium & ipsorum per se ipsos daemonum multa miracula, quae si negare voluerimus, iidem ipsi cui credimus sacrarum litterarum adversabimur veritati. Lettres théologiques aux écrivains défenseurs des convulsions, lett. XXI. n°. 108. & suiv.
Josephe, Antiquités, liv. VII. c. xxv. a cru que les possessions du démon étoient causées par l'ame des scélérats, qui craignant de se rendre au lieu de son supplice, s'empare du corps d'un homme, l'agite, le tourmente & fait ce qu'elle peut pour le faire périr. Ce sentiment paroît particulier à Josephe, car le commun des Juifs ne doutoit point que ce ne fussent des démons qui possédassent les énergumenes. L'Ecriture, dans Tobie, cap. vj. v. 19. & cap. viij. v. 2. & 3. nous apprend que le démon Asmodée fut mis en fuite par la fumée d'un foie de poisson. Josephe raconte que Salomon composa des exorcismes pour chasser les mauvais esprits des corps des possédés, & qu'un juif, nommé Eléazar, guérit, en présence de Vespasien, quelques possédés en leur appliquant un anneau dans lequel étoit enchâssée la racine d'une herbe enseignée par Salomon. En même-tems qu'on prononçoit le nom de ce prince, & l'exorcisme dont on le disoit auteur, le malade tomboit par terre, & le démon ne le tourmentoit plus. Ils croyoient donc & que les démons agissoient sur les corps, & que les corps faisoient impression sur les démons. On peut consulter sur cette matiere la dissertation du pere Calmet imprimée dans le recueil de ses dissertations, à Paris en 1720.
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POSSESSOIRE | adj. (Jurisprud.) est en général quelque chose relative à la possession.
On entend quelquefois par possessoire, la possession même ou l'instance de complainte, comme quand on dit que l'on a jugé le possessoire.
Action possessoire, est celle qui ne tend qu'à être maintenu ou réintégré dans la possession. Voyez POSSESSION. (A)
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POSSESSOIREMENT | adv. (Jurisprud.) se dit de ce qui est fait relativement à la possession. Agir possessoirement, c'est former complainte, agir au possessoire.
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POSSET | S. m. (Méd.) c'est une boisson d'usage en Angleterre dans les fievres & les maladies putrides, où elle convient fort. On la compose de lait bouillant deux pintes, qu'on jette sur une demi-pinte de vin blanc, & qu'on édulcore avec deux ou trois onces de sucre en poudre. On passe ce mêlange par la chausse d'Hippocrate. La partie séreuse du lait qu'on en retire forme une liqueur diurétique, apéritive & contraire à la putréfaction. (D.J.)
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POSSIBLE | POSSIBLE
Nous sommes en droit de regarder comme possible, 1°. tout ce qui ne renferme rien de contradictoire à soi-même ; 2°. tout ce qui ne répugne point à quelqu'autre proposition déja reconnue pour vraie ; 3°. tout ce qui est supposé d'après l'expérience, suivant ce principe, tout ce qui est peut être ; 4°. toute combinaison d'attributs, dans laquelle l'un d'eux, ou quelques-uns déterminent tous les autres ; 5°. toute combinaison où l'on comprend que les attributs, quoiqu'ils ne se déterminent pas réciproquement, peuvent être associés ; 6°. tout ce qui suppose ce qui est déja démontré ; 7°. tout ce dont on peut faire voir la maniere dont il est produit, en donnant sa définition réelle, voyez DEFINITION ; 8°. toute proposition qui est une conséquence légitime d'une vérité connue par la démonstration ou par l'expérience. Concluons donc que le possible est, à proprement parler, tout ce à quoi répond quelque idée. Les Cartésiens ont apperçu cette idée du possible quand ils l'ont défini, ce qui peut être apperçu clairement & distinctement par notre ame. Cependant, quand on s'en tient là, l'idée du possible n'est pas suffisante & applicable à tous les cas. Car de ce que nous n'avons pas une idée d'une chose, & même de ce que nous ne pouvons pas l'acquérir, il ne s'ensuit pas qu'elle doive être exclue des possibles. Tout ce que nous concevons est possible. Fort bien ; mais tout ce que nous ne concevons pas n'est pas possible. Point du tout. Nous ne pouvons décider de l'impossibilité d'une chose que lorsque nous avons démonstration de la contradiction qu'elle renferme. Voyez IMPOSSIBLE.
La possibilité des choses ne dépend point de la volonté de Dieu ; car si les choses n'étoient possibles que parce que Dieu l'a voulu ainsi, elles deviendroient impossibles s'il le vouloit autrement ; c'est-à-dire, que tout seroit possible & impossible en même-tems, ce qui est contradictoire. Voyez ESSENCE.
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POSSON | S. m. (Comm.) que l'on nomme aussi poisson ou roquille, petite mesure pour les liqueurs, qui contient la moitié d'un demi-septier, ou un quart de chopine de Paris. Voyez POISSON. Dictionnaire du Commerce.
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POST SCENIUM | S. m. (Hist. anc.) appellé par les Grecs , partie du théâtre des anciens. C'étoit un espace plus long que large ménagé derriere la scene. C'étoit où s'habilloient les acteurs, où l'on serroit les décorations, & où étoit placée une partie des machines. Voyez PARASCENIUM.
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POST-COMMUNION | S. f. (Hist. ecclés.) antienne ou verset d'un pseaume que le prêtre récite & que le choeur chante à la Messe lorsque le prêtre a communié. L'on appelle aussi post-communion une oraison que le prêtre récite immédiatement avant que de dire Ite, missa est.
Dans la primitive Eglise la post-communion étoit une action beaucoup plus longue & plus solemnelle. D'abord le premier diacre exhortoit le peuple par une formule assez longue, & dont on trouve un exemple dans les Constitutions apostoliques, liv. VIII. ch. xiv. à remercier Dieu des bienfaits qu'il avoit reçus dans la participation aux saints mysteres. Ensuite l'évêque recommandoit le peuple à Dieu par une oraison d'action de grace relative à tous les besoins spirituels & corporels des fideles. On en trouve une dans l'ouvrage que nous venons d'indiquer, ch. xv. Ces actions de graces se faisoient toujours en nombre pluriel, & au nom de toute l'Eglise. Nous avons conservé des traces de tous ces usages dans les dernieres collectes ou post-communions que nos prêtres récitent immédiatement avant la fin de la Messe ; & outre cela, la courte priere placeat qu'ils disent avant que de donner la bénédiction, comprend en général ce que les anciens évêques énonçoient d'une maniere plus détaillée dans leur action de grace. Bingham ; Orig. eccles. tom. VI. lib. XV. cap. vj. §. 1. & 2.
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POST-SCRIPT | S. m. (Littérat.) pensée ajoutée après coup, ou article séparé ajouté à la fin d'un mémoire, d'une lettre, parce qu'on n'a appris ce qu'il contient, où l'on ne s'en est ressouvenu qu'après avoir fait & terminé le corps de la lettre ou du mémoire.
Le post-script se marque ordinairement par ces deux lettres initiales, P. S. Le spectateur remarque qu'on connoît beaucoup mieux l'esprit d'une femme par un post-script, que par le corps de sa lettre.
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POST-VORTE | S. f. (Myth.) déesse qui prévoyoit l'avenir. C'étoit une des carmentes ; elle présidoit aux accouchemens où l'enfant ne venoit pas naturellement.
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POSTDA | ou POTZTEIN, (Géog. mod.) ville & maison de plaisance du roi de Prusse, dans la moyenne marche de Brandebourg, à 4 milles de Berlin, dans une île que forment le Havel & la Sprée, & qui a 4 lieues de tour. La maison de plaisance est agréable, & la ville s'augmente tous les jours. Long. 31. 13'. latit. 52. 36 '. (D.J.)
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POSTE | S. m. dans l'Art militaire, c'est un lieu propre à camper des soldats. Ce mot vient du latin positus, placé ; d'autres le dérivent de potestas, puissance.
Un poste signifie un terrein fortifié ou non, où l'on place un corps d'hommes pour y rester & se fortifier, afin de combattre l'ennemi. Ainsi l'on dit, le poste fut relevé, le poste fut abandonné, le poste fut pris ou emporté l'épée à la main.
Un terrein occupé par un parti, afin de protéger le front d'une armée & découvrir les postes qui sont derriere s'appelle un poste avancé. Chambers.
POSTE D'HONNEUR à la guerre, c'est celui qui est jugé le plus périlleux. On donne les postes d'honneur aux plus anciens ou aux premiers régimens. Les flancs des lignes dans la formation de l'armée étant les endroits les plus exposés & les plus dangereux, sont les postes d'honneur de l'armée.
Il y a dans l'infanterie quatre postes d'honneur.
Le premier est la droite de la premiere ligne ; le second est la gauche de cette même ligne ; le troisieme, la droite de la seconde ligne ; & le quatrieme, la gauche de cette ligne. Cependant, par un ancien usage, le régiment des gardes, qui est le premier régiment de France, se place toujours au centre de la premiere ligne.
A l'égard de la cavalerie, comme elle est divisée en deux corps, savoir de la droite & de la gauche, elle a huit postes d'honneur, dont les quatre premiers sont les mêmes que ceux de l'infanterie ; le cinquieme est la gauche de la premiere ligne de l'aîle droite ; le sixieme est la droite de la premiere ligne de l'aîle gauche ; le septieme, la gauche de la seconde ligne de l'aîle droite ; & le huitieme est la droite de la seconde ligne de l'aîle gauche.
Dans les différentes brigades de l'armée, les régimens suivent la même regle entr'eux, c'est-à-dire que le premier ou le plus ancien se met à la droite de la brigade ; le deuxieme à la gauche, le troisieme & le quatrieme, s'il y en a un quatrieme, se mettent au centre.
Dans les brigades qui ferment la gauche des lignes, la gauche est alors le poste d'honneur ; ainsi le premier régiment occupe cette place, & le second la droite, &c. (Q)
POSTE, s. f. (Hist. anc. & mod.) les postes sont des relais de chevaux établis de distance en distance, à l'usage des couriers chargés de porter les missives, tant du souverain que des particuliers ; ces relais servent aussi à tous les voyageurs qui veulent en user, en payant toutefois le prix réglé par le gouvernement.
La nécessité de correspondre les uns avec les autres, & particulierement avec les nations étrangeres, a fait inventer les postes. Si l'on en croit plusieurs historiens, les hirondelles, les pigeons & les chiens ont été les messagers de quelques nations, avant que l'on eût trouvé des moyens plus sûrs pour aller promtement d'un lieu dans un autre.
Hérodote nous apprend que les courses publiques, que nous appellons postes, furent inventées par les Perses ; il dit que de la mer grecque qui est la mer Egée, & la Propontide jusqu'à la ville de Suze, capitale du royaume des Perses, il y avoit cent onze gîtes ou mansions de distance. Il appelle ces mansions basilicos stathmos, id est mansiones regias, sive diversoria pulcherrima : il y avoit une journée de chemin de l'un à l'autre gîte ou mansion.
Xénophon nous enseigne que ce fut Cyrus même qui, pour en rendre l'usage facile, établit des stations ou lieux de retraite sur les grands chemins, somptueusement bâties, assez vastes pour contenir un nombre d'hommes & de chevaux, pour faire en peu de tems beaucoup de chemin ; & ordonna aux porteurs de ses ordres qu'à leur arrivée à l'une des postes ou stations, ils eussent à déclarer le sujet de leur course à ceux qui y étoient préposés, afin que des uns aux autres les nouvelles parvinssent jusqu'au roi. Ce fut dans l'expédition de Cyrus contre les Scythes que ce prince établit les postes de son royaume environ 500 ans avant la naissance de Jesus-Christ.
On prenoit aussi quelquefois les chevaux & les navires par force. Comme les chevaux destinés aux courses publiques étoient ordinairement poussés à grands coups d'éperons, & forcés de courir malgré qu'ils en eussent ; on donna le nom de cette servitude forcée aux chevaux de poste & aux postillons, lorsque les postes s'établirent chez les Romains. Les Perses appelloient angaries toutes les actions que l'on faisoit par contrainte & avec peine. Les Latins adopterent ce terme angaria, pour signifier une charge personnelle, une corvée & un cheval de poste. Les Romains appelloient la poste cursus publicus ou cursus clavicularis.
Il n'est pas facile de fixer l'époque, ni de citer les personnes qui instituerent l'usage des postes chez les Romains. Selon quelques-uns, lors de l'état populaire, il y avoit des postes sur les grands chemins que l'on appelloit stationes, & les porteurs de paquets en poste statores ; dès-lors ceux qui couroient étoient obligés d'avoir leurs lettres de postes, que l'on appelloit diplomata, sive evectiones, qui leur servoient de passe port pour aller avec les chevaux publics. On trouve dans quelques passages de Ciceron, qu'il donne le nom de stator à ceux qui portoient des paquets en diligence : mais les savans qui sont opposés au sentiment qui fixe dès-lors l'institution des postes romaines, remarquent que Ciceron n'a entendu parler que des messagers qu'il avoit envoyés, parce qu'il a dit statores meos, & non pas statores reipublicae ; ce qui semble prouver que les couriers, dont parle Ciceron, étoient ses gens gagés par lui, & que ce n'étoient point des hommes au service de la république.
Il est à présumer que comme Auguste fut le principal auteur des grands chemins des provinces, c'est aussi lui qui a donné commencement aux postes romaines, & qui les a affermies. Suétone, en parlant de ce prince, dit que pour faire recevoir plus promtement des nouvelles des différens endroits de son empire, il fit établir des logemens sur les grands chemins, où l'on trouvoit de jeunes hommes destinés aux postes qui n'étoient pas éloignés les uns des autres. Ces jeunes gens couroient à pié avec les paquets de l'empereur qu'ils portoient de l'une des stations à la poste prochaine, où ils en trouvoient d'autres tous prêts à courir, & de mains en mains les paquets arrivoient à leurs adresses.
Peu de tems après, le même Auguste établit des chevaux & des chariots pour faciliter les expéditions. Ses successeurs continuerent le même établissement. Chaque particulier contribuoit aux frais des réparations des grands chemins & de l'entretien des postes, sans qu'aucun s'en pût dispenser, non pas même les vétérans ; les seuls officiers de la chambre du prince appellés praepositi sacri cubiculi, en furent exemtés.
Au reste, on ne pouvoit prendre des chevaux dans les postes publiques sans avoir une permission authentique que l'on appella d'abord diploma, & dans la suite littera evectionum, qui signifie la même chose que nos billets de postes, que l'on est obligé de prendre des commandans dans les grandes villes & dans les places de guerre pour avoir des chevaux ; cet usage s'observoit si exactement, qu'au rapport de Capitolin, Pertinax allant en Syrie pour exercer la charge de préfet de cohorte, ayant négligé de prendre des billets de poste, il fut arrêté & condamné par le président de la province à faire le chemin à pié, depuis Antioche jusqu'au lieu où il devoit exercer sa charge.
Les empereurs, dit Procope, avoient établi des postes sur les grands chemins, afin d'être servis plus promtement, & d'être avertis à tems de tout ce qui se passoit dans l'empire. Il n'y avoit pas moins de cinq postes par journée, & quelquefois huit. On entretenoit quarante chevaux dans chaque poste, & autant de postillons & de palfreniers qu'il étoit nécessaire. Justinien cassa les postes en plusieurs endroits, & sur-tout celles par où l'on alloit de Chalcédoine à Diacibiza, qui est l'ancienne ville de Lybissa, fameuse par le tombeau d'Annibal, & située dans le golfe de Nicomédie. Le même auteur, pour donner plus de ridicule à Justinien, avance qu'il établit la poste aux ânes en plusieurs endroits du Levant. C'en est assez sur les postes anciennes.
Quant aux postes modernes, je ne m'arrêterai qu'à celles de France, & je remarquerai d'abord qu'elles étoient bien peu de chose avant le regne de Louis XI. L'an 807 de Jesus-Christ, Charlemagne ayant réduit sous son empire l'Italie, l'Allemagne & partie des Espagnes, établit trois postes publiques pour aller & venir dans ces trois provinces. Les frais étoient aux dépens des peuples. Julianus Taboetius jurisconsulte en parle ainsi : Carolus magnus populorum expensis, tres viatorias stationes in Galliâ constituit, anno Christi octingentesimo septimo primam propter Italiam à se devictam, alteram propter Germaniam sub jugum missam ; tertiam propter Hispanias. Mais il y a toute apparence que les postes furent abandonnées sous le regne de Lothaire, Louis, & Charles le Chauve, fils de Louis le Débonnaire & petit-fils de Charlemagne, parce que de leur tems les terres dudit Charlemagne furent divisées en trois, & l'Italie & l'Allemagne séparées de la France.
C'est de Louis XI. que vient proprement l'établissement des postes en France, & non tel qu'il est aujourd'hui en Europe. Il ne fit que rétablir les veredarii de Charlemagne & de l'ancien empire romain. Il fixa en divers endroits des stations, des gîtes où les chevaux de poste étoient entretenus. Deux cent trente couriers à ses gages portoient ses ordres incessamment. Les particuliers pouvoient courir avec les chevaux destinés à ces couriers, en payant 10 sols par cheval pour chaque traite de quatre lieues. Les lettres étoient rendues de ville en ville par les couriers du roi. Cette police ne fut long-tems connue qu'en France. Philippe de Comines, qui a écrit l'histoire de Louis XI. dit qu'auparavant il n'y avoit jamais eu de postes dans son royaume. Du Tillet, in chronico reg. Franc. en parle de même, & fixe l'institution des postes à l'an de Jesus-Christ 1477 : il écrit que stathmi & diversoria cursoriis equis à rege Ludovico XI. primum in Galliis constituta, ce qui s'entend des postes de France seulement ; car quant à celles instituées par Charlemagne, ce fut en qualité d'empereur qu'il les établit pour l'Occident, & non pour la France.
Pour ce qui est du nom de poste que l'on donne aux couriers publics, Dutillet assûre que Louis XI. voulut qu'on les appellât ainsi, comme pour dire disposés à bien courir, stationarios cursores idiomate gallico postas, quasi bene dispositos ad cursum appellari voluit à graecis , cursores regii. Le nom de poste pourroit aussi venir, à positione, sive dispositione equorum cursui publico deputatorum.
L'histoire de Chalcondyle nous apprend que la poste chez les Turcs consiste à expédier des hommes dressés à la course qu'ils envoyent à pié, lesquels ont le privilege de faire descendre de cheval ceux qu'ils trouvent sur la route, & personne n'oseroit désobéir s'agissant des affaires du grand-seigneur. Etant ainsi montés sur ces chevaux de hazard, ils les poussent à toute bride jusqu'à ce qu'ils en rencontrent d'autres ; ils font à ceux-ci pareil commandement, & leur laissent leurs chevaux fatigués ; c'est de cette maniere que montés aux dépens d'autrui, ils arrivent au lieu de leur destination ; mais cet usage ne se pratique plus, le grand-seigneur a ses chevaux & ses couriers.
Les postes sont établies au Japon & à la Chine. Voyez POSTES de la Chine, STES du Japonapon.
Quand les Espagnols découvrirent le Pérou en 1527, ils trouverent un grand chemin de 500 lieues de Cusco jusqu'à Quito, avec des relais d'hommes fixés de lieue en lieue, pour porter les ordres de l'Inca dans tout son empire, (D.J.)
POSTES de la Chine, (Hist. de la Chine) les postes sont réglées dans tout l'empire de la Chine, l'empereur seul en fait la dépense, & il entretient pour cela une infinité de chevaux. Les couriers partent de Péking pour les capitales des provinces. Le viceroi qui reçoit les dépêches de la cour, les communique incontinent par d'autres couriers aux villes du premier ordre ; celles-ci les envoyent aux villes du second ordre qui sont de leur dépendance ; & de celles du second ordre aux villes du troisieme ; ainsi toutes les provinces & toutes les villes ont communication les unes avec les autres. Quoique ces postes ne soient pas établies pour les particuliers, on ne laisse pas de s'en servir en donnant quelque chose au maître du bureau, & tous les missionnaires en usent avec autant de sûreté, & avec beaucoup moins de dépense qu'ils ne font en Europe.
Comme il est d'une extrême importance que les couriers arrivent à tems, les mandarins ont soin de tenir tous les chemins en état ; & l'empereur, pour les y obliger plus efficacement, fait quelquefois courir le bruit qu'il doit lui-même visiter certaines provinces. Alors leurs gouvernemens n'épargnent rien pour en réparer les chemins ; parce qu'il y va ordinairement de leur fortune, & quelquefois de leur vie, s'ils se négligeoient sur ce point. Mais quelque soin que les Chinois se donnent pour diminuer la peine des voyageurs, on y souffre néanmoins presque toujours une incommodité très-considérable, à laquelle ils ne peuvent remédier.
Les terres qui sont très-légeres & toujours battues par une infinité de gens qui vont & viennent à pié, & à cheval, sur des chameaux, dans des litieres & sur des chariots, deviennent en été un amas prodigieux de poussiere très-fine, qui étant élevée par les passans & poussée par le vent seroit quelquefois capable d'aveugler, si on ne prenoit des masques ou des voiles. Ce sont des nuages épais, au-travers desquels il faut continuellement marcher, & qu'on respire au lieu d'air pendant des journées entieres. Quand la chaleur est grande & le vent contraire, il n'y a que les gens du pays qui puissent y résister. (D.J.)
POSTES du Japon, (Hist. du Japon) pour la commodité des voyageurs, il y a dans tous les principaux villages & hameaux du Japon une poste, qui appartient au seigneur du lieu, où l'on peut trouver en tout tems, à de certains prix réglés, un nombre suffisant de chevaux, de porteurs, de valets, &, en un mot, de tout ce dont on peut avoir besoin pour poursuivre son voyage en diligence. L'on y change aussi de chevaux & de valets, quand ils se trouvent harrassés du chemin, ou qu'on ne les a pas loués pour aller plus loin. Les voyageurs de tout rang & de toute condition se rendent à ces postes, appellés par les Japonois sinku, à cause de la commodité qu'ils ont d'y trouver prêt tout ce dont ils peuvent avoir besoin. Elles sont à la distance les unes des autres d'un mille & demi, & au-dessus, jusqu'à quatre milles. Ces maisons ne sont pas proprement bâties pour loger du monde, mais simplement pour établir les chevaux & pour empêcher qu'en les changeant ils n'embarrassent les rues, il y a une cour spacieuse pour chacune. Le prix de tout ce qu'on peut louer à ces postes est réglé par tout l'empire, non-seulement suivant la distance des lieux, mais encore suivant que les chemins sont bons ou mauvais, que les vivres ou le fourrage sont plus ou moins chers, & autres choses semblables.
A toutes les postes il y a jour & nuit des messagers établis pour porter les lettres, les édits, les déclarations, &c. de l'empereur & des princes de l'empire, qu'ils prennent au moment qu'on les a délivrées, & qu'ils portent en diligence à la poste prochaine. Ces lettres, &c. sont renfermées dans une petite boîte vernie de noir, sur laquelle il y a les armes de l'empereur, & le messager la porte sur ses épaules attachée à un petit bâton. Il y a toujours deux de ces messagers qui courent ensemble, afin qu'au cas qu'il arrivât quelque accident à celui qui porte la boîte, l'autre pût prendre sa place & remettre le paquet au prochain sinku. Tous les voyageurs de quelque rang qu'ils soient, même les princes de l'empire & leur suite, doivent sortir du chemin & laisser un passage libre à ces messagers, qui prennent soin de les en avertir à une distance convenable, par le moyen d'une petite cloche qu'ils sonnent & qu'ils portent pour cet effet toujours avec eux. (D.J.)
POSTES, s. m. pl. (Architect.) ornemens de sculpture, plats, en maniere d'enroulemens, répétés & ainsi nommés, parce qu'ils semblent courir l'un après l'autre. Il y en a de simples & de fleuronnés, avec des rosettes. On en fait aussi de fer pour les ouvrages de serrurerie. (D.J.)
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POSTER | v. act. placer dans un poste. Voyez POSTE.
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POSTÉRIEUR | en Anatomie, se dit des parties opposées à celles qui regardent le plan vertical du corps, qui sont appellées antérieures. Voyez CORPS.
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POSTÉRIORITÉ | S. f. (Jurisprud.) est opposé à priorité. Ces termes ne sont guere usités qu'en matiere d'hypotheque & d'ordre entre créanciers ; en faisant l'ordre on a égard à la priorité ou postériorité d'hypotheque de chacun. Voyez HYPOTHEQUE & PRIORITE. (A)
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POSTÉRITÉ | S. f. (Gram.) c'est la collection des hommes qui viendront après nous. Les gens de bien, les grands hommes en tout genre, ont tous en vue la postérité. Celui qui ne pese que le moment où il existe est un homme froid, incapable de l'enthousiasme, qui seul fait entreprendre de grandes choses aux dépens de la fortune, du repos, & de la vie. Regnier a dit, juste postérité, à témoin je t'appelle ; & en parlant ainsi, il a manifesté ce qui se passe au fond de l'ame de tous ceux qui comparant leurs travaux avec la récompense qu'ils obtiennent de leur siecle, ploravere suis non respondere favorem speratam meritis. Postérité a encore une autre acception ; ce sont les enfans des rois, des princes, des hommes libres. Il est encore sans postérité.
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POSTEROL | ORTIE DE MER, voyez ROSE.
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POSTHUME | adj. (Jurisprud.) est un enfant né depuis le décès de son pere ; on l'appelle posthume, parce qu'il est venu post humatum patrem.
Les posthumes sont réputés déja nés, toutes les fois qu'il est question de leur avantage, & notamment dans les successions.
Suivant l'ancien droit romain, il falloit les instituer ou deshériter nommément ; mais par le droit du code, un posthume ne peut être deshérité, parce qu'il ne peut pas avoir démérité.
Quand il est prétérit dans le testament de son pere, il n'est pas réduit à demander sa légitime, mais à demander sa part entiere, sans avoir égard au testament, lequel en ce cas est cassé.
La prétérition du posthume rompt le testament, quand même ce posthume mourroit aussi-tôt, & quand même ce seroit entre les mains de la sage-femme.
Quand il est prétérit par sa mere, laquelle a été prévenue de la mort sans avoir eu le tems de changer son testament, il est tenu pour institué si ce sont les autres enfans qui sont nommés héritiers ; mais si ce sont des étrangers, le testament est rompu. Voyez au code le titre de posthumis haeredibus, instit. vel exhaeredandis vel praeteritis, & aux instit. le tit. de exhaeredatione liberorum.
POSTHUME, se dit aussi figurément des livres d'un auteur, qu'on ne met en lumiere qu'après sa mort.
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POSTICHE | adject. (Architect.) épithete qu'on donne à un ornement de sculpture, lorsqu'il est ajouté après coup à une table de marbre, ou de toute autre matiere, quand elle est incrustée dans une décoration d'architecture. Le mot postiche, est dérivé de posticcio, ajouté. (D.J.)
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POSTILLE | S. f. (Belles-Lettres) se disoit autrefois d'une note ou courte remarque qu'on écrivoit à la marge de la Bible, & dans la suite on s'est servi du même terme pour exprimer une note écrite sur tout autre livre, postérieurement à son texte.
Trivet dans ses chroniques, en parlant de saint Lancton archevêque de Cantorbery, dit : super Bibliam postillas fecit, & eam per capitula quibus nunc utuntur moderni distinxit. Il ajoute qu'Alexandre évêque de Chester, super psalterium postillas fecit ; Kinghton, autre historien d'Angleterre, parlant d'un dominicain qui fut aussi cardinal, nommé. Hugues, dit, totam Bibliam postillavit.
Il paroît que ce mot postille, est dérivé du latin positus, mis, ajouté : nous avons en françois un mot tout semblable, qui est apostille, tiré aussi du latin appositus, juxta positus, mis auprès ; parce qu'ordinairement les apostilles se mettent à la marge, & vis-à-vis l'endroit du texte, à l'éclaircissement duquel elles servent, à la différence des commentaires qu'on écrit au bas de la page, ou au-dessous du texte.
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POSTILLON | S. m. (Maréchall.) palefrenier ou valet de cocher, qui monte sur le premier cheval d'un attelage, lorsqu'il y a quatre, six, ou huit chevaux.
POSTILLON, (Marine) c'est une petite patache qu'on entretient dans un port, & dont on se sert lorsque l'on veut envoyer à la découverte, ou porter quelque nouvelle.
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POSTLIMINIUM | S. m. (Hist. anc.) chez les Romains se disoit d'une personne qui étoit allée séjourner ailleurs ; qui avoit été bannie, ou prise par l'ennemi ; quand elle revenoit dans son pays, & qu'elle rentroit dans ses biens.
Selon Aulugelle, ce nom venoit de post, après, & de limen, seuil de la porte, c'est-à-dire retour à ses limites & à son seuil ; quoique d'autres après Amm. Marcellin, prétendent que ces personnes étoient rétablies dans leur maison, en passant par un trou que l'on faisoit à la muraille, post limen, & non pas en passant par-dessus le seuil qui étoit regardé comme de mauvais augure.
Postliminium étoit aussi une loi ou un acte, par lequel on recouvroit sur un étranger ou sur un ennemi, un héritage ou tout autre bien que l'on avoit perdu.
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POSTPOLITE | S. f. (Hist. de Pologne) en polonois rech pospolita, qui revient à-peu-près au mot latin respublica, la république. Ce mot désigne toute la noblesse polonoise sans exception, marchant à cheval ; parce que c'est elle qui compose proprement la république ; chaque particulier de ce corps ayant le même droit, la même liberté de voix, la même autorité de suffrage ; ensorte qu'un seul noble, & le dernier du royaume, peut empêcher une conclusion de diete, un décret le plus important, par son liberum veto. Ce grand corps de noblesse, ou la postpolite, ne s'assemble à cheval, & n'est convoquée que pour l'élection des rois, ou pour un pressant besoin de la république. (D.J.)
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POSTPOSITION | S. f. (Littérat.) l'action de mettre une chose derriere une autre qu'elle devoit précéder. Ainsi l'on dit, qu'un relieur a post-posé une feuille d'un livre, quand il a mis la premiere après la seconde.
Ce mot est originairement latin, composé de post, après ou derriere ; & de ponere, mettre, ranger après ou derriere.
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POSTPRÉDICAMENT | en Logique ; ce sont certaines affections ou attributs généraux, qui viennent de la comparaison des prédicamens les uns avec les autres ; ou des modes qui suivent les prédicamens, & qui appartiennent souvent à plusieurs. Voyez PREDICAMENT.
Tels sont, suivant Aristote, oppositum, prius, simul, motus & habere, dont les trois premiers sont dans tous les prédicamens.
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POSTS | S. m. pl. (Commerce de bois) on nomme ainsi en Languedoc des bois débités de certaine forme & grandeur, & que l'on vend à la botte. Il y a des posts de noyer de la grande & de la moyenne forme, des posts de fayar, des posts de sapin, & des posts d'audace. (D.J.)
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POSTULANT | part. (Jurisprud.) On dit un procureur postulant, parce que la fonction d'un procureur est de postuler pour les parties. On donne quelquefois le nom de postulant à de simples praticiens qui font la postulation, tels que ceux qui sont admis en cette qualité aux consuls de Paris où il n'y a point de procureurs en titre. Voyez PROCUREUR.
Postulant se dit aussi de celui qui sollicite pour entrer dans une maison religieuse, & y prendre l'habit. Voyez ci-après POSTULATION. (A)
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POSTULATION | S. f. & POSTULER, v. act. (Gramm. & Jurisprud.) en termes de palais signifient l'exposition qui se fait devant le juge des demandes & défenses des parties.
La loi 1. au digeste de postulando, définit ainsi la postulation ; postulare est desiderium suum vel amici sui in jure apud eum qui jurisdictioni praeest exponere, vel alterius desiderio contradicere.
Il y avoit certaines personnes qui étoient excluses de la postulation ; savoir, un mineur jusqu'à l'âge de dix-neuf ans, un fou ou imbécille, un muet, un aveugle, celui qui étoit affligé de quelqu'autre infirmité, un prodigue, celui qui avoit été condamné publiquement pour calomnie, un hérétique, un infâme, un parjure, celui qui avoit été interdit par le juge de la faculté de postuler, celui qui s'étoit loué pour combattre contre les bêtes.
L'avocat du fisc ne pouvoit pas postuler contre le fisc, ni les décurions contre leur patrie ; il étoit aussi interdit de postuler à l'avocat qui avoit refusé son ministere au mandement du juge.
On voit par ce qui vient d'être dit, qu'à Rome les avocats pouvoient postuler ; leur profession en elle-même étoit cependant différente, & s'appelloit patrocinium. Il y avoit des procureurs ad lites, dont l'emploi étoit singulierement de postuler & de faire la procédure.
Parmi nous la postulation est totalement distincte du ministere des avocats, si ce n'est dans quelques bailliages où les avocats font en même-tems la profession de procureur.
Postuler, c'est demander quelque chose au juge, ce qui se fait en leur présentant requête, & en prenant devant lui les conclusions des requêtes ; c'est aussi postuler, que de faire les procédures nécessaires à l'occasion des demandes & défenses des parties, tout cela est essentiellement attaché à la fonction de procureur ; tellement qu'autrefois les procureurs étoient toujours présens à la plaidoirie ; ils prenoient les conclusions de leurs requêtes, & lisoient les procédures & autres pieces à mesure que le cas le requéroit, l'avocat ne faisoit qu'exposer les moyens de fait & de droit, il ne prenoit point de conclusions, & ce n'est que pour une plus promte expédition, que l'on a introduit que les avocats prennent eux-mêmes les conclusions.
Dans tous les tribunaux où il y a des procureurs en titre, eux seuls peuvent faire la postulation. Il est défendu à leurs clercs & autres personnes sans qualité, de se mêler de postulation ; c'est ce qui résulte de l'ordonnance de Charles VII. de l'an 1455, de celle de Louis XII. en 1507, & de François I. en 1510, & de plusieurs arrêts de réglemens conformes, notamment d'un arrêt du 6 Septembre 1670, en conséquence duquel la communauté des procureurs nomme tous les six mois quelques-uns de ses membres pour tenir la main à l'exécution des réglemens. Cette commission est ce qu'on appelle la chambre de la postulation.
Quand ceux qui font la postulation sont découverts, leurs papiers sont saisis, & leur procès leur est fait à la requête de M. le procureur-général, poursuite & diligence des préposés ; & lorsqu'ils se trouvent convaincus d'avoir postulé, ils sont condamnés aux peines portées par les réglemens, ainsi que les procureurs qui ont signé pour eux.
Voyez au digeste & au code les titres de postulando, & le recueil des réglemens faits au sujet de la postulation.
POSTULATION signifie aussi les démarches que fait une personne pour être admise dans une communauté religieuse. Voyez COMMUNAUTE, NOVICIAT, PROBATION, MONASTERE, PROFESSION, RELIGIEUX. (A)
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POSTULATIONES | (Litt.) nom qu'on donnoit chez les Romains aux sacrifices qu'ils faisoient pour appaiser les dieux. On les appelloit ainsi, parce que les dieux irrités sembloient demander ces sacrifices pour calmer leur colere. (D.J.)
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POSTUMIA VIA | (Géog. anc.) route d'Italie aux environs de la ville Hostiliae, selon Tacite, hist. l. III. Augustin Justiniani, dit qu'on nomme aujourd'hui cette route via costumia, qu'elle conduit depuis Runco jusqu'à Novae, & qu'elle passe par Vola, Arquata & Seravalla.
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POSTURES | POSTURES
M. Winslow rapporte dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1740, qu'une dame de grande taille, bien droite, & qu'il avoit vu telle pendant plusieurs années, étant devenue sédentaire, avoit pris la coutume de s'habiller très-négligemment, & d'être assise toute courbée, tantôt en avant, tantôt de côté & d'autre. Au bout de quelques mois elle commença à avoir de la peine à se tenir droite debout comme auparavant ; ensuite elle sentit une espece d'inégalité au bas de l'épine du dos. M. Winslow lui conseilla pour prévenir l'augmentation de cette incommodité, l'usage d'un petit corset particulier, & d'un dossier proportionné à son siege ordinaire. Mais cette dame négligea son conseil, & l'épine du dos lui devint de plus en plus courbée latéralement en deux sens contraires, à-peu-près comme une S romaine ; desorte qu'à la fin ayant toujours différé les moyens qui lui avoient été proposés, elle perdit environ le quart de la hauteur de sa taille, & resta non-seulement courbée en deux sens, de droite à gauche, & de gauche à droite, mais encore si pliée, que les premieres fausses côtes d'un côté, approchoient très-près de la crête de l'os des îles du même côté, & que les visceres du bas-ventre étoient par-là irrégulierement poussés vers le côté opposé. Son estomac même en fut tellement comprimé, que ce qu'elle avaloit lui paroissoit tomber distinctement dans deux capacités différentes.
On ne voit que trop de jeunes gens de college & d'étude, qui étant obligés de se tenir courbés pour écrire sur le genouil dans les classes publiques, sont incommodés de la compression que cette posture contrainte & réitérée cause au bas de la poitrine & aux visceres contenus dans l'épigastre ; cette incommodité arrive sur-tout à ceux qui, à cause de la vue basse, sont plus exposés à ces inconvéniens, dont différens maux de la poitrine & du bas ventre sont la suite.
Les meilleurs remedes proposés par ceux qu'on consulte sur ces incommodités, sans leur parler au préalable de la posture génante qui les a précédés, deviennent inutiles aux uns, & augmentent les maux des autres. Ce n'est donc qu'après avoir découvert la cause de cette posture contrainte qu'on y peut porter remede. Il s'agit de discontinuer cette attitude, car par ce seul moyen les malades guérissent, tandis que les remedes donnés aux autres empêchent l'effet de leur guérison.
On a encore vu de jeunes étudians sujets à des maux de tête, d'yeux, de gorge, &c. desquelles incommodités les saignées, & d'autres remedes convenables, ne peuvent empêcher les récidives plus ou moins fréquentes, lorsque les maux dont on vient de parler, naissent de quelque habitude contre nature, dont on a oublié de rechercher la cause ; c'est ce qu'éprouva M. Winslow, à l'égard de jeunes gens d'un college qui étoient tous plus ou moins dans le même cas. A la fin l'infirmier avertit M. Winslow, d'une habitude assez générale parmi ces jeunes gens, de dormir la nuit la tête renversée derriere le traversin ; cette posture fut bien-tôt changée, & les jeunes étudians guéris. En général, l'établissement d'une bonne attitude, est le plus grand remede aux infirmités qui sont devenues habituelles par de mauvaises positions du corps.
Combien de fois n'est-il pas arrivé, que l'inadvertance de cette espece dans le traitement de certaines maladies, a occasionné des accidens fâcheux, & même irremédiables, sans qu'on en ait pu comprendre la cause, & même après les marques d'une cure parfaite ? M. Winslow en cite un exemple très-remarquable dans le cas d'une femme, auprès de laquelle il fut appellé, pour examiner la guérison de la fracture de sa cuisse. Cette femme boitoit encore, quoiqu'il y eût des preuves ordinaires que cette fracture avoit été parfaitement bien réduite, & que l'os consolidé avoit sa dimension naturelle, comme celui de l'autre côté.
M. Winslow fit coucher la malade à plat ; dans cette posture, après avoir mis aisément les deux genoux, les malléoles, les talons, & les deux gros orteils, dans une situation égale, il parut d'abord que la cuisse qui avoit été fracturée & guérie, étoit dans une parfaite égalité avec l'autre cuisse ; mais voyant qu'un instant après, la jambe du côté malade étoit remontée comme d'elle-même un peu au-dessus du niveau naturel, & qu'elle paroissoit en même-tems plus courte que celle de l'autre côté, il examina les deux hanches, & il observa qu'elles étoient alors dans leur position naturelle, à la même hauteur, & qu'en remettant les jambes & les piés dans une attitude égale, la position des hanches devenoit aussi-tôt oblique.
Il résulte de là, que l'os de la cuisse avoit perdu sa longueur naturelle, par la soudure irréguliere de la fracture, & que faute d'attention sur l'attitude des hanches, on étoit trompé par la maniere ordinaire de s'en rapporter à l'égalité seule des genoux, des malléoles, des talons & des orteils ; ce qui arrive d'autant plus facilement, qu'à mesure qu'on tire la jambe du côté de la fracture pour la comparer avec l'autre jambe, le malade, crainte de douleur, fait obéir lui-même sa jambe au manuel de l'opérateur ; mais le fait naturellement, sans réflexion, & par conséquent, sans avertir que pour le faire, il fait aussi en même-tems descendre la hanche de côté. (D.J.)
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POT | S. m. (Poterie) vase ou vaisseau, qui est un des plus communs ustensiles du ménage. Il signifie plus précisément le vase où l'on boit, & où l'on conserve les boissons dont on use journellement.
On fait des pots de bien des manieres, de bien des formes, & pour bien des usages. L'argent, l'étain, le cuivre, le fer, la porcelaine, la fayence, la terre glaise ou terre à potier, & le grès, en sont les matieres les plus ordinaires. La forme dépend du goût de l'ouvrier, de celui qui commande l'ouvrage, & des usages auxquels on le destine. Pour ces usages, ils sont en trop grand nombre pour entrer dans tout le détail ; les plus communs néanmoins sont des pots à boire, des pots au lait, des pots à biere, des pots à confitures, des pots à fleurs, &c.
Ces derniers, lorsqu'ils sont ornés de moulures & de sculptures, s'appellent des vases. Le mot & la fabrique des pots ont donné le nom à deux communautés de la ville & fauxbourgs de Paris ; ce sont celles des maîtres Potiers d'étain & des maîtres Potiers de terre. Voyez ces deux articles.
POT, (Mesure de liquides) espece de vaisseau, ou mesure des liqueurs que l'on appelle aussi quarte ou quarteau. Le pot en plusieurs endroits est de deux pintes, mesure de Paris, chaque pinte composée de deux chopines, la chopine de deux demi-septiers, & le demi-septier de deux poissons, le poisson estimé être de six pouces cubiques. En d'autres endroits, le pot ne tient que pinte ; & à Saint-Denis en France, où la pinte est à-peu-près le double de celle de Paris, elle est nommée par quelques-uns pot. (D.J.)
POT. Vendre du vin à pot, c'est le vendre en détail, mais sans pouvoir donner à manger à ceux à qui on le débite ; ce qui n'est permis qu'aux Cabaretiers, Taverniers, &c.
L'ordonnance des aydes de 1680 regle les droits dûs pour le vin vendu à pot : ces droits sont différens suivant les lieux. Voyez VIN.
Les bourgeois de Paris ont droit de vendre à pot le vin de leur cru, mais à la charge de n'y mêler aucun vin d'achat, à peine d'être déchus de leur privilege. Dictionnaire de Commerce.
POT A FEU dans l'Artillerie, est un pot de terre avec ses anses, dans lequel on renferme une grenade avec de la poudre fine, & qu'on jette à la main dans les défenses des breches.
POT EN TETE, est une armure de fer à l'épreuve du fusil, dont les sappeurs se couvrent la tête.
POT A FEU. Les Artificiers donnent le nom de pot à feu à un gros cartouche rempli de plusieurs fusées, qui prennent feu toutes ensemble, & sortent ordinairement du cartouche ou pot à feu sans l'offenser. Ce pot à feu est percé par le milieu, où passe par ce trou de l'étoupille qui, étant allumée, porte le feu à la poudre pulvérisée qu'on a soin de mettre au fond du pot à feu, aussi-bien qu'à toutes les autres fusées qui sont dedans.
Lorsqu'il y a plusieurs pots à feu, on les couvre d'un papier simple, pour empêcher qu'ils ne jouent tous à-la-fois. On se contente de les couvrir d'une simple feuille de papier, afin que les fusées, en prenant feu, puissent sortir sans trouver de résistance. On fait aussi une autre espece de pot à feu, dont voici la construction.
Il faut prendre un morceau de bois tourné long d'un pié, & du diamêtre de trois pouces, rouler dessus du carton à l'ordinaire deux ou trois tours & le bien coller ; vous ôterez ce morceau de bois ; vous mettrez à sa place par un des bouts de ce cartouche un autre morceau de bois, qui s'appelle le pié du pot à feu, & qui est de même calibre ; vous l'y ferez entrer seulement d'un pouce, & vous l'y attacherez avec trois ou quatre petites broquettes pour le faire tenir.
Vous prendrez une lance à feu pleine, voyez LANCE A FEU, mais qui n'aura point de pié ; vous la mettrez au milieu du cartouche, & vous observerez qu'elle en sorte de trois ou quatre pouces ; vous la retirerez ; vous prendrez le morceau de bois ou moule sur lequel on a roulé le cartouche ; sur l'un des bouts de ce moule vous ajusterez une feuille de papier coupée en deux, & que vous passerez en croix pour en former comme une espece de calotte, au fond de laquelle vous mettrez une once de poudre, & deux onces de composition telle qu'elle vous restera de votre artifice. On place au milieu de ces trois onces de poudre la lance à feu dont nous venons de parler ; on ramasse autour du pié de cette lance toute cette matiere également, & on la serre avec les bouts du papier qu'on lie tout-autour de la lance avec de la ficelle ; & cela s'appelle le bouton avec sa lance.
On place cette lance & ce bouton dans le fond du pot, ensorte que la lance soit bien droite & bien au milieu, & l'on fait entrer tout-autour des serpenteaux que l'on fourre dans le poulverin ; on les arrange proprement, & pour achever de les arrêter ensorte qu'ils ne branlent point, on prend du méchant papier que l'on range doucement tout-autour, on en prend ensuite un autre au milieu duquel on fait un trou pour passer la lance, & l'on en fait une coëffure sur le pot en la collant tout-autour.
POT A FEU. Les Artificiers appellent ainsi une espece de petit mortier de carton, qui jette des garnitures comme les pots des fusées volantes, mais un peu plus grosses, parce qu'ils sont plus gros que ceux des fusées ordinaires ; on en fait même d'assez gros pour pouvoir jetter des grenades d'artifice & des petits ballons.
On fait de ces pots à feu de différentes grandeurs. La plus ordinaire est de 3, 4 à 5 pouces de diamêtre, & de 12 à 18 pouces de longueur. Comme ils doivent être fixes & fermes sur leurs piés, on les y attache le mieux qu'on peut, quoique par différens moyens.
Les uns leur font faire un pié de bois cylindrique du diamêtre du vuide intérieur du pot, dans lequel l'ayant introduit de la longueur d'un ou deux pouces, ils clouent le cartouche tout-autour sur ce pié avec des clous de broquette plantés près-à-près.
Les autres l'attachent à leur pié sans clous par un étranglement du bout du cartouche, qu'on fait entrer dans un cavet pratiqué autour dans le pié de bois, comme on voit par le profil des figures.
Cette maniere d'assembler le cartouche à son pié est préférable à la précédente, en ce qu'elle bouche plus exactement le passage de l'air entre le cartouche & son pié ; mais pour qu'il le fasse plus exactement, il faut l'étrangler ainsi sur son pié avant qu'il soit sec pour qu'il entre plus aisément dans le cavet. Il y a aussi plusieurs manieres d'attacher ce pié au lieu où il doit être fixe.
Les uns l'applatissent pour l'attacher sur une piece de bois avec deux clous.
Les autres l'arrêtent par une cheville fixe, qu'on fait entrer dans le pié percé.
Les autres enfin, par une cheville qui est de la même piece que le culot du pot.
Toutes ces manieres de faire les pots à feu à culot & pié de bois, supposent qu'ils sont de cette espece auxquels on donne le feu par le haut, quoiqu'il ne soit pas impossible de les percer ou d'y faire des rainures pour y introduire des porte-feux par-dessous.
Mais lorsqu'ils sont petits, comme d'environ trois pouces de diamêtre pour contenir sept lardons, à cause que ce nombre s'arrange le mieux dans un cylindre, on se dispense de faire des culots au pié de bois pour soutenir le pot à feu, & on leur donne feu par le fond.
On étrangle le bas du cartouche sur une cheville de bois de la grosseur du porte-feu qu'on doit y mettre ; & au lieu de former la gorge de l'étranglement en écuelle, on plie le bout le long de cette espece de cheville postiche, pour que l'étranglement étant plus long, donne plus de prise pour embrasser le porte-feu qu'on doit lui substituer, après avoir retiré la cheville qui n'a servi que pour lui faire une place plus réguliere, & un trou plus rond qu'il n'auroit été sans cette précaution.
On introduit dans ce trou le porte-feu qui est un petit cartouche de 2 à 3 lignes de diamêtre intérieur, dont la longueur doit excéder le bout de l'étranglement d'environ deux pouces, & pénétrer jusqu'au fond du cartouche.
Ce débordement est nécessaire pour l'introduire dans des trous d'une piece de bois percée en-travers dans toute son épaisseur, pour y planter & ranger à distances égales en symmétrie, plusieurs pots par le moyen de leur porte-feu qui tiennent lieu de chevilles. Leur distance est arbitraire, comme de 2 à 3 piés courans.
Le cartouche du pot étant assemblé sur son pié de quelque façon que ce soit, on le charge comme les ballons, en commençant par mettre dans son fond une ou deux onces de relien ou de poudre grenée, mêlée de poussiere, pour former la chasse de la garniture, sur laquelle on met une rouelle de carton percée, ou, selon l'usage de quelques-uns, une plaque de coton en feuille, c'est-à-dire, applatie & trempée dans de la pâte de poudre qu'on fait ensuite sécher.
On prend ensuite un porte-feu comme une fusée de ballon, ou à sa place une lance à feu ; & l'ayant placé au milieu, on arrange tout autour des serpenteaux, des saucissons, ou d'autres petits artifices dont on remplit le pot, en posant les gorges amorcées sur la chasse de poudre qui doit leur donner feu en même-tems qu'elle les pousse au-dehors. On garnit aussi les intervalles vuides avec des petits tampons de papier, pour empêcher que les artifices ne balottent, & que le feu de la chasse étant plus enfermé fasse plus d'effet & les pousse plus loin.
Les serpenteaux dont on remplit les pots à feu sont un peu plus gros que ceux des pots à fusées volantes. On mêle quelquefois des étoiles avec ces serpenteaux, mais comme les pots à feu ne les jettent pas fort haut, elles ne produisent pas un grand effet, il vaut mieux les rassembler dans un cartouche en forme de petite bombe, qui les porte plus haut que lorsqu'elles sont dispersées. On met aussi quelquefois des balles luisantes dans ces pots, mais il faut qu'elles soient petites, parce que n'étant pas poussées fort haut, elles n'auroient pas le tems de se consumer avant de retomber à terre, auquel cas elles pourroient brûler les spectateurs.
Le pot étant rempli, on le coëffe d'un couvercle de carton percé dans le milieu d'un trou assez grand pour faire passer au-travers le porte-feu, ou la lance à feu qui doit en faire partir la garniture lorsqu'elle finit. On arrête ce couvercle à son cartouche & à celui de la lance à feu par des bandes de papier collé, qui empêchent le feu de s'y communiquer par les joints.
Pots à feu aquatiques. Les pots à feu qu'on destine pour brûler sur l'eau sont beaucoup plus susceptibles de variations, que ceux qui doivent être placés sur les théâtres d'artifices hors de l'eau. Comme ils doivent être cachés à fleur d'eau, il importe peu de quelle figure ils soient par-dehors ; ainsi leurs cartouches peuvent être cylindriques, ou en caisses oblongues ou quarrées, ou à pans, pourvû qu'elles soient bien jointes & enduites de matieres bitumineuses, ou couvertes de toile goudronnée pour les rendre impénétrables à l'eau. Les garnitures dont on charge les pots aquatiques sont des saucissons, des serpenteaux, ou des fougues. Voyez SAUCISSON, SERPENTEAUX, FOUGUE.
Pots à feu aquatiques simples. On peut connoître parfaitement la construction de ce pot, en jettant les yeux sur sa coupe au profil, par lequel on voit que ce n'est autre chose qu'un cartouche de bois, de toile ou de carton rempli dans le fond d'une garniture de petits artifices, qu'un porte-feu, qui brûle pendant quelque-tems, fait partir en croissant. Au-dessus de ce porte-feu est un demi-globe plein de matiere combustible ; l'effet de cet artifice est de produire premierement une assez grande flamme, à la fin de laquelle ce pot jette une quantité de feux de même ou de différentes especes, comme les pots-à-feu pour la terre.
On voit que la composition de la partie hémisphérique supérieure doit être séparée de la garniture des petits artifices par une cloison, ou rondelle de bois ou de carton bien collée, percée seulement au milieu pour y adapter le porte-feu.
On suppose à ce pot un contrepoids, pour le faire enfoncer & flotter à fleur d'eau, comme les autres artifices aquatiques.
Des pots à feu doubles & triples. Nous avons appellé simple le pot précédent, parce qu'il ne jette qu'une fois sa garniture de petits artifices : on peut en faire d'autres qui la jettent deux, trois, ou plusieurs fois, à-peu-près sur l'idée de la construction des trompes, & parce qu'en mettant plusieurs gobelets ou pots à feu égaux les uns sur les autres, comme aux trompes, l'artifice total deviendroit trop long pour être mis dans l'eau ; on fait des pots de diamêtres inégaux emboîtés les uns dans les autres, de maniere qu'il reste entre deux de chaque côté un intervalle de largeur suffisante pour y ranger des artifices, & un autre au défaut, pour y mettre la chasse de poudre qui doit pousser le petit hors du grand.
Quoique l'on se borne ici à un exemple de deux pots mis l'un dans l'autre, rien n'empêche qu'on n'en puisse faire un troisieme assez grand pour contenir ces deux, & une troisieme garniture de petits artifices entre deux dans le premier intervalle tout-autour.
POT DE CHAMBRE, matula, vaisseau de garderobe pour le besoin d'uriner. Les Sybarites en faisoient porter avec eux dans les maisons où ils étoient invités à manger. On les plaçoit à côté d'eux, pour les dispenser de se lever de table. D'autres peuples prirent d'eux cet usage, & celui de se les jetter à la tête dans la chaleur de la débauche. On avertissoit le domestique de présenter le pot-de-chambre, en faisant claquer le doigt du milieu avec le pouce. Il y en avoit de corne, de terre, d'étain, d'or, d'argent. La matula étoit le pot-de-chambre des hommes, le scaphium le pot-de-chambre des femmes : celui-ci étoit appellé scaphium de sa forme oblongue & en gondole, d'où l'on voit que les pots-de-chambre à la bourdaloue sont très-anciens.
POT-A-CIRE, (Blanchisserie) les blanchisseurs de cire nomment ainsi une petite marmite de cuivre sans piés, avec une anse & une goulotte, dont ils se servent pour distribuer la cire liquide dans les éculons, avec lesquels ils remplissent les moules où se font les pains de cire blanche. (D.J.)
POT-A-PAITRIR, (terme de Boulangers) les Boulangers nomment ainsi un grand vase de cuivre avec une anse, mais sans col, dont l'ouverture est presque aussi large que le fond. Ils s'en servent, lorsqu'ils paîtrissent, à puiser l'eau chaude dans la chaudiere, soit pour rafraîchir le levain, soit pour le faire, soit pour paîtrir à forfait.
POT-A-SUIF, (Chandelier) on appelle ainsi dans la fabrique des chandelles moulées, un pot de fer blanc avec son anse & son goulot, dont les Chandeliers se servent pour remplir les moules d'étain qu'ils ont préparés & dressés sur la table à moules ; ce pot contient environ pinte de Paris.
POT-A-COLLE & A COULEUR, ustensiles de Cartiers, ce sont des pots de terre dans lesquels ils mettent leur colle pour coller les feuilles & les couleurs pour colorer leurs cartes.
POT, terme de Foulon, on nomme chez les Foulons les pots du moulin, certains vaisseaux de bois en forme d'auge, dans lesquels on foule les étoffes de laine ; on les appelle autrement piles. (D.J.)
POT-A-COLLE, outil de Fourbisseur, c'est un pot de grès dans lequel les Fourbisseurs mettent de la colle de poisson dont ils se servent pour assujettir les bouts & viroles sur les fourreaux.
POT, (Manuf. de glaces) Dans les manufactures de glaces, il y a de deux sortes de pots, les uns qu'on appelle simplement pots, & les autres qu'on nomme cuvettes. Les premiers servent à fondre les matieres, & les autres à les porter jusqu'à la table à couler.
POT-A-COLLE, outil de Gainiers, c'est une petite casserolle à queue, de cuivre rouge, montée sur trois piés de fer, qui sert aux gainiers pour mettre la colle forte d'Angleterre qu'ils employent, & pour la faire chauffer.
POTS, (Jardinage) les pots & les vases dont on se sert dans les jardins y apportent une très-grande utilité ; placés avec goût ils servent infiniment à leur décoration.
Leur structure est ordinairement de terre cuite & de couleur rougeâtre ; cependant il y en a de faïence & de fer fondu que l'on fait bronzer & dorer.
Leur utilité est d'y élever séparément plusieurs plantes délicates, de ne les exposer au soleil qu'autant de tems qu'elles en ont besoin, & de les transporter dans les tems de gelée & d'orages, en un mot, les abriter ; outre l'avantage d'avoir celui de toutes les expositions, & de pouvoir ralentir, en les retirant du soleil, l'agitation violente des sucs nourriciers pendant le jour, qui ne peut être remplacée par la succion qui se fait la nuit.
Les pots ont encore l'avantage, étant enfoncés en pleine terre, de servir à élever toutes sortes de fleurs, & par la facilité de les lever & de les transporter, de regarnir les vuides d'une plate-bande.
Leur défaut est, qu'étant pénétrés de tous côtés des rayons du soleil, les plantes en sont plus altérées, & demandent à être plus souvent arrosées ; l'air, outre cela, leur fait trop sentir ses variations, elles craignent l'inondation de l'arrosoir, outre qu'une plante qui est dans un pot, est privée des exhalaisons que le soleil attire de la terre & des vapeurs que les feux souterrains font monter pendant l'hiver ; ses racines étant plus en liberté, s'étendent davantage, & profitent des esprits nitreux & sulphureux qu'elles trouvent en leur chemin.
Avant de rien planter dans les pots, on met au fond un lit de platras : ce qui sert à faire écouler les eaux superflues, & à empêcher les racines de s'attacher au fond des pots.
POT-A-BRAI, (Marine) c'est un pot de fer, dans lequel on fait fondre le brai.
Pot-à-feu. Le pot-à-feu est une espece de pompe longue & creuse en-dedans. Il y en a qui pour faire des pots-à-feu, prennent une des plus grosses grenades chargées : ils la mettent dans un pot de terre rempli de poudre, & couvert d'une peau : au-dessus de cette peau sont des bouts de meche allumés & attachés en croix. On jette ce pot par le moyen d'une corde que l'on attache à son anse, & en se brisant, il ne manque point de prendre feu, de même que la grenade qui est enfermée en-dedans.
Pot de pompe, c'est la même chose que chopinette, mais pot se dit sur mer, & chopinette sur terre. Voyez CHOPINETTE.
POT, (Papeterie) nom que l'on donne à une des petites sortes de papier, qui se fabrique dans plusieurs papeteries de France ; il sert aux faiseurs de cartes à jouer, pour mettre du côté de la figure. (D.J.)
POT-POURRI, en terme de Parfumeur, est une eau composée de plusieurs herbes odoriférantes & de plusieurs autres ingrédiens, dont on a exprimé l'odeur dans une quantité si parfaitement égale, qu'aucune ne l'emporte sur l'autre.
POT, en terme de Parfumeur, est un vase à patte & à ventre, avec un petit collet qui se termine en s'ouvrant un peu pour recevoir la tête de la forme. Il faut que ces pots soient plombés, sans quoi le sirop passeroit à travers : la terre n'en est pas si fine que celle des formes, dont la grandeur fixe celle du pot ; chaque forme a le sien. Voyez FORME. Voyez Pl. du Parfumeur.
POT, (Verrerie) on appelle dans les verreries communes pots à cueillir, deux des six pots du fourneau à verre ; c'est dans ces deux pots seulement où l'on cueille, c'est-à-dire où l'on prend avec la felle, le verre liquide pour le souffler. (D.J.)
POT, terme de Vernisseur. Les Vernisseurs se servent de petits pots, godets de terre & de faïence pour mettre leurs différentes couleurs : ils en ont de grands & de petits.
POT, le, au Jeu de boule, se dit d'un trou fait tout près du but par les piés des joueurs. Quand une boule est dans le pot, elle est difficile à débuter, il n'y a guere que celles qui venant en mourant au but, passent devant elle, ou se placent à ses côtés, qui puissent la gagner.
POTS, pierre à, (Hist. nat.) en latin lapis ollaris, pierre ainsi nommée parce qu'on en forme des pots & des ustensiles de ménage. Voyez OLLAIRE (pierre.)
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POT-DE-VIN | terme de Négoce ; ce mot se dit figurément, & alors c'est un présent que l'acheteur fait au vendeur, ou le preneur à ferme au propriétaire qui lui passe bail, au-delà du prix convenu entr'eux.
Souvent le pot-de-vin se donne à l'entremetteur, ou à celui qui passe bail pour un autre, ce qui ne se fait guere du consentement des propriétaires des choses vendues ou affermées, qui souvent n'en savent rien, & à qui ces conventions secrettes sont toujours préjudiciables.
Les commissionnaires parmi les marchands sont tenus de faire bon à leurs commettans des pots-de-vin qu'on leur donne pour les marchés, ventes ou achats qu'ils font, à-moins que ces derniers ne consentent qu'ils les retiennent. Savary. (D.J.)
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POTABLE | adj. qui peut se boire, ou qu'on a mis sous une forme liquide & qu'on peut prendre en boisson ; ce vin est potable ; de l'or potable.
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POTAGE | S. m. terme de Cuisine, il se dit pour signifier le premier mets qu'on sert en France à dîner ; c'est du bouillon & du pain mitonnés ensemble, si ce n'est que quelquefois on borde le plat d'un cordon d'herbes cuites dans le bouillon, au milieu duquel on met un chapon bouilli, ou autre piece de cette nature.
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POTAGER | S. m. (Jardinage) son origine est aussi ancienne que le monde, puisqu'il est certain qu'aussi-tôt qu'il y a eu des hommes, il y a eu aussi des especes de potagers, dont la culture s'est perfectionnée de plus en plus. Un potager est de tous les jardins le plus nécessaire à la vie ; ce mot vient de ce qu'on y cultive les herbes nécessaires pour faire les bons potages ; on y éleve aussi des racines, des salades, des plantes bulbeuses, des légumes, & des fruits de plantes potageres.
On le doit bien exposer, en amander les terres, & quant à la culture, une vigne ne doit pas être mieux entretenue qu'un potager, mieux fumée, mieux labourée, mieux sarclée, l'eau sur-tout ne doit pas manquer ; s'il y en a trop, on fera faire une grande pierrée dans le milieu, bâtie à pierres seches, où se viendront rendre quantité de petites rigoles imperceptibles qu'on pratiquera pour amasser les eaux des plates-bandes & des allées.
Si ce potager est coupé de murs pour multiplier les espaliers, il faut que les quarrés aient du moins 15 à 20 toises de tout sens pour y ménager des plates-bandes, des allées au pour-tour, & un quarré au milieu pour y dresser de grandes planches.
Le jardinier intelligent distribuera différemment ses plantes dans un terrein sec que dans un terrein gras & humide ; il espacera plus au large ses légumes dans un pays gras où ils viennent plus forts, que dans un pays sec où on a assez de peine à les élever : dans un pays gras il tiendra ses planches un peu élevées, afin qu'elles s'égouttent dans les allées ; dans un terrein sec c'est tout le contraire. Cet habile homme profitera des différentes natures de terre qui se trouvent souvent dans un même potager ; s'il a quelque endroit bas & un peu humide, il y mettra des artichaux, bétraves, scorsoneres, salsifis, carottes, panais, choux, épinars, &c. Les endroits plus secs seront remplis de laitues, chicorées, cerfeuil, estragon, basilic, pimprenelle, baume, pourpier, ail, échalotes, &c. s'il trouve quelque terrein meilleur entre le sec & l'humide, il y élevera des asperges, des fraises, cardons, céleri, passe-pierre, &c.
POTAGER, (Maçonn.) c'est dans une cuisine, une table de maçonnerie à hauteur d'appui, où il y a des réchauds scellés. Les fourneaux ou potagers sont faits par arcades, de deux piés de large, posés sur de petits murs de huit à neuf pouces d'épaisseur, & dont l'aire est retenue par ses bords, par une bande de fer sur le champ, recourbée d'équerre, & scellée dans le mur. (D.J.)
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POTAKI | (Comm. du Levant) c'est ainsi qu'on nomme à Constantinople, les cendres & potasses qui viennent de la mer Noire. Les potaki font une partie du négoce des Anglois & des Hollandois dans cette échelle ; ces deux nations en enlevent tous les ans une très-grande quantité pour l'apprêt de leurs draps, ces sortes de cendres étant très-propres pour les dégraisser.
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POTAMIDES | S. f. (Mythol.) nymphes des fleuves & des rivieres ; est un fleuve.
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POTAMOGEITON | S. m. (Botanique) aux caracteres de ce genre de plantes par Tournefort, joignons ceux du systême de Linnaeus. La fleur du potamogeiton n'a point de calice, mais est composée de quatre pétales ouverts, creux, arrondis, & obtus, lesquels tombent avant la maturité des graines ; les étamines sont quatre filets extrêmement courts, obtus, & applatis ; les bossettes des étamines sont courtes & doubles. Le pistil a quatre germes ovales & pointus ; ils n'ont point de stile, mais des stigmates obtus : le fruit consiste en quatre graines arrondies, applaties & pointues qui succedent à chaque fleur.
Le potamogeiton est nommé vulgairement en françois épic d'eau, en anglois pond-weed ; Tournefort en établit douze especes, entre lesquelles nous décrirons seulement celle qui est à feuilles rondes, potamogeiton rotundi folium, C. B. P. 193. Ray, Hist. j. 188. Tourn. I. R. H. 233. Boerh. Ind. alt. 196.
C'est une plante aquatique qui pousse plusieurs tiges longues, grêles, rondes, nouées, rameuses. Ses feuilles qui naissent dans l'eau, sont d'abord étroites & s'élargissent en s'élevant au-dessus de l'eau ; elles sont de figure presque ovale, pointues, nerveuses, vertes, pâles, luisantes, nageant sur la surface de l'eau comme celles du nenuphar, & attachées à de longues queues. Il s'éleve d'entre ces feuilles des pédicules qui soutiennent des épis de fleurs à quatre pétales, disposées en croix, de couleur rougeâtre ou purpurine. Il succede à ces fleurs des capsules ramassées en maniere de tête, oblongues, pointues par un bout, remplies de quelques graines blanches.
Cette plante croît dans les marais & dans les étangs ; elle fleurit au mois de Juin & de Juillet ; on n'employe que ses feuilles, auxquelles les Médecins donnent une qualité rafraîchissante & incrassante.
Son nom potamogeiton est formé des mots grecs, , fleuve, & , voisin, à cause qu'elle croît sur le bord des fontaines.
L'espece de potamogeiton, flosculis ad foliorum nodos. I. R. H. 233. est le myriophylon, aquaticum, minus, de Clusius. Hist. 352. en anglois, the water milfoil. (D.J.)
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POTAMOPITIS | (Botan.) genre de plante établi sous ce nom par Buxbaum, dans les Mémoires de l'académie de Pétersbourg ; sa tige s'éleve environ à la hauteur de quatre pouces ; elle est formée de plusieurs noeuds qui s'emboîtent les uns dans les autres, comme autant de calices ; chaque noeud est garni de feuilles découpées en étoile à huit rayons ou environ ; elles sont plus étroites au bas de la tige, plus larges au sommet, mais rares, & quelquefois seulement au nombre de deux à chaque noeud. Les fleurs sortent des aisselles des feuilles, elles sont blanches, à quatre pétales disposés en croix, & soutenues par un calice à quatre feuilles, & elles n'ont point de pédicule. Le pistil occupe le centre de la fleur, & est environné de quatre étamines. Le vaisseau séminal est arrondi, divisé en quatre loges, & rempli de semences grêles, faites en croissant : cette plante fleurit en Mai ; elle est commune aux lieux marécageux de la Thrace, près du Bosphore. Hist. Petropol. vol. I. pag. 243.
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POTAMO | ou POTAMUS, (Géog. anc.) bourg du Péloponnèse, dans l'Attique. C'étoit un bourg maritime de la tribu Léontide, au-delà du promontoire Sunium, en regardant du côté de l'Europe, & c'est ce qu'on appelle maintenant le port de Raphti, où il n'y a aucune habitation : c'étoit là qu'on voyoit le monument d'Ion, fils de Xuthus. A Athènes on lit, dans l'église d'Agioi apostoli, un fragment d'inscription, où il est fait mention des citoyens de ce bourg... ... . Les habitans de Potamos furent autrefois l'objet des railleries du théâtre d'Athènes, par leur facilité & leur inconstance à créer de nouveaux magistrats. Ce bourg est le même que Pausanias, liv. VII. ch. j. appelle la tribu des Potamiens. 2°. Potamos ou Potamus, lieu maritime dans la Galatie. Arrien, dans son Périple du Pont-Euxin, pag. 15. le met entre Stephanes & Leptes-acra, à 150 stades du premier de ces lieux, & à 120 stades du second. Ce Potamos pourroit bien être le Potamia de Strabon. (D.J.)
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POTASSE | ou POTACHE, s. f. (Chimie, Comm. & Arts) ce mot est originairement allemand ; il signifie cendre de pot, & a été adopté en françois & en anglois, pour désigner un sel alkali fixe qui se tire des cendres de différens bois brûlés ; on donne aussi le nom de potasse à la cendre même qui contient ce sel alkali fixe ; cette cendre est rendue compacte & solide comme une pierre, parce qu'on l'humecte pour cet effet avec de l'eau, après quoi on la calcine pour la durcir, comme nous aurons occasion de le dire.
La potasse fait une des principales branches du commerce du nord ; il en vient une grande quantité de Russie, de Pologne, de Lithuanie, d'Ukraine, de Suede ; les vastes forêts qui se trouvent dans ces pays mettent les habitans à portée d'avoir le bois nécessaire pour faire cette substance : on ne trouveroit pas son compte à les imiter dans les pays où le bois est rare ; mais les François & les Anglois pourroient très-bien faire de la potasse dans leurs possessions de l'Amérique septentrionale, où le bois est plus commun qu'en aucune contrée de l'Europe.
Chaque pays suit une méthode particuliere pour obtenir de la potasse ; on n'employe à cet usage que de vieux arbres qui se pourrissent ; ceux qui y sont les plus propres sont le chêne, le hêtre, le peuplier, le frêne, l'orme, le houx, le bouleau, le noisettier, & tout le bois blanc. Les pins, les sapins, & tous les bois résineux ne sont point bons pour cela en Suede. Suivant le rapport de M.... en Suede, on commence par couper le bois, & on le met en bûches ; on en forme de grands tas que l'on allume & qu'on fait brûler lentement ; on en recueille les cendres, que l'on sépare autant qu'on peut des charbons : on amasse toutes les cendres, on les humecte avec de l'eau, & l'on en fait une espece de mortier d'une consistance épaisse ; on prend cette espece de mortier, & l'on en fait un enduit autour des troncs de sapins ou de pins fraîchement coupés ; on forme de ces troncs ainsi enduits des piles qui ont la hauteur d'une maison ; on allume un feu de bois sec sous la pile, le tout brûle très-vivement ; les cendres dont les bûches de sapin ont été enduites, rougissent & se vitrifient ; pour lors on détruit la pile, & pendant que les cendres sont encore fortement échauffées, & pour ainsi dire en fusion, on les applique avec des bâtons pour en incruster les bûches de sapins. Cette opération se nomme walla en suédois ; par son moyen les cendres forment une masse solide & dure comme de la pierre. Lorsque tout est refroidi, on détache ces cendres durcies & incrustées avec des outils de fer, on les entasse dans des tonneaux, & on les débite sous le nom de potasse.
Dans d'autres pays, après avoir coupé le bois, on l'entasse dans des creux fort grands que l'on fait en terre pour cet usage, on y fait brûler doucement les arbres qu'on y a amassés, & l'on en recueille les cendres. On les lave pour en séparer la partie saline : lorsque l'eau est suffisamment chargée de sel, on la fait évaporer jusqu'à siccité dans des chaudieres de fer, au fond desquelles le sel s'attache si fortement, que l'on est obligé de l'en détacher avec des ciseaux & des maillets.
Il y a quelques années que l'on a publié en Angleterre une méthode pour faire de la potasse semblable à celle de Russie ; elle est dûe au chevalier Pierre Warren. Il dit qu'il faut que le bois dont on se servira pour cela ait été coupé depuis le mois de Novembre jusqu'au mois de Février ; on le laissera sécher en pile pendant une année entiere ; au bout de ce tems, on le brûlera sur une aire garnie de briques & couvert, afin d'obtenir plus de cendre : on passera cette cendre par un tamis, après quoi on la mettra dans des cuves ; on versera de l'eau de pluie ou de fontaine en assez grande quantité pour qu'elle y surnage ; on laissera le tout pendant quatre ou cinq mois dans cet état ; au bout de ce tems on aura des fourneaux semblables à des fours de boulangers, dont l'entrée doit être large, & qui auront à leur partie supérieure trois ou quatre regîtres pour la circulation de l'air, que l'on pourra fermer en cas de besoin : on allumera un grand feu dans ces fourneaux avec du bois de chêne ou de frêne, alors on y mettra les cendres humectées, qui se durciront & se vitrifieront. On continuera à donner un grand feu jusqu'à ce que le fourneau soit rempli de cendre ; par ce moyen elles deviendront compactes, & elles se mettront en grandes masses, dont on remplira des tonneaux de façon qu'elles soient garanties du contact de l'air.
Tel est le procédé de M. Warren, il est assez long & très-inutile ; & pour peu qu'on ait des notions chimiques, on verra que ces opérations, ainsi que celles que nous avons dit se pratiquer en Suede, sont superflues & même nuisibles à la bonté de la potasse. En effet, la Chimie nous apprend que toutes les plantes réduites en cendres donnent de l'alkali fixe, & ce n'est que ce sel que l'on cherche à obtenir en faisant de la potasse. Nous savons aussi que tous les alkalis fixes obtenus des cendres des végétaux ont les mêmes propriétés lorsqu'ils sont parfaitement purs. Voy. l'article SEL ALKALI. Or par toutes les méthodes que l'on vient de rapporter, on semble s'efforcer de faire un sel alkali fixe très-impur : 1°. en brûlant le bois à couvert, sous prétexte d'obtenir plus de cendres, on obtient un sel à la façon de Tachenius, c'est-à-dire un sel alkali fixe très-chargé de parties huileuses & inflammables, & mêlées d'un grand nombre de sels neutres qui se sont formés pendant la déflagration, tels que du tartre vitriolé, un sel savonneux, du soufre, de l'hepar sulphuris, &c. En un mot, on obtient un sel très-impur, & que quelquefois on a beaucoup de peine à purifier. 2°. Il est très-inutile de donner à la potasse une consistance solide ; ce qui se fait en humectant les cendres, & en les calcinant ensuite dans un fourneau, parce que ces opérations ne rendent point le sel alkali fixe plus pur ; au contraire, en exposant ces cendres à un feu violent, le sel alkali fixe qu'elles renferment se vitrifie avec la partie terreuse de ces cendres ; & étant changé en verre, le sel n'a plus les propriétés d'un alkali fixe.
Ainsi la voie la plus sure pour faire de bonne potasse, seroit de brûler le bois à l'air libre, afin que sa partie grasse & huileuse puisse se dissiper ; de ramasser les cendres, d'en séparer autant qu'il est possible, les charbons qui y sont mêlés ; de laver ces cendres avec de l'eau froide : quand cette eau sera suffisamment chargée de sel, on la filtrera, & on la fera évaporer jusqu'à siccité ; & lorsque le sel sera bien sec, on n'aura qu'à le faire rougir dans un fourneau, & on le tiendra quelque tems dans cet état, sans permettre qu'il entre en fusion. On pourra, si on le juge nécessaire, réitérer cette calcination à plusieurs reprises ; par ce moyen on aura un sel alkali fixe dégagé de phlogistique.
La potasse peut être mêlée de tartre vitriolé, qui s'est formé pendant la déflagration ; ce sel neutre est produit par la combinaison de l'acide vitriolique avec le sel alkali fixe : l'action du feu dégage cet acide, qui est contenu dans de certains bois, tel qu'est sur-tout le chêne. Pour en séparer l'alkali fixe de la potasse, on n'aura qu'à la faire dissoudre dans de l'eau froide, par ce moyen l'alkali fixe se dissoudra promtement dans l'eau, au lieu que le tartre vitriolé qui se dissout plus difficilement, restera au fond de l'eau sous la forme d'une poudre.
En suivant cette méthode, les habitans du Nord, au lieu de nous vendre une cendre quelquefois très-impure, & qu'ils se sont donnés bien de la peine à rendre dure, compacte & vitrifiée, nous fourniroient un sel alkali fixe pur sous un moindre volume, & dont l'effet seroit plus sûr dans les arts.
La potasse, telle qu'elle nous vient, differe pour les degrés de bonté ; cela dépend du bois que l'on a employé pour la faire, de la maniere dont on l'a brûlée, & du soin avec lequel on l'a purifiée. En Allemagne on regarde la potasse qui vient de Dantzic comme la meilleure ; elle se fait en Pologne, & passe par cette ville, où elle subit un examen de la part de gens destinés à cette fonction ; ils ouvrent les tonneaux, quand elle se trouve d'une bonne qualité, on met les armes de la ville sur le tonneau : on juge de la bonté lorsqu'elle est d'un blanc bleuâtre, en masses solides, pesantes & seches, & d'un goût très-caustique. Si la potasse est d'une qualité inférieure, on fait deux entailles dans une des douves du tonneau, & on l'appelle brack : elle est d'un prix moindre que la premiere ; enfin celle qui est encore moins pure se nomme bracks-brack. La potasse qui vient de Konigsberg est moins estimée que celle de Dantzic, & celle qui vient de Riga passe pour la plus mauvaise de toutes.
La potasse a les propriétés de tous les sels alkalis fixes, & peut être employée aux mêmes usages que le sel alkali du tartre, & que les sels tirés de toute cendre ; elle ne differe de la soude, que parce que cette derniere est mêlée de sel marin. Voyez SOUDE. On employe la potasse dans la verrerie, dans les teintures, pour blanchir les toiles, &c. on lui donne quelquefois le nom de cendre de Moscovie. (-)
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POTÉ | S. f. (Droit féodal) le mot de poté, vient de potestas ou potentia, & signifie un territoire, comprenant un certain nombre de bourgades & de familles, qui autrefois étoient de condition servile. Il reste peu de pôtés en France. On n'y connoît guere que la pôté de la Magdeleine de Vezelai, la pôté d'Asnois en Nivernois, & la pôté de Sully-sur-Loire. Les vassaux de la pôté d'Asnois furent affranchis de la servitude par une chartre du sire d'Asnois de 1304, confirmée par Philippe le Bel, qui leur accorda le droit de bourgeoisie. (D.J.)
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POTEAU | S. m. (Charpent.) c'est toute piece de bois posée de bout, qui est de différente grosseur, selon sa longueur & ses usages. Le mot poteau vient de postellum, qui signifioit un gros pieu de bois fiché en terre de bout, où l'on attache un carcan dans un carrefour.
Poteau cornier, maîtresse piece des côtés d'un pan de bois, ou à l'encoignure de deux, laquelle est ordinairement d'un seul brin, ou au-moins de neuf à dix pouces de gros, parce qu'on y assemble les sablieres dans chaque étage.
Poteau de cloison, c'est un poteau qui est posé à plomb, retenu à tenons & mortaises, dans les sablieres d'une cloison. Ces poteaux sont de quatre à six pouces dans les étages de 10 à 12 piés ; de 5 à 7, dans ceux de 14 à 16 ; de 6 à 8, dans ceux de 18 à 20. Les sablieres sur lesquelles ils posent doivent avoir un pouce de gros d'avantage.
Poteau de charge ; poteau incliné en maniere de guette, pour soulager la charge dans une cloison ou un pan de bois.
Poteau de fond ; c'est un poteau qui porte à plomb sur un autre dans tous les étages d'un pan de bois.
Poteau de membrure ; piece de bois de 12 à 15 pouces de gros, réduite à 7 ou 8 pouces d'épaisseur jusqu'à la console ou corbeau qui la couronne, & qui est pris dans la piece même, laquelle sert à porter de fond les poutres dans les cloisons & pans de bois.
Poteau de remplage ; poteau qui sert à garnir un pan de bois, & qui est de la hauteur de l'étage.
Poteau d'huisserie ou de croisée, poteau qui fait le côté d'une porte ou d'une fenêtre. Ces poteaux doivent avoir 6 à 8 pouces de gros. Et quand on veut qu'ils soient apparens dans une cloison recouverte des deux côtés, il faut qu'ils aient au moins 2 pouces de gros plus que les autres.
Poteau montant ; c'est dans la construction d'un pont de bois une piece retenue à plomb par deux contrefiches au-dessus du lit, & par deux décharges audessus du pavé, pour entretenir les lices ou garde-fous. (D.J.)
POTEAU, (Comm. de bois) piece de bois de sciage quand elle est au-dessous de 6 pouces, quoique de brin, équarrie ou d'équarrissage : quand elle est audessus, elle est ordinairement de chêne, de hêtre, de noyer, de poirier, de cornier ou d'aune.
POTEAUX d'écurie, s. m. pl. (Charp.) morceaux de bois tournés enfoncés dans la terre, d'où ils sont élevés d'environ quatre piés, & qui ont quatre pouces de gros. Ils servent à séparer les places des chevaux dans les écuries.
Poteaux de lucarne ; ce sont des poteaux placés à côté d'une lucarne, pour en porter le chapeau.
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POTÉE | S. f. (Chimie & Art) c'est le nom qu'on donne à une chaux d'étain. Lorsque l'on fait fondre de l'étain, il se forme à sa surface une poudre grise, qui n'est autre chose que ce métal calciné, & privé de son phlogistique ; c'est cette poudre que l'on nomme potée ; elle sert dans les arts à polir le verre & les glaces, les émaux, les pierres précieuses, & les ouvrages en fer.
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POTELETS | S. m. pl. (Charpent.) petits poteaux qui garnissent les pans de bois sous les appuis des croisées, sous les décharges, dans les fermes des combles, & les échiffres des escaliers. (D.J.)
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POTELEUR | S. m. (Gram. Finan.) nom que les commis des aides donnent aux bourgeois qui vendent leur vin à pot & à pinte, sans cabaret ni taverne.
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POTELOT | S. m. (Comm. de plomb) espece de pierre minérale, qu'on appelle communément mine de plomb, & quelquefois plomb minéral, plomb de mine, & crayon ; c'est cette pierre que les anciens nommoient plombagine ou plomb de mer. (D.J.)
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POTENCE | S. f. (Gram.) gibet de bois, composé d'un montant, à l'extrêmité duquel il y a un chevron assemblé, lequel chevron est soutenu en-dessous par une piece de bois qui s'emmortaise & avec le montant & avec le chevron. C'est à l'extrêmité de ce chevron qu'est attachée la corde que l'exécuteur passe au col du malfaiteur.
POTENCE, furcilla subalaris, bâton ou béquille en forme de la lettre T, dont les estropiés se servent pour se soutenir. Le bâton est de la longueur du corps depuis le dessous de l'aisselle jusqu'au talon ; il est garni à son bout inférieur d'un morceau de fer à plusieurs pointes, afin qu'il ne glisse point sur un terrein uni. La partie supérieure porte une traverse de bois de 7 à 8 pouces, qu'on fait garnir ordinairement d'étoffe rembourrée, pour ne point blesser l'aisselle. Le mot de potence a vieilli dans l'usage vulgaire ; on donne à ce soutien le nom de béquille. Les personnes qui ont eu les jambes ou les cuisses fracturées, ou qui ont été tenues long-tems dans l'inaction des parties inférieures, par quelque cause que ce soit, ne peuvent marcher dans les premiers tems de leur guérison qu'avec le secours des potences. Elles leur servent de point d'appui jusqu'à ce que les muscles aient repris leur vigueur, & que les ligamens assouplis cedent à la force motrice.
Si, par quelqu'accident, une jambe demeuroit plus courte que l'autre, le malade seroit boiteux. On remédie à cet inconvénient, lorsqu'il est leger, en portant un talon plus haut que l'autre. Les personnes qui sont dans ce cas ne sont pas fermes, & ont besoin du secours d'une canne. Si la disproportion est trop considérable pour que l'augmentation de hauteur d'un talon puisse y remédier, on peut se servir utilement de la potence à siege, décrite dans Ambroise Paré, & qu'il dit avoir recouvert de maître Nicolas Picard, chirurgien du duc de Lorraine. Elle a un crochet de fer à la hauteur convenable pour servir d'étrier & porter la plante du pié. Une autre piece de fer en demi-cercle embrasse la cuisse sous le pli de la fesse, & sert de siege ; ensorte que le pié est appuyé, & l'estropié est comme assis de ce côté, étant debout & en marchant.
Ces sortes de machines sont du ressort de la Chirurgie, & appartiennent à l'opération de cet art, connue sous le nom de prothèse. Voyez PROTHESE. (Y)
POTENCE, (Commer.) on appelle potence d'un minot à mesurer les grains une verge de fer qui traverse diamétralement le minot d'un bord à l'autre, & qui sert à le lever. C'est par-dessus cette verge qu'on passe la radoire quand on mesure raz & non comble. Voyez COMBLE, RAZ, RADOIRE & MINOT. Dict. de comm.
POTENCE, terme d'académiste ; c'est un certain bâton où l'on met le canon de la bague, lorsqu'on court la bague. On dit brider la potence, lorsque la lance de celui qui court la bague touche ou frappe la potence ; ce qui est une maladresse. (D.J.)
POTENCE, (Arquebusier) outil d'arquebusier, qui prend son nom de sa figure, qui n'est guere différente de celle de l'équerre ; une des branches de la potence a divers trous ; elle est toute de fer & sert à limer dessus cette partie des armes à feu, montées sur des fusts, qu'on appelle la platine.
POTENCE, (Charpent.) piece de bois de bout comme un pointal, couverte d'un chapeau ou semelle par-dessus, & assemblée avec un ou deux liens, ou contre-fiches, qui sert pour soulager une poutre d'une trop longue portée, ou pour en soutenir une qui est éclatée.
POTENCE de brimbale, (Charpenterie) piece de bois fourchue, qui est soutenue par la pomme, & dans laquelle entre la brimbale. (D.J.)
POTENCE, en terme de Chauderonnier ; est une espece de bigorne à deux bras, dont l'un forme une table, sur laquelle on peut planer, & l'autre une sorte de tas sur lequel on rétraint si l'on veut. Voyez les Pl. du Chauderonnier.
POTENCE, (Maréchal) on appelle ainsi une regle de 6 piés de haut, désignée & marquée par pié & pouces. Une autre regle qui fait l'équerre avec celle-là, & qui y tient de maniere qu'elle coule tout du long, détermine la mesure de la hauteur des chevaux. On pose la regle de 6 piés droite le long de l'épaule posant à terre près du sabot : on fait ensuite descendre l'autre regle jusqu'à ce qu'elle pose sur le garrot, puis regardant à l'endroit où ces deux regles se joignent, comptant les piés & pouces de la grande regle jusqu'à cet endroit, on connoît précisément la hauteur du cheval.
Potence est aussi un bâtis de charpente, en forme de potence, au bout de laquelle on laisse pendre la bague lorsqu'on la veut courre.
Brider la potence, se dit, en terme de Manege, pour signifier toucher avec la lance le bois d'où pend la bague ou l'anneau.
POTENCE, (Horlogerie) dans une montre, c'est une forte piéce de laiton qu'on voit dans la cage, elle est quelquefois rivée, mais le plus communément, elle est vissée fermement & perpendiculairement à la platine du coq, elle sert à contenir la verge du balancier & un des pivots de la roue de rencontre. Voyez nos Planches de l'Horlogerie & leur explication.
On distingue dans une potence ordinaire trois choses, le nez, le talon, & les lardons ; le nez est la partie t dans laquelle roule un des pivots de la roue de rencontre ; le talon t est celle où roule le pivot d'en bas de la verge du balancier ; les lardons sont les petites pieces qui entrent en queue d'aronde dans le nez & le talon. Je dis dans le nez, parce que le plus communément ce nez au lieu d'avoir un petit trou pour recevoir le pivot de la roue de rencontre, il a une petite rainure en queue d'aronde, dans laquelle entre le lardon n, qui porte lui-même le trou pour recevoir ce pivot ; cet ajustement est nécessaire pour rendre égales les chûtes de la roue de rencontre sur chacune des palettes. Voyez CHUTE.
On a donné le nom de potence à la royale à des potences que M. Le Roy a imaginées où le nez n, fig. 44. ajusté dans une rainure, y est mobile, au moyen d'une petite clé e qui tourne à vis dans le corps de la potence ; par cette disposition on retranche le lardon du nez, & l'on peut rendre égales les chûtes de la roue de rencontre avec beaucoup plus de facilité que dans les potences ordinaires ; & cela même quand la montre est remontée, avantage très-considérable, parce qu'il donne le moyen de faire l'échappement avec la plus grande précision. Voyez CHUTE, ECHAPPEMENT, MONTRE, &c.
On voit cette potence & ses différentes parties dans une suite de plusieurs figures qui la représentent vue par-dessus, & attachée à la platine. La figure premiere la représente vue du côté de la contre-potence o, n est le nez du lardon, t le talon, & e la clé, au moyen de laquelle on fait avancer ou reculer le lardon de n en e, il y a une petite vis qui sert à presser le lardon contre la potence, de façon que mobile lateralement, il ne peut avoir de jeu dans aucun sens, ce qui est absolument nécessaire. Les deux suivantes représentent la premiere ; le lardon vu en face, & la seconde en est le profil. La quatrieme est la clé dont la virole prend dans une entaille pratiquée au lardon. Les trois fig. 5. 6. 7. représentent la potence vue de trois faces : la premiere sur le côté par-dehors : la seconde dans le sens opposé ; & la troisieme par-dessous : 22 p l a est le lardon du talon, qui doit être d'acier trempé dur & bien poli : l'extrêmité du pivot d'en-bas de la verge du balancier s'y repose quand la montre est sur le cristal. Voyez TIGERON.
POTENCE, piece du moule servant à fondre les caracteres d'Imprimerie. Cette piece par un trou quarré traverse le blanc, la longue piece & la platine, & joint ces trois pieces ensemble par le moyen de la vis qui est à un de ces bouts ; à l'autre extrêmité est une tête quarrée & oblongue ; cette tête s'emboîte dans la fourchette de la longue piece, & sert de coulisse pour faire agir ensemble & également la piece de dessus & celle de dessous. Voyez MOULE, PLANCHE, FIGURES.
POTENCE, en terme de Lapidaire, est une sorte de chevron brisé, planté dans la table du moulin, dont le bras placé horisontalement, tient un pivot dans lequel entre l'arbre de la roue à tailler. Voyez les Pl. & fig. du Diamantaire.
POTENCE de fer, (Serrurier) maniere de grande console en saillie, ornée d'enroulemens & de feuillages de tole, pour porter des balcons, des enseignes de marchands, des poulies à puits, des lanternes, &c.
POTENCE, adj. en Blason, croix potencée est une croix recourbée aux extrêmités, qui ne differe d'une croix ordinaire qu'en ce qu'au lieu de se terminer en fleur de lis, ses extrêmités sont étendues en forme de potence. Voyez nos Pl. de Blason. Il porte de gueule à la croix potencée d'argent.
Bureau, d'azur en chevron potencé & contrepotencé d'argent, accompagné de trois barrils ou fioles d'or. Les comtes de Champagne.
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POTENCEAUX | (les deux) s. m. pl. se posent à mortaises sur deux traverses, qui sont elles-mêmes emmortaisées dans les piliers de derriere du métier ; les potenceaux servent, au moyen de leurs échancrures, à porter les différentes ensuples sur lesquelles sont les soies de la chaîne ; ce qui se voit Pl. de Passementier.
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POTENTIA | (Géog. anc.) ville d'Italie chez les Lucaniens. Ptolémée, liv. III. ch. j. la place dans les terres, entre Compsa & Blanda. Pline, liv. III. ch. xj. nomme les habitans de cette ville Potentini. Elle retient son ancien nom. C'est aujourd'hui Potenza dans la Basilicate.
2°. Potentia étoit une autre ville d'Italie dans le Picenum, sur le bord de la mer, selon Pomponius Mela, liv. II. ch. iv. sur quoi Olivier remarque que c'est aujourd'hui la ville de Lorette. Le pere Hardouin n'est pas de son sentiment. Dans sa note sur le passage de Pline, liv. III. ch. xiij. où il est parlé de cette ville, il dit qu'on en voit aujourd'hui les ruines au voisinage du port de Recanati, où il y a une abbaye qui retient le nom de B. Maria ad pedem Potentiae, sur le bord de la riviere Potenza.
3°. Potentia est une ville d'Italie dans la Ligurie & dans les terres. On la nommoit autrement Pollentia Carrea, selon Pline, liv. III. ch. v. Quelques-uns veulent néanmoins que Pollentia & Carrea désignent deux villes différentes, & que c'est cette derniere qui a été nommée Potentia. Quoi qu'il en soit, on trouve des traces du nom de Pollentia dans celui de Polenza, petite ville ou bourg au confluent du Tanaro & de la Stura. (D.J.)
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POTENTIEL | adj. (Physiq.) froid potentiel, est un mot relatif par lequel on fait connoître qu'une certaine chose n'est pas actuellement froide au toucher, mais qu'elle l'est dans ses effets & ses opérations, lorsqu'on la prend intérieurement. Voyez FROID.
Tout ce qui ralentit le mouvement du sang, relativement à une sensation que l'on éprouvoit auparavant, est froid potentiellement ; & tout ce qui augmente ce mouvement peut être appellé chaud potentiellement. Voyez CHALEUR. Chambers. (O)
POTENTIEL, en Médecine, les cauteres sont actuels, comme le bouton de fer rouge dont on fait les cauteres ; ou potentiels, tels que la chaux & autres drogues caustiques. Voyez CAUTERE.
Ce terme se dit aussi de beaucoup d'autres remedes. On dit que des remedes sont froids en puissance, ou potentiels, tels sont les semences froides. D'autres sont froids en eux-mêmes & actuels, tels sont l'eau froide, l'eau à la glace.
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POTENTILLA | (Botan.) nom que les Bauhins, Parkinson, & quelques autres botanistes ont donné à l'espece de pentaphylloïdes, que nous nommons argentine. Voyez PENTAPHYLLOÏDES & ARGENTINE.
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POTENZA | (Géog. mod.) en latin Potentia, petite ville ruinée d'Italie, au royaume de Naples, dans la Basilicate, proche des sources du Basiento, avec un évêché suffragant de Cirenza, & qui étoit déja érigé dès l'an 506. Potenza a été détruite par un tremblement de terre en 1694. Long. 33. 30. latit. 40. 39.
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POTERIE | S. f. (ouvrage de Potier) marchandise de pots & de vaisselle de terre ou de grès. Il se fait en plusieurs endroits de France & des pays étrangers un grand négoce de poterie.
POTERIE, (Art méchan.) la poterie est fort antérieure à la porcelaine, au verre, à la faïence. Ses ouvrages sont grossiers, & son vernis n'est autre chose que le plomb mêlé avec un peu de sable.
Le potier prépare sa terre comme le faïencier ; il se sert d'un crible & non d'un tamis pour la passer.
D'autres mêmes y font encore moins de façon ; ils prennent la terre comme elle est, mais seche ; en rompent les mottes avec une masse de bois ; y jettent de l'eau pour la détremper ; la hachent avec une buche ou pelle ; l'étendent à terre ou sur un plancher couvert d'un peu de sable fin & sec ; la marchent à pié nud, en font des ballons plus ou moins gros, selon les ouvrages qu'ils ont à travailler ; en prennent un ballon, & le posent sur la tête du tour. Leur tour est autrement fait que celui du faïencier ; ils se servent, pour le mettre en mouvement, d'un bâton qu'ils prennent d'un bout avec les deux mains ; l'autre, ils le posent contre un des rayons de la roue qu'ils poussent & qu'ils font tourner ; ils appuient & donnent alors la plus grande vîtesse qu'ils peuvent : alors ils quittent leur bâton, & manient la terre comme le faïencier. La piece faite, ils la séparent avec le fil d'archal ou de cuivre qu'ils passent entre le fond du vase & la tête du tour ; l'enlevent, & la placent sur une planche. Ces marchandises étant seches, on ne les tournasine point comme la faïence, mais seulement avec un couteau on en tire le surplus de la terre qui est au fond du vase, & avec la main on forme le cul. Quand les pieces sont bien seches, on les enfourne pieces sur pieces, & non dans des gazettes, jusqu'à ce que le four soit plein. On cuit comme les faïenciers. Après la cuisson, on défourne, & on donne le vernis, ou l'on plombe.
Vernis ou plomb. 24 de minium ou plomb rouge, ou plomb calciné en cendres ; 8 de sable. Si le sable est bien fondant, on en met davantage ; on broye le tout ensemble dans un moulin. On le liquefie avec l'eau ; cela fait, on arrange à terre des vases biscuités ; on verse du vernis dedans ; on le fait couler par-tout en-dedans ; on jette le superflu d'un vase dans un autre. Ainsi l'on met tout en couverte. On met le tout au four, & l'on recuit comme ci-devant pour faire fondre le plomb.
Il y a bien des endroits où l'on met la couverte sur le crud, comme sur le biscuité, & l'on cuit & plombe à-la-fois.
Les taches brunes sont faites de périgueux, & les vertes avec l'écaillement.
L'écaillement, c'est l'écaille de cuivre qui se vend chez les Chauderonniers. Voyez l'article FAÏENCE.
POTERIE D'ETAIN, ce terme s'entend de tous les ouvrages d'étain connus ordinairement sous le nom de pots, & principalement de pots à vin & de pots à l'eau, flacons, &c. & qui sont composés de plusieurs pieces pour lesquelles il faut différens moules.
Un pot couvert est composé de quatre pieces différentes, le haut, le bas, qui se soudent l'un à l'autre sur la pance, à l'endroit le plus gros du pot, l'anse & le couvercle qui ne se jettent & mettent sur le pot qu'après qu'il est tourné. Voyez SOUDER & ACHEVER.
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POTERIUM | S. m. (Botan.) nom donné par Mathiole, Castor, Gerard & autres botanistes à une des especes de tragacantha de Tournefort, la tragacantha altera, poterium forte Clusii. I. R. H. 417. Voyez TRAGACANTHA.
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POTERNE | S. f. (Art milit.) en termes de Fortification, est une petite porte pratiquée dans le flanc d'un bastion, dans l'angle de la courtine, ou près de l'orillon, pour descendre dans le fossé sans être apperçu de l'ennemi, soit pour aller en garde au-dehors, ou pour faire des sorties. Voyez PORTE.
On donne ce nom en général à une porte dérobée. Potestas habere porternam in omni curia penitus inhibeatur, sed unicus sit ingressus. Fleta. Chambers.
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POTESTAS | (Hist. rom.) ce mot désigne le droit de jurisdiction sur les personnes, qui étoit déféré par le sénat au consul ou au préteur qu'on envoyoit gouverner les provinces. Il ne faut pas confondre ce pouvoir avec celui que l'on nommoit imperium, & que le peuple seul avoit droit de conférer. Voyez IMPERIUM.
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POTHERUS | (Géog. anc.) fleuve de l'île de Crête, entre Gnossus & Cortyne, selon Ortelius, qui cite Vitruve, liv. I.
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POTICIENS LES | (Antiq. rom.) Potitii, prêtres d'Hercule consacrés par Evandre. Le héros ayant retrouvé ses boeufs que Cacus lui avoit dérobés, fit en reconnoissance un sacrifice auquel il convia deux familles considérables, savoir les Poticiens & les Pinariens ; mais dans la suite des tems ce sacerdoce fut transféré à des esclaves publics. L'an 441 de la fondation de Rome, Appius Claudius ayant corrompu par argent les Poticiens, ils perdirent le sacerdoce qui avoit été affecté à leur famille par Evandre. (D.J.)
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POTIDANIA | (Géog. anc.) ville de l'Etolie, selon Etienne le géographe. Thucydide, liv. III. pag. 238. la donne aux Etoliens, qui habitoient dans les terres. Tite-Live, liv. XXVIII. ch. viij. connoît aussi cette ville.
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POTIDÉE | (Géog. anc.) Potidaea, ville de Macédoine, & l'une des cinq places que le Périple de Scylax met dans la péninsule de Pallene. Elle étoit bâtie précisément sur l'isthme qui joignoit Pallene à la Macédoine. Le roi Cassander l'accrut, ou la rétablit, & lui donna son nom (Cassandrie) ; ce qui fait que Tite-Live, liv. LXIV. ch. xj. dit qu'elle fut bâtie par Cassander, trois ans avant que Philippe de Macédoine parvint à la couronne. Timothée se rendit maître de la ville de Potidée ; & Philippe l'ayant conquise peu de jours après la prise de Pydne, la céda aux Olynthiens pour les attacher plus étroitement à ses intérêts. Elle étoit éloignée d'Olynthe de soixante stades, qui reviennent à trois de nos lieues. (D.J.)
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POTIER | S. m. (terme général) celui qui fait ou qui vend des pots & de la vaisselle. Si les pots & vaisselles sont d'étain, on l'appelle potier d'étain ; & potier de terre, s'il ne travaille qu'en vaisselle & poterie de terre.
Ces diverses sortes d'ouvrages donnent le nom à deux communautés de Paris ; l'une est la communauté des maîtres potiers d'étain, dont on va parler ; & l'autre celle des maîtres potiers de terre, dont on parlera ensuite.
POTIER D'ETAIN, (Métallurg. & arts méchan.) on a donné à la suite de l'article ÉTAIN le travail du potier d'étain ; mais comme le plan de l'Encyclopédie est de faire connoître autant qu'il est possible, les progrès qui ont été faits dans chaque art jusqu'à présent ; on a cru que le lecteur seroit bien-aise qu'on lui mît sous les yeux quelques remarques, qui n'ayant été communiquées au public que depuis la publication du sixieme volume, n'ont pu trouver place dans l'article où l'on devoit naturellement chercher tout ce qui regarde l'étain.
M. de Justi, chimiste allemand, connu par plusieurs ouvrages utiles, a publié dans ses Oeuvres chimiques, imprimées à Berlin, en langue allemande en 1760, quelques observations sur les différentes manieres d'allier l'étain, dont on va donner le précis dans cet article ; cela servira à compléter ce qui a été dit ailleurs sur cette matiere.
Les différentes substances métalliques avec lesquelles communément les potiers-d'étain allient ce métal sont, soit du plomb, soit du cuivre, soit du laiton, ou cuivre jaune, soit du tombac, soit du fer, soit du zinc, soit du bismuth, soit enfin du régule d'antimoine. Quelquefois ils font entrer un ou plusieurs de ces métaux & de ces demi-métaux dans leur alliage, & chaque potier-d'étain fait souvent un grand mystere de son alliage qu'il croit ordinairement beaucoup meilleur que celui de son voisin. M. de Justi a donc cru devoir examiner les effets que ces différentes substances peuvent produire lorsqu'elles sont jointes avec l'étain.
1°. Le plomb devroit être entierement exclus des alliages d'étain ; en effet, quoiqu'il rende les vaisseaux d'étain à meilleur marché & plus faciles à travailler, le plomb est cause que l'étain noircit beaucoup plus promtement à l'air. Mais ce qui est encore plus essentiel, c'est que le plomb doit être regardé comme un véritable poison ; tous les sels & tous les acides agissent sur lui, & le font passer avec les alimens dans l'estomac, où il peut faire de très-grands ravages, voyez l'article PLOMB. M. de Justi rapporte un fait dont il a été témoin, & qui prouve bien le danger qu'il y a à se servir de vaisseaux d'étain allié avec du plomb ; il dit qu'en Saxe toute une famille fut attaquée d'une maladie très-longue & très-particuliere, & à laquelle les Médecins ne connurent rien pendant fort long-tems, jusqu'à ce qu'à la fin, on découvrit que cette maladie venoit d'avoir mangé du beurre qui avoit été conservé dans un vaisseau d'étain allié avec du plomb.
2°. Le cuivre, soit pur, soit jauni par le zinc, comme il est dans le laiton & le tombac, rend l'étain sonnant, & lui donne de la consistance, si l'on en met deux ou trois livres sur un quintal d'étain, qui devient par-là assez semblable à de l'argent ; mais on a suffisamment prouvé que l'usage des vaisseaux de cuivre dans un ménage ne peut être que très-dangereux. Voyez l'article CUIVRE.
3°. L'alliage de l'étain avec le zinc n'est point non plus exempt de danger ; ce demi-métal doit être nuisible pour la santé, vû que M. de Justi dit qu'il renferme une substance arsénicale que ses expériences lui ont fait découvrir ; quelques grains de fleurs de zinc pris intérieurement suffisent pour faire un très-grand ravage dans le corps humain ; d'ailleurs le zinc se dissout avec une très-grande facilité, dans tous les acides & même dans tous les vinaigres. Enfin, le zinc étant très-volatil, se dégage & se dissipe à chaque fois qu'on fait fondre l'étain avec lequel il a été allié.
Cela posé, les substances que l'on pourra sans danger, faire entrer dans l'alliage de l'étain sont ; 1°. le fer, qui, comme on sait, n'a point une qualité nuisible à l'homme, & qui au contraire dans de certains cas est un très-bon remede. Ainsi, quoique ce métal soit attaquable par les sels, il ne pourra produire aucun mal. 2°. Le régule d'antimoine ; on peut en sureté l'allier avec l'étain, vu que les sels qui entrent dans les alimens ne le dissolvent point. 3°. Le bismuth, quoique l'usage intérieur de ce demi-métal ne soit point entierement exempt de danger, on n'a pourtant point à redouter ses mauvais effets dans l'alliage de l'étain, vu qu'il ne se dissout que très-difficilement dans les acides les plus forts.
De ces réflexions, M. de Justi conclud que c'est le fer, le régule d'antimoine, & le bismuth que l'on peut faire entrer impunément dans les alliages de l'étain : voici son procédé.
On prendra du régule d'antimoine ; la méthode pour l'obtenir à meilleur marché, sera de prendre une livre & demie d'antimoine crud, que l'on réduira en une poudre très-fine, on la mêlera avec une livre de charbon pulvérisé ; on mettra ce mêlange dans un plat de terre non vernissé, & garni à l'extérieur d'un enduit de terre grasse ; on arrangera le mêlange de maniere qu'il n'ait guere qu'un pouce d'épaisseur. On fera ainsi calciner le mêlange en remuant sans interruption jusqu'à ce qu'il n'en parte plus aucune odeur de soufre, & jusqu'à ce que la matiere ait rougi dans toutes ses parties ; par ce moyen l'on aura une chaux d'antimoine que l'on mêlera avec une livre & demie de flux noir, fait avec trois parties de tartre crud & une partie de nitre que l'on fera détonner avec un charbon allumé. On mettra la chaux d'antimoine avec le flux noir dans un creuset que l'on placera dans le fourneau de forge ; on fera fondre le mêlange, & lorsque le tout sera fondu, on laissera refroidir le creuset, on le cassera, & l'on aura environ une livre de régule d'antimoine propre à faire l'alliage qui suit.
On prendra une livre du régule qui vient d'être décrit ; on y joindra une livre & demie de limaille de fer, bien lavée & séchée ensuite. On mêlera bien ces deux matieres après les avoir pulvérisées ; on les mettra dans un creuset que l'on en remplira à un pouce près ; on couvrira ce creuset avec un couvercle, & on le placera, soit dans un fourneau à vent, soit dans un fourneau de forge. Lorsque le mêlange sera fondu, ce qui arrivera plus ou moins promtement, suivant la force du feu que l'on donnera ; on y joindra une livre de bismuth, & l'on poussera le feu pour que les substances mêlées entrent parfaitement en fusion ; alors on vuidera la matiere fondue dans un cône, & l'on aura un alliage d'une couleur blanche & brillante qui pesera environ trois livres. On joindra ces trois livres à un quintal d'étain ; on les fera fondre ensemble, & l'on aura un alliage d'étain solide, sonore, d'une couleur presque aussi belle que l'argent, en un mot qui ne le cédera point à l'étain sonnant d'Angleterre. (-)
La communauté des Potiers-d'étain est considérable, ils sont appellés par leurs lettres de maîtrise Potiers d'étain & Tailleurs d'armure sur étain ; ils ont droit de graver & armorier toutes les sortes d'ouvrages d'étain qu'ils fabriquent ou font fabriquer.
Pour être reçu maître par chef-d'oeuvre, il faut avoir fait six ans d'apprentissage, servir les maîtres trois autres années après l'apprentissage en qualité de compagnon, & faire le chef-d'oeuvre.
Le chef-d'oeuvre consiste à faire ; savoir, par le Potier rond, un pot dont le corps doit être tout d'une piece ; pour celui qui veut être passé maître de forge, une jatte & un plat au marteau d'une rouelle ; par le menuisier (c'est-à-dire par celui qui veut se fixer aux menus ouvrages & pieces de rapport) une écritoire.
Les fils de maîtres sont exempts de tous droits, & ne sont point tenus de l'apprentissage, non plus que du chef-d'oeuvre ; il leur suffit d'avoir travaillé pendant trois ans chez leur pere ou sous quelqu'autre maître de la communauté.
Les veuves peuvent faire travailler & tenir boutique, tant qu'elles sont en viduité.
Tout potier-d'étain est tenu d'avoir son poinçon ou marques particulieres pour appliquer sur ses ouvrages, & ces marques doivent être empreintes ou insculpées sur les tables ou rouelles d'essai qui sont dans la chambre du procureur du roi du châtelet, & dans celle de la communauté des maîtres Potiers-d'étain.
Chaque maître a ses deux marques, l'une grande & l'autre petite ; la grande contient la premiere lettre de son nom de baptême & son nom de famille en toutes lettres ; & la petite ne contient que deux lettres, qui sont la premiere du nom & la premiere du surnom ; outre ces noms & lettres, chaque marque contient encore la devise du maître, qui est telle qu'il l'a voulu choisir.
Les ouvrages d'étain d'antimoine, d'étain plané, & d'étain sonnant, se marquent par-dessous l'ouvrage, & ceux d'étain commun par-dessus.
Il est permis aux maîtres potiers-d'étain de faire toutes sortes d'ouvrages de bon & fin étain sonnant, allié de fin cuivre, & d'étain de glace ; & d'en fabriquer d'autres avec de bon étain commun, allié de telle sorte, qu'il puisse venir à la rondeur de l'essai avec la blancheur requise, à l'exception des calices & des patènes qui ne doivent être que d'étain sonnant ; il leur est cependant défendu d'enjoliver aucuns de leurs ouvrages, avec l'or ou l'argent, s'ils ne sont destinés pour l'usage de l'église.
Il est défendu aux maîtres Potiers de travailler du marteau avant cinq heures du matin, ni après huit heures du soir ; ils ne doivent vendre ni avoir dans leurs boutiques aucuns ouvrages neufs, s'ils n'ont été faits à Paris ou par un maître de Paris, & il leur est défendu d'en vendre de vieux pour de neufs.
La communauté est composée de quatre jurés & gardes, préposés pour tenir la main à l'observation des statuts & ordonnances qui la concernent, pour vaquer aux affaires qui la regardent. Chacun de ces jurés doit rester deux ans en charge ; on fait l'élection des deux nouveaux le 26 Janvier à la pluralité des voix des maîtres assemblés pardevant le procureur du roi du châtelet ; autrefois cette élection se faisoit le 2 Janvier au lieu du 26.
POTIER DE TERRE, (Poterie de terre) artisan qui travaille en vaisselle & autres ouvrages de terre. La communauté des maîtres Potiers de terre, est ancienne à Paris ; ils étoient érigés en corps de jurande, & avoient des statuts bien avant le régne de Charles VII. (D.J.)
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POTIN | S. m. (Ouvrage de Fondeurs) espece de cuivre ; il y a deux sortes de potin, l'un qui est composé de cuivre jaune & de quelque partie de cuivre rouge ; l'autre qui n'est composé que des lavures ou excrémens qui sortent de la fabrique du léton, auxquels on mêle du plomb ou de l'étain pour le rendre plus doux au travail. La proportion de ce mêlange, est d'environ sept livres de plomb pour cent.
La premiere espece de potin, que l'on appelle ordinairement potin-jaune, peut s'employer dans des ouvrages considérables ; & en y mêlant de la rosette ou cuivre rouge, il sert fort bien dans la confection des mortiers, canons, & autres pieces d'artillerie.
De l'autre potin, on ne fait que des robinets de fontaines, des canelles pour les tonneaux, & des ustensiles grossiers de cuisine, sur-tout quelques especes de pots, d'où peut-être il a pris son nom. On en fond aussi des chandeliers & autres ouvrages d'église de peu de conséquence ; le dernier potin n'est point net, point ductile, & ne peut se dorer. On le nomme communément potin-gris, à cause de sa couleur terne & grisâtre ; quelquefois il est appellé arcot, & c'est le nom qu'il a chez les fondeurs. Le potin gris se vend pour l'ordinaire trois à quatre sols par livre moins que le jaune.
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POTION | S. f. (Gram. & Méd.) remede qu'on administre sous forme liquide, & qui doit être bû à une ou plusieurs reprises. Il y a des potions de toute espece, de purgatives, d'émétiques, de cordiales, de pectorales, de céphaliques, de stomachiques, d'hystériques, de vulnéraires, de carminatives, &c.
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POTIRON | S. m. melopepo, genre de plante qui differe des autres plantes cucurbitacées, par son fruit arrondi, charnu, strié, anguleux & divisé le plus souvent en cinq parties, qui renferme des semences applaties & attachées à un placenta spongieux. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
POTIRON, (Diete & Mat. méd.) la chair ou pulpe du potiron & ses semences, qui sont les seules parties usuelles de cette plante, ont la plus grande ressemblance avec les parties analogues du concombre, de la citrouille & de la courge. Voyez ces articles. (b)
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POTITIENS | POTITIENS
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POTIVO | ou PUTIVOL, (Géog. mod.) petite ville de l'empire russien, dans la partie méridionale du duché de Séverie, sur la riviere de Sent, un peu au-dessus de son confluent avec le Nevin : elle est située entre Baturin, capitale des Cosaques, & Rylsk, à l'orient de la premiere, & au couchant de la seconde. Delisle atlas. (D.J.)
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POTNIADES | S. f. (Mythol.) déesses qui n'étoient propres qu'à inspirer la fureur ; on croit que c'est un surnom des Bacchantes qu'elles prirent de la ville de Potnia en Béotie, où elles avoient des statues dans un bois consacré à Cérès & à Proserpine. On leur faisoit des sacrifices dans un certain tems de l'année ; & après ces sacrifices, on laissoit aller en quelques endroits du bois, des cochons de lait qui, suivant les gens du pays, se retrouvoient l'année suivante à pareil tems, paissant dans la forêt de Dodone. On disoit encore que dans le temple de ces déesses à Potnie, il y avoit un puits dont l'eau rendoit furieux les chevaux qui en buvoient.
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POTNIES | (Géog. anc.) Potniae, ville de Béotie, selon Etienne le géographe, qui dit que quelques-uns l'appelloient Hypothebae. Pausanias, l. IX. c. 18, écrit que de son tems on voyoit les ruines de cette ville, au milieu desquelles subsistoient les bois sacrés de Cérès & de Proserpine. Glaucus, fils de Sisyphe, étoit de Potnies. Ayant voulu empêcher ses jumens d'être sautées par des étalons, croyant qu'elles deviendroient par ce moyen plus vigoureuses & plus légeres à la course, il fut puni par Venus, qui rendit ses cavales si furieuses, qu'elles mirent en pieces leur propre maître ; c'est Virgile qui nous le dit, & j'aime mieux sa fable que celle d'Hygin, qui est ridicule.
Scilicet ante omnes furor est insignis equarum,
Et mentem Venus ipsa dedit quo tempore Glauci
Potniades, malis membra absumpsere quadrigae.
Georg. l. III. v. 266.
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POTOSI LE | (Géog. mod.) ville du Pérou, dans la province de los Charcas ou de la Plata, au pié d'une montagne qui est faite comme un pain de sucre, & dont la couleur est d'un brun rouge.
Cette ville est renommée dans tout le monde par les immenses richesses qu'on en a tirées, & qu'on tire encore de la montagne, au pié de laquelle elle est bâtie. Les églises y sont en grand nombre, ainsi que les prêtres & les moines. Les Espagnols & Créoles qui l'habitent, y possedent de grandes richesses, & vivent avec encore plus de mollesse. Ils voyagent dans des branles à la façon des Portugais de San-Salvador & de Rio-Janeyro. Quatre indiens supportent ordinairement ce branle sur leurs épaules. Les femmes reçoivent les visites couchées sur des lits de repos, où elles jouent de la guittare, disent leur chapelet, & régalent les personnes qu'elles invitent, de la teinture de l'herbe du Paraguai, ou du coca.
Les mines d'argent de la montagne du Potosi ne furent découvertes qu'en 1545. Elles sont si riches que depuis l'année de leur découverte jusqu'en 1638, elles avoient fourni, suivant le calcul qui en a été fait, trois cent quatre-vingt-quinze millions, six cent dix-neuf mille piastres ; elles commencent aujourd'hui à s'épuiser ; car la monnoie ne bat plus que le dixieme de ce qu'elle faisoit il y a cent ans ; mais on ne doute point qu'il n'y ait encore d'autres mines d'or & d'argent dans la province de la Plata. Les malheureux indiens qu'on force de travailler aux mines, les exploitent toujours nuds, afin qu'ils ne puissent rien cacher, & cependant les lieux où ils travaillent, sont extrêmement froids.
Les mines du Potosi ont attiré dans la ville tous les espagnols qui courent après les richesses. Elle est habitée par environ soixante mille ames qui y sont intéressées, sans compter les travailleurs indiens. Le roi d'Espagne retire le quint du produit ; la France, l'Angleterre & la Hollande profitent du reste de ce commerce. Long. 312, 50, latit. méridionale 20, 40. (D.J.)
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POTRIMPOS | (Idolat. du Nord) nom d'une idole des anciens Prussiens qu'ils adoroient sous des chênes, comme le percunos & le picolos, & auxquels ils offroient des sacrifices de leurs ennemis. Mém. de l'acad. de Berlin, tom. II. p. 458.
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POTTLE | S. f. (Com.) mesure d'Angleterre, qui contient deux quartes d'Angleterre. Voyez MESURE.
Deux de ces mesures, en fait de matieres liquides, font un galon ; mais pour les matieres seches, trois de ces mesures ne font qu'un galon.
Le pottle est environ deux pintes ou une quarte de Paris.
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POTUA | ou POTINA, s. f. (Mytholog.) déesse qui présidoit à la boisson.
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POU | (Scienc. microscop.) le pou a une coque ou peau si transparente, que nous pouvons mieux découvrir ce qui se passe dans son corps, que dans la plûpart des autres petites créatures vivantes, ce qui le rend un objet charmant pour le microscope. Il a naturellement trois divisions qui sont la tête, la poitrine & le ventre, ou la partie de la queue. On voit à la tête deux yeux noirs & fins, avec une corne au-devant de chacun de ces yeux ; cette corne a cinq jointures, & est environnée de poils. A l'extrémité du museau, il y a une partie pointue qui sert d'étui, pour un instrument à sucer ou à percer ; cet animal le fait entrer dans la peau pour en tirer le sang ou les humeurs dont il se nourrit, n'ayant point de bouche qui puisse s'ouvrir ; cet instrument à percer ou à sucer le sang, est sept cent fois plus délié qu'un cheveu, & enfermé dans un autre fourreau qui est au-dedans du premier. L'animal peut le pousser en-dehors, ou le retirer comme il lui plaît.
Sa poitrine est marquée d'une tache au milieu ; sa peau est transparente & pleine de petits creux. Il sort de la partie inférieure autour de la poitrine, six jambes qui ont chacune cinq jointures, dont la peau semble de chagrin, excepté vers l'extrémité où elle paroît plus douce ; chaque jambe est terminée par deux ongles crochus, de longueur & de grandeur inégale ; il s'en sert comme nous usons du pouce & du doigt du milieu ; il y a des poils entre ces ongles & au-dessus de toutes les jambes.
Sur le derriere de la partie de la queue, on distingue quelques divisions en forme d'anneaux, beaucoup de poils, & des especes de marques qui imitent les rougeurs que laissent les coups de fouet. La peau du ventre paroît comme du chagrin, & vers l'extrémité inférieure, elle est pleine de petits creux ; à l'extrémité de la queue, il y a deux petites parties demi-circulaires, toutes couvertes de poils qui servent à cacher l'anus.
Lorsque le pou remue ses jambes, on distingue le mouvement des muscles qui se réunissent tous dans une tache noire, oblongue, qui est au milieu de sa poitrine ; il en est de même du mouvement des muscles à la tête, lorsqu'il remue ses cornes. Le mouvement des muscles est visible dans plusieurs articulations des jambes ; on peut voir de même les différentes ramifications des veines & des arteres qui sont blanches ; mais ce qu'il y a de plus surprenant, c'est le mouvement péristaltique des intestins, continué depuis l'estomac, le long des boyaux jusqu'à l'anus.
Si un pou bien affamé est placé sur le dos de la main, il enfonce dans la peau son instrument à sucer, & l'on voit passer le sang comme un torrent délié dans la partie antérieure de la tête ; de-là tombant dans une cavité ronde, il passe encore dans un autre récipient circulaire au milieu de la tête, d'où il vient à la poitrine par un vaisseau plus petit, & de-là à un boyau qui aboutit à la partie du derriere du corps, où par une courbe il retourne un peu en-haut. Dans la poitrine & le boyau, le sang se meut sans interruption avec une grande force, sur-tout dans le boyau, & cela avec une telle contraction du boyau, qu'on ne peut s'empêcher d'en être surpris.
Si l'on place un pou sur son dos, on y voit deux taches noirâtres de sang, la plus grande au milieu du corps, & la moindre vers la queue. Dans la plus grande tache, une vessie blanche se resserre & se dilate en-haut & en-bas, depuis la tête vers la queue ; ce battement est suivi de celui de la tache noire de sang, sur laquelle la vessie blanche paroît attachée ; ce mouvement de systole & de diastole se voit mieux lorsque le pou s'affoiblit. La vessie blanche qui bat de la sorte paroît être le coeur, car si on la pique, le pou meurt à l'instant. Dans un grand pou, on peut voir le battement sur le dos, mais on ne sauroit voir la membrane blanche, sans lui tourner le ventre enhaut. Le docteur Harvey conjecture que la tache noire inférieure est l'amas des excrémens dans les boyaux.
Les poux ne sont pas hermaphrodites, comme on l'a imaginé par erreur, mais mâles & femelles. Leuwenhoeck a découvert que les mâles ont un aiguillon à leur queue, & que les femelles n'en ont point, & il croit que la douleur cuisante qu'ils produisent de tems-en-tems, vient de leur aiguillon, lorsqu'on les tourmente, en les pressant ou autrement ; car si on les prend rudement à la main, on les voit pousser en-dehors leur aiguillon. Il dit qu'il ressentit peu de douleur ou d'incommodité de leur instrument, à sucer ou à percer, quoiqu'il en eût sept ou huit tout-à-la-fois qui prenoient sur sa main leur nourriture. Les femelles font des oeufs ou des lentes, d'où les jeunes poux sortent parfaits dans tous leurs membres, & il ne leur arrive plus d'autres changemens que l'agrandissement.
Le même Leuwenhoeck voulant savoir la proportion & le tems de leur agrandissement, plaça deux femelles dans un bas noir, & il trouva que l'une dans six jours avoit fait cinquante oeufs ; mais en la disséquant, il en vit beaucoup plus dans l'ovaire ; d'où il conclut que dans douze jours, elle en auroit fait cent. Ces oeufs éclos dans six jours, auroient probablement produit cinquante mâles & autant de femelles, & ces femelles ayant pris tout leur accroissement dans dix-huit jours, auroient fait chacune, douze jours après, comme on peut le supposer, encore cent oeufs. Ces oeufs, au bout de six jours, tems requis pour les faire éclorre, auroient produit une jeune couvée de cinq mille de ses descendans. Cette multiplication doit faire trembler les gens pouilleux.
On peut disséquer un pou dans une petite goutte d'eau, sur un morceau de verre qui puisse s'appliquer au microscope ; mais sans eau, il est très-difficile d'en séparer les parties, mais lorsqu'on les a séparées, elles se rident & se sechent immédiatement après. Par le moyen de l'eau, on peut trouver dans l'ovaire d'une femelle cinq ou six oeufs parfaits, & sur le point d'en sortir, avec d'autres de différentes grandeurs, mais beaucoup plus petits.
Dans le pou mâle, le penis est remarquable aussibien que les testicules, dont il a une double paire. Ces animaux évitent la lumiere autant qu'il leur est possible, & souffrent le froid impatiemment. Lorsque les femelles sont grosses, elles paroissent plus blanches que les mâles, à cause de la multitude de leurs oeufs.
La plûpart des insectes sont infectés de poux, qui prennent sur eux leur nourriture & qui les tourmentent. Une espece d'escarbot ou cerf volant, connu sous le nom d'escarbot pouilleux, est remarquable par le nombre des petits poux qui courent sur lui fort vîte, d'un endroit à l'autre, & qu'on ne peut pas secouer. Quelques autres escarbots ont aussi des poux, mais de différentes especes.
Le perce-oreille est souvent tourmenté par des poux, sur-tout au-dessous de la tête ; ils sont blancs & brillans comme des mites, mais beaucoup plus petits : ils ont le dos rond, le ventre plat, & de longues jambes.
Les limaces de toute espece, sur-tout les grandes, qui n'ont point de coques, sont couvertes de plusieurs petits poux extrêmement agiles, qui vivent & se nourrissent sur elles.
On voit souvent autour des jambes des araignées, nombre de petits poux rouges qui ont une très-petite tête, & qui ressemblent à une tortue ; ils s'attachent fortement à l'araignée tant qu'elle vit, & la quittent dès qu'elle est morte.
On découvre souvent des poux blanchâtres qui courent fort vîte sur les grosses abeilles & sur les fourmis : on en découvre plusieurs sortes sur les poissons. Kircher dit qu'il a trouvé des poux sur les puces, du-moins il y a peu de créatures qui en soient exemptes ; les baleines en fourmillent d'une maniere incroyable.
On a trouvé trois sortes de poux sur le faucon, sur le gros pigeon, la tourterelle, la poule, l'étourneau, la grue, la poule d'eau, sur la pie, le héron, le petit héron, le cygne, le canard de Turquie, la mouette, & sur l'oie sauvage, de deux sortes ; sur la sarcelle, la crecerelle, le paon, le chapon, la corneille, l'étourneau blanc, & les hommes de deux sortes ; sur la chevre, le chameau, l'âne, le bélier d'Afrique, le tigre & le cerf, de deux sortes, &c. & toutes les deux sortes sont encore différentes dans chaque oiseau & animal. Le pou du lion est plus grand & d'un rouge plus éclatant que le pou du tigre. (D.J.)
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POU | POUIL, POUL, s. m. (Hist. nat. Ins.) pediculus, Pl. XXIII, fig. 6, insecte qui vit & qui se multiplie sur le corps de l'homme, & principalement sur la tête ; les enfans ont des poux plus communément que les personnes d'un certain âge. La plûpart des quadrupedes, des oiseaux, des insectes & même des poissons, ont aussi des poux qui different entr'eux selon les diverses especes d'animaux. Le pou de l'homme a la tête un peu oblongue par devant, & arrondie par derriere ; elle est recouverte d'une peau dure, comme du parchemin, tendue, transparente & hérissée de poils. La trompe, ou plutôt l'aiguillon qui lui tient lieu de bouche, est située à l'extrêmité antérieure de sa tête ; cet aiguillon est presque toujours caché en-dedans, & on ne le voit au-dehors que lorsque le pou l'enfonce dans la peau pour en tirer sa nourriture. Si on observe cet insecte au microscope, dans ce moment on voit très-distinctement le sang qu'il pompe, passer dans sa tête, & tomber ensuite dans l'estomac. Les deux antennes sont aussi revêtues d'une peau dure & semblable à du parchemin ; elles sont situées sur les côtés de sa tête, & elles ont chacune cinq articulations. Les yeux se trouvent derriere les antennes. Le cou est fort court, & se joint au corcelet. Le pou a six jambes attachées à la partie inférieure du corcelet ; elles ont chacune six parties de différentes grandeurs, distinguées les unes des autres par des articulations ; il y a à chaque pié deux ongles ou crochets d'inégale longueur, au moyen desquels cet insecte grimpe le long d'un cheveu, en le saisissant avec ses crochets. Le ventre est divisé en six anneaux, & son extrêmité inférieure se termine par une sorte de queue fourchue.
Le pou n'a point d'aîles ; il acquiert sa forme parfaite dans l'oeuf qu'on nomme lente ; dès qu'il en est sorti, il n'éprouve plus d'autre changement que celui qui est causé par un simple accroissement, pendant lequel il quitte sa peau plusieurs fois. La lente est terminée du côté de la tête par un limbe ovale. Lorsque le pou qui est renfermé dans l'oeuf, a pris assez de consistance & de force pour sortir de sa coque, alors le limbe ovale se sépare du reste de la coque dans la plus grande partie de sa circonférence, & s'enleve comme le couvercle d'une boete à charniere ; le pou sort par cette ouverture. Collection académique, tom. V. de la partie étrangere. Voyez INSECTE.
POU DE BOIS, insecte très-commun dans toute l'Amérique, & qu'on nomme fourmi blanche dans les Indes orientales & dans toute la terre ferme. Les poux de bois vivent en société comme les fourmis, auxquelles ils ressemblent assez par la forme du corps ; ils sont d'un blanc sale, & ils ont une odeur fade & désagréable. Ces insectes sont très-incommodes, parce qu'ils rongent & détruisent le bois qui est en terre : ils se construisent une sorte de fourmiliere avec une matiere semblable à de la terre noire : le dessus de cette fourmiliere est raboteux & impénétrable à l'eau ; il n'y a point d'ouverture extérieure ; le dedans est traversé par une très-grande quantité de chemins voutés & ronds dont le diamètre égale celui du tuyau d'une plume à écrire. Le volume de la fourmiliere est proportionné au nombre des poux de bois qui l'habitent : si on fait une breche à leur demeure, on les voit aussi-tôt travailler à la réparer. Ces insectes multiplient beaucoup en peu de tems ; les oiseaux en sont fort avides, & on s'en sert pour engraisser la volaille. Hist. nat. des Antilles par le P. du Tertre, tom. II. Voyez INSECTE.
POU, LE, (Astronom. chinoise) période astronomique chinoise de 76 ans, composée de quatre tchang. C'est la même que celle de Calippus chez les Grecs. On supposoit qu'elle donnoit exactement le retour des syzygies & des solstices à la même heure. (D.J.)
POU-DE-SOYE, (Soyerie) étoffe toute de soie, tant en chaîne qu'en trame, forte & pleine de fils, dont le grain tient le milieu entre celui du gros de Naples & du gros de Tours ; il est moins serré que celui-ci, mais plus que l'autre, son grain étant d'ailleurs plus gros & plus élevé que celui de l'une & l'autre de ces étoffes : c'est une espece de ferrandine, mais toute de soie. Il n'y avoit autrefois que les gens de conséquence qui s'habillassent de cette étoffe.
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POUANCÉ | (Géog. mod.) ou Saint-Aubin de Pouancé, petite ville de France, dans l'Anjou, au Craonois, sur un étang. Il y a une maîtrise des eaux & forêts, un grenier à sel, une riche abbaye d'hommes ordre de saint Benoit, & dans le voisinage des forges de fer. Long. 16, 23, latit. 47, 45. (D.J.)
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POUCE | en Anatomie, se dit du gros doigt de la main & du pié. Voyez DOIGT.
Abducteur du pouce, voyez ABDUCTEUR.
Adducteur du pouce, voyez ADDUCTEUR.
Le long & le court extenseur du pouce, voyez EXTENSEUR.
Le long & le court fléchisseur du pouce, voyez FLECHISSEUR.
Il est bon d'ajouter que la nature exerce quelquefois ses jeux sur cette partie, soit en la retranchant, soit en la multipliant. Saviard a vû à l'hôtel-dieu de Paris, une fille âgée de huit ans qui avoit à la main gauche un petit pouce enté sur la jointure de celui de cette main. Saviard coupa le pouce superflu, sans le vouloir séparer immédiatement de la jointure à laquelle il étoit attaché, de peur d'occasionner un dépôt sur la partie, en intéressant les ligamens de cette jointure. La plaie se trouva guérie en quinze jours après le retranchement de ce doigt inutile, sans qu'il soit survenu depuis aucun accident à cette fille ; il lui est seulement resté sur cette jointure une petite portion d'os qui ressembloit à un sézamoïde. (D.J.)
POUCE CAMBRE, (Orthopédie) Le pouce cambré, vulgairement nommé pouce de tailleur, est un pouce renversé comme ces soutiens qui sont au haut des réchauds, & qui servent à porter les plats. Ce renversement donne au pouce une figure fort désagréable ; elle procede communément d'un effort habituel qu'on fait naître à ce doigt, pour pousser quelque chose qui résiste, une grosse aiguille, par exemple, ce qui est cause que les Tailleurs ont ordinairement le pouce ainsi cambré. Les enfans se divertissent quelquefois à se le renverser de la sorte les uns aux autres : ce petit jeu à force d'être répété, rend enfin le pouce tout-à-fait cambré ; & si l'on ne remédie pas promtement à cette difformité, on romproit ensuite plutôt le doigt que de le redresser. C'est aux parens à y veiller ; & voici ce qu'on doit pratiquer dans cette occasion.
L'on assujettira le pouce de l'enfant entre deux lames de fer blanc enveloppées d'un linge, lesquelles par le moyen d'un cordon qu'on liera plus ou moins fortement autour de ces deux lames, en feront incliner le bout vers l'intérieur de la main. La lame qui appuyera sur l'ongle, doit être un peu avancée intérieurement, pour repousser le haut du pouce vers le dedans de la main ; mais la lame opposée ne doit monter que jusqu'à la jointure, pour laisser au doigt le mouvement libre, & lui permettre de revenir en-dedans. On peut imaginer plusieurs autres moyens semblables & propres à mettre le pouce dans son état naturel. (D.J.)
POUCE, (Mesure) la douzieme partie d'un pié de roi, qui contient douze lignes ; chaque ligne se partage en six points. Le pouce quarré superficiel contient cent quarante-quatre lignes, & le pouce cubique mil sept cent vingt-huit.
POUCE D'EAU, c'est la quantité d'eau courante qui s'écoule par l'ouverture circulaire du canon d'une jauge qui a un pouce de diametre : l'expérience a fait connoître qu'il donnoit par minute 13 pintes 1/2 d'eau mesure de Paris, & dans une heure 810 pintes ou deux muids 3/4 & 18 pintes, & dans un jour 67 muids & demi sur le pié de 288 pintes le muid. (K)
POUCE, (Hydraul.) Il y a différentes sortes de pouces ; savoir le pouce courant, qui est divisé en 12 lignes courantes.
Le pouce quarré est de 144 lignes quarrées en multipliant 12 par 12, dont le produit est 144.
Le pouce circulaire est de 144 lignes circulaires en multipliant 12 par 12, dont le produit est 144.
Le pouce cylindrique qui est un solide, est la multiplication de la superficie d'un pouce circulaire contenant 144 lignes circulaires par sa hauteur 12, ce qui donne 1728 lignes circulaires.
Le pouce cube est la multiplication de la superficie d'un pouce quarré contenant 144 lignes quarrées par sa hauteur 12, ce qui produit 1728 lignes cubes. (K)
POUCE-EVENT, terme d'aunage ; ce mot en fait d'aunage d'étoffes de laine, signifie mettre le pouce de la main devant le bout de l'aune en aunant les étoffes, afin d'en augmenter la mesure. Le réglement des manufactures, du mois d'Août 1669, article xljv. veut que toutes les étoffes soient aunées bois-à-bois, & sans évent ; n'étant permis aux auneurs d'en user autrement, sous peine de cent livres d'amende pour chacune contravention ; mais c'est une chose impossible à prouver. Savary. (D.J.)
POUCE, partie du bas au métier. Voyez cet article.
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POUCEPIE | ou POUSSEPIED, s. m. (Conchyl.) en latin pollicipes ; coquille multivalve, plate, triangulaire, ayant plusieurs pieces terminées en pointe, attachées à un pédicule, & remarquables par plusieurs filamens.
Les poucepieds que Rondelet a fort mal-à-propos confondus avec les glands de mer, en different par leurs figures & par leurs pédicules ; car les glands n'en ont jamais.
Les poucepieds different aussi des conques anatiferes, qui ne sont composées que de six pieces, & dont le pédicule plus long & moins épais, se réunit rarement à quelqu'autre ; il n'est rempli que d'une eau glaireuse & d'une houppe chevelue. Le poucepied au contraire n'est jamais seul ; il est accompagné de plusieurs autres qui forment des grouppes en masse, & ne s'attachent par paquets qu'aux seuls rochers sous l'eau ; ils ne se découvrent même qu'en basse marée. Cette réunion de poucepieds forme un arbre dont les différens pédicules sont les branches ; le sommet est chargé d'une multitude de petits battans triangulaires qui ont chacun leur houppe : ce pédicule est plus court, plus épais, d'une forme & d'une couleur différentes de celui des conques anatiferes. On ne mange que la chair du pédicule des poucepieds.
L'animal qui est contenu dans la coquille, est presque le même que celui des conques anatiferes, excepté la longueur & la grandeur de ses bras ou panaches. Ce panache est semblable à celui de la conque anatifere ; la variété de la figure du poucepied & du sommet de son pédicule, est suffisante pour ne pas confondre ces deux familles ensemble.
Les poucepieds ne peuvent remuer la moindre partie de leur coquille ; il suffit qu'ils soient grouppés & adhérens à d'autres, pour ôter l'idée qu'ils aient quelque mouvement. Hist. des coquillages. (D.J.)
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POUCIER | S. m. terme d'Aiguilletier & de Tireur d'or ; c'est une maniere d'ongle de fer blanc dont les Aiguilletiers se couvrent le pouce afin de se conserver l'ongle & d'éviter de se piquer. Les Tireurs d'or se servent aussi d'une piece de pouce de métal, dont ils se couvrent le pouce pour travailler. (D.J.)
POUCIER, s. m. terme des Laineurs ; c'est ainsi que les ouvriers Laineurs ou Eplaigneurs d'étoffes de laine, nomment un petit morceau de corne de boeuf qu'ils attachent au pouce de la main, qu'ils appellent main de derriere, avec laquelle ils tiennent la croix où sont montés les chardons morts, dont ils se servent pour leur aider à lainer ou éplaigner les étoffes sur la perche. (D.J.)
POUCIER, (Tireur d'or) c'est un doigtier dont l'acoutreur se couvre le pouce pour conduire son marteau sans se faire de mal, en rebouchant les trous des filieres qui sont trop grands.
POUCIER, (Rubanier) est un petit doigtier de cuivre ou de chamois pour mettre dans les doigts, pour empêcher qu'ils ne se coupent par le passage continuel des filés d'or & d'argent que l'ouvrier employe.
POUCIER, (Serrurerie) c'est la piece d'un loquet sur laquelle on appuie le pouce pour faire lever le battant du loquet.
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POUD | ou POUTE, s. f. (Commerce) poids de Moscovie qui revient à 40 livres du pays, c'est-à-dire à 32 livres poids de marc de France. On s'en sert surtout pour peser le sel à Astrakan. Le seipod ou esquipon contient dix poudes. Voyez SEIPOD.
Les marchandises qui se vendent au seipod & au poude, payent à Archangel un pour cent pour le droit du poids. Dictionn. de Comm.
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POUDINGU | ou PUDDING-STONE, lapis oculatus, (Hist. nat.) nom anglois adopté par les François, pour désigner une pierre très-dure formée par l'assemblage d'un grand nombre de petits cailloux arrondis de différentes couleurs, qui sont collés les uns aux autres par un gluten ou lien qui est souvent aussi dur que les cailloux mêmes qu'il tient liés, & qui est susceptible de prendre le poli aussi parfaitement qu'eux.
On trouve de ces sortes de pierres composées en différens pays ; celles d'Ecosse sont d'une très-grande beauté, par la variété & la vivacité de leurs couleurs, parce que les cailloux qui les composent sont plus distincts & plus marqués, & par le beau poli qu'elles prennent.
Dans quelques pays il y a des roches & des montagnes entieres qui sont composées de ces sortes de pierres ; elles varient pour la grandeur & la couleur des cailloux ou pierres qu'elles renferment, & pour la nature du gluten ou du lien qui les retient ensemble. Souvent on trouve dans certains endroits des Alpes, des pierres arrondies qui ont les couleurs les plus belles & les plus variées, & qui sont visiblement formées par l'assemblage d'une infinité de petites pierres collées les unes aux autres ; & l'on voit que ces pierres sont des fragmens de quelques roches de la même nature qu'elles, qui ont été emportés par la violence des torrens qui les ont roulés & arrondis.
On a recours ordinairement au déluge universel pour expliquer l'arrondissement des petits cailloux dont les poudingues sont des amas ; ce qu'il y a de certain, c'est que leur rondeur annonce qu'ils ont dû avoir été roulés avant que d'être collés & réunis.
POUDINGUE ou PUDDING, (Cuisine) ragoût fort connu des Anglois, & qui parmi eux se diversifie à l'infini. La base en est ordinairement de la mie de pain, du lait, de la moëlle de boeuf, des raisins secs, des raisins de Corinthe, du riz, des pommes de terre même, & du sucre : toutes ces différentes substances diversement combinées, sont différens poudingues. On assure que les Anglois ont plus de mille manieres de diversifier ce ragoût.
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POUDRE | S. f. (Gramm.) c'est en général tout corps réduit en très-petites portions séparées les unes des autres. Ces portions sont plus ou moins grosses ; & il y a des poudres grossieres & des poudres menues.
POUDRE AUX VERS, (Botan.) nom vulgaire de la santoline ou semenecine, petite graine vermifuge, d'un goût amer & désagréable, qui nous vient seche de Perse. Voyez SANTOLINE. (D.J.)
POUDRE A VERS, (Mat. méd.) Voyez BARBOTINE & SEMEN CONTRA.
POUDRES OFFICINALES, (Pharm. thér.) on garde dans les boutiques des Apothicaires, sous forme de poudres, un grand nombre de médicamens tant simples que composés. Il est traité des poudres simples dans les articles particuliers destinés aux diverses matieres qu'on réduit en poudre pour l'usage de la Médecine. Ainsi il s'agit de la poudre d'iris, de la poudre d'hypecacuanha, ou plutôt de l'iris en poudre & de l'hypecacuanha en poudre. Voyez IRIS & HYPECACUANHA. Car il faut observer que cette expression poudre d'iris, ou poudre d'hypecacuanha, seroit au moins équivoque, parce qu'elle est rarement usuelle dans ce sens-là : on ne l'employe communément que pour désigner des poudres composées, qu'on spécifie par le nom de l'un de leurs ingrédiens déterminé par un choix fort arbitraire, selon l'usage ou l'abus introduit & perpetué en Pharmacie. Voyez COMPOSITION, Pharm. Ainsi, par exemple, il y a une poudre composée d'iris, que cette expression poudre d'iris désigneroit spécialement. Il est encore fait mention de ces poudres composées, dans les articles particuliers destinés à la drogue simple qui leur donne leur nom. Voyez, par ex. POUDRE des trois santaux, au mot SANTAL, POUDRE de roses, ou DIARRHODON, au mot ROSES, POUDRE des pattes d'écrevisses, au mot ECREVISSE, &c.
Nous allons rapporter seulement ici la dispensation & les usages de quelques autres poudres composées fort usuelles, & qui portent tout autre nom que celui de leurs matériaux.
Poudre d'algaroth, ou mercure de vie. Le remede qui porte ce nom, est une préparation chimique d'antimoine ; c'est le beurre d'antimoine précipité par l'eau. Voyez sous le mot ANTIMOINE.
Poudre antispasmodique de la pharmacopée de Paris. Prenez du bois de gui de chêne une once & demie, de racine de valeriane sauvage, de dictame blanc & de pivoine mâle ; de semence de pivoine mâle & de corne de pié d'élan préparée, de chacun demi-once ; semence d'arroche deux gros, corail rouge préparé, succin jaune, corne de cerf philosophiquement préparée, de chacun une dragme & demie ; castoreum un scrupule, cinabre factice deux dragmes : faites selon l'art une poudre très-subtile. Cette poudre, pour être réellement efficace, doit être donnée à haute dose dans les maladies nerveuses : la dose ordinaire qui est d'un demi-gros ou d'un gros tout au plus, paroit insuffisante. Voyez ci-dessous POUDRE de guttete.
Poudre contre les vers, qu'il faut distinguer de la poudre à vers, Voyez POUDRE à vers ou semen contra. Voyez SEMEN CONTRA. Prenez coralline porphyrisée, semen contra, semences d'absynthe vulgaire, de tanaisie, de pourpier, de citron, des feuilles de scordium & de séné, de rhubarbe choisie, de chacun parties égales ; faites selon l'art une poudre que vous renouvellerez chaque année. Cette poudre composée qui se trouve dans la pharmacopée de Paris, est réellement un bon contre-vers qu'on peut donner à la dose d'une dragme jusqu'à deux ; il est cependant moins éprouvé que les compositions analogues dans lesquelles on fait entrer la racine de fougere & l'écorce de racine de murier. Voyez FOUGERE & MURIER, Mat. med.
POUDRE CORNACHINE, POUDRE de tribus, POUDRE du comte de Warvick ; ce dernier nom lui vient de son inventeur, d'un comte de Warvick qui commandoit les galeres du grand duc de Toscane au commencement du dernier siecle. Ce comte de Warvick donna son secret à Marc Cornacchini, professeur de Médecine à Pise, qui en a exposé les vertus & la composition dans un petit traité, d'où le charlatan Aillaud paroît avoir tiré la substance de l'écrit qu'il a fait courir, pour annoncer sa poudre qui est purgative comme la poudre cornachine. Voyez SECRETS, Médecine. On voit que cet autre nom de poudre cornachine est dû au professeur Cornacchini ; quant à celui de poudre de tribus, il est dû au nombre des ingrédiens.
La poudre cornachine est un mêlange à parties égales de diagrede, de crême de tartre & d'antimoine diaphorétique. Le professeur Cornacchini ne fait pas mention de la lotion de son antimoine diaphorétique ; mais il paroît que ce n'est-là qu'une omission, car il employe pour le préparer, six parties de nitre, pour une d'antimoine ; & il observe qu'après la calcination, la quantité de la matiere est à-peu-près la même qu'avant cette opération ; ce qui ne seroit certainement point, s'il n'avoit enlevé par la lotion une grande partie des sels : quoi qu'il en soit, c'est l'antimoine diaphorétique lavé qu'on employe dans la composition de la poudre cornachine.
La poudre cornachine est un bon purgatif hydragogue, qui est rentré depuis qu'il a perdu la vogue & l'appui de la charlatanerie dans les classes des purgatifs ordinaires. Voyez PURGATIF. On peut le donner depuis demi-gros jusqu'à un gros, un gros & demi, & même deux gros & davantage dans les sujets vigoureux & dans le cas de vrais relâchemens. Voyez PURGATIF.
POUDRE DE GUTTETE VULGAIRE de la pharmacopée de Paris ; prenez bois de gui de chêne, racine de dictame blanc & de pivoine mâle, semences de pivoine mâle, de chacun demi-once ; semence d'arroche & corail rouge préparé, de chacun deux dragmes, cornes de pié d'elan préparées, demi-once, faites une poudre très-subtile.
Cette poudre est regardée comme une espece de spécifique dans les maladies nerveuses, & principalement dans l'épilepsie, le tremblement des membres convulsif, la paralysie, &c. Mais quoique plusieurs célebres Médecins ne manquent presque jamais de la mettre en usage dans ces cas, on peut assurer que sa prétendue vertu anti-spasmodique n'est point constatée par un succès décidé, & qu'il paroît au contraire la renvoyer avec justice dans la foule des remedes inutiles : ce n'est pas au reste que la plûpart de ces ingrediens ne puissent posseder réellement la vertu anti-spasmodique ; mais cette vertu fût-elle d'ailleurs véritablement démontrée, il paroît qu'on ne sauroit espérer aucun effet marqué de la petite dose à laquelle on employe communément cette poudre : cette dose n'excede guere une demi-dragme ; or comme elle ne contient point l'ingredient le plus actif de la poudre anti-spasmodique ci-dessus décrite, savoir la racine de valeriane sauvage, il est encore plus vrai de la poudre de guttete, que de la poudre anti-spasmodique, qu'elle doit être donnée à haute dose. Quant au castoreum & au cinnabre qui entrent dans la poudre anti-spasmodique, & qui n'entrent point dans la poudre de guttete, ce n'est pas-là de quoi fonder une différence qui mérite quelque considération ; car le castor est employé pour cela dans la premiere en trop petite dose, & le cinnabre n'y est absolument utile que pour la coloration. Voyez COLORATION, Pharmacie. Il suit que de ces deux poudres qui ont entr'elles beaucoup d'analogie, la poudre anti-spasmodique est la meilleure, & qu'il faut donner l'une & l'autre à haute dose.
POUDRE PECTORALE ou LOOCH SEC de la pharmacopée de Paris ; prenez mere de perles préparées ; corne de cerf philosophiquement préparée, & ivoire calciné à blancheur, de chacun un gros & demi ; sucre candi en poudre deux gros & demi, beurre de cacao un gros & demi, racines de guimauve & de réglisse seches, gommes arabique & adragan de chacun deux scrupules, de racine seche d'iris de Florence demi-gros, de cachou dix-huit grains ; faites une poudre selon l'art. Ce mêlange d'absorbans de matieres mucilagineuses ou douces, d'une matiere huileuse très-grasse, légerement animé par le parfum de l'iris & par l'amertume du cachou, est un remede composé avec intelligence, & qui est très-utile dans les toux gutturales, & dans les toux stomachales : ce seroit une addition très-avantageuse à cette poudre, qu'une dose modérée d'opium.
POUDRES STERNUTATOIRES, prenez feuilles seches de marjolaine & de bétoine, fleurs seches de muguet, de chacun un gros, feuilles seches de cabaret un demi-gros, faites une poudre selon l'art.
Cette poudre est un sternutatoire assez puissant, & sur-tout à raison des feuilles de cabaret : on ne peut cependant le regarder que comme un remede tempéré, en comparaison de beaucoup de remedes violens dont est pourvue la classe des sternutatoires. Voyez STERNUTATOIRE.
POUDRE TEMPERANTE appellée de Stahl ; prenez tartre vitriolé & nitre purifié de chacun trois gros, cinnabre factice deux scrupules ; faites une poudre subtile selon l'art.
On croit avec beaucoup de fondement que c'est-là la poudre que le célebre Stahl employoit beaucoup dans sa pratique, sous le nom de poudre tempérante, quoiqu'il ne soit pas évident que c'en fût-là positivement la composition. Quoi qu'il en soit, la poudre que nous venons de décrire, est un remede très-employé dans la pratiqué la plus suivie, & dont la vertu réelle dépend des deux sels neutres ; car le cinnabre ne paroît servir qu'à la colorer : cette poudre s'ordonne à petite dose, à celle de cinq, six ou dix grains au plus qu'on réitere plusieurs fois dans la journée, & cela dans la vue d'opérer l'effet annoncé par le titre qu'elle porte, savoir de tempérer. Voyez TEMPERANS, Thérapeutique.
POUDRE DE ZELL connue aussi sous le nom de pulvis auratus germanorum ; prenez cinnabre factice porphyrisé une once, cinnabre d'antimoine pulverisé demi-gros, sucre candi en poudre deux onces ; pulverisez de nouveau ces trois ingrédiens en les porphyrisant ensemble : alors prenez d'ailleurs ambre gris une dragme que vous pulveriserez avec une partie de la poudre précédente & que vous mêlerez ensuite exactement avec tout le reste de cette poudre. Le mêlange étant exactement fait, ajoutez peu-à-peu huile de cannelle un gros, & gardez cette poudre dans un vase exactement fermé.
La poudre de Zelle est un de ces remedes précieux que la charlatanerie & la crédulité ont mis en vogue en divers tems par la considération même de leur prix, comme si être cher étoit la même chose qu'être bon. Quoi qu'il en soit, la poudre de Zell n'est véritablement, ou du moins évidemment médicamenteuse, que par l'ambre gris (qui est en même tems son ingrédient le plus cher), & par l'huile de cannelle, qu'au reste il seroit plus conforme aux regles de l'art d'unir d'avance au sucre. Ces deux substances sont cordiales, toniques, stomachiques, échauffantes, aphrodisiaques, nervines ; les cinnabres qui sont donnés pour posseder cette derniere vertu, & même la vertu anti-spasmodique, sont très-vraisemblablement des substances sans vertu, lorsqu'on les prend intérieurement en substance : d'ailleurs c'est pure charlatanerie ou ignorance grossiere, que d'employer en même tems le cinnabre factice & le cinnabre d'antimoine, & de les employer en des doses si différentes ; car le cinnabre factice vulgaire, & le cinnabre d'antimoine ne different point chimiquement ou absolument, & ne different certainement point médicinalement, lors même qu'on les emploie utilement, par exemple dans les fumigations.
Au reste, la poudre de Zell est très-peu usitée en France. (b)
POUDRE, (Chimie & Pharmacie) produit de la pulvérisation. Voyez PULVERISATION, (Chimie & Pharmacie.)
POUDRE d'Aillaud, voyez SECRETS, (Médecine)
POUDRE DE PROJECTION, (Alch.) voyez sous le mot PROJECTION.
POUDRE DE SYMPATHIE, voyez VITRIOL.
POUDRE D'ALGAROTH, ou MERCURE DE VIE, noms qu'on donne en Chimie, au beurre d'antimoine précipité par l'eau. Voyez à l'article ANTIMOINE.
POUDRE DES CHARTREUX, (Chim. & Mat. méd.) voyez KERMES MINERAL.
POUDRE DU COMTE DE PALMA, (Mat. méd.) voyez MAGNESIE BLANCHE.
POUDRE DE SENTINELLI, (Mat. med.) voyez MAGNESIE BLANCHE.
POUDRE SOLAIRE, (Chimie) nom donné par Basile Valentin & autres chimistes, à une poudre de couleur pourpre qu'on tire de l'or. On l'a fait en préparant un amalgame d'or & de mercure, & après que le mercure a été exhalé par un feu de reverbere, le résidu se mêle avec du soufre & se calcine par un feu gradué, jusqu'à ce qu'il soit réduit en poudre de couleur purpurine. On appelle aussi cette poudre le manteau rouge, & on lui attribue plusieurs vertus, fondées sur l'imagination. (D.J.)
POUDRE DE SYMPATHIE, (Médec.) poudre de vitriol blanc calciné, à laquelle on a donné des vertus occultes pour guérir les hémorrhagies, sans qu'il fût besoin de l'employer intérieurement ni extérieurement sur la blessure. Les effets admirables de la poudre sympathique, firent grand bruit vers le milieu du dernier siecle : tout le monde en a oui parler ; mais tout le monde n'en sait pas l'histoire : retraçons-la briévement.
Le chevalier Kénelme Digby irlandois, étant à Rome, acheta d'un moine italien le secret d'une préparation de vitriol, pour arrêter les hémorrhagies. Il la nomma poudre de sympathie, parce que loin de se contenter des éloges que sa poudre pouvoit justement mériter en qualité de styptique dans les légeres effusions de sang, il lui donna des vertus romanesques, prétendant que sa poudre guérissoit toutes sortes de blessures, sans qu'il fût besoin de toucher, ni même de voir les malades. Un seul fait trompeur en imposa à la crédulité de Jacques I. & fit à sa cour la fortune du remede sympathique. La merveille de ce remede passa la mer avec le chevalier Digby : il vint se réfugier à Paris, détailla avec quelque art dans un ouvrage, la relation de ses cures surprenantes, & s'efforça de prouver par des hypothèses, la possibilité des guérisons sympathiques. Il séduisit par son esprit une nation avide des nouveautés, & sur-tout des nouveautés agréables. On ne s'entretenoit que des miracles de la poudre sympathique ; & comme tout le monde en vouloit avoir, les charlatans se multiplierent pour en distribuer ; ils ne s'embarrasserent plus dans leurs préparations, de purifier le vitriol. Ils firent & débiterent diverses poudres blanches, composées des matieres les plus bisarres qui s'offrirent à leur imagination, d'ongles, de cheveux, d'os calcinés, pulvérisés, & mêlés avec un peu de vitriol.
Les gens de bon sens se récrierent en vain contre la crédulité pitoyable des grands & du peuple ; ils ne furent point écoutés : mais ce qu'ils ne purent gagner par des raisonnemens solides, la comédie en triompha par la plaisanterie. Montfleury s'avisa de jouer cette folie sur le théâtre, & y jetta tant de ridicule, qu'il en guérit sa nation pour toujours. C'est dans la piece intitulée la Fille médecin, que notre auteur dramatique a traité ce sujet, & l'a traité si parfaitement, qu'il n'a rien laissé à desirer. La scene de cette piece, où il se moque ingénieusement de la poudre de sympathie, est un modele d'excellent comique. Le lecteur à qui je vais la mettre sous les yeux, ne me dédira peut-être pas : les personnages sont, Géronte, pere de Lucile malade, le medecin sympathique, Eraste, Crispin valet, & Lisette suivante. Il est question de la maladie de la fille de Géronte : écoutons leur conversation. Acte III. scene iv.
Le Médecin sympathique.
Le logis de monsieur Géronte, est-ce-là ?
Géronte.
Oui ; voici ma maison, monsieur, & me voilà.
Crispin.
Voici le médecin en question sans doute !
A sa mine,
Eraste.
Dans peu nous le saurons, écoute.
Le médecin.
Votre fille a, dit-on, besoin de mon secours,
Monsieur, & je viens mettre une allonge à ses jours.
La santé par mes soins, à qui tout est facile,
Va faire élection chez vous de domicile ;
Car je guéris par-tout où je me vois mandé :
Tutò, citò, monsieur, & de plus jucundè.
Géronte.
Mais par malheur pour moi ma fille prévenue,
D'un autre médecin qui dès hier l'avoit vue,
S'étant sur ce chapitre expliquée aujourd'hui,
Ne veut se laisser voir à personne qu'à lui.
J'en suis fâché, monsieur ; car pour ne vous rien taire,
Vous ne sauriez la voir.
Le médecin.
Il n'est pas nécessaire.
Et je puis sans cela la guérir dès ce soir.
Géronte.
Quoi ! vous la guérirez sans la voir ?
Le médecin.
Sans la voir.
Cela ne sert de rien.
Géronte.
L'admirable méthode !
Je suis ravi, monsieur, de vous voir si commode ;
Et sans perdre de tems, puisque votre bonté
Veut bien lever pour nous cette difficulté,
Je vous vais de son mal, faire un récit sincere,
Afin que vous sachiez,
Le médecin.
Il n'est pas nécessaire.
Que je le sache ou non, tout cela m'est égal.
Géronte.
Quoi, monsieur, sans la voir, & sans savoir son mal,
Vous guérirez ma fille ?
Le médecin.
Et cent autres comme elle !
J'ai trouvé, pour guérir, une mode nouvelle,
Prompte, sûre, agréable, & facile.
Géronte.
Tant mieux !
Crispin.
Voici quelque sorcier,
Eraste.
Ou quelque cerveau creux.
Géronte.
Puisque vous ne voulez ni la voir, ni l'entendre,
Dites-nous que faut-il, monsieur, lui faire prendre ?
Le médecin.
Rien du tout.
Géronte.
Rien du tout ! Quand vous traitez quelqu'un,
Quoi ! Vous n'ordonnez pas quelque remede ?
Le médecin.
Aucun.
Géronte.
Ni sans savoir son mal, sans le voir, sans remede,
Vous le guérissez ?
Le médecin.
Oui.
Géronte.
Certes il faut qu'on vous cede :
Les autres médecins vont être désolés.
Le médecin.
Les autres médecins, monsieur, dont vous parlez,
Sont gens infatués d'une vieille méthode ;
Qui n'ont pas le talent d'inventer une mode
Pour guérir un malade.
Géronte.
Allons de grace au fait.
Quelle cause produit ce surprenant effet ?
Que faut-il pour guérir Lucile, qui s'obstine ?
Le médecin.
De ses ongles rognés, ou bien de son urine,
Ou même si l'on veut de ses cheveux ; après
Par l'occulte vertu d'un mixte que je fais,
Je prétens la guérir, fut-elle en Amérique ?
Lisette à part.
Je gage que voici le docteur sympathique
Dont on a tant parlé.
Géronte.
Ce secret me surprend !
Mais comment se produit un miracle si grand ?
Comment s'opere-t-il ? Voyons, je vous en prie.
Le médecin.
C'est par cette vertu dite de sympathie :
Voici comment. Ce sont des effets merveilleux !
De ces ongles rognés, monsieur de ces cheveux,
Ou bien de cette urine, il sort une matiere,
Comme de tous nos corps, subtile, singuliere,
Que Démocrite appelle en ses doctes écrits,
Atomes, petits corps, monsieur, que je m'applique
A guérir par l'effort d'un mixte sympathique.
Ces petits corps guéris dès ce moment, dès-lors
Vont à-travers de l'air chercher les petits corps,
Qui sont sortis du corps du malade ; de grace
Suivez-moi pas à pas ; ils pénetrent l'espace
Qui les a séparés depuis qu'ils sont dehors,
Sans s'arrêter jamais aux autres petits corps,
Qui sont sortis du corps de quelqu'autre ; de sorte
Qu'ayant enfin trouvé dans l'air qui les transporte,
Les petits corps pareils à ceux dont nous parlons ;
Les susdits petits corps, comme des postillons,
Guéris par la vertu du mixte sympathique,
Leur portent la santé que je leur communique ;
Et le malade alors reprenant la vigueur,
Se sent gaillard, dispos, sans mal, & sans douleur.
Crispin.
Ainsi ces petits corps qui vont avec vîtesse
Emportent par écrit avec eux leur adresse,
Et pour connoître ceux qu'ils vont chercher si loin,
Sans doute ils sont marqués, monsieur, à quelque coin.
Géronte.
Maraut, te tairas-tu ? mais docteur, écoutez ;
Ce remede est-il sûr ?
Le médecin.
Sûr ! si vous en doutez,
Qu'un malade ait la fiévre, & qu'on me donne en main
De ses ongles rognés, de ses cheveux ; soudain
Les mettant dans un arbre avec certains mêlanges
Mon mixte produira des prodiges étranges ;
Et par un changement que l'on admirera,
L'homme perdra la fiévre, & l'arbre la prendra.
Crispin.
Ainsi si vous vouliez, vous donneriez les fiévres
A toute la forêt d'Orléans.
Géronte.
Si tes levres...
Eraste.
Cet homme aux petits corps n'a pas l'esprit trop sain....
Eraste avoit raison ; mais les rires du parterre sur le médecin sympathique, & ses battemens de mains à chaque discours du valet, confondirent tout ensemble les vendeurs de poudre, ceux qui en faisoient usage, & les Gérontes qui auroient eu beaucoup de penchant à donner leur confiance à ce remede. Ridiculum acri, &c. (D.J.)
POUDRE A CANON, composition qui se fait avec du salpêtre, du soufre, & du charbon mêlés ensemble, & mise en grains qui prennent aisément feu, & qui se raréfient ou s'étendent avec beaucoup de violence par le moyen de leur vertu élastique. Voyez ÉLASTICITE, RAREFACTION, &c.
C'est à cette poudre que nous devons tout l'effet des pieces d'artillerie & de mousqueterie, desorte que l'art militaire moderne, les fortifications, &c. en dépendent entierement. Voyez CANON, ARTILLERIE, FORTIFICATION, &c.
L'invention de la poudre est attribuée par Polydore Virgile, à un chimiste, qui ayant mis par hasard une partie de cette composition dans un mortier, & l'ayant couvert d'une pierre, le feu y prit & fit sauter la pierre en l'air avec beaucoup de violence.
Thevet dit que la personne dont on vient de parler étoit un moine de Fribourg, nommé Constantin Anelzen ; mais Belleforest & d'autres auteurs soutiennent, avec plus de probabilité, que ce fut un nommé Barlholde Schwartz, qui en allemand signifie le noir : on assure du moins que ce fut le premier qui enseigna l'usage de la poudre aux Vénitiens en 1380, pendant la guerre qu'ils eurent avec les Génois ; qu'elle fut employée pour la premiere fois contre Laurent de Médicis, dans un lieu qui s'appelloit autrefois fossa Clodia, aujourd'hui Chioggia, & que toute l'Italie s'en plaignit comme d'une contravention manifeste aux lois de la bonne guerre.
Mais ce qui fait connoître que l'invention de la poudre est beaucoup plus ancienne, c'est que Pierre Mexia dit, dans ses leçons diverses, que les Mores étant assiégés en 1343, par Alphonse XI. roi de Castille, ils tirerent certains mortiers de fer, qui faisoient un bruit semblable au tonnerre ; ce qui est confirmé par dom Pedre, évêque de Léon, qui dans la chronique du roi Alphonse, qui fit la conquête de Tolede, rapporte que dans un combat naval, entre le roi de Tunis & le roi more de Séville, il y a plus de 400 ans, ceux de Tunis avoient certains tonneaux de fer dont ils lançoient des foudres. Ducange ajoute que les registres de la chambre des comptes font mention de poudre à canon dès l'année 1338. Voyez CANON.
En un mot, il paroit que Roger Bacon eut connoissance de la poudre plus de 150 ans avant la naissance de Schwartz. Cet habile religieux en fait la description en termes exprès dans son traité de nullitate magiae, publié à Oxfort en 1216. Vous pouvez, dit-il, exciter du tonnerre & des éclairs quand vous voudrez ; vous n'avez qu'à prendre du soufre, du nitre, & du charbon, qui séparément ne font aucun effet, mais qui étant mêlés ensemble & renfermés dans quelque chose de creux & de bouché, font plus de bruit & d'éclat qu'un coup de tonnerre.
Maniere de faire la poudre à canon. Il y a plusieurs compositions de la poudre à canon, par rapport aux doses de ces trois ingrédiens ; mais elles reviennent à-peu-près au même dans la plûpart des écrivains pyrotechniques.
Le soufre & le salpêtre ayant été purifiés & réduits en poudre, on les met avec de la poussiere de charbon dans un mortier humecté d'eau ou d'esprit-de-vin, ou de quelque chose de semblable : on pile le tout pendant vingt-quatre heures, & l'on a soin de mouiller de tems en tems la masse pour l'empêcher de prendre feu ; enfin on passe la poudre au crible, ce qui lui donne la forme de petits grains ou globules que l'on fait sécher pour la derniere façon ; car la moindre étincelle que l'on feroit tomber dessus d'un briquet, enflammeroit le tout sur-le-champ, & causeroit un éclat des plus violens.
Il n'est pas difficile de rendre compte de cet effet, car le charbon qui se trouve sur le grain où tombe l'étincelle, prenant du feu comme une amorce, le sel & le nitre se fondent promtement, le charbon s'enflamme, & dans le même instant tous les grains contigus subissent le même sort ; on sait d'abord que le salpêtre étant igné, se raréfie à un degré prodigieux. Voyez SALPETRE & RAREFACTION.
Newton raisonne sur cette matiere en ces termes : Le charbon & le soufre qui entrent dans la poudre prennent feu aisément & allument le nitre ; & l'esprit de nitre étant raréfié par ce moyen se tourne en vapeur & s'échappe avec éclat, à-peu-près de la même maniere que la vapeur de l'eau sort d'un éolipyle ; de même le soufre étant volatile, il se change en vapeur & augmente l'éclat. Ajoutez que la vapeur acide du soufre, & en particulier celle qui se distille sous une cloche, en huile de soufre, venant à entrer avec violence dans le corps fixe du nitre, déchaîne l'esprit du nitre, & excite une plus grande fermentation, ce qui augmente encore la chaleur, desorte que le corps fixe du nitre en se raréfiant, se change aussi en fumée, & rend l'explosion plus promte & plus violente ; car si on mêle du sel de tartre avec de la poudre à canon, & que l'on échauffe ce mêlange jusqu'à ce qu'il prenne feu, l'explosion sera plus promte & plus violente que celle de la poudre seule, ce qui ne peut venir que de la vapeur de la poudre qui agit sur le sel de tartre, & raréfie ce sel. Voyez POUDRE FULMINANTE.
L'explosion de la poudre à canon naît donc de l'action violente par laquelle tout le mêlange étant promtement échauffé, se raréfie, & se change en fumée & en vapeur par la violence de cette action, s'échauffant au point de jetter une lueur ; elle paroit aux yeux en forme de fumée. Voyez FEU.
M. de la Hire attribue toute la force & tout l'effet de la poudre au ressort ou élasticité de l'air renfermé dans les différens grains de la poudre, & dans les intervalles ou espaces qui se trouvent entre ces grains : la poudre étant allumée donne du jeu au ressort de toutes ces petites parties d'air & les dilate tout-à-la-fois ; c'est-là ce qui fait l'effet, la poudre même ne servant qu'à allumer un feu qui puisse mettre l'air en mouvement, après quoi tout le reste se fait par l'air seul. Voyez AIR.
La poudre à canon est une matiere de grande conséquence, tant pour la spéculation que pour la guerre, & pour le commerce, dans lequel il s'en fait un débit incroyable, & elle mérite que nous entrions dans un détail encore plus particulier sur ce qui la regarde.
Pour faire donc de la bonne poudre, il faut avoir soin que le salpêtre soit bien purifié, & qu'il paroisse comme de beaux morceaux de crystal, autrement il faut le purifier en lui ôtant tout le sel fixe ou commun & les parties terrestres : cela fait, il faut dissoudre dix livres de nitre dans une quantité suffisante d'eau claire ; faites reposer, filtrer, & évaporer le tout dans un vaisseau verni jusqu'à ce qu'il soit diminué de moitié, ou jusqu'à ce qu'il paroisse audessus une petite peau ; pour-lors vous pouvez ôter le vaisseau de dessus le feu & le mettre à la cave. En vingt-quatre heures de tems, les crystaux s'étant formés, il faut les séparer de la liqueur ; continuez de même à crystalliser ainsi plusieurs fois la liqueur jusqu'à ce que tout le sel en soit tiré ; mettez ensuite ces crystaux dans un chauderon, & le chauderon sur une fournaise où il n'y ait d'abord qu'un feu modéré, que vous augmenterez par degrés jusqu'à ce que le nitre commence à fumer, à s'évaporer, à perdre son humidité, & à devenir d'un beau blanc. Pendant ce tems-là il faut le remuer continuellement avec une cuillere à pot, de peur qu'il ne reprenne sa premiere forme, par ce moyen vous lui ôterez toute sa graisse & ordure. Versez ensuite dans le chauderon assez d'eau pour en couvrir le nitre ; & lorsqu'il se trouve dissout & réduit à la consistance d'une liqueur épaisse, il faut le remuer avec la cuillere, sans aucune interruption, jusqu'à ce que toute l'humidité se soit évaporée de nouveau, & que le nitre soit réduit à une forme seche & blanche. Il faut prendre les mêmes précautions pour le soufre, en choisissant celui qui se trouve en gros volume, clair, & d'un beau jaune, qui ne soit point extrêmement dur ni compacte, mais poreux ; cependant il ne faut pas qu'il soit trop luisant ; si en l'approchant du feu il se consomme entierement & ne laisse après lui que peu ou point de matiere, c'est une marque de sa bonté ; de même, si on le presse entre deux plaques de fer assez chaudes pour le faire couler, & qu'en coulant il paroisse jaune, desorte cependant que la matiere qui reste soit de couleur rougeâtre, on peut conclure qu'il fera de la bonne poudre : mais si le soufre renferme beaucoup de matieres hétérogenes, on peut le purifier de cette maniere : Faites fondre le soufre dans une grande cuillere ou pot de fer sur un petit feu de charbon bien allumé, mais qui ne jette point de flamme ; écumez tout ce qui vient audessus & qui nage sur le soufre : immédiatement après ôtez-le du feu & passez-le dans un linge double, sans rien presser ni précipiter, & vous aurez du soufre bien purifié, puisque toute la matiere hétérogene sera restée dans le linge.
A l'égard du charbon, qui est le troisieme ingrédient, il faut le choisir gros, clair, exempt de noeuds, bien brûlé & cassant.
Il y a trois sortes de poudre, savoir de la poudre à canon, de la poudre à fusil, & de la poudre à pistolet ; & il y a deux especes de chacune de ces sortes de poudre, savoir de la forte & de la foible ; mais toutes ces différences ne viennent que des différentes proportions des trois ingrédiens.
Voici ces proportions. Pour la forte poudre à canon on prend ordinairement 100 livres de salpêtre, 25 livres de soufre & autant de charbon : & pour la foible 100 liv. de salpêtre, 20 livres de soufre, & 24 livres de charbon. Pour la forte poudre à fusil 100 livres de salpêtre, 18 de soufre, & 20 de charbon : pour la foible 100 livres de salpêtre, 15 de soufre & 18 de charbon. Pour la forte poudre à pistolet 100 livres de salpêtre, 12 de soufre, & 15 de charbon : & pour la foible 100 livres de salpêtre, 10 de soufre, & 18 de charbon.
D'autres auteurs prescrivent d'autres proportions. Semienowitz veut que pour la poudre à mortier on prenne 100 livres de salpêtre, 15 de soufre, & autant de charbon. Pour la poudre à gros canon 100 livres de salpêtre, 15 de soufre, & 18 de charbon. Pour la poudre à fusil & à pistolet 100 livres de salpêtre, 8 de soufre, & 10 de charbon.
Miethius veut que sur une livre de salpêtre on mette 3 onces de charbon, & 2 onces ou 2 onces & un quart de soufre, & il assure qu'il n'est pas possible de faire de la poudre à canon meilleure que celle-ci. Il ajoute que c'est sans aucun fondement que l'on a introduit la coûtume de faire de la poudre plus foible pour les mortiers que pour les canons, & que c'est pour multiplier les frais sans nécessité, puisqu'au lieu de 24 livres de poudre commune qu'il faut pour charger un gros mortier, & par conséquent 240 liv. pour dix charges, il fait voir par son calcul que 180 livres de poudre forte produiront le même effet.
A l'égard du détail de l'opération, il faut réduire d'abord en poudre très-fine, tous les ingrédiens, les humecter ensuite avec de l'eau claire ou du vinaigre, ou de l'esprit-de-vin, ou avec de l'eau & de l'esprit-de-vin mêlés ensemble, ou avec de l'urine dont on se sert ordinairement, les bien battre pendant vingt-quatre heures pour le moins, & les réduire en grains. Pour cet effet on prend un crible, avec un fond de parchemin épais & plein de petits trous ronds, on mouille la premiere masse de poudre pilée avec 20 onces d'esprit de vinaigre, de vin, 13 d'esprit de nitre, 2 d'esprit de sel ammoniac, & une de camphre, dissous dans de l'esprit-de-vin ; on mêle toutes ces choses ensemble, ou bien on prend 40 onces d'eau-de-vie & une de camphre que l'on mêle & que l'on dissout pour faire le même effet. Après qu'on a formé toute la composition en grosses boules comme des oeufs, on les met dans le crible avec une boule de bois que l'on agite dans le crible, afin qu'elle brise les boules de poudre ; celle-ci en passant ainsi par les petits trous, se forme en petits grains proportionnés à ces trous.
Quand on veut faire une grande quantité de poudre, on se sert de moulins, avec lesquels on fait plus d'ouvrage dans un jour, qu'un homme n'en pourroit faire en cent. Voyez MOULIN.
On peut faire la poudre à canon de différentes couleurs, mais la noire est la meilleure.
Pour faire de la poudre blanche, prenez 10 livres de salpêtre, une de soufre, & deux de sciure de sureau, ou du même bois réduit en poudre ; mêlez le tout ensemble, & faites l'opération de la maniere qu'il est dit ci-dessus ; ou bien mêlez deux livres de sciure de bois, avec dix livres de nitre & une livre & demie de soufre, seché & réduit en poudre fine, ou bien encore du bois pourri, seché & pulvérisé, avec deux livres trois onces de sel de tartre, faites en de la poudre, & enfermez-là pour la garantir de l'air.
Il faut observer aussi, qu'en faisant de la poudre à pistolet, si vous la voulez forte, il faut la remuer plusieurs fois pendant qu'elle est dans le mortier, la mouiller avec de l'eau distillée d'écorce d'orange & de citron, & la battre pendant vingt heures.
La poudre grenue a plus de force que celle qui est en poussiere, parce que l'air se trouve comprimé dans chacun de ses grains, & les gros grains font plus d'effet que les petits ; c'est pourquoi les grains de poudre à canon sont toujours plus gros que ceux des autres poudres, & en chargeant une piece d'artillerie, il ne faut point briser les grains.
Il y a trois manieres d'éprouver la bonté de la poudre. 1°. A la vue ; car si elle est trop noire, c'est une marque qu'elle a été trop mouillée, ou qu'on y a mis trop de charbon ; de même si on la frotte sur du papier blanc, elle le noircit plus que de la bonne poudre ; mais si elle est d'une espece de couleur d'azur tirant un peu sur le rouge, c'est un signe qu'elle est bonne. 2°. Au tact ; car si en la pressant entre les extrêmités des doigts, les grains se brisent aisément, & retournent en poussiere douce, c'est un signe qu'il y a trop de charbon ; ou si en la pressant avec les doigts sur une planche dure & unie, on trouve des grains plus durs les uns que les autres qui impriment dans les doigts une espece de dentelure, c'est un signe que le soufre n'a point été mêlé comme il faut avec le nitre, & que par conséquent la poudre ne vaut rien. 3°. Par le feu ; car si l'on met des petits tas de poudre sur du papier blanc, à la distance de trois pouces ou davantage les uns des autres, & qu'en mettant le feu à un de ces tas, il se consume tout seul avec promtitude, & presqu'imperceptiblement, sans mettre le feu aux autres, mais en donnant un petit coup, & en faisant monter en l'air une petite fumée blanche, en forme de cercle, c'est un signe que la poudre est bonne ; si elle laisse des taches noires sur le papier, c'est qu'elle a trop de charbon, ou que le charbon n'est point assez brûlé ; si elle y fait des taches de graisse, c'est que le soufre ou le nitre n'ont point été assez bien purifiés ; si l'on met deux ou trois grains sur un papier, à un pouce de distance les uns des autres, & qu'en mettant le feu à l'un ils prennent tous à-la-fois, sans laisser derriere eux d'autre marque qu'une petite fumée blanche, & sans endommager le papier, c'est encore un signe que la poudre est bonne : il en est de même si en mettant le feu à quelques grains de poudre dans la main d'une personne, ils ne brûlent point la peau ; mais si l'on remarque des taches noires, c'est une marque que la poudre fait son effet en bas, qu'elle n'est point assez forte, & qu'elle manque de nitre.
Pour racommoder la poudre gâtée, les marchands ont coutume de l'étendre sur une voile de navire, de la mêler avec une quantité égale de bonne poudre, de la bien remuer avec une pelle, de la faire sécher au soleil, de la remettre dans des barrils, & de la garder dans un lieu propre & sec.
D'autres racommodent la poudre, quand elle est fort mauvaise, en la mouillant avec du vinaigre, de l'eau, de l'urine & de l'eau-de-vie, en la pilant bien fin, en la tamisant, & en ajoutant à chaque livre de poudre une once & demie ou deux onces de salpêtre fondu suivant le point auquel elle est gâtée ; ensuite il faut mouiller & mêler ces ingrédiens, de maniere que dans la composition il ne paroisse aucune différence. Pour cet effet on coupe la masse & on l'examine, & si elle est bien uniforme, on la met en grain comme il est dit ci-dessus.
Au cas que la poudre soit absolument gâtée, tout ce qu'on peut faire, c'est d'en extraire le salpêtre avec de l'eau, en la faisant bouillir, filtrer, évaporer & crystalliser à l'ordinaire, & en la mêlant de nouveau avec du soufre & du charbon. Chambers.
Outre les observations qu'on vient de voir, qui servent à décider de la bonté de la poudre, on s'est servi de différentes machines propres à cet effet, appellées éprouvettes. Voyez EPROUVETTE. Comme ces instrumens ne servoient qu'à comparer les poudres les unes avec les autres, sans faire juger de leur force particuliere, on en a quitté l'usage, & l'on se sert aujourd'hui pour éprouver la poudre, d'un petit mortier qui porte un boulet de fonte de 60 livres, lorsque trois onces de poudre mises dans ce mortier, qui est toujours pointé à 45 degrés, chassent le boulet à 50 toises, c'est la vraie force de la poudre de guerre, à 45 toises, c'est celle de la poudre défectueuse que l'on a raccommodée. Mémoires d'Artillerie de S. Remy, troisieme édition. Voyez ce mortier & les autres especes d'éprouvettes, Pl. II. de fortification.
Cette derniere maniere d'éprouver la poudre paroit la moins fautive & la plus exacte ; cependant ses effets sont fort variables, même avec la même poudre : car il arrive que la même quantité de poudre dans la même épreuve porte quelquefois à 55 toises, & ensuite à 30. Cette distance du jet varie aussi suivant les degrés de chaud ou de froid, de condensation & raréfaction de l'air. M. Belidor avoit fait cette observation dans ses expériences aux écoles d'artillerie de la Fere. Les épreuves des poudres faites à Essonne au mois de Juin 1744, ont donné la même chose, c'est-à-dire, que ces épreuves qui furent commencées à sept heures du matin, & qui durerent jusqu'à midi, donnerent des distances qui allerent toujours en diminuant ; ce qui est conforme aux épreuves de M. Belidor, qui avoit remarqué que les portées des pieces sont plus longues le matin où l'air est frais, que vers le milieu du jour où il est plus chaud.
" Pour connoître la force ou l'extension de la poudre, on a fait, dit M. Dulacq (théorie nouvelle sur le méchanisme & l'artillerie), plusieurs expériences en mettant de la poudre au centre de plusieurs circonférences concentriques, à-l'entour desquelles on a rangé de la poudre. On a vu que la poudre s'enflammoit circulairement, puisque toute une circonsérence prenoit feu à-la-fois. On a vu aussi par l'éloignement des circonférences qui s'enflammoient l'une & l'autre, l'étendue de la dilatation de la poudre. Conséquemment à ces expériences & à quelques autres à-peu-près semblables, faites avec toutes les précautions nécessaires pour bien s'en assurer, on a fixé le volume du fluide (ou celui qui forme la poudre entierement enflammée) environ à 4000 fois le volume de la poudre en grains. Ensorte que si l'on prend quelque quantité de poudre que l'on voudra, la flamme de cette poudre formera un volume 4000 fois plus grand ", c'est-à-dire, qu'une sphere de poudre étant enflammée librement au milieu de l'air, formeroit une autre sphere dont le diamêtre seroit seize fois plus grand ; car on sait que les spheres sont entr'elles comme les cubes des diamêtres, & par conséquent les diamêtres, comme les racines cubes des spheres, c'est-à-dire, dans cet exemple, comme la racine cube de 1, qui est 1, est à la racine cube de 4000, qui est à-peu-près 16.
" Pour m'assurer, dit le même M. Dulacq, de l'extension de la poudre enflammée, j'ai fait mettre sur une grande table de noyer bien polie, dans une chambre bien fermée, un grain de poudre seul, & ensuite prenant huit fois le diamêtre de ce grain de poudre, j'ai rangé plusieurs autres grains seuls de cette poudre à cette distance, & donnant le feu à un seul de ces grains de poudre, la flamme s'étant étendue seize fois plus loin, a toujours communiqué le feu d'un grain à l'autre.
J'ai ensuite pris environ une demi-amorce, & ayant pris huit fois le diamêtre de cette masse de poudre, que j'ai mis le plus régulierement qu'il m'a été possible sur la table, j'en ai rangé plusieurs autres de la même maniere à cette distance ; le feu d'une de ces amorces a toujours communiqué le feu d'amorce en amorce à toutes les autres. J'ai fait les mêmes épreuves en augmentant les quantités de la poudre, & les éloignant de leurs diamêtres, la chose m'a toujours réussi de même.
Pour voir si la poudre s'étendoit circulairement étant sur un plan.... j'ai tracé un quarré dont les côtés étoient divisés également en un nombre égal de parties, ce qui formoit dans ce grand quarré plusieurs petits quarrés, dont chaque côté étoit huit fois celui de l'axe de la poudre, qui étoit régulierement, & en égale quantité répandue sur chacun de leurs angles ; le feu d'un de ces tas de poudre a toujours successivement communiqué de l'un à l'autre, à ceux qui étoient dans chaque angle des petits quarrés, ce qui prouve que toutes les extensions étoient égales, &c.
Pour m'assurer si cette extension ne pouvoit point excéder huit fois le diamêtre d'un tas à l'autre, j'ai recommencé mes expériences. Au-lieu de ranger les tas à des distances égales, j'ai rangé le deuxieme tas de poudre à huit diamêtres ; le troisieme à neuf, le quatrieme à dix, le cinquieme à onze, en augmentant toujours d'un diamêtre chaque fois, j'ai trouvé qu'ils alloient quelquefois jusqu'à dix diamêtres ; mais jamais ils ne l'ont pu surpasser. Si cela arrivoit toujours ainsi dans toutes les poudres, on voit que le globe enflammé seroit environ 8000 fois plus grand que le globe de poudre, puisque son axe seroit vingt fois plus grand ". Ce plus ou moins d'extension dépend de la bonne ou mauvaise qualité de la poudre, de la nature de l'air qui environne la poudre, & du soufre & du salpêtre plus ou moins raffiné dont elle est composée.
Toutes ces observations se rapportent assez à celles de M. Bigot de Moragues, officier d'artillerie dans la marine, d'un mérite distingué ; il dit dans son essai sur la poudre, qu'il en a trouvé qui augmentoit 5600 fois son volume étant enflammée, & d'autre qui ne l'augmentoit que 4000 fois ; mémoires d'artillerie de Saint Remy, troisieme édition. M. Belidor a aussi donné une théorie sur la poudre ; on la trouve dans son bombardier françois, & dans l'édition des mémoires qu'on vient de citer. (Q)
POUDRE, (Artifice) la poudre à canon s'employe dans l'artifice ou grainée pour faire crever avec bruit le cartouche qui la renferme, ou réduite en poudre, qu'on nomme poussier, dont l'effet est de fuser lorsqu'il est comprimé dans un cartouche.
On en forme aussi une pâte (en la détrempant avec de l'eau) que l'on employe à différens usages, & particulierement pour faire de l'amorce & de l'étoupille.
Pour la réduire en poussier, on la broye sur une table avec une mollette de bois, & on la passe au tamis de soie le plus fin ; on met à-part ce qui n'a pu passer pour s'en servir à faire les chasses des pots-à-feu ; c'est ce qu'on nomme relien : cette poudre à moitié écrasée est plus propre à cet usage que la poudre entiere, dont l'effet est trop promt pour que la garniture que la chasse doit jetter puisse bien prendre feu.
L'auteur de ce mémoire voulant connoître la meilleure proportion des matieres pour composer la poudre, a fait des essais graduels, ou partant du premier degré de force que le charbon seul, & le charbon joint au soufre peuvent donner au salpêtre jusqu'au terme où la force de la poudre commence à diminuer par la trop grande quantité de ces matieres, ces essais lui ont donné les résultats ci-après.
1°. Le charbon seul & sans soufre étant joint au salpêtre en augmente la force jusqu'à quatre onces de charbon de bois tendre sur une livre de salpêtre, & la poudre faite dans cette proportion s'enflamme assez subitement dans le bassinet du fusil, pour faire juger que le soufre ne contribue point, ou contribue de bien peu à l'inflammation dans la poudre ordinaire, elle a donné à l'éprouvette neuf degrés, ainsi qu'il est marqué à la table ci-après des essais sur la poudre : il est à remarquer que le canon de l'éprouvette ne contenoit qu'une charge de fusil, & que par les épreuves faites en grand au moulin à poudre d'Essonne rapportées à la suite de la table des essais, il a été reconnu que cette poudre augmente de force à proportion qu'on en augmente la quantité, par comparaison à une pareille quantité de poudre ordinaire ; & qu'à trois onces, elle est supérieure à celle que la même table indique pour être la plus forte des poudres composées avec du soufre.
2°. Du soufre ayant été ajouté par degrés aux doses de salpêtre & de charbon ci-dessus, les essais qui en ont été faits ont augmenté en force jusqu'à une once, & à cette dose la poudre a donné 15 degrés.
3°. La dose de charbon ayant été diminuée d'autant pesant qu'on y a ajouté de soufre, c'est-à-dire d'une once ; cette poudre composée de
a donné 17 degrés.
4°. Ayant comparé cette poudre à 17 degrés avec les poudres faites dans les proportions qui en approchent le plus, elle les a surpassées en force, & de même les poudres faites suivant les proportions les plus en usage en Europe & en Chine.
Celle d'Europe, composée de 2 onces 5 gros un tiers de charbon & de pareille quantité de soufre sur une livre de salpêtre, n'ayant donné qu'onze degrés.
Et celle de Chine, composée de 3 onces de charbon & de 2 onces de soufre sur la livre de salpêtre, que 14 degrés.
Ces essais sur la poudre ont été faits avec du charbon de bois de coudre, dont on fait usage en Allemagne ; en France, on préfere le charbon de bois de bourdaine, & en Chine celui de saule ; ces trois especes different peu entr'elles pour la qualité, & c'est moins à l'espece de charbon qu'à la dose de cette matiere que l'on doit attribuer le plus ou le moins de force des différentes poudres.
La poudre se fabrique dans des moulins que l'eau fait agir, où un certain nombre de pilons armés d'une boîte de fonte sont alternativement élevés, & retombent perpendiculairement sur la matiere ; les mortiers qui la contiennent sont creusés dans l'épaisseur d'une forte piece de bois qui a la longueur de la batterie ; chaque mortier contient 20 livres de matiere.
Le salpêtre & le soufre sont ordinairement broyés à-part sous une meule avant d'être mis dans les mortiers ; on tamise le soufre pour en ôter de petites pierres qui s'y trouvent assez communément ; le charbon s'employe tel qu'il est, sans aucune préparation particuliere.
Le tems que la poudre doit être battue dépend de plusieurs choses auxquelles il faut avoir égard pour le diminuer ou l'augmenter, suivant qu'il y a plus ou moins de force employée ; telles sont un courant d'eau plus ou moins rapide, la pesanteur des pilons & la distance d'où ils tombent, les matieres plus ou moins broyées, &c. 12 à 13 heures suffisent communément dans les grands moulins tel qu'est celui d'Essonne. Le maître poudrier doit porter ses attentions sur tous ces objets ; il doit savoir que la poudre ne gagne à être battue que jusqu'à un certain point, passé lequel, le battage l'affoiblit, & il doit s'étudier à connoître ce point.
On humecte la composition avec de l'eau pure d'abord en la mettant dans le mortier, ensuite de trois heures en trois heures. On la change de mortier, premierement sans la mouiller lorsqu'elle a été battue une heure, & ensuite chaque fois qu'on l'humecte ; la quantité d'eau est réglée par des mesures qui diminuent de grandeur à chaque mouillage ; la premiere contient une pinte mesure de Paris. Trop d'eau affoiblit la poudre, mais il en faut assez pour lier les matieres, & même un peu plus qu'il ne faut pour ne point risquer qu'elles prennent feu.
La poudre ayant été suffisamment battue, on la porte dans le grainoir, où des ouvriers la forment en grain en la passant dans une espece de crible de peau bien tendue, & percée de trous de grandeur à y passer la plus grosse poudre ; on met sur la matiere un rouleau de bois de 9 à 10 pouces de diamêtre & d'un pouce & demi d'épaisseur, qui étant agité circulairement par le mouvement que l'on donne au grainoir, force par son poids & par son frottement la matiere à se mettre en grain.
On repasse ensuite la poudre par un tamis de crin, où le grain encore humide & tendre acheve de se former & prend de la solidité ; la bonne poudre reste sur le tamis, & le poussier qui passe à-travers est reporté dans les mortiers pour en refaire la poudre ; on ne le pile que pendant deux heures, & on y met moins d'eau.
Après que la poudre est tamisée, on la fait sécher à l'air sur des tables couvertes de draps ; il seroit bien qu'on la garantît du soleil, qui y cause de l'altération ; celle qui a séché à l'ombre, est toujours plus forte.
Lorsqu'elle est bien seche, on la passe successivement par différens autres tamis pour séparer les différentes grosseurs de grains ; on la renferme ensuite dans des sacs de toile, & on la met en barrils.
On destine pour la chasse celle dont le grain est le plus fin ; il est assez ordinaire de la lisser, quoique cela n'ajoute rien à sa qualité. Pour la lisser, on la renferme dans un tonneau qui est traversé par l'axe d'une roue que l'eau fait tourner, elle y devient luisante par le frottement : on la tamise encore à la sortie du lissoir, pour en ôter le poussier.
Cette maniere de fabriquer la poudre, qui est la seule en usage en France, donne un grain anguleux & de forme irréguliere. En Suisse, où se fabrique la meilleure poudre de l'Europe, on la graine parfaitement ronde ; cette forme sphérique, qui laisse entre les grains des interstices réguliers & plus grands que dans la poudre ordinaire, en rend l'inflammation plus subite, & l'ensemble de leur action plus parfait, d'où il résulte une plus grande force, mais ce n'est ni la seule cause, ni la principale de la force de cette poudre, elle la doit à une qualité particuliere du salpêtre du pays que l'on y tire des étables sur les montagnes.
Il y a deux moyens pour former la poudre ronde ; l'un & l'autre sont d'usage en Suisse, & y réussissent également : dans les grandes fabriques, c'est par le moyen d'une machine ; & dans les petites, on lui donne cette forme à la main.
Nos Pl. représentent cette machine, dont voici l'explication.
La fig. 1. est une bobine de bois qui doit traverser l'axe A, sur lequel elle tournera.
La fig. 2. est la même bobine couverte d'une étoffe appellée futaine, cousue en forme de sac, dont les extrêmités sont clouées sur les côtés de la bobine. B est l'ouverture du sac, par lequel on le remplit de poudre. Le diamêtre du sac doit être d'un bon tiers plus grand que celui de la bobine.
La fig. 3. représente la bobine remplie de poudre, dont la partie B qui la ferme est liée & repliée dessus. La poudre de forme irréguliere dont on la remplit pour y être arrondie, doit y être mise au moment qu'on vient d'achever de la grainer, & pendant qu'elle est encore humide.
La fig. 4. représente la même bobine enfilée sur son axe, & prête à tourner sur la table ronde qui la porte, lorsque l'arbre C de la machine sera mis en mouvement ; le mouvement lui est donné par une roue que l'eau fait tourner ; celle qui fait mouvoir les pilons sert en même tems à cet usage.
La table est garnie de rayons de distance en distance ; ces rayons sont des barres de bois demi-rondes qui y sont clouées.
Ce sont ces rayons qui, par la résistance qu'ils font au mouvement de la bobine, compriment la poudre qui y est renfermée, & impriment aux grains un mouvement de rotation & un frottement qui les arrondit.
L'arbre de la machine peut mouvoir trois bobines, contenant chacune cent livres de poudre : leur mouvement doit être tel qu'un homme puisse les suivre à son pas ordinaire ; une demi-heure suffit pour que la poudre qui y est renfermée soit parfaitement arrondie ; on la tamise ensuite pour en ôter le poussier, & pour séparer les différentes grosseurs de grains qui s'y sont formées.
Le procédé pour former à la main la poudre ronde est à-peu-près le même ; il differe seulement en ce qu'il ne faut pas que la poudre soit grainée, on la passe seulement par un tamis pour diviser & réduire en poussier la composition qui est en masse lorsqu'on la tire du mortier ; on en remplit un petit sac de forme ordinaire & de toile d'un tissu serré, on le lie le plus près que l'on peut de la matiere sans cependant la fouler ; & ensuite en appuyant les deux mains dessus, on le roule avec force sur une table bien solide en poussant toujours devant soi, évitant de se rouler dans un sens contraire ; comme le sac devient flasque & lâche à mesure que la matiere se comprime en la roulant, il faut en baisser de tems en tems la ligature, pour lui rendre la solidité qu'il doit avoir, pour que le roulement produise son effet ; le sac ne doit pas contenir plus de quinze livres de matiere, ni moins de trois livres, & il suffit de la rouler pendant une heure au plus pour qu'elle y soit formée en grains parfaitement ronds.
TABLE DES ESSAIS
Qui ont indiqué la meilleure proportion pour composer la poudre.
Epreuves faites au moulin à poudre d'Essonne le 12. Février 1756, sur les poudres des numeros 5. 13. & 20. de la table des essais. Ces poudres y avoient été fabriquées le 10 & 11 dudit mois ; & les épreuves en ont été faites avec l'éprouvette d'ordonnance qui est un mortier de sept pouces, lequel a trois onces de poudre, doit jetter à cinquante toises un globe de cuivre du poids de soixante livres pour que la poudre soit recevable ; le produit moyen de ces épreuves a été, savoir :
Il résulte de ces épreuves que la poudre n°. 13. qui est celle que les essais mentionnés en la table de l'autre part ont indiquée pour être la meilleure proportion des matieres, est plus forte que celle n°. 20. dont on fait usage en France.
Et que la poudre sans soufre n°. 5. augmente de force à proportion qu'on en augmente la quantité, par comparaison à une pareille quantité d'autre poudre, puisqu'à trois onces elle a surpassé les poudres de comparaison auxquelles à deux onces & au-dessous elle étoit inférieure.
A juger de ces poudres par les épreuves ci-dessus, il paroit que celle n°. 13. qui a conservé dans les épreuves, en petit comme en grand, la supériorité sur le n°. 20. sera très-propre pour le fusil ; & que celle n°. 5. sans soufre qui gagne dans les épreuves en grand, conviendra mieux pour l'artillerie que la poudre ordinaire, puisqu'avec une plus grande force elle donne moins de fumée, & qu'elle ne cause point ou très-peu d'altération à la lumiere des canons, le soufre étant ce qui produit ces deux mauvais effets dans la poudre ordinaire ; celle-ci s'est bien conservée, & a même gagné en force depuis plus d'une année qu'elle est fabriquée. Il résulteroit aussi de l'usage qu'on en feroit une économie considérable sur la quantité que consomment la grosse artillerie & les mines par la propriété qu'elle a d'être plus forte en grand qu'en petit volume ; ses effets connus jusqu'à trois onces donnent tout lieu de le présumer. Les poudriers observeront qu'elle doit être battue deux heures de moins que la poudre ordinaire.
POUDRE fine, (Artillerie) c'est celle dont le grain est extrêmement délié. Son usage est pour amorcer l'artillerie, & pour charger les petites armes, comme fusils, pistolets, carabines, mousquetons, &c. (D.J.)
POUDRE FULMINANTE, (Fortification) c'est ainsi qu'on appelle une composition de trois parties de salpêtre, de deux parties de sel de tartre, & d'une partie de soufre, pilées & incorporées ensemble ; si on la met dans une cuillere de fer ou d'argent sur un petit feu pendant un quart d'heure, ou une petite demi-heure, elle s'enflamme, & fait une si grande détonation, qu'un gros de cette poudre fulmine, & fait presque autant de bruit qu'un canon, ce qui lui a donné le nom de poudre fulminante. Elle a deux effets particuliers, différens de ceux de la poudre à canon : l'un, qu'elle fait un si grand bruit sans être enfermée, qu'elle perce, pour ainsi dire, les oreilles ; l'autre, qu'au contraire de la poudre à canon, elle agit du haut en bas d'une telle force, qu'elle perce une cuillere de cuivre ; celle de fer résiste davantage.
Comme l'effet de cette poudre vient de l'étroite liaison des parties du tartre avec le salpêtre & le soufre ; il résulte que si l'on fait chauffer ces matieres à un grand feu, elle produit beaucoup moins d'effet dans sa détonation, parce qu'elles ont été trop agitées pour pouvoir se lier intimement.
On fait aussi pareille chose avec de l'or, ce qu'on appelle de l'or fulminant. Voyez OR FULMINANT, traité des feux d'artifices, par M. Frezier. (Q)
POUDRE-GRENEE, (Artillerie) c'est une poudre dont le grain est trop gros : elle sert à charger les piéces d'artillerie, & même les mousquets, soit les plus légers qu'on porte en campagne, soit les plus pesans qu'on employe à la défense des places. (D.J.)
POUDRE MUETTE, (Fortification) c'est une erreur de croire qu'il y ait de la poudre vraiment muette, c'est-à-dire, qui ne fasse aucune détonation, lorsqu'elle prend feu dans un lieu renfermé, comme dans un canon ou ailleurs, desorte qu'elle s'ouvre un passage, & chasse, par exemple, un boulet sans faire aucun bruit ; car tout le monde sait que le bruit n'est autre chose qu'une agitation de l'air dans un mouvement subit & violent ; il ne peut cesser ou diminuer qu'à mesure que le mouvement se ralentira : sur ce principe on voit clairement qu'en ôtant l'activité de la poudre, on lui ôteroit la force de faire jour au-travers des obstacles qu'on lui oppose dans un canon, puisqu'en ôtant ces obstacles, comme dans un fusil chargé de poudre, sans bourre ni boulet, il se fait encore une détonation. On peut étendre plus au long ce raisonnement ; mais sans s'y arrêter davantage, il suffit de dire que c'est l'invention des arquebuses à vent qui a donné lieu à ce faux bruit répandu par le peuple, qu'il y a de la poudre muette, c'est-à-dire, qui ne fait point de bruit dans le canon. Voyez ARQUEBUSE A VENT. Frezier, traité des feux d'artifices. (Q)
POUDRE se dit dans l'Ecriture, de la sciure de chêne, de buis, ou de la limaille métallique qu'on jette sur le papier pour prendre sur le champ l'humidité dont l'air n'a pas eu le tems de se charger.
POUDRE ou POUSSIERE, (Maréch.) battre la poudre ou la poussiere, en terme de manége ; c'est lorsque le cheval ne fait pas à chaque tems ou à chaque mouvement assez de chemin avec ses jambes de devant, & qu'il pose ses piés de devant près de l'endroit d'où il les a levés.
Un cheval bat la poudre au terre-à-terre, lorsqu'il n'embrasse pas assez de terrein avec les épaules, & qu'il fait tous ses tems trop courts, comme s'il les faisoit dans la même place. Voyez TERRE-A-TERRE.
Il bat la poudre aux courbettes, lorsqu'il les hâte trop, & qu'il les fait trop basses. Voyez COURBETTE.
Il bat la poudre au pas, lorsqu'il va un pas court, ou qu'il avance peu, soit qu'il aille au pas par le droit ou sur un rond, ou qu'il passege. Voyez PAS, PASSEGER.
POUDRE A CHEVEUX, en terme de Gantier-Parfumeur ; c'est un amidon bien passé & bien pulvérisé pour sécher les cheveux naturels & les perruques. Ce sont les Gantiers-Parfumeurs qui la fabriquent, & en font le commerce.
POUDRE DE SENTEUR, (Parfumeur) ce sont des poudres que les Gantiers tirent des fleurs ou des drogues aromatiques, comme la poudre de violette, la poudre de Chypres, & autres. Elles servent à donner de l'odeur aux poudres à cheveux.
POUDRE, (Tannerie) c'est le tan pilé dont se servent les Tanneurs pour tanner leurs cuirs. Les cuirs forts reçoivent jusqu'à cinq poudres, c'est-à-dire, qu'on y remet cinq fois de nouveau tan. (D.J.)
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POUDRER | v. act. c'est répandre de la poudre sur quelque chose.
POUDRER, (Teinturier) ce mot se dit d'une certaine poudre qui sort des étoffes après qu'elles ont été teintes en noir, & qui y reste des différentes drogues & ingrédiens qu'on a coutume d'employer à cette teinture.
POUDRER, terme de Chasse ; il se dit lorsqu'on chasse un lievre dans le tems de la sécheresse, & qui passe dans les chemins poudreux & les terres nouvellement labourées, où il fait voler la poudre, qui recouvre ses voyes, ce qui en diminue beaucoup le sentiment : ainsi on dit, le lievre poudre trop, les chiens en perdent les voyes à tout moment.
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POUDRETTE | S. f. (Jardinage) terme honnête dont les Jardiniers sont convenus de se servir pour exprimer la matiere fécale dont ils savent se servir à propos : elle doit être long-tems à l'air pour se sécher, se reduire en poudre, & perdre tout son feu.
La Quintinie la rejette, mais Théophraste en fait grand cas pour les végétaux. Plusieurs fleuristes la croient, ainsi que la Colombine, très-nuisible aux fleurs.
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POUDREUX | adj. (Littérat.) Jupiter avoit un temple à Mégare dans l'Attique, sous le nom de Jupiter le poudreux, apparemment, parce que ce temple étant sans couverture, la statue du dieu devint fort poudreuse. (D.J.)
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POUDRIER | terme de Papetier ; c'est dans une écritoire un ustensile ordinairement de métal, percé par le haut de plusieurs trous ; on met dans le poudrier du sable ou de la poudre de métal qu'on jette sur l'écriture afin qu'elle ne s'efface pas.
POUDRIER, (Marine) c'est un horloge de sable, dont on se sert sur mer, qui dure demi-heure. Voyez HORLOGE & EMPOULETTE.
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POUF | S. m. terme d'artisan ; ce mot se dit du grain qui s'égraine, & qui s'en va en poudre quand on le travaille ; les Paveurs le disent du grès, & les Marbriers parlant du marbre qui se réduit en poudre en le taillant, disent que ce marbre est pouf.
POUF, (Fonderie) les Fondeurs donnent ce nom à une qualité que doit avoir la matiere dont on fait le noyau. Elle consiste dans une molle résistance, afin que le métal remplissant l'espace qu'occupoient les cires, le noyau ait assez de force pour résister à sa violence ; & n'en ait pas trop en même tems pour s'opposer au métal qui travaille en se refroidissant dans le moule, ce qui le feroit gercer dans plusieurs endroits. Voyez FONDERIE.
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POUGEOISE | S. m. (Monnoie) petite monnoie autrement nommée pite ou poitevine ; c'étoit une monnoie de billon d'usage en France pendant la troisieme race. On se servoit déja de cette monnoie sous S. Louis, & il paroît par son ordonnance, que Philippe de Valois en fit fabriquer. Cette monnoie, qui ne valoit que le quart du denier, & l'obole qui n'en valoit que la moitié, parut absolument nécessaire lorsque les deniers étoient forts, mais lorsqu'on vint à en diminuer la bonté, on ne fit plus d'oboles ni de pougeoises, parce que ç'auroit été des especes de nulle valeur. (D.J.)
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POUGER | v. act. terme de Marine ; c'est faire vent en arriere, porter à droiture, ou avoir vent en poupe ; ce terme est en usage sur la Méditerranée.
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POUGUES | (Géog. mod.) paroisse de France, dans le Nivernois, élection de Vézelai, à 2 lieues de la ville de Nevers, au pié d'une montagne & sur le chemin de Paris. A deux cent pas de cette paroisse, il y a une fontaine minérale. C'est un réservoir rond, qui a trois piés de diamêtre, & du fond duquel sortent des bouillons d'eau. Ce réservoir est au milieu d'une cour murée, près de laquelle il y a des promenoirs couverts d'un toît, qui est soutenu par des piliers. Les eaux de cette fontaine sont froides, aigrelettes, vineuses, & un peu stiptiques. Certaines petites pailles qui nagent sur l'eau, & qui ressemblent à des raclures de rouille, font connoître qu'elles sont en partie ferrugineuses. (D.J.)
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POUILLÉ | S. m. (Jurisprud.) appellé dans la basse latinité polypticum, terme dérivé du grec , d'où l'on a fait par corruption politicum, poleticum, puleticum, puletum, signifie en général un registre où l'on écrivoit tous les actes publics & privés, mais particulierement un registre où l'on écrivoit les noms de tous les censitaires & redevables, avec une note de ce qu'ils avoient payé.
On a de même appellé pouillé les registres dans lesquels on écrivoit les actes concernant les églises & la description de leurs biens.
Mais, dans le dernier usage, on entend par ce terme un catalogue de bénéfices, dans lequel on marque le nom de l'église, celui du collateur & du patron, s'il y en a un, le revenu du bénéfice, & autres notions.
Il y a des pouillés généraux, & d'autres particuliers.
Le pouillé le plus général est celui des archevêchés & évêchés du monde chrétien, orbis christianus.
On appelle aussi pouillés généraux ceux qui comprennent tous les archevêchés & évêchés d'un royaume, ou autre état.
Le meilleur ouvrage que nous ayons pour la connoissance des églises de France, est le Gallia christiana de MM. de Sainte-Marthe, que l'on peut regarder comme un commencement de pouillé, mais néanmoins qui ne comprend pas toutes les notions qui doivent entrer dans un pouillé proprement dit.
On a fait divers pouillés généraux & particuliers de chaque diocèse.
En 1516, chaque diocèse nomma des commissaires pour l'estimation des revenus & la confection de son pouillé ; le clergé nomma des commissaires généraux pour dresser sur ces pouillés un département.
Il y eut un pouillé général, imprimé in-8 °. vers l'an 1626, qui est devenu très-rare, mais qui ne peut être d'aucun usage tant il est rempli de fautes.
Celui qui parut in-4 °. en 1648, est un peu plus exact, parce qu'il fut fait sur les registres du clergé, qui furent communiqués à l'auteur par ordre de l'assemblée de Mantes, tenue l'an 1641 ; il s'y est néanmoins glissé encore beaucoup de fautes ; il est d'ailleurs imparfait en ce qu'il n'y en a que huit volumes de faits, qui sont les archevêchés de Paris, Sens, Rheims, Lyon, Bordeaux, Bourges, Tours & Rouen : les autres archevêchés ne sont pas faits.
Le clergé délibera en 1726 que tous les bénéficiers & communautés donneroient des déclarations aux chambres diocésaines, qui en feroient des pouillés ; & que ces chambres enverroient ces pouillés à une assemblée générale, qui les reviseroit & feroit un département. L'exécution de cette délibération fut ordonnée par arrêt du conseil du 3 Mai 1727, & lettres-patentes du 15 Juin suivant.
Il a paru depuis quelques pouillés particuliers, tels que ceux des églises de Meaux & de Chartres, & un nouveau pouillé de Rouen en 1738.
Le clergé assemblé à Paris en 1740, renouvella le dessein de former un pouillé général sur le plan qui fut proposé à l'assemblée par M. l'abbé le Beuf, de l'académie des inscriptions & Belles-Lettres. Ce même dessein fut confirmé par une autre délibération du clergé en 1745 ; & en conséquence des lettres circulaires, écrites par MM. les agens du clergé à MM. les archevêques & évêques du royaume, il a été envoyé à M. l'abbé le Beuf divers pouillés, tant imprimés que manuscrits, de différens diocèses pour en former un pouillé général auquel M. l'abbé le Beuf avoit commencé à travailler : mais n'ayant point reçu tous les pouillés de chaque diocèse, & ne s'étant même trouvé aucune province dont la collection fût complete , cet ouvrage est jusqu'à-présent demeuré imparfait, tous les matériaux étant encore entre les mains de M. l'abbé le Beuf.
Il y a divers pouillés particuliers des bénéfices qui sont de nomination royale, de ceux qui sont à la nomination des abbayes, prieurés, chapitres, dignités.
Le pere le Long, dans sa bibliotheque historique, a donné le catalogue de tous les pouillés, imprimés & manuscrits, qui sont connus.
Les pouillés ne sont pas des titres bien authentiques par eux-mêmes, & ne peuvent balancer des titres en bonne forme ; mais quand on ne rapporte pas des actes qui justifient positivement à la collation de qui sont les bénéfices, les pouillés ne laissent pas de former un préjugé. Cela fut posé pour maxime en diverses occasions par M. de Saint-Port, avocat général au grand-conseil. Voyez Brillon, au mot POUILLE. Sur les pouillés, voyez la nouvelle diplomatique, pag. 425. (A)
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POUILLE | LA, (Géog. mod.) les Italiens disent la Puglia ; contrée d'Italie, au royaume de Naples, le long du golfe de Venise, bornée par l'Abruzze citérieure, le comté de Molise, & la Basilicate. Elle n'a que 55 milles du nord au midi, mais plus de 200 milles du nord-ouest au sud-est. Elle comprend la Capitanate, la terre de Bari, & la terre d'Otrante. Elle consiste presque toute en plaines assez fertiles, excepté du côté de Manfredonia où est le mont Gargan. Les Latins la nommoient anciennement Apulia, mais l'étendue de l'ancienne Apulie n'étoit pas la même que celle de nos jours. (D.J.)
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POUILLEUX | BOIS, (Charpent.) c'est un bois échauffé, plein de taches rouges & noires, qui marquent qu'il se corrompt. (D.J.)
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POUL | voyez ROITELET HUPE.
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POULAILLE | S. f. (terme de Coquetier) Ce mot se dit de toutes les sortes d'oiseaux domestiques, qui se nourrissent dans les basses-cours des fermes & maisons de campagne, comme poules, poulets, chapons, poulets d'Inde, dindons, cannes, canetons, oies, oisons, &c. Savary. (D.J.)
POULAILLE SAUVAGINE, (Rotisseurs) c'est ainsi qu'est appellée dans les statuts des maîtres Rotisseurs, toute sorte de gibier à plume, comme faisans, perdrix, bécasses, coqs de bruyere, pluviers, canards, hallebrais, ortolans, grives, moviettes, cercelles, cailles, &c. aussi-bien que tous les jeunes petits de ces oiseaux. (D.J.)
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POULAILLER | S. m. (Archit.) c'est un lieu dans une maison de campagne, où vont se jucher les poules pendant la nuit, & où elles pondent & couvent quelquefois. Ce lieu doit être plancheyé, car le sol de la terre est mal-sain pour les poules. Il y a une petite porte pour y entrer, & une fenêtre au-dessus & à côté, par laquelle les poules entrent & sortent. Les murs d'un poulailler doivent être crépis de mortier de tous côtés. Sa meilleure situation est au levant, près d'un four ou d'une cuisine, parce qu'on prétend que la fumée est fort salutaire pour la volaille. (D.J.)
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POULAIN | S. m. (Maréchal.) On appelle ainsi le petit d'une jument. Les poulains hennissent après leur mere & la suivent. En France, on fait travailler les poulains à trois ans, mais c'est trop-tôt. La premiere allure des petits poulains c'est l'amble. Les poulains commencent à s'échauffer après les poulines à deux ans ou deux ans & demi. Le poulain quitte ce nom vers les quatre ans, quand on commence à le monter. Il n'est pas capable d'un grand travail avant que les crocs d'enhaut lui aient percé, ce qui arrive à quatre ans ou quatre ans & demi. C'est vouloir affoiblir les reins à un poulain, que de le mettre au manége avant cinq ans, c'est alors qu'il commence à avoir de la vigueur & de la mémoire.
POULAIN, (Charpent.) On nomme poulain deux pieces de bois assemblées par des traversiers ; qui font une espece de traîneau sans roues, sur lequel on voiture de gros fardeaux. Ce nom se donne encore à un pareil assemblage de bois, qui sert à descendre le vin dans les caves. (D.J.)
POULAINS, ETANCES, (Marine) Les poulains tiennent l'étrave du vaisseau dans le tems qu'il est sur le chantier. On ôte ces poulains ou ces étances les dernieres, quand on veut le mettre à l'eau. On dit aussi poulains à l'égard de l'étambord. étances & accores sont plus usitées. Les sous-barbes sont les étances du bas qui soutiennent l'étrave & tout l'avant vers le rinjot.
POULAIN, instrument dont les Tonneliers se servent pour descendre les pieces de vin dans les caves, ou pour les en retirer. Il y en a de deux sortes, savoir le grand & le petit poulain.
Le grand poulain est composé de deux pieces de bois longues, grosses & rondes, qui sont jointes ensemble par quatre traverses de bois, deux en-haut & deux en-bas. Il a au-moins dix piés de long.
Le petit poulain est composé des mêmes pieces que le grand ; mais il n'a que quatre piés de longueur. C'est une espece de traîneau fait de bois quarré & un peu relevé par les bouts, afin qu'il puisse glisser aisément sur les marches des caves.
POULAIN, (Hist. mod.) épithete grossiere qu'on donna vers le milieu du treizieme siecle aux chrétiens métifs, qui s'étoient cantonnés sur les côtes de Syrie, & qui n'étoient plus la race de ces premiers francs établis dans Antioche & dans Tyr. C'étoit une génération mêlée de syriens, d'arméniens & d'européens, soumis pour la plûpart au soudan d'Egypte. Ceux qui se retirerent à Ptolémaïs sur la fin du même siecle, furent exterminés ou réduits en esclavage. (D.J.)
POULAIN, tumeur qui arrive aux aînes par une cause vénérienne. Voyez BUBON.
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POULAINE | POLAINE, ÉPERON, (Marine) c'est un assemblage de plusieurs pieces de bois qui font une portion de cercle, & qui se terminent en pointe : on en fait la partie de l'avant du vaisseau, qui s'avance la premiere en mer par une grande saillie qu'elle fait. C'est dans la poulaine que l'on va laver & blanchir le linge, & se décharger le ventre. Les Normands & les Malouins disent poulaine. Dans les vaisseaux du roi on dit éperon. Quelques-uns appellent aussi poulaine le taille mer, ou la derniere & plus basse coupe-gorge, ou courbe de gorge qui fend l'eau. Voyez ÉPERON, Planche I. fig. 1. & Planche IV. fig. 1.
POULAINE, s. f. (Hist. des modes) Les poulaines étoient de longues pointes de certains souliers, qui furent défendus du tems du roi Charles VI.
Parmi les arrêts d'amour composés par Martial d'Auvergne, on trouve celui-ci : " Il y ha six ou huict varletz cordoanniers, qui se sont plainctz en la court de céans, de ce qu'il fault maintenant mettre aux poinctes des soulliers qu'on faict, trop de bourre : disans, qu'ilz sont trop grevés, & qu'ilz ne pourroyent fournir les compaignons, ny continuer cette charge, s'ilz n'en avoyent plus grands gaiges qu'ilz n'avoyent accoustumé, attendu que le cuyr est cher, & que lesdictes poulaines sont plus fortes à faire qu'ilz ne souloient.
Si ha la court faict faire information & rapport du profit, & dommage, qu'ilz en ont, & pourroyent avoir. Et tout veu & considéré, ce qu'il falloit considérer, la court dist, que lesdictz cordoanniers feront lesdictes poullaines grosses, & menues, à l'appétit des compaignons, & suivantz ledict service d'amours, sur peine d'amende arbitraire ".
Rabelais, l. II. c. j. fait aussi mention des souliers à poulaine. M. de Mézerai, dans la vie de Charles VI. raconte que sous le regne de ce roi, les gens de qualité avoient mis en usage une certaine sorte de chaussure, qui par-devant avoit de longs becs recourbés en haut (ils les nommoient des poulaines), & parderriere comme des éperons qui sortoient du talon. Le roi, par ses édits, bannit cette ridicule mode : mais elle revint, & dura jusque bien avant dans le quinzieme siecle. Borel, dans son trésor, &c. prétend que les souliers à poulaine, étoient faits à la polonoise : car, dit-il, polaine, c'est la Pologne. (D.J.)
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POULANGIS | S. m. (Draperie) sorte de grosse tiretaine, de laine & fil, qui se fabrique en Bourgogne & en Picardie. (D.J.)
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POULE grasse | (Botan.) nom que les gens de la campagne donnent à la mâche, ou, pour parler en botaniste, à la grande espece de valérianelle sauvage, appellée par Tournefort, valerianella praecox, arvensis, humilis, semine compresso. Voyez VALERIANELLE. (D.J.)
POULE, s. f. (Ornitholog.) femelle du coq ; voyez COQ. Les poules dont on n'a pas négligé de se procurer les belles especes, offrent aux yeux une parure digne d'être admirée : les unes ont des taches distribuées avec une sorte de régularité, d'un blanc si vif, qu'il les a fait nommer des poules argentées ; d'autres portent le nom de poules dorées, parce qu'elles sont marquetées de taches qui brillent au soleil comme de l'or. Ce genre d'oiseaux, destinés à être toujours sous nos yeux, offre des couleurs dont on auroit peine à trouver les différentes nuances, en les cherchant dans ceux des forêts, des rivieres & de la mer, d'un très-grand nombre d'especes. Si nous ne leur voyons pas des couleurs aussi décidées que celles qui nous frappent dans certains oiseaux, ce n'est pas qu'elles n'aient été accordées à quelques-unes de leurs especes, mais c'est que nous avons négligé de nous rendre propres ces especes d'une singuliere beauté. Nous avons accoutumé à nos climats des poules des Indes orientales, des poules d'Afrique, quoique leur pays natal soit plus chaud que celui des provinces de la Chine, où vivent ces poules & ces coqs dorés par excellence, dont le plumage nous fait voir en même tems le vrai & le beau bleu, le rouge de ces oiseaux que nous nommons cardinaux, & le plus beau jaune du loriot. (D.J.)
POULE, POULARDE, &c. (Diete & Mat. méd.) On applique quelquefois sur la tête ou sur le côté, dans les maladies de ces parties, une poule ou un poulet qu'on a ouvert en vie, & encore tout chaud ; ce remede simple & domestique est peut-être trop négligé dans la pratique ordinaire de la Médecine. Au reste (comme nous l'avons déja observé du pigeon qu'on employe au même usage), la poule n'a en ce ci aucune qualité particuliere. Voyez PIGEON.
On fait sécher & on réduit en poudre la membrane du gésier de poule, & on la croit propre, étant prise intérieurement, à fortifier l'estomac, à arrêter le cours de ventre, & à exciter les urines ; mais ce remede qui est très-peu usité, paroît mériter très-peu de confiance.
La fiente de poule est regardée comme ayant à-peu-près les mêmes effets que celle de pigeon ; elle est recommandée pour les mêmes usages. On la croit cependant un peu moins chaude, moins active, & moins nitreuse.
Il y a dans ce Dictionnaire un article COQ, & un article CHAPON. (b)
POULE D'AFRIQUE, voyez PEINTADE.
POULE D'INDE, (Diete) la poule d'Inde engraissée, lorsqu'elle est sur le point d'avoir acquis tout son accroissement, c'est-à-dire lorsqu'elle a environ 9 ou 10 mois, ce qui arrive vers le mois de Janvier, fournit un mets très-salutaire & excellent quoique commun.
La chair de la poule d'Inde est plus savoureuse ou d'un meilleur suc que celle du dindonneau qu'on mange à la fin de l'été & en automne, parce qu'elle est plus faite. Elle est plus délicate que celle du mâle, c'est-à-dire du jeune coq d'Inde du même âge. Voyez COQ D'INDE. C'est pour cette raison qu'on n'envoye jamais du Périgord, du Limousin, du Quercy, &c. dans les autres provinces du royaume & principalement à Paris, que des jeunes poules d'Inde, farcies de truffes, & jamais des jeunes coqs d'Inde.
Au reste l'envoi de ces poules d'Inde farcies de truffes, fournit une observation, ou du-moins à un soupçon très-plausible, savoir que le parfum des truffes est antisceptique ou assaisonnant, condiens, car les poules d'Inde ainsi farcies de truffes, & par conséquent vuidées, sont encore très-fraiches au bout d'un mois, tandis que la volaille sent le relan si après l'avoir vuidée on la garde seulement 24 heures sans la faire cuire. (b)
POULE DE GUINEE, voyez PEINTADE.
POULE DE MER, voyez VIELLE.
POULE D'EAU, FOULQUE, FOUCQUE, FOULCRE, DIABLE, JUDELLE, JODELLE, JOUDARDE, BELLEQUE, fulica. Oiseau qui pese une livre huit onces ; il a environ un pié deux pouces & demi de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des doigts, & un pié 8 pouces jusqu'à l'extrêmité de la queue. Le bec est pointu, d'un blanc bleuâtre, & un peu applati ; il a un pouce & demi de longueur : la piece du dessus n'excede pas la piece du dessous. Les piés sont bleuâtres ou d'un brun verdâtre ; le doigt de derriere est petit ; il n'a qu'une seule membrane qui n'est pas faite en demi cercle comme dans les autres doigts, elle s'etend sur toute la longueur de celui de derriere. Les doigts de devant n'ont pas tous la même longueur, l'interne est un peu plus court que l'externe ; ils ont tous deux des membranes en demi cercle ; l'intérieur en a deux, celui du milieu trois, & l'extérieur en a quatre. Il y a sur la base du bec une excroissance charnue & molle, arrondie & dégarnie de plumes. La poule d'eau est presqu'entierement noire ; cette couleur se trouve plus foncée près de la tête que sur les autres parties du corps. La poitrine & le ventre ont une couleur brune bleuâtre. Les plumes du cou sont foibles, molles & fort serrées les unes contre les autres. Les 10 premieres grandes plumes des aîles ont une couleur brune noirâtre ; celle des 8 plumes qui suivent est plus claire ; enfin les intérieures sont d'une couleur noirâtre plus foncée. La queue a deux pouces de longueur, & elle est composée de 12 plumes. La poule d'eau fait son nid avec des tiges de chien-dent & des feuilles de roseau, sur les roseaux mêmes qui sont dans les eaux. Willughbi, ornit. Voyez OISEAU.
POULE D'EAU, (Diete) on mange beaucoup d'especes de cet oiseau : il est rare d'en trouver de bonnes ; elles sentent ordinairement le limon ou le poisson. Celles qui sont exemptes de ce défaut & qui sont grasses, ont une saveur très-délicate. Cependant on peut dire assez généralement que cet aliment ne convient qu'aux personnes qui se portent bien & aux bons estomacs. Il ne seroit pas prudent d'en servir aux convalescens, & aux estomacs foibles & difficiles. Ces oiseaux vivant principalement de vers, & peut-être de petits poissons, ce que nous avons observé à cet égard du vanneau peut leur être appliqué aussi. Voyez VANNEAU. (b)
POULE D'EAU, petite, voyez POULETTE D'EAU.
POULE PEINTADE, voyez PEINTADE.
POULE SULTANE, M. Perrault a décrit sous ce nom dans les mémoires de l'académie des sciences, un oiseau qu'il croit être le même que le porphirion des anciens, & l'oiseau pourpré des modernes. Cet oiseau avoit 2 piés 1 pouce de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des ongles, & 2 piés & demi d'enverjure. Ordinairement les oiseaux qui ont de longues jambes, ont aussi le cou long ; cependant dans celui-ci le cou étoit court & gros, il n'avoit que 3 pouces & demi de longueur, tandis que les jambes avoient 9 pouces depuis terre jusqu'au ventre. Le pié étoit très-long, car il avoit 7 pouces de longueur depuis l'extrêmité de l'ongle des plus grands doigts, jusqu'au bout du doigt postérieur. Cet oiseau se servoit de son pié comme les perroquets, pour prendre sa nourriture : son plumage étoit de cinq couleurs ; savoir, le bleu, le violet, le vert, le gris brun & le blanc. Il y avoit autour des yeux, sur le devant de la tête & au-dessous du cou, du bleu qui se changeoit insensiblement en violet sur le ventre & sur le derriere du cou. Le dessous & le derriere de la tête étoient d'un violet sale & tirant sur le gris brun ; le ventre & les cuisses avoient une couleur grise brune : le dos étoit vert, & les extrêmités des petites plumes avoient une couleur mélée de vert & de bleu, ce qui étoit cause que le dos paroissoit tantôt vert & tantôt bleu, parce que selon les différens aspects, il n'y avoit que l'une ou l'autre de ces couleurs qui fût apparente. La face supérieure des aîles étoit violette, & l'inférieure d'un gris brun ; les grandes plumes avoient les barbes intérieures noires ; cette couleur ne paroissoit que lorsqu'on étendoit les aîles. La queue étoit blanche en dessous, & d'un gris brun mêlé de noir en dessus. Le bec avoit une couleur rouge ; il étoit gros, long, pointu & un peu crochu à l'extrêmité : la piece supérieure avoit à sa racine un long prolongement qui s'étendoit jusqu'au-dessus de la tête, où il s'élargissoit en ovale d'un pouce de longueur, sur six lignes de largeur ; les jambes étoient rouges, & couvertes d'écailles toutes en forme de table ; il y avoit quatre doigts à chaque pié, trois en avant & un en arriere ; & ses ongles étoient longs, pointus & médiocrement crochus. Mémoires pour servir à l'histoire nat. des animaux, par M. Perrault, tom. III. part. III. Voyez OISEAU.
POULE, CUL DE POULE, FARCIN CUL DE POULE, (Maréchal) est une espece de farcin qui vient aux chevaux, & auquel on a donné ce nom à cause de sa figure. Voyez FARCIN.
POULE, au jeu de l'Ambigu, signifie les jettons que l'on a mis au jeu avant de faire pour la premiere fois.
POULE, en terme de jeu du Reversis, c'est les jettons que chaque joueur a mis dans un corbillon ou sur le tapis, dans un ou plusieurs tours.
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POULETS | four à, (Invent. égypt.) c'est en Egypte un bâtiment construit dans un lieu enfoncé en terre, & en forme de dortoir ; l'allée qui est au milieu a 4 ou 5 chambres à ses côtés de part & d'autre.
La porte de l'allée est fort basse & fort étroite : elle est bouchée avec de l'étoupe, pour conserver une chaleur continuelle dans toute l'étendue du four.
La largeur des chambres est de 4 ou 5 piés, & la longueur en a trois fois autant.
Les chambres ont double étage : celui d'en bas est à rez de chaussée ; celui d'en haut a son plancher inférieur, & ce plancher a une ouverture ronde au milieu : le plancher supérieur est voûté en dôme & pareillement ouvert.
Au lieu de porte, chaque étage a une petite fenêtre d'un pié & demi en rond.
L'étage inférieur est rempli de 4 ou 5 mille oeufs, & même plus ; car plus il y en a, & mieux l'entrepreneur y trouve son compte. D'ailleurs, cette multitude d'oeufs contribue à entretenir la chaleur, qui se communique à tous les oeufs accumulés les uns sur les autres.
L'étage supérieur est pour le feu. Il y est allumé durant 8 jours, mais non pas de suite, car la chaleur en seroit excessive & nuisible. On l'allume seulement une heure le matin & autant le soir ; c'est ce qu'on appelle le dîner & le souper des poulets. Ce feu se fait avec de la bouze de vache, ou avec de la fiente d'autres animaux, séchée & mêlée avec de la paille : on en exclud le bois & le charbon qui feroient un feu trop violent.
La fumée sort par l'ouverture de l'étage supérieur ; mais il faut remarquer que pendant que cet étage supérieur demeure ouvert, on ferme exactement avec de l'étoupe la petite fenêtre de l'étage inférieur, & le trou rond du dôme, afin que la chaleur se communique par l'ouverture du plancher dans cet étage d'en bas où sont les oeufs.
Le huitieme jour passé la scene change. On supprime le feu : l'étage où il étoit se trouvant vuide, est rempli d'une partie des oeufs qu'on tire d'en bas, pour les mettre au large & les distribuer également dans les deux étages ; les portes ou petites fenêtres de ces deux étages qui avoient été ouvertes, se ferment, & on ouvre à demi le trou du dôme pour donner de l'air.
Cet état des oeufs sans feu, est aidé seulement d'une chaleur douce & concentrée durant 13 jours ; car ces 13 jours joints aux 8 premiers, font 21 jours. C'est environ au dix-huitieme qu'un esprit vivifique commence à remuer le blanc de l'oeuf, & son germe déja formé : on le voit à-travers la coque s'agiter & se nourrir du jaune qu'il suce par le nombril.
Deux jours après, c'est-à-dire le vingtieme, le poussin applique son bec à la coque & la fend ; l'ouvrier avec son ongle élargit tant soit peu la breche, pour aider les foibles efforts du poussin.
Le vingt-unieme après midi, ou le vingt-deuxieme au matin, toutes les coques se rompent ; une armée de petites volatiles s'élance & se dégage chacune de sa prison : le spectacle en est ravissant. Les chambres du four paroissoient hier couvertes de coquilles inanimées, & on les voit remplies de presque autant d'oiseaux vivans ; je dis presque, car le nombre des coques excede le nombre des poussins. Le directeur du four ne répond que des deux tiers des oeufs ; ainsi l'entrepreneur remettant, par exemple, six mille oeufs entre les mains de l'ouvrier, n'exige de lui que quatre mille poussins à la fin de l'opération : le reste est abandonné au hasard, & il en périt près d'un quart.
Mais comme il arrive presque toujours que les oeufs réussissent au-delà des deux tiers, tout le profit n'est pas uniquement pour l'ouvrier ; l'entrepreneur y a sa bonne part. L'ouvrier est obligé de vendre à celui-ci pour six médins chaque centaine de poussins éclos au-delà des deux tiers ; & il faut observer que l'entrepreneur vendra les cent poussins tout au moins 30 médins.
Ce qui doit paroître surprenant, c'est que dans ce grand nombre d'hommes qui habitent l'Egypte, où il y a trois à quatre cent fours à poulets, il n'y ait que les seuls habitans du village de Bermé, situé dans le Delta, qui ayent l'industrie héréditaire de diriger ces fours ; le reste des Egyptiens l'ignore entierement : si on en veut savoir la raison, la voici.
On ne travaille à l'opération des fours que durant les six mois d'automne & d'hiver, les autres saisons du printems & de l'été étant trop chaudes & contraires à ce travail. Lorsque l'automne approche, on voit trois ou quatre cent berméens quitter les lieux où ils se sont établis, & se mettre en chemin pour aller prendre la direction des fours à poulets, construits en différens bourgs de ce royaume. Ils y sont nécessairement employés, parce qu'ils sont les seuls qui aient l'intelligence de cet art ; soit qu'ils aient l'industrie de le tenir secret, soit que nul autre égyptien ne veuille se donner la peine de l'apprendre & de l'exercer.
Les directeurs des fours à poulets sont nourris par l'entrepreneur : ils ont pour gage 40 ou 50 écus ; ils sont obligés de faire le choix des oeufs qu'on leur met entre les mains pour ne conserver que ceux qu'ils croyent pouvoir réussir. Ils s'engagent de plus à veiller jour & nuit pour remuer continuellement les oeufs, & entretenir le degré de chaleur convenable à cette opération ; car le trop de froid ou de chaud, pour petit qu'il soit, la fait manquer.
Malgré toute la vigilance & l'industrie du directeur, il ne se peut faire que dans ce grand nombre d'oeufs entassés les uns sur les autres dans le fourneau, il n'y en ait plusieurs qui ne viennent pas à bien : mais l'habile directeur sait profiter de sa perte, car alors il ramasse les jaunes d'oeufs inutiles, & en nourrit plusieurs centaines de poulets qu'il éleve & qu'il engraisse dans un lieu séparé & fait exprès : sont-ils devenus gros & forts, il les vend & en partage fidélement le profit avec l'entrepreneur.
Chaque four a 20 ou 25 villages qui lui sont attachés à lui en particulier. Les habitans de chaque village sont obligés, par ordre du bacha & du tribunal superieur de la justice, de porter tous les oeufs au four qui leur est assigné ; & il leur est défendu de les porter ailleurs, ou de les vendre à qui que ce soit, sinon au seigneur du lieu, ou aux habitans des villages qui sont du même district ; par ce moyen il est facile de comprendre que les fours ne peuvent manquer d'ouvrage. On trouvera la maniere de faire éclorre les oiseaux domestiques, par M. de Réaumur, les planches des fours à poulets d'Egypte, & un détail des plus complets sur cette matiere. Voyez aussi nos Pl. d'Agricul.
Les seigneurs retirent tous les ans des fours dont ils sont seigneurs, 10 ou 12 mille poussins pour les élever sans qu'il leur en coûte rien. Ils les distribuent chez tous les habitans de leur seigneurie, à condition de moitié de profit de part & d'autre, c'est-à-dire que le villageois qui a reçu 400 poussins de son seigneur, est obligé de lui en rendre 200, ou en nature ou en argent.
Tel est en Egypte l'art des Berméens pour faire éclorre des poulets sans faire couver les oeufs par des poules : ils savent construire de longs & spacieux fours, fort différens par leurs formes de ceux que nous employons à divers usages. Ces fours sont destinés à recevoir une très-grande quantité d'oeufs : par le moyen d'un feu doux & bien ménagé, ils font prendre à ceux qui y ont été arrangés une chaleur égale à celle que les poules donnent aux oeufs sur lesquels elles restent posées avec tant de constance. Après y avoir été tenus chauds pendant le même nombre de jours que les autres doivent passer sous la poule, arrive celui où plusieurs milliers de poulets brisent leur coque & s'en débarrassent.
Cette maniere qu'ont les Egyptiens de multiplier à leur gré des oiseaux domestiques dont on fait une si grande consommation, est de la plus grande antiquité, quoiqu'elle n'ait été imitée dans aucun autre pays. Diodore de Sicile, & quelques autres anciens nous ont dit, mais se sont contentés de nous dire, que les Egyptiens faisoient depuis long-tems éclorre des poulets dans les fours. Pline avoit probablement ces fours d'Egypte en vûe lorsqu'il a écrit : sed inventum ut ova in callido loco imposita paleis, igne modico foverentur, homine versante pariter die ac nocte, & statuto die illinc erumpere foetus.
Les voyageurs modernes, Monconys & Thevenot, si on peut encore les mettre dans le rang des modernes, le P. Sicard, M. Granger & Paul Lucas, nous ont donné à ce qu'il paroît des instructions assez amples sur cette matiere. Il est vrai que le P. Sicard nous avertit lui-même que la maniere de faire éclorre les poulets en Egypte, n'est connue que par les habitans du village appellé Bermé ; ils l'apprennent à leurs enfans & le cachent aux étrangers.
Cet art pourtant que les Berméens se réservent, n'a que deux parties, dont l'une a pour objet la construction des fours ; celui de l'autre est de faire ensorte que les oeufs y soyent couvés comme ils le seroient sous une poule. Ce n'est pas dans ce qui regarde la premiere partie qu'on a mis du mystere : l'extérieur des fours est celui d'un bâtiment exposé aux yeux des passans, & on n'interdit aux étrangers ni la vûe, ni l'examen de leur intérieur ; on leur permet d'entrer dedans. La science qu'ont les Berméens, & qu'ils ne veulent pas communiquer, ne peut donc être que celle de faire que les oeufs soyent couvés comme ils le doivent être, pour que les poulets se développent dans leur intérieur & parviennent à éclorre ; le point essentiel pour y réussir, est de les tenir dans le degré de chaleur convenable, de savoir regler le feu qui échauffe les fours.
Pour enlever cette science aux Berméens, on n'auroit peut-être qu'à le vouloir ; leur longue expérience ne sauroit être un guide aussi sûr pour conduire à entretenir un degré de chaleur constant dans un lieu clos, que le thermometre, instrument dont l'usage leur est inconnu. Avec le thermometre il est aisé de savoir quel est le degré de chaleur qui opere le développement & l'accroissement du germe dans chacun des oeufs sur lesquels une poule reste posée, il ne faut qu'en tenir la boule placée au milieu des oeufs qu'elle couve. Or ce degré de chaleur est environ le trente-deuxieme du thermometre de M. de Réaumur. C'est donc une chaleur constante de trente-deux degrés ou environ, qu'il faudroit entretenir dans le lieu où l'on voudroit que des oeufs soyent couvés d'une maniere propre à en faire naître des poulets.
Ce degré de chaleur propre à faire éclorre des poulets, est à-peu-près celui de la peau de la poule, & pour dire plus, celui de la peau des oiseaux domestiques de toutes les especes connues. Dans nos basses-cours on donne à couver à une poule des oeufs de dinde, des oeufs de canne, on donne à la canne des oeufs de poule. Les petits ne naissent ni plus tôt, ni plus tard sous la femelle d'une espece différente de celle de la femelle qui a pondu les oeufs, qu'ils ne seroient nés sous cette derniere.
Il est encore à remarquer que ce degré de chaleur est à-peu-près celui de la peau des quadrupedes & de la peau de l'homme. Aussi Livie, selon le rapport de Pline, réussit à faire éclorre un poulet dans son sein, ayant eu la patience d'y tenir un oeuf pendant autant de jours qu'il eût dû rester sous une poule.
Il est non seulement indifférent au développement du germe renfermé dans l'oeuf, de quelle espece, de quel genre & de quelle classe que soit l'être animé qui lui communique un degré de chaleur de trente-deux degrés ou à-peu-près, il est même indifférent à ce germe de recevoir ce degré de chaleur d'un être inanimé, de la devoir à une matiere qui brûle, ou à une matiere qui fermente, son développement & son accroissement seront toujours opérés avec le même succès par ce degré de chaleur, quelle que soit la cause qui le produise, pourvû que cette cause n'agisse pas autrement sur l'oeuf, que par la chaleur convenable. Les anciens égyptiens ont donc raisonné sur un bon principe de physique, quand ils ont pensé qu'on pouvoit substituer la chaleur d'un four, semblable à celle de la poule, pour couver des oeufs ; les expériences qui en ont été faites chez eux sans interruption depuis un tems immémorial, ont confirmé la vérité de leur principe.
Il est vrai que les voyageurs modernes ne s'accordent pas dans les récits qui regardent la construction des fours à poulets, nommés mamals par les Egyptiens, non plus que sur d'autres détails qui concernent le couvement des oeufs. Cependant ils sont assez d'accord dans l'essentiel, pour guider un homme intelligent. Avec les desseins de Monconys & du P. Sicard, on pourroit faire bâtir aisément des fours dans le goût de ceux d'Egypte, & les employer au même usage. Il ne seroit pas non plus impossible d'avoir un de ces Berméens dont l'exercice de l'art de couver les oeufs est la principale occupation. Thevenot nous apprend que le grand-duc pour satisfaire une curiosité louable qui a été l'apanage des Médicis, fit venir d'Egypte un de ces hommes habiles dans l'art de faire naître des poulets, & qu'il en fit éclorre à Florence aussi bien qu'ils éclosent en Egypte.
Le P. Sicard donne quatre à cinq chambres à chaque rang du rez-de-chaussée d'un mamal d'Egypte. M. Granger en met sept, Monconys dix ou douze, & Thévenot les borne à trois. Apparemment qu'il y a en Egypte des mamals de différentes grandeurs : aussi le P. Sicard dit qu'on fait couver dans ces fours quarante mille oeufs à la fois, & Monconys dit quatrevingt mille, différence qui est dans le même rapport que celle des capacités des mamals dont ils parlent.
Au rapport de M. Granger c'est sur des nattes que les oeufs sont posés dans chaque chambre du rez de chaussée ; Thévenot les y fait placer sur un lit de bourre ou d'étoupe, ce qui est assez indifférent : c'est-là qu'ils doivent prendre une douce chaleur, dans laquelle ils demandent à être entretenus pendant un certain nombre de jours.
Les poulets n'éclosent des oeufs couvés par des poules, que vers le vingt-unieme jour ; ils n'éclosent pas plus tôt dans les fours d'Egypte : mais ce qu'on n'auroit pas imaginé, c'est que plusieurs jours avant celui où ils doivent naître, il seroit inutile & même dangereux d'allumer du feu dans le four. Après un certain nombre de jours toute sa masse a acquis un degré de chaleur qu'on y peut conserver pendant plusieurs autres jours au moyen de quelques légeres précautions, malgré les impressions de l'air extérieur, sans aucune diminution sensible, ou sans une diminution dont les poulets puissent souffrir.
Ce terme au bout duquel on cesse de faire du feu dans les fours, est encore un des articles sur lequel les voyageurs qui en ont parlé ne sont pas d'accord. Je ne sais si la différence de température d'air dans différens mois est suffisante pour les concilier ; ou si l'on ne doit pas croire plutôt que n'ayant pu suivre l'opération pendant toute sa durée, ils ont été obligés de s'en rapporter aux instructions qu'on leur a données, qui n'ont pas toujours été bien fideles. Le P. Sicard & M. Granger nous assurent que ce n'est que pendant les 8 premiers jours qu'on allume du feu dans le four ; Monconys veut qu'on y en fasse pendant 10 jours consécutifs : Thévenot dit aussi qu'on chauffe le four pendant 10 jours. Mais faute d'avoir été bien informé, ou pour avoir mal entendu ce qu'on lui a raconté de la maniere dont on conduit les fours ; il ajoute que ce n'est qu'après qu'ils ont été chauffés pendant ces 10 jours qu'on y met les oeufs, & que les poulets en éclosent au bout de 12 jours. Cette derniere assertion apprend qu'il a confondu un déplacement d'une partie des oeufs dont nous allons parler, avec leur premiere entrée dans le four.
Tous ces auteurs conviennent au moins que les oeufs sont fort bien couvés pendant plusieurs jours dans le four, quoiqu'on n'y fasse plus de feu. Lorsque le jour où l'on cesse d'y en allumer est arrivé, on fait passer une partie des oeufs de chaque chambre inférieure dans celle qui est au-dessus. Les oeufs étoient trop entassés dans la premiere, on songe à les étaler davantage : c'est bien assez pour le poulet lorsqu'il est prêt à naître, d'avoir à briser sa coque & d'en sortir, sans le mettre dans la nécessité d'avoir à soulever le poids d'un grand nombre d'oeufs ; il périroit après avoir fait des efforts inutiles pour y parvenir. Le recit de M. Granger differe encore de celui des autres sur l'article du déplacement d'une partie des oeufs, en ce qu'il ne fait transporter une partie de ceux de l'étage inférieur au supérieur, que 6 jours après que le feu a été totalement éteint, c'est-à-dire que le quatorzieme jour.
Lorsqu'une partie des oeufs de chaque chambre inférieure a été portée dans la chambre supérieure, on bouche avec des tampons d'étoupes toutes les portes des chambres & celle de la galerie ; mais on ne bouche qu'à demi, au rapport du P. Sicard, les ouvertures des voûtes des chambres ; on y veut ménager une circulation d'air. Cette précaution suffit pour conserver au four pendant plusieurs jours, la chaleur qu'on lui a fait acquérir, il ne faut qu'ôter à son inférieur une trop libre communication avec l'air extérieur. En tout pays un four dont la masse seroit aussi considérable, & qui auroit été aussi bien clos, ne se refroidiroit que lentement ; mais le refroidissement doit être d'autant plus lent, que la température de l'air extérieur est moins différente de celle de l'air de l'intérieur du four ; & la différence entre la température de l'un & celle de l'autre, n'est pas grande en Egypte.
Enfin les difficultés qui consistent à bâtir des fours semblables à ceux d'Egypte, & d'en regler la chaleur, ne sont pas impossibles à vaincre. Mais la premiere dépense de la construction de tels fours, le manque d'hommes capables de les conduire, la peine qu'on auroit à en former qui le fussent, la difficulté de rassembler une suffisante quantité d'oeufs qui ne fussent pas trop vieux, la difficulté encore plus grande d'élever dans nos pays tempérés tant de poulets nés dans un même jour, & qui ont besoin de meres pour les défendre contre la pluie, & sur tout contre le froid qui dans nos climats se fait sentir pendant les nuits, & même pendant les jours d'été, sont des obstacles invincibles, qui nous empêcheront toujours de prendre la méthode des fours d'Egypte pour y faire éclorre des poulets. (D.J.)
POULET, POULE, POULARDE, (Diet. & Mat. médic.) la vieille poule fournit un très-bon suc lorsqu'on la fait bouillir avec d'autres viandes pour en préparer des potages, & même lorsqu'elle est grasse, sa chair bouillie est assez agréable au goût, & fort salutaire ; elle convient sur-tout aux convalescens.
La jeune poule engraissée, ou la poularde, a les avantages & les inconvéniens des viandes très-délicates & grasses. Voyez CHAPON & GRAISSE, Diete. Les estomacs délicats s'en accommodent très-bien ; elle fournit d'ailleurs un chyle salutaire. Une poularde très-grasse n'est pas un aliment propre à un estomac très-vigoureux.
Le poulet médiocrement gras, & qui ne devient jamais très-gras, fournit un aliment plus généralement sain que le précedent.
L'usage du poulet, à titre de médicament, ou dumoins d'aliment médicamenteux, est aussi connu que son usage diétetique ; il entre très-ordinairement dans les bouillons rafraîchissans & adoucissans avec des herbes de vertu analogue, des semences farineuses, &c. C'est une erreur, & dans laquelle tombent même des médecins de réputation, que de farcir de semences froides, qui sont émulsives, les poulets destinés à cet usage ; car les semences émulsives ne donnent rien par la décoction. Voyez SEMENCES EMULSIVES.
L'eau de poulet qui est fort usitée dans les maladies inflammatoires, & dont ordinairement on n'évalue pas assez bien la qualité légerement alimenteuse, n'est autre chose qu'un bouillon étendu, aqueux, une espece de brouet qu'on employeroit plus utilement dans les cas où il est d'usage, pour tenir lieu de bouillon, qu'à titre de tisane, & sans rien retrancher de la dose accoutumée du bouillon, comme on le fait ordinairement.
Au reste, soit pour préparer le bouillon de poulet, soit pour préparer l'eau de poulet, on a coutume de l'écorcher ; cette pratique est assez inutile.
POULETS SACRES, (Divination des Romains) c'étoient des poulets que les prêtres élevoient du tems des Romains, & qui servoient à tirer les augures. On n'entreprenoit rien de considérable dans le sénat, ni dans les armées, qu'on n'eût auparavant pris les auspices des poulets sacrés. La maniere la plus ordinaire de prendre ces auspices, consistoit à examiner de quelle façon ces poulets usoient du grain qu'on leur présentoit. S'ils le mangeoient avec avidité en trépignant & en l'écartant çà & là, l'augure étoit favorable ; s'ils refusoient de manger & de boire, l'auspice étoit mauvais, & on renonçoit à l'entreprise pour laquelle on consultoit. Lorsqu'on avoit besoin de rendre cette sorte de divination favorable, on laissoit les poulets un certain tems dans une cage, sans manger ; après cela les prêtres ouvroient la cage, & leur jettoient leur mangeaille. On faisoit venir ces poulets de l'île de Négrepont. On fut fort exact chez les Romains à ne point donner de faux auspices tirés des poulets sacrés, depuis la funeste aventure de celui qui s'en avisa sous L. Papirius Cursor, consul, l'an de Rome 482.
Il faisoit la guerre aux Samnites, dit Tite-Live, l. X. & dans les conjonctures où l'on étoit, l'armée romaine souhaitoit avec une extrême ardeur que l'on en vînt à un combat. Il fallut auparavant consulter les poulets sacrés ; & l'envie de combattre étoit si générale, que quoique les poulets ne mangeassent point quand on les mit hors de la cage, ceux qui avoient soin d'observer l'auspice, ne laisserent pas de rapporter au consul qu'ils avoient fort bien mangé. Sur cela le consul promet en même tems à ses soldats & la bataille, & la victoire. Cependant il y eut contestation entre les gardes des poulets sur cet auspice, qu'on avoit rapporté à faux. Le bruit en vint jusqu'à Papirius, qui dit qu'on lui avoit rapporté un auspice favorable, & qu'il s'en tenoit-là ; que si on ne lui avoit pas dit la vérité, c'étoit l'affaire de ceux qui prenoient les auspices, & que tout le mal devoit tomber sur leur tête. Aussi-tôt il ordonna qu'on mît ces malheureux aux premiers rangs ; & avant qu'on eût donné le signal de la bataille, un trait partit sans qu'on sût de quel côté, & alla percer le garde des poulets qui avoit rapporté l'auspice à faux. Des que le consul sut cette nouvelle, il s'écria : " Les dieux sont ici présens, le criminel est puni ; ils ont déchargé toute leur colere sur celui qui la méritoit, nous n'avons plus que des sujets d'espérance ". Aussi-tôt il fit donner le signal, & il remporta une victoire entiere sur les Samnites. Il y a bien apparence, dit M. de Fontenelle, que les dieux eurent moins de part que Papirius à la mort de ce pauvre garde de poulets, & que le général en voulut tirer un sujet de rassurer les soldats, que le faux auspice pouvoit avoir ébranlés. (D.J.)
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POULETTE D'EAU | PETITE POULE D'EAU, (Ornitholog.) gallicula, cloropus major Aldrovandi, Wil. oiseau qui ressemble beaucoup à la poule d'eau par la forme du corps, qui en differe en ce qu'il est plus petit. Il a le corps applati par les côtés ; ce caractere est commun à tous les oiseaux de ce genre. La poulette d'eau femelle pese douze onces, elle a près d'un pié quatre pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'au bout des doigts, & un pié jusqu'à l'extrêmité de la queue. Le mâle est plus grand que la femelle ; il a treize pouces, & plus de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de sa queue ; il pese quinze onces ; l'envergeure est d'environ un pié huit pouces. Le bec a deux pouces de longueur depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche ; la piece inférieure est d'un blanc jaunâtre depuis la pointe jusqu'à l'angle, le reste a une couleur rougeâtre. Il y a sur le devant de la tête un tubercule rond, dégarni de plumes, qui ne differe de celui de la poule d'eau, qu'en ce qu'il est rouge au-lieu d'être blanc. Tant que ces oiseaux sont jeunes, ils n'ont pas le tubercule dont nous venons de parler, ni le bec rouge. La langue est un peu large, & elle a quelque poil à son extrêmité. Les yeux ont l'iris rouge, la paupiere inférieure n'est pas couverte de plumes. Les piés sont verdâtres ; le doigt du milieu est le plus long, & ensuite l'extérieur. Tous les doigts ont la partie inférieure plus large & plus applatie que ceux des autres oiseaux fissipedes. Les jambes sont couvertes de plumes presque jusqu'au genou ; on voit entre cette articulation & les plumes une tache rouge. Il y a sur la base de chaque aîle une ligne blanche qui s'étend sur toute sa longueur. La poitrine a une couleur plombée. Le ventre est cendré. Les plumes du dessous de la queue sont blanches. Le dos & les petites plumes des aîles ont une couleur de rouille. Toutes les autres parties de cet oiseau sont noires. On distingue le mâle de la femelle en ce qu'il a les plumes du dessous de la queue plus blanches, le ventre plus cendré & le dos d'une couleur de rouille plus foncée. Cet oiseau a la chair très-délicate ; il se perche sur les arbres épais qui se trouvent près des eaux ; il niche dans les haies & sur les arbres qui sont près des rivieres ; il couve deux ou trois fois chaque été. Les oeufs ont l'une de leurs extrêmités pointue ; ils sont d'un blanc verdâtre mêlé de taches d'un brun rougeâtre. Willughby, Ornit. Voyez OISEAU.
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POULEVRIN | S. m. terme d'Artificier & d'Artilleur : on écrase la poudre pour amorcer les pieces, & l'on en fait même quelquefois des trainées un peu longues sur le corps de la piece quand la lumiere est trop ouverte, & que l'on craint qu'en prenant feu la poudre ne jette en l'air le boute-feu du canonnier. Cette poudre écrasée, qui est souvent de la plus fine, s'appelle poulevrin. Voyez POUDRE.
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POULIAS | S. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que sur la côte de Malabar on nomme une tribu ou classe d'hommes qui vivent du travail de leurs mains, parmi lesquels sont tous les artisans. Jamais il ne leur est permis de sortir de leur état, ni de porter les armes même dans la plus grande extrêmité. Ces hommes utiles, par une barbarie incroyable, sont si méprisés par ceux des tribus ou classes supérieures, qu'il ne leur est point permis d'entrer dans les maisons, ni de converser avec eux. Une maison dans laquelle un poulia seroit venu, est regardée comme souillée. Cependant les poulias sont moins détestés que les poulichis, que les Malabares regardent comme les derniers des hommes. Voyez POULICHIS. Lorsqu'un poulia ou artisan rencontre sur le chemin un naïre, ou noble, il est obligé de se ranger de côté, sans quoi il court risque d'être maltraité ou même tué impunément. Ces infortunés sont si méprisés, que les bramines ou prêtres n'acceptent point leurs offrandes, à moins qu'elles ne soient en or ou en argent. Lorsqu'ils font des présens à leur prince, ils sont obligés de les mettre à terre, après quoi ils se retirent de vingt pas, alors un naïre, ou garde du prince va les ramasser. Cela n'empêche point le souverain & les nobles de leur faire éprouver toutes sortes d'extorsions pour leur tirer de l'argent, & l'on ne se fait aucun scrupule de les mettre à mort sur le moindre soupçon. On dit que l'origine du mépris & de l'horreur que les Malabares ont pour la tribu des poulias, vient de ce que ces malheureux mangent des charognes, & de la viande des vaches & des boeufs qui sont morts naturellement. On les accuse aussi de voler les tombeaux des Malabares, où l'on est dans l'usage d'enterrer une partie de leurs richesses.
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POULICHE | ou POULINE, cavale nouvellement née. Il se dit des cavales jusqu'à trois ans.
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POULICHIS | ou PULCHIS, s. m. (Hist. mod.) c'est une classe d'hommes qui chez les Malabares est regardée comme indigne de participer aux avantages de l'humanité. Il ne leur est point permis de bâtir des maisons sur la terre ni dans les champs, les forêts sont leur unique habitation, & ils forment sur les branches des arbres des especes de niches dans lesquelles ils demeurent comme des oiseaux. Lorsqu'ils rencontrent quelqu'un, ils se mettent à hurler comme des chiens, & ils se sauvent de peur d'offenser ceux d'une tribu supérieure, & sur-tout les naïres ou soldats, qui ne manqueroient pas de les tuer pour oser respirer le même air qu'eux. Les poulichis n'ont point le droit de labourer, de semer ou de planter ailleurs que dans des endroits écartés & sauvages. Ils sont obligés de voler pendant la nuit de quoi ensemencer leurs terres, & on les tue sans miséricorde lorsqu'on les attrape sur le fait. Lorsqu'ils ont besoin de nourriture, ils se mettent à hurler comme des bêtes féroces aux environs de leur bois, jusqu'à ce que quelques indiens charitables viennent leur donner un peu de riz, de cocos ou des fruits, qu'ils placent à vingt pas du malheureux qu'ils veulent secourir ; il attend qu'ils soient partis pour s'en saisir, & il se sauve ensuite dans les bois. Ces hommes infortunés n'ont d'autre culte que celui qui leur vient en fantaisie ; un arbre ou quelques branches arrangées leur servent de temple, ils adorent pendant la journée un serpent, un chien, ou le premier animal qui se présente à eux le matin. Cependant on dit qu'ils n'admettent qu'un Dieu suprème, & ils croyent la métempsycose ou la transmigration des ames.
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POULIE | S. f. (Méch.) est une des cinq principales machines dont on traite dans la Statique. Elle consiste en une petite roue, qui est creusée dans sa circonférence, & qui tourne autour d'un clou ou axe placé à son centre ; on s'en sert pour élever des poids par le moyen d'une corde, qu'on place & qu'on fait glisser dans la rainure de la circonférence. Voyez PUISSANCES, MECHANIQUES, MACHINE, LEVIER, FORCES MOUVANTES &c. les latins l'appellent trocles.
L'axe sur lequel la poulie tourne, se nomme goujon ou boulon ; & la piece fixe de bois ou de fer dans lequel on le met, l'écharpe ou la chape.
Théorie de la poulie O. Si une puissance P, Planche méchan. fig. 49. soutient un poids 2 par le moyen d'une poulie simple A B, de maniere que la direction du poids & celle de la puissance soyent tangentes de la circonférence de la poulie, le poids sera égal à la puissance. Donc lorsque la direction de la puissance & du poids sont tangentes de la circonférence, la poulie simple n'aide point la puissance & ne lui nuit pas non plus, mais seulement en change la direction.
Par conséquent l'usage de la poulie est principalement de changer une direction verticale en horisontale, ou une direction qui devroit être de bas en haut, en une direction de haut en bas ; & réciproquement.
C'est aussi principalement par-là, qu'elle est avantageuse. En effet, supposons que plusieurs hommes veuillent élever à une grande hauteur un des gros poids EFG, fig. 49. n. 2. par le moyen d'une corde A B, en tirant cette corde de haut en bas. Si la corde vient à se rompre, la tête des ouvriers qui se trouveront dessous, sera dans un très-grand danger. Mais si par le moyen de la poulie B, la direction verticale A B est changée en horisontale, il n'y a plus rien à craindre de la rupture de la corde. La poulie B est appellée dans ce cas poulie de renvoi, parce qu'elle sert à faire agir la puissance dans un sens différent de celui du poids.
Le changement de direction occasionné par la poulie, a encore cet autre avantage, que si une puissance a plus de force dans une direction que dans une autre, elle peut agir par le moyen de la poulie dans la direction favorable.
Par exemple, un cheval ne peut tirer verticalement, mais tire avec beaucoup de force dans le sens horisontal. Ainsi, en changeant la direction verticale en horisontale, on peut faire élever un poids à un cheval par le moyen d'une poulie.
De même on se sert avec avantage de la poulie pour élever différens poids, par exemple, des seaux remplis d'eau, car quoique la force qu'on employe pour élever le poids, ne soit qu'égale au poids, cependant elle est appliquée d'une maniere très-avantageuse, parce que la pesanteur du corps de la personne qui tire, aide & favorise le mouvement des bras.
Lorsque les deux puissances P & 2 agissent suivant des directions paralleles, c'est-à-dire, lorsque la corde embrasse la moitié de la circonférence de la poulie, alors l'appui C est chargé par une force égale à la somme des deux puissances. Il n'en est pas de même lorsque les puissances P & 2 ne sont point paralleles, car alors la charge de l'appui C est moindre que la somme de ces puissances ; mais ces puissances pour être en équilibre doivent toujours être égales.
M. Varignon démontre les propriétés de la poulie de la maniere suivante. Il suppose que les directions de la puissance & du poids soyent prolongées jusqu'à ce qu'elles se rencontrent, après quoi il réduit par le principe de la composition des forces, ces deux puissances en une seule ; or pour qu'il y ait équilibre, il faut que cette derniere puissance soit soutenue par le point d'appui C, c'est-à-dire que sa direction passe par C. De-là il est aisé de conclure que les puissances P & 2 doivent être égales pour faire équilibre, & que la charge de l'appui C, qui n'est autre chose que la puissance ou force qui résulte des deux puissances P & 2, n'est jamais plus grande que leur somme. Si les puissances P & 2 sont paralleles, alors M. Varignon considere le point de concours comme infiniment éloigné, ce qui ne fait que simplifier les démonstrations. Voyez APPUI, LEVIER, &c.
On peut regarder la poulie comme l'assemblage d'une infinité de leviers fixes autour du même point C, & dont les bras sont égaux ; & c'est cette égalité de bras qui fait que la puissance n'est jamais plus grande que le poids. Il est inutile d'avertir ici que nous faisons abstraction du poids & du frottement des cordes ; car on conçoit aisement que moyennant ce poids & ce frottement, il faudra plus de 100 livres d'effort pour enlever un poids de 100 livres.
La poulie est principalement utile quand il y en a plusieurs réunies ensemble. Cette réunion forme ce que Vitruve & plusieurs autres après lui, appellent polyspaston, & ce qu'on appelle en françois moufle. L'avantage de cette machine est de tenir peu de place, de pouvoir se remuer aisément, & de faire élever un très-grand poids à une force très-médiocre.
L'effet des poulies multiples est fondé sur les théorèmes suivans. 1°. Si une puissance E, fig. 50. soutient un poids attaché au centre d'une poulie A B, elle sera la moitié de ce poids ; on suppose que la corde est attachée en D, ou soutenue de quelque maniere que ce soit. 2°. Si une puissance appliquée en B, fig. 50. soutient un poids F, par le moyen de plusieurs poulies, de maniere que toutes les cordes A B, H I, G F, E L, C D, soyent paralleles l'une à l'autre, la puissance sera au poids, comme l'unité est au nombre des cordes H I, G F, E L, C D, tirées par le poids F, c'est-à-dire, comme l'unité est au nombre des poulies prises ensemble.
Donc le nombre des poulies & la puissance étant donnés, il est facile de trouver le poids que cette puissance peut soutenir ; ou le nombre des poulies & le poids étant donnés, de trouver la puissance, ou enfin de trouver le nombre des poulies, la puissance & le poids étant donnés. Voyez POLYSPASTON ou POULIE MULTIPLE, ou MOUFLE.
Si une puissance fait mouvoir un poids par le moyen de différentes poulies, l'espace que décrit la puissance sera à l'espace que décrit le poids dans le même tems, comme le poids est à la puissance.
Donc plus la force qui leve le poids est petite, plus aussi le poids se leve lentement, desorte que l'épargne de la force est composée par la longueur du tems. Wolf & Chambers. (O)
POULIES PLATES DE BOULINES, (Marine) ce sont des poulies qui tiennent à un pendeur sous la hune. C'est où sont passées les balancines des grandes vergues.
Poulies de palan, c'est une moufle double où il y a deux poulies l'une sur l'autre, quelquefois trois, & quelquefois jusqu'à quatre, & alors ces mouffles ou poulies s'appellent poulie de palan debout, poulie de sabord, poulie de grande drisse. C'est une moufle fort longue, qui sert à hisser & à amener la grande vergue.
C'est où la grande étague est passée. Il y a dans cette moufle trois poulies sur le même aissieu, sur quoi passe la grande drisse, dont l'usage est de hisser & d'amener la grande vergue.
Poulie de drisse de misene, c'est celle qui avec l'étague sert à hisser & à amener la vergue de misene.
Poulie de drisse de sivadiere, poulie d'étague de grand hunier ; c'est une poulie qui est double ou simple. Elle tient au bout de l'étague de hune ; la fausse étague y est passée, & elle sert à hisser & à amener la vergue de grand hunier.
Poulie de guinderesse, c'est une grosse poulie qui a sa moufle entourée d'un lien de fer, au bout duquel est un croc dont l'usage est de hisser & d'amener les mâts de hune.
Poulie de pendeur, poulie de retour, c'est une poulie qui est opposée à une autre poulie qu'on employe au même usage.
Poulies de retour, d'écoutes, de hunes ; ce sont des grosses poulies qui tiennent par une herse sous les vergues, près des hunes par où sont passées les écoutes des hunes.
Poulie étrope, c'est une poulie qui a une étrope, autrement une herse.
Poulie détropée, c'est une poulie qui est sortie de l'étrope.
Poulie d'écoute de misene, & d'écoute de sivadiere ; ce sont des poulies qui sont à l'avant des grands haubans, dont le côté du vaisseau sert de moufle.
Poulies d'écoutes de hune, ce sont celles qui sont au bout des grandes vergues où sont passées les écoutes des hunes & les balancines.
Poulies de caliorne, ce sont des poulies à trois rouets sur un même aissieu.
Poulie de capon, poulie de bloc ; c'est la poulie qui sert à la cargue bouline.
POULIE, partie du métier à bas. Voyez cet article.
POULIE, (Horlogerie) espece de cercle dont la circonférence est faite en rainure pour contenir une corde.
POULIES, les, (Rubanier) servent à élever les hautes lisses par le mouvement que le tirant leur fait faire. Il faut 48 poulies dans le châtelet pour faire mouvoir les 24 hautes lisses.
POULIES, partie du métier d'étoffes de soie. Les poulies dont on se sert pour le métier des étoffes de soie, sont toutes de bois qu'on appelle buis ; elles sont de différentes grosseurs, & faites à l'ordinaire.
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POULIEUR | (Marine) faiseur de poulies.
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POULINER | (Maréchall.) se dit d'une jument qui met bas.
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POULINIERE | voyez JUMENT.
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POULIOT | S. m. (Botan.) Cette plante nommée en anglois the penny-royal, & en latin pulegium, ne constitue point de genre particulier ; c'est l'espece commune de la menthe aquatique, qui a toutes les vertus atténuantes, apéritives & utérines de la menthe. Voyez donc MENTHE. (D.J.)
POULIOT commun, ou POUILLOT royal, (Mat. médic.) Cette plante est très-analogue à la menthe, avec laquelle les Botanistes & les Pharmacologistes ont coutume de la ranger. On peut donc estimer ses propriétés médicinales d'après ce que nous avons dit de la menthe, & regarder le pouillot comme succédané de cette derniere plante. Voyez MENTHE. (b)
POULIOTS, terme de Tisserand ; ce sont deux morceaux de bois suspendus par-en-haut au porte-lame, & dans lesquels par en-bas sont placées les poulies, qui par le moyen d'une corde font hausser une lame tandis que l'autre baisse.
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POULPE | Voyez POLYPE DE MER.
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POULS | (Med. Econom. anim. Physiol. Séméïot.) en latin pulsus, en grec. Ce mot a été formé dans l'ancienne prononciation, où les u avoient le son de l'ou, de pulsus, qui vient lui-même de pulsare, nom qui signifie battre, frapper. On s'en servit d'abord pour exprimer le battement du coeur & des arteres, c'est-à-dire ce double mouvement de diastole & de systole, par lesquels les parois de l'artere ou du coeur écartés l'un de l'autre, viennent frapper la main ou les corps voisins, & ensuite se retirent & se rapprochent mutuellement. En ce sens & suivant l'étymologie, pouls est synonyme à pulsation : les anciens confondoient l'un & l'autre sous le nom de ; les modernes ont attaché à ces noms des idées un peu différentes, appellant pulsation un seul battement des arteres, abstraction faite de toute suite, de tout ordre, & de toute comparaison ; & par pouls ils entendent une suite de pulsations. Voyez PULSATION.
Avant Hippocrate on connoissoit peu le pouls : on le confondoit avec toute sorte de mouvemens naturels ou contre nature, du coeur & des arteres, auxquels on avoit donné le nom de palpitation, . Galien parle d'un ouvrage d'Oegimius Veliensis, qui traite du pouls sous le nom de palpitation : le même auteur nous apprend qu'Hippocrate a le premier distingué le pouls d'avec les autres mouvemens, & qu'il a introduit pour le désigner le mot grec , dérivé de , battre, s'élever ; il a cependant beaucoup négligé cette partie intéressante de la Médecine ; il n'a que très-rarement fait attention à la valeur de ce signe : on voit seulement par quelques endroits (épidem. lib. II. & IV. praenot. coacor. cap. iij. n °. 34. & cap. xv. n °. 6. &c.) qu'il ne l'ignoroit pas entierement.
Hérophile, qui suivant le sentiment le plus reçu vivoit près de deux siecles après ce législateur de la Médecine, fut le premier qui s'adonna sérieusement à l'étude du pouls ; il fit des progrès dans cette connoissance : il avoit laissé quelques ouvrages écrits avec beaucoup d'exactitude sur cette doctrine, mais il ne nous en est parvenu aucun. Ils sont d'autant plus regrettés, qu'ils contenoient vraisemblablement plus de faits que de raisonnemens ; car il étoit, au rapport de Galien, demi-empirique : & que nous y aurions vû en même tems les motifs qui déterminerent Hérophile à ces recherches, la maniere dont il s'y prit, la nature, les progrès & les succès de ses découvertes ; objets toujours curieux par eux-mêmes, & qui ne sont presque jamais sans utilité. Pline prétend qu'Hérophile exigeoit que ceux qui s'appliquoient à l'étude du pouls, fussent musiciens & géometres, pour pouvoir connoître parfaitement la cadence du pouls & sa mesure, selon les âges & les maladies ; & il ajoute que la grande subtilité qu'il avoit mêlée dans cette connoissance éloigna beaucoup de medecins de cette étude, & diminua considérablement le nombre de ses sectateurs. Lib. XXIX. cap. j. M. Le Clerc prétend justifier Hérophile sur ces deux points (hist. de la Médec. part. II. liv. I. chap. vij.), mais il paroît que Pline a raison sur le premier, & qu'Hérophile avoit beaucoup tiré de la musique pour bâtir sa doctrine. Voyez RYTHME. Quand au second point, savoir que la secte d'Hérophile fut presque abandonnée, deserta deinde & haec secta est (Plin. ibid.), cette assertion de Pline est évidemment fausse, car Hérophile eut de son vivant & après sa mort, un grand nombre de partisans, comme l'assurent Galien & Strabon : ce dernier dit qu'en Phrygie il y avoit une secte très-étendue de médecins qui portoient le nom d'Hérophiliens, à la tête desquels furent en différens tems Zeuxis & Alexandre Philalethe. Dès-lors la doctrine du pouls fit beaucoup de bruit, & se répandit très-promtement ; plusieurs médecins fameux écrivirent sur cette matiere, tels qu'Asclépiade, Athénée, Erasistrate, Magnus, Archigene, Agatinus, Héraclide Erythréen, Chrysermus, Zénon, Aristoxene, Bacchius, Héraclide de Tarente, Alexandre Philalethe, Démosthène Philalethe, Mantias, Apollonius, &c. mais tous ces ouvrages ont péri, soit par l'injure du tems, soit par les flammes qui consumerent le temple de la Paix à Rome, où ils étoient conservés dans de magnifiques bibliotheques : peut-être le même accident nous a enlevés les commentaires que Galien dit lui-même avoir composés avec beaucoup de soin sur Hérophile, Erasistrate & Asclépiade, & qu'il n'a pas été possible de retrouver. Parmi les ouvrages qui nous restent de Galien, il y a un livre entier qui ne contient que l'exposition, le commentaire & quelquefois la réfutation & la correction des différentes définitions que tous ces médecins nommés plus haut ou leurs disciples, ont données du pouls : les uns ont dit que le pouls étoit le mouvement des arteres ; les autres ont ajouté du coeur, ou du ventricule artériel du coeur : ceux-ci ont prétendu qu'il falloit déterminer les mouvemens & définir le pouls par la distension & la contraction du coeur & des arteres ; ceux-là ont fait entrer dans la définition les causes, les usages, &c. Athenaeus, a dit que le pouls n'étoit que la distension naturelle & involontaire de l'esprit chaud qui est dans les arteres & dans le coeur, &c. Moschion a soutenu que le pouls étoit un mouvement particulier du coeur, des arteres, des veines, du cerveau & des membranes environnantes, qui se faisoit plus d'une fois dans chaque inspiration, &c. Il est inutile de nous arrêter plus long-tems à cet objet : le lecteur curieux peut consulter le IV. liv. des différences des pouls de Galien, il y verra que toutes ces définitions, au nombre de plus de vingt, paroissent avoir été faites plutôt par esprit de parti, par envie d'innover, & pour suivre les regles scholastiques d'Aristote, que pour développer & éclaircir la nature du pouls.
Galien s'est beaucoup distingué dans la connoissance du pouls ; il l'a réduite en méthode & en a fait un système qui a été adopté & suivi aveuglément, de même que ses autres opinions, jusqu'à l'invasion du chimisme dans la Médecine, qui a combattu & renversé indistinctement & sans choix tous les dogmes du galénisme. Cette doctrine a été reprise par les méchaniciens, mais altérée, prétendue corrigée, & habillée à leur façon. Les historiens qui ont voyagé à la Chine, nous ont appris que les médecins chinois s'appliquoient particulierement à l'étude du pouls, & qu'ils avoient sur cette matiere des connoissances propres bien éloignées de ce qu'en ont écrit les médecins des autres pays, anciens & modernes. Enfin depuis quelques années un médecin espagnol nommé dom Solano de Lucques, a vu dans quelques modifications du pouls, des signes inconnus jusqu'alors, qui annonçoient des crises prochaines, & faisoient connoître d'avance le couloir par lequel devoit se faire l'excrétion critique ; il recueillit & publia des observations très-intéressantes là-dessus. M. Nihell, médecin irlandois, y en ajouta quelques-unes ; & en dernier lieu M. de Bordeu, médecin des facultés de Montpellier & de Paris, a confirmé & considérablement étendu & augmenté la découverte de Solano : Il a bâti, pour me servir des paroles de M. Haller, sur l'édifice de Solano, un édifice plus vaste, plus clair, & qui est manifestement le sien, dont la structure ne peut être affermie ou renversée que par un grand nombre d'expériences (observations) qui demandent du loisir, des occasions, & sur-tout un esprit affranchi de tout préjugé. (Physiol. tom. II. pag. 279). C'est à ces quatre époques remarquables qu'on peut & qu'on doit réduire tout ce qui a été dit sur la doctrine du pouls : nous le parcourerons le plus rapidement qu'il nous sera possible ; l'importance de cette matiere, le peu de connoissance qu'on a du système de Galien & de celui des Chinois, nous obligera d'entrer dans bien des détails, & de donner même sur ces points à cet article une certaine étendue. Malgré le grand nombre de commentaires des ouvrages de Galien, il nous manque encore une explication nette de ses écrits sur le pouls, qui sont les plus obscurs de ses ouvrages, non-seulement parce qu'ils sont tronqués, mais parce qu'ils sont embrouillés de façon, comme il dit lui-même, que sur mille lecteurs, à peine y en aura-t-il un qui pourra les comprendre. La méthode des Chinois est presque entierement inconnue ; il y a lieu de présumer qu'elle n'est pas sans avantages ; il est au-moins très-assuré qu'elle peut piquer & satisfaire la curiosité. La doctrine de M. de Bordeu examinée sans prévention & avec assiduité, paroît très-belle, très-vraie & très-lumineuse, non-seulement fertile en explications satisfaisantes de plusieurs phénomenes de l'économie animale, mais encore très-propre à répandre sur la connoissance, le prognostic & le traitement des maladies, beaucoup de lumieres & de certitude : c'est ce qui nous a déterminé à entrer dans bien des détails sur cette matiere, d'autant mieux que cette doctrine, comme toutes les découvertes intéressantes, a essuyé bien des contradictions de la part même de ceux qui auroient été les plus intéressés à l'approfondir, la défendre & la publier ; pendant que M. le Camus assuroit avec cette noble fermeté que donne la conviction, que le médecin destitué de ces connoissances est le plus souvent " un pilote qui vogue sans boussole sur les mers les plus dangereuses ; un aveugle qui veut guider les autres dans un chemin qu'il ne connoît pas ; un téméraire qui assassine en voulant sauver la vie, &c ". mém. sur divers sujets de médecine. Des députés de la faculté de Médecine de Paris, dans le rapport qu'ils font de cet ouvrage, ont l'inconséquence, pour ne rien dire de plus, d'avancer & d'imprimer que la connoissance du pouls (qui ne peut être que l'objet de l'observation) étoit devenue depuis quelques années un nouveau sujet de recherches plus ou moins systématiques.... obscures, souvent peu utiles, & capables aussi d'arrêter le médecin dans ses opérations, &c. Nous examinerons plus bas sur quoi ces reproches sont fondés, tâchant autant qu'il sera possible de tirer le rideau sur les motifs qui ont fait tenir à ces médecins un langage si contraire au bon sens, à la vérité, & même à leur propre façon de penser.
Doctrine de Galien sur le pouls. Cette doctrine que Galien a puisée chez les anciens médecins, mais qu'il s'est comme appropriée par les changemens & les additions essentielles ou inutiles qu'il y a fait, se trouve très-prolixement exposée dans dix-huit livres qui nous restent de cet auteur sur le pouls : savoir, 1°. de pulsibus libellus ad tyrones ; 2°. de pulsibus libri XVI. Cet ouvrage est divisé en quatre parties, dont la premiere traite des différences des pouls ; la seconde de la maniere de les connoître ; la troisieme contient les causes des pouls, & la quatrieme les signes qu'ils fournissent : 3°. synops. libror. XVI. de pulsib. Ceci n'est qu'une récapitulation, un abregé de ce qu'il a dit dans l'ouvrage précédent, où il ajoute quelques regles & quelques observations nouvelles. Dans l'extrait que nous allons en donner nous suivrons à-peu-près cet ordre, exposant d'abord les caracteres ou différences du pouls ; 2°. leurs causes ; 3°. les présages qu'on peut en tirer.
1°. Différences du pouls. Galien appelle pouls le double mouvement de l'artere par lequel elle s'affaisse sur elle-même & se distend ensuite en tout sens. Entre chaque mouvement il distingue un tems intermédiaire, ou repos. Il tire les premieres différences de la variété qu'il peut y avoir dans les trois dimensions que présentent la distension & la contraction de l'artere ; 2°. de la force ou de la foiblesse du coup que donne l'artere distendue ; 3°. de la promtitude ou de la lenteur avec laquelle l'artere s'éleve ou s'épanouit ; 4°. de la nature de ce coup, c'est-à-dire, de sa dureté ou de sa mollesse ; 5°. de la plénitude ou de la vacuité (qu'on me passe ce mot) de l'artere ; 6°. de l'égalité ou de l'inégalité qui se trouve dans ces différences ; 7°. de la proportion qu'on peut observer entre le tems de la distension & celui de la contraction. On peut appercevoir ces différences dans un seul pouls, c'est-à-dire, dans une seule pulsation, ou pour m'exprimer plus correctement dans une seule distension précédée ou suivie de sa contraction ; car pulsation ne désigne que l'abattement d'un seul point de l'artere, & par distension, on peut exprimer l'élévation de plusieurs parties de l'artere dans le même tems, ce qu'on observe lorsqu'on tâte le pouls avec plusieurs doigts, l'on sent alors plusieurs pulsations, & rien qu'une distension ou contraction. 8°. On tire aussi des différences que Galien appelle collectives de plusieurs pouls (pulsations) qui se succedent, & l'on peut y examiner leur fréquence, l'égalité ou l'inégalité des intervalles avec lesquels ils se suivent ; & la proportion, l'ordre, la régularité ou le desordre & l'irrégularité qu'ils observent.
Dans un seul pouls (pulsation ou distension) les différences qui se tirent de la quantité de mouvement forment le pouls vîte, lent & modéré, suivant le plus ou moins de tems que l'artere employe à s'élever ou à s'abaisser.
La quantité de distension fournit neuf différences, trois pour chaque dimension, & il en résulte 1°. le pouls long, court & moderé ; 2°. le pouls large, étroit & moderé ; 3°. le pouls haut, bas & modéré ; ces différences sont relatives à la situation de l'artere dans le corps ; car absolument parlant, dans un cylindre comme les arteres, il n'y a point de hauteur & de largeur proprement dites qui soyent différentes ; par la combinaison de ces différentes especes, & en les associant ensemble, on forme vingt-sept especes de pouls simples. Exemple. Un pouls peut être en même tems long, large & haut ; dans ce cas il est appellé grand ; si toutes les dimensions sont modérées, il en résultera le pouls moyen ; le court, l'étroit & le bas forment le pouls petit ; celui qui est en même tems modéré (en longueur) large & haut est nommé turgidus, gonflé, crassus, épais ; il peut résulter d'autres combinaisons ; on a donné le nom de grêle ou de tenu, tenuis, à celui qui est long & haut, mais modéré en largeur, ou étroit. Voyez la table de Galien, de differ. puls. lib. I. cap. v.
La nature du coup que le doigt appliqué sur l'artere sent, a établi trois divisions ou différences qui se subdivisent encore ; savoir, le pouls véhement, ou fort, foible & modéré, selon le degré de force du coup ; 2°. le pouls dur, mol, que les jeunes médecins, dit Galien, confondent souvent avec le plein, le vuide qui forment la troisieme différence. Le pouls plein est, suivant la définition d'Archigene, celui qui présente au doigt une artere distendue, remplie, avec un gonflement humide, occursum humidè tumidum ; le pouls vuide au contraire fait paroître l'artere semblable à une bulle, bullosam facit elevationem, qui se dissipant tout de suite, laisse le doigt isolé.
Galien prétendant contre quelques médecins, que la contraction de l'artere est sensible, distingue deux repos ; l'un qui termine, suivant lui, la contraction, & commence la distension ; il est intérieur, & relativement à nous, inférieur. L'autre externe & supérieur suit la distension, & précéde la contraction ; ceux qui nient qu'on puisse sentir la contraction, prennent pour repos l'intervalle qui se trouve entre deux mouvemens apparens, c'est-à-dire, entre deux pulsations ; ceux du parti opposé multiplient beaucoup les différences qu'ils prétendent déduire de ces repos mitoyens. Quoi qu'il en soit, lorsque le doigt est frappé par l'artere, on peut distinguer deux tems, l'un relatif à la promtitude avec laquelle les parois de l'artere sont distendus & contractés ; & l'autre relatif à l'intervalle écoulé entre deux ou plusieurs pulsations : le premier pouls est appellé vîte, & le second fréquent : on leur oppose les pouls lent & rare. Delà naît le rythme ou cadence, qui n'est autre chose que la proportion qu'il y a entre le tems du mouvement & celui du repos. Ceux qui croyent sentir la contraction, ont distingué dans ce tems les mêmes différences que dans la distension, d'où ils ont pu tirer vingt-sept autres especes de pouls ; & en les combinant avec ceux de la distension, on peut en former plus de deux cent especes ; je laisse à décider combien ces divisions minutieuses sont difficiles à saisir, arbitraires & inutiles.
La proportion qui constitue le rythme, ne demande pas une parfaite égalité ; elle varie suivant les âges, les tempéramens, les tems de l'année, les climats & d'autres circonstances. Voyez RYTHME, A RYTHME, EN RYTHME, PARA RYTHME, HETERO RYTHME, &c. à leur article, ou au mot RYTHME. Elle se trouve souvent jointe avec l'inégalité dans le nombre, la vîtesse, la force, la grandeur & la fréquence des pulsations, pourvu que cette inégalité suive un certain ordre ; par exemple, le tems de la contraction peut être double, triple, quadruple de celui de la distension, suivre les progressions arithmétiques ou géométriques ; un rythme constant fait les pouls bien ordonnés, réglés ou réguliers. Le pouls arythme dérange l'ordre, trouble la régularité ; le pouls est toujours régulier, quand il est parfaitement égal ; mais le défaut d'égalité n'emporte pas toujours le défaut d'ordre ; il subsiste lorsque les retours des inégalités sont semblables ; si après deux pulsations égales il en vient pendant plusieurs périodes une troisieme inégale, le pouls sera inégal, régulier ; si telle pulsation inégale n'observe dans ses retours aucun ordre, le pouls sera inégal, irrégulier ; l'inégalité peut regarder la vîtesse, la fréquence, la dureté, la grandeur, &c. & le pouls peut être en même tems égal & inégal sous des rapports différens ; il y a aussi des inégalités que Galien appelle égales ; on ne peut les appercevoir que dans l'assemblage de plusieurs pulsations ; elles se rencontrent lorsque les différences, qui constituent l'inégalité, sont dans une égale proportion ; lors, par exemple, que la seconde pulsation étant moindre que la premiere de deux degrés ; la troisieme est moindre que la seconde, aussi de deux degrés, & que la même différence se trouve entre la quatrieme & la troisieme ; les pouls qui en résultent sont appellés par les Grecs miures, voyez ce mot, decurtes, decurtati, décroissans, &c. lorsqu'ils sont parvenus à une certaine petitesse, ou ils remontent, ou ils restent petits ; parmi ceux qui redeviennent grands, il y en a qui le font tout-d'un coup, d'autres observent en remontant la même proportion que quand ils sont descendus.
Galien parle d'une autre espece de pouls décurté par les deux côtés où l'on ne sent que la pulsation du milieu, il les appelle innuens ou circumnuens. Lorsque l'inégalité est telle que les pouls manquent totalement pendant un certain tems, ils prendront les noms de décurtés manquans, ou inégaux manquans, ou intermittens, suivant qu'on doit attribuer les défauts du pouls à la petitesse, ou à la foiblesse, ou à la rareté poussées à l'excès. On appelle intermittent le pouls qui se trouve formé par l'inégalité de fréquence, il est l'opposé de l'intermittent, ayant deux distensions à la place d'un repos.
Galien prétend qu'on peut aussi distinguer des inégalités dans une seule pulsation ou distension, & cette inégalité peut se trouver ou dans la même portion d'artere, examinée dans des tems différens, ou dans des portions différentes d'artere tâtées dans le même tems ; dans le premier cas ou compte trois différences qui sont assez ordinaires, suivant lui, & très-significatives, comme il promet de le montrer ailleurs ; le mouvement d'une portion d'artere peut être, dans le commencement, lent & enfin vîte, ou d'abord vîte & ensuite lent, &c. ainsi, ou le repos intercepte le mouvement, ou le mouvement subsiste avec inégale vîtesse, ou enfin, il prend sur le repos, & revient avant son tems ; chacun de ces cas donne naissance à différentes especes de pouls ; dans le premier se forment d'abord neuf différences ; car 1°. le premier mouvement étant vîte, le second peut être ou vîte, ou lent, ou modéré ; 2°. le premier mouvement peut être lent, & le second varier de trois façons ; 3°. il en est de même si le premier est moderé, &c. Voyez la table de Galien, livre cité, ch. xiv. 4°. Le mouvement subsistant avec inégalité de vîtesse fait aussi naître plusieurs différences, car les pulsations peuvent être d'abord lentes & ensuite vîtes, d'autres peuvent au contraire commencer à être vîtes, & finir par être lentes ; l'on peut ici multiplier à l'infini les différences en supposant différens degrés de vîtesse & de lenteur, en faisant passer le pouls du modéré au vîte, du vîte au modéré, d'une extrême lenteur à une extrème vîtesse, & vice versâ. Enfin en imaginant de l'ordre ou de l'irrégularité, de l'égalité ou de l'inégalité, parce que ces subtilités sont le fruit de l'imagination, & ne se trouvent point dans la nature ; Galien veut qu'on restreigne toutes ces différences à six, & assure qu'il n'arrive jamais que le pouls passe d'une extrêmité à l'autre. Si l'on compare deux mouvemens ensemble, il se formera neuf especes de pouls, dont trois sont nécessairement égaux ; il en restera donc six d'inégaux. Voyez la table de Galien, ch. xvj. Nous la transcrirons ici, le lecteur pourra juger de ce que nous avançons, & se former une idée des autres plus composées, qu'on peut consulter dans l'ouvrage même.
Si l'on peut en comparer trois, il résultera vingt-sept especes de pouls, qui, par la soustraction des trois égaux se reduisent à vingt-quatre. Voyez encore la table ; & si on a l'adresse, ou pour mieux dire l'habitude de pouvoir dans une pulsation saisir quatre tems inégaux, comme Galien dit l'avoir fait assez difficilement, & qu'on les combine ensemble, on établira 81 différences, ou par la soustraction des trois égaux, 78 especes de pouls inégaux dans une seule pulsation ; il est peu nécessaire d'avertir combien ces subdivisions sont subtiles, idéales & peu observées.
3°. Enfin le mouvement qui coupe, pour ainsi dire, le repos qui revient, qui recurrit, constitue le pouls qu'Archigène a appellé dicrote, , c'est-à-dire, bis-feriens, frappant deux fois ; c'est là le caractere de ce pouls, la pulsation semble divisée en deux, & donne deux coups dans le tems où elle n'en devroit donner qu'un ; la seconde distension commence avant que la construction ait été entierement terminée ; Galien prétend que ces deux coups ne doivent pas plus faire recourir à deux distensions que le pouls intermittent qui n'est pas double, quoiqu'il y ait deux repos.
Si l'on tâte avec plusieurs doigts différentes portions d'artere en même tems, on sentira plusieurs pulsations ; il est évident qu'il peut se trouver entr'elles de l'inégalité, qu'elle peut varier suivant les doigts, que le pouls peut être inégal en vîtesse, ou inégal manquant ; dans le pouls continuel, les pulsations peuvent être plus ou moins vîtes, modérées ou lentes ; vîtes sous le premier doigt, par exemple, lentes sous le second, modérées sous le troisieme, & vîtes sous le quatrieme ; on peut combiner ces différences de 81 manieres, & par conséquent établir 81 especes de pouls inégaux dans une seule distension, ou seulement 78, parce qu'il y en a trois nécessairement égaux, comme nous avons remarqué ci-dessus ; si on ne tâte le pouls qu'avec trois doigts, on n'aura que 27 especes de pouls, dont trois égaux ; avec deux doigts, neuf especes de pouls qui se reduisent à 6 d'inégaux ; le pouls inégal manquant peut varier de la même maniere, l'interruption de mouvement pouvant se rencontrer au premier doigt, ou au second, ou au troisieme, ou au quatrieme, ou ensemble, ou séparément ; comme toutes ces différences ne sont que des possibilités, tout le monde peut s'en former une idée.
L'inégalité peut se trouver dans la quantité de distension ; de-là les combinaisons de grand & de petit, qu'on peut varier & multiplier à l'infini ; il en est de même de la force ou de la foiblesse, de la dureté ou de la mollesse, de la plénitude ou de la vacuité sur lesquelles on peut établir un égal nombre de différences ; on peut en tirer encore de la situation de l'artere. Il arrive quelquefois qu'elle semble déplacée, & qu'elle se déjette en-dehors de côté & d'autre, s'élançant avec force comme un trait ; on a donné à ce pouls le nom de vibrosus, pouls vibré, bien différent de notre pouls vibratil. Le pouls convulsif est fort analogue au pouls vibré, il en differe cependant en ce que l'artere n'est pas fort agitée, qu'elle semble au contraire attachée à deux points fixes, qui la tiennent tendue, & dont elle s'écarte peu, faisant des pulsations petites.
Dans cette espece d'inégalité, qui est propre à une seule distension, mais qui suppose plusieurs pulsations, sont compris les pouls ondulans vermiculaires, formicans & caprisans : ces especes sont réellement observées ; elles ne naissent point de quelque division simplement possible & purement imaginaire ; l'inégalité du pouls ondulant consiste en ce que les différentes parties de l'artere ne sont pas distendues en même tems & également ; d'abord la premiere partie se distend, ensuite la seconde, après la troisieme, & enfin la quatrieme, de façon qu'il n'y a jamais interruption de mouvement ; ces pulsations imitent des ondes qui se succedent, d'où est venu à ce pouls le nom d'ondulant (ondosus). Galien remarque qu'il y a des ondes qui s'élevent plus haut, & avec plus de force que les autres, ce qu'il est important de remarquer. Si l'on suppose que les pulsations s'affoiblissent & deviennent petites en conservant leur caractere, on aura une idée du pouls vermiculaire, ainsi appellé, parce qu'il imite la marche d'un ver, qui, suivant Démocrite, est assez analogue à celle des ondes. Si on conçoit ce pouls vermiculaire encore rapetissé, de façon qu'à peine les pulsations soient sensibles, ce sera le pouls formicant, qui tire son nom des fourmis qu'il semble représenter ; on diroit dans ce pouls qu'on en sent courir sous le doigt ; ce pouls ne suppose aucune inégalité nécessaire. Il ne devroit par conséquent pas être de cette classe. Galien avance vaguement & sans preuves qu'il est inégal, mais qu'il ne le paroît pas. Inaequalis quidem est, at non videtur. Le pouls caprisant, ainsi appellé par Hérophile, par comparaison avec le saut des chevres, est un des inégaux dans un seul pouls, d'abord intermittent, & ensuite plus vîte & plus fort qu'auparavant ; il semble que la pulsation qui suit l'intermittence soit comme coupée en deux, & que la seconde partie soit plus élevée, & revienne sur l'autre comme les chevres, qui voulant sauter s'arrêtent, font un effort, & semblent se replier sur elles-mêmes : Avicenne appelle ce pouls gazellant, de la gazelle, qui differe peu des chevres.
L'égalité de fréquence & de rareté ne peut se trouver que dans une suite de pulsations ; il peut varier suivant le plus ou moins de tems qui se trouve entre chaque pulsation : l'inégalité de rythme se rencontre dans le pouls pris collectivement, lorsqu'il n'y a pas la même proportion entre le tems du coup & celui de l'intervalle dans certaines pulsations que dans d'autres. Si par exemple, dans les deux premieres pulsations ces deux tems sont égaux, ou si étant inégaux, ils sont comme 2, 4, ou 4, 6, & qu'ils soient inégaux, on n'observe pas cette proportion dans les deux suivantes, il y aura inégalité de rythme ; on voit par-là combien il seroit facile d'établir & de multiplier mentalement ces différences. Galien veut distinguer une inégalité de rithme dans un seul pouls ou une seule distension ; pour cela il fait tâter le pouls dans plusieurs portions d'artere, & recommande d'attendre une pulsation & demie : ce qui empêchera, dit-il, de regarder cette inégalité comme collective, c'est que la seconde pulsation ne finit pas ; il suffit, selon lui, pour pouvoir savoir son inégalité de rythme, que la distension commence ; car, poursuit-il, si toutes les portions de l'artere commencent à se mouvoir en même tems dans la premiere distension, & que dans la seconde elles ne s'élevent pas toutes dans le même instant, il y aura inégalité de distension, de vîtesse & en même tems de rythme, puisque la proportion sera dérangée ; il en sera de même si toutes les parties de l'artere, ayant commencé ensemble la pulsation, ne la finissent pas en même tems ; on pourroit aussi trouver ou imaginer d'autres façons de faire rencontrer l'inégalité de rythme dans une seule distension, ou plutôt dans une distension & demie : ces exemples suffisent pour faire entendre l'idée de Galien, & pour montrer combien la simple spéculation peut augmenter ces classes minutieuses que l'observation renverse en découvrant leur inutilité.
Telles sont les différences que Galien a établies, soit d'après ses propres observations, soit aussi souvent d'après ses idées ; comme il a senti la difficulté que pourroient avoir ceux qui voudroient vérifier ces faits, il a fait quatre livres, où il développe, ou plutôt où il prétend développer la maniere de reconnoître ces différentes especes de pouls ; il y donne la façon qu'il croit la plus avantageuse pour tâter le pouls, qui est pour l'ordinaire, de presser doucement l'artere du poignet qui est la radiale, avec trois ou quatre doigts, une trop forte pression empêchant le mouvement, & une application trop superficielle ne suffisant pas pour les distinguer, & pour sentir la contraction ; il est des cas cependant où ces deux façons de tâter le pouls peuvent avoir lieu, & sont même préférables. Il a bien compris la difficulté de fixer dans le pouls les termes de grand, de large, de petit, d'étroit, de vîte, &c. & il remarque qu'on ne peut connoître que vaguement & à force d'habitude, ces différentes qualités, de la même maniere que lorsqu'on a vu un certain nombre de personnes, on décide assez justement celles qui sont grandes & celles qui sont petites ; mais il n'en est pas de même pour déterminer l'égalité ou l'inégalité ; ces mesures sont constantes & invariables, il n'y a qu'un seul point où se trouve l'égalité parfaite ; savoir, lorsque toutes les qualités des différentes pulsations sont semblables. Le moindre excès d'un côté ou d'autre fait l'inégalité. Pour ce qui regarde la plénitude & la vacuité du pouls, il se moque avec raison d'Archigene, qui prétendoit la rendre plus sensible par la comparaison qu'il en faisoit avec de la laine pleine ou du vin plein : ces mots peu faits pour être ensemble, n'expliquent rien du tout ; ils sont beaucoup plus obscurs que ce qu'ils devoient éclaircir ; l'habitude suffit au reste pour saisir ces différences.
2°. Causes des pouls. Galien fait ici une distinction importante entre les causes de la génération des pouls & les causes de leur altération ; les différentes qualités des humeurs, les bains, les passions, &c. peuvent bien altérer les pouls ; mais ces causes ne sauroient les produire ; on avoit déjà beaucoup disputé, du tems de Galien, sur les causes qui concourent effectivement à leur génération ; les uns attribuoient ce mouvement du coeur & des arteres à la chaleur naturelle ; d'autres à la contention : ceux-ci, à une propriété du tempérament : ceux-là le faisoient dépendre de l'ensemble de la structure du corps ; quelques-uns croyoient que l'esprit en étoit la seule cause : quelques-autres joignirent ensemble plusieurs de ces causes ou même toutes. Il y en eut qui imaginerent une faculté incorporelle pour premiere cause, qui se servît de la plûpart, ou même de tous les instrumens dont nous venons de parler, pour produire les pouls. Galien adopte ce dernier sentiment, & ne laisse pas d'admettre cette faculté, quoiqu'il en ignore l'essence, il la croit toujours également forte & puissante, & attribue au vice des instrumens, à la mauvaise disposition du corps, les dérangemens qui arrivent dans la force du pouls : il joint à cette cause effectrice l'usage : par ce mot, il entend l'utilité des pouls pour rafraîchir le sang dans la distension, & pour dissiper dans la contraction les excrémens fuligineux ramassés dans les arteres par l'adustion du sang. C'est son langage vraisemblablement bon dans son tems & dans son pays, que nous ne devons pas trouver plus extraordinaire & plus mauvais que l'idiome anglois en Angleterre. La troisieme cause nécessaire, suivant Galien, est celle qu'on appelloit la cause instrumentale, ou les instrumens, c'est-à-dire, les arteres : la faculté pulsatrice ne prend pas, ainsi que les autres ouvriers méchaniques, les instrumens en-dehors quand elle veut agir ; mais elle s'y applique dans toute leur substance, & les pénetre intimement.
Les différences des pouls se tireront donc de ces trois causes : de la faculté, de l'usage, des instrumens ou des arteres : la faculté forte fait les pouls véhémens : foible, les pouls languissans ; l'usage plus ou moins pressant les fait varier de différentes façons : l'usage augmente par la chaleur, parce que plus il y a de chaleur, plus aussi le refroidissement est nécessaire ; ainsi dans ce cas la distension qui attire la matiere refroidissante, doit augmenter en grandeur, en vîtesse & en fréquence, suivant que la chaleur sera plus ou moins forte ; la contraction qui est destinée à chasser la matiere excrémenticielle, augmentera de même si l'usage est pressant ; si le besoin est grand, c'est-à-dire, pour parler avec lui, s'il y a beaucoup d'excrémens fuligineux, la nature des instrumens changera aussi le pouls ; ainsi l'artere molle fait le pouls mol, & l'artere dure rend les pouls durs ; par où l'on peut voir que l'usage n'a point de pouls bien propres, parce que la faculté plus ou moins forte, l'artere plus ou moins dure, peut les faire varier ; & Galien remarque en conséquence qu'on a eu tort de regarder le pouls grand, vîte & fréquent, comme particulier à la chaleur, comme accompagnant toujours la nature, lorsqu'elle est en feu, cùm aduritur ; & de même le pouls n'est pas toujours petit, lent & rare, lorsque la nature s'éteint. On se trompe aussi de croire avec Archigene, que la vîtesse vient de la foiblesse, & avec Magnus, qu'elle est produite par la force de la faculté : elle n'est attachée nécessairement ni à l'un ni à l'autre, elle suit pourtant plus ordinairement la force de la faculté, l'abondance de chaleur, ou l'usage pressant & la mollesse de l'artere ; la grandeur du pouls suit assez ordinairement les mêmes causes ; les pouls petits & lents sont par conséquent les effets du concours des causes opposées. La fréquence est plus souvent jointe à la foiblesse de la faculté, à l'abondance de chaleur & à la dureté des instrumens ; la rareté au contraire, &c. Si le besoin étant pressant, l'artere est dure, le pouls ne pourra pas être grand ; alors la vîtesse compensera le défaut de grandeur, & la fréquence même surviendra pour compenser ce qui manque à la vîtesse pour complete r l'usage, en attendant une quantité suffisante de rafraîchissement ; on peut par les différentes combinaisons de ces trois causes, trouver tous les pouls possibles. Encore un exemple : foiblesse de la faculté & chaleur excessive doivent faire nécessairement le pouls petit & lent à cause de la foiblesse, mais en même tems très-fréquent pour satisfaire à l'activité de la chaleur : faculté forte & peu de chaleur seront suivis d'un pouls modérément grand, rare & lent, l'usage ou le besoin de rafraîchissement étant alors très-petit à cause du peu de chaleur. L'état des arteres apporte beaucoup de dérangement dans le pouls, & ne contribue pas seulement à sa dureté ou à sa mollesse : ces qualités en entrainent nécessairement d'autres ; ainsi la mollesse de l'artere, pourvu qu'elle ne soit pas portée à l'excès qui supposeroit un relâchement & foiblesse de la faculté, la mollesse, dis-je, fait les pouls mols, grands & vîtes : grands, parce que les parois plus souples prêtent plus facilement à la distension : vîtes, parce que cette distension facile exige par-là moins de tems ; la dureté des instrumens, par la raison contraire, produit la dureté, la petitesse & la fréquence : j'ajoute la fréquence, non pas qu'elle soit attachée à la dureté, mais pour satisfaire à l'usage qu'on suppose rester le même, & qui n'est pas rempli par le pouls devenu petit & lent ; on peut voir à présent de soi-même les pouls qui résulteront, en combinant la mollesse, ou la dureté des instrumens, avec la force ou la foiblesse de la faculté, & l'usage plus ou moins pressant ; ces termes peuvent paroître abstraits, étrangers ; mais on s'y familiarise aisément. D'ailleurs il n'est pas possible de faire parler Galien comme un françois & comme un contemporain. Voyez de causis puls. lib. I. Mais comme la même différence du pouls peut être produite par différentes causes ; la vîtesse, par exemple, est, comme on vient de voir, propre à la faculté forte, à la mollesse de l'artere & à l'usage pressant ; on peut demander comment on peut reconnoître la véritable : voici le moyen ; il sera évident, dans l'exemple proposé, que la vîtesse sera un effet de la faculté forte, si on voit en même tems le pouls vîte & véhément ; s'il est mol, on jugera que la vîtesse est dûe à la mollesse de l'artere ; & s'il n'est que vîte, on l'attribuera à l'usage pressant. Si ces différentes causes y concourent, on s'appercevra par le changement de grandeur, de fréquence & de vîtesse, combien l'usage & le besoin ont de part dans sa formation ; un pouls très-vîte, très-fréquent & très-grand dénote un grand besoin, &c. La chaleur se connoit d'ailleurs au tact, à la respiration, à l'haleine, &c.
Les causes de l'inégalité du pouls ne peuvent se tirer que de la faculté & des instrumens ; l'usage ne sauroit produire aucun pouls inégal, parce qu'il ne peut pas varier d'une pulsation à l'autre, & encore moins dans la même pulsation ; l'inégalité suit ordinairement la foiblesse de la faculté, soit qu'elle soit absolue, ou relative à l'abondance des humeurs, à la compression, à l'obstruction ou oppilation des vaisseaux ; alors elle est semblable à un homme robuste, qui chargé d'un pesant fardeau, fait de faux pas, chancelle & marche inégalement ; l'espece de pouls inégal la plus ordinaire alors, sont quelques intermittens surtout, & les intercurrens ; ils sont produits par les efforts de la faculté robuste qui tâche d'emporter les obstacles ; ils sont de tems en tems grands, élevés, & dans cet état ils annoncent une excrétion critique, lorsque la faculté est absolument foible, qu'elle ne peut pas commander à tous les instrumens & agir sur eux : il y en a quelques-uns qui sont sans action, qui boitent, claudicat : ce qui donne lieu à l'inégalité ; mais alors le pouls est foible, petit, lent, & inégal. Les pouls mûrs ou décurtés, & surtout les décurtés manquans, mutila decurtata, sont très-souvent l'effet & le signe de la faculté foible ; si le vice des instrumens, c'est-à-dire leur obstruction ou compression, est jointe à la foiblesse de la faculté, l'inégalité sera beaucoup plus considérable.
Lorsque l'inégalité se trouve dans un seul pouls, que l'artere, par exemple, s'arrête au milieu de sa distension, semble reprendre haleine, respirat, & finit ensuite lentement sa distension ; on doit attribuer cet état à l'usage pressant, & aux efforts que fait la faculté pour le satisfaire, mais qui sont interrompus par l'abondance des humeurs ou la gêne des instrumens : ces pouls peuvent varier de bien des façons, la premiere distension pouvant être plus vîte ou plus lente que la seconde, ou modérée, ou égale, & le repos plus ou moins long ; lorsque la faculté est forte, supérieure aux obstacles, & que les vices des instrumens sont fort éloignés des principaux troncs, ils font alors le pouls grand, fort, les deux distensions vîtes, & le repos intermédiaire très-court ; il en est de même des pouls continus, mais inégaux en vîtesse ; pour produire le pouls vibratil, il faut que la faculté soit forte, l'usage pressant & peu satisfait, & l'instrument très-dur ; la dureté de l'instrument peut être occasionnée par quelque irritation, par une tension trop forte, un état spasmodique ou inflammatoire, & aussi par le desséchement des tuniques de l'artere. Le pouls dicrote qui est une espece de vibratil, suppose aussi inégalité d'intempérie dans les arteres, c'est-à-dire, inégale distribution de chaud, de froid, d'humide & de sec dans son tissu, de façon qu'elle ne résiste pas également dans tous les points ; alors une portion d'artere s'élevera avant l'autre, & formera ces deux coups : ce qui peut arriver aussi lorsque les parties environnantes compriment trop & inégalement l'artere, & en font ressortir certaines parties plutôt que d'autres. Le pouls caprisant semblable au dicrote par les deux coups, en differe par la cause ; il est produit par une faculté robuste, interrompue dans ses efforts, & empêchée d'avoir son effet total par le trop d'humeurs, la compression ou l'oppilation des arteres, la distension recommence avant que la précédente soit terminée, & elle est plus forte. Les pouls ondulans ont aussi la même cause, abondance d'humeurs, & force de la faculté, auxquelles se joint la mollesse des instrumens ; il semble alors que le pouls soit excité par un fluide, ou un esprit qui coule dans leur cavité (cette remarque auroit bien dû rapprocher Galien de la circulation) la faculté ne pouvant pas élever toutes les parties ensemble, les éleve les unes après les autres ; les vermiculaires sont l'effet de la foiblesse. La même cause jointe à l'intempérie des arteres, donne naissance aux pouls miures, décurtés, innuens ou circumnuens, &c. Les pouls vibrés où l'artere est un peu déjettée, & comme distordue en-dehors, dépendent des causes ordinaires des distorsions, savoir, un froid extrêmement vif, une grande sécheresse, des inflammations, des skirrhes, des abscès, la génération des tubercules, des tumeurs contre nature, &c. Quant à la maniere dont les inflammations, les spasmes, les irritations des différentes parties agissent pour rendre le pouls dur, convulsif, Galien l'explique très-bien par la sympathie, l'union & la correspondance des nerfs & des arteres établies par le moyen des arteres que le cerveau reçoit du coeur, & par les nerfs qu'il y envoye ; il n'y a, dit-il, après le grand Hippocrate, qu'un concours, qu'une conspiration ; toutes les parties compatissent avec toutes les autres ; sans cela notre corps seroit un composé de deux animaux & non pas un seul ; confluxio una, conspiratio una est, omnia omnibus consentiunt, natura communis ; nisi hoc esset, duo animalia essent, non unum, quisque nostrum. Hippocr. lib. de aliment. Galen. de caus. puls. lib. II, cap. xij.
Les inégalités qui naissent dans la longueur, largeur & hauteur des pouls, ont des causes différentes, quoiqu'absolument la largeur & la hauteur ne doivent pas être distinguées, & qu'elles soient les mêmes dans une artere nue & isolée. La faculté forte & la mollesse des instrumens concourent à faire les pouls hauts & larges ; ils sont tels dans la colere & dans ceux qui vont être jugés. La faculté irritée & animée éleve les parois supérieures de l'artere, lorsqu'il n'y a point d'obstacles, & que les autres sont comprimés ; le pouls est large au contraire, lorsque les efforts se font par les côtés, qu'ils ne résistent pas, & que la peau seche est un obstacle à la hauteur du pouls : cela se rencontre souvent dans le tems de crise. La foiblesse peu considérable de la faculté, la maigreur des parties, & la dureté de la peau & des instrumens produisent les pouls longs : je les ai observés très-fréquemment chez des convalescens exténués.
Les changemens qui arrivent dans les rythmes, sont pour l'ordinaire relatifs aux âges, aux tempéramens, ou à quelqu'autre circonstance semblable ; ils dépendent principalement de l'usage auquel se rapportent nécessairement la vîtesse, la fréquence & la grandeur des distensions & des contractions ; la proportion qui est entre ces deux mouvemens, doit varier dans les cas où leurs causes s'éloigneront de l'équilibre & de l'égalité ; par exemple, la contraction augmentera dans les enfans qui prennent plus de nourriture, qui font plus d'humeur : les excrémens fuligineux sont plus abondans, & leur excrétion est plus nécessaire ; or, comme nous avons dit plus haut, l'usage de la contraction est de chasser & dissiper ces matieres excrémenticielles, de même que la contraction de la vessie & des intestins exprime & renvoye hors du corps les urines & les matieres fécales ; ce que l'oeil nous fait appercevoir dans ces parties, la raison & l'analogie le dictent dans les arteres ; la distension, dont le propre est d'attirer la matiere aërée, rafraîchissante, deviendra plus grande, plus vîte, dans les tempéramens vifs, bouillans, dans qui la chaleur est excessive, & par conséquent le besoin de rafraîchissement pressant, & ainsi des autres.
Telles sont les causes qui agissent intérieurement sur le pouls, & dont l'action dérobée au témoignage des sens ne peut s'atteindre que par un raisonnement plus ou moins hypothétique. Galien joint à l'exposition de ces causes intérieures plus prochaines, plus cachées, plus obscures & plus incertaines, le détail des différentes modifications des pouls qu'entraine l'action des différentes causes extérieures dont les effets sont certains, & peuvent être connus par une observation assidue ; mais il n'est pas décidé si Galien s'est servi d'un moyen de connoissance aussi fécond & infaillible pour déterminer ces différentes especes de pouls, ou s'il ne les a pas déduits de ses systêmes antérieurs ; quoiqu'il en soit, ces observations & ses classes se plient très-facilement à sa théorie, & semblent faites exprès pour elles. On peut consulter le troisieme & le quatrieme livre des causes des pouls, l'on y verra les changemens du pouls par rapport aux sexes, aux âges, aux saisons, aux climats, aux tempéramens, aux habitudes, à la grossesse, au sommeil, au réveil, à l'exercice, aux bains chauds & froids, au boire, au manger, aux passions, à la douleur, & à un grand nombre de maladies. Il ne nous est pas possible d'entrer dans un détail aussi circonstancié, & qu'il ne seroit pas possible d'abréger & d'ailleurs inutile au but que nous nous sommes proposé ; nous nous contenterons de faire une remarque qui nous paroît importante, c'est que Galien ne compte point parmi les causes du pouls le mouvement des humeurs ou des esprits dans les arteres, opinion cependant soutenue avant lui par Erasistrate, qui pensoit que ces esprits étoient envoyés par le coeur dans les arteres. Il ne paroît cependant pas ignorer ce mouvement, puisqu'il a fait une expérience très-ingénieuse pour prouver qu'il n'étoit point cause du pouls, & que les arteres ne se distendoient pas, parce qu'elles recevoient les humeurs, mais qu'elles les recevoient, parce qu'elles étoient distendues, comme les soufflets reçoivent l'air, lorsqu'on en écarte les parois, contraires en cela aux outres & aux vessies qui ne se distendent que par l'humeur dont on les remplit ; Galien introduisit un chalumeau dans une artere, & lia fortement les parois au milieu du chalumeau, dans l'instant l'artere au-dessous de la ligature ne battit plus ; cependant le cours des humeurs étoit libre à-travers le chalumeau, l'artere se remplissoit comme à l'ordinaire, & rien ne les empêchoit d'exciter le pouls au-dessous de la ligature : d'où Galien conclud que la force pulsatrice est dans la membrane même des arteres, & absolument indépendante du mouvement du sang & de l'esprit dans leur cavité : conclusion très-juste, très-remarquable, & dont la vérité n'est pas encore assez reconnue.
3°. Présages qu'on peut tirer du pouls. Le pouls peut servir à faire connoître le tems passé, ou les causes, la privation, le dérangement actuel qui constitue les maladies ; & le tems à venir, c'est-à-dire l'issue favorable ou mauvaise qu'on doit espérer ou craindre.
Pour déterminer les causes qui ont précédé, il n'y a qu'à se rappeller les changemens que font sur le pouls les différentes causes, telles que nous les avons exposées ci-dessus. Il y a cependant une observation à faire, c'est qu'il y a certains caracteres du pouls qui ne dépendant que d'une seule cause, l'annoncent nécessairement : tels sont les pouls forts ou foibles, durs ou mols, qui dénotent la force ou la foiblesse de la faculté, la dureté ou la mollesse des arteres ; les autres différences pouvant être produites par différentes causes, ne sauroient déterminer au juste quelle est la véritable, alors on combine plusieurs caracteres ensemble ; & pour éviter encore plus sûrement l'erreur, on y joint l'examen des autres signes anamnestiques. Par exemple, la grandeur du pouls peut être augmentée par la faculté forte, l'artere molle, & l'usage pressant ; on peut encore ajouter à ces causes celles qui sont accidentelles extérieures, telles que le boire, le manger, les bains & les médicamens chauds, les passions d'ame vive, &c. ainsi la grandeur du pouls est un signe générique, & par conséquent équivoque de ces différentes causes ; mais elle désigne la faculté forte, si elle est jointe à la véhémence ; l'artere molle, si elle est accompagnée de mollesse dans le pouls ; & l'usage, si aucun de ces caracteres ne s'y rencontrent avec elle, & si la vîtesse & la fréquence augmentent ; ce sera aussi un signe que la distension ne répond point à l'usage ; on connoîtra l'action des causes extérieures en général en tâtant le pouls à diverses reprises, parce que les impressions qu'elles font sur le pouls ne sont pas durables ; la grandeur du pouls, occasionnée par le boire & le manger, est parmi celles-ci la plus constante, elle est jointe à la véhémence, celle qui est un effet de la colere n'en differe que par la durée, elle est très-passagere, cette cause d'ailleurs se manifeste dans les yeux menaçans, rouges & en feu, de même que sur le visage ; mais si le malade retient sa colere & veut l'empêcher de paroître, le pouls alors devient inégal & embarrassé, tel qu'il est dans la contrainte & la perpléxité ; après les bains chauds, le pouls est grand & mol, les vaisseaux & l'habitude du corps souples & humides ; après un remede échauffant, la grandeur du pouls augmente, & les environs de l'artere sont d'une chaleur brûlante ; ce signe est, suivant Galien, très-important à saisir, & d'une grande ressource vis-à-vis des malades qui trompent les médecins, & qui prennent des remedes à leur insçu & contre leur avis. Mais pour mieux s'assûrer de la vérité du fait, Galien dit qu'il faut, en tâtant le pouls, faire jurer au malade qu'il n'a rien pris, il hésitera d'abord, & son pouls deviendra sur le champ inégal, marquant la crainte & l'indécision, & décélant par-là le secret qu'il vouloit cacher. Si cette régle est bien juste, on pourroit souvent arracher à des malades des secrets qu'ils n'osent avouer. Galien raconte s'en être servi avec succès vis-à-vis d'un malade qui prétendoit prouver l'ignorance des Médecins ; & pour mieux tromper Galien qui s'étoit déja apperçu d'une semblable tricherie, il prit des remedes en bols ; Galien s'en apperçut au pouls, il interrogea le malade qui soutint opiniâtrément le contraire, & fit venir, pour le certifier, tous ses domestiques, gagés pour ne le pas contredire. Galien alors lui prit le bras en lui tâtant le pouls, & lui proposa en même tems de jurer pour le convaincre ; le malade balança, fit des difficultés, le pouls devint très-inégal, & Galien l'assûra avec plus d'opiniâtreté qu'il avoit pris quelques remedes, le malade fut obligé d'en convenir. J'ai fait, il n'y a pas long-tems, une observation assez analogue : une fille me demandoit quelques secours pour une suppression de regles qui duroit depuis quatre mois ; après différentes questions, je lui demandai s'il ne pouvoit pas y avoir quelque sujet de craindre qu'elle fût enceinte, elle me protesta vivement le contraire ; cependant il y avoit quelques signes douteux ; je voulus essayer, pour m'éclaircir mieux sur un fait aussi important & aussi obscur, le conseil de Galien ; je lui tâtai le pouls que je trouvai assez régulier, & je lui dis que je ne la pourrois croire que sur son serment, que si elle juroit n'être pas enceinte, je lui ferois les remedes les plus convenables ; dans l'instant elle changea de couleur, & son pouls manqua presque entierement ; je n'hésitai point alors de lui dire que j'étois convaincu qu'elle étoit enceinte, & que je me garderois bien de lui ordonner le moindre remede : elle fut obligée ainsi de m'avouer ce qui en étoit.
Tout le monde sait l'histoire d'Erasistrate à l'occasion de Seleucus, dont il connut, par le moyen du pouls, la passion pour sa belle-mere, que ce prince déguisoit cependant avec une extrême attention ; Erasistrate observa que son pouls étoit plus agité, plus ému, irrégulier toutes les fois que sa belle-mere s'offroit à ses yeux, ou même qu'on lui en parloit. Ce trait d'histoire a fourni le sujet d'une petite comédie, sous le titre du médecin d'amour.
On peut faire sur la dureté, la vîtesse, la fréquence & la quantité de distension du pouls le même raisonnement, ces caracteres désignent des causes différentes ; mais en combinant plusieurs caracteres, & ayant aussi recours à la valeur des autres signes, on peut, dans le systême de Galien, deviner assez juste la cause qui doit être accusée. On doit sur-tout se rappeller ce qui a été dit sur les causes du pouls. Voyez aussi Galen. de caus. puls. l. IV. & de praeragit. expuls. l. I.
La distension de l'artere & sa contraction ayant des usages différens, doivent aussi avoir différentes significations ; l'usage de la contraction étant d'expulser l'excrément fuligineux provenu de l'adustion du sang, il s'ensuit que lorsqu'on la trouvera vîte, grande, &c. on pourra présumer qu'il y a beaucoup d'excrément ; c'est pour cela qu'on l'observe telle, dans les fievres putrides, dans les dartres rongeantes dans les enfans, dans ceux qui mangent de mauvais alimens, &c. mais il faut être bien exercé à tâter le pouls pour sentir cette contraction ; ceux, dit Galien, qui, par défaut d'habitude, ne peuvent pas l'appercevoir, traitent, ce qu'on en dit, de verbiage inutile, inanem loquacitatem ; la distension servant à rafraîchir le sang dénotera lorsqu'elle augmentera en grandeur, en vîtesse, en fréquence, l'excès de la chaleur ; les variétés & les inégalités qui se trouveront dans l'une & l'autre, signifieront ou la surabondance de chaleur, ou l'accumulation d'excrémens fuligineux, suivant que la distension ou la contraction prédominera. Hérophile s'étoit beaucoup étendu sur cette proportion ou sur le rythme, mais Galien se plaint de ce qu'il a plutôt donné des observations qu'une méthode rationelle, comme si les faits, quels qu'ils soient, n'étoient pas infiniment préférables à tous les plus beaux raisonnemens, ils sont la véritable richesse du philosophe-médecin, & le plus sûr guide pour le praticien : mais Galien, raisonneur impitoyable & intéressé par-là même à penser autrement, lui reproche de n'avoir débité là-dessus que des absurdités, des erreurs & des confusions.
Les pouls inégaux indiquent toujours une foiblesse de la faculté absolue ou relative ; absolue, si le pouls est en même tems foible & petit ; relative, s'il est grand & fort, alors la quantité des humeurs, la compression des arteres, leurs obstructions sont annoncées ; celui qui marque, suivant lui, le plus de foiblesse, c'est le pouls qui manque tout-à-fait, savoir l'intermittent ; c'est aussi un des signes les plus fâcheux, il est plus à craindre que les pouls les plus irréguliers, mais continus. Pour le prouver, Galien n'a pas recours à des observations, mais à une comparaison qu'il fait du pouls régulier à la santé, du pouls irrégulier à la maladie, & enfin du pouls intermittent à la mort : il remarque cependant que les vieillards, les enfans & les femmes sont moins en danger avec ce pouls que les jeunes gens. Le pouls rare ne differe de l'intermittent que par le degré, aussi n'est-il guere moins funeste que lui. Le pouls intermittent, dans une seule pulsation, est encore plus mauvais que l'autre, parce qu'il dénote une extrême foiblesse, ou des obstacles assez grands pour empêcher le mouvement des arteres dans chaque pulsation ; au lieu que dans l'intermittent pris collectivement, les obstacles n'interceptent qu'une quatrieme pulsation, par exemple, ou une vingtieme, &c. Les pouls intercurrens & fréquens, opposés aux intermittens & aux rares, sont regardés comme plus dangereux par Archigene, parce que le fréquent accompagne ou précede ordinairement les syncopes, & l'intercurrent se rencontre dans certaines péripneumonies & autres fievres de mauvais caractere. Galien croit au contraire qu'ils sont plus favorables ; l'intermittent & l'intercurrent ont cela de commun, dit-il, qu'ils sont produits par une faculté chargée & fatiguée par des obstacles ; mais celui-ci montre que la faculté est forte, résiste & combat ; souvent il précede la crise ; celui-là au contraire indique que la faculté est opprimée & vaincue par les obstacles ; il avoue que toutes les extrémités, excepté la véhémence, sont vicieuses & d'un mauvais augure, mais il prétend que le très-rare est plus fâcheux que le très-fréquent. Voici comment il établit le degré de danger que chaque pouls égal fait craindre ; d'abord il met comme le plus dangereux le pouls très-languissant, 2° le très-lent, 3° le très-rare, 4° le très-petit, 5°. le très-mol, 6° le très-dur, 7° le très-fréquent, 8° le très-vîte, 9° le très-grand.
Les pouls dicrotes, caprisans, vibrés, indiquent l'intempérie des arteres ou du coeur, qui est, comme nous l'avons dit, la principale cause du dicrotisme, quelquefois aussi la différente température des humeurs dans différentes portions d'artere, il arrive alors qu'il y a collection d'excrémens fuligineux & beaucoup de chaleur ; la premiere cause exige l'augmentation des contractions, l'autre la vîtesse & la grandeur des distensions, de façon que ces deux mouvemens se combattent & tâchent, s'il est permis de s'exprimer ainsi, d'empiéter l'un sur l'autre ; à peine la distension est-elle commencée, que la contraction veut se faire, elle interrompt la distension ; mais si la chaleur est très-forte, elle obligera la distension de recommencer, & de-là les deux coups dans l'espace de tems où il devroit n'y en avoir qu'un. Le pouls vibré est pour l'ordinaire très-critique.
Le pouls ondulant indique la mollesse des arteres & la faculté médiocrement forte ; il est alors rare, lent & grand, si en même tems il devient haut & fort, & sur-tout si, suivant la remarque de Struthius, un des commentateurs de Galien, il y a plusieurs pulsations élevées & grandes, il annonce une sueur critique. Ce pouls s'observe dans les maladies humides, pituiteuses, dans les léthargies, les fievres quotidiennes halitueuses, dans l'anasarque qui n'est pas produit par le skirrhe ; il dénote d'autant plus sûrement la sueur critique, qu'il est plus mol, plus fort & plus égal, & que les autres signes de coction concourent. Le pouls vermiculaire désigne la foiblesse de la faculté & la mollesse de l'artere, il procede & accompagne les mauvaises sueurs, les fleurs blanches, & les grandes évacuations sanguines & séreuses ; ce que Galien dit sur ce pouls mérite une extrême attention.
Les pouls décurtés, miures, inégaux manquans, réciproques manquans, innuens & circumnuens, indiquent la cause qui les produit, savoir la foiblesse de la faculté : quelques médecins ont prétendu trouver dans une espece de pouls miure renversé, dans lequel la premiere pulsation est la plus petite, & les suivantes vont toujours en augmentant, beaucoup de signification. Galien croit qu'il ne dépend que de la formation naturelle de l'artere ; il y a aussi un pouls auquel on avoit fait attention, & que Galien croit ne dépendre que de la dureté de l'artere, c'est le pouls qu'on pourroit appeller triangulaire, parce que la pulsation a en s'élevant la forme d'un triangle dont la pointe va frapper le doigt.
Les pouls bien réglés sont en général préférables aux irréguliers, cependant ceux-ci ne laissent pas d'avoir de grands avantages, ils annoncent dans les maladies une terminaison en bien ou en mal. Si le pouls est irrégulier, & en même tems fort & qu'il y ait eu des signes de coction précédens, c'est un signe de crise prochaine ; dans ce cas l'ordre constant qui dénote une tranquillité infructueuse & nuisible, est moins avantageux que l'irrégularité.
Pour déterminer par le pouls quelles sont les parties affectées, & quelle est l'espece d'affection, Galien entre dans le détail des différentes maladies ou intempéries qui en sont la base, & parcourt successivement toutes les parties du corps : les seules intempéries du coeur & des arteres, dit-il, peuvent changer l'état du pouls, & les autres parties ne l'alterent que par leur action sur le coeur & les arteres, qui est en raison de leur voisinage du coeur, de la grosseur des vaisseaux qu'ils reçoivent, de la dureté & de la sensibilité des nerfs qui entrent dans leur composition.
Les intempéries sont simples ou composées, voyez ce mot ; les simples au nombre de quatre sont la chaleur, le froid, la sécheresse & l'humidité ; de la combinaison de ces quatre, il en résulte quatre autres composées qu'on appelle plus communément tempérament, voyez ce mot ; savoir le chaud & le sec, le chaud & l'humide, le froid & le sec, le froid & l'humide, &c. On peut voir par ce que nous avons dit plus haut, quels sont les pouls propres à chaque intempérie & tempérament ; mais il peut arriver que le coeur soit chaud, par exemple, & les arteres froides ; si l'excès de part & d'autre est égal, le pouls est modéré ; mais si on applique la main sur le coeur & sur une artere, on sentira de la différence dans la grandeur, la vîtesse & la fréquence des pulsations. Cette différence sera quelquefois sensible d'une portion d'artere à l'autre, c'est ce qui s'observe dans les fievres lypiries, malignes, pestilentielles, &c. Ce pouls est dans ce cas un très-mauvais signe, mais qui trompe les inexpérimentés. Les fievres qui sont des affections du coeur font varier le pouls, suivant leur nature, & sont indiquées par ses différens caracteres. Galien en distingue trois especes, la diaire, l'hectique & la putride. Il assure que dans la diaire, le pouls est toujours plus grand, plus vîte & plus fréquent ; les hectiques ont le pouls encore plus vîte ; il en est de même des putrides. Galien dit qu'une fréquente expérience lui a appris que le signe le plus infaillible de ces fievres étoit la vîtesse des contractions au commencement de l'accès, ce signe est sensible à ceux qui ont le tact fin & exercé. Le pouls des inflammations est toujours dur.
Lorsque les poumons sont affectés, ils communiquent promtement leur altération au coeur, & ne tardent pas à faire impression sur le pouls ; leur intempérie chaude le fait grand, vîte & fréquent ; l'humide les fait mous, &c. Il en est de même des autres visceres, lorsque les parties membraneuses tendues, comme la plevre, le diaphragme, la vessie seront affectées, le pouls sera toujours plus dur. On peut, dans le systême de Galien, se faire une idée en suivant la regle établie plus haut, de tous les pouls qui accompagneront l'affection des différentes parties du corps ; il ne faut pas oublier que l'idée qu'on s'en formera ne sera jamais qu'une idée plus ou moins éloignée de la réalité ; mais si l'affection se trouve dans des parties dénuées de vaisseaux, elles exciteront des symptomes nerveux, des convulsions ; il faut que les vaisseaux soient attaqués pour produire la fievre.
Galien regarde le pouls comme un signe très-important pour le pronostic des maladies ; cependant il passe rapidement sur cette partie intéressante, qui fournit peu au raisonnement, & que l'observation seule peut établir & confirmer. Le pronostic roule sur ces trois points principaux ; quelle sera l'issue de la maladie, dans quel tems elle aura lieu, & comment, par quelle voie elle se fera. La décision de ces trois questions est fondée sur la connoissance qu'on a de la nature de la maladie & de la force de la faculté, connoissance qu'on peut obtenir par le pouls. Le pouls foible, languissant, petit, inégal indique la foiblesse absolue de la faculté ; lorsqu'il est alternativement fort & foible, c'est un signe que la foiblesse n'est que respective ; c'est-à-dire que la faculté est forte, mais chargée, alors le pronostic est moins fâcheux : à cette inégalité de force se joignent pour l'ordinaire les inégalités en grandeur, en vîtesse, en fréquence ; l'excès des pulsations fortes, grandes, sur les pulsations foibles, petites, &c. marque l'empire de la faculté sur l'abondance des humeurs, & annonce le combat & la victoire, c'est-à-dire une crise favorable ; elle est prochaine lorsque les pouls inégaux & petits augmentent en force & en grandeur ; lorsque les miures décurtés remontent vîte & considérablement, la crise est toujours plus décisive & plus complete ; lorsque les pouls ont été inégaux & irréguliers avant d'être égaux, réglés, grands & forts ; dans le tems que se fait la crise, le pouls doit être fort & bien élevé ; les évacuations qui ne sont pas accompagnées & précédées de ces pouls sont toujours mauvaises. La vîtesse de la contraction est nécessaire, dit Galien, parce que contractio excernit, l'excrétion est un effet de la contraction ; mais cette vîtesse doit être modérée, sans quoi le pouls seroit mauvais & acritique. On peut distinguer, relativement aux modifications du pouls, deux couloirs généraux pour les évacuations critiques, l'un externe & l'autre intérieur : au premier se rapportent les sueurs & les hémorrhagies ; ces excrétions font le pouls plus grand & plus élevé ; celles qui se font par les organes internes sont le vomissement & la diarrhée, le pouls qui les annonce & qui les détermine est moins grand & comme rentrant. Outre ces caracteres généraux, chaque excrétion a, suivant lui, un pouls particulier, le pouls ondulant & celui de la sueur ; le pouls haut & vibrosus, fort analogue au dicrote, annonce les hémorrhagies par la matrice, les veines hémorroïdales & par le nez ; le pouls ondulant dur est le signe du vomissement. Le pouls devient souvent inégal dans plusieurs crises, & lorsqu'elles se font difficilement, & sur-tout lorsqu'il se prépare quelque évacuation bilieuse : multo vero magis ubi humores biliosi ad ventrem confluant. Synop. cap. lxxx. Avicenne a prétendu que le pouls petit dénotoit les crises par les selles. Lorsque le pouls, après avoir resté inégal dans les maladies pituiteuses, devient tout-à-coup véhément, il pronostique la terminaison de la maladie par un abcès, sur-tout dans un âge, un tempérament, une saison & un climat froid. Au reste, Galien avertit soigneusement qu'il faut dans la prédiction des crises joindre aux connoissances qu'on tire de l'état du pouls les lumieres que peuvent fournir les autres signes examinés avec attention.
Tel est le systême des anciens sur le pouls ; telle est sur-tout la doctrine de Galien adoptée sur sa parole par un grand nombre de médecins illustres jusqu'au quinzieme & même au seizieme siecle, souvent commentée & prétendue prouvée par de longs & obscurs raisonnemens, jamais illustrée par aucune bonne observation. Comme Galien avoit poussé jusqu'au bout les divisions & subdivisions du pouls, aucun de ses sectateurs n'a pu enchérir sur lui. Struthius un de ses commentateurs, dont l'ouvrage a resté douze cent ans perdu, ajoute seulement une description du pouls de l'amour, que Galien avoit omise de propos délibéré, assurant que l'amour n'avoit point de pouls particulier, & différent de celui d'un esprit agité. Struthius assure qu'il est toujours inégal, anonyme ; (c'est ainsi qu'il appelle le pouls dont les inégalités ne sont point déterminées, & n'ont point de nom propre) & irrégulier, & qu'il l'a trouvé ainsi dans une femme mariée qui avoit un amant ; toutes les fois qu'on lui en parloit, le pouls prenoit ce caractere ; ce qui revient aux pouls des passions, conformément aux observations rapportées plus haut d'Erasistrate & de Galien. Quoique cet auteur soit galéniste décidé, il ne laisse pas de critiquer quelquefois son maître. Son ouvrage mérite d'être lu ; il porte ce titre : sphigmicae artis, à 1200 perditae & desiderat. libr. V. en 1555. On peut aussi consulter le traité particulier de Francis. Vallerius, Médecin de Philippe le Grand, roi d'Espagne : pulsib. libell. Padoue 1591. de Camillus Thesaurus de Corneto : de puls. opus absolutiss. lib. VI. Neapol. 1594. L'excellent ouvrage de Prosper Alpin, de praesagiend. vit. & mort. lib. VII. Patav. 1601, un des derniers qui ait suivi le systême de Galien, & peut-être celui de tous qui l'a le mieux développé. L'extrait qu'en a donné M. le Clerc dans son histoire de la Médecine, est trop abregé & très-incomplet. (Hist. de la Médec. liv. III. chap. III. & part. 3.)
Réflexions sur la doctrine de Galien. 1°. Sur les différences. Il est impossible de ne pas s'appercevoir que la plus grande partie des différences que Galien établit, ne soit plutôt le fruit de son imagination & de son calcul que de ses observations ; l'esprit de division auquel il s'est laissé aller, l'a sans doute emporté trop loin, il a souvent donné ses idées pour des réalités, détaillant plutôt ce que le pouls pouvoit être, que ce qu'il étoit en effet. Il ne dit pas j'ai observé un tel pouls, je l'ai vu varier de telle ou telle façon, il blâme au contraire ceux qui, comme Hérophile, n'ont donné que des observations sans ordre, sans méthode & sans raisonnement ; mais voici comme il s'énonce : le pouls étant un mouvement, il doit donc varier de la même maniere que les autres especes de mouvement ; mais ce mouvement peut se considérer dans un seul pouls, c'est-à-dire, une seule pulsation, ou bien dans plusieurs ; de la double variation, de la distinction entre la vîtesse & la fréquence, entre l'inégalité d'une seule pulsation, & l'inégalité collective, &c. Le pouls étant composé de deux mouvemens, l'un de systole ou de contraction, & l'autre de diastole ou de distension, doit fournir de nouvelles différences, par rapport à la promtitude avec laquelle ces mouvemens se succéderont, à la maniere dont ils se succéderont, à l'ordre, la proportion qu'ils observeront, à la quantité de distension ou de contraction, &c. Il peut arriver que ces caracteres se combinent ensemble ; alors quel nombre prodigieux de différences n'en peut-il pas résulter ? Galien a suivi ce détail avec la derniere exactitude, & une extrême subtilité, & a par ce moyen multiplié les caracteres du pouls ; de façon, comme il dit lui-même, que la vie de l'homme suffit à peine pour en prendre une entiere connoissance. On conçoit bien la possibilité de toutes ces différences, mais on ne les observe pas ; elles éludent le tact le plus fin & le plus habitué ; Galien ne dit pas lui-même les avoir apperçues. Cependant il faut bien se garder d'englober dans la même condamnation toutes les différences qu'il a établies ; mais comme on est assuré que la plûpart sont arbitraires, on ne doit les admettre que d'après sa propre expérience. Il y a lieu de penser, & il est même certain, que plusieurs pouls décrits par Galien, sont conformes à l'observation. On sait que la haute réputation qu'il avoit à Rome, lui venoit principalement de son habileté dans le prognostic, & de ses connoissances sur le pouls. D'ailleurs les observations postérieures ont confirmé, comme nous le verrons plus bas, une partie de sa doctrine. On peut jusqu'à un certain point, déterminer ce qu'il y a de réel ou d'idéal dans ses descriptions, par ce principe ; que les pouls qui ne naissent point de ses divisions, & qui n'entrent qu'avec peine dans ses classes, doivent leur origine à l'observation ; tels sont les dicrotes, les caprisans, les miures, les ondulans, les vermiculaires, les formicans, & même les intermittens. 2°. Les pouls simples, soit égaux, soit inégaux, sont aussi observés : quant aux combinaisons & aux subdivisions minutieuses, elles décelent ouvertement l'opération de l'esprit, & le travail du cabinet ; on peut sans risque refuser de les croire & les négliger. Les Méchaniciens dont nous parlerons dans un moment, aussi méthodistes que Galien, plus théoriciens & moins observateurs que lui, ont dans la détermination du pouls, suivi une route contraire, admettant ceux qu'ils voyoient découler de leurs principes, & qu'ils pouvoient expliquer, & traitant de chimériques ceux dont ils ne concevoient pas l'origine & la formation ; aussi se sont-ils particulierement déchaînés contre cette nomenclature de Galien.
3°. Sur les causes du pouls. La doctrine de Galien sur cette partie, est très-obscure, & paroît absurde & extraordinaire par l'ignorance où nous sommes de sa langue. Chaque âge, chaque pays, & chaque climat même non-seulement a un idiome différent, mais aussi une façon particuliere d'exprimer souvent les mêmes idées, un tour de phrase singulier ; & c'est souvent faute d'entendre ce langage que nous condamnons légerement des choses que nous approuvons sous d'autres termes.
La faculté que Galien fait inhérente aux parois des arteres, paroît très-naturelle ; elle eût été appellée par les Stahliens, nature ou ame ; élasticité simplement par les Méchaniciens, & irritabilité ou contractilité par d'autres. L'usage que Galien regarde comme une seconde cause de la génération du pouls, est un mot qui exprimeroit à merveille dans le langage des animistes, le motif qui détermine leur ame ouvriere à faire & à varier le pouls suivant le besoin. Quant à son excrément fuligineux né de l'adustion du sang qui choque d'abord les oreilles ; lorsqu'on l'examine, on voit que ce n'est autre chose que ce que les modernes appellent matiere de secrétions, superflus de la nourriture, humeurs excrémenticielles, &c. noms aussi vagues & indéterminés. Et il ne s'éloigne pas de la vérité, lorsqu'il dit que l'usage de la contraction étant d'expulser, elle doit augmenter en fréquence, en vîtesse, en grandeur, lorsqu'il s'est accumulé. Les modernes ne disent-ils pas que la même chose arrive, ou qu'il y a fievre, lorsque les excrétions sont supprimées, lorsqu'elles ne se font pas bien, que le sang est altéré, que les extrêmités artérielles sont obstruées ? &c. Les explications qu'il donne des différens pouls, sont quelquefois assez naturelles ; nous ne dissimulerons pas, que pour suivre les divisions qu'il a établies dans le premier livre, il est obligé d'entrer dans des détails aussi minutieux, & d'imaginer des choses qui ne sont pas moins chimériques. Pour ce qui regarde les changemens qui arrivent au pouls par l'action des causes extérieures ou accidentelles, ce sont des choses que l'observation seule peut décider. Nous ne nierons pas que quelques-uns paroissent évidemment une suite de son systême, & plutôt imaginés qu'observés. Nous avertirons en même tems que nous avons fait quelques observations qui sont favorables à ce qu'il avance, nous en avons rapporté une plus haut ; c'est en suivant la même route qu'on pourroit vérifier entierement des points aussi importans.
4°. Sur les présages. Ce que nous avons dit sur les différences, & sur les causes du pouls, est aussi appliquable aux présages qu'on doit ou qu'on peut en tirer dans le systême de Galien : le même minutieux, le même arbitraire regne ici. On prétend des modifications du pouls données, remonter à la connoissance des causes, ou parvenir à déterminer l'état actuel ou futur de la maladie ; & c'est toujours en conséquence des principes établis & censés vrais, & des différences supposées ; mais un édifice construit sur des fondemens aussi peu certains, peut-il être solide ? Il n'est souvent pas même brillant. Cependant par la raison qu'il y a des différences réelles & des causes assez naturelles, il doit y avoir des présages justes & assurés. Il est certain, par exemple, que le pouls languissant est un effet & un signe nullement équivoque de la foiblesse de la faculté. La dureté du pouls indique bien évidemment la dureté de l'artere, d'où l'on peut remonter assez surement à la connoissance d'une inflammation dans des parties membraneuses tendues, ou de quelque affection spasmodique, &c. La partie du prognostic semble n'être qu'un extrait de l'observation. Galien détaille avec beaucoup de justesse quelques pouls critiques, & dans ces chapitres il ne se permet aucun raisonnement ; il ne pense pas à donner l'explication des différences de ces pouls, il ne donne que des faits, que des observations ultérieures ont étendu & confirmé ; quelles lumieres n'aurions-nous pas tiré de ces ouvrages, s'il ne se fût jamais écarté de cette route ; & même dans ce qu'il a fait, quel champ vaste & fécond n'a-t-il pas ouvert aux observateurs ? Mais leur paresse, leur ignorance, ou leur mauvaise foi, l'a laissé inculte & sterile pendant plus de six cent ans. Encore est-ce le hasard, qui après un si long espace de tems, a réveillé l'attention des Médecins ?
Doctrine des Méchaniciens sur le pouls. Bellini est un des premiers & des plus célebres auteurs qui ait consideré le pouls méchaniquement. (Laurent. Bellin. de urinâ pulsib. & opuscul. practic.) Hoffman a suivi son systême, & a prétendu prouver dans une dissertation particuliere, que le pouls de voit être assujetti aux regles de la méchanique. (De puls. natur. & gemin. different. & usu in praest. tom. V I. vol. iv.) Boerhaave, & tous ses sectateurs, tous les médecins qui ont embrassé la théorie vulgaire, fondée sur la fameuse circulation du sang mal conçue & trop généralisée, & sur les lois insuffisantes de la méchanique inorganique ; tous ces médecins, dis-je, qui font encore le parti le plus nombreux, & presque dominant dans les écoles, ont adopté leurs opinions sur le pouls. Ils font peu d'usage de ce signe, l'examinent sans attention, & n'en tirent que peu de connoissances & très-incertaines ; mais en revanche ils en font un objet important de leurs dissertations, de leurs disputes & de leurs calculs. Ils le soumettent aux analyses mathématiques, & s'occupent beaucoup plus à en déterminer géométriquement & la force & les causes, qu'à saisir comme il faut ses différences, & en évaluer au juste les significations. Voici à quoi se réduit leur doctrine.
1°. Sur les différences. Ils appellent avec Galien, pouls, le double mouvement de systole & de diastole que l'on apperçoit au coeur, & principalement aux arteres. Ils regardent comme le fruit d'une oisive subtilité, toutes les divisions minutieuses que Galien a détaillées avec tant d'exactitude ; ils rejettent aussi hardiment, mais avec moins de raison, les différentes especes de pouls, désignées par les noms des choses avec lesquelles on a cru leur trouver quelque ressemblance, comme les myures, ondulans, discrotes, caprisans, &e. ils se moquent de ces comparaisons inexactes, de ces images grossieres & de ces noms bisarres ; mais pourquoi tâchent-ils de jetter un ridicule sur ces pouls ? C'est qu'ils ne peuvent pas en démontrer la fausseté, & qu'ils ne peuvent cependant pas les admettre, parce qu'ils ne s'accordent pas avec leur regle, qu'ils sont inexplicables dans leur théorie, & qu'ils choquent, embarrassent & arrêtent la marche de leurs calculs, qui exigent nécessairement une certaine uniformité : des pouls décrits par Galien, ils n'ont conservé que ceux qu'ils ont cru se plier commodément à leur systême, dont les explications leur ont paru assez naturelles, & qui d'ailleurs pouvoient se calculer aisément. Tels sont les pouls forts & foibles, fréquens & rares, grands & petits, durs & mols, égaux & inégaux, & l'intermittent. Ces différences sont fort simples, faciles à observer, & paroissent au premier coup d'oeil assez significatives. Dans les idées qu'ils attachent à ces pouls, ils ne different de Galien que dans ce qui regarde le pouls rare & fréquent, par lesquels ils pensent exprimer, non-seulement les pouls où les pulsations se succedent avec beaucoup ou peu de promtitude, mais encore ceux où les pulsations s'élevent & s'abaissent vîte ou lentement, de façon qu'ils confondent assez ordinairement la vîtesse & la fréquence, la rareté & la lenteur, croyant que l'une ne sauroit exister sans l'autre. " La vîtesse des pulsations, dit Sylvius de le Boe, peut aisément se concevoir, mais elle ne sauroit s'observer. " L'espace " de tems, ajoute Bellini, que l'artere employe pour s'élever dans l'état naturel, est si court, qu'il n'est pas possible qu'on puisse le distinguer au tact ; il sera encore moins sensible dans l'état contre-nature. " (de pulsib. pag. 65.) Frédéric Hoffman, & quelques autres, ont cru que le pouls fort n'étoit pas bien différent du vîte ; mais cette idée n'est pas juste & n'est pas suivie.
2°. Causes du pouls. Tous les Méchaniciens s'accordent à regarder le mouvement ou la circulation du sang, comme la vraie & premiere cause du pouls ; mais ils ne parlent que du pouls ou battement des arteres. Celui du coeur, qu'on appelle plus communément le mouvement du coeur, est produit par d'autres causes. Voyez COEUR, CIRCULATION, DIASTOLE, SYSTOLE. Ils supposent donc le coeur deja mis en jeu par un autre mobile, se contractant & se dilatant alternativement, tantôt envoyant le sang dans les arteres, & tantôt le recevant des veines ; cela posé, voici comme ils raisonnent : le sang poussé avec plus ou moins d'impétuosité par la contraction des ventricules dans les arteres, y trouve nécessairement de la résistance ; son mouvement devenant moindre, & étant empêché, suivant l'axe de l'artere, doit augmenter par les côtés, semblable à une riviere qui déborde, s'étend sur le rivage, & frappe les corps qu'elle rencontre sur les côtés, lorsqu'elle trouve quelque obstacle qui empêche la liberté de son cours. Le sang poussé dans les arteres, éprouve de la résistance de la part de celui qui précede, dont la vîtesse diminue toujours à mesure qu'il s'éloigne du coeur, à cause de la division des arteres, de la multiplication des branches qui fait augmenter les surfaces dans une plus grande proportion que les capacités, & rend par-là les frottemens beaucoup plus considérables. Qu'on se représente deux ou plusieurs cylindres d'argille molle, mus suivant la même direction, avec une vîtesse inégale, de façon que le second en ait plus que l'autre, lorsque ces deux cylindres s'atteindront, il y aura un choc qui sera à leurs extrêmités voisines, un applatissement plus ou moins considérable suivant la force du choc ; le diamêtre augmentera, leur circonférence sera plus grande, & il se formera une espece de bourlet. Si ces deux cylindres étoient contenus dans un étui souple & flexible, ils se dilateroient dans cette partie, & formeroient un renflement. Appliquons maintenant cela au sang, poussé à différentes reprises dans les arteres ; concevons-en deux jets envoyés par deux contractions différentes, le premier aura parcouru une certaine portion d'artere dans le tems que le second commence à y entrer ; mais sa vîtesse diminuant, il sera bien-tôt atteint par le second, auquel il opposera de la résistance. Il y aura un choc dont la force sera mesurée par le quarré de l'excès de vîtesse du second jet sur le premier ; par conséquent reflux vers les parois de l'artere, qui étant molles & dilatables, seront poussées en dehors, & feront le mouvement de diastole. On peut imaginer la même chose, le même méchanisme dans toutes les portions de l'artere, & on aura l'idée de la dilatation de l'artere, premiere partie & la plus sensible du pouls. Mais en même tems que les jets postérieurs choquent ceux qui les précedent, ils leur communiquent une partie de leur vîtesse, par conséquent les degrés sont moins inégaux, & ils doivent nécessairement diminuer, & se rapprocher davantage, à mesure que le sang fait du chemin, & qu'il parvient aux petites artérioles ; enfin les vîtesses doivent être égales. Alors plus de résistance, plus de choc, plus de reflux vers les côtés, & plus de dilatation. Il me paroît qu'on pourroit tirer de-là une explication assez satisfaisante dans ce systême de la diminution dans la force & la grandeur du pouls, dans les petits rameaux artériels, & enfin du défaut total dans les arteres capillaires & dans les veines ; phénomene qui avoit jusqu'à présent paru inexplicable par les mauvaises raisons qu'on en a données. Voyez ARTERES.
Lorsque les parois de l'artere ont été distendues à un certain point par l'effort du sang, cette cause venant à cesser avec la contraction du coeur qui fait place à sa dilatation, leur élasticité qui avoit augmenté par la tension, a son effet ; le sang s'écoule pour remplacer les vuides que fait celui qui se décharge des veines & des oreillettes dans les ventricules dilatés. Les parois ni repoussés, ni même soutenus, obéissent à son effort ; ils se rapprochent mutuellement, & paroissent s'enfoncer sous le doigt qui tâte : c'est ce qu'on appelle contraction ou systole. Voyez ce mot. Une nouvelle contraction du coeur donne naissance à une seconde dilatation des arteres, que suit bien-tôt après une autre contraction, pendant que le coeur se dilate de nouveau. Cette suite de dilatations & de contractions n'est autre chose que le pouls.
La même cause qui produit le pouls, le fait varier ; les changemens qui arrivent dans les contractions des ventricules, & en particulier du ventricule gauche, se manifestent par les dilatations des arteres. Le sang peut entrer plus ou moins abondamment dans les arteres, y être poussé fréquemment ou rarement, avec plus ou moins de force. Les contractions du coeur peuvent être uniformes ou variables, tantôt plus vives, tantôt plus foibles, plus lentes ou plus rapides, séparées par des intervalles égaux ou inégaux. D'ailleurs le tissu des arteres peut être plus ou moins dense, plus lâche, ou plus ferme ; les obstacles qui se présentent aux extrêmités capillaires, ou dans le coeur, peuvent varier : enfin le sang peut être en plus ou moins grande quantité, plus ou moins aqueux, &c. Toutes ces causes peuvent apporter de grands changemens dans la grandeur, la force, la vîtesse, l'uniformité, l'égalité, la dureté & la plénitude du pouls.
Les causes des contractions du coeur sont l'abord du sang & l'influx des esprits animaux dans les ventricules ; à quoi Bellini ajoute fort inutilement & mal-à-propos l'entrée du sang dans les arteres coronaires. Si la quantité & la qualité du sang & des esprits animaux sont légitimes, les contractions du coeur seront grandes & fortes ; la dilatation des arteres y répondra ; pour que le pouls soit grand il faut que la souplesse des parois artérielles & la liberté de la circulation y concourent. Le pouls peut être fort avec la dureté ; il suppose aussi toujours une resistance plus considérable, une certaine gêne dans les extrêmités des arteres ; alors l'excès de vîtesse du second jet sur le premier est plus grand, le choc plus fort, le reflux & l'effort sur les parois plus sensible, & le pouls plus véhément. La quantité & la qualité du sang étant altérées, les esprits animaux viciés rendront les contractions du coeur plus petites & plus foibles, & feront sur le pouls les mêmes altérations. La dureté de l'artere suffit pour en empêcher la grandeur ; & le mouvement suivant l'axe trop libre, le rend foible, comme il arrive dans les hémorrhagies & dans ceux qui ont le sang dissous & privé, comme dit Hoffman, de la substance spiritueuse, expansive, élastique, qui lui donne du ton, & qui sert à élever les parois de l'artere avec vigueur. La fréquence du pouls est produite par la vîtesse de la circulation qui suppose un influx plus rapide du fluide nerveux dans le tissu des ventricules, & le retour plus promt du sang dans leurs cavités. 1°. Le fluide nerveux sera sollicité & comme appellé plus abondamment & plus vîte par un sang bouillant, enflammé, âcre, qui irritera les parois sensibles des ventricules. 2°. Le sang abordera plus promtement au coeur, si les extrêmités artérielles sont obstruées ; parce qu'alors il prendra pour y retourner un chemin plus court, se détournant de ces arteres pour passer par les collatérales, dont le diametre est plus grand ; il arrivera pour lors que ces arteres libres seront obligées de transmettre une plus grande quantité de sang qu'auparavant, & dans le même tems ; il faudra donc pour subvenir à cette augmentation de masse, que sa vîtesse augmente, comme il arrive aux fleuves qui coulent avec plus de rapidité lorsque leur lit est resserré. Cette explication de la fréquence du pouls, toute absurde qu'elle est, & contraire aux lois les plus simples de la méchanique, forme la base de la fameuse théorie des fiévres & de l'inflammation. Voyez FIEVRE & INFLAMMATION. C'est un des dogmes les plus importans de l'aveugle machinisme. Les causes opposées, savoir un sang tranquille, froid, épais, rapide, peu de sensibilité dans le coeur & les vaisseaux, produisent le pouls lent ou rare ; car les Méchaniciens regardent ces deux noms comme synonymes ; c'est ce qu'on observe chez les vieillards, chez les jeunes chlorotiques, &c. La dureté du pouls est l'effet de la sécheresse de l'artere, ou de sa construction : la premiere cause a lieu dans certaines convalescences, dans la vieillesse & dans ceux qui ont fait un long & immodéré usage du vin & des liqueurs ardentes aromatiques ; le resserrement est produit par une inflammation considérable, une douleur vive, ou une affection spasmodique ; la mollesse suppose la privation de ces causes, l'excès de sérosité, l'inaction des nerfs, & une espece d'apathie. Lorsqu'elle est poussée à un certain point, le pouls est appellé lâche ; il a pour cause la foiblesse & le relâchement des organes qui poussent le sang ou la petite quantité de ce fluide.
Le pouls égal dont les pulsations se succedent avec une force, une grandeur, & une vîtesse semblables, se soutient dans cet état tant que la marche des esprits est uniforme dans les nerfs, & le cours du sang libre dans le coeur & les vaisseaux. Dès que l'action des nerfs & des organes de la circulation est troublée, le pouls devient inégal, & quelquefois manque tout-à-fait, ce qui dépend de la force des obstacles qui s'opposent au mouvement du sang ; ils peuvent se trouver dans le coeur & au commencement des arteres ou des veines, comme les polypes, des concrétions, des ossifications, des tumeurs, des anévrismes, qui bouchent ou dilatent trop les passages du sang, troublent l'uniformité de son cours, dérangent, empêchent, & interrompent même les contractions du coeur, les affections du cerveau, le vertige, l'incube, l'apoplexie ; celles de la poitrine, les pleurésies, les asthmes, les vomiques, &c. suspendent quelquefois l'action du coeur & le cours du sang, & rendent le pouls intermittent. Les nerfs seuls agités dans diverses parties, produisent les mêmes effets : l'intermission du pouls est fréquente dans les hypochondriaques & dans les affections hystériques. Les autres especes de pouls ne sont formées que par ces différences augmentées, diminuées, & diversement combinées ; Hoffman prétend que tous ces caracteres de pouls vermiculaires, caprisans, vibratils, myures, &c. dépendent d'un état convulsif des parois de l'artere, & que le pouls intermittent est produit par l'inégalité d'un flux des esprits animaux & du mouvement du sang, & par le désordre qui se trouve alors dans la combinaison de ses principes. Il n'y a presque pas un auteur qui n'ait un sentiment différent sur la formation de ce pouls, qui n'ajoute ou qui ne retranche quelqu'absurdité des explications des autres. Bellini tranche la difficulté, & n'en parle pas ; il nie la plûpart des irrégularités admises par les anciens. Dans le dicrote il peut y avoir, dit-il, beaucoup de supercherie : on n'a qu'à faire appliquer inégalement les doigts sur l'artere, & on sentira deux coups au lieu d'un ; cependant il peut arriver que ce double coup se fasse sentir, qu'il soit réel. Lorsque les extrêmités artérielles sont fortement obstruées, alors le sang obligé de refluer éleve l'artere deux fois de suite, & fait par-là le dicrotisme.
A ces causes, les Méchaniciens ajoutent avec les galénistes, celles qui sont extérieures ou accidentelles, comme les passions, l'âge, le tempérament, le climat, le chaud & le froid, le boire & le manger, le sommeil, l'exercice, les médicamens, &c. Ils se sont contentés de remarquer que ces causes altéroient & faisoient varier le pouls ; peu soucieux d'observer la nature de ces changemens & de nous en instruire. Hoffman nous avertit seulement, après Sydenham, que l'usage des martiaux, des remedes actifs, des sudorifiques, des huiles essentielles, animoit le pouls, & en augmentoit la force & la vîtesse ; que les anodins, les nitreux, l'opium, les mêlanges de nitre & de camphre produisoient des effets contraires. Il avertit aussi fort judicieusement de bien consulter le pouls avant d'ordonner aucun remede, parce qu'on doit s'abstenir des purgatifs forts, émétiques, de même que des préparations de pavot, qui risqueroient de procurer un sommeil éternel, si le pouls est petit, foible, & languissant ; des cordiaux, des analeptiques, des spiritueux volatils, si le pouls est fort vîte & fréquent, &c. Il n'est personne qui ne sente combien pourroit être funeste l'inopportunité de ces remedes.
3°. Présages tirés du pouls. Le pouls étant l'effet immédiat de la circulation du sang, il doit aussi en être le signe le plus assuré, & en marquer exactement toutes les variations ; d'où il doit nécessairement devenir le signe le plus universel & le plus lumineux de tous les dérangemens de l'économie animale : car il est si incontestable que c'est de la circulation du sang, assure Frédéric Hoffman, & avec lui tous les circulateurs ou méchaniciens, " que dépendent la vie & la santé ; que c'est par elle que toute la machine humaine est gouvernée ; qu'on peut la regarder comme cette nature bonne & prévoyante mere, qui conserve la santé, & qui guérit les maladies. Ainsi plus le pouls est modéré & régulier, plus la nature tend directement & victorieusement à son but : plus au contraire il s'éloigne de cet état de perfection, plus la nature est foible, & plus il est à craindre qu'elle ne succombe aux obstacles qui l'oppriment. Le pouls non-seulement nous manifeste le dérangement ou la force de tout le corps, mais encore la constitution & la nature du sang, & en outre l'état des sécrétions, semblable à un pendule, dont le mouvement égal & uniforme marque sûrement le bon état de l'horloge dont il fait partie : le pouls décide de la nature de l'homme, la vigueur ou la foiblesse de ses fonctions, &c. ". (Freder. Hoff. dissert. de puls. natur. &c. tom. VI. pag. 241.) D'autre côté, on soutient hardiment avec le fougueux Chirac, que la circulation du sang est le seul flambeau capable de dissiper les ténebres dont la Médecine étoit enveloppée ; qu'avant cette découverte, tous les Médecins étoient des aveugles & des ignorans qui marchoient à tâtons au milieu d'une nuit obscure, & sacrifioient sans le savoir les malades à leur aveugle empirisme ; il tranche le mot, & dans l'ardeur & le délire de son enthousiasme, il dit qu'Hippocrate & Galien, privés de la clarté de ce flambeau, ne pouvoient être que des maréchaux ferrans. (Dieux, quel blasphème !) Le pouls doit faire connoître les moindres altérations dans le mouvement du sang : quel jour éclatant ce signe ne doit-il pas répandre dans la théorie & la pratique de la Médecine ? Après des éloges si pompeux, on doit s'attendre que toute la Médecine des méchaniciens soit fondée sur le pouls ; qu'elle soit désormais aussi certaine qu'elle étoit auparavant conjecturale ; qu'ils tirent de-là les connoissances les moins équivoques, les pronostics les plus justes, les indications les plus sûres ; enfin, que le pouls soit leur boussole universelle & infaillible : point du tout, leur pratique n'est pas plus conforme à leur théorie en ce point, que dans les autres. Toutes ces vaines déclamations, bonnes dans le cabinet où elles sont enfantées, ne sont point soutenues au lit du malade ; ces médecins, presque tous routiniers, ne font qu'une légere attention au pouls, tâtent superficiellement deux ou trois pulsations, & les signes qu'ils en tirent sont très-incertains & le plus souvent fautifs. Dès que le pouls est petit, ils le croyent foible, pensent que les forces sont épuisées, & donnent des cordiaux ; dès qu'il est élevé il passe pour être trop fort ; à l'instant on ordonne la saignée qu'on fait réitérer tant que le pouls persiste dans cet état. Par la fréquence on juge de la fiévre ; le pouls fréquent en est le signe pathognomonique, selon Sylvius de le Boë, (Prax. medic. lib. II. pag. 460.) suivi en cela par Etmuller, Decker, Schelhammer, Bohn, Willis, Brown, & un grand nombre d'autres médecins. Voyez FIEVRE. La dureté du pouls est un signe d'inflammation dans les maladies aiguës ; l'inégalité, & sur-tout l'intermittence, un signe presque toujours mortel : c'est à quoi se réduisent les connoissances que la plûpart des médecins tirent du pouls. Bellini paroît avoir examiné ce signe plus attentivement, partant toujours des mêmes principes, & tirant plus du raisonnement que de l'observation ; il pense cependant que l'âge, le tempérament, les passions, l'exercice, le sommeil, la veille, les saisons, les pays, les climats, le boire & le manger, faisant varier le pouls à l'infini, & chacune de ces causes le modifiant différemment ; on ne pourra reconnoître le pouls naturel, & savoir si celui qu'on tâte s'en éloigne, & de combien ; & par conséquent ce signe deviendra équivoque & trompeur. Ajoutez encore à cela, dit-il, la différente quantité de sang, & les variétés qui peuvent se trouver dans le tissu, l'épaisseur, la tension, & la capacité des arteres ; (de pulsib. pag. 64.) il indique néanmoins, ou il imagine un pouls naturel qui doit servir de point de comparaison où l'on rapporte tous les autres, & qui est une espece de toise qui en mesure les différens écarts ; ce pouls est modéré dans sa vîtesse, sa force & sa durée, & toujours égal. Dans les maladies les pouls grands, forts, & pleins, sont de bon augure ; ils dénotent que la circulation est libre, & les forces encore entieres ; les petits, les foibles & les vuides, sont par la raison des contraires un mauvais signe ; le vîte & le lent sont aussi fâcheux : l'un dénote une obstruction totale des extrêmités artérielles, & l'autre stagnation, dissolution du sang, dissipation des forces, &c. Le pouls dur est à craindre, parce qu'il signifie un état convulsif, une inflammation, ou de grands embarras ; le pouls mol est encore plus funeste, marquant l'exténuation, un relâchement mortel, & enfin un épuisement absolu des forces. Le pouls rare indique l'obstruction du cerveau, défaut d'esprits animaux, & engorgement des arteres coronaires par des calculs, des polypes, de la sérosité coagulée, &c. Si ces obstacles sont permanens, ils donneront lieu aux miures récurrens, intermittens, intercurrens, &c. Le pouls fréquent est un signe de la vîtesse de la circulation ; on remonte par-là à la connoissance des causes qui l'ont produit. Voyez 2°. Causes. Hoffman prétend que toutes les inégalités, qui constituent les vermiculaires, tremblottans, formicans, serrés, caprisans, dénotent un état convulsif dans les parois de l'artere ; il assûre, après Galien, que le pouls ondulant annonce la sueur ; mais il ne dit pas l'avoir observé. Il remarque avec raison que le pouls intermittent n'est pas toujours un signe mortel ; enfin, il veut que pour bien saisir la signification du pouls, on le tâte long-tems & à diverses reprises, & dans différentes parties, à l'exemple des Chinois ; il rappelle à ce sujet l'observation de Vanderlinde, sur un homme qui avoit mal à la rate, & chez qui on sentoit un battement à l'hypocondre gauche : seditionem facit lien, dit-il, pungendo pulsandoque. L'observation que rapporte Tulpius, (Centur. II. observ. XXVIII.) est tout-à-fait semblable ; dans le délire, ou lorsqu'il est prêt à se déclarer, les arteres temporales battent très-fort. On sent aussi le même battement, suivant la remarque d'Hippocrate, dans certaines maladies qui se terminent par une hémorrhagie abondante du nez. (Coacar. praenot. cap. III. n°. 23.)
Réflexions sur la doctrine des Méchaniciens. 1°. Sur les différences ; on ne sauroit refuser aux différences des pouls assignées par les Méchaniciens un caractere de simplicité qui semble les rendre plus faciles à observer, & même plus significatives ; l'ardeur avec laquelle ils ont banni toutes les especes de pouls admises par Galien, qui avoient un air hypothétique & trop recherché, doit faire penser qu'ils ont été eux-mêmes en garde contre cet écueil ; il n'en est cependant rien ; leur prétendu zele n'est qu'un voile dont ils vouloient couvrir leur mépris des anciens & leur déchaînement contre leurs dogmes. Ils n'ont pas montré plus de discernement dans les pouls qu'ils ont rejetté, que dans ceux qu'ils ont retenus ; guidés dans ce choix par le raisonnement & le caprice bien plus que par les lumieres & l'observation, ils ont traité les pouls ondulans, dicrotes, caprisans, &c. de chimériques, par la difficulté qu'ils voyoient d'en donner des explications satisfaisantes, & de les classer méthodiquement ; cependant la plûpart de ces pouls sont réellement observés ; les caracteres qu'ils ont admis sont réels ; ils sont simples, mais en sont-ils pour cela plus faciles à saisir, à connoître, à déterminer, à bien évaluer ? Il est certain que le pouls est tantôt plus grand, tantôt plus petit, tantôt dur, & tantôt mol, &c. Mais comment saura-t-on que le pouls qu'on tâte participe de l'un ou l'autre de ces caracteres ? Y a-t-il un point fixe au-dessous duquel le pouls soit dur, & au-dessous duquel il soit mol ? La vîtesse, la grandeur, la dureté & la force, sont des qualités respectives, dont on ne peut déterminer l'excès ou le défaut, que d'après une mesure constante & invariable. Cette mesure se trouve-t-elle dans le pouls ; y a-t-il un pouls naturel, fixe, & déterminé ? Quand il existeroit, l'observateur peut-il l'avoir toujours présent dans l'esprit ; ne peut-il pas s'en former des idées différentes, suivant que la finesse du tact variera, ou par d'autres circonstances ? Ne voyons-nous pas tous les jours qu'un pouls qui paroît dur à un médecin, est censé mol par un autre, de même qu'un corps n'est jamais trouvé par plusieurs personnes avoir le même degré de chaleur ; d'ailleurs, toutes ces qualités, comme l'a judicieusement observé Bellini, ne varient-elles pas suivant l'âge, le tempérament, le climat, la disposition du corps, &c. Dans l'état de santé, la mollesse & la dureté, la fréquence & la vîtesse, n'ont elles pas des degrés différens ? La fréquence du pouls, comme l'a observé un auteur célebre, aussi illustré par ses lumieres & ses écrits que par son rang & sa dignité, varie encore beaucoup, suivant la taille ; les personnes grandes ont le pouls plus rare que les petites ; dans les corps de six piés il n'a compté que 60 pulsations dans une minute ; 70 dans ceux de cinq piés ; 90 dans ceux de quatre ; & 100 dans ceux qui n'avoient que deux piés. (Structure du coeur, par M. de Sénac, livre III. chap. vij. part. II. page 214.) On remarque quelque chose d'assez semblable dans les grands horloges, les pendules, & les montres ; le nombre de battemens augmente dans la même proportion que leur petitesse ; d'où l'on peut conclure que les différences des pouls adoptées par les Méchaniciens, ne sont pas à beaucoup près préférables à celles de Galien ; qu'on ne peut en tirer rien d'assuré, parce que leur valeur est le plus souvent arbitraire, & qu'en général elles n'expriment rien de précis & de positif.
2°. Sur les causes. L'étiologie du pouls développée dans le système des Méchaniciens paroît au premier coup-d'oeil assez satisfaisante ; elle a reçu encore un nouveau relief plus imposant que son prétendu accord avec les lois de la méchanique par les calculs dont on l'a hérissée, & sous lesquels on n'a fait que l'envelopper ; il sembloit qu'elle dût participer de la vérité & de la démonstration qu'on croit inséparables des sciences mathématiques, & qui l'est effectivement lorsqu'elles sont bien appliquées. Mais il est facile d'appercevoir par le peu de succès des savans illustres, par les erreurs grossieres dans lesquelles ils sont tombés ; par leur prodigieuse variété sur le même point, (voyez les ouvrages de Keill & de Borelli, voyez aussi l'article COEUR,) que la géométrie n'est nullement applicable à la physique du corps humain ; nous pourrions joindre ici l'autorité respectable d'un célebre mathématicien, & bien d'autres preuves qui quoique démonstratives seroient ici déplacées, parce qu'elles ne feroient rien au fond de la question ; il s'agit de savoir si en effet la circulation du sang est la cause du battement des arteres ou du pouls. La décision de cette question exigeroit une discussion sévere des preuves de la circulation du sang ; mais il ne nous est pas possible d'entrer dans un détail aussi long, quelque important qu'il pût être, & quoiqu'il dût servir à éclaircir des faits intéressans mal examinés ou connus & nullement constatés. Nous sommes malgré nous obligés de nous restreindre & d'élaguer souvent notre matiere, nous nous contenterons d'observer, peut-être aurons nous quelqu'occasion de le démontrer ailleurs, que l'on se fait une idée très-incomplete & très-fausse de la circulation du sang, si on se la représente comme un simple mouvement progressif, toujours direct, toujours uniforme, par lequel le sang est porté du coeur dans les arteres, de-là dans les veines, d'où il revient de nouveau dans le coeur ; pour en trouver soi-même la preuve il faut avoir recours à un moyen sûr & lumineux, c'est l'observation exacte, assidue & réfléchie des phénomenes de l'économie animale dans l'homme sain & malade, & cesser de s'en tenir simplement à des expériences fautives, peu décisives & mal évaluées. Voyez INFLAMMATION, ÉCONOMIE ANIMALE, & la suite de cet article.
En second lieu, il est certain qu'il y a un mouvement progressif dans le sang, quel qu'il soit, de quelle maniere qu'il s'exécute, quelles qu'en soient les causes, le méchanisme & les variétés ; mais admettons le pour un mouvement aussi uniforme que les Méchaniciens, il en résultera, 1°. qu'en le regardant comme la cause du battement des arteres, on prend évidemment la cause pour l'effet ; qu'il est beaucoup plus naturel de croire que le mouvement du sang est dû à l'action des arteres, que d'attribuer cette action au mouvement du sang ; 2°. que dans cette idée on fait des arteres un instrument passif, sans ton, sans force, & sans vie, bien différent en un mot de ce qu'elles sont effectivement ; on multiplie prodigieusement les resistances opposées à la circulation, puisqu'alors non-seulement le sang a à surmonter les obstacles qui viennent des frottemens immenses, mais encore une partie de sa force est employée à soulever, à distendre, & à dilater les parois resserrés & contractés des arteres ; 3°. l'expérience de Galien que nous avons rapportée plus haut est absolument contraire à cette opinion, elle prouve incontestablement que les arteres ne se dilatent pas, parce qu'elles reçoivent du sang comme de simples outres, mais qu'elles reçoivent du sang, parce qu'elles se dilatent comme des soufflets qui ont une action propre ou dépendante d'une cause extérieure ; si l'on applique ce système à différens phénomenes, par exemple, à la variété du pouls des deux côtés, aux pulsations vives des parties enflammées où le sang est censé en repos, si surtout on essayoit de le plier aux nouvelles observations sur le pouls dont il sera fait mention plus bas, on en sentiroit de plus en plus les contradictions, l'insuffisance & la nullité ; on ne peut rien trouver de plus ridicule que l'explication qu'on donne de la fréquence du pouls, on peut voir ce que nous en avons dit à l'article INFLAMMATION ; l'étiologie du pouls intermittent & des pouls inégaux ne présente aucune idée, ce ne sont que des mots vuides de sens, & ce langage quoique fort rapproché de notre tems, paroît déjà plus barbare que celui des anciens ; nous finirons par cette derniere remarque qui nous paroît décisive, c'est que dans les arteres vuides de sang on peut rappeller le double mouvement de dilatation & de contraction en irritant les parois, sur-tout intérieurs de l'artere, qui donnent par-là une grande preuve d'irritabilité.
3°. Sur les présages. Il n'est pas étonnant qu'avec des différences aussi vagues & une théorie aussi fausse les Méchaniciens tirent aussi peu de lumieres du pouls dans le diagnostic & le prognostic des maladies, & c'est la raison pourquoi les effets répondent si peu aux éloges magnifiques mais aveugles qu'ils font de l'importance de ce signe. Ils ont raison de regarder le pouls grand & fort comme un très-bon signe dans les maladies aiguës, mais ils ont tort de tirer un mauvais présage du pouls fréquent, vîte ; ce pouls est souvent très-nécessaire & aussi utile que la fievre dont ils le regardent comme le siége ; ils ont tort aussi de se fonder sur la fréquence du pouls pour assurer qu'il y a fievre, parce qu'ils ont donné le nom de fievre à bien des maladies où le pouls n'est pas fréquent, telles sont la plûpart des fievres malignes ; mais ils n'ont pas une idée plus nette & plus conforme à la vérité de la fievre, mot si souvent répété & jamais expliqué, que du pouls. Ils se trompent davantage en prenant le pouls mol pour un signe mortel. Il n'est tel que lorsqu'il est parvenu au dernier degré de relâchement, & qu'on l'appelle lâche & vuide ; quantité d'observations prouvent que le pouls modérément mou à la fin des maladies, est dans certains cas un signe très-favorable ; le pouls petit est un signe très-équivoque de foiblesse ; cette idée peut induire dans bien des erreurs. J'ai vû souvent périr des malades réputés foibles & traités en conséquence par les cordiaux, les spiritueux, parce que le médecin ignoroit qu'au commencement des maladies & dans d'autres cas le pouls est souvent enfoncé, profond, petit, &c. sans être foible, & qu'une saignée auroit relevé ce pouls, & fait avec succès l'office de cordial. De même le pouls grand fait tomber dans les mêmes fautes ceux qui le confondent avec le fort ; on saigne, on affoiblit tandis qu'il ne faudroit rien faire ou fortifier, & cependant le malade meurt victime de l'ignorance de l'empirique qui le traite. Erreur encore de la part de ces médecins, qui pensent que le pouls intermittent est un signe mortel. Nous prouverons par des faits qu'il annonce souvent la guérison prochaine ; erreur encore de la part de ceux qui regardent toutes les inégalités du pouls comme des variations bisarres dépendantes d'un défaut dans la situation, ou le tissu des arteres, ou d'un état d'irritation & de spasme. Il est évident qu'ils substituent à des faits qu'ils devroient indiquer, des raisonnemens vagues & purement arbitraires ; erreur encore, mais en voilà assez pour faire connoître la façon de penser de ces médecins. Nous lasserions nos lecteurs & nous les ennuyerions en les promenant ainsi d'erreurs en erreurs ; ce que nous avons dit suffit pour faire juger du reste, & pour faire conclure que les Méchaniciens n'ont aucune idée raisonnable sur le pouls, que leur système vague dans les différences, faux dans l'étiologie, est encore plus vague, plus faux, plus inutile, & même dangereux dans les présages.
Doctrine du pouls suivant la musique. Hérophile est le premier qui ait fait attention au rapport qu'on pouvoit établir entre les battemens des arteres & les notes de musique ; on assure que sa doctrine du pouls étoit fondée là-dessus ; il est aussi certain qu'il en a emprunté les mots de rythme, , ou cadence, qu'il employe très-souvent pour indiquer les différences & l'état du pouls. Voyez RYTHME ; mais la perte de ses ouvrages & des commentaires que Galien en avoit faits nous ôte les moyens de nous éclaircir sur ce point, & de satisfaire la curiosité du lecteur ; depuis lui Avicenne, Savonarola, Saxon, Fernel, & plusieurs autres médecins, s'étoient proposés de faire le parallele des cadences de la musique avec le pouls, mais ils n'ont point exécuté leurs projets ; Samuel Hafen Refferus, médecin allemand, fit imprimer en 1601, un traité sur cette matiere intitulé mono-chordon symbolico-bio-manticum ; il nous a été impossible de nous procurer cet ouvrage. Enfin M. Marquet, médecin de Nancy, donna en 1747 un essai fort abrégé, où il expose la nouvelle méthode, facile & curieuse pour apprendre par les notes de musique à connoître le pouls de l'homme & ses différens changemens, &c. Nancy 1747. La doctrine qu'il établit sur les différences, les causes & les présages du pouls n'est qu'un mêlange absurde & singulier de quelques dogmes des Galénistes, des Méchaniciens, & des Chimistes : il rejette avec les Méchaniciens une grande partie des pouls adoptés par les Galénistes. " Les pouls, dit-il, qu'on appelle raboteux, ondés, résonnans, arrondis, longs, courts, pétulans, enflés, évaporés, suffoqués, solides ou massifs, dirigés à queue de souris, sont tous imaginaires (ch. xxx. ") Il admet avec Galien les pouls doubles ou directs, tremblans, défaillans, vermiculaires, fourmillans & profonds, superficiels, caprisans, convulsifs, &c. Il place les causes du pouls dans le mouvement du sang, ou dans les contractions du coeur qui sont entretenues depuis la naissance jusqu'à la mort, par le mouvement d'expiration & d'inspiration (chap. j.) " De façon, dit-il plus bas, que nous établissons le mouvement du poumon respectivement à celui du coeur pour la cause prochaine de la circulation du sang, du battement du coeur & des arteres (ibid. pag. xiv. "). Les causes qui font varier le pouls, qui le rendent non naturel, dépendent de la quantité ou de la qualité du sang vivifiées, ou du défaut de proportion des vaisseaux avec le sang ; il a sur ce sujet les mêmes idées à-peu-près que les Méchaniciens, il ajoute quelquefois avec les Chimistes, pour cause des pouls inégaux, les excès réciproques des parties sulfureuses, salines, globuleuses, &c. La partie sulfureuse dégagée & abondante produit un pouls grand & véhément, la saline un pouls intermittent, la sereuse un pouls petit, foible, tardif, la globuleuse un pouls fréquent ; & lorsque ces causes se trouvent réunies & agir ensemble sur le pouls, il en resulte cette espece de pouls que l'on appelle convulsif. Le pouls intercadent, échappé ou intermittent doit son origine à des bulles d'air qui entrent dans le sang, & qui rendent dans les endroits où elles se trouvent la dilatation de l'artere imperceptible ; qu'on juge par-là des idées, du génie & des lumieres de l'auteur : les présages qu'il tire des différens pouls répondent à la certitude de sa théorie ; ils sont conformes à ceux des Méchaniciens : nous ne nous étendrons pas davantage là-dessus, & nous négligerons de faire sur cette doctrine des réflexions que tout le monde peut faire, nous nous hâtons de passer à la partie neuve & plus intéressante de son ouvrage, qui regarde la maniere de tâter le pouls.
Notre auteur exige, " Que celui qui veut s'instruire de ses principes, ait au-moins quelque légere teinture de musique, afin qu'en battant la mesure reglée, il s'accoûtume à connoître au juste la cadence du pouls, en la comparant à celle de la musique " ; il faut aussi supposer dans les lecteurs la connoissance des principes de cet art, pour pouvoir lire son traité & connoître la valeur des figures sous lesquelles il peint les différentes especes de pouls. Voyez dans ce Dictionnaire les articles de musique, NOIRE, BLANCHE, CROCHE, DOUBLE-CROCHE, &c. Le pouls naturel qui sert de mesure & de point de comparaison pour les autres, est censé battre soixante fois dans une minute, toutes les pulsations ont la même force, la même cadence, & le même intervalle qui est de cinq tems entre chaque pulsation ; il égale ordinairement la cadence d'un menuet en mouvement, de façon que les pulsations battent la mesure d'un menuet qu'on chantera ou jouera pendant qu'on tâte le pouls : ce pouls dont toutes les qualités sont égales & tempérées est marqué par des noires placées entre deux paralleles, & qui sont séparées par cinq petites lignes qui représentent les cinq tems ; chaque pulsation ou chaque noire qui en est la figure est à côté d'une grande ligne qui indique chaque cadence ou mesure du menuet qui est noté par-dessous : voici la figure qu'il en donne.
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POUMON | (Anatomie) c'est une partie du corps humain, qui est composée de vaisseaux & de vésicules membraneuses, & qui sert pour la respiration. Voyez RESPIRATION.
Les poumons sont divisés en deux gros lobes par le médiastin, & chacun de ces lobes, en d'autres moindres. Le gros lobe droit est quelquefois divisé en trois ou quatre, par le moyen de certaines scissures qui vont du bord antérieur au bord postérieur. Le gros lobe gauche est divisé en deux pour l'ordinaire ; mais en examinant de près ces grands lobes, on voit qu'ils se partagent en lobules fort petits, irréguliers & très-distinctement séparés, lesquels sont environnés d'une substance cellulaire qui en fait la séparation, & qui peut se gonfler.
Lorsque ces gros lobes sont gonflés, le poumon de l'homme ressemble assez à celui des différens animaux qui sont exposés dans les boucheries. Voyez nos Pl. anatom. & leur explic. Voyez aussi LOBE & LOBULE.
La substance des poumons est membraneuse, étant composée d'une infinité de cellules ou vésicules, qui semblent n'être autre chose que des expansions des membranes des bronches, auxquels elles sont suspendues comme des grappes de raisin, tellement qu'en soufflant dans l'un des rameaux des bronches, les cellules ou vésicules qui lui appartiennent, se gonflent ; tandis que les autres qui ne lui appartiennent pas, demeurent flasques & dans le même état. Voyez BRONCHES.
Ces pelotons de vésicules sont appellés lobules internes, nom qui les distingue des moindres lobules dont nous avons parlé. Entre ces lobules internes serpentent les ramifications des arteres & de la veine pulmonaire. Les plus gros troncs marchent dans les interstices cellulaires, reçoivent les vaisseaux, & ils jettent de tous côtés des ramifications qui forment autour des cellules un réseau admirable décrit par Malpighi. Ces espaces sont outre cela remplis par des membranes qui viennent des lobules, & dont les unes sont paralleles, & les autres disposées en angles. Ces lobules se découvrent & se développent d'eux-mêmes très-exactement, si l'on met à découvert les gros rameaux des bronches, & qu'on souffle dans les moindres. Alors chaque lobule qui appartient à un de ces rameaux, se gonflera, & se fera remarquer distinctement dans toute son étendue.
Toute la substance des poumons est recouverte d'une membrane que l'on regarde comme une production de la plevre, & que l'on peut partager en deux lames ; l'une externe, qui est mince, lisse & nerveuse ; l'autre interne, qui est un peu plus épaisse & plus inégale, & qui est principalement composée des extrêmités des vaisseaux & des vésicules, dont l'impression y forme de petits enfoncemens qui la font ressembler à un rayon de miel. Quelques-uns assurent que cette membrane a une infinité de pores tellement disposés, qu'ils absorbent aisément les humeurs qui se trouvent dans la cavité de la poitrine, & n'y laissent rien échapper ; mais cela paroît très-peu fondé.
Les vaisseaux des poumons sont l'artere & la veine pulmonaire, l'artere & la veine bronchiale, & les vaisseaux lymphatiques. De ces vaisseaux les uns sont propres, & les autres communs, par rapport à l'usage dont ils sont au reste du corps. Les communs sont l'artere & la veine pulmonaire, & les vaisseaux lymphatiques. Les propres sont l'artere & la veine bronchiale. Voyez BRONCHES, BRONCHIALE, PULMONAIRE.
Les poumons ont un grand nombre de nerfs qui viennent du tronc de la huitieme paire & du nerf intercostal, & qui se distribuant dans toute la substance des poumons, embrassent les ramifications des bronches & des vaisseaux sanguins. Willis assure aussi que les vésicules pulmonaires ont des fibres musculaires, afin de pouvoir se contracter davantage dans l'expiration ; mais d'autres nient ces fibres musculaires. Diemerbroeck observe que les vésicules n'admettent pas seulement l'air, mais aussi d'autres matieres plus grossieres ; & il cite pour exemple deux asthmatiques qu'il ouvrit. L'un étoit un tailleur de pierre, qui avoit les vésicules des poumons si remplies de poussiere, qu'en les ouvrant le scalpel entroit comme dans un monceau de sable. L'autre étoit un tapissier dont les vésicules étoient remplies d'une poussiere fine ou d'un duvet. Voyez ASTHME.
Polype des poumons, voyez POLYPE.
POUMON. On vient de lire la structure admirable des poumons, & l'on a découvert dans ce siecle leurs vaisseaux lymphatiques : cette partie est exposée comme les autres à des jeux de la nature. M. Deslandes écrivit de Brest en 1718 à l'académie des Sciences, qu'il avoit vû ouvrir le corps d'un jeune homme de 27 ans, très-bien fait, & d'une bonne constitution, à qui l'on avoit trouvé cinq poumons, ou plutôt cinq lobes du poumon, dont trois par conséquent étoient surnuméraires. Ils étoient tous revêtus de leur membrane commune, & couchés les uns sur les autres sans aucune adhérence ; desorte qu'on les sépara facilement & sans rien déchirer. Les trois lobes surnuméraires ne différoient point en grosseur des deux naturels ; deux des surnuméraires étoient couchés sur la partie supérieure du grand lobe gauche, & le troisieme sur le lobe droit.
Le poumon est une partie bien délicate ; en voici la preuve. Une femme de 57 ans ayant avalé un petit brin de paille de chanvre en brisant du chanvre sur une bancelle pour en séparer les chenevottes, fut saisie peu de tems après d'une toux douloureuse, & d'une extrême difficulté de respirer & de parler. Elle se sentoit continuellement le gosier picoté, mourut en moins de trois jours, & l'on trouva le brin de paille dans l'intérieur de la premiere subdivision des bronches qui se distribuent à l'entrée du lobe du poumon. Il étoit situé transversalement comme une barre dans la bronche, au-dessus de la division, fiché de maniere qu'il en piquoit par ses deux pointes les parois internes. L'irritation continuelle qu'il causoit à des parties d'un sentiment très-vif & tres exquis, enflamma le poumon, qui en portoit effectivement toutes les marques, les autres visceres étant parfaitement sains.
J'ai vu un cas semblable, & qui ne fut pas moins triste. Un étudiant du college de la Trinité à Cambridge, se promenant avec ses amis, & passant au milieu des blés, prit un épi d'orge, le mit plusieurs fois dans sa bouche, d'où enfin il ne put plus le retirer ; l'épi tomba dans le larynx, causa au jeune homme une toux convulsive & une irritation si grande dans les bronches, qu'il en mourut au bout de 24 heures, sans qu'il fût possible de lui donner assez promtement les secours nécessaires. (D.J.)
POUMON des animaux, (Physiolog.) Les animaux terrestres ont des poumons charnus ; les amphibies des poumons membraneux ; & les oiseaux des poumons en partie charnus & en partie membraneux, sans parler de la structure des poumons particuliers aux insectes, & des ouies des poissons, qui peuvent passer pour une espece de poumon.
Les poumons des animaux terrestres servent particulierement à la circulation du sang, en contribuant à l'action qui le fait passer d'un des ventricules du coeur à l'autre au-travers des poumons ; & ces poumons paroissent charnus, étant toujours fort remplis de sang.
La seconde espece de poumons, qui est celui des amphibies, tels que sont les tortues, les serpens, les salamandres, les crapauds, les grenouilles, ne donne aucun passage d'un des ventricules du coeur à l'autre ; le passage se fait au-travers des parois qui séparent les ventricules l'un de l'autre. Le poumon membraneux de ces animaux ne leur sert guere qu'à soutenir leur corps dans l'eau.
Le poumon des oiseaux sert à la circulation du sang, de même que celui des animaux terrestres ; mais il est divisé en deux parties, dont l'une paroît charnue comme aux animaux terrestres ; l'autre est tout-à-fait membraneuse, & formée en plusieurs grandes vessies. L'usage de cette partie membraneuse est de suppléer au défaut des muscles du bas-ventre, qui sont très-petits dans les oiseaux, à cause de la grandeur de l'os de la poitrine, pour donner origine aux grands muscles qui remuent les aîles.
Lorsque la poitrine des oiseaux est retrécie dans l'expiration, tout l'air dont elle est d'abord remplie ne sort pas au-dehors par l'âpre-artere, mais il arrive que par la compression de la poitrine une partie est poussée dans le bas-ventre, où elle remplit de grandes vessies qui y sont enfermées. De même lorsque dans l'inspiration leur poitrine est élargie, elle ne reçoit pas seulement l'air de dehors, mais elle reçoit aussi celui qui a été envoyé dans les vessies du bas-ventre ; ce qui fait que le bas-ventre se dilate lorsque la poitrine s'étrécit.
Cette méchanique particuliere de la respiration des oiseaux, peut être entendue par les soufflets des forges, qui semblent avoir été faits à l'imitation des organes de la respiration des volatiles ; car ces soufflets ont une double capacité pour recevoir l'air : la premiere est celle de dessous, qui reçoit l'air lorsque le soufflet s'ouvre ; & cette capacité représente les vessies de la poitrine : la seconde capacité est celle de dessus, qui représente les vessies du bas-ventre. En effet, lorsque la capacité inférieure est retrécie par la compression du soufflet, l'air qu'elle a reçu entre par un trou dont elle est percée, & passe dans la capacité supérieure, ensorte que l'air poussé fortement élargit cette capacité, en faisant soulever le volet de dessus, parce que ce trou étant dans le volet du milieu, fait l'office du diaphragme entre les deux capacités qui composent le soufflet : ces capacités ne different de celles des vessies du poumon des oiseaux, que par leur situation ; la capacité des vessies qui reçoivent l'air de dehors, sont dans la partie supérieure aux oiseaux, au lieu qu'elle est dans la partie inférieure dans les soufflets des forges.
Au lieu de poumons, les poissons ont des organes que les Anatomistes appellent branchies, & qu'on nomme en françois ouies. Ces organes sont comme des feuillets mis les uns sur les autres quatre de chaque côté ; ils sont composés chacun d'une grande quantité de petites membranes cartilagineuses longues, étroites & doubles, fendues par le bout, & arrangées l'une contre l'autre comme les filets de barbe de plume : un os auquel ces petites barbes sont attachées, fait la base du feuillet ; & chaque petit filet de membrane a une artere capillaire par où le sang lui est apporté, & une veine pareille par où il retourne. Voyez OUIES.
On trouve dans les insectes des organes dont la structure & les usages ont aussi quelque rapport avec les ouies des poissons, & avec les poumons des autres animaux. On leur a donné le même nom de branchies ; mais elles sont ordinairement en bien plus grand nombre que dans les poissons, s'étendent tout le long de leur corps, & ont chacune une ouverture séparée. C'est peut être ce qui fait en partie que l'huile tue indifféremment toutes sortes d'insectes quand ils y ont été plongés seulement un moment : l'huile par sa viscosité bouchant toutes les ouvertures des branchies au-dehors, chacun de ces petits poumons contenant peu d'air, n'est pas capable de forcer la résistance que cette glu apporte au passage de l'air nécessaire à leur vie. (D.J.)
POUMON, maladies du (Médecine) Un organe fort considérable placé dans la poitrine, ayant pour fonction alternative de recevoir l'air, de le renvoyer, & de préparer le sang qui y passe, se nomme le poumon. On l'appelle ainsi, à cause de son action, parce qu'il est très-exposé à l'air, & qu'il doit faire grand nombre d'opérations pendant la vie. Il est sujet à différentes maladies, dont plusieurs se rapportent à la respiration, la toux, le crachat, la suffocation, la péripneumonie, la phtisie, l'hoemophtisie, la dispnée, l'orthopnée, l'asthme, &c. Voyez tous ces mots sous leurs articles particuliers.
Souvent le poumon à la suite d'une péripneumonie, d'une hoemophtisie, d'une blessure ou d'un tubercule, ramasse du pus dans une partie celluleuse, ou dans les bronches, & quelquefois après une pleurésie ou une autre maladie inflammatoire ; c'est ce qu'on nomme vomique. Il en reçoit par métastase dans sa propre substance, forme ainsi un abscès, & ensuite un ulcere. Ce pus consume peu-à-peu le poumon ; & l'on juge de sa nature lorsqu'en mettant le crachat purulent dans l'eau, il va au fond de cette eau. Le pus mêlé avec le sang produit la phtisie ; quand on a réussi à guérir cette maladie, le poumon reste adhérent à la plevre ; ce qui produit une plus grande difficulté de respirer, & empêche l'exacte préparation des humeurs. Il faut promtement exciter l'évacuation du pus par les crachats, en employant les expectorans, les béchiques ; les balsamiques ou les diurétiques, pour le faire sortir par les voies urinaires.
L'humeur qui lubréfie intérieurement les bronches, semblable à celle qui enduit la membrane pituitaire, devient souvent ténue & âcre, ou reçoit en elle une acrimonie catarreuse, puisqu'elle cause une toux fréquente accompagnée de crachats ténus qui ne procurent aucun soulagement. Il faut employer les anodins pour cuire cette humeur ; les mucilagineux & les pectoraux pour empêcher son action ; & les diaphorétiques pour l'attirer à la peau, pendant que d'un autre côté on fait usage des résineux & des balsamiques, pour diminuer la corruption spontanée.
Si dans les fibres particulieres des poumons il arrive une convulsion ordinaire aux asthmatiques, quelquefois même aux personnes hystériques, hypocondriaques, à ceux qui sont attaqués d'un excès de mobilité des esprits, & que cette convulsion, capable de suffoquer tout-d'un-coup, vienne à cesser sans aucun crachement, il convient de l'arrêter par le moyen des anti-spasmodiques mêlés avec les pectoraux. Mais la paralysie de ses fibres, suite d'une anxiété insurmontable, que certains auteurs appellent maladie catarreuse, suffocante, n'admet presqu'aucun remede, & cause enfin la mort.
Lorsque les glandes des poumons sont tuméfiées, écrouelleuses, skirrheuses, ce qu'on peut conjecturer par une respiration constamment difficile, sans crachats ni semblables tumeurs dans les parties glanduleuses plus sensibles, leur guérison demande un long usage des médicamens résolutifs & des pectoraux.
Après des ulceres, des blessures, une contusion, la pleurésie, la péripneumonie, l'hoemophtisie, l'empyème & la phtisie, souvent les poumons s'attachent à la plevre, & cette adhérence cause pendant toute la vie une difficulté de respirer absolument incurable.
Toute matiere qui vient à se jetter sur les poumons, est dangereuse, à moins qu'elle ne sorte sous la forme de crachats ; & il faut provoquer cette évacuation par les expectorans, ou bien ramener la matiere à son premier lieu, ou la faire sortir par les urines.
Mais si le poumon est attaqué d'inflammation, d'érésipele, ou de rhumatisme, on rapporte ces maladies à la fausse péripneumonie, parce que la difficulté de respirer est accompagnée de fievre, sans qu'on y voie les autres signes ou la fin de l'inflammation.
POUMON MARIN, insecte de mer d'une substance molle, legere, spongieuse, & d'une couleur bleuâtre. Rondelet prétend qu'on lui a donné le nom de poumon, parce qu'il ressemble au poumon de l'homme par sa forme & par sa conformation inférieure. Cet insecte luit pendant la nuit ; si on frotte un bâton de sa substance, elle lui communique sa propriété phosphorique, & le rend lumineux dans l'obscurité. Lorsque les poumons marins paroissent sur la surface des eaux, on les regarde comme un présage d'une tempête. Mathiole a éprouvé qu'étant appliqués sur quelques parties du corps, ils excitoient de la démangeaison & même de la rougeur. Rondelet, hist. des insect. & zoophites, ch. xxvj.
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POUMONAIRES | VAISSEAUX, (Anatomie) sont ceux qui portent le sang du coeur aux poumons, & qui le rapportent du poumon au coeur. Il y en a deux, l'artere & la veine pulmonaire.
L'artere pulmonaire que les anciens appelloient vena arteriosa, veine artérielle, est réellement une artere composée de différentes tuniques comme les autres ; elle part du ventricule droit du coeur, & se divise en deux grosses branches, qui se subdivisent en plusieurs autres répandues dans toute la substance des poumons. Voyez nos Pl. d'Anatomie & leur explication. Voyez aussi POUMON.
La veine pulmonaire que les anciens appelloient arteria venosa, l'artere veineuse, est composée de quatre membranes comme les autres veines ; elle part des poumons par une infinité de petites branches, lesquelles se réunissent en un seul tronc, & se déchargent dans le ventricule gauche du coeur. Voyez nos Planches d'Anatomie & leur explication. Voyez COEUR.
Quant à l'action de ces vaisseaux, voyez CIRCULATION, voyez aussi RESPIRATION, COEUR, SANG, &c.
Cowper rapporte un exemple d'un polype dans la veine pulmonaire. Voyez POLYPE.
Consomption pulmonaire ou consomption des poumons, c'est ce qu'on appelle proprement phtisie. Voyez PHTISIE, CONSOMPTION.
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POUND | POUND
Le pound d'Ecosse se divise en deux marcs ou 16 onces, l'once en 16 gros, & le gros en 36 grains. Le pound d'Ecosse, de Paris ou d'Amsterdam, est au pound aver-du-pois d'Angleterre, comme 38 est à 35.
Le pound-troy d'Ecosse est estimé communément égal à 15 onces 3/4 du poids de troy d'Angleterre, c'est-à-dire égal à 7560 grains ; mais suivant les étalons qu'on garde à Edimbourg, le poids de troy d'Ecosse pese 7599 2/32, ou 7600 grains. (D.J.)
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POUNDAGE | (Douanne d'Angleterre) c'est un droit qui se leve en Angleterre sur les vaisseaux marchands, à raison de tant par livre sterling de la valeur des marchandises dont ils se trouvent chargés. Cet impôt est nommé poundage, parce qu'une livre sterling s'appelle pound en anglois. Ce droit de poundage fut accordé à Charles II. roi d'Angleterre, pour sa propre personne, par un acte de l'année 1660. Il en a été de même du droit de tonnage. (D.J.)
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POUPART | LIGAMENT DE, (Anat.) Poupart, de l'académie royale des Sciences, a remarqué immédiatement sous les muscles obliques & transverses de l'abdomen, deux ligamens de figure ronde qui soutendoient ces muscles, & qui s'étendoient depuis l'épine de l'os pubis. On les appelle ligamens de Poupart.
POUPART, s. m. (Bimblotier) figure de carte peinte, grossierement faite dans un moule de plâtre ou de terre, qui représente un jeune enfant au maillot, c'est-à-dire avec les bras enfermés dans ses langes. C'est le premier jouet ridicule que l'on donne aux enfans. (D.J.)
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POUPE | ou POUPE, s. f. (Marine) c'est l'arriere du vaisseau, appellé queue par quelques-uns, à cause que le gouvernail qu'on y attache fait le même effet aux navires que la queue fait aux poissons. Le pourtour de la poupe est orné de balcons, de galeries, de balustres, de pilastres & autres ornemens, avec les armes du prince ; le tout richement doré ou peint. Voyez Pl. III. fig. 1. la poupe d'un vaisseau du premier rang. Voyez aussi Pl. I. fig. prem.
Poupe quarrée, vaisseau à poupe quarrée ; ce sont les vaisseaux qui ont l'arcasse construite selon la largeur & la structure des vaisseaux de guerre les plus grands. Le roi de France ordonna en 1673 qu'à l'avenir la poupe de ses vaisseaux seroit ronde au-dessous de la lisse de hourdy ; & non quarrée comme il avoit été pratiqué jusqu'alors. On appelle les grands navires de guerre vaisseaux à poupe quarrée, par opposition aux flûtes & autres bâtimens qui n'ont point d'arcasse, & qui ont des fesses rondes à l'arriere de même que le sont les joues à l'avant. Quelques-uns disent aussi cul quarré.
Voir par poupe, c'est voir les choses derriere soi. On dit, nous vîmes leur flotte par poupe, c'est-à-dire que de notre poupe nous la vîmes sur notre sillage ou derriere nous. En faisant route, ils virent cette île par poupe.
Mouiller en poupe ou à poupe, c'est-à-dire jetter une ancre par l'arriere du vaisseau. On fait ainsi pour mouiller en croupiere. Nous mouillames à poupe, ou nous mouillames en croupiere. Voyez CROUPIERE & MOUILLER.
Vent en poupe, mettre vent en poupe ; c'est tourner le derriere du vaisseau contre le vent.
Avoir vent en poupe, c'est faire vent arriere, & porter à droiture également entre deux écoutes.
POUPE, (Architect. navale antiq.) La poupe des vaisseaux des Grecs & des Romains étoit non-seulement décorée des statues des dieux, mais embellie par des peintures & d'autres ornemens que les Grecs comprenoient sous le nom général d'acrostolia, & les Latins sous celui d'aphistria. (D.J.)
POUPE, terme de Chasse ; ce mot se dit des têtes de femelles des animaux, & principalement de l'ourse & des autres femelles d'animaux mordans.
POUPE, os de la, en Anatomie. Voyez CORONAL.
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POUPÉE | S. f. (Hist. anc. & mod.) Ce jouet des enfans étoit fort connu des Romains ; leurs poupées étoient faites d'ivoire, de plâtre ou de cire, d'où vient le nom de plaguncula que leur donne Cicéron dans ses lettres à Atticus. Les jeunes filles nubiles, dit Perse, alloient porter aux autels de Vénus les poupées qui leur avoient servi d'amusement dans le bas âge. Veneri donatae à virgine puppae. Peut-être vouloient-elles faire entendre par cette offrande à la déesse des amours, de leur accorder de jolis enfans, dont ces poupées étoient l'image ; ou plutôt encore cette consécration de leurs poupées indiquoit qu'elles quittoient ces marques de l'enfance, pour se dévouer aux occupations sérieuses du ménage. C'est ainsi que les garçons, lorsqu'ils entroient dans les fonctions publiques de la société, déposoient la robe de l'enfance, & prenoient celle de l'adolescence. Aussi les Romains donnoient le nom de puppa & pupula aux jeunes filles, comme nous l'apprend Martial dans ce vers satyrique :
Puppam se dicit Gallia cùm sit anus.
De plus, ils ensevelissoient leurs enfans morts avec leurs poupées & leurs grelots ; les Chrétiens les imiterent, & de-là vient qu'on a trouvé dans des tombeaux des martyrs près de Rome, de ces sortes de petites figures de bois & d'ivoire parmi des reliques & des ossemens d'enfans baptisés.
L'usage des poupées a passé jusqu'à nous ; & c'est si bien notre triomphe, que je ne crois pas que les Romains eussent de plus belles poupées que celles dont nos Bimblotiers trafiquent. Ce sont des figures d'enfans si proprement habillées & coëffées, qu'on les envoye dans les pays étrangers pour y répandre nos modes. S. Jérôme conseilloit de donner aux enfans pour récompense, outre les douceurs qui pouvoient flatter leur goût, des brillans & des poupées. Ce moyen n'est certainement pas le meilleur à pratiquer dans la bonne éducation ; mais nous l'avons préféré à tous les sages conseils de Locke. Cependant un philosophe pourroit tirer parti des poupées, toutes muettes qu'elles sont : veut-il apprendre ce qui se passe dans une maison, connoître le ton d'une famille, la fierté des parens, & la sottise d'une gouvernante, il lui suffira d'entendre un enfant raisonner avec sa poupée. (D.J.)
POUPEE, (Tourneur) qu'on auroit mieux fait d'appeller porte-pointe, est la partie du tour qui porte les pointes ou pivots sur lesquels on tourne l'ouvrage ; ou les lunettes par où passe l'axe du tour à la lunette. Voyez au mot TOUR & les fig.
Fausses poupées sont des pieces de fer qui font partie du tour figuré ; elles sont attachées en-travers de la grande rainure de l'établi par des gougeons qui en traversent l'épaisseur, & qui sont retenus avec des vis par-dessous. Au milieu de la fausse poupée est un écrou par où passe une vis qui a une pointe à son extrêmité ; c'est sur cette pointe que porte l'axe D D du tour figuré Pl. IV. A la partie supérieure de la fausse poupée sont deux oreilles qui sont traversées par des vis, dont l'usage est de fixer quand on veut les vraies poupées qui passent entr'elles. Voyez TOUR FIGURE, & les Pl. III. & IV. du tour.
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POUPELIN | S. m. terme de Pâtissier ; pâtisserie faite de fleur de froment, de fromage, d'oeufs & de sel, qu'on fait tremper toute chaude dans du beurre. (D.J.)
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POUPELINIER | S. m. terme de Pâtissier ; maniere de bassin de terre, d'étain ou de cuivre étamé, dans lequel on fait fondre du beurre pour beurrer les poupelins.
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POUR | AFIN, (Synon.) ces deux conjonctions sont synonymes dans le sens où elles signifient qu'on fait une chose en vûe d'une autre ; mais pour marque une vue plus prochaine, afin en marque une plus éloignée.
On se présente devant le prince pour lui faire la cour ; on lui fait sa cour afin d'en obtenir des graces.
Il semble que le premier de ces mots convient mieux, lorsque la chose qu'on fait en vûe de l'autre, en est une cause plus infaillible ; & que le second est plus à sa place, lorsque la chose qu'on a en vûe en faisant l'autre, en est une suite moins nécessaire.
On tire le canon sur une place assiégée pour y faire une breche, & afin de pouvoir la prendre par assaut, ou de l'obliger à se rendre.
Pour regarde plus particulierement un effet qui doit être produit ; afin regarde proprement un but où l'on veut parvenir.
Les filles d'un certain âge font tout ce qu'elles peuvent pour plaire, afin de se procurer un mari. Girard. (D.J.)
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POURÇAIN | SAINT, (Géog. mod.) petite ville de France dans la basse-Auvergne, aux confins du Bourbonnois, à 8 lieues au midi de Moulins, entre cette ville & Clermont, sur le bord de la Sioule. Elle doit son origine à une abbaye de l'ordre de S. Benoit, qui n'est plus aujourd'hui qu'un prieuré. Il y a une paroisse, des cordeliers, des bénédictins, des bénédictines & un hôpital. Son commerce consiste en vins. Long. 20. 48. lat. 46. 14.
C'est la patrie de Vigenere (Blaise), connu par un grand nombre d'ouvrages & de traductions françoises, entr'autres des commentaires de César, de l'histoire de Tite-Live, de Chalcondyle, de Philostrate, de Tacite, &c. avec des notes qui ne sont pas à mépriser. Il a aussi donné quelques traités singuliers, comme un traité des chiffres, un autre des cometes, un troisieme de l'or & du verre, un traité du feu & du sel qui est estimé, & un ouvrage sur les lampes des anciens. Quoiqu'il eût vécu long-tems à la cour, il s'en retira volontairement pour les Lettres qu'il a cultivées avec honneur jusqu'à sa mort, arrivée en 1599, à l'âge de 68 ans.
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POURCEAU | voyez COCHON.
POURCEAU, (Critiq. sacrée) animal réputé impur par la loi de Moïse, qui en proscrivit l'usage aux Hébreux. " Comme le pourceau a l'ongle fendu & qu'il rumine, vous le regarderez pour immonde, & n'en mangerez pas. Deut. xiv. 8. " Les Juifs eurent d'autant moins de peine à suivre cette ordonnance, qu'ils avoient éprouvé que la chair de cet animal nuisoit singulierement à leur santé, & leur donnoit la lepre. Aussi le pourceau a été choisi par les écrivains sacrés, pour comparaison aux choses basses & méprisables. L'auteur des Prov. xj. 22. dit, que la femme belle & débauchée, est comme un anneau d'or au groin d'une truie ; Prov. xj. 22. une truie parée d'or, ne laisse pas pour cela d'aimer la fange. De même le Sauveur compare à des pourceaux les personnes qui fouleroient aux piés ses préceptes. Ne jettez pas, dit-il à ses disciples, vos perles devant eux, c'est-à-dire ne leur exposez point la doctrine & les préceptes de mon Evangile ; vous perdriez votre tems & vos peines, & vous n'en tireriez aucun avantage. (D.J.)
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POURCELET | voyez CLOPORTE.
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POURPARLER | S. m. est une conférence avec l'ennemi, &c. ce mot vient du mot françois parler. Ainsi battre ou sonner un pourparler, c'est donner le signal au son des tambours ou des trompettes, pour tenir une conférence. Voyez CHAMADE. Chambers.
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POURPIER | S. m. (Hist. nat. Bot.) portulaca ; genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice qui est d'une seule feuille & fourchu ; il devient dans la suite avec le calice un fruit ordinairement ovoïde, qui renferme de petites semences, & qui a sur la partie supérieure deux sortes de têtes, dont l'extérieure n'est autre chose que la partie fourchue du calice ; l'intérieure est formée par le pistil qui a pris de l'accroissement. Ces têtes s'ouvrent transversalement en deux pieces : la partie inférieure du fruit, c'est-à-dire l'autre partie du calice, est attachée à un pédicule. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Ses feuilles sont assez charnues & succulentes ; le calice est d'une seule piece, découpée en deux segmens ; il embrasse étroitement l'ovaire ; la fleur est en rose, & composée de cinq pétales. L'ovaire qui est au fond du calice, se change en un vaisseau de figure ovoïde, composé de deux coques l'une sur l'autre. La coque extérieure quand elle a atteint sa maturité, s'ouvre horisontalement par le milieu, ou forme une ouverture horisontale sur celle de dessous, qui s'ouvre à son tour de la même maniere, & laisse voir une infinité de semences menues.
Il y a selon Tournefort, neuf especes de pourpier cultivé ou sauvage. On peut quand elles ne sont pas en fleur les reconnoître les unes & les autres, d'avec d'autres plantes, par leurs feuilles épaisses, charnues, placées alternativement sur les tiges.
Le pourpier sauvage, portulaca sylvestris, I. R. H. 236. ne differe presque du cultivé, que par la petitesse de toutes ses parties. Il ne fait que s'améliorer par la culture ; on le trouve fréquemment dans les terres sablonneuses en friche, le long des chemins, & ailleurs où il se seme de lui-même.
Le pourpier cultivé, portulaca sativa, I. R. H. 236. en anglois, the garden-purcelain, est presque connu de tout le monde. Il pousse des tiges rondes, lisses, rougeâtres & fragiles. Ses feuilles sont grosses, charnues, rondes, assez larges à leur extrêmité, polies, luisantes, de couleur blanchâtre ou jaunâtre, d'un goût visqueux, tirant un peu sur l'acide. Ses fleurs naissent aux sommités des tiges parmi ses feuilles ; elles sont petites, jaunes ou pâles, composées de cinq pétales disposés en rose, soutenues par un calice d'une seule piece, semblables en quelque maniere à une mitre. Il leur succede de petits fruits ou capsules arrondies, de couleur herbeuse, qui contiennent des semences menues, noires & striées.
POURPIER, (Diete & Mat. med.) pourpier des jardins, domestique ou cultivé, petit pourpier ou pourpier sauvage.
Ces deux plantes sont regardées comme ayant à-peu-près les mêmes propriétés, elles ont aussi les mêmes usages tant en cuisine qu'en médecine ; mais on employoit la premiere par préférence, & la seconde seulement au besoin.
Les feuilles & les semences sont en usage : l'une & l'autre de ces parties est regardée comme très-rafraîchissante, humectante, émolliente, relâchante & adoucissante. La semence est une des quatre semences froides mineures. Voyez SEMENCES FROIDES. Elle est regardée d'ailleurs, mais assez gratuitement, comme un bon vermifuge.
Les feuilles de pourpier se mangent crues en salade ; elles sont indigestes, & ne peuvent convenir qu'aux meilleurs estomacs. On les fait entrer aussi dans les potages ; la cuite qu'elles subissent dans ce dernier usage, corrige entierement leur mauvaise qualité, & les rend à-peu-près indifférentes, ou si l'on veut, même salutaires.
Les feuilles de pourpier sont un des ingrédiens les plus ordinaires des bouillons médicamenteux, appellés frais ou rafraîchissans.
L'abondance du suc aqueux & aigrelet qu'elles renferment, les rend en effet très-propres à cet usage. Le suc exprimé de ces feuilles, est regardé comme très-utile contre les vers, surtout chez les enfans : on attribue la même propriété, aussi bien que celle d'arrêter les hémorrhagies, & de calmer la fougue des fievres ardentes, à l'eau distillée de ces mêmes feuilles, qui certainement n'est bonne à rien.
Les semences de pourpier entrent dans l'électuaire de Psyllio, le requies Nicolaï, la confection d'hyacinthe, le diaprun, les especes diarrhodon, la poudre composée contre les vers, &c. (b)
POURPIER de mer, (Botan.) nom vulgaire de l'espece d'arroche maritime, appellée par Ray, atriplex maritima, fructicosa, halimus dicta ; & par Tournefort, atriplex maritima, angustissimo folio. Voyez ARROCHE.
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POURPOINT | S. m. (Ouvrage de Tailleur) le pourpoint est un vêtement dont on se servoit autrefois beaucoup en France ; il descendoit jusque au défaut des reins, où il finissoit par des basques, & avoit des manches dans lesquelles on mettoit les bras. C'étoit la partie d'un habit d'homme qui couvroit le dos, l'estomac & les bras. Il étoit composé du corps du pourpoint, des manches, d'un collet, de busques & de basques ; on n'ignore pas ces vers de Moliere.
Nos peres sur ce point étoient gens bien sensés,
Qui disoient qu'une femme en sait toujours assez,
Quand la capacité de son esprit se hausse
A connoître un pourpoint d'avec un haut de chausse.
La communauté des marchands Pourpointiers a été réunie en 1655, à celle des tailleurs d'habits.
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POURPOINTIER | S. m. (Corps de Fripiers) c'étoit autrefois un artisan qui ne faisoit que des pourpoints ; mais aujourd'hui les pourpointiers sont unis au corps des Fripiers, font & vendent des habits complets comme eux. (D.J.)
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POURPRE | S. m. (Hist. nat.) coquillage operculé & univalve dont on tire cette liqueur colorante, si vantée par les anciens, & auquel les auteurs ont donné différens noms ; les uns l'ont nommé buccinum, d'autres l'ont appellé murex. On le trouve dans différentes mers, il y en a plusieurs especes ; la plus grande que l'on pêche sur nos côtes a 12 à 13 lignes de longueur, sur 7 à 8 lignes de diametre pris à l'endroit le plus gros ; ces coquillages ressemblent assez par leur forme aux limaçons des jardins ; les uns sont blancs ou bruns, d'autres ont des raies longitudinales ou transversales. Le mouvement progressif de l'animal qui habite la coquille des pourpres est le même que celui des limaçons, il se fait par le moyen d'une partie musculeuse à laquelle on peut donner le nom de pié, l'opercule tient à la face supérieure de cette partie musculeuse ; desorte que quand l'animal s'enfonce dans sa coquille, il ferme nécessairement l'entrée, parce qu'il entraîne l'opercule.
Le réservoir de la liqueur colorante est petit, & situé sur le collier de cet animal, c'est-à-dire sur la masse de chair qui entoure le cou, comme dans le limaçon ; il est aisé d'observer ce réservoir en place, en cassant la coquille un peu au-dessous de son ouverture ; il paroît d'une autre couleur que la chair, la liqueur qui y est renfermée est d'un blanc jaunâtre, elle ressemble parfaitement au pus qui sort des ulceres ; elle a aussi quelquefois une couleur verte.
M. Duhamel qui a observé ce coquillage, attribue la cause de ce changement de couleur à quelque maladie de l'animal ; le réservoir est plus ou moins grand, il a ordinairement une ligne de largeur & 2 ou 3 de longueur ; si on répand de cette liqueur sur un linge ou sur une étoffe de soie ou de laine, elle lui donne une couleur jaunâtre semblable à celle du pus des ulceres ; si on expose ce linge à la chaleur modérée du soleil du matin, la couleur jaunâtre paroît bien-tôt verdâtre ; elle devient ensuite de couleur de citron qui se change en verd, d'abord clair & ensuite foncé ; le violet succede à cette couleur, enfin la partie imbibée du linge prend une belle couleur de pourpre. Les changemens successifs de couleurs se font plus ou moins rapidement, selon les degrés de chaleur du soleil ; on les distingue à peine quand on expose le linge aux rayons brûlans que le soleil darde en été. La chaleur du feu produit les mêmes effets, mais plus lentement ; pour avoir les changemens de couleur aussi promts, il faut que le degré de chaleur du feu soit beaucoup plus fort que celui du soleil. La chaleur n'est cependant pas nécessaire pour faire succéder toutes ces couleurs les unes aux autres ; le grand air ou le vent suffisent. Si on n'expose au soleil qu'une partie du linge imbibée de la liqueur contenue dans le reservoir de la pourpre, la partie qui est à l'ombre reste verte, tandis que l'autre partie prend une belle couleur de pourpre.
M. de Réaumur a observé sur les côtes du Poitou, de petits grains qu'il soupçonne être des oeufs de poissons, & qui teignent en couleur de pourpre les linges qui en sont imprégnés, comme la liqueur des vraies pourpres ; ces grains ont la forme d'une boule allongée dont le petit diametre a un peu plus d'une ligne, & le plus grand deux lignes ou deux lignes & demie, on trouve une très-grande quantité de ces grains collés sur certaines pierres. M. de Réaumur a observé que les pourpres s'assembloient en grand nombre autour de ces pierres, ce qui lui a fait soupçonner que ces grains pourroient être les oeufs des pourpres mêmes, mais il n'a jamais pu confirmer ces conjectures. La liqueur que contiennent ces grains est blanche ; elle rend d'abord un peu jaune le linge sur lequel on en laisse tomber, & au bout de deux ou trois minutes le linge prend une belle couleur de pourpre pourvû qu'il soit exposé en plein air, car M. de Réaumur a éprouvé qu'il ne se coloroit aucunement dans une chambre, quoique les fenêtres fussent ouvertes. Mém. de l'acad. royale des Sciences, ann. 1711. & 1736.
POURPRE, (Littérat.) les anciens ont tous connu les étoffes de laine, teintes en pourpre ; j'ai déja dit que cette couleur étoit employée chez les Hébreux, dans les ornemens du grand prêtre, elle entroit aussi dans plusieurs ouvrages du tabernacle. On la tiroit des deux petits coquillages de mer nommés le murex & le purpura ; tous les deux sont univalves, allongés en voûte, terminés en pointe, & hérissés de piquans ; ils contiennent un petit poisson, dont le suc servoit à la teinture pourpre. La pêche de ces deux coquillages se faisoit sur les côtes de Phénicie, d'Afrique, de Grece, & autour de quelques îles de la Méditerranée.
Les Grecs nommoient , les habits teints dans cette pourpre marine, & cette couleur étoit affectée particulierement au vêtement du roi de Perse ; les autres grands seigneurs de l'état portoient à la vérité des robes pourpres, mais d'une teinture différente.
Les Tyriens excelloient dans l'art de teindre la pourpre, soit par quelques secrets particuliers, soit qu'ils donnassent à leur pourpre plus de teint qu'aux pourpres ordinaires ; de-là vient qu'on lit dans les poëtes Tyrioque ardebat murice lana. Horace appelle la pourpre par excellence lana tyria ; Virgile, sarranum ostreum ; Juvenal, sarrana purpura. La beauté & la rareté de cette couleur l'avoient rendue propre aux rois de l'Asie, aux empereurs romains & aux premiers magistrats de Rome. Les dames même n'osoient l'employer dans leurs habits ; elle étoit reservée pour les robes prétextes de la premiere magistrature. De-là viennent ces expressions vestis purpurea, pour signifier une robe éclatante, & au figuré un sénateur, un consul.
Il y avoit des pêcheurs pour le coquillage qu'on nommoit purpurarii piscatores, des teinturiers en pourpre, tinctores purpurarii, des magasins de pourpre, officina purpuraria.
Alexandre s'étant rendu maître de Suze, trouva dans le château cinquante millions d'argent monnoyé, outre une si grande quantité de meubles, & d'autres richesses, qu'on ne pouvoit les nombrer, dit Plutarque ; entr'autres effets des plus précieux, on y trouva cinq mille quintaux de la riche pourpre d'Hermion, qu'on y avoit rassemblée pendant plus d'un siecle, & qui conservoit encore tout son lustre. On concevra quelle immense richesse c'étoit, quand on saura que cette pourpre se vendoit jusqu'à cent écus la livre, ce qui feroit sur ce pié cent cinquante millions de notre monnoie. Ainsi les trésors immenses que plusieurs rois avoient formés pendant des siecles, passerent dans une heure de tems entre les mains d'un seul prince étranger.
On avoit extrêmement perfectionné chez les anciens les teintures en pourpre, dont on faisoit diverses nuances, depuis le violet mêlé de rouge, jusqu'au rouge clair le plus brillant. Les Romains vouloient que la pourpre frappât doucement & agréablement la vûe d'une maniere moins vive, que ne fait le rubis, & c'est aussi le goût moderne pour l'écarlate. La pourpre & le murex servent encore aujourd'hui en Sicile à la teinture ; on tire également cette couleur du buccin. A Panama dans le Pérou sur la mer du Sud, on tire une couleur pourpre de la coque persique que l'on appelle pourpre de Panama, & dont on teint les étoffes de coton, faites de fils de plantes. Mais toute l'Europe fait la couleur pourpre beaucoup mieux, & dans toutes sortes de nuances, avec la cochenille ou la graine d'écarlate, & un pié de pastel ; il est vraisemblable que la pourpre ancienne n'étoit pas plus belle que la nôtre, & qu'on n'a cessé de s'en servir, que parce que la pourpre moderne se fait à moins de frais, & est plus éclatante.
On trouve dans les mers des Indes occidentales espagnoles, une espece de poisson à coquille, de la gueule duquel on tire une teinture de pourpre, qui ne cede point à celle des anciens. Les îles Antilles françoises ont aussi leur pourpre marine ; le poisson dont on la tire s'appelle burgau de teinture, il est de la grosseur du bout du doigt, & ressemble aux limaçons qu'on nomme des vignaux. Sa chair est blanche ; ses intestins sont d'un rouge très-vif, dont la couleur paroît au travers de son corps, & c'est ce qui teint l'écume qu'il jette quand il est pris ; cette écume étant reçue sur un linge, se change en un rouge de pourpre en se séchant, mais elle s'affoiblit peu-à-peu, & se dissipe entierement à mesure qu'on lave le linge qui en a été teint.
Le pere Labat dit qu'on trouve encore aux Antilles une plante qui donne une teinture pourpre, & qu'il appelle par cette raison lianne à sang. Cette plante, quand on la coupe sur pié, jette une liqueur rouge comme du sang de boeuf, & teint les toiles qu'on y trempe d'un rouge vif ; mais cette teinture a le même défaut que celle qui vient de l'écume du coquillage dont nous venons de parler, c'est-à-dire qu'elle n'est pas durable, qu'elle se décharge & se dissipe finalement, en lavant l'étoffe de laine, de coton, ou de fil qui en est teint. (D.J.)
POURPRE, (Critiq. sacrée) l'étoffe, l'ouvrage teint en pourpre est mis dans l'Ecriture, comme dans les auteurs profanes, pour le coquillage qui donne cette couleur. Vous recevrez d'eux de la pourpre, dit Moïse. Exod. xxv. 4, c'est-à-dire les étoffes de cette couleur pour les ornemens du grand prêtre. Pourpre signifioit aussi la robe dont se servoient par distinction les rois, & ceux à qui ils accordoient cet honneur, d'où vient qu'on les appelloit purpurati ; dans la suite, toutes les personnes opulentes porterent des robes teintes en pourpre. Le mauvais riche de l'Ecriture étoit vêtu de pourpre & de fin lin. Luc, xvj. 19. les payens en revêtoient aussi leurs idoles, comme on le voit dans Jérémie, x. 9. (D.J.)
POURPRE MINERAL, (Chimie) c'est ainsi qu'on nomme une couleur d'un beau rouge pourpre, qui se fait par le moyen d'une dissolution d'or précipitée par le moyen d'une dissolution d'étain. On a fait jusqu'ici un très-grand mystère de la préparation de cette couleur ; mais M. de Montamy, premier maître-d'hôtel de M. le duc d'Orléans, à qui les arts sont redevables de la découverte des plus parfaites couleurs pour l'émail & la porcelaine, a trouvé plusieurs moyens de faire cette belle couleur. Voici son procédé.
On fait dissoudre de l'or dans de l'eau régale faite avec parties égales d'esprit de nitre & d'esprit de sel, on garde cette dissolution pour en faire usage, ensuite on fait dissoudre de l'étain de la meilleure qualité dans un acide quelconque bien affoibli avec de l'eau, afin que la dissolution se fasse lentement.
Lorsqu'on voudra faire du pourpre minéral, on prendra de l'eau pure distillée, on en remplira un matras ou une bouteille ; sur cette quantité d'eau on mettra quelques gouttes de la dissolution d'or, on remuera bien la bouteille pour que le mêlange s'incorpore parfaitement, par ce moyen l'eau ne sera presque point colorée. Alors on trempera un tuyau de verre dans la dissolution d'étain, & on le remuera dans l'eau où l'on a mis de l'or dissout. On réïterera plusieurs fois cette opération jusqu'à-ce qu'on voie des nuages pourpres se former dans cette eau ; ce sera un signe que la couleur sera faite. Alors on couvrira le matras pour le garantir des ordures, & l'on donnera le tems à la couleur de se précipiter, ce qui se fera quelquefois très-lentement. Lorsque la précipitation se sera faite, on trouvera au fond du matras une fécule ou un dépôt d'un très-beau rouge pourpre qui sera plus ou moins vif, selon la nature du dissolvant dans lequel on aura fait dissoudre l'étain, & selon que l'opération aura été faite avec soin ; il faut sur-tout que le dissolvant de l'étain soit bien affoibli, & que la dissolution d'or soit étendue dans beaucoup d'eau.
On édulcorera la fécule rouge qui se sera précipitée avec de l'eau chaude que l'on y versera à plusieurs reprises ; on la fera sécher & on la conservera pour en faire usage. Cette couleur est très-belle, on peut l'employer sur les émaux & la porcelaine en la mêlant avec des fondans convenables ; elle s'étend avec beaucoup de facilité, & l'action du feu ne lui fait souffrir aucune altération.
POURPRE, s. m. terme de Blason, le pourpre est composé de l'azur, de gueule, du sable & du sinople, & il est en barre dans les armes de ceux qui en portent. On dit en parlant blason, parti de pourpre & d'hermine.... il porte de pourpre au chevron abaissé d'or.
POURPRE, le, (Médec.) éruption exanthémateuse qui se fait indistinctement sur tout le corps, & qui est souvent accompagnée d'une fievre aiguë & maligne, & est quelquefois sans fievre ; cette éruption pourpreuse est tantôt rouge, tantôt blanche, tantôt avec des petits boutons, comme ceux de la rougeole, & tantôt ce sont de petites vésicules contenant une sérosité âcre & rongeante : nous allons entrer dans tous les détails de cette maladie au mot POURPREE, fiévre, (Médec.)
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POURPRÉE | FIEVRE, (Médec.) c'est une fiévre aiguë, continue, exanthémateuse, dans laquelle la nature, en augmentant ses mouvemens secrétoires & excrétoires, s'efforce de pousser au-dehors sur la surface du corps une matiere morbifique subtile, dont elle a besoin de se délivrer.
Cette fievre se divise en deux especes, l'une qu'on nomme fievre pourprée rouge, & l'autre par une étrange maniere de s'exprimer fievre pourprée blanche. La fievre pourprée rouge est celle où les boutons, tubercules, taches sont rouges comme dans la rougeole. La fievre pourprée blanche est celle dont les vésicules rendent une sérosité lymphatique, dépravée, sans couleur. On nomme autrement ces deux especes de fievres pourpre rouge & pourpre blanc.
La fievre pourprée blanche est assez communément maligne & compliquée avec la fievre pétéchiale. La pourprée rouge est beaucoup plus douce & presque toujours peu dangereuse. Ces deux especes semblent différer autant que la petite-vérole & la rougeole different l'une de l'autre pour le danger ; & comme il y a des cas où la petite-vérole est douce & benigne, & où la rougeole est dangereuse, de même dans le pourpre il arrive quelquefois contre le cours de la nature, que le blanc se guérit aisément, tandis que le rouge devient fatal.
Signes de ces maladies. Dans le pourpre blanc, le malade éprouve le frisson par tout le corps, auquel succede une forte chaleur avec langueur & débilité. Les parties précordiales sont serrées, & la poitrine est oppressée. Le malade pousse de profonds soupirs ; il est tourmenté d'anxieté, d'inquiétude, d'insomnie ; il sent une chaleur & une douleur pongitive au dos, ensuite la surface du corps se couvre de petites éminences, telles que celles qu'on apperçoit aux oyes, avec une espece de démangeaison inquiétante sous la peau. Au quatrieme jour, quelquefois plus tard, la peau devient généralement rouge, & cette rougeur se rassemble en taches, au milieu desquelles on apperçoit des pustules blanches, qui quelquefois se touchent & se répandent sur tout le corps. Ces pustules sont pellucides, & ne contiennent qu'une eau claire ; elles paroissent communément d'abord au col, ensuite à la poitrine, au dos, & enfin aux bras & aux mains ; leur éruption est accompagnée d'une fievre aiguë ; mais lorsqu'elle est faite, les symptomes qui étoient auparavant violens, surtout l'anxieté des parties précordiales, la cardialgie, l'inquiétude, l'oppression de poitrine & la difficulté de respirer diminuent considérablement. Le pouls qui étoit auparavant dur & promt, devient mol, libre & lent ; l'esprit n'est plus abattu, la sécheresse de la peau cesse, le ventre se dégage, & le malade est surpris de se trouver si bien. Au bout de quatre ou cinq jours, les pustules se sechent, les places où elles étoient paroissent écailleuses & la maladie se termine ; les sueurs ordinairement fétides dans cette maladie sortent en abondance après l'éruption. La fievre pourprée a les mêmes symptomes, mais moins graves.
Deux especes de fievres sont beaucoup plus fréquentes dans les pays du Nord que dans nos climats. La pourprée blanche est souvent épidémique en Saxe où elle emporte beaucoup de monde, & en particulier les femmes en couche.
Leurs causes. Les principales sont la mauvaise constitution de l'air, la dépravation des humeurs, la suppression de la transpiration, les sueurs forcées par des remedes chauds, l'omission des exercices ou des saignées ordinaires, la suppression des regles, du flux hémorrhoïdal, la vie oisive & luxurieuse, &c.
Prognostic. Lorsqu'à la sortie des éruptions la violence des symptomes ne s'adoucit point, la maladie devient plus dangereuse. Le pourpre blanc accompagné de la fievre pétéchiale est plus dangereux quand les éruptions paroissent de bonne heure, & l'est moins quand elles paroissent plus tard. Les éruptions qui disparoissent tout-d'un-coup dans le pourpre rouge ne sont guere moins à craindre que dans le pourpre blanc, parce qu'il en résulte souvent l'inflammation de la gorge, une toux seche, des ardeurs d'urine, des douleurs arthritiques, & autres symptomes semblables qui cessent aussi-tôt que les éruptions reparoissent.
Méthode curative. Elle est la même dans les deux especes de pourpre, & ne differe point de celle qui convient dans les fievres inflammatoires, pétéchiales, milliaires, & dans la rougeole. Il faut se contenter d'entretenir la transpiration continuelle sans exciter la sueur. Les poudres de nitre, d'antimoine diaphorétique sont bonnes pendant le cours du mal. Quand il est passé, on doit employer de doux purgatifs pour nettoyer les premieres voies. Les personnes qui sont sujettes au retour du pourpre rouge & blanc doivent en rechercher les causes pour les prévenir, parce qu'elles dépendent ordinairement de fautes dans le régime ou de la suppression de quelque évacuation habituelle.
Réflexions particulieres. Cette maladie mérite encore quelques réflexions particulieres par rapport aux pays où elle regne le plus, je veux dire dans le Nord, en Allemagne, en Saxe, en Hollande. Dans tous ces endroits elle participe beaucoup du scorbut, tantôt le pourpre y est accompagné d'une fievre aiguë & maligne, tantôt il est benin & sans fievre, mais il trouble assez long-tems l'économie animale.
Les taches pourpreuses different aussi beaucoup plus entr'elles pour l'étendue, la figure & la couleur que parmi nous ; la rentrée de la matiere peccante y est plus commune & suivie de plus grands accidens. Si cette matiere peccante logée dans les parties intérieures y produit une chaleur excessive, tandis que les parties extérieures sont en constriction & couvertes d'une sueur froide ; s'il y a dans les tendons un mouvement tremblotant ; si les forces s'anéantissent ; si le trouble s'empare de l'esprit ; si le pouls est dur, inégal & convulsif, la défaillance succede promtement & annonce la destruction de la machine.
Le pourpre accompagné de toux, de difficulté de respirer, de vomissemens ou de diarrhée, est dans les pays froids une suite assez fréquente des fievres catarreuses des enfans, il faut traiter la fievre, & ces symptomes disparoîtront.
Nous avons dit que le pourpre étoit souvent un effet de scorbut, & pour-lors sa cause matérielle consiste ainsi que celle du scorbut dans la dépravation du sang ; il faut donc rétablir cette dépravation, pour prévenir les fievres pourprées qui lui doivent leur origine ; il n'y a pas d'autre méthode contre le pourpre chronique qui attaque les scorbutiques, les vieillards, ceux qui sont accoutumés à un régime vicieux & salin, & ceux dont la constitution est lâche & qui menent une vie trop sédentaire. Rien ne démontre mieux la présence d'un principe salino-sulphureux dans le pourpre chronique que le soulagement que les malades reçoivent de tous les remedes qui émoussent les pointes salines des humeurs, comme le jus d'orange & de citron, le petit lait, le lait de chevre ou d'ânesse, mêlé avec les eaux de selter, & les décoctions tempérées prises en boissons ordinaires. Quand ces pourpres sont invétérés, les bains, après l'usage du lait & des eaux minérales, dissipent le picotement, la chaleur, la démangeaison & les irruptions ; ainsi, pour guérir ce mal, il ne s'agit que de corriger l'acrimonie des humeurs, & d'expulser les recremens âcres logés sous la peau ; c'est ce qu'on exécute en ouvrant les pores par le bain.
Ceux qui abondent en sérosités, comme les enfans, les personnes phlegmatiques, les femmes d'un tempérament lâche, sont plus sujets que d'autres au pourpre chronique & de longue durée.
On observe encore que les femmes en couche dont les vuidanges ont été supprimées ou défectueuses, & les femmes attaquées de fleurs-blanches ou de suppressions de regles, sont plus fréquemment & plus violemment attaquées des pourpres, tant aigu que chronique, que les hommes ne le sont.
Aux remedes que nous avons indiqués dans les pourpres chroniques, il faut ajouter l'exercice, les voyages, le changement d'air, le séjour sur les lieux élevés, & l'usage d'une poudre diaphorétique amie des nerfs préparée, par exemple, de corne de cerf, d'yeux d'écrevisse, d'ambre, de nitre purifié, & de cinabre. Enfin dans tous les pourpres & fievres pourprées, bénignes ou malignes, aiguës ou chroniques, il est préjudiciable d'irriter les symptomes par les excès de la chaleur ou du froid ; on augmente aussi le mal par les remedes échauffans, les liqueurs spiritueuses, les substances sudorifiques, repercussives & alexipharmaques. Les purgations fréquentes & excessives, les remedes âcres & stimulans, les saignées faites mal-à-propos ne sont pas moins nuisibles. Tous ces remedes ne tendent qu'à débiliter les forces, exciter des constrictions spasmodiques, & faire rentrer subitement les éruptions exanthémateuses. (D.J.)
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POURPRÉTURE | ou PORPRISE & PORPRISON, (Hist. mod.) du latin purprestura, terme fort usité dans beaucoup d'actes & d'ouvrages du moyen âge, comme on le voit dans un roman manuscrit de Vacce :
Donc ont pourpris meullent & toute la contrée.
Purprestura ou proprestura, pourpréture ou pourprisure, se dit quand quelqu'un s'empare injustement de quelque chose qui appartient au roi, comme dans ses domaines ou ailleurs, & généralement tout ce qui se fait au détriment du tenement royal. On peut commettre cette injustice contre son seigneur ou contre son voisin, & dans plusieurs de ces occasions on trouve le même mot employé dans la même signification dans Matthieu Paris, dans Brisson, Jacques de Vitry, & plusieurs autres.
Il semble aussi que pourprisure dans d'autres auteurs signifie les appartenances, les terres circonvoisines d'un lieu, d'une maison, la banlieue d'une ville, comme dans le roman d'Athis manuscrit :
Hors la ville à telle pourprisure
Trois grands lieues la place endure.
Dans le chartulaire de l'hôtel-dieu de Pontoise on trouve ces mots, eum pourprisurâ eidem domui adjacente, & dans une charte du monastere de Lagni de l'an 1195, concessi in elemosinam abbati & conventui sancti Petri Latigniacensis... Locum capellae cum purpurisurâ adjacente. On peut voir dans le glossaire de Ducange, dans l'histoire de Paris des PP. D. Felibien & Lobineau, & dans celle de Bretagne, de ce dernier, les autres significations de ce terme. Suppl. de Morery, tome II.
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POURPRIS | S. m. (Droit coutum.) Ce mot est ancien, & il n'est guere plus connu que dans les coutumes. Froissard a dit, vol. I. ch. xiij. " & furent ordonnés gens d'état autour de lui qui bien savoient que l'on devoit faire, mais point ne le devoient laisser passer, ni aller hors du pourpris ". Et dans le roman de la Rose :
Si ce pourpris ne peut garder
Tout vif me puisse-t-on larder
Si jamais hom vivant y entre.
Ce terme signifie, selon Raqueau, l'enclos, les environs & prochaines clôtures de quelque lieu seigneurial, châtel, manoir & hôtel noble ou de l'église.
Il est dit dans l'article 68, tit. IV. de la coutume de Nivernois, que le " dénombrement doit contenir tous les droits, prérogatives, prééminence du fief, ensemble le châtel, maison, grange, pourpris & domaine, &c. ".
On lit aussi dans la coutume de Bretagne, article 541, les maisons, fiefs, terres, de convenans, & domaines congeables nobles, & autres terres nobles, soit d'ancien patrimoine ou d'acquêt, & les meubles seront partagés noblement entre les nobles qui ont eux & leurs prédécesseurs dès & auparavant les cent ans derniers vécus, & se sont comportés noblement, & aura par préciput en succession de pere & de mere & en chacun d'icelles le château ou principal manoir, avec le pourpris, qui sera le jardin, colombier & bois de décoration, & outre les deux tiers, &c. & par l'article 621, il est dit que bois pris outre la volonté de celui à qui il est ne porte crime, s'il n'étoit charpenté pour merrain à édifier, &c. ou qui est pourpris & hébergemens, & prochaines clôtures de la maison pour la décoration d'icelle. Aubry sur Richelet.
En poésie le céleste pourpris veut dire le ciel, la voûte azurée. (D.J.)
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POURRIR | verb. neut. (Gram.) se détruire, s'altérer par quelque mouvement intérieur, excité entre les parties de la substance qui se pourrit, en conséquence duquel les molécules se séparent, se divisent, se décomposent, s'exhalent, se recomposent d'une maniere différente, &c. Voyez PUTREFACTION.
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POURRISSOIR | S. m. terme de Papeterie, c'est ainsi qu'on appelle certaines cuves de pierre ou de bois, ou même certains endroits dans lesquels on met le chiffon, immédiatement après avoir été lavé ; on l'y laisse fermenter plus ou moins, selon que la saison est plus ou moins chaude. C'est l'ouvrier, appellé le gouverneur, qui est chargé d'y veiller ; on a soin de ne pas laisser le chiffon fermenter trop long-tems, parce qu'il se pourriroit entierement, contracteroit une couleur noirâtre, dont le papier se sentiroit : il pourroit même arriver que pour avoir fermenté trop long-tems, il s'enflammeroit de même qu'il arrive quelquefois au foin mis en pile. Voyez les Pl. de Papeterie.
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POURRITURE | S. f. (Corruption) état de ce qui est pourri. La pourriture a besoin d'un parfait croupissement pour s'emparer entierement des corps ; l'action de l'air est nécessaire pour favoriser les progrès de la pourriture. Ce n'est pas un mouvement de pourriture qui opere la digestion. La pourriture contribue à la digestion par la macération qu'elle cause dans les alimens. Les effets de la pourriture sont remarquables dans la digestion, & elle se déclare par la mauvaise odeur des alimens passés dans les intestins mêlés avec la bile.
POURRITURE, (Médec.) l'espece de corruption produite dans les humeurs par un mouvement automatique, laquelle corruption change le sel naturel en alkali volatil, & la graisse en une masse fétide, noirâtre, âcre, en partie tenace & en partie tenue, s'appelle pourriture.
Elle est causée par le ralentissement de la circulation, par une stagnation trop longue, par une combinaison de chaleur & d'humidité, par l'intromission de l'air, par le défaut d'alimens, ou pour en avoir pris des pourrissans, par la rétention d'une humeur inutile ou morbifique, enfin une constitution endémique ou épidémique ; une trop grande chaleur jointe à l'augmentation de la circulation, produisent assez promtement cet état.
La pourriture varie suivant la nature des humeurs qu'elle attaque ; elle est différente dans le sang, dans la graisse, dans la moëlle, dans la bile, dans la gelée, dans la lymphe, dans le pus, dans l'urine, dans les excrémens, dans la mucosité & dans le chyle.
De la différence de ces humeurs, du commencement & du progrès de la pourriture, des différentes parties qu'elle attaque & des causes qui la produisent, naissent un grand nombre de symptomes différens. Les solides se relâchent & deviennent fragiles, quelquefois ils se détruisent ; les humeurs sont en partie liquides, & en partie tenaces ; elles acquierent un degré de fétidité & de noirceur, & perdent absolument leur caractere naturel. De-là les vents, les évacuations abondantes, les douleurs, une chaleur brûlante, l'affoiblissement, & même le dérangement des fonctions du corps.
La méthode curative demande qu'on fasse attention aux causes, pour les éloigner ou les éviter ; dans l'impossibilité de pouvoir corriger ce qui est pourri, il faut employer intérieurement & extérieurement les antiputrides, les remedes capables de préserver de la corruption les humeurs qui restent. Il faut avoir recours aux échauffans dans la pourriture froide ; mais dans la chaude, il convient d'employer les rafraîchissans. Enfin il est nécessaire de faire sortir peu-à-peu les humeurs pourries par un émonctoire convenable. (D.J.)
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POURSUITE | S. f. (Jurisp.) ce terme signifie quelquefois en général toutes les démarches & diligences que l'on fait pour parvenir à quelque chose, comme quand on dit que l'on poursuit le recouvrement d'une créance, la liquidation d'un compte ; que l'on poursuit sa réception dans un office.
Quelquefois le terme de poursuite ne s'entend que des procédures qui sont faites en justice contre quelqu'un, notamment contre un débiteur, pour le contraindre de payer.
Enfin le terme de poursuite s'entend quelquefois spécialement de la conduite & direction d'une procédure, comme quand on dit la poursuite d'une instance de préférence ou de contribution ; la poursuite d'une saisie réelle, la poursuite d'un ordre.
Celui qui a la poursuite, & qu'on appelle le poursuivant, est celui qui fait toutes les diligences & opérations nécessaires ; les autres créanciers sont seulement opposans pour la conservation de leurs droits. Si le poursuivant est négligent, un autre créancier peut se faire subroger à la poursuite.
Les frais de poursuite sont privilégiés sur la chose, parce qu'ils sont faits pour l'intérêt commun ; c'est pourquoi lorsque le poursuivant obtient quelque condamnation de dépens contre ceux avec lesquels il a des contestations en sa qualité de poursuivant, il a soin de faire ordonner qu'il pourra les employer en frais de poursuite. Voyez le Traité de la vente des immeubles par decret, de M. d'Héricourt, & ci-après le mot POURSUIVANT.
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POURSUIVANT | (Jurisp.) est celui qui fait des diligences pour parvenir à quelque chose. On dit d'un récipiendaire, qu'il est poursuivant sa réception dans un tel office.
On appelle aussi poursuivant, celui d'entre les créanciers qui a le premier introduit une instance de préférence ou de contribution, de saisie réelle, d'ordre, & qui fait les diligences nécessaires pour mettre ladite instance à fin.
On appelle poursuivant la saisie réelle, criées, vente & adjudication par decret, celui qui a fait saisir réellement un immeuble de son débiteur, pour le faire vendre, & être payé sur le prix.
Quand l'adjudication est faite, celui qui étoit poursuivant la saisie réelle devient poursuivant l'ordre & distribution du prix de l'adjudication. Voyez ci-devant POURSUITE. (A)
POURSUIVANT d'amour, (Hist. de la Cheval.) on vit autrefois à la guerre plusieurs chevaliers prendre le nom de poursuivant d'amour, & d'autres titres pareils ; se parer du portrait, de la devise & de la livrée de leurs maîtresses ; aller sérieusement dans les siéges, dans les escarmouches, & dans les batailles ; offrir le combat à l'ennemi, pour lui disputer l'avantage d'avoir une dame plus belle & plus vertueuse que la sienne, & de l'aimer avec plus de passion. Un écuyer anglois, capitaine du château de Beaufort, qui en 1369 prit parti pour la France, se nommoit le poursuivant d'amour. Il est encore fait mention de lui sous ce nom dans l'histoire de Bertrand du Guesclin. Saint-Palais, Hist. de la Chevalerie.
POURSUIVANT d'armes, (chevalier anc.) ce mot s'est dit autrefois des gentilshommes qui s'attachoient aux hérauts pour aspirer à leur charge, à laquelle ils ne pouvoient parvenir qu'après sept ans d'apprentissage passés dans cet exercice. Ils étoient de la dépendance des hérauts, & assistoient à leur chapitre. Un seigneur banneret pouvoit avoir des poursuivans sous l'aveu de quelque héraut.
Leurs cottes d'armes étoient différentes de celles des hérauts : les poursuivans la portoient tournée sur le bras, les hérauts devant & derriere ; & le roi d'armes la portoit semée de lys, la couronne sur l'écu.
Le détail des fonctions de leur ministere est amplement expliqué dans un manuscrit composé par René d'Anjou, roi de Sicile, & qui se conserve dans la bibliothéque du roi. Dans un état de France fait & arrêté en 1644, il y a trois poursuivans d'armes : le premier ayant 200 livres de gages, & les autres chacun 100 liv.
La cérémonie de l'institution des poursuivans d'armes, étoit des plus solemnelle. Ils étoient présentés par un héraut d'armes en habit de cérémonie à leur seigneur & maître pour être nommés. Ils ne devoient point être faits pendant une moindre fête qu'un dimanche. Le héraut les conduisoit par la main gauche au seigneur, & en présence de plusieurs témoins appellés à cet effet, il lui demandoit quel nom il lui plaisoit que portât son poursuivant d'armes ; & le seigneur l'ayant déclaré, le héraut l'appelloit de ce nom. Ces noms arbitraires contenoient souvent des devises énigmatiques, qu'on appliquoit aux poursuivans d'armes pour les distinguer. Il y en a plusieurs exemples dans les anciens titres : cependant le poursuivant ne fait nul serment aux armes, & peut rendre ses armes sans rien méfaire ; ce sont les termes d'un ancien manuscrit cité par le P. Ménetrier dans son livre de la chevalerie. (D.J.)
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POURSUIVRE | v. act. (Gramm.) courir après quelqu'un ou quelque chose. On poursuit un ennemi, un lievre, son chemin, sa pointe, son recit, une place, une femme, un procès, un criminel. D'où l'on voit que poursuivre se dit des choses & des personnes, & qu'il est quelquefois synonyme à continuer.
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POURTOUR | S. m. (Archit.) mot dont les ouvriers se servent pour exprimer circuit. C'est l'étendue du contour d'un espace. Ainsi, on dit qu'une souche de cheminée, une corniche de chambre, un lambris, &c. ont tant de pourtour, c'est-à-dire, tant de longueur ou d'étendue dedans ou dehors oeuvre. (D.J.)
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POURVOIR | (Jurisprud.) signifie mettre ordre à quelque chose, en disposer.
Celui qui présente requête au juge, & qui se plaint de quelque trouble, entreprise ou spoliation qui se fait à son préjudice, conclut à ce qu'il plaise au juge y pourvoir, c'est-à-dire, y mettre ordre.
On se fait pourvoir d'un office ou d'un bénéfice. Cela s'appelle aussi pourvoir, parce que celui qui donne des provisions pourvoit à ce que l'office ou le bénéfice soit rempli & desservi. Voyez BENEFICE, OFFICE, PROVISION. (A)
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POURVOYEUR | S. m. (Hist. mod.) un officier d'une grande maison, qui a soin de la pourvoir de blé & d'autres vivres qu'il achete.
Le nom de pourvoyeur du roi étoit autrefois un terme si odieux en Angleterre, qu'il fut changé en celui d'acheteur, par le stat. 36. edw. 3. l'office même de pourvoyeur fut très-limité par le stat. 12. cor. 2. Voyez POURVOYANCE & ACHAT.
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POUSE | S. f. (Gram.) breuvage indien qui se fait avec le limon & le sucre.
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POUSET | S. m. (Teinture) c'est le pastel, c'est-à-dire, cette couleur rouge qui se trouve dans la graine d'écarlate, & qui sert pour la teinture. (D.J.)
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POUSSE | S. f. (Droguerie) c'est la poussiere ou le grabeau du poivre, & de quelques autres drogues & épiceries, entr'autres du gingembre, de la muscade, du macis & de la graine d'écarlate.
POUSSE, POUSSES, (Jardinage) se dit de la premiere pousse des arbres au mois de Mai, quand la seve est dans sa grande vigueur. Ce sont de jeunes jets vigoureux qui promettent la plûpart du fruit.
On dit nos arbres, nos blés, nos avoines, nos orges poussent très-bien.
POUSSE, (Maréchal.) maladie du cheval, qui consiste dans une altération & un battement de flanc occasionné par une oppression qui l'empêche de respirer, ou par quelqu'opilation des vaisseaux poulmonaires.
La pousse est un cas redhibitoire, & le vendeur est tenu de reprendre un cheval poussif dans les neuf jours. Il y a des remedes pour retenir quelque tems la pousse.
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POUSSE-BALLE | S. m. (Artillerie) c'est un petit instrument cylindrique de fer, de la longueur environ de 7 ou 8 pouces, ayant la tête un peu plus large que le reste, dont se servent les carabiniers. On s'en sert pour commencer à enfoncer la balle de plomb à coups de marteau dans la carabine, qui est rayée depuis l'entrée jusqu'à la culasse. Lorsqu'on a fait entrer la balle de force avec le pousse-balle ; on acheve de la pousser jusques sur la plate-forme de la poudre avec la baguette de fer. (D.J.)
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POUSSE-BARRE | (Marine) c'est un commandement que l'on fait à ceux qui tirent au cabestan pour obliger à travailler plus fortement.
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POUSSE-BROCHE | en terme d'Epinglier ; c'est une espece de ciseau plat & émoussé, dont on se sert pour enruner le poinçon sur l'enclume. Voyez ENRUNER, POINÇON & ENCLUME.
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POUSSE-PIÉ | terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Bourdeaux ; c'est le petit bateau qu'on appelle accon.
POUSSE-PIE, TOSSES ou L'ACCON, est composé seulement de trois planches, longues de 6 à 7 piés, & larges de deux environ ; quarrées par un bout, & un peu relevées par l'autre. Le pêcheur se met sur le côté ou sur le bout de l'arçon, d'où agitant son pié en le poussant sur les vases, il coule dessus & se transporte où il lui plaît : sans cette espece de bateau les pêcheurs ne pourroient aborder leurs pêcheries, où l'on ne peut aller que dans les marées des vives eaux ; aux autres tems elles sont inutiles, la marée n'y montant que très-peu, ou même point du tout.
Les pêcheurs du port des Barques, dans le ressort de l'amirauté de Marennes, ont, outre les deux especes de bateaux pêcheurs, traversier & filadieres, une espece de petit canot particulier qu'ils nomment accon, bien différent pour sa construction de celui dont nous avons parlé ci-dessus, & dont nous ferons mention ci-après : le plan représente un ancien écu d'arme ; les côtés sont formés de trois planches posées à clin ; le fond ou la semelle est aussi formée de planches plates, sur lesquelles il y en a trois autres, une aux deux côtés, & une troisieme au milieu pour renforcer le fond, qui est aussi tout plat, & le faire mieux couler sur ces vases où l'on le pousse lorsque la mer est basse, les bords de la Charante, depuis le port des Barques jusqu'au-dessus de Tonnay-Charante, étant bordés de vase & de bourbe, les bateaux pêcheurs n'en peuvent point approcher.
Ces acons vont aussi à la rame ; l'arriere n'a point d'étambot étant coupé tout à plat, & de la largeur de l'accon, il peut avoir au plus un pié de queste par l'estrave ; les acons n'ont que trois varangues toutes plates, & autant de genoux, dont le bout déborde pour servir de toles à rames ; ces petits acons peuvent cependant porter jusqu'à trois quarts de tonneau ayant 3 piés de bordée, 5 piés de largeur, & environ 15 piés de long.
Les acons ne peuvent soutenir la vague dans les gros tems ; elle les combleroit d'abord ; ce sont cependant les plus grands de ces sortes de petits bateaux. Cette sorte d'accon, & la manoeuvre de la conduire, est représentée dans la figure 3. Pl. II. de Pêche.
Les pêcheurs du port des Barques se servent de leurs acons pour porter à bord des traversieres les pêcheurs qui n'y pourroient aborder autrement, & à en débarquer leur poisson & leurs filets, les bateaux traversiers étant obligés de rester toujours à l'ancre, & mouillés dans la Charante.
Il y a encore des acons dans la paroisse de Souvas, dans le ressort de l'amirauté de la Rochelle. Les acons que les pêcheurs nomment pousse-pié, de l'action avec laquelle ils les manoeuvrent, sont bien plus étroits que ceux des pêcheurs saintongeois, & ils les poussent aussi d'une autre maniere sur les vases où ils les font glisser. Ceux des ports des Barques & du Lupin les poussent par l'arriere, les pêcheurs se mettent à cet effet dans la vase.
Les acons de Fouras ont 6 à 7 piés de long, ils sont coupés par l'arriere, où est leur plus grande largeur, qui peut encore avoir 14 à 15 pouces au plus vers l'arriere, à environ 2 piés allant dans le milieu ; la hauteur du fond au haut du bord est d'environ 12 pouces ; le bout de l'accon est pointu, & formé à-peu-près comme une navette de tisserand émoussée : le pêcheur pour la gouverner a un genou sur la traverse qui est à l'arriere, & qui est taillée commodément pour faire sa manoeuvre ; il place ses deux mains sur le bordage de l'accon à bas bord & à stribord, en s'abaissant de maniere qu'avec l'autre pié, qu'il a libre, il pousse sur les vases son accon où il veut le conduire ; ces petits engins servent aux pêcheurs à aller tendre des courtines volantes & des rets sédentaires sur des fonds où les vases qui bordent la côte ne leur permettroient pas de pouvoir aborder autrement.
POUSSE-PIES, voyez BERNACLES & COQUILLES.
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POUSSE-POINTES | voyez nos fig. d'Horlogerie ; c'est un outil de laiton dont les Horlogers en gros se servent pour chasser les arbres lisses, les enfoncer dans le trou de la piece qu'ils veulent tourner, ou les en faire sortir sans endommager leurs pointes.
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POUSSÉE | S. f. (Archit.) effort que fait le poids d'une voûte contre les murs sur lesquels elle est bâtie. C'est aussi l'effort que font les terres d'un quai, ou d'une terrasse, & le corroi d'un bâtardeau. Dans les voûtes, cet effort est celui que font les voussoirs, à droite & à gauche de la clé, contre les piés droits. Il est de la derniere importance de connoître cette poussée, afin d'y opposer une résistance convenable, pour que la voûte ne s'écarte pas. Ce n'est assurément point une chose aisée que de déterminer cette poussée, qui dépend de la direction des voussoirs, c'est-à-dire, de la convexité de la voûte, abstraction faite de la liaison du mortier & du ciment. On sent bien que plus un arc est large & surbaissé, plus il a de poussée. Mais est-ce là la seule considération à laquelle on doive avoir égard ? Voici ce qu'a reconnu M. Belidor, qui a examiné cette question avec beaucoup de soin.
1°. Dans une voûte où l'on suppose que les voussoirs ne sont entretenus par aucun ciment, plus leur tête sera petite, plus la voute aura de poussée : 2°. plus la voute aura d'épaisseur, plus la poussée sera grande : 3°. plus les piés droits qui soutiennent une voute seront élevés, plus il leur faudra d'épaisseur pour soutenir la poussée de la voûte. Voyez la science des Ingénieurs.
On appelle faire le trait des poussées des voûtes, chercher & marquer les épaisseurs que doivent avoir les murs & les piliers boutans, qui sont des corps saillans qui portent & appuient les voûtes. Dictionn. d'Architect. (D.J.)
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POUSSER | v. act. (Gram.) faire effort contre quelque chose pour le déplacer. Ce verbe a un grand nombre d'acceptions différentes. On est poussé dans la foule. On pousse une chaise qui nous gêne. On pousse fortement une balle. On pousse un cheval. On pousse son travail, ses conquêtes. On se pousse dans le monde. On pousse à-bout un homme par de bons & de mauvais raisonnemens. On pousse des cris & des voeux, &c.
POUSSER, v. act. (Archit.) on dit qu'un mur pousse au vuide, lorsqu'il boucle ou fait ventre.
Pousser à la main ; c'est couper les ouvrages de plâtre faits à la main, & qui ne sont pas traînés, & tailler des moulures sur de la pierre dure.
Pousser est aussi un terme de menuiserie ; & on entend par-là travailler à la main des balustres, moulures, &c. (D.J.)
POUSSER, v. act. terme de Doreur sur cuir ; on dit en terme de doreur sur cuir, & de doreur-relieur, pousser les filets, pousser des nervures, &c. pour signifier, former sur le cuir ces sortes d'ornemens, en y appliquant de l'or en feuilles par le moyen de petits fers à dorer.
POUSSER au trou, v. n. terme de Carrier ; c'est conduire la pierre sur les boules ou rouleaux jusqu'audessous du trou où l'on doit la brider avec le cable & son crochet, pour la tirer ensuite sur la forme de la carriere par le moyen de la roue & de son arbre.
POUSSER, (Maréc.) se dit du cheval qui a la pousse, voyez POUSSE.
Pousser son cheval, se dit du cavalier qui presse son cheval au galop, & le fait aller très-vîte. Pousser ses dents, c'est la même chose que mettre ses dents, voyez METTRE.
POUSSER, (Marine) pousser & porter se disent du vent. Nous fimes route par la baie avec la brise de l'est qui nous poussa.
Pousser, voyez BARRE DE GOUVERNAIL. Pousser un bateau avec le croc ou la gaffe.
POUSSER, en terme de Piqueur en tabatiere, c'est garnir des étuis de clous d'argent, ou autre matiere par le moyen du poussoir.
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POUSSIER | S. m. (Maçonnerie) c'est la poudre des recoupes de pierre passée à la claie, qu'on mêle avec le plâtre en carrelant, pour empêcher qu'il ne bouffe. On met du poussier de charbon entre les lambourdes d'un parquet pour le garantir de l'humidité.
POUSSIER ou POULVERIN, les Artificiers appellent ainsi la poudre écrasée & tamisée.
POUSSIER, dans la fabrique de la poudre à canon, est ce qui reste de la poudre après le grain formé par le tamis, ou quand la poudre a été remuée & que le grain s'en est froissé & découvert.
POUSSIER, s. m. (terme de Charbonnier) nom que les Charbonniers donnent à tout le menu charbon, ou à la poussiere de charbon qui demeure au fond d'un bateau ; les Doreurs sur cuivre s'en servent pour leurs ouvrages.
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POUSSIERE | S. f. (Physique) se dit des particules les plus insensibles d'un corps dur que l'on a brisé. Voyez PARTICULE, CORPUSCULE, ATOME.
La matiere subtile de Descartes est une sorte de poussiere produite par le frottement & le choc des particules du second élément. Voyez ELEMENT, MATIERE SUBTILE, CARTESIANISME, &c.
POUSSIERE des étamines, (Botan.) voyez ETAMINES. Il suffit de répéter ici que le sentiment adopté par les grands botanistes de nos jours, veut avec raison qu'on ait une idée plus noble de cette poussiere que ne l'avoit M. de Tournefort. Il veut qu'on la regarde comme destinée par la nature à rendre le germe des plantes fécond. Il veut que les graines restent stériles, quand elles n'ont pas été vivifiées par cette poussiere, &c. D'un autre côté, la science microscopique a découvert que les grains de poussiere des étamines d'une même plante ont tous une même figure, & que toutes les plantes de différens genres ont une poussiere différemment figurée. Voyez POUSSIERE fécondante, (Science microscopique.)
Enfin ceux qui n'envisagent que les choses utiles, nous font considérer la poussiere des étamines, comme la matiere unique dont est faite la cire que nous consommons ; c'en est assez pour ne pas négliger de porter nos regards sur la poussiere des étamines. (D.J.)
POUSSIERE FARINEUSE, (Science microsc.) la poussiere farineuse qui se trouve sur le sommet des étamines, varie en couleur dans les diverses especes de fleurs ; le microscope a fait voir que tous les grains de cette poussiere sont de petits corps réguliers, uniformes, constamment de la même figure & de la même grandeur dans les plantes de la même espece, tandis que dans celles de différentes especes ils sont aussi différens que les plantes mêmes.
Il est impossible de remarquer cet ordre & cette configuration de la poussiere farineuse, sans conclure que la Providence s'est proposé dans les corps qu'elle a formés si régulierement quelque usage plus noble que celui de les abandonner au gré des vents pour les perdre & les dissiper. Cette réflexion a donné lieu à un plus grand examen microscopique, & cet examen a fait connoître, 1°. que cette poussiere étoit produite & conservée avec un soin extrême dans des vaisseaux nouvellement construits pour s'ouvrir, & la décharger lorsqu'elle est parvenue à sa maturité ; 2°. qu'il y a un pistil, un vaisseau séminal ou utérus dans le centre de la fleur propre à recevoir les petits grains de cette poussiere à mesure qu'ils tombent d'eux-mêmes, ou qu'ils sont tirés de leurs cellules ; 3°. l'expérience fondée sur quantité d'observations prouve que de-là dépend la fertilité de la semence ; car si l'on coupe les vaisseaux farineux ou étamines avant qu'ils soient ouverts & qu'ils aient épanché leur poussiere, la semence devient stérile & incapable de rien produire.
Cette poussiere farineuse doit donc être regardée comme la semence mâle des plantes, & chaque petit grain de semence contient peut-être une petite plante de l'espece de celle où il se trouve. On ne sauroit observer sans surprise les précautions que la nature prend pour empêcher que cette poussiere ne se dissipe inutilement, & pour l'aider à entrer dans le pistil, vaisseau séminal ou utérus qu'elle lui a préparé. La tulipe, par exemple, qui est toujours droite, a son pistil plus court que les étamines afin que la poussiere puisse y tomber directement ; mais dans le martagon qui panche en-bas, le pistil est plus long que ses vaisseaux, & il est enflé à son extrêmité pour saisir la poussiere qui pend sur lui à mesure qu'elle s'épanche.
C'est un plaisir d'examiner la variété des poussieres d'especes différentes de végétaux. Dans celles de la mauve, chaque petit grain paroît être une balle opaque avec des pointes qui en sortent de tous côtés. La poussiere du tournesol paroît composée de petits corps plats & circulaires, affilés tout-autour des côtés, transparens au milieu, & ayant quelque ressemblance avec la fleur qui les produit. La poussiere de la tulipe ressemble à la semence des concombres & des melons. La poussiere du pavot paroît comme de l'orge, avec un sillon semblable qui s'étend d'un bout à l'autre ; celle du lis approche de celle de la tulipe.
Je ne veux point prévenir le plaisir des curieux, ou les arrêter par la description d'un plus grand nombre de ces poussieres que chaque fleur les met à portée d'examiner par eux-mêmes ; je leur conseillerai seulement de ne pas négliger les vaisseaux qui contiennent cette poussiere, car ils y trouveront des beautés qui les dédommageront de leurs peines.
Ramassez la poussiere farineuse au milieu d'un jour sec & serein, lorsque toute la rosée est dissipée ; ayez soin de ne pas l'écraser ou trop presser ; mais secouez-la doucement avec un petit pinceau de poil fort doux, sur un morceau de papier blanc bien net. Prenez ensuite un simple talc avec vos pincettes ; & ayant soufflé dessus, vous l'appliquerez immédiatement après à la poussiere ; l'humidité de votre bouche l'attachera au talc. S'il vous paroît qu'il s'y soit attaché une trop grande quantité de poussiere, ôtez-en ; s'il n'y en a pas assez, soufflez de nouveau sur votre talc, & touchez-en la poussiere comme auparavant ; placez-le dans le trou d'un glissoir, & appliquez-le au microscope pour voir si les petits grains sont placés à votre fantaisie : & lorsque vous les trouverez bien, vous les couvrirez doucement d'un autre talc que vous arrêterez avec l'anneau de cuivre ; mais prenez garde que vos talcs ne pressent pas trop la farine, car vous détruiriez sa véritable figure, & vous en verriez les grains tout autres qu'ils ne sont.
Une collection des poussieres les plus remarquables ainsi conservées, servira d'amusement à ceux qui veulent étudier la nature ; c'est à eux que je recommande d'examiner avec soin les petites cellules qui contiennent cette poussiere, les pistils & autres parties de la génération des fleurs. Ils peuvent commencer par la scrophulaire à fleur blanche, ou par la mauve commune. Comme toutes les autres fleurs ont des organes pour la même destination, quoique d'une figure & construction différente, on aura de quoi s'occuper.
Je n'ajoute qu'une observation, c'est que les petits grains qui composent la poussiere farineuse des étamines, ne sont pas gros ou petits à proportion de la grandeur des plantes qui les produisent ; mais ils ont souvent des proportions directement contraires, comme nous le voyons dans la poussiere de la petite mauve rampante, dont les globules sont plus gros que ceux du tournesol gigantesque. (D.J.)
POUSSIERE, (Critique sacrée) ce mot dans l'Ecriture est pris figurément & proverbialement. Il désigne l'homme, la multitude, le tombeau. Je vais bien-tôt mourir, dit Job, nunc in pulverem dormiam. Qui pourra compter la multitude des enfans de Jacob, pulverem Jacob ? Nomb. xxiij. 10.
La poussiere des piés de Dieu, dans Nahum, j. 3. signifie la quantité de troupes qui devoient attaquer les Assyriens ; leur multitude feroit des nuages de poussiere qui s'éleveroient jusqu'au ciel.
Le Sauveur dit à ses disciples, secouez la poussiere de vos piés en sortant de la ville ou de la maison de ceux qui ne voudront ni vous écouter, ni vous recevoir, Matt. x. 4. & Marc, vj. 11. c'étoit une expression proverbiale qui signifioit de n'avoir plus de commerce avec de telles gens, parce qu'il n'y a rien de bon à gagner avec les méchans.
Jetter de la poussiere en l'air, étoit chez les Juifs un signal de colere & d'emportement. On lit dans les Act. xxij. 23. que quelques-uns d'eux furieux contre S. Paul, se mirent à crier, à secouer leurs habits & à jetter de la poussiere en l'air, pour indiquer qu'il falloit le mettre en pieces.
Jetter de la poussiere sur sa tête, étoit une marque de deuil & d'affliction, comme celle de se rouler dans la poussiere. (D.J.)
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POUSSIF | adj. (Maréchal.) on appelle ainsi un cheval qui a la pousse. Voyez POUSSE.
Poussif outré est celui qui a ce mal excessivement fort.
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POUSSIN | S. m. (Econ. rustiq.) petit de la poule. On a donné le nom de poussiniere à la cage sous laquelle on enferme les poussins.
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POUSSINIERE | S. f. (Econ. rust.) cage à enfermer les poulets nouvellement éclos. On dit l'étoile poussiniere, c'est la constellation des pléïades.
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POUSSOIR | S. m. (terme d'Horlogerie) c'est le pendant d'une montre à répétition. Il est composé d'un cylindre d'or ou d'argent, CC, voyez nos Pl. de l'Horlogerie, au bout duquel est un petit bouton B, plus large, qu'on pousse pour faire sonner la montre ; d'un petit anneau a a a, ajusté au bouton par le moyen d'une vis ou d'une goupille, & d'une piece d'acier E f f, qui agit sur la cremaillere, & la fait avancer lorsqu'on pousse la montre. Elle est ajustée de la maniere suivante. Une partie E E de cette piece, formée comme une tige, entre à force dans un trou percé dans le cylindre dont nous venons de parler, & y est fixée au moyen de deux goupilles d'acier. L'autre F F, est une espece de demi-cylindre dont le rayon est égal à celui du cylindre d'or ou d'argent, contre lequel il s'applique. Au bout de ce demi-cylindre est une petite éminence m reservée, afin que le poussoir ne puisse point sortir du canon de la boîte dans lequel il est entré. La plaque du poussoir, voyez PLAQUE, l'empêche de tourner & de sortir du canon ci-dessus, en partageant le trou de ce canon, & formant à son extrêmité un demi-cercle, au-travers duquel le demi-cylindre ne peut se mouvoir qu'avec un jeu convenable.
POUSSOIR, en terme de Piqueur en tabatiere, se dit d'un outil de fer étroit & creux, monté sur une poignée de bois. Il sert à prendre les petits clous par la tête, en le mouillant à chaque fois avec la salive, & à les placer dans leurs trous.
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POUSSO | ou POUZOL, (Géog. mod.) ou plutôt, comme disent les Italiens, Pozzuolo ; ville d'Italie au royaume de Naples, à huit milles au couchant de cette capitale, au bord de la mer, sur une basse pointe ; on la nommoit anciennement en latin Puteoli, & c'est sous ce mot que nous indiquerons ses diverses révolutions jusqu'à ce jour.
Cette ville autrefois fameuse, est aujourd'hui misérable. Les guerres, les tremblemens de terre, les assauts de la mer, & le tems qui mine tout, l'ont presque entierement détruite ; c'est en vain qu'elle a un évêché suffragant de Naples, ce titre ne lui procure aucun avantage ; & quoiqu'on puisse mouiller aisément devant cette ville avec des vaisseaux & des galeres, il n'y aborde que quelques voyageurs curieux d'y voir quelques vestiges de son ancienne splendeur, & les débris d'un mole, que l'on donne pour les restes du pont de Caligula, puteolanas moles.
C'est grand dommage que cette ville soit dans un triste état ; la douceur de l'air qu'on y respire, l'agrément de la situation, l'abondance de ses bonnes eaux & la fertilité de la campagne, prouvent bien que ce n'étoit pas sans raison que les Romains faisoient leurs délices de ce lieu. On ne peut rien voir de si charmant que son assiette vis-à-vis les ruines de Bayes ; & l'on ne peut rien imaginer de plus agréable que la colline qui commence vers Pozzuolo, & regne le long de la mer qui en bat le pié. Cette colline étoit tapissée des maisons de plaisance de Néron, d'Hortensius, de Pison, de César, de Pompée, de Servilius, de Ciceron, & de tant d'autres. Ciceron y composa ses questions académiques. Il avoit orné ce palais d'une grande galerie, embellie de sculptures, de peintures, & d'autres raretés qu'Atticus lui avoit envoyées de Grece. Ce fut dans ce même lieu que César vint souper avec lui au fort de ses victoires. On trouve au voisinage des sources d'eau chaude, qui remplissent les bains qu'on appelle encore aujourd'hui les bains de Ciceron, bagni di Cicerone. De plus, la mer est si tranquille dans ce quartier, qu'on croit ne voir qu'une vaste riviere. En un mot, tout y est si riant que les Poëtes ont feint qu'Ulysse s'arrêta dans ce lieu, dont les délices lui firent oublier les travaux & les périls auxquels il avoit été exposé.
On trouve encore presque tout-autour de la ville de Pozzuolo, une terre ou sable, admirable pour bâtir, & qu'on nomme communément en françois poussolane. Ce sable est d'un rouge de brique, & disposé par lits de différentes épaisseurs. Quelquefois il y a des lits où le sable est fort fin, quelquefois il est gros ou inégal. On employe le plus fin pour les enduits, & le gros dans la Maçonnerie. Ce qu'ils ont de commun, c'est qu'ils font une liaison admirable qui fait corps, & qui se seche d'autant plus promtement qu'on a plus de soin de le noyer à force d'eau. Il prend dans l'eau, & fait corps avec toutes sortes de pierres.
La cathédrale de Pozzuolo est bâtie en partie, à ce qu'on prétend, sur les ruines d'un temple de Jupiter, qui étoit de l'ordre corinthien ; & la façade porte une ancienne inscription, qui prouve que ce temple avoit été élevé par Calphurnius, chevalier romain, en l'honneur d'Auguste : voici cette inscription, Calphurnius L. F. templum, Augusto cum ornamentis D. D.
En allant de Pozzuolo à Capoue, on a trouvé dans le dernier siecle plusieurs ruines d'anciens sépulcres dont ce lieu étoit rempli, avec les niches des urnes où l'on conservoit les cendres des corps qu'on avoit brûlés ; voyez-en le récit dans Misson & Adisson, voyages d'Italie. Long. de Pozzuolo, 31. 34. latit. 40. 52.
Les feux qui sortent par le sommet du Vésuve ne semblent destinés qu'à effrayer les hommes ; mais le terrein des environs de Pozzuolo en contient dans son sein qui sont moins terribles, & dont l'industrie humaine a su tirer de très-grands avantages : cet endroit se nomme aujourd'hui la Solfatara, probablement à cause de la grande quantité de soufre qu'on en retire ; on le nommoit autrefois forum Vulcani, ou campus Phlegraeus : on en tire, depuis plusieurs siecles, une quantité prodigieuse de soufre & d'alun.
Ce lieu est une petite plaine ovale dont le grand diamêtre, dirigé de l'est à l'ouest, est à-peu-près de 200 toises, & dont la plus grande largeur n'excede pas 150 : elle est élevée d'environ 150 toises au-dessus du niveau de la mer, & il faut par conséquent beaucoup monter pour y arriver, soit qu'on y vienne de Naples ou de Pozzuolo.
La Solfatara n'a qu'une seule entrée, qui est du côté du midi ; le reste est environné de hautes collines, ou plutôt de talus très-roides, composés d'un peu de terre & du débris de grands rochers escarpés, continuellement rongés par la vapeur du soufre, & qui tombent en ruine. Excepté quelques brossailles, & un taillis d'environ un arpent, qui se trouve à l'entrée, tout le terrein y est pelé & blanc comme de la marne : la seule inspection fait juger que cette terre contient beaucoup de soufre & de sels ; & sa chaleur plus grande presque par-tout que les plus grandes chaleurs d'été, & qui va même en quelques endroits jusqu'à brûler les piés à-travers les souliers, jointe à la fumée qu'on voit sortir de toute part, annonce qu'il y a dessous cette plaine un feu souterrein.
On observe au milieu de la plaine un enfoncement de figure ovale, d'environ trois ou quatre piés de profondeur, dont le fond retentit quand on le frappe, comme s'il y avoit au-dessous une vaste cavité dont la voûte fût peu épaisse. Un peu plus loin & dans la partie orientale, on apperçoit un bassin plein d'eau : cette eau est chaude, mais elle ne fait monter la liqueur du thermometre qu'à 34 degrés au-dessus de la congélation ; degré bien inférieur à celui de l'eau bouillante, & qui ne rendroit pas même cette eau capable de cuire des oeufs, comme quelques auteurs l'ont assuré : cependant cette eau paroît bouillir continuellement à un coin du bassin, quoiqu'elle soit très-tranquille dans tout le reste.
Les rochers qui entourent la Solfatara, continuellement exposés à la vapeur du soufre, tombent, comme nous l'avons dit, par morceaux, & se réduisent en une espece de pâte ferme & grasse, avec des taches jaunes, & d'autres d'un rouge fort vif : mais ce qui est de plus singulier, c'est que parmi ces débris de rochers fumans & calcinés par la vapeur du soufre brûlant, on voit sur les petites parties de terre qui s'y rencontrent, des plantes en abondance, & que le revers de ces collines est très-fertile & très cultivé.
La mine de soufre qu'on tire de la Solfatara, est une terre durcie, ou plutôt une pierre tendre, qu'on trouve en fouillant. Pour en tirer le soufre, on la met en petits morceaux dans des pots de terre, qui contiennent environ vingt pintes de Paris. Ces pots sont exactement fermés par un couvercle qui y est lutté : on les place dans un fourneau fait exprès, de maniere qu'un quart de leur pourtour fait saillie hors du fourneau, & demeure découvert au-dehors ; une semblable partie fait saillie au-dedans du fourneau pour recevoir l'action du feu, & par conséquent la moitié du pot est dans l'épaisseur du mur : chacun de ces pots communique par un tuyau d'environ un pié de longueur, & de dix-huit lignes de diamêtre, avec un autre pot placé tout-à-fait hors du fourneau, & un peu plus haut que les premiers ; ces derniers pots sont vuides & fermés exactement, excepté vers le bas où on a ménagé un trou d'environ quinze à dix-huit lignes.
Le soufre développé de sa mine par le feu qu'on allume dans le fourneau, monte en fumée, & passe dans le pot extérieur, où ne trouvant plus le même degré de chaleur, il passe de l'état de vapeur à celui de fluide, & coule par l'ouverture inférieure dans une tinette placée au-dessous. Ces tinettes sont évasées par le haut, & garnies de trois cercles de fer ; lorsque le soufre est refroidi, on les démonte en faisant tomber les cercles à coups de marteau, & on a la masse de soufre entiere, qu'on résoud ensuite de nouveau pour la purifier & la mouler en bâtons. Il faut que la quantité de soufre que contient la Solfatara, soit immense : Pline assure formellement que de son tems on tiroit du soufre de la campagne de Naples, dans les collines nommées leucogaei ou terres blanches, & qu'après l'avoir tiré de la terre, on l'achevoit par le feu ; ce qui ressemble, on ne peut pas mieux, à la Solfatara, & à la maniere dont on y travaille ce minéral.
Le soufre n'est pas la seule matiere minérale que contienne cette miniere, on en tire aussi beaucoup d'alun : c'est dans la partie occidentale qu'on trouve la matiere qui le contient ; c'est moins une pierre qu'une terre blanche, assez semblable à de la marne pour la consistance & la couleur : elle se trouve sur le champ : on en remplit jusqu'aux trois quarts des chaudieres de plomb enfoncées jusqu'à l'embouchure dans le terrein, dont la chaleur fait monter en cet endroit le thermometre de M. de Reaumur à 37 1/2 degrés au-dessus de la congélation ; on verse ensuite de l'eau dans chaque chaudiere jusqu'à ce qu'elle surnage la mine de trois ou quatre pouces : la chaleur du terrein échauffe le tout, & par son moyen le sel se dégage de la terre, & vient se crystalliser à la surface ; mais comme dans cet état il est encore chargé de beaucoup de matieres étrangeres, on le fait fondre de nouveau avec de l'eau chaude contenue dans un grand vase de pierre qui a la forme d'un entonnoir, & crystalliser ensuite ; pour-lors on l'a en beaux crystaux, tel qu'on le voit ordinairement, les matieres étrangeres se précipitant au fond de l'entonnoir de pierre. Hist. de l'acad. des Sciences, ann. 1750. p. 20. (D.J.)
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POUS | ou PUST, s. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme à la cour du grand-mogol un breuvage, qui n'est autre chose que du jus de pavot, exprimé & infusé pendant une nuit dans de l'eau. C'est ce breuvage que les souverains, ou plutôt les tyrans de ce pays, font prendre à leurs freres & aux princes de leur sang, lorsqu'ils ne veulent point les faire mourir. C'est la premiere chose qu'on leur apporte le matin, & on leur refuse toute autre nourriture jusqu'à ce qu'ils en aient avalé une dose considérable. Cette potion les maigrit insensiblement, elle leur cause un marasme qui finit par les faire mourir, après les avoir rendus stupides, & les avoir mis dans une espece de léthargie.
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POUTALETSJA | (Botan. exot.) nom d'un arbrisseau fort bas, qui porte des baies, & qui est fort commun dans le Malabar. (D.J.)
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POUTI-SA | ou PUTSA, s. m. (Hist. mod.) c'est le nom sous lequel les Siamois & quelques autres habitans des Indes orientales désignent le dieu plus connu sous le nom sommona-kodom. On croit que c'est le même dieu que les Chinois nomment foë, & les Japonois siaka ou xaca ; d'autres indiens le nomment budda ou boutta. Ce mot signifie le seigneur, pouti. Voyez SOMMONA-KODOM & SIAKA.
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POUTRE | S. f. (Charpent.) c'est la plus grosse piece de bois qui entre dans un bâtiment, & qui soutient les travées des planchers. Il y en a de différentes longueurs & grosseurs. Celles qui sont en mur mitoyen doivent, suivant la coutume de Paris, article 208, porter plutôt dans toute l'épaisseur du mur, à deux ou trois pouces près, qu'à moitié, à-moins qu'elles ne soient directement opposées à celles du voisin. En ce cas, elles ne peuvent porter que dans la moitié du mur ; & on soulage leurs portées, de chaque côté, par des corbeaux de pierre, en mettant une table de plomb entre les deux bouts, pour empêcher qu'elles ne s'échauffent & ne se corrompent. On ne se sert guere dans les planchers de ces poutres, mais de solives passantes qui se posent sur les murs.
Voilà ce que nous ont appris sur les poutres les maîtres dans l'art de bâtir. Les autres connoissances qu'on a touchant les poutres, sont dûes aux Physiciens. Ces connoissances concernent l'effort dont celles de différentes longueurs sont capables. Nous allons exposer ici ce que MM. Couplet, Bernoulli & Parent, ont découvert.
1°. La résistance totale de chaque poutre est le produit de sa base par sa hauteur. 2°. Si les bases de deux poutres sont égales en longueur, quoique les longueurs & largeurs en soient inégales, leur résistance sera comme leur hauteur. D'où il suit qu'une poutre posée de champ, ou sur le plus petit côté de sa base, résistera plus que posée sur le plat, & cela en raison de l'excès de hauteur que cette premiere situation lui donnera sur la seconde. On sera sans doute surpris, après cela, qu'on pose les poutres sur le plat dans les bâtimens : mais comme il est important qu'elles aient une certaine assiette, on préfere cette situation parce qu'elle est plus convenable que l'autre. 3°. Si la somme des côtés des bases de deux poutres est égale, que ces côtés aient, par exemple, 12 & 12, ou 11 & 13, ou 10 & 14, ou 9 & 15, &c. desorte que la somme soit toujours de 24 pouces, & que les poutres soient toujours posées de champ, on trouve, en suivant cette espece de suite, que dans la premiere poutre qui auroit 12 & 12, la résistance est 1728, & la solidité 144 : ce qui donne le rapport de la résistance à la solidité ou pesanteur comme 12 à 1. Ainsi en se servant de la derniere poutre qui auroit 1 & 23, la résistance seroit 529 & la solidité 23. Par conséquent la premiere poutre qui seroit quarrée, auroit, par rapport à sa pesanteur, près de deux fois moins de force, c'est-à-dire, de résistance que la derniere. Et dans les poutres moyennes cette résistance comparée à sa pesanteur, iroit toujours en augmentant depuis la premiere jusqu'à la derniere : c'est ce qu'on va voir dans la table suivante. On peut consulter aussi à ce sujet les mémoires de l'académie royale des Sciences de 1707 & de 1708, & le traité de la Charpenterie & des bois de toute espece, par M. Matthias Mésange.
Table du rapport de la force des poutres à leur solidité.
Poutre armée. C'est une poutre sur laquelle sont assemblées deux décharges en à-bouts, avec une clé, retenues par des liens de fer. Cela se pratique quand on veut faire porter à faux un mur de refend, ou lorsque le plancher est d'une si grande étendue, qu'on est obligé de se servir de cet expédient, pour soulager la portée de la poutre en faisant un faux plancher par-dessus l'armature.
Poutre feuillée. Poutre qui a des feuillures ou des entailles, pour porter par cet encastrement le bout des solives.
Poutre quarderonnée. Poutre sur les arêtes de laquelle on a poussé un quart de rond, une doucine, ou quelque autre moulure entre deux filets ; ce qui se fait plutôt pour ôter la flache, que pour ornement. (D.J.)
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POUTRELLE | S. f. (Charpent.) petite poutre de 10 à 12 pouces, qui sert principalement à porter un médiocre plancher. (D.J.)
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POUVOIR | S. m. (Droit nat. & politiq.) le consentement des hommes réunis en société, est le fondement du pouvoir. Celui qui ne s'est établi que par la force, ne peut subsister que par la force ; jamais elle ne peut conférer de titre, & les peuples conservent toujours le droit de réclamer contr'elle. En établissant les sociétés, les hommes n'ont renoncé à une portion de l'indépendance dans laquelle la nature les a fait naître, que pour s'assurer les avantages qui résultent de leur soumission à une autorité légitime & raisonnable ; ils n'ont jamais prétendu se livrer sans réserve à des maîtres arbitraires, ni donner les mains à la tyrannie & à l'opression, ni conférer à d'autres le droit de les rendre malheureux.
Le but de tout gouvernement, est le bien de la société gouvernée. Pour prévenir l'anarchie, pour faire exécuter les lois, pour protéger les peuples, pour soutenir les foibles contre les entreprises des plus forts, il a fallu que chaque société établît des souverains qui fussent revêtus d'un pouvoir suffisant pour remplir tous ces objets. L'impossibilité de prévoir toutes les circonstances où la société se trouveroit, a déterminé les peuples à donner plus ou moins d'étendue au pouvoir qu'ils accordoient à ceux qu'ils chargeoient du soin de les gouverner. Plusieurs nations jalouses de leur liberté & de leurs droits, ont mis des bornes à ce pouvoir ; cependant elles ont senti qu'il étoit souvent nécessaire de ne point lui donner des limites trop étroites. C'est ainsi que les Romains, au tems de la république, nommoient un dictateur dont le pouvoir étoit aussi étendu que celui du monarque le plus absolu. Dans quelques états monarchiques le pouvoir du souverain est limité par les lois de l'état, qui lui fixent des bornes qu'il ne lui est pas permis d'enfreindre ; c'est ainsi qu'en Angleterre le pouvoir législatif réside dans le roi & dans les deux chambres du parlement. Dans d'autres pays les monarques exercent, du consentement des peuples, un pouvoir absolu, mais il est toujours subordonné aux lois fondamentales de l'état, qui font la sureté réciproque du souverain & des sujets.
Quelque illimité que soit le pouvoir dont jouïssent les souverains, il ne leur permet jamais de violer les lois, d'opprimer les peuples, de fouler aux piés la raison & l'équité. Il y a un siecle que le Danemarck a fourni l'exemple inouï d'un peuple, qui par un acte authentique, a conféré un pouvoir sans bornes à son souverain. Les Danois fatigués de la tyrannie des nobles, prirent le parti de se livrer sans réserve, & pour-ainsi-dire piés & poings liés, à la merci de Fréderic III. un pareil acte ne peut être regardé que comme l'effet du désespoir. Les rois qui ont gouverné ce peuple n'ont point paru jusqu'ici s'en prévaloir ; ils ont mieux aimé regner avec les lois que d'exercer le despotisme destructeur auquel la démarche de leurs sujets sembloit les autoriser. Nunquam satis fida potentia ubi nimia.
Le cardinal de Retz, en parlant d'Henri IV. dit qu'il ne se défioit pas des lois, parce qu'il se fioit en lui-même. Les bons princes savent qu'ils ne sont dépositaires du pouvoir que pour le bonheur de l'état. Loin de vouloir l'étendre, souvent ils ont eux-mêmes cherché à y mettre des bornes, par la crainte de l'abus que pourroient en faire des successeurs moins vertueux : ea demùm tuta est potentia quae viribus suis modum imponit. Val. Max. Les Titus, les Trajan, les Antonin ont usé du pouvoir pour le bonheur des humains : les Tibere, les Néron en ont abusé pour le malheur de l'univers. Voyez SOUVERAINS.
POUVOIR PATERNEL, (Droit nat. & civ.) droit & jurisdiction d'un pere & d'une mere sur leurs enfans.
Quoique ce mot pouvoir paternel semble constituer tout le pouvoir sur les enfans dans la personne des peres, cependant si nous consultons la raison, nous trouverons que les meres ont un droit & un pouvoir égal à celui des peres ; car les obligations imposées aux enfans tirent semblablement leur origine de la mere comme du pere, puisqu'ils ont également concouru à les mettre au monde. Aussi les lois positives de Dieu touchant l'obéissance des enfans, joignent sans nulle distinction le pere & la mere ; tous deux ont une espece de domination & de jurisdiction sur leurs enfans, non seulement lorsqu'ils viennent au monde, mais encore pendant leur enfance.
Le pouvoir des peres & des meres sur leurs enfans dérive de l'obligation où ils sont d'en prendre soin durant l'état imparfait de leur enfance. Ils sont obligés de les instruire, de cultiver leur esprit, de regler leurs actions, jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de raison ; mais lorsqu'ils sont parvenus à cet état qui a rendu leur pere & mere des gens libres, ils le deviennent à leur tour.
Il résulte de-là que tout le droit & tout le pouvoir des peres & meres sont fondés sur cette obligation, que Dieu & la nature ont imposée aux hommes aussi-bien qu'aux autres créatures, de conserver ceux à qui ils ont donné la naissance, jusqu'à ce qu'ils soient capables de se conduire eux-mêmes. Ainsi nous naissons libres aussi-bien que raisonnables, quoique nous n'exercions pas d'abord actuellement notre raison & notre liberté ; l'âge qui amene l'une amene aussi l'autre, & par-là nous voyons comment la liberté naturelle & la sujetion aux parens peuvent subsister ensemble, & sont fondées l'une & l'autre sur le même principe.
Le pouvoir paternel n'est point arbitraire, & il appartient si peu au pere & à la mere par quelques droits particuliers de la nature, qu'ils ne l'ont qu'en qualité de gardiens, & de gouverneurs de leurs enfans ; de-sorte que lorsqu'ils les abandonnent en se dépouillant de la tendresse paternelle, ils perdent leur pouvoir sur eux, qui étoit inséparablement annexé aux soins qu'ils prenoient de les nourrir & de les élever, & qui passe tout entier au pere nourricier d'un enfant exposé, & lui appartient autant qu'appartient un semblable pouvoir au véritable pere d'un autre.
De cette maniere, le pouvoir paternel est plutôt un devoir qu'un pouvoir ; mais pour ce qui regarde le devoir d'honneur de la part des enfans, il subsiste toujours dans son entier, rien ne peut l'abolir ni le diminuer, & il appartient si inséparablement au pere & à la mere, que l'autorité du pere ne peut déposseder la mere du droit qu'elle y a, ni exempter son fils d'honorer celle qui l'a porté dans ses flancs. Cet honneur, ce respect, tout ce que les Latins appellent piété, est dû indispensablement aux peres & aux meres durant toute la vie, & dans toutes sortes d'états & de conditions, quoiqu'il soit vrai qu'un pere & une mere n'ont aucune domination proprement dite sur les actions de leurs enfans à un certain âge, ni sur leurs propres biens. Cependant il est aisé de concevoir que dans les premiers tems du monde, & dans les lieux qui n'étoient guere peuplés, des familles venant à se séparer & à occuper des terres inhabitées, un pere devenoit le prince de sa famille, le gouverneur & le maître de ses enfans, non-seulement dans le cours de leurs premieres années, mais encore après que ces enfans avoient acquis l'âge de discrétion & de maturité.
Il ne faut pas conclure de-là que le pouvoir paternel soit l'origine du gouvernement d'un seul, comme le plus conforme à la nature ; car outre que la mere partage ici la jurisdiction, si le pouvoir du pere a du rapport au gouvernement d'un seul, le pouvoir des freres après la mort du pere, ou celui des cousins-germains après la mort des freres, ont du rapport au gouvernement de plusieurs ; enfin la puissance politique comprend nécessairement l'union de plusieurs familles.
Une chose plus vraie, c'est que le gouvernement des peres & meres est fondé sur la raison ; leurs enfans sont une portion de leur sang ; ils naissent dans une famille dont le pere & la mere sont les chefs ; ils ne sont pas en état pendant leur enfance de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins, à leur conservation, à leur éducation ; toutes ces circonstances demandent donc une juste autorité des pere & mere sur les enfans qu'ils ont mis au monde.
Cette autorité est de toutes les puissances celle dont on abuse le moins dans les pays où les moeurs font de meilleurs citoyens que les lois ; c'est la plus sacrée de toutes les magistratures, c'est la seule qui ne dépende pas des conventions, & qui les a même précédées. Dans une république, où la force n'est pas si réprimante que dans les autres gouvernemens, les lois doivent y suppléer par l'autorité paternelle. A Lacédémone, chaque pere avoit droit de corriger l'enfant d'un autre. A Rome la puissance paternelle ne se perdit qu'avec la république. Dans les monarchies où la pureté des moeurs est rare, il faut que chacun vive sous la puissance des magistrats. Dans une république, la subordination peut demander que le pere & la mere restent pendant leur vie maîtres des biens de leurs enfans, mais il en résulteroit trop d'inconvéniens dans une monarchie. En un mot il a fallu pour le bien public, que les lois civiles bornassent le pouvoir paternel ; elles ont donc établi que ce pouvoir finissoit.
1°. Par la mort du pere ou par celle de ses enfans. Ceux-ci après la mort de leur pere ne tombent pas sous la puissance de l'ayeul, mais ils restent sous l'inspection & la tutele de leur mere : si la mere vient à mourir, ou qu'elle ne veuille pas être tutrice, les ayeux sont tenus, en qualité de tuteurs naturels, de veiller à leur éducation, & à la conservation de leurs biens.
2°. Par la proscription, lorsque l'un ou l'autre est proscrit ou déclaré ennemi de la patrie, ce qui a semblablement lieu par rapport aux déserteurs.
3°. Par l'émancipation du fils, lorsqu'il est adopté par son ayeul, ce qui est le seul cas d'émancipation qui ait lieu aujourd'hui ; c'est pourquoi le pere ne peut plus demander le prix de l'émancipation, savoir la moitié du bien du fils.
4°. Par l'exposition d'un enfant, soit qu'il ait été exposé dans un lieu public, ou près d'une église, ou dans une maison particuliere.
5°. Par l'abus de la puissance paternelle, comme lorsqu'un pere traite ses enfans tyranniquement, ou lorsqu'il les prostitue ou les engage à des actions infâmes.
Dans tous ces cas, le pouvoir paternel prend fin, & par conséquent tous les droits qui en découlent, quoique ceux qui sont une suite des liens du sang, subsistent dans toute leur force. Ainsi la perte de la puissance paternelle, n'empêche pas que les mariages dans un degré défendu, ne demeurent toujours prohibés, & que celui qui tue son pere ou sa mere ne soit toujours parricide. (D.J.)
POUVOIR, (Jurisprud.) est la puissance ou la faculté de faire quelque chose. Le pouvoir de prêcher, de confesser, & d'enseigner dépendent du supérieur ecclésiastique. Voyez PUISSANCE, CONFESSION, LEÇON, PREDICATION, VICAIRE. (A)
POUVOIR, un, s. m. (Art militaire) titre qu'on donne aux patentes que le roi accorde aux lieutenans-généraux de ses armées ; celles des maréchaux-de-camp sont des brevets, mais les patentes des lieutenans-généraux s'appellent des pouvoirs : ils ne peuvent pourtant pas servir ni commander en vertu de ces seuls pouvoirs ; car quoiqu'ils soient donnés pour toute la vie, il leur faut cependant à chaque campagne une lettre du prince, qui s'appelle lettre de service, qui est adressée au général sous lequel ils doivent servir, sans quoi il leur seroit inutile d'aller à l'armée, car ils n'y seroient pas reconnus. (D.J.)
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POUW | (Hist. nat.) nom d'une pierre qui se trouve dans les Indes orientales, dans l'île de Ternate, dans une fontaine qui a, dit-on, la vertu de changer en pierre tous les bois qui y séjournent. Il paroît que cette pierre est une incrustation ou dépôt calcaire, car les habitans s'en servent comme d'un absorbant contre les aigreurs de l'estomac.
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POUZZOLANE | S. f. (Hist. nat.) pulvis puteolanus, c'est ainsi qu'on nomme une substance semblable à du sable, qui est rougeâtre, mêlée de soufre & d'alun, qui se trouve dans le voisinage de Pouzzole, dans le royaume de Naples ; on s'en sert pour faire un ciment très-propre à bâtir, sur-tout pour les ouvrages qui doivent rester sous l'eau. Cette matiere paroit être produite par les embrasemens souterreins & par les volcans, qui ont ravagé le terrein de Pouzzole : on est dans l'idée que la pouzzolane se durcit dans l'eau de la mer & y prend la consistance d'une pierre. Les anciens s'en servoient pour faire du ciment ; M. Hill croit que c'est cette substance qu'ils nommoient gypsum tymphaïcum : on en fait aujourd'hui grand usage, sur-tout en Italie où l'on est plus à portée de s'en procurer.
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POVENZA | (Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans la partie septentrionale de la Carelie moscovite, sur le lac Onega, à l'embouchure de la riviere de Povenza. (D.J.)
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POWYS | (Géog. mod.) c'est le nom d'un des trois royaumes qui furent établis dans le pays de Galles, lorsque Rodrigue, roi de Galles, divisa ses états entre ses trois fils. Le royaume de Powis échut à Nervin, le plus jeune des trois freres. Ce pays comprenoit les provinces de Mont-Gomery & de Radnor, avec partie de celles de Denbigh & de Flint, & tout le Shropshire, au-delà de la Saverne, avec la ville de Shrewsbury : ce royaume relevoit de la partie septentrionale de Galles, qui avoit été le partage de l'aîné. (D.J.)
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PRACTEURS | S. m. (Antiq. grecq.) chez les Athéniens, étoient des officiers préposés pour recevoir l'argent des amendes pour crime. Potter, Arc. graec. tom. I. pag. 81.
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PRACTIU | ou PRACTIUS, (Géog. mod.) fleuve d'Asie, dans la Troade. Strabon, liv. XII. & XIII. dit qu'il couloit entre Abydus & Lampsacus. Homere parle de ce fleuve vers la fin du second livre de l'Iliade.
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PRADAM | (Gram. Hist. mod.) premier ministre du Pandarastar, ou prince qui a sur ses terres les églises de Coutans & de Corals.
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PRADAS | (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Catalogne, sur une petite riviere qui se jette dans l'Ebre ; c'est le chef-lieu d'un comté, dans la viguerie de Moublano. (D.J.)
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PRADELLES | (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Vivarais, sur une éminence, près des sources de l'Allié, à 4 lieues du Puy.
Baudoin (Jean), naquit dans cette petite ville, devint de l'académie Françoise avant qu'elle fût établie, & mourut à Paris en 1650, âgé de plus de 60 ans : le pere Niceron l'a mis au rang des hommes illustres. Il est vrai qu'il savoit l'italien, l'espagnol, & l'anglois, & qu'il a traduit plusieurs ouvrages de ces trois langues. Il a aussi traduit en françois, ou du-moins donné sous son nom, Dion Cassius, Suétone, Lucien, Velleïus Paterculus, & Salluste ; mais il est encore plus vrai qu'il travailloit fami non famae, & que dans ses traductions françoises il se contentoit de retoucher celles que l'on avoit faites avant lui, & changer les tours & les expressions qui n'étoient plus à la mode, sans recourir à l'original. (D.J.)
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PRADES | (Géog. mod.) bourg de France, dans le Roussillon, sur le Tech, au milieu d'une plaine. Piganiol qualifie ce bourg de petite ville.
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PRADOS | (Géog. mod.) petite ville de Portugal, dans la province entre Duero-e-Minho, sur la rive droite du Cavado, avec titre de comté.
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PRAECIDANÉE | adj. f. (Mythol.) on appelloit victimes praecidanées, celles qu'on immoloit le jour de devant la solemnité ; c'est pour cela que la truye qu'on immoloit à Cérès avant les moissons, étoit nommée praecidanea porca. Voyez HOSTIE, VICTIME.
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PRAECIPÉ | (Droit d'Anglet.) Le writ, ou ordre appellé praecipe, parce qu'il commence par ces mots, praecipe quod redat, a divers usages dans le droit anglois ; mais en général il signifie un ordre du roi ou de quelque cour de justice, de mettre en possession celui qui après la plainte vient de prouver qu'il a été injustement dépouillé. (D.J.)
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PRAECLAMITATEURS | S. m. pl. (Antiq. rom.) officiers qui alloient par les rues de Rome devant le flamen-dial, pour faire cesser le travail des ouvriers les jours de féries publiques.
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PRAECO | S. m. (Antiq. rom.) officier qui avoit la charge dans les assemblées du peuple, d'appeller les classes & centuries suivant leur ordre, & de faire faire silence dans les temples pendant les sacrifices.
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PRAECONISSUS | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une pierre bleue comme le saphir, & approchant de la chalcédoine.
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PRAEDATEUR | adj. (Mythol.) surnom donné à Jupiter, parce qu'on lui consacroit une partie des dépouilles faites sur les ennemis, appellées en latin praeda.
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PRAEDIUM | (Littérat.) mot latin qui signifie un héritage, un fonds de terre, un domaine, un bien, que l'on faisoit valoir par la main des esclaves. Il y en avoit dans les villes aussi-bien qu'à la campagne. Quelques-uns veulent cependant que praedium désignât le fonds que l'on avoit dans la ville, & que fundus signifiât ceux de la campagne. L'Ecriture a usé de ce mot. S. Marc, ch. xiv. 32. dit : Et veniunt in praedium cui nomen Gethsemani. On lit dans S. Jean, ch. iv. 5. que la ville de Sichar étoit juxtà praedium quod dedit Jacob Josapha filio suo. Et dans les actes des apôtres, ch. xxviij. on lit que dans l'endroit où aborda saint Paul, dans l'île de Malthe, il y avoit des terres qui appartenoient à un seigneur de l'île, nommé Publius : erant praedia principis insulae nomine Publii.
Le mot praedium répond au ou au des Grecs ; c'est proprement, dit le pere Lubin, une maison avec des terres ; on l'appelle un héritage, parce qu'on la possede communément par droit d'hérédité. On la nomme diversement dans les provinces ; quelques-uns l'appellent domaine, d'autres ferme, métairie, borderie, gaignage, clauserie, & autres : c'est ce qu'on nomme en italien possessione, heredita, ou vinea ; en espagnol heredad, alcaria ou alqueria, censa, quinta, arrendiamento ; en allemand erbgat ; en anglois a possession. Praediolum est le diminutif, pour signifier que l'héritage est petit, ou de peu de valeur. (D.J.)
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PRAEFICA | S. f. (Funér. des Romains) pleureuse d'enterrement : on appelloit ainsi des femmes qu'on louoit exprès chez les Romains dans les pompes funebres, pour pleurer le mort, & feindre en public les sentimens de la douleur la plus amere, qu'elles étoient bien éloignées d'éprouver. Les plus habiles dans cet art obtenoient la préférence sur leurs rivales : les Juifs avoient aussi dans leurs enterremens des pleureurs & des pleureuses à gages. Voyez PLEUREURS & PLEUREUSES, Critiq. sacrée. (D.J.)
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PRAEMUNIRE | STATUT DE, (Hist. d'Anglet.) statut du parlement de la grande Bretagne, par lequel quiconque portoit à des cours ecclésiastiques des causes dont la connoissance appartenoit aux tribunaux royaux, étoit puni & mis en prison ; mais il faut entrer dans les détails sur ce sujet.
D'abord il faut savoir qu'on entend par ce terme praemunire, ou le statut même, ou la peine ordonnée par le statut. Les parlemens, avant la séparation de la cour de Rome avec l'Angleterre, avoient ordonné des peines contre les proviseurs, c'est-à-dire contre ceux qui poursuivoient des provisions ou des expectatives à la cour de Rome, pour les bénéfices vacans, ou qui viendroient à vaquer.
Les mêmes peines étoient ordonnées contre ceux qui portoient à la cour ecclésiastique des affaires qui étoient du ressort des juges royaux. Lorsque quelqu'un se rendoit coupable de cette sorte de délit, on lui adressoit un wrie ou ordre, qui commençoit par ces mots praemunire facias, par lequel il lui étoit ordonné de comparoître devant la cour royale.
C'est de-là que le statut, aussi-bien que la peine ordonnée par le statut, prirent le nom de praemunire, en y faisant entrer plusieurs autres choses qui ont du rapport à celles qui ont été la premiere cause du statut. Ainsi tous les actes de praemunire, ne sont que des extensions de ceux qui furent faits sur ce sujet sous les regnes d'Edouard III. & de Richard II. En général, le praemunire regardoit principalement les offenses commises par rapport à quelque matiere de religion, où la jurisdiction civile est intéressée. On croit avec assez de vraisemblance, que le mot de praemunire, s'est glissé dans le latin barbare des lois, au lieu de praemonere. Quoi qu'il en soit, c'est la chose, & non pas le mot, qui mérite nos réflexions.
Dans le tems qu'une superstition presque générale aveugloit l'Europe, Rome avoit usurpé les droits du souverain en Angleterre, comme dans tous les états où le Christianisme s'étoit établi. Cette usurpation s'étoit soutenue par les intrigues du clergé, qu'elle faisoit jouir de beaucoup de priviléges, & d'une indépendance entiere des lois & du magistrat. Les plaintes que formoit quelquefois la nation contre des desordres qui empêchoient le gouvernement de se former, étoient rarement écoutées.
Edouard III. & Richard second, furent les seuls rois qui y eussent fait une attention sérieuse. Le dernier avoit décidé avec son parlement, que le pape ne pourroit plus conférer aux étrangers des bénéfices vacans, comme il étoit en possession de le faire ; que les naturels du pays qui y seroient nommés, ne tireroient plus de lui leurs provisions ; & que toutes les causes ecclésiastiques seroient jugées à l'avenir dans le royaume.
Quoique cette loi célebre sous le nom de praemunire, qui en étoit le premier mot, obligeât sous peine de confiscation de biens & de prison, elle fut rarement observée. Une ancienne possession & des intérêts particuliers, la fermeté des ministres de la religion, & la foiblesse de plusieurs princes peu politiques, l'usage des pays voisins, & les guerres civiles & étrangeres, tout avoit contribué à faire tomber dans l'oubli un reglement aussi nécessaire. Henri le fit revivre, & il fut autorisé par les seigneurs & par les communes, à poursuivre ceux qui l'avoient violé ; le clergé entier se trouva coupable, & finalement il ouvrit les yeux.
L'appel comme d'abus, objet intéressant pour les François, & qui s'introduisit peu-à-peu sous le regne de Philippe de Valois, par les soins de l'avocat général, Pierre Cugnieres, (car il faut conserver son nom dans l'histoire) cet appel, dis-je, interjetté aux parlemens du royaume, des entreprises des tribunaux ecclésiastiques ou de la cour de Rome, contre les droits du roi & du royaume, n'est en réalité qu'un léger palliatif, qu'une foible imitation de la fameuse loi praemunire. Les Anglois, dans tout ce qui regarde les libertés de l'état, ont montré plus d'une fois l'exemple aux autres peuples, ne laissant dormir leurs libertés que pendant quelque tems, & les faisant ensuite revivre avec plus d'éclat que jamais. (D.J.)
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PRAENESTE | Praenestae, ou Preneste, (Géog. anc.) ville du Latium, aux confins des Eques, assez près de Tusculum, à dix-huit milles de Rome, entre Labicum, Aesula, Trebia & Vétellia. Etienne de Bizance lui donne pour fondateur Préneste, fils d'Ulysse & de Circé : Hérile fils de la déesse Fréronie, y regna depuis ; & Cécale fils de Vulcain, en fut le second fondateur, parce qu'il la rebâtit & la fortifia.
Elle étoit située sur une montagne ; ce qui fait qu'elle est appellée par Virgile, Aenéid. l. VII. v. 682. altum Praeneste, & par Horace, l. III. ode iv. frigidum Praeneste. Palestrine qui a succédé à Praeneste, est bâtie au pié de la montagne : l'ancienne ville étoit une place forte par sa situation, & par les murailles que l'art y avoit ajoutées ; & c'étoit, selon Strabon, l. V. la retraite de ceux qui avoient tramé quelque chose contre la république. Les habitans sont nommés Praenestini, par Tite-Live, l. VI. c. xxxix. & par Pline, l. III. c. v. Ce dernier ajoute qu'autrefois la ville de Praeneste avoit été appellée Stephane, & en grec , comme écrit Strabon, l. V. Elle étoit fameuse par ses forts & par son temple de la Fortune : on peut lire l'ouvrage de Suarez (Josephe-Marie) intitulé Praenestes antiquae, lib. II. Roma 1655. in-4°.
Aelien, en latin Aelianus (Claudius), étoit né à Praeneste, & enseignoit l'éloquence à Rome sous le regne d'Alexandre Severe, vers l'an 222. de J. C. Quoique romain, il a écrit en grec, au jugement de Philostrate, presque aussi élégamment que s'il fût né à Athènes ; d'ailleurs, il a écrit avec beaucoup de décence, & en admirateur des grands hommes de la Grece.
Il vécut environ soixante ans, & se montra toujours amateur du célibat. Suidas nous apprend qu'il devint grand-prêtre, ce qui prouve en lui une noble extraction ; mais ce qui vaut davantage, c'est qu'il étoit un vrai philosophe, qui fut plus curieux de l'étude, que de se faire valoir à la cour & d'acquérir de grandes richesses.
Il nous reste de lui une histoire des animaux, dont la meilleure édition est de Leyde, in-4°. en grec & en latin. Il paroît que c'est une compilation, mais écrite avec pureté. Ses mêlanges ont eu plusieurs éditions. Camille Pereescua les publia le premier en grec à Rome en 1545. Perizonius en donna une belle édition à Leyde en 1701, deux volumes in-8°. mais cette édition a été effacée par celle d'Abraham Gronovius, Amstaelodami, 1731. 2. vol. in-4°. (D.J.)
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PRAEPESINTHUS | (Géog. anc.) île de la mer Egée, & l'une des Cyclades, selon Pline, l. IV. c. xij. Strabon, l. X. p. 485. écrit Prepesinthus. On la nomme aujourd'hui Arzentara, selon Niger ; mais le P. Hardouin dit que le nom moderne est Fermina.
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PRAEPOSITUS | PRAEPOSITUS
PRAEPOSITUS, (Hist. des offices des empereurs du moyen âge) praepositus, veut dire, commis, chargé, préposé à quelque chose ; ce nom générique accompagné d'un autre qui marquoit l'emploi, étoit donné dans les cours des empereurs d'orient & d'occident, à tous ceux qui avoient le commandement ou l'inspection de certaines personnes ou de certaines affaires. En voici des exemples.
Praepositus argenti potorii, & auri vescarii, étoit celui qui avoit le soin de la vaisselle d'argent, ou de la vaisselle d'or des empereurs.
Praepositus Barbaricariorum, étoit chargé de faire faire pour l'empereur toutes sortes de vaisselles & d'armes. Il y avoit plusieurs officiers de ce nom en occident ; un à Treves, un à Arles, un autre à Rheims ; mais il n'y avoit point de tels officiers dans l'orient.
Praepositus bastagae, officier chargé du soin des habits, du nécessaire, & des meubles de l'empereur lorsqu'il voyageoit. Il y avoit quatre officiers de ce nom pour l'orient, & quatre pour l'occident : le mot bastaga vient du grec , porter.
Praepositus camerae regalis, étoit une espece de valet-de-chambre ; mais praepositus cubiculi, étoit le premier homme de chambre qui commandoit aux autres. En vertu de sa charge, il étoit attaché à la personne de l'empereur, à côté duquel il couchoit dans un lit à part : il jouissoit de plusieurs priviléges, & d'un grand crédit.
Praepositus cursorum, intendant des postes.
Praepositus fibulae, celui qui avoit soin des boucles, des ceintures, & des agraphes de diamans des habits de l'empereur.
Praepositus domûs regiae, intendant de la maison impériale.
Praepositus laebari, celui qui portoit la banniere devant l'empereur.
Praepositus loetorum, celui qui régissoit les biens-fonds publics ; car le mot laetae, ou terrae loeticae, signifient les champs.
Praepositus largitionum, le trésorier des largesses de l'empereur.
Praepositus militum, le commandant des troupes sur les places frontieres.
Praepositus mensae, le maître-d'hôtel de la cour.
Praepositus palatii, le major-dôme.
Praepositus provinciarum, l'inspecteur des frontieres de la province.
Praepositus tyrii textrini, l'inspecteur de la fabrique de la pourpre, ou de l'écarlate, &c.
Dans l'histoire ecclésiastique, le mot praepositus, vint à signifier le prevôt des églises cathédrales, le premier des chanoines, ou celui qui gouvernoit les terres d'un chapitre. (D.J.)
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PRAESENTALIS | S. m. (Hist. anc.) inspecteur des postes : cet homme veilloit à ce que personne ne courût sans la permission de l'empereur ; il accompagnoit la cour par-tout où elle se transportoit.
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PRAESICIA | (Littérat.) on appelloit praesicia, les parties des animaux sacrifiés qu'on coupoit pour les offrir aux dieux. (D.J.)
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PRAESIDIUM | (Géog. anc.) mot latin qui se prend en général pour tout ce que l'on met au-devant de quelque chose pour la conserver. On l'a employé dans les itinéraires romains, pour désigner certains lieux hors des camps militaires, & dans lesquels on tenoit un certain nombre d'hommes en garnison, pour rendre le pays plus assuré contre tous événemens. C'est ce que nous apprend Varron, l. IV. de Ling. lat. Praesidium est dictum, quia extrà castra praesidebant in loco aliquo, quò tutior regio esset ; & dans ce sens praesidium signifie moins une place forte, que les gens de guerre établis dans un lieu pour le défendre. On s'en est servi néanmoins pour désigner les places où les Romains mettoient des garnisons, soit pour la défense du pays contre les insultes des ennemis, soit pour prévenir les revoltes des habitans. Aussi avoit-on pour maxime de mettre des troupes étrangeres dans les provinces conquises, afin de les empêcher par la diversité des moeurs & du langage, de ménager des intelligences avec ceux du pays, & de faire des projets de soulévement.
Ces places fortes étoient de deux sortes. Les unes étoient bâties exprès par les Romains, & ne différoient en rien des châteaux où il y avoit du monde pour les défendre. C'est pour cela que Florus se sert indifféremment des mots castella, custodiae, praesidia, quand, parlant de ces sortes de places que Drusus fit bâtir sur les bords de la Meuse, du Rhin, & des autres fleuves voisins, il dit, l. IV. c. ult. In tutelam provinciarum praesidia atque custodias ubique disposuit per Mosam flumen, per Albim, per Visurgim. Nam per Rheni quidem ripam quinquaginta ampliùs castella direxit. C'est du même genre de forteresse que le rhéteur Eumenius entend parler (Orat. pro scholis instaurandis), quand il dit : nam quid ego alarum & cohortium castra percenseam, toto Rheni, Istri & Euphratis limite restituta.
Ces deux témoignages nous apprennent encore que ces forts ou châteaux bâtis exprès, étoient ordinairement situés sur les rives des grands fleuves, qui servoient de limites à l'empire, comme étoient le Rhin, le Danube & l'Euphrate.
Les autres places fortes n'étoient pas bâties exprès. C'étoient des villes que l'on choisissoit pour y mettre des garnisons, parce que leur situation & leurs murailles les rendoient propres pour la défense du pays. De cette espece étoit une ville d'Egypte nommée Hydreumavetus, ou Troglodyticum, dans laquelle, Pline, l. VI. c. xxxiij, dit que praesidium excubabat. C'est de l'une ou de l'autre de ces sortes de garnisons que quelques places dans l'itinéraire d'Antonin & dans la carte de Peutinger, ont été surnommées du mot praesidium, comme Bellenae praesidium, & Famaricetum praesidium. Quelquefois même le nom de praesidium se trouve seul, sans qu'aucun autre le précede ni le suive.
La Géographie connoît plusieurs lieux & villes qui portent le nom de Praesidium, savoir 1°. Praesidium, lieu de l'île de Corse, entre Alleria & Portus-Favoni ; 2°. une ville d'Espagne entre Salacia & Caladunum ; 3°. une autre ville d'Espagne sur la route de l'embouchure du fleuve Ana à Emerita, à 27 milles du lieu nommé Ad-Aubras ; 4°. Un lieu de la Mauritanie césariense, assez près des confins de la Mauritanie sitifense, au midi du mont Atlas ; 5°. un lieu de la grande Bretagne, que Cambden, Britanniae descript. pag. 245, croit être aujourd'hui la ville de Warwick.
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PRAESTIGIATEUR | S. m. (Littérat.) on nommoit chez les Romains praestigiatores, les baladins, les danseurs de corde les plus célebres, & tous ceux en général qui dans les jeux scéniques, excelloient à faire des tours de force, d'adresse & d'agilité. Il abordoit à Rome de toutes parts des gens de cette espece, qui charmoient ainsi l'oisiveté du peuple, & faisoient sur le théatre des choses si merveilleuses, qu'elles paroissoient tenir du prodige. Si l'on s'en rapporte à Pline & à quelques peres de l'Eglise, nous devons convenir que les plus habiles bateleurs de nos jours ne sont que des enfans en comparaison de ceux qui brilloient dans ces tems-là. Ils étoient parvenus à dresser les bêtes les plus farouches, à voler assez loin par le moyen de certaines machines industrieuses, & à faire sur la corde lâche, les danses & les évolutions les plus surprenantes.
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PRAESUL | S. m. (Littér.) nom qu'on donnoit chez les Romains au chef des saliens, ou prêtres de Mars. On l'appelloit ainsi à praesiliendo, parce qu'il dansoit à la tête des saliens.
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PRAETEXTATI | (Littérat.) ce mot mérite d'être expliqué.
Praetextati, sont les enfans de qualité qui avoient encore la robe prétexte.
Praetextata comedia, une comédie où l'on faisoit paroître des grands & des magistrats, qui avoient le droit de porter la robe bordée de pourpre.
Praetextatae actiones, actions bonnes ou mauvaises qu'il appartenoit à des grands & à des magistrats de faire.
Praetextata verba, des paroles obscènes & lascives, parce que dans les jours de nôces, on permettoit cette licence aux enfans qui portoient la prétexte.
Praetextati mores, des moeurs honteuses, indignes d'une personne de qualité ; sur la fin de la république, il n'étoit permis qu'aux gens de cet ordre, comme aux claméniens à Athènes, d'être sans pudeur.
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PRAETORIUM | (Géog. anc.) il y a plusieurs villes qui portent ce nom : 1°. une ville de la Pannonie supérieure. Ptolémée, l. II. c. xv. qui l'éloigne du Danube, la place entre Visontium & Magniana. C'est la même ville qu'Antonin nomme Praetorium-latum-Vicorum. Lazius veut que son nom moderne soit Lakium ; mais Molet dit que c'est Pridasnich. 2°. Praetorium étoit une ville au voisinage de l'Arménie mineure sur la route de Césarée à Anazarbus. 3°. C'est une ville d'Espagne sur la route de Carthage à Spartaria. 4°. C'est un lieu de la Dalmatie sur la route du golfe de Liburnie à Jader. 5°. C'est un lieu d'Angleterre à 25 milles de Delgovitia, dans l'endroit où est aujourd'hui Patrington, selon M. Gale. (D.J.)
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PRAETUTITII | (Géog. anc.) peuples d'Italie. Ils demeuroient à l'orient des Marses, selon Ptolémée, qui leur donne deux villes. Ce sont les habitans de la contrée appellée Praetutiana regio. C'est de ces peuples que parle Silius Italicus, l. XV. v. 588, dans ces vers.
Tum qua vitiferos domitat Praetutia pubes,
Laeta laboris agros. (D.J.)
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PRAGMATIQUE | adject. (Mathém.) terme dont quelques anciens auteurs se servent pour exprimer la même chose que pratique, méchanique, ou problématique.
Stevin, dans ses élémens d'hydrostatique, donne le nom d'exemples pragmatiques, à certaines expériences méchaniques ou pratiques, & les autres auteurs se servent quelquefois du mot pragmatique dans le même sens. Ce mot au reste, n'est plus usité. Chambers.
PRAGMATIQUE SANCTION, (Jurisprud.) qu'on appelle aussi quelquefois simplement pragmatique, est le nom que l'on donne à certaines ordonnances.
Dans les trois premiers siecles de la troisieme race de nos rois, on ne connoissoit pour véritables ordonnances, que celles qu'on appelloit pragmatiques sanctions ; on entendoit par-là une constitution faite par le prince de concert avec les grands de l'état ; comme encore en Allemagne, on n'admet pour pragmatique sanction, que les résolutions de la diete générale de l'empire. Lett. hist. sur les Parlemens.
Hoffman dit que l'on entendoit par le terme de pragmatique sanction, un rescrit du prince, non pas sur l'affaire d'un simple particulier, mais qui concernoit quelque corps, communauté ou province.
On appelloit un tel réglement pragmatique, soit parce qu'il prescrivoit les formes que l'on devoit pratiquer dans une certaine matiere, soit parce que ce réglement n'étoit interposé qu'après avoir pris l'avis des gens pragmatiques, c'est-à-dire des meilleurs praticiens, des personnes les plus expérimentées ; sanction étoit le terme qui caractérisoit une ordonnance ; en effet sanctio dans la loi est la partie qui prononce quelque peine contre les contrevenans.
Les lettres de l'an 1105, par lesquelles Philippe I. défendit de s'emparer des meubles des évêques de Chartres décédés, sont par lui qualifiées en deux endroits, pragmatica sanctio.
Mais les deux plus fameuses ordonnances qui soyent connues sous le nom de pragmatique sanction, sont la pragmatique de saint Louis, du mois de Mars 1268 ; l'autre est la pragmatique sanction faite à Bourges par Charles VII. au mois de Juillet 1438.
La pragmatique de saint Louis ne contient que six articles ; elle ordonne :
Que les églises du royaume, les prélats, patrons & collateurs ordinaires, jouissent pleinement de leur droit, & que la jurisdiction qui appartient à chacun lui soit conservée.
Que les églises cathédrales & autres, ayent la liberté des élections.
Elle défend le crime de simonie.
Elle veut aussi que les promotions, collations, provisions & dispositions des prélatures, dignités & autres bénéfices & offices ecclésiastiques, soyent faites selon le droit commun, la disposition des conciles & l'institution des saints Peres.
Saint Louis défend ensuite qu'il soit exigé dans son royaume aucune imposition ni levée de deniers de la part de la cour de Rome. Ces sortes d'exactions & de charges très-pesantes ayant, dit-il, très-misérablement appauvri le royaume, il n'excepte que le cas où ce seroit pour une cause raisonnable & pour urgente nécessité, & du consentement du roi & de l'église de France.
Enfin il confirme toutes les libertés, franchises, immunités, prérogatives, droits & privileges accordés par lui & les rois ses prédécesseurs, aux églises, monasteres, lieux de piété, religieux & personnes ecclésiastiques.
Pour expliquer maintenant ce qui donna occasion à la pragmatique sanction faite par Charles VII, il faut d'abord rappeller quel étoit alors l'état de l'église.
L'extension que les fausses decrétales avoient donnée à l'autorité des papes, avoit bien-tôt dégénéré en abus ; ce fut la source des desordres qui inonderent l'Eglise dans les douzieme & treizieme siecles ; ces malheurs s'accrurent encore pendant le grand schisme sous les antipapes.
Le concile de Constance entreprit une réforme sous le titre de reformatione in capite & in membris ; mais dès qu'il vint à toucher aux prétentions du pape, aux privileges des cardinaux, aux nouveaux usages utiles à la cour de Rome, il y eut tant d'opposition, qu'on fut obligé de se séparer sans en venir à-bout.
L'Eglise croyoit voir finir les malheurs où le schisme l'avoit plongée, par l'élection de Martin V. les antipapes étoient morts ou avoient cédé.
Martin V. avoit promis devant & après son sacre, de travailler à la réforme de l'Eglise dans son chef & dans ses membres. Il avoit été ordonné au concile de Constance, de tenir fréquemment des conciles généraux ; on en avoit indiqué un à Pavie ; la contagion qui étoit dans cette ville le fit transférer à Sienne, d'où Martin V. le fit transférer à Basle.
Eugene IV. successeur de Martin V. lequel mourut avant la premiere session du concile de Basle, voulut dissoudre ce concile, parce qu'il avoit déclaré que le pape même étoit soumis aux decrets des conciles généraux.
Le concile déposa Eugene, & élut en sa place Amédée VIII. duc de Savoye, sous le nom de Felix V.
Eugene de son côté, après avoir transféré le concile à Ferrare, & de Ferrare à Florence, excommunia les peres du concile de Basle, ensorte que le schisme recommença de nouveau ; le concile & le pape envoyerent chacun de leur côté des ambassadeurs dans les différentes cours pour les attirer dans leur parti.
La France & l'Allemagne desapprouverent également les sentences du pape contre le concile, & celles du concile contre le pape.
Charles VII. qui se trouvoit alors à Bourges, y fit assembler les états ; il fit examiner dans l'assemblée les vingt-trois decrets que le concile de Basle avoit déja faits.
Le clergé de France, qui tenoit le premier rang dans cette assemblée, accepta tous les decrets du concile de Basle ; mais néanmoins avec certaines modifications, non pas que le roi ni l'Eglise de France ayent voulu diminuer l'autorité de ce concile, mais parce que les decrets des conciles, en ce qui concerne la discipline, ne doivent être reçus qu'eu égard aux circonstances des tems & des lieux.
Pour autoriser les decrets du concile de la maniere dont ils étoient acceptés, le roi donna le 14 Juillet 1438, une ordonnance qui fut appellée la pragmatique sanction.
Cette ordonnance est composée de trois sortes de decrets ou dispositions.
La plus grande partie a été tirée du concile de Basle, sauf les modifications qui y ont été ajoutées. Le clergé de France en recevant les decrets du concile de Basle, y en ajouta plusieurs ; & le roi Charles VII. en confirmant le tout, y a joint aussi quelques réglemens, tant en forme de préface que de conclusion. Le tout ensemble forme la pragmatique sanction.
Entr'autres dispositions qu'elle renferme, elle rétablit les élections aux bénéfices, prive les papes des annates, & maintient que les conciles généraux ont le pouvoir de réformer le chef & les membres.
Le clergé arrêta par une délibération solemnelle, de faire ses instances auprès du roi Charles VII. pour l'exécution des decrets de la pragmatique, & de supplier S. M. de donner ordre à ses parlemens & à ses autres officiers, de les observer & de les faire observer inviolablement. Le roi étant à Bourges le 7 Juillet 1437, en ordonna l'enregistrement dans toutes ses cours, & l'exécution dans tous les pays de son obéissance ; elle fut registrée au parlement le 13 Juillet 1439.
Le même prince, par sa déclaration du 7 Août 1441, aussi registrée au parlement, ordonna que les decrets du concile de Basse, rapportés dans la pragmatique, n'auroient exécution que du jour de la date de la pragmatique, sans avoir égard à la date des decrets du concile.
Plusieurs ont crû que la pragmatique avoit été faite pendant le schisme ; ils se sont fondés sur le témoignage de Louis XI. qui le dit ainsi dans une lettre au pape Pie II. & sur une lettre de Léon X. qui le dit de même, laquelle est rapportée dans le cinquieme concile de Latran, & dans le titre I. du concordat ; mais le parlement de Paris dans ses remontrances, & le plus grand nombre de nos meilleurs auteurs, ont soutenu que la pragmatique n'a point été faite pendant le schisme. La maniere de concilier ces différens sentimens est expliquée dans les mémoires du clergé, tome X. pag. 77 & 78.
Eugene IV. voulut en faire réformer la pragmatique, du-moins en quelques articles ; mais Charles VII. en prescrivit plus étroitement l'observation par une ordonnance de l'an 1453.
Pie II. après avoir fortement déclamé contre la pragmatique dans l'assemblée de Mantoue, fit ses decrétales execrabilis & inauditus contre ceux qui appellent du pape au concile. Mais Jean Dauvet, procureur-général, en appella au futur concile en 1461.
Louis XI, fils de Charles VII. voulant se concilier la faveur de Pie II. par rapport à la Sicile qu'il vouloit faire avoir à René d'Anjou, révoqua la pragmatique-sanction par des lettres adressées au pape le 27 Novembre 1461.
Pie II. charmé de cette nouvelle, fit présent au Roi d'une épée garnie de pierreries ; il fit publier les lettres de Louis XI. & trainer dans toutes les rues de Rome la pancarte qui contenoit la pragmatique-sanction qu'il avoit reçue avec le paquet des lettres de révocation.
Mais les lettres de révocation ne furent point vérifiées au parlement, & depuis le Roi étant mécontent du pape, ne fit point exécuter cette révocation. Le cardinal d'Arras qui avoit obtenu le chapeau à mener cette intrigue, étant fâché de son côté de ce que le pape ne lui avoit pas permis de tenir ensemble l'archevêché de Besançon & l'évêché d'Alby, se mit encore moins en peine de presser l'exécution des lettres qui avoient révoqué la pragmatique.
Pie II. étant décédé trois années après, l'an 1464, Louis XI. sur les remontrances du parlement, rétablit en quelque sorte la pragmatique-sanction. Paul III. fit ensuite varier Louis XI ; mais Jean de Saint-Romain, procureur-général, s'opposa à l'enregistrement des dernieres lettres que le roi avoit données contre la pragmatique, l'université en appella au futur concile, & fit enregistrer ses protestations au Châtelet.
Sous le regne de Charles VIII. la pragmatique-sanction fut observée ; Jean de Nanterre, procureur-général, fit un appel du pape, de sa légation, du pape même au pape mieux conseillé, & protesta contre tout ce qui avoit été fait pour détruire la pragmatique.
Louis XII. ordonna en 1499, que la pragmatique seroit inviolablement observée. Jules II. suscita contre lui toute l'Italie ; la France & l'Allemagne sommerent Jules II. d'assembler un concile, & à son refus, les cardinaux l'indiquerent à Pise ; alors le pape, pour parer le coup, indiqua le concile à Rome à St. Jean de Latran, il cita le roi, les cours & le clergé de venir défendre la pragmatique dans un certain délai, faute de quoi elle seroit déclarée nulle, schismatique, & comme telle, abrogée.
Le concile de Pise avoit déjà fait beaucoup de décrets qu'on avoit reçus en France. On étoit à la veille de voir un schisme ; mais la mort de Jules II. arrivée le 26 Février 1513, le prévint.
Louis XII. fut plus doux à l'égard de Léon X. successeur de Jules II ; il reconnut le concile de Latran ; mais Louis XII. lui-même étant mort le premier Janvier 1514, les affaires changerent de face.
François I. victorieux en Italie, ayant pris Milan, Léon X. chercha à faire sa paix avec ce prince. Le pape proposa au roi une entrevue à Boulogne ; là le roi demanda au pape, ou d'approuver la pragmatique, ou de faire un traité. Léon X. préféra ce second parti. Ils firent donc ensemble un traité en 1517, qu'on appelle le concordat.
Par ce concordat la pragmatique-sanction, pour le soutien de laquelle on avoit tant bataillé, fut abolie, du moins pour la plus grande partie, au grand contentement de la cour de Rome, & au regret perpétuel des universités & de tout l'ordre ecclésiastique de France.
Suivant la pragmatique, tous les bénéfices consistans en dignités, comme archevêchés, évêchés, abbayes & prieurés conventuels, étoient sujets à élection ; savoir, les archevêchés & évêchés à l'élection des chapitres, les abbayes & prieurés conventuels à l'élection des religieux & couvent ; au lieu que, suivant le concordat, les bulles & déclarations qui ont été données en interprétation, le roi nomme aux archevêchés, évêchés, abbayes & prieurés conventuels. Voyez ci-devant CONCORDAT.
Quelques auteurs ont avancé qu'au moyen du concordat, la pragmatique étoit entierement abrogée dans l'église de France : ils se fondent sur le discours que fit le pape Pie II. dans l'assemblée de Mantouë, sur la bulle de Léon X. qui commence par ces mots, Pastor aeternus, & sur la lettre de Louis XI. à Jules II. Il est certain que ce prince eut en certaines conjonctures intention d'abolir la pragmatique ; mais on a vu que lui-même l'a rétablie en quelque sorte sur les remontrances du parlement ; & quoique Paul III. l'eût fait varier, le dessein d'abolir la pragmatique ne fut pas totalement exécuté, & la doctrine du royaume est que les articles de la pragmatique, qui ne sont point contraires à ceux que l'on y suit du concordat, n'ont pas été abrogés ; plusieurs ont même été confirmés par d'autres ordonnances, & par la jurisprudence des arrêts ; & les articles dont le concordat ne parle point, ont pareillement été conservés. Voyez sur la pragmatique Guymier, Probus, Pinson, le quatrieme plaidoyer de Patru, Joly, Fontanon, les mémoires du Clergé.
Pour ce qui est des pragmatiques d'Allemagne, ce sont des réglemens ou concordats que l'empereur fait agréer par la diete. La pragmatique-sanction de l'empereur Charles VI. est un pacte de famille pour la succession de ses états héréditaires qu'il déclare indivisibles, & pour le droit de succession de mâle en mâle, au défaut desquels il appelle ses filles, à leur défaut ses nieces, à leur defaut ses soeurs ; elle fut acceptée en 1724, dans la plûpart des états héréditaires d'Autriche, & présentée à la diete de Ratisbonne en 1731, où l'empereur en demanda la garantie. Voyez le tableau de l'empire germanique, p. 154. (A)
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PRAGU | ou PRAG, (Géog. mod.) ville capitale du royaume de Bohème, sur la Muldaw qu'on y passe sur un pont, à 45 lieues au nord de Lintz, à 60 au sud-est de Berlin, à 28 au sud-est de Dresde, & à 56 au nord-ouest de Vienne.
Quelques géographes prétendent sans aucune preuve, que c'est l'ancienne Bubiemum ; d'autres que c'est la Casurgis de Ptolémée ; d'autres enfin que Marabodus roi des Marcomans, lui donna le nom de Maroboduum.
Quoi qu'il en soit, Prague est la plus grande ville d'Allemagne, & elle est partagée en trois ; la vieille ville, la ville neuve, & la petite, qui n'est occupée que par de pauvres juifs : les deux autres sont séparées par un pont, sur lequel on voit la statue de St. Jean Népomucene, que le roi Vinceslas fit jetter dans la riviere, pour n'avoir pas voulu révéler la confession de la reine.
On trouve dans la vieille ville le palais des anciens rois, & la métropole qui est un vieux bâtiment gothique. La nouvelle ville est plus grande que la vieille ; mais c'est qu'elle renferme beaucoup de jardins & de grandes places. On compte à Prague une infinité de couvens qui n'enrichissent pas cette ville ; les Jésuites seuls y ont trois maisons composées de 200 religieux.
Charles IV. empereur, fonda en 1347, l'université de Prague. C'est auprès de cette ville que se donna la célebre bataille qui décida en 1620, le différend de la couronne de Bohème en faveur de l'empereur Ferdinand II. contre Fréderic V. électeur palatin, qui avoit été élu roi de Bohème par les états du pays.
Depuis ce tems, cette ville a encore été prise & reprise dans les guerres. Les François qui s'en étoient emparés, furent trop heureux d'évacuer cette place en 1742. Elle est restée à l'impératrice reine de Hongrie, reconnue reine de Bohème par le traité d'Aix-la-Chapelle. Long. suivant Tycho & Cassini, 32. 16. 30. lat. 50. 4. 30.
Charles IV. empereur, roi de Bohème, fut le fondateur de Prague, où il mourut le 29 Novembre 1378. Il fit à Nuremberg en 1356, cette constitution qu'on appelle bulle d'or, à cause du sceau d'or qu'on nommoit bulla, dans la basse latinité. " On voit aisément par-là, pourquoi les édits des papes sont appellés bulles. Le style de cette charte se ressent bien de l'esprit du tems. On commence par une apostrophe à l'orgueil, à Satan, à la colere, à la luxure : on y dit que le nombre des sept électeurs est nécessaire pour s'opposer aux sept péchés mortels : on y parle de la chûte des Anges, du paradis terrestre, de Pompée & de César : on assure que l'Allemagne est fondée sur les trois vertus théologales, comme sur la Trinité.
Cette loi de l'Empire fut faite en présence & du consentement de tous les princes, évêques, abbés, & même des députés des villes impériales, qui pour la premiere fois, assisterent à ces assemblées de la nation teutonique. Ces droits des villes, ces effets naturels de la liberté, avoient commencé à renaître en Italie, ensuite en Angleterre, puis en France, & enfin ils furent admis en Allemagne. On sait que les électeurs furent alors fixés au nombre de sept. Les archevêques de Mayence, de Cologne & de Trèves, en possession depuis long-tems d'élire des empereurs, ne souffrirent pas que d'autres évêques, quoiqu'aussi puissans, partageassent cet honneur.
Au reste la dignité impériale, qui par elle-même ne donnoit alors aucune puissance réelle, ne reçut jamais plus de cet éclat qui impose aux peuples. Les trois électeurs ecclésiastiques, tous trois archichanceliers, y parurent avec les sceaux de l'Empire : Mayence portoit ceux d'Allemagne, Cologne ceux d'Italie, Trèves ceux des Gaules. Cependant l'empire n'avoit dans les Gaules que la vaine mouvance des restes du royaume d'Arles, de la Provence, du Dauphiné, bientôt après confondus dans le vaste royaume de France. La Savoye qui étoit à la maison de Maurienne, relevoit de l'Empire ; la Franche-comté sous la protection impériale, étoit indépendante.
Pour donner quelque idée du faste qui accompagna la cérémonie de la bulle d'or, il suffit de savoir que le duc de Luxembourg & de Brabant, neveu de l'empereur, lui servoit à boire ; que le duc de Saxe, comme grand maréchal, parut avec une mesure d'argent pleine d'avoine ; que l'électeur de Brandebourg donna à laver à l'empereur & à l'impératrice ; & que le comte Palatin posa les plats d'or sur la table, en présence de tous les grands de l'Empire.
On eut pris Charles IV. pour le roi des rois. Jamais Constantin, le plus fastueux des empereurs, n'avoit étalé des dehors plus éblouissans. Cependant Charles IV. tout empereur romain qu'il affectoit d'être, avoit fait serment au pape Clement VI. avant d'être élu, que s'il alloit jamais se faire couronner à Rome, il n'y coucheroit pas seulement une nuit, & qu'il ne rentreroit jamais en Italie sans la permission du S. Pere ; & il y a encore une lettre de lui au cardinal Colombier, doyen du sacré college, datée de l'an 1355, dans laquelle il appelle ce doyen votre majesté. Essai sur l'hist. univ. "
Peignons en deux mots le caractere de ce prince : il commença par ruiner sa maison pour acquérir l'Empire ; & finit par ruiner l'Empire, pour rétablir sa maison.
Ghélen ou Geslen (Sigismond de), en latin Gelenius, né à Prague dans le xv. siecle, traduisit un des premiers de grec en latin, Josephe, Denys d'Halicarnasse & plusieurs autres auteurs ; il mourut en 1554.
Hieronime, que nous appellons Jérôme de Prague, du lieu de sa naissance, n'étoit ni moine, ni ecclésiastique, mais maître en théologie, grade académique qu'il reçut en 1399, & qu'il méritoit par ses talens. Ami & disciple de Jean Hus, il le surpassa de beaucoup en esprit & en éloquence ; voyez, si vous voulez le connoître, l'hist. du concile de Constance, par M. Lenfant. Son récit est confirmé par tous les auteurs contemporains ; j'entends par les témoignages d'Aeneas Sylvius, de Théodoric de Niem qui étoit à Constance, du moine Théodoric Vrie, qui fleurissoit aussi en ce tems-là.
Jérôme avoit d'abord souscrit à la condamnation de la doctrine de son maître ; mais ayant appris avec quelle grandeur d'ame Jean Hus étoit mort, il eut honte de vivre. Il se rétracta publiquement, & fut envoyé au bucher. Poggio florentin, sécretaire de Jean XXIII. & l'un des premiers restaurateurs des Lettres, présent à ses interrogatoires & à son supplice, dit que Mutius Scevola ne fit pas brûler son bras avec plus de constance, que celui-ci tout son corps ; & que Socrate ne prit pas le poison avec plus d'allégresse, que celui-ci souffrit les flammes du bucher. Quum lictor ignem post tergum, ne id videret, injicere vellet : hùc, inquit, accede, & in conspectu accende ignem ; si enim illum timuissem, nunquam ad hunc locum, quem fugiendi facultas erat, accessissem. Hoc modo vir praeter fidem egregius est consumptus, & singulos actus inspexi. Tels sont les termes de Poggio ; joignez-y les réflexions de M. de Voltaire sur la différence de la mort de Socrate, & celle de Jerôme de Prague. Là, c'est un citoyen, qui loin de tout appareil horrible, expire tranquillement au milieu de ses amis. Ici, c'est le supplice épouvantable du feu, dans lequel des prêtres ministres de clémence & de paix, jettent d'autres prêtres, d'une vie pure & d'un courage admirable. (D.J.)
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PRAGUERIE | S. f. (Hist. mod.) nom qu'on donna en 1440, à un parti de factieux, qui se révolterent contre Charles VII. roi de France, excités par le seigneur de la Trimouille, qui aigrit contre le roi quelques princes du sang, & même le dauphin : on donna à leurs partisans le nom de proguons. Mais le roi informé à tems de leurs menées, les attaqua, les vainquit, & les fit arrêter pour la plûpart : ainsi fut dissipée la praguerie. Mezerai, hist. de Fr.
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PRAIRIE | S. f. (Gramm.) grande étendue de terres basses, humides, herbeuses & cultivées en pré.
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PRAKLAN | ou BARKALONG, (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans le royaume de Siam, un ministre qui est chargé de l'inspection du commerce, tant intérieur qu'extérieur, & qui a le département des affaires étrangeres, qui dans ce pays sont presque toutes relatives au commerce. Il est aussi chargé de la perception des revenus de l'état.
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PRALINES | en terme de Confiturier, ce sont des especes de dragées ou amandes, couvertes de sucre fondu dans un peu d'eau, faisant bouillir le tout ensemble jusqu'à ce que les amandes petillent : ces sortes de pralines sont grises.
Les pralines rouges, sont des pralines aussi. Les Confituriers donnent cette couleur par le moyen de la cochenille préparée, dans laquelle on les trempe. Voyez COCHENILLE préparée.
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PRAME | S. f. (Marine) c'est un bâtiment plat & tirant peu d'eau, dont on se sert en Hollande pour naviguer dans les endroits où il y a peu de fonds, & dans les canaux. On en a fait construire en France portant 20 pieces de canon de 36 livres de balle, & deux mortiers de 12 pouces. Une pareille prame qu'on peut nommer aussi galiote à bombe plate, a 132 piés de longueur, 36 piés 6 pouces de largeur, & 9 piés de creux, étant en charge, cette prame tire de l'arriere 7 piés 6 pouces, & de l'avant 7 piés.
Il n'a que trois mâts, un beaupré, un grand mât, & un mât d'artimon. Les mortiers sont placés à l'avent du grand mât.
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PRAMNION | (Hist. nat.) nom que Pline & quelques autres naturalistes, ont donné au crystal de roche d'une couleur noire ; ils l'appellent aussi morion.
Les Romains le recherchoient beaucoup pour la gravure, comme il paroît par le témoignage de Pline, & par plusieurs antiques très-estimés, dont la gravure est faite sur cette pierre. C'est de son nom que les anciens ont appellé pramnos, un vin rude, austere, noir à l'ombre, & pourpré à la lumiere. Hippocrate en recommande l'usage dans les hémorrhagies. (D.J.)
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PRAMNIUM | (Géog. anc.) montagne ou rocher dans l'île Icaria, selon Ortelius, qui cite Athénée, liv. I. Il y croissoit une sorte de vin qu'on appelloit vin de Pramnium.
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PRANGUR | S. m. (Hist. mod.) franc, européen. C'est ainsi que les Indiens nous appellent. S'il arrive à un brame de vivre avec un prangur, il est souillé. Pour le purifier on lui coupe la ligne, ou le cordon de noblesse ; on le fait jeûner trois jours ; on le frotte à plusieurs reprises avec de la fiente de vache ; on le lave jusqu'à cent neuf fois ; on lui redonne une nouvelle ligne, & l'on finit la cérémonie par un repas.
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PRASIANE | (Géog. anc.) Prasiana ; contrée de l'Inde, dans laquelle Elien dit que les singes étoient de la grandeur des chiens. Quelques exemplaires portent Praxiana. Selon Pline, liv. VI. ch. x. Prasiane étoit une très-grande île formée par le fleuve Indus ; sur quoi le pere Hardouin, après avoir remarqué que cette île prenoit son nom des peuples Prasii qui l'habitoient, ajoute que c'est une contrée que Virgile, dans le IV. livre des Géorgiques, v. 291. appelle l'Egypte verte, viridem Aegyptum. (D.J.)
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PRASIES | (Géog. anc.) bourg de l'Attique dans la tribu Pandionide. C'étoit un lieu maritime du côté de l'Eubée, où il y avoit un temple d'Apollon. On y envoyoit les premices qu'on vouloit consacrer à ce dieu dans l'île de Délos. Les Athéniens avoient soin de les y faire transporter. Erysichton revenant de cette île mourut à Prasiae, & on lui fit son tombeau dans ce lieu. Dans une église, sur le chemin d'Athènes à Rafty, on trouve cette inscription : , , . Harpocration parle d'un Onetor à qui Demosthène adresse une de ses harangues.
2°. Prasiae est encore une contrée de l'Inde, en-deçà du Gange, selon Ptolémée, liv. VII. chap. 1. (D.J.)
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PRASINUS | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs anciens à l'émeraude.
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PRASION | S. m. (Botan. anc.) ce terme est un bel exemple de l'homonimie des anciens botanistes grecs, car ils ont donné au moins le nom de prasion à trois plantes très-différentes ; savoir, 1°. au marrube, 2°. au poireau, 3°. à l'espece de marjolaine que nous nommons origan. Pline, en décrivant cette derniere plante, dit qu'on l'appelloit aussi prasius. Hesychius nous assure encore que les fucus, les algues, les varechs, en un mot toutes les mauvaises herbes marines étoient appellées prasia par les écrivains grecs ; & en effet il paroît que Théophraste les nomme ainsi.
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PRASIUM | S. m. (Botan.) genre de plante que Linnaeus caractérise ainsi. Le calice de la fleur est composé d'une seule feuille faite en forme de cloche contournée, & découpée à l'extrêmité en deux levres permanentes ; la levre supérieure est divisée en trois segmens aigus ; la levre inférieure n'est partagée qu'en deux. La fleur est du genre des labiées, & n'est composée que d'un seul pétale ; la levre supérieure est droite, creuse & de figure ovale, obtuse ; la levre inférieure est large, recourbée, divisée en trois portions, dont celle du milieu est la plus large. Les étamines sont quatre filets pointus, placés près les uns des autres sous la levre supérieure de la fleur. Les antheres sont oblongues & latérales ; le germe du pistil est quarré. Le stile est délié, & a la même longueur que les étamines. Le stigma est aigu & fendu en deux parties de grandeur inégale ; le fruit consiste en quatre baies arrondies, & placées au fond du calice ; chaque baie contient une graine. Linnaei gen. plant. p. 280. (D.J.)
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PRASIUS | S. m. (Hist. nat.) nom donné par les Grecs & les Romains à une chrysolite d'un verd de poireau. Celle qui étoit d'un verd clair s'est appellée prasoïdes. La chrysolite d'un verd tirant sur le jaune s'est appellée chrysoprase. Voyez PERIDOT.
Quelques auteurs ont regardé le prasius ou prase, comme une espece de berille ou d'éméraude, mais on dit qu'il n'en a point la dureté, & il perd sa couleur très-promtement dans le feu. Il est rare de trouver cette pierre sans taches & sans défaut.
Boot paroît avoir confondu cette pierre avec la chrysoprase, la chrysolite & la topase. M. Hill croit avec beaucoup de raison que le prasius des anciens est la pierre que nous appellons prime d'éméraude. Voyez cet article, & voyez PERIDOT.
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PRASSAT | S. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme le palais du roi de Siam. Jamais les sujets de ce monarque despotique n'entrent dans ce lieu redoutable ou n'en sortent sans se prosterner jusqu'à terre. La partie intérieure du palais où le roi a ses appartemens & les jardins, s'appelle vang. On n'y est admis qu'après beaucoup de formalités, dont la premiere est d'examiner si l'haleine de ceux qui veulent entrer ne sent point l'arack, ou l'eau-de-vie de riz ; on ôte ensuite les armes aux personnes qui doivent être admises, parce que la tyrannie est toujours soupçonneuse.
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PRASSIUM | (Géog. anc.) ou Prassum promontorium, cap de la mer des Indes sur la côte orientale d'Afrique. On croit que c'est aujourd'hui l'île Mozambique. Ptolémée, liv. I. ch. x. & xiv. donne au cap Prassum la position précise de Mozambique, qui est le quinzieme degré. Il place l'île Zanzibar au 12 degré 30 minutes de latitude sud à l'Orient d'été du cap Prassum ; & c'est justement la situation que nos cartes donnent aujourd'hui à la pointe la plus septentrionale de Madagascar.
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PRASTANE | S. f. (Mythol.) c'est Luperca, nourrice de Romulus. On l'appella Prastane, parce que son nourrisson montra plus de force à tirer de l'arc qu'aucun autre enfant de son âge. Prastane vient de praestare, surpasser.
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PRASTIA | (Géog. mod.) port du Péloponnèse dans le Brazzo-di-Maina, avec un village bâti sur les ruines de l'ancienne Thalama. Ce misérable village étoit autrefois renommé à cause d'un temple de Pasiphaé, & d'un oracle célebre. Le long de la côte qui mene de Prastia à Bytilo, il y a au bord de la mer une source d'eau excellente, & qui est bien connue des corsaires. Elle étoit anciennement consacrée à la Lune, & tout auprès étoit le temple d'Ino, remarquable par un oracle célebre, qui découvroit en songe à ceux qui le consultoient les secrets de l'avenir. (D.J.)
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PRASUM | (Géog. anc.) petite ville de l'île de Crete. Strabon liv. X. p. 475. dit qu'elle étoit sur la côte méridionale, & qu'il y avoit un temple de Jupiter Dictéen. Meursius Creta, cap. xiv. p. 56. prétend que Prasum n'est pas la véritable orthographe, & qu'il faut lire Praïbon, .
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PRATA | (Géog. mod.) petite île de la mer des Indes, à 20d. 40'. de latitude septentrionale, sur la route de Manille à Quantong, & environ sous les 130d. de longitude. Elle est basse, toute environnée de rochers, & plusieurs gros vaisseaux espagnols en venant de Manille, s'y sont perdus avec leurs trésors, & la plus grande partie des équipages.
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PRATICIEN | S. m. (Jurisprud.) est celui qui est versé dans la pratique judiciaire.
Ce n'est pas seulement aux huissiers & aux procureurs que la connoissance de la pratique est nécessaire ; le style des procédures qui sont de leur ministere doit leur être familier pour les rédiger comme il faut. Les avocats & les juges doivent être également instruits des regles de la pratique, pour connoître si les actes qu'on leur présente sont dans la forme où ils doivent être ; si les conclusions sont bien libellées, bien dirigées, s'il n'y a point quelque nullité dans la procédure.
On dit d'un avocat qu'il est meilleur praticien que jurisconsulte, lorsqu'il s'arrête à des subtilités de procédure plutôt qu'à discuter le fond.
Quand on parle d'un praticien simplement, on entend quelqu'un qui n'a d'autre emploi que celui de postuler dans quelque justice sous un officier public ; on comprend aussi sous ce terme les clercs des procureurs, ceux des greffiers & huissiers.
Le Praticien françois est un traité de pratique composé par M. Lange, avocat au parlement. Voyez PRATIQUE. (A)
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PRATIQUE | S. f. (Gramm.) la spéculation est la connoissance des regles, la pratique en général en est l'usage. En ce sens pratique s'oppose à spéculation & à théorie.
Pratique se dit particulierement d'une méthode de faire ; ainsi la dévotion a ses pratiques. Le théâtre a sa pratique.
Pratique se prend encore dans le commerce de mer dans quelques autres sens. Voyez les articles suivans.
Dans le commerce ordinaire, il s'entend de celui qui a l'habitude de se servir chez tel ou tel marchand, dont il est appellé la pratique. C'est une de mes pratiques.
PRATIQUE, adj. (Philos.) signifie en général tout ce qui a pour objet quelque chose à faire ; ce mot est opposé à spéculatif.
Arithmétique pratique, voyez ARITHMETIQUE.
Géométrie pratique, voyez GEOMETRIE.
PRATIQUE, s. f. en terme d'Arithmétique, est ce qu'on appelle autrement practica statica, ou abrégés italiens : ce mot sert à désigner certaines méthodes abrégées pour faire la regle de proportion, ou regle d'or ; principalement quand le premier terme est 1, ou l'unité, voyez REGLE D'OR.
On appelle ces méthodes pratiques à l'italienne, ou abrégés à l'italienne, parce que ce sont des marchands & des négocians italiens qui ont introduit les premiers ces manieres de compter, qui expédient un calcul avec beaucoup de facilité & de promtitude. Voyez REGLE.
Voici celles de ces méthodes qui sont le plus en usage. 1°. Puisque la regle de trois consiste à trouver une quatrieme proportionnelle à trois nombres donnés, divisez le premier & le second, ou le premier & le troisieme par quelque nombre commun qui puisse les diviser exactement, si cela est possible ; & opérez sur ces quotiens au lieu d'opérer sur les dividendes : par exemple,
3 liv. coûteront 9 s. combien coûteront
7 livres ?
En divisant les deux premiers termes par 3, on aura 1 liv. coûte 3 s. combien coûteront 7 liv. il est clair qu'elles coûteront 21 s.
De même 14 liv. coûtent 26 s. combien coûtent 7 livres ? On aura 14. 26 : : 7. x, ou 14. 7 : : 26. x. Divisant les deux premiers termes par 7, il vient 2. 1 : : 26. x, & par conséquent le terme cherché x = (26 x 2)/2 = 13.
2°. Si le premier terme est 1, & que le second soit une partie aliquote de livres, sous ou deniers, divisez le troisieme terme par la partie aliquote ; le quotient sera le terme cherché. Remarquez que pour trouver la partie aliquote, on peut, en cas de besoin, avoir recours à la table de l'article ALIQUOTE. exemple :
3°. Si le premier ou le troisieme nombre est 1, que l'autre ne soit pas excessivement grand, & que le terme moyen soit composé, c'est-à-dire formé de grandeurs de différentes dénominations, on peut sans réduction résoudre la regle, comme on va le voir dans l'exemple suivant.
Cette opération n'est, comme l'on voit, qu'une simple multiplication.
4°. Si le terme moyen n'est pas une partie aliquote, mais une partie aliquante, resolvez la partie aliquante en ses parties aliquotes ; divisez le terme moyen par les différentes parties aliquotes, la somme des quotiens est le terme cherché pour trouver les parties aliquotes contenues dans une partie aliquante. Par exemple, si une aulne coûte 15 s. combien coûteront 124 aulnes ? Remarquez que 15 s. sont la moitié & le quart d'une livre ; il faut donc prendre la moitié & le quart de 124, c'est 62 & 31, dont la somme fait 93 liv. qui satisfont à la question.
5°. Si le premier ou le deuxieme terme est 1, & que dans le premier cas, le second ou le troisieme terme, dans le second cas le premier terme puisse être décomposé en facteurs, on peut faire l'opération entiere dans sa tête, sans avoir besoin d'écrire aucun chiffre. Par exemple :
PRATIQUE, (Hydraul.) est la méthode de mettre en usage tout ce que la théorie vous démontre ; ainsi il y a des pratiques pour niveler les eaux, les jauger, les calculer, les conduire, les distribuer, les construire. (K)
PRATIQUE du barreau ou du palais, (Jurisprud.) tritura fori, c'est l'usage qui s'y observe pour l'ordre judiciaire. Voyez PROCEDURE & STYLE.
On appelle pratique d'un procureur le fond de dossiers, de sacs & autres papiers qu'il a concernant les affaires dont il est chargé.
La pratique d'un notaire consiste dans ses minutes.
Un procureur ou un notaire peut vendre sa pratique avec sa charge, ou vendre sa pratique seule, ou vendre l'un & l'autre séparément.
La pratique d'un procureur ou d'un notaire est meuble. (A)
PRATIQUE, s. f. (Archit.) c'est l'opération manuelle dans l'exercice de l'art de bâtir.
Pratique, terme indéclinable. On dit qu'un homme est pratique dans les bâtimens, quand il a l'expérience dans l'exécution des ouvrages.
PRATIQUE, avoir pratique, obtenir pratique, (Marine) c'est avoir la liberté d'entrer dans une ville après avoir fait la quarantaine.
Accorder pratique, être pratique d'un lieu ; on dit qu'un pilote est pratique d'un lieu, pour dire que plusieurs voyages qu'il y a faits lui en ont donné la connoissance.
Pratique ; ce terme signifioit traite, communication & commerce. Nous ne pûmes jamais avoir pratique avec les habitans de cette île, quoique nous eussions mis pavillon blanc en signe de paix, & que nous eussions fait toutes sortes de signaux pour leur marquer que nous voulions traiter avec eux de bonne foi ; à quoi ils ne répondirent qu'à coups de mousquet. On ne doit pas celer, si l'on a eu des pratiques en des lieux infectés de mal contagieux.
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PRATIQUER | v. act. (Gramm.) voyez l'article PRATIQUE ; on dit ce n'est pas assez que de prêcher aux autres la vertu, il faut la pratiquer soi-même. Je ne sais si l'on a fait en Médecine des découvertes bien importantes depuis Hippocrate, mais il est sûr que cet homme en posséda la véritable pratique ; il faut pratiquer un escalier dérobé dans cet endroit ; on perd l'estime qu'on faisoit des hommes en les pratiquant beaucoup. Il y a du danger à pratiquer avec les méchans ; il ne faut ni pratiquer les sujets d'un prince, ni les voix dans une élection. Les hommes bornés ne veulent que pratiquer. Les hommes pénétrans ne veulent que réfléchir ; de-là la lenteur du progrès des connoissances humaines, qui demanderoient que l'expérience & la pratique fussent accompagnées de la réflexion.
PRATIQUER, (Archit.) c'est dans la distribution d'un plan, disposer les pieces avec économie & intelligence, pour les proportionner & les dégager avantageusement.
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PRATITAE | (Géog. anc.) peuples d'Asie : Pline, liv. VI. c. xv. dit qu'on les surnommoit Paredoni, qu'ils étoient voisins des Cordueni, qu'ils étoient maîtres des portes caspiennes, & qu'ils habitoient à l'occident des Parthes. (D.J.)
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PRATO | (Géog. mod.) ville d'Italie, dans le Florentin, sur le Bisentio, entre Florence & Pistoye, dans une belle prairie, à 6 lieues au nord-ouest de Florence, & à-peu-près à la même distance de Pistoye. Son évêché a été réuni à celui de Pistoye. Long. 29. 12. lat. 43. 36.
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PRATOLINO | (Géog. mod.) maison de plaisance du grand duc de Toscane, au voisinage de Florence, bâtie par le grand duc, François I du nom ; c'est un séjour délicieux pendant l'été, & on y reconnoît par-tout le goût du fondateur. Le pere Labat a donné la description de ce palais dans son voyage d'Italie. La campagne où est située cette maison de plaisance, est une des plus belles contrées d'Italie ; les anciens la nommoient Etrusci campi, elle s'étendoit, selon Tite-Live, liv. XXII. c. iij. depuis Frézulae, jusqu'à Arretium, c'est-à-dire depuis Frizzole, jusqu'à Arezzo. (D.J.)
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PRATS DE MOL | ou PRATS DE MOULIOU, (Géog. mod.) en latin du douzieme siecle Forcia de Pratis ; petite ville ou place forte de France dans le Roussillon, sur le Ter au milieu des montagnes ; elle appartenoit en 1232 à Nunio Sanche, comte de Roussillon. Elle est à 10 lieues au sud-est de Mont-Louis ; elle fut fortifiée, mais très-irrégulierement, par les ordres de Louis XIV. qui y fit bâtir le fort de la Garde, lequel contient trois corps de casernes, la maison du gouverneur, & quelques cantines. Long. 20. 10. lat. 12. 26.
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PRAXÉEN | S. m. (Hist. eccl.) nom de secte, disciple ou sectateur de Praxéas. Cet hérésiarque étoit d'Asie, & vivoit au second siecle : il fut d'abord disciple de Montan, qu'il abandonna ensuite. Il se fit ensuite chef de parti lui-même, & enseigna, qu'il n'y avoit point de pluralité de personnes en Dieu ; que le Pere qui avoit tout créé étoit celui-là même qui avoit souffert sur la croix. Cette doctrine fut dans la suite embrassée par les Monarchiques, les Sabelliens, & les Patropassiens. Voyez SABELLIEN & PATROPASSIEN, &c.
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PRAXIDICE | S. f. (Mythol.) , déesse, fille de Soter, qui est le dieu conservateur, & mere d'Homonoë & d'Arété, c'est-à-dire de la concorde & de la vertu. Son nom étoit un composé de deux mots, de , qui veut dire action, & de , jugement ; parce que, dit-on, c'étoit elle qui avoit soin de marquer aux hommes les justes bornes dans lesquelles ils devoient se contenir, soit dans leurs actions, soit dans leurs discours.
Les anciens ne faisoient jamais de statue de cette déesse en entier, mais la représentoient seulement par une tête, pour montrer peut-être que c'est la tête & le bon sens qui déterminent les limites de chaque chose, aussi ne lui sacrifioit-on que les têtes des victimes.
Hésychius dit que Ménélas, au retour de la guerre de Troie, consacra un temple à cette divinité & à ses deux filles, la Concorde & la Vertu, sous le nom de Praxidice.
On remarque que cette déesse avoit tous ses temples découverts, pour désigner son origine qu'elle tiroit du ciel, comme de l'unique source de la sagesse ; on a aussi donné le nom de Praxidice à Minerve.
On ne sauroit douter que l'origine de Praxidice ne soit fort ancienne ; le poëte dont nous avons les ouvrages, sous le nom d'Orphée, que les chronologistes placent vers la cinquante-quatrieme olympiade, au tems de Pisistrate, nomme les fêtes de Praxidice parmi les différens sujets qui avoient exercé sa muse, avant son entreprise des Argonautiques, ; mais ce passage ne nous apprend que le nom de la déesse, & l'on n'y trouve rien qui établisse sa prétendue ressemblance avec Laverne. Nous ne tirons pas une plus grande lumiere d'un autre passage du même auteur, qui dans une hymne à Proserpine, fait de un attribut de Proserpine même ; l'analyse de ce mot composé, & sa réduction aux principes desquels il est tiré, , jugement ou punition des actions, marque seulement la justesse de l'application que le poëte en fait à la reine des enfers.
est personnifiée dans Pausanias, & conformément à l'analogie, l'historien en parle comme d'une divinité qui présidoit à la vengeance. Ménélas, dit-il, étant de retour chez lui après la prise de Troie, éleva une statue à Thétis & à Praxidice. Ménélas ne pouvoit se dispenser de rendre cet hommage à la divinité vengeresse, qui venoit de l'aider à tirer raison d'un affront ; mais si elle eût été soupçonnée de protéger le vol, comme on le voit par quelques gloses anciennes qui rendent mal-à-propos le nom de Praxidice par celui de Laverne, Ménélas auroit sans doute laissé à Pâris le soin de l'honorer : le ravisseur d'Hélene qu'elle avoit bien servi, pouvoit se charger seul de la reconnoissance qui lui étoit dûe ; & il n'étoit pas juste que le mari outragé fût encore condamné aux dépens.
Le même Pausanias rapporte ailleurs, que les Aliartiens connoissoient plusieurs déesses Praxidices, qui avoient un temple dans leur pays. Comme il ne nous avertit pas que dans cet autre endroit, il attache une nouvelle idée à la même dénomination ; nous pouvons toujours l'entendre des divinités de la vengeance, qu'il étoit en effet à propos de multiplier, pour partager entre plusieurs un emploi, auquel une seule ne pouvoit pas suffire. Pausanias ajoute que les Aliartiens juroient par ces déesses, & que le serment fait en leur nom étoit inviolable. Auroit-on eu cette délicatesse, si leur métier eût été de favoriser la tromperie ? D'ailleurs, si Praxidice avoit eu quelque chose de commun avec la déesse des voleurs, on ne lui auroit pas donné pour compagnes, la concorde & la vertu, lorsqu'on la représentoit, & on ne se seroit pas avisé de la peindre sans bras & sans mains. (D.J.)
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PRAXIDICIENNES | adj. (Mythol.) comme Minerve étoit surnommée Praxidice, on lui a assigné des nourrices appellées déesses Praxidiciennes ; c'étoient les filles d'Ogygès au nombre de trois ; savoir, Alalcomene, Aulis & Telsinie. Ces déesses Praxidiciennes avoient une chapelle au milieu d'un champ, près de la ville d'Haliarte, en Béotie. On alloit jurer sur leur autel dans les grandes occasions, & ce serment étoit inviolable. (D.J.)
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PRAXIS | (Mythol.) Vénus avoit un temple à Mégare, sous le nom de Vénus Praxis, c'est-à-dire, agissante ; ce nom vient du grec , agir.
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PRAYA | (Géog. mod.) ville chétive de l'île de San-Jago, au sud-ouest de l'île, & au sud-est de la capitale, dont elle est à 3 lieues ; son port est bon, & se nomme Porto-Praya. Long. 355. 41. lat. 15. 15. (D.J.)
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PRÉ | S. m. (Economie rustiq.) s'entend de toutes sortes de terres qui donnent de l'herbe pour nourrir les bestiaux. On en distingue de deux especes, les hauts prés ou secs, & les bas prés ou humides. On y seme de l'herbe ordinaire, du sainfoin, & de la luzerne ou bourgogne. Voyez tous ces mots à leur article.
Quand on ensemence un pré, on y seme moitié avoine, qui dès la premiere année dédommage de la dépense qu'on y a faite. Il n'y faut souffrir aucuns bestiaux cette année-là, les racines étant trop tendres ; & on le fera sarcler pour ôter les mauvaises herbes.
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PRÉADAMITE | S. m. (Théolog.) est le nom que l'on donne aux habitans de la terre que quelques-uns ont cru avoir existé avant Adam.
Isaac de la Pereyre fit imprimer en Hollande en 1655, un livre pour prouver l'existence des préadamites, qui lui donna d'abord un grand nombre de sectateurs ; mais la réponse que Desmarais, professeur en Théologie à Groningue, publia l'année suivante, éteignit cette secte dès sa naissance, quoique la Pereyre y eût fait une replique.
Cet auteur donne le nom d'Adamites aux juifs, comme étant sortis d'Adam ; & celui de Préadamites aux Gentils, supposant qu'ils existoient long-tems avant Adam.
La Pereyre voyant que l'Ecriture paroissoit contraire à son systême, eut recours à l'antiquité fabuleuse des Egyptiens & des Chaldéens, & à quelques rabbins mal-sensés, qui ont feint qu'il y avoit eu un autre monde avant celui dont parle Moïse.
Il fut pris en Flandres par des inquisiteurs qui le traiterent fort mal, mais il appella de leur sentence à Rome où il alla, & où il fut très-bien reçu du pape Alexandre VII. il y imprima une rétractation de son livre des préadamites, & s'étant retiré à Notre-Dame des Vertus, il y mourut converti.
Voici une idée générale du systême de cet auteur ; selon lui, les premiers hommes sont ceux d'où sont sortis les Gentils, & Adam fut le pere de la race choisie, de la nation juive. Moïse n'eut jamais l'intention de nous tracer l'histoire de tous les hommes, mais seulement du peuple hébreu & de ceux qui lui ont donné naissance, ne parlant des autres qu'autant qu'ils ont rapport aux affaires des Hébreux. Il dit de plus, que le déluge de Noë ne fut pas universel, & qu'il ne s'étendit que sur les pays où la race d'Adam se trouvoit ; qu'Adam ayant désobéi à Dieu, introduisit le péché dans le monde & en infecta toute sa postérité, mais que les Gentils descendus des préadamites, n'ayant reçu ni la loi, ni aucun commandement de Dieu, ne tomberent point dans la prévarication, quoique leur vie ne fût point exempte de crime ; mais ces crimes ne leur étoient point imputés. C'étoit pour ainsi dire des péchés matériels dont Dieu ne se tenoit point offensé, à cause de l'ignorance de ceux qui les commettoient. Il fonde surtout cette derniere prétention sur ces paroles de l'épître aux Romains, chap. v. jusqu'à la loi il y avoit des péchés dans le monde : or on n'imputoit pas les péchés n'y ayant point de loi, d'où il forme ce raisonnement. Il faut entendre ici la loi qui fut donnée à Moïse, ou celle qui fut donnée à Adam. Si on l'entend de la loi de Moïse, il s'ensuivra qu'il y a eu des péchés avant & jusqu'à Moïse, mais que Dieu ne les imputoit point, ce qui est faux, témoin la punition de Caïn, des Sodomites, &c. Si on l'entend d'une loi donnée à Adam, il y avoit donc avant lui des hommes à qui les péchés n'étoient pas imputés.
On répond à cette difficulté, que la loi dont parle S. Paul est la loi donnée à Moïse, & la même dont il dit : Je n'ai connu le péché que par la loi ; car je ne saurois pas ce que c'est que la concupiscence, si la loi ne disoit, tu ne convoiteras pas. Il est certain que c'est la loi de Moïse qui fait cette défense ; l'Apôtre ne dit pas qu'avant la loi de Moïse, il y avoit des péchés que Dieu n'imputoit pas, mais qu'avant la loi de Moïse il y avoit des péchés dans le monde, & que l'on n'impute point de péché, lorsqu'il n'y a point de loi. Ces deux choses sont très-différentes & très-bien distinguées ; la premiere énonce un fait, & la seconde est un axiome ou un principe de droit. Si donc il y a eu avant Moïse des péchés imputés, il y a eu aussi une loi donnée à Adam. Ce qui justifie cette interprétation du passage de l'Apôtre, c'est que le texte grec porte , c'est-à-dire on impute & non pas on imputoit. Mais en lisant même comme la vulgate, on imputoit, on donne au même texte un sens qui n'est pas plus favorable à la Pereyre ; en disant qu'avant la loi de Moïse, il y avoit au monde des péchés que l'on n'imputoit pas, parce que c'étoient des péchés de pensée & de concupiscence, qui n'étoient pas encore défendus par cette loi ; car il est clair que dans S. Paul, il s'agit de la loi de Moïse.
Au reste, la Pereyre n'est pas le premier inventeur de ce systême. S. Clément d'Alexandrie dans ses hypotiposes, croyoit la matiere éternelle, la métempsycose, & qu'il y avoit eu plusieurs mondes avant Adam. Julien l'apostat étoit dans l'opinion qu'il y avoit eu plusieurs hommes créés au commencement, & c'est aussi le sentiment de plusieurs orientaux, qui assurent qu'il y avoit eu trois Adam créés avant celui que nous reconnoissons pour le premier homme. Les musulmans croyent communément que les pyramides d'Egypte ont été élevées avant Adam, par Gian-bien-Gian, monarque universel du monde avant la création du premier homme ; & que quarante solimans ou monarques universels de la terre y ont régné successivement avant qu'Adam parût. D'Herbelot. Bibl. orient. pag. 311. & 820.
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PRÉALABLE | S. m. (Gramm.) la chose qui doit être exécutée avant une autre, est le préalable de celle-ci. Il est préalable de juger le possessoire avant que de passer au pétitoire ; d'examiner la forme avant que d'en venir au fond : derniere maxime en conséquence de laquelle il y a bien des injustices de commises. Il faut au préalable donner connoissance de son titre.
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PRÉAMBULE | S. m. (Belles-Lettres) espece d'éxorde par lequel on prépare l'esprit de l'auditeur ou du lecteur à apprendre quelque chose.
Ce mot est dérivé du latin prae, devant, & d'ambulo, je marche ; c'est-à-dire discours qui précede une autre matiere.
Le préambule d'un édit ou autre loi, est la premiere partie dans laquelle le législateur expose son intention, ses vues, & énonce quels sont les désordres auxquels il se propose de remédier, & quelle est l'utilité du réglement qu'il va promulguer.
Préambule se prend aussi dans le style familier en mauvaise part, pour un discours vague qui n'énonce rien de précis, & qui n'est suivi de rien d'exact ou de sensé.
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PRÉAU | S. m. (Architect.) On appelle ainsi en général toute cour spacieuse, même celle d'une prison, quand il y croît librement du gazon ; mais la signification propre de ce terme est une place quadrilatere ordinairement couverte de gazon, & environnée des portiques d'un cloître. Tel est le préau du grand cloître de la Chartreuse à Paris. (D.J.)
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PRÉBENDAIRE | S. m. (Jurispr.) se dit de celui qui a une prébende dans une église cathédrale ou collégiale. Voyez CHANOINE, & ci-après PREBENDE & PREBENDE. (A)
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PRÉBENDE | S. f. (Jurisprud.) est une certaine portion des biens d'une église cathédrale ou collégiale, qui est assignée à un ecclésiastique titulaire de cette prébende, pour sa subsistance.
Une prébende n'est, comme on voit, autre chose qu'un bénéfice établi dans une église cathédrale ou collégiale.
On confond quelquefois les termes de prébende & de canonicat, parce qu'il y a ordinairement une prébende unie à un canonicat ; cependant ce n'est pas toujours la même chose. En effet, il y a des prébendes qui n'ont pas le titre ni les droits de chanoines, & des chanoines qui ne sont pas prébendés, tels que les chanoines ad effectum.
Il y a aussi dans quelques cathédrales & collégiales des bénéficiers que l'on distingue des prébendés, tels que sont les simples chapelains. Voyez BENEFICE, CANONICAT, CHANOINE, & ci-après PREBENDE. (A)
Il y a plusieurs sortes de prébendes, savoir ;
Prébende corbeliere ; c'est ainsi qu'on appelle les semi-prébendes dans l'église cathédrale du Mans. Voy. Brillon, au mot enfans de choeur, tome III. page 99. col. premiere.
Demi-prébende ou semi-prébende, est la moitié d'une prébende qui se trouve partagée entre deux bénéficiers.
Prébendes distributives ; on appelle ainsi dans certains chapitres les prébendes dont le principal revenu consiste aux distributions manuelles. Voyez les définitions canoniques de Castel, au mot droit de dépôt.
Prébende préceptoriale est celle qui est affectée à l'écolâtre, précepteur ou maître d'école, dans les églises métropolitaines, cathédrales ou collégiales, pour l'instruction de la jeunesse à la piété & aux belles-lettres. Voyez ECOLATRE, ECOLE, MAITRE D'ECOLE, PRECEPTEUR.
Semi-prébende, voyez ci-devant demi-prébende.
Prébende théologale est celle qui est affectée à un théologien qu'on appelle théologal dans les églises métropolitaines, cathédrales ou collégiales, pour enseigner la Théologie aux clercs de l'église où il est établi. (A)
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PRÉBENDÉ | S. m. (Jurispr.) se dit d'un ecclésiastique qui a une prébende dans une église cathédrale ou collégiale, c'est-à-dire une portion des revenus de cette église qui lui est assignée pour sa subsistance.
On appelle chanoine prébendé, celui qui a une prébende.
Il y a des chanoines honoraires & ad honores, qui ne sont pas prébendés.
Il y a au contraire des ecclésiastiques attachés à une collégiale qui sont prébendés sans avoir le titre & le rang de chanoine.
On appelle semi-prébendé celui qui n'a que la moitié d'une prébende. Voyez CHANOINE & PREBENDE. (A)
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PRÉCAIRE | adj. (Jurispr.) se dit de ce qu'on ne possede pas à titre de propriété. Un titre précaire est celui en vertu duquel on ne jouit pas animo domini, tel que la commission d'un gardien, d'un dépositaire, un bail à ferme. La possession d'un fermier n'est pareillement qu'une possession précaire.
Le précaire dans le droit romain est un prêt à usage accordé à la priere de celui qui emprunte une chose pour en user pendant le tems que celui qui la prête voudra la laisser, & à la charge de la rendre quand il plaira au maître de la retirer.
Il differe du prêt ordinaire, en ce que celui-ci est pour un tems proportionné au besoin de celui qui emprunte, ou même pour un certain tems réglé par la convention ; au lieu que le précaire est indéfini, & ne dure qu'autant qu'il plaît à celui qui prête.
Du reste le précaire est sujet aux mêmes regles que le prêt à usage, si ce n'est que le précaire finit par la mort de celui qui a prêté. Voyez ff. de precario, & ci-après le mot PRET.
La clause de précaire dans les constitutions de rente, signifie que le débiteur qui hypotheque ses héritages ne les possede plus qu'à la charge de la rente, qu'il s'en dessaisit jusqu'à concurrence de la valeur de la somme qu'il emprunte.
On appelloit aussi anciennement précaire & en latin precaria ou precarici, un contrat de bail d'héritages que l'on renouvelloit tous les cinq ans, ou bien à titre d'emphitéose ou à vie. On en a vu dont la jouïssance devoit passer jusqu'à la cinquieme génération. Ces sortes de baux à rente se faisoient ordinairement en faveur de l'église ; quand quelqu'un donnoit son bien à l'église, on lui donnoit deux ou trois fois autant du bien de l'église pour en jouïr pendant le tems porté par le contrat du précaire ; & en reconnoissance de ce que ces terres appartenoient à l'église, il lui en payoit quelquefois une petite rente annuelle. Ces précaires ne s'accordoient d'abord qu'à des ecclésiastiques, mais dans la suite cela fut étendu à des laïcs.
L'usage de ces précaires commença sous Ebroin, maire du palais, en 660. Ebroin & les seigneurs qu'il gratifioit des biens de l'église, se servirent de la forme des lettres précaires ; ils mirent dans toutes la condition de faire le service militaire.
Pepin rendit les biens à l'église.
Charles Martel renouvella l'usage des précaires.
En 743 & 744, les conciles de Leptine & de Soissons permirent au prince de prendre une partie des biens de l'église à titre de précaire.
Charlemagne en 779 ordonna de renouveller les précaires, & d'en faire de nouvelles. Voyez les capitulaires ; voyez aussi le gloss. de Ducange, au mot praecaria, & Loyseau, traité du déguerpissement, liv. I. ch. jv. (A)
PRECAIRE, CONTRAT, (Hist. du droit canon) Fra-Paolo nous apprend dans son livre des matieres bénéficiales, que le premier usage du contrat précaire s'introduisit en France, d'où il passa en Italie ; j'aurois cru tout le contraire sans une si grande autorité. M. Simon remarque dans son histoire des revenus ecclésiastiques, que les vieux cartulaires sont remplis de ces sortes d'actes, qui consistoient en une donation que les particuliers faisoient de leurs biens aux églises, ensuite de quoi ils obtenoient des mêmes églises, sur des lettres qui étoient appellées precariae ou precatoriae, les mêmes biens pour les posséder par une espece de bail emphytéotique ; car la plûpart faisoient un bail pour cinq, six, & même sept générations, à condition de donner à l'église ou monastere un certain revenu tous les ans. On en rapporte la preuve par des formules de précaires où les particuliers vendoient leurs biens aux moines, & obtenoient ensuite des lettres à cet effet jusqu'à la cinquieme génération, après laquelle les monasteres pouvoient disposer desdits biens. (D.J.)
PRECAIRE, COMMERCE, (Comm.) Le commerce précaire est celui qui se fait par une nation avec une autre nation son ennemie, par l'entremise d'une troisieme qui est neutre. Ainsi l'on dit que les Anglois font un commerce précaire avec les Espagnols, par le moyen des Portugais, lorsque les deux premieres nations étant en guerre, la troisieme leur prête ses vaisseaux, ses pavillons & son nom pour continuer leur négoce. Dictionn. de Comm. (D.J.)
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PRÉCAIREMENT | adv. (Jurisprud.) se dit de ce qui se fait à titre précaire precario nomine ; par exemple, posséder précairement, c'est lorsqu'on ne possede pas animo domini, comme un dépositaire, sequestre ou fermier, lequel ne jouit pas de la chose comme sienne. Voyez ci-devant POSSESSION & PRECAIRE. (A)
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PRÉCAUTION | S. f. (Gramm.) soins pris d'avance contre les inconvéniens prévus d'une chose, quelle qu'elle soit. On ne peut prendre trop de précautions en traitant avec un inconnu. Il y a des occasions où leur excès insulte un homme de bien reconnu, un ami, un parent, &c. On prend des remedes de précaution qui dérangent communément la santé. On ne peut user de trop de précautions quand on parle de la religion & du gouvernement, sur-tout en public ; mais notre sort est abandonné à tant de causes éloignées & secrettes, qu'il n'y a sortes de précautions qui puissent assurer notre repos. Si vous faites un long voyage, précautionnez-vous de beaucoup de choses, qui vous manqueront infailliblement sans cette prudence. Il est d'un bon pasteur de précautionner ses ouailles contre l'erreur & la corruption. Trop de précautions marque de la pusillanimité. Il faut laisser les précautions de côté, & donner un peu au hasard, toutes les fois qu'il y a peu à perdre à un événement malheureux, & tout à gagner au succès. C'est à la prudence à faire le calcul.
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PRÉCÉDENT | adj. (Gramm.) qui a été auparavant. Le précédent édit est contradictoire à celui qui l'a suivi. J'ai traité cette matiere au chapitre précédent.
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PRÉCÉDER | v. act. (Gramm.) c'est aller devant ceux qui nous ont précédés, & qui reviendront après nous. La sortie d'Egypte a précédé de plus de cinq cent ans la construction du temple de Salomon.
Il a le pas sur lui à cette cérémonie, mais il en est précédé dans telle autre.
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PRÉCEINTE | (Marine) voyez CEINTE. La préceinte n'est point coupée : cela se dit lorsque le gabarit d'un vaisseau est de maniere qu'aucun sabord n'a été coupé dans la préceinte.
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PRÉCENTEUR | S. m. (Jurispr.) praecentor quasi primus cantor est le premier chantre, qu'on appelle aussi grand chantre ou chantre simplement. Le précenteur est ordinairement établi en dignité dans les églises cathédrales & collégiales ; il est quelquefois le premier en dignité ; dans d'autres endroits il est précédé par d'autres dignitaires : dans quelques églises il a jurisdiction dans le choeur pour tout ce qui regarde le chant. A Paris, le grand-chantre a jurisdiction sur les maîtres & maîtresses des petites écoles. Voyez CHANTRE. (A)
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PRÉCEPTE | COMMANDEMENT, ORDRE, INJONCTION, JUSSION, (Synon.) L'abbé Girard développe très-bien les nuances de tous ces mots. Le premier, dit-il, est du style doctrinal ; les deux suivans sont de l'usage ordinaire ; injonction & jussion sont de jurisprudence ou de chancellerie.
Le précepte indique plus précisément l'empire sur les consciences ; il désigne quelque chose de moral qu'on est obligé de suivre. Le mot de commandement exprime avec plus de force l'exercice de l'autorité : on commande pour être obéi. Celui d'ordre a plus de rapport à l'instruction du subalterne : on donne des ordres, afin qu'ils soient exécutés. Celui d'injonction désigne plus proprement le pouvoir dans le gouvernement : on s'en sert lorsqu'il est question de statuer à l'égard de quelqu'objet particulier, une regle indispensable de conduite. Enfin celui de jussion marque positivement la puissance arbitraire ; il enferme une idée de despotisme qui gêne la liberté & force le magistrat à se conformer à la volonté du prince.
Il faut attendre le commandement ; la bonne discipline défend de le prévenir. On demande quelquefois l'ordre ; il doit être précis : on donne souvent au précepte une interprétation contraire à l'intention du législateur ; c'est l'effet ordinaire du commentaire. Il est bon, quelque formelle que soit l'injonction, de ne pas trop s'arrêter à la lettre, lorsque les circonstances particulieres rendent abusive la regle générale. Le ministere ne doit user que très-rarement des lettres de jussion, & les cours de justice doivent faire leurs efforts pour les prévenir. (D.J.)
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PRÉCEPTEUR | (Econom. domestiq.) On appelle précepteur celui qui est chargé d'instruire & d'élever un enfant avec lequel il est logé dans la maison paternelle.
Montagne disoit, l. I. ch. xxv. " Je voudrois qu'on fût soigneux de choisir à un enfant de maison un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que pleine, & qu'on y requît tous les deux ; mais plus les moeurs & l'entendement que la science. Je voudrois que de belle arrivée, selon la portée de l'ame qu'il a en main, il commençât à la mettre sur la montre, lui faisant goûter les choses, les choisir & discerner d'elles-mêmes ; quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu'il invente & parle seul ; je veux qu'il écoute son disciple parler à son tour.... Il est bon qu'il le fasse troter devant lui, pour juger jusqu'à quel point il se doit ravaler pour s'accommoder à sa force.... Ceux qui, comme notre usage porte, entreprennent d'une même leçon & pareille mesure de conduite, régenter plusieurs esprits de si diverses mesures & formes, ce n'est pas merveille si en tout un peuple d'enfans ils en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque fruit de leur discipline. Qu'il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens & de la substance ; & qu'il juge du profit qu'il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie.... " Qu'il lui fasse tout passer par l'estamine, 2 & ne loge rien en sa tête par simple autorité & à " crédit ; que les principes d'Aristote ne lui soient principes, non plus que ceux des stoïciens & épicuriens. Qu'on lui propose cette diversité de jugemens, il choisira, s'il peut : sinon il demeurera en doute
Che non men che saver dubiar m'aggrada.
.... Au demeurant, cette institution se doit conduire par une severe douceur, non comme il se fait. Au lieu de convier les enfans aux lettres, on ne leur présente à la vérité qu'horreur & cruauté : ostez-moi la violence & la force, il n'est rien, à mon advis, qui abatardisse & étourdisse si fort une nature bien née. Si vous avez envie qu'il craigne la honte & le châtiment, ne l'y endurcissez pas : endurcissez-le à la sueur & au froid, au vent, au soleil & aux hasards, qu'il lui faut mespriser. Ostez-lui toute mollesse & délicatesse au vestir & coucher, au manger & au boire : accoutumez-le à tout. Que ce ne soit pas un beau garçon & dameret, mais un garçon vert & vigoureux. La police de la plûpart de nos colléges m'a toujours déplu ; combien leurs classes seroient plus décemment jonchées de fleurs & de feuillées, que de tronçons d'osier sanglans ! J'y ferois pourtraire la joie, l'allégresse, & Flora & les graces : où est leur profit, que là fût aussi leur esbat ; on doit ensucrer les viandes salubres à l'enfant, & enfieller celles qui lui sont nuisibles ".
Les Romains choisissoient ordinairement entre leurs esclaves celui qui étoit le plus capable d'instruire un jeune enfant. Long-tems l'éducation a été chez eux très-soignée ; mais la mauvaise éducation suivit de près le luxe. Les études furent négligées & altérées, parce qu'elles ne conduisoient plus aux premiers postes de l'état. On vouloit qu'un précepteur coûtât moins qu'un esclave. On sait à ce sujet le beau mot d'un philosophe ; comme il demandoit mille drachmes pour instruire un jeune homme : c'est trop, répondit le pere, il n'en coûte pas plus pour acheter un esclave. Hé bien, à ce prix vous en aurez deux, reprit le philosophe, votre fils & l'esclave que vous acheterez.
On raconte que Diogene étant exposé en vente dans l'île de Crete, pria celui qui le publioit de déclarer qu'il étoit esclave, & qu'il savoit fort bien enseigner les jeunes gens. Ce fut cette publication qui engagea Céniades de l'acheter. On appelloit les précepteurs gardiens, custodes. Horace dit dans sa poëtique,
Imberbis juvenis tandem custode remoto.
On est trop heureux de trouver un précepteur ami des muses & de la vertu, qui veuille se charger de l'éducation d'un enfant, & prendre les sentimens d'un pere tendre : rien n'est plus rare qu'un maître de cette sorte. Il y a sans doute encore dans le monde des hommes qui seroient d'excellens précepteurs ; mais comme ils sont sensés, & qu'ils connoissent tout le prix de leur liberté, ils ne peuvent se résoudre à la sacrifier qu'on ne leur donne des dédommagemens capables de les tenter ; c'est-à-dire un peu de fortune & beaucoup de considération. Souvent ils ne trouvent ni l'un ni l'autre : on attache un assez grand mépris à leur profession ; ce mépris est-il bien fondé ? Quoi ! parce que l'enfance est un état de foiblesse, le soin de la perfectionner sera-t-il un emploi bas & honteux ? Que la scene couvre leur maintien de ridicule, il n'est pas moins certain que la plûpart des républiques n'auroient pas eu besoin de faire tant de lois pour réformer les hommes, si elles avoient pris la précaution de former les moeurs des enfans. (D.J.)
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PRÉCEPTION | (Hist. de France) les préceptions étoient des ordres, des lettres que le roi envoyoit aux juges, pour faire, ou souffrir certaines choses contre la loi. Ces préceptions étoient à-peu-près comme les rescrits des empereurs romains ; soit que les rois francs eussent pris d'eux cet usage, soit qu'ils l'eussent tiré du fond même de leur naturel.
On voit dans Grégoire de Tours, que les rois francs commettoient des meurtres de sang-froid, & faisoient mourir des accusés qui n'avoient pas seulement été entendus ; ils donnoient des préceptions pour faire des mariages illicites ; ils en donnoient pour transporter des successions ; ils en donnoient pour ôter le droit des parens ; ils en donnoient pour épouser les religieuses. Ils ne faisoient point, à la vérité, des lois de leur seul mouvement ; mais ils suspendoient la pratique de celles qui étoient faites.
L'édit de Clotaire II. qui regna seul en 613, & fit fleurir la justice, fut un édit heureux qui redressa tous les griefs. Personne ne peut plus être condamné sans être entendu : les parens dûrent toujours succéder, selon l'ordre établi par la loi ; toutes préceptions pour épouser des filles, des veuves ou des religieuses, furent nulles ; & on punit séverement ceux qui les obtinrent, & en firent usage.
Nous saurions peut-être plus exactement ce qu'il statuoit sur ces préceptions, si l'article 13 de ce decret & les deux suivans, n'avoient péri par le tems. Nous n'avons que les premiers mots du 13. art. qui ordonne que les préceptions seront observées, ce qui ne peut pas s'entendre de celles qu'il venoit d'abolir par la même loi. Nous avons une autre constitution du même prince ; qui se rapporte à son édit, & corrige de même de point en point tous les abus des préceptions. Esprit des lois. (D.J.)
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PRÉCEPTORIALE | PREBENDE, (Jurisprudence) Voyez ci-devant au mot PREBENDE, l'article Prébende préceptoriale.
PRECEPTORIALES, LETTRES, (Jurisprud.) Voyez au mot LETTRE, l'article LETTRES PRECEPTORIALES. (A)
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PRÉCESSION | PRÉCESSION
Il est prouvé par les observations astronomiques, que les poles, les solstices, les équinoxes, ont un mouvement retrograde, & vont continuellement d'orient en occident : par ce mouvement les points de l'écliptique reculent continuellement contre l'ordre des signes, de la quantité d'environ 50 secondes par an ; & ce mouvement retrograde est appellé précession ou rétrocession des équinoxes.
Or, comme les étoiles fixes sont immobiles, & que les points des équinoxes sont retrogrades, il s'ensuit que les étoiles doivent toujours paroître de plus en plus à l'orient par rapport à ces points, & qu'ainsi les longitudes des étoiles, qui se comptent depuis le premier degré d'aries, c'est-à-dire, depuis le point de l'équinoxe de printems, doivent croître continuellement. Voyez LONGITUDE & ÉTOILE.
C'est pour cette raison qu'aucune constellation n'est aujourd'hui au même endroit où les anciens astronomes l'avoient placée : du tems d'Hypparque les points équinoctiaux étoient aux premieres étoiles d'aries & de libra ; mais ces points en sont à présent fort éloignés ; & les étoiles qui étoient alors en conjonction avec le soleil au tems de l'équinoxe, en sont aujourd'hui distantes vers l'orient d'un signe entier, c'est-à-dire, de 30 degrés ; ainsi la premiere étoile d'aries est à présent dans la portion de l'écliptique appellée taurus : la premiere étoile de taurus est dans les gémeaux ; & les gémeaux sont en cancer. Voyez SIGNE & CONSTELLATION.
Les équinoxes qui retrogradent continuellement vers l'occident, reviendront enfin au premier point d'aries après plusieurs années ; & toutes les constellations reprendront alors leur premiere situation par rapport aux points des équinoxes ; la durée de cette révolution est de 25816 ans, selon Tycho ; de 25920, selon Riccioli, & de 24800, selon M. Cassini.
Les anciens, & même quelques modernes, ont cru faussement que les points des équinoxes étoient immobiles ; & ont attribué le changement de place des étoiles par rapport aux équinoxes, à un mouvement réel dans l'orbe des fixes, qu'ils supposoient tourner fort lentement sur les poles de l'écliptique ; selon ces Astronomes, les étoiles font leurs révolutions autour de ces poles en 25920 ans ; après quoi elles doivent revenir à leur premiere place.
Les anciens appelloient cette période l'année platonique, ou la grande année : & ils croyoient (mais sans aucun fondement) que quand cette période seroit finie, toutes choses recommenceroient dans leur premier état, & reviendroient dans le même ordre où elles étoient arrivées. Voyez AN.
La précession des équinoxes fait que le tems qui s'écoule depuis un équinoxe de printems ou d'automne jusqu'à l'équinoxe suivant de printems ou d'automne est un peu plus court que le tems que la terre met à faire sa révolution dans son orbite. Voyez AN.
Selon M. Newton, la cause physique de la précession des équinoxes vient de la figure de la terre, qui est, comme l'on sait, celle d'un sphéroïde applati vers les poles, & qui est telle, à cause de la rotation de la terre autour de son axe.
Ce phénomene vient en effet de la figure de la terre ; mais quelque ingénieuse que soit la théorie de M. Newton à ce sujet, elle laissoit encore beaucoup à desirer, & pour dire le vrai, elle étoit très-fautive & très-imparfaite. C'est ce que j'ai fait voir en détail dans l'ouvrage que j'ai publié en 1749, & qui a pour titre, recherches sur la précession des équinoxes, & sur la nutation de l'axe de la terre dans le systême newtonien ; dans cet ouvrage j'ai résolu le premier exactement cet important problême d'astronomie physique, j'ai fait voir 1°. qu'en vertu de la figure applatie de la terre l'action du soleil & celle de la lune devoient produire dans les points équinoctiaux, un mouvement retrograde uniforme ; 2°. qu'outre ce mouvement l'inclinaison de l'orbite de la lune sur l'écliptique, & le mouvement de ces noeuds devoit produire une nutation dans l'axe, & une petite équation dans la précession, telles à-peu-près que M. Bradley les a observés. Voyez NUTATION. Depuis ce tems j'ai fait voir dans les mémoires de l'académie des Sciences de 1754, que les mêmes lois de la précession & de la nutation auroient lieu, quand même les méridiens ne seroient pas semblables. Je renvoie le lecteur à ces différens écrits. (O)
En vertu de la précession des équinoxes, la différence entre le calendrier de l'horison & l'ordre des signes du zodiaque dans l'écliptique est très-considérable. Dans l'horison, le 21 de Mars répond au premier degré du bélier ; & ce premier degré touche l'équinoxe du printems, ou l'intersection de l'écliptique sur le premier degré de l'équateur au point de l'orient. Vous y trouverez de même le 22 Juin marqué vis-à-vis le premier degré de l'écrevisse, où arrive le point de l'écliptique le plus déclinant de l'équateur ; & c'est le solstice d'été. Vous y verrez ensuite le 23 Septembre placé vis-à-vis le premier degré de la balance, & à l'autre intersection de l'écliptique sur le 180 degré de l'équateur ; ce qui est l'équinoxe d'automne. Enfin on y voit le 22 Décembre placé vis-à-vis le premier degré du capricorne, où l'écliptique décline le plus de l'équateur avec le pole austral ; & c'est le solstice d'hiver. Si de dessus le bord de l'horison terrestre vous portez les yeux sur le globe terrestre, vous y trouverez à la vérité la marque abrégée du bélier auprès de l'intersection sur le premier degré de l'équateur ; mais les étoiles mêmes du bélier, & la figure de l'animal qui les embrasse dans son étendue, sont 30 degrés plus éloignés vers l'orient. Toutes les marques abrégées des autres signes sont placées sur tout le reste de l'écliptique, comme elles sont marquées dans l'horison. Mais les signes même, ou les animaux avec leurs étoiles commencent 30 degrés plus loin vers l'orient.
Les premiers astronomes eurent soin de poser les premiers degrés des signes du bélier, &c. aux points des équinoxes & des solstices. C'est ainsi qu'on comptoit depuis long-tems, & ils étoient persuadés que les étoiles qu'on voyoit dans ces points ne les quittoient jamais. Cependant peu-à-peu l'on s'est apperçu que la premiere étoile du bélier s'écartoit d'un degré du point de l'équinoxe vers l'orient, dans l'espace de 70 ans ; & enfin que tous les signes sont présentement avancés de 30 degrés vers l'orient. Mais ces points conservent encore aujourd'hui les noms des signes qui n'y sont plus.
Les Astrologues prêtent à la balance des influences bénignes, au scorpion une impression de malignité, & aux autres signes des effets conformes à la nature des animaux ou des objets, dont ces signes portent le nom. Ils prétendent sur-tout que toute l'activité de l'influence se fait sentir au moment que tel ou tel signe commence à monter sur l'horison ; mais leur prétention est bien vaine, puisque, quand ils disent qu'un homme est né sous le dangereux aspect du scorpion, c'étoit réellement la balance, qui montoit alors sur l'horison ; que ce sont les gémeaux qui y montent, quand on dit que c'est le cancer, & ainsi des autres. Article de M. FORMEY, qui l'a tiré du spect. de la nature, t. IV. p. 378.
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PRÉCHANTRE | S. m. (Hist. eccl.) étoit autrefois le premier de ceux qui chantoient dans l'église. Depuis on en a fait une dignité dans les églises cathédrales au-dessus du chantre.
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PRÉCHANTRERIE | S. f. (Jurisprudence) est la dignité de préchantre ou premier chantre, qu'on appelle en d'autres églises grand-chantre ou chantre simplement, & ailleurs précenteur. Voyez CHANTRE & PRECENTEUR. (A)
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PRÊCHE | S. f. (Gram.) c'est le synonyme de prédication ou sermon ; l'un & l'autre désignent un discours fait au peuple sur quelque sujet édifiant ; mais l'un par un catholique, l'autre par un protestant ; l'un au temple, l'autre à l'église. Les protestans vont au prêche, les catholiques vont au sermon.
Prêche se dit aussi de l'endroit où les protestans s'assemblent pour entendre la parole de Dieu.
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PRÊCHER | v. act. c'est annoncer au peuple l'évangile ou la parole de Dieu. La prédication exige une autorité, un ton, une déclamation, une élocution, un extérieur dignes d'un si grand ministere.
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PRECHEURS | FRERES, (Hist. ecclésiastiq. mod.) c'est la qualité que prennent les religieux de S. Dominique, qui se disent de l'ordre des prêcheurs. Voyez ORDRES RELIGIEUX, DOMINICAINS & JACOBINS. (D.J.)
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PRECIANI | (Géog. anc.) peuples des Gaules, dans l'Aquitaine, du côté de l'Espagne, selon César Bell. Gall. l. III. c. xxvij. Messieurs Sanson croyent que les Preciani sont ceux du Béarn, qui ont été divisés en six parsans ou quartiers ; savoir, de Pau, de Vicuilh, d'Oleron, d'Ossau, de Navarrens & d'Ortes. Ces Parsans, disent-ils, paroissent tirer leur nom des Preciani. (D.J.)
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PRÉCIES | S. m. praeciae, (Hist. anc.) hommes que les flamens envoyoient devant eux pour avertir les artisans de cesser leur travail & de fermer leurs boutiques. On les nommoit aussi praeclamitores. Ils précédoient sur-tout les flamens diales, martiales & quirinales. Les pontifes s'arrogerent quelquefois le même droit. Praecire est synonyme à praeclamitare.
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PRÉCIEUX | adj. (Gram.) qui est d'un grand prix. Ainsi l'on dit d'une belle pierre qu'elle est précieuse ; d'un morceau d'histoire naturelle qui montre quelqu'accident particulier, qu'il est précieux ; d'un tableau, que le coloris en est précieux ; d'un grand ministre, que c'est une vie précieuse à l'état ; d'une expression trop recherchée, qu'elle est précieuse ; d'une femme qui a l'habitude de ces expressions, que c'est une précieuse, &c.
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PRÉCIPICE | GOUFFRE, ABYSME, (Synonymes) On tombe dans le précipice. On est englouti par le gouffre. On se perd dans l'abysme. Le premier mot emporte avec lui l'idée d'un vuide escarpé de toutes parts, d'où il est presqu'impossible de se retirer quand on y est. Le second renferme une idée particuliere de voracité insatiable, qui entraîne, fait disparoître, & consume tout ce qui en approche. Le troisieme emporte l'idée d'une profondeur immense, jusqu'où l'on ne sauroit parvenir, & où l'on perd également de vue le point d'où l'on est parti, & celui où l'on vouloit aller.
Le précipice a des bords glissans & dangereux pour ceux qui marchent sans précaution, & inaccessibles pour ceux qui sont dedans ; la chûte y est rude. Le gouffre a des tours & des circuits, dont on ne peut pas se dégager, dès qu'on y a fait un pas ; & l'on y est emporté malgré soi. L'abysme ne présente que des routes obscures & incertaines qu'aucun but ne termine ; on s'y jette quelquefois tête baissée dans l'espérance de trouver une issue ; mais le courage rebuté y abandonne l'homme, & le laisse dans un cahos de doutes & d'inquiétudes accablantes.
Le chemin de la fortune est à la cour, environné de mille précipices, où chacun vous pousse de son mieux. Une femme débauchée est un gouffre de malheurs ; tout y périt, la vertu, les biens & la santé. Quelquefois la raison, à force de chercher de l'évidence en tout, ne fait que se creuser un abysme de ténebres.
L'avarice est le précipice de l'équité. Paris est le gouffre des provinces ; l'infini est l'abysme du raisonnement. Girard Synonymes. (D.J.)
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PRÉCIPITATION | S. f. (Chimie) la précipitation est une opération, ou plutôt un phénomene chimique qui consiste dans le dégagement de l'un des principes d'un mixte ou d'un composé, par la substitution d'un autre principe qui prend la place du premier ; par exemple, si on applique de l'acide vitriolique au nitre vulgaire qui est un sujet chimique, formé par l'union de l'acide nitreux & de l'alkali fixe ; l'acide vitriolique s'unit à l'alkali fixe, & l'acide nitreux en est séparé : l'acide vitriolique prend sa place, & constitue avec l'alkali fixe, un nouveau corps ; savoir, le tartre vitriolé. Dans ce cas, l'acide nitreux est précipité par l'acide vitriolique qui est alors appellé précipitant.
J'ai choisi à dessein cet exemple qui n'est pas compris dans l'idée vulgaire de la précipitation, pour en prendre occasion de rectifier cette idée ; car il est de l'essence de la précipitation estimée selon l'opinion vulgaire, que le corps à décomposer par la voie de la précipitation, soit dissous dans un liquide, & que le principe précipité tombe au fond de cette liqueur, sous forme de poudre : comme, par exemple, lorsqu'on verse de l'alkali fixe dans la dissolution d'un sel neutre à base terreuse ; car alors l'alkali fixe s'unit à l'acide, au lieu de la terre, & cette terre tombe au fond du vaisseau, sous forme de poussiere. C'est même de cette circonstance que la précipitation a pris son nom, mais elle n'en est pas pour cela moins accidentelle. Le vrai formel de la précipitation consistant dans la substitution d'un principe à un autre qui est dégagé, & auquel il est indifférent d'être porté au fond d'une liqueur, de rester dissous dans cette liqueur, ou de s'élever dans l'athmosphere : ainsi donc, outre le premier exemple proposé, on peut dire véritablement du sel marin jetté dans de l'acide nitreux pour préparer de l'eau régale, que son acide est précipité par l'esprit de nitre, quoiqu'il reste suspendu dans la liqueur ; & de l'air qui s'échappe & s'éleve dans les effervescences, qu'il est précipité par l'union des deux corps qui se combinent avec effervescence. J'ai cru même devoir définir l'effervescence par cette précipitation d'air. Voyez EFFERVESCENCE.
L'espece vulgaire de précipitation, celle qui présente la descente d'une poussiere au fond d'une liqueur, doit être distinguée en vraie & fausse : la vraie est celle que nous avons définie plus haut ; la fausse est celle qui arrive lorsqu'on combine dans une liqueur deux substances qui constituent par leur union, un corps qui ne peut pas être tenu en dissolution par la quantité de liqueur dans laquelle s'est opérée cette combinaison. Par exemple, si l'on dissoud une partie d'alkali fixe nitreux dans trois ou quatre parties d'eau, & qu'on verse sur cette lessive de l'acide vitriolique même médiocrement concentré, on formera du tartre vitriolé, qui ne pouvant pas être tenu en dissolution dans la petite quantité d'eau supposée, tombera au fond de la liqueur, à mesure qu'il sera formé ; & par conséquent par tout autre méchanisme que celui de la précipitation proprement dite, c'est à la crystallisation que ce phénomene peut être le plus naturellement ramené ; car de même que les sels crystallisent, toutes les fois que leurs dissolvans perdent la faculté de les soutenir, de même le faux précipité dont nous venons de parler, n'est dû qu'à cette incapacité du dissolvant à travers lequel il s'échappe. Les préparations de mercure connues sous le nom de précipité blanc, & sous celui de précipité jaune, & les métaux cornés préparés par voie de précipitation, sont aussi des faux précipités de cette classe ; mais seulement quant à la circonstance de leur descente au fond de la liqueur dans laquelle ils sont formés, car une précipitation vraie a concouru à leur production. Il y a seulement ici une différence accidentelle qui consiste en ce que le principe précipité a resté suspendu dans la liqueur, & que le nouveau composé, formé par la substitution du précipitant, est descendu au fond, au lieu que c'est précisément le contraire dans les vraies précipitations vulgaires. Voyez MERCURE, Chimie. LUNE CORNEE, &c.
Les Chimistes n'ont d'autre théorie de la précipitation, que celle qui consiste à ranger ce phénomene sous les lois des rapports ou de l'affinité, principe général & très-peu méchanique. Voyez RAPPORT. Ainsi si on leur demande pourquoi l'acide vitriolique précipite l'acide nitreux uni à l'alkali fixe, ils n'ont d'autre réponse à faire, sinon que l'acide vitriolique a plus de rapport avec l'alkali fixe, que l'acide nitreux ; & cette façon de répondre leur paroît très-philosophique : elle est dans la bonne maniere de Newton, & sera dans celle des Philosophes raisonnables de tous les tems. Freind a écrit dans ses Préleçons chimiques, que de toutes les opérations chimiques, la précipitation étoit celle qui pouvoit être ramenée le plus facilement aux lois méchaniques. Cette erreur est réfutée dans l'article CHIMIE, pag. 415. à la fin de la seconde colonne.
Les tables de rapports chimiques n'exposent autre chose que plusieurs systêmes de substances chimiques rangées entr'elles dans l'ordre selon lequel elles se précipitent successivement. Voyez RAPPORT.
La précipitation est d'un usage très-étendu dans la Chimie pratique ; toutes les opérations de l'analyse menstruelle lui appartiennent. Voyez MENSTRUELLE ANALYSE. Elle est un moyen très-sûr & très-commode de découvrir, ou au moins de pressentir la nature des liqueurs composées : c'est à ce titre qu'on exécute ou qu'on tente beaucoup de précipitations dans l'examen des eaux minérales, &c. La pulvérisation la plus parfaite de certains corps, à laquelle plusieurs chimistes donnent le nom de pulvérisation philosophique, s'exécute par le moyen de la précipitation : enfin cette opération fournit plusieurs préparations pharmaceutiques, telles que la magnésie blanche préparée par voie de précipitation, divers magisteres, voyez MAGISTERE, &c. C'est une perfection des précipités dans les deux derniers cas ; savoir, dans celui de la pulvérisation philosophique, & dans celui des préparations pharmaceutiques ; c'est, dis-je, une perfection de ces précipités, que d'être réduits dans la poudre la plus subtile qu'il soit possible : pour cela, on doit précipiter dans un grand volume de liqueur, ou comme on dit communément, à grande eau, parce que les molécules du précipité, qui peuvent être considérées comme étant dégagées une à une (puisqu'elles existoient à-peu-près solitairement dans le composé, voyez MIXTION), se réunissent d'autant moins, qu'elles sont plus éloignées les unes des autres ; & au contraire, c'est, par exemple, parce que l'huile de chaux & l'huile de tartre par défaillance contiennent très-peu d'eau ; que lorsqu'on produit un précipité par le mêlange de ces deux liqueurs, ce précipité est si épais, & devient bien-tôt si dense, que ce n'est plus qu'une seule masse solide. V. OFFA DE VANHELMONT.
Au reste il y a une façon de s'exprimer, en parlant de la précipitation, qui est différente du langage que nous avons tenu jusqu'à présent, & qu'il faut expliquer ici, attendu qu'elle est fort usitée. Quoique le nom de précipité convienne proprement au principe chassé, dégagé de ses anciens liens, & qu'ainsi il soit naturel de dire du corps précipitant, qu'il précipite ce principe dégagé : cependant on dit plus communément encore, qu'il précipite le composé dans lequel il prend la place de ce principe dégagé ou précipité ; ainsi on dit que l'alkali fixe précipite le sel marin à base terreuse, que le mercure précipite la dissolution d'argent, au lieu de dire que l'alkali fixe précipite la base du sel marin terreux, & que le mercure précipite l'argent, &c. (b)
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PRÉCIPITÉ BLANC | voyez MERCURE, Chimie, & MERCURE, Mat. méd.
PRECIPITE JAUNE, ou TURBITH MINERAL, voyez MERCURE, Chimie, & MERCURE, Mat. méd.
PRECIPITE ROUGE, voyez MERCURE, Chimie, & MERCURE, Mat. méd.
PRECIPITE VERD, voyez MERCURE, Chimie, & MERCURE, Mat. méd.
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PRÉCIPITER | v. act. (Hist. des supplices) l'un des plus anciens supplices dont on a puni les coupables de quelque grand crime, a été de les précipiter du haut d'un rocher, ou de quelque lieu fort élevé. Jéhu fit précipiter Jézabel par une fenêtre, & la muraille fut teinte de son sang, Reg. lib. IV. L'histoire profane nous en fournit plusieurs exemples semblables. Ulisse, selon quelques historiens, arracha Astianax du tombeau d'Hector, où Andromaque l'avoit caché, & le précipita du haut d'une tour. L'usage de ce supplice étoit pratiqué à Rome, avant que l'on eût les lois des douze Tables ; car elles ordonnent que le faux témoin soit précipité du haut de la roche Tarpéïenne, & qu'on en use de même envers les esclaves convaincus de larcin. (D.J.)
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PRÉCIPUT | S. m. (Jurisprud.) signifie en général praecipua pars, c'est-à-dire, une portion qui se prend avant partage.
Les officiers qui font bourse commune, prennent un préciput sur ce qui provient de leur travail.
Il y a en outre trois autres sortes de préciput.
Préciput de l'aîné est un avantage que la plûpart des coutumes donnent à l'aîné dans les successions directes.
Les coutumes ne sont pas uniformes sur cette matiere.
Il y en a quelques-unes qui donnent le droit d'aînesse aux seuls mâles, d'autres qui le donnent à l'aînée des filles au défaut de mâles.
Plusieurs coutumes ne donnent ce droit que dans les fiefs & franc-aleux nobles : d'autres l'accordent aussi dans les autres especes de biens.
Quelques-unes mettent une différence entre les nobles & les roturiers.
Enfin quelques-unes admettent les filles de l'aîné à représenter leur pere au droit d'aînesse, & d'autres les en excluent.
Dans la coutume de Paris, à laquelle en ce point plusieurs autres coutumes sont conformes, le préciput & en général le droit d'aînesse n'a lieu qu'en faveur des mâles, il n'a lieu que sur les héritages tenus en fief ou en franc-aleu noble. Il a lieu tant pour les roturiers que pour les nobles, & les enfans de l'aîné, soit mâles ou femelles, représentent leur pere prédécédé dans le droit d'aînesse, & conséquemment pour le préciput qui en fait partie.
Suivant l'article 13, 14, 15, &c. au fils aîné dans les fiefs & franc-aleux nobles appartient par préciput le château ou manoir principal & basse-cour attenant & contiguë au manoir, destinée à icelui, encore que le fossé du château ou quelque chemin fût entredeux, & outre lui appartient un arpent de terre de l'enclos ou jardin joignant le manoir, si tant il y en a : c'est cet arpent de terre qu'on appelle communément le vol du chapon ; & si l'enclos en contient davantage, l'aîné peut retenir le tout, en donnant récompense aux puînés, de ce qui est outre ledit arpent, en terre de même fief, si tant il y en a, sinon en autres terres ou héritages de la succession, à la commodité des puînés, le plus que faire se peut, au dire de prud'hommes. Par l'enclos on entend ce qui est fermé de murs, fossés ou hayes vives.
Si dans l'enclos du préciput de l'aîné il y a un moulin, four ou pressoir, le corps de ce moulin, four ou pressoir appartient à l'aîné ; mais le profit du moulin banal ou non banal, & du four ou pressoir, s'ils sont bannaux, se partage comme le reste du fief, & les puînés contribuent aux frais des moulans, tournans & travaillans du moulin, corps du four & pressoir, & ustensiles d'iceux, à proportion du profit qu'ils y prennent ; cependant l'aîné peut garder pour lui seul le droit de banalité, en récompensant ses puînés.
L'aîné a droit de prendre un préciput dans chaque succession de pere & de mere, où il se trouve un fief, & outre ce préciput, il prend encore la part avantageuse.
Si dans les successions de pere, mere, aïeul ou aïeule, il n'y avoit qu'un seul fief consistant seulement en un manoir, basse-cour & enclos d'un arpent, il appartient à l'aîné, sauf la légitime ou le douaire pour les puînés, ou le supplément de ce qui leur manqueroit pour les remplir de l'un ou l'autre de ces droits ; mais l'aîné peut leur donner une récompense en argent de ce qu'ils pourroient prétendre.
S'il n'y a point de manoir dans le fief échu à plusieurs enfans par succession de leur pere ou mere, mais seulement des terres labourables, le fils aîné peut prendre pour son préciput un arpent de terre, en tel lieu qu'il voudra choisir, pour & au lieu dudit manoir.
Outre le préciput, l'aîné a encore dans la coutume de Paris & autres coutumes semblables, la part avantageuse.
Il y a des coutumes qui ne donnent d'autre avantage à l'aîné que le préciput.
Suivant l'article 334 de la coutume de Paris, l'aîné ne contribue pas aux dettes plus que les autres héritiers, par rapport à son droit d'aînesse, & conséquemment pour son préciput qui en fait partie. Voyez les commentateurs des coutumes sur les titres des fiefs. (A)
Préciput légal des nobles est un avantage que l'art. 238 de la coutume de Paris accorde au survivant des conjoints nobles ; il consiste dans le gain des meubles qui se trouvent au jour du décès du prédécédé hors la ville & fauxbourgs de Paris, à la charge de payer toutes les dettes mobiliaires & les frais funéraires du défunt.
Ce préciput est appellé légal, parce qu'il est établi par la coutume, à la différence du préciput conventionnel dont on parlera dans l'article suivant.
Pour que ce préciput légal ait lieu, il faut que les conjoints soient nobles, ou du moins le mari, qu'ils soient communs en biens, qu'il n'y ait point d'enfans, & qu'au jour du décès du prédécédé, les meubles que le survivant veut prendre pour ce préciput, se trouvent hors de la ville & fauxbourgs de Paris, sans fraude. Voyez les commentateurs sur l'art. 238, & les traités de la communauté de Renusson & de le Brun. (A)
Préciput du survivant est un avantage que l'on stipule ordinairement par contrat de mariage dans les pays coutumiers en faveur du survivant des conjoints.
Ce préciput consiste à prendre sur la communauté avant partage, & hors part, des meubles jusqu'à concurrence d'une certaine somme pour la prisée de l'inventaire, ou ladite somme, au choix du survivant.
On ne manque guere de stipuler que le survivant pourra prendre ces meubles pour la prisée, & sans crue ; mais cette clause ne se supplée point.
Le préciput ne se prend régulierement que sur la communauté ; desorte que quand la femme renonce, elle perd son préciput, à moins qu'il ne soit dit par le contrat qu'elle le prendra, même en renonçant.
La femme qui accepte la communauté, ne contribue point aux dettes pour son préciput.
Quand les héritiers de la femme renoncent à la communauté, il n'y a plus lieu au préciput pour le mari survivant, puisqu'il demeure maître de tout ce qui devoit composer la communauté, à moins qu'il n'y ait quelque clause dans le contrat qui l'autorise dans ce cas à retenir son préciput sur les propres de sa femme. Voyez les commentateurs sur l'art. 229 de la coutume de Paris, & les traités de la communauté de Renusson & le Brun. (A)
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PRÉCIS | adj. PRÉCISION, s. f. (Gram.) la précision est une briéveté convenable, en parlant ou en écrivant, & qui consiste à ne rien dire de superflu, & à ne rien omettre de nécessaire. La précision a deux opposés ; savoir, la prolixité qui dégénere en une abondance de paroles vagues, & l'extrême concision qui fait qu'on tombe souvent dans l'obscurité, suivant ce mot d'Horace :
Brevis esse laboro,
Obscurus fio.
Il y a de la différence entre justesse & précision. La justesse empêche de donner dans le faux ; & la précision écarte l'inutile. Le discours précis est une marque ordinaire de la justesse d'esprit. Synonym. françois de l'abbé Girard, pag. 235.
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PRÉCOCE | adj. (Jardinage) est un fruit qui vient avant la saison de ceux de son espece, qui devance les autres en nouveauté. Ainsi l'on dit : nous avons des abricots, des cérises précoces. Il se prend au simple & au figuré. Cet enfant a l'esprit précoce.
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PRÉCOMPTER | v. act. (Commerce) déduire les sommes qu'on a reçues d'un débiteur sur le total de la dette, lorsqu'il en acheve l'entier payement. Vous devez précompter sur les mille livres que je vous dois par mon billet, cent livres que j'ai payées à votre acquit, & deux cent livres pour les marchandises que je vous ai fournies ; ainsi reste sept cent livres que voilà comptant.
Les intérêts usuraires, quand on peut les prouver, se précomptent, c'est-à-dire, se déduisent sur le principal de l'obligation. Voyez PRINCIPAL, OBLIGATION, INTERETS. Dictionn. de commerce.
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PRÉCONISATION | S. f. (Jurisprud.) du latin praeconium, qui signifie proclamation ou louange d'une personne, est la lecture & publication que le cardinal proposant fait dans le sacré consistoire à Rome, des mémoriaux & informations qui lui ont été remis touchant la personne nommée par le roi à un bénéfice consistorial : ces mémoriaux sont proprement une instruction & un extrait des titres & qualités du nommé, & du procès-verbal de ses vie, moeurs, profession de foi & de l'état de l'église vacante, fait pardevant le nonce du pape, ou pardevant l'ordinaire de celui qui est nommé. La préconisation se fait en ces termes : Beatissime pater, ego N. cardinalis, in proximo consistorio, si Sanctitati vestrae placuerit, proponam ecclesiam N. quae vacat per obitum N. ultimi illius episcopi : ad eam nominat rex christianissimus D. D.... ut illi ecclesiae praeficiatur in episcopum & pastorem ; illius autem qualitates & alia requisita latiùs in eodem consistorio declarabuntur. Cet acte de préconisation est suivi de plusieurs autres formalités, en conséquence desquelles, si le sujet nommé est jugé digne, on lui expédie ses bulles. Voyez le traité de l'usage & pratique de cour de Rome, par Castel, tom. II. (A)
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PRECOPI | ou PERCOPIA, (Géog. mod.) ville de la Turquie, dans la Servie, sur la Morave, à 8 lieues ouest de Nissa, 18 sud-est de Zagodma. Long. 40. 6. lat. 43. 20. (D.J.)
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PRÉCURSEUR | S. m. (Gramm.) celui qui précede, qui marche, ou qui court devant un autre pour annoncer son arrivée. C'est le nom qu'on donne particulierement à saint Jean-Baptiste qui avoit été choisi pour précéder le Messie & lui préparer les voies, en annonçant aux Juifs son avénement prochain, comme il est dit dans saint Luc : & tu puer propheta Altissimi vocaberis ; praeibis enim ante faciem Domini parare vias ejus.
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PRÉDÉCESSEUR | S. m. (Gramm.) terme relatif à une personne qui en a précédé une autre dans les fonctions d'une charge, d'un emploi. Ainsi l'on dit les prédécesseurs d'un roi, pour signifier les princes qui ont occupé le trône avant lui. Il ne faut pas confondre prédécesseurs avec ancêtres. On descend des ancêtres, on occupe la place des prédécesseurs. Les ancêtres ont rapport à la suite du sang, les prédécesseurs à celle de la dignité. Les Carlovingiens ont été prédécesseurs des Capets, & n'en ont pas été les ancêtres. Voyez ANCETRES.
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PRÉDESTINATIENS | S. m. pl. (Théologie) On appelle ainsi ceux qui admettent la doctrine de la prédestination absolue. Voyez PREDESTINATION.
Saint Augustin passe pour avoir donné occasion à la secte des Prédestinatiens, qui ont cru voir leur sentiment dans ses écrits dont ils n'ont pas compris le sens ; quoique les Jansénistes & leurs adversaires soient extrêmement partagés sur la vraie doctrine de saint Augustin sur cet article, & que chacun l'interprete suivant son système. Voyez JANSENISME.
Le pere Sirmond traite au long de cette hérésie des Prédestinatiens, laquelle commença en Afrique dès le tems de saint Augustin dans le monastere d'Adrumet, au sujet de quelques expressions mal-entendues de ce pere. Elle se répandit ensuite dans les Gaules, où un prêtre nommé Lucide, qui avoit les mêmes sentimens sur la grace & sur la prédestination, fut condamné par Fauste, évêque de Riez, dont la sentence fut approuvée par deux Conciles.
Cette hérésie fut renouvellée dans le neuvieme siecle par Goteschalc, moine bénédictin, qui, à ce que dit Hincmar dans une de ses lettres au pape Nicolas, soutenoit avec les anciens Prédestinatiens qui avoient été anathématisés, que Dieu ne vouloit pas que tous les hommes fussent sauvés ; que Jesus-Christ n'étoit pas mort pour tous, mais seulement pour les élus, ou ceux qui devoient être sauvés. Voyez GRACE.
Cette doctrine fut de nouveau condamnée dans un synode tenu à Mayence : mais les Jansénistes, particulierement les amis de MM. de Port-royal, & entr'autres le président Mauguin, ont refuté le livre du pere Sirmond, prétendant que l'hérésie des Prédestinatiens est une hérésie imaginaire, ajoutant que saint Fulgence, saint Prosper, & les autres disciples de saint Augustin, ont soutenu que cette hérésie étoit imaginaire, qu'elle n'avoit été inventée que par les ennemis de la doctrine de saint Augustin.
En effet, le pere Sirmond n'appuie presque son sentiment que sur le témoignage des prêtres de Marseille, qui ont été suspects de semi-pélagianisme. Voyez SEMI-PELAGIEN.
Mais le cardinal Noris remarque 1°. qu'il est moralement impossible que Fauste en ait imposé à cet égard à Léonce son métropolitain, & aux évêques d'Autun, de Lyon & de Besançon, qui assisterent au concile d'Arles. 2°. Que Fauste ne manquoit pas d'ennemis qui lui eussent à coup sûr reproché cette fausseté, s'il l'eût commise. Que d'ailleurs tout semi-pélagien qu'on le suppose, il n'est pas moins croyable sur un fait, qu'Eusebe & Socrate qu'on cite tous les jours, quoique le premier ait été arien & le second novatien. 3°. Qu'il se peut bien que sous prétexte de réfuter l'hérésie des Prédestinatiens, Fauste ait attaqué la doctrine de saint Augustin : mais que cette hérésie n'en est pas moins réelle ni moins distinguée des sentimens de ce saint docteur ; & qu'après tout, les peres du concile d'Arles, en approuvant le zele de Fauste contre les Prédestinatiens, n'ont point approuvé ses écrits postérieurs à ce concile & qui sentent le semi-pélagianisme. 4°. Que dans la lettre de Fauste à Lucide, & dans celle de celui-ci aux peres d'Arles, il n'y a rien que de très-catholique, comme l'ont prouvé Bellarmin, la Bigne, & le pere Deschamps. 5°. Enfin, que si le concile d'Orange, tenu en 529, semble douter qu'il y eût des Prédestinatiens, c'est que Lucide avoit abjuré ses erreurs dès l'an 475, & que cette secte, réprimée de bonne heure, étoit éteinte & comme ignorée même dès le siecle suivant.
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PREDESTINATION | S. f. (Théolog.) de la préposition prae, devant, & du verbe destinare, destiner. Ce terme signifie à la lettre une destination antérieure.
Mais, dans le langage de l'Eglise & des Théologiens, la prédestination se prend pour le dessein que Dieu a formé de toute éternité de conduire par sa grace quelqu'un à la foi ou au salut éternel, pendant qu'il en laisse d'autres dans l'infidélité ou dans la masse de perdition.
Ceux qui sont ainsi laissés dans la masse de perdition sont les réprouvés, & les autres sont les prédestinés. Sur quoi il est bon de remarquer que les anciens ont quelquefois pris le terme de prédestination en général, tant pour la destination des élus à la grace & à la gloire, que pour celle des réprouvés au péché & à l'enfer. Saint Augustin, saint Prosper, saint Isidore l'employent en ce sens en quelques occasions. Mais cette expression a paru trop dure, & le mot de prédestination ne se prend plus qu'en bonne part pour l'élection à la grace & à la gloire.
Saint Augustin, dans son livre du don de la persévérance, chap. xiv. définit la prédestination en ces termes : praescientia est praeparatio beneficiorum Dei, quibus certissimè liberantur quicumque liberantur ; & saint Thomas en donne cette définition, ratio transmissionis creaturae rationalis in finem vitae aeternae ; I. part. quaest. xxiij. art. 1. définitions au-reste qui ne regardent que l'état de nature corrompue par le péché. Car on convient généralement que dans l'état de nature innocente, la prédestination des anges à la gloire supposoit la prévision de leurs mérites.
Le decret de la prédestination, considéré dans sa totalité, n'est autre chose qu'une volonté efficace & absolue de la part de Dieu, par laquelle il a arrêté de rendre éternellement heureuses quelques-unes de ses créatures, & de leur accorder dans le tems les graces qui font pratiquer le bien méritoire du ciel. Ce decret quoique simple en lui-même peut être envisagé sous deux faces différentes, ou par rapport à la gloire, ou par rapport à la grace. De-là les Théologiens distinguent deux sortes de prédestination ; l'une à la gloire, & l'autre à la grace.
La prédestination à la gloire est de la part de Dieu une volonté absolue, en vertu de laquelle il fait choix de quelques-unes de ses créatures pour régner éternellement avec lui dans le ciel, & il leur confere en conséquence les secours nécessaires pour arriver à cette fin.
La prédestination à la grace est de la part de Dieu une volonté absolue & efficace, en vertu de laquelle il a résolu d'accorder dans le tems à quelques-unes de ses créatures les graces qui font accomplir les préceptes de la loi, & persévérer jusqu'à la fin dans la pratique du bien.
Tous ceux qui sont prédestinés à la grace ne sont pas pour cela prédestinés à la gloire, parce que plusieurs de ceux-là perdent la grace & ne perséverent pas dans le bien. Au contraire ceux qui sont prédestinés à la gloire le sont aussi à la grace, Dieu leur accorde le don de la vocation à la foi, de la justification, & de la persévérance, comme l'explique saint Paul, Rom. viij. 30.
Il est important sur cette matiere de distinguer les vérités qui sont de foi d'avec les opinions d'école.
Les vérités catholiques sur la prédestination se réduisent à celles-ci : 1°. qu'il y a en Dieu un decret de prédestination, c'est-à-dire, une volonté absolue & efficace, par laquelle il arrête en lui-même de donner le royaume des cieux à quelques-unes de ses créatures. Epist. synodic. episcop. afric. cap. xiv.
2°. Que Dieu qui prédestine à l'immortalité glorieuse, prédestine aussi à la grace qui fait persévérer dans le bien. Fulgent. lib. III. de verit. praedest.
3°. Que le decret de la prédestination est en Dieu de toute éternité, qu'il l'a formé avant la création du monde, & qu'on ne peut pas dire qu'il y ait eu un tems où ce decret n'ait pas été en Dieu. Saint Paul, Eph. c. j. v. 3, 4, 5.
4°. Que c'est par un pur effet de sa volonté bienfaisante, que Dieu a prédestiné un certain nombre de ses créatures à la gloire, & par conséquent que ce decret est libre en Dieu & exempt de toute nécessité. Ibid. v. 6. & 11.
5°. Que le decret de la prédestination est certain & infaillible en lui-même, & qu'il aura certainement & infailliblement son exécution, ainsi que Jesus-Christ le déclare en saint Jean, c. x. v. 27, 28 & 29.
6°. Que personne ne peut être assuré sans une révélation expresse s'il est du nombre des élus, comme on le prouve par saint Paul, Philipp. ij. v. 12. I. Cor. iv. v. 4. & comme l'a défini le concile de Trente contre les Calvinistes, sess. VI. ch. ix. xij. & xvj. & can. xv.
7°. Que le nombre des prédestinés est fixe & immuable, qu'il ne peut être augmenté ni diminué, puisque Dieu lui-même l'a fixé de toute éternité. Saint Jean, c. x. v. 27. 28. saint Aug. lib. de corrept. & grat. c. xiij.
8°. Que le decret de la prédestination n'impose ni par lui-même, ni par les moyens dont Dieu se sert pour le conduire à son exécution, aucune nécessité aux élus de pratiquer le bien. Ils agissent toujours très-librement, & conservent toujours dans le moment même qu'ils accomplissent la loi, le pouvoir de ne pas l'observer. Saint Prosper, resp. ad sextam object. Gallor.
9°. Que la prédestination à la grace est absolument gratuite, qu'elle ne prend sa source que dans la miséricorde de Dieu, & qu'elle est antérieure à la prévision de tout mérite naturel. Saint Paul, Rom. c. xj. v. 6.
10°. Que la prédestination à la gloire n'est pas fondée sur la prévision des mérites humains, formés par les seules forces du libre arbitre, parce que si Dieu trouvoit le motif de notre élection à la vie éternelle dans le mérite de nos propres oeuvres, il ne seroit plus vrai de dire avec saint Pierre qu'on ne peut être sauvé que par Jesus-Christ.
11°. Que l'entrée du royaume des cieux qui est le terme de la prédestination, est tellement une grace, gratia Dei vita aeterna, Rom. vj. 23. qu'elle est en même tems un salaire, une récompense, une couronne des bonnes oeuvres faites avec le secours de la grace : merces, corona justitiae, bravium. II. Tim. iv. 8. Philipp. iij. 14.
Tels sont sur la prédestination les divers points du dogme, ou contenus clairement dans l'Ecriture, ou décidés en différens tems par l'Eglise contre les Pélagiens, les Sémi-Pélagiens, les Calvinistes, & autres novateurs.
Mais on dispute vivement dans les églises catholiques, savoir, si le decret de la prédestination à la gloire est antérieur ou postérieur à la prévision des mérites surnaturels, formés par la grace. L'état de la question est de savoir précisément si Dieu veut en premier lieu d'une volonté absolue & efficace le salut de ses créatures, & s'il résout en conséquence de leur accorder dans le tems des graces qui leur fassent infailliblement opérer des bonnes oeuvres ; ou si au contraire Dieu se propose d'abord de distribuer à ses créatures tous les secours de grace nécessaires pour l'observation des préceptes de la loi, & si ce n'est pas en conséquence de la prévision des mérites qui doivent résulter du bon usage de ces graces qu'il décide du bonheur éternel.
Les Thomistes & les Augustiniens soutiennent que le decret de la prédestination à la gloire est antérieur à la prévision de tout mérite ; que Dieu n'a trouvé qu'en lui-même le motif de cette élection, & qu'il l'a décernée indépendamment de la connoissance de la chûte future d'Adam, chef de tout le genre humain. Quelques-uns d'eux prétendent qu'il est inutile de distinguer dans Dieu deux decrets, l'un de prédestination à la gloire, l'autre de prédestination à la grace ; qu'il n'y en a qu'un seul qui envisage la gloire comme la fin & la grace, ou la collection des graces comme les moyens pour parvenir à cette fin : mais que, supposé même cette distinction des decrets, la prédestination à la gloire n'en est pas moins antérieure à la prévision des mérites, parce que, disent-ils, tout agent sage se propose d'abord une fin, ensuite il examine les moyens propres à conduire à cette fin. Or la gloire est la fin que Dieu se propose d'abord, les mérites ne sont que les moyens pour arriver à cette fin, d'où il s'ensuit que Dieu a décerné la gloire avant que de faire attention aux mérites. Enfin, quelques défenseurs de cette opinion pensent qu'elle appartient à la foi, & que saint Augustin étoit tellement persuadé de la gratuité de la prédestination considérée dans sa totalité, c'est-à-dire, prise pour un seul decret en Dieu, qui destine la gloire à ses élus par certains moyens efficaces qu'il leur a préparés pour les y conduire, qu'il ne craint point de donner ce sentiment comme la créance de l'Eglise, & de soutenir que personne ne peut l'attaquer sans tomber dans l'erreur. Lib. de don. perseverant. c. xxiij. & xix.
Il faut convenir en effet, que l'Ecriture & saint Augustin, avec quelques autres peres latins, sont extrêmement favorables à ce sentiment ; mais ce n'est point assez pour le mettre au nombre des dogmes de la foi, puisqu'on tire également de l'Ecriture, des Peres, & de saint Augustin même, des autorités qui appuient fortement l'opinion contraire, & que l'Eglise permet encore aujourd'hui que les Théologiens connus sous le nom de Molinistes & de Congruistes, la soutiennent.
En effet, ceux-ci alleguent en leur faveur le v. 25. du xxiv. chap. de S. Matthieu, comparé avec le v. 41. du même chapitre, où la prédestination & la réprobation supposent également la prévision des mérites & des démérites. Ces paroles de S. Ambroise, non ante praedestinavit quam praesciret, sed quorum merita praescivit eorum praemia praedestinavit ; lib. V. de fide, cap. vj. & celles-ci de S. Chrysostome, homil. in cap. xxv. Matth. Antequam nati sitis, quia sciebam vos hujusmodi futuros haec vobis à me praeparata fuerunt. Et enfin, que S. Augustin dans les textes que nous avons indiqués, ne parloit que de la prédestination à la grace, qui réellement ne suppose aucuns mérites, comme le prétendoient les Pélagiens, & non de la prédestination à la gloire, dont il a dit lui-même : quos voluit Deus hos elegit ; elegit autem sicut dicit apostolus & secundum suam gratiam, & secundum eorum justitiam. Serm. de verb. evang. S. Luc. cap. x. Or, ajoutent ces théologiens, il est clair que dans ce passage il ne s'agit point de la prédestination à la grace, qui ne suppose en nous aucune justice ; mais de la prédestination à la gloire, qui suppose des mérites fondés sur la grace. Et lorsque les Pélagiens soutenoient que la prédestination à la gloire étoit postérieure à la prévision des mérites, S. Augustin ne refusoit pas d'acquiescer à leurs sentimens, pourvu que de leur côté ils reconnussent que ces mérites étoient des effets de la grace, & non des seules forces de la nature. Si merita nostra sic intelligerent, dit-il, lib. de grat. & lib. arbitr. ut etiam ipsa dona Dei esse cognoscerent, non esset reprobanda ista sententia. Enfin, ils remarquent que dans le decret de la prédestination, Dieu n'envisage pas seulement la gloire comme fin, mais comme récompense qu'il décerne aux bonnes oeuvres opérées avec le secours de sa grace, & qu'il accorde non-seulement comme un bienfait, mais encore à titre de justice.
On sent que tout le noeud de cette difficulté, dépend des systèmes qu'embrassent ces diverses écoles sur la nature de la grace. Voyez GRACE, EFFICACE, AUGUSTINIENS, MOLINISME, THOMISTES, &c. Les Calvinistes sont aussi partagés sur l'article de la prédestination ; car les Arminiens soutiennent qu'il n'y a point d'élection absolue, ni de préférence gratuite, par laquelle Dieu prépare à certaines personnes choisies, & à elles seules des moyens certains pour les conduire à la gloire ; mais que Dieu offre à tous les hommes, & sur-tout à ceux à qui l'Evangile est annoncé, des moyens suffisans de se convertir, dont les uns usent, & les autres non, sans en employer aucun autre pour ses élus, non plus que pour les reprouvés ; ensorte que l'élection n'est jamais que conditionnelle, & qu'on en peut déchoir en manquant à la condition : d'où il s'ensuit qu'on ne peut être en aucune sorte assuré de son salut.
Les Catholiques admettent cette conséquence, quoiqu'ils ne conviennent pas du principe, comme on l'a vu. Les Luthériens l'admettoient en partie, prétendant qu'on peut être sûr de sa justice présente, mais non pas de la persévérance future. Mais les Calvinistes au contraire déciderent dans leur synode de Dordrecht, que le decret de la prédestination est absolu & immuable ; que Dieu donne la vraie & vive foi à tous ceux qu'il veut retirer de la damnation commune, & à eux seuls ; que tous les élus sont dans leur tems assurés de leur élection... non en sondant les decrets de Dieu, mais en remarquant en eux-mêmes les fruits infaillibles de cette élection tels que la vraie foi, la douleur de ses péchés, & les autres, & que le sentiment & la certitude de leur élection, les rend toujours meilleurs de plus en plus. Sess. 36. pag. 249. actor. synod. Dordac. Bossuet, hist. des variat. liv. XIV. pag. 328. & 330.
Luther avoit aussi toujours soutenu ces decrets absolus & particuliers, par lesquels Dieu prédestine un certain nombre d'élus ; mais Melanchton adoucit cette doctrine, prétendant que la doctrine des Théologiens de la confession d'Augsbourg est que la prédestination est conditionnelle & présuppose la préscience de la foi. A leur exemple, Jean Cameron écossois, célebre ministre, & professeur en théologie dans l'académie de Saumur, introduisit parmi les Calvinistes de France, le système d'une vocation & d'une grace universelle, qui fut soutenu par Testard & par Amyrault ses disciples, aussi-bien que par les ministres Daillé & Blondel. Mais il est constant que les Luthériens & les Calvinistes rigides, ont toujours tenu pour le dogme d'une prédestination absolue & particuliere.
Quoique les anciens hébreux fussent persuadés comme nous que Dieu a prévu ce que chaque homme doit être, faire, ou devenir, tant pour le bien que pour le mal, cependant il n'est pas aisé de se former une juste idée de leur système sur la prédestination. Josephe reconnoît que les Pharisiens admettoient le destin, sans toutefois exclure la liberté de l'homme ; & comme les Hébreux admettoient la préexistence des ames, il est probable qu'ils pensoient que Dieu formoit son decret pour sauver ou pour damner les hommes, sur la connoissance qu'il a des bonnes ou des mauvaises qualités qui sont dans leurs ames avant leur infusion dans les corps ; du bon ou mauvais usage qu'elles ont fait de leur liberté avant que de les animer, & de celui qu'elles en doivent faire dans le tems qu'elles vivront sur la terre. C'est sur ces idées qu'Origene avançoit que nous ne sommes pas prédestinés suivant la préscience de Dieu, mais en considération de nos mérites ; & que Pélage avoit aussi formé son système, puisque saint Jérome lui reproche que sa doctrine n'est qu'une branche de celle d'Origene, doctrina sua Origenis ramusculus est ; epist. ad Ctesiph. Saint Chrysostome, & la plûpart des peres grecs, ont aussi supposé dans la prédestination une prévision des mérites non passés, comme Origène, mais futurs, ni provenans de la nature, comme Pélage, mais fondés sur la grace.
Les Turcs admettent ordinairement une prédestination absolue & nécessitante pour tous les événemens de la vie, & en conséquence ils se précipitent aveuglément à la guerre dans les plus grands dangers ; mais il y a aussi parmi eux la même différence sur la prédestination antérieure ou postérieure aux mérites, que chez les Chrétiens ; dans le même sens les payens reconnoissoient le destin. Voyez DESTIN.
Voici quelques passages propres à fixer les sentimens des peres dans cette grande question qui a exercé toutes les sectes religieuses en quelque lieu du monde que ce soit, & qui les a exercées avec d'autant plus de chaleur que l'objet en a dû paroître plus important, puisqu'il est question du salut éternel, du moyen d'y parvenir, du mérite ou du démérite de nos actions, de l'usage de notre liberté, de l'empire de Dieu sur sa créature. Ce qui a dû encore ajouter à l'opiniatreté avec laquelle on devoit s'occuper de ces dogmes, c'est leur profondeur, leur incompréhensibilité. C'est une maladie de l'esprit humain que de s'attacher d'autant plus fortement à un objet qu'il lui donne moins de prise.
Il paroît très-vraisemblable que le sentiment général des Peres sur la prédestination, a été que ceux qui ne parviennent point au salut périssent, parce qu'ils n'ont pas voulu faire le bien qu'ils pouvoient ; & que c'est dans l'homme seul qu'il faut chercher la cause de ce qu'il n'est pas sauvé, attendu qu'étant appellé, il néglige de suivre sa vocation, & qu'ainsi il rend inutiles les dons de Dieu.
Irénée, l. IV. c. lxxvj. dit en termes exprès, que c'est à soi-même que l'homme doit s'en prendre, s'il n'a point de part aux graces du Très-haut. " Qui igitur abstiterunt à paterno lumine, & transgressi sunt legem libertatis, per suam abstiterunt culpam liberi arbitrii, & suae potestatis facti ".
Clément d'Alexandrie parlant des payens dit, " que ceux qui ne se sont pas repentis, seront condamnés ; les uns, parce qu'ayant pu croire, ils ne l'ont pas voulu ; les autres, parce que l'ayant bien voulu, ils n'ont pas travaillé à devenir des croyans ". Un autre passage fait comprendre la pensée de ce pere de l'Eglise : voici comme il s'exprime dans les Stromates, lib. VI. p. 669. Paris. 1631. . &c. " Celui qui croit, & l'infidele qui ne croit pas, sont jugés très-justement ; car comme Dieu par sa préscience savoit que cet homme ne croiroit point, néanmoins il lui a donné la philosophie avant la loi. Il a fait le soleil, la lune, & les étoiles pour tous les peuples, afin que s'ils n'étoient pas idolâtres, ils ne périssent point ".
On trouve un passage assez semblable à celui de saint Clément, dans Origène contre Celse, liv. III. p. 115. le voici : " Quand saint Paul dit à l'égard des vérités que quelques sages d'entre les Grecs avoient découvertes, qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu ; l'apôtre témoigne par-là qu'ils connoissoient Dieu, & que c'est Dieu qui leur avoit donné cette connoissance ".
Saint Chrysostome, in cap. ix. ep. ad Rom. p. 196. s'exprime d'une maniere claire par rapport à Pharaon : , c'est-à-dire, " Dieu n'a rien obmis de ce qui pouvoit contribuer à son amendement ; il n'a aussi rien obmis de ce qui devoit le condamner, & le rendre inexcusable : cependant il le supporta avec beaucoup de douceur, voulant l'amener à la repentance ; car s'il n'avoit pas eu ce dessein, il n'auroit point usé de tant de support. Mais Pharaon n'ayant pas voulu profiter de cette bonté pour s'amender, & s'étant préparé à la colere, Dieu l'a fait servir d'exemple pour la correction des autres ".
Il paroît par quelques écrits de saint Augustin, que ce pere étoit alors d'accord sur ce point avec les docteurs qui l'avoient précédé ; je ne citerai pour le prouver qu'un passage frappant, qui se trouve dans son tract. 53. saint Augustin y explique les versets 39. & 40. du chap. xij. de l'Evang. selon saint Jean, & voici comme il s'exprime : " Ces paroles de l'Evangile donnent lieu à une question profonde ; car l'évangéliste ajoute, ils ne pouvoient croire, à cause qu'Isaïe dit, il a aveuglé leurs yeux, & a endurci leurs coeurs, afin qu'ils ne voyent point de leurs yeux, & n'entendent point de leurs coeurs. On nous objecte : s'ils ne pouvoient croire, quel péché y a-t-il dans l'homme de ne point faire ce qu'il ne peut faire ? Si donc ils ont péché en ne croyant point, il étoit en leur pouvoir de croire, & ils n'ont point cru ; mais s'ils l'ont pu, comment l'Evangile dit-il, ils ne pouvoient croire ? Vous avez entendu, mes freres, l'objection à laquelle nous répondons ainsi. Ils ne pouvoient croire, parce que le prophete Isaïe avoit prédit leur incrédulité, & le prophete l'avoit prédite, parce que Dieu avoit prévu la chose : il avoit prévu leur mauvaise disposition, & l'avoit déclaré par son prophete. Mais, dira-t-on, le prophete en apporte une autre raison indépendante de leur volonté. Quelle ? C'est que Dieu leur a donné des yeux pour ne point voir, & des oreilles pour ne point entendre ; il a aveuglé leurs yeux, & endurci leurs coeurs. Je réponds que cela même, ils l'ont mérité ; car Dieu aveugle & endurcit lorsqu'il abandonne l'homme, qu'il ne lui accorde point des secours ; & c'est ce qu'il est en droit de faire par un jugement secret, qui ne peut être injuste ".
Il résulte assez clairement de tous ces passages & autres, dont les citations nous meneroient trop loin, que les Peres attribuent la perte des pécheurs à leurs crimes, & à la prévision de ces crimes. Il en résulte encore, qu'ils croyoient que l'homme étoit pleinement libre pour choisir entre le bien & le mal ; mais voici de nouvelles preuves de l'opinion des anciens docteurs sur le libre arbitre.
Irénée déclare, l. IV. ch. lxxj. " que ceux qui font le bien recevront gloire & honneur, parce qu'ils ont fait le bien qu'ils pouvoient ne pas faire ; & que ceux qui ne le font point recevront un juste jugement de Dieu, parce qu'ils n'ont pas fait le bien tandis qu'ils avoient le pouvoir de le faire ". Il dit dans un autre endroit, l. IV. c. lxxij. " que si les uns avoient été créés naturellement mauvais, & les autres naturellement bons, ceux-ci ne seroient point dignes de louange, parce qu'ils sont bons ayant été fait tels ; ni ceux-là ne seroient pas dignes de blâme, pour être tels qu'ils ont été faits ".
Justin martyr, Apol. I. pro Christ. pag. 83. tient le même langage : après avoir donné la preuve que les prophéties fournissent en faveur de la Religion chrétienne, il fait voir que sans liberté, il n'y auroit ni vice ni vertu, ni blâme, ni louange.
Clément d'Alexandrie établit cette même doctrine en divers endroits de ses écrits : voici un passage qui est remarquable. Il dit, l. VII. p. 727. " que comme un médecin procure la santé à ceux qui aident à leur rétablissement ; de même Dieu donne le salut éternel à ceux qui cooperent avec lui pour acquérir la connoissance de la vérité, pour pratiquer la vertu ".
A l'égard des sentimens de saint Augustin, l'on doit avouer qu'ils n'ont pas toujours été uniformes. En disputant contre les Manichéens & les Marcionites, il a soutenu que l'homme a l'empire de ses propres actions, & peut faire également le bien & le mal s'il le veut ; mais lorsqu'il eut à combattre les Pélagiens, il changea de systême, & soutint que l'homme étoit redevable de ses vertus à la seule grace de Dieu ; ses disciples S. Prosper, S. Hilaire, Fulgence, & autres, défendirent la même doctrine.
Enfin, quand l'autorité de saint Augustin eut prévalu dans les écoles qui le regardoient comme le chef de l'orthodoxie, préférablement à tous les anciens docteurs, il arriva dans le concile de Trente, que les Franciscains & les Dominicains eurent de grandes disputes touchant le vrai sens des écrits de ce pere sur cette matiere.
Les principaux théologiens qui se trouverent à ce concile, adoptoient les sentimens de Thomas d'Aquin, & d'autres scholastiques, qui enseignoient que Dieu avant la création, avoit élu de la masse du genre humain un certain nombre déterminé d'hommes qui ne peut être augmenté, & qu'il avoit en même tems destiné les moyens propres à parvenir efficacement à ses fins : que ceux auxquels Dieu n'a pas destiné le salut, ne peuvent se plaindre, puisque Dieu leur a donné des moyens suffisans pour y parvenir, quoiqu'il n'y ait que les élus qui doivent être sauvés. Ils tâchoient de prouver cette doctrine par saint Augustin. Les Franciscains prétendoient au contraire qu'elle étoit injurieuse aux perfections de Dieu, puisqu'il agiroit avec partialité, si sans aucun motif il faisoit choix des uns & rejettoit les autres ; & qu'il seroit injuste à lui de condamner les hommes à cause de son bon plaisir, & non pour leurs péchés, & de créer un si grand nombre d'hommes pour les damner.
Catarin qui tenoit un milieu entre ces deux opinions, remarquoit qu'on n'avoit point entendu parler de la doctrine de saint Augustin avant lui ; & qu'elle ne se trouvoit dans les écrits d'aucun de ceux qui l'ont précédé : il ajoutoit que son zele contre Pélage l'avoit entraîné trop loin ; & c'est une observation que beaucoup d'autres savans ont faite depuis.
Il paroît du premier coup d'oeil, que les Franciscains dans l'église romaine, les disciples de Mélanchton, & les Arminiens parmi les protestans, tiennent les mêmes opinions sur la matiere des decrets ; tandis que les Dominicains, les Luthériens rigides, qui suivent Flaccus Illyricus, & les infralapsaires parmi les Réformés, sont tous ensemble dans les mêmes sentimens.
Calvin se fit un système particulier, qui n'avoit été connu ni des Dominicains, ni d'aucuns des partisans des rigueurs de S. Augustin. Il supposa que Dieu avoit mis Adam dans la nécessité de pécher, afin de manifester sa miséricorde par l'élection d'un petit nombre de personnes, & sa justice dans la réprobation de tous les autres. Ce système parut très-choquant à tous les partis, & si révoltant aux Luthériens en géneral, qu'ils témoignerent aimer mieux rentrer dans l'Eglise romaine, que d'y souscrire. Cependant Calvin, par son crédit, le fit recevoir dans toutes les églises de sa communion ; & son système passa dans les églises étrangeres où la discipline de Genève s'établit. Calvin devint ainsi parmi les ministres réformés ce qu'avoit été le maître des sentences dans les pays catholiques. Bientôt les églises du Palatinat & celles des Pays-Bas adopterent la doctrine & la discipline de ce réformateur, dont Beze soutint fortement les opinions.
Ceux d'entre les théologiens des Pays-Bas, qui étoient de l'ancienne roche luthérienne, penchoient bien plus pour les sentimens de Mélanchton que pour ceux de Calvin ; mais connoissant l'estime extraordinaire qu'on faisoit de ce théologien chez eux, ils demeurerent long-tems sans oser les combattre. Cependant l'an 1554, Anastase Veluanus osa rompre la glace dans un livre intitulé, Hodegus laicorum, le guide des laïques, livre qui attira dans son parti un grand nombre de personnes. Mais d'un autre côté, les ministres françois eurent assez de crédit auprès de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, pour obtenir qu'une confession de foi qu'ils avoient dressée, fût présentée à la gouvernante en 1567, & ensuite introduite par degrés dans toutes les églises du Pays-Bas.
Il ne manquoit pas néanmoins de gens éclairés qui dans la conjoncture présente combattirent la doctrine de la prédestination absolue exposée dans cette confession. Jean Isbrandi ministre de Rotterdam, Gellius, Snecanus en Frise, Holman professeur à Leyde, George Sohnius professeur à Heidelberg, Corneille Meynardi, Corneille Wiggeri, Théodore Coernhert, & quantité d'autres savans se déclarerent anti-calvinistes, regardant leurs adversaires comme des novateurs qui avoient abandonné la saine doctrine des Peres de l'Eglise.
Enfin Jacob Van Harmine, si connu sous son nom latin d'Arminius, mit cette vérité dans tout son jour, il réfuta par divers ouvrages pleins de modération, & l'infralapsaire Beze, & le système rigide des decrets absolus. Obligé néanmoins de rendre compte de sa doctrine, dans laquelle il ne reconnoissoit d'autre élection que celle qui avoit pour fondement l'obéissance des pécheurs à la vocation de Dieu par Jesus-Christ, il présenta aux états de Hollande & de Westfrise une ample exposition de ses sentimens, qu'il termina par une conclusion admirable.
" Je n'ajouterai, dit-il, qu'une seule chose à leurs nobles & grandes puissances, pour dissiper tous les soupçons qu'on pourroit avoir sur mon sujet dans cette auguste assemblée occupée à des affaires de la derniere importance, dont la sûreté de nos provinces & des églises réformées dépend ; la chose dont je veux parler, c'est qu'il faudra que mes freres ayent bien des erreurs capitales pour que je refuse de les supporter ; puisque je n'ai aucun droit de dominer sur la foi des autres, & que je ne suis que le serviteur de ceux qui croyent, afin de faire croître en eux la paix & la joie en notre Seigneur Jesus-Christ. Que si mes freres jugent eux-mêmes qu'ils ne doivent pas me tolérer ni permettre que j'occupe aucune place parmi eux, j'espere que, malgré cela, je ne causerai jamais de schisme, puisqu'il n'y en a déja que trop parmi les Chrétiens ; ce qui est un objet lamentable qui doit obliger chacun à travailler de tout son pouvoir à les éteindre. En ce cas, je posséderai mon ame en patience, & quitterai sans peine ma charge, dans l'espérance, tant que Dieu me conservera la vie, de l'employer toujours au bien commun du Christianisme, en me souvenant de ce mot, sat ecclesiae, sat patriae datum ; c'est assez donné à l'église & à la patrie ".
Après la mort de ce savant & respectable théologien, la doctrine qu'il avoit embrassée porta son nom. Bertius, Utenbogaert, Episcopius, Corvinus, Courcelles, Poclemberg, la défendirent & la confirmerent par leurs écrits. Elle est devenue la doctrine générale des pays protestans, celle de Genève, celle des Provinces-Unies, & sur-tout celle de la grande-Bretagne où elle regne aujourd'hui.
Un savant théologien anglois du dernier siecle écrivit la lettre suivante à un de ses collegues, qui l'avoit prié de lire le chapitre ix. de l'épître aux Romains, pour le convaincre de la vérité du système de la réprobation absolue.
" Il y a long-tems, mon cher frere, que j'ai étudié le chapitre ix. de l'épître aux Romains avec toute l'impartialité & toute l'attention propres à me dévoiler le grand mystere qui y est caché. Et, pour vous parler franchement, je vous dirai que le meilleur commentateur que j'aie trouvé pour me guider dans cette route ténébreuse, c'est un ou deux autres passages de l'Ecriture mis en parallele avec celui-ci & joints ensemble ; il me paroît qu'ils forment parfaitement la colonne de nuée qui guidoit les Israélites dans le désert, laquelle étoit une nuée obscure pour les Egyptiens, & une colonne de feu pour les Israélites. Je suis sûr, mon très-cher frere, que S. Paul n'a point écrit de contradictions, & qu'aucun des autres apôtres n'a établi des doctrines contradictoires à celle de S. Paul.
Je présume aussi que vous n'avez pas tellement oublié le livre d'Aristote , que vous ne sachiez qu'une affirmation universelle & une négation particuliere, sont une contradiction, & ne peuvent être toutes deux vraies. Voici donc la question.
Fondant votre opinion sur la profondeur du chapitre ix. des Romains, vous en inférez que Dieu ne donne la répentance qu'à un petit nombre de personnes, & que sa volonté péremptoire est qu'ils soient seuls sauvés. Saint Paul, dans sa premiere épître à Timothée, chap. ij. vers. 4. nous donne une sonde pour scruter cette profondeur, & dit en termes exprès que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ; il n'y a point de milieu pour concilier ces deux propositions ; il veut que tous soient sauvés, & il veut qu'un petit nombre soit sauvé ; l'une doit être nécessairement vraie, & l'autre fausse. Cela étant ainsi, j'ai toujours cru qu'il étoit plus assûré de fonder ma foi sur les passages de l'Ecriture qui sont clairs & conformes à la bonté divine, que sur ceux qui sont mystérieux, & qui menent sur les bords d'un abysme qui m'effraye, mais dont je ne puis rien conclure. Je vous déclare enfin que je ne suis pas tellement attaché à cette opinion, ni à aucune autre opinion spéculative, que je ne sois prêt à renoncer à mes sentimens & à épouser les vôtres, si vous pouvez me produire des preuves plus fortes que les miennes tirées de l'Ecriture, & des perfections de l'Etre suprème ".
Quelqu'un a remarqué que la réprobation absolue a un grand rapport au decret fatal des Stoïciens, contre lequel Lucien propose dans son des argumens dignes d'un pere de l'Eglise. " Premierement, dit-il, tous ceux qui sont soumis au decret fatal des Stoïciens, étant entraînés par une nécessité immuable à faire ce qu'ils font, ne peuvent avec raison être récompensés quand ils font bien, ni avec justice être punis s'il font mal. En second lieu, les fautes qu'ils commettent, s'ils ne peuvent s'empêcher de les commettre, ne doivent point se nommer leurs fautes, mais les fautes de ce decret qui les a mis dans la nécessité de les commettre. Et par conséquent en troisieme lieu, un meurtrier destiné au meurtre, amené en jugement, pourroit dire à tout juge qui seroit dans les principes stoïques : Pourquoi m'accusez-vous ? Citez, je vous prie, mon destin devant vous, & ne me condamnez pas, moi, mais mon destin, à la potence ; je n'ai été qu'un instrument passif dans ce meurtre, & j'ai été, par rapport à ma destinée, ce que mon épée est par rapport à moi ".
On voit au-moins par ce passage de Lucien, que les philosophes païens ne s'accordoient pas plus sur le Fatalisme, que l'ont fait depuis les Chrétiens sur les decrets de Dieu. Les Stoïciens croyoient que toutes choses arrivoient nécessairement, tandis que les Epicuriens les attribuoient toutes au hasard.
Les Mahométans ont aussi, dans leur religion, des opinions différentes sur la prédestination. Je sai bien que l'état de la question n'est pas le même chez les Païens, les Mahométans & les Chrétiens ; mais puisque chez ces derniers on a toujours vû dans l'Eglise des disputes déplorables, & que le mystere de la prédestination est un abysme, une mer qui n'a ni fond ni rivage, un dogme enfin sur lequel la raison ne peut rien nous apprendre de nouveau, il en résulte qu'il est très-sage de n'en point disputer, mais au contraire de se tolérer les uns les autres dans la diversité d'opinions, & s'en tenir à l'Ecriture qui dit formellement, que Dieu aime tous les hommes, & principalement les fideles. (Le Ch(D.J.) )
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PRÉDESTINÉ | (Critique sacrée) je ne dirai point ce que sont les prédestinés, , ni ce que c'est que la prédestination, ; car je vois que les peres de l'Eglise ont varié dans l'explication de ces mots ; les uns l'expliquent d'un decret de l'élection, & les autres de la volonté de l'homme. , dit Eusebe, bon plaisir, , sont termes synonymes. Jean Damascene définit la prédestination, un jugement sur les choses futures. Théodoret entend par ces mots la seule disposition de l'homme. Selon Clément d'Alexandrie, les prédestinés sont les fideles, les élus ; & par élus il entend ceux qui se distinguent des autres par l'excellence de leurs vertus. Ce pere établit par-tout que la foi est libre, & qu'elle dépend de l'homme & de son choix. Je ne fais ces courtes observations que pour tâcher, s'il est possible, de ramener à des sentimens d'équité & de tolérance ceux qui rompent la communion fraternelle, avec ceux qui sont dans des principes où ont été d'illustres & de savans docteurs de l'Eglise primitive. (D.J.)
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PRÉDÉTERMINANS | S. m. (Théolog.) celui qui défend le système de la prédétermination ou prémotion physique.
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PRÉDÉTERMINATION | S. f. (Théolog.) voyez PREMOTION PHYSIQUE.
PREDETERMINATION, terme de Philosophie & de Théologie, qui signifie en général une détermination antérieure, du latin prae, devant, & determinare, déterminer.
Les scholastiques appellent prédétermination physique ou prémotion le concours de Dieu qui fait agir les hommes, & qui les fait déterminer dans toutes leurs actions bonnes ou mauvaises, mais ils observent que Dieu n'a point de part au péché, parce qu'il ne prête son concours qu'à ce qu'il y a de physique dans l'action, & non pas à ce qu'il y a de moral, ou, comme ils s'expriment en terme d'école, parce qu'il concourt au matériel, & non au formel de l'action. Voyez MATERIEL & FORMEL.
La prédétermination ou prémotion physique est l'action par laquelle Dieu fait agir la cause seconde, ou par laquelle antérieurement à toute opération de la créature, il la meut réellement & efficacement, & lui fait produire ses actions : ensorte que dans cette hypothèse tout ce que fait la créature est proprement l'effet de l'opération de Dieu sur elle : jusques-là la créature n'est que patiente par rapport à l'action, d'où il s'ensuit que sans cette prédétermination elle resteroit immanquablement dans un état perpétuel d'inaction, & qu'au moyen de cette prédétermination elle ne peut manquer d'agir.
On dispute avec chaleur dans les écoles, savoir si cette prédétermination physique est nécessaire pour l'action des causes naturelles. Les Scotistes prétendent que non, & apportent pour raison que toutes les causes naturelles sont déterminées par leur nature même à une certaine action ; qu'ainsi il ne paroît pas, par exemple, que le feu ait besoin pour brûler celui qui s'en approche de trop près d'une nouvelle détermination de la part de Dieu ; car, disent-ils, qu'est-il besoin d'une cause nouvelle pour faire agir le feu d'une maniere conforme à sa nature ? En chercher une, c'est vouloir multiplier les êtres sans nécessité.
Plusieurs philosophes croyent que cette prédétermination est encore moins nécessaire pour produire les actes de la volonté ; car disent-ils, on peut tout-au-moins accorder à l'ame la même puissance & le même privilege qu'aux autres causes secondes, & par conséquent elle est aussi capable qu'aucun autre agent naturel de produire ses actions par elle-même. Voyez VOLONTE.
Les Thomistes d'un autre côté soutiennent de tout leur pouvoir la prédétermination physique. Un de leurs principaux argumens est tiré de la subordination nécessaire des causes secondes à la cause premiere. Lorsqu'il y a, disent-ils, plusieurs agens subordonnés, les agens inférieurs ne produisent aucun acte qui n'ayent été mûs & déterminés par le premier, car c'est en cela que consiste l'essence de la subordination.
Il en est de même, ajoutent-ils, du domaine de Dieu sur les créatures. Il est de l'essence de son domaine qu'il meuve & dirige dans leurs actions tous les êtres qui y sont sujets ; moralement, si son domaine n'est que moral, & même physiquement, si son domaine est aussi physique. Or, ajoutent-ils, il n'est pas douteux que Dieu a l'un & l'autre domaine sur ses créatures.
La grande difficulté contre ce dernier sentiment est qu'il paroît anéantir la liberté de l'homme, & que d'ailleurs le concours immédiat de Dieu semble suffire pour que la créature agisse, sans avoir recours à cette prédétermination. Voyez CONCOURS.
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PRÉDIAL | (Jurisprud.) se dit de ce qui est relatif à quelque héritage, comme loi prédiale, dixme prédiale, servitude prédiale. Voyez DIXME, SERVITUDE. (A)
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PRÉDICABLE | en terme de Logique, signifie une qualité ou épithete générale, qui peut être appliquée à différens sujets, & en peut être prédiquée ; ainsi animal est prédicable de l'homme & de la bête ; homme est prédicable de Pierre & de Jacques ; triangle est prédicable d'une infinité de triangles différens, savoir des triangles rectangles, scalenes, isosceles, &c. Voyez PREDICAT.
On réduit dans l'école les prédicables à cinq classes, savoir, genus, species, proprium, differentia & accidens ; c'est toujours dans quelqu'une de ces cinq classes qu'est renfermé ce qui est prédicable d'un sujet quelconque. Voyez GENRE, ESPECE, PROPRE, &c.
Un prédicable est aussi appellé universale logicum, à cause du rapport qu'il a à des sujets particuliers ou inférieurs ; ainsi animal est universel par rapport à l'homme & à la bête.
On l'appelle universel logique pour le distinguer de l'universel métaphysique, qui signifie un être commun, considérable en lui-même, & qu'on nomme pour cette raison universel in essendo, au lieu que l'universel logique n'est regardé comme tel que par rapport à notre idée & à l'application que nous en faisons. Voyez UNIVERSEL.
Dans l'école, on définit ordinairement le prédicable, unum aptum praedicari de multis, univocè & divisim, ou, ce qui est un peu plus clair, le prédicable est une nature qui peut être prédiquée d'une maniere univoque de toutes les choses auxquelles elle est commune, & qui étant multipliée individuellement dans tous ses subordonnés, est prédicable de chacun d'eux en particulier.
Ainsi quand la dénomination de vertu est donnée à la justice, à la prudence, à la tempérance, à la force, à la charité, &c. c'est par une même raison qu'on leur donne à toutes cette dénomination commune, savoir parce que chacune de ces qualités est fondée dans l'habitude de garder un juste milieu, & est conforme à la droite raison, ce qui constitue le caractere de la vertu.
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PRÉDICAMENT | (Logique) voyez l'article PREDICABLE.
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PRÉDICATEUR | S. m. (Morale chrétienne) ecclésiastique qui monte en chaire pour annoncer dans l'église les vérités du Christianisme. On a fait je ne sai combien de livres sur l'éloquence de la chaire, & les devoirs du prédicateur ; mais la Bruyere a dit en peu de mots sur ce sujet tout ce que je connois de plus vrai & de plus sensé. Voici sa réflexion.
" Il me semble, dit-il, qu'un prédicateur devroit faire choix dans chaque discours d'une vérité unique, mais capitale, terrible ou instructive, la traiter à fond & l'épuiser, abandonner toutes ces divisions si recherchées, si retournées, si remaniées & si différenciées, ne point supposer ce qui est faux, je veux dire que le grand ou le beau monde sait sa religion & ses devoirs, & ne pas appréhender de faire faire à ces bonnes têtes ou à ces esprits si raffinés des catéchismes ; ce tems si long, que l'on use à composer un long ouvrage, l'employer à se rendre si maître de sa matiere, que le tour & les expressions naissent dans l'action, coulent de source ; se livrer après une certaine préparation à son génie & aux mouvemens qu'un grand sujet peut inspirer ; qu'il pourroit enfin s'épargner ces prodigieux efforts de mémoire, qui ressemblent mieux à une gageure qu'à une affaire sérieuse, qui corrompent le geste & défigurent le visage ; jetter au contraire par un bel enthousiasme la persuasion dans les esprits & l'allarme dans le coeur, & toucher ses auditeurs d'une toute autre crainte que de celle de le voir demeurer court ". (D.J.)
PREDICATEUR ou PRECHEUR, praedicator, est le nom que prirent d'abord les religieux de S. Dominique, parce qu'ils prêcherent d'abord avec succès contre les hérétiques albigeois. C'est pourquoi on les appella freres prêcheurs. Voyez DOMINICAINS.
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PRÉDICATION | S. f. (Théolog.) l'action d'enseigner & d'annoncer la parole de Dieu en public, faite par une personne autorisée & placée en un lieu convenable à ce ministere. Voyez SERMON, PRETRE, EVANGILE.
Quelques-uns font venir ce mot de l'hébreu parasch, exposuit, il a exposé, parce que la prédication doit être une exposition de l'Ecriture & des dogmes de la foi.
Anciennement il n'étoit permis qu'aux évêques de prêcher. Nous voyons toutefois S. Chrysostome prêcher à Antioche n'étant que prêtre, & S. Augustin prêcher à Hyppone n'étant que prêtre non plus. Mais ces cas étoient rares, sur-tout en occident. Depuis environ 500 ans plusieurs prêtres, & principalement des réguliers ont fait leur capital de cette fonction, prêchant indifféremment dans toutes les églises, selon qu'ils y sont appellés, au lieu qu'autrefois il n'y avoit que les pasteurs qui instruisissent chacun son troupeau. Dans l'église romaine il faut être au-moins diacre pour prêcher.
Wilkins, évêque de Chester, a fait un traité de l'art de prêcher, qu'il a intitulé, ecclesiastes ou le prédicateur. Nous avons aussi un poëme didactique de l'abbé de Villiers, divisé en plusieurs chants, qui a pour titre l'art de prêcher.
PREDICATION, SERMON, (Synonymes) on s'applique la prédication ; & l'on fait un sermon : l'une est la fonction du prédicateur ; l'autre est son ouvrage.
Les jeunes ecclésiastiques qui cherchent à briller s'attachent à la prédication, & négligent la science. La plûpart des sermons sont de la troisieme main dans le débit ; l'auteur & le copiste en ont fait leur profit avant l'orateur.
Les discours faits aux infideles pour leur annoncer l'Evangile, se nomment prédications. Ceux qui sont faits aux chrétiens pour nourrir leur piété sont des sermons.
Les Apôtres ont fait autrefois des prédications remplies de solides vérités. Les prêtres font aujourd'hui des sermons pleins de brillantes figures. Le ministere de la prédication est réservé à l'explication des dogmes, ou à la persuasion des préceptes, & non pas à ces sermons d'éclat où l'imagination a plus de part que la raison ; & où l'orateur songe moins à édifier qu'à plaire.
Prédication se dit au figuré de ce qui en peut tenir lieu. La vertu de nos ancêtres est une prédication perpétuelle & une censure muette des vices du siecle : sermon au figuré se prend ordinairement pour une remontrance longue & ennuyeuse. (D.J.)
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PRÉDICTION | S. f. (Divination) divination & déclaration nette des événemens à venir qui sont hors du cours de la nature ou de la pénétration de l'esprit humain. C'est une chimere que de supposer la possibilité de ces sortes de prophéties. L'historien philosophe de nos jours a embelli de réflexions fort judicieuses la célebre prédiction du Dante au sujet des quatre étoiles voisines du pole austral qui n'ont été découvertes que cent ans après lui.
" Je me tournai à main droite, dit le poëte, dans le premier chant de son Purgatoire, " & je considérai " l'autre pole ; j'y vis quatre étoiles qui n'avoient jamais été connues que dans le premier âge du monde ".
Cette prédiction, remarque M. de Voltaire, sembloit bien plus positive que celle de Séneque le tragique, qui dit, dans sa Médée, " qu'un jour l'Océan ne séparera plus les nations ; qu'un nouveau Tiphis découvrira un nouveau monde, & que Thulé ne sera plus la borne de la terre ". Cette idée vague de Séneque n'est qu'une espérance probable fondée sur les progrès qu'on pourroit faire dans la navigation ; & la prophétie du Dante n'a semblablement aucun rapport aux découvertes des Portugais & des Espagnols. Plus cette prophétie est claire, & moins elle est vraie. Ce n'est que par un hasard assez bizarre que le pole austral & ces quatre étoiles se trouvent annoncés dans le Dante. Il ne parloit que dans un sens figuré, son poëme n'est qu'une allégorie perpétuelle. Ce pole chez lui est le paradis terrestre ; ces quatre étoiles, qui n'étoient connues que des premiers hommes, sont les quatre vertus cardinales, qui ont disparu avec les tems d'innocence. Si on approfondissoit ainsi la plûpart des prédictions dont tous les livres sont pleins, on trouveroit qu'on n'a jamais rien prédit, & que la connoissance de l'avenir n'appartient qu'à Dieu, & à ceux qu'il inspire. (D.J.)
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PRÉDILECTION | S. f. (Gramm.) lorsqu'une amitié est partagée inégalement, la prédilection est pour celui qui a la part principale. Jesus-Christ eut de la prédilection pour S. Jean. Un pere ne peut pas toujours se défendre de la prédilection ; mais il est rare qu'elle ne jette le trouble dans sa famille, s'il la laisse appercevoir. C'est un bien trop précieux aux enfans pour n'en être pas jaloux. Ils seroient ou mal nés, ou plus équitables qu'il n'est possible de l'être à leur âge, s'ils en reconnoissoient l'équité, & qu'ils s'y soumissent sans murmure.
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PRÉDOMINANT | adj. (Gramm.) ce qui prévaut davantage, ce qui a une supériorité & un ascendant sur d'autres choses. Ainsi on dit que l'amertume est la qualité prédominante pour le goût, & dont il s'apperçoit le plus tôt. C'est une regle que le sucre ne doit pas dominer dans les confitures, ni le poivre dans les ragoûts.
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PRÉEMINENCE | (Gramm.) supériorité de rang, de dignité, de droits, de priviléges, & plus généralement d'avantages quelconques. L'émétique a la prééminence entre les purgatifs. Un cardinal a la prééminence sur un prélat ; un prêtre sur un diacre.
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PRÉEMPTION | S. f. (Hist. mod.) mot formé du latin prae, devant, & emptio, achat ; le droit d'acheter le premier. Dans presque tous les royaumes le roi a droit de préemption. Il y a quelques viandes, poissons ou denrées que les marchands sont obligés de reserver pour la table du souverain, ou du moins qu'ils ne doivent vendre aux particuliers qu'après que les pourvoyeurs du roi en ont pris leur provision pour la cour. Cette coutume s'étend beaucoup plus loin en Perse. Voyez COUROUK.
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PRÉEXISTENCE | S. f. (Théolog.) état de ce qui existe actuellement avant une autre chose. Voyez EXISTENCE.
Les Pythagoriciens & les Platoniciens ont cru la préexistence des ames, c'est-à-dire qu'elles existoient avant que d'être unies aux corps. Voyez METEMPSYCOSE & TRANSMIGRATION.
Origene tenoit pour la préexistence éternelle des ames. Voyez AME. Les orthodoxes croyent que Dieu a créé le monde de rien, & non d'une matiere préexistente. Voyez MONDE. Quelques auteurs prétendent qu'il y a eu des hommes avant Adam. Voyez PREADAMITE.
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PRÉFACE | S. f. (Littérat.) avertissement qu'on met au-devant d'un livre pour instruire le lecteur de l'ordre & de la disposition qu'on y a observé, de ce qu'il a besoin de savoir pour en tirer de l'utilité & lui en faciliter l'intelligence. Voyez LIVRE.
Ce mot est formé du latin prae & fari, c'est-à-dire parler d'avance.
Il n'y a rien qui demande plus d'art, & en quoi les auteurs réussissent moins pour l'ordinaire, que dans les préfaces. En effet, une préface est une piece qui a son goût, son caractere particulier qui la fait distinguer de tout autre ouvrage. Elle n'est ni un argument, ni un discours, ni une narration, ni une apologie.
Préface est aussi une partie de la messe que le prêtre chante sur un ton particulier & noble avant que de réciter le canon. Voyez MESSE.
L'usage des préfaces est très-ancien dans l'Eglise, & on conjecture qu'il est du tems des Apôtres, par quelques passages de S. Cyprien, de S. Chrysostome & de S. Augustin.
La préface de la messe a eu autrefois & en différentes églises, différens noms. Dans le rit gothique ou gallican on l'appelloit immolation ; dans le rit mozarabique, illation ; chez les Francs anciennement, contestation ; dans l'église romaine seule, préface.
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PRÉFECT | S. m. (Ant. rom.) les préfects étoient des officiers au-dessus des lieutenans que les gouverneurs des provinces employoient comme ils le jugeoient à propos. Plusieurs personnes prenoient cette qualité comme un simple titre d'honneur, & sans exercer aucune fonction. Atticus lui-même avoit été nommé préfect par plusieurs gouverneurs, sans être jamais allé avec eux dans leurs provinces. (D.J.)
PREFECT DE ROME, (Hist. rom.) c'étoit un des premiers magistrats de Rome qui la gouvernoit en l'absence des consuls & des empereurs. Il avoit l'intendance des vivres, de la police, des bâtimens & de la navigation. Son pouvoir s'étendoit à mille jets de pierre hors de Rome, selon Dion. On jugeoit devant lui les causes des esclaves, des patrons, des affranchis & des citoyens turbulens. Au premier jour de l'année il faisoit un présent à l'empereur au nom de tout le peuple, de coupes d'or avec cinq sous de monnoie : vobis solemnes pateras cum quinis solidis ut numinibus integritatis offerimus, dit Symmachus.
Denter Romulius fut choisi par Romulus pour être préfect de la ville de Rome. Ce prince lui attribua le droit d'assembler le sénat, & de tenir les comices. Ses fonctions tomberent lorsqu'on eut créé la charge de préteur, & l'on ne fit alors de préfect à Rome que pour y célébrer sur le mont Alban les fêtes latines instituées par Tarquin le Superbe en l'honneur de Jupiter. Mais Auguste fit revivre la charge de préfect de la ville, & lui attribua de si grandes prérogatives, que dans la suite cette charge absorba dans Rome l'autorité de toutes les autres magistratures. (D.J.)
PREFECT des ouvriers, (Art milit. des Rom.) en latin praefectus fabrorum, emploi militaire & important chez les Romains. Cette charge avoit dans son détail l'armement des troupes, les machines de guerre, la construction des camps, les équipages, les voitures & généralement tous les ouvrages des charpentiers, des maçons, des forgerons, des pionniers & des mineurs. Il n'y avoit point de charge plus lucrative à l'armée ; César la donna à Balbus en Espagne, & à Mamura dans les Gaules, & tous deux y acquirent des richesses immenses. (D.J.)
PREFECT DE L'EGYPTE, (Antiq. rom.) surnommé augustalis. Ulpien nous apprend par la loi unique, que le préfect de l'Egypte conservoit toujours sa préfecture, jusqu'à-ce que son successeur fut entré dans Alexandrie ; quoique suivant la regle générale, le successeur au gouvernement exerçât sa charge dès qu'il étoit dans la province. Il jouissoit de tous les honneurs des proconsuls, à la réserve des faisceaux & de la robe bordée de pourpre, appellée praetexta. Son principal soin étoit d'envoyer à Rome la quantité de blé que l'Egypte devoit fournir tous les ans. Le jurisconsulte Modestin a décidé dans la loi xxi. ff. de manumiss. vindict. que le préfect d'Egypte pouvoit affranchir les esclaves. Et Ulpien dans la loi j. ff. de tutor. dat. ab his qui jus dandi habent, qu'il pouvoit donner des tuteurs. (D.J.)
PREFECT DES COHORTES NOCTURNES, (Hist. rom.) les incendies étant très-fréquens à Rome, l'empereur Auguste établit, au rapport de Dion Cassius, un certain nombre de cohortes (les uns disent cinq, & les autres sept), pour veiller pendant la nuit aux incendies, & empêcher le progrès qu'ils faisoient en différens quartiers de la ville. Il y avoit auparavant des personnes à qui on en confioit de tems en tems le soin : mais l'empereur jugea à-propos de rendre fixes les cohortes, qu'il disposa en différens quartiers, sous la conduite d'un préfect appellé praefectus vigilum ; & ordonna en même tems que celui qui les commanderoit auroit la connoissance & la punition de quelques crimes, expliqués dans la loi iij. ff. de offic. praefec. vigil. Mais malgré cette prérogative, on regarda avec mépris les cohortes, soit par rapport à leur emploi, soit parce qu'elles étoient composées de vils affranchis ; & c'est dans cette prévention peu favorable que Juvenal a dit, sat. iv. lib. V.
Dispositis praedives hamis vigilare cohortem
Servorum noctu Licinus jubet.
Ce fut aussi par cette raison qu'on donna aux soldats le titre de sparteoli, parce qu'ils portoient des souliers faits de joncs appellés sparti, selon la remarque de Baudouin, de calceo antiquo, cap. iij. & de Casaubon sur Suétone dans la vie d'Auguste, cap. xxx. où il dit que les pauvres faisoient des souliers avec des cordes appellées spartae.
Baudouin remarque que le préfect marchoit toute la nuit, calceatus cum hamis & dolabris. Sa chaussure étoit selon les apparences, d'un cuir capable de résister à la pluie & à la neige ; il faisoit porter des vaisseaux propres à y mettre de l'eau, & semblables à nos seaux de cuir dont on se sert dans les incendies, qu'on appelloit hamae. Il est vrai que quelques interpretes croyent que hama veut dire harpago, un croc, qui n'est pas inutile dans ces occasions ; & quant à dolabra, il signifie une doloire, une hache, dont on se sert aussi fort utilement.
PREFECT DE SOLDATS, (Art milit. des romains) praefectus militum ; il y en avoit de trois sortes dans les armées ; savoir préfect d'une cohorte, préfect du camp, & préfect d'une légion. La jurisdiction du premier ne s'étendoit que sur sa troupe ; le ministere du second étoit d'asseoir & de fortifier le camp, & d'avoir inspection sur les tentes & sur les machines de guerre ; le troisieme étoit le juge né de la légion, il faisoit toutes les fonctions du lieutenant-général lorsque celui-ci étoit absent, & il avoit une grande autorité sur tous les officiers inférieurs de l'armée. Les armes, les chevaux, la discipline, la jurisdiction, les magasins, les punitions & les graces étoient de son ressort. Voy. Végece & Pomponius, laet. l. I. c. xij.
PREFECT DU TRESOR PUBLIC, (Hist. rom.) le soin du trésor public fut d'abord donné à des questeurs ; mais cet emploi a souvent changé de nom & de pouvoir, comme Tacite l'a remarqué. Auguste permit au sénat de préposer un préfect de l'ordre des prétoriens, & ordonna qu'on l'éliroit par le sort. Le tems ayant fait connoître les inconvéniens de cette sorte d'élection, Néron rétablit les questeurs.
PREFECT DU PRETOIRE, (Hist. rom.) chef des gardes prétoriennes, lesquelles veilloient à la conservation des empereurs. Plusieurs habiles hommes qui ont écrit en françois, ont dit en latin, praefectus praetorio. Dans les tems que les consuls furent établis à Rome, on appelloit tous les magistrats & ceux qui avoient des dignités militaires, praetores : d'où est venu le nom de praetorium, pour la résidence du préteur, soit aux champs, soit à la ville. Le pavillon même, ou la tente du magistrat aux camps militaires, se nommoit praetorium ; de l'usage de ce mot, les palais des empereurs dans les villes, ou leurs pavillons au milieu de la campagne, ont été nommés praetoria, & les soldats des gardes veillans autour de l'empereur, milites praetoriani, lesquels étoient commandés par certains chefs soumis au praefectus praetorio. Les anciens préteurs, & autres magistrats romains, étant envoyés dans les provinces cum imperio, c'est-à-dire avec droit de justice & de jurisdiction ; on appelloit aussi praetorium, le lieu, le siege ou auditoire auquel ils rendoient la justice. Voyez PRETOIRE.
La dignité de préfect sous les empereurs, étoit la plus haute & la plus éminente de l'empire, ensorte qu'elle ne se rapporte pas mal à celle du grand-visir de l'empire ottoman, ou si l'on veut, à nos anciens maires du palais ; avec cette différence qu'ordinairement il y en avoit deux : car Auguste qui en fut le premier auteur, en créa deux dès le commencement de leur institution, afin qu'ils s'aidassent mutuellement, & que leur puissance étant divisée, il ne leur fût pas si facile de conspirer contre le prince ou contre l'état. Tibere qui aimoit Séjan, le constitua seul en cette dignité.
L'empereur Commode fit trois préfects du prétoire. Ses prédécesseurs, depuis Tibere, en avoient toujours fait deux. Les successeurs de Commode continuerent à en créer trois jusqu'au regne de l'empereur Constantin, qui en créa quatre qu'il appella praefectos praetorio Orientis, Illiricis, Italiae & Galliae, ayant fait sous ce nom un département de toutes les provinces de son empire. Il en agit ainsi pour énerver la puissance extraordinaire de cette sorte de magistrats, en divisant leur autorité, & en leur ôtant une partie des pouvoirs qu'ils avoient sur les gens de guerre, & c'est encore ce qui l'engagea à créer de nouveaux officiers sous le nom de magister equitum & magister peditum, qui résidoient quelquefois en deux personnes & quelquefois en une, transportant à ces offices tout le pouvoir de commander aux armées, & de faire les punitions des crimes commis par les soldats.
Les préfects du prétoire n'étoient pris d'abord que dans l'ordre des chevaliers, & c'étoit une loi fondamentale qu'on ne pouvoit enfreindre. Marc Antonin, au rapport de Julius Capitolinus, marqua le plus grand déplaisir de ne pouvoir nommer à la dignité de préfect du prétoire, Pertinax qui fut depuis son successeur, parce que pour lors Pertinax étoit sénateur. L'empereur Commode craignant de donner cette charge à Paternus, l'en priva adroitement en lui accordant l'honneur du laticlave, & en le faisant sénateur.
Héliogabale conféra cette charge à des bateleurs, selon Lampridius, & Alexandre Severe à des sénateurs ; ce qui ne s'étoit jamais pratiqué auparavant, ou du moins très-rarement ; car excepté Tite, fils de Vespasien, qui étant sénateur & consulaire, fut préfect du prétoire sous son pere, on ne trouve point dans l'histoire qu'aucun sénateur l'ait été jusque à cet empereur.
Quand la place de préfect du prétoire fut unique, celui qui la possédoit fut appellé au jugement de presque toutes les affaires, & devint le chef de la justice. On appelloit de tous les autres tribunaux au sien ; & de ses jugemens il n'y avoit d'appel qu'à l'empereur.
Son pouvoir s'étendoit sur tous les présidens ou gouverneurs de province, & même sur les finances ; il pouvoit aussi faire des lois : enfin dans sa plus haute élévation, il réunissoit en sa personne l'autorité & les fonctions qu'ont eu en France le connétable, le chancelier & le surintendant des finances. C'est dans ce tems-là que cet officier avoit sous lui des vicaires, dont l'inspection s'étendoit sur une certaine étendue de pays appellée diocèse, qui contenoit plusieurs métropoles.
Il étoit nommé par l'empereur, qui lui ceignoit l'épée & le baudrier ; c'étoient les marques d'honneur de sa charge. Hérodien, liv. III. rapporte que Plautin, préfect du prétoire de l'empereur Septime Sévere, avoit toujours l'épée au côté. Après sa nomination, cet officier paroissoit en public sur un char doré, tiré par quatre chevaux de front, & le héraut qui le précédoit le nommoit dans les acclamations le pere de l'empereur. On ne pratiqua cependant à son égard cette cérémonie, que lorsque sa charge fut devenue la premiere de l'état : on lui donnoit le titre de clarissime, qui étoit le même que l'on donnoit aux empereurs. En effet, dans ces tems-là un empereur n'étoit pour ainsi dire, que le ministre d'un gouvernement violent, élu pour l'utilité particuliere des soldats ; & les préfects du prétoire agissant comme les visirs, faisoient massacrer les empereurs dont ils voyoient qu'ils pourroient occuper la place.
Il faut cependant observer que la charge de préfect du prétoire ne subsista avec toutes ses prérogatives, que jusqu'au regne de Constantin qui cassa la garde prétorienne, parce qu'elle avoit pris le parti de Maxence ; car les quatre préfects du prétoire qu'il créa, chacun pour leurs départemens, n'avoient que l'administration de la justice & des finances, sans aucun commandement dans les armées. Avant ce tems-là les armes & la magistrature avoient été unies ; ceux qui rendoient la justice étoient de robe & d'épée tout ensemble, & la plûpart des magistrats qui faisoient les fonctions de juge à la ville, avoient part en vertu de leur magistrature, au commandement des armées : de même ceux que l'on envoyoit dans les provinces rendoient la justice & commandoient les troupes.
Ces nouveaux préfects du prétoire établis par Constantin, ne laisserent pas de jouir de plusieurs avantages, comme entr'autres d'être dispensés de prendre des lettres de poste chaque année, pour courir sur les grands chemins ; au lieu que les autres officiers & magistrats y étoient obligés.
Les préfects du prétoire avoient soin que les cités & les mansions fussent fournies des choses nécessaires au passage des troupes, lorsque l'empereur alloit à la guerre, faire dresser son pavillon, & préparer les grands chemins. Les empereurs entretenoient exprès sous les préfects du prétoire, certain nombre d'hommes, tant pour préparer les grands chemins, que pour meubler les domiciles où ils devoient loger.
Enfin c'étoit aux préfects du prétoire qu'étoit confié le soin de faire charrier tous les deniers provenans des tributs, péages, salines, ports, ponts & passages de l'Empire. En conséquence ils avoient toute autorité, tant sur les animaux & chariots que l'on tenoit aux mutations, mansions & cités pour les postes, que sur ceux destinés pour le charroi des différentes especes que l'on transportoit d'un lieu à un autre. (D.J.)
PREFET DE LA SIGNATURE DE GRACE, officier de la cour de Rome, qui dans les signatures de grace fait les mêmes fonctions que le préfet de la signature de justice exerce dans les affaires qui sont de son ressort. On appelle signature de grace, celle qui se tient en présence du pape, qui étant souverain dans ses états, peut dispenser de la rigueur des lois ceux qu'il juge à propos d'en dispenser. En l'absence du pape, le cardinal préfet doit être assisté de douze prélats ; & plusieurs juges des autres tribunaux assistent aussi à son audience, mais sans voix délibérative, & seulement pour soutenir les droits de leurs tribunaux quand l'occasion s'en présente. Il a les mêmes appointemens que le préfet de la signature de justice.
PREFECT DE LA SIGNATURE DE JUSTICE. (Chancell. rom.) c'est à Rome un cardinal jurisconsulte qui approuve les requêtes, & qui y met son nom à la fin, pour servir de visa ; mais quand elles sont douteuses, il en confere avec les officiers de la signature, avant que de les signer. Il donne de même pour les provinces, des rescrits de droit, qui sont aussi authentiques, que si le pape lui-même les signoit, suivant une constitution de Paul IV.
La jurisdiction de préfect de la signature de justice, s'étend à donner des juges aux parties qui prétendent avoir été lésées par les juges ordinaires. Tous les jeudis il s'assemble chez lui douze prélats, qui sont les plus anciens référendaires de la signature, & qui ont voix délibérative. Il entre aussi dans cette assemblée un auditeur de rote, & le lieutenant civil du cardinal vicaire, pour maintenir les droits de leurs tribunaux ; mais l'un & l'autre n'ont point de voix délibérative.
La chambre apostolique donne au cardinal préfect de la signature de justice, quinze cent écus d'appointemens par an. Il a sous lui deux officiers, le préfet des minutes dont l'office coûte douze mille écus, & en rend environ douze cent ; & le maître des brefs dont l'office coûte trente mille écus, & en produit au moins trois mille de revenu. Ce tribunal rend la justice avec lenteur, & c'est une chose très-préjudiciable en elle-même. (D.J.)
PREFET DES BREFS, nom qu'on donne à Rome à un cardinal chargé de revoir & de signer les minutes des brefs sujets à la taxe. Cette charge produit les mêmes honoraires que les précédentes.
Il y a encore à Rome divers préfets, c'est-à-dire chefs de différens bureaux, comme le préfet des petites dates, le préfet de la componende, celui des vacances per obitum, &c.
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PRÉFECTURE | S. f. (Hist. rom.) une préfecture chez les Romains n'étoit pas une ville libre, mais une cité asservie sous un gouverneur nommé préfect, qui y rendoit la justice. Si quelques villes avoient usé d'infidélité envers la république, elles étoient gouvernées en forme de préfectures, aussi-tôt que réduites sous la puissance de l'état. Cependant d'ordinaire en Italie, on leur permettoit d'élire des magistrats populaires, avec un receveur de deniers communs, pour avoir soin des affaires de leur police ; mais la justice & le gouvernement appartenoient au préfet, ce que le préfet étoit à une ville particuliere, le consul ou le préteur l'étoit à une province.
Festus nous assure qu'il y avoit deux sortes de préfectures, l'une où la république envoyoit des préfects créés par le peuple, comme à Capoue, à Cumes, &c. l'autre, où le préteur de Rome envoyoit des magistrats tous les ans, comme à Fundi, à Formies, &c. Ces dernieres étoient des préfectures de peu de conséquence. (D.J.)
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PRÉFÉRENCE | S. f. (Jurisprud.) est un avantage que l'on donne à l'un de plusieurs concurrens ou contendans sur les autres.
Par exemple, en matiere bénéficiale dans les mois de rigueur, le gradué nommé le plus ancien est préféré aux autres.
En matiere civile, on préfére en général celui qui a le meilleur droit, & dans le doute, on donne la préférence à celui qui a le droit le plus apparent. C'est sur ce dernier principe qu'est fondée cette regle de droit, in pari causâ, melior est possidentis.
De même dans le doute, celui qui conteste pour éviter le dommage ou la diminution de son bien, est préférable à celui qui certat de lucro captando.
Entre créanciers hypothécaires, les plus anciens sont préférés, qui prior est tempore, potior est jure. Ce principe est observé par-tout pour la distribution du prix des immeubles.
A l'égard des meubles, il y a quelques parlemens où le prix s'en distribue par ordre d'hypotheque, quand ils sont encore entre les mains du débiteur, comme aux parlemens de Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Bretagne & Normandie.
Mais au parlement de Paris, & dans la plûpart des provinces du royaume, où les meubles ne peuvent être suivis par hypotheque, c'est le créancier le plus diligent, c'est-à-dire le premier saisissant, qui est préféré sur le prix des meubles, à moins qu'il n'y ait déconfiture ; auquel cas, les créanciers viennent tous également par contribution au sol la livre.
L'instance qui s'instruit pour régler la distribution des deniers saisis ou provenans de la vente des meubles, s'appelle instance de préférence : c'est ordinairement le premier saisissant qui en est le poursuivant, à moins qu'il ne devienne négligent, ou suspect de collusion avec le débiteur, auquel cas un autre créancier se fait subroger à la poursuite.
Cette instance de préférence s'instruit comme l'instance d'ordre ; mais l'objet de l'un & de l'autre est fort différent, car l'instance d'ordre tend à faire distribuer le prix d'un immeuble entre les créanciers, suivant l'ordre de leurs privileges ou hypotheques, au lieu que l'instance de préférence a pour objet de faire distribuer des deniers provenans d'effets mobiliers, par priorité de saisie, ou par contribution au sol la livre. Voyez le recueil des questions de M. Bretonnier au mot meubles. Voyez aussi CREANCIERS, CONTRIBUTION, HYPOTHEQUE, MEUBLES, PRIORITE, SAISIE, SUITE. (A)
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PRÉFÉRICULE | S. m. (Antiq. rom.) praefericulum, vase des sacrifices des anciens, qui avoit un bec ou une avance comme ont nos aiguieres : c'étoit dans ce vase qu'on mettoit le vin ou autres liqueurs d'usage dans ces sortes de cérémonies religieuses. (D.J.)
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PRÉFIX | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est fixé d'avance à un certain jour ou à une certaine somme.
L'assignation est donnée à jour préfix, lorsqu'à l'échéance du délai porté par l'exploit, il faut nécessairement se présenter.
On appelle douaire préfix, celui qui est fixé par le contrat de mariage à une certaine somme en argent ou rente, à la différence du douaire coutumier, qui est plus ou moins considérable, selon ce qu'il y a de biens que la coutume déclare sujets à ce douaire.
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PREFIXION | S. f. (Jurisprud.) signifie la durée d'un délai qui est accordé pour faire quelque chose, passé lequel tems on n'y est plus recevable : ainsi quand la coutume permet d'intenter le retrait dans un certain tems, celui qui veut user de retrait, doit le faire dans le tems marqué par la loi, sans autre préfixion ni délai. (A)
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PRÉGADI | (Hist. de Venise) nom du sénat de Venise, dans lequel réside toute l'autorité de la république. On y prend les résolutions de la paix ou de la guerre, des ligues ou des alliances : on y élit les capitaines généraux, les provéditeurs des armées, & tous les officiers qui ont un commandement considérable dans les troupes : on y nomme les ambassadeurs ; on y regle les impositions ; on y choisit tous ceux qui composent le college ; on y examine les résolutions que les sages prennent dans les consultations du college, sur lesquelles le sénat se détermine à la pluralité des voix. En un mot, le prégadi est l'ame de l'état, & par conséquent le principe de toutes les actions de la république.
L'origine du nom de prégadi vient de ce qu'autrefois le sénat ne s'assemblant que dans des occasions extraordinaires, on alloit prier les principaux citoyens de s'y trouver, lorsque quelque affaire importante méritoit qu'on prît leur avis : aujourd'hui le sénat s'assemble les mercredis & les samedis ; mais le sage de semaine peut faire tenir extraordinairement le prégadi, lorsque les affaires qu'on y doit porter, demandent une promte délibération.
Le prégadi fut composé de soixante sénateurs dans la premiere institution ; c'est ce qu'on appelle le prégadi ordinaire. Mais comme on étoit obligé d'en joindre souvent plusieurs autres dans les affaires importantes, on en créa encore soixante ; ce qu'on appelle la giunte. Ces cent vingt places sont remplies par des nobles d'un âge avancé, & de la premiere noblesse. Tous les membres du college, ceux du conseil des dix, les quarante juges de la quarantie criminelle, & les procurateurs de saint Marc entrent aussi au prégadi ; desorte que l'assemblée du sénat est d'environ deux cent quatre-vingt nobles, dont une partie a voix délibérative, & le reste n'y est que pour écouter & pour se former aux affaires. Le doge, les conseillers de la seigneurie & les sages grands, sont les seuls dont les avis peuvent être ballotés, pour éviter la confusion qui naîtroit de la diversité des sentimens dans une si grande assemblée, où les avis ne peuvent passer, qu'ils n'ayent la moitié des voix. Cependant ceux qui n'ont pas le droit de suffrage, peuvent haranguer pour approuver ou pour contredire les opinions que l'on propose ; mais leurs harangues ne changent guere les résolutions du sénat.
Il résulte de ce détail que le prégadi represente une parfaite aristocratie, avec un pouvoir absolu dans les plus importantes affaires de l'état ; desorte que le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu'il s'est donnée comme législateur. Il peut ravager l'état par ses volontés générales ; & comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulieres. En un mot, toute la puissance y est une ; & quoiqu'il n'y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant. On dira peut-être que les tribunaux de Venise se temperent les uns les autres ; que le grand conseil a la législation ; le prégadi, l'exécution ; les quaranties, le pouvoir de juger : mais je réponds avec l'auteur de l'Esprit des lois, que ces tribunaux différens sont formés par des magistrats du même corps, ce qui conséquemment ne fait guere qu'une même puissance. (D.J.)
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PRÉGATON | S. m. terme de Tireur d'or, c'est la filiere dans laquelle l'avanceur passe le fil d'or pour la premiere fois, en sortant des mains du dégrosseur : le demi prégaton est la filiere où il le passe pour la seconde fois.
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PREGEL | (Géogr. mod.) riviere du royaume de Prusse dont elle arrose la plus grande partie, étant composée de diverses branches qui ont des sources différentes, & se réunissent enfin dans un seul lit à quelques lieues au-dessus de Konigsberg. Elle se jette près de cette ville dans le Frisch-haf.
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PREGELL | (Géogr. mod.) communauté chez les Grisons, dans la ligue de la Cadée. Après avoir traversé le mont Septimer, on entre dans une grande vallée qui s'étend en long de l'orient à l'occident ; c'est cette vallée qui fait le pays de Praegell, ou plutôt comme nous l'avons écrit Pregell, en latin Praegallia, ainsi appellée par les anciens, parce qu'il étoit aux frontieres de la gaule cisalpine. Quelques-uns néanmoins veulent que le nom latin soit Praejulia, & qu'il lui ait été donné parce que le pays est situé aux piés des alpes juliennes. Ce canton a été de tems immémorial regardé pour un pays libre de l'Empire, aussi fait-il une communauté générale, qui a le septieme rang entre celles de la ligue. Il est assez fertile & se ressent beaucoup de la douceur du climat d'Italie.
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PREGNITZ | (Géogr. mod.) ou Priegnitz, comté d'Allemagne, & une des cinq parties de la marche de Brandebourg, au-delà de l'Elbe sur les frontieres du Meckelbourg.
C'est dans ce comté qu'est né au commencement du xv. siecle, Doringk ou plutôt Thoringk (Matthias), très-peu connu des bibliothécaires. Il parvint au généralat de l'ordre de S. François, & composa quelques ouvrages sur l'Ecriture & l'Histoire. Ses écrits sur la Théologie sont tombés dans l'oubli, parce que la science de la critique étoit entierement inconnue de son tems. On ne fait guere plus de cas de sa chronique historique ; cependant elle est parsemée de traits assez curieux. Il y censure avec autant d'hardiesse que d'aigreur, les vices des plus grands de son tems, comme des électeurs ecclésiastiques, des cardinaux, des papes même. Il ne fait aucun quartier à l'ignorance de la plûpart des évêques de ce tems-là, non plus qu'aux jubilés & aux indulgences, dont il rejette les désordres sur l'avidité insatiable de la cour de Rome. Enfin, ce qui paroîtra peut-être encore plus étonnant, vû l'attachement des moines à la gloire de tous ceux qui composent leur ordre, il traite avec le dernier mépris, Jean de Caspestran son confrere, que l'ordre a fait canoniser depuis. On ne sait point l'année de la mort de Thoringk ; mais il est vraisemblable que c'est peu de tems après l'an 1464. (D.J.)
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PRÉJUDICE | S. m. (Jurisprud.) signifie quelquefois tort, grief, dommage, comme quand on dit que quelqu'un souffre un préjudice notable par le fait d'autrui.
Ce même terme sert aussi quelquefois à exprimer une réserve de quelque chose, comme quand on met à la suite d'une clause, que c'est sans préjudice de quelque autre droit ou action.
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PRÉJUDICIAUX | FRAIS, (Jurisprud.) sont des frais de contumace, que le défaillant est obligé de rembourser avant d'être admis à poursuivre sur le fond. (A)
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PRÉJUDICIELLE | question, terme de palais, est celle qui pourra jetter de la lumiere sur une autre, & qui par conséquent doit être jugée avant celle-là. Si, par exemple, dans une question sur la part que quelqu'un doit avoir dans une succession, on lui conteste la qualité de parent, la question d'état est une question préjudicielle, qu'il faut vuider avant de pouvoir décider quelle part appartient au soi-disant parent.
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PRÉJUGÉ | S. m. (Logique) faux jugement que l'ame porte de la nature des choses, après un exercice insuffisant des facultés intellectuelles ; ce fruit malheureux de l'ignorance prévient l'esprit, l'aveugle & le captive.
Les préjugés, dit Bacon,l'homme du monde qui a le plus médité sur ce sujet, sont autant de spectres & de phantomes qu'un mauvais génie envoya sur la terre pour tourmenter les hommes ; mais c'est une espece de contagion, qui, comme toutes les maladies épidémiques, s'attache sur-tout aux peuples, aux femmes, aux enfans, aux vieillards, & qui ne cede qu'à la force de l'âge & de la raison.
Le préjugé n'est pas toujours une surprise du jugement, investi de ténébres, ou séduit par de fausses lueurs ; il naît aussi de cette malheureuse pente de l'ame vers l'égarement, qui la plonge dans l'erreur malgré sa résistance ; car l'esprit humain, loin de ressembler à ce crystal fidele, dont la surface égale reçoit les rayons & les transmet sans altération, est bien plutôt une espece de miroir magique, qui défigure les objets, & ne présente que des ombres ou des monstres.
Les préjugés, ces idoles de l'ame, viennent encore ou de la nature de l'entendement qui donne à tous une existence intellectuelle, ou de la préoccupation du jugement, qui tire son origine, tantôt de l'obscurité des idées, tantôt de la diversité des impressions, fondées sur la disposition des sens, & tantôt de l'influence des passions toujours mobiles & changeantes.
Il y a des préjugés universels, & pour-ainsi-dire héréditaires à l'humanité, telle est cette prévention pour les raisons affirmatives. Un homme voit un fait de la nature, il l'attribue à telle cause, parce qu'il aime mieux se tromper que douter ; l'expérience a beau démentir ses conjectures, la premiere opinion prévaut. C'est cette maladie de l'entendement qui favorise la superstition & mille erreurs populaires. Un passager échappe du naufrage après un voeu barbare, tous les autres ont péri dans la même tempête, malgré des promesses les plus légitimes ; n'importe, c'est un miracle, comme si la nature ne devoit pas changer de cours pour conserver tant de victimes dignes de sa pitié, plutôt qu'en faveur d'une tête coupable. La Providence ne veilleroit donc guere aux intérêts du genre humain !... Mais les noms de quelques heureux sont gravés dans les temples, disoit Diagoras, & la mer tient dans ses abymes les prieres perdues. Les tombeaux couvrent les fautes du médecin, tandis que les convalescens publient ses guérisons prétendues. C'est ainsi que l'énumération des faits qui décident pour l'affirmative, nous détermine à la conclusion, avant d'examiner les faits négatifs, qui détruisent ou diminuent la force des preuves positives. De-là les erreurs fondamentales qui ont corrompu la masse des sciences, & qui semblent avoir fermé pour jamais à l'esprit humain les voies de la vérité.
Autre foiblesse de l'entendement, sa précipitation vers les extrêmes. Tout est uniforme dans le cours de la nature ; voilà le principe : les astres roulent donc tous sur des cercles parfaits ; plus d'ovales, plus d'ellipses, conclud le préjugé. La nature agit toujours par les voies les plus simples ; c'est la maxime générale, le préjugé l'applique à tous les faits particuliers, & veut soumettre tous les phénomenes à cette loi. Les Chimistes sont tellement entêtés de leurs élémens, qu'ils ne voyent par-tout que de l'eau & du feu ; semblables à ces fanatiques agités par les fureurs de Cybele, qui trouvoient à chaque pas des fleuves, des rochers, des forêts embrasées.
Il y a des préjugés particuliers, ou de tempérament, qui varient dans l'homme, selon le changement de la constitution des humeurs, la force de l'habitude, & les révolutions de l'âge. Si un homme renfermé, depuis sa naissance jusqu'à la maturité de l'âge, dans une caverne souterraine, passoit tout-à-coup au grand jour, quelle foule d'impressions singulieres exciteroit en lui cette multitude d'objets qui viendroient assaillir toutes les avenues de son ame ! Cet emblème que Platon imagina cache une vérité bien remarquable. En effet, l'esprit de l'homme est comme emprisonné dans les sens, & tandis que les yeux se repaissent du spectacle de la nature, il se forme mille préjugés dans l'imagination qui brisent quelquefois leurs chaînes, & tiennent à leur tour la raison dans l'esclavage.
Il y a des préjugés publics ou de convention, qui sont comme l'apothéose de l'erreur ; tel est le préjugé des usages toujours anciens, de la mode toujours nouvelle, & du langage. Un esprit pénétrant ne peut développer ses idées faute d'expressions assez énergiques. Les définitions ne sont ni la véritable idée des choses, ni la véritable maniere de les concevoir. Les objets existent d'une façon, nous les appercevons d'une autre, & nous ne les rendons ni tels qu'ils sont, ni tels que nous les voyons. Nos idées sont de fausses images, & nos expressions des signes équivoques. Il y a des mots dont l'application est si arbitraire, qu'ils deviennent inintelligibles. A-t-on une idée précise de la fortune, de la vertu, de la vérité ? Quand est-ce qu'on fera un traité de convention sur la signification idéale des termes ? Mais en quelle langue seroit-il écrit pour être entendu de tous les hommes dans le même sens ? Il faut attendre que la nature ait fabriqué tous les esprits à la même trempe.
Enfin il y a des préjugés d'école ou de parti, fondés sur de mauvaises notions, ou sur de faux principes de raisonnement. On peut mettre dans ce rang certaines impossibilités que le tems semble avoir prescrit ; la quadrature du cercle & le mouvement perpétuel, chimeres à trouver. L'art peut faire des mixtions, mais non pas des générations ; ces arrangemens imperturbables de la nature déconcertent les projets & les tentatives des hommes.
Les axiomes classiques déroutent les esprits : la plûpart des hommes ne savent pas voir autrement que les autres, & s'ils l'osoient, que d'obstacles à vaincre pour abréger les moyens d'instruire ? Ne fut-ce que la jalousie despotique d'un corps qui traitera comme un factieux & un ennemi, celui qui ne combattroit pas pour les intérêts de sa doctrine, sous ses enseignes & avec ses armes ! C'est cet esprit de zélotypie qui arrêta long-tems, & qui arrête toujours le progrès des connoissances humaines. Les Théologiens donnant à Aristote une espece de suprématie dans l'école, s'arrogerent le droit exclusif de l'entendre & de l'interpreter, & firent un assortiment profane des vérités révélées avec les vérités naturelles, en les assujettissant à la même méthode. L'appui foible & ruineux que se prêterent alors la raison & la foi, en s'expliquant l'une par l'autre, fit confondre les limites de chaque genre de notions : de-là naquit cette guerre intestine, entre les Philosophes & les Théologiens, qui durera peut-être jusqu'à-ce que l'ignorance & la barbarie viennent une seconde fois des antres du Nord, pour ensevelir toutes les querelles des savans dans la ruine des empires.
Les sources des préjugés sont encore dans les passions ; l'entendement ne voit rien d'un oeil sec & indifférent, tant l'intérêt lui en impose. Ce qui nous plaît est toujours vrai, juste, utile, solide & raisonnable. Ce qui est difficile est regardé comme inutile pour ménager la vanité, ou comme impossible pour flatter la paresse. L'impatience craint les lenteurs de l'examen ; l'ambition ne peut se contenter d'une expérience modérée, ni d'un succès médiocre ; l'orgueil dédaigne les détails de l'expérience, & veut franchir d'un saut l'intervalle qui sépare les vérités moyennes des vérités sommaires ; le respect humain fait éviter la discussion de certaines questions problématiques ; enfin l'entendement est sans cesse arrêté dans sa marche, ou troublé dans ses jugemens.
Les sens nous en imposent, si nous ne jugeons que d'après l'impression des objets, qui varie avec les dispositions de nos organes. Les objets plus importans ne font souvent que de légeres impressions, & pour notre malheur, le méchanisme de tout le mouvement dépend de ces ressorts délicats qui nous échappent.
Chacun bâtit dans son cerveau un petit univers dont il est le centre, autour duquel roulent toutes les opinions qui se croisent, s'éclipsent, s'éloignent, & se rapprochent au gré du grand mobile, qui est l'amour-propre. La vérité brille quelquefois parmi ces notions confuses qui s'entre-choquent ; mais elle ne fait que passer un instant, comme le soleil au point du midi, desorte qu'on la voit sans pouvoir la saisir ni suivre son cours.
Un des préjugés de l'amour-propre, c'est de croire que l'homme est le fils uniquement chéri de la nature, comme le modele de ses opérations. On suppose qu'elle ne pouvoit faire un plus bel animal, ni rien de plus merveilleux que les productions de l'art, de-là cette plaisante hérésie des antropomorphites, ces pieux solitaires, qui sans-doute exterminoient leur face, ne croyant pas assez honorer Dieu s'ils ne lui prêtoient une figure humaine.
Que l'homme donc dépose ses préjugés, & qu'il approche de la nature avec des yeux & des sentimens purs, tels qu'une vierge modeste a le don d'en inspirer, il la contemplera dans toute sa beauté, & il méritera de jouir du détail de ses charmes. (D.J.)
PREJUGE, (Jurisprud.) signifie ce qui est jugé d'avance, ainsi quand on admet les parties à la preuve d'un fait, on regarde la question comme préjugée, parce que le fait étant prouvé, il n'y a ordinairement plus qu'à prononcer sur le fond.
On appelle aussi préjugés les jugemens qui sont rendus dans des especes semblables à celles qui se présentent ; les arrêts rendus en forme de réglement servent de regle pour les jugemens, les autres ne sont que de simples préjugés auxquels la loi veut que l'on s'arrête peu, parce qu'il est rare qu'il se trouve deux especes parfaitement semblables, non exemplis sed legibus judicandum, dit la loi 13. au code de sententiis & interlocut. cependant une suite de jugemens uniformes, rendus sur une même question, forment une jurisprudence qui acquiert force de loi. (A)
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PRÉLART | PRÉLAT, s. m. (Marine) c'est une grosse toile goudronnée, qu'on met sur les endroits ouverts d'un vaisseau, tels que sont les cailles-botis, les fronteaux, les panneaux, & les escaliers.
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PRÉLAT | S. m. (Hist. eccles. Théol.) supérieur ecclésiastique, constitué dans une éminente dignité de l'Eglise. Voy. DIGNITAIRE. Ce mot vient du latin, praelatus, de prae, devant, & fero, je porte, mis ou constitué devant ou au-dessus des autres.
Les patriarches, primats, archevêques, évêques, généraux d'ordre, certains abbés crossés & mitrés, trésoriers, doyens, archidiacres, sont mis au rang des prélats, dans les actes de quelques conciles, & particulierement dans celui de Bâle ; mais aujourd'hui dans l'usage ordinaire ce nom ne se donne plus qu'aux évêques.
Prélats de la jarretiere, en Angleterre, c'est le premier officier de cet ordre, & il est aussi ancien que lui. Voyez JARRETIERE.
Guillaume d'Edynton, évêque de Winchester, a été le premier prélat de cet ordre, lors de son institution, & ses successeurs dans cet évêché ont été continués depuis dans cette dignité.
Cette charge est fort honorable, mais elle n'a d'autres droits que celui d'un logement au château de Windsor, & toutes les fois que l'évêque de Winchester y vient, il y est nourri avec toute sa suite aux dépens du roi.
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PRÉLATION | S. f. (Jurisprud.) on entend par ce terme, en pays de droit écrit, le droit de retrait seigneurial. Voyez ci-après au mot retrait l'article RETRAIT FEODAL. (A)
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PRÉLATURE | S. f. (Gram.) il se dit de la dignité du prélat, & du corps des prélats. Voyez l'article PRELAT.
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PRÊLE | QUEUE DE CHEVAL, s. f. (Histoire nat. Botan.) equisetum, genre de plante dont la fleur n'a point de pétales ; elle est composée de plusieurs étamines qui ont un sommet en forme de champignon ; elle est disposée en épi & stérile. Les fruits naissent sur des especes de prêle qui n'ont point de fleurs ; ce font des grains noirs, rudes & pleins. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles ne sont autre chose que des articulations unies ensemble par des noeuds, de façon qu'elles s'inserent l'une dans l'autre comme un tuyau dans un autre tuyau. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort en compte huit especes, entre lesquelles se distingue la grande prêle nommée equisetum palustre longioribus setis, I. R. H. 553 ; en anglois the marsh-horsetail.
Ses racines consistent en un grand nombre de fibres longues, menues, déliées, noirâtres, qui partent des noeuds de l'extrêmité inférieure des tiges. Lorsque ces tiges sortent de terre, elles ressemblent à l'asperge, & sont hautes d'une palme ou d'une coudée, composées de plusieurs tuyaux emboités les uns dans les autres, & formant des noeuds d'espace en espace, & entourés d'une frange noirâtre. Ces tiges sont striées, creuses, & terminées par une tête en maniere de châton ou colonne renflée vers le milieu, formé par un grand nombre de petites étamines, chargées chacune d'un sommet brun en champignon ; les semences naissent sur des piés qui ne portent point d'étamines : ce sont des grains noirs & durs.
Dans la suite ses tiges s'élevent à la hauteur de deux coudées, quelquefois plus, presque de la grosseur du petit doigt, cylindriques, creuses, blanchâtres, le plus souvent lisses ou marquées de petites cannelures que l'on a peine à voir, entrecoupées de beaucoup de noeuds qui s'emboîtent les uns dans les autres ; chaque noeud est environné de feuilles ou de filets longs, rudes, striés, verds, sans branches, au nombre de huit, neuf, quelquefois jusqu'à trente, composés de tuyaux plus ou moins nombreux, articulés & rassemblés bout-à-bout. Quand la tige commence à vieillir, elle devient couleur de châtaigne, ou d'un rouge foncé du côté qu'elle est exposée au soleil ; cette plante croît dans les marais.
PRELE, (Mat. méd.) grande prêle & petite prêle, l'une & l'autre prêle sont d'usage en Médecine, mais la petite passe pour avoir plus de vertus.
La prêle est comptée parmi les astringens les plus forts, & elle est par-conséquent un très-bon remede pour les hémorrhagies, les pertes de sang des femmes, le pissement de sang, les dyssenteries, & les autres flux de ventre. Il me semble que Geoffroi de qui ceci est tiré, devoit ajouter, lorsque les astringens étoient indiqués dans ces cas. On fait prendre, continue Geoffroi, dans de l'eau ou dans du vin à la dose d'un gros en poudre, & à la dose de quatre onces en décoction, que l'on fait boire matin & soir ; on donne encore son suc à la dose de deux onces. Les auteurs ont remarqué qu'elle guérit les exulcérations & les plaies des reins, de la vessie, des intestins grêles & des poumons, qu'elle fait des merveilles dans les fievres opiniâtres & dans les fievres malignes, qu'elle est utile pour la gonorrhée, & qu'elle corrige beaucoup le relâchement des prostates. Geoffroi, Matiere médic. (b)
PRELE, en terme de Doreur sur bois, c'est un paquet de branches de la plante de ce nom, qu'on passe sur les parties blanchies, & qui doivent être brunies, pour les adoucir encore davantage. Voy. ADOUCIR & PRELER.
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PRELEGS | S. m. (Jurispr.) appellé en Droit legatum per praeceptionem, ou praelegatum ; est un legs qui est laissé à quelqu'un de plusieurs héritiers, pour être par lui prélevé hors part & sans confusion de sa portion héréditaire.
Les prélegs sont valables en pays de droit écrit, suivant le droit romain. Ces sortes de legs se prennent hors part & sans confusion de la part héréditaire ; de maniere que l'on peut être héritier & légataire, quoique l'on ait des co-héritiers.
Mais dans la coutume de Paris & plusieurs autres semblables, on ne peut être héritier & légataire d'un défunt ensemble, soit en la succession directe ou collatérale, de maniere que le prélegs n'y a pas lieu. Voy. au digeste & au code les titres de legatis, & le trésor de Brederode, au mot praelegatum. Coutume de Paris, article 300. (A)
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PRÊLER | en terme de Doreur sur bois, se dit de l'action de frotter à la prêle des parties blanchies & qu'on doit brunir, pour les rendre encore plus douces. Voyez PRELE.
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PRÉLEVER | v. act. (Comm.) en terme de compte & de commerce, signifie lever une somme sur le total d'une société, avant que de la partager. Nos profits montent à 150000 livres, sur quoi il faut prélever 15000 livres pour l'obtention de nos lettres-patentes & les frais de notre établissement ; c'est par conséquent 135000 livres à partager. Dictionnaire de Commerce.
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PRÉLIBATION | DROIT DE, (Hist. du Droit) C'étoit ce droit que les seigneurs s'arrogerent avant & dans le tems des croisades, de coucher la premiere nuit avec les nouvelles mariées, leurs vassales roturieres. On nommoit aussi populairement ce droit le droit de cuissage en France, & de marchette en Angleterre. Des évêques, des barons s'attribuerent ce droit en qualité de hauts-barons ; & quelques-uns se sont fait payer dans le dernier siecle par leurs sujets, la renonciation à ce droit étrange, qui eut long-tems cours dans presque toutes les provinces de France & d'Ecosse. Voyez MARCHETTE. (D.J.)
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PRÉLIMINAIRES | S. m. pl. (Hist. mod. Politiq.) Lorsque des puissances sont en guerre, & pensent à terminer leur querelle par un traité de paix, on nomme préliminaires les articles principaux dont ces puissances sont convenues entr'elles ; ces articles sont signés par les ministres des puissances belligérantes, & ils précedent ordinairement un congrès où les ambassadeurs s'assemblent pour applanir les difficultés de détail qui peuvent encore s'opposer à la conclusion de la paix. La signature des préliminaires est ordinairement suivie d'une suspension d'armes ou d'une treve.
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PRÉLUDE | S. m. (Musique) est un morceau de symphonie qui sert d'introduction ou de préparation à une piece de musique. Ainsi les ouvertures d'opéra sont des especes de préludes, comme aussi les ritournelles qui sont au commencement de scenes.
Prélude est encore un trait de chant qui passe par les principales cordes du ton, ou une piece irréguliere que le musicien joue d'abord pour donner le ton, pour voir si son instrument est d'accord, & pour se préparer à commencer. (S)
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PRÉLUDER | v. n. (Musique) c'est chanter ou jouer quelque morceau de fantaisie irrégulier & assez court, pour donner le ton, ou bien pour poser sa main sur un instrument.
Mais sur l'orgue & le clavecin, l'art de préluder est quelque chose de plus considérable : c'est composer & jouer sur le champ des pieces chargées de tout ce que la composition a de plus savant en desseins, en fugues, en imitations & en harmonie. Pour y réussir, il ne suffit pas d'être bon compositeur, il ne suffit pas même de bien posséder son clavier & d'avoir la main bonne & bien exercée, il faut encore abonder de ce feu de génie & de cette présence d'esprit, qui font trouver sur le champ les sujets les plus favorables à l'harmonie, & les chants les plus flatteurs à l'oreille. C'est par le prélude que brillent les excellens organistes, tels que les sieurs Daquin & Calviere ; & c'est par toute la profondeur de cet art, que M. le prince d'Ardore, aussi célebre parmi les plus fameux musiciens, qu'illustre & respectable parmi les plus grands seigneurs & les plus sages ministres, a fait long-tems à Paris l'admiration de tous les connoisseurs. (S)
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PRÉMATURÉ | adj. (Langue françoise) Ce terme tiré du latin, est utile, expressif & beau ; mais il faut remarquer qu'il se prend en deux sens différens. Quand il se dit des fruits, de l'esprit & de ses qualités, il signifie mûr, formé avant le tems ordinaire. Ce sont des fruits prématurés ; c'est un esprit prématuré, une sagesse prématurée. La mort ne peut être prématurée à un consulaire ; mais quand on dit, par exemple, qu'une affaire est prématurée, cela signifie qu'il n'est pas encore tems de l'entreprendre. Cette entreprise est prématurée, c'est-à-dire, il n'est pas encore tems de l'exécuter. (D.J.)
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PRÉMÉDITATION | S. f. PRÉMÉDITé, participe, termes relatifs à un dessein, à une action, à une démarche qu'on n'exécute qu'après une mûre réflexion. On ne peut douter, aux circonstances de cette avanture, qu'elle n'ait été préméditée.
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PREMERY | (Géog. mod.) petite ville ou, si l'on veut, bourg de France dans le Nivernois, avec titre de chatellenie. L'évêque de Nevers en est seigneur. (D.J.)
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PREMESSE | (Jurisprud.) est un terme usité dans quelques coutumes, pour exprimer la proximité de lignage. Voyez ci-après PROESME. (A)
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PRÉMICES | S. f. pl. (Histoire) On donnoit ce nom aux présens que les Hébreux faisoient au Seigneur, d'une partie des fruits de leur récolte, pour témoigner leur soumission & leur dépendance, & pour reconnoître le souverain domaine de Dieu, auteur de tout bien.
On offroit ces prémices au temple d'abord, avant que de toucher aux moissons, & ensuite après les moissons, avant que les particuliers commençassent à en user ; & c'est pour cela qu'on les appelloit prémices.
Les premieres prémices qui s'offroient au nom de toute la nation, étoient une gerbe d'orge que l'on cueilloit le soir du 15 de Nisan, & que l'on battoit dans le parvis du temple. Après l'avoir bien vanné & nettoyé, on en prenoit environ trois pintes que l'on rôtissoit & concassoit dans le mortier : on jettoit pardessus un log d'huile : on y ajoutoit une poignée d'encens ; & le prêtre prenant cette offrande, l'agitoit devant le Seigneur vers les quatre parties du monde. Il en jettoit une poignée sur le feu, & le reste étoit à lui. Après quoi chacun pouvoit mettre la faucille dans sa moisson.
Lorsque la moisson du froment étoit achevée, c'est-à-dire le jour de la Pentecôte, on offroit encore au Seigneur des prémices d'une autre sorte au nom de toute la nation, lesquelles consistoient en deux pains de deux assarons, c'est-à-dire de trois pintes de farine chacun : ces pains étoient de pâte levée. Josephe, antiquit. l. III. c. x. ne met qu'un pain ; & il dit qu'on le servoit aux prêtres à souper le soir même avec les autres offrandes, & qu'il falloit les manger ce jour-là, sans qu'il en restât rien pour le lendemain.
Outre ces prémices qui s'offroient au nom de toute la nation, chaque particulier étoit obligé d'apporter ses prémices au temple du Seigneur. L'Ecriture n'en prescrit ni le tems ni la quantité ; mais les rabbins enseignent qu'il falloit apporter au temple au-moins la soixantieme partie de sa récolte & de ses fruits, quoiqu'il ne fût pas défendu d'être plus libéral. On s'assembloit par troupes de vingt-quatre personnes, pour apporter en cérémonie ces prémices. Cette troupe étoit précédée d'un boeuf destiné pour le sacrifice, couronné d'une couronne d'olivier, & ayant les cornes dorées. Un joueur de flûte marchoit devant eux à Jérusalem. Les prémices étoient de froment, d'orge, de raisins, de figues, d'abricots, d'olives & de dattes. Chacun portoit son panier : les plus riches en avoient d'or, d'autres d'argent ; les plus pauvres en avoient d'osier. Ils marchoient en pompe jusqu'au temple, en chantant des cantiques ; lorsqu'ils approchoient de la ville sainte, les bourgeois alloient au-devant d'eux, & les saluoient civilement.
Quand ils arrivoient à la montagne du temple, chacun, même le roi, s'il y étoit, prenoit son panier sur son épaule, & le portoit jusqu'au parvis des prêtres : alors les lévites entonnoient quelques paroles du pseaume xxx ; & celui qui apportoit les prémices disoit : Je reconnois aujourd'hui publiquement devant le Seigneur votre Dieu, que je suis entré dans la terre qu'il avoit promise avec serment à nos peres de nous donner. Alors il mettoit le panier sur sa main ; & le prêtre le soutenant par-dessous, celui qui l'offroit récitoit une espece de priere où il faisoit mention de l'entrée & de la sortie d'Israël en Egypte, des merveilles que Dieu avoit opérées pour l'en délivrer, de son introduction dans la terre de Chanaan ; & il la terminoit par ces paroles : C'est pourquoi j'offre maintenant les prémices des fruits de la terre que le Seigneur m'a donnés. On voit par-là quel étoit le motif & le fondement de cette cérémonie religieuse. Après ces mots, il mettoit son panier sur l'autel, se prosternoit & s'en alloit. La Mischna parle fort au long de ce qui regarde les prémices, dans les traités intitulés Thrumoth & Becorim.
Il y avoit une autre espece de prémices qu'on payoit au Seigneur, & dont il est fait mention dans les Nombres, ch. xjv. vers. 19. & 20. Lorsqu'on avoit paîtri le pain dans chaque famille, on en mettoit à part une portion qui se donnoit au prêtre ou au lévite qui demeuroit dans la ville ; que s'il ne s'y trouvoit ni prêtre ni lévite, on la jettoit au four & on la laissoit consumer par le feu. La loi n'en avoit pas fixé la quantité ; mais saint Jérôme dit que la coutume & la tradition l'avoient déterminé entre la quarantieme & la soixantieme partie de ce qu'on paîtrissoit. Philon, lib. de praemiss. sacerdot. en parle comme d'une coutume usitée parmi tous les Juifs. Léon de Modene cérém. des Juifs, part. II. ch. jx. témoigne qu'elle s'observe encore aujourd'hui : c'est un des trois préceptes qui regardent les femmes, parce que ce sont elles ordinairement qui font le pain. Lorsqu'on a fait un morceau de pâte gros à-peu-près comme quarante oeufs, on en prend une petite partie dont on fait une espece de gâteau qu'on jette au feu en disant : Soyez béni, Seigneur notre Dieu, roi du monde, qui nous avez sanctifié par vos préceptes, & qui nous avez commandé de séparer un gâteau de nôtre pâte. Les rabbins tiennent qu'on n'est obligé de payer les prémices que dans la terre promise, qu'on doit donner au moins la vingt-quatrieme partie de la masse qu'on a paîtrie, & que les boulangers n'en doivent que la quarante-huitieme.
On donne aussi dans l'ancien Testament le nom de prémices aux offrandes de dévotion que les Israëlites apportoient au temple, pour y faire des repas de charité, auxquels ils invitoient leurs parens, leurs amis, & les lévites qui étoient dans les villes ; aussi bien qu'aux offrandes qu'on faisoit de tous les premiers nés. Voy. PREMIERS NES.
Le nom latin de prémices, primitiae, se prend dans l'Ecriture non-seulement à la lettre pour les prémices des fruits de la terre, & les offrandes qu'on faisoit au Seigneur, mais aussi pour ce qu'il y a d'excellent en chaque chose. Par exemple, S. Paul, Rom. viij. 23, dit que les Chrétiens ont les prémices du S. Esprit, primitias Spiritus habentes, c'est-à-dire une plus grande abondance de l'esprit de Dieu, & des dons plus parfaits que n'en avoient eu les Juifs. Ailleurs il dit que Jesus-Christ est ressuscité d'entre les morts, comme les prémices de ceux qui sont décédés : primitiae dormientium. I. Cor. xv. 20. Il est appellé dans l'apocalypse le premier né des morts, c'est-à-dire le premier des ressuscités par sa propre vertu, primogenitus mortuorum ; & dans l'épîtr. 2 aux Thessalonic. c. j. v. 12. S. Paul leur dit qu'ils sont comme des prémices que Dieu a choisi pour les sauver, elegit vos Deus primitias in salutem, par une distinction particuliere, comme on choisit les prémices parmi ce qu'il y a de plus exquis dans les fruits pour les offrir au Seigneur. Calmet, Dictionn. de la Bible.
PREMICES, (Jurisprud.) primitias, sont les premiers fruits qu'on recueille de la terre ou des animaux.
Il étoit d'usage dans l'ancien Testament d'offrir les prémices au prêtre : il est fait mention de ces oblations dans l'Exode.
Elles devinrent même de précepte, suivant le Lévitique, ch. XXIV. feretis manipulos spicarum primitias messis vestrae ad sacerdotem ; & dans le livre des Nombres, ch. 5. il est dit qu'elles appartiennent au prêtre, omnes primitiae quas offerent filii Israel ad sacerdotem pertinent. Ces prémices se payoient depuis la trentieme jusqu'à la cinquantieme partie.
Suivant le Deuteronome, chap. xiv. on étoit aussi obligé d'offrir les premiers nés des troupeaux, primogenita de jumentis & ovibus suis.
Les Israëlites payoient en outre la dixme.
Dans les premiers siecles de l'Eglise, les fideles mettoient tous leurs biens en commun ; les ministres de l'Eglise vivoient d'oblations en général, sans qu'il y eût aucun précepte pour leur donner les prémices ni la dixme.
La premiere rétribution qui fut établie en leur faveur, ce fut la dixme.
Alexandre II. y ajouta les prémices ; il se fonda, pour établir ce nouveau droit, sur l'ancien Testament. Ces prémices étoient offertes sur l'autel, & bénites à la messe. C'est à ces fruits que s'appliquoit cette priere qui se dit au canon de la messe. Per quem haec omnia Domine semper bona creas, sanctificas, benedicis & praestas nobis, &c. Présentement que les prémices ne s'offrent plus ainsi, ces paroles s'appliquent au pain & au vin déja consacrés.
La quotité des prémices n'étoit pas fixée par la loi de Moïse. Saint Jérôme tient que les rabbins établirent qu'elle seroit au-moins du soixantieme, & qu'elle n'excéderoit pas le quarantieme ; ce que Fra-Paolo dit avoir été imité chez les siens, ayant établi le quarantieme, qu'on appelle aujourd'hui le quart.
Dans un concile de Bordeaux tenu en 1255, on fixa les prémices depuis la trentieme jusqu'à la quarantieme.
Dans un autre concile tenu à Tours en 1282, il fut réglé que les prémices seroient estimées au-moins à la soixantieme partie.
Présentement l'obligation de donner les prémices outre la dixme, n'est point de droit commun ; cela dépend de l'usage, & le droit de les percevoir est prescriptible par 40 ans. Voyez d'Hericourt, Fuet, Duperray & Bouvot, tome I. verbo dixme, quest. 2. (A)
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PREMIER | adj. (Gramm.) Ce mot s'applique dans un grand nombre de cas différens. On dit de celui qui se présente avant tous les autres dans un compte à faire, qu'il est le premier ; dans un lieu, qu'il occupe la premiere place : dans un ordre de choses distinguées par des attributs, qu'il est le premier ; dans le tems, &c. Voyez les articles suivans.
PREMIER, (Géom.) On appelle figures premieres, en Géométrie, celles qui ne peuvent être divisées en d'autres figures plus simples qu'elles. Voy. FIGURE. Tels sont le triangle parmi les figures planes, & la pyramide parmi les solides ; car toutes les figures planes sont composées de triangles, & toutes les solides sont composées de pyramides.
Les nombres premiers ou simples sont ceux qui n'ont point d'autres diviseurs qu'eux-mêmes, ou que l'unité ; ainsi 3 est un nombre premier, parce qu'il n'est divisible exactement que par lui-même, ou par 1. Le nombre 5 est aussi un nombre premier, &c.
Quand on compare un nombre à un autre, & que ces deux nombres n'ont aucun commun diviseur différent de l'unité, on les appelle nombres premiers entr'eux ; ainsi 4 & 9 sont des nombres premiers entr'eux, parce qu'il n'y a aucun diviseur de 9 qui le soit aussi de 4 ; par où vous voyez que des nombres premiers entr'eux peuvent fort bien n'être pas des nombres premiers, puisque 4 & 9 considérés séparément, ont des diviseurs différens de l'unité ; mais des nombres premiers sont nécessairement premiers entr'eux.
Pour trouver la suite des nombres premiers, il n'y a qu'à parcourir tous les nombres depuis 1 jusqu'à l'infini ; examiner ceux qui n'ont point d'autre diviseur que l'unité ou qu'eux-mêmes, les ranger par ordre, & l'on aura par ce moyen autant de nombres premiers que l'on voudra.
Par le moyen des nombres premiers on trouvera facilement tous les diviseurs simples ou premiers d'un nombre quelconque, tel que 5250 ; pour cela il n'y aura qu'à diviser d'abord le nombre proposé par 2, premier des nombres simples, & l'on aura 2625 pour quotient, qui n'est plus divisible par 2 ; essayant donc de le diviser par 3, le second des nombres simples, on aura 875 au quotient qui n'est pas divisible par 3 ; on le divisera donc par 5, & l'on aura 175, que l'on continuera à diviser par 5 ; ce qui produira 35 au quotient, que l'on divisera encore par 5 pour avoir 7 au quotient, qui est un nombre simple ou premier ; ainsi tous les diviseurs simples ou premiers du nombre 5250 sont 2, 3, 5, 5, 5, 7. Voyez la science du calcul du pere Reyneau, & les leçons de mathématiques de M. Privat de Molieres. (E)
A l'occasion des nombres premiers, nous insérerons, à la fin de ce volume, une table qui nous paroît assez bien entendue, & qui est tirée d'un livre anglois d'algebre assez ancien & assez peu connu ; cette table donne le premier & le plus simple diviseur de chaque nombre depuis 1 jusqu'à 100000 ; on voit bien que les nombres pairs en doivent être exclus, puisque ces nombres sont déja divisibles par 2. On voit au premier rang horisontal de la table les deux ou trois premiers chiffres à droite du nombre proposé, & au premier rang vertical les deux derniers chiffres du même nombre. Supposons, par exemple, qu'on veuille savoir si 41009 est un nombre premier, je cherche au haut d'une des tables le chiffre 410 dans le premier rang horisontal, & ensuite les chiffres 09 dans le premier rang vertical de la même table, & je trouve au-dessous de 410 & vis-à-vis 09 le nombre 23 qui m'indique que 23 divise exactement 41009 ; en effet, le quotient est 1783, que je trouve à la premiere table & par la même méthode, être un nombre premier ; ce qui est indiqué par un p qui se trouve dans cette table au-dessous de 17 & vis-à-vis 83. En voilà assez pour faire connoître l'usage de cette table.
Si le nombre proposé a moins de quatre chiffres, on le trouvera à la premiere table ; & s'il n'a qu'un ou deux chiffres, il se trouve à la premiere colonne verticale de cette table & à côté la lettre p, ou le plus petit diviseur, selon que le nombre est premier ou non.
PREMIER MOBILE, dans l'Astronomie de Ptolémée, signifie la neuvieme ou la plus grande sphere des cieux, dont le centre est celui du monde, & en comparaison de laquelle la terre n'est qu'un point.
Les sectateurs de Ptolémée prétendent que le premier mobile contient toutes les autres spheres au-dedans de lui, & qu'il leur donne du mouvement en tournant lui-même, & les faisant tourner toutes, & achever leur révolution en 24 heures. Les autres orbes particuliers sont destinés à produire les différens autres mouvemens que l'on observe dans les corps célestes, & pour chacun desquels il a fallu, pour ainsi dire, imaginer un orbe mobile particulier. L'Astronomie est aujourd'hui délivrée de tout ce fatras d'orbes mobiles depuis le système de Copernic, qui explique heureusement les phénomenes célestes par le mouvement de la terre. (O)
PREMIER, planetes premieres, (Astron.) se dit des planetes qui tournent autour du Soleil. Voyez PLANETE. Ces planetes sont Saturne, Jupiter, Mars, la Terre, Vénus & Mercure. On les appelle ainsi pour les distinguer des planetes secondaires ou satellites. Voyez SECONDAIRE & SATELLITE.
Il y a des auteurs qui n'accordent le nom de premieres planetes qu'aux planetes supérieures ; savoir, Saturne, Jupiter & Mars ; mais sur quel fondement ?
PREMIER, premier vertical, (Astron.) est le cercle vertical qui passe par les poles du méridien ; c'est-à dire, c'est un grand cercle qui passe par le zénith & le nadir, & qui est perpendiculaire au plan du méridien. Voyez VERTICAL, ZENITH & NADIR.
Premiers verticaux, en terme de Gnomonique, ou cadrans premiers verticaux, sont ceux qui sont projettés sur le plan du premier vertical, ou sur des plans qui lui sont paralleles. Voyez CADRAN.
Ces cadrans sont ceux que nous appellons cadrans directs, ou cadrans au nord & au sud. Un cadran, tel que ceux dont nous parlons, s'il est tourné au midi, regardera le pole austral, & par conséquent le stile (dont l'angle avec le plan doit être le complément de la latitude du lieu), ou, ce qui revient au même, qui doit être parallele à l'axe de la terre, aura sa pointe tournée en-bas sur le plan de ce cadran.
Les cadrans qui sont directement au nord, ont le sud par-derriere. Ainsi il ne faut, pour avoir un cadran au nord, que tracer un cadran au sud, & le retournant de l'autre côté, en omettant les heures inutiles entre 5 & 7, & entre 4 & 8 ; seulement il faut observer que le stile doit être incliné de bas en haut, & tourner sa pointe vers le pole du nord. Voyez CADRAN. (O)
PREMIER, (Critiq. sacrée) primus, ; ce mot signifie dans l'Ecriture, le premier à l'égard du tems, I. Reg. 22. 9. Il dénote 2°. celui qui donne l'exemple aux autres : manus etiam magistrorum fuit in hac primâ transgressione, I. Esdras, ix. 2. les magistrats donnoient les premiers le mauvais exemple. 3°. Ce qui est le plus éminent en prix : sume aromata primae myrrhae, Exod. xxx. 33. prenez des parfums de la myrrhe la plus excellente. 4°. Pour l'ordre & le rang : voici le nom des douze Apôtres ; le premier est Simon, Mat. x. 12. est mis ici pour , le premier, non en dignité, mais en ordre, en rang, qui est vraisemblablement fondé sur l'âge ou sur la vocation. C'est ainsi qu'il est dit dans l'Ecclésiastique, cessez le premier de manger, prior, comme l'a rendu l'interprete latin. 5°. Premier, signifie le principal, le plus grand, I. Tim. j. 15. Il veut dire aussi premierement ; Alexander qui primus regnavit in Graeciâ, I. Marc. j. 1. Alexandre qui regna premierement dans la Grece. 6°. Il se prend encore pour avant que : haec descriptio prima facta est à praeside Syriae Cyrino, Luc ij. 2. ce dénombrement se fit avant que Cyrénus fût gouverneur de Syrie ; car on sait certainement qu'il ne l'étoit point sous le regne d'Hérode. (D.J.)
PREMIER, primus, (Hist. mod.) se dit de ce qui n'est précédé d'aucun autre en ordre, en dignité ou en degré parmi différentes choses de la même espece, ou d'une espece semblable.
Ainsi l'on dit premier ministre, premier mobile, le premier maréchal de France, le premier capitaine d'un régiment.
Premier se dit aussi de celui qui précede d'autres êtres de la même espece, mais qui n'ont pas existé en même tems. Ainsi nous disons que Jules-César fut le premier des empereurs romains. Guillaume le conquérant le premier des rois normands.
Premier se dit aussi quelquefois par ordre de priorité, seulement sans marquer de prééminence ; on dit en ce sens que l'électeur de Mayence est le premier des électeurs, qui sont au reste fort indépendans de lui. C'est ce qu'on appelle premier entre égaux, primus inter pares.
PREMIER, (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans l'université de Louvain, un jeune homme qui, après avoir étudié la Logique dans un des colleges, soutient un examen devant plusieurs docteurs de cette université, & resout un certain nombre de questions relatives à la dialectique, qui lui sont proposées. Celui qui se trouve en état de résoudre le plus de ces questions, obtient le titre de primus ou de premier ; cet acte se passe avec beaucoup de solemnité ; toutes les villes des Pays-Bas, qui envoyent leur jeunesse étudier à Louvain, tiennent à grand honneur, lorsque c'est un de leurs citoyens qui a été déclaré premier ; communément à son retour dans sa patrie, on lui fait une reception aussi pompeuse que pourroit être celle d'un ambassadeur ; toute la ville célebre cet événement fortuné. Ceux qui se destinent à l'état ecclésiastique sont ordinairement très-assurés d'obtenir des bénéfices, des dignités, & même des évêchés par la suite lorsqu'ils ont été premiers de Louvain. On sent que rien n'est plus propre à encourager la jeunesse que ces sortes de distinctions ; il seroit à souhaiter qu'elles eussent lieu dans tous les pays où les sciences sont cultivées ; seulement on pourroit tourner l'esprit des jeunes gens vers des objets plus utiles & plus intéressans que ne sont des problèmes de dialectique.
PREMIER, s. m. (terme de jeu de Paume) c'est un des endroits de la galerie des jeux de paume. Il y a deux premiers dans chaque galerie d'un jeu de paume. L'un de ces premiers est le plus près de la porte, & l'autre de la corde.
PREMIER-NE, s. m. (Théolog.) terme qui a différentes significations dans l'Ecriture, où il se prend quelquefois pour ce qui est le premier, le plus distingué en chaque chose. Ainsi Jesus-Christ est appellé dans S. Paul, le premier-né de toute créature, & dans l'Apocalypse, le premier né d'entre les morts ; c'est-à-dire, engendré du Pere avant qu'aucune créature eût été produite, & le premier qui soit ressuscité par sa propre vertu. Ainsi dans Isaïe, primogeniti pauperum marquent les plus malheureux d'entre les pauvres ; & dans Job, primogenita mors, la plus terrible de toutes les morts.
Mais le nom de premier-né se prend plus proprement pour ce qui naît ou ce qui provient pour la premiere fois des hommes, des animaux, des arbres, des plantes, &c.
Depuis que Dieu eut fait mourir par l'épée de l'ange exterminateur tous les premiers-nés des Egyptiens, & qu'il en eut préservé ceux des Israélites, il ordonna que tous les premiers-nés de ceux-ci, tant des hommes que des animaux domestiques & de service, lui fussent consacrés, Exod. xiij. Il n'y avoit que les enfans mâles qui fussent soumis à cette loi. Si le premier enfant d'une femme étoit une fille, le pere n'étoit obligé à rien, ni pour elle, ni pour tous les autres enfans même mâles qui suivoient ; & si un homme avoit plusieurs femmes, il étoit obligé d'offrir au Seigneur les premiers-nés de chacune d'elles. Ces enfans premiers-nés étoient offerts au temple, & leurs parens les rachetoient pour la somme de cinq sicles. Voyez SICLE.
Si c'étoit un animal pur, comme un veau, un agneau, &c. on devoit l'offrir au temple, mais on ne pouvoit pas le racheter ; on le tuoit ; on répandoit son sang autour de l'autel ; on brûloit les graisses sur le feu de l'autel, & la chair étoit pour les prêtres. Mais on rachetoit ou l'on tuoit les premiers-nés des animaux impurs, comme l'âne, le cheval, &c. Quelques commentateurs prétendent qu'on tuoit les premiers-nés des chiens, mais qu'on n'en donnoit rien aux prêtres parce qu'on n'en faisoit aucun trafic.
A l'égard des premiers fruits des arbres, les trois premieres années le fruit étoit censé impur ; la quatrieme année tout le fruit étoit au Seigneur, le propriétaire n'avoit droit de les cueillir pour lui que la cinquieme année.
Quelques-uns prétendent que Jesus-Christ n'étoit pas soumis à la loi de Moïse, qui porte, omne masculinum adaperiens vulvam, parce qu'il vint au monde sans rompre les sceaux de la virginité de sa mere. D'autres veulent qu'il y fut soumis parce que les paroles de la loi sont équivalentes à celles-ci, omne masculinum primogenitum. D'autres prétendent que les paroles de Moïse, dans un sens prophétique, ne regardoient que Jesus-Christ, qui par sa naissance a ouvert le sein de Marie ; au lieu que dans la naissance des autres hommes, omnium mulierum, non partus infantis, sed viri coitus vulvam reserit, dit Origene, homel. xjv. in Luc.
Voici les cérémonies que les Juifs modernes observent pour le rachat de leurs premiers-nés. Si c'est une fille, il n'y a aucune cérémonie particuliere ; mais si c'est un garçon, quand l'enfant a trente jours accomplis, on mande un des descendans d'Aaron, celui qui plaît le plus au pere ; & plusieurs personnes s'étant rendues dans la maison, le pere apporte dans une tasse ou dans un bassin beaucoup d'or & d'argent, puis on met l'enfant entre les mains du prêtre, qui demande tout haut à la mere si ce garçon est à elle. Elle répond qu'oui. Il ajoute, n'avez-vous jamais eu d'autre enfant, soit mâle ou femelle, ou même d'avorton, ou de fausse couche ? Elle répond, non. Cela étant, dit le sacrificateur, cet enfant, comme premier-né, m'appartient. Puis se tournant du côté du pere, il dit : Si vous en avez envie, il faut que vous le rachetiez. Cet or & cet argent, répond le pere, ne vous sont présentés que pour cela. Le sacrificateur répond : vous voulez donc le racheter ? Oui, je le veux, répond le pere. Alors le sacrificateur se tournant vers l'assemblée dit : cet enfant, comme premier-né, est donc à moi, suivant cette loi : rachetez celui qui est agé d'un mois pour cinq sicles d'argent, &c. mais je me contente de ceci en échange. En achevant ces paroles, il prend deux écus d'or ou environ, plus ou moins, selon sa volonté ; & après cela il rend l'enfant au pere & à la mere. Ce jour-là est un jour de réjouissance dans la famille. Si le pere ou la mere sont de la race des sacrificateurs, ou des lévites, ils ne rachettent point leur fils. Léon de Modene, Cérémon. des Juifs, part. IV. ch. ix.
Il y avoit aussi chez les anciens Hébreux une autre sorte de premiers-nés, que l'on amenoit au temple pour en faire des repas de charité. Il en est parlé au Deuteronome, ch. xij. v. 17. & 18. & ch. xv. v. 19. On les appelloit autrement prémices. Voyez PREMICES. Calmet, Dictionn. de la Bible, tome III. p. 264.
Les premiers-nés des hommes chez les Hébreux, comme parmi toutes les autres nations, avoient des privileges particuliers ; & comme parmi eux la polygamie étoit en usage, il étoit important de fixer ces droits. Voici ce que Moïse en ordonne, Deutéronome, xxi. v. 12. Si un homme a deux femmes dont il aime l'une & n'aime pas l'autre, & que ces deux femmes ayent eu des enfans de lui, & que le fils de celle qu'il n'aime pas soit l'aîné, lorsqu'il voudra partager son bien entre les enfans, il ne pourra donner au fils de celle qu'il aime les droits de premier-né, ni le préférer au fils de celle qu'il n'aime pas. Mais si le fils de celle qu'il n'aime pas est l'aîné, il le reconnoîtra pour tel, & lui donnera une double portion dans tout ce qu'il possede. Voilà d'abord ce qui étoit statué pour reconnoître & constater le droit de primogéniture ou d'aînesse.
Les privileges des premiers-nés consistoient premierement au droit de sacerdoce, qui avant la loi, étoit attaché à l'aîné de la famille. Secondement en ce qu'il avoit la double portion entre ses freres.
Le droit de sacerdoce n'appartient proprement à l'aîné, à l'exclusion de ses freres, que quand les freres demeuroient ensemble dans un même lieu & dans une même famille ; car dès que les freres étoient séparés, & faisoient famille à part, chacun devenoit le chef & le prêtre de sa maison.
Quant au double lot, on l'explique de deux manieres. Les uns croyent qu'on donnoit à l'aîné la moitié de toute la succession, & que l'autre moitié se partageoit par parties égales aux autres freres. Mais les rabbins enseignent au contraire que le premier-né prenoit le double lot de chacun de ses freres. Ainsi si un pere avoit laissé six fils, on faisoit sept portions égales, l'aîné en avoit deux, & chacun de ses freres en avoit une. Si l'aîné étoit mort, & avoit laissé des enfans, son droit passoit à ses enfans & à ses héritiers. Les filles n'avoient nulle part à ces privileges, quand même elles auroient été les aînées de leurs freres ou de leurs soeurs. On trouve dans l'Ecriture quelques faits qui dérogent à ces lois générales ; par exemple, Isaac transporta le droit de premier-né d'Esaü à Jacob ; Jacob le transporta de Ruben à Joseph, & David d'Adonias à Salomon. Mais ces événemens arriverent par une providence particuliere, & par une révélation de Dieu. Calmet, Dictionn. de la Bible tome III. pag. 265.
PREMIER-OCCUPANT, droit du, (Droit naturel) maniere d'acquérir la propriété des biens qui n'appartiennent à personne.
Les hommes sont convenus entr'eux que toutes choses qui n'étoient point entrées dans le premier partage, & qui se trouvoient inconnues, seroient laissées à celui qui s'en empareroit avant toute autre, soit par prise de possession, soit autrement, ensorte que par ce moyen il acquéreroit légitimement la propriété de ces sortes de choses.
Ce qui fonde le droit du premier-occupant dans le cas dont il s'agit ici, c'est qu'il a donné à connoître avant tout autre le dessein qu'il avoit de s'emparer de telle ou telle chose, étant à portée de le faire. Si donc il témoigne son intention par quelque acte significatif, comme par un acte corporel, par une marque faite à certaines choses, &c. ou si les autres ont manifestement renoncé en sa faveur au droit qu'ils avoient aussi-bien que lui sur une chose, il peut alors acquérir la propriété originaire de cette chose, sans aucune prise de possession actuelle.
C'est ainsi que l'on se rend maître des pays déserts que personne ne s'étoit encore appropriés ; car ils commencent à appartenir au premier qui y met le pié avec intention de les posséder, & qui pour cet effet les cultive, & y plante ou y établit des bornes par lesquelles il distingue ce dont il veut s'emparer d'avec ce qu'il veut laisser en commun. Que si plusieurs à-la-fois s'emparent de certaines contrées, l'expédient le plus ordinaire est d'assigner à chacun une certaine portion de terre, après quoi on regarde celles qui restent comme appartenant à tout le corps.
On acquiert aussi par droit de premier-occupant, les bêtes sauvages, les oiseaux, les poissons de la mer, des rivieres, des lacs ou des étangs, & les perles ou autres choses semblables que la mer jette sur le rivage en certains endroits ; bien entendu que le souverain n'ait pas expressément défendu aux particuliers de prendre ces sortes de choses.
En effet, le chef de l'état est censé s'être emparé de toutes les choses mobilieres qui se trouvent dans l'enceinte de ses terres, lorsqu'il ne les donne pas à d'autres ; si donc il ne témoigne pas qu'il veut laisser ces sortes de biens en communauté, ils lui appartiennent véritablement autant que leur constitution naturelle le permet. Je dis autant que leur constitution naturelle le permet, car les bêtes sauvages, par exemple, qui sont dans les forêts du pays, peuvent passer dans les forêts d'un autre état, où l'on n'a pas droit de les aller réclamer : mais il ne s'ensuit point de-là qu'elles n'appartinssent pas auparavant au maître des forêts qu'elles ont quitté. Le droit de propriété que celui-ci avoit n'en étoit pas moins réel pour être chancelant & sujet à s'évanouir : il en est ici comme des rivieres. L'eau qui coule chaque jour dans nos campagnes est nôtre, quoiqu'elle s'enfuie incessamment pour passer sur les terres d'autrui d'où elle ne reviendra plus.
Enfin on peut acquérir par droit de premier-occupant une chose qui a déja eu un autre maître, pourvû que le droit de celui-ci ait été entierement éteint, comme quand le propriétaire d'une chose l'a jettée ou abandonnée avec un dessein formel & suffisamment manifesté de ne plus la tenir pour sienne ; ou lorsque l'ayant perdue malgré lui, il la regarde ensuite comme ne lui appartenant plus, & ne pense point à la recouvrer.
Il faut rapporter à ceci, ce qu'on appelle un trésor, c'est-à-dire un argent dont on ignore le maître, car il est au premier qui le trouve, à-moins que les lois civiles n'en disposent autrement. Ce trésor devroit encore appartenir au premier qui le découvre, quand même il l'auroit trouvé dans le fond d'autrui ; car ce n'est pas un accessoire du fonds, comme les métaux, les minéraux & autres choses semblables qui y sont censées attachées, & dont, à cause de cela, le propriétaire du fonds peut être regardé comme en possession.
Il y a des excellentes notes de M. Barbeyrac sur cette matiere dans son édition de Puffendorf ; voyez-les. (D.J.)
PREMIER-PRIS, terme de Lansquenet, c'est le coupeur dont celui qui tient la main amene le premier la carte. Celui qui est ainsi pris le premier, est obligé d'arroser tous les autres coupeurs, c'est-à-dire de leur payer à chacun autant que vaut le fond du jeu. Le grand usage de prononcer le mot de premier-pris en a fait un substantif ; quand on voit un homme triste, pâle & défait, on dit en proverbe tiré du lansquenet, qu'il a l'air d'un premier-pris. Acad. des jeux.
PREMIERES-COULEURS, (Joaillerie) sortes d'émeraudes qui se vendent au marc ; c'est ce qu'on appelle plus ordinairement negres-cartes. (D.J.)
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PRÉMISSES | S. f. plur. (Logique) les deux premieres propositions d'un syllogisme. Voyez l'article SYLLOGISME. Si le syllogisme est en forme, les deux prémisses accordées, il faut avouer la conclusion.
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PRÉMONTRÉ | (Théolog.) est le nom d'un ordre religieux de chanoines réguliers, institué par S. Norbert en 1120.
Le premier monastere de cet ordre fut bâti par S. Norbert dans l'île de France, à trois lieues de Laon vers le couchant, & appellé par lui prémontré, praemonstratum, & c'est de-là que l'ordre a tiré son nom. Les auteurs sont fort partagés sur la vraie origine de ce nom.
Honorius II. approuva cet ordre en 1126, & plusieurs autres papes le confirmerent dans la suite. En 1245, Innocent IV. se plaignit du relâchement de cet ordre, & en écrivit au chapitre général. En 1288, le général Guillaume demanda & obtint du pape Nicolas IV. la permission de manger de la viande pour ceux de l'ordre qui seroient en voyage. En 1460, à la priere du général, Pie II. accorda la permission générale de manger de la viande, excepté depuis la Septuagésime jusqu'à Pâque.
Les prémontrés sont vêtus de blanc, avec un scapulaire au-devant de leur soutane. Lorsqu'ils sortent, ils ont un manteau blanc ; dans la maison, un petit camail ; & au choeur, un surplis.
Les premiers monasteres que S. Norbert établit étoient l'un pour les hommes, & l'autre pour les femmes ; un mur de séparation les divisoit. En 1137, un decret du chapitre général défendit cet usage pour l'avenir, & ordonna que les religieuses des monasteres déja bâtis seroient transférées ailleurs, & éloignées du monastere des hommes.
Les prémontrés ont un college à Paris, & peuvent prendre des degrés dans la faculté de Théologie de Paris.
Il y a aussi une réforme de prémontrés.
PREMONTRE, (Géog. mod.) abbaye réguliere de France, dans la Picardie, au diocese & à 3 lieues au couchant de Laon, à 4 lieues au nord de Soissons, dans la forêt de Couci, & dans un vallon marécageux. Je ne parle de cette abbaye contre ma coutume, que parce qu'elle est chef de l'ordre de prémontré qui en tire son nom. Saint Norbert, allemand, s'y retira avec ses compagnons en 1119. Les religieux de cette abbaye, quoiqu'éloignés du commerce des hommes, y sont commodément logés, & jouïssent de plus de 70000 livres de revenu. Cette abbaye est élective. (D.J.)
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PRÉMOTION | PRÉMOTION
On distingue deux sortes de prémotions, l'une générale & l'autre particuliere. La prémotion générale n'est autre chose que cette nécessité qui nous force d'acquiescer à la vérité une fois connue, & cet empressement général & indispensable qui nous est donné par le Créateur pour le bonheur en général. La prémotion particuliere, c'est cet acte physique, par lequel Dieu, sans consulter notre volonté, l'incline vers un parti plutôt que vers un autre.
Les Thomistes de tout tems ont soutenu le système de la prémotion avec une chaleur d'autant plus vive, qu'ils la croyent établie dans les ouvrages de S. Thomas. Ils tirent sa nécessité de trois sources différentes ; 1° de la nature de la volonté, laquelle a besoin d'être prévenue par l'action de Dieu pour sortir de son indifférence ; 2° de ce que Dieu est une cause universelle, le premier agent de tous les êtres & le premier mouvant ; 3° de la dépendance absolue de la créature, qui ne seroit pas digne de Dieu si la créature pouvoit soustraire à l'action prévenante du Créateur la moindre de ses volitions, un rayon imperceptible de volonté. Comme ces raisons ont lieu dans l'ordre de la nature & dans l'ordre de la grace, dans l'état d'innocence & dans l'état de corruption, les Thomistes ont admis dans ces différens ordres & dans ces différens états la nécessité de la prémotion. Dans l'ordre naturel, elle retient le nom de prémotion physique ; dans le surnaturel, elle s'appelle la grace efficace elle-même, grace prédéterminante, grace thomistique. Voyez tous ces articles.
La premiere raison que les Thomistes alleguent en faveur de la prémotion, & qu'ils tirent de la nature de la volonté, paroît si forte à quelques-uns, que, quoiqu'ils rejettent la prémotion particuliere comme contraire à la liberté, ils en admettent une générale qu'ils croyent nécessaire à la volonté pour qu'elle sorte de son indifférence. Mais cette prémotion générale n'est pas un bouclier propre à parer les coups que leur portent les Thomistes. Quand on fait tant que d'admettre une prémotion générale, autant vaudroit-il en admettre tout-d'un-coup une particuliere. Qu'est-ce que ce mouvement vague & indéterminé qui se portant à tout, ne se porte à rien ; qui se diversifie en une infinité de manieres, selon les volontés qui en reçoivent l'impression, à-peu-près comme le son varie selon les tuyaux d'orgue dans lesquels il entre ? Si la volonté peut arrêter le mouvement qui lui est communiqué, ou le diriger du côté qu'il lui plaira, pourquoi ne pourra-t-elle pas se le donner à elle-même ? L'un n'est pas plus difficile que l'autre. C'est ici que triomphent les Thomistes de ceux qui ne forment que des pas incertains & irrésolus dans le chemin que leur ouvre la vérité. Lorsqu'on suppose une fois de l'activité dans l'ame, je ne vois pas pourquoi elle auroit besoin d'une action étrangere pour se déterminer, & pourquoi elle ne se suffiroit pas à elle-même dans une action naturelle : ipsa suis pollens opibus, nil indiga causae. En la rendant si impuissante, ils ne s'apperçoivent pas qu'ils affoiblissent la puissance de Dieu même. La seconde raison tombe d'elle-même, dès-là qu'on suppose la créature capable de se déterminer par elle-même. Pour la troisieme raison, elle ne tiendra pas davantage, si l'on fait attention que la créature, quelque maîtresse qu'on la suppose de ses déterminations, ne sort jamais du cercle étroit que Dieu a tracé autour d'elle, parce que Dieu ne la tire du néant qu'autant qu'il prévoit (& cette prévoyance est infaillible) qu'elle concourra, soit par ses crimes, soit par ses vertus, à avancer les grands desseins de sa providence.
L'auteur de la prémotion physique, ou de l'action de Dieu sur les créatures, s'est signalé, sur-tout dans la défense de ce système. Cet auteur prétend 1° que toutes nos connoissances & tous nos amours sont autant d'êtres distincts ; 2° que nous n'acquérons de nouvelles connoissances & que nous ne formons de nouveaux amours, qu'autant que Dieu en crée l'être pour l'ajouter à celui de notre ame ; 3° enfin que Dieu, en créant de nouveaux êtres de connoissance ou d'amour, se sert du premier être de notre ame, pour le faire concourir à cette création. On voit bien qu'il ne pose le troisieme principe qu'à son corps défendant, s'il est permis de parler ainsi, & que pour maintenir l'activité de l'ame que les deux autres paroissent détruire. Sans suivre ces principes, & toutes leurs conséquences, je ferai seulement sur eux quelques réflexions. 1°. Toutes nos connoissances, tous nos amours, tous nos degrés de connoissance, tous nos degrés d'amour sont autant d'êtres ou de degrés d'être ; du-moins cela paroît ainsi à l'auteur : il part de-là comme d'un principe incontestable. Quand je suis bien rempli de ce système, je me fais un vrai plaisir d'ouvrir, de fermer & de r'ouvrir sans cesse les yeux : d'un clin d'oeil je produis, j'anéantis & je reproduis des êtres sans nombre. Il semble encore qu'à tout ce que j'entends, je sente grossir mon être : si j'apprends, par exemple, que dans une bataille il est resté dix mille hommes sur la place, dans le moment mon ame augmente de dix mille degrés d'être pour chaque homme tué : tant il est vrai que dans ce système mon ame fait son profit de tout. Il y a là bien de la philosophie, c'est grand dommage que cela soit inintelligible, & que l'auteur ne puisse donner aucune idée de ces êtres, production de sa féconde imagination. Comprenons-nous qu'à chaque instant de nouveaux êtres soient ajoutés à notre substance, & ne fassent avec elle qu'un seul être indivisible ? Comprenons-nous qu'on puisse retrancher quelque chose d'une substance qui n'est pas composée, ou qu'on puisse lui ajouter quelque chose sans qu'elle perde sa simplicité ? Avons-nous quelque idée de ces entités ajoutées à l'ame qui, au dire de l'auteur, semblent enfler le volume de sa substance ? On ne donne point, dit l'auteur de la prémotion physique, ce qu'on n'a point, ni par conséquent plus qu'on a ; ou, pour le rendre autrement, avec le moins on ne fait pas le plus : d'où il infere qu'une intelligence créée n'augmentera jamais toute seule son être ; que n'ayant, par exemple, que quatre degrés d'être dans le moment A, elle ne s'en donnera pas un cinquieme dans le moment B ; car elle se donneroit ce qu'elle n'a point, elle donneroit plus qu'elle n'a, avec le moins elle feroit le plus. L'auteur étend & retourne ce raisonnement de mille manieres différentes. Mais s'il est vrai qu'on ne donne pas ce qu'on n'a pas, & qu'avec le moins on ne fait pas le plus, donc l'ame qui n'a pas une telle connoissance, ni un tel amour, qui a moins que cette connoissance & que cet amour, ne pourra se donner toute seule ni l'un ni l'autre ; elle ne se les donnera pas même avec le secours de Dieu ; elle ne concourra pas à leur production ; pour concourir, il ne suffit pas qu'elle produise en partie l'acte de connoissance ou celui d'amour, il faut qu'elle le produise en entier, & qu'elle soit cause totale ainsi que Dieu. Mais si on ne donne point ce qu'on n'a point, comment concourra-t-on à donner en entier ce qu'on n'a point ? C'est ici que l'auteur est fort embarrassé. Comment sauvera-t-il l'activité de l'ame ? C'est qu'en créant en nous un nouvel être de connoissance ou d'amour, il se sert de degrés d'être qu'il trouve dans notre ame, & qu'il les fait concourir à cette production, c'est-à-dire que les nouveaux degrés de connoissance ou d'amour s'unissent, s'incorporent avec les anciens qui les développent, qui les dilatent : mais comment concevoir cela ? Mon ame (je le suppose avec vous) n'a que quatre degrés d'être dans le moment A ; il s'agit qu'elle en ait cinq dans le moment B. Or elle n'a point ce cinquieme degré, aucun des quatre premiers ne le contient ; donc ni elle, ni les quatre premiers degrés ne formeront pas le cinquieme, si Dieu ne le produit lui-même : vous en convenez. Mais j'ajoute que Dieu en le créant ne fera pas qu'elle se le donne, ou qu'elle concoure à sa production ; car Dieu employeroit inutilement sa toute-puissance, pour me faire donner ce que je n'ai pas. Dieu ne sauroit faire qu'un principe vrai devienne faux, ce qui pourtant arriveroit, s'il dépendoit de lui, que l'ame se donnât ce qu'elle n'a pas, ou plus qu'elle n'a. Dieu, dites-vous, met en oeuvre les premiers degrés d'être qui sont déja dans l'ame. Ne croiroit-on pas à ce langage qu'il n'y a que lui qui agisse, & que les premiers êtres sont entre les mains de Dieu, comme quelque chose de purement passif, comme l'argile entre les mains du potier ? Vous ajoutez que Dieu fait ensorte que les degrés qui étoient anciennement dans l'ame, cooperent & contribuent avec ce que Dieu y ajoute pour former une nouvelle action. Je découvre-là trois choses : 1° la coopération des anciens degrés d'être : 2° ce que Dieu ajoute : 3° l'action qui en résulte. Par-là il paroît que ce ne sont plus ici deux causes dont l'une est subordonnée à l'autre, & qui produisent chacune en entier la même & unique action ; ce sont deux causes paralleles qui en font chacune une partie ; car la coopération des anciens degrés & ce que Dieu ajoute sont deux choses fort distinctes. Or, ou la coopération des anciens degrés produit quelque chose, ou non : mais que produiroit-elle ? Ce n'est pas ce que Dieu ajoute ; Dieu peut seul en être la cause : sera-ce quelque autre être ? Voilà donc quelque chose qui appartient à la créature & qu'elle produit toute seule : Ne produira-t-elle rien ? Elle ne fait donc rien, elle n'a donc point de part à l'action : ou bien encore, les anciens degrés contiennent-ils en entier l'être de l'action ? Leur opération le produira donc toute seule, & il est inutile que Dieu y ajoute du sien. Ne le contiennent-ils pas en entier ? Leur opération ne le produira donc pas en entier, même avec le secours de Dieu. Mais bien plus, qu'est-ce que Dieu ajoute, & qui est si distingué de la coopération des anciens degrés ? Est-ce la nouvelle action, en est-ce l'être ? En ce cas Dieu fait donc ensorte que les anciens degrés d'être cooperent avec la nouvelle action, qu'il ajoute lui-même pour former cette même action. Ajouter une action avant de la former ! Voilà un langage inintelligible. Si elle est ajoutée, elle est formée ; & la coopération des anciens degrés devient inutile. Enfin ce que Dieu ajoute, sera-ce quelque chose de moins que l'action, que l'être de l'action ? L'action n'en résultera donc jamais ; car avec le moins, on ne fait pas le plus : ou si elle en résulte, les anciens degrés auront produit quelque chose qu'ils ne contenoient pas, ils auront fait quelque chose sans le secours de Dieu. Qu'est-ce donc, encore un coup, que ce que Dieu ajoute selon votre système ?
Mais si quittant la créature, nous nous élevons jusqu'au créateur, nous rétorquerons contre l'auteur ses propres principes, & nous lui prouverons que Dieu n'a pû former de decrets. S'il est vrai que l'ame ne puisse se donner un degré d'amour ou de connoissance, qu'elle n'augmente son être, donc Dieu en formant ses decrets, a augmenté le sien. Si on ne donne point ce qu'on n'a point, ni par conséquent plus qu'on n'a, donc Dieu n'a pû se donner ses decrets, ne les ayant pas par la constitution de sa nature. Si ces principes sont ridicules étant appliqués à Dieu, ils ne le sont pas moins quand il s'agit de la créature.
Autant le système de la prémotion physique se défend mal, autant on a d'avantage à l'attaquer. Deux inconvéniens que ses défenseurs n'ont jamais pû parer, c'est 1°. de ruiner la liberté ; c'est 2°. de faire Dieu auteur du péché. Que ce système soit contraire à la liberté, c'est ce qu'il est aisé de montrer.
1°. C'est un principe constant dans toutes les écoles, que nous ne sommes pas libres pour le bonheur en général. Or cette pente rapide que nous avons vers lui, cette impression invincible que Dieu nous a donnée pour lui, sont l'effet de la prémotion physique générale. Ce que la prémotion physique générale est pour le bonheur en général, la prémotion physique particuliere l'est pour les actes particuliers. Or si la prémotion physique générale détruit notre liberté par rapport au bien général, la prémotion physique particuliere la détruira par la même raison, par rapport aux actions particulieres vers lesquelles elle nous détermine.
2°. Les Thomistes conviennent eux-mêmes que nous ne sommes pas libres par rapport aux premieres impressions que produit en nous la grace prévenante ou excitante. Quand Dieu nous illumine subitement, & qu'il attire notre volonté vers la vertu, il ne dépend pas de nous de ne pas être éclairés, & de ne pas ressentir les attraits que la grace répand sur la vertu. Or pourquoi ne sommes-nous pas libres par rapport à ces premieres touches de la grace, si ce n'est parce qu'elles préviennent le consentement de notre volonté ! Or la prémotion physique pour agir sur nous n'attend pas notre consentement. Nous ne sommes donc point libres sous son impression.
3°. Il n'y a point de liberté là où nous ne sommes pas les arbitres de notre choix, les maîtres de notre détermination. Or la prémotion, en prévenant notre volonté, nous ravit ce beau privilege de notre liberté.
4°. On n'est véritablement libre que lorsqu'on a le pouvoir de suspendre à son gré l'action qu'on a commencée. Or cela n'est pas possible sous l'empire de la prémotion. La liberté échoue nécessairement contre la force de la nécessité, en vertu de laquelle suit l'effet pour lequel elle est donnée. Dans le tems que la prémotion me porte à l'amour, je ne suis pas libre de me tourner vers la haine ; je ne le pourrois qu'avec une prémotion opposée à celle qui m'entraîne d'une maniere insurmontable. Or il ne dépend pas de moi de me procurer cette prémotion qui m'est absolument nécessaire pour haïr. Je ne le pourrois que par un acte de ma volonté. Or pour enfanter cet acte, j'ai besoin d'une prémotion ; car tel est l'ordre du destin, que je n'agirai jamais sans elle. Si je n'ai pû me procurer l'autre, je ne pourrai aussi me donner celle-ci. Poussé vers l'amour par la force de la prémotion, je ne puis donc haïr ; je ne suis donc pas libre.
5°. Dieu même dans ce système seroit auteur du péché. Dans le péché on distingue deux choses, le matériel & le formel. Le matériel est tout ce qu'il y a de physique dans l'acte ; le formel est le défaut de conformité qui s'y trouve avec la loi. On ne peche que parce qu'on ne donne pas à son action toute l'intégrité qu'elle exige de sa nature ; & on ne donne pas à son action cette intégrité qui en fait la perfection, parce que la volonté cesse d'agir, & qu'elle s'arrête dans la créature ; au lieu de s'élever avec des aîles fortes jusqu'au créateur. Or pourquoi, je vous prie, la volonté cesse-t-elle d'agir ? n'est-ce pas parce que le souffle de la prémotion la laisse pour ainsi dire à moitié chemin ? Un peu plus de secours de la part de la prémotion, & elle eût été plus active, & elle se seroit élevée jusqu'à Dieu. La volonté ne peche donc que parce que la prémotion lui manque avant qu'elle ait donné à son action toute la perfection que la loi commande ; & cette prémotion lui manque sans qu'elle l'ait mérité. Ce n'est donc pas sa faute, mais celle du Dieu qui la prémeut, si elle tombe dans le péché. Dans ce système, Dieu seroit donc auteur du péché. Voyez CONCOURS.
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PREMUNIR | verb. act. & neut. (Gramm.) se munir d'avance soi-même, ou les autres. Il faut se prémunir contre le froid, contre le chaud, contre l'injustice, &c.
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PRÉNANTHÈS | (Botan.) genre de plantes dont voici les caracteres dans le système de Linnaeus. Le calice commun est de forme cylindrique évasé au sommet ; il est garni à la base de cinq écailles égales, & de trois inégales, qui sont plus petites. La fleur est composée d'un assemblage de fleurs hermaphrodites placées en cercle ; chaque fleur particuliere est formée d'un seul pétale, découpé & divisé sur les bords en cinq segmens ; les étamines sont des filets capillaires très-courts ; les antheres sont tubulaires & cylindriques ; le germe du pistil est petit, & placé sous la fleur. Le stile est très-délié, & plus court que les étamines ; le stigma est fendu en deux, & replié ; le calice après que la fleur est tombée, réunit légérement au sommet ses différens segmens ; ses graines sont uniques, faites en coeur, avec une aigrette à duvet ; le réceptacle est nud. Il n'y a qu'une espece de ce genre de plante dans laquelle l'aigrette ait un pédicule. Linnaei, gen. plant. p. 374. (D.J.)
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PRENDRE | (SE) S'EN PRENDRE, (Lang. franç.) on dit fort bien je m'en prendrai à vous, si l'affaire ne réussit pas ; les malheureux ont tort de s'en prendre aux astres. En doit toujours être mis avant prendre, quand on donne à ce verbe la signification d'imputer. Si je perds mon procès, je m'en prendrai à vous, c'est-à-dire je vous imputerai la perte de mon procès ; se prendre sans en, veut dire au figuré attaquer, & non pas imputer : par exemple, il ne faut pas se prendre à plus méchant que nous. Se prendre au propre signifie s'attacher ; les gens qui se noyent se prennent à tout ce qu'ils trouvent.
Il y a d'autres phrases dans notre langue, où en est si nécessaire, que dès qu'on l'ôte, on change le sens ; on en étoit venu si avant, qu'il falloit vaincre ou mourir. Cela veut dire dans le style figuré, que les choses étoient si engagées, qu'il falloit vaincre ou mourir. Mais si on ôtoit en, & qu'on dît, on étoit venu si avant, cela s'entendroit dans le sens propre, & ne marqueroit que le lieu où l'on seroit arrivé.
Je n'en puis plus, a une toute autre signification que je ne puis plus ; il en est de même de je ne sai où j'en suis, qui signifie toute autre chose que je ne sai où je suis. Il en est de même de se tenir & s'en tenir, qui ont des significations bien différentes.
MM. de Port-royal ont dit dans leur traduction du nouveau Testament, cette femme voulant prendre Jesus-Christ par sa propre bouche, &c. on ne dit point prendre quelqu'un par sa bouche, mais par ses paroles. (D.J.)
PRENDRE, a une infinité d'acceptions différentes ; on dit prendre à témoin, d'assaut, de force, un criminel, un lievre au gîte, au collet, un bâton, un fusil, l'épée, un livre, la main, un présent, un repas, ses suretés, des mesures, pour son ami, pour sa maîtresse, pour sa femme, une médecine, un lavement, du tabac, un bouillon, la fievre, la peste, la vérole, &c. On dit se prendre pour se figer, ou se glacer. Prendre sur soi &c.
PRENDRE PARTI, (Langue françoise) prendre parti tout seul, signifie s'enrôler pour servir à la guerre ; il a pris parti ; il prendra parti dans notre régiment. Prendre parti signifie aussi s'attacher au service de quelqu'un ; mais alors on marque toujours avec qui on s'engage ; il a pris parti avec M. le duc. Prendre son parti, veut dire, se résoudre ; j'ai pris mon parti ; elle prit son parti sur le champ. Prendre le parti de quelqu'un, c'est se mettre de son côté, le défendre, il faut prendre le parti des malheureux, des gens qu'on opprime, qu'on calomnie, qu'on persécute ; c'est un devoir de l'humanité. (D.J.)
PRENDRE VENT DEVANT, (Marine) c'est-à-dire que le vent se jette sur les voiles d'un vaisseau sans qu'on le veuille. Nous prenons vent devant.
Prendre un ris ; c'est raccourcir la voile à une hauteur déterminée.
Prendre une bosse ; c'est attacher la bosse ou l'amarrer.
Prendre les amures de quelque bord, c'est-à-dire, amurer de ce bord-là.
Prendre chasse & échapper. Prendre chasse, voyez CHASSE.
Prendre hauteur. Prendre hauteur par-devant, prendre hauteur par derriere. Voyez HAUTEUR.
Prendre terre. Voyez TERRE.
PRENDRE LE TROT, LE GALOP, (Maréchal) se dit de l'homme, lorsqu'il excite le cheval à aller le trot ou le galop, aussi bien que du cheval qui s'y met de lui-même. Prendre ses dents, c'est à l'égard du cheval la même chose que mettre ses dents. Voyez METTRE. Prendre le mords aux dents, se dit communément des chevaux de carrosse, lorsque n'ayant plus aucune sensibilité dans la bouche, ils vont de toute leur vîtesse sans pouvoir être arrêtés. Prendre les aides des jambes. Voyez JAMBE. Prendre son avantage. Voyez AVANTAGE. On dit qu'un cheval prend quatre ou cinq ans, pour dire qu'il en approche.
PRENDRE CHAIR, (Jardinage) se dit d'un fruit qui commence à grossir.
PRENDRE, v. act. terme de Vénerie ; ce mot s'employe fréquemment en vénerie. On dit prendre le vent quand on prend les devans, ou quand le chien va lasser le cerf au vent. Prendre les devans, c'est quand on a perdu le cerf, & qu'on fait un grand tour avec les chiens courans pour le retrouver en le requêtant. Prendre son buisson ; c'est en parlant du cerf, lorsqu'il choisit au printems une pointe de bois pour se retirer le jour, & aller aisément la nuit aux gagnages ou aux champs. (D.J.)
PRENDRE, au jeu de l'hombre ; c'est prendre du talon autant de cartes qu'on en a écarté. Jouer sans prendre, c'est jouer sans écarter.
PRENDRE, SANS PRENDRE, au jeu de quadrille, signifie l'action de jouer sans aucune aide, ni roi appellé, mais avec son seul jeu. On gagne ordinairement la moitié de ce à quoi est fixée la vole ; ainsi ce sera cinq jettons qu'on payera à celui qui gagne, si l'on est convenu d'en payer dix pour la vole. Observez que le sans prendre & les matadors ne sont dûs qu'autant qu'ils sont demandés avant qu'on ait coupé pour le coup suivant. Car si les cartes étoient mêlées & coupées sans qu'on les eût demandés, on ne seroit plus en droit de se les faire payer.
PRENDRE, sans prendre, au médiateur, est lorsque quelque joueur a dans son jeu de quoi faire six levées sans le secours de personne ; il gagne alors seul, & se fait payer ce qui est dû en pareil cas. Voyez l'article du MEDIATEUR.
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PRENEUR | S. m. (Gram.) celui qui prend. Voyez l'article PRENDRE. On dit preneur de villes, preneur d'oiseaux, preneur de tabac, &c.
PRENEUR, (Jurisprudence) est un terme usité dans les baux à cens ou à rente, pour exprimer celui qui prend à cens ou à rente l'héritage. Bailleur est celui qui donne l'héritage, le preneur celui qui le reçoit. Voyez BAIL A RENTE, BAILLEUR, CENS, RENTE. (A)
PRENEUR, vaisseau preneur, (Marine) c'est celui qui a fait une prise.
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PRÉNOM | S. m. (usage des Romains) le prénom, praenomen, étoit un nom qui se mettoit devant le nom de famille ; il revient à notre nom propre, qui sert à distinguer les freres d'une même famille, quand nous les appellons Pierre, Jean, Louis.
Le prénom ne fut introduit chez les Romains que longtems après le nom de famille qu'ils avoient coutume d'imposer aux enfans le neuvieme jour après leur naissance pour les garçons ; & le huitieme pour les filles ; on les reconnoissoit pour légitimes par cette cérémonie ; mais on ne leur donnoit le prénom, que lorsqu'ils prenoient la robe virile, c'est-à-dire, environ à l'âge de dix-sept ans. Le prénom du pere se donnoit ordinairement au fils aîné, & celui du grand-pere & des ancêtres au second fils, & aux autres suivans.
Il faut encore remarquer, qu'il n'y avoit que les gens d'une condition libre qui eussent un prénom, ou, comme l'on dit, un nom avant le nom propre, tel que Marcus, Quintus, Publius ; c'est pour cette raison que les esclaves une fois affranchis & gratifiés des faveurs de la fortune, ne manquoient pas de prendre ces prénoms, & d'être enchantés qu'on les distinguât par ces prénoms. Perse dit :
Momento turbinis exit
Marcus Dama.
" de Dama qu'il étoit, il devint aussi-tôt Marcus Dama ". Ces prénoms Marcus, Quintus, Publius, &c. étoient pour ces gens-là, ce que le monseigneur est aujourd'hui pour un évêque. Cicéron nous apprend que les prénoms avoient une sorte de dignité, parce qu'on ne les donnoit qu'aux hommes & aux femmes d'une certaine naissance. (D.J.)
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PRÉNOTION | S. f. (Gram. & Métaphysiq.) notion anticipée des choses. En ce sens les prénotions sont des chimeres. Si l'on entend par ce mot des connoissances superficielles, qu'on prend au premier coup d'oeil, qu'on étend & approfondit par l'expérience & par l'étude ; c'est la marche de l'esprit humain, & nous commençons tous par la prénotion pour arriver à la science.
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PRENSLOW | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Marche de Brandebourg, au canton d'Ukermarck, dont elle est le chef-lieu, sur le lac Ukerzée, à 18 lieues au nord de Berlin. (D.J.)
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PRÉOCCUPATION | S. f. (Métaphysiq.) la préoccupation, selon le pere Malebranche, ôte à l'esprit qui en est rempli, ce qu'on appelle le sens commun. Un esprit préoccupé ne peut plus juger sainement de tout ce qui a quelque rapport au sujet de sa préoccupation ; il en infecte tout ce qu'il pense. Il ne peut même guere s'appliquer à des sujets entierement éloignés de ceux dont il est préoccupé. Ainsi, un homme entêté, par exemple, d'Aristote ne peut goûter qu'Aristote : il veut juger de tout par rapport à Aristote : ce qui est contraire à ce philosophe lui paroît faux : il aura toujours quelque passage d'Aristote à la bouche : il le citera en toutes sortes d'occasions, & pour toutes sortes de sujets ; pour prouver des choses obscures, & que personne ne conçoit, pour prouver aussi des choses très-évidentes, & desquelles des enfans même ne pourroient pas douter ; parce qu'Aristote lui est ce que la raison & l'évidence sont aux autres.
La préoccupation se rencontre dans les commentateurs, parce que ceux qui entreprennent ce travail, qui semble de soi peu digne d'un homme d'esprit, s'imaginent que leurs auteurs méritent l'admiration de tous les hommes. Ils se regardent aussi comme ne faisant avec eux qu'une même personne ; & dans cette vue l'amour-propre joue admirablement bien son jeu. Ils donnent adroitement des louanges avec profusion à leurs auteurs ; ils les environnent de clarté & de lumiere ; ils les comblent de gloire, sachant bien que cette gloire rejaillira sur eux-mêmes. Cette idée de grandeur n'éleve pas seulement Aristote ou Platon dans l'esprit de beaucoup de gens, elle imprime aussi du respect pour tous ceux qui les ont commentés, & tel n'auroit pas fait l'apothéose de son auteur, s'il ne s'étoit imaginé comme enveloppé dans la même gloire.
Les inventeurs de nouveaux systèmes sont surtout extrêmement sujets à la préoccupation. Lorsqu'ils ont une fois imaginé un système qui a quelque vraisemblance, on ne peut plus les en détromper. Leur esprit se remplit tellement des choses qui peuvent servir en quelque maniere à le confirmer, qu'il n'y a plus de place pour les objections qui lui sont opposées. Ils ne peuvent distraire leur vue de l'image de vérité que portent leurs opinions vraisemblables, pour la porter sur d'autres faces de leurs sentimens, lesquelles leur en découvriroient la fausseté.
La préoccupation se décele d'une maniere bien sensible dans les personnes, à qui il suffit qu'une opinion soit populaire pour qu'ils la rejettent. Les opinions singulieres ont seules le privilege de captiver leurs esprits, soit que l'amour de la nouveauté ait pour eux des appas invincibles, soit que leur esprit, d'ailleurs éclairé, ait été la dupe de leur coeur corrompu, soit que l'irréligion soit l'unique moyen qu'ils aient de percer la foule, de se distinguer, & de sortir de l'obscurité, à laquelle le sort jaloux semble les avoir condamnés. Ce que la nature leur refuse en talent, l'orgueil le leur rend en impiété. Ils méritent qu'on les méprise assez pour leur laisser cette estime flétrissante, qu'ils ambitionnent comme leur plus beau titre, d'hommes singuliers.
Il y a encore des gens qui se préoccupent d'une maniere à n'en revenir jamais. Ce sont par exemple des personnes qui ont lu beaucoup de livres anciens & nouveaux, où ils n'ont point trouvé la vérité. Ils ont eu plusieurs belles pensées, qu'ils ont trouvées fausses lorsque leur ardeur ralentie leur a permis de les examiner avec une attention plus exacte & plus sérieuse. De-là ils concluent que tous les hommes leur ressemblent, & que, si ceux qui croyent avoir découvert quelques vérités, y faisoient une réflexion plus sérieuse, ils se détromperoient aussi bien qu'eux. Cela leur suffit pour les condamner sans entrer dans un examen plus particulier ; parce que s'ils ne les condamnoient pas, ce seroit en quelque maniere tomber d'accord qu'ils ont plus d'esprit qu'eux ; & cela ne leur paroît pas vraisemblable.
Je ne puis m'empêcher de citer ici un trait admirable de la comédie du Tartuffe, où le divin Moliere peint la préoccupation d'Orgon contre tous les gens de bien, parce qu'il avoit été dupé par les grimaces pieuses d'un franc hypocrite, avec la réponse sensée que lui fait son frere pour l'en guérir.
Orgon.
C'en est fait, je renonce à tous les gens de bien.
J'en aurai désormais une horreur effroyable,
Et m'en vais devenir pour eux, pire qu'un diable.
Cléante.
Hé bien, ne voilà pas de vos emportemens !
Vous ne gardez en rien les doux tempéramens.
Dans la droite raison, jamais n'entre la vôtre,
Et toujours d'un excès, vous vous jettez dans l'autre.
Vous voyez votre erreur, & vous avez connu
Que par un zèle feint vous étiez prévenu :
Mais pour vous corriger, quelle raison demande
Que vous alliez passer dans une erreur plus grande,
Et qu'avecque le coeur d'un perfide vaurien
Vous confondiez les coeurs de tous les gens de bien ?
Quoi ! parce qu'un fripon vous dupe avec audace,
Sous le pompeux éclat d'une austere grimace,
Vous voulez que partout on soit fait comme lui,
Et qu'aucun vrai dévot ne se trouve aujourd'hui ?
Laissez aux libertins ces sottes conséquences,
Démêlez la vertu d'avec ses apparences ;
Ne hazardez jamais votre estime trop tôt,
Et soyez, pour cela, dans le milieu qu'il faut.
Gardez-vous, s'il se peut, d'honorer l'imposture,
Mais au vrai zèle aussi n'allez pas faire injure ;
Et s'il vous faut tomber dans une extrêmité,
Péchez plutôt encor de cet autre côté.
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PRÉOLIER | S. m. termes des statuts ; c'est ainsi que sont nommés dans leurs statuts & lettres patentes, les maîtres Jardiniers de la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris. (D.J.)
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PRÉPARATE | en Anatomie, nom d'une grosse veine qui est quelquefois fort sensible à la partie supérieure du nez, & qui s'étend sur le front.
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PRÉPARATION | S. f. est dans les Mathématiques, la partie préliminaire d'une démonstration.
Lorsqu'on veut démontrer une proposition de géométrie, la préparation consiste à tirer certaines lignes dans la figure : si on veut démontrer une proposition d'arithmétique, la préparation consiste en quelques calculs que l'on fait pour arriver plus aisément à la démonstration. (E)
PREPARATION ANATOMIQUE, (Anatom.) on appelle préparation anatomique, une préparation faite par art des diverses parties des animaux, & sur-tout de l'homme, pour les conserver & en exposer la structure.
Comme il n'est pas possible de la découvrir par le seul secours de la dissection, quelque adresse qu'on y apporte ; plusieurs anatomistes, & M. Monro en particulier, ont cherché la meilleure méthode d'y parvenir autrement : voici l'extrait du mémoire de l'habile professeur d'Edimbourg.
La principale préparation que demandent les os, est de les blanchir ; Pauli & Lyserus nous en ont indiqué la maniere dans un assez grand détail, & nous ont appris aussi à dresser les squeletes des adultes.
Une bonne méthode pour blanchir les os des jeunes sujets, est de les laisser macérer long-tems dans l'eau froide, & de changer souvent l'eau ; il faut à chaque fois qu'on la renouvelle, laisser les os exposés quelque tems au soleil, afin qu'ils y séchent un peu. S'ils restent trop long-tems dans l'eau, les parties les plus spongieuses de ceux des adultes se dissoudront, & ceux des jeunes sujets perdront toutes leurs épiphyses ; si on les fait sécher, avant que le sang qui est contenu dans leurs vaisseaux soit dissous, ils ne deviendront jamais blancs.
La moëlle étant moins huileuse dans les jeunes sujets, que dans les adultes, leurs os en général deviennent plus blancs, & ne jaunissent pas sitôt étant gardés. Dans les os des foetus, on ne doit pas enlever le périoste aux endroits où se trouvent les épiphyses, autrement, il est presqu'impossible de conserver ces pieces rapportées. La méthode de brûler & d'exposer pendant long-tems à l'air les os des adultes pour en découvrir le tissu, est si généralement connue, qu'il n'est pas nécessaire d'en faire mention.
On rend les cartilages transparens par le même moyen dont on se sert pour blanchir les os. Il faut ensuite, si l'on veut les garder secs, leur donner la forme & la situation qu'ils ont naturellement, & leur conserver l'une & l'autre par le moyen des fils, des poids, des épingles, & de telle autre maniere qui paroîtra plus propre à ce dessein.
Pour montrer les extrêmités des vaisseaux injectés dans l'eau commune, on mettra le cerveau, les poumons, le foie, la rate, ou quelqu'autre partie que ce soit, dont le tissu est délicat & qu'on a injectée ; on les laissera dans l'eau jusqu'à ce que la membrane qui sert d'enveloppe soit soulevée par l'eau introduite dans le tissu cellulaire, qui l'attache aux parties qui sont au-dessous. On séparera alors la membrane, & l'on remettra encore la partie dans l'eau, jusqu'à ce que les fibres qui lient les petits vaisseaux soient dissoutes ; c'est ce qu'on connoîtra, en agitant de tems à autre dans l'eau la partie préparée, dont il se détachera des parcelles corrompues, & on verra les vaisseaux distincts & flottans dans l'eau.
On ôtera pour lors la partie ainsi préparée de l'eau, & l'ayant doucement pressée pour en exprimer ce qu'il y reste d'humidité ; on la lavera dans un peu de la liqueur dans laquelle on se propose de la conserver, pour la mettre tout de suite dans un vaisseau plein de la même liqueur, où on la suspendra par le moyen d'un fil, afin que la partie s'étende & que les petits vaisseaux se séparent les uns des autres.
Il n'est guere possible de diviser les nerfs en leurs petits filamens, lorsqu'ils ont une fois reçu de la dure-mere leur plus forte enveloppe ; mais on les sépare facilement lorsqu'on les prend au-dessus ; ceux qui forment la queue du cheval sont plus propres pour cette préparation, parce qu'ils sont longs, & que leurs fibres ne sont unies que par une membrane très-mince & foible. L'un de ces cordons étant coupé au sortir de la moëlle de l'épine, & avant qu'il ait reçu une enveloppe de la dure-mere, on liera une de ses extrêmités avec un fil, & on le suspendra dans un vaisseau plein d'eau, où après l'avoir laissé macérer quelque tems, on le retirera vers le bord du vaisseau, & tenant le fil d'une main, on aura une aiguille emmanchée de l'autre, avec laquelle on fera doucement une légere égratignure tout le long du nerf.
On continuera cette opération jusqu'à ce qu'en agitant le nerf dans l'eau, il paroisse comme une fine toile tissue de fibres fort petites, & on le mettra alors dans une liqueur pour le conserver. Lorsqu'on a ainsi préparé quelques-uns des nerfs de la queue du cheval, l'effet en est fort beau, parce que presque tous les filets du nerf paroissent accompagnés de leur vaisseau sanguin injecté.
Quand c'est quelque membrane fine, telle que la plevre ou le péritoine, qu'on veut conserver seule pour en démontrer les artères par le moyen de l'injection ; il faut en les disséquant, conserver le plus qu'on pourra du tissu cellulaire qui les attache aux parties contiguës, sans perdre la transparence de la membrane ; car lorsque ce tissu cellulaire est entierement séparé, on ne peut voir que quelques ramifications des vaisseaux.
Ruysch décrit la maniere de séparer de la peau l'épiderme, & le corps muqueux ou réticulaire ; il veut qu'on étende sur une planche ces tégumens communs bien dépouillés du corps graisseux, & qu'on mette l'épiderme en-dehors ; qu'on plonge ensuite le tout dans l'eau bouillante, laquelle détache la cuticule & le corps muqueux de la peau, de telle maniere qu'on peut les en séparer facilement par le moyen d'un scalpel émoussé, ou avec le manche mince d'ivoire d'un pareil instrument ; ensuite avec le même instrument, on sépare le corps réticulaire d'avec l'épiderme, & on laisse ces deux parties attachées ensemble & avec la peau en quelques endroits.
L'épiderme entier de la main ou du pié avec les ongles, appellé des Anatomistes, chirotheca ou podotheca, s'enleve sans beaucoup de peine, lorsque la cuticule s'est détachée par le moyen de la putréfaction, d'avec les parties qui sont au-dessous, ce qui arrive lorsqu'on garde long-tems un sujet. Cette méthode réussit mieux que celle de l'eau bouillante, par le moyen de laquelle on entreprend de détacher l'épiderme de la peau, & qui l'attendrit beaucoup.
On ne peut conserver la membrane cellulaire distendue par le moyen de l'air, ou soufflée, que lorsqu'il n'y a point ou presque point de graisse. Une des parties les plus propres pour cette préparation est le scrotum, ou ce que l'on appelle communément le muscle dartos ; en y introduisant de l'air, il peut être changé en une fine membrane cellulaire.
Pour conserver la dure-mere & tous ses prolongemens dans leur situation naturelle, il faut scier le crâne perpendiculairement, depuis la racine du nez jusqu'au milieu de l'os occipital, à un demi-pouce de distance de la suture sagittale ; & le scier ensuite horisontalement d'un côté pour enlever cette portion du crâne comprise entre ces deux incisions. Cela fait, on coupe en T la portion de la dure-mere qui est à découvert, & on enleve le cerveau & le cervelet pour conserver ensuite la tête dans une liqueur convenable, ou bien on nettoye les os & on les laisse à l'air pour les faire sécher, observant de tenir les parties incisées étendues, par le moyen d'épingles, de petits crochets ou de fils.
Si l'on a dessein de faire ainsi dessécher la tête du foetus ou d'un jeune sujet, il faut avoir la précaution par le moyen de plusieurs petits bâtons d'une longueur convenable, de tenir distendues les membranes ligamenteuses & qui se trouvent entre les os, & placer ces bâtons de maniere, qu'étant mis dans la cavité du crâne, ils soient appuyés sur les os, & qu'ils les poussent en-dehors.
Le cerveau ne demande aucune préparation, si ce n'est, lorsqu'on veut en démontrer les petits vaisseaux, ou lorsqu'on veut lui donner une consistance plus solide.
Pour bien préparer & conserver l'oeil, de maniere qu'on puisse en démontrer les tuniques, les humeurs, & les vaisseaux ; il faut auparavant coaguler les humeurs crystalline & vitrée, en plongeant pendant quelque tems cet organe dans une liqueur propre à cet effet. Après cette préparation, elles seront plus en état de supporter la macération dans l'eau, pour séparer par ce moyen la choroïde & la lame ruyschienne.
Les glandes sébacées & les conduits excréteurs des paupieres, paroissent beaucoup plus sensiblement après une injection subtile des arteres, & après la coagulation de leurs liqueurs, que dans le sujet frais.
Le docteur Frew a remarqué que la membrane qui revêt le conduit auditif externe, laquelle est une continuation de l'épiderme de l'oreille, & qui forme la tunique externe de la membrane du tympan, peut être séparée entiere dans les adultes, en faisant macérer l'oreille dans l'eau, aussi-bien qu'on la sépare dans le foetus ou dans les enfans ; & en effet, la membrane du tympan ne paroît autre chose que cette épiderme de l'oreille, unie par un tissu cellulaire fort mince à la membrane qui revêt le tympan, & dans l'entre-deux desquelles il rampe, comme dans toutes les autres parties du corps, de grosses branches de vaisseaux.
La cuticule qui revêt les houpes nerveuses ou papilles des levres, & que Ruysch appelle epithelion, peut s'enlever par la macération dans l'eau, & alors la surface des levres paroît mieux, lorsqu'on les met dans un vaisseau de verre avec la liqueur propre à les conserver.
La substance villeuse de la langue peut être rendue sans peine entierement rouge, en injectant les arteres, & on peut en séparer la membrane dont elle est revêtue, & qui répond à la cuticule, en la trempant dans l'eau. Lorsqu'on compare les levres, la langue, l'oesophage, l'estomac, & les intestins entr'eux, la structure de toutes ces parties paroît entierement semblable, étant toutes revêtues de cette espece de cuticule, qui est attachée à la partie charnue par le moyen d'un tissu cellulaire, dans lequel se trouvent logés un grand nombre de nerfs, de vaisseaux & de glandes. Cette tunique cellulaire paroit sous la forme de rides ou de valvules dans les endroits où elle se trouve épaisse & lâchement attachée, ou bien elle se montre comme une fine membrane dans ceux où elle est mince & tendue.
Il n'y a point d'organes dans tout le corps, dont il soit plus difficile de donner une idée bien nette aux étudians en Anatomie, que des organes de la déglutition. Dans les sujets frais, il n'est pas possible de les leur faire tous voir à la fois en situation. Dans les préparations humides, il n'est guere plus possible de les placer de la maniere qu'il convient pour leur en faire prendre une notion exacte. Ce qui réussit le mieux, est de démontrer d'abord les parties les plus frappantes sur une préparation seche, laquelle demande beaucoup de patience pour être bien faite.
Si l'on se propose de garder les visceres secs, il faut les préparer d'une maniere particuliere pour en conserver la forme, & pour en faire voir la structure du côté de la surface interne. Il faut pour cela les remplir de quelque matiere convenable. Les propriétés que doit avoir cette matiere, sont de pouvoir résister à la contraction des fibres de ces visceres, d'en remplir également les cavités, & de les laisser nets lorsqu'on voudra l'ôter. C'est pourquoi le coton, la laine, le sable, & autres matieres semblables ne conviennent pas ; tout ce qui peut servir en pareil cas, c'est le vif-argent & la cire fondue.
Il ne faut se servir de la cire que quand on a seulement le dessein de voir la surface externe, auquel cas on peut en pousser dans la cavité des visceres, mais dans tous les autres cas, il faut se servir de l'air ou du vif-argent.
Lorsque l'air pourra suffire, il sera préférable au vif-argent, parce qu'il distend d'une maniere uniforme, au lieu que ce dernier pese davantage sur les parties inférieures. L'air desseche les visceres en une vingtieme partie du tems qu'il faut au vif argent pour cela ; & il n'y laisse ni couleur, ni rien autre, ce que fait toujours ce fluide métallique. Il est vrai aussi que l'air ne distend pas suffisamment certaines parties, qu'il est impossible de le retenir, & qu'il y a telles parties au travers desquelles il s'échappe, & qu'il laisse affaisser à mesure qu'elles se sechent : le vif-argent n'est pas sujet aux mêmes inconvéniens.
Il est évident par tout ce qui vient d'être dit, que l'air est nécessaire, ou qu'il est de beaucoup préférable au vif-argent pour faire des préparations seches de l'oesophage, de l'estomac, des intestins, de la vésicule du fiel avec les conduits biliaires, & de la vessie avec les ureteres ; d'un autre côté, il est également visible que le péricarde & l'utérus ne peuvent conserver leur forme naturelle que par le moyen du vif-argent. Ce fluide est encore préférable lorsqu'il faut dessécher & distendre le coeur & ses vaisseaux sanguins, & le bassinet du rein avec l'uretere, parce que toutes ces parties ont de petites ouvertures par lesquelles s'échappe l'air, qui ne sauroit d'ailleurs résister à la forte contraction de leurs fibres.
Les corps caverneux de la verge & les vésicules séminales, retiennent également l'air & le vif-argent ; mais ce dernier laisse dans le corps caverneux quelque chose de luisant qui empêche qu'on ne puisse voir à souhait leur structure interne & leurs vaisseaux.
On a aussi quelque difficulté à l'introduire dans les vésicules séminales, parce qu'on ne sauroit l'injecter par les ouvertures qui se trouvent dans le canal de l'uretre, au véru-montanum, & lorsqu'on le pousse par l'un des vaisseaux déférens, l'humidité de ce conduit étroit est propre à l'arrêter dans son passage. D'ailleurs, supposé qu'on vienne à bout de l'introduire dans ce vaisseau, il forcera par son poids l'ouverture d'un petit conduit commun au vaisseau déférent & à la vésicule séminale, appellé conduit éjaculateur, desorte qu'il ne passera pas dans la vésicule séminale qu'il n'ait auparavant rempli la cavité de l'uretre. Au lieu que la contraction naturelle de l'extrêmité du conduit éjaculateur s'oppose à la sortie de l'air lorsqu'on souffle tout doucement, de maniere qu'il passe alors plus librement dans le tissu cellulaire de la vésicule séminale. Il résulte de toutes ces raisons que lorsqu'on veut préparer les corps caverneux & les vésicules séminales, l'air est préférable au vif-argent.
On rencontre rarement des sujets dont les poumons & la rate retiennent l'air, & ce fluide s'échappe ordinairement lorsqu'on l'introduit dans le tissu spongieux du gland ; c'est pourquoi on est obligé pour l'ordinaire de se servir du vif-argent pour la préparation de ces parties. Ce fluide cependant les gâte ordinairement, mais sur-tout les poumons & le gland, dont les cellules sont plus petites que celles de la rate.
Quand on est déterminé par les régles précédentes sur le choix de l'un ou de l'autre de ces deux fluides, il faut exprimer tout le sang de la partie qu'on se propose de préparer, & ensuite en lier toutes les ouvertures, excepté celle par laquelle on doit introduire le fluide nécessaire pour la distendre ; & si on en découvre quelqu'une par laquelle l'air ou le vif-argent s'échappe dans le tems qu'on pousse l'un ou l'autre dans la partie, on y fait une ligature.
Il faut toujours se servir d'un tuyau lorsqu'on veut pousser de l'air dans quelque partie. Le meilleur à cet usage, est celui à la petite extrêmité duquel il y a une coche ou entaillure, & un robinet un peu audessus. Il faut introduire le petit bout du tuyau dans un conduit propre à le recevoir, & lier ce conduit sur le tuyau avec un fil ciré qui doit entrer dans l'entaillure. Dès qu'on s'apperçoit que le viscere est suffisamment distendu, on tourne le robinet pour empêcher que l'air n'en sorte ; s'il vient à s'en échapper quelque peu, on y supplée facilement en soufflant dans le tuyau qui doit être soutenu par quelque corde, afin d'empêcher qu'il ne presse ou ne tiraille la partie préparée dans le tems qu'elle seche.
Lorsqu'on se sert du mercure, il faut que l'ouverture par laquelle on l'introduit soit plus élevée qu'aucune autre partie de la préparation ; & lorsque cette ouverture est petite, il faut y ajuster un petit tuyau ou un entonnoir de verre. Ce tuyau doit être long dans le cas où l'on ne sauroit avoir une colonne de mercure assez haute pour que le poids le fasse pénétrer jusque dans les plus petits vaisseaux, si la partie préparée le permet ; il faut lier fortement le canal par lequel on a introduit le vif-argent ; ou autrement, avant que d'y en verser une goutte, il faut que l'ouverture par laquelle on le fera entrer soit assurée, de maniere qu'elle se trouve toujours en haut pendant tout le tems que la préparation sera à sécher.
Les regles qu'on vient de donner serviront pour préparer la plûpart des visceres ; mais les poumons & la rate dont les membranes retiennent difficilement le vif-argent ou l'air, & sur-tout ce dernier, demandent plus de soin. Il ne faut pas prendre ces visceres indifféremment dans toutes sortes de sujets ; on doit toujours choisir ceux dont les membranes extérieures sont fortes & épaisses.
Dès qu'on les a soufflés de la maniere qu'il a été dit ci-dessus, il faut les exposer au soleil, ou les tenir auprès du feu, afin de les faire sécher promtement, & introduire de tems à autre de nouvel air, pour suppléer à celui qu'ils perdent en peu de tems. Lorsque la surface extérieure sera seche, on les trempera dans un fort vernis de térébenthine, de maniere que toute leur surface en soit couverte, parce qu'après cette préparation l'air s'en échappera bien plus difficilement : on continuera à les exposer dans un endroit où ils puissent sécher le plus promtement que faire se pourra, en observant de passer du vernis avec une plume aux endroits où il en manquera, & de continuer à y pousser de nouveau vent à mesure qu'ils s'affaisseront.
Lorsqu'on est parvenu à avoir la rate humaine distendue par le moyen du vif-argent ou de l'air, jusqu'à ce qu'elle soit desséchée, elle paroît entierement formée de cellules qui communiquent les unes avec les autres, & sur les parois desquelles on voit un grand nombre de ramifications d'arteres, si on les a auparavant injectées.
Il me reste à parler des moyens de conserver les parties préparées ; c'est de les exposer à l'air, jusqu'à ce que toute leur humidité soit dissipée ; & alors elles deviennent seches, dures & ne sont pas sujettes à se corrompre, ou bien il faut les plonger dans une liqueur propre à les conserver. Il faut encore, principalement lorsque les parties préparées sont épaisses & grosses, & que le tems est chaud, empêcher les mouches d'en approcher & d'y déposer leurs oeufs, qui transformés en peu de tems en vers, y attireroient la corruption & les détruiroient. On peut enfin les préserver des souris & des insectes, si l'on trempe la préparation quelque tems avant que de la mettre sécher, dans une dissolution de sublimé corrosif, faite avec l'esprit-de-vin ; & dans le tems qu'elle seche, il faut la mouiller de tems en tems avec la même liqueur. On peut par ce moyen, & sans craindre aucun inconvénient, faire dessécher des cadavres disséqués d'enfans assez grands, dans le milieu de l'été, pendant lequel les préparations sechent en bien moins de tems que dans l'hiver.
Lorsque la préparation est seche, elle est encore exposée à se réduire en poudre, à devenir cassante, à se gerser, & à avoir une surface inégale ; c'est pourquoi il est nécessaire de la couvrir par-tout d'un vernis épais, dont on mettra autant de couches qu'il faudra pour qu'elle soit luisante : il faut toujours aussi la préserver de la poussiere & de l'humidité.
Les préparations seches sont utiles en plusieurs cas, mais il y en a beaucoup d'autres où il est nécessaire que les préparations anatomiques soient flexibles, & plus approchantes de l'état naturel que ne le sont ces premieres. La difficulté a été jusqu'à présent de trouver une liqueur qui puisse les conserver dans cet état approchant du naturel.
Les liqueurs aqueuses n'empêchent pas la pourriture, & elles dissolvent les parties les plus dures du corps. Les liqueurs acides préviennent la corruption, mais elles réduisent les parties en mucilage. Les esprits ardens les racornissent, en changent la couleur, & détruisent la couleur rouge des vaisseaux injectés. L'esprit de térébenthine, outre qu'il a les mêmes inconvéniens des liqueurs spiritueuses, a encore celui de devenir épais & visqueux.
Mais, sans nous arrêter plus long-tems sur les défauts des liqueurs qu'on peut employer, il semble que la meilleure est un esprit ardent rectifié, n'importe qu'il soit tiré du vin ou des grains ; lequel est toujours limpide, qui n'a aucune couleur jaune, & auquel on ajoute une petite quantité d'acide minéral, tel qu'est celui du vitriol ou du nitre. L'une & l'autre de ces liqueurs résiste à la pourriture, & les défauts qu'elles ont séparément, se trouvent corrigés par leur mêlange.
Lorsque ces deux liquides sont mêlés dans la proportion requise, la liqueur qui en résulte ne change rien à la couleur, ni à la consistance des parties, excepté celles où il se trouve des liqueurs séreuses ou visqueuses, auxquelles elles donnent presqu'autant de consistance que l'eau bouillante. Le cerveau, celui même des enfans nouveaux-nés, acquiert tant de fermeté dans cette liqueur, qu'on peut le manier avec beaucoup de liberté. Le crystallin & l'humeur vitrée de l'oeil, y acquierent aussi plus de consistance ; mais ils en sortent blancs & opaques. Elle coagule l'humeur que filtrent les glandes sébacées, la mucosité, la liqueur spermatique, &c.
Elle ne produit aucun changement sur les liqueurs aqueuses ou lymphatiques, telles que l'humeur aqueuse de l'oeil, la sérosité lymphatique du péricarde & de l'amnios. Elle augmente la couleur rouge des injections, de maniere que les vaisseaux qui ne paroissoient pas d'abord, deviennent très-sensibles lorsque la partie y a été plongée pendant quelque tems. Si l'on compare ces effets avec ce que Ruysch a dit en différens endroits de ses ouvrages, au sujet de ses préparations, on trouvera que la liqueur qu'on vient de décrire, approche beaucoup pour les propriétés de sa liqueur balsamique, c'est ainsi qu'il nomme celle dont il se sert pour conserver ses préparations humides.
La quantité de la liqueur acide qu'il faut ajouter à l'esprit ardent, doit varier selon la nature de la partie que l'on a à conserver, & selon l'intention de l'anatomiste. Si l'on veut donner de la consistance au cerveau, aux humeurs de l'oeil, &c. il faut une plus grande quantité de la liqueur. Par exemple, il faudra deux gros d'esprit de nitre sur une livre d'esprit de vin rectifié. Lorsqu'on veut seulement conserver les parties, il suffira d'y en mettre 30 ou 40 gouttes, ou même moins, sur-tout s'il y a des os dans la partie préparée. Si on en mettoit une trop grande quantité, les os deviendroient d'abord flexibles, & ensuite ils se dissoudroient.
Lorsqu'on a plongé quelque partie dans cette liqueur, il faut avoir une attention particuliere qu'elle en soit toujours couverte ; autrement ce qui se trouve hors du fluide perd sa couleur, & certaines parties se durcissent, tandis que d'autres se dissolvent. Pour prévenir donc autant qu'il est possible, l'évaporation de la liqueur, & pour empêcher la communication de l'air, qui fait que la liqueur spiritueuse se charge d'une teinture, il faut boucher exactement l'ouverture de la bouteille avec un bouchon de verre, ou de liege enduit de cire, & mettre par-dessus une feuille de plomb, de la vessie ou une membrane : par ce moyen la liqueur se conservera un tems considérable sans aucune diminution sensible. Quand on a mis à-peu-près assez de liqueur pour atteindre le haut de la préparation, il faut pour la couvrir entierement, ajouter de l'esprit de vin sans acide, crainte que celui-ci ne s'échappe.
Lorsque la liqueur spiritueuse devient trop colorée, il faut la verser, & mettre sur les préparations une nouvelle liqueur moins chargée d'acide que la premiere ; on conservera cette ancienne liqueur dans une bouteille bien bouchée, & on s'en servira pour laver les préparations nouvelles, & pour les dépouiller de leurs sucs naturels ; attention qui est toujours nécessaire, avant que de mettre quelle partie que ce soit dans la liqueur balsamique ; & toutes les fois qu'on renouvelle cette liqueur, il faut laver les préparations dans une petite quantité de la liqueur spiritueuse limpide, afin d'en enlever tout ce qui pourroit y rester de la liqueur ancienne & colorée, ou bien il faut faire une nouvelle préparation. Les liqueurs aussi qui ne sont plus propres à servir dans des vaisseaux de verre transparens, peuvent être encore d'usage pour conserver dans des vaisseaux de terre ou verre commun, certaines parties qu'il faut tirer hors de la liqueur pour les examiner.
Il est bon d'observer ici que les vaisseaux de verre dans lesquels on doit démontrer les préparations, doivent être d'un verre épais, & le plus transparent qu'il est possible, parce que ces vaisseaux laissent voir les parties d'une maniere plus distincte, sans rien changer à leur couleur, & grossissent en même tems les objets ; desorte qu'on découvre par leur moyen les parties qu'on n'appercevroit pas les yeux nuds, lorsqu'elles sont hors du vaisseau. Puis donc que le verre & la liqueur ont un certain foyer auquel les objets sont vus plus distinctement, il sera à-propos de trouver quelqu'expédient pour tenir la partie préparée à une distance convenable des parois du verre.
C'est ce qu'on peut faire en mettant dans le vaisseau quelque petite tige branchue de plante, ou un petit bâton, ou en attachant le fil ou le cheveu qui soutient la préparation, à un des côtés du vaisseau. Quiconque s'adonne à l'exercice de l'Anatomie, trouvera sans peine de semblables moyens, nécessaires pour tenir les parties étendues, & pour les faire voir dans le point de vûe le plus favorable.
On doit enfin avertir ici les Anatomistes, d'éviter autant qu'ils pourront, de tremper les doigts dans cette liqueur acidule, ou de manier les préparations qui en seront bien impregnées, parce qu'elle rend la peau si dure pendant quelque tems, que les doigts deviennent incapables d'aucune dissection fine. M. Monro dit qu'il n'a rien trouvé de mieux, pour remédier à cette sécheresse de la peau, que de se laver les mains dans l'eau à laquelle on a ajouté quelques gouttes de tartre par défaillance. (D.J.)
PREPARATION, (Pharmac. & Chim.) la valeur de ce mot s'annonce presque d'elle-même quant à son sens le plus prochain. On entend par ce mot une altération quelconque que l'on fait essuyer à divers sujets pharmaceutiques officinaux, pour les rendre propres à être employés sur-le-champ d'après l'ordonnance du médecin, ou à entrer dans différentes compositions officinales.
On prépare d'avance les corps que la préparation ne rend pas moins durables, & qui exigent une préparation trop longue pour être faite à mesure qu'ils sont ordonnés. C'est ainsi qu'on réduit en poudre, en trochisques, &c. les terres absorbantes, comme corail, yeux d'écrevisses, &c. qu'on purifie les sels neutres, les baumes, les gommes, résines, les graisses ; qu'on réduit le soufre en fleur, &c. car ce sont-là tout autant d'especes de préparations pharmaceutiques proprement dites, celles qui font porter à la plûpart de leurs sujets ce nom de préparé, yeux d'écrevisses préparés, litharge préparée, &c.
Le sens du mot préparation pour signifier la confection, l'exécution extemporanée d'un remede, est plus arbitraire, car la préposition prae qui signifie d'avance, n'a ici aucun sens ; on employe ce mot en Pharmacie d'après son acception très-vulgaire : on dit préparer une médecine, un clistere, au-lieu de faire exécuter, adornare, &c.
On se sert encore en Pharmacie du mot préparation dans un troisieme sens, on l'applique au produit même des préparations : il est à-peu-près synonyme du mot composition, s'il n'est même plus général. Ainsi une potion, un julep, un syrop, un électuaire, &c. sont des préparations ou des compositions pharmaceutiques.
Les Chimistes se servent aussi du mot préparation dans ce dernier sens ; ils nomment un sel neutre artificiel une teinture, un extrait, &c. des préparations chimiques. (b)
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PRÉPARATOIRE | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui n'est qu'une préparation à quelque autre chose ; ainsi on appelle jugement préparatoire, celui qui ne tend qu'à quelque éclaircissement, comme celui qui ordonne une enquête, une visite ou descente, un procès-verbal, une communication de pieces.
On appelle question préparatoire, en matiere criminelle, la torture qui est donnée à un accusé avant son jugement définitif, pour tâcher de tirer de lui la vérité & la révélation de ses complices, si l'on pense qu'il puisse en avoir quelqu'un. Voyez QUESTION. (A)
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PRÉPARER | v. act. (Gram.) c'est donner à une chose la disposition convenable à l'usage auquel on la destine ; on dit préparer un médicament, se préparer au combat & à la mort ; préparer les esprits à recevoir les choses qu'on veut leur annoncer, &c.
PREPARER, (Critique sacrée) ce mot se met pour apprêter, Matt. xxij. 4. pour disposer, ps. lx. 3. pour destiner, ps. lxvij. 4. pour faire éclater, Is. lij. 10. pour établir, affermir, ps. xcij. 2. & ps. lxiv. 7. pour apporter, causer, procurer, prov. xxviij. 3. (D.J.)
PREPARER, en Musique, c'est traiter les dissonnances dans l'harmonie, de maniere qu'à la faveur de ce qui les précede, elles sont le moins dures à l'oreille qu'il est possible. Il n'y a fondamentalement qu'une seule dissonnance qui se prépare : c'est la septieme, encore cette préparation n'est-elle point nécessaire dans l'accord dominant. Voyez ACCORD ; mais comme cet accord de septieme se renverse, se combine de plusieurs manieres, de-là naissent aussi diverses manieres apparentes de préparer, qui, dans le fond, reviennent pourtant toujours à la même.
Il faut considérer trois choses dans la pratique des dissonnances, savoir l'accord qui précede la dissonnance, celui où elle se trouve, & celui qui la suit : la préparation ne regarde que les deux premiers ; pour la troisieme, voyez SAUVER.
Quand on veut préparer régulierement une dissonnance, il faut choisir, pour arriver à son accord, une telle marche de basse fondamentale, que le son qui forme la dissonnance soit prolongé d'une consonnance de l'accord précédent, c'est ce qu'on appelle syncoper. Voyez SYNCOPE.
De cette préparation il résulte deux avantages ; savoir qu'il y a nécessairement liaison harmonique entre ces deux accords, puisque c'est la dissonnance même qui forme cette liaison, & que cette dissonnance n'étant que le prolongement d'un son agréable, devient beaucoup moins dure à l'oreille qu'elle ne le seroit sur un son nouvellement frappé ; or c'est là tout ce que l'on cherche dans la préparation. Voyez CADENCE, DISSONNANCE, HARMONIE.
On voit par ce que je viens de dire, qu'il n'y a aucune partie destinée spécialement à préparer la dissonnance que celle même qui la fait entendre ; desorte que si le dessus sonne la dissonnance, c'est à lui de syncoper : mais si la dissonnance est à la basse, il faut que la basse syncope : quoiqu'il n'y ait rien là que de très-simple, les maîtres de composition ont furieusement embrouillé tout cela.
PREPARER, (Jardinage) se dit, 1°. des terres qu'on laboure, qu'on dispose à recevoir les plantes & les semences qui leur sont destinées ; 2°. les arbres qui promettent une belle pousse.
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PRÉPONDERANT | ANTE, adj. (Méchan.) on appelle ainsi un poids qui étant mis dans un bras de balance, l'emporte sur le poids opposé, ce qui arrive quand le moment du poids préponderant est plus grand que le moment du poids opposé. Voyez MOMENT.
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PRÉPOSÉ | PRÉPOSER, v. act. (Gram.) c'est charger de la conduite d'une chose. Le roi l'a préposé à l'entretien des grands chemins du royaume. Les intendans sont préposés par la cour pour exercer l'autorité du roi sur les provinces ; mais l'autorité consiste à reprimer le mal & à faire le bien.
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PRÉPOSITE | S. m. (Hist. anc.) nom général donné à tous ceux qui avoient le commandement ou l'inspection de certaines personnes ou de certaines affaires, sur-tout dans le Bas-empire, & principalement sous les empereurs de Constantinople, où le nombre de ces officiers fut extrêmement multiplié. Voici les principaux préposites dont il est parlé dans les anciens auteurs. Praepositus argenti potorii, celui qui avoit soin de la vaisselle d'argent des empereurs. Praepositus auri escarii, l'officier chargé de la vaisselle d'or. Praepositus barbaricariorum, celui qui avoit soin de faire faire pour l'empereur toutes sortes de vaisselles & d'armes. Il n'y avoit point de ces préposites dans le Levant, mais il y en avoit trois en Occident, à Arles, à Rheims & à Trèves. Praepositus bastagae, l'officier qui avoit soin des habits, de la vaisselle & des meubles de l'empereur lorsqu'il étoit en voyage. Il y en avoit quatre dans l'Orient à qui l'on donnoit le titre de praepositi bastagae primae orientalis. Ils étoient obligés de fournir quatre fois par an de la laine, de la soie, des toiles fines, de la pourpre, du sucre & de la canelle qu'ils envoyoient par mer à Constantinople. Il y en avoit aussi quatre en Occident, qu'on appelloit praepositi primae, secundae, &c. Gallicanorum, c'est-à-dire préposites des choses qu'on envoyoit des Gaules, ou qui passoient par les Gaules ; le mot de bastaga vient du grec , porter. Praepositus camerae regalis étoit le même que cubicularius, qui signifie un valet-de-chambre, & le praepositus cubiculi, étoit le premier homme-de-chambre qui commandoit les autres. En vertu de sa charge il étoit attaché à la personne de l'empereur, & couchoit à côté de lui dans un lit séparé. Il jouissoit de divers privileges, comme de ne point payer d'impôt pour les chevaux qu'il entretenoit, d'être exempt de faire des corvées avec ses chevaux, & de loger des étrangers. Du tems des Paléologues, ces officiers portoient des habits de pourpre ornés d'or & d'argent. Praepositus cursorum, le surintendant des postes. Praepositus fibulae, celui qui avoit soin des boucles, des ceinturons dont on serroit & attachoit les habits de l'empereur quand il se mettoit à table. Praepositus domus regiae, étoit une espece d'intendant de la cour. Praepositi labarorum, ceux qui portoient devant l'empereur la banniere ou étendart nommé labarum ; ils étoient cinquante, selon Eusebe. Praepositus laeti ou laetorum, celui qui avoit soin des biens fonds & des terres qui appartenoient au public, car le mot laetae ou terrae laetitiae, signifie les champs. Praepositus largitionum romanarum, c'étoit le trésorier de l'empereur, on l'appelloit autrement, comes sacrarum largitionum, parce que la ville de Rome portoit le titre de sacra. Praepositus limitum, étoit un officier de distinction qui commandoit les troupes dispersées dans les places frontieres. Il y en avoit huit, presque tous en Asie & en Afrique. Praepositus mensae, le maître d'hôtel. Praepositus palatii, ou sacri palatii, le majordome. Praepositus provinciarum, étoit l'inspecteur des frontieres d'une province, & chaque province avoit le sien. Praepositus thesaurorum, étoit chez les Romains un magistrat dans les provinces qui recevoit les impôts & les péages. Praepositus tyrii textrini, étoit l'inspecteur de la fabrique de pourpre ou d'écarlate ; le mot de praepositus dans la discipline ecclésiastique signifie une dignité, celle de prevôt des églises cathédrales, il y en a même dans quelques églises collégiales.
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PRÉPOSITION | S. f. (Gram.) les prépositions sont des mots qui désignent des rapports généraux, avec abstraction de tout terme antécédent & conséquent. Voyez MOT, article 2.
Cette abstraction de tout terme ne suppose point que cette espece de mot doive conserver dans le discours l'indétermination qui en fait le caractere ; ce n'est qu'un moyen d'en rendre l'usage plus général, par la liberté d'appliquer l'idée de chaque rapport à tel terme, soit antécédent, soit conséquent, qui peut convenir aux différentes vûes de l'énonciation : du-reste, nulle préposition ne peut entrer dans la structure d'une phrase, sans être appliquée actuellement à un terme antécédent, dont elle restraint le sens général par l'idée nécessaire du rapport dont elle est le signe, & sans être suivie d'un terme conséquent qui acheve d'individualiser le rapport indiqué d'une maniere vague & indéfinie dans la préposition.
Le terme antécédent est donc nécessairement un mot dont le sens, général par lui-même, est susceptible de différens degrés de détermination & de restriction ; & tels sont les noms appellatifs, les adjectifs, les verbes & les adverbes.
Le terme conséquent devant énoncer le terme du rapport dont la préposition est le signe, ne peut être qu'un mot qui présente à l'esprit l'idée d'un être déterminé ; & tels sont les noms, les pronoms, & les infinitifs qui sont une espece de nom.
Le terme conséquent servant à complete r l'idée totale du rapport individuel que l'on se propose d'énoncer, est appellé dans le langage grammatical le complément de la préposition.
Il suit donc de tout ce que l'on vient de dire, 1°. que toute préposition a nécessairement pour complément un nom, un prénom, & un infinitif ; 2°. que la préposition avec son complément forme un complément total déterminatif, d'un nom appellatif, d'un adjectif, d'un verbe, ou d'un adverbe, qui est le terme antécédent du rapport. Je travaille POUR vous ; le pronom vous est complément de la préposition POUR, & POUR vous est le complément déterminatif du verbe travaille. La nécessité DE mourir ; l'infinitif mourir est le complément de la préposition DE, & DE mourir est le complément déterminatif du nom appellatif nécessité. Utile A la santé ; le nom appellatif la santé est le complément de la préposition A, & A la santé est le complément déterminatif de l'adjectif utile. Prudemment SANS anxiété, courageusement SANS témérité, noblement SANS hauteur, &c. les noms appellatifs anxiété, témérité, hauteur, sont les complémens des trois prépositions SANS, & SANS anxiété, SANS témérité, SANS hauteur, sont les complémens déterminatifs des adverbes prudemment, courageusement, noblement.
Il y a des langues, comme le grec, le latin, l'allemand, l'arménien, &c. dont les noms & les autres especes de mots analogues ont reçu des cas, c'est-à-dire des terminaisons différentes qui servent à présenter les mots comme termes de certains rapports : en latin, par exemple, le cas nommé génitif présente le nom qui en est revêtu comme terme conséquent d'un rapport quelconque, dont le terme antécédent est un nom appellatif ; fortitudo regis, rapport d'une qualité au sujet qui en est revêtu ; puer EGREGIAE INDOLIS, rapport du sujet à sa qualité ; creator MUNDI, rapport de la cause à l'effet ; CICERONIS opera, rapport de l'effet à la cause, &c. V. GENITIF, CAS, & chacun des cas en particulier. Il y a d'autres langues, comme l'hébreu, le françois, l'italien, l'espagnol, &c. qui n'ont point admis cette variété de terminaisons, & qui ne peuvent exprimer les différens rapports des êtres, des idées, & des mots, que par la place qu'ils occupent dans la construction usuelle, ou par des prépositions. Mais dans les langues mêmes qui ont admis des cas, on est forcé de recourir aux prépositions pour exprimer quantité de rapports dont l'expression n'a point été comprise dans le systême des cas ; cependant comme nous venons à bout par les prépositions ou par la construction de rendre avec fidélité tous les rapports désignés par des cas dans les autres langues ; d'autres idiomes auroient pu adopter quelque systême, au moyen duquel ils auroient exprimé par des cas les rapports que nous exprimons par la construction ou par des prépositions : de maniere que comme nos langues modernes de l'Europe sont sans cas, celles-là auroient été sans prépositions. Il n'auroit fallu pour cela, que donner aux mots déclinables un plus grand nombre de cas ; ce qui étoit possible, nonobstant l'avis de Sanctius, qui prétend que la division des cas latins en six est naturelle & doit être la même dans toutes les langues : quoniam haec casuum partitio naturalis est, in omni item idiomate tot casus reperiri fuit necesse. Minerv. j. 6. Sans rien repeter ici des excellentes preuves du contraire, déduites par Perizonius dans sa note sur ce texte, qu'il appelle falsa & inanis disputatio, il suffit d'observer que la dialectique de Sanctius est démentie par l'usage des Arméniens qui ont dix cas ; comme nous le certifie le pere Galenus, théatin ; & parmi les grammairiens qui ont écrit de la langue lapone, il y en a qui y comptent jusqu'à quatorze cas, comme on peut le voir au ch. iij. d'une description historique de la Lapponie suedoise, traduite par M. de Kéralio de Gourlay ; l'original est intitulé en allemand : M. Peterhaegstroems, Beschreibung des Lapplandes. Leipsik. 1748, in-12.
Il n'est pas question, sur une hypothèse sans réalité, de discuter ici les avantages respectifs des langues, selon qu'elles seroient ou sans cas ou sans prépositions, ou qu'elles participeroient plus ou moins aux deux systêmes. Mais j'ai dû remarquer la possibilité d'une langue sans prépositions, afin de faire connoître jusqu'à quel point cette classe de mots est nécessaire dans le systême de la parole. On le sentira mieux encore, si l'on fait une réflexion que j'aurois peut-être dû rappeller plus tôt : c'est que la plûpart de nos expressions composées d'une préposition avec son complément, peuvent être remplacées par des adverbes qui en seroient les équivalens. Selon M. Batteux (cours de Belles-Lettres, part. III. sect. iv. §. 2.), " on peut regarder les prépositions comme des caracteres séparés, pour ajouter aux substantifs la maniere de signifier qui convient à l'adverbe... Vous dites justement ; c'est la derniere syllabe qui est le caractere adverbial : placez la préposition AVEC avant le nom justice, elle donnera la même maniere de signifier au nom substantif justice, que la syllabe ment a donnée au nom adjectif juste. Ainsi les prépositions rentrent dans l'adverbe : on les a inventées pour en tenir lieu, pour en exercer la fonction avec le secours du substantif ; parce qu'on y a trouvé l'avantage de la variété ".
Cette observation est vraie jusqu'à un certain point, & elle a pour fondement l'analogie réelle qu'il y a entre la nature de la préposition & celle de l'adverbe. L'une désigne, comme je l'ai dit dès le commencement, un rapport général, avec abstraction de tout terme antécédent & conséquent ; l'autre exprime un rapport déterminé par la désignation du terme conséquent, mais avec abstraction du terme antécédent : c'est pourquoi toute locution qui renferme une préposition avec son complément, est appellée en Grammaire une phrase adverbiale ou équivalente à un adverbe. Il ne faut pourtant pas croire que les deux locutions soient absolument synonymes, & que la variété ne consiste que dans les sons : l'éloignement que toutes les Langues ont naturellement pour une synonymie entiere, qui n'enrichiroit un idiome que de sons inutiles à la justesse & à la clarté de l'expression ; cet éloignement, dis-je, donne lieu de présumer que la phrase adverbiale & l'adverbe doivent différer par quelques idées accessoires. Par exemple, je serois assez porté à croire que quand il s'agit de mettre un acte en opposition avec l'habitude, l'adverbe est plus propre à marquer l'habitude, & la phrase adverbiale à indiquer l'acte ; & je dirois : un homme qui se conduit SAGEMENT ne peut pas se promettre que toutes ses actions seront faites AVEC SAGESSE.
La plûpart de nos grammairiens distinguent deux sortes de prépositions par rapport à la forme : de simples, qui sont exprimées par un seul mot ; & de composées, qui comprennent plusieurs mots pour l'expression du rapport. Telle est à cet égard la doctrine de l'abbé Régnier (Gramm. fr. pag. 565. in-12. & pag. 595. in-4 °.) ; celle de M. Restaut (ch. ix.) ; celle du pere Buffier (n°. 647-651.). Ainsi, dit-on, dans, avec, pour, après, sont des prépositions simples ; vis-à-vis de, à l'égard de, à la réserve de, sont des prépositions composées.
Mais ce que j'ai dit ailleurs des conjonctions prétendues composées (Voyez MOT, art. II. n. 2.), je le dis ici des prépositions : c'est une sorte de mot ; & chacun de ceux qui entrent dans la structure des phrases que l'on prend pour des prépositions, doit être rapporté à la classe qui lui est propre. Ainsi vis-à-vis, que l'on devroit, ce me semble, écrire visavis sans division, est un adverbe, & de qui le suit est la seule préposition qui exige un complément : dans à l'égard de il y a quatre mots ; à qui est préposition ; le, article ; égard, nom appellatif, qui est le complément grammatical de à, & le terme antécédent d'un autre rapport exprimé par de ; enfin de, autre préposition. C'est confondre les idées les plus claires & les plus fondamentales, que de prendre des phrases pour des sortes de mots ; & si l'on ne veut avancer que des principes qui se puissent justifier, on ne doit reconnoître que des prépositions simples.
Nous en avons en françois quarante-huit, que je vais rapporter dans l'ordre alphabétique, en y joignant quelques exemples qui en justifieront la nature.
A. A midi, à Paris, à l'office, à la maniere des Grecs, à nous, à nos amis, difficile à concevoir, destiné à être brûlé.
APRES. Après le roi, après vous, après midi, après avoir pris conseil.
ATTENANT. L'église est attenant le château.
ATTENDU. On a différé le jugement attendu vos prétentions.
AVANT. Avant le tems, avant trois heures, avant moi, avant l'examen. Quand un infinitif est complément de cette préposition, il faut mettre que de entre deux (Voyez Vaugelas, rem. 274. & l'art. AVANT) : ainsi il faut dire, avant que de mourir, & non pas avant de mourir, comme quelques-uns se le permettent abusivement, & encore moins avant mourir, dont personne ne s'avise plus aujourd'hui. Quelquefois avant est un adverbe qui marque une suite considérable de progrès dans la durée, dans l'étendue, ou dans toute autre chose susceptible de progression : bien avant dans la nuit, fort avant dans la terre, il a été assez avant dans la Géométrie.
AVEC. Avec serment, avec les précautions requises, avec un bâton, avec lui, avec sa troupe.
CHEZ. Chez soi, chez vous, chez les Grecs, chez les Romains.
CONCERNANT. J'ai lû plusieurs écrits concernant cette dispute.
CONTRE. Plaider contre quelqu'un, écrire contre les Philosophes, il est parti contre mon avis ; dans tous ces exemples, contre a un sens d'opposition : dans les suivans ce mot exprime un rapport de voisinage ; sa maison est contre la mienne, contre l'église ; cela est collé contre la muraille.
DANS. Dans trois jours, dans l'année, dans la ville, dans la chambre, dans nos affaires, dans les SS. Peres, dans l'Ecriture sainte.
DE. De grand matin, de bonne heure, l'heure de midi, la ville de Paris, la riviere de Seine, loin de moi, parler de ce que l'on sait, l'obligation de se taire, la crainte d'avoir déplû.
DE-ÇA. De-çà la riviere. Dict. de l'acad.
DEDANS. Ce mot est quelquefois nom, comme quand on dit, le dedans de la maison, les dedans d'un château, au-dedans de nous-mêmes. Il est préposition, quand il est suivi d'un complément immédiat qui est un nom ou un pronom ; & cela arrive en deux occurrences seulement : la premiere, est quand les deux prépositions contraires sont réunies par une conjonction copulative avec rapport à un même & unique complément, comme quand on dit, ni dedans ni dehors la ville, dedans & dehors l'enceinte du temple : la seconde, est quand cette préposition est immédiatement précédée d'une autre, comme, cette statue est pour dedans la grande cour, ils sortirent de dedans les retranchemens, ils passerent par dedans la ville. On se sert encore du mot dedans d'une maniere absolue, comme quand on dit, vous le croyez sorti de la maison, & il est dedans : la plûpart des grammairiens prétendent que dedans est alors adverbe ; & M. l'abbé Régnier (Gramm. fr. in-12. pag. 590. in-4°. pag. 622.) dit que c'est l'usage ordinaire depuis cinquante ans, & que l'usage est ou un maître ou un tyran auquel il faut toujours obéir en matiere de langue. Je crois que cette maxime n'est pas vraie sans restriction ; & s'il falloit s'y conformer sans appel, il faudroit continuer de dire que nos noms ont des cas, puisque c'étoit un usage de tems immémorial dans notre Grammaire. C'est que l'usage n'a véritablement autorité que sur le langage national, & que c'est à la raison éclairée de diriger le langage didactique : dès que l'on remarque qu'un terme technique présente une idée fausse ou obscure, on peut & on doit l'abandonner & en substituer un autre plus convenable. D'ailleurs il n'est pas ici question de nommer simplement, mais de décider la nature d'un mot ; ce qui est une affaire, non d'usage, mais de raisonnement. Au reste Th. Corneille (note sur la rem. 128. de Vaugelas), nous apprend que l'avis de M. Chapelain étoit que dedans, lorsqu'il terminoit une période & un sens, ainsi que dessous, dessus, dehors, demeurent toujours prépositions, & régissent tacitement la chose sous-entendue dont il a été parlé auparavant. Cet avis est assurément le plus sage, & il doit en être de ces mots en pareil cas, comme de devant & après, quand on dit, par exemple, partez devant, j'irai après : si quand il y a ellipse du complément on employe plutôt dedans, dehors, dessous, dessus, que dans, hors, sous, sur, c'est que l'oreille a jugé que ces monosyllabes termineroient mal la période ou le sens.
DEHORS. C'est la même chose de ce mot que du précédent. Il est nom dans ces phrases, le dehors ne répond pas au-dedans, les dehors de la place. Il est préposition dans les trois occurrences marquées ci-dessus : 1°. ni dedans ni dehors la ville, comme dans l'article précédent ; 2°. cette autre statue est pour dehors l'enceinte, je viens de dehors la ville, par dehors le jardin ; 3°. vous le croyez dans la maison, & il est dehors.
DE-LA. De-là la riviere, de-là les monts, de-là la mer, de-là l'eau. Dict. de l'acad.
DEPUIS. Depuis la création du monde, depuis Pâque, depuis deux heures, depuis quel tems, depuis le premier jusqu'au dernier, depuis moi.
DERRIERE. Ce mot est comme dedans & dehors. Il est nom quand on dit, le derriere de la tête, les derrieres de l'armée. Il est préposition quand on dit, restez derriere moi, derriere l'autel ; & même quand on dit avec ellipse, l'un marchoit devant & l'autre derriere.
DES. Dès le commencement, dès les premiers tems, à prendre cette riviere dès sa source. M. l'abbé Girard a fait de ce mot une conjonction : mais, je le demande, est-ce une conjonction dans les phrases que je viens de rapporter ? & quand on les rend littéralement en latin, ab initio, à primis temporibus, ab origine, peut-on dire que à & ab soient des conjonctions ? Dès n'est pas plus conjonction dans les phrases de l'académicien, dès qu'elles entrent sous le pouvoir d'un mari, dès que les dames s'en mêlent, dès que le prince demande ; la vraie conjonction dans ces phrases, c'est que, qui lie les propositions incidentes dont il est suivi à son antécédent sous-entendu, par exemple, le moment, qui est le complément immédiat & grammatical de dès ; ainsi dès est toujours préposition, & c'est comme si l'on disoit, ainsi qu'on le dit assez souvent, dès le moment qu'elles entrent sous le pouvoir d'un mari, dès le moment que les dames s'en mêlent, dès le moment que le prince demande.
DESSOUS, DESSUS. Ces deux mots sont absolument dans le même cas que dedans. Ce sont des noms dans ces phrases, le dessous ou le dessus de la table, le dessous des cartes, le dessus d'une lettre, donner du dessous à quelqu'un, prendre le dessus. Ce sont des prépositions dans les trois occurrences que j'ai assignées pour dedans : 1°. il n'est ni dessus ni dessous la table : 2°. on gardoit cette poële pour dessous la table, & ces fleurs pour dessus le buffet ; passer par dessous la porte, par dessus la muraille ; sortir de dessous la table, tombé de dessus la voûte : 3°. ce livre n'étoit point sur la table, il étoit dessous ; ou bien ce livre n'étoit point sous la table, il étoit dessus.
DEVANT. Il en est de devant comme de derriere qui en est l'opposé. C'est un nom quand on dit, le devant de la maison, prendre les devans. C'est une préposition quand on dit, marchez devant moi, se prosterner devant l'autel, humilions-nous devant Dieu ; & même quand on dit avec ellipse, Enée marchoit devant, & Creüse alloit derriere.
DEVERS. Cette préposition s'employe rarement sans être précédée d'une autre, quoique l'on trouve ces deux exemples dans le Dictionnaire de l'académie, il est allé quelque part devers Lyon, il est devers Toulouse ; je crois que l'on feroit mieux de dire aux environs de Lyon, de Toulouse. Mais on doit dire devers & non pas vers à la suite des prépositions de & par : il vient de devers ces pays-là, de devers les princes d'Allemagne, & non pas de vers ; il a passé par devers votre château, il en a les titres par devers lui, ils ont par devers soi beaucoup de bonnes actions, & non pas par vers.
DURANT. Durant la paix, durant la guerre, durant les troubles domestiques.
EN. En paix, en guerre, en combattant, en roi, en anglois, en tems & lieu, en dix ans, en plaine, en France.
ENTRE. Entre la vie & la mort, entre vos bras, entre mes livres, entre promettre & tenir, entre nous.
ENVERS. Envers Dieu, envers le prochain, envers nous, envers qui, envers & contre tous.
EXCEPTE, HORMIS, HORS. Je joins ensemble ces trois prépositions, parce qu'elles sont à-peu-près synonymes : excepté cela, il est d'un très-bon commerce ; il eut tous les suffrages hormis deux ou trois ; la loi de Mahomet permet tout hors le vin. Quand on dit, hors du royaume, hors de la ville, hors de saison, ce n'est point une préposition, c'est un adverbe général de tems ou de lieu, que l'on détermine ensuite par la préposition de, suivie de son complément ; & M. l'abbé Régnier s'est trompé, en ne donnant sur hors que des exemples de cette façon. Hors, quand il est préposition, est synonyme d'excepté & d'hormis.
JOIGNANT ne s'employe que dans le discours familier, & communément cette préposition est précédée de l'adverbe tout ; comme sa maison est tout joignant la mienne.
MALGRE. Malgré moi, malgré l'hiver, malgré son pere, malgré mes avis, malgré tout ce que j'ai pu dire.
MOYENNANT. Moyennant la grace de Dieu, moyennant cinquante pistoles, moyennant ceci, moyennant quoi.
NONOBSTANT. Nonobstant toute opposition, nonobstant l'appel, nonobstant ses craintes.
OUTRE. Outre cela, outre les mauvais ouvrages qu'il a faits, outre mesure, outre mer.
PAR. Passer par la ville, passer par les épreuves les plus rudes, prouver par témoignage, par écriture, avoir mille écus par an, plaire par son esprit, commencer par réfléchir.
PARMI. Parmi les hommes, parmi les animaux, parmi nous.
PENDANT. Pendant le sermon, pendant le carême, pendant les vacances, pendant la guerre, pendant la paix.
POUR. Il combat pour la patrie, il est parti pour Rome, vous oubliez tout pour la chasse, il passe pour habile, j'ai eu ce livre pour quarante sols, donner de mauvaises pointes pour des traits d'esprit, j'étois allé pour vous voir, on n'est jamais puni pour avoir bien fait.
PROCHE. Proche le temple, proche le palais. Quand proche est suivi de de, c'est un adverbe général de lieu, dont le sens est déterminé par la préposition de, suivie de son complément ; & il en est de même d'auprès & de près qui en sont à-peu-près synonymes : proche du temple, ou auprès du temple, ou près du temple ; proche du palais, ou auprès du palais, ou près du palais.
SANS. Sans faute, sans secours, sans la violence, sans les menaces, sans nous, sans elles, sans parler, sans avoir entendu.
SAUF. Sauf le respect que je vous dois, sauf votre meilleur avis, sauf correction, sauf toute erreur de calcul.
SELON. Selon l'occasion, selon l'histoire, selon vous, selon S. Augustin, selon l'issue.
SOUS. Sous le consulat de Ciceron, sous Louis le Bien-Aimé, sous vingt-quatre heures, sous le ciel, sous le manteau, enfermé sous la clé, retiré sous le canon de la place, sous condition, sous la protection du ciel, sous la conduite de Socrate.
SUIVANT. Suivant la loi, suivant mes conseils, suivant les maximes de la sagesse.
SUR. Sur le midi, sur les trois heures, sur le point de partir, sur le déclin de l'âge, sur le champ, sur votre parole, je compte sur vous, dominer sur les foibles, une ville située sur la Seine, un appartement sur la rue, mettez cela sur la table, notes sur l'Encyclopédie.
TOUCHANT. Un traité touchant les bornes de la critique, des observations touchant l'indécence & l'injustice des satyres personnelles.
VERS. Vers l'orient, vers midi, vers Toulouse, vers Pâques, se tourner vers Dieu.
VU. Vu l'état des affaires, vu les mesures que vous prenez, vu les détails où je suis entré.
Dans ce tableau des prépositions, que je viens de mettre sous les yeux du lecteur, & qui est ici plus complet que dans aucun de nos grammairiens, je n'ai pas cru devoir m'occuper de la distinction de tous les rapports que chaque préposition peut exprimer en vertu de l'usage de notre langue. Ce détail ne peut convenir qu'à une grammaire françoise, & ne doit pas plus grossir cet ouvrage que le dénombrement des prépositions latines, grecques, hébraïques, chinoises, ou autres : l'énumération que j'ai faite des nôtres est moins un hommage rendu à notre langue, qu'un essai sur la maniere de reconnoître la nature des prépositions dans quelque idiome que ce soit, un exemple de l'attention scrupuleuse que cette étude exige, & un cannevas de prépositions bien connues pour servir de fondement à quelques remarques didactiques sur cet objet.
1°. Je crois, comme M. l'abbé Regnier, qu'il ne faut pas trop s'attacher à réduire toutes les prépositions à des classes générales ; une même préposition a reçu trop de significations différentes pour se prêter sans obstacle à des classifications régulieres. " Non-seulement une même préposition marque des rapports différens, ce qui est déja un défaut dans une langue ; mais elle en marque d'opposés, ce qui est un vice ". C'est une remarque de M. Duclos. Gram. gén. part. II. ch. ij. Si l'on prétendoit donc réduire en classes le systême des prépositions, on s'exposeroit à la nécessité de tomber souvent dans des redites, & de dépecer sous différens titres les divers usages de la même préposition.
Ne vaudroit-il pas mieux penser à réduire sous un point de vue unique & général tous les usages d'une même préposition ? Quelque difficile que paroisse au premier aspect la solution de ce problème, je ne laisse pas d'être persuadé qu'elle est très-possible : de quelque bisarrerie qu'on accuse l'usage, ce prétendu tyran des langues, j'ai reconnu dans un si grand nombre de ses décisions, taxées trop légerement d'irrégularité, l'empreinte d'une raison éclairée, fine, & en quelque sorte infaillible, que je ne puis croire le systême des prépositions aussi inconséquent qu'on l'imagine dans notre langue, & qu'il le seroit en effet dans toutes, si la maniere commune d'envisager les choses est conforme à la droite raison. En tout cas, il est certain que si la réduction que je propose étoit exécutée, la syntaxe de cette partie d'oraison, qui a dans tous les idiomes de grandes difficultés, deviendroit très-simple & très-facile ; les connoisseurs doivent le sentir, & conséquemment entrer dans mes vues de tout leur pouvoir.
A quoi reconnoît-on, par exemple, que vers est préposition de lieu dans cette phrase, aller vers la citadelle ; de tems dans celle-ci, il est mort vers midi ; de terme dans cette troisieme, se tourner vers Dieu ? Disons-le de bonne foi : ces différentes significations ne sont point dans le mot vers : les rapports sont compris dans la signification des termes antécédens, & c'est l'ordre ; les termes conséquens de ces rapports sont les complémens de la préposition ; & la préposition ne fait qu'indiquer que son complément est le terme conséquent du rapport renfermé dans la signification du terme antécédent. Nous disons rapport de tems, quand le complément est un nom de tems ; rapport de lieu, quand c'est un nom de lieu, &c. Dans le fait, vers indique un rapport d'approximation, & l'approximation se mesure ou par la durée, ou par l'espace, ou par l'inclination de la volonté. Ce que je dis ici sur vers est un essai pour développer ma pensée, & pour diriger les vues des Grammairiens sur les autres prépositions.
2°. Ce n'est pas au reste que je prétende faire abandonner la considération des idées qui peuvent être communes à plusieurs prépositions, & de celles qui les différencient entr'elles. Il me semble au contraire que ce que je propose a pour but de généraliser encore plus les idées communes : & je crois qu'il ne peut être que très-avantageux pour cette fin, de comparer entr'elle & les prépositions synonymes, & de les groupper en autant d'articles dans le traité général.
Le P. Bouhours a comparé sous cet aspect à & dans. Rem. nouv. t. I. pag. 113. & 433.
Le même écrivain (Ibid. p. 67.) a discuté la synonymie des deux prépositions en & dans. M. l'abbé Girard a traité le même sujet dans ses synonymes françois, 3. édit. p. 123.
Contre, malgré, nonobstant ont un fond commun & des différences caractéristiques, que ce même académicien expose avec netteté dans ses vrai princip. t. II. p. 193. & il approfondit encore davantage les différences de contre & de malgré, dans son livre des synonymes, p. 115. M. l'abbé Regnier en a aussi touché quelque chose. p. 626. in-12. p. 658. in-4 °.
M. l'abbé Girard, syn. p. 39. a comparé les synonymes avant & devant, sur quoi l'on peut voir ce que M. du Marsais y a ajouté dans l'Encyclopédie, art. AVANT, & ce qu'en a dit M. l'abbé Regnier, in-12. p. 585. & in-4. p. 617. Les prépositions opposées après & derriere sont analogues, & les différences en sont à-peu-près les mêmes.
On trouvera dans les vrais principes, p. 190. & dans la grammaire de l'abbé Regnier, in-12. p. 607. in-4. p. 639. en quoi conviennent & en quoi different les deux prépositions synonymes durant & pendant. Il seroit bon d'examiner aussi jusqu'à quel point de peut être synonyme de ces mots quand on dit, par exemple, de jour, de nuit.
On lira aussi dans les vrais principes de l'abbé Girard, tom. II. pag. 189. ce qu'il a écrit sur les synonymes selon & suivant ; & p. 192. ce qu'il a dit d'excepté, hormis & hors.
Cet écrivain doit servir de modele à ceux qui voudront tenter la comparaison & l'explication des autres prépositions synonymes, telles que attenant, joignant, contre ; après & depuis ; avec, moyennant, & par ; attendu & vu ; entre & parmi ; envers & pour ; sur, touchant, concernant, & de, &c.
Il ne peut être que très-utile aussi d'insister sur les prépositions opposées, comme avant & après, deçà & de-là, devant & derriere, sans & avec, sous & sur, pour & contre, &c. L'opposition suppose toujours un fonds commun ; & rien n'est plus propre à faire bien sortir les différences des synonymes, que celles de leurs opposés.
3°. M. du Marsais (au mot ACCIDENT) avance que les prépositions sont toutes primitives & simples. C'est une erreur évidente. Concernant, durant, joignant, moyennant, pendant, suivant, touchant, sont originairement des gérondifs : concernant de concerner ; durant de durer ; joignant de joindre ; moyennant de moyenner ; pendant de pendre, pris dans le sens de durer ou de n'être pas terminé, comme quand on dit un procès pendant au parlement ; suivant du verbe suivre pris dans le sens d'obéir, comme quand on dit, je suivrai vos ordres ; touchant du verbe toucher : attendu, excepté, vu, sont dans l'origine les supins des verbes attendre, excepter, voir. Voilà donc des prépositions dérivées ; en voici de composées. Attenant (tenant à), de ad & de tenir ; hormis, qui s'écrivoit il n'y a pas long-tems horsmis, est composé de la préposition simple hors & du supin mis du verbe mettre ; malgré vient de mal pour mauvais & de gré ; nonobstant des deux mots latins non obstans. Sur quoi il est bon d'observer que ces prépositions composées le sont dans un autre sens que celui dont j'ai parlé plus haut ; chacune d'elles n'est qu'un mot, mais ce mot résulte de l'union de plusieurs radicaux.
4°. " L'usage, dit M. l'abbé Girard, tom. II. pag. 242. a accordé à quelques prépositions la permission d'en régir d'autres en certaines occasions ; c'est-à-dire de les souffrir dans les complémens dont elles indiquent le rapport ; de façon qu'il se trouve alors un rapport particulier compris dans le général : celui-ci est énoncé par la préposition, qui est la premiere en place ; celui-là par la préposition qui ne marche qu'en second, & qui par conséquent se trouve conjointement avec son propre complément sous le régime de la premiere. Cette permission, ajoute-t-il, n'est accordée qu'à ces quatre, de, pour, excepté, hors. Leur droit ne s'étend pas même sur toutes les prépositions indifféremment, mais seulement sur quelques-unes d'elles... De peut régir ces six, entre, après, chez, avec, en & par... Pour ne sauroit avoir droit que sur ces cinq, après, dans, devant, à, & derriere... Excepté & hors admettent dans leur complément & sous leur régime dix-neuf des autres prépositions ; savoir, chez, dans, sous, sus, devant, derriere, parmi, vers, avant, après, entre, depuis, avec, par, devant, pendant, à, de, & en ".
Premierement, de, pour me servir des termes de l'auteur, & pour parler conformément à son hypothèse, que j'examinerai plus bas, peut régir encore neuf autres prépositions ; savoir, derriere, dessous, dessus, devant, devers, delà, deçà, dedans, dehors ; comme on le voit dans ces phrases : il sortit de derriere l'autel, de dessous la table, de dessus la voûte ; disparoissez de devant moi ; il revient de devers les princes d'Allemagne, de delà les Alpes ; ils ont été repoussés de deçà le Rhin ; je viens de dehors la ville, de dedans le jardin.
En second lieu, pour a encore droit sur avant, chez, de, deçà, delà, dessous, dessus, & l'on dit très-communément : le sermon est pour avant vêpres ; ces meubles sont pour chez moi ; on en peut avoir pour de l'argent ; cette division est pour deçà la Meuse, & l'autre pour delà le Rhin ; cette poële est pour dessous la table ; ces fleurs sont pour dessus la fenêtre.
En troisieme lieu, excepté & hors admettent dans leur complément & sous leur régime bien d'autres prépositions que celles dont parle l'académicien. Ils se sont tous déclarés contre les philosophes excepté contre Platon ; les ministres sages s'intéressent pour les gens de lettres, excepté pour ceux qui deshonorent leur état par leurs écarts, &c.
En quatrieme lieu, il y a d'autres prépositions que les quatre citées par l'abbé Girard, auxquelles il est permis par l'usage d'avoir d'autres prépositions dans leur complément. Et d'abord il est évident que la préposition de se trouve très-fréquemment, non-seulement après à, comme l'a remarqué M. l'abbé Froment, supplément au ch. xj. de la II. part. de la Gram. gén. mais encore après un grand nombre d'autres. On dit, se livrer à de faux amis ; après de si bons avis ; avec de bon vin ; chez de bonnes gens ; on ne tient pas contre de telles avances ; dans de l'eau ; derriere de la paille ; devant de bons juges ; jetter de la défiance entre des amis, envers des étrangers ; malgré de si grands obstacles ; moyennant de l'argent ; prouver par des faits ; sans de bons appuis ; selon des témoignages respectables ; sous de belles apparences ; suivant des principes dangereux ; sur de bons garants ; touchant des affaires sérieuses ; vers des jardins spacieux, &c. D'ailleurs la préposition par est assez souvent suivie d'une autre, & l'on dit fort bien, j'ai passé par chez vous, par-dessus tout cela, par-dessous la jambe, par-dedans la ville, par-dehors l'enceinte. Ajoutez que l'on pouvoit remarquer jusqu'à trois prépositions consécutives & subordonnées les unes aux autres : par devers chez vous, pardessus de bons titres, en deçà de la riviere : & ne pourroit-on pas en accumuler jusqu'à quatre, & dire dans quelques occurrences, pour en-deçà de la riviere ?
5°. J'ai prouvé dès le commencement que toute préposition a nécessairement pour complément un nom, un pronom, ou un infinitif ; & que la préposition avec son complément, forme un complément total déterminatif d'un nom appellatif, d'un adjectif, d'un verbe ou d'un adverbe. C'est donc présenter à l'esprit des idées fausses, que de dire, comme M. l'abbé Girard " que l'usage a accordé à quelques prépositions la permission d'en régir d'autres en certaines occasions ". Dans les exemples allégués par cet académicien, & dans ceux que j'y ai ajoutés, il y a nécessairement ellipse entre les prépositions consécutives ; & si l'on veut rendre une raison analytique de la phrase, il faut suppléer entre deux le terme qui doit servir tout-à-la-fois de complément à la premiere préposition, & d'antécédent à la seconde. Ainsi de par le roi, signifie par exemple, de l'ordre donné par le roi ; il sortit de derriere l'autel, c'est-à-dire de l'espace situé derriere l'autel ; ces fleurs sont pour dessus la fenêtre, c'est-à-dire pour être placées dessus la fenêtre, ou sur la fenêtre, &c.
S'il y a de suite plus de deux prépositions, il faut également suppléer les complémens intermédiaires : cette garde est pour en-deçà de la riviere, c'est-à-dire cette garde est destinée pour servir en un poste situé deçà le lit de la riviere.
On voit dans cette derniere phrase ramenée à la plénitude analytique, que l'adjectif destinée est le terme antécédent de pour ; que l'infinitif servir est le complément grammatical de pour & l'antécédent de en ; que un poste est le complément grammatical de en ; que l'adjectif situé est l'antécédent de deçà ; & que le lit, qui est le complément grammatical de deçà, est en même tems l'antécédent du de qui vient après. Reprenons le tout synthétiquement : la riviere est le complément total de la préposition de ; de la riviere est le complément déterminatif total du nom appellatif lit ; le lit de la riviere est le complément logique de deçà ; deçà le lit de la riviere est la totalité du complément déterminatif de l'adjectif situé ; situé deçà le lit de la riviere est le complément déterminatif logique du nom appellatif poste ; un poste situé deçà le lit de la riviere est le complément logique de la préposition en ; en un poste situé deçà le lit de la riviere est la totalité du complément déterminatif du verbe servir ; servir en un poste situé deçà le lit de la riviere est le complément logique de la préposition pour ; enfin, pour servir en un poste situé deçà le lit de la riviere, est la totalité du complément déterminatif de l'adjectif destinée.
Il y a particulierement ellipse dans les phrases où une préposition est suivie immédiatement d'un que : par exemple, après qu'il fut parti, depuis que le monde existe, attendu que vous le voulez, dès que le soleil paroît, moyennant que vous donniez caution, malgré qu'il en ait, nonobstant que je l'en eusse prié, outre que je l'ai lû, pendant qu'on y pense, sans qu'il s'y opposât, selon que vous voudrez, suivant que vous le souhaitez, vu qu'il n'est pas possible ; c'est-à-dire après le moment qu'il fut parti, depuis le tems que le monde existe, attendu la raison que vous le voulez, dès l'instant que le soleil paroît, moyennant la condition que vous donniez caution, malgré le dépit qu'il en ait, nonobstant ce que je l'en eusse prié, outre ce que je l'ai lû, pendant le tems qu'on y pense, sans ce qu'il s'y opposât, selon ce que vous voudrez, suivant ce que vous le souhaitez, vû la raison qu'il n'est pas possible.
On ne tournera pas apparemment en objection contre cette doctrine des ellipses, la longueur, le ridicule, ou si l'on veut, l'espece de barbarisme qu'introduiroit dans la phrase la plénitude analytique. L'usage n'a autorisé ces ellipses que pour donner en effet plus de vivacité à l'élocution ; & il est constant qu'on ne peut les suppléer sans jetter dans la phrase une langueur d'autant plus insupportable, que l'on est accoutumé à l'énergique briéveté de la phrase usuelle ; la plénitude analytique présente un tour insolite qui sent le barbarisme, & qui en seroit un réel si l'on prétendoit parler de la sorte. Mais ces tours analytiques ne sont point proposés ici comme des modeles à suivre dans l'usage ; ce sont des développemens pour rendre raison du véritable esprit de l'usage, & non pour en altérer les décisions.
6°. " Quoiqu'on puisse mettre quelquefois en & dans indifféremment devant un mot, dit le P. Bouhours (Rem. nouv. tom. I. pag. 73.) ; s'il y a plusieurs mots semblables dans la même période, & que ce soit le même sens, le même ordre & la même suite de discours, ayant mis dans au premier mot, il ne faut pas mettre en au second : l'uniformité demande que dans regne par-tout... C'est au Dieu fidele dans ses promesses : inépuisable dans ses bienfaits, juste dans ses jugemens.... J'ai dit quand c'est le même ordre & le même sens ; car autrement on peut varier, & on doit le faire en certains endroits. Il passa un jour & une nuit entiere en une si profonde méditation, qu'il se tint toujours dans une même posture.
C'est une négligence vicieuse, dit-il ailleurs (ib. p. 177.), de mettre deux avec qui se suivent & qui ont des rapports différens, dont l'un regarde la personne & l'autre la chose. Par exemple, elle vécut avec lui, avec la même bonté qu'elle avoit accoutumé... J'ai dit quand ils se suivent, car quand ils ne sont pas si près l'un de l'autre ; cela choque moins, parce que cela se sent moins.... On voit bien que ce prédicateur n'a guere de familiarité avec les peres, puisqu'il les traite avec tant de cérémonie... Pour moi, j'avoue que deux avec bien qu'un peu éloignés, ne me plaisent point dans une même période, quand ils ont divers rapports ; je dis quand ils ont divers rapports ; car si l'un & l'autre se rapportent ou à la personne ou à la chose, bien loin que ce soit un défaut, c'est quelquefois une beauté.
C'est une négligence vicieuse, dit encore le même auteur (pag. 461.), d'entasser dans le discours plusieurs comme les uns sur les autres, quand ils ne sont pas dans le même ordre. Exemple : Ne considérons plus la mort comme des payens, mais comme des chrétiens ; c'est-à-dire avec l'espérance, comme saint Paul l'ordonne.... Les deux premiers comme sont dans le même ordre, & n'ont rien d'irrégulier ni de choquant ; mais le troisieme est pour ainsi dire, d'une autre espece, & fait un effet desagréable... On pourroit mettre ainsi que au lieu de comme : ainsi que saint Paul l'ordonne. "
Toutes ces remarques séparées & fort éloignées les unes des autres dans le P. Bouhours, ont pourtant un lien commun, qu'il n'a pas assez nettement fait sentir. Ce sont des suites d'une même regle générale fondée sur une raison très-plausible. La voici :
On ne doit pas employer dans une même proposition, avec des complémens de différente espece ou dans des sens différens, un même mot qui annonce vaguement quelque rapport. C'est que l'esprit ayant été déterminé par le premier complément à prendre ce mot dans un certain sens, est choqué de le trouver tout de suite employé dans un autre, quoiqu'il s'agisse encore de l'expression de la même pensée individuelle. C'est dans l'élocution un vice à-peu-près semblable à celui où l'on tomberoit dans le raisonnement, si l'on donnoit à un terme dans la conclusion, un autre sens qu'il n'a dans les prémisses ; d'ailleurs cette disparate ne peut que nuire à la clarté de la proposition, parce qu'elle fait sur l'esprit une impression desagréable, dont l'effet immanquable est de le distraire.
Dans deux propositions qui se suivent, & dont l'une n'est pas subordonnée à l'autre, la raison de la regle n'existant plus, il n'y a plus de nécessité de s'y assujettir ; & c'est pour cela qu'on ne peut improuver l'exemple rapporté par le P. Bouhours : On voit bien que ce prédicateur n'a guere de familiarité avec les Peres (premiere proposition), puisqu'il les traite avec tant de cérémonie (seconde proposition). La marche de l'une est indépendante de celle de l'autre.
Toutes les prépositions désignent un rapport vague qui n'est bien déterminé que par l'application qu'on en fait à deux termes, l'un antécédent & l'autre conséquent. C'est précisément pour cette raison que j'ai cru devoir établir ici cette regle générale de Grammaire. Mais les conjonctions de comparaison, telles que comme, & les expressions adverbiales qui ont la même signification, de même que, aussi-bien que, de la maniere que, &c. sont encore dans le même cas, parce qu'elles désignent des rapports généraux. Notre on doit suivre la même regle, parce qu'il est vaguement relatif à des personnes qui ne sont déterminées que par le sens du discours ; & c'est là le fondement de la remarque du P. Bouhours sur ce mot (pag. 240.), où il dit : " Ce n'est pas écrire nettement que de mettre ainsi deux on qui ne se rapportent pas à la même personne ". C'est à la suite de cette phrase : On peut à-peu-près tirer le même avantage d'un livre... où on a gravé ce qui nous reste des antiquités de, &c. (E. R. M. B.)
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PRÉPUCE | S. m. terme d'Anatomie ; prolongement de la peau du penil, qui couvre le gland ou l'extrêmité de la verge. Voyez nos Pl. anat. & leur explication. Voyez aussi PENIL & GLAND.
Le docteur Drake observe qu'on ne voit dans aucun des ouvrages de la nature autant de variété que dans le prépuce, & que dans les différens hommes, la figure & la proportion en sont toutes différentes.
C'est de-là apparemment qu'est venue la méthode de circoncire, pratiquée si universellement dans tout l'orient, qu'il faut considérer moins comme un acte de religion, que comme un moyen de tenir la partie nette, & d'empêcher les maladies qui naîtroient dans ces pays de la rétention de la mucosité que fournissent les glandes de dessous le prépuce ; & le même auteur ajoute qu'il a vû des orientaux, qui ayant des gros prépuces gonflés, ont été effrayés d'en voir sortir une mucosité, qui ne venoit sans doute, que de ce qu'il s'en étoit amassé entre le prépuce & le gland ; & c'est sans doute cet inconvénient entr'autres, que le divin législateur des Juifs a eu en vue de prévenir, en faisant une loi de la circoncision. Voyez CIRCONCISION.
La peau du prépuce est double : à l'endroit où la peau interne se joint aux autres parties, il y a plusieurs glandes ovales, ou à-peu-près rondes, placées irrégulierement autour de l'union du gland avec les corps caverneux, & sur le gland même.
Leur usage est de filtrer une liqueur qui rend le mouvement du prépuce sur le gland plus aisé. Quand cette liqueur devient rance par le grand âge, ou en conséquence d'un mal vénérien, elle écorche le gland & le prépuce ; & même quelquefois resserre ce dernier, au point qu'il faut quelquefois y faire une incision pour découvrir le gland. Voyez PHIMOSIS & PARAPHIMOSIS.
Ce repli lâche de la peau de la verge, qu'on nomme prépuce, & qui embrasse ordinairement la base du gland, lui est quelquefois attaché par défaut de conformation ; & cette cohérence demande toute la dextérité d'un habile opérateur, afin d'éviter de blesser le prépuce & le gland.
Quelquefois par un autre vice de conformation, l'extrêmité du prépuce est si étroite, qu'elle ne permet pas d'uriner sans douleur, ni de pouvoir découvrir le gland en aucune maniere.
Quelquefois encore le prépuce est si allongé au-delà du gland, & si étroit dans son allongement, qu'outre la peine d'uriner, il reste toujours entre cet allongement du prépuce & du gland, une certaine quantité d'urine qui y est retenue, comme dans un petit réservoir, duquel elle s'écoule ensuite d'elle-même peu-à-peu, ou en pressant les extrêmités du prépuce ; ces deux phimosis naturels se guérissent par la circoncision.
Palfyn dit avoir vû dans un homme de 70 ans, un phimosis accompagné d'une petite pierre qui se trouva entre le gland & le prépuce, directement au-devant de l'orifice de l'uretre ; desorte que le malade, chaque fois qu'il vouloit uriner, étoit obligé de déplacer la petite pierre, avec un instrument convenable, de devant l'orifice de l'uretre. Il avoit supporté son mal près de quatre ans, pendant lequel tems il avoit jetté plusieurs petites pierres, mais il guérit par l'opération.
Le même Palfyn rapporte avoir vû un autre homme âgé de 60 ans, qui avoit un phimosis naturel, & le prépuce fort allongé ; outre qu'il avoit beaucoup de peine à uriner, il restoit toujours entre le gland & le prépuce une portion d'urine, qui y étant retenue comme dans une bourse, s'écouloit ensuite insensiblement dans ses culottes ; il fut délivré de cette incommodité par la circoncision.
On croit que les Turcs & plusieurs autres peuples, chez lesquels elle est en usage, auroient le prépuce trop long, si on n'avoit pas la précaution de le couper. La Boulaye dit qu'il a vû dans les deserts de Mésopotamie & d'Arabie, le long des rivieres du Tigre & de l'Euphrate, quantité de petits garçons arabes, qui avoient le prépuce si long, qu'il pense que sans le secours de la circoncision, ces peuples seroient inhabiles au mariage.
Quelquefois enfin des enfans naissent sans aucune ouverture au prépuce ; dans ce cas, il faut y faire sur le champ une petite incision convenable, que l'on panse ensuite avec une tente.
PREPUCE, (Critiq. sacrée) ; les Juifs regardant le prépuce comme une souillure, nommoient par mépris les autres peuples incirconcis ; & S. Paul dit dans l'épître aux Romains, ch. ij. 26. en parlant des Gentils : si les incirconcis observent les commandemens de la loi, n'est-il pas vrai que tout incirconcis qu'ils sont, ils passent pour circoncis ?
Praeputium désigne toujours dans le vieux Testament une chose impure. Quand vous aurez planté des arbres fruitiers, ôtez les premiers fruits, eorum praeputia, parce qu'ils sont souillés, dit le Lévitique, xix. 23. Ces fruits qu'il falloit retrancher de l'arbre sans les manger, étoient ceux des trois premieres années ; peut-être que jusqu'à la quatrieme année, les fruits des jeunes arbres ne valoient rien dans la Palestine. Praeputium se prenoit encore au figuré, & désignoit les vices, les péchés ; ainsi praeputium cordis veut dire les déréglemens de l'ame. Deuter. x. 16.
Adducere praeputium se prend au propre, & signifie rétablir le prépuce retranché par la circoncision. Il est parlé dans l'Ecriture de certains juifs, qui ayant honte de paroître circoncis, & de porter cette marque de leur religion, employoient l'art des chirurgiens pour tâcher de cacher cette prétendue difformité ; fecerunt sibi praeputia, dit l'auteur du I. des Macch. j. 6.
Origene reconnoît que quelques juifs se mettoient entre les mains des médecins, pour faire revenir leur prépuce. S. Epiphane parle de l'instrument dont on se servoit pour cela, & des moyens qu'on employoit ; Paul Eginete & Fallope ont expliqué la maniere de couvrir les marques de la circoncision. Bartholin cite une lettre de Buxtorf, dans laquelle il rapporte un grand nombre de témoignages d'auteurs juifs, qui parlent de cette pratique, comme usitée parmi les apostats de leur religion ; mais on a raison d'assurer qu'il est impossible d'effacer la marque de la circoncision. (D.J.)
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PRERAU | (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la Moravie, sur la riviere de Peczwa, à cinq lieues au sud-est d'Olmutz, & chef-lieu d'un comté de même nom.
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PRÉROGATIVE | PRIVILEGE, (Synon.) La prérogative regarde les honneurs & les préférences personnelles ; elle vient principalement de la subordination, ou des relations que les personnes ont entr'elles. Le privilege regarde quelqu'avantage d'intérêt ou de fonction ; il vient de la concession du prince, ou des statuts de la société. La naissance donne des prérogatives. Les charges donnent des privileges. Girard. (D.J.)
PREROGATIVE, s. f. (Jurisp.) signifie privilege, prééminence, avantage qu'une personne a sur une autre ; les provisions d'une charge la conferent avec tous ses droits, privileges, prérogatives, franchises & immunités. Ce terme vient du nom que portoit à Rome la centurie, qui donnoit la premiere son suffrage dans les comices pour l'élection des magistrats. Praerogativa quasi praerogata. (A)
PREROGATIVE ROYALE, (Droit politiq. d'Angl.) On nomme ainsi dans le gouvernement d'Angleterre un pouvoir arbitraire accordé au prince, pour faire du bien, & non du mal ; ou pour le dire en moins de mots, c'est le pouvoir de procurer le bien public sans réglemens & sans lois.
Ce pouvoir est établi fort judicieusement ; car puisque dans le gouvernement de la Grande-Bretagne le pouvoir législatif n'est pas toujours sur pié ; que même l'assemblée de ce pouvoir est d'ordinaire trop nombreuse & trop lente à dépêcher les affaires qui demandent une promte exécution, & qu'il est impossible de prévenir tout & pourvoir par les lois à tous les accidens & à toutes les nécessités qui peuvent concerner le bien public : c'est par toutes ces raisons qu'on a donné une grande liberté au pouvoir exécutif, & qu'on a laissé à sa discrétion bien des choses dont les lois ne disent rien.
Tandis que ce pouvoir est employé pour l'avantage de l'état, & conformément aux fins du gouvernement, c'est une prérogative incontestable, & on n'y peut trouver à redire. Aussi le peuple n'est point scrupuleux sur l'étendue de la prérogative, pendant que ceux qui l'ont ne s'en servent pas contre le bien public ; mais s'il vient à s'élever quelque débat entre le pouvoir exécutif & le peuple, au sujet d'une chose traitée de prérogative, on peut décider la question en considérant si l'exercice de cette prérogative tendra à l'avantage ou au desavantage de la nation.
Il est aisé de concevoir que dans l'enfance des gouvernemens les états différoient peu des familles par rapport au nombre des membres ; ils ne différoient non plus guere à l'égard du nombre des lois. Les gouverneurs de ces états, ainsi que les peres de ces familles, veillant pour le bien de ceux dont la conduite leur avoit été commise, le droit de gouverner étoit alors leur prérogative. Comme il n'y avoit que peu de lois établies, la plûpart des choses étoient laissées à la prudence & aux soins des conducteurs ; mais quand l'erreur ou la flatterie est venue à prévaloir dans l'esprit foible des princes, & à les porter à se servir de leur puissance pour leurs seuls intérêts, le peuple a été obligé de déterminer par des lois la prérogative, de la régler dans ces points qu'il trouvoit lui être désavantageux, & de faire des restrictions pour des cas que leurs ancêtres avoient laissés dans une extrême étendue de liberté à la sagesse de ces princes, qui faisoient un bon usage de leur pouvoir indéfini.
Il est impossible que personne dans toute société ait jamais eu le droit de causer du préjudice au peuple, & de le rendre malheureux ; quoiqu'il ait été possible & fort raisonnable que ce peuple n'ait point limité la prérogative de ces rois ou de ces conducteurs, qui ne passoient point les bornes que le bien public leur prescrivoit. (D.J.)
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PRÈS | (Gramm.) préposition qui marque proximité de tems ou de lieu.
PRES du vent, (Marine) Voyez VENT.
Près & plein, c'est un commandement que l'on fait au pilote ou au timonnier d'aller au plus près du vent, mais ensorte que les voiles soient toujours pleines.
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PRÉSAGE | S. m. (Divination) Dans l'antiquité payenne le peuple ne pouvant guere élever son esprit jusqu'à la connoissance du premier Etre, bornoit presque toute sa religion au culte des Dieux immortels, qu'il regardoit comme les auteurs des oracles, des sorts, des auspices, des prodiges, des songes & des présages.
Dans l'idée générale du mot présage, il faut comprendre non-seulement l'attention particuliere que le vulgaire donnoit aux paroles fortuites, soit qu'elles parussent venir des dieux, soit qu'elles vinssent des hommes, & qu'il regardoit comme des signes des événemens futurs ; mais il y faut comprendre encore les observations qu'il faisoit sur quelques actions humaines, sur des rencontres inopinées, sur certains noms & sur certains accidens dont il tiroit des préjugés pour l'avenir.
Il est vraisemblable que la science des présages est aussi ancienne que l'idolâtrie, & que les premiers auteurs du culte des idoles sont aussi les auteurs de l'observation des présages. La superstition en a fait une science : les Egyptiens l'ont portée en Grece. Les Etrusques, ancien peuple de l'Italie, disoient qu'un certain Tagès leur enseigna le premier à expliquer les présages. Les Romains apprirent des Etrusques ce qu'ils savoient d'une science si vaine & si ridicule.
Ces présages étoient de plusieurs especes, qu'on peut réduire à sept principales ; savoir,
1°. Les paroles fortuites que les Grecs appelloient ou , & les Latins onien pour orimen, selon Festus. Ces paroles fortuites étoient appellées voix divines lorsqu'on en ignoroit l'auteur ; telle fut la voix qui avertit les Romains de l'approche des Gaulois, & à qui l'on bâtit un temple sous le nom d'Aius locutius. Ces mêmes paroles étoient nommées voix humaines lorsqu'on en connoissoit l'auteur, & qu'elles n'étoient pas censées venir immédiatement des dieux. Avant que de commencer une entreprise, les gens superstitieux sortoient de leur maison pour recueillir les paroles de la premiere personne qu'ils rencontroient, ou bien ils envoyoient un esclave écouter ce qui se disoit dans la rue ; & sur des mots proférés à l'avanture, & qu'ils appliquoient à leurs desseins, ils prenoient leurs résolutions.
2°. Les tressaillemens de quelques parties du corps, principalement du coeur, des yeux & des sourcils ; les palpitations du coeur passoient pour un mauvais signe, & présageoient particulierement, selon Mélampus, la trahison d'un ami. Le tressaillement de l'oeil droit & des sourcils, étoit au contraire un signe heureux. L'engourdissement du petit doigt, ou le tressaillement du pouce de la main gauche, ne signifioit rien de favorable.
3°. Les tintemens d'oreille & les bruits qu'on croyoit entendre. Ils disoient quand l'oreille leur tintoit, comme on dit encore aujourd'hui, que quelqu'un parloit d'eux en leur absence.
4°. Les éternuemens. Ce présage étoit équivoque, & pouvoit être bon ou mauvais ; suivant les occasions ; c'est pour cela qu'on saluoit la personne qui éternuoit, & l'on faisoit des souhaits pour sa conservation. Les éternuemens du matin n'étoient pas réputés bons ; mais l'amour les rendoit toujours favorables aux amans, à ce que prétend Catulle.
5°. Les chûtes imprévues. Camille après la prise de Veïes, voyant la quantité de butin qu'on avoit fait, prie les dieux de vouloir bien détourner par quelque legere disgrace, l'envie que sa fortune ou celle des Romains pourroit attirer. Il tombe en faisant cette priere, & cette chûte fut regardée par le peuple dans la suite comme le présage de son exil, & de la prise de Rome par les Gaulois. Les statues des dieux domestiques de Néron se trouverent renversées un premier jour de Janvier, & l'on en tira le présage de la mort prochaine de ce prince.
6°. La rencontre de certaines personnes & de certains animaux ; un éthiopien, un eunuque, un nain, un homme contrefait que les gens superstitieux trouvoient le matin au sortir de leur maison, les effrayoit & les faisoient rentrer. Il y avoit pour eux des animaux dont la rencontre étoit de bon présage, par exemple, le lion, les fourmis, les abeilles. Il y en avoit dont la rencontre ne présageoit que du malheur, comme les serpens, les loups, les renards, les chiens, les chats, &c.
7°. Les noms. On employoit quelquefois dans les affaires particulieres les noms dont la signification marquoit quelque chose d'agréable. On étoit bien-aise que les enfans qui aidoient dans les sacrifices, que les ministres qui faisoient la cérémonie de la dédicace d'un temple, que les soldats qu'on enrôloit les premiers, eussent des noms heureux.
Pour ce qui est des occasions où l'on avoit recours aux présages, on les observoit sur-tout au commencement de l'année : c'est de-là qu'étoit venue la coutume à Rome de ne rien dire que d'agréable le premier jour de Janvier, de se faire les uns aux autres de bons souhaits qu'on accompagnoit de petits présens, sur-tout de miel & d'autres douceurs.
Cette attention pour les présages avoit lieu politiquement dans les actes publics qui commençoient par ce préambule : Quod felix, faustum, fortunatumque sit. On y prêtoit aussi l'oreille dans les actions particulieres, comme dans les mariages, à la naissance des enfans, dans les voyages, &c.
Il ne suffisoit pas d'observer simplement les présages, il falloit de plus les accepter lorsqu'ils paroissoient favorables, afin qu'ils eussent leur effet. Il falloit en remercier les dieux qu'on en croyoit les auteurs, & leur en demander l'accomplissement. Au contraire, si le présage étoit fâcheux, on en rejettoit l'idée, & l'on prioit les dieux d'en détourner les effets.
Telles étoient les idées du vulgaire sur les présages, les politiques ayant toujours eu pour maxime qu'on pouvoit tenir les peuples dans le respect par des fictions propres à leur inspirer la crainte & l'admiration. Pline disoit que la magie étoit composée de la religion, de la médecine & de l'astrologie, trois liens qui captiveroient toujours l'esprit des hommes. Mais tous les sages du paganisme s'en tenoient à cette maxime de Cotta, qu'il falloit suivre la réalité & non la fiction, se rendre à la vérité sans se laisser éblouir par les présages. Ils déclaroient que la Philosophie étoit incompatible avec l'erreur ; & qu'ayant à parler des dieux immortels, il falloit qu'elle pût en parler dignement. (D.J.)
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PRESBOUR | ou POSON, (Géog. mod.) en latin Posonium ; ville de la haute Hongrie, sur la rive septentrionale du Danube, aux confins de l'Autriche, dans un pays fertile sur-tout en bons vins & en bétail, à 12 lieues au levant de Vienne, & à 29 au nord-ouest de Bude.
Elle n'est pas grande, mais ses fauxbourgs sont étendus. La citadelle est située sur une élévation : on y monte par 115 marches, & on y a taillé dans le roc un puits très-profond. On y conserve dans une tour la couronne de Hongrie ; on a posé sept serrures à la porte de cette tour, dont les clés sont gardées par sept seigneurs de Hongrie ; car les rois de Hongrie sont depuis long-tems couronnés à Presbourg, & c'est pour cette raison que l'impératrice reine s'y fit couronner en 1741.
Presbourg est la capitale du comté de Poson, la résidence du gouverneur du royaume, & le siége de l'archevêque de Strigonie. Il y a beaucoup de protestans dans cette ville, qui la font fleurir, & qui y jouïssent de la liberté de conscience.
Le pays nourrit des boeufs d'une grandeur extraordinaire. L'on voit aussi dans les environs de cette ville une espece de bélier dont la grosseur du corps & la beauté des cornes qui font plusieurs tours sur leurs têtes, l'emportent sur ceux de tous les autres pays de l'Europe. Long. 35. 15. lat. 48. 13.
Mollerus (Daniel-Guillaume) naquit à Presbourg en 1642. Il apprit les langues mortes & vivantes, voyagea dans toute l'Europe, & écrivit quelques ouvrages en latin, en allemand, en françois, & surtout un grand nombre de dissertations. Le P. Niceron a mis cet homme de lettres, je ne sais pourquoi, au rang des hommes illustres. Il mourut à Altorf en 1712, âgé de 70 ans. (D.J.)
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PRESBYTE | S. m. en Optique, signifie ceux qui ne voyent que les objets éloignés, & qui ne peuvent distinguer les objets proches, parce qu'ils ont le crystallin ou le globe de l'oeil trop plat. Voyez VISION & MYOPE.
La raison de ce défaut de la vûe est que quand les objets sont trop proches, les rayons qu'ils envoyent après s'être rompus dans l'oeil, atteignent la rétine avant de se réunir, ce qui empêche la vûe d'être distincte. Voyez CRYSTALLIN & RETINE.
On remédie à ce défaut par des verres convexes, ces verres font que les rayons entrent dans l'oeil moins divergens, d'où il arrive qu'ils se réunissent plus tôt, & viennent se rassembler précisément sur la rétine. Voyez CONVEXE & LENTILLE.
Ce mot vient du mot grec , vieillard. La raison en est que les personnes âgées sont ordinairement presbytes, parce que le tems applatit peu-à-peu la surface du globe de l'oeil ; desorte que cette surface étant moins convexe, ne rompt pas assez les rayons pour les réunir précisément au fond de l'oeil. Le crystallin s'applatit aussi à mesure qu'on avance en âge, & devient par-là moins propre à réunir les rayons.
Les presbytes sont le contraire des myopes, qui ont le crystallin trop convexe.
Si dans la jeunesse le crystallin est trop convexe, il arrive quelquefois qu'en s'applatissant dans la vieillesse, il devient de la convexité nécessaire pour réunir précisément au fond de l'oeil les rayons de lumiere qu'il réunissoit trop tôt auparavant. C'est pour cette raison qu'on dit que les vûes courtes sont celles qui se conservent le mieux. Voyez MYOPE.
On peut aussi être presbyte, quand la distance entre la rétine & le crystallin est trop petite, quoique le crystallin soit d'ailleurs bien conformé ; car en ce cas les rayons arrivent encore à la rétine avant de se réunir.
On voit par là qu'il y a différentes causes pour lesquelles on est presbyte, & que ces causes en général peuvent se réduire ou au trop peu de convexité des parties & des humeurs de l'oeil, ou au trop peu d'éloignement entre le crystallin & la rétine. Chambers. (O)
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PRESBYTER | ou PRESBYTERIE, s. m. (Hist. ecclésiast.) En Angleterre c'est l'assemblée de l'ordre des prêtres avec les anciens laïcs, pour l'exercice de la discipline de l'église.
L'église d'Ecosse est divisée en 69 presbytéries ; chacune comprend un nombre de paroisses qui n'excede pas vingt-quatre, & qui n'est jamais au-dessous de douze. Par un ancien réglement les ministres de ces paroisses se réunissent tous les six mois une fois, & forment une presbytérie qui s'assemble dans la ville principale du canton où ces paroisses sont situées.
On y choisit un modérateur de l'assemblée. Ils jugent les appels des séances des églises, c'est-à-dire des assemblées des différentes paroisses, mais il ne peuvent connoître des affaires qu'après qu'elles ont été portées en premiere instance devant ces églises particulieres. Ils accordent les différends qui peuvent survenir entre les ministres & le peuple ; pour cet effet on fait des visites presbytériales en chaque paroisse, pour examiner les registres des assemblées.
Ceux qui composent ces presbytéries sont aussi chargés des réparations des églises, & du soin des terres ou autres fonds qui en dépendent ; de celui des écoles, & de voir si les fonds destinés à leur entretien sont bien ou mal employés. Ils peuvent excommunier, autoriser les aspirans, suspendre, déposer les ministres, & connoître de toutes les affaires ecclésiastiques, sauf l'appel de leur jugement au synode provincial. Voyez SYNODE.
PRESBYTERE, (Théolog.) c'est le nom qu'on donnoit anciennement au choeur des églises parce qu'il n'y avoit que les prêtres qui eussent droit d'y prendre place, la nef étant au contraire destinée pour les seuls laïques. Voyez CHOEUR & NEF.
Presbytere se dit encore parmi les Catholiques, de la maison qu'occupe le curé d'une paroisse, parce qu'il est le prêtre titulaire, ou le premier prêtre de cette paroisse.
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PRESBYTÉRIENS | S. m. pl. (Hist. ecclés.) c'est le nom qu'on donne aux Calvinistes en Angleterre. Leur doctrine, quant au dogme, est peu différente de celle des Anglicans ; mais ils different essentiellement de ceux-ci sur la hiérarchie ecclésiastique.
Ils ne veulent point que l'église soit gouvernée par des évêques, ni que les prêtres soient inférieurs à ceux-ci. Ils n'admettent pas même de subordination parmi leurs ministres, parce que, disent-ils, il n'y en avoit aucune entre les prêtres & les évêques au tems des apôtres, & que les uns & les autres gouvernoient alors l'Eglise avec une égale autorité. L'épiscopat, tout ancien qu'il est en Angleterre & dans l'Eglise romaine, leur paroît une innovation, & ils nient que son établissement soit de droit divin. Voyez EVEQUE, EPISCOPAT.
Au lieu d'une succession de ministres en qualité de prêtres, d'évêques & d'archevêques, leur police ecclésiastique réside dans une suite d'assemblées ou de synodes. Chaque ministre est tenu d'obéir au consistoire dans le district duquel il exerce ses fonctions, & ce consistoire ne dépend que d'un synode provincial ou général. Voyez SYNODE & CONSISTOIRE.
Le pouvoir de l'ordination, parmi les Presbytériens, n'appartient qu'au consistoire, & il n'y a que ceux qui sont ordonnés par l'imposition des mains des autres ministres, qui puissent conférer des sacremens. Ils ont néanmoins des diacres pour avoir soin des pauvres ; & dans le gouvernement de leurs églises, ils consultent les anciens laïques. C'est de cet usage que leur est venu le nom de Presbytériens, formé du grec , senior, ancien. Voyez ANCIEN.
Les Presbytériens sont en Ecosse la secte dominante, comme ils l'ont été en Angleterre après le regne de Charles II. sous le gouvernement de Cromwel ; mais après le rétablissement de Charles II. les épiscopaux rentrerent dans leurs droits ; & aujourd'hui les Presbytériens sont compris parmi ceux qu'on appelle non-conformistes. Voyez NON-CONFORMISTES.
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PRESCIENCE | S. f. (Métaphysique) On appelle prescience toute connoissance de l'avenir. De peur que notre liberté ne fût en péril, si Dieu prévoyoit nos déterminations futures, Ciceron lui ravissoit sa prescience ; & pour faire les hommes libres, comme dit S. Augustin, il les faisoit sacriléges. Les Sociniens, dont le grand principe est de ne rien croire que ce qui est d'une évidence parfaite, ce qui est fondé sur les notions purement naturelles, ont adopté ce sentiment. S'il étoit une fois bien déterminé que toutes les créatures n'ont aucune force ni aucune activité ; qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse agir en elles & par elles ; que si un esprit a la perception d'un objet, c'est Dieu qui la lui donne ; que si ce même esprit a une volonté ou un amour invincible pour le bien, c'est Dieu qui le produit ; que s'il reçoit des sensations, c'est Dieu qui les modifie de telle ou de telle maniere ; enfin s'il ne se trouvoit dans le monde que des causes occasionnelles & point de physiques : par ce systême on prouveroit invinciblement la prescience de Dieu. En effet, s'il exécute tout ce qu'il y a de réel dans la nature, il le comprend d'une façon éminente, il possede lui seul toute réalité : & pourroit-il agir sans connoître les suites de son action ? Mais ce rapport nécessaire qui se rencontre entre les opérations de Dieu, & la connoissance qu'il a de leurs suites à l'infini, donne, ce me semble, une atteinte mortelle à notre liberté ; car celui qui ne pense & ne veut, pour ainsi dire, que de la seconde main, agit sans choix, & ne peut s'empêcher d'agir. Ou Dieu forme les volitions de l'homme, & en ce cas l'homme n'est pas libre : ou Dieu ne peut connoître dans une volonté étrangere une détermination qu'il n'a point faite ; en ce cas-là l'homme est libre, mais la prescience de Dieu se détruit des deux côtés. Difficulté insurmontable ! mais dont triomphe cependant avec éclat la raison aidée de la foi : je dis, la raison aidée de la foi. Jugez si abandonnée à elle seule elle pourroit résoudre les difficultés qui attaquent la prescience de Dieu dans le systême de la liberté humaine. En voici une des principales. La nature de la prescience de Dieu nous étant inconnue en elle-même, ce n'est que par la prescience que nous connoissons dans les hommes que nous pouvons juger de la premiere. Les Astronomes prévoyent par conséquent les éclipses qui sont dans cet ordre-là. Cette prescience est différente ; 1°. en ce que Dieu connoît dans les mouvemens célestes l'ordre qu'il y a mis lui-même, & que les Astronomes ne sont pas les auteurs de l'ordre qu'ils y connoissent ; 2°. en ce que la prescience de Dieu est tout-à-fait exacte, & que celle des Astronomes ne l'est pas, parce que les lignes des mouvemens célestes ne sont pas si régulieres qu'ils le supposent, & que leurs observations ne peuvent être de la premiere justesse ; on n'en peut trouver d'autres convenances, ni d'autres différences. Pour rendre la prescience des Astronomes sur les éclipses égale à celle de Dieu, il ne faudroit que remplir ces différences. La premiere ne fait rien d'elle même à la chose ; & il n'importe pas d'avoir établi un ordre pour en prévoir les suites. Il suffit de connoître cet ordre aussi parfaitement que si on l'avoit établi ; & quoiqu'on ne puisse pas en être l'auteur sans le connoître, on peut le connoître sans en être l'auteur. En effet, si la prescience ne se trouvoit qu'où se trouve la puissance, il n'y auroit aucune prescience dans les Astronomes sur les mouvemens célestes, puisqu'ils n'y ont aucune puissance. Ainsi Dieu n'a pas la prescience en qualité d'auteur de toutes les choses ; mais il l'a en qualité d'être qui connoît l'ordre qui est en toutes choses. Il ne reste donc qu'à remplir la deuxieme différence qui est entre la prescience de Dieu & celle des Astronomes. Il ne faut pour cela que supposer les Astronomes parfaitement instruits de la régularité des mouvemens célestes, & d'avoir des observations de la derniere justesse ; il n'y a nulle absurdité à cette supposition : ce seroit donc avec cette condition qu'on pourroit assûrer sans témérité que la prescience des Astronomes sur les éclipses seroit précisément égale à celle de Dieu, en qualité de simple prescience ; donc que la prescience de Dieu sur les éclipses ne s'étendroit pas à des choses où celle des Astronomes pouvoit s'étendre. Or il est certain que quelque habiles que fussent les Astronomes, ils ne pourroient pas prévoir les éclipses, si le soleil ou la lune pouvoient quelquefois se détourner de leur cours indépendamment de quelque cause que ce soit & de toute regle ; donc Dieu ne pourroit pas non plus prévoir les éclipses ; & ce défaut de prescience en Dieu ne viendroit non plus que d'où viendroient les défauts de prescience dans les Astronomes. Ce défaut ne viendroit pas de ce qu'ils ne seroient pas les auteurs des mouvemens célestes, puisque cela est indifférent à la prescience, ni de ce qu'ils ne connoîtroient pas assez bien les mouvemens, puisqu'on suppose qu'ils les connoîtroient aussi-bien qu'il seroit possible : mais le défaut de prescience en eux viendroit uniquement de ce que l'ordre établi dans les mouvemens célestes ne seroit pas nécessaire & invariable. Donc de cette même cause viendroit en Dieu le défaut de prescience ; donc Dieu, bien qu'infiniment puissant & infiniment intelligent, ne peut jamais prévoir ce qui ne dépend pas d'un ordre nécessaire & invariable. Donc Dieu ne prévoit point du-tout les actions des causes qu'on appelle libres. Donc il n'y a point de causes libres ; ou Dieu ne prévoit point leurs actions. En effet, il est aisé de concevoir que Dieu prévoit infailliblement tout ce qui regarde l'ordre physique de l'univers, parce que cet ordre est nécessaire & sujet à des regles invariables qu'il a établies. Voilà le principe de sa prescience. Mais sur quel principe pourroit-il prévoir les actions d'une cause que rien ne pourroit déterminer nécessairement ? Le second principe de prescience qui devroit être différent de l'autre, est absolument inconcevable ; & puisque nous en avons un qui est aisé à concevoir, il est plus naturel & plus conforme à l'idée de la simplicité de Dieu de croire que ce principe est le seul sur lequel toute sa prescience est fondée. Il n'est point de la grandeur de Dieu de prévoir des choses qu'il auroit faites lui-même de nature à ne pouvoir être prévues : en niant sa prescience, on ne limite pas plus sa science, qu'on limiteroit sa toute-puissance, en disant qu'elle ne peut s'étendre jusqu'aux choses impossibles.
Cette difficulté fondée sur l'accord de la prescience avec la liberté, a de tout tems exercé les Philosophes & les Théologiens. Mais avant d'essayer une réponse, il faut supposer ces deux principes incontestables ; 1°. que l'homme est libre, voyez l'article de la LIBERTE, 2°. que Dieu prévoit toutes les actions libres des hommes. Dieu a autant de témoins de sa prescience infaillible qu'il a de prophetes. L'établissement des différentes monarchies, aussi-bien que les tristes ruines sur lesquelles d'autres monarchies se sont élevées, la fécondité prodigieuse du peuple d'Israël, & sa dispersion par toute la terre, sans avoir aucun asyle fixe & permanent ; la conversion des gentils & la propagation de l'évangile : toutes ces choses prédites & accomplies exactement dans les tems marqués par la providence, sont des témoignages éclatans de cette vérité, que les nuages de l'incrédulité ne pourront jamais obscurcir. D'ailleurs si les actions libres se déroboient à la connoissance de Dieu, il apprendroit par les événemens une infinité de choses qu'il auroit sans cela ignorées : dès-là son intelligence ne seroit pas parfaite, puisqu'elle emprunteroit ses connoissances du dehors. Ce qui est emprunté marque la dépendance de celui qui emprunte : emprunter est la preuve qu'on n'a pas tout en soi. La dépendance, le défaut, ou le besoin répugnant à l'infini, l'infini possede donc en lui-même & sans emprunt les connoissances des actions libres des hommes ; s'il ne les connoissoit que par l'évenement, il dépendroit de lui pour le plus de ses perfections ; & dès-lors il ne seroit plus l'infini absolu pour l'intelligence. Il n'y a personne qui ne voie qu'il vaut beaucoup mieux connoître les choses que de les ignorer. N'est-ce pas une chose absurde que de supposer un Dieu dont les vûes sont extrêmement bornées & limitées par rapport au gouvernement du monde ? car tel est le dieu de Socin. Sa providence ne peut former aucun plan, aucun systême. Comme on suppose qu'il ménage & respecte la liberté humaine, il doit être fort embarrassé pour amener au point qu'il desire, & pour faire entrer dans ses desseins tant de volontés bisarres & capricieuses. On peut même supposer qu'il en est plusieurs qui ne s'ajusteront pas aux arrangemens de sa providence.
La comparaison que fait l'objection entre la prescience divine & la prescience des Astronomes, que Dieu auroit parfaitement instruits des regles invariables des mouvemens célestes, & qui feroient des observations de la derniere justesse, est défectueuse. On peut bien supposer que les Astronomes ne pourroient pas prévoir les éclipses, si le soleil ou la lune pouvoient quelquefois se détourner de leur cours, indépendamment de quelque cause que ce soit, & de toute regle. La raison en est que ces Astronomes, quelque bien instruits qu'on les suppose sur l'ordre des mouvemens célestes, n'auroient toujours qu'une science finie dont la lumiere ne les éclaireroit que dans l'hypothèse que le soleil & la lune suivroient constamment leur cours. Or dans cette hypothèse on suppose que ces deux astres s'en détourneroient quelquefois ; par conséquent leur prescience par rapport aux éclipses seroit quelquefois en défaut : mais il n'en est pas de même d'une intelligence infinie, qui sait tout s'assujettir, & ramener à des principes fixes & sûrs, les choses les plus mobiles & les plus inconstantes.
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PRESCRIPTIBLE | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est sujet à la prescription. Ce terme est opposé à celui d'imprescriptible, qui se dit des choses que l'on ne peut prescrire, comme le domaine du roi qui est imprescriptible. Voyez PRESCRIPTION. (A)
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PRESCRIPTION | S. f. (Jurisprud.) est un moyen d'acquérir le domaine des choses en les possédant comme propriétaire pendant le tems que la loi requiert à cet effet. C'est aussi un moyen de s'affranchir des droits incorporels, des actions & des obligations, lorsque celui à qui ces droits & actions appartiennent, néglige pendant un certain tems de s'en servir, & de les exercer.
On entend quelquefois par le terme de prescription, le droit résultant de la possession nécessaire pour prescrire ; comme quand on dit que l'on a acquis la prescription, ce qui signifie que par le moyen de la prescription on est devenu propriétaire d'une chose, ou que l'on est libéré de quelque charge ou action.
La prescription paroît en quelque sorte opposée au droit des gens, suivant lequel le domaine ne se transfere que par la tradition que fait le propriétaire d'une chose dont il a la liberté de disposer ; elle paroît aussi d'abord contraire à l'équité naturelle, qui ne permet pas que l'on dépouille quelqu'un de son bien malgré lui & à son insu, & que l'un s'enrichisse de la perte de l'autre.
Mais comme sans la prescription il arriveroit souvent qu'un acquéreur de bonne foi seroit évincé après une longue possession, & que celui-là même qui auroit acquis du véritable propriétaire, ou qui se seroit libéré d'une obligation par une voie légitime, venant à perdre son titre, pourroit être dépossédé ou assujetti de nouveau, le bien public & l'équité même exigeoient que l'on fixât un terme après lequel il ne fût plus permis d'inquiéter les possesseurs, ni de rechercher des droits trop long-tems abandonnés.
Ainsi comme la prescription a toujours été nécessaire pour assurer l'état & les possessions des hommes, & conséquemment pour entretenir la paix entr'eux, & qu'il n'y a guere de nation qui n'admette la prescription, son origine doit être rapportée au droit des gens. Le droit civil n'a fait à cet égard que suppléer au droit des gens, & perfectionner la prescription en lui donnant la forme qu'elle a aujourd'hui.
Les motifs qui l'ont fait introduire ont été d'assurer les fortunes des particuliers en rendant certaines, par le moyen de la possession, les propriétés qui seroient douteuses, d'obvier aux procès qui pourroient naître de cette incertitude, & de punir la négligence de ceux qui ayant des droits acquis tardent trop à les faire connoître, & à les exercer ; la loi présume qu'ils ont bien voulu perdre, remettre ou aliéner ce qu'ils ont laissé prescrire ; aussi on donne à la prescription la même force qu'à la transaction.
Justinien, dans une de ses novelles, qualifie la prescription, d'impium praesidium ; cette expression pourroit faire croire que la prescription est odieuse ; mais la novelle n'applique cette expression qu'à propos d'usurpateurs du bien d'église, & qui le retiennent de mauvaise foi : & il est certain qu'en général la prescription est un moyen légitime d'acquérir & de se libérer : les lois mêmes disent qu'elle a été introduite pour le bien public, bono publico usucapio introducta est ; & ailleurs la prescription est appellée patronam generis humani.
La loi des douze tables avoit autorisé & réglé la prescription ; on prétend même qu'elle étoit déja établie par des lois plus anciennes.
On ne connoissoit d'abord chez les Romains d'autre prescription que celle qu'ils appelloient usucapion.
Pour entendre en quoi l'usucapion différoit de la prescription, il faut savoir que les Romains distinguoient deux sortes de biens, les uns appellés res mancipi, les autres res nec mancipi.
Les biens appellés res mancipi, dont les particuliers avoient la pleine propriété, étoient les meubles, les esclaves, les animaux privés, & les fonds situés en Italie ; on les appelloit res mancipi, quod quasi manu caperentur, & parce qu'ils passoient en la puissance de l'acquéreur par l'aliénation qui s'en faisoit par fiction, per aes & libram, de manu ad manum, que l'on appelloit mancipatio.
Les biens nec mancipi étoient ainsi appellés, parce qu'ils ne pouvoient pas être aliénés par la mancipation ; les particuliers étoient censés n'en avoir que l'usage & la possession ; tels étoient les animaux sauvages & les fonds situés hors de l'Italie, que l'on ne possédoit que sous l'autorité & le domaine du peuple romain auquel on en payoit un tribut annuel.
On acquéroit irrévocablement du véritable propriétaire, en observant les formes prescrites par la loi.
On acquéroit aussi par l'usage, usu, lorsqu'on tenoit la chose à quelque titre légitime ; mais de celui qui n'en étoit pas le véritable propriétaire, & qu'on l'avoit possédée pendant un an si c'étoit un meuble, & pendant deux ans si c'étoit un immeuble.
Telle étoit la disposition de la loi des douze tables, & cette façon d'acquérir par l'usage ou possession, est ce que l'on appelloit usucapion, terme formé de ces deux-ci, usu capere ; les anciens Romains ne connoissoient la prescription que sous ce nom d'usucapion.
Pour acquérir cette sorte de prescription, il falloit un titre légal, qu'il y eût tradition, & la possession pendant un certain tems.
Elle n'avoit lieu qu'en faveur des citoyens romains, & de ceux auxquels ils avoient communiqué leurs droits, & ne servoit que pour les choses dont les particuliers pouvoient avoir la pleine propriété ; aussi produisoit-elle le même effet que la mancipation.
Le peuple romain ayant étendu ses conquêtes, & les particuliers leurs possessions bien au-delà de l'Italie, il parut aussi nécessaire d'y étendre un moyen si propre à assurer la tranquillité des familles.
Pour cet effet les anciens jurisconsultes introduisirent une nouvelle jurisprudence, qui fut d'accorder aux possesseurs de dix ans des fonds situés hors l'Italie, le droit de s'y maintenir par une exception tirée du laps de tems, & qu'ils appellerent prescription. Cette jurisprudence fut ensuite autorisée par les empereurs qui précéderent Justinien. Cod. vij. tit. 33. & 39.
Mais il y avoit encore cette différence entre l'usucapion & la prescription, que la premiere donnoit le domaine civil & naturel, au lieu que la prescription ne communiquoit que le domaine naturel seulement.
Justinien rejetta toutes ces distinctions & ces subtilités ; il supprima la distinction des choses appellées mancipi & nec mancipi des biens situés en Italie, & de ceux qui étoient hors de cette province ; & déclara que l'exception tirée de la possession auroit lieu pour les uns comme pour les autres ; savoir, pour les meubles après trois ans de possession, & pour les immeubles par dix ans entre présens, & vingt ans entre absens, & par ce moyen l'usucapion & la prescription furent confondues, si ce n'est que dans le droit on employe plus volontiers le terme d'usucapion pour les choses corporelles, & celui de prescription pour les immeubles & pour les droits incorporels.
La prescription de trente ans qui s'acquiert sans titre fut introduite par Théodose le Grand.
Celle de quarante ans fut établie par l'empereur Anastase ; elle est nécessaire contre l'Eglise, & aussi quand l'action personnelle concourt avec l'hypotécaire.
La prescription de cent a été introduite à ce terme en faveur de certains lieux ou de certaines personnes privilégiées ; par exemple, l'Eglise romaine n'est sujette qu'à cette prescription pour les fonds qui lui ont appartenu.
La prescription qui s'acquiert par un tems immémorial, est la source de toutes les autres ; aussi est-elle dérivée du droit des gens ; le droit romain n'a fait que l'adopter & la modifier en établissant d'autres prescriptions d'un moindre espace de tems.
Les conditions nécessaires pour acquérir la prescription en général, sont la bonne foi, un juste titre, une possession continuée sans interruption pendant le tems requis par la loi, & que la chose soit prescriptible.
La bonne foi en matiere de prescription consiste à ignorer le droit qui appartient à autrui dans ce que l'on possede ; la mauvaise foi est la connoissance de ce droit d'autrui à la chose.
Suivant le droit civil, la bonne foi est requise dans les prescriptions qui exigent un titre, comme sont celles de trois ans pour les meubles, & de 10 & 20 ans pour les immeubles ; mais il suffit d'avoir été de bonne foi en commençant à posséder ; la mauvaise foi qui survient par la suite n'empêche pas la prescription.
Ainsi, comme suivant ce même droit civil, les prescriptions de trente & quarante ans, & par un tems immémorial, ont lieu sans titre, la mauvaise foi qui seroit dans le possesseur même au commencement de sa possession, ne l'empêche pas de prescrire.
Au contraire, suivant le droit canon, que nous suivons en cette partie, la bonne foi est nécessaire dans toutes les prescriptions, & pendant tout le tems de la possession.
Mais il faut observer que la bonne foi se présume toujours, à moins qu'il n'y ait preuve du contraire, & que c'est à celui qui oppose la mauvaise foi à en rapporter la preuve.
Le juste titre requis pour prescrire est toute cause légitime propre à transférer au possesseur la propriété de la chose, comme une vente, un échange, un legs, une donation ; à la différence de certains titres qui n'ont pas pour objet de transférer la propriété, tels que le bail, le gage, le prêt, & en vertu desquels on ne peut prescrire.
Il n'est pourtant pas nécessaire que le titre soit valable ; autrement on n'auroit pas besoin de la prescription, il suffit que le titre soit coloré.
La possession nécessaire pour acquérir la prescription, est celle où le possesseur jouit animo domini, comme quelqu'un qui se croit propriétaire. Celui qui ne jouit que comme fermier, sequestre ou dépositaire, ou à quelqu'autre titre précaire, ne peut prescrire.
Il faut aussi que la possession n'ait point été acquise par violence, ni clandestinement, mais qu'elle ait été paisible, & non interrompue de fait ni de droit.
Quand la prescription est interrompue, la possession qui a précédé l'interruption ne peut servir pour acquérir dans la suite la prescription.
Mais quand la prescription est seulement suspendue, la possession qui a précédé & celle qui a suivi la suspension, se joignent pour former le tems nécessaire pour prescrire ; on déduit seulement le tems intermédiaire pendant lequel la prescription a été suspendue.
Suivant le droit romain, la prescription de trente ans ne court pas contre les pupilles ; la plûpart des coutumes ont étendu cela aux mineurs, & en général la prescription est suspendue à l'égard de tous ceux qui sont hors d'état d'agir, tels qu'une femme en puissance de mari, un fils de famille en la puissance de son pere.
C'est par ce principe que le droit canon suspend la prescription pendant la vacance des bénéfices & pendant la guerre ; les docteurs y ajoutent le tems de peste, & les autres calamités publiques qui empêchent d'agir.
La prescription de trente ans, & les autres dont le terme est encore plus long, courent contre ceux qui sont absens, de même que contre ceux qui sont présens ; il n'en est pas de même de celle de dix ans, il faut, suivant la plûpart des coutumes, doubler le tems de cette prescription à l'égard des absens, c'est-à-dire de ceux qui demeurent dans un autre bailliage ou sénéchaussée.
Ceux qui sont absens pour le service de l'état sont à couvert pendant ce tems de toute prescription.
L'ignorance de ce qui se passe n'est point un moyen pour interrompre ni pour suspendre la prescription, cette circonstance n'est même pas capable d'opérer la restitution de celui contre qui on a prescrit.
Il y a des choses qui sont imprescriptibles de leur nature, ou qui sont déclarées telles par la disposition de la loi.
Ainsi l'on ne prescrit jamais contre le droit naturel, ni contre le droit des gens primitif, ni contre les bonnes moeurs, & contre l'honnêteté publique ; une coutume abusive quelque ancienne qu'elle soit, ne peut se soutenir ; car l'abus ne se couvre jamais ; il en est de même de l'usure.
On ne prescrit pas non plus contre le bien public.
Le domaine du roi est de même imprescriptible.
L'obéissance que l'on doit à son souverain & à ses autres supérieurs est aussi imprescriptible.
La prescription n'a pas lieu entre le seigneur & son vassal ou censitaire, & dans la plûpart des coutumes le cens est imprescriptible ; mais un seigneur peut prescrire contre un autre seigneur.
Les droits de pure faculté, tels qu'un droit de passage, ne se perdent point par le non usage.
La faculté de racheter des rentes constituées à prix d'argent, ne se prescrit jamais par quelque laps de tems que ce soit.
Enfin on ne prescrit point contre la vérité des faits, ni contre son propre titre.
Outre les prescriptions dont nous avons parlé, il y en a encore nombre d'autres beaucoup plus courtes, & qui sont plutôt des fins de non-recevoir, que des prescriptions proprement dites.
Telle est la prescription de vingt-quatre heures contre le retrayant qui n'a pas remboursé ou consigné dans les vingt-quatre heures de la sentence qui lui adjuge le retrait.
Telle est aussi la prescription de huitaine contre ceux qui n'ont pas formé leur opposition à une sentence.
Il y a une autre prescription de neuf jours en fait de vente de chevaux. Voyez CHEVAUX & REDHIBITION.
Une prescription de dix jours pour faire payer ou protester dans ce délai les lettres de change, voyez CHANGE & LETTRES.
Une prescription de quinze jours, faute d'agir en garantie dans ce tems contre les tireurs & endosseurs d'une lettre de change protestée.
Une prescription de vingt jours dans la coutume de Paris, art. 77. pour notifier le contrat au seigneur.
Une de quarante jours pour faire la foi & hommage, fournir l'aveu, intenter le retrait féodal, réclamer une épave.
Une de trois mois pour mettre à exécution les lettres de grace, pardon & remission.
Une de quatre mois pour l'insinuation des donations.
Une de six pour la publication des substitutions, pour se pourvoir par requête civile, pour faire demande du prix des marchandises énoncées en l'article 126 de la coutume de Paris, & en l'article 8 du titre I. de l'ordonnance du commerce.
Une prescription d'un an pour les demandes & actions énoncées en l'article 125 de la coutume de Paris, & en l'article 127 du titre de l'ordonnance du commerce, pour former complainte, pour exercer le retrait lignager, pour relever les fourches patibulaires du seigneur sans lettres, pour demander le payement de la dixme, pour intenter l'action d'injure, & pour faire usage des lettres de chancellerie.
Il y a une prescription de deux ans contre les procureurs, faute par eux d'avoir demandé leurs frais & salaires dans ce tems, à compter du jour qu'ils ont été révoqués, ou qu'ils ont cessé d'occuper.
La prescription de 3 ans a lieu, comme on l'a dit, pour les meubles, & en outre pour la peremption d'instance, & pour celle du compromis. Les domestiques ne peuvent demander que trois ans de leurs gages.
La prescription de cinq ans a lieu pour les fonds en Anjou & Maine ; c'est ce qu'on appelle le tenement de cinq ans ; elle a lieu pareillement pour les arrérages d'une rente constituée, pour l'accusation d'adultere, pour la plainte d'inofficiosité ; pour les fermages & loyers, quand on a été cinq ans après la fin du bail sans le demander. Les lettres & billets de change sont aussi réputés acquités après cinq ans de cessation de poursuite. Un officier qui a joui paisiblement d'un droit pendant cinq ans, n'y peut plus être troublé par un autre. On ne peut après cinq ans réclamer contre ses voeux, ni purger la contumace. Les veuves & héritiers des avocats & procureurs ne peuvent après ce tems être recherchés pour les papiers qu'ils ont eu, soit que les procès soient jugés ou non.
Enfin il y a une prescription de six années contre les procureurs, lesquels dans les affaires non jugées ne peuvent demander leurs frais, salaires & vacations pour les procédures faites au-delà de six années.
Voyez au digeste les titres de usurpationibus & usucapionibus ; de diversis temporalibus praescript. & au cod. de usucapione transformandâ, & celui de praescriptione longi temporis ; aux institutes, de usucapionibus.
Voyez aussi les traités des prescriptions par Alciat, Hostiensis, Rogerius, Mugello, Barthole, Balbus, Tiraqueau, Caepola, Oldendorp.
Il en est aussi parlé dans Cujas, Dumoulin, Dargentré, Coquille, Bouchel, Jovet, Tournet, Papon, Despeisses, Henrys, Auzanet, &c. Voyez POSSESSION, INTERRUPTION, FIN DE NON RECEVOIR. (A)
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PRÉSÉANCE | S. f. (Gram.) place d'honneur qu'on a droit d'occuper dans les compagnies.
PRESEANCE DES SOUVERAINS, (Cérémonial) il n'est pas possible de régler dans l'indépendance de l'état de nature la préséance des princes & des peuples en corps : dans l'état civil la chose n'est guere plus aisée. L'antiquité de l'état, ou de la famille régnante, l'étendue & l'opulence des pays qui sont sous leur domination, leurs forces, leur puissance, leur souveraineté absolue, leurs titres magnifiques, &c. rien de tout cela ne fonde un droit parfait à la préséance ; il faut qu'on l'ait acquis par quelque traité, ou dumoins par la concession tacite des princes ou des peuples avec lesquels on a à négocier.
On s'avisa dans le seizieme siecle de régler à Rome le rang des rois ; le roi de France eut le pas après l'empereur ; la Castille, l'Aragon, le Portugal, la Sicile, devoient alterner avec l'Angleterre. On décida que l'Ecosse, la Hongrie, la Navarre, Chypre, la Bohème, & la Pologne, viendroient ensuite. Le Danemarck & la Suede furent mis au dernier rang ; mais cet arrangement prétendu des préséances, n'aboutit qu'à causer de nouveaux démêlés entre les souverains. Les princes d'Italie se souleverent à l'occasion du titre de grand-duc de Toscane, que le pape Pie V. avoit donné à Cosme I. & dans la suite le duc de Ferrare lui disputa son rang. L'Espagne en fit de même à l'égard de la France ; en un mot, presque tous les rois ont voulu être égaux, tandis qu'aucun n'a jamais contesté le pas aux empereurs ; ils l'ont conservé en perdant leur puissance. (D.J.)
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PRÉSENCE | S. f. (Gram.) terme relatif à l'existence, au lieu, & à d'autres circonstances du lieu, du tems, des choses, & des personnes. Vous venez ici fort à propos ; votre présence y étoit nécessaire.
PRESENCE REELLE de Jesus-Christ dans l'Eucharistie, dogme de foi parmi les Catholiques, qui croyent que dans ce sacrement en vertu des paroles de la consécration, le corps, le sang, l'ame, & la divinité de Jesus-Christ, sont réellement présens sous les especes ou apparences du pain & du vin.
Les Luthériens reconnoissent cette présence réelle ; mais les Zuingliens & les Calvinistes prétendent que Jesus-Christ n'est dans ce sacrement qu'en signe ou en figure, & qu'on ne l'y reçoit que par la foi.
Les Catholiques prouvent contr'eux la vérité de cette présence par deux voies, celle de prescription, & celle de discussion.
La voie de prescription consiste à montrer que les Protestans sont mal-fondés à prétendre que l'Eglise catholique n'a pas toujours cru la présence réelle, & que le changement qu'ils supposent être arrivé à cet égard dans sa doctrine, n'a pu s'y introduire ni avant ni après Bérenger. Voyez BERENGARIENS. C'est ce qu'ont poussé jusqu'à l'évidence plusieurs théologiens catholiques, & entr'autres l'auteur de la perpétuité de la foi.
La voie de discussion est l'examen & la fixation du sens des passages, tant de l'Ecriture que des Peres, qu'on apporte pour ou contre la présence réelle. Ceux de l'Ecriture se réduisent aux paroles de la promesse, en saint Jean, c. vj. à celles de l'institution de ce sacrement, hoc est corpus meum, hic est sanguis meus, rapportés en saint Matthieu, xxvj. 26. Marc, xiv. 22. Luc, xxij. 19. & saint Paul, I. Cor. xj. 24. & enfin au sens que les Peres ont donné à ces paroles. Tout dépend pour l'éclaircissement de cette importante question, de savoir si elles doivent être prises dans le sens littéral ou dans un sens figuré, & dans lequel de ces deux sens les Peres les ont entendues. Cette matiere a été si bien éclaircie, sur-tout dans le dernier siecle, & les écrits des Catholiques sont si connus & si supérieurs à ceux des Protestans, qu'on nous dispensera d'entrer à cet égard dans un plus long détail.
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PRÉSENT | adjectif, pris quelquefois substantivement ; (Gram.) les tems présens, ou substantivement, les présens dans les verbes, sont des tems qui expriment la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque de comparaison.
Il y a plusieurs especes de présens, selon la maniere dont l'époque de comparaison y est envisagée. Si l'existence s'y rapporte à une époque quelconque & indéterminée, c'est un présent indéfini : si l'époque est déterminée, le présent est défini. Or l'époque ne peut être déterminée que par sa relation au moment de la parole ; & cette relation peut aussi être ou de simultanéité, ou d'antériorité, ou de postériorité, selon que l'époque concourt avec l'acte de la parole, ou qu'elle le précede, ou qu'elle le suit. De-là trois especes de présens définis, le présent actuel, le présent antérieur, & le présent postérieur.
Telles sont les vues générales qu'indique la Métaphysique des tems : mais je ne dois pas montrer ici jusqu'à quel point les usages des langues particulieres s'y conforment ou s'en écartent. Il faut voir au mot TEMS, l'ensemble du systême métaphysique, & sa liaison avec les usages des différens idiomes. (B. E. R. M.)
PRESENT, (Jurisprud.) dans les coutumes, se dit de celui qui demeure dans le même bailliage ou sénéchaussée, qu'une autre personne.
Celui qui a plusieurs domiciles en diverses provinces, est réputé présent dans toutes.
Celui qui n'a aucun domicile certain est réputé absent. Voyez le Maître sur Paris, titre des prescriptions.
Dans le style judiciaire on est réputé présent, quoiqu'on ne comparoisse pas en personne lorsque l'on est représenté par son avocat ou par son procureur. (A)
PRESENT, (Gram.) don gratuit, marque d'attachement, d'estime, ou de reconnoissance.
PRESENT MORTUAIRE, dans l'ancien droit anglois, étoit un présent qu'on faisoit au prêtre lors de la mort de quelqu'un : c'étoit ordinairement le meilleur cheval de son écurie, ou la meilleure vache de son étable ; ou au défaut de bestiaux, tout autre effet. Ce présent mortuaire s'appelloit en quelques coutumes corse-présent, comme qui diroit corps-présent, parce que lorsque le prêtre levoit le corps, on lui délivroit ce présent.
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PRÉSENTATION | S. f. (Hist. des Juifs) il y avoit chez les Juifs deux sortes de présentations ; la premiere est celle que les parens, pour obéir à la loi de Moïse, faisoient de leurs enfans premiers nés. L'autre présentation est celle que les mêmes Juifs faisoient à Dieu de leurs enfans, ou d'autres choses qu'ils lui avoient vouées ; car c'étoit un de leurs usages de se vouer eux-mêmes, ou de vouer leurs enfans, soit pour toujours, soit avec la réserve de pouvoir les racheter. Il y avoit pour cela autour du temple de Jérusalem, des appartemens destinés aux femmes & aux hommes, qui y devoient accomplir le voeu qu'ils avoient fait, ou que leurs parens avoient fait pour eux. C'est ainsi que Samuel ayant été voué au Seigneur, pour être employé à son service, demeura au tabernacle depuis l'âge de trois ans, Rois, I. xxiv.
La fête de la Présentation de la Vierge qui s'introduisit chez les Latins dans le xiv. siecle, n'est appuyée sur aucune tradition raisonnable. (D.J.)
PRESENTATION DE LA VIERGE, (Théolog.) nom d'une fête qu'on célebre dans l'Eglise romaine le 21 Novembre, en mémoire de ce que la sainte Vierge fut présentée au temple par ses parens pour y être élevée. Voyez VIERGE.
Pour justifier cette origine, on prétend qu'il y avoit de jeunes filles qui étoient élevées dans le temple de Jérusalem, & l'on allegue en preuve ces paroles du second livre des Macchabées : Sed & Virgines quae conclusae erant, praecurrebant ad Oniam. C'est le sentiment de Menochius sur ce passage, & Nicolas de Lyra ajoute qu'on élevoit dans le temple ou dans de grands bâtimens qui en étoient voisins, de jeunes filles jusqu'à ce qu'elles fussent mariées.
Emmanuel Comnene, empereur des grecs, qui régnoit en 1150, fait mention de cette fête dans une de ses ordonnances, & elle étoit déja fort célebre parmi les grecs, chez lesquels quelques-uns croyent qu'elle fut instituée dès le onzieme siecle, comme il paroît par des homélies de George de Nicomédie, contemporain de Photius. Elle ne passa en occident qu'en 1372, où sur l'avis qu'eut Gregoire XI. de l'usage des grecs, il établit une solemnité semblable.
M. de Launoy & M. Baillet remarquent, qu'anciennement la présentation de la Vierge se prenoit activement pour la présentation de J. C. au temple, & que depuis on a ordonné pour objet à cette fête la présentation de la personne de la sainte Vierge au temple au jour de la purification de sa mere ; mais comme cette loi n'avoit lieu que pour les mâles premiers nés, on a encore changé en supposant qu'elle n'avoit été présentée au temple qu'à un certain âge où elle étoit en état de rendre service. Mais cela n'a aucun fondement dans l'histoire, & très-peu dans les usages des Juifs : il est vrai qu'on célébroit cette fête dans l'église grecque au 21 Novembre, sous le nom d'entrée de la mere de Dieu au temple, terme équivoque, & qui peut signifier la présentation de J. C. au temple, comme celle de la Vierge ; mais dans le siecle suivant, Germain, patriarche de Constantinople, expliqua cette fête de la présentation même de la sainte Vierge au temple, & depuis les grecs, les Cophtes & les Moscovites l'ont célébrée sous cette idée. Quoique Grégoire XI & Charles V, roi de France, eussent recommandé qu'on la solemnisât, on n'en trouve le nom ni dans les calendriers, ni dans les offices publics de ces tems-là, ni des siecles suivans, jusqu'au cardinal Quignon qui la mit dans son breviaire, cependant on ne la trouve établie à Rome que sous le pontificat de Sixte V, par un decret de l'an 1585, elle avoit néanmoins lieu en diverses contrées, on l'a mise depuis dans les martyrologes, & aujourd'hui on la fête dans toutes les Eglises d'occident. De Launoy, hist. du coll. de Navarre. Baillet, vies des Saints.
PRESENTATION DE NOTRE-DAME, (Théolog.) c'est le nom de trois ordres de religieuses.
Le premier fut projetté en 1618 par une fille pieuse appellée Jeanne de Cambrai, qui selon une vision qu'elle prétendoit avoir eue, devoit donner pour habit à ces filles, une robe grise de laine, avec un chapelet, &c. mais ce projet n'eut pas lieu.
Le second fut établi en France environ l'an 1627, par Nicolas Sanguins, évêque de Senlis ; il fut approuvé par Urbain VIII. mais ne fit pas de progrès.
Le troisieme fut institué en 1664, par Fréderic Borromée, visiteur apostolique de la Valteline, qui ayant obtenu des habitans de Morbegno, bourg de cette contrée, un lieu retiré pour y former une communauté de filles, en érigea une congrégation sous le titre de présentation de Notre-Dame, auxquelles il donna la regle de S. Augustin.
PRESENTATION, (Jurispr.) est une formalité de procédure établie par les ordonnances, qui consiste en ce que dans tous les sieges où il y a un greffier des présentations, le procureur de chaque partie est obligé de se présenter dans ce greffe, c'est-à-dire d'y mettre une cédule de présentation ; celle du demandeur est ainsi conçûe : défaut à tel.... contre tel, défendeur, du.... jour de.... & le procureur signe. Le procureur du défendeur met congé, au lieu de défaut.
L'ordonnance de 1661, tit. 4. avoit abrogé l'usage des présentations pour les demandeurs, pour les appellans & anticipans ; mais l'édit du mois d'Avril 1695, & la déclaration du 12 Juillet de la même année ont rétabli la présentation à l'égard du demandeur ; desorte qu'il ne peut lever son défaut, s'il ne s'est présenté ; au parlement & dans les autres cours, la présentation doit se faire dans la quinzaine, aux autres siéges dans la huitaine ; & dans les matieres sommaires trois jours après l'échéance de l'assignation.
Un acte d'occuper signifié par le procureur, ne le dispense pas de faire sa présentation. Voyez Bornier, sur le tit. 4. de l'ordonnance. (A)
PRESENTATION, en matiere bénéficiale, est la nomination qu'un patron laïc ou ecclésiastique fait de quelque ecclésiastique à un bénéfice auquel ce patron a droit de présenter, pour en être pourvû par celui qui en a la collation ; jusqu'au tems de Boniface VIII. les patrons laïcs avoient six mois pour présenter, comme ils font encore en Normandie, où l'on a conservé l'ancien usage ; mais présentement dans les autres provinces le patron laïc n'a que quatre mois pour présenter, l'ecclésiastique & le mixte en ont six.
Le délai de quatre mois ou six mois court du jour du décès du bénéficier, & non pas seulement du jour que le patron en a eu connoissance.
Le patron ne doit présenter qu'une personne, qui ait les qualités & capacités requises pour posséder le bénéfice ; autrement le collateur peut refuser au présenté de lui donner des provisions, pourvû qu'il lui donne un acte de son refus, & qu'il en exprime les causes.
Il est d'autant plus important pour le patron laïc de nommer un sujet capable, qu'il ne peut varier dans sa présentation ; desorte que s'il nomme quelqu'un qui n'ait pas les qualités & capacités requises, il est déchu pour cette fois du droit de présenter, la nomination est dévolue au collateur, au lieu que le patron ecclésiastique peut varier, à moins qu'il n'eût présenté une personne notoirement indigne.
Le patron laïc a seulement le droit de présenter plusieurs personnes à la fois, & en ce cas, le collateur a le droit de choisir celui qu'il croit le plus digne.
Quand la présentation appartient à plusieurs personnes, il faut qu'elles s'assemblent pour donner la présentation & la signer conjointement.
Si le patronage est alternatif entre deux ecclésiastiques, la présentation forcée ne fait pas tout ; mais quand il est alternatif entre un laïc & un ecclésiastique, & que ce dernier a fait une présentation forcée c'est au laïc à présenter à la premiere vacance.
Dans les chapitres, où les chanoines présentent tour-à-tour ou par semaine, ou par côté, il faut être dans les ordres sacrés pour pouvoir nommer en son rang.
Il n'est pas permis au patron de se présenter lui-même, mais il peut être présenté par un co-patron, & il peut lui-même présenter son fils.
En Normandie, lorsque la possession ou la propriété du droit de patronage sont en litige, le roi présente aux bénéfices qui dépendent du patronage litigieux ; il en est de même dans cette coutume lorsqu'il écheoit au mineur un fief tenu immédiatement du roi.
Un bénéficier mineur & âgé de quatorze ans seulement, peut présenter aux bénéfices qui dépendent du sien, sans le consentement de son tuteur, parce que les ecclésiastiques mineurs sont réputés majeurs pour ce qui concerne leurs bénéfices. Pour ce qui est du patron laïc, il ne peut présenter lui-même que quand il approche de sa majorité.
Celui qui est hérétique ne peut présenter ; le droit est dévolu à l'évêque jusqu'à ce que le patron ait fait abjuration.
Un patron ecclésiastique excommunié, interdit, ou suspens, ne peut pas présenter ; il en est de même du patron laïc excommunié.
L'acte de présentation pour être valable, doit être signé en la minute, tant du patron, que de deux témoins ; & la grosse qui s'expédie en papier ou parchemin timbré, doit être pareillement signée du patron. Les présentations doivent aussi être insinuées dans le mois de leur date, à peine de nullité : ces actes doivent être signés de deux notaires apostoliques, ou par un notaire apostolique & deux témoins. Edits de 1691. Voyez ci-devant PATRON & PATRONAGE.
Présentation alternative, est celle qui se fait par plusieurs co-patrons, chacun à leur tour.
Présentation par côté, est celle que chacun des côtés d'un chapitre fait alternativement.
Présentation forcée, est celle qu'un patron ecclésiastique est obligé de faire en faveur d'un expectant qui a requis le bénéfice au tour du patron.
Présentation par semaine, est celle que chaque chanoine fait pendant la semaine qui lui est assignée pour son tour.
Présentation par tour, voyez PRESENTATION ALTERNATIVE. (A)
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PRÉSENTER | v. act. (Gram.) c'est offrir comme un présent, ou peut-être rendre la chose présente. Ainsi présenter un livre à un grand, c'est le lui offrir soi-même en présent ; présenter un livre à quelqu'un pour s'en servir, c'est le lui rendre présent. On dit présenter la main à une femme ; présenter sa tête au martyre ; présenter un ami à quelqu'un, &c. présenter à l'audience ; présenter à l'examen ; présenter ses lettres de créance ; présenter une requête ; savoir se présenter, s'offrir à la vûe, frapper d'abord ; il se présente plusieurs difficultés à résoudre ; présenter le chat par les pattes.
PRESENTER LES ARMES, (Art milit.) c'est dans l'infanterie porter le fusil d'une maniere particuliere, pour faire honneur à ceux qui passent devant les troupes. Suivant l'ordonnance du 17 Février 1753, l'infanterie ne doit présenter les armes que pour le roi, monseigneur le dauphin, les princes du sang & légitimés de France, & les maréchaux de France.
Pour faire ce mouvement, il faut, selon l'ordonnance du 6 Mai 1755, porter d'abord la main droite sous la platine du fusil sans le mouvoir ; ensuite retourner le fusil en le portant devant soi entre les deux yeux, le canon en-dedans, la main droite embrassant la poignée du fusil près de la sougarde. On saisit en même-tems le fusil de la main gauche, le tenant à la hauteur de la cravate & près de l'extrêmité supérieure de la platine, le pouce allongé le long du bois, le bas de la crosse appuyé contre le ventre. On retire après cela le pié droit en équerre à deux pouces derriere le gauche, & faisant toujours face en tête, on abaisse le fusil à-plomb vis-à-vis l'oeil gauche, la baguette en avant, le bras droit étendu dans toute sa longueur, & l'avant-bras collé au corps. Les mains ne changent point de situation ; on abaisse seulement le pouce de la main gauche derriere le canon. (Q)
PRESENTER, terme d'ouvriers, c'est, selon les ouvriers, poser une piece de bois, une barre de fer, ou toute autre chose, pour connoître si elle conviendra à la place où elle est destinée, afin de la réformer & de la rendre juste avant que de la poser à demeure. (D.J.)
PRESENTER LA GAULE, (Maréchal.) est un honneur qu'on rend aux personnes de considération qui entrent dans une écurie pour y voir les chevaux. L'écuyer ou un des principaux officiers leur présente une gaule.
PRESENTER AU VENT, (Marine) voyez NAVIRE, nous allons où nous présentons. Cela se dit d'un vaisseau qui va où il a le cap sans aucune dérive.
Présenter la grande bouline. C'est passer la bouline dans la poulie coupée pour être hâlée.
Présenter le cap à la lame, présenter un bordage, présenter un membre, c'est poser ce bordage ou ce membre au lieu où il doit être, pour savoir s'il sera juste.
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PRÉSEP | ou PRAESEPE, s. n. (Astron.) est le nom qu'on a donné dans l'Astronomie à trois étoiles nébuleuses, qui sont dans la poitrine du Cancer ou Ecrevisse ; deux desquelles sont de la septieme grandeur, & une de la sixieme. Voyez CANCER, NEBULEUX & ETOILE. Chambers. (O)
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PRÉSERVATIF | S. m. (Médec.) remede ou médicament préservatif ; c'est ainsi que sont appellés en Médecine certains remedes capables, ou regardés comme capables de préserver des maladies.
Les préservatifs sont de deux genres, généraux & particuliers.
Les premiers sont ceux qu'on employe dans l'état même de la meilleure santé, dans la vûe de se mettre à l'abri des causes ordinaires & générales des maladies ; c'est dans cette vûe qu'on a pu imaginer un prétendu syrop de longue vie, tant d'élixirs d'or potable, &c. auxquels les charlatans ont donné de la vogue en divers tems, & sur-tout chez les Grecs, qui sont par état aussi crédules qu'amoureux de la vie. La pierre philosophale, considérée comme médecine universelle, a été donnée par les Alchimistes pour le souverain préservatif. Voyez MEDECINE UNIVERSELLE.
Les préservatifs particuliers sont ceux qu'on destine à prévenir les effets d'une cause morbifique présente ou imminente, telle que l'air d'un pays, d'un hôpital, &c. où regnent des maladies contagieuses ; le fameux vinaigre des quatre voleurs est un préservatif de cette espece, &c. Voyez VINAIGRE DES QUATRE VOLEURS.
En général les prétendus préservatifs sont des secours au-moins très-suspects, & il est généralement reconnu aujourd'hui par tous les vrais Médecins, que la bonne maniere de se préserver des maladies en général, & de quelques maladies regnantes en particulier, c'est de ne les point craindre & d'observer un bon régime. Voyez PESTE. (b)
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PRÉSIDENCE | S. f. (Jurisprud.) est l'action de présider à quelque assemblée. Quelquefois ce terme est pris pour la place ou office de celui qui préside.
Ce n'est pas toujours celui qui a la premiere place qui préside à leur assemblée ; il y a, par exemple, des officiers d'épée qui ont par honneur la premiere place dans un tribunal, où le premier officier de robe, qui siege après eux, préside ; car la présidence consiste principalement dans le droit de convoquer l'assemblée, d'ordonner aux ministres du siege de recueillir les opinions & de prononcer. (A)
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PRÉSIDENT | (Hist. anc.) présidens des provinces, en latin praesides provinciarum, c'étoit le titre que les Romains donnoient aux gouverneurs de leurs provinces. D'abord on n'y envoyoit que des préteurs qui étoient chargés d'administrer la justice, de faire des lois, & de marcher contre l'ennemi en cas de besoin. Mais lorsque la guerre étoit plus sérieuse, on y envoyoit des consuls. Lorsqu'un consul, pendant son consulat, n'avoit eu aucune guerre à soutenir, & qu'il étoit envoyé l'année suivante dans une province pour la gouverner, il prenoit le titre de propréteur ou de proconsul. Quand les consuls ou les proconsuls alloient dans les provinces, ils étoient précédés de douze licteurs portant les faisceaux & les haches, mais les préteurs & les propréteurs dont l'autorité étoit inférieure, n'en avoient que six. Avant leur départ de Rome, on étoit obligé de leur fournir tout ce qui étoit nécessaire pour la conservation de la province, pour l'entretien de leur armée, pour leur propre entretien & pour les frais de leur voyage, c'est ce qu'on appelloit ornare provinciam. Suivant les dépenses que l'on faisoit dans ces occasions, le consul ou le proconsul paroissoit aussi plus ou moins honoré. Avant que d'entreprendre le voyage, ils avoient coutume d'aller au capitole pour y invoquer les dieux, & leur demander un heureux succès de leur voyage & de leur commission : ils y faisoient aussi des voeux, & y prenoient pour la premiere fois le paludamentum ou habit de guerre. Sortis du capitole, ils partoient sans délai ; on les complimentoit à la porte de Rome, leurs parens & leurs amis leur faisoient cortege une partie du chemin. Ils entroient en charge le jour de leur arrivée dans la province ; & l'ayant fait annoncer à celui qui gouvernoit alors, ils conféroient avec lui sur l'état où la province se trouvoit actuellement. Celui qui sortoit de la province étoit obligé de régler & de liquider les comptes des deniers publics qui y avoient été levés dans le cours de son administration, & de les mettre en dépôt dans deux différentes villes de la province. Arrivés à Rome, ils y rendoient compte de leur gestion. Dans le partage qu'Auguste fit des provinces, celles qu'il s'étoit réservées, & qui furent nommées provinces présidiales, étoient gouvernées par des consuls ou proconsuls, & les provinces échues au peuple par des préteurs ou propréteurs. Voyez CONSUL, PROCONSUL, PRETEUR, PROPRETEUR & PROVINCE.
PRESIDENT, (Critiq. sacrée) , ce mot est pris dans le nouveau Testament ; 1°. pour un gouverneur-général de province sous l'autorité du souverain ; ce premier dénombrement fut fait par Cyrénius, président de Syrie, , c'est-à-dire gouverneurs : 2°. pour des gouverneurs particuliers d'un lieu soumis à des gouverneurs-généraux ; ils livrerent Jesus à Ponce-Pilate, président, gouverneur, , Matth. xxvij. ces sortes de gouverneurs étoient proprement des commissaires que l'empereur envoyoit dans les provinces pour avoir soin de ses revenus ; on les nommoit procuratores fisci : 3°. enfin ce mot se prend pour des magistrats qui jugent sous l'autorité des princes ; Jesus dit à ses disciples : Vous serez menés devant les présidens, , magistrats, à cause de moi, Matth. x. 18. (D.J.)
PRESIDENT, (Hist. mod.) est un chef qui est à la tête d'une assemblée ou d'une compagnie, ou par le choix des membres qui la composent, ou en vertu de sa charge.
C'est dans le dernier sens qu'il faut entendre le terme de président dans les cours de judicature où ils sont tous en charge ; si ce n'est à-présent au grand-conseil où la présidence roule par trimestres entre des maîtres des requêtes, qui ne font la fonction de président que par commission.
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PRÉSIDIAL | S. m. (Jurisprud.) du latin praesidium, qui signifie secours, protection, en terme de palais est un titre que l'on donnoit indifféremment à tous les bailliages, sénéchaussées ; on les appelloit aussi présidiaux ou cours présidiales, ainsi qu'on le peut voir dans l'ordonnance de Charles VIII. en 1490, art. 35. & dans celle de François I. en 1536, ce titre de présidiaux qu'on leur donnoit alors ne signifioit autre chose sinon que c'étoient des juges supérieurs, devant lesquels on appelloit des juges inférieurs.
Mais présentement on entend par le terme de présidiaux des juges ordinaires établis dans certains bailliages & sénéchaussées, pour juger par appel en dernier ressort jusqu'à la somme de 250 liv. de principal, ou 10 liv. de rente, & par provision & nonobstant l'appel jusqu'à 500 liv. ou 20 liv. de rente.
Ces tribunaux furent institués par Henri II. par édit du mois de Janvier 1551, appellé communément l'édit des présidiaux : l'objet de cet édit a été en général l'abréviation des procès, & singulierement de décharger les cours souveraines d'un grand nombre d'appellations qui y étoient portées pour des causes légeres.
Cet édit ordonne que dans chaque bailliage & sénéchaussée qui le pourra commodément porter, il y aura un siege présidial pour le moins en tel lieu & endroit qui paroîtra le plus utile ; que ce siege sera composé de neuf magistrats pour le moins, y compris les lieutenans-généraux & particuliers, civil & criminel, desorte qu'il doit y avoir sept conseillers.
Il est dit que ces magistrats connoîtront de toutes matieres criminelles, selon le reglement qui en avoit été fait par les précédentes ordonnances.
Qu'ils connoîtront de toutes matieres civiles qui n'excéderont la somme de 250 liv. tournois pour une fois, ou 10 liv. tournois de rente ou revenu annuel, de quelque nature que soit le revenu, droits, profits & émolumens, dépendans d'héritages nobles ou roturiers qui n'excéderont la valeur pour une fois de 250 liv. qu'ils en jugeront sans appel, & comme juges souverains & en dernier ressort, tant en principal qu'incident, & des dépens procédant desdits jugemens à quelque somme qu'ils pourroient monter.
Que si par la demande il n'appert pas de la valeur des choses contestées, les parties seront interrogées, & que selon ce qu'ils en accorderont ou qu'il paroîtra par baux à ferme, actes, cédules, instrumens authentiques ou autrement, selon que le demandeur le voudra déclarer & réduire sa demande à ladite somme de 250 liv. lesdits juges en ce cas pourront en connoître comme souverains & sans appel.
Ce pouvoir de juger en dernier ressort jusqu'à 250 livres de principal ou 10 livres de rente, est ce que l'on appelle le premier chef de l'édit des présidiaux.
Ils ne peuvent pas connoître en dernier ressort de plus de 250 liv. quand même la demande seroit pour différentes sommes.
Il en est de même des dommages & intérêts.
Les jugemens rendus à ce premier chef de l'édit sont qualifiés de jugemens derniers ou en dernier ressort, mais les présidiaux ne peuvent pas en prononçant user des termes d'arrêt ni de cour, ni mettre l'appellation au néant, ils doivent prononcer par bien ou mal jugé & appellé.
Ce même édit ordonne que les sentences rendues par lesdits juges pour choses non-excédantes la somme de 500 liv. ou 10 liv. de rente, seront exécutées par provision nonobstant l'appel, tant en principal que dépens, à quelque somme que les dépens puissent monter, en donnant caution par ceux au profit desquels les sentences auront été rendues, ou dumoins se constituant pour raison de ce acheteurs de biens & dépositaires de justice ; au moyen de quoi, les appels qui seront interjettés de ces sentences n'auront aucun effet suspensif, mais seulement dévolutif.
Le pouvoir que donne ce second chef de l'édit aux présidiaux, est ce qu'on appelle juger au second chef de l'édit ou juger présidialement.
Les présidiaux ne peuvent juger qu'au nombre de sept juges ; & s'ils ne se trouvent pas en nombre suffisant, les parties peuvent convenir d'avocats du siege pour complete r le nombre de juges ; & à leur refus, les juges peuvent choisir les plus fameux & les plus notables.
Pour que le jugement soit en dernier ressort ou présidial, il faut que cela soit exprimé dans le jugement même, & que les juges qui y ont assisté au nombre de sept soient nommés dans le jugement.
L'édit ordonne que toutes les appellations des sieges particuliers & subalternes ressortiront au présidial pour les matieres de sa compétence, sans plus attendre la tenue des assises.
Il leur est défendu de connoître du domaine ni des eaux & forêts du roi, soit pour le fond, soit pour les dégâts, entreprises & malversations.
Ils ne peuvent pas non plus connoître du retrait lignager, des qualités d'héritier ou de commune, ni de la mouvance féodale ou propriété du cens, parce que toutes ces choses ont une valeur que l'on ne peut pas définir.
L'édit veut que les conseillers soient âgés de vingt-cinq ans, licenciés & gradués, & approuvés par examen du chancelier ou du garde des sceaux.
Il fut réservé alors à statuer sur ce qui concernoit les sieges du châtelet de Paris, de Toulouse, Bordeaux, Dijon & Rouen.
Ce premier édit fut interpreté par plusieurs autres, que l'on a appellé édits d'ampliation des présidiaux.
Le premier de ces édits qui fut donné pour le parlement de Paris au mois de Mars de la même année porte création de trente-deux présidiaux dans le ressort de ce parlement, y compris le présidial qui fut établi au châtelet, & il regle le nombre d'officiers dont chaque présidial doit être composé.
On fit la même chose par le pays de Normandie, où l'on établit des présidiaux par un autre édit du même mois.
Dans le même tems, on en créa six pour la Bretagne.
Enfin on en créa dans tous les parlemens, il en fut même établi quelques-uns dans des villes où il n'y avoit point de bailliage ou sénéchaussée royale.
Mais, par l'ordonnance de Moulins de 1566, on supprima tous ceux qui étoient établis dans les sieges particuliers des bailliages & sénéchaussées, & il fut reglé qu'il n'y auroit qu'un siege présidial dans le principal siege & ville capitale de chaque bailliage & sénéchaussée, de maniere que les juges du présidial ne font qu'une même compagnie avec les juges des bailliages & sénéchaussées où ils sont établis ; ils jugent à l'ordinaire les causes qui excedent les deux chefs de l'édit des présidiaux, & en dernier ressort ou présidialement celles qui sont au premier ou au second chef de l'édit.
Il fut aussi défendu par l'ordonnance de Moulins aux juges des présidiaux de tenir deux séances différentes, une pour les causes au premier chef de l'édit, l'autre pour les causes au second chef.
Cette même ordonnance porte qu'ils connoîtront par concurrence & prévention des cas attribués aux prevôts des maréchaux, vice-baillifs, vice-sénéchaux pour instruire les procès & les juger en dernier ressort au nombre de sept, & de même pour les vagabonds & gens sans aveu ; c'est ce qu'on appelle les cas prevôtaux & présidiaux. On peut voir sur cette matiere l'arrêt de reglement du 10 Décembre 1665, le titre I. de l'ordonnance criminelle, la déclaration du roi du 29 Mai 1702, & celle du 5 Février 1731.
On ne peut se pourvoir contre un jugement présidial au premier chef de l'édit que par requête civile adressée au présidial même, qui a rendu le jugement.
Henri II. par l'édit du mois de Juin 1557, créa dans chaque présidial un office de président, lequel officier a la préséance sur le lieutenant-général à l'audience du présidial. Ces offices de présidens furent supprimés par les ordonnances d'Orléans & de Moulins, mais ils furent rétablis en 1568.
Le nombre des conseillers & autres officiers des présidiaux a été augmenté & diminué par divers édits, qu'il seroit trop long de détailler ici.
Les magistrats de plusieurs présidiaux ont la prérogative de porter la robe rouge les jours de cérémonie ; ce qui dépend des titres & de la possession.
Dans toutes les villes où il y a un siege présidial, & où il ne se trouve point de chancellerie établie près de quelque cour souveraine, il y a une chancellerie présidiale destinée à sceller toutes les lettres de justice nécessaires pour l'expédition des affaires du présidial. Voyez CHANCELLERIE PRESIDIALE. Voyez Chenu, Joly, Néron, Guenois, le diction. de Dechasles au mot présidial. (A)
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PRESM | ou PREMESSE, (Jurispr.) dans la coutume de Bretagne est ce qu'on appelle dans les autres coutumes retrait lignager. Voyez LIGNAGER.
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PRÉSOMPTIF | adj. (Jurisprud.) signifie celui qui est présumé avoir une qualité. Ainsi présomptif héritier est celui que l'on regarde comme l'héritier, quoiqu'il n'en ait pas encore pris la qualité, ni fait aucun acte d'héritier. Voyez HERITIER & SUCCESSION. (A)
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PRÉSOMPTION | S. f. (Morale) Le desir excessif que nous avons de nous faire estimer des autres hommes, fait que nous desirons avec passion d'avoir des qualités estimables, & que nous craignons extrêmement d'avoir des défauts qui nous fassent tort dans l'esprit des hommes. Or, comme on se persuade ce qu'on desire & ce qu'on craint trop fortement, il arrive que nous venons à concevoir une trop bonne opinion de nous-mêmes, ou à tomber dans une excessive défiance de nous. Le premier de ces deux défauts s'appelle présomption, le second timidité. Ces deux défauts qui semblent opposés, viennent d'une même source, ou plutôt ils ne sont qu'un même défaut sous deux formes différentes. La présomption est un orgueil confiant, & la timidité un orgueil qui craint de se trahir. Nous avons du penchant à l'un ou à l'autre, selon la diversité de notre tempérament.
Tout le monde croit qu'un présomptueux s'estime trop ; mais nous croyons pouvoir dire, contre le sentiment de tout le monde, qu'il ne s'estime pas assez, & qu'il manque par un excès de bassesse, & non pas par un excès d'élévation disproportionnée à ce qu'il est. Il ne s'apperçoit point en effet qu'il y a en lui une plus grande excellence que celle qui fait l'attention de sa vanité, & que le mérite de l'homme qui périt est peu de chose comparé au mérite de l'homme immortel.
Il ne faut pas s'étonner néanmoins qu'il aime mieux se considérer par rapport au tems que par rapport à l'éternité, puisque dans la premiere de ces deux vûes il usurpe la gloire de Dieu en s'attribuant tout, & rien à l'Etre suprême ; au lieu que dans la vûe de l'éternité il est obligé de se dépouiller de toute sa gloire pour la rapporter à Dieu. Etrange aveuglement qui ne lui permet pas de reconnoître qu'il n'y a point d'autre bonheur véritable que celui qui se confond avec la gloire de Dieu.
PRESOMPTION, (Jurisprud.) est une opinion que l'on a d'un fait dont on n'a pas une preuve certaine, mais qui est fondée sur certaines apparences ; telles sont les conséquences que l'on tire d'un fait connu, pour servir à découvrir la vérité d'un fait dont on cherche la preuve.
Par exemple, en matiere civile s'il y a contestation entre le possesseur d'un fonds & un autre qui s'en prétende le maître, c'est une présomption que ce fonds est au possesseur.
De même en matiere criminelle si un homme a été tué sans que l'on sache par qui, on présume que cela peut venir de celui qui l'avoit menacé peu de tems auparavant.
On distingue les présomptions en legeres ou téméraires, probables & violentes.
Les présomptions legeres ou téméraires sont de simples soupçons qui n'ont aucun fondement raisonnable : celles-ci ne font pas même semi-preuve.
Les présomptions probables sont celles qui ont pour fondement quelque raison légitime, mais qui n'est pourtant pas concluante. Ces sortes de présomptions jointes à une autre semi-preuve, forment une preuve complete .
Les présomptions fortes ou même violentes, sont celles qui ont quelque cause antécédente, comme si un mari au retour d'une longue absence trouve sa femme enceinte, la présomption est qu'elle a commis adultere. Il y a des présomptions de cette espece qui sont si fortes, qu'elles tiennent seules lieu de preuve. Ainsi dans le jugement de Salomon, la tendresse que la véritable mere fit éclater pour son enfant, fut regardée comme une preuve suffisante.
On distingue aussi les présomptions en négatives ou confirmatives, selon la nature des faits.
Il y en a qu'on appelle praesomptiones juris, & d'autres juris & de jure. Les premieres sont celles qui ont l'équité pour principe ; les secondes sont celles qui ont pour fondement quelque texte précis du droit.
Les présomptions se tirent de différentes sources : les unes sont puisées dans la nature des choses, d'autres tirées de la qualité des personnes, de leur bonne ou mauvaise renommée, & des différentes circonstances & indices qui se trouvent.
Il dépend de la prudence du juge d'avoir tel égard que de raison aux présomptions.
Voyez au digeste & au code le titre de probationibus, & le traité de Mascardus de probat. & les traités de praesumptionibus par Barthole, Guypape, Alciat, &c. Voyez aussi les mots INDICE & PREUVE. (A)
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PRÉSOMPTUEUX | adj. (Gramm.) celui qui se connoît mal, qui n'a pas une idée juste de son crédit, de ses forces, de son esprit, de son talent, en un mot qui s'est surfait à lui-même toutes les ressources naturelles ou artificielles, à l'aide desquelles on réussit dans une entreprise ; & qui ajoute à cette ignorance funeste le ridicule de la vanité mal fondée. La présomption qui ne doute de rien est le vice des jeunes gens ; & la méfiance qui doute de tout, celui des hommes expérimentés.
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PRESQU'ISLE | S. f. (Géogr.) est la même chose que péninsule. Voyez PENINSULE.
PRESQU'ISLE, (Géog. mod.) Presqu'isle, que les Grecs appelloient Chersonese, est une partie de terre jointe à une autre par une gorge étroite, & environnée de mer de tous les autres côtés ; cette gorge ou passage étroit, par où un pays communique avec un autre par terre, s'appelle isthme. Nous devons aussi observer ici ces parties de terre qui s'avancent dans la mer, & qui sont jointes au reste du continent par un trajet plus large ; car ces parties étendues forment une espece de Presqu'isle, & peuvent en quelque sorte être appellées de ce nom.
Telles sont l'Italie, l'Espagne, une partie de l'Angleterre, la Grece & l'Achaïe proprement dite, l'Asie mineure, la Norvege avec la Suede & le Lapland, l'Indoustan, la nouvelle Guinée dans le continent méridional, la nouvelle Hollande, la nouvelle Bretagne & la nouvelle Ecosse en Amérique ; Cambodie, Patagon, les extrêmités de l'Afrique, &c.
Table des principales Presqu'isles.
Voyez aussi PENINSULE, PENINSULA, & QUERSONNESE. (D.J.)
PRESQU'ISLE en-deçà du Gange, (Géog. mod.) La presqu'ile en-deçà du Gange est cette longue terre qui s'avance vers le midi, & finit au cap Comorin. Sa côte occidentale est nommée côte de Malabar, & sa côte orientale est appellée côte de Coromandel. En allant du nord-nord-ouest de cette presqu'isle vers le sud-sud-est, on trouve le pays de Concan, les royaumes de Visapour & de Canara, les états de Samorin & de Travançor : de là en retournant vers le nord occidental, on côtoie le royaume de Maduré, le Marava, les royaumes de Tanjaour, de Guingi, de Carnate, de Golconde, de Cicocicol, & le pays de Jagrenat. Le petit royaume de Maissour est dans l'intérieur du pays. Le grand-mogol a conquis une grande partie de cette presqu'isle, & plusieurs rois n'y sont en quelque maniere que ses fermiers. (D.J.)
PRESQU'ISLE au-delà du Gange, (Géog. mod.) La presqu'isle au-delà du Gange comprend les royaumes d'Ava, de Leos, de Cochinchine, de Siam, & la presqu'isle de Malaca. Voyez ces articles en particulier.
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PRESSANT | adj. (Gram.) qui ne permet aucun délai, qui exige de la diligence, &c. Un besoin pressant, un devoir pressant, une affaire pressante, un homme pressant.
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PRESSE | S. f. (Méchanique) machine de fer, de bois, ou de quelqu'autre matiere, qui sert à serrer étroitement quelque chose.
Les presses ordinaires sont composées de six pieces ; savoir de deux ais ou planches plates & unies, entre lesquelles on met les choses qu'on veut presser ; de deux vis qui sont attachées à la planche de dessous, & passent par deux trous dont la planche de dessus est percée, & de deux écrous taillés en forme d'S qui servent à presser la planche de dessus qui est mobile, contre celle de dessous, qui est stable & sans mouvement. (D.J.)
PRESSE POUR LES LIQUEURS, (Outil de divers artisans) Les presses pour exprimer les liqueurs sont de plusieurs sortes : les unes ont presque les mêmes parties des presses communes, à la réserve que la planche de dessous est percée de quantité de trous, pour faciliter l'écoulement des sucs qu'on exprime, & qu'il y a au-dessous une espece de cuvette pour les recevoir ; d'autres n'ont qu'une vis ou arbre au milieu duquel est attachée la planche mobile, qui descend dans une espece de boîte ou vaisseau de bois quarré percé de tous côtés, par où s'écoulent les sucs & les liqueurs à mesure qu'on tourne l'arbre par le moyen d'un petit levier ou de fer ou de bois, suivant la matiere de la presse. (D.J.)
PRESSE, en terme de Batteur d'or, c'est un instrument de fer ayant pour base une plaque immobile audessus de laquelle en est une autre qui coule le long de deux branches arrêtées l'une à l'autre par une traverse au milieu de laquelle passe une vis perpendiculaire à la plaque mouvante. Cette vis est couronnée par deux especes de bras de croix qui servent de poignées à l'ouvrier. Cette presse sert à sécher les chaudrais, les cochers & les moules, ce qui se fait à chaque fois qu'on se sert de ces outils. Voyez ces mots à leur article.
La plaque supérieure est bordée d'une bande de fer pour retenir les charbons ; l'autre s'appuie sur une sorte de trépié au-dessus d'une poële pleine de feu. Il est important de ne point mettre trop de feu, on perdroit par-là des outils qui sont chers.
PRESSE, (Cartier) est une machine dans laquelle on pose des paquets de cartes en sortant de la main des colleurs, & après les avoir fait sécher ; & dans cet état on les presse en faisant descendre la vis de la presse sur la planche qui est posée sur ces cartes. Voyez PRESSE ORDINAIRE.
PRESSE, (Cartonnier) Les Cartonniers se servent d'une presse assez semblable à celle dont on fait usage dans les papeteries. Elle est composée de deux jumelles ou montans, d'un écrou qui sert de traverse en-haut pour assujettir les deux jumelles ; d'une vis terminée par une lanterne ; d'une piece de bois qui glisse entre les jumelles, & qu'on appelle le sommier pendant ; & d'un entablement ou traverse d'en-bas. Quand on veut presser le carton, on pose sur l'entablement un tiroir sur lequel on pose les feuilles de carton les unes sur les autres en piles : on met pardessus des ais & des billots, après quoi on fait descendre la vis par le moyen d'un levier que l'on pousse à bras, ou par le moyen d'un cable avec un moulinet garni d'un arbre tournant & de deux leviers. Voyez nos Pl. du Cartonnier.
PRESSE, en terme de Cirier, c'est une machine dont on peut voir le méchanisme ailleurs. Nous n'en parlerons ici que par rapport à l'usage que les Ciriers en font. Ils l'employent particulierement pour exprimer la cire des meches des vieux cierges & des flambeaux recouverts. Elle est garnie d'un seau à claire voie, à travers lequel la cire passe & tombe dans un récipient placé au-dessous.
PRESSE D'EBENISTE, outil de menuisier en marqueterie. La presse des Ebénistes ou ouvriers en marqueterie, est presque semblable à celle des Menuisiers, à la réserve que les bois en sont plus épais, & qu'il n'y en a qu'un de mobile ; l'autre est fait en forme de chevalet, étant soutenu par deux jambes ou piliers emboîtés à tenons dans chacune de ses extrêmités, qui sont fortement scellées dans le plancher. Cette presse sert à refendre & scier de bout les bois propres à ces sortes d'ouvrages ; quand les pieces sont trop longues, on leur donne de l'échappée dans un trou qui est fait au-dessous dans la terre, ou dans le plancher. (D.J.)
PRESSE, outils dont les facteurs d'instrumens de musique se servent pour tenir appliquées les unes contre les autres les pieces qu'ils sont obligés de coller. Ces presses, dont ils ont de différentes grandeurs pour servir au besoin, sont composées de deux pieces de bois A D B E, assemblées dans des traverses D E, d e, ensorte que cette machine a la figure d'un U. L'extrêmité de l'une des branches est taraudée pour recevoir la vis de bois C m, entre l'extrêmité m de laquelle & l'autre branche A on met les pieces que l'on veut serrer, que l'on comprime autant que l'on veut par le moyen de la vis C m. Voyez la fig. 11. Pl. XVII. de Lutherie.
PRESSE DE FONDEURS, outil de Fondeurs ; cette presse, autrement dite presse à coins, est composée de forts chassis de quatre pieces de bois quarrées, bien emboîtées les unes dans les autres par des tenons & des chevilles ; elles sont en diverses largeurs, suivant l'épaisseur des chassis à moule, qu'on y doit mettre. Il en faut deux pour chaque moule, aux deux bouts desquels on les place ; ensorte qu'en chassant avec des maillets des coins de bois entre le moule & les côtés de la presse, on puisse fortement unir les deux chassis, dans lesquels on doit couler le métal : quand les chassis des moules sont peu épais, on se sert de la presse commune. (D.J.)
PRESSE A RIVER, outil d'Horlogerie, voyez nos Pl. de l'Horlogerie, est un instrument sur lequel on rive certaines roues, dont les pignons devant passer par les trous d'un banc à river, avant que les assiettes puissent porter dessus, les empêcheroient absolument de pouvoir y être rivées. Pour se servir de cet instrument, on met les parties A A dans l'étau ; on place la tige de la roue dans une des coches C C de la presse ; on serre l'étau de façon que cette tige se trouve prise entre les coches comme dans un trou, & que l'assiette porte sur les parties C C ; on ride ensuite la roue comme on l'a vu, art. BANC A RIVER.
PRESSE DES ESTAMPES, outil des Imprimeurs en taille-douce ; cette machine avec laquelle les Imprimeurs en taille-douce impriment ou tirent leurs estampes & images, est moins composée que celle des Imprimeurs de livres. Voyez IMPRIMERIE EN TAILLE DOUCE.
PRESSE D'IMPRIMERIE, qui sert à imprimer les caracteres : c'est une machine très-composée ; ses pieces principales de menuiserie sont, les deux jumelles, les deux sommiers, la tablette, le berceau, les petites poutres ou bandes, le rouleau, le coffre, la table, le chevalet, les patins, le train de derriere & les étançons : les principales pieces de serrurerie sont la vis, l'arbre de la vis, le pivot, la platine, la grenouille, le barreau, les cantonnieres ou cornieres, les pattes ou crampons, la broche du rouleau, la clé de la vis, les clavettes & les pitons. Pour connoître chaque piece dont est construite une presse, & l'usage & les proportions de chaque piece, voyez chaque article à l'ordre alphabétique, ainsi que toutes les autres pieces qui ont rapport à la presse.
Les presses ne sont pas également construites dans toutes les imprimeries, ou de France, ou des pays étrangers ; mais les parties, quoique de configuration un peu différente, ont toutes le même objet & le même effet. Voyez nos Pl. d'Imprimerie, & l'article IMPRIMERIE.
PRESSE, (Droit polit.) on demande si la liberté de la presse est avantageuse ou préjudiciable à un état. La réponse n'est pas difficile. Il est de la plus grande importance de conserver cet usage dans tous les états fondés sur la liberté : je dis plus ; les inconvéniens de cette liberté sont si peu considérables vis-à-vis de ses avantages, que ce devroit être le droit commun de l'univers, & qu'il est à-propos de l'autoriser dans tous les gouvernemens.
Nous ne devons point appréhender de la liberté de la presse, les facheuses conséquences qui suivoient les discours des harangues d'Athènes & des tribuns de Rome. Un homme dans son cabinet lit un livre ou une satyre tout seul & très-froidement. Il n'est pas à craindre qu'il contracte les passions & l'enthousiasme d'autrui, ni qu'il soit entraîné hors de lui par la véhémence d'une déclamation. Quand même il y prendroit une disposition à la révolte, il n'a jamais sous la main d'occasions de faire éclater ses sentimens. La liberté de la presse ne peut donc, quelque abus qu'on en fasse, exciter des tumultes populaires. Quant aux murmures, & aux secrets mécontentemens qu'elle peut faire naître, n'est-il pas avantageux que, n'éclatant qu'en paroles, elle avertisse à tems les magistrats d'y remédier ? Il faut convenir que, partout, le public a une très-grande disposition à croire ce qui lui est rapporté au désavantage de ceux qui le gouvernent ; mais cette disposition est la même dans les pays de liberté & dans ceux de servitude. Un avis à l'oreille peut courir aussi vîte, & produire d'aussi grands effets qu'une brochure. Cet avis même peut être également pernicieux dans les pays où les gens ne sont pas accoutumés à penser tout haut, & à discerner le vrai du faux, & cependant on ne doit pas s'embarrasser de pareils discours.
Enfin, rien ne peut tant multiplier les séditions & les libelles dans un pays où le gouvernement subsiste dans un état d'indépendance, que de défendre cette impression non autorisée, ou de donner à quelqu'un des pouvoirs illimités de punir tout ce qui lui déplaît ; de telles concessions de pouvoirs dans un pays libre, deviendroient un attentat contre la liberté, de sorte qu'on peut assurer que cette liberté seroit perdue dans la Grande-Bretagne, par exemple, au moment que les tentatives de la gêne de la presse réussiroient ; aussi n'a-t-on garde d'établir cette espece d'inquisition. (D.J.)
PRESSE, (Manufact. de lainage) dans les manufactures de lainage, c'est une grande machine de bois qui sert à presser les draps, les ratines, les serges, &c. pour les rendre plus unies, & leur donner le cati, qui est cet oeil luisant que l'on remarque à la plûpart des étoffes de laine.
Cette machine est composée de plusieurs pieces, dont les principales sont les jumelles, l'écrou & la vis, accompagnée de sa barre, qui sert à la faire tourner, & descendre perpendiculairement à force de bras sur le milieu d'un épais plateau ou planche de bois quarré, sous laquelle on place les pieces d'étoffes que l'on veut presser ou catir.
Il y a une autre sorte de presse plus petite que la précédente, à laquelle l'on donne le nom de guindo, dont on se sert aussi à presser les étoffes de laine. La calandre est encore une espece de presse, qui sert à presser ou calandrer certaines étoffes & toiles.
Il y a quantité de marchands qui ont chez eux de petites presses portatives qui leur servent à presser les étoffes qui ont pris de faux plis, ou qui se sont frippées, en les dépliant pour les faire voir ; cette derniere espece de presse est la presse ordinaire dont on a donné la description au commencement de l'article. (D.J.)
PRESSE des Menuisiers, (Outil de Menuiserie) la presse des Menuisiers, qui leur sert à serrer les bois qu'ils ont collés, & sur-tout les panneaux de lambris, est très-simple ; elle n'a que quatre pieces, deux vis, & deux morceaux de bois de 4 ou 5 pouces en quarré, & de deux ou trois piés de longueur, dont les trous qui sont aux deux bouts servent d'écrous aux vis.
PRESSE, à la monnoie ; instrument dont on se servoit dans la marque des monnoies, auquel on a substitué le balancier ; cependant il y a des hôtels de monnoye où le graveur s'en sert pour l'impression de quarrés ou matrices.
Voici la construction d'une presse. Consultez la figure. L'arbre de fer soutient pour recevoir son mouvement un demi-fleau, au bout duquel est un anneau pour recevoir des cordages ; l'arbre ensuite est séparé par des platines, au-dessus de la premiere étoit le jacquemart, ensuite la vis à retenir les quarrés, le ressort à détacher les especes, le tout appuyé sur un fort billot avec l'escale & la fosse. Voyez JACQUEMART, ESCALE, FOSSE.
PRESSE A MOULE, à la monnoie ; est un quadre de bois entre lequel on met les deux moitiés du moule, que l'on serre ensuite avec des coins pour empêcher qu'elles ne se désunissent.
PRESSE A SARDINES, terme de Pêche ; machine qui consiste en un long levier, avec lequel on comprime les sardines dans les barrils. Voyez SARDINE. On donne aussi ce nom à l'attelier dans lequel on fait cette opération.
PRESSE, (Reliure) les Relieurs usent de quatre presses ; savoir, la grande presse, la presse à endosser, la presse à rogner, la presse à tranchefiler : outre ces quatre presses, les doreurs ont encore la presse à dorer sur tranche, & celle à tirer les armes.
La grande presse sert à mettre les livres en presse, soit lorsqu'ils sont en train d'être reliés, soit lorsqu'ils sont reliés. Elle est composée de deux jumelles de 6 piés de haut sur 6 pouces & demi d'épaisseur ; d'un sommier de 14 pouces en quarré, attaché aux trois quarts de la hauteur aux deux jumelles avec deux boulons de fer, qui passent au-travers du bout du sommier & de la jumelle. Le sommier est percé dans le milieu d'un trou vissé où passe une vis renversée, de trois piés & demi de hauteur compris la tête ; la tête de la vis est percée de part en part de deux trous quarrés, où l'on passe un barreau de fer pour serrer ou desserrer la presse. La tête de la vis entre dans un plateau d'un pié en quarré, sur deux pouces & demi d'épaisseur. Ce plateau tient à une piece de bois, qu'on appelle un mouton, qui a 26 pouces de long sur 14 de large : à ce mouton il y a de chaque côté un tenon qui entre dans les rainures des jumelles. Le dessous de la presse est une plate-forme de 34 pouces de long sur 16 pouces de largeur, pour porter ce que l'on veut mettre dans la presse, & soutenir l'effort de la vis qui fait descendre le mouton dessus. Cette plate-forme est fermement attachée à chaque jumelle avec deux boulons de fer, comme le sommier. Les jumelles sont tenues sur le plancher par deux patins où elles s'emboîtent. Le tout est fortement arrêté contre un mur. Voyez les Pl. de la Reliure.
La presse à endosser est composée de deux pieces, l'une de devant, & l'autre de derriere ; l'une & l'autre de 3 piés & demi de long, 7 pouces de large, sur 5 pouces d'épaisseur ; de deux vis de 3 piés de long qui les traversent par les deux extrêmités. Chacune des vis a une tête de 6 pouces, percée de deux trous de part-en-part, de deux grosses clés de 2 piés & demi de long, sur un pouce en quarré. Ces clés sont attachées à la piece de devant solidement, & traversent entierement celle de derriere, de deux petites clés de l'épaisseur de la piece de devant, qui entrent dans la rainure du collet de la vis. En tournant les deux vis, on fait rapprocher & serrer très-fortement les pieces de devant & celle de derriere l'une contre l'autre. Voyez les Pl. Voyez ENDOSSER.
Presse à rogner. Elle est toute semblable à celle à endosser, excepté que sur la piece de derriere il y a une tringle à queue d'aronde, où entre la rainure de la piece de derriere du fust, voyez FUST ; & à la piece de devant une autre tringle en-dedans plus épaisse en-haut qu'en-bas, afin que les livres qu'on met dans la presse soyent plus serrés & mieux en état d'être bien rognés. Voyez les Pl. voyez aussi l'article ROGNER.
La presse à tranchefiler sert à tenir les livres qu'on tranchefile par un bout, pour que l'ouvriere qui travaille soit plus assurée. Elle est composée des mêmes pieces que celle à dorer, mais plus petite, n'ayant que 18 pouces de long. Voyez les Pl. & l'article TRANCHEFILER.
La presse à dorer sur tranche doit avoir deux pieces, l'une de devant, l'autre de derriere, ayant l'une & l'autre trois piés de long, sur quatre pouces en quarré ; ces pieces sont percées comme celles de la presse à endosser, & l'usage en est tout semblable. Voyez les Pl. & l'article DORER.
La presse à tirer les armes ; elle est assez ordinairement grande & assez semblable à la grande presse, mais moins haute & moins forte. Il y a cela de différence, que la vis doit être à trois rangs, & qu'à la moitié des jumelles il y a un billot, tenu par deux boulons de fer. Voyez les Pl. & l'article ARMES. Au-dessous du billot on place ordinairement une petite armoire pour y serrer les armes qu'on y met en dépot.
PRESSE A COINS, en terme de Cornetier, se dit d'une presse dans laquelle on applatit les galins par le moyen de deux coins qu'on place à chaque bout entre deux plaques de fer, & qu'on enfonce entr'elles à grands coups de maillet. Cette presse passe pour la meilleure, parce qu'on y comprime les galins plus exactement, & que les coins occupent presque toute l'étendue de la plaque, ce qui l'empêche de céder en aucune maniere à la force de la pression. Voyez les Pl.
PRESSE A VIS des Cornetiers, est une espece d'auge placée à rez-de-chaussée, à une des extrêmités de laquelle est une vis à clé qui s'engraine dans un écrou qui traverse cette extrêmité de la presse. Cette vis atteint les plaques entre lesquelles sont les galins, & les resserrent les unes près des autres, à proportion qu'on la tourne plus ou moins. Voyez les Pl.
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PRESSÉANCE | RANG, ou place d'honneur dûe à des personnes qualifiées, soit pour la séance, soit pour la marche. Voyez RANG, ESEANCEANCE.
La presséance est ou de droit ou d'honneur, & de simple politesse.
Celle-ci est celle qui est dûe à l'âge, au mérite, &c. c'est la civilité qui la regle, & non pas la loi.
Celle de droit est celle qui est dûe à certaines personnes à la rigueur, & qui peuvent, si on la leur refuse, intenter action en justice pour se la faire céder.
Dans l'assemblée des états du royaume, les députés ecclésiastiques formoient le premier ordre ; les nobles le second, & le tiers-état ou les bourgeois notables, le troisieme. Le rang est observé de même dans les provinces qui se sont conservées dans le droit d'assembler des états.
A la cour de France, immédiatement après le roi, sont les princes du sang ; après eux marchent les ducs & pairs, & ainsi des autres seigneurs, à raison de leur dignité.
Les papes prétendent la presséance sur tous les monarques de la terre ; & en effet, ses légats précedent tous les ambassadeurs des têtes couronnées.
La presséance se regle entre les dames par la qualité de leurs maris.
PRESSEE ; les Relieurs appellent pressée plusieurs volumes qu'ils ont mis en presse en même tems. On dit une pressée.
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PRESSENTIMENT | S. m. (Gramm.) crainte ou espérance secrette que telle chose arrivera de telle ou telle maniere. Cette espece de divination est fondée sur un grand nombre de circonstances foibles, légeres, fugitives, quelquefois même presque inexplicables ; de-là vient qu'on fait souvent du pressentiment quelqu'être extérieur & suprême qui semble parler au fond de notre ame & nous arrêter, lorsque ce n'est que l'effet naturel de notre intérêt, de notre sagacité & de notre expérience. Pressentir quelqu'un, c'est découvrir adroitement sa pensée, son dessein, ses ruses.
PRESSENTIMENT, (Philosoph.) ce mot se prend ou pour une prévoyance qu'on a d'une chose avant qu'elle arrive, & cela par les pures lumieres du raisonnement ; ou pour un mouvement naturel, secret & inconnu que nous éprouvons en nous, & qui nous avertit de ce qui nous doit arriver. On demande s'il y a quelque fond à faire sur les pressentimens de ce dernier genre.
L'auteur ingénieux des aventures de Robinson Crusoé a entrepris d'établir la réalité & l'utilité des pressentimens qui naissent des mouvemens secrets & inconnus, & l'obligation d'y faire attention.
Il prétend qu'il n'y a rien de plus réel que certains pressentimens que nous sentons dans notre ame, & qui dirigent à faire ou à ne pas faire une certaine chose. Il croit que ces avertissemens sont des voix secrettes de quelques intelligences bienfaisantes qui se communiquent à nos ames sans le secours des organes ; qu'ils sont dignes de toute notre attention, parce qu'ils vont directement à nous faire éviter des maux, & à nous porter à la recherche de quelque bien. Il soutient que moins ces avertissemens sont développés, & plus ils doivent exciter notre attention & notre vigilance, & que nous devons songer plutôt à en tirer tous les avantages possibles, que de donner la torture à notre esprit pour pénétrer dans les raisons de leur peu d'étendue. Enfin il raconte plusieurs histoires pour appuyer son système. Mais voici comme de très-habiles gens ont pris la peine de le refuter, & je mets à la tête l'auteur du nouveau Dictionnaire historique & critique, in-folio, j'entends M. de Chaufepié.
1°. Accordons, disent-ils, qu'il y a un nombre infini de substances spirituelles, & d'intelligences qui sont séparées de ce monde visible ; accordons encore que ces intelligences peuvent agir sur nos corps, déterminer les esprits animaux d'une certaine maniere, & frapper notre imagination en nous retraçant des images qui y ont déja été. Il est certain qu'il n'y a rien d'impossible dans le système qui suppose quelque commerce entre les substances spirituelles qui composent le monde intellectuel & les hommes. Mais à quoi pouvons-nous connoître ce commerce ? Ce qu'on nomme pressentiment est-il véritablement la voix secrette de quelques-unes de ces intelligences ? Doit-on suivre des mouvemens dont on ne peut rendre raison ? L'auteur de Robinson Crusoé le prétend ; & dans la difficulté de justifier sa prétention au tribunal du bon sens, il se fonde sur des faits qu'il donne pour incontestables.
Mais ces faits & plusieurs autres du même genre (car il n'y a presque personne qui n'ait quelque histoire à conter là-dessus), sont-ils bien avérés dans leurs particularités ; & l'imagination frappée par l'événement, n'a-t-elle pas grossi les objets, & ajouté quelques circonstances qui répandent un air de merveilleux sur ce qui n'avoit rien que de naturel.
Quel est le but de ces pressentimens ? Pourquoi ces voix secrettes se font-elles entendre ? C'est, dit-on, pour nous faire éviter des maux, & pour nous porter à la recherche de quelque bien. Cependant la plûpart ne produisent point cet effet ; ce n'est qu'après que le mal est arrivé, qu'on s'avise de remarquer qu'on avoit eu un pressentiment. Mais, dit-on, cela vient de ce qu'on n'y fait pas attention, & qu'on n'écoute pas ces voix secrettes. Il faudroit donc qu'elles fussent assez intelligibles pour être entendues, & qu'on pût suivre leurs directions. Et l'on soutient au contraire que moins elles sont intelligibles, plus on y doit d'attention : c'est-à-dire, qu'on doit agir à l'aveugle, se déterminer sans raison, & cela même dans des occasions où un devoir clair & connu dicte précisément le contraire.
L'histoire de France rapporte le pressentiment de mort qu'avoit eu le maréchal de S. André, le matin avant la bataille de Dreux ; mais, pour nous en tenir à cet exemple, le maréchal de S. André étoit obligé d'office à se trouver à la bataille : devoit-il négliger son devoir pour obéir à cette prétendue voix secrette qui lui disoit qu'il auroit je ne sai quoi ce jour-là, comme s'exprime Brantome ? S'il ne devoit point négliger son devoir, comme tout homme raisonnable en conviendra, à quoi bon l'avertissement ? Pourquoi lui faire connoître un danger que les circonstances où il se trouvoit ne lui permettoient pas d'éviter ?
Dans la supposition que les intelligences qui forment le monde invisible, nous parlent pour nous diriger, elles ne doivent point parler inutilement ; & n'est-ce pas le faire, que d'avertir d'un péril que le devoir clair & connu ne permet point d'éviter ? D'ailleurs, à moins que de supposer que les mauvais esprits jouïssent du privilege de veiller pour ceux qui sont leurs compagnons & leurs imitateurs en malice, on ne peut guere concevoir que les intelligences pures & simples, agissant sous la direction de Dieu, prennent assez d'intérêt à la conservation d'un homme vicieux, pour lui donner avis du danger qui le menace.
Quelle est donc la cause, dira-t-on, de certains mouvemens secrets, tels, par exemple, que celui que ressentit le maréchal de S. André ? On peut en marquer plusieurs qui agissent quelquefois toutes ensemble ; telles sont la superstition, une mauvaise conscience, l'idée d'un danger, & une imagination aisée à se laisser frapper.
Tout le monde sait que la superstition produit d'étranges effets dans les hommes, & que la plus légere circonstance peut la mettre en mouvement. Un homme accoutumé à faire dépendre toute sa religion de certaines observances extérieures, & qui se surprend dans la négligence à cet égard, peut être très-facilement saisi d'une terreur panique, sur-tout quand cela se joint à une mauvaise conscience ; ce juge secret & incorruptible de nos actions perd rarement tous ses droits ; on a beau faire, il fait quelquefois des reproches qui remplissent l'ame de frayeur, surtout quand la superstition s'en mêle. Le sentiment du crime rend timide, & fait redouter la peine qu'on sent très-bien avoir méritée. La véritable intrépidité est l'apanage de l'homme de bien.
Ce qui acheve de faire naître des craintes, c'est l'idée d'un danger présent. Un homme va marcher au combat ; il ne peut se cacher à lui-même qu'il peut être atteint d'un coup mortel ; quelle que soit sa valeur, la nature frémit à cette pensée ; & si à ces mouvemens naturels se joignent ceux de la superstition & d'une mauvaise conscience, il n'en faut pas davantage pour causer du trouble & pour frapper l'imagination. Ce furent-là, selon les apparences, les causes du prétendu pressentiment du maréchal de S. André, sans qu'il soit nécessaire de faire venir une intelligence qui lui ait parlé à l'oreille.
Ajoutons, en finissant ces réflexions, qu'il y a aussi des personnes ou naturellement craintives, ou dont l'imagination est aisément frappée. La moindre chose, la plus legere & la plus indifférente circonstance les émeut, les trouble ; & pour peu qu'il y ait dans les événemens quelque chose qui puisse se rapporter à ces sentimens, dont leur caractere même est le principe, il n'en faut pas davantage pour les honorer du titre de pressentiment. (D.J.)
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PRESSENTIR | v. act. c'est être sous cette espece de pénétration ou de pusillanimité qui nous fait espérer ou craindre un événement possible, mais éloigné. La pusillanimité & la pénétration combinent tout également ; mais la pusillanimité perdant de vue les probabilités qui sont pour elle, & ne s'attachant qu'aux probabilités qui sont contr'elle, voit l'événement fâcheux comme présent. La pénétration aussi clairvoyante se rassure par le rapport des probabilités pour & contre. L'homme ferme empêche quelquefois la chose qu'il a pressentie par sa seule fermeté ; l'homme pusillanime la fait arriver par sa frayeur & ses allarmes.
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PRESSER | v. act. (Gramm.) ce verbe a plusieurs acceptions différentes. Quelquefois il signifie rapprocher des choses entr'elles sous un moindre volume, ou les tenir fortement appliquées à d'autres, soit par la force seule du corps, soit avec cette force aidée d'un instrument ; & l'on dit en ce sens presser une étoffe, presser du papier, presser des fruits. On étoit fort pressé au spectacle ; presser ses raisonnemens, presser son style, &c. D'autres fois il signifie accélérer, hâter ; vous êtes bien pressé ; vous ne vous pressez jamais d'obliger : ou dans un sens à-peu-près semblable, laisser peu de tems pour agir ; il est pressé par l'ennemi, par le besoin, par le mal, par la douleur.
Ajoutez que ce mot a autant d'acceptions différentes que celui de presse, dont il marque l'usage. Voyez l'article PRESSE.
PRESSER, en terme de Cornetier, se dit de l'action d'applatir les galins qui ont déja été étendus ; cela s'opere par le moyen d'une presse à vis, ou d'une presse à coins. Voyez PRESSE A VIS, PRESSE A COINS.
PRESSER A MORT, (Jurisprud.) terme de droit usité en Angleterre, où il signifie faire souffrir à un criminel une sorte de torture qu'on appelle peine forte & dure. Voyez PEINE.
PRESSER, en terme de Commerce de mer, signifie obliger ou contraindre les équipages des bâtimens marchands à servir sur les vaisseaux de guerre. Cette maniere de parler n'est guere usitée qu'en Hollande & en Angleterre. En France, on dit ordinairement fermer les ports ; quelques-uns disent mettre un embargo. Dict. du Comm.
PRESSER, (Marine) c'est contraindre les mariniers à servir sur les navires de guerre. Les commissaires qui pressent, s'appellent pres-meesters ; cette façon de parler est angloise. On dit en France, fermer les ports, & quelques-uns disent mettre un embargo.
Presser, c'est arrimer des laines & autres telles marchandises avec des presses. Quelques hollandois les arriment avec de grosses pieces de bois qu'ils roulent dessus, ou qui sont attachées à un palan qui tient à une grosse boucle qui est sur le pont, & qui enleve la pierre ou le billot, & le laisse tomber de haut en bas, à-peu-près comme fait la sonnette sur le pilotis ; & cela s'appelle traaven ou denivel-jaagen, & les bois qu'on roule s'appellent sceer-hontenen anglois.
PRESSER, en terme de Batteur d'or, c'est l'action de serrer sous une presse, voyez PRESSE, les outils pour les sécher entierement. On les enferme entre deux ais de bois parce que le feu feroit retirer le velin ou le boyau. Il faut presser les outils toutes les fois qu'on veut s'en servir.
PRESSER SON CHEVAL, en termes de Manege, c'est lui faire augmenter la vîtesse de son allure, ou l'empêcher de la diminuer lorsqu'il la ralentit. Voyez ALLURE. Presser la veine, mal que le maréchal fait à un cheval en le ferrant.
PRESSER, (terme de Tailleur) ils disent presser les coutures, pour signifier passer le carreau sur les coutures.
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PRESSEUR | S. m. (terme de Manufact.) ouvrier dont l'emploi est de presser sous une presse les étoffes, les toiles, les draps, &c. Ceux qui pressent les étoffes de laine sont ordinairement appellés catisseurs, & ceux qui pressent celles de soie & les toiles, sont vulgairement nommés calandreurs. (D.J.)
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PRESSIER | S. m. (Imprimerie) on se sert rarement de ce terme dans l'Imprimerie, quoiqu'il désigne parfaitement l'ouvrier qui travaille à la presse.
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PRESSIGNI | (Géog. mod.) petite ville de France dans la Touraine, sur la riviere de Claire. Il y a un château, un chapitre & une paroisse.
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PRESSION | S. f. (Physiq.) est proprement l'action d'un corps qui fait effort pour en mouvoir un autre ; telle est l'action d'un corps pesant appuyé sur une table horisontale. La pression se rapporte également au corps qui presse & à celui qui est pressé. Ainsi si un corps A fait effort pour mouvoir un autre corps B, on dit la pression du corps A, en parlant de la force que le corps A exerce sur le corps B ; & la pression du corps B, pour désigner ce que le corps B souffre, pour ainsi dire, de cette action.
Pression, dans la philosophie cartésienne, signifie une sorte de mouvement impulsif, ou plutôt de tendance au mouvement imprimé à un milieu fluide & qui s'y propage. Voyez MOUVEMENT, FLUIDE & CARTESIANISME.
C'est dans une pareille pression que consiste, selon les Cartésiens, l'action de la lumiere, voyez LUMIERE, & ces philosophes croyent que la différence des couleurs vient des différentes modifications que reçoit cette pression par la surface des corps sur lesquels le milieu agit. Voyez COULEUR.
Mais M. Newton soutient qu'en cela les Cartésiens se trompent : en effet, si la lumiere ne consistoit que dans une simple pression sans mouvement actuel, elle ne pourroit agiter & échauffer comme elle fait les corps qui la renvoyent & la rompent. Et si elle consistoit en un mouvement instantané qui se répandît à quelque distance que ce fût dans un instant, comme il doit résulter d'une telle pression, il faudroit à chaque instant une force infinie dans chaque particule du corps lumineux pour produire un tel effet.
De plus, si la lumiere consistoit dans une pression ou mouvement propagé dans un fluide, soit en un instant, soit successivement, il s'ensuivroit que les rayons devroient se plier & se fléchir vers l'ombre. Car une pression propagée dans un fluide ne sauroit s'étendre en ligne droite derriere un obstacle qui l'arrête en partie ; mais elle doit se rompre, pour ainsi dire, & se répandre en tout sens devant & derriere le corps qui lui fait obstacle.
Ainsi, quoique la force de la gravité tende de haut en bas, la pression d'un fluide qui vient de cette force agit également en tout sens, & se propage avec autant de facilité en ligne courbe qu'en ligne droite.
Lorsque les vagues qui se forment sur la surface de l'eau viennent à rencontrer quelque obstacle, elles se brisent, se dilatent & se répandent dans l'eau stagnante & tranquille qui est derriere l'obstacle. Les vibrations &, pour ainsi dire, les vagues de l'air qui forment le son, se répandent en tout sens ; car le son d'une cloche ou d'un canon peut être entendu derriere une montagne qui cache l'objet sonore à notre vue ; & le son se répand aussi aisément par des tuyaux courbes que par des tuyaux droits.
Mais on ne remarque point que la lumiere s'étende autrement qu'en ligne droite, ni qu'elle se brise vers l'ombre : car les étoiles fixes disparoissent dès qu'il passe devant elles quelque planete ; de même le Soleil, ou une partie de son disque, est caché par l'interposition du corps de la Lune, de Venus ou de Mercure.
Sur la pression de l'air, voyez AIR & ATHMOSPHERE.
Beaucoup d'effets que les anciens attribuoient à l'horreur du vuide, sont aujourd'hui unanimement attribués à la pression & au poids de l'air.
La pression de l'air sur la surface de la terre est égale à la pression d'une colonne d'eau de même base & d'environ 32 piés de haut, ou d'une colonne de mercure d'environ 28 pouces. Voyez TORICELLI, AIR, BAROMETRE.
La pression de l'air sur chaque pié quarré de la surface de la terre est d'environ 32 fois 70 livres, ou 2240 livres, parce que le poids d'un pié cube d'eau est d'environ 70 livres.
Sur la pression des fluides, voyez FLUIDE & HYDROSTATIQUE. Chambers. (O)
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PRESSOIR | PRESSOIR
Aux environs du concours du sinus longitudinal supérieur avec les deux sinus latéraux, on voit une embouchure qui est quelquefois double, c'est l'orifice d'un sinus enfermé tout-au-long dans l'union de la faulx avec la tente.
Ce sinus a été appellé torcular Herophili, c'est-à-dire, pressoir d'Hérophile, parce que cet ancien auteur s'imaginoit que le sang étoit comme en presse dans la rencontre de ces quatre sinus.
PRESSOIR, s. m. (Critiq. sacrée) en grec , torcular en latin, machine à presser le raisin ; un pere de famille, dit Jesus-Christ, creusa dans la vigne un pressoir, Matt. xxj. 33. C'est que les anciens creusoient sous le pressoir des fossés pour y recevoir le vin qui en découloit, & on le gardoit dans ces fossés jusqu'à ce qu'on le mît en tonneaux ; de-là le terme fodere torcular ; de-là cette autre expression figurée, plenum est torcular ; Joël, iij. 13. pour marquer que les méchans méritent d'être foulés aux piés, comme les raisins le sont dans les pressoirs.
Ce mot se prend encore pour le lieu même où est la machine à presser, Jud. vj. 11. pour le vin, dans Osée, ix. 2. & pour les raisins qui sont foulés dans le pressoir, dans II. Esdr. xiij. 15. De-là l'expression métaphorique de saint Jean, il foulera la cuve du vin de la colere de Dieu ; Apocal. xix. 15.
Pro torcularibus, dénote le tems de la vendange : c'est le titre de plusieurs pseaumes que David composa pour être chantés dans ce tems-là ; mais il y a des critiques qui pensent que le terme hébreu gitthilh, est le nom d'un instrument de musique de la ville de Geth, & que les pseaumes qui portent ce titre, s'adressent au maître de musique de la bande géthéenne, pour en accompagner le chant de ces pseaumes. (D.J.)
PRESSOIR, en Architecture, est un bâtiment qui renferme une machine qui sert à pressurer les fruits pour en tirer la liqueur. Cette machine se nomme en latin torcular.
PRESSOIR, terme de Chaircuitier, c'est une espece de grand saloir dans lequel ils font la salaison de leurs lards.
PRESSOIR, terme d'Eventailliste ; les maîtres Eventaillistes appellent ainsi une pelote de linge fin remplie de coton, dont ils se servent à appliquer l'or ou l'argent en feuilles sur les papiers dont ils font leurs éventails. (D.J.)
PRESSOIR, GRAND, à double coffre, représenté en deux Planches. Ce pressoir est préférable à tous autres à cause de la facilité de son emplacement, qui ne demande que trente piés de longueur sur douze de largeur, & environ dix-huit d'élévation ; & encore parce qu'il n'exige pas de fondation : huit bouquets de pierre, chacun d'un pié & demi quarré en tout sens, suffisent pour le porter.
On a nouvellement perfectionné ce pressoir à coffre, & on l'a rendu d'une grande utilité. C'est à quoi s'est appliqué M. le Gros, prêtre, curé de Marfaux, homme né pour les Mathématiques : cet habile homme a su d'un pressoir lent dans ses opérations, & de la plus foible compression, en faire un qui, par la multiplication de trois roues, comme la premiere Planche le fait voir, dont la plus grande n'ayant que huit piés de diametre, abrege l'ouvrage beaucoup plus que les plus forts pressoirs, & dont la compression donnée par un seul homme l'emporte sur celle des pressoirs à cage & à tessons, serrés par dix hommes qui font tourner la roue horisontale, & sur celle des étiquets serrés par quatre hommes, montant sur une roue verticale de douze piés de diametre. Mais il lui restoit encore un défaut, qui étoit de ne presser que cinq parties de son cube ; de façon que le vin remontoit vers la partie supérieure du cube, & rentroit dans le marc chaque fois qu'on desserroit le pressoir, ce qui donnoit un goût de sécheresse au vin, & obligeoit de donner beaucoup plus de serres qu'à-présent pour le bien dessécher, beaucoup plus même que sous toutes autres especes de pressoir, & sans pouvoir y parvenir parfaitement.
La pression de ce pressoir se faisant verticalement, il étoit difficile de remédier à cet inconvénient ; c'est cependant à quoi j'ai obvié d'une façon bien simple, en employant plusieurs planches faites & taillées en forme de lames à couteaux G G, fig. 3. qui se glissant les unes sur les autres à mesure que la vis serre, contenues par de petites pieces de bois 10 faites à coulisse, arrêtées par d'autres r qui les traversent, font la pression de la partie supérieure, sixieme & derniere du cube. Par le moyen de la seule premiere serre, on tire tout le vin qui doit composer la cuvée ; & en donnant encore trois ou quatre autres serres au plus, on vient tellement à bout de dessécher le marc, qu'on ne le peut tirer du pressoir qu'avec le secours d'un pic & de fortes griffes de fer.
On peut faire sur ce pressoir dix à douze pieces de vin rouge & paillé, jauge de Rheims, & six à sept pieces de vin blanc (trois pieces de vin de cette jauge font deux muids de Paris). Je vais donner ici le détail de toutes les pieces qui composent ce pressoir, le calcul de sa force & la façon d'y manoeuvrer, pour mettre les personnes curieuses d'être en état de les faire construire correctement, de s'en servir avec avantage, & de lui donner une force convenable à la grandeur qu'ils voudront lui donner. Ils pourront, par le moyen de ce calcul, en construire de plus petits qui ne rendront que six ou huit pieces de vin rouge, qui par conséquent pourront aisément se transporter d'une place à une autre, sans démonter autre chose que les roues, & le placer dans une chambre & cabinet ; ou de plus grands qui rendront depuis dix-huit jusqu'à vingt pieces de vin, & pour la manoeuvre desquels on ne sera pas obligé d'employer plus d'hommes que pour les plus petits. Deux hommes seuls suffisent, l'un pour serrer le pressoir, même un enfant de douze ans ; & l'autre pour travailler le marc & placer les bois qui servent à la pression.
On suppose les deux coffres remplis chacun de leur marc. Le premier étant serré pendant que le vin coule (on sait qu'il faut donner entre chaque serre un certain tems au vin pour s'écouler) ; le second se trouvant desserré, on rétablit son marc : ensuite de quoi on le resserre, & le premier se desserre ; on en rétablit encore le marc & on le resserre, & ainsi alternativement. Voyez fig. 1. Pl. premiere.
Détail des bois nécessaires pour la construction d'un pressoir à double coffre, capable de rendre douze pieces de vin rouge pour le moins ; ensemble des ferremens & cousinets de cuivre, & bouquets de pierre pour le porter. Je donne à ces bois la longueur dont ils ont besoin pour les mettre en oeuvre, & je désigne chacune des pieces par lettres alphabétiques dans les Pl. savoir, six chantiers PPP (fig. 1. & 2.), chacun de onze piés de longueur, sur quatorze pouces d'une face, & neuf de l'autre, en bois de brin.
Quatre faux chantiers L, chacun de neuf piés de longueur, sur quatorze d'une face, & neuf de l'autre, en bois de brin.
Huit jumelles 13, dont quatre de six piés six pouces de longueur, & les quatre autres 13 8, de douze piés, toutes de sept pouces sur chaque face, en bois de sciage.
Huit contrevents k, chacun de trois piés six pouces de longueur, & de sept pouces sur chaque face, en bois de sciage.
Deux chapeaux m n, chacun de cinq piés huit pouces de longueur, & de sept pouces sur chaque face, en bois de sciage.
Deux autres chapeaux 10 10, de sept piés de longueur, pour relier ensemble deux à deux les longues jumelles qui composent le beffroi, & les fixer aux poutres 12 12, de la charpente du comble du lieu où le pressoir est placé.
Quatre chaînes t s, de neuf piés sept pouces chacune de longueur, sur cinq pouces d'une face, & quatre de l'autre, en bois de brin très-fort.
Je distingue le bois de brin d'avec le bois de sciage. J'entends par bois de brin, le corps d'un arbre bien droit de fil, & sans noeuds autant qu'il est possible, équarri à la hache ; on le choisit de la grosseur qu'on veut qu'il ait après l'équarrissage : & par bois de sciage, un arbre le plus gros qu'on peut trouver, & que par économie on équarrit à la scie, pour en tirer des pieces utiles au même ouvrage, ou pour d'autres, & qui n'a pas besoin d'être de droit fil.
Six brebis r r, fig. 2. & 3. chacune de cinq piés de longueur, sur six pouces de toutes faces, en bois de brin.
Le dossier y, fig. 2. & 3. composé de quatre dosses, chacune de trois piés de longueur, sur neuf pouces six lignes de largeur & trois pouces d'épaisseur, en bois de sciage.
Le mulet q, composé de trois pieces de bois jointes à languette, faisant ensemble trois piés deux pouces de largeur sur six pouces d'épaisseur & trois piés de hauteur, en bois de brin très-roide.
Quatre flasques 14, chacune de dix piés de longueur, sur deux piés huit pouces de largeur & cinq pouces d'épaisseur, en bois de sciage ; mais le plus de fil qu'il sera possible.
Chaque flasque peut être composée de deux pieces sur la largeur, si on n'en peut pas trouver d'assez large en un seul morceau ; mais il faut pour-lors prendre garde de donner plus de largeur à celle d'en-haut qu'à celle d'en-bas, parce que la rainure qu'on est obligé de faire en-dedans de ces flasques se trouve directement au milieu dans toute la longueur. Cette rainure sert pour diriger la marche du mulet, & le tenir toujours à même hauteur.
Neuf pieces de maie y y y y, chacune de neuf piés de longueur, sur dix pouces huit lignes de largeur & huit pouces d'épaisseur, en bois de sciage. Elles seront entaillées de trois pouces & demi, ou même de quatre pouces, pour former le bassin & donner lieu au vin de s'écouler aisément sans passer par-dessus les bords ; le milieu du bassin aura un pouce moins de profondeur que les bords : c'est pourquoi on pourra lever avec la scie à refendre sur chacune de ces maies, une dosse de deux pouces neuf lignes d'épaisseur, le trait de scie déduit, & de sept piés environ de longueur. L'entaille du bassin aura tout-autour environ un pié ou quinze pouces de talut, sur les quatre pouces de profondeur.
Six coins z, de deux piés chacun de longueur, sur six pouces d'épaisseur d'une face, & deux pouces d'autres pour serrer les maies dans les entailles des chantiers.
Le mouton D, fig. 2. & 3. de deux piés quatre pouces de hauteur, sur huit pouces d'épaisseur & deux piés de largeur, en bois de noyer ou d'orme très-dur. On y pratiquera un fond de calotte d'un pouce de profondeur, à l'endroit contre lequel la vis presse. S'il peut y avoir quelque noeud en cet endroit, ce n'en sera que mieux, sinon on appliquera un fond de calotte de fer, qu'on arrêtera avec des vis en bois mises aux quatre extrêmités. J'entends par vis en bois, de petites vis de fer qu'on fait entrer dans le bois avec un tourne-vis ; ces vis auront deux pouces de longueur.
Onze coins E E, fig. 2. & 3. autrement dit pousse-culs, de deux piés quatre pouces de hauteur, sur dix-huit pouces de largeur, faisant ensemble cinq piés d'épaisseur, dont neuf de six pouces d'épaisseur, un de quatre pouces, & un autre de deux pouces. Et afin que l'un ne s'écarte pas de l'autre, on les fera à rainure & à languette, comme on le voit en la fig. 2. Planche premiere.
Six pieces de bois p p p, servant d'appui au dossier, de cinq piés de longueur, & de six pouces d'épaisseur sur chaque face, en bois de brin.
Quatre mouleaux 10, fig. 3. servant à la pression supérieure du marc, chacun de trois piés quatre pouces de longueur, sur six pouces d'une face, & quatre pouces six lignes d'autre, en bois de sciage, & à rainure & languette.
Quatre autres mouleaux, chacun de deux piés trois pouces de longueur ; du reste de même que les précédens, & pour le même usage.
Quatre autres mouleaux, de dix-huit pouces de longueur ; du reste de même que les précédens.
Quatre autres mouleaux, chacun de neuf pouces de longueur ; du reste de même que les précédens. On pourra en avoir de plus courts, si on juge en avoir besoin, tels que les suivans.
Quatre autres mouleaux, chacun de six pouces de longueur ; du reste de même que les précédens, & autant pour l'autre coffre.
Douze planches à couteau G G, fig. 3. de trois piés deux pouces de longueur, sur deux pouces d'épaisseur d'un côté & six lignes d'autre, & environ de huit pouces de largeur, à l'exception de deux ou trois auxquelles on ne donnera que quatre à cinq pouces.
Cinq chevrons x x x x x, fig. 1. & 3. chacun de trois piés deux pouces de longueur sur chaque face, pour porter le plancher.
Quatre planches de six piés six pouces de longueur, sur neuf pouces six lignes de largeur & un pouce d'épaisseur, de bois de chêne, pour le plancher.
Deux écrous u u, dans toutes les figures, de bois de noyer ou d'orme, de cinq piés de longueur, sur vingt pouces de hauteur & quinze d'épaisseur.
Deux vis de bois de cormier C D d'une seule piece, de dix piés de longueur, de neuf pouces de diametre sur le pas, de onze pouces de diametre pour ce qui entre dans le quarré des embrassures, & de quatorze pouces pour le repos.
La grande roue A B, de huit piés de diametre, composée de quatre embrassures, de huit piés de longueur chacune ; de quatre fausses embrassures, de deux piés quatre pouces chacune de longueur ; de quatre liens, de deux piés de longueur chacun. La circonférence au-dehors de la roue, non-compris les dents, sera de vingt-cinq piés six pouces six lignes ; elle doit être partagée en huit courbes, à chacune desquelles il faut donner trois piés un pouce huit lignes de longueur, & quatre pouces pour le tenon de chacune : les embrassures & les courbes doivent avoir six pouces d'épaisseur en tout sens.
Une autre roue E, de cinq piés cinq pouces de diametre, composée de quatre embrassures, chacune de cinq piés quatre pouces six lignes de longueur. La circonférence sera de dix-sept piés un pouce ; elle doit être partagée en quatre courbes, à chacune desquelles il faut donner quatre piés trois pouces trois lignes de longueur, & quatre pouces pour le tenon de chacune : les embrassures & les courbes doivent avoir quatre pouces six lignes d'épaisseur en tout sens.
Une autre roue G, de trois piés neuf pouces de diametre, composée de quatre embrassures, chacune de trois piés huit pouces quatre lignes de longueur. La circonférence sera de onze piés dix pouces ; elle doit être partagée en quatre courbes, à chacune desquelles il faut donner onze pouces une ligne de longueur en-dehors, & trois pouces pour le tenon de chacune : les embrassures & les courbes doivent avoir trois pouces six lignes d'épaisseur en tout sens.
Le pignon D E de la moyenne roue, de cinq piés de longueur, de quinze pouces six lignes de diametre sur le quarré des embrassures, & de cinq pouces de diametre pour chaque boulon ; celui du côté des roues, de quatre pouces ; le repos vers la roue, de neuf pouces six lignes de longueur ; les fuseaux, de dix pouces de longueur, & de deux pouces six lignes de grosseur ; le bout qui porte la crête de fer, de deux pouces six lignes de diametre. Le même pignon aura huit fuseaux.
Le pignon FG de la petite roue, de trois piés de longueur, de quatorze pouces de diametre sur les fuseaux, de neuf pouces sur le quarré des embrassures, de quatre pouces de diametre pour chaque boulon ; le repos vers la roue, de huit pouces ; les fuseaux, de six pouces six lignes de longueur, & deux pouces six lignes de grosseur ; le bout qui porte la crête, d'un pouce six lignes de diametre. Le même pignon aura sept fuseaux.
Le pignon H K de la manivelle, d'un pié & onze pouces de longueur, de treize pouces six lignes de diametre sur les fuseaux ; le boulon du côté du coffre, de quatre pouces de longueur, & celui de la manivelle, de huit pouces ; les fuseaux, de cinq pouces de longueur, & de deux pouces six lignes de grosseur. Le même pignon aura six fuseaux.
La grande roue doit avoir 64 dents ; les dents doivent avoir deux pouces & demi de diametre, trois pouces six lignes de longueur en-dehors des courbes ; deux pouces de diametre, & six pouces de longueur, pour ce qui est enchâssé dans les courbes.
La moyenne roue doit avoir 42 dents ; les dents doivent avoir deux pouces & demi de diametre, trois pouces six lignes de longueur en-dehors des courbes ; deux pouces de diametre, & quatre pouces de longueur pour ce qui est enchâssé dans les courbes.
La petite roue doit avoir 32 dents ; les dents doivent avoir deux pouces & demi de diametre, & trois pouces six lignes de longueur en-dehors des courbes ; un pouce neuf lignes de diametre, & trois pouces six lignes pour ce qui est enchâssé dans les courbes.
Le béfroi qui porte les roues & les pignons, est formé par les quatre longues jumelles de quinze piés de longueur sur sept pouces d'épaisseur pour chaque face ; de deux chapeaux 10, 10, de sept piés de longueur sur même épaisseur.
La manivelle, de bois ou de fer.
Huit bouquets ou piédestaux de pierre M dure non gelée, de 15 pouces d'épaisseur de toutes faces, pour porter les quatre faux chantiers du pressoir.
Deux autres bouquets de même pierre, de deux piés de longueur sur un pié de largeur, & un pié trois pouces d'épaisseur.
Si l'on craint que les boulons de bois des pignons s'usent trop vîte, par rapport à leurs frottemens, on peut y en appliquer de fer d'un pouce & demi de diametre, qu'on incrustera quarrément dans les extrêmités de ces pignons, de six ou même huit pouces de longueur. On leur donnera au-dehors un pouce & demi de diametre, & la longueur telle qu'on l'a donnée ci-devant aux boulons de bois.
Dans le cas que l'on se serve de boulons de fer au lieu de ceux de bois, il faudra aussi y employer des coussinets de cuivre de fonte pour chaque boulon. Ces coussinets pourront peser environ trois livres chacun.
Il n'y a point de différence dans la composition des deux coffres ; ainsi le détail que j'ai donné pour la composition de l'un, peut servir pour l'autre.
La vis a, comme nous avons dit, dix piés de longueur ; ces deux coffres ou pressoirs auront quatre piés & demi de distance entre les longues jumelles, pour l'aisance du mouvement.
La grande roue A B tiendra sa place ordinaire ; la moyenne roue E sera placée sur le devant, audessus de la grande ; & la petite G, sur le derriere, de quelque peu plus élevée que la moyenne. Celui qui tourne la manivelle, sera placé sur une espece de balcon G t qui sera dressé au-dessus de l'écrou, du côté gauche.
Le pignon E D de la moyenne roue aura six piés, compris les boulons, du reste du même diametre sur la circonférence des fuseaux, sur le quarré des embrassures pour chaque boulon. Les deux boulons auront chacun une égale longueur d'un pié.
Le pignon F G de la petite roue aura cinq piés quatre pouces de longueur, compris les boulons ; du reste de même diametre sur la circonférence des fuseaux, sur le quarré des embrassures, & pour chaque boulon. Les deux boulons auront chacun une égale longueur de huit pouces.
Le pignon H K de la manivelle aura cinq piés huit pouces de longueur, compris les boulons ; du reste, de même diametre sur la circonférence des fuseaux, sur le quarré des embrassures, & pour chaque boulon. Le boulon de la manivelle aura un pié de longueur, & celui de l'autre bout, huit pouces.
Les fuseaux du pignon de la moyenne roue, au nombre de huit, auront deux piés dix pouces de longueur, & deux pouces six lignes de grosseur.
Ceux du pignon de la petite roue, au nombre de sept, auront huit pouces de longueur, & deux pouces six lignes de grosseur.
Ceux du pignon de la manivelle, au nombre de six, auront cinq pouces de longueur, & deux pouces six lignes de grosseur.
Les quatre montans 8, 13, qui portent tout le mouvement, ont chacun quinze piés de hauteur, non compris les tenons, & sept pouces de largeur. Ces quatre montans seront maintenus par le haut à deux poutres 12, 12, qui forment le plancher.
On couvrira de planches, si on le juge à propos, l'espece de béfroi que forment ces quatre montans, ou on les arrêtera aux solives du plancher.
Calcul des forces du mouvement. Sans avoir égard aux arrangemens que peuvent avoir les différentes pieces d'une machine, soit une vis b *, dont la hauteur du pas est n, servant d'axe à une roue c, à laquelle on transmet le mouvement de l'agent par le moyen de deux roues d, e, & de trois pignons f, g, h, dont le dernier a même axe que la manivelle m, qu'on peut regarder comme une nouvelle roue, suivant la tangente de laquelle tire la puissance qui doit mouvoir la vis.
Toute la machine étant supposée en équilibre, la puissance, que nous appellerons o, sera en équilibre avec l'effort qui se fait au point p, de la dent de la roue c, lorsqu'elle est rencontrée par l'aîle du pignon. Ainsi appellant p cet effort, & f, g, h, d, e, m, les rayons des pignons & des roues de même nom, on aura cette proportion qu'on ne sauroit démontrer ici. o : p : : g x h x f : d x e x m ; l'effort p sera aussi en équilibre avec la résistance du marc, qui peut être regardé comme un poids placé sur les filets d'une vis verticale ; puisque son action est dirigée suivant l'axe de la vis qu'on suppose ici horisontale : appellant donc c, le rayon de la grande roue, circ. c. sa circonférence, & r la résistance dont il s'agit ; on aura p : r : : n. circ. c ; multipliant ces deux proportions par ordre ; on trouvera que o : r : : g x h x f x n : d x e x m x circ ; cette analogie qu'on doit regarder comme démontrée, indique que la puissance appliquée à la manivelle, est à la résistance causée par le marc, comme le produit des rayons des pignons par le pas de la vis, est au produit de la circonférence de la roue de la vis par les rayons des autres roues ; c'est-à-dire que si la puissance est représentée par le premier produit, elle sera capable, pour peu qu'on l'augmente, d'emporter la resistance représentée par le dernier.
Il est facile à-présent de tirer de ce rapport général, celui qu'on auroit, en supposant que les valeurs des lettres qui y entrent sont données. Voici les valeurs.
Faisant donc la substitution, on aura au lieu de o : r : : g x h x f x n : d x e x m x circ c, o : r : : (5 x 3/4) x (4 x 9/10) x (6 x 1/4) x 3 x : (34 x 1/2) x (24 x 1/2) x 7 x (314 2/7) ; ou : : 528 x 9/32 : 1859550, ou : : 25 : 88000 ; c'est-à-dire que si la puissance appliquée à la manivelle employe une force de 25 livres, elle pourra faire équilibre avec une résistance équivalente à un poids de 88000 livres, qui agiroit suivant la même direction qu'elle.
Si l'on vouloit avoir la force qu'il seroit nécessaire d'appliquer tangentiellement à la circonférence de la roue c, pour faire équilibre avec la même résistance, on la trouveroit par cette proportion 314 + 2/7 : 3 : : 88000 livres : p ; desorte que l'on auroit cette force que nous avons appellée p, égale à 840 livres, qui équivalent à la force de 33 hommes & 3/5, qui n'employeroient que celle des muscles, ou au poids de 5 hommes 3/5, supposé qu'ils agissent de toute leur pesanteur, que l'on fixe ordinairement à 150 liv. Ce rapport seroit exact & l'expérience repondroit au calcul, si l'on n'avoit point de frottemens à considerer ; mais ils se trouvent dans toutes les machines & en dérangent toutes les proportions ; en sorte que si l'on les calculoit, on trouveroit, comme cela arrive, que la même puissance de m ne seroit capable de faire équilibre qu'avec une résistance beaucoup moindre que 88000 liv.
La considération des frottemens, jointe à celle de la multiplication des roues & des pignons dans le pressoir, pourroit donner du soupçon sur sa bonté : le tems que l'homme est obligé d'employer pour faire faire un tour à la vis (car il est aisé de trouver, en divisant le produit des dents des roues par celui des aîles des pignons, que la manivelle doit faire 240 tours, pour que la vis en fasse un), pourroit même les augmenter ; mais il est facile de repondre à ces deux difficultés. Tous les pressoirs, soit qu'ils ayent un rouage, soit qu'ils n'en ayent point, ont une vis qui en est la principale piece : or, comme c'est elle qui produit le plus grand frottement, il est facile de voir que celui qui viendra des dents des roues lorsqu'elles frottent contre les aîles des pignons, joint à celui de leurs tourillons, ne sera pas à beaucoup près assez considérable pour absorber l'avantage que tirera la puissance des roues & des pignons que nous avons ajoutés aux pressoirs ordinaires. Là le tems d'une serre n'étant pas absolument déterminé, surtout quand on fait du vin rouge, il est évident que sa considération ne diminuera en rien la perfection du pressoir.
D'ailleurs la résistance que le marc oppose à la puissance, devenant d'autant plus considérable que la pression augmente dans le commencement de la serre, l'agent n'a point encore besoin d'être soulagé, ainsi on l'applique immédiatement à la roue A B, & l'on fait cesser l'engrenage en levant le pignon D E, par le moyen de deux leviers, sur une extrêmité desquels on fait reposer les tourillons.
La remarque que nous venons de faire par rapport aux frottemens, nous conduit naturellement à en faire deux autres pour les diminuer, ou du moins pour en diminuer l'effet. Les frottemens étant d'autant plus considérables, que les parties élevées d'une surface entrent plus avant dans les endroits creux de l'autre, & qu'elles s'en retirent plus difficilement, ce sera toujours une bonne pratique de mettre entre les deux surfaces qui frottent, une graisse qui remplisse les endroits creux, qui puisse faire l'office d'une quantité de petits rouleaux que l'on sait avoir la propriété de diminuer considérablement les frottemens. Pour s'en donner un exemple sensible, il n'y a qu'à considérer ce que font les ouvriers pour se faciliter le transport d'une grosse piece de bois, ils ne manquent jamais de placer sous cette piece de bois des rouleaux. Il seroit aussi à-propos d'employer des tourillons d'un diametre le plus petit qu'il seroit possible ; car ces tourillons n'offrant alors aux frottemens de leurs surfaces que des bras de levier, petits autant qu'ils peuvent l'être, ils en diminueront considérablement l'effet.
De la façon de manoeuvrer, en se servant des pressoirs à coffre simple & double. J'ai dejà dit qu'il ne falloit que deux hommes seuls pour les opérations du pressurage, soit que la vendange soit renfermée dans une cuve, soit dans des tonneaux. On doit l'en tirer aussitôt qu'on s'apperçoit qu'elle a suffisamment fermenté, pour la verser dans le coffre du pressoir. Pour cet effet, le pressureur sortira la vis du coffre, de façon que son extrêmité effleure l'écrou du côté du coffre, il placera le mouton D, contre l'extrêmité de cette vis, & le mulet q, fig. 2. & 3. contre le mouton. Le coffre restant vuide depuis le mulet jusqu'au dossier, sera rempli de la vendange, & du vin même de la cuve ou des tonneaux. Il aura soin, à mesure qu'il versera la vendange, de la fouler avec une pilette quarrée, pour y en faire tenir le plus qu'il lui sera possible. S'il n'a pas suffisamment de vendange pour emplir ce coffre, c'est à lui de juger de la quantité qu'il en aura : si cette quantité est petite, il avancera le mulet vers le dossier autant qu'il le croira nécessaire, & placera entre le mouton & la vis autant de coins E, qu'il en sera besoin. Le coffre rempli de vendange jusqu'au haut des flasques, il rangera sur le marc des planches à couteaux G G, autant qu'il en faudra, les extrêmités vers les flasques, les couvrant environ de 2 à 3 pouces l'une sur l'autre ; ensuite il placera sur les planches en travers les mouleaux 10, suivant la longueur du marc, & d'une longueur convenable. Enfin il posera en travers de ces mouleaux, une, deux, ou trois pieces de bois r r, qu'on nomme brebis, sous les chaînes qui se trouvent au-dessus des flasques, & emmanchées dans les jumelles, de façon qu'on puisse les retirer quand il est nécessaire, pour donner plus d'aisance à verser la vendange dans ce coffre.
Toutes ces différentes pieces dont je viens de parler, doivent se trouver à la main du pressureur, de façon qu'il ne soit pas obligé de les chercher, ce qui lui feroit perdre du tems. C'est pourquoi il aura toujours soin, en les retirant du pressoir, de les placer à sa portée, sur un petit échafaud placé à côté de ce pressoir.
Cette manoeuvre faite, il dégagera la grande roue de l'axe de la moyenne. Son compagnon & lui tourneront d'abord cette roue à la main, & ensuite au pié en montant dessus, jusqu'à ce qu'elle résiste à leur effort : pour lors ils descendront l'axe de la moyenne roue, pour la faire engrener avec la grande roue, & remettront les boulons à leurs places pour empêcher cet axe de s'élever par les efforts de cette grande roue, & l'un d'eux fera marcher la manivelle, qui donnera le mouvement aux trois roues & à la vis, qui poussera le mouton, les coins & le mulet contre le marc.
Le maître pressureur aura soin de ne point trop laisser sortir la vis de son écrou, de peur qu'elle ne torde : c'est une précaution qu'il faut avoir pour toutes sortes de pressoirs. Quand il verra que la grande roue approchera des extrêmités des flasques de quelques pouces, il détournera cette roue après l'avoir dégagée de l'axe de la moyenne roue, de la façon que nous l'avons dejà dit. Il remettra encore quelques coins, & ayant remis l'axe en sa place ordinaire, il tournera la roue & ensuite la manivelle. De cette seule serre, il tirera du marc tout le vin qui doit composer la cuvée, qu'il renfermera à-part dans une cuve ou grand barlon, dont je parlerai à la suite de cet article, & de la façon que je le dirai.
Cette serre finie, il desserrera le pressoir, ôtera un coin, reculera le mulet de l'épaisseur de ce coin, & fera par ce moyen un vuide entre le mulet & le marc, ce qui s'appelle faire la chambrée ; il retirera les brebis, les mouleaux & les planches à couteau, après quoi il levera avec une griffe de fer à trois dents, la superficie du marc à quelques pouces d'épaisseur qu'il rejettera dans la chambrée, & qu'il y entassera avec une petite pilette de 4 pouces d'épaisseur sur autant de largeur, & sur 8 pouces de longueur : il emplira cette chambrée au niveau du marc, ensuite de quoi il le recouvrira comme ci-devant, des planches à couteaux, des mouleaux & des brebis, & donnera la seconde serre comme la premiere. Trois ou quatre serres données ainsi, suffisent pour dessécher le marc entierement.
Le marc ainsi pressé dans les six parties de son cube, le vin s'écoule par les trous 14. 14. des flasques & du plancher, se repandant sur les mayes, & ensuite par la goulette, sous laquelle on aura placé un petit barlon Q, pour le recevoir.
Pour empêcher le vin qui passe par les trous des flasques, de rejaillir plus loin que le bassin, & le pressureur de salir de la boue qu'il peut apporter avec ses piés, le vin qui coule sur le bassin, on pourra se servir d'un tablier fait de volille de bois blanc, comme le plus léger & le plus facile à manier, qu'on mettra contre les flasques devant & derriere le coffre, & qui couvrira le bassin.
Les deux ou trois dernieres serres donneront ce qu'on appelle le vin de taille & de pressoir, ou de derniere goutte ; il faut mettre à-part ces deux ou trois especes de vins, pour être chacune entonnée séparément dans des poinçons.
Je préviens le maître pressureur, que quand il aura desserré son pressoir, il aura de la peine à faire sortir les brebis de leur place, à cause de la forte pression ; c'est pourquoi je lui conseille de se pourvoir d'une masse de fer X, pour les chasser & retirer. Le marc étant entierement desséché & découvert, on le retirera du coffre ; on se servira pour l'arracher d'un pic de fer, de la graisse dont j'ai dejà parlé, & de la pelle ferrée.
Supposé qu'on se serve de ce pressoir à coffre, on peut égrapper à fait les raisins dans les tonneaux ; ce qu'on ne peut faire en se servant des autres pressoirs, sur lesquels une partie des grappes est nécessaire pour lier le marc, qui, sans ce secours, s'échapperoit de toutes parts à la moindre compression.
En égrappant à fait ces raisins dans le tonneau ou dans la cuve, on pourroit les laisser cuver plus longtems : on n'auroit plus lieu de craindre que la chaleur de la cuve ou des tonneaux, emportant la liqueur acide & amere de la queue de la grappe, la communique au vin, ce qui rendroit le goût insupportable.
Toute espece de vin, sur-tout le gris, demande d'être fait avec beaucoup de promtitude & de propreté, ce qui ne se peut facilement faire sur tous les pressoirs dont il est parlé ci-devant, les Pressureurs amenent avec le pié beaucoup de saleté & de boue qui se répandent dans le vin ; ce qui y cause un dommage plus considérable qu'on ne pense, sur-tout pour le marchand qui l'achete sur la lie, comme les vins blancs de la riviere de Marne, où ce défaut a plus lieu que par-tout ailleurs.
Les forains ou vignerons de la riviere de Marne diront tant qu'il leur plaira, que le vin, trois ou quatre jours après qu'il est entonné, jettera en bouillant ce qu'il renferme d'impur. Ils ne persuaderont pas les personnes les plus expérimentées dans l'art de faire du vin, qu'il puisse rejetter cette boue, la partie la plus pesante & la plus dangereuse de son impureté : cela est impossible.
Peut-être ceux d'entr'eux qui se flattent & se vantent de mieux composer & façonner leur vin, repliqueront-ils qu'ils mettent à part la premiere goutte qui coule depuis le moment qu'ils ont fait mettre le vin sur le pressoir, jusqu'à l'instant auquel on donne la premiere serre, & qu'ils ne souffrent pas que cette premiere goutte entre dans leur cuvée. On veut bien les croire ; mais combien y a-t-il de gens qui prennent cette sage & prudente précaution ?
On évite ce danger, cet embarras, cette perte presque totale de la premiere goutte de ce vin, qui ne doit dans ce cas trouver place que dans les vins de détour, en se servant du pressoir à coffre. Il est encore d'une très-grande utilité pour les vins blancs : quoi de plus commode ? On apporte les raisins dans le coffre avec les paniers ou barillets ; on n'en foule aucuns au pié, on les range avec la main. On pose des planches de volige devant & derriere le coffre, & dessus les maîs, ce qui forme ce que nous appellons tablier, dont nous avons parlé ci-devant, de façon que les pressureurs marchent dessus ces planches, & que le vin s'écoule dessous elles sans qu'aucunes saletés puissent s'y mêler, & que celui qui sort des trous des flasques puisse incommoder ni rejaillir sur les ouvriers.
A l'égard des autres pressoirs, on est obligé de tailler à chaque serre le marc, avec une bêche bien tranchante ; la grappe de ce raisin étant donc coupée, elle communique au vin la liqueur acide & amere qu'elle renferme, ce qui le rend âcre, surtout dans les années froides & humides.
Dans l'usage du pressoir à coffre, on ne taille pas le marc ; on ne tire par conséquent que le jus du raisin : on ne doit pas douter que la qualité du vin qu'on y fait, ne l'emporte de beaucoup sur toute autre, joint à ce que le vin ne rentre pas dans le marc, & qu'il est fait plus diligemment.
Manoeuvre du pressoir à double coffre. Les opérations sont les mêmes que celles du seul coffre, à la différence qu'elles se font alternativement sur les deux coffres ; c'est-à-dire qu'en serrant l'un on desserre l'autre, & que tandis que celui qui est serré s'écoule, ce qui demande un bon quart-d'heure, on travaille le marc de l'autre coffre, de la façon que je l'ai dit précédemment.
Ce double pressoir ne demande point une double force, c'est pourquoi il ne faut pas davantage de pressureurs que pour le seul coffre, & cependant il donne le double de vin. Ces opérations demandent une grande diligence. Moins le vin restera dans le marc, meilleur il sera.
Il ne faut pas plus de deux ou trois heures pour le double marc, au-lieu que dans l'usage des pressoirs à pierre ou à tessons, & de tous autres, il faut dixhuit à vingt heures pour leur donner une pression suffisante.
Pour donner cette pression aux pressoirs à pierre ou à tesson, il faut quelquefois dix à douze hommes ; pour les étiquets, s'il ont une roue verticale, quatre hommes ; au-lieu que pour celui-ci deux seuls suffisent.
Sur les gros pressoirs, un marc auquel en le commençant on donne ordinairement deux piés, ou deux piés & demi d'épaisseur, se réduit à la fin de la pression à moitié ou un tiers au plus d'épaisseur, c'est-à-dire à quinze ou douze pouces au plus ; & sur les pressoirs à coffre, la force extraordinaire qu'on employe dans sa pression, réduit le marc de sept piés de longueur, à quinze ou dix-huit pouces de longueur. Je parle ici de longueur au-lieu d'épaisseur, parce que la vis pressant horisontalement dans le coffre, au contraire des autres pressoirs qui pressent verticalement, je dois mesurer la pression par la longueur, qui simule l'épaisseur dans tous les autres pressoirs.
Il est certain, & les personnes qui en feront usage éprouveront, que sur un marc de douze à quinze pieces de vin, il y a dans l'usage de celui-ci, par la forte pression, une piece, ou au-moins une demi-piece de vin à gagner. Cela indemnise des fraix du pressurage & au-delà.
Il y a encore beaucoup à gagner pour la qualité du vin, qui ne croupit pas dans son marc, & n'y repasse pas. Cela mérite attention. Joint à ce qu'avec deux hommes on peut faire par jour sur ce double pressoir six marcs, qui rendront chacun quinze poinçons de vin par chaque coffre, ce qui fera en tout cent quatre-vingt poinçons ; au-lieu que sur les autres pressoirs on ne peut en faire que quinze ou vingt pieces par jour, si l'on veut que le marc soit bien égoutté. Il suffira de faire travailler les pressureurs depuis quatre ou cinq heures du matin jusqu'à dix heures du soir. Ils auront un tems suffisant pour manger & se reposer entre chaque marc. Ainsi celui qui se sert des pressoirs à pierre ou à tesson, ne peut faire ces cent quatre-vingt poinçons, à vingt par jour, qu'en neuf jours : neuf journées de douze hommes, à trois livres par jour tant pour salaire que pour nourriture de chacun des douze hommes, font trois cent vingtquatre livres, au-lieu qu'une journée de deux hommes à même prix, ne fait que six livres. Ne dépenser que six livres au-lieu de trois cent vingt-quatre, voilà un avantage considérable de se servir de ce nouveau pressoir, sans parler de la meilleure qualité & de l'augmentation de la production, qui font un bénéfice très-grand. Un propriétaire d'un lot de vigne considérable, doit être persuadé que ces trois objets suffisent pour l'indemniser dès la premiere année de la dépense d'un semblable pressoir.
Entonnage des vins. Il y a des précautions à prendre pour la conservation des pressoirs, cuves, barlons, & autres vaisseaux & instrumens qui y servent. Toutes ces opérations finies, on doit bien laver le pressoir & tout ce qui en dépend, le frotter avec des éponges, ainsi que les cuves & autres vaisseaux qui restent ouverts pendant toute l'année, & les bien laisser secher avant de les renfermer.
Quant aux barlons fermés à double fond, il faut les laver & rincer en les roulant & agitant beaucoup. On peut même se servir d'une espece de martinet, qui est un bâton d'un pouce de diamêtre, & de quatre piés de longueur, au bout duquel on attache un nombre suffisant de petites cordelettes plus ou moins longues l'une que l'autre, qui ont à leurs extrêmités de petites lames de fer. On fait passer ce martinet par l'ouverture du fond ; on le fait descendre jusqu'en bas du vaisseau, & en lui faisant parcourir toute l'étendue des fonds & des côtés, on en détache plus facilement la lie. A l'égard des tonneaux ou trentains ; on peut les laver, frotter & bien rincer étant défoncés, & les renfoncer après les avoir fait bien sécher. Il faut être soigneux d'en boucher exactement toutes les ouvertures. Après avoir pris ces précautions, on peut les renfermer dans la halle du pressoir. Enfin on n'y doit rien renfermer qui ne soit net & bien sec, de crainte de la moisissure ; il faut encore avoir soin de laisser beaucoup d'air au pressoir, en y pratiquant plusieurs fenêtres fermées seulement de barreaux de fer ou de bois.
De la façon d'entonner les vins. Entonner les vins promtement, donner à chaque poinçon une même quantité de vin sans pouvoir nullement se tromper, & d'une qualité parfaitement égale, en entonner trente ou quarante pieces en un espace de tems aussi court que pour entonner une seule piece, & par une seule & même personne, sans agiter le vin nullement, sans pouvoir en répandre aucunement, & en le préservant de la corruption de l'air ; c'est, j'ose l'assurer, ce qu'on n'a pas encore vû jusqu'ici, & qui sembleroit impossible, & ce que je vais cependant démontrer si sensiblement, que je suis persuadé que mon lecteur n'appellera pas de ma dissertation à l'expérience.
Personne ne doit ignorer que l'air & la lie sont la peste du vin, comme nous le dit M. Pluche, dans son Spectacle de la nature, tom. II. pag. 368. On ne doit donc pas négliger de l'en garantir le plus tôt qu'il est possible. Je vais donner des regles pour prévenir le premier de ces inconvéniens : je déduirai les moyens de prévenir l'autre, lorsqu'il sera question du gouvernement des vins.
La façon ordinaire, que je ne puis me dispenser de blâmer, se pratique, à-peu-près du moins mal au mieux possible dans chaque vignoble du royaume. Le vin de cuvée coulant du pressoir dans un moyen barlon entierement découvert, & qu'on place sous la goulette, les uns le tirent de ce barlon, à mesure qu'il se remplit, avec des seaux de bois ; les autres avec des chauderons de cuivre, qui, faute d'être bien récurés chaque fois qu'on cesse de s'en servir, communiquent leur verd-de-gris au vin dont on remplit les poinçons, le transportent dans un grand barlon aussi découvert, ou dans plusieurs autres moyens vaisseaux, suivant leurs commodités : ils tirent ensuite, & de la même façon, du barlon de la goulette, les vins de taille & de pressoir, les transportent pareillement dans d'autres vaisseaux, chacun en particulier.
Les vins de cuvée, de taille & de pressoir faits, les pressureurs les transportent, d'abord celui de cuvée & ensuite les autres, dans le cellier ; & les entonnent dans des poinçons rangés sur des chantiers couchés sur terre, & souvent peu solides.
Un homme au barlon emplit les hottes ; deux autres les portent au cellier, & les versent dans de grands entonnoirs de bois placés sur les poinçons, & en portent dans chaque hottée deux ou trois seaux, lesquels seaux peuvent contenir chacun environ treize à quatorze pintes, mesure de Paris ; un autre se tient au cellier pour changer les entonnoirs à mesure qu'on verse une hottée dans chaque poinçon, & il a soin de marquer chaque hottée sur la barre du poinçon pour ne se pas tromper ; ce qui leur arrive cependant fort souvent. Quand les deux porteurs de hottes ont versé chacun une hottée de vin dans chaque poinçon (cela s'appelle en Champagne faire une virée), ils recommencent une autre virée dans les mêmes poinçons, & ils continuent de même jusqu'à ce que tout le vin soit entonné. Si après une premiere, seconde, ou troisieme virée, il reste quelque vin dans le barlon, & qu'il y ait encore quelques moyens vaisseaux à vuider, & dont le vin doive être entonné dans les mêmes poinçons, le pressureur placé au barlon, verse le vin de ces moyens vaisseaux dans le grand barlon, & avec une pelle de bois le remue fortement pour le bien mêlanger avec celui qui étoit resté dans le barlon ; ensuite ils continuent leurs virées jusqu'à ce que tout le vin soit entonné. Ils en usent de même à l'égard des vins de taille & de pressoir. Les uns emplissent leurs poinçons à un pouce près de l'ouverture, pour leur faire jetter dehors toute l'impureté dans le tems de la fermentation. Les autres ne les emplissent qu'à quatre pouces au-dessous de l'embouchure, pour les empêcher de jetter dehors. Nous dirons par la suite lequel de ces usages vaut le mieux.
Voilà l'usage des Champenois pour l'entonnage de leurs vins. Je demande si dans tous ces différens transports, ces changemens & reversemens d'un vaisseau dans un autre, le vin n'est pas étrangement battu & fatigué ; si on n'en répand pas beaucoup ; si le grand air qui frappe sur ces grands & larges vaisseaux entierement découverts, ne diminue pas la qualité du vin ; si le mêlange en est bien fait ; si on peut s'assurer que chaque poinçon contient une qualité parfaitement égale. N'arrive-t-il pas quelquefois que le pressureur, chargé du soin de l'entonnoir, oublie de le changer, & laisse verser deux hottées d'une même virée dans un même poinçon ? ce qui le fait différer de qualité d'avec les autres, & ce qui en fait perdre une partie, qui se répand faute de s'être apperçu de cette erreur. Le moyen de se parer de ces inconvéniens, est de suivre la maxime que je vais prescrire.
On peut préserver le vin de la corruption que l'air lui occasionne, dès le moment que le vin sortant du pressoir par goulette ou beron, répand dans les barlons R Q. Planc. prem. Pour y parvenir, il ne s'agit que de lui donner un double fond serré dans son barlon, à six pouces au-dessous du bord d'en-haut. Quand ces barlons sont pleins, on bouche l'ouverture du fond par lequel le vin y entre, avec une quille de bois de frêne : alors avec le soufflet, tel que celui qu'on voit en V, qu'on place à une ouverture du fond de ce barlon, on en fait sortir chaque fois qu'il est plein, le vin qui s'éleve dans le tuyau de fer blanc S T, & qui coulant le long de ce tuyau, se répand, comme on le voit, par un entonnoir T, dans un grand barlon V Y, fermé aussi d'un double fond, à deux pouces près du bord, & contre-barré dessus & dessous par une chaîne de bois à coin.
Je ne prescris pour le barlon de la goulette les six pouces de distance du double fond au bord d'en-haut, que pour se conserver un espace suffisant pour contenir le vin qui sort de la goulette, pendant qu'on foule par le moyen du soufflet, celui du barlon, pour l'en faire sortir & le conduire par le tuyau S T, dans le grand barlon. Ainsi cette distance de six pouces est absolument nécessaire.
Quand tout le vin qui doit composer la cuvée est écoulé dans le grand barlon, on le bouche pareillement avec le même soufflet. On retire l'entonnoir T, & l'on bouche avec une quille de bois l'ouverture dans laquelle il entroit. On fait sortir de ce barlon le vin, qui, s'élevant dans le tuyau Y Z qui y communique, se répand en même tems & également dans chacun des poinçons, par l'ouverture des fontaines a b c d 1 2 3 4 5 6, qui sont jointes à ce tuyau, & dont les clés ne s'ouvrent qu'autant que la force de la pression l'exige, pour qu'il n'entre pas plus de vin dans un vaisseau que dans l'autre, tout ensemble.
Pour parvenir à cette juste & égale distribution de vin dans chaque poinçon, il faut observer que le vin qui coule du tuyau e f, s'écoulant dans le même tuyau, à droite & à gauche, doit tomber avec plus de précipitation par les fontaines du milieu 1, a, que par ses deux voisines de droite & de gauche, 2 & 6 ; & plus à proportion par ces deux dernieres, que par celles qui les suivent ; de même que ce vin trouvant une résistance aux extrêmités fermées de ce tuyau, doit couler plus précipitamment par les fontaines 6 d, que par celles 6 c, par lesquelles le vin doit couler un peu moins vîte que par les 46. C'est pour parvenir à cette égale distribution, que nous avons adjoint à ce tuyau des fontaines dont on ouvre plus ou moins les clés. Ces clés étant suffisamment ouvertes à chaque fontaine, suivant l'expérience qu'on en aura faite pour cette distribution, on les arrêtera & fixera au point où elles sont, avec un fil de fer, soit par la soudure, afin qu'elles ne changent plus de situation, & qu'on soit assuré que chaque fois qu'on s'en servira, elles auront le même effet.
Il est facile de remarquer que l'entonnage se fait de cette maniere, en même tems dans chaque poinçon, avec une égalité des plus parfaites, puisque le vin qui s'y répand, prend toujours son issue du même centre de ce barlon.
Il faut, comme on l'a déja dit, laisser à chaque poinçon quatre pouces de vuide, suivant la grandeur, largeur & profondeur, qu'on donnera au coffre du pressoir, & qui fixeront la quantité de vin de cuvée que le pressoir pourra rendre : on se réglera pour donner la contenance, au grand barlon ; & si l'on donne, par exemple, à ce barlon la contenance de douze, quinze, ou dix-huit poinçons, on donnera au tuyau douze, quinze, ou dix-huit fontaines, & au chantier g g f f f, la longueur suffisante pour tenir douze, quinze, ou dix-huit poinçons de front. On donnera à ce chantier la forme qu'il a.
Il est encore à propos d'observer que le marc renfermé dans le pressoir, ne peut rendre autant de vin que le grand barlon en peut contenir. Quelquefois on n'a de vendange que pour faire trois, quatre, ou cinq pieces de vin, plus ou moins, parce qu'elle est composée d'une qualité de raisin qu'on veut faire en particulier ; & qu'au lieu de la quantité ordinaire, on n'ait que quatre ou cinq poinçons de vin à emplir, on n'en couchera sur le chantier que cette quantité ; c'est-à-dire que si on en couche cinq, celui du milieu sera placé sous la fontaine du milieu 1, & deux autres à sa droite sous les fontaines 2 & a, & les deux autres sous celles 3 & b, & ainsi du reste pour le surplus quand le cas y écheoit ; par ce moyen on emplit également chaque vaisseau.
Tout le vin étant ainsi entonné, on bouche d'un tampon de bois de frêne chaque poinçon, qu'on met à l'instant en-bas du chantier, & l'on conduit ces poinçons dans un cellier, où on les range de suite sur d'autres chantiers de la même forme que le précédent, à la différence qu'ils n'ont point les deux montans e, qu'ils ont en la figure 1, Planche IV. On donne aussi-tôt à chaque poinçon un coup de foret, pour les empêcher de pousser leurs fonds, & quelquefois de crever. On peut laisser le trou de foret ouvert, jusqu'à ce que la fermentation soit finie, ou du-moins toutes les nuits, en bouchant pendant le jour : après quoi on marque chaque cuvée d'une lettre alphabétique, comme A, pour la premiere cuvée ; B, pour la seconde, & ainsi des autres. On marque aussi le nombre que la cuvée contient, en se servant de chiffres romains, comme A-XV. qui signifie premiere cuvée de quinze pieces ; B-XII. qui signifie seconde cuvée de douze pieces & demie. La ligne tirée en-travers, comme ci-dessus, signifie un cacq, quarteau, ou demi-piece ; celle tirée comme /, signifie demi-cacq, demi-quarteau, ou quart de piece.
PRESSOIR A CIDRE, représenté dans les deux Planches de l'Economie rustique, est une grande machine avec laquelle on exprime le jus des pommes, qu'on appelle cidre, voyez CIDRE.
Avant de porter les pommes sur la table du pressoir, on les écrase dans une auge circulaire S R L, fig. 1 & 2, qu'on appelle la pile, composée de plusieurs pieces de bois assemblées exactement les unes avec les autres, & posées sur un massif de maçonnerie. Au centre L est un pilier de maçonnerie sur lequel est fixée une cheville de fer qui sert de centre du mouvement à l'axe L N de la meule verticale M, qui en tournant sur elle-même & autour du centre L de la pile, écrase les pommes que l'on y a mises. Pour faire tourner la meule, on attele un cheval au palonier N ; le même cheval est aussi guidé dans sa route circulaire par le bâton V P, que l'on attache par l'extrêmité P à un des anneaux qui terminent le mords du cheval. Les différentes cases ou séparations T L V qui occupent l'espace que l'auge renferme, sont destinées à recevoir les différentes sortes de pommes dont le cidre doit être composé, ou celles qui appartiennent à différens propriétaires, si le pressoir est un pressoir banal.
Comme il arrive que la meule (ou les meules, car on peut en mettre deux en prolongeant l'axe N L jusqu'à la partie de l'auge diamétralement opposée) range les pommes vers les deux côtés de l'auge, & qu'il est nécessaire qu'elles soient rassemblées au fond pour que la meule les puisse écraser, on a ajouté une espece de rateau ou rabot Q, composé de deux planches clouées sur un bâton, & disposées en forme d'V ; chaque planche en glissant sur une des faces latérales de l'auge de la pile, ramene au fond les pommes que la meule en avoit écartées. Ce rabot est attaché par une corde à l'extrêmité de l'axe, où est aussi fixé le palonier N. Toute cette disposition se peut voir distinctement dans la fig. 2. qui est le plan du pressoir & de la pile qui l'accompagne, laquelle a environ 20 piés de diamêtre, & la meule de bois M environ 4 ou 5.
Du pressoir. Le pressoir représenté en perspective dans la vignette, en plan par la fig. 2, & en profil par la fig. 3. Pl. II. est composé principalement de deux fortes pieces de bois A B, C D de 28 ou 30 piés de longueur, sur 24 ou 28 pouces de gros en A & en C, & 18 pouces en B & D. L'inférieure A B est nommée la brebis, & la supérieure C D, le mouton, Ces deux pieces de bois sont embrassées par quatre jumelles ou montans 5 6, 8 9 ; les deux premieres forment avec plusieurs traverses un chassis qui embrasse les gros bouts du mouton & de la brebis. Chacune de ces pieces a 18 piés de longueur, 10 & 15 pouces de gros, & sont percées chacune d'une longue mortaise 6. 7. destinée à recevoir les clés qui servent de point d'appui au mouton. On voit les clés en K dans la vignette & dans la fig. 4, Pl. II. on en voit trois en b c d passées dans les mortaises 7. 6, entre le mouton C & l'entre-toise supérieure 2. Cette entre-toise est assemblée à doubles tenons dans les faces internes des jumelles, & est soutenue de haut en bas par le petit étrécillon 3, qui est assemblé dans la traverse 2 & dans la traverse Z. Cette derniere traverse ou entre-toise est aussi assemblée dans les jumelles à doubles tenons à chacune de ses extrêmités, avec embrevement disposé de maniere à resister à l'effort qui se fait de bas en haut.
Au-dessous de la brebis A est une traverse ou entre-toise Y, assemblée à doubles tenons & embrevement dans les jumelles ; cette traverse peut être soutenue par une autre au-dessous, & aussi embrevée, comme on voit fig. 4, de maniere à résister à l'effort qui se fait de haut en bas. Enfin les deux jumelles sont arrêtées par leur partie supérieure par un chapeau a, dans lequel elles s'assemblent ; & vers leur partie inférieure elles sont affermies dans la situation verticale par deux contre-vents 4 4 assemblés d'un bout dans les jumelles, & de l'autre dans des parties qui doivent affleurer le sol de l'enclos où est placé le pressoir, & dans lequel les extrêmités inférieures des jumelles doivent être scellées.
Au milieu de la brebis & du mouton sont deux autres jumelles 8. 9, percées de même par de longues mortaises latérales qui reçoivent les clés X, sur lesquelles le mouton fait la bascule quand on desserre le marc, ainsi que nous dirons plus bas. Ces deux jumelles sont reliées à leur partie supérieure par un chapeau a a, fig. 1. 2. 3 ; & par en-bas elles sont unies par une entre-toise 12, fig. 1. & 5, assemblée à doubles tenons, & embrevée de maniere à soutenir sur la brebis le poids des jumelles & du mouton lorsqu'il repose sur les clés X qui les traversent. Les jumelles sont affermies dans la situation verticale par quatre liens ou contre-vents e e e e, assemblés d'un bout dans les jumelles, & de l'autre dans les patins F, sur lesquels elles reposent. Ce second chassis est lié au premier par la longue traverse a, aa, fig. 1 & 3, assemblée à tenon dans les deux chapeaux qui couvrent les quatre jumelles.
Sur la brebis du côté du gros bout on établit un fort plancher de bois de 9 à 10 piés en quarré ; ce plancher G est composé d'un nombre impair de madriers de 6 pouces d'épaisseur, ce qui forme la maie ou l'émoy du pressoir. Ces pieces doivent bien joindre les unes contre les autres : elles sont portées par leurs extrêmités sur deux couches 10. 10. entaillées pour recevoir la moitié de leur épaisseur, & elles y sont serrées par des coins h h. Les couches sont portées par des poteaux 11. 11. de deux piés & demi de longueur, assemblés d'un bout dans les couches, & de l'autre dans les patins qui reçoivent les contrevents des jumelles, ou dans une semelle parallele aux couches. On pratique autour de ce plancher un sillon pour faire écouler la liqueur vers la piece du milieu G, plus longue que les autres, & dont l'extrêmité terminée en gouttiere qu'on appelle le beron, verse la liqueur à-travers un panier qui y est suspendu dans le barlong E, destiné à la recevoir, où on la puise avec des seaux pour l'entonner dans des futailles.
Au-dessus de l'émoi est attaché à la face inférieure du mouton un plancher H composé de plusieurs solives de 6 pouces de gros, sur 6 à 7 piés de long : on appelle ce plancher le hec. Les solives sont doublées en-dessous par des planches de 2 pouces d'épaisseur qui y sont clouées à demeure, ensorte que le hec baisse quand on fait baisser le mouton pour comprimer le marc F placé au-dessous, & sur l'émoi du pressoir, où il est disposé par couches de trois à quatre pouces d'épaisseur, séparées par des brins de longue paille ou des toiles de crin, comme en Angleterre. Le marc ainsi disposé, a la forme d'une pyramide quarrée, tronquée, de 4 ou 5 piés de haut, sur 5 ou 6 de base.
Vers les extrêmités les plus menues du mouton & de la brebis, est placée une vis verticale B g, dont la partie inférieure après être entrée dans un trou pratiqué dans la brebis, y est fixée par deux clés e f, fig. 6, qui saisissent le collet c d, ensorte que la vis a seulement la liberté de tourner sans pouvoir sortir. On voit dans la même figure au milieu de la partie quarrée, les entailles a b destinées à recevoir les rais de la roue à chevilles B, au moyen de laquelle on manoeuvre la vis.
La vis, qui est de bois de cormier ou alizier, entre dans l'écrou g, de bois d'orme ; toutes les autres pieces sont de bois de chêne. L'écrou qui est arrondi en dos d'âne par sa partie inférieure, repose sur le mouton, comme on voit fig. 1. 2. & 3. Le mouton est ou percé d'une mortaise ovale, ou terminé en fourchette, si on a, pour le faire, trouvé un arbre dont deux branches eussent la disposition convenable, mais dans l'un ou dans l'autre cas, il faut toujours que la face inférieure de l'écrou soit arrondie, pour qu'il puisse se prêter aux différentes inclinaisons du mouton, ce qui empêche la vis de rompre.
Manoeuvre de ce pressoir. Après que le marc est établi sur l'émoi, tout étant dans l'état que représente la fig. premiere dans la vignette, on fera, au moyen de la roue B, tourner la vis du sens convenable pour élever l'extrêmité D du mouton, ce qui fera baisser l'autre extrêmité C, à laquelle le hec est suspendu, jusqu'à ce qu'il appuie sur le marc F. On continuera de tourner la vis du même sens, jusqu'à ce que son écrou g, qui doit être lié à l'extrêmité D du mouton avec quelques cordages, l'ait élevé assez haut pour qu'il cesse de porter sur les clés X qui traversent les jumelles 8. 9. On ôtera ces clés, dont on voit l'élévation & le profil dans la fig. 7, & on les placera dans les mortaises 6. 7. des jumelles antérieures ; & au-dessus du mouton on en placera autant qu'on pourra en faire tenir. Alors on fera tourner la vis dans les sens opposés, & l'écrou descendant fera descendre l'extrêmité D du mouton, ce qui comprimera fortement le marc compris entre le hec & l'émoi du pressoir. On relevera ensuite le mouton pour pouvoir placer quelques nouvelles clés sur son gros bout ; on le fera ensuite baisser pour faire une nouvelle serre, ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on ait entierement exprimé le jus que le marc contient. On relevera alors l'extrêmité D du mouton, on déplacera les clés qui reposent sur son gros bout, que l'on replacera dans les mortaises des jumelles 8. 9 ; faisant de nouveau baisser l'extrêmité D, le hec s'éloignera du marc F, que l'on ôtera de dessus l'émoi du pressoir.
Chacune des deux grandes pieces de bois, la brebis & le mouton, font la fonction de leviers du second genre ; mais pour calculer la force de cette machine, il suffit de considérer seulement le mouton comme un levier du second genre, & connoître sa longueur, que j'appelle a, mesurée depuis le centre de la vis jusqu'à l'endroit où s'appliquent les clés qui lui servent de point d'appui ; 2°. la distance de ce même point d'appui au centre du hec, que j'appelle b ; la circonférence de la roue B que j'appelle c ; la distance d'un filet de la vis au filet le plus prochain, que je nomme d, & le rapport de la compression des hommes sur les chevilles de la roue B à la compression de l'hec sur le marc, sera égal à celui de bd à ac.
PRESSOIR, (Vinaigrier) machine propre à exprimer les liqueurs. Les Vinaigriers se servent d'une presse ou pressoir pour pressurer les lies de vin, & en tirer un reste de liqueur qu'ils versent sur les rapés dont ils composent leur vinaigre ; ou qu'ils font distiller pour en faire de l'eau-de-vie. Voyez PRESSE.
Par l'article 37 des statuts des maîtres Vinaigriers, il est défendu aux Cabaretiers & Marchands de vin d'avoir dans leurs caves ou celliers des pressoirs à faire du vinaigre.
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PRESSURAGE | S. m. (Gramm.) c'est l'action de pressurer. Je fais le pressurage de ma vendange. C'est la liqueur obtenue sous le pressoir. Le vin de pressurage n'est pas le plus estimé. C'est le droit qu'on paie au seigneur pour la banalité du pressoir.
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PRESSURER | v. act. (Gramm.) c'est exprimer la liqueur ou le suc d'une substance quelle qu'elle soit, par le moyen du pressoir.
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PRESTANT | S. m. (Jeu d'orgue) Ce jeu est un de ceux qu'on appelle des mutations ; il sonne l'octave au-dessus du huit piés & du clavecin, & la double octave au-dessus du bourdon de seize piés, de l'unisson, du quatre piés. Voyez la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue, & la fig. 34. Planche d'orgue, qui représente un tuyau du prestant. Ce jeu est d'étain & ouvert ; son plus grand tuyau qui sonne l'ut, a quatre piés de longueur. C'est sur le prestant que se fait la partition, voyez PARTITION ; & c'est sur lui qu'on accorde tous les autres jeux. Voyez ACCORD.
PRESTATION, (Jurisprud.) signifie l'action de fournir quelque chose, on entend aussi quelquefois par ce terme la chose même que l'on fournit ; par exemple, on appelle prestation annuelle, une redevance payable tous les ans, soit en argent, grains, volailles & autres denrées, même en voitures & autres devoirs. Voyez CENS, REDEVANCE, RENTE.
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PRESTE-JEAN | & par corruption PRÊTRE-JEAN, (Hist. mod.) on appelle ainsi l'empereur des Abissins, parce qu'autrefois les princes de ce pays étoient effectivement prêtres, & que le mot jean en leur langue veut dire roi.
Ce sont les François qui les premiers les ont fait connoître en Europe sous ce nom, à cause qu'ils ont les premiers trafiqué avec leurs sujets. Son empire étoit autrefois de grande étendue, maintenant il est limité à six royaumes, chacun de la grandeur du Portugal.
Ce nom de prêtre-jean est tout-à-fait inconnu en Ethiopie, & il vient de ce que ceux d'une province où ce prince réside souvent, quand ils veulent lui demander quelque chose, crient jean coi, c'est-à-dire mon roi. Son véritable titre est celui de grand-negus.
Il y a un prêtre-jean d'Asie, dont parle Marc Paolo, vénitien, en ses voyages. Il commande dans la province de Cangingue, entre la Chine & les royaumes de Sifan & de Thibet ; c'est un royaume dont les Chinois font grand cas, pour être bien policé, & rempli de belles villes bien fortifiées, quoiqu'ils méprisent fort tous les royaumes étrangers.
Quelques-uns ont dit qu'il étoit ainsi nommé d'un prêtre Nestorien, dont parle Albericus, & qui monta sur le trône vers l'an 1145. D'autres disent, que c'est à cause qu'il porte une croix pour symbole de sa religion.
Scaliger prétend que le nom de prêtre-jean vient des mots persans preste-cham, qui signifient roi apostolique ou roi chrétien. D'autres le dérivent de prester, esclave, & du même mot cham, auquel cas prete-jean signifie roi des esclaves : enfin, quelques-uns veulent qu'il soit formé du persan preschteh-gehan, qui signifie l'ange du monde, & remarquent que les empereurs du Mogol ont pris souvent le titre de schah-gehan, c'est-à-dire le roi du monde ; mais il n'est pas étonnant qu'on ait formé tant d'opinions différentes sur le nom d'un monarque qui n'a jamais existé, du moins sous ce titre dans son propre pays, parce qu'on étoit alors fort peu dans le goût des voyages, & que les Chrétiens occidentaux n'osoient se risquer dans la haute Asie dans un tems où les Asiatiques maltraitoient tous les Européens, à cause de la différence des religions ; mais depuis que les voyageurs ont pénétré dans les contrées les plus reculées de l'Asie & de l'Afrique, il n'est rien resté du prete-jean qu'un nom sans réalité, & beaucoup de traditions fabuleuses qu'en avoient publiées les anciens auteurs, sur des relations qu'ils adoptoient avidement & sans examen. Les Portugais eux-mêmes qui ont parcouru toute l'Ethiopie, n'ayant rien découvert sur ce prince des Abyssins, sinon qu'il étoit chrétien jacobite, & nulle trace du nom de prêtre-jean, si ce n'est que les Ethiopiens nommoient leur empereur belulgian, c'est-à-dire en leur langue précieux & puissant.
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PRESTER | S. m. (Phys.) sorte de méteore, consistant dans une exhalaison qui sort d'une nue avec tant de violence, qu'elle s'enflamme par le choc. Voyez METEORE.
Ce mot vient du grec, ; c'étoit le nom d'une espece de serpent appellé aussi dipsas, auquel on prétendoit que ce méteore avoit quelque ressemblance.
Le prester differe de la foudre, par la maniere dont il s'enflamme, & aussi parce qu'il brûle & baisse avec une grande violence tout ce qu'il rencontre. Voyez FOUDRE & OURAGAN. Chambers.
PRESTER, (Géog. mod.) le vent appellé prester, est un vent violent qui s'éleve avec éclairs & flamme. Il arrive rarement, & ne va guere sans l'ecnephie. Séneque appelle prester, un tourbillon avec éclairs. (D.J.)
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PRESTESSE | S. f. terme de Manege ; ce cheval manie, fait les pirouettes à deux pistes avec une grande prestesse, c'est-à-dire une extrême vîtesse.
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PRESTIGE | S. m. (Gram.) illusion faite aux sens, par artifice.
Moïse en transformant sa verge en serpent, fit un miracle.
Les magiciens en transformant leurs baguettes en serpens, ne firent que des prestiges.
C'est que le serpent fait de la verge de Moïse étoit un vrai serpent.
Et que les serpens faits des verges des magiciens, n'en étoient que des apparences.
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PRESTIMONIE | S. f. (Jurisprud.) sont des especes de prébendes que l'on donne à des ecclésiastiques, sous la condition de dire quelques messes ou prieres.
On distingue plusieurs sortes de prestimonies.
Dans leur véritable objet, ce sont des fondations faites pour entretenir des prêtres, pour aider & servir les paroisses.
Néanmoins on donne aussi abusivement le nom de prestimonie à certaines fondations de messes ou autres prieres que l'on fait acquiter par tel ecclésiastique que l'on juge à propos moyennant la rétribution qui y est attachée ; on appelle même aussi prestimonie, des fondations faites pour l'entretien de prêtres qui ne sont chargés que de deux ou trois messes par an.
Il y a des prestimonies ou portions prestimoniales, qui sont données en titre perpétuel de bénéfices, & celles-ci sont en effet de véritables bénéfices, différens néanmoins des chapelles, en ce qu'ils n'ont aucun lieu qui leur soit propre & que ces prestimonies s'acquitent dans une église qui n'appartient pas au bénéfice de celui qui est chargé de les acquiter.
Il y a encore d'autres prestimonies ou portions prestimoniales qui ne sont données que pour un tems, & qui sont détachées des revenus d'un bénéfice, mais qui doivent y retourner ; ces sortes de prestimonies ne sont pas des bénéfices.
Les coadjutoreries ne sont pas non plus des bénéfices, mais de simples prestimonies. Voyez les définitions canoniques de Castel, & le recueil de Décisions de Drapier, tom. I. ch. xj. (A)
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PRESTO | adv. vîte. C'est ainsi qu'on indique, en musique, le plus promt & le plus animé de tous les mouvemens. Quelquefois pourtant, on le marque encore plus rapide par le superlatif, prestissimo. (S)
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PRESTON | (Géog. mod.) ville d'Angleterre, dans le Lancashire, sur la Ribble, à 206 milles au nord-ouest de Londres. Elle envoye deux députés au parlement. Le prétendant fut défait sous ses murailles en 1715. Long. 14. 46. lat. 53. 45. (D.J.)
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PRESTROS | S. m. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Brest ; ce sont les éperlans bâtards. Voyez EPERLANS.
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PRÉSUMER | v. act. (Gramm.) c'est avoir de la présomption, voyez PRESOMPTUEUX. On présume trop de soi, ou des autres. Présumer, c'est encore craindre ou espérer, ou même d'après des probabilités.
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PRÉSUPPOSER | v. act. PRÉSUPPOSITION, s. f. c'est supposer d'abord, & en conséquence de cette supposition, inférer une chose qui est ou n'est pas.
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PRESURE | S. f. (Chimie) les presures ordinaires, soit qu'on les tire des animaux ou des végétaux, sont des matieres acides.
La presure animale est un lait caillé & sensiblement aigri, qu'on retire de l'estomac des jeunes animaux qui se nourrissent encore du lait de leurs meres ; des veaux, des agneaux, des chevreaux.
La presure végétale ordinaire ; savoir, les étamines du chardon d'Espagne ou chardonnet, ne paroissent aussi avoir la propriété de cailler le lait, que parce qu'elles contiennent un acide nud ou développé, qui n'est autre chose vraisemblablement que du miel aigri. Les fleurs du gallium, plante appellée en françois caille-lait, à cause de la propriété dont nous parlons, sont très-mielleuses ; cette observation confirme la conjecture précédente.
Il y a apparence que les plantes qui contiennent un esprit recteur acide, comme le marum ; voyez MARUM, cailleroient aussi le lait ou produiroient l'effet de la presure. Voyez COAGULATION & LAIT. (b)
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PRÊT DE | PRÊT A, (Synonymes) on dit l'un & l'autre ; je suis prêt de faire ou à faire ce que vous voudrez. Lorsque prêt signifie sur le point, prêt de est ordinairement le meilleur ; les dieux étoient prêts de le vanger ; vous êtes prêts de jouïr du bonheur, &c. Mais il convient de remarquer que prêt de mourir, signifie la défaillance extrême du corps, qui fait connoître qu'on est sur le point de mourir, au lieu que prêt à mourir, marque la disposition de l'ame. Il faut toujours mettre prêt à, quand le verbe actif qui suit a une signification passive, comme prêt à marier, prêts à manger, &c. c'est-à-dire prêt à être marié, prêt à être mangé. (D.J.)
PRET A INTERET, (Droit naturel, civil, & canon.) le prêt à intérêt, ou si vous l'aimez mieux, le prêt à usure, est tout contrat, par lequel un prêteur reçoit d'un emprunteur un intérêt pour l'usage d'un capital d'argent qu'il lui fournit, en permettant à l'emprunteur d'employer ce capital, comme il voudra, à condition de le lui rendre au bout d'un tems limité, ou de le garder, en continuant le payement de l'intérêt stipulé. Prouvons que cet intérêt est légitime, & qu'il n'est contraire ni à la religion, ni au droit naturel.
Le prêt d'argent à intérêt se fait, ou entre deux personnes riches, ou entre un riche & un pauvre, ou entre deux pauvres. Voilà toutes les combinaisons possibles sur ce sujet.
Un riche, quoique tel, se trouve avoir besoin d'argent en certaines circonstances, dans lesquelles il lui importe beaucoup d'en trouver : il en emprunte d'un autre riche ; or en vertu de quoi le dernier ne pourroit-il pas exiger quelqu'intérêt du premier, qui va profiter de l'usage de son argent ? Est-ce parce qu'il est riche ? Mais l'emprunteur, comme nous le supposons, l'est aussi ; donc en cette qualité, il ne peut refuser un surplus qu'on lui demande au-delà de la somme qu'on lui prête, & dont il a besoin.
A plus forte raison, la question du payement de l'intérêt seroit-elle souverainement absurde & injuste, si le riche empruntoit d'un pauvre quelque petite somme, car ; ici même, un motif de la charité devroit porter le riche à donner au pauvre un plus gros intérêt qu'il ne donneroit à un autre riche.
Quand un pauvre emprunte d'un riche, si ce pauvre n'emprunte que par grande nécessité, & qu'avec toute son industrie il ne soit pas en état de payer aucun intérêt, la charité veut sans doute alors que le riche se contente de la restitution du capital, & quelquefois même qu'il le remette en tout ou en partie : mais si le pauvre emprunte pour faire des profits avantageux, je ne sache aucune raison pourquoi le riche ne pourroit pas exiger légitimement une petite partie du profit que fera celui à qui il fournit le moyen de gagner beaucoup ? Il n'est pas rare de voir dans le commerce, des marchands peu aisés, devenir par le tems, & par leurs travaux, aussi riches, ou plus riches que ceux qui leur avoient prêté à intérêt le premier fond de leur trafic.
Enfin, si nous supposons qu'un pauvre prête de ses petites épargnes à un autre pauvre, leur indigence étant égale, le dernier peut-il exiger avec la moindre apparence de raison, que le premier, pour lui faire plaisir, s'incommode, ou perde le profit qu'il pourroit tirer de l'usage de son argent ?
C'en est assez pour justifier que le prêt à intérêt lorsqu'il n'est accompagné ni d'extorsion, ni de violation des lois de la charité, ni d'aucun autre abus, n'est pas moins innocent que tout autre contrat, & principalement celui de louage, dont on peut dire qu'il est une espece, à considerer ce qu'il y a de principal dans l'un & dans l'autre. Cette idée n'empêche pourtant pas, qu'à cause des abus qu'en peuvent faire les gens avides de gain, ou par d'autres raisons politiques, un souverain n'ait droit de défendre de prêter absolument à intérêt, ou de ne le permettre que d'une certaine maniere ; c'est ainsi que les lois en usent à l'égard de plusieurs autres choses légitimes en elles-mêmes.
Le législateur des Hébreux leur défendit de se prêter entre citoyen à intérêt, mais il ne défendit point ce contrat vis-à-vis des étrangers, & c'est une preuve qu'il ne le regardoit pas comme mauvais de sa nature. Ainsi, tant que les lois politiques de Moïse ont subsisté, aucun homme de bien chez les Juifs ne pouvoit prendre aucun intérêt de quelqu'un de sa nation, parce que dans chaque état, il est d'un homme de bien d'observer les lois civiles, qui défendent même des choses indifférentes, sur-tout quand ces lois sont établies par une autorité publique. Voilà tout ce qu'on peut inférer des passages d'Ezéchiel, c. xviij. 13. & c. xxij. 12. & des Ps. xv. 15. 5. qu'on cite quelquefois contre le prêt à intérêt.
Pour les paroles de J. C. qu'on objecte encore ; prêtez sans en rien espérer, Luc vj. v. 34. 35. elles ne regardent point du tout le prêt à intérêt, comme on le prouve par la raison que notre sauveur rend de son précepte ; savoir, que les pécheurs même prêtent aux pécheurs, dans la vue de recevoir la pareille. Or le prêt à intérêt ne consiste pas certainement à recevoir seulement la pareille, mais quelque chose de plus ; il est donc clair comme le jour, qu'il s'agit là d'un prêt simple, fait à ceux qui en ont besoin, sans aucun rapport à la maniere & aux conditions du prêt. Notre Seigneur parle de ceux qui ne prêtent qu'à des gens qui savent être en état de leur prêter à leur tour, quand ils en auront besoin, ou de leur rendre quelqu'autre service ; car le mot de l'original, sans en rien espérer, ne se borne point au prêt, il comprend tout service auquel on peut s'attendre, en revanche de celui qu'on vient de rendre.
Jesus-Christ, qui recommande ici une bénéficence générale envers tous les hommes, amis ou ennemis, blâme dans cet exemple particulier toute vue d'intérêt qui porte à rendre service au prochain ; il veut qu'on fasse du bien à autrui, uniquement pour s'acquiter des devoirs de l'humanité, & sans aucun espoir de retour, parce qu'autrement, c'est une espece de commerce, & non de bienfait ; si vous prêtez à ceux de qui vous esperez de recevoir, c'est-à-dire, la pareille, comme il paroît par les paroles suivantes, qui répondent à celles-ci ; quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie prêtent aux gens de mauvaise vie, pour en recevoir du retour ? En tout cela, Notre Seigneur applique la maxime qu'il vient de donner : ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux : le fameux casuiste Bannès, ij. 2. quaest. 78. art. 1. dubit. 1. avoue que l'explication différente qu'on a donnée aux paroles de J. C. ne tire sa force que de l'autorité des papes & des conciles, qui se sont abusés dans leur interprétation.
Il n'y a donc rien dans ce passage qui tende à condamner le prêt à intérêt, dont la nature ni n'empêche qu'il puisse être un service, & un service considérable, ni ne demande pas toujours, lorsqu'il est tel, qu'on exige rien au-delà de ce qu'on prête. Ce sont les circonstances & la situation respective des deux parties qui déterminent sur quel pié on peut prêter, sans manquer aux devoirs de la justice, ni à ceux de la charité : on peut donner gratuitement bien des choses à certaines personnes, ou les leur vendre sans injustice.
Les lois civiles & les lois ecclésiastiques ne font rien pour décider la question de la légitimité du prêt à usure. La soumission que doivent à ces lois ceux qui sont dans des lieux où ils en dépendent, ne rend pas le prêt à usure criminel partout ailleurs. Les papes eux-mêmes approuvent tous les jours des contrats visiblement usuraires, & auxquels il ne manque que le nom ; ils auroient grand tort de les permettre, si le prêt à intérêt étoit contraire aux lois divines, aux ecclésiastiques & à la loi naturelle.
Je ne vois pas même que dès les premiers siecles de l'église les lois civiles, aussi-bien que les lois ecclésiastiques aient défendu l'usure à toutes sortes de personnes, clercs ou laïques. Tous les empereurs chrétiens, avant & après Justinien, l'ont hautement permise, & n'ont fait qu'en regler la maniere selon les tems. Basile le macédonien fut le seul depuis Justinien, qui défendit absolument de prêter à intérêt, mais sa défense eut si peu de succès, que son fils & successeur Léon, surnommé le philosophe, fut obligé de remettre les choses sur l'ancien pié.
On objecte encore contre le prêt à intérêt, que la loi naturelle ordonne de ne pas faire aux autres ce qu'on ne voudroit pas qu'on nous fît ; donc elle défend l'usure. La maxime en elle-même est très-véritable, mais son application n'est pas juste. Les abus du prêt à usure, quels qu'ils soient, ne prouvent point que la chose qu'on ne voudroit pas que les autres fissent à notre égard soit mauvaise, à moins qu'on ne montre évidemment que l'abus est inséparable de la nature de cette chose. Si l'on infere que le prêt à intérêt est mauvais en lui-même, de ce que chacun seroit bien aise d'emprunter de l'argent sans intérêt, il faudra poser pour regle générale, que chacun est obligé de procurer aux autres tout ce qui les accommodera, au préjudice de son propre avantage, & du droit qu'il a sur son propre bien, par cette seule raison, qu'il souhaiteroit qu'on en usât ainsi envers lui. Or ce principe se détruiroit lui-même ; car comme il devroit être pour les uns, aussi-bien que pour les autres, celui dont on souhaiteroit d'emprunter de l'argent sans intérêt, diroit, avec raison, que si l'emprunteur étoit à sa place, il ne voudroit pas qu'on le privât de l'usage de son argent, & des risques qu'il court en le prêtant, sans être dédommagé par quelque petit profit, & qu'ainsi, selon sa propre maxime, il ne doit point exiger qu'on lui prête gratuitement. On ne veut pas que le contrat de louage soit contraire à la loi naturelle, mais par le raisonnement qu'on fait contre les autres contrats, il seroit impossible que le contrat à louage fût légitime.
Un homme, par exemple, qui n'a point de maison, souhaiteroit sans doute, de trouver quelqu'un qui lui en fournît une pour rien, autant que celui qui a besoin d'argent voudroit trouver à en emprunter sans intérêt. Et au fond, quelle différence y a-t-il entre le prêt à intérêt & le contrat de louage, si ce n'est que dans le dernier, on stipule une certaine somme pour l'usage d'une chose en espece, qui doit être rendu de même, au lieu que dans l'autre, on stipule quelque chose pour l'usage d'une somme d'argent, que l'on permet au débiteur d'employer comme il voudra, à la charge de nous en rendre une pareille : s'il y avoit quelqu'injustice dans la derniere convention, je trouve qu'il y en auroit encore plus dans la premiere, parce que celui qui exige un salaire pour l'usage de sa maison, par exemple, court beaucoup moins de risque de perdre son bien, pour faire plaisir au locataire, que celui qui prête de l'argent à intérêt ne court risque de perdre le sien, pour faire plaisir au débiteur.
Mais voici le vrai sens de la maxime de l'évangile : J. C. veut que nous tâchions de faire envers les autres ce que la raison nous dit que nous pourrions nous-mêmes exiger des autres sans injustice. Cet excellent précepte est fondé sur ce que la plûpart du tems nous voyons mieux ce qui est juste, lorsqu'il n'y a rien à perdre pour nous ; l'amour propre nous faisant juger différemment de ce qui nous regarde, que de ce qui regarde les autres, car personne ne trouve légeres les injures qu'il a reçues.... Ainsi, pour bien juger, il faut se mettre à la place des autres, & tenir pour équitable par rapport à eux ce que nous croirions l'être par rapport à nous-mêmes.
Tel est le véritable usage de cette regle, que les Juifs, avant Notre Seigneur, & sur-tout les payens, ont donné. Ce précepte suppose toujours les lumieres de la raison, qui, en faisant abstraction de notre intérêt particulier, nous découvrent ce que les hommes naturellement égaux peuvent exiger les uns des autres, selon l'équité naturelle, lorsqu'ils se trouvent dans les mêmes circonstances. Ainsi, il s'en faut bien que l'application dépende ici de tout ce que chacun peut souhaiter, comme y trouvant son avantage ; mais il resteroit encore à prouver, que le bien de la société humaine demande qu'on prête toujours de l'argent sans intérêt.
Rien de plus aisé que de répondre à toutes les autres objections de ceux qui condamnent absolument le prêt à usure. Le prêt à usage, disent-ils, est gratuit, donc le prêt à usure doit l'être aussi. Mais je dis au contraire, que comme on peut accorder à autrui l'usage d'une chose ou gratuitement, ou moyennant une certaine rente, d'où il résulte ou un contrat de prêt à usage, ou un contrat de louage, rien n'empêche aussi qu'on ne prête de l'argent ou sans intérêt, ou à intérêt. Que si l'on s'opiniâtre à vouloir que tout prêt, proprement ainsi nommé, soit gratuit, il ne s'agira plus que de donner un autre nom au contrat dans lequel un créancier stipule quelqu'intérêt pour l'argent qu'il prête, mais il ne s'ensuivra point de-là que cette sorte de contrat ait par lui-même rien d'illicite.
C'est encore vainement qu'on objecte que la monnoie étant de sa nature une chose stérile, & qui ne sert de rien aux besoins de la vie, comme sont, par exemple, les habits, les bâtimens, les bêtes de somme ; on ne doit rien exiger pour l'usage d'un argent prêté : je réponds à cette objection, que quoiqu'une piece de monnoie n'en produise pas par elle-même physiquement une autre semblable, néanmoins depuis que l'on a attaché à la monnoie un prix éminent, l'industrie humaine rend l'argent très-fécond, puisqu'il sert à acquérir bien des choses qui produisent ou des fruits naturels, ou des fruits civils ; & c'est au rang de ce dernier qu'il faut mettre les intérêts qu'un débiteur paye à son créancier.
On replique, qu'à la vérité le débiteur trouve moyen de faire valoir l'argent qu'il a reçu, mais que c'est son industrie qui le rend fertile entre ses mains, d'où l'on conclut qu'il doit seul en profiter ; mais l'industrie n'est pas la seule cause du profit qui revient de l'argent. Comme l'argent sans industrie n'apporteroit point de profit, l'industrie sans argent n'en produiroit pas davantage. Il est donc juste d'imputer une partie de ce profit à l'argent, & une autre à l'industrie de celui qui le fait valoir : c'est ce que l'on voit dans quelques contrats de louage. Un champ ne rapporte rien s'il n'est cultivé. Des outils qu'on loue à un artisan ne feront rien, non-seulement s'il ne s'en sert, mais encore s'il ne sait l'art de s'en servir. Tout cela pourtant n'empêche pas qu'on ne puisse se faire payer & les fruits de ce champ, & l'usage de ces outils. Pourquoi donc ne seroit-il pas permis d'en user de même à l'égard de l'argent, & d'autres choses semblables ?
Après avoir résolu toutes les objections, il s'agit de conclure ; mais pour ne rien obmettre, je dois encore observer qu'en fait d'usure, c'est-à-dire, d'intérêt légitime d'argent prêté, il ne faut jamais perdre de vue ce que demande la justice proprement dite, & ce que demande l'humanité ou la charité. Selon les régles de la justice, d'où dépend le droit que chacun a sur son propre bien, il est libre à chacun d'en accorder, ou d'en refuser l'usage à autrui, & de ne l'accorder qu'à telles conditions que bon lui semble. Enfin, lors même qu'il est obligé de l'accorder d'une certaine maniere, par quelque motif d'humanité, il n'en demeure pas moins libre d'en gratifier l'un, & de refuser le même service à un autre. Les régles de la charité éclairée le dirigent dans ses préférences.
En un mot, de quelque côté qu'on considere le prêt à intérêt, l'on trouvera qu'il ne renferme rien qui repugne au christianisme, & au droit naturel. Je n'en veux pour preuve que ce raisonnement bien simple, par lequel je finis : celui qui prête de l'argent à un autre, ou y perd en ce que s'il ne l'avoit pas prêté, il auroit pu en tirer du profit, ou il n'y perd rien. Dans le premier cas, pourquoi seroit-il toujours obligé indispensablement à préferer l'avantage du débiteur au sien propre ? Dans l'autre cas, il n'est pas plus obligé par cette seule considération, de prêter gratuitement son bien, qu'un homme qui a deux maisons, dont l'une lui est inutile, n'est tenu d'y loger un ami, sans exiger de lui aucun loyer. (D.J.)
PRET A CONSOMPTION, (Droit naturel) en latin mutui datio ; contrat par lequel nous donnons à quelqu'un une chose susceptible de remplacement, à la charge de nous rendre dans un certain tems autant qu'il a reçu de la même espece, & de pareille qualité. Mutui datio, dit le droit romain, in iis rebus consistit, quae pondere, numero, mensurâ constant : veluti vino, oleo, frumento, pecuniâ numeratâ, aere, argento, auro, quas res, aut numerando, aut metiendo, aut adpendendo, in hoc damus, ut accipientium fiant. Et quoniam nobis non eadem res, sed aliae ejusdem naturae, & qualitatis redduntur : inde etiam mutuum appellatum est, quia ita à me tibi datur, ut ex meo tuum fiat. Instit. lib. III. tit. 15.
Les choses que l'on prête à consomption, sont dites susceptibles de remplacement, parce que chacune tient lieu de toute autre semblable, ensorte que quiconque reçoit autant qu'il avoit donné, de la même espece, & de pareille qualité est censé recouvrer la même chose précisément ; tel est l'argent monnoyé prêté, l'or massif, & les autres métaux non-travaillés, le blé, le vin, le sel, l'huile, la laine, le pain.
Les choses qui entrent dans le prêt à consomption, se donnent au poids, au nombre & à la mesure qui servent à déterminer & spécifier ce qu'il faut rendre ; & c'est pour cela qu'on les désigne par le nom de quelque quantité, au lieu que les autres sont appellés des choses en espece : on dit, par exemple, je vous prête mille écus, trois mille livres de fer, vingt boisseaux de blé, dix muids de vin, cent mesures d'huile.
Le caractere propre des choses susceptibles de remplacement, est qu'elles se consument par l'usage. Or, il y a deux sortes de consomption, l'une naturelle, & l'autre civile. La consomption naturelle a lieu ou en matiere de choses qui périssent d'abord par l'usage, comme celles qui se mangent ou qui se boivent, ou en matiere de choses, qui sont d'ailleurs sujettes à se gâter aisément, quand même on n'y toucheroit pas, tels que sont les fruits des arbres, &c. car pour celles qui s'usent insensiblement à mesure qu'on s'en sert, mais qui ne périssent pas tout-à-fait comme les habits, la vaisselle de terre, &c. elles n'appartiennent point ici.
La consomption civile a lieu dans les choses dont l'usage consiste en ce qu'on les aliene, quoiqu'en elles-mêmes, elles subsistent toujours. Tel est nonseulement l'argent monnoyé, mais encore tout ce que l'on troque, comme aussi ce que l'on donne pour être employé à bâtir, ou pour entrer dans toute autre composition, ou dans tout autre ouvrage. Sur ce pié-là, il y a deux sortes de choses susceptibles de remplacement, les unes qui sont telles de leur nature, & invariablement ; les autres qui dépendent de la volonté arbitraire des hommes, & d'une destination variable. Les premieres sont celles dont l'usage ordinaire consiste dans leur consomption ou naturelle, ou civile. Je dis l'usage ordinaire, car quoique l'on puisse quelquefois prêter, par exemple, une somme d'argent, simplement pour la forme, ou pour la parade, & une poutre pour appuyer un échafaudage, cependant, comme cela est rare, on n'y a aucun égard en matiere de lois, qui roulent sur ce qui arrive ordinairement.
L'autre classe de choses susceptibles de remplacement, renferme celles qui, quoiqu'on puisse s'en servir & les prêter sans qu'elles se consument, sont souvent destinées à être vendues, ou à entrer dans le commerce, ensorte que, selon la destination de celui de qui on les emprunte, c'est tantôt un prêt à consomption, & tantôt un prêt à usage. Lors, par exemple, qu'un homme qui a une bibliothèque pour son usage me prête un livre qui lui est précieux, par des notes manuscrites, ou autres raisons particulieres, il entend, que je lui rende le même exemplaire ; de sorte que, quand je voudrois lui en donner un autre aussi bien conditionné, il n'est pas obligé ordinairement de s'en contenter. Mais, si celui de qui j'ai emprunté un livre est marchand libraire, ou fait trafic de livres, il suffit que je lui rende un autre exemplaire aussi bien conditionné, parce que, comme il ne gardoit ce livre que pour le vendre, il lui doit être indifférent, que je lui rende l'exemplaire même qu'il m'a donné, ou un autre semblable.
Il en est de même des marchandises, hormis de celles qui sont extrêmement rares, ou travaillées avec beaucoup d'art, comme certaines drogues peu communes, une montre, des instrumens de musique, de mathématiques, une pompe pneumatique, ou autres machines à faire des expériences, &c. car il est bien difficile d'en trouver qui soient précisément de même qualité & de même bonté, ensorte qu'elles puissent tenir lieu de telle ou telle que l'on a empruntée.
On prête toutes ces choses gratuitement, ou en stipulant du débiteur un certain profit, qui n'a lieu communément que pour l'argent monnoyé, à l'égard duquel le prêt non gratuit se nomme prêt à usage ou prêt à intérêt. Voyez PRET A INTERET, Droit naturel, civil & canon. (D.J.)
PRET A USAGE, (Droit naturel) en latin commodatum, contrat bienfaisant, par lequel on accorde à autrui gratuitement l'usage d'une chose qui nous appartient. Le droit romain définit ce contrat en ces mots : Commodatum propriè intelligitur, si nullâ mercede acceptâ, vel inconstitutâ, res tibi utenda data est.
Voici en général les regles de ce contrat.
1°. On doit garder & entretenir soigneusement la chose empruntée. De quelque maniere qu'on ait entre les mains le bien d'autrui, on est obligé par le droit naturel & indépendamment des lois civiles à en prendre tout le soin dont on est capable, c'est-à-dire comme des choses qui nous appartiennent & que nous affectionnons. Lorsqu'on a porté jusques-là l'attention & la diligence, c'est tout ce que peuvent demander les intérêts, à-moins qu'on ne se soit clairement engagé à quelque chose de plus. Que si la conservation de notre propre bien se trouve en concurrence avec celle du bien d'autrui, ensorte qu'on ne puisse point vaquer en même-tems à l'un & à l'autre, il est naturel que le premier emporte la balance, chacun pouvant, toutes choses égales, penser à soi plutôt qu'aux autres, desorte que cet ordre ne doit être renversé que pour satisfaire à un engagement exprès ou tacite.
Le but & la nature du prêt à usage considéré en lui-même ne demande rien de plus que de maintenir la chose prêtée avec tout le soin possible, quand même d'autres personnes plus propres ou plus avisées auroient pû la manier plus délicatement, & la mieux conserver ; mais, dans ce prêt, il se trouve ordinairement une convention tacite, par laquelle on s'engage non-seulement à dédommager le propriétaire au cas que la chose empruntée se trouve gâtée, mais encore à la payer, si elle vient à périr entre nos mains, même sans qu'il y ait de notre faute, pourvu qu'elle eût pû se conserver entre les mains de celui qui l'a prêtée. En effet, peu de gens voudroient prêter sans cette condition, sur-tout lorsqu'ils seroient incommodés d'une telle perte.
2°. Il ne faut pas se servir de la chose empruntée à d'autres usages, ni plus long-tems que le propriétaire ne l'a permis.
3°. Il faut la rendre en son entier, & telle qu'on l'a reçue, ou du-moins sans autre détérioration que celle qui est un effet inévitable de l'usage ordinaire.
4°. Si, après avoir emprunté une chose pour un certain tems, le propriétaire vient à en avoir besoin lui-même avant le terme convenu, par un accident auquel on n'avoit point pensé dans le tems de l'accord, on doit la rendre sans différer à la premiere réquisition.
5°. Lorsque la chose prêtée vient à périr par quelque cas fortuit & imprévu sans qu'il y ait de la faute de l'emprunteur, celui-ci n'est pas obligé de la payer, dès qu'il y a lieu de croire qu'elle seroit également périe entre les mains du propriétaire ; mais si elle eût pû se conserver, il est juste d'en restituer la valeur, autrement il en couteroit trop cher à celui qui s'est privé soi-même de son bien pour faire plaisir à une personne.
Tout ce à quoi est tenu celui qui a prêté une chose, c'est de rembourser les dépenses utiles ou nécessaires que l'emprunteur peut avoir faites pour l'entretenir, au-delà de celles que demande absolument l'usage ordinaire.
Il faut lire ici les notes de M. Barbeyrac sur le droit de la nature & des gens de Puffendorf. (D.J.)
PRET GRATUIT, (Morale) c'est celui dont on ne retire ni intérêt, ni autre chose qui en puisse tenir lieu, & qui ne se fait que par pure générosité & pour faire plaisir à celui à qui on prête ; en un mot, c'est le prêt évangélique qui doit se faire gratuitement & sans en rien espérer.
PRET, (Histoire de la maison du roi) on appelle prêt chez le roi, l'essai que le gentilhomme servant qui est de jour pour le prêt, fait faire au chef de gobelet du pain, du sel, des serviettes, de la cuillere, de la fourchette, du couteau & des cure-dents qui doivent servir à Sa Majesté, ce qu'il fait avec un petit morceau de pain dont il touche toutes ces choses, & le donne ensuite à manger au chef du gobelet ; cela s'appelle le prêt. La table sur laquelle on fait cet essai se nomme la table du prêt, & est gardée par le gentilhomme servant. (D.J.)
PRET ou PAIE, (Art. milit.) est le payement de solde que le roi fait faire d'avance de cinq jours en cinq jours à ses troupes. On dit toucher le prêt, recevoir le prêt, &c.
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PRÉTENDANT | adj. (Gram.) celui qui aspire à une chose. On dit un prétendant au trône, à la papauté, à cette place, à ce bénéfice.
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PRÉTENDRE | v. act. & n. (Gram.) avoir la prétention, l'espérance, la certitude de faire ou d'obtenir telle ou telle chose.
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PRÉTENDU | part. (Jurisp.) se dit de celui que l'on suppose avoir une qualité, quoiqu'il ne l'ait pas, ou du-moins qu'elle ne soit pas reconnue ; c'est ainsi qu'on appelle prétendu donataire, ou prétendu héritier celui dans lequel on ne reconnoît point cette qualité, ce qui a lieu lors même que l'on ne veut pas entrer dans la discussion de savoir s'il a en effet cette qualité ou non.
On appelle aussi prétendu simplement celui qui recherche une fille en mariage, & dont la recherche est agréée par les parens. (A)
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PRÉTENTION | S. f. (Gram.) droit bien ou mal fondé sur quelque chose ; il a des prétentions sur telle ou telle place ; elle a des prétentions fort considérables ; c'est un homme à prétentions.
PRETENTION, s. f. (Jurisprud.) est une chose que l'on se croit fondé à soutenir ou à demander, mais qui n'est pas reconnue ni adjugée.
On joint ordinairement ensemble ces mots, droits, actions & prétentions, non pas qu'ils soient synonymes ; car droit est quelque chose de formé & de certain. Action est ce que l'on demande, au lieu qu'une prétention n'est souvent point encore accompagnée d'une demande. (A)
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PRÊTER | v. act. (Gramm.) action de celui qui prête. Il se dit dans toutes les significations du prêt ; prêter sans intérêt, prêter sur gages, prêter à usure. Voyez PRET.
Prêter signifie aussi vendre sa marchandise à crédit. Voyez CREDIT. Dictionnaire de commerce.
PRETER LE FLANC à une troupe, se dit dans l'Art militaire lorsqu'on fait quelque mouvement, dans lequel on oppose le flanc des troupes à l'ennemi. Ces sortes de mouvemens sont toujours très-dangereux, si l'ennemi est à portée d'en profiter. Voyez MARCHE & RETRAITE. (Q)
PRETER ou PRESTER LE COTE, (Marine) ce vaisseau veut prester le côté à un autre, c'est-à-dire qu'il est assez fort pour le combattre.
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PRÉTÉRIT | adj. (Gramm.) employé quelquefois comme substantif ; c'est un terme exclusivement propre au langage grammatical, pour y signifier quelque chose de passé, selon le sens du mot latin praeteritus, qui n'est que francisé ici. Les tems prétérits, ou substantivement les prétérits dans les verbes sont des tems qui expriment l'antériorité d'existence à l'egard d'une époque de comparaison.
On peut distinguer les prétérits, comme les présens en définis & indéfinis, & les indéfinis en actuel, antérieur & postérieur. Mais ce que j'ai dit de la nécessité de voir la théorie des présens dans l'ensemble du système des tems, au mot TEMS, je le dis aussi de la théorie des prétérits, & pour la même raison. (B. E. R. M.)
PRETERIT, (Jurisprud.) est celui qui a été entierement passé sous silence dans un testament. Voyez ci-après PRETERITION. (A)
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PRÉTÉRITION | S. f. (Belles-Lettres) figure de rhétorique, par laquelle on proteste qu'on passe sous silence, qu'on ignore, ou du-moins qu'on ne veut pas insister sur certaines choses qu'on ne laisse pas que de dire. Ce mot est dérivé du latin praeterire, passer outre. On en trouve fréquemment des exemples dans Cicéron, comme, nihil de illius intemperantiâ loquor, nihil de singulari nequitiâ ac turpitudine, tantum de quaestu & lucro dicam, Verr. VI. n°. 206. Et dans l'oraison pour Sextius : Possem multa dicere de liberalitate, de ejus abstinentiâ ; de caeteris virtutibus : sed mihi ante oculos obversatur reipublicae dignitas, quae me ad sese rapit, haec minora relinquere hortatur.
Cette figure est très-propre à insinuer très-légerement dans un discours les choses sur lesquelles on ne doit pas appuyer, & à préparer l'auditeur à donner plus d'attention aux objets plus importans ; on l'appelle autrement prétermission. Voyez PRETERMISSION.
PRETERITION, (Jurisprud.) en matiere de testament est l'omission qui est faite par le testateur de quelqu'un qui a droit de légitime dans sa succession.
Chez les Romains, la prétérition des enfans faite par la mere passoit pour une exhérédation faite à dessein ; il en étoit de même du testament d'un soldat, lequel n'étoit pas assujetti à tant de formalités.
Mais la prétérition des fils de la part de tout autre testateur étoit regardée comme une injure, & suffisoit seule pour annuller de plein droit le testament.
Parmi nous, suivant l'ordonnance du testament dans les pays où l'institution d'héritier est nécessaire pour la validité du testament, ceux qui ont droit de légitime doivent être institués au-moins en ce que le testateur leur donnera.
Dans le nombre de ceux qui ont droit de légitime, l'ordonnance comprend tacitement les pere, mere, ayeuls & ayeules, lesquels ont droit de légitime dans la succession de leurs enfans & petits-enfans décédés sans postérité.
Il n'est pas permis de passer sous silence les enfans même qui ne seroient pas nés au tems du testament, s'ils sont nés ou conçus au tems de la mort du testateur.
Quelque modique que soit l'effet ou la somme pour lesquels ceux qui ont droit de légitime auront été institués héritiers, le vice de la prétérition ne peut être opposé contre le testament, encore que le testateur eût disposé de ses biens en faveur d'un étranger.
En cas de prétérition d'aucuns de ceux qui ont droit de légitimes, le testament doit être déclaré nul quant à l'institution d'héritier, sans même qu'elle puisse valoir comme fidéicommis ; & si elle a été chargée de substitution, cette substitution demeure pareillement nulle, le tout encore que le testament contînt la clause codicillaire, laquelle ne produit aucun effet à cet égard, sans préjudice néanmoins de l'exécution du testament en ce qui concerne le surplus des dispositions du testateur.
Ce qui vient d'être dit dans l'article précédent est aussi observé, même à l'égard des testamens faits entre enfans ou en tems de peste ; mais pour ce qui concerne les testamens militaires, l'ordonnance déclare que l'on n'entend rien innover à ce qui est porté par les lois romaines à cet égard. Voyez au code le tit. XLII. liv. VI. & l'ordonnance des testamens, articles 50. & suivans. (A)
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PRÉTERMISSION | S. f. (Belles Lettres) figure de Rhétorique par laquelle on feint de passer légérement sur les choses qu'on veut inculquer le plus fortement. Demosthenes l'employe dans sa troisieme Philippique. " Pour appuyer mon opinion, dit-il, je ne parlerai ni de vos animosités domestiques, ni de l'agrandissement de Philippe. Je ne dirai pas qu'après tant de conquêtes, il parviendra à la monarchie universelle de la Grece avec plus d'apparence, qu'il n'y avoit lieu de se défier autrefois qu'il dût parvenir où il est à présent ; une raison que je choisis entre tant d'autres, c'est que les Grecs & les Athéniens tous les premiers, lui ont accordé un privilege qui a été jusqu'ici la source de toutes nos guerres. Quel est-il ? d'agir sans obstacle au gré de ses desirs, d'attaquer, de ruiner, de réduire tour-à-tour en servitude chaque ville comme il lui plaît ". Cette figure a beaucoup d'affinité avec celle qu'on nomme prétérition. Voyez PRETERITION.
PRETERMISSION, (Jurisprud.) signifie l'omission de quelque chose, comme la prétérition est l'oubli de quelqu'un.
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PRÉTEUR | S. m. (Hist. rom.) magistrat souverain de Rome, dont la principale fonction étoit de rendre la justice ; c'est pour cela que sur les médailles des préteurs on voit souvent une balance.
Les lois seroient oisives & sans force, si on ne les tournoit à leur usage, & si elles n'avoient du consentement des citoyens, un homme grave & puissant, sous la voix & l'autorité duquel elles se manifestassent ; c'est la charge du magistrat. Il est en quelque maniere la vie & la main des lois pour ranimer celles qui languissent, débrouiller celles qui sont obscures, étendre celles qui sont trop resserrées.
Ce pouvoir donné à certains hommes par le choix du peuple, des principaux de la nation, ou par l'ordre du prince, produit promtement ce qui ne pourroit s'exécuter sans beaucoup de peine, par les citoyens réunis ensemble. Ainsi le peuple arme quelqu'un d'eux de la puissance de tous, afin de terminer les affaires par le ministere des lois ; c'est ce qu'exécutoit chez les Romains un magistrat duquel découloit la jurisdiction & le jugement des affaires. Ce magistrat s'appelloit préteur dont auparavant toute la puissance appartenoit au consulat.
Le nom général de préteur convenoit à toutes les souveraines magistratures, mais principalement au consulat, parce que le consul présidoit à tous les jugemens en paix & en guerre ; de-là vient que nous lisons dans Tite-Live, qu'il y avoit une loi très-ancienne par laquelle il étoit prescrit au souverain préteur, c'est-à-dire à celui qui étoit consul ou dictateur, de ficher le clou. Justinien nous apprend que le nom de préteur désignoit l'empire, & que les anciens généraux romains avoient été appellés préteurs.
Les patriciens dans leurs disputes avec les plébéiens, n'ayant pû empêcher que l'un des consuls seroit tiré de l'ordre des plébéiens, songerent à réparer en quelque maniere le partage de leur puissance. Ils prétexterent alors les trop grandes occupations du consul, & représentant la multitude des affaires de la ville, qui ne pouvoient être expédiées par des consuls toujours occupés d'affaires militaires & d'expéditions longues & éloignées, obtinrent l'an 386, qu'une partie de la puissance consulaire, c'est-à-dire celle qui comprenoit les affaires du barreau, seroit conférée à un magistrat particulier choisi dans le nombre des sénateurs, & qui seroit nommé préteur par une dénomination commune attachée à cette charge particuliere. Cela fut exécuté, & Spurius Furius Camillus fut le premier élu préteur l'an de Rome 387.
Ce préteur fut fait dans les comices assemblés par centuries avec les mêmes cérémonies de religion, c'est-à-dire en prenant les mêmes auspices que pour les consuls ; aussi le préteur est-il appellé quelquefois leur collegue. On créa d'abord un seul préteur ; mais l'an 510 l'abondance des affaires en fit nommer un second pour rendre la justice entre les citoyens & les étrangers ; ce qui fit qu'on l'appella préteur étranger, peregrinus praetor. Celui qui ne jugeoit que des procès entre citoyen & citoyen, étoit appellé préteur de la ville, praetor urbanus ; & sa charge étoit plus honorable que celle de l'autre ; elle lui étoit aussi supérieure. On appelloit la justice qu'il rendoit, la justice d'honneur, jus honorarium.
L'an 526 de Rome, lorsque la Sicile & la Sardaigne eurent été réduites en provinces romaines, on créa deux préteurs pour les gouverner au nom de la république. Et l'an 556, lorsqu'on eut subjugué les deux Espagnes, citérieure & ultérieure, on créa deux autres préteurs pour régir ces deux provinces. Mais en 561, il fut réglé par la loi Bebia, qui cependant ne fut pas longtems observée, qu'on ne créeroit tous les deux ans que quatre préteurs, dont deux demeureroient dans la ville, savoir l'urbanus & le peregrinus, & que les autres se rendroient aussi-tôt dans les provinces qui leur seroient tombées en partage.
Vers l'an 605 de Rome, ou peu de tems après, c'est-à-dire en 607, lorsque l'Afrique, l'Achaïe, la Macédoine, furent devenues provinces romaines, on établit ce qu'on appelloit quaestiones perpetuae, recherches perpétuelles, dont nous parlerons bientôt. Alors il fut réglé que tous les préteurs rendroient la justice à Rome, soit en public, soit en particulier, dans l'année de leur magistrature ; & qu'à la fin de cette année, ils partiroient pour les provinces qui leur seroient échues. L. Cornelius Sylla ayant augmenté les recherches perpétuelles l'an 672, il ajouta encore deux autres préteurs ; quelques-uns prétendent qu'il en augmenta le nombre jusqu'à dix. Quoiqu'il en soit, Jules César l'an 707 créa dix préteurs ; il augmenta ensuite leur nombre jusqu'à quatorze, & ensuite jusqu'à seize, pour récompenser les coopérateurs de sa criminelle ambition. Mais après sa mort, on réduisit le nombre à dix. Auguste créa encore dix autres préteurs, & ils furent ensuite au nombre de seize, auxquels l'empereur Claude en ajouta deux, pour juger en dernier ressort des fidei-commis jusqu'à une certaine somme limitée, à ce qu'il paroît. Quand la somme excédoit, on en appelloit au consul. L'empereur Titus n'en retrancha qu'un, qui fut rétabli par Nerva, pour juger des affaires entre le fisc & les particuliers. Marc Aurele Antonin institua un préteur pour les affaires de tutele. Lorsque l'étendue de l'empire eut été diminuée, le nombre des préteurs le fut aussi ; ensorte que sous les empereurs Valentinien & Marcien, il n'y en avoit que trois. Enfin vers le tems de Justinien, la préture fut entierement abolie.
Les marques de la dignité du préteur étoient 1°. six licteurs avec des faisceaux, au moins hors de la ville. Quelques-uns ne lui en donnent que deux, c'est-à-dire qu'au moins il en avoit toujours deux qui l'accompagnoient par-tout : 2°. il portoit la robe prétexte, qu'il prenoit comme les consuls dans le capitole le jour qu'il étoit installé, après avoir fait les voeux ordinaires dans le temple : 3°. il avoit la chaise curule : 4°. il avoit un tribunal qui étoit un lieu élevé en forme de demi-cercle, sur lequel étoit placée la chaise curule ; car les magistrats & juges inférieurs n'étoient assis que sur des bancs : 5°. il avoit la lance qui marquoit sa jurisdiction, & l'épée qui marquoit le droit de question.
Les fonctions du préteur étoient 1°. de donner des jeux, sur-tout les jeux du cirque, tels que ceux qu'on appelloit les grands jeux floraux, & autres ; ce qui se faisoit avec beaucoup de pompe & de somptuosité. Il avoit pour cette raison une espece d'inspection sur les comédiens & autres gens de cette sorte, au moins du tems des empereurs. 2°. Durant la vacance de la censure, il avoit droit d'ordonner la réparation des édifices publics ; mais il falloit y joindre un decret du sénat. 3°. Dans l'absence des consuls, il faisoit leurs fonctions ; il assembloit le sénat ; il falloit cependant que ce fût pour quelque affaire nouvelle : il demandoit les avis des sénateurs, tenoit les comices, & haranguoit le peuple. Desorte que lorsque le consul étoit absent, il étoit véritablement le premier magistrat de Rome. Il pouvoit empêcher tout magistrat, excepté les consuls, de tenir les comices & de haranguer. Cependant il paroît que quelques-unes de ces prérogatives ne concernoient que le préteur de la ville.
La principale fonction du préteur étoit ce qui regardoit sa jurisdiction, comme s'exprime Cicéron, de leg. l. III. c. iij. Cette jurisdiction étoit si étendue, & l'occupoit tellement, qu'il lui étoit impossible d'être hors de Rome plus de dix jours. Pour savoir en quoi consistoit cette jurisdiction, il est nécessaire de dire ici quelque chose de la forme des jugemens chez les Romains.
Tous les jugemens regardoient ou les affaires des particuliers, ou celles de l'état : à l'égard des premieres, qui étoient proprement l'objet de la jurisdiction de la préture, c'étoient les deux préteurs qui présidoient ; mais pour ce qui est des affaires d'état qu'on appelloit les recherches, quaestiones, elles étoient d'abord dévolues au peuple, qui établissoit à cet effet des commissaires nommés quaestores, ou bien il créoit un dictateur. Les procès des esclaves & de la populace étoient jugés par les triumvirs capitaux. Les édiles jugeoient des affaires qui avoient rapport à l'exercice de leurs charges. Mais l'abondance & la prospérité ayant fait commettre dans Rome, comme il arrive ordinairement, toutes sortes de crimes, il fut réglé que les deux premiers préteurs auroient toujours la même jurisdiction par rapport aux procès des particuliers, & que les quatre autres feroient les recherches que le sénat auroit ordonné suivant les conjonctures pour les crimes capitaux & d'état. Les recherches ou inquisitions furent appellées quaestiones perpetuae, soit parce qu'elles avoient une forme prescrite qui étoit certaine & invariable, ensorte qu'elles n'avoient pas besoin d'une nouvelle loi, comme autrefois ; soit parce que les préteurs faisoient ces recherches perpétuellement & durant toute l'année de leur exercice, & que le peuple, comme ci-devant, ne nommoit plus des édiles pour faire ces sortes d'informations.
L'objet des premieres recherches perpétuelles furent les concussions, les crimes d'ambition, ceux d'état & de péculat. Sylla y ajouta le crime de faux, ce qui renfermoit le crime de fabrication de fausse monnoie, le parricide, l'assassinat, l'empoisonnement ; on y ajouta encore comme une suite, la prévarication des juges, & les violences publiques & particulieres. Cependant le peuple, & même le sénat, connoissoient quelquefois par extraordinaire, de ces crimes, & nommoient des commissaires pour informer ; ainsi qu'il arriva dans le procès de Silanus, accusé de concussion ; dans l'affaire de Milon touchant le meurtre de Clodius ; & dans celle de ce Clodius même, qui avoit profané le culte de la bonne déesse. On ordonnoit alors une information de pollutis sacris, surtout lorsqu'il s'agissoit d'une vestale accusée d'avoir eu commerce avec un homme, & d'autres crimes semblables. A l'égard de l'assassinat, le peuple, comme nous avons dit, faisoit le procès aux coupables dans les comices assemblés par centuries.
Lorsque le sénat avoit ordonné les informations, les préteurs tiroient entr'eux au sort le procès qui devoit leur échoir ; car les comices ne fixoient point l'attribution des causes. Quelquefois les deux préteurs travailloient au même procès, sur-tout quand il s'agissoit d'un grand nombre de complices. Quelquefois un seul préteur connoissoit de deux affaires. Le préteur étranger connut pendant un certain tems du crime de concussion ; & même le préteur de la ville, par un decret du sénat, informoit sur les affaires d'état : cependant cela est douteux ; car Verrès contrevint aux lois, lorsque dans sa préture, il voulut juger d'un crime d'état. Enfin on vit quelquefois les deux préteurs joints ensemble pour juger de la même affaire.
J'ai dit que le préteur de la ville étoit d'un rang fort au-dessus de l'autre ; on l'appelloit même honoré par excellence ; il étoit regardé comme le conservateur du droit des Romains ; & c'étoit sur ses ordonnances que le préteur étranger, c'est-à-dire le second préteur (Sigonius cependant en doute), & les préteurs des provinces, formoient les leurs. Delà vient qu'on l'appelloit aussi le grand préteur, praetor maximus. Au commencement de la magistrature, il publioit un édit concernant la formule ou la méthode suivant laquelle il rendroit durant l'année la justice, touchant les affaires de son ressort. Les préteurs avoient introduit cet usage pour avoir lieu d'interpréter à leur gré & de corriger le droit civil, dans les choses qui concernoient les particuliers. Le préteur ne manquoit jamais tous les ans de renouveller cet édit lorsqu'il entroit en charge ; & c'est ce que Cicéron appelle la loi annuelle, lex annua ; aussi les actions prétoriennes, c'est-à-dire les procédures faites sous un préteur, ne subsistoient ordinairement que durant l'année de son exercice. Mais les préteurs étant souvent guidés dans leurs jugemens par l'ambition & la faveur, & jugeant peu conformément à leurs propres édits, C. Cornélius, tribun du peuple l'an 686, porta une loi appellée la loi cornelia, par laquelle on obligea les préteurs de suivre exactement leurs édits dans leurs jugemens. Sous l'empereur Adrien, & par son ordre, Salvius Julianus, bisayeul de l'empereur Julien, & grand jurisconsulte, recueillit tous les édits des préteurs en un volume, & les mit en ordre ; ce qui a été appellé depuis edictum perpetuum, & jus honorarium.
Le préteur avoit coutume d'exprimer toute l'étendue de sa jurisdiction par ces trois mots : do, dico & abdico. Le premier signifioit qu'il avoit le pouvoir de donner des juges, de donner la possession des biens, d'accorder la revendication, &c. Le second, qu'il avoit droit de prononcer souverainement sur toutes les affaires des particuliers. Le troisieme, de faire exécuter tous ses jugemens.
Il donnoit audience aux parties, soit assis sur son tribunal, soit debout, de plano. Il jugeoit tantôt per decretum, & tantôt per libellum dans les affaires peu importantes. Au reste, il ne donnoit audience que dans les jours appellés fasti (à fando), parce qu'il n'y avoit que ces jours-là que le préteur pouvoit prononcer les trois mots que j'ai marqués ci-dessus.
Voilà les usages qu'on suivit tant que la république fut libre. Mais sous les derniers empereurs, les préteurs se virent dépouillés de toutes leurs anciennes fonctions, & réduits à l'intendance des spectacles ; ce qui fait que Boece, parlant des préteurs de son tems, appelle la préture un vain nom, & une charge inutile. En effet, les préfets du prétoire, qui étoient les officiers de l'empereur, avoient usurpé toutes les fonctions des préteurs de ville, parce que le pouvoir du peuple étoit passé entierement aux empereurs.
Le nom de préteur vient du latin praetendere, c'est-à-dire marcher devant, à cause de la supériorité de sa jurisdiction. On peut consulter sur cette charge, Sigonius, Juste-Lipse, Gravina, & Perizonius, dans sa dissertation de praetorio. Voyez aussi PRETURE. (D.J.)
PRETEUR, droit du, (Jurisp. rom.) jus praetorium, c'est une partie considérable du Droit romain, laquelle tire son origine des édits annuels que publioit chaque préteur, ou magistrat revêtu d'une jurisdiction civile, pour une année seulement. Ces édits par lesquels le préteur expliquoit, corrigeoit ou suppléoit ce qu'il trouvoit obscur & défectueux dans le Droit écrit, où les coûtumes reçues ne pouvoient que varier beaucoup ; & ils n'eurent force de loi que par l'usage, jusqu'à-ce que Salvius Julianus en composa, par ordre de l'empereur Adrien, un édit perpétuel, qui depuis eut la même autorité que les autres parties du Droit romain, dont il demeura néanmoins distingué, & par ses effets, & par le nom de droit du préteur, opposé au Droit civil : on entendoit par droit civil, 1°. les lois proprement ainsi nommées, qui avoient été établies sur la proposition de quelques magistrats du corps du sénat ; 2°. les plébiscites ou ordonnances du peuple, faites sur la proposition des magistrats, qu'il choisissoit lui-même de son ordre ; 3°. les senatus-consultes ou arrêts du sénat seul ; 4°. les décisions des jurisconsultes, autorisées par la coûtume, qui par elle-même avoit aussi force de loi ; 5°. enfin les constitutions des empereurs. On peut voir sur le droit du préteur Mrs Noodt, Schulting, & Averani. (D.J.)
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PRÊTEUR | S. m. celui qui prête son argent, ses marchandises. Les prêteurs sur gages sont regardés comme des usuriers.
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PRÉTEXTE | S. m. PRÉTEXTER, (Gramm.) faux motif dont on couvre une raison qu'il est honteux ou dangereux d'avouer. On dit le prétexte de la guerre ; le prétexte de sa haine ; le prétexte de ses injures. Il n'attend qu'un prétexte pour me perdre : c'est un voyage prétexté : il a prétexté une maladie.
PRETEXTE, s. f. (Littérat.) praetexta ou praetexta toga, espece de tunique ou de robe blanche des Romains, qui avoit tout-autour un petit bordé de pourpre, selon la remarque de Varron, qui la distingue ainsi des autres robes ; praetexta toga, est alba purpurea limbo. Les enfans de qualité prenoient la prétexte à un certain âge, & c'étoit alors une grande fête dans la famille, parce que cette robe ouvroit la porte des assemblées publiques, des délibérations, & même du sénat.
C'étoit encore un habit de dignité, que les magistrats, les augures, les prêtres, les préteurs, les sénateurs portoient certains jours de solemnité ; mais le préteur la quittoit quand il s'agissoit de prononcer un jugement de condamnation contre quelqu'un. Voyez Baïfius & autres auteurs, de re vestiariâ Romanorum. (D.J.)
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PRETINTAILLES | S. f. (Modes) les falbalas, les franges, les agrémens que l'on met aux jupons des femmes & à leurs robes.
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PRÉTOIRE | S. m. (Hist. anc.) étoit chez les Romains le lieu, le palais où demeuroit le préteur de la province, & où les magistrats rendoient la justice au peuple. Voyez PRETEUR.
Il y avoit un prétoire dans toutes les villes de l'empire romain. L'Ecriture fait mention de celui de Jérusalem sous le nom de salle de jugement : on voit les restes d'un prétoire à Nîmes en Languedoc.
Prétoire étoit aussi la tente ou le pavillon du général de l'armée romaine, où se tenoit le conseil de guerre. Voyez TENTE & PAVILLON.
Du tems d'Auguste, la tente de l'empereur dans le camp s'appelloit praetorium augustale. Prétoire étoit aussi une place à Rome où les gardes prétoriennes étoient logées. On croit que le prétoire étoit proprement le tribunal du préfet du prétoire, ou une salle d'audience destinée à rendre la justice dans le palais des empereurs. Voyez PREFET.
On appuie cette opinion sur l'épître de S. Paul aux Philippiens, & on croit que le lieu appellé prétoire, a donné le nom aux gardes prétoriennes, parce qu'elles s'y assembloient pour la sureté & la garde des empereurs. D'autres croyent que le prétoire n'étoit ni un tribunal, ni une salle de justice, mais seulement la maison de la garde impériale.
Perizonius a fait une dissertation, pour prouver que le prétoire n'étoit pas une cour de justice au tems de saint Paul, mais seulement le camp ou la place où les soldats étoient logés ; & il ajoute que le nom de prétoire n'a été donné aux lieux où la justice se rendoit que long-tems après, quand l'office de préfet du prétoire fut changé en charge civile.
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PRÉTORIENNE | COHORTE, (Art militaire des Romains) c'étoit une cohorte attachée à la personne du général de l'armée, & qui portoit toujours ce nom, quand même c'étoit un dictateur ou un consul qui commandoit. Scipion l'Africain fut le premier qui institua cette cohorte, & qui en forma une de l'élite de ses troupes, pour se tenir toujours auprès de sa personne durant la guerre. Cette cohorte étoit dispensée de bien des fonctions militaires, & avoit la paie beaucoup plus forte que les autres ; son nom de prétorienne venoit de ce que c'étoit anciennement un préteur qui avoit le commandement de l'armée, & de ce que la tente du général s'appelloit praetorium. (D.J.)
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PRÊTRES | S. m. pl. (Religion & Politique) on désigne sous ce nom tous ceux qui remplissent les fonctions des cultes religieux établis chez les différens peuples de la terre.
Le culte extérieur suppose des cérémonies, dont le but est de frapper les sens des hommes, & de leur imprimer de la vénération pour la divinité à qui ils rendent leurs hommages. Voyez CULTE. La superstition ayant multiplié les cérémonies des différens cultes, les personnes destinées à les remplir ne tarderent point à former un ordre séparé, qui fut uniquement destiné au service des autels ; on crut que ceux qui étoient chargés de soins si importans se devoient tout entiers à la divinité ; dès-lors ils partagerent avec elle le respect des humains ; les occupations du vulgaire parurent au-dessous d'eux, & les peuples se crurent obligés de pourvoir à la subsistance de ceux qui étoient revêtus du plus saint & du plus important des ministeres ; ces derniers renfermés dans l'enceinte de leurs temples, se communiquerent peu ; cela dut augmenter encore le respect qu'on avoit pour ces hommes isolés ; on s'accoûtuma à les regarder comme des favoris des dieux, comme les dépositaires & les interpretes de leurs volontés, comme des médiateurs entr'eux & les mortels.
Il est doux de dominer sur ses semblables ; les prêtres surent mettre à profit la haute opinion qu'ils avoient fait naître dans l'esprit de leurs concitoyens ; ils prétendirent que les dieux se manifestoient à eux ; ils annoncerent leurs decrets ; ils enseignerent des dogmes ; ils prescrivirent ce qu'il falloit croire & ce qu'il falloit rejetter ; ils fixerent ce qui plaisoit ou déplaisoit à la divinité ; ils rendirent des oracles ; ils prédirent l'avenir à l'homme inquiet & curieux, ils le firent trembler par la crainte des châtimens dont les dieux irrités menaçoient les téméraires qui oseroient douter de leur mission, ou discuter leur doctrine.
Pour établir plus surement leur empire, ils peignirent les dieux comme cruels, vindicatifs, implacables ; ils introduisirent des cérémonies, des initiations, des mysteres, dont l'atrocité pût nourrir dans les hommes cette sombre mélancolie, si favorable à l'empire du fanatisme ; alors le sang humain coula à grands flots sur les autels ; les peuples subjugués par la crainte, & enivrés de superstition, ne crurent jamais payer trop cherement la bienveillance céleste : les meres livrerent d'un oeil sec leurs tendres enfans aux flammes dévorantes ; des milliers de victimes humaines tomberent sous le couteau des sacrificateurs ; on se soumit à une multitude de pratiques frivoles & révoltantes, mais utiles pour les prêtres, & les superstitions les plus absurdes acheverent d'étendre & d'affermir leur puissance.
Exempts de soins & assurés de leur empire, ces prêtres, dans la vûe de charmer les ennuis de leur solitude, étudierent les secrets de la nature, mysteres inconnus au commun des hommes ; de-là les connoissances si vantées des prêtres égyptiens. On remarque en général que chez presque tous les peuples sauvages & ignorans, la Médecine & le sacerdoce ont été exercés par les mêmes hommes. L'utilité dont les prêtres étoient au peuple ne put manquer d'affermir leur pouvoir. Quelques-uns d'entr'eux allerent plus loin encore ; l'étude de la physique leur fournit des moyens de frapper les yeux par des oeuvres éclatantes ; on les regarda comme surnaturelles, parce qu'on en ignoroit les causes ; de-là cette foule de prodiges, de prestiges, de miracles ; les humains étonnés crurent que leurs sacrificateurs commandoient aux élémens, disposoient à leur gré des vengeances & des faveurs du ciel, & devoient partager avec les dieux la vénération & la crainte des mortels.
Il étoit difficile à des hommes si révérés de se tenir long-tems dans les bornes de la subordination nécessaire au bon ordre de la société : le sacerdoce enorgueilli de son pouvoir, disputa souvent les droits de la royauté ; les souverains soumis eux-mêmes, ainsi que leurs sujets, aux lois de la religion, ne furent point assez forts pour reclamer contre les usurpations & la tyrannie de ses ministres ; le fanatisme & la superstition tinrent le couteau suspendu sur la tête des monarques ; leur trône s'ébranla aussi-tôt qu'ils voulurent réprimer ou punir des hommes sacrés, dont les intérêts étoient confondus avec ceux de la divinité ; leur résister fut une révolte contre le ciel ; toucher à leurs droits fut un sacrilege ; vouloir borner leur pouvoir, ce fut sapper les fondemens de la religion.
Tels ont été les degrés par lesquels les prêtres du paganisme ont élevé leur puissance. Chez les Egyptiens les rois étoient soumis aux censures du sacerdoce ; ceux des monarques qui avoient déplu aux dieux recevoient de leurs ministres l'ordre de se tuer, & telle étoit la force de la superstition, que le souverain n'osoit désobéir à cet ordre. Les druides chez les Gaulois exerçoient sur les peuples l'empire le plus absolu ; non contens d'être les ministres de leur culte, ils étoient les arbitres des différends qui survenoient entr'eux. Les Mexicains gémissoient en silence des cruautés que leurs prêtres barbares leur faisoient exercer à l'ombre du nom des dieux ; les rois ne pouvoient refuser d'entreprendre les guerres les plus injustes lorsque le pontife leur annonçoit les volontés du ciel ; le dieu a faim, disoit-il ; aussi-tôt les empereurs s'armoient contre leurs voisins, & chacun s'empressoit de faire des captifs pour les immoler à l'idole, ou plutôt à la superstition atroce & tyrannique de ses ministres.
Les peuples eussent été trop heureux, si les prêtres de l'imposture eussent seuls abusé du pouvoir que leur ministere leur donnoit sur les hommes ; malgré la soumission & la douceur, si recommandée par l'Evangile, dans des siecles de ténebres, on a vû des prêtres du Dieu de paix arborer l'étendart de la révolte ; armer les mains des sujets contre leurs souverains ; ordonner insolemment aux rois de descendre du trône ; s'arroger le droit de rompre les liens sacrés qui unissent les peuples à leurs maîtres ; traiter de tyrans les princes qui s'opposoient à leurs entreprises audacieuses ; prétendre pour eux-mêmes une indépendance chimérique des lois, faites pour obliger également tous les citoyens. Ces vaines prétentions ont été cimentées quelquefois par des flots de sang : elles se sont établies en raison de l'ignorance des peuples, de la foiblesse des souverains, & de l'adresse des prêtres ; ces derniers sont souvent parvenus à se maintenir dans leurs droits usurpés ; dans les pays où l'affreuse inquisition est établie, elle fournit des exemples fréquens de sacrifices humains, qui ne le cedent en rien à la barbarie de ceux des prêtres mexicains. Il n'en est point ainsi des contrées éclairées par les lumieres de la raison & de la philosophie, le prêtre n'y oublie jamais qu'il est homme, sujet, & citoyen. Voyez THEOCRATIE.
PRETRES, (Hist. rom.) ministres de la religion. Les prêtres chez les Romains n'étoient point d'un ordre différent des citoyens. On les choisissoit indifféremment pour administrer les affaires civiles & celles de la religion. Il y avoit bien de la prudence dans cette conduite ; elle obvioit à beaucoup de troubles qui auroient pu naître sous prétexte de religion. Les prêtres des dieux, même de ceux d'un ordre inférieur, étoient pour l'ordinaire élus d'entre les plus distingués, par leurs emplois & leurs dignités. On accordoit quelquefois cet honneur à de jeunes gens d'illustre famille, dès qu'ils avoient pris la robe virile.
Il faut distinguer les prêtres en deux classes. Les uns n'étoient attachés à aucun dieu en particulier, mais ils étoient pour offrir des sacrifices à tous les dieux ; tels étoient les pontifes, les augures, les quindecemvirs, qu'on nommoit sacris faciundis ; les auspices, ceux qu'on appelloit fratres arvales ; les curions, les septemvirs, nommés epulones, les féciaux ; d'autres à qui on donnoit le nom de sodales titienses, & le roi des sacrifices, appellé rex sacrificulus. Les autres prêtres avoient chacun leurs divinités particulieres : ceux-là étoient les flamines, les saliens ; ceux qui étoient appellés luperci, pinarii, potitii, pour Hercule ; d'autres nommés aussi galli, pour la déesse Cybele ; & enfin les vestales, &c. Voyez chacun de ces mots.
Les prêtres avoient des ministres pour les servir dans les sacrifices. J'en vais donner une énumération laconique. Ceux & celles qu'on appelloit camilli & camillae, étoient de jeunes garçons & de jeunes filles libres qui servoient dans ces cérémonies religieuses. Romulus en étoit l'instituteur ; & les prêtres qui n'avoient point d'enfans étoient obligés d'en prendre. Les jeunes garçons devoient servir jusqu'à l'âge de puberté, & les filles jusqu'à-ce qu'elles se mariassent. Ceux & celles qu'on nommoit flaminii & flaminiae, servoient le flamine de Jupiter : ces jeunes gens devoient avoir pere & mere. Les quindecemvirs avoient aussi des ministres qui leur servoient de secrétaires.
Les ministres appellés editui ou editumi, étoient ceux qui avoient soin de tenir les temples en bon état, ce qu'ils appelloient sacra tecta servare. Les joueurs de flûte étoient aussi d'un grand usage chez les Romains, dans les sacrifices, les jeux, les funérailles ; ils couroient masqués aux ides de Juin. On se servoit encore aux sacrifices de gens qui sonnoient de la trompette ; ils purifioient leurs instrumens deux fois l'année : le jour de cette cérémonie se nommoit tubilustria.
Les ministres qu'on nommoit popae & victimarii, étoient chargés de lier les victimes. Ils se couronnoient de laurier, se mettoient à demi-nuds, & en cet état conduisoient les victimes à l'autel, apprêtoient les couteaux, l'eau, & les choses nécessaires pour les sacrifices ; frappoient les victimes & les égorgeoient.
Il y en avoit d'autres qui s'appelloient fictores, parce qu'ils représentoient les victimes avec du pain & de la cire ; car les sacrifices en apparence passoient pour de vrais sacrifices.
Il y avoit outre cela les ministres du flamine de Jupiter, qui se nommoient praeclamitores, les licteurs des vestales, les scribes des pontifes & des quindecemvirs, les aides des aruspices : ajoutez-leur ceux qui avoient soin des poulets, pullarii ; enfin les prêtres avoient des hérauts qu'on nommoit kalatores.
Les femmes appellées praeficae étoient celles qu'on louoit dans les funérailles pour pleurer & pour chanter les louanges du mort. Les désignateurs, designatores, étoient ceux qui arrangeoient la place ; les licteurs les aidoient aussi dans cet arrangement. Les gens qui avoient soin de transporter le soir les cadavres des pauvres, se nommoient vespae ou vespillones : on les mettoit au nombre de ceux qui servoient dans les sacrifices, parce que les mânes avoient aussi leurs sacrifices particuliers dont ces derniers étoient les ministres. (D.J.)
PRETRE DES JUIFS, (Hist. des anc. Hébr.) Dans l'ancien Testament le nom de prêtre exprimé par le latin pontifex, désigne ceux qui furent honorés du sacerdoce depuis la loi de Moïse ; car au commencement les premiers nés des maisons, les peres de famille, les princes & les rois étoient des prêtres nés dans leurs villes & leurs maisons. Ils offroient eux-mêmes leurs sacrifices par-tout où ils se trouvoient ; mais depuis l'érection du tabernacle, qui fut le premier temple de Dieu parmi les Hébreux, la famille d'Aaron fut nommée pour exercer exclusivement les fonctions du sacerdoce, & pour offrir les sacrifices. Exod. xxviij. 1.
La consécration d'Aaron & de ses fils, se fit par Moïse dans le desert avec une grande solemnité. La fonction qui leur fut prescrite à eux & à leurs successeurs, étoit de faire seuls les sacrifices, d'entretenir les lampes & le feu qui devoit toujours brûler sur l'autel, de composer les parfums, de démonter le tabernacle quand le peuple avoit ordre de décamper, & de le dresser quand on étoit arrivé au lieu du campement.
Outre le service du tabernacle, dans lequel les seuls sacrificateurs avoient le privilege d'entrer jusqu'au sanctuaire, ils étoient chargés d'étudier la loi, de l'expliquer au peuple, de juger de la lépre, des causes de divorce, & de tout ce qui étoit pur & impur. Ils portoient à la guerre l'arche d'alliance, sonnoient des trompettes, & exhortoient les troupes à bien faire dans le combat. Nomb. xviij. 8. De plus, afin de relever l'éclat du ministere sacerdotal aux yeux des foibles mêmes, Moïse ordonna de n'admettre dans cet ordre aucun homme en qui se trouveroit quelque difformité du corps, ou quelque infirmité persévérante. D'un autre côté, pour qu'ils ne fussent point distraits des devoirs de leur ministere par les embarras du ménage, la loi pourvut à leur entretien. Ils vivoient, ainsi que les lévites, des dixmes, des prémices, des offrandes qu'on présentoit au temple, & de certaines parts des victimes. On leur donna un logement fixe dans quarante-huit villes, & dans l'étendue de mille coudées au-delà de ces villes ; enfin ils avoient à leur tête un chef nommé le grand-prêtre, en qui résidoit le principal honneur de la sacrificature. Voyez donc GRAND-PRETRE. (D.J.)
PRETRE, LE GRAND, (Hist. des anc. Hébreux) Le chef des prêtres, ou le souverain sacrificateur des Juifs. C'étoit la dignité la plus éminente du sacerdoce : il n'y avoit que lui qui pût entrer dans le saint des saints ; cependant il n'y pouvoit entrer qu'un seul jour de l'année, qui étoit le jour de l'expiation solemnelle. Du reste la loi de Moïse n'oublia rien jusque dans les vêtemens, pour lui procurer le plus grand respect de la nation. Outre la robe de fin lin, la ceinture & le bonnet de lin, qui étoient les habits ordinaires des autres prêtres, celui-ci portoit une robe de couleur d'hyacinthe, au bas de laquelle pendoient de petites sonnettes d'or, entremêlées de grenades ; & par-dessus cette robe un vêtement court & sans manches, appellé ephod, enrichi de pierres précieuses enchâssées dans de l'or. Sur ses épaules il y avoit d'autres pierres précieuses où étoient gravés les noms des douze tribus d'Israël. Sur sa poitrine étoit le rational avec ces mots, urim & thummim, qui veulent dire, à ce qu'on croit, lumiere & perfection. Sa tiare, dont on ignore la forme, étoit aussi plus ornée & plus précieuse que celle des autres prêtres ; ce qui la distinguoit principalement, étoit une lame d'or sur laquelle on lisoit ces mots gravés, la sainteté est au Seigneur.
La liste des grands-prêtres jusqu'à la captivité, est énoncée dans le premier livre des Paralipomenes ; & ceux qui l'ont été depuis le retour de la captivité jusqu'à Alexandre le grand, sont nommés dans le second livre d'Esdras. Josephe de son côté a donné la liste des grands-prêtres des Hébreux depuis Alexandre jusqu'à Jesus-Christ ; mais sa liste n'est pas conforme à celle de l'Ecriture, & cette derniere même n'est pas facile à arranger. Quoiqu'il en soit, selon l'historien prophane, le nombre total des grands-prêtres monte à 81 ; savoir 28 depuis Aaron jusqu'à Josué, qui revint de la captivité, & 53 depuis Josué jusqu'à Pharnias, établi l'an 70 de l'ere vulgaire, qui est l'année de la ruine du temple de Jérusalem par les Romains, & de l'abolition du sacerdoce.
Il ne faut pas croire cependant que cette charge de souverain sacrificateur ait toujours subsisté avec le même éclat, ni telle qu'elle avoit été établie, je veux dire héréditairement & à vie ; car dans les derniers tems ce n'étoit plus qu'une charge annuelle dénuée de considération. Les gouverneurs romains créoient, déposoient à leur gré les grands-prêtres, & vendoient cette dignité au plus offrant. Valerius Graccus seul en déposa & en investit plusieurs, comme Josephe le reconnoît lui-même dans ses antiq. judaïq. liv. XVIII. ch. j. Hérode avoit montré l'exemple. (D.J.)
PRETRES D'ACHAÏE, (Hist. Eccles.) L'histoire ecclésiastique a nommé prêtres d'Achaïe ceux qu'on dit avoir été présens au martyre de l'apôtre S. André, en l'an 59, & qui en rédigerent des actes adressés à toutes les églises du monde. Cette piece se trouve en latin dans Lipoman & Surius, histoire des Saints, ad diem 30 Novembris. Quelques savans de l'église romaine, tels que Bellarmin & le P. Labbé, reçoivent ces actes comme légitimes : Baronius au contraire paroît douter de leur autorité ; & MM. Tillemont & Dupin les rejettent absolument, comme le fruit d'une fraude pieuse, & la production peu sensée de quelque moine zélé.
En effet, il s'y trouve plusieurs choses qui ne conviennent en aucune maniere au siecle des apôtres ; le tour du titre même est nouveau & singulier ; Ab universis ecclesiis, quae sunt in oriente & occidente, & meridiano, & septentrione ; c'est-à-dire, de toutes les églises d'orient & d'occident, du septentrion & du midi. Outre cela, il est peu croyable que saint André en parlant au proconsul, se soit servi de ces antithèses recherchées, l'arbre de transgression, & l'arbre du paradis, la terre immaculée, dont le premier homme a été formé, & la vierge immaculée, dont Christ est né homme parfait ; ou qu'il ait avancé tant de choses affectées & absurdes sur le sujet de la croix. Peut-on encore raisonnablement supposer que toute une province se soit assemblée pour tuer Egée, & pour tirer un apôtre de prison ? On ne peut guere concevoir aussi que l'apôtre ait parlé à un proconsul séant sur son tribunal en termes si peu mesurés, que de l'avoir appellé fils de la mort, tison d'enfer, filium mortis, & stipulam aeternis paratam incendiis ; & qu'il ait osé lui reprocher son imprudence : ce sont-là des traits incompatibles avec la douceur de l'apôtre.
Je n'insisterai point sur les étranges circonstances qui accompagnerent, dit-on, son crucifiement ; je remarquerai seulement que le mystere de la Trinité se trouve expliqué dans cette piece d'une maniere qui donne juste sujet de soupçonner qu'elle a été forgée après le concile de Nicée. L'auteur paroît aussi être dans le sentiment des Grecs modernes au sujet du S. Esprit, qu'il dit procéder du pere & demeurer dans le fils : question à laquelle on ne pensa que plusieurs siecles après les Apôtres. (D.J.)
PRETRE DES CHRETIENS, (Critiq. sacrée) pasteur de l'église chrétienne ; en grec , en latin presbyter, dignité ecclésiastique. Ce mot signifie également dans le nouveau Testament un prêtre & un évêque ; ensorte que presbyterium qui est dans le grec & dans le latin, se prend pour l'assemblée de ceux qui présidoient aux églises ; cependant il est certain qu'il y avoit un premier prêtre, , qui présidoit au presbytere sur les autres prêtres ; mais il ne s'appelloit pas évêque à l'exclusion des prêtres ; il n'avoit point une ordination particuliere ; il ne faisoit rien dans l'église qu'avec le conseil de ses prêtres. La premiere place, le premier rang lui appartenoit, & les prêtres avoient le second. Enfin au commencement les titres de pasteurs, conducteurs, prêtres, évêques, étoient synonymes.
Le titre de sacrificateur n'est jamais donné aux prêtres dans l'Ecriture. Quand il est parlé d'un sacerdoce sous le nouveau Testament, il s'agit d'un sacerdoce commun à tous les fideles, parce qu'ils ont tous le droit d'offrir à Dieu par Jesus-Christ des sacrifices d'actions de graces, & de s'approcher de Dieu par lui. Les prêtres de Dieu, dit Clément d'Alexandrie, sont ceux qui vivent saintement. Mais dès le tems de Tertullien, c'est-à-dire vers la fin du second siecle, le nom de sacrificateurs se donnoit aux prêtres, & celui de souverain sacrificateur ou de grand-prêtre, à l'évêque, le tout à l'imitation dés Juifs, dont on emprunta en même tems les ornemens. (D.J.)
PRETRE EGYPTIEN, (Antiq. égypt.) Les antiquaires les ont souvent confondus avec les dieux dont ils étoient les ministres. Dans les monumens qui nous en restent, on rencontre dans leur coëffure & dans leurs autres attributs, des variétés qui marquoient apparemment le rang, la dignité de chacun, & l'espece de culte auquel ils étoient destinés. Les uns sont assis, & dans l'attitude de lire ; d'autres sont à genoux, les mains élevées comme les Musulmans ; d'autres sont debout, & tiennent le bâton fourchu des deux mains. On en voit debout, & ayant une coëffure coupée quarrément ; d'autres sont représentés debout prêts à marcher, ayant les épaules ornées, & les cuisses couvertes depuis la ceinture jusqu'aux genoux d'une étoffe rayée ; quelquefois ils ont la plante persea attachée au bonnet, qui prend exactement toute la tête, depuis les sourcils jusqu'au dessous des oreilles, qu'il laisse découvertes. Cette coëffure est très-singuliere par sa forme : son sommet sur le haut de la tête est coupé dans sa largeur par une rainure qui servoit peut-être à placer des ornemens, que l'on changeoit selon l'objet des cérémonies religieuses. Voyez M. de Caylus, antiquit. égypt. tome II. (D.J.)
PRETRE, bonnet de, (Fortification) On nomme bonnet de prêtre un ouvrage dont la tête est formée de trois angles saillans, qui dans leur prolongation du côté de la place se rapprochent l'un de l'autre.
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PRÊTRESSE | (Antiquit. grecq. & rom.) femme consacrée au culte de quelque dieu du paganisme. La discipline que les Grecs observoient dans le choix des prêtresses, n'étoit pas uniforme ; en certains endroits on prenoit de jeunes personnes qui n'avoient contracté aucun engagement ; telles étoient entr'autres la prêtresse du temple de Neptune, dans l'île Calauria ; celle du temple de Diane à Egire en Achaïe, & celle de Minerve à Tégée en Arcadie. Ailleurs, comme dans le temple de Junon en Messénie, on revêtoit du sacerdoce des femmes mariées. Dans un temple de Lucine, situé auprès du mont Cronius en Elide, outre la prêtresse principale, on voyoit des femmes & des filles attachées au service du temple, & occupées tantôt à chanter les louanges du génie tutélaire de l'Elide, & tantôt à brûler des parfums en son honneur. Denis d'Halicarnasse observe aussi que les temples de Junon dans la ville de Falere en Italie, & dans le territoire d'Argos, étoient desservis par une prêtresse vierge nommée , Cistophore, qui faisoit les premieres cérémonies des sacrifices, & par des choeurs de femmes qui chantoient des hymnes en l'honneur de cette déesse. L'ordre des prêtresses d'Apollon amycléen, étoit vraisemblablement formé sur le même plan que celui des prêtresses de Junon à Falere & à Argos : c'étoit une espece de société où les fonctions du ministere se trouvoient partagées entre plusieurs personnes. Celle qui étoit à la tête des autres prenoit le titre de mere ; elle en avoit une sous ses ordres à qui on donnoit le titre de fille ou de vierge ; & après cela venoient peut-être toutes les prêtresses subalternes, dont les noms isolés paroissent dans quelques inscriptions. (D.J.)
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PRETTIGAEU | (Géog. mod.) en latin regio Rucantiorum ; pays chez les Grisons dans la Ligue des dix Jurisdictions, au nord-est de la communauté de Davos. Son nom est corrompu de Rhetigaew (Rhetigoja), & vient de celui du mont Rhaetico, qui s'étend dans toute la longueur du pays, & le couvre du côté du Tirol.
Le Prettigaeu est proprement une longue vallée au pié du mont Rhaetico, arrosée dans toute sa longueur par une riviere nommée Lauquart (Laugarus), qui sort du sommet du mont Rhaetur, & qui va se jetter dans le Rhin. Ce pays en hiver est presqu'entierement fermé par les neiges, & souvent les avalanches ou éboulemens des neiges, labinae, y causent de grands dommages.
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PRÉTURE | S. f. (Hist. rom.) charge du préteur chez les Romains, & la seconde dignité de la république, voyez PRETEUR.
L'an 386 de Rome, les patriciens obtinrent cette nouvelle dignité créée pour rendre la justice dans la ville, & considérée comme un supplément du consulat. Comme le dictateur avoit pour vice-gerent le général de la cavalerie, & les consuls leurs lieutenans, le préteur avoit aussi à ses ordres les questeurs qui dépendoient particulierement de lui, & sur lesquels il se reposoit d'une partie des affaires. L'an de Rome 677, Sylla étant dictateur, ordonna que personne ne seroit reçu à la charge de préteur, qu'il n'eût passé par celle de questeur, & qu'aucun citoyen ne pourroit parvenir au consulat, qu'après avoir exercé la préture ; & même qu'il ne pourroit obtenir la même dignité une seconde fois que dix ans après l'avoir exercée. Philon, plébéien, parvint à la préture, mais c'est le seul plébéien, de ma connoissance, qui l'ait obtenue du tems de la république. (D.J.)
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PREUILLY | (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Touraine, élection de Loches, avec titre de baronie, sur la Claise. Il y a dans Preuilly cinq paroisses & une abbaye d'hommes de l'ordre de S. Benoît, fondée l'an 1001. (D.J.)
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PREUVE | S. f. (Logique) une preuve est toute idée moyenne qui fait appercevoir à l'esprit la convenance ou disconvenance de quelqu'autre idée que l'on considere ; quand cette convenance ou disconvenance est montrée à l'entendement, de façon qu'il voit que la chose est ainsi, & non d'une autre maniere, c'est ce qu'on nomme preuve démonstrative, ou en un seul mot démonstration. Voyez DEMONSTRATION.
PREUVE, (Art orat.) on appelle preuves les raisons ou moyens dont se sert l'orateur pour démontrer la vérité d'une chose.
L'orateur dans sa preuve a deux choses à faire ; l'une, d'établir sa proposition par tous les moyens que sa cause lui fournit ; l'autre de réfuter les moyens de son adversaire ; car il faut savoir bâtir & ruiner. Il n'y a point de regle fixe pour l'arrangement des preuves ; c'est au génie & à l'habileté de l'orateur à créer, & à suivre cet arrangement suivant les cas, les sujets & les circonstances. Tout se réduit à recommander la netteté & la précision. Une preuve trop étalée devient lâche. Si elle est trop serrée, elle n'a pas assez de portée. Les mots inutiles la surchargent, l'extrême briéveté l'obscurcit & affoiblit son coup.
On compare volontiers les orateurs dans leurs preuves à l'athlete qui court dans la carriere. Vous le voyez incliné vers le but où il tend, emporté par son propre poids, qui est de concert avec la tension de ses muscles & les mouvemens de ses piés : tout contribue en lui à augmenter la vîtesse. Démosthene, Ciceron, Bossuet & Bourdaloue, sont des modeles parfaits dans cette partie, comme dans les autres. On se jette avec eux dans la même carriere, on court comme eux. Nos pensées sont entraînées par la rapidité des leurs ; & quoique nous perdions de vue leurs preuves & leurs raisonnemens, nous jugeons de leur solidité par la conviction qui nous en reste. (D.J.)
PREUVE, s. f. en terme d'Arithmétique, signifie une opération par laquelle on examine, & on s'assure de la vérité & de la justesse d'un calcul.
Il y en a qui prétendent que la preuve naturelle d'une regle est toujours la regle contraire ; ainsi la soustraction, selon eux, est la preuve naturelle de l'addition ; réciproquement la multiplication est la preuve de la division. Voyez ADDITION, SOUSTRACTION.
Mais cela est peu refléchi ; car celui qui ne sait, par exemple, que l'addition, n'auroit point de moyen naturel d'en faire la preuve. Il faut donc dire que la preuve naturelle d'une regle est toujours celle qui se tire des connoissances actuelles que l'on a, & des circonstances où l'on se trouve ; ainsi, ignorant la division, je voudrois pourtant faire la preuve de la multiplication : pour cela, je remarque que je puis mettre le multiplicande en la place du multiplicateur, & réciproquement : qu'en multipliant ces nombres dans cette nouvelle disposition, il doit me venir le même produit qu'auparavant ; je fais donc le calcul, & j'examine si les deux produits sont parfaitement les mêmes : car 6 x 8, ou 8 x 6 donnent le même produit 48.
La preuve de l'addition par 9 est fautive, comme l'a prouvé le P. Lamy, dans son traité de la grandeur.
Aucune regle d'arithmétique n'auroit besoin de preuve, si le calculateur n'étoit pas sujet à se tromper dans l'opération ; car chacune des regles étant fondée sur des principes vrais & démontrés, il est certain que la regle est bonne, pourvu qu'on ait bien calculé.
Ainsi, la preuve d'une regle n'est pas faite pour confirmer & pour appuyer la regle, mais pour assurer le calculateur, qu'il l'a parfaitement suivie. (E)
PREUVE, (Jurisprudence) est ce qui sert à justifier qu'une chose est véritable.
On peut faire la preuve d'un fait, de la vérité d'un écrit ou de quelqu'autre piece, comme d'une monnoie, d'un sceau, &c.
On apporte aussi la preuve d'une proposition ou d'un point de droit, que l'on a mis en avant ; cette preuve se fait par des citations & des autorités ; mais ces sortes de preuves sont ordinairement désignées sous le nom de moyens ; & quand on parle de preuve, on entend ordinairement la preuve d'une vérité de fait en général.
L'usage des preuves ne s'applique qu'aux faits qui ne sont pas déja certains ; ainsi lorsqu'un fait est établi par un acte authentique, on n'a pas besoin d'en faire la preuve, à moins que l'acte ne soit attaqué par la voie de l'inscription de faux ; auquel cas, c'est la vérité de l'acte qu'il s'agit de prouver.
Il faut néanmoins distinguer entre les faits contenus dans un acte authentique ceux qui sont attestés par l'officier public, comme s'étant passés devant lui, de ceux qu'il atteste seulement à la relation des parties ; les premiers sont certains, & n'ont pas besoin d'autre preuve que l'acte même ; les autres peuvent être contestés, auquel cas celui qui a intérêt de les soutenir véritables, doit en faire la preuve.
La maxime commune par rapport à l'obligation de faire preuve est que la preuve est à la charge du demandeur, & que le défendeur doit prouver son exception, parce qu'il devient demandeur en cette partie ; & en général il est de principe, que lorsqu'un fait est contesté en justice, c'est à celui qui l'allegue à le prouver.
Le juge peut ordonner la preuve en deux cas ; savoir, quand l'une des parties le demande, ou lorsque les parties se trouvent contraires en faits.
On ne doit pas admettre la preuve de toutes sortes de faits indifféremment.
On distingue d'abord les faits affirmatifs des faits négatifs.
La preuve d'une négative ou d'un fait purement négatif est impossible, & conséquemment ne doit point être admise : par exemple, quelqu'un dit simplement, je n'étois pas un tel jour à tel endroit ; ce fait est purement négatif : mais il ajoute, parce que je fus ailleurs : la négative étant restrainte à des circonstances, & se trouvant jointe à un fait qui est affirmatif, la preuve en est admissible.
On ne doit pareillement admettre que la preuve des faits qui paroissent pertinens, c'est-à-dire, de ceux dont on peut tirer des conséquences, qui servent à établir le droit de celui qui les allegue.
Il faut d'ailleurs que la preuve que l'on demande à faire soit admissible ; car il y a des cas où l'on n'admet pas un certain genre de preuve.
On distingue en général trois sortes de preuves.
Les preuves vocales ou testimoniales, les preuves littérales ou par écrit, & les preuves muettes.
Lorsque celui qui demande à faire preuve d'un fait, offre de le prouver par écrit, ou lui permet aussi de le prouver par témoins ; car quoique les preuves par écrit soient ordinairement plus sûres, néanmoins comme ces sortes de preuves peuvent être insuffisantes, ou manquent en certaines occasions, on se sert de tous les moyens propres à éclaircir la vérité, c'est pourquoi l'on emploie aussi la preuve par témoins & les preuves muettes, qui sont les indices & les présomptions de fait & de droit ; on cumule tous ces différens genres de preuves, lesquelles se prêtent un mutuel secours.
La preuve par écrit peut suffire toute seule pour établir un fait.
Il n'en est pas toujours de même de la preuve testimoniale : il y a des cas où elle n'est pas admissible, à moins qu'il n'y ait déja un commencement de preuve par écrit.
En général une preuve non écrite n'est pas admise en droit contre un écrit.
Il faut néanmoins distinguer si c'est en matiere civile, ou en matiere criminelle, & si l'acte est inscrit de faux ou non.
L'usage de la preuve par témoins en matiere civile commença d'être restraint par l'ordonnance de Moulins, laquelle, art. 54. pour obvier à la multiplication de faits, dont on demandoit à faire preuve, ordonna que dorénavant de toutes choses excédant la somme ou valeur de 100 liv. pour une fois payer, il seroit passé des contrats devant notaires & témoins, par lesquels contrats seroit seulement faite & reçue toute preuve dans ces matieres, sans recevoir aucune preuve par témoins, outre le contenu au contrat, ni sur ce qui seroit allégué avoir été dit ou convenu avant icelui, lors & depuis, en quoi l'ordonnance de Moulins déclara qu'elle n'entendoit exclure les conventions particulieres & autres, qui seroient faites par les parties sous leurs sceau & écritures privées.
L'ordonnance de 1667, tit. 20. des faits qui gissent en preuve vocale ou littérale, a expliqué la disposition de celle de Moulins : elle ordonne qu'il sera passé acte devant notaires, ou sous signature privée, de toutes choses excédant la somme ou valeur de 100 l. même pour dépôt volontaire, & qu'il ne sera reçu aucune preuve par témoins contre & outre le contenu aux actes, ni sur ce qui seroit allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agit d'une somme ou valeur moindre de 100 liv. sans toutefois rien innover pour ce regard, à ce qui s'observe en la justice des juges & consuls des marchands.
Le roi déclare par l'article suivant, qu'il n'entend pas exclure la preuve par témoins pour dépôt nécessaire en cas d'incendie, ruine, tumulte ou naufrage, ni en cas d'accidens imprévus, où on ne pourroit avoir fait des actes, & aussi lorsqu'il y aura un commencement de preuve par écrit.
Il ajoute qu'il n'entend pas pareillement exclure la preuve par témoins pour dépôt fait en logeant dans une hôtellerie entre les mains de l'hôte ou de l'hôtesse, laquelle preuve pourra être ordonnée par le juge, suivant la qualité des personnes & les circonstances du fait.
Si dans une même instance la partie fait plusieurs demandes dont il n'y ait point de preuve ou commencement de preuve par écrit, & que jointes ensemble elles soient au-dessus de 100 liv. elles ne pourront être vérifiées par témoins, encore que ce soit diverses sommes qui viennent de différentes causes, & en différens tems, si ce n'étoit que les droits procédassent par succession, donation, ou autrement, de personnes différentes.
On peut admettre la preuve par témoins contre un acte au-dessus de 100 livres lorsque la vérité de cet écrit est contestée, ou qu'il est argué de nullité dans sa forme, ou lorsqu'il y a soupçon de fraude, ou qu'il y a semi-preuve par écrit, ou présomption violente du contraire de ce qui est contenu dans l'écrit.
En matiere d'état de personnes, la preuve par témoins n'est pas admise contre les preuves écrites, à-moins qu'il n'y ait déjà un commencement de preuve contraire par écrit.
En matiere criminelle la preuve par témoins est admissible à quelque somme que l'objet se monte, à-moins qu'il ne fût visible que l'on n'a pris la voie criminelle que pour avoir la facilité de faire la preuve par témoins, qui autrement n'eût pas été admise, auquel cas le juge doit civiliser l'affaire.
Il y a des actes qui quoique revêtus d'écriture & de signatures ne font point une foi pleine & entiere, s'ils ne sont faits en présence d'un certain nombre de témoins ; par exemple, pour un acte qui n'est signé que d'un seul notaire, il faut deux témoins pour un testament ; pour un testament nuncupatif ou pour un testament mystique il en faut sept en pays de droit écrit ; dans quelques coûtumes le nombre en est reglé différemment.
Mais lorsqu'il s'agit de la preuve d'un fait que l'on articule en justice, deux témoins suffisent lorsque leur déposition est conforme & précise.
En matiere civile on ne peut entendre plus de dix témoins sur un même fait, autrement les frais des dépositions n'entrent pas en taxe.
La preuve d'un fait peut se tirer de différentes dépositions qui contiennent chacune diverses circonstances ; mais chaque circonstance n'est point réputée prouvée, à-moins qu'il n'y ait sur ce point deux dépositions conformes.
Pour que la preuve soit valable, il faut que l'enquête ou information soit en la forme prescrite par les ordonnances, & que les témoins ayent les qualités requises.
C'est au juge à peser le mérite des preuves, eu égard aux différentes circonstances ; par exemple, les preuves écrites sont plus fortes en général que la preuve testimoniale ; entre les preuves écrites, celles qui résultent d'actes authentiques l'emportent aussi ordinairement sur celles qui se tirent d'écrits privés.
En fait de preuve testimoniale, on doit avoir égard à l'âge & à la qualité des témoins.
Il en est de même des preuves muettes, c'est-à-dire des indices & des présomptions, on doit faire attention aux circonstances dont il peut résulter quelques conséquences pour la preuve du fait dont il s'agit.
Quand les preuves sont insuffisantes, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas claires & précises, ou qu'il y manque quelque chose du côté de la forme, on ne peut pas asseoir un jugement sur de telles preuves ; le juge doit chercher à instruire plus amplement sa religion, soit en ordonnant une nouvelle enquête, si c'est en matiere civile, ou en ordonnant un plus amplement informé, si c'est en matiere criminelle.
Si toutes les ressources sont épuisées & que les preuves ne soient pas claires, on doit dans le doute prononcer la décharge de celui qui est poursuivi, plutôt que de le condamner.
Il faut néanmoins observer qu'en fait de crimes qui se commettent secrettement, tels que la fornication, l'adultere, comme il est plus difficile d'en acquérir des preuves par écrit, & même par témoins, on n'exige pas pour la condamnation des coupables que les preuves soient si claires ; les lettres tendres & passionnées, les colloques fréquens, la familiarité, les tête-à-tête, les embrassemens, les baisers, & autres libertés, sont des présomptions très-violentes du crime que l'on soupçonne, & peuvent tenir lieu de preuve, ce qui dépend de la prudence du juge.
Dans ces cas, & dans toutes les matieres criminelles en général, on admet pour témoins les domestiques, & autres personnes qui sont dans la dépendance de l'accusé, attendu que ce sont communément les seuls qui puissent avoir connoissance du crime, & que ce sont des témoins nécessaires.
Sur la matiere des preuves en général, on peut voir le titre de probationibus, au code & aux institutes, & encore celui de fide instrumentorum, au code, le traité de probationibus par Oldendorp, celui de Mascardus, le traité de la preuve par témoins, de Danty, le titre ij. de l'ordonnance de 1667. On distingue plusieurs sortes de preuves, lesquelles vont être expliquées dans les subdivisions suivantes. (A)
Preuve affirmative, est celle qui établit directement un fait, comme quand un témoin dépose de visu, à la différence de la preuve négative, qui consiste seulement à dire qu'on n'a pas vû telle chose.
Preuve authentique, est celle qui mérite une foi pleine & entiere, tel que le témoignage d'un officier public, qui atteste solemnellement ce qui est passé devant lui ; par exemple, un acte passé devant notaire fait une preuve authentique des faits qui se sont passés aux yeux du notaire, & qu'il a attesté dans cet acte.
Preuve canonique, est celle qui est autorisée par les canons, telle que la purgation canonique, qui se faisoit par le serment d'un certain nombre de personnes que l'accusé faisoit jurer en sa faveur pour attester son innocence, à la différence de la preuve vulgaire que la superstition des peuples avoit introduite. Voyez PURGATION CANONIQUE & PURGATION VULGAIRE.
Preuve par commune renommée, est celle que l'on admet d'un fait dont les témoins n'ont pas une connoissance de visu, mais une simple connoissance fondée sur la notoriété publique, comme quand on admet la preuve du fait qu'un homme à son décès étoit riche de cent mille écus, il n'est pas besoin que les témoins disent avoir vû chez lui cent mille écus d'especes au moment de son décès, il suffit qu'ils déposent qu'ils croyoient cet homme riche de cent mille écus, & qu'il passoit pour tel. Il ne doit pas dépendre des témoins de fixer le plus ou le moins de l'objet dont il s'agit, comme d'attester qu'un homme étoit riche de cent mille francs, ou de deux cent mille francs, c'est au juge à fixer la somme qui est en contestation, & sur le fait de laquelle les témoins doivent déposer. Voyez COMMUNE RENOMMEE.
Preuve par comparaison d'écritures, est celle qui se fait pour la vérification d'un écrit ou d'une signature, en les comparant avec d'autres écritures ou signatures reconnues pour être de la main de celui auquel on attribue l'écrit ou la signature dont la vérité est contestée. Voyez COMPARAISON D'ECRITURES, & le traité de la preuve par comparaison d'écritures, par M. le Vayer de Boutigny.
Preuve concluante, est celle qui prouve pleinement le fait en question, de maniere que l'on peut conclure de cette preuve que le fait est certain.
Preuve démonstrative, est celle qui établit le fait d'une maniere si solide que l'on est certain qu'il ne peut être faux ; il n'y a que les vérités de principe qui puissent être prouvées de cette maniere, car pour les vérités de fait, quelques complete s que paroissent les preuves que l'on en peut apporter, elles ne sont jamais démonstratives.
Preuve directe, est celle qui prouve directement le fait dont il s'agit, soit par des actes authentiques ou par témoins, à la différence de la preuve oblique ou indirecte, qui ne prouve pas précisément le fait en question, mais qui constate un autre fait de la preuve duquel on peut tirer quelque conséquence pour le fait en question.
Preuve domestique, est celle qui se tire des papiers domestiques de quelqu'un, ou de la déposition de sa femme, de ses enfans & domestiques.
Preuve écrite ou preuve par écrit, qu'on appelle aussi preuve littérale, est celle qui se tire de quelque écrit, soit public ou privé, à la différence de la preuve non-écrite, qui se tire de quelque fait ou de la déposition des témoins.
Preuve géminée, est celle qui se trouve double & triple sur un même fait.
Preuve imparfaite, est celle qui n'établit pas suffisamment le fait en question, soit que les témoins ne soient pas en nombre suffisant, soit que leurs dépositions ne soient pas assez précises.
Preuve indirecte ou oblique, est quand le fait dont il s'agit n'est pas prouvé précisément par les actes ou par la déposition des témoins, mais un autre fait de la preuve duquel on peut tirer une conséquence de la vérité de celui dont il s'agit. Voyez PREUVE DIRECTE.
Preuve juridique, est celle qui est selon le droit admise en justice.
Preuve littérale, est la même chose que la preuve écrite ou par écrit ; on l'appelle littérale, parce que ce sont les lettres qui forment l'écriture, & que d'ailleurs anciennement on appelloit lettres tout écrit.
Preuve muette, est celle qui se tire de certaines circonstances & présomptions qui se trouvent établies indépendamment des preuves écrites & de la preuve testimoniale. Voyez INDICE & PRESOMPTION.
Preuve nécessairement véritable, est celle qui établit le fait contesté, de maniere qu'il n'est pas possible qu'il ait été autrement ; par exemple, qu'une personne n'a point passé une obligation à Paris un certain jour, quand il est prouvé que ce même jour il étoit à Bourges. Voyez PREUVE VRAISEMBLABLE.
Preuve négative, est celle qui n'établit pas directement le fait en question, comme quand un témoin ne dit pas que l'accusé n'a pas fait telle chose, mais seulement qu'il ne lui a pas vû faire. Voyez PREUVE AFFIRMATIVE.
Preuve non écrite, est celle qui résulte de faits non écrits, ou de la déposition des témoins. Voyez PREUVE ECRITE.
Preuve oblique, est la même chose que preuve indirecte. Voyez ci-devant PREUVE INDIRECTE & PREUVE DIRECTE.
Preuve pleine & entiere, est celle qui est parfaite & concluante, & qui établit le fait en question d'une maniere conforme à la loi.
Semi-preuve, est celle qui est imparfaite, comme celle qui résulte de la déposition d'un seul témoin ; tels sont aussi les simples indices ou présomptions de droit. Voyez INDICE & PRESOMPTION.
Preuve par serment, est celle qui résulte du serment déféré par le juge ou par la partie. Voyez SERMENT.
Preuve par témoins ou testimoniale, qu'on appelle aussi preuve vocale, est celle qui résulte de la déposition des témoins entendus dans une enquête ou information. Voyez TEMOINS.
Preuve par titres, est la même chose que preuve littérale ; on comprend ici sous le terme de titres toutes sortes d'écrits, soit authentiques ou privés. On permet ordinairement de faire preuve d'un fait, tant par titres que par témoins.
Preuve vraisemblable, est celle qui est fondée sur quelque présomption de droit ou de fait, cette preuve est moins forte que la preuve nécessairement véritable dont on a parlé ci-devant. Voyez Danty, en ses observations sur l'avant-propos.
Preuve vulgaire, étoit celle qui se faisoit par les épreuves superstitieuses, qu'on appelloit jugemens de Dieu, telle que l'épreuve de l'eau bouillante & de l'eau froide, du fer ardent, du combat en champ clos, de la croix, & autres semblables. Voyez PURGATION VULGAIRE.
PREUVE, en terme de Raffineur de sucre ; n'est autre chose que l'essai que le raffineur fait de la cuite pour juger du degré de cuisson qu'elle a acquis, lui laisser prendre celui qui lui est nécessaire, & faire éteindre les feux quand elle y est parvenue. On le connoît par le moyen d'un filet desuite que le raffineur tire entre ses deux doigts en pompant avec le premier doigt de cette matiere bouillante qu'il a sur son pouce, & en tournant le dedans du pouce en haut afin d'arrêter le fil. Il faut que cela soit fait d'un seul coup-d'oeil ; l'épreuve est proprement le secret du raffineur. Effectivement il n'y a que lui dans la raffinerie qui ait cette connoissance. Elle demande de la capacité dans celui qui la possede. Il ne suffit pas d'avoir le coup d'oeil sûr ; il y a des tems sombres où il devient inutile : alors c'est par l'oreille seule, c'est au bruit du bouillon que le contremaître est obligé de prendre la preuve. Voyez CONTREMAITRE.
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PRÉVALOIR | v. act. (Gramm.) tirer un avantage injuste des circonstances, des talens, de l'esprit, du crédit, de la force. Il se prévaut à tout moment de la facilité qu'il a de parler pour m'embarrasser. Il se prévaut de la foiblesse de cette femme pour la maltraiter. Ne vous prévalez pas d'un crédit que vous pouvez perdre d'un moment à l'autre, & dont la perte vous laissera exposé au mépris. Il n'y a peut-être pas un homme qui ne se soit quelquefois injustement prévalu de quelque avantage sur son semblable. Il faut, pour se garantir entierement de ce tort, une modération au-dessus de l'humanité. On fait à tout moment prévaloir la raison d'état, l'intérêt public, des considérations bien importantes. La protection a prévalu sur l'équité, cela n'arrive que trop souvent. L'intrigue qui se remue prévaut souvent sur le mérite inactif qui attend.
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PRÉVARICATEUR | S. m. PRÉVARICATION, s. f. (Jurisprud.) est une malversation commise par un officier public dans l'exercice de ses fonctions.
Ainsi un juge prévarique lorsqu'il dénie de rendre la justice à quelqu'un, ou lorsque par argent, ou autre considération il favorise une partie au préjudice de l'autre.
Un greffier ou notaire prévarique lorsqu'il délivre des expéditions qui ne sont pas conformes à la minute. Un huissier prévarique lorsqu'il antidate un exploit, ou qu'il n'en laisse pas de copie au défendeur ; & ainsi des autres fonctions publiques.
Les peines qu'encourent les officiers publics qui prévariquent sont plus ou moins graves, selon les circonstances ; quelquefois la peine ne consiste qu'en dommages & intérêts ; quelquefois on interdit l'officier pour un tems, ou même pour toujours ; quelquefois enfin on le condamne à faire amende honorable, & aux galeres, & même à une peine capitale. Voyez le Bret, tr. de la souveraineté du roi, liv. II. c. ij. & iij. & le code pénal. (A)
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PRÉVENIR | v. act. (Jurispr.) signifie devancer quelqu'un ou quelque chose.
En matiere bénéficiale, prévenir, de la part d'un impétrant, c'est requerir le premier. Le collateur supérieur prévient quand il confere avant l'inférieur. Voyez PREVENTION.
Prévenir les delais, c'est les abréger ; c'est agir sans attendre l'échéance. Voyez PREVENU. (A)
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PRÉVENTION | S. f. (Logiq.) la prévention est un acquiescement erroné de l'ame suscité par la force d'une ou de plusieurs sensations dominantes, sans les connoissances nécessaires pour nous déterminer régulierement.
La prévention differe du préjugé ; elle n'est qu'un acquiescement immédiat & purement passif de l'ame à l'impression que les sensations actuelles font sur elle : le préjugé est un faux jugement que l'ame porte après un exercice insuffisant des facultés intellectuelles.
Lorsque l'ame est tellement dominée par ses sensations, que les connoissances qui se présentent à elle de nouveau, ne peuvent la tirer de son erreur, la prévention dégénere en opiniâtreté.
Ses décisions vicieuses naissent d'une compréhension trop irréguliere, trop bornée, ou d'un défaut de connoissances qui seroient nécessaires pour éclairer l'ame.
La prévention se mêle souvent dans nos jugemens par l'autorité des maîtres, qui nous ont dit qu'il falloit croire telle chose ; par l'approbation des personnes estimées dans le monde ; par la coutume & l'éducation ; par manque d'examen ; enfin par quelque passion, ou par l'intérêt personnel qui nous prévient, & qui détermine nos sensations actuelles.
Un homme sujet à se laisser prévenir, dit la Bruyere, s'il ose remplir une dignité ecclésiastique ou séculiere, est un aveugle qui veut peindre, un muet qui s'est chargé d'une harangue, un sourd qui juge d'une symphonie. Foibles images. Il faut ajouter que la prévention est un mal incurable, qui fait déserter les égaux, les inférieurs, les amis, jusqu'au médecin : ils sont bien éloignés de le guérir, s'ils ne peuvent le faire convenir des remedes, qui seroient d'écouter, de douter, de s'informer & de s'éclaircir. (D.J.)
PREVENTION, (Jurisprud.) est le droit qu'un juge a de connoître d'une affaire parce qu'il en a été saisi le premier, & qu'il a prévenu un autre juge à qui la connoissance de cette même affaire appartenoit naturellement, ou dont il pouvoit également prendre connoissance par prévention.
La prévention est ordinairement un droit qui est reservé au juge supérieur pour obliger celui qui lui est inférieur de remplir son ministere ; cependant elle est aussi accordée respectivement à certains juges égaux en pouvoir & indépendans les uns des autres, pour les exciter mutuellement à faire leur devoir, dans la crainte d'être dépouillés de l'affaire par un autre juge plus vigilant.
L'arrêt du 15 Novembre 1554, contenant la vérification de la déclaration du roi donnée à Laon le 17 Juin de la même année, donne aux baillis & prevôts royaux la prévention sur les juges des seigneurs, quand ceux-ci ne revendiquent pas leurs justiciables ; à la charge que dans le cas de prévention, les baillis & juges présidiaux ne connoîtront du différend que comme juges ordinaires, & non comme présidiaux ; ce qui a été confirmé par l'article 2. de la déclaration donnée sur l'édit de Crémieu.
Dans quelques coutumes la prévention du juge supérieur sur l'inférieur, a lieu tant au civil qu'au criminel, comme en Anjou, où la coutume, art. 65. dit que le roi, comme duc d'Anjou, a ressort & suzeraineté sur les sujets dudit pays, tant en cas d'appel, qu'autrement ; que les comtes, vicomtes, barons, châtelains & autres seigneurs de fief l'ont aussi chacun à leur égard ; qu'en outre ledit duc d'Anjou & lesdits comtes, vicomtes, barons, seigneurs, châtelains & autres de degré en degré, ont par prévention la connoissance de tous cas criminels & civils, en toutes actions civiles réelles & personnelles, sur leurs vassaux & les sujets de leurs vassaux, jusqu'à-ce que litis contestation soit faite, pour laquelle les parties soient appointées en faits contraires & requêtes.
Il y a encore quelques autres coutumes qui ont des dispositions à-peu-près semblables.
Mais, suivant le droit commun, la prévention n'a lieu qu'en matiere criminelle ; elle a été établie pour exciter l'émulation & la vigilance des juges, & pour empêcher que les crimes ne demeurent impunis.
L'exercice de ce droit est fort ancien.
On voit dans les Etablissemens de S. Louis, chap. clxiv. que la prévention avoit dès lors lieu en certains endroits dans les matieres criminelles ; c'étoit celui qui avoit arrêté le criminel qui lui faisoit son procès. Dans les lieux où il n'y avoit pas de prévention, par l'ancien usage de la France, l'aveu emportoit l'homme, & l'homme étoit justiciable de corps & de châtel où il couchoit & levoit ; ce qui fut aboli par l'ordonnance de Moulins, art. 35. qui décida que les délits seroient punis où ils auroient été commis. La prévention avoit lieu par-tout, lorsque celui qui avoit arrêté le criminel l'avoit pris sur le fait.
L'ordonnance d'Orléans, art. 72. autorisoit les juges royaux ordinaires à prendre connoissance par prévention sur les malfaiteurs qui sont de la compétence des prevôts des maréchaux.
L'article 116. de la même ordonnance porte que comme plusieurs habitans des villes, fermiers & laboureurs se plaignoient souvent des torts & griefs des gens & serviteurs des princes, seigneurs & autres qui sont à la suite du roi, lesquels exigeoient d'eux des sommes de deniers pour les exempter du logement, & ne vouloient payer qu'à discrétion, il est enjoint aux prevôts de l'hôtel du roi, & aux juges ordinaires des lieux, de procéder sommairement par prévention & concurrence, à la punition desdites exactions & fautes, à peine de s'en prendre à eux.
Il y a une différence essentielle entre la prévention & la concurrence ; celle-ci est le droit que divers juges ont de connoître du même fait, de maniere que les parties peuvent s'adresser à l'un ou à l'autre indifféremment ; au lieu que la prévention est le droit qu'a un juge d'attirer à soi la connoissance du crime, parce qu'il a prévenu & qu'il en a été saisi le premier.
L'ordonnance de Moulins, art. 46. veut que les présidiaux connoissent par concurrence & prévention, des cas attribués aux prevôts des maréchaux, vice-baillifs & vice-sénéchaux, pour instruire les procès, & les juger en dernier ressort, au nombre de sept, & semblablement contre les vagabonds & gens sans aveu ; comme aussi que les prevôts des maréchaux, vice-baillifs, vice-sénéchaux pourront faire le semblable, &c.
Ce droit de concurrence & de prévention attribué aux présidiaux, pour les cas de la compétence des prevôts des maréchaux, vice-baillifs & vice-sénéchaux, leur a été confirmé par l'art. 201. de l'ordonnance de Blois, & par l'ordonnance criminelle, tit. de la compétence des juges, art. 15.
L'article 7. de la même ordonnance dit que les juges royaux n'auront aucune prévention entr'eux ; & néanmoins qu'au cas que trois jours après le crime commis, les juges royaux ordinaires n'aient pas informé & decreté, que les juges supérieurs pourront en connoître.
L'article 8. ordonne que la même chose sera observée entre les juges des seigneurs.
Les baillis & sénéchaux ne peuvent, suivant l'art. 9. prévenir les juges subalternes, s'ils ont informé & decreté dans les vingt-quatre heures après le crime commis ; sans déroger néanmoins aux coutumes contraires, ni à l'usage du châtelet.
L'ajournement fait la prévention en matiere civile ; en matiere criminelle, c'est le decret ; & lorsqu'il y a deux decrets de même date, c'est celui qui a été mis le premier à exécution qui donne la prévention.
Voyez Bacquet, des droits de justice, ch. ix. Charondas, liv. IV. de ses pandectes, part. I. ch. v. Chenu, tome II. de ses réglemens, tit. 12. ch. vij. & tit. 42. ch. j. & Filleau, tome I. part. II. tit. 5. ch. xxxiij. le Prêtre, cent. 4. (A)
PREVENTION, est le droit dont le pape jouit depuis plusieurs siecles, de conférer les bénéfices vacans, lorsque les provisions qu'il en accorde précedent la collation de l'ordinaire, ou la présentation du patron ecclésiastique au collateur.
Ce droit est fondé sur ce que la plûpart des canonistes ont établi pour principe que toute jurisdiction ecclésiastique est émanée du pape, & qu'étant l'ordinaire des ordinaires, lorsqu'il a concédé aux ordinaires quelque portion de cette jurisdiction, soit contentieuse ou volontaire, il est présumé s'en être reservé pour le moins autant qu'il leur en a accordé, suivant ce qui est dit dans le chap. dudum de praebendis in 6°. d'où les canonistes ont aussi tiré cette conséquence, que quant à la jurisdiction volontaire, le pape a droit non-seulement de conférer par concurrence avec les collateurs ordinaires, mais même de les prévenir.
En France où ce texte n'est point reçu, l'on a toujours regardé le droit de prévention comme peu favorable ; car quoique l'on n'y ait jamais revoqué en doute le droit que le pape a de concourir avec tous autres collateurs ordinaires, & même de les prévenir, cependant comme le droit des collateurs ordinaires est fondé dans les anciens decrets des conciles, on a cru devoir favoriser la liberté de leurs collations.
Quelques-uns ont pensé que le droit de prévention avoit été rejetté par les conciles d'Antioche, de Tolede, d'Orléans & autres, rapportés en la compilation de Gratien, caus. X. quest. 1. & par la pragmatique de S. Louis en 1268.
Mais quoique ces anciens conciles & cette pragmatique défendent aux collateurs en général d'entreprendre sur le district des autres, il n'y est pas dit que le droit de prévention du pape soit aboli.
Il est vrai que par la pragmatique-sanction qui fut faite sous Charles VII. l'assemblée fut d'avis de charger les ambassadeurs du roi envoyés au concile de Basle, de demander au concile que les préventions de Rome contre le decret du concile de Latran, & le tems par lui fixé, ne seroient point admises, de maniere que le droit des collateurs & celui des patrons seroit conservé en son entier.
Il paroit aussi que par l'article 22. de l'ordonnance d'Orléans, il fut défendu à tous juges en jugeant la possession des bénéfices, d'avoir égard aux provisions obtenues par prévention en cour de Rome, & aux pourvus de s'en servir sans le congé & permission du roi ; mais Charles IX. à la requisition du cardinal de Ferrare, légat en France, donna sa déclaration à Chartres, le 10 Janvier 1562, par laquelle cet article, quant aux provisions de Rome par prévention, fut revoqué.
Le droit de prévention du pape a donc lieu en France, mais avec des restrictions & modifications notables que l'on a faites en faveur des collateurs ordinaires, pour maintenir autant qu'il est possible la liberté de leurs collations.
Les légats du saint siege jouissent aussi du droit de prévention, quand il est marqué expressément dans les bulles de leur légation, & qu'il a plu au roi d'en autoriser l'exécution par des lettres-patentes duement enregistrées en parlement ; mais ils ne peuvent conférer en vertu du droit de prévention, les dignités des églises cathédrales ou collégiales qui sont électives confirmatives.
Le vice-légat d'Avignon a pareillement le droit de prévenir les collateurs ordinaires & les patrons ecclésiastiques pour les bénéfices qui sont dans l'étendue de sa légation ; mais il ne peut user de ce pouvoir qu'il n'ait obtenu du roi des lettres patentes, & qu'elles ne soient vérifiées aux parlemens d'Aix, de Toulouse & de Dauphiné.
Les bulles des papes pour la légation d'Avignon, comprennent dans la forme ordinaire les provinces eccléfiastiques d'Arles, Aix, Vienne & Embrun ; mais, suivant les maximes du royaume, la province narbonnoise ne peut être valablement comprise dans cette légation.
Les cardinaux ne sont pas sujets aux droits de prévention, soit qu'ils conferent seuls ou avec un chapitre ; ainsi ils peuvent conférer librement pendant six mois.
Un indult accordé par le pape à un collateur pour conférer, avec la clause, liberè & licitè conferre valeas, empêche la prévention ; l'indult de messieurs du parlement leur donne ce privilege.
Mais la prévention est contre tous les autres expectans, tels que les brevetaires de joyeux avénement & ceux de serment de fidélité, & contre les gradués.
Le pape peut conférer par prévention les doyennés & autres bénéfices électifs collatifs, ou qui sont électifs confirmatifs, à l'exception néanmoins des chefs d'ordre & des bénéfices de fondation laïcale qui sont électifs par le titre.
Pour les bénéfices électifs sujets à prévention, il faut que les choses soient entieres ; car si ceux qui ont droit d'élire ont commencé à traiter de l'élection, & à donner leurs voix avant la fin des trois mois qui sont donnés pour l'élection, la prévention ne peut avoir lieu.
En Bretagne le pape ne peut pas prévenir les collateurs ordinaires, attendu qu'ils n'ont que quatre mois de l'année pendant lesquels ils peuvent conférer. Le pape ne peut pas non plus y prévenir les patrons laïcs ; quant aux patrons ecclésiastiques, le collateur ordinaire confere sur leur présentation dans tous les mois de l'année ; mais le pape peut les prévenir en ajoutant cette clause, cum derogatione juris patronatûs. Il y a des canonistes qui tiennent que dans cette province les patrons ecclésiastiques ne sont sujets à prévention, que dans les mois reservés au pape.
Dans les autres provinces en général, le pape ne peut prévenir les patrons laïcs, mais seulement les patrons ou collateurs ecclésiastiques.
Mais si le pape exprime dans sa provision, qu'elle ne sera valable que du consentement exprès du patron laïc, & que celui-ci ratifie expressément la provision dans le tems qui lui est donné pour présenter, en ce cas elle peut valoir & non autrement.
Les bénéfices en patronage mixte, comme ceux de l'université, ne sont pas sujets à la prévention, parce que le patronage mixte est réputé laïcal.
Quand le droit de patronage est alternatif entre un laïc & un ecclésiastique, le pape peut prévenir dans le tour du patron ecclésiastique ; mais quand le droit de patronage est commun, & que l'exercice n'en a été rendu alternatif que pour prévenir des difficultés, il n'y a pas lieu à la prévention.
Il en est de même quand le droit de présenter n'appartient à un ecclésiastique qu'à cause d'un fief qui est uni à son bénéfice.
La provision donnée par le collateur ordinaire avant celle du pape, empêche l'effet de la prévention, quoique le patron ecclésiastique n'ait présenté que depuis la provision de l'ordinaire, pourvu que ce patron l'ait présenté dans le tems qui lui est accordé ; mais la présentation du patron n'a aucun effet, à moins qu'elle n'ait été notifiée au collateur ordinaire ; car le pape ne peut prévenir que rebus integris, & dès que la présentation du patron pulsavit aures ordinarii, la diligence du patron empêche la prévention.
Les provisions données par l'ordinaire à un absent, qui répudie la collation, empêchent la prévention ; il en seroit autrement si la collation étoit faite à un absent sans lui envoyer les provisions & les lui notifier.
Lorsque l'ordinaire a conféré le même jour que le pape ou le légat, le pourvu par l'ordinaire est préféré, quand même l'heure seroit marquée dans la collation du pape, & qu'elle ne le seroit pas dans celle de l'ordinaire ; parce que celui-ci étant favorable & étant sur les lieux, on présume qu'il a prévenu, & que le pape n'a pas la concurrence, mais seulement la prévention.
Une autre restriction notable que l'on a mis à ce droit de prévention, se tire de la regle de verisimili notitiâ obitus, par laquelle toutes provisions de cour de Rome sont de nul effet, si entre le décès & la date de la collation du pape, il n'y a pas assez de tems pour que le décès puisse être parvenu à sa connoissance.
La prévention n'a pas lieu au préjudice de la régale, à moins que le bénéfice ne se trouve rempli de droit & de fait lorsque la régale est ouverte ; la prise de possession par procureur ne seroit même pas suffisante pour exclure la régale.
Enfin, la prébende théologale, la pénitencerie, les bénéfices affectés aux musiciens, & autres qui demandent des qualités personnelles, ne sont pas non plus sujets à la prévention.
Voyez la pragmat. sanct. de collat. §. neque, & le concord. tit. de mandat. Fevret, liv. II. ch. vj. d'Hericourt, Drapier. (A)
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PREVENU | participe, (Jurisprud.) en matiere criminelle, on appelle prévenu d'un crime, celui qui en est accusé. Voyez ACCUSE & CRIMINEL. (A)
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PREVESA | (Géog. mod.) ville ou bourg de l'Albanie, sur le golfe de Larta, à 25 lieues au nord de Lépante, & à 40 au couchant de Larisse. Ce bourg est dans la situation de l'ancienne Nicopolis, bâtie par Auguste, en mémoire de la victoire qu'il remporta sur Marc-Antoine. Les Vénitiens s'emparerent de Prevesa en 1684, & en démolirent les fortifications, en gardant la place. Long. 38. 40. lat. 39. 15. (D.J.)
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PRÉVISION | S. f. (Théolog.) connoissance de ce qui arrivera. On dit la prévision de Dieu, & l'on regarde cette prévision comme contraire à la liberté ; la prévision des mérites est le fondement de la prédestination.
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PREVOIR | v. act. (Gram.) deviner un événement, juger qu'il aura lieu sur des circonstances présentes ; celui qui ne prévoit rien est souvent trompé, celui qui prévoit trop est misérable.
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PREVOT | (Jurisprud.) du latin praepositus qui signifie préposé, est le titre que les premiers juges, soit royaux ou seigneuriaux prennent dans beaucoup d'endroits.
On donne aussi ce titre au chef de certaines communautés d'artisans.
Enfin, dans certains chapitres, il y a un prevôt, qui dans quelques-uns est la premiere ou la seconde dignité ; dans d'autres, c'est un simple office. (A)
PREVOT DES BANDES ou DES BANDES FRANÇOISES, est un prevôt d'armée attaché au régiment des gardes-françoises, il y a aussi un prevôt des bandes suisses ; ces sortes de prevôts sont pour ce corps en particulier, ce que les prevôts de la connétablie & maréchaussée de France, sont pour le reste de l'armée. Voyez PREVOT D'ARMEE & PREVOT DES MARECHAUX. (A)
PREVOTS-FERMIERS, on donnoit ce nom au prevôts royaux du tems que les prevôtés étoient données à ferme. Voyez ce qui en est dit ci-après à l'article PREVOT DE PARIS.
PREVOT EN GARDE, est le titre que l'on donna aux prevôts royaux, depuis qu'il eut été défendu de donner les prevôtés à ferme, on donna les prevôtés en garde. Voyez ci-après. PREVOT DE PARIS.
PREVOTS DES GUERRES, c'est ainsi que sont nommés dans les anciennes ordonnances les prevôts d'armée, voyez le tom. III. des Ordonn. p. 112. Voyez ci-devant PREVOT DE L'ARMEE & PREVOT DES BANDES. (A)
PREVOT DE FRANCE (GRAND) ou PREVOT DE L'HOTEL DU ROI, qu'on appelle ordinairement par abréviation prevôt de l'hôtel simplement, est un officier d'épée qui est le juge de tous ceux qui sont à la suite de la cour, en quelque lieu qu'elle se transporte.
Du Tillet, & après lui quelques autres auteurs ont avancé, que le roi des ribauds exerçoit autrefois la charge de grand-prevôt, & qu'il fut intitulé prevôt de l'hôtel, sous le regne de Charles VI.
Miraulmont, au contraire, fait descendre le prevôt de l'hôtel des comtes du palais.
Mais les uns & les autres se sont trompés : ce que l'on peut dire de plus certain à ce sujet, est que l'autorité du prevôt de l'hôtel dérive de celle du grand sénéchal qui existoit en même tems que le comte du palais, mais dont l'autorité n'étoit pas si étendue que celle du comte du palais ; du sénéchal elle passa au bailli du palais, de celui-ci au grand maître, du grand maître, aux maîtres d'hôtel, & de ceux-ci au prevôt de l'hôtel.
Ces officiers avoient sous leurs ordres le roi des ribauds.
Sous le terme de bauds ou ribauds, on entendoit dans l'origine des hommes forts & déterminés, propres à faire un coup de main ; ce terme de ribauds se prit dans la suite en mauvaise part, à cause de la licence & des débauches auxquelles s'adonnoient ces ribauds.
Le roi des ribauds étoit le chef des sergens de l'hôtel du roi, il avoit lui-même son prevôt ou préposé qui exécutoit ses ordres, ses fonctions consistoient à chasser de la cour les vagabonds, filoux, femmes débauchées, ceux qui tenoient des brelands & autres gens de mauvaise vie, que l'on comprenoit tous sous le nom de ribauds ; il avoit soin que personne ne restât dans la maison du roi pendant le dîner & le souper, que ceux qui avoient bouche en cour, & d'en faire sortir tous les soirs ceux qui n'avoient pas droit d'y coucher ; enfin il prêtoit main-forte à l'exécution des jugemens qui étoient rendus par le bailli du palais ou autre, qui avoit alors la jurisdiction à la suite de la cour.
Quelques-uns croyent que le roi des ribauds fut supprimé en 1422 que le prevôt de l'hôtel lui succéda ; d'autres disent qu'il ne fut établi qu'en 1475.
Mais Boutillier qui florissoit en 1459, parle du roi des ribauds, comme étant encore existant ; & d'un autre côté, les historiens nous apprennent que le prevôt de l'hôtel étoit déja établi dès 1455, puisque les grandes chroniques de l'abbaye de saint Denis rapportent qu'en cette année, Jean de la Gardette prevôt de l'hôtel, arrêta sur le pont de Lyon, le roi y étant, Otho Castellan, Florentin, Argentier de S. M. & que le prevôt de l'hôtel assista en 1458 au jugement du procès du duc d'Alençon ; ainsi cet officier & le roi des ribauds existans en même tems, l'un ne peut avoir succedé à l'autre.
Le roi des ribauds qui étoit ordinairement l'un des archers du prevôt de l'hôtel, se trouva par la suite confondu parmi les archers de ce prevôt, ses sergens subsisterent encore quelque tems sous le prevôt de l'hôtel ; mais ils furent aussi supprimés, lorsque Louis XI. créa des gardes sous le prevôt de l'hôtel.
Il résulte aussi de ce qui vient d'être dit, que le prevôt de l'hôtel n'a pas non plus succedé aux prevôts des maréchaux qui exerçoient leur office à la suite de la cour, puisque du tems de Tristan l'Hermite, lequel vivoit encore en 1472, & qui est le dernier qui ait exercé cet office, il y avoit déja un prevôt de l'hôtel ; il existoit même, comme on l'a déja vû, avant 1455.
Le prevôt de l'hôtel prêtoit autrefois serment entre les mains du chancelier de France. Le sieur de Richelieu fut le premier qui le prêta entre les mains du roi, ainsi que cela s'est toujours pratiqué depuis ce tems.
L'office de grand-prevôt de France, qui est uni à celui de prevôt de l'hôtel, est aussi fort ancien. Les provisions de messire François du Plessis, seigneur de Richelieu, vingt-unieme prevôt de l'hôtel, nous apprennent que la charge de grand-prevôt de l'hôtel fut possédée avant lui par le sieur Chardion qui exerçoit dès 1524. Il fut peut-être le premier des grands-prevôts, à-moins que cette charge n'eût été créée pour Tristan & pour Monterad ; on croit que ce dernier posséda la charge de grand-prevôt depuis qu'il se fut démis de celle de prevôt de l'hôtel.
Comme la charge de grand-prevôt paroissoit éteinte à cause qu'il n'y avoit pas été pourvu depuis la mort de Monterad, le roi, par les provisions de M. de Richelieu, la rétablit en sa faveur pour la tenir conjointement avec celle de prevôt de l'hôtel.
Par un arrêt du conseil du 3 Juin 1589, le roi déclara n'avoir jamais entendu & qu'il n'entendoit pas qu'à l'avenir la qualité de grand-prevôt fut attribuée à d'autre qu'au prevôt de son hôtel & grand-prevôt de France ; ce qui a encore été confirmé par deux autres arrêts.
Le tribunal de la prevôté de l'hôtel est composé dudit prevôt & de plusieurs autres officiers, savoir de deux lieutenans-généraux civils, criminels & de police qui servent alternativement, l'un à Paris, l'autre à la cour, un procureur du roi, un substitut, un greffier-receveur des consignations, deux commis-greffiers, un trésorier-payeur des gages, douze procureurs, quatorze huissiers, trois notaires, dont deux ont été créés en 1543, à l'instar de ceux de Paris, pour la suite de la cour & des conseils du roi ; le troisieme a été établi par commission du conseil.
Outre ces officiers de robe, le prevôt de l'hôtel a sous lui un lieutenant-général ordinaire d'épée, quatre autres lieutenans d'épée, douze capitaines exempts, & quatre-vingt-huit gardes, un maréchal des logis, un trompette ; il y a aussi un lieutenant & deux gardes qui servent près de M. le garde des sceaux, & un garde détaché auprès & sous les ordres de chaque intendant de province.
La jurisdiction de la prevôté de l'hôtel connoît en premiere instance des causes civiles de toutes les personnes qui sont à la suite de la cour, conformément aux édits, déclarations & reglemens concernant cette jurisdiction, l'appel de ses jugemens en matiere civile se releve au grand-conseil.
Le prevôt de l'hôtel est juge sans appel de toutes les causes criminelles & de police qui surviennent à la suite de la cour.
Les officiers de la prevôté de l'hôtel ont aussi la manutention de la police dans les lieux où se trouve la cour, y font porter les vivres & denrées, y mettent le taux, connoissent des malversations dans les logemens à la craie & de tout ce qui concerne les voitures publiques de la cour.
Ces mêmes officiers ont droit de jurisdiction, & d'instrumenter chacun en ce qui concerne leurs fonctions dans les maisons royales & leurs dépendances, hôtels d'équipages des seigneurs, chez les officiers du roi & de la reine étant dans leur quartier de service, chez les commis des bureaux des ministres dans les villes & endroits où la cour se trouve, à l'exclusion de toutes autres jurisdictions & officiers ordinaires.
Ils jouïssent de tous les privileges des commensaux de la maison du roi. Voyez Miraulmont, le traité de la police, Brillon au mot prevôt, & le mémoire imprimé en 1758, sur la jurisdiction de la prevôté de l'hôtel. (A)
PREVOT DE L'ILE de France, qu'on appelle communément prevôt de l'île simplement par abréviation, est le prevôt des maréchaux, qui a pour district l'étendue de pays qu'on appelle l'île de France. Il fait dans ce pays les mêmes fonctions que les autres prevôts des maréchaux font chacun dans la province de leur département, & juge les cas prevôtaux arrivés dans son district, avec les officiers du présidial à Paris. Ce prevôt n'a précisément que l'île de France pour son département, il y a un autre prevôt pour le surplus de la généralité de Paris, qu'on appelle le prevôt de la généralité de Paris, & qui a son siege à Melun. Voyez PREVOT DES MARECHAUX. (A)
PREVOT DE LA MARINE est un officier établi dans les principaux ports du royaume, pour tenir la main à l'exécution des ordonnances concernant la marine. Il a un lieutenant, un exempt, un prevôt du roi, un greffier, des archers ; il reçoit les dénonciations des deserteurs, instruit le procès contr'eux, & le rapporte au conseil de marine ou à son lieutenant.
Ces prevôtés de la marine ont été établies par édit d'Avril 1704, dans les ports de Brest, Rochefort, Marseille, Dunkerque, le Havre, Port-Louis & Bayonne. (A)
PREVOT DES MARCHANDS est un magistrat qui préside au bureau de la ville, pour exercer avec les échevins la jurisdiction qui leur est confiée.
L'office de prevôt des marchands est municipal ; on ne connoît que deux prevôts des marchands en France, celui de Paris & celui de Lyon, ailleurs le chef du bureau de la ville est communément nommé maire.
En 1170, une compagnie des plus riches bourgeois de Paris établit dans cette ville une confrairie sous le titre de confrairie des marchands de l'eau.
Ils acheterent des abbesse & religieuses de Haute-Bruyere une place hors de la ville, & fonderent leur confrairie dans l'église de ce monastere. Cet établissement fut confirmé par des lettres-patentes de la même année.
Quelques-uns prétendent néanmoins que l'établissement de la prevôté des marchands à Paris remonte jusqu'au tems des Romains ; que les marchands de Paris fréquentant la riviere, par laquelle se faisoit alors presque tout le commerce, formoient dès-lors entr'eux un college ou communauté sous le titre de nautae parisiaci. Suivant un monument qui fut trouvé en 1710 en fouillant sous le choeur de l'église de Notre-Dame, il est à croire que ces nautes avoient un chef qui tenoit la place qu'occupe aujourd'hui le prevôt des marchands.
Quoi qu'il en soit de cette origine, il est certain que l'institution du prevôt des marchands est fort ancienne.
Il paroît que dans les commencemens ceux de la confrairie des marchands qui furent choisis pour officiers, étoient tous nommés prevôts des marchands, c'est-à-dire préposés, praepositi mercatorum aquae, c'est ainsi qu'ils sont nommés dans un arrêt de l'an 1268, rapporté dans les olim.
Dans un autre arrêt du parlement de la Pentecôte en 1273, ils sont nommés scabini, & leur chef magister scabinorum.
Il y en avoit donc dès-lors un qui étoit distingué des autres par un titre particulier, & qui est aujourd'hui représenté par le prevôt des marchands.
En effet, dans l'ancien recueil manuscrit des ordonnances de police de Paris, qui fut fait du tems de S. Louis, les échevins & leur chef sont désignés sous ces différens titres, li prevost de la confrairie des marchands & li echevins ; li prevost & li jurés de la marchandise ; li prevost & li jurés de la confrairie des marchands ; ailleurs il est nommé le prevôt de la marchandise de l'eau, parce qu'en effet la jurisdiction à la tête de laquelle il est placé n'a principalement pour objet que le commerce qui se fait par eau.
Il devoit être présent à l'élection qui se faisoit par le prevôt de Paris ou par les auditeurs du châtelet de quatre prud'hommes, pour faire la police sur le pain, & il partageoit avec les prud'hommes la moitié des amendes.
C'étoit lui & les échevins qui élisoient les vendeurs de vin de Paris, ils avoient le droit du cri de vin, & levoient une imposition sur les cabaretiers de cette ville. Le prevôt avoit la moitié des amendes auxquelles ils étoient condamnés ; c'étoit lui qui recevoit la caution des courtiers de vin.
Il avoit conjointement avec le prevôt de Paris inspection sur le sel.
On l'appelloit aussi à l'élection des jurés de la marée & du poisson d'eau douce.
Il étoit pareillement appellé, comme le prevôt de Paris, pour connoître avec les maîtres des métiers de la bonté des marchandises amenées à Paris par les marchands forains.
On l'appella aussi au parlement en 1350, pour faire une ordonnance de police concernant la peste.
Il recevoit avec plusieurs autres officiers le serment des jurés du métier des bouchers & chandeliers.
On trouve que dans plusieurs occasions le prevôt des marchands fut appellé à des assemblées considérables.
Par exemple, en 1370 il fut appellé à une assemblée pour faire un reglement sur le pain ; & en 1379 à une autre assemblée, où il s'agissoit de mettre un impôt sur la marée.
Il assista le 21 Mai 1375 à l'enregistrement de l'édit de la majorité des rois.
Mais le 27 Janvier 1382, à l'occasion d'une sédition arrivée à Paris, Charles VI. supprima le prevôt des marchands & l'échevinage de la ville de Paris, & réunit le tout à la prevôté de la même ville, ensorte qu'il n'y eut plus alors de prevôt des marchands, ni des échevins ; ce qui demeura dans cet état jusqu'au premier Mars 1388, que le roi établit le prevôt des marchands & les échevins, mais il paroît que la jurisdiction ne leur fut rendue que par une ordonnance de Charles VI. du 20 Janvier 1411.
Le prevôt des marchands préside à cette jurisdiction.
Il est nommé par le roi, & sa commission est pour deux ans ; mais il est continué trois fois, ce qui fait en tout huit années de prevôté.
Cette place est ordinairement remplie par un magistrat du premier ordre.
Le prevôt des marchands a le titre de chevalier. Il porte dans les cérémonies la robe de satin cramoisi. Voyez le recueil des ordonnances de la huitieme race, le traité de la police, & les mots BUREAU DE LA VILLE, ÉCHEVINS, ÉCHEVINAGE. (A)
PREVOT DES MARECHAUX DE FRANCE, ou, comme on dit vulgairement par abréviation, prevôt des maréchaux, est un officier d'épée établi pour battre la campagne avec d'autres officiers & cavaliers ou archers qui lui sont subordonnés, afin de procurer la sûreté publique ; il est aussi établi pour faire le procès à tous vagabonds, gens sans aveu & sans domicile, & même pour connoître en certains cas des crimes commis par des personnes domiciliées.
On peut rapporter aux Romains la premiere institution de ces sortes d'officiers, les Romains ayant des milices destinées à battre la campagne, & pour arrêter les malfaiteurs & les livrer aux juges ; les chefs de ces milices étoient appellés latrunculatores.
En France, les comtes étoient pareillement chargés de veiller à la sûreté des provinces.
Les baillifs & sénéchaux qui leur succéderent furent chargés du même soin. Le prevôt de Paris qui tient le premier rang entre les baillifs avoit pour ce service 220 sergens à cheval qui venoient tous les jours à l'ordre, & une compagnie de cent maîtres qui battoit continuellement la campagne, & à la tête de laquelle il se trouvoit lui-même dans les occasions importantes. Les baillifs & sénéchaux faisoient la même chose chacun dans leur province.
Il n'y avoit jusqu'au tems de François I. que deux maréchaux de France ; ce prince les augmenta jusqu'à quatre. Ils commandoient les armées avec le connétable, comme ses lieutenans, & en chef lorsqu'il étoit absent. La jurisdiction militaire attachée à ce commandement étoit exercée sous leur autorité par un prevôt qui devoit être gentilhomme, & avoir commandé ; il étoit à la suite des armées ; & en tems de paix, il n'avoit point de fonction.
Charles VI. fixa ce prevôt des maréchaux à la suite de la cour, d'autant que sous son regne la cour ne fut presque point séparée de l'armée. Cet arrangement subsista sous les regnes suivans, on a même fait de ce prevôt des maréchaux l'un des grands officiers de la couronne sous le titre de grand prevôt de France.
Cet officier unique ne pouvant veiller sur toutes les troupes qui étoient tant en garnison qu'à l'armée, envoyoit de côté & d'autre ses lieutenans, pour informer des excès commis par les gens de guerre.
Louis XI. permit en 1494 au prevôt des maréchaux de commettre en chaque province un gentilhomme pour le représenter, avec pouvoir d'assembler, selon les occasions, les autres nobles & autres gens du pays pour s'opposer aux gens de guerre, aventuriers & vagabonds débandés des armées, courant les champs, volant & opprimant le peuple, les prendre & saisir au corps, & les rendre aux baillifs & sénéchaux pour en faire justice.
Dans la suite ces commissions furent érigées en offices pour diverses provinces, tellement que vers la fin du regne de Louis XI. il ne resta presque aucune province qui n'eût un prevôt des maréchaux.
Chacun de ces prevôts eut la liberté de se choisir des lieutenans, & un certain nombre d'archers pour servir sous ses ordres.
Dans les grands gouvernemens, tels que ceux de Guyenne, Normandie, Picardie, les prevôts des maréchaux prirent le titre de prevôts généraux avec le surnom de la province ; ceux des moindres provinces furent simplement prevôt d'un tel lieu ; on les appella prevôts provinciaux.
Ils n'avoient d'abord de jurisdiction que sur les gens de guerre, suivant l'édit de François I. du mois de Janvier 1514 : en 1536 & 1537, il y eut des lettres qui leur attribuerent jurisdiction sur les voleurs, vagabonds, & dans les cas appellés depuis prevôtaux ; mais ces commissions n'étoient que pour un tems.
Ce ne fut que par un édit du 3 Octobre 1544 que François I. accorda pour la premiere fois aux prevôts des maréchaux par concurrence & prévention avec les baillifs & sénéchaux, la justice, correction & punition des gens de guerre qui desemparoient le service ou les garnisons, & de tous les vagabonds & autres malfaiteurs qui tiennent les champs, & y commettent des vols, des violences ou autres semblables crimes.
Il rétablit en 1546 un prevôt des maréchaux pour la ville, prevôté, vicomté & élection de Paris, & pour les élections de Senlis, Beauvais, Clermont, Montfort-Lamaury & Estampes.
Les prevôts des maréchaux étant ainsi obligés de résider dans leurs provinces ; on établit d'autres prevôts des maréchaux pour la suite des troupes ; ce sont ceux qu'on appelle prevôts de l'armée.
Le prevôt général de Guyenne ayant négligé ses fonctions, son office fut supprimé ; on créa en sa place trois vice-sénéchaux, à chacun desquels on donna pour département une partie de la Guienne.
Il y eut encore de semblables offices établis dans quelques autres sénéchaussées sous le même titre de vice-sénéchaux, & dans quelques bailliages sous le titre de vice-baillifs ; présentement ils ont tous le titre de prevôt des maréchaux.
Les prevôts provinciaux ou particuliers furent supprimés par l'édit du mois de Novembre 1544 ; il y en eut pourtant depuis quelques-uns de rétablis, mais présentement il n'y en a plus, si ce n'est dans la province de Bourgogne.
Les prevôts généraux des maréchaux, qui sont présentement au nombre de trente-un, ont tous le titre d'écuyer & de conseillers du roi, avec voix délibérative dans les affaires de leur compétence, quand ils ne seroient pas gradués.
Ils ont rang & séance aux présidiaux après le lieutenant-criminel du siege.
Ils ne peuvent posseder en même tems aucun autre office.
Pour les fautes qu'ils peuvent commettre dans leurs fonctions, ils ne sont justiciables que du parlement.
Ils ont ordinairement un assesseur pour leur servir de conseil, & quelquefois aussi un lieutenant. Il y a aussi en quelques endroits un procureur du roi pour la jurisdiction de la maréchaussée ; ailleurs c'est le procureur du roi au présidial qui fait cette fonction.
La compétence & les fonctions des prevôts des maréchaux ont été fixées par divers réglemens, notamment par des lettres-patentes du 5 Février 1549, 14 Octobre 1563, Août 1564, ordonnance de Moulins en 1566, par l'ordonnance criminelle de 1670, enfin, par la déclaration du 5 Février 1731, qui forme le dernier état sur cette matiere.
Suivant cette déclaration, ils connoissent de tous crimes commis par vagabonds & gens sans aveu, qui n'ont ni profession, ni métier, ni domicile certain, ni bien pour subsister, & ne peuvent être avoués, ni faire certifier de leurs bonnes vie & moeurs. Ils doivent arrêter les gens de cette qualité, quand ils ne seroient prévenus d'aucun autre crime ou délit, pour leur être leur procès fait suivant les ordonnances. Ils doivent aussi arrêter les mendians valides de la même qualité.
Ils connoissent aussi des crimes commis par ceux qui ont été condamnés à peine corporelle, bannissement, ou amende honorable, mais non de l'infraction de ban, si ce n'est que la peine en eût été par eux prononcée.
Ils ont aussi la connoissance de tous excès, oppressions, ou autres crimes commis par gens de guerre, tant dans leur marche que dans les lieux d'étapes, ou d'assemblée, ou de séjour pendant leur marche ; des déserteurs d'armée, de ceux qui les auroient suborné, ou qui auroient favorisé ladite désertion, quand même les accusés de ce crime ne seroient pas gens de guerre.
Tous les crimes dont on vient de parler, qui ne sont prevôtaux que par la qualité des personnes, sont de la compétence des prevôts des maréchaux, quand même ces crimes seroient commis dans les villes de leur résidence.
Outre ces cas prevôtaux par la qualité des personnes, ils connoissent de ceux qui sont prevôtaux par la matiere du crime, savoir, du vol sur les grands chemins, sans que les rues des villes & fauxbourgs soient à cet égard réputées grands chemins. Ils connoissent de même des vols faits avec effraction, lorsqu'ils sont accompagnés de port d'armes ou violence publique, ou lorsque l'effraction se trouve avoir été faite dans les murs de clôture ou toîts des maisons, portes & fenêtres extérieures, quand même il n'y auroit eu ni port d'armes, ni violence publique ; des sacrileges accompagnés des circonstances marquées ci-dessus à l'égard du vol avec effraction ; des séditions, émotions populaires, attroupemens & assemblées illicites avec port d'armes ; des levées de gens de guerre sans commission du roi ; & de la fabrication ou exposition de fausse monnoie. Il n'y a point d'autres crimes qui par leur nature soient réputés cas prevôtaux.
Les prevôts des maréchaux ne peuvent connoître des crimes mentionnés dans l'article précédent, lorsqu'ils ont été commis dans la ville & fauxbourgs de leur résidence.
Les présidiaux ont la concurrence avec eux, excepté pour ce qui concerne les déserteurs, subornateurs, & fauteurs d'iceux.
En cas de concurrence, les présidiaux & même les baillis & sénéchaux ont la préférence, s'ils ont informé ou decreté avant eux ou le même jour. La même chose a lieu pour tous les autres juges royaux ou seigneuriaux quant aux crimes qui ne sont pas prevôtaux de leur nature.
Les ecclésiastiques ne sont sujets en aucun cas à la jurisdiction des prevôts des maréchaux.
Les gentils-hommes jouissent du même privilege, à-moins qu'ils ne s'en fussent rendus indignes par quelque condamnation à peine corporelle, bannissement & amende honorable.
Les secrétaires du roi & officiers de judicature dont les procès criminels sont portés à la grand'chambre du parlement, ne sont pas non plus justiciables des prevôts des maréchaux.
Il suffit que l'un des accusés ne soit pas leur justiciable, pour qu'ils doivent s'abstenir de connoître de l'affaire, quand même la compétence auroit été jugée en leur faveur.
Ils peuvent néanmoins informer & decreter contre ceux qui ne sont pas leurs justiciables, à la charge de renvoyer le procès aux juges qui en doivent connoître.
Lorsque les cas prevôtaux ont été commis dans une ville où il y a parlement, ou dans les fauxbourgs, les prevôts des maréchaux n'en peuvent connoître, quand même ils ne résideroient pas dans ce lieu, à-moins qu'il ne fût question de cas prevôtaux par leur nature.
La compétence des prevôts des maréchaux doit être jugée au présidial le plus prochain.
Quand le jugement de compétence est en leur faveur, ils doivent ensuite juger le procès au siege royal le plus prochain, quand même ce ne seroit pas un présidial.
Les jugemens rendus par les prevôts des maréchaux sont toujours en dernier ressort.
Outre les cas dans lesquels ils ont jurisdiction, ils doivent arrêter tous criminels pris en flagrant délit, ou à la clameur publique.
Ils sont aussi obligés de prêter main-forte à l'exécution des jugemens.
Les captures qu'ils font hors les cas qui sont de leur compétence, ne leur attribuent aucune jurisdiction. Voyez Chenu, Joly, Guenois, Néron, le traité de la police, & les articles MARECHAUX DE FRANCE, MARECHAUSSEE. (A)
PREVOT, (Cour des Monnoies) Les prevôts sont une espece d'officiers subalternes dans les monnoies de France. Il y en a de deux sortes : les prevôts des ouvriers & tailleresses, & ceux des monnoyers. Ils sont à vie, & se font par élection.
C'est au prevôt des ouvriers de se charger des lames d'or, d'argent & de cuivre, pour les leur distribuer, afin qu'ils les taillent au coupoir, & qu'ils leur donnent les autres façons qui les rendent flaons, c'est-à-dire, propres à recevoir la marque qui leur fait avoir cours dans le public. Le prevôt des monnoyers en fait autant des flaons ; & c'est de sa main qu'ils les reçoivent pour les frapper au balancier. L'un & l'autre répond des lames ou des flaons, tant qu'ils restent entre leurs mains. (D.J.)
PREVOT DE PARIS, est un magistrat d'épée qui est le chef du châtelet, ou prevôté & vicomte de Paris, justice royale ordinaire de la capitale du royaume.
L'établissement de cet office remonte jusqu'à Hugues Capet ; la ville de Paris & tout le territoire qui en dépend, étoient alors gouvernés par des comtes qui réunissoient en leur personne le gouvernement politique & militaire, l'administration de la justice & celle des finances. Ils rendoient la justice en personne dans Paris, & avoient sous eux un vicomte qui n'étoit pas juge de toute la ville, mais seulement d'une petite portion qui formoit le fief de la vicomté & d'un certain territoire au-dehors. Hugues Capet qui étoit d'abord comte de Paris, étant parvenu à la couronne en 987, y réunit le comté de Paris qu'il tenoit en fief ; & l'office de vicomte ayant été supprimé vers l'an 1032, le prevôt de Paris fut institué pour faire toutes les fonctions du comte & du vicomte : c'est pourquoi le titre de vicomté est toujours demeuré joint avec celui de prevôté de Paris.
Le prevôt de Paris fut donc institué non pas seulement pour rendre la justice, il étoit aussi chargé comme les comtes du gouvernement politique & des finances dans toute l'étendue de la ville, prevôté & vicomté de Paris.
On ne doit pas le confondre avec les autres prevôts royaux, qui sont subordonnés aux baillis sénéchaux. Il n'a jamais été subordonné à aucun bailli ou sénéchal, ni même au bailli de Paris, tandis qu'il y en a eu un. Il précede même tous les baillis & sénéchaux, & a plusieurs prérogatives qui lui sont particulieres.
Jean le Cocq dit que le prevôt de Paris est le premier dans la ville après le prince & messieurs du parlement qui représentent le prince, qu'il précede tous les baillis & sénéchaux ; & l'auteur du grand coutumier dit qu'il représente la personne du roi au fait de la justice.
Aussi voit-on que cette place a toujours été possédée par des personnes de distinction, & même par les plus grands seigneurs du royaume.
Le premier qui soit connu se nommoit Etienne. Il souscrivit en 1060 & 1067 deux chartes de fondation de saint Martin, faites par Henri I. & Philippe I. suivant l'usage où étoient alors nos rois de faire souscrire leurs chartes par leurs principaux officiers. Il y est qualifié Stephanus, praepositus parisiensis.
Philippe-Auguste établit en 1192 pour prevôt de Paris Anselme de Garlande, fils de Guillaume qui étoit dapifer, ou grand-maître de la maison de Louis le Gros, & d'une maison des plus distinguées qu'il y eût alors.
On voit dans plusieurs chartes que nos rois, en parlant du prevôt de Paris, l'appelloient par excellence notre prevôt, ensorte qu'il étoit le prevôt du roi ; c'est ainsi qu'il est qualifié dans une charte de Louis le Gros en 1126, qui le commit pour rendre en son nom à l'évêque de Paris certains droits, comme cela se pratiquoit alors.
En 1134, le même roi Louis le Gros donna aux bourgeois de Paris le privilege de pouvoir faire arrêter leurs débiteurs forains, & attribua la connoissance de ce privilege prevôt de Paris & à ses successeurs : ad hoc sint, est-il dit, in perpetuum adjutores.
Il avoit autrefois son sceau particulier comme tous les autres magistrats, dont il scelloit les actes de sa jurisdiction contentieuse & volontaire ; ce qui suffisoit alors pour les rendre authentiques sans autre signature.
Vers la fin du regne de Philippe-Auguste, on introduisit l'abus de donner les bailliages & les prevôtés royales à ferme. La prevôté de Paris ne fut pas exempte de ce désordre, il y eut aussi des prevôts fermiers ; on voit même qu'en 1245 & en 1251 elle étoit tenue par deux marchands qui en exerçoient collectivement les fonctions. Ces prevôts fermiers ne jugeoient point, cela leur étoit même défendu ; ils convoquoient seulement les parties, les avocats leur donnoient conseil pour les causes qui se jugeoient en l'audience, ils jugeoient par leur avis. On prétend que c'est de-là que vient le serment que les avocats prêtoient ci-devant au châtelet ; lorsqu'il s'agissoit de faits & de preuves, il renvoyoit aux commissaires ; si c'étoit un point de droit, il renvoyoit aux conseillers qui jugeoient en la chambre civile.
La prevôté de Paris ne demeura dans cet état que pendant 30 ans, dans un besoin extrême d'argent, sur la fin du regne de Philippe-Auguste, sous celui de Louis VIII. & pendant la minorité de saint Louis. Dès que ce prince fut en âge de gouverner par lui-même, il réforma cet abus pour sa capitale, ce qui n'eut lieu pour les provinces que plus d'un siecle après, desorte que l'office de prevôt de Paris en reçut un grand éclat ; ce magistrat ayant été commis par nos rois pour visiter les provinces, & y réprimer les désordres que faisoient les baillis & sénéchaux fermiers. C'est ce que l'on voit dans plusieurs ordonnances de la troisieme race, où le prevôt de Paris est nommé visiteur & réformateur par tout le royaume.
Ce fut en 1254 que saint Louis retira à lui la prevôté de Paris ; il la sépara pour toujours des fermes de son domaine, & la donna en garde à Etienne Boileau, ou Boisleve, homme de grand mérite, & lui assigna des gages pour lui & ses successeurs.
Depuis ce tems, ceux qui remplissoient les fonctions de cet office ne prenoient ordinairement dans leurs provisions que le titre de garde de la prevôté de Paris & non celui de prevôt, quelques-uns prétendant que le roi lui-même étoit prevôt de Paris ; mais depuis 1685 on n'a plus fait de difficulté de donner le titre de prevôt de Paris au magistrat qui en fait les fonctions.
Saint Louis débarassa aussi le prevôt de Paris du soin de recevoir les actes de jurisdiction volontaire & de les faire expédier, en créant à cet effet soixante notaires.
Il paroît par des ordonnances & réglemens généraux de 1302, 1320, 1327 & 1420, que le prevôt de Paris rendoit autrefois assidument la justice en personne. L'ordonnance du châtelet de l'an 1485 lui enjoint d'être au châtelet à sept heures du matin, & d'y être tous les jours que les conseillers du parlement y seront. Un arrêt de réglement du 22 Juin 1486 lui enjoignit d'aller à Corbeil pour y tenir ses assises en personne. Il lui étoit même défendu d'avoir des lieutenans qu'en cas de maladie ou autre légitime empêchement, & alors il les choisissoit à sa volonté ; il commettoit des auditeurs qui lui faisoient le rapport des causes importantes ; il jugeoit les procès avec ses conseillers qu'il choisissoit conjointement avec M. le chancelier & quatre conseillers du parlement ; il commettoit aussi à la place des auditeurs, greffiers, procureurs, notaires, sergens ; il n'a cessé de nommer ces différens officiers qu'à mesure qu'ils ont été érigés en titre d'office.
Dans les affaires de la prevôté de Paris qui étoient portées au parlement, & dans lesquelles le roi se trouvoit intéressé, c'étoit le prevôt de Paris qui parloit pour le roi. Lett. hist. sur le parlem. tom. II.
Le gouvernement militaire ne fut séparé de la prevôté, que sous François I. & le prevôt de Paris a toujours conservé le droit de convoquer & de commander le ban & l'arriere-ban, & de connoître des contestations qui arrivent à ce sujet.
Le bailliage de Paris, que François I. avoit établi en 1522, pour la conservation des privileges royaux de l'université, fut réuni à la prevôté de Paris en 1526.
L'ordonnance de Moulins, art. 21. veut que le prevôt de Paris, & les baillis & sénéchaux des provinces, soient de robe courte & gentilshommes, & de l'âge & suffisance requise par les ordonnances, entendant que lesdits prevôts, baillis & sénéchaux puissent entrer & présider en leur siege, tant en l'audience qu'au conseil, & que les sentences & commissions soient expédiées en leur nom.
En 1674, lorsque la jurisdiction du châtelet fut séparée en deux, on créa un prevôt de Paris pour le nouveau siege du châtelet ; & par un autre édit du mois d'Août de la même année, l'ancien office de Paris fut supprimé, & le roi en créa un nouveau pour l'ancien châtelet, pour jouir par ces deux prevôts des mêmes dignités, rangs, séances, honneurs, prérogatives & prééminences dont jouissoit l'ancien prevôt de Paris. Les choses demeurerent dans cet état jusqu'au mois de Septembre 1684, que le nouveau châtelet ayant été supprimé & réuni à l'ancien, les deux offices de prevôt de Paris furent par ce moyen réunis ; & le roi créa & rétablit, en tant que besoin seroit, l'ancien office de prevôt, dont le duc de Coislin avoit été le dernier pourvu & non reçu, pour jouir des mêmes honneurs, rangs, séances & droits dont il jouissoit avant la suppression. Il permit de plus à celui qui en seroit pourvu, de prendre le titre de conseiller en ses conseils.
Pour pouvoir être pourvu de l'office de prevôt de Paris, il faut être né dans cette ville : il y a une ordonnance expresse à ce sujet, qui est rapportée dans Joly, tom. II. p. 1827.
Les principales prérogatives dont jouit présentement le prevôt de Paris, sont :
1°. Qu'il est le chef du châtelet ; il y représente la personne du roi pour le fait de la justice : en cette qualité, il est le premier juge ordinaire, civil & politique de la ville de Paris, capitale du royaume. Il peut venir sieger quand il le juge à-propos, tant au parc civil, qu'en la chambre du conseil, & y a voix délibérative, droit que n'ont plus les baillis & sénéchaux d'épée. Il n'a pas la prononciation à l'audience, mais lorsqu'il y est présent, la prononciation se fait en ces termes : M. le prevôt de Paris dit, nous ordonnons, &c. Il signe les délibérations de la compagnie, à la chambre du conseil.
2°. Il a une séance marquée au lit de justice, audessous du grand-chambellan. Du Tillet, des grands, dit que quand le roi est au conseil au parlement, que le prevôt de Paris se place aux piés du roi, au-dessous du chambellan, tenant son bâton en main, couché sur le plus bas degré du trône ; mais que quand le roi vient à l'audience, le prevôt de Paris, tenant un bâton blanc à la main, est au siege du premier huissier ; étant à l'entrée du parquet, comme ayant la garde & défense d'icelui, à cause de ladite prevôté ; que c'est lui qui tient le parquet fermé : les capitaines des gardes n'ont que la garde des portes de la salle d'audience.
On trouve un grand nombre d'anciennes ordonnances, qui sont adressées au prevôt de Paris, auquel le roi enjoignoit de les faire publier, ce qu'il faisoit en conformité de ces lettres.
Suivant une ordonnance du mois de Février 1327, on voit que c'étoit lui qui mettoit les conseillers au châtelet ; qu'il mandoit quand il vouloit au châtelet les conseillers de ce siege ; qu'il pouvoit priver de leur office les officiers de son siege qui manquoient à leur devoir, puis en écrire au roi pour savoir sa volonté. Il paroît même qu'il fut nommé pour la réformation des abus du châtelet. On mettoit les procès du châtelet dans un coffre dont il avoit la clé, & c'étoit lui qui en faisoit la distribution ; c'étoit lui qui instituoit les notaires, & qui nommoit les sergens à cheval.
Il étoit chargé en 1348, de faire observer dans son ressort, les ordonnances sur le fait des monnoies. Il avoit le tiers des confiscations ; & si le roi faisoit remise d'une partie de la confiscation, le prevôt de Paris n'en avoit pas moins son tiers.
Il avoit inspection sur tous les métiers & marchandises ; c'est pourquoi il étoit appellé avec les maîtres des métiers pour connoître de la bonté des marchandises amenées à Paris par les marchands forains.
Il moderoit la taxe que le prevôt des marchands & les échevins de la ville de Paris levoient sur les Cabaretiers de cette ville, lorsque cette taxe étoit trop forte.
Les Bouchers lui devoient une obole tous les dimanches qu'ils coupoient de la viande.
Les anciens statuts des métiers portoient qu'il pourroit y faire des changemens lorsqu'il le jugeroit à-propos ; on voit même qu'il en dressoit de nouveaux, appellant à cet effet avec lui le procureur du roi & le conseil du châtelet ; & même du tems du roi Jean, cette inspection s'étendoit sur le sel.
Il avoit aussi alors inspection sur tout ce qui concernoit la marée ; c'étoit lui qui élisoit les jurés de la marée & du poisson d'eau douce ; il recevoit le serment des prud'hommes du métier de la marée : les vendeurs de marée donnoient caution devant lui.
C'étoit lui qui faisoit exécuter les jugemens du concierge & bailli du palais en matiere criminelle. Lorsqu'il s'agissoit du criminel laïc, les officiers de sa justice le livroient hors la porte du palais au prevôt de Paris pour en faire l'exécution ; ils retenoient seulement les meubles des condamnés.
Le roi Charles VI. par des lettres du 27 Janvier 1382, supprima la prevôté des marchands de Paris, l'échevinage & le greffe de cette ville, & ordonna que leur jurisdiction seroit exercée par le prevôt de Paris, auquel il donna la maison-de-ville, située dans la place de Greve, afin que le prevôt de Paris eût une maison où il pût se retirer lui & ses biens, & dans laquelle ceux qui seroient dans le cas d'avoir recours à lui, comme à leur juge, pussent le trouver ; & il ordonna que cette maison seroit nommée dans la suite la maison de la prevôté de Paris.
L'auteur du grand coutumier qui écrivoit sous le regne de Charles VI. dit que le prevôt de Paris est le chef du châtelet, & institué par le roi, & qu'il représente sa personne quant au fait de justice.
Jean le Cocq (Joannes Galli), célebre avocat de ce tems-là, & qui fut aussi avocat du roi, dit en plaidant en 1392, une cause pour le roi contre l'évêque de Paris, au sujet d'un prisonnier qui avoit été reconnu dans une église par le prevôt de Paris, que ce prevôt étoit le premier après le roi dans la ville de Paris, & après MM. du parlement qui représentent le roi ; qu'il lui appartenoit de conserver & défendre les droits royaux, & que ce que le prevôt de Paris avoit fait, c'étoit en conservant les droits du roi & ceux de son office, qui lui avoient été adjugés par arrêt.
Dans ce même siecle, en 1350, le roi Jean commit le prevôt de Paris pour rendre hommage à l'évêque de Paris des châtellenies de Tournan & de Torcy en Brie, comme avoit dejà fait Louis le Gros en 1126 ; il est toujours qualifié praepositus noster, le prevôt du roi.
Il a la garde du parquet & le droit d'assister aux états généraux, comme premier juge ordinaire & politique de la capitale du royaume.
3°. Il a un dais toujours subsistant au châtelet, prérogative dont aucun autre magistrat ne jouit, & qui vient de ce qu'autrefois nos rois, & notamment S. Louis, venoient souvent au châtelet pour y rendre la justice en personne.
4°. Le prevôt de Paris est le chef de la noblesse de toute la prevôté & vicomté, & la commande à l'arriere-ban, sans être sujet aux gouverneurs, comme le sont les baillis & sénéchaux.
5°. Il a douze gardes, appellés sergens de la douzaine, qui doivent l'accompagner soit à l'auditoire, ou ailleurs par la ville & dans toutes les cérémonies. Ce droit lui fut accordé dès 1309, par Philippe-le-Bel. L'habillement de ces gardes est un hoqueton ou espece de cotte d'armes : ils sont armés de halebardes. Le prevôt de Paris a été maintenu en possession de ces gardes & de leur habillement, par un arrêt solemnel du 27 Juin 1566, comme premier juge ordinaire de la ville de Paris.
6°. Son habillement qui est distingué, est l'habit court, le manteau & le collet, l'épée au côté, un bouquet de plumes sur son chapeau ; il porte un bâton de commandant, couvert de toile d'argent ou de velours blanc.
7°. Il vient dans cet habillement à la tête de la colonne du parc civil, en la grand-chambre du parlement, à l'ouverture du rôle de Paris, & après l'appel de la cause, il se couvre de son chapeau, ce qui n'est permis qu'aux princes, ducs & pairs, & à ceux qui sont envoyés de la part du roi.
8°. Suivant une ordonnance de Charles VI. en 1413, pour être prevôt de Paris il faut être né dans cette ville ; tandis qu'au contraire cette même ordonnance défend de prendre pour baillis & sénéchaux, ceux qui sont natifs du lieu.
9°. Les ordonnances distinguent encore le prevôt de Paris des baillis & sénéchaux, en le désignant toujours nommément & avant les baillis & sénéchaux, lorsqu'on a voulu le comprendre dans la disposition, ou l'en excepter.
10°. Il connoît du privilege qu'ont les bourgeois de Paris, de faire arrêter leurs débiteurs forains ; il est le conservateur des privileges de l'université ; il a la connoissance du sceau du châtelet, attributif de jurisdiction ; & c'est de lui que plusieurs communautés tiennent leurs lettres de garde gardienne.
11°. Il est installé dans ses fonctions par un président à mortier & quatre conseillers de grand'chambre, deux laïcs & deux clercs, tant au parc civil qu'au présidial, en la chambre du conseil & au criminel. Il doit faire présent d'un cheval au président qui l'a installé. Les cérémonies qui s'observent à sa réception & installation, sont au long détaillées dans le dictionn. des arrêts au mot châtelet.
M. de Segur, actuellement prevôt de Paris, le jour de sa réception en la grand'chambre, qui fut le 7 Février 1755, vint au palais en carrosse avec deux autres carrosses de suite, accompagné de ses douze hoquetons, de tout le guet à pié, & de la compagnie de robe-courte. Après sa réception en la grand'chambre, il alla avec le même cortege au châtelet pour y être installé. Après la lecture de ses provisions, M. le président Molé qui l'installoit, lui dit de prendre place. Il se mit après les deux conseillers laïcs, qui étoient à la droite du président : le lieutenant civil & les conseillers au châtelet restent en place. Le président fait appeller deux placets, & continue les causes au lendemain en ces termes, la cour a continué la cause à demain au parc civil.
12°. Il est reçu au payement du droit annuel de sa charge, sur le pié de l'ancienne évaluation, sans être tenu de payer aucun prêt.
Le payement même de l'annuel se fait fictivement, en vertu d'une ordonnance de comptant donnée par le roi annuellement à cet effet ; la même chose se pratique pour les trois lieutenans généraux, les deux particuliers, le procureur du roi, le premier avocat du roi, les quarante-huit commissaires, les officiers & archers du prevôt de l'île, de la robe courte, du guet à cheval, du guet à pié.
13°. Il a plusieurs lieutenans, dont trois ont le titre de lieutenant général, savoir les lieutenans civil, criminel, & de police, deux lieutenans particuliers, un lieutenant criminel de robe-courte ; il y avoit aussi autrefois le chevalier du guet, qui devoit être reçu par le prevôt, & qui est aujourd'hui remplacé par un commandant.
14°. L'office de prevôt de Paris ne vaque jamais ; lorsque le siége est vacant, c'est le procureur général du roi qui le remplit ; c'est lui que l'on intitule dans toutes les sentences & commissions, & dans tous les contrats, comme garde de la prevôté de Paris, le siége vacant.
Le prevôt de Paris jouit encore de beaucoup d'autres honneurs & prérogatives ; on peut consulter à ce sujet ce qui est dit ci-devant aux mots CHATELET, CONSEILLERS AU CHATELET, LIEUTENANT CIVIL, LIEUTENANT CRIMINEL DE ROBE-COURTE, MONTRE DU CHATELET. Voyez aussi le recueil des ordonnances de la troisieme race, le recueil de Joly, & celui de Fontanon, & les mémoires imprimés en 1723 pour M. le comte d'Esclimont qui étoit prevôt de Paris.
Depuis la surséance de la charge de chevalier du guet, ordonnée par arrêt du conseil du 31 Mars 1733, le prevôt de Paris a été commis par autre arrêt du 31 Juillet audit an, pour recevoir le serment des officiers & archers du guet.
Le prevôt de Paris a le droit d'avoir un piquet du guet chez lui, & d'y faire monter la garde.
Anciennement il avoit la fonction d'assigner les pairs dans les procès criminels. Voyez le recueil appellé les grands procès criminels, & le Godefroy, infol. & in-4 °. c'est le cérémonial françois. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, Joly, Néron, l'ancien style du châtelet (gothique) les mémoires imprimés pour M. le comte d'Esclimont, prevôt de Paris. (A)
PREVOT PROVINCIAL, est un prevôt des maréchaux attaché à une petite province, & dépendant d'un prevôt général, dont le district s'étend dans tout un grand gouvernement : il y en avoit autrefois dans toutes les provinces ; mais ils furent supprimés en 1544 ; il n'en reste plus qu'en Bourgogne. Voyez ci-devant PREVOT DES MARECHAUX. (A)
PREVOT ROYAL, praepositus, est un officier qui est le chef d'une jurisdiction royale, appellée prevôté.
En quelques endroits les premiers juges sont appellés châtelains ; en Normandie on les appelle vicomtes ; en Languedoc & en Provence, on les appelle viguiers, vicarii, comme tenans la place du comte ; & en effet, les prevôts, vicomtes, ou viguiers, furent établis à la place des comtes, lorsque ceux-ci se furent rendus propriétaires & seigneurs de leur gouvernement.
Les prevôts sont inférieurs aux baillifs & sénéchaux ; ceux-ci ont l'inspection sur eux ; ils avoient même autrefois le pouvoir de les destituer ; mais Philippe-Auguste en 1190, leur défendit de le faire, à-moins que ce ne fût pour meurtre, rapt, homicide, ou trahison.
Philippe-le-Bel ordonna en 1302, que les baillifs ne soutiendroient point les prevôts à eux subordonnés, qui commettroient des injustices, vexations, usures, ou autres excès ; qu'au contraire ils les corrigeroient de bonne foi, selon qu'il paroîtroit juste.
Les prevôts devoient, suivant cette même ordonnance, prêter serment de ne rien donner à leurs supérieurs, à leurs femmes, leurs enfans, leurs domestiques, leurs parens, leurs amis, & qu'ils ne seroient pas à leurs services.
Il n'étoit pas au pouvoir du prevôt de taxer les amendes.
Il ne pouvoit pas non plus poursuivre le payement de son dû dans sa justice.
Une prevôté étoit la recette des droits du roi dans une certaine étendue de pays ; il ne devoit y avoir qu'un prevôt, ou deux au plus dans chaque prevôté ; cela s'observoit encore en 1351.
Ces prevôtés étoient d'abord vendues, c'est-à-dire, affermées à l'enchere par les baillifs & sénéchaux, auxquels il étoit défendu de les vendre à leurs parens ni à des nobles.
Les baillifs faisoient serment de n'affermer les prevôtés du roi qu'à des personnes capables.
Saint Louis ne voulut plus que la prevôté de Paris fût donnée à ferme comme par le passé ; mais il la donna en garde en 1251, à Etienne Boileau.
Les autres prevôtés continuerent néanmoins encore pendant quelque tems d'être affermées.
En effet, Louis Hutin accorda en 1315 aux habitans d'Amiens, que dans l'étendue du bailliage de cette ville, les prevôtés ne pourroient être affermées pour plus de trois ans, & que ceux qui les auroient une fois affermées ne pourroient plus les tenir ensuite.
Philippe de Valois commença à réformer cet abus ; il ordonna en 1331, que la prevôté de Laon ne seroit plus donnée à ferme, mais qu'elle seroit donnée à garde avec gages compétens.
Par une ordonnance du 15 Février 1345, il annonça qu'il desiroit fort pouvoir supprimer tous les prevôts ; & que dans la suite les prevôtés fussent données en garde à des personnes suffisantes.
Et en effet, par des lettres du 20 Janvier 1346, il fit une défense générale de plus donner les prevôtés à ferme, attendu les grands griefs & dommages que les sujets du roi en souffroient ; il ordonna que dorénavant elles seroient données en garde à personnes convenables qui seroient élues en forme prescrite par cette ordonnance pour les desservir, & que les clergies des prevôtés, c'est-à-dire les greffes, seroient annexées & adjointes aux prevôtés, en payement des gages des prevôts.
Cependant ce reglement si sage n'eut pas longtems son exécution ; parce que, selon que le disoit Philippe de Valois, la justice en étoit bien moins rendue ; que les domaines dépérissoient ; que d'ailleurs les prevôts & gardes ne pouvoient par eux-mêmes faire aucune grace ni rémission d'amendes, même dans les cas les plus favorables ; mais qu'il falloit se pourvoir par-devers le roi, ce qui ne pouvoit se faire sans de grands fraix. C'est pourquoi par une autre ordonnance du 22 Juin 1349, il ordonna que les prevôtés, les sceaux, & les greffes des bailliages & prevôtés, seroient donnés à ferme à l'enchere ; mais cependant qu'elles ne seroient pas adjugées au plus offrant, à-moins que celui-ci ne fût reconnu pour homme capable & de bonne renommée, par le jugement des personnes sages des lieux où seroient ces fermes.
Il régla encore depuis en 1351, que les prevôtés ne seroient données à ferme qu'à des gens habiles, sans reproches, & non clercs ; que les personnes notées ne pourroient les avoir, quand même elles en donneroient plus que les autres ; que les prevôts fermiers ne pourroient pas taxer les amendes. Cette fonction fut réservée aux baillifs ou aux échevins, selon l'usage des lieux.
Charles V. n'étant encore que régent du royaume, défendit aussi de plus donner les prevôtés à ferme ; il en donna pour raison dans une ordonnance de 1356, que les fermiers exigeoient des droits exorbitans.
Mais l'année suivante il ordonna le contraire, & déclara naturellement que c'étoit parce qu'elles rapportoient plus, lorsqu'elles étoient données à ferme, & parce que quand elles étoient données en garde, la dépense excédoit souvent la recette.
En conséquence, on faisoit donner caution aux prevôts fermiers, lesquels étoient comptables du prix de leur ferme, & l'on faisoit de trois ans en trois ans des enquêtes sur la conduite de ces prevôts.
Il leur étoit défendu de faire commerce ni personnellement, ni par des personnes interposées, ni d'être associés avec des commerçans.
Les gens d'église, les nobles, les avocats, les sergens d'armes, & autres officiers royaux, ne pouvoient être reçûs à prendre à ferme les prevôtés, de peur qu'ils n'empêchassent d'autres personnes d'y mettre leurs encheres, & que par leur puissance ils n'opprimassent les habitans de ces prevôtés.
Cependant on faisoit toujours des plaintes contre les prevôts fermiers ; c'est pour les faire cesser qu'il fut ordonné par des lettres du 7 Janvier 1407, qu'il seroit fait dans la chambre des comptes avec quelques conseillers du grand-conseil & du parlement, & quelques-uns des trésoriers, une élection de prevôts en garde que l'on choisiroit entre ceux qui demeuroient dans les lieux mêmes ou dans le voisinage, & qu'il leur seroit pourvu de gages.
Depuis ce tems, les prevôts royaux, ont été créés en titre d'office, de même que les autres officiers de judicature.
Les prevôts royaux connoissent en premiere instance, de même que les autres juges royaux, de toutes les affaires civiles & criminelles entre leurs justiciables, & par appel, des sentences rendues dans les justices des seigneurs de leur ressort.
Il faut néanmoins excepter les cas royaux, dont la connoissance appartient aux baillifs & sénéchaux, & celle des cas prevôtaux, qui appartient aux prevôts des maréchaux de France. Voyez la déclaration du 5 Février 1731. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, Joly, Chenu, Fontanon, Néron, & les articles CHATELAIN, JUGE ROYAL, CAS ROYAUX, PREVOT DES MARECHAUX. (A)
PREVOT DE LA SANTE, est un officier de police qu'on établit extraordinairement dans les tems de contagion pour faire exécuter les ordres de la police, notamment pour s'informer des lieux où il y a des malades, les faire visiter par les médecins & chirurgiens, faire transporter les pauvres attaqués de la contagion dans les hôpitaux, faire inhumer les morts ; & on établit quelquefois plusieurs de ces prévôts ; on leur donne aussi les noms de capitaine ou bailli de la santé. Ils ont un certain nombre d'archers pour se faire obéir. Voyez le tr. de la police, tome I. p. 652. (A)
PREVOT SEIGNEURIAL ou SUBALTERNE, est un juge de seigneur, qui a le titre de prevôt ; en d'autres endroits, ces juges sont appellés châtelains ou baillifs. Voyez JUGE DE SEIGNEUR, JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)
PREVOT DE SALLE, (Escrime) celui qui seconde un maître en fait d'armes, & qui exerce les écoliers pour les fortifier dans l'art de l'escrime.
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PREVOTAL | adj. (Jurisprudence) se dit de ce qui a rapport à la prevôté : un cas prevôtal est celui qui est de la compétence des prevôts des maréchaux : jugement prevôtal est un jugement rendu par un prevôt des maréchaux. Voyez PREVOT. (A)
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PREVOTÉ | S. f. (Jurisprudence) signifie la place & fonction de prevôt.
Il y a des prevôtés royales & des prevôtés seigneuriales.
On entend aussi quelquefois par le terme de prevôté la jurisdiction qu'exerce le prevôt & l'auditoire où il rend la justice.
En matiere bénéficiale, prevôté est une dignité d'un chapitre. Voyez PREVOT.
PREVOTE DE L'HOTEL. Voyez ci-dessus à la lettre P GRAND-PREVOT DE FRANCE. (A)
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PRÉVOYANCE | S. f. (Morale) action de l'esprit par laquelle on conjecture par avance ce qui peut arriver suivant le cours naturel des choses. La sécurité qui vient de la roideur de l'ame contre les obstacles, & de l'habitude à envisager les revers, est sans doute le plus ferme soutien de la vie ; mais le calme que donne l'espérance est trompeur comme elle, & aussi passager que le vent qui le trouble. Il faut donc prévoir également les biens & les maux, pour préparer son ame à tous les événemens, & afin que la résolution suive de près le besoin pressant de l'occasion. Mais ceux qui s'endorment dans les bras d'un doux espoir, écartant de leurs yeux tout ce qui pourroit dissiper leurs songes enchanteurs, n'auront qu'une ame foible, inégale, errante & sans appui. C'est Bacon qui fait cette excellente réflexion. (D.J.)
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PRIAMAN | (Géog. mod.) ville des Indes, dans l'île de Sumatra, sur sa côte occidentale, entre Ticou au nord, & Padang au midi, à l'embouchure de la riviere de même nom. Elle dépend du royaume d'Achem ; son commerce consiste en poivre.
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PRIAMUM | (Géog. anc.) 1°. ville des Dalmates. Strabon, l. VII. p. 315. dit que ce fut une de celles qu'Auguste réduisit en cendres. 2°. Priamum ou Priami urbs, ville de ce nom aux environs de la Phrygie, selon Arien, qui dit qu'elle ouvrit ses portes à Alexandre. Il est aussi parlé de cette ville dans le troisieme concile d'Ephèse. (D.J.)
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PRIAPE DE MER | (Hist. nat.) insecte de mer auquel on a donné ce nom à cause de sa forme cylindrique. Cet insecte reste attaché aux rochers qui sont au fond de la mer ; il est couvert d'une sorte de cuir dur ; il se gonfle & s'allonge, ou il se rapetisse à son gré ; il a deux ouvertures, l'une pour tirer l'eau & l'autre pour la rejetter : dès qu'il est mort il devient flasque. Rondelet, hist. des zoophites, ch. xx. Voyez ZOOPHITE.
PRIAPE, s. m. (Mythol.) dieu de la Mythologie, si nouveau qu'Hésiode n'en fait aucune mention. La Fable dit que ce dieu étoit fils de Bacchus & de Vénus. Junon, jalouse de la déesse des graces, fit tant par ses enchantemens, qu'elle rendit monstrueux & contrefait l'enfant que Vénus portoit dans son sein. Aussi-tôt qu'elle l'eut mis au monde, elle l'éloigna de sa présence, & le fit élever à Lampsaque, où il devint la terreur des maris, ce qui le fit chasser de cette ville ; mais les habitans affligés d'une maladie extraordinaire, crurent que c'étoit une punition du mauvais traitement qu'ils avoient fait au fils de Vénus ; ils le rappellerent chez eux ; & dans la suite, il devint l'objet de la vénération publique. Priape est appellé dans les poëtes hellespontique, parce que Lampsaque étoit située sur l'Hellespont dans l'Asie mineure.
Priape étoit le dieu des jardins ; on croyoit que c'étoit lui qui les gardoit & les faisoit fructifier. C'est pourquoi les Romains mettoient sa statue non-seulement dans leurs jardins potagers, mais aussi dans ceux qui n'étoient que pour l'agrément, & qui ne portoient aucun fruit, comme il est aisé de le voir dans une épigramme de Martial (l. III. p. 58.), où se moquant de ceux qui avoient des maisons de campagne sans potagers, ni vergers, ni pâturages, il dit qu'à la vérité, ni eux, ni le Priape de leurs campagnes, n'avoient rien dans leurs jardins qui pût faire craindre les voleurs ; mais il demande si on doit appeller maison de campagne, celle où il faut apporter de la ville des herbes potageres, des fruits, du fromage & du vin.
Priape étoit représenté le plus souvent en forme d'Herme ou de Terme, avec des cornes de bouc, des oreilles de chevre, & une couronne de feuilles de vigne ou de laurier. Ses statues sont quelquefois accompagnées des instrumens du jardinage, de paniers pour contenir toutes sortes de fruits, d'une faucille pour moissonner, d'une massue pour écarter les voleurs, ou d'une verge pour faire peur aux oiseaux. C'est pourquoi Virgile appelle Priape, custos furum & avium, le gardien des jardins contre les voleurs & les oiseaux. On voit aussi sur des monumens de Priape, des têtes d'âne, pour marquer l'utilité qu'on tire de cet animal pour le jardinage & la culture des terres ; ou peut-être parce que les habitans de Lampsaque offroient des ânes en sacrifice à leur dieu. Priape étoit particulierement honoré de ceux qui nourrissoient des troupeaux de chevres & de brebis, ou des mouches à miel.
Il est parlé de Priape en quelques endroits de l'Ecriture, où il est dit que les dames de Jérusalem lui offroient des sacrifices ; & que Maacha, mere d'Asa, roi de Juda, étoit sa principale prêtresse ; mais le prince ayant brûlé la statue de cette infâme divinité, & démoli son temple, obligea la reine Maacha sa mere, à renoncer à ce culte idolâtre, III. Rois, xv. 13. L'hébreu porte miphileseth, que quelques-uns traduisent par épouvantail ; ce qui revient néanmoins à une des fonctions de Priape, celle de servir d'épouvantail dans les jardins. (D.J.)
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PRIAPÉE | S. f. (Belles Lettres) terme de Poësie ; est un nom qu'on a donné aux épigrammes & aux pieces obscenes & trop libres, & qui ont été composées sur Priape, dont il y a plusieurs exemples dans les catalectes des anciens. Voyez PRIAPE.
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PRIAPISME | S. m. (Med. prat.) priapismus, ; maladie dont le nom indique d'avance le siege & le caractere. Il est dérivé de Priape, ce vil tronc de figuier que quelques poëtes lascifs avoient divinisé, & qu'ils représentoient sous la figure d'un homme avec une verge d'une grosseur demesurée pour symbole de son empire ; c'est la partie de l'homme qui est soumise à la domination de cet infâme dieu, qui est attaquée dans le priapisme ; elle est aussi presque toujours allongée & grossie, en un mot dans une violente érection ; mais cette érection est convulsive, accompagnée quelquefois d'une douleur vive rapportée près du pubis, vers l'origine des corps caverneux ; elle n'est point excitée par des desirs voluptueux, & n'en excite point ; le malade dans cette situation n'est point porté à l'acte vénérien ; cet appétit est éteint chez lui, quoique les parties soient très-disposées à le satisfaire. C'est manifestement un état contre nature, qui est bien distingué par-là du satyriasis ou salacité immodérée, qui consiste dans une espece de fureur vénérienne insatiable, avec érection constante & démangeaison agréable, qui se soutiennent long-tems quoiqu'on assouvisse cette ardente passion, & qui exigent même qu'on réitere souvent les sacrifices. Voyez SATYRIASIS.
Il paroit par-là que le priapisme est produit par la convulsion des muscles érecteurs de la verge, la même cause qui augmente & soutient l'action de ces muscles pousse & retient le sang abondamment dans les cellules des corps caverneux : on pourroit y ajouter la difficulté qu'a le sang de sortir & de retourner par la veine qui rampe sur le dos de la verge, parce qu'alors elle est comprimée par les muscles érecteurs contractés. Il ne faut cependant pas croire que cette pression aille au point d'intercepter tout-à-fait la circulation, comme quelques auteurs l'ont pensé ; la gangrene ne tarderoit pas à survenir à des érections un peu longues & considérables ; il n'y auroit alors point de moyen qui ne pût ou ne dût être employé pour la faire cesser bientôt. Voyez ERECTION.
Il ne faut pas chercher les causes éloignées du priapisme dans quelque vice de la semence ; cette humeur trop abondante ou trop active, donne lieu à des érections fréquentes, presque continuelles ; mais elle fait naître en même-tems un appétit violent pour le plaisir, d'autant plus naturel qu'il est fondé sur le besoin ; le malade attaqué du priapisme n'a comme nous l'avons déja observé, aucun desir ; il n'éprouve que de la douleur & de l'incommodité d'un état qui chez les autres, est la source, le principe & l'avant-coureur du plaisir. Les causes de cette maladie ne sont pas aussi momentanées ; elles agissent long-tems & insensiblement avant de produire cet effet, qui en est par-là même plus solidement établi. Les personnes qu'une aveugle passion a entrainées dans d'infâmes pratiques que la pudeur défend presque de nommer, & qu'elle devroit sur-tout faire abolir, voyez MANUSTUPRATION ; ces personnes, dis-je, sont très-sujettes au priapisme ; c'est une des punitions ordinaires de leurs crimes, & ce n'est ni la seule ni la plus cruelle ; cette maladie peut aussi être le fruit des lectures lascives continuées pendant long-tems, des méditations, des conversations de même espece, des compagnies libertines, &c. dans tous ces cas l'érection si souvent provoquée devient ensuite habituelle & enfin convulsive. L'usage des remedes aphrodisiaques, appellés par euphémisme, ad magnanimitatem, & surtout des cantharides, est une des causes les plus ordinaires du priapisme ; cette cause a souvent lieu chez les vieux libertins, dont l'âge a éteint le feu sans éteindre les desirs ; ils veulent forcer la nature ; les aiguillons naturels ne suffisent pas, ils empruntent ceux de l'art : malheureux de ne pouvoir être enflammés par la beauté & les caresses d'une femme, ils ne reçoivent d'ailleurs qu'un feu momentané, & qui se dissipe en fumée ; & souvent ces remedes leur laissent de fâcheuses impressions ; ils en éprouvent un effet plus grand qu'ils n'en espéroient, & sont cependant par la bisarrerie de leur situation, bien loin d'être satisfaits ; tel fut entr'autres, ce vieillard dont Salmuth fait l'histoire, qui prit des aphrodisiaques pour se rendre plus agréable à une jeune femme qu'il venoit d'épouser ; ses desseins furent mal remplis, il fut attaqué d'un priapisme si violent, qu'il subsista même quelque tems après sa mort qu'il accéléra par ses sottises. On peut ajouter à ces causes toutes celles qui peuvent produire en général les convulsions. Voyez ce mot. Agissant de concert avec une disposition particuliere, une foiblesse naturelle ou acquise de la verge, le priapisme est très-ordinaire aux épileptiques ; les convulsions roidissent quelquefois très-violemment la verge : les pendus éprouvent aussi des atteintes peu durables de priapisme ; Schenckius & Salmuth en rapportent des observations ; la convulsion de la verge n'est pas plus extraordinaire que celle des autres parties, qui survient pendant la strangulation, tems auquel toute la machine souffre, & tâche d'éluder par des efforts inutiles la prochaine destruction.
Le priapisme passe pour être une maladie très-grave & très-dangereuse, qui dépêche bientôt le malade & qui se guérit difficilement ; Aetius assure que les malades qui en sont attaqués meurent en peu de jours bouffis, & qu'une sueur froide abondante précédant, annonce leur mort ; quelquefois les convulsions de tout le corps surviennent, accélerent la mort, & la rendent plus terrible ; la moindre attention aux causes de cette maladie nous fera voir encore le raisonnement ici d'accord avec l'observation. Il est rapporté que plusieurs moines atteints de cette maladie moururent presque entre les bras d'une religieuse dans laquelle ils avoient cru sans doute, trouver un remede agréable & spécifique à leurs maux. Dieter. iatr. pag. 1116.
Les différens auteurs qui ont écrit sur cette matiere sont peu d'accord sur la méthode qu'il faut suivre dans le traitement du priapisme ; les uns vantent beaucoup l'efficacité des rafraîchissans, des émulsions, des semences de chanvre, d'agnus castus, des boissons nitrées, &c. les autres conseillent les émétiques, les échauffans stomachiques, carminatifs, cordiaux, le camphre, l'eau de canelle, l'huile de rhue, l'eau de chasteté de Riviere ou de Quercetan. Platerus recommande & dit avoir éprouvé avec succès les pilules aromatiques chargées de mastic. Zacutus Lusitanus, l'eau distillée de clous de gérofle verds ; Joel, des décoctions de rhue & de cumin ; Poterius, l'or diaphorétique, &c. D'un autre côté, Lindanus, Etmuller, Baillou, sont pour les émulsions, le nitre, le nymphea, &c. De chaque côté il y a des observations authentiques ; il est bien difficile de concevoir comment deux méthodes si opposées produisent les mêmes effets ; d'où vient donc cette diversité dans la façon de penser & d'agir, & cette ressemblance dans les succès ? La source est dans l'erreur de la plûpart de ces médecins, qui ont confondu le priapisme & le satyriasis, & qui n'ont pas même bien distingué les causes de ces maladies : les rafraîchissans conviennent très-bien au satyriasis ; telle étoit la maladie que Balthasar Timaeus guérit avec du nitre (casuum medic. lib. III.) Les remedes un peu actifs, toniques, nervins, roborans, paroissent plus appropriés dans le priapisme ; ils combattent & détruisent plus efficacement ses causes ; les bains froids, les extraits amers, les martiaux, quelque peu de camphre, & sur-tout le quinquina, sont les plus assurés ; les émétiques ne doivent pas être négligés lorsque ce sont les causes ordinaires des convulsions, de l'épilepsie, qui ont produit le priapisme ; mais tous ces remedes seroient pernicieux s'il étoit la suite & l'effet de l'usage des cantharides, ou autres remedes de cette nature. Le remede qu'une observation constante a consacré comme le plus propre à réparer leur mauvais effet, est le lait des animaux qu'on peut couper avec les deux tiers d'eau pour en former un hydrogala, ou celui qu'on fait avec les semences émulsives, en étendant leur huile dans une suffisante quantité d'eau commune ; ou si on veut la rendre plus rafraîchissante, on substitue à l'eau la décoction de nymphea : dans le priapisme qui succede à la manustupration, ou à quelqu'autre cause semblable, on doit sur-tout attendre la guérison d'un régime convenable, d'une diete restaurante, analeptique ; il ne faut pas négliger les secours moraux qui peuvent faire effet sur quelques esprits ; on doit aussi beaucoup compter sur la dissipation & les plaisirs qui éloigneront ces malades de leurs idées lascives, & plus encore de leur détestable pratique ; tels sont les spectacles châtiés, les concerts, les promenades, &c. On peut seconder leurs actions par l'usage des médicamens proposés plus haut, des toniques, nervins, antispasmodiques, &c. Voyez MANUSTUPRATION.
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PRIAPUS | (Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans la Mysie, selon Strabon, l. XIII. p. 587. qui la place entre l'embouchure du Granique, & la ville Parium. Pline, liv. IV. c. xij. & liv. V. c. xxxij. lui donne la même position. C'étoit une ville maritime qui tiroit son nom du dieu Priape qu'on y adoroit ; 2°. Priapus, île d'Asie aux environs de l'Ionie, selon Pline, liv. V. c. xxxj. (D.J.)
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PRIÈNE | (Géog. anc.) , ville d'Ionie, dans l'Asie mineure, & bâtie en même-tems que Myunte, comme on le peut voir dans Pausanias Achate, ch. ij. elle avoit été conquise par les Lydiens sous Ardus. Tous les Géographes, excepté Ptolémée, placent cette ville au pié du mont Mycale, sur le bord de la mer, ou du-moins près de la côte. Le Périple de Scylax donne deux ports aux habitans de Priène. La justice étoit si exactement observée dans cette ville, deux siecles avant J. C. qu'elle passoit en proverbe, dit Strabon, liv. XIV. p. 636. Holophernes ayant mis en dépôt à Priène quatre cent talens d'argent, toutes les sollicitations d'Attalus, roi de Pergame, & d'Ariarathus, ne purent porter les Priéniens à frustrer Holophernes (dont la puissance n'étoit pas pour eux redoutable) de la somme qu'il leur avoit confiée.
Priène se souvint toujours d'avoir produit Bias un des sept à qui les Grecs donnerent le nom de sages, voyez sa vie dans Plutarque. Il florissoit sous le regne d'Alyattes, roi de Lydie, vers la quarante-deuxieme olympiade, 610 ans avant J. C., & l'an 144 de Rome ; c'est lui qui dans une tempête entendant des impies invoquer les dieux, leur dit : " Taisez-vous, de peur qu'ils ne s'apperçoivent que vous êtes sur ce vaisseau. "
Priène n'étoit pas moins glorieuse d'avoir donné la naissance à Archelaüs, l'un des plus excellens sculpteurs de l'antiquité. Plusieurs savans prétendent qu'il fleurissoit du tems de l'empereur Claude, & que ce fut ce prince amateur des ouvrages d'Homere, qui lui fit faire en marbre l'apothéose de ce divin poëte. Quoi qu'il en soit, ce marbre qui est d'une beauté singuliere, & qui prouve la sagesse, l'étendue de génie, le grand savoir, & l'habileté de cet illustre sculpteur, fut trouvé en 1658 dans un lieu nommé Frattochia, appartenant aux princes Colonnes, & où l'empereur Claude avoit autrefois une maison de plaisance ; il n'y a point de curieux qui ne sachent qu'il fait aujourd'hui l'un des plus beaux ornemens du palais de ces princes à Rome. Dès le moment qu'on l'eût découvert, il fut dessiné & gravé à Rome, par Jean-Baptiste Galostruccius, peintre de Florence, & depuis il a paru dans plusieurs ouvrages d'antiquité, entr'autres dans ceux du P. Kircher, de Cuper, de Spanheim, & dans l'ouvrage des pierres antiques gravées de Stosch.
Il n'est presque point de célébre antiquaire qui n'ait travaillé à son explication ; non-seulement elle a été donnée par les savans qu'on vient de nommer, mais encore par Nicolas Heinsius, critique de grande réputation, par Jacques Gronovius, dans le second tome de son Thesaurus antiquitatum graecarum exp. 21. par Jean-Rodolphe Wetstein dans sa dissertation de facto scriptorum Homeri, & par J. C. Schot, antiquaire du roi de Prusse, dans un ouvrage intitulé : Explication nouvelle de l'apothéose d'Homere, représentée sur un marbre ancien, à Amsterdam, chez Jean Boom en 1714. in-4 °.
C'est dans son Latium vetus & novum, imprimé à Amsterdam, chez Waetberg en 1671, in-fol. p. 81. & suiv. que se trouve l'explication du pere Kircher, ou bien dans l'historia critica Homeri, de Ludolf Kuster, imprimée à Francfort sur l'Oder en 1695, in-8. p. 41. & suiv. Il y partage ce monument en trois ordres ou degrés ; celui d'en-haut, celui du milieu & celui d'en-bas. Dans le premier, il reconnoît Jupiter, assis sur le parnasse, accompagné de son aigle, & orné de son diadême & de son sceptre, écoutant la demande de six femmes, qui sont autant de villes qui s'intéressent à la gloire d'Homere. Dans le second, il compte cinq femmes & un vieillard, qui tâchent de faire valoir le mérite d'Homere par leurs actions. Il prend la premiere pour la poësie : la seconde montrant un globe, marque le beau talent d'Homere à parler de la fabrique du monde : la troisieme contemple avec étonnement les divins écrits d'Homere : la quatrieme & la cinquieme tiennent, l'une une lyre, l'autre l'Iliade : elles sont dans un antre, demeure ordinaire des muses, & ont un arc & un carquois à leurs piés, pour signifier les amours des dieux, dont Homere a parlé. Du vieillard, il en fait un flamen ou prêtre d'Homere, qui se met en devoir d'offrir au nouveau dieu un sacrifice à l'Egyptienne, ce qui est désigné par des flambeaux, & par la croix tautique, ou croix à anse qu'il croit voir derriere ce prêtre. Dans le troisieme, il trouve l'apothéose d'Homere dans toutes les formes ; & enfin, elle y est si bien représentée, qu'il n'y a nullement à douter là-dessus.
L'explication de M. Cuper, bourguemaître de Deventer, fait un ouvrage particulier rempli de recherches curieuses, d'antiquités & de littérature, publié sous le titre de Apotheosis vel consecratio Homeri, sive lapis antiquissimus in quo poetarum principis Homeri consecratio sculpta est, commentario illustratus à Gisberto Cupero, & imprimé à Amsterdam, chez Henri Boom en 1683, in-4 °. son sentiment est fort différent de celui du pere Kircher. De la figure d'enhaut, que ce jésuite prend pour Jupiter, il en fait Homere, accompagné à la vérité de divers attributs convenables à Jupiter, comme son aigle, son sceptre, & son diadême, & de plus placé sur le mont Olympe ; & des onze femmes qui sont au-dessous en deux rangs, il en fait onze muses, parce qu'il en joint deux nouvelles aux neuf anciennes ; savoir, l'Iliade & l'Odyssée, qui sont placées dans l'antre : il reconnoît celle-ci au chapeau d'Ulysse qui est à ses piés ; & l'autre, à l'arc & au carquois qu'il prend pour ses symboles. De l'homme en manteau qui est placé à côté de l'antre, il en fait, ou Homere chantant ses vers, ou Linus, ou Orphée, ou Lycurgue, ou Cinethus Chius ; ou un magistrat de Thebes, ou Pisistrate, selon Heinsius ; ou Pittacus, selon M. Spanheim. Dans l'étage d'en-bas, on voit Homere assis, ayant à ses côtés l'Iliade & l'Odyssée ses filles, & à ses piés sa batrachomyomachie désignée par des rats qui rongent un parchemin. Derriere lui sont le tems, ou l'harmonie, ou selon d'autres, Cybele, Isis, ou la Terre, qui lui met une couronne sur la tête. Devant lui, l'on voit un autel avec un boeuf, dont le col est d'une forme extraordinaire ; & à côté de cet autel, sur la base duquel se voyent un A & un A, qu'aucun des interpretes de ce marbre n'a encore expliqué, sont la fable & l'histoire, suivies de la poësie, de la tragédie, de la comédie, de la nature, de la vertu, de la mémoire, de la foi, & de la sagesse. Tels sont les divers personnages de cette apothéose, selon M. Cuper.
M. Spanheim, dont l'explication particuliere se trouve dans le livre de Cuper, ne s'est attaché qu'à la figure de l'homme en manteau, qu'il prend pour un philosophe grec, c'est-à-dire pour Bias, l'ornement de Priène. Nicolas Heinsius n'a expliqué que deux endroits de ce marbre. Il prend l'homme en manteau pour Pisistrate, le compilateur des ouvrages d'Homere ; mais la figure égyptienne qui est sur la tête de cet homme ne convient point à un grec. Heinsius a été plus heureux en prenant pour des symboles d'Apollon, l'arc & le carquois, aussi-bien que la lyre qu'on voit sous l'antre. Gronovius reconnoît dans ce monument Homere divinisé, & selon lui, il s'y trouve répété trois fois ; 1°. assis au haut de la montagne ; 2°. debout à l'entrée de l'antre ; 3°. assis devant son autel. Ce seroit-là sans doute, un très-grand défaut dans un aussi grand artiste qu'étoit Archelaüs.
L'explication de Jean-Rodolphe Wetstein ne differe presque en rien de celle de M. Cuper ; il prend l'homme en manteau pour Homere, rangé parmi les muses après sa consécration ; il prend pour l'Iliade & l'Odyssée, les deux figures qui sont dans l'antre, & il ne dit rien de mieux que les autres sur le chapeau, l'arc & le carquois.
Selon M. J. C. Schot, Archelaus s'est conduit par tout en artiste habile, ingénieux, & de très-bon goût. Il ne s'est pas borné à la seule circonstance de l'apothéose d'Homere ; mais il a fait entrer aussi dans son dessein ce qui a précédé cette cérémonie. Pour cet effet, il a représenté une espece de négociation entre Apollon, Jupiter, & les Muses, pour la déification d'Homere, & il a partagé son ouvrage en trois actes différens. Dans le premier qui est au milieu du marbre, Clio & Uranie, l'une reconnoissable à sa lyre, & l'autre à son globe, s'entretiennent du mérite d'Homere, & de la justice qu'il y auroit à le mettre au nombre des dieux. Calliope, après avoir proposé l'affaire à Apollon qui est à l'entrée de l'antre, en attend une réponse favorable, & semble en recevoir l'acte de consentement dans un rouleau que lui présente la Pythie, qui est à côté d'Apollon. Dans le second qui est au haut du marbre, Polymnie propose la chose à Jupiter, reçoit son consentement, & l'apprend à ses compagnes qui en font toutes de grandes démonstrations de joie. Dans le troisieme, on trouve enfin l'apothéose ou consécration d'Homere.
Cette explication semble renfermer une espece de renversement d'ordre, en ce que l'auteur pose son premier acte dans l'étage du milieu ; qu'il monte ensuite à l'étage d'en-haut pour y placer son second acte ; qu'il redescend après cela à l'étage d'en-bas pour y faire passer son troisieme acte ; & qu'ainsi ces trois actes, qui ont une liaison naturelle & nécessaire entr'eux, se trouvent séparés & éloignés les uns des autres. Ne seroit-il pas plus naturel de placer le premier acte dans l'étage d'en-haut, où Jupiter ayant conçu lui seul le dessein de mettre Homere au rang des dieux, donneroit l'ordre à Polymnie & aux autres Muses ; le second acte dans l'étage du milieu, où une partie en conféreroit avec Apollon ; & le troisieme acte enfin dans l'étage d'en-bas, où l'on exécuteroit cet ordre de Jupiter : il semble que cela ne seroit que plus propre à relever la gloire d'Homere, plus digne de l'exactitude d'Archelaüs, & enfin plus conforme à l'ordre naturel qu'un aussi habile homme que lui n'a point dû négliger.
A cela près, l'explication de M. Schot, nous paroît une des plus ingénieuses & des mieux appuyées de toutes celles qu'on ait faites de ce marbre. Selon cet antiquaire, il représente le mont Parnasse ; les personnages de l'antre sont Apollon, avec son arc & son carquois, & la Pythie sa prêtresse avec la cortine, instrument de son temple ; l'homme en manteau est un poëte engastrimythe, ou un interprete des oracles que rendoit le trépié d'Apollon ; & la machine qu'on voit derriere lui est effectivement un trépié.
On retire beaucoup d'utilité de l'étude des monumens antiques ; c'est pourquoi je me suis étendu sur celui-ci qui est de la plus grande beauté, & dont l'explication a exercé le génie & les écarts de l'imagination de tant de savans hommes, car ce genre d'étude est un champ vaste aux conjectures de ceux qui veulent s'y donner carriere. D'ailleurs, quelqu'opposées que les conjectures soient entr'elles, pour peu qu'elles soient ingénieuses, & qu'on sache les appuyer d'autorités & de passages des anciens, elles ne manquent guere de procurer à leurs auteurs la réputation qu'ils en esperent ; réputation qu'acquierent plus difficilement ceux qui s'attachent à des sciences qui demandent quelque chose de plus que des conjectures & des vraisemblances. (D.J.)
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PRIER | v. act. (Gramm.) c'est solliciter une chose qu'on regarde comme une grace, de quelqu'un qui par conséquent peut refuser sans injustice. Prier quand on a droit de demander, c'est soupçonner ou accuser celui qu'on prie d'injustice ; c'est souvent s'avilir soi-même. On prie Dieu, on prie le roi, on prie sa maîtresse, son ami. Le moment de la priere est celui de la puissance d'un côté, & de l'indigence de l'autre.
On prie un homme de se deshonorer ou à ses yeux ou aux yeux des autres, quand la chose dont on le prie est indue, injuste, illicite, deshonnête.
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PRIERE | S. f. (Théol.) c'est la forme par laquelle on demande à Dieu de nouvelles graces, ou on le remercie de celles qu'on a reçues de lui. Voy. CULTE.
Les Théologiens distinguent ordinairement deux sortes de prieres, l'une vocale, & l'autre mentale. La priere vocale est celle qui consiste en mots & en sons que l'on forme avec les levres ; la priere ou l'oraison mentale est celle qu'on forme intérieurement dans son esprit, sans s'exprimer par des paroles. On peut rapporter à cette seconde espece l'oraison jaculatoire, qui est celle qui se fait en élevant son esprit vivement vers Dieu, sans étude, sans ordre, sans méthode.
Les théologiens mystiques distinguent encore la priere en oraison préméditée, & oraison faite sur-le-champ. La premiere est celle qui comprend toutes les formes, soit publiques, soit particulieres, par lesquelles l'esprit est dirigé dans la maniere, l'ordre, l'expression de ses demandes ou de ses actions de graces. La seconde est celle où l'esprit laissé à lui-même, dispose à son gré la matiere, la maniere & les mots propres à la priere.
Les Protestans n'adressent leurs prieres qu'à Dieu & à Jesus-Christ. Les Catholiques ne prient également que Dieu & Jesus-Christ, & Dieu le pere par Jesus-Christ ; & s'ils adressent des prieres à la sainte Vierge & aux Saints, c'est comme à des puissans intercesseurs auprès de Dieu, & non comme à des médiateurs, ni dans l'intention de déroger à la médiation de Jesus-Christ. Voyez INVOCATION & SAINTS.
PRIERE, (Critiq. sacr.) Ce mot se prend, 1°. dans l'Ecriture pour demande, oraison, supplication à Dieu, obsecratio, oratio, postulatio, I. Tim. ij. 1. car tous ces mots sont synonymes. 2°. Ce terme désigne le lieu ordinaire de la priere. On lit dans les Actes, xvj. 13, nous sortîmes hors de la ville, & nous allames proche de la riviere, où étoit le lieu de la priere, ubi videbatur oratio esse. C'étoit une espece de chapelle ou d'oratoire appellé proseughe, où les Juifs, au défaut de synagogue, s'assembloient pour prier.
On a fort bien censuré la longueur des prieres de ce peuple, leurs répétitions, & les gestes dont ils les accompagnoient, mais on n'a pas aussi-bien réussi à exposer judicieusement la vraie nature de cet acte. Il me semble, sans m'ériger en théologien, qu'à suivre l'idée que Jesus-Christ nous en a donnée, & qui est si parfaitement remplie dans le modele qu'il en a tracé à ses disciples, que la priere n'est autre chose qu'une effusion calme & seraine, accompagnée des sentimens & des desirs qu'un coeur sincere doit concevoir en adressant ses voeux au Créateur. Mais les hommes ont si curieusement raffiné sur ce sujet, en réduisant la priere en art, & en multipliant à l'infini leurs méthodes, que le mot de priere est enfin parvenu à signifier de la passion & du transport ; ensorte que des gens pieux se trouvent dans la meilleure disposition du monde, & ne se croyent pas cependant assez enflammés de dévotion pour oser prier. Mille bonnes ames ont été jettées par cette erreur dans de grands scrupules, & ont douté d'avoir les dispositions nécessaires pour adresser au créateur leurs oraisons, parce qu'elles ne se sentoient pas un degré suffisant de ce divin enthousiasme, qui n'a pas plus de rapport au devoir de la priere, qu'une fievre en a avec la sincérité des protestations que fait un sujet à un prince de la terre. (D.J.)
PRIERES DES JUIFS, (Critique sacrée) Les prieres des Juifs forment avec la lecture de l'Ecriture & l'explication de la loi, le service de la synagogue. Ils ont dans leurs liturgies dix-huit prieres principales, qu'ils prétendent avoir été composées & établies par Esdras, & par la grande synagogue. Rabbi Gamaliel, d'autres disent Rabbi Samuel le Petit, un de ses éleves, en fit une dix-neuvieme contre les Chrétiens, un peu avant la ruine de Jérusalem ; mais pour les dix-huit autres prieres, il est certain qu'elles sont d'une grande antiquité ; car la misna en parle comme d'un formulaire fort ancien. On les trouvera recueillies dans l'excellente histoire des Juifs de M. Prideaux, I. part. liv. VI.
Il est vrai que quelques-unes de ces prieres paroissent n'avoir été composées que depuis la destruction de Jérusalem, à laquelle il semble qu'elles font une allusion visible, sur-tout la 10, la 11, la 14, & la 17. Mais il n'est pourtant point impossible que ces traits ne regardent quelque autre calamité, car la nation en a essuyé de très-grandes. Après tout, on ne sauroit douter que la plûpart de ces dix-huit prieres ne fussent en usage du tems de Notre-Seigneur, & qu'il ne les ait offertes à Dieu conjointement avec le reste de l'assemblée, quand il se trouvoit dans la synagogue, comme il ne manquoit pas de s'y rendre au-moins tous les jours du sabbat. Il connoissoit mieux que personne la sécheresse & l'imperfection de ces prieres, cependant il n'en critiqua point la forme, & se contenta de donner lui-même à ses disciples un autre modele plus parfait.
Mais les Juifs entêtés de l'excellence de leur formulaire, l'ont toujours conservé, ordonnant à toutes les personnes parvenues à l'âge de discernement, sans distinction de sexe ni de condition, d'offrir un certain nombre de ces dix-neuf prieres à Dieu le matin, vers le midi, & sur le soir. Tous les jours d'assemblée on les lit solemnellement dans leurs synagogues ; elles sont dans leur office comme l'oraison dominicale est dans les liturgies chrétiennes, c'est-à-dire comme la base & le fondement de tout le reste ; car ils ont encore plusieurs autres prieres qui se lisent avant, entre, après celles-ci, ce qui rend leur service fort long. Notre-Seigneur les reprit autrefois de cette longueur déja excessive de son tems. Matthieu, xxiij. 14. Marc, xij. 14. Luc, xx. 27. Cependant loin de se corriger, les additions qu'ils ont faites depuis à leurs liturgies, ont encore augmenté ce défaut. (D.J.)
PRIERE POUR LES MORTS, (Hist. & Critiq. sacr.) Il est naturel de penser que quelques peuples payens prioient pour les morts ; du-moins les Romains avoient des cérémonies usitées pour appaiser les mânes, & des especes de formules à cet égard : telle étoit celle-ci, rapportée par divers auteurs. Ita peto vos manes sanctissimos commendatum habeatis meum conjugem, & velitis illi indulgentissimi esse. Porphyre nous a conservé un morceau de la liturgie des Egyptiens, qui paroît prouver que ces peuples prioient aussi pour les morts.
Les Hébreux emprunterent apparemment cette pratique, mais fort tard, des Egyptiens : car la loi ne commandoit point de prieres pour les morts, & n'ordonnoit des sacrifices que pour les vivans. Comme l'auteur du liv. II. des Macchab. xij. 46. dit que c'est une sainte pensée de prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés, il résulte que dans ce tems-là la priere pour les morts étoit déja introduite chez les Juifs.
Le célebre théologien Jean Gerhard nous apprend que l'auteur du livre intitulé, Rosch ilaschana, y soutient que les ames de ceux qui meurent & qui ne sont ni parfaitement justes, ni tout-à-fait impies, expient leurs péchés dans l'enfer pendant douze mois, après quoi elles sont délivrées. Il prétend qu'on peut leur procurer du soulagement par les prieres qu'on fait pour elles tous les jours de sabbat ; en conséquence les Juifs avoient un formulaire en ce genre.
L'usage de la priere pour les morts passa insensiblement de l'église judaïque dans l'église chrétienne, par l'incertitude où les Peres étoient sur l'état des morts. Nous avons une dissertation savante qui démontre bien cette incertitude. Cet ouvrage est utile pour justifier deux choses : l'une, combien les hommes peuvent s'égarer quand ils s'abandonnent à leur imagination ; l'autre, combien la tradition la plus ancienne & en apparence la plus autorisée, est insuffisante pour l'explication de l'Ecriture-sainte. Tertullien, par exemple, plaçoit les ames des méchans dans un lieu brûlant, celles des bons dans un lieu de rafraîchissement, & il séparoit ces deux lieux par un grand abîme ; mais il faut excuser ces sortes d'opinions peu judicieuses. (D.J.)
PRIERE, heures de la, (Hist. ecclés.) Quoiqu'elles soient toutes égales, la police ecclésiastique en doit fixer de reglées dans le culte public, suivant les tems, les lieux & les saisons. Il paroît que les heures de tierce, de sexte & de none, c'est-à-dire de neuf heures, de midi, & de trois heures, ont été bien anciennement destinées à cet usage ; mais l'on voit aussi que cela n'étoit pas général, & qu'il n'y avoit pas de loi pour les observer. Il est bon d'en faire la remarque, parce qu'on a prétendu depuis, que ces heures ont été choisies à l'imitation des Apôtres. On assure que la priere à l'heure de tierce (neuf heures du matin) fut instituée à l'occasion de la descente du saint Esprit sur les Apôtres à cette heure-là. Saint Cyprien estime que la priere est nécessaire à la sixieme heure du jour (sexte ou midi), parce que ce fut alors que Pierre montant sur le toit pour prier, fut averti par un signe de Dieu de recevoir tous les hommes à la grace du salut. Selon S. Basile, la nécessité de prier à la neuvieme heure du jour (à trois heures après midi), vient de ce que Pierre & Jean alloient au temple à cette heure-là. Enfin on trouve dans S. Cyprien une raison bien plus mystique sur ce sujet : " Ces trois prieres, dit-il, & ces trois intervalles de trois heures chacun entre chaque priere, sont une admirable figure de la Trinité ". De orat. domin.
Il est vrai que la coutume de ces heures de prieres n'a rien que d'innocent ; cependant il faut avouer que toutes les raisons qu'en apportent les Peres sont peu solides. D'ailleurs il est certain que l'institution n'en est point apostolique, & qu'on ne peut l'établir par aucun précepte de l'Ecriture ; mais il paroît que les sacrifices ordinaires des Juifs ont donné lieu & cours aux prieres à ces heures-là. J'en excepte l'heure de sexte ou de midi, qui ne paroît point dériver d'eux, & qui s'établit ou sur la coutume de S. Pierre & de S. Jean, qui se rendoient souvent au temple de Jérusalem à cette heure-là, ou sur quelqu'autre raison semblable à celle qu'allegue S. Cyprien ; savoir, par exemple, que c'est à cette heure-là que se fit la crucifixion de notre Sauveur. (D.J.)
PRIERES, (Mythol.) Hésiode prétend que les prieres étoient filles de Jupiter ; elles sont boiteuses, dit ingénieusement Homere, ridées, ayant toujours les yeux baissés, l'air rampant & humilié, marchant continuellement après l'injure, pour guérir les maux qu'elle a faits. (D.J.)
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PRIEST | SAINT, (Géog. mod.) en latin du moyen âge, Castrum sancti praejecti ; petite ville, ou plutôt bourg de France dans le Forez, au diocèse de Lyon, avec le titre de baronie. (D.J.)
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PRIEUR | S. m. (Gramm. & Jurispr.) est un ecclésiastique qui est préposé sur un monastere ou bénéfice qui a le titre de prieuré.
L'origine des prieurés est fort ancienne. Depuis que les réguliers eurent été enrichis par les libéralités des fideles, comme outre les biens qu'ils possédoient aux environs de leurs monasteres, ils avoient aussi quelquefois des fermes & des métairies considérables qui en étoient fort éloignées, ils envoyerent dans chacun de ces domaines un certain nombre de leurs religieux ou chanoines réguliers, qui régissoient le temporel & célébroient le service divin entr'eux dans une chapelle domestique. On appelloit ces fermes celles ou obédiences.
Celui qui étoit le chef des religieux ou chanoines réguliers d'une obédience, se nommoit prieur ou prévôt ; & la chapelle & maison qu'ils desservoient, fut aussi nommée prieuré ou prévôté.
Le prieur, & ceux qui lui étoient adjoints, étoient obligés de rendre compte de leur régie tous les ans au monastere duquel ils dépendoient ; ils ne pouvoient prendre sur le revenu de la métairie que ce qui étoit nécessaire pour leur entretien.
L'abbé pouvoit, lorsqu'il le jugeoit à propos, rappeller le prieur ou prevôt & ses religieux dans le monastere.
Le relâchement de la discipline monastique s'étendit bientôt dans ces petits monasteres. Le concile de Latran tenu en 1179, ordonna que les choses seroient remises sur l'ancien pié, mais cela ne fut pas observé.
En effet, dès le commencement du xiij. siecle, il y eut des abbés qui donnerent des ordres à quelques-uns de leurs religieux, pour demeurer pendant leur vie dans une obédience, & pour en gouverner les biens comme fermiers perpétuels.
Cet usage fut d'abord regardé comme un abus. Le pape Innocent III. écrivant en 1213 à un abbé & aux religieux d'un monastere de l'ordre de saint Benoît, leur défendit de donner ces obédiences à vie, & voulut que ceux qui les desservoient fussent révocables à la volonté de l'abbé.
Cependant cette loi ne fut pas exécutée ; les prieurs au contraire voyant que les abbés & autres officiers des monasteres s'étoient attribué chacun une partie des revenus de l'abbaye, s'approprierent aussi les revenus dont ils n'étoient originairement que fermiers.
Ce changement s'affermit si bien, que sur la fin du xiij. siecle les prieurés qu'on nommoit cependant encore obédiences & administrations, étoient reglés comme de vrais bénéfices.
Plusieurs titulaires de ces prieurés en expulserent les religieux qui y vivoient avec eux, & y demeurerent seuls : de-là vient la distinction des prieurés conventuels, & des prieurés simples.
Le concile de Vienne, auquel présidoit Clément V. défendit à tous religieux qui avoient inspection sur les monasteres ou prieurés, d'aliéner ou affermer les droits ou revenus à vie, & même de les accorder à tems pour de l'argent, à-moins que la nécessité ou l'utilité du monastere ne le demandât, ou du-moins sans le consentement de l'évêque du lieu, quand le prieuré étoit indépendant.
Il défendit aussi de conférer les prieurés, quoiqu'ils ne soient pas conventuels, à d'autres clercs qu'à des religieux profès âgés de 20 ans, & enjoignit à tous prieurs de se faire ordonner prêtres, sous peine de privation du bénéfice, dès qu'ils auroient atteint l'âge prescrit par les canons pour le sacerdoce, & leur ordonna de résider dans leurs prieurés, dont ils ne pourroient s'absenter que pour un tems en faveur des études, ou pour quelqu'autre cause approuvée par les canons. Enfin, ce concile déclare que si les abbés ne conferent pas les prieurés, administrations, & autres bénéfices réguliers dans le tems prescrit aux collateurs par le concile de Latran, l'évêque du lieu où le prieuré est situé pourra en disposer.
Les prieurés-cures, qui se trouvent en grand nombre dans l'ordre de saint Augustin, & dans celui de saint Benoît, sont aussi devenus des bénéfices, au lieu de simples administrations qu'ils étoient d'abord. Ceux-ci ne sont pas tous formés de la même maniere.
Les uns étoient déja des paroisses avant qu'ils tombassent entre les mains des religieux ; d'autres ne le sont devenus que depuis que les monasteres en ont été les maîtres.
L'établissement des prieurés-cures de la premiere classe, vient de ce que les évêques donnerent aux abbayes, tant de moines que de chanoines réguliers, les dixmes & autres revenus d'un grand nombre de paroisses, ce qu'ils appelloient altaria. L'abbé qui perce voit les revenus de la cure, étoit obligé de la faire desservir par un de ses religieux, quand la communauté étoit composée de chanoines réguliers, & par un prêtre séculier, quand la communauté suivoit la regle de S. Benoît.
A l'égard des prieurés-cures fondés par les monasteres, ce n'étoient d'abord que des chapelles domestiques d'une ferme, qu'on nommoit grange dans l'ordre des Prémontrés. Les religieux y célébroient le service divin, auquel leurs domestiques assistoient les fêtes & dimanches. On permit ensuite au prieur d'administrer les sacremens à ceux qui demeureroient dans la ferme, & insensiblement cela fut étendu à tous ceux qui demeuroient aux environs, sous prétexte que c'étoient aussi des gens qui servoient le prieuré ; & par ce moyen ces chapelles devinrent des paroisses, & ensuite des titres perpétuels de bénéfices, dans la plûpart desquels les prieurs-curés sont demeurés seuls, de même que dans les prieurés simples, les religieux qui y demeuroient auparavant avec eux ayant été rappellés dans les monasteres dont ils dépendoient.
Il y a néanmoins des monasteres dont les prieurés qui en dépendent sont toujours demeurés sur le pié de simples administrations, dont les pourvus sont obligés de rendre compte à leur supérieur, lequel peut les révoquer quand il lui plaît.
Pour posséder un prieuré simple, c'est-à-dire qui n'est ni claustral ni conventuel, ni à charge d'ames, il faut, suivant la jurisprudence du parlement, avoir quatorze ans, mais suivant la jurisprudence du grand-conseil, il suffit d'avoir sept ans. Voyez le P. Thomassin, d'Héricourt, Fuet, les mémoires du clergé, & les articles ABBAYE, BENEFICE, COMMENDE, COUVENT, CURE, MONASTERE, RELIGIEUX. (A)
Prieur chef d'ordre, voyez Prieuré chef d'ordre.
Prieur claustral, voyez Prieuré claustral.
Prieur commendataire, voyez Prieuré en commende.
Prieur conventuel, voyez Prieuré conventuel.
Prieur curé, voyez Prieuré cure.
Grand-prieur, voyez Grand-prieuré.
Prieur titulaire, voyez Prieuré en titre.
PRIEUR, (Jurisdiction consulaire) on donne ce nom en quelques villes de France, comme à Rouen, à Toulouse, à Montpellier, &c. à celui qui préside au consulat des marchands, & qui y tient la place que le grand-juge tient à la jurisdiction consulaire de Paris.
PRIEUR DE SORBONNE, (Hist. mod.) c'est un bachelier en licence que la maison & société de Sorbonne choisit tous les ans parmi ceux de son corps pour y présider pendant ce tems. Tous les soirs on lui porte les clés de la maison ; il préside aux assemblées tant des bacheliers que des docteurs qui y font leurs résidences. Il ouvre le cours des thèses appellées sorboniques, par un discours latin qu'il prononce dans la grande salle de Sorbonne en présence d'une assemblée, où les prélats qui se trouvent alors à Paris assistent. Il ouvre aussi chaque sorbonique par un petit discours & quelques vers à la louange du bachelier qui répond ; & dans les repas particuliers de la maison de Sorbonne donnés par ceux qui soutiennent des thèses ou qui prennent le bonnet, il doit aussi présenter des vers. Le prieur de Sorbonne pretend le pas dans les assemblées, processions, &c. sur toute la licence ; mais le plus ancien, ou le doyen des bacheliers le lui dispute. Cette contestation qui a produit de tems en tems divers mémoires, & qui a été portée au parlement, n'est pas encore décidée. La place de prieur de Sorbonne est honorable, dispendieuse, & demande des talens dans ceux qui la remplissent.
PRIEUR, GRAND, (Hist. mod.) chevalier de Malthe, distingué par une dignité de l'ordre qu'on nomme grand-prieuré. Dans chaque langue il y a plusieurs grands-prieurs ; par exemple, dans celle de France on en compte trois ; savoir, le grand prieur de France, celui d'Aquitaine & celui de Champagne. Dans la langue de Provence on compte ceux de S. Gilles & de Toulouse, & dans celle d'Auvergne le grand prieuré d'Auvergne. Il y a également plusieurs grands-prieurs dans les langues d'Italie, d'Espagne & d'Allemagne, &c. Les grands-prieurs, en vertu d'un droit attaché à leur dignité, conferent tous les cinq ans une commanderie qu'on appelle commanderie de grace, il n'importe si elle est du nombre de celles qui sont affectées aux chevaliers, ou de celles qui appartiennent aux servans d'armes, il peut en gratifier qui il lui plaît. Il préside aussi aux assemblées provinciales de son grand-prieuré. La premiere origine de ces grands-prieurs paroît être la même que celle des prieurs chez les moines. Les chevaliers de S. Jean de Jérusalem étoient religieux, menoient la vie commune comme ils la menent encore à Malthe ; ceux qui étoient ainsi réunis en certain nombre avoient un chef qu'on a nommé grand-prieur, du latin prior, le premier, parce qu'en effet il est le premier de ces sortes de divisions, quoiqu'il ne soit pas le chef de toute la langue ; on nomme celui-ci pilier. Voyez PILIER.
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PRIEURÉ | S. m. (Jurisprud.) est un monastere dépendant de quelque abbaye, & dont le supérieur est appellé prieur.
Il y a pourtant aussi des prieurés cures & des prieurés simples, qui sont des bénéfices dans lesquels il n'y a plus de conventualité. Voy. les subdivisions suivantes & ci-devant le mot PRIEUR. (A)
Prieuré chef d'ordre, est un monastere établi sous le titre de prieuré, & qui est le chef-lieu d'un ordre religieux de congrégation.
Prieuré claustral, est l'office de prieur claustral.
Prieuré collatif ou purement collatif, est un bénéfice qui est à la collation d'un abbé, lequel le confere comme une dépendance propre & immédiate de son monastere ; il y a d'autres prieurés qui sont originairement électifs, & qui ne sont à la collation des abbés majeurs que par accident, c'est-à-dire, parce que ces prieurés se sont soumis à d'autres monasteres ou abbayes, à cause de l'étroite observance de la discipline monastique, & de leur grande puissance. Voyez ci-après prieuré électif collatif, & électif confirmatif.
Prieuré en commende, est un prieuré régulier qui est tenu en commende par un ecclésiastique séculier. Voyez Commende & Prieuré en titre.
Prieuré confirmatif, est un bénéfice en titre de prieuré, auquel on pourvoit par élection & confirmation, c'est-à-dire auquel il faut que l'élection soit confirmée par le supérieur. Il y a peu de ces prieurés & bénéfices dans le royaume.
Prieuré conventuel, est un monastere établi sous le titre de prieuré, & où il y a conventualité ; à la différence des prieurés simples & des prieurés sociaux où la conventualité n'est point établie. Voyez Prieuré semi-conventuel simple & social.
Prieuré-cure, est un bénéfice établi sous le titre de prieuré, & auquel est annexée une cure ou vicairie perpétuelle.
Prieuré électif-collatif, est celui que les électeurs conferent en élisant, sans que leur élection ait besoin de confirmation, tels sont les doyennés de plusieurs églises cathédrales & collégiales.
Prieuré électif, ou électif-confirmatif, est celui auquel on pourvoit par élection & confirmation du supérieur. Voyez ci-devant Prieuré confirmatif.
Grand-prieuré, est le chef-lieu d'où dépendent plusieurs autres prieurés particuliers. Il y a de ces grands prieurés dans l'ordre de Malthe, qui sont proprement des commanderies supérieures aux autres commanderies particulieres de la même province, il y a en France six grands prieurés de l'ordre de Malthe, sçavoir le grand-prieuré de Provence, celui d'Auvergne, celui de France, celui d'Aquitaine, celui de Champagne & celui de Toulouse ; ils marchent entr'eux dans l'ordre dans lequel on vient de les nommer ; de ces six grands-prieurés il y en a trois pour la langue de France, qui sont ceux de France, d'Aquitaine & de Champagne. Le grand-prieur de France est grand hospitalier de l'ordre.
Prieuré perpétuel, est celui qui est conféré en titre de bénéfice, à la différence des prieurés claustraux, qui ne sont que de simples offices & administrations pour un tems.
Prieuré régulier, est celui qui par le titre de fondation est affecté à des réguliers.
Prieuré séculier, est celui qui par le titre de fondation est affecté à un ecclésiastique séculier. Voyez ci-devant Prieuré régulier.
Prieuré sécularisé, est celui qui étoit régulier dans son institution, & qui depuis a été converti en un bénéfice séculier.
Prieuré semi-conventuel, est celui qui est en effet conventuel, & où la regle s'observe dans toute son étendue, mais avec moins d'appareil, en ce que le nombre des religieux y est moindre, & qu'il y a certains offices qui ne s'y chantent pas. Voyez ci-devant Prieuré conventuel.
Prieuré simple à simple tonsure, est celui pour la possession duquel il suffit d'être clerc tonsuré, à la différence des prieurés-cures pour lesquels il faut être prêtre, ou du moins en état de le devenir dans l'an.
Prieuré social, est une maison religieuse composée de plusieurs religieux, mais où la conventualité n'est pas établie.
Prieuré en titre, est celui qui est conféré à une personne qui a les qualités requises pour le posséder, suivant son institution, comme quand un prieuré régulier est conféré à un séculier, au-lieu que s'il est conféré à un séculier, il n'est pas conféré en titre, mais en commende. (A)
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PRIEZ-DIEU | S. m. terme d'Eglise ; c'est une espece de banc d'église ou d'acoudoir un peu relevé ; au haut de cet acoudoir regne un petit ais en forme de pupitre, sur lequel on peut s'appuyer, mettre son chapelet & ses heures, & devant lequel on est debout ou à genoux. On prépare des priez-Dieu couverts de velours, avec des galons ou des crépines d'or aux grandes cérémonies, pour les personnes du premier ordre. Ce luxe peu sensé qui s'est établi dans les églises catholiques, consacrées à l'humiliation devant l'être suprême, a peut-être même en bonne politique, plus d'inconvéniens que d'avantage. Quoi qu'il en soit, le mot de priez-Dieu se prend encore pour une sorte de petite chapelle dans une chambre d'un palais ou d'une maison devant laquelle on prie Dieu.
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PRILIS | (Géog. anc.) lac d'Italie dans la Toscane, appellé aujourd'hui, il lago di Castiglione. Les auteurs ont varié sur le nom de ce lac. Les uns l'ont appellé Aprilis lacus, lacus Prelius &c. Ciceron, pro Milone, dit que dans le lac Prelius ou Prilis, il se trouvoit une île que nous y voyons encore à présent. Elle est vis-à-vis le bourg Castiglione.
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PRIMA NATURALIA | en terme de Physique, signifie les atomes, ou, pour parler plus juste, les premieres particules dont les corps naturels sont originairement composés. On les appelle aussi minima naturalia. Voy. PARTICULES, ATOME, ELEMENS, DURETE, &c. Chambers.
PRIMA ou PRIMO, (Comm.) terme dont les marchands & négocians provençaux se servent quelquefois dans leurs écritures pour signifier premier. Ils ont emprunté cette expression des Italiens leurs voisins. Dictionn. de Commerce.
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PRIMAGE | S. m. (Comm.) on nomme ainsi en Provence & dans les échelles du Levant ce qu'ailleurs on appelle prime d'assurance. Voyez PRIME & ASSURANCE. Diction. de Commerce.
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PRIMAT | S. m. (Jurisprud.) primas, seu episcopus primae sedis, c'est un archevêque qui est établi au-dessus d'un ou de plusieurs autres métropolitains.
Le primat exerce aussi les droits de primatie sur ses propres diocésains & sur les évêchés qui sont ses suffragans, desorte qu'il a plusieurs degrés de jurisdiction qu'il fait exercer par des officiaux différens, ayant pour la primatie un official primatial pour juger les appellations qui sont interjettées de l'official métropolitain.
La dignité de primat est la premiere dignité dans l'Eglise après celle du pape dans les pays où il n'y a point de patriarche, & dans ceux où il y a un patriarche elle est la troisieme, le patriarche étant audessus du primat.
Anciennement on confondoit quelquefois la dignité de patriarche avec celle de primat, on les appelloit tous d'un nom commun magni exarchae.
Les uns & les autres jouïssoient de grandes prérogatives, car on pouvoit appeller à eux, omisso medio. Les jugemens primatiaux étoient sans appel. Leg. sanc. cod. de episc. aud.
En France, où l'établissement des grands patriarches n'a point été reçu, ce sont les primats qui en tiennent lieu ; on appelle de l'évêque au métropolitain, de celui-ci au primat, & du primat au pape ; jusqu'à-ce qu'il y ait trois sentences conformes, il n'est pas permis d'intenter cet ordre de jurisdiction.
Il y a huit archevêques en France qui se disent primats ; celui de Sens se dit primat de Germanie & des Gaules ; les archevêques de Bourges & de Bordeaux se disent tous deux patriarches d'Aquitaine ; ceux d'Arles & de Vienne se disputent la primatie de la Gaule narbonnoise ; ceux de Rouen & de Narbonne se prétendent aussi primats de leurs détroits.
Par arrêt du conseil du 12 Mai 1702 revêtu de lettres-patentes registrées aux parlemens de Paris & de Normandie, l'archevêque de Rouen a été déclaré exempt de la jurisdiction de l'archevêque de Lyon ; celui-ci est en possession de la jurisdiction primatiale sur les métropoles de Tours, de Sens & de Paris, parce qu'il est primat des quatre lyonnoises, suivant la bulle de Gregoire VII. de 1079.
L'archevêque de Bourges exerce les droits de primatie sur Alby & sur les évêchés de Rodez, de Castres, de Cahors, de Vabres & de Mende qui en sont suffragans, l'archevêque de Bourges n'ayant consenti à l'érection de l'évêché d'Alby en métropole, qu'à la charge que cette église & les membres qui en dépendent reconnoîtroient toujours la jurisdiction & la primatie de celle de Bourges dont elle a été désunie ; & en cas de vacance du siege de Bourges, les droits de primatie appartiennent au chapitre. Voyez Fevret, d'Héricourt, la bibliotheque canonique, Drapier & les articles ARCHEVEQUE, OFFICIAL, PATRIARCHE. (A)
PRIMAT DE POLOGNE, (Hist. du gouv. de Pol.) le primat de Pologne est le chef du sénat, & c'est à l'archevêque de Gnesne qu'appartient cet honneur.
Cette dignité de primat fut autrefois accompagnée du pouvoir & de ses abus dans toute l'Europe. Ce fut un primat de Suede, l'archevêque d'Upsal, qui fit massacrer dans un repas tout le Sénat de Stockholm, sous prétexte qu'il étoit excommunié par le pape ; & la Suede ne voulut plus ni de primat, ni de pape. Ce fut un primat d'Angleterre, l'archevêque Cranmer, qui en cassant le mariage de Henri VIII. avec Catherine d'Aragon, rompit, de concert avec son maître, tous les liens entre Rome & les Anglois. Le czar Pierre ne trouva point de plus grands obstacles aux grandes choses qu'il méditoit, que la dignité de patriarche ou de primat. Elle s'abolit en France : comme elle s'est divisée sur plusieurs têtes qui se la disputent, elle ne peut pas tout ce qu'elle pouvoit. En Pologne elle existe dans toute sa force.
Le primat est légat né du saint siege, & censeur des rois ; roi lui-même en quelque sorte dans les interregnes, pendant lesquels il prend le nom d'inter-roi. Aussi les honneurs qu'il reçoit répondent-ils à l'éminence de sa place. Lorsqu'il va chez le roi, il y est conduit en cérémonie ; & le roi s'avance pour le recevoir. Il a, comme le roi, un maréchal, un chancelier, une nombreuse garde à cheval avec un timbalier & des trompettes qui jouent lorsqu'il est à table, & qui sonnent la diane & la retraite. On le traite d'altesse & de prince ; & parmi les grandes prérogatives de sa place, la plus utile à l'état, c'est la censure dont il use toujours avec applaudissement. Le roi gouverne-t-il mal, le primat est en droit de lui faire en particulier des représentations convenables ; le roi s'obstine-t-il, c'est en plein sénat, ou dans la diete qu'il s'arme des lois pour le ramener ; & on arrête le mal. Mais à supposer qu'un roi eût été plus fort que la loi, chose très-difficile en Pologne, le fil de l'oppression se romproit à sa mort, sans passer dans les mains du successeur. L'interregne tranche. L'abbé Cayer. (D.J.)
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PRIMATIE | S. f. (Gramm.) jurisdiction du primat. Voyez PRIMAT.
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PRIMAUTÉ | PRIMAUTé
Les Protestans se sont extrêmement attachés à contester au pape cette prérogative ; Jean Hus entr'autres disoit qu'il n'y avoit pas d'ombre d'apparence que l'Eglise eût besoin d'un chef pour la gouverner. Les Luthériens & les Calvinistes ont encore enchéri sur cette prétention, leurs chefs & leurs ministres n'ont pas rougi de donner à l'Eglise romaine le nom de Babylone prostituée, aux papes le titre d'antechrist, & à leur primauté celui de tyrannie. Mais ce n'est pas par des invectives & des qualifications odieuses qu'on éclaircit la vérité. Quand ils ont attaqué cette prérogative du siege de Rome, elle étoit fondée sur une prescription immémoriale ; on verra par la suite de cet article s'ils étoient recevables à lui contester ce que toute l'Eglise avoit jusqu'alors reconnu. Mais avant que d'en venir à ces preuves, il est bon d'expliquer ce que les Catholiques entendent par cette primauté d'honneur & de jurisdiction.
Tous conviennent qu'elle appartient au saint-siege & au pape qui l'occupe de droit divin, mais tous n'expliquent pas d'une maniere uniforme en quoi consistent ces droits de jurisdiction & d'autorité.
Les théologiens ultramontains prétendent qu'en vertu de cette primauté le pape est dans l'Eglise comme un monarque absolu, que tous les autres évêques tiennent leur puissance de lui, que la plénitude de la jurisdiction ecclésiastique réside dans la personne du pape, & que les évêques ne jouissent que de la portion qu'il veut bien leur communiquer, qu'il est infaillible quand il prononce ex cathedrâ, qu'il est supérieur au concile général & ne reconnoît point de juge sur la terre, qu'il est maître de tout le monde, & qu'il a du-moins le pouvoir indirect de déposer les rois & de délier leurs sujets du serment de fidélité. Mais comme le remarque M. d'Hericourt, lois ecclésiastiques, part. I. c. vj. en voulant porter au-delà des bornes une puissance légitime, on en affoiblit l'autorité dans l'esprit des personnes qui ne savent point distinguer ce qui est de droit d'avec ce que les hommes ont imaginé par complaisance.
D'autres sont tombés dans un excès tout opposé ; &, sous prétexte de combattre ces droits chimériques, ils ont donné atteinte aux prérogatives les mieux établies. Richer entr'autres, dans son livre de la puissance ecclésiastique & politique, semble prétendre que Jesus-Christ a confié le pouvoir des clés plus essentiellement & plus immédiatement à tout le corps des fideles qu'à saint Pierre & aux autres apôtres ; que par conséquent toute la jurisdiction n'appartient au pape & aux évêques que ministériellement & instrumentalement comme exécuteurs du pouvoir de l'Eglise ; & enfin que le pape n'en est que le chef ministériel, accidentel & symbolique : propositions qui furent condamnées dans le concile de Sens en 1612, & que Richer rétracta lui-même en 1629 par contrainte & par violence.
Entre ces deux excès dont l'un accorde trop & l'autre trop peu au souverain pontife, un troisieme sentiment fait consister la primauté du pape à avoir comme chef la sollicitude de toutes les églises, à veiller à l'observation & à l'exécution des canons dans tout le monde chrétien, à y obliger même les rebelles & les contumaces par les peines canoniques : privilege qui ne convient point à chaque évêque particulier dont la jurisdiction est restreinte & bornée à son diocèse. 2°. En ce que les decrets & les lois des pontifes romains regardent toutes les églises en général & chacune en particulier, & que les fideles doivent s'y soumettre provisionnellement tant que l'Eglise ne contredit ou ne réclame point. 3°. En ce qu'il doit avoir la principale part dans tout ce qui concerne la religion, & qu'on ne doit rien décider d'important sans lui. 4°. Qu'il peut dispenser des lois faites par les conciles généraux eux-mêmes, dans les cas où le concile lui-même en dispenseroit, & selon les regles de dispenses prescrites par les conciles. 5°. Qu'il a droit de convoquer les conciles généraux, & d'y présider ou par lui-même ou par ses légats. 6°. Qu'il est vraiment & réellement le chef de l'Eglise, & que son siége est le centre de l'unité catholique.
Ces notions établies, il s'agit d'examiner si les papes ont réellement jouï de tout tems de ces prérogatives. La doctrine des conciles & celle des Peres, l'exercice fréquent que les papes ont fait de ce pouvoir, & le consentement des princes se réunissent en faveur de cette primauté.
1°. Les conciles : celui de Nicée, canon VI. s'exprime ainsi ; romana Ecclesia semper primatum habuit. Or, comme le remarque Nicolas I. ce concile n'a rien accordé à l'Eglise romaine, il n'a fait que reconnoître le droit dont elle étoit déja en possession, & dont l'origine étoit aussi ancienne que le Christianisme. Le premier de Constantinople n'accorde l'honneur de la primatie à l'évêque de Constantinople qu'après l'évêque de Rome ; constantinopolitanus episcopus habeat primatùs honorem post romanum episcopum. Celui d'Ephèse reconnoît en plusieurs endroits que l'Eglise romaine est le chef des autres églises. Celui de Chalcedoine, action ou session XVI. s'explique de la sorte ; ex his quae gesta sunt & ab unoquoque deposita, perpendimus omnem quidem primatum & honorem praecipuum secundùm canones antiquae Romae Dei amantissimo archiepiscopo conservari. Celui de Constance, en condamnant diverses propositions de Wiclef & celle de Jean Hus que nous avons rapportée ci-dessus, déclara suffisamment quelle étoit sa doctrine sur la primauté du pape. Dans le concile de Florence, les Grecs qui se réunirent aux Latins reconnurent la même vérité : definimus, disent-ils, sanctam apostolicam sedem & romanum pontificem in universum orbem tenere primatum, &c.
2°. Les Peres ne sont pas moins formels sur cet article. Les bornes de cet ouvrage ne nous permettent pas de rapporter tous leurs textes. Qu'il nous suffise de remarquer qu'ils reconnoissent expressément que l'évêque de Rome est le fondement de l'Eglise ; que sa chaire est la chaire principale à laquelle il faut que toutes les autres s'unissent à cause de la supériorité de la puissance qu'elle possede ; qu'il a la suprême puissance pour avoir soin des agneaux du Fils de Dieu ; qu'il a reçu la primauté afin que l'Eglise fût une ; qu'il est le premier & le chef des pasteurs ; que son Eglise a la principale autorité sur les églises qui sont dans tout le monde ; qu'il a droit d'adresser des lettres aux autres évêques, & de statuer sur les matieres de religion, d'appeller les évêques au concile, & par l'autorité de sa place de s'opposer avec plus de vigueur que les autres évêques aux erreurs & aux nouveautés. Iren. lib. III. c. iij. Athanas. apolog. II. Cypr. de Vint. & epist. XLII. & XLV. Theodoret. epist. CXVI. Optat. lib. II. contr. Parmen. S. August. epist. XLIII. & CXC. Vincent. Lyrin. in commonitor. I. c. v. &c.
3°. L'exercice constant de ce pouvoir le justifie encore plus clairement ; il ne faut qu'ouvrir l'histoire ecclésiastique pour en trouver des preuves éclatantes dans tous les siecles. Nous ne ferons qu'indiquer ici les principaux faits. Dès le premier siecle, saint Clément écrivit aux Corinthiens pour appaiser le schisme qui s'étoit élevé parmi eux, ainsi que le rapporte saint Irénée, liv. III. c. iij. Dans le second, le pape Victor écrivit fortement aux évêques d'Asie sur la question de la pâque, & les menaça même de l'excommunication, comme on voit dans Eusebe, liv. V. c. xxiv. Dans le troisieme, le pape Etienne se comporta de même dans la question des Rebaptisans. Dans le quatrieme, le pape Jules rétablit saint Athanase & les autres évêques qui avoient été déposés & chassés par les Ariens. Voy. Sozomene, hist. liv. III. c. viij. Dans le cinquieme, les papes Innocent I. & Zozime connurent des erreurs des Pélagiens & des décisions que divers conciles particuliers avoient faites contre ces hérétiques ; le dernier adressa à toutes les églises la célebre lettre par laquelle il condamnoit leurs erreurs. Voyez Marius Mercator, in commonitor. c. j. & iij. Dans le quatrieme, Eustathe, évêque de Sebaste, fut rétabli dans son siege par le pape Libere, comme nous l'apprend saint Basil. epist. LXXIV. ad occidental. Dans le cinquieme, Eutychès en appella au pape saint Léon de la sentence de Flavien, patriarche de Constantinople ; saint Chrysostome en appella également au pape Innocent de celle de Théophile d'Alexandrie. Dans le sixieme, saint Grégoire s'éleva avec force contre le titre d'évêque écuménique ou universel que prenoit Jean le Jeûneur. Dans le septieme, Sophrone & Etienne s'adressent aux papes pour implorer leur autorité contre les ravages que le Monothélisme faisoit alors en orient ; & l'on sait avec quelle vigueur ils le condamnerent sans excepter même les lois des princes qui le favorisoient, & que les hérétiques avoient extorquées ou surprises. Dans le huitieme, les papes eurent la principale part à la condamnation de l'hérésie des Iconoclastes, comme on voit par les actes du septieme concile général. Il est vrai que dans le neuvieme Photius commença à se soustraire à la jurisdiction du saint-siege ; mais outre que l'autorité en étoit reconnue par les autres patriarches d'orient, Photius fut excommunié par Nicolas I. condamné par Adrien II. & par Jean VIII. & reconnut en diverses occasions la supériorité du pape. Voy. les conciles du pere Labbé, tom. VIII. pag. 1395. On convient que depuis cette époque les Grecs s'écarterent notablement de la doctrine de leurs ancêtres sur la primauté du pape, jusqu'à-ce qu'enfin le schisme fut entierement consommé par Michel Cerularius ; mais même en cette occasion le pape donna une marque de sa jurisdiction, car les légats de Léon IX. qui tenoit alors le siege de Rome excommunierent le patriarche de Constantinople dans la basilique même de sainte Sophie. Enfin, dans les différentes tentatives qu'on a faites depuis les conciles, soit de Lyon, soit de Florence, pour réunir les deux églises, les Orientaux n'ont jamais contesté la primauté du successeur de saint Pierre.
Nous avons cité tous ces exemples de l'église d'orient, car pour celle d'occident on n'a jamais douté qu'elle n'ait reconnu cette prérogative. Bingham prétend qu'elle n'étoit pas connue en Angleterre quand le moine saint Augustin y fut envoyé par saint Grégoire ; que dès le quatrieme siecle il y avoit des évêques dans la grande-Bretagne, comme il paroît par le concile d'Arles tenu en 314, auquel assisterent Eborius, évêque d'Yorck ; Restitutus, évêque de Londres ; & Adelphius, évêque de civitate coloniâ Londinensium, que quelques-uns croyent être Lincoln & d'autres Colchester ; que ces évêques reconnoissoient pour métropolitain l'archevêque de Caërleon, Caërlegio, ville ancienne alors détruite, & dont le siege avoit été transferé à Saint-David ; que dans la conférence qu'ils eurent avec le moine saint Augustin, ils refuserent de reconnoître la primauté du pape, d'où il conclut que l'église d'Angleterre étoit indépendante de l'Eglise romaine. Quoi qu'aient pû penser ces évêques saxons du tems de saint Grégoire, il s'agit de savoir si leurs prédécesseurs avoient reconnu la primauté du pape. Or c'est ce qu'avoient fait les évêques qui assisterent au concile d'Arles ; car dans la lettre synodique que les peres de ce concile adresserent au pape Sylvestre, on lit : placuit etiam, antequam à te qui majores diaeceses tenes, per te potissimùm omnibus insinuari. Ils reconnoissent donc dans le pape une surintendance générale sur les grands diocèses, c'est-à-dire, les grands gouvernemens de l'empire, tels que l'Italie, l'Espagne, les Gaules, l'Afrique, &c. car il est constant que les prélats d'Afrique & ceux des Gaules, d'Italie, &c. ont toujours reconnu la prééminence du pape. Que Bingham oppose tant qu'il voudra l'exemple de l'église d'Afrique, il ne persuadera jamais qu'elle se soit soustraite à l'obéissance dûe au saint-siege ; puisqu'il est constant par tout ce qui se passa dans l'affaire des Pélagiens, que les évêques d'Afrique envoyerent les actes de leurs conciles particuliers à Rome, & qu'ils ne regarderent la cause comme jugée & décidée en dernier ressort, que quand le siege de Rome eut prononcé ; & puisque Bingham prend pour arbitres les évêques d'Afrique, & sur-tout saint Augustin, sur le sens de ces mots, qui majores sedes tenes, il faut conclure de la conduite de ces derniers, que dans le cinquieme siecle on reconnoissoit en Afrique la primauté du pape, comme les évêques d'Afrique l'avoient reconnue au concile d'Arles, & par une derniere conséquence, qu'Eborius, Restitutus & Adelphius, ces évêques de la grande-Bretagne qui avoient assisté à ce dernier concile, l'avoient également reconnue, c'est-à-dire, une primauté & une supériorité non pas arbitraire ni illimitée, mais réglée par les saints canons.
Mais ajoute Bingham, il faudroit donc supposer que ces évêques de la grande-Bretagne, du tems du moine saint Augustin, étoient tombés dans le schisme. C'est en effet ce qu'a prétendu Schelstrate. Pour nous, nous pensons que l'irruption des Saxons ayant tout bouleversé dans la grande-Bretagne, & sur-tout interrompu le commerce des Iles britanniques avec l'empire & le siege de Rome, l'ignorance se glissa dans le clergé, & qu'à la faveur des troubles, les évêques s'arrogerent une indépendance qu'ils n'avoient pas ; la barbarie des Saxons & leur attachement au paganisme étoient tout-à-fait contraires au progrès des Lettres & de la Religion, aussi étoit-elle dans un état déplorable dans cette partie de l'Europe, lorsque le missionnaire saint Augustin y arriva ; ces évêques dont Bingham fait sonner si haut la prétendue indépendance, croupissoient dans l'ignorance & dans la corruption des moeurs. Est-il étonnant après cela qu'ils eussent oublié ou qu'ils affectassent de méconnoître ce qu'avoient si bien su leurs prédécesseurs ? Ce qu'il y a de certain, c'est que saint Augustin remit les choses dans l'ordre, & que l'Angleterre a reconnu la primauté des papes jusqu'au schisme d'Henri VIII. C'est aux théologiens anglois à nous expliquer par quel enchantement tant d'hommes illustres, de saints évêques & de grands rois, pendant neuf siecles, ont pû subir un joug que leurs ancêtres ont, dit-on, rejetté, & qu'ont brisé leurs descendans. Voyez Bingham, orig. ecclesiastic. tom. III. lib. IX. c. j. §. 12. & c. vj. §. 20.
4°. Aux preuves que nous avons déja rapportées de la primauté du pape, se joint la reconnoissance formelle qu'en ont faite les empereurs, les rois & autres souverains. Théodose & Valentinien parlent ainsi de la prééminence de l'Eglise romaine : cum igitur sedis apostolicae primatum sancti Petri meritum qui princeps est episcopalis coronae & romanae dignitas civitatis, sacrae etiam synodi firmavit autoritas. Valentinien, dans sa lettre à Théodose, que l'évêque de Rome a la prééminence sur tous les autres : quatenùs beatissimus romanae civitatis episcopus, cui principatum sacerdotis super omnes antiquitas contulit ; & Justinien, novell. CXXXI. tit. XIV. cap. 2. sancimus secundùm earum synodorum definitiones sanctissimum senioris Romae papam primum esse omnium sacerdotum. On peut voir dans les preuves des libertés de l'Eglise gallicane comment nos rois très-chrétiens se sont plusieurs fois exprimés sur le même sujet, en restreignant toutefois la puissance des papes dans ses véritables limites.
Les Protestans avancent que toutes ces prérogatives ne sont que des concessions de l'Eglise ou des princes, dont on a décoré les papes en certains tems, & dont il a été permis en d'autres de les dépouiller.
Les Catholiques au contraire prouvent qu'il ne la tient ni de l'Eglise, ni d'aucune autorité humaine, mais immédiatement de Jesus-Christ qui l'a promise & conférée à saint Pierre, comme il est rapporté en saint Matthieu, c. xvj. v. 10. & 19. & suivant l'explication qu'en donnent saint Cyprien, lib. de unit. eccles. saint Jérome, lib. I. contrà Jovinian. saint Augustin, tract. CXXIV. in Joann. saint Léon, serm. III. in annivers. suae election. & plusieurs autres. Or le pape, en succédant à saint Pierre dans sa chaire, succede à tous les droits conférés à cet apôtre, & par conséquent à la primauté d'honneur & de jurisdiction. Voyez Tournely, trait. de l'Eglise, & les autres théologiens, Bellarmin, le card. du Perron, réplique à la réponse du roi de la grande-Bretagne.
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PRIM | ou MINUTE, s. f. (Géom.) signifie en Géométrie la soixantieme partie d'un degré. Voyez DEGRE.
Prime se prend aussi quelquefois pour la dixieme partie d'une unité. Voyez DECIMAL.
En parlant des poids, prime se prend pour la vingt-quatrieme partie d'un grain. Voyez GRAIN. (E)
PRIME DE LA LUNE, se dit de la nouvelle lune lorsqu'elle paroît pour la premiere fois, deux ou trois jours après la conjonction : on dit que la lune est en prime, lorsque l'on apperçoit pour la premiere fois le croissant, c'est-à-dire lorsqu'on voit pour la premiere fois la lune se lever en même tems que le soleil se couche. Voyez NOUVELLE LUNE. (O)
PRIME, (Théol.) prima, nom que l'on donne à la premiere des petites heures ou heures canoniques qui font partie du breviaire ou de l'office canonique. Voyez BREVIAIRE & HEURE.
Prime est la partie de l'office qui suit les laudes : elle est composée du Deus in adjutorium, d'une hymne, de trois pseaumes avec leur antienne, auxquels on ajoute le symbole de S. Athanase les dimanches & lorsqu'on fait l'office de la Trinité, puis d'un capitule & de son répons bref suivi d'une oraison, du confiteor, de quelques prieres ou versets de l'Ecriture, de la lecture d'un canon des conciles, & quelquefois de celle du martyrologe, ce qui est terminé par quelques autres courtes prieres.
On rapporte l'institution de cette heure canoniale aux moines de Bethléem, & Cassien en fait mention dans ses Institutions, liv. III. ch. iv. car l'auteur des constitutions apostoliques, S. Jérôme & S. Basile, qui avant Cassien ont traité de l'office divin, n'en disent mot. Ce dernier observe donc qu'on chantoit, on récitoit à prime trois pseaumes, savoir le 50e. le 62. & le 89. ou selon la maniere de compter des Hébreux, le 51e. le 63. & le 90. Il appelle cet office matutina solemnitas, ce qu'il ne faut pas toutefois confondre avec les matines ou l'office de la nuit, qu'on nommoit aussi matutinum, nocturnum, vigiliae, au-lieu qu'on ne disoit prime qu'au point du jour, ou même après le lever du soleil, comme il paroît par l'hymne attribuée à saint Ambroise : Jam lucis orto sidere, &c. Cassien l'appelle encore novella solemnitas, parce que de son tems cette coutume étoit encore récente, & il ajoute qu'elle passa bien-tôt des monasteres d'Orient dans ceux des Gaules. La raison mystique que la glose apporte de la récitation de prime vers la premiere heure du jour, c'est-à-dire vers les six heures du matin, selon la maniere de compter des anciens, est qu'à cette heure Jesus-Christ fut mené chez Caïphe, & exposé aux insultes des soldats, prima replet sputis. Bingham orig. Eccles. t. V. lib. XII. c. ix. §. 10.
PRIME, (Hist. nat. Minéral.) les Lapidaires appellent du nom générique de prime, une pierre qui n'est autre chose que du quartz, sur lequel sont portés des crystaux de roche diversement colorés. Les sommets de ces crystaux sont ordinairement plus colorés que la pierre qui leur sert de base, ou de laquelle ils sont sortis. La prime d'amethyste est un quartz d'un violet plus ou moins vif ; il ne faut donc point regarder la prime comme une vraie pierre précieuse, dont elle n'a point la dureté, ce n'est autre chose que la matiere qui a donné naissance au crystal de roche coloré sans se crystalliser elle-même. (-)
PRIME D'EMERAUDE, (Hist. nat.) prasius, pierre d'un verd terne & impur, mêlé d'un peu de jaune, elle est demi-transparente ; M. Hill croit que c'est la pierre que les anciens ont nommée prasius, ils en distinguoient trois especes, l'une étoit verte, les autres étoient veinées de blanc & de rouge. Selon le même M. Hill les modernes en comptent aussi trois especes, savoir la verte foncée ; la verte jaunâtre & la jaune blanchâtre qui n'est que d'un verd très-léger. Woodward croit que cette pierre est le smaragdo prasus des anciens, mais M. Hill n'est point de cet avis, & croit que cette derniere est une belle pierre d'un verd de gazon. Selon lui ce n'est pas non plus le crysoprasas, qui étoit une pierre plus belle & plus précieuse que le prasius. Voyez les notes de M. Hill, sur le traité des pierres de Théophraste, & voyez PRASIUS.
M. Lehman a donné le nom de crysoprase à une pierre qu'il a trouvée en Silesie ; elle est d'un verd céladon clair, ou verd de pomme, demi-transparente, mais souvent remplie de petites taches blanches. Voyez les Mémoires de l'acad. de Berlin, année 1755, pag. 202. & suiv. Voyez PERIDOT.
Le mot de prime d'émeraude paroît fondé sur l'opinion où plusieurs naturalistes ont été que cette pierre servoit de matrice ou d'enveloppe à l'émeraude, mais rien ne semble appuyer ce sentiment. (-)
PRIME, s. f. (Lainage) nom que l'on donne à la premiere sorte de laine d'Espagne, qui est la plus fine & la plus estimée pour la fabrique des étoffes, bas, & autres ouvrages de laine ; on lui donne aussi à cause de sa grande finesse, le nom de refin ; & pour faire connoître le lieu précisément d'où elle vient, on ajoute ordinairement le nom de la ville ; ainsi l'on dit, prime Ségovie, refin Ségovie. Voyez LAINE, (D.J.)
PRIME D'ASSURANCE, en terme de commerce de mer, signifie parmi les marchands une somme d'argent, par exemple, 8 ou 10 pour cent, que l'on donne à un assureur, pour assurer le retour d'un vaisseau ou d'une marchandise. Voyez POLICE D'ASSURANCE ; on l'appelle prime à cause qu'elle se paye premierement & par avance ; en quelques lieux elle est appellée primeur, prémice : coût ou agio d'assurance, primage, &c.
Prime est aussi en usage dans le trafic d'argent & de papier, pour signifier ce que l'on donne.
Ainsi on dit des billets de loterie, qu'ils portent tant de prime, par exemple, 10 ou 20 sols quand on les achete tant par-delà le premier prix que le gouvernement leur avoit fixés.
PRIME, s. f. (Monnoie) dans la division du marc d'argent, ce mot se dit de la vingt-quatrieme partie d'un grain, ensorte qu'un grain est composé de vingtquatre primes. (D.J.)
PRIME, garde de, estocade de, (Escrime) on entend par prime une position qui dépend du premier mouvement que fait un escrimeur (je veux dire que la garde de prime est celle où l'on se trouve naturellement après avoir tiré l'épée du fourreau), & si de cette position on détache une estocade, elle s'appelle estocade de prime.
Les mots de seconde, de tierce, de quarte, de quinte sont dérivés de même, desorte que la seconde est la position qui a succédé à la premiere, &c.
Comme on peut tirer son épée d'une infinité de façons, on ne peut pas donner une position certaine de ce premier mouvement ; les secondes & les troisiemes, &c. ne peuvent non plus être reglées, c'est pourquoi on n'a déterminé que les positions de tierce, quarte, &c. de la maniere qu'elles sont expliquées dans ce traité.
PRIME, (Sucre) est une espece de poinçon dont les Raffineurs se servent pour percer les pains, & donner écoulement aux syrops. Voyez PERCER. Il y a des primes de bois dont l'usage regarde les vergeoises seulement. Voyez VERGEOISES ; voyez aussi les Pl.
PRIME, au jeu de l'Ambigu, c'est quatre cartes de différentes couleurs, mais égales de point ; le prime passe devant le point, & vaut deux jettons de chaque joueur à celui qui l'a : lorsqu'il gagne outre la vade, la poule & les renvois, elle lui en vaut trois ; la plus haute emporte la plus basse.
PRIME, grande, c'est, au jeu de l'Ambigu, celle qui est composée de plus de trente points. Voyez PRIME.
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PRIME-MORUE | (Comm.) c'est la morue seche qui arrive en Europe de la premiere pêche de ce poisson, & qui par conséquent y est du meilleur débit ; à cause de sa nouveauté. Savary (D.J.)
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PRIME-VERE | (Mat. med.) les fleurs de cette plante sont mises au rang des remedes céphaliques, anti-spasmodiques & nervins. On en prépare une eau distillée & une conserve ; on en ordonne aussi l'infusion théiforme. Tous ces remedes sont recommandés contre les menaces d'apoplexie ou de paralysie, telles que le bégayement, le tremblement de membres, le vertige, &c. & dans les douleurs de tête, les vapeurs hystériques, &c.
Les fleurs de prime-vere entrent dans l'eau générale de la pharmacopée de Paris. (b)
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PRIMECERIAL | adj. (Jurisprudence) se dit de ce qui appartient à la dignité de primicier. Voyez PRIMICIER. (A)
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PRIMER | v. n. (Gram.) dominer, avoir le premier rang, la premiere place, un avantage quelconque ; c'est au jeu sur-tout qu'il prime. Une belle femme se flatte de primer par-tout, & elle a souvent raison ; il prima dans la conversation ce jour-là.
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PRIMEROLE | (Botanique) Voyez PRIMEVERE. (D.J.)
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PRIMEUR | S. f. (Gramm.) fruit précoce, ou plus généralement, tout mets rare par la nouveauté. On dit la primeur des fruits, du gibier, &c. une table couverte de primeurs, la primeur du vin.
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PRIMEVERE | S. f. (Hist. nat. Botan.) primula veris, genre de plante à fleur monopétale, en forme de soucoupe profondément découpée. Le pistil sort du calice qui est allongé comme un tuyau ; il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit ou une coque oblongue & renfermée dans le calice. Ce fruit s'ouvre par la pointe, & contient des semences arrondies & attachées à un placenta. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
La primevere dans le systême de Linnaeus, fait un genre de plante dont voici les caracteres. Le calice est une enveloppe composée de plusieurs feuilles, & contenant quelques fleurs. L'enveloppe particuliere de chaque fleur est un tuyau de forme pentagone, composée d'une feuille divisée en cinq segmens, & qui reste quand la fleur est tombée. La fleur est d'une seule feuille en forme de tuyau cylindrique, de la longueur du calice ; elle est ouverte, déployée, & découpée en cinq segmens qui sont obtus, renversés & dentelés dans les bords. Les étamines sont cinq filets très-courts, placés dans le tube de la fleur. Les bossettes des étamines sont droites & pointues ; le germe du pistil est arrondi ; le stile est délié & de la longueur du calice ; le stigmat est sphérique ; le fruit est une capsule cylindrique à-peu-près de la longueur du calice, contenant une seule loge ; son sommet est découpé en dix segmens ; les semences sont nombreuses & rondes ; leur enveloppe est d'une forme ovale, allongée.
Entre les quarante especes de ce genre de plante, nous ne décrirons que la commune ; elle est nommée par Tournefort primula veris odorata, flore luteo, simplici. I. R. H. 124, en anglois, the sweet yellow-flower'd-cowslip. Sa racine est assez grosse, écailleuse, rougeâtre, fibreuse, d'un goût un peu astringent, d'une odeur agréable & aromatique ; elle pousse au commencement du printems des feuilles oblongues, larges, rudes, ridées, couchées par terre, glabres, ou revêtues d'un duvet si court, qu'on a peine à l'appercevoir.
Il s'éleve d'entre ces feuilles une ou plusieurs tiges à la hauteur d'une bonne palme, rondes, un peu velues, nues ou sans feuilles ; elles soutiennent en leurs sommets des bouquets de fleurs simples, mais belles, jaunes, odorantes, formées en tuyaux évasés dans leur partie supérieure en maniere de soucoupe, taillées ordinairement en cinq quartiers, échancrés ; ces fleurs sont disposées comme en ombelle, au nombre de six, de sept, de douze, de vingt-quatre, & quelquefois davantage.
Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede des fruits ou coques ovales, couvertes entierement du calice, qui enferment plusieurs semences rondes ou anguleuses, noires & menues. Cette plante dont le goût est un peu âcre & amer, croît presque par-tout dans les champs, dans les prés un peu humides, dans les bois & les forêts, où elle fleurit dès le premier printems : c'est-là l'origine de son nom de prime-vere. (D.J.)
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PRIMICERIAT | S. m. (Gramm.) dignité du primicier.
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PRIMICERIUS | PRIMICERIUS
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PRIMICIER | S. m. (Jurisprud.) primicerius, quasi primus in cera ; chez les Romains on appelloit primicius officiorum, le chef des officiers domestiques de l'empereur. Il en est parlé au code, lib. I. tit. 30. leg. xj. & ibi. gloss. lit. O. & tit. 28. leg. v.
On donnoit aussi anciennement cette qualité dans la cour de nos rois, au chef de leurs officiers.
Ce titre est encore usité, du-moins en latin, dans quelques corps laïques, comme dans le college Sexviral de la faculté de Droit de Paris, où le doyen prend le titre de primicerius & comes.
Dans l'établissement des églises cathédrales, l'archidiacre y tenoit le premier rang après l'évêque ; mais lorsque le nombre des clercs inférieurs fut augmenté, on le déchargea du soin de leur conduite : dans plusieurs de ces églises on leur donna un préfet qui fut appellé primicier, & par contraction primcier ou princier, & en d'autres endroits, doyen, prevôt, trésorier ou abbé.
Le primicier est ordinairement le premier dignitaire. Voyez ci-après PRINCIER, & les mots DOYEN, PREVOT, &c. (A)
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PRIMIPILE | S. m. (Hist. anc.) officier des légions romaines, qu'on nommoit communément primipilus ou primipili centurio, capitaine de la premiere compagnie. C'étoit lui qui commandoit la premiere centurie du premier manipule des triaires, appellés aussi pilani. Il étoit le plus considérable de tous les centurions d'une même légion, & avoit place au conseil de guerre avec le consul & les autres officiers généraux. On l'appelloit primipilus prior, pour le distinguer de celui qui commandoit la seconde centurie du même manipule, que l'on nommoit primipilus posterior. Le primipile avoit en garde l'aigle romaine, la déposoit dans le camp, & l'enlevoit quand il falloit marcher, pour la remettre ensuite au vexillaire ou porte-enseigne.
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PRIMIS | (Géog. anc.) ville d'Ethiopie, sur le bord oriental du Nil, selon Ptolémée, liv. IV. c. vij. Il y a apparence que c'est la même ville que Strabon, liv. XVII. pag. 820. appelle Premnis. Le P. Hardouin dit que c'est la Prima d'Olympiodore. (D.J.)
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PRIMISCRINIUS | S. m. (Hist. anc.) premier commis d'un bureau. Primiscrinius canonum, premier commis du bureau de certains revenus annuels. Primiscrinius numerarius, premier commis des douannes. Primiscrinius societatum, premier commis du bureau des assurances.
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PRIMITIF | IVE, adj. (Gramm.) ce mot est dérivé du latin primus ; mais il ajoute quelque chose à la signification de son origine. De plusieurs êtres qui se succedent dans un certain espace de tems ou d'étendue, on appelle premier (primus) celui qui est à la tête de la succession, qui la commence ; mais on appelle primitif, celui qui commence une succession issue de lui. Ainsi dans l'ordre des tems, le consulat de L. Junius Brutus & de L. Tarquinius Collatinus, est le premier des consulats de la république romaine ; & dans l'ordre de plusieurs êtres coexistans en une même étendue, les deux arbres, l'un à droite & l'autre à gauche, qui commencent l'avenue qui fait face au château de Versailles, sont les premiers chacun dans leur rangée ; en partant de Versailles, les deux qui sont à l'autre bout de l'avenue sont les premiers en y arrivant de Paris. Mais Adam est non seulement le premier des hommes, il est encore l'homme primitif, parce que ceux qui sont venus après lui sont issus de lui.
C'est à-peu-près dans ce sens que les Grammairiens entendent ce terme, quand ils parlent d'une langue primitive, d'un mot primitif.
La langue primitive est non seulement celle que parlerent les premiers hommes, mais encore celle dont tous les idiomes subséquens ne sont en quelque sorte que diverses réproductions sous différentes formes. Voyez LANGUE.
Un mot primitif, est un mot dont d'autres sont formés, ou dans la même langue, ou dans des langues différentes. Par exemple, primitif vient de primus ; primus vient de l'ancien adjectif latin pris, dont il est le superlatif ; & pris vient du grec , fidelement rendu & presque conservé dans prae : ainsi le mot grec , est primitif à l'égard de pris, de primus, & de primitif même ; pris est dans le même cas à l'égard des deux derniers ; & premier à l'égard du dernier seulement.
Quelquefois on entend seulement par primitif, un mot qui n'est dérivé d'aucun autre ; tels sont tous ceux que l'on doit à l'Onomatopée, voyez ONOMATOPEE, & la plûpart des noms monosyllabes de plusieurs êtres physiques, sur-tout dans les langues anciennes.
Mais à prendre la chose en rigueur, ces mots-là même ont encore une origine antérieure : il est évident que ceux de l'Onomatopée sont dérivés des bruits naturels ; & souvent ceux des êtres physiques, quoique simples en apparence, ont encore trait à quelque qualité sensible, reconnue antérieurement en d'autres êtres : ensorte que l'on peut regarder comme générale la maxime de Varron (L. L. lib. VII.), ut in omnibus quaedam sunt cognationes & gentilitates, sic in verbis. Voyez ETYMOLOGIE, FORMATION, DERIVE, RACINE. (B. E. R. M.)
PRIMITIF, adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui se rapporte au premier état d'une chose, comme l'église primitive ou ancienne, l'état primitif d'un monastere.
Le curé primitif d'une église est celui qui dans l'origine en faisoit véritablement toutes les fonctions, au-lieu que présentement il n'a plus le titre de curé que ad honores, les fonctions étant faites ordinairement par un vicaire perpétuel. Voyez CURE PRIMITIF & VICAIRE PERPETUEL.
On appelle titre primitif, le premier titre constitutif de quelque établissement ou de quelque droit. (A)
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PRIMOGÉNITURE | DROIT DE, (Droit natur.) Droit contraire à la nature. C'est l'esprit de vanité, dit l'auteur des lettres persanes, qui a introduit chez les Européens l'injuste droit d'aînesse, si défavorable à la propagation, en ce qu'il porte l'attention du pere sur un seul de ses enfans, & détourne ses yeux de tous les autres ; en ce qu'il l'oblige, pour rendre solide la fortune d'un seul, de s'opposer à l'établissement de plusieurs ; enfin en ce qu'il détruit l'égalité des citoyens qui en fait toute l'opulence.
Il est certain que par-tout où regne cette coutume de favoriser l'aîné, au point de vouloir soutenir les familles par la division inégale des biens paternels, elle est une source d'oisiveté pour les aînés, & empêche le mariage des cadets, qui, élevés de la même maniere que leurs aînés, veulent les imiter dans leur faste, & pour y parvenir deviennent autant de célibataires. Cet usage, qui des monarchies a passé à Venise, est une des causes visibles de la dépopulation & de la décadence de cette république. Il en arriveroit la même chose en Angleterre, si les cadets de famille n'embrassoient de bonne heure des professions qui les rendent des citoyens industrieux & utiles à la patrie.
On ne doit point citer en faveur des droits de la primogéniture, l'usage de plusieurs peuples de l'antiquité. Chez ces peuples, l'aîné étoit regardé comme le chef & le prêtre de la famille, & s'il héritoit d'une double portion des biens paternels, cette double portion devoit servir à faire les frais des festins & des sacrifices.
On peut cependant lire sur cette matiere une dissertation de M. Buddeus, intitulée de successione primogenitorum : c'est la troisieme de ses selecta juris nat. & gentium. Cette dissertation n'est pas à la vérité trop philosophique, mais elle est très-savante. (D.J.)
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PRIMORDIAL | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui remonte à l'origine d'une chose. Ainsi le titre primordial, est le premier titre constitutif de quelque établissement. Voyez TITRE. (A)
PRINCE, en terme de politique, signifie une personne revêtue du suprème commandement sur un état ou un pays, & qui est indépendant de tout autre supérieur. Voyez SOUVERAIN, MONARQUE, ROI.
Prince se dit aussi d'un homme qui commande souverainement à son pays, quoiqu'il ait un supérieur à qui il paye tribut ou rend hommage.
Tous les princes d'Allemagne sont feudataires de l'empereur, & cependant ils sont aussi absolus dans leurs états que l'empereur l'est dans les siens ; mais ils sont obligés à donner certains secours d'argent & de troupes. Voyez EMPEREUR, ÉLECTEUR & COLLEGE ELECTORAL.
Prince, dans les anciens actes publics, ne signifioit que seigneur. Ducange a donné un grand nombre de preuves de cet usage : en effet, le mot latin princeps, d'où on forme prince en françois, signifie dans son origine premier, chef ; il est composé du latin primus, premier, & caput, tête. C'est proprement un titre de dignité & de charge, & non de domination & de souveraineté.
Sous Offa, roi d'Angleterre, les princes signoient après les évêques ; ainsi on lit Brordanus patritius, Binnanus princeps, & les ducs signoient après eux. Et dans une charte du roi Edgar, Mons. angl. t. III. p. 301, ego Edgarus rex rogatus ab episcopo meo de Wolfe & principe meo Aldredo. Et dans Matthieu Paris, p. 155, ego Hulden princeps regis, pro viribus, assensum prebeo : & ego Turketillus dux, concedo.
Prince est aussi le nom de ceux qui sont de la famille royale. Voyez FILS ou FILLE. Dans ce sens, on les appelle particulierement en France princes du sang, comme étant de la famille à laquelle la souveraineté est attachée, quoiqu'ils n'en soyent pas toujours & prochainement les héritiers présomptifs.
En Angleterre, les enfans du roi sont appellés fils & filles d'Angleterre ; le fils aîné est nommé prince de Galles ; les autres enfans sont créés ducs ou comtes, sous le titre qu'il plaît au roi : ils n'ont point d'apanage comme en France, mais ils tiennent ce qu'ils ont des bienfaits du roi. Voyez APANAGE.
Les fils sont tous conseillers d'état par le droit de naissance, & les filles princesses ; c'est un crime de haute trahison de violer la fille aînée du roi d'Angleterre.
On donne le titre d'altesse royale à tous les enfans du roi ; les sujets se mettent à genoux quand ils sont admis à leur baiser la main, & ils sont servis à table à genoux comme le roi.
Le premier prince du sang en France s'appelle monsieur le prince dans la branche de Condé, & monsieur le duc d'Orléans dans celle d'Orléans. Le frere du roi est toujours premier prince du sang. La qualité de prince du sang donne le rang & la préséance, mais elle ne renferme aucune jurisdiction ; ils sont princes par ordre & non par office.
Wiquefort observe qu'il n'y avoit de son tems qu'environ cinquante ans que les princes du sang de France donnoient le pas aux ambassadeurs, même à ceux des républiques, & ce n'est que depuis les requisitions des rois qu'ils leur ont donné la préséance.
Dès que le pape est élu, tous ses parens deviennent princes. Voyez PAPE & NEPOTISME.
Le prince de Galles au moment de sa naissance est duc de Cornouailles ; & immédiatement après qu'il est né, il est mis en possession des droits & revenus de ce duché, & il est conseiller d'état. Quand il a atteint l'âge requis, il est ensuite fait prince de Galles. La cérémonie de l'investiture consiste dans l'imposition du bonnet de l'état, de la couronne, de la verge d'or & de l'anneau. Il prend possession de cette principauté en vertu des patentes accordées à lui & à ses héritiers par les rois d'Angleterre.
Ce titre & cette principauté furent donnés par le roi Henri III. à Edouard son fils aîné ; jusques-là les fils aînés des rois d'Angleterre étoient appellés lords-princes. Quand la Normandie étoit du domaine d'Angleterre, ils avoient le titre de duc de Normandie, depuis ce tems-là il a le titre de prince de la grande Bretagne.
Ils sont considérés dans les lois comme le roi même ; conspirer leur mort ou en violer les soeurs, est un crime de haute trahison.
Les revenus du duché de Cornouailles sont de 14000 liv. par an, & ceux de la principauté étoient il y a trois cent ans de 4680 liv. de rente.
PRINCE, princeps, (Théol.) dans l'Ecriture & parmi les Juifs modernes, se prend en divers sens ; & quelquefois pour le principal & le premier. Ainsi l'on dit, les princes des familles, des tribus, des maisons d'Israël, les princes des lévites, les princes du peuple, les princes des prêtres, les princes de la synagogue ou de l'assemblée, les princes des enfans de Ruben, de Juda, &c. Souvent il se prend aussi pour le roi, le souverain du pays, & pour ses principaux officiers : ainsi l'on dit, les princes de l'armée de Pharaon, Phicol prince de l'armée d'Abimelech, Putiphar étoit prince des bouchers ou des gardes du roi d'Egypte, Joseph se trouva en prison avec le prince des pannetiers, & ainsi des autres.
PRINCE DES PRETRES marque quelquefois le grand-prêtre qui est actuellement en exercice, comme dans S. Matth. chap. xxvj. vers. 58. ou celui qui avoit autrefois rempli cette dignité, comme dans les actes des apôtres, chap. iv. vers. 6. Quelquefois celui qui étoit à la tête des prêtres servant dans le temple, Jérém. xx. 1. ou un intendant du temple, ou les chefs des familles sacerdotales, d'où vient qu'il est si souvent parlé dans l'Evangile des princes des prêtres au pluriel.
PRINCE DE LA VILLE, princeps civitatis, dans le second livre des Paralip. chap. xviij. vers. 25. & chap. xxxiv. vers. 8. c'étoit un magistrat qui avoit dans la ville la même autorité que l'intendant du temple exerçoit dans le temple. Il veilloit à la conservation de la paix, du bon ordre & de la police.
PRINCE DE LA SYNAGOGUE, dans l'ancien Testament, Exod. xxxiv. vers. 5. Num. iv. vers. 34. signifie ceux qui présidoient aux assemblées du peuple, les principaux des tribus & des familles d'Israël. Mais dans le nouveau, le prince de la synagogue est celui qui préside aux assemblées de religion qui se font dans les synagogues, comme il paroît par S. Luc, chap. viij. vers. 41. & par les actes, chap. xiij. vers. 15. & chap. xviij. vers. 17. C'est ce que les Juifs appelloient nasi de la synagogue. Il avoit quelques associés, qu'on appelloit les princes de la synagogue, Act. xiij. vers. 15. Voyez NASI, ARCHISYNAGOGUS & SYNAGOGUE.
PRINCE DE CE MONDE, est le nom que S. Jean donne assez souvent au diable, comme c. xij. 31. c. xiv. 30. c. xvj. 11. parce que cet esprit de ténebres se vante d'avoir en sa disposition tous les royaumes de la terre, Matth. c. iv. vers. 9.
PRINCES DE LA CAPTIVITE, on donne ce nom à ceux d'entre les Juifs vivant au-delà de l'Euphrate, qui présidoient à leurs compatriotes captifs en ce pays-là sous la domination des Perses. On trouve dans le dictionnaire de la bible du P. Calmet une suite de ces princes de la captivité tiré du Seder-olam-Zutha ou petite chronique des Juifs, & elle en comprend quarante-un depuis Jéchonias emmené par Nabuchodonosor jusqu'à Azarias, long-tems après la ruine de Jérusalem par Tite. Mais, comme le remarque cet auteur, cette succession est fort suspecte, pleine de fautes d'anachronismes ; elle n'est appuyée sur aucun auteur ancien, on croit même qu'elle n'a commencé que 220 ans après Jesus-Christ. Au reste le titre fastueux de prince de la captivité n'en doit imposer à personne, puisque les chefs des synagogues d'Allemagne & de quelques provinces d'Italie prennent bien le nom de ducs ou de princes des Juifs, sans en être plus libre ou avoir réellement plus d'autorité. Calmet, dictionnaire de la Bible, tome III. p. 285 & 286.
PRINCE DE LA JEUNESSE, (Histoire romaine) les empereurs ayant réuni à leur suprème dignité celle de censeur, il n'y eut plus de prince du sénat, ni des chevaliers ; mais Auguste en renouvellant les jeux troyens, prit, pour les exécuter, les enfans des sénateurs qui avoient le rang de chevaliers, choisit un de sa famille qu'il mit à leur tête, le nomma prince de la jeunesse, & le désigna son successeur. Ce titre de prince de la jeunesse semble dans tout le haut empire n'avoir appartenu qu'aux jeunes princes qui n'étoient encore que césars ; Valérien paroît être le premier, du-moins sur les médailles duquel on trouve princeps juventutis, au revers d'une tête qui porte pour légende imperator ; mais dans le bas empire, on en a cent exemples. (D.J.)
PRINCE, princeps, (Art militaire des Romains) c'est le nom d'une des quatre sortes de soldats qui composoient les légions. Après les hastaires étoient les soldats qu'on appelloit princes, d'un âge plus avancé, pesamment armés comme les précédens, ayant pour armes offensives l'épée, le poignard, & de gros dards. Ils commençoient par lancer leurs traits, & se servoient ensuite de leur épée en s'avançant contre l'ennemi. Voyez LEGION.
PRINCE DU SENAT, (Histoire romaine) c'étoit celui que le censeur lisant publiquement la liste des sénateurs, nommoit le premier, princeps senatus dictus fuit is qui in lectione senatûs, quae per censores peracto censu, fiebat, primo loco recitabatur, dit Rosin. Il est appellé dans les auteurs tantôt princeps senatus ou princeps in senatu, tantôt princeps civitatis ou totius civitatis, quelquefois patriae princeps, & même quelquefois simplement princeps aussi-bien que les empereurs.
Sa nomination dépendoit ordinairement du choix du censeur, qui à la vérité ne déféroit ce titre honorable qu'à un ancien sénateur, lequel avoit été déja honoré du consulat ou de la censure, & que sa probité & sa sagesse avoient rendu recommandable. Il jouissoit toute sa vie de cette prérogative.
Le titre de prince du sénat étoit tellement respecté, que celui qui l'avoit porté étoit toujours appellé de ce nom par préférence à celui de toute autre dignité dont il se seroit trouvé revêtu. Il n'y avoit cependant aucun droit lucratif attaché à ce beau titre, & il ne donnoit d'autre avantage qu'une autorité qui sembloit naturellement annoncer un mérite supérieur dans la personne qui en étoit honorée.
Cette distinction avoit commencé sous les rois. Le fondateur de Rome s'étoit réservé en propre le choix & la nomination du principal sénateur qui dans son absence devoit présider au sénat. Quand l'état devint républicain, on voulut conserver cette dignité.
Depuis l'institution des censeurs, il passa en usage de conférer le titre de prince du sénat au sénateur le plus vieux & de dignité consulaire, mais dans la derniere guerre punique un des censeurs soutenant avec fermeté que cette regle établie dès le commencement de la république devoit être observée dans tous les tems, & que T. Manlius Torquatus devoit être nommé prince du sénat, l'autre censeur s'y opposa, & dit que puisque les dieux lui avoient accordé la faveur de réciter les noms des sénateurs inscrits sur la liste, il vouloit suivre son propre penchant, & nommer le premier Q. Fabius Maximus qui, suivant le témoignage d'Annibal lui-même, avoit mérité le titre de prince du peuple romain.
Au reste, quelque grands, quelque respectés que fussent les princes du sénat, il paroît que l'histoire n'en nomme aucun avant M. Fabius Ambustus qui fut tribun militaire l'an de Rome 386. Nous ignorerions même qu'il a été prince du sénat, si Pline, l. VII. c. xlij. n'avoit observé comme une singularité très-glorieuse pour la maison Fabia, que l'ayeul, le fils & le petit-fils eurent consécutivement cette primauté, tres continui principes senatus.
Il seroit difficile de former une suite des princes du sénat depuis les trois Fabius dont Pline fait mention. M. l'abbé de la Bletterie, dans un mémoire sur ce sujet, inséré dans le recueil de littérature, tome XXIV. reconnoît, après bien des recherches historiques, que l'entreprise de former cette suite seroit vaine. Comme les princes du sénat n'avoient en cette qualité aucune part au gouvernement, on doit être un peu moins surpris que les historiens ayent négligé d'en marquer la succession. D'ailleurs pas une histoire complete de la république romaine ne s'est sauvée du naufrage de l'antiquité. Tite-Live ne parle point des princes du sénat dans sa premiere décade : nous ignorons s'il en parloit dans la seconde ; le plus ancien qu'il nomme dans la troisieme, c'est Fabius Maximus choisi l'an de Rome 544. Dans les quinze derniers livres qui nous restent de ce fameux historien, les successeurs de Fabius Maximus sont indiqués, savoir en 544, Scipion le vainqueur d'Annibal ; en 570, L. Valerius Flaccus alors censeur, qui fut choisi par Caton son collegue dans la censure ; Emilius Lépidus fut nommé l'an 574. Il semble que l'élection de Fabius Maximus ayant introduit l'usage de conférer le titre de prince du sénat, non comme autrefois à l'ancienneté, mais au mérite, Tite-Live s'étoit imposé la loi de marquer ceux qui l'avoient reçu depuis cette époque. En effet, la suite en devenoit alors beaucoup plus intéressante, parce qu'elle faisoit connoître à qui les Romains avoient de siecle en siecle adjugé le prix de la vertu.
Il est donc à présumer que nous en aurions une liste complete depuis Fabius Maximus jusqu'aux derniers tems de la république, si nous avions l'ouvrage de Tite-Live tout entier. Mais on ignore quel fut le successeur d'Emilius Lépidus mort en 601 ; c'est le dernier dont il soit fait mention dans Tite-Live, qui nous manque à la fin du sixieme siecle de Rome. Nous trouvons Cornelius Lentulus en 628, Métellus le macédonique en 632, Emilius Scaurus en 638, & celui-ci vivoit encore en 662 ; à Scaurus succéda peut-être l'orateur Antoine, que Marius fit égorger en 666. L. Valerius Flaccus fut nommé l'année suivante, Catullus en 683.
Les vuides qui se trouvent dans cette liste peuvent être attribués avec assez de vraisemblance à la disette d'historiens. Mais on doit, ce me semble, chercher une autre raison de celui qui se rencontre depuis la mort de Catullus, arrivée au plus tard en 693 jusqu'à César Octavien, choisi l'an de Rome 725. Je crois que dans cet intervalle le titre de prince du sénat demeura vacant. Pour ces tems-là, nous avons l'histoire de Dion Cassius. Il nous reste beaucoup d'auteurs contemporains & autres, dont les ouvrages nous apprennent dans un très-grand détail les évenemens des trente dernieres années de la république. Si Catullus eut des successeurs, comment aucun d'eux n'est-il marqué nulle part, pas même dans Cicéron, dont les écrits, & sur-tout ses lettres, sont une source intarissable de ces sortes de particularités ?
On trouve, il est vrai, çà & là certaines expressions qui semblent insinuer que Crassus & Pompée furent princes du sénat. Par exemple, dans Velleius Paterculus, le premier est appellé romanorum omnium princeps ; le second princeps romani nominis, dans le même historien ; omnium saeculorum & gentium princeps, dans Cicéron, qui, par reconnoissance & par politique, a plus que personne encensé l'idole dont il connoissoit le néant. Toutefois ces expressions & d'autres semblables prouvent simplement la supériorité de puissance que Pompée & Crassus avoit acquise, & nous ne devons pas en conclure qu'ils ayent été princes du sénat. Pour le dernier, il falloit avoir exercé la censure, ou du-moins l'exercer actuellement ; or Pompée n'a jamais été censeur.
On convient que les usages & les lois même ne tenoient point devant l'énorme crédit de Pompée. On lui prodiguoit les dispenses ; mais les auteurs ont pris soin de remarquer celles qui lui furent accordées. Ils les rapportent tantôt comme les preuves du mérite qu'ils lui supposent, tantôt comme les effets de son bonheur, de ses intrigues, du fanatisme de la nation. Pourquoi la dispense dont il s'agit leur auroit-elle échappée ? Sommes-nous en droit de la supposer malgré leur silence ? Il est si profond & si unanime qu'il vaut presque une démonstration. Crassus avoit été censeur, mais aucun auteur ne dit qu'il ait été prince du sénat. Parmi les titres, soit anciens, soit nouveaux que l'on accumula sur la tête de César depuis qu'il eut opprimé sa patrie, nous ne lisons point celui de prince du sénat.
Il est très-vraisemblable que pendant les trente années qui s'écoulerent depuis la mort de Catullus jusqu'au sixieme consulat d'Octavien, la place de prince du sénat demeura vacante. Après la mort de Catullus, la place de prince du sénat ne put être remplie pendant les dix années suivantes. Appius Claudius & Lucius Pison furent élus en 703, & ce furent les derniers qui du tems de la république ayent exercé la censure.
Le jeune César ayant réuni dans sa personne toute la puissance des triumvirs, projetta de la déguiser sous des titres républicains. Lorsqu'il eut formé son plan, il jugea que le titre de prince du sénat, princeps, marquant le suprême degré du mérite, seroit le plus convenable pour servir de fondement aux autres ; il fut nommé prince du sénat, dit Dion, conformément à l'usage qui s'étoit observé, lorsque le gouvernement populaire subsistoit dans toute sa vigueur. Tous les pouvoirs qui lui furent alors confiés & ceux qu'il reçut dans la suite, il ne les accepta que comme prince du sénat, & pour les exercer au nom de la compagnie dont il étoit chef. Cuncta discordiis fessa, dit Tacite, nomine principis sub imperium accepit. A l'exemple de ceux qui avoient été princes du sénat avant lui, il se tint plus honoré de ce titre que d'aucun autre. C'étoit un titre purement républicain, & qui ne portant par lui-même nulle idée de jurisdiction ni de puissance, couvroit ce que les autres pouvoient avoir d'odieux par leur réunion & par leur continuité. (D.J.)
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PRIN-FILÉ | S. m. (Manufacture de tabac) ce mot signifie le filage le plus fin qui se puisse faire avec des feuilles de tabac sans corde ; les deux autres sont le moyen-filé & le gros-filé. Dictionn. du Commerce.
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PRINCE-MÉTA | ou TOMBAC, (Métallurgie) on l'appelle aussi métal du prince, parce que le prince palatin Robert l'apporta en Angleterre. C'est un alliage composé de six parties de laiton ou cuivre jaune, & d'une partie d'étain. Cette composition est d'un jaune qui imite assez l'or, mais elle noircit à l'air, & se couvre du verd-de-gris. Voyez TOMBAC.
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PRINCESSE | S. f. (Grammaire) fille née d'un prince.
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PRINCIER | S. m. (Jurisprud.) que l'on écrivoit autrefois primcier du latin primicerius, est la même dignité qu'on appelle ailleurs primicier, & en d'autres endroits doyen ou prevôt ; c'est le premier dignitaire d'un chapitre. La dignité de princier subsiste encore à Metz ; on assûre qu'elle est aussi actuellement comptée parmi celles de Milan & de l'église de Venise, & que ce sont les trois seules églises où l'on voye aujourd'hui un princier ; car la princerie de Verdun fut supprimée en 1387. Voyez l'histoire de Verdun, p. 10 & 14, & ci-devant le mot PRIMICIER.
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PRINCIPAL | E, adj. (Gram.) on appelle en grammaire proposition principale, une proposition complexe comparée dans sa totalité avec une autre proposition qu'elle renferme comme partie complétive de son sujet ou de son attribut, & qui prend alors le nom de proposition incidente. Ainsi ces deux mots sont corrélatifs : la proposition totale n'est principale qu'à l'égard de l'incidente ; & la partielle n'est incidente qu'à l'égard de la principale. Exemple : les preuves dont on appuye la vérité de la religion chrétienne sont invincibles ; cette proposition totale est principale, si on la compare à l'incidente qui est, dont on appuye la vérité de la religion chrétienne ; hors de la comparaison, elle n'est qu'une proposition complexe. Voyez PROPOSITION & INCIDENTE. (B. E. R. M.)
PRINCIPAL, adj. (Géom.) l'axe principal d'une ellipse est son grand axe, ou celui qui la traverse dans sa plus grande longueur. Voyez ELLIPSE.
L'axe principal d'une hyperbole est la ligne DK, Pl. conic. fig. 17. laquelle ligne coupe la courbe dans ses deux sommets D & K. Voyez HYPERBOLE. (O)
PRINCIPAL, pris substantivement, (Arith. & Com.) se dit d'une somme prêtée, sans avoir égard aux intérêts. Voyez INTERET. Ainsi, soit a une somme prêtée, qui, dans un tems quelconque, comme dans un an, doive produire l'intérêt m ; par exemple 1/20, a est appellé le principal, & la somme a + m dûe à la fin de l'année, est composée du principal & de l'intérêt. Voyez INTERET, ESCOMPTE, ARRERAGE.
PRINCIPAL, adj. se dit de la plus considérable & la plus nécessaire partie de quelque chose.
Ainsi, l'on appelle le maire d'une ville le principal magistrat ; & les magistrats eux-mêmes en sont les principaux citoyens, ou, comme on dit communement, les principaux d'une ville.
Un conseil de guerre est composé des principaux officiers assemblés. Dans la péroraison d'un discours, le principal point sur lequel on insiste, est celui qui renferme tous les autres, ou du moins auquel tous les autres se rapportent.
Il est important dans l'examen d'une affaire, de bien distinguer ce qui est principal d'avec ce qui n'est qu'accessoire. Voyez ACCESSOIRE.
PRINCIPAL, (Jurisprud.) se dit de ce qui est le plus important & le plus considérable d'entre plusieurs personnes ou entre plusieurs choses. On distingue le principal de ce qui est accessoire. Ce principal peut être sans les accessoires ; mais les accessoires ne peuvent être sans le principal ; par exemple, dans un héritage le fond est le principal, les fruits sont l'accessoire.
Principal d'une cause, c'est le fond considéré relativement à l'incidente. Voyez ci-dessus CAUSE & EVOCATION.
Principal commis du greffe, est un officier qui tient la plume pour le greffier en chef à sa décharge ; ces sortes d'officiers prennent ordinairement le titre de greffiers ; cependant ils ne sont vraiment que principaux commis.
Principal héritier, est celui auquel on assure la plus grande partie de ses biens. Voyez HERITIER.
Principal manoir, est le lieu seigneurial & le château ou maison qui est destiné dans un fief pour l'habitation du seigneur féodal.
En succession de fief en ligne directe, le principal manoir appartient à l'aîné ; c'est au principal manoir des fiefs dominaux que les vassaux sont obligés de faire la foi. Voyez Paris, art. 13. 17. 18. 63. 64. & 65. & les autres coutumes indiquées par Fortin sur ces articles.
Principal obligé est celui d'entre plusieurs co-obligés que la dette concerne spécialement, & auquel on est d'abord en droit de s'adresser pour le payement. On l'appelle principal obligé pour le distinguer des cautions ou fidejusseurs, dont l'obligation n'est qu'accessoire à l'obligation principale. Voyez CAUTION, FIDEJUSSEUR, OBLIGATION ACCESSOIRE & PRINCIPALE, OBLIGE. (A)
PRINCIPAL d'une rente ou d'une somme, est le fond qui produit des arrérages ou des intérêts : il y a des cas où l'on est en droit d'exiger des intérêts du principal, ou de demander le remboursement. Ils sont expliqués aux mots ARRERAGES, CONTRAT DE CONSTITUTION, INTERETS, REMBOURSEMENT, RENTE.
PRINCIPAL d'un college, c'est celui qui en est le supérieur, qui a la direction générale des études, & l'inspection sur les professeurs dans quelques colleges ; on l'appelle senieur, maître, ou grand-maître.
La place de principal n'est point un bénéfice, & ne se peut résigner.
Les principaux même des petits colleges auxquels il n'y a pas plein exercice, ne doivent, suivant l'ordonnance de Blois, recevoir en leurs colleges aucune autre personne que les étudians & écoliers, ayant maîtres & pédagogues : il est défendu d'avoir des gens mariés, solliciteurs de procès & autres semblables, sous peine de 100 liv. parisis d'amende, & de privation de leurs principaux.
Dans quelque college que ce soit, ils sont obligés de résider en personne, & de remplir les fonctions auxquelles les statuts les obligent, faire lectures, disputes & autres charges contenues dans les statuts. Il leur est défendu de souffrir qu'aucun boursier y demeure plus de tems qu'il n'est porté par les statuts, sous peine de privation de leur principauté, & de s'en prendre à eux en leur propre & privé nom, pour la restitution des deniers qui en auront été perçus par ceux qui auront demeuré dans le college au-delà du tems porté par les statuts.
Ils ne peuvent donner à ferme leurs principautés, ni prendre argent des régens pour leur donner des classes ; mais il leur est enjoint de pourvoir gratuitement les régens desdites classes, selon leur savoir & suffisance, à peine de privation de leur charge & privileges.
Il leur est défendu, sous les mêmes peines, de s'entremettre de solliciter aucun procès.
On ne peut élire à une place de principal un ecclésiastique pourvu d'un bénéfice à charge d'ames, ou qui requiert résidence ; & si après avoir été élu à une telle place il étoit pourvu d'un bénéfice de la qualité que l'on vient de dire, la place de principal deviendra vacante, sans qu'il puisse la requérir. On excepte néanmoins les bénéfices qui sont dans la même ville où est l'université, ou qui en sont à telle distance, que l'on y peut aller & venir en un jour.
Pour ce qui concerne la police des colleges, voyez ci-devant COLLEGE, & l'ordonnance de Blois, art. 62. & suivans. (A)
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PRINCIPALE | FIGURE, (Peint.) c'est celle qui est le sujet d'un tableau ; cette figure doit tenir la premiere place dans une composition, & ne doit point être, je ne dirai pas éteinte, mais même obscurcie par aucune autre figure. Voyez TABLEAU. (D.J.)
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PRINCIPALITÉ | S. f. (Gram.) dignité du principal. Voyez PRINCIPAL.
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PRINCIPAT | S. m. (Gram.) titre que l'on donne à certains pays ; on dit le principat de Catalogne.
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PRINCIPAUTÉ | S. f. (Gram.) souveraineté ; comme dans ces phrases, il aspiroit à la principauté ; les principautés d'Orient sont absolues. C'est aussi la terre ou seigneurie qui donne le titre de prince.
PRINCIPAUTES, s. f. (Théol.) troisieme classe de la hiérarchie des anges.
PRINCIPAUTE CITERIEURE, (Géog. mod.) province d'Italie, au royaume de Naples, bornée au midi & au couchant par la mer, au nord par la principauté ultérieure, & au levant par la Basilicate. Elle a 75 milles de longueur, & 50 de largeur. Elle faisoit autrefois partie de la principauté de Capoue, & aujourd'hui elle fait partie de la terre de Labour. Salerne en est la capitale. (D.J.)
PRINCIPAUTE ULTERIEURE, (Géog. mod.) province d'Italie, au royaume de Naples, bornée au nord par le comté de Molise & la Capitanate, au midi par la principauté citérieure, au levant par la Capitanate & la Basilicate, & au couchant par la terre de Labour. Elle a 30 milles du nord au sud, & 50 du levant au couchant. Bénevent est la capitale.
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PRINCIPES | PREMIERS. Les premiers principes, autrement les premiéres vérités, sont des propositions si claires, qu'elles ne peuvent être prouvées ni combattues par des propositions qui le soyent davantage. On en distingue de deux sortes ; les uns sont des principes universels, & on leur donne communément le nom d'axiomes ou de maximes. Voyez AXIOMES. Les autres sont des principes particuliers, & ils retiennent seulement le nom de premiers principes.
Les premiers principes peuvent être envisagés ou du côté des vérités internes, ou du côté des vérités externes. Considérés sous le premier rapport, ils ne nous menent qu'à une science purement idéale, & par conséquent ils sont peu propres à éclairer notre esprit. Voyez AXIOMES, où nous prouvons combien ils ont peu d'influence pour étendre nos connoissances. Considérés sous le second rapport, ils nous conduisent à la connoissance de plusieurs objets qui ont une existence indépendante de nos pensées.
Les premiers principes ont des marques caractéristiques & déterminées, auxquelles on peut toujours les connoître.
Le premier de ces caracteres est, qu'ils soyent si clairs, qu'on ne puisse les prouver par des vérités antérieures & plus claires.
2°. D'être si universellement reçus parmi les hommes en tout tems, en tous lieux, & par toutes sortes d'esprits, que ceux qui les attaquent se trouvent dans le genre humain être manifestement moins d'un contre cent, ou même contre mille.
3°. D'être si fortement imprimés dans nous, que nous y conformions notre conduite, malgré les raffinemens de ceux qui imaginent des opinions contraires ; & qui eux-mêmes agissent conformément, non à leurs opinions imaginées, mais aux premiers principes, qu'un certain air de singularité leur fait fronder. Il ne faut jamais séparer ces trois caracteres réunis ; ils forment une conviction si pleine, si intime & si forte, qu'il est impossible de balancer un instant à se rendre à leur persuasion.
Les premiers principes ont leur source ou dans le sentiment de notre propre existence, & de ce que nous éprouvons en nous-mêmes, ou dans la regle du sens commun. Toute connoissance qui se tire du sentiment intime, ou qui est marquée au sceau du bon sens, peut incontestablement être regardée comme un premier principe. Voyez SENTIMENT INTIME & SENS COMMUN.
Mais s'il y a plusieurs premiers principes, comment accorder cela avec le premier principe de connoissance philosophique, dont on parle si fort dans les écoles ? Pour résoudre cette question, il est nécessaire de connoître ce que les Philosophes entendent par le premier principe de connoissance. Et pour le bien comprendre, il faut observer qu'il y a deux sortes de connoissances, les unes philosophiques & les autres populaires. Les connoissances populaires se bornent à connoître une chose, & à s'en assurer ; au lieu que les connoissances philosophiques, outre la certitude des choses qu'elles renferment, s'étendent encore jusqu'aux raisons pour quoi les choses sont certaines. Un homme qui ignore la philosophie, peut bien, à la vérité, s'instruire par l'expérience de beaucoup de choses possibles ; mais il ne sauroit rendre raison de leur possibilité. L'expérience nous dit bien qu'il peut pleuvoir ; mais ne nous dit point pourquoi il pleut, ni comment il pleut.
Ces choses supposées, quand on demande s'il y a un premier principe de connoissance philosophique, c'est comme si l'on demandoit s'il y a un principe qui puisse rendre raison de toutes les vérités qu'on connoît. Ce premier principe peut être considéré de deux manieres différentes, ou comme principe qui prouve, ou comme principe qui détermine à croire. Il est évident qu'il n'y a point de premier principe qui prouve, c'est-à-dire, qui serve de moyen pour connoître toutes les vérités ; puisqu'il n'y en a point, quelque fécond qu'il soit en conséquences, qui, dans sa fécondité prétendue, n'ait des bornes très-étroites, par rapport à cette foule de conclusions, à cet enchaînement de vérités qui forment les systèmes avoués de la raison. Le sens de la question est donc de savoir, s'il y a en philosophie un premier principe qui détermine à croire, & auquel on puisse ramener toutes les vérités naturelles, comme il y en a un en théologie. Ce premier principe, qui sert de base à toute la théologie est celui-ci, tout ce que Dieu a révélé est très-certain. Il seroit également aisé d'assigner le premier principe de connoissance philosophique, si les philosophes, contens des difficultés que leur fournit la nature des choses, n'avoient pas pris plaisir à s'en faire où il n'y en a point, & à obscurcir par leurs subtilités, ce qui est si clair de soi-même. Ils sont aussi embarrassés à trouver ce principe, qu'à lui assigner les marques auxquelles on doit le reconnoître.
Les uns font cet honneur à cette fameuse proposition, si connue dans les écoles, il est impossible qu'une chose soit & ne soit pas en même tems.
Quelques autres veulent que Descartes ait posé pour premier principe cette proposition, je pense, donc je suis.
Il y en a d'autres qui citent ce principe, Dieu ne peut nous tromper ni être trompé. Plusieurs se déclarent pour l'évidence, mais ils n'expliquent point ce que c'est que cette évidence.
On exige ordinairement pour le premier principe de la philosophie trois conditions. La premiere, qu'il soit très-vrai, comme s'il pouvoit y avoir des choses plus ou moins vraies : la seconde, qu'il soit la plus connue de toutes les propositions, comme si ce qui se connoît par la réflexion qu'on fait sur des idées, étoit toujours ce qu'il y a de plus connu : la troisieme, qu'il prouve toutes les autres vérités, comme si ce principe universel pouvoit exister. Il est plus conforme à la raison de n'exiger que ces deux conditions ; savoir, 1°. qu'il soit vrai ; 2°. qu'il soit la derniere raison qu'on puisse alléguer à un homme, qui vous demanderoit pourquoi vous êtes certain philosophiquement de la vérité absolue & relative des êtres. J'entends par la vérité absolue des êtres ce qu'ils sont en eux-mêmes ; & par la vérité relative, ce qu'ils sont par rapport à nous, je veux dire, la maniere dont ils nous affectent.
Ces deux conditions sont comme la pierre de touche, par le moyen de laquelle on peut connoître quel est le premier principe de toutes les connoissances philosophiques. Il est évident qu'il n'y a que cette proposition : on peut assurer d'une chose tout ce que l'esprit découvre dans l'idée claire qui la représente, qui puisse soutenir cette épreuve ; puisque la derniere raison que vous puissiez alléguer à un homme qui vous demanderoit pourquoi vous êtes certain philosophiquement de la vérité tant absolue que relative des êtres, est celle-ci, la chose est telle, parce que je le conçois ainsi.
Descartes n'a jamais cru, comme quelques-uns lui imputent, que cet enthymême, je pense, donc je suis, fût le premier principe de toute connoissance philosophique. Il a seulement enseigné que c'étoit la premiere vérité qui se présentoit à l'esprit, & qui le pénétrât de son évidence. Ecoutons-le s'expliquer lui-même. " Je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraye & certaine : car puisque je venois d'en trouver une que je savois être telle, je pensai que je devois savoir aussi en quoi consiste cette certitude ; & ayant remarqué qu'il n'y a rien du tout en ceci, je pense, donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon que je vois très-clairement que pour penser il faut être ; je jugeai que je pouvois prendre pour regle générale que les choses que nous concevons fort clairement & fort distinctement, sont toutes vraies ". Or de ce que Descartes a enseigné que cette proposition, je pense, donc je suis, étoit la premiere qui s'emparât de l'esprit lorsqu'il vouloit mettre de l'ordre dans ses connoissances, il s'ensuit qu'il ne l'a jamais regardée comme le premier principe de toute connoissance philosophique ; puisque ce principe ne vient que de la réflexion qu'on fait sur cette premiere proposition. Aussi, dit-il, qu'il n'est assuré de la vérité de cette proposition, je pense, donc je suis, que parce qu'il voit très-clairement que pour penser il faut être ; aussi prend-il pour regle générale de toutes les vérités cette proposition, on peut assurer d'une chose tout ce que l'esprit découvre dans l'idée claire qui la représente ; ou celle-ci qui revient au même, tout ce que l'on connoît est très-certain.
Il faut observer que le premier principe de connoissance philosophique ne nous rend pas précisément certains de la vérité des premiers principes, ils portent tous avec eux leur certitude, & rien n'est plus connu qu'eux. Peut-il y avoir un principe plus clair, plus plausible, plus immédiat, plus intime à l'esprit que le sentiment intime de notre existence dont nous sommes pénétrés ? Le premier principe se réduit donc seulement à nous rendre raison, pourquoi nous sommes certains de la vérité des premiers principes.
PRINCIPE, s. m. (Phys.) on appelle principe d'un corps naturel, ce qui contribue à l'essence d'un corps, ou ce qui le constitue primitivement. Voyez CORPS.
Pour avoir une idée d'un principe naturel, il faut considérer un corps dans ses différens états ; un charbon, par exemple, étoit une petite piece de bois ; par conséquent le morceau de bois contient le principe du charbon, &c. Chambers.
PRINCIPES, (Chymie) la maniere dont les Chimistes conçoivent & considerent la composition des sujets chimiques, est exposée dans plusieurs articles de ce Dictionnaire, & principalement dans l'article CHYMIE, & dans l'article MIXTION. Les divers matériaux dont ces corps sont composés, sont leurs principes chymiques : c'est ainsi que le savon étant formé par l'union chymique de l'huile & de l'alkali fixe, l'huile & l'alkali fixe sont les principes du savon.
Mais comme l'huile & l'alkali fixe sont eux-mêmes des corps composés ; que l'huile grasse employée à la préparation du savon vulgaire, par exemple, est formée par l'union de l'huile primitive, (voyez HUILE) & d'une substance mucilagineuse ; que chacune de ces nouvelles substances est composée encore ; l'huile primitive, par exemple, d'acide, de phlogistique, & d'eau, & que cet acide l'est à son tour de terre & d'eau : on peut absolument diviser sous cet aspect les principes des mixtes en principes immédiats ou prochains, & en principes éloignés. Cette maniere d'envisager cet objet n'est pourtant point exacte : car les principes dont les matériaux immédiats d'un certain corps sont formés, n'appartiennent pas proprement à ce corps ; les matériaux de ce corps, soit après, soit avant leur séparation, sont des substances distinctes, dont la connoissance ultérieure peut bien importer à la connoissance très-intime du premier corps, mais n'entre point dans l'idée de sa composition. Au reste, si cette observation est utile pour fixer la meilleure maniere de concevoir la composition des corps chymiques ; elle est bien plus essentielle encore lorsqu'on l'applique à la pratique, qu'on l'employe à éclairer la marche réguliere de l'analyse : car une analyse ne peut être exacte qu'autant qu'elle attaque successivement les divers ordres de composition, qu'elle sépare le savon premierement en huile, & en alkali fixe ; qu'elle prend ensuite l'huile d'un côté, & l'alkali de l'autre ; qu'elle procede sur chacun de ces principes séparément, jusqu'à ce qu'elle soit parvenue à des corps inaltérables, ou qui sont suffisamment connus : car une analyse est complete dès qu'on est parvenu aux principes suffisamment connus, soit absolument, soit relativement au dessein actuel de l'analyste. Ainsi l'analyse du savon seroit achevée dès qu'il seroit résout en huile & en alkali fixe, pour quiconque connoîtroit d'ailleurs l'huile & l'alkali fixe ; on n'auroit pas besoin, relativement à sa recherche présente, d'en déterminer la nature chymique, la composition intérieure. Au contraire, le vice capital de l'analyse chymique, c'est de procéder tumultueusement, d'attaquer pêle-mêle, & tout-d'un-coup, les ordres de principes les plus éloignés ; de décomposer en même tems, dans l'exemple proposé, & l'acide de l'huile, & les principes du même ordre de l'alkali fixe, &c. Cette doctrine est exposée à propos de l'analyse des végétaux à l'article VEGETAL, (Chymie.) Voyez cet article.
Lorsqu'on a admis une fois cette meilleure maniere d'envisager les composés chymiques, & de procéder à leur décomposition, toutes les discussions qui ont divisé les Chymistes sur la doctrine des principes, & dans lesquelles les Physiciens ont aussi balbutié ; toutes ces discussions, dis-je, tombent d'elles-mêmes ; car elles sont toutes nées de la maniere vicieuse de concevoir & d'opérer, qui lui est opposée.
Premierement, c'est parce que la distillation analytique qu'on employa seule pendant long-tems à la décomposition des corps très-composés, savoir les végétaux & les animaux, fournit un petit nombre de principes toujours les mêmes, & dont on ne pouvoit ou ne savoit point reconnoître l'origine, qu'on agita ces problèmes si mal discutés des deux parts ; savoir, si ces produits étoient des principes hypostatiques, ou préexistans dans le mixte, ou bien des créatures du feu ; savoir, s'ils étoient des principes principians ou principiés, c'est-à-dire des corps simples, les vrais élémens, ou des substances composées ; savoir, s'il y avoit trois principes seulement, ou bien cinq, ou bien un seul ; savoir, si tous les mixtes contenoient tous les principes, &c. Encore un coup, toutes ces questions sont oiseuses, dès qu'elles sont fournies par une méthode qu'il faut abandonner. Il faut savoir pourtant sur toute cette fameuse doctrine des trois & des cinq principes, que Paracelse répandit principalement le dogme, que tous les corps naturels sont formés de trois principes, sel, soufre, & mercure, dogme qu'il avoit pris de Basile Valentin, ou de Hollandus, & qui n'avoit été appliqué d'abord qu'aux substances métalliques ; comme le dogme des trois terres de Becher, qui ne sont proprement que ces trois principes sous d'autres noms (Voyez TERRES DE BECHER), que Paracelse, & les Paracelsistes varierent, retournerent, forcerent, détournerent singulierement l'application de ces différens noms aux divers produits de l'analyse des végétaux, & des animaux ; qu'enfin, Willis rendit cette doctrine plus simple, plus soutenable, en ajoutant aux trois principes, au ternaire paracelsique, deux nouveaux principes, le phlegme, ou eau, & la terre, qui s'appella quelquefois damnée, ou caput mortuum, (Voyez CAPUT MORTUUM ) ; que la plus grande puérilité dans laquelle soyent tombés les demi-chymistes, ou les physiciens, qui ont combattu cette doctrine véritablement misérable en soi, c'est d'avoir appliqué bonnement ce nom de mercure ou de soufre, au mercure commun, & au soufre commun ; car quoique la substance désignée par ces expressions, & sur-tout par ce mot mercure, (voyez MERCURE principe) soit très-indéfinie chez les Paracelsistes, il est clair au-moins qu'il ne s'agit point du mercure commun, & beaucoup moins encore du soufre commun. Il est même très-connu, que le soufre retiré par l'analyse à la violence du feu, des végétaux & des animaux, est de l'huile. Ainsi Boyle auroit dû au-moins produire de l'huile, & non pas du soufre vulgaire, pour objecter légitimement aux Chymistes la producibilité de ce principe chymique. Enfin, il est reconnu généralement aujourd'hui que la plûpart de ces produits de l'analyse à la violence du feu, ne sont pas les principes hypostatiques, ou formellement préexistans des végétaux & des animaux d'où on les retire ; mais que les Chymistes très-versés dans la connoissance des principes réels, & préexistans dans ces corps, que l'analyse menstruelle découvre très-évidemment, & dans celle de l'action réciproque de tous ces principes ; ces Chymistes, dis-je, connoissent très-bien l'origine de tous ces divers produits ; ils savent quels d'entr'eux proviennent du premier ordre de composition, où étoient principes véritablement immédiats, hypostatiques, constituans ; quels autres sont des débris de tel ou de tel principe immédiat ; quels autres sont dûs à des combinaisons nouvelles, &c. & que cette théorie très transcendante, & qui jusqu'à présent n'a pas été publiée, est une de ces subtilités de pure spéculation, & de l'ordre des problèmes très-compliqués sur les objets scientifiques de tous les genres, qui n'ont d'autre mérite que celui de la difficulté vaincue. J'ai cité dans un mémoire sur l'analyse des végétaux, (Mémoires présentés à l'académie royale des Sciences, par divers savans, &c. vol. II.) comme un exemple de ces théories chymiques très-compliquées, celle de la préparation du sublimé corrosif à la maniere d'Hollande, & celle que Mender a donnée de la préparation du régule d'antimoine par les sels. La théorie dont il s'agit ici, est encore d'un ordre bien supérieur. Au reste, j'observerai sur ces trois théories si merveilleuses, qui demandent beaucoup de connoissances & de sagacité, qu'elles ont toutes les trois pour objet des opérations vicieuses, ou du-moins imparfaites & mal entendues ; d'où on est porté à inférer qu'en chymie, vraisemblablement comme par-tout ailleurs, les manoeuvres les plus compliquées sont toujours les plus mauvaises, & cela tout aussi-bien quand on entend leur théorie, que quand on ne l'entend pas.
Mais il y a une question plus importante sur les principes chymiques : nous avons dit plus haut que l'analyse ou décomposition des corps parvenoit enfin quelquefois jusqu'à des principes inaltérables, dumoins que l'art ne savoit point simplifier ultérieurement, & dont on n'observoit aucune altération dans la nature. Les Chymistes appellent ces corps premiers principes ou élémens : ces élémens de chymistes sont donc des substances indestructibles, incommutables, persistant constamment dans leur essence quelques mixtions qu'elles subissent, & par quelque moyen qu'on les dégage de ces mixtions.
Cette question importante roule sur ces premiers principes, savoir s'il y a plusieurs corps qui soyent véritablement & essentiellement élémentaires, ou s'il n'y a qu'une matiere unique ou homogene qui constitue par ses diverses modifications tous les corps, même réputés les plus simples.
L'observation bien résumée, ou le système de tous les faits chymiques démontre qu'une pareille matiere est un pur concept, un être abstrait, que non-seulement on admet gratuitement & inutilement, mais même dont la supposition a jetté dans des erreurs manifestes tous les philosophes qui l'ont défendue, parce qu'ils ont attribué aux corps dépouillés de leurs qualités réelles par cette abstraction, des propriétés qu'ils ne peuvent avoir qu'à raison de ces qualités. C'est de cette source, par exemple, qu'a coulé l'erreur des Physiciens sur les prétendues lois de la cohésion observée entre les différens corps, c'est-à-dire, entre diverses portions de matiere déja spécifiée, les corps ou la matiere, ont-ils dit, sont cohérens en raison de la proximité de leurs parties : mais nul corps de la nature n'est de la matiere proprement dite, & par conséquent nul exercice des lois de la cohésion entre diverses portions de matiere ; les sujets soumis à ces lois sont toujours ou de l'eau ou de l'air, ou un métal, ou de l'huile, &c. Or la façon de l'être qui spécifie chacun de ces corps, diversifiant essentiellement & manifestement leur cohésibilité réciproque, il est clair que la contemplation des lois d'adhésion, qui devroient être absolument uniformes entre les portions d'une matiere homogene, ne peut être qu'abstraite, & que lorsque l'esprit l'applique à des sujets qui existent réellement & hors de lui, prend nécessairement sa chimere pour la réalité. Cette considération est vraiment essentielle & fondamentale dans la doctrine chymique, qui ne connoît d'abstractions que les vérités composées ou générales, & qui dans l'estimation des faits singuliers, n'établit jamais ses dogmes que d'après l'observation.
Les chymistes modernes ont admis assez généralement pour leurs principes premiers & inaltérables, les quatre élémens des Péripatéticiens ; le feu qu'ils appellent phlogistique avec les Stahliens, l'air, l'eau, & la terre. Mais cette énumération est incomplete & inexacte, en ce qu'il y a plusieurs especes de terre véritablement inaltérables & incommutables, & qui seront par conséquent pour eux autant de premiers principes, tant qu'ils n'auront pas su simplifier ces especes de terre jusqu'au point de parvenir à un principe terreux, unique & commun.
Il est très-vraisemblable pourtant que cette vraie terre primitive réellement simple existe, & que l'une des quatre terres connues, savoir, la vitrifiable, l'argileuse, la calcaire, & la gypseuse ; que l'une de ces quatre terres, dis-je, est la terre primitive, mais sans qu'on sache laquelle, & quoiqu'il puisse bien être aussi que pas une des quatre ne soit simple.
Si les deux métaux parfaits, l'or & l'argent, sont véritablement indestructibles, on n'est en droit de leur refuser la simplicité, que parce qu'il est très-probable qu'ils sont formés des mêmes principes que les autres substances métalliques, dont ils ne different que par l'union plus intime de ces principes.
Bien loin que l'esprit se prête difficilement à concevoir plusieurs principes primitifs essentiellement divers & incommutables, ou, ce qui est la même chose, plusieurs matieres primitivement & essentiellement diverses ; il me semble au contraire qu'il s'accommode mieux de cette pluralité de matieres, & que la magnificence de la nature que cette opinion suppose, vaut bien la noble simplicité qui peut faire pancher vers le sentiment opposé. Je trouve même très-probable que les corps composés des autres mondes, & même des autres planetes de celui-ci, ayent non-seulement des formes diverses, mais même qu'ils soyent composés d'élémens divers ; qu'il n'y ait, par exemple, dans la lune ni terre argilleuse, ni terre vitrifiable, ni peut-être aucune matiere douée des propriétés très-communes de nos terres ; qu'il y ait au lieu de cela un élément qu'on peut appeller si l'on veut, lune, &c. ce n'est que le feu qui me paroît être très-vraisemblablement un élément universel.
Parmi les systèmes philosophiques, tant anciens que modernes, qui ont admis un principe unique & primitif de tous les êtres, le plus ancien & celui qui mérite le plus d'attention, est celui que Thalès a publié ou plutôt renouvellé, que van Helmont a soutenu & prétendu prouver par des expériences, & qui admet l'eau pour ce principe premier & commun. Mais, malgré les expériences postérieures de Boyle & de M. Duhamel, rapportées au commencement de l'article EAU, Chimie, (voyez cet article) les chymistes modernes ont appris à ne plus conclure de ces expériences, que l'eau se change en terre, en air, & autres principes éloignés des végétaux. (b)
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PRINOS | S. m. (Botan.) genre de plante que Linnaeus caractérise ainsi. Le calice de la fleur est très-petit, permanent & composé d'une seule feuille, qui est légerement découpée en six parties. La fleur est composée d'un seul pétale, & est de l'espece de celles qui sont formées en maniere de roue ; elle n'a point de tubes, mais elle a les bords divisés en six segmens ovales. Les étamines forment six filets tubuleux, droits & plus courts que la fleur. Leurs bossettes sont oblongues & obtuses. Le germe du pistil est ovale, & se termine en un stile plus court que les étamines. Le stigma est obtus. Le fruit est une baie arrondie, beaucoup plus grosse que le calice, & contenant six loges. Les semences sont uniques, très-dures, obtuses, convexes d'un côté, & angulaires de l'autre. Dans quelques especes il n'y a que cinq étamines au-lieu de six. Linnaei gen. plant. p. 151. Pluknet, p. 452. Gronovius. (D.J.)
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PRINTANIERE | adj. (Jardinage) se dit d'une fleur, d'un fruit qui paroît au printems.
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PRINTEMS | S. m. en Cosmographie, signifie une des saisons de l'année qui commence, dans les parties septentrionales de l'hémisphere que nous habitons, le jour que le soleil entre dans le premier degré du belier, qui est ordinairement vers le 20 de Mars, & finit quand le soleil sort du signe des jumeaux, c'est-à-dire, le jour que le soleil paroît décrire le tropique du cancer, pour s'approcher ensuite du pole méridional. Voyez SAISON.
En général le printems commence le jour auquel la distance de la hauteur méridienne du soleil au zénith étant dans son accroissement, tient le milieu entre la plus grande & la plus petite. La fin du printems tombe avec le commencement de l'été. V. ETE.
Quand nous avons le printems, les habitans des parties méridionales de l'autre hémisphere ont l'automne, & réciproquement ; le premier jour de notre printems & le premier jour de l'automne, les jours sont égaux aux nuits par toute la terre ; depuis le premier jour du printems jusqu'au premier jour de l'été, les jours vont en croissant, & sont plus grands que les nuits ; & cette double propriété des jours caractérise aussi le printems. C'est dans cette saison que les arbres reverdissent, & que la terre échauffée par l'approche du soleil, recommence à produire des fleurs & des fruits. V. ÉQUINOXE, SOLSTICE, &c. (O)
PRINTEMS SACRE, voeu du, (Littérat.) le voeu du printems sacré étoit celui par lequel on avoit consacré aux dieux tout ce qui naîtroit depuis le premier de Mars jusqu'au premier de Mai. On spécifioit dans ce voeu ce qu'on promettoit : quod ver attulerit, vel ex suillo, vel ex ovillo, vel ex caprino, vel ex bovillo grege.
Cette sorte de voeu s'appelloit en latin ver sacrum, comme il paroît par Tite-Live, liv. XXII. Servius sur le VII. de l'Enéide, & Nonius ; ils disent tous que le printems sacré comprenoit le bétail né dans les calendes de Mars & le dernier jour de Mai ; mais ils ne disent point que chez les Romains ce voeu renfermât le fruit des femmes, c'est-à-dire les enfans. Festus & Strabon, liv. V. nous assurent seulement qu'anciennement d'autres peuples d'Italie qui pratiquoient ce voeu, lorsqu'ils étoient en quelque grand danger, y comprenoient aussi les enfans qui naissoient durant ce printems-là ; en ce cas ils les élevoient jusqu'à l'âge d'adolescence ; & alors, après les avoir voilés, ils les envoyoient hors de leurs confins afin qu'ils allassent chercher d'autres terres & d'autres lieux pour habiter. La superstition est capable de dépouiller les hommes des sentimens même de la nature : Tantum religio potuit suadere malorum ! (D.J.)
PRINTEMS, maladies du, (Médec.) c'est la saison la plus saine de l'année ; ses maladies les plus ordinaires, & qui se dissipent presque toujours d'elles-mêmes, sont des fievres légeres, des pustules, des hémorrhagies, des rhumes de cerveau, des flux d'humeurs & autres de ce genre. Il faut tâcher de s'en garantir en diminuant la quantité d'alimens qu'on prenoit en hiver, en usant de boissons plus ténues, en faisant beaucoup d'exercice, & sur-tout en évitant de prendre trop tôt les habits de cette saison.
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PRION | (Géog. anc.) 1°. fleuve de l'Arabie heureuse ; Ptolémée, liv. VI. c. vij. le place dans le pays des Adramites, au voisinage du mont Prionotus ; quelques cartes modernes nomment ce fleuve Prim. 2°. Prion est un fleuve de l'Inde dans le pays des Chadramotites. 3°. Prion est le nom d'une montagne que Pline, liv. V. c. xxxj. dit être dans l'île de Céos. 4°, Prion est une colline au voisinage de la ville d'Ephèse. Strabon, liv. XIV. p. 634. dit qu'on la nommoit aussi Lepreacta. Elle commandoit la ville, selon la remarque de Casaubon sur cet endroit de Strabon. 5°. Prion est un lieu d'Afrique, au voisinage de Carthage. 6°. Prion est un lieu de l'Asie propre, près de la ville de Sardis. Polybe, liv. VII. n °. 4. nous apprend que c'étoit une colline qui joignoit la citadelle avec la ville. (D.J.)
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PRIORAT | S. m. (Gramm.) durée de l'administration d'un prieur.
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PRIORITÉ | S. f. (Jurisp.) est l'antériorité que quelqu'un a sur un autre. Cette priorité donne ordinairement la préférence entre créanciers de même espece ; ainsi la priorité de saisie donne la préférence sur les autres créanciers à moins qu'il n'y ait déconfiture. La propriété d'hypotheque donne la préférence au créancier plus ancien sur celui qui est postérieur. Pour ce qui est de la priorité de privilege, elle se regle non pas ex tempore, mais ex causâ. Voyez HYPOTHEQUE, PRIVILEGE, SAISIE. (A)
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PRIORITES | (Botan. anc.) nom donné par les anciens Grecs à une plante qu'ils vantoient beaucoup en Médecine, & qu'ils disoient être appellée des Romains betonica ou serratula. Or comme nous apprenons de Pline que betonica étoit un nom gaulois, il en résulte évidemment que la priorites des Grecs étoit la serratula ou sarrête, qui est une espece de jacée des modernes.
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PRIS | part. (Gramm.) voyez l'article PRENDRE, PRISE, &c.
PRIS, (Ruban.) s'entend de plusieurs façons ; premierement de tous les points noirs du patron, à la différence des points blancs qui sont appellés laissés ; secondement de la haute-lisse qui reçoit la rame dans sa bouclette ; ainsi on dit la septieme haute-lisse, ou telles autres fait un pris ; conséquemment un patron passé est une alternative de pris & de laissés, suivant l'indication dudit patron.
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PRISAGE | S. m. (Jurisprud.) terme usité dans quelques coutumes pour exprimer l'action de priser quelque chose ; ce terme est aussi souvent employé pour signifier la prisée même qui est faite par des experts. Voyez la cout. de Bretagne, tit. des exécutions & appréciations.
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PRISCILLIANISME | S. m. (Hist. ecclés.) hérésie qui s'éleva en Espagne sur la fin du iv. siecle ; elle fut ainsi nommée de Priscillien, un des plus apparens de la secte. On croit que le premier priscillianite fut un nommé Marc, égyptien de Memphis, & manichéen, qui eut pour premiers disciples une femme nommée Agape, & ensuite le rhéteur Elpidius, qui instruisirent à leur tour Priscillien, homme noble, riche, éloquent ; mais enflé des sciences profanes qu'il avoit étudiées avec une curiosité qui l'avoit, dit-on, porté jusqu'à la magie.
Sa doctrine & celle de ses sectateurs étoit la même que celle des Manichéens, mêlée des erreurs des Gnostiques & de plusieurs autres. Ils disoient que les ames étoient de même substance que Dieu, & qu'elles descendoient volontairement sur la terre au-travers de sept cieux & par certains degrés de principautés pour combattre contre le mauvais principe qui les semoit en divers corps de chair ; que les hommes étoient dominés par certaines étoiles fatales, & que notre corps dépendoit des douze signes du zodiaque, attribuant le belier à la tête, le taureau au cou, les jumeaux aux épaules, & ainsi du reste, selon les réveries des astrologues. Ils ne confessoient la Trinité que de parole, soutenant avec Sabellius, que le Pere, le Fils & le Saint-Esprit étoient le même sans aucune distinction de personnes. Ils sembloient différer des Manichéens en ce qu'ils ne rejettoient pas l'ancien Testament ; mais ce n'étoit qu'artifice, car ils l'expliquoient tout par des allégories à leur mode, & joignoient aux livres canoniques plusieurs écrits apocriphes. Ils s'abstenoient de manger de la chair comme immonde, & en haine de la génération ils rompoient les mariages même sans le consentement des parties. Ils jeûnoient le dimanche, le jour de Pâques & celui de Noël, & se retiroient ces jours-là pour ne pas se trouver à l'église, parce qu'en haine de la chair ils croyoient que Jesus-Christ n'étoit né ni ressuscité qu'en apparence. Ils recevoient dans l'église l'Eucharistie comme les autres, mais ils ne la consumoient pas. Ils s'assembloient de nuit entr'eux, & prioient nuds hommes & femmes, commettant beaucoup d'impuretés qu'ils couvroient d'un profond secret ; car ils avoient pour maxime de tout nier quand ils étoient pressés, ce qu'ils exprimoient par ce vers latin :
Jura, perjura, secretum prodere noli.
Jure, parjure-toi, mais garde le secret.
Priscillien leur chef ayant été convaincu de ces erreurs, & d'avoir souvent prié nud avec des dévotes de sa secte, fut d'abord condamné dans un concile tenu à Saragosse en 381, & dans un autre tenu à Bordeaux en 385 ; & en ayant appellé à l'empereur Maxime, qui résidoit à Treves, il y fut de nouveau convaincu & condamné à mort avec plusieurs de ses partisans ; les autres furent envoyés en exil, ou poursuivis tant par les évêques que par les empereurs. Il y a apparence que cette secte ne fut pas d'abord entierement extirpée, & qu'il en subsistoit encore quelques restes en Espagne dans le vj. siecle, puisque le concile de Prague tenu en 563 renouvelle la condamnation de leurs erreurs. Fleury, dont les idées sont moins justes que celles de l'auteur de l'article suivant.
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PRISCILLIANITE | (Hist. ecclés.) on a nommé Priscillianites les sectateurs de la doctrine de Priscillien, noble espagnol qui vivoit au quatrieme siecle.
Sulpice Sévere, Hist. sacr. liv. II. nous apprend qu'il avoit de fort belles qualités, l'esprit vif, beaucoup d'éloquence & d'érudition : il étoit laborieux, sobre & sans avarice ; il étudia sous le rhéteur Helpidius, & donna peut-être dans quelques opinions des Gnostiques. Ainsi je ne disconviendrai pas que les Priscillianites n'ayent eu des erreurs, quoiqu'il soit difficile de savoir précisément quelles erreurs ils enseignoient, parce qu'on a eu soin de supprimer leurs livres & leurs apologies. Mais ce qu'il y a de sûr, c'est que S. Augustin avoue que leurs livres ne contenoient rien qui ne fût ou catholique, ou très-peu différent de la foi catholique ; & malgré cela, il ne laisse pas de dire que leur religion n'étoit qu'un mélange des erreurs des Gnostiques & des Manichéens : deux assertions bien opposées & assez difficiles à concilier.
Quoi qu'il en soit, on reproche à Priscillien d'avoir enseigné que le Fils de Dieu étoit , innascible, ou point né ; & comme c'est-là la propriété du Pere, ce terme a fait dire que les Priscillianites étoient Sabelliens ; ce qui n'est pas vrai, si l'on entend par-là qu'ils confondoient les Personnes du Pere & du Fils. Ils croyoient la préexistence du Verbe ; mais ils ne croyoient pas que le Verbe fût Fils de Dieu ; ce titre ne convenoit, selon eux, à Jesus-Christ qu'entant qu'il est né de la Vierge. Ils disoient que l'Ecriture n'appelle jamais le Verbe, Fils de Dieu.
On les accuse aussi d'avoir cru que l'ame étoit consubstantielle à Dieu, parce qu'elle en tiroit son origine. On pourroit avoir mis au rang de leurs principes une conséquence qu'on en tiroit, cette pratique n'est que trop commune, & n'est rien moins que nouvelle. Ce qui favorise ma conjecture, c'est que des peres dont on vénere la mémoire, ont cru que l'ame émanoit de Dieu sans la croire consubstantielle à Dieu.
On attribue finalement à Priscillien d'avoir recommandé le mensonge ; mais il n'y en a d'autre preuve que le témoignage d'un nommé Fronton, qui fit semblant de se ranger parmi les Priscillianites pour découvrir leurs secrets, & qui prétend qu'une de leurs maximes étoit :
Jurez, parjurez-vous, mais ne révélez rien.
Jura, perjura, secretum prodere noli.
Il résulte des remarques précédentes que c'est peut-être beaucoup de reconnoître que les Priscillianites ont eu des erreurs, puisqu'il ne paroît qu'incertitude dans ce que l'on sait sur ce sujet ; & l'on auroit bien de la peine à prouver évidemment quelques erreurs des Priscillianites à un homme qui soutiendroit leur orthodoxie.
Il est du-moins certain que les crimes qu'on attribue à Priscillien & à ses sectateurs, ne s'accordent point avec ce que les historiens rapportent des moeurs & de la conduite des uns & des autres. On cite contr'eux un passage de Sulpice Sévere qui dit : que Priscillien fut oui deux fois devant Evodius, préfet du prétoire, & qu'il fut convaincu des crimes dont on l'avoit accusé, ne niant pas qu'il n'eût enseigné des doctrines obscènes, qu'il n'eût fait des assemblées nocturnes avec des femmes impudiques, & qu'il n'eût la coutume d'y prier tout nud avec elles. Ce passage paroît d'abord précis, sur-tout venant de la part d'un historien contemporain ; cependant il y a cent raisons qui détruisent la validité de ce témoignage, j'en indiquerai quelques-unes.
D'abord Sulpice Sévere peint lui-même Priscillien " comme un homme, ce sont ses termes, qui n'avoit pas moins d'esprit & d'érudition que de graces naturelles, de biens & de naissance ; austere d'ailleurs, s'exerçant dans les jeunes, dans les veilles, désintéressé, usant de tout avec une extrême modération, enfin inspirant du respect & de la vénération à ceux qui l'approchoient ". Certainement voilà un chef d'Adamites coupable des plus grandes impuretés, qui n'a guere l'air d'un cynique impudent : voyons si parmi les Priscillianites ses disciples, il se trouve des gens qui lui ressemblent.
S. Jerôme parle de Latronien, qui fut décapité avec lui, sans nous en dire aucun mal. C'étoit un homme savant qui réussissoit si bien dans la poësie, qu'on le mettoit en parallele avec les poëtes du tems d'Auguste. Tibérien qui ne fut condamné qu'à l'exil, étoit un autre savant, dans lequel S. Jerôme ne trouve à reprendre que trop d'enflure dans son style ; mais ce n'est pas-là de l'adamisme. S. Ambroise parle avec une tendre compassion du vieux évêque Hyginus, qui fut aussi envoyé en exil, & qui n'ayant plus que le souffle, n'étoit pas un sujet propre à se laisser séduire aux appas de l'impudicité. En général, la secte priscillienne se distinguoit par la lecture des livres sacrés, par des jeûnes fréquens, par des pénitences rigoureuses ; desorte, dit Sulpice Sévere qu'on reconnoissoit plutôt les Priscillianites à la modestie de leurs habits & à la pâleur de leurs visages, qu'à la différence de leurs sentimens.
Voici un autre témoignage bien avantageux aux moeurs des Priscillianites, c'est celui de Latinius Pacatus, orateur payen, & qui parvint par son mérite à la dignité proconsulaire sous les empereurs chrétiens. Dans le panégyrique de Théodose que cet orateur prononça devant ce prince, après qu'il eut vaincu Maxime, il parle en ces termes : " Pourquoi m'arrêterai-je à raconter la mort de tant d'hommes, puisque la cruauté est allée jusqu'à répandre le sang des femmes ? On a exercé les dernieres rigueurs contre un sexe qu'on épargne dans les guerres mêmes. Et quelles étoient les raisons importantes d'une telle barbarie ? Quels crimes peuvent avoir fait traîner au supplice la veuve d'un illustre poëte ? Elle n'avoit point d'autre crime que celui d'être trop religieuse, trop appliquée au service de la Divinité ".
La veuve dont parle Pacatus étoit Euchrocie, veuve de Delphidius, dont Ausone a fait l'éloge dans ses professeurs de Bordeaux. Elle eut la tête tranchée aussi-bien que les autres priscillianites. Mais si elle eût été coupable d'une infâme débauche ; si le bruit qu'on fit courir de sa fille Procule, qu'étant grosse de Priscillien, elle avoit eu recours à des moyens détestables pour faire périr son fruit : si tout cela eût été vrai, ou s'il eût passé pour vrai, l'orateur eût-il osé dire à Théodose ou à toute sa cour, qu'Euchrocie n'étoit coupable que de trop de piété ? Voilà donc les chefs des Priscillianites, ces prétendus Adamites, auxquels on rend témoignage d'avoir été des gens austeres dans leurs moeurs, & donnant dans une dévotion excessive. Des gens de ce caractere n'ont guere l'air de s'être abandonnés aux honteux excès qu'on leur impute.
La conviction & la confession dont parle Sulpice Sévere, sont fort suspectes. En effet, soit que l'on examine le caractere des témoins qui déposerent, soit que l'on fasse attention à celui des parties & des juges, soit que l'on considere la maniere dont on extorqua la confession à Priscillien, on y trouve de justes raisons de douter de la réalité des crimes qu'on lui imputoit & à ses sectateurs.
A l'égard des témoins, Sulpice Sévere nous apprend indirectement qui ils étoient, & quel étoit leur caractere, lorsqu'il nous dit que Maxime se contenta d'exiler pour quelque tems dans les Gaules Tertulle, Potamius & Jean, parce que c'étoient des personnes viles & dignes de miséricorde pour avoir confessé leurs crimes & découvert leurs complices, sans attendre la question. Il ne paroît pas qu'il y ait eu d'autres témoins contre Priscillien & ses sectateurs, que ces personnes viles, dont la déposition volontaire ne peut être de poids contre des évêques & des personnes d'une condition distinguée.
Les parties de Priscillien n'étoient pas plus estimables. Le chef de la bande étoit un évêque espagnol nommé Ithace, dont Sulpice Sévere a fait le portrait en ces termes : " Il ne se soucioit de rien, rien n'étoit sacré pour lui ; c'étoit un homme audacieux, babillard, impudent, superstitieux, gourmand, débauché. Cet homme tâchoit d'envelopper dans l'accusation de priscillianisme, & de faire périr tout ce qu'il y avoit d'hommes distingués par leur savoir & par leurs vertus. Ithace eut même la hardiesse d'accuser S. Martin de Tours de cette hérésie. Ses adhérens ne valoient pas mieux que lui, & il ne tint pas à eux que S. Martin ne fût livré à la mort pour s'être opposé à leurs violences ".
Des gens d'un caractere si odieux, & capables de conspirer contre S. Martin, dont tout le monde honoroit la vertu, n'étoient-ils pas capables de conspirer contre des innocens, & de leur supposer tous les crimes imaginables pour les faire périr ?
Sulpice Sévere ne donne pas une idée plus avantageuse des évêques des Gaules qui conspirerent avec les Ithaciens à la perte des Priscillianites. " Leurs discordes, dit-il, mettoient tout en confusion ; ils n'agissoient que par haine ou par faveur ; ils perdoient tout par leur timidité, par leur légereté, par leur envie, par leur esprit de parti, par leur avarice, leur arrogance, leur paresse. Un petit nombre donnoit des conseils salutaires ; mais le grand nombre ne formant que des desseins insensés, & les poursuivant avec opiniâtreté, les autres étoient contraints de céder ; desorte que le peuple avec tout ce qu'il y avoit de gens de bien, devenoient l'objet de leur moquerie & le jouet de leur insolence ". Ce caractere des parties de Priscillien ne favorise pas plus les idées qu'on en a voulu donner, que celui des témoins.
Voyons quels étoient les juges. Maxime séduit par les évêques Magnus & Rufus, n'eut pas plutôt pris le parti de la rigueur, qu'il choisit un juge propre à seconder ses intentions. Ce juge fut Evode, préfet du prétoire, homme dur & sévere. Maxime en vouloit aux biens ; ainsi des coupables riches tel qu'étoit Priscillien, lui convenoient. Pacatus dit " que les évêques ithaciens s'étoient acquis les faveurs de cet empereur avare, de ce Phalaris, en lui faisant des présens, & en lui fournissant les moyens de dépouiller les riches ". Sulpice Sévere ajoute, que Maxime refusa pendant quelques jours de voir S. Martin, qui venoit lui demander la vie des Priscillianites, parce que ce prince en vouloit à leurs biens. Qui ne voit que l'innocence même auroit succombé si elle avoit été poursuivie par de tels accusateurs, & accusée devant de tels juges ?
Il ne faut pas faire valoir la prétendue confession de Priscillien lui-même, pour prouver les crimes qu'on lui impute. Je dis prétendue confession ; car il n'est rien moins que certain qu'il ait fait l'aveu qu'on lui attribue. Sulpice Sévere n'avoit point vu les actes du procès ; & quand il les auroit vûs, qui pourroit assurer qu'ils fussent authentiques ? Le supplice des Priscillianites fut si odieux dans l'Eglise, que les accusateurs & les juges avoient un égal intérêt à charger ces misérables des plus grands crimes. Et seroit-ce la premiere fois que les persécuteurs auroient falsifié de pareils actes pour justifier leur cruauté ?
Mais en supposant la réalité de la confession de Priscillien, que peut-on conclure d'une confession extorquée par les tourmens, comme le fut celle-ci ? Sulpice Sévere l'insinue quand il dit que Tertulle & ses deux compagnons confesserent, sans attendre la question ; & Pacatus le dit positivement : il parle des tourmens de ces malheureux, gemitus & tormenta miserorum. Une confession de cette nature ne passera jamais pour une conviction dans l'esprit des gens qui jugent sans prévention, sur-tout lorsqu'il s'agit d'un homme d'ailleurs aussi réglé, aussi austere dans ses moeurs qu'on nous dépeint Priscillien.
Les conciles d'Espagne qui ont condamné les Priscillianites, ne les ont jamais traités sur le pié d'une secte coupable d'impureté. Tout ce qu'on trouve qui les regarde dans les canons du concile de Sarragosse, ne concerne que des irrégularités. On dit 1°. que chez les Priscillianites des femmes & des laïques enseignent. Il s'agit d'Agape, qui avoit instruit Priscillien, du rhéteur Helpidius & de Priscillien lui-même qui étoit laïque au tems de ce concile, & ne fut ordonné évêque d'Avila que depuis. 2°. Que les Priscillianites faisoient des assemblées à part, soit dans des maisons particulieres, ou à la campagne & dans des lieux écartés. 3°. Qu'ils jeûnoient beaucoup, & qu'ils ne s'en abstenoient pas même le dimanche, ce qui étoit contre la loi ecclésiastique. 4°. Qu'ils pratiquoient des austérités nouvelles, comme de marcher nuds piés (ce qui pouvoit avoir été toute la nudité de Priscillien). 5°. Qu'il y en avoit qui recevoient l'Eucharistie sans la manger dans l'église. 6°. On y dit enfin que des prêtres prenant pour prétexte le luxe & la vanité des ecclésiastiques, quittoient leur ministere pour embrasser la vie monastique. Quelle apparence que ce concile ait négligé les points capitaux, les prostitutions, la nudité, les parjures, &c.
Dans les conciles suivans, on ne parle pas davantage de pareilles infamies, ni dans les jugemens rendus contre les évêques priscillianites, ni dans les retractations de ceux qui furent réunis à l'Eglise. Cinq évêques renoncent au priscillianisme, & ils ne retractent que des erreurs. Dictinius, évêque d'Astorga, qui abjure le priscillianisme, est en Espagne en si grande odeur de sainteté, qu'on en célebre la fête tous les ans. Est-ce qu'on donneroit le titre de saint à celui qui auroit vécu la plus grande partie de sa vie dans la plus impure secte du monde ?
Ce qu'il y a de singulier par rapport à la doctrine, c'est qu'on vint à condamner dans les Priscillianites un sentiment que l'on a canonisé en la personne de S. Augustin. Voici trois faits certains : 1°. S. Augustin croit que l'homme est déterminé invinciblement ou au mal par sa corruption naturelle, ou au bien par le Saint-Esprit. 2°. Cette doctrine ôte à l'homme le franc-arbitre, en prenant ce mot pour la liberté d'indifférence. 3°. La doctrine de S. Augustin a été autorisée par l'approbation solemnelle de l'Eglise. Or, les Priscillianites furent condamnés pour avoir détruit le franc-arbitre, en soumettant la volonté de l'homme à une fatale nécessité qui l'entraîne sans qu'elle puisse s'y opposer. Ils différoient peut-être de S. Augustin dans l'explication des causes qui déterminent la volonté ; mais ils étoient d'accord avec lui sur ce point de fait ; savoir, que le principe qui pousse la volonté ne lui permet pas de s'arrêter, de reculer, ou de s'écarter à côté ; ainsi Léon X. en refutant la secte priscillianite, ne s'est pas apperçu qu'il refutoit S. Augustin.
Enfin le projet qu'eut S. Ambroise d'appaiser le schisme du priscillianisme en accordant au clergé priscillianite ses dignités & ses bénéfices, ce projet, disje, démontre que les Priscillianites n'étoient infectés ni des hérésies, ni des impuretés qu'on leur attribuoit ; car loin de vouloir conserver l'honneur du ministere à leurs évêques & à leurs prêtres, la discipline vouloit qu'on les mît en pénitence, & qu'on les dégradât pour toujours.
Concluons que tout ce qu'on a dit des Priscillianites doit être mis au rang des mensonges qu'on a débités de tout tems contre les hérétiques, mensonges que les Peres ont cru légerement, & qu'ils ont plus légerement encore transmis à la postérité dans leurs écrits. Dict. hist. & crit. de Chaufepié. (Le Chevalier DE JAUCOURT )
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PRISCINIACUM | (Géogr. du moyen âge) aujourd'hui Pressigny, lieu dans le Lyonnois, sur les limites du Mâconnois, ou plutôt de la Bresse & de la souveraineté de Dombes, près de la riviere de Chalarine, & du ruisseau de Bief ou Bieu. C'est le lieu de l'assassinat du sieur Didier de Vienne. D'autres prétendent que Prisciniacum est présentement Briniais, sur la riviere de Garon, au-delà de Lyon ; mais l'histoire du saint y est contraire. 2°. Prisciniacum, aujourd'hui Presci, est un village & une solitude en France dans le Berry, sur le Cher, près du confluent de la Saudre. C'est le lieu de la retraite de saint Eusice. 3°. Prisciniacum est encore un lieu de France dans la Touraine. (D.J.)
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PRISDENE | ou PRISREND, ou PRISRENDI, (Géogr. mod.) ville des états du Turc en Europe, aux confins de la Servie, de la Macédoine, & de la haute Albanie, dans l'endroit où le Drin-blanc reçoit une petite riviere qui vient des montagnes voisines, du côté de l'orient. Les anciens la nommoient Ulpianum ou Ulpiana urbs ; & quand l'empereur Justinien l'eut rétablie, il lui donna son nom, & l'appella Justiniana secunda. Cette ville est à 48 lieues au sud-est de Raguse, & à 78 nord de Belgrade. Long. 38. 37. lat. 42. 8. (D.J.)
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PRISE | S. f. (Jurisprud.) étoit ce que l'on prenoit d'autorité chez les particuliers, pour l'usage & le service du roi, de la reine, des princes, & de leurs principaux officiers.
On entendoit aussi par le terme de prise, le droit d'user de cette liberté.
On faisoit des prises de vivres, de chevaux & de charretes, non-seulement pour le roi, la reine, & leurs enfans, mais encore pour les connétables, maréchaux, & autres officiers du roi, pour les maîtres des garnisons, les baillis, les receveurs, les commissaires.
Mais le peuple ayant accordé une aide au roi en 1347, ces prises furent interdites, excepté pour le roi, la reine, & leurs enfans, ou pour la nécessité de la guerre.
Le roi Jean défendit aussi, par une ordonnance du 5 Avril 1350, que nulle personne du lignage du roi, ses lieutenans, connétables, maréchaux, maîtres des arbalêtriers, maîtres du parlement, de ses échiquiers, de son hôtel, ou de ceux de la reine ou de leurs enfans, ses officiers, les princes, barons & chevaliers, ne pourroient faire de prise de chevaux de tirage & de main, de blé, grains, vins, bêtes, & autres vivres, que ce ne fût en payant comptant un prix raisonnable, & lorsque les choses seroient exposées en vente ; qu'autrement les preneurs pourroient être mis en prison par quelque personne que ce fût, & que toute personne en ce cas pourroit faire l'office de sergent.
Il fut pareillement défendu aux chevaucheurs du roi de prendre des chevaux pour le roi, que dans le cas d'une extrême nécessité, & lorsqu'ils n'en trouveroient point à louer ; il fut même reglé qu'ils ne pourroient les prendre sans un ordre exprès signé du roi, & sans appeller les juges des lieux ; & défenses leur furent faites de prendre jamais les chevaux des personnes qui seroient dans les chemins.
Le roi s'engagea de mettre un tel ordre dans son hôtel, qu'on ne se vît plus obligé d'avoir recours à ces prises ; que si on étoit forcé de les faire, ce ne pourroit être qu'en vertu de lettres du roi scellées de son scel, & signées d'un secrétaire.
Enfin le même prince défendit en 1351 aux procureurs-pourvoyeurs & chevaucheurs de l'hôtel du roi, de la reine & de leurs enfans, & à ceux qui prétendoient avoir droit de prise dans Paris, de faire prise de chevaux & de chevaucheurs des bourgeois de Paris.
Quelques personnes étoient exemptes du droit de prise, comme les officiers de la monnoie & les changeurs, les arbalêtriers de la ville de Paris, les juifs.
Les provisions destinées pour Paris, les chevaux & les équipages des marchands de poisson & de marée, étoient aussi exempts de prises.
Le droit de prise n'avoit pas lieu non plus dans la Bourgogne, ni dans quelques autres endroits, au moyen des exemptions qui leur avoient été accordées.
On défendit sur-tout de faire aucune prise dans la ville & vicomté de Paris, qu'en payant sur-le-champ ce que l'on prendroit, attendu que dans ce lieu l'on trouve toujours des provisions à acheter.
Le roi Jean ordonna en 1355, qu'on ne pourroit plus faire de prises de blé, de vin, de vivres, de charettes, de chevaux, ni d'autres choses, pour le roi, ni pour quelque personne que ce fût ; mais que quand le roi, la reine, ou le duc de Normandie (c'étoit le dauphin), seroient en route dans le royaume, les maîtres d'hôtel pourroient hors des villes faire prendre par la justice des lieux, des bancs, tables, tretaux, des lits de plume, coussins, de la paille, s'il s'en trouvoit de battue, & du foin pour le service & la provision des hôtels du roi, de la reine, & du dauphin, pendant un jour ; que l'on pourroit aussi prendre les voitures nécessaires, à condition qu'on ne les retiendroit qu'un jour, & que l'on payeroit le lendemain au plus tard le juste prix de ce qui auroit été pris.
Par la même ordonnance il autorisa ceux sur qui on voudroit faire des prises, à les empêcher par voie de fait, & à employer la force pour reprendre ce qu'on leur auroit enlevé ; & s'ils n'étoient pas assez forts, ils pouvoient appeller à leur secours leurs voisins & les habitans des villes prochaines, lesquels pouvoient s'assembler par cri ou autrement, mais sans son de cloche ; & néanmoins depuis, cela même fut autorisé.
Il étoit permis de conduire les preneurs en prison, & de les poursuivre en justice civilement ; & en ce cas ils étoient condamnés à rendre le quadruple de ce qu'ils avoient voulu prendre : on pouvoit même les poursuivre criminellement, comme voleurs publics.
Ces preneurs ne pouvoient être mis hors de prison en alléguant qu'ils avoient agi par ordre de quelque seigneur, ni en faisant cession de bien. On ne les laissoit sortir de prison qu'après qu'ils avoient restitué ce qu'ils avoient pris, & qu'ils avoient payé l'amende à laquelle ils étoient condamnés.
On faisoit le procès aux preneurs devant les juges ordinaires des plaignans, & le procureur du roi faisoit serment de poursuivre d'office les preneurs qui venoient à sa connoissance.
Il fut encore ordonné par le roi Jean dans la même année, que tandis que l'aide accordée par les trois états d'Auvergne auroit cours, il ne seroit point fait de prise dans le pays, ni pour l'hôtel du roi, ni pour celui de la reine, ni pour le connétable ou autres officiers. Ainsi l'aide étoit accordée pour se rédimer du droit de prise.
Les gens des hôtels du roi, de la reine, de leurs enfans, & des autres personnes qui avoient droit de prise, connoissoient des contestations qui arrivoient à ce sujet.
Présentement le roi & les princes de sa maison sont les seuls qui puissent user du droit de prise, encore n'en usent-ils pas ordinairement, si ce n'est en cas de nécessité, & pour obliger de fournir des chevaux & charrois nécessaires pour leur service. Voyez ce qui est dit du droit de prise, dans le recueil des ordonnances de la troisieme race. (A)
PRISE A PARTIE est un recours extraordinaire accordé à une partie contre son juge, dans les cas portés par l'ordonnance, à l'effet de le rendre responsable de son mal-jugé, & de tous dépens, dommages & intérêts.
On appelle aussi ce recours intimation contre le juge, parce que pour prendre le juge à partie il faut l'intimer sur l'appel de sa sentence.
Chez les Romains un juge ne pouvoit être pris à partie que quand il avoit fait un grief irréparable par la voye de l'appel.
Parmi nous, l'usage des prises à partie paroît venir de la loi salique, & de la loi des ripuaires, suivant lesquelles les juges nommés rachimbourgs qui avoient jugé contre la loi, se rendoient par cette faute amendables d'une certaine somme envers la partie qui se plaignoit de leur jugement.
Du tems de S. Louis, suivant ses établissemens, on en usoit encore de même : on pouvoit se pourvoir contre un jugement par voie de plainte ou par fausser le jugement. Tous juges, tant royaux que subalternes, pouvoient être intimés sur l'appel de leurs jugemens : on intimoit le juge, on ajournoit la partie.
Mais cela est demeuré abrogé par un usage contraire, sur-tout depuis l'ordonnance de Roussillon, article xxxvij. laquelle porte que les hauts-justiciers ressortissans nuement au parlement, seront condamnés suivant l'ancienne ordonnance en 60 livres parisis, pour le mal-jugé de leurs juges.
Il est seulement resté de cet ancien usage, que le prevôt de Paris, & autres officiers du châtelet, sont obligés d'assister en l'audience de la grand-chambre à l'ouverture du rôle de Paris.
Du reste, il n'est plus permis d'intimer & prendre à partie aucun juge, soit royal ou subalterne, à-moins qu'il ne soit dans quelqu'un des cas portés par l'ordonnance, & dans ces cas même il faut être autorisé par arrêt à prendre le juge à partie, lequel arrêt ne s'accorde qu'en connoissance de cause, & sur les conclusions du procureur général.
L'ordonnance de 1667 enjoint à tous juges de procéder incessamment au jugement des causes, instances & procès qui seront en état de juger, à peine de répondre en leur nom des dépens, dommages & intérêts des parties.
Quand des juges dont il y a appel refusent ou sont négligens de juger une cause, instance ou procès qui est en état, on peut leur faire deux sommations par le ministere d'un huissier ; ces sommations doivent leur être faites à domicile, ou au greffe de leur jurisdiction, en parlant au greffier ou aux commis des greffes.
Après deux sommations de huitaine en huitaine pour les juges ressortissans nuement à quelque cour supérieure, & de trois jours en trois jours pour les autres siéges, la partie peut appeller comme de deni de justice, & faire intimer en son nom le rapporteur s'il y en a un, sinon celui qui devra présider, lesquels sont condamnés aux dépens en leur nom, au cas qu'ils soient déclarés bien intimés.
Le juge qui a été intimé ne peut être juge du différend, à peine de nullité, & de tous dépens, dommages & intérêts des parties, si ce n'est qu'il ait été follement intimé, ou que les deux parties consentent qu'il demeure juge ; il doit être procédé au jugement par autre des juges & praticiens du siége, non suspect, suivant l'ordre du tableau, si mieux n'aime l'autre partie attendre que l'intimation soit jugée.
Il y a lieu à la prise à partie toutes les fois que le juge a agi dans un procès par dol ou fraude, par faveur ou par argent, & qu'il a commis quelque concussion.
Il y a encore plusieurs autres cas où la prise à partie a lieu suivant l'ordonnance ; savoir,
1°. Lorsque le juge a jugé contre la disposition des nouvelles ordonnances.
2°. Quand il refuse de juger un procès qui est en état ; mais on ne peut prendre à partie les juges souverains pour un simple deni de justice, il n'y a que la voie d'en porter sa plainte verbale à M. le chancelier. On peut aussi se pourvoir au conseil du roi, pour y obtenir la permission de les prendre à partie après que leur arrêt a été cassé, au cas qu'il y ait une iniquité évidente.
3°. Quand le juge a fait acte de jurisdiction, quoiqu'il fût notoirement incompétent ; comme quand il évoque une instance dont la connoissance ne lui appartient pas.
4°. Quand il évoque une instance pendante au siége inférieur, sous prétexte d'appel ou de connexité, & qu'il ne la juge pas définitivement à l'audience.
5°. Lorsqu'une demande originaire n'étant formée que pour traduire le garant hors de sa jurisdiction, le juge néanmoins la retient au lieu de la renvoyer pardevant ceux qui en doivent connoître.
6°. Quand il juge nonobstant une récusation formée contre lui, sans l'avoir fait décider.
7°. S'il ordonne quelque chose sans être requis par l'une ou l'autre des parties.
8°. Lorsqu'un juge attente à l'autorité de la cour, en passant outre au préjudice des défenses à lui faites.
Enfin il y a lieu à la prise à partie lorsque le juge laïc empêche le juge ecclésiastique d'exercer sa jurisdiction, mais non pas lorsqu'il prend simplement connoissance d'une affaire qui est de la compétence du juge d'église : celui-ci en ce cas peut seulement revendiquer la cause.
L'article xliij. de l'édit de 1695, porte que les archevêques, évêques ou leurs grands-vicaires, ne peuvent être pris à partie pour les ordonnances qu'ils auront rendues dans les matieres qui dépendent de la jurisdiction volontaire ; & à l'égard des ordonnances & jugemens que lesdits prélats ou leurs officiaux auront rendus, & que leurs promoteurs auront requis dans la jurisdiction contentieuse, l'édit décide qu'ils ne pourront pareillement être pris à partie ni intimés en leurs propres & privés noms, si ce n'est en cas de calomnie apparente, & lorsqu'il n'y aura aucune partie capable de répondre des dépens, dommages & intérêts, qui ait requis ou qui soutienne leurs ordonnances & jugemens ; & ils ne sont tenus de défendre à l'intimation qu'après que les cours l'ont ainsi ordonné en connoissance de cause. Voyez au digeste le titre de variis & extraord. cognit. & si judex litem suam fecisse dicatur, & au code de poenâ judicis qui male judicavit. L'ordonnance de 1667, titre XXV. Boucheul, verbo prise à partie.
PRISE DE CORPS est lorsqu'on arrête quelqu'un pour le constituer prisonnier, soit en vertu d'un jugement qui emporte contrainte par corps, soit en vertu d'un decret de prise de corps. On arrête aussi sur la clameur publique celui qui est pris en flagrant délit. Voyez CLAMEUR PUBLIQUE, CONTRAINTE PAR CORPS, DECRET, ELARGISSEMENT, EMPRISONNEMENT, PRISON, PRISONNIER. (A)
PRISE D'EAU, c'est lorsqu'on détourne d'une riviere ou d'un étang une certaine quantité d'eau, soit pour faire tourner un moulin, ou pour quelqu'autre artifice, soit pour l'irrigation d'un pré.
Pour faire une prise d'eau il faut être propriétaire de la riviere ou autre lieu dans lequel on prend l'eau, ou avoir une concession de celui auquel l'eau appartient.
On entend quelquefois par prise d'eau, la concession qui est faite à cette fin, ou l'eau même qui est prise. Voyez ABERREVIS, IRRIGATION, MOULIN, PRES. (A)
PRISE D'HABIT est lorsqu'une personne qui postule pour entrer dans une maison religieuse, est admise à prendre l'habit qui est propre à l'ordre dont dépend cette maison ; c'est ce que l'on appelle aussi vêture, voyez VETURE. (A)
PRISE DE POSSESSION, est l'acte par lequel on se met en possession de quelque chose.
On prend possession d'un bien de diverses manieres.
Quand c'est un meuble ou effet mobilier, on en prend possession manuellement, c'est-à-dire en le prenant dans ses mains.
Pour un immeuble on ne prend possession que par des fictions de droit qui expriment l'intention que l'on a de s'en mettre en possession, comme en ouvrant & fermant les portes, coupant quelques branches d'arbres, &c.
On prend possession de son autorité privée, ou en vertu de quelque jugement.
Quand on prend possession en vertu d'un jugement, il est d'usage de faire dresser un procès-verbal de prise de possession par un huissier ou par un notaire en présence de témoins, tant pour constater le jour & l'heure à laquelle on a pris possession, que pour constater l'état des lieux & les dégradations qui peuvent s'y trouver. Voyez ci-devant POSSESSION.
PRISE DE POSSESSION, en matiere bénéficiale, est l'acte par lequel on prend possession d'un bénéfice.
Lorsqu'on a obtenu des provisions en la forme appellée dignum, soit d'un bénéfice simple ou à charge d'ames, il faut se présenter à l'archevêque ou évêque dans le diocèse duquel le bénéfice est situé ; & en l'absence de l'archevêque ou évêque, au grand-vicaire, pour être examiné & obtenir un visa, ensuite il faut prendre possession.
Mais si l'on a été pourvû en forme gracieuse en cour de Rome d'un bénéfice simple & sans jurisdiction, ou si l'on a été pourvû par l'évêque, on prend possession sans visa.
En Artois, en Flandre & en Provence il faut des lettres d'attache pour prendre possession en vertu de provision de cour de Rome.
On ne peut prendre possession des bénéfices dont l'élection doit être confirmée par le pape, sans avoir des bulles de cour de Rome ; une simple signature ne suffit pas pour des prélatures.
On permet quelquefois à celui qui a été refusé par le collateur ordinaire, de prendre possession civile pour la conservation des fruits, quoiqu'il n'ait pas encore obtenu le visa ; mais cette prise de possession doit être réitérée lorsque le pourvû a obtenu le visa.
Lorsqu'il s'agit d'un bénéfice qui peut vaquer en régale, il faut prendre possession en personne, car une prise de possession faite par procureur n'empêcheroit pas le bénéfice de vaquer en régale.
Quant aux autres bénéfices qui ne peuvent pas vaquer en régale, on en peut prendre possession par procureur fondé de procuration spéciale pour cet effet.
Le pourvû doit prendre possession en présence de deux notaires royaux apostoliques, ou d'un notaire de cette qualité avec deux témoins. Voyez NOTAIRE APOSTOLIQUE.
Lorsqu'il s'agit d'un bénéfice dont le titre est dans une église cathédrale, collégiale ou conventuelle, dans laquelle il y a un greffier qui a coutume d'expédier les actes de prise de possession, c'est lui qui dresse le procès-verbal de prise de possession, & qui en délivre des expéditions : édit de 1691.
Si le chapitre refusoit de mettre le pourvû en possession & le greffier d'en donner acte, le pourvû doit en faire dresser procès-verbal par un notaire royal & apostolique en présence de deux témoins.
En cas de refus d'ouvrir les portes de l'église, le notaire apostolique en dresse un acte, & le pourvû prend possession en faisant sa priere à la porte & en touchant la serrure, & même s'il y avoit danger à s'approcher de l'église, il prendroit possession à la vûe du clocher ; & si le pourvû est pressé de prendre possession pour intervenir dans quelques procès, (car autrement il ne seroit pas reçu partie intervenante quelque légitime que fût son titre), en ce cas le juge l'autorise à prendre possession dans une chapelle prochaine.
Faute par le pourvû de prendre possession, le bénéfice demeure vacant, & un autre peut s'en faire pourvoir & en prendre possession, & l'ayant possédé par an & jour, il pourroit intenter complainte s'il étoit troublé par celui qui auroit gardé ses provisions sans prendre possession ; ou s'il avoit une possession paisible de trois ans, il seroit confirmé par sa possession triennale.
Quand plusieurs contendans ont pris possession d'un bénéfice depuis qu'il étoit contentieux entr'eux, aucun d'eux n'est réputé possesseur.
Les dévolutaires doivent prendre possession dans l'an ; les pourvûs par mort, ou par résignation, ou autrement, ont trois années.
Il faut néanmoins observer à l'égard des résignataires, qu'ils n'ont ce délai de trois années que quand le résignant est encore vivant, car s'il meurt dans les six mois de la date des provisions du résignataire, sans avoir été par lui dépossedé, le bénéfice vaque par mort.
S'il survient quelque opposition à la prise de possession, celui qui met en possession le pourvû doit passer outre en observant toutes les formalités, & faire mention de l'opposition ; ensuite celui qui prétend avoir été troublé intente complainte devant le juge royal.
Pour prendre possession d'un bénéfice, il faut, en présence du notaire apostolique & des témoins, se transporter sur les lieux & dans l'église, & se faire installer par la séance dans la place d'honneur, le baiser de l'autel, le son de la cloche, la priere dans l'église, & les autres cérémonies qui sont en usage dans le diocèse.
Quand le bénéfice doit rendre le titulaire membre d'un chapitre séculier ou régulier, le pourvû doit se présenter au chapitre assemblé & demander d'être reçu & installé en payant les droits accoûtumés. Si le chapitre entérine la requête, le pourvû est reçu sur-le-champ & installé tant dans le chapitre que dans l'église, dont le greffier du chapitre donne acte, ou à son refus deux notaires apostoliques, ou un notaire & deux témoins. Si le chapitre refuse d'installer le pourvû, il prend acte du refus, & se fait installer dans le choeur.
Il faut à peine de nullité faire insinuer dans le mois la prise de possession, les procurations, visa, attestations de l'ordinaire, pour obtenir des bénéfices en forme gracieuse, les sentences & arrêts qui permettent de prendre possession civile ; il faut aussi sous la même peine & dans le même tems, faire insinuer toutes les bulles & provisions de cour de Rome & de la légation d'Avignon : édit de Décembre 1691. Voyez le Traité de Perard, Castel, d'Hericourt, Fuet, de la Combe. (A)
PRISE, s. f. (Marine) cela se dit d'un vaisseau qui a été pris sur l'ennemi. On dit, pendant notre course qui dura trois mois, nous fimes quatre prises, c'est-à-dire nous primes quatre vaisseaux. Les prises seront conduites dans quelqu'une des villes ou ports, d'où les vaisseaux qui auront fait les prises seront partis pour aller faire le cours, à-moins qu'ils n'en fussent empêchés par le gros tems, & par un vent tout-à-fait contraire.
Faire une prise ; navire adjugé ou déclaré de bonne prise ; c'est-à-dire que la justice a déclaré un tel vaisseau de bonne prise. Il faut voir auparavant si la prise sera déclarée bonne. Voyez l'ordonnance de 1681, liv. III. tit. ix.
Les deniers qui proviendront des prises faites par des navires de guerre armés par des particuliers à leurs frais, en vertu de commission, seront distribués, savoir le cinquieme denier pour le droit de l'état, & sur le restant on levera le dixieme denier pour le droit de l'amiral ; ensuite la somme qui restera sera partagée entre les armateurs du vaisseau ou des vaisseaux, les capitaines, les autres officiers & les matelots, suivant la charte-partie qui aura été faite entr'eux.
A l'égard des prises faites par les navires de guerre de l'état & de leur provenu net, on en levera les cinq sixiemes parties pour les droits de l'état, & sur le restant on prendra le dixieme denier pour l'amiral, & la somme qui restera ensuite sera distribuée en forme de don gratuit aux capitaines, officiers & matelots qui auront fait & amené les prises, à-moins que par des considérations particulieres, & en certains cas, il n'en fût autrement ordonné.
Si les vaisseaux des Provinces Unies, qui ont été pris par les ennemis, viennent à être repris & délivrés, après avoir été deux fois vingt-quatre heures aux ennemis, ils sont tenus de payer un tiers de leur valeur ; s'ils n'y ont été que vingt-quatre heures, ils payent une cinquieme partie, & s'ils y ont été moins, ils en payent une huitieme.
Vaisseau de bonne prise, cela se dit d'un vaisseau que l'on peut arrêter comme ennemi, ou portant des marchandises de contrebande à l'ennemi : être de bonne prise.
PRISE, (Soierie) nombre de cordes qui ne sont pas séparées, & qui composent une partie de fleurs, de feuilles, &c. dans un dessein.
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PRISÉE | S. f. (Jurisprud.) est l'estimation qui est faite d'une chose.
Il est d'usage dans les inventaires de faire priser les meubles par des huissiers ou sergens.
Quand il y a des choses qui passent la connoissance de l'huissier, comme des livres, des pierreries, on fait venir des personnes de l'art pour priser ces sortes de choses.
Dans beaucoup de pays la prisée de l'inventaire est toujours censée faite à la charge de la crue, à-moins que le contraire ne soit dit dans l'inventaire. Voyez CRUE.
Lorsqu'il s'agit de priser des immeubles que l'on veut partager, on fait faire la prisée par des experts & gens à ce connoissant. Voyez PARTAGE. (A)
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PRISER | v. act. (Comm.) mettre le prix à une chose ; ce sont les huissiers priseurs qui mettent le prix aux meubles, ustensiles de ménage, & marchandises qui se vendent par autorité de justice dans les encans publics. Les maîtres jurés-experts charpentiers ou maçons prisent les ouvrages de charpente, maçonnerie, & couverture dont les prix sont en contestation entre les bourgeois & les entrepreneurs & ouvriers. Voyez HUISSIER PRISEUR, EXPERT, &c.
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PRISEUR | officier qui met le prix aux choses, dont la vente se fait par ordonnance du juge. Voyez HUISSIER.
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PRISME | S. m. (Géomét.) est le nom qu'on donne en Géométrie, à tout solide ou corps qui est renfermé par plus de quatre surfaces planes, & dont les bases sont égales, paralleles, semblables, & semblablement plaquées. Voyez SOLIDE.
Ce mot vient du grec , qui signifie quelque chose de scié ou de coupé.
Le prisme s'engendre par le mouvement d'une figure rectiligne comme A B C, Pl. Géométr. fig. 16. qui descend toujours parallelement à elle-même le long d'une ligne droite A E.
Si la figure décrivante est un triangle, le prisme s'appelle alors prisme triangulaire ; si la figure est un quarré, le prisme s'appelle prisme quadrangulaire.
Par la génération du prisme, il est évident que ce solide a deux bases égales & paralleles ; que son contour est composé d'autant de parallelogrammes qu'il y a de côtés dans la figure décrivante ou la base ; qu'enfin toutes les sections du prisme paralleles à sa base, sont égales.
Tout prisme triangulaire peut se diviser en trois pyramides égales. Voyez PYRAMIDE.
Pour mesurer la surface & la solidité d'un prisme, il faut d'abord trouver l'aire de la base, par exemple A B C & la multiplier par 2 (Voyez TRIANGLE) on cherchera ensuite les aires des plans ou parallelogrammes qui forment le contour de la surface ; la somme de ces aires étant ajoutée à ce premier produit, donnera la surface cherchée. Enfin on multipliera la base B A C par la hauteur, le produit sera la solidité cherchée du prisme A B C D E F. Tous les prismes sont entr'eux, en raison composée de leurs bases & de leurs hauteurs : si donc les bases sont égales, ils sont entr'eux comme leurs hauteurs ; si les hauteurs sont égales, ils sont entr'eux comme leurs bases. Les prismes semblables sont entr'eux comme les cubes de leurs côtés homologues, & aussi comme les cubes de leurs hauteurs. (E)
PRISME, en terme de Dioptrique, signifie un verre de la figure d'un prisme triangulaire, dont on se sert fréquemment dans les expériences sur la lumiere & les couleurs. Voyez LUMIERE & COULEUR.
Les phénomenes qu'on observe avec le prisme, viennent de ce que les rayons de lumiere s'y séparent en passant à-travers. Voyez REFRACTION.
Nous allons donner les plus généraux de ces phénomenes, car il seroit inutile de les détailler tous ; ceux que nous allons rapporter suffiront pour faire voir que la différence des couleurs ne consiste ni dans le tournoyement plus ou moins rapide des globules de la lumiere, comme le soutenoit Descartes, ni dans la différente obliquité des pulsations de la matiere étherée, comme le prétendoit Lock, ni enfin comme le croyoit Barrow, dans le resserrement plus ou moins grand de la lumiere, & dans son mouvement plus ou moins vif, mais que les couleurs sont des propriétés immuables & inaltérables de la lumiere même.
Phénomenes du prisme. 1. Si on fait passer un rayon de soleil par un prisme, & qu'on reçoive ce rayon sur un mur, après son passage, on voit sur ce mur les couleurs de l'arc-en-ciel, ou plusieurs couleurs vives ; dont les principales sont le rouge, le jaune, le verd, le bleu & le violet.
La raison de cette apparence est que les rayons qui étoient réunis & mêlés ensemble avant d'entrer dans le prisme, se séparent par la réfraction, en vertu de leur différente réfrangibilité, & paroissent chacun avec sa couleur propre & naturelle.
Ainsi, par exemple, les rayons bleus, qui (dans la fig. 50. Pl. optique) sont représentés, après la réfraction, par des lignes ponctuées, commencent à se séparer des autres sur le côté c a du prisme a b c, par la premiere réfraction qu'ils souffrent en d d : ensuite ils sont de nouveau séparés par une seconde réfraction en e e, qu'ils souffrent à la seconde surface b c du prisme, au lieu que dans un verre plan, ou même dans un prisme dont la position seroit différente, les rayons bleus après avoir été séparés des autres par la réfraction qu'ils souffriroient à la premiere surface, seroient de nouveau mêlés avec les autres par la réfraction qu'ils souffriroient à la seconde surface, & qui seroit précisement contraire à la premiere. En général l'effet du prisme est de rendre divergens les rayons qui y sont tombés paralleles ; au lieu que le verre plan ne détruit point leur parallélisme par la réfraction, voyez REFRACTION. Ainsi un rayon de lumiere, ou ce qui revient au même un rayon blanc, étant regardé comme un faisceau de rayons paralleles de diverses couleurs, (voyez COULEUR & BLANCHEUR), il s'ensuit que ce rayon tombe sur un verre plan, les couleurs restent paralleles & confondues après la réfraction, & le rayon reste blanc ; mais si ce rayon tombe sur un prisme, les rayons qui étoient paralleles avant la réfraction, sortent en s'écartant les uns des autres, & les couleurs dont ce rayon étoit composé paroissent alors séparées. Cela vient de ce que le côté du prisme par où les rayons sortent, n'est pas, & ne sauroit être parallele à celui par où ils entrent. Voyez REFRACTION.
2. L'image projettée sur les murs n'est pas ronde ; mais si l'angle du prisme est de 60 ou 65 degrés, elle est environ 5 fois plus longue que large. Cela vient de ce que le rayon simple qui porte l'image du soleil, est composé de rayons qui après s'être rompus, s'écartent les uns des autres, & qu'ainsi l'image qui auroit dû être ronde & blanche, est oblongue & colorée.
3. Ceux des rayons qui font voir la couleur jaune, s'éloignent plus de leur direction rectiligne, que ceux qui font voir la couleur rouge ; ceux qui font voir la couleur verte s'éloignent encore plus de la ligne droite que les rayons jaunes ; & les rayons violets sont ceux de tous qui s'en éloignent le plus.
4. Si après avoir séparé les rayons par le moyen du prisme, on se sert d'une lentille un peu convexe pour les réunir ; les rayons jaunes, verds, &c. seront réunis par cette lentille, chacun à un foyer particulier, qui sera plus proche de la lentille que le foyer des rayons rouges. La raison de ces deux derniers phénomenes, est que les rayons jaunes souffrent une plus grande réfraction que les rayons rouges ; les rayons verds une plus grande que les rayons jaunes ; enfin que les rayons violets se rompent plus que tous les autres.
5. Quand les couleurs ont été bien séparées, elles ne peuvent plus être détruites, ni alterées en aucune maniere, quelques réfractions nouvelles qu'on leur fasse subir, & par quelque nombre de prismes qu'on les fasse passer ; elles ne reçoivent non plus aucun changement, soit que les rayons traversent un espace éclairé, soit qu'ils se croisent mutuellement, soit qu'ils passent dans le voisinage de l'ombre, soit enfin qu'on les fasse réflechir par les corps naturels.
Les couleurs ne sont donc point de simples modifications, mais des propriétés immuables & inaltérables de la lumiere. Voyez COULEUR.
6. Tous les rayons colorés étant réunis, soit par différens prismes, soit par une lentille, soit par un miroir concave, forment le blanc ; mais si on les sépare de nouveau après leur réunion, chacun représente la couleur qui lui est propre. Voyez BLANCHEUR.
La raison de ce phénomene, est que le rayon étoit blanc lorsqu'il étoit composé de la réunion de différens rayons colorés, qui n'étoient point encore séparés par la réfraction : donc si on réunit ces rayons après les avoir séparés, ils doivent de nouveau former le blanc.
C'est pour cela que si on mêle ensemble, dans une certaine proportion, différentes poussieres rouges, jaunes, vertes, bleues, violettes, &c. on formera une poussiere grise, c'est-à-dire une poussiere dont la couleur sera mêlée de blanc & de noir ; & cette poussiere seroit parfaitement blanche, si une partie des rayons n'étoit pas absorbée.
C'est pour cela encore que si on barbouille un papier de toutes ces différentes couleurs, peintes chacune à part & dans une certaine proportion, & qu'ensuite on fasse tourner le papier assez vîte pour que la vîtesse du mouvement empêche l'oeil de distinguer les différentes couleurs, chacune de ces couleurs disparoîtra, & l'oeil n'en verra plus qu'une seule qui sera entre le blanc & le noir.
7. Si les rayons du soleil tombent sur la surface d'un prisme, avec une certaine obliquité, le prisme refléchira les rayons violets, & laissera passer les rayons rouges.
8. Si on a deux prismes, l'un plein d'une liqueur rouge, l'autre d'une liqueur bleue, ces deux prismes joints ensemble formeront un corps opaque ; mais si l'un des deux seulement est rempli d'une liqueur bleue ou rouge, les deux prismes joints ensemble seront transparens : la raison de cela est que quand les deux prismes sont pleins, chacun d'une liqueur différente, l'un ne transmet que les rayons rouges, l'autre que les rayons bleus, & qu'ainsi les deux prismes joints ensemble, ne doivent transmettre aucuns rayons.
9. Tous les corps naturels, principalement les corps blancs, étant regardés à-travers un prisme paroissent bordés d'un côté d'une espece de frange de rouge & de jaune, & de l'autre d'une frange de bleu & de violet.
10. Si on place deux prismes de telle sorte que le rouge de l'un & le violet de l'autre se rencontrent sur un papier placé dans un endroit obscur, l'image sera pâle ; mais si ces rayons sont reçus sur un troisieme prisme, placé proche de l'oeil à une distance convenable, on verra deux images, l'une rouge, l'autre violette. Si on mêloit ensemble deux sortes de poudres, l'une rouge, l'autre bleue, & qu'on couvrît un petit corps d'une grande quantité de ce mêlange, ce corps vu à-travers un prisme, paroîtra sous une double image, l'une rouge, l'autre bleue.
11. Si les rayons transmis par une lentille, sont reçus sur un papier avant qu'ils se réunissent au foyer, les confins de la lumiere & de l'ombre paroîtront teints d'une couleur rouge : si le papier est audelà du foyer, les confins de la lumiere & de l'ombre seront bleues.
12. Si les rayons prêts à entrer dans l'oeil, sont interceptés en partie par l'interposition de quelque corps opaque placé proche de l'oeil, les bords de ce corps paroîtront teints de différentes couleurs, comme si on le voyoit à-travers un prisme, excepté que ces couleurs seront moins vives. Cela vient de ce que les rayons qui passent par la partie de la prunelle qui peut les recevoir, sont séparés par la réfraction en diverses couleurs, & de ce que les rayons interceptés qui devroient tomber sur le reste de la prunelle, & qui ont une réfrangibilité différente, ne peuvent plus se mêler avec les autres rayons & les effacer pour ainsi dire. C'est pour cela aussi qu'un corps vu avec les deux yeux, à-travers deux petits trous faits dans un papier, paroît non seulement double, mais aussi teint de différentes couleurs. Chambers. (O)
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PRISMOIDE | S. m. terme de Géométrie, qui signifie un solide terminé par différens plans, & dont les bases sont des parallélogrammes rectangles, paralleles & semblablement situés. Voyez PRISME. (E)
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PRISON | (Hist. mod.) on appelle ainsi le lieu destiné à enfermer les coupables, ou prévenus de quelque crime.
Ces lieux ont probablement toujours été en usage depuis l'origine des villes, pour maintenir le bon ordre, & renfermer ceux qui l'avoient troublé. On n'en trouve point de traces dans l'Ecriture avant l'endroit de la Genèse où il est dit que Joseph fut mis en prison, quoiqu'innocent du crime dont l'avoit accusé la femme de Putiphar. Mais il en est fréquemment parlé dans les autres livres de la Bible, & dans les écrits des Grecs & des Romains. Il paroît par les uns & les autres que les prisons étoient composées de pieces ou d'appartemens plus ou moins affreux, les prisonniers n'étant quelquefois gardés que dans un simple vestibule, où ils avoient la liberté de voir leurs parens, leurs amis, comme il paroît par l'histoire de Socrate. Quelquefois, & selon la qualité des crimes, ils étoient renfermés dans des souterrains obscurs, & dans des basses fosses, humides & infectes, témoin celle où l'on fit descendre Jugurtha, au rapport de Salluste. La plûpart des exécutions se faisoient dans la prison, sur-tout pour ceux qui étoient condamnés à être étranglés, ou à boire la ciguë.
Eutrope attribue l'établissement des prisons à Rome, à Tarquin le superbe ; tous les auteurs le rapportent à Ancus Martius, & disent que Tullus y ajouta un cachot qu'on appella long-tems Tullianum. Au reste Juvenal témoigne qu'il n'y eut sous les rois & les tribuns, qu'une prison à Rome. Sous Tibere on en construisit une nouvelle, qu'on nomma la prison de Mamertin. Les Actes des apôtres, ceux des martyrs, & toute l'histoire ecclésiastique des premiers siecles, font foi qu'il n'y avoit presque point de ville dans l'Empire qui n'eût dans son enceinte une prison ; & les Jurisconsultes en parlent souvent dans leurs interprétations des lois. On croit pourtant que par mala mansio, qui se trouve dans Ulpien, on ne doit pas entendre la prison, mais la préparation à la question, ou quelqu'autre supplice de ce genre, usité pour tirer des accusés l'aveu de leur crime, ou de leurs complices.
Les lieux connus sous le nom de lautumiae, & de lapidicinae, que quelques-uns ont pris pour les mines auxquelles on condamnoit certains criminels, n'étoient rien moins que des mines, mais de véritables prisons, ou souterrains creusés dans le roc, ou de vastes carrieres dont on bouchoit exactement toutes les issues. On met pourtant cette différence entre ces deux especes de prisons, que ceux qui étoient renfermés dans les premieres n'étoient point attachés, & pouvoient y aller & venir ; au lieu que dans les autres on étoit enchaîné & chargé de fers.
On trouve dans les lois romaines différens officiers commis soit à la garde, soit à l'inspection des prisons & des prisonniers. Ceux qu'on appelloit commentarii avoient soin de tenir registre des dépenses faites pour la prison dont on leur commettoit le soin ; de l'âge, du nombre de leurs prisonniers, de la qualité du crime dont ils étoient accusés, du rang qu'ils tenoient dans la prison. Il y avoit des prisons qu'on appelloit libres, parce que les prisonniers n'étoient point enfermés, mais seulement commis à la garde d'un magistrat, d'un sénateur, &c. ou arrêtés dans une maison particuliere, ou laissés à leur propre garde dans leur maison, avec défense d'en sortir. Quoique par les lois de Trajan & des Antonins les prisons domestiques, ou ce que nous appellons chartres privées, fussent défendues, il étoit cependant permis en certains cas, à un pere de tenir en prison chez lui un fils incorrigible, à un mari d'infliger la même peine à sa femme, à plus forte raison un maître avoit-il ce droit sur ses esclaves : le lieu où l'on mettoit ceux-ci s'appelloit ergastulum.
L'usage d'emprisonner les ecclésiastiques coupables, est beaucoup plus récent que tout ce qu'on vient de dire ; & quand on a commencé à exercer contr'eux cette sévérité, ç'a moins été pour les punir, que pour leur donner des moyens de faire pénitence. On appelloit les lieux où on les renfermoit à cette intention, decanica, qu'on a mal-à-propos confondu avec diaconum. Voyez DIACONIE. Ils sont aussi de beaucoup antérieurs au tems du pape Eugene II. auquel le jurisconsulte Duaren en attribue l'invention. Long-tems avant ce pontife on usoit de rigueur contre ceux du clergé qui avoient violé les canons dans des points essentiels ; mais après tout, cette rigueur étoit tempérée de charité ; ce n'étoit ni la mort, ni le sang du coupable qu'on exigeoit, mais sa conversion & son retour à la vertu.
C'est ce qui fait que dans l'antiquité on a blâmé les prisons des monasteres, parce qu'il arrivoit qu'on y portoit souvent les châtimens au-delà des justes bornes d'une sévérité prudente. La regle de S. Benoît ne parle point de prison ; elle excommunie seulement les religieux incorrigibles ou scandaleux, c'est-à-dire qu'elle veut qu'ils demeurent séparés du reste de la communauté ; mais non pas si absolument privés de tout commerce, que les plus anciens & les plus sages ne doivent les visiter pour les exhorter à rentrer dans leur devoir, & enfin que s'il n'y a point d'espérance d'amendement, on les chasse hors du monastere. Mais on ne garda pas par-tout cette modération ; des abbés non contens de renfermer leurs religieux dans d'affreuses prisons, les faisoient mutiler, ou leur faisoient crever les yeux. Charlemagne par ses capitulaires, & le concile de Francfort en 785, condamnerent ces excès par rapport à l'abbaye de Fulde. C'est ce qui fit qu'en 817, tous les abbés de l'ordre, assemblés à Aix-la-Chapelle, statuerent que dorénavant dans chaque monastere, il y auroit un logis séparé pour les coupables, consistant en une chambre à feu, & une antichambre pour le travail ; ce qui prouve que c'étoit moins une prison qu'une retraite. Le concile de Verneuil en 844, ordonna la prison pour les moines incorrigibles & fugitifs. On imagina une espece de prison affreuse, où l'on ne voyoit point le jour ; & comme ceux qu'on y renfermoit devoient ordinairement y finir leur vie, on l'appella pour ce sujet, vade in pace. Pierre le vénérable, dit que Matthieu, prieur de S. Martin des Champs à Paris, fit construire un souterrain en forme de sépulcre, où il renferma de la sorte un religieux incorrigible : son exemple trouva des imitateurs. Ceux qu'on mettoit dans ces sortes de prisons y étoient au pain & à l'eau, privés de tout commerce avec leurs confreres, & de toute consolation humaine ; ensorte qu'ils mouroient presque tous dans la rage & le désespoir. Le roi Jean à qui on en porta des plaintes, ordonna que les supérieurs visiteroient ces prisonniers deux fois par mois, & donneroient outre cela permission à deux religieux, à leur choix, de les aller voir, & fit expédier à cet effet des lettres patentes, dont il commit l'exécution au sénéchal de Toulouse, & aux autres sénéchaux de Languedoc où il étoit alors. Les Mineurs & les Freres Prêcheurs murmurerent, reclamerent l'autorité du pape ; mais le roi ne leur ayant laissé que l'alternative d'obéir ou de sortir du royaume, ils affecterent le parti de la soumission. Ce qui n'empêche pas que dans certains ordres il n'y ait toujours eu des prisons monastiques très-rigoureuses, qui ont conservé le nom de vade in pace.
Comme les évêques ont une jurisdiction contentieuse, & une cour de justice qu'on nomme officialité, ils ont aussi des prisons de l'officialité pour renfermer les ecclésiastiques coupables, ou prévenus de crimes. Parmi les prisons séculieres on peut en distinguer plusieurs sortes. Celles qui sont destinées à renfermer les gens arrêtés pour dettes, comme le Fort-l'Evêque à Paris ; celles où l'on tient les malfaiteurs atteints de crimes de vol & d'assassinat, telles que la Conciergerie, la Tournelle, le grand & le petit Châtelet à Paris, Newgate à Londres, &c. les prisons d'état, comme la Bastille, Vincennes, Pierre Encise, le château des sept Tours à Constantinople, la Tour de Londres ; les prisons perpétuelles, comme les îles de sainte Marguerite ; & enfin les maisons de force, comme Bicêtre, Charenton, S. Lazare : ces dernieres ont pour chefs des directeurs ou supérieurs. Les prisons pour les criminels d'état ont des gouverneurs, & les premieres ont des concierges ou geoliers, aussi les appelle-t-on dans plusieurs endroits, la Geole & la Conciergerie. Dans presque toutes les prisons il y a une espece de cour ou esplanade, qu'on nomme préau ou préhaut, dans laquelle on laisse les prisonniers prendre l'air sous la conduite de leurs geoliers, guichetiers & autres gardes. Tiré du supplém. de Moreri, tom. II. avec quelques additions.
PRISON, (Jurisprud.) on peut être emprisonné pour dette en vertu d'un jugement portant contrainte par corps, ou bien en vertu d'un decret de prise de corps pour crime, ou bien en vertu d'un ordre du roi pour quelque raison d'état.
On peut aussi être retenu en prison après un jugement interlocutoire pendant le délai qui est ordonné pour informer plus amplement, ou même après un jugement définitif par forme de peine ; mais quand un criminel est condamné à une prison perpétuelle, cette peine ne s'exécute pas dans les prisons ordinaires, on transfere le criminel dans quelque maison de force où il est également tenu prisonnier.
La prison même pour crime n'ôte pas les droits de cité ainsi un prisonnier peut faire tous actes entrevifs & à cause de mort ; on observe seulement que le prisonnier soit entre les deux guichets lorsqu'il passe l'acte, pour dire qu'il a été fait avec liberté.
Mais celui qui est prisonnier pour crime, dont il peut résulter des réparations civiles & la peine de confiscation, ne peut faire aucune disposition en fraude des droits qui sont acquis sur ses biens.
Quand l'accusé est condamné par le juge séculier à une prison perpétuelle, il perd la liberté & les droits de cité, & conséquemment il est réputé mort civilement ; mais si la condamnation à une prison perpétuelle est émanée du juge d'église, elle n'emporte pas mort civile.
Il y a trois sortes de prisons ; savoir, les prisons royales, celles des seigneurs, & les prisons des officialités.
Il est défendu à toutes personnes de tenir quelqu'un en chartre privée, & aux seigneurs justiciers, d'avoir des prisons dans leurs châteaux, & cela pour empêcher l'abus qu'ils en pourroient faire.
L'ordonnance d'Orléans leur enjoint d'avoir des prisons sûres & qui ne soient pas plus basses que le rez-de-chaussée, ils doivent aussi entretenir un geolier qui y réside ; & si faute de ce, les prisonniers s'échappent, ils en sont responsables, tant au civil, qu'au criminel.
On voit par les anciennes ordonnances, que les habitans de certains pays avoient autrefois des privileges pour n'être pas emprisonnés ; par exemple, on ne pouvoit pas arrêter prisonniers les habitans de Nevers, s'ils avoient dans la ville ou dans le territoire des biens suffisans pour payer ce à quoi ils pouvoient être condamnés ; & au cas qu'ils n'en eussent pas, en donnant des ôtages ; ils pouvoient cependant être constitués prisonniers dans le cas de vol, de rapt, & d'homicide, lorsqu'ils étoient pris sur le fait, ou qu'il se présentoit quelqu'un qui s'engageoit à prouver qu'ils avoient commis ces crimes.
On ne pouvoit pas non plus mettre en prison un habitant de la ville de Saint-Géniez, en Languedoc, pour des délits légers, s'il donnoit caution de payer ce à quoi il seroit condamné.
De même à Villefranche en Périgord, on ne pouvoit pas arrêter un habitant, ni saisir ses biens, s'il donnoit caution de se présenter en justice, à moins qu'il n'eût fait un meurtre ou une plaie mortelle, ou commis d'autres crimes, emportant confiscation de corps & de biens.
Les habitans de Boiscommun & ceux de Chagny, jouissoient du même privilege.
Les Castillans commerçant dans le royaume, ne pouvoient être mis en prison avant d'avoir été menés devant le juge ordinaire.
Celui qui n'avoit pas le moyen de payer une amende étoit condamné à une prison équipollente à cette amende.
Les prisonniers du châtelet de Paris devoient avoir une certaine quantité de pain, de vin & de viande le jour de la fête de la confrairie des drapiers de Paris, & les gentilshommes devoient avoir le double.
Les orfevres de Paris donnoient aussi à dîner le jour de Pâque aux prisonniers qui vouloient l'accepter.
Une partie des marchandises de rôtisserie qui étoient confisquées, étoit donnée aux pauvres prisonniers du châtelet.
Les privileges accordés par le roi Jean, à la ville d'Aigues-Mortes en 1350, portent que les femmes prisonnieres seront séparées des hommes, & qu'elles seront gardées par des femmes sûres.
Le surplus de ce qui concerne les prisons & les prisonniers, se trouve expliqué aux mots CONTRAINTE PAR CORPS, DETTE & ÉLARGISSEMENT, EMPRISONNEMENT. Voyez aussi le tit. 13. de l'ordonnance de 1670. Bornier, ibid. & la déclaration du 6 Janvier 1680. (A)
PRISON DES VENTS, (Architect.) ou pour le dire plus noblement, palais d'Eole ; c'est un lieu souterrain, comme une carriere, où les vents frais étant conservés, se communiquent par des conduits ou voûtes souterraines, appellées en italien ventidotti, dans les salles pour les rendre fraîches pendant l'été. Voyez l'Architecture de Palladio, l. I. c. 27. (D.J.)
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PRISONNIER | S. m. (Gram.) celui qui est détenu dans une prison. Voyez l'article PRISON.
PRISONNIER DE GUERRE, (Droit de la Guerre) tout homme qui dans la guerre, pris par l'ennemi les armes à la main, ou autrement, tombe en sa puissance.
C'étoit un usage assez universellement établi autrefois, que tous ceux qui étoient pris dans une guerre solemnelle, soit qu'ils se fussent rendus eux-mêmes, ou qu'ils eussent été enlevés de vive force, devenoient esclaves du moment qu'ils étoient conduits dans quelque lieu de la dépendance du vainqueur, ou dont il étoit le maître. Cet usage s'étendoit même à tous ceux qui se trouvoient pris malheureusement sur les terres de l'ennemi, dans le tems que la guerre s'étoit allumée. De plus, non-seulement ceux qui étoient faits prisonniers de guerre, mais encore leurs descendans qui naissoient dans cet esclavage, étoient réduits à la même condition.
Il y a quelque apparence que la raison pour laquelle les nations avoient établi cette pratique de faire des esclaves dans la guerre, étoit principalement de porter les troupes à s'abstenir du carnage, par le profit qu'on retiroit de la possession des esclaves ; aussi les historiens remarquent que les guerres civiles étoient beaucoup plus cruelles que les autres, en ce que le plus souvent on tuoit les prisonniers, parce qu'on n'en pouvoit pas faire des esclaves.
Les chrétiens entr'eux ont aboli l'usage de rendre esclaves les prisonniers de guerre ; on se contente de les garder jusqu'à la paix, ou jusqu'à ce qu'on ait payé leur rançon, dont l'estimation dépend du vainqueur, à moins qu'il n'y ait quelque cartel qui la fixe.
Les anciens Romains ne se portoient pas aisément à racheter les prisonniers de guerre ; ils examinoient, 1°. si ceux qui avoient été pris par les ennemis, avoient gardé les lois de la discipline militaire, s'ils méritoient d'être rachetés, & le parti de la rigueur prévaloit ordinairement, comme le plus avantageux à la république.
Mais il est plus conforme au bien de l'état & à l'humanité, de racheter les prisonniers de guerre, à moins que l'expérience ne fasse voir, qu'il est nécessaire d'user envers eux de cette rigueur, pour prévenir ou corriger des maux plus grands, qui sans cela seroient inévitables. De plus, le rachat des prisonniers de guerre est extrêmement favorable aux chrétiens, par rapport à leurs captifs qui sont entre les mains des barbares ; & sans doute, que pour parvenir à payer leur rançon, il est très-permis de tirer des églises les vases sacrés.
Un accord fait pour la rançon d'un prisonnier de guerre ne peut être révoqué, sous prétexte qu'un prisonnier se trouve plus riche que l'on ne l'avoit cru ; car cette circonstance du plus ou du moins de richesse du prisonnier, n'a aucune liaison avec l'engagement ; desorte que si l'on vouloit régler là-dessus la rançon, il falloit avoir mis cette condition dans le traité.
Quand on a fait quelqu'un prisonnier de guerre, on n'acquiert la propriété que de ce qu'on lui a enlevé effectivement ; ainsi l'argent ou les autres choses qu'un prisonnier de guerre a eu soin de tenir cachés, ou de dérober aux recherches que l'on a faites, lui demeurent assurément en pleine propriété ; & par conséquent, il peut s'en servir pour sa rançon ; l'ennemi ne sauroit avoir pris possession de ce dont il n'avoit aucune connoissance ; & d'ailleurs le prisonnier n'est point tenu de lui déclarer tout ce qu'il possede ; c'est aussi la décision de Grotius.
L'héritier d'un prisonnier de guerre est-il obligé de payer la rançon que le défunt avoit promise ? Si le prisonnier est mort en captivité, l'héritier ne doit rien, car la promesse du défunt supposoit son relâchement ; que s'il étoit déja relâché quand il est venu à mourir, l'héritier doit la rançon sans contredit.
Mais un prisonnier de guerre relâché, à condition d'en relâcher un autre pris par les siens, doit-il revenir se mettre entre les mains de l'ennemi, lorsque l'autre est mort avant qu'il ait obtenu son relâchement ? Je réponds, que le prisonnier de guerre relâché n'est point tenu à cette démarche, car cela n'a point été stipulé ; cependant il ne paroît pas juste non plus qu'il jouisse de la liberté en pur gain ; il faut donc qu'il donne un dédommagement, ou qu'il paye la rançon du prisonnier mort, à l'ennemi envers qui il s'est engagé.
Un prisonnier de guerre doit néanmoins tenir la parole qu'il a donnée de revenir si la guerre subsiste, & qu'il ne soit pas échangé, parce qu'il n'auroit pas eu sa liberté sans cela ; & qu'il vaut mieux pour lui, & pour l'état, qu'il ait la permission de s'absenter pour un tems, que s'il demeuroit toujours captif. Ce fut donc pour satisfaire à son devoir, que Régulus retourna à Carthage, & se remit entre les mains de ses ennemis.
Il faut juger de même de la promesse par laquelle on s'engage à ne point servir contre le prince dont on est prisonnier de guerre. En vain objecteroit-on qu'un tel engagement est contraire à ce qu'on doit à la patrie. Il n'y a rien de contraire au devoir d'un bon citoyen, de se procurer la liberté qu'il desire, en promettant de s'abstenir d'une chose dont il est au pouvoir de l'ennemi de le priver ; la patrie ne perd rien par-là, elle y gagne même à certains égards, puisqu'un prisonnier de guerre, tant qu'il n'est pas relâché, est perdu pour elle.
Si l'on a promis de ne point se sauver, il faut également tenir sa parole, quand même on auroit donné sa promesse dans les fers ; mais au cas que le prisonnier de guerre ait donné cette parole, à condition qu'il ne seroit point resserré de cette maniere, il en est quitte s'il est remis dans les fers.
Si les particuliers qui se sont engagés à l'ennemi, ne veulent point tenir leur parole, leur souverain doit-il les y contraindre ? Sans doute : en vain seroient-ils liés par leur promesse, s'il n'y avoit quelqu'un qui pût les forcer à s'en acquiter ?
Mais un roi prisonnier de guerre lui-même, pourroit-il conclure un traité de paix obligatoire pour la nation ? Les plus célébres écrivains décident pour la négative, parce qu'on ne sauroit présumer raisonnablement que le peuple ait voulu conférer la souveraineté à qui que ce soit, avec pouvoir de l'exercer sur les choses de cette importance dans le tems que ce prince ne seroit pas maître de sa propre personne. Cependant à l'égard des conventions qu'un roi prisonnier, auroit faites touchant ce qui lui appartient en particulier, on les doit regarder comme bonnes & valables.
Le lecteur peut consulter Grotius sur les questions qui concernent les prisonniers de guerre, & la dissertation de Boëcler intitulée : Miles captivus. Cependant puisque S. Louis a été fait prisonnier de guerre, il faut que j'ajoute un mot du prix de sa rançon, qui a tant exercé nos historiens, sans qu'ils soient encore demeurés d'accord sur ce point. On peut avoir leurs différentes opinions dans la vingtieme dissertation de Ducange sur Joinville ; & je crois qu'on doit plutôt s'en rapporter à cet historien, qu'à ce qu'en ont écrit tous les autres, puisque d'ailleurs il avoit assisté au payement de la somme qu'on fit au soudan d'Egypte pour retirer S. Louis de captivité. Il assure que la rançon du roi fut de huit cent mille bezans, qui valoient quatre cent mille livres. Par conséquent, chaque bezant devoit valoir dix sols : chacun de ces sols pesoit une dragme, sept grains 26/58 ; desorte qu'il y en avoit cinquante-huit au marc. Sur ce fondement, il me semble qu'on peut assurer que la rançon du roi fut de cent trente-sept mille neuf cent trente-un marcs, deux gros, quatorze grains ; chaque gros tournois d'argent de ce tems-là, pesoit justement une dragme, 5, 6 ou 7 grains de notre poids de marc. De cette maniere, les cent trente-sept mille neuf cent trente-un marcs qu'on donna pour la rançon de S. Louis, sur le pié de 52 liv. le marc d'argent qui est sa valeur actuelle, font cinq millions, trois cent quatre-vingt-dix-sept mille quatre cent douze livres. (D.J.)
PRISONNIER, s. m. (Serrurerie) serrure à laquelle on a ménagé une petite tête comme aux broches à lambris. On fait entrer cette tête dans un trou de deux ou trois lignes de profondeur en une barre de fer, & l'on resserre avec un burin le fer tout-autour ; cette sorte de rivure sert à fixer les plates-bandes sur les rampes des escaliers, des balcons, &c.
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PRISONNIERES | S. m. pl. (Soierie) étoffes de soie très-minces qui imitent la gase.
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PRISTAF | S. m. (Hist. mod.) nom que les Moscovites donnent à un officier de la cour du czar, chargé de la part du prince de recevoir sur la frontiere les ambassadeurs & ministres étrangers, de les défrayer & de leur procurer des voitures à eux & à leur suite. C'est ce que nous appellons un maréchal-des-logis de la cour. Voyez MARECHAL-DES-LOGIS.
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PRISTAN | (Géogr. mod.) ville nouvelle, élevée par le czar Pierre dans le Kamtschatka, & qui est habitée par une colonie russienne. (D.J.)
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PRISTINA | ou PRESTINA, (Géogr. mod.) ville des états du turc en Europe, dans la partie orientale de la Servie, aux confins de la Bulgarie, sur la Rusca, à 22 lieues sud-ouest de Nissa, & 58 sud-est de Belgrade. Long. 39. 40. latit. 42. 43.
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PRITANÉE | S. m. (Gramm. Hist. anc.) c'étoit à Athènes le lieu où l'on entretenoit ceux qui avoient rendu de grands services à l'état ; c'est là aussi que les magistrats s'assembloient, tenoient conseil & rendoient la justice.
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PRIVAS | (Géogr. mod.) petite ville de France dans le Vivarais sur un côteau, à une lieue du Rhône. Elle a été la retraite des calvinistes de la province. Louis XIII. en fit le siége en personne, & la soumit le 27 Mai 1629. Long. 22. 15. latit. 44. 46. (D.J.)
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PRIVATAIRE | S. m. (Gramm. Hist. eccl.) nom d'office ou de dignité de l'Eglise dans le moyen âge ; on croit que c'étoit le trésorier.
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PRIVATIF | adj. quantité privative en terme d'Algebre, est la même chose que quantité négative ; on l'appelle ainsi pour l'opposer à la quantité positive ou affirmative. Voyez QUANTITE, NEGATIF, &c. Le mot négatif est aujourd'hui le seul usité.
Les quantités privatives se désignent par le signe de soustraction -, qui les précede. Chambers. (O)
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PRIVATION | S. f. (Gramm.) absence, défaut, privation d'un bien qu'on souhaite, & qui est nécessaire.
PRIVATION, en terme canonique, signifie interdiction ou suspension. Voyez INTERDIT & SUSPENSE.
Les mystiques appellent privation de Dieu, les aridités, les sécheresses de l'ame, à qui Dieu ne se fait plus sentir.
Quelques théologiens de l'Eglise romaine enseignent communément que les enfans qui meurent sans baptême vont aux limbes, où ils sont privés de la vue de Dieu.
PRIVATION, en terme de Physique, est un principe chimérique & négatif, qu'Aristote a voulu joindre à la forme & à la matiere pour constituer un corps naturel. Voyez MATIERE & FORME.
Il ne signifie que l'absence de la forme future ; chaque chose suivant Aristote, est formée de ce qui n'étoit point cette chose auparavant ; par exemple, un poulet est produit de ce qui n'étoit point un poulet avant sa formation. C'est ce que les Philosophes appellent privation. Voyez PRINCIPE.
Aristote traite les anciens de rustiques & de grossiers, pour n'avoir pas reconnu la privation pour un des principes des causes naturelles ; mais c'est une injustice de leur reprocher d'avoir ignoré une chose qu'il est impossible d'ignorer ; & c'est une illusion que d'avoir produit au monde ce principe de la privation comme un secret fort rare, puisqu'il n'y a personne qui ne suppose comme une chose connue, qu'une chose n'est point avant que d'être faite. Voyez ARISTOTELICIEN, &c.
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PRIVÉ | APPRIVOISé, (Synonymes) les animaux privés le sont naturellement, & les apprivoisés le sont par l'art & par l'industrie de l'homme. Le chien, le boeuf & le cheval sont des animaux privés ; l'ours & le lion sont quelquefois apprivoisés. Les bêtes sauvages ne sont pas privées ; les farouches ne sont pas apprivoisées.
Le verbe apprivoiser s'employe fort bien au figuré pour signifier manier les esprits, les adoucir. Solon sçut insensiblement apprivoiser avec les idées de justice, d'ordre & de loi, un peuple nourri dans la licence ; ce mot se dit aussi avec le pronom personnel pour s'accoutumer. L'habitude nous apprivoise à tout ; j'admire ceux qui savent s'apprivoiser avec tout le monde, rien n'est plus commun dans notre nation ; mais il s'y trouve aussi des gens si farouches, qu'on ne peut les apprivoiser. (D.J.)
PRIVE, PARTICULIER, SECRET, adj. (Gramm.) en ce sens il s'oppose à public ; & l'on dit après s'être livré aux affaires de l'état, il s'est retiré, & il jouit des douceurs d'une vie privée.
Il est synonyme à propre ; il a fait cet acte de son autorité propre ou privée.
Il se prend aussi dans le sens du substantif privation. Le dogme chrétien prive du salut éternel tous ceux qui n'ont pas eu la foi en Jesus-Christ, & même les enfans morts sans avoir reçu le baptême.
PRIVE Conseil, (Jurisprudence) se disoit autrefois pour conseil privé, voyez au mot CONSEIL, l'article CONSEILS DU ROI. (A)
PRIVE, (Archit.) voyez AISANCE.
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PRIVER | v. act. (Gramm.) ôter quelque chose à quelqu'un. Il se dit des choses & des personnes. Dieu nous prive de ses graces ; notre imprudence nous prive de plusieurs avantages. Je me suis privé quelquefois des choses essentielles à la vie pour le soutenir.
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PRIVERNUM | (Géogr. anc.) ville d'Italie dans le Latium, au pays des Volsques, au voisinage des Palus Pomptines, à quelques lieues de la mer, sur le bord du fleuve Amazenus. Virgile parle de cette ville dans son Eneïde, l. IX. v. 576 ; & il nous apprend qu'elle étoit ancienne. l. XI. v. 539.
Pulsus ob invidiam regno, viresque superbas,
Priverno antiquâ Metabus cùm excederet urbe.
Tite-Live, l. VIII. ch. xxj. appelle les habitans Privernates ; & Pline, l. XIV. ch. vj. nomme les vins qui croissent aux environs Privernatia vina. Privernum est mise par Frontin au nombre des colonies romaines. On en voit encore les ruines près d'un bourg nommé Piperno. Le fleuve Amazenus est aujourd'hui la Toppie. (D.J.)
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PRIVILEGE | S. m. (Gramm.) avantage accordé à un homme sur un autre. Les seuls privileges légitimes, ce sont ceux que la nature accorde. Tous les autres peuvent être regardés comme injustices faites à tous les hommes en faveur d'un seul. La naissance a ses privileges. Il n'y a aucune dignité qui n'ait les siennes ; tout a le privilege de son espece & de sa nature.
PRIVILEGE, (Gouv. Comm. polit.) privilege signifie une distinction utile ou honorable, dont jouissent certains membres de la société, & dont les autres ne jouissent point. Il y en a de plusieurs sortes ; 1°. de ceux qu'on peut appeller inhérens à la personne par les droits de sa naissance ou de son état, tel est le privilege dont jouit un pair de France ou un membre du parlement, de ne pouvoir en matiere criminelle être jugé que par le parlement ; l'origine de ces sortes de privileges est d'autant plus respectable qu'elle n'est point connue par aucun titre qui l'ait établie, & qu'elle remonte à la plus haute antiquité : 2°. de ceux qui ont été accordés par les lettres du prince registrées dans les cours où la jouissance de ces privileges pouvoit être contestée. Cette deuxieme espece se subdivise encore en deux autres suivant la différence des motifs qui ont déterminé le prince à les accorder. Les premiers peuvent s'appeller privileges de dignité ; ce sont ceux qui, ou pour services rendus, ou pour faire respecter davantage ceux qui sont à rendre, sont accordés à des particuliers qui ont rendu quelque service important ; tel que le privilege de noblesse accordé gratuitement à un roturier ; & tel aussi que sont toutes les exemptions de taille & autres charges publiques accordées à de certains offices. Entre ceux de cette derniere espece, il faut encore distinguer ceux qui n'ont réellement pour objet que de rendre les fonctions & les personnes de ceux qui en jouissent plus honorables, & ceux qui ont été accordés moyennant des finances payées dans les besoins de l'état ; mais toujours & dans ce dernier cas même, sous l'apparence de l'utilité des services. Enfin la derniere espece de privileges est de ceux qu'on peut appeller de nécessité. J'entends par ceux-ci les exemptions particulieres, qui n'étant point accordées à la dignité des personnes & des fonctions, le sont à la simple nécessité de mettre ces personnes à couvert des vexations auxquelles leurs fonctions même les exposent de la part du public. Tels sont les privileges accordés aux commis des fermes & autres préposés à la perception des impositions. Comme leur devoir les oblige de faire les recouvremens dont ils sont chargés, ils sont exposés à la haine & aux ressentimens de ceux contre qui ils sont obligés de faire des poursuites ; desorte que s'il étoit à la disposition des habitans des lieux de leur faire porter une partie des charges publiques, ou ils en seroient bientôt surchargés, ou la crainte de cette surcharge les obligeroit à des ménagemens qui seroient préjudiciables au bien des affaires dont ils ont l'administration. De la différence des motifs qui ont produit ces différentes especes de privileges, naît aussi dans celui qui en a la manutention, la différence des égards qu'il doit à ceux qui en sont pourvûs. Ainsi lorsqu'un cas de nécessité politique & urgent, & celui-ci fait cesser tous les privileges ; lorsque ce cas, dis-je, exige qu'il soit dérogé à ces privileges, ceux qui par leur nature sont les moins respectables, doivent être aussi les premiers auxquels il soit dérogé ! En général & hors le cas des privileges de la premiere espece, j'entends ceux qui sont inhérens à la personne ou à la fonction, & qui sont en petit nombre ; on ne doit reconnoître aucuns privileges que ceux qui sont accordés par lettres du prince dûement enregistrées dans les cours qui ont à en connoître. Il faut en ce cas même qu'ils soient réduits dans l'usage à leurs justes bornes, c'est-à-dire à ceux qui sont disertement énoncés dans le titre consécutif, & ne soient point étendus au-delà. Ils ne sont point du tout dans l'esprit de la maxime favores ampliandi, parce qu'autrement, étant déja, & par leur nature une surcharge pour le reste du public, cette surcharge portée à un trop haut point, deviendroit insoutenable ; ce qui n'a jamais été ni pû être l'intention du législateur. Il seroit fort à souhaiter que les besoins de l'état, la nécessité des affaires, ou des vues particulieres n'eussent pas, autant qu'il est arrivé, multiplié les privileges, & que de tems en tems on revînt sur ces motifs, auxquels ils doivent leur origine, qu'on les examinât soigneusement, & qu'ayant bien distingué la différence de ces motifs, on se résolût à ne conserver que les privileges qui auroient des vues utiles au prince & au public. Il est très-juste que la noblesse dont le devoir est de servir l'état dans les armées, ou du-moins d'élever des sujets pour remplir cette obligation ; que des magistrats considérables par l'étendue & l'importance de leurs fonctions, & qui rendent la justice dans les tribunaux supérieurs, jouissent de distinctions honorables, qui en même tems sont la récompense des services qu'ils rendent, & leur procurent le repos d'esprit & la considération dont ils ont besoin pour vaquer utilement à leurs fonctions. La portion des charges publiques dont ils sont exempts retombe à la vérité sur le surplus des citoyens ; mais il est juste aussi que ces citoyens dont les occupations ne sont ni aussi importantes ni aussi difficiles à remplir, concourent à récompenser ceux d'un ordre supérieur. Il est juste & décent pareillement que ceux qui ont l'honneur de servir le roi dans son service domestique, & qui approchent de sa personne, & dont les fonctions exigent de l'assiduité, de l'éducation & des talens, participent en quelque façon à la dignité de leur maître, en ne restant pas confondus avec le bas ordre du peuple. Mais il semble qu'il faudroit encore distinguer dans tous les cas les personnes dont les services sont réels & utiles, soit au prince, soit au public, & ne pas avilir les faveurs dont ceux-ci jouissent légitimement en les confondant avec un grand nombre de gens inutiles à tous égards, & qui n'ont pour titres qu'un morceau de parchemin acquis presque toujours à très-bas prix. Un bourgeois aisé & qui à lui-seul pourroit payer la moitié de la taille de toute une paroisse, s'il étoit imposé à sa dûe proportion, pour le montant d'une année ou de deux de ses impositions, & souvent pour moins, sans naissance, sans éducation & sans talens, achete une charge dans un bureau d'élection ou de grenier à sel, ou une charge inutile & de nul service chez le roi, ou chez un prince qui a une maison, charge dont le titre même est souvent ignoré du maître, & dont il ne fait jamais aucun usage ; ou se fait donner dans les fermes du roi un petit emploi souvent inutile, & dont les produits ne sont autres que les exemptions même attachées à la commission, vient jouir à la vue du public de toutes les exemptions dont jouissent la noblesse & la grande magistrature ; tandis qu'un officier du principal siége de justice de la province, qui n'est point cour supérieure, est pour les impositions & autres charges publiques, confondu avec les moins considérés du peuple. De ces abus de privileges naissent deux inconvéniens fort considérables ; l'un que la partie des citoyens la plus pauvre est toujours surchargée au-delà de ses forces ; or cette partie est cependant la plus véritablement utile à l'état, puisqu'elle est composée de ceux qui cultivent la terre & procurent la subsistance aux ordres supérieurs ; l'autre inconvénient est que les privileges dégoutent les gens qui ont du talent & de l'éducation d'entrer dans les magistratures ou des professions qui exigent du travail & de l'application, & leur font préférer de petites charges & de petits emplois où il ne faut que de l'avidité, de l'intrigue & de la morgue pour se soutenir & en imposer au public. De ces réflexions, il faut conclure ce qui a déja été observé ci-devant, que soit les tribunaux ordinaires chargés de l'administration de la partie de la justice qui a rapport aux impositions & aux privileges, soit ceux qui par état sont obligés de veiller à la répartition particuliere des impositions & des autres charges publiques, ne peuvent rien faire de plus convenable & de plus utile, que d'être fort circonspects à étendre les privileges, & qu'ils doivent autant qu'il dépend d'eux, les réduire aux termes précis auxquels ils ont été accordés, en attendant que des circonstances plus heureuses permettent à ceux qui sont chargés de cette partie du ministere de les réduire au point unique où ils seroient tous utiles. Cette vérité leur est parfaitement connue ; mais la nécessité de pourvoir à des remboursemens ou des équivalens arrête sur cela leurs desirs, & les besoins publics renaissans à tous momens, souvent les forcent non-seulement à en éloigner l'exécution, mais même à rendre cette exécution plus difficile pour l'avenir. De là aussi est arrivé que la noblesse qui par elle-même est, ou devroit être la récompense la plus honorable dont le souverain pourroit reconnoître des services importans ou des talens supérieurs, a été prodiguée à des milliers de familles dont les auteurs n'ont eu pour se la procurer que la peine d'employer des sommes même souvent assez modiques, à acquérir des charges qui la leur donnoient, & dont l'utilité pour le public étoit nulle, soit par défaut d'objet, soit par défaut de talens. Cet article deviendroit un volume si l'on y recherchoit le nombre & la qualité de ces titres, & les abus de tous ces privileges ; mais on a été forcé à se restraindre à ce qu'il y a sur cette matiere de plus général, de plus connu, & de moins contesté.
Privilege exclusif. On appelle ainsi le droit que le prince accorde à une compagnie, ou à un particulier, de faire un certain commerce, ou de fabriquer & de débiter une certaine sorte de marchandise à l'exclusion de tous autres. Lorsqu'avec les sciences spéculatives, les arts qui en sont la suite naturelle sortirent de l'oubli & du mépris où les troubles publics les avoient ensevelis, il étoit tout simple que les premiers inventeurs ou restaurateurs fussent récompensés du zele & des talens qui les portoient à faire des établissemens utiles au public & à eux-mêmes. Le défaut ou la rareté des lumieres & de l'industrie, obligerent aussi les magistrats à ne confier la fabrication & le débit des choses utiles & sur-tout des nécessaires, qu'à des mains capables de répondre aux desirs des acheteurs. De-là naquirent les privileges exclusifs. Quoiqu'il y ait une fort grande différence entre l'objet d'une fabrique importante & celui d'un métier ordinaire ; entre celui d'une compagnie de commerce, & celui d'un débit en boutique ; que tout le monde sente la disproportion qu'il y a entre des établissemens aussi différens par leur étendue ; il faut convenir cependant que la différence toute grande qu'elle est n'est que du plus au moins ; & que s'il y a des points où de différentes sortes de commerce & d'industrie s'éloignent les unes des autres, il y en a aussi où elles se touchent. Elles ont du-moins cela de commun que toutes deux tiennent au bien général de l'état. Or de cette observation il résulte qu'on peut à certains égards les rassembler sous le même point de vûe pour leur prescrire des regles, ou plutôt pour que le gouvernement s'en prescrive sur la façon de les protéger & de les rendre plus utiles. Dans l'origine on regarda comme un moyen d'y parvenir, d'accorder à des compagnies en état d'en faire les avances, & d'en supporter les risques, des privileges exclusifs, pour faire certains commerces avec l'étranger qui exigeoient un appareil auquel de simples particuliers ne pouvoient subvenir par leurs propres forces ; on peut aussi considérer comme des privileges exclusifs les maîtrises qui furent établies pour les métiers les plus ordinaires, & qui ne s'acquéroient & ne s'acquierent encore dans les villes qu'après avoir fait par des apprentissages des preuves de connoissance & de capacité. On donna à ces différens corps des réglemens qui tendoient tous à n'y laisser admettre qu'à de certaines conditions, & qui en excluoient tous ceux qui ne pouvoient pas ou ne vouloient pas s'y soumettre. Les métiers les plus bas & les plus faciles furent englobés dans le système général, & personne ne put vendre du pain & des souliers qui ne fût maître boulanger & maître cordonnier. Le gouvernement regarda bien-tôt comme des privileges les réglemens qui accordoient ces droits exclusifs, & en tira parti pour subvenir dans les occasions aux besoins de l'état. On fit aux changemens de regne payer à ces corps des droits de confirmation de privilege, on y créa des charges, on obligea les corps à les payer ; & pour qu'ils pussent y subvenir, on leur permit de faire des emprunts qui lierent encore plus étroitement ces corps au gouvernement, qui les autorisa d'autant plus à faire valoir leurs droits exclusifs, à n'admettre de nouveaux maîtres qu'en payant des droits d'entrée & frais de réception, & à renchérir d'autant le prix de l'industrie & des marchandises qu'ils débitoient. Ainsi ce qui dans son origine avoit été établi pour de simples vûes d'utilité, devint un abus. Tout homme qui sans tant de façon & de frais auroit pû gagner sa vie en exerçant par-tout indifféremment un métier qu'il pouvoit apprendre facilement, n'eût plus la liberté de le faire ; & comme ces établissemens de corps & métier sont faits dans les villes où l'on n'est pas communément élevé à la culture de la terre, ceux qui ne pouvoient y exercer des métiers furent obligés de s'engager dans les troupes, ou, ce qui est encore pis, d'augmenter ce nombre prodigieux de valets qui sont la partie des citoyens la plus inutile & la plus à charge à l'état. Le public de sa part y perdit le renchérissement des marchandises & de la main-d'oeuvre. On fut obligé d'acheter 3 livres 10 sols une paire de souliers faits par un maître, qu'on auroit payée bien moins en la prenant d'un ouvrier qui n'y auroit mis que du cuir & sa façon. Lorsque les connoissances, l'industrie & les besoins, se sont étendus, on a senti tous ces inconvéniens, & on y a remédié autant que la situation des affaires publiques a pû le permettre. On a restreint les privileges exclusifs pour les compagnies de commerce aux objets qui étoient d'une trop grande conséquence, qui exigeoient des établissemens trop dispendieux même pour des particuliers réunis en associations, & qui tenoient de trop près aux vûes politiques du gouvernement pour être confiés indifféremment aux premiers venus. On a suivi à-peu-près les mêmes vûes pour l'établissement des nouvelles manufactures. On s'est refusé aux demandes qui ont été faites fort souvent sous prétexte de nouvelles idées ou qui n'avoient rien de trop recherché, ou qui avoient des objets qui pouvoient être suppléés d'autre maniere ; & on s'est contenté d'accorder protection aux établissemens qui pouvoient le mériter par leur singularité & leur utilité. Il seroit fort à souhaiter que des vûes aussi sages pussent s'étendre aux objets subalternes ; que tout homme qui a de l'industrie, du génie ou du talent, pût en faire librement usage, & ne fût pas assujetti à des formalités & des frais qui ne concourent pour rien au bien public. Si un ouvrier essaie, sans être assez instruit, à faire une piece de toile ou de drap, & qu'il la fasse mal ; outre que le maître en feroit tout autant, il la vendra moins, mais enfin il la vendra, & il n'aura pas perdu entierement sa matiere & son tems, il apprendra par de premieres épreuves qui ne lui auront pas réussi, à faire mieux ; plus de gens travailleront, l'émulation ou plutôt l'envie du succès fera sortir le génie & le talent. La concurrence fera mieux faire, & diminuera le prix de la main-d'oeuvre, & les villes & les provinces se rempliront successivement d'ouvriers, & de debitans qui rassembleront des marchandises, en feront le triage, mettront le prix aux différens degrés de bonté de fabrication, les débiteront dans les lieux qui leur sont propres, feront des avances aux ouvriers, & les aideront dans leurs besoins. De ce goût de travail & de petites manufactures dispersées naîtroit une circulation d'argent & d'industrie, & un emploi constant des talens, des forces & du tems. Les privileges exclusifs de toute espece seroient réduits aux seuls établissemens qui, par la nature de leur objet & par la grandeur nécessaire à ces établissemens, seroient au-dessus de la force des simples particuliers, & auroient sur-tout pour objet des choses de luxe & non d'absolue nécessité : or de cette derniere espece on ne connoît que les forges & les verreries qui, à d'autres égards, méritent une attention particuliere en ce qu'il ne faut en permettre l'établissement que dans les lieux où les bois sont abondans, & ne peuvent être employés à d'autres usages ; sur quoi il faut aussi observer de n'en pas surcharger un pays par les raisons qui ont été exposées article FORGE.
PRIVILEGE, (Jurisprud.) Les privileges ne s'étendent point par interprétation d'une personne à une autre, ni d'une chose à une autre, ni d'un cas à un autre.
C'est à celui qui allégue un privilege à le prouver.
Privilege signifie aussi quelquefois la préférence que l'on accorde à un créancier sur les autres, non pas eu égard à l'ordre des hypotheques, mais à la nature des créances & selon qu'elles sont plus ou moins favorables, & qu'un créancier se trouve avoir un droit spécial sur un certain effet.
Il y a différens degrés de privilege entre créanciers qui ne passent chacun qu'en leur rang. Quand il y a parité de privilege, on préfere celui qui plaide pour ne pas perdre quelque chose ; & si tous deux sont dans ce cas, on décharge le défendeur. Voyez Mornac sur la loi XI. §. ult. ff. de minor.
Privilege de bailleur de fonds, est la préférence que l'on accorde sur le gage spécial à celui qui a vendu le fonds, ou qui l'a donné à rente, ou qui a prêté ses deniers pour acquérir. Voyez BAILLEUR DE FONDS.
Privilege des bourgeois de Paris. Voyez BOURGEOIS DE PARIS.
Privilege de cléricature. Voyez CLERC & CLERICATURE.
Privilege des commensaux. Voyez COMMENSAUX.
Privilege du committimus. Voyez COMMITTIMUS.
Privilege du fisc. Voyez FISC.
Privileges des foires de Brie & Champagne, & de Lyon. Voyez CONSERVATEUR, CONSERVATION & FOIRES.
Privilege des frais funéraires. Voyez FRAIS FUNERAIRES.
Privilege des frais de justice. Voyez FRAIS DE JUSTICE.
Privilege de garde-gardienne. Voyez GARDE. GARDIENNE.
Privilege de maçon. Voyez MAÇON.
Privilege de nanti de gages. Voyez GAGE.
Privilege de noblesse. Voyez NOBLESSE.
Privilege du premier saisissant. Voyez CONTRIBUTION, DECONFITURE, SAISIE.
Privilege du propriétaire. Voyez PROPRIETAIRE.
Privilege de scholarité. Voyez SCHOLARITE.
Privileges des villes, sont les franchises, exemptions & immunités, qui leur ont été accordées par les rois & autres seigneurs. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, dans lequel on trouve plusieurs de ces privileges. (A)
PRIVILEGE de chasse, c'est une concession singuliere que le roi octroie, & toujours par lettres-patentes qui doivent être vérifiées en la chambre des comptes.
PRIVILEGE d'impression, (Librairie) c'est une permission qu'un auteur ou un libraire obtient au grand sceau, pour avoir seul la permission d'imprimer ou faire imprimer tel livre ; ce privilege est proprement exclusif, & paroît n'avoir commencé que sous Louis XII. en 1507. L'édit du 21 Août 1686 & les arrêts du 2 Octobre 1701 & du 13 Août 1703 contiennent en cent douze articles les réglemens de la Librairie de France sur le fait des privileges ; quelques-uns des derniers réglemens dérogent aux anciens, d'autres sont mal expliqués, & plusieurs sont contraires au bien & à l'avantage du commerce de la Librairie. (D.J.)
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PRIVILÉGIÉ | S. m. (Jurisprud.) se dit de quelqu'un qui jouit de certains privileges, ou de quelque lieu dans lequel on jouit de certaines exemptions.
Il y a des marchands privilégiés suivant la cour ; d'autres qui vendent dans des lieux privilégiés : les uns & les autres n'ont pas besoin de maîtrise.
On entend aussi par privilégiés ceux qui ont droit de committimus ou garde-gardienne, &c.
Les privilégiés sont encore certaines personnes qui, par une prérogative attachée à leur office, sont exemptes de payer des droits pour les biens qu'elles vendent ou achetent dans la mouvance du roi.
Il y a aussi des églises privilégiées par rapport à certaines exemptions dont elles jouissent relativement à la jurisdiction de l'ordinaire. Voyez EXEMPTION.
Un créancier privilégié est celui dont la créance est plus favorable que les créances ordinaires, & qui par cette raison doit être préféré aux autres créanciers même hypothécaires. Voyez ci-devant le mot PRIVILEGE. (A)
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PRIVILEGIUM | (Jurisprudence rom.) ce mot répond à-peu-près à notre decret personnel. Le privilegium étoit souvent compris sous le mot général de loi, & n'en differoit que parce qu'il ne regardoit qu'une seule personne, comme l'indique l'étymologie, au lieu que la loi étoit énoncée en termes généraux, sans application à aucun particulier. Les decrets nommés privilegia étoient défendus par les lois des douze tables, & ne pouvoient s'ordonner contre un citoyen que dans une assemblée par centuries. Celui du bannissement de Cicéron étoit, par cette raison contre les lois ; mais le parti de l'abrogation lui parut plus sûr, que de faire intervenir en sa faveur un decret du sénat. Mongaut. (D.J.)
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PRIX | S. m. (Droit nat. & civil) quantité morale ou mesure commune, à la faveur de laquelle on peut comparer ensemble, & réduire à une juste égalité, non-seulement les choses extérieures, mais encore les actions qui entrent en commerce, & que l'on ne veut pas faire gratuitement pour autrui.
On peut diviser le prix en prix propre ou intrinseque, & prix virtuel ou éminent. Le premier, c'est celui que l'on conçoit dans les choses mêmes, ou dans les actions qui entrent en commerce, selon qu'elles sont plus ou moins capables de servir à nos besoins, ou à nos commodités, & à nos plaisirs. L'autre est celui qui est attaché à la monnoie, & à tout ce qui en tient lieu, en tant qu'elle renferme virtuellement la valeur de toutes ces sortes de choses ou d'actions, & qu'elle sert de regle commune pour comparer & ajuster ensemble la variété infinie de degrés d'estimation dont elles sont susceptibles.
Le fondement intérieur du prix propre ou intrinseque, c'est l'aptitude qu'ont les choses ou les actions à servir médiatement ou immédiatement aux besoins, aux commodités ou aux plaisirs de la vie. Ajoutez à cette idée de Puffendorf que les choses susceptibles de prix, doivent être non-seulement de quelqu'usage, véritablement ou idéalement ; mais encore être de telle nature, qu'elles ne suffisent pas aux besoins de tout le monde. Plus une chose est utile ou rare en ce sens-là, & plus son prix propre ou intrinseque hausse ou baisse. L'eau, qui est une chose si utile, n'est point mise à prix, excepté en certains lieux, & en certaines circonstances particulieres où elle se trouve rare.
Il n'y a rien qui ne puisse être mis à prix ; car il suffit que ceux qui traitent ensemble estiment tant ou tant une chose, pour qu'elle soit susceptible d'évaluation. Mais il y a des choses qui sont d'une telle nature, qu'il seroit fort inutile de les mettre à prix, comme la haute région de l'air, le vaste Océan, &c. qui ne sont point susceptibles de propriété.
Il y a d'autres choses qui ne doivent pas être mises à prix, parce qu'il y a quelque loi divine & humaine qui le défend ; si donc on met à prix ces sortes de choses défendues, c'est un prix deshonnête, quoiqu'en lui-même aussi réel que celui qu'on attache aux choses les plus légitimes & les plus innocentes. Il faut cependant bien remarquer que ce n'est point mettre à prix, par exemple, la justice ou les choses saintes, lorsque les juges & les ministres publics de la religion reçoivent quelque salaire, pour la peine qu'ils prennent & le tems qu'ils donnent aux fonctions de leurs emplois. Mais un juge vend la justice, lorsqu'il se laisse corrompre par des présens, & un ministre public de la religion vend les choses sacrées, lorsqu'il ne veut exercer les fonctions particulieres de sa charge qu'en faveur de ceux qui ont de quoi lui faire des présens. Les collateurs des bénéfices, & des emplois ecclésiastiques, trafiquent aussi des choses saintes, lorsqu'ils conferent ces bénéfices, & ces emplois, non au plus digne, mais par faveur, ou pour de l'argent.
Il y a diverses raisons qui augmentent ou diminuent le prix d'une seule & même chose, & qui font préférer une chose à l'autre, quoique celle-ci paroisse d'un égal, ou même d'un plus grand usage dans la vie. Car bien-loin que le besoin qu'on a d'une chose, ou l'excellence des usages qu'on en tire décide toujours de son prix, on voit au contraire, que les choses dont la vie humaine ne sauroit absolument se passer sont celles qui se vendent à meilleur marché, parce que tout le monde les cultive ou les fabrique. On peut dire en général que toutes les circonstances qui augmentent le prix des choses, n'ont cette vertu qu'à cause qu'elles font d'une maniere ou d'autre que ce qui étoit plus commun le devient moins ; & quant aux choses qui sont d'un usage ordinaire ou continuel, c'est le besoin ou la nécessité jointes à la rareté qui en augmente le plus le prix.
Quelquefois une personne par quelque raison particuliere estime beaucoup plus certaine chose que ne fait toute autre personne, c'est ce que l'on appelle prix d'inclination, lequel ne décide rien pour la valeur réelle de la chose.
Quand il s'agit de déterminer le prix de telle ou telle chose en particulier, on se regle encore sur d'autres considérations outre celles des circonstances dont nous avons parlé ; & c'est alors les lois qui fixent le prix des choses.
Dans l'indépendance de l'état de nature, les conventions particulieres décident du prix de chaque chose, parce qu'il n'y a point de maître commun qui puisse établir les loix de commerce. Il est donc libre à chacun dans l'état de nature de vendre ou d'acheter sur le pié qu'il lui plaît, à moins cependant qu'il ne s'agisse de choses absolument nécessaires à la vie, dont on a abondance, & dont quelqu'autre qui en a grand besoin ne peut se pourvoir ailleurs ; car alors il y auroit de l'inhumanité à se prévaloir de son indigence, pour exiger de lui un prix excessif d'une chose essentielle à ses besoins.
Mais dans une société civile le prix des choses se regle de deux manieres, ou par l'ordonnance du magistrat & par les lois, ou par l'estimation commune des particuliers, accompagnée du consentement des contractans. La premiere sorte de prix est appellée par quelques-uns prix légitime, parce que le vendeur ne sauroit légitimement exiger rien au-delà ; l'autre sorte de prix se nomme prix courant. On mesure le prix de toutes les choses, par ce qu'on nomme monnoie, à la faveur de laquelle on se pourvoit de tout ce qui est à vendre ; & l'on fait commodément toutes sortes de commerces & de contrats. La monnoie s'appelle prix éminent ou virtuel, parce qu'elle renferme virtuellement la valeur de chaque chose. Voyez MONNOIE. (D.J.)
PRIX de musique & de poésie, (Antiq. grecq.) les Grecs établirent des prix de musique & de poésie dans leurs quatre grands jeux publics ; les jeux olympiques, les pythiques, les isthmiques, & les néméens.
Cléomene le Rhapsode, selon Athenée, chanta aux jeux olympiques le poëme d'Empédocle intitulé les expiations, & le chanta de mémoire. Néron y disputa le prix de musique & de poésie, & fut déclaré vainqueur, comme le témoignent Philostrate & Suétone, lequel s'en explique en ces termes : Olympia quoque praeter consuetudinem musicum agona commisit. Cet historien observe, comme l'on voit, que ce fut contre la coutume ; mais le passage d'Athenée fait foi que ce n'est pas la seule occasion où l'on y ait dérogé : outre que, suivant la remarque de Pausanias, il y avoit près d'Olympie un gymnase appellé Lalichmion, ouvert à tous ceux qui vouloient s'exercer à l'envi dans les combats d'esprit ou littéraires de toute espece, & d'où apparemment ceux de la poésie musicale n'étoient point exclus. Il y a même beaucoup d'apparence que le praeter consuetudinem de Suétone (contre la coutume, par extraordinaire), ne tombe que sur la saison, ou sur le tems, où ces jeux furent célebrés exprès pour Néron. Selon Elien, Xénoclès & Euripide disputerent le prix de la poésie dramatique dans ces même jeux, dès la 81. olympiade. Dans la 96, il y eut à Olympie un prix proposé pour les joueurs de trompette, & ce fut Timée l'Eléen qui le gagna.
Autant que les combats de musique semblent avoir été rares aux jeux olympiques, autant étoient-ils ordinaires aux pythiques, dont ils faisoient la premiere & la plus considérable partie. On prétend même que ceux-ci, dans leur origine, n'avoient été institués que pour y chanter les louanges d'Apollon, & y distribuer des prix aux poëtes musiciens qui se signalerent en ce genre. Le premier qu'on y couronna fut Chrysosthémis de Crete, après lequel reçurent le même honneur successivement Philammon & Thamyris, dont j'ai parlé plus haut ; Etheuther par le charme seul de sa voix, car il ne chantoit que la poésie d'autrui ; puis Céphalès, grand joueur de cithare ; Echembrote & Sacadas, excellens joueurs de flûte. On dit qu'Hésiode y manqua le prix, faute d'avoir su accompagner de la lyre les poésies qu'il y chanta.
Il paroît par un passage de Plutarque, & par un autre de l'empereur Julien, que les combats de musique & de poésie trouvoient aussi leur place dans les jeux isthmiques. A l'égard des néméens, le passage d'Hygin allégué sur ce point par Pierre du Faur, ne prouve que pour les jeux d'Argos ; & quoi qu'en dise celui-ci, le mythologiste ne les a point confondus avec ceux de Nemée, dont il fait un article à part, où il n'est question ni de poësie, ni de musique. Mais nous apprenons par un passage de Pausanias, que l'une & l'autre y étoient admises. C'est au chap. l. du VIII. liv. où il dit que " Philopémen assistant aux jeux néméens, où des joueurs de cithare disputoient le prix de musique ; Pylade de Mégalopolis, un des plus habiles en cet art, & qui avoit déja remporté le prix aux jeux pythiques, se mit à chanter un cantique de Timothée de Milet, intitulé les Perses, & qui commençoit par ce vers :
Héros qui rends aux Grecs l'aimable liberté.
Aussi-tôt tout le monde jetta les yeux sur Philopémen, & tous s'écrierent, que rien ne convenoit mieux à ce grand homme. "
On proposoit des prix de poësie & de musique nonseulement pour les grands jeux de la Grece, mais encore pour ceux qu'on célébroit dans plusieurs villes de ce même pays : dans celle d'Argos, à Sicyone, à Thèbes, à Lacédémone, dans les jeux carniens, à Athènes, pendant la fête des pressoirs, , & celle des Panathenées ; à Epidaure dans les jeux établis pour la fête d'Esculape ; à Ithome dans la Messenie, pour la fête de Jupiter ; à Délos, dans les jeux célebres dès le tems d'Homere, & que les Athéniens y rétablirent, selon Thucydide, après avoir purifié cette île, dans la sixieme année de la guerre du Péloponnèse ; à Samos, dans les jeux qu'on y donnoit en l'honneur de Junon, & du Lacédémonien Lysandre ; à Dion en Macédoine, dans ceux qu'y institua le roi Archelaüs, pour Jupiter & pour les muses ; à Patras ; à Naples, &c. Mém. des inscrt. t. X. in-4.
On ne se rappelle point l'histoire & le caractere des Grecs, sans se peindre avec admiration ces jeux célébres où paroissoient en tous les genres les productions de l'esprit & des talens, qui concouroient ensemble par une noble émulation aux plaisirs du plus spirituel de tous les peuples. Non-seulement l'adresse & la force du corps cherchoient à y acquérir un honneur immortel ; mais les historiens, les sophistes, les orateurs & les poëtes lisoient leurs ouvrages dans ces augustes assemblées, & en recevoient le prix. A leur exemple on vit des peintres y exposer leurs tableaux, & des sculpteurs offrir aux regards du public des chefs-d'oeuvres de l'art, faits pour orner les temples des dieux. (D.J.)
PRIX des marchandises, (Commerce) le prix, l'estimation des marchandises, dépend ordinairement de leur abondance & de la rareté de l'argent, quelquefois de la nouveauté & de la mode qui y mettent la presse, plus souvent de la nécessité & du besoin qu'on en a ; mais par rapport à elles-mêmes, leur prix véritable & intrinseque doit s'estimer sur ce qu'elles coutent au marchand, & sur ce qu'il est juste qu'il y gagne, eu égard aux différentes dépenses où il est engagé par le négoce qu'il en fait. (D.J.)
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PRO-SCARABE | meloe, s. m. (Hist. nat.) insecte que M. Linnaeus a mis dans la classe des coléopteres. Il est mou & entierement noir, excepté les piés, les antennes & le ventre, qui ont un peu de violet. On trouve cet insecte au mois de Mai sur le bord des champs & sur les collines exposées au soleil. Linnaei fauna suecica. Voyez INSECTE.
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PRO-STITE | subst. m. dans l'ancienne Architecture grecque ; étoit une rangée de colonnes élevées à la façade d'un temple. V. TEMPLE & AMPHIPERISTILE. Ce mot est formé du grec , devant, & , colonne. Voyez TEMPLE.
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PROAO | S. m. (Mythologie) divinité des anciens Germains qu'ils représentoient, tenant de la main droite une pique environnée d'une espece de banderolle, & de la gauche un écu d'armes. On dit que ce dieu présidoit aux marchés publics, afin que tout s'y vendît avec équité ; mais la Mythologie dont nous avons le moins de connoissance, est celle des anciens Germains.
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PROAROSIES | S. f. pl. (Mythologie) on appelloit ainsi les sacrifices qu'on faisoit à Cerès avant les semailles. (D.J.)
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PROBABILISTE | S. m. (Gram. Théol.) celui qui tient pour la doctrine abominable des opinions rendues probables par la décision d'un casuiste, & qui assure l'innocence de l'action faite en conséquence. Pascal a foudroyé ce systême, qui ouvroit la porte au crime, en accordant à l'autorité les prérogatives de la certitude, à l'opinion & la sécurité qui n'appartient qu'à la bonne conscience.
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PROBABILITÉ | (Philosoph. Logiq. Matth.) toute proposition considérée en elle-même est vraie ou fausse ; mais relativement à nous, elle peut être certaine ou incertaine ; nous pouvons appercevoir plus ou moins les relations qui peuvent être entre deux idées, ou la convenance de l'une avec l'autre, fondée sous certaines conditions qui les lient, & qui lorsqu'elles nous sont toutes connues, nous donnent la certitude de cette vérité, ou de cette proposition ; mais si nous n'en connoissons qu'une partie, nous n'avons alors qu'une simple probabilité, qui a d'autant plus de vraisemblance que nous sommes assurés d'un plus grand nombre de ces conditions. Ce sont elles qui forment les degrés de probabilité, dont une juste estime & une exacte mesure feroient le comble de la sagacité & de la prudence.
Les Géomêtres ont jugé que leur calcul pouvoit servir à évaluer ces degrés de probabilité, du moins jusqu'à un certain point, & ils ont eu recours à la Logique, ou à l'art de raisonner, pour en découvrir les principes, & en établir la théorie. Ils ont regardé la certitude comme un tout & les probabilités comme les parties de ce tout. En conséquence le juste degré de probabilité d'une proposition leur a été exactement connu, lorsqu'ils ont pu dire & prouver que cette probabilité valoit un demi, un quart, ou un tiers de la certitude. Souvent ils se sont contentés de le supposer ; leur calcul en lui-même n'en est pas moins juste ; & ces expressions, qui d'abord peuvent paroître un peu bisarres, n'en sont pas moins significatives. Des exemples pris des jeux, des paris, ou des assurances, les éclairciront. Supposons que l'on vienne me dire que j'ai eu à une loterie un lot de dix mille livres, je doute de la vérité de cette nouvelle. Quelqu'un qui est présent, me demande quelle somme je voudrois donner pour qu'il me l'assurât. Je lui offre la moitié, ce qui veut dire que je ne regarde la probabilité de cette nouvelle, que comme une demi-certitude ; mais si je n'avois offert que mille livres, c'eût été dire que j'avois neuf fois plus de raison de croire la vérité de la nouvelle que de ne pas la croire. Ou ce seroit porter la probabilité à neuf degrés, de maniere que la certitude en ayant dix, il n'en manqueroit qu'un pour ajouter une foi entiere à la nouvelle.
Dans l'usage ordinaire, on appelle probable ce qui a plus d'une demi-certitude vraisemblable, ce qui la surpasse considérablement ; & moralement certain, ce qui touche à la certitude entiere. Nous ne parlons ici que de la certitude morale, qui coincide avec la certitude mathématique, quoiqu'elle ne soit pas susceptible des mêmes preuves. L'évidence morale n'est donc proprement qu'une probabilité si grande, qu'il est d'un homme sage de penser & d'agir, dans les cas où l'on a cette certitude, comme l'on devroit penser & agir, si l'on en avoit une mathématique. Il est d'une évidence morale qu'il y a une ville de Rome : le contraire n'implique pas contradiction ; il n'est pas impossible que tous ceux qui me disent l'avoir vue, ne s'accordent pour me tromper, que les livres qui en parlent ne soient faits exprès pour cela, que les monumens que l'on en a ne soient supposés ; cependant, si je refusois de me rendre à une évidence appuyée sur les preuves que j'ai de l'évidence de Rome, simplement parce qu'elles ne sont pas susceptibles d'une démonstration mathématique, on pourroit me traiter, avec raison, d'insensé, puisque la probabilité qu'il y a une ville de Rome, l'emporte si fort sur le soupçon qu'il peut n'y en point avoir, qu'à peine pourroit-on exprimer en nombre cette différence, ou la valeur de cette probabilité. Cet exemple suffit pour faire connoître l'évidence morale & ses degrés qui sont autant de probabilités. Une demi-certitude forme l'incertain, proprement dit, où l'esprit trouvant de part & d'autre les raisons égales, ne sait quel jugement porter, quel parti prendre. Dans cet état d'équilibre, la plus légere preuve nous détermine ; souvent on en cherche où il n'y a ni raison, ni sagesse à en chercher ; & comme il est assez difficile, en bien des cas, où les raisons opposées approchent à-peu-près de l'égalité, de déterminer quelles sont celles qui doivent l'emporter, les hommes les plus sages étendent le point de l'incertitude ; ils ne le fixent pas seulement à cet état de l'ame, où elle est également entraînée de part & d'autre par le poids des raisons ; mais ils le portent encore sur toute situation qui en approche assez, pour qu'on ne puisse pas s'appercevoir de l'inégalité ; il arrive de-là que le pays de l'incertitude est plus ou moins vaste, selon le défaut plus ou moins grand de lumieres, de logique, & de courage. Il est plus serré chez ceux qui sont les plus sages, ou les moins sages ; car la témérité le borne encore plus que la prudence, par la hardiesse de ses décisions. Au-dessous de cette demi-certitude ou de l'incertain, se trouvent le soupçon & le doute, qui se terminent à la certitude de la fausseté d'une proposition. Une chose est fausse d'une évidence morale, quand la probabilité de son existence est si fort inférieure à la probabilité contraire, qu'il y a dix mille, cent mille à parier contre un qu'elle n'est pas.
Voilà les degrés de probabilité entre les deux évidences opposées. Avant que d'en rechercher les sources, il ne sera pas inutile dans un article où l'on ne veut pas se contenter du simple calcul géométrique, d'établir quelques regles générales, qui sont régulierement observées par les personnes sages & prudentes.
1°. Il est contre la raison de chercher des probabilités, & de s'en contenter là où l'on peut parvenir à l'évidence. On se moqueroit d'un mathématicien, qui, pour prouver une proposition de géométrie, auroit recours à des opinions, à des vraisemblances, tandis qu'il pourroit apporter sa démonstration ; ou d'un juge qui préféreroit de deviner par la vie passée d'un criminel, s'il est coupable, plutôt que d'entendre sa confession, par laquelle il avoue son crime.
2°. Il ne suffit pas d'examiner une ou deux des preuves qu'on peut mettre en avant, il faut peser à la balance de l'examen toutes celles qui peuvent venir à notre connoissance, & servir à découvrir la vérité. Si l'on demande quelle probabilité il y a qu'un homme âgé de 50 ans meure dans l'année, il ne suffit pas de considérer qu'en général de cent personnes de 50 ans, il en meurt environ 3 ou 4 dans l'année, & conclure qu'il y a 96 à parier contre 4, ou 24 contre un ; il faut encore faire attention au tempérament de cet homme-là, à l'état actuel de sa santé, à son genre de vie, à sa profession, au pays qu'il habite ; tout autant de circonstances qui influent sur la durée de sa vie.
3°. Ce n'est pas assez des preuves qui servent à établir une vérité, il faut encore examiner celles qui la combattent. Demande-t-on si une personne connue & absente de sa patrie depuis 25 ans, dont l'on n'a eu aucune nouvelle, doit être regardée comme morte ? D'un côté l'on dit que, malgré toutes sortes de recherches l'on n'en a rien appris ; que comme voyageur elle a pu être exposée à mille dangers, qu'une maladie peut l'avoir enlevée dans un lieu où elle étoit inconnue ; que si elle étoit en vie, elle n'auroit pas négligé de donner de ses nouvelles, surtout devant présumer qu'elle auroit un héritage à recueillir, & autres raisons que l'on peut alléguer. Mais, à ces considérations, on en oppose d'autres qui ne doivent pas être négligées. On dit que celui dont il s'agit est un homme indolent, qui, en d'autres occasions n'a point écrit, que peut-être ses lettres se sont perdues, qu'il peut être dans l'impossibilité d'écrire. Ce qui suffit pour faire voir qu'en toutes choses il faut peser les preuves, les probabilités de part & d'autre, les opposer les unes aux autres, parce qu'une proposition très-probable peut être fausse, & qu'en fait de probabilité, il n'y en a point de si forte qu'elle ne puisse être combattue & détruite par une contraire encore plus forte. De-là l'opposition que l'on voit tous les jours entre les jugemens des hommes. De-là la plûpart des disputes qui finiroient bientôt, si l'on vouloit ne pas regarder comme évident ce qui n'est que probable, écouter & peser les raisons que l'on oppose à notre avis.
4°. Est-il nécessaire d'avertir que dans nos jugemens il est de la prudence de ne donner son acquiescement à aucune proposition qu'à proportion de son degré de vraisemblance ? Qui pourroit observer cette regle générale, auroit toute la justesse d'esprit, toute la prudence, toute la sagesse possible. Mais que nous en sommes éloignés ! Les esprits les plus communs peuvent avec de l'attention discerner le vrai du faux ; d'autres qui ont plus de pénétration, savent distinguer le probable de l'incertain ou du douteux ; mais ce ne sont que les génies distingués par leur sagacité qui peuvent assigner à chaque proposition son juste degré de vraisemblance, & y proportionner son assentiment : ah que ces génies sont rares !
5°. Bien plus, l'homme sage & prudent ne considérera pas seulement la probabilité du succès, il pesera encore la grandeur du bien ou du mal qu'on peut attendre en prenant un tel parti, ou en se déterminant pour le contraire, ou en restant dans l'inaction ; il préférera même celui où il sait que l'apparence du succès est fort légere, lorsqu'il voit en même-tems que le risque qu'il court n'est rien ou fort peu de chose ; & qu'au contraire s'il réussit, il peut obtenir un bien très-considérable.
6°. Puisqu'il n'est pas possible de fixer avec cette précision qui seroit à desirer les degrés de probabilité, contentons-nous des à-peu-près que nous pouvons obtenir. Quelquefois, par une délicatesse mal entendue, l'on s'expose soi-même, & la société, à des maux pires que ceux qu'on voudroit éviter ; c'est un art que de savoir s'éloigner de la perfection en certains articles, pour s'en approcher davantage en d'autres plus essentiels & plus intéressans.
7°. Enfin il semble inutile d'ajouter ici que dans l'incertitude on doit suspendre à se déterminer & à agir jusqu'à ce qu'on ait plus de lumiere, mais que si le cas est tel qu'il ne permette aucun délai, il faut s'arrêter à ce qui paroîtra le plus probable ; & une fois le parti que nous avons jugé le plus sage étant pris, il ne faut plus s'en repentir, lors-même que l'évenement ne répondroit pas à ce que nous avions lieu d'en attendre. Si, dans un incendie, on ne peut échapper qu'en sautant par la fenêtre, il faut se déterminer pour ce parti, tout mauvais qu'il est. L'incertitude seroit pire encore, & quelle qu'en soit l'issue, nous avons pris le parti le plus sage, il ne faut point y avoir de regret.
Après ces regles générales dont il sera aisé de faire l'application, venons aux sources de probabilité. Nous les réduisons à deux especes : l'une renferme les probabilités tirées de la considération de la nature même, & du nombre des causes ou des raisons qui peuvent influer sur la vérité de la proposition dont il s'agit : l'autre n'est fondée que sur l'expérience du passé qui peut nous faire tirer avec confiance des conjectures pour l'avenir, lors du-moins que nous sommes assûrés que les mêmes causes qui ont produit le passé existent encore, & sont prêtes à produire l'avenir.
Un exemple fera mieux connoître la nature & la différence de ces deux sources de probabilité. Je suppose que l'on sache que l'on a mis dans une urne trente mille billets, parmi lesquels il y en a dix mille noirs & vingt mille blancs, & qu'on demande quelle est la probabilité qu'en en tirant un au hasard, il sortira blanc ? Je dis que par la seule considération de la nature des choses, & en comparant le nombre des causes qui peuvent faire sortir un billet blanc avec le nombre de celles qui en peuvent faire sortir un noir, par cela seul il est deux fois plus probable qu'il sortira un billet blanc qu'un noir, desorte que, comme le billet qui va sortir est nécessairement ou blanc ou noir, si l'on partage cette certitude en trois degrés ou parties égales, on dira qu'il y a deux degrés de probabilité de tirer un billet blanc, & un degré pour le billet noir, ou que la probabilité d'un billet blanc est 2/3 de la certitude, & celle du billet noir 1/3 de cette certitude.
Mais supposez que je ne voie dans l'urne qu'un grand nombre de billets, sans savoir la proportion qu'il y a des blancs aux noirs, ou même sans savoir s'il n'y en a point d'une troisieme couleur, en ce cas comment déterminer la probabilité d'en tirer un blanc ? Je dis que ce sera en faisant des essais, c'est-à-dire en tirant un billet pour voir ce qu'il sera, puis le remettant dans l'urne, en tirer un second que je remets aussi, puis un troisieme, un quatrieme, & ainsi de suite autant que je voudrois. Il est clair que le premier billet tiré étant venu blanc, ne donne qu'une probabilité très-légere que le nombre des blancs surpasse celui des noirs, un second tiré blanc augmenteroit cette probabilité, un troisieme la fortifieroit. Enfin si j'en tirois de suite un grand nombre de blancs, je serai en droit de conclure qu'ils sont tous blancs, & cela avec d'autant plus de vraisemblance que j'aurois plus tiré de billets. Mais si sur les trois premiers billets j'en tire deux blancs & un noir, je puis dire qu'il y a quelque probabilité bien légere, qu'il y a deux fois plus de blancs que de noirs. Si sur six billets il en sort quatre blancs & deux noirs, la probabilité augmente, & elle augmentera à mesure que le nombre des essais ou des expériences me confirmera toujours la même proportion des blancs aux noirs. Si j'avois fait trois mille essais, & que j'eusse deux mille billets blancs contre mille noirs, je ne pourrois guere douter qu'il n'y eût deux fois plus de blancs que de noirs, & par conséquent que la probabilité de tirer un blanc ne fût double de celle de tirer un noir.
Cette maniere de déterminer probablement le rapport des causes qui font naître un événement à celles qui le font manquer, ou plus généralement la proportion des raisons ou conditions qui établissent la vérité d'une proposition avec celles qui donnent le contraire, s'applique à tout ce qui peut arriver ou ne pas arriver, à tout ce qui peut être ou ne pas être. Quand je vois sur des registres mortuaires que pendant vingt, cinquante ou cent années du nombre des enfans qui naissent, il en meurt le tiers avant l'âge de six ans, je conclurai d'un enfant nouvellement né que la probabilité qu'il parviendra au-moins à l'âge de six ans est les 2/3 de la certitude. Si je vois que de deux joueurs qui jouent à billes égales, le premier gagne toujours deux parties, tandis que l'autre n'en gagne qu'une, je conclurai avec beaucoup de probabilité qu'il est deux fois plus fort que son antagoniste ; si je remarque que quelqu'un de cent fois qu'il m'a parlé, m'a menti en dix occasions, la probabilité de son témoignage ne sera dans mon esprit que les 9/10 de la certitude ou même moins.
L'attention donnée au passé, la fidélité de la mémoire à retenir ce qui est arrivé & l'exactitude des registres à conserver les événemens, font ce qu'on appelle dans le monde l'expérience. Un homme qui a de l'expérience est celui qui ayant beaucoup vu & beaucoup réfléchi, peut vous dire à-peu-près (car ici nous n'allons pas à la précision mathématique) quelle probabilité il y a que tel événement étant arrivé, tel autre le suivra ; ainsi toutes choses d'ailleurs égales, plus on a fait d'épreuves ou d'expériences, & plus on s'assûre du rapport précis du nombre des causes favorables au nombre des causes contraires.
On pourroit demander si cette probabilité augmentant à l'infini par une suite d'expériences répétées, peut devenir à la fin une certitude morale ; ou si ces accroissemens sont tellement limités, que diminuant graduellement ils ne fassent à l'infini qu'une probabilité finie. Car on sait qu'il y a des augmentations qui, quoique perpétuelles, ne font pourtant à l'infini qu'une somme finie ; par exemple, si la premiere expérience donnoit une probabilité qui ne fût que 1/3 de la certitude, & la seconde une probabilité qui ne fût que le tiers de ce tiers, & la troisieme une probabilité qui ne fût que le tiers de la seconde, & la quatrieme une probabilité qui ne fût que le tiers de la troisieme, & ainsi à l'infini. Il seroit aisé par le calcul de voir que toutes ces probabilités ensemble ne font qu'une demi-certitude, desorte qu'on auroit beau faire une infinité d'expériences, on ne viendroit jamais à une probabilité qui se confondît avec la certitude morale, ce qui feroit conclure que l'expérience est inutile, & que le passé ne prouve rien pour l'avenir.
M. Bernoulli, le géometre qui entendoit le mieux ces sortes de calculs, s'est proposé l'objection & en a donné la réponse. On la trouvera dans son livre de arte conjectandi, p. 4. dans toute son étendue ; problême, suivant lui, aussi difficile que la quadrature du cercle. Il y fait voir que la probabilité qui naissoit de l'expérience répétée alloit toujours en croissant, & croissoit tellement qu'elle s'approchoit indéfiniment de la certitude. Son calcul nous apprend à déterminer (la question proposée d'une maniere fixe) combien de fois il faudroit réïtérer l'expérience pour parvenir à un degré assigné de probabilité. Ainsi, dans le cas d'une urne pleine d'un grand nombre de boules blanches & noires, on veut s'assûrer par l'expérience du rapport des blanches aux noires ; M. Bernoulli trouve que pour qu'il soit mille fois plus probable qu'il y en a deux noires sur trois blanches que non pas toute autre supposition, il faut avoir tiré de l'urne 25550 boules, & que, pour que cela fût dix mille fois plus probable, il falloit avoir fait 31258 épreuves ; enfin, pour que cela devint cent mille fois plus probable, il falloit 36966 tirages. La difficulté & la longueur du calcul ne permettent pas de le rapporter ici en entier, on peut le voir dans le livre cité.
Par-là il est démontré que l'expérience du passé est un principe de probabilité pour l'avenir ; que nous avons lieu d'attendre avec raison des événemens conformes à ceux que nous avons vu arriver ; & que plus nous les avons vu arriver fréquemment, & plus nous avons lieu de les attendre de nouveau. Ce principe reçu, on sent de quelle utilité seroient dans les questions de Physique, de Politique, & même dans ce qui regarde la vie commune, des tables exactes qui fixeroient sur une longue suite d'événemens la proportion de ceux qui arrivent d'une certaine façon à ceux qui arrivent autrement. Les usages qu'on a tirés des registres baptistaires & mortuaires sont si grands, que cela devroit engager non-seulement à les perfectionner en marquant, par exemple, l'âge, la condition, le tempérament, le genre de mort, &c. mais aussi à en faire de plusieurs autres événemens, que l'on dit très-mal-à-propos être l'effet du hasard ; c'est ainsi que l'on pourroit former des tables qui marqueroient combien d'incendies arrivent dans un certain tems, combien de maladies épidémiques se font sentir en certains espaces de tems, combien de navires périssent, &c. ce qui deviendroit très-commode pour résoudre une infinité de questions utiles, & donneroit aux jeunes gens attentifs toute l'expérience des vieillards.
Il est bien entendu que l'on ne donnera pas dans l'abus, qui n'est que trop ordinaire, de la preuve de l'expérience, que l'on n'établira pas sur un petit nombre de faits une grande probabilité, que l'on n'ira pas jusqu'à opposer ou à préférer même une foible probabilité à une certitude contraire, que l'on ne donnera pas dans la foiblesse de ces joueurs qui ne prennent que les cartes qui ont gagné ou celles qui ont perdu, quoiqu'il soit évident par la nature des jeux d'hasard, que les coups précédens n'influent point sur les suivans. Superstition cependant bien plus pardonnable que tant d'autres qui, sur l'expérience la plus légere ou sur le raisonnement le moins conséquent, ne s'introduisent que trop dans le courant de la vie.
A ces deux principes généraux de probabilité, nous pouvons en joindre de plus particuliers, tels que l'égale possibilité de plusieurs événemens, la connoissance des causes, le témoignage, l'analogie & les hypothèses.
1°. Quand nous sommes assûrés qu'une certaine chose ne peut arriver qu'en un certain nombre déterminé de manieres, & que nous savons ou supposons que toutes ces manieres ont une égale possibilité, nous pouvons dire avec assûrance que la probabilité qu'elle arrivera d'une telle façon vaut tant ou est égale à autant de parties de la certitude. Je sais, par exemple, qu'en jettant un dez au hasard, j'amene sûrement ou 1 point, ou le 2, ou le 3, ou le 4, ou le 5, ou le 6. Supposons d'ailleurs le dez parfaitement juste, la possibilité est la même pour tous les points. Il y a donc ici six probabilités égales, qui toutes ensemble font la certitude ; ainsi chacune est une sixieme partie de cette certitude. Ce principe tout simple qu'il paroît, est infiniment fécond ; c'est sur lui que sont formés tous les calculs que l'on a faits & que l'on peut faire sur les jeux d'hasard, sur les loteries, sur les assûrances, & en général sur toutes les probabilités susceptibles de calcul. Il ne s'agit que d'une grande patience & d'un détail de combinaisons, pour démêler le nombre des événemens favorables & le nombre des contraires. C'est sur ce principe, joint à l'expérience, que l'on détermine les probabilités de la vie humaine, ou du tems qu'une personne d'un certain âge peut probablement se flatter de vivre ; ce qui fait le fondement du calcul des valeurs des rentes viageres, des tontines. Voyez les essais sur les probabilités de la vie humaine, & les ouvrages cités à la fin de cet article. Il s'étend au calcul des rentes mises sur deux ou trois têtes payables au dernier vivant, sur les jouissances, les pensions alimentaires, sur les contrats d'assurance, les paris, &c.
J'ai dit que ce principe s'employoit quand nous supposions les divers cas également possibles. Et en effet, ce n'est que par supposition relative à nos connoissances bornées que nous disons, par exemple, que tous les points d'un dez peuvent également venir ; ce n'est pas que quand ils roulent dans le cornet celui qui doit se présenter n'ait déja la disposition qui, combinée avec celle du cornet, du tapis, ou de la force & de la maniere avec laquelle on jette le dez, le doit faire sûrement arriver ; mais tout cela nous étant entierement inconnu, nous n'avons pas de raison de préférer un point à un autre ; nous les supposons donc tous également faciles à arriver. Cependant il peut y avoir souvent de l'erreur dans cette supposition. Si l'on vouloit chercher la probabilité d'amener 8 points avec deux dez, ce seroit faire un grossier sophisme que de raisonner ainsi : avec deux dez, je peux amener ou 2, ou 3, ou 4, ou 5, ou 6, ou 7, ou 8, ou 9, ou 10, ou 11, ou 12 points ; donc la probabilité d'amener 8, sera 1/11 de la certitude ; car ce seroit supposer que ces 11 points sont également faciles à amener ce qui n'est pas vrai. Les calculs les plus simples du jeu de tric-trac nous apprennent que sur 36 coups également possibles avec deux dez, 5 nous donnent le point de 8 ; la probabilité sera donc de 5 sur 36, ou 5/36 de la certitude, & non pas 1/11.
Ce sophisme s'évite aisément dans les calculs des jeux, où il est facile de déterminer l'égale ou inégale possibilité d'événemens ; mais il est plus caché, & n'est que trop commun dans les cas plus composés. Ainsi bien des gens se plaignent d'être fort malheureux, parce qu'ils n'ont pu obtenir certain bonheur qui est tombé en partage à d'autres ; ils supposent qu'il étoit également possible, également convenable, que ce bien leur arrivât, sans vouloir considérer qu'ils n'étoient pas dans une position aussi avantageuse, qu'ils n'avoient pour eux qu'une maniere favorable, tandis que les autres en avoient plusieurs, desorte que ç'auroit été un grand bonheur que cette seule maniere eût lieu, sans dire que les événemens que nous attribuons au hasard sont dirigés par une providence infiniment sage, qui a tout calculé, & qui, par des raisons à nous inconnues, dispose des choses d'une maniere bien plus convenable que n'est l'arrangement que nos foibles lumieres ou nos passions voudroient y mettre.
A la suite de la probabilité simple vient une probabilité composée qui dépend encore du même principe. C'est la probabilité d'un événement qui ne peut arriver qu'au cas qu'un autre événement lui-même simplement probable arrive. Un exemple va l'expliquer. Je suppose que dans un jeu de quadrille de 40 cartes l'on me demande de tirer un coeur, la probabilité de réussir est 1/4 de la certitude, puisqu'il y a 4 couleurs & 10 cartes de chaque couleur également possible. Mais si l'on me dit ensuite que je gagnerai si j'amene le roi de coeur, alors la probabilité devient composée ; car 1°. il faut tirer un coeur, & la probabilité est 1/5 : 2°. supposé que j'ai tiré un coeur, la probabilité sera 1/10, puisqu'il y a 9 autres coeurs que je peux aussi bien tirer que le roi. Cette probabilité entée sur la premiere n'est que la dixieme d'un quart, ou le 1/4 de 1/10, c'est-à-dire 1/40 de la certitude. Et il est clair, que puisque sur 40 cartes je dois tirer précisément le roi de coeur, je n'ai de favorable qu'un cas sur 40 également possibles, ou un contre 39 de favorable.
Cette probabilité composée s'estime donc en prenant de la premiere une partie telle qu'on la prendroit de la certitude entiere, si cette probabilité étoit convertie en certitude. Un ami est parti pour les Indes sur une flotte de douze vaisseaux : j'apprends qu'il en a péri trois, & que le tiers de l'équipage des vaisseaux sauvés est mort dans le voyage ; la probabilité que mon ami est sur un des vaisseaux arrivés à bon port est 9/12, & celle qu'il n'est pas du tiers mort en route est 2/3. La probabilité composée qu'il est encore en vie, sera donc les 2/3 de 9/12 ou 6/12, ou une demi-certitude. Il est donc pour moi entre la vie & la mort.
On peut appliquer ce calcul à toutes sortes de preuves ou de raisonnemens, réduits pour plus de clarté à la forme prescrite par l'art de raisonner : si l'une des prémisses est certaine, & l'autre probable, la conclusion aura le même degré de probabilité que cette premisse ; mais si l'une & l'autre sont simplement probables, la conclusion n'aura qu'une probabilité de probabilité, qui se mesure en prenant de la probabilité de la majeure une partie telle que l'exprime la fraction qui mesure la probabilité de la mineure. Dans ces derniers exemples les 9/12 de 1/3, qui est la probabilité de la majeure, & la valeur de la conclusion sera 6/12 ou 1/2.
D'où il paroît que la probabilité de la probabilité ne fait qu'une probabilité bien légere. Que sera-ce donc d'une probabilité du troisieme ou quatrieme degré ? ou que penser de ces raisonnemens si fréquens, dont la conclusion n'est fondée que sur plusieurs propositions probables qui doivent être toutes vraies pour que la conclusion le soit aussi ? Mais s'il suffisoit qu'une seule d'entr'elles eût lieu pour vérifier la conclusion, ce seroit tout le contraire ; plus on entasseroit de probabilités, plus la chose deviendroit probable. Si, par exemple, quelqu'un me disoit, je vous donne un louis si vous amenez avec deux dez 8 points, la probabilité d'amener 8 est 5/36 ; s'il ajoutoit, je vous le donne encore si vous amenez 6 : alors comme pour gagner, il suffit d'amener l'un ou l'autre, ma probabilité seroit 5/36 & 5/36, c'est-à-dire 10/36, ce qui augmente mon espérance de gagner.
Voilà les élémens sur lesquels on peut déterminer toutes les questions, & les exemples dépendans de ce premier principe de probabilité.
2°. Passons au second, qui est la connoissance des causes & des signes, qu'on peut regarder comme des causes ou des effets occasionnels. Nous n'en dirons qu'un mot particulier aux probabilités, renvoyant pour le reste à l'article CAUSE. Il y a des causes dont l'existence est certaine, mais dont l'effet n'est que douteux ou probable ; il y en a d'autres dont l'effet est certain, mais dont l'existence est douteuse ; il peut y en avoir enfin dont l'existence & l'effet n'ont qu'une simple probabilité. Cette distinction est nécessaire : un exemple l'expliquera. Un ami n'a point répondu à ma lettre ; j'en cherche la cause, il s'en présente trois : il est paresseux, peut-être est-il mort, ou ses affaires l'ont empêché de me répondre. Il est paresseux, premiere cause dont l'existence est certaine : je sais qu'il écrit très-difficilement ; mais l'effet de cette cause est certain, car un paresseux se détermine quelquefois à écrire. Il est mort, seconde cause très-incertaine, mais dont l'effet seroit bien certain. Il a des affaires, troisieme cause incertaine en elle-même : je soupçonne seulement qu'il a beaucoup d'affaires, & dont l'existence même supposée, l'effet seroit encore incertain, puisqu'on peut avoir des affaires & trouver cependant le tems d'écrire.
La même chose doit s'appliquer aux signes ; leur existence peut être douteuse, leur signification incertaine ; & l'existence & la signification peuvent n'avoir que de la vraisemblance. Le barometre descend, c'est un signe de pluie dont l'existence est certaine, mais dont la signification est douteuse ; le barometre descend souvent sans pluie.
De cette distinction il suit que la conclusion tirée d'une cause ou d'un signe dont l'existence est certaine, a le même degré de probabilité qui se trouve dans l'effet de cette cause, ou dans la signification de ce signe. Nous n'avons qu'à réduire l'exemple du barometre à cette forme. Si le barometre descend, nous aurons de la pluie : cela n'est que probable ; mais le barometre descend, cela est certain : donc nous aurons de la pluie ; conclusion probable, dont l'expérience donne la valeur. De même si l'existence de la cause ou du signe est douteuse, mais que son effet ou la signification ne le soit pas, la conclusion aura le même degré de probabilité que l'existence de la cause ou du signe. Que mon ami soit mort, cela est douteux ; la conclusion que j'en tirerai, qu'il ne peut m'écrire, sera également douteuse.
Mais quand l'existence & l'effet de la cause sont probables, ou s'il s'agit de signes quand l'existence & la signification du signe ne sont que probables, alors la conclusion n'a qu'une probabilité composée. Supposons que la probabilité que mon ami a des affaires soit les 3/4 de la certitude, & que celle que ces affaires, s'il en a, l'empêchent de m'écrire soit les 2/3 de cette certitude, alors la probabilité qu'il ne m'écrira pas sera composée des deux autres, ce qui sera une demi-certitude.
3°. Nous avons indiqué le témoignage comme une troisieme source de probabilité ; & il tient de si près au sujet dont nous donnons les principes, que l'on ne peut se dispenser de rapporter ici ce qu'il y a à en dire relativement aux probabilités & à la certitude morale. Nous ne pouvons pas tout voir par nous-mêmes ; il y a une infinité de choses, souvent les plus intéressantes, sur lesquelles il faut se rapporter au témoignage d'autrui. Il est donc important de déterminer, si ce n'est pas au juste, du-moins d'une maniere qui en approche, le degré d'assentiment que nous pouvons donner à ce témoignage, & quelle en est pour nous la probabilité.
Quand on nous fait un récit, ou qu'on avance une proposition du nombre de celles qui se prouvent par témoins, l'on doit d'abord examiner la nature même de la chose, & ensuite peser l'autorité des témoins. Si de part & d'autre on trouve qu'il ne manque aucune des conditions requises pour la vérité de la proposition, on ne peut pas lui refuser son acquiescement ; s'il est évident qu'il manque une ou plusieurs de ces conditions, on ne doit pas balancer à la rejetter ; enfin, si l'on voit clairement l'existence de quelques-unes de ces conditions, & que l'on reste incertain sur les autres, la proposition sera probable, & d'autant plus probable, qu'un plus grand nombre de ces conditions aura lieu.
1°. Quant à la nature de la chose, la seule condition requise, c'est qu'elle soit possible, c'est-à-dire qu'il n'y ait rien dans sa nature qui l'empêche d'exister, & rien par conséquent qui doive m'empêcher de la croire dès qu'elle sera suffisamment prouvée par une preuve extérieure, telle qu'est celle du témoignage. Au contraire si la chose est impossible, si elle a en elle-même une répugnance invincible à exister, à quelque degré de vraisemblance que puissent monter d'ailleurs les preuves du témoignage, ou d'autres raisons extrinseques de son existence, je ne pourrois le croire. Quelqu'un prétendroit-il avancer une contradiction, une impossibilité absolue, y joindroit-il toutes sortes de preuves, il ne viendra jamais à bout de me persuader ce qui est métaphysiquement impossible. Un cercle quarré ne peut être ni entendu ni reçu. S'agit-il d'une impossibilité physique ? nous serons un peu moins difficiles ; nous savons que Dieu a établi lui-même les lois de la nature, qu'il est constant dans l'observation de ces lois ; ainsi l'esprit répugne à croire qu'elles puissent être violées. Cependant nous savons aussi que celui qui les a établies a le pouvoir de les suspendre ; qu'elles ne sont pas d'une nécessité absolue, mais seulement de convenance. Ainsi nous ne devons pas absolument refuser notre confiance aux témoins ou aux preuves extérieures du contraire ; mais il faut que ces preuves soient bien évidentes, en grand nombre, & revêtues de tous les caracteres nécessaires pour y donner notre acquiescement. Est-il question d'une impossibilité morale ou d'une opposition aux qualités morales des êtres intelligens ? Quoique bien moins délicats sur les preuves ou les témoins qui veulent nous la persuader, cependant il faut que nous y voyons cette vraisemblance qui se trouve dans les caracteres même, & dans les effets qui en résultent ; il faut que les actions suivent naturellement des principes qui les produisent ordinairement : c'est ainsi qu'il semble impossible qu'un homme sage, d'un caractere grave & modeste, se porte sans raison, sans motif à commettre une indécence en public. Au contraire, un fait moralement possible ordinaire, conforme au cours réglé de la nature, se persuade aisément ; il porte déja en lui-même plusieurs degrés de probabilité ; pour peu que le témoignage en ajoute, il deviendra très-probable. Cette probabilité augmentera encore par l'accord d'une vérité avec d'autres déja connues & établies ; si le récit qu'on nous fait est si bien lié avec l'histoire, qu'on ne sauroit le nier sans renverser une suite de faits historiques bien constatés, par cela même il est prouvé ; si au contraire il ne peut trouver sa place dans l'histoire sans déranger certains grands événemens connus, par cela même ce récit est rejetté. Pourquoi l'histoire des Grecs & des Romains est-elle regardée parmi nous comme beaucoup plus croyable que celle des Chinois ? c'est qu'il nous reste une infinité de monumens de toute espece qui ont un rapport si nécessaire, ou du-moins si naturel avec cette histoire, & qui la lient tellement à l'histoire générale, qu'ils en multiplient les preuves à l'infini ; au lieu que celle des Chinois n'a que peu de liaisons avec la suite de cette histoire générale qui nous est connue.
2°. Quand on a pesé les preuves qui se tirent de la nature même de la chose, que l'on a reconnu la possibilité, & en quelque maniere le degré de probabilité intrinseque, il faut en venir à la validité même du témoignage. Elle dépend de deux choses, du nombre des témoins, & de la confiance qu'on peut avoir en chacun d'eux.
Pour ce qui est du nombre des témoins, il n'est personne qui ne sente que leur témoignage est d'autant plus probable, qu'ils sont en plus grand nombre : on croiroit même qu'il augmente de probabilité en même proportion que le nombre croît ; ensorte que deux témoins d'une égale confiance feroient une probabilité double de celle d'un seul, mais l'on se tromperoit. La probabilité croît avec le nombre des témoins dans une proportion différente. Si l'on suppose que le premier témoin me donne une probabilité qui se porte aux 9/10 de la certitude, le second, que je suppose également croyable, ajouteroit-il à la probabilité du premier aussi 9/10 ? non, puisqu'alors leurs deux témoignages réunis feroient 18/10 de la certitude, ou une certitude & 8/10 de plus, ce qui est impossible. Je dis donc que ce second témoin augmentera la probabilité du premier de 9/10 sur ce qui reste pour aller à la certitude, & poussera ainsi la probabilité réunie à 99/100, qu'un troisieme la portera à 999/1000, un quatrieme à 9999/10000, ainsi de suite, approchant toujours plus de la certitude, sans jamais y arriver entierement : ce qui ne doit pas surprendre, puisque quelque nombre de témoins que l'on suppose, il doit toujours rester la possibilité du contraire, ou quelques degrés de probabilité bien petits à la vérité, qu'ils se trompent : en voici la preuve. Quand deux témoins me disent une chose, il faut, pour que je me trompe en ajoutant foi à leur témoignage, que l'un & l'autre m'induisent en erreur ; si je suis sûr de l'un des deux, peu m'importe que l'autre soit croyable. Or la probabilité que l'un & l'autre me trompent, est une probabilité composée de deux probabilités, que le premier trompe, & que le second trompe. Celle du premier est 1/10 (puisque la probabilité que la chose est conforme à son rapport est 9/10) ; la probabilité que le second me trompe aussi, est encore 1/10 : donc la probabilité composée est la dixieme d'une dixieme ou 1/100 ; donc la probabilité du contraire, c'est-à-dire celle que l'un ou l'autre dit vrai, est 99/100.
L'on voit que je me représente ici la certitude morale comme le terme d'une carriere que les divers témoins qui viennent à l'appui l'un de l'autre me font parcourir. Le premier m'en approche d'un espace, qui a avec toute la lice la même proportion que la force de son témoignage a avec la certitude entiere. Si son rapport produit chez moi les 9/10 de la certitude, ce premier témoin me fera faire les 9/10 du chemin. Vient un second témoin aussi croyable que le premier ; il m'avance sur le chemin restant, précisément autant que le premier m'avoit avancé sur l'espace total : celui-ci m'avoit amené aux 9/10 de la course, le second m'approche encore des 9/10 de cette dixieme restante ; desorte qu'avec ces deux témoins j'ai fait les 99/100 du tout. Un troisieme de même poids me fait parcourir encore les 9/10 de la centieme restante, entre la certitude & le point où je suis ; il n'en restera plus que la millieme, & j'aurois fait les 999/1000 de la course, & ainsi de suite.
Cette méthode de calculer la probabilité du témoignage, est la même pour un nombre de témoins dont la crédibilité est différente ; ce qui pour l'ordinaire est plus conforme à la nature des choses. Qu'un fait me soit rendu par trois témoins ; le rapport du premier est équivalent aux 5/6 de la certitude ; le second ne produit chez moi que les 2/3 ; & le troisieme moins croyable que les deux autres, ne me donneroit qu'une 1/2 certitude s'il étoit seul. Alors supposant toujours que je n'ai aucune raison pour soupçonner quelque concert entr'eux, je dis que leur témoignage réuni me donne une probabilité qui est les 35/36 de la certitude, parce que le premier m'approchant des 5/6, il restera 1/6, dont le second me fera parcourir les 2/3 ; ainsi il y aura encore 1/3 de 1/6, qui est 1/18 ; & le troisieme m'avançant de 1/2, je ne suis plus éloigné du bout de la carriere que de 1/36 : j'aurois donc parcouru les 35/36 ; d'ailleurs il est indifférent dans quel ordre on les prenne, le résultat est le même.
2°. Ce principe peut suffire pour tous les calculs sur la valeur du témoignage. Quant à la foi que mérite chaque témoin, elle est fondée sur sa capacité & sur son intégrité. Par la premiere il ne peut se tromper ; par la seconde, il ne cherche pas à me tromper : deux conditions également nécessaires ; l'une sans l'autre ne suffit pas. D'où il suit que la probabilité que fait naître le rapport d'un témoin en qui nous reconnoissons cette capacité & cette intégrité, doit être regardée & calculée comme une probabilité composée. Un homme vient me dire que j'ai le gros lot ; je le connois pour n'être pas fort intelligent ; il peut s'être trompé : tout compté, j'évalue la probabilité de sa capacité à 8/9 ; mais peut-être se fait-il un plaisir de me tromper. Posons qu'il y ait 15 à parier contre 1 qu'il est de bonne-foi, la probabilité de son intégrité sera donc de 15/16. Je dis que l'assurance de son témoignage ou la probabilité composée de sa capacité & de son intégrité, sera les 8/9 de 15/16, c'est-à-dire 5/6 de la certitude.
La maniere la plus sure de juger de la capacité & de l'intégrité d'un témoin, seroit l'expérience. Il faudroit savoir au juste combien de fois ce même homme a trompé ou a dit la vérité ; mais cette expérience est bornée, & manque pour l'ordinaire. A son défaut on a recours aux bruits publics & particuliers, aux circonstances extérieures où se trouve le témoin. A-t-il reçu une bonne éducation ? est-il d'un rang qui est supposé l'engager à respecter davantage la vérité ? est-il d'un âge qui donne plus de poids à son témoignage ? est-il en cela désintéressé ? ou quel peut être son but ? en retire-t-il quelqu'avantage ? ou évite-t-il par-là quelque peine ? son goût, sa passion sont-ils flattés à nous tromper ? est-ce une suite de la prévention, de la haine ? Tout autant de circonstances qu'il faut examiner si nous n'avons pas l'expérience, & dont il est bien difficile de déterminer la juste valeur.
De plus, la capacité d'un témoin suppose, outre les sens bien conditionnés, une certaine fermeté d'esprit qui ne se laisse ni épouvanter par le danger, ni surprendre par la nouveauté, ni entraîner par un jugement trop précipité. Il est plus croyable à proportion que la chose dont il nous parle lui est plus familiere & plus connue ; son récit même fait souvent preuve de sa capacité, & m'annonce qu'il a pris ou négligé toutes les précautions nécessaires pour ne se pas tromper : plus il les a réitérées, plus il a le droit à ma confiance. Cette capacité à bien connoître dépend encore de l'attention à observer, de la mémoire, du tems : autres conditions qui, jointes à la maniere de narrer clairement & en détail, influent sur le degré de probabilité que mérite un témoin.
On ne doit pas négliger le silence de ceux qui auroient intérêt à contredire un témoignage, si dumoins il n'est extorqué ni par la crainte, ni par l'autorité. Il est difficile à la vérité d'estimer le poids d'un pareil témoignage négatif ; on peut assurer en général que celui qui ne fait simplement que se taire, mérite moins d'attention que celui qui assure un fait. Si néanmoins le fait est tel qu'il n'ait pû l'ignorer, s'il avoit servi à faire valoir le reste de son récit, s'il avoit été intéressé à le rapporter, ou si son devoir l'y appelloit ; en pareil cas il est certain que son silence vaut un témoignage, ou du-moins affoiblit & diminue la probabilité des témoignages opposés.
Nous devons encore dire un mot sur les témoignages par oui dire, ou sur l'affoiblissement d'un témoignage qui passant de bouche en bouche, ne nous parvient qu'au moyen d'une chaîne de témoins. Il est clair qu'un témoin par oui dire, toutes choses d'ailleurs égales, est moins croyable qu'un témoin oculaire ; car si celui-ci s'est trompé ou a voulu tromper, le témoin par oui dire qui le suit, quoique fidele, ne nous rapportera qu'une erreur ; & lors même que le premier auroit débité la vérité, si le témoin par oui dire n'est pas fidele, s'il a mal entendu, s'il a oublié ou confondu quelque partie essentielle du récit, s'il y mêle du sien, il ne nous rapporte plus la vérité pure ; ainsi la confiance que nous devons à ce second témoignage, s'affoiblit déjà, & s'affoiblira à mesure qu'il passera par plus de bouches, à mesure que la chaîne des témoins s'allongera. Il est aisé de calculer sur les principes établis, la proportion de cet affoiblissement.
Suivons l'exemple dont nous avons fait usage. Pierre m'annonce que j'ai eu un lot de mille livres : j'estime son témoignage aux 9/10 de la certitude, c'est-à-dire que je ne donnerai pas mon espérance pour 900 francs. Mais Pierre me dit qu'il le sait de Jacques ; or si Jacques m'avoit parlé, j'aurois estimé son rapport aux 9/10 en le supposant aussi croyable que Pierre ; ainsi moi qui ne suis pas entierement sûr que Pierre ne se soit pas trompé en recevant ce témoignage de Jacques, ou qu'il n'ait pas quelque dessein de me tromper, je ne dois compter que sur les 9/10 de 900 livres, ou sur les 9/10 des 9/10 de 1000 livres, ce qui fait 810 livres. Si Jacques tenoit le fait d'un autre, je devrois encore prendre sur cette derniere assurance 9/10 supposé ce troisieme également croyable, & mon espérance se réduiroit aux 9/10 des 9/10 de 1000 livres, ou à 729 livres, & ainsi de suite.
Qui voudra se donner la peine de calculer sur cette méthode, trouvera que si la confiance que l'on doit avoir en chaque témoin est de 95/100, le treizieme témoin ne transmettra plus que la 1/2 certitude, & alors la chose cessera d'être probable, ou il n'y aura pas plus de raison extrinseque pour la croire, que pour ne la pas croire. Si la probabilité dûe à chaque témoin est de 99/100, elle ne se réduira à la 1/2 certitude que quand le témoignage aura passé par soixante dix bouches ; & si cette confiance étoit supposée de 999/1000, il faudroit une chaîne de 700 témoins pour rendre le fait incertain.
Ces calculs assez longs peuvent être abrégés par cette regle générale, dont l'algebre simple nous fournit le résultat & la démonstration. Prenez les 7/10 du quotient de la division de la probabilité d'un simple témoin par la probabilité contraire, comme ici de 95/100 par 5/100, ou de 95 par 5, qui est 19, dont je prends les 7/10, & vous aurez le témoin qui vous laisse dans une demi-certitude ; dans cet exemple c'est 13 3/10, ce qui donne le treizieme témoin.
Il en sera de même si les témoins successifs sont supposés de force inégale ; d'où il y a lieu de conclure en général, qu'il faut faire peu de fond sur les oui-dires, sans se laisser aller cependant au pyrrhonisme historique, puisqu'ici on peut réunir les probabilités que donnent plusieurs chaînes collatérales de témoins successifs. Supposons qu'un fait nous parvienne par une simple succession de témoins de vive voix, de maniere que chaque témoin succede à l'autre au bout de vingt ans, & que la confiance à chaque témoin diminue de 1/20 ; par la regle précédente, au bout de douze successions, ou de 240 ans, le fait deviendroit incertain, n'étant prouvé que par ces 12 témoins ; mais si cette chaîne de témoins est fortifiée par neuf autres chaînes semblables qui concourent à attester la même vérité, alors il y aura plus de mille à parier contre un pour la vérité du fait ; si l'on suppose cent chaînes de témoins, il y aura plus de deux millions contre un en faveur du fait.
Si le témoignage est transmis par écrit, la probabilité augmente infiniment, d'autant qu'il subsiste & se conserve bien plus long-tems ; le témoignage concourant de plusieurs copies ou livres imprimés qui forment autant de différentes chaînes, donne une probabilité si grande qu'elle approche indéfiniment de la certitude ; car à supposer que chaque copie puisse durer 100 ans, ce qui est le moins, & qu'au bout de ce tems-là l'autorité, non pas d'une seule copie, mais de toutes celles qui ont été faites sur le même original, soit seulement 99/100, alors il faudra plus de soixante-dix successions de 100 ans, ou 7000 ans pour que le fait devienne incertain ; & si on suppose plusieurs chaînes de témoins, qui concourent toutes à attester le même fait, la probabilité augmente si fort, qu'elle devient infiniment peu différente de la certitude entiere, & surpassera de beaucoup l'assurance qu'on pourroit avoir de la bouche d'un ou même de plusieurs témoins oculaires. Il y a d'autres circonstances qu'il est aisé de supposer & qui démontrent la grande supériorité de la tradition par écrit sur la tradition orale.
Nous avons indiqué deux autres sources de probabilité, l'analogie & les hypotheses sur lesquelles nous renvoyons aux articles INDUCTION, ANALOGIE, HYPOTHESE, SUPPOSITION. Ces principes peuvent suffire pour expliquer toute la théorie de la probabilité. Nous n'avons donné que les élémens ; l'on en trouvera l'application dans tous les bons ouvrages, qui sont en grand nombre sur ce sujet. Tels sont les Essais sur les probabilités de la vie humaine, de M. Deparcieu ; l'Analyse des jeux de hasard, de M. de Montmord, qui donne la théorie des combinaisons, ainsi que l'article de ce Dictionnaire sous ce mot, & plusieurs autres qui y ont rapport, sur-tout l'Ars conjectandi, de M. Jacq. Bernoulli, & des Mémoires de M. Halley, qui se trouvent dans les Transactions d'Angleterre, n. 196 & suivans, qui tous servent à déterminer la vraisemblance des événemens, & les degrés par lesquels nous parvenons à la certitude morale.
Concluons qu'il ne seroit pas entierement impossible de réduire toute cette théorie des probabilités à un calcul assez reglé, si de bons génies vouloient concourir par des recherches, des observations, une étude suivie, & une analyse du coeur & de l'esprit, fondés sur l'expérience, à cultiver cette branche si importante de nos connoissances, & si utile dans la pratique continuelle de la vie. Nous convenons qu'il y a encore beaucoup à faire, mais la considération de ce qui manque doit exciter à remplir ces vuides, & l'importance de l'objet offre de quoi dédommager amplement des difficultés.
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PROBABLE | adj. (Gram.) ce qui peut se prouver, voyez PREUVE, ce qui a de la vraisemblance, de la probabilité. Voyez l'article précédent.
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PROBALINTHUS | (Géog. anc.) lieu de l'Attique, selon Pline, liv. IV. c. vij. & Strabon, l. VIII. pag. 383. & l. IX. p. 389. Etienne le géographe en fait un municipe de la tribu Pandionide ; c'étoit selon M. Spon, une ville maritime de cette même tribu, du côté de Marathon, & une des quatre plus anciennes villes de l'Attique ; ce qui étoit de ce lieu, ajoute-t-il, se nommoit aussi-bien probalisios que probalinthios, quoique veuille prononcer là-dessus le savant Meursius, car les marbres nous en font foi.
Hors d'Athènes, dans une chapelle de S. George, proche du monastere Asomato, on voit l'inscription suivante : , & à Salamine dans l'église Panagia d'Ampelaki, on lit celle-ci : ; c'est-à-dire Théophile, fils de Philistides de Probalinthus ; Diocleia, fille d'Archebius de Scambonide ; Philistides, fils de Théophile de Probalinthus. (D.J.)
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PROBANTE | adj. (Jurisprud.) se dit d'une piece qui prouve quelque chose : on dit d'une obligation qu'elle est en forme probante & authentique, quand elle est sur papier ou parchemin timbré & signé des notaires. Voyez FORME. (A)
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PROBAR-MISSOUR | (Mythol.) c'est le nom d'une divinité adorée par les habitans de Camboya, dans les Indes orientales, qui le regardent comme le créateur du ciel & de la terre ; cependant ils croyent que ce dieu a reçu la faculté de créer d'un autre dieu appellé Pra-lokussar, qui en avoit reçu la permission d'un troisieme dieu, nommé Pra-Issur.
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PROBATIA | (Géog. anc.) riviere de Béotie. Elle venoit de Lébadia, selon Théophraste, Hist. des plant. liv. IV. qui ajoute qu'on y cueilloit les meilleurs roseaux. (D.J.)
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PROBATION | S. f. (Jurisprud.) est l'épreuve que l'on fait des dispositions de ceux qui postulent pour être admis dans quelque ordre religieux.
Le tems de probation est le tems du noviciat. Voyez COUVENT, MONASTERE, NOVICE, PROFESSION, RELIGIEUX, RELIGIEUSES, VOEUX. (A)
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PROBATIONNER | (Hist. ecclés.) dans la discipline des Presbytériens, est une personne à qui le presbytériat a accordé la permission de prêcher ; ce qui se fait ordinairement un an avant l'ordination. Voyez PRESBYTERIAT.
Une personne qui étudie en théologie n'est admise à la qualité de probationner qu'après avoir passé par plusieurs épreuves : la premiere est secrette & se fait par-devant un presbytérien ; la seconde est publique & se fait dans une assemblée en présence d'un presbytérien.
Les épreuves particulieres sont une homelie & l'exposition ; c'est-à-dire on donne au presbytérien une thèse sur un sujet de théologie, & le candidat répond à toutes les objections qu'on lui propose contre ce sujet.
Les épreuves publiques sont un sermon à la portée du peuple, & un exercice & addition ; c'est-à-dire on traite un texte pendant une demi-heure suivant les regles de la logique & de la critique, & pendant une autre demi-heure d'une maniere pratique.
Si le candidat sort de cette épreuve à la satisfaction du presbytérien, il signe sa confession de foi, reconnoît le gouvernement presbytérien, &c. ensuite on lui donne permission de prêcher.
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PROBATIQUE | adj. (Gram.) il se dit de la piscine près de laquelle Jesus-Christ fit la guérison du paralytique.
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PROBITÉ | S. f. (Morale) la probité est un attachement à toutes les vertus civiles. Il en coûte plus qu'on ne pense pour s'acquiter envers les hommes de tout ce qu'on leur doit ; les passions en murmurent, l'humeur s'y oppose, la nature y répugne, l'amour-propre s'en allarme ; à regarder tous les devoirs de la société civile sans une espece de frayeur, c'est marquer qu'on ne s'est jamais mis en peine de les observer comme il faut ; ce n'est que sous les auspices de la religion que les droits les plus sacrés de la société peuvent être en assurance & qu'ils sont respectés. Un homme qui a secoué le joug de la religion, ne trouve nulle part de motif assez puissant pour le rendre fidele aux devoirs de la probité. Qu'est-ce qui lui tiendra lieu de religion ? L'intérêt, sans doute, car c'est le grand mobile de la conduite des gens du monde ; peut-être un intérêt d'honneur, mais toujours un intérêt humain, qui n'a ni Dieu pour objet, ni l'autre vie pour fin. On a beau vanter sa probité, si elle n'est pour-ainsi-dire étayée de la religion, les droits de la société courent alors un grand risque. Je conviens que mon intérêt peut me réduire à garder certains dehors qui en imposent, parce qu'en ne les gardant pas je risquerois bien plus qu'il ne m'en coûteroit à les garder ; probité par conséquent toute défectueuse & peu durable, que celle à qui la religion ne prête pas son appui. Car si c'est précisément l'intérêt qui me conduit, que risquerai-je en mille rencontres, si j'ai l'autorité, à brusquer l'un, à tromper l'autre, à supplanter celui-ci, à décrier celui-là, à détruire en un mot tout ce qui me nuit, tout ce qui me choque ? que gagnerai-je à me contraindre pour des gens que je crains peu, de qui je n'attends rien ? que me reviendra-t-il de mille sacrifices inconnus, dont les hommes mêmes ne sont pas les témoins : cependant pour quelques occasions éclatantes, où j'autorise la probité que j'attends par celle que j'exerce, combien d'autres occasions aussi importantes, où j'ai à souffrir devant les hommes par la violence que je me fais ? Combien d'autres occasions où intérêt pour intérêt, celui d'écouter ma passion est pour moi au-dessus de celui d'écouter ma raison. Le plaisir de satisfaire une passion qui nous tyrannise avec force & avec vivacité, & qui a l'amour-propre dans ses intérêts, est communément ce que nous regardons comme le plus capable de contribuer à notre satisfaction & à notre bonheur. Les passions étant très-souvent opposées à la vertu & incompatibles avec elle, il faut, pour contrebalancer leur effet, mettre un nouveau poids dans la balance de la vertu, & ce poids ne peut être mis que par la religion. J'ai un droit bien fondé, que les hommes me rendent ce qu'ils me doivent ; & pour les y engager, il faut aussi que je leur rende tout ce que je leur dois. Voilà le grand principe de la morale, de ces hommes qui prétendent que la religion n'a aucune influence sur les moeurs ; mais parce que j'ai un autre intérêt présent bien plus fort, qui est une passion furieuse de m'enrichir, de me satisfaire, de m'aggrandir, ce sera là, au risque de tout ce qui pourra arriver, le mobile de ma conduite. Toutes les voies honorables, régulieres, honnêtes, qui ne m'éloigneront point de mon but, seront de mon goût, je les respecterai, j'aurai soin de faire sonner bien haut ma probité, ma sincérité, ma sagesse ; & toutes les sourdes intrigues qui m'en abrégeront le chemin, seront mises en usage ; n'est-ce pas ainsi que raisonne, que pense, que se conduit tout homme passionné, qui n'est pas retenu par le frein de la religion ? Combien d'autres occasions où tous les intérêts de l'homme, dans le systême de l'incrédulité, conspirent à tenter un coeur par son foible, & à le mettre en compromis avec les lois de la probité : l'honneur est à couvert, l'impunité est assurée, la passion est vive, le plaisir est piquant, la fortune est brillante, le chemin est court, il ne m'en coûtera qu'un peu de stabilité & de mauvaise foi pour surprendre la simplicité & séduire l'innocence ; qu'un peu de médisance pour écarter un rival dangereux & supplanter un concurrent redoutable ; qu'un peu de complaisance pour m'assurer un protecteur injuste & me ménager un criminel appui ; qu'un peu de détour & de dissimulation pour parvenir au comble de mes desirs ; ferai-je ce pas ? ne le ferai-je point ? Non me dit la probité, non me dit l'honneur, non me dit la sagesse. Ah ! foible voix au milieu de tant d'attraits, de tant de fortes tentations, seriez-vous écoutées, si la religion ne vous appuie point de ses oracles ? Qui de nous voudroit être alors à la discrétion d'un sage sans religion ? Honnête homme tant qu'il vous plaira, s'il n'a de la religion sa probité m'est suspecte dans ces circonstances délicates. Combien d'autres occasions, moins frappantes à la vérité, mais aussi plus fréquentes, où l'intérêt humain n'est pas assez pressant pour obtenir de moi tout ce que le prochain a droit d'en attendre ; car il faut bien de la fidélité, bien de l'attention pour rendre à chacun ce que l'on doit, & bien de la constance pour ne manquer jamais à ce que l'on doit. Ceux qui vous environnent & qui vous pressent sont quelquefois des étrangers, peut-être des fâcheux, peut-être même des ennemis, n'importe. Ces ennemis, ces fâcheux, ces étrangers ont sur vous par leurs rapports de légitimes droits, & vous avez à leur égard, par vos emplois, par vos charges, par votre état, des devoirs indispensables ; ce qu'ils vous demandent se réduit souvent à de médiocres attentions, à de légeres bienséances, à de véritables minuties, à de simples bagatelles ; mais minuties, bagatelles, superficies tant qu'il vous plaira, ce sont toujours des assujettissemens réels dont dépendent le bon ordre ; assujettissemens pour lesquels on a d'autant plus de répugnance qu'elle est causée par un ton d'imagination, par un trait d'humeur chagrine, par une situation bizarre d'esprit, qui peuvent être l'effet du tempérament ou de quelques conjonctures indépendantes de la liberté. Enfin c'est presque toujours à contre-tems que les devoirs sociables reviennent ; c'est par exemple, lorsque le chagrin vous ronge, que l'ennui vous abat, que la paresse vous tient ; c'est lorsque occupés à des intérêts chers ou à des amusemens piquans, un peu de solitude vous plairoit ; faut-il donc tout quitter alors, vaincre sa répugnance & la disposition actuelle de son humeur ? En doutez-vous ? Eh ! d'où viennent, je vous prie, les murmures des enfans, les plaintes des parens, les cris des cliens, les mécontentemens des domestiques ? Ne sont-ils pas tous les jours les victimes d'une humeur, d'un caprice qu'il faudroit vaincre pour les agrémens de la société ? Or quel est l'incrédule honnête homme, qui par les seuls principes de la sagesse mondaine, consentira à les sacrifier de la sorte au bonheur de la société ? On fera ce personnage, si vous voulez, en public ; mais on saura s'en dédommager en particulier, & on fera payer bien cher aux siens tout le reste du jour quelques momens de contrainte qu'on a passés avec d'autres ; c'est donc un principe constant que ce n'est que dans la religion qu'on peut trouver une justice exacte, une probité constante, une sincérité parfaite, une application utile, un desintéressement généreux, une amitié fidele, une inclination bienfaisante, un commerce même agréable, en un mot tous les charmes & les agrémens de la société. Ces principes sont applicables à tous cultes, ou ils ne le sont à aucun.
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PROBLEMATIQUE | adj. (Gramm.) incertain, douteux ; il se dit de tout ce qui souffre le pour & le contre avec une presque égale vraisemblance.
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PROBLÈME | en terme de Logique, signifie une question douteuse, ou une proposition qui paroît n'être ni absolument vraie, ni absolument fausse ; mais dont le pour & le contre sont également probables, & peuvent être soutenus avec une égale force.
Ainsi c'est un problème que de savoir si la lune & les planetes sont habitées par des êtres qui soient en quelque chose semblables à nous. Voyez PLURALITE DES MONDES. C'est un problème que de savoir si chacune des étoiles fixes est le centre d'un système particulier de planetes & de cometes. Voyez PLANETE, ETOILE, &c.
Problème, signifie aussi une proposition qui exprime quelqu'effet naturel, dont on cherche à découvrir la cause ; tels sont les problèmes d'Aristote.
Un problème logique ou dialectique, disent les philosophes de l'école, est composé de deux parties ; savoir, le sujet, ou la matiere sur laquelle on doute, & l'attribut, ou prédicat, qui est ce qu'on doute si on doit affirmer du sujet ou non. Voyez SUJET & ATTRIBUT.
Il y a quatre prédicats topiques ; savoir, genus, definitio, proprium & accidens, ce qui constitue quatre especes de problèmes dialectiques.
Les premiers sont ceux où la chose attribuée au sujet est un genre ; comme quand on demande si le seu est un élément, ou non. Voyez GENRE.
Les seconds sont ceux où la chose attribuée renferme une définition ; comme quand on demande si la Rhétorique est l'art de parler, ou non. Voyez DEFINITION.
Les troisiemes sont ceux où l'attribut emporte une propriété ; par exemple, s'il est de la justice de rendre à chacun ce qui lui est dû. Voyez PROPRIETE.
Enfin les derniers sont ceux où l'attribut est adventice & accidentel ; par exemple, si Pierre est vertueux, ou non. Voyez ACCIDENT.
On peut encore diviser les problèmes en problèmes de morale, qui se rapportent à ce qu'on doit faire ou éviter ; problèmes de Physique, qui concernent la connoissance de la nature, & problèmes métaphysiques, qui ont rapport aux choses spirituelles.
PROBLEME, en terme de Géométrie, signifie une proposition dans laquelle on demande quelque opération ou construction ; comme de diviser une ligne, de faire un angle, de faire passer un cercle par trois points qui ne soient pas en ligne droite, &c. Voyez PROPOSITION.
Messieurs de Port-royal définissent le problème géométrique, une proposition qu'on donne à démontrer, & dans laquelle on demande aussi qu'on fasse quelque chose, & qu'on prouve ensuite que l'on a fait ce qui étoit demandé.
Un problème, selon Wolf, est composé de trois parties ; la proposition, qui exprime ce qu'on doit faire, voyez PROPOSITION ; la résolution, ou solution, dans laquelle on expose par ordre les différens pas que l'on doit faire pour venir à bout de ce qu'on demande, voyez SOLUTION ; enfin la démonstration, dans laquelle on prouve que par les moyens dont on s'est servi dans la solution, on a réellement trouvé ce que l'on cherchoit.
L'Algebre est la plus merveilleuse méthode que l'esprit de l'homme ait découverte pour la résolution des problèmes ; voyez ALGEBRE & ANALYSE.
Le problème de Kepler dans l'Astronomie, est un problème qui consiste à trouver le lieu d'une planete dans un tems donné ; on l'appelle problème de Kepler, parce que cet astronome est le premier qui l'ait proposé. Voyez PLANETE & LIEU.
Voici à quoi se réduit ce problème. Trouver la position d'une ligne droite, qui passant par un des foyers d'une ellipse donnée, forme dans cette ellipse un secteur qui soit en raison donnée avec l'aire entiere de l'ellipse.
Kepler ne connoissant point de moyen pour résoudre ce problème directement & géométriquement, eut recours à une méthode indirecte ; aussi fut-il taxé d', c'est-à-dire, d'ignorance en Géométrie, & son astronomie fut regardée comme n'étant pas géométrique ; mais depuis, ce problème a été resolu directement, géométriquement & de différentes manieres par plusieurs auteurs, entr'autres par MM. Newton, Keill, &c. Voyez ANOMALIE.
PROBLEME PLAN, en Géometrie, est un problème qui se réduit à une équation du deuxieme degré ; ainsi tous les problèmes géométriques dont la résolution dépend d'une équation de cette forme x x + a x b = 0, sont des problèmes & plans. On les appelle ainsi par opposition aux problèmes linéaires, c'est-à-dire, à ceux où l'inconnue x, ne monte qu'à une dimension, & aux problèmes solides, c'est-à-dire à ceux où l'inconnue x monte à plus de deux dimensions.
Problème déterminé, voyez DETERMINE.
Problème linéaire, voyez LINEAIRE.
Problème solide, voyez SOLIDE.
Le problème déliaque ou de Délos, est le problème, si connu en Géométrie sous le nom de duplication du cube.
Ce problème fut ainsi appellé, dit-on, parce que les habitans de Délos qui étoient affligés de la peste, ayant consulté l'oracle pour y trouver un remede, l'oracle répondit que la peste cesseroit quand ils auroient élevé à Apollon un autel double de celui qu'il avoit. Voyez DUPLICATION.
Ce problème est le même que celui où il s'agit de trouver deux moyennes proportionnelles entre deux lignes données ; c'est pour cela que ce dernier problème a été nommé aussi problème déliaque. Voyez PROPORTIONNEL. Chambers. (E)
PROBLEME DES TROIS CORPS, on donne ce nom à un problème fameux, fort agité en ces derniers tems par les géométres, en voici l'énoncé : trois corps étant lancés dans le vuide avec des vîtesses & suivant des directions quelconques, & s'attirant en raison inverse du quarré de leurs distances, trouver les courbes décrites par chacun de ces trois corps. On voit bien que la solution de ce problème sert à trouver l'effet de l'action des planetes les unes sur les autres. Voyez ATTRACTION & NEWTONIANISME. Si on pouvoit le résoudre rigoureusement, on avanceroit beaucoup par ce moyen l'Astronomie physique ; mais jusqu'à présent, & dans l'état où l'on est aujourd'hui, il ne paroît possible de le résoudre que par approximation, en supposant qu'un des corps attirant soit beaucoup plus gros que les deux autres. J'ai trouvé dans les mémoires de l'académie de 1747, & dans mes Recherches sur le système du monde, une solution de ce problème, que MM. Euler & Clairaut ont aussi résolu. (O)
PROBLEME, (Géom.) plusieurs mathématiciens illustres ont marqué du dégoût pour ces sortes d'énigmes. Il est vrai que sans se servir de la raison de M. Hudde, qui disoit que la Géométrie fille ou mere de la vérité, étoit libre & non pas esclave, on peut dire avec moins d'esprit, & peut-être plus de solidité, que ceux qui proposent ces questions ont dumoins l'avantage d'avoir toutes leurs pensées tournées de ce côté-là, & souvent le bonheur d'en avoir trouvé le dénouement par hasard ; mais il est vrai aussi, continue M. de Fontenelle, que cette raison ne va qu'à excuser ceux qui ne voudront pas s'appliquer à ces problèmes, ou tout au plus ceux qui ne les pourront résoudre, mais non pas à diminuer la gloire de ceux qui les résoudront. (D.J.)
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PROBOSCIDE | S. f. (Gramm. & Blas.) trompe de l'éléphant. Elle s'employe quelquefois en armoiries.
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PROBULEUMA | S. m. (Antiq. grecq.) , arrêté de l'aréopage ou du sénat d'Athènes, pour être proposé à l'assemblée du peuple, afin d'y recevoir la ratification nécessaire, sans laquelle cet arrêt ne pouvoit avoir force de loi après la fin de l'année, tems auquel les sénateurs rendoient leur commission. Potter, Archaeol. graec. lib. I. cap. xviij. tom. I. page 100.
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PROCÉDÉ | S. m. (Gramm.) conduite ou maniere d'agir d'un homme à l'égard d'un autre. On dit, le procédé d'un homme délicat, d'un homme de bien, d'un ingrat, d'un homme faux, d'un homme généreux. C'est un bon homme qui ne s'entend point en procédés.
PROCEDE, s. m. (Chymie) les Chymistes donnent le nom de procédés aux appareils composés qui leur servent à exercer sur les objets de l'art les actions au moyen desquelles ils y font des changemens déterminés. Un procédé est donc l'action d'altérer les objets de l'art selon les lois qu'il prescrit, à l'aide des instrumens employés selon ces mêmes lois. Toute altération quelle qu'elle soit, ne consiste qu'en décompositions & recompositions. C'est à ces deux classes que l'on peut réduire en général tous les procédés & les travaux du chymiste, il est même impossible d'imaginer une troisieme classe, quoi qu'en disent quelques auteurs.
Mais comme il arrive rarement que l'altération requise des corps soumis aux procédés chymiques, puisse être produite par une action simple, il est évident qu'un procédé doit être le plus souvent composé de plusieurs opérations combinées d'un nombre infini de manieres. C'est de cette variété que naissent une quantité prodigieuse de procédés. Leur ordre de succession à l'égard d'un seul objet, & les différentes manieres dont elles lui sont appliquées, fournissent différens procédés, & produisent sur cet objet des effets différens qui varient encore si l'objet vient à changer, la nature des opérations & leur ordre demeurant néanmoins dans le même état.
Il faut dans l'ordre des procédés qu'on veut mettre sous les yeux des commençans, s'attacher à parler à l'entendement de ceux qu'on veut initier. Il faut en même tems avoir soin de leur procurer la facilité de les exécuter, de les répéter, & de les appliquer de plusieurs manieres à divers objets, selon les résultats qu'ils en voudront avoir.
Quant à l'ordre des procédés, on doit placer en tête ceux qui non-seulement n'auront pas besoin des suivans pour être entendus, mais qui leur serviront même de préliminaires. Si l'on est obligé de mettre des procédés qui supposent quelque connoissance que les commençans n'ont pas encore acquise, on aura soin de les expliquer en peu de mots ; ou bien une courte théorie qui précédera ces procédés, les rendra intelligibles. Ceux dont l'exécution sera plus aisée, seront placés avant ceux dont elle sera plus difficile.
Lorsqu'il arrive que le résultat auquel on veut parvenir, exige plusieurs opérations, il faut avoir l'attention de partager l'appareil en plusieurs procédés, pour éviter la confusion, & donner la facilité d'examiner en particulier les différens changemens qui en résulteront.
Il est bon de rejetter à la fin de la description de chaque procédé les remarques qu'ils fournissent, & généralement toutes les raisons qu'on a eu de se conduire de telle ou telle maniere, & de préferer une manipulation à une autre.
Enfin dans une pratique, on doit avoir égard nonseulement à mettre l'auditeur ou le lecteur au fait des manuels, mais encore à le mettre à portée de saisir si bien l'esprit & l'enchaînement des procédés & des opérations, qu'il soit en état dans la suite d'en faire un choix, & de les combiner de façon que le changement d'un corps puisse lui donner un résultat certain ; conséquemment l'ordre des opérations & des procédés doit être déterminé par la succession qu'on peut souhaiter des altérations d'un objet quelconque. (D.J.)
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PROCÉDER | v. n. (Gramm.) c'est venir, dériver, tirer son origine. Le Saint-Esprit procede du Pere & du Fils. On ne sait d'où procedent ces troubles. Se comporter d'une certaine maniere ; procéder dans toute occasion avec noblesse & franchise. Avancer, continuer une affaire commencée ; procédons maintenant à l'examen des chefs que nous avons laissés en arriere. Suivre une action au palais selon les formes prescrites ; il est défendu de procéder ailleurs que par-devant ce tribunal.
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PROCÉDURE | S. f. (Jurisprudence) est l'instruction judiciaire d'un procès, soit civil ou criminel.
On comprend conséquemment sous ce terme tous les actes qui se font, soit par le ministere d'un huissier, ou par celui d'un procureur, tant pour introduire la demande, que pour établir le pouvoir du procureur, les qualités des parties pour la communication respective des titres, pieces, & procédures ; enfin, pour l'établissement des moyens, & pour parvenir à un jugement, soit définitif, ou du-moins préparatoire, ou interlocutoire.
Ainsi les exploits de demande ou ajournement, les cédules de présentation, les actes d'occuper, les exceptions, défenses, repliques, sommations de procureur à procureur, & autres actes semblables, sont des procédures.
Les jugemens par défaut, ne sont même quelquefois considérés que comme de simples procédures, lorsqu'ils sont susceptibles de l'opposition, à cause qu'ils peuvent être détruits par cette voie.
La matiere du procès, & les moyens qui établissent le droit des parties, sont ce que l'on appelle le fond ; au lieu que la procédure s'appelle la forme, & comme il est essentiel de bien instruire un procès, parce que la négligence d'une partie, ou de ceux qui instrumentent pour elle, & les vices qui se glissent dans la procédure, peuvent opérer la déchéance de l'action ; c'est ce qui fait dire que la forme emporte le fond.
La procédure a été introduite pour l'instruction respective des parties litigantes, & aussi pour instruire régulierement les juges de ce qui fait l'objet du procès.
Il n'y a pourtant pas eu toujours autant de procédures en usage, qu'il y en a présentement.
Chez les anciens la forme de l'administration de la justice étoit beaucoup plus simple ; mais si la procédure ou instruction étoit moins dispendieuse & l'expédition de la justice plus promte, elle n'en étoit pas toujours plus parfaite ; le bon droit étoit souvent étouffé, parce qu'il n'y avoit point de regles certaines pour le faire connoître, & que l'expédition dépendoit du caprice des juges.
C'est pour remédier à ces inconvéniens, que les procédures ont été inventées.
En effet, il n'y a aucun acte dans l'ordre de la procédure, qui n'ait son objet particulier, & qui ne puisse être nécessaire, soit pour donner à une partie le tems de se défendre, soit pour faire renvoyer l'affaire devant les juges qui en doivent connoître, soit pour procurer aux parties les éclaircissemens dont elles ont besoin, soit pour instruire la religion des juges ; & si l'on voit souvent des procédures inutiles & abusives, c'est un vice qui ne vient pas de la forme que l'on a établie, mais plutôt de l'impéritie ou de la mauvaise foi de quelques parties ou praticiens qui abusent de la forme, pour empêcher le cours de la justice.
On ne peut douter qu'il y avoit des formes judiciaires établies chez les Grecs, puisque l'on en trouve chez les Romains dans la loi des douze tables, dont les dispositions furent empruntées des Grecs.
Ces formes étoient des plus singulieres, par exemple, la premiere que l'on observoit avant de commencer les procédures civiles, étoit que les parties comparoissoient devant le préteur ; là, dans la posture de deux personnes qui se battent, elles croisoient deux baguettes qu'elles tenoient entre les mains : c'étoit-là le signal des procédures qui devoient suivre. Ce qui a fait penser à Hotman, que les premiers Romains vuidoient leurs procès à la pointe de l'épée.
Indépendamment de ce qui étoit porté par la loi des douze tables pour la maniere d'intenter les procédures civiles ou criminelles, on introduisit beaucoup d'autres formules, appellées legis actiones, qui étoient la même chose que ce que la procédure & le style sont parmi nous. On étoit obligé d'observer les termes de ces formules avec tant de rigueur, que l'omission d'un seul de ces termes essentiels, faisoit perdre la cause à celui qui l'avoit omis.
Ces anciennes formules furent la plûpart abrogées par Théodose le jeune ; cependant plusieurs auteurs se sont empressés d'en rassembler les fragmens ; le recueil le plus complet est celui que le président Brisson en a donné sous le titre de formulis & solemnibus populi romani verbis. Ces formules regardent non-seulement les actes & la procédure, mais aussi la religion & l'art militaire.
A mesure que les anciennes formules tomberent en non-usage, on en introduisit de nouvelles plus simples & plus claires ; il y avoit des appariteurs qui faisoient les actes que font aujourd'hui les sergens & huissiers, des procureurs ad lites, que l'on appelloit cognitores juris, & des avocats. Ainsi l'on ne peut douter qu'il y eût toujours chez les Romains des formes judiciaires pour procéder en justice.
La procédure usitée chez les Romains dut probablement être pratiquée dans les Gaules, lorsqu'ils en eurent fait la conquête, vu que tous les officiers publics étoient romains, & que les Gaulois s'accoutumerent d'eux-mêmes à suivre les moeurs des vainqueurs.
Lorsque les Francs eurent à leur tour conquis les Gaules sur les Romains, il se fit un mêlange de la pratique romaine avec celle des Francs. C'est ainsi qu'au lieu des preuves juridiques, on introduisit en France l'épreuve du duel, coutume barbare qui venoit du Nord.
Dans ces premiers tems de la monarchie, la justice se rendoit militairement ; il y avoit pourtant quelques formes pour l'instruction, mais elles étoient fort simples, & en même tems fort grossieres. Il y avoit des avocats & des sergens, mais on ne se servoit point du ministere des procureurs ad lites ; il étoit même défendu de plaider par procureur ; les parties étoient obligées de comparoître en personne.
Ce ne fut que du tems de saint Louis, que l'on commença à permettre aux parties de plaider par procureur en certains cas, en obtenant à cet effet des lettres du prince.
Ces permissions devinrent peu-à-peu plus fréquentes, jusqu'à-ce qu'enfin il fut permis à chacun de plaider par procureur, & que l'on établit des procureurs en titre.
Depuis qu'il y eut des procureurs ad lites, les procédures furent beaucoup multipliées, parce que l'instruction se fit plus régulierement.
La plus ancienne ordonnance que nous ayons, où l'on trouve quelques regles prescrites pour l'ordre de la procédure, ce sont les établissemens faits par saint Louis en 1270.
Les principales ordonnances qui ont été faites depuis sur le même objet, sont celles de 1493, de 1535, de 1536, 1539, 1560, 1563, 1566, 1579, 1629, & les ordonnances de 1667, 1669, 1670, 1673, & celle des évocations & du faux, l'une & l'autre de 1737.
Les traités de procédure ne sont point à négliger, puisque la procédure fait aujourd'hui un point capital dans l'administration de la justice. On trouve dans les anciens praticiens divers usages curieux, & l'on y voit l'origine & les progrès de ceux que l'on observe présentement. On peut voir sur cette matiere le style du parlement, Imbert, Papon, Ayrault, Masuer, Gastier, Lange, Gauret, Ferrieres, &c.
Nous n'entreprendrons pas de tracer ici les regles propres à chaque espece de procédure ; on en trouvera les notions principales sous chaque terme auquel elles appartiennent, tels que AJOURNEMENT, ASSIGNATION, ARRET, DEFENSES, DUPLIQUES, ENQUETES, EXCEPTION, EXPLOIT, PROCES-VERBAL, OPPOSITION, REQUETE, REPLIQUE, SIGNIFICATION, SENTENCE, SOMMATION. (A)
PROCEDURE CIVILE, est celle qui tend à fin civile, c'est-à-dire, qui ne tend qu'à faire régler quelque objet civil, comme le payement d'un billet, le partage d'une succession, à la différence de la procédure criminelle, qui a pour objet la réparation de quelque délit.
On peut néanmoins pour raison d'un délit, prendre seulement la voie civile, au lieu de la voie criminelle.
Toute procédure civile commence par un exploit d'assignation ou par une requête, à fin de permission d'assigner ou de saisir, ou de faire quelque autre chose.
La procédure civile renferme divers actes, tels que les exploits de demande, de saisie, & autres, les requêtes, les exceptions, défenses, moyens de nullité, répliques, sommations, les inventaires de production, les avertissemens, contredits de production ; les productions nouvelles, contredits, salvations, actes d'appel, griefs, causes & moyens d'appel, réponses, & autres écritures, tant du ministere d'avocat, que de celui des procureurs ; les significations des jugemens, les actes d'opposition, d'appel & de reprise, les interventions, demandes en garantie, &c.
Les regles de la procédure civile sont répandues dans plusieurs anciennes ordonnances, & ont été résumées & réformées par l'ordonnance de 1667.
PROCEDURE CIVILISEE, est celle qui étant d'abord dirigée au criminel, a été depuis convertie en procès civil ; ce qui arrive lorsque les informations ont été converties en enquêtes, & les parties reçues en procès ordinaires ; mais la procédure n'est pas civilisée, lorsque les parties sont seulement renvoyées à l'audience.
PROCEDURE CRIMINELLE, est celle qui a pour objet la réparation de quelque délit ; elle commence par une dénonciation ou par une plainte. Lorsque l'objet paroit mériter une procédure criminelle, le juge permet d'informer, & sur le vu des charges, il decrete l'accusé, soit de prise de corps, soit d'ajournement personnel, ou d'assigné pour être ouï ; ou bien il renvoye à l'audience, selon que le cas le requiert ; quelquefois après l'interrogatoire de l'accusé, le juge ordonne que le procès se poursuivra par récolement & confrontation ; sur quoi il intervient un jugement définitif, qui absout ou qui condamne l'accusé. Après la condamnation, le criminel obtient quelquefois des lettres de grace ; en ce cas, il faut les faire entériner : tel est en petit le tableau d'une procédure criminelle.
Les regles de cette procédure sont fixées par l'ordonnance de 1670 ; on en trouvera ici les principales notions aux mots PLAINTE, DENONCIATION, AJOURNEMENT PERSONNEL, DECRET, INFORMATION, RECOLEMENT, CONFRONTATION, &c.
PROCEDURE EN ETAT, c'est lorsqu'une partie a satisfait de sa part à ce qu'elle étoit obligée de faire ; par exemple, à l'égard du défendeur lorsqu'il a fourni des défenses. C'est la même chose que quand on dit que le procès est en état ; ceci signifiant que le procès est instruit de la part d'une partie, ou même de la part des deux parties, & qu'il est en état de recevoir sa décision.
PROCEDURE EXTRAORDINAIRE, est celle qui se fait en matiere criminelle lorsque le procès est reglé à l'extraordinaire, c'est-à-dire, lorsque le juge a ordonné que les témoins seront récollés & confrontés.
PROCEDURE FRUSTRATOIRE, est celle qui est inutile & sans aucun autre objet que de multiplier les frais.
PROCEDURE NULLE, est celle qui est vicieuse dans sa forme, & qui ne peut produire aucun effet ; cependant une procédure n'est pas nulle de plein droit ; il faut qu'elle ait été déclarée telle.
PROCEDURE PERIE, est celle qui est tombée en péremption par une discontinuation de poursuites pendant trois ans. Voyez PEREMPTION.
PROCEDURE RECRIMINATOIRE, en matiere criminelle, que le premier accusé fait contre l'accusateur lorsqu'il rend plainte contre lui ; en ce cas, on commence par juger lequel des deux plaignans demeurera accusé ou accusateur ; ordinairement c'est le premier plaignant. Cela peut néanmoins arriver autrement par quelques circonstances, comme quand on voit que la premiere plainte n'a été rendue que pour prévenir celui qui avoit véritablement sujet de rendre plainte. Voyez PLAINTE & RECRIMINATION. (A)
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PROCÉLEUSMATIQUE | S. m. (Prosod. latine) terme de prosodie latine, qui signifie un pié composé de deux pyrriques, c'est-à-dire, de quatre breves, comme hominibus. (D.J.)
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PROCELLO | S. m. (Verrerie) instrument d'usage dans le travail des glaces. Voyez l'article VERRERIE.
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PROCÈS | PROCÈS
PROCES CILIAIRES, voyez CILIAIRE.
PROCES, s. m. (Jurisprud.) Ce terme se prend quelquefois pour toute sorte de contestation portée en justice ; mais dans sa signification propre il ne s'entend que d'une contestation qui a déja été appointée en droit devant les premiers juges où elle formoit une instance, laquelle ayant été jugée & ensuite portée devant le juge d'appel, forme devant celui-ci la matiere d'un procès, qu'on appelle procès par écrit pour le distinguer des causes & des instances appointées en droit.
On entend aussi quelquefois par le terme de procès les pieces qui composent les productions des parties.
PROCES APPOINTE, est celui sur lequel il est intervenu quelque jugement préparatoire, qui a ordonné un appointement à mettre ou en droit ou de conclusion, ou appointement au conseil ; mais, à parler exactement, cette derniere sorte d'appointement forme une instance & non un procès proprement dit.
PROCES CIVIL, est celui qui a pour objet une matiere civile, & qui s'instruit par la voie civile. Il commence par une assignation ou par une requête, suivi d'ordonnance & assignation ; il s'instruit par des exceptions, défenses, répliques, &c. sur lesquelles il intervient un jugement préparatoire, interlocutoire ou définitif, selon que la matiere y est disposée. Quand il demande une instruction plus ample on l'appointe. Voyez APPOINTEMENT, CAUSES D'APPEL, GRIEFS.
PROCES CIVILISE, est celui qui de procès extraordinaire qu'il étoit d'abord, a été converti en procès civil, comme il arrive lorsque les parties sont reçues en procès ordinaire, & que les informations sont converties en enquêtes : mais si les parties sont seulement renvoyées à l'audience, le procès criminel n'est pas pour cela civilisé ; toute la différence que cela opere, est qu'il n'est pas reglé à l'extraordinaire.
PROCES DE COMMISSAIRES AU PARLEMENT, sont ceux qui se trouvant de longue discussion pour être rapportés aux heures ordinaires de rapport, sont vûs par des commissaires qui s'assemblent extraordinairement. Il y a des procès de grands commissaires, & d'autres de petits commissaires.
Les premiers sont les procès & affaires où il y a au-moins six chefs de demande au fond, & plusieurs titres à voir ; les procès & instances d'ordre & de distribution de deniers procédans de la vente d'immeubles, & les instances de contributions d'effets mobiliers entre les créanciers ; les instances de liquidation de fruits, de dommages & intérêts, & débats de compte, d'opposition à fin de charge & de distraire des taxes de dépens excédans dix croix ou apostilles.
Il faut en outre pour former un procès de grands commissaires, que l'objet soit de plus de 1000 liv.
Les grands commissaires s'assemblent au nombre de dix dans la chambre du conseil avec un président ; ils ont le pouvoir de juger sans en référer à la chambre.
Les procès de petits commissaires sont ceux où il y a au-moins trois demandes ou six actes à examiner : lorsqu'il a été arrêté par plus des deux tiers des voix, sur le rapport sommaire qui a été fait de l'affaire, qu'elle sera vûe de petit commissaire, quatre conseillers qui sont députés par la cour suivant l'ordre du tableau & de leur réception, s'assemblent chez un président de la chambre avec le rapporteur pour examiner l'affaire, mais ils ne la jugent pas ; le rapporteur en fait ensuite son rapport à la chambre où elle est jugée.
L'édit du mois de Juin 1683 contient un réglement pour les procès qui peuvent être jugés de grands commissaires au grand conseil. Voyez aussi la déclaration du mois de Juin 1672.
PROCES CONCLU, est un procès par écrit dans lequel on a passé l'appointement de conclusion. Voyez APPOINTEMENT & CONCLURE.
PROCES CRIMINEL, est celui qui a pour objet la réparation de quelque délit.
Pour intenter un procès criminel, il faut qu'il y ait un corps de délit. Le procès commence par une plainte sur laquelle on demande permission d'informer : on informe contre l'accusé, on decrete ensuite les informations, l'accusé est interrogé ; &, s'il y a lieu de regler le procès à l'extraordinaire, on ordonne que les témoins seront récolés en leurs dépositions, & confrontés à l'accusé ; & après le dernier interrogatoire que l'on fait subir à l'accusé, & les conclusions définitives, on rend un jugement contre l'accusé. Voyez ACCUSE, CHARGES, CRIME, CRIMINEL, DELIT, DENONCIATION, PLAINTE, PROCEDURE CRIMINELLE.
PROCES DEPARTI ou DEPARTAGE, est celui dans lequel les opinions s'étant d'abord trouvé partagées, le rapport en a été fait dans une autre chambre où il a été jugé. Voyez PARTAGE D'OPINIONS.
PROCES DISTRIBUE, est celui qui est assigné à une certaine chambre, & donné à un des conseillers pour l'examiner & en faire le rapport.
PROCES PAR ECRIT, est celui qui a été appointé devant les premiers juges, & dont l'appel est pendant devant le juge supérieur.
PROCES EN ETAT, est celui qui est instruit & en état de recevoir sa décision. On dit quelquefois qu'une partie a mis le procès en état, ce qui ne veut pas dire que toute l'instruction soit faite de part & d'autre, mais seulement que cette partie a fait de sa part ce qu'il convenoit de faire pour se mettre en regle.
PROCES A L'EXTRAORDINAIRE, est un procès criminel dans lequel on a ordonné qu'il sera poursuivi par recolement & confrontation des témoins ; car tout procès criminel n'est pas à l'extraordinaire, il ne devient tel que quand la procédure a été reglée de la maniere dont on vient de le dire. Voyez ci-après PROCES ORDINAIRE.
PROCES DE GRANDS COMMISSAIRES, voyez ci-devant PROCES DE COMMISSAIRES.
PROCES INSTRUIT, est celui dans lequel on a fait toutes les procédures nécessaires pour instruire la religion des juges.
PROCES ORDINAIRE, est un procès civil : quand on civilise une affaire criminelle, on reçoit les parties en procès ordinaire, & l'on convertit les informations en enquêtes.
PROCES PARTAGE ou PARTI, est celui au jugement duquel les opinions se sont trouvées partagées. Voyez ci-devant PARTAGE D'OPINIONS.
PROCES REDISTRIBUE, est celui qui passe d'un rapporteur à un autre, lorsque le premier est décédé, ou qu'il s'est déporté à cause de quelque circonstance qui l'empêche d'être juge de l'affaire. (A)
PROCES-VERBAL, (Jurisprud.) est la relation de ce qui s'est fait & dit verbalement en présence d'un officier public, & de ce qu'il a fait lui-même en cette occasion.
Les huissiers font des procès-verbaux d'offres réelles, de saisie & exécution, d'enlevement & vente de meubles, de compulsoire, & de rébellion à justice.
Les notaires font des procès-verbaux de prise de possession & de l'état des lieux, &c.
Les juges & commissaires font des procès-verbaux de descente sur les lieux, des procès-verbaux d'enquête.
Les experts font aussi des procès-verbaux de visite, de rapport & estimation.
Les commis des fermes font aussi des procès-verbaux de visite, de saisie & confiscation, & de rebellion.
Un procès-verbal, pour être valable, doit être fait avec toutes les parties intéressées, présentes, ou duement appellées ; autrement il ne fait foi que contre ceux qui y ont été appellés.
Il faut qu'il soit fait par une personne ayant serment à justice, qu'il soit sur du papier timbré, qu'il contienne la date de l'année, du mois & du jour, & qu'il fasse mention si l'acte a été fait devant ou après midi.
On y doit sommer les parties de dire leur nom, recevoir leurs dires, déclarations & réponses, les interpeller de les signer, &, en cas de refus, faire mention qu'elles n'ont pû ou n'ont voulu signer. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. XXI. XXII. & XXIII. & l'ordonnance des aides. (A)
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PROCESSION | S. f. (Théolog.) lorsqu'on traite du mystere de la Trinité, signifie la production, l'émanation, l'origine des personnes entr'elles, sans inégalité de nature & de perfections.
Il est certain par la foi, qu'il y a en Dieu des processions, & qu'il n'y en a que deux : la premiere est celle par laquelle le Fils est engendré du Pere, & elle se nomme proprement génération. Voyez GENERATION.
La seconde est celle par laquelle le Saint-Esprit tire son origine du Pere & du Fils, & elle retient le nom de procession. Voyez la raison de cette différence au mot GENERATION.
Les Théologiens conviennent 1°. que ces processions sont éternelles, puisque le Fils & le Saint-Esprit qui en résultent sont eux-mêmes éternels. 2°. Qu'elles sont nécessaires & non contingentes, car si elles étoient libres en Dieu, le Fils & le Saint-Esprit qui en émanent seroient contingens, & dès-lors ils ne seroient plus Dieu. 3°. Que ces processions ne produisent rien hors du Pere, & que le Fils & le Saint-Esprit qui en sont le terme, demeurent unis au Pere sans en être séparés, quoiqu'ils soient réellement distingués de lui.
La procession du Saint-Esprit, comme procédant également du Pere & du Fils, a formé une grande question entre les Grecs & les Latins : ceux-ci soutenant que le Saint-Esprit procede du Pere & du Fils, & les Grecs prétendant au contraire que le Saint-Esprit ne procede que du Pere. Bellarmin, les PP. Petau & Garnier, jésuites, attribuent l'origine de cette derniere opinion à Théodoret. Il est constant que la dispute entre les deux églises sur cet article est très-ancienne, comme il paroît par le concile de Gentilly tenu en 767 : on en traita encore dans le concile d'Aix-la-Chapelle sous Charlemagne en 809, & elle a été remise sur le tapis toutes les fois qu'il s'est agi de la réunion de l'église grecque avec l'Eglise romaine, comme dans le quatrieme concile de Latran en 1215, dans le second de Lyon en 1274, & enfin dans celui de Florence en 1439 où les Grecs convinrent enfin de ce point ; mais le schisme ayant recommencé peu après, ils retomberent dans leur ancienne erreur, & la plûpart y persistent encore. Il est vrai que le terme de procession ne se trouve pas dans les écritures en parlant de l'émanation du Saint-Esprit relativement au Fils, mais la chose y est en termes équivalens, & d'ailleurs la tradition est expresse sur ce point. Outre cela si le Saint-Esprit ne procédoit pas du Fils, il n'en seroit pas réellement distingué, parce qu'il n'y a que l'opposition relative fondée dans l'origine, qui distingue réellement les Personnes divines les unes des autres, comme l'enseignent les Thomistes & la plûpart des théologiens.
PROCESSION, (Hist. du Pagan. & du Christian.) c'est dans le Christianisme une cérémonie ecclésiastique qui consiste en une marche que fait le clergé suivi du peuple, en chantant des hymnes, des pseaumes & des prieres.
L'origine des processions remonte aux commencemens du Paganisme. On représentoit dans leurs processions le premier état de la nature. On y portoit publiquement une espece de cassette qui contenoit différentes choses pour servir de symboles. On portoit, par exemple, des semences de plantes pour signe de la fécondité perdue. On portoit encore dans les mêmes principes un enfant emmaillotté, un serpent, &c. Ces sortes de fêtes s'appelloient orgies.
Virgile fait mention dans ses Géorgiques de la procession usitée toutes les années en l'honneur de Cérès ; Ovide ajoute que ceux qui y assistoient étoient vêtus de blanc, & portoient des flambeaux allumés. Il est encore certain que les payens faisoient des processions autour des champs ensemencés, & qu'ils les arrosoient avec de l'eau lustrale. Les bergers de Virgile en sont tous glorieux, & disent en chorus :
Et cùm solemnia vota
Reddemus nymphis, & cùm lustrabimus agros.
A Lacédémone, dans un jour consacré à Diane, on faisoit une procession solemnelle. Une dame des plus considérables de la ville portoit la statue de la déesse. Elle étoit suivie de plusieurs jeunes gens d'élite qui se frappoient à grands coups. Si leur ardeur se ralentissoit, la statue légere de sa nature, devenoit si pesante que celle qui la portoit, accablée sous le poids, ne pouvoit plus avancer. Aussi les amis & les parens de cette jeunesse les accompagnoient pour animer leur courage.
Dès le tems de saint Ambroise, ces pratiques du Paganisme commencerent à passer dans la religion chrétienne. Elles s'y sont singulierement multipliées, & dans plusieurs lieux avec des cérémonies superstitieuses, qui en défigurent étrangement l'innocence. Les Hébreux ne paroissent pas avoir connu les processions, car on ne peut guere qualifier de ce nom, le tour que l'on fit des murs de Jéricho, ni la translation de l'arche enlevée du temple des Philistins, & ramenée à Jérusalem. (D.J.)
PROCESSIONS du Japon, (Hist. du Japon) Les processions du clergé de Nagasaki, en l'honneur de la sainte idole, patrone de la ville, se font au rapport de Kaempfer avec la pompe & l'ordre suivans. Premierement, deux chevaux de main demi-morts de faim, chacun aussi maigre & décharné que celui que le patriarche de Moscow monte le jour de Pâque fleurie, lorsqu'il va à la cathédrale. 2°. Plusieurs enseignes ecclésiastiques & marques d'honneur, pareilles à celles qui étoient en usage parmi leurs ancêtres, & que l'on voit de même aujourd'hui à la cour ecclésiastique de Miaco : ce sont, par exemple, une lance courte, large & toute dorée ; une paire de souliers remarquables par leur grandeur & la grossiereté de l'ouvrage ; un grand pennache de papier blanc attaché au bout du bâton court, c'est le bâton de commandement ecclésiastique. 3°. Des tablettes creuses pour y placer les mikosi : on les tient renversées afin que le peuple y jette ses aumônes ; on loue pour la même raison deux porte-faix qui portent un grand tronc pour les aumônes. 4°. Les mikosi mêmes, qui sont des niches octogones, presque trop grandes pour être portées par un seul homme : elles sont vernissées, & décorées avec art de corniches dorées, de miroirs de métal fort polis, & ont, entr'autres ornemens, une grue dorée au sommet. 5°. Deux petites chaises de bois, ou palankins, semblables à celles dont on se sert à la cour de l'empereur ecclésiastique. 6°. Deux chevaux de main, avec tout leur harnois, appartenans aux supérieurs du temple, & autant haridelles que ceux qui sont à la tête de la procession. 7°. Le corps du clergé marchant à pié en bon ordre, & avec une grande modestie. 8°. Les habitans & le commun peuple de Nagasaki, dans la confusion ordinaire, sont à la queue de la procession. (D.J.)
PROCESSION, droit de (Hist. ecclésiast.) entre les honneurs que l'Eglise rend ou aux souverains ou aux patrons, & aux fondateurs, le droit de procession, jus processionis, est un des plus considérables. Il comprend en général toutes les marques de considération & de respect que l'on peut donner aux personnes à qui on les doit ; comme l'encensement, la place dans le choeur, & autres de cette nature ; mais l'on entend en particulier par jus processionis, l'obligation du clergé d'aller en procession recevoir, ou le roi, ou l'évêque, ce dont il y a quelques exemples dans l'histoire ecclésiastique, en conséquence desquels l'usage s'est établi de rendre toujours cet honneur au prince & à l'évêque ; & c'est ce qu'on appelle encore aujourd'hui jus processionis. (D.J.)
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PROCESSIONAL | ou PROCESSIONNEL, s. m. (Liturgie) est un livre d'église qui contient les répons, litanies, pseaumes, hymnes, &c. qui se chantent aux processions, avec les rubriques des céremonies qui s'y doivent pratiquer ; ce qui varie suivant les diocèses.
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PROCESTRIA | S. m. (Art milit. des Romains) on nommoit procestria chez les Romains les camps fixes ou de quartier, dans lesquels demeuroient les étrangers, vivandiers, approvisionneurs, & autres qui suivoient l'armée, & auxquels il étoit défendu de se mêler avec les soldats. (D.J.)
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PROCHAIN | adj. (Gramm.) terme relatif au tems & à l'espace. Il marque ce qui n'est pas éloigné de nous, soit dans le passé, soit dans l'avenir, soit dans la distance. L'occasion est prochaine. La ville prochaine ; le tems prochain.
PROCHAIN, s. m. (Gramm. Critiq. sacrée) ce mot signifie dans l'Ecriture, 1°. un proche parent ; celui qui cédoit son droit ôtoit son soulier, & le donnoit à son parent, proximo suo, Ruth c. iv. 7. Prochain désigne aussi des gens du même pays, de la même tribu, Ps. 121. 8. 3°. Un voisin ; il racontoit quelquefois son songe à son voisin, Juges vij. 13. proximo suo. 4°. un ami particulier ; David envoya du butin aux anciens de Juda qui étoient ses amis, proximis suis, I. Rois, xxx. 26. Enfin tous les hommes en général, car ce précepte, tu aimeras ton prochain, veut dire tu seras rempli de bienveillance & d'humanité pour tous les hommes.
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PROCHARISTÉRIES | S. f. pl. (Antiq. grecq.) ; sacrifice solemnel que les magistrats d'Athenes offroient annuellement à Minerve au prémier commencement du printems.
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PROCHYTE | (Géog. anc.) Prochyta, île de la mer de Tyrrhène, dans le golfe de Naples, près de l'île Aenaria, dont Pline, l. II. c. lxxxviij. dit qu'elle avoit été séparée sans doute par un tremblement de terre. Quelques-uns écrivent Porchyta au lieu de Prochyta. Ovide, Silius Italicus, Pomponius Mela, Strabon, Ptolémée, & la plûpart des auteurs anciens, font mention de cette île, qui conserve encore son ancien nom ; & on l'appelle aujourd'hui Procita.
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PROCITA | ou PROCIDA, (Géog. mod.) île sur la côte d'Italie dans le golfe de Naples, à demi-lieue de celle d'Ischia ; on lui donne 8 à 9 milles de circuit. Son terroir est fertile & peuplé. Elle a au sud-est une petite ville de même nom, entourée de fortifications antiques, & bâtie sur une hauteur escarpée du côté de la mer. Long. 31. 34. lat. 40. 51. (D.J.)
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PROCLAMATION | S. f. PROCLAMé, PROCLAMER, (Jurisprud.) est l'action de faire crier quelque chose à haute voix pour la rendre notoire & publique ; on proclame certaines lois & réglemens de police au son du tambour ou à son de trompe, afin que le peuple en soit mieux instruit.
On se sert aussi du terme de proclamation pour exprimer la nomination publique qui a été faite de quelqu'un à une haute dignité ; comme quand on dit qu'un tel prince fut proclamé roi ou empereur. (A)
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PROCLAME | S. f. (Gramm.) confession que quelques religieux font de leurs fautes dans le chapitre après prime. Les Bernardins & les Feuillans disent proclamation.
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PROCLINIATES | S. m. (Hist. ecclésiast.) hérétiques dans le quatrieme siecle, qui nioient l'incarnation de Jesus-Christ, la résurrection des corps, & le jugement universel. S. Epiphane.
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PROCONDYLE | S. m. (Anatomie) dénomination que l'on donne à l'extrêmité de la derniere phalange de chaque doigt. Voyez CONDYLE & DOIGT.
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PROCONNESE | Proconnesus, (Géog. anc.) île de la Propontide, vis-à-vis de Cyzique. Pline, l. V. c. xxxij. dit qu'on l'appelloit aussi Elaphonnesus & Nevris. C'est de cette île qu'on tiroit le marbre appellé le marbre de Cizique.
C'est dans cette île que nâquit Aristée, en latin Aristeus, personnage qui joue un grand rôle dans les légendes du Paganisme. On peut voir dans Hérodote, l. IV. c. xiij. & xiv. le détail des prodiges qu'on lui attribuoit. Après avoir disparu subitement de Proconnese sa patrie, il y reparut, disoit-on, sept ans après ; assura ses concitoyens que pendant son absence, il avoit accompagné Apollon chez les Hyperboréens, & leur récita son poëme sur ces peuples ; après quoi il disparut encore. Les habitans de Métaponte en Italie ajoutoient que 370 ans après cette apparition, dans la place de Proconnese, Aristée se remontra dans leur ville, & leur ordonna d'élever un autel en l'honneur d'Apollon, parce qu'ils étoient les seuls grecs d'Italie que ce dieu eût daigné visiter, quoique sans se rendre visible.
Plutarque s'est mocqué de tous ces contes, & Strabon nous donne Aristée pour un des plus grands enchanteurs qui furent jamais ; c'est pour cela qu'on lui a attribué un ouvrage rempli de fables sur l'origine des dieux, & un poëme contenant l'histoire des Arimaspes, peuples fabuleux, dont on debitoit d'étranges absurdités. On ne sait point quand a vécu cet homme singulier ; Suidas le met au tems de Cyrus & de Cresus, mais il devoit être encore plus ancien, suivant Hérodote.
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PROCONNÉSIEN | MARBRE (Hist. nat.) nom donné par les anciens à un marbre d'un beau blanc veiné de noir.
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PROCONSUL | (Hist. rom.) c'étoit un magistrat que la république romaine envoyoit dans une province, qui y gouvernoit, & y commandoit avec toute l'autorité des consuls à Rome.
Les consuls après leur élection se partageoient d'abord le gouvernement des provinces selon que le sort en disposoit ; mais l'empire romain devint si étendu, & les guerres qu'il fallut entreprendre furent si fréquentes & si considérables, qu'on fut obligé de changer la forme du gouvernement, & de donner à des particuliers l'autorité nécessaire pour conduire les armées, commander dans les provinces, & tenir la place des consuls qu'ils représentoient.
Comme la maxime de la république étoit à mesure qu'elle faisoit des conquêtes d'en former des gouvernemens, ce qu'elle appelloit réduire en province ; elle commençoit d'abord par ôter à ces pays conquis leurs lois & leurs magistrats particuliers, les assujettissoit à recevoir les lois romaines, & y envoyoit pour gouverner, selon que la province étoit plus ou moins considérable, un proconsul ou un préteur, ou un propréteur, qui leur rendoit la justice, & commandoit les troupes ; elle y joignoit un questeur, pour avoir soin de faire payer les tributs qu'on leur avoit imposés. La Sicile fut le premier pays hors de l'Italie qui fut réduit en province.
Appien, de bell. civ. l. I. raconte qu'avant la guerre des alliés, les provinces étoient désignées à des proconsuls. Ces gouverneurs n'étoient nommés que pour un an, après lequel le sénat en envoyoit d'autres. Si un gouvernement se trouvoit sur la frontiere où il y eût quelque guerre, dont on eût confié la conduite au gouverneur, il arrivoit quelquefois qu'on prolongeoit le tems de son administration, afin qu'il pût terminer cette guerre. Mais cela ne se faisoit que par un édit du peuple romain assemblé en comices.
Les proconsuls, les préteurs & les propréteurs, avoient des lieutenans sous eux dans leurs gouvernemens, quelquefois jusqu'à trois, selon son étendue ; car en décernant ces provinces, le sénat marquoit l'étendue de chacune, régloit le nombre des troupes, assignoit des fonds pour leur paye & leur subsistance, nommoit les lieutenans que le gouverneur devoit avoir, & pourvoyoit à la dépense sur la route, ainsi qu'à leur équipage, qui consistoit en un certain nombre d'habits, de meubles, de chevaux, mulets & tentes, qu'on leur faisoit délivrer lorsqu'ils partoient pour leur gouvernement, ce qu'on appelloit viaticum, afin qu'ils ne fussent point à charge aux provinces.
Il paroît par un passage de Suétone, que du tems de la république, les mulets & les tentes qu'on leur fournissoit, étoient seulement loués aux dépens du public, & qu'ils devoient les rendre après le tems de leur gestion. Cette précaution de la république n'empêchoit pas lorsque ces magistrats étoient intéressés, qu'ils n'exigeassent encore de grosses sommes des provinces, comme il paroît par le reproche que fait Cicéron dans son plaidoyer contre Pison, qui allant en Macédoine en qualité de proconsul, se fit donner par cette province pour sa vaisselle seulement, cent fois 80 mille sesterces, qui font environ deux millions de notre monnoie.
Tite-Live, dec. V. liv. ij. fait connoître que cet abus ne s'étoit introduit que depuis que le consul Postumius étant allé à la ville de Préneste pour y faire un sacrifice comme un simple particulier, mais n'y ayant pas été reçu avec la distinction qu'il auroit souhaité, il avoit exigé de cette ville, qu'elle le défrayât & lui fournît des chevaux pour son retour, en punition de ce peu d'égards qu'elle avoit eu à sa dignité. Cette usurpation servit d'autorité depuis aux magistrats qui alloient à leurs gouvernemens, pour se faire défrayer sur leur route, sans se contenter de ce que la république fournissoit, & en même tems de prétexte à ceux qui étoient intéressés & avares pour se faire donner de grosses sommes.
Quand les postes furent établies, ces magistrats eurent le privilege de s'en servir sur leur route où ils étoient aussi défrayés. Suétone dit qu'Auguste enchérit sur ce qui se pratiquoit du tems de la république, en ordonnant de leur fournir une certaine somme de deniers publics, afin qu'ils n'exigeassent rien de plus des provinces.
On voit dans Lampridius, que long-tems après, l'empereur Alexandre Sévére faisoit aussi fournir aux magistrats qu'il envoyoit dans les provinces en qualité de gouverneur, certaine somme d'argent, & ce qui leur étoit nécessaire, comme meubles, habits, chevaux, mulets, domestiques ; le tems de leur gestion expiré, ils devoient rendre les domestiques, les chevaux & les mulets ; pour le reste ils le gardoient, s'ils avoient bien rempli leur ministere ; mais s'ils s'en étoient mal acquités, l'empereur les condamnoit à rendre le quadruple. Il ne paroît pas que cette loi ait été suivie sous les autres empereurs.
Tous ces gouverneurs menoient avec eux outre les officiers qui leur étoient adjoints, comme lieutenans, questeurs, assesseurs, & autres subalternes, nombre de leurs amis qui les accompagnoient pour leur faire honneur, & qu'on nommoit contubernales, parce qu'ils mangeoient à leur table : c'étoient la plûpart des jeunes gens de la premiere noblesse qui alloient apprendre le métier de la guerre, s'il y en avoit dans ce département, & se mettre en état de remplir les magistratures. Ce cortege formoit une espece de cour à ces gouverneurs ; leur suite devint encore plus nombreuse sous les empereurs, par la quantité d'officiers subalternes qu'ils menoient avec eux, & dont il est fait mention dans la notice de l'empire sous les noms de praecones, pictores, interpretes, aruspices, tabellarios, numerarios, commentarienses, comicularios, adjutores, sub-adjuvas, exceptores, & autres.
Leur maison & leur train étoient aussi composés de plus de domestiques, & ils paroissoient avec plus de pompe & d'appareil que sous la république ; ils étoient obligés pendant le tems de leur administration, de faire des voyages dans les principales villes de leur gouvernement pour y rendre la justice, & tenir les assemblées de la province, afin d'y maintenir le bon ordre.
Tous ces gouverneurs, avant que de sortir de Rome, alloient au capitole faire des sacrifices, & prendre le manteau de guerre qu'on nommoit paludamentum, qui marquoit le commandement des troupes, ce qui se pratiquoit aussi par ceux qui alloient commander les armées de la république ; ils sortoient de Rome dans une espece de pompe, précédés de leurs licteurs, avec les faisceaux & les haches, & conduits par leurs amis qui les accompagnoient hors la ville jusqu'à une certaine distance.
Ils gouvernoient leurs provinces, selon les lois romaines, & conformément à ce que les magistrats observoient à Rome ; on ne comptoit l'année de leur charge, que du jour qu'ils avoient commencé d'en faire la fonction, & non pas du jour de leur nomination. Quand on envoyoit un successeur à celui dont le tems étoit fini, celui-ci lui remettoit les troupes qu'il avoit sous son commandement, & ne pouvoit plus différer son départ au-delà de trente jours après l'arrivée de son successeur. Si après l'année révolue, on n'envoyoit personne pour lui succéder ; il n'en quittoit pas moins son gouvernement, mais il laissoit son lieutenant jusqu'à-ce que le nouveau gouverneur fût arrivé, & à son retour, il rendoit compte au sénat de son administration ; il en dressoit un précis qu'on déposoit au trésor, trente jours après avoir rendu compte au sénat. Les proconsuls avoient dans leurs provinces les mêmes honneurs que les consuls à Rome, auxquels ils cédoient en tout lorsqu'ils y étoient.
Quoiqu'en apparence le proconsul n'étoit pas différent du consul, cependant il est certain qu'il ne fut point mis dans le rang des vrais magistrats. Il avoit le pouvoir que les Romains appelloient potestas, mais il n'avoit pas l'empire, imperium.
Ceux que le peuple choisissoit pour remplir des fonctions indéfinies & lorsque l'occasion s'en présentoit, n'avoient qu'une autorité bornée ; mais lorsque le peuple élisoit quelqu'un pour une affaire particuliere, comme pour faire la guerre à quelque roi, il lui donnoit un pouvoir absolu qu'ils appelloient imperium. Entre les lois militaires dont Cicéron a fait mention dans son traité de Legib. on trouve celle-ci ; Milit. ab eo, qui imperabit provocatio, ne esto, quoque Is. qui bellum, gerit. imperabit jus. ratum que esto. Le pouvoir du proconsul est marqué dans le titre de officio proconsulis, au digeste.
Dès qu'il étoit sorti de Rome, il pouvoit prendre la qualité de proconsul & les ornemens consulaires ; mais il n'avoit que l'exercice de la jurisdiction volontaire, & son pouvoir étoit renfermé dans la manumission des esclaves, dans l'émancipation des enfans, & dans l'adoption ; tout ce qui est de la jurisdiction contentieuse lui étoit défendu, jusqu'à-ce qu'il fût arrivé dans la province qui lui étoit échûe, où pour lors sa jurisdiction étoit aussi étendue que celle des consuls. Il est vrai que Pighius n'est pas de ce sentiment, & il prétend prouver par l'autorité de Tite-Live, que le proconsul n'avoit point l'imperium.
Les proconsuls n'obtenoient jamais le triomphe, quoiqu'ils l'eussent mérité, parce qu'on les regardoit comme simples citoyens, & sans caractere de magistrature ; c'est par cette raison, au rapport de Tite-Live & de Plutarque, que Scipion ne put obtenir les honneurs du triomphe, après avoir soumis l'Espagne à l'empire romain. Mais les mêmes historiens nous apprennent, que l'on se relâcha de cette rigueur, & l'on commença d'y déroger en faveur de L. Lentulus qui fut le premier à qui le peuple accorda l'ovation, & dans la suite Q. P. Philo triompha, après avoir vaincu certains peuples qui s'étoient déclarés ennemis des Romains.
Il y a eu à Rome quatre sortes de proconsuls ; 1°. ceux qui, après l'année expirée de leur consulat, conservoient encore le commandement d'une armée avec autorité de consul ; 2°. ceux qui sans sortir actuellement de charge, étoient envoyés dans une province, ou pour la gouverner, ou pour commander une armée ; 3°. ceux, qui après l'extinction du gouvernement républicain, étoient nommés par le sénat, pour gouverner quelques-unes des provinces que l'on appelloit pour cela proconsulaires ; 4°. on donna ce nom à ceux qui servoient sous les consuls en qualité de lieutenans. L'amour de la patrie faisoit que ceux même qui avoient commandé en chef une armée, ne dédaignoient pas quelquefois de servir dans la même armée en qualité de lieutenans. 5°. On laissoit aussi le titre de proconsul à ceux qui n'étoient point rentrés dans Rome depuis qu'ils en avoient été revêtus.
Le sénat nommoit autant de sujets qu'il avoit de provinces à donner, & dans ces élections on avoit beaucoup d'égards à l'ancienneté ; les sujets élus tiroient au sort, & partageoient ainsi les provinces ; mais l'Asie & l'Afrique faisoient une classe à part. De droit, elles étoient dévolues aux deux consulaires les plus anciens ; c'étoit encore le sort qui décidoit entr'eux, mais il leur livroit nécessairement l'une ou l'autre.
L'ancienne république ne donnoit rien aux gouverneurs des provinces ; Auguste, comme je l'ai dit, pour prévenir les tentations auxquelles les exposoit ce service gratuit, leur assigna des appointemens. Les gouverneurs des provinces du sénat, étoient payés sur l'aerarium, & ceux des provinces impériales sur le fisc. Si pour des raisons légitimes & approuvées, quelqu'un ne pouvoit accepter le proconsulat, on lui en offroit d'ordinaire les appointemens ; lorsque Tacite dit que Domitien les avoit donnés à quelqu'un, il faut entendre que ce prince avoit proposé qu'on les lui donnât.
On ne sait pas communément, que dès le tems de la république, les provinces ont célébré des fêtes, élevé des autels, & bâti des temples à leurs proconsuls, qu'ils ont associés à tous les honneurs qu'on rendoit aux dieux ; rien cependant n'est plus vrai.
La coutume de bâtir des temples aux proconsuls, ne s'établit que par degrés. On commença par leur dresser des monumens & des édifices publics, qui jusques-là ne l'avoient été qu'à des dieux ; ensuite on leur bâtit exprès des temples. Suétone dit expressément que c'étoit l'usage sur la fin de la république, de bâtir des temples aux gouverneurs des provinces, templa proconsulibus decerni solere, quoiqu'il y en eût souvent que les peuples ne pouvoient guere regarder comme des dieux tutélaires, mais bien comme de mauvais génies, qu'il falloit tâcher d'appaiser par des sacrifices. Cette coutume de bâtir des temples aux gouverneurs des provinces, n'étoit pas seulement tolérée, elle étoit même autorisée par les lois. C'étoit comme des monumens publics de l'assujettissement des provinces conquises ; car les Romains savoient qu'il n'y a point de plus grandes marques de servitude, que l'excès de la flatterie.
Pour ce qui est des statues, les provinces, dans le tems de la république, consacroient non les personnes, mais leurs vertus ; c'étoit une sorte d'adoucissement à la flatterie. Le culte s'adressoit directement aux vertus déja divisées, & ne tomboit qu'indirectement sur le proconsul.
Enfin, les fêtes & les jeux que l'on célébroit dans toutes les provinces en l'honneur des empereurs, & que l'on appelloit de leur nom, comme, par exemple, augusteia, commodeia, étoient absolument la même chose que les fêtes & les jeux qu'on célébroit en l'honneur des proconsuls, appellées aussi de leurs noms, Luccullia, Marcellia, &c. Il y a plus, c'est que tous les titres qu'on a donnés aux empereurs, & même tous les honneurs divins qu'on leur a décernés pendant leur vie, avoient été rendus avant eux aux gouverneurs des provinces.
Il ne faut pas s'en étonner ; tant que Rome ne domina que dans l'Italie, dit M. de Montesquieu, les peuples furent gouvernés comme des confédérés ; on suivoit les lois de chaque pays ; mais lorsqu'elle conquit plus loin, que le sénat n'eut pas immédiatement l'oeil sur les provinces, que les magistrats qui étoient à Rome ne purent plus gouverner l'empire, il fallut envoyer des préteurs & des proconsuls, & bientôt après il n'y eut plus que tyrannie, que brigandage, & que despotisme. Ceux qu'on envoyoit, avoient une puissance qui rassembloit celle de toutes les magistratures romaines : que dis-je, celle même du sénat, celle même du peuple ; en un mot, c'étoient des magistrats qui réunissoient les trois pouvoirs ; ils étoient, si l'on ose se servir de ce terme, les bachas de l'empire ; & en pillant les provinces, ils souffroient encore qu'on bâtit des temples à leur gloire. Voilà pourquoi Mithridate disoit : " toute l'Asie m'attend, comme son libérateur, tant ont excité de haine contre les Romains les rapines des proconsuls, les exécutions des gens d'affaires, & les calomnies des jugemens ". (D.J.)
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PROCONSULAIRE | EMPIRE, (Hist. rom.) l'empereur Auguste voulant se rendre maître absolu du gouvernement sans néanmoins le paroître, apporta quelques changemens dans l'ordre qu'on avoit suivi pour les gouverneurs de provinces pendant la république. Ce prince pour y parvenir fit un partage de l'administration de l'empire entre lui, le sénat, & le peuple ; & dans ce partage, il se reserva les provinces des frontieres où étoient toutes les armées. Ce fut ce trait de politique qui affermit le gouvernement monarchique, & ôta tout moyen de faire revivre la république. Il distingua par ce partage toutes les provinces de l'empire en trois especes ; savoir, proconsulaires, prétoriales, & présidiales. Il voulut que le sénat pourvût aux gouvernemens proconsulaires, le peuple à ceux des prétoriales, & se réserva le soin du reste. Lorsque Tibere fut associé au gouvernement par Auguste, il lui fit donner la charge de censeur, & un pouvoir égal au sien dans toutes les provinces, & c'est ce qu'on appelloit empire proconsulaire. (D.J.)
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PROCRÉATION | S. f. (Jurisp.) est la génération des enfans ; c'est un acte qui est du droit naturel, & qui est commun aux hommes avec tous les autres animaux. Voyez le Tit. 2. des institut. de Justinien, in principio. (A)
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PROCURATEUR | S. m. (Hist. rom.) ministre des empereurs, assez semblable à ce que sont aujourd'hui nos intendans. Ils transportoient tout ce qu'ils pouvoient dans les coffres du prince, & ne laissoient rien au peuple.
Auguste s'étant emparé de la puissance souveraine, & fait, pour ainsi dire, un partage avec les Romains de toutes les provinces qui leur étoient soumises, il forma pour lui un trésor particulier & séparé de celui de l'état, sous le nom de fisc, & il créa en même tems des officiers qu'il nomma procurateurs de l'empereur, procuratores Caesaris, qu'il envoyoit dans ses provinces & dans celles du sénat, & les chargea de faire le recouvrement des sommes destinées à ce trésor, & nommées deniers fiscaux ; mais tous n'avoient pas la même autorité & les mêmes fonctions.
Ceux que l'empereur envoyoit dans les provinces du sénat, étoient déjà dans leur origine les moins puissans ; ils étoient seulement employés à régir les terres que le prince y possédoit comme particulier, ou celles qui par des confiscations avoient été réunies au domaine impérial. Les riches citoyens de Rome avoient des terres en différentes provinces, & les dépouilles de ceux que l'on condamnoit pour crime d'état, ne manquoient guere d'être adjugées au trésor impérial.
Tôt ou tard, & peut-être dès le tems d'Auguste, l'empereur eut par-tout des procurateurs, même dans les provinces du sénat. Selon les anciennes moeurs romaines, ces intendances ne devoient être que pour des affranchis, parce qu'ils n'avoient point d'autorité ni de considération publique. Mais tout ce qui donne des relations avec le prince, paroît honorable, & devient un objet d'ambition, les chevaliers romains briguant ces places avec avidité ; & lorsque l'empereur y nommoit quelqu'un de ses affranchis, il le mettoit, ce semble, au nombre des chevaliers.
Le procurateur de l'empereur demeuroit en place, autant que le prince jugeoit à propos ; & cela seul lui donnoit un grand avantage sur les proconsuls, qui n'étant que pour un an dans chaque province, n'avoient pas le tems de s'y faire, comme lui, des créatures, & devoient être moins jaloux d'une autorité prête à s'échapper de leurs mains. La politique les obligeoit de conniver aux usurpations d'un homme qui dans le fond étoit charmé d'épier leur conduite, autant que de faire valoir les terres de son maître. Enfin le pouvoir du procurateur de l'empereur devint si considérable, que pendant la vacance du proconsulat, il faisoit les fonctions proconsulaires.
La plûpart des procurateurs impériaux abusant de la confiance du prince, des droits de leur place, & des ménagemens du gouvernement romain, exerçoient dans les provinces impériales d'horribles véxations. L'histoire romaine & principalement la vie d'Agricola donnent une étrange idée de leur conduite. L'empereur Alexandre Severe, qui les tenoit fort bas, les appelloit un mal nécessaire. Les mauvais princes leur donnoient presque toujours raison.
Il faut regarder l'avidité de ces officiers comme un des principes de destruction que l'empire portoit dans son sein ; & leur dureté pour les provinces nouvellement conquises, comme une des causes qui rendoient plus rares, plus lentes, moins solides les conquêtes que les Romains faisoient sous les empereurs.
Il y avoit une autre classe de procurateurs. C'étoient ceux que l'empereur envoyoit en quelques provinces du département impérial, qu'il ne jugeoit pas assez considérables pour y commettre un lieutenant. Telles étoient la Judée, les deux Mauritanies, la Rhétie, la Norique, la Thrace, & d'autres encore. Le prince les faisoit gouverner par un procurateur chargé tout ensemble de la justice, des finances & des troupes, mais quelquefois subordonné, du moins à certains égards, au lieutenant consulaire de la province impériale voisine.
Ces sortes d'intendances, quoique plus lucratives & plus indépendantes que les autres, ne se donnoient non plus qu'à des chevaliers ou à des affranchis, qui d'ordinaire s'y conduisoient avec une hauteur & une insolence proportionnée à leur pouvoir & à la bassesse de leur origine. Ce n'est, selon Juste-Lipse, qu'à cette troisieme classe de procurateurs qu'il faut rapporter le senatus-consulte, par lequel l'empereur Claude, esclave de ses affranchis, fit ordonner que les jugemens des procurateurs seroient exécutés comme les jugemens de l'empereur même.
Tous les différends qui naissoient au sujet du fisc, étoient portés au tribunal des procurateurs qui en étoient les juges dans leur province. Cette charge, qui étoit un démembrement de celle de questeur, servit de frein à l'avidité des gouverneurs, qui n'oserent plus faire des concussions aussi violentes qu'auparavant, dans la crainte que l'empereur n'en fût informé par ces nouveaux officiers. (D.J.)
PROCURATEUR DE S. MARC, (Hist. de Venise) la dignité du procurateur de S. Marc, celle de grand chancelier, & celle de doge, sont les seules qui se donnent à vie. Un noble vénitien ne peut prétendre à l'honneur de la veste au défaut d'argent, que par ses services à la république, ou dans des ambassades, ou dans le commandement des armées de mer, ou dans un long exercice des premieres charges de l'état.
Cette dignité donne entrée au sénat, & le pas audessus de toute la noblesse vénitienne, parce que les procurateurs sont censés les premiers sénateurs, & en cette qualité, ils sont exempts de toutes les charges publiques couteuses, excepté des ambassades extraordinaires, & autres commissions importantes.
Cette charge subsistoit déja il y a près de 700 ans. Il y avoit alors un procurateur de S. Marc, qui prenoit soin du bâtiment de cette église, en administroit le revenu, & en étoit comme le grand marguillier. La république créa un second procurateur de S. Marc un siecle après ; & comme dans la suite du tems les biens de cette église s'accrurent beaucoup, on fit trois procurateurs, à chacun desquels on donna deux collegues, desorte qu'il y a plus de deux siecles, que le nombre fut fixé à neuf, divisé en trois procuraties, ou chambres, dont les membres sont les tuteurs des orphelins, & les protecteurs des veuves.
Le rang que cette dignité donne dans la république a toujours été si recherché de la noblesse vénitienne, que dans le besoin, le sénat s'en fait une puissante ressource, en vendant la veste de procurateur, ensorte que pendant la guerre de Candie, on en comptoit 35 de vivans.
Mais ceux qui remplissent les neufs places des anciens procurateurs, & qu'on appelle procurateurs par mérite, sont distingués des autres qui ont acheté cette dignité. Ils jouïssent néanmoins tous des mêmes privileges, sinon que lorsqu'un procurateur par mérite meurt, le grand conseil en élit un autre, avant que le défunt soit en terre, & qu'on remplace rarement ceux qui le sont par argent, afin de les réduire avec le tems au nombre de leur fixation.
Les nobles qui ont accepté la robe de procurateur, l'ont payée 30 mille ducats ; mais ceux qui après avoir accepté la noblesse, veulent encore monter à ce degré d'honneur, payent deux fois davantage.
Tous les procurateurs portent la veste ducale, c'est-à-dire, à grandes manches jusqu'à terre ; & suivant le rang de leur ancienneté, ils ont leur demeure dans les procuraties neuves. Mais comme la bibliotheque de S. Marc, dont ils sont maîtres, la chambre des archives de la république, dont ils sont les gardiens, & celle où ils tiennent ordinairement leurs conseils trois fois la semaine, occupent une partie de ce bâtiment, il n'y reste de logement que pour six procurateurs, & la république donne aux autres une médiocre pension, jusqu'à ce qu'ils entrent dans les procuraties : ils ont l'administration de l'église de S. Marc, celle du bien des orphelins, & de ceux qui meurent ab intestat, & sans laisser d'enfans. (D.J.)
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PROCURATION | MANDAT ou MANDEMENT, s. f. (Jurisprudence) est un acte par lequel celui qui ne peut vaquer lui-même à ses affaires, soit pour cause d'absence, indisposition ou autre empêchement, donne pouvoir à un autre de le faire pour lui, comme s'il étoit lui-même présent.
On appelle mandataire ou procureur constitué celui qui est fondé de la procuration d'un autre pour faire quelqu'affaire pour lui.
L'engagement du mandataire ou procurateur se forme par l'acceptation ou par l'exécution qu'il fait de la procuration, & de ce jour il y a hypothèque sur ses biens, pour sûreté de ce qu'il pourra devoir par la suite.
On peut donner pouvoir à quelqu'un, soit par une procuration en forme, soit par une simple lettre ou billet, ou par une personne tierce, qui fasse savoir l'ordre, mandement ou commission que l'on donne au mandataire.
La procuration peut être pure & simple, & contenir un pouvoir indéfini, ou bien elle peut être conditionnelle, & donnée seulement avec de certaines restrictions, & le pouvoir du mandataire limité.
Il y a des procurations générales, d'autres spéciales : les premieres s'étendent à toutes les affaires du constituant ; les autres n'ont d'effet que pour l'affaire qui y est exprimée. Les procurations générales ne s'appliquent ordinairement qu'aux actes d'administration ; & il y a des cas dans lesquels il faut une procuration spéciale, comme pour transiger ou aliéner, prendre la voie de la restitution en entier, &c.
Le mandat ou procuration est, de sa nature, gratuit, à moins qu'il n'y ait convention expresse ou tacite au contraire, comme quand on donne pouvoir à un homme d'affaires à gages, ou à un procureur ad lites.
On peut par une procuration charger quelqu'un de l'affaire d'un tiers, même à son insu.
Celui qui a donné une procuration, est engagé envers son mandataire, du moment que celui-ci a accepté la commission, ou qu'il a commencé à l'exécuter ; & il est obligé d'approuver & de ratifier tout ce que le mandataire a fait en vertu du pouvoir à lui donné.
Si le mandataire a fait quelques dépenses raisonnables pour exécuter la procuration, on doit lui en tenir compte ; mais il ne peut pas retirer les dépenses inutiles, lorsqu'il les a faites sans ordre.
Lorsque plusieurs personnes ont donné conjointement une procuration, elles sont tenues solidairement des suites de la procuration.
S'il y a plusieurs mandataires, ils sont aussi tenus solidairement, à moins que cela n'ait été reglé autrement.
Celui qui est nommé dans la procuration a la liberté de ne la pas accepter, les choses étant entieres ; mais dès qu'il l'a acceptée, il doit l'exécuter diligemment.
Il ne doit pas passer les bornes de la procuration ; il peut néanmoins faire la condition du mandant meilleure ; mais il ne peut pas la faire pire.
Le fondé de procuration doit rendre compte de la gestion, & remettre à son commettant tout ce dont il est reliquataire à la déduction de son salaire, s'il lui en a été promis un.
Le pouvoir du procureur constitué finit 1°. par la révocation ; 2°. par la constitution d'un autre procureur ; 3°. par le désistement du mandataire ; 4°. par la mort du mandant, ou par celle du mandataire.
Quand celui-ci se déporte de sa commission après l'avoir acceptée, il doit notifier son changement de volonté au mandant.
Si le mandataire ignorant la mort du mandant, continue à agir en vertu de la procuration, ce qu'il aura fait de bonne foi sera ratifié.
Mais si le mandataire décede avant d'avoir commencé à exécuter la procuration, ce que l'héritier du mandataire feroit seroit nul, à-moins qu'il n'y eût nécessité d'agir pour la conservation de la chose. Voyez au ff. le titre mandati, au cod. le titre mandato, & aux institutes de mandato. (A)
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PROCURATRICE | S. f. (Jurisprudence) se dit d'une femme ou fille qui est chargée de la procuration ou mandat de quelqu'un. Voyez MANDAT, PROCURATION, PROCUREUR. (A)
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PROCURER | v. act. (Gram.) faire obtenir quelque chose à quelqu'un ; procurez-moi la voix de votre ami. Qui est-ce qui procurera la paix à l'Europe ? Qui est-ce qui lui a procuré cette place.
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PROCUREUR | PROCUREUR
On les appelloit chez les Romains cognitores juris seu procuratores ; cependant Asconius distingue entre procurator & cognitor ; selon lui, procurator étoit celui qui se chargeoit de la défense d'un absent, au lieu que cognitor étoit celui qui se chargeoit de la cause d'une personne en sa présence, & sans aucun mandement ou procuration.
On les appelloit aussi vindices, quasi qui alterius causam vindicandam suscipiebant.
En françois on les nommoit attournés dans l'ancienne coutume de Normandie ; mais on n'entendoit par attourné, que celui qui avoit une procuration spéciale pour une certaine cause.
Les anciennes ordonnances les appellent procureurs généraux, procuratores generales, parce qu'ils peuvent occuper pour toutes sortes de personnes, à la différence du procureur général du roi, lequel ne peut occuper pour des particuliers, & que par cette raison on appelloit autrefois procureur du roi simplement, & non procureur général.
On les a depuis appellés quelquefois procureurs aux causes, ou procureurs postulans, & quelquefois postulans simplement, postulantes, parce que leur fonction est de requérir & postuler pour les parties.
Présentement on les appelle procureurs simplement ; ou si l'on ajoute à ce titre quelqu'autre qualification, c'est pour désigner le tribunal où ils sont procureurs, comme procureurs au parlement, ou procureurs de la cour, procureurs au châtelet, & ainsi des autres.
Par l'ancien droit romain, il n'étoit permis qu'en trois cas d'agir par procureur ; savoir, pour le peuple, pour la liberté, & pour la tutele.
La loi hostilia avoit en outre permis d'intenter l'action de vol au nom de ceux qui étoient prisonniers de guerre, ou qui étoient absens pour le service de l'état, ou qui étoient sous leur tutele.
Mais comme il étoit incommode de ne pouvoir agir, ni de défendre par autrui, on commença à plaider par le ministere d'un procureur ou mandataire ad negotia, de même qu'il étoit permis au mineur de plaider par son tuteur ou curateur, ce qui fut confirmé par Justinien en ses institutes, de iis per quos agere possumus.
Il y eut un tems sous les empereurs où les orateurs étoient seuls chargés de l'instruction des affaires & de la plaidoirie.
Dans la suite, on introduisit l'usage des procureurs ad negotia, qui comparoissoient en justice pour la partie : leur ministere étoit d'abord gratuit ; mais comme il s'établit des gens qui faisoient profession de solliciter les affaires pour les parties, on leur permit de convenir d'un salaire.
Ces procureurs n'étoient point officiers publics, c'étoient des mercenaires tirés d'entre les esclaves, qui faisoient seulement la fonction de solliciteurs auprès des juges, & qui instruisoient les parties de ce qui se passoit, c'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si les empereurs ont parlé de cette fonction comme d'un ministere vil, cela n'a point d'application aux procureurs en titre, dont la fonction est totalement différente de celle de ces procureurs ou mandataires, qui n'étoient vraiment que des serviteurs & solliciteurs à gages.
Les formalités judiciaires s'étant multipliées, il y eut des personnes versées dans le droit & dans la pratique qui s'adonnerent seulement à instruire les affaires, & pour les distinguer des procureurs mandataires, agens ou solliciteurs, on les appella cognitores juris, comme qui diroit experts en droit & en matiere de causes, & par abréviation on les appella cognitores simplement ; on les qualifioit aussi de domini litium, comme étant les maîtres de l'instruction d'une affaire, ceux qui président à l'instruction.
En France l'usage a varié plusieurs fois par rapport à la faculté de plaider par procureur.
Suivant la loi des Ripuariens, tit. 58. art. 20. il étoit permis à tout le monde de plaider par procureur. Cela n'étoit défendu qu'aux serfs ; servi autem regis vel ecclesiarum, non per actores, sed ipsi pro semet ipsis in judicio respondeant.
Il paroît que l'usage étoit changé du tems de Marculphe, qui vivoit vers l'an 660, & que l'on suivoit alors l'ancien droit romain, & que quand on n'étoit point dans quelqu'un des cas exceptés par la loi, il falloit une dispense pour comparoître en jugement pour autrui ; c'est ce que l'on connoît par la 21 formule du liv. II. de Marculphe.
Cet usage continua sous la seconde race, & encore long-tems sous la troisieme.
On trouve qu'en l'année 1208 l'université de Paris avoit demandé au pape Innocent III. la grace de plaider par procureur ; & quoique, selon ce pape, ce qu'elle demandoit fût de droit commun (ce qui doit s'entendre des cours ecclésiastiques), il ne laissa pas de l'accorder pour étendre son pouvoir.
Les établissemens de S. Louis que l'on sait être de l'année 1270, nous instruisent des cas & de la maniere dont on plaidoit alors par procureur. Le chap. cij. porte que si un homme vieux, infirme ou malade étoit cité en justice, & que ne venant pas, il mandât l'exoine de sa maladie, sa partie devoit attendre huit jours & huit nuits ; que si le plaignant pressoit pour avoir justice, le juge devoit envoyer vers le malade & lui faire dire de mettre un autre pour défendre en sa place ; & qu'en ce cas le fils devoit venir pour le pere, & à défaut d'enfans son héritier présomptif.
Le chap. viij. de la seconde partie de ces mêmes établissemens, qui est intitulé de l'office al procurateur, traite de la fonction des procureurs ou mandataires ; ces procureurs faisoient pourtant aussi fonction de procureurs ad lites ; car cette ordonnance déclare que nul procureur n'est reçu en cour laie, si ce n'est de personne authentique, comme d'évêque, baron ou chapitre ; ou si ce n'est pas pour la cause d'une ville ou université, ou du consentement des personnes, il falloit envoyer les lettres à son adversaire.
Les particuliers pouvoient cependant aussi plaider par procureur pour contremans ou en cas d'exoine.
Beaumanoir, chap. iv. de ses coutumes de Beauvaisis qu'il écrivoit en 1283, dit qu'en demandant nul étoit ouï pour procureur ; & l'auteur du grand coutumier, qui vivoit sous Charles VI. dit qu'au procureur du demandeur en pays coutumier faut grace.
Mais lorsqu'il s'agissoit de plaider en défendant, chacun pouvoit constituer procureurs : gentilshommes, religieux, clercs, femmes, tous le pouvoient faire en défendant ; mais l'homme de poote ou serf ne le pouvoit en aucun cas, ce qui revenoit à la loi des ripuariens.
Quand celui qui avoit été semons, avoit juste raison pour ne pas comparoir ; il faisoit proposer son exoine ; il étoit permis de la débattre ; & si l'empêchement étoit de nature à durer trop long-tems, on obligeoit le défendeur à constituer procureur.
Tel étoit l'usage qui s'observoit en cour laie ; car en cour d'église, il étoit libre à chacun de plaider par procureur, soit en demandant ou en défendant.
La faculté de plaider par procureur n'avoit d'abord lieu que dans les justices royales, mais peu de tems après, en 1298, Boniface VIII. exhorta tous les seigneurs temporels de souffrir que les choses se passassent ainsi dans leurs justices à l'égard des religieuses, abbesses & prieures, afin qu'elles n'eussent aucun prétexte pour quitter leur clôture.
On obligea pendant long-tems les parties de comparoître en personne au parlement ; les princes, les rois même étoient obligés d'y comparoître comme les autres ; on voit en effet que, dans l'arrêt célebre de 1283 rendu au sujet des apanages entre Philippe le Hardi & le roi de Sicile, le parlement assigna un jour aux deux rois, pour être présens à la prononciation du jugement.
On accordoit cependant quelquefois des dispenses pour comparoître par procureur ; ce fut ainsi que Louis, fils de Philippe-Auguste, plaida au parlement par un chevalier qu'il avoit établi son procureur ; le légat plaida en personne, il s'agissoit de la couronne d'Angleterre.
Dans la suite, les dispenses pour plaider par procureur devinrent de style commun : on accorda même des dispenses générales à certaines personnes, comme firent les établissemens de S. Louis, & l'ordonnance de 1290, qui permirent aux évêques, barons, chapitres, cités & villes de comparoître par procureurs ; on excepta seulement les causes délicates, & celles où leur présence pouvoit être nécessaire ; c'est de-là qu'au grand criminel il faut encore comparoître en personne.
La dispense accordée aux ecclésiastiques fut bientôt étendue à tout le monde.
Les laïcs qui plaidoient en demandant, eurent d'abord besoin de lettres de chancellerie scellées du grand sceau, pour lesquelles on payoit six sols parisis à l'audiencier : le défendeur n'avoit pas besoin de lettres pour plaider par procureur.
Cet usage continua long-tems sous la troisieme race ; il falloit renouveller les lettres à chaque séance du parlement, ce qui apportoit un grand profit aux secrétaires du roi.
Le droit d'accorder ces lettres de grace à plaider par procureur fut mis au nombre des droits de souveraineté ; c'est ce qu'on lit dans l'instruction donnée en 1372 pour la conservation des droits de souveraineté & de ressort, & autres droits royaux dans la ville & baronie de Montpellier, cédées par Charles V. à Charles I. dit le mauvais roi de Navarre & comte d'Evreux. Cette instruction, article vj. porte qu'au roi seul appartient donner & octroyer sauvegarde, & graces à plaidoyer par procureur & lettres d'état, de nobilitation & de légitimation.
Pour éviter aux parties le coût de ces lettres qu'il falloit renouveller à chaque séance, le parlement prorogea lui-même gratuitement toutes ces dispenses par un arrêt qu'il rendoit à chaque rentrée du parlement, sur une requête qui lui étoit présentée par tous les procureurs.
Les procurations & dispenses étoient ainsi prorogées d'années en année, sans qu'il fût besoin de nouvelles lettres du prince.
Cela fut ainsi observé jusqu'en 1400, que Charles VI. par des lettres du 3 Novembre défendit de plaider au parlement par procureur en demandant, sans en avoir obtenu la permission par des lettres de chancellerie : il ordonna la même chose pour les procureurs au châtelet le 15 Novembre 1407.
Mais la nécessité de prendre de telles lettres fut abrogée par l'ordonnance du roi François I. de 1518, par laquelle il autorisa toutes les procurations tant qu'elles ne seroient point révoquées, & déclara que les procureurs pourroient ainsi occuper sans qu'il fût besoin de requérir d'autre autorisation.
Les procureurs n'ont même plus besoin de procuration depuis qu'ils ont été établis en titre. La remise des pieces leur tient lieu de pouvoir. Ils n'en ont besoin d'un nouveau que pour interjetter un appel, ou pour former de nouvelles demandes, & tout ce qu'ils font est valable jusqu'à ce qu'ils soient désavoués par leur partie, & le désaveu jugé valable.
Il est pourtant encore de maxime que l'on ne plaide point en France par procureur, c'est-à-dire que le procureur ne plaide pas en son nom, mais au nom de sa partie ; c'est toujours elle qui est en qualité dans les procédures & dans les jugemens.
Il y a pourtant quelques personnes exceptées de cette regle ; savoir, le roi & la reine qui plaident chacun par leur procureur général ; tous les seigneurs justiciers plaident dans leur justice sous le nom de leur procureur-fiscal ; les mineurs sous le nom de leur tuteur ou curateur ; les commandeurs de l'ordre de Malthe plaident sous le nom du procureur-général de leur ordre, comme prenant leur fait & cause, lorsqu'il s'agit du fond d'un bien ou droit appartenant à l'ordre ; mais lorsqu'il s'agit de simple administration, les commandeurs plaident en leur nom. Les capucins plaident au nom de quelque personne de considération, qui est leur protecteur & syndic, & que l'on condamne à payer pour eux ; il est de même des autres ordres mendians, qui ne plaident qu'assistés de leur pere temporel.
Dans les îles & dans les tribunaux maritimes, il est assez commun de voir les commissionnaires plaider en leur nom pour les intérêts de leur commettant ; ce qui n'a lieu sans doute qu'à cause de l'absence du commettant, & que l'on ne connoît que le commissionnaire, sauf à lui son recours.
Les premiers qui s'adonnerent en France à faire la fonction de procureurs, n'étoient point personnes publiques, mais il paroît qu'il y en avoit d'établis en titre dès le tems que le parlement fut rendu sédentaire à Paris.
Il y en avoit pour le châtelet en particulier dès 1327, comme il paroît par des lettres de Philippe VI. du mois de Février, qui défendent qu'aucun soit tout ensemble avocat & procureur, & ordonnent que si l'avocat, procureur, notaire, sergent étoit repris parjure, il sera privé du châtelet à toujours & de tous offices.
Il y avoit des procureurs au parlement dès 1341, il falloit même que leur établissement fût plus ancien ; car on trouve qu'en cette année ils instituerent entr'eux une confrairie de dévotion, qui a sans doute servi de fondement à leur communauté ; ils étoient au nombre de vingt-sept, lesquels firent un traité avec le curé de Sainte-Croix en la cité, dans l'église duquel ils étoient apparemment convenus d'établir leur confrairie.
Dans les statuts qu'ils dresserent eux-mêmes, ils se qualifient les compagnons-clercs & autres procureurs & écrivains, fréquentans le palais & la cour du roi notre sire à Paris & ailleurs ; & le roi en confirmant ces statuts, les qualifie de même procureurs & écrivains au palais de notre sire le roi à Paris & ailleurs en la cour & en l'hôtel dudit seigneur.
Ces expressions font connoître que la fonction des procureurs étoit d'écrire les procédures nécessaires, qu'ils faisoient leurs expéditions au palais à Paris, comme cela se pratique encore à Rouen. Les procureurs au parlement de Paris se regardoient encore comme ambulatoires à la suite de la cour, sans doute parce qu'il n'y avoit pas long-tems que le parlement avoit commencé à être sédentaire à Paris.
Le reglement fait par la cour le 11 Mars 1344, contient plusieurs dispositions par rapport aux procureurs des parties qu'il qualifie de procureurs-généraux. Il veut entr'autres choses que leurs noms soient mis par écrit après ceux des avocats, & qu'ils prêtent serment, & qu'aucun ne soit admis à exercer l'office de procureur-général qu'il n'ait prêté ce serment & ne soit écrit in rotulis, c'est-à-dire sur les rouleaux ou rôles des procureurs, auxquels depuis ont succédé les listes imprimées.
Il n'étoit donc plus permis à personne d'exercer la fonction de procureur ad lites, sans être reçu en cette qualité ; les aspirans étoient présentés par ceux qui exerçoient cette profession. Quand il vaquoit une place, c'étoit ordinairement la récompense de ceux qui avoient employé leur jeunesse à servir de clercs dans les études de procureurs, ou dans celles des conseillers, ou dans les greffes. Le récipiendaire présentoit requête pour être reçu ; elle étoit communiquée aux gens du roi qui s'informoient diligemment des vies & moeurs du récipiendaire, & s'il n'y avoit point d'empêchement, il étoit examiné & reçu au serment autant qu'il fût trouvé capable, ainsi que cela se pratique encore présentement.
Mais depuis long-tems il est d'usage constant au palais, qu'aucun ne peut être reçu en un office de procureur au parlement qu'il n'ait été inscrit sur les registres de la communauté des procureurs, & sur ceux de la bazoche du palais, pour justifier des dix années de cléricature au palais.
Le nombre des procureurs de chaque siege n'étoit point limité, le juge en recevoit autant qu'il jugeoit à propos ; on se plaignit au châtelet que le nombre des procureurs étoit excessif ; c'est pourquoi Charles V. par des lettres du 16 Juillet 1378, ordonna que le nombre de ces officiers seroit réduit à quarante : il donna commission aux gens du parlement pour révoquer tous ceux qui exerçoient alors, & voulut qu'en appellant avec eux le prevôt de Paris & quelques-uns de ses conseillers, ils en choisissent quarante des plus capables pour être procureurs généraux du châtelet, & que quand il vaqueroit un de ces offices, le prevôt de Paris, assisté de quelques conseillers, y nommeroit.
Mais Charles VI. par des lettres du 19 Novembre 1393, ordonna que le nombre des procureurs du châtelet ne seroit plus fixé à 40, & que tous ceux qui voudroient exercer cet emploi pourroient le faire, pour vû que trois ou quatre avocats notables de cette cour certifiassent au prevôt de Paris qu'ils en étoient capables.
Le nombre des procureurs au parlement s'étoit aussi multiplié à tel point que Charles VI. par des lettres du 13 Novembre 1403, donna pouvoir aux présidens du parlement de choisir un certain nombre de conseillers de la cour avec lesquels ils diminueroient celui des procureurs : il leur ordonna de retrancher tous ceux qui n'auroient pas les qualités & capacités requises ; mais il ne fixa point le nombre de ceux qui devoient être conservés.
Louis XII. en 1498, ordonna pareillement que le nombre des procureurs au parlement seroit réduit par la cour, & que les autres juges feroient la même chose chacun dans leur siege.
Il n'y avoit eu jusqu'alors au parlement que 80, 100, ou au plus 120 procureurs ; mais en 1537 il y en avoit plus de 200. C'est pourquoi la cour ordonna par un arrêt du 18 Décembre, que dorénavant il n'y seroit plus reçu de procureurs en si grand nombre que par le passé, jusqu'à ce que la cour eût avisé à réduire le nombre qui étoit alors existant.
François I. voyant que l'ordonnance de son prédécesseur n'avoit pas été exécutée, ordonna le 16 Octobre 1544, que dans ses cours de parlemens, bailliages, sénéchaussées, prévôtés, sieges y ressortissans, & autres jurisdictions royales quelconques, aucun ne seroit reçu à faire le serment de procureur, outre ceux qui étoient alors en exercice, jusqu'à ce qu'il en eût été autrement par lui ordonné.
Il déclara néanmoins le premier Novembre suivant, qu'il n'avoit entendu par-là déroger aux prérogatives accordées à son parlement de Paris, & aux autres cours souveraines, baillis & autres juges royaux, de pourvoir aux états & charges de procureurs, qu'il feroit lever les défenses par lui faites, après que le nombre des procureurs auroit été réduit d'une maniere convenable.
L'édit des présidiaux de l'année 1551, annonce que le roi avoit toujours pour objet de réduire le nombre des procureurs de chaque siege, suivant ce qui seroit arrêté par l'avis des juges & officiers.
François II. défendit encore le 29 Août 1559, de recevoir aucun procureur dans ses cours & jurisdictions royales, jusqu'à ce qu'il en eût été autrement ordonné, après que le nombre des procureurs seroit diminué & trouvé suffisant.
Mais tous ces projets de réduction ne furent point exécutés, le nombre des procureurs augmentoit toujours, soit parce que les juges en recevoient encore malgré les défenses, soit parce qu'une infinité de gens sans caractere se mêloient de faire la profession de procureur.
Il arriva peu de tems après un grand changement à leur égard.
Henri II. avoit par des lettres du 8 Août 1552, permis aux avocats d'Angers d'exercer l'une & l'autre fonction d'avocat & de procureur, comme ils étoient dejà en possession de le faire. Cet usage étoit particulier à ce siege ; mais l'ordonnance d'Orléans étendit cette permission à tous les autres sieges ; elle ordonna même (art. 58.) qu'en toutes matieres personnelles qui se traiteroient devant les juges des lieux, les parties comparoîtroient en personne, pour être ouis sans assistance d'avocat ou de procureur.
Depuis, Charles IX. considerant que la plûpart de ceux qui exerçoient alors la fonction de procureur dans ses cours & autres sieges, étoient des personnes sans caractere, reçues au préjudice des défenses qui avoient été faites, ou qui avoient surpris d'Henri II. des lettres pour être reçus en l'état de procureur, quoiqu'ils n'eussent point les qualités requises, par un édit du mois d'Août 1561, il révoqua & annulla toutes les réceptions faites depuis l'édit de 1559 ; il défendit à toutes ses cours, & autres juges, de recevoir personne au serment de procureur, & ordonna qu'advenant le décès des procureurs anciennement reçus, leurs états demeureroient supprimés, & que dès-lors les avocats de ses cours, & autres jurisdictions royales, exerceroient l'état d'avocat & de procureur ensemble, sans qu'à l'avenir il fût besoin d'avoir un procureur à-part.
L'ordonnance de Moulins, art. 84. prescrivit l'observation des édits & ordonnances faites pour la suppression des procureurs, portant défenses d'en recevoir aucuns, tant dans les cours souveraines, que dans les sieges inférieurs ; & le roi revoqua dès-lors toutes les receptions faites depuis ces édits, même depuis celui fait en l'an 1559, interdisant aux procureurs reçus depuis ces édits, l'exercice desdites charges, sur peine de faux.
Par un édit du 22 Mars 1572, il annonça qu'il étoit toujours dans le dessein de réduire le nombre excessif des procureurs, & dans cette vûe il révoqua & annulla toutes les réceptions faites dans les cours & autres sieges royaux, depuis la publication de l'ordonnance de Moulins, défendant sur peine de faux, à ceux qui auroient été reçus depuis cette ordonnance, de faire aucune fonction dudit état.
Enfin par un autre édit du mois de Juillet 1572, pour rendre tous les procureurs égaux en qualité & titre, & afin de les pouvoir réduire à l'avenir à un nombre certain & limité, il créa en titre d'offices formés tous procureurs, tant anciens que nouveaux, postulans & qui postuleroient ci-après, dans ses cours de parlement, grand-conseil, chambres des comptes, cours des aides, des monnoies, bailliages, sénéchaussées, sieges présidiaux, prevôtés, élections, sieges & jurisdictions royales du royaume, à la charge de prendre de lui des provisions dans le tems marqué, sans que les parlemens & autres juges pussent les en dispenser ; & qu'au lieu des procureurs anciens & nouveaux, il en seroit pourvu d'autres de prud'hommie & suffisance requise.
Et comme dans quelques bailliages, sénéchaussées, sieges présidiaux & royaux, les avocats prétendoient que de tout tems, & notamment suivant l'ordonnance d'Orléans, il leur étoit permis de faire la charge d'avocat & de procureur, & que dans ces sieges il n'y avoit eu ci-devant aucuns procureurs postulans qui eussent fait séparément ladite charge ; Charles IX. permit aux avocats qui voudroient continuer la charge de procureur, d'en continuer l'exercice en prenant de lui des provisions.
Ce même prince, pour engager davantage à lever ces offices, donna le 22 du même mois, des lettres par lesquelles il permit à ceux qui seroient pourvus de ces sortes d'offices de les résigner à personnes capables, en payant le quart denier en ses parties casuelles, comme ses autres officiers.
Cependant l'édit de 1572 ne fut exécuté que dans quelques-unes des provinces du royaume ; il ne le fut même point pleinement en aucun endroit. Les états assemblés à Blois en 1579, ayant fait des remontrances sur cette création de charges, l'article 241. de l'ordonnance dite de Blois, révoqua les édits précédens, par lesquels les charges de procureur avoient été érigées en titre d'offices formés, tant dans les cours souveraines, qu'autres sieges royaux, voulant à l'avenir que quand il y auroit lieu d'en recevoir, il y seroit pourvu de personnes capables, comme avant ces édits ; & néanmoins que les ordonnances touchant la suppression & réduction du nombre des procureurs seroient gardées & observées.
La révocation de l'édit de 1572, fut encore confirmée par celui du mois de Novembre 1584.
Mais par une déclaration du mois d'Octobre 1585, l'édit de 1584 fut revoqué, & le roi ordonna l'exécution de celui de 1572, qui avoit créé les procureurs en charge.
Cet édit de 1572 n'ayant point été exécuté dans les provinces d'Anjou, Maine, duché de Beaumont, haut & bas Vendômois, où les Avocats, & même les Notaires des lieux, exerçoient en même tems la fonction de procureur, Henri IV. par un édit du mois de Janvier 1596, créa de nouveau dans ces provinces des offices de procureurs dans tous les sieges royaux, pour être tenus & exercés séparément d'avec la fonction d'avocat ; mais cet édit fut révoqué à l'égard de la province d'Anjou, par une déclaration du 7 Septembre 1597, qui permit aux avocats de cette province de continuer à faire aussi la fonction de procureur : ce qui a encore lieu dans cette province, ainsi que dans celle du Maine.
Pour ce qui est des autres provinces, l'exécution de l'édit de 1572 fut ordonnée à leur égard, par divers arrêts du conseil, entr'autres deux du dernier Juin 1597, & 22 Septembre 1609.
Nonobstant tous ces édits, déclarations & arrêts, il y avoit toujours des procureurs qui étoient reçus par les juges sans provisions du roi, & comme cela multiplioit le nombre des procureurs, & donnoit lieu à des abus, Louis XIII. par un édit du mois de Février 1620, déclara qu'au roi seul appartiendroit dorénavant le droit d'établir des procureurs dans toutes les cours & jurisdictions royales, & en tant que besoin seroit. Il créa de nouveau en titre d'office toutes les charges de procureurs postulans, tant dans les cours, sénéchaussées, bailliages, prevôtés, vigueries & autres jurisdictions royales, que dans les élections & greniers à sel.
L'exécution de cet édit éprouva aussi plusieurs difficultés ; les juges continuoient toujours à recevoir des procureurs sans provisions du roi.
Le nombre de ceux du parlement de Paris fut réduit à 200, par un arrêt du conseil du dernier Septembre 1621.
Depuis, par une déclaration du 23 Juin 1627, il fut fixé à 300 ; & il fut ordonné qu'il seroit expédié des provisions à ceux qui exerceroient alors, jusqu'à concurrence de ce nombre ; & à l'égard des présidiaux, bailliages, sénéchaussées & autres jurisdictions inférieures du ressort, qu'il seroit délivré des provisions en nombre égal à celui qui subsistoit en 1620 : cet édit fut vérifié le roi seant en son parlement.
Cependant l'exécution de cette déclaration, & de l'édit même de 1620, fut d'abord sursise à l'égard du parlement de Paris seulement, sur ce qui fut remontré que l'établissement des procureurs en titre d'office, étoit contraire à l'usage ancien de ce parlement, & depuis, par l'édit du mois de Décembre 1635, le roi révoqua celui de 1620, en ce qui concernoit le rétablissement des procureurs postulans au parlement de Paris, & autres cours & jurisdictions étant dans l'enclos du palais ; & pour tenir lieu de la finance qui devoit revenir des offices de procureurs, il fut créé divers offices, entr'autres trente offices de tiers référendaires, & huit offices de contrôleurs des dépens, pour le parlement de Paris & pour les cours & jurisdictions de l'enclos du palais.
Mais le roi ayant tiré peu de secours de la création de ces offices, par une déclaration du 8 Janvier 1629, il créa 400 procureurs pour le parlement de Paris, pour la chambre des comptes, cour des aides & autres cours & jurisdictions de l'enclos du palais ; & par un autre édit du mois de Mai suivant, il unit & incorpora les offices de tiers référendaires à ceux des procureurs qu'il créa & érigea derechef.
Tel est le dernier état par rapport aux offices de procureur ; il faut seulement observer,
1°. Que les procureurs de la chambre des comptes & ceux de l'élection sont des offices différens de ceux des procureurs au parlement. Voyez COMPTES & ELECTION.
2°. Que les procureurs tant des parlemens que des bailliages, sénéchaussées & autres sieges royaux possedent en même tems plusieurs autres offices qui ont été unis à leurs communautés, tels que ceux de tiers référendaire, taxateur des dépens, ceux de greffiers-gardes minutes & expéditionnaires des lettres de chancellerie.
Les procureurs sont donc présentement établis partout en titre d'office, excepté dans les jurisdictions consulaires où il n'y a que de simples praticiens, qu'on appelle postulans, parce qu'ils sont admis pour postuler pour les parties, encore ne sont-elles pas obligées de se servir de leur ministere.
Il en est à-peu-près de même dans les justices seigneuriales, les procureurs n'y sont point érigés en titre d'office formé ; ils n'ont que des commissions revocables à volonté, & les parties ne sont pas obligées de constituer un procureur.
Pour être reçu procureur, il faut être laïc, ce qui est conforme à une ancienne ordonnance donnée au parlement de la Toussaints en 1287, qui restraignit aux seuls laïcs le droit de faire la fonction de procureur.
Il faut avoir travaillé pendant dix ans en qualité de clerc chez quelque procureur, & pour cet effet s'être inscrit sur les registres de la basoche & en rapporter un certificat.
Les fils des procureurs sont dispensés de ce tems de basoche.
Ceux qui sont reçus avocats, & qui sont inscrits sur deux tableaux différens, sont pareillement dispensés de l'inscription à la basoche, & du tems de cléricature.
Tout aspirant à l'état de procureur doit être âgé de 25 ans, à-moins qu'il n'ait des lettres de dispense d'âge.
Les procureurs ne sont reçus qu'après information de leurs vie & moeurs, & après avoir été examinés par le juge sur leur capacité ; au parlement de Paris les récipiendaires sont examinés par les procureurs de communauté & anciens en la chambre des anciens, dite de la sacristie.
Les ordonnances requierent dans ceux que l'on admet à cet état, beaucoup de prud'hommie & de capacité. Les lettres de Charles VI. du 13 Novembre 1403, disent, en parlant des procureurs du parlement, qu'il est essentiel que ce soient des personnes fideles, sages & honnêtes, gens lettrés & experts en fait de justice, & sur-tout versés dans la connoissance des ordonnances & du style de la cour.
Charles VII. dans son ordonnance de 1446, art. 47. veut que nul ne soit reçu procureur, qu'il ne soit trouvé suffisant & expert en justice, & de bonne & loyale conscience.
Il étoit d'autant plus nécessaire qu'ils fussent lettrés, que tous les actes de justice se rédigeoient alors en latin, ce qui n'a cessé que par les ordonnances de François I. de 1536 & 1539.
Lorsque François I. ordonna en 1544, que le nombre des procureurs seroit réduit, il spécifia que les gens de bien & suffisans soient retenus, & les insuffisans rejettés.
Henri II. en 1549 dit, en parlant des procureurs, qu'il desire que les causes de ses sujets soient traitées & conduites par gens de bien, experts & ayant serment, &c.
Henri IV. en 1596 dit que pour le bon ordre de la justice, les charges d'avocat & de procureur ont été séparées, ne pouvant le procureur faire celle d'avocat, ni l'avocat celle de procureur.
Enfin il n'y a pas une ordonnance qui, en parlant de l'établissement des procureurs, ou des qualités & capacités nécessaires pour cet état, n'annonce que cette profession a toujours été regardée comme très-importante, & comme une partie essentielle de l'administration de la justice.
En effet, le procureur est, comme on l'a dit, dominus litis ; c'est lui qui introduit la contestation, & qui fait l'instruction, & souvent le bon succès dépend de la forme.
Le serment que les procureurs prêtent à leur reception, & qu'ils renouvellent tous les ans à la rentrée, est de garder les ordonnances, arrêts & réglemens.
L'ancienne formule du serment qu'ils prêtoient autrefois, & à laquelle se réfere le serment qu'ils prêtent aujourd'hui, fait voir la délicatesse que l'on exige dans ceux qui exercent cette profession. Cette formule est rapportée tout au long dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome II. à la suite de l'ordonnance de Philippe de Valois, du 11 Mars 1344.
Les principaux engagemens des procureurs que l'on exprimoit autrefois dans la formule du serment qu'on leur faisoit prêter, sont sous-entendus dans le serment qu'ils prêtent aujourd'hui de garder les ordonnances, arrêts & réglemens de la cour.
De-là vient que dès 1364 il étoit déja d'usage que les procureurs fussent présens à la lecture des ordonnances qui se fait à la rentrée du parlement. On en fait aussi la lecture à la communauté lors de la rentrée.
Les procureurs ont le titre de maîtres, & le prennent dans leurs significations.
Leur habillement pour le palais est la robe à grandes manches & le rabat ; ils portoient aussi autrefois la soutane & la ceinture, & étoient obligés d'avoir leurs chaperons à bourlet pour venir prêter serment ; mais depuis long-tems ils ont quitté l'usage de ces chaperons ; & leur habillement de tête est le bonnet quarré.
Du tems de François I. ils portoient encore la longue barbe, comme les magistrats, cela faisoit partie de la décence de leur extérieur ; on trouve même dans un arrêt de réglement du 18 Décembre 1537, que les procureurs au parlement se plaignoient que divers solliciteurs portant grande barbe, s'ingéroient de faire leur profession, ensorte qu'il ne restoit plus aux procureurs que le chaperon. Peu de tems après on quitta l'usage des longues barbes.
Le rang des procureurs est immédiatement après les avocats, & avant les huissiers & notaires reçus dans le même siege.
Aux sieges des maîtres particuliers, élections, greniers-à-sel, traites foraines, conservations des privileges des foires, aux justices des hôtels & maisons-de-ville & autres jurisdictions inférieures, & dans toutes les justices seigneuriales, les parties ne sont point obligées de se servir du ministere des procureurs, quoiqu'il y en ait d'établis dans plusieurs de ces jurisdictions, les parties sont ouies en l'audience 24 heures après l'échéance de l'assignation, & jugées sur le champ ; mais comme la plûpart des parties ont besoin de conseil pour se défendre, elles ont ordinairement recours à un procureur, lors même qu'elles ne sont pas obligées de le faire.
Dans tous les autres tribunaux le demandeur doit coter un procureur dans son exploit, & le défendeur qui ne veut pas faire défaut, doit aussi en constituer un de sa part.
Les procureurs doivent avoir un registre pour enregistrer les causes, & faire mention par qui ils sont chargés.
Ils sont aussi obligés d'avoir des registres séparés en bonne forme pour y écrire toutes les sommes qu'ils reçoivent de leurs parties, ou par leur ordre, & les représenter & affirmer véritables toutes les fois qu'ils en seront requis, à peine contre ceux qui n'auront point de registres, ou qui refuseront de les représenter & affirmer véritables, d'être déclarés non-recevables en leurs demandes & prétentions de leurs frais, salaires & vacations.
Le ministere des procureurs consiste à postuler pour les parties, c'est-à-dire, à occuper pour elles ; en conséquence ils se constituent pour leur partie par un acte qu'on appelle acte d'occuper ; ils se présentent au greffe pour leur partie, ils fournissent pour elle d'exceptions, fins de non recevoir, défenses, répliques & requêtes ; ils donnent copies des pieces nécessaires, font les sommations pour plaider, font signifier les qualités, levent les jugemens, les font signifier ; & en général ce sont eux qui font toute la procédure, & qui font entr'eux toutes les significations qu'on appelle expéditions de palais, ou de procureur à procureur ; ce qui se fait avec tant de bonne foi au parlement de Paris, que l'on se contente de mettre la signification sur l'original.
A l'audience, le procureur assiste l'avocat qui plaide la cause de sa partie.
L'usage a aussi introduit que les procureurs peuvent plaider sur les demandes où il s'agit plus de fait & de procédure, que de droit.
Dans les instances & procès ce sont eux qui mettent au greffe les productions qui font les productions nouvelles & autres écritures de leur ministere.
Les procureurs ont chacun un banc au palais, c'est-à-dire le lieu où ils s'arrêtent, stationes. Ils étoient autrefois obligés d'être dès 5 heures du matin, à leur banc, & y travailloient à la lumiere. Chaque procureur avoit son banc à part ; mais le nombre des procureurs s'étant multiplié, ils se mirent dans un même banc, & ensuite un plus grand nombre ; & pour indiquer le lieu où chacun se mettoit, leurs noms étoient écrits en grosses lettres au-dessus de leurs bancs, comme on en voit encore dans la grande salle à Paris ; mais depuis l'usage des listes imprimées, on a cessé de faire écrire les noms au-dessus des bancs.
Dans quelques tribunaux, comme à Lyon, leurs clercs signent pour eux en leur absence ; à Paris ils sont obligés, suivant les réglemens, d'avoir chacun deux de leurs confreres pour substituts, lesquels signent pour eux en cas d'absence ou autre empêchement.
Outre ces substituts, ils ont chez eux des clercs qui sont des jeunes éleves qui les aident dans leurs expéditions, & qui viennent ainsi apprendre chez eux la pratique du palais. L'étude des procureurs est l'école où viennent se former presque tous les jeunes gens destinés à remplir des offices de judicature, ou qui se destinent au barreau, ou à la profession de procureur ou autre emploi du palais.
Les procureurs ne sont garans de la validité de leur procédure que dans les decrets seulement, & cette garantie ne dure que dix ans.
Dans les autres matieres, s'ils excedent leur pouvoir, ils sont sujets au désaveu.
S'ils font quelque procédure contraire aux ordonnances & réglemens, on la déclare nulle, sans aucune répétition contre leur partie.
Un procureur est obligé d'occuper pour sa partie jusqu'à ce qu'il soit révoqué.
Quand la partie qui l'avoit chargé vient à décéder, son pouvoir est fini ; il lui faut un nouveau pouvoir des héritiers pour reprendre & occuper pour eux.
Lorsque c'est le procureur qui décede pendant le cours de la contestation, on assigne la partie en constitution de nouveau procureur.
Ils ont hypotheque du jour de la procuration.
Lorsque leur partie obtient une condamnation de dépens qu'ils ont avancés, ils peuvent en demander la distraction, & dans ce cas les dépens ont la même hypotheque que le titre.
Suivant la jurisprudence du parlement de Paris, il est défendu aux procureurs de retenir les titres & pieces des parties, sous prétexte de défaut de payement de leurs frais & salaires ; mais on ne peut les obliger de rendre les procédures qu'ils ne soient entierement payés.
La déclaration du 11 Décembre 1597 porte que les procureurs, leurs veuves & héritiers ne pourront être poursuivis ni recherchés directement, ni indirectement pour la restitution des sacs & pieces dont ils se trouveront chargés cinq ans auparavant l'action intentée contr'eux, lesquels cinq ans passés, l'action demeurera nulle, éteinte & prescrite ; l'arrêt d'enregistrement du 14 Mars 1603 porte qu'ils seront pareillement déchargés, au bout de dix ans, des procès indécis & non jugés, & de ceux qui sont jugés, au bout de cinq ans, & que leurs veuves ou autres ayant droit d'eux, seront déchargés au bout de cinq ans après le décès des procureurs, des procès tant jugés qu'indécis.
Les procédures qui sont dans l'étude d'un procureur, forment ce que l'on appelle sa pratique ; c'est un effet mobilier que les procureurs, leurs veuves & héritiers peuvent vendre avec l'office, ou séparément.
Les procureurs ne peuvent être cautions pour leurs parties ; ils ne peuvent prendre le bail judiciaire, ni se rendre adjudicataires des biens dont ils poursuivent le decret, à moins qu'ils ne soient créanciers de leur chef & poursuivans en leur nom, suivant le réglement du parlement du 22 Juillet 1690.
On tient communément qu'ils ne peuvent recevoir aucune donation universelle de la part de leurs cliens pendant le cours du procès ; il y a cependant quelques exemples que de telles libéralités ont été confirmées ; cela dépend des circonstances qui peuvent écarter les soupçons de suggestion.
Il y a à ce sujet un arrêt mémorable, qui est celui du 22 Juin 1700, qui confirma un legs universel fait au profit de Me François Pillon, procureur au châtelet, par la dame du Buat sa cliente. C'étoit par un testament olographe que la testatrice, trois ans avant sa mort, avoit déposé entre les mains de Me Pillon ; on prétendoit que le legs étoit de valeur de plus de 150000 liv. Après la prononciation de l'arrêt, M. le premier président de Harlay dit que la cour avertissoit le barreau, qu'en confirmant la disposition faite au profit de Pillon, elle n'entendoit point autoriser les donations faites au profit de personnes qui ont l'administration des affaires d'autrui ; que la décision de ces causes dépend des circonstances du fait ; que ce qui déterminoit la cour dans l'espece particuliere à confirmer le legs, étoit la probité & le désintéressement de François Pillon reconnus dans le public.
Les procureurs font en certains cas des fonctions qui approchent beaucoup de celles des juges, comme quand ils taxent les dépens en qualité de tiers, & qu'ils reglent les difficultés qui se présentent à ce sujet en la chambre des tiers.
Ils exercent une jurisdiction en leur chambre de la postulation contre ceux qui sans qualité s'ingerent de faire la fonction de procureur.
Ils ont aussi une supériorité sur le tribunal de la basoche, les procureurs de communauté étant appellés pour juger les requêtes en cassation qui sont présentées contre les arrêts de ce tribunal.
La cour leur fait souvent l'honneur de renvoyer devant eux des incidens de procédure pour donner leur avis, auquel cas cet avis est ordinairement reçu par forme d'appointement.
Enfin, ils exercent entr'eux une espece de jurisdiction économique pour maintenir une bonne discipline dans le palais ; cette jurisdiction est ce que l'on appelle au palais, la communauté des avocats & procureurs, voyez COMMUNAUTE, &c.
La profession de procureur demande donc beaucoup de droiture & de savoir ; elle est importante par elle-même ; & loin que les fonctions de procureur ayent quelque chose de vil, elles n'ont rien que d'honorable, puisque l'emploi des procureurs est de défendre en justice les droits de leurs cliens, de soutenir la vérité & l'innocence, & d'instruire la religion des juges.
Les princes & princesses du sang ont admis dans leurs conseils plusieurs procureurs.
Defunt Me Jean-Baptiste Vernier étoit procureur de S. A. R. M. le duc d'Orléans, régent du royaume ; il étoit aussi l'un des conseillers du conseil de S. A. R. & de feu S. A. S. M. le duc d'Orléans son fils ; ce sont des titres avec provisions du prince, & scellées en sa chancellerie, avec prestation de serment entre les mains de son chancelier.
Le même Me Vernier, après le décès de M. le duc d'Orléans régent, eut l'honneur d'être nommé par arrêt du parlement, tuteur des princesses ses filles.
Feu M. le duc de Bourbon, par son testament, a nommé Me Jean-Baptiste Maupassant, son procureur au parlement, l'un des conseillers de la tutele de M. le prince de Condé son fils.
Me Louis Formé, procureur au parlement, & de S. A. S. monseigneur le duc d'Orléans, premier prince du sang, a aussi l'honneur d'être l'un des conseillers au conseil de S. A. S. avec provisions scellées en sa chancellerie, & prestation de serment entre les mains de son chancelier ; & pour cet office il est employé sur l'état du roi à la cour des aides, comme les commensaux de la maison du roi ; il a aussi l'honneur d'être admis aux conseils de leurs AA. SS. monseigneur le comte de Clermont, de monseigneur le prince de Conti, de madame la princesse de Conti, de mademoiselle de Charolois & de mademoiselle de Sens, princes & princesses du sang.
On ne conçoit pas comment quelques auteurs ont avancé que la profession des procureurs dérogeoit à la noblesse. Il est évident qu'ils se sont fondés sur ce qui est dit en droit que la profession des procureurs est vile ; mais il n'est question en cet endroit que des procureurs ad negotia, de simples agens ou solliciteurs, lesquels, comme on l'a déja observé, étoient ordinairement des esclaves & des mercenaires ; ce qui n'a rien de commun avec les procureurs ad lites, que les lois appellent cognitores juris, domini litium, titres qui suffisent seuls pour justifier que l'on avoit de ces procureurs une idée toute différente de celle que l'on avoit des procureurs ad negotia ou gens d'affaires.
On doit sur-tout distinguer les procureurs des cours souveraines, de ceux qui exercent dans les jurisdictions inférieures.
L'article 15 du réglement du 18 Décembre 1537, défend aux procureurs au parlement de faire commerce, de tenir hôtellerie, ni de faire aucun acte dérogeant à l'état & office de procureur en cour souveraine, mais de préférer l'honneur de leur état à leur profit particulier ; prohibition qui est commune à tous ceux qui vivent noblement.
Les ordonnances leur donnent droit de committimus.
Ils ont été appellés par la cour aux cérémonies publiques après les avocats, notamment en 1463, au convoi de Marie d'Anjou, femme de Charles VII. Le 2 Juin 1483, la cour les manda avec les avocats pour l'accompagner en habit décent, & aller au-devant de madame la dauphine. Le 26 du même mois, à la procession qui se fit pendant trois jours à Saint-Denis. Le 30 Juin 1498, & le 13 Novembre 1504, aux entrées de Louis XII. & d'Anne de Bretagne, sa femme, à Paris. Les 8 & 12 Février 1513, quand la cour alla recevoir le corps d'Anne de Bretagne qu'on apportoit de Blois à Paris, ils assisterent aussi aux funérailles. Le 16 Mars 1530, à l'entrée d'Eléonore d'Autriche, seconde femme de François I. Le 18 Août 1534, à la procession que la cour fit pour la santé de Clément VII. Le 12 Novembre 1537, à celle que la cour fit faire pour la prospérité de François I. Le 5 Juin 1538, ils allerent avec la cour à la procession de la sainte-Chapelle à Notre-Dame. Le premier Janvier 1539, ils allerent avec les avocats à cheval à la suite de la cour, qui vint saluer & haranguer Charles-Quint, arrivant à Paris. La Rocheflavin dit qu'aux entrées & obseques des rois, les procureurs, comme membres & officiers du parlement, y assistent avec leurs robes & chaperons après les avocats, & qu'ils sont placés comme eux par les huissiers. Il rapporte à ce sujet deux délibérations de la cour, l'une de 1533, sur l'ordre qui devoit être observé à l'entrée de François I. l'autre du 4 Avril 1541, pour les obseques de ce prince. En 1559, pareil arrêt pour les funérailles d'Henri II. Les procureurs étoient immédiatement après les avocats. Le même ordre fut observé aux obseques de Charles IX. Henri III. & Henri IV. Le 12 Juillet 1562, les procureurs eurent rang à la procession que la cour fit à S. Médard. On en usa de même à leur égard aux parlemens de Toulouse & de Bordeaux, aux entrées de Charles IX. & de la reine sa mere, en 1564 & 1565 ; les procureurs y étoient en robe & chaperon à bourrelet. L'édit du mois de Mai 1639, leur donne rang immédiatement après les avocats.
Enfin nos meilleurs auteurs tiennent tous que les procureurs des cours souveraines ne dérogent pas.
Tel est le sentiment de Balde & de Budée, de Tiraqueau, de Pithou, sur la coutume de Troyes, de Loisel en ses mémoires.
Tel est aussi le sentiment de Zypaeus, en sa notice du droit belgique, n°. 4 ; de Christinoeus, vol. II. décis. cxviij. n°. 8 ; de Ghewiet, en son institution au droit belgique, p. 453.
Guypape est de même avis ; & Ferrerius sur cet auteur tient que l'office de procureur dans les cours de parlement est honorable ; que si un procureur acquiert quelque chose à l'occasion de son office, ce gain lui tient lieu de pécule, quasi castrense. C'est ce que dit aussi Boutaric, en ses institutes, liv. II. titre jx. §. 1.
Les procureurs de la chambre des comptes de Paris, ont obtenu, le 6 Septembre 1500, une déclaration portant qu'ils ne dérogent point à la noblesse.
Ce privilege est commun aux procureurs des autres cours souveraines.
En effet, ils ont toujours été compris comme les autres notables bourgeois, dans les élections, aux places d'administrateurs des hôpitaux, de marguillers, d'échevins, jurats, consuls, & notamment dans les villes où la fonction d'échevin ou jurat donne la noblesse.
M. de la Rocheflavin, qui a traité fort au long cette matiere, rapporte une foule de preuves qu'à Toulouse les procureurs au parlement ne dérogent point ; que quand on refit au palais de Toulouse en 1566 la ceinture du nom des procureurs, il avoit d'abord été ordonné que l'on ôteroit la préposition de qui étoit devant le nom de Buzens, procureur ; mais qu'ayant justifié qu'il étoit noble, il lui fut permis de s'inscrire de Buzens. Il ajoute qu'ils sont souvent nommés au capitoulat ; qu'il y en eut un en 1526 ; qu'il y en a eu plusieurs autres depuis. La même chose est encore attestée par un acte de notoriété que les capitouls de Toulouse en donnerent le 4 Mai 1750.
Un autre acte semblable du 20 Avril de la même année, donné par les maire, lieutenant de maire, & jurats de la ville de Pau, porte pareillement que les procureurs au parlement de Navarre, séant à Pau, exercent leur charge sans déroger à la noblesse ; qu'ils sont élus jurats comme les autres notables : & ils en citent plusieurs exemples, tant anciens que récens.
Le parlement de Bordeaux, par un arrêt qui fut rendu en faveur de me Valcarset, noble d'extraction, & actuellement procureur en ce parlement, a pareillement jugé qu'il n'avoit point dérogé à sa noblesse.
On juge aussi la même chose au parlement de Bretagne, ainsi que l'atteste M. de la Rocheflavin ; il cite même un arrêt rendu au profit de me Pierre Lorgeril, procureur en ce parlement.
Aussi M. de la Rocheflavin observe-t-il que plusieurs personnes nobles n'ont point fait difficulté d'exercer la fonction de procureur : il cite à cette occasion un procureur au parlement de Bord eaux qui étoit de l'illustre maison de Pic de la Mirandole en Italie, & qui en portoit le nom, & exerça la charge de procureur tant qu'il vécut.
Jean de Dormans, procureur au parlement, qui vivoit en 1347, fut en telle considération, que ses enfans parvinrent aux premieres dignités : l'aîné fut évêque de Beauvais, peu après cardinal, ensuite chancelier de France, enfin légat du pape Grégoire XI. pour travailler à la paix entre Charles V. & le roi d'Angleterre. Le second fils de Jean de Dormans fut d'abord avocat général au parlement, & ensuite chancelier : celui-ci ayant plusieurs enfans, dont un eut aussi l'honneur d'être chef de la justice.
Etienne de Noviant étant procureur au parlement, fut ordonné & substitué pour le roi en 1418, par Jean Aguenin, procureur général, pour faire la fonction de procureur du roi en la chambre des comptes ; il exerçoit encore cette charge en 1436 & 1437.
Etienne de Noviant, deuxieme du nom, & fils du précédent, lui succéda, & fut reçu le 30 Octobre 1449. Cette charge de procureur du roi ayant été établie en titre par la chambre & le trésor, par l'article 49 de l'ordonnance de Charles VII. du 23 Décembre 1454, il prêta serment de nouveau pour ladite charge, le 21 Janvier 1454, & lui fut donné lettres pour disposer de ses causes jusqu'à Pâques 1455.
Sous le même regne de Charles VII. on nomma un procureur au parlement pour faire la fonction de procureur général.
La même chose arriva sous le regne de Charles IX. & la régence de Catherine de Médicis.
Jean-Baptiste Dumesnil, avocat général, étoit fils d'un procureur de la cour.
Jacques Capel, avocat général en 1535, fit son frere procureur au parlement.
Julien Chauveau, procureur, eut un fils qui d'avocat devint curé de S. Gervais, puis évêque de Senlis.
Il y avoit en 1639 deux freres procureurs nommés Pucelle, dont l'un fut pere de Pucelle, avocat, gendre de M. de Catinat, conseiller.
Enfin M. l'avocat général Talon, qui fut depuis président à mortier, dans une harangue qu'il fit à la rentrée, dit, en parlant des procureurs, que plusieurs grandes familles de la robe en tiroient leur origine, & ce magistrat ne rougit point d'avouer qu'il en descendoit lui-même.
Nous finirons cet article en observant que parmi ceux qui ont fait la profession de procureur, il s'est trouvé beaucoup de gens d'un mérite distingué, & dont quelques-uns étoient fort versés dans la connoissance du Droit, & dans l'usage des Belles-Lettres.
Tel fut un Hilaire Clément, dont Nicolas le Mée a fait mention, lequel étoit également profond dans la connoissance du droit françois & du droit romain.
Tel fut encore Pierre le Mée, dont nous avons plusieurs opuscules forenses écrites en latin, d'un style très-pur, qui ont été données au public par Nicolas le Mée son fils, avocat.
En 1480, Jean Martin, procureur, rédigea par écrit la police & réglement du grand bureau des pauvres de Paris.
Enfin, sans parler des auteurs vivans, nous pourrions aussi faire mention de plusieurs bons traités de pratique faits par des procureurs ; tels que le style de la cour par Boyer, qui renferme plusieurs choses curieuses, & dont Etienne Cavet, docteur ès droits, donna en 1615 une nouvelle édition enrichie de notes, & la dédia à M. Pierre Fortin, très-vertueux & très-digne procureur de la cour de parlement de Paris, qui étoit son ami.
Nous avons aussi le style de me René Gastier, procureur au parlement, dédié à M. le premier président de Lamoignon, dont il y a eu quatre éditions : la derniere est de 1666.
Enfin, le recueil des arrêts & réglemens concernant les fonctions des procureurs, appellé communément le code Gillet, du nom du célebre Pierre Gillet, qui en est l'auteur, lequel mourut étant doyen de sa communauté.
Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race ; Joly, Fontanon, Néron, Chenu, le code Gillet, le traité de la noblesse par de la Roque. (A)
PROCUREUR DES AMES, procurator animarum seu anniversariorum, est le préposé à la recette des revenus assignés pour payer les anniversaires. Il en est parlé dans des lettres de Charles VI. du mois de Novembre 1408, tome VIII. des ordonnances du Louvre. Voyez aussi Ducange, au mot procurator anniversariorum. (A)
Avocat-procureur est un officier qui exerce conjointement les deux fonctions d'avocat & de procureur, ce qui n'a lieu que dans quelques bailliages & sénéchaussées. Voyez ce qui en a été dit ci-devant à l'article PROCUREURS ad lites, & le mot AVOCAT. (A)
PROCUREUR DE CESAR, procurator Caesaris ; c'étoit un magistrat romain que l'on mettoit dans chaque province pour conserver les droits de l'empereur contre les entreprises des particuliers ou des traitans. Il en est parlé au code, liv. III. titre xxvj. Il faisoit à-peu-près la même fonction que font présentement les procureurs du roi dans les bailliages & sénéchaussées. (A)
PROCUREUR DE COMMUNAUTE est un procureur ad lites choisi par sa compagnie pour administrer & régler les affaires communes. Voyez ce qui a été dit ci-devant de ces procureurs, au mot COMMUNAUTE DES AVOCATS ET PROCUREURS. (A)
PROCUREUR CONSTITUE, est celui qui est établi par quelqu'un pour le représenter.
On entend aussi quelquefois par-là un procureur ad lites, lorsqu'il s'est constitué en vertu du pouvoir à lui donné, c'est-à-dire qu'il a fait signifier un acte d'occuper par lequel il déclare qu'il est procureur pour un tel, & qu'il a charge d'occuper. (A)
PROCUREUR DES CONSULS, qu'on appelle aussi postulant, est un simple praticien admis aux consuls pour faire la postulation pour les parties qui ne peuvent ou ne veulent pas plaider pour elles-mêmes. Le ministere de ces sortes de procureurs n'est point nécessaire. Voyez CONSULS. (A)
PROCUREUR DE LA COUR ou EN LA COUR, est un procureur de cour souveraine, comme un procureur au parlement. Voyez ce qui est dit ci-devant des procureurs de la cour, au mot PROCUREUR. (A)
PROCUREUR CUM LIBERA, on sous-entend facultate. On appelle ainsi en Bretagne un fondé de procuration qui a un pouvoir indéfini pour agir dans quelque affaire ou administration. Voyez Dufail, en ses arrêts, liv. II. ch. xlv. (A)
PROCUREUR FISCAL est un officier établi par un seigneur haut-justicier, pour stipuler ses intérêts dans sa justice, & y faire toutes les fonctions du ministere public. On l'appelle fiscal, parce que les seigneurs hauts-justiciers ont droit de fisc, c'est-à-dire de confiscation à leur profit, & que leur procureur veille à la conservation de leur fisc & domaine.
Le seigneur plaide dans sa justice par le ministere de son procureur fiscal, comme le roi plaide dans les cours par ses procureurs généraux, & dans les autres justices royales par le procureur du roi.
Quand il y a appel d'une sentence où le procureur fiscal a été partie, si c'est pour le seigneur qu'il stipuloit, c'est le seigneur qu'on doit intimer sur l'appel, & non le procureur fiscal ; mais si le procureur fiscal n'a agi que pour l'intérêt public, on ne doit intimer que le procureur du roi. (A)
PROCUREUR GENERAL, (Jurisprud.) on donnoit autrefois cette qualité à tous les procureurs ad lites ; on les surnommoit généraux pour les distinguer du procureur du roi, lequel n'employoit son ministere que dans les causes où le roi, le public & l'Eglise avoient intérêt, au lieu que les procureurs ad lites peuvent postuler pour toutes les parties qui ont recours à eux.
Dans la suite le titre de procureur général a été adapté seulement au procureur du roi au parlement ; il a aussi été communiqué aux procureurs du roi dans les autres parlemens, & même à ceux des autres cours souveraines.
Le Roi ne plaide point en son nom, il agit par son procureur général, comme la reine agit par le sien.
Le procureur général peut porter lui-même la parole dans les affaires où son ministere est nécessaire ; mais ordinairement ce sont les avocats généraux qui parlent pour le procureur général du roi, lequel se réserve de donner des conclusions par écrit dans les affaires criminelles, dans les affaires civiles qui sont sujettes à communication au parquet.
Ses substituts lui font au parquet le rapport des procès dans lesquels il doit donner des conclusions.
Les enregistremens d'ordonnances, édits, déclarations & lettres patentes, ne se font qu'après avoir oui le procureur général ; & c'est lui qui est chargé par l'arrêt d'enregistrement d'en envoyer des copies dans les bailliages & sénéchaussées, & autres siéges du ressort de la cour.
Dans les matieres de droit public, le procureur général fait des réquisitoires à l'effet de prévenir ou faire réformer les abus qui viennent à sa connoissance.
Les procureurs du roi des bailliages & sénéchaussées n'ont vis-à-vis de lui, d'autre titre que celui de ses substituts ; il leur donne les ordres convenables pour agir dans les choses qui sont de leur ministere, & pour lui rendre compte de ce qui a été fait.
Aux rentrées des cours, c'est le procureur général qui fait les mercuriales tour à tour avec le premier avocat général. Voyez ci-devant à l'article du PARLEMENT DE PARIS, ce qui est dit du procureur général, & les mots CONCLUSIONS, MERCURIALES, GENS DU ROI, PARQUET, SUBSTITUTS. (A)
PROCUREUR GENERAL DES PRINCES, le frere du Roi a ordinairement un procureur général ; François de France, duc d'Anjou, en avoit un ; Monsieur, frere du roi Louis XIV. en avoit aussi un. Ces princes peuvent plaider par leur procureur général, c'est-à-dire donner des requêtes sous le nom de leur procureur général pour éviter de dire eux-mêmes supplie humblement ; mais ce procureur général est obligé de constituer un procureur ainsi que les autres parties ; leur avocat général n'a pas en plaidant d'autres prérogatives ni d'autre place que celles des autres avocats. Voyez Despeisses, tome II. p. 567. Brillon, au mot Procureur général, 101. (A)
PROCUREUR GENERAL DE LA REINE, est un officier qui est chargé de veiller pour les intérêts de la reine, sur tous les officiers des seigneuries qui lui sont assignées, tant pour son douaire que pour remplacement de sa dot, & en don & bienfait.
Ce procureur général a dans l'étendue de ces seigneuries le même pouvoir que le procureur général a dans le ressort du parlement où il est établi pour ce qui concerne le roi & l'ordre public.
L'office de procureur général de la reine fut institué par Henri II. en faveur de Catherine de Medicis son épouse, par édit du mois de Novembre 1549. Ce prince ayant délaissé à la reine le gouvernement, administration & entiere disposition de tous ses pays, terres & seigneuries ; on fit à cette occasion difficulté au parlement de laisser plaider la reine par procureur ; c'est pourquoi Henri II. par son édit, ordonna que la reine seroit reçue à plaider au parlement par son procureur, comme le roi par le sien ; ce qui a lieu également à la cour des aides & dans toutes les autres cours & jurisdictions.
Cet édit fut enregistré sans autre modification, sinon que le procureur général de la reine seroit tenu d'inscrire d'abord son nom propre avant sa qualité de procureur général de la reine, à la différence du procureur général du roi, qui ne met que sa qualité de procureur général. Jean du Luc fut le premier pourvû de cet office.
Le procureur général de la reine prête serment entre les mains du chancelier de la reine ; il est aussi reçu en la cour des aides, & y prête serment.
Charles IX. par un édit du 25 Mai 1566, ordonna que les officiers des bailliages & sénéchaussées, & les procureurs du roi dans l'étendue des seigneuries dont jouissoit la reine sa mere, seroient tenus de répondre, communiquer au procureur général de la reine de toutes les affaires de la justice, finances & domaines. Il accorda au procureur général de la reine, séance sur le banc des baillifs & sénéchaux, & ordonna que le procureur général du roi prêteroit aide, faveur & support aux affaires de la reine & à son procureur général en ce qu'il seroit par lui requis.
Le procureur général de la reine n'a guere de fonctions que pendant les viduités & régences des reines.
La reine a aussi son avocat général. Voyez du Luc, en ses arrêts, le code Henri, & les notes de Caron, la Roche-Flavin, Fontanon, du Tillet, Joly.
PROCUREUR NE, est une personne qui a de droit, qualité & pouvoir pour agir pour une autre, par exemple, le mari est procureur né de sa femme.
PROCUREUR D'OFFICE, est celui qui fait les fonctions du ministere public dans une moyenne ou basse justice seigneuriale.
On l'appelle procureur d'office, parce qu'il peut agir ex officio, c'est-à-dire d'office & de son propre mouvement, sans aucune instigation ni requisition de partie.
On ne lui donne pas le titre de procureur fiscal comme aux procureurs des seigneurs hauts justiciers, parce que les seigneurs qui n'ont que la moyenne & basse justice, n'ont pas droit de fisc : par un arrêt du 20 Mars 1629, rapporté dans Bardet, il fut défendu au procureur d'office du moyen & bas justicier, de prendre la qualité de procureur fiscal.
PROCUREUR plus ancien des opposans, est celui qui est le plus ancien en réception entre les procureurs des créanciers opposans à une saisie réelle ou à un ordre. Il a le privilege de représenter seul tous les créanciers opposans, & de veiller pour eux ; ce qui a été ainsi établi pour diminuer les frais. Il n'y a que le procureur poursuivant & le procureur plus ancien des opposans auxquels les frais faits légitimement soient alloués ; si les autres créanciers veulent avoir leur procureur en cause, & débattre les titres des autres parties, ils le peuvent faire, mais c'est à leurs dépens. Voyez POURSUITE, POURSUIVANT, DECRET, ORDRE.
PROCUREUR POSTULANT, est un procureur ad lites. On l'appelle postulant parce que sa fonction est de postuler en justice pour les parties, comme celle des avocats est de patrociner ; on les surnomme postulans pour les distinguer des procureurs ad negotia, ou mandataires.
Tous procureurs ad lites sont procureurs postulans ; il y a néanmoins quelques tribunaux où les procureurs prennent la qualité de procureurs postulans.
PROCUREUR POURSUIVANT, est un procureur ad lites, qui est chargé de la poursuite d'une instance de préférence ou de contribution, d'une saisie réelle, d'un ordre entre créanciers, d'une licitation, &c. Voyez POURSUITE, POURSUIVANT.
PROCUREUR DU ROI, est un officier royal qui a le titre de conseiller du roi, & qui remplit les fonctions du ministere public dans une jurisdiction royale, soit bailliage ou sénéchaussée, prévôté, viguerie, ou autre.
L'établissement des procureurs du roi est fort ancien. Il y en avoit dès le treizieme siecle ; ainsi qu'on le peut voir dans les registres du parlement.
En entrant en charge ils devoient prêter serment de faire justice aux grands & aux petits, & à toutes personnes de quelque condition qu'elles fussent, & sans aucune acception ; qu'ils conserveroient les droits du roi sans faire préjudice à personne ; enfin qu'ils ne recevroient or ni argent, ni aucun autre don, tel qu'il fût, sinon des choses à manger ou à boire, & en petite quantité ; de maniere que sans excès, tout pût être consumé en un jour.
A chaque cause qu'ils poursuivoient, ils devoient prêter le serment, appellé en Droit calumniae.
Lorsqu'ils prenoient des substituts, c'étoit à leurs dépens.
Ils ne pouvoient pas occuper pour les parties, à moins que ce ne fût pour leurs parens.
Philippe V. par son ordonnance du 18 Juillet 1318, supprima tous les procureurs du roi, à l'exception de ceux des pays de droit écrit ; & il ordonna que dans le pays coutumier, les baillifs soutiendroient ses causes par bon conseil qu'ils prendroient.
Le procureur du roi ne devoit faire aucune poursuite pour délits & crimes, qu'il n'y eût information & sentence du juge.
Il ne pouvoit pas non-plus se rendre partie dans quelque cause que ce fût, à moins qu'il ne lui fût ordonné par le juge en jugement, & parties ouies.
Les procureurs du roi qui quittoient leur charge étoient tenus de rester cinquante jours depuis leur démission, dans le lieu où ils exerçoient leurs fonctions, pour répondre aux plaintes que l'on pouvoit faire contr'eux.
Il y a présentement des procureurs du roi non-seulement dans tous les siéges royaux ordinaires, mais aussi dans tous les siéges royaux d'attribution & de privilege.
Ils sont subordonnés au procureur général de la cour supérieure à laquelle ressortit le tribunal où ils sont établis, c'est pourquoi quand on parle d'eux dans cette cour, on ne les qualifie que de substituts du procureur général, quoique la plûpart d'entr'eux aient eux-mêmes des substituts, mais dans leur siege ils doivent être qualifiés de procureurs du roi.
Le procureur du roi poursuit à sa requête toutes les affaires qui intéressent le roi ou le public ; il donne ses conclusions dans les affaires appointées qui sont sujettes à communication aux gens du roi. Voyez COMMUNICATIONS, CONCLUSIONS, GENS DU ROI, PARQUET. (A)
PROCUREUR DU ROI EN COUR D'EGLISE, c'est-à-dire en l'officialité, étoit proprement un promoteur séculier.
Ces sortes d'officiers furent établis pour arrêter les entreprises que faisoient les officiaux sur la jurisdiction séculiere.
L'ordonnance du roi Charles VIII. de l'an 1485, enjoint au procureur du roi en cour d'église à Paris, d'aller par chaque semaine, les mercredis & samedis, & autres plaidoyables, aux auditoires des évêques, officiaux, archidiacres & chapitre de Paris, pour ouir les matieres qui s'y traitoient ; ce qui fut confirmé par le réglement de François I. de l'an 1535, fait pour le pays de Provence, & par un autre réglement fait pour la Normandie en 1540, on lit dans le procès-verbal de l'ancienne coutume de Paris, rédigée en 1510, que Nicolas Charmolue, procureur du roi en cour d'église, comparut.
L'office de procureur du roi dans les cours ecclésiastiques de la prévôté & vicomté de Paris, fut réuni à celui de procureur du roi du châtelet, par édit du mois de Novembre 1583.
Il paroît qu'il en fut depuis desuni, puisqu'il y fut encore uni par édit du mois de Septembre 1660. En effet, au mois de Septembre 1660, Armand Jean de Riants, procureur du roi au châtelet, obtint des lettres-patentes portant que lui & ses successeurs en la charge de procureur du roi au châtelet, exerceront celle de procureur du roi en cour d'église, & pourront en conséquence assister en l'officialité de Paris & par-tout ailleurs, y porter la parole pour le roi, & y défendre les droits & privileges de l'église gallicane toutes fois & quantes que bon leur semblera. Ces lettres furent enregistrées au parlement le 3 Juin 1661, & le même jour le sieur de Riants y fut reçû dans l'office de procureur du roi en cour d'église.
Il obtint encore au mois de Juin 1661, d'autres lettres-patentes, portant confirmation des droits, honneurs, fonctions, prééminences & prérogatives attribuées par les édits, arrêts & réglemens, à la charge de procureur du roi au châtelet & en cour d'église. Ces lettres furent registrées au parlement le premier Août 1661. Ces sortes d'offices ont depuis été supprimés. Voyez le traité de l'abus par Fevret. (A)
PROCUREUR DU ROI DE POLICE, est celui qui fait les fonctions du ministere public au siege de la police ; en l'absence du juge, c'est lui qui siege. Voyez l'édit du mois de Novembre 1699, & la déclaration du 6 Août 1701, vers la fin. Voyez aussi POLICE & PROCUREUR DU ROI SYNDIC. (A)
PROCUREUR DU ROI SYNDIC, c'est ainsi qu'on appelle à Nantes celui qui fait la fonction de procureur du roi au siege de la police, pour le distinguer du procureur du roi au siege du bailliage. (A)
PROCUREUR SUBSTITUE est celui auquel un fondé de procuration délegue le pouvoir d'agir en sa place ; ce qui ne se peut faire valablement, à-moins que la premiere procuration ne contienne le pouvoir de substituer. Voyez MANDAT, MANDATAIRE & PROCURATION. (A)
PROCUREUR SYNDIC est une charge dont la fonction consiste à gérer les affaires de quelque communauté. Les procureurs syndics ont été établis en titre d'office dans la plûpart des communautés ; mais par un édit postérieur, ces offices ont été réunis aux communautés, lesquelles par ce moyen choisissent leur syndic comme elles faisoient avant la création de ces offices. (A)
PROCUREUR TIERS, on sousentend référendaire, taxateur des dépens, est un procureur ad lites, qui est choisi par les parties ou par leurs procureurs, pour régler les contestations qui surviennent entr'eux dans la taxe des dépens. Voyez ce qui a été dit ci-devant au mot PROCUREUR, & ci-après TIERS REFERENDAIRE. (A)
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PROCYON | (Littér. astron.) il y a trois constellations que les anciens, de l'aveu de Pline, ont souvent confondues ; le chien, canis ; la canicule, canicula ; & l'avant-chien, procyon. Cette derniere constellation est formée de trois étoiles, & précede les deux autres. Elle se levoit du tems d'Auguste le 15 de Juillet, onze jours avant la canicule, qui se leve 24 heures avant le chien ou le syrius. Voyez SYRIUS & CANICULE.
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PRODICTATEUR | S. m. (Hist. rom.) officier qui avoit chez les Romains le même pouvoir que le dictateur. Après la bataille de Trasimene, où fut tué le consul Flaminius : dans le trouble général où jetta la perte de cette bataille, la ressource accoutumée fut de nommer un dictateur ; mais cette nomination n'étoit pas sans difficulté, le dictateur ne pouvoit être nommé dans Rome, & par l'un des deux consuls, puisque de ces deux magistrats l'un venoit d'être tué & l'autre étoit occupé contre les Gaulois. Le tempérament qu'on prit fut de créer un prodictateur, qui auroit le même pouvoir que celui auquel il étoit subrogé. (D.J.)
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PRODIGALITÉ | (Morale) vaine profusion qui dépense pour soi, ou qui donne avec excès, sans raison, sans connoissance & sans prévoyance. Ce défaut est opposé d'un côté à la mesquinerie, & de l'autre à l'honnête épargne, qui consiste à conserver pour se mettre à l'abri contre les coups du sort.
Se jetter dans la somptueuse profusion, c'est étendre sa queue aux dépens de ses aîles. Les Aréopagistes la punissoient, & les prodigues en plusieurs lieux de la Grece étoient privés du sépulchre de leurs ancêtres. Lucien les compare au tonneau des Danaïdes, dont l'eau se répand de tous côtés. Le philosophe Bion se moqua de l'un d'eux qui avoit consumé un fort grand patrimoine, en ce qu'au rebours d'Amphiaraüs que la terre avoit englouti, il avoit englouti toutes ses terres. Diogene voyant l'écriteau d'une maison à vendre qui appartenoit à un autre prodigue, dit plaisamment qu'il se doutoit bien que les profusions de ce logis feroient enfin arriver un maître.
La dépouille des nations produisit dans Rome tous les excès du luxe & de la prodigalité. On n'y voyoit que des partisans de ce Duronius qui, étant tribun du peuple, fit casser les lois somptuaires des festins, criant que c'étoit fait de la liberté, s'il falloit être frugal contre son gré, & s'il n'étoit pas permis de se ruiner par ses dépenses si on en avoit la volonté.
Il y a déja long-tems, dit Caton en plein sénat, que nous avons perdu la véritable dénomination des choses ; la profusion du bien d'autrui s'appelle libéralité, & ce renversement a finalement jetté la république sur le penchant de sa ruine.
Les rois doivent sur-tout se précautionner contre la prodigalité, parce que la générosité bien placée est une vertu royale. C'est un conseil que donne la reine Vérité à Charles VI. dans le songe du vieil pélérin, s'adressant au blanc faucon à bec & piés dorés. On sait que ce livre singulier est un ouvrage écrit l'an 1389 par Philippe de Mayzieres, l'un des plus célebres personnages du regne de Charles V. On en conserve le manuscrit dans la bibliotheque des célestins de Paris & dans celle de S. Victor. Voici comme la reine Vérité, chap. lviij. parle à Charles VI. dans son vieux langage.
" Tu dois avoir, beau fils, une fraische mémoire de ton besayeul, le vaillant roi de Béhaigue, qui fut si large & si folage que souventefois advint que en sa cour royale les tables étoient dressées, & en la cuisine n'avoit pas trop grand funcert de viandes : il donna tant à héraulx & à ménestreils & vaillans chevaliers, que souvent lui étant en Prague sa maistre cité, il n'avoit pas puissance de résister aux robeurs du royaume qui en sa présence venoient rober jusqu'à ladite cité. Au contraire, beau fils, tu as exemple de ton grand-oncle Charles, empereur de Rome, fils du susdit roi de Béhaigue, lequel empereur grand clerc, saige, soubtil & chault, selon la renommée commune de l'empire, fut si eschars & avaricieulx, qu'il fut de ses sujets trop plus doubté que amé ".
Cependant un prince doit être en garde contre le piege que d'avides courtisans lui tendent quelquefois en affectant de faire devant lui l'éloge de la libéralité : ils cherchent, continue la reine, à vous rendre magnifique, dans l'espérance que vous deviendrez prodigue. Mais souvenez-vous que si vous donnez trop à quelques-uns, bientôt vous ne serez plus en état de donner à tous : dans le superflu d'un seul, plusieurs trouveroient le nécessaire.
" Beau fils, se tu vouldras trouver les chevaliers qui ont coustume de bien plumer les rois & les seigneurs, & par leurs soubtiles pratiques, sur fourme de vaillance rempli de flatterie, te feront vaillant & large comme Alexandre, en récitant souvent le proverbe du maréchal Bouciquault, disant : Il n'est peschier que en la mer ; & si n'est don que de roi ; attrayant de toy & de ta vaillant largesse tant d'eau en leur moulin, qu'il suffiroit bien à trente-sept moulins qui, par défault d'eau, les deux parts du jour sont oiseuls ".
La dispensation des graces, selon la reine Vérité, exige encore une attention : il faut qu'elles soient proportionnées au rang de ceux qui les reçoivent & à la qualité de leurs services.
" Beau fils, il te devroit souvenir des dons & de dépense de tes vaillans & prud'hommes rois ancesseurs, desquels le domaine étoit plein comme un oeuf, & de leurs subjets ne tiroient nulle aide ; ils avoient grand trésor & sans guere : & toutesfois, quant à leur largesse & aux dons, tu trouveras en la chambre des comptes que quant il venoit d'oultre-mer un très-vaillant chevalier qui étoit tenu preux pour une grant largesse audit chevalier, le roi lui faisoit donner cent livres tournois, & à un bon escuyer cinquante. Mais aujourd'hui, beau fils, un petit homme de nulle condition, mais qu'il ait des amis à la cour, & à un valet de chambre, tu donneras légerement mille & deux mille livres.... Que se dira, beau fils, des dons mal-employés des héraults, & des menestreils & des faiseurs de bourdes " ? (D.J.)
PRODIGALITE, (Jurisprud.) la prodigalité est une espece de démence : c'est pourquoi les prodigues sont de même condition que les furieux ; ils sont incapables, comme eux, de se gouverner & de régir leurs biens, ni d'en disposer, soit entre vifs ou par testament.
Mais il y a cette différence entre l'incapacité qui procede du vice de prodigalité, & celle qui provient de la fureur ou imbécillité, que celle-ci a un effet rétroactif au jour que la fureur ou imbécillité a commencé, au lieu que l'incapacité résultante de la prodigalité ne commence que du jour de l'interdiction.
Pour faire interdire un prodigue, il faut que quelqu'un des parens ou amis présente requête au juge du domicile ; & sur l'avis des parens, le juge prononce l'interdiction, s'il y a lieu. Si les faits de dissipation ne sont pas certains, on ordonne une enquête.
Le pere peut grever son fils ou sa fille prodigue d'une substitution exemplaire. Voyez la loi 1. au ff. de curator. furios. (A)
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PRODIGE | PRODIGE
La premiere classe comprend ces miracles du Paganisme que l'on ne peut expliquer sans recourir à une cause surnaturelle, c'est-à-dire sans supposer que Dieu a bien voulu faire des miracles pour le compte du diable, & par conséquent employer pour confirmer les hommes dans l'erreur les mêmes moyens dont il s'étoit servi pour établir la vérité ; supposition qui ne peut se faire sans détruire absolument toute la force des preuves que fournissent les miracles en faveur de la véritable religion.
Les prodiges de cette espece ne méritent donc guere de croyance. Quand on lit que les Pénates apportés par Enée à Lavinium ne purent être transférés de cette derniere ville à Albe par Ascanius, & qu'ils revinrent d'eux-mêmes à Lavinium tout autant de fois qu'on les en tira pour les porter à Albe ; quand on lit que le Jupiter Terminalis ne put être remué de sa place lors de la construction du capitole ; quand on lit que le devin Accius Navius trancha un caillou en deux d'un coup de rasoir, pour convaincre l'incrédulité d'un roi de Rome qui méprisoit les augures & la divination étrusque ; que la vestale Aemilia puisa de l'eau dans un crible percé ; qu'une autre tira à bord avec sa ceinture un vaisseau engravé, que les plus grandes forces n'avoient pu ébranler ; qu'une autre vestale alluma miraculeusement avec un pan de sa robe le feu sacré qui s'étoit éteint par son imprudence, & que ces miracles se sont faits par une protection particuliere du ciel, qui vouloit les justifier contre des accusations calomnieuses, on doit regarder ces faits & tous ceux qui leur ressemblent, comme des fables inventées par des prêtres corrompus, & reçus par une populace ignorante & superstitieuse.
Le consentement des peuples disposés à tout croire, sans avoir jamais rien vu, & qui sont toujours les dupes volontaires de ces sortes d'histoires, ne peut avoir guere plus de force pour nous les faire recevoir que le témoignage des prêtres païens, qui ont été en tout pays & en tout tems trop intéressés à faire valoir ces sortes de miracles, pour en être des garants bien sûrs.
Les prodiges de la seconde classe sont des effets purement naturels, mais qui arrivant moins fréquemment & paroissant contraires au cours ordinaire de la nature, ont été attribués à une cause surnaturelle par la superstition des hommes effrayés à la vûe de ces objets inconnus. D'un autre côté, l'adresse des politiques qui savoient en tirer parti pour inspirer aux peuples des sentimens conformes à leurs desseins, a fait regarder ces effets étonnans tantôt comme une expression du courroux du ciel, tantôt comme une marque de la réconciliation des dieux avec les humains ; mais cette derniere interprétation étoit bien plus rare, la superstition étant une passion triste & fâcheuse, qui s'employe plus souvent à effrayer les hommes qu'à les tranquilliser, ou à les consoler dans leurs malheurs.
Je range presque tous ces prodiges sous cette derniere classe, étant persuadé que la plus grande partie de ces événemens merveilleux ne sont, en les réduisant à leur juste valeur, que des effets naturels, souvent même assez communs. Lorsque l'esprit des hommes est une fois monté sur le ton superstitieux, tout devient à leurs yeux prodige & miracle, selon la réflexion judicieuse de Tite-Live, multa ea hyeme prodigia facta, aut, quod evenire solet, motis semel in religionem animis, multa nuntiata, & temerè credita sunt.
Je ne prétends cependant pas m'engager à parler ici de toutes les différentes especes de prodiges ; les uns ne sont que des naissances monstrueuses d'hommes ou d'animaux qui effrayoient alors les nations entieres, & qui servent aujourd'hui d'amusement aux Physiciens ; d'autres ne sont que des faits puérils & souvent même absurdes, dont la plus vile populace a fait des prodiges, & où l'on a cru pouvoir apprendre la volonté des dieux : tels étoient les conjectures des augures sur le chant, le vol & la maniere de manger de certains oiseaux : telles étoient les prédictions des aruspices à l'occasion de la disposition des entrailles d'une victime ; telle étoit l'apparition d'un serpent, d'un loup, ou de tel autre animal que le hasard faisoit rencontrer sous les yeux de celui qui étoit près d'entreprendre quelque action. Je n'entre point dans l'examen de ces prodiges vulgaires, dont Ciceron a si spirituellement étalé le ridicule dans ses livres de la divination ; les prodiges dignes d'être examinés sont des phénomenes ou apparences dans l'air, & des météores singuliers par leur nature ou par les circonstances qui les accompagnoient.
Il est fait mention, par exemple, en cent endroits de Tite-Live, de Pline, de Julius Obséquens, & des autres historiens, de ces pluies prodigieuses de pierres, de cendres, de briques cuites, de chair, de sang, &c. dont nous avons fait un article particulier. Voyez PLUIE prodigieuse, (Physique.)
On lit aussi dans les mêmes historiens tantôt que le ciel a paru enflammé, coelum arsisse, tantôt que le soleil, ou du-moins un corps lumineux semblable à cet astre, s'est montré au milieu de la nuit ; que l'on a vu en l'air des armées brillantes de lumiere, & cent autres faits de cette nature, qui simplifiés étoient des météores, des phénomenes de lumiere & des aurores boréales.
Le commun des modernes ou de ceux qui n'ayant pris qu'une légere teinture de philosophie, se croyent en droit de nier la possibilité des effets dont ils ne peuvent imaginer la cause naturelle, prennent le parti de récuser le témoignage des anciens qui les rapportent, sans penser que ces historiens décrivant la plûpart des faits publics & connus de leur tems, méritent qu'on leur accorde la croyance que nous ne refusons pas aux écrivains modernes, lorsqu'ils rapportent des faits dont nous n'avons pas été témoins.
Voilà à-peu-près toutes les différentes especes de prodiges physiques qui sont rapportés dans les anciens. Ils faisoient une partie considérable de l'histoire ; & quoiqu'ils n'eussent par eux-mêmes aucune liaison naturelle avec les événemens politiques, l'adresse de ceux qui gouvernoient mettant la superstition des peuples à profit, ils se servoient de ces prodiges comme de motifs puissans pour faire prendre des résolutions importantes, & comme des moyens pour faciliter l'exécution des entreprises les plus considérables. Les anciens historiens ont donc eu raison de faire si souvent mention de ces prodiges, & ils ne pouvoient prévoir qu'il y auroit un tems où les hommes n'y feroient attention que pour en rechercher la cause physique, & pour satisfaire un léger mouvement de curiosité.
On reproche aux anciens historiens qu'ils rapportent ces prodiges comme étant persuadés non-seulement de leur vérité, mais encore de leur liaison avec les événemens historiques, & cela parce qu'ils les joignent ordinairement ensemble. Il est facile de répondre à cette critique. Premierement, quand il seroit vrai que tous ces historiens eussent regardé les prodiges de cette façon, je ne sai si c'est un reproche bien fondé. La croyance aux prodiges & à la divination conjecturale faisoit une partie de la religion chez les anciens, & l'on ne doit pas blâmer un historien pour n'avoir point attaqué dans ses ouvrages les traditions religieuses de la société, au milieu de laquelle il est & pour laquelle il écrit ; d'ailleurs ce n'est pas toujours une preuve qu'il en soit bien persuadé ; Ciceron, par exemple, qui ne passera jamais pour un homme trop crédule, rapporte dans sa troisieme harangue contre Catilina, n°. 18. tous les prodiges par lesquels les dieux avoient averti la république du danger qui la menaçoit, & cela du ton le plus dévot du monde. Néanmoins ce même Ciceron se moquoit des prodiges avec ses amis, & ne les regardoit que comme des effets produits par une cause physique & nécessaire : Ut ordiar ab aruspicinâ, quam ego reipublicae causâ communisque religionis colendam censeo ; sed soli summus ; licet verum exquirere sine invidiâ, dit-il, lorsqu'il parle en philosophe.
Mais, ajoute-t-on, ces historiens ne rapportent jamais des prodiges que dans des tems de guerre, & lorsqu'il arrive quelques événemens surprenans. Je réponds 1° que ces écrivains n'ont point eu dessein de transmettre à la postérité la connoissance de tous les prodiges, mais seulement de ceux qui ont fait une forte impression sur l'esprit des peuples, & que l'on a regardés comme les signes de ces événemens : 2° pour me servir des paroles de Ciceron en parlant de la même matiere : Haec in bello, plura & majora videntur timentibus : eadem non tam animadvertant in pace. Les mêmes peuples, qui ne font aucune attention aux prodiges qu'ils apperçoivent pendant la paix, sont frappés de tous ceux qui se montrent pendant la guerre, lorsque la crainte des malheurs qui les menacent a tourné leurs esprits vers la dévotion : Quod evenire solet, dit Tite-Live, motis semel in religionem animis multa nuntiata & temerè credita.
Concluons qu'il n'est pas étonnant que les historiens ayent joint l'observation de certains prodiges avec les événemens importans ; ils n'ont fait qu'imiter la conduite des peuples dont ils écrivoient l'histoire, & dont ils nous vouloient dépeindre le caractere. Les plus sensés nous en ont dit assez pour nous apprendre qu'ils n'étoient pas les dupes de la croyance populaire, mais quand ils ne l'auroient pas fait & qu'ils seroient convaincus de s'y être livrés, je ne sai, pour le répéter encore, s'ils seroient fort blâmables d'avoir été de la religion de leur pays, & d'avoir cru avec le reste de leurs concitoyens que certains phénomenes rares & étonnans pouvoient être le signe de la volonté des dieux.
Ces phénomenes étoient véritables & réels pour la plûpart, & plusieurs exemples rapportés par les modernes prouvent qu'ils se rencontrent encore de tems en tems à nos yeux, & que l'on auroit grand tort d'insulter à la bonne foi des anciens qui en ont fait mention dans leurs ouvrages.
La Philosophie moderne, en même tems qu'elle a éclairé & perfectionné les esprits, les a néanmoins rendus quelquefois trop décisifs. Sous prétexte de ne se rendre qu'à l'évidence, ils ont cru pouvoir nier l'existence de toutes les choses qu'ils avoient peine à concevoir, sans faire réflexion qu'ils ne devoient nier que les faits dont l'impossibilité est évidemment démontrée, c'est-à-dire qui impliquent contradiction.
D'ailleurs il y a non-seulement différens degrés de certitude & de probabilité, mais encore différens genres d'évidence ; la Morale, l'Histoire, la Critique & la Physique ont la leur, comme la Métaphysique & les Mathématiques, & l'on auroit tort d'exiger, dans l'une de ces sciences, une évidence d'un autre genre que le sien. Le parti le plus sage, lorsque la vérité ou la fausseté d'un fait qui n'a rien d'impossible en lui-même, n'est pas évidemment démontrée, le parti le plus sage, dis-je, seroit de se contenter de le révoquer en doute, sans le nier absolument ; mais la suspension & le doute ont toujours été, & seront toujours un état violent pour le commun des hommes même philosophes.
La même paresse d'esprit qui porte le vulgaire à croire les faits les plus extraordinaires sans preuves suffisantes, produit un effet contraire dans plusieurs physiciens ; ils prennent le parti de nier les faits qu'ils ont quelque peine à concevoir, & cela pour s'épargner la peine d'une discussion & d'un examen fatiguant. C'est encore par une suite de la même disposition d'esprit qu'ils affectent de faire si peu de cas de l'étude, de l'érudition, ils trouvent bien plus commode de la mépriser que de travailler à l'acquérir, & ils se contentent de fonder ce mépris sur le peu de certitude qui accompagne ces connoissances, sans penser que les objets de la plûpart de leurs recherches ne sont nullement susceptibles de l'évidence mathématique, & ne donneront jamais lieu qu'à des conjectures plus ou moins probables du même genre que celles de la Critique & de l'Histoire, & pour lesquelles il ne faut pas une plus grande sagacité que pour celles qui servent à éclaircir l'antiquité.
Enfin ils devroient faire réflexion que pour l'intérêt même de la Physique & peut-être encore de la Métaphysique, il importeroit d'être instruits de bien des faits rapportés par les anciens, & des opinions qu'ils ont suivies. Les hommes des états civilisés ont eu à-peu-près autant d'esprit dans tous les tems, ils n'ont différé que par la maniere de l'employer ; quand même il seroit vrai que notre siecle eut acquis une méthode de raisonner, inconnue à l'antiquité, ne nous flattons pas d'avoir donné par-là une étendue assez grande à notre esprit pour qu'il doive mépriser les connoissances & les réflexions de ceux qui nous ont précédés. (D.J.)
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PRODIGIEUX | adj. (Gram.) qui tient du prodige. Voyez PRODIGE. On dit un événement prodigieux ; un jugement prodigieux ; une mémoire prodigieuse. Il n'y a rien de prodigieux pour celui qui a étudié la nature, ou tout l'est également pour lui.
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PRODIGUE | S. m. (Gram.) celui qui dissipe son bien sans raison. Voyez PRODIGALITE.
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PRODIGUER | v. act. (Gram.) répandre, accorder, donner sans jugement. On prodigue son argent, sa louange, son sang, son honneur, son tems, ses talens, ses faveurs, son crédit, ses charmes, les expressions de dévouement, d'amitié, d'estime. Combien de sortes de prodigalités ? Et tout bien consideré, celle de la richesse est peut-être la moins déshonorante & la moins funeste.
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PRODOMÉES | S. f. pl. (Mythol.) divinités qui présidoient à la construction des édifices, & qu'on invoquoit avant que d'en jetter les fondemens. Mégaréus sacrifia à ces divinités, dit Pausanias, avant d'entourer de murailles la ville de Mégare. (D.J.)
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PRODOMIE | (Mythol.) surnom de Junon sous lequel elle avoit un temple à Sicyone ; c'est comme si l'on disoit, Junon au vestibule ; car signifie vestibule. (D.J.)
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PRODOMIENS | DIEUX, (Mytholog.) les dieux prodomiens, en latin, prodomii dii, étoient les dieux qui présidoient aux fondemens des édifices, & c'est pour cela que Romulus leur donna le nom de praestructores, c'est-à-dire, dieux à qui appartient le soin de tout ce qui précede la structure, soit d'un temple, soit d'une maison particuliere. Domitius Calderinus entend par ce mot, les dieux qu'on adoroit dès l'entrée des maisons. Il est certain que c'est dans l'un & l'autre de ces deux sens, qu'on peut expliquer prodomia Juno, Junon prodomienne. (D.J.)
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PRODROME | S. m. (Gram.) signifie à la lettre, un avant-coureur. De-là est venu prodromus morbus, qui signifie en médecine, une maladie qui en précede une autre ; ainsi le trop peu de capacité de la poitrine, est le prodrome de la consomption, &c. le vertige est le prodrome de l'apoplexie : Voyez PHTHISIE, APOPLEXIE, VERTIGE, &c.
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PRODUCTION | S. f. (Gram.) tout phénomène de la nature, dont l'existence d'une plante, d'un arbre, d'un animal, d'une substance quelconque est la fin. La nature est aussi admirable dans la production de la souris, que dans celle de l'élephant. La production des êtres est l'état opposé à leur destruction. Cependant, pour un homme qui y regarde de près, il n'y a proprement dans la nature aucune production, aucune destruction absolue, aucun commencement, aucune fin ; ce qui est a toujours été & sera toujours, passant seulement sous une infinité de formes successives.
PRODUCTION, s. f. (Jurisprudence) c'est tout ce qui est mis par-devers le juge pour instruire une instance ou procès par cet écrit.
Chaque partie produit ses titres & ses procedures. Il est d'usage de les assembler par cottes, qui sont chacunes marquées d'une lettre.
Pour la conservation de ces pieces, le procureur fait un inventaire de production, dans lequel les pieces sont comprises sous la même lettre que l'on a mis sur la cotte : on y tire aussi les inductions des pieces.
On appelle production principale, celle qui a été faite devant les premiers juges ; & quand on a de nouvelles pieces à produire devant le juge d'appel, on fait par requête une production nouvelle.
Les productions que l'on fournit dans les appointés à mettre, doivent être faites dans trois jours.
Dans les appointemens au droit ou en conseil, on doit produire dans huitaine, & contredire dans le même delai.
Faute de contredire les productions dans les delais de l'ordonnance, on en demeure forclos. Voyez l'ordonnance de 1667. tit. 11. (A)
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PRODUIRE | v. act. (Gram.) terme relatif de la cause à l'effet. C'est la cause qui produit. C'est l'effet qui l'est. La nature ne produit des monstres que par la comparaison d'un être à un autre ; mais tout naît également de ses lois, & la masse de chair informe, & l'être le mieux organisé. La terre produit des fruits. Une ferme produit tant à son cultivateur. Il n'y a rien qui soit plus uni à J. C. que le prêtre, il le produit. Notre siecle a produit des ouvrages en tout genre, comparables à ceux des siecles passés ; & quelques-uns dont il n'y avoit auparavant aucun modele. Faites-vous produire à la cour. Les petites passions ne produisent que de petits plaisirs. Il y a quelquefois autant de vanité à se cacher qu'à se produire, &c.
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PRODUISANS | S. m. pl. en terme d'Arithmétique, sont les nombres sur lesquels on opere dans la multiplication : on les appelle aussi facteurs. Voyez FACTEUR & COEFFICIENT.
Les produisans sont le multiplicateur & le multiplicande. Voyez MULTIPLICATION. Chambers. (E)
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PRODUIT | S. m. en terme d'Arithmétique & de Géométrie, signifie le résultat de la multiplication de deux nombres l'un par l'autre, ou la quantité qui provient de la multiplication mutuelle de deux nombres, ou de deux lignes.
Ainsi, si on multiplie 6 par 8, le produit est 48. Voyez MULTIPLICATION.
Le produit de deux lignes, & quelquefois celui de deux nombres, s'appelle rectangle de deux lignes, ou de ces deux nombres. Voyez RECTANGLE ; voyez aussi PARALLELOGRAMME & MULTIPLICATION. Chambers. (E)
PRODUIT, s. m. (Chimie) en terme chimique, s'explique assez de lui-même ; tout le monde entend ce que c'est que le produit, que les produits d'une certaine opération chimique.
Lorsqu'on substitue cette expression à celle de principes, pour désigner les diverses matieres fournies par la distillation analytique, on s'exprime beaucoup plus exactement, parce que ce mot produit est sans prétention ; au lieu que le mot principe exprime une opinion, une théorie, ce qui seroit un inconvenient, quand même cette opinion seroit vraisemblable, & même vraie, à plus forte raison puisqu'elle est fausse. Voyez PRINCIPE. (b)
PRODUIT, en termes de finances & de ferme du roi, se dit aussi de ce à quoi monte une ferme. Le produit des aides de cette élection est de deux cent mille francs par an ; pour dire que les droits que les fermiers reçoivent chaque année se montent à cette somme.
PRODUIT signifie aussi dans le commerce le profit qui revient d'une chose ou d'une société, le capital ou le fonds qu'on y a mis, & les dépenses déduites. Le produit de notre société a été de dix mille écus en trois ans pour chacun des associés. Dictionnaire de commerce.
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PROEDRE | S. m. (Antiq. grecque) sénateur d'Athènes dans le sénat des cinq cent. On appelloit proèdres les dix sénateurs d'entre les cinquante prytanes, qui présidoient par chaque semaine, & qui exposoient le sujet de l'assemblée ; le président de jour des proèdres s'appelloit épistale. Voyez EPISTALE, PRYTANE, SENAT DES CINQ CENT.
Les proèdres étoient ainsi nommés, parce qu'ils jouissoient du privilege d'avoir les premieres places aux assemblées. Potter prétend que c'étoit eux qui proposoient au peuple les affaires sur lesquelles il devoit déliberer. Voyez ses archaeol. grecq. l. I. c. xvij. (D.J.)
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PROEME | S. m. (Belles-lettres) mot purement grec, qui se prend en général pour un prologue, une préface, un avant-propos, un prélude, d'où les latins ont fait proemium, qui exprime toutes ces choses. Mais il a une signification plus particuliere, & se prend aussi pour une sorte d'hymne ou de cantique adressé aux dieux. On le trouve en ce sens dans un passage de Thucydide, liv. III. où cet historien cite quelques vers d'Homere, tirés du poëme d'Apollon ; & qu'on lit aujourd'hui dans l'hymne d'Homere adressée à ce dieu. Sur quoi l'ancien Scholiaste observe que les hymnes s'appelloient terme dérivé d', pris dans la signification de cantus, chant, cantique, suivant l'opinion la plus commune, ou dans celle de via, chemin ; parce que l'on chantoit ces airs sur les grands chemins. C'étoit par ces sortes de cantiques ou d'invocations que préludoient, pour ainsi dire, les anciens poëtes musiciens, avant que de chanter les poëmes de leur composition, ou ceux d'autrui. Ces hymnes ou poëmes qui se chantoient au son de la cithare étoient ordinairement en vers héroïques . Notes de M. Burette sur le traité de la musique de Plutarque. Mém. de l'acad. des Belles-lettres, t. X.
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PROEMPTOSE | S. f. terme d'Astronomie & de Chronologie ; on dit qu'il y a proemptose quand la nouvelle lune arrive un jour plus tôt qu'elle ne devroit, suivant le cycle des épactes. On est alors obligé de changer ce cycle : comme les nouvelles lunes retrogradent d'environ un jour en 300 ans ; ce changement se feroit régulierement de 300 ans en 300 ans, si l'on n'étoit obligé d'avoir égard à un autre changement occasionné par les années séculaires non bissextiles, & par la bissextile intercalaire qu'on ajoute au bout de quatre siecles. Voyez METEMPTOSE & LUNAISON.
Ce mot est grec, ; il vient de , je tombe, & , devant. (O)
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PROESM | ou PROME ou PRÈME, (Jurisprud.) sont de vieux mots françois qui viennent du latin proximus, & qui sont usités dans quelques coutumes, comme Artois, pour exprimer le plus proche parent du défunt ou du vendeur. Voyez RETRAIT LIGNAGER & SUCCESSION. (A)
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PROETIDES | S. f. pl. (Mythol.) ce sont les filles de Proetus ; elles eurent une singuliere manie, elles se crurent changées en vaches, & courant à travers les campagnes pour empêcher qu'on ne les mît à la charrue, elles faisoient retentir tous les lieux de leurs cris, semblables à des mugissemens. C'étoit dit la fable, un effet de la vengeance de Junon, qu'elles avoient vivement outragée, en osant comparer leur beauté avec celle de la déesse. Peut-être que ces filles étoient attaquées d'accès d'hypocondrie qui leur faisoient courir les champs. Proetus implora le secours d'Apollon, c'est-à-dire de la Médecine, pour les guérir de leur état, & ayant obtenu leur guérison, il fit bâtir un temple à ce dieu dans la ville de Sicyone, où il croyoit avoir été exaucé. (D.J.)
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PROFANATEUR | S. m. PROFANATION, s. f. (Gramm.) le profanateur est celui qui profane, voyez PROFANE ; profanation, est l'action du profane.
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PROFANATION | S. f. (Théolog.) mépris ou abus d'une chose sainte ou sacrée ; ainsi l'usage des paroles de l'Ecriture pour des opérations magiques ou superstitieuses, est une profanation. C'est une profanation que de faire servir à des usages ordinaires, les vases ou les ornemens consacrés au culte de Dieu. L'action de Balthasar, en faisant servir dans un festin les vases du temple de Jérusalem destinés aux sacrifices, fut une véritable profanation.
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PROFANE | (Critiq. sacrée) en grec , en latin profanus, qui vient de fanum, comme qui diroit procul à fano ; mot opposé à initié. , dit Aelien, Var. hist. lib. VIII. ch. ix. c'est un profane qui n'est pas initié aux mysteres de la divinité. Dans les sacrifices & dans les cultes publics qu'on rendoit aux dieux, les Grecs avoient coutume de crier, ; & les Latins procul este profani, favete linguis : éloignez-vous, profanes ; & vous initiés, soyez attentifs, ou ne prononcez que des paroles convenables au jour & à la cérémonie que l'on célebre. Profane est donc celui qui n'est pas initié aux choses saintes, mais souvent dans l'Ecriture, ce mot se prend pour celui qui méprise les choses saintes, & qui leur préfere les plaisirs & les plaisirs temporels. Esaü étoit un profane, coupable d'impiété vis-à-vis de son propre pere, en dédaignant ses tendres supplications, & en en faisant moins de cas que d'un potage de lentilles. Josephe voulant peindre la piété des Esséniens, observe qu'avant le lever du soleil, ils ne proferent aucune parole profane ; cela signifie qu'ils ne s'entretiennent point des choses de la terre. Le mot profane dans le vieux Testament, signifie presque toujours un homme impur, ou celui qui viole les cérémonies de la loi ; si quelqu'un mange des sacrifices le troisieme jour, il sera profane & coupable d'impiété, dit le Lévitique, xix. 7. (D.J.)
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PROFANER | v. act. manquer de respect aux choses qu'on regarde comme sacrées ou qui le sont.
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PROFECTICE | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui provient d'ailleurs, comme on appelle pécule profectice, le gain que le fils de famille a fait avec l'argent que son pere lui a donné. Voyez PECULE. (A)
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PROFÉRER | v. act. (Gramm.) prononcer, faire entendre par le moyen de la voix. Il n'étoit pas permis aux juifs de proférer le nom de Dieu.
Il est défendu aux chrétiens de le proférer en vain, il est resté si interdit qu'il n'a pas proféré un mot.
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PROFÈS | S. m. (Jurisprud.) est celui qui a fait ses voeux de religion, soit dans quelque ordre régulier, tel que l'ordre de Malthe, soit dans quelque monastere ou congrégation de chanoines réguliers ; les religieux profès sont les seuls qui aient voix en chapitre ; ils sont morts civilement du jour de leur profession. Voyez ci-après PROFESSION. (A)
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PROFESSER | v. act. pratiquer, avouer, reconnoître publiquement ; c'est ainsi qu'il convient de professer sa religion ; c'est ainsi que les martyrs l'ont professée ; c'est ainsi que Socrate professa l'unité de Dieu au milieu des idolâtres. Il signifie aussi donner des leçons publiques ; il professe les humanités, la rhétorique, &c.
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PROFESSEUR | S. m. (Hist. littér.) dans les universités, homme de lettres qui fait des leçons publiques sur quelque art ou quelque science, dans une chaire où il est placé pour ce sujet. Voyez CHAIRE.
Les professeurs dans nos universités, enseignent la grammaire & les humanités, en expliquant de vive voix les auteurs classiques & en donnant à leurs écoliers des matieres de composition, soit en vers, soit en prose, qu'ils corrigent pour leur montrer l'application des regles. Ceux de Philosophie, de Droit, de Théologie & de Médecine, dictent des traités que copient leurs auditeurs, auxquels ils les expliquent ensuite.
Les professeurs des universités d'Angleterre font seulement des lectures publiques pendant un certain tems.
On compte en Angleterre un grand nombre de professeurs, les uns prennent leur nom des arts ou de la partie des Sciences sur laquelle ils donnent des leçons, comme professeur des cas de conscience, professeur d'hébreu, professeur de Physique, de Théologie, de Droit, &c. d'autres tirent le leur des personnes qui ont fondé leurs chaires ou qui y ont attaché des revenus, comme les professeurs Saviliens, d'Astronomie & de Géométrie ; le professeur Lucanien, pour les Mathématiques ; le professeur Margaret qui enseigne la Théologie, &c.
Dans l'université de Paris, après un certain nombre d'années d'exercice, qui est de vingt ans dans quelques nations, & simplement de seize dans d'autres ; les professeurs sont honorés du titre d'émerite & gratifiés d'une pension qu'ils touchent, même après avoir quitté leurs chaires ; récompense bien juste & bien propre à exciter l'émulation.
Il n'y a pas encore long-tems que les professeurs étoient payés par leurs écoliers ; mais depuis l'année 1719, le Roi actuellement régnant, a assigné aux professeurs des honoraires fixes, & a par ce moyen procuré à ses sujets l'instruction gratuite, du-moins dans l'université de Paris.
PROFESSEURS ROYAUX, voyez ROYAL.
PROFESSEURS ROYAUX, on nomme ainsi dans les universités les professeurs, dont les chaires ont été fondées par les rois, & dont le revenu est assigné sur le trésor royal. Le premier de nos rois qui ait fait de ces sortes d'établissemens est François I. qui fonda onze chaires ; Henri II. y en ajouta une douzieme. Le progrès que les lettres ont fait depuis ont engagé les successeurs de ces princes à en établir de nouvelles ; ensorte qu'aujourd'hui dans le college royal, on compte dix-neuf professeurs royaux ; il y en a aussi quatre de Théologie en Sorbonne, & autant pour la même science au college de Navarre.
Henri VIII. en fonda cinq dans chacune des universités d'Angleterre ; savoir, pour la Théologie, l'hébreu, le grec, le Droit & la Physique.
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PROFESSION | S. f. (Gouvernement) état, condition, métier qu'on embrasse, dont on fait son apprentissage, son étude, & son exercice ordinaire.
L'industrie humaine se porte ou à l'acquisition des choses nécessaires à la vie, ou aux fonctions des emplois de la société qui sont très-variées. Il faut donc que chacun embrasse de bonne heure une profession utile & proportionnée à sa capacité ; c'est à quoi l'on est généralement déterminé par une inclination particuliere, par une disposition naturelle de corps ou d'esprit, par la naissance, par les biens de la fortune, par l'autorité des parens, quelquefois par l'ordre du souverain, par les occasions, par la coutume, par le besoin, &c. car on ne peut se soustraire sans nécessité à prendre quelque emploi de la vie commune.
Il y a des professions glorieuses, des professions honnêtes, & des professions basses ou deshonnêtes.
Les professions glorieuses qui produisent plus ou moins l'estime de distinction, & qui toutes tendent à procurer le bien public, sont la religion, les armes, la justice, la politique, l'administration des revenus de l'état, le commerce, les Lettres, & les beaux-Arts. Les professions honnêtes sont celles de la culture des terres, & des métiers qui sont plus ou moins utiles. Il y a en tous pays des professions basses ou deshonnêtes, mais nécessaires dans la société ; telles sont celles des bourreaux, des huissiers à verge, des Bouchers, de ceux qui nettoyent les retraits, les égouts, & autres gens de néant ; mais comme le souverain est obligé de les souffrir, il est nécessaire qu'ils jouïssent des droits communs aux autres hommes. Térence fait dire dans une de ses pieces à un homme qui exerçoit une profession basse & souvent criminelle :
Leno sum, fateor, pernicies communis adolescentium,
Perjurus, pestis ; tamen tibi à me nulla est orta injuria. Adelph. act. II. sc. j. v. 34 & 35.
Je l'avoue, je suis marchand d'esclaves, la ruine commune des jeunes gens, une peste publique ; cependant avec tous ces titres je ne vous ai fait aucun tort.
Enfin chaque profession a son lot. " Le lot de ceux qui levent les tribus est l'acquisition des richesses, dit l'auteur de l'esprit des lois. La gloire & l'honneur sont pour cette noblesse qui ne connoît, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien que l'honneur & la gloire. Le respect & la considération sont pour ces ministres, & ces magistrats qui ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit & jour pour le bonheur de l'empire. "
Dans le choix d'une profession & d'un genre de vie, les enfans font très-bien de suivre le conseil de leur pere tendre, sage & éclairé, qui n'exige d'eux rien qui soit déraisonnable, & qui leur fournit les dépenses nécessaires pour l'emploi auquel il les destine. Mais il seroit également injuste & ridicule de les forcer à prendre un parti contraire à leur inclination, à leur caractere, à leur santé, & à leur génie. Ce seroit à plus forte raison une tyrannie odieuse de vouloir les engager à embrasser une profession deshonnête.
Mais on demande quelquefois, s'il est bon, s'il est avantageux dans un état, d'obliger les enfans à suivre la profession de leur pere ? je réponds que c'est une chose contraire à la liberté, à l'industrie, aux talens, au bien public. Les lois qui ordonneroient que chacun restât dans sa profession, & la fît passer à ses enfans, ne sauroient être établies que dans les états despotiques où personne ne peut ni ne doit avoir d'émulation. Qu'on ne nous objecte pas que chacun fera mieux sa profession, lorsqu'on ne pourra pas la quitter pour une autre ; c'est une idée fausse que l'expérience détruit tous les jours. Je dis tout au contraire que chacun fera mieux sa profession, lorsque ceux qui y auront excellé espéreront avec raison de parvenir à une autre profession plus glorieuse. (D.J.)
PROFESSION EN RELIGION, (Jurisprud.) qu'on appelle aussi profession simplement, est l'acte par lequel un novice s'engage à observer la regle que l'on suit dans quelque ordre religieux.
La profession se fait par l'émission des voeux.
Suivant les capitulaires de Charlemagne, il étoit défendu de faire profession sans le consentement du prince : présentement cela n'est plus nécessaire ; mais il y a encore dans quelques coutumes, des serfs qui ne peuvent entrer en religion, ni en général dans la cléricature, sans le consentement de leur seigneur.
Pour que la profession soit valable, il faut qu'elle ait été précédée du noviciat pendant le tems prescrit.
Suivant l'ordonnance d'Orléans, les mâles ne pouvoient faire profession qu'à 25 ans & les filles à 20 ; mais l'âge fixé par les dernieres ordonnances pour faire profession, est celui de 16 ans accomplis. Telle est la disposition de l'ordonnance de Blois, conforme en ce point au concile de Trente.
Il y a plusieurs causes qui peuvent rendre la profession nulle : les plus ordinaires sont lorsque le profès n'a point fait son noviciat pendant le tems prescrit ; lorsqu'il a prononcé ses voeux avant l'âge, ou qu'il les a prononcés par crainte ou par violence, ou dans un tems où il n'avoit pas son bon sens ; de même si la profession n'a pas été reçue par un supérieur légitime, ou qu'elle n'ait pas été faite dans un ordre approuvé par l'Eglise.
La profession religieuse fait vaquer tous les bénéfices séculiers dont le profès étoit pourvu ; cap. beneficium de regular. in -6°. Voyez les decrétales, liv. III. tit. 31. (A)
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PROFESSOIRE | S. m. (Gramm. Hist. ecclés.) l'année qui suit la profession chez les Bernardins. Elle se passe dans la plus grande retraite.
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PROFICIAT | S. m. (ancien terme d'Imprimeur) mot latin usité autrefois par les compagnons & apprentifs Imprimeurs pour signifier festin. L'édit de Charles IX. en Mai 1571, art. v. porte : " les compagnons & apprentifs Imprimeurs ne feront aucun banquet qu'ils appellent proficiat, soit pour entrée, issue d'apprentissage, ni autrement pour raison dudit état ". (D.J.)
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PROFIL | S. m. (Architect.) Profil en Architecture, qu'on appelloit autrefois porfil, se dit 1°. de la coupe ou section perpendiculaire d'un bâtiment, qui en découvre les dedans, la hauteur, l'épaisseur des murailles, la profondeur, la largeur, &c. on appelle autrement le dessein de cette coupe Sciographie : 2°. du contour d'un membre d'architecture, comme d'une base, d'une corniche, d'un chapiteau. On doit avoir une grande attention à donner de justes & agréables proportions aux profils ; c'est en cela que le goût & le génie de l'architecte se font remarquer. Ces proportions sont ou générales, comme d'un ordre à un autre, d'une certaine position à une autre, telles que sont celles du dedans au-dehors, de l'éloignement ou de la proximité dont elles doivent être vûes ; ou bien elles sont particulieres par le rapport qu'elles ont l'une à l'autre dans un même corps : ces proportions doivent toujours être des imitations de la nature, qui a si judicieusement proportionné les membres des animaux à tout leur corps, qu'il en résulte une harmonie dont l'imagination est frappée, avant que la raison en puisse porter aucun jugement. C'est cette harmonie qu'on doit trouver dans les profils.
Il faut éviter de tailler des profils sur des pierres ou marbres colorés, parce que les moulures ne se distinguent pas assez ; c'est pourquoi les pierres blanches sont les plus avantageuses pour l'Architecture, outre que l'édifice paroît d'une seule piece lorsque les joints sont bien recouverts : mais si l'on étoit obligé de tailler des profils sur les marbres colorés, comme pour des lambris, des chambranles, il faut alors employer des moulures fortes, & éviter les petites parties, parce qu'elles apportent plus de confusion que d'ornemens. (D.J.)
PROFIL, c'est dans la Fortification le dessein d'une coupe verticale de quelque ouvrage. Le profil sert à faire connoître les hauteurs & les largeurs des ouvrages : ainsi, pour en connoître toutes les dimensions, il faut au plan qui fait connoître les longueurs & les largeurs, joindre le profil qui donne la connoissance des hauteurs. Voyez PLAN & ICHNOGRAPHIE.
Pour décrire le profil ou le dessein de la coupe du rempart, du fossé, du chemin-couvert, & du glacis d'une place fortifiée, soit S T (Planche premiere de Fortific. fig. 1.) la ligne selon laquelle on imagine la fortification coupée de haut en-bas.
On tirera d'abord au crayon une ligne A B (Pl. 4. de Fortification, fig. 1.) laquelle exprimera le niveau du terrein de la place, ensorte que ce qui sera au-dessus du rez-de-chaussée dans la fortification, sera audessus de cette ligne, & ce qui sera au-dessous, sera sous cette ligne dans le profil.
On fera ensuite une échelle A b plus grande que celle du plan, c'est-à-dire, dont la partie qui exprime une toise soit plus grande, afin que toutes les parties du profil soient plus distinctes ; on la proportionnera à la grandeur du papier sur lequel on veut dessiner le profil, ensorte que si la coupe S T (Planche premiere, fig. 1.) a 50 toises de largeur, la largeur du papier ait au-moins 50 toises de l'échelle. Cela posé :
Du point A pris sur la ligne A B, on prendra A C de 4 toises 3 piés pour le talud intérieur du rempart ; du point C on élevera la perpendiculaire C D de 3 toises ou 18 piés pour la hauteur du rempart. Par le point D on menera une parallele indéfinie D N à la ligne A B, sur laquelle on prendra D E de 5 toises pour la largeur du terre-plein du rempart, non-compris celle de sa banquette. Au point E on élevera la perpendiculaire E F de 2 piés pour la hauteur de la banquette, & l'on menera F H parallele à D N ; ou l'on prendra F G & G H chacune de 3 piés. On tirera la ligne E G qui exprimera le talud de la banquette, G H sera la partie supérieure de la banquette. Du point H on élevera la perpendiculaire H I de 4 piés & demi pour la hauteur du parapet par-dessus la banquette. Du point I on menera une parallele indéfinie I K à la ligne D N, sur laquelle on prendra I L d'un pié & demi, & on tirera H L qui sera le côté intérieur du parapet. On prendra L K de trois toises pour l'épaisseur du parapet ; & du point K, l'on abaissera sur la ligne A B, la perpendiculaire indéfinie K P, prolongée au-delà de la ligne A B : on prendra K M de deux piés & demi, & l'on tirera la ligne L M, laquelle sera prolongée, ou la partie supérieure du parapet, qui est ainsi un talud, comme on l'a déja dit, afin que le soldat qui est sur la banquette, puisse découvrir le chemin couvert & le glacis. La ligne K P sera coupée au point N par la ligne D N : on décrira du point N pris pour centre, un petit demi-cercle d'un pié de rayon : il représentera le cordon : il est toujours au niveau du rempart : on prendra ensuite la ligne N P de six toises, & du point P, on menera une parallele indéfinie P n à la ligne A B : cette parallele exprimera le fond du fossé, dont on suppose ici la profondeur égale à la hauteur du rempart qui est de trois toises : on prendra après cela la ligne N O de cinq piés pour l'épaisseur du revêtement au cordon, & du point O on menera la ligne indéfinie O Q parallele à N P. Elle sera le côté intérieur du revêtement du point P où la ligne P n rencontre la ligne N P ; on prendra P R de sept piés pour le talud du revêtement, c'est-à-dire, d'environ la cinquieme partie de sa hauteur N P ; l'on tirera la ligne N R, elle représentera l'escarpe ou le côté extérieur du revêtement : l'on prendra après cela R S d'un pié pour la retraite de la fondation, & l'on tirera S T perpendiculaire à P N, à laquelle on pourra donner deux ou trois toises pour exprimer la hauteur de la fondation : l'on tirera T Q parallele à P n, qui coupera O Q dans un point L : on marquera d'après cela le revêtement du parapet, en menant une ligne Y & parallele à N M, à la distance de trois piés. C'est l'épaisseur ordinaire du revêtement du parapet. Si l'on suppose qu'il se rencontre un contrefort dans la coupe, & que l'on veuille en exprimer le profil, il faudra prendre O V de 9 piés, & mener V N parallele à O Q ; V X Q O exprimera le profil du contrefort, qui est adossé au revêtement O R. Après cela, pour donner une pente au terreplein du rempart, afin que les eaux qui tombent dessus, s'écoulent vers la place, on prendra D W d'un pié & demi, & l'on tirera W E, qui exprimera la partie supérieure du rempart, & la ligne A W qui exprimera la pente des terres de son côté intérieur.
Présentement on prendra sur le plan, figure premiere de la premiere Planche de fortification, la largeur du fossé dans l'endroit où il est coupé par la ligne S T, & on portera sur la ligne P n du profil le nombre des toises que contient la largeur du fossé dans l'endroit de sa coupe : on suppose qu'elle est de 20 toises. On portera 20 toises de P en n pour la largeur de ce fossé, & du point n on élevera la perpendiculaire n m terminée par la ligne A B au point m, qui sera le bord de la contrescarpe. On menera une parallele Z Y à la ligne m n, à la distance de 3 piés de cette ligne, pour avoir l'épaisseur du revêtement de la contrescarpe : on prendra n u de trois piés pour le talud de ce revêtement, & l'on tirera la ligne u m, qui sera le côté extérieur du revêtement de la contrescarpe. On laissera au point u une retraite d'environ six pouces, & l'on terminera la fondation de ce revêtement, comme on a terminé celle du revêtement du rempart.
On prendra ensuite la ligne m c de cinq toises pour la largeur du chemin-couvert, non compris sa banquette ; & au point c on élevera la perpendiculaire c d de deux piés pour la hauteur de la banquette. On menera la ligne d f d'une toise, parallele à la ligne A B, sur laquelle on prendra d e & e f, chacune de trois piés. On menera la ligne c e pour le talud de la banquette, e f en sera la partie supérieure. Du point f on élevera la perpendiculaire f l de quatre piés & demi, pour la hauteur du parapet du chemin-couvert par-dessus sa banquette. On prolongera f l jusqu'à ce qu'elle coupe la ligne A B dans un point r ; on prendra v g de 20 toises pour la largeur du glacis, & on tirera l g qui exprimera le glacis ou la pente des terres du rempart du chemin couvert : on prendra sur cette ligne la partie l h d'un pié, & l'on tirera la ligne h f, qui sera le côté intérieur du parapet du chemin couvert, après quoi il n'y aura plus qu'à marquer une palissade sur la banquette, comme on la voit dans la figure, & le profil sera achevé.
Le détail qu'on vient de donner sur la construction du profil ou du dessein de la coupe S T de la premiere figure de la Planche I. des fortifications, peut dispenser d'entrer dans l'explication des profils du dehors. Comme ils ne different guere de celui du corps de la place que par un rempart plus étroit & moins élevé, leur construction peut se faire de la même maniere que celle qu'on vient de détailler. (Q)
PROFIL, (Peinture) c'est le contour des objets quelconques. Quoique le mot de profil soit général, on ne s'en sert guere en peinture qu'en parlant d'une tête dont on ne voit que la moitié, c'est-à-dire qui est tournée de façon qu'on n'apperçoit qu'un oeil, une narine, la moitié de la bouche. On dit le profil du visage, une tête vûe de profil. Dans presque toutes les médailles les visages sont de profil. On ne dit cependant point profiler un visage ; & pour exprimer le profil des autres parties d'une figure, on dit le trait ou le contour de ce bras, de cette jambe, de ce corps.
PROFIL DE TERRE, (Jardinage) c'est la section d'une étendue de terre en longueur, comme elle se trouve naturellement, & dont les coupes de niveau & les stations de nivellement marquées par des lignes ponctuées, font connoître le rapport de la superficie de cette terre, avec une base horisontale qu'on établit ; ce qui se pratique pour dresser un terrein de niveau, ou avec une pente réglée, quand il s'agit de disposer un jardin, planter des avenues d'arbres, tracer des routes dans un bois, &c. On fait ordinairement ces sortes de profils sur une même échelle, pour la base & les à-plomb. Quelquefois aussi on réduit cette base sur une plus petite échelle que les à-plomb des stations, pour rendre plus court le dessein d'un profil trop long ; mais cette derniere méthode n'est pas exacte, parce qu'on ne peut pas tracer sur ce dessein les pentes, chûtes, & autres moyens qui se pratiquent pour le raccordement des terreins. (D.J.)
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PROFILER | v. act. (Architect.) c'est contourner à la règle, au compas, ou à la main, un membre d'architecture.
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PROFIT | GAIN, LUCRE, ÉMOLUMENT, BÉNÉFICE, (Synonymes.) Le gain semble être quelque chose de très-casuel, qui suppose des risques & du hasard : voilà pourquoi ce mot est d'un grand usage pour les joueurs & pour les commerçans. Le profit paroît être plus sûr, & venir d'un rapport habituel, soit du fonds, soit d'industrie : ainsi l'on dit les profits du jeu, pour ceux qui donnent à jouer ou fournissent les cartes ; & le profit d'une terre, pour exprimer ce qu'on en retire outre les revenus fixés par les baux. Le lucre est d'un style plus soutenu, & dont l'idée a quelque chose de plus abstrait & de plus général : son caractere consiste dans un simple rapport à la passion de l'intérêt, de quelque maniere qu'elle soit satisfaite ; voilà pourquoi on dit d'un homme avide, qu'il aime le lucre, & qu'en pareille occasion l'on ne se serviroit pas des autres mots avec la même grace. C'est dommage que ce terme vieillisse, tandis que les ames éprises de l'amour du lucre augmentent. L'émolument est affecté aux charges & aux emplois, marquant non-seulement la finance réglée des appointemens, mais encore tous les autres revenant-bons. Bénéfice ne se dit guere que pour les banquiers, les commissionnaires, le change & le produit de l'argent ; ou dans la Jurisprudence, pour les héritiers qui craignant de trouver une succession surchargée de dettes, ne l'acceptent que par bénéfice d'inventaire.
Quelques rigoristes ont déclaré illicite tout gain fait aux jeux de hasard. On nomme souvent profit ce qui est vol. Tous ceux qui n'ont que le lucre pour objet, sont des ames paîtries de boue. Ce n'est pas toujours où il y a le plus d'émolumens que se trouve le plus d'honneur. Le bénéfice qu'on tire du changement des monnoies, ne répare pas la perte réelle que ce changement cause dans l'état. Synon. de l'abbé Girard. (D.J.)
PROFIT, avantage, gain, bénéfice qu'on retire d'un négoce, soit par l'achat, soit par l'échange, soit par la vente des marchandises dont on fait commerce.
Profit permis & légitime, est celui qui se fait par des voies justes, & dans un commerce qu'on exerce avec probité.
Profit illicite & odieux, est celui qu'on fait par de mauvaises voies, & dans un négoce défendu par les lois, comme sont les prêts sur gages, les prêts à usure.
On dit qu'un marchand vend à profit, non pas quand il gagne beaucoup sur une marchandise, mais quand il fixe son profit sur le pié de tant par livres de ce que sa marchandise lui revient rendue dans le magasin. Dictionn. de Comm.
PROFITS DE FIEF, (Jurisprud.) sont les droits utiles que les fiefs produisent au seigneur dominant, quand il y a changement de vassal ; tels que le chambellage, le relief ou rachat, le quint & requint. Ces profits sont différens, selon les coutumes ou les titres, & suivant la mutation.
La coutume de Paris, article 24, dit que le seigneur se peut prendre à la chose pour les profits de son fief, c'est pourquoi l'on dit communément que les profits de fief sont réels, ce qui signifie qu'ils suivent le fief, & qu'il peut être saisi tant pour les anciens que pour les nouveaux droits. (A)
PROFIT AVENTUREUX, (Marine) c'est l'intérêt de l'argent que l'on prête sur un vaisseau marchand, soit pour un voyage, soit par chaque mois qu'il est en mer, moyennant quoi le prêteur court les risques de la mer & de la guerre. Voyez GROSSE AVENTURE.
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PROFITER | v. n. (Gramm.) tirer du gain, de l'avantage de quelque chose. Un marchand fait profiter son argent sur la place, à la bourse, dans les armemens. Un usurier fait profiter le sien par des voies injustes.
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PROFITEROLES | S. m. pl. (terme de Cuisinier) Les cuisiniers appellent potages de profiteroles un potage fait avec de petits pains sans mie, séchés, mitonnés, & remplis de béatilles. Ce mot s'est dit autrefois d'une pâte cuite sous la cendre. (D.J.)
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PROFOND | adj. (Gramm.) se dit de toute cavité considérable. Le lit de cette riviere est profond ; ce puits est profond ; ce plat est profond ; ce vase est profond. Il se prend au simple & au figuré. Des connoissances profondes ; un homme profond ; un examen profond ; un mystere profond ; un profond respect ; un profond sommeil ; un profond oubli, &c.
PROFOND, (Critiq. sacrée) Ce mot se prend fréquemment dans l'Ecriture pour le tombeau ; 2°. quelquefois pour la mer, comme au ps. cvj. 24 ; 3°. pour un abîme au propre ; & au figuré, pour afflictions & dangers, comme au ps. lxviij. 16 ; 4°. pour la grandeur, l'excellence d'une chose, quand il est joint aux autres dimensions. Ainsi, quand S. Paul dit, afin que vous puissiez comprendre (connoître parfaitement) la largeur, la longueur, la hauteur & la profondeur de ce mystere, c'est une périphrase qu'il employe pour exprimer l'immense bonté de Dieu. 5°. Pour ce qui est obscur, caché, secret : Je ne vous envoye à un peuple dont le discours soit obscur, profundi sermonis. Ezech. iij. 6.
Pécher profondément, marque une habitude enracinée au mal. Quand l'impie s'est accoutumé à mal-faire (impius cum profundè peccaverit), il méprise tout, & n'écoute plus rien. Prov. xviij. 3. (D.J.)
PROFOND, en Anatomie, nom de deux muscles fléchisseurs, l'un des doigts du pié, & l'autre des doigts de la main, par opposition avec un autre qui les recouvre, & qu'on appelle sublime. Voyez PERFORANT.
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PROFONDEUR | S. f. en Géométrie, &c. est une des dimensions du corps géométrique ; on l'appelle autrement hauteur, voyez HAUTEUR.
La profondeur ou la hauteur d'un escadron & d'un bataillon, est le nombre d'hommes qui forment une file : dans un escadron elle est de trois hommes ; dans un bataillon, communément de six. Voyez ESCADRON, &c.
On dit le bataillon étoit à six de hauteur ; la cavalerie ennemie étoit à cinq de hauteur. (E)
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PROFONTIÉ | (Marine) Navire profontié, c'est un navire qui tire beaucoup d'eau, ou à qui il en faut beaucoup pour le faire flotter.
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PROFUSION | S. f. (Gramm.) Ce terme se prend quelquefois pour un synonyme de prodigalité ; il semble cependant qu'il n'en soit que l'effet. Le prodigue répand ses dons indistinctement sur tout le monde, & avec profusion : d'ailleurs prodigalité ne se prend guere qu'en mauvaise part ; au lieu qu'on dit sans blâme que Dieu a répandu ses bien faits sur l'homme avec profusion, &c.
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PROGNÉ | (Géog. anc.) île que Pline, l. V. cap. xxxj, met aux environs de celle de Rhodes. Le nom de Progné lui avoit été donné à cause de la quantité d'hirondelles qu'on y voyoit. (D.J.)
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PROGNOSTIC | S. m. (Médecin. séméiotiq.) ce terme est grec , formé de la proposition , devant, d'avance, & d'un des tems du verbe , connoître. Il est d'usage en médecine, pour désigner la connoissance qu'on peut acquérir des événemens d'une maladie, avant même qu'ils soient arrivés ; quelquefois aussi on s'en sert pour exprimer les signes aux moyens desquels on parvient à cette connoissance, & alors on le prend comme adjectif, qu'on joint le plus souvent au mot signe, & l'on dit les signes prognostics. Voyez SIGNE.
Le prognostic est sans contredit la partie la plus brillante de la Médecine, & par conséquent la plus favorable pour la réputation du praticien : c'est par-là que le médecin expérimenté, approche le plus de la divinité. Le voile épais qui cache les événemens futurs, tombe devant lui ; éclairé par le flambeau lumineux d'une observation multipliée & réfléchie, il voit d'un oeil assuré & les objets préexistens, & ceux qui doivent exister ; la succession des phénomenes, l'augmentation ou la diminution des accidens, la terminaison de la maladie, la maniere dont elle aura lieu, les couloirs par lesquels se fera l'évacuation décisive, ne sont à ses yeux qu'une perspective plus ou moins éloignée, mais assez éclairée pour y distinguer nettement les objets ; à mesure qu'il avance, les objets ressortent davantage, & sont plus sensibles à ses regards. A-travers les accidens les plus graves & les plus effrayans, il voit se préparer le triomphe de la nature & le rétablissement de la santé ; il console avec plus de fermeté un malade inquiet & timide, rassure une famille éplorée, & promet sans hésiter une issue favorable. D'autres fois il voit dans quelques symptomes legers en apparence, le bras de la mort étendu sur le malade ; sa faulx est déja levée ; elle est prête à en moissonner les jours ; cependant le malade tranquille sur son état, ne pense à rien moins qu'à terminer des affaires qu'on differe trop communément jusqu'aux dernieres extrêmités. Il est très-important alors d'éclairer un peu ce malade, pour l'avertir de ses devoirs, ou de les lui faire remplir, sans lui laisser entrevoir le jour affreux qui le menace ; il est nécessaire d'instruire les parens, soit pour ce qui les regarde, soit pour ne pas être accusé soi-même de n'avoir pas prévenu le sinistre événement qui paroissoit si éloigné.
Mais quelque avantage que le médecin retire pour lui-même de son habileté dans le prognostic, il n'est pas à comparer à celui qui reflue sur le malade. Si le médecin est assez éclairé pour connoître d'avance & la marche de la nature, & les obstacles qui s'opposeront à ses efforts, & les suites de ces efforts, & la maniere dont ils seront terminés ; avec quelle sûreté n'operera-t-il pas ; quel choix plus approprié dans les remedes & dans le tems de leur administration ? Sans cesse occupé à suivre la nature, à éloigner tout ce qui peut retarder ses opérations & en empêcher la réussite, il proportionnera habilement ses secours & au besoin de la nature, & à la longueur de la maladie ; il préparera de loin une crise complete & salutaire, une convalescence prochaine & courte, & une santé ferme & constante.
Un grand inconvénient, attribut trop ordinaire des sciences les plus importantes, savoir l'incertitude & l'obscurité, est ici très-remarquable ; & ce n'est que par une étude prodigieuse de l'homme dans l'état sain & malade, qu'on peut espérer de le dissiper. Il faut avoir vu & bien vu une quantité innombrable de malades & de maladies, pour parvenir à des regles certaines sur ce point. Voyez OBSERVATION. Pour pouvoir décider qu'un dévoyement survenant à une surdité l'emporte, combien ne faut-il pas avoir observé de surdités qui cessoient dès que le ventre couloit ? Pour prédire en conséquence du pouls pectoral, par exemple, une expectoration critique, combien ne faut-il pas avoir fait d'observations qui déterminent le caractere de ce pouls, & qui fassent voir ensuite que toutes les fois qu'il a été tel, les crachats ont suivis ? Quel travail immense, quelle assiduité, quelle sagacité même ne faut-il pas dans un pareil observateur ? Quand on lit tous les axiomes de prognostic qu'Hippocrate nous a laissés, il n'est pas possible d'imaginer comment un seul homme a pu produire un ouvrage de cette espece ; on est à chaque instant transporté de surprise & d'admiration. Depuis ce grand homme, ce médecin par excellence, la partie du prognostic, loin d'augmenter & de s'affermir encore davantage, n'a fait que dépérir entre les mains des médecins qui ont voulu soumettre l'observation au joug funeste & arbitraire des théories, & la plier aux caprices de leur imagination, ceux qui se sont les plus distingués dans cette connoissance, & qui ont fait des ouvrages dignes d'être consultés sur cette partie, n'ont presque fait que copier Hippocrate ; tels sont Galien, Caelius Aurélianus, Prosper Alpin, qui a fait une riche collection de tout ce qui regarde la séméiotique ; Sennert, Fernel, Riviere, Baglivi, Waldschmid, Nenter, &c. Ce n'est que dans ces derniers tems, que le prognostic a reçu un nouveau lustre & plus de certitude par les observations sur le pouls par rapport aux crises. On doit cette importante découverte, & la perfection à laquelle elle a été bien-tôt portée, à Solano, Nihell, & Bordeu, dont les noms par ce seul bienfait mériteroient une place distinguée dans les fastes de la Médecine ; leurs écrits méritent d'être lûs, & leur méthode d'être examinée & suivie. On ne sauroit se donner trop de peine pour réussir dans cette partie ; ni consulter trop de signes & avec trop d'attention. Voyez l'article SIGNE, & les différens articles de séméiotique, POULS, RESPIRATION, URINE, SUEUR, LANGUE, &c. Personne n'ignore l'importance de ce genre de recherches, deux avantages bien précieux, peut-être, hélas ! réductibles à un seul, couronnent le succès, son utilité propre, & le bien de l'humanité.
Mais le prognostic ne seroit-il de mise qu'en Médecine ? Ne seroit-il pas possible par l'examen réfléchi & l'étude approfondie de l'homme moral, de former un corps de science qui roulât sur les moyens de connoître d'avance & de prévoir les actions des hommes ? Un moraliste instruit ne pourroit-il pas parvenir à pénétrer assez exactement les ressorts cachés qui font mouvoir les hommes, à mesurer la force des occasions dans lesquelles ils peuvent se trouver, à connoître les différentes positions ou leur genre de vie, leur façon de penser, leurs passions peuvent les conduire ; & enfin, ne pourroit-il pas d'après ces connoissances, décider les actions futures de tels ou tels particuliers ? Partant ensuite d'un point de vue plus général, & considérant l'ensemble des hommes qui composent une société, une ville, un royaume, à prognostiquer leur état à venir : je ne doute pas qu'on ne pût sur ces principes écrire d'avance la vie d'un homme ou l'histoire d'un état ; faire par exemple, dans ce siecle, l'histoire du dix-neuvieme ; mais l'imagination est effrayée du travail immense & des lumieres qu'un pareil ouvrage exigeroit. (m)
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PROGRAMME | S. m. (Hist. littér.) est un terme en usage dans les colleges, où il signifie un billet ou avertissement que l'on distribue, pour inviter le public à quelque harangue ou autre cérémonie.
Le programme pour une harangue en contient ordinairement l'argument, ou au-moins ce qui est nécessaire pour en avoir une idée. Il y a aussi des programmes qu'on distribue pour inviter à des déclamations publiques, à des représentations de pieces de théâtre.
PROGRAMME, (Jurisprudence) signifioit anciennement une lettre scellée du sceau du roi. Voyez LETTRE.
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PROGRÈS | S. m. (Gramm.) mouvement enavant ; le progrès du soleil dans l'écliptique ; le progrès du feu ; le progrès de cette racine. Il se prend aussi au figuré, & l'on dit, faire des progrès rapides dans un art, dans une science.
PROGRES mauvais, (terme de Musique) on appelle en musique mauvais progrès, quand les notes procedent par des intervalles durs & desagréables à l'oreille. (D.J.)
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PROGRESSIF | adj. il se dit du mouvement propre à la plûpart des animaux. L'huitre est privée du mouvement progressif, ou de la faculté de se porter en tous sens du lieu où elle est dans un autre.
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PROGRESSION | (Mathémat.) c'est une suite de termes en proportion continue, c'est-à-dire dont chacun est moyen entre celui qui le précede & celui qui le suit. Voyez PROPORTION. Selon le genre de rapport qui regne entre ses termes, la progression prend le nom d'arithmétique ou de géométrique.
Progression arithmétique. On la désigne par ce caractere (÷) qu'on met en tête de la suite dont les termes sont distingués entr'eux par de simples points. ÷ 1. 3. 5. 7. &c. est une progression arithmétique ; où l'on voit que 3 est moyen proportionnel entre 1 & 5, 5 entre 3 & 7, &c. & que 2 est la différence constante de deux termes consécutifs quelconques.
Nommant p le premier terme & m la différence, toute progression arithmétique peut être représentée par celle-ci ÷ p. p + m. p + 2 m. p + 3 m. p + 4 m. &c.
Chaque terme n'étant que celui qui le précede augmenté de la différence, le second est le premier + la différence prise une fois ; le troisieme, le premier + la différence prise deux fois ; & ainsi de suite : ensorte que chaque terme n'est que le premier + la différence prise autant de fois - 1, que le rang qu'il occupe dans la suite exprime d'unités ; ou, ce qui est la même chose, multipliée par la différence des quantiemes du premier terme & du terme cherché. Ce qui donne le moyen de trouver directement tel terme d qu'on voudra, pourvu qu'on sache le quantieme il est, & qu'on connoisse d'ailleurs p & m. Si n est le quantieme, on aura le terme même ou d = p + . D'où l'on tire, suivant le besoin, p = d - .
m =
Dans cette derniere égalité, le second membre est la différence des deux termes comparés, divisée par la différence de leurs quantiemes : & comme p & d sont indéterminés (puisqu'il est libre de faire commencer & de terminer la progression à quels termes on voudra), il résulte qu'on obtiendra toûjours m ou la différence de la progression, en divisant la différence de deux termes quelconques par celle de leurs quantiemes.
Il suit que qui connoît les deux premiers termes d'une progression, en connoît la différence, & dès-là toute la progression. Il n'est pas même nécessaire que les deux termes connus soient les deux premiers ; ils peuvent être quelconques, pourvu qu'on sache leurs quantiemes. Car d'abord on aura la différence de la progression par la formule de m, en y substituant à (n - 1) la différence donnée des quantiemes des deux termes ; ensuite on aura le premier terme par celle de p, en y substituant à d celui qu'on voudra des deux termes donnés, & à n son quantieme ; par exemple, si 4 & 16 sont les second & sixieme termes d'une progression, la différence de celle-ci est = 12/4 = 3 . & p = 4 - 3. = 4 - = 4 - 3 = 1.
Si l'on compare les deux extrêmes d'une progression, soit avec deux autres termes quelconques également éloignés de l'un & de l'autre ; soit avec celui du milieu, quand le nombre en est impair : il est clair que les quatre termes comparés dans le premier cas & les trois dans le second, sont en proportion. D'où il suit (Voyez PROPORTION) que la somme des extrêmes est égale à celle de tous autres deux termes pris à distance égale de l'un & de l'autre, & de plus au double du terme du milieu, quand le nombre des termes est impair.
La somme des extrêmes multipliée par le nombre des termes, seroit donc double de la somme entiere de la progression. Pour avoir celle-ci avec précision, il faut donc multiplier, ou la somme des extrêmes par la moitié du nombre des termes, quand ce nombre est pair ; ou, s'il est impair, le nombre entier des termes par la moitié de la somme des extrêmes (qui dans ce cas est toûjours paire, étant la somme de deux termes de même nom)... on prescrit communément en ce dernier cas de multiplier la somme entiere des extrêmes par le nombre aussi entier des termes, puis de prendre la moitié du produit. Mais n'est-ce pas rendre gratuitement plus composée une opération qui de sa nature est simple ?
Si l'on suppose p = 0, l'expression de la progression en devient plus simple ; il n'y entre plus qu'une seule lettre, & elle se réduit à celle-ci :
0. m. 2 m. 3 m. &c. ou m x 0. m x 1. m x 2. m x 3. &c. Cette supposition n'a d'ailleurs rien qui choque ; l'essence de la progression subsiste toute entiere, indépendamment de p. En effet une progression n'est telle qu'à raison de la différence qui regne entre ses termes : mais cette différence n'est point produite par p (grandeur constante & commune à tous les termes) ; elle ne l'est pas même par m, & pour la même raison ; elle ne l'est donc que par les coëfficiens variables de m. Et comme ces coëfficiens sont les nombres naturels 0. 1. 2. 3. &c. il suit qu'à proprement parler il n'y a de progression arithmétique que celle des nombres naturels ; c'est la progression exemplaire dont toutes les autres ne sont que des copies, ou des multiples déterminés par m. Ce qui n'empêche pas qu'il ne puisse s'y joindre une grandeur accessoire p, commune à tous les termes.
Quel que soit p ; si m ou la différence est positive, la progression est croissante ; & décroissante, si elle est négative : mais de l'une pour la faire devenir l'autre, si cela paroît plus commode, il n'y a qu'à la renverser.
Si p & m ont des signes semblables, le même signe regne dans tout le cours de la progression ; s'ils en ont de contraires, la progression en admet aussi de différens. C'est d'abord celui de p, qu'elle conserve plus ou moins long-tems, selon le rapport de p à m : puis elle prend celui de m, pour ne le plus perdre. Les termes affectés du même signe s'y trouvent donc tous de suite du même côté ; à la différence de la progression géométrique, où les signes, quand elle en admet de différens, sont entremêlés & alternatifs.
Si p est l'origine d'une progression décroissante vers la droite, il peut l'être également d'une progression décroissante vers la gauche, dont la différence sera encore m. Toute progression a donc essentiellement deux branches, l'une croissante, l'autre décroissante, qui s'étendent en sens contraire, & toutes deux se perdent dans l'infini ; ou, si l'on veut, ce n'en est qu'une seule, croissante ou décroissante dans tout son cours, selon le côté duquel on voudra la prendre, mais qui n'a ni commencement ni fin. Ce que nous en pouvons connoître n'est qu'un point pris vers le milieu : c'est la figure du tems comparé à l'éternité.
Venons présentement à ce qui est de détail. En toute progression, on peut distinguer cinq principaux élémens.
Or de ces 5 élémens, 3 pris comme on voudra étant connus, on connoît les deux autres : & comme cinq choses peuvent être combinées dix fois trois à trois, il en résulte autant de cas, pour chacun desquels on trouvera par ordre dans la table suivante la valeur des deux inconnues. La démonstration s'en peut déduire aisément du petit nombre de principes qui viennent d'être établis.
On ne peut faire de question résoluble par la progression arithmétique, qui ne soit résolue d'avance par quelqu'une de ces formules.
On peut comparer deux progressions, les ajouter, les soustraire ; & c'est quelquefois un moyen facile de résoudre certaines questions plus compliquées. Au reste il suffit d'exécuter ces opérations sur les premiers termes & sur les différences des progressions proposées ; la nouvelle progression qui en résulte représente la somme ou la différence des deux premieres.
La somme offre peu de choses à considérer ; nous nous bornerons donc à la différence, & nous la supposerons représentée par cette progression P. P + M. P + 2 M. &c. que pour cette raison nous nommerons la différentielle.
Telle est sa propriété, que chacun de ses termes exprime le rapport arithmétique des deux termes correspondans dans les deux progressions dont elle est la différentielle, & sa somme prise à quel terme on voudra celui de leurs sommes prises à ce même terme.
Quand on ôte une quantité d'une autre, il est naturel que ce soit la plus petite qu'on ôte de la plus grande ; mais c'est, quand il s'agit de progressions, sur quoi il est aisé de se méprendre : à moins que quelque circonstance particuliere n'oblige d'en user autrement, c'est moins ce qu'elles sont qu'il faut considérer dans cette comparaison, que ce qu'elles peuvent devenir. La plus grande n'est donc pas celle précisément qui présente d'abord les plus grands termes, mais celle en général dont la différence est la plus grande. En effet, quelque avance que puisse avoir l'autre à raison de son premier terme (pourvu qu'il reste fini) ; celle-ci l'atteindra plus tôt ou plus tard, la surpassera ensuite, & toujours de plus en plus.
M sera donc toujours positif ; mais P peut être négatif, & c'est lorsque la plus grande différence se trouve dans l'une des deux progressions primitives jointe au plus petit premier terme.
Toutes les fois que P est négatif, 0 est un terme de la progression, exprimé ou sous-entendu. Il est exprimé si P est multiple de M, comme en cette progression (- 4. - 2. 0. 2. 4. &c.) Si P n'est pas multiple de M, comme en cette autre (- 4. - 1. 2. 5. &c.) ; 0 n'est pas un terme prononcé de la progression, mais il est toujours sous-entendu entre les deux termes consécutifs qui ont des signes contraires ; & pour le faire paroître, il n'y auroit qu'à introduire entre chaques deux termes de la progression le nombre convenable de moyens proportionnels, ou, ce qui revient au même, réduire la différence.
Dans l'un & dans l'autre cas, le nombre des termes qui précedent 0 est exprimé par P/M ; avec cette différence que dans le premier P/M est un entier, & que dans le second il est affecté d'une fraction.
Pour avoir le rang du terme de la progression différentielle où sa somme est 0 (& par une suite où les sommes des deux progressions comparées sont égales), il est clair qu'il n'y a qu'à prendre à la droite de 0 autant de termes positifs qu'il en a de négatifs à sa gauche, c'est-à-dire doubler P/M, & ajoûter 1. Cette unité qu'on ajoute représente le terme 0 lui même, quand il est exprimé. S'il est sous-entendu, il est à observer que le reste que laisse la division de P par M à la gauche de 0, & son complément à l'unité vers la droite, sont chacun en particulier pris pour un terme dans la progression. On compte donc deux termes pour une seule unité du quotient. Pour que celui-ci puisse représenter le nombre des termes, il faut donc l'augmenter de l'unité. On a donc dans tous les cas (n = + 1).
Ce seroit ici le lieu de donner des exemples : mais tous les livres élémentaires de mathématiques en sont pleins. Nous nous bornerons donc à un petit nombre, choisis entre ceux où l'application des formules de la table paroît souffrir quelque difficulté.
Exemple I. Entre deux nombres donnés p & d, trouver un nombre quelconque r de moyens proportionnels arithmétiques.
Considérant p & d comme les extrêmes d'une progression, dont le nombre des termes sera conséquemment (r + 2), c'est-à-dire le nombre même des moyens à trouver + les deux extrêmes donnés. La question se rapporte au second article de la table, où l'on trouve m = . Mais n = r + 2 ; donc n - 1 = r + 1 ; donc m = . Or la différence trouvée, le reste suit.
Si c'est entre 1 & 13 qu'on demande trois moyens proportionnels... = = = 12/4 = 3: & la progression est
Exemple II. Deux voyageurs partent au même instant de deux termes opposés distans entr'eux de 135 lieues, & viennent à la rencontre l'un de l'autre, la marche du premier étant réglée par jour sur les termes correspondans de cette progression arithmétique (1. 5. 9. &c.), & celle du second sur les termes de cette autre (4. 7. 10. &c.) : on demande quel jour ils se rencontreront, & ce que chacun aura fait de chemin.
Les deux progressions concourant au même but, qui est de rapprocher les deux voyageurs, on voit que c'est par addition qu'il faut ici procéder. La somme des deux progressions est cette nouvelle (5. 12. 19. &c.) ; où l'on connoît p = 5, m = 7, s = 135 : ce qui ramene la chose au cinquieme article de la table. Le calcul donne, après les réductions n = 6... pour satisfaire à la seconde partie de la question, il n'y a plus qu'à faire (par l'article 4) les sommes particulieres des deux premieres progressions, où l'on connoît p, m, n :
Exemple III. Les autres circonstances restant les mêmes, si l'on supposoit que les voyageurs partent du même terme pour aller vers le même côté ; il est clair que le second prendra d'abord de l'avance, mais que le premier l'atteindra plus tôt ou plus tard : on demande le jour précis que cela arrivera.
La marche de l'un des voyageurs tend à procurer leur réunion, tandis que celle de l'autre tend à la retarder ; leur effet étant contraire, c'est donc la soustraction qu'il faut employer. Otant la seconde progression de la premiere, la différentielle est (- 3. - 2. - 1. &c.) D'ailleurs quand le premier voyageur atteindra le second, ils auront fait l'un & l'autre le même chemin, les sommes de leurs progressions respectives seront donc égales, & par une suite celle de la différentielle sera 0 ; c'est-à-dire qu'on connoît dans celle-ci (P = - 3, M = 1, s = 0) ; ce qui ramene encore la question au cinquieme article de la table. Ou bien on se servira de la formule particuliere (n = + 1.) De l'une & de l'autre maniere, on trouvera également n = 7 ; c'est-à-dire que le premier voyageur atteindra le second à la fin du septieme jour, l'un & l'autre ayant fait 91 lieues.
Au lieu de comparer deux progressions, on peut comparer une progression avec une suite de termes non croissans & tous égaux entr'eux (a. a. a. &c.) : mais en considérant celle-ci (malgré la contradiction que renferme cette idée) comme une progression dont la difference seroit 0, cette circonstance ne changera rien à la méthode qu'on vient d'employer pour résoudre la derniere question, ainsi qu'on va le voir.
Exemple IV. Des esclaves se sauvent dans une barque qui n'est équipée que de rames, & font chaque jour 12 lieues, en ayant 50 à faire pour se rendre au port ami le plus prochain. Un vaisseau les poursuit, dont la route contrariée d'abord par divers obstacles, puis secondée d'un vent qui devient de plus en plus favorable, est réglée par jour sur les termes correspondans d'une progression arithmétique dont le premier terme est 6 & la différence 5... Les esclaves seront-ils repris ? quel jour le seront-ils ? & à quelle distance du port ?
Appliquant, si l'on veut, la formule particuliere (n = + 1) ; comme on a ici P = 12 - 6 = 6, & M = 5 - 0 = 5 : on trouve n = 12/5 + 1 = 3 + 2/5.... Les esclaves seront donc repris ; ils le seront aux 2/5 du quatrieme jour, à 9 1/5 lieues du port qu'ils cherchent, n'ayant fait encore que 404/5 lieues. Car leur route est 12 x = 12 x 17/5 = 204/5 = 40 + 4/5 ; & c'est aussi la somme de la progression. Voyez le mémoire inséré à la fin de cet article.
Progression géométrique. On la désigne par ce caractere () qu'on met en tête de la suite, dont les termes sont distingués entr'eux par de simples points... 1. 2. 4. 8. &c. est une progression géométrique ; où l'on peut observer que 2 est moyen géométrique entre 1 & 4, 4 entre 2 & 8, &c. & que de deux termes consécutifs le second n'est que le premier multiplié par l'exposant (2) de la progression. L'analogie est si marquée & si soutenue entre les deux progressions, que ce qui a été dit de l'arithmétique, pourroit en quelque sorte suffire pour faire connoître la géométrique ; en observant qu'où celle là procede par addition & par multiplication, celle-ci procede respectivement par multiplication & par exaltation. Au-moins pour ne pas laisser perdre de vûe cette étroite affinité qui peut jetter un grand jour sur l'une & sur l'autre, on affectera de suivre ici le même ordre & d'employer même, autant qu'il se pourra, les mêmes expressions qu'on a fait plus haut pour l'Arithmétique.
Nommant p le premier terme, & m l'exposant ; toute progression géométrique peut être représentée par celle-ci... p. p m. p m2. p m3. &c.
Chaque terme n'étant que celui qui le précede multiplié par l'exposant de la progression ou par m ; le second est le premier x par la premiere puissance de m ; le troisieme, le premier x par la seconde puissance de m, & ainsi de suite : ensorte que chaque terme n'est que le premier x par la puissance de m, dont l'exposant est moindre d'une unité que le rang qu'il occupe dans la suite, ou, ce qui est la même chose, égal à la différence de son quantieme à celui du premier terme. Ce qui donne le moyen de trouver directement tel terme d qu'on voudra, pourvu qu'on sache quel quantieme il est, & qu'on connoisse d'ailleurs p & m. Si n est le quantieme, on aura le terme même, ou d = p m(n - 1).
Dans cette derniere égalité, le second membre est le quotient du plus grand des deux termes comparés divisé par le plus petit, duquel on a extrait la racine désignée par la différence de leurs quantiemes ; & comme p & d sont indéterminés, il résulte qu'on obtiendra toujours m ou l'exposant de la progression, en divisant le plus grand de deux termes quelconques par le plus petit, & tirant du quotient la racine désignée par la différence de leurs quantiemes.
Il suit que qui connoît les deux premiers termes d'une progression, en connoît l'exposant, & dès - là toute la progression. Il n'est pas même nécessaire que les deux termes connus soyent les deux premiers ; ils peuvent être quelconques, pourvu qu'on sache leurs quantiemes. Car d'abord on aura l'exposant de la progression par la formule de m, en substituant à (n - 1) la différence donnée des quantiemes des deux termes ; ensuite on aura le premier terme par celle de p, en y substituant à d celui qu'on voudra des deux termes donnés, & à n son quantieme. Si 63 & 567 sont les troisiéme & cinquiéme termes d'une progression, l'exposant de celle-ci est = 9 = 3 ; p = 63/32 = 63/9 = 7.
Si l'on compare les deux termes extrêmes, soit avec deux autres quelconques également éloignés de l'un & de l'autre, soit avec celui du milieu quand le nombre total en est impair ; il est clair que les quatre termes comparés dans le premier cas, & les trois dans le second, sont en proportion. D'où il suit (Voyez PROPORTION) que le produit des extrêmes est égal à celui de tous autres deux termes pris à distance égale de l'un & de l'autre, & de plus au quarre du terme du milieu, quand le nombre des termes est impair.
Il est démontré (Voyez PROPORTION) qu'en toute proportion & par une suite, en toute progression géométrique, la somme des antécédens est à celle des conséquens comme celui qu'on voudra des antécédens est à son conséquent ; comme le premier terme, par exemple, est au second : mais dans une progression tous les termes sont antécédens hormis le dernier (p mn - 1) ; tous sont conséquens hormis le premier (p) : nommant donc s la somme de tous les termes de la progression, la somme des antécédens peut être représentée par (s - p m n - 1), & celle des conséquens par (s - p) ; on a donc s - p m n - 1. s - p : : p. p m : : 1. m. Donc s m - p m n = s - p ; ou bien s m - s = p m n - p ; ou bien encore s = . Et c'est en effet l'expression genérale de la somme de toute progression géométrique : ce qu'on pourroit encore prouver de cette maniere.
Si l'on suppose p = 1, la formule () se réduit à = . Mais il a été démontré (art. EXPOSANT sur la fin) 1°. que donne toûjours un quotient exact ; 2°. que ce quotient est formé de termes qui ont tous le signe +, & qui sont par ordre les puissances successives & décroissantes de m, depuis & y compris m (n - 1) jusqu'à m° inclusivement, c'est-à-dire dans un ordre renversé (ce qui ne fait rien à la somme) la progression qui a n pour nombre de ses termes, 1 pour premier terme, & m pour exposant. Sa somme est donc exactement représentée par , & par conséquent celle de toute autre progression qui auroit pour premier terme un nombre quelconque p, le sera pareillement par .
La supposition qu'on vient de faire de p = 1 rend plus simple l'expression de la progression ; elle devient (1. m. m2. m3. &c.) ou (m0. m1. m2. m3. &c.) en sorte qu'il n'y entre plus qu'une seule lettre, qui est l'exposant de la progression, à laquelle p, pris pour un nombre différent de m, n'est point essentiel... La suite des nombres naturels (0. 1. 2. 3. &c.) se retrouve donc encore ici : mais au lieu qu'ils étoient les coëfficiens de m dans la progression arithmetique, ils sont ici les exposans de ses puissances.
Si m = 1, il n'y a point de progression, mais une suite de termes tous égaux ; car 1 élevé à quelque puissance que ce soit, restant toujours 1, & 1 ne changeant point les grandeurs qu'il multiplie, les termes de la progression prétendue ne seroient tous que le premier répété.
Si m > 1, la progression est croissante.
Si m < 1, la progression est décroissante ; mais pour la rendre croissante, il n'y a qu'à la renverser.
Quant aux signes qui affectent les termes d'une progression géométrique, voici à quoi tout se réduit.
Quand m est positif, tous les termes ont le même signe, qui est celui de p.
Quand m est négatif, les signes sont alternatifs ; desorte que le signe de p détermine celui des termes impairs.
On voit que pour avoir la somme d'une progression de cette derniere espece, il la faut concevoir résolue en deux autres, formées, l'une des termes positifs, l'autre des négatifs, & qui ayent pour exposant commun non plus simplement m, mais son quarré m 2. On fera séparément la somme de chacune de ces progressions, & leur différence sera la somme de la progression entiere. Elle aura le signe du dernier terme, si la progression est croissante ; & celui du premier, si elle est décroissante.
Si (m0) est l'origine d'une progression croissante vers la droite, il peut l'être également d'une décroissante vers la gauche, où ses exposans seront négatifs, m-1. m-2. &c. Toute progression géométrique comme arithmétique, peut donc se concevoir divisée en deux branches, l'une croissante, l'autre décroissante depuis p, qui s'étendent en sens contraire, & toutes deux se perdent dans l'infini. Ou, si l'on veut, ce n'en sera qu'une seule, croissante, ou décroissante dans tout son cours, selon le côté duquel on voudra la prendre, mais qui n'a ni commencement ni fin.
En toute progression géométrique on peut considérer cinq principaux élémens.
Or de ces cinq élémens, trois pris comme on voudra étant connus, on connoît les deux autres ; ce qui forme dix cas, pour chacun desquels on trouvera par ordre dans la table suivante la valeur des deux inconnues. On y a exprimé n par les logarithmes, parce qu'il est toujours plus commode & quelquefois nécessaire d'y avoir recours.
Toutes les questions qui appartiennent à la progression géométrique sont résolues d'avance par quelqu'une de ces formules ; nous allons en faire l'application à quelques exemples choisis propres à procurer les éclaircissemens nécessaires.
Exemple I. Entre deux nombres donnés p & d, trouver un nombre quelconque r de moyens proportionnels géométriques.
On connoît directement les premier & dernier termes de la progression supposée, & indirectement le nombre des termes (r + 2.). La question se rapporte donc au second article de la table, où l'on trouve m = d/p = d/p : or l'exposant trouvé, le reste suit.
Que ce soit entre 2 & 54 qu'on demande deux moyens proportionnels ; m = 54/2 = 27 = 3. Et la progression est 2. 6. 18. 54.
Exemple II. Un barril est rempli d'un nombre c de pots de vin ; chaque jour un valet fripon en tire un pot par la clé, qu'il remplace d'un pot d'eau qu'il verse par le bondon : on demande combien, au bout d'un nombre n de jours, il restera de vin dans le barril.
Après le premier jour, la quantité de vin restante est... c - 1.
après le 2d. c - 1 - = = c - 1 x .
après le 3e. - = = c - 1 x .
On voit, sans qu'il soit besoin de pousser plus loin l'induction, qu'il regne ici une progression géométrique, où l'on connoît p (c - 1), m (), & n : ce qui ramene la question au 4e article de la table. On y trouve le dernier terme (duquel seul il s'agit ici) ou d = p m n-1 = c - 1 x =
Si l'on suppose c = 20, & n = 4 ; la quantité de vin restante dans le barril à la fin du quatrieme jour, sera 194/203 = 130321/8000 = 16 + 2321/8000.
c restant le même, si l'on demandoit combien il faudroit répéter de fois ce manége, pour qu'il se trouvât dans le barril précisément autant d'eau que de vin, c'est-à-dire dix pots de l'une & dix pots de l'autre.
Alors on connoîtroit p (19), d (10), & m (19/20). La question se résoudroit donc par le premier article de la table, & l'on trouveroit n = + 1 = + 1 = -2787536/-222764 + 1 = 13 + 114368/222764 ; c'est-à-dire que du 14e pot il ne faudroit prendre (soit pour le vin qu'on tire, soit pour l'eau dont on le remplace) que la partie indiquée par la fraction.
Exemple III. Trouver la somme de la progression infinie (a/b. a/b2. a/b3. &c.) on suppose a < b.
Les trois élémens connus sont ici p (a/b), m (1/b), & n () ; ce qui ramene la question au quatrieme cas de la table.... m étant une fraction plus petite que l'unité, rend la progression décroissante : mais on sait que pour la rendre croissante il n'y a qu'à la renverser ; ou plutôt il n'y a qu'à renverser la formule même qui donne la valeur de s, & l'appliquer sous cette forme. Elle deviendra s = ; où il n'y a nul compte à tenir dans le numérateur du second terme (p mn) = a/b x , quantité infiniment petite, puisque c'est une grandeur finie divisée par une autre infiniment grande. Substituant donc a/b au lieu de p, & 1 - 1/b ou , au lieu de 1 - m ; on aura s = a/b = a/b x = ; c'est-à-dire qu'en géneral en toute progression ainsi conditionnée, la somme est le premier terme même, dont le dénominateur a été diminué de l'unité.
Il suit que = 1/2
= 3/4
Desorte que pour avoir une progression infinie dont la somme soit un nombre quelconque entier ou rompu c, il n'y a qu'à en choisir le premier terme (a/b), tel que = c (ce qu'on peut faire d'une infinité de manieres), & d'ailleurs prendre 1/b pour l'exposant.
Exemple IV. Pour donner une idée des accroissemens rapides que reçoit la somme d'une progression géométrique, au bout d'un nombre, même assez médiocre, de termes, en voici un exemple sur la progression double, dont la marche est une des plus lentes : il est tiré, quant à l'historique, de la Mathématique universelle du P. Castel.
L'inventeur du jeu des échecs (y est-il raconté plus au long) fut pressé par son roi qu'il avoit comblé de gloire, de lui demander une récompense à son choix & proportionnée à la beauté de sa découverte. Après s'en être défendu long-tems, il se fit apporter un échiquier, & le montrant au prince : ordonnez, seigneur, lui dit-il, qu'il me soit délivré un grain de blé pour la premiere case, deux pour la seconde, quatre pour la troisieme, & ainsi de suite en doublant toujours jusqu'à la soixante-quatrieme. La demande au premier coup-d'oeil pourra paroître très-modeste, & le roi lui-même en jugea ainsi : mais après un plus mûr examen, il se trouva qu'elle excédoit de beaucoup ses facultés & celles des plus opulens monarques. Le calcul suivant en fournit la preuve.
1°. Suivant ce qui a été dit plus haut, la somme de toute progression est : mais comme ici p = 1 & m = 2 ; p mn n'est que mn, & le dénominateur m - 1 = 2 - 1 = 1 peut être négligé. On a donc s = mn - 1 = 264 - 1 = 18. 446. 744. 073709. 551. 615.
2°. On s'est assûré qu'une petite marque d'un pouce cubique contient au plus 450 grains de froment. Il y a 1728 de ces mesures dans un pié cubique, qui fait le boisseau de plusieurs endroits & trois fois celui de Paris : le boisseau triple de celui de Paris contient donc 1728 x 450, ou 777600 grains.
3°. Supposons une enceinte quarrée d'une lieue de tour (à 14400 piés la lieue) convertie en grenier, & que le blé y soit entassé à la hauteur de 20 piés ; chaque côté de l'enceinte sera de 3600 piés, son aire de 3600 x 3600 = 12960000 piés quarrés, qui multipliés par la hauteur 20 donneront 259200000 piés cubiques ou boisseaux, pour la contenance d'un pareil grenier. Mais chaque boisseau contient lui-même 777600 grains : le nombre des grains nécessaires pour remplir le grenier supposé est donc 259200000 x 777600, ou 201553920000000.
Il n'y a plus qu'à diviser le premier nombre 184 &c. par ce dernier ; le quotient fera connoître combien de pareils greniers seroient nécessaires pour contenir les grains en question. Or ce quotient est 91522, avec une fraction qu'on néglige ici, mais qui évaluée seroit plus que suffisante pour faire la fortune de six mille honnêtes familles.
Qui voudroit apprécier en argent cette énorme quantité de blé, trouveroit, à ne mettre le boisseau (tel même que nous l'avons supposé) qu'à 2 liv. de notre monnoye, que le prix de chaque grenier seroit 518.400.000 liv. & comme il y en a 91522, ces deux nombres multipliés l'un par l'autre donneroient 47.445.004.800.000 liv. somme exorbitante & telle que les trésors reunis de tous les potentats du monde connu seroient éloignés d'y atteindre. Article de M. RALLIER DES OURMES.
PROGRESSION DES ANIMAUX, (Physiq.) la progression est ce transport par lequel les animaux passent d'un lieu à un autre, au moyen du mouvement qu'ils donnent à des parties différentes de leurs corps destinées à cet usage. Il y a plusieurs especes de progressions dont les principales sont le marcher, le voler, & le nager.
1°. Le roulement dans les huitres ; 2°. le traînement dans les limaçons, les vers de terre, les sangsues, &c. 3°. le rampement dans les serpens, 4°. l'attraction dans les polypes & dans les séches, sont des progressions différentes de celles du marcher des quadrupedes, ou plutôt ne sont pas proprement des progressions.
En effet, le mouvement par lequel les huitres détachées des rochers, & les autres animaux enfermés dans des coquilles, sont transportés d'un lieu à un autre, n'est qu'un roulement causé par les vagues de l'eau qui les pousse.
L'allure du traînement des limaçons, des vers de terre, &c. est un mouvement qui n'est guere plus composé que celui des huitres dans son principe, quoiqu'il ait un effet plus diversifié.
Le rampement des serpens n'est différent de celui des vers de terre, qu'en ce que leur corps ne rentre pas en lui-même, mais qu'il plie pour se raccourcir.
L'allure des polypes se fait par des bras, qui s'attachent par le moyen de certaines parties qui leur tiennent lieu d'ongles.
Les animaux terrestres ont une progression plus parfaite & plus commode, parce qu'elle les fait tourner plus aisément & plus promtement de tous les côtés. Les instrumens qui y servent, qui sont les piés, ont aussi une structure beaucoup plus composée ; les ongles entr'autres y ont beaucoup de part, car ils servent pour affermir leurs piés & empêcher qu'ils ne glissent ; les élans qui les ont fort durs, courent aisément sur la glace sans glisser.
Leurs piés ne servent pas seulement pour marcher, mais aussi pour grimper, pour prendre la nourriture, pour travailler à leurs habitations ou à des ouvrages, comme les mouches à miel à bâtir leurs cellules.
Enfin les animaux qui ont quatre piés s'en servent encore pour nager ; la plûpart ne les remuent point d'autre maniere pour nager que pour marcher, & ce mouvement des piés soutient tout l'animal, par la raison que le pli qu'ils leur font faire en le levant, est cause qu'ils ne rencontrent pas tant d'eau que quand ils les rabaissent, parce qu'alors ils sont plus étendus. Les animaux qui ont des peaux entre les ongles des piés, comme le castor & la loutre, frappent l'eau en abaissant les piés d'une maniere encore plus avantageuse pour soutenir leur corps sur l'eau, parce qu'ils les écartent & les élargissent, lorsqu'ils les abaissent, & qu'ils les resserrent & les étrécissent quand ils les relevent. Voyez NAGER.
Aristote nous a laissé un livre , ou sur le mouvement progressif des animaux. Petrus Alcyonius, Petrus de Alvernia, & Proculus y ont ajouté leurs commentaires. Franç. Bonanici a composé dix livres sur le même sujet ; ils ont été publiés à Florence en 1591, in-fol. D'autres ont encore traité cette matiere ; mais le livre qui mérite le plus d'être lû, c'est celui de Joh. Alph. Borelli, de motu animalium. Il a paru à Rome en 1680, in - 4°. Lugd. Batav. 1710, & finalement à Naples en 1734, même format. Quant à la progression des insectes, nous en ferons un article séparé. (D.J.)
PROGRESSION DES INSECTES, (Hist. nat. des Ins.) la progression ou le mouvement progressif des insectes, est le transport de ces especes d'animaux d'un lieu à l'autre, soit dans l'eau, sur terre, ou dans l'air pour leurs divers besoins.
Cette grande variété qu'on remarque dans le mouvement des différens animaux, a paru mériter l'attention de plusieurs savans, mais ils n'ont pas assez approfondi les mouvemens progressifs des insectes, & cependant ce sujet n'étoit pas indigne de leurs regards.
La progression des insectes est variée suivant l'élément qu'ils habitent. Autre est la maniere dont se meuvent ceux qui vivent dans l'eau ; autre est la maniere de ceux qui vivent sur la terre, & de ceux qui voltigent dans l'air. De plus chaque espece a un mouvement qui lui est propre, soit dans l'eau, soit sur terre, soit dans l'air.
De la progression des insectes aquatiques. Les insectes aquatiques ne sont point bornés à un seul genre de mouvement progressif. Grand nombre marchent, nagent, & volent ; d'autres marchent & nagent ; d'autres n'ont qu'un de ces deux moyens de s'avancer. De ceux qui nagent la plûpart nagent sur le ventre, & quelques-uns sur le dos. Pour nager plus vîte, il y en a qui ont la faculté de se remplir d'eau, & de la jetter avec force par la partie postérieure, ce qui les pousse en avant par un effet semblable à celui qui repousse l'éolipile, ou fait voler une fusée ; d'autres ont les jambes postérieures longues & faites en forme de rames, dont ils imitent les mouvemens.
De ceux qui marchent dans l'eau, il y en a qui marchent sur le ventre, d'autres sur le côté, & d'autres sur la tête & la queue. Les insectes de cette derniere sorte n'ont pas des jambes, ils ont un empatement à chaque extrêmité du corps qui leur sert de pié, & par lequel ils savent s'attacher avec une force inconcevable aux corps où ils veulent se tenir. Quelques especes de ce genre ont la faculté de s'allonger & de se raccourcir à un point qui passe l'imagination, ce qui leur fait faire des pas d'une longueur demesurée.
Plusieurs insectes aquatiques, à proprement parler, ne marchent ni ne nagent ; mais par un ondoyement progressif de dessous leur corps, ils savent s'en procurer l'effet. Il y en a même qui sans qu'on puisse en aucune maniere s'appercevoir qu'ils fassent le moindre mouvement extérieur, glissent dans l'eau en tout sens & assez vîte ; plusieurs de ceux-ci sont des protées, qui changent pour ainsi dire de forme quand il leur plaît, & en revêtent quelquefois de si bisarres, qu'à moins que de les connoître on ne les prendroit jamais pour des animaux.
Voici d'autres diversités dans le mouvement des insectes aquatiques : on en voit qui nagent dans l'eau en ligne droite, remuant leur tête alternativement du côté droit & du côté gauche, tandis qu'ils remuent constamment la queue du côté opposé à celui de la tête, gardant toujours la figure de la lettre S. Il y en a qui nagent de côté & d'autre, avançant tantôt en ligne droite, & tantôt décrivant un cercle ou quelqu'autre courbe.
Le puceron aquatique a pour sa seule part trois différentes manieres de nager. Il y a quelques insectes qui s'élancent dans l'eau de haut en bas, indifféremment, avec une rapidité prodigieuse, comme fait le grand scarabée aquatique.
On en trouve qui se meuvent avec une lenteur extrême, comme les étoiles marines, tandis que d'autres nagent si rapidement qu'on ne sauroit les suivre à la vûe. Quelques-uns s'attachent pour se reposer aux corps solides qu'ils rencontrent ; d'autres se suspendent dans l'eau même, c'est ce qu'exécute la nymphe du moucheron avec les poils de sa queue ; d'autres marchent sur la superficie de l'eau, ou attachent les fourreaux dans lesquels ils logent à quelques pieces de bois, pour s'empêcher d'aller à fond ; enfin les insectes aquatiques ont non-seulement des façons de nager différentes, mais quelques-uns même réunissent toutes les différentes façons de nager.
De la progression des insectes qui vivent sur terre. On voit sur la terre des insectes qui n'ont ni piés ni aîles, & qui cependant se meuvent sans peine. Ils vont d'un lieu à un autre en serpentant par le secours des muscles de leurs anneaux, qui en se contractant rendent l'insecte plus court, & lui donnent le moyen de s'avancer, en dilatant les anneaux de la partie antérieure. On en voit qui avancent par une espece de ressort en se courbant, c'est ce que font les vers du fromage. Ils approchent leur tête de la queue, & ensuite ils s'étendent subitement comme un arc qui vient à se relâcher, ensorte qu'ils sautent beaucoup plus haut qu'ils ne sont longs. Ce qui facilite le mouvement élastique de tels insectes, est qu'ils ont à la partie antérieure, des crochets par lesquels ils s'accrochent à leur partie postérieure en faisant des efforts comme pour se redresser lorsqu'ils se sont pliés en double ; ces crochets lâchent tout-à-coup prise, & causent ces élancemens par lesquels l'insecte saute d'un lieu à un autre ; ce mouvement leur tient lieu des jambes & des muscles de la plûpart des insectes qui sautent.
Les insectes terrestres qui ont des piés ne marchent pas tous de la même maniere. Les uns vont en ligne droite, & les autres courbent leur dos ; de cette derniere classe sont les chenilles arpenteuses. Il y en a qui courent de côté ; & dans ce rang sont les poux aîlés des chevaux. D'autres tournent en cercle, de maniere que leur corps en tournant demeure à-peu-près toujours également éloigné du centre ; comme aux chauves-souris. Quelques-uns ne se meuvent qu'en sautillant, & sont pourvus pour cela de jambes longues & de cuisses fortes ; de ce nombre sont les tepules & les puces.
On en voit qui marchent avec une extrême célérité. M. Delisle a observé un moucheron presque invisible par sa petitesse, qui parcouroit plus de trois pouces en une demi-seconde, & faisoit dans cet espace cinq cent quarante pas ; il en faisoit par conséquent plus de mille en un de nos battemens communs d'arteres. Quelle souplesse ne faut-il pas pour remuer les pattes plus de cinq cent fois en une demi-seconde ! car les pattes de cet insecte pouvoient avoir de grandeur la quinzieme partie d'une ligne. Il faisoit donc dans l'espace d'une ligne quinze pas ou mouvemens.
On voit au-contraire d'autres insectes terrestres dont la démarche est extrêmement lente ; telle est celle de la chenille du cerfeuil ; mais le mouvement progressif de certaines orties de mer est encore bien plus lent, à peine parcourent-elles l'espace d'un pouce ou deux dans une heure.
Plusieurs de ceux dont le corps est long, s'aident à marcher par le moyen de leur partie postérieure, qu'ils recourbent sous eux, & dont ils se servent pour se pousser en avant. On en connoit qui frappent de la tête ; d'autres qui ruent du derriere ; les uns s'étendent lorsqu'ils prennent leur repos comme font la plûpart des chenilles ; les autres se recoquillent alors, comme font les serpens quand ils veulent dormir.
De la progression des insectes qui volent dans l'air. Parmi les insectes qui sont obligés de chercher leur nourriture dans l'éloignement ; les uns ont deux aîles, d'autres quatre, & d'autres de petits balanciers qui leur servent comme de contre-poids. Ces petits balanciers, ou ces petites boules, sont placées sous la partie postérieure des aîles, & elles tiennent au corps par un filet fort mince, qui sert à l'animal pour les mouvoir selon qu'il en a besoin. Chez les uns elles sont toutes nues, & chez les autres elles sont couvertes. Leur usage est de tenir le corps en équilibre ; elles sont aux insectes ce que les contre-poids sont aux danseurs de corde, & les vessies remplies d'air aux nageurs. Si on leur coupe une de ces boules, on s'apperçoit qu'ils panchent plus d'un côté que de l'autre ; & si on les leur ôte toutes deux, ils n'ont plus ce vol léger & égal qu'ils avoient auparavant, ils ne savent plus se diriger, & ils font des culbutes.
La plûpart des insectes n'ayant point de queue & de plumes comme les oiseaux, ont un vol fort inégal, & ne peuvent pas tenir leur corps en équilibre dans un élément si subtil, & qui cede aussi aisément. Swammerdam a pourtant trouvé une espece de papillons qu'il faut excepter de cette regle générale ; il a une queue à l'aide de laquelle il dirige son vol comme il veut.
Enfin parmi les insectes qui volent, les uns s'élevent dans l'air à une certaine distance de la terre, tandis que d'autres voltigent sans cesse à quelques lignes seulement de sa surface.
Réflexion sur la progression des insectes en général. Les membres de chaque insecte sont proportionnés au mouvement qu'ils doivent exécuter ; ceux qui glissent & rampent sur la terre, ont une humeur gluante dont ils sont abondamment pourvus ; ceux qui grimpent sur des corps polis, ont des petits crochets à leurs pattes ; ceux qui marchent ont des anneaux, des jambes, des piés, adaptés à leur structure, à leur grosseur, à leurs besoins. Ceux qui fendent l'eau ont des queues, des poils, des nageoires, ou un corps aigu qui leur facilite ce mouvement : tel est le pou des poissons ; lorsqu'en nageant son côté plat se présente à l'opposite de l'endroit où il veut aller, il se trouve arrêté tout court, & il est obligé de se tourner pour reprendre son chemin. D'autres insectes aquatiques qui doivent changer de forme, ont des nageoires en guise de panaches, qui tombent quand l'insecte se métamorphose ; c'est ce qui arrive aux cousins.
Il y a encore quelques insectes qui paroissent pourvus d'un si grand nombre double de membres nécessaires à leur mouvement progressif, qu'il semble qu'en en arrachant un, il leur en reste encore assez ; cependant si on en fait l'expérience, on s'apperçoit que leur mouvement est retardé, & qu'ils ont de la peine à exécuter ce qu'un moment auparavant ils faisoient avec beaucoup de facilité ; c'est ce que raconte Séba dans son Thes. rer. nat. fol. 25, tab. 24. d'un mille-pié de l'Amérique. Il y a d'autres insectes à qui la privation de ces mêmes membres ne porte aucun préjudice, tant le méchanisme du corps de ces petits animaux nous est caché : concluons.
Le mouvement progressif des insectes varié en mille façons différentes, ne peut qu'élever nos pensées vers le Créateur ; l'exécution de ce mouvement par ces petits animaux, est un trait si grand de sa puissance, que nous ne saurions le comprendre. (D.J.)
PROGRESSION, s. f. (Rhétoriq.) c'est l'amplification d'une même idée qui marche dans une ou plusieurs phrases avec un accroissement de grandeur & de force ; tel est ce morceau de l'oraison funebre de M. de Turenne par M. Fléchier.
" N'attendez pas, messieurs, que je représente ce grand homme étendu sur ses propres trophées ! que je découvre ce corps pâle & sanglant, auprès duquel fume encore la foudre qui l'a frappé ! que je fasse crier son sang comme celui d'Abel, & que j'expose à vos yeux les images de la religion & de la patrie éplorée ". Voilà trois membres d'une phrase qui font une progression ascendante d'images. Cette distribution qui sied si bien dans le style élevé, présente à l'esprit une sorte de pyramide qui a sa pointe & sa base, & forme une figure qui réunit à-la-fois la variété, la grandeur & l'unité. Cours de Belles-Lettres. (D.J.)
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PROGYMNASMATA | S. m. (Gymnastique) , nom qu'on donnoit aux exercices préparatoires que devoient faire tous ceux qui se présentoient pour disputer les prix dans les jeux olympiques. Potter, Archoeol. graec. lib. II. cap. xxij. (D.J.)
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PROHIBÉ | participe. (Jurisp.) se dit de ce qui est défendu par la loi, ou par quelqu'un qui a autorité pour le défendre. Voyez PROHIBITION. (A)
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PROHIBER | un commerce, c'est le défendre, ou empêcher qu'une marchandise n'entre dans le royaume, ou ne s'y débite. Les étoffes des Indes & toiles peintes, sont prohibées en France par plus de quarante édits, déclarations & arrêts du conseil. Dictionn. de Comm.
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PROHIBITION | S. f. (Jurisp.) signifie défense. Il y a diverses sortes de prohibitions prononcées par la loi ; les unes contre certains mariages, d'autres pour empêcher de donner certains biens, ou de les donner à certaines personnes, ou de disposer de ses biens au-delà d'une certaine quotité, ou en général d'aliéner ses biens. Voyez MARIAGE, DONATION, MINEUR, LEGS, TESTAMENT, PROPRES. (A)
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PROIE | S. f. (Gramm.) pâture des animaux ravissans & carnassiers. On dit un oiseau de proie. Les loups & les vautours vivent de proie. Il semble que la nature ait destiné les especes différentes des animaux à être la proie les unes des autres. Elles sont presque toutes la proie de l'homme, le plus vorace de tous les animaux. Il se dit au simple & au figuré. Ce conquérant a abandonné toute cette contrée en proie à ses soldats. Il est la proie d'une ambition qui le tourmente sans relâche. Le méchant est tôt ou tard en proie aux remords.
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PROJECTILE | S. m. se dit en Méchanique, d'un corps pesant, qui ayant reçu un mouvement, ou une impression suivant une direction quelconque, par quelque force externe qui lui a été imprimée, est abandonné par cette force, & laissé à lui-même pour continuer sa course. Voyez MOUVEMENT.
Telle est, par exemple, une pierre jettée avec la main ou avec une fronde, une fleche qui part d'un arc, un boulet qui part d'un canon, &c. Voyez PROJECTION.
Les Philosophes ont été fort embarrassés sur la cause de la continuation du mouvement des projectiles, c'est-à-dire sur la raison pour laquelle ils continuent à se mouvoir après que la premiere cause a cessé d'agir. Voyez MOUVEMENT & COMMUNICATION.
Les Péripatéticiens attribuent cet effet à l'air, qui étant violemment agité par le mouvement de la cause motrice, par exemple de la main ou de la fronde, & étant forcé de suivre le projectile, tandis qu'il s'accélere, doit, dès que le projectile est lâché, le presser par derriere, & le forcer à avancer, pour empêcher le vuide. Voyez VUIDE.
Les philosophes modernes ont recours pour expliquer cet effet, à un principe beaucoup plus naturel & beaucoup plus simple. Selon eux la continuation du mouvement n'est qu'une suite naturelle d'une des premieres lois de la nature, savoir que tous les corps sont indifférens au mouvement & au repos, & qu'ils doivent par conséquent rester dans celui de ces deux états où ils sont, jusqu'à ce qu'ils en soyent tirés ou détournés par quelque nouvelle cause.
M. Descartes est le premier qui ait expliqué de cette maniere la continuation du mouvement des projectiles, & en général de tous les corps auxquels on imprime du mouvement. M. Newton paroît regarder ce phénomene comme un principe d'expérience, & il ne décide point si la continuation du mouvement est fondée dans la nature du mouvement même.
Je crois avoir prouvé dans mon traité de Dynamique, que l'existence du mouvement étant une fois supposée, un mobile qui a reçu quelque impulsion, doit continuer à se mouvoir toujours uniformément & en ligne droite, tant que rien ne l'en empêche. Voyez FORCE D'INERTIE.
Quoi qu'il en soit, & quelque parti qu'on puisse prendre sur cette question, c'est un principe avoué aujourd'hui de tous les Philosophes, qu'un projectile mis en mouvement, continueroit à se mouvoir éternellement en ligne droite, & avec une vîtesse toujours uniforme, si la résistance du milieu où il se meut, & l'action de la gravité, n'altéroient son mouvement primitif.
La théorie du mouvement des projectiles, est le fondement de cette partie de l'art militaire qu'on appelle le jet des bombes ou la balistique. Voyez JET DES BOMBES & BALISTIQUE.
Loix du mouvement des projectiles. 1. Si on jette un corps pesant dans une direction perpendiculaire, il continuera à descendre ou à monter perpendiculairement ; parce que la gravité agit dans cette même direction.
2. Si on jette un corps pesant horisontalement, il doit par son mouvement décrire une parabole, dans la supposition que le milieu ne lui résiste pas.
En effet le corps est poussé à la fois suivant la ligne droite horisontale A R, Planc. méchan. fig. 46. par la force motrice, & suivant la ligne droite verticale A C, par la force de la gravité. Par conséquent tandis que le mobile parviendroit en Q, par l'action de la force motrice, il doit arriver par l'action de la gravité en quelque point M de la ligne verticale Q M ; & de même tandis qu'il parvient en q, par l'action de la force motrice, il doit arriver par l'action de la gravité en quelque point m de la ligne q m. Or le mouvement suivant A R est uniforme, donc (voyez MOUVEMENT) les espaces Q A & q A sont comme les tems employés à les parcourir ; mais les espaces Q M & q m sont comme les quarrés des tems (voyez DESCENTE), donc A Q2 : A q2 : : Q M : q m, c'est-à-dire P M2 : p m2 : : A P : a p, donc la trace du corps, ou la ligne A M m qu'il décrit lorsqu'il est jetté horisontalement, est une parabole. Voyez PARABOLE.
On croyoit il y a deux cent ans qu'un corps jetté horisontalement, par exemple, un boulet lancé par un canon, décrivoit une ligne droite tant que la force de la poudre surpasse considérablement la pesanteur du boulet, après quoi cette ligne devenoit courbe.
N. Tartaglia fut le premier qui s'apperçut de cette erreur, & qui soutint que la ligne en question étoit courbe dans toute son étendue ; mais Galilée démontra le premier que la courbe décrite par un boulet jetté horisontalement, étoit une parabole, ayant pour sommet le point où le boulet quitte le canon.
3. Si un corps pesant est jetté obliquement, soit de bas en haut, soit de haut en bas, dans un milieu sans résistance, il décrira encore une parabole. Ainsi le corps A fig. 47. étant jetté suivant A R, il décrira la parabole A M B, dont la verticale A S sera un des diametres, & le sommet de l'axe de cette parabole se trouvera au point m, qui est le point de milieu de la portion de parabole A M B, terminée par l'horisontale A B. Donc,
1°. Le parametre du diametre de la parabole A S, fig. 47. est une troisieme proportionelle à l'espace qu'un corps pesant parcourt en descendant dans un tems quelconque donné, & à la vîtesse déterminée par l'espace qu'il décriroit uniformement durant ce même tems, c'est-à-dire aux lignes A P & A Q.
2°. Comme l'espace qu'un corps pesant parcourt perpendiculairement en une seconde est de 15 1/2 piés environ ; le parametre dont il s'agit est égal au quarré de l'espace que le projectile décriroit uniformément dans une seconde, en vertu de la force motrice, ce quarré étant divisé par 15 1/12 piés.
3°. Si les vîtesses de deux projectiles sont les mêmes, les espaces décrits dans le même tems en vertu de l'action de la force motrice, seront égaux ; par conséquent les paraboles qu'ils décrivent auront le même parametre.
4°. Le parametre du diametre A S étant connu, il est facile de trouver par les propriétés de la parabole, le parametre de l'axe, dont le quart est la distance du sommet de la parabole à son foyer.
5°. La vîtesse du projectile étant donnée, on peut tracer sur le papier la parabole qu'il doit décrire.
6°. Enfin la ligne de projection A R touche la parabole en A.
4. Un projectile, en tems égaux, décrit des portions de parabole A M, M m, qui répondent à des espaces horisontaux égaux A T, T t, c'est-à-dire que dans des tems égaux il décrit dans le sens horisontal des espaces égaux.
5. La quantité ou l'amplitude A B de la courbe, c'est-à-dire la portée du jet du projectile, est au parametre du diametre A S, comme le sinus de l'angle d'élévation R A B, est à la sécante de ce même angle.
Donc, 1°. le demi-parametre est à l'amplitude A B, comme le sinus total au sinus du double de l'angle d'élévation. 2°. Le parametre de deux paraboles est le même, lorsque les projectiles qui les décrivent ont des vîtesses égales. Or dans un des cas le demi-parametre est à l'amplitude, comme le sinus total est au sinus du double de l'angle d'élévation ; & dans le second cas, le demi-parametre est aussi à l'amplitude, comme le sinus total est au sinus du double de l'angle d'élévation : donc l'amplitude dans le premier cas, est à l'amplitude dans le second, comme le sinus du double du premier angle d'élévation, est au sinus du double du second angle. Ainsi la vîtesse de projection demeurant la même, l'amplitude est comme le sinus du double de l'angle d'élévation.
6. La vîtesse du projectile demeurant la même, l'amplitude A B est la plus grande qu'il est possible, lorsque l'angle d'élévation est de 45°. & les amplitudes répondantes aux angles d'élévation également distans de 45°. sont égales.
Cette proposition est vérifiée par l'expérience, & peut aussi se démontrer en cette sorte : puisque l'amplitude est toujours comme le sinus du double de l'angle d'élévation, il s'ensuit qu'elle doit croître à mesure que ce sinus croît, & réciproquement. Or le sinus du double de 45° est le sinus de 90°, ou le sinus total qui est le plus grand de tous ; donc l'amplitude qui répond à l'angle de 45°, doit être la plus grande de toutes. De plus, le sinus de deux angles également distans de l'angle droit, par exemple de 80 & de 100°, sont égaux ; or le sinus du double des angles également éloignés de 45°, sont des sinus d'angles également éloignés de l'angle droit ; car, soit 45 + a un de ces angles, & 45 - a l'autre, les doubles seront 90 + 2 a, & 90 - 2 a ; & ces angles doubles different d'un droit, chacun de la valeur de 2 a : donc les amplitudes qui répondent à des angles également éloignés de 45°, doivent être égales. Enfin puisque le sinus total est au sinus du double de l'angle d'élévation, comme le demi-parametre est à l'amplitude, que le sinus total est égal au sinus du double de 45°, il s'ensuit que l'amplitude qui répond à 45° d'élévation, est égale au demi-parametre.
7. La plus grande amplitude étant donnée, si on veut déterminer l'amplitude pour un autre angle d'élévation, la vîtesse demeurant la même, il faudra dire : comme le sinus total est au sinus du double de l'angle d'élévation proposé, ainsi la plus grande amplitude est à l'amplitude qu'on cherche.
Ainsi, supposant que la plus grande amplitude ou portée horisontale d'un mortier soit de 6000 pas, on trouvera que la portée pour un angle de 30° sera de 5196 pas.
8. La vîtesse du projectile étant donnée, on propose de trouver la plus grande amplitude. Puisque la vîtesse du projectile est connue par l'espace qu'il parcoureroit uniformément dans un tems donné, par exemple dans une seconde, il ne faut que chercher le parametre de la parabole, comme nous l'avons enseigné ci-dessus ; car la moitié de ce parametre est l'amplitude qu'on demande.
Supposons, par exemple, la vîtesse du projectile telle qu'il puisse parcourir en une seconde 1000 piés ou 12000 pouces, si on divise 144000000, qui est le quarré de 12000, par 181, qui est la valeur de 15 1/12 piés, le quotient donnera 795580 pouces, ou 66298 piés pour le parametre de la parabole ; par conséquent l'amplitude cherchée sera de 33149 piés : ainsi tout objet qui se trouvera à une distance horisontale moindre que 33149 piés pourra être frappé par le projectile.
9. La plus grande amplitude étant donnée, on propose de trouver la vîtesse du projectile, ou l'espace qu'il parcourt uniformément dans le sens horisontal, en une seconde de tems. Puisque le double de la plus grande amplitude est le parametre de la parabole, cherchez une moyenne proportionnelle entre le double de la plus grande amplitude, & 181 pouces qui sont l'espace qu'un corps pesant décrit en une seconde, & vous aurez l'espace que le projectile parcourt uniformément dans le sens horisontal, en une seconde de tems.
Par exemple, si la plus grande amplitude est de 1000 piés ou 12000 pouces, l'espace cherché sera égal à la racine quarrée de 12000 x 181, c'est-à-dire 120 piés & 4 pouces.
10°. On demande la plus grande hauteur à laquelle un corps jetté obliquement s'élevera ; pour la trouver, coupez l'amplitude A B en deux parties égales au point t, & du point t élevez une perpendiculaire t m ; cette ligne t m sera la plus grande hauteur à laquelle s'élevera le corps jetté dans la direction A R. Si la parabole n'étoit pas tracée, alors ayant l'amplitude A B, il ne faudroit qu'élever la perpendiculaire B R, & en prendre le quart qui seroit la valeur de t m.
11°. L'amplitude A B & l'angle d'élévation étant donnés, on demande de déterminer par le calcul la plus grande hauteur à laquelle le projectile s'élevera. Si on prend A R pour sinus total, B R sera le sinus, & A B le co-sinus de l'angle d'élévation B A R ; il faudra donc dire : comme le co-sinus de l'angle d'élévation est au sinus de ce même angle, ainsi l'amplitude de A B est à un 4e nombre, dont le quart exprimera la hauteur cherchée.
Donc puisque l'on peut déterminer l'amplitude, lorsque la vîtesse & l'angle d'élévation sont donnés, il s'ensuit que par la vîtesse du projectile & par l'angle d'élévation, on peut aussi déterminer la plus grande hauteur à laquelle il doit s'élever.
12°. La hauteur de l'amplitude t m est à la huitieme partie du parametre, comme le sinus verse du double de l'angle d'élévation est au sinus total ; donc
1. Puisque le sinus total est au sinus verse du double de l'angle d'élévation dans un cas quelconque, comme la huitieme partie du parametre est à la hauteur de l'amplitude ; & que dans un autre cas quelconque, le sinus total est encore au sinus verse du double de l'angle d'élévation, comme la huitieme partie du parametre est à la hauteur de l'amplitude ; que de plus la vîtesse demeurant la même, le parametre est le même pour deux différens angles d'élévation : il s'ensuit que les hauteurs de deux amplitudes différentes sont entr'elles comme les sinus verses du double de l'angle d'élévation, qui leur répondent, la vîtesse demeurant la même : 2. il s'ensuit encore que la vîtesse demeurant la même, la hauteur de l'amplitude est en raison doublée du sinus du double de l'angle d'élévation.
13°. La distance horisontale d'un but ou objet étant donnée avec sa hauteur, ou son abaissement audessous de l'horison, & la vîtesse du projectile, trouver l'angle d'élévation qu'il faut donner au projectile pour qu'il aille frapper cet objet.
Voici le théorème que nous donne M. Wolf, & par le moyen duquel on peut résoudre le probleme dont il s'agit : soit le parametre du diametre A s = a ; I n = b (n étant supposé l'objet), A I = c, le sinus total = t, dites comme c est à 1/2 a + ainsi le sinus total t est à la tangente de l'angle d'élévation cherché R A B.
M. Halley nous a aussi donné pour résoudre ce problème, une méthode facile & abregée, qu'il a trouvée par analyse : voici cette méthode. L'angle droit L D A étant donné, fig. 48. faites D A, D F égales à la plus grande amplitude, D G = à la distance horisontale, & B D, D C = à la hauteur perpendiculaire de l'objet : tirez G B, & prenez D E qui lui soit égale ; ensuite du rayon A C & du centre E tracez un arc qui coupe la ligne A D en H, si cela se peut ; la ligne D H étant portée des deux côtés de F, donnera les points K & L, auxquels il faudra tirer les lignes G L, G K : les angles L G D, K G D seront les angles d'élévation requis pour frapper l'objet B ; mais il faut observer que si le point B est abaissé au-dessous de l'horison, la quantité de son abaissement D C = D B, doit être prise de l'autre côté de A, desorte que l'on ait AC = AD + DC ; il faut remarquer encore que si D H se trouve plus grand que F D, & qu'ainsi K tombe au-dessous de D, l'angle d'élévation K G D sera négatif, c'est-à-dire abaissé au-dessous de l'horison.
14°. Les tems des projections ou jets, qui répondent aux différens angles d'élévation, la vîtesse demeurant la même, sont entr'eux comme les sinus de ces angles.
15°. La vîtesse du projectile & l'angle d'élévation R A B étant donnés, fig. 47. on propose de trouver l'amplitude A B, la hauteur t m de l'amplitude, & de décrire la courbe A m B. Sur la ligne horisontale A B élevez une perpendiculaire A D qui marque la hauteur d'où le projectile auroit dû tomber pour acquérir la vîtesse qu'il a ; sur la ligne A D décrivez un demi-cercle A Q D qui coupe la ligne de direction A R en Q ; par le point Q tirez C m parallele à A B, & faites C Q = Q m : du point m faites tomber une perpendiculaire m t à A B ; enfin par le sommet m décrivez la parabole A m B, cette parabole sera la courbe cherchée ; 4 C Q en sera l'amplitude, t m la hauteur, & 4 C D le parametre.
Donc 1°. la vîtesse du projectile étant donnée, toutes les amplitudes & leurs hauteurs sont données pour tous les degrés d'élévation ; car tirant E A, on aura pour l'angle d'élévation E A B, la hauteur A I & l'amplitude 4 I E ; de même pour l'angle d'élévation F A B, on aura la hauteur A H, & l'amplitude 4 H F. 2°. Puisque A B est perpendiculaire à A D, elle est tangente du cercle en A ; donc l'angle A D Q est égal à l'angle d'élévation R A B : conséquemment l'angle A I Q est double de l'angle d'élévation ; C Q, sinus de cet angle est le quart de l'amplitude ; & A C, hauteur de l'amplitude est égal au sinus verse du double de l'angle d'élévation.
16°. La hauteur t m du jet, ou son amplitude A B, étant données avec l'angle d'élévation, on peut trouver la vîtesse de projection, c'est-à-dire la hauteur A B d'où le projectile devroit tomber pour avoir cette vîtesse. En effet, puisque A C - t m est le sinus verse, que C Q = 1/4 A B est le sinus du double de l'angle d'élévation A I Q ; on trouvera aisément le diametre A D, en cherchant une quatrieme proportionnelle au sinus du double de l'angle d'élévation, au sinus total & au quart de l'amplitude ; car cette quatriéme proportionnelle étant doublée donnera le diametre A D qu'on cherche.
Voilà les principaux théorèmes par lesquels on détermine le mouvement des projectiles dans un milieu non résistant. M. de Maupertuis, dans les mém. de l'acad. 1732, nous a donné un moyen d'abréger beaucoup cette théorie, & de renfermer dans une page toute la balistique, c'est-à-dire la théorie du mouvement des projectiles. Voyez BALISTIQUE.
On peut déduire assez aisément des formules données dans ce mémoire les propositions énoncées dans cet article ; on peut aussi avoir recours, si on le juge à propos, au second volume de l'analyse démontrée du P. Reynau, & au cours de Mathématiques de Wolf.
Au reste, ces regles sur le mouvement des projectiles sont fort altérées par la résistance de l'air, dont nous avons fait abstraction jusqu'ici, les Géometres se sont appliqués à cette derniere recherche pour déterminer les lois du jet des bombes, en ayant égard à la résistance de l'air. On peut voir entr'autres un savant mémoire de M. Euler sur ce sujet dans les mém. de l'acad. de Berlin de 1753. Mais il faut avouer franchement que la pratique a tiré jusqu'ici peu d'avantage de ces sublimes spéculations. Quelques expériences grossieres, & une pratique qui ne l'est guere moins, ont jusqu'à présent guidé les Artilleurs sur ce sujet. Wolf & Chambers. (O)
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PROJECTION | S. f. signifie, en Méchanique, l'action d'imprimer du mouvement à un projectile. Voyez PROJECTILE & TRAJECTOIRE.
Si la force qui met le projectile en mouvement a une direction perpendiculaire à l'horison, on dit que la projection est perpendiculaire : si la direction de la force est parallele à l'horison, on dit que la projection est horisontale : enfin, si la direction de force fait un angle oblique avec l'horison, la projection est oblique.
L'angle R A B (Pl. Méchanique, fig. 47.) que fait la ligne de projection avec l'horison, est appellé angle d'élevation du projectile.
Projection, en terme de perspective, signifie la représentation ou l'apparence d'un objet sur le plan perspectif, ou le tableau. Voyez PLAN.
Par exemple, la projection d'un point A (fig. 1. Pl. Perspect.) est un point a, où le plan du tableau est coupé par le rayon visuel qui va du point A à l'oeil. Par cette définition, on peut entendre aisément ce que c'est que la projection d'une ligne, d'une surface ou d'un solide. Voyez PERSPECTIVE.
Projection de la sphere sur un plan, est une représentation des différens points de la surface de la sphere, & des cercles qui y sont décrits, telle qu'elle doit paroître à un oeil placé à une certaine distance, & qui verroit la sphere au-travers d'un plan transparent, sur lequel il en rapporteroit tous les points. Voyez SPHERE & PLAN.
La projection de la sphere est principalement d'usage dans la construction des planispheres, & surtout des mappemondes & des cartes, qui ne sont en effet, pour la plûpart, qu'une projection des parties du globe terrestre ou celeste, differentes, selon la position de l'oeil, & celle qu'on suppose au plan de la carte par rapport au méridien, aux paralleles, en un mot aux endroits qu'on veut représenter. V. PLANISPHERE.
La projection la plus ordinaire des mappemondes est celle qu'on suppose se faire sur le plan du méridien, la sphere étant droite, & le premier méridien étant pris pour l'horison. Il y a une autre projection qui se fait sur le plan de l'équateur, dans laquelle le pole est représenté par le centre, & les méridiens par des rayons de cercle. C'est la projection de la sphere parallele. Voyez à l'article CARTE, l'application de la théorie de la projection de la sphere, à la construction des differentes sortes de cartes.
La projection de la sphere se divise ordinairement en orthographique & stéréographique.
La projection orthographique est celle où la surface de la sphere est représentée sur un plan qui la coupe par le milieu, l'oeil étant placé verticalement à une distance infinie des deux hémispheres. Voyez ORTHOGRAPHIQUE.
Lois de la projection orthographique. 1. Les rayons par lesquels l'oeil voit à une distance infinie, sont paralleles.
2. Une ligne droite perpendiculaire au plan de projection, se projette par un seul point, qui est celui où cette ligne coupe le plan de projection.
3. Une ligne droite A B ou C D (Pl. Perspect. fig. 17.) qui n'est point perpendiculaire au plan de projection, mais qui lui est parallele ou oblique, se projette par une ligne droite, E F ou G H, terminée par les perpendiculaires A F & B E, ou C G & D H.
4. La projection de la ligne A B est la plus grande qu'il est possible, quand A B est parallele au plan de projection.
5. De-là il s'ensuit évidemment, qu'une ligne parallele au plan de projection se projette par une ligne qui lui est égale ; mais que si elle est oblique au plan de projection, elle se projette par une ligne moindre qu'elle.
6. Une surface plane, comme ABCD, (fig. 18.) qui est perpendiculaire au plan de projection, se projette par une simple ligne droite ; & cette ligne droite est la ligne même A B, où elle coupe le plan de projection.
De-là il est évident que le cercle BCAD, dont le plan est élevé perpendiculairement à angle droit sur le plan de projection, & qui a son centre sur ce plan, doit se projetter par le diametre A B, qui est sa commune section avec le plan de projection.
Il est encore évident qu'un arc quelconque C c, dont le sommet répond perpendiculairement au centre du plan de projection, doit se projetter par une ligne droite O o, égale au sinus C a de cet arc ; & que son complement c A, se projette par une ligne o A, qui n'est autre chose que le sinus verse de cet arc c A.
7. Un cercle parallele au plan de projection se projette par un cercle qui lui est égal ; & un cercle oblique au plan de projection, se projette en ellipse.
La projection orthographique de la sphere a cela de commode, surtout lorsqu'on la fait sur le plan de l'équateur, que l'équateur & les paralleles y sont représentés par des cercles concentriques qui ont un même centre commun ; & que tous les méridiens y sont représentés par des lignes droites. Au lieu que dans la projection stéréographique les méridiens & les paralleles sont représentés par des arcs de cercle, dont les centres sont fort différens, & qui ne sont point semblables entr'eux. Mais il y a cet inconvénient dans la projection orthographique, que les degrés de latitude proche de l'équateur y sont trop petits, & souvent presque imperceptibles, à moins que la carte ne soit assez grande.
La projection stéréographique est celle où la surface de la sphere est représentée sur le plan d'un de ses grands cercles, l'oeil étant supposé au pole de ce cercle. Voyez STEREOGRAPHIQUE.
Propriétés de la projection stéréographique. 1. Dans cette projection tout grand cercle passant par le centre de l'oeil se projette en ligne droite.
2. Un cercle placé perpendiculairement vis-à-vis de l'oeil, se projette par un cercle.
3. Un cercle placé obliquement par rapport à l'oeil, se projette par un autre cercle.
4. Si un grand cercle se projette sur le plan d'un autre grand cercle, son centre se trouvera sur la ligne des mesures, c'est-à-dire, sur la projection du grand cercle qui passe par l'oeil, & qui est perpendiculaire au cercle à projetter, & au plan de projection ; le centre du cercle projetté sera distant du centre du cercle primitif, ou de projection, de la quantité de la tangente de son élevation au-dessus du plan primitif ou de projection.
5. Un petit cercle se projettera par un autre cercle dont le diametre (si le cercle à projetter entoure le pole du cercle primitif) sera égal à la somme des demi-tangentes de la plus grande & de la plus petite distance au pole du cercle primitif, prises de chaque côté du centre du cercle primitif dans la ligne des mesures.
7. Si le petit cercle qu'on veut projetter n'entoure point le pole de projection, mais qu'il soit tout entier d'un même côté par rapport à ce pole, son diametre sera égal à la différence des demi-tangentes de la plus grande & de la plus petite distance au pole du cercle primitif ; ces tangentes étant prises chacune dans la ligne des mesures, du même côté du centre du cercle primitif.
6. Dans la projection stéréographique, les angles que font les cercles sur la surface de la sphere sont égaux aux angles que les lignes de leurs projections respectives font entr'elles sur le plan de projection.
Nous avons expliqué à l'article STEREOGRAPHIQUE les avantages & les inconvéniens de cette projection.
Projection de mercator. Voyez CARTE.
Projection des ombres. Voyez OMBRE. Chambers.
PROJECTION, (Chimie & Alchimie) opération chimique, qui consiste à jetter ordinairement par portions, ou à différentes reprises une matiere réduite en poudre dans un vaisseau placé sur le feu, soit que ce vaisseau contienne d'autres matieres déjà échauffées, ou que le corps même du vaisseau soit convenablement échauffé, & qu'il ne contienne point d'autres matieres.
La projection se fait ordinairement au moyen d'une cuilliere emmanchée d'un long manche ; c'est dans un creuset ou dans une cornue tubulée que se font ordinairement les projections.
Ses usages sont presque bornés aux altérations soudaines qui se font par le moyen du feu dans des matieres inflammables, & qui sont accompagnées de détonation. Voy. DETONATION, NITRE, CLISSUS.
Si l'artiste n'a en vue que le produit fixe de cette opération, comme dans la préparation de l'antimoine diaphorétique, &c. il les exécute dans un creuset. S'il veut retenir aussi leurs produits volatils, connus sous le nom de clissus, voyez CLISSUS, il les exécute dans des cornues tubulées, auxquelles est adapté un appareil convenable de récipiens.
La prétendue transmutation des métaux, la transmutation soudaine, le grand oeuvre par excellence se fait par une projection ; en jettant dans un creuset, qui contient un métal ignoble ou moins noble en belle fonte, une petite quantité d'une poudre qui est appellée par les Alchimistes poudre de projection. Voyez PIERRE PHILOSOPHALE. (b)
PROJECTION, (Géog.) on entend par projection en Géographie la courbure des méridiens, selon laquelle ces lignes se rapprochent l'une de l'autre, à mesure qu'elles s'écartent de l'équateur pour s'approcher de l'un & de l'autre des deux poles.
Ceux qui auront lu avec attention ce qui a été dit aux mots EQUATEUR, MERIDIEN & PARALLELE, n'auront pas de peine à comprendre que l'équateur est un cercle perpendiculaire à un axe, que l'on suppose passer par le centre de la terre, & par les deux poles. Par conséquent chaque point de l'équateur est à égale distance du point central de chaque pole. Donc toutes les lignes droites que l'on peut tirer de l'équateur à ce point central sont égales. Cela est exactement vrai sur un globe fait avec une extrême justesse. Il n'en est pas de même de la mappemonde & des cartes, tant générales que particulieres, pour peu qu'elles contiennent un grand pays. C'est l'usage que dans les cartes le méridien du milieu est droit. Les autres ont une inclinaison vers lui, à proportion de leur éloignement de l'équateur. L'optique demande ce changement : comme toutes ces lignes sont terminées par deux paralleles, il s'ensuit que la ligne droite, qui est celle du milieu, est plus courte que toutes celles qui sont des deux autres côtés, puisqu'elles sont courbes ; cela n'a pas besoin d'être prouvé.
Sur l'équateur, qui est de trois cent soixante degrés, il est libre de marquer chacun de ces degrés séparément, ou de ne les marquer que de dix en dix, pour ne pas faire un hémisphere trop noir & trop confus. Or que du point final de chaque dixieme degré de l'équateur, on tire une ligne jusqu'au point central du pole, il arrivera que chaque espace, enfermé entre ces lignes, sera un triangle, dont le côté commun avec l'équateur sera de dix degrés, & les deux autres côtés, chacun de nonante degrés, se termineront à un point qui est le pole, selon la supposition faite. Il y a donc depuis l'équateur jusqu'au pole une diminution progressive dans chacun de ces triangles. Ce rapprochement des deux méridiens, comme je viens de dire, est égal dans la réalité & sur le globe ; mais l'optique demande que le méridien du milieu d'une carte, étant une ligne droite, le rapprochement des autres lignes ne se fasse que par une courbure que l'oeil leur prête en cette occasion ; & c'est ce rapprochement que nous appellons ici projection. Cette projection doit être très-exacte, sans quoi la carte est très-vicieuse.
Il faut encore remarquer, que plus une carte contient de degrés de latitude, plus la projection devient sensible. Elle ne l'est presque pas dans une carte qui a moins de cinq de ces degrés. (D.J.)
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PROJECTURE | voyez SAILLIE.
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PROJET | S. m. (Morale) plan qu'on se propose de remplir ; mais il y a loin du projet à l'exécution, & plus loin encore de l'exécution au succès ; combien l'homme forme-t-il de folles entreprises !
Combien perd-il de pas,
S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire !
Si j'arrondissois mes états ;
Si je pouvois remplir mes coffres de ducats ;
Si j'apprenois l'hébreu, les sciences, l'histoire...
PROJET, DESSEIN, (Synonymes) Le projet est un plan, ou un arrangement de moyens, pour l'exécution d'un dessein : le dessein est ce qu'on veut exécuter.
On dit ordinairement des projets, qu'ils sont beaux ; des desseins, qu'ils sont grands.
La beauté des projets dépend de l'ordre & de la magnificence qu'on y remarque. La grandeur des desseins dépend de l'avantage & de la gloire qu'ils peuvent procurer ; il ne faut pas toujours se laisser éblouir par cette beauté, ni par cette grandeur ; car souvent la pratique ne s'accorde pas avec la spéculation ; l'ordre admirable d'un systême, & l'idée avantageuse qu'on s'en est formée, n'empêche pas quelquefois que les projets n'échouent, & qu'on ne se trouve dans l'impossibilité de venir à-bout de son dessein.
L'expérience de tous les siecles nous apprend que les têtes à grands desseins & les esprits féconds en beaux projets sont sujets à donner dans la chimere.
Le mot de projet se prend aussi pour la chose même qu'on veut exécuter, ainsi que celui de dessein. Mais quoique ces mots soient alors encore plus synonymes, on ne laisse pas d'y trouver une différence, qui se fait sentir à ceux qui ont le goût fin & délicat. La voici telle que l'abbé Girard a pu la développer. Il lui semble que le projet regarde alors quelque chose de plus éloigné ; & le dessein quelque chose de plus près. On fait des projets pour l'avenir : on forme des desseins pour le tems présent. Le premier est plus vague ; l'autre est plus déterminé.
Le projet d'un avare est de s'enrichir, son dessein est d'amasser. Un bon ministre d'état n'a d'autre projet que la gloire du prince & le bonheur des sujets. Un bon général d'armée a autant d'attention à cacher ses desseins, qu'à découvrir ceux de l'ennemi.
L'union de tous les états de l'Europe dans un seul corps de république, pour le gouvernement général ou la discussion des intérêts, sans rien changer néanmoins dans le gouvernement intérieur & particulier de chacun d'eux, étoit un projet digne de Henri IV. plus noble, mais peut-être aussi difficile à exécuter que le dessein de la monarchie universelle, dont l'Espagne étoit alors occupée. Synon. de l'abbé Girard.
PROJET, (Architecture) c'est une esquisse de la distribution d'un bâtiment, établie sur l'intention de la personne qui desire faire bâtir. C'est aussi un mémoire en gros de la dépense à laquelle peut monter la construction de ce bâtiment, pour prendre ses résolutions suivant le lieu, les tems & les moyens.
PROJET, s. m. (Pêche de corail) on appelle projet sur la côte de Barbarie, & sur-tout au bastion de France où se fait la pêche du corail, celui des corailleurs qui jette l'espece de filet ou de chevron avec lequel on tire le corail du fond de la mer : il a pour ses peines deux parts, de treize qu'on en fait dans chaque bateau ou barque corailliere du corail qui se pêche chaque jour.
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PROJETTER | v. act. (Gram.) former un projet. Voyez l'article PROJET. Il est rare que nous apportions une attention & une sagesse proportionnée à la difficulté & aux obstacles des choses que nous projettons. Pour une fois, où ce que nous appellons le hasard, fait manquer notre projet, il y en a cent où c'est la maladresse ; nous sommes plus souvent imprudens ou gauches, que malheureux.
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PROLATIO RERUM | (Droit romain) c'est-à-dire la suspension des affaires. Res prolatae étoient opposées à res actae, c'est-à-dire au tems où le sénat s'assembloit, & où l'on rendoit la justice. Prolatio rerum étoit la même chose que justitium indicere, suspendre les affaires.
Il y avoit deux sortes de prolatio rerum, l'une ordinaire, qui étoit le tems fixé pour les vacations, & l'autre extraordinaire, qui n'avoit lieu que dans les grandes extrêmités, dans des tems de tumulte & de guerre civile ; alors le sénat, res proferebat, ou justitium indicebat, formule qui signifie que le sénat ordonnoit que toutes les affaires civiles cessassent, & qu'on ne rendît point la justice, jusqu'à-ce que la tranquillité fut rétablie. C'est ainsi qu'il en usa, lorsqu'il apprit que César étoit entré avec son armée en Italie. Comme nous n'avons rien dans nos usages qui réponde au rerum prolatio des Romains, on ne peut le rendre en françois que fort difficilement ; mais il faut toujours savoir le sens de cette expression pour entendre les auteurs latins. (D.J.)
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PROLATION | S. f. est dans nos anciennes musiques, une maniere de déterminer la valeur des notes semi-breves sur celle de la breve, ou la valeur des minimes sur celle de la semi-breve. Cette prolation se marquoit après la clé, & quelquefois après le signe du mode (voyez MODE) par un cercle ou un demi-cercle ponctué, ou sans point, selon les regles suivantes.
Regardant toujours la division soû-triple comme la plus excellente, ils divisoient la prolation en parfaite & imparfaite ; & l'une & l'autre, en majeure & mineure, de même que pour le mode.
La prolation parfaite étoit pour la mesure ternaire, & se marquoit par un point dans un cercle quand elle étoit majeure, c'est-à-dire quand elle indiquoit le rapport de la breve à la semi-breve, ou par un point dans un demi-cercle quand elle étoit mineure, c'est-à-dire quand elle indiquoit le rapport de la semi-breve à la minime. Voyez les Pl.
La prolation imparfaite étoit pour la mesure binaire, & se marquoit comme le tems, par un simple cercle quand elle étoit majeure, ou par un demi-cercle quand elle étoit mineure. Voyez les Pl.
Depuis, on ajouta quelques autres signes à la prolation parfaite ; outre le cercle & le demi-cercle, on se servit du chiffre 3/1 pour exprimer la valeur de trois rondes ou semi-breves, pour celle de la breve ou quarrée, & du chiffre 3/2 pour exprimer la valeur de trois minimes ou blanches pour la ronde ou semi-breve. Voyez les Fig.
Aujourd'hui toutes les prolations sont abolies ; la division double l'a emporté, & il faut avoir recours à des exceptions & à des signes particuliers, pour exprimer le partage d'une note quelconque en trois autres notes égales. Voyez VALEUR DES NOTES. (S)
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PROLEGOMENES | en termes de Philologie ; observations préparatoires ou discours qu'on met à la tête d'un livre, & dans lesquels on renferme tout ce qui est nécessaire pour mettre le lecteur plus à portée d'entendre l'ouvrage & de le lire avec profit.
Ce mot vient du grec , qui est formé de , devant, & de , je parle.
L'étude de presque tous les arts & de toutes les sciences demande des instructions préliminaires appellées prolégomenes. Voyez PRELIMINAIRES.
Les prolégomenes de la Logique contiennent certaines matieres préalables dont l'intelligence est requise pour concevoir avec plus de facilité la doctrine des prédicamens ou des cathégories. V. PREDICAMENT.
Telles sont les définitions des termes communs, comme les équivoques, les univoques, &c. Voyez DEFINITION, DIVISION, &c.
On les appelle ainsi, parce qu'Aristote en a d'abord traité avant que d'en venir aux prédicamens, afin de ne point rompre le fil de son discours dans la suite.
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PROLEPSE | S. f. (Rhétor.) figure par laquelle on prévient les objections de son adversaire. Cette figure, dit Quintilien, produit un bon effet dans les plaidoyers, particulierement dans l'exorde, où c'est une espece de précaution & de justification que l'orateur juge utile à sa cause. C'est ainsi que Ciceron plaidant pour Caecilius, commence par prévenir l'étonnement où l'on pouvoit être en le voyant accuser, lui qui ne s'étoit occupé jusqu'alors qu'à défendre ceux que l'on accusoit. On prévient quelquefois les juges favorablement par la confession de sa faute, comme lorsque le même Ciceron parlant pour Rabirius, dit que sa partie lui paroît coupable d'avoir prêté de l'argent au roi Ptolomée, &c. (D.J.)
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PROLEPTIQUES | , se dit en Médecine des accidens périodiques qui anticipent d'un jour à l'autre, c'est-à-dire dans lesquels le paroxisme ou accès anticipe le tems ordinaire où il avoit coutume d'arriver. Ce qui arrive dans certaines fievres intermittentes. Voyez FIEVRE.
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PROLETAIRES | S. m. pl. (Hist. rom.) proletarii ; c'est ainsi qu'on nommoit chez les Romains la classe des plus pauvres citoyens dont les biens ne montoient pas à 1500 pieces d'argent. On les distinguoit par ce nom de ceux qui n'avoient pour ainsi dire rien, & qu'on appelloit capite censi. (D.J.)
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PROLIFIQUES | en terme de Médec. se dit de ce qui a les qualités nécessaires pour produire la génération.
Les Médecins prétendent pouvoir distinguer si la semence est prolifique ou non. Voyez SEMENCE.
PROLIFIQUES, remedes qui servent à aider la génération en excitant aux plaisirs de Vénus. On les nomme aphrodisiaques. Voyez APHRODISIAQUES.
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PROLIXITE | S. f. (Belles-Lett.) c'est le défaut d'un discours qui entre dans des détails minutieux, ou qui est long & circonstancié jusqu'à l'ennui. Voy. STYLE.
La prolixité est un vice du style opposé à la briéveté & au laconisme ; on la reproche communément à Guichardin & à Gassendi. Ces harangues directes des généraux à leurs soldats, qu'on trouve si fréquemment dans les anciens historiens, & qui ennuient par leur prolixité, sont aujourd'hui proscrites dans les meilleures histoires modernes.
Si la prolixité rend la prose trainante, elle doit encore être bannie des vers avec plus de sévérité. Là, selon M. Despreaux,
Tout ce qu'on dit de trop est fade & rebutant,
L'esprit rassasié le rejette à l'instant. Art poët. c. j.
En effet, il est une sorte de bienséance pour les paroles comme il en est une pour les habits. Une robe surchargée de pompons & de fleurs seroit ridicule. Il en est de même en Poësie d'une description trop fleurie, & dans laquelle parmi de grands traits, on rencontre des circonstances inutiles. Tel est le récit de la mort d'Hippolite dans Racine, qui n'oublie ni le triste maintien des coursiers de ce héros, ni la peinture détaillée de toutes les parties du dragon. Ce défaut est encore moins pardonnable aux grands auteurs qu'aux écrivains médiocres.
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PROLOCUTEUR | PROLOCUTEUR
L'archevêque de Cantorbéry est de droit président ou orateur de la chambre haute de la convocation. L'orateur de la chambre basse est un officier choisi par les membres de cette chambre le premier jour qu'ils s'assemblent, & approuvé par la chambre haute.
C'est le prolocuteur qui préside à toutes les affaires & à tous les débats ; c'est par lui que les résolutions, les messages, &c. sont adressés à la chambre haute ; c'est lui qui lit à la chambre toutes les propositions qu'on y fait, qui recueille les suffrages, &c.
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PROLOGIES | (Antiq. grecq. & rom.) , fête célébrée par tous les habitans de la Laconie avant que de recueillir leurs fruits. Voy. Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 427. Les Romains célébroient la même fête, antequam fructus legerint. (D.J.)
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PROLOGUE | (Belles-Lettres) dans la poësie dramatique est un discours qui précede la piece, & dans lequel on introduit tantôt un seul acteur, & tantôt plusieurs interlocuteurs.
Ce mot vient du grec , praeloquium, discours qui précede quelque chose, & il est formé de , devant, & de , discours.
L'objet du prologue chez les anciens & originairement, étoit d'apprendre aux spectateurs le sujet de la piece qu'on alloit représenter, & de les préparer à entrer plus aisément dans l'action & à en suivre le fil ; quelquefois aussi il contenoit l'apologie du poëte & une réponse aux critiques qu'on avoit faites de ses pieces précédentes. On peut s'en convaincre par l'inspection des prologues des tragédies grecques & des comédies de Térence.
Les prologues des pieces angloises roulant presque toujours sur l'apologie de l'auteur dramatique dont on va jouer la piece, l'usage du prologue est sur le théatre anglois beaucoup plus ancien que celui de l'épilogue. Voyez EPILOGUE.
Les François ont presque entierement banni le prologue de leurs pieces de théatre, à l'exception des opéra. On a cependant quelques comédies avec des prologues, telles que les caracteres de Thalie, piece de M. Fagan ; Basile & Quiterie, Esope au Parnasse, & quelque piece du théatre italien. Mais en général il n'y a que les opéra qui aient conservé constamment le prologue.
Le sujet du prologue des opéra est presque toujours détaché de la piece ; souvent il n'a pas avec elle la moindre ombre de liaison. La plûpart des prologues des opéra de Quinault sont à la louange de Louis XIV. On regarde cependant comme les meilleurs prologues ceux qui ont du rapport à la piece qu'ils précedent, quoiqu'ils n'aient pas le même sujet ; tel est celui d'Amadis de Gaule. Il y a des prologues qui sans avoir de rapport à la piece, ont cependant un mérite particulier par la convenance qu'ils ont au tems où elle a été représentée. Telle est le prologue d'Hésione, opéra qui fut donné en 1700 ; le sujet de ce prologue est la célébration des jeux séculaires.
Dans l'ancien théatre on appelloit prologue l'acteur qui récitoit le prologue ; cet acteur étoit regardé comme un des personnages de la piece, où il ne paroissoit pourtant qu'avec ce caractere ; ainsi dans l'Amphitrion de Plaute, Mercure fait le prologue ; mais comme il fait aussi dans la comédie un des principaux rôles, les critiques ont pensé que c'étoit une exception de la regle générale.
Le prologue faisoit donc chez les anciens une partie de la piece, quoique ce ne fût qu'une partie accessoire ; au lieu que chez les Anglois, il n'en fait nullement partie ; c'est un tout absolument séparé & distingué. Chez les anciens la piece commençoit dès le prologue ; chez les Anglois, elle ne commence que quand le prologue est fini. C'est pour cela qu'au théatre anglois la toile ne se leve qu'après le prologue, au lieu qu'au théatre des anciens elle devoit se lever auparavant. Chez les Anglois ce n'est point un personnage de la piece : c'est l'auteur même qui est censé adresser la parole aux spectateurs ; au contraire celui que les anciens nommoient prologue étoit censé parler à des personnes présentes à l'action même, & avoit au moins pour le prologue un caractere dramatique. Les anciens distinguoient trois sortes de prologues ; l'un qu'ils nommoient , dans lequel le poëte exposoit le sujet de la piece ; l'autre appellé , où le poëte imploroit l'indulgence du public ou pour son ouvrage ou pour lui-même ; enfin le troisieme, , où il répondoit aux objections. Donat ajoute une quatrieme espece dans laquelle entroit quelque chose de toutes les trois autres, & qu'il appelle par cette raison, prologue mixte, . Voss. instit. poet. lib. II. cap. xxvj.
Ils distinguoient encore les prologues en deux especes ; l'une où l'on n'introduisoit qu'un seul personnage, ; l'autre où deux acteurs dialoguoient, . On trouve de l'une & de l'autre des exemples dans Plaute. Idem ibid.
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PROLONGE | S. f. dans l'Artillerie, est un cordage qui sert à tirer le canon en retraite, & quand une piece est embombée.
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PROLONGEMENT | S. f. signifie dans l'Anatomie, la continuation de quelques parties, ou une avance qu'elle fait, & qu'on appelle processus. Voyez AVANCE.
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PROLONGER | v. act. en terme de Géométrie, signifie continuer une ligne, ou la rendre plus longue, jusqu'à-ce qu'elle ait une longueur assignée, ou de maniere qu'elle s'étende indéfinitivement. Voy. LIGNE. (E)
PROLONGER un navire, (Marine) c'est se mettre flanc à flanc, & vergue à vergue. Prolonger la sivadiere. Voyez VERGUE.
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PROLUSION | S. f. (Littérat.) terme qu'on applique quelquefois dans la littérature à certaines pieces ou compositions que fait un auteur préférablement à d'autres, pour exercer ses forces, & comme pour essayer son génie.
Le grammairien Diomede appelle le culex de Virgile & ses autres opuscules, des prolusions, parce que ces petites pieces ont été comme les essais de sa muse, & le prélude des poëmes qu'il donna par la suite. Les prolusions de Strada sont des pieces fort ingénieuses, & dont M. Huet, évêque d'Avranches, faisoit tant de cas, qu'il les savoit toutes par mémoire.
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PROM | (Géog. mod.) ville des Indes, au royaume d'Ava, sur le bord oriental de la riviere de Menankiou, autrement riviere d'Ava. Prom a été ci-devant la capitale d'un royaume particulier ; mais le roi d'Ava l'a soumise à son obéissance. Latitud. selon le P. du Chatz, jésuite, 19. 20.
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PROMACHIES | (Antiq. grecq.) , fête dans laquelle les Lacédémoniens se couronnoient de roseaux. Potter, archaeol. graec. tom. I. p. 427. (D.J.)
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PROMACHUS | (Mythol.) c'est-à-dire le défenseur ; , celui qui combat pour quelqu'un. Sous ce nom Hercule avoit un temple à Thèbes, & Mercure à Tanagre en Béotie.
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PROMALACTÉRION | (Gymnast. médicin.) ; premier appartement des bains des anciens. C'étoit-là qu'on préparoit le corps par des frictions, des onguens pour faire tomber le poil, des parfums, & autres drogues convenables, avant que d'entrer dans le bain. (D.J.)
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PROMALANGES | (Littérat.) nom d'une ou de plusieurs familles employées dans l'île de Cypre à l'une des fonctions des colaces. Ces familles étoient chargées d'informer de la vérité des rapports faits aux anactes par les gergines, qui composoient l'autre corps des colaces. Les uns & les autres étoient en honneur, & avoient l'entrée dans toutes les compagnies. Athénée, l. VI. (D.J.)
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PROMENADE | PROMENOIR, (Lang. franç.) Le premier mot s'est maintenu pour signifier un lieu où l'on se promene, & le second a vieilli : on auroit dû le conserver, parce qu'il enrichissoit notre langue, & que du tems de Louis XIV. on mettoit une différence entre ces deux mots tirée des choses même. Promenade désignoit quelque chose de plus naturel ; promenoir tenoit plus de l'art. De belles promenades étoient, par exemple, des plaines ou des prairies ; de beaux promenoirs étoient des lieux plantés selon les alignemens de l'art. Le cours de la Reine s'appelloit un beau promenoir, & la plaine de Grenelle une belle promenade. (D.J.)
PROMENADE à pié, (Médec.) exercice modéré, composé du mouvement alternatif des jambes & des piés, par lequel on se transporte doucement & par récréation d'un lieu à un autre.
A ce mouvement contribuent les articulations des cuisses, conjointement avec celles des jarrets, des talons & des orteils, ce qui rend la promenade un des exercices des plus propres à agir généralement sur tout le corps, parce que ces parties ne peuvent être agitées, que presque toutes les autres ne s'en ressentent. Il arrive de-là que la promenade ne favorise pas seulement les fonctions des extrêmités, mais celles de tous les visceres ; elle aide l'expectoration en agissant sur les poumons ; elle fortifie l'estomac par des petites secousses réitérées ; elle détache le sable des reins ; elle dissipe les humeurs catarreuses, en excitant la transpiration ; en un mot elle produit tous les bons effets qui naissent de l'exercice. Voyez EXERCICE.
La promenade est d'autant plus salutaire, qu'elle est propre à tout âge, à tout sexe, à toutes sortes de tempéramens ; mais elle est sur-tout utile aux enfans & aux vieillards. Dans les vieillards, la chaleur naturelle qui décline, & l'amas de la pituite qui les surcharge, commandent cet exercice pour animer l'un & dissiper l'autre. Dans les enfans, l'abondance des sérosités dont ils sont accablés, requiert le même secours, qui est aussi le plus proportionné à la foiblesse de leur âge. D'ailleurs il faut que les sucs destinés par la nature pour l'accroissement du corps, ne viennent pas à se vicier par la stagnation.
Les eaux minérales que l'on boit pour la guérison de tant de maladies, ne réussissent qu'à l'aide de l'exercice dont on accompagne leur usage : cet exercice est la promenade ; & on en tire de si grands secours dans cette rencontre, qu'il y a souvent lieu de douter si cette promenade n'est point la principale cause de la guérison qu'on attribue à ces eaux.
La promenade, comme tous les autres exercices, demande, pour être salutaire, d'être placée en certains tems, & ne pas passer certaines mesures. Cette mesure doit aller jusqu'à la légere apparence de la sueur, ou jusqu'au commencement de lassitude ; c'est là-dessus qu'on peut régler le repos qu'on doit prendre. Quant au tems, il est à-propos de se promener par préférence avant le repas, plutôt que d'abord après ; & pour la saison, en été avant que le soleil soit monté sur l'horison, & un peu avant son coucher ; en automne & au printems, environ une heure après le lever du soleil, & deux heures avant qu'il se couche ; en hiver sur le midi. Mais si la promenade à pié est utile, celle qui se fait en voiture rude ou à cheval, l'est encore davantage. On en a donné les raisons aux mots EXERCICE, EQUITATION, &c. (D.J.)
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PROMENER | v. act. voyez PROMENADE.
PROMENER SON CHEVAL, en terme de Manege, c'est le mener doucement au pas. Le promener sur le droit, c'est le mener droit sans lui rien demander. Promener sur les voltes, c'est la même chose que passeger sur les voltes, voyez VOLTE & PASSEGER. Promener entre les deux talons, voyez TALON. Promener en main, c'est promener un cheval sans être monté dessus.
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PROMENOIR | S. m. (Architect.) terme général qui signifie un lieu couvert ou découvert, formé par des arcades ou des colonnes, ou planté d'arbres, pour s'y promener pendant le beau tems.
Vitruve, dans son architect. liv. V. ch. jx, appelle promenoir un espace derriere la scene du théâtre, clos d'une muraille, & planté d'arbres en quinconce. (D.J.)
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PROMESSE | S. f. (Morale) La promesse est un engagement que nous contractons de faire à un autre quelqu'avantage dont nous lui donnons l'espérance. C'est par-là une sorte de bien que nous faisons en promettant, puisque l'espérance en est un des plus doux ; mais l'espérance trompée devient une affliction & une peine, & par-là nous nous rendons odieux en manquant à nos promesses.
C'étoit donc un mauvais raisonnement joint à une plus mauvaise raillerie, que celui du roi de Syracuse, Denis, à un joueur de luth. Il l'avoit entendu jouer avec un si grand plaisir, qu'il lui avoit promis une récompense considérable pour la fin du concert. Le musicien animé par la promesse, touche le luth avec une joie qui ranime en même tems son talent & son succès. Le prince, au lieu de lui donner ce qu'il avoit promis, lui dit qu'il devoit être content du plaisir d'avoir espéré la récompense, & que cela seul étoit au-dessus de ce qu'il lui pourroit donner. La plaisanterie, pour être supportable, auroit dû au-moins être suivie de la libéralité, ou plutôt de la justice qu'attendoit le musicien.
Toute promesse, quand elle est sérieuse, attire un devoir d'équité. Il est de la justice de ne tromper personne ; & la tromperie dans le manque de parole est d'autant plus injuste, qu'on étoit plus libre de ne rien promettre. Ce qui souleva davantage l'esprit des Athéniens contre Démétrius Poliorcetes, est l'offre qu'il leur fit d'accorder à chacun des citoyens la grace particuliere que le pouvoir souverain lui permettroit de faire. Il fut investi de placets, & bientôt surchargé. Comme il passoit sur un pont, il prit le parti, pour se soulager tout-à-coup, de jetter tous les placets dans la riviere, donnant à entendre qu'il n'y pouvoit suffire. La promesse effectivement ne pouvoit guere s'accomplir ; mais pourquoi avoit-il promis ?
Si avant que de donner sa parole on y pensoit, on ne seroit pas dans la suite embarrassé à la tenir ; il ne faut s'engager qu'avec circonspection, quand on veut se dégager avec facilité.
Au reste, quel est le principe des promesses vaines ou fausses ? ce n'est pas un bon coeur, comme on le suppose quelquefois, c'est la présomption d'en avoir l'apparence, & de s'en donner le relief ; c'est un air de libéralité qui n'est d'aucune dépense ; souvent c'est l'envie de gagner les esprits, sans penser à le mériter : mais la crainte de déplaire aux autres, en leur manquant de parole, empêcheroit de la donner quand on n'est pas sûr de la pouvoir tenir ; & détermineroit à la tenir infailliblement quand on en a le pouvoir. C'est une chose indispensable, non-seulement dans les choses importantes, mais encore dans les plus légeres ; ce qui de soi n'intéressoit pas, intéresse par l'attente qu'on en a fait naître.
Cependant pour ne pas pousser l'obligation audelà des bornes, il est à-propos d'observer certaines circonstances. Il est certain d'abord que dans les choses de la vie on ne veut point en promettant s'engager à des difficultés plus grandes que celles qui sont communément attachées à la chose promise ; quand ces difficultés augmentent, ou qu'il en survient de particulieres, on n'a pas prétendu s'engager à les surmonter, comme on n'a pu raisonnablement ne les pas prévoir. Ce doit être néanmoins un motif de circonspection, pour ne pas aisément promettre : mais ce doit être une raison pour dispenser de l'exécution.
D'ailleurs ce qu'on appelle communément promesse, n'est souvent qu'un desir, une disposition, un projet actuel de celui qui parle, & qui semble promettre. Il a la pensée, la volonté même d'effectuer ce qu'il dit, mais il n'a ni la pensée, ni la volonté de s'y engager. Le terme de promettre dont il se sert, équivaut à celui de prendre la résolution ou le dessein : on ne laisse pas d'être blâmable d'y manquer ; mais c'est moins à un autre qu'à soi-même qu'on en est responsable, puisque c'est plutôt inconsidération ou nonchalance que l'on doit se reprocher, qu'une infidélité ou une injustice. Ainsi au même tems que les autres doivent nous passer ces fautes, comme n'étant point soumises à leurs droits particuliers, nous ne devons pas nous les pardonner à nous-mêmes, étant contraires à notre devoir & aux regles d'une exacte sagesse.
La réflexion auroit lieu sur-tout si la faute devenoit habituelle ; quand elle est fortuite, elle est excusable. Ce seroit être peu sociable de trouver étrange que d'autres à notre égard se laissassent échapper quelqu'inattention.
Nous avons déja observé que des regles sont pour une promesse sérieuse. S'il s'agissoit, comme il arrive souvent, de ce qu'on promet en plaisantant, ou en donnant à entendre qu'on le fait seulement pour se tirer d'embarras, ce qui n'est pas sérieux n'étant pas un engagement, ne sauroit être aussi une véritable promesse ; & ceux qui la prendroient pour telle, manqueroient d'usage dans les choses de la vie.
Pour réduire en deux mots ce que nous avons dit sur le sujet des promesses, évitons deux défauts ou inconvéniens ; trop de liberté à exiger des promesses, & trop de facilité à les faire : l'un & l'autre vient de foiblesse dans l'esprit. Les personnes qui aiment à se faire promettre, sont les mêmes qui sont accoutumés à demander, à souhaiter, à sentir des besoins, & en avoir de toutes les sortes. Rien n'est plus opposé à la vraie sagesse & à notre propre repos. Tous les besoins sont des desirs, & par conséquent des miseres : retranchons-les, nous n'aurons presque jamais rien à attendre des autres pour nous le faire promettre ; nous en serons beaucoup plus indépendans, & eux moins importunés.
D'un autre côté, ceux qui promettent si aisément, sont disposés à donner sans trop savoir pourquoi. Si c'étoit en eux une vraie libéralité, elle seroit attentive ; car donner pour donner, sans regle, sans mesure, sans motif, ce n'est pas vertu, c'est fantaisie, ou envie de se faire valoir par la promesse. L'expérience fait voir que les gens si promts à donner ou à faire des promesses à quoi ils ne sont point obligés, sont les moins exacts à rendre ou à payer ce qu'ils doivent par une obligation étroite.
PROMESSE, (Jurisp.) Il y a des promesses verbales, & d'autres par écrit.
Chez les Romains les promesses verbales n'étoient obligatoires que quand elles étoient revêtues de la solemnité de certaines paroles ; mais parmi nous toutes promesses verbales en quelques termes qu'elles soient contractées, sont valables, pourvu qu'elles soient avouées, & que l'on en ait la preuve par témoins, & que ce soit pour sommes qui n'excedent pas 100 livres, sauf néanmoins les cas où la preuve par témoins est admissible au-dessus de 100 livres, suivant l'ordonnance.
Les promesses par écrit peuvent être sous seing privé, ou devant notaire ; mais les promesses proprement dites ne s'entendent que de celles qui sont sous seing privé ; on les appelle aussi billets : au lieu que quand elles sont passées devant notaire, on les appelle obligations ou contrats, selon la forme & les clauses de l'acte.
La promesse de payer ne peut être éludée.
Il en est de même de la promesse de donner ou d'instituer faite par contrat de mariage : une telle promesse vaut donation ou institution, même en pays coutumier, où toute institution d'héritier faite par testament est nulle quant à l'effet de faire un héritier. La raison pour laquelle ces sortes de promesses sont valables, est que les contrats de mariage sont susceptibles de toutes sortes de clauses qui ne sont pas contraires au droit public ni aux bonnes moeurs. Voyez DONATION & INSTITUTION CONTRACTUELLE, CONTRAT DE MARIAGE.
Mais il n'en est pas de la promesse de faire quelque chose, comme de la promesse de payer. La promesse de faire quelque chose se résout en dommages & intérêts, lorsque celui qui l'a faite ne veut pas la tenir.
Ainsi la promesse de vendre ou de louer, lorsqu'elle est indéterminée, n'est point une vente ni une location, & se résout en dommages & intérêts.
Pour que la promesse de vendre vaille une vente, il faut que quatre circonstances concourent ; qu'elle soit rédigée par écrit, & qu'il y ait res, pretium & consensus ; car en ce cas la vente est parfaite, & la promesse de passer contrat n'a d'autre objet que de procurer l'hypotheque & l'exécution parée.
Les promesses causées pour valeur en argent, sont nulles, à-moins que le corps du billet ne soit écrit de la main de celui qui l'a signé, ou du-moins que la somme portée au billet ne soit reconnue par une approbation écrite en toutes lettres aussi de sa main. La déclaration du 22 Septembre 1733, qui l'a ainsi ordonné, excepte néanmoins les promesses faites par des banquiers, négocians, marchands, manufacturiers, artisans, fermiers, laboureurs, vignerons, manouvriers, & autres de pareille qualité.
Une promesse de passer contrat de constitution, & cependant de payer l'intérêt du principal, est valable. Elle ne differe du contrat même qu'en ce qu'elle ne produit pas hypotheque, & n'est point exécutoire jusqu'à-ce qu'elle soit reconnue en justice ou par-devant notaire. Si celui qui a promis de passer contrat refuse de le faire, on peut obtenir contre lui sentence, laquelle vaut contrat.
Les auteurs qui ont traité de l'effet des diverses sortes de promesses, sont Dumolin sur Paris, article 78 ; Henrys, tome I. liv. IV. ch. vj. quest. 40 ; Bardet, tome I. liv. II. ch. xxxj. &c ; Boniface, tome II. liv. IV. titre I. ch. j ; Basset, tom. I. liv. IV. titre XII. ch. j ; Brillon, verbo bail.
Par rapport aux promesses de mariage, & singulierement pour les promesses par paroles de présent, il faut voir ce qui en a été dit aux mots EMPECHEMENT, MARIAGE, OFFICIAL, PAROLES DE PRESENT.
Sur les promesses de passer une lettre-de-change, de faire ratifier quelqu'un, de fournir & faire valoir, voyez CHANGE, LETTRES DE CHANGE, RATIFICATION, FOURNIR & FAIRE VALOIR. Voyez aussi les mots BILLET, CONTRAT, ENGAGEMENT, OBLIGATION. (A)
PROMESSE, (Critiq. sacrée) ; ce mot dans le vieux Testament se dit quelquefois pour voeu. Si une femme fait un voeu, & que son mari n'y consente pas, elle ne sera pas tenue à sa promesse ; c'est-à-dire à son voeu, Nomb. xxx. 13. Promesse dans le nouveau Testament désigne en général la vie éternelle, qui est l'objet de l'espérance du chrétien, Hébreux, x. 36.
Les enfans de la promesse, sont les Israëlites descendus d'Isaac, les juifs convertis, & les chrétiens : Galat. iv. 28.
L'Esprit saint de la promesse, c'est Dieu lui-même, qui a promis le salut à tous ceux qui croiront en lui, & qui suivront ses commandemens ; Ephes. j. 13. (D.J.)
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PROMETHÉE | S. m. (Astronom.) nom que les anciens astronomes donnoient à une constellation de l'hémisphere boréal que les modernes appellent hercules. Voyez HERCULES.
PROMETHEE, (Mythol.) fils de Japet & de la belle Climene, une des océanides, selon Hésiode, ou de Thémise, selon Eschyle : il fut le premier, dit la fable, qui forma l'homme du limon de la terre, on sait le reste de la fable sur son compte : en voici l'explication, selon les mythologues.
Cet homme formé par Promethée, étoit une statue qu'il sçut faire avec de l'argille : il fut le premier qui enseigna aux hommes la statuaire. Promethée étant de la famille des Titans, eut part à la persécution que Jupiter leur fit : il fut obligé de se retirer dans la Scythie, où est le mont Caucase, d'où il n'osa sortir pendant le regne de Jupiter. Le chagrin de mener une vie misérable dans un pays sauvage, est le vautour qui lui dévoroit le foie ; ou bien ce vautour ne seroit-il point une image vivante des profondes & pénibles méditations d'un philosophe ? Les habitans de la Scythie étoient extrêmement grossiers, & vivoient sans lois & sans coutume. Promethée, prince poli & savant, leur apprit à mener une vie plus humaine ; c'est peut-être ce qui a fait dire qu'il avoit formé l'homme avec l'aide de Minerve. Enfin, ce feu qu'il emprunta du ciel, ce sont des forges qu'il établit dans la Scythie ; peut-être que Promethée, craignant de ne pas trouver du feu dans ce pays, y en apporta dans la tige d'une férule, qui est une plante fort propre à le conserver pendant plusieurs jours. Enfin Promethée, ennuyé du triste séjour de la Scythie, vint finir ses jours en Grece, où on lui rendit les honneurs divins, ou du-moins les honneurs des héros. Il avoit un autel dans l'académie même d'Athènes, & on institua en son honneur des jeux qui consistoient à courir depuis cet autel jusqu'à la ville avec des flambeaux qu'il falloit empêcher de s'éteindre.
Eschyle avoit composé trois tragédies sur Promethée ; savoir sur son vol, ses liens, & sa délivrance. Il ne nous reste que la seconde piece, dont le sujet est le supplice de Promethée, que le poëte a imaginé de représenter un peu différemment des autres. Jupiter ordonne à Vulcain d'attacher Promethée sur un rocher, pour le punir d'avoir volé le feu céleste, & d'en avoir fait part aux hommes. Vulcain obéit à regret ; il enchaîne Promethée, dont il cloue les fers au rocher, & perce avec de gros clous de diamans la poitrine même de la victime. Dans cet état le malheureux dieu, car on le suppose tel, appelle l'ether, les vents, les fontaines & la mer, la terre & le soleil à temoins de l'injustice que lui font les divinités du ciel : il déclare qu'il est l'inventeur de tous les arts, l'auteur de tout ce qu'il y a de connoissances utiles dans le monde, & cependant il n'a pas le pouvoir de se délivrer de la tyrannie de Jupiter, parce que le destin l'emporte sur toutes les puissances. Mais il sait lire dans l'avenir, & prévoit qu'il doit venir un jour un fils de Jupiter plus puissant que son pere, qui le délivrera de son tourment. Jupiter instruit de cette prophétie, envoye Mercure pour obliger Promethée de dire ce qu'il sait là-dessus ; Promethée refuse d'obéir, quand même sa délivrance seroit le prix de sa soumission. Mercure le menace que s'il résiste, il va être précipité dans les débris du rocher, & qu'il ne reverra le jour que pour livrer ses entrailles renaissantes en proie à des vautours ; Promethée demeure inflexible. Alors on entend un bruit épouvantable dans les airs, le tonnerre gronde, la terre tremble, les éclairs brillent, les vents mugissent, des monceaux de poussiere s'élevent, l'air & la mer sont confondus ; & à l'instant ce malheureux disparoît ; il est englouti dans le sein de la terre, ou enlevé dans un tourbillon : que tout ce spectacle devoit être beau ! (D.J.)
PROMETHEE, (Botan.) plante fabuleuse, mais trop célébre chez les anciens pour la passer sous silence. Voici ce qu'ils racontent de ses vertus, de son lieu natal, de sa fleur, & de sa racine.
Apollonius de Rhodes, l. III. de l'expédition des argonautes, v. 843. & suiv. dit qu'elle rendoit invulnérable. Plutarque, ou l'auteur du livre qu'on lui attribue, rapporte d'après Cléanthes, que Médée la mettoit souvent en usage. Valerius Flaccus ajoute, que cette plante étoit toujours verte, immortale virens, & qu'elle soutenoit la violence du feu sans en être endommagée : Stat flumina contra sanguis, & in mediis florescunt ignibus herbae. Si l'on en croit Properce, elle guérissoit de l'amour. Liv. I. eleg. 12.
Tous s'accordent à nous assurer que cette herbe naissoit sur la montagne où Promethée fut attaché, c'est-à-dire sur le mont Caucase. Sa fleur, suivant la description qu'en fait Apollonius de Rhodes, étoit longue d'une coudée, portée sur deux tiges, & ressembloit au crocus de Colchos, si vanté dans l'antiquité. Sa racine, continue-t-il, est rougeâtre, & jette un suc noir, tel que celui du hêtre sauvage. Enfin, Seneque & les auteurs que j'ai cités, nous font entendre que cette plante naissoit de gouttes de sang qui dégouttoient des morceaux de foie de Promethée, que le vautour emportoit. Nous ignorons d'autant plus le fondement de tous ces récits fabuleux, qu'il n'est parlé dans les naturalistes d'aucune herbe du Caucase, & que la fable de Promethée ne conduit point à la fiction poëtique d'une plante merveilleuse de son nom. (D.J.)
PROMETHEES, LES, (Antiq. grec.) , fête qu'on célébroit à Athenes, en courses avec des flambeaux ardens en l'honneur de Promethée, & en mémoire de ce qu'il avoit le premier enseigné aux hommes l'usage du feu. Potter, archaeol. graec. tom. I. pag. 427.
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PROMETTRE | v. act. (Gram.) donner des espérances ; il se dit des choses & des personnes. Cet enfant promet beaucoup ; cette chaleur promet de bons vins, voyez l'article PROMESSE. Ne promettez rien que vous ne puissiez & ne veuillez tenir. On s'embarrasse & l'on se perd par des promesses inconsidérées ; que vos manieres ne promettent rien que votre coeur ne veuille accorder. Ne vous promettez rien à vous-même qui ne soit juste.
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PROMISSION | S. f. (Gram.) il ne se dit guere que du pays que Dieu promit à Abraham & à sa postérité. De tous les Hébreux qui sortirent d'Egypte, il n'y eut que Josué & Caleb qui entrerent dans la terre de promission.
Il y a des chrétiens d'une doctrine affreuse, qui ont comparé ce monde à l'Egypte ; les Hébreux partans pour la terre promise, à la multitude de ceux qui vont à la vie éternelle, & Josué & Caleb au petit nombre de ceux à qui elle est accordée. Ou il n'y a point de doctrine impie, ou celle-là l'est ; ce n'est pas sous l'aspect d'un bon pere, mais sous celui d'un tyran inhumain qu'elle nous montre Dieu. Elle anéantit le mérite de l'incarnation & de la passion de J. C. Ce sera donc pour deux hommes que son sang aura été versé sur la terre ; tandis que cent mille se seront perdus, en unissant leurs voix, & en criant, tole, tole, crucifige.
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PROMONTOIRE | (Géogr. mod.) on appelle promontoire, en latin promontorium, une montagne accompagnée d'une pointe de terre qui avance dans la mer ; les Grecs qui trouvoient quelque ressemblance entre ces pointes élevées & la tête d'un bélier, ont nommé quelques-unes de ces pointes, crin-métopon, & les Latins à leur exemple, frons arietis ; les Espagnols disent cabo, & les Italiens capo, d'où nous avons formé le mot cap. Les Grecs disoient acra, qui signifie hauteur.
Table des principaux caps ou promontoires.
Le promontoire d'Atlas étoit autrefois appellé une pointe de terre par tous les navigateurs, parce qu'ils supposoient qu'on ne pouvoit pas le doubler, ou que si on le passoit, on ne pouvoit pas en sureté le repasser ; aussi c'étoit-là le terme de leur navigation sur la côte d'Afrique. On peut voir les autres promontoires dans les cartes.
J'ajouterai seulement que le promontoire ou cap de Roca, est nommé par les auteurs latins Atrebatum ; le cap de Saint-Vincent, sacrum promontorium ; le cap de Matapan ou Maina, qui fait la pointe de la Morée, Taenarium promontorium ; le cap de Nortkin, Autubae ; le cap de Finisterre, Celticum, ou Nerium promontorium, &c. (D.J.)
Il y a un grand nombre d'autres promontoires que ceux dont on a fait mention ici ; mais on les trouvera avec leurs longitudes & leurs latitudes, aux articles de leurs noms. La connoissance des promontoires est indispensable aux navigateurs. Voyez CAP.
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PROMOTEUR | S. m. (Jurisprud.) est un ecclésiastique qui fait la fonction de partie publique dans une officialité ou dans quelqu'autre tribunal ecclésiastique, tels que sont les chambres souveraines & diocésaines du clergé, & à Paris la jurisdiction de m. le chantre.
On appelle aussi quoiqu'improprement, promoteur celui qui dans les assemblées du clergé est chargé de faire les requisitoires.
Les archidiacres étoient autrefois comme les promoteurs de toutes les églises, omnium negotiorum ecclesiarum promotores, dit le canon 57 du synode de Laodicée.
Mais le terme promotores ne doit pas être pris en cet endroit pour ce que nous entendons aujourd'hui par la fonction de promoteur, cette fonction différant de celle d'archidiacre, comme celle de procureur d'office differe de l'état de juge.
Un promoteur, dans le sens qu'on l'entend aujourd'hui, est donc proprement le procureur d'office d'une officialité ou autre tribunal ecclésiastique ; & en effet dans plusieurs endroits on qualifioit autrefois de promoteurs tous ceux qui exerçoient le ministere public, même dans les tribunaux séculiers, comme dans la coutume de Senlis, où les procureurs fiscaux sont encore nommés promoteurs d'office.
Les promoteurs des tribunaux ecclésiastiques ont donc été établis à l'instar des promoteurs ou procureurs d'office des tribunaux séculiers.
Il y a aussi dans quelques officialités un vice-promoteur pour suppléer en cas d'absence, ou autre empêchement du promoteur.
L'établissement de ces officiers est fort ancien : ils ont été institués pour faire informer d'office contre les ecclésiastiques délinquans, & pour maintenir les droits, libertés & immunités de l'Eglise.
Comme quelques-uns d'entr'eux emportés par un zele indiscret attiroient toutes les causes au tribunal des officiaux, & par ce moyen fatiguoient les sujets du roi, Nicolas de Clamengit, archidiacre de Bayeux, en fit ses plaintes sous le regne de Charles VI. & même avec trop d'aigreur, dici non potest, s'écrioit-il, quantùm mala faciant scelerati isti exploratores criminum quos promotores vocant, &c.
Pour arrêter ces entreprises des promoteurs, on créa des procureurs du roi en cour d'église, pour veiller à ce que l'on n'entreprît rien sur la justice royale, desorte qu'il y avoit proprement alors deux promoteurs dans les officialités & autres tribunaux ecclésiastiques : l'un royal, qu'on appelloit procureur du roi en cour d'église ; l'autre ecclésiastique, qui est celui que l'on appelle encore présentement promoteur.
François I. par un réglement de l'an 1535 fait pour le pays de Provence, ordonna, art. 27, que le procureur du Roi en cour d'église pourroit visiter, une fois la semaine, les papiers & registres des procureurs & greffiers des cours ecclésiastiques ; & le même prince, par un autre réglement de l'an 1540 fait pour la Normandie, ordonna expressément à ses procureurs ès cours ecclésiastiques d'obvier aux usurpations & entreprises des promoteurs.
Ce qui est à remarquer, c'est que comme les procureurs du roi en cour d'église avoient séance aux audiences des officialités, & droit de visiter les registres des promoteurs & greffiers de ces tribunaux pour voir si l'on n'avoit rien entrepris sur la jurisdiction royale, de même aussi les promoteurs de cour d'église avoient la liberté d'assister aux audiences des bailliages & sieges présidiaux, pour y revendiquer les sujets & justiciables des officialités, & requérir le renvoi des causes qui appartenoient à leur jurisdiction. Nicolas Frerot, avocat au parlement de Paris, sur la conférence des ordonnances, dit qu'en qualité de promoteur de l'évêque de Chartres, il a toujours eu séance aux audiences du bailliage & siege présidial de Chartres.
Mais cette assistance du promoteur aux audiences des tribunaux séculiers n'a plus lieu depuis que, par édit de 1573, il a été créé un office de conseiller-clerc dans chaque présidial, afin qu'en qualité d'ecclésiastique, il tienne la main à ce que l'on n'entreprenne point sur la jurisdiction ecclésiastique ; mais le promoteur a toujours conservé le droit de revendiquer les causes criminelles qui concernent les personnes ecclésiastiques toutes les fois qu'il en a connoissance. Cette révendication se forme par une requête que le promoteur présente à un juge royal, lequel est tenu d'y faire droit en tout état de cause, quand même il seroit déjà intervenu un jugement, pourvu que la révendication soit formée avant l'exécution.
Lorsque la révendication est adoptée, & que le procès est pendant devant un juge royal inférieur, l'accusé est transféré dans les prisons du juge d'église, & l'instruction recommence de nouveau par les deux juges conjointement ; mais dans le cas où l'affaire seroit pendante à un tribunal souverain, l'accusé n'est point transféré dans les prisons du juge d'église, & l'évêque, pour user de son droit, n'a d'autre voie que de donner des lettres de grand-vicaire ad hoc à un conseiller-clerc du tribunal. Voyez ce qui a été dit à ce sujet au mot OFFICIAL.
En Espagne les promoteurs sont appellés fiscales curiae, procureurs fiscaux, fiscales rei ecclesiae procuratores, familia fisci.
Jean Cheme, en son commentaire sur le style de la cour ecclésiastique de Bourges, tit. 1, in verbo promotoribus, qualifie le promoteur procuratorem tribunalis & jurisdictionis episcopalis, qui procurator fiscalis etiam hodiè appellatur in curiis ecclesiasticis.
Aufrerius, sur les quest. 229 & 275 des décisions de la chapelle archiépiscopale de Toulouse, remarque qu'étant official de la cour archiépiscopale de Toulouse, le sénéchal de la ville lui défendit de donner à son promoteur la qualité de procureur fiscal, parce que l'église n'a point de fisc : il ajoute qu'il étoit d'avis contraire, & se fonde sur la glose du chapitre quia propter, de concessione praebendae, in verbo praeter ; mais il convient que nonobstant ses raisons le juge-mage de Toulouse défendit d'employer dans les actes de la cour épiscopale cette qualité de fiscal, qu'il y eut appel de cette sentence, & que cet appel étoit encore pendant & indécis au parlement de Toulouse au tems qu'il écrivoit.
Fevret, en son traité de l'abus, dit qu'aujourd'hui on est plus curieux que jamais de conserver les droits royaux. On ne souffriroit pas qu'un promoteur de la cour d'église prît la qualité de fiscal, & que Messieurs les gens du Roi l'empêcheroient.
Le même auteur remarque qu'avant l'ordonnance de 1539, les promoteurs des officialités de Bourgogne se qualifioient providus vir & procurator fiscalis, promotorquè causarum officii sedis episcopalis, mais que depuis ils cesserent de prendre cette qualité de procurator fiscalis, & se qualifierent promotor procuratorque causarum, ainsi qu'il est dit l'avoir vérifié par plusieurs anciens registres des officialités qu'il a été curieux de voir.
Les promoteurs des officialités ordinaires de chaque diocèse sont nommés par l'évêque. Dans les métropoles l'archevêque nomme deux promoteurs : un pour l'officialité ordinaire, un pour l'officialité métropolitaine ; & s'il est primat, comme l'archevêque de Lyon, il en nomme un troisieme pour l'officialité primatiale ; mais ces différentes fonctions peuvent être réunies en un même sujet.
Ceux des chambres diocésaines sont nommés par l'évêque, & ceux des chambres souveraines du clergé sont nommés par le clergé de la province.
Les chapitres & archidiacres & autres dignitaires qui ont quelque portion de la jurisdiction ecclésiastique contentieuse, nomment un promoteur pour leur jurisdiction.
Le chapitre de Paris est dans l'usage de procéder tous les ans à la nomination d'un promoteur & des autres officiers de sa jurisdiction.
Les ordres réguliers ont aussi leur promoteur général de l'ordre, lequel peut être nommé par le général de l'ordre, de sa seule autorité, & sans le consentement du chapitre général.
On a quelquefois mis en doute si un laïc peut être promoteur. Le canon laïci, question 7, ne permet pas à un laïc d'accuser les gens d'église ; il y a seulement certains cas remarqués par Gigas en son traité de crim. les. majest. qu. 15. Plusieurs conciles particuliers de France & d'Espagne, savoir, de Tours, de Tolede & de Séville ont desiré que les promoteurs qu'ils appellent fiscales fussent prêtres ou qu'ils fussent promus à la prêtrise dans six mois. Bernard de Luco dit qu'il faut que le promoteur soit prêtre, ou du moins lié aux ordres sacrés ; aussi Fevret remarque-t-il que l'évêque de Châlons ayant en 1609 institué pour promoteur un procureur du bailliage de Châlons qui étoit une personne séculiere, il y en fut interjetté appel comme d'abus.
Le promoteur ne peut être en même tems grand pénitencier : ces deux fonctions sont incompatibles, parce que celle de promoteur est de poursuivre la punition des crimes : celle de pénitencier au contraire est de les absoudre.
Mais on peut nommer pour promoteur un ecclésiastique pourvu d'un bénéfice, curé ou autre requérant résidence, il en est même dispensé tant qu'il exerce la charge de promoteur.
La fonction de promoteur consiste à requérir dans le tribunal ecclésiastique tout ce qui paroît nécessaire & convenable pour la manutention de la discipline ecclésiastique.
Il est aussi de leur devoir, comme on l'a dit, de poursuivre la punition des crimes commis par les ecclésiastiques. L'ordonnance de 1629, art. 28, dit que les promoteurs des sieges ecclésiastiques, tant inférieurs que supérieurs, prendront en main les causes criminelles qui se présenteront en leurs sieges, & les poursuivront jusqu'au jugement d'icelles, encore qu'il n'y ait point de partie civile ou instigante, à ce que les crimes ne demeurent pas impunis.
Le promoteur ne peut pas absoudre ni excommunier ; car ce seroit faire office de juge avec celui d'accusateur.
Ils peuvent d'office requérir qu'il soit informé des délits publics & manifestes des clercs ; mais pour les crimes cachés, il faut qu'ils en ayent des indices ou conjectures si légitimes, qu'ils soient pour ainsi dire, obligés de se rendre partie ; & pour former leur accusation de ces sortes de crimes cachés, il faut qu'ils ayent des délateurs & dénonciateurs qui puissent répondre des dommages & intérêts de celui qui aura été renvoyé absous, autrement ils y seroient eux-mêmes condamnés au cas que l'accusation se trouvât mal-fondée.
Ils doivent nommer le dénonciateur, s'ils en sont requis ; & si le juge d'église les en déchargeoit, il y auroit abus ; mais on ne peut les obliger de le faire qu'après le jugement du procès.
Le promoteur ne doit pas être présent aux interrogatoires des accusés, ni au récolement & à la confrontation des témoins, autrement la procédure seroit nulle & abusive.
Lorsque le promoteur est seul partie, l'évêque doit fournir les frais du procès-criminel qui s'instruit d'office, sauf à l'évêque à recouvrer ces frais contre le condamné après le jugement, s'il a de quoi répondre.
En cas d'appel, l'accusé doit être conduit au juge supérieur, aux frais de l'évêque dont le promoteur a intenté le procès ; & si l'official, à la requête ou promoteur, décernoit un exécutoire contre l'accusé pour les frais de sa conduite en cas d'appel, il y auroit abus.
Le promoteur qui succombe dans ses demandes & poursuites, ne peut être condamné en l'amende ni aux dépens, sinon en cas que l'accusation se trouvât calomnieuse, & qu'elle fût du fait du promoteur. L'édit de 1695 concernant la jurisdiction ecclésiastique, art. 43, porte qu'à l'égard des ordonnances & jugemens que les prélats ou leurs officiaux auront rendus, & que les promoteurs auront requis dans la jurisdiction contentieuse, ils ne pourront être pris à partie, ni intimés en leurs propres & privés noms, si ce n'est en cas de calomnie apparente, & lorsqu'il n'y aura aucune partie capable de répondre des dépens, dommages & intérêts, qui ait requis, ou qui soutienne leurs ordonnances & jugemens, & qu'ils ne seront tenus de défendre à l'intimation qu'après que les cours l'auront ainsi ordonné en connoissance de cause.
On tenoit autrefois que l'accusé pouvoit être condamné envers le promoteur aux frais de justice & de la visite du procès, ainsi qu'il fut jugé par un arrêt du 7 Septembre 1644, remarqué par Fevret ; mais suivant la derniere jurisprudence la partie publique ne peut obtenir aucune condamnation de dépens, de même qu'on n'en peut pas non plus obtenir contr'elle, sinon en cas de calomnie & vexation marquée : ce qui doit s'appliquer aux promoteurs, de même qu'aux autres parties publiques. Voyez Chopin de sacr. polit. lib. II. tit. ij. Charondas, rep. liv. I. ch. xiv. Papon, liv. XXVIII, tit. 2. arrêt 28, les mém. du clergé, & ci-devant les mots OFFICIAL, OFFICIALITE, PROCUREUR DU ROI EN COUR D'EGLISE. (A)
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PROMOTION | S. f. & PROMOUVOIR, v. act. (Gramm.) cérémonie ou action par laquelle certains supérieurs élevent, ou par justice, ou par grace, quelques-uns de leurs inférieurs à quelque titre ou dignité. Ainsi on dit le pape a fait une promotion de cardinaux : le roi a fait une promotion de cordons-bleux, de lieutenans-généraux.
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PROMPT | adj. PROMPTITUDE, s. f. (Gram.) termes relatifs au mouvement ; ils se disent de tout ce qui agit ou se meut avec vîtesse. Il est promt à obéir. J'admire la promtitude avec laquelle il saisit les choses les plus difficiles. Il est promt de caractere. Il est promt à se fâcher, mais plus promt encore à s'appaiser. Sa promtitude me surprend toujours. Il écrit, il marche, il parle, il va avec une promtitude étonnante. Il est prompt comme le salpêtre. Il a des promptitudes fâcheuses ; mais je les aime encore mieux que les lenteurs de son compagnon.
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PROMPTUAIRE | S. m. (Gram. & Jurisprud.) abrégé. Ainsi on dit un promptuaire du droit, un texte, un abrégé du droit.
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PROMULGATION | S. f. (Jurisp.) signifie publication. Ce terme est principalement usité en parlant des nouvelles lois. On dit qu'une loi a été promulguée, c'est-à-dire, publiée. Voyez LOI. (A)
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PROMYLIE | S. f. (Mytholog.) déesse des mérites.
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PRONAOS | , signifioit dans l'ancienne architecture, le portique d'un temple, d'un palais, ou de quelqu'autre bâtiment vaste & spacieux.
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PRONATEUR | S. f. terme d'Anatomie, est le nom de deux muscles du radius, qui servent à tourner la paume de la main en dessous. Voyez PRONATION.
Le pronateur quarré est situé à la partie inférieure de l'avant-bras au-dessous de tous les autres muscles ; il vient large & charnu de la partie inférieure & antérieure du cubitus ; & passant transversalement pardessus les ligamens qui joignent le radius au cubitus, il s'insere dans la partie inférieure & externe du radius qu'il tire en-dedans, conjointement avec le rotal pronateur, lequel est situé obliquement à la partie supérieure interne de l'avant-bras, & vient du condile interne de l'humerus ; il est fortement adhérent au radial interne ; il descend obliquement de la partie interne vers l'externe pour s'insérer un peu audessus de la partie moyenne du radius.
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PRONATION | S. f. terme d'Anatomie, qui exprime l'action par laquelle la paume de la main est tournée en-bas : le radius a deux sortes de mouvemens sur le cubitus ; l'un que l'on nomme de pronation, l'autre de supination. Voyez RADIUS & CUBITUS.
Le mouvement de pronation est celui par lequel la paume de la main se trouve tournée en-dessous : le mouvement opposé qui fait que la paume de la main est en-dessus s'appelle supination.
Ce mot vient du latin pronus, qui signifie qui panche en-devant ou qui a la face tournée contre terre.
M. Winslow a avancé à l'académie des Sciences que la pronation & la supination ne se font pas uniquement par le mouvement du radius, mais que le cubitus y contribue aussi très-souvent. Voyez Mémoire de l'académie royale des Sciences, an. 1729, p. 36.
Il y a des muscles particuliers qui servent à la pronation qu'on appelle pronateurs. Le radius a deux autres muscles, appellés supinateurs, qui ont un effet tout opposé. Voyez SUPINATEUR & PRONATEUR.
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PRONE | S. m. (Gram. & Hist. ecclésiast.) discours chrétien que le curé ou le vicaire prononce le dimanche à l'église paroissiale sur l'épître ou l'évangile du jour.
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PRONOM | S. m. (Gram.) " Depuis le tems qu'on parle du pronom, on n'est point parvenu à le bien connoître ; comme si sa nature étoit, dit le P. Buffier, Gram. franç. n °. 4, un de ces secrets impénétrables qu'il n'est jamais permis d'approfondir. Pour faire sentir, continue-t-il, que je n'exagere en rien, il ne faut que lire le savant Vossius, la lumiere de son tems & le héros des Grammairiens. Après avoir déclaré, & avec raison, que toutes les définitions qui avoient été données du pronom jusqu'alors n'étoient nullement justes, il prononce que le pronom est un mot qui en premier lieu se rapporte au nom, & qui en second lieu signifie quelque chose. Pour moi, avec le respect qui est du au mérite d'un si grand homme, j'avoue que je ne comprends rien à sa définition du pronom ".
Quoique M. l'abbé Regnier prétende, Gram. fr. p. 216. in-12. p. 228. in-4 °. que Vossius en cela a très-bien désigné la nature du pronom, je suis cependant de l'avis du P. Buffier. Car s'il ne s'agit que de se rapporter au nom, & de signifier quelque chose pour être pronom ; il y a trois pronoms dans ce vers de Phedre, III. 9.
Vulgare amici nomen, sed rara est fides.
Vulgare se rapporte au nomen, & il signifie quelque chose ; rara & est se rapportent au nom fides, & signifient aussi quelque chose : ainsi vulgare, rara, & est sont des pronoms, s'il en faut juger d'après la définition de Vossius. L'abbé Regnier lui-même, en la louant, fournit des armes pour la combattre ; il avoue qu'elle n'exprime pas toutes les propriétés du pronom, & qu'il y manque quelque chose, sur-tout à l'égard du pronom françois qui semble, dit-il, avoir besoin d'une définition plus étendue. Or une définition du pronom qui ne convient pas à ceux de toutes les langues, & qui n'exprime pas le fondement de toutes les propriétés du pronom n'en est pas une définition. Au surplus ce qu'ajoute ce grammairien à celle de Vossius la charge inutilement sans la rectifier.
Sanctius, Minerv. I. 2. prétend que le pronom n'est pas une partie d'oraison différente du nom ; mais les raisons qu'il allegue de ce sentiment sont si foibles, & prouvent si peu qu'elles ne méritent pas d'être examinées ici : on peut voir ce qu'y répond M. l'abbé Regnier au commencement de son traité des pronoms. Le P. Buffier qui adopte le même systême, le présente sous un jour beaucoup plus spécieux.
" Tous les mots, dit-il, n°. 80-84. qui sont employés pour marquer simplement un sujet dont on veut affirmer quelque chose, doivent être tenus pour des noms ; ils répondent dans le langage à cette sorte de pensées, qu'on appelle idées dans la Logique. La plûpart des sujets dont on parle, ont des noms particuliers ; mais il faut reconnoître d'autres noms qui, pour n'être pas toujours attachés au même sujet particulier, ne laissent pas d'être véritablement des noms. Ainsi, outre le nom particulier que chacun porte & par lequel les autres le désignent, il s'en donne un autre quand il parle lui-même de soi ; & ce nom en françois est moi ou je, selon les diverses occasions.... Le nom qu'il donne à la personne à qui il parle, c'est vous, ou tu, ou toi, &c. Le nom qu'il donne à l'objet dont il parle, après l'avoir nommé par son nom particulier ou indiqué autrement, est il, ou lui, ou elle, &c. Les noms plus particuliers ont retenu seuls dans la grammaire la qualité de noms ; & les noms plus communs de moi, vous, lui, &c. se sont appellés pronoms, parce qu'ils s'employent pour les noms particuliers & en leur place ".
Il faut convenir avec le P. Buffier que tous les mots qui sont employés pour marquer simplement un sujet dont on veut affirmer quelque chose, ou, en d'autres termes, pour présenter à l'esprit un être déterminé, soit réel, soit abstrait ; que tous ces mots, dis-je, doivent être tenus pour être de même nature à cet égard. Mais pourquoi les tiendroit-on pour des noms, puisque le langage usuel des Grammairiens les distingue en deux classes, l'une de noms & l'autre de pronoms ? Ce sont tous des mots déterminatifs, ainsi que je l'ai dit ailleurs. Voyez MOT. Mais comme ils déterminent de différentes manieres, ce sont des mots déterminatifs de différente espece ; les uns déterminent les êtres par l'idée de leur nature, & ce sont les noms ; les autres déterminent les êtres par l'idée précise d'une relation à l'acte de la parole, & ce sont les pronoms.
C'est pour cela que si un même être est désigné par un nom & par un pronom tout-à-la-fois, le nom s'accorde en personne avec le pronom, parce que la personne n'est qu'un accident dans le nom, & qu'elle est une propriété essentielle du pronom ; le pronom au contraire s'accorde en genre avec le nom, parce que le genre n'est qu'un accident dans le pronom, & que c'est une propriété essentielle du nom. La différence des genres vient dans les noms de celle de la nature, dont l'idée déterminative caractérise l'espece des noms ; & de même la différence des personnes vient dans les pronoms de celle de la relation à l'acte de la parole, dont l'idée déterminative caractérise l'espece des pronoms : au contraire les nombres & les cas dans les langues qui les admettent sont également propres aux deux especes, parce que les deux especes énoncent des êtres déterminés, & que tout être déterminé dans le discours l'est nécessairement sous l'une des qualités désignées par les nombres, & sous l'un des rapports marqués par le cas de quelque espece que soit l'idée déterminative. Voyez NOMBRE, CAS & PERSONNE.
A l'occasion de la grammaire françoise de M. l'abbé Wailly, l'auteur de l'année littéraire 1754, t. VII. lettre x. propose une difficulté, dont il reconnoît devoir le germe à M. l'abbé de Condillac, essai sur l'origine des connoissances humaines, part. II. chap. x. §. 109. On va voir qu'il auroit pû en avoir l'obligation au passage que j'ai rapporté du P. Buffier, ou au chapitre que j'ai cité de la Minerve de Sanctius. Quoi qu'il en soit, voici comment s'explique M. Fréron.
" Il y a, dit-il, trois sortes de pronoms personnels, je, me, moi, nous, tu, te, toi, vous, pour la premiere & la seconde personne. C'est le cri général de toutes les grammaires... Tous ces mots sont les noms de la premiere & de la seconde personne, tant au pluriel qu'au singulier, & ne sont point des pronoms. Tout mot quelconque, excepté ceux-ci, appartient à la troisieme personne ; ce qu'on démontre en ajoutant à un mot quelconque un verbe qui aura toujours la terminaison de la troisieme personne, Antoine revient, le marbre est dur, le froid se fait sentir, &c. Les mots je, me, moi, &c. considérés comme pronoms, représenteroient donc des noms, & conséquemment des noms de la troisieme personne, puisqu'il est certain que la troisieme personne s'empare de tout. Or ces mots je, me, moi, &c. représentant des noms de la troisieme personne, comment seroient-ils des pronoms de la premiere personne & de la seconde ? Ces mots sont donc les véritables noms, & non les pronoms de la premiere & de la seconde personne ".
Toute cette difficulté porte sur la supposition répétée sans examen par tous les Grammairiens comme par autant d'échos, que les pronoms représentent les noms, c'est-à-dire, pour me servir des termes de M. l'abbé Girard, tome I. disc. vj. p. 283, que leur propre valeur n'est qu'un renouvellement d'idées qui désigne sans peindre, qu'ils ne sont que de simples vicegérens des noms, & que le sujet qu'ils expriment n'est déterminé que par le ressouvenir de la chose nommée ou supposée entendue.
Cette supposition est née de la dénomination même de cette espece de mot, que les Grammairiens ont mal entendue. On a cru qu'un pronom étoit un mot employé pour le nom, représentant le nom, & n'ayant par lui-même d'autre valeur que celle qu'il emprunte du nom dont il devient le vicegérent ; comme un proconsul étoit un officier employé pour le consul, représentant le consul, & n'ayant par lui-même d'autre pouvoir que celui qu'il empruntoit du consul dont il devenoit le vicegérent. C'est la comparaison que fait lui-même M. l'abbé Regnier, p. 216. in-12. p. 228. in-4°. pour trouver dans l'étymologie du mot pronom la définition de la chose.
Mais ce n'est point là ce que l'analyse nous en apprend, voyez MOT ; quoique réellement elle nous indique que le pronom fait dans le discours le même effet que le nom, parce que les pronoms, comme les noms, présentent à l'esprit des sujets déterminés. Les noms sont des mots qui font naître dans l'esprit de ceux qui les entendent les idées des êtres dont ils sont les signes ; nomen dictum quasi notamen, quòd nobis vocabulo suo notas efficiat ; ibid. Hispal. orig. I. vj. Les pronoms font pareillement naître dans l'esprit les idées des êtres qu'ils désignent ; & c'est en cela qu'ils vont de pair avec les noms & qu'ils sont comme des noms, pronomina. Mais on ne se seroit jamais avisé de distinguer ces deux especes de mots, s'ils présentoient les êtres sous les mêmes aspects, & si l'on n'avoit pas senti, du-moins confusément, les différences caractéristiques que l'analyse y découvre.
Les noms, je le répete, expriment des sujets déterminés par l'idée de leur nature, & les pronoms des sujets déterminés par l'idée précise d'une relation personnelle à l'acte de la parole. Cette différence est le juste fondement de ce cri général de toutes les grammaires qui distinguent les pronoms de la premiere, de la seconde & de la troisieme personne, parce que rien n'est plus raisonnable que de différencier les especes de pronoms par les différences mêmes de leur nature commune.
Il est donc faux de dire que les pronoms ne sont que de simples vicegérens de noms, & que le sujet qu'ils expriment n'est déterminé que par le ressouvenir de la chose nommée : le sujet y est déterminé par l'idée précise d'une relation personnelle à l'acte de la parole ; & cette détermination rappelle le souvenir de la nature du même sujet, parce qu'elle est inséparable du sujet. Ainsi quand, au sortir du spectacle, je dis qu'Andromaque m'a vivement intéressé ; chacun se rappelle les graces séduisantes de l'inimitable Clairon, quoique je ne l'aie désignée par aucun trait qui lui soit individuellement propre ; le rôle dont elle étoit chargée dans la représentation rappelle nécessairement le souvenir de l'actrice, parce qu'il l'indique individuellement, quoiqu'accidentellement. C'est de la même maniere que l'idée du rôle, dont est chargé un sujet dans la représentation de la pensée, indique alors ce sujet individuellement, & rappelle le souvenir de sa nature propre ; mais ce souvenir n'est rappellé qu'accidentellement, parce que le rôle est lui-même accidentel au sujet.
Il est pareillement faux que les mots je, me, moi, &c. soient les noms & non les pronoms de la premiere & de la seconde personne, parce qu'ils ne déterminent aucun sujet par l'idée de la nature, en quoi consiste le caractere spécifique des noms : ils ne déterminent que par l'idée de la personne ou du rôle ; & c'est le caractere propre des pronoms.
Quant à ce qu'ajoute M. Fréron que tout mot, excepté ceux-ci, appartient à la troisieme personne, & qu'il est certain que la troisieme personne s'empare de tout ; quoique cette remarque ne puisse plus entrer en objection contre le systême commun qui distingue les noms & les pronoms, puisque j'ai sappé le fondement de l'objection, & établi celui de la distinction reçue ; je crois cependant qu'il peut être de quelque utilité d'approfondir le véritable sens de l'observation alléguée par l'auteur de l'année littéraire.
On n'a introduit dans le langage les noms qui expriment des êtres déterminés par l'idée de leur nature, que pour en faire les objets du discours & pour les charger conséquemment du troisieme rôle ou de la troisieme personne ; il seroit inutile de nommer les êtres, si ce n'étoit pour en parler. Il est donc naturel que tous les noms, sous leur forme primitive, soient du ressort de la troisieme personne, & que cette troisieme personne s'en empare, puisqu'on veut le dire ainsi ; mais ce n'est pas par l'idée de cette relation personnelle que les sujets nommés sont déterminés dans les noms ; c'est par l'idée de leur nature. Aussi cette disposition primitive des noms à être de la troisieme personne n'y a pas l'effet d'une propriété essentielle, je veux dire l'immutabilité : les noms peuvent dans le besoin se revêtir d'un autre rôle ; le vocatif des Grecs & des Latins est un cas qui ajoute à l'idée primitive du nom l'idée accessoire de la seconde personne, & jamais la troisieme ne pourra s'emparer, par exemple, du nom domine. Voyez PERSONNEL & VOCATIF.
S'il n'y a de véritables pronoms que les mots qui présentent à l'esprit des êtres déterminés par l'idée précise d'une relation personnelle à l'acte de la parole, il n'en faut plus reconnoître d'autres que ceux que l'on nomme communément personnels.
Il y a quelque différence entre le françois & le latin sur le nombre de pronoms personnels, ou pour conformer mon langage à la conclusion que je viens d'établir, il y a quelque différence entre les deux langues sur le nombre des pronoms.
I. Sur cet objet-là même notre langue ne suit pas les mêmes erremens qu'à l'égard des noms, & elle reconnoît des cas dans les pronoms.
Celui de la premiere personne est au singulier je, me & moi, & au pluriel nous pour les deux genres.
Celui de la seconde personne est au singulier tu, te & toi, & au pluriel vous pour les deux genres.
Pour la troisieme personne, il y a deux sortes de pronoms, l'un direct & l'autre réfléchi. Le pronom direct est il, le & lui pour le masculin, elle, la & lui pour le féminin au singulier ; ils, les, eux & leur pour le masculin, elles, les & leur pour le féminin au pluriel. Le pronom réfléchi est se & soi, pour les deux genres & pour les deux nombres.
Je dis que ces différentes manieres d'exprimer le même sujet personnel sont des cas du même pronom ; & c'est par analogie avec la grammaire des langues qui admettent des déclinaisons, que je m'exprime ainsi, quoique me & moi, par exemple, ne paroissent pas trop venir de la même racine que je : mais il n'y a pas plus d'anomalie dans ce pronom françois, que dans le latin correspondant ego, mei, mihi, me au singulier, nos, nostri ou nostrûm & nobis au pluriel ; & l'on regarde toutefois ces mots comme le cas du même pronom latin ego.
Voici comme je voudrois nommer ces cas, afin d'en bien indiquer le service.
J'appelle le premier cas nominatif, parce qu'il exprime, comme en latin, le sujet du verbe mis à un mode personnel. Exemples : je fais, tu fais, il fait, elle fait, ils font, elles font.
J'appelle le second cas datif, parce qu'il sert au même usage que le datif latin, & qu'on peut le traduire aussi par la préposition à avec son complément. Exemples : on me donne, on te donne, on lui donne, on leur donne, on se donne la liberté ; c'est-à-dire, on donne la liberté à moi, à toi, à lui ou à elle, à eux ou à elles, à soi.
Remarquez que ce datif ne sert que quand le verbe a un complément objectif immédiat, tel que la liberté dans les exemples précédens. Mais avec les verbes qui n'ont point de pareil complément, ni exprimé ni sous-entendu, on se sert du tour équivalent par la préposition à avec le complétif : ainsi il faut dire, on peut s'en prendre à moi, à toi, à lui, à elle, à eux, à elles, à soi.
J'appelle le troisieme cas accusatif, parce qu'il exprime comme l'accusatif latin, le complément objectif d'un verbe actif relatif. Exemples : on me connoît, on te connoît, on le connoît, on la connoît, on les connoît, on se connoît.
J'appelle enfin le quatrieme cas complétif, parce qu'il exprime toujours le complément d'une préposition exprimée ou sous-entendue. Exemples : pour moi, pour toi, pour lui, pour elle, pour eux, pour elles, pour soi.
Lorsque ce cas est employé sans préposition, elle est sous-entendue. 1. exemple : donnez-moi ce livre, c'est-à-dire, donnez à moi ce livre ; & c'est la même chose après tous les impératifs des verbes actifs relatifs qui ont en outre un complément objectif, lorsque la proposition est affirmative. 2. exemple : vous prétendez que le soleil tourne, & moi je soutiens que c'est la terre, c'est-à-dire, & par des raisons connues de moi, je soutiens, &c. 3. exemple, (Volt. Mahomet, acte I. scene j.)
Qui ? moi ? baisser les yeux devant ces faux prodiges !
Moi ? de ce fanatique encenser les prestiges !
c'est-à-dire, baisser les yeux devant ces faux prodiges, encenser les prestiges de ce fanatique seroit un joug imposé, à qui, à moi ? Le tour elliptique marque bien plus énergiquement les sentimens d'indignation & d'horreur dont est rempli Zopire : le coeur absorbe l'esprit, & l'esprit est forcé d'abandonner sa marche pesante & compassée.
Il y a un cas où moi s'employe comme accusatif ; c'est après l'impératif des verbes actifs relatifs, comme quand on dit, écoute-moi, suivez-moi. Mais c'est un abus introduit par une fausse imitation de dis-moi, ou donnez-moi, où moi est évidemment employé comme complément de la préposition sous-entendue à. Je dis que c'est un abus, parce qu'il y a plus d'une raison de croire que l'on a commencé par dire écoute-me, suivez-me : la premiere, c'est que quoique l'on dise dis-lui, dis-leur, donnez-lui, donnez-leur, on dit néanmoins écoute-le, écoute-la, écoute-les, suivez-le, suivez-la, suivez-les, selon la regle ; & qu'il étoit naturel de la suivre par-tout puisqu'on la connoissoit : la seconde raison, c'est que la syntaxe réguliere est usitée encore aujourd'hui dans bien des patois, & spécialement dans ceux des évêchés & de la Lorraine, où l'on dit effectivement écoute-me, suivez-me ; or il est certain que les usages modernes des patois sont les usages anciens de la langue nationale, comme les différences des patois viennent de celles des causes qui ont amené les différentes métamorphoses du langage national.
On pourroit objecter que j'ai mis un peu d'arbitraire dans la maniere dont j'ai suppléé les ellipses, sur-tout dans le second & le troisieme exemple, où il a fallu mettre moi dans la dépendance d'une préposition. Je réponds qu'il est nécessaire de suppléer les ellipses un peu arbitrairement, sur-tout quand il est question de suppléer des phrases un peu considérables ; on a rempli sa tâche, quand on a suivi le sens général, & que ce que l'on a introduit n'y est point contraire, ou ne s'en éloigne point.
Mais, peut-on dire, pourquoi s'écarter de la méthode des Grammairiens, dont aucun n'a vu l'ellipse dans ces exemples ? & pourquoi ne pas dire avec tous, que quand on dit, par exemple, & moi, je soutiens, ce moi est un mot redondant, au nominatif & en concordance de cas avec je ? C'est qu'une redondance de cette espece me paroît une pure périssologie, si elle ne fait rien au sens ; si elle y fait, ce n'est plus une redondance, le moi est nécessaire ; & s'il est nécessaire, il est soumis aux lois de la syntaxe. Or on ne peut pas dire que moi, dans la phrase en question, soit nécessaire à l'intégrité grammaticale de la proposition, je soutiens que c'est la terre : j'ai donc le droit d'en conclure que c'est une partie intégrante d'une autre proposition, ou d'un complément logique de celle dont il s'agit, que par conséquent il faut suppléer. Dans ce cas n'est-il pas plus raisonnable de tourner le supplément, de maniere que moi y soit employé selon sa destination ordinaire & primitive, que de l'esquiver par le prétexte d'une redondance ?
Quelques grammairiens font deux classes de ces pronoms ; ils nomment les uns personnels, & les autres conjonctifs.
Les pronoms personnels de la premiere personne, selon M. Restaut, sont je & moi pour le singulier, & nous pour le pluriel. Ceux de la seconde personne sont tu & toi pour le singulier, & vous pour le pluriel. Ceux de la troisieme personne sont il & lui, masculins, & elle, féminin, pour le singulier, ils & eux, masculins, & elles, féminin, pour le pluriel : enfin il y ajoute encore soi.
Les pronoms conjonctifs de la premiere personne, dit-il, sont me pour le singulier, & nous pour le pluriel. Ceux de la seconde personne sont te pour le singulier, & vous pour le pluriel. Ceux de la troisieme personne sont lui, le, la pour le singulier, les, leur pour le pluriel, & se pour le singulier & le pluriel.
Tous ces pronoms indistinctement déterminent les êtres par l'idée précise d'une relation personnelle à l'acte de la parole ; & par-là les voilà réunis sous un même point de vûe : ils sont tous personnels. Les distinguer en personnels & conjonctifs, c'est donner à entendre que ceux-ci ne sont pas personnels : c'est une division abusive & fausse. M. Restaut devoit d'autant moins adopter cette division, qu'il commence l'article des prétendus pronoms conjonctifs par une définition qui les rappelle nécessairement aux personnels. " Ce sont, dit-il, des pronoms qui se mettent ordinairement pour les cas des pronoms personnels ". S'il n'avoit pas adopté sans fondement des prétendus cas marqués en effet par des prépositions, il auroit dit que ce sont réellement les cas, & non des mots employés pour les cas des pronoms personnels.
La raison pourquoi il appelle ces mots pronoms conjonctifs, n'est pas moins surprenante. " C'est, dit-il, parce qu'on les joint toujours à quelques verbes dont ils sont le régime ". Mais on pourroit dire de même que je, tu, il, elle, ils & elles, sont conjonctifs, parce qu'on les joint toujours à quelques verbes dont ils sont le sujet ; car le sujet n'est pas moins joint au verbe que le régime.
D'ailleurs la dénomination de conjonctif n'a pas le sens qu'on lui donne ici ; ce qui est joint à un autre doit s'appeller adjoint ou conjoint, comme a fait le P. Buffier, n°. 387, & l'on doit appeller conjonctif ce qui sert à joindre : c'est le sens que l'usage a donné à ce mot, d'après l'étymologie.
Le même grammairien ajoute aux pronoms qu'il appelle personnels, le mot on ; & à ceux qu'il nomme conjonctifs, les mots en & y : ces mots sont aussi regardés comme pronoms par M. l'abbé Regnier & par le P. Buffier. Mais c'est une erreur, on est un nom, en & y sont des adverbes.
On est un nom qui signifie homme ; ceux mêmes que je contredis m'en fournissent la preuve en en assignant l'origine. " Il y a lieu de croire, selon M. Restaut, chap. j. art. j. qu'il s'est formé par abréviation ou par corruption de celui d'homme : ainsi lorsque je dis on étudie, on joue, on mange, c'est comme si je disois homme étudie, homme joue, homme mange. Je fonde cette conjecture sur deux raisons. 1. Sur ce que dans quelques langues étrangeres, comme en italien, en allemand & en anglois, on trouve les mots qui signifient homme, employés au même usage que notre.... on. 2. Sur ce que.... on reçoit quelquefois l'article défini le avec l'apostrophe, comme le nom homme : ainsi nous disons l'on étudie, l'on joue, l'on mange, sans doute parce qu'on disoit autrefois l'homme étudie, l'homme joue, l'homme mange ". Ce que dit ici M. Restaut de l'italien, de l'allemand & de l'anglois, est prouvé dans la grammaire françoise de M. l'abbé Regnier, l'un de ses guides (in-12. page 245. in-4°. page 258.). Comment M. Restaut, qui vouloit donner des principes raisonnés, s'en est-il tenu simplement aux raisonnemens des maîtres qu'il a consultés, sans pousser le sien jusqu'à conclure que notre on est un synonyme du mot homme, pour les cas où l'on ne veut indiquer que l'espece, comme on naît pour mourir, ou une partie vague des individus de l'espece sans aucune désignation individuelle, comme on nous écoute ?
En & y sont des adverbes ; & c'est encore chez les mêmes auteurs que j'en prendrai la preuve. 1°. M. l'abbé Regnier, qui en sentoit apparemment quelque chose, n'a pas osé dire aussi nettement que l'a fait son disciple, que en & y fussent des pronoms ; il se contente de dire que ce sont des particules qui tiennent lieu des pronoms ; & dans le langage des Grammairiens, les particules sont des mots indéclinables comme les adverbes, les prépositions & les conjonctions. 2°. Le maître & le disciple interpretent ces mots de la même maniere, en disant : " j'EN parle, je puis entendre, dit M. Restaut, suivant les circonstances du discours, je parle DE MOI, DE NOUS, DE TOI, DE VOUS, DE LUI, D'ELLE, D'EUX, D'ELLES, DE CELA, DE CETTE CHOSE, ou DE CES CHOSES.... ou en parlant d'argent, j'EN ai reçu, c'est-à-dire, j'ai reçu DE L'ARGENT ". En parlant de y un peu plus haut, il s'en explique ainsi : " Quand je dis, je m'Y applique, c'est-à-dire, je m'applique A CELA, A CETTE CHOSE ou A CES CHOSES ". Les deux mots en & y sont donc équivalens à une préposition avec son complément ; en à la préposition de, y à la préposition à : en & y sont donc des mots qui expriment des rapports généraux déterminés par la désignation du terme conséquent & avec abstraction du terme antécédent ; ce sont par conséquent des adverbes, conformément à la notion que j'en ai établie ailleurs. Voyez MOT, art. 2. n°. 2. Ce que disent de ces deux mots le P. Buffier & M. l'abbé Girard, loin d'être contraire à ce que j'établis ici, ne fait que le confirmer.
II. J'ai annoncé quelque différence entre le françois & le latin sur le nombre des pronoms ; voici en quoi consiste cette différence. C'est qu'en latin il n'y a point de pronom direct pour la troisieme personne, il n'y a que le réfléchi sui, sibi, se.
Je m'attends bien que les rudimentaires me citeront, is, ea, id ; hic, haec, hoc ; ille, illa, illud ; iste, ista, istud : mais je n'ai rien à dire à ceux qui prétendent que ces mots sont des pronoms, par la raison qu'ils l'ont appris ainsi dans leur rudiment. Je me contenterai de leur demander comment ils parviendront à prouver qu'ille est un pronom de la troisieme personne dans ille ego qui commence l'Enéide. Tout le monde sait que les livres latins sont pleins d'exemples où ces mots sont en concordance de genre, de nombre & de cas avec des noms qu'ils accompagnent, & que ce sont par conséquent de purs adjectifs métaphysiques. Voyez MOT, art. 1.
Si on les trouve quelquefois employés seuls, c'est par ellipse ; & la concordance à laquelle ils demeurent soumis, même dans ces occasions, décèle assez leur nature, leur fonction & leur relation à un sujet déterminé auquel ils sont actuellement appliqués, quoiqu'il ne soit pas expressément énoncé.
On peut dire qu'il en est de même de notre pronom françois direct de la troisieme personne, il pour le masculin, & elle pour le féminin ; mais il est aisé d'y remarquer une grande différence. Premierement, on n'a jamais employé notre il & notre elle comme un adjectif joint à quelque nom par apposition, & l'on ne dit pas en françois il moi, comme on dit en latin ille ego, ni il homme, elle femme, comme ille vir, illa mulier ; & cette premiere observation est la preuve que il & elle ne sont point adjectifs, parce que les adjectifs sont principalement destinés à être joints aux noms par apposition. Secondement, quoique notre il & notre elle viennent du latin ille, illa, ce n'est pas à dire pour cela qu'ils en aient conservé le sens & la nature ; toutes les langues prouvent en mille manieres que des mots de diverses especes & de significations très-différentes ont une même racine.
Remarquons, avant que d'aller plus loin, que le pronom réfléchi sui, n'a point de nominatif, & que c'est la même chose du nôtre, se & soi. C'est que le nominatif exprime le sujet de la proposition, & qu'il en est le premier mot dans l'ordre analytique : or il faut indiquer directement la troisieme personne, avant que d'indiquer qu'elle agit sur soi-même ; & conséquemment le pronom réfléchi ne peut jamais être au nominatif.
Si l'on est forcé de ne reconnoître comme pronoms que ceux qu'on appelle personnels, & qui déterminent les êtres par l'idée d'une relation personnelle à l'acte de la parole ; à quelle classe de mots faut-il renvoyer ceux qui ont fait jusqu'ici tant de classes de prétendus pronoms ? J'en trouve de trois especes, savoir des noms, des adjectifs & des adverbes : je vais les reconnoître ici, pour fixer à chacun sa véritable place dans le systême des parties de l'oraison.
1. Noms réputés pronoms. Puisque les mots dont on va voir le détail ne sont point des pronoms, il est inutile d'examiner à quelle classe on les rapportoit comme tels : l'ordre alphabétique est le seul que je suivrai.
AUTRUI. La signification du mot homme y est renfermée ; & de plus par accessoire celle d'un autre : ainsi quand on dit, ne faire aucun tort à AUTRUI, ne desirez pas le bien d'AUTRUI, c'est comme si l'on disoit, ne faire aucun tort à UN AUTRE HOMME ou aux AUTRES HOMMES, ne desirez pas le bien d'UN AUTRE HOMME ou des AUTRES HOMMES. Or il est évident que l'idée principale de la signification du mot autrui est celle d'homme, & que ce mot doit être de même nature & de même espece que le mot homme lui-même, nonobstant l'idée accessoire rendue par un autre.
CE. Ce mot est un vrai nom, lorsqu'il est employé pour énoncer par lui-même un être déterminé, ce qui arrive chaque fois qu'il n'accompagne & ne précede pas un autre nom avec lequel il s'accorde en genre & en nombre, comme quand on dit, CE que vous pensez est faux, CE qui suit est bon, CE seroit une erreur de le croire, est-CE la coutume ici d'applaudir pour des sottises ? CE n'est pas mon avis. En effet, ce dans tous ces cas exprime un être général ; & la signification vague en est restrainte ou par quelque addition faite ensuite, comme dans les quatre premiers exemples, ou par les circonstances précédentes du discours, comme dans le dernier où ce indique ce qui est supposé dit auparavant. Ce ne détermine pas un être par sa nature, mais il indique un être dont la nature est déterminée d'ailleurs ; & voilà pourquoi on doit le regarder comme un nom général qui peut désigner toutes les natures, par la raison même qu'il suppose une nature connue, & qu'il n'en détermine aucune. Il tient lieu, si l'on veut, d'un nom plus déterminatif dont on évite par-là la répétition ; mais il n'est pas pronom pour cela, parce que ce n'est pas en cela que consiste la nature du pronom.
CECI, CELA. Ces deux mots sont encore deux noms généraux qui peuvent désigner toutes les natures, par la raison qu'ils n'en déterminent aucune, quoique dans l'usage ils en supposent une connue. Tout le monde connoît ce qui différencie ces deux mots.
PERSONNE est un nom qui exprime principalement l'idée d'homme, & par accessoire l'idée de la totalité des individus pris distributivement : PERSONNE ne l'a dit, c'est-à-dire, AUCUN HOMME ne l'a dit, ni Pierre, ni Paul, ni &c. Puisque l'idée d'homme est la principale dans la signification du mot personne, ce mot est donc un nom comme homme. Nous disons en latin nemo (personne ne), & il est évident que c'est une contraction de ne homo, où l'on voit sensiblement le nom homo. Nous disons en françois, une PERSONNE m'a dit ; c'est très-évidemment le même mot, non-seulement quant au matériel, mais quant au sens ; c'est comme si l'on disoit un individu de l'espece des hommes m'a dit, & tout le monde convient que personne dans cette phrase est un nom : mais dans personne ne l'a dit, c'est encore le même nom employé sans article, afin qu'il soit pris dans un sens indéterminé ou général, nul individu de l'espece des hommes ne l'a dit.
QUICONQUE. C'est un nom conjonctif, équivalent à tout homme qui ; & c'est à cause de ce qui, lequel sert à joindre à l'idée de tout homme une proposition incidente déterminative, que je dis de quiconque, que c'est un nom conjonctif. Exemple : je le dis à QUICONQUE veut l'entendre, c'est-à-dire, à TOUT HOMME QUI veut l'entendre. On voit bien que l'idée d'homme est la principale dans la signification de quiconque, & par conséquent que c'est un nom comme le nom homme.
QUOI. C'est un autre nom conjonctif, équivalent à quelle chose, ou à laquelle chose, & dans la signification duquel l'idée de chose est manifestement l'idée principale. Exemples : à QUOI pensez-vous ? je ne sais à QUOI vous pensez ; sans QUOI vous devez craindre ; c'est-à-dire, à QUELLE CHOSE pensez-vous ? je ne sais à QUELLE chose vous pensez ; sans LAQUELLE CHOSE vous devez craindre.
RIEN. C'est un nom distributif comme personne, mais relatif aux choses & équivalent à aucune chose ou nulle chose. Exemple : RIEN n'est moins éclairci que la Grammaire, c'est-à-dire, AUCUNE CHOSE n'est moins éclaircie que la Grammaire. Il vient du latin rem, prononcé d'abord par la voyelle nazale comme rein, ainsi qu'on le prononce encore dans plusieurs patois ; & l'i s'y est introduit ensuite comme dans miel, fiel, venus de mel, fel. Voyez les étymologies de Ménage. Cette origine me paroît confirmer la nature & le sens du mot.
II. Adjectifs réputés pronoms. La plûpart des mots dont il s'agit ici sont si évidemment de l'ordre des adjectifs, qu'il suffit presque de les nommer pour le faire voir. Je l'ai prouvé amplement des possessifs ; voyez POSSESSIF ; je le prouve de même de ceux que l'on appelle ordinairement pronoms relatifs qui, que, lequel, &c. voyez RELATIF : & je vais rendre ici la chose sensible à l'égard des autres, en prouvant, par des exemples, qu'ils ne présentent à l'esprit que des êtres indéterminés désignés seulement par une idée précise qui peut s'adapter à plusieurs natures ; car voilà la véritable notion des adjectifs. Voyez MOT, art. 1. n. 5.
AUCUN, AUCUNE. Adjectif collectif distributif, qui désigne tous les individus de l'espece nommée pris distributivement, communément, avec rapport à un sens négatif. Exemples : AUCUN contretems ne doit altérer l'amitié, AUCUNE raison ne peut justifier le mensonge. Aujourd'hui ce mot n'est pas usité au pluriel ; il l'étoit autrefois, mais dans le sens de quelqu'un.
AUTRE pour les deux genres. Adjectif distinctif, qui désigne par une idée précise de diversité. Exemples : AUTRE tems, AUTRES moeurs.
CE, CET, CETTE, CES. Adjectif démonstratif, qui désigne un être quelconque par une idée précise d'indication. Exemples : CE livre, CE cheval, CET habit, CET homme, CES robes, CES femmes, CES héros, CES exemples.
CELUI, CELLE, CEUX, CELLES. Adjectif démonstratif comme le précédent, mais qui s'employe sans nom quand le nom est déja connu auparavant, & toujours en concordance avec ce nom sousentendu. Ainsi, après avoir parlé de livres, on dit, CELUI que j'ai publié, CEUX que j'ai consultés ; & après avoir parlé de conditions, CELLE que j'ai subie, CELLES que vous aviez proposées : il est clair dans tous ces exemples que celui & ceux se rapportent mentalement à l'idée de livre, que celle & celles se rapportent à l'idée de condition, qu'il y a une concordance réelle avec ces noms, quoique sous-entendus, & que les mêmes mots celui, ceux, celle, celles, dans d'autres phrases, pourroient se rapporter à d'autres noms, ce qui caractérise bien la nature de l'adjectif : si l'on se sert de celui avant que d'avoir présenté aucun nom, comme, CELUI qui ment offense Dieu, ou CEUX qui mentent offensent Dieu, la proposition incidente qui suit est déterminative & relative à la nature de l'homme, soit essentiellement, soit de convention, & le nom homme est ici sous-entendu.
CELUI-CI, CELUI-LA, &c. C'est le même adjectif allongé des particules ci & là, pour servir à une distinction plus précise. Ci avertit que les objets sont présens ou plus prochains ; là, qu'ils sont absens ou plus éloignés. C'est en quoi consiste aussi la différence des deux noms ceci & cela mentionnés plus haut.
CERTAIN, CERTAINE. Adjectif amphibologique dont le sens varie selon la maniere dont il est construit avec le nom. Avant le nom il désigne d'une maniere vague quelque individu de l'espece marquée par le nom, mais en indiquant en même tems que cet individu est déterminé, & peut être assigné d'une maniere positive & précise : exemples, CERTAIN philosophe a dit que toutes ces idées viennent par les sens ; CERTAINS savantasses se croyent fort habiles pour avoir beaucoup lu, quoiqu'ils l'aient fait sans une CERTAINE intelligence qui donne seule le vrai savoir. Après le nom, cet adjectif est à-peu-près synonyme de constaté, assûré, indubitable : exemples ; une position CERTAINE, des moyens CERTAINS, un témoignage CERTAIN, des espérances CERTAINES.
CHACUN, CHACUNE. Adjectif collectif distributif, qui désigne tous les individus de l'espece nommée pris distributivement, avec le rapport à un sens affirmatif, au-contraire d'aucun, aucune ; mais il s'employe seul, avec relation à un nom appellatif connu, soit pour avoir été énoncé auparavant, soit pour être suffisamment déterminé par les circonstances de l'énonciation. Ainsi après avoir parlé de livres, on dira, CHACUN coûte six francs ; après avoir parlé de Pierre & de Paul, CHACUN d'eux s'y est prété, où chacun est en concordance avec le nom commun homme ; on dit d'une maniere absolue en apparence, CHACUN se plaint de son état, & le sens indique qu'il s'agit de CHACUN homme.
CHAQUE pour les deux genres. Adjectif collectif distributif, comme le précédent, dont il est synonyme, si ce n'est qu'il se met toujours avant le nom, & qu'il y tient lieu de l'article qu'il exclut. Exemples : CHAQUE pays a ses usages, CHAQUE science a ses principes & sa chimere. Ces deux synonymes n'ont point de pluriel, parce qu'ils désignent les individus pris un à un.
MEME pour les deux genres, s'employe avant & après le nom. Avant le nom, c'est l'adjectif idem, eadem, idem des Latins, & il marque l'identité de l'individu ou des individus. Exemples : le corps de J. C. sur nos autels est le MEME qui a été attaché à la croix ; une MEME foi, une MEME loi, les MEMES moeurs. Après le nom il ne conserve du sens de l'identité que ce qu'il en faut pour donner au nom une sorte d'énergie, & il se met dans ce sens après les pronoms comme après les noms. Exemples : le roi MEME, la religion MEME, les prêtres MEMES, moi MEME, elles-MEMES.
NUL, NULLE. Adjectif qui s'employe avant ou après les noms, & qui en conséquence a deux sens différens. Avant les noms il est collectif, il n'entre que dans les propositions négatives, & ne se met jamais au pluriel, parce que, comme aucun, il est distributif, & qu'il n'en differe que par le peu d'énergie qu'il donne à la négation. Exemple : on ne trouve dans la plûpart des livres élémentaires de Grammaire NULLE clarté, NULLE vérité, NUL choix, NULLE intelligence, NUL jugement : s'il s'employe seul dans ce sens, il se rapporte à un nom énoncé auparavant, ou au nom homme, comme dans l'exemple de M. Restaut, NUL ne peut se flatter d'être agréable à Dieu, où le nom d'homme est tellement sous-entendu, qu'on pourroit l'y mettre sans changer le sens de la phrase. Après les noms cet adjectif désigne par l'idée de non-valeur, & il est susceptible des deux nombres. Exemples : un marché NUL, des traités NULS, une précaution NULLE, des raisons NULLES.
PLUSIEURS pour les deux genres. Adjectif partitif essentiellement pluriel : PLUSIEURS hommes, PLUSIEURS femmes. S'il s'employe seul, les circonstances font toujours connoître un nom auquel il a rapport.
QUEL, QUELLE. Adjectif qui énonce un objet quelconque sous l'idée précise d'une qualité vague & indéterminée : QUEL livre lisez-vous ? je sais QUELLE résolution vous avez prise ; QUELS amis ! QUELLES liaisons ! M. Restaut, ainsi que M. l'abbé Regnier, reconnoissent ce mot pour adjectif, lors même qu'il n'accompagne pas un nom, parce qu'ils ont senti qu'alors il y a ellipse ; & ils ne le mettent au rang des pronoms que pour suivre le torrent : la vérité bien connue impose d'autres lois.
QUELCONQUE pour les deux genres. Adjectif à-peu-près synonyme de nul ou aucun dans une phrase négative ; & alors il n'a point de pluriel, non plus que ces deux autres : il n'a chose QUELCONQUE. Dans une phrase positive il est à-peu-près synonyme de quel, & prend un pluriel, des prétextes QUELCONQUES. Dans l'un & l'autre cas il est également adjectif, & reconnu tel par ceux mêmes qui le comptent parmi les pronoms. L'abbé Regnier n'a considéré ce mot que dans le premier sens, & M. Restaut dans le second : tous deux le disent peu usité, & je trouve que l'esprit philosophique l'a remis en valeur, & qu'il est d'un usage aussi universel que tout autre, sur-tout dans le second sens.
QUELQUE pour les deux genres. Adjectif partitif, que nous plaçons avant un nom appellatif, & qui désigne ou un individu vague, ou une quotité vague des individus compris dans l'étendue de la signification du nom : QUELQUE passion secrette enfanta le calvinisme ; QUELQUES écrivains respectent bien peu la religion. Quelquefois quelque est qualificatif à-peu-près dans le sens de quel, comme quand on dit, QUELQUE science que vous ayez. D'adjectif il devient adverbe dans le même sens, quand il se trouve avant un adjectif ou un adverbe ; comme QUELQUE savant que vous soyez, QUELQUE savamment que vous parliez.
QUELQU'UN, QUELQU'UNE, QUELQUES-UNS, QUELQUES-UNES. Cet adjectif est synonyme du précédent, comme chacun est synonyme de chaque ; & il y a de part & d'autre les mêmes différences. Quelqu'un s'employe seul, mais avec une relation expresse à un nom sous-entendu & connu par les circonstances : QUELQU'UN d'eux, en parlant d'hommes ; QUELQUES-UNES de vous, en parlant à des femmes. Dans cette phrase, QUELQU'UN a dit que, &c. le sens même indique d'une maniere non-équivoque que quelqu'un se rapporte à homme ; & la concordance dans tous les cas certifie que ce mot est adjectif.
TEL, TELLE. Adjectif démonstratif dans certaines occasions, & comparatif dans d'autres. TEL homme ou TELLE femme s'enorgueillit des qualités de son esprit, qui devroit rougir de la turpitude de son coeur ; l'adjectif tel n'a ici que le sens démonstratif. Il est TEL ou elle est TELLE, ils sont TELS ou elles sont TELLES que j'avois dit ; c'est ici le sens comparatif.
III. Adverbes réputés pronoms. J'ai déja fait voir ci-devant que les deux mots en & y, pris communément pour des pronoms personnels ou conjonctifs, ne sont en effet que des adverbes. Il y en a encore deux, qui ont fait aux Grammairiens la même illusion ; savoir, dont & où.
DONT a tous les caracteres de l'adverbe. 1°. Il est équivalent à une préposition avec son complément, & il signifie de qui, de lequel ou duquel, de laquelle, de lesquels ou desquels, de lesquelles ou desquelles ; si l'on veut prendre ces mots substantivement, il est clair qu'ils sont les complémens de la préposition de ; si on veut les regarder comme adjectifs, ils expriment au-moins une partie invariable du complément, & la partie variable est sous-entendue. Voyez RELATIF. 2°. L'origine même du mot en certifie la nature, soit que l'on adopte celle qu'indique l'abbé de Dangeau (Opusc. p. 235.) soit que l'on s'en tienne à celle qu'indique Ménage au mot DONT, d'après Sylvius dans sa grammaire françoise, écrite en latin (p. 142.), soit enfin que ces deux manieres d'envisager l'étymologie de dont convienne en effet à n'en assigner qu'une seule origine. L'un le dérive de donde, mot italien, qui signifie aussi dont ; & il ajoute que l'italien donde s'est formé du latin undè : l'autre le tire immédiatement du mot deundè de la basse latinité, & l'on pourroit même le prendre de undè employé dans le même sens par les Latins, témoin Ciceron même qui parle ainsi : De eâ re multò dicet ornatiùs, quam ille ipse UNDE cognovit, (il en parle beaucoup mieux que celui même DONT il l'a appris). Or personne ne doute que le latin unde ne soit adverbe, aussi-bien que le donde des Italiens ou des Espagnols ; & par conséquent il ne doit pas y avoir plus de doute sur la nature de notre dont, qui en est dérivé & qui en a la signification.
Où est réputé adverbe en mille occasions, ainsi que le latin ubi dont il descend au moyen d'un apocope ; comme quand on dit où allez-vous, je ne sais où aller, &c. Mais ce mot étant souvent employé avec un nom antécédent, comme qui, lequel, &c. Nos Grammairiens ont jugé à-propos de le ranger dans la même classe & d'en faire un pronom ; comme quand on dit, le tems où nous sommes, votre perte où vous courez, &c. On verra ailleurs (voyez RELATIF) d'où peut être venue cette erreur : il suffit de remarquer ici que le tems où nous sommes veut dire le tems AUQUEL ou DANS LEQUEL nous sommes ; & que votre perte où vous courez, signifie votre perte A LAQUELLE vous courez. Ainsi, où est dans le même cas que dont ; 1°. il équivaut à une préposition avec son complément ; 2°. il est dérivé d'un adverbe : ce qui donne droit d'en porter le même jugement.
Ce détail, minutieux en apparence, où je viens d'entrer sur les prétendus pronoms de notre langue, n'a pas uniquement pour objet notre grammaire ; j'y ai envisagé la grammaire générale & toutes les langues. La plûpart des grammaires particulieres regardent aussi comme pronoms les mots correspondans de ceux que j'examine ici ; & il est facile d'y appliquer les mêmes remarques.
Je m'attends bien qu'il se trouvera des gens, peut-être même des grammairiens, qui prendront en pitié la peine que je me suis donnée d'entrer dans des discussions pareilles, pour décider à quelle classe, à quelle partie d'oraison, il faut rapporter des mots, dont après tout il n'importe que de bien connoître la destination & l'usage. C'est une bévue, selon eux, que d'employer le flambeau de la Métaphysique pour démêler dans le langage, des finesses que la réflexion n'y a point mises, que les gens du grand monde qui parlent le mieux n'y apperçoivent point, dont la connoissance ne paroît pas trop nécessaire, puisqu'on a pu s'en passer jusqu'à présent, & dont le premier effet, si l'on s'y arrête, sera de bouleverser entierement les idées reçues & les systêmes de grammaire les plus accrédités. " Les dénominations reçues, dit M. l'abbé Regnier (in-12. p. 300. in-4°. p. 315.) sont presque toujours meilleures à suivre que les autres ".
On abuse ici très-évidemment du terme de métaphysique, ou que l'on n'entend pas, ou que l'on ne veut pas entendre, afin de décrier des recherches qu'on ne veut point approfondir, ou auxquelles on ne sauroit atteindre. La métaphysique du langage n'est rien autre chose que la nature de la parole mise à découvert ; si l'étude en est inutile ou nuisible, c'est la grammaire générale qu'il faut proscrire, c'est la logique qu'il faut condamner, ce sont les Arnauds & les du Marsais qu'il faut prendre à partie, ce sont leurs chef-d'oeuvres immortels qu'il faut décrier. Si les finesses que la métaphysique découvre dans le langage ne sont point l'ouvrage de la réflexion, elles méritent pourtant d'en être l'objet ; parce qu'elles émanent d'une source bien supérieure à notre raison chancelante & fautive, & que nous ne saurions trop en étudier les voies pour apprendre à rectifier les nôtres. Les gens qui parlent le mieux n'apperçoivent pas, si l'on veut, ces principes délicats ; mais ils les sentent, ils les suivent, parce que l'impression en est infaillible sur les esprits droits : & si on ne prétend réduire les hommes à être des automates, il faut convenir qu'il leur est plus avantageux d'être éclairés sur les regles qui les dirigent, que de les suivre en aveugles sans les entendre. Si les découvertes que l'on fera dans ce genre sappent le fondement des idées reçues & des systêmes les plus vantés, tant mieux : la vérité seule est immuable, on ne peut détruire que l'erreur, & on le doit, & on ne peut qu'y gagner. Il en est plusieurs qui demeureront pourtant persuadés que je traite trop cavalierement les systêmes reçus, & qui me taxeront d'impudence. Hor. ep. II. j. v. 80.
.... Clament periisse pudorem....
Vel quia nil rectum, nisi quod placuit sibi, ducunt,
Vel quia turpe putant parere minoribus ; & quae
Imberbes didicere, senes perdenda fateri.
Que puis-je y faire ? Les uns sont de bonne foi dans l'erreur, les autres ont des raisons secrettes pour s'en déclarer les apologistes : je n'ai donc rien à dire de plus, si ce n'est que les uns sont dignes de pitié, & les autres de mépris.
J'avoue qu'il n'importe de connoître que la destination & l'usage des mots ; mais leur destination & leur usage tient à leur nature, & leur nature en est la métaphysique : qui n'est pas métaphysicien en ce sens, n'est & ne peut être grammairien ; il ne saura jamais que la superficie de la grammaire, dont les profondeurs sont nécessairement abstraites & éloignées des vues communes. Plus habet in recessu quàm in fronte promittit. Quintil. lib. I. cap. iv. (B. E. R. M.)
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PRONONCÉ | S. m. (Jurisp.) se dit par abréviation pour ce qui a été prononcé. Le prononcé d'une sentence, ou arrêt d'audience, est ce que le juge a prononcé. Quand le greffier ne l'a pas recueilli exactement, on dit que le plumitif n'est pas conforme au prononcé, & l'on se retire par-devers le juge pour qu'il veille à faire reformer le plumitif. (A)
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PRONONCER | v. act. & n. (Gramm.) c'est articuler distinctement avec la voix & ses organes tous les sons de la langue. Il y a peu de gens qui prononcent bien. Il n'y a de bonne prononciation que dans la capitale. Les provinciaux se reconnoissent presque tous à quelque accent vicieux. Voyez les articles PRONONCIATION. Ce verbe a encore d'autres acceptions. On dit, il faut que le prêtre prononce les paroles sacramentales. Il y a en toute langue des mots qu'on écrit d'une façon, & qu'on prononce d'une autre. Il a prononcé, il n'y a plus à en revenir. L'Eglise a prononcé. La sorbonne a prononcé. Le président a prononcé cette sentence. Je n'ose prononcer sur une affaire aussi délicate. Ce discours a été prononcé devant le roi, &c.
PRONONCER, (Peint.) ce terme, en peinture, se dit des parties du corps rendues très-sensibles. Ainsi prononcer une main, un bras, un pié, ou toute autre partie dans un tableau, c'est la bien marquer, la bien spécifier, la faire connoître clairement : comme prononcer une parole, c'est l'articuler & la faire entendre distinctement, on dit dans les ouvrages de peinture & de sculpture, que les contours sont bien prononcés lorsque les membres des figures sont dessinés avec science & avec art pour représenter un beau naturel. (D.J.)
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PRONONCIATION | (Littérature) c'est, selon tous les Rhéteurs, la cinquieme & derniere partie de la Rhétorique, & celle qui enseigne à l'orateur à régler & à varier sa voix & son geste d'une maniere décente & convenable au sujet qu'il traite, & au discours qu'il débite ; ensorte que ce qu'il dit produise sur l'auditeur le plus d'impression qu'il est possible. Voyez RHETORIQUE.
La prononciation est une qualité si importante à l'orateur, que Démosthène ne faisoit pas difficulté de l'appeller la premiere, la seconde & la troisieme partie de l'éloquence, & on la nomme ordinairement l'éloquence extérieure. Voyez ACTION.
Quintilien définit la prononciation, vocis & vultûs & corporis moderatio cum venustate, c'est-à-dire, l'art de conduire d'une maniere agréable, & tout-à-la-fois convenable, sa voix, son geste & l'action de tout son corps. Voyez GESTE & DECLAMATION.
Ciceron appelle quelque part la prononciation, une sorte d'éloquence corporelle, quaedam corporis eloquentia ; & dans un autre endroit il la nomme sermo corporis, le langage ou le discours du corps ; en effet, elle parle aux yeux, comme la pensée parle à l'esprit. La prononciation n'est donc autre chose que ce qu'on a coutume d'appeller l'action de l'orateur. Voyez ACTION. Quelques-uns la confondent avec l'élocution qui en est cependant fort différente. Voyez ÉLOCUTION.
Dans la partie de la Rhétorique, qu'on nomme prononciation, on traite ordinairement de trois choses ; savoir, de la mémoire, de la voix, & du geste. Voyez chacun de ces articles à sa place.
On raconte d'Auguste que pour n'être pas obligé de se fier à sa mémoire, & en même tems pour éviter la peine d'y graver ses harangues, il avoit coutume de les lire ou de les mettre par écrit ; usage que les prédicateurs ont pris en Angleterre, mais qui ne s'est point introduit parmi nous. Une prononciation animée pallie & sauve les imperfections d'une piece foible ; une simple lecture dérobe souvent la force & les autres beautés du morceau le plus éloquent.
PRONONCIATION, (Belles-Lett.) dans un sens moins étendu, signifie l'action de la voix dans un orateur, ou dans un lecteur quand il déclame ou lit quelque ouvrage.
Quintilien donne à la prononciation les mêmes qualités qu'au discours.
1°. Elle doit être correcte, c'est-à-dire exempte de défauts ; ensorte que le son de la voix ait quelque chose d'aisé, de naturel, d'agréable, accompagné d'un certain air de politesse & de délicatesse que les anciens nommoient urbanité, & qui consiste à en écarter tout son étranger & rustique.
2°. La prononciation doit être claire, à quoi deux choses peuvent contribuer ; la premiere c'est de bien articuler toutes les syllabes ; la seconde est de savoir soutenir & suspendre sa voix par différens repos & différentes pauses dans les divers membres qui composent une période ; la cadence, l'oreille, la respiration même demandant différens repos qui jettent beaucoup d'agrément dans la prononciation.
3°. On appelle prononciation ornée celle qui est secondée d'un heureux organe, d'une voix aisée, grande, flexible, ferme, durable, claire, sonore, douce & entrante ; car il y a une voix faite pour l'oreille, non pas tant par son étendue, que par sa flexibilité, susceptible de tous les sons depuis le plus fort jusqu'au plus doux, & depuis le plus haut jusqu'au plus bas. Ce n'est pas par de violens efforts, ni par de grands éclats qu'on vient à bout de se faire entendre, mais par une prononciation nette, distincte & soutenue. L'habileté consiste à savoir ménager adroitement les différens ports de voix, à commencer d'un ton qui puisse hausser & baisser sans peine & sans contrainte, à conduire tellement sa voix qu'elle puisse se déployer toute entiere dans les endroits où le discours demande beaucoup de force & de véhémence, & principalement à bien étudier & à suivre en tout la nature.
L'union de deux qualités opposées & incompatibles en apparence, fait toute la beauté de la prononciation, l'égalité & la variété. Par la premiere, l'orateur soutient sa voix, & en regle l'élévation & l'abaissement sur des lois fixes qui l'empêchent d'aller haut & bas comme au hasard, sans garder d'ordre ni de proportion. Par la seconde il évite un des plus considérables défauts qu'il y ait en matiere de prononciation, la monotonie. Il y a encore un autre défaut non moins considérable que celui-ci, & qui en tient beaucoup, c'est de chanter en prononçant, & sur-tout des vers. Ce chant consiste à baisser ou à élever sur le même ton plusieurs membres d'une période, ou plusieurs périodes de suite, ensorte que les mêmes inflexions de voix reviennent fréquemment, & presque toujours de la même sorte.
Enfin la prononciation doit être proportionnée aux sujets que l'on traite, ce qui paroît sur-tout dans les passions qui ont toutes un ton particulier. La voix qui est l'interprete de nos sentimens, reçoit toutes les impressions, tous les changemens dont l'ame elle-même est susceptible. Ainsi dans la joie elle est pleine, claire, coulante ; dans la tristesse au contraire, elle est traînante & basse ; la colere la rend rude, impétueuse, entrecoupée : quand il s'agit de confesser une faute, de faire satisfaction, de supplier, elle devient douce, timide, soumise ; les exordes demandent un ton grave & modéré ; les preuves un ton un peu plus élevé ; les récits un ton simple, uni, tranquille, & semblable à-peu-près à celui de la conversation. Rollin, traité des Etudes, tom. IV. pag. 618. & suiv.
PRONONCIATION des langues, (Gramm.) la difficulté de saisir les inflexions de la voix propres aux langues de chaque nation, est un des grands obstacles pour les parler avec un certain degré de perfection. Cette difficulté vient de ce que les différens peuples n'attachent pas la même valeur, la même quantité, ni les mêmes sons aux lettres ou aux syllabes qui les représentent ; dans quelques langues on fait des combinaisons de ces signes représentatifs qui sont totalement inconnues dans d'autres. Il faut d'abord une oreille bien juste pour apprécier ces sons lorsqu'on les entend articuler aux autres, & ensuite il faut des organes assez flexibles ou assez exercés pour pouvoir imiter soi-même les inflexions ou les mouvemens du gosier que l'on a entendu faire aux autres ; la nature ou un long exercice peuvent seuls nous donner la facilité de prononcer les langues étrangeres de la même maniere que ceux qui les ont apprises dès l'enfance ; mais il est rare que les organes soient assez souples pour cela, ou que l'on s'observe assez scrupuleusement dans la prononciation des langues que l'on a voulu apprendre. Joignez à ces obstacles que souvent ceux qui enseignent les langues n'ont point le talent de rapprocher les différentes manieres de prononcer la langue qu'ils montrent de celles qui sont connues dans la langue du disciple qui apprend. Cependant à l'exception d'un très-petit nombre d'inflexions de voix ou d'articulations particulieres à quelques nations & inconnues à d'autres, il semble que l'on pourroit parvenir à donner à tout homme attentif la faculté de prononcer, du-moins assez bien, les mots de toutes les langues actuellement usitées en Europe. Le lecteur françois verra, qu'à quelques exceptions près, toutes les différentes articulations, soit des Anglois, soit des Allemands, soit des Italiens, &c. peuvent être représentées de maniere à pouvoir être saisies assez parfaitement.
En exceptant les seuls Anglois, tous les peuples de l'Europe attachent les mêmes sons aux quatre premieres voyelles A, E, I, O, la voyelle U souffre des différences. A l'égard des consonnes seules, elles ont à-peu-près les mêmes sons dans toutes les langues, mais lorsqu'elles sont combinées on leur attache une valeur très-différente. Les aspirations gutturales qui sont usitées dans quelques langues, sont entierement ignorées dans d'autres. Il est très-difficile de les peindre aux yeux, & l'on est obligé de tâcher d'exprimer le mouvement des organes pour en donner une idée à ceux dans la langue de qui ces sortes d'aspirations sont inconnues. La différence de la quantité fait un obstacle très-grand à la prononciation des langues ; c'est de cette différence que résulte l'accent d'une langue ou sa quantité ; on a tâché de distinguer cette prosodie par les signes qui marquent les longues & les breves dans les exemples qui seront rapportés dans cet article. Enfin la langue françoise fait un usage très-fréquent de syllabes nazales, comme dans les mots en, on, intention, &c. sur quoi il faut bien remarquer que ces sons nazaux sont presqu'entierement bannis de presque toutes les autres langues qui font sonner les n, & qui prononceroient les mots susdits enn, onn, inntenntionn.
Nous remarquerons en dernier lieu que presque toutes les nations de l'Europe prétendent que leur orthographe est la meilleure en ce qu'elles écrivent comme elles prononcent. Cette prétention est très-peu fondée ; & si elle avoit lieu pour une langue, ce seroit pour l'espagnole plutôt que pour aucune autre.
Parmi toutes les langues modernes il n'y en a point dont la prononciation s'écarte plus de celle de toutes les autres que la langue angloise, c'est aussi cette langue qui va nous fournir le plus grand nombre d'exemples d'irrégularités. Ce sont les seuls points auxquels nous nous arrêterons, vû que des volumes suffiroient à peine si on vouloit donner la prononciation des mots de toute cette langue & des autres, avec les exceptions continuelles que l'usage y a introduit. On a déja remarqué que les Anglois attachent des sons différens de tous les autres peuples au cinq voyelles A. E. I. O. U. Cette prononciation bizarre peut se rendre en françois par ai, i. aï. o. iou. L'O des Anglois est un son qui tient le milieu entre l'A & l'O des autres peuples. Cette regle pour la prononciation angloise des voyelles souffre des exceptions perpétuelles qu'il n'y a que l'usage qui puisse apprendre ; bck, le dos, se prononce en anglois comme on doit le faire en françois, au-lieu que bake, cuire, se prononce comme on feroit bic. L'E des Anglois se prononce comme I dans les autres langues, ce qui souffre encore des exceptions infinies. A la fin des mots il se mange, ou est muet, & il se transpose lorsqu'il est suivi d'un R. Baker, boulanger, se prononce baikre. Deux E E font toujours un I long ; meet, rencontrer, se prononce mt. L'I des Anglois se prononce a ; iron, fer, fait aronn. Suivi d'un R à la fin d'un mot, il se prononce err ; sir, monsieur, fait serr. L'J consonne en anglois se prononce comme dg ; James, Jacques, fait en françois dgims. L'O des Anglois tient le milieu entre l'A & l'O des autres peuples : frck, d'un autre côté, smoke, fumée, se prononce long, smk. Les deux OO combinés se prononcent toujours comme ou ; moor, marais, feroit en françois mour. Or à la fin d'un mot est mangé & prononcé comme re ; mayor se prononce maire. L'U voyelle des anglois se prononce iou ; duke, duc, se prononce diouk ; mais dans duck, canard, il se prononce doc. L'V voyelle se prononce en Anglois comme en françois ; le double W se prononce comme ou ; water, eau, se prononce comme ouãtre.
Quant aux diphtongues, en anglois, ai fait i comme en françois, au & aw, font un a long ; law, loi, fait lã ; ea fait tantôt I : eat, manger, se prononce <~i>te : quelquefois il se prononce comme e ; pleasure fait pléjerr : eu ou ew font iou ; crew fait criou ; ey fait comme é ; sidney fait sidné : on se prononce an très-bref ; graound, terrein, fait grande : ow fait õ long ; bowl se prononce bule. Les mots anglois dérivés du latin ou du françois & terminés en tion, comme inclination, se prononceroient chïnn, innclinaichionn. Les Anglois n'ont point de syllabes nazales ; king, roi, doit se prononcer kigne.
Le ch des Anglois, soit au commencement, soit à la fin d'un mot, fait comme en françois TCH ; each, chacun, se prononce tch ; choose, choisir, fait tchõuze.
Les Anglois mangent un grand nombre de consonnes dans leurs mots : knight, chevalier, se prononce natt ; knife, couteau, se prononce comme naff ; walk, marcher, fait ouke.
Les Anglois n'ont point d'aspirations gutturales dans leur langue, non plus que les François ; mais une prononciation qui leur est particuliere, & que la plûpart des étrangers ne peuvent presque jamais saisir, c'est celle du th ; elle se présente très-fréquemment dans la langue, soit au commencement, soit à la fin, soit au milieu des mots. On ne peut point décrire la prononciation pour un françois, à-moins de dire que le son en est à-peu-près le même que d'un S prononcé par une langue épaisse ; ou bien en appuyant la langue contre les dents supérieures, & en forçant le son de l'S entre la langue & les dents. The, l'article le ou la ; faith, la foi ; either, l'un & l'autre, fournissent des exemples de cette prononciation singuliere.
Les Italiens prononcent toutes les voyelles de même que les François, excepté que leur U se prononce ou ; leur A & leur E est plus ou moins ouvert. Leur C lorsqu'il précede un I ou un E, comme dans cercar, chercher, ciascheduno, chacun, se prononce comme tche ou tchi en françois ; ainsi on diroit tchercar & tchiaschedouno : g suivi d'un E ou d'un I, se prononce comme en françois dg ; giammai feroit dgiammaï ; gélosia fait dgélosa : les deux gg se prononcent de la même maniere ; reggio fait redgio : sc fait comme ch lorsqu'il précede un E & un I ; scelta, recueil, fait en françois l'effet de chelta ; sciolto fait chiolto : le ch des Italiens a le son du K en françois ; perche fait perké : Z Z en italien se rendroit en françois par dz ; vezzosa, jolie, fait vedzosa. Les Italiens n'ont point d'aspirations gutturales non plus que les François. Ils n'ont point de syllabes nazales.
Dans la langue espagnole les voyelles ont les mêmes sons que dans le françois excepté l'U qui fait ou. La prononciation qui differe le plus de celle des autres langues chez les Espagnols, est celle de l'J consonne & de l'X, ces deux lettres s'expriment par une aspiration tirée du fond du gosier, que l'on ne peut décrire ou peindre aux yeux que très-imparfaitement par kh, en aspirant fortement l'H. Le ç avec une cédille, comme dans moça, fille, a l'effet d'une S épaisse ou grasséyée à-peu-près, comme le TH des Anglois, mais un peu plus adouci : les deux LL sont toujours mouillées ; olla fait oillia, ou oiglia : souvent le B se prononce comme un V consonne : le G devant un E ou un I est aspiré, mais moins fortement que l'J consonne : les deux NN, comme dans sennora, se prononcent en françois comme seignora.
Les Portugais, dont la langue est presque la même que celle des Espagnols, ont les mêmes prononciations qu'eux ; celles qui différencient le portugais sont aon, qui se prononce am ; relaçaon, relation, fait relassam : nh où l'h se mouille ; senhora fait seignora ; caravalho se prononce caravaiglio.
Dans la langue allemande les voyelles se prononcent de même que dans le françois, à l'exception de l'U voyelle qui fait ou ; cependant dans la basse Allemagne, la prononciation françoise de l'U n'est point inconnue ; mais alors on met un petit e au-dessus, . Dans la haute Allemagne cette prononciation n'est point usitée, & se prononce comme . Les premiers prononcent le mot bel, mal, comme en françois ble, les derniers comme le : l'V consonne se prononce comme un F ; vatter, pere, fait fttre : le double W a le son de l'V consonne en françois : l'E lorsqu'il suit un I, ne fait qu'allonger cet I sans se faire sentir ; die, la, se prononce d : el, er, en à la fin des mots, se mangent ou se transposent ; vogel, wasser, haben, font fogle, vassre, habn : sch fait chez les Allemands ce que ch fait en françois ; schelm se prononce comme chelm : l'J consonne des Allemands ne differe point comme en françois ; Jesus se prononce Ièsous : le G des Allemands se prononce avec aspiration ; berg fait à-peu-près berkh : mais l'ch s'exprime par une aspiration de la gorge très-marquée, comme si l'on vouloit pousser fortement l'haleine du fond de l'estomac ; ich, je, fait à-peu-près ikhh. Cette prononciation est très-difficile pour les étrangers, surtout quand le ch est encore combiné avec d'autres consonnes, comme dans hechts, &c. En général les Allemands combinent plusieurs consonnes, ce qui rend leur prononciation rude & souvent impossible à saisir par ceux dont les organes n'y sont point accoutumés dès leur tendre jeunesse ; kopff, la tête, schwartz, noir, &c. le Z chez les Allemands se prononce comme ts ; zinn, étain, fait en françois tsinn. Quant aux
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PRONTEA | (Hist. nat.) nom d'une pierre qui ressemble, dit-on, à la tête d'une tortue. On croit que c'est la même que la pierre appellée brontia, ou pierre de tonnerre.
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PRONUBA | (Littérat.) on appelloit pronuba chez les Romains, toutes les femmes qui étoient chargées des apprêts des nôces ; celles mêmes qui ménageoient les mariages, & celles enfin qui prenoient soin de deshabiller & de mettre au lit les nouvelles mariées ; mais dans la fable, c'est Junon qu'on nommoit pronuba par excellence. On lui offroit une victime dont on ôtoit la vésicule du fiel, pour marquer le symbole de la douceur qui doit régner entre les deux époux. (D.J.)
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PROODIQUE | VERS, (Poësie) ce terme en poësie signifie un grand vers par rapport à un plus petit. Dans un distique composé d'un hexametre & d'un pentametre, le vers hexametre est le proodique, & le pentametre est l'épode. Dans les vers saphiques, les trois premiers vers de chaque strophe sont proodiques par rapport au petit qui est épode. (D.J.)
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PROPAGANDE | S. f. (Hist. ecclés.) société établie en Angleterre pour la propagation de la Religion chrétienne. Les Anglois ayant pénétré dans le nouveau monde, penserent à attirer les Indiens à leur religion, & à instruire les colonies qu'ils envoyoient dans leurs nouvelles conquêtes. Ainsi, par ordonnance du mois de Juillet 1643, fut érigée une société pour la propagation de l'Evangile dans la nouvelle Angleterre. Charles II. la confirma par lettres-patentes en 1661, & plusieurs personnes, entr'autres Robert Boyle, donnerent de grandes sommes pour soutenir cette entreprise. Charles II. avoit établi Boyle gouverneur de cette société, qui prit une forme plus parfaite sous le regne de Guillaume III. qui par ses lettres-patentes du 16 Juin 1701, fixa le nombre des membres de la propagande à 90 personnes, tant ecclésiastiques que laïques, sous la présidence de l'archevêque de Cantorbéry. La société se choisit des lieutenans, des trésoriers, des auditeurs des comptes, & un secrétaire, & chacun avança une somme en argent comptant, ou par voie de souscription. Quantité de particuliers concoururent à augmenter les fonds de la société, obligée de faire de grands frais ; & celle-ci envoya dans les colonies des missionnaires, qui n'y firent pas grand fruit, tant à cause des préventions des Indiens, qu'à cause des obstacles qu'ils rencontrerent de la part des Anglois mêmes. Cette société de la propagande a un bureau qui s'assemble au-moins une fois la semaine dans le chapitre de saint Paul à Londres ; & ce qui a été préparé par ce bureau est ensuite proposé à la société même qui s'assemble dans la bibliotheque que l'archevêque de Cantorbéry a établie à saint Martin de Westminster : ces assemblées se tiennent tous les mois. L'assemblée anniversaire du trois Février, s'est ordinairement tenue dans le revertiaire de l'église de Bowchurch à Londres ; on prêche devant cette assemblée sur la matiere qui occupe cette société. Le roi de Danemarck en a établi une pareille pour le Tranquebar depuis 1705. La Crose, hist. du Christianisme des Indes, supplément de Moréry, tome II.
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PROPAGATION | S. f. multiplication par voie de génération. Voyez GENERATION.
PROPAGATION, (Gouvernement politique) voyez POPULATION.
PROPAGATION DE L'EVANGILE, société pour la, (Hist. d'Anglet.) société établie dans la grande-Bretagne pour la propagation de la religion chrétienne dans la nouvelle Angleterre, & les pays voisins. Voyez l'article PROPAGANDE.
Nous avons dans notre royaume plusieurs établissemens de cette nature, des missionnaires en titre, & d'autres qui font la même fonction, par un beau & louable zèle d'étendre une religion hors du sein de laquelle ils sont persuadés qu'il n'y a point de salut. Mais un point important que ces dignes imitateurs des Apôtres devroient bien concevoir, c'est que leur profession suppose dans les peuples qu'ils vont prêcher, un esprit de tolérance qui leur permette d'annoncer des dogmes contraires au culte national, sans qu'on se croye en droit de les regarder comme perturbateurs de la tranquillité publique, & autorisé à les punir de mort ou de prison. Sans quoi ils seroient forcés de convenir de la folie de leur état, & de la sagesse de leurs persécuteurs. Pourquoi donc ont-ils si rarement eux-mêmes une vertu dont ils ont si grand besoin dans les autres ?
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PROPEMPTICON | S. m. (Poësie) , piece de poësie, dans laquelle on faisoit des voeux pour la santé de quelqu'un qui partoit pour un voyage ; telle est l'ode d'Horace, od. 3. l. I. adressée à Virgile lors de son départ pour Athènes. Malheureusement on peut regarder cette piece comme les derniers adieux d'Horace à Virgile. Il satisfait au devoir que l'amitié exigeoit de lui, en se séparant d'un illustre & intime ami, qui s'embarquoit pour la Grece ; (c'étoit en 735) & ils ne se virent plus depuis. Quand Horace auroit prévu ce qui devoit arriver, il ne pouvoit guere exprimer ses regrets d'une maniere plus sensible qu'il l'a fait dans ce propempticon, tout rempli de force, de sentiment, & d'expression.
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PROPETIDES | S. f. (Mythol.) c'étoient des femmes de l'île de Chypre, qui prodiguoient leurs faveurs dans le temple de Vénus. Cette déesse, dit Ovide, les avoit jettées dans cet écart, pour se venger de leurs mépris : il ajoute, que dès qu'elles eurent ainsi foulé aux piés les lois de la pudeur, elles devinrent tellement insensibles, qu'il ne fallut qu'un léger changement pour les métamorphoser en rochers : cette idée est fort ingénieuse. (D.J.)
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PROPHETE | S. m. PROPHÉTIE, s. f. (Gramm.) ce terme a plus d'une signification dans l'Ecriture-sainte & dans les auteurs. Si l'on s'arrête à son étymologie, il vient du verbe grec , qui signifie parler, & de la préposition , qui quelquefois signifie auparavant, & quelquefois en présence ; car l'on dit, , avant le tems, , en présence du roi : ainsi la prophétie sera, selon la force du mot, ou une prédiction, qui est une parole annoncée avant le tems de son accomplissement, ou une prédication, qui est une parole prononcée en présence du peuple.
Si l'on remonte à l'hébreu, le mot nabi qui répond à celui de prophete, peut avoir deux racines, & parlà deux significations différentes. Rabbi Salomon, en expliquant le chapitre vij. de l'Exode, le fait descendre de la racine noub, qui signifie proprement germer ou produire des fruits en abondance, & par métaphore, parler éloquemment ; desorte que selon cette racine, un prophete sera un prédicateur ou un orateur, & la prophétie sera un discours public composé avec art. Mais Aben Esra tire l'étymologie de ce mot de la racine naba ou niba, qui signifie prophétiser ou découvrir les choses cachées & futures. Pour réfuter Rabbi Salomon, il se sert d'une regle de grammaire, selon laquelle il prétend que la lettre N qui se trouve dans le mot nabi est radicale, ce qui ne seroit pas ainsi si ce mot venoit de noub.
Quoi qu'il en soit de toutes ces différentes étymologies, voici les divers sens qu'on a donnés aux mots de prophete & de prophétie, & toutes les significations que l'Ecriture-sainte & les auteurs y ont attachées dans les lieux où ils les ont employés.
Premierement, dans un sens étendu & général, prophete signifie une personne spécialement éclairée, qui a des connoissances que les autres n'ont point, soit que ces connoissances soient divines ou purement humaines. De-là vient que Balaam, dans les Nombres, selon l'édition des Septante, commence sa prophétie par ces paroles : voici ce que dit l'homme qui a l'oeil ouvert & qui est éclairé de la vision du Tout-puissant ; & que, selon la remarque de l'auteur du premier livre des Rois, chap. ix. v. 9. on nommoit autrefois en Israël voyans ceux qu'on nomma dans la suite prophetes. Samuel étoit appellé voyant. C'est apparemment en ce sens que saint Paul, dans sa premiere lettre aux Corinthiens, prend le mot de prophétie, qu'il dit être un don de Dieu préférable au don des langues ; car il parle là des connoissances spéciales que Dieu donnoit à certaines personnes, pour l'instruction & pour l'édification des autres, soit en leur révélant le secret des coeurs & de la morale, soit en leur découvrant le vrai sens des Ecritures : delà vient qu'au chap. xiv. il veut que ces prophetes parlent dans l'Eglise tour-à-tour préférablement aux autres, sur-tout à ceux qui n'avoient que le don des langues étrangeres, les langues ne signifiant rien d'elles-mêmes si elles ne sont interprétées, au-lieu que la prophétie, dit-il, sert à l'instruction & à la consolation des fideles, . Le mot de prophete a le même sens dans la bouche de Notre-Seigneur, lorsqu'il dit qu'aucun prophete n'est privé d'honneur excepté dans sa patrie ; car prophete dans cet endroit signifie un homme distingué du reste du peuple par sa science & par ses lumieres, d'où est venu le proverbe commun, nul prophete en son pays ; c'est-à-dire que personne ne passe chez soi pour plus habile que les autres, ou dans un autre sens, qu'il faut pour acquérir des connoissances particulieres & supérieures, sortir de sa patrie & voir d'autres pays que le sien.
Secondement, le mot de prophétie se prend pour une connoissance surnaturelle des choses cachées, quoique présentes ou passées. Dans ce sens Samuel prophétisa à Saül, que les ânesses qu'il cherchoit avoient été retrouvées ; & les soldats disoient à J. C. en le maltraitant dans la salle de Pilate, de prophétiser celui qui l'avoit frappé, .
Troisiémement, on entend par prophete un homme qui ne parle pas de lui-même & de son propre mouvement, mais que Dieu fait parler, soit qu'il sache que ce qu'il dit vient de Dieu, ou qu'il l'ignore. C'est en ce sens que l'évangéliste dit de Caïfe, qu'étant pontife cette année, il prophétisa, en disant à l'occasion de Jesus-Christ, qu'il étoit expédient qu'un homme mourût pour le peuple, , dit saint Jean, chap. xj. v. 51. . En ce même sens Josephe met les auteurs des treize premiers livres de l'Ecriture au rang des prophetes, quoique plusieurs de ces livres ne nous révélent point des choses cachées ou futures. Ainsi quand il dit que ces livres ont été écrits par des prophetes, il entend & veut dire par des hommes que Dieu inspiroit ; afin de les distinguer des autres livres qui contiennent l'histoire des tems qui ont suivi Artaxerxes, & dont on ne regardoit pas les auteurs comme inspirés de Dieu, mais seulement comme des écrivains ordinaires qui avoient écrit & travaillé de leur propre fond, & selon les lumieres humaines.
Quatriemement, un prophete est celui qui porte la parole au nom d'un autre ; ainsi Moïse s'excusant dans l'Exode, & voulant se dispenser de parler à Pharaon sur ce qu'il n'avoit pas la parole libre, Dieu lui dit que son frere Aaron seroit son prophete, c'est-à-dire qu'il parleroit pour lui & de sa part au roi d'Egypte. Aaron frater tuus, erit propheta tuus, tu loqueris & omnia quae mando tibi, & ille loquetur ad Pharaonem, chap. vij. Jesus-Christ & saint Etienne le prennent au même sens, lorsqu'ils reprochent aux Juifs d'avoir persécuté tous les prophetes depuis Abel jusqu'à Zacharie, car ils entendent par-là tous les justes qui avoient annoncé à ce peuple la vérité de la part de Dieu ; & la fonction des anciens prophetes n'étoit pas seulement de prédire l'avenir, il étoit encore de leur charge & de leur devoir de parler au peuple & aux princes de la part de Dieu sur les choses présentes, de les reprendre de leurs crimes, de les instruire de ses volontés, & de porter ses ordres.
Nathan exerça la charge & remplit la fonction de prophete lorsqu'il reprit David de l'enlevement de Bertzabée & de l'homicide d'Urie. Samuel fit les mêmes fonctions lorsqu'il oignit rois d'Israël Saül & David : nous voyons aussi dans l'Ecriture qu'ils étoient envoyés de Dieu, & qu'ils avoient ordre de parler en son nom. C'est en ce sens que Moïse, Heli, Henoc, & saint Jean-Baptiste sont appellés prophetes, & c'est peut-être par cette même raison que chez les anciens les prêtres qui présidoient aux sacrifices & dans les temples étoient nommés prophetes ; & ce nom étoit également donné à ceux qui interprétoient les oracles des dieux, comme nous l'apprenons de Festus Pompéius, dans son livre de verborum significatione, où il cite pour cela deux vers d'un poëte latin nommé Caius Caesar, & dont les tragédies ont été attribuées à Jules César, ces vers sont tirés de la tragédie d'Adraste ; les voici :
Cum capita viridi lauro velare imperant
Prophetae, sancta castè qui parant sacra.
Ces prêtres & ces interpretes avoient soin d'expliquer la volonté des dieux & de parler de leur part aux hommes. C'est encore par cette raison qu'il est dit en quelques endroits de l'Ecriture, que les faux prophetes parloient d'eux-mêmes & sans mission, aulieu de parler au nom de Dieu, prophétisant de ore suo. Notre-Seigneur prend ce terme dans le même sens, lorsqu'il nous dit de nous défier des faux prophetes, attendite à falsis prophetis, qui couverts de la peau de brebis se disent être envoyés de Dieu, & ne sont pourtant que les émissaires du diable ; c'est enfin selon ce sens que saint Augustin (quaest. xix. in Exod.) définit un prophete en disant que c'est un homme qui porte la parole de Dieu aux hommes, qui ne peuvent ou ne méritent pas de l'entendre par eux-mêmes : annunciatorem verborum Dei hominibus, qui vel non possunt vel non merentur Deum audire.
Cinquiémement, les Poëtes & les Chantres ont été appellés prophetes, & vates en latin signifie quelquefois un devin & quelquefois un poëte. Ce nom ne leur a peut-être été donné qu'à cause de l'enthousiasme poëtique, qui élevant leurs discours au-dessus du langage ordinaire, & les faisant sortir d'un caractere modéré, les rend semblables à des hommes inspirés ; c'est pourquoi la Poësie est nommée le langage des dieux, & les Poëtes ont grand soin de faire entendre que leur style est au-dessus de celui des mortels, en commençant leurs ouvrages par l'invocation des dieux, des Muses, & d'Apollon qu'ils reclament & appellent sans cesse à leur secours ; coutume dont Tite-Live semble un peu se railler au commencement de son histoire, lorsqu'il dit qu'il chercheroit dans l'invocation des dieux un secours favorable à un aussi grand ouvrage qu'est celui d'une histoire romaine, si l'usage l'avoit également autorisé parmi les Historiens comme parmi les Poëtes, si ut Poëtis nobis quoque mos esset. Cette coutume n'avoit point passé jusque dans l'Histoire, dont la gravité ne sauroit admettre le faste dans le style non-plus que le faux dans les faits. Ces épithetes exagérées de prophetes, de devins, & de sacrés ont été & seront toujours apparemment l'apanage de la fiction & de l'enthousiasme ; de-là vient qu'Horace se nomme dans une de ses odes le prêtre des Muses ; odi profanum vulgus & arceo (dit-il) favete linguis, carmina non prius audita, Musarum sacerdos, virginibus puerisque canto. C'est peut-être en ce sens que saint Paul, dans son épître à Tite, donne à Epiménide le nom de prophete, proprius eorum propheta, dit-il, parce que c'étoit un poëte crétois. Il est dit en ce même sens de Saül, qu'il prophétisa avec une troupe de prophetes qu'il rencontra en son chemin, ayant à leur tête plusieurs instrumens de musique, & chantant des vers & des hymnes qu'ils avoient composés ou qu'ils composoient sur-le-champ. En ce sens David, Asaph, Heman, Idithun étoient des prophetes, parce qu'ils composoient & chantoient des pseaumes : & Conenias est nommé dans les Paralippomenes, le prince & le chef de la prophétie parmi les chantres, princeps prophetiae inter cantores. Dans le même livre, ch. xxv. il est dit des chantres que David avoit établis pour chanter dans le temple, qu'ils prophétisoient sur la guittare, sur le psalterium, & sur les autres anciens instrumens de musique, prophetantes juxta regem.... qui prophetarent in cytaris & psalteriis, & cymbalis.
Sixiémement, le mot de prophétie a été appliqué, quoiqu'assez rarement, à ce qui étoit éclatant & merveilleux ; c'est pourquoi l'Ecclésiastique dit au chap. lxviij. que le corps d'Elisée prophétisa après sa mort, & mortuum prophetavit corpus ejus, parce que son attouchement ressuscita un mort qu'on enterroit auprès de lui. Et les Juifs voyant les miracles que faisoit Jesus-Christ, disoient, qu'il n'avoit jamais paru parmi eux un semblable prophete, c'est-à-dire un homme dont les actions & les paroles eussent tant de brillant & tant de merveilleux.
En septieme lieu, on a quelquefois donné le nom de prophétie à un juste discernement & à une sage prévoyance, qui font qu'on pense d'une maniere judicieuse sur les choses à venir comme sur les présentes ; alors pour être prophete il ne faut que de la science, de l'expérience, de la réflexion, de l'étendue & de la droiture d'esprit. C'est par cette raison qu'il est dit dans les Proverb. que la bouche du roi n'erre point dans les jugemens qu'elle prononce, & que ses levres annoncent l'avenir, divinatio in labiis regis, & in judicio non errabit os ejus, ou, dans un sens d'instruction & de commandement, que les rois doivent prévoir les événemens, & que leurs arrêts doivent toujours être dictés par la justice. Ce talent de prévoyance fit passer pour prophete Thalès milésien, parce qu'il sut prévoir, ou du-moins conjecturer, par les connoissances qu'il avoit de la physique, l'abondance d'huile qu'il dut y avoir une année dans son pays. Euripide a un beau vers sur cette sorte de prophétie, cité par M. Huet : le voici.
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PROPHÉTIE | prophetia, se dit en général de toute prédiction faite par l'inspiration divine. Voyez INSPIRATION.
Mais pour en donner une idée plus juste, il est àpropos d'observer, 1°. que la prophétie n'est point la prévoyance de quelques effets naturels & physiques, suites infaillibles de la communication des différens mouvemens de la matiere. Un astronome prédit les éclipses, un pilote prévoit les tempêtes ; & ni l'un ni l'autre ne sont pour cela prophetes. 2°. Que la prophétie n'est pas non plus la prévoyance de quelque suite d'événemens, établie sur certains signes extérieurs en conséquence de plusieurs expériences où ces mêmes signes ont été succédés d'événemens pareils : les décisions des médecins sont de ce genre, & ne passent pas pour des prophéties. 3°. La prophétie n'est pas le présage de quelques révolutions dans les affaires, soit publiques, soit particulieres, quand on a pour motif la détermination, la connoissance du coeur humain, ou du jeu des passions, qui engagent presque toujours les hommes dans les mêmes démarches. La politique & la réflexion suffisent pour prévenir de pareils événemens.
La prophétie est donc la connoissance de l'avenir impénétrable à l'esprit humain ; ou pour mieux dire, c'est la connoissance infaillible des événemens futurs, libres, casuels, où l'esprit ne découvre ni détermination antérieure, ni disposition préliminaire. On peut encore la définir la prédiction certaine d'une chose future & contingente, & qui n'a pu être prévue par aucun moyen naturel.
Dieu seul a par lui-même la connoissance de l'avenir ; mais il peut la communiquer aux hommes, & leur ordonner d'annoncer aux autres les vérités qu'il leur a manifestées : or, c'est ce qu'il a fait, & delà les prophéties qui sont contenues dans l'ancien Testament.
Quelques auteurs ont pensé que la divination étant un art enseigné méthodiquement dans les écoles romaines, les Juifs avoient pareillement des colléges & des écoles où l'on apprenoit à prophétiser. Dodwel ajoute que dans ces écoles on apprenoit les regles de la divination, & que le don de prophétie n'étoit pas une chose occasionnelle, mais une chose de fait & assurée ; & quelques autres ont osé avancer qu'il y avoit dans l'ancien Testament un ordre de prophetes à-peu-près semblable aux colléges des augures chez les payens.
Il est vrai qu'on trouve dans l'Ecriture ces communautés des prophetes & des enfans des prophetes établies ; mais où trouve-t-on qu'on y enseignât l'art de prophétiser ? quelles en étoient les regles ? Tous les sectateurs des prophetes étoient-ils prophetes eux-mêmes ? Enfin ne voit-on pas dans tous les prophetes un choix particulier de Dieu sur eux, une vocation spéciale, des inspirations particulieres marquées par ces paroles, factum est verbum Domini ad me ? Enfin, entre les impostures, les conjectures des devins du paganisme, & le ton sérieux & affirmatif des prophetes de l'ancienne loi, il y a une différence palpable.
On ajoute qu'il y avoit parmi les Juifs un grand nombre de prophetes, qui non-seulement parloient sur la religion & le gouvernement, mais encore qui faisoient profession de dire la bonne avanture, & de faire retrouver les choses perdues ; mais ces deux especes de prophetes étoient fort différens. Les devins, les imposteurs & les charlatans, sont condamnés par la loi de Moïse : les vrais prophetes démasquoient leurs fourberies ; les princes impies avoient beau les tolérer & les favoriser, tôt ou tard on découvroit la fausseté de leurs prédictions ; au lieu que celles des vrais prophetes étoient confirmées, ou sur-le-champ par des miracles éclatans, ou peu après par l'infaillibilité de l'événement.
L'accomplissement des prophéties de l'ancien Testament dans la personne de Jesus-Christ, est une des preuves les plus fortes que les Chrétiens employent pour démontrer la vérité de la religion, contre les Juifs & les Payens : on y oppose diverses difficultés, mais qui ne demeurent pas sans replique.
Ainsi l'on objecte que souvent les textes de l'ancien Testament cités dans le nouveau, ne se trouvent point dans l'ancien ; que souvent aussi le sens littéral du nouveau Testament ne paroît pas le même que celui de l'ancien : ce qui a obligé quelques critiques & théologiens à avoir recours à un sens mystique & allégorique pour adapter ces prophéties à Jesus-Christ. Par exemple, quand saint Matthieu, après avoir rapporté la conception & la naissance de J. C., dit : " Tout cela arriva, afin que fût accompli ce qui avoit été dit par le seigneur par la bouche de son prophete, disant, ecce virgo concipiet & pariet filium, & vocabitur nomen ejus Emmanuel ". Or, ajoute-t-on, ces paroles telles qu'elles se trouvent dans Isaïe, prises dans leur sens littéral & ordinaire, regardent une jeune femme épouse du prophete, qui accoucha d'un fils au tems d'Achaz, & ne peuvent s'appliquer à Jesus-Christ que dans un sens allégorique : c'est le sentiment de Grotius, de Castalion, de Courcelles, d'Episcopius, & de M. le Clerc.
Nous voulons bien ne pas tirer avantage contre ces auteurs, de ce qu'ils sont tous suspects de socinianisme ou d'arianisme ; & s'il s'agissoit de décider la chose par autorité, nous leur opposerions une foule de peres, d'interpretes, de théologiens, soit catholiques, soit protestans, qui ont entendu ce passage d'Isaïe à la lettre de Jesus-Christ. Mais il s'agit, pour l'instruction du lecteur, de montrer que c'est de Jesus-Christ qu'on doit l'entendre réellement. Or il s'agit premierement dans ce passage d'une vierge, virgo concipiet : l'hébreu porte halma, c'est-à-dire une fille encore vierge, qui n'a eu aucun commerce avec un homme. Peut-on appliquer ce titre à l'épouse d'Isaïe, qui avoit déja eu un fils ? 2°. Il s'agit d'un enfant qui naîtra postérieurement à la prophétie d'Isaïe : on ne connoît à ce prophete que deux fils, l'un déja né & qu'il tenoit par la main lorsqu'il parloit à Achaz, & qui a nom Jasub. L'autre qui naquit effectivement peu de tems après, & auquel ce prophete donna le nom de Maher-Schalal Chazbaz. Or quelle ressemblance y a-t-il entre cette dénomination & le nom d'Emmanuel, vocabitur nomen ejus Emmanuel, dont Isaïe prédit la naissance ? 3°. L'événement qu'annonce le prophete doit être frappant, merveilleux, extraordinaire ; mais qu'y a-t-il de merveilleux que l'épouse du prophete, qui avoit déja eu un fils, & qui étoit jeune, en eût un second ? 4°. Enfin, le seul nom d'Emmanuel, Dieu avec nous, n'est applicable à aucun des enfans des hommes. Toutes les autres circonstances de la prophétie marquent qu'elle n'a pu s'accomplir littéralement du tems d'Isaïe ; que Grotius & les autres nous montrent donc comment & pourquoi elle ne s'est accomplie dans la personne de Jesus-Christ que dans un sens allégorique ?
Cet auteur, après un pareil essai, n'est donc pas recevable à dire que presque toutes les prophéties de l'ancien Testament citées dans le nouveau, sont prises dans un sens mystique. Encouragés apparemment par cette prétention, Dodwel & Marsham ont avancé que la fameuse prophétie de Daniel sur les soixante-dix semaines, a été accomplie littéralement au tems d'Antiochus Epiphanes ; & que les expressions que Jesus-Christ en tire dans la prédiction de la ruine de Jérusalem par les Romains, ne doivent être prises que dans un sens adoptif, un second sens.
Mais outre les sens forcés que Dodwel & Marsham donnent aux paroles de la prophétie ; outre le calcul faux qu'ils font des soixante-dix semaines d'années, qui composant 490 ans, ne peuvent jamais tomber au regne d'Antiochus Epiphanes : combien de caracteres de cette prophétie qui ne peuvent convenir au tems de ce prince ? Le péché a-t-il fini, & la justice éternelle a-t-elle paru sous son regne ? Quel est le saint des saints qui y a reçu l'onction ? Jérusalem a-t-elle été renversée de fond en comble ? & la désolation de la nation juive a-t-elle été pour lors durable & permanente ? On peut voir l'absurdité de ce sentiment & de plusieurs autres semblables, savamment réfutés par M. Witasse, traité de l'Incarn. part. I. quest. iij. article 1. sect. 2.
Il faut penser de même de ce que disent Grotius, Simon, Stillingfleet, &c. que la fameuse prophétie du Pentateuque, le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophete comme moi de votre nation & d'entre vos freres : c'est lui que vous écouterez, &c. ne contient que la promesse d'une succession de prophetes dans Israël. Mais outre qu'il ne s'agit pas d'une succession de prophetes, mais d'un prophete par excellence, il est clair par toute la suite du texte, que les caracteres que Moïse donne à ce prophete conviennent infiniment mieux à Jesus-Christ qu'à tous ceux qui l'ont précédé dans le ministere prophétique.
Pour donner quelque couleur à ces opinions, on a avancé que les Apôtres avoient des regles pour discerner les prophéties de l'ancien Testament, qui devoient être prises dans un sens littéral, d'avec celles qu'on devoit entendre dans un sens allégorique ; ces regles, ajoute-t-on, sont perdues.
A cela il est aisé de répondre que les Apôtres inspirés par le saint-Esprit, n'avoient pas besoin de ces prétendues regles : la lumiere divine qui les éclairoit, étoit bien supérieure à celle qu'on veut qu'ils aient tiré des écrits des rabbins & des docteurs juifs ; mais si ces regles sont si précieuses & paroissent si essentielles, M. Surenhusius, professeur en hébreu à Amsterdam, les a toutes retrouvées dans l'ouvrage qu'il a donné sous le titre de Sepher hamechave, ou de , qu'il faut n'avoir pas lu pour dire, comme fait M. Chambers, que ces regles sont forcées & peu naturelles. Voy. ce que nous en avons dit au mot CITATIONS.
Ce sont apparemment ces objections & de semblables raisonnemens qui ayant effrayé M. Whiston, lui ont fait condamner toute explication allégorique des prophéties de l'ancien Testament, comme fausse, foible, fanatique, & ajouter que si l'on soutient qu'il y a un double sens des prophéties, & qu'il n'y a d'autre moyen d'en faire voir l'accomplissement qu'en les appliquant dans un sens allégorique & représentatif à Jesus-Christ, quoiqu'elles ayent été accomplies long-tems auparavant dans leur premier sens, on se prive par-là de l'avantage réel des prophéties, & d'une des plus solides preuves du Christianisme ; car nous montrerons ci-dessous qu'il y a nécessairement des prophéties typiques, mais que cela n'ôte rien à la Religion de la force de ses preuves.
M. Whiston, pour obvier à ce mal, propose un nouveau plan ; car il avoue qu'en prenant le texte de l'ancien Testament tel que nous l'avons maintenant, il est impossible d'interpréter les citations des Apôtres sur les prophéties de l'ancien Testament, autrement que par le sens allégorique ; & pour ôter toute difficulté, il est contraint d'avoir recours à des suppositions contraires au sentiment de tous les auteurs ecclésiastiques, savoir que le texte de l'ancien Testament a été corrompu & altéré par les Juifs depuis le tems des Apôtres. Voyez TEXTE.
Selon son hypothèse, les Apôtres faisoient leurs citations de l'ancien Testament d'après la version des septante, qui étoit en usage de leur tems, & exactement d'accord avec l'original hébreu ; & comme ils faisoient des citations exactes, ils les prenoient dans le sens littéral telles qu'elles sont dans l'ancien Testament. Mais depuis ce tems l'original hébreu & les copies des septante (de l'ancien Testament) ont été notablement altérées, ce qui, selon cet auteur, occasionne les différences remarquables que l'on trouve entre l'ancien & le nouveau Testament, par rapport aux paroles & au sens de ces citations. Voyez SEPTANTE.
A l'égard de la maniere dont a pu se faire cette corruption, Whiston suppose que les Juifs du second siecle altérerent le texte hébreu & les septante, & principalement les prophéties citées par les Apôtres, qu'ils regardoient comme des argumens très-pressans. Ce qu'il prétend prouver, parce que dans le troisieme siecle on trouve dans les écrits d'Origene une de ces copies altérées des septante, qu'Origene regardant comme vraie, a insérée dans ses exaples ; qu'on s'en servoit dans les églises ; & que sur la fin du jv. siecle les Juifs firent passer dans les mains des Chrétiens, qui ignoroient entierement la langue hébraïque, une copie corrompue du texte hébreu de l'ancien Testament. Whiston soutient donc que toutes les différences qui se trouvent entre le vieux & le nouveau Testament quant aux citations en question, n'appartiennent point au vrai texte de l'ancien Testament, qui n'existe plus, mais seulement au texte corrompu que nous avons. C'est pourquoi pour justifier les discours des Apôtres, il propose de rétablir le texte de l'ancien Testament comme il étoit avant le tems d'Origene & au tems des Apôtres ; & pour lors, dit-il, on prouvera que les Apôtres ont cité exactement & raisonné juste d'après l'ancien Testament.
Mais en bonne foi n'est-ce pas là trahir la cause de la Religion sous ombre de la défendre ? & sur quels fondemens est appuyée l'hypothèse de Whiston ? Car enfin à qui persuadera-t-il que l'ancien Testament ait été ainsi corrompu ; que les églises chrétiennes n'aient pas reclamé ; que la supercherie des Juifs ait eu un succès universel, & que les Chrétiens aient été pour ainsi dire d'accord avec eux afin de l'accréditer ? Car il faut supposer tout cela pour donner quelque lueur de vraisemblance à ce système. Un exemplaire altéré du tems d'Origene, prouveroit-il que tous l'eussent été ? D'ailleurs on pense généralement que les différences du texte hébreu & des septante existoient déja du tems des Apôtres. Enfin sur quel texte original veut-il qu'on corrige & l'hébreu & les septante, puisque, selon lui, tous les exemplaires sont altérés ? Le remede qu'il propose est aussi impraticable que ridicule.
Avouons que cet auteur s'est laissé écraser par une difficulté qu'on évite, en disant qu'il y a des prophéties & en très-grand nombre, qui dans leur sens littéral ne peuvent s'entendre que de Jesus-Christ, & qui n'ont jamais été accomplies que dans sa personne ; telles sont celles de Jacob, de Daniel, un grand nombre tirées des Pseaumes & d'Isaïe ; celles d'Aggée & de Malachie. Mais en convenant aussi qu'il y a dans l'Ecriture plusieurs prophéties typiques qui ont deux objets, l'un prochain & immédiat sous l'ancienne loi, l'autre éloigné mais principal dans la nouvelle, savoir Jesus-Christ, en qui elles se sont accomplies d'une maniere plus sublime & plus parfaite, telles que celles d'Osée, xj. 1, de Jérémie, xxxj. 15 ; citées dans S. Matth. ij. 15 & 18 ; de l'Exode, xij. 46, citée en saint Jean, xjx. 36. du pseaume 108, citée dans les Actes, j. 6. du II. liv. des Rois, vij, & citée par saint Paul aux Hébreux, j. 6 ; qui toutes ont été accomplies en Jesus-Christ, ou à son occasion.
On convient qu'il n'est pas facile de discerner les prophéties qui se sont accomplies dans le sens littéral en Jesus-Christ, d'avec celles qui ne s'y sont accomplies que dans le sens mystique ; mais malgré cette difficulté, on en a toujours un assez grand nombre qui déposent en faveur de la divinité & de la vérité de sa religion, pour ne pas craindre que la preuve qu'on tire des prophéties puisse jamais être énervée. On peut consulter sur cette matiere Maldonat, M. Bossuet, & le P. Baltus, jésuite, dans son ouvrage intitulé, défense des prophéties.
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PROPHÉTISER | (Critiq. sacrée) , signifie 1°. annoncer les choses futures. Platon dit que la faculté de prophétiser est au-dessus de nous, qu'il est besoin d'être hors de nous quand nous la traitons ; il faut, continue-t-il, que notre prudence soit offusquée ou par le sommeil, ou par quelque maladie, ou enlevée de sa place par un enthousiasme, un ravissement céleste ; , in Timaeo, p. 543. G. 2°. Prophétiser veut dire simplement donner des avis, des instructions sur le sujet de la conduite, & par rapport à Dieu. Holopherne dit à Achior, vous nous avez bien prophétisé aujourd'hui, Judith, 6. 5. Il avoit conseillé à Holopherne de ne point attaquer les Juifs, parce que ce peuple étoit invincible quand il étoit fidele à Dieu. (D.J.)
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PROPHILACTIQUE | adj. (Médecine) les Médecins disent indication prophilactique ; c'est-à-dire intention de conserver le malade en détruisant la cause de la maladie, en le préservant de l'influence de la cause morbifique. Voyez INDICATION. Curation prophilactique, c'est-à-dire traitement dirigé au même objet.
On appelle aussi prophilactique la partie de la Médecine qui s'occupe en conservant la santé présente, à prévenir les maladies. Cette partie de la Médecine est plus connue sous le nom d'hygiene. Voyez HYGIENE.
On dit peu remede prophilactique ; le mot préservatif est plus usité dans ce sens. Voyez PRESERVATIF. (b)
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PROPICE | adj. (Gramm.) favorable ; mais il ne se dit guere que de Dieu, des génies, des astres, du sort, de la fortune, du hasard, & de toutes les choses qui disposent de nous, & qui font notre bonheur ou notre malheur malgré nous, & par conséquent de la justice, des lois, des tribunaux & des juges. Il faut que l'orateur se rende ses auditeurs propices. Il se dit aussi du tems, de la circonstance, du lieu, de l'occasion. Il fut troublé au moment que tout lui étoit propice. Multaque inviderunt tam pulchrè apparere sibi rem.
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PROPICIATION | S. f. (Théologie) sacrifice pour se rendre Dieu propice, pour appaiser sa colere. Voyez SACRIFICE, EXPIATION & LUSTRATION.
Il y avoit chez les Juifs des sacrifices d'ordinaire pour les actions de grace & des holocaustes ; d'autres de propiciation qui se faisoient pour des particuliers qui avoient commis quelque faute.
Si c'étoit par ignorance, on offroit un agneau ou un chevreau ; si c'étoit une faute volontaire, on offroit un mouton. Les pauvres offroient une paire de tourterelles.
L'Eglise romaine croit que la messe est un sacrifice de propiciation pour les vivans & pour les morts. Les réformés n'admettent d'autre propiciation que celle que Jesus-Christ a offerte sur la croix.
Propiciation étoit une fête solemnelle des Juifs, que l'on célébroit le 10 du mois de Tisri, qui est leur septieme mois, & qui répond à celui de Septembre.
Elle fut instituée pour conserver la mémoire du pardon qui fut annoncé au peuple d'Israël par Moïse de la part de Dieu, qu'il leur remit la peine qu'ils avoient méritée pour avoir adoré le veau d'or.
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PROPICIATOIRE | (Critiq. sacrée) table d'or posée sur l'arche d'alliance du premier temple, & lui servant de couvercle.
Le propiciatoire étoit d'or massif d'une épaisseur d'une paume, à ce que disent les rabbins. Il y avoit aux deux bouts deux chérubins tournés en-dedans l'un vers l'autre, les aîles étendues, avec lesquelles embrassant toute la circonférence du propiciatoire, ils se rencontroient des deux côtés précisément au milieu. Les rabbins assurent que tout cela étoit tout d'une piece sans aucune soudure. C'est sur ce propiciatoire (Lev. xvj. 2.) que reposoit le schekina, ou la présence divine, tant dans le tabernacle que dans le temple, & qu'elle s'y rendoit sensible sous la forme d'une nuée.
C'est de-là (Exod. xv. 22. Nomb. 7. 89.) que Dieu prononçoit ses oracles de vive voix & par des sons articulés, toutes les fois qu'il étoit consulté en faveur de son peuple. De-là vient que dans l'Ecriture Dieu est dit si souvent habiter entre les chérubins, c'est-à-dire entre les chérubins du propiciatoire, parce qu'il se tenoit là comme sur son trône, & qu'il donnoit des marques sensibles de sa glorieuse présence parmi les Israélites. C'est pour cette raison que le souverain sacrificateur se présentoit devant le propiciatoire une fois l'an, dans le grand jour des expiations, lorsqu'il devoit s'approcher le plus près de la divinité pour intercéder & faire propiciation en faveur d'Israël. Tous ceux aussi de la nation qui servoient Dieu selon la loi mosaïque, en faisoient le centre de leur culte, non-seulement lorsqu'ils venoient adorer dans le temple, mais encore dans quelqu'endroit du monde qu'ils fussent dispersés, se tournant dans leurs prieres du côté où l'arche étoit placée, & dirigeant toutes leurs dévotions de ce côté-là. I. Rois, viij. 48. Dan. v. 10. Prideaux.
Les Chrétiens ont donné quelquefois le nom de propiciatoire aux dais ou baldaquins qui couvroient l'autel, ou même au ciboire où reposoit l'eucharistie qui étoit suspendue sous ce dais. Voyez CIBOIRE.
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PROPINE | S. f. terme de Chancellerie romaine ; droit que l'on paye au cardinal protecteur pour tous les bénéfices qui passent par le consistoire, & pour toutes les abbayes taxées au-dessus de 66 ducats 2 tiers, qu'on paye à proportion de leur valeur. (D.J.)
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PROPLASTIQUE | c'est l'art de faire des moules dans lesquels on doit jetter quelque chose. Voyez PLASTIQUE, MOULE, FONDERIE, &c.
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PROPOLIS | ou CIRE-VIERGE, en Epicerie, est une cire rouge dont les abeilles se servent pour boucher les fentes de leurs ruches.
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PROPOMA | (Médecine anc.) nom d'une boisson composée de quatre parties de vin sur une de miel, bouillies ensemble.
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PROPONTIS | en françois PROPONTIDE, (Géogr. anc.) grand golfe de la mer, entre l'Hellespont & le Pont-Euxin, & qui communique à ces deux mers par deux détroits ; l'un appellé le détroit de l'Hellespont, & l'autre le bosphore de Thrace.
Jean Tzetzés, in varia hist. donne à la Propontide le nom de Bebricium-mare, sans doute parce qu'elle baigne une partie considérable des côtes de la Bithynie, qui est la Bébrycie ; elle est nommée Thracium-mare par Antigonus.
Le nom de Propontide lui vient de ce qu'elle est devant la mer Noire, appellée autrement le Pont ou le Pont-Euxin. On l'a encore appellée mer Blanche, ou mer de Marmara. Le nom de mer Blanche lui a été donné par comparaison avec le Pont-Euxin, auquel on prétendoit que les fréquens naufrages, & un ciel presque toujours couvert, avoient acquis le titre de mer Noire. Enfin les îles de Marmara, qui sont environ neuf ou dix lieues avant dans cette mer, lui font porter leur nom.
Tout le circuit de la Propontide, qui est d'environ 160 lieues, se trouve renfermé entre le trente-huitieme & le quarante-unieme degré de latitude septentrionale, & entre le cinquante-cinquiéme & le cinquante-huitieme degré de longitude, ou environ. On peut juger par cette situation que la Propontide est dans un climat fort tempéré, qui ne se ressent en rien des glaces cruelles du septentrion, ou des chaleurs étouffantes du midi. Aussi voit-on bien peu d'endroits dans l'univers, où dans un si petit espace il y ait eu autant de villes bâties qu'il y en a autour de ce grand bassin.
Cyzique, Nicée, Apamée, Nicomédie, Chalcédoine & plusieurs autres, en sont des preuves. Toutes ces villes sont à la droite des vaisseaux qui vont de Gallipoli à Constantinople ; & l'Europe qu'ils ont à la gauche, montre encore sur ses bords les villes de Rodosto, l'ancienne & la nouvelle Périnthe, ou Héraclée, Sélivrée, Bevado, Grand-Pont, & diverses autres, qui ne sont pas moins recommandables.
Les îles les plus considérables, & que l'on rencontre les premieres, sont celles de Marmara, qui donnent leur nom à toute cette mer. (D.J.)
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PROPORTION | S. f. (Mathémat.) comme on compare deux grandeurs d'où résulte un rapport ou une raison (voyez RAISON, RAPPORT) ; aussi l'on peut comparer deux rapports d'où résulte une proportion, lorsque les rapports comparés, ou ce qui est la même chose, leurs exposans se trouvent égaux.
Chaque rapport ayant deux termes, la proportion en a essentiellement quatre ; le premier & le dernier sont nommés extrêmes ; le second & le troisieme moyens. La proportion présentée sous cette forme est dite discrette. Si les deux moyens sont égaux, on peut supprimer l'un ou l'autre, & la proportion n'offre plus que trois termes ; mais alors celui du milieu est censé double & appartenir aux deux raisons ; à la premiere comme conséquent, & à la seconde comme antécédent. En ce dernier cas, la proportion prend le nom de continue, & est une véritable progression. Voyez PROGRESSION.
La proportion ainsi que le rapport, est ou arithmétique, ou géométrique.
Proportion arithmétique. Soient les deux rapports arithmétiques & ; leurs exposans, ou plus proprement leurs différences, sont b - a, & d - c ; or si b - a = d - c, les quatre termes qui les expriment peuvent être disposés en proportion. Pour cela il suffit d'écrire les deux rapports à la suite l'un de l'autre, les séparant par trois points disposés en triangle(), ou simplement par deux (:), a. b : c. d... ce qui s'énonce ainsi : a est à b comme c est à d, & signifie que dans l'un & dans l'autre rapport chaque conséquent surpasse son antécédent, ou en est surpassé précisément de même quantité.
Pour rendre général ce que nous avons à dire, nous n'employerons pour exemple que la proportion algébrique a. b : c. d ; mais on peut, pour aider l'imagination, y substituer telle proportion numérique qu'on voudra, & appliquer à celle-ci tout ce que nous dirons de l'autre. On en usera de même lorsqu'il s'agira plus bas de la proportion géométrique.
Si a. b : c. d, on a (par la définition) b - a = d - c ; ajoutant à chaque membre de cette égalité, elle devient b + c = a + d ; ensorte que le premier membre contient la somme des deux moyens, & le second celle des deux extrêmes ; c'est-à-dire qu'en toute proportion arithmétique, la somme des extrêmes est égale à celle des moyens. Ce qu'on pourroit encore démontrer de cette autre maniere.
Soit b - a = m, on aura aussi d - c = m ; d'où l'on tire b = a + m, & d = c + m : & substituant ces valeurs de b & de d dans la proportion a. b : c. d, elle se change en celle-ci, a.a + m : c. c + m, où il n'entre plus que les antécédens a & c, & la différence commune m. Or il est évident que la somme des extrêmes est non-seulement égale, mais identique à celle des moyens.
Dans la proportion continue, b étant égal à c, b + c = 2 c = a + d ; c'est-à-dire qu'alors la somme des extrêmes est égale au double du terme moyen.
Réciproquement si l'on a b + c = a + d, en ôtant de chaque membre, vient b - a = d - c, & par conséquent a. b : c. d ; c'est-à-dire que toute égalité (dont chaque membre est un binome) représente par l'un de ses membres la somme des moyens, & par l'autre celle des extrêmes d'une proportion, dans laquelle conséquemment elle peut se résoudre ; & comme d'ailleurs il est aisé de réduire chaque membre de toute égalité à être un binome (sans altérer sa valeur), la proposition devient générale.
Il suit qu'ayant une proportion, de quelque maniere qu'on juge à propos d'en déplacer les termes, pourvû qu'après le déplacement, les moyens restent toujours moyens, ou deviennent tous deux extrêmes, il y aura encore proportion, puisque l'égalité entre la somme des extrêmes & celle des moyens n'en sera point troublée. Je dis qu'il y aura proportion, mais ce ne sera pas toujours la même ; c'est-à-dire que les rapports pourront changer, quoiqu'ils restent toujours égaux entr'eux.... On verra plus bas de combien de manieres se peuvent faire ces déplacemens, lorsqu'il s'agira de la proportion géométrique, pour laquelle ils sont plus d'usage que pour l'Arithmétique.
Puisque b + c = a + d, d = b + c - a, ayant donc les trois premiers termes (a. b : c) d'une proportion, on en trouvera toujours le quatrieme d, en ôtant le premier de la somme des moyens. On voit qu'il ne seroit pas plus difficile d'en trouver tel autre terme qu'on voudroit, dès qu'on connoîtroit les trois autres & l'ordre qu'ils gardent entr'eux dans la proportion.
Proportion géométrique. Soient les deux rapports géométriques & , leurs exposans sont b/a & d/c : or si b/a = d/c, les quatre termes qui les expriment peuvent être disposés en proportion. Pour cela il suffit d'écrire les deux rapports à la suite l'un de l'autre, les séparant par quatre points (: :), a. b : : c. d ; ce qui s'énonce ainsi : a est à b comme c est à d, & signifie ici que dans l'un & dans l'autre rapport, chaque conséquent contient son antécédent, ou y est contenu précisément de la même maniere.
Si a.b : : c.d, on a (par la définition) b/a = d/c ; multipliant par a c chaque membre de cette égalité, elle se change en b c = a d ; ensorte que le premier membre contient le produit des deux moyens, & le second celui des deux extrêmes ; c'est-à-dire qu'en toute proportion géométrique, le produit des extrêmes est égal à celui des moyens. Ce qu'on pourroit encore démontrer de cette maniere.
Soit b/a = m, on aura aussi d/c = m ; d'où l'on tire b = a m, & d = c m : & substituant ces valeurs de b & de d dans la proportion, a. b : : c. d ; elle se change en celle-ci, a. a m : : c. c m, où il est évident que le produit des extrêmes est non-seulement égal, mais identique à celui des moyens.
Dans la proportion continue b = c, d'où b c = c c = a d ; c'est-à-dire qu'alors le produit des extrêmes est égal au quarré du terme moyen.
Réciproquement si l'on a b c = a d, divisant chaque membre par , vient b/a = d/c, & par conséquent a. b : : c. d ; c'est-à-dire que toute égalité (dont chaque membre est un produit de deux dimensions), peut se résoudre en une proportion, dont le produit des moyens est représenté par l'un des membres de l'égalité, & celui des extrêmes par l'autre. Et comme il est toujours aisé de réduire chaque membre de toute égalité à être un produit de deux dimensions (sans altérer sa valeur), la proposition devient générale.
Il suit qu'ayant une proportion, de quelque maniere qu'on juge à propos d'en déplacer les termes, pourvû qu'après le déplacement les termes de même nom le conservent ou en changent tous deux, il y aura encore proportion, puisque l'égalité entre le produit des extrêmes & celui des moyens n'en sera point troublée. Mais la proportion ne sera pas toujours la même, c'est-à-dire que les rapports pourront changer, quoiqu'ils restent toujours égaux entr'eux.
La proportion fondamentale étant a. b : : c. d, il y a sept manieres d'en déplacer les termes, sous la condition prescrite ; mais de ces sept manieres, il n'y en a que deux qui aient mérité l'attention des anciens géometres, & auxquelles il leur ait plû de donner des noms particuliers.
Ils nomment alternando ou permutando celle-ci, a. c : : b. d, où l'on ne fait que transposer entr'eux les deux moyens.
Ils nomment invertendo cette autre, b. a : : d. c, où l'on ne fait que renverser chacun des deux rapports primitifs, mettant le conséquent à la place de l'antécédent, & réciproquement.
De la même proportion originaire, a. b : : c. d, en combinant diversement entr'eux par addition ou par soustraction, les antécédens & les conséquens, on en conclut encore plusieurs autres, & la légitimité de la conclusion se prouve en faisant voir (ce qui est très-facile) que la somme des extrêmes y est égale à celle des moyens.
1°. (En prenant pour l'antécédent de chaque raison la somme ou la différence des deux termes qui la composent), a + b . b : : c + d . d... c'est ce que les Géometres nomment componendo si c'est le signe + qu'on employe, & dividendo si c'est le signe -.
2°. (En prenant au contraire pour conséquent de chaque raison la somme ou la différence des deux termes qui la composent), a . a + b : : c . c + d... c'est ce qu'on appelle convertendo.
3°. (En substituant à l'antécédent de la premiere raison la somme ou la différence des antécédens, & au conséquent la somme ou la différence des conséquens ; & prenant pour la seconde raison l'une ou l'autre des deux primitives) a + c . b + d : : . Il résulte de ce dernier mode, que la somme des antécédens est à celle des conséquens, comme celui qu'on voudra des antécédens est à son conséquent particulier. (Proposition qui a son usage).
Puisque (suprà) b c = a d, d = . Ayant donc les trois premiers termes (a. b : : c) d'une proportion, on trouvera toujours le quatrieme d, en divisant le produit des moyens par le premier. C'est le fondement de cette regle si connue & d'un si grand usage, qu'on nomme regle de trois. Voyez son article. On voit au reste qu'il ne seroit pas plus difficile de trouver tel autre terme qu'on voudroit de la proportion, dès qu'on connoîtroit les trois autres, & l'ordre qu'ils y gardent entr'eux.
Deux proportions, a. b : : c. d, & e. f : : g. h, étant données, si l'on multiplie par ordre les termes de l'une par ceux de l'autre, les produits seront encore en proportion, & l'on aura a e. b f : : c g. d h.... On l'aura prouvé, si l'on fait voir que a e d h = b f c g, ou ce qui est la même chose, que a d x e h = b c x f g : or c'est ce qui est évident ; car 1°. a d = b c, puisque a. b : : c. d ; 2°. e h = f g, puisque e. f : : g. h. Mais les facteurs d'une part étant égaux aux facteurs de l'autre, les produits eux-mêmes ne peuvent manquer de l'être.
Ce qu'on vient de dire de deux proportions doit s'entendre de 3, de 4, &c... Si, au lieu de les multiplier, on les divise l'une par l'autre, les quotiens seront pareillement en proportion ; & on le démontrera par la même méthode & avec la même facilité.
Il suit que des racines proportionnelles donnent des puissances qui le sont aussi, & réciproquement ; car les puissances ne sont que des produits, comme les racines ne sont que des quotiens, d'une espece particuliere à la vérité, mais dont la singularité ne les soustrait pas à la loi générale qu'on vient d'établir. (Article de M. RALLIER DES OURMES )
PROPORTION HARMONIQUE ou MUSICALE, est une troisieme espece de proportion qui se forme des deux précédentes en cette sorte : si trois nombres sont tels, que le premier soit au troisieme, comme la différence du premier & du second est à la différence du second & du troisieme, ces trois nombres sont en proportion harmonique.
Ainsi les nombres 2, 3, 6, sont en proportion harmonique, parce que 2 : b : : 1. 3 ; de même aussi quatre nombres sont en proportion harmonique quand le premier est au quatrieme, comme la différence du premier & du second est à la différence du troisieme & du quatrieme.
Ainsi 24, 16, 12, 9, sont en proportion harmonique, parce que 24 : 9 : : 8 : 3.
Si on continue la proportion dans le premier de ces deux cas, on formera une progression ou serie harmonique. Voyez SERIE ou SUITE.
1. Si trois ou quatre nombres en proportion harmonique, sont multipliés ou divisés par le même nombre, les produits ou quotiens seront aussi en proportion harmonique ; ainsi les nombres 6, 8, 12, qui sont en proportion harmonique étant divisés par 2, les quotiens 3, 4, 6, seront encore harmoniquement proportionnels, comme aussi les produits des nombres 6, 8, 12, par 2 ; c'est-à-dire 12, 16, 24.
2. Pour trouver un nombre moyen proportionnel harmonique entre deux nombres donnés, divisez le double du produit des deux nombres par leur somme, le quotient est le nombre cherché ; ainsi supposons que les nombres donnés soient 3 & 6, leur produit est 18, & le double de ce produit est 36, qui divisé par la somme 9 des deux nombres, donne 4 pour quotient ; donc 3 : 4 : 6, sont en proportion harmonique. La raison de cette opération est facile à trouver ; soit x le nombre cherché, a & b les deux nombres donnés, on a a : b : : x - a : b - x ; donc a b - a x = b x - a b ; donc x = <2ab/a+b> ; on peut démontrer à peu-près par la même méthode les propositions suivantes.
Pour trouver un nombre qui soit troisieme proportionnel harmonique à deux nombres donnés, appellez un des nombres donnés le premier terme, & l'autre le second, ensuite multipliez-les l'un par l'autre, & divisez le produit par ce qui reste après que le second est soustrait du double du premier, le quotient sera le nombre cherché. Supposons par exemple que les deux termes donnés soient 3 & 4, leur produit 12 étant divisé par 2 (qui est la différence du second terme 4, du double 6, du premier terme 3), on aura pour quotient 6, & par conséquent 3, 4, 6, sont en proportion harmonique ; en général soient a, b les deux premiers nombres, x le troisieme, on aura a : x : : b - a : x - b, donc a x - a b = b x - a x, donc x = .
4. Pour trouver un quatrieme proportionnel harmonique à trois nombres donnés, multipliez le premier par le troisieme, & divisez le produit par le nombre qui restera après avoir soustrait le terme du milieu du double du premier, le quotient sera le nombre cherché ; par exemple, les trois nombres 9, 12, 16, auront suivant cette regle, le nombre 24 pour quatrieme proportionnel harmonique.
5. Si on prend un nombre moyen proportionnel arithmétique entre deux nombres, & un moyen proportionnel harmonique entre les deux mêmes nombres, les quatre nombres seront en proportion géométrique ; ainsi entre 2, 6, le moyen arithmétique est 4, & le moyen harmonique est 3, par conséquent 2 : 3 : : 4 : 6. En général le moyen proportionnel arithmétique est , & le moyen proportionnel harmonique est <2ab/a+b>, donc : a : : b : : <2ab/a+b>.
Il y a entre les trois sortes de proportions dont nous venons de parler, cette différence remarquable, qu'une progression arithmétique commençant par un nombre donné, peut être croissante à l'infini, mais non décroissante, que la progression harmonique peut décroître, mais non croître à l'infini ; qu'enfin la progression géométrique peut également croître à l'infini, & décroître de même. Voyez PROGRESSION.
PROPORTION CONTREHARMONIQUE, voyez CONTREHARMONIQUE.
PROPORTION, se dit aussi du rapport qu'il y a entre des choses inégales de la même espece, & par lequel leurs différentes parties correspondent les unes aux autres par une augmentation ou diminution égale.
Ainsi en réduisant une figure en petit, ou en l'agrandissant, on doit avoir soin d'observer que la diminution ou l'agrandissement, soit les mêmes à proportion dans toutes les parties ; ensorte que si une des lignes, par exemple, est diminuée du tiers de sa longueur, toutes les autres soient aussi diminuées chacune du tiers de leur longueur.
Pour ces sortes de réductions on fait beaucoup d'usage du compas de proportion. Voyez COMPAS, voyez aussi ECHELLE, PLAN, CARTE, REDUCTION, &c. Chambers. (E)
Au mot CONSONNANCE, nous avons promis de parler ici d'un ouvrage donné il y a quelques années, par M. Briseux, architecte, dans lequel il se propose de prouver que les belles proportions en Architecture sont les mêmes que celles qui produisent les consonnances en musique. Cela n'est pas fort surprenant ; car les proportions qui forment les consonnances sont formées par des rapports très-simples, savoir 2/1, 3/2, 5/4, 6/5, &c. & il n'est pas surprenant que ces mêmes rapports, très-simples, plaisent aussi en Architecture, parce que l'oeil les saisit aisément. Il ne faut cependant pas pousser trop loin ce principe des proportions, ni en abuser, soit dans la théorie de la Musique, soit dans celle des autres arts. On peut voir sur cela l'article CONSONNANCE, & l'article FONDAMENTAL, pag. 62 du VII. volume. (O)
PROPORTION, (Log. Métaphys.) conformité de relation entre diverses choses, lorsque l'esprit pensant à deux objets, a conçu un rapport entre ces deux objets, & que pensant à deux autres choses, il y trouve aussi du rapport entr'elles ; cette conformité de pensées & de relations s'appelle proportion. (D.J.)
PROPORTION, (Beaux Arts) rapport, convenance du tout & des parties entr'elles dans les ouvrages de goût.
L'unité & la variété produisent la symmétrie & la proportion : deux qualités qui supposent la distinction & la différence des parties, & en même tems un certain rapport de conformité entr'elles. La symmétrie partage, pour ainsi dire l'objet en deux, place au milieu les parties uniques, & à côté celles qui sont répétées ; ce qui forme une sorte de balance & d'équilibre qui donne de l'ordre, de la liberté, de la grace à l'objet. La proportion va plus loin, elle entre dans le détail des parties qu'elle compare entr'elles & avec le tout, & présente sous un même point de vûe l'unité, la variété, & le concert agréable de ces deux qualités entr'elles ; telle est l'étendue de la loi du goût par rapport au choix & à l'arrangement des parties des objets. La perfection consiste dans la variété, l'excellence, la proportion, la symmétrie des parties réunies dans l'ouvrage de l'art aussi naturellement qu'elles le sont dans un tout naturel. (D.J.)
PROPORTION, (Archit.) c'est la justesse des membres de chaque partie d'un bâtiment, & la relation des parties au tout ensemble ; comme, par exemple, une colonne dans ses mesures, par rapport à l'ordonnance du bâtiment ; c'est aussi la différente grandeur des membres d'architecture & des figures, selon qu'elles doivent paroître dans leur point de vûe. Ceci est une chose absolument soumise à cette partie de l'optique, qu'on appelle la perspective. Comme les regles de cette science sont connues & démontrées ; voyez PERSPECTIVE dans le Dictionnaire universel de Mathématique & de Physique ; il est étonnant que les Architectes soient partagés sur la proportion des membres d'architecture, par rapport à leur point de vûe ; cependant les uns prétendent qu'ils doivent augmenter, suivant leur exhaussement, & les autres qu'ils doivent rester dans leur grandeur naturelle. Voyez le cours d'Architecture de M. Blondel, V. Partie ; les notes de M. Perrault, sur Vitruve ; & son ouvrage intitulé, Ordonnance des cinq especes de colonnes. Daviler. (D.J.)
PROPORTION DE TUYAUX, (Hydr.) Voyez TUYAU.
PROPORTION, (Jardinage) la proportion ordinaire des jardins d'une médiocre étendue, est d'être un tiers plus longs que larges & même de la moitié, afin que les pieces en deviennent barlongues & plus agréables. Quand une place présente une forme deux fois plus longue que large, elle ne forme qu'un boyau.
Cette régle, au reste, n'a lieu qu'à l'égard des petits jardins.
Dans les pieces découvertes d'un jardin, comme seroient deux bosquets découverts sur les aîles d'un parterre ; il faut une certaine proportion, afin que l'on ne fasse pas paroître petite la piece qui accompagne ce parterre ; l'économie & le bon goût doivent décider dans cette occasion.
Si l'on veut pratiquer dans un bosquet une salle de verdure, & dans le milieu un bassin ou piece d'eau, loin de consommer pour cette salle la plus grande partie du terrein, en ôtant ce qui est nécessaire pour garnir le bois, il faut au contraire proportionner la grandeur de cette salle ou de la piece d'eau à l'étendue du bois.
PROPORTION, (Peint.) la proportion consiste dans les différentes dimensions des objets comparées entr'elles.
M. de Watelet dont nous tirerons cet article, croit que les premieres idées d'imitations dans la sculpture & dans la peinture, se sont portées naturellement à faire les copies égales aux objets imités : l'opération d'imiter de cette maniere est moins compliquée ; par conséquent elle est plus facile. Elle est moins compliquée en ce que, par l'effet d'une relation immédiate, on exécute simplement ce que l'on voit, comme on le voit. Par cela même, elle est plus facile. Elle l'est encore, parce qu'à l'aide des mesures les plus simples, on peut s'assurer si l'on a réussi, & se corriger si l'on s'est trompé.
Les mesures sont donc les moyens par lesquels on parvient à s'instruire des proportions, & à en donner des idées justes.
Nous n'avons point de détails écrits sur les mesures que les Grecs employent à régler la proportion ; leurs ouvrages didactiques sur les arts ne sont pas parvenus jusqu'à nous ; mais nous connoissons leurs statues. Heureux dans la part que la fortune nous a faite, nous ne devons pas nous en plaindre. Les beaux ouvrages valent mieux que les préceptes.
Les Allemands & les Italiens qui ont travaillé sur cette partie, tels qu'Albert Durer & Paul Lomazzo, font servir à mesurer le corps humain, une partie même de ce corps. Cette mesure est une espece de mesure universelle qui n'a rien à craindre des changemens d'usage, ou des variétés de domination.
Les uns mesurent la figure par le moyen de la longueur de la face : ce qu'on appelle la face, c'est l'espace renfermé depuis le menton inclusivement, jusqu'à l'origine des cheveux qui est le haut du front. D'autres prennent pour mesure la longueur de la tête entiere ; c'est-à-dire une ligne droite, qui, de la hauteur du dessus de la tête, se termine à l'extrêmité du menton.
On sent qu'on ne doit pas mettre une importance considérable dans le choix de ces manieres de mesurer ; & que chaque artiste peut à son gré, choisir dans celles qu'on a imaginées, ou s'en faire une qui lui convienne.
Ce qui est certain, c'est que le trop grand détail des mesures est sujet à erreurs ; l'occasion la plus ordinaire de ces erreurs se présente, lorsqu'on mesure les parties qui ont du relief. Il est très-facile alors d'attribuer à la longueur d'un membre, l'étendue des contours occasionnés par les gonflemens accidentels des muscles & des chairs.
Au reste, il est très-peu d'usage d'employer en peinture les mesures détaillées, parce qu'elles ne peuvent avoir lieu lorsqu'un objet se présente en raccourci. D'ailleurs, leur usage froid & lent ne convient guere à un art qui veut beaucoup d'enthousiasme. Il faut cependant que les peintres aient une connoissance réfléchie de ces mesures, & qu'ils les aient étudiées en commençant à dessiner.
Le moyen de rendre l'étude des mesures réellement utile, est de la fonder premierement, sur l'ostéologie.
Les os sont la charpente du corps ; les lois de proportion que suit la nature dans les dimensions du corps & des membres, sont contenues dans l'extension qu'elle permet, & sont spécifiées dans les accroissemens limités qu'elle accorde aux parties solides. C'est en conséquence de ces accroissemens limités & successifs, que la nature ne se montre point uniforme dans les proportions du corps humain. Elle les varie principalement par les différens caracteres qui sont propres aux différens âges de la vie.
Premiere variété des proportions du corps, n'est point le diminutif exact des âges subséquens. L'enfance, à l'égard des proportions du corps, n'est point le diminutif exact des âges subséquens. Il ne s'agit donc pas pour représenter un enfant, de diminuer la taille d'un homme ; car alors on ne représenteroit qu'un petit homme, & non pas un enfant.
La tête, par exemple, est dans l'enfance beaucoup plus grosse, que dans les autres âges, par proportion aux autres parties. A trois ans la longueur de la tête, cinq fois répétée, forme toute la hauteur d'un enfant. A quatre, cinq & six ans, la hauteur est de six jusqu'à six têtes & demie ; au lieu que dans l'âge fait, les proportions adoptées sont huit têtes pour la grandeur totale.
La porportion de sept têtes & deux parties, c'est-à-dire sept têtes & demie convient à un jeune homme à la fleur de son âge, & dont l'éducation efféminée n'a pas permis aux fatigues & aux exercices violens, le soin de développer entierement ses ressorts ; c'est ainsi que se trouvent proportionnés l'Antinoüs du vatican, & le Petus de la vigne Ludovise.
La proportion de huit têtes pour la figure entiere, est propre à représenter la stature d'un jeune homme dans la force de son âge, & dans l'exercice des armes ; c'est celle qui a été observée dans la statue du gladiateur mourant, qu'on voyoit à Rome dans la vigne Ludovise, & qui se voit présentement dans le capitole. Cette proportion est développée, svelte, légere, telle que l'offre la jeunesse exercée, car le développement de l'esprit s'opere par l'usage fréquent de ses facultés.
L'âge viril se caractérise par une dimension moins allongée. La statue d'Hercule, qu'on nomme l'Hercule Farnese, a sept têtes, trois parties, sept modules. Il sembleroit que l'artiste auroit voulu faire sentir par cette diminution, la consistance, & pour parler ainsi, l'appui que laissent prendre aux hommes de cet âge leurs mouvemens plus réfléchis, & moins impétueux.
L'approche de la vieillesse doit donner encore un caractere plus quarré, qui dénote l'appesantissement des parties solides. Le Laocoon n'a que sept têtes, deux parties, trois modules.
Dans l'extrême vieillesse enfin, le dépérissement réel occasionne différens changemens dans la proportion qui ne doivent plus être évalués.
L'artiste qui ne doit rien négliger de ce qui peut rendre ses figures caractérisées, évite de se borner à une seule proportion dans toutes ses figures ; & suivant l'exemple qu'en donne surtout Raphaël, il assortit, à chaque âge, la proportion & le caractere qui lui conviennent.
Différence de proportions occasionnée par la différence du sexe. Les variétés dans les proportions sont encore occasionnées par la différence du sexe.
Indépendamment de la hauteur totale qui est moindre dans les femmes, elles ont le col plus allongé, les cuisses plus courtes, les épaules & le sein plus serrés, les hanches plus larges, les bras plus gros, les jambes plus fortes, les piés plus étroits : leurs muscles moins apparens rendent les contours plus égaux, plus coulans, & les mouvemens plus doux.
Les jeunes filles ont la tête petite, le col allongé, les épaules abaissées, le corps menu, les hanches un peu grosses & les piés petits.
Les anciens donnent sept têtes & trois parties de hauteur à Vénus : telle est la statue de Vénus Médicis, & la proportion de la déesse Beauté.
La statue qu'on connoit sous le nom de la Bergere grecque, qui peut-être est Diane, ou une de ses nymphes sortant du bain, a dans la proportion de sept têtes trois parties & six modules, un caractere qu'elle doit sans doute à l'exercice de la chasse, & aux danses qui devoient rendre la taille des nymphes svelte & agile.
Peut-être trouveroit-on aussi dans les proportions des Minerves, des Junons, & des Cybeles, ces petites différences, qui, lorsque les arts sont arrivés à leur perfection, établissent des nuances moins sensibles à l'oeil qui calcule, qu'au sentiment qui saisit, & au goût qui discerne.
L'âge & le sexe n'ont pas le droit exclusif de caractériser les proportions du corps humain. Le rang, la condition, la fortune, le climat & le tempérament contribuent à causer, dans le développement des proportions, des différences sensibles.
Il n'est pas nécessaire que les artistes s'appesantissent sur les effets de toutes ces causes, mais il ne peut être qu'agréable pour eux, & avantageux pour leur art, de faire des réflexions, & surtout des observations, dont les occasions se présentent continuellement dans la vie civile.
Ils remarqueront, par exemple, qu'il est des hommes dont la constitution & le tempérament occasionnent une proportion pesante. Leurs muscles paroissent peu distincts les uns des autres : ils ont la tête grosse, le cou court, les épaules hautes, l'estomac petit, les cuisses & les genoux gros, les piés épais. Et c'est ainsi que l'artiste grec, en ne faisant qu'effleurer toutes ces particularités, a caractérisé le jeune faune. Ils verront qu'il en est d'autres, d'après lesquels sans doute les anciens caractérisoient leurs héros & leurs demi-dieux, qui dans une conformation toute différente, ont les articulations des membres bien nouées, serrées, peu couvertes de chair, la tête petite, le col nerveux, les épaules larges & hautes, la poitrine élevée, les hanches & le ventre petits, les cuisses musclées, les principaux muscles relevés & détachés, les jambes seches par en-bas, les piés minces, & la plante des piés creuse.
Il n'est que trop vraisemblable que les moeurs occasionnent insensiblement des variétés physiques dans la constitution & dans le développement de la forme du corps. Les délicatesses qui président à l'enfance distinguée ou opulente, l'aversion des exercices du corps, qui détermine la jeunesse voluptueuse à partager les délices & la nonchalance des femmes, l'engourdissement prématuré, qui, dans l'âge viril, succede à l'abus excessif des plaisirs ; enfin la caducité précoce qui se fait sentir par une influence plus promte & plus pesante dans les villes capitales des nations florissantes que partout ailleurs, doit de génération en génération, abatardir les races, & changer peut-être les proportions des corps.
Je ne parle pas des extravagances des modes, parce qu'elles n'ont point d'empire réel sur les dimensions que la nature a fixées : cependant elles en imposent trop souvent aux artistes assez foibles pour s'y prêter, à rendre plus vagues les idées de proportion, qu'il seroit à souhaiter, pour le progrès des arts, qu'on eût incessamment présentes dans leur plus grande exactitude.
On a considéré jusqu'ici, en parlant des proportions, le corps en repos ; ajoutons que le mouvement y occasionne des changemens très-distincts & très-apparens.
Un membre étendu pour donner & recevoir, éprouve, par exemple, un accroissement ; & l'on observe une infinité de ces anomalies ou irrégularités dans les actions de compression, de relâchement, d'extension, de fléchissement, de contraction & de raccourcissement.
Un homme assis à terre, qui se presse & fait effort pour ajuster à sa jambe une chaussure étroite, éprouve un raccourcissement d'un sixieme dans la partie antérieure du corps ; tandis que par un effet contraire, son bras en se courbant, s'allonge d'une huitieme partie, parce que la tête de l'os du coude se développe, & se montre pour ainsi dire hors de son articulation. On peut observer la même extension dans le calcaneum ou talon, lorsqu'on plie le cou-de-pié.
Il est évident, par ces exemples, que les passions dont les mouvemens sont violens, doivent occasionner des différences sensibles dans les proportions : s'il est possible de les appercevoir, il est bien difficile de les réduire en calculs.
Toutes ces variétés de proportion sont principalement l'ouvrage de la nature ; mais l'art qui est son émule, ne pourroit-il pas prétendre aussi au droit d'en opérer, lorsqu'il les croit favorables à ses illusions ? Ne pourroit-on pas établir une théorie des rapports, qui s'exerçât sur la diversité des positions, & des lieux où l'on place les ouvrages des arts ? Le vague de l'air, les oppositions des fabriques ou des arbres, les lieux vastes ou renfermés, élevés ou profonds, les expositions aux différens aspects du soleil, le voisinage des montagnes, des rochers, ou l'isolement dans une plaine ; voilà quels seroient les points de différences à établir, & peut-être de changemens à se permettre dans quelques-unes des dimensions reçues. Mais si l'art doit être flatté de pouvoir, pour ainsi dire, ajouter quelquefois à la nature, il doit être intimidé des risques qu'il court, lorsqu'il ose regarder les licences comme des sources particulieres de beauté.
Après tout, il ne faut jamais oublier que la justesse des proportions, autrement la correction du dessein, est pour les parties d'une seule figure, ce qu'est l'ordonnance pour les figures prises dans la totalité. Parrhasius fut le premier qui en donna les regles & la méthode pour la peinture, & Euphranor les appliqua le premier à la peinture encaustique. Pline avertit pourtant que le même Parrhasius donnoit trop peu d'étendue, en comparaison du reste, aux parties du milieu des figures, & ce qui revient au même, qu'Euphranor donnoit trop d'étendue à ses têtes & aux emmanchemens des membres. Asclépiodore ne méritoit ni l'un ni l'autre reproche, puisqu'Apelle convenoit lui-même de la supériorité de cet artiste sur tous les autres, pour la justesse des proportions. (D.J.)
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PROPORTIONNALITÉ | S. f. (Matth.) terme dont on se sert pour signifier la proportion qui est entre des quantités. Voyez PROPORTION. (E)
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PROPORTIONNEL | adj. (Matth.) se dit de ce qui a rapport à une proportion ; ainsi nous disons des parties proportionnelles, des échelles proportionnelles, &c. Voyez COMPAS, &c.
PROPORTIONNELLES ou quantités proportionnelles, en terme de Géométrie, sont des quantités, soit linéaires, soit numériques, qui ont entr'elles le même rapport. Voyez RAPPORT & PROPORTION.
Ainsi les nombres 3, 6, 12, sont proportionnels, parce que 3 : 6 : : 6 : 12, pour trouver une 4e. proportionnelle à trois lignes données A B, A C & B D, (Planch. géom. fig. 62.) faites un angle F, A, G, à volonté : du point A, prenez sur un des côtés de l'angle, une ligne égale à A B, & du même point A, sur l'autre côté de l'angle, prenez une ligne égale à A C, ensuite du point B, prenez une ligne égale à B D, enfin tirez B C, & faites au point D, un angle égal à A B C. Je dis que C E sera la 4e. proportionnelle cherchée, c'est-à-dire, qu'on aura A B : A C : : B D : C E.
Si on demande une troisieme proportionnelle à deux lignes données A B & A C, il faut faire B D égale à A C, & l'on aura A B : A C : : A C : C E.
Pour trouver une moyenne proportionnelle entre deux lignes données A B & B E, fig. 63 ; joignez ensemble les deux lignes données, desorte qu'elles soient en ligne droite ; & coupez cette ligne droite en deux parties égales au point C. Du point C & du rayon A C, décrivez un demi-cercle A D E, & du point de jonction B élevez une perpendiculaire B D : cette perpendiculaire sera la moyenne proportionnelle cherchée, & on aura A B : B D : : B D : B E.
Les Géometres cherchent depuis deux mille ans une méthode pour trouver géométriquement deux moyennes proportionnelles entre deux lignes données, c'est-à-dire, en n'employant que la ligne droite & le cercle ; car du reste ce problème est abondamment résolu ; & particulierement la résolution que l'on en donne par les sections coniques, en faisant, par exemple, qu'un cercle & une parabole s'entrecoupent suivant une certaine loi, est une solution très-géométrique de ce problème.
En le réduisant à une équation algébrique, il paroît impossible qu'on le résolve jamais avec le seul secours de la ligne droite & du cercle ; car on arrive toujours à une équation du troisiéme degré, qu'il n'est pas possible de construire avec la ligne droite & le cercle. Voyez l'application de l'Algebre à la Géométrie par Guisnée.
Les anciens résolvoient ce problème méchaniquement par le moyen du mésolabe décrit par Eutocius : & plusieurs d'entr'eux ont tâché d'en donner la démonstration : d'autres, comme Ménechmes, résolvoient ce problème par les lieux solides : d'autres, par des mouvemens composés, comme Platon, Archytas, Pappus & Sporus : d'autres enfin, en tâtonnant, comme Héron & Apollonius.
Pour trouver une moyenne proportionnelle entre deux nombres, il faudra prendre la moitié de la somme des deux nombres, si c'est une moyenne proportionnelle arithmétique qu'on cherche, & la racine quarrée du produit des deux nombres, si c'est une moyenne proportionnelle géométrique. Voyez PROPORTION ARITHMETIQUE & GEOMETRIQUE.
Pour trouver une moyenne proportionnelle harmonique, voyez PROPORTION HARMONIQUE. Chambers. (E)
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PROPORTIONNER | v. act. (Gram.) établir entre une chose & une autre un juste rapport. Dieu proportionne ses graces à nos besoins. La justice proportionne ses châtimens aux infractions ; la récompense, au mérite de l'action. C'est la marque d'un bon esprit, que de savoir se proportionner à tous.
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PROPOS | S. m. (Gram.) discours, entretien. Le propos doit varier selon les circonstances, sans quoi on sera quelquefois exposé à tenir de fort bons propos hors de propos. Il signifie aussi résolution : faites-vous à vous-même le ferme propos de ne plus commettre cette faute ; convenance, le conte que vous avez fait n'étoit pas à propos.
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PROPOSANS | S. m. pl. (Hist. ecclés.) c'est ainsi que l'on nomme parmi les protestans de France, de Suisse & de Hollande, ceux qui, après avoir achevé leurs études théologiques, se destinent au ministere, & se mettent sur les rangs pour une cure vacante. Avant que d'être admis au grade de proposant, il faut avoir subi un examen sur la Théologie dans une des classes du synode, après quoi l'on est reçu proposant ; ce qui confere le droit de prêcher, mais non pas celui d'administrer les sacremens qu'admet la religion réformée. Lorsqu'un proposant est appellé à une église, il doit subir un nouvel examen, après lequel il est reçu ministre.
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PROPOSER | v. act. (Gram.) mettre en avant, objecter, offrir. Vous lui proposez-là une grande difficulté, un accommodement qui me paroît avantageux, un sujet très-convenable à la place, une fin très-louable, une loi qui aura son utilité, un prix qui encouragera, &c. Proposer, dans un étudiant en Théologie chez les protestans, c'est expliquer un texte.
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PROPOSITION | subst. fém. M. du Marsais, au mot CONSTRUCTION, a traité si amplement de ce qui concerne la proposition, entendue grammaticalement, qu'il n'y auroit plus qu'à renvoyer à cet article, qu'il faut consulter en effet, tome IV. page 81. si je n'avois à faire quelques observations que je crois nécessaires sur cet objet.
Notre grammairien philosophe dit que la proposition est un assemblage de mots, qui, par le concours des différens rapports qu'ils ont entr'eux, énoncent un jugement ou quelque considération particuliere de l'esprit qui regarde un objet comme tel. Il me semble qu'il y a quelque inexactitude dans cette définition.
Le seul mot latin moriemur, par exemple, est une proposition entiere, & rien n'y est sousentendu ; la terminaison indique que le sujet est la premiere personne du pluriel, & dès qu'il est déterminé par-là, on ne doit pas le suppléer par nos, parce que ce seroit tomber dans la périssologie, ou du-moins introduire le pléonasme : or la construction analytique, loin de l'introduire, a pour objet de le supprimer, ou du-moins d'en faire remarquer la redondance par rapport à l'intégrité grammaticale de la proposition. Si donc moriemur est une proposition pleine, on ne doit point dire que la proposition est un assemblage de mots.
L'auteur ajoute qu'elle énonce un jugement ou quelque considération particuliere de l'esprit qui regarde un objet comme tel : il prétend par-là indiquer deux sortes de propositions ; les unes directes, qui énoncent un jugement ; les autres indirectes, qu'il nomme simplement énonciatives, & qui n'entrent, dit-il, dans le discours que pour y énoncer certaines vûes de l'esprit. Tout cela, si je ne me trompe, est véritablement quid unum & idem ; en voici la preuve.
Nous parlons pour transmettre aux autres hommes nos connoissances, & nos connoissances ne sont autre chose que la perception de l'existence intellectuelle des êtres sous telle ou telle relation, à telle ou telle modification. Si un être a véritablement en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit, nous en avons une connoissance vraie ; s'il n'a pas en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit, la connoissance que nous en avons est fausse ; mais vraie ou fausse, cette connoissance est un jugement, & l'expression de ce jugement est une proposition. " Il n'y a autre chose dans un jugement, dit s'Gravesande, Introd. à la Philos. liv. II. ch. vij. n °. 401. qu'une perception " : & il venoit de dire, n °. 400. que la perception de la relation qu'il y a entre deux idées s'appelle jugement. " Pour qu'un jugement ait lieu, dit-il encore, deux idées doivent être présentes à notre ame... dès que les idées sont présentes, le jugement suit ". Je ne differe de ce philosophe que par l'expression : il dit deux idées, & je détermine, moi, l'idée d'un sujet & celle d'un attribut ; c'est un peu plus de précision : il dit que les deux idées doivent être présentes à notre ame, & moi, je dis que le sujet existe dans notre esprit sous une relation à quelque modification : on verra ailleurs pourquoi j'aime mieux dire existence intellectuelle que présence dans notre ame. Voyez VERBE. Il suffit ici que l'on sente que ces expressions rentrent dans le même sens. Quant au fond de la doctrine qui nous est commune, c'est celle des meilleurs Logiciens ou Métaphysiciens ; & si on lit avec l'attention convenable les deux premiers chapitres du premier livre de la Recherche de la vérité, & le troisieme chapitre de la seconde partie de l'art de penser, on n'y trouvera pas autre chose.
Cela étant, je le demande : quelle différence y a-t-il entre un jugement qui est la perception de l'existence intellectuelle d'un sujet sous telle relation, à telle maniere d'être, & ce que M. de Marsais appelle une considération particuliere de l'esprit qui regarde un objet comme tel ? L'esprit ne peut regarder cet objet comme tel, qu'autant qu'il en apperçoit en soi-même l'existence sous telle relation à telle maniere d'être ; car ce n'est que par-là qu'un objet est tel. Ainsi il faut convenir qu'il n'y a en effet qu'un jugement qui puisse être le type ou l'objet d'une proposition, & je conclus qu'il faut dire qu'une proposition est l'expression totale d'un jugement.
Que plusieurs mots soient réunis pour cela, ou qu'un seul, au moyen des idées accessoires que l'usage y aura attachées, suffise pour cette fin ; l'expression est totale dès qu'elle énonce l'existence intellectuelle du sujet sous telle relation à telle ou telle modification. De même, encore que le jugement énoncé soit celui que l'on se propose directement de faire connoître, ou qu'il soit subordonné d'une maniere quelconque à celui que l'on envisage principalement ; c'est toujours un jugement dès qu'il énonce l'existence intellectuelle du sujet sous telle relation, à telle modification ; & l'expression totale, soit du jugement direct, soit du jugement indirect & subordonné, est également une proposition.
Je réduis à deux chefs les observations que la grammaire est chargée de faire sur cet objet, qui sont la matiere & la forme de la proposition.
I. La matiere grammaticale de la proposition, c'est la totalité des parties intégrantes dont elle peut être composée, & que l'analyse réduit à deux, savoir le sujet & l'attribut.
Le sujet est la partie de la proposition qui exprime l'être, dont l'esprit apperçoit l'existence sous telle ou telle relation à quelque modification ou maniere d'être.
L'attribut est la partie de la proposition, qui exprime l'existence intellectuelle du sujet sous cette relation à quelque maniere d'être.
Ainsi quand on dit Dieu est juste, c'est une proposition qui renferme un sujet, Dieu, & un attribut, est juste. Dieu exprime l'être, dont l'esprit apperçoit l'existence sous la relation de convenance avec la justice ; est juste, en exprime l'existence sous cette relation ; est en particulier exprime l'existence du sujet ; juste en exprime le rapport de convenance à la justice. Si la relation du sujet à la maniere d'être est de disconvenance, on met avant le verbe une négation, pour indiquer le contraire de la convenance, Deus NON est mendax.
L'attribut contient essentiellement le verbe, dit M. du Marsais, parce que le verbe est dit du sujet. " S. l'attribut contient essentiellement le verbe, il s'ensuit, dit M. l'abbé Fromant, Suppl. aux chap. xiij. & xiv. de la II. part. de la gramm. génér. que le verbe n'est pas une simple liaison ou copule, comme la plûpart des logiciens le prétendent, il s'ensuit qu'il n'y a point de mot qui soit réduit à ce seul usage. Ainsi, quand on dit Dieu est tout-puissant, ce n'est pas la toute-puissance seule que l'on reconnoît en Dieu, c'est l'existence avec la toute-puissance : le verbe est donc le signe de l'existence réelle ou imaginée du sujet de la proposition auquel il lie cette existence & tout le reste ". Il n'étoit pas possible de mieux développer les conséquences du principe de M. du Marsais, & je ne sais même si ce philosophe les avoit bien envisagées ; car par-tout où il parle du verbe, il semble en faire principalement consister la nature dans l'expression d'une action. Voyez ACCIDENT, ACTIF, CONJUGAISON. Il est vrai que M. l'abbé Fromant tourne ces conséquences en objection, qu'il croit que le verbe substantif ne signifie que l'affirmation, & que la définition que MM. de P. R. donnent du verbe est très-juste. Car, dit-il, " quand je dis Dieu est tout-puissant, c'est la toute-puissance seule que je reconnois, que j'affirme en Dieu pour le moment présent ; il ne s'agit point de l'existence, elle est supposée & reconnue ; le verbe est ne signifie que la simple affirmation de l'attribut tout-puissant, qu'il lie avec le sujet Dieu ". Ce qui trompe ici le savant principal de Vernon, c'est l'idée de l'existence : il n'est pas question de l'existence réelle du sujet, mais de son existence intellectuelle, de son existence dans l'esprit de celui qui parle, laquelle est toujours l'objet d'une proposition, & que je ferai voir être le caractere essentiel du verbe. Voyez VERBE. Ainsi, loin d'abandonner le principe de M. du Marsais à cause des conséquences qui en sortent, je les regarde comme une confirmation du principe, vu qu'elles tiennent d'ailleurs à ce qu'une analyse rigoureuse nous apprend de la nature du verbe. Disons donc avec notre grammairien philosophe, que l'attribut commence toujours par le verbe.
Le sujet & l'attribut peuvent être 1° simples ou composés, 2° incomplexes ou complexes.
1°. Le sujet est simple quand il présente à l'esprit un être déterminé par une idée unique. Tels sont les sujets des propositions suivantes : DIEU est éternel, LES HOMMES sont mortels ; LA GLOIRE QUI VIENT DE LA VERTU a un éclat immortel ; LES PREUVES, DONT ON APPUIE LA VERITE DE LA RELIGION CHRETIENNE, sont invincibles ; CRAINDRE DIEU, est le commencement de la sagesse. En effet, Dieu exprime un sujet déterminé par l'idée unique de la nature individuelle de l'Etre suprême : les hommes, un sujet déterminé par la seule idée de la nature spécifique commune à tous les individus de cette espece : la gloire qui vient de la vertu, un sujet déterminé par l'idée unique de la nature générale de la gloire, restrainte par l'idée de la vertu envisagée comme un fondement particulier : les preuves dont on appuie la vérité de la religion chrétienne, autre sujet déterminé par l'idée unique de la nature commune des preuves, restrainte par l'idée d'application à la vérité de la religion chrétienne : enfin ces mots craindre Dieu présentent encore à l'esprit un sujet déterminé par l'idée unique d'une crainte actuelle, restrainte par l'idée d'un objet particulier qui est Dieu.
Le sujet au contraire est composé quand il comprend plusieurs sujets déterminés par des idées différentes. Ainsi quand on dit, LA FOI, L'ESPERANCE & LA CHARITE sont trois vertus théologales ; le sujet total est composé, parce qu'il comprend trois sujets déterminés, chacun par l'idée caractéristique de sa nature propre & individuelle. Voici une autre proposition dont le sujet total est pareillement composé en apparence, quoiqu'au fond il soit simple : CROIRE A L'EVANGILE ET VIVRE EN PAIEN, est une extravagance inconcevable ; il semble que croire à l'Evangile soit un premier sujet partiel, & que vivre en païen en soit un second : mais l'attribut ne peut pas convenir séparément à chacun de ces deux prétendus sujets, puisqu'on ne peut pas dire que croire à l'Evangile est une extravagance inconcevable ; ainsi il faut convenir que le véritable sujet est l'idée unique de la réunion de ces deux idées particulieres, & par conséquent que c'est un sujet simple.
Ce que j'appelle ici sujet composé, M. du Marsais le nomme sujet multiple ; & c'est, dit-il, lorsque, pour abréger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différens.
Malgré l'exactitude ordinaire de ce savant grammairien, j'ose dire que l'assertion dont il s'agit est une définition fausse ou du-moins hasardée, puisqu'elle peut faire prendre pour sujet multiple ou composé un sujet réellement simple. Quand on dit, par exemple, LES HOMMES sont mortels, on donne, pour abréger, l'attribut commun sont mortels à plusieurs objets différens, & c'est au lieu de dire Pierre est mortel, Jacques est mortel, Jean est mortel, &c. on pourroit donc conclure de la définition de M. du Marsais, que le sujet les hommes est multiple ou composé, quoiqu'il soit simple & avoué simple par cet auteur : un sujet simple, dit-il, est énoncé en un seul mot ; le soleil est levé, sujet simple au singulier ; les astres brillent, sujet simple au pluriel.
Au reste, cette définition n'est pas plus exacte que celle du sujet multiple ou composé : pour s'en convaincre, il ne faut que se rappeller les exemples que j'ai cités des sujets simples ; aucun de ceux qui sont énoncés en plusieurs mots n'est destiné à réunir plusieurs objets différens sous un attribut commun, comme l'exige notre grammairien. C'est qu'en effet la simplicité du sujet dépend & doit dépendre non de l'unité du mot qui l'exprime, mais de l'unité de l'idée qui le détermine.
L'attribut peut être également simple ou composé.
L'attribut est simple, quand il n'exprime qu'une seule maniere d'être du sujet, soit qu'il le fasse en un seul mot, soit qu'il en employe plusieurs. Ainsi quand on dit, Dieu EST ETERNEL ; Dieu GOUVERNE TOUTES LES PARTIES DE L'UNIVERS ; un homme avare RECHERCHE AVEC AVIDITE DES BIENS DONT IL IGNORE LE VERITABLE USAGE ; être sage avec excès, C'EST ETRE FOU : les attributs de toutes ces propositions sont simples, parce que chacun n'exprime qu'une seule maniere d'être du sujet : est éternel, gouverne toutes les parties de l'univers, sont deux attributs qui expriment chacun une maniere d'être de Dieu, l'un dans le premier exemple, l'autre dans le second ; recherche avec avidité des biens dont il ignore le véritable usage, c'est une maniere d'être d'un homme avare ; être fou, c'est une maniere d'être de ce que l'on appelle être sage avec excès.
L'attribut est composé, quand il exprime plusieurs manieres d'être du sujet. Ainsi quand on dit, Dieu EST JUSTE ET TOUT-PUISSANT, l'attribut total est composé, parce qu'il comprend deux manieres d'être de Dieu, la justice & la toute-puissance.
Les propositions sont pareillement simples ou composées, selon la nature de leur sujet & de leur attribut.
Une proposition simple est celle dont le sujet & l'attribut sont également simples, c'est-à-dire également déterminés par une seule idée totale. Exemples : la sagesse est précieuse ; la puissance législative est le premier droit de la souveraineté ; la considération qu'on accorde à la vertu est préférable à celle qu'on rend à la naissance.
Une proposition composée est celle dont le sujet ou l'attribut, ou même ces deux parties sont composées, c'est-à-dire déterminées par différentes idées totales.
Une proposition composée par le sujet peut se décomposer en autant de propositions simples qu'il y a d'idées partielles dans le sujet composé, & elles auront toutes le même attribut & des sujets différens. L'Ecriture & la tradition sont les appuis de la saine Théologie : il y a ici deux sujets, l'Ecriture & la tradition ; de-là les deux propositions simples sous le même attribut : 1°. l'Ecriture est un appui de la saine Théologie ; 2°. la tradition est un appui de la saine Théologie.
Une proposition composée par l'attribut peut se décomposer en autant de propositions simples qu'il y a d'idées partielles dans l'attribut composé ; & elles auront toutes le même sujet & des attributs différens. La plûpart des hommes sont aveugles & injustes : il y a ici deux attributs, sont aveugles & sont injustes ; de-là les deux propositions simples avec le même sujet : 1° la plûpart des hommes sont aveugles ; 2°. la plûpart des hommes sont injustes. La décomposition est presque sensible dans cette belle strophe d'Horace, II. Od. 7.
Auream quisquis mediocritatem
Diligit, tutus caret obsoleti
Sordibus tuti, caret invidendâ
Sobrius aulâ.
Une proposition composée par le sujet & par l'attribut peut se décomposer 1° en autant de propositions, ayant le même attribut composé qu'il y a d'idées partielles dans le sujet ; 2° chacune de ces propositions élémentaires peut se décomposer encore en autant de propositions simples qu'il y a d'idées partielles dans l'attribut composé : ensorte que chacune des idées partielles du sujet composé pouvant être comparée avec chacune des idées partielles de l'attribut composé, & chaque comparaison donnant une proposition simple, le nombre des propositions simples qui sortiront de celle qui est composée par le sujet & par l'attribut, est égal au nombre des idées partielles du sujet composé, multiplié par le nombre des idées partielles de l'attribut composé. Les savans & les ignorans sont sujets à se tromper, promts à décider & lents à se rétracter : il y a ici deux sujets simples, 1° les savans, 2° les ignorans, & trois attributs simples, 1° sont sujets à se tromper, 2° sont promts à décider ; 3° sont lents à se rétracter ; il en sortira donc deux fois trois ou six propositions simples : en les comparant entr'elles par le sujet, trois auront pour sujet commun l'un des deux sujets élémentaires, & partageront entr'elles les trois attributs ; trois autres auront pour sujet commun l'autre sujet élémentaire & partageront de même les trois attributs : si on les compare par l'attribut, deux auront pour attribut commun le premier attribut élémentaire, deux autres auront le second attribut, les deux derniers le dernier attribut ; & les deux qui auront un attribut commun partageront entr'elles les deux sujets.
1°. Les savans sont sujets à se tromper.
2°. Les savans sont promts à se décider.
3°. Les savans sont lents à se rétracter.
4°. Les ignorans sont sujets à se tromper.
5°. Les ignorans sont promts à se décider.
6°. Les ignorans sont lents à se rétracter.
Jusqu'ici je n'ai donné d'exemples de propositions composées que de celles que les Logiciens appellent copulatives, parce que les parties composantes y sont liées par une conjonction copulative ; mais je n'ai pas prétendu donner l'exclusion aux autres especes, dont les parties composantes sont liées par toute autre conjonction : je crois seulement que les distinctions observées en logique sont inutiles à la grammaire, qui ne doit remarquer que ce qui est nécessaire à la composition des propositions, & qui n'est nullement chargée d'en discuter la vérité.
2°. Le sujet est incomplexe, quand il n'est exprimé que par un nom, un pronom, ou un infinitif, qui sont les seules especes de mots qui puissent présenter à l'esprit un sujet déterminé. Tels sont les sujets des propositions suivantes : DIEU est éternel ; LES HOMMES sont mortels ; NOUS naissons pour mourir ; DORMIR est un tems perdu.
Il y a apparence que M. du Marsais confondoit le sujet incomplexe avec le simple, quand il donnoit de celui-ci une définition qui ne peut convenir qu'à l'autre. En effet il définit de suite le sujet simple, le sujet multiple que j'appelle composé, & le sujet complexe, sans en opposer aucun à celui qu'il nomme complexe. Il y a cependant une très-grande différence entre le sujet simple & l'incomplexe : le sujet simple doit être déterminé par une idée unique, voilà son essence ; mais il peut être ou n'être pas incomplexe, parce que son essence est indépendante de l'expression, & que l'idée unique qui le détermine peut être ou n'être pas considérée comme le résultat de plusieurs idées subordonnées, ce qui donne indifféremment un ou plusieurs mots : au contraire l'essence du sujet incomplexe tient tout-à-fait à l'expression, puisqu'il ne doit être exprimé que par un mot.
Le sujet est complexe, quand le nom, le pronom, ou l'infinitif est accompagné de quelque addition qui en est un complément explicatif ou déterminatif. Tels sont les sujets des propositions suivantes : LES LIVRES UTILES sont en petit nombre ; LES PRINCIPES DE LA MORALE méritent attention ; VOUS QUI CONNOISSEZ MA CONDUITE, jugez-moi ; CRAINDRE DIEU, est le commencement de la sagesse ; où l'on voit le nom livres modifié par l'addition de l'adjectif utiles, qui en restraint l'étendue ; le nom principes modifié par l'addition de ces mots de la morale, qui en est un complément déterminatif ; le pronom vous modifié par l'addition de la proposition incidente qui connoissez ma conduite, laquelle en est explicative ; & l'infinitif craindre déterminé par l'addition du complément objectif Dieu.
On voit, par la notion que je donne ici du sujet complexe, que ce n'est pas seulement une proposition incidente qui le rend tel, mais toute addition qui en développe le sens, ou qui le détermine par quelque idée particuliere qu'elle y ajoute. Le mot principal auquel est faite l'addition, est le sujet grammatical de la proposition, parce que c'est celui qui seul est soumis en qualité de sujet aux lois de la syntaxe de chaque langue ; ce même mot, avec l'addition qui le rend complexe, est le sujet logique de la proposition, parce que c'est l'expression totale de l'idée déterminée dont l'esprit apperçoit l'existence intellectuelle sous telle ou telle relation à tel attribut.
L'attribut peut être également incomplexe ou complexe.
L'attribut est incomplexe, quand la relation du sujet, à la maniere d'être dont il s'agit, y est exprimée en un seul mot, soit que ce mot exprime en même tems l'existence intellectuelle du sujet, soit que cette existence se trouve énoncée séparément. Ainsi quand on dit, je lis, je suis attentif, les attributs de ces deux propositions sont incomplexes, parce que dans chacun on exprime en un seul mot la relation du sujet à la maniere d'être qui lui est attribuée ; lis énonce tout-à-la-fois cette relation & l'existence du sujet, & il équivaut à suis lisant ; attentif n'énonce que la relation de convenance du sujet à l'attribut.
L'attribut est complexe, quand le mot principalement destiné à énoncer la relation du sujet à la maniere d'être qu'on lui attribue, est accompagné d'autres mots qui en modifient la signification. Ainsi quand on dit : je lis avec soin les meilleurs grammairiens, & je suis attentif à leurs procédés ; les attributs de ces deux propositions sont complexes, parce que dans chacun le mot principal est accompagné d'autres mots qui en modifient la signification. Lis, dans le premier exemple, est suivi de ces mots, avec soin, qui présentent l'action de lire comme modifiée par un caractere particulier ; & ensuite de ceux-ci, les meilleurs grammairiens, qui déterminent la même action de lire par l'application de cette action à un objet spécial. Attentif, dans le second exemple, est accompagné de ces mots, à leurs procédés, qui restraignent l'idée générale d'attention par l'idée spéciale d'un objet déterminé.
Les propositions sont également incomplexes ou complexes, selon la forme de l'énonciation de leur sujet & de leur attribut.
Une proposition incomplexe, est celle dont le sujet & l'attribut sont également incomplexes. Exemples : la sagesse est précieuse ; vous parviendrez ; mentir est une lâcheté.
Une proposition complexe, est celle dont le sujet ou l'attribut, ou même ces deux parties, sont complexes. Exemples : la puissance législative est respectable ; les preuves dont on appuie la vérité de la religion chrétienne sont invincibles ; ces propositions sont complexes par le sujet : Dieu gouverne toutes les parties de l'univers ; César fut le tyran d'une république dont il devoit être le défenseur ; ces propositions sont complexes par l'attribut : la gloire qui vient de la vertu est plus solide que celle qui vient de la naissance ; être sage avec excès est une véritable folie ; ces propositions sont complexes par le sujet & par l'attribut.
L'ordre analytique des parties essentielles d'une proposition complexe n'est pas toujours aussi sensible que dans les exemples que l'on vient de voir ; c'est alors à l'art même de l'analyse de le retrouver. Par exemple, c'est tuer les pauvres, de ne pas subvenir autant qu'on le peut à leur subsistance (si non pavisti, occidisti) ; il est évident que l'on attribue ici à la chose dont on parle que c'est tuer les pauvres, & conséquemment que est tuer les pauvres est l'attribut de cette proposition ; quel en est donc le sujet ? Le voici : ce (sujet grammatical) de ne pas subvenir autant qu'on le peut à la subsistance des pauvres (addition qui rend le sujet complexe en le déterminant). La construction analytique est donc : ce de ne pas subvenir autant qu'on le peut à la subsistance des pauvres est les tuer.
Quand les additions faites, soit au sujet, soit à l'attribut, soit à quelqu'autre terme modificatif de l'un ou de l'autre, sont elles-mêmes des propositions ayant leurs sujets & leurs attributs, simples ou composés, incomplexes ou complexes ; ces propositions partielles sont incidentes, & celles dont elles sont des parties immédiates sont principales, voyez INCIDENTE. Mais quelque composée, ou quelque complexe que puisse être une proposition, eut-elle l'étendue & la forme que les Rhéteurs exigent pour une période, l'analyse la réduit enfin aux deux parties fondamentales, qui sont le sujet & l'attribut.
Prenons pour exemple cette belle période qui est à la tête de la seconde partie du discours de M. l'abbé Colin, couronné par l'académie françoise en 1714. Si fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme, est une extravagance inconcevable ; c'est encore un bien plus grand renversement de raison d'être persuadé de la vérité de cette doctrine, & de vivre comme si on ne doutoit point qu'elle ne fût fausse.
Pour parvenir à la construction analytique, je ferai d'abord quelques remarques préliminaires. 1°. Si n'est point ici une conjonction hypothétique ou conditionnelle ; la proposition qu'elle commence ne doit plus être mise en question, elle a été prouvée dans la premiere partie dont elle est la conclusion & le précis : si a ici le même sens que le mot latin etsi, ou notre mot françois quoique, qui veut dire malgré la preuve que, voyez MOT, article 2. n. 3. ou en adaptant l'interprétation aux besoins présens, malgré la preuve de la vérité qui est. Voyez sur que rendu par qui est, l'article INCIDENTE. 2°. Ces deux derniers mots qui est, commencent une proposition incidente, dont l'attribut doit être indicatif de la vérité individuelle énoncée auparavant par le nom appellatif vérité ; ce doit donc être cette proposition même qui l'énonce comme un jugement, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable : & l'on voit ici qu'une proposition incidente est partie d'une autre qui est principale à son égard, mais qui est elle-même incidente à l'égard d'une troisieme. 3°. En réunissant, sous la forme que j'ai indiquée, tout ce qui constitue ce premier membre de la période, on aura, malgré la preuve de la vérité qui est, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable : or tout cela est une expression adverbiale, puisqu'il n'y a que la préposition malgré avec son complément ; l'ordre analytique demande donc que cela soit à la suite d'un nom appellatif, ou d'un adjectif, ou d'un verbe. Voyez PREPOSITION. Et le bon sens, qu'il est si facile de justifier que je ne crois pas devoir le faire ici, indique assez que c'est à la suite de l'adjectif grand, ou plutôt de l'attribut, est encore un bien plus grand renversement de raison, mis par comparaison au-dessus du premier, est une extravagance inconcevable. Ce complément adverbial tombe sur le sens comparatif de l'adjectif plus grand. 4°. Ce, qui se trouve immédiatement avant le verbe principal est, n'est que le sujet grammatical, c'est-à-dire le mot principal dans l'expression totale du sujet dont on parle ici ; car ce est un nom d'une généralité indéfinie, lequel a besoin d'être déterminé, ou par les circonstances antécédentes, ou par quelque addition subséquente : or il est déterminé ici par l'union de deux additions respectivement opposées, 1. être persuadé de la vérité de cette doctrine, 2. vivre comme si on ne doutoit point qu'elle ne fût fausse ; & le rapport du nom général ce à cette double addition est marqué par la double préposition de. Voici donc la totalité du sujet logique : ce a'être persuadé de la vérité de cette doctrine & de vivre comme si on ne doutoit point qu'elle ne fût fausse. 5°. Ma derniere observation sera pour rappeller au lecteur que la Grammaire n'est chargée que de l'expression analytique de la pensée, voyez INVERSION & METHODE, que les embellissemens de l'élocution ne sont point de son ressort, & qu'elle a droit de s'en débarrasser quand elle rend compte de ses procédés.
Voici donc enfin l'ordre analytique de la période proposée, réduite aux deux parties essentielles : ce d'être persuadé de la vérité de la doctrine chrétienne, & de vivre comme si on ne doutoit pas qu'elle ne fût fausse (sujet logique), est encore un bien plus grand renversement de raison, malgré la preuve de la vérité qui est, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable (attribut logique) : ou bien sans changer le si, mais se souvenant néanmoins qu'il a la signification que l'on vient de voir ; ce d'être persuadé de la verité de la doctrine chrétienne, & de vivre comme si on ne doutoit pas qu'elle ne fût fausse, est encore un bien plus grand renversement de raison, si fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable.
Il me semble que relativement à la matiere de la proposition, la Grammaire peut se passer d'en considérer d'autres especes. Elle doit connoître les termes & les propositions composées, parce que la syntaxe influe sur les inflexions numériques des mots, & que l'usage des conjonctions est peut-être inexplicable sans cette clé, voyez MOT, loc. cit. Elle doit connoître les termes & les propositions complexes, parce qu'elle doit indiquer & caractériser la relation des propositions incidentes, & fixer la construction des parties logiques & grammaticales qui ne peuvent sans cela être discernées. Mais que pourroit gagner la Grammaire à considérer les propositions modales, les conditionnelles, les causales, les relatives, les discrétives, les exclusives, les exceptives, les comparatives, les inceptives, les désitives ? Si ces différens aspects peuvent fournir à la Logique des moyens de discuter la vérité du fonds, à la bonne heure ; ils ne peuvent être d'aucune utilité dans la Grammaire, & elle doit y renoncer.
II. La forme grammaticale de la proposition consiste dans les inflexions particulieres, & dans l'arrangement respectif des différentes parties dont elle est composée. Voyez sur cela l'article GRAMMAIRE, §. 2. de l'orthologie, n. 2. Il est inutile de répeter ici ce qui en a été dit ailleurs, & il ne faut plus que remarquer les différentes especes de propositions que le grammairien doit distinguer par rapport à la forme. On peut envisager cette forme sous trois principaux aspects : 1°. par rapport à la totalité des parties principales & subalternes qui doivent entrer dans la composition analytique de la proposition ; 2°. par rapport à l'ordre successif que l'analyse assigne à chacune de ces parties ; 3°. par rapport au sens particulier qui peut dépendre de telle ou telle disposition.
1°. Par rapport à la totalité des parties principales & subalternes qui doivent entrer dans la composition analytique de la proposition, elle peut être pleine ou elliptique.
Une proposition est pleine, lorsqu'elle comprend explicitement tous les mots nécessaires à l'expression analytique de la pensée.
Une proposition est elliptique, lorsqu'elle ne renferme pas tous les mots nécessaires à l'expression analytique de la pensée.
Il faut pourtant observer que comme l'un & l'autre de ces accidens tombe moins sur les choses que sur la maniere de les dire, on dit plutôt que la phrase est pleine ou elliptique, qu'on ne le dit de la proposition. Au reste quoique l'on dise communément que notre langue n'est guere elliptique ; il est pourtant certain que quand on en veut soumettre les phrases à l'examen analytique, on est surpris de voir que l'usage y en introduit beaucoup plus d'elliptiques que de pleines. J'ai prouvé que la plûpart de nos phrases interrogatives sont elliptiques, puisque les mots qui exprimeroient directement l'interrogation y sont sous-entendus. Voyez INTERROGATIF. Il est aisé de recueillir de ce que j'ai dit, article MOT, §. 2. n. 3. de la nature des conjonctions, que l'usage de cette sorte de mot amene assez naturellement des vuides dans la plénitude analytique. M. du Marsais, au mot elliptique, a très-bien fait sentir que l'ellipse est très-fréquente & très-naturelle dans les réponses faites sur le champ à des interrogations. Il y a mille autres occasions où une plénitude scrupuleuse feroit languir l'élocution ; & l'usage autorise alors, dans toutes les langues, l'ellipse de tout ce qui peut aisément se deviner d'après ce qui est positivement exprimé : par exemple, dans les propositions composées par le sujet, il est inutile de répeter l'attribut autant de fois qu'il y a de sujets distincts ; dans celles qui sont composées par l'attribut, il n'est pas moins superflu de répeter le sujet pour chaque attribut différent, &c. Par-tout on se contenteroit d'un mot pour exprimer une pensée, si un mot pouvoit suffire ; mais du-moins l'usage tend partout à supprimer tout ce dont il peut autoriser la suppression, sans nuire à la clarté de l'énonciation, qui est la qualité de tout langage la plus nécessaire & la plus indispensable.
2°. Par rapport à l'ordre successif que l'analyse assigne à chacune des parties de la proposition, la phrase est directe, ou inverse, ou hyperbatique.
La phrase est directe, lorsque tous les mots en sont disposés selon l'ordre & la nature des rapports successifs qui fondent leur liaison : omnes sunt admirati constantiam Catonis.
La phrase est inverse, lorsque l'ordre des rapports successifs qui fondent la liaison des mots est suivi dans un sens contraire, mais sans interruption dans les liaisons des mots conjonctifs : constantiam Catonis admirati sunt omnes.
Enfin la phrase est hyperbatique, lorsque l'ordre des rapports successifs & la liaison naturelle des mots consécutifs sont également interrompus : Catonis omnes admirati sunt constantiam.
Il faut observer, entre les idées partielles d'une pensée, liaison & relation. La liaison exige que les corrélatifs immédiats soient immédiatement l'un auprès de l'autre ; mais de quelque maniere qu'on les dispose, l'image de la liaison subsiste : Augustus vicit, ou vicit Augustus ; vicit Antonium, ou Antonium vicit ; & par conséquent Augustus vicit Antonium, ou Antonium vicit Augustus, les liaisons sont toujours également observées. Mais les liaisons supposent des relations, & les relations supposent une succession dans leurs termes ; la priorité est propre à l'un, la postériorité est essentielle à l'autre ; voilà un ordre que l'on peut envisager, ou en allant du premier terme au second, ou en allant du second au premier ; la premiere considération est directe, la seconde est inverse : Augustus vicit, vicit Antonium, & par conséquent, Augustus vicit Antonium, c'est l'ordre direct ; Antonium vicit, vicit Augustus, & est conséquemment Antonium vicit Augustus, c'est l'ordre inverse : l'un & l'autre conserve l'image des liaisons naturelles, mais il n'y a que le premier qui soit aussi l'ordre naturel des rapports ; il est renversé dans le second. Enfin la disposition des mots d'une phrase peut être telle qu'elle n'exprime plus ni les liaisons des idées, ni l'ordre qui résulte de leurs rapports ; ce qui arrive quand on jette entre deux corrélatifs quelque mot qui est étranger au rapport qui les unit : il n'y a plus alors ni construction directe, ni inversion ; c'est l'hyperbate : Antonium Augustus vicit. Voyez INVERSION, HYPERBATE. Il y a des langues où l'usage autorise presque également ces trois sortes de phrases ; ce sont des raisons de goût qui en ont déterminé le choix dans les bons écrivains ; & c'est en cherchant à demêler ces raisons fines que l'on apprendra à lire : chose beaucoup plus rare que l'amour-propre ne permet de le croire.
3°. Enfin par rapport au sens particulier qui peut dépendre de la disposition des parties de la proposition, elle peut être ou simplement expositive ou interrogative.
La proposition est simplement expositive, quand elle est l'expression propre du jugement actuel de celui qui la prononce : Dieu a créé le ciel & la terre ; Dieu ne veut point la mort du pécheur.
La proposition est interrogative, quand elle est l'expression d'un jugement sur lequel est incertain celui qui la prononce, soit qu'il doute sur le sujet ou sur l'attribut, soit qu'il soit incertain sur la nature de la relation du sujet à l'attribut : Qui a créé le ciel & la terre ? interrogation sur le sujet : Quelle est la doctrine de l'Eglise sur le culte des saints ? interrogation sur l'attribut : Dieu veut-il la mort du pécheur ? interrogation sur la relation du sujet à l'attribut.
Tout ce qu'enseigne la Grammaire est finalement relatif à la proposition expositive, dont elle envisage sur-tout la composition : s'il y a quelques remarques particulieres sur la proposition interrogative, j'en ai fait le détail en son lieu. Voyez INTERROGATIF. (B. E. R. M.)
PROPOSITION, (Logique) la proposition est le fidele interprete du jugement ; ou plutôt la proposition n'est autre chose que le jugement lui-même revétu d'expressions. Dans toute proposition, il faut nécessairement qu'il y ait un sujet & un attribut, ou expressément énoncés, ou du-moins sous entendus ; parce qu'il n'y a point de discours sans un sujet dont on parle, & sans attribut pour qu'on en parle. Ce sujet est toujours énoncé dans les langues analogues par quelque mot destiné à ce service, & distingué de ce qui énonce l'attribut : au lieu que dans les langues transpositives, un seul & même mot remplit ces deux fonctions, lorsque le sujet doit être exprimé par l'un des trois pronoms personnels ; le génie de ces langues ayant établi que le verbe par lequel on attribue une chose au sujet, feroit connoître par sa terminaison la personne, & seroit alors suffisant, pour énoncer le sujet & l'attribution. Le latin dit donc en un seul mot ce que le françois dit en deux : ambulat, times, odimus ; il marche, vous craignez, nous haïssons.
Ceux qui prétendent que l'essence du verbe consiste dans l'affirmation, & que l'affirmation est le caractere propre & distinct du mot est, sont obligés de dire que ce mot entre nécessairement dans toutes les propositions, soit qu'il soit exprimé, soit qu'il soit seulement sous-entendu ; parce qu'on ne peut faire de proposition sans un mot qui énonce l'attribut du sujet. Mais ceux qui soutiennent avec l'abbé Girard, que le caractere propre du verbe est d'exprimer par événement, & que l'affirmation n'est qu'un effet de la nature de quelques modes, qui adaptent l'action à un sujet ou à une des trois personnes qui peuvent figurer dans le discours, ne reconnoissent point la nécessité de la copule verbale est, si ce n'est dans les modes, comme l'infinitif & le gérondif, qui ne sont point caractérisés par l'idée accessoire d'affirmation.
Pour mieux connoître la nature & les propriétés d'une proposition, il ne sera pas inutile d'examiner ici sa matiere & sa forme, sa quantité, sa qualité, ses oppositions, ses conversions, ses équipollences.
On appelle la matiere d'une proposition, ce qui en fait l'objet : ou la proposition est en matiere nécessaire, ou elle est en matiere contingente ; il n'y a point de milieu. La proposition en matiere nécessaire, est celle dont le sujet renferme nécessairement dans son idée la forme énoncée par le prédicat, ou l'en exclut nécessairement ; l'inséparabilité ou l'incompatibilité de deux idées, sont des marques infaillibles pour discerner si une proposition est en matiere nécessaire. La proposition en matiere contingente, est celle dont le sujet ne renferme ni n'exclut de son idée la forme énoncée par le prédicat ; de-là la conjonction ou la séparation caractérisent toujours une proposition en matiere contingente.
La forme d'une proposition n'est autre chose que l'arrangement des termes dont elle résulte, & qui concourent tous, chacun selon sa maniere, à l'expression d'un sens. Si l'on examine bien la structure d'une proposition, on trouvera qu'il faut d'abord un sujet & une attribution à ce sujet ; sans cela on ne dit rien. On voit ensuite que l'attribution peut avoir outre son sujet, un objet, un terme, une circonstance modificative, une liaison avec une autre, & de plus un accompagnement étranger, ajouté comme un hors-d'oeuvre, simplement pour servir d'appui à quelqu'une de ces choses, ou pour exprimer un mouvement de sensibilité occasionné dans l'ame de celui qui parle. Ainsi il faut que parmi les mots, les uns énoncent le sujet ; que les autres expriment l'attribution faite au sujet ; que quelques-uns en marquent l'objet ; que d'autres dans le besoin en représentent le terme ; qu'il y en ait, quand le cas échoit, pour la circonstance modificative, ainsi que pour la liaison, toutes & quantes fois qu'on voudra rapprocher les choses : il faut enfin énoncer les accompagnemens accessoires, lorsqu'il plaira à la personne qui parle d'en ajouter à sa pensée.
Donnons maintenant à ces parties constructives des noms convenables & bien expliqués, qui, les distinguant l'une de l'autre, & indiquant clairement leurs fonctions dans la composition de la proposition, nous aident à pénétrer dans l'art de la construction. Car enfin, c'est par leur moyen qu'on forme des sens, qu'on transporte & qu'on peint dans l'esprit des autres l'image de ce qu'on pense soi-même.
Tout ce qui est employé à énoncer la personne ou la chose à qui l'on attribue quelque façon d'être ou d'agir, paroissant dans la proposition comme sujet dont on parle, se nomme par cette raison subjectif ; il y tient le principal rang.
Ce qui sert à exprimer l'application qu'on fait au sujet, soit d'action, soit de maniere d'être, y concourt par la fonction d'attribution ; puisque par son moyen on approprie cette action à la personne ou à la chose dont on parle : il sera donc très-bien nommé attributif.
Ce qui est destiné à représenter la chose que l'attribution a en vue, & par qui elle est spécifiée, figure comme objet ; desorte qu'on ne sauroit lui donner un nom plus convenable que celui d'objectif.
Ce qui doit marquer le but auquel aboutit l'attribution, ou celui duquel elle part, présente naturellement un terme : cette fonction le fait nommer terminatif.
Ce qu'on employe à exposer la maniere, le tems, le lieu, & les diverses circonstances dont on assaisonne l'attribution, gardera le nom de circonstanciel ; puisque toutes ces choses sont par elles-mêmes autant de circonstances.
Ce qui sert à joindre ou à faire un enchaînement de sens, ne peut concourir que comme moyen de liaison : par conséquent son vrai nom est conjonctif.
Ce qui est mis par addition, pour appuyer sur la chose, ou pour énoncer le mouvement de l'ame, se place comme simple accompagnement : c'est pourquoi je le nommerai adjonctif. Voilà les sept membres qui peuvent entrer dans la structure d'une proposition. On voit d'abord qu'il ne lui est pas essentiel de renfermer tous ces membres ; l'adjonctif s'y trouvant rarement, le conjonctif n'y ayant lieu que lorsqu'elle fait partie d'une période, & pouvant même n'y être pas énoncé. Souvent il n'y a point de terminatif, non plus que de circonstanciel, comme dans cet exemple, les dieux aiment le nombre impair. D'autres fois on n'a dessein que d'exprimer la simple action du sujet, sans lui donner ni terme ni objet, & sans l'assaisonner de circonstance ni d'aucun accompagnement, comme quand on dit : les ennemis craignent ; nous sommes perdus ; j'aime.
Il faut observer que chaque membre d'une proposition peut être exprimé par un ou plusieurs mots indifféremment. Par exemple, dans cette proposition, le plus profond des physiciens ne connoît pas avec une certitude évidente le moindre des ressorts secrets de la nature ; le subjectif y présente un sujet unique par les cinq premiers mots : l'attributif une attribution négative par les trois suivans : le circonstanciel de même une seule circonstance par les quatre qui viennent après : enfin, l'objectif qu'un objet par les huit derniers mots. C'est aux Grammairiens à fixer des regles, auxquelles on assujettisse l'arrangement qu'on doit mettre entre les divers membres, d'où résulte une proposition. Voyez PHRASE, STYLE, HARMONIE DE DISCOURS.
La quantité des propositions se mesure sur l'étendue de leurs sujets : une proposition considérée par rapport à son étendue, est de quatre sortes ; ou universelle, ou particuliere, ou singuliere, ou indéfinie.
La proposition universelle est celle, dont le sujet est un terme universel, pris dans toute son étendue, c'est-à-dire pour tous les individus. Ces mots omnis, tout, pour l'affirmation ; nullus, nul, pour la négation, désignent ordinairement une proposition universelle. Je dis ordinairement, parce qu'il y a certaines circonstances, où ils n'annoncent qu'une proposition singuliere : & pour ne s'y pas tromper, voici une regle invariable qu'il ne faut jamais perdre de vue. Toutes les fois que le prédicat ne peut s'énoncer de tous les individus du sujet, pris chacun en son particulier, la proposition, malgré son apparence d'universalité, n'est que singuliere. Ainsi cette proposition, tous les apôtres étoient au nombre de douze, est réellement singuliere ; parce que le prédicat qui est douze, ne peut être dit de chaque apôtre en particulier. Le sens de cette proposition se réduit à dire, que la collection des apôtres étoit le nombre de douze : excepté ce seul cas, toute proposition dont le sujet est accompagné de ces mots, tout, nul, doit être regardée comme une proposition universelle.
1°. Il faut distinguer deux sortes d'universalités ; l'une qu'on peut appeller métaphysique, & l'autre morale. L'universalité métaphysique est une universalité parfaite & sans exception, comme tout esprit est intelligent. L'universalité morale reçoit toujours quelque exception, parce que dans les choses morales on se contente que les choses soient telles ordinairement, ut plurimùm, comme ce que l'on dit ordinaire : que toutes les femmes aiment à parler, que tous les jeunes gens sont inconstans, que tous les vieillards louent le tems passé. Il suffit dans toutes ces sortes de propositions, qu'ordinairement cela soit ainsi, & on ne doit pas aussi en conclure à la rigueur.
2°. Il y a des propositions qui ne sont universelles que parce qu'elles doivent s'entendre de generibus singulorum, & non pas de singulis generum, comme parlent les Philosophes ; c'est-à-dire de toutes les especes de quelque genre, & non pas de tous les particuliers de ces especes. Ainsi quelques-uns disent que Jesus-Christ a versé son sang pour le salut de tous les hommes, parce qu'il a des prédestinés parmi des hommes de tout âge, de tout sexe, de toute condition, de toute nation. Ainsi l'on dit que tous les animaux furent sauvés dans l'arche de Noé, parce qu'il en fut sauvé quelques-uns de toutes les especes. Ainsi l'on dit d'un homme qu'il a passé par toutes les charges, c'est-à-dire par toutes sortes de charges.
3°. Il y a des propositions qui ne sont universelles que parce que le sujet doit être pris comme restreint par une partie de l'attribut, quand il est complexe & qu'il a deux parties, comme dans cette proposition : tous les hommes sont justes par la grace de Jesus-Christ ; c'est avec raison qu'on peut prétendre que le terme de justes est sous-entendu dans le sujet, quoiqu'il n'y soit pas exprimé ; parce qu'il est assez clair que l'on veut dire seulement que tous les hommes qui sont justes, ne le sont que par la grace de Jesus-Christ ; & ainsi cette proposition est vraie en toute rigueur, quoiqu'elle paroisse fausse, à ne considérer que ce qui est exprimé dans le sujet, y ayant tant d'hommes qui sont méchans & pécheurs. Il y a un très-grand nombre de propositions dans l'Ecriture qui doivent être prises en ce sens, & entr'autres ce que dit S. Paul ; comme tous meurent par Adam, ainsi tous seront vivifiés par Jesus-Christ. Le sens de l'apôtre est, que comme tous ceux qui meurent, meurent par Adam, tous ceux aussi qui sont vivifiés, sont vivifiés par Jesus-Christ.
Il y a aussi beaucoup de propositions qui ne sont moralement universelles qu'en cette maniere, comme quand on dit, les François sont bons soldats ; les Hollandois sont bons matelots ; les Flamans sont bons peintres ; les Italiens sont bons musiciens : cela veut dire que les François qui sont soldats, sont ordinairement bons soldats, & ainsi des autres.
La proposition particuliere est celle dont le sujet est un terme universel, mais restreint & pris seulement pour quelques individus du sujet, comme quand on dit, quelque cruel est lâche, quelque pauvre n'est pas malheureux ; les mots quidam, aliquis, quelque, quelques-uns, sont ordinairement les termes qui servent à restreindre le sujet.
Il ne faut pas s'imaginer qu'il n'y ait pas d'autre marque de particularité que ces mots. Quand la préposition des ou de est le pluriel de l'article un, elle fait que les noms se prennent particulierement, au lieu que pour l'ordinaire, ils se prennent généralement avec l'article les. C'est pourquoi il y a bien de la différence entre ces deux expressions : les gens raisonnables, des gens raisonnables ; les médecins, des médecins.
Une proposition singuliere est celle dont le sujet est déterminé à un seul individu. Telle est cette proposition, Louis XIV. a conquis toute la Flandre & une partie de la Hollande.
La proposition indéfinie est celle dont le sujet est un terme universel, pris absolument & sans aucune addition d'universalité ou de restriction, comme quand je dis, la matiere est incapable de penser ; les François sont polis & spirituels.
Il y a deux observations à faire ici, l'une sur les propositions singulieres, & l'autre sur les propositions indéfinies.
1°. Les propositions singulieres doivent suivre les mêmes lois que les universelles, encore que leurs sujets ne soient pas communs comme ceux des universelles, parce que leurs sujets, par cela même qu'ils sont singuliers, sont nécessairement pris dans toute leur étendue ; ce qui fait l'essence d'une proposition universelle, & ce qui la distingue de la particuliere ; car il importe peu pour l'universalité d'une proposition que l'étendue de son sujet soit grande ou petite, pourvû que, quelle qu'elle soit, on la prenne toute entiere ; & c'est pourquoi les propositions singulieres tiennent lieu d'universelles dans l'argumentation.
2°. Les propositions indéfinies doivent passer pour universelles en quelque matiere que ce soit ; & ainsi dans une matiere contingente même (car pour les propositions indéfinies en matiere nécessaire, il n'y a point de difficulté) elles ne doivent point être considérées comme des propositions particulieres ; car qui souffriroit que l'on dît que les ours sont blancs, que les hommes sont noirs, que les Parisiens sont poëtes, que les Polonois sont sociniens, que les Anglois sont trembleurs ? & cependant selon ces philosophes, qui veulent qu'on regarde les propositions indéfinies en matiere contingente comme particulieres, toutes ces propositions le devroient être, puisqu'elles sont toutes en matiere contingente. Or cela est du dernier absurde. Il est donc clair qu'en quelque matiere que ce soit, les propositions indéfinies de cette sorte sont prises pour universelles ; mais que dans une matiere contingente, on se contente d'une universalité morale : ce qui fait qu'on dit fort bien, les François sont vaillans, les Italiens sont soupçonneux, les Allemands sont robustes, les Anglois sont méditatifs, les Espagnols ont une fierté grave, les Orientaux sont voluptueux.
Il y a une autre distinction plus raisonnable à faire sur ces sortes de propositions ; c'est qu'elles sont universelles en matiere de doctrine, & qu'elles ne sont que particulieres dans les faits & dans les narrations, comme quand il est dit dans l'Evangile : milites plectentes coronam de spinis, imposuerunt capiti ejus. Il est bien clair que cela ne doit être entendu que de quelques soldats, & non pas de tous les soldats.
Une chose qu'il faut encore remarquer, c'est que les noms de corps, de communauté, de peuple, étant pris collectivement, comme ils le sont d'ordinaire, pour tout le corps, toute la communauté, tout le peuple, ne font point les propositions où ils entrent, proprement universelles, moins encore particulieres, mais singulieres ; comme quand je dis, les Romains ont vaincu les Carthaginois ; les Vénitiens font la guerre au Turc ; les juges d'un tel lieu ont condamné un criminel. Ces propositions ne sont point universelles ; autrement on pourroit conclure de chaque romain qu'il auroit vaincu les Carthaginois ; ce qui seroit faux. Elles ne sont point aussi particulieres ; car cela veut dire plus que si je disois, que quelques romains ont vaincu les Carthaginois. Mais elles sont singulieres, parce qu'on considere chaque peuple comme une personne morale dont la durée est de plusieurs siecles, qui subsiste tant qu'il compose un état, & qui agit en tous ces tems par ceux qui le composent, comme un homme agit par ses membres. D'où vient que l'on dit que les Romains qui ont été vaincus par les Gaulois qui prirent Rome, ont vaincu les Gaulois au tems de César, attribuant ainsi à ce même terme de romains d'avoir été vaincus en un tems, & d'avoir été victorieux en l'autre, quoique ce ne fussent plus les mêmes Romains.
Ces choses ainsi supposées & éclaircies, il est aisé de voir que l'on peut réduire toutes les propositions à quatre sortes, que l'on a marquées par ces quatre voyelles, A, E, I, O.
A, désigne l'universelle affirmative, comme tout vicieux est esclave.
E, l'universelle négative, comme nul vicieux n'est heureux.
I, la particuliere affirmative, comme quelque vicieux est riche.
O, la particuliere négative, comme quelque vicieux n'est pas riche.
Pour les faire mieux retenir on a fait ces deux vers.
Asserit A, negat E, verum generaliter ambo.
Asserit I, negat O, sed particulariter ambo.
Les propositions considérées du côté de leur qualité se divisent en affirmatives & négatives, en vraies & fausses, en certaines & incertaines, en évidentes & obscures.
Dagoumer, philosophe subtil, & un de ceux qui ont mis le plus en vogue la philosophie de l'école, soutient, contre l'opinion commune, que tout jugement est affirmatif. Il suppose 1°. que tous les noms sont concrets, ou du moins qu'on peut les regarder comme tels ; & que par conséquent on y peut distinguer deux choses ; savoir, le sujet & la forme. Ainsi ce mot homme signifie un sujet qui a l'humanité. Il distingue donc dans l'attribut de quelque proposition que ce soit, le sujet de l'attribut qui est toujours le même, & la forme de ce même attribut, avec laquelle le sujet de la proposition a quelque relation. Il suppose en second lieu, que la copule verbale identifie toujours, & même nécessairement le sujet de l'attribut avec le sujet de la proposition, & qu'on affirme de plus le rapport qu'il y a de la forme de l'attribut avec le sujet de la proposition. Ainsi, lorsqu'on dit, un homme n'est pas une pierre ; on affirme, selon lui, 1°. que l'homme est une chose ; 2°. que c'est une chose qui a quelque rapport, mais un rapport d'incompatibilité avec la forme de l'attribut ; savoir, avec la saxéité : desorte qu'on doit ainsi résoudre cette proposition : l'homme est une chose qui a une incompatibilité avec la saxéité. Or la forme d'un attribut, selon cet auteur, peut avoir avec le sujet trois différentes sortes de relations ; savoir, la relation d'inséparabilité, si la forme de l'attribut est renfermée dans l'idée du sujet ; la relation d'incompatibilité, si elle en est exclue ; la relation de précision ou d'abstraction, si elle n'y est ni renfermée, ni si elle n'en est exclue.
Mais ne pourroit-on pas repliquer à Dagoumer, que le sujet de l'attribut ne peut pas toujours être identifié avec le sujet de la proposition, comme dans cette proposition, le néant n'est pas un être ? Car enfin on ne dira pas du néant qu'il soit une chose. D'ailleurs, on ne peut distinguer dans l'être considéré en lui-même, un sujet d'attribut, ni une forme d'attribut. Rien n'est plus simple que l'être pris ainsi métaphysiquement. Mais quand même le sujet de l'attribut pourroit être identifié avec le sujet de la proposition ce ne seroit point une raison pour qu'il le fût en vertu de la proposition même ; car la proposition par elle-même fait abstraction de cette liaison qui se trouve entre le sujet de l'attribut, & le sujet de la proposition. La proposition énonce seulement que l'homme, par exemple, n'est pas une chose qui soit pierre ; mais elle ne dit point que l'homme soit une chose, quoique cela soit exactement vrai ; parce qu'il n'est pas nécessaire qu'une proposition énonce tout ce qui est vrai de la chose sur laquelle elle roule. Mais c'est trop s'arrêter sur une question aussi frivole.
Les propositions, qui ont le même sujet & le même attribut, s'appellent opposées, lorsqu'elles different en qualité, c'est-à-dire, lorsque l'une est affirmative & l'autre négative.
Comme les propositions peuvent être opposées entr'elles de différentes manieres, tantôt selon la quantité, tantôt selon la qualité, & tantôt selon l'une & l'autre, les anciens avoient admis quatre sortes d'oppositions ; savoir, la contraire, la subcontraire, la subalterne & la contradictoire.
L'opposition contraire, c'est quand deux propositions ne different entr'elles que selon la qualité ; & qu'elles sont toutes deux universelles. Telles sont ces propositions. Tout homme est animal, aucun homme n'est animal.
L'opposition subcontraire est la même que la précédente, à cela près que les deux propositions qui se combattent, sont toutes deux particulieres. Comme, quelque homme est bon, quelque homme n'est pas bon.
L'opposition subalterne, c'est quand deux propositions se combattent, selon la seule quantité. Telles sont ces propositions, tout homme est raisonnable, quelque homme est raisonnable.
L'opposition contradictoire c'est le combat de deux propositions selon la quantité, & selon la qualité : comme tous les Turcs sont mahométans, quelques Turcs ne sont pas mahométans.
Les Philosophes modernes ont fait main-basse sur toutes ces définitions, dont ils ont retranché quelques-unes comme inutiles, & corrigé les autres comme peu exactes. Le grand principe qu'ils ont posé, c'est qu'il n'y a d'opposition véritable entre des propositions, qu'autant que l'une affirme d'un sujet ce que l'autre nie précisément d'un même sujet considéré sous les mêmes rapports. Ceci supposé, je dis 1°. que les subcontraires ne sont point réellement opposées entr'elles. L'affirmation & la négation ne regardent pas le même sujet, puisque quelques hommes sont pris pour une partie des hommes dans l'une de ces propositions, & pour une autre partie dans l'autre. On peut dire la même chose des subalternes, puisque la particuliere est une suite de la générale.
L'opposition contradictoire n'exige point un combat de propositions selon la quantité & selon la qualité, mais seulement l'affirmation & la négation du même attribut par rapport au même sujet. Ainsi ces deux propositions, l'homme est libre, l'homme n'est pas libre, sont deux propositions véritablement contradictoires. L'une de ces propositions ne peut être vraie, que l'autre ne soit fausse en même tems. La vérité de l'une emporte nécessairement la fausseté de l'autre.
L'opposition contraire est celle qui se trouve entre deux propositions, dont l'une affirme de son sujet un attribut incompatible avec l'attribut que l'autre proposition énonce du même sujet. Ainsi ces deux propositions sont contraires, le monde existe nécessairement, le monde existe contingemment. Ce qui distingue les propositions contraires des contradictoires, c'est que les deux contraires peuvent être toutes deux à la fois fausses ; au lieu que de deux contradictoires, l'une est nécessairement vraie, & l'autre nécessairement fausse. Quoique les propositions contraires puissent être toutes deux fausses, cependant elles ne peuvent être toutes deux vraies, parce que les contradictoires seroient vraies.
On appelle conversion d'une proposition, lorsqu'on change le sujet en attribut, & l'attribut en sujet ; sans que la proposition cesse d'être vraie, si elle l'étoit auparavant, ou plutôt, ensorte qu'il s'ensuive nécessairement de la conversion qu'elle est vraie, supposé qu'elle le fût. Ainsi dans toute conversion on ne doit jamais toucher à la qualité. Il est aisé de comprendre comment la conversion peut se faire. Car comme il est impossible qu'une chose soit jointe & unie à une autre, que cette autre ne soit aussi jointe à la premiere ; & qu'il s'ensuit fort bien que si A est joint à B, B est aussi joint à A, il est clair qu'il est impossible que deux choses soient conçues comme identifiées, qui est la plus parfaite de toutes les unions, que cette union ne soit réciproque, c'est-à-dire, que l'on ne puisse faire une affirmation mutuelle des deux termes unis en la maniere qu'ils sont unis. Ce qui s'appelle conversion.
Ainsi, comme dans les propositions particulieres affirmatives, le sujet & l'attribut sont tous deux particuliers, il n'y a qu'à changer simplement l'attribut en sujet, en gardant la même particularité, pour convertir ces sortes de propositions.
On ne peut pas dire la même chose des propositions universelles affirmatives, à cause que dans ces propositions il n'y a que le sujet qui soit universel, c'est-à-dire, qui soit pris selon toute son étendue, & que l'attribut au contraire est limité & restreint ; & partant, lorsqu'on le rendra sujet par la conversion, il lui faudra garder sa même restriction & y ajouter une marque qui le détermine. Ainsi quand je dis que l'homme est animal, j'unis l'idée d'homme avec celle d'animal, restreinte & resserrée aux seuls hommes. Ainsi, quand je voudrai envisager cette union par une autre face, il faudra que je conferve à ce terme sa même restriction, & de peur que l'on ne s'y trompe, y ajouter quelque note de détermination.
Desorte que de ce que les propositions affirmatives ne se peuvent convertir qu'en particulieres affirmatives, on ne doit pas conclure qu'elles se convertissent moins proprement que les autres ; mais comme elles sont composées d'un sujet général & d'un attribut restreint, il est clair que lorsqu'on les convertit, en changeant l'attribut en sujet, elles doivent avoir un sujet restreint & resserré.
De-là on doit tirer ces deux regles.
1. Les propositions universelles affirmatives se peuvent convertir, en ajoutant une marque de particularité à l'attribut devenu sujet.
2. Les propositions particulieres affirmatives se doivent convertir sans aucune addition ni changement.
Ces deux regles peuvent se réduire à une seule qui les comprendra toutes deux.
L'attribut étant restreint par le sujet dans toutes les propositions affirmatives, si on veut le faire devenir sujet, il lui faut conserver sa restriction ; & par conséquent lui donner une marque de particularité, soit que le premier sujet fût universel, soit qu'il fût particulier.
Néanmoins il arrive assez souvent que des propositions universelles affirmatives se peuvent convertir en d'autres universelles. Mais c'est seulement lorsque l'attribut n'a pas de soi-même plus d'étendue que le sujet, comme lorsqu'on affirme la différence ou le propre de l'espece, ou la définition du défini. Car alors l'attribut n'étant point restreint, se peut prendre dans la conversion aussi généralement que le premier sujet.
La nature d'une proposition négative ne se peut exprimer plus clairement, qu'en disant que c'est concevoir qu'une chose n'est pas une autre. Mais afin qu'une chose ne soit pas une autre, il n'est pas nécessaire qu'elle n'ait rien de commun avec elle ; mais il suffit qu'elle n'ait pas tout ce que l'autre a, comme il suffit, afin qu'une bête ne soit pas homme, qu'elle n'ait pas tout ce qu'a l'homme ; & il n'est pas nécessaire qu'elle n'ait rien de ce qui est dans l'homme : & de-là on peut tirer cet axiome.
La proposition négative ne sépare pas du sujet toutes les parties contenues dans la compréhension de l'attribut ; mais elle sépare seulement l'idée totale & entiere composée de tous ces attributs unis. Si je dis que la matiere n'est pas une substance qui pense, je ne dis pas pour cela qu'elle n'est pas substance pensante, qui est l'idée totale & entiere que je nie de la matiere.
Il en est tout au contraire, de l'extension de l'idée ; car la proposition négative sépare du sujet l'idée de l'attribut selon toute son extension ; & la raison en est claire ; car être sujet d'une idée & être contenu dans son extension, n'est autre chose qu'enfermer cette idée : & par conséquent, quand on dit qu'une idée n'en enferme pas une autre, on dit qu'elle n'est pas un des sujets de cette idée. Ainsi si je dis que l'homme n'est pas un être insensible, je veux dire qu'il n'est aucun des êtres insensibles ; & par conséquent je les sépare tous de lui. De-là cet axiome : l'attribut d'une proposition négative est toujours pris généralement.
Comme il est impossible qu'on sépare deux choses totalement, que cette séparation ne soit mutuelle & réciproque, il est clair que si je dis que nul homme n'est pierre, je puis dire aussi que nulle pierre est homme. De-là il suit que les propositions universelles négatives se peuvent convertir simplement en changeant l'attribut en sujet, en conservant à l'attribut devenu sujet, la même universalité qu'avoit le premier sujet ; car l'attribut dans les propositions négatives est toujours pris universellement, parce qu'il est nié selon toute son étendue.
Mais par cette même raison, on ne peut faire de conversion des propositions négatives particulieres ; & on ne peut pas dire, par exemple, que quelque médecin n'est pas homme, parce que l'on dit que quelque homme n'est pas médecin. Cela vient de la nature même de la négation, qui est que dans les propositions négatives, l'attribut est toujours pris universellement, & selon toute son extension ; desorte que lorsqu'un sujet particulier devient attribut par la conversion dans une proposition négative particuliere, il devient universel & change de nature contre les regles de la véritable conversion, qui ne doit point changer la restriction ou l'étendue des termes : dans cette proposition, quelque homme n'est pas médecin ; ce terme d'homme est pris particulierement ; mais dans cette fausse conversion, quelque médecin n'est pas homme, le mot d'homme est pris universellement.
Dans les propositions composées de deux parties, dont l'une est la conséquence de l'autre, ou tout au moins regardée comme telle, on a un caractere pour reconnoître la vérité ou la fausseté d'une proposition converse. Si la conséquence redonne nécessairement l'hypothese, la converse est vraie, mais elle est fausse lorsque l'hypothese n'est pas une suite nécessaire de la conséquence. Par exemple, cette proposition, si l'on tire une diagonale o s dans un parallélogramme A o D s, ce parallélogramme sera divisé en deux parties égales, a deux parties ; la premiere où l'on suppose que l'on tire une diagonale dans un parallélogramme ; & la seconde, que l'on regarde comme une suite de la premiere, c'est que ce parallélogramme sera divisé en deux parties égales. Ainsi pour avoir la converse de cette proposition, mettons en supposition la seconde partie : supposons qu'un parallélogramme soit divisé en deux parties égales ; si l'on vouloit en déduire que ce parallélogramme ne pût être ainsi divisé que par une diagonale, ce seroit la converse de la premiere proposition ; mais cette converse seroit très-fausse, parce qu'un parallélogramme peut être divisé en deux parties égales par la ligne M N tirée par le milieu des côtés A s o D, & cette ligne M N n'est pas une diagonale. Les Géometres appellent la premiere partie d'une proposition l'hypothese, c'est-à-dire les suppositions ou les données, d'où l'on déduit ce que l'on se propose d'établir. Pareillement cette proposition, s'il fait jour il fait clair, ne peut être convertie par celle-ci, s'il fait clair il fait jour, parce que cette conséquence il fait jour ne redonne point nécessairement cette hypothese il fait clair, puisqu'il pourroit faire clair sans qu'il fît jour.
On ne sauroit aussi convertir une proposition dont la conséquence dit précisément la même chose que l'hypothese. Ainsi cette proposition, si l'on a un triangle, ses trois angles sont nécessairement égaux à deux angles droits, est une proposition qui n'a point de converse : vous ne pouvez pas dire, si les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, on aura nécessairement un triangle ; cela ne signifieroit rien ; aussi ces sortes de propositions doivent s'exprimer sans aucune condition : les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, où l'on voit qu'il n'y a point de converse à faire.
Après avoir parlé de la matiere & de la forme, de la quantité & de la qualité, des oppositions & des conversions des propositions, il faut maintenant en donner une division exacte. Les propositions se divisent en simples, en complexes & en composées.
Les propositions qui n'ont qu'un sujet & qu'un attribut, s'appellent simples. Mais si le sujet ou l'attribut est un terme complexe qui enferme d'autres propositions qu'on peut appeller incidentes ou accessoires, ces propositions ne sont plus simplement simples, mais elles deviennent complexes.
Ces propositions incidentes ne sont pas tant considérées comme des propositions qu'on fasse alors, que comme des propositions qui ont été faites auparavant ; & alors on ne fait plus que les concevoir comme si c'étoient de simples idées. D'où il suit, qu'il est indifférent d'énoncer ces propositions incidentes par des noms adjectifs, ou par des participes dénués d'affirmation, ou avec des modes de verbes dont le propre est d'affirmer, & des qui ; car c'est la même chose de dire : Dieu invisible a créé le monde visible, ou, Dieu qui est invisible a créé le monde qui est visible. Alexandre le plus courageux des rois, a vaincu Darius, ou Alexandre qui a été le plus courageux de tous les rois, a vaincu Darius. Dans l'une & dans l'autre, mon but principal n'est pas d'affirmer que Dieu soit invisible, ou qu'Alexandre ait été le plus courageux de tous les rois ; mais supposant l'un & l'autre comme affirmé auparavant, j'affirme de Dieu conçu comme invisible, qu'il a créé le monde ; & d'Alexandre conçu comme le plus courageux de tous les rois, qu'il a vaincu Darius.
Il faut remarquer que ces propositions complexes peuvent être de deux sortes ; car la complexion, pour parler ainsi, peut tomber ou sur la matiere de la proposition, c'est-à-dire ou sur le sujet ou sur l'attribut, ou sur tous les deux. La complexion tombe sur le sujet, quand le sujet est un terme complexe, comme dans cette proposition : tout homme qui ne craint rien est roi. La complexion tombe sur l'attribut, lorsque l'attribut est un terme complexe, comme la piété est un bien qui rend l'homme heureux dans les plus grandes adversités. Quelquefois la complexion tombe sur le sujet & sur l'attribut, l'un & l'autre étant un terme complexe, comme dans cette proposition.
Ille ego, qui quondam gracili modulatus avenâ
Carmen, & egressus sylvis vicina coegi,
Ut quamvis avido parerent arva colono,
Gratum opus agricolis : at nunc horrentia Martis
Arma virumque cano, Trojae qui primus ab oris,
Italiam, fato profugus, Lavinaque venit littora.
Les trois premiers vers & la moitié du quatrieme composent le sujet de cette proposition, & le reste en compose l'attribut, & l'affirmation est renfermée dans le verbe cano.
Les propositions incidentes ont pour sujet le relatif qui, soit qu'il soit exprimé, soit qu'il soit sous-entendu. Il faut observer que les additions des termes complexes sont de deux sortes ; les unes qu'on peut appeller de simples explications, dont l'addition ne change rien dans l'idée du terme, parce que cette addition lui convient généralement & dans toute son étendue ; les autres qui se peuvent appeller des déterminations, parce que ce qu'on ajoûte à un terme ne lui convenant pas dans toute son étendue, en restraint & en détermine la signification. Suivant cela, on peut dire qu'il y a un qui explicatif, & un qui déterminatif.
Quand le qui est explicatif, l'attribut de la proposition incidente est affirmé du sujet auquel le qui se rapporte, quoique ce ne soit qu'un rapport accessoire au regard de la proposition totale ; desorte qu'on peut substituer le sujet même au qui, comme on peut le voir dans cet exemple : les hommes qui ont été créés pour connoître & pour aimer Dieu, car on peut dire, les hommes ont été créés pour connoître & pour aimer Dieu.
Mais quand le qui est déterminatif, l'attribut de la proposition incidente n'est point proprement affirmé du sujet auquel le qui se rapporte : car si après avoir dit, les hommes qui sont pieux sont charitables, on vouloit substituer le mot d'hommes au qui, en disant les hommes sont pieux, la proposition seroit fausse, parce que ce seroit affirmer le mot de pieux des hommes comme hommes ; mais en disant, les hommes qui sont pieux sont charitables, on n'affirme des hommes en général, ni d'aucuns hommes en particulier, qu'ils soient pieux ; mais l'esprit joignant ensemble l'idée de pieux avec celle d'hommes, & en faisant une idée totale, juge que l'attribut de charitable convient à cette idée totale ; & ainsi tout le jugement qui est exprimé dans la proposition incidente, est seulement celui par lequel notre esprit juge que l'idée de pieux n'est pas incompatible avec celle d'homme ; & qu'ainsi il peut les considérer comme jointes ensemble, & examiner ensuite ce qui leur convient selon cette union.
Pour juger de la nature de ces propositions, & pour savoir si le qui est déterminatif ou explicatif, il faut souvent avoir plus d'égard au sens & à l'intention de celui qui parle, qu'à la seule expression. Quand il y a une absurdité manifeste à lier un attribut avec un sujet demeurant dans son idée générale, on doit croire que celui qui fait cette proposition n'a pas laissé ce sujet dans son idée générale. Ainsi si j'entends dire à un homme, le roi m'a commandé telle chose, je suis assuré qu'il n'a point laissé le mot de roi dans son idée générale ; car le roi en général ne fait point de commandement particulier.
Il se présente ici naturellement une question, savoir s'il peut y avoir de la fausseté, non dans les idées simples, mais dans les termes complexes qui forment les propositions incidentes. Cela n'est point douteux, parce qu'il suffit pour cela qu'il y ait quelque jugement & quelque affirmation expresse ou virtuelle. Or c'est ce qui se rencontre toujours. C'est ce que nous verrons mieux en considérant en particulier les deux sortes de termes complexes ; l'un dont le qui est explicatif, & l'autre dont le qui est déterminatif.
Dans la premiere sorte de termes complexes, il ne faut pas s'étonner s'il peut y avoir de la fausseté, parce que l'attribut de la proposition incidente est affirmé du sujet auquel le qui se rapporte. Dans cette proposition, Alexandre qui est fils de Philippe, j'affirme quoiqu'incidemment le fils de Philippe d'Alexandre ; & par conséquent il y a en cela de la fausseté si cela n'est pas.
Mais il faut remarquer que la fausseté de la proposition incidente n'empêche pas pour l'ordinaire la vérité de la proposition principale. Par exemple, cette proposition, Alexandre qui a été fils de Philippe a vaincu Darius, doit passer pour vraie, quand même Alexandre ne seroit pas fils de Philippe, parce que l'affirmation de la proposition principale ne tombe que sur Alexandre ; & ce qu'on y joint incidemment, quoique faux, n'empêche point qu'il ne soit vrai qu'Alexandre a vaincu les Perses. Que si néanmoins l'attribut de la proposition principale avoit rapport à la proposition incidente, comme si je disois, Alexandre fils de Philippe, étoit le petit-fils d'Amintas, ce seroit alors seulement que la fausseté de la proposition incidente rendroit fausse la proposition principale.
Quant aux autres propositions incidentes dont le qui est déterminatif, il est certain que pour l'ordinaire elles ne sont pas susceptibles de fausseté, parce que l'attribut de la proposition incidente n'y est pas affirmé du sujet auquel le qui se rapporte ; car si on dit, par exemple, que les juges qui ne font jamais rien par priere & par faveur sont dignes de louanges, on ne dit pas pour cela, qu'il y ait aucun juge sur la terre qui soit dans cette perfection. Néanmoins je crois qu'il y a toujours dans ces propositions une affirmation tacite & virtuelle, non de la convenance actuelle de l'attribut au sujet auquel le qui se rapporte, mais de la convenance possible. Ainsi cette proposition, les esprits qui sont quarrés sont plus solides que ceux qui sont ronds, devroit passer pour fausse, parce que l'idée de quarré & de rond est absolument incompatible avec l'esprit pris pour le principe de la pensée.
Outre les propositions dont le sujet ou l'attribut est un terme complexe, il y en a d'autres qui sont complexes, parce qu'il y a des termes ou des propositions incidentes qui ne regardent que la forme de la proposition, c'est-à-dire l'affirmation ou la négation qui est exprimée par le verbe, comme si je dis, les raisons d'Astronomie nous convainquent que le soleil est beaucoup plus grand que la terre ; les raisons d'Astronomie nous convainquent n'est qu'une proposition incidente, qui doit faire partie de quelque chose dans la proposition principale ; & cependant il est visible qu'elle ne fait partie ni du sujet ni de l'attribut, mais qu'elle tombe seulement sur l'affirmation, à l'appui de laquelle on la fait intervenir dans le discours.
Ces sortes de propositions sont ambiguës, & peuvent être prises différemment selon le dessein de celui qui les prononce. Comme quand je dis : tous les philosophes nous assurent que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes en-bas ; si mon dessein est de montrer que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes en-bas, la premiere partie de cette proposition ne sera qu'incidente, & ne fera qu'appuyer l'affirmation de la derniere partie ; mais si au contraire, je n'ai dessein que de rapporter cette opinion des philosophes, sans que moi-même je l'approuve, alors la premiere partie sera la proposition principale, & la derniere sera seulement une partie de l'attribut ; car ce que j'affirmerai ne sera pas que les choses pesantes tombent d'elles-mêmes, mais seulement que tous les philosophes l'assurent ; mais il est aisé de juger par la suite auquel de ces deux sens on prend ces sortes de propositions.
Pour savoir quand une proposition complexe est négative, il faut examiner sur quoi tombe la négation dans une telle proposition ; car ou elle tombe sur le verbe de la proposition principale, & alors elle est négative ; ou elle tombe sur la complexion, soit du sujet, soit de l'attribut, & alors elle est affirmative. Ainsi cette proposition : les impies qui n'honorent pas Dieu, seront damnés, est affirmative, parce que la négation n'affecte que la complexion du sujet.
Les propositions composées sont celles qui ont ou un double sujet ou un double attribut. Or il y en a de deux sortes, les unes où la composition est expressément marquée : & les autres, où elle est plus cachée, & qu'on appelle pour cette raison exponibles, parce qu'elles ont besoin d'être exposées ou expliquées pour en connoître la composition.
On peut réduire celles de la premiere sorte à six especes : les copulatives & les disjonctives, les conditionnelles & les causales, les relatives & les discrétives.
On appelle copulatives celles qui enferment ou plusieurs sujets, ou plusieurs attributs joints par une conjonction affirmative ou négative, c'est-à-dire, & ou ni. La vérité de ces propositions dépend de la vérité de toutes les deux parties.
Les disjonctives sont d'un grand usage, & ce sont celles où entre la conjonction disjonctive, vel, ou. L'amitié, ou trouve les amis égaux, ou les rend égaux. Une femme hait ou aime, il n'y a point de milieu. La vérité de ces propositions dépend de l'opposition nécessaire des parties, qui ne doivent point souffrir de milieu ; mais comme il faut qu'elles n'en puissent souffrir du tout pour être nécessairement vraies, il suffit qu'elles n'en souffrent point ordinairement, pour être considérées comme moralement vraies.
Les conditionnelles sont celles qui ont deux parties liées par la condition si, dont la premiere, qui est celle où est la condition, s'appelle l'antécédent, & l'autre le conséquent. Pour la vérité de ces propositions, on n'a égard qu'à la vérité de la conséquence ; car encore que l'une & l'autre partie fût fausse, si néanmoins la conséquence est légitime, la proposition, entant que conditionnelle, est vraie. Telle est cette proposition, si la matiere est libre, elle pense.
Les causales sont celles qui contiennent deux propositions liées par un mot de cause, quia, parce que, ou ut, afin que. Malheur aux riches, parce qu'ils ont leur consolation en ce monde : les méchans sont élevés, afin que tombant de plus haut, leur chûte en soit plus grande. Tolluntur in altum, ut lapsu graviore ruant. Possunt quia posse videntur.
On peut aussi réduire à ces sortes de propositions celles qu'on appelle réduplicatives. L'homme, entant qu'homme, est raisonnable. Les rois, entant que rois, ne dépendent que de Dieu seul.
Il est nécessaire pour la vérité de ces propositions, que l'une des parties soit cause de l'autre : ce qui fait aussi qu'il faut que l'une & l'autre soit vraie ; car ce qui est faux n'est point cause, & n'a point de cause ; mais l'une & l'autre partie peut être vraie, & la cause être fausse, parce qu'il suffit pour cela, que l'une des parties ne soit pas cause de l'autre : ainsi un prince peut avoir été malheureux, & être né sous une telle constellation, qu'il ne laisseroit pas d'être faux qu'il ait été malheureux, pour être né sous cette constellation.
Les relatives sont celles qui renferment quelque comparaison & quelque rapport. Telle est la vie, telle est la mort : où est le trésor, là est le coeur. Tanti es, quantum habes. La vérité de ces propositions dépend de la justesse du rapport.
Les discrétives sont celles où l'on fait des jugemens différens, en marquant cette différence par ces mots sed, mais ; tamen, néanmoins, ou autres semblables, exprimés ou sous-entendus. Fortuna opes auferre, non animum potest. Et mihi res, non rebus submittere conor. Coelum, non animum mutant, qui trans mare currunt.
La vérité de cette sorte de propositions dépend de la vérité de toutes les deux parties, & de la séparation qu'on y met ; car quoique les deux parties fussent vraies, une proposition de cette sorte seroit ridicule, s'il n'y avoit point entr'elles d'opposition, comme si je disois : Judas étoit un larron, & néanmoins il ne put souffrir que la Magdelaine répandît ses parfums sur J. C.
Il y a d'autres propositions composées, dont la composition est plus cachée. On peut les réduire à ces quatre sortes, 1°. exclusives : 2°. exceptives : 3°. comparatives : 4°. exceptives ou désitives.
Les exclusives marquent qu'un attribut convient à un sujet, & qu'il ne convient qu'à ce seul sujet, ce qui est marquer qu'il ne convient pas à d'autres : d'où il s'ensuit qu'elles enferment deux jugemens différens, & que par conséquent elles sont composées dans ce sens. C'est ce qu'on exprime par le mot seul ou autre semblable, & le plus souvent en françois par ces mots, il n'y a. Ainsi cette proposition, il n'y a que Dieu seul aimable pour lui-même, peut se résoudre en ces deux propositions : nous devons aimer Dieu pour lui-même, mais pour les créatures nous ne devons point ainsi les aimer.
Il arrive souvent que ces propositions sont exclusives dans le sens, quoique l'exclusion ne soit pas exprimée, comme dans ce beau vers : le salut des vaincus est de n'en point attendre.
Les exceptives sont celles où l'on affirme une chose de tout un sujet, à l'exception de quelqu'un des inférieurs de ce sujet, à qui on fait entendre par quelque mot exceptif, que cela ne convient pas : ce qui visiblement renferme deux jugemens, & rend par-là ces propositions composées dans le sens, comme si je dis : toutes les sectes des anciens philosophes, hormis celle des Platoniciens, n'ont pas eu une idée saine de la spiritualité de Dieu.
Les propositions exceptives & les exclusives peuvent aisément se changer les unes dans les autres. Ainsi cette exceptive de Terence, imperitus, nisi quod ipse facit, nil rectum putat, a été changée par Cornelius Gallus en cette exclusive, hoc tantum rectum quod facit ipse putat.
Les propositions comparatives enferment deux jugemens, parce que c'en sont deux de dire qu'une chose est telle, & de dire qu'elle est telle plus ou moins qu'une autre ; & ainsi ces sortes de propositions sont composées dans le sens. Ridiculum acri fortius ac melius magnas plerumque secat res. On fait souvent plus d'impression dans les affaires même les plus importantes, par une raillerie agréable, que par les meilleures raisons. Meliora sunt vulnera amici, quàm fraudulenta oscula inimici. Les coups d'un ami valent mieux que les baisers trompeurs d'un ennemi.
On peut traiter ici une question qui est de savoir s'il est toujours nécessaire que dans ces propositions le positif du comparatif convienne à tous les deux membres de la comparaison : & s'il faut, par exemple, supposer que deux choses soient bonnes, afin de pouvoir dire que l'une est meilleure que l'autre.
Il semble d'abord que cela devroit être ainsi ; mais l'usage y est contraire. L'Ecriture elle-même se sert du mot de meilleur, non-seulement en comparant deux biens ensemble : melior est sapientia quàm vires, & vir prudens quàm fortis, mais aussi en comparant un bien à un mal : melior est patiens arrogante. Et même en comparant deux maux ensemble : melius est habitare cum dracone, quàm cum muliere litigiosâ.
La raison de cet usage est qu'un plus grand bien est meilleur qu'un moindre, parce qu'il a plus de bonté qu'un moindre bien ; or par la même raison on peut dire en quelque façon qu'un bien est meilleur qu'un mal, parce que ce qui a de la bonté en a plus que ce qui n'en a point ; & on peut dire aussi qu'un moindre mal est meilleur qu'un plus grand mal, parce que la diminution du mal tenant lieu de bien dans les maux, ce qui est moins mauvais a plus de cette sorte de bonté, que ce qui est plus mauvais.
Les inceptives & les désitives sont composées dans le sens, parce que, lorsqu'on dit qu'une chose a commencé ou cessé d'être telle, on fait deux jugemens : l'un de ce qu'étoit cette chose avant le tems dont on parle, & l'autre de ce qu'elle est depuis. Voyez la logique du Port-royal.
Avant de finir ce qui concerne les propositions, il ne sera pas hors de propos d'examiner ce qu'on entend ordinairement par proposition frivole.
Les propositions frivoles sont celles qui ont de la certitude, mais une certitude purement verbale, & qui n'apporte aucune instruction dans l'esprit. Telles sont 1°. les propositions identiques. Par propositions identiques, j'entends seulement celles où le même terme emportant la même idée, est affirmé de lui-même. Tout le monde voit que ces sortes de propositions, malgré l'évidence qui les accompagne, ne sont d'aucune ressource pour acquérir de nouvelles connoissances. Répétez, tant qu'il vous plaira, que la volonté est la volonté, la loi est la loi, le droit est le droit, la substance est la substance, le corps est le corps, un tourbillon est un tourbillon, vous n'en êtes pas plus instruit. C'est une imagination tout-à-fait ridicule de penser, qu'à la faveur de ces sortes de propositions, on répandra de nouvelles lumieres dans l'entendement, ou qu'on lui ouvrira un nouveau chemin vers la connoissance des choses. L'instruction consiste en quelque chose de bien différent. Quiconque veut entrer lui-même, ou faire entrer les autres dans des vérités qu'il ne connoit point encore, doit trouver des idées moyennes, & les ranger l'une après l'autre dans un tel ordre, que l'entendement puisse voir la convenance ou la disconvenance des idées en question. Les propositions qui servent à cela, sont instructives, mais elles sont bien différentes de celles où l'on affirme le même terme de lui-même, par où nous ne pouvons jamais parvenir, ni faire parvenir les autres à aucune espece de connoissance. Cela n'y contribue pas plus, qu'il serviroit à une personne qui voudroit apprendre à lire, qu'on lui inculquât ces propositions : un A est un A, un B est un B, &c. & qu'un homme peut savoir aussi bien qu'aucun maître d'école, sans être pourtant jamais capable de lire un seul mot durant tout le cours de sa vie.
2°. Une autre espece de propositions frivoles, c'est quand une partie de l'idée complexe est affirmée du nom du tout, ou ce qui est la même chose, quand on affirme une partie d'une définition du mot défini. Telles sont toutes les propositions où le genre est affirmé de l'espece, & où des termes plus généraux sont affirmés de termes qui le sont moins. Car quelle instruction, quelle connoissance produit cette proposition, le plomb est un métal, dans l'esprit d'un homme qui connoît l'idée complexe, qui est signifiée par le mot de plomb ? Il est bien vrai, qu'à l'égard d'un homme qui connoît la signification du mot de métal, & non pas celle du mot de plomb, il est plus court de lui expliquer la signification du mot de plomb, en lui disant que c'est un métal (ce qui désigne tout-d'un-coup plusieurs de ses idées simples) que de les compter une à une, en lui disant que c'est un corps fort pesant, fusible, & malléable.
C'est encore se jouer sur des mots, que d'affirmer quelque partie d'une définition du terme défini, ou d'affirmer une des idées dont est formée une idée complexe, du nom de toute l'idée complexe, comme tout or est fusible ; car la fusibilité étant une des idées simples qui composent l'idée complexe que le mot or signifie, affirmer du mot or ce qui est déja compris dans sa signification reçue, qu'est-ce autre chose que se jouer sur des sons ? On trouveroit beaucoup plus ridicule d'assurer gravement, comme une vérité fort importante, que l'or est jaune ; mais je ne vois pas comment c'est une chose plus importante de dire que l'or est fusible, si ce n'est que cette qualité n'entre point dans l'idée complexe dont le mot or est le signe dans le discours ordinaire. De quoi peut-on instruire un homme, en lui disant ce qu'on lui a déja dit, ou qu'on suppose qu'il sait auparavant ? Car on doit supposer que j'ai la signification du mot dont un autre se sert en me parlant, ou bien il doit me l'apprendre. Que si je sai que le mot or signifie cette idée complexe de corps jaune, pesant, fusible, malléable, ce ne sera pas m'apprendre grande chose, que de réduire ensuite cela solemnellement en une proposition, & de me dire gravement, tout or est fusible. De telles propositions ne servent qu'à faire voir le peu de sincérité d'un homme, qui veut me faire accroire qu'il dit quelque chose de nouveau, en ne faisant que repasser sur la définition des termes qu'il a déja expliqués ; mais quelques certaines qu'elles soient, elles n'emportent point d'autre connoissance que celle de la signification même des mots.
En un mot, c'est se jouer des mots que de faire une proposition qui ne contienne rien de plus que ce qui est renfermé dans l'un des termes, & qu'on suppose être déja connu de celui à qui l'on parle, comme un triangle a trois côtés, ou le safran est jaune ; ce qui ne peut être souffert que lorsqu'un homme veut expliquer à un autre les termes dont il se sert, parce qu'il suppose que la signification lui en est inconnue, ou lorsque la personne avec qui il s'entretient lui déclare qu'elle ne les entend point ; auquel cas il lui enseigne seulement la signification de ce mot, & l'usage de ce signe.
Il y a donc deux sortes de propositions dont nous pouvons connoître la vérité avec une entiere certitude ; l'une est de ces propositions frivoles qui ont de la certitude, mais une certitude purement verbale & qui n'apporte aucune instruction dans l'esprit. En second lieu, nous pouvons connoître la vérité de certaines propositions, qui affirment quelque chose d'une autre qui est une conséquence nécessaire de son idée complexe, mais qui n'y est pas renfermée, comme que l'angle extérieur de tout triangle est plus grand que l'un des angles intérieurs opposés ; car comme ce rapport de l'angle extérieur à l'un des angles intérieurs opposés ne fait point partie de l'idée complexe qui est signifiée par le mot de triangle ; c'est-là une vérité réelle, qui emporte une connoissance réelle & instructive.
Comme nous n'avons que peu ou point de connoissance des combinaisons d'idées simples qui coexistent dans les substances, que par le moyen de nos sens, nous ne saurions faire sur leur sujet aucunes propositions universelles qui soient certaines, audelà du terme où leurs essences nominales nous conduisent ; & comme ces essences nominales ne s'étendent qu'à un petit nombre de vérités très-peu importantes, eu égard à celles qui dépendent de leurs constitutions réelles ; il arrive de-là que les propositions générales qu'on forme sur les substances, sont pour la plûpart frivoles, si elles sont certaines ; & que, si elles sont instructives, elles sont incertaines, quelque secours que puissent nous fournir de constantes observations & l'analogie pour former des conjectures ; d'où il arrive qu'on peut souvent rencontrer des discours fort clairs & fort suivis qui se réduisent pourtant à rien ; car il est visible que les noms des substances étant considérés dans toute l'étendue de la signification relative qui leur est assignée, peuvent être joints avec beaucoup de vérité, par des propositions affirmatives & négatives, selon que leurs définitions respectives les rendent propres à être unis ensemble, & que les propositions composées de ces sortes de termes, peuvent être déduites l'une de l'autre avec autant de clarté, que celles qui fournissent à l'esprit les vérités les plus réelles ; & tout cela sans que nous ayons aucune connoissance de la nature ou de la réalité des choses existantes hors de nous. Selon cette méthode, l'on peut faire en paroles des démonstrations & des propositions indubitables, sans pourtant avancer par-là le moins du monde dans la connoissance de la vérité des choses. Chacun peut voir une infinité de propositions, de raisonnemens & de conclusions de cette sorte dans des livres de métaphysique, de théologie scholastique, & d'une certaine espece de physique, dont la lecture ne lui apprendra rien de plus de Dieu, des esprits & des corps, que ce qu'il en savoit avant d'avoir parcouru ces livres. Voyez l'article VERITE.
Mais pour conclure, voici les marques auxquelles on peut connoître les propositions purement verbales.
1°. Toutes les propositions, où deux termes abstraits sont affirmés l'un de l'autre, ne concernent que la signification des sons ; car nulle idée abstraite ne pouvant être la même avec une autre qu'avec elle-même, lorsque son nom abstrait est affirmé d'un autre terme abstrait, il ne peut signifier autre chose, si ce n'est que cette idée peut ou doit être appellée de ce nom, ou que ces deux noms signifient la même idée. Ainsi qu'un homme dise, que l'épargne est la frugalité ; que la gratitude est la reconnoissance, quelques spécieuses que ces propositions & autres semblables paroissent du premier coup d'oeil, cependant, si l'on vient à en presser la signification, on trouvera que tout cela n'emporte autre chose que la signification de ces termes.
2°. Toutes les propositions, où une partie de l'idée complexe qu'un certain terme signifie, est affirmée de ce terme, sont purement verbales. Et ainsi toute proposition, où les mots de la plus grande étendue, qu'on appelle genres, sont affirmés de ceux qui leur sont subordonnés, ou qui ont moins d'étendue, qu'on nomme especes ou individus, est purement verbale.
En un mot, je crois pouvoir poser pour une regle infaillible, que par-tout où l'idée qu'un mot signifie, n'est pas distinctement connue & présente à l'esprit, & où quelque chose qui n'est pas déjà contenu dans cette idée, n'est pas affirmé ou nié, dans ce cas là nos pensées sont uniquement attachées à des sons, & n'enferment ni vérité ni fausseté réelle, ce qui, si l'on y prenoit bien garde, pourroit peut-être épargner bien de vains amusemens & des disputes, & abréger extrêmement les tours & les détours que nous faisons pour parvenir à une connoissance réelle & véritable. Essai sur l'entendement humain de M. Locke.
PROPOSITION, en Mathématiques, c'est un discours par lequel on énonce une vérité à démontrer, ou une question à résoudre. Dans le premier cas on l'appelle théorème ; par exemple, les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, est un théorème. Voyez THEOREME.
On l'appelle problème, quand la proposition énonce une question à résoudre ; comme trouver une proportionnelle à deux quantités données. Voyez PROBLEME.
A la rigueur la proposition n'est simplement que l'énoncé du théorème ou du problème ; & dans ce sens on la distingue de la solution, qui recherche ce qu'il faut faire pour effectuer ce que l'on demande, & de la démonstration, qui prouve la vérité de ce qu'on a avancé : dans la solution on a fait ce qu'exigeoit la question proposée. Voyez SOLUTION. (E)
PROPOSITION, en Poésie, c'est la premiere partie & comme l'exorde du poëme, où l'auteur propose brievement & en général ce qu'il doit dire dans le corps de son ouvrage. On l'appelle autrement début. Voyez POEME EPIQUE, &c.
La proposition, comme l'observe le P. le Bossu, doit seulement contenir la matiere du poëme, c'est-à-dire l'action & les personnes qui l'exécutent, soit humaines soit divines ; ce qui doit apparemment s'entendre des principaux personnages, car on couroit risque d'allonger extrêmement la proposition si elle devoit faire mention de tous ceux qui ont part à l'action du poëme.
On trouve tout cela dans les débuts de l'Iliade, de l'Odyssée & de l'Enéïde. L'action qu'Homere propose dans l'Iliade est la colere d'Achille ; dans l'Odyssée, le retour d'Ulisse ; & dans l'Enéïde Virgile a pour objet de montrer que l'empire de Troie a été transporté en Italie par Enée.
Le même auteur remarque que les divinités qui s'intéressent au sort des héros de ces trois poëmes sont nommés dans leur proposition. Homere dit que tout ce qui arrive dans l'Iliade se fait par la volonté de Jupiter, & qu'Apollon fut cause de la division qui s'éleva entre Agamemnon & Achille. Le même poëte dit dans l'Odyssée que ce fut Apollon qui empêcha le retour des compagnons d'Ulysse, & Virgile fait mention des destins, de la volonté des dieux & de la haine implacable de Junon qui met obstacle à toutes les entreprises d'Enée. Mais ces poëtes s'arrêtent principalement à la personne du héros ; il semble que lui seul soit plus la matiere du poëme que tout le reste. Voyez HEROS.
Il y a cependant en ceci quelque différence dans les trois poëmes ; Homere nomme Achille par son nom, & même il lui joint Agamemnon : dans l'Odyssée & dans l'Enéïde, Ulysse & Enée ne sont point nommés, mais seulement désignés sous le nom générique de virum, héros ; desorte qu'on ne les connoîtroit pas si l'on ne savoit déja d'ailleurs qui ils sont.
En suivant le sentiment du P. le Bossu sur la construction de l'épopée, cette derniere pratique avoit du rapport à la premiere intention du poëte, qui doit d'abord feindre son action sans noms, & qui ne raconte point l'action d'Alcibiade, comme dit Aristote, ni par conséquent celle d'Achille, d'Ulysse, d'Enée ou d'un autre particulier, mais d'une personne universelle, générale & allégorique ; mais n'est-ce pas s'attacher trop servilement aux mots ? Dic mihi, musa, VIRUM, ou Arma VIRUMQUE cano, & ne faire nulle attention à ce qui suit, & qui détermine le virum à Ulisse & à Enée ?
De plus le caractere que le poëte veut donner à son héros & à tout son ouvrage est marqué dans la proposition par Homere & par Virgile. Toute l'Iliade n'est que transport & que colere, c'est le caractere d'Achille, & c'est aussi ce que le poëte a d'abord annoncé . L'Odyssée nous présente, dès le premier vers, cette prudence, cette dissimulation & cette adresse qui a fait jouer à Ulysse tant de personnages différens, ; & l'on voit la douceur & la piété d'Enée marquée au commencement du poëme latin, insignem pietate virum.
Quant à la maniere dont la proposition doit être faite, Horace se contente de prescrire la modestie & la simplicité. Il ne veut pas qu'on promette d'abord des prodiges, ni qu'on fasse naître dans l'esprit du lecteur de grandes idées de ce qu'on va lui raconter. " Gardez-vous, dit-il, de commencer comme fit autrefois un mauvais poëte. Je chanterai la fortune de Priam, & cette guerre célebre : "
Fortunam Priami cantabo & nobile bellum.
" Que nous donnera, ajoute-t-il, un homme qui fait de si magnifiques promesses ? produira-t-il rien de digne de ce qu'il annonce avec tant d'emphase ? "
Que produira l'auteur après de si grands cris ?
La montagne en travail enfante une souris.
" Que la simplicité d'Homere est plus judicieuse & plus solide lorsqu'il débute ainsi dans l'Odyssée : Muse, fais-moi connoître ce héros qui après la prise de Troie, a vu les villes & les moeurs de différens peuples. Il ne jette pas d'abord tout son feu pour ne donner ensuite que de la fumée, au contraire la fumée chez lui précede la lumiere, & c'est de ce commencement si foible en apparence qu'il tire ensuite les merveilles éclatantes d'Antiphate, de Scylla, de Charibde & de Polyphème ".
On trouve la même simplicité dans le début de l'Enéïde ; si celui de l'Iliade a quelque chose de plus fier, c'est pour mettre quelque conformité entre le caractere de la proposition & celui de tout le poëme qui n'est qu'un tissu de colere & de transports fougueux.
Le poëte ne doit pas parler avec moins de modestie de lui-même que de son héros. Virgile dit simplement qu'il chante l'action d'Enée. Homere prie sa muse de lui dire ou de lui chanter, soit les aventures d'Ulisse, soit la colere d'Achille. Claudien n'a pas imité ces exemples dans cet enthousiasme aussi déplacé qu'il paroît impétueux :
Audaci promere cantu
Mens congesta jubet : gressus removete, profani ;
Jam furor humanos nostro de pectore sensus
Expulit, & totum spirant praecordia Phaebum.
Un pareil essor bien ménagé & soutenu peut avoir bonne grace dans une ode, ou quelqu'autre piece semblable ; c'est ainsi qu'Horace a commencé une de ses odes :
Odi profanum vulgus, & arceo :
Favete linguis, carmina non prius
Audita, musarum sacerdos,
Virginibus puerisque canto.
Mais un poëme aussi long qu'une épopée n'admet pas un début si lyrique. Il n'y a presque point là de faute qu'on ne trouve dans la proposition de l'Achilléïde. Stace prie sa muse de lui raconter les exploits du magnanime fils d'Eaque, dont la naissance a fait trembler le maître du tonnerre. Il ajoute avec confiance, qu'il a dignement rempli sa premiere entreprise, & que Thèbes le regarde comme un autre Amphion :
Magnanimum Aeaciden, formidatamque tonanti
Progeniem & patrio vetitam succedere coelo,
Musa refer.
Tu modo, si veteres digno deplevimus haustu,
Da fontes mihi, Phoebe, novos, &c.
La simplicité du début est fondée sur une raison bien naturelle. Le poëme épique est un ouvrage de longue haleine qu'il est par conséquent dangereux de commencer sur un ton difficile à soutenir également. Il en est à cet égard de la poésie comme de l'éloquence. Dans celle-ci, disent les maîtres de l'art, le discours doit toujours aller en croissant, & la conviction s'avancer comme par degrés, ensorte que l'auditeur sente toujours de plus en plus le poids de la vérité : dans l'autre, plus le début est simple, plus les beautés que le poëte déploie ensuite sont saillantes. Un homme qui embouchant la trompette commence sur le ton de Scuderi :
Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre,
court risque de s'essouffler d'abord & de ne plus donner ensuite que des sons foibles & enroués. Il ressemble, dit M. de la Mothe, à celui qui ayant une longue course à faire part d'abord avec une extrême rapidité ; à peine est-il au milieu de la carriere qu'il est épuisé, ses forces l'abandonnent, il n'arrive jamais au but.
PROPOSITION, PAINS DE, (Théolog.) que l'hébreu appelle pains des faces, ou de la face, qu'on a rendu en grec par . On appelloit ainsi les pains que le prêtre de semaine chez les Hébreux mettoit tous les jours de sabbat sur la table d'or qui étoit dans le saint devant le Seigneur.
Ces pains étoient quarrés & à quatre faces, disent les rabbins, on les couvroit de feuilles d'or. Ils étoient au nombre de douze, & désignoient les douze tribus d'Israël. Chaque pain étoit d'une grosseur considérable puisqu'on y employoit deux assarons de farine, qui font environ six pintes. On les servoit tout chauds en présence du Seigneur le jour du sabbat, & on ôtoit en même tems les vieux qui avoient été exposés pendant toute la semaine. Il n'y avoit que les prêtres qui pussent en manger ; & si David en mangea une fois, ce fut une nécessité extraordinaire & excusable. Cette offrande étoit accompagnée d'encens, de sel, &, selon quelques commentateurs, de vin. On brûloit l'encens sur la table d'or tous les samedis, lorsqu'on y mettoit des pains nouveaux.
On n'est pas d'accord sur la maniere dont étoient rangés les pains de proposition sur cette table. Quelques-uns croyent qu'il y en avoit trois piles de quatre chacune, & les autres deux seulement. Les rabbins ajoutent qu'entre chaque pain, il y avoit deux tuyaux d'or soutenus par des fourchettes de même métal, dont l'extrêmité posoit à terre pour donner de l'air aux pains, & empêcher qu'ils ne se moisissent.
On croit que le peuple en payant aux prêtres & aux lévites les décimes des grains, leur fournissoit la matiere des pains de proposition, que les lévites les préparoient & les faisoient cuire, & que les prêtres seuls les offroient. S. Jerôme dit, parlant sur la tradition des Juifs, que les prêtres eux-mêmes semoient, moissonnoient, faisoient moudre, paîtrissoient & cuisoient les pains de proposition.
Il y a encore diverses remarques des commentateurs sur la maniere dont on faisoit cuire ces pains, sur les vases qui contenoient le vin & le sel qui les accompagnoient, & qu'on peut voir dans le Dict. de la Bible du pere Calmet, tom. III. pag. 295.
PROPOSITION D'ERREUR, (Jurisprud.) étoit une voie pour faire réformer un arrêt quand il avoit été rendu sur une erreur de fait, soit que le juge eût erré par hasard ou faute d'instruction.
Par les anciennes ordonnances, le seul moyen de se pourvoir contre un arrêt du parlement, étoit d'obtenir du roi la permission de proposer qu'il y avoit des erreurs dans cet arrêt.
Mais comme on obtenoit souvent par importunité des lettres pour attaquer des arrêts sans proposer des erreurs, & que ces lettres portoient même que l'exécution des arrêts seroit suspendue jusqu'à un certain tems, & que les parties plaignantes se pourvoiroient par-devant d'autres juges que le parlement : Philippe de Valois ordonna en 1331, que dans la suite la seule voie de se pourvoir contre les arrêts du parlement, seroit d'impétrer du roi des lettres pour pouvoir proposer des erreurs contre ces arrêts ; que celui qui demanderoit ces lettres donneroit par écrit les erreurs qu'il prétendoit être dans l'arrêt, aux maîtres des requêtes de l'hôtel ou aux autres officiers du roi qui ont coutume d'expédier de pareilles lettres, lesquels jugeroient sur la simple vue s'il y avoit lieu ou non de les accorder ; que si ces lettres étoient accordées, les erreurs proposées signées du plaignant, & contrescellées du scel royal, seroient envoyées avec ces lettres aux gens du parlement, qui corrigeroient leur arrêt, supposé qu'il y eût lieu, en présence des parties, lesquelles préalablement donneroient caution de donner une double amende au roi, & les dépens dommages & intérêts à leurs parties adverses, en cas que l'arrêt ne fût pas corrigé.
Il ordonna en même tems que ces propositions d'erreur ne suspendroient pas l'exécution des arrêts ; que cependant s'il y avoit apparence qu'après la correction de l'arrêt, la partie qui avoit gagné son procès par cet arrêt, ne fût pas en état de restituer ce dont elle jouissoit, en conséquence le parlement pourroit y pourvoir ; enfin que l'on n'admettroit point de propositions d'erreur contre les arrêts interlocutoires.
Ceux auxquels le roi permettoit de se pourvoir par proposition d'erreur contre un arrêt du parlement, devoient, avant que d'être admis à proposer l'erreur, donner caution de payer les dépens & les dommages & intérêts, & une double amende au roi en cas qu'ils vinssent à succomber.
L'ordonnance de 1339, art. 135. ordonne que les propositions d'erreur ne seroient reçues qu'après que les maîtres des requêtes auroient vû les faits & inventaires des parties.
L'article 136 de la même ordonnance regle que les proposans erreur seroient tenus de consigner 240 liv. parisis dans les cours souveraines.
L'article 46 de l'édit d'ampliation des présidiaux vouloit que l'on consignât 40 liv. aux présidiaux ; mais l'ordonnance de Moulins, art. 18. défendit de plus recevoir les propositions d'erreur contre les jugemens présidiaux.
Il falloit, suivant les art. 136. & 138. de l'ordonnance des présidiaux, mettre l'affaire en état dans un an, & la faire juger dans cinq, après quoi on n'y étoit plus reçu ; mais la déclaration du mois de Février 1549, donna cinq ans pour mettre la proposition d'erreur en état.
Ces sortes d'affaires devoient, suivant l'ordonnance de 1539, être jugées par tel nombre de juges qui étoit arbitré par les parties ; l'ordonnance d'Orléans prescrit d'appeller les juges qui avoient rendu le premier jugement, & en outre pareil nombre d'autres juges, & même deux de plus aux présidiaux ; il en falloit au moins treize.
L'ordonnance de Blois regla que celui qui auroit obtenu requête civile ne seroit plus reçu à proposer erreur, & que celui qui auroit proposé erreur, ne pourroit plus obtenir requête civile.
Enfin l'ordonnance de 1667. tit. xxxv. art. 62. a abrogé les propositions d'erreur ; il y a néanmoins quelques parlemens où elles sont encore en usage, au-lieu des requêtes civiles. Voyez la Conférence de Guenois, Bornier, & REQUETE CIVILE. (A)
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PROPRE | adj. (Logiq.) quand nous avons trouvé la différence qui constitue une espece, c'est-à-dire, son principal attribut essentiel qui la distingue de toutes les autres especes, si considérant plus particulierement sa nature, nous y trouvons encore quelque attribut qui soit nécessairement lié avec ce premier attribut, & qui par conséquent convienne à toute cette espece & à cette seule espece, omni & soli, nous l'appellons propriété ; & étant signifié par un terme adjectif, nous l'attribuons à l'espece comme son propre ; & parce qu'il convient aussi à tous les inférieurs de l'espece, & que la seule idée que nous en avons une fois formée peut représenter cette propriété, par-tout où elle se trouve, on en a fait le quatrieme des termes communs & universaux.
Exemple. Avoir un angle droit est la différence essentielle du triangle rectangle ; & parce que c'est une dépendance nécessaire de l'angle droit, que le quarré du côté qui le soutient soit égal aux quarrés des deux côtés qui le comprennent, l'égalité de ces quarrés est considérée comme la propriété du triangle rectangle, qui convient à tous les triangles rectangles, & qui ne convient qu'à eux seuls.
PROPRE, s. & adj. m. & f. (Lang. franc.) lorsque propre signifie l'aptus des Latins, il se met avec à ou avec pour ; comme, un homme propre à la guerre, propre pour la guerre ; une herbe propre à guérir les plaies. Quand il suit un verbe actif qui a une signification passive, il faut toujours mettre à ; une vérité propre à prêcher ; des fruits propres à confire.
Propre, dans la signification de proprius, veut avoir de après soi. On dit en parlant des femmes, la pudeur est une vertu propre de leur sexe ; & en parlant des princes, la magnanimité est une vertu propre des héros. Bouh.
Se rendre propre, veut dire s'approprier, sibi vindicare ; le dictionnaire de Trevoux en cite l'exemple suivant : " les rois, sans avoir le détail de toutes les qualités des particuliers, se rendent propre à eux tout ce que les particuliers ont de bon ".
On se sert quelquefois de l'adverbe proprement, pour dire, avec justesse & de bonne grace ; comme, il chante proprement, il danse proprement, &c. (D.J.)
PROPRE, voyez PROPRETE.
PROPRE, adj. (Mathémat.) une fraction propre ou proprement dite, est celle dont le numérateur est moindre que le dénominateur. Voyez IMPROPRE. Tel est 3/4 ou 5/7, qui est réellement moindre que l'unité, & qui est à proprement parler, une fraction. Voyez FRACTION. (E)
PROPRE, (Jurisprud.) on entend par ce terme un bien qui est affecté à la famille en général, ou à une ligne par préférence à l'autre.
On dit quelquefois un bien ou un héritage propre ; quelquefois on dit un propre simplement.
Dans quelques coutumes, au lieu de propre on dit héritage ou ancien, biens avitins, &c.
Les Romains n'ont pas connu les propres tels qu'ils sont en usage parmi nous, ils en ont pourtant eu quelque idée ; & il n'y a guere de nation qui n'ait établi quelques regles pour la conservation des biens de patrimoine dans les familles.
En effet quelque étendue que fût chez les Romains la liberté de disposer de ses biens, soit entre-vifs ou par testament, il y avoit dans les successions ab intestat quelque préférence accordée aux parens d'un côté ou d'une ligne, sur l'autre côté ou sur une autre ligne.
Aussi plusieurs tiennent-ils que la regle paterna paternis, materna maternis, que l'on applique aux propres, tire son origine du droit.
M. Cujas, sur la novelle 84, pense qu'elle vient de la loi de emancipatis, cod. de leg. haered. qui défere aux freres du côté du pere les biens qui procedent de son côté, & aux freres du côté de la mere, ceux qui procedent du côté de la mere seulement ; & telle est l'opinion la plus commune de ceux qui ont écrit sur cette regle.
M. Jacques Godefroi en tire l'origine de plus loin ; elle descend, selon lui, du code Théodosien, sous le titre de maternis bonis & materni generis, & cretione sublatâ. Par la loi 4 de ce titre, l'empereur établit (contre la disposition de l'ancien droit) que si l'enfant qui a succédé à sa mere ou à ses autres parens maternels, vient à décéder, son pere, quoique cet enfant fût en sa puissance, ne lui succede pas en ce genre de biens, la loi les défere ad proximos ; ce qui marque que ce n'est pas seulement aux freres, suivant la loi de emancipatis, mais que cela comprend aussi les collatéraux plus éloignés.
Dans le cas où l'enfant auroit succédé à son pere & à ses autres parens du côté paternel, la loi ordonne la même chose en faveur des plus proches du côté du pere.
Ces dispositions établissent bien la distinction des lignes ; & ce qui peut encore faire adopter cette origine pour les propres, c'est qu'il est certain que le code Théodosien a été pendant plusieurs siecles le droit commun observé en France.
Pontanus, sur la coutume de Blois, ad tit. de success. croit que cette maniere de partage qui defere les héritages propres aux collatéraux des enfans à l'exclusion de leurs peres, s'est introduite parmi nous à l'exemple de ce qui se pratiquoit pour les fiefs. Il est constant que l'ancienne formule des investitures étoit qu'on donnoit le fief au vassal pour lui & ses descendans, au moyen de quoi le pere en étoit exclus, & à défaut d'enfans du vassal, le fief passoit aux collatéraux ; & comme dans le pays coutumier la plûpart des héritages sont possédés en fief, il ne seroit pas étonnant que le même ordre de succéder qui étoit établi pour les fiefs eût été étendu à tous les propres en général, soit féodaux ou roturiers.
M. Charles Dumolin au contraire tient que l'usage des propres est venu des Francs & des Bourguignons, & qu'il fut établi pareillement chez les Saxons par une loi de Charlemagne.
Il est certain en effet que l'héritage appellé alode ou aleu dans la loi salique, n'étoit autre chose qu'un ancien bien de famille, alode signifiant en cette occasion hereditas aviatica.
Dans la loi des Frisons, l'aleu est nommé proprium, tit. viij. liv. II.
Les anciennes constitutions de Sicile distinguent les propres des fiefs.
Les établissemens de S. Louis en 1270, & les anciennes coutumes de Beauvoisis, rédigées en 1283, font mention des propres sous le nom d'héritages. On voit que dès-lors la disposition de ces sortes de biens étoit gênée. Au commencement on ne pouvoit pas les vendre sans le consentement de l'héritier apparent, si ce n'étoit par nécessité jurée ; dans la suite, celui qui vouloit les vendre, après être convenu du prix avec l'acheteur, devoit les offrir à ses proches parens, lesquels pouvoient les prendre pour le prix convenu, mais le vendeur n'étoit pas obligé de faire ces offres aux absens.
On reconnoît dans cet ancien droit le germe de nos propres, des réserves coutumieres, du retrait lignager, sur lesquels la plûpart des nos coutumes contiennent diverses dispositions.
La qualité de propre procede de la loi ou de la convention & disposition de l'homme ; elle peut être imprimée à toutes sortes de biens, meubles & immeubles, avec cette différence que les immeubles sont les seuls biens qui deviennent propres réels, auxquels la loi imprime cette qualité ; au lieu que les meubles ne deviennent propres que par fiction, & seulement par convention ou disposition, & cette fiction n'a pas un effet aussi étendu que la qualité de propre réel.
Ce ne sont pas seulement les maisons, terres, prés, vignes & bois qui sont susceptibles de la qualité de propres réels, mais aussi tous les immeubles incorporels, tels que les rentes foncieres, les offices, les rentes constituées. Dans les coutumes où elles sont réputées immeubles, tous ces biens peuvent être réputés propres réels comme les héritages.
La qualité de propre est opposée à celle d'acquêts ou de conquêts.
Lorsque la qualité d'un bien est incertaine, dans le doute on doit le présumer acquêt, parce que la disposition de ces sortes de biens est plus libre.
Les biens sont acquêts avant de devenir propres.
Les acquêts immeubles, qu'ailleurs on appelle conquêts, deviennent propres réels en plusieurs manieres ; savoir par succession directe ou collatérale, tant en ligne ascendante que descendante, par donation en ligne directe descendante, par subrogation & par accession ou consolidation.
Tout héritage qui échet par succession directe ou collatérale, ou par donation en ligne, devient propre naissant ; & lorsque de celui qui l'a ainsi recueillie elle passe par succession à un autre, c'est ce que l'on appelle faire souche ; & alors ce propre acquiert la qualité d'ancien propre.
Dans quelques coutumes on ne distingue point les propres anciens des propres naissans ; il y a même des coutumes où les biens ne deviennent propres que quand ils ont fait souche.
Il y a plusieurs cas dans lesquels des acquêts deviennent propres par subrogation, c'est-à-dire lorsqu'ils prennent la place d'un propre.
Par exemple, lorsqu'on échange un propre contre un acquêt, cet acquêt devient propre. Cout. de Paris, article 143.
De même, suivant l'article 94, les deniers provenans du remboursement d'une rente constituée qui appartenoit à des mineurs, conserve la même nature qu'avoit la rente, & ce jusqu'à la majorité des mineurs.
Dans les partages, un bien paternel mis dans un lot au lieu d'un bien maternel, devient propre maternel. Il en est de même lorsque l'héritier des propres a pris dans son lot un propre d'une autre ligne.
Un héritage propre échu à un cohéritier par licitation ou à la charge d'une soute & retour de partage, lui est propre pour le tout.
Quand on donne à rente un héritage propre, la rente est de même nature.
Les deniers provenans du réméré d'un propre, appartiennent à l'héritier qui avoit recueilli ce propre.
Enfin, il y a subrogation quand un propre est vendu pour le remplacer par un autre bien, & qu'il en est fait mention dans le contrat de vente & dans celui de la nouvelle acquisition, que ces deux contrats se sont suivis de fort près, & qu'il est bien constant que la nouvelle acquisition a été faite des deniers provenans du prix du propre vendu.
Un acquêt est fait propre par accession & consolidation, lorsque sur un héritage propre on a construit une maison ou fait quelques augmentations, réparations, embellissemens & autres impenses ; de même lorsqu'une portion d'héritage est accrûe par alluvion au corps de l'héritage, elle devient de même nature.
Quand un fief servant est réuni au fief dominant suivant la condition de l'inféodation ; ou que l'héritage qui avoit été donné à titre d'emphytéose revient en la main du bailleur, soit par l'expiration du bail, soit par la résolution de ce bail faute de payement, l'héritage reprend la même nature qu'il avoit au tems de la concession.
Mais dans le cas de la confiscation pour cause de désaveu, ou félonie, ou pour autre crime, ou dans le cas ou de succession par deshérence ou bâtardise, l'héritage échet au seigneur comme un acquêt. Il en est de même quand le seigneur achete le fief de son vassal, ou qu'il le retire par retrait féodal.
L'héritage propre retiré par retrait lignager, est propre au retrayant ; mais dans sa succession l'héritier des propres doit dans l'an & jour du décès rendre le prix de ce propre à l'héritier des acquêts. Coutume de Paris, article 139.
Dans les successions ab intestat, les propres appartiennent à l'héritier des propres à l'exclusion de l'héritier des meubles & acquêts, quoique celui-ci fût plus proche en degré que l'héritier des propres.
En ligne directe, les propres ne remontent point, c'est-à-dire que les enfans & petits-enfans du défunt, & même les collatéraux, sont préférés à ses pere & mere ; ceux-ci succedent seulement par droit de retour aux choses par eux données.
En ligne directe descendante, les enfans ou petits-enfans par représentation de leurs peres ou meres, succedent à tous les propres de quelque côté & ligne qu'ils viennent. Ainsi la regle paterna paternis, materna maternis, n'est d'aucun usage pour la ligne directe.
Il n'en est pas de même en collatérale ; pour succéder au propre, il faut être le plus proche parent du côté & ligne d'où le propre lui est advenu & échu.
Dans les coutumes soucheres il faut de plus être descendu du premier acquéreur ; au lieu que dans les coutumes de simple côté, il suffit d'être le plus proche du côté paternel ou maternel, selon la qualité du propre ; mais dans les coutumes de côté & ligne, il ne suffit pas d'être le plus proche du côté paternel ou maternel en général, car chaque côté se subdivise en plusieurs lignes ; & pour succéder au propre, il faut dans ces coutumes être le plus proche parent du côté & ligne de celui qui a mis l'héritage dans la famille.
La disposition des propres est bien moins libre que celle des acquêts ; il n'y a guere de coutumes qui ne contiennent quelque limitation sur la disposition des propres.
La plûpart permettent bien de disposer entre-vifs de ses propres, mais par testament elles ne permettent d'en donner que le quint ; d'autres ne permettent d'en donner que le quart, d'autres le tiers, d'autres la moitié.
Quelques-unes défendent toute disposition des propres par testament, & ne permettent d'en donner entre-vifs que le tiers.
On ne peut même dans quelques coutumes disposer de ses propres sans le consentement de son héritier apparent, ou sans une nécessité jurée.
Nous avons aussi des coutumes qui subrogent les acquêts aux propres, & les meubles aux acquêts, c'est-à-dire qu'au défaut de propres elles défendent de disposer des acquêts au-delà de ce qu'il est permis de faire pour les propres, & de même pour les meubles au défaut d'acquêts.
La portion des propres que les coutumes défendent de donner, soit entre-vifs ou par testament, est ce que l'on appelle la reserve coutumiere des propres ; c'est une espece de légitime coutumiere qui a lieu non seulement en faveur des enfans, mais aussi en faveur des collatéraux.
On peut pourtant vendre ses propres au préjudice de cette légitime, à-moins que la coutume ne le défende.
Comme les propres sont les biens qui ont le plus mérité l'attention des coutumes, elles ont aussi exigé un âge plus avancé pour disposer des propres que pour disposer de ses meubles & acquêts ; car pour les biens de cette espece, il suffit communément d'avoir 20 ans, au lieu que pour tester de ses propres, il faut avoir 25 ans.
Les dispositions des coutumes qui limitent le pouvoir de disposer les propres, sont des statuts prohibitifs, négatifs, qu'il n'est pas permis d'éluder.
La quotité des propres que les coutumes ordonnent de reserver, doit être laissée en nature, tant en propriété qu'en usufruit ; il ne suffit pas de laisser l'équivalent en autres biens.
Pour fixer la quotité des propres dont on peut disposer par testament, on considere les biens en l'état qu'ils étoient au jour du décès du testateur.
Tous héritiers peuvent demander la réduction du legs ou de la donation des propres, lorsque la disposition excede ce que la coutume permet de donner ou léguer, encore que l'héritier ne fût pas du côté ou de la ligne d'où procede le propre.
Les héritiers des propres, même ceux qui n'ont que les reserves coutumieres, contribuent aux dettes comme les autres héritiers & successeurs à titre universel, à proportion de l'émolument.
Outre les propres réels & ceux qui sont réputés tels, il y a encore une autre sorte de propres qu'on appelle propres fictifs ou conventionnels ; on les appelle aussi quelquefois propres de communauté, lorsque la convention par laquelle on les stipule propres, a pour objet de les exclure de la communauté.
Ces stipulations de propre ont différens degrés, savoir propre au conjoint, propre à lui & aux siens, propre à lui & aux siens de son côté & ligne. La premiere clause n'a d'autre effet que d'exclure les biens de la communauté ; la seconde opere de plus que les enfans se succedent les uns aux autres à ces sortes de biens ; la troisieme opere que les biens sont réputés propres jusqu'à ce qu'ils soient parvenus aux collatéraux.
Ces stipulations de propres n'empêchent pas les conjoints & autres qui recueillent ces propres fictifs, d'en disposer selon qu'il est permis par la coutume, à-moins que l'on eût stipulé que la qualité de propre aura son effet, même pour les donations & dispositions.
Toutes ces stipulations sont des fictions qu'il faut renfermer dans leurs termes ; elles ne peuvent être étendues d'une personne à une autre, ni d'un cas à un autre, ni d'une chose à une autre.
On ne peut faire de telles stipulations de propres que par contrat de mariage, par donation entre-vifs ou testamentaire, ou par quelqu'autre acte de libéralité.
Les conjoints ou leurs pere & mere peuvent faire ces sortes de stipulations par contrat de mariage.
Les stipulations ordinaires sont suppléées en faveur des mineurs, lorsqu'elles ont été omises dans leur contrat de mariage, & qu'ils en souffrent un préjudice notable.
Les effets de la stipulation de propres cessent, 1°. par le payement de la somme stipulée propre, fait au conjoint, ou à ses enfans majeurs ; 2°. par la confusion qui arrive par le concours de deux hérédités dans une même personne majeure ; 3°. par la cession ou transport de la somme ou de la chose stipulée propre, faite au profit d'une tierce personne, car la fiction cesse à son égard ; enfin elle cesse par l'accomplissement de divers degrés de stipulation, lorsque la fiction a produit tout l'effet pour lequel elle avoit été admise.
Les propres reçoivent encore différentes qualifications, que l'on va expliquer dans les subdivisions suivantes.
Sur la matiere des propres en général, il faut voir l'explication de la loi des propres, & le traité des propres de Renusson ; le traité de la représentation de Guiné ; le Brun, des successions, & le traité de la communauté ; Ricard, des donations ; les commentateurs des coutumes sur la disposition des propres ; les arrêtés de M. de Lamoignon. Voyez aussi les mots ACQUETS, COTE, ESTOC, HERITIER, IMMEUBLES, LIGNE, RETRAIT LIGNAGER, SUCCESSION. (A)
PROPRE AMEUBLI, est celui que l'on répute meuble par fiction, pour le faire entrer en la communauté. Voyez AMEUBLISSEMENT & COMMUNAUTE.
PROPRE ANCIEN, est un immeuble qui nous vient de nos ancêtres, & qui a déjà fait souche dans la famille, c'est-à-dire qui avoit déjà la qualité de propre avant qu'il échût à celui qui recueille en cette qualité ; le propre ancien est opposé au propre naissant. Voyez ci-après PROPRE NAISSANT.
PROPRE AVITIN, est la même chose que propre ancien.
PROPRE DE COMMUNAUTE, est tout bien mobilier ou immobilier qui appartient à l'un des conjoints, & qui n'entre pas dans la communauté de biens ; on l'appelle propre, parce que relativement à la communauté cette fiction opere le même effet que si le bien étoit véritablement propre ; tous les biens que l'on stipule, qui n'entrent point en communauté, ou qui sont donnés aux conjoints à cette condition, sont propres de communauté, c'est-à-dire que la communauté n'y a aucun droit, mais ils ne deviennent pas pour cela de véritables propres de succession & de disposition. Voyez PROPRES DE DISPOSITION & DE SUCCESSION.
PROPRE CONTRACTUEL, est celui qui tire cette qualité d'un contrat. Voyez ci-après PROPRE CONVENTIONNEL.
PROPRE CONVENTIONNEL, est un bien mobilier ou immobilier que les futurs conjoints stipulent propre par leur contrat de mariage, quoiqu'il ne le soit pas en effet ; les propres conventionnels ne sont donc que des propres fictifs & des propres de communauté, c'est-à-dire que relativement à la communauté.
PROPRE DE COTE ET LIGNE, est un propre réel de succession & de disposition qui est affecté à toute une famille, comme du côté & ligne maternelle, ou du côté paternel.
On stipule aussi quelquefois par contrat de mariage, qu'un bien qui n'est pas réellement propre sera & demeurera propre au conjoint, & même quelquefois à lui & aux siens de son côté & ligne. Cette stipulation de propre renferme trois degrés, le premier propre à lui n'a d'autre effet que d'exclure le bien de la communauté ; le second degré propre aux siens a deux effets, l'un d'exclure le bien de la communauté, l'autre est que le bien est tellement affecté & destiné aux enfans & autres descendans du conjoint qui a fait la stipulation de propre, qu'arrivant le décès de quelques-uns des enfans & autres descendans, ils se succedent les uns autres en ces sortes de propres, à l'exclusion de l'autre conjoint leur pere, mere, ayeul ou ayeule, &c. de maniere que ceux-ci n'y peuvent rien prétendre tant qu'il y reste un seul enfant ou autre descendant.
Le troisieme degré de stipulation de propre qui est à lui, aux siens de son côté & ligne, outre les deux effets dont on vient de parler en produit encore un troisieme, qui est qu'au défaut des enfans & autres descendans du conjoint qui a fait la stipulation, le bien est affecté aux héritiers collatéraux du même conjoint, à l'exclusion de l'autre conjoint & de ses héritiers ; mais ces propres fictifs ne deviennent pas pour cela de vrais propres de succession ni de disposition, de maniere que le conjoint qui a fait la stipulation peut en disposer comme d'un acquêt, & que dans sa succession ils ne sont pas affectés aux héritiers des propres, mais au plus proche parent, comme sont les meubles & acquêts. Voyez l'Institution au Droit françois ; d'Argou, liv. III. c. viij. & ici les mots PROPRE DE COMMUNAUTE, PROPRE FICTIF.
PROPRE DE DISPOSITION, est celui dont on ne peut disposer que suivant qu'il est permis par la coutume ; c'est une qualification que l'on donne aux propres réels pour les distinguer des propres fictifs, lesquels sont réputés propres à l'effet d'y faire succéder certaines personnes, mais ne sont pas propres de disposition.
PROPRE D'ESTOC ET LIGNE, sont ceux qui sont venus à quelqu'un de l'estoc ou souche dont il est issu ; dans les coutumes soucheres on distingue les propres d'estoc des propres de ligne ; dans les autres coutumes ces termes sont synonymes. Voyez COTE & LIGNE, COUTUMES SOUCHERES & ESTOC.
PROPRE FICTIF, est un bien meuble ou immeuble qui n'est propre que par fiction & seulement pour empêcher qu'il n'entre dans la communauté de biens, & que l'un des conjoints ou ses héritiers ne puissent en profiter, soit pour moitié ni pour le tout. Voyez PROPRE DE COMMUNAUTE.
PROPRE DE LIGNE, est celui qui est affecté à une certaine ligne d'héritiers, comme à la ligne paternelle où à la ligne maternelle, ou à ceux qui sont parens du défunt du côté & ligne du premier acquéreur de ce bien devenu propre. Voyez COTE & LIGNE.
PROPRE SANS LIGNE, est un bien qui vient d'une succession collatérale, ou qui est donné par quelqu'un autre qu'un ascendant, à condition qu'il sera propre au donataire ; un tel bien ne peut devenir propre de ligne qu'après avoir fait souche en directe. Voyez le Commentaire de M. Valin, sur la coutume de la Rochelle, article 50. pag. 26.
PROPRE A LUI, cela se dit en parlant d'un bien qui est stipulé propre pour le conjoint ; on ajoute quelquefois ces mots, & aux siens de son côté & ligne, dont on a donné l'explication au mot PROPRE DE COMMUNAUTE.
PROPRE MATERNEL, est celui qui vient du côté de la mere de celui de cujus ; dans les coutumes de simple côté, on ne distingue les propres qu'en paternels & maternels ; dans les coutumes de côté & ligne il ne suffit pas d'être parent du côté d'où vient le propre, il faut aussi être parent du côté & ligne du premier acquéreur.
PROPRE NAISSANT, est celui qui est possédé pour la premiere fois comme propre ; le bien qui étoit acquêt en la personne du défunt, devient propre naissant en la personne de l'héritier. Voyez PROPRE ANCIEN.
PROPRE NATUREL, est un immeuble qui acquiert naturellement la qualité de propre, à la différence de celui qui ne l'est que par fiction & par convention.
PROPRE ORIGINAIRE, est celui qui tire cette qualité de son origine, & non de la convention des parties.
PROPRE PATERNEL, est celui qui vient du côté du pere. Voyez ci-devant PROPRE MATERNEL.
PROPRE PAPOAL ou DE PAPOAGE, est la même chose que patrimoine, le bien qui vient de nos peres. Voyez Brodeau sur M. Louet, let. P. n. 47. & les coutumes d'Acqs, Saint-Sever, & Solle.
PROPRE REEL ; est un immeuble qui a acquis par succession ou par donation le caractere de propre.
PROPRE DE RETRAIT, est un immeuble qui est propre à tous égards, & même sujet au retrait lignager en cas de vente : on appelle ainsi ces sortes de propres pour les distinguer de certains immeubles qui sont susceptibles de la qualité de propres de succession & de disposition sans être propres de retrait, comme sont les offices & les rentes constituées.
PROPRE AUX SIENS, c'est un bien que l'un des conjoints exclud de la communauté de biens, & qu'il stipule propre, de maniere que ses enfans & descendans doivent se succeder les uns aux autres à ce bien, à l'exclusion de l'autre conjoint. Voyez PROPRE DE L'AUTRE CONJOINT & PROPRE DE COMMUNAUTE.
PROPRE DE SUCCESSION, est celui qui dans la succession de quelqu'un, doit passer comme propre à certaines personnes ; ces sortes de propres ont trois caracteres distinctifs ; le premier, d'être affectés à la ligne dont ils procedent ; le second, qu'il n'est permis d'en disposer qu'avec certaines limitations reglées par les coutumes ; le troisieme, d'être sujet au retrait lignager : les propres réels ou réputés tels sont propres de succession ; les propres fictifs sont aussi en quelque maniere propres de succession, en ce que la qualité de propre que l'on y a imprimée, y fait succéder certaines personnes, qui sans cette qualité, n'y auroient pas succédé ; mais ils ne sont pas vraiment propres, n'étant pas affectés aux héritiers des propres, plutôt qu'aux héritiers des acquêts.
PROPRE DE SUCCESSION ET DE DISPOSITION, est un propre réel dont on ne peut disposer que suivant qu'il est permis par la coutume, & qui dans la succession de celui auquel il appartient se regle comme propre.
PROPRE A TOUS EGARDS, est un immeuble qui a tous les caracteres de propre réel, c'est-à-dire qui est considéré comme propre, tant pour le retrait qu'en fait de disposition & de succession. (A)
PROPRE, s. f. (Sucrerie) on nomme ainsi dans les sucreries des îles françoises de l'Amérique, la seconde des six chaudieres dans lesquelles on cuit le suc des cannes à sucre ; on l'appelle de la sorte, parce que le vesou ou suc qu'on y met au sortir de la premiere chaudiere est déjà purgé de ses plus grosses écumes ; outre que quand on travaille en sucre blanc, on y passe ce suc dans des blanchets, ou morceaux de draps blancs & propres. Savary. (D.J.)
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PROPRÉFET | S. m. (Hist. anc.) étoit parmi les Romains, le lieutenant du préfet, ou un officier que le préfet du prétoire nommoit pour remplir les fonctions de sa charge à sa place. Voyez PREFET.
Gruter, pag. 370. fait mention de trois inscriptions qui marquent qu'il y avoit des propréfets à Rome & dans les villes voisines sous l'empire de Gratien. Voyez PRETOIRE.
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PROPRETÉ | S. f. (Morale) la propreté, dit Bacon,est à l'égard du corps ce qu'est la décence dans les moeurs, elle sert à témoigner le respect qu'on a pour la société & pour soi-même ; car l'homme doit se respecter. Il ne faut pas confondre la propreté avec les recherches du luxe, l'afféterie dans la parure, les parfums & les odeurs ; tous ces soins exquis de la sensualité ne sont pas même assez raffinés pour tromper les yeux ; trop embarassans dans le commerce de la vie, ils décelent le motif qui les fait naître. Les parfums & les délices de la table tiennent plus du vice que de la vanité ; les simples plaisirs de tempérament n'ont pas besoin de tant d'art, ils veulent plutôt des remedes & des antidotes. (D.J.)
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PROPRÉTEUR | S. m. (Hist. rom.) magistrat provincial qui avoit sous lui un questeur & un lieutenant.
On nommoit propréteurs ceux qui sortant de la préture de Rome ou du consulat, étoient peu de tems après envoyés dans les provinces pour y commander, comme il arriva à M. Marcellus, l'an de Rome 538, & à L. Emilius, l'an 562. (D.J.)
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PROPRIÉTAIRE | S. m. (Jurisprud.) est celui qui a le domaine d'une chose mobiliaire ou immobiliaire, corporelle ou incorporelle, qui a droit d'en jouir & d'en faire ce que bon lui semble, même de la dégrader & détruire, autant que la loi le permet, à-moins qu'il n'en soit empêché par quelque convention ou disposition qui restraigne son droit de propriété.
Le droit du propriétaire est bien plus étendu que celui de l'usufruitier ; car celui-ci n'a que la simple jouissance, au lieu que le propriétaire peut uti & abuti re suâ quatenùs juris ratio patitur.
Ainsi le propriétaire d'un héritage peut changer l'état des lieux, couper les bois de haute-futaie, démolir les bâtimens, en faire de nouveaux, & fouiller dans l'héritage si avant qu'il juge à propos, pour en tirer de la marne, de l'ardoise, de la pierre, du plâtre, du sable, & autres choses semblables.
Le propriétaire d'un héritage jouit en cette qualité de plusieurs priviléges.
Le premier est que lorsqu'il vient d'acquérir l'héritage, il peut résilier le bail fait par son vendeur, quand même ce ne seroit pas pour occuper en personne, & sans être tenu d'aucune indemnité envers le locataire, sauf le recours de celui-ci contre le vendeur, lib. XXV. §. 1. ff. locati, & l. IX. cod. de locato cond.
Le second privilége du propriétaire est qu'il peut évincer le locataire auquel il a lui-même passé bail, pourvu que ce soit pour occuper en personne ; c'est ce qu'on appelle le privilége de la loi oede, parce qu'il est fondé sur la loi 3 au code locato, qui commence par ce mot oede.
Ce privilége n'appartient qu'à celui qui est propriétaire de la totalité de la maison, & non à celui qui n'en a qu'une partie, même par indivis, à-moins qu'il n'ait le consentement par écrit de ses co-propriétaires.
Le locataire même de la totalité, ne jouit pas de ce droit.
Mais une mere tutrice de sa fille qui demeure avec elle, peut user de ce droit au nom de sa fille.
Ce privilége n'a lieu que pour les maisons, & non pour les fermes des champs.
Quand le propriétaire a expressément renoncé à ce privilége, il ne peut plus en user ni son héritier ; mais cela ne lie pas les mains de l'acquéreur, à moins que le propriétaire n'eût expressément affecté la propriété à l'execution du bail ; car en ce cas, le bail seroit une charge réelle.
Le propriétaire qui use du privilége de la loi oede, doit une indemnité au locataire ; cette indemnité s'évalue ordinairement au tiers du loyer qui reste à écouler ; par exemple, s'il reste trois années à expirer, & que le loyer fût de 1000 livres par an, l'indemnité sera de 1000 livres.
Le troisieme privilége du propriétaire est celui qu'il a pour être payé des loyers ou fermages à lui dûs par préférence aux autres créanciers.
Pour les loyers d'une maison il est préféré à tous créanciers, même aux frais funéraires, sur le prix des meubles dont le locataire a garni les lieux.
Ce privilége a lieu, quoique le propriétaire ne soit pas le premier saisissant, mais il faut qu'il ait formé son opposition avant que les meubles soyent vendus par justice. Coutume de Paris, article 171.
Le propriétaire n'est ainsi préféré que pour les trois derniers quartiers & le courant, à-moins que le bail n'ait été passé devant notaire ; auquel cas le privilége auroit lieu pour tous les loyers échus & à échoir.
Les meubles des sous-locataires ne sont obligés envers le propriétaire, que pour le loyer de la portion qu'ils occupent. Coutume de Paris, article 172.
La même coutume, article 171, autorise le propriétaire à faire procéder par voye de gagerie sur les meubles étant en sa maison, pour le louage à lui dû. Voyez GAGERIE & SAISIE.
Quand les meubles sont transportés hors de la maison, le propriétaire perd son privilége sur ces meubles.
Mais si les meubles ont été enlevés sans son consentement, il peut les revendiquer comme son gage, & les faire réintégrer dans la maison pour la sûreté de ses loyers.
Le droit romain ne donne de privilége au propriétaire d'une ferme de campagne pour être payé de ses fermages, que sur les fruits recueillis dans sa ferme.
Ce privilége sur les fruits a lieu, soit que le fermier exploite lui-même, ou qu'il ait subrogé une autre personne en sa place, ou qu'il ait sous-fermé.
Mais le droit romain ne donne au propriétaire de la ferme aucun privilége sur les meubles & ustensiles, qu'au cas qu'il ait été ainsi stipulé.
Cependant la coutume de Paris, article 171, accorde un privilége sur les meubles pour les fermes comme pour les maisons en faveur des propriétaires. Cette disposition étant singuliere, ne doit point être admise dans les coutumes qui ne l'ordonnent point ainsi. Voyez au digeste le titre locati conducti, & au code le titre de locato conducto ; Louet & Brod. lettre f, tome IV. & Coquille, quest. & rép. art. 102 ; le Prêtre, arrêts de la cinquieme & seconde cent. ch. lvij. Henrys, tome I. liv. IV. ch. vj. quest. 27. Journ. des aud. tome I. livre VIII. ch. xxv. & les mots ACHAT, BAIL, FERME, FERMAGE, LOYER. (A)
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PROPRIÉTÉ | S. f. (Métaphysique) les Philosophes ont coutume d'appeller propriété d'une chose, ce qui n'est pas son essence, mais ce qui coule & est déduit de son essence. Tâchons à démêler exactement le sens de cette définition, pour y découvrir de nouveau une premiere vérité qui est souvent méconnue.
Ce qu'on marque dans la définition de la propriété, qu'elle est ce qui coule ou se déduit de l'essence, ne peut s'entendre de l'essence réelle & physique. Supposé, par exemple, ce qu'on dit d'ordinaire, que d'être capable d'admirer soit une propriété de l'homme, cette capacité d'admirer est aussi intime & nécessaire à l'homme dans sa constitution physique & réelle, que son essence même, qui est d'être animal raisonnable ; ensorte que réellement il n'est pas plutôt ni plus véritablement animal raisonnable, qu'il est capable d'admirer ; & autant que vous détruisez réellement de cette qualité capable d'admirer, autant à mesure détruisez-vous de celle-ci animal raisonnable : puisque réellement tout ce qui est animal raisonnable, est nécessairement capable d'admirer ; & tout ce qui est capable d'admirer, est nécessairement animal raisonnable.
La différence de la propriété d'avec l'essence, n'est donc point dans la constitution réelle des êtres, mais dans la maniere dont nous concevons leurs qualités nécessaires. Celle qui se présente d'abord & la premiere à notre esprit, nous la regardons comme l'essence ; & celle qui ne s'y présente pas si-tôt ni si aisément, nous l'appellons propriété.
De savoir, si par divers rapports, ou du-moins par rapport à divers esprits, ce qui est regardé comme essence, ne pourroit pas être regardé comme propriété, c'est de quoi je ne voudrois pas répondre. Il se peut faire aisément que parmi diverses qualités, également nécessaires & unies ensemble dans un même être, l'une se présente la premiere à certains esprits, & l'autre la premiere à d'autres esprits. En ce cas, ce qui est essence pour les uns ne sera que propriété pour les autres ; ce qui fera dans le fond une distinction ou une dispute assez inutile. En effet, puisque la qualité qui fait la propriété, & celle qui fait l'essence, se trouvent nécessairement unies, je trouverai également, & que l'essence se conclut de la propriété, & que la propriété se conclut de l'essence ; le reste ne vaut donc pas la peine d'arrêter des esprits raisonnables : en voici un exemple.
Si l'on veut donner pour essence au diamant d'être extraordinairement dur, & pour propriété, de pouvoir résister à de violens coups de marteau, je ne m'y opposerai point : mais s'il me vient à l'esprit de lui mettre pour essence, de résister à de violens coups de marteau, & pour propriété d'être extrêmement dur, quel droit aura-t-on de s'y opposer ? On me dira que c'est qu'on conçoit la dureté dans le diamant avant la disposition de résister au marteau : & moi je dirai que j'ai expérimenté d'abord, & par conséquent que j'ai conçu en premier lieu dans le diamant, la disposition de résister aux coups de marteau ; & que par-là j'en ai conclu sa dureté, laquelle, sous ce rapport, n'est connue qu'en second lieu. Dans cette curieuse dispute, je demande qui aura plus de raison de mon adversaire ou de moi ? De part & d'autre, ce sera une dissertation qui ne peut se terminer sensément qu'en reconnoissant que la propriété est l'essence, & l'essence est la propriété ; puisque au fond être dur & être propre à résister à des coups de marteau, sont absolument la même chose sous deux regards différens.
PROPRIETE, (Droit naturel & politique) c'est le droit que chacun des individus dont une société civile est composée, a sur les biens qu'il a acquis légitimement.
Une des principales vues des hommes en formant des sociétés civiles, a été de s'assurer la possession tranquille des avantages qu'ils avoient acquis, ou qu'ils pouvoient acquérir ; ils ont voulu que personne ne pût les troubler dans la jouissance de leurs biens ; c'est pour cela que chacun a consenti à en sacrifier une portion que l'on appelle impôts, à la conservation & au maintien de la société entiere ; on a voulu par-là fournir aux chefs qu'on avoit choisis les moyens de maintenir chaque particulier dans la jouissance de la portion qu'il s'étoit réservé. Quelque fort qu'ait pu être l'enthousiasme des hommes pour les souverains auxquels ils se soumettoient, ils n'ont jamais prétendu leur donner un pouvoir absolu & illimité sur tous leurs biens ; ils n'ont jamais compté se mettre dans la nécessité de ne travailler que pour eux. La flatterie des courtisans, à qui les principes les plus absurdes ne coûtent rien, a quelquefois voulu persuader à des princes qu'ils avoient un droit absolu sur les biens de leurs sujets ; il n'y a que les despotes & les tyrans qui ayent adopté des maximes si déraisonnables. Le roi de Siam prétend être propriétaire de tous les biens de ses sujets ; le fruit d'un droit si barbare, est que le premier rebelle heureux se rend propriétaire des biens du roi de Siam. Tout pouvoir qui n'est fondé que sur la force se détruit par la même voie. Dans les états où l'on suit les regles de la raison, les propriétés des particuliers sont sous la protection des lois ; le pere de famille est assuré de jouir lui-même & de transmettre à sa postérité, les biens qu'il a amassés par son travail ; les bons rois ont toujours respecté les possessions de leurs sujets ; ils n'ont regardé les deniers publics qui leur ont été confiés, que comme un dépôt, qu'il ne leur étoit point permis de détourner pour satisfaire ni leurs passions frivoles, ni l'avidité de leurs favoris, ni la rapacité de leurs courtisans. Voyez SUJETS.
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PROPTOSE | S. f. (Médecine) maladie de l'oeil ; les auteurs se servent de ce mot générique pour désigner toutes les tumeurs particulieres que l'on remarque au-dessus de la cornée, soit qu'elles soyent formées par la cornée éminente, par la cornée relâchée, ou par l'uvée qui se pousse au-travers de la cornée. Ils appellent aussi de ce nom tous les forjettemens du globe de l'oeil hors de l'orbite, quelle qu'en soit la cause. Si l'oeil s'avance contre nature hors de l'orbite sans pouvoir être recouvert des paupieres, ils caractérisent cet accident du nom d'exophtalmie ; quand la cornée s'éleve en bosse, ou qu'étant rompue l'uvée forme une tumeur au-dehors, c'est un staphylome. (D.J.)
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PROPYLEA | (Mythol.) Diane eut un temple à Eleusis sous ce nom, qui veut dire, celle qui veille à la garde de la ville, qui se tient devant la porte ; de , devant & , porte.
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PROPYLÉES | LES, (Antiq. grecq.) , superbes vestibules ou portiques qui conduisoient à la citadelle d'Athènes, & qui faisoient une des plus grandes beautés de cette ville. Pausanias dit qu'ils étoient couverts d'un marbre blanc, qui pour la grandeur des pierres & des ornemens, passoit tout ce qu'il avoit vu ailleurs de plus magnifique. Périclès avoit fait bâtir les propylées sous la direction de Mnasiclès, un des plus célebres architectes de son siecle. Ils furent achevés dans cinq ans sous l'archonte Pythodore, & avoient été commencés la quatrieme année de la 85. olympiade. Leur structure couta deux mille douze talens attiques, qui reviennent à plus de sept millions de notre monnoie, & selon le docteur Bernard à plus de 376 mille livres sterling. C'est bien de l'argent dans un tems où le salaire d'un juge de cour souveraine n'étoit par jour, que de 15 sols de France. On avoit placé sur ces vestibules de la citadelle des statues équestres, peut-être seulement pour la décoration ; à droite étoit une chapelle de la Victoire, & à gauche une salle de peintures, dont la plûpart étoient de la main de Polygnote. Les propylées n'offroient plus dans le dernier siecle que de tristes masures, qui néanmoins marquoient encore quelque chose de leur ancienne grandeur. La citadelle dont ils étoient les portiques, est habitée par une milice turque. On sait que les clés de cette forteresse étoient autrefois entre les mains d'un épistate, & qu'il ne pouvoit les garder qu'un jour. On sait encore qu'il y avoit trois sortes d'animaux qui n'entroient jamais dans cette forteresse ; le chien, à cause de sa lubricité ; la chevre, de peur qu'elle ne broutât les branches de l'olivier sacré ; & la corneille, parce que Minerve le lui avoit interdit par un miracle. Voyez ici Pausanias, Plutarque & Meursius. (D.J.)
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PROPYLICE | S. m. (Architecture) le porche d'un temple ou le vestibule. Ce mot vient du , qui signifie la même chose.
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PROQUESTEUR | S. m. (Hist. rom.) on nommoit proquesteur celui à qui le préteur d'une province faisoit exercer l'emploi d'un questeur nouvellement décédé, en attendant la nomination de Rome. Il arrivoit aussi que lorsque le préteur partoit avant d'être remplacé, son questeur faisoit les fonctions de son emploi jusqu'à l'arrivée du successeur. Rosin antiq. rom.
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PRORATA | S. m. (Jurisprudence) sont deux mots latins que l'on écrit comme s'ils n'en faisoient qu'un, & on les a adoptés dans le style de pratique françois ; on sous-entend le mot parte ; ainsi ces mots signifient à-proportion ; c'est en ce sens que l'on dit des héritiers, donataires & légataires universels, qu'ils contribuent entr'eux aux dettes chacun au prorata de l'émolument.
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PROROGER | v. act. (Gramm.) & PROROGATION, s. f. (Jurisprud.) signifie en général extension.
Prorogation d'un delai pour défendre ou faire quelqu'autre chose, c'est-à-dire, qu'on le continue.
PROROGATION DE LA GRACE ou DU REMERE, c'est lorsque l'acheteur qui a acquis sous faculté de rachat jusqu'à un certain tems, après ce tems fini, consent de prolonger encore le délai.
PROROGATION DE COMPROMIS, est l'extension du tems fixé par le compromis aux arbitres pour décider le différend.
Le tems du compromis ne peut être prorogé que par les parties ou par leurs fondés de procuration spéciale, ou par les arbitres eux-mêmes, supposé que le pouvoir leur en ait été donné par le compromis.
La peine portée par le compromis n'auroit pas lieu après la prorogation, si en continuant ainsi le compromis, on ne rappelloit pas aussi expressément la clause qui contient la peine. Voyez ci-devant COMPROMIS, DELAI, & ci-après RACHAT, REMERE. (A)
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PROS | S. m. (Architect. navale) espece de chaloupe ou de bâtiment des Indiens des îles des Larrons. Ces pros qui sont les seuls vaisseaux dont ils se servent depuis des siecles, sont d'une invention qui feroit honneur aux nations les plus civilisées. On ne peut rien imaginer de plus convenable que ces pros, pour la navigation de ces îles, qui gissent toutes à-peu-près sous le même méridien entre les limites des vents alisés, & où par conséquent, pour passer de l'une à l'autre, il falloit des bâtimens propres surtout à recevoir le vent de côté. Ceux-ci répondent parfaitement à cette vue ; outre cela la structure en est si simple, & ils sont d'une vîtesse si extraordinaire, qu'ils méritent bien qu'on en fasse une description particuliere, d'autant plus que ceux qui en ont déja parlé, n'en ont pas donné une idée assez exacte ; c'est à quoi je vais suppléer par les lumieres du lord amiral Anson, tant pour contenter la curiosité du lecteur, que dans l'espérance que ceux qui sont employés à la construction de nos vaisseaux, & nos marins, en tireront quelqu'utilité. Qui pouvoit mieux nous éclairer sur cette matiere que le célébre amiral que je viens de nommer ? Un de ces bâtimens tomba entre ses mains à son arrivée à Tinian. L'architecte de son escadre le débâtit, afin d'en examiner & mesurer toutes les pieces ; ainsi on peut regarder la description suivante, non-seulement comme très-exacte, mais comme la seule bonne.
Ces bâtimens sont nommés pros, à quoi on ajoute souvent l'épithete de volant, pour marquer l'extrême vîtesse de leur cours. Les Espagnols en racontent des choses incroyables, pour quiconque n'a jamais vu voguer ces vaisseaux ; mais ils ne sont pas seuls témoins de faits extraordinaires à cet égard ; ceux qui voudront en avoir quelques-uns bien averés peuvent s'en informer à Portsmouth, où l'on a fait des expériences sur la vîtesse de ces bâtimens, avec un pros assez imparfait qu'on avoit construit dans ce port. Au défaut de ces informations, il suffit de savoir que suivant l'estime des marins, qui joints à mylord Anson, les ont observés à Tinian, tandis qu'ils voguoient avec un vent alisé frais, ils faisoient vingt milles en une heure. Cela n'approche pas de ce que les Espagnols en racontent, mais c'est cependant une très-grande vîtesse.
La construction de ces pros est différente de ce qui se pratique dans tout le reste du monde en fait de bâtiment de mer ; tous les autres vaisseaux ont la prouë différente de la poupe, & les deux côtés semblables ; les pros, au contraire, ont la prouë semblable à la poupe, & les deux côtés différens : celui qui doit être toujours au lof est plat ; & celui qui doit être sous le vent est courbe, comme dans tous les autres vaisseaux.
Cette figure & le peu de largeur de ces bâtimens les rendroit fort sujets à sombrer sous voiles sans une façon fort extraordinaire qu'on y ajoute ; c'est une espece de cadre, ajustée au côté qui est sous le vent, & qui soutient une poutre creusée, & taillée en forme de petit canot ; le poids de ce cadre sert à tenir le pros en équilibre, & le petit canot qui est au bout, & qui plonge dans l'eau, soutient le pros, & l'empêche de sombrer sous voile. Le corps du pros, au-moins de celui que mylord Anson a examiné, est composé de deux pieces, qui s'ajustent suivant la longueur, & qui sont cousues ensemble avec de l'écorce d'arbre ; car il n'entre aucun fer dans cette construction. Le pros a deux pouces d'épaisseur vers le fond ; ce qui va en diminuant jusques aux bords, qui ne sont épais que d'un pouce. Les dimensions de chaque partie se concevront aisément à l'aide de la planche que mylord Anson en a fait graver dans son voyage qui est si connu, & où tout est exactement rapporté à la même échelle. (D.J.)
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PROSAIQUE | adj. qui tient de la prose : il ne se dit guere que des mauvais vers. Les vers de la Mothe sont prosaïques, & la prose de Fénelon est poétique.
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PROSATEUR | S. m. (Gram. Littér.) celui qui écrit en prose : personne, peut-être, n'a porté à un aussi haut degré que M. de Voltaire le talent de poëte uni à celui de prosateur. Rousseau étoit bon poëte, & mauvais prosateur. La Mothe, bon prosateur & mauvais poëte.
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PROSCENIUM | S. m. (Archit. théat.) lieu élevé sur lequel les acteurs jouoient, & qui étoit ce que nous appellons théâtre, échaffaud. Le proscenium avoit deux parties dans les théâtres des Grecs ; l'une étoit le proscenium simplement dit, où les acteurs jouoient ; l'autre s'appelloit le logeion, où les choeurs venoient réciter, & où les pantomimes faisoient leurs représentations. Sur le théâtre des Romains le proscenium & le pulpitum étoient une même chose. (D.J.)
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PROSCHAERETERIES | S. f. pl. (Antiq. grecques) , c'étoit une fête de réjouissance qu'on célébroit en Grece le jour que la nouvelle épouse alloit demeurer avec son mari. Potter, archaeol. graec. t. I. p. 427.
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PROSCINA | (Géog. anc.) ville de Grece, dans la Baeotie, sur une montagne. Elle est composée d'environ cent familles chrétiennes pour la plûpart, & elle paroît une place ancienne, étant vraisemblablement celle que Strabon & Pausanias appellent Araephium ou Acraephnium, située sur le mont Ptoos. On trouve sur la montagne un pays bien cultivé, ce qui fait croire que c'est la plaine d'Athames. Les montagnes voisines qui sont couvertes de bois, ne manquent pas plus de gibier qu'autrefois. Wheler, voyage d'Athenes. (D.J.)
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PROSCLYSTIUS | (Mytholog.) Neptune pour se venger de ce que Jupiter avoit adjugé à Junon le pays d'Argos, préférablement à lui, inonda toute la campagne, mais Junon étant venue le supplier d'arrêter le débordement, il se rendit à sa priere ; & les Argiens en reconnoissance de cette faveur, lui bâtirent un temple sous le nom de prosclystius, de , & , couler, parce qu'il avoit fait retirer les eaux des fleuves qui inondoient le pays.
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PROSCRIPTION | S. f. (Hist. rom.) publication faite par le gouvernement, ou par un chef de parti, par laquelle on décerne une peine contre ceux qui y sont désignés. Il y en avoit de deux sortes chez les Romains ; l'une interdisoit au proscrit le feu & l'eau jusqu'à une certaine distance de Rome, plus ou moins éloignée, selon la sévérité du decret, avec défense à qui que ce fût, de lui donner retraite dans toute l'étendue de la distance marquée. On affichoit ce decret, afin que personne ne l'ignorât : le mot d'exil n'y étoit pas même exprimé sous la république ; mais il n'en étoit pas moins réel, par la nécessité où l'on étoit de se transporter hors les limites de ces interdictions.
L'autre proscription étoit celle des têtes, ainsi nommée, parce qu'elle ordonnoit de tuer la personne proscrite, par-tout où on la trouveroit. Il y avoit toujours une récompense attachée à l'exécution de cette proscription. On affichoit aussi ce decret, qui étoit écrit sur des tables pour être lu dans des places publiques ; & l'on trouvoit au bas les noms de ceux qui étoient condamnés à mourir, avec le prix décerné pour la tête de chaque proscrit.
Marius & Cinna avoient massacré leurs ennemis de sang froid, mais ils ne l'avoient point fait par proscription. Sylla fut le premier auteur & l'inventeur de cette horrible voye de proscription, qu'il exerça avec la plus indigne barbarie, & la plus grande étendue. Il fit afficher dans la place publique les noms de quarante sénateurs, & de seize cent chevaliers qu'il proscrivoit. Deux jours après, il proscrivit encore quarante autres sénateurs, & un nombre infini des plus riches citoyens de Rome. Il déclara infâmes & déchus du droit de bourgeoisie les fils & les petits-fils des proscrits. Il ordonna que ceux qui auroient sauvés un proscrit, ou qui l'auroient retiré dans leur maison, seroient proscrits en sa place. Il mit à prix la tête des proscrits, & fixa chaque meurtre à deux talens. Les esclaves qui avoient assassiné leurs maîtres, recevoient cette récompense de leur trahison ; l'on vit des enfans dénaturés, les mains encore sanglantes, la demander pour la mort de leurs propres peres qu'ils avoient massacrés.
Lucius Catilina, qui pour s'emparer du bien de son frere, l'avoit fait mourir depuis long-tems, pria Sylla, auquel il étoit attaché, de mettre ce frere au nombre des proscrits, afin de couvrir par cette voye l'énormité de son crime. Sylla lui ayant accordé sa demande, Catilina, pour lui en marquer sa reconnoissance, alla tuer au même moment Marcus Marius, & lui en apporta la tête.
Le même Sylla, dans sa proscription, permit à ses créatures & à ses officiers de se venger impunément de leurs ennemis particuliers. Les grands biens devinrent le plus grand crime. Quintus Aurelius, citoyen paisible, qui avoit toujours vécu dans une heureuse obscurité, sans être connu ni de Marius, ni de Sylla, appercevant son nom dans les tables fatales, s'écria avec douleur ; malheureux que je suis, c'est ma belle maison d'Albe qui me fait mourir ; & à deux pas de-là, il fut assassiné par un meurtrier.
Dans cette désolation générale, il n'y eut que C. Metellus, qui fut assez hardi pour oser demander à Sylla, en plein sénat, quel terme il mettroit à la misere de ses concitoyens : nous ne te demandons pas, lui dit-il, que tu pardonnes à ceux que tu as résolu de faire mourir ; mais délivre-nous d'une incertitude pire que la mort, & du moins apprens-nous ceux que tu veux sauver. Sylla, sans paroître s'offenser de ce discours, lui répondit froidement, qu'il ne s'étoit pas encore déterminé. Enfin, comme dit Salluste, neque priùs jugulandi fuit finis quàm Sylla omnes suos divitiis explevit.
Les triumvirs Lépide, Octave & Antoine renouvellerent les proscriptions. Comme ils avoient besoin de sommes immenses pour soutenir la guerre, & que d'ailleurs ils laissoient à Rome & dans le sénat des républicains toujours zélés pour la liberté, ils résolurent avant que de quitter l'Italie, d'immoler à leur sûreté, & de proscrire les plus riches citoyens. Ils en dresserent un rôle. Chaque triumvir y comprit ses ennemis particuliers, & même les ennemis de ses créatures. Ils pousserent l'inhumanité jusqu'à s'abandonner l'un à l'autre leurs propres parens, & même les plus proches. Lépidus sacrifia son frere Paulus à l'un de ses collégues ; Antoine, de son côté, abandonna au jeune Octave le propre frere de sa mere ; & celui-ci consentit qu'Antoine fît mourir Cicéron, quoique ce grand homme l'eût soutenu de son crédit contre Antoine même. La tête du sauveur de l'état fut mise à prix pour la somme de huit mille livres sterling. Il mourut la victime de son mérite & de ses talens.
Largus & exundans letho dedit ingenii fons,
Ingenio manus est & cervix caesa. Juvenal.
Enfin on vit dans ce rôle funeste Thoranius, tuteur du jeune Octave, celui-là même qui l'avoit élevé avec tant de soin ; Plotius désigné consul, frere de Plancus, un des lieutenans d'Antoine, & Quintus, son collégue au consulat, eurent le même sort, quoique ce dernier fût beau-pere d'Asinius Pollio, partisan zélé du triumvirat.
En un mot, les droits les plus sacrés de la nature furent violés. Trois cent sénateurs, & plus de deux mille chevaliers furent enveloppés dans cette affreuse proscription. Toutes ces horreurs, inconnues dans les siecles les plus barbares, & aux nations les plus féroces, se sont passées dans des tems éclairés, & par l'ordre des hommes les plus polis de leur tems. Elles ont été les fruits sanglans de ces désordres civils, & de ces vapeurs intestines qui étouffent les cris de l'humanité. (D.J.)
PROSCRIPTION, (Hist. des Grecs) les proscriptions chez les Grecs se faisoient avec les plus grandes formalités ; un héraut publioit par ordre du souverain qu'on récompenseroit d'une certaine somme, appellée , quiconque apporteroit la tête du proscrit. De plus, afin qu'on se dévouât sans peine à faire le coup, & que le vengeur de la patrie fût où prendre la récompense dès qu'il l'auroit méritée ; on déposoit publiquement sur l'autel d'un temple la somme promise par le héraut. C'est ainsi que les Athéniens mirent à prix la tête de Xerxès ; & il ne tint pas à eux qu'elle leur coutât cent talens. On trouvera dans la comédie des oiseaux d'Aristophane, une formule de proscription contre Diagoras de Mélos. (D.J.)
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PROSCRIT | S. m. (Jurisprud.) on entendoit quelquefois par-là chez les Romains celui dont la tête étoit mise à prix, mais plus communément ceux qui étoient condamnés à quelque peine, emportant mort naturelle ou civile. Le tit. XLIX. du liv. IX. du code est intitulé de bonis proscriptorum. Voyez CONFISCATION.
Parmi nous on regarde comme proscrit tout homme qui est noté d'infamie, & qui est banni du commerce des honnêtes gens. (A)
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PROSE | S. f. (Litterat.) est le langage ordinaire des hommes, qui n'est point gêné par les mesures & les rimes que demande la poésie ; elle est opposée au vers. Voyez VERS. Ce mot vient du latin prosa, que quelques-uns prétendent dérivé de l'hébreu poras, qui signifie expendit ; d'autres le dérivent de prorsa ou prorsus, qui va en avant, par opposition à versa, qui retourne en arriere, ce qu'il est nécessaire de faire lorsqu'on écrit en vers.
Quoique la prose ait des liaisons qui la soutiennent, & une structure qui la rend nombreuse ; elle doit paroître fort libre, & n'avoir rien qui sente la gêne. Voyez STYLE, CADENCE, &c.
Il est rare que les poëtes écrivent bien en prose, ils se sentent toujours de la contrainte à laquelle ils sont accoutumés.
Saint-Evremont compare les écrivains en prose aux gens de pié, qui marchent plus tranquillement & avec moins de bruit.
Quoique la prose ait toujours été, comme elle l'est aujourd'hui, le langage ordinaire des hommes, elle n'a pas d'abord été consacrée aux ouvrages d'esprit ni même à conserver la mémoire des évenemens comme la poésie. Phérécyde de Scyros qui vivoit au siecle de Cyrus, écrivit un ouvrage de philosophie, & c'étoit le premier ouvrage en prose qu'on eût vu parmi les Grecs, si l'on en croit Pline, qui dit de ce Phérécyde, prosam primus condere instituit. Mais ce passage de Pline signifie que cet auteur fut le premier qui traita en prose des matieres philosophiques, ou qui s'appliqua à donner à la prose cette espece de cadence, qui lui est propre dans les langues dont les syllabes reçoivent des accens sensiblement variés, telle qu'est la langue grecque, & c'est ce qu'insinue le mot condere, qui signifie proprement arranger, disposer. Il ne s'ensuit nullement de-là que Phérécyde ait été le premier écrivain en prose qu'ayent eu les Grecs. Car Pausanias parle d'une histoire de Corinthe écrite en prose, & attribuée à un certain Rumelus, que la chronique d'Eusebe place à la onzieme olympiade ou vers l'an 740 avant Jesus-Christ, c'est-à-dire deux cent ans avant Phérécyde & le siecle de Cyrus. Il en a presque été de même parmi toutes les autres nations. Dans les monumens publics, les chroniques, les lois, la philosophie même, les vers ont été en usage avant la prose. Ainsi, parmi nous, il a été un tems où l'on ne croyoit pas que la prose françoise méritât d'être transmise à la postérité. A peine avons-nous un ou deux ouvrages de prose antérieurs à Villehardouin & à Joinville, tandis que nos bibliotheques sont encore pleines de poëmes historiques, allégoriques, moraux, &c. composés dans des tems très-reculés. Mémoires de l'académie des Belles-Lettres, tome VI.
M. de la Mothe & d'autres ont soutenu qu'il pouvoit y avoir des poëmes en prose. Mais on leur a répondu, comme il est vrai, que la prose & la poésie ont eu de tout tems des caracteres distingués, que la traduction en prose d'un poëme n'est à ce poëme que ce qu'une estampe est à un tableau, elle en rend bien le dessein, mais elle n'en exprime pas le coloris, & c'est ce que madame Dacier elle-même pensoit de sa traduction d'Homere. Le consentement unanime des nations appuie encore ce sentiment. Apulée & Lucien, quoique tous deux fertiles en fictions & en ornemens poétiques, n'ont jamais été comptés parmi les poëtes. La fable de Psyché auroit été appellée poëme, s'il y avoit des poëmes en prose. Le songe de Scipion, quoique fiction très-noble, écrite en style poétique, ne fera jamais mettre le nom de Cicéron parmi ceux des poëtes latins, de même que parmi ceux de nos poëtes françois nous ne mettons point celui de Fénelon. D'ailleurs l'éloquence & la poésie ont chacune leur harmonie, mais si opposées que ce qui embellit l'une défigure l'autre. L'oreille est choquée de la mesure du vers quand elle le trouve dans la prose, & tout vers prosaïque déplaît dans la poésie. La prose employe à la vérité les mêmes figures & les mêmes images que la poésie, mais le style est différent, & la cadence est toute contraire. Dans la poésie même chaque espece a sa cadence propre ; autre est le ton de l'épopée, autre est celui de la tragédie ; le genre lyrique n'est ni épique, ni dramatique, & ainsi des autres. Comment la prose, dont la marche est uniforme, pourroit-elle ainsi diversifier ses accords ? La prétention de M. de la Mothe a eu le sort des paradoxes mal fondés, on en a montré le faux, & l'on a continué à faire de beaux vers & à les admirer.
PROSE, (Hist. ecclésiast.) nom qu'on a donné dans les derniers siecles à certaines hymnes composées de vers sans mesure, mais de certain nombre de syllabes avec des rimes, qui se chantent après le graduel, d'où on les a aussi appellées séquence, sequentia, c'est-à-dire qui suit après le graduel.
L'usage des proses a commencé au plus tard au ix. siecle. Notker, moine de S. Gal, qui écrivit vers l'an 880, & qui est regardé comme le premier auteur que l'on connoisse en fait de proses, dit, dans la préface du livre où il en parle, qu'il en avoit vu dans un antiphonier de l'abbaye de Jumieges, laquelle fut brûlée par les Normands en 841. Nous avons quatre proses principales, le Veni sancte Spiritus pour la Pentecôte, que Durand attribue au roi Robert, mais qui est plus probablement de Hermannus contractus ; c'est la prose Sancti Spiritus adsit nobis gratia qui est du roi Robert, selon quelques anciens, & entr'autres Brompton, plus ancien que Durand. Le Lauda Sion salvatorem, pour la fête du S. Sacrement, qui est de S. Thomas d'Aquin. Le Victimae paschali laudes, dont on ignore l'auteur ; c'est la prose du tems de Pâques. Le Dies irae, dies illa, que l'on chante aux services des morts. On l'attribue mal à propos à S. Gregoire ou à S. Bernard, ou à Humbert, général des dominicains. Cette prose est du cardinal Frangipani, dit Malabranca, docteur de Paris de l'ordre des dominicains, qui mourut à Perouse en 1294.
A l'imitation de ces proses, on en a composé beaucoup d'autres pour les fêtes locales, & parmi ces proses, la plûpart mal composées, on en trouve beaucoup de ridicules. C'est par cette raison que l'on en a retranché un grand nombre dans les dernieres réformes des offices divins, & l'on pourroit, ajoute l'auteur de qui nous empruntons cet article, sans scrupule pousser ce retranchement beaucoup plus loin. Parmi celles qu'on y a substituées, il y en a plusieurs qui méritent d'être estimées. Supplément de Moréri, tome II. p. 118 & 119. N'en déplaise à l'auteur du supplément de Moréri, les proses qu'on a mises dans le nouveau missel de Paris, sont certainement plus que supportables.
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PROSÉLENE | (Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans la petite Phrygie, selon Ptolémée, qui, l. V. c. ij. la place sur la côte, entre Adramytium & Pitane.
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PROSÉLYTE | S. m. (Crit. sacrée) Grotius semble affecter le terme de prosélyte aux payens qui avoient embrassé entierement le Judaïsme ; mais on sait que les autres étrangers, domiciliés parmi les Juifs, étoient aussi appellés prosélytes, parce qu'effectivement, quoiqu'ils ne se soumissent point à l'observation des cérémonies mosaïques, il falloit nécessairement qu'ils renonçassent à l'idolâtrie païenne, & qu'ils fissent profession d'adorer le Créateur, le seul vrai Dieu ; ce qui est le grand article fondamental de la religion judaïque. Aussi les appelloit-on prosélytes de la porte, pour les distinguer de prosélytes de la justice, ou de ceux qui étoient naturalisés, dont nous parlerons bientôt. Le savant Gronovius prétend à tort que Corneille le centenier ne faisoit pas profession ouverte du judaïsme, afin de ne pas perdre son emploi, autrement, dit-il, il n'auroit pas pû être citoyen romain, comme il falloit l'être, pour porter les armes dans les troupes romaines, sur-tout pour avoir un poste tel que celui qu'il occupoit. Mais outre qu'il n'y a rien dans toute la narration de S. Luc, Act. ch. x. qui donne lieu de soupçonner que Corneille ne fût pas ouvertement prosélyte de la porte, l'exemple de S. Paul qui, quoique juif de naissance, étoit citoyen romain, suffit pour détruire la raison de Gronovius.
Pour ce qui est des prosélytes de la justice, il faut savoir que, selon les Juifs, quand un payen se faisoit prosélyte de la justice, comme il étoit censé renaître, toutes les relations qu'il avoit eu auparavant de pere, de mere, de fils, de filles, de parent, d'allié, &c. s'évanouissoient en même tems ; c'est ce que Tacite semble insinuer obscurément dans les paroles suivantes : Transgressi in morem eorum (Judaeorum) idem usurpant : nec quidquam priùs imbuuntur, quàm contemnere deos, exuere patriam ; parentes, liberos, fratres vilia habere. Hist. lib. V. cap. vj. Sur ce principe, ils prétendoient qu'un tel prosélyte devenu un nouvel homme, pouvoit, selon la loi de Dieu, épouser sa mere, sa belle-mere, sa soeur, qui n'étoient plus regardées comme telles, quand même elles se convertissoient comme lui au judaïsme ; cependant en vertu des traditions de leurs ancêtres, ils défendoient de tels mariages ; mais ils les permettoient aux esclaves qui, en se convertissant, étoient demeurés tels, & dont les mariages se faisoient ou se dissolvoient au gré de leurs maîtres. Tacite dit que les lois romaines étoient différentes ; car elles vouloient qu'en matiere de mariage, entre esclaves mêmes ou affranchis, on eût égard au degré de parenté.
Arrêtons-nous encore quelques momens sur les prosélytes de la porte & les prosélytes de la justice, car c'est un sujet très-curieux, qui demande d'être éclairci plus au-long.
Les prosélytes de la porte s'appelloient ainsi, parce qu'ils n'entroient que dans la cour extérieure du temple pour adorer, & qu'ils s'arrêtoient à la porte de la seconde cour : les prosélytes de justice furent ainsi nommés, parce qu'en embrassant la loi de Moyse ils étoient censés s'engager à vivre dans la sainteté & dans la justice.
Les premiers renonçoient simplement à l'idolâtrie, & servoient Dieu selon la loi de la nature, que les Juifs comprenoient sous sept articles, qu'ils appelloient les sept préceptes des enfans de Noé. Ils croyoient que tous les hommes étoient obligés de garder ces commandemens-là ; mais que l'obligation de garder ceux de la loi de Moyse ne s'étendoit pas à tous ; que cette loi n'étoit faite que pour leur nation, & non pas pour tout le monde ; que pour le reste du genre humain, pourvû qu'ils observassent la loi naturelle, c'est-à-dire, selon eux, les sept préceptes dont nous venons de parler, c'étoit tout ce que Dieu demandoit d'eux, & qu'ils lui seroient aussi agréables que les Juifs quand ils observoient leur loi particuliere. Ainsi ils leur permettoient de demeurer au milieu d'eux, & les nommoient par cette raison guerim tosharsim, prosélytes habitans, ou guéré shaar, prosélytes de la porte, parce qu'il leur étoit permis de demeurer dans leurs villes. Cette expression semble être tirée du quatrieme commandement, & l'étranger qui est dans les portes (veguérecha bisharecha), car le même mot en hébreu signifie étranger ou prosélyte ; & dans ce commandement il est indifférent de quelle maniere on le prend ; car les Israélites ne permettoient à aucun étranger de demeurer parmi eux, s'il ne renonçoit à l'idolâtrie, & ne s'obligeoit à observer les sept préceptes des enfans de Noé.
Il n'y avoit pas jusqu'aux esclaves, même ceux qu'on avoit fait à la guerre qu'on y obligeoit ; & s'ils ne vouloient pas s'y conformer, ou on les tuoit, ou on les vendoit à d'autres nations. Or ceux qui étoient prosélytes de cet ordre, outre la permission de demeurer avec eux, avoient aussi celle d'entrer dans le temple pour servir Dieu ; seulement ils n'entroient que dans la premiere cour, qu'on appelloit la cour des gentils. Personne ne passoit le chel qui séparoit cette cour de celle du dedans, que ceux qui faisoient une profession entiere, par laquelle ils s'obligeoient à garder toute la loi. Ainsi quand il venoit à Jérusalem quelque prosélyte de la porte, il adoroit dans cette cour extérieure. C'étoit de cette espece qu'étoient, à ce qu'on croit communement, Naaman le syrien, & Corneille le centenier.
Les prosélytes de la justice étoient ceux qui s'engageoient à garder toute la loi ; car, quoique les Juifs ne crussent pas que ceux qui n'étoient pas israélites naturels y fussent obligés, ils n'en refusoient point, & recevoient au contraire avec plaisir tous ceux qui vouloient faire profession de leur religion. On remarque même que du tems de notre Sauveur ils se donnoient de grands mouvemens pour les y attirer & les convertir. On initioit ces sortes de prosélytes par le baptême, par des sacrifices & par la circoncision. Après cela ils jouissoient des mêmes privileges, & étoient admis aux mêmes rites & aux mêmes cérémonies que les juifs naturels. Il faut seulement excepter les mariages en fait de privileges, parce qu'il y avoit des nations qui en étoient exclues pour toujours ; & d'autres seulement pour un certain nombre de générations, comme les Edomites, jusqu'à la troisieme ; ce fut avec cette clause qu'Hyrcan les reçut prosélytes de justice ; mais dans la suite, ils ne firent plus qu'un même corps avec les Juifs, & perdirent leur nom d'Edomites.
Ceux qui desireront de plus grands détails sur les prosélytes de la porte & de la justice, doivent consulter l'ouvrage de Mede ; les remarques de Hammond sur S. Matth. c. iij. vers. 1. & c. xxiij. 15. le dictionnaire rabbinique de Buxtorf, & le traité de Maimonidès, traduit en latin, avec des notes par le célebre Prideaux, sous le titre de jure pauperis & peregrini. (D.J.)
PROSELYTES, baptême des, (Hist. de l'Egl. prim.) Justin martyr, décrit ainsi dans sa seconde apologie le baptême des prosélytes. Lorsque quelqu'un, dit-il, est persuadé de notre doctrine, & qu'il promet de vivre conformément aux préceptes de Jesus-Christ, nous lui déclarons qu'il doit prier avec jeûne, demandant à Dieu la remission de ses péchés. Nous jeûnons nous-mêmes, nous prions avec lui ; ensuite nous le menons dans un endroit où il y a de l'eau, & nous le régénérons comme nous l'avons été, en le lavant au nom de Dieu le Pere, le Maître de toutes choses, de notre Sauveur, & du S. Esprit. Il y a d'autres peres qui ont eu une idée bien fausse du baptême. Saint Chrysostome en parle plus en orateur qu'en théologien dans son Homélie 40. sur la I. aux Corinth. il dit qu'une personne qui a été baptisée devient plus pure que le rayon du soleil, & même plus pure que l'or, & en sépare toute l'impureté. Cette opinion n'est cependant fondée ni dans l'Ecriture, ni dans la raison, ni dans l'expérience. Le baptême n'est autre chose que le signe de la confirmation du pardon que Dieu daigne accorder au pécheur, & le signe de la promesse que fait le pécheur de renoncer à ses vices. Beausobre. (D.J.)
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PROSERPINE | S. m. (Mythologie) fille de Cérès, femme de Pluton & souveraine des enfers. Pluton ne put l'épouser qu'en l'enlevant à Cérès sa mere.
Les Siciliens célébroient tous les ans l'enlevement de Proserpine par une fête qu'ils mettoient vers le tems de la récolte, & la recherche que fit Cérès de sa fille dans le tems des semailles. Celle-ci duroit dix jours entiers, & l'appareil en étoit éclatant ; mais dans tout le reste, dit Diodore, le peuple assemblé affectoit de se conformer à la simplicité du premier âge. On dit que Jupiter sous la figure d'un dragon eut commerce avec Proserpine sa propre fille ; de-là vient que dans les mysteres sabasiens, on faisoit entrer un serpent qui se glissoit sur le sein de ceux qu'on initioit.
Proserpine étoit la divinité tutélaire de Sardes. Une médaille qui paroît avoir été frappée sous le regne de Gordien Pie, représente du côté de la tête une femme couronnée de tours, avec la légende ; & au revers la figure de Proserpine. On voit la même déesse représentée sur une médaille du cabinet de M. Pellerin, avec la légende ; de l'autre côté, une tête de femme couronnée de tours & voilée, avec le nom . La tête de Proserpine sans légende paroît sur deux médailles du cabinet du roi, & au revers une massue dans une couronne de feuilles de chêne avec le nom . L'enlevement de cette déesse par Pluton est représenté sur plusieurs autres médailles. Enfin les médailles frappées sous les Antonins, pour constater l'OMONOIA de cette ville avec Ephese, représentent Proserpine d'un côté, & Diane éphésienne de l'autre.
Les jeux KOPAIA, célébrés à Sardes en l'honneur de cette déesse tutélaire de leur ville, sont marqués sur deux médailles très-rares du cabinet de M. Pellerin, frappées sous Caracalla. Elles représentent d'un côté la tête de l'empereur couronnée de laurier avec la légende ATT. K. M. ATP. CE.... ANTONEINOC ; au revers Proserpine assise, ayant à droite un pavot, & à gauche un épi, légende . dans le champ ; KOPAIA. AKTIA sur une base, & au-dessous .
Les fêtes de Proserpine sont appellées KOPEIA par le scholiaste de Pindare, par Plutarque & par Hésychius, dont Meursius cite les témoignages. Les Sardiens célébroient les jeux actiaques, KOPAIA AKTIA, en l'honneur de Proserpine.
Dans les sacrifices qu'on offroit à cette déesse, on lui immoloit toujours des vaches noires ; le pavot étoit son symbole. Les Gaulois regardoient Proserpine comme leur mere, & lui avoient bâti des temples. Claudien, poëte latin, qui vivoit sous l'empire de Théodose, a donné un poëme sur le ravissement de Proserpine.
On sait que la plûpart des mythologues regardent cet enlevement comme une allégorie qui a rapport à l'agriculture. Selon eux, Proserpine est la vertu des semences cachées dans la terre ; Pluton est le soleil qui fait son cours au-dessous de la terre au solstice d'hiver. Le grain qu'on jette dans le sein de la terre, & qui, après y avoir demeuré environ six mois, en sort par la moisson ; c'est Proserpine qui est six mois sur la terre & six mois aux enfers. D'anciens historiens croyent que Proserpine, fille de Cérès, reine de Sicile, fut réellement enlevée par Pluton ou Aidonée, roi d'Epire, parce qu'elle lui avoit été refusée par sa mere.
Au reste, le peuple croyoit que personne ne pouvoit mourir que Proserpine par soi-même, ou par le ministere d'Atropos, ne lui eût coupé un certain cheveu dont dépendoit la vie des hommes. C'est ainsi que Didon, dans Virgile, après s'être percé le sein, ne pouvoit mourir, parce que Proserpine ne lui avoit pas encore coupé le cheveu fatal, & ne l'avoit pas encore condamnée à descendre aux enfers.
Nondum illi flavum Proserpina vertice crinem
Abstulerat, stygioque caput damnaverat orco.
(D.J.)
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PROSEUCHE | S. f. (Critique sacrée) ; oratoire des juifs, bâti dans leurs maisons des fauxbourgs, ou sur des lieux élevés, pour y faire leurs prieres.
Les anciens hébreux qui demeuroient trop loin du tabernacle ou du temple, ne pouvant pas s'y rendre en tout tems, bâtirent des cours sur le modele de la cour des holocaustes, pour y offrir à Dieu leurs hommages. On donna dans la suite à ces cours, le nom de proseuches. Juvenal, Satyre III. en parle sur ce ton-là, & employe le mot proseucha. L'Evangile nous apprend que Notre Seigneur entra dans une de ces proseuches pour y faire ses prieres, & qu'il y passa toute la nuit ; c'est ce que nous lisons dans S. Luc, ch. vj. . 12. L'original qu'on a traduit, & il fut toute la nuit en prieres à Dieu, porte, , ce qui signifie, & il passa la nuit dans l'oratoire de Dieu. Ce fut dans un autre de ces oratoires que S. Paul enseigna Philippe, Actes, ch. xvj. Dans ce même chapitre, nous avons traduit par priere, . 13. & 16. le mot , qu'il falloit rendre par oratoire.
Les proseuches étoient différentes des synagogues à plusieurs égards ; car 1°. dans les synagogues les prieres se faisoient en commun, au nom de toute l'assemblée ; mais dans les oratoires chacun faisoit la sienne en particulier, telle qu'il lui plaisoit : & c'est ainsi que J. C. en usa dans celui où il est dit qu'il entra, & qu'il passa la nuit.
2°. Les synagogues étoient couvertes : les oratoires étoient de simples cours tout à découvert, faits, à ce que rapporte Epiphane, comme les places romaines qu'on appelloit forum, qui n'étoient autre chose qu'un enclos découvert, où autrefois à Rome & dans les autres états républicains, le peuple s'assembloit pour les affaires publiques. Le même Epiphane dit que de son tems les Samaritains avoient encore un de ces oratoires près de Sichem.
3°. Les synagogues étoient toujours bâties dans les villes, & les oratoires toujours dans les fauxbourgs, & d'ordinaire sur des lieux élevés ; & celui où pria Notre Seigneur étoit sur une montagne. Il y a même beaucoup d'apparence que c'est ce qui est souvent appellé dans le vieux Testament des hauts lieux : car ces hauts lieux ne sont pas toujours condamnés dans l'Ecriture. Ils ne le sont que lorsqu'on y rendoit quelque culte à d'autre qu'au vrai Dieu, ou quand des schismatiques y élevoient des autels par opposition à celui qui étoit établi dans le lieu destiné à cet usage ; les Prophetes & d'autres saints hommes s'en servoient sans scrupule, comme on le voit par plusieurs exemples que l'Ecriture rapporte.
Ce qui confirme encore cette opinion, c'est que ces oratoires avoient ordinairement des bois aussi-bien que les hauts-lieux. Sans doute que le sanctuaire de l'Eternel où Josué éleva sa colonne sous le chêne ou le bois de chêne, à Sichem, étoit un de ces oratoires ; & il est clair qu'il y avoit un bois de chêne par les termes du texte. Les proseuches d'Alexandrie dont parle Philon, avoient des bois sacrés ; & celui qui étoit à Rome dans le bocage d'Egérie étoit de la même espece. Peut-être que quand le psalmiste parle d'oliviers verdoyans dans la maison de Dieu, il faut l'entendre de ces oratoires. Il y en avoit aussi un autrefois à Mispha, comme le marque l'auteur du I. liv. des Macchabées. Tout cela étoit des moadhé, & peut fort bien avoir été désigné par ces expressions.
Au reste, on ne peut pas disconvenir que les synagogues, qui servoient au même usage que les oratoires dont il y avoit encore quelques-uns du tems de Notre-Seigneur, ne portassent aussi quelquefois le même nom. Josephe & Philon semblent employer le mot de proseuque ou d'oratoire en ce sens. Cependant il y a lieu de penser que quelques-unes des synagogues des juifs d'Alexandrie, étoient à découvert comme les oratoires d'autrefois ; d'autant plus qu'il ne pleuvoit presque jamais en Egypte, & qu'on y avoit bien plus besoin d'air dans les assemblées, & d'arbres pour garantir de l'ardeur du soleil, que de toits contre la pluie. (D.J.)
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PROSLAMBANOMENOS | S. m. dans la musique ancienne, étoit le nom de la corde la plus grave de tout le système, un ton au-dessous de l'hypate-hypaton. Son nom signifie surnuméraire ou ajoutée, parce que cette corde fut ajoutée au-dessous de tous les tétracordes, pour achever le diapason ou l'octave avec la mese, & le disdiapazon, ou la double octave, avec la nete hyperboleon qui étoit la corde la plus aiguë de tout le système. (S)
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PROSODIE | S. f. (Gramm.) " Par ce mot prosodie, on entend la maniere de prononcer chaque syllabe régulierement, c'est-à-dire, suivant ce qu'exige chaque syllabe prise à-part, & considerée dans ses trois propriétés, qui sont l'accent, l'aspiration, & la quantité ". Pros. franç. art. 1. §. 1.
J'ai actuellement sous les yeux un exemplaire de l'ouvrage où parle ainsi M. l'abbé d'Olivet, & cet exemplaire est apostillé de la main de M. Duclos, l'homme de lettres le plus poli & le plus communicatif. Il observe qu'il falloit dire chaque syllabe d'un mot, parce que chaque syllabe prise à-part & détachée des mots, n'a ni accent, ni quantité. Rien de plus sage que cette remarque : peut-on dire en effet que le son a, par exemple, soit long ou bref, grave ou aigu, en soi, & indépendamment d'une destination déterminée ? C'est tout simplement un son qui suppose une certaine ouverture de la bouche, & naturellement susceptible de telle modification prosodique que les besoins de l'organe, ou les différens usages pourront exiger dans les diverses occasions : ainsi, selon la remarque de M. d'Olivet lui-même, a est long, quand il se prend pour la premiere lettre de l'alphabet ; un petit ã, une panse d' : quand il est préposition, il est bref ; je suis Paris, j'écris Rome, j'ai donné Paul. M. Duclos remarque de son côté que dans le premier cas a est grave, & qu'il est aigu dans le second. Cette diversité de modification, selon les occurrences, est une preuve assurée que ce son n'en a aucune qui lui soit propre.
S'il étoit permis de proposer quelques doutes après la décision de ces deux illustres académiciens, je demanderois si l'aspiration est bien effectivement du ressort de la prosodie : cette question n'est pas sans fondement. J'ai prouvé, article H, que l'aspiration n'est que la maniere particuliere de prononcer les sons avec explosion ; qu'en conséquence elle est une véritable articulation, comme toutes les autres, qui s'operent par le mouvement subit & instantané des lèvres ou de la langue ; & qu'enfin la lettre h, qui est le signe de l'aspiration, doit être mise au rang des consonnes, comme les lettres qui représentent les articulations labiales & les articulations linguales. Il doit donc y avoir une raison égale, ou pour soumettre au domaine de la prosodie toutes les autres articulations aussi-bien que l'aspiration, ou pour en soustraire l'articulation aspirante aussi-bien que les linguales & les labiales.
" Chaque syllabe, dit M. l'abbé d'Olivet (ibid.), est prononcée avec douceur ou avec rudesse, sans que cette douceur ni cette rudesse ait rapport à l'élévation ni à l'abaissement de la voix ". Il regarde cette douceur & cette rudesse comme variétés prosodiques, propres à nous garantir de l'ennuyeux fléau de la monotonie, & conséquemment comme appartenant autant à la prosodie que les accens & la quantité, qui sont destinés à la même fin.
Que toute syllabe soit prononcée avec douceur ou avec rudesse, c'est un fait ; mais que veut-on dire par-là ? C'est-à-dire que tout son est produit ou avec l'explosion aspirante ou sans cette explosion. Mais ne peut-on pas dire de même que tout son est produit avec telle ou telle explosion labiale ou linguale, ou sans cette explosion ? N'est-il pas également vrai que les différentes articulations sont autant de variétés propres à nous épargner le dégoût inséparable de la monotonie ? Et ira-t-on conclure pour cela que l'usage, le choix, & la prononciation des consonnes est une affaire de prosodie ?
A quoi se réduit après tout ce que l'on charge la prosodie de nous apprendre au sujet de l'aspiration ? A nous faire connoître les mots où la lettre h, qui en est le signe, doit être prononcée ou muette. Eh ! n'avons-nous pas plusieurs autres consonnes qui sont quelquefois prononcées & quelquefois muettes ? Voyez MUET.
Il me semble que je puis croire que M. Duclos est à-peu-près de même avis, & qu'il ne regarde pas l'aspiration comme faisant partie de l'objet de la prosodie. Dans la remarque que j'ai rapportée de lui sur la définition de ce mot par M. d'Olivet, il donne pour raison de la correction qu'il y fait, que chaque syllabe prise à-part n'a ni ACCENT ni QUANTITE ; & il ne fait aucune mention de l'aspiration : d'ailleurs il admet la lettre h, qui la représente, au rang des consonnes, comme on peut le voir dans ses Remarques sur le ij. chap. de la partie de la Grammaire genérale.
J'ai ouvert bien des livres qui traitent de la prosodie des Grecs & des Latins ; prosodie, quelque étendue que l'on donne à ce mot, beaucoup plus marquée que la nôtre ; & j'ai vu que les uns ne font point entrer dans leur système prosodique ce qui concerne l'accent, que les autres ajoutent à la quantité de chaque syllabe des mots, les notions des différens piés qui peuvent en résulter, & la théorie du méchanisme des vers métriques, ou déterminés par le nombre & le choix des piés. J'ai compris par-là que ce n'étoit peut-être que faute de s'en être avisé, que quelqu'autre auteur n'avoit pas étendu les fonctions de la prosodie jusqu'à fixer les principes méchaniques de ce que l'on appelle nombre ou rythme dans le style oratoire. J'en ai conclu que la véritable notion de ce que l'on doit entendre par le terme de prosodie n'est pas encore trop décidée, & qu'il est encore tems de donner à ce mot une signification qui s'accorde avec l'étymologie.
Ce mot est purement grec, , dont les racines sont , ad, & , cantus : , ad cantum ; & de-là , institutio ad cantum. Le mot accent, en latin accentus, a une origine toute semblable, ad & cantus ; le d final de ad y est changé en c par une sorte d'attraction. Mais je ferois différemment la construction des racines élémentaires dans ces deux mots composés : je dirois que , ad cantum, est la construction des racines du mot composé , à cause du mot sous-entendu ou , institutio, mais que cantus ad est la construction des racines du mot accentus, que l'on doit expliquer par cantus ad vocem (chant ajouté à la voix). Cette premiere observation indique que l'accent est du ressort de la prosodie, puisque c'est une espece de chant ajouté aux sons, & que la prosodie est l'art de regler ce chant de la voix.
Au reste les mots , cantus, chant, sont employés par catachrese ou extension, parce qu'il ne s'agit pas ici des modifications de la voix qui constituent proprement le chant, mais seulement des agrémens de prononciation qui rapprochent la voix parlante de la voix chantante, en lui donnant une sorte de mélodie par des tons variés, des tenues précises, & des repos mesurés.
L'origine du mot ainsi développée, semble borner les vûes de la prosodie sur les accents & la quantité des syllabes : & Vossius la définit dans sa petite grammaire à l'usage des écoles de Hollande & de West-Frise, page 281 : pars grammaticae quae accentus & quantitatem syllabarum docet. Mais sous le titre de prosodie, il enseigne lui-même l'art métrique, qui consiste dans la connoissance des différens piés, & des diverses sortes de vers qui en sont composés : & je crois qu'il a raison. La Musique qui selon M. l'abbé d'Olivet, page 9. n'est, à proprement parler, qu'une extension de la prosodie, n'est pas bornée à enseigner les différens tons, & leur quantité caractérisée par les rondes, les blanches, les noires, les croches, les doubles-croches, &c. Elle enseigne encore les diverses mesures qui peuvent regler le chant, les propriétés des différentes pieces de musique qui peuvent en résulter, &c. & voilà le modele qui doit achever de fixer l'objet de la prosodie.
Disons donc que c'est l'art d'adapter la modulation propre de la langue que l'on parle, aux différens sens qu'on y exprime. Ainsi elle comprend non-seulement tout ce qui concerne le matériel des accens & de la quantité ; mais encore celui des piés & de leurs différens mêlanges, celui des mesures que les repos de la voix doivent marquer, &, ce qui est bien plus précieux, l'usage qu'il faut en faire selon l'occurrence, pour établir une juste harmonie entre les signes & les choses signifiées. Par-là on réunira des théories éparses, qui ont pourtant un lien commun, & que la réunion rendra plus utiles. Par-là ceux qui écriront sur la prosodie auront la liberté d'écrire en même tems sur l'art métrique, quand il s'agira des langues dont le génie s'est prêté à cette sorte de mélodie : ils pourront s'étendre aussi sur le rythme de la prose, & en détailler les motifs, les moyens, les regles, les écarts, les usages, ainsi que l'a fait Cicéron pour le latin dans son Orateur, & comme M. l'abbé d'Olivet l'a lui-même entrepris par rapport à notre langue.
On ne doit pas s'attendre que j'entre ici dans les détails de cet art séducteur, qui est effectivement l'art de verser le plaisir dans l'ame de ceux qui écoutent, pour en faciliter l'entrée à la vérité même, dont la parole est, pour ainsi dire, le ministre. Cet art existe sans doute par rapport à notre langue, puisque nous en admirons les effets dans un nombre de grands écrivains, dont la lecture nous fait toujours un nouveau plaisir : mais les principes n'en sont pas encore rédigés en système, il n'y en a que quelques-uns épars çà & là ; & c'est peut-être une affaire de génie de les mettre en corps. Ce qu'en a écrit M. l'abbé d'Olivet, tout excellent qu'il est en soi & qu'il paroît aux yeux de tous les connoisseurs, n'est à ceux de l'auteur qu'un foible essai. " Pour l'achever, dit-il à la fin de son Traité, il faut un grammairien, un orateur, un poëte, un musicien ; & j'ajoute un géometre : car tout ce qui demande arrangement & combinaison de principes, a besoin de sa méthode ". Voyez ACCENT, QUANTITE, PIE, VERS, MESURE, NOMBRE, RYTHME, &c.
PROSODIES, s. f. (Hist. anc.) especes d'hymnes ou de cantiques en l'honneur des dieux, & en usage chez les anciens grecs qui les appelloient ou . C'étoient des chants en l'honneur de quelque divinité, vers l'autel ou la statue de laquelle on s'avançoit en procession. Ces cantiques, selon Pollux, s'adressoient à Apollon & à Diane conjointement. On en attribue l'invention à Cloas poëte, musicien de Thegée en Arcadie, dont parle Plutarque dans son traité de la musique.
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PROSODIQUE | adj. qui concerne la prosodie, qui appartient à la prosodie, L'accent prosodique : caracteres prosodiques.
1°. C'est par cette épithete que l'on distingue l'espece d'accent qui est du ressort de la prosodie, des autres modulations que l'on nomme aussi accens : ainsi l'on dit l'accent prosodique, l'accent oratoire, l'accent musical, l'accent national, &c. Voyez traité de la Prosodie françoise, par M. l'abbé d'Olivet, art. 2. & le mot ACCENT.
L'accent prosodique est cette espece de modulation qui rend le son grave ou aigu. " La différence qu'il y a entre l'accent prosodique & le musical, dit M. Duclos, dans ses Remarques manuscrites sur la prosodie de M. l'abbé d'Olivet ; c'est que l'accent musical ne peut aujourd'hui élever, ni baisser moins que d'un demi-ton, & que le prosodique procede par des tons qui seroient inappréciables dans la musique, des dixiemes, des trentiemes de ton. Il y a, ajoute-t-il, bien de la différence entre le sensible & l'appréciable ". L'accent prosodique differe de l'accent oratoire, en ce que celui-ci influe moins sur chaque syllabe d'un mot, par rapport aux autres syllabes du même mot, que sur la phrase entiere par rapport au sens. Cette remarque est encore de M. Duclos ; & j'y ajouterai, que l'accent prosodique des mêmes mots demeure invariable au milieu de toutes les variétés de l'accent oratoire, parce que dans le même mot chaque syllabe conserve la même relation méchanique avec les autres syllabes, & que le même mot dans différentes phrases ne conserve pas la même relation analytique avec les autres mots de ces phrases.
2°. Outre les caracteres élémentaires ou les lettres, qui représentent sans aucune modification les élémens de la voix ; savoir, les sons & les articulations ; on emploie encore dans l'orthographe de toutes les langues, des caracteres que j'appelle prosodiques ; plusieurs de ces caracteres doivent être ainsi nommés, parce qu'ils indiquent en effet des choses qui appartiennent à l'objet de la prosodie ; les autres peuvent du-moins par extension, être appellés de même, parce qu'ils servent à diriger la prononciation des mots écrits, quoique ce soit à d'autres égards que ceux qu'envisage la prosodie.
Il y en a de trois sortes ; 1°. des caracteres prosodiques d'expression ou de simple prononciation ; 2°. des caracteres prosodiques d'accent ; 3°. & des caracteres prosodiques de quantité.
Les caracteres de simple prononciation, sont la cédille, l'apostrophe, le tiret & la dierèse. Voyez CEDILLE & APOSTROPHE, s. m. pour ce qui concerne ces deux caracteres. Pour ce qui est du tiret, on en a traité sous le nom de division. Voyez DIVISION : il me semble que ce nom porte dans l'esprit une idée contraire à celle de l'effet qu'indique ce caractere, qui est d'unir au lieu de diviser, c'est pourquoi j'aime mieux le nom de tiret, qui ne tombe que sur la figure du signe ; & j'aimerois encore mieux, si l'usage l'autorisoit, le nom ancien d'hyphen, mot grec, de , sub, & de , unum, ce qui désignoit bien l'union de deux en un. Ce qui concerne la dierèse avoit été omis en son lieu : j'en ai parlé au sujet de l'ï tréma ; voyez I. & j'ai fait article POINT quelque correction à ce que j'en avois dit sous la lettre I.
Les caracteres d'accent sont trois ; savoir, l'accent aigu, l'accent grave & l'accent circonflexe : ils n'ont plus rien de prosodique dans notre orthographe, puisqu'ils n'y marquent que peu ou point ce qu'annoncent leurs noms ; l'usage orthographique en a été détaillé ailleurs. Voyez ACCENT.
Les caracteres de quantité sont trois ; - au-dessus d'une voyelle marque qu'elle est longue ; signifie qu'elle est brève ; indique qu'elle est douteuse. On ne fait aucun usage de ces signes, vraiment prosodiques, que quand on parle expressément le langage de la prosodie. (E. R. M. B.)
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PROSONOMASIE | S. f. (Art orat.) figure de rhétorique par laquelle on fait allusion à la ressemblance du son qui se trouve entre différens noms ou différens mots, comme dans ces phrases. Is vere CONSUL est qui reipublicae saluti CONSULIT. Cum LECTUM petis de LETHO cogita. Elle a beaucoup de rapport à la figure appellée paronomase. Voyez PARONOMASE.
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PROSOPITES | (Géog. anc.) nom d'un nôme, ou d'une province d'Egypte, située au bord oriental du Nil, près du Delta ; c'est cette province que Strabon, liv. XVII. p. 802. appelle Aprosopitica praefectura, & dans laquelle il met la ville de Vénus, , autrement dite Prosopitis.
Cette ville est fameuse dans l'histoire par le siége que les Athéniens y soutinrent pendant un an & demi contre les troupes du roi Artaxerxès, l'an 454. avant J. C. Thucydide, Ctésias, & Diodore de Sicile ont décrit l'histoire de ce siége, & son événement. Les Perses voyant qu'ils n'avançoient rien par la méthode usitée, eurent recours à un stratagème extraordinaire qui leur réussit. Ils saignerent par divers canaux le bras du Nil dans lequel étoit la flotte Athénienne, & la mirent à sec ; Inarus qui la commandoit, se vit obligé de composer avec Mégabise, & de rendre Prosopitis. (D.J.)
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PROSOPOGRAPHIE | S. f. (Art orat.) c'est-à-dire image, portrait, description, peinture : tantôt on appelle cette figure hypotypose, & tantôt éthopée. Elle peint les vices des hommes.
L'hypocrite en fraude fertile
Dès l'enfance est pétri de fard ;
Il sait colorer avec art
Le fiel que sa bouche distille ;
Et la morsure du serpent
Est moins aiguë & moins subtile,
Que le venin caché que sa langue répand.
Rousseau.
Elle peint leurs vertus :
Tel fut cet empereur sous qui Rome adorée
Vit renaître les jours de Saturne & de Rhée,
Qui rendit de son joug l'univers amoureux ;
Qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux ;
Qui soupiroit le soir, si sa main fortunée
N'avoit par ses bienfaits signalé la journée.
Boileau.
Elle peint les faits.
De son généreux sang la trace nous conduit ;
Les rochers en sont teints ; les ronces dégoutantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes :
J'arrive, je l'appelle, & me tendant la main,
Il ouvre un oeil mourant, &c. Racine.
Elle les peint d'une maniere sublime ; temoin cet autre morceau du même poëte.
Quel carnage de toutes parts !
On égorge à la fois les enfans, les vieillards,
Et la fille & la mere, & la soeur & le frere ;
Le fils dans les bras de son pere :
Que de corps entassés ! Que de membres épars
Privés de sépulture ! (D.J.)
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PROSOPOPÉE | S. f. (Rhétor.) cette figure du style élevé, est une des plus brillantes parures de l'éloquence ; on l'appelle prosopopée, parce qu'elle représente des choses qui ne sont pas ; elle ouvre les tombeaux, en évoque les manes, ressuscite les morts, fait parler les dieux, le ciel, la terre, les peuples, les villes ; en un mot, tous les êtres réels, abstraits, imaginaires. C'est ainsi qu'un orateur s'écrie : " Justes dieux, protecteurs de l'innocence ! permettez que l'ordre de la nature soit interrompu pour un moment, & que ce cadavre déliant sa langue, prenne l'usage de la voix " M. Fléchier pour assurer ses auditeurs, que l'adulation n'aura point de part dans son éloge du duc de Montausier, parle de cette maniere. " Ce tombeau s'ouvriroit, ces ossemens se rejoindroient pour me dire ; pourquoi viens-tu mentir pour moi, moi qui ne mentis jamais pour personne ? Laisse-moi reposer dans le sein de la vérité, & ne trouble point ma paix par la flatterie que j'ai toujours haïe ".
Dans d'autres cas, l'art oratoire emploie la prosopopée, pour mettre sous un nom emprunté, les reproches les plus vifs, & les repréhensions les plus ameres. Ainsi Démosthène dans la harangue sur la Quersonèze, disoit aux Athéniens : " si les Grecs exigeoient de vous un compte des occasions échappées à votre paresse ; s'ils vous tenoient ce discours-ci, &c. " En même tems que la prosopopée diminue la haine pour le censeur, elle augmente la honte pour les autres.
Enfin, les poëtes usent de cette figure avec un merveilleux succès dans leurs fictions.
La Mollesse en pleurant sur un bras se releve,
Ouvre un oeil languissant, & d'une foible voix
Laisse tomber ces mots, qu'elle interrompt vingt fois ;
O nuit que m'as-tu dit ! Quel démon sur la terre,
Souffle dans tous les coeurs la fatigue & la guerre !
Hélas qu'est devenu ce tems, cet heureux tems
Où les rois s'honoroient du nom de fainéans ;
S'endormoient sur le trône, &c. (D.J.)
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PROSOPUM | (Géog. anc.) île au voisinage de Carthage, selon Etienne le géographe. Ortelius dit qu'une médaille de l'empereur Hadrien porte cette inscription : . (D.J.)
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PROSPALEA | (Géog. anc.) village de la tribu Acamantide, selon Etienne le géographe ; d'autres géographes écrivent Prospalta, & c'est l'orthographe que suit M. Spon dans la liste des peuples de l'Attique. Prospalta, dit-il, avoit un temple dédié à Cerès & à Proserpine. Ses habitans passoient pour des gens satyriques, & un ancien poëte, Eupolis, avoit fait une comédie contr'eux, intitulée Prospaltii : Aristophane, Athénée, & Suidas en font souvent mention.
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PROSPECTUS | S. m. (Imprimerie) mot latin introduit dans le commerce de la Librairie, particuliérement dans celui des livres qui s'impriment par souscription. Il signifie le projet ou programme de l'ouvrage qu'on propose à souscrire, la matiere qu'il traite, le format, & la quantité de feuilles & de volumes qu'il doit avoir, le caractere, le papier, soit grand, soit petit, qu'on veut employer dans l'édition ; enfin, les conditions sous lesquelles se fait la souscription, ce qui comprend principalement la remise qu'on fait aux souscripteurs, & le tems auquel l'ouvrage souscrit doit se délivrer. (D.J.)
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PROSPÉRITÉ | S. f. (Morale) état florissant de la personne ou des affaires. Les biens qui nous viennent de la prospérité, se font souhaiter ; mais ceux qui viennent de l'adversité, attirent l'admiration ; c'est une sentence de Seneque, & digne d'un vrai stoïcien.
La vertu de la prospérité est la tempérance ; la force est celle de l'adversité : & dans la morale, la force du courage est la plus héroïque des vertus. La prospérité n'est jamais sans crainte & sans dégoût. L'adversité a ses consolations & ses espérances. On remarque dans la peinture, qu'un ouvrage gai sur un fond obscur plait davantage qu'un ouvrage obscur & sombre sur un fond clair. Le plaisir du coeur a du rapport à celui des yeux. La vertu est semblable aux parfums, qui rendent une odeur plus agréable quand ils sont agités & broyés.
La prospérité découvre mieux les vices, & l'adversité les vertus. Le souvenir des coups les plus affreux du sort se perd dans le sein de la bonne fortune.
Il est bien difficile de savoir supporter la prospérité. Peu de gens ignorent l'histoire d'Abdolonyme, prince sidonien issu du sang royal, qui fut contraint pour vivre, de travailler à la journée chez un jardinier. Alexandre le grand touché de sa bonne mine, le remit sur le trône de Sidon, & ajouta même une des contrées voisines à ses états. Ce conquérant ayant demandé au prince sidonien comment il avoit supporté sa misere, Abdolonyme lui répondit : " je prie le ciel que je puisse supporter de même la grandeur ; au reste mes bras ont fourni à tous mes desirs, & je n'ai jamais manqué de rien, tant que je n'ai rien possédé ". (D.J.)
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PROSTAPHERESE | S. f. terme d'Astronomie, qui signifie la différence entre le mouvement vrai & le mouvement moyen d'une planete, ou entre son lieu vrai & son lieu moyen. On l'appelle aussi équation de l'orbite, ou équation du centre, ou simplement équation. Voyez EQUATION.
Ce mot est formé des mots grecs , ante, super : & , retranchement.
La prostapherese se réduit à la différence entre l'anomalie moyenne & l'anomalie égalée ou vraie, anomalia vera seu aequata. Voyez ANOMALIE.
Nous avons suffisamment expliqué sur le mot EQUATION DU CENTRE, ce que c'est que la prostapherese, dans la nouvelle Astronomie. La prostapherese étoit aussi connue des anciens astronomes ; ils donnoient ce nom à la différence entre l'anomalie vraie & l'anomalie moyenne d'une planete ; mais comme ils ne supposoient point que les planetes décrivissent des ellipses, la prostapherese, dans l'Astronomie ancienne, est différente de celle de l'Astronomie moderne ; il est donc à-propos d'expliquer ce que c'est que la prostapherese chez les anciens, de peur qu'on ne la confonde avec ce qu'on appelle aujourd'hui équation du centre dans l'hypothèse elliptique.
Pour cela, il faut savoir que les anciens astronomes, avant Kepler, plaçoient la Terre ou le Soleil (selon qu'ils suivoient le système de Ptolémée ou de Copernic), non pas précisément au centre des orbites circulaires que les autres planetes décrivoient, selon eux ; mais ils plaçoient, par exemple, le Soleil au-dedans de l'orbite terrestre dans un point différent du centre, & supposoient que la Terre se mouvoit autour de ce point en décrivant uniformément une orbite circulaire, desorte que le mouvement de la Terre, qui auroit paru uniforme, si le Soleil avoit été placé au centre même de l'orbite, cessoit de le paroître, quoiqu'il le fut en effet, parce que le Soleil n'étoit pas au centre.
En effet, supposons qu'un point mobile A, fig. 40. n. 2 d'Optique, parcoure uniformément la circonférence A M O A d'un cercle dont C soit le centre. Un spectateur placé au centre C, verroit parcourir au corps A en tems égaux, les angles égaux ACB, ABCN, NCDX, MCL, &c. Mais si ce même spectateur étoit en S, alors comme les angles A S B, BSN, NSD, &c. MSL ne seroient pas égaux, le point A, quand même il se mouveroit réellement d'une vîtesse uniforme, paroîtroit se mouvoir avec une vîtesse non uniforme, parce qu'il paroîtroit décrire en tems égaux des angles inégaux : on démontre en Géométrie, que ces angles sont croissans depuis A jusqu'à M, ensorte que la vîtesse du point A paroîtra aller en augmentant de A vers M ; desorte que l'anomalie vraie du corps A, lorsqu'il est en D, par exemple, sera représentée par l'angle A S D ; & l'anomalie moyenne, ou la distance angulaire à laquelle il auroit paru être du point A, s'il avoit eu un mouvement uniforme, sera représentée par l'angle ACD, qui est toujours proportionnel au tems employé à parcourir uniformément l'arc A D.
Ainsi supposons que le cercle ALMNPR, Planch. astron. fig. 51, soit l'orbite de la Terre entourée par l'écliptique , , ; & imaginons que S soit le Soleil, & que la Terre soit en R, l'anomalie moyenne sera l'arc APR, ou, rejettant le demi-cercle, l'arc PR ou l'angle PCR, & l'anomalie vraie, en rejettant le demi-cercle, sera l'angle PSR, qui est égal à PCR & CRS : si donc à l'anomalie moyenne on ajoute l'angle CRS, on aura l'anomalie vraie PSR, & le lieu de la Terre, dans l'écliptique. Voyez LIEU, &c.
C'est pour cela que l'angle CLS ou CRS est appellé prostapherese ou équation, par la raison qu'il faut quelquefois l'ajouter, & quelquefois le soustraire du mouvement moyen, pour avoir le mouvement vrai de la Terre, & son lieu dans son orbite.
A l'égard de la prostapherese dans l'Astronomie moyenne, voyez l'article EQUATION DU CENTRE, où cette prostapherese est expliquée, & l'article ELLIPSE, p. 518 du V. volume, où nous avons donné la formule pour trouver cette prostapherese. (O)
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PROSTATES | S. f. en Anatomie, sont deux corps blanchâtres, spongieux & glanduleux, situés à la racine de la verge, immédiatement au-dessous du col de la vessie, & de la grosseur environ d'une noix.
Les auteurs attribuent deux sortes de substances aux prostates : l'une glanduleuse, & l'autre spongieuse ou poreuse. Cette derniere semble n'être autre chose qu'un assemblage de petits vaisseaux & de cellules, au milieu duquel passent les vésicules séminales, sans qu'il y ait de communication entr'elles & les prostates.
Les prostates ont leurs conduits excrétoires propres, en assez grand nombre. Graaf dit qu'il ne se souvient pas d'en avoir vu moins de dix dans les prostates de l'homme. Dans les chiens, il y en a quelquefois jusqu'à cent, qui tous se déchargent dans l'urethre, les uns au-dessus, les autres au-dessous du verumontanum, & chacun desquels a sa caroncule propre.
De ces conduits sort une humeur blanchâtre & gluante, qui est séparée dans la partie glanduleuse des prostates, & portée de-là dans la cavité de l'urethre.
L'usage de cette humeur est d'enduire & de lubrifier la cavité de l'urethre, de peur que l'urine, en passant, ne la blesse par son acrimonie, & aussi de servir de véhicule à la semence dans le tems de l'éjaculation. Voyez URINE, URETHRE, &c.
Quelques-uns prennent l'humeur des prostates pour une troisieme sorte de semence, mais sans beaucoup de raison. Voyez SEMENCE.
Boerhaave croit qu'elle peut servir à nourrir le petit animal pendant les premiers momens après le coït. Il ajoute que cette humeur demeure après la castration, mais sans être prolifique.
Le même auteur dit, d'après les mémoires de l'académie royale des Sciences, que les prostates consistent dans un assemblage de douze glandes, chacune desquelles se termine par son canal excrétoire dans une petite poche, où elle décharge l'humeur qu'elle a séparée. Ces douze petites poches s'ouvrent dans la cavité de l'urethre par autant de conduits excrétoires, qui environnent les embouchures ou orifices des conduits éjaculatoires ; d'où il arrive que la semence & l'humeur des prostates sont très-exactement mêlées.
PROSTATES maladies des, (Médec.) un corps glanduleux, adhérent à l'urethre vers le col de la vessie, dans lequel canal il envoye par différens conduits, une humeur produite par la pression du muscle compresseur, est connu sous le nom de prostates.
L'enflure de ce corps glanduleux, sa contusion & sa dureté causent souvent dans le perinée, une tumeur douloureuse suivie d'ordinaire d'une dysurie & d'une strangurie, qui doit être traitée comme dans les autres parties du corps. Le relâchement qui arrive aux prostates, & qui produit un écoulement d'urine nommé gonorrhée bénigne, & qu'on peut garder long-tems sans un grand affoiblissement, demande plutôt l'usage des corroborans externes & des balsamiques, que celui des diurétiques internes ; mais s'il revient à s'y mêler quelque chose de la maladie vénérienne, il en résulte une gonorrhée virulente, qu'il faut guérir par les remedes ordinaires, combinés avec les antivénériens. (D.J.)
PROSTATES, (Antiq. grecq.) , c'étoit tout patron sous la protection duquel se mettoient ceux qui devoient séjourner quelque tems dans la ville d'Athènes ; s'ils manquoient, ou s'ils négligeoient de se choisir un patron ou protecteur, on les assignoit devant le polémarque, & cette faute étoit punie par la confiscation de leurs effets. Potter, Archaeol. graec. L. I. c. x. (D.J.)
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PROSTATIQUE | adj. en Anatomie, se dit de quatre muscles qui s'inserent aux prostates. Voyez PROSTATES.
Les prostatiques supérieurs sont des petits plans minces, attachés à la partie supérieure de la face interne des petites branches des os pubis ; ils s'étendent sur les prostates, & s'y attachent.
Les prostatiques inférieurs sont des petits plans transverses dont chacun est attaché à la symphise de la branche de l'os pubis avec la branche de l'os ischion ; ils se rencontrent sous les prostates auxquelles ils s'unissent intimement.
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PROSTERNATION | S. f. (Critiq. sacrée) ou prosternement, en grec ; salut plein de respect. Les Juifs rendoient l'honneur du prosternement , aux personnes qui étoient en dignité, & pour lesquelles ils avoient du respect. On voit dans l'histoire de Judith, ch. vij. que cette femme adora Holopherne, c'est-à-dire, qu'elle se prosterna devant lui ; de même Achion se prosterna devant Judith ch. xiv. 7 : signifie donc saluer humblement. Ainsi traduisez dans saint Matt. ij. v. xj. Les mages se prosternerent devant lui ; car les mages ne connoissoient point la divinité de Jesus-Christ pour l'adorer ; ajoutez encore que signifie osculari, baiser. (D.J.)
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PROSTHESE | S. f. (Gramm.) c'est l'espece de métaplasme qui change le matériel du mot par une addition faite au commencement, sans en changer le sens : PROSTESIS apponit capiti. Voyez METAPLASME. C'est ainsi que le latin cura vient du grec par l'addition d'un c ; que le françois grenouille vient du latin ranuncula par l'addition d'un g ; nombril, de umbilicus, avec un n ; ventre & le latin venter de , avec un v, &c. C'est à la même figure que nous devons les mots alcoran, alkali, almageste, almanac, par l'addition de l'article arabe al, qui ne nous dispense pas d'employer le nôtre, parce qu'il est incorporé avec la racine qui suit : alcoran, de al & de coran, qui peut signifier lecture ; c'est-à-dire dans le sens des Musulmans, la lecture ou le livre par excellence : alkali, de al & de kali, qui est le nom arabe de notre soude ; c'est le nom chymique d'une sorte de sel semblable à celui de la soude : almageste, nom donné par les Arabes au principal ouvrage de Claude Ptolémée sur l'Astronomie, de al & du grec , maximus, comme qui diroit le très-grand livre : almanac, de l'article al, & du grec dorique , au lieu du commun , qui signifie mois, d'où vient aussi le grec commun & le dorique , lune.
Remarquez que je dis que la prosthese se fait par une addition au matériel du mot sans changement dans le sens, parce que l'on ne doit pas regarder comme des exemples de prosthese, les mots qui commencent par quelque particule significative, qui altere en quelque maniere que ce soit, le sens du mot simple, comme amovible, comprendre, défaire, insinuer, impuissant, &c.
Le mot prosthese vient du grec , apponere, & signifie appositio : RR. , ad, & , positio. Vossius croit que c'est plutôt , prae ; & en conséquence il traduit le mot par praepositio : ainsi on auroit conservé le mot grec pour ne pas confondre l'idée du métaplasme qu'il désigne avec celle de la partie d'oraison à laquelle on a donné le nom latin de préposition. (B. E. R. M.)
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PROSTITUER | PROSTITUTION, (Gramm.) terme relatif à la débauche vénérienne. Une prostituée est celle qui s'abandonne à la lubricité de l'homme par quelque motif vil & mercenaire. On a étendu l'acception de ces mots prostituer & prostitution, à ces critiques, tels que nous en avons tant aujourd'hui, & à la tête desquels on peut placer l'odieux personnage que M. de Voltaire a joué sous le nom de Wasp dans sa comédie de l'Ecossaise ; & l'on a dit de ces écrivains qu'ils prostituoient leurs plumes à l'argent, à la faveur, au mensonge, à l'envie, & aux vices les plus indignes d'un homme bien né. Tandis que la Littérature étoit abandonnée à ces fléaux, la Philosophie d'un autre côté étoit diffamée par une troupe de petits brigands sans connoissance, sans esprit & sans moeurs ; qui se prostituoient de leur côté à des hommes qui n'étoient pas fâchés qu'on décriât dans l'esprit de la nation ceux qui pouvoient l'éclairer sur leur méchanceté & leur petitesse.
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PROSTOLERE | S. f. (Hist. anc.) nom du troisieme mois de l'année chez les Thébains & les Béotiens ; il répondoit à notre mois de Novembre.
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PROSTYRIDE | S. f. (Architect.) Vignole appelle quelquefois ainsi la clé d'une arcade faite d'un rouleau de feuilles aquatiques entre deux reglets & deux filets, & couronnée d'une cimaise dorique, telle qu'elle est à son ordre ionique. Sa figure est presque pareille à celle des modillons. (D.J.)
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PROSYLLOGISME | S. m. (Logique) le prosyllogisme est une espece de raisonnement qui renferme en cinq propositions la valeur de deux syllogismes, parce que la troisieme, qui est la conclusion du premier syllogisme, se trouve une des prémisses du second,
Toute idée est un acte qui se sent,
tout acte qui se sent est clair ;
donc toute idée est claire.
Tout ce qui est clair est distinct au sens auquel il est clair,
donc toute idée est distincte.
L'esprit humain est d'une si grande délicatesse, que la moindre superfluité le chagrine dès qu'elle retarde son impatience ; voilà pourquoi on lui fait plaisir de se servir d'enthimemes & de prosyllogismes, qui avec moins de paroles, l'éclairent même davantage, parce qu'ils ne laissent pas languir son attention.
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PROSYMNA | (Géogr. anc.) canton de l'Argie, selon Pausanias, l. II. c. v. Strabon, l. VIII. p. 373. fait de Prosymna une ville où il dit qu'il y avoit un temple de Jupiter. Stace, Thébaïde, l. I. v. 383. a parlé de ce temple.
.... Hinc celsae Junonia templa Prosymnae
Laevus habens.
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PROT-ÉVANGELION | S. m. (Théolog.) c'est le nom qu'on donne à un livre attribué à saint Jacques, premier évêque de Jérusalem, où il est parlé de la naissance de la sainte Vierge, & de celle de Notre-Seigneur. Guillaume Postel est le premier qui nous fit connoître ce livre, qu'il apporta d'Orient, écrit en grec, & dont il donna une version latine. Il assuroit qu'on le lisoit publiquement dans les églises d'Orient, & qu'on ne doutoit point qu'il ne fût en effet de saint Jacques. Mais les fables dont ce petit ouvrage est rempli, prouvent évidemment le contraire. Eusebe & saint Jérôme n'en ont rien dit dans leurs catalogues ecclésiastiques. Cependant d'anciens auteurs l'ont cité, & en ont rapporté des fragmens dans leurs livres. La version latine de Postel a été imprimée à Bâle en 1552, avec quelques réflexions de Théodore Bibliander, qui prit le soin de cette impression. Ce livre a été depuis imprimé en grec & en latin, dans le livre intitulé, orthodoxographia. M. Simon.
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PROTA | (Géog. anc.) île du bosphore de Thrace, que les Grecs nomment aujourd'hui Proti. Elle est appellée Proten par Cedrene & par Paul diacre ; on la met à quarante stades de l'île de Chalcis. (D.J.)
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PROTAPOSTOLAIRE | S. m. (Hist. ecclés.) nom d'un officier de l'église d'orient ; c'étoit le chef de ceux qui expliquoit aux peuples les ouvrages des Apôtres, les livres du nouveau Testament ; c'étoit aussi le premier de ceux qui lisoient l'épitre à la messe.
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PROTASE | S. f. (Littérat.) dans l'ancienne poésie dramatique, c'étoit la premiere partie d'une piece de théatre, qui servoit à faire connoître le caractere des principaux personnages, & à exposer le sujet sur lequel rouloit toute la piece. Voyez DRAMATIQUE, TRAGEDIE, &c.
Ce mot est formé du grec , tenir le premier lieu. C'étoit en effet par-là que s'ouvroit le drame. Selon quelques-uns la protase des anciens revient à nos deux premiers actes ; mais ceci a besoin d'être éclairci.
Scaliger définit la protase, in qua proponitur & narratur summa rei sine declaratione ; c'est-à-dire l'exposition du sujet sans en laisser pénétrer le dénouement ; mais si cette exposition se fait en une scene, on n'a donc besoin pour cela ni d'un ni de deux actes. C'est la longueur du récit, sa nature & sa nécessité qui déterminoient l'étendue de la protase à plus ou moins de scenes, la renfermoient quelquefois dans le premier acte, & la poussoient aussi quelquefois jusque dans le second. Aussi Vossius, instit. poet. lib. II. cap. v. remarque-t-il que cette notion que Donat ou Evanthe ont donnée de la protase, protasi est primus actus, initiumque dramatis, n'est rien moins qu'exacte, & il allégue en preuve le miles gloriosus de Plaute, où la protase, ce que Scaliger appelle rei summa, ne se fait que dans la premiere scene du second acte, après quoi l'action commence proprement. La protase ne revient donc à nos deux premiers actes, qu'à raison de la premiere place qu'elle occupoit dans une tragédie ou une comédie, & nullement à cause de son étendue.
Ce que les anciens entendoient par protase, nous l'appellons préparation de l'action, ou exposition du sujet ; deux choses qu'il ne faut pas confondre. L'une consiste à donner une idée générale de ce qui va se passer dans le cours de la piece par le récit de quelques événemens que l'action suppose nécessairement. C'est d'elle que M. Despréaux a dit :
Que dès le premier vers l'action préparée
Sans peine du sujet applanisse l'entrée.
L'autre développe d'une maniere un peu plus précise & plus circonstanciée le véritable sujet de la piece : sans cette exposition qui consiste quelquefois dans un récit, & quelquefois se développe peu-à-peu dans le dialogue des premieres scenes, il seroit comme impossible aux spectateurs d'entendre une tragédie dans laquelle les divers intérêts & les principales actions des personnages ont un rapport essentiel à quelqu'autre grand événement qui influe sur l'action théâtrale, qui détermine les incidens, & qui prépare, ou comme cause, ou comme occasion, les choses qui doivent ensuite arriver. C'est de cette partie que le même poëte a dit :
Le sujet n'est jamais assez tôt expliqué.
C'est sans doute par cette raison que nos meilleures tragédies s'ouvrent toujours par un des principaux personnages, qui devant prendre un grand intérêt à ce qui va arriver, en a vraisemblablement pris beaucoup à ce qui a précédé, & en instruit quelqu'autre personnage qui, dans le cours de la piece, contribuera beaucoup à l'action principale, ou du moins servira à préparer, à faire naître, à enchaîner les divers événemens, & qui vraisemblablement n'en doit point être instruit. Voyez PROTATIQUE.
Cette exposition du sujet ne doit point être si claire qu'elle instruise parfaitement le spectateur de tout ce qui doit se passer dans la suite, mais le lui laisser entrevoir comme une perspective, pour le rapprocher par degrés & le développer successivement, afin de ménager toujours un nouveau plaisir partant du même principe, quoique varié par de nouveaux incidens qui piquent & réveillent la curiosité. Car si l'on suppose une fois l'esprit suffisamment instruit, on le prive du plaisir de la surprise auquel il s'attendoit. C'est précisément ce que dit Donat quand il définit la protase primus actus fabulae, quo pars argumenti explicatur, pars reticetur, ad populi expectationem tenendam. Voyez Voss. Instit. poetic. lib. II. cap. v.
Les anciens connoissoient peu cet art, au-moins les Latins s'embarrassoient-ils peu de tenir ainsi l'esprit des spectateurs dans l'attente. Dès le prologue d'une piece, ils en annonçoient toute l'ordonnance, la conduite & le dénouement : témoin l'Amphitrion de Plaute. Les modernes entendent mieux leurs intérêts & ceux du public. Princip. pour la lect. des poëtes, tome II. pag. 33. & suiv.
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PROTATIQUE | adj. (terme de Poésie grecque & latine) c'étoit un personnage qui ne paroissoit sur le théâtre qu'au commencement de la piece ; comme Sosie dans l'Andrienne de Térence. Vossius, Inst. poet. lib. II. cap. v.
Chez les anciens, ces personnages protatiques prenoient peu d'intérêt à l'action, & c'étoit un défaut. Les modernes n'en sont pas exempts, & on l'a justement reproché à Corneille, par le choix qu'il a fait dans Rodogune, & de Laonice & de son frere Timagene pour le récit des événemens antérieurs à l'action, récit qui se trouve interrompu par l'arrivée d'Antiochus, & dont Laonice a la complaisance de reprendre le fil dans la scène quatrieme du même acte, toujours pour instruire son frere Tïmagene, qui ne l'écoute que par curiosité & sans intérêt. Corneille est tombé plusieurs fois dans ce défaut, que Racine a toujours évité par le soin qu'il a pris de n'introduire que des personnages protatiques intéressans. Ainsi dans Iphigénie, c'est Agamemnon ; dans Athalie, Joad & Abner ; dans Britannicus, Agrippine & Burrhus ; c'est-à-dire, les personnages les plus distingués, & qui influeront le plus sur le reste de la piece, qui prennent soin d'instruire le spectateur de tout ce qui a précédé l'action. On sent combien cette différence est à l'avantage de Racine, & contribue à la régularité du spectacle. Car il est naturel de penser que ces principaux acteurs sont beaucoup mieux instruits des événemens, des intrigues d'une cour, & sentent la liaison qu'elle peut avoir avec l'événement qui va suivre, & qui fait le sujet de la piece, beaucoup mieux qu'une suivante ou un capitaine des gardes, qui dans une piece ne servent souvent qu'à faire nombre.
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PROTE | (Géog. anc.) île de la mer Ionienne, proche de la côte de la Messénie, selon Ptolémée, liv. III. ch. xvij. Le manuscrit de la bibliotheque palatine porte prima insula, au-lieu de Prote, ce qui signifie la même chose. Pline, liv. IV. ch. xij. fait aussi mention de cette île. On la nomme aujourd'hui Prodeno.
PROTE, s. m. (terme d'Imprimerie) ce mot vient du grec , primus, premier, & signifie le premier ouvrier d'une Imprimerie. Ses fonctions sont étendues, & demandent un grand soin. C'est lui qui, en l'absence du maître, entreprend les impressions, en fait le prix, & répond aux personnes qui ont affaire à l'Imprimerie. Il doit y maintenir le bon ordre & l'arrangement, afin que chaque ouvrier trouve sans peine ce qui lui est nécessaire. Il a soin des caracteres & des ustensiles. Il distribue l'ouvrage aux compositeurs, le dirige, leve les difficultés qui s'y rencontrent, aide à déchiffrer dans les manuscrits les endroits difficiles. Il impose la premiere feuille de chaque labeur, & doit bien proportionner la garniture au format de l'ouvrage & à la grandeur du papier. Voyez IMPOSER, LABEUR, GARNITURES, FORMAT. Il doit lire sur la copie toutes les premieres épreuves (voyez EPREUVES), les faire corriger par les compositeurs, & envoyer les secondes à l'auteur ou au correcteur : ensuite il doit avoir soin de faire redemander ces secondes épreuves, les revoir, les faire corriger, & en donner les formes aux Imprimeurs, voyez FORMES, pour les mettre sous presse & les tirer. Il voit les tierces ; c'est-à-dire qu'il examine sur une premiere feuille tirée, après que l'imprimeur a mis sa forme en train (voyez METTRE EN TRAIN), si toutes les fautes marquées par l'auteur sur la seconde épreuve, ont été exactement corrigées, & voir s'il n'y a point dans la forme de lettres mauvaises, tombées, dérangées, hautes ou basses, &c. Il doit plusieurs fois dans la journée visiter l'ouvrage des imprimeurs, & les avertir des défauts qu'il y trouve. Il doit, sur toutes choses, avoir une singuliere attention à ce que les ouvriers soient occupés, & que personne ne perde son tems. Le samedi au soir, une heure ou deux avant de quitter l'ouvrage, il fait la banque ; c'est-à-dire qu'il détaille sur le registre de l'imprimerie le nombre de feuilles par signatures, qui ont été faites pendant la semaine sur chaque ouvrage, tant en composition qu'en impression, & en met le prix à la fin de chaque article. Il porte ensuite ce registre au maître, qui examine tous ces articles, en fait le montant & en donne l'argent au prote qui distribue à chaque ouvrier ce qui lui est dû. Comme dans les imprimeries où il y a beaucoup d'ouvriers, un prote seul ne pourroit pas suffire, le maître associe à la proterie une ou deux personnes capables pour aider le prote dans ses fonctions. Un prote devroit avoir l'intelligence du grec, du latin, de l'anglois, de l'italien, de l'espagnol & du portugais ; mais on ne demande à la plûpart que l'intelligence du latin & de savoir lire le grec. Cet article est de M. BRULLE, prote de l'imprimerie de M. le Breton, & auteur du mot IMPRIMERIE, &c.
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PROTEA | S. f. (Botan.) genre de plante qui, dans le système de Linnaeus, renferme en elle-même le lepidocarpodendron & le hypophyllocarpodendron de Boerhaave. Voici les caracteres de ce genre de plante. Le calice est une enveloppe commune, contenant plusieurs fleurs ; il est formé de plusieurs petits pétales, couchés lâchement les uns sur les autres ; mais les pétales intérieurs sont longs, déployés, colorés, & subsistent après que les fleurs sont tombées. La fleur est monopétale, faite en forme d'un simple tube, divisée au sommet en quatre segmens ; chacun desquels est aussi long que la partie tubulaire. Tous sont droits, obtus, & couchés en arriere. Les étamines sont quatre filets extrêmement courts, entés sur les segmens de la fleur, près de son sommet. Les bossettes sont couchées tout près par-dessus. Le germe du pistil est placé dessous le propre receptacle de la fleur. Le stile est long & délié ; le stigma est simple ; le fruit est applati & divisé par des écailles chevelues ; les semences sont uniques. Linnaei gen. plant. pag. 22.
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PROTECTEUR | S. m. (Hist. mod.) celui qui prend en main la défense des foibles & des affligés. Voyez PROTECTEUR, hist. d'Angl. & PATRON.
Dieu & les magistrats sont les protecteurs de la veuve & de l'orphelin. Parmi les payens, Minerve étoit regardée comme la protectrice des beaux arts.
Chaque nation, chaque ordre de religieux a un cardinal-protecteur à Rome, que l'on appelle cardinal-protecteur. Voyez CARDINAL.
On donne aussi quelquefois le nom de protecteur à celui qui gouverne un royaume pendant la minorité d'un prince. Cromwel prit le titre de protecteur de la république d'Angleterre.
C'est l'usage en Angleterre que le régent du royaume dans une minorité prenne le titre de protecteur. On en a un exemple sous la minorité d'Edouard VI.
PROTECTEUR, (Hist. d'Angleterre) c'est le titre qu'Olivier Cromwel s'appropria, & qui lui fut solemnellement accordé par l'Angleterre, l'Ecosse & l'Irlande. Pendant que Charles II. fugitif en France avec son frere & sa mere, y traînoit ses malheurs & ses espérances, Cromwel fut inauguré dans le poste de protecteur le 26 Juin 1657 à Westminster-hall, par le parlement pour lors assemblé, & l'orateur des communes, le chevalier Thomas Widdrington, en fit la cérémonie.
Un simple citoyen, dit M. de Voltaire, usurpateur du trône, & digne de régner, prit le nom de protecteur, & non celui de roi, parce que les Anglois savoient jusqu'où les droits de leurs rois devoient s'étendre, & ne connoissoient pas quelles étoient les bornes de l'autorité d'un protecteur. Il affermit son pouvoir en sachant le reprimer à-propos : il n'entreprit point sur les privileges dont le peuple étoit jaloux ; il ne logea jamais des gens de guerre dans la cité de Londres ; il ne mit aucun impôt dont on pût murmurer ; il n'offensa point les yeux par trop de faste ; il ne se permit aucun plaisir ; il n'accumula point de trésors ; il eut soin que la justice fût observée avec cette impartialité impitoyable qui ne distingue point les grands des petits.
Jamais le commerce ne fut si libre, ni si florissant ; jamais l'Angleterre n'avoit été si riche. Ses flottes victorieuses faisoient respecter son nom dans toutes les mers ; tandis que Mazarin uniquement occupé de dominer & de s'enrichir, laissoit languir dans la France la justice, le commerce, la marine, & même les finances. Maitre de la France, comme Cromwel de l'Angleterre, après une guerre civile, il eût pû faire pour le pays qu'il gouvernoit, ce que Cromwel avoit fait pour le sien ; mais il étoit étranger, & l'ame de Mazarin n'avoit pas la grandeur de celle de Cromwel.
Toutes les nations de l'Europe qui avoient négligé l'alliance de l'Angleterre sous Jacques I. & sous Charles, la briguerent sous le protecteur. La reine Christine elle-même, quoiqu'elle eût détesté le meurtre de Charles I. entra dans l'alliance d'un tyran qu'elle estimoit.
Le ministre espagnol lui offrit de l'aider à prendre Calais ; Mazarin lui proposa d'assiéger Dunkerque, & de lui remettre cette ville. Le protecteur ayant à choisir entre les clés de la France & celles de la Flandre, se détermina pour la France, mais sans faire de traité particulier, & sans partager des conquêtes par avance.
Il vouloit illustrer son usurpation par de plus grandes entreprises. Son dessein étoit d'enlever l'Amérique aux Espagnols ; mais ils furent avertis à tems. Les amiraux de Cromwel leur prirent du-moins la Jamaïque, province que les Anglois possedent encore, & qui assure leur commerce dans le nouveau monde. Ce ne fut qu'après son expédition de la Jamaïque que Cromwel signa son traité avec le roi de France, mais sans faire encore mention de Dunkerque. Le protecteur traita d'égal à égal ; il força le roi à lui donner le titre de frere dans ses lettres. Son sécretaire signa avant le plénipotentiaire de France dans la minute du traité qui resta en Angleterre ; mais il traita véritablement en supérieur en obligeant le roi de France de faire sortir de ses états Charles II. & le duc d'Yorck, petit-fils de Henri IV. à qui la France devoit un asyle.
Quelque tems après le siege de Dunkerque, le protecteur mourut avec courage à l'âge de 55 ans, au milieu des projets qu'il faisoit pour l'affermissement de sa puissance, & pour la gloire de sa nation. Il avoit humilié la Hollande, imposé les conditions d'un traité au Portugal, vaincu l'Espagne, & forcé la France à briguer son alliance. Il fut enterré en monarque légitime, & laissa la réputation du plus habile des fourbes, du plus intrépide des capitaines, d'un usurpateur sanguinaire, & d'un souverain qui avoit su regner. Il est à remarquer qu'on porta le deuil de Cromwel à la cour de France, & que mademoiselle fut la seule qui ne rendit point cet honneur à la mémoire du meurtrier du roi son parent.
Richard Cromwel succéda paisiblement & sans contradiction au protectorat de son pere, comme un prince de Galles auroit succédé à un roi d'Angleterre. Richard fit voir que du caractere d'un seul homme dépend souvent la destinée d'un état. Il avoit un génie bien contraire à celui d'Olivier Cromwel, toute la douceur des vertus civiles, & rien de cette intrépidité féroce qui sacrifie tout à ses intérêts.
Il eût conservé l'héritage acquis par les travaux de son pere, s'il eût voulu faire tuer trois ou quatre principaux officiers de l'armée, qui s'opposoient à son élévation. Il aima mieux se démettre du gouvernement que de regner par des assassinats ; il vécut particulier & même ignoré jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans dans le pays dont il avoit été quelques jours le souverain.
Après sa démission du protectorat, il voyagea en France : on sait qu'à Montpellier, le prince de Conti, frere du grand Condé, en lui parlant sans le connoître, lui dit un jour : " Olivier Cromwel étoit un grand homme ; mais son fils Richard est un misérable de n'avoir pas su jouir du fruit des crimes de son pere ". Cependant ce Richard vécut heureux, & son pere n'avoit jamais connu le bonheur. Essai sur l'histoire univers. tom. V. p. 72-81. (D.J.)
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PROTECTION | (Droit naturel & politique) les hommes ne se sont soumis à des souverains que pour être plus heureux ; ils ont senti que tant que chaque individu demeureroit isolé, il seroit exposé à devenir la proie d'un homme plus fort que lui, que ses possessions seroient sujettes à la violence & à l'usurpation. La vue de ces inconvéniens détermina les hommes à former des sociétés, afin que toutes les forces & les volontés des particuliers fussent réunies par des liens communs. Ces sociétés se sont choisi des chefs qui devinrent les dépositaires des forces de tous, & on leur donna le droit de les employer pour l'avantage & la protection de tous & de chacun en particulier. On voit donc que les souverains ne peuvent se dispenser de protéger leurs sujets, c'est une des principales conditions sous laquelle ils se sont soumis à eux. Ceux qui ont écrit sur le droit public ont regardé la protection que les princes doivent à leurs sujets comme un devoir si essentiel, qu'ils n'ont point fait difficulté de dire que le défaut de protection rompoit le lien qui unit les sujets à leurs maîtres, & que les premiers rentroient alors dans le droit de se retirer de la société dont ils avoient été jusqu'alors les membres.
Les habitans de la Grande-Bretagne soumis depuis plusieurs siecles aux Romains, ont pu légitimement se choisir de nouveaux maîtres, dès lors qu'ils virent que leurs anciens souverains n'avoient ni le pouvoir, ni la volonté de les protéger contre leurs ennemis.
Ce n'est point seulement contre les ennemis du dehors que les souverains sont tenus de protéger leurs sujets, ils doivent encore reprimer les entreprises de leurs ministres & des hommes puissans qui peuvent les opprimer.
Quelquefois des états libres, sans renoncer à leur indépendance, se mettent sous la protection d'un état plus puissant ; cette démarche est très-délicate, & l'expérience prouve que souvent elle est dangereuse pour les protégés, qui peu-à-peu perdent la liberté qu'ils cherchoient à s'assurer.
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PROTÉE | S. m. (Mythol.) la fable nous donne Protée pour un dieu de la mer, fils de Neptune & de l'Océan. Ceux qui ont lu l'Odyssée & les Géorgiques, doivent savoir par coeur tout ce qui le regarde. Il avoit le don de connoître les choses cachées, & de prédire l'avenir. Virgile nous l'apprend :
Est in carphato Neptuni gurgite vates
Caeruleus Proteus.
Ce don de connoître les choses cachées étoit la récompense du soin qu'il prenoit de faire paître sous les eaux les monstres qui composoient le troupeau du dieu des mers ; mais il n'annonçoit pas ces prophéties, comme tant d'autres, de gaieté de coeur : quand on vouloit tirer de lui des lumieres sur l'avenir, il se transformoit en toutes sortes de figures ; & ce n'étoit qu'à force de violences qu'on venoit à bout de le faire parler. Virgile nous assure encore cette particularité.
Ille suae contra non immemor artis
Omnia transformat sese in miracula rerum,
Ignemque, horribilemque feram fluviumque liquentem.
C'est-à-dire.
Tel que le vieux pasteur des troupeaux de Neptune,
Protée à qui le ciel, pere de la Fortune,
Ne cache aucuns secrets,
Sous diverses figures, arbre, fleuve, fontaine,
S'efforce d'échapper à la vue incertaine
Des mortels indiscrets.
Homere raconte, Odyssée, livre IV. que Ménélas, de retour de Troie, ayant été jetté par la tempête sur la côte d'Egypte, y fut retenu vingt jours entiers sans pouvoir en sortir. Dans cette triste situation, il alla consulter Protée, ce vieillard marin de la race des immortels, principal ministre de Neptune, & toujours vrai dans ses réponses. Eidothée sa propre fille voulut bien instruire Ménélas de la maniere dont il devoit se conduire pour tirer de son pere la connoissance de l'avenir.
Tous les jours vers l'heure du midi, lui dit-elle, Protée sort des antres profonds de la mer, & va se coucher sur le rivage au milieu de ses troupeaux. Dès que vous le verrez assoupi, jettez-vous sur lui, & serrez-le étroitement malgré tous ses efforts ; car pour vous échapper il se métamorphosera en mille manieres ; il prendra la figure de tous les animaux les plus féroces ; il se changera même en eau, ou bien il deviendra feu : que toutes ces formes affreuses ne vous épouvantent point, & ne vous obligent point à lâcher prise ; au contraire liez-le, & le retenez plus fortement. Mais dès que revenu à la premiere forme où il étoit quand il s'est endormi, il commencera à vous interroger ; alors n'usez plus de violence : vous n'aurez qu'à le délier, & lui demander ce que vous voulez savoir, il vous enseignera les moyens de retourner dans votre patrie ; il vous instruira même de tout le bien & de tout le mal qui est arrivé chez vous pendant votre voyage.
Je laisse Ménélas au milieu des transports de sa joie & de sa reconnoissance ; ou plutôt j'abandonne les fictions d'Homere pour donner la véritable histoire de Protée.
C'étoit un roi d'Egypte qui regna deux cent quarante ans après Moïse ; il avoit appris à prédire les révolutions du cours des planetes par une étude profonde de l'Astronomie. Quant à ses métamorphoses, dit Diodore de Sicile, c'est une fable qui est née chez les Grecs d'une coutume qu'avoient les rois égyptiens. Ils portoient sur leur tête pour marque de leur force & de leur puissance, la dépouille d'un lion ou d'un taureau ; ils ont même porté des branches d'arbres, du feu, & quelquefois des parfums exquis. Ces ornemens servoient à les parer, & à jetter la terreur & la superstition dans l'ame de leurs sujets. (D.J.)
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PROTEI-COLUMNAE | (Géog. anc.) on trouve ce nom dans le onzieme livre de l'Enéïde, vers 262. où on lit :
Atrides Protei Menelaus ad usque columnas
Exulat.
Ménélaüs roi de Sparte, & fils d'Atrée, fut jetté par la tempête du côté de l'Egypte, où il demeura huit ans. Protée régnoit dans ce tems-là en Egypte ; c'est ce qui a fait que Virgile donne à la partie de ce pays où Ménélaüs aborda, le nom de colonnes de Protée, pour signifier l'extrêmité de ses états. On entend communément par les colonnes de Protée, le port d'Alexandrie. En effet, Homere, Odyss. liv. IV. v. 355. dit que Ménélaüs aborda à l'île de Pharos. (D.J.)
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PROTELEIA | S. f. (Hist. anc.) la veille des noces, jour où les Athéniens conduisoient la nouvelle épouse au temple de Minerve, & sacrifioient pour elle à la déesse. La jeune fille y consacroit sa chevelure à Diane & aux parques. Les prêtres immoloient un porc.
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PROTERIATO | (Géog. mod.) riviere d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure. Elle a sa source au mont Apennin, & se jette dans la mer Jonienne. Quelques-uns veulent que ce soit le Locanus de Ptolémée.
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PROTERVIA | S. f. (Littérat.) nom donné chez les Romains aux restes des grands festins qui ne méritoient ni d'être serrés & conservés pour le lendemain, ni d'être donnés aux domestiques pour leur nourriture, mais qu'on brûloit & qu'on jettoit au feu ; c'est cette espece de sacrifice qu'on appelloit protervia ; ce qui fit dire plaisamment à Caton le jeune, d'un des disciples d'Apicius, qui après avoir mangé tout son bien, avoit par malheur mis le feu à sa maison, proterviam fecit, il a fait son dernier sacrifice.
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PROTESILÉES | S. f. pl. (Ant. grecq.) fêtes annuelles en l'honneur de Protésilas fils d'Iphiclus, un des argonautes qui venoit d'épouser Laodamie lorsqu'il fût question de la guerre de Troie. L'oracle avoit prédit que celui des grecs qui le premier mettroit pié à terre devant Troie, perdroit la vie. A peine leurs vaisseaux eurent abordé, que Protésilas voyant que personne ne vouloit débarquer, sacrifia sa vie pour le salut de ses concitoyens ; il s'élança sur le rivage, & dans l'instant il fut tué par Hector d'un coup de fleche. Les Grecs, à leur retour, lui rendirent les honneurs héroïques, éleverent des monumens à sa gloire, lui bâtirent un temple à Abydos, & instituerent en son honneur des jeux funebres, qui de son nom furent appellés , & qu'on célébroit à Phylacé lieu de sa naissance en Thessalie. (D.J.)
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PROTEST | S. m. (Jurisprud.) ce terme semble être un diminutif de protestation ; & en effet, c'est une sommation faite par un notaire, sergent ou huissier, à un banquier, marchand ou négociant, d'accepter une lettre de change tirée sur lui ; ou bien quand le tems du payement est échu, & que celui qui l'a acceptée est refusant de la payer, le protest est alors une sommation qu'on lui fait de l'acquiter ; & dans l'une ou l'autre sorte de protest on déclare & on proteste que faute d'acceptation, ou faute de payement de la lettre de change dont il s'agit, on la rendra au tireur, que l'on prendra de l'argent à change & rechange pour le lieu d'où la lettre a été tirée, qu'on rendra la lettre au tireur & donneur d'ordre ; enfin que l'on se pourvoira ainsi que l'on avisera bon être.
Le protest, faute d'acceptation, doit être fait dans le tems même que l'on présente la lettre, lorsque celui sur qui elle est tirée refuse de l'accepter, soit par rapport au tems, ou pour les sommes portées en la lettre, ou faute de lettres d'avis, ou faute d'avoir reçu des fonds.
Le protest faute de payement, se fait lorsqu'après les dix jours de grace, à compter du lendemain de l'échéance de la lettre de change, celui qui l'a acceptée refuse d'en faire le payement. Ce protest doit être fait dans les dix jours après celui de l'échéance, que l'on ne compte point non plus que celui de l'acceptation ; tous les autres jours, même les dimanches & les fêtes les plus solemnelles sont comptés.
Quand le protest n'est fait que faute d'acceptation, il n'oblige le tireur qu'à rendre au porteur la valeur de la lettre de change protestée, ou de lui donner des suretés qu'elle sera acquittée ; au-lieu que le protest, faute de payement dans les dix jours de l'ordonnance, autorise le porteur de la lettre à exercer son recours solidaire contre tous les endosseurs, tireurs, accepteurs ; il lui est libre de s'adresser à celui qu'il juge à propos, sauf le recours de celui-ci contre les autres.
Une simple sommation ou commandement à celui sur qui la lettre est tirée, ne suffiroit pas pour autoriser le porteur à recourir en garantie contre le tireur & les endosseurs, il faut un protest en forme qui contienne les protestations dont on a parlé ci-devant, & ce protest ne peut être suppléé par aucun autre acte.
Si le porteur de la lettre de change néglige de faire ses diligences dans le tems, il demeure responsable de l'insolvabilité qui peut survenir en la personne de celui sur qui la lettre de change est tirée ; ensorte que dans ce cas la lettre demeure pour le compte du porteur.
La déclaration du 2 Janvier 1717, décide qu'un simple protest n'acquiert point d'hypotheque, & que pour l'acquérir, il faut obtenir une condamnation après l'échéance du terme. Voyez l'ordonnance du commerce, tit. 5. le parfait négociant de Savary. (A)
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PROTESTANT | S. m. (Hist. ecclés.) est le nom qu'on donne en Allemagne à ceux qui suivent la doctrine de Luther. Ils ont été ainsi nommés, à cause qu'ils protesterent en 1529 contre un decret de l'empereur & de la diete de Spire, & qu'ils déclarerent qu'ils appelloient à un concile général. Ce nom a aussi été donné dans la suite à tous ceux qui suivent les sentimens de Calvin, aussi-bien qu'à tous ceux qui ont embrassé la réforme. Voyez LUTHERIEN, CALVINISTE, PRESBYTERIEN.
On a travaillé en vain à la réunion de tous les Protestans luthériens & calvinistes. Bucer & Mélanchton, dès le commencement de ces troubles de religion, travaillerent fortement à établir un systême que tous les Protestans pussent également adopter ; mais les diverses prétentions des différens partis qui s'élevoient de jour en jour parmi ces sectaires, y mirent un obstacle invincible ; & de-là vient qu'encore aujourd'hui ils sont divisés en tant de branches. Voyez LUTHERIENS.
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PROTESTATION | S. f. (Jurispr.) est une déclaration que l'on fait par quelque acte contre la fraude, l'oppression ou la violence de quelqu'un, ou contre la nullité d'une procédure, jugement, ou autre acte ; par laquelle déclaration on proteste que ce qui a été fait ou qui seroit fait au préjudice d'icelle, ne pourra nuire ni préjudicier à celui qui proteste, lequel se réserve de se pourvoir en tems & lieu contre ce qui fait l'objet de sa protestation.
Les protestations se font quelquefois avant l'acte dont on se plaint, & quelquefois après.
Par exemple, un enfant que ses pere & mere contraignent à entrer dans un monastere pour y faire profession, peut faire d'avance ses protestations, à l'effet de reclamer un jour contre ses voeux.
On peut aussi protester contre toute obligation que l'on a contractée, soit par crainte révérencielle, soit par force ou par la fraude du créancier.
La protestation, pour être valable, doit être faite aussi-tôt que l'on a été en liberté de la faire, ou que la fraude a été connue.
Une protestation qui n'est que verbale, ne sert de rien, à-moins qu'elle ne soit faite en présence de témoins.
Les protestations que l'on fait chez un notaire, & que l'on tient secrettes, méritent peu d'attention, à-moins qu'elles ne soient appuyées de preuves qui justifient du contenu aux protestations.
On regarde comme inutiles celles qui sont faites par quelqu'un qui avoit la liberté d'agir autrement qu'il n'a fait.
Par une suite du même principe, toute protestation & reserve contraire à la substance même de l'acte où elle est contenue, n'est d'aucune considération. Voyez Dumolin, article 33 de la cout. de Paris, gl. j. n. 16. (A)
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PROTESTER | (Comm.) une lettre ou billet de change, c'est en faire le protêt au refus que l'on fait de les accepter ou de les payer à l'échéance. Voyez PROTEST. Dictionn. de Comm.
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PROTHESE | S. f. (Hist. ecclés.) petit autel dans les églises grecques, sur lequel se fait la cérémonie appellée prothèse, , c'est-à-dire préparation. Voyez AUTEL.
Le prêtre & les autres ministres préparent sur cet autel tout ce qui est nécessaire pour la célébration de la messe, savoir le pain, le vin, & tout le reste. Après cela ils vont de ce petit autel au grand en procession, pour y commencer la messe, & ils y portent les dons qui ont été préparés.
Les cérémonies extraordinaires que les Grecs pratiquent à l'égard des dons placés sur l'autel de la prothèse, leur ont quelquefois attiré quelques reproches de la part des Latins, comme s'ils adoroient le pain & le vin avant qu'ils soient changés au corps & au sang de Jesus-Christ ; mais les Grecs s'en sont pleinement lavés, en distinguant ces honneurs de celui qu'ils rendent à Dieu.
PROTHESE, s. f. (Antiq. grecq.) . On appelloit ainsi chez les Grecs la position des corps morts devant leurs portes, avec les piés qui passoient la porte. Ce sont ceux que les Romains nommoient positi, & ils restoient dans cet état jusqu'au tems de leurs funérailles. Le mot grec est dérivé de , j'expose à la vûe. (D.J.)
PROTHESE, opération de Chirurgie par laquelle on ajoute & l'on applique au corps humain quelques parties artificielles en la place de celles qui manquent, pour exercer certaines fonctions ; telles sont une jambe de bois, un bras artificiel, &c. Voyez JAMBE DE BOIS, POTENCE, OEIL ARTIFICIEL.
L'application d'une plaque au palais rongé par un ulcere, dépend de la prothese. Voyez OBTURATEUR.
Ce mot est grec , qui signifie addition, application.
L'usage de ces différentes machines a des regles relatives aux différens cas, & à chaque espece que chacun d'eux présente. (Y)
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PROTHYRIS | S. f. terme d'Architecture, dans Vitruve est une espece de console, ainsi appellée, parce qu'on en mettoit aux côtés des portes.
Vignole entend aussi par prothyris une sorte particuliere de clé de voûte, dont il nous donne la forme dans son ordre ionique, consistant en une espece d'enroulement de feuilles aquatiques entre deux filets & deux reglets, couronné d'un cymaise. Sa figure est à-peu-près la même que celle du modillon.
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PROTHYRUM | S. m. est un portique ou vestibule couvert en-dehors de la porte du bâtiment. Ce mot, aussi-bien que le précédent, vient du grec, & est formé de la préposition , & de , porte. Voyez PORTIQUE, PORCHE & VESTIBULE.
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PROTO-MARTYR | S. m. (Hist. ecclés.) premier martyr ou témoin qui le premier a souffert la mort pour la défense de la vérité. On donne ordinairement ce nom à saint Etienne, qui mourut le premier pour l'Evangile. Quelques-uns le donnent, mais assez improprement, à Abel, qu'ils regardent comme le premier martyr de l'ancien Testament. Il est vrai qu'il mourut innocent, mais l'Ecriture ne dit pas que ce fût pour défendre les vérités de la religion.
Ce mot est composé du grec , premier, & , témoin.
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PROTOCLESIA | (Critiq. sacr.) C'est ainsi que l'auteur du II. liv. des Macchabées, jv. 21, nomme la solemnité du couronnement qu'on fit à Alexandrie, lorsque Ptolomée Philométor entrant dans sa quinzieme année, fut déclaré majeur l'an 173 avant J. C. Les grecs d'Alexandrie appelloient cette cérémonie , salutation, parce qu'on donnoit alors aux rois d'Egypte pour la premiere fois le nom de roi en le saluant. Nos bibles imprimées ont écrit au lieu de ; c'est une faute. (D.J.)
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PROTOCOLE | S. m. (Jurispr.) chez les Romains étoit une écriture qui étoit à la tête de la premiere page du papier, dont les tabellions de Constantinople étoient obligés de se servir pour écrire leurs actes. Ce protocole devoit contenir le nom du Comte des sacrées largesses, comes sacrarum largitionum, qui étoit comme nos intendans des finances. On marquoit aussi dans ce protocole le tems où le papier avoit été fabriqué, & quelques autres choses semblables. Il étoit défendu aux tabellions par la novelle 44, de couper ces protocoles, & enjoint à eux de les laisser en leur entier.
En France, on entend par protocole les registres dans lesquels les notaires transcrivoient leurs notes ou minutes.
Dans une ordonnance de Philippe-le-Bel, du mois de Juillet 1304, il paroît qu'alors les notaires, lorsqu'ils recevoient les conventions des parties, en faisoient leurs notes, qu'ils transcrivoient ensuite dans leur cartulaire ou protocole. L'article premier leur enjoint, lorsqu'ils ont reçu l'acte dans le lieu de leur résidence, de le transcrire sur-le-champ dans leur protocole ; que s'ils ont reçu l'acte ailleurs, ils le rédigent à l'instant par écrit, & ensuite le transcrivent dans leur protocole le plus tôt qu'ils pourront. La grosse ou autres expéditions étoient tirées sur ce protocole. L'article 4 leur enjoint de faire ces cartulaires ou protocoles en bon papier, avec des marges suffisantes ; de ne laisser qu'un modique espace entre les lignes d'écriture, afin qu'on ne puisse rien écrire entre deux, & de n'en laisser aucun entre la fin d'un acte & le commencement d'un autre. Les protocoles du notaire qui changeoit de domicile, devoient rester au lieu de sa premiere résidence ; & quand un notaire décédoit, ses protocoles restoient à son successeur, mais celui-ci devoit donner sa moitié de l'émolument aux enfans de son prédécesseur.
L'ordonnance de 1539, article 173, 174 & 175, enjoint aux notaires de faire registre de tous contrats & autres actes.
Celle d'Orléans, article 83, ordonne aussi qu'ils seront tenus de signer leurs registres, & qu'après leur décès il en sera fait inventaire par les juges des lieux, & que ces registres seront mis au greffe, pour être les contrats & actes grossoyés signés & délivrés par le greffier aux parties qui le requéreront.
Mais cette disposition n'est pas observée à Paris, ni dans plusieurs autres endroits. Les notaires n'y font plus de protocoles ou registres de leurs minutes ; & le notaire qui achete la pratique d'un autre, garde les minutes, & délivre sur icelles les expéditions que les parties en demandent.
On entend quelquefois par protocole des notaires, un droit que le roi prend en certains endroits, comme en Bourbonnois, Forez & Beaujolois, sur les registres des notaires décédés, lesquels sont vendus au plus offrant & dernier enchérisseur. Le roi a les trois quarts du prix de cette vente, & l'autre quart appartient aux veuves & héritiers. Pour la vérification de ce droit, il faut rapporter l'adjudication qui a été faite des registres par les officiers des lieux, en présence du procureur du roi.
Enfin, on appelle aussi protocole, mais improprement, les styles & modeles d'actes de pratique. Voy. MINUTE & NOTAIRE. (A)
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PROTOCTISTE | S. m. (Hist. ecclés.) hérétiques origénistes. Après la mort du moine Nonnus, vers le milieu du jv. siecle, les Origénistes se diviserent en deux branches, les Protoctistes & les Isochristes. Les Protoctistes s'appellerent aussi Tétradites ; le chef des Protoctistes fut Isidore.
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PROTONOTAIRE | S. m. (Jurisprud.) signifie proprement le premier des notaires ou secrétaires d'un prince ou du pape. C'est ainsi qu'on appelloit autrefois le premier des notaires des empereurs. Au parlement de Paris, le greffier en chef a conservé le titre de protonotaire, parce qu'il étoit anciennement le premier des notaires ou secrétaires du roi.
Les protonotaires apostoliques sont des officiers de cour de Rome qui ont un degré de prééminence sur les autres notaires ou secrétaires de la chancellerie romaine ; ils furent établis par le pape Clément I. pour écrire la vie des martyrs. Il y a un college de douze protonotaires qu'on appelle participans, parce qu'ils participent aux droits des expéditions de la chancellerie ; ils sont mis au rang des prélats, & précedent même tous les prélats non consacrés. Mais Clément II. régla qu'ils n'auroient rang qu'après les évêques & les abbés : cependant les notaires participans ont rang devant les abbés ; ils assistent aux grandes cérémonies, & ont rang & séance en la chapelle du pape ; ils portent le violet, le rochet & le chapeau, avec le cordon & bord violet ; ils portent sur leur écu le chapeau, d'où pendent deux rangs de houpes de sinople une & deux. Leur fonction est d'expédier dans les grandes causes les actes que les simples notaires apostoliques expédient dans les petites, comme les procès-verbaux de prise de possession du pape ; ils assistent à quelques consistoires, & à la canonisation des saints, & rédigent par écrit ce qui se fait & se dit dans ces assemblées ; ils peuvent créer des docteurs & des notaires apostoliques, pour exercer hors de la ville. Ceux qui ne sont pas du corps des participans portent le même habit, mais ne jouissent pas des mêmes privileges.
En France, la qualité de protonotaire apostolique n'est qu'un titre sans fonction, que l'on obtient assez aisément par un rescrit du pape.
Il y a aussi un protonotaire de Constantinople qui est le premier des notaires ou secrétaires du patriarche. Voyez le glossaire de Ducange, au mot notarius. (A)
PROTONOTAIRE DE DAUPHINE ou DELPHINAL, étoit le premier des notaires ou secrétaires du dauphin ; cette charge fut créée par Humbert II. revenant de Naples, sur l'idée de celle qui s'y exerçoit sous le même titre. Amblart de Beaumont est le seul que l'on trouve avoir exercé cette charge ; sa fonction étoit d'écrire les lettres du dauphin & de faire ses réponses ; ainsi il ne se passoit rien de considérable dont il ne fût instruit ; sa fonction ressembloit assez à celle des secrétaires d'état ; aussi exigeoit-on à sa réception un serment particulier de garder inviolablement le secret. Humbert pour donner plus de lustre à cette charge, recommande à celui qui en étoit pourvû, de ne paroître en public qu'avec des habits ornés de fourrures.
Cet officier tenoit un registre de toutes les lettres qu'il écrivoit ou qu'il recevoit pour le dauphin ; il avoit un rôle des seigneurs, gentilshommes, & de tous les vassaux & officiers publics, pour leur adresser les ordres du dauphin.
Il faisoit aussi les expéditions de tous les actes qui pouvoient intéresser le dauphin, & les remettoit entre les mains du chancelier, qui les plaçoit dans les archives.
Ne pouvant suffire à tout, on lui donna un adjoint qu'on appella vice-protonotaire, pour le soulager & pour suppléer en son absence. Voyez l'histoire du Dauphiné par Valbonay, & le recueil des ordon. de la troisieme race, tom. VII. pag. 380. & 388. (A)
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PROTOPASCHITES | S. m. pl. (Hist. ecclésiastiq.) , nom qu'on donne dans l'histoire ecclésiastique à ceux qui, comme les Juifs, célébroient la Pâque avec des pains sans levain ; on les nommoit autrement sabatiens. (D.J.)
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PROTOPATHIQUE | adj. (Pathol.) ce mot est dérivé du grec, formé de , premier, & , maladie, affection ; il signifie dans le sens le plus juste & le plus conforme à son étymologie, une maladie premiere, qui n'est ni la suite ni l'effet d'aucune autre maladie précédente, & dans cette acception exacte il est opposé à deutéropathique, mot par lequel on désigne une maladie secondaire, qui est précédée & produite par une autre. Un exemple éclaircira ces définitions ; on appellera une apoplexie protopathique, lorsqu'elle surviendra tout-à-coup à un homme jouissant d'une bonne santé, ou même dans le cours d'une maladie, pourvû qu'elle ne puisse point être censée occasionnée par elle ; & si l'apoplexie étant dissipée elle laisse après elle des engourdissemens, des paralysies ou autres accidens semblables, toutes ces affections, qui sont manifestement l'effet de l'apoplexie précédente protopathique, seront secondaires ou deutéropathiques ; par où l'on voit que ces termes sont relatifs, & que quand on parle d'une maladie protopathique, ce n'est qu'en la comparant avec la maladie qui lui succede ; il est très-essentiel de bien connoître & de déterminer au juste la valeur & la signification de tous ces termes qui sont fort usités en Médecine ; c'est la langue de l'art, il faut la fixer invariablement pour pouvoir l'entendre ; c'est un défaut que j'ai remarqué très-souvent dans les ouvrages de médecine, que cette confusion des mots ; la plûpart des médecins regardent les mots essentiel, idiopathique, protopathique comme synonymes, & leur opposent indifféremment & sans choix ceux-ci, deutéropathique, symptomatique, sympathique, &c. cependant ils renferment des idées très-différentes ; & de cette inexactitude très-ordinaire naît une grande confusion dans les descriptions & les observations de maladies, confusion au-reste qu'il seroit très-facile d'éviter, avec un peu d'attention & d'étude, ou de justesse & de précision dans l'esprit ; la grammaire naturelle que tout le monde a plus ou moins vive & générale, suffit souvent seule pour décider les mots synonymes, ceux qui s'excluent & ceux qui sont opposés. (m)
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PROTOPLASTE | (Théolog.) titre qu'on donne à Adam, parce qu'il fut le premier homme formé des mains de Dieu ; ce mot vient du grec , premier formé. Voyez FORMATION.
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PROTOSPATHAIRE | S. m. (Hist. anc.) nom d'un officier des empereurs de Constantinople. Les gardes de l'empereur s'appelloient spatharii, spathaires, & le protospathaire étoit leur chef. Spathaire vient de spatha, qui signifie sabre ou épée large ; c'étoit l'armure de ces gardes.
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PROTOSYNCELLE | S. m. (Hist. ecclésiast.) c'est ainsi qu'il faut écrire ce mot, parce qu'il vient du mot grec , & non pas de , comme quelques-uns l'écrivent ; c'est le nom d'une des premieres dignités ecclésiastiques chez les Grecs. Dans la grande église de Constantinople on appelle protosyncelle, le premier domestique du palais patriarchal, qui est comme le vicaire du patriarche. Les autres églises épiscopales ont aussi leur protosyncelle ; c'est pourquoi l'on voit souvent dans les titres des écrivains grecs, protosyncelle de la grande église : ce qui ne s'entend pas toujours de l'église de Constantinople, mais d'une église du lieu où réside celui dont il est parlé. M. Simon.
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PROTOTHRONE | S. m. (Gram. Hist. ecclésiast.) évêque d'un premier siége. Bizance n'étoit originairement qu'un évêché suffragant d'Héraclée. Lorsqu'il fut devenu siége patriarchal, l'archevêque d'Héraclée conserva son droit d'ordination ; mais dans le cas où le siége d'Héraclée eût été vacant, l'ordination du patriarche de Constantinople eût appartenu au métropolitain de Césarée de Cappadoce, comme protothrone, c'est-à-dire évêque du premier siége ; car ceux qui étoient exarques avant l'érection du patriarchat de Constantinople ne furent depuis que protothrones.
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PROTOTYPE | S. m. (Architect.) , original ou modele sur lequel on forme quelque chose. Voyez TYPE & ARCHETYPE.
On entend ordinairement par ce mot les modeles des gravures ou des ouvrages moulés. V. MODELE, MOULE. Prototype, , est aussi d'usage dans la Grammaire pour dire un mot primitif ou original.
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PROTRYGIES | (Antiq. grecq.) , fête en l'honneur de Neptune & de Bacchus surnommé , du nouveau vin qu'il procuroit aux hommes. Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xx. (D.J.)
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PROTUBÉRANCE | S. f. en terme d'Anatomie, signifie une éminence qui s'avance au-delà de quelque partie, & pour-ainsi-dire, fait saillie. Voyez ÉMINENCE, &c.
Les protubérances orbiculaires du troisieme ventricule du cerveau sont appellées natès, & les apophyses des protubérances orbiculaires sont appellées testès. Voyez NATES, TESTES & APOPHYSE.
La protubérance annulaire de Willis est une production médullaire, qui paroît d'abord embrasser les extrêmités postérieures des grosses branches de la moëlle allongée, mais la substance médullaire de cette protubérance se confond intimément avec celle des grosses branches.
PROTUBERANCE, ou EXUBERANCE, s. f. (Conchyl.) allongement d'une partie testacée. (D.J.)
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PROTUTEUR | S. m. (Jurisprud.) est celui qui n'étant pas tuteur d'un pupille ou mineur, a geré & administré ses affaires en qualité de tuteur, soit qu'il crût être chargé de tutele, ou qu'il sût ne l'être pas.
Celui qui épouse une veuve tutrice de ses enfans devient leur protuteur.
Cette question produit les mêmes actions respectives que la tutele. Voyez au digeste, l. XXVII. tit. 5. & l'ordonnance de 1667, tit. 29. art. 1. (A)
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PROUE | S. f. (Marine) c'est l'avant du vaisseau, c'est-à-dire la partie du vaisseau qui est soutenue par l'estrave, & qui s'avance la premiere en mer. Les anciens mettoient des becs d'oiseaux à la proue de leurs navires, ce qui les a fait appeller en latin rostra. Voyez AVANT.
Voir par proue, c'est-à-dire, devant soi. Donner la proue, c'est prescrire la route que les galeres doivent tenir. On dit, le chef-d'escadre fit venir les galeres à son bord, pour leur donner la proue qu'elles tiendroient. Lorsqu'on parle des vaisseaux, on dit donner la route.
Vent par proue, vent devant. Le vent se leva tout d'un coup du nord, & nous prit par proue, c'est-à-dire, nous prit pardevant étant devenu contraire.
PROUE, en Anatomie ; os de la proue, est le nom d'un des os du crane, appellé aussi occipital. Voyez OCCIPITAL.
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PROUVER | v. act. (Gramm.) établir une chose par des preuves. Voyez PREUVE.
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PROVÉDITEUR | S. m. (Hist. de Venise) magistrat de la république de Venise. Il y a deux sortes de provéditeurs dans cette république ; le provéditeur du commun, & le provéditeur général de mer. Le provéditeur du commun est un magistrat assez semblable dans ses fonctions à l'édile des Romains. Le provéditeur de mer est un officier dont l'autorité s'étend sur la flotte lorsque le général est absent. Il manie particulierement l'argent, & paie les soldats & les matelots, dont il rend compte à son retour au sénat. Sa charge ne dure que deux ans, & sa puissance est partagée de telle sorte avec le capitaine général de la marine, que le provéditeur a l'autorité sans la force, & le général a la force sans l'autorité. (D.J.)
PROVEDITEUR de la douanne, (Commerce) on nomme ainsi à Livourne celui qui a l'intendance & le soin général de la douanne & des droits d'entrée & de sortie de cette ville d'Italie, célébre par son commerce. Le provéditeur tient le premier rang après le gouverneur : on appelle sous-provéditeur, celui qui a soin de la douanne en son absence.
C'est à cette douanne que l'on est obligé de venir déclarer toutes les marchandises qui arrivent à Livourne par mer ou par terre ; & ces déclarations sont régistrées par des commis. Il arrive communément en tems de paix à Livourne trois cent vaisseaux par an, huit à neuf cent barques, & un grand nombre de félouques. La moitié de ces vaisseaux sont anglois. (D.J.)
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PROVENCE | (Géog. mod.) province méridionale de France, bornée au nord par le Dauphiné, au midi par la Méditerranée, au levant par les Alpes & le Var qui la séparent de la Savoie, au couchant par le Rhône, qui la sépare du Languedoc. Son étendue du midi au nord est de 40 lieues, & de 32 du levant au couchant.
On divise la Provence en haute & basse : la haute est au nord, & la basse au midi. La premiere est un pays assez tempéré, qui donne des pommes, du blé, mais peu de vin. Dans la basse, l'air est très-chaud ; son terroir est sec & sablonneux, produisant des grenadiers, des orangers, des citronniers, des figuiers, des plantes médicinales, des muscats, &c. M. Godeau l'appelloit ingénieusement la gueuse parfumée. Elle abonde encore en oliviers & en muriers.
Les principales rivieres de la Provence sont la Durance, le Verdon & le Var. Elle comprend deux archevêchés & douze évêchés. Il n'y a plus d'états généraux depuis 1639, mais il y a des assemblées générales tenues tous les ans, par ordre du roi, à Lambesc. L'archevêque d'Aix y préside. Le commerce de cette province est considérable, soit pour le Levant, soit pour l'Italie.
Il y a en Provence des étangs & des golfes de grande étendue. L'étang de Martigues au bord de la mer, entre Marseille & le Rhône, a plus de 4 lieues de large. Le golfe de Griauld, & celui de Toulon, ont chacun environ 4 lieues de longueur. Le port de cette derniere ville & celui de Marseille sont très-renommés. Les îles d'Hieres sont célébres. On appelle mer de Provence la partie de la Méditerranée qui est au midi de cette province. Elle comprend les mers de Marseille, le golfe de Martigues, & celui de Griauld. La religion de Malthe posséde de grands biens dans cette province. Elle y a deux grands-prieurés, & soixante & onze commanderies. Aix est la capitale de toute la province.
Le nom de Provence vient de Provincia, que les Romains donnerent à cette partie des Gaules qu'ils conquirent la premiere : elle étoit de plus grande étendue que la Provence d'aujourd'hui ; car outre le Languedoc, cette province Romaine contenoit encore le Dauphiné & la Savoie, jusqu'à Geneve ; néanmoins on voit que communément dans le neuvieme, le dixieme & le onzieme siecles, le nom de Provence étoit donné au pays qui est à l'orient du Rhône, & l'on n'appelloit en particulier le comté de Provence, que ce qui est renfermé entre la mer Méditerranée, le Rhône, la Durance & les Alpes.
Ce pays étoit autrefois habité par les Salyes ou Salices, que quelques-uns écrivent en latin Salvi, & d'autres Saluvii & Salluvii, qui étoient Liguriens d'origine. Les Marseillois venus des Grecs de Phocée en Ionie, s'étoient établis sur les côtes de ce pays-là, où ils avoient fondé plusieurs villes. Les anciens habitans qui souffroient avec peine ces nouveaux venus, les incommodoient par de fréquentes hostilités ; desorte que les Marseillois furent contraints d'implorer le secours des Romains leurs alliés. Fulvius, consul romain, fut envoyé contre les Salyes, l'an 629 de la ville de Rome, & 125 ans avant J. C. L'année suivante il les battit dans quelques combats, mais il ne les subjugua point ; ce fut le consulaire Sextius qui acheva cette conquête, & chassa le roi Teutomate de ce pays, qu'il abandonna pour se retirer chez les Allobroges l'an 631 de Rome, & 123 avant J. C. Ainsi, les Romains commencerent alors à avoir le pié dans la Gaule transalpine. Ce pays fut des derniers qui leur resta, & qu'ils ne perdirent qu'après la prise de Rome par Odoacre.
Euric, roi des Visigoths, s'empara de la Provence, & son fils Alaric en jouït jusqu'à ce qu'il fut tué en bataille par Clovis. Les Visigoths, qui étoient maîtres de ce pays, le donnerent à Théodoric, roi des Ostrogoths, qui le laissa à sa fille Amalasunte, & à son petit-fils Athalaric. Après la mort d'Athalaric & d'Amalasunte, les Ostrogoths pressés par Bélisaire, général de l'empereur Justinien, abandonnerent la Provence aux rois françois Mérovingiens, qui la partagerent entr'eux.
Sous les Carlovingiens la Provence fut possédée par l'empereur Lothaire, qui la donna à titre de royaume à son fils Charles, l'an 855, & ce royaume s'éteignit vers l'an 948. Plusieurs princes en jouirent ensuite à titre de comté, jusqu'à la mort de Charles, roi de Sicile, qui, à ce que prétendit Louis XI. l'avoit institué son héritier, en 1481.
Ce qu'il y a de certain, c'est que Louis XI. prit possession de toute la Provence, & fit ouir en justice plusieurs témoins, qui affirmerent que Charles avoit déclaré hautement avant sa mort, qu'il vouloit que le roi de France fût héritier de tous ses états qu'il laissoit à la couronne. On promit néanmoins aux Provençaux qu'on leur conserveroit leurs lois particulieres & leurs privileges, sans que par l'union à la couronne leur pays pût devenir province de France. C'est pour cela que dans les arrêts rendus au parlement d'Aix, on met, par le roi, comte de Provence ; & les rois dans leurs lettres adressées à ce pays-là, prennent la qualité de comtes de Provence.
Ce fut en vain qu'après la mort de Louis XI. René, duc de Lorraine, renouvella ses prétentions sur la succession du roi René, son ayeul maternel ; il en fut débouté par une sentence arbitrale, après quoi Charles VIII. unit à perpétuité la Provence à la couronne de France, l'an 1487.
On peut consulter Ruffi, histoire des comtes de Provence ; Honoré Bouche, histoire de Provence ; Petri Quinquerani de Laudibus Provinciae, lib. III. Paris, 1551, in-fol. & en françois, à Lyon, 1614, in-8°. Voyez aussi Pitton (Jean Scholastique) sentimens sur les historiens de Provence, Aix 1682, in-fol. Cet ouvrage vaut beaucoup mieux que le traité latin du même auteur, intitulé de conscribendâ historiâ rerum naturalium Provinciae, qui parut à Aix, en 1672.
La Provence a produit des hommes célébres, soit dans les siecles d'or de l'église, où florissoit Honorat, Maxime, Léonce, Hilaire, Gennade, &c. soit dans les siecles suivans ; mais je n'ai garde d'oublier Peiresc, Gassendi, & Antoine Pagi ; leurs noms, surtout les deux premiers, sont trop bien gravés dans ma mémoire.
Peu d'hommes ont rendu plus de services à la république des lettres que M. de Peiresc, né dans un village de Provence, le premier Décembre 1580. Il employa ses revenus, non pas seulement à se rendre savant lui-même, à voyager dans toute l'Europe pour le devenir, à encourager les auteurs, à leur fournir des lumieres & des matériaux, mais encore à faire acheter ou à faire copier les monumens les plus rares & les plus utiles. Son commerce de lettres embrassoit toutes les parties du monde. Ce commerce étoit si grand, que M. de Mazauques, conseiller au parlement d'Aix, possédoit dix mille lettres, qui furent trouvées parmi les papiers de M. de Peiresc. Les expériences philosophiques, les raretés de la nature, les productions de l'art, l'antiquariat, l'histoire, les langues, étoient également l'objet de ses soins & de sa curiosité. Il s'appliqua particulierement au grec, aux mathématiques & aux médailles, dont il avoit une belle collection, dans laquelle, dit Charles Patin, il s'en trouvoit plus de mille grecques. Il apprit en Italie assez d'hébreu, de samaritain, de syriaque & d'arabe, pour être en état de déchiffrer les autres médailles.
Il mourut le 24 Juin 1637 ; " & si vous me permettez (écrivoit Balzac à M. l'Huillier) de me servir en françois d'une parole empruntée de Grece, nous avons perdu en ce rare personnage une piece du naufrage de l'antiquité, & les reliques du siecle d'or. Toutes les vertus des tems héroïques s'étoient retirées en cette belle ame. La corruption universelle ne pouvoit rien sur sa bonne constitution, & le mal qui le touchoit ne le souilloit pas. Sa générosité n'a été ni bornée par la mer, ni enfermée au-deçà des Alpes : elle a semé ses faveurs & ses courtoisies de tous côtés : elle a reçu des remercimens des extrêmités de la Syrie, & du sommet même du Liban. Dans une fortune assez médiocre il avoit les pensées d'un grand seigneur, & sans l'amitié d'Auguste, il ne laissoit pas d'être Mécenas ".
On a de M. de Peiresc plusieurs ouvrages, entr'autres historia Provinciae Galliae narbonnensis ; liber de ludicris naturae operibus ; autores antiqui graeci & latini de ponderibus & mensuris ; inscriptiones antiquae & novae ; observationes in varios authores ; observationes mathematicae, &c.
C'est lui qui engagea Grotius à écrire son traité de la guerre & de la paix ; on apprend cette particularité par une des lettres de Grotius même à M. Peiresc, datée du 11 Janvier 1624. Interim, dit-il, non otior ; sed in illo de jure gentium opere pergo, quod si tale futurum est, ut lectores demereri possit, habebis, quod tibi debeat posteritas, qui me ad hunc laborem, & auxiliis & hortatu tuo, excitasti.
Vous trouverez beaucoup d'autres détails dans la vie de notre savant provençal, donnée élégamment & savamment en latin par Gassendi. Cet homme si célébre par toute l'Europe, & dont la mort fut pleurée par tant de poëtes, & en tant de langues ; cet homme enfin qui mit en deuil pompeusement les Humoristes de Rome, étoit inconnu à plusieurs françois de mérite, & presque ses contemporains ; l'auteur des maximes, le duc de la Rochefoucault, n'avoit jamais ouï parler de M. de Peiresc.
Gassendi (Pierre) nâquit en 1592, dans un bourg de Provence, du diocèse de Digne, & fut le restaurateur d'une partie de la physique d'Epicure, dont il a donné au public trois volumes. Il sentit, dit M. de Voltaire, la nécessité des atomes & du vuide de Newton, & d'autres ont démontré depuis ce que Gassendi avoit affirmé. Il eut moins de réputation que Descartes, parce qu'il étoit plus raisonnable, & qu'il n'étoit pas inventeur ; mais on l'accusa, comme Descartes, d'athéisme. Il est vrai qu'il étoit sceptique, & que la philosophie lui avoit appris à douter, mais non pas de l'existence d'un être suprême. Il joignoit d'ailleurs aux vertus de l'honnête homme, une belle & grande érudition. Il a publié des ouvrages astronomiques, les vies d'Epicure, de Copernic, de Ticho-Brahé, de Peurbac, de Regiomontan, de Peiresc, des épitres & divers autres traités. Il mourut à Paris le 24 Octobre 1656, âgé de 65 ans. M. Henri-Louis Habert de Montmort, maître des requêtes, le fit enterrer dans sa chapelle à S. Nicolas-des-Champs, & lui fit ériger un monument de marbre blanc, où l'on voit son buste avec une épitaphe audessous, & le tout d'une modestie digne d'un philosophe. Le même M. de Montmort & François Henrys, noble lyonnois, avocat au parlement de Paris, prirent soin de recueillir tous les ouvrages de leur ami, dont l'édition complete parut à Lyon en 6 vol. in-folio, en 1659.
Pagi (Antoine), cordelier & savant critique, nâquit à Rogne en Provence, en 1624, & mourut à Aix en 1699. Son principal ouvrage est une critique des annales de Baronius, où en suivant ce savant cardinal année par année, il rectifie une infinité d'endroits, dans lesquels Baronius s'étoit trompé, soit dans la chronologie, soit dans la narration des faits. Cet excellent ouvrage écrit en latin, a été imprimé à Geneve en 1705, in-fol. 4. vol. & le P. Pagi, son neveu, en a donné une nouvelle édition, en 1727, dans la même ville, quoique sous le titre d'Anvers. (Le Ch(D.J.) ).
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PROVENDE | S. f. (Maréc.) on appelle ainsi dans les haras une nourriture pour les poulains, composée de son & d'avoine.
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PROVENIR | v. n. venir de, naître, tenir son origine. Nos infirmités proviennent presque toutes de l'intempérance ; d'où provient cette misere, ce trouble, ce vertige ? De l'ignorance & de l'orgueil. Ils sont tout étonnés de leurs grandeurs ; ils se croyent tout permis, & de-là proviennent une infinité d'écarts dont les suites retombent sur nous.
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PROVERBE | S. m. (Littérat.) Cambden le définit un discours concis, spirituel & sage fondé sur une longue expérience, & qui contient ordinairement quelque avis important & utile. Voyez ADAGE.
On pourroit en ce sens appeller proverbes tant d'apophtegmes & de maximes des sept sages de la Grece & des philosophes de l'antiquité. Et c'est sur le même fondement qu'on a donné le nom de proverbes à cet excellent recueil de maximes, qui fait partie des livres de l'ancien testament, sous le titre de proverbes de Salomon.
Par proverbes on entend communément une maxime concise, & qui renferme beaucoup de sens, mais énoncée dans un style familier, & qu'on n'employe guere que dans la conversation, tels que ceux-ci : qui trop embrasse mal étreint : chat échaudé craint l'eau tiede : un tiens vaut mieux que deux tu l'auras : il faut garder une poire pour la soif : à pere avare enfant prodigue : à bon chat bon rat, &c.
On nous a donné un recueil alphabétique des proverbes de cette derniere espece ; mais ce qui le rend presque inutile, c'est qu'on a négligé de rechercher l'origine de la plûpart de ces manieres de parler proverbiales, ou d'expliquer ce qui y a donné occasion.
PROVERBES, (Théol.) nom d'un des livres canoniques de l'ancien testament. C'est un recueil de sentences morales & de maximes de conduite pour tous les états de la vie, que l'on attribue à Salomon.
Cependant quelques critiques, & entr'autres Grotius, ont douté que Salomon fût l'auteur de ce livre. Ils avouent que ce prince fit faire pour son usage une compilation de ce qu'il y avoit alors de plus beau en fait de morale dans les anciens écrivains de sa nation, mais que sous Ezéchias on grossit ce recueil de ce qui avoit été écrit d'utile depuis Salomon, & que ce furent Eliacim, Sobna & Joaké qui firent alors cette compilation. Grotius apporte en preuve de cette opinion, qu'on remarque dans les diverses parties de ce livre une différence palpable de style. Les neufs premiers chapitres qui ont pour titre paraboles de Salomon, sont écrits en forme de discours suivi ; mais au chap. X. quoique ce soit le même titre, le style est tout nouveau, coupé & plein d'antitheses : ce qui continue jusqu'au verset 17 du chap. xxij. où l'on trouve un style plus semblable à celui des neuf premiers chapitres ; mais il redevient court & sententieux au vingt-troisieme verset du chap. xxjv. Enfin au commencement du chap. xxv. on lit ces mots : voici les paroles qui furent recueillies & compilées par les gens d'Ezéchias, roi de Juda. Ce recueil va jusqu'au chap. xxx. On y lit : discours d'Agur, fils de Joaké. Enfin le chap. xxxj. & dernier a pour titre, discours du roi Lamuel.
De tout cela il paroit certain que le livre des proverbes, en l'état où nous l'avons aujourd'hui, est une compilation d'une partie des proverbes de Salomon faite par plusieurs personnes ; mais on n'en peut pas conclure que l'ouvrage ne soit pas de ce prince. Inspiré par le St. Esprit il avoit écrit jusqu'à trois mille paraboles, comme il est rapporté dans le III. liv. des Rois, c. iv. v. 32. Diverses personnes en purent faire des recueils, entr'autres, Ezéchias, Agur, Esaïe, Esdras, & de ces différens recueils on a composé l'ouvrage que nous avons.
On ne doute pas de la canonicité du livre des proverbes. Théodore de Mopsueste, parmi les anciens, & entre les modernes, l'auteur d'une lettre insérée dans les sentimens de quelques théologiens de Hollande, sont les seuls qui l'ayent révoquée en doute, & qui ayent prétendu que Salomon avoit composé cet ouvrage par une pure industrie humaine.
Les Hébreux appellent ce livre , misle ou mischle, ce que les Grecs ont rendu par , paraboles. La version grecque de ce livre s'éloigne assez souvent de l'hébreu, & ajoute un assez grand nombre de versets qui ne sont pas dans l'original. Le grec de l'édition romaine renferme diverses transpositions de chapitres entiers. On ne sait d'où viennent ces dérangemens. Dans les anciennes éditions latines on trouve aussi plusieurs versets ajoutés, mais que l'on a retranchés depuis saint Jérome. Calmet, dictionn. de la bibl. Tom. III. p. 298.
PROVERBE, (Critiq. sacrée) en grec , proverbium dans la vulgate. Ce mot dans l'Ecriture signifie 1°. une sentence commune & triviale : 2°. une chanson, idcirco dicetur in proverbio, Nom. xxj. 27 ; c'est pourquoi on dit en chanson, venite in Herebon : 3°. jouet, raillerie : erit Israel in proverbium, & in fabulam cunctis populis, Deuter. xxviij. 37, Israël deviendra la risée de tous les peuples : 4°. une énigme, une sentence obscure, occulta proverbiorum exquiret. Eccl. xxxjx. 3, le sage tâchera de pénétrer le secret des énigmes : 5°. une parabole, discours figuré par lequel on représente une vérité ; hoc proverbium dixit eis Jesus, Jesus leur dit cette parabole, Joan. x. 6. (D.J.)
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PROVESTIAIRE | S. m. (Gram. & Hist. anc.) nom d'un officier à la cour des empereurs de Constantinople ; c'étoit ce que nous appellons aujourd'hui grand maître de la garde-robe.
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PROVIDENCE | S. f. (Métaph.) la providence est le soin que la divinité prend de ses ouvrages, tant en les conservant, qu'en dirigeant leurs opérations. Les payens, tant poëtes que philosophes, si l'on en excepte les Epicuriens, l'ont reconnue, & elle a été admise par toutes les nations du moins policées, & qui vivoient sous le gouvernement des lois. Virgile nous tiendra ici lieu de tous les poëtes. Il fait adresser à Jupiter cette invocation par Vénus :
O qui res hominumque, deûmque
Aeternis regis imperiis & fulmine terres.
Aeneid. lib. I.
Diodore de Sicile dit que les Chaldéens soutenoient que l'ordre & la beauté de cet univers étoient dûs à une Providence, & que ce qui arrive dans le ciel & sur la terre, n'arrive point de soi-même, & ne dépend point du hazard, mais se fait par la volonté fixe & déterminée des dieux. Les philosophes barbares admettoient une Providence générale. Ils tomboient d'accord qu'un premier moteur, que Dieu avoit présidé à la formation de la terre, mais ils nioient une providence particuliere ; ils disoient que les choses ayant une fois reçu le mouvement qui leur convenoit, s'étoient dépliées, pour ainsi dire, & se succédoient les unes aux autres à point nommé : c'est une folie de croire, disoient-ils, que chaque chose arrive en détail, parce que Jupiter l'a ainsi ordonné : tout au contraire, ce qui arrive est une dépendance certaine de ce qui est arrivé auparavant. Il y a un ordre inviolable duquel tous les événemens ne peuvent manquer de s'ensuivre, & qui ne sert pas moins à la beauté qu'à l'affermissement de l'univers.
Les philosophes grecs, en admettant une providence, étoient partagés entr'eux sur la maniere dont elle étoit administrée. Il y en eut qui n'étendirent la Providence de Dieu que jusqu'au dernier des orbes célestes, le genre humain n'y avoit point de part. Il y en eut aussi qui ne lui faisoient gouverner que les affaires générales, la déchargeant du soin des intérêts particuliers, magna dii curant, parva negligunt, disoit le stoïcien Balbus, ils ne croyoient pas qu'elle s'abaissât jusqu'à veiller sur les moissons & sur les fruits de la terre. Minora dii negligunt, neque agellos singulorum, nec viticulas persequuntur, nec si uredo aut grando quidpiam nocuit, id Jovi animadvertendum fuit. Nec in regnis quidem reges omnia minima curant.
Il faut ici remarquer que la religion des payens, ce qu'ils disoient de la Providence, leur crainte de la justice divine, leurs espérances des faveurs d'en-haut étoient des choses qui ne couloient point de leur doctrine touchant la nature des dieux. Je parle même de la doctrine des philosophes sur ce grand point. Cette doctrine approfondie, bien pénétrée, étoit l'éponge de toute religion. Voici pourquoi : c'est qu'un dieu corporel ne seroit pas une substance, mais un amas de plusieurs substances ; car tout corps est composé de parties. Si l'on invoquoit ce dieu, il n'entendroit point les prieres entant que tout, puisque rien de composé n'existe hors de notre entendement sous la nature de tout. Si Dieu, entant que tout, n'entendoit point les prieres, du moins les entendoit-il quant à ses parties, pas davantage ; car ou chacune de ces parties les entendroit & les pourroit exaucer, ou cela n'appartiendroit qu'à un certain nombre de parties. Au premier cas, il n'y auroit qu'une partie qui fût nécessaire au monde, toutes les autres passeroient sous le rasoir des nominaux, la nature ne souffrant rien d'inutile. Bien plus, cette partie-là contiendroit une infinité d'inutilités, car elle seroit divisible à l'infini. On ne parvient jamais à l'unité dans les choses corporelles. Au second cas, on ne pourroit jamais déterminer quel est le nombre des parties exauçantes, ni pourquoi elles ont cette vertu préférablement à leurs compagnes. Dans ces embarras on concluroit par n'invoquer aucun dieu. Je vais plus loin, & je raisonne contre les philosophes anciens. Le dieu que vous admettez n'étant qu'une matiere très-subtile & très-déliée (les anciens n'ont jamais eu d'autre idée de la spiritualité), n'est tout entier nulle part, ni quant à sa substance, ni quant à sa force : donc il n'existe tout entier en aucun lieu quant à sa science : donc il n'y a rien qui par une idée pure & simple connoisse tout-à-la-fois le présent, le passé & l'avenir, les pensées & les actions des hommes, la situation & les qualités de chaque corps, &c. donc la science de votre dieu est partout bornée, & comme le mouvement, quelque infini qu'on le suppose dans l'infinité des especes est néanmoins fini en chaque partie, & modifié diversement selon les rencontres ; ainsi la science, quelque infinie qu'elle puisse être extensivè par dispersion, est limitée intensivè quant à ses degrés dans chaque partie de l'univers : il n'y a donc point une Providence réunie qui sache tout, & qui regle tout : il seroit donc inutile d'invoquer l'auteur de la nature. Si les anciens philosophes eussent donc raisonné conséquemment, ils auroient nié toute Providence, mais cette idée d'une Providence est si naturelle à l'esprit, & si fortement imprimée dans tous les coeurs, que malgré toutes leurs erreurs sur la nature de Dieu, erreurs qui la détruisoient absolument, ils ont néanmoins toujours reconnu cette Providence. Ils ont réuni en un seul point toute la force & toute la science de Dieu, quoique dans leurs principes elle dût être à part & désunie dans toute la nature. Ils ne sont redevables de leur orthodoxie sur cet article qu'au défaut d'exactitude qui les a empêchés de raisonner conséquemment. Ce sont deux questions qui dans le vrai se supposent l'une & l'autre. Si Dieu gouverne le monde, il a présidé à sa formation, & s'il y a présidé, il le gouverne. Mais tous les anciens philosophes n'y regardoient pas de si près : ils avouoient que la matiere ne devoit qu'à elle-même son existence. Il étoit tout simple d'en conclure que les dieux n'agissoient point sur la matiere, & qu'ils n'en pouvoient disposer à leur fantaisie. Mais ce qui nous paroit si simple & si naturel, n'entroit point dans leur esprit ; ils trouvoient le secret d'unir les choses les plus incompatibles & les plus discordantes. M. Bayle a très-bien prouvé que les Epicuriens qui nioient la Providence, dogmatisoient plus conséquemment que ceux qui la reconnoissoient. En effet, ce principe une fois posé que la matiere n'a point été créée, il est moins absurde de soutenir, comme faisoient les Epicuriens, que Dieu n'étoit pas l'auteur du monde, & qu'il ne se mêloit pas de le conduire, que de dire qu'il l'avoit formé, qu'il le conservoit, & qu'il en étoit le directeur. Ce qu'ils disoient étoit vrai ; mais ils ne laissoient pas de parler inconséquemment. C'étoit une vérité, pour ainsi dire intruse, qui n'entroit point naturellement dans leur systême ; ils se trouvoient dans le bon chemin, parce qu'ils s'étoient égarés de la route qu'ils avoient prise au commencement. Voici ce qu'on pouvoit leur dire : si la matiere est éternelle, pourquoi son mouvement ne le seroit-il pas ? Et s'il l'est, elle n'a donc pas besoin d'être conduite. L'éternité de la matiere entraîne avec elle l'éternité du mouvement. Dès que la matiere existe, je la conçois nécessairement susceptible d'un nombre infini de configurations. Peut-on s'imaginer qu'elle puisse être figurable sans mouvement ? D'ailleurs qu'est-ce que le mouvement introduit dans la matiere ? Du moins quel est-il selon vos idées ? Ce n'est qu'un changement de situation qui ne peut convenir qu'à la matiere, c'est un de ses principaux attributs éternels. Et puis, pourroit dire un épicurien, de quel droit Dieu a-t-il ôté à la matiere l'état où elle avoit subsisté éternellement ? Quel est son titre ? D'où lui vient sa commission pour faire cette réforme ? Qu'auroit-on pu lui répondre ? Eût-on fondé ce titre sur la force supérieure dont Dieu se trouvoit doué ; Mais en ce cas-là ne l'eût-on pas fait agir selon la loi du plus fort, & à la maniere de ces conquérans usurpateurs, dont la conduite est manifestement opposée au droit ? Eût-on dit, que Dieu étant plus parfait que la matiere, il étoit juste qu'il la soumît à son empire ? Mais cela même n'est pas conforme aux idées de la religion. Un philosophe qu'on auroit pressé de la sorte, se seroit contenté de dire que Dieu n'exerce son pouvoir sur la matiere que par un principe de bonté. Dieu, diroit-il, connoissoit parfaitement ces deux choses : l'une, qu'il ne faisoit rien contre le gré de la matiere, en la soumettant à son empire ; car, comme elle ne sentoit rien, elle n'étoit point capable de se fâcher de la perte de son indépendance : l'autre, qu'elle étoit dans un état de confusion & d'imperfection, un amas informe de matériaux, dont on pouvoit faire un excellent édifice, & dont quelques-uns pouvoient être convertis en des corps vivans & en des substances pensantes. Il voulut donc communiquer à la nature un état plus parfait & plus beau que celui où elle étoit. 1°. Un épicurien auroit demandé s'il y avoit un état plus convenable à une chose que celui où elle a toujours été, & où sa propre nature & la nécessité de son existence l'ont mise éternellement. Une telle condition n'est-elle pas la plus naturelle qui puisse s'imaginer ? Ce que la nature des choses, ce que la nécessité à laquelle tout ce qui existe de soi-même doit son existence réglée & déterminée, peut-il avoir besoin de reforme ? 2°. Un agent sage n'entreprend point de mettre en oeuvre un grand amas de matériaux, sans avoir examiné ses qualités, & sans avoir reconnu qu'ils sont susceptibles de la forme qu'il voudroit leur donner ; or Dieu pouvoit-il les connoître, s'il ne leur avoit pas donné l'être ? Dieu ne peut tirer ses connoissances que de lui-même : rien ne peut agir sur lui, ni l'éclaircir : si Dieu ne voyant donc point en lui-même, & par la connoissance de ses volontés, l'existence de la matiere, elle devoit lui être éternellement inconnue : il ne pouvoit donc pas l'arranger avec ordre, ni en former son ouvrage. On peut donc conclure de tous ces raisonnemens que l'impiété d'Epicure rouloit naturellement & philosophiquement de l'erreur commune aux payens sur l'existence éternelle de la matiere. Ses avantages auroient été bien plus grands, s'il avoit eu à faire au vulgaire, qui croyoit bonnement que les dieux mâles & femelles, issus les uns des autres, gouvernoient le monde. On peut lire sur cela l'article d'Epicure dans le dictionnaire de Bayle.
Il y avoit encore une autre raison qui auroit dû empêcher les anciens philosophes, supposé qu'ils eussent raisonné conséquemment, d'admettre une Providence du moins particuliere : c'est le sentiment où ils étoient presque tous, qu'il n'y avoit point de peines ni de récompenses dans une autre vie, quoiqu'ils enseignassent au peuple ce dogme à cause de son utilité. L'ancienne philosophie grecque étoit raffinée, subtilisée, spéculative à l'excès ; elle se décidoit moins par des principes de Morale, que par des principes de Métaphysique ; & quelque absurdes qu'en fussent les conséquences, elles n'étoient pas capables de vaincre l'impression que ces principes faisoient sur leurs esprits, ni de les tirer de l'erreur dont ils étoient prévenus ; or ces principes métaphysiques qui donnent, dans leur façon de raisonner, nécessairement l'exclusion au dogme des peines & des récompenses d'une autre vie, étoient 1°. que Dieu ne pouvoit se fâcher, ni faire du mal à qui que ce soit : 2°. que nos ames étoient autant de parcelles de l'ame du monde qui étoit dieu, à laquelle elles devoient se réunir, après que les liens du corps où elles étoient comme enchaînées, auroient été brisés. Voyez l'article AME. Un moderne rempli des idées philosophiques de ces derniers siecles, sera peut-être surpris de ce que cette conséquence a fort embarrassé toute l'antiquité, lorsqu'il lui paroît & qu'il est réellement si facile de résoudre la difficulté, en distinguant les passions humaines des attributs divins de justice & de bonté, sur lesquels est établi d'une maniere invincible le dogme des peines & des récompenses futures. Mais les anciens étoient fort éloignés d'avoir des idées si précises & si distinctes de la nature divine ; ils ne savoient pas distinguer la colere de la justice, ni la partialité de la bonté. Ce n'est cependant pas qu'il n'y ait eu parmi les ennemis de la religion quelques modernes coupables de la même erreur. Milord Rochester croyoit un Etre suprème ; il ne pouvoit pas s'imaginer que le monde fût l'ouvrage du hasard, & le cours régulier de la nature lui paroissoit démontrer le pouvoir éternel de son auteur ; mais il ne croyoit pas que Dieu eût aucune de ces affections d'amour & de haine qui causent en nous tant de trouble ; & par conséquent il ne concevoit pas qu'il y eût des récompenses & des peines futures.
Mais comment concilier, direz-vous, la Providence avec l'exclusion du dogme des peines & des récompenses d'une autre vie ? Pour répondre à votre question, il sera bon de considérer quelle étoit l'espece de Providence que croyoient les philosophes théistes. Les Péripatéticiens & les Stoïciens avoient à-peu-près les mêmes sentimens sur ce sujet. On accuse communément Aristote d'avoir cru que la Providence ne s'étendoit point au dessous de la lune ; mais c'est une calomnie inventée par Chalcidias. Ce qu'Aristote a prétendu, c'est que la Providence particuliere ne s'étendoit point aux individus. Comme il étoit fataliste dans ses opinions sur les choses naturelles, & qu'il croyoit en même tems le libre arbitre de l'homme, il pensoit que si la Providence s'étendoit jusqu'aux individus, ou que les actions de l'homme seroient nécessaires, ou qu'étant contingentes, leurs effets déconcerteroient les desseins de la Providence. Ne voyant donc aucun moyen de concilier le libre arbitre avec la Providence divine, il coupa le noeud de la difficulté, en niant que la Providence s'étendît jusqu'aux individus. Zénon soutenoit que la Providence prenoit soin du genre humain, de la même maniere qu'elle préside au globe céleste, mais plus uniforme dans ses opinions qu'Aristote, il nioit le libre arbitre de l'homme ; & c'est en quoi il différoit de ce philosophe. Au reste l'un comme l'autre, en admettant la providence générale, rejettoit toute providence particuliere. Voilà d'abord un genre de providence, qui est non-seulement très-compatible avec l'opinion de ne point croire les peines & les récompenses de l'autre vie, mais qui même détruit la créance de ce dogme.
Le cas des Pythagoriciens & des Platoniciens est à la vérité tout-à-fait différent ; car ces deux sectes croyoient une providence particuliere qui s'étendoit à chaque individu ; une providence qui suivant les notions de l'ancienne philosophie, ne pouvoit avoir lieu sans les passions d'amour ou de haine : c'est-là le point de la difficulté. Ces sectes excluoient de la Divinité toute idée de passion, & particulierement l'idée de colere ; en conséquence, elles rejettoient la créance du dogme des peines & des récompenses d'une autre vie ; cependant elles croyoient en même tems une providence administrée par le secours des passions. Pour éclaircir cette opposition apparente, il faut avoir recours à un principe dominant du paganisme, c'est-à-dire, de l'influence des divinités locales & nécessaires. Pythagore & Platon enseignoient que les différentes régions de la terre avoient été confiées par le maître suprème de l'univers au gouvernement de certains dieux inférieurs & subalternes. C'étoit long-tems avant ces philosophes l'opinion populaire de tout le monde payen. Elle venoit originairement des Egyptiens, sur l'autorité desquels Pythagore & Platon l'adopterent. Tous les écrits de leurs disciples sont remplis de la doctrine des démons & des génies, & d'une maniere si marquée, que cette opinion devint le dogme caractérisé de leur théologie. Or l'on supposoit que ces génies étoient susceptibles de passions, & que c'étoit par leur moyen que la providence particuliere avoit lieu. On doit même observer ici que la raison qui, suivant Chalcidias, faisoit rejetter aux Péripatéticiens la créance d'une providence, c'est qu'ils ne croyoient point à l'administration des divinités inférieures ; ce qui montre que ces deux opinions étoient étroitement liées l'une à l'autre.
Il paroît évidemment par ce que nous venons de dire, que le principe, que Dieu est incapable de colere, principe qui dans l'idée des payens renversoit le dogme des peines & des récompenses d'une autre vie, n'attaquoit point la providence particuliere des dieux, & que la bienveillance que quelques philosophes attribuoient à la Divinité suprème, n'étoit point une passion semblable en aucune maniere à la colere qu'ils lui refusoient, mais une simple bienveillance, qui dans l'arrangement & le gouvernement de l'univers, dirigeoit la totalité vers le mieux, sans intervenir dans chaque système particulier. Cette bienveillance ne provenoit pas de la volonté, mais émanoit de l'essence même de l'Etre suprème. Presque tous les philosophes ont donc reconnu une providence, sinon particuliere, du-moins générale. Démocrite & Leucippe passent pour avoir été les premiers adversaires de la Providence ; mais ce fut Epicure qui entreprit d'établir leurs opinions. Tous les Epicuriens pensoient de même que leur maître ; Lucrece cependant, le poëte Lucrece, dans le livre même où il combat la Providence, l'établit d'une maniere fort énergique, en admettant une force cachée qui influe sur les grands événemens.
Usque adeò res humanas vis abdita quaedam
Obterit, & pulchros fasces, saevasque secures
Proculcare ac ludibrio sibi habere videtur.
Au fond, Epicure n'admettoit des dieux que par politique, & son système étoit un véritable athéisme. Cicéron le dit d'après Possidonius, dans son livre de la nature des dieux : Epicurus re tollit, & actione relinquit deos. Nous résoudrons plus bas les difficultés qu'il faisoit contre le dogme de la Providence.
Tous les peuples policés reconnoissoient une Providence ; cela est sûr des Grecs. On pourroit en rapporter une infinité de preuves ; je me contenterai de celle que me fournit Plutarque dans la vie de Timoléon, de la traduction d'Amiot : " Mais arrivé que fut Dionisius en la ville de Corinthe, il n'y eut homme en toute la Grece, qui n'eût envie d'y aller pour le voir & parler à lui, & y alloient les uns très-aises de son malheur, comme s'ils eussent foulé aux piés celui que la fortune avoit abattu, tant ils le haïssoient âprement. Les autres amollis en leur coeur de voir une si grande mutation, le regardoient avec un je ne sais quoi de compassion, considérant la grande puissance qu'ont les causes occultes & divines sur l'imbécillité des hommes, & sur les choses qui passent tous les jours devant nos yeux ". Il est vrai, pour le dire en passant, que l'orthodoxie de Plutarque n'est pas soutenue, & qu'il parle quelquefois le langage des Epicuriens. Tite-Live s'exprime ainsi sur le malheur arrivé à Appius Claudius : & dum pro se quisque deos tandem esse, & non negligere humana fremunt, & superbiae crudelitatique paenas & si feras, non leves tamen venire paenas. Les Indiens, les Celtes, les Egyptiens, les Ethiopiens, les Chaldéens, en un mot, presque tous les peuples qui croyoient qu'il y avoit un Dieu, croyoient en même tems qu'il avoit soin des choses humaines : tant est forte & naturelle la conviction d'une Providence, dès-là qu'on admet un être suprème. L'évidence de ce dogme ne sauroit être obscurcie par les difficultés qu'on y oppose en foule ; les seules lumieres de la raison suffisent pour nous faire comprendre, que le Créateur de ce chef-d'oeuvre qu'on ne peut assez admirer, n'a pu l'abandonner au hasard. Comment s'imaginer que le meilleur des peres néglige le soin de ses enfans ? Pourquoi les auroit-il formés, s'ils lui étoient indifférens ? Quel est l'ouvrier qui abandonne le soin de son ouvrage ? Dieu peut-il avoir créé des sujets en état de connoître leur Créateur & de suivre des lois, sans leur en avoir donné ? Les lois ne supposent-elles pas la punition des coupables ? Comment punir, sans connoître ce qui se passe ? Tout ce qui est dans Dieu, tout ce qui est dans l'homme, tout ce qui est dans le monde, nous conduit à une Providence. Dès qu'on supprime cette vérité, la religion s'anéantit ; l'idée de Dieu s'efface, & on est tenté de croire, que n'y ayant plus qu'un pas à faire pour tomber dans l'athéïsme, ceux qui nient la Providence peuvent être placés au rang des athées. Mais, pour rendre ceci plus frappant & plus sensible, faisons un parallele entre le Dieu de la religion, & le dieu de l'irréligion ; entre le Dieu de la providence, & le dieu d'Epicure ; entre le Dieu des Chrétiens, & le dieu de certains déïstes. Dans le système de l'irréligion, je vois un dieu dédaigneux & superbe, qui néglige, qui oublie l'homme après l'avoir fait, qui le dégage de toute dépendance, de peur de s'abaisser jusqu'à veiller sur lui ; qui l'abandonne par mépris à tous les égaremens de son orgueil, & à tous les excès de la passion, sans y prendre le moindre intérêt ; un dieu qui voit d'un oeil égal & le vice triomphant, & la vertu violée, qui ne demande d'être aimé ni même d'être connu de sa créature, quoiqu'il ait mis en elle une intelligence capable de le connoître, & un coeur capable de l'aimer. Dans le système de la Providence, je vois au contraire un Dieu sage, dont l'immuable volonté est un immuable attachement à l'ordre, un Dieu bon, dont l'amour paternel se plaît à cultiver dans le coeur de sa créature, les semences de vertu qu'il y a mises ; un Dieu juste qui récompense sans mesure, qui corrige sans hauteur, qui punit avec regle & proportionne les châtimens aux fautes ; un Dieu qui veut être connu, qui couronne en nous ses propres dons, l'hommage qu'il nous fait rendre à ses perfections infinies, & l'amour qu'il nous inspire pour elles. C'est au déiste situé entre ces deux tableaux, à se déterminer pour celui qui lui paroît plus conforme à sa raison.
Si nous pouvions méconnoître la Providence dans le spectacle de ce vaste univers, nous la retrouverions en nous. Sans chercher des raisons qui nous fuient, ouvrons l'oreille à la voix intérieure qui cherche à nous instruire. Nous sommes l'abrégé de l'univers, & en même tems nous sommes l'image du Créateur. Si nous ne pouvons contempler ce grand original, contentons-nous de le contempler dans son image. Nous ne pouvons jamais mieux le trouver que dans les portraits où il a voulu se peindre lui-même. Si je me replie sur moi-même, je sens en moi un principe qui pense, qui juge, qui veut ; je trouve de plus que je suis un corps organisé, capable d'une infinité de mouvemens variés, dont les uns ne dépendent point du tout de moi, les autres en dépendent en partie, & les autres me sont entierement soumis. Ceux qui ne dépendent point de moi, sont par exemple, la circulation du sang & celle des humeurs, d'où procede la nutrition & la formation des esprits animaux. Ce mouvement ne peut être interrompu par un acte de ma volonté, & je ne puis subsister, si quelque cause étrangere en interrompt le cours. J'en trouve d'autres chez moi aussi indépendans de ma volonté que la circulation du sang ; mais que je puis suspendre pour un moment, sans bouleverser toute la machine. Tel est entr'autres celui de la respiration, que je puis arrêter quand il me plaît, mais non pas pour long-tems, par un simple acte de ma volonté, sans le secours de quelques moyens antérieurs. Enfin, il y a en moi certains fluides errans dans tous les divers canaux, dont mon corps est rempli, mais dont je puis déterminer le cours par un acte de ma volonté. Sans cet acte, ces fluides que j'appellerai les esprits animaux, coulent par leur activité naturelle indifféremment dans tous les vuides & dans tous les canaux qu'ils rencontrent ouverts, sans affecter un lieu particulier plutôt qu'un autre, semblables à des serviteurs qui se promenent négligemment en attendant l'ordre de leur maître ; mais selon mes desirs ils se transportent dans les canaux particuliers, à proportion du besoin plus ou moins grand, dont je suis le juge. Je vois dans ce que je viens de trouver chez moi, une image naïve de tout cet univers. Nous y distinguons des mouvemens réglés & invariables, d'où dépendent tous les autres, & qui sont à l'univers comme la circulation du sang dans le corps humain, mouvement que Dieu n'arrête jamais, non plus que l'homme n'arrête celui de son sang ; avec cette différence, que c'est en nous un effet de notre impuissance, & en Dieu celui de son immutabilité. Nous comparerons donc les mouvemens généraux de nos corps qui ne dépendent point de nous, aux lois générales & immuables que Dieu a établies dans la matiere. Mais comme nous trouvons en nous de certains mouvemens, quoiqu'indépendans de nous, dont nous pouvons pourtant suspendre le cours pour quelques momens, comme celui de la respiration ; aussi conçois-je dans cet univers des mouvemens très-réglés, qui procedent des mouvemens généraux, que Dieu peut suspendre quelque tems, sans porter préjudice à ce bel ordre, mais dont il changeroit l'économie, si cette suspension duroit trop long-tems. Tel est celui du soleil & de la lune, que Dieu arrêta pour donner le tems à Josué de remporter une entiere victoire sur les ennemis de son peuple. Enfin, je trouve dans la nature aussi-bien que chez moi une quantité immense de fluides de plusieurs especes, répandus dans tous les pores & les interstices des corps, ayant du mouvement en eux-mêmes, mais un mouvement qui n'est pas entierement déterminé de tel ou tel côté par les lois générales, qui sont en partie comme vagues & indéterminées. Ce sont ces fluides qui sont à la nature ce que sont les esprits animaux au corps humain, esprits nécessaires à tous les mouvemens principaux & indépendans de nous, mais soumis outre cela à exécuter nos ordres par ces principes que je viens de poser.
Il est maintenant aisé de comprendre comment Dieu a pû établir des lois fixes & inviolables du mouvement, & gouverner pourtant le monde par sa Providence. Quoi ! j'aurai le pouvoir de remuer un bras ou de ne pas le remuer, de me transporter dans un certain lieu ou de ne pas le faire, d'aider un ami ou de ne le pas aider ; & Dieu qui a disposé toutes choses avec une sagesse & une puissance infinies, & de qui je tiens ce pouvoir, se sera lui-même privé d'agir par des volontés particulieres ? Je puis aider mes enfans, les punir, les corriger, leur procurer du plaisir, ou les priver de certaines choses selon ma prudence ; je puis par ma prévoyance prévenir les maux & les accidens qui peuvent leur arriver, en ôtant de dessous leurs pas ce qui pourroit occasionner leur chûte. Ce que je puis faire pour mes enfans je le puis aussi pour mes amis. Je sai qu'un ami se dispose à faire une action qui peut lui procurer de fâcheuses affaires, je cours sur les lieux, je le préviens, & je l'empêche par mes sollicitations d'exécuter ce qu'il avoit desir de faire. Pendant ma promenade je vois devant moi un aveugle qui va se précipiter dans un fossé, croyant suivre le chemin. Je précipite mes pas, je prends cet aveugle par le bras, & je l'arrête sur le penchant de sa chûte ; n'est-ce pas là une providence en moi ? Par combien d'autres réflexions pourrai-je la prouver ? Or ce que je sens en moi irai-je le refuser à la divinité ? Notre providence n'est qu'une image imparfaite de la sienne. Il est le pere de tous les hommes, ainsi que leur créateur ; il punit, il châtie, il prévoit les maux, il les fait quelquefois sentir à ses enfans. Il se dispose au châtiment, mais notre repentir calme sa colere, & éteint entre ses mains la foudre qu'il étoit prêt à lancer. Sa Providence ne s'est pas bornée à établir des lois de mouvement, selon lesquelles tout se meut, tout se combine, tout se varie, tout se perpétue. Ce ne seroit là qu'une Providence générale. S'il n'avoit créé que de la matiere, ces lois générales auroient suffi pour entretenir l'univers éternellement dans le même ordre, tant sa profonde sagesse l'a rendu harmonieux ; mais outre la matiere, il a créé des êtres intelligens & libres, auxquels il a donné un certain degré de pouvoir sur les corps : ce sont ces êtres libres qui engagent la Divinité à une providence particuliere ; c'est celle-ci qui fait une des parties les plus intéressantes de la religion : examinons si les principes que nous avons posés en détruisent l'idée.
Si je conçois l'univers comme une machine, dont les ressorts sont engagés si dépendamment les uns des autres, qu'on ne peut retarder les uns sans retarder les autres, & sans bouleverser tout l'univers : alors je concevrai d'autre providence que celle de l'ordre établi dans la création du monde, que j'appelle Providence générale. Mais j'ai bien une autre idée de la nature. Les hommes dans leurs ouvrages même les plus liés, ne laissent pas de les faire tels, qu'ils peuvent sans renverser l'ordre de leur machine, y changer bien des choses. Un horloger, par exemple, a beau engager les roues d'une montre, il est pourtant le maître d'avancer ou de reculer l'aiguille comme il lui plaît. Il peut faire sonner un réveil plus tôt ou plus tard, sans altérer les ressorts & sans déranger les roues ; ainsi vous voyez qu'il est le maître de son ouvrage, particulierement sur ce qui regarde sa destination. Un réveil est fait pour indiquer les heures, & pour réveiller les gens dans un certain tems. C'est justement ce dont est maître celui qui a fait la montre. Voilà justement l'idée de la Providence générale & particuliere. Ces ressorts, ces roues, ces balanciers, tout cela en mouvement font la Providence générale, qui ne change jamais & qui est inébranlable : ces dispositions du réveil & du cadran, dont les déterminations sont à la disposition de l'ouvrier, sans altérer ni ressort ni rouages, sont l'emblème de la Providence particuliere. Je me représente cet univers comme un grand fluide, à qui Dieu a imprimé le mouvement qui s'y conserve toujours. Ce fluide entraîne les planetes par un courant très-reglé & par un mouvement si uniforme, que les Astronomes peuvent aisément prédire les conjonctions & les oppositions. Voilà la Providence générale. Mais dans chaque planete les parties de ces premiers élémens n'ont point de mouvement reglé. Elles ont à la vérité un mouvement perpétuel, mais indéterminé, se portant où les passages sont les plus libres, semblables à ces rivieres qui suivent constamment leur lit, mais dont une partie des eaux se répand à droite & à gauche, au-travers des pores de la terre, suivant le plus ou le moins de facilité du terroir qu'elles pénetrent. C'est cette matiere du premier élément que Dieu détermine par des volontés particulieres, suivant les vûes de sa sagesse & de sa bonté. Ainsi sans rien changer dans les lois primitives établies par la Divinité, il peut regler tous les évenemens sublunaires occasionnellement, selon les démarches des êtres libres qu'il a mis sur la terre ou dans les autres planetes, s'il y en a d'habitées. Voilà ce qui concerne la Providence par rapport à la nature, voyons celle qui regarde les esprits.
En formant cet univers, Dieu avoit créé des objets de sa puissance & de sa sagesse. Il voulut en créer qui fussent l'objet de sa bonté, & qui fussent en même tems les témoins de sa puissance & de sa sagesse. Cette pente générale & universelle des hommes à la félicité, paroît une preuve incontestable que Dieu les a faits pour être heureux. L'Ecriture fortifie ce sentiment au-lieu de le détruire, en nous disant que Dieu est charité ; qu'est-ce à dire ? C'est que la bonté de Dieu est l'attribut à qui les hommes doivent leur existence, & qui par conséquent est le premier à qui ils doivent rendre hommage.
L'amour d'un sexe l'un pour l'autre, l'amour des peres pour leurs enfans, cette pitié dont nous sommes naturellement susceptibles, sont trois moyens puissans par lesquels la sagesse infinie sait tout conduire à ses fins. 1°. Dieu n'a point commis le soin de la société uniquement à la raison des hommes. En vain auroit-il fait la distinction des deux sexes ; en vain de cette distinction s'en devroit-il suivre la propagation du genre humain ; en vain la religion naturelle nous avertiroit-elle que nous devons travailler au bonheur de notre prochain, tout auroit été inutile, le penchant de l'homme au bonheur l'auroit toujours éloigné des vûes de la Providence. Quelqu'un se seroit-il marié s'il n'y avoit eu que la raison seule qui l'y eût déterminé ? Le mariage le plus heureux entraîne toujours après lui plus de soucis & d'inquiétudes que de plaisir ; les femmes sur-tout y sont plus intéressées que les hommes. Suivez avec exactitude toutes les suites d'une grossesse, les douleurs de l'enfantement, &c. & jugez s'il y a une femme au monde qui voulût en courir les risques, si elle n'agissoit qu'en vûe de suivre sa raison ? Quoique les hommes courent moins de hasard, & qu'ils soient exposés à moins de maux, il en reste encore assez pour les éloigner du mariage, s'ils n'y étoient poussés que par leur devoir. Aussi Dieu les a-t-il engagés non-seulement par le plaisir, mais par une impulsion secrette, encore plus forte que le plaisir. 2°. Si nous examinons cette tendresse des peres & des meres pour leurs enfans, nous n'y trouverons pas moins les soins attentifs de la Providence. Qu'est-ce qui nous engage à avoir plus d'amour pour nos enfans que pour ceux de nos voisins, quand même les nôtres auroient moins de beauté & moins de mérite ? la raison n'exige-t-elle pas de nous que nous proportionnions notre amour au mérite ? Mais il ne s'agit pas d'agir ici par raison. Le pere partage avec sa tendre épouse les inquiétudes que leur cause leur amour pour leurs enfans. Tout leur tems est employé, soit à leur éducation, soit à travailler pour leur laisser du bien après leur mort. Il leur en faudroit peu pour eux seuls, mais ils ne trouvent jamais qu'ils en laissent assez à leurs enfans. Ils se privent souvent des plaisirs qu'il faudroit acheter aux dépens du bonheur de leur famille. En bonne foi, les hommes s'aimant comme ils s'aiment, prendroient-ils tous ces soins pour leurs enfans, s'ils n'y étoient engagés par une forte tendresse ? & auroient-ils cette tendresse si elle ne leur étoit imprimée par une cause supérieure ? Examinons-les sous un autre point de vûe. Ils ont une haine mortelle pour tout ce qui s'oppose à leur bonheur. L'homme est né paresseux, il fuit la peine, & sur-tout une peine qu'il ne choisit pas lui-même. Voilà pourtant des enfans qui lui en imposent de telles, qu'il les regarderoit comme un joug insupportable si c'étoient d'autres que ses enfans. L'homme aime sa liberté, & haït quiconque la lui ravit. Cependant ses enfans lui donnent une occupation onéreuse, & gênent entierement sa liberté, & il ne les aime pas moins pour cela ; bien plus, si quelqu'enfant est plus accablé de maladies que les autres, il sera toujours le plus aimé quoiqu'il donne le plus de peine, toute la tendresse semble se ramasser en lui seul. Admirons en cela la sagesse infinie de la Providence, qui ayant donné aux hommes un penchant invincible pour le bonheur, a pourtant su malgré ce penchant les conduire à ses fins. 3°. La Providence, toujours attentive à nos besoins, a imprimé dans l'homme le sentiment de la pitié, qui nous fait sentir une vive douleur à la vûe du malheur d'autrui, & qui nous engage à le soulager pour nous soulager nous-mêmes. Il y a, je le sais, de l'amour-propre dans le secours que nous donnons aux misérables & aux affligés, mais Dieu enchaîne cet amour-propre par cette vive sensibilité dont nous ne sommes pas les maîtres ; elle est involontaire, & ne pouvant nous en défaire, nous trouvons plus d'expédient d'en faire cesser la cause en soulageant les misérables. Il faut avouer que les Stoïciens étoient de pauvres philosophes, de prétendre que la pitié étoit une passion blâmable, elle qui fait l'honneur de l'humanité. Je ne puis comprendre qu'on ait été si long-tems entêté de la morale de ces gens-là ; mais ils sont anciens, ainsi fussent-ils mille fois plus ridicules, ils feront toujours l'admiration des pedans. La pitié est une passion bien respectable, elle est l'apanage des coeurs bien faits, elle est une des plus fortes preuves que le monde est conduit par une sagesse infinie, qui sait conduire tout à ses fins, même parmi les êtres libres, sans gêner leur liberté. Plus je fais réflexion sur ces trois lois de la Providence générale, plus je suis surpris de voir tant d'athées dans le siecle où nous sommes. Si nous n'avions d'autres preuves de la Divinité que celles qui sont métaphysiques, je ne serois pas surpris que ceux qui n'ont pas le génie tourné de ce côté-là, n'y fussent pas sensibles. Mais ce que je viens de dire est proportionné à toutes sortes de génies, & en même tems si satisfaisant, que je doute que tout homme qui voudra y faire attention, ne reconnoisse une Providence. Qui reconnoit une Providence reconnoit un Dieu : on a fait souvent ce raisonnement, il y a un Dieu, donc il y a une Providence. Par-là on étoit obligé de prouver l'existence d'une Divinité par d'autres voies que par la Providence : c'est ce qui engageoit les Philosophes à aller chercher des raisons métaphysiques, peu sensibles & souvent fausses, au-lieu que cet argument-ci est certain, il y a une Providence, donc il y a un Dieu : voici quelques-unes des difficultés qu'on peut faire contre la Providence.
Il y a dans le monde plusieurs désordres, bien des choses inutiles & même nuisibles. Les Epicuriens pressoient cette objection, & elle est repétée plus d'une fois dans le poëme de Lucrece :
Nequaquam nobis divinitùs esse creatam
Naturam mundi quae tantae est praedita culpâ.
les rochers inaccessibles, les deserts affreux, les monstres, les poisons, les grêles, les tempêtes, &c. étoient autant d'argumens qu'on joignoit aux précédens.
Je réponds 1°. que Dieu a établi dans l'univers des lois générales, suivant lesquelles toutes choses particulieres, sans exception, ont leur usage propre ; & quoiqu'elles nous paroissent fâcheuses & incommodes, les regles générales n'en sont pas moins sages & salutaires. Il ne conviendroit point à Dieu de déroger par des exceptions perpétuelles. 2°. On regarde bien des choses comme des désordres, parce qu'on en ignore la raison & les usages ; & dès qu'on vient à les découvrir, on voit un ordre merveilleux. Par exemple, ceux qui adoptoient le système astronomique de Ptolémée, trouvoient dans la structure des cieux, & dans l'arrangement des corps célestes, des especes d'irrégularités & des contradictions même qui les révoltoient. De-là cette raillerie ou plutôt ce blasphème d'Alphonse roi de Castille & grand mathématicien, qui disoit que si la divinité l'avoit appellé à son conseil, il lui auroit donné de bons avis. Mais depuis que l'ancien système a fait place à un autre beaucoup plus simple, & plus commode, les embarras ont disparu, & le monde s'est montré sous une forme à laquelle on défieroit Alphonse lui-même de trouver à redire. Avant qu'on eût découvert en Anatomie la circulation du sang & d'autres vérités importantes, le véritable usage de plusieurs parties du corps humain étoit ignoré, au-lieu qu'à présent il s'explique d'une maniere sensible. 3°. Quant aux choses inutiles, il ne faut pas être si promt à les qualifier. Ainsi la pluie tombe dans la mer ; mais peut-être en tempere-t-elle la salure, qui sans cela deviendroit plus nuisible aux poissons, & les navigations en tirent souvent des rafraîchissemens bien essentiels. 4°. Enfin on trouve des utilités très-considérables dans les choses qui paroissent difformes ou même dangereuses. Les monstres, par exemple, font d'autant mieux sentir la bonté des êtres parfaits. L'expérience a sçu tirer des poisons mêmes d'excellens remedes. Ajoutons que les bornes de notre esprit ne permettent pas de prononcer décisivement sur ce qui est beau ou laid, utile ou inutile dans un plan immense. Le hasard, dites-vous, cause aveugle, influe sur une quantité de choses, & les soustrait par conséquent à l'empire de la divinité. Mais qu'est-ce que le hasard ? Le hasard n'est rien ; c'est une fiction, une chimere qui n'a ni possibilité, ni existence. On attribue au hasard des effets dont on ne connoît pas les causes ; mais Dieu connoissant de la maniere la plus distincte toutes les causes & tous les effets, tant existans que possibles, rien ne sauroit être hasard par rapport à Dieu. Mais à l'égard de Dieu, continuez-vous, n'y a-t-il pas bien des choses casuelles, comme le nombre des feuilles d'un arbre, celui des grains de sable de tel ou tel rivage ? Je réponds que le nombre des feuilles n'est pas moins déterminé que celui des arbres & des plus grands corps de l'univers. Il n'en coûte pas plus à Dieu de se représenter les moindres parties du monde que les plus considérables ; & le principe de la raison suffisante n'est pas moins essentiel pour regler leur nombre, leur place, & toutes les autres circonstances qui les concernent, que pour assigner au soleil son orbite, & à la mer son lit. Si le hasard avoit lieu dans les moindres choses, il pourroit l'avoir dans les plus grandes. Du moins on avouera que ce qui dépend de la liberté des hommes & des autres êtres intelligens, ne sauroit être assujetti à la Providence. Je réponds qu'il seroit bien étrange que le plus beau & le plus excellent ordre des choses créées, celui des intelligences, fût soustrait au gouvernement de Dieu, ayant reçu l'existence de lui comme tout le reste, & faisant la plus noble partie de ses ouvrages. Au contraire, il est à présumer que Dieu y fait une attention toute particuliere. D'ailleurs, si l'usage de la liberté détruisoit le gouvernement divin, il ne resteroit presque rien des choses sublunaires qui fût sous la dépendance de Dieu, presque tout ce qui se passe sur la terre étant l'ouvrage de l'homme & de sa liberté. Mais Dieu en dirigeant les événemens n'en détruit, ni même n'en change la nature & le principe. Il agit à l'égard des êtres libres d'une façon, s'il est permis de parler ainsi, respectueuse pour leur liberté. S'il y a quelque difficulté à concilier cette action de Dieu avec la liberté de l'homme, les bornes de notre esprit doivent en amortir l'impression. Comment Dieu, dit l'adversaire de la Providence, peut-il embrasser la connoissance & le soin de tant de choses à la fois ? Parler ainsi, c'est oublier la grandeur, l'infinité de Dieu. Y a-t-il quelque répugnance à admettre dans un être infini une connoissance sans bornes & une action universelle ? Nous-mêmes, dont l'entendement est renfermé dans de si étroites bornes, ne sommes nous pas témoins tous les jours de l'artifice merveilleux qui rassemble une foule d'objets sur notre rétine, & qui en transmet les idées à l'ame ? N'éprouvons-nous pas plusieurs sensations à la fois ? Ne mettons-nous pas en dépôt dans notre mémoire une quantité innombrable d'idées & de mots, qui se trouvent au besoin dans un ordre & avec une netteté merveilleuse ? Et comme il y a diverses nuances de gradations entre les hommes, & qu'un idiot de paysan a beaucoup moins d'idées qu'un philosophe du premier ordre, ne peut-on pas concevoir en Dieu toutes les idées possibles au plus haut degré de distinction ? N'est-il pas indigne de Dieu d'entrer dans de pareils détails ? Parler ainsi, c'est se faire une fausse idée de la majesté de Dieu. Comme il n'y a ni grand, ni petit pour lui, il n'y a rien non plus de bas & de méprisable à ses yeux. Il est au contraire parfaitement convenable à la qualité d'Etre suprème de diriger l'univers de telle sorte que les plus petites choses parviennent à sa connoissance, & ne s'exécutent point sans sa volonté. La majesté de Dieu consiste dans l'exercice de ses perfections, & cet exercice ne sauroit avoir lieu sans sa providence. Les afflictions des gens de bien sont du-moins incompatibles avec le gouvernement d'un Dieu sage & juste ? Les méchans d'un autre côté prosperent & demeurent impunis. Nous voici parvenus aux difficultés les plus importantes qui ont exercé dans tous les âges les Payens, les Juifs & les Chrétiens. Les Payens, sur-tout, toutes les fois qu'il arrivoit quelque chose de contraire à leurs voeux, & que leur vertu ne recevoit pas la récompense à laquelle ils s'attendoient ; les Payens, dis-je, formoient aussitôt des soupçons injurieux contre Dieu & contre sa providence, & ils s'exprimoient d'une maniere impie. Les ouvrages des poëtes tragiques en sont pleins. Il se présente plusieurs solutions que je ne ferai qu'indiquer. 1°. Tous ceux qui paroissent gens de bien ne le sont pas ; plusieurs n'ont que l'apparence de la piété, & leurs actions ne passent point jusqu'à leurs coeurs. 2°. Les plus pieux ne sont pas exemts de tache. 3°. Ce que les hommes regardent comme des maux ne mérite pas toujours ce nom ; ce n'est pas toujours être malheureux que de vivre dans l'obscurité, ces situations sont souvent plus compatibles avec le bonheur que l'élévation & les richesses. 4°. Le contentement de l'esprit, le plus grand de tous les biens, suffit pour dédommager les justes affligés de leurs traverses. 5°. L'issue en est avantageuse, les calamités servent à éprouver, & sont totalement à la gloire de ceux qui les endurent, en adorant la main qui les frappe. 6°. Enfin la vie future levera pleinement le scandale apparent, en dispensant des distributions supérieures aux maux présens. On trouve de très-judicieuses réflexions sur ce sujet dans les auteurs payens. Séneque a consacré un traité exprès : Quare viris bonis mala accidant, cum sit Providentia ? Les méchans d'un autre côté prosperent & demeurent impunis, autre embarras pour les Payens. De-là ce mot impie de Jason dans Séneque, quand Médée s'envole après avoir égorgé ses fils : testare nullos esse, quia veheris, deos. Mais personne n'a traité ce sujet avec plus de force que Claudien dans son poëme contre Rufin. Le morceau est trop beau pour ne pas le transcrire.
Saepe mihi dubiam traxit sententia mentem,
Curarent superi terras, an nullus inesset
Rector, & incerto fluerent mortalia casu.
Nam cum dispositi quaesissem foedera mundi,
Praescriptosque mari fines, annique meatus,
Et lucis noctisque vices, tunc omnia rebar
Consilio firmata Dei, qui lege moveri
Sidera, qui fruges diverso tempore nasci,
Qui variam Phaeben alieno jusserit igne
Compleri, solemque suo, porrexerit undis
Littore, tellurem medio libraverit axe.
Sed cum res hominum tantâ caligine volvi
Respicerem, laetosque diu florere nocentes,
Vexarique pios, rursus labefacta cadebat
Religio, causaeque viam non sponte sequebar
Alterius, vacuo quae currere sidera motu
Affirmat, magnumque novas per inane figuras
Fortunâ non arte regi, quae numina sensu
Ambiguo, vel nulla putat, vel nescia veri.
Abstulit hunc tandem Rufini poena tumultum
Absolvitque deos, &c.
Plusieurs méchans paroissent heureux sans l'être ; ils sont le jouet des passions, & la proie des remords sans cesse renaissans. 2°. Les biens dont les méchans jouissent se convertissent pour eux ordinairement en poison. 3°. Les lois humaines font déja payer à plusieurs coupables la peine de leurs crimes. 4°. Dieu peut supporter les pécheurs, & les combler même de bienfaits, soit pour les ramener à lui, soit pour recompenser quelques vertus humaines : il est de sa grandeur, & si j'ose ainsi parler, de sa générosité de ne se pas venger immédiatement après l'offense. 5°. Le tems des destinées éternelles arrivera, & ceux qui échappent à-présent à la vengeance divine, & qui jouissent en paix du ciel irrité, seront obligés de boire à longs traits le calice que Dieu leur a préparé dans sa fureur. Voyez l'article du MANICHEISME.
PROVIDENCE, (Mythol.) Les Romains honoroient la Providence comme une déesse particuliere, à laquelle ils érigeoient des statues. On la représentoit ordinairement sous la figure d'une femme appuyée sur une colonne, tenant de la main gauche une corne d'abondance renversée ; & de la droite, un bâton, avec lequel elle montre un globe, pour nous apprendre que la Providence divine étend ses soins sur tout l'univers. Elle est assez souvent accompagnée de l'aigle ou de la foudre de Jupiter, parce que c'est à Jupiter, principalement comme au souverain des dieux, que les Payens attribuoient la Providence qui gouverne toutes choses.
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PROVIDENTIA | (Art numismat.) Vaillant nous donne dans ses colonies une médaille d'Auguste avec le titre de Divus, au revers de laquelle est un autel avec cette légende. MUN. ITAL. PROVIDENT. PERM. AUG. & une de Tibere, dont le type du revers est un autel, sur lequel est l'inscription, PROVIDENTIAE AUGUSTI. La légende du contour est, MUNIC. ITALIC. PERM. DIVI AUG. Ces mots, permissu Augusti ou divi Augusti, ne se rapportent point au type, mais à la permission de battre monnoie, accordée à cette ville par Auguste.
Le mot de providentia, qui se trouve joint à cet autel sur ces médailles & sur une autre, signifie qu'Auguste est mis au rang des dieux, parce qu'il a imité leur providence dans les soins paternels qu'il a pris de l'empire. Aussi plusieurs de ces médailles joignent le titre de pater au nom d'Auguste.
Muratori nous donne une inscription d'Auguste toute semblable à nos légendes, DIVUS AUGUSTUS PATER PROVIDENS. Cette louange se donnoit communément aux empereurs sur leurs monnoies. Les types sont tantôt des autels, tantôt des temples, & le plus souvent une figure qui touche d'un bout de verge au globe qui est à ses piés ; ce qui marque sensiblement la puissance & la sagesse de l'empereur qui gouverne le monde. La flatterie prodigua aux princes tous les attributs des dieux, dont le plus intéressant pour les hommes, & le plus fréquemment célébré, est la providence. Gruter a fait graver dans son trésor d'après Boissard, une statue qui représente une déesse couronnée de laurier ; elle tient de la main droite une verge ; la main gauche est tombée par le tems ; à ses piés à gauche, une corne d'abondance ; à droite, une corbeille pleine de fruits ; sur la base, providentiae deorum. (D.J.)
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PROVIGNER | v. n. (Jardinage) faire des provins. C'est la façon de multiplier la vigne, en couchant ses branches. Cette opération devient necessaire, lorsqu'il est question de renouveller une vigne, ou de remplacer des seps qui manquent. Pour y travailler avec succès, un habile vigneron observe deux choses. D'abord si les seps qui sont placés avantageusement pour ses vues, sont d'une bonne espece de raisin ; ensuite, si le bois en est bien conditionné, & de longueur suffisante pour laisser entre les provins la distance nécessaire. Après cet examen, il fait au pié du sep une fosse d'environ 15 à 18 pouces de profondeur, sur la longueur & la largeur qu'exigent la disposition de la vigne, l'étendue & la quantité des branches d'un sep ou de plusieurs quand ils sont contigus. Ensuite il examine le sep qui doit être couché, il retranche les branches qui ne peuvent servir à son dessein, & il supprime dans celles qui restent les menus rejettons, les vrilles, les chicots, & tout ce qui est inutile. Toutes les branches étant ainsi parées, il ébranle doucement le sep pour le renverser dans la fosse, il s'y reprend à plusieurs fois en dégageant la terre sans offenser les racines ; enfin il parvient à étendre le sep dans la fosse ; ce qui ne se fait pas cependant sans forcer la partie du sep qui tient aux racines. Il faut donc que cette opération se fasse avec assez de ménagement pour ne pas éclater ou rompre le sep. La chose ainsi disposée, le vigneron met le genou sur le fort du sep ; il étend les branches, & les dirige à la distance qu'il faut aux seps, & il leur fait faire le coude, en les redressant contre les bords de la fosse. Après cela, il couvre peu-à-peu les provins de la terre que l'on a tirée de la fosse, de façon cependant que la fosse ne soit remplie qu'au tiers ; & enfin il coupe le bout des branches qui sortent jusqu'à deux bourgeons au-dessus de la terre dont la fosse a été garnie ; & comme le reste de la terre qui est sortie de la fosse, est dispersée pour la plus grande partie par les différentes cultures qui se font dans la vigne pendant l'année, le meilleur usage est de faire rapporter dans la fosse au bout d'un an environ, de la nouvelle terre, & même quelques engrais pour accélérer le progrès des provins. Le mois de Novembre est le tems le plus convenable pour provigner la vigne dans les terreins de toute qualité, si ce n'est pourtant dans les terres mêlées de glaise ou d'argille, trop grasses, trop dures & trop fortes, ou qui sont chargées d'humidité ; il vaudra mieux n'y faire ce travail qu'au printems, & toujours par un beau tems.
PROVIGNER, PROVINS, (Jardinage) c'est coucher en terre des branches d'arbres ou de vignes, pour leur faire prendre racine, & en multiplier l'espece ; c'est la même chose que marcotter.
On demande à une marcotte de vigne qu'elle ait trois yeux au-moins.
Quand la branche que l'on veut marcotter, est trop forte, on l'attache & on la contraint sur la superficie de la terre avec des fourchettes de bois.
Pour marcotter une branche d'oranger ou d'un autre arbre encaissé, on choisit une branche un peu longue à la mi-Mars ; on en coupe l'écorce dans la partie basse, environ de la longueur du doigt ; on enveloppe cet espace avec un morceau de cuir lié avec de l'osier, & cette branche passe par le trou d'un pot rempli de bonne terre qu'on humecte doucement, & qu'on éleve à la hauteur de la branche à marcotter. La marcotte se coupe près du trou du pot au mois d'Octobre suivant. On ôte ensuite le jeune oranger du pot, & on le plante dans une petite caisse remplie de terre préparée. Après sa premiere sortie de la serre, il se met quinze jours à l'ombre, & on l'expose ensuite au soleil du midi, en l'arrosant souvent dans les grandes chaleurs.
Cette maniere de faire & de sevrer des marcottes, est générale pour toutes sortes d'arbres.
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PROVIN | S. m. (Jardinage) c'est le résultat de l'opération qui a été faite en provignant un sep de vigne : c'est un plant de vigne qui provient de la branche d'un sep qui a été couchée dans une fosse. Sur la façon d'y procéder, voyez PROVIGNER.
PROVINS, (Géog. mod.) ville de France dans la Brie champenoise, sur la petite riviere de Vouzie, à 2 lieues de la Seine, à 12 au sud-est de Meaux, & à 20 au sud-est de Paris.
Son nom latin du moyen âge est Pruvinum, Provinum ou Provignum castrum. Elle étoit connue du tems de Charlemagne, car il en est fait mention dans les anciennes chroniques, & dans les vieux cartulaires. Les comtes de l'ancienne maison de Vermandois, de Blois & de Chartres l'ont possédé pendant long-tems, après quoi elle a été réunie à la couronne. Les comtes de Champagne y firent long-tems leur séjour dans un palais qu'ils y bâtirent à ce dessein. C'est dans ce palais que Thibaud IV. du nom, comte de Champagne & de Brie, fit écrire avec le pinceau les chansons qu'il avoit composées pour la reine Blanche, mere de saint Louis.
Cette ville est aujourd'hui composée de quatre paroisses ; il y a une abbaye de chanoines réguliers, quatre communautés d'hommes, & quatre communautés de filles. Son présidial est de la premiere création des présidiaux, & l'on y juge conformément à la coutume de Meaux.
Le seul commerce de l'élection, dont cette ville est le siege, consiste en blés qu'on transporte à Paris par la Seine. Elle avoit anciennement une manufacture de draps qui s'est anéantie. Longit. 20. 56. latit. 48. 34.
Guiot, moine bénédictin, né à Provins au commencement du xij. siecle, est auteur d'un roman appellé la Bible-Guiot, qui n'a jamais été imprimée, mais dont on a des manuscrits. L'auteur nomma ce roman bible, parce qu'il disoit que son livre ne contenoit que des vérités ; ce livre si vrai est une sanglante satyre, dans laquelle le moine Guiot censure les vices de tout le monde, sans épargner les grands & les princes plus que les petites gens.
Villegagnon (Nicolas-Durand de), chevalier de Malthe, étoit aussi de Provins. Il avoit beaucoup d'esprit, s'éleva par sa valeur à la charge de vice-amiral de Bretagne, & écrivoit assez bien en latin, comme il paroît par la description qu'il a faite de l'expédition d'Alger où il fut blessé au service de l'empereur Charles-Quint. Il embrassa d'abord la religion réformée, & entreprit d'établir une colonie dans l'Amérique méridionale. Il obtint trois vaisseaux pour cette entreprise, entra en 1555 dans la riviere de Janeïro sur la côte du Brésil, & y bâtit un fort, qu'il abandonna dans la suite, pour changer de religion & faire la guerre aux Calvinistes par des écrits. Il mourut pauvre en 1571. Voyez son article dans Bayle & dans le supplément de Moréri, Paris 1739. (D.J.)
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PROVINCE | S. f. terme de Géographie. Les grands états sont ordinairement divisés par leurs souverains en différentes sortes de gouvernemens politiques, pour les armes, pour la justice, pour les finances, & pour l'assemblage des états ; & on appelle province l'étendue de chacun de ces gouvernemens.
L'origine du nom de province vient des Romains, qui donnoient le nom de province aux gouvernemens qu'ils établissoient dans les pays conquis par les armes, comme qui diroit pays vaincu ou pays conquis ; & quoique les gouvernemens dans lesquels l'on divise présentement les états souverains ne soient pas dans ce cas, on n'a pas laissé de les appeller provinces. Introduct. à la Géograph. par Samson.
PROVINCE, s. f. (Hist. rom.) Par provinces, les Romains entendoient une certaine étendue de pays conquis & tributaire, tels que la Sicile, la Sardaigne, l'île de Corse, l'Afrique, l'île de Crete, la Cyrénaïque, la Numidie, la Mauritanie, les Espagnes, les Gaules, l'Illyrie, la Macédoine, l'Achaïe, l'Asie mineure, la Cilicie, la Syrie, la Bithynie, le Pont, l'île de Cypre, en un mot tous les pays hors de l'Italie conquis par leurs armes. Provincia, dit Festus, propriè dicitur regio quam populus romanus provicit, id est antè vicit. Ces provinces étoient sujettes aux magistrats qu'on y envoyoit ; & les peuples n'avoient pas toujours la consolation d'être jugés suivant les formalités usitées entre citoyens.
I. Chaque année des magistrats annuels partoient de Rome pour les gouverner avec un pouvoir absolu, tant pour le civil que pour le criminel : c'étoient des consuls, des proconsuls, des préteurs, des propréteurs ; d'où vient qu'on distingue les provinces consulaires de celles des autres magistrats.
II. Ces provinces se tiroient au sort, ou le sénat nommoit celui qui y devoit commander. Ces magistrats traînoient à leur suite une troupe de licteurs, de viateurs, d'appariteurs, de questeurs, de lieutenans qui avoient aussi leur cortége, de scribes, & de plusieurs autres petits ministres, que la république ou les alliés leur fournissoient. Ce terrible appareil jettoit l'effroi dans le coeur des peuples. Tite-Live rapporte qu'après la défaite de Persée, les dix chefs des villes que Paul Emile assembla à Amphipolis, furent effrayés de l'appareil de son tribunal, entourés de licteurs, de haches & de faisceaux : insueta omnia auribus oculisque.
III. Ces magistrats pour exercer leur jurisdiction, se rendoient dans le lieu où se tenoient les états de la province, ou dans celui qui leur paroissoit le plus commode ; ils marquoient cette diete par un édit affiché dans toutes les villes : c'est à quoi Virgile fait allusion dans ce vers :
Indicitque forum, & patribus dat jura vocatis.
Cicéron rapporte qu'en arrivant dans la province, il resta trois jours à Laodicée, cinq à Apamée, deux à Symades, cinq à Philomele, dix à Ionium.
Quelquefois ils appelloient les communes dans les villes qu'ils jugeoient être à leur bienséance ; c'est ainsi que Cicéron assembla à Laodicée les communes de Cibaris & d'Apamée, aux ides de Février ; celles de Symades, de Pamphilie & d'Isaurie aux ides de Mars ; & qu'une autre fois il tint les états de toutes les communes de l'Asie dans la même ville, depuis les ides de Février jusqu'aux ides de Mai : mais ordinairement ils se transportoient dans les lieux mêmes d'assemblée, comme fit César dans les Gaules, & plusieurs autres préteurs en d'autres provinces.
IV. L'audience se tenoit au milieu de la place, comme à Rome dans le forum ou dans une basilique. On croit que quelques villes d'Italie se nomment Rhege, parce qu'il y avoit des basiliques appellées en latin regiae.
V. Ils traitoient les affaires selon les lois publiées par leurs prédécesseurs, ou par celles qu'ils donnoient de l'avis de leurs dix lieutenans, ou par des sénatusconsultes particuliers ; ils étoient seulement astreints à ne rien changer dans l'édit qu'ils avoient formé de l'aveu du sénat, avant que de partir de Rome. Les romains répandus dans les provinces ressortissoient à leur tribunal.
VI. Ils prononçoient par decret, par jugement, & par diplome. 1°. Par decret, quand ils mettoient en liberté, qu'ils émancipoient, qu'ils adjugeoient la possession d'un héritage, qu'ils nommoient des tuteurs, qu'ils vendoient à l'encan, qu'ils interdisoient, & dans d'autres causes. 2°. Par jugement, quand ils nommoient des juges pour examiner une affaire de peu d'importance, c'étoient ordinairement leurs lieutenans qui étoient chargés de cette commission ; ou bien ils choisissoient, du consentement des parties, trois récupérateurs. Il falloit qu'ils fussent pris dans la ville ou dans le forum où l'affaire avoit été entamée. Cicéron reproche à Verrès d'avoir nommé des récupérateurs tirés de sa cohorte. Quelquefois ils n'en nommoient qu'un ; & alors ce juge prenoit avec lui quelques jurisconsultes habiles pour l'éclairer. 3°. Par diplome ; c'étoit quand le magistrat notifioit dans les provinces son jugement sur une affaire qu'il avoit examinée avec soin dans le secret de son cabinet.
VII. Les peuples avoient cependant la permission de demander un jugement conforme aux formalités & aux coutumes de leurs pays, ou de choisir la jurisdiction du préteur. Les Grecs sur-tout, pour qui les Romains avoient une attention particuliere, jouissoient de cet heureux privilége. " Souvenez-vous, écrit Pline à un de ses amis, que Trajan envoyoit pour gouverneur dans la Grece, souvenez-vous que c'est à Athènes que vous allez, que c'est à Lacédémone que vous devez commander ; il y auroit de l'inhumanité & de la barbarie à dépouiller ces villes célebres, qui autrefois ne connoissoient point de maîtres, de l'ombre & du simulacre de leur ancienne liberté. " Quibus reliquam umbram & residuum libertatis nomen eripere durum, ferum, barbarumque est.
Mais ailleurs, ils se conduisoient avec plus de hauteur ; le rhéteur Albutius Silus se voyant repoussé à Milan par les licteurs du proconsul Pison, qui vouloient l'empêcher de défendre un accusé, s'écria que la liberté de l'Italie étoit perdue.
VIII. Quand une cause leur paroissoit embarrassée, ou d'une discussion critique & nuisible à leur réputation, ils la renvoyoient au sénat, ou au tribunal supérieur de la nation, ou à l'aréopage.
IX. Les empereurs apporterent quelques changemens à ces usages. Auguste nomma des propréteurs pour l'Italie, & des préfets pour les provinces. Adrien confia la jurisdiction de l'Italie à des consulaires, & celle des provinces à ceux qui avoient le titre de spectables ou d'illustres : c'étoient là les juges souverains ; ce qui n'excluoit pas les juges ordinaires. Marc Antonin substitua à ces souverains magistrats des jurisconsultes pour le civil seulement, juridicos. Alexandre Severe nomma des orateurs avec une autorité aussi étendue. (D.J.)
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PROVINCE CONSULAIRE | (Hist. rom.) on nommoit provinces consulaires celles de l'empire romain qui étoient gouvernées par des consuls après l'exercice de leur consulat. Du tems de César, il y avoit sept provinces consulaires, savoir l'Espagne ultérieure, l'Espagne citérieure, la Gaule cisalpine, la Gaule transalpine, l'Esclavonie jointe à la Dalmatie, la Cilicie, & la Syrie. (D.J.)
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PROVINCES-UNIES | (Géog. mod.) provinces des Pays-bas, ainsi appellées, à cause de l'union ou confédération qu'elles firent entr'elles au mois de Janvier 1579, pour la défense de leur liberté contre Philippe II. roi d'Espagne. Les provinces qui composent cette république sont au nombre de sept ; savoir le duché de Gueldres, dans lequel est compris le comté de Zutphen, les comtés de Hollande & de Zélande, les seigneuries d'Utrecht, de Frise, d'Overissel & de Groningue.
Outre ces sept provinces qui composent l'état, la république compose plusieurs villes conquises depuis l'union d'Utrecht, ou qui se sont incorporées dans les Provinces-unies, & que l'on appelle le Pays de la généralité, parce qu'elles dépendent immédiatement des états généraux, & non d'aucune province particuliere.
Ces places sont situées dans le Brabant, dans le pays de Limbourg, en Flandres & dans le haut quartier de Gueldre. Le pays de Drenthe qui est une province souveraine, située entre la Westphalie, Groningue, Frise & Overissel, fait aussi partie de la république, & contribue un pour cent aux frais de la généralité : aussi cette province prétend-elle avoir droit d'entrée dans l'assemblée des états-généraux, mais on lui a toujours donné l'exclusion.
Les deux compagnies des Indes orientales & occidentales, & la société de Surinam possedent aussi sous la protection des états-généraux de vastes états en Asie, en Afrique, & en Amérique. Outre tous ces pays, la république depuis la paix d'Utrecht, en éxécution du traité de Barriere, entretient des garnisons jusqu'au nombre de douze mille hommes dans les places d'Ypres, Furnes, Menin, Dendermonde, Tournay & Namur.
Les Provinces-unies & les pays de leur domination, sont situés entre le 24 & le 26e degré de longitude, & entre le 51 & le 54e degré de latitude septentrionale. Ces pays sont contigus les uns aux autres, & bornés au midi par la Flandre, le Brabant, l'évêché de Liége, la Gueldre prussienne & autrichienne ; au levant par les duchés de Cleves & de Juliers, l'évêché de Munster, le comté de Bentheim, & par le pays d'Oost-Frise ; la mer du nord ou d'Allemagne les baigne au septentrion & au couchant. On donne à toutes ces provinces environ quarante-huit lieues de longueur depuis l'extrêmité du Limbourg-hollandois, jusqu'à celle de la seigneurie de Groningue. Leur largeur depuis l'extrêmité de la Hollande méridionale jusqu'à celle de l'Overissel, est d'environ quarante lieues.
Le pays des Provinces-unies est en général mauvais, mais l'industrie des habitans l'a rendu également fertile & florissant. Deux principales rivieres l'arrosent ; j'entends le Rhin & la Meuse. Pour se garantir des inondations de la mer, on a partout opposé des digues à la fureur de l'Océan, & à l'impétuosité des rivieres. Ces digues ont couté des sommes immenses, & l'on prétend que leur entretien monte tous les ans à d'aussi grandes sommes qu'il en faudroit pour maintenir sur pié une armée de quarante mille hommes.
Il n'y a point de pays en pareille étendue à celui-ci, où l'on voye un si grand nombre de belles villes, de bourgs & de villages, ni une si grande quantité d'habitans, que la liberté & le commerce y attirent. On peut dire aussi que la liberté y fait fleurir les arts & les sciences ; c'est dans cette vûe que l'on entretient plusieurs universités, & un nombre infini d'écoles dans les villes, & jusque dans les moindres villages, où les habitans ont grand soin de faire instruire leurs enfans.
La religion protestante est la dominante dans les Provinces-unies, mais toutes les autres y sont tolérées & protégées. Les Catholiques ont leurs chapelles aussi libres que les églises des réformés ; & du reste, ils jouissent des mêmes prérogatives que les protestans par rapport à la justice, au commerce, & aux impôts. Ils peuvent parvenir à tous les emplois militaires, excepté celui de velt-maréchal ; il faut bien qu'ils soient contens de la douceur du gouvernement à leur égard, puisqu'on estime qu'ils font plus du quart des habitans.
Il n'y a point encore de pays au monde où les impôts soient plus considérables, que dans les Provinces-unies ; car on compte qu'ils font le tiers du prix qu'on paye du pain, du vin, de la biere, &c. cependant ils se levent d'une maniere que le petit peuple ne s'en apperçoit point, parce qu'accoutumé de tout tems à voir le prix des denrées sur ce pié-là, il n'y trouve rien qui l'effarouche ; on nomme ces impôts accises, & personne n'en est exempt.
On leve en outre plusieurs autres taxes, comme sur le sel, le savon, le caffé, le thé, le tabac, & enfin sur toutes les denrées qui se consomment dans le pays. Il y a une taxe annuelle sur chaque domestique ; sur les chevaux, les carrosses, les chaises & autres voitures, & sur les bêtes à cornes.
Une autre taxe considérable est celle qu'on appelle verponding, ou la taille sur les maisons & sur les terres. Dans des besoins pressans, on double ou triple ce verponding. Dans ces mêmes cas, on leve le centieme & le deuxcentieme deniers de la valeur de tous les biens des habitans, tant en fonds de terre qu'en obligation sur l'état. On leve aussi une taxe sur toutes les terres ensemencées, on la nomme bezaaygeld ; mais elle n'a lieu que dans les pays de la généralité, & dans les provinces qui produisent du grain.
Le quarantieme denier qu'on tire de la vente de tous les biens en fonds de terre, des vaisseaux & des successions collatérales, est un revenu considérable, aussi-bien que le papier timbré. Les droits d'entrée & de sortie sont fort tolérables ; ils sont perçus par les cinq colleges de l'amirauté, qui en ont fait un fonds pour l'entretien de la marine.
Les revenus ordinaires de la république, consistent en ce qui se leve dans les pays de la généralité, dont le conseil d'état a seul l'administration ; ou bien dans les sommes ordinaires & extraordinaires, que les sept Provinces & le pays de Drenthe fournissent tous les ans, suivant leur contingent, sur la pétition ou la demande que le conseil d'état en fait aux états généraux, pour la dépense qu'il juge que la république sera obligée de faire l'année suivante.
Les forces de l'état consistent en cinquante mille hommes de troupes reglées, & en trente à quarante vaisseaux de guerre qu'entretient l'amirauté. La source du commerce des Provinces-unies est la pêche du hareng, les manufactures qui occupent beaucoup de monde ; & enfin le commerce de l'Orient, que fait la compagnie de ce nom.
Les états-généraux représentent les sept Provinces-unies, mais ils n'en sont point les souverains, comme la plûpart des étrangers se l'imaginent ; & leur assemblée a quelque rapport à la diete de Ratisbonne, qui représente tout le corps Germanique. Quoiqu'ils paroissent revêtus du pouvoir souverain, ils ne sont que les députés, ou plénipotentiaires de chaque province, chargés des ordres des états leurs principaux ; & ils ne peuvent prendre de résolution sur aucune affaire importante, sans avoir eu leur avis & leur consentement. D'ailleurs, on peut considérer l'union des sept Provinces, comme celle de plusieurs princes qui se liguent pour leur sûreté commune, sans perdre leur souveraineté ni leurs droits en entrant dans cette confédération. Ces provinces forment ensemble un même corps ; il n'y en a pas une seule qui ne soit souveraine & indépendante des autres, & qui ne puisse faire de nouvelles lois pour sa conservation, mais sans pouvoir en imposer aux autres.
L'assemblée des états-généraux est composée de députés des sept Provinces ; on leur donne le titre de hauts & puissans seigneurs, à la tête des lettres qui leur sont écrites, des mémoires & des requêtes qui leur sont présentés, & on les qualifie dans ces mêmes écrits de leurs hautes puissances ; tous les souverains leur donnent aujourd'hui ce titre.
Le nombre des députés n'est ni fixé, ni égal ; chaque province en envoye autant qu'elle juge à-propos, & se charge de les payer. On ne compte pas les suffrages des députés, mais ceux des Provinces ; desorte qu'il n'y a que sept voix, quoique le nombre des députés de toutes les Provinces, présens ou absens, monte à environ cinquante personnes, dont il y en a entr'autres dix-huit de Gueldre.
Chaque province préside à son tour, & sa présidence dure une semaine entiere, depuis le Dimanche à minuit jusqu'à la même heure de la semaine suivante. Tous les députés sont assis, suivant le rang de leur province autour d'une longue table, au milieu de laquelle est le fauteuil du président. A sa droite sont assis les députés de Gueldre, à sa gauche ceux de Hollande, & ainsi des autres suivant le rang des Provinces qui est tel. Gueldre, Utrecht, Hollande, Frise, Zélande, Overissel, Groningue.
Tous ceux qui possedent des charges militaires, ne peuvent prendre séance dans l'assemblée des états-généraux ; le capitaine général n'est pas même exempt de cette loi, il peut seulement entrer dans l'assemblée pour y faire des propositions, & il est obligé de se retirer, lorsqu'il s'agit de délibérer sur ce qu'il a proposé. Quelque grand que soit le nombre des députés, il n'y a que six chaises pour chaque province, & tout les surnuméraires sont obligés de se tenir debout.
La plûpart des députés ne sont que pour trois, ou six ans dans l'assemblée des états-généraux, à-moins que leur commission ne soit renouvellée. Il en faut excepter la province de Hollande, qui y députe un membre de ses nobles pour toute sa vie, & celle d'Utrecht qui envoye un député du corps ecclésiastique, & un autre du corps de la noblesse qui y sont aussi à vie. Il en est encore de même des députés de Zélande qui sont ordinairement au nombre de quatre.
Outre les députés ordinaires, tous ceux qui sont chargés d'une ambassade, ou de quelque négociation importante dans les pays étrangers, ont une commission pour entrer dans l'assemblée des états-généraux.
Le conseiller-pensionnaire de Hollande, assiste tous les jours à cette assemblée, en qualité de député ordinaire, & c'est lui qui y fait les propositions de la part de cette province. Il est le seul avec le député de la noblesse d'Hollande, qui ait l'avantage de paroître tous les jours dans ce sénat. Tous les autres députés de cette province sont obligés par une résolution de l'an 1653, d'avoir une commission pour y assister ; deux conseillers députés de Hollande y prennent aussi séance tous les jours tour-à-tour.
La charge de greffier ou secrétaire des états-généraux, est une des plus importantes & des plus onéreuses de l'état. Il est obligé d'assister tous les jours à l'assemblée des états-généraux, d'écrire toutes les résolutions qu'ils prennent, toutes les lettres & les instructions qu'on adresse aux ministres de l'état dans les pays étrangers. Il assiste aussi aux conférences qu'on tient avec les ministres étrangers, & y donne sa voix ; c'est lui qui expédie & scelle toutes les commissions des officiers généraux, des gouverneurs & commandans des places, les placards, les ordonnances des états-généraux, & autres actes. Il est nommé à cette charge par les états-généraux ; il a sous lui un premier commis, & deux premiers clercs qu'on nomme aussi commis, avec un grand nombre de clercs ou d'écrivains qui travaillent tous les jours au greffe, qui est proprement ce qu'on appelle dans d'autres pays la secrétairerie d'état.
Il y a des députés des états-généraux qui sont envoyés en commission pour changer ou renouveller les magistrats, ou pour quelqu'autre affaire. Ils ont dix florins par jour pendant tout le tems de leurs commissions, outre les frais de leurs voyages. Les états-généraux envoyent aussi tous les deux ou trois ans deux députés à Mastricht, avec le titre de commissaires déciseurs, pour terminer avec les commissaires du prince de Liege, les procès & les autres affaires, & leur jugement est sans appel.
Le conseil d'état a son tour pour nommer les commissaires déciseurs, qui sont aussi chargés du renouvellement des magistrats de la ville de Mastricht & des juges des environs. En tems de guerre, les états-généraux envoyent deux députés à l'armée, & le conseil d'état en envoie un autre ; ils ont chacun 70 florins par jour. Le général en chef ne peut livrer bataille, ni former un siege, ni faire aucune entreprise d'éclat, sans leur avis & consentement.
Comme par l'union d'Utrecht, les sept Provinces se sont reservé l'autorité souveraine, leurs députés, qui forment l'assemblée des états-généraux, ne peuvent rien conclure dans les affaires importantes ; ils ne peuvent faire la guerre ou la paix sans un consentement unanime de toutes les Provinces, que l'on consulte auparavant. Le même consentement est nécessaire pour lever des troupes ; leurs lois doivent être approuvées par les Provinces : ils ne peuvent révoquer les anciens réglemens, ni élire un stadhouder ; & chaque province a la même disposition de tous les régimens, & des officiers de son ressort.
Outre l'assemblée ordinaire des états-généraux, il s'en est tenu quelquefois une extraordinaire, qu'on nomme la grande assemblée, parce qu'elle est composée d'un plus grand nombre de députés de toutes les Provinces, que la premiere. Cette assemblée n'est jamais convoquée que du consentement unanime de toutes les Provinces, pour déliberer sur des affaires de la derniere importance pour la république ; elle est supérieure à celle des états-généraux. Cependant les députés qui la composent ne peuvent rien conclure, sans l'avis & le consentement de leurs Provinces.
Le conseil d'état ne se mêle que des affaires militaires & de l'administration des finances. Il est composé de douze conseillers ou députés des Provinces, qui sont un de Gueldre, trois de Hollande, deux de Zélande, un d'Utrecht, deux de Frise, un d'Overissel, & deux de Groningue & des Ommelandes. De ces douze députés, il n'y en a que trois qui soient à vie ; savoir, celui qui est nommé par le corps des nobles d'Hollande, & les deux de Zélande. Les autres n'y sont ordinairement que pour trois ans. Après avoir été nommés par leurs Provinces, ils prêtent le serment aux états-généraux, & ils reçoivent leurs commissions de leurs hautes-puissances.
Il n'en est pas de même du conseil d'état que de l'assemblée des états-généraux, car on y compte les suffrages des députés, & non ceux des provinces, & la présidence, qui est d'une semaine, roule tour-à-tour entre les douze députés suivant leur rang. Outre ces députés, le trésorier-général, a le titre de conseiller d'état. C'est un officier à vie, & il a séance au conseil d'état. Il est en quelque maniere le contrôleur général des finances : il a l'inspection sur la conduite du conseil d'état, mais plus particulierement sur l'administration du receveur-général, & des autres receveurs subalternes de la généralité. Il ne peut s'absenter de la Haie sans la permission des états-généraux.
La chambre des comptes de la généralité fut établie en 1607 du consentement des sept Provinces, pour soulager le conseil d'état dans la direction des finances. Cette chambre est composée de deux députés de chaque province, qui font le nombre de quatorze, & qui ordinairement changent de trois en trois ans, suivant le bon plaisir des provinces. Les fonctions de ce college consistent à examiner & arrêter les comptes du receveur-général, des autres receveurs de la généralité & de tous les comptables. On donne aux députés qui composent cette chambre les titres de nobles & puissans seigneurs.
La chambre des finances de la généralité a été établie avant celle des comptes, & est composée de quatre commis & d'un secrétaire, qui sont nommés par les états-généraux. Il y a un clerc ou écrivain. Cette chambre est chargée de régler tous les comptes qui regardent les frais de l'armée, de tous les hauts & bas officiers, de ceux de l'artillerie, des bateaux, des chariots, des chevaux, &c. comme aussi de ceux qui ont soin des munitions, des vivres de l'armée, & de tout ce qui sert à son entretien & à sa subsistance.
Toutes les provinces, en s'unissant pour former entr'elles une seule république, se sont réservé le droit de battre monnoie, comme une marque essentielle de leur souveraineté particuliere, mais elles sont convenues en même tems que la monnoie de chaque province, qui auroit cours dans toute l'étendue de la république, seroit d'une même valeur intrinseque. Pour l'observation d'un si juste réglement, on établit à la Haye une chambre des monnoies de la généralité, composée de trois conseillers inspecteurs généraux, d'un secrétaire & d'un essayeur général. Cette chambre a une inspection générale sur toute la monnoie frappée au nom des états-généraux ou des états des provinces particulieres, de même que sur toutes les especes étrangeres.
Par le réglement des états-généraux en 1597, l'amirauté des Provinces-Unies a été partagée en cinq colleges ; savoir trois en Hollande, qui sont ceux de Rotterdam, d'Amsterdam, Horn & Enkhuisen alternativement, un à Middelbourg en Zélande, un à Harlingue en Frise ; & les droits d'entrée & de sortie sont levés au profit du corps entier de la république pour l'entretien des vaisseaux de guerre, & autres frais de la marine. Chacun de ces colleges est composé de plusieurs députés, tirés partie des provinces où les colleges sont établis, & partie des provinces voisines. Il n'y a point d'appel de leurs sentences pour ce qui concerne les fraudes des droits d'entrée & de sortie, & les différends sur les prises faites par mer, aussi-bien que dans les causes criminelles ; mais dans les causes civiles où il s'agit d'une somme au-delà de six cent florins, on peut demander revision de la sentence aux états-généraux.
Lorsque les états-généraux, de l'avis du conseil d'état, ont résolu de faire un armement naval, & qu'ils se sont déterminés sur le nombre & la qualité des vaisseaux, le conseil d'état en expédie l'ordre à tous ces colleges qui arment séparément à proportion de leur contingent. Celui d'Amsterdam fait toujours la troisieme partie de tous les armemens, & les autres une sixieme partie chacun.
La charge d'amiral-général a été ordinairement unie à celle de stadhouder : mais depuis la mort de Guillaume III. prince d'Orange il n'y a point eu d'amiral-général, & aujourd'hui tous les colleges de l'amirauté ont leurs officiers particuliers, dont le premier a le titre de lieutenant-amiral. Cependant la province de Gueldres a conféré le titre d'amiral-général au prince de Nassau-Orange, avec la dignité de stathouder & de capitaine-général. Voyez STATHOUDER.
Les pays qui ont été conquis par les armes de la république, ou qui se sont soumis d'eux-mêmes à sa domination, font une partie considérable de l'état ; on les nomme les pays de la généralité, parce qu'ils dépendent immédiatement des états-généraux, & non d'aucune province particuliere. On les divise en quatre, qui sont le Brabant hollandois, le pays d'Outre-Meuse ou le Limbourg hollandois, la Flandre hollandoise, & le quartier de Venlo.
Malgré les grands avantages que le commerce procure à l'état, & les revenus considérables qu'il retire des droits, des taxes & des impositions, il est arrivé que la république des Provinces-Unies a contracté des dettes immenses par les longues & cruelles guerres qu'elle a eu à soutenir. Nous ne connoissons pas bien la situation des finances de chaque province en particulier, mais nous sommes mieux instruits de celles de la province de Hollande, qui contribue de 53 florins sur 100 dans les charges de la république. Or les dettes de cette province sont encore à-peu-près les mêmes qu'à la fin de la guerre terminée par le traité d'Utrecht, & les mêmes impôts subsistent, à l'exception d'un demi-centieme denier sur les maisons. Le total des revenus est de 22 millions 241 mille 309 florins. Les charges montent à 15 millions 863 mille 840 florins ; l'excédent des revenus est donc 6 millions 377 mille 499 florins ; mais il faut ajouter aux charges la loterie de six millions de l'année 1750, & celle d'une semblable somme de l'année suivante, en prenant pour chaque billet de mille florins à discompter, 300 florins de vieilles obligations ; desorte que les dettes ont augmenté de 8 millions & 200 florins à trois & demi pour cent.
Il est vrai que les particuliers à qui la Hollande doit sont des sujets de l'état, & qu'ils ne desirent point d'être remboursés, dans l'incertitude où ils sont de pouvoir mieux employer leur argent ; mais il n'en est pas moins vrai que l'unique source de l'opulence des Provinces-Unies décroît chaque année, & sans compter les causes intérieures de décadence de l'état, les progrès de toutes les nations dans le commerce doivent miner encore plus immédiatement ses forces & sa puissance.
Ce détail peut suffire sur le gouvernement des Provinces-Unies ; le lecteur pourra s'instruire plus complete ment dans le livre de Janiçon, qui forme quatre volumes in-12. & mieux encore pour l'histoire, dans les ouvrages de Basnage, de le Clerc, de Bizot, & autres écrits en latin & en flamand. (D.J.)
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PROVINCIA | (Géog.) mot latin, dont les François & les Anglois ont fait leur mot province. On entend par ce mot une étendue considérable de pays, qui fait partie d'un grand état, & dans laquelle on comprend plusieurs villes, bourgs, villages, & autres lieux sous un même gouvernement. C'est ce que les Grecs, & particulierement Ptolémée, appellent : les Allemands ont le mot landschafft, qui veut dire la même chose, & les Italiens & les Espagnols ont conservé sans aucune altération l'ancien nom provincia.
Originairement les Romains donnerent le nom de provinces aux contrées qu'ils avoient acquises hors de l'Italie, ou par les armes, ou par droit d'hérédité, ou par quelqu'autre voie ; ce qui a fait dire à Hégésippe, que les Romains, cum in jus suum vincendo redigerent procùl positas regiones, appellavisse provincias. Il dit procùl positas ; car d'abord aucune contrée d'Italie n'eut le nom de province. Aussi Dion Cassius, l. LIII. p. 103. en donnant la division de l'empire romain sous Auguste, ne met point l'Italie parmi les provinces de l'empire. Cependant, sous Hadrien, l'Italie paroît avoir été divisée en deux parties principales, dont l'une comprenoit le pays d'au-deçà & d'au-delà du Pô, qui, avec les contrées voisines, furent sous Constantin appellées du nom de province d'Italie, dont Milan étoit la métropole. Les autres pays d'Italie demeuroient pendant ce tems-là sous le vicaire de la ville.
Lorsque les Romains avoient gagné quelque contrée en province, ils y envoyoient ordinairement tous les ans un homme qui, s'il avoit étoit consul, faisoit prendre à cette province le nom de consulaire, & s'il avoit été préteur, lui faisoit prendre celui de prétorienne. La charge de cet homme consulaire ou préteur étoit de gouverner la province selon les lois romaines. Il établissoit son tribunal dans la principale ville, où il rendoit la justice aux peuples, ce qui avoit quelque rapport à ce qu'on appelle présentement en France gouvernement.
Onuphre nous apprend que sous Auguste les provinces de l'empire romain furent partagées en vingt-six diocèses, dont ce prince choisit quatorze où il se réserva d'envoyer des commandans sous le nom de recteurs ou de procureurs, & il laissa les autres à la disposition du sénat.
Sous les successeurs d'Auguste, le nombre des provinces accrut, & on les divisa en différentes manieres, comme on en divise encore quelques-unes de notre tems. On les distingue en grande & petite, en premiere, seconde & troisieme. Quelques-unes, à cause des eaux médicinales, furent nommées salutaires ; d'autres furent partagées en orientale & occidentale, en majeure & mineure, & quelques-unes prirent leur nom de leur capitale.
Les Grecs ont distingué quelques provinces, composées de montagnes & de plaines, en tracheia, en latin aspera, c'est-à-dire rude & raboteuse, & coele, qui veut dire creuse ou plaine.
On a divisé encore les provinces en citérieure & ultérieure ; & cette distinction est quelquefois causée par la situation de quelque montagne qui se trouve entre deux. Le cours d'un fleuve a quelquefois le même effet. On trouve encore chez les anciens une division de provinces en intérieure & extérieure, par rapport à la situation d'une montagne, comme par rapport au cours d'un fleuve, on divise une province en province en-deçà & province au-delà. La domination met quelquefois aussi de la distinction dans une même province, comme on a dit, le Brabant espagnol & le Brabant hollandois.
Aujourd'hui la plus commune division d'une province est en haute & basse. Le cours des rivieres donne quelquefois ce nom ; mais il faut prendre garde que, quoique ces deux mots soient toujours relatifs, il y a cependant des pays qui sont appellés Pays-bas, sans que l'on en trouve qui ait le nom de haut. On trouve bien, par exemple, la basse Normandie, quoique l'autre soit appellée simplement Normandie ; on dit de même la basse Bretagne. Au contraire en Auvergne il y a seulement le mot de haute Auvergne, qui est la partie montagneuse, & l'autre partie n'est point ordinairement appellée basse. (D.J.)
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PROVINCIAL | adj. & subst. qui vient de la province. On dit il a l'air, le ton, les manieres d'un nouveau débarqué, d'un provincial. La politesse ne dit point une provinciale, mais une dame de province. La cour méprise la ville ; la ville méprise la province ; la province méprise les champs. Cependant il y a des qualités estimables aux champs, dans la province, à la ville & même à la cour où elles ont à lutter sans cesse contre les plus puissans intérêts, qui en exigent à chaque instant le sacrifice.
PROVINCIAL, adj. s. (Jurisprud.) dans quelques ordres religieux est celui qui a la direction & l'autorité sur plusieurs couvens d'une province, suivant la division établie dans leur ordre. Le général a sous lui plusieurs provinciaux, un provincial a sous lui plusieurs prieurs. (A)
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PROVISEUR | S. m. (Hist. litt.) qui pourvoit, qui a soin, du verbe providere, pourvoir, prendre soin.
Le titre de proviseur est en usage dans l'université de Paris, dans certaines sociétés ou colleges ; il signifie le chef, comme dans la maison de Sorbonne. M. l'archevêque de Paris en est actuellement proviseur. Le premier supérieur du college d'Harcourt a aussi le titre de proviseur. Au contraire dans d'autres maisons ou colleges, proviseur n'est que ce qu'on nomme ailleurs procureur, un officier comptable, qui touche les revenus & gere les affaires temporelles de la société. Tel est celui qu'on appelle proviseur dans la maison de Navarre.
Le proviseur de Sorbonne a une grande part à toutes les affaires qui concernent cette maison ; mais il ne nomme pas aux places vacantes de professeur, bibliothécaire, &c. elles sont données par les membres mêmes de la maison par voie d'élection, & à la pluralité des voix. Celui d'Harcourt nomme aux places de professeur de son college, comme tous les autres principaux. Voyez PRINCIPAL.
On donne encore dans les actes publics le nom de proviseur aux marguilliers des églises ; ainsi l'on dit N. marguillier & proviseur de telle église ou paroisse. Cette dénomination vient de la même racine que la précédente. Provisor quia providet bonis & praediis ecclesiae.
Les Théologiens donnent aussi à Dieu le titre de proviseur général à raison de sa providence, & du soin qu'il prend de l'univers. Voyez PROVIDENCE.
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PROVISION | S. f. (Gram.) amas que l'économie bien ou mal entendue fait dans un tems d'abondance & de bon marché, pour un tems de disette & de cherté.
PROVISION, (Jurisprudence) ce terme signifie en général un acte, par lequel on pourvoit à quelque chose.
Provision se prend quelquefois pour possession, comme quand on dit que l'on adjuge la provision à celui qui a le droit le plus apparent, c'est-à-dire, que la possession que l'on adjuge n'est pas irrévocable, mais seulement en attendant que le fond soit jugé.
Provision se prend aussi pour exécution provisoire, comme quand on dit que la provision est dûe au titre, c'est-à-dire, qu'entre deux contendans celui qui est fondé en titre doit par provision être maintenu, sauf à juger autrement en définitive si le titre est contesté.
Provision est aussi une somme de deniers que l'on adjuge à quelqu'un pour servir à sa subsistance, & pour fournir aux frais d'un procès, en attendant que l'on ait statué sur le fond des contestations.
Pour obtenir une provision, il faut être fondé en titre ou qualité notoire.
Par exemple, une veuve qui plaide pour son douaire peut obtenir une provision.
Il en est de même en cas de partage d'une succession directe, un héritier qui n'a encore rien reçu, soit entre vifs ou autrement, est bien fondé à demander une provision, lorsque le partage ne peut être fait promtement.
Un enfant qui est en possession de sa filiation peut aussi demander une provision à celui qui refuse de le reconnoître pour son pere.
Un tuteur qui n'a pas encore rendu compte étant réputé débiteur, peut de même être condamné à payer une provision à son mineur, lorsque le compte n'est pas prêt.
Une femme qui plaide en séparation, peut demander une provision sur les biens de son mari, une partie saisie sur les biens saisis réellement ; une personne blessée en obtient aussi sur un rapport en chirurgie, pour ses alimens & médicamens, mais on ne peut pas en accorder aux deux parties.
Les provisions peuvent être adjugées en tout état de cause, même en cas d'appel. Elles sont arbitraires, & plus ou moins fortes, selon la qualité des parties, les biens & autres circonstances.
Il y a des cas où l'on peut obtenir jusqu'à deux ou trois provisions successivement ; cela dépend aussi des circonstances.
Lorsque les provisions sont pour alimens, elles se prennent par préférence à toutes autres créances. Voyez Papon, l. XVIII. tit. 1.
PROVISION ALIMENTAIRE, est une somme de deniers qui est accordée à quelqu'un à titre d'alimens. Voyez l'article précédent.
PROVISION DE CORPS, dans les coutumes, anciennes ordonnances, signifie la même chose que provision alimentaire. Voyez les deux articles précédens.
PROVISION EN FAIT DE BENEFICE, est une lettre-patente du collateur, par laquelle il déclare qu'il confere à un tel un tel bénéfice vacant de telle maniere.
Il y a différentes sortes de provisions, les unes accordées par le roi, ou par quelqu'autre collateur laïc ; les autres qui sont accordées par des collateurs ecclésiastiques.
Le roi donne des provisions en régale, par droit de joyeux avénement & par droit de serment de fidélité, il en donne aussi comme plein collateur de certains bénéfices. Voyez REGALE, JOYEUX AVENEMENT, SERMENT DE FIDELITE.
Quelques seigneurs, & même de simples particuliers, donnent aussi des provisions de certains bénéfices dont ils ont la pleine collation. Voyez COLLATION, PATRONAGE : & sur les provisions en général on peut voir Rebuffe, Fevret, d'Hericourt, Fuet, la Combe, les mémoires du clergé. (A)
PROVISION CANONIQUE, est celle qui est conforme aux canons, soit pour la capacité du collateur, soit pour les qualités & capacités du pourvu, soit pour la forme en laquelle elle est expédiée.
PROVISION COLOREE, est celle qui a la couleur & l'apparence d'un titre légitime, laquelle pourroit être arguée de nullité pour quelques défauts qui s'y rencontrent, mais qui sont couverts par la possession paisible & triennale, pourvu qu'elle n'ait point été prise & retenue par force & par violence. Voyez regle de pacificis possessoribus, & TITRE COLORE. (A)
PROVISION EN COMMENDE, est celle par laquelle un bénéfice régulier est conferé à un régulier pour le tenir en commende.
Le pape seul peut conferer en commende, ou ceux auxquels il en a donné le pouvoir par des indults. Voyez COMMENDE.
PROVISION DE COUR DE ROME, est celle qui est expédiée par les officiers de la chancellerie romaine, pour les bénéfices qui sont à la collation du pape.
On n'entend ordinairement par le terme de provisions de cour de Rome, que celles qui sont expédiées pour les bénéfices ordinaires ; celles que le pape donne pour les bénéfices consistoriaux sont appellées bulles. Voyez BENEFICES CONSISTORIAUX, BULLES.
Pour obtenir des provisions de cour de Rome, il faut s'adresser à un banquier expéditionnaire, qui doit mettre sur son registre la date des procurations, concordats, & autres pieces, avec le nom des notaires & des témoins pour en délivrer l'extrait en cas de compulsoire.
L'expéditionnaire envoie ensuite à Rome son mémoire avec les pieces justificatives.
Son solliciteur correspondant à Rome dresse un mémoire pour retenir la date, & porte ce mémoire chez l'officier des petites dates, ou chez son substitut.
Quand le courier, porteur du mémoire & des pieces, arrive avant minuit, l'impétrant a la date du jour de l'arrivée du courier ; mais si le mémoire n'est porté qu'après minuit, on n'a la date que du lendemain.
La date étant mise sur le mémoire par le préfet des dates, le banquier correspondant dresse la supplique, tant sur la procuration du résignant, si c'est une résignation, que sur le mémoire qu'on lui a envoyé de France.
Pour la Bretagne, & autres pays d'obédience, on ne retient point de date à Rome ; l'expéditionnaire porte la supplique au sous-dataire, s'il s'agit d'une résignation, ou si c'est sur une vacance par mort, à l'officier qu'on appelle per obitum.
Quand le S. siege est vacant, on ne retient point de date, mais les provisions de Rome sont présumées datées du jour de l'élection du pape, & non du jour de son couronnement.
Les provisions de cour de Rome sont tenues pour expédiées, & ont effet du jour de l'arrivée du courier, au lieu que les bulles pour les bénéfices consistoriaux ne sont datées que du jour que le pape accorde la grace ; il en est de même des expéditions de la chancellerie romaine pour les bénéfices de Bretagne.
Il y a des provisions sur dates retenues, d'autres sur dates courantes. Voyez PROVISION SUR DATE, &c.
La provision de cour de Rome contient la supplique & la signature : la supplique de l'impétrant commence en ces termes : Beatissime pater supplicat humiliter sanctitati vestrae devotus illius orator N...
Elle a quatre parties ; la premiere énonce le bénéfice que l'on demande, les qualités exprimées au vrai, les genres de vacance, & le diocèse où le bénéfice est situé : la seconde partie comprend la supplication de l'impétrant, son diocèse, ses qualités, les bénéfices qu'il possede, ou sur lesquels il a un droit qui est venu à sa connoissance : la troisieme partie énonce le troisieme genre de vacance qui est exprimé, & les genres de vacance généraux sous lesquels l'impétrant demande le bénéfice au pape par une ampliation de grace, comme per obitum, & aut alio quovis modo ; & la quatrieme contient les dispenses & dérogations qu'il faut demander ; autrement on ne les accorderoit point, & néanmoins on peut en avoir besoin dans quelques occasions.
La clause aut aliquo quovis modo, que l'on met dans la supplique, est une clause générale qui produit une extension d'un cas à un autre, & supplée au défaut de la cause particuliere lorsqu'elle se trouve fausse.
La réponse ou signature est en ces termes : fiat ut petitur, quand c'est le pape qui signe ; ou bien concessum ut petitur, quand c'est le préfet de la signature : en France on ne fait aucune différence de ces deux sortes de signatures.
Les provisions que donne le pape sont aussi appellées signatures, parce qu'on donne à l'acte le nom de la plus noble partie, qui est la souscription.
La supplique doit précéder la signature, parce que l'on n'a point d'égard en France aux provisions que le pape donne de son propre mouvement, si ce n'est pour la Bretagne.
L'expression du bénéfice & des qualités de l'impétrant doit être faite au vrai dans la supplique, autrement il y auroit obreption ou subreption, ce qui rendroit la grace nulle, quand même l'impétrant seroit de bonne foi.
Les religieux doivent exprimer dans leur supplique non-seulement les bénéfices dont ils sont pourvus, mais aussi les pensions qu'ils ont sur les bénéfices ; au lieu que les séculiers ne sont pas obligés d'exprimer les pensions, à moins qu'il ne fût question d'en imposer une seconde sur un bénéfice qui en seroit déja chargé d'une ; & cela quand même les deux pensions ensemble n'excéderoient pas la troisieme partie des fruits.
On est aussi obligé dans les provisions de cour de Rome, d'exprimer tous les bénéfices dont l'impétrant est pourvu, & ce, à peine de nullité ; tellement que le défaut d'expression du plus petit bénéfice, & même d'un bénéfice litigieux, rendroit les provisions nulles & subreptices, sans qu'on pût les valider en rejettant la faute sur le banquier, ni réparer l'omission en exprimant depuis le bénéfice omis.
Pour la France, il n'est nécessaire d'exprimer la véritable valeur que des bénéfices taxés dans les livres de la chambre apostolique : il suffit pour les autres d'exposer que le bénéfice n'excéde pas la valeur de 24 ducats de revenu.
L'impétrant doit désigner le bénéfice qu'il demande, de telle maniere qu'il n'y ait point d'équivoque ; & s'il s'agit d'un canonicat ou prébende qui n'ait point de nom particulier, il faut exprimer le nom du dernier titulaire ; & s'il y en a deux du même nom dans cette église, il faut désigner celui dont il s'agit, de façon qu'on ne puisse s'y méprendre.
Deux provisions données par le pape à deux personnes différentes sur un même genre de vacance, se détruisent mutuellement, quand même une des deux seroit nulle, & obtenue par une course ambitieuse, à moins que ce ne fût d'une nullité intrinseque ; car en ce cas, la provision nulle ne donneroit pas lieu au concours.
Une signature par le fiat, & une autre par le concessum, se détruisent aussi mutuellement, quand elles sont de même date pour le même bénéfice, & sur le même genre de vacance, quoique l'une soit du pape, & l'autre seulement du préfet de la signature.
Pour éviter le concours dans les vacances par mort & par dévolut, on retient ordinairement plusieurs dates, dans l'espérance qu'il se trouvera à la fin quelque provision sans concours.
On ne marque point l'heure dans les provisions de cour de Rome, mais on tient registre de l'arrivée du courier.
Les provisions sont écrites sur le protocole, qui est le livre des minutes ; on les enregistre non pas suivant la priorité du tems auquel elles ont été accordées, mais indifféremment, & à mesure qu'elles sont portées au registre par les expéditionnaires.
Lorsque les provisions de cour de Rome peuvent être déclarées nulles par rapport à quelque défaut, on obtient un rescrit du pape, appellé perinde valere, quand il s'agit de bulles ; mais si c'est une simple signature, on la rectifie par une autre, appellée cui prius.
Les provisions des bénéfices consistoriaux s'expédient par bulles. Voyez BULLES. (A)
PROVISION cui prius est une nouvelle signature de cour de Rome, ainsi appellée parce qu'elle est accordée à la même personne qui en avoit déja obtenu une premiere ; on n'y fait point mention de la premiere : elles ne different l'une de l'autre, qu'en ce que la derniere contient quelque expression qui n'étoit pas dans la premiere signature ; elle s'accorde de la même date, lorsqu'il y a quelque défaut d'expression, omission, ou autre chose qui n'auroit pas été refusée dans la premiere signature : pour avoir la provision reformée, nommée cui prius, il faut renvoyer à l'expéditionnaire de Rome la premiere signature, dont il fait une copie, dans laquelle il corrige le défaut de la premiere, ou bien il y insere ce qu'il y avoit d'omis, & il porte l'une & l'autre au soudataire, qui met au bas de la copie, comme d'une seconde supplique, ces mots cui prius adverte ad datam ; afin que le préfet des dates voyant l'ordre, ne fasse point difficulté d'y mettre la premiere date ; ensuite l'expéditionnaire la porte dans les offices où la premiere a passé, laquelle est déchirée comme inutile ; desorte que la seconde signature ou provision est comme s'il n'y en avoit point eu de premiere.
Quand les provisions ont été expédiées par bulles, il faut pour les rectifier obtenir un rescrit du pape, appellé perinde valere. Voyez le recueil des décisions sur les bénéfices, par Drapier.
PROVISIONS pro cupientibus profiteri, sont des provisions qu'un ecclésiastique séculier obtient en cour de Rome, pour un bénéfice regulier, avec la clause pro cupiente profiteri, qui signifie que l'impétrant desire de faire profession religieuse.
Un pourvû par le pape, sous la condition de prendre l'habit & de faire profession, n'est point pourvû en commende d'abord, pour l'être ensuite en titre lorsqu'il aura exécuté le decret, il est d'abord pourvû en titre ; mais ses provisions ne sont que conditionnelles, & elles n'ont point d'effet, s'il n'exécute pas dans le tems prescrit, la condition qui y est exprimée.
Les chevaliers de Malthe donnent des provisions, même des cures de leur ordre, sous cette condition, pro cupiente profiteri. Il y a dans les privileges de cet ordre des bulles qui établissent ce droit, & il est autorisé au grand conseil & dans d'autres tribunaux. Voyez le recueil des bénéfices de Drapier.
PROVISION SUR DATES RETENUES ou PETITES DATES, est une signature de cour de Rome, qui s'accorde sous la date du jour que le banquier de Rome a requis le bénéfice, quoique la signature ne soit expédiée que long-tems après, il n'y a que les François qui jouïssent de ce privilege ; les autres nations chrétiennes, qui reconnoissent le pape, n'ont leur expédition que de la date courante, c'est-à-dire du jour que la grace a été accordée & la supplique signée. Voyez le traité de l'usage & pratique de cour de Rome, par Castel, & le recueil des décisions sur les bénéfices, par Drapier.
PROVISION SUR DATE COURANTE est une signature de cour de Rome, qui n'est expédiée que sous la date du jour que la grace a été accordée. Voyez l'article précédent.
PROVISION PAR DEVOLUT est celle qui est obtenue du pape ou de l'ordinaire, fondée sur le défaut ou nullité de titre, inhabileté & incapacité en la personne du possesseur. Voyez DEVOLUT.
PROVISION PAR DEVOLUTION est celle que le collateur supérieur accorde, lorsque le collateur ordinaire n'a pas conferé dans le tems prescrit. Voyez DEVOLUTION.
PROVISION in formâ dignum, est celle que le pape accorde à l'impétrant, sous la condition qu'il soit trouvé capable par l'Evêque du diocèse où le bénéfice est situé, auquel il le renvoye pour être par lui examiné. On les appelle in formâ dignum, parce que l'ancienne formule de ces provisions commençoit par ces mots : dignum arbitramur & congruunt ut illis se reddat sedes apostolica, gratiosam quibus, &c. Ces sortes de provisions sont plutôt des mandats de providendo, que des provisions parfaites, parce que si l'impétrant est trouvé indigne ou incapable par l'évêque ou par son grand-vicaire, ils le peuvent refuser, sans avoir égard à ces provisions de cour de Rome.
Dans le style de la daterie de Rome, on reconnoît deux sortes de provisions in formâ dignum. L'une qu'on appelle in formâ dignum antiquâ, qui est celle dont on vient de parler ; l'autre qu'on appelle in formâ dignum novissimâ. Celle-ci fut introduite pour les bénéfices sujets aux reserves apostoliques ; par cette nouvelle forme les papes limiterent le terme de trente jours, aux commissaires, pour l'exécution des provisions apostoliques ; autrement, ce tems passé, l'ordinaire le plus voisin seroit censé délégué exécuteur, au refus de l'ordinaire naturel ; mais en France, la distinction entre ces deux formes d'expéditions n'est point en usage.
PROVISION EN FORME GRACIEUSE est celle qui est donnée par le pape, sur l'attestation des vie & moeurs de l'impétrant, par laquelle il est informé de sa suffisance & de sa capacité.
PROVISION PAR MORT, ou per obitum, on sousentend ultimi possessoris, est celle qui est donnée sur la vacance du bénéfice arrivée par la mort du dernier possesseur.
PROVISION NOUVELLE est une nouvelle grace pour revalider une premiere provision ; elle suppose un titre précédent, dont la validité est douteuse ; elle s'obtient ou sur des provisions du pape, ou sur des provisions de l'ordinaire ; sur de simples provisions du pape, quand il y a erreur, omission ou quelqu'autre défaut ; sur les provisions de l'ordinaire, lorsque la validité en est douteuse par quelque défaut réparable : on peut même en ce cas impétrer & obtenir du pape le bénéfice, par le même genre de vacance, avec la clause jura juribus addendo, sans renoncer au droit acquis par la premiere provision ; soit qu'elle s'obtienne sur des provisions du pape, ou sur des provisions de l'ordinaire, il faut dans l'un & l'autre cas énoncer tout ce que contient la premiere provision, avec la cause pour laquelle on doute de sa validité. voyez le traité de l'usage & pratique de la cour de Rome, par Castel, avec les notes de Royer.
PROVISION per obitum, ou par mort, voyez PROVISION PAR MORT.
PROVISIONS DE L'ORDINAIRE, sont celles qui sont données par le collateur ordinaire du bénéfice, soit qu'elles soient émanées du collateur immédiat, ou du collateur supérieur par droit de dévolution.
On les appelle provisions de l'ordinaire, pour les distinguer des provisions de cour de Rome qui sont accordées par le pape.
Pour que la provision de l'ordinaire soit valable, il faut qu'elle soit rédigée par écrit, qu'elle soit reçue par un notaire royal & apostolique, ou par le greffier du collateur ; qu'elle soit signée du collateur & de deux témoins, dont les noms, demeures & qualités soient insérées dans les provisions, & que les témoins ne soient point parens, ni domestiques du collateur, ni de celui auquel il confere.
Les provisions doivent être scellées & enregistrées dans le mois au greffe des insinuations ecclésiastiques du diocèse où est situé le bénéfice ; & si cela ne se pouvoit faire dans ce délai, il faudroit les faire insinuer dans ce même délai au greffe du diocèse où les provisions ont été faites, & deux mois après au greffe du diocèse où le bénéfice est situé.
Quand l'ordinaire confere par les mêmes provisions deux bénéfices à la même personne, & que ces bénéfices sont situés en différens diocèses, il faut faire insinuer les provisions dans un mois au greffe du diocèse où est situé l'un des bénéfices, & dans le mois suivant au greffe du diocèse où est l'autre bénéfice.
Faute par le pourvu d'avoir fait insinuer dans le tems prescrit les provisions de l'ordinaire, celles que le pape auroit données pour une juste cause prévaudroient quoique postérieures.
Une provision de l'ordinaire nulle dans son principe, & d'une nullité intrinseque, n'empêche pas la prévention ; mais lorsqu'elle peut seulement être annullée, elle arrête la prévention.
Le collateur ordinaire n'est pas tenu d'exprimer dans les provisions qu'il donne, le genre de vacance ; & lorsqu'il n'en exprime aucun, tous les genres de vacance y sont censés compris.
Les provisions de l'ordinaire, quoique données après les six mois qui lui sont accordés pour conférer, sont bonnes & valables.
Lorsqu'il se trouve deux provisions pour le même bénéfice données le même jour à deux personnes différentes par le même collateur sur le même genre de vacance, sans que l'on puisse connoître laquelle des deux est la premiere, ces deux provisions se détruisent mutuellement.
Mais quand de deux provisions du même jour, l'une a été donnée par l'évêque, l'autre par son grand vicaire, celle de l'évêque prévaut.
Les provisions des collateurs ordinaires doivent être adressées aux notaires royaux apostoliques, ou aux greffiers des chapitres qui ont la collation du bénéfice. Voyez l'édit de 1691.
PROVISION EN REGALE, est celle qui est donnée par le roi pour un bénéfice vacant en régale. Voyez REGALE.
PROVISION EN TITRE, est celle qui est donnée à un ecclésiastique pour être titulaire du bénéfice & non pas simple commendataire. On ne peut donner des provisions en titre d'un bénéfice régulier qu'à des réguliers. Voyez BENEFICE, COMMENDE, PROVISION EN COMMENDE, TITRE, TITULAIRE.
PROVISIONS EN FAIT DE CHARGES ET OFFICES, sont des lettres-patentes par lesquelles le roi, ou quelqu'autre seigneur, confere à quelqu'un le titre d'un office pour en faire les fonctions.
Avant que les offices eussent été rendus stables & permanens, il n'y avoit que de simples commissions, qui étoient annales ; ensuite elles furent indéfinies mais néanmoins toujours révocables ad nutum.
On n'entend donc par le terme de provisions, que les lettres qui conferent indéfiniment le titre d'un office.
On mettoit cependant autrefois dans les provisions cette clause, quandiu nobis placuerit, pour tant qu'il nous plaira ; mais depuis que Louis XI. eut déclaré que les offices ne seroient révocables que pour forfaiture, les provisions sont regardées comme un titre perpétuel.
Pour les offices royaux, il faut obtenir des provisions du roi, lesquelles s'expédient au grand sceau.
Pour les offices des justices seigneuriales, c'est le seigneur qui donne des provisions sous son scel particulier ; mais ces provisions ne sont proprement que des commissions toujours révocables ad nutum.
Ce ne sont pas les provisions du roi qui donnent la propriété de l'office, elles n'en conferent que le titre, de maniere qu'une autre personne peut en être propriétaire ; & dans ce cas celui qui a des provisions du roi est ce qu'on appelle l'homme du roi.
Le sceau des provisions accordées par le roi, ou par un prince apanagiste, purge toutes les hypotheques & privileges qui pourroient être prétendus sur l'office par les créanciers du résignant, quand il n'y a pas eu d'opposition au sceau avant l'obtention des provisions.
On forme aussi opposition au titre de l'office pour empêcher qu'il n'en soit scellé aucunes provisions au préjudice de l'opposant qui prétend avoir droit à la propriété de l'office. Voyez le style de la chancellerie, & les articles OFFICE, OPPOSITION AU SCEAU, OPPOSITION AU TITRE. (A)
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PROVISIONNEL | adj. (Jurisprudence) se dit de ce qui est relatif à quelque chose de provisoire, comme un partage provisionnel, une sentence provisionnelle. Voyez PARTAGE, PROVISOIRE & SENTENCE.
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PROVISOIRE | adj. (Jurisprudence) se dit des choses qui requierent célérité, & qui doivent être réglées par provision ; les alimens, les réparations sont des matieres provisoires. On dit quelquefois un provisoire simplement, pour exprimer une matiere provisoire.
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PROVOCATIFS | (Médec.) remedes irritans, âcres & chauds, qui mettent le sang en mouvement & excitent le priapisme ; tels sont les cantarides, le satyrion. Voyez APHRODISIAQUES.
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PROVOCATION | S. f. PROVOQUER, v. act. termes relatifs à l'action d'insister, défier ; c'est en vain que je le provoque, il ne répond pas. C'est lui qui m'a provoqué. L'opium provoque le sommeil ; l'émétique le vomissement. On provoque les menstrues plus efficacement par le mouvement & le plaisir, que par tout autre moyen.
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PROVOQUEURS | provocatores, s. m. (Hist. anc.) espece de gladiateurs armés d'une épée, d'un bouclier, d'un casque & de cuissars de fer. Ils se battoient avec hyplomaques.
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PROXENE | S. m. (Antiq. grecq.) les proxènes étoient des magistrats particuliers choisis par les rois de Lacédémone pour avoir l'oeil sur les étrangers : on leur donna ce nom à cause de leur emploi. Les proxènes étoient donc chargés de recevoir les étrangers, de pourvoir à leur logement, de fournir à leurs besoins & à leurs commodités, de les produire en public, de les placer aux spectacles & aux jeux, & sans doute de veiller sur leur conduite, pour empêcher le tort qu'elle auroit pû faire à la république.
L'usage des proxènes devoit être commun parmi les différens peuples de la Grece, qui s'envoyoient continuellement des députés les uns aux autres pour traiter les affaires publiques ; par exemple, Alcibiade athénien, & Polydamas thessalien, furent proxènes des Lacédémoniens, l'un à Athènes & l'autre en Thessalie ; par la même raison, les Athéniens & les Thessaliens avoient leurs proxènes lacédémoniens dans la ville de Sparte. (D.J.)
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PROXENETE | S. m. (Jurisprud.) est celui qui s'entremet pour faire conclure un marché, un mariage, ou quelque autre affaire.
Chez les Romains, celui qui s'entremettoit pour faire réussir un mariage, ne pouvoit pas recevoir pour son salaire au-delà de la vingtieme partie de la dot & de la donation à cause de noce.
Parmi nous on ne peut faire aucune paction pour un pareil sujet, & les proxenetes en fait de mariage, ne peuvent recevoir que ce qu'on veut bien leur donner. Voyez l'arrêt du 29. Janvier 1591, rapporté par Mornac à la fin de ses oeuvres, & les plaids de Gillet, édit. de 1718. pag. 114. Voyez aussi le dernier livre du digeste, tit. xiv. (A)
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PROXIMITÉ | S. f. (Gramm.) terme relatif à la distance. Il y a proximité entre deux lieux, lorsque la distance qui les sépare est petite. La proximité qui mettoit cette terre à sa bienséance, l'a déterminé à en faire l'acquisition.
On dit aussi la proximité des tems & des dates.
PROXIMITE, (Jurisprud.) est un terme usité en fait de parenté pour exprimer la position de quelqu'un qui est plus proche qu'un autre, soit du défunt, s'il s'agit de succession, soit du vendeur, s'il s'agit de retrait lignager dans les coutumes où le plus proche parent est préféré. Voyez DEGRE, LIGNE, PARENTE, RETRAIT, SUCCESSION. (A)
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PRUCK | (Géog. mod.) ville d'Allemagne dans l'Autriche, aux confins de la Hongrie, sur la riviere de Leita, à 3 lieues de Presbourg. Elle a d'assez bonnes fortifications, & les environs sont fort fertiles en tout ce qui est nécessaire à la vie. Quelques géographes prennent cette ville pour l'ancienne Rhispia. Long. 34. 42. lat. 48. 5.
PRUCK AN-DER-AMBER, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la haute Baviere, sur la riviere d'Amber, entre Frurstenfeld & Dachau. Long. 29. 22. lat. 48. 9.
PRUCK AN-DER-MUER, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la haute Styrie, sur la Muer, à son confluent avec la Murez. Long. 33. 30. latit. 47. 28.
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PRUDE | S. f. (Gramm.) femme qui affecte la sévérité des moeurs dans ses propos & dans son maintien. Qui dit prude, dit assez communément sote, hypocrite, laide, ou mauvaise. On peut être prude, coquette ou galante. Voyez PRUDERIE.
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PRUDENCE | S. f. (Morale) la prudence est, selon un bel esprit, tellement la compagne des autres vertus, que sans elle elles perdent leur nom : il pouvoit ajouter, & leur nature. Elle prépare leur route pour les y faire marcher, & elle la prépare lentement pour avancer plus vîte avec elles. On la définit plus exactement : la vertu qui nous fait prendre des moyens pour arriver à une fin, je suppose que l'on sous-entend une fin louable ou raisonnable : la fin donnant le prix à toute notre conduite, comment y auroit-il du mérite à savoir atteindre un but qui ne mériteroit pas d'être atteint ?
Au reste, comme les fins diverses qu'on peut se proposer sont infinies, selon une infinité de conjonctures, il faut se borner à parler de la prudence qui a en vue la fin générale de tout, qui est notre propre satisfaction jointe à celle d'autrui : par cet endroit la science de la morale n'est qu'une suite de maximes & de pratiques de prudence. Mais à regarder la prudence plus en particulier, elle tombe sur l'usage que nous devons faire de notre intelligence, & de l'attention de notre esprit, pour prévenir le repentir en chacune des démarches ou des entreprises de la vie. On peut utilement observer à ce sujet les regles suivantes, ou par rapport à soi, ou par rapport aux autres.
Par rapport à soi, toute prudence étant pour arriver à une fin, il faut en chaque affaire nous proposer un but digne de notre soin ; c'est ce qui fixe les vues & les désirs de l'ame, pour la mettre dans une route certaine, qu'elle suive avec constance ; sans quoi demeurant flottante & inquiete, quelque chose qui lui arrive, elle n'est point contente ; parce que desirant sans être déterminée à un objet qui mérite sa détermination, elle n'obtient point ce qu'elle a dû vouloir, pour arriver au repos d'esprit.
En se proposant une fin telle que nous l'avons dite, il est encore plus important d'examiner s'il est en notre pouvoir de l'atteindre. La témérité commune parmi les hommes, leur fait hasarder mille soins, du succès desquels ils ne peuvent raisonnablement se répondre. Cependant leur espérance ayant augmenté à proportion de leurs soins, ils ne font par-là que se préparer un plus grand déplaisir, ne pouvant dans la suite atteindre à l'objet dont ils ont laissé flatter leurs desirs ; c'est ce qui attire les plus grands chagrins de la vie. Les obstacles qu'on n'a pas prévus, & qui ne se peuvent surmonter, causent des maux plus grands, que tout l'avantage qu'on avoit en vue de se procurer.
La troisieme regle de prudence est d'appliquer à l'avenir l'expérience du passé ; rien ne ressemble plus à ce qui se fera que ce qui s'est déja fait. Quelque nouveauté qu'on apperçoive dans les conjonctures particulieres de la vie, les ressorts & les événemens sont les mêmes par rapport à la conduite. C'est toujours de l'inconstance & de l'infidélité qui en sont les traits les plus marqués ; de l'ingratitude & du repentir qui en sont les effets ordinaires ; des passions qui en sont la cause ; une joie trompeuse & un faux bonheur qui en sont l'amorce. Ainsi dans les choses qui sont de conséquence, il faut se préparer des ressources, & les ressources qu'on se préparera se trouveront d'un plus fréquent usage, que le succès dont on pouvoit se flatter.
Une quatrieme maxime est d'apporter tellement à ce qu'on fait toute son application, qu'au même tems on reconnoisse qu'avec cela on se peut tromper, ce qui tenant comme en bride l'orgueil de l'ame, préviendra aussi l'aveuglement que donne une trop grande confiance, & le déplaisir de voir sa présomption confondue par les événemens.
Les regles de prudence par rapport aux autres, sont principalement de ne s'entremettre des affaires d'autrui que le moins qu'il est possible, par la difficulté de les finir au gré des intéressés. Ils ont souvent des vues cachées & opposées à elles-mêmes que l'on ne peut atteindre, ni souvent démêler. On sait néanmoins ce que la charité & le bon coeur exigent à ce sujet ; mais la prudence semble demander en même tems qu'on ne s'ingere point dans les affaires d'autrui, à moins qu'un devoir évident ne l'exige, ou que nous n'y soyons directement appellés par les intéressés.
Quand nous serons engagés à entrer dans ce qui les touche, nous devons leur donner à comprendre que nous agissons uniquement par condescendance à leur volonté, sans leur répondre du succès ; mais surtout lorsqu'on s'apperçoit que par leur faute, ou par d'autres conjonctures on leur devient suspect, on ne peut trop tôt prendre le parti de quitter le soin de ce qui les touche, quelque service qu'on pût leur rendre d'ailleurs ; on s'exposeroit à leur donner plus de mécontentement que de satisfaction.
PRUDENCE, (Iconol.) Cette vertu est représentée allégoriquement sous la figure d'une jeune fille tenant un miroir entouré d'un serpent.
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PRUDERIE | S. f. (Morale) imitation grimaciere de la sagesse. Il y a, dit la Bruyere, une fausse modestie qui est vanité ; une fausse gloire, qui est légereté ; une fausse grandeur, qui est petitesse ; une fausse vertu, qui est hypocrisie ; une fausse sagesse, qui est pruderie.
Une femme prude paye de maintien & de paroles ; une femme sage paye de conduite : celle-là suit son humeur & sa complexion ; celle-ci sa raison & son coeur. L'une est sérieuse & austere, l'autre est dans les diverses rencontres précisément ce qu'il faut qu'elle soit. La premiere cache des foibles sous de plausibles dehors, la seconde couvre un riche fonds sous un air libre & naturel. La pruderie contraint l'esprit, ne cache ni l'âge ni la laideur ; souvent elle les suppose. La sagesse au contraire pallie les défauts du corps, annoblit l'esprit, ne rend la jeunesse que plus piquante, & la beauté que plus périlleuse. (D.J.)
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PRUDHOMME | S. m. (Jurisprud.) signifie celui qui est expert en quelque chose.
On donnoit anciennement ce titre aux gens de loi, que les juges appelloient pour leur donner conseil ; c'étoient à-peu-près la même chose que ces jurisconsultes que les Romains appelloient prudentes.
On a depuis donné ce nom à ceux qui sont versés dans la connoissance de quelque chose ; & dans les coutumes, prudhomme veut dire expert. Le dire de prudhomme est ce qui est arbitré par experts. Coutume de Paris, article 47. Voyez EXPERTS.
On a aussi donné le titre de prudhommes à certains officiers de police, tels que les prudhommes vendeurs de cuirs. Voyez CUIRS & VENDEURS. (A)
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PRUES | S. f. en terme de flottage de bois, sont des especes de cordes faites avec deux rouettes de bois. Les prues sont par rapport aux usnes, ce que le fil est par rapport à la petite ficelle.
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PRUIM | ou PRUYM, ou PRUM, (Géogr. mod.) célebre abbaye d'hommes de l'ordre de S. Benoît en Allemagne, au diocèse & à 12 lieues de Trèves, sur une riviere de même nom.
Cette abbaye a été fondée par Pepin, à la priere de la reine Berthe sa femme. Son fils s'étant révolté contre lui, il lui fit couper les cheveux, & le relégua dans ce nouveau monastere. C'est aussi dans ce même lieu qu'en 855 l'empereur Lothaire, fils de Louis le Débonnaire, après avoir bouleversé l'Europe sans succès & sans gloire, se sentant affoibli, vint se faire moine. Il ne vécut dans le froc que six jours, & mourut imbécille, après avoir régné en tyran.
Les empereurs ses successeurs honorerent les abbés de Pruim du titre de princes du saint empire. Les biens de cette abbaye ayant prodigieusement augmenté, devinrent l'objet de la cupidité des archevêques de Trèves, qui en sont aujourd'hui les titulaires.
Cette abbaye est une des plus régulieres de l'Allemagne : on y montre la semelle d'un des souliers qu'on dit être de Notre-Seigneur Jesus-Christ, donnée au roi Pepin par le pape Zacharie, & il en est fait mention dans le titre de la fondation du monastere.
Une autre singularité de cette abbaye, est la fondation d'un oratoire souterrein de l'an 1097. In honore sanctorum viginti quatuor seniorum. Voyez le voyage littéraire de dom Martenne. Longit. de ce lieu 24. 35'. lat. 50. 13'. (D.J.)
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PRUNE | S. f. (Jardinage) fruit à noyau très-connu qui vient sur le prunier. Les prunes sont rondes ou oblongues, & quelques-unes sont un peu applaties. Elles varient pour la grosseur, la forme, la couleur & le goût, selon les différentes especes de prunier. On les distingue en trois classes relativement à leurs bonnes, médiocres ou mauvaises qualités : on fait nombre de quinze especes pour les meilleures ; il y en a peut-être vingt autres sortes qu'on regarde comme médiocres ; tout le reste passe pour mauvais, en ce qui est de les manger crues. Il y en a cependant quelques-unes qui ont leur mérite lorsqu'elles ont passé sur le feu. On fait donc une différence des prunes qui sont bonnes à manger crues, de celles qui sont propres à faire des pruneaux, des compottes & des confitures. La plûpart des prunes quittent le noyau quand on les ouvre, mais il y en a quelques-unes qui ne le quittent pas, ce qui est un défaut. Ces fruits ont aussi quelques propriétés pour la Médecine. Voyez PRUNIER.
PRUNE & PRUNEAU, (Diete & Mat. med.) voyez PRUNIER.
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PRUNELAGE | S. f. (Jardinage) c'est une portion de terrein planté de pruniers, voyez PRUNIERS.
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PRUNELLE | S. f. (Jardinage) petit fruit d'un arbrisseau que l'on nomme prunellier, qui est l'espece sauvage du genre des pruniers. Les prunelles sont rondes, de la grosseur d'un grain de raisin, & d'une âpreté insupportable au goût. Ce fruit est très-tardif ; il ne prend une sorte de maturité qu'à la fin de l'automne, & il reste une partie de l'hiver sur l'arbrisseau. Les prunelles peuvent être de quelqu'utilité. Voyez PRUNELLIER.
PRUNELLE, (Anatom.) voyez PUPILLE. La prunelle est comme un canal conique tronqué, dont la base regarde l'intérieur de l'oeil, car cette base a presque trois fois plus de capacité que l'ouverture extérieure.
Cette admirable disposition est l'effet d'une grande sagesse, puisque l'humeur crystalline peut alors recevoir des objets extérieurs, une plus grande quantité de lumiere. Il se prépare dans les vaisseaux de l'iris une humeur aqueuse qui se décharge dans la chambre antérieure de l'oeil.
M. Hoenselot, dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1721, dit que dans la plûpart des cadavres humains qu'il a examinés, il a trouvé la prunelle médiocrement, & quelquefois très-rétrécie, mais jamais beaucoup dilatée ; ce qui donneroit lieu de croire qu'il y a naturellement une espece d'équilibre entre le ressort des fibres circulaires de l'iris, & celui de ses fibres rayonnées.
M. Petit avoit promis de parler un jour des différentes dilatations des prunelles qui se rencontrent très-souvent dans les yeux du même homme après la mort ; c'est ce que l'on voit aussi dans les animaux à quatre piés, les oiseaux & les poissons.
Il avoit encore promis de dire quelque chose de l'excentricité naturelle de la prunelle au centre de l'iris dont parle Galien sous le titre de mutatio pupillae de loco ; & de l'accidentelle, dont parle Arnaud de Villeneuve ; mais M. Petit n'a point exécuté ces deux promesses. (D.J.)
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PRUNELLIER | S. m. (Jardinage) arbrisseau épineux qui est l'espece sauvage du genre des pruniers. On lui donne le nom d'épine noire. Il vient communément dans les bois, dans les haies, & dans tous les lieux incultes ; il s'éleve à six ou huit piés. Son écorce est noire. Ses fleurs, qui sont blanches, précedent celles des autres pruniers. Ses fruits, que l'on nomme prunelles, sont ronds, petits, & couverts d'une fleur bleuâtre ; mais ils sont si âpres & si stiptiques, qu'il n'est guere possible de les manger cruds. Cet arbrisseau, qui est extrêmement commun, qui croît très-promtement, qui se multiplie plus qu'on ne veut, & qui réussit dans les plus mauvais terreins, seroit tout-à-fait convenable pour former des haies de défense, s'il n'avoit le plus grand défaut ; il trace en pullulant sur ses racines, & envahit peu-à-peu le terrein circonvoisin : ce qui fait qu'on le redoute, qu'on cherche au contraire à s'en débarrasser, & qu'on ne l'emploie tout au plus qu'à former des haies seches, où il est plus durable que l'aubépin. La Pharmacie tire quelques secours de ce vil arbrisseau ; le suc de son fruit exprimé & épaissi en consistance d'extrait, est ce que l'on appelle l'acacia nostras, que l'on substitue quelquefois au vrai acacia. On tire des prunelles encore vertes un vinaigre très-fort, par la distillation au bain-marie. Les prunelles vertes pilées dans un mortier, sont une ressource immanquable pour rétablir le vin tourné. On peut aussi les manger comme les olives, après les avoir fait passer par la saumûre ; & en les faisant fermenter après qu'elles ont été séchées au four lorsqu'elles sont mûres, on en tire une boisson qu'on prétend être agréable. Tant il est vrai qu'on peut tirer du service des productions de la nature qui paroissent les plus abjectes.
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PRUNIER | S. m. prunus, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit ovoïde ou rond, charnu & mou, qui renferme un noyau ordinairement pointu par les deux bouts ; ce noyau contient une amande. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
PRUNIER, prunus, (Jardinage) arbre de moyenne grandeur, qui se trouve dans les pays tempérés de l'Europe, de l'Asie & de l'Amérique septentrionale. Sa tige est courte & rarement droite ; la tête en est assez considérable pour la stature de l'arbre, mais irrégulierement disposée. Son écorce est inégale par les gersures qui s'y font de bonne heure. Ses feuilles sont dentelées, presque ovales & d'une verdure desagréable, parce qu'elles sont souvent gâtées par les intempéries du printems, & sur-tout par les insectes. Ses fleurs qui sont blanches & disposées en rose, paroissent au mois d'Avril. Les prunes qui succedent different pour la grosseur, la forme, la couleur & le goût, selon les diverses especes de prunier qui les produisent. Ces fruits renferment un noyau qui contient une amande amere.
Le prunier est le plus commun des arbres fruitiers à noyau. Son fruit n'est pas plus de garde que celui des autres arbres à noyau ; il faut le manger dans le tems de sa maturité, à moins qu'on ne le fasse cuire ou sécher. Le prunier ne prospere qu'autant qu'il est dans une terre cultivée ; il languit dans un sol inculte, & dépérit bientôt. Il vient à toutes les expositions, il se plaît dans une terre plus seche qu'humide, plutôt sablonneuse que forte, mais particulierement dans le sable noir. Cependant on peut dire qu'il ne craint pas l'humidité, pourvu qu'elle ne soit pas permanente. En général il s'accommode assez bien de toutes sortes de terreins, pourvu qu'ils soient en culture, parce que ses racines tracent entre deux terres. Mais il craint la glaise ; il n'y fait nuls progrès, & son fruit n'y vaut rien. Quant aux terreins absolument secs & légers, sablonneux & trop superficiels, le prunier ne s'y soutient que foiblement & n'y donne que des fruits maigres, verreux & mal conditionnés, dont la plûpart tombent avant leur maturité. Dans la glaise au contraire & dans les terres grasses & fortes, ils ne sont pas si sujets à tomber, ni à être verreux : mais ils pechent par le goût.
On peut multiplier le prunier de semence & par la greffe. On ne se sert du premier moyen que pour avoir des sujets propres à greffer. Il n'y a que quelques especes de prunes d'une qualité médiocre dont les noyaux produisent la même sorte de fruit ; mais les noyaux du plus grand nombre d'especes ne donnent que des plants bâtards & dégénérés ; & c'est un hasard quand il s'en trouve quelques-uns de bonne qualité. Il est donc d'usage de greffer le prunier, pour avoir sûrement l'espece de prune que l'on desire, avec d'autant plus de raison que la greffe donne encore de la perfection au fruit. Les meilleurs sujets pour greffer le prunier sont la cerisette & le saint-Julien. On se sert de la greffe en fente ou en écusson, mais la premiere réussit mieux, & fait des progrès plus rapides. Les sujets qu'on vient de désigner conviennent pour toutes sortes de terreins, à moins qu'ils ne soient trop secs, trop légers, ou trop sablonneux. Dans ce cas, il faut y mettre des pruniers greffés sur l'amandier, qui n'a pas l'inconvénient de pousser des rejettons sur ses racines, ce qui est à charge & fort desagréable : mais cette greffe réussit rarement. L'amandier a un défaut, il reprend difficilement, sur-tout lorsqu'il a été transporté de loin. On peut aussi greffer le prunier sur des pêchers & des abricotiers venus de noyau : il est vrai que les arbres qui en viennent étant délicats, demandent quelques ménagemens, & ils ne sont pas de durée. Voyez le mot PEPINIERE.
Le prunier peut servir de sujet pour greffer le pêcher, l'abricotier, l'amandier ordinaire qui manque souvent, & l'amandier nain à fleur double, qui y réussit très-aisément. On vient à bout aussi de greffer le mahaleb, l'arbre de sainte-Lucie, le laurier-cerise, &c. sur le prunier, mais les suites n'en sont pas heureuses : la greffe & le sujet tout périt dans l'hiver qui suit.
Les pruniers que l'on tire de la pépiniere pour les planter à demeure, doivent être greffés de deux ans. Si on ne peut les avoir de cet âge, il vaut mieux les prendre d'un an que de trois ; ces derniers réussissent moins sûrement que les autres. Cet arbre peut paroître dans les jardins sous différentes formes ; d'abord à haute tige, qui est la figure qu'on lui donne communément ; ensuite en espalier, où le plus grand nombre des especes de prunes réussissent mieux qu'à haute tige ; enfin la forme du buisson convient à toutes les especes. La distance qui convient à ces arbres est de douze à quinze piés pour ceux à haute tige en plein air, dix ou douze pour ceux en espalier, & quinze à dix-huit aux pruniers que l'on destine à faire le buisson ; attendu qu'ils poussent vigoureusement, & qu'ils s'étendent plus sous cette forme que s'ils étoient à haute tige. C'est sur la qualité du terrein & sur sa profondeur qu'il faut déterminer le plus ou le moins de ces distances.
Le prunier fait de bonnes & fortes racines bien ramifiées ; ce qui est cause qu'il reprend aisément à la transplantation. Cet arbre est si robuste & si familier dans le climat de ce royaume qu'il vaut mieux le transplanter en automne. La reprise en est plus assûrée que quand on attend le printems, & il pousse plus vigoureusement dès la premiere année : ce qui est très-avantageux pour disposer les jeunes arbres à prendre la forme qu'on veut leur donner.
De tous les arbres à noyau, le prunier est celui qui supporte le plus aisément la taille. Tout le ménagement qu'on doit y apporter, c'est de ne pas trop forcer la taille. Car plus on lui retranche de bois, plus il pousse de branches gourmandes jusqu'à s'épuiser entierement ; & alors la gomme venant à fluer, l'arbre périt entierement. Le principal soin qu'on y doit donner, c'est de détacher la gomme & la mousse, d'enlever les chancres & le bois mort, de supprimer les branches chiffonnes & celles de faux bois, & de ne retrancher absolument que ce qui est nuisible.
Outre l'usage que l'on fait des prunes de la meilleure qualité pour la table, dans le tems de leur maturité, les autres servent à faire des confitures : mais en faisant sécher les bonnes prunes, on en fait d'excellens pruneaux ; les plus grosses, les plus douces & les plus charnues sont les plus propres à remplir cet objet. La prune de damas & la gomme du prunier sont de quelque usage en Médecine.
Le bois du prunier est assez dur & marqué de veines rouges ; c'est le plus beau des bois qui croissent dans ce royaume ; ce qui lui a fait donner le nom de bois satiné. Cependant on en fait peu d'usage, parce que les bois que l'on tire d'Amérique sont infiniment supérieurs à tous égards ; il est très-propre à différens usages des Tourneurs, des Tabletiers, & des Ebénistes. On peut donner à ce bois une belle couleur rouge, en le faisant bouillir dans de la lessive ou dans l'eau de chaux.
Nos auteurs d'agriculture font mention de plus de deux cent cinquante variétés de prunes, dont celles qui passent pour les meilleures sont au nombre de quinze ou seize, & on en compte vingt de celles qui peuvent passer pour médiocres ; parmi les autres, il peut y en avoir une douzaine qui sont bonnes à faire des compotes ou des confitures : on fait peu de cas de tout le reste. La nature de cet ouvrage ne permet pas d'entrer dans le détail des qualités particulieres de ces différens fruits. Voyez à ce sujet les catalogues des RR. PP. Chartreux de Paris & de M. l'abbé Nolin.
Il y a quelques especes de pruniers qui peuvent intéresser les curieux par leur singularité ou leur agrément ; comme le prunier à fleur double, dont la prune est excellente, & ses feuilles sont très-grandes ; le prunier de perdrigeon panaché, dont le bois, la feuille & le fruit sont panachés ; la prune sans noyau, qui renferme une amande sans nulle coquille osseuse ; le damas melonné d'Angleterre, dont les feuilles sont bordées de blanc ; & le prunier de Canada, dont la fleur un peu rougeâtre en-dehors est d'une belle apparence au printems.
PRUNIER, (Diete & Mat. med.) prunier cultivé ou franc. Le fruit de cet arbre, ou la prune, peut être considérée, malgré ses variétés presque innombrables, comme un seul objet diététique ; car la prune, de quelque espece qu'elle soit, possede à-peu-près les mêmes vertus lorsqu'elle est également mûre, également succulente ou bien nourrie, &c. On peut seulement conjecturer avec beaucoup de vraisemblance, qu'elles sont d'autant meilleures, qu'elles sont plus douces, plus parfumées, plus succulentes, & qu'elles ont la peau moins rude ou âpre.
Les prunes fraîches ont été toujours regardées par les Médecins comme un des fruits d'été les moins salutaires. On les a accusées d'affoiblir le ton de l'estomac, de refroidir ce viscere, de causer des fievres intermittentes, & la dyssenterie. C'est sur le compte des prunes que mettent principalement les maladies d'automne, ceux qui croyent que ces fruits d'été en sont la principale cause (Voyez FRUITS, DIETE) ; il est au moins très-sûr que les prunes fraîches mangées à jeun en une certaine quantité, causent très-fréquemment des tranchées & des dévoiemens ; & qu'étant mangées à la fin des repas, elles précipitent souvent & troublent la digestion. Mais dans ce dernier usage cependant on ne doit craindre que l'excès, & ne recommander une circonspection scrupuleuse qu'à ceux qui ont l'estomac foible, qui sont sujets aux aigreurs, aux dévoiemens, au tenesme, & à ceux qui ont eu des fievres intermittentes, & qui s'en doivent par cela seul regarder comme toujours menacés.
Les prunes seches des especes les plus agréables, les plus sucrées, telles que les pruneaux de Tours, qui sont séchés au four, ceux de Brignoles en Provence, & ceux de Pézenas en bas Languedoc, qui sont séchés au soleil, & qui sont plus sucrés que les deux especes précédentes ; ceux de quelques autres cantons des provinces méridionales du royaume, &c. Toutes ces prunes seches, dis-je, sont, malgré leur vertu légerement laxative, peut-être même à cause de cette vertu, un aliment léger & salutaire, que l'on donne avec succès aux convalescens, & dans les traitemens de légere incommodité, toutes les fois qu'on se propose de procurer ou d'entretenir la liberté du ventre, par exemple, les veilles & les jours de médecine, &c.
Les pruneaux noirs communs des boutiques, qui sont très-anciennement connus dans l'art sous le nom de pruna damascena, & qui portent encore aujourd'hui le nom de prune de petit damas noir, ne s'employent presque qu'à titre de médicament. Elles sont aigrelettes comme les tamarins, & tout au-moins aussi laxatives. On emploie fort communément leur décoction comme excipient dans les potions purgatives ; cette décoction masque assez bien le goût & l'odeur du séné. La pulpe de ces pruneaux entre dans plusieurs électuaires purgatifs, par exemple, dans l'électuaire lénitif, la confection hamech, &c. Cet ingrédient donne même son nom à deux électuaires composés, savoir le diaprun, fort arbitrairement appellé simple, & le diaprun solutif. Voyez DIAPRUN. Le premier donne une gomme à laquelle on ne connoît aucune qualité particuliere. Voyez GOMME. (b)
PRUNIER SAUVAGE ou PRUNELLIER, (Mat. méd.) Les prunelles, qui sont les fruits de cet arbre, étant bien mûres, lâchent le ventre ; mais quand ces fruits ne sont pas mûrs, ils rafraîchissent, & sont astringens : c'est pourquoi on les donne confits dans du miel à ceux qui sont attaqués de la dyssenterie ou du flux de ventre.
On exprime encore le suc de ces prunes non mûres & récentes ; on le fait cuire & épaissir jusqu'à la consistance d'extrait solide : on lui donne le nom d'acacia de notre pays, ou acacia d'Allemagne, & on le substitue au vrai acacia. Voyez ACACIA. On donne quelquefois cet extrait contre les hémorrhagies & les cours de ventre, jusqu'à la dose d'un gros, sous la forme de bol, ou délayé dans quelque liqueur : on le mêle utilement dans les gargarismes pour l'angine, aussi-tôt qu'elle commence.
On nous apporte d'Allemagne cet extrait, ou plutôt ce rob épaissi, dans un état sec, dur, pesant, noir, brillant lorsqu'on le casse, en masse enveloppée dans des vessies. On le prépare aussi quelquefois dans nos boutiques. Geoffroi, mat. méd.
C'est par erreur qu'on a dit dans l'article ACACIA que le suc appellé acacia nostras se tiroit des fruits récens & non mûrs de l'arbre, qui est appellé dans l'article précédent acacia nostras, & acacia commun de l'Amérique. (b)
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PRURIT | S. m. dans l'économie animale, démangeaison vive causée sur la superficie de la peau.
Le prurit est de toutes les sensations la plus gracieuse ; c'est le seul plaisir du corps ; il excede la titillation de quelques degrés de tension, qui dans ce cas est si grande, qu'elle ne peut l'être plus sans déchirer les nerfs. Rien de plus ordinaire que de voir succéder une douleur vive au prurit lorsqu'il s'augmente ; & si on vient à s'écorcher dans l'endroit où il s'excite, on y sent sur-le-champ de la douleur, tant la nature la tient près du plaisir.
PRURIT, terme de Chirurgie, démangeaison qu'on sent à la peau à la circonférence des plaies & des ulceres. Le prurit est ordinairement l'effet de petites éruptions érésipellateuses.
On donne aussi le nom de prurit à la démangeaison que ressentent les galeux. Voyez GALE.
La transpiration supprimée ou retenue sous les pieces d'appareil dans les fractures, occasionne le prurit ; on y remédie en donnant de l'air à la partie. Voyez FLABELLATION. Les lotions avec l'eau tiede animée d'un peu d'eau-de-vie, avec une légere lessive, &c. enlevent la crasse, débouchent les pores, & remédient au prurit en en détruisant la cause. L'excoriation qui suit le prurit se desseche par les mêmes secours, & par l'application d'un peu de cérat simple ou camphré. (Y)
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PRUSA | (Géog. anc.) ou Prusias, ville de Bithynie. Strabon, lib. XII. pag. 563. dit : il y a un golfe contigu à celui d'Astacene, & qui entre dans les terres du côté de l'orient. C'est sur le premier de ces golfes qu'est la ville Prusa, qu'on nommoit autrefois Cius.
C'est encore une ville de Bithynie, que Ptolémée, lib. V. ch. j. place dans les terres sur le fleuve Hippius, dans le pays des Héracléotes. Il ne faut pas confondre cette ville avec la précédente. La premiere est la plus fameuse, & nous donnerons son histoire en parlant de la Pruse moderne. (D.J.)
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PRUS | ou BURSE, (Géog. mod.) ville autrefois capitale de la Bithynie, & aujourd'hui la plus grande & la plus belle de la Turquie, dans l'Anatolie au pié du mont Olympe, à 30 l. au midi de Constantinople. Elle étoit la capitale des Turcs avant la prise de Constantinople.
Les mosquées y sont belles, & la plûpart couvertes de plomb. Il y a un serrail bâti par Mahomet IV. Les fontaines y sont sans nombre, & presque chaque maison a la sienne. Les rues sont bien pavées, ce qui n'est pas ordinaire chez les Turcs. Les fauxbourgs sont plus grands & plus peuplés que la ville ; ils sont habités par des Arméniens, des Grecs & des Juifs. Les premiers ont une église, les Grecs en ont trois, & les Juifs ont quatre synagogues. Le commerce y est considérable sur-tout en soie, la plus estimée de toute la Turquie. On compte plus de 40 mille ames dans la Pruse. C'est la résidence d'un pacha, d'un aga des janissaires & d'un cadi. Elle est située à l'entrée d'une grande plaine couverte de mûriers, à 30 lieues sud de Constantinople, 66 sud-est d'Andrinople, 36 sud de la mer Noire. Long. 46. 40. lat. 39. 54.
Le nom de Pruse, & sa situation au pié du mont Olympe, ne permettent pas de douter que cette ville ne soit l'ancienne Prusa, bâtie par Annibal, s'il s'en faut rapporter à Pline ; ou plutôt par Prusias roi de Bithynie, qui fit la guerre à Croesus & à Cyrus, comme l'assurent Strabon & son singe Etienne de Bysance. Elle seroit même plus ancienne, s'il étoit vrai qu'Ajax s'y fût percé la poitrine avec son épée, comme il est représenté sur une médaille de Caracalla. Il est surprenant que Tite-Live, qui a si bien décrit les environs du mont Olympe, où les Gaulois furent défaits par Manlius, n'ait point parlé de cette place. Après que Lucullus eut battu Mithridate à Cyzique, Triarius assiégea Pruse & la prit.
Les médailles de cette ville, frappées aux têtes des empereurs romains, montrent bien qu'elle leur fut attachée fidélement. Les empereurs grecs ne la posséderent pas si tranquillement. Les Mahométans la pillerent, & la ruinerent sous Alexis Comnene. L'empereur Andronic Comnene, à ce que dit Nicétas, la fit saccager à l'occasion d'une révolte qui s'y étoit excitée.
Après la prise de Constantinople par le comte de Flandre, Théodore Lascaris, despote de Romanie, s'empara de Pruse à l'aide du sultan d'Iconium, sous prétexte de conserver les places d'Asie à son beau-pere Alexis Comnene, surnommé Andronic. Pruse fut assiegée par Bem de Bracheux, qui avoit mis en fuite les troupes de Théodore Lascaris. Les citoyens firent une si belle résistance que les Latins furent contraints d'abandonner le siege, & la place resta à Lascaris par la paix qu'il fit en 1214, avec Henri II. empereur de Constantinople, & frere de Baudouin.
Pruse fut le second siege de l'empire turc en Asie. L'illustre Othoman qu'on peut comparer aux grands héros de l'antiquité, fit bloquer la ville par deux forts, & obligea Berose gouverneur de la place de capituler en 1326.
Tamerlan conquit Pruse sur Bajazet au commencement du xv. siecle. Ce fut, dit-on, dans cette ville capitale des états turcs asiatiques, que ce vainqueur écrivit à Soliman fils de Bajazet, une lettre, qui supposée vraie & sans artifice, eût fait honneur à Alexandre. " Je veux oublier, dit Tamerlan dans cette lettre, que j'ai été l'ennemi de Bajazet. Je servirai de pere à ses enfans, pourvû qu'ils attendent les effets de ma clémence ; mes conquêtes me suffisent, & de nouvelles faveurs de l'inconstante fortune ne me tentent point aujourd'hui ".
On lit dans les annales des sultans, qu'il y eut un si grand incendie à Pruse en 1490, que les vingt-cinq régions en furent consumées ; & c'est par-là qu'on sait que la ville étoit divisée en plusieurs régions. Zizim, cet illustre prince othoman, fils de Mahomet II. disputant l'empire à son frere Bajazet II. se saisit de la ville de Pruse, pour s'assurer de l'Anatolie ; mais Acomath général de Bajazet, le battit deux fois dans ce même pays, & peu de tems après il eut encore le malheur, par un enchaînement d'événemens extraordinaires, de tomber en 1494, entre les mains du pape. Voici comment la chose arriva, suivant le récit de M. de Voltaire.
Zizim, chéri des Turcs, avoit disputé l'empire à Bajazet qui en étoit haï ; mais malgré les voeux des peuples il avoit été vaincu. Dans son infortune il eut recours aux chevaliers de Rhodes, qui sont aujourd'hui les chevaliers de Malthe, auxquels il avoit envoyé un ambassadeur. On le reçut d'abord comme un prince à qui on devoit l'hospitalité, & qui pouvoit être utile ; mais bientôt après on le traita en prisonnier. Bajazet payoit 40 mille sequins par an aux chevaliers, pour ne pas laisser retourner Zizim en Turquie. Les chevaliers le menerent en France dans une de leurs commanderies du Poitou, appellée le Bourneuf.
Charles VIII. reçut à la fois un ambassadeur de Bajazet, & un nonce du pape Innocent VIII. prédécesseur d'Alexandre, au sujet de ce précieux captif. Le sultan le redemandoit ; le pape vouloit l'avoir comme un gage de la sureté de l'Italie contre les Turcs. Charles envoya Zizim au pape. Le pontife le reçut avec toute la splendeur que le maître de Rome pouvoit affecter avec le frere du maître de Constantinople. On voulut l'obliger à baiser les piés du pape ; mais Bosso, temoin oculaire, assure que le turc rejetta cet abaissement avec indignation.
Paul Jove dit qu'Alexandre VI. par un traité avec le sultan, marchanda la mort de Zizim. Le roi de France, qui dans des projets trop vastes, assuré de la conquête de Naples, se flattoit d'être redoutable à Bajazet, voulut avoir ce frere malheureux. Le pape, selon Paul Jove, le livra empoisonné. Il reste indécis si le poison avoit été donné par un domestique du pape, ou par un ministre secret du grand-seigneur. Mais on divulgua que Bajazet avoit promis 300 mille ducats au pape, pour la tête de son frere.
Je ne dois pas finir l'article de Pruse, sans remarquer que Dion, orateur & philosophe, naquit dans cette ville. Il vivoit sous Vespasien, Domitien & Trajan qui le consideroit, & qui s'entretenoit souvent avec lui. Son éloquence lui valut le surnom de Chrysostome ou bouche d'or. Il composa en latin quatre-vingt oraisons, orationes, que nous avons encore, & qui ont été imprimées à Paris, en 1604 & 1623, in-fol. 2. vol. Mais on n'y retrouve pas cette pureté de langage, cette grandeur de sentimens, cette noblesse de style, en un mot, cette éloquence romaine du beau siecle de Ciceron.
Pruse étoit aussi la patrie d'Asclépiade, un des célébres médecins de l'antiquité, dont j'ai déjà parlé au mot MEDECINE.
J'ajouterai seulement qu'il étoit contemporain de Mithridate, puisqu'il ne voulut pas aller à sa cour, où l'on tâcha de l'attirer par des promesses magnifiques. Fameux novateur entre les médecins dogmatiques, il rétablit la Médecine à Rome, environ 100 ans après l'arrivée d'Archagatus, & prit tout le contre-pié de ce médecin. Il ne proposa que des remedes doux & faciles, & se fit un très-grand parti. Il sçut encore gagner les esprits par ses manieres & par son éloquence. Il ne croyoit point que l'ame fût distincte de la matiere. Il composa plusieurs livres qui sont tous perdus. Pline, Celse & Galien en ont cité quelques-uns. Apulée, Celse & Scribonius Largus, lui donnent de grandes louanges. Quand donc Pline nous dit qu'Asclépiade s'engagea à ne point passer pour médecin s'il étoit jamais malade, & qu'il gagna la gageure ; c'est un conte qu'on ne doit pas croire à la légere, parce qu'il n'y a pas d'apparence qu'un philosophe comme Asclépiade, eut été assez fou pour risquer ainsi sans nécessité, sa réputation & sa gloire. Enfin un témoignage bien avantageux en son honneur, c'est qu'il a été le médecin & l'ami de Ciceron, qui faisoit d'ailleurs beaucoup de cas de son éloquence, preuve qu'Asclépiade ne quitta pas son mêtier de rhéteur faute de capacité. Mais pour vous instruire à fond du caractere & du mérite d'Asclépiade, il faut lire ce qu'en dit M. Daniel le Clerc dans son Hist. de la Méd. (D.J.)
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PRUSSE | (Géog. mod.) pays d'Europe, borné au nord par la mer Baltique, au midi par la Pologne, au levant par la Samogitie & la Lithuanie, au couchant par la Poméranie & le Brandebourg.
On ne sait point comment on appelloit anciennement les Prussiens : Ils ne le savent pas eux-mêmes. Tantôt on les confond avec les Allemands, tantôt avec les Polonois. Ils sont aujourd'hui mêlés des uns & des autres ; mais autrefois ils n'avoient aucun commerce avec ces peuples, aussi ne sont-ils point connus.
On rapporte comme une merveille, que sous l'empire de Néron, un chevalier romain passa de Hongrie jusque dans cette province, pour y acheter de l'ambre. Ils ont tiré leur nom des Borussiens, qui étant partis de la Scythie & des extrêmités de l'Europe, où est la source du fleuve Tanaïs, s'arrêterent dans cette province qui avoit été pillée & abandonnée par les Goths.
Ils se rendirent néanmoins avec le tems redoutables à leurs voisins. Conrad duc de Mazovie, sur les terres de qui ils avoient fait de grands ravages, appella vers l'an 1230, les chevaliers teutoniques que les Sarrazins avoient chassés de Syrie. Ces chevaliers après de longues guerres dompterent les Prussiens, & y introduisirent le Christianisme : ils tournerent ensuite leurs armes contre la Pologne. Cette guerre se termina par un accord fait par les Polonois & le marggrave de Brandebourg, grand-maître de l'ordre teutonique. Il renonça à ses voeux, embrassa le Luthéranisme, se maria & partagea la Prusse, à condition que ce qu'il retenoit seroit une principauté séculiere, avec le titre de duc pour lui & ses descendans ; c'est ce qui distingue la Prusse polonoise de la Prusse ducale.
La Prusse polonoise est composée de quatre provinces ou palatinats ; savoir, celui de Marienbourg, de Culm, de Warmie, & de la Pomérellie. On y professe également la religion catholique, la luthérienne & la réformée.
La Prusse ducale, aujourd'hui royaume de Prusse, est partagée en trois cercles, le Samland, le Nataugen & le Hockerland. Les trois religions, la catholique, la luthérienne & la réformée y ont un libre exercice.
L'occasion de l'érection de la Prusse ducale en royaume, est connue. L'empereur Léopold ayant besoin de se faire un parti puissant en Europe, pour empêcher l'effet du testament de Charles II. roi d'Espagne, & connoissant que l'électeur de Brandebourg étoit un des princes d'Allemagne dont il pouvoit attendre les plus grands services, il profita du penchant que ce prince avoit naturellement pour la gloire, & voulant l'attacher étroitement à sa maison, il érigea le duché de Prusse en royaume héréditaire. En conséquence Fréderic, électeur de Brandebourg, fut couronné à Konigsberg le 18 Janvier 1701, reconnu en cette qualité par tous les alliés de l'empereur, & bientôt après, en 1713, par les puissances contractantes au traité d'Utrecht.
Fréderic Guillaume II. second roi de Prusse, dépensa près de 25 millions de notre monnoie, à faire défricher les terres, à bâtir des villes, & à les peupler. Il y attira plus de seize mille hommes de Saltzbourg, leur fournissant à tous dequoi s'établir, & dequoi travailler. En se formant ainsi un nouvel état, il créoit par une économie singuliere, une puissance d'une autre espece. Il mettoit tous les mois environ 60 mille écus d'Allemagne en réserve, ce qui lui composa un trésor immense en 28 ans de regne. Ce qu'il ne mettoit pas dans ses coffres, il l'employoit à former une armée de 80 mille hommes choisis, qu'il disciplina lui-même d'une maniere nouvelle, sans néanmoins s'en servir.
Son fils Fréderic II. fit usage de tout ce que le pere avoit préparé. L'Europe savoit que ce jeune prince ayant connu l'adversité sous le regne de son pere, avoit employé son loisir à cultiver son esprit, & à perfectionner tous les dons singuliers qu'il tenoit de la nature. On admiroit en lui des talens qui auroient fait une grande réputation à un particulier ; mais on ignoroit encore qu'il seroit un des plus grands monarques. A peine est-il monté sur le trône, qu'il s'est immortalisé par son code de lois, par l'établissement de l'académie de Berlin, & par sa protection des arts & des sciences, où il excelle lui-même. Devenu redoutable à la maison d'Autriche par sa valeur, par la gloire de ses armes, par plusieurs batailles qu'il a gagnées consécutivement, il tient seul aujourd'hui, par ses hauts faits, la balance en Allemagne, contre les forces réunies de la France, de l'impératrice reine de Hongrie, de la czarine, du roi de Suede, & du corps germanique. " Un roi qui ne seroit que savant, poëte, historien, rempliroit mal les devoirs du trône ; mais s'il étoit encore à la fois le législateur, le défenseur, le général, l'économe, & le philosophe de la nation, ce seroit le prodige du xviij. siecle ". (D.J.)
Fréderic II. né en 1712, a depuis 20 ans donné à l'univers le spectacle rare d'un guerrier, d'un législateur & d'un philosophe sur le trône. Son amour pour les lettres ne lui fait point oublier ce qu'il doit à ses sujets & à sa gloire. Sa conduite & sa valeur ont long-tems soutenu les efforts réunis des plus grandes puissances de l'Europe. Sans faste dans sa cour, actif & infatigable à la tête des armées, inébranlable dans l'adversité, il a arraché le respect & l'admiration de ceux-mêmes qui travailloient à sa perte. La postérité, qui ne juge point par les succès que le hasard guide, lui assignera parmi les plus grands hommes, un rang que l'envie ne peut lui disputer de son vivant. On a publié sous son nom différens ouvrages de prose en langue françoise ; ils ont une élégance, une force, & même une pureté qu'on admireroit dans les productions d'un homme qui auroit reçu de la nature un excellent esprit, & qui auroit passé sa vie dans la Capitale. Ses poësies qu'on nous a données sous le titre d'œuvres du Philosophe de sans-souci, sont pleines d'idées, de chaleur & de vérités grandes & fortes. J'ose assurer que si le monarque qui les écrivoit à plus de trois cent lieues de la France, s'étoit promené un an ou deux dans le fauxbourg saint Honoré, ou dans le fauxbourg saint Germain, il seroit un des premiers poëtes de notre nation. Il ne falloit que le souffle le plus léger d'un homme de goût pour en chasser quelques grains de la poussiere des sables de Berlin. Nos poëtes, qui n'ont que de la correction, de l'expression & de l'harmonie, perdront beaucoup de valeur dans les siecles à venir, lorsque le tems qui amene la ruine de tous les empires, aura dispersé les peuples de celui-ci, anéanti notre langue, & donné d'autres habitans à nos contrées. Il n'en sera pas ainsi des vers du philosophe de sans-souci ; l'oeil scrupuleux n'y reconnoîtra plus de vernis étranger ; & les pensées, les comparaisons, tout ce qui fait le mérite réel & vrai d'un morceau de poësie brillera d'un éclat sans nuage ; mais ce qu'il y a de singulier, c'est que ce petit défaut ne se remarque nullement dans les lettres mêlées de prose & de vers ; elles sont pleines d'esprit, de légéreté & de délicatesse, sans le moindre vestige d'exotérisme. Il n'a manqué à cette flute admirable qu'une embouchure un peu plus nette.
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PRUSSIENNE | (Manufact. en soie) l'étoffe appellée prussienne n'est autre qu'un gros-de-tours ou taffetas, dont la chaîne est ourdie d'un fil double d'une couleur, & un fil de l'autre, au nombre ordinaire de 40 portées doubles ; desorte que quand la chaîne est tendue pour la travailler, tous les fils qui sont sur une verge doivent être d'une couleur, & ceux qui sont dessous d'une autre ; la trame pour ce genre d'étoffe doit être d'une couleur différente des deux qui composent la chaîne, de façon que quand le fabriquant sait bien assortir ses couleurs, le fond de l'étoffe forme un changeant agréable, attendu le mêlange des trois couleurs ensemble.
Lorsque le dessein contient deux lacs, il faut deux navettes qui passent sur le même pas, c'est-à-dire sous les mêmes lisses levées, comme au gros-de-tours, ce qui fait que les deux couleurs des navettes & les deux couleurs de la chaîne, font paroître quatre couleurs différentes lorsque le dessein est disposé pour ce genre d'étoffe.
Le rabat est inutile dans ce genre d'étoffe, parce que si on les faisoit baisser à chaque lac tiré pour passer la navette, il rabattroit la moitié de la soie levée, & ne formeroit pour-lors qu'un gros-de-tours.
Les lacs tirés pour passer les deux navettes forment la figure ou le dessein, ce qui fait deux couleurs dans une fleur, & deux couleurs par la chaîne, qui composent quatre couleurs, ou trois couleurs & un liséré.
Comme on ne pense pas avoir donné une définition du liséré, qui ordinairement est une couleur, laquelle en faisant le fond de l'étoffe, fait aussi une figure ; il est à propos d'observer du liséré, que sous cette dénomination on entend une couleur qui ne quitte point, & qui seule fait fleur, feuille, fruit, mosaïque, &c. soit en grand ou petit sujet, ce qui n'empêche pas que ce liséré, de quelque couleur qu'il soit, ne fasse encore sa partie dans les fleurs différentes où la couleur dont il est composé est nécessaire.
Outre le liséré qui se trouve dans plusieurs genres d'étoffes, par la couleur contenue dans une navette passée ; lorsqu'il s'en trouve une seconde, bien souvent on lui donne le nom de rebordé ; or cette seconde couleur qui est nommée rebordure, sert à border le tour des feuilles, des dorures, fleurs, &c. & à faire la figure nécessaire dans quelques sujets de l'étoffe, autre que celui de reborder ; c'est pour cela qu'on voit dans la fabrique plusieurs satins, damas, gros-de-tours, & autres auxquels on donne simplement le nom de liséré & rebordé, parce qu'ils n'ont que deux couleurs, sans y comprendre celle de la chaîne.
Comme le fond uni de la prussienne semble former une espece de cannelé, attendu les deux couleurs dont la chaîne est composée, il est nécessaire que, dans les parties où le fabriquant desire que ce fond fasse figure avec les fleurs, le dessein soit disposé de façon que ce même fond ne serve que d'ombre aux lacs qui sont passés, & que par son mêlange elle forme une variété & une dégradation, qui donne par une espece de demi-teinte le brillant naturel que la fleur exige, puisque si la chaîne est moitié marron & moitié aurore, le fond donnera un coup marron & l'autre aurore ; de même s'il est bleu pâle & bleu vif, gris & blanc, ainsi des autres : d'ailleurs comme la trame est différente des deux fonds, elle donnera un changeant qui empêchera, lorsqu'elle sera fabriquée, que l'on puisse connoître précisément de quelle couleur sera le fond de la chaîne dont elle sera composée.
La prussienne se fabrique encore avec des bandes cannelées, ombrées, qui ont plus ou moins de largeur, ce qui paroît faire deux étoffes différentes. Le cannelé ombré n'est point passé dans le corps de ce genre d'étoffe. Celui qui n'est pas ombré y est passé, parce que pour-lors on seme dans le cannelé un liséré léger au gré du dessinateur, qui serpente dans les bandes, & qui ne se peut faire que par la tire. A l'égard des bandes cannelées ombrées, elles sont passées simplement dans les lisses à jour, proportionnées à leur largeur. V. l'art. MOERE, ce qui concerne les lisses à jour.
Prussiennes de 50, 60 dixaines d'hauteur au bouton, en deux lacs. On donne le nom de prussienne à une étoffe qui n'est autre qu'un gros-de-tours liséré, parce que cette étoffe a été inventée en premier lieu en petit dessein, comme la péruvienne, pour éviter la quantité de boutons ; mais les fabriquans qui sont ingénieux se sont avisés de faire la prussienne au bouton & en grand dessein.
Les étoffes ordinaires au bouton ont toujours été faites en petits desseins, c'est-à-dire à plusieurs répétitions, afin d'éviter la quantité des cordes de rame, & des cordes de tirage nécessaires, qui par conséquent seroit suivie de celle des boutons, de façon qu'une corde tireroit jusqu'à 5, 6, 7 & 8 arcades, comme il se pratique actuellement dans les beaux droguets qui paroissent aujourd'hui, dont 8 arcades épargnent 7 cordes de rame qu'il faudroit de plus, & au-lieu de 400 cordes qu'il faut nécessairement pour un grand dessein, 50 suffisent, & plus ou moins à proportion des répétitions, en supposant 800 mailles ordinaires pour le corps. On a fait dans de certains tems des droguets d'une couleur, à grands desseins, mais pour-lors il falloit les faire à semples, ce qui retarde pour la fabrication au-moins de la moitié, quelquefois même des deux tiers de l'ouvrage.
La prussienne n'étant autre chose pour le montage du mêtier qu'un droguet, on a trouvé le moyen de la faire à grands desseins & au bouton, de façon qu'un dessein de 50 dixaines en deux lacs sur un papier de 8 en 10 contient 1000 boutons, parce que pour-lors il faut 400 cordes ordinaires ; & comme le papier de 8 en 10 ne donne pas à l'étoffe cette réduction qui en fait la beauté & la perfection nécessaire, au-lieu de huit cent mailles de corps, on en met douze cent, chaque corde de rame tirant trois mailles de corps ou une arcade & demie, ce qui vaut autant que si le dessein étoit sur un papier de 8 en 14 quant à la réduction pour la hauteur, & ce qui est infiniment plus parfait quant à la réduction sur le large ; la beauté d'une étoffe ne tirant son principe que de la finesse de la découpure, qui n'est belle qu'autant qu'elle est fine & délicate, ce qui ne sauroit manquer, dès que quatre fils suffisent pour remplir la maille de corps au-lieu de six dans une même largeur, & que néanmoins le même nombre doit toujours se trouver égal dans la chaîne qui doit être de 60 portées sans y comprendre le poil ; il se fabrique à présent des étoffes de 1600 mailles, ce qui fait un compte de trois fils par maille & quatre répétitions dans l'étoffe, qui vaut autant que si le dessein étoit peint sur un 8 en 16 pour la hauteur de l'étoffe, ou 16 coups de trame, qui dans un quarré géométrique ne devroit en contenir que 8, l'augmentation des mailles produisant le même effet que si le mêtier étoit monté avec 800 cordes de rame & de semples, & de 800 arcades à l'ordinaire, tirant deux mailles de corps, de façon que la ligne perpendiculaire se trouve aussi fine que la ligne transversale dans le quarré ordinaire qui forme la division du papier sur lequel le dessein est peint, lequel quarré ne contenant que deux lignes 10/25 tant en hauteur qu'en largeur, ne doit contenir que la cinquantieme partie du papier, & la centieme de l'étoffe fabriquée, tant en largeur qu'en hauteur.
C'est un usage établi, que dans toutes les étoffes qui se font au bouton, soit de 200, 300, ou 400, plus ou moins, on attache une corde de rame pareille à celle qui tire les arcades dans l'endroit où est attaché le collet qui sert à tirer la corde de rame ; lorsque l'étoffe se travaille, toutes les cordes de tirage répondent au bouton & au collet, & sont attachées ensemble à l'un & à l'autre. Cette double corde de rame passe dans la même ouverture du cassin, & delà est portée sur une autre poulie hors du cassin placée pour la tenir ; au bout de cette double corde, à 14 ou 15 pouces est attachée une aiguille du poids de 3 ou 4 onces pour tenir tendue la corde de rame, afin que le poids des boutons ne fasse pas baisser le rame, conséquemment lever les mailles du corps & la soie ; on donne à cette corde & à l'aiguille qui y est attachée le nom de rabat, de façon que dans le même mêtier il se trouve des lisses & des cordes de rabat.
Dans les métiers montés à 1000, 1200, même 1500 boutons, il faudroit des aiguilles pour le rabat de 2 livres au-moins, pour que le poids des cordes de tirage & des boutons ne fit pas baisser la corde de rame, & par conséquent lever la soie. Les Fabriquans ont trouvé deux moyens pour parer à cet inconvénient, qui tous deux sont bien imaginés ; le premier est celui de diviser en deux, trois, même quatre parties égales les planches qui contiennent l'arrangement des boutons, & où sont passées les cordes qui servent à tirer les cordes de tirage quand l'étoffe se travaille. La division de ces planches fait que dans le mêtier où il y en a quatre, l'ouvrier en tient réguliérement trois suspendues par des cordes, & ne laisse que celle qu'il convient de tirer pour faire la figure de l'étoffe quand l'ouvrier la travaille. Lorsque cette planche est finie, il la leve & en prend une autre, & successivement les unes après les autres, de même que l'on prend les semples dans l'étoffe riche, par ce moyen on change de planche comme on change de semple.
Au moyen de cette division de planches, la corde & l'aiguille du rabat peuvent tenir la corde de rame tendue ; néanmoins dans les étoffes de 12 à 1500 boutons, la quantité de corde de lissage, quoique le dessein soit vû à la réduction, la quantité de cordes de tirage chargeant trop le rame, il a fallu avoir recours à un autre moyen pour que les cordes qui le composent fussent tendues également, & éviter le poids que l'aiguille de rabat demanderoit pour donner lieu à cette extension.
Pour l'intelligence de cette nouvelle invention, il faut observer que les cassins des 400 cordes, contiennent huit rangs de 50 poulies chacun, sur lesquelles sont passées les 400 cordes de rame ; dans les étoffes ordinaires les huit rangs de poulies sont réduits à deux, quant à la façon d'attacher ou appareiller les cordes de semple, de façon qu'au-lieu de huit rangs de cordes attachées en conformité de la construction du cassin, quatre rangs n'en composent qu'un ; dans la nouvelle méthode le rame est divisé en autant de rangs de cordes que le cassin contient de poulies ; on passe dans chaque rang un bouton bien rond & bien poli, d'un pouce ou un peu plus de diamêtre, lequel est attaché aux deux extrêmités, à une corde posée perpendiculairement, qui passant dans une poulie de chaque côté, est arrêtée par un poids arbitraire, suivant la quantité de lacs ou cordes de lissage & de tirage ; les poids, quoique légers, tiennent la corde de rame élevée, & soutiennent le poids des lacs, de façon qu'ils ne peuvent pas faire baisser la corde, ce qui fait que la maille des corps est toujours levée de même sans que pour cela il soit besoin de corde & d'aiguille de rabat.
Lorsqu'il s'agit de travailler l'étoffe, & que l'on tire le bouton, chaque corde de rame qui est tirée coule sur le bâton qui la retient, & celle qui ne l'est pas demeure soulevée, de façon qu'au-lieu d'un double cassin qui seroit nécessaire pour cette opération, & 400 aiguilles très-pesantes pour former le rabat, lesquels bâtons passés dans chaque rang, suffisent pour tenir les cordes de rame tendues & empêcher le soulevement du corps.
Les beaux droguets qui se fabriquent aujourd'hui, sont montés comme les anciens, avec cette différence qu'il faut autant de poils qu'il y paroit de couleurs ; ajoutez encore qu'il faut autant de corps différens qu'il y a de poils, par conséquent de mailles ; les droguets de 1600 d'une seule couleur, se font aujourd'hui en 4800 mailles ; la trame fait aussi sa couleur dans le plus grand nombre, auxquels on donne le nom de droguets lisérés. Toutes les figures différentes contenues dans les étoffes de ce goût, outre les couleurs, se tirent de la disposition du dessein & de la façon de le lire ; d'où il faut observer que dans l'étoffe où la trame feroit plusieurs couleurs il faudroit autant de lacs qu'il y auroit de coups de navette différens. Or comme dans ceux-ci il n'y a qu'un coup de navette qui fasse figure, un lac suffit pour les couleurs que l'on y voit. Il n'est pas de même des poils, quand supposé il s'en trouveroit trente dans une étoffe, ce qui est impossible, un seul lac suffiroit pour les faire figurer tous ensemble, par ce que chaque poil ne faisant qu'une figure à chaque coup de navette passé, la partie du poil qui figure tient cachée celle qui ne figure pas, & cette façon de figurer ne vient que de celle de lire le dessein, parce que chaque poil ayant son corps particulier, & chaque corps ayant ses cordages, il faut que celui qui monte le mêtier ait un grand soin d'incorporer dans son lac toutes les cordes qui sont relatives à la maille de poil qui doit faire faire la figure. Il faut observer encore que si l'endroit du droguet se faisoit dessus, pour-lors il faudroit tirer toutes les cordes qui doivent faire la figure, au-lieu que se faisant dessous, il faut les laisser, & ne tirer précisément que celles qui n'en font aucune.
Il se fabrique actuellement à Lyon des droguets à grands desseins & sans répétition ; ces étoffes sont destinées pour la Russie. Il faut pour ces étoffes des cassins de 800 cordes, parce que chaque corde ne tire qu'une maille de corps ; le dessein est fait sur un papier de 8 en 14 pour que l'étoffe soit réduite ; il est vrai que la découpure est plus grossiere, mais comme les fleurs & les feuilles sont extraordinairement grandes, une découpure plus grosse qu'à l'ordinaire ne défigure point l'étoffe.
La figure dans le genre d'étoffe est un satin, qui est d'autant plus beau que la réduction lui donne du brillant, & comme l'endroit de l'étoffe est dessous, on ne fait tirer que le fond, par conséquent tout ce qui ne se tire pas doit faire figure.
Mais comme il arriveroit que la partie qui ne se tireroit pas ne seroit point arrêtée quant à la chaîne qui doit former le satin ; cette étoffe est montée différemment des autres.
Tous les droguets en général ont une chaîne passée en taffetas, ou en gros-de-tours sur quatre lisses à l'ordinaire, & rien de plus quant aux lisses, les mailles du poil faisant la figure par la tire qui se lie suivant que le cas l'exige : ceux-ci ont également une chaîne de poil pour former le corps de l'étoffe ; à l'égard de la chaîne du satin qui en fait la figure, comme elle n'est point tirée, elle est passée dans huit lisses à l'ordinaire de même que dans les mailles de corps, & lorsque l'étoffe se fabrique, l'ouvrier fait lever à chaque coup de navette, au moyen de la marche, une seule lisse de satin qui lie ou arrête cette partie qui fait la figure, & au moyen de cette opération l'étoffe se trouve parfaite. A observer que des quatre lisses de taffetas destinées à faire le corps de l'étoffe, l'ouvrier en leve régulierement deux à chaque coup de navette, savoir, une prise & une laissée des quatre, & que dans toutes les étoffes en général qui imitent le droguet, la chaîne qui fait corps d'étoffe, n'est jamais passée dans le corps composé des mailles qui sont tirées pour faire la figure, de façon que dans tous les droguets autres que celui-ci, deux marches seules suffisent pour faire l'ouvrage.
Il n'en est pas de même dans la façon de fabriquer celui-ci, il faut absolument huit marches pour faire l'étoffe, par rapport aux huit lisses de satin qui doivent lier la chaîne qui le compose ; chaque marche fait lever une lisse de satin & deux du taffetas, de sorte que les huit lisses étant parfaitement d'accord avec celles du taffetas, celles-ci levent quatre fois pour faire le course, c'est-à-dire, pour passer toutes les marches dont les lisses n'en levent qu'une.
Une observation, qui peut-être n'a jamais été faite sur la façon de fabriquer le droguet, est qu'un spéculatif, ou une personne qui examineroit de près la façon de fabriquer tous les droguets en général, seroit en droit de dire que, puisque les poils qui font la figure, ne sont point passés dans les lisses, & que dans celui-ci on passe celui qui fait la figure dans des lisses de satin, afin que la soie soit arrêtée, il faut donc que les parties qui se tirent, ne le soient point à l'envers de l'étoffe, * puisqu'elles ne reçoivent point de trame, & qu'il n'y a aucune lisse de rabat ni de levée pour arrêter la soie : à quoi on répond que dans la fabrication de toutes les étoffes de cette espece, on passe chaque lac deux coups de la même navette, savoir un avec le lac où le bouton tire, & l'autre où il ne l'est point : de façon que la trame se trouvant alternativement dessus & dessous la partie qui n'est pas tirée, cette même partie se trouve incorporée dans le milieu de l'étoffe, & fait qu'elle est aussi belle à l'envers qu'à l'endroit, à la figure près. Il faut deux navettes dans le droguet liséré, savoir, celle du fond & celle de la figure.
Il se fabrique à Lyon quantité de petites étoffes qui se tirent avec le bouton, dont les dénominations sont inventées pour en faciliter la vente ; mais comme leur composition dérive du droguet ordinaire, fond satiné, ou fond taffetas, il suffit d'avoir démontré la façon de fabriquer ces deux genres d'étoffes, pour que l'on ne croye pas nécessaire d'en donner une description qui deviendroit inutile.
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PRUTH LE | (Géog. mod.) le Hieracus de Ptolémée, ou le Geracus d'Ammien Marcellin, riviere de la Dacie, est selon Mrs. de Valois & Cluvier le Pruth des modernes, riviere de Pologne, qui a sa source dans les montagnes de la Pocutée ; elle traverse la Moldavie, & va se perdre dans le Danube, un peu avant qu'il se jette lui-même dans la mer Noire.
C'est sur le bord du Pruth que le Czar Pierre en 1711, vit tout d'un coup son armée sans vivres, sans fourrages, & cent cinquante mille turcs devant lui ; plus malheureux en ce moment que son rival Charles XII. à Pultawa ; mais le moment fut court : Une femme le sauva en négociant la paix du Pruth ; femme d'un simple dragon, elle épousa son empereur & lui succéda. Nous n'avons point oublié son article dans cet ouvrage. (D.J.)
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PRYAPOLITE | (Hist. nat.) nom d'une pierre qui a plus ou moins de ressemblance avec la verge d'un homme. Ce nom se donne quelquefois à des pierres d'après une ressemblance très-imparfaite, & il s'applique communément à toutes sortes de pierres cylindriques à qui le hazard a donné cette forme.
Quelques naturalistes prétendent avoir vu des pryapolites avec deux pierres arrondies qui formoient les testicules ; ils ajoutent même que l'on pouvoit distinguer le canal de l'urethre ; mais il paroît que leur imagination a beaucoup aidé à ces ressemblances qui ne sont rien moins que réelles. Voyez l'article JEUX DE LA NATURE.
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PRYMNESIA | (Géog. anc.) 1°. ville de l'Asie mineure, dans la grande Phrygie selon Ptolémée, l. V. c. ij. qui la place entre Eucarpia & Docimaeum. Pausanias, l. V. c. xxj. la nomme Prymnessus ; & elle fut dans la suite une ville episcopale : 2°. ville de la Carie, selon Etienne le géographe. (D.J.)
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PRYTANE | S. m. (Antiq. grecq.) on nommoit prytanes chez les Athéniens, cinquante sénateurs tirés successivement par mois de chaque tribu, pour
* L'on voit dans les taffetas doubletés ou tripletés, ainsi nommés, parce qu'ils ont deux à trois poils de couleurs pour faire des fleurs, l'endroit dessus qui imite le broché ; les poils qui ne sont arrêtés que tous les 10 coups, 15 coups plus ou moins. Ils ne seroient arrêtés que dans les parties où ils font figures, si l'ouvrier n'avoit pas soin de faire tirer tous les 10, 15 coups, tous les poils quand il passe son second coup de navette. On est obligé de faire l'endroit dessus, parce que les desseins ou les fleurs sont légeres & délicates : ces sortes d'étoffes étant d'été ; de façon que si on vouloit faire l'endroit dessous il faudroit tirer le fonds afin de laisser ce qui feroit la figure : pour lors il faudroit tirer les sept huitiemes des cordages, ce qui rendroit la tire si rude & pesante qu'il ne seroit pas possible de travailler l'étoffe.
présider dans le conseil de ladite tribu. Ils convoquoient l'assemblée, les proëdres en exposoient le sujet, & l'épistate demandoit les avis.
On ouvroit l'assemblée par un sacrifice à Cérès, & par une imprécation. L'on sacrifioit à cette déesse un jeune porc pour purifier le lieu que l'on arrosoit du sang de la victime ; l'imprécation mêlée aux voeux se faisoit en ces mots : " Périsse maudit des dieux, lui, & sa race, quiconque agira, parlera, ou pensera contre la république. " C'étoit trop que de porter l'imprécation jusque sur la pensée, dont l'homme n'est pas le maître.
Les prytanes avoient l'administration de la justice en chef, la distribution des vivres, la police générale de l'état & particuliere de la ville, la déclaration de la guerre, la conclusion & publication de la paix, la nomination des tuteurs & des curateurs, & enfin le jugement de toutes les affaires, qui après avoir été instruites dans les tribunaux subalternes, ressortissoient à ce conseil.
Le tems de leur exercice se nommoit prytanie, & le lieu de leur assemblée étoit appellé prytanée. Voy. PRYTANIE & PRYTANEE.
Les prytanes tenoient toujours leurs assemblées au prytanée, où ils avoient un repas de fondation, mais un repas simple & frugal, soit afin que par leur exemple ils préchassent aux autres citoyens la tempérance, soit afin qu'en cas d'accidens inopinés, ils fussent en état de prendre sur le champ des résolutions convenables. Ce fut dans un de ces repas, dit Démosthènes, que les prytanes reçurent la nouvelle de la prise d'Elatée par Philippe.
Dans les tems difficiles de la république, les prytanes, après avoir assemblé le peuple, & lui avoir exposé les besoins pressans de la patrie, exhortoient chaque citoyen à vouloir bien se cotiser pour y subvenir. Le citoyen zélé se présentoit au prytane, & disoit : je me taxe à tant. Le citoyen avare ne disoit mot, ou se déroboit de l'assemblée. Phocus, homme plongé dans une vie molle & voluptueuse, se levant un jour dans une assemblée pareille, s'avisa de dire en bon citoyen : , moi je contribue aussi du mien : oui, s'écria tout d'une voix le peuple malin & spirituel, oui, .
Toutes les grandes villes grecques avoient, à l'exemple d'Athènes, plusieurs prytanes qu'on tiroit successivement des différentes tribus. L'histoire nous a conservé le nom de Luccius Vaccius Labéon, premier prytane de Cumes, à qui cette ville décerna des honneurs extraordinaires ; mais les prytanes de Cyzique sont encore plus célebres dans l'histoire : leur conseil devoit être composé de six cent membres. Il paroit qu'ils étoient tirés d'une tribu, & quelquefois de deux tribus pour chaque mois, d'où il résulteroit que les tribus cyzicéniennes étoient en plus grand nombre que les tribus athéniennes. Nous connoissons six tribus de Cyzique, & nous devons cette connoissance aux inscriptions des marbres. Leur prytanée étoit d'une grande splendeur, comme nous le dirons à la fin du mot PRYTANEE. (D.J.)
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PRYTANÉE | S. m. (Ant. grecq.) , vaste édifice d'Athènes & d'autres villes de la Grece, destiné aux assemblées des prytanes, au repas public, & à d'autres usages.
La Guilletiere dit qu'on voyoit encore de son tems, près du palais de l'archevêque, les ruines du prytanée d'Athènes, ce tribunal où s'assembloient les cinquante sénateurs qui avoient l'administration des affaires de la république.
C'étoit dans le prytanée qu'on faisoit le procès aux fleches, javelots, pierres, épées, & autres choses inanimées qui avoient contribué à l'exécution d'un crime ; on en usoit ainsi, lorsque le coupable s'étoit sauvé ; & nous gardons encore parmi nous quelque chose de cet usage, lorsque pour faire plus d'horreur d'un parricide, & d'un assassinat énorme, on comprend dans les suites du supplice, l'anéantissement des poignards ou des couteaux qui ont été les instrumens du crime.
C'étoit dans une salle du prytanée que mangeoient les prytanes avec ceux qui avoient l'honneur d'être admis à leur repas ; & Pausanias observe que cette salle où se donnoient les repas, étoit appellée . Les lois de Solon étoient affichées dans cette salle, pour en perpétuer le souvenir. Les statues des divinités tutélaires d'Athènes, Vesta, la Paix, Jupiter, Minerve, &c. y étoient posées pour agréer les sacrifices qui se faisoient avant l'ouverture des assemblées publiques & particulieres. Dans la même salle étoient les statues des grands hommes qui avoient donné leur nom aux tribus de l'Attique, celle du fameux Antolique y étoit aussi, & celles de Thémistocles & de Miltiades servirent dans la suite à la flatterie des Athéniens, qui par une inscription postérieure, en firent honneur à un romain ou à un thrace.
On y recevoit les ambassadeurs dont on étoit content, le jour qu'ils avoient rendu compte à la république de leurs négociations. On y admettoit aussi le jour de leur audience, les ministres étrangers qui venoient de la part des princes, ou des peuples alliés, ou amis de la république d'Athènes, Les ambassadeurs des Magnésiens furent admis à ce repas, lorsqu'ils eurent renouvellé le traité d'alliance avec le peuple de Smyrne.
C'étoit un honneur singulier que d'être admis au repas des prytanées hors des tems de la fonction des sénateurs, & les Athéniens dans les commencemens fort réservés à cet égard, n'accorderent une distinction aussi flatteuse, que pour reconnoissance des services importans rendus à la république, ou pour d'autres grands motifs. Les hommes illustres qui avoient rendu des services signalés à l'état, y étoient nourris eux & leur postérité aux dépens du public. Quand les juges de Socrate lui demanderent selon l'ordonnance quelle peine il croyoit avoir méritée, il répondit qu'il croyoit avoir mérité qu'on lui décernât l'honneur d'être nourri dans le prytanée aux dépens de la république. Par une considération particuliere pour le mérite de Démosthène, on lui fit ériger une statue dans le prytanée ; son fils ainé, & successivement d'ainé en ainé, jouirent du droit de pouvoir y prendre leur repas.
L'idée que l'on avoit de l'honneur que les vainqueurs aux jeux olympiques faisoient à leur patrie, détermina l'état à leur accorder la faveur d'assister aux distributions & aux repas des prytanes ; & c'est ce qui fonde le reproche fait aux Athéniens du jugement injuste qu'ils avoient porté contre Socrate, qui méritoit à bien plus juste titre la distinction honorable d'être nourri dans le prytanée, qu'un homme qui aux jeux olympiques avoit le mieux su monter à cheval, ou conduire un char ; mais on n'avoit rien à objecter à la faveur accordée aux orphelins dont les peres étoient morts au service de l'état, d'être nourris dans le prytanée, parce que ces orphelins entroient sous la tutele spéciale du sage tribunal des prytanes.
Il paroit de ce détail quel étoit l'usage d'une partie des vivres que l'on mettoit dans les magasins du prytanée. L'autre partie servoit aux distributions réglées qui se faisoient à certains jours aux familles qu'une pauvreté sans reproche mettoit hors d'état de pouvoir subsister sans ce secours, qui par autorité publique étoit distribué proportionnellement au nombre de têtes qui les composoient.
Callisthènes rapporte dans Plutarque que Polycrite, petite fille d'Aristide, à la considération de cet illustre aïeul, fut employée sur l'état des prytanes, pour recevoir chaque jour trois oboles, ne pouvant à cause de l'exclusion donnée à son sexe, prendre ses repas dans l'enceinte du prytanée.
La plus grande partie des villes de la Grece & de l'orient avoient des prytanes, & un prytanée. Il y en avoit à Mégare, à Olympie dans l'Elide, à Lacédémone, &c. Denys d'Halicarnasse a fait une comparaison assez suivie des tribunaux des Romains répandus dans les différentes villes de la république, avec les tribunaux des Grecs établis dans les différentes villes de l'enceinte de la Grece. Le lecteur peut voir la liste des prytanées de la Grece dans les mémoires de littérature. Il seroit facile, d'après les médailles & les inscriptions, d'y ajouter les noms de quelques-uns qui ont été omis ; mais je me contenterai d'observer que le prytanée de Cyzique passoit, après celui d'Athènes, pour le plus superbe de tous : il renfermoit dans son enceinte quantité de portiques dans lesquels étoient placées les tables des festins publics. Il fut ordonné par le decret du sénat & du peuple de Cyzique rapporté par Spon, que la statue d'Apollodore de Paros seroit placée près les tables du premier portique dorique. Tite-Live, l. XLI. c. 20, rapporte que Persée, dernier roi de Macédoine, fit présent d'un service d'or pour une des tables du prytanée de cette ville.
Enfin il ne faut pas oublier de remarquer que comme on conservoit le feu de Vesta sur un autel particulier qui étoit dans le prytanée d'Athènes, & dont le soin étoit commis à des femmes veuves appellées prytanitides ; il arriva dans la suite du tems, qu'on appella du nom de prytanée tous les lieux où l'on conservoit un feu sacré & perpétuel. (D.J.)
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PRYTANIE | S. f. (Antiq. grecq.) c'est ainsi qu'on nommoit chez les Athéniens, le tems de l'exercice des fonctions des prytanes. Ce tems duroit d'abord trente-cinq ou trente-six jours pour remplir l'année, mais le nombre des citoyens s'étant considérablement accru, & chaque tribu devant gouverner pendant un mois, on joignit aux dix tribus anciennes les tribus antigonides & démétriades, pour lors le nombre des prytanes qui avoit été de cinq cent par année, fut porté à six cent, & la durée des prytanies, dont le rang se tiroit au sort, fut réduite à trente jours. Les jours surnuméraires pour remplir l'année solaire, se passoient à recevoir le compte de l'administration des prytanes, & à donner la récompense dûe à ceux qui dans cet exercice avoient bien mérité de la république. (D.J.)
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PRYTANIS | (Géog. anc.) fleuve de la Colchide, selon le périple d'Arrien, qui place son embouchure à quarante stades d'Athènes : il ajoute qu'on y voyoit le palais d'Anchialus, & que ce lieu étoit éloigné de quatre-vingt-dix stades du fleuve Pyxites. On croit que c'est le même fleuve que le périple de Scylax, p. 32. appelle , & qu'il place dans le pays des Ecéchiries. (D.J.)
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PRYTANITIDES | S. f. (Antiq. grecq.) C'est ainsi qu'on nommoit à Athènes & dans toute la Grece, les veuves qui avoient soin du feu sacré de Vesta ; l'on voit par-là que l'usage des Grecs étoit bien différent de celui des Romains, qui ne confioient la garde du feu sacré qu'à des vierges, qu'ils nommoient Vestales. Le terme grec Prytanitides vient de , nom commun à tous les lieux consacrés à Vesta. (D.J.)
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PRZEMISLA | ou PREMISLA, (Géog. mod.) ville de Pologne, capitale du district de même nom, dans le palatinat de Russie, sur la riviere de San, à 56 lieues au levant de Cracovie. Cette ville, dès le XIe siecle, étoit assez considérable. Boleslas II. roi de Pologne, ne s'en rendit le maître qu'après un long siege, l'an 1070. Cette ville aujourd'hui est peu de chose ; son évêque est suffragant de Leopol. Longitude, 41. 7. latitude, 49. 40. (D.J.)
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PRZYPIET | ou PRIPECZ, (Géog. mod.) riviere de Pologne ; elle commence à se former dans le grand duché de Lithuanie, où tout d'un coup elle devient une riviere considérable, par plusieurs autres qui se jettent dans son lit ; elle traverse une partie de la Russie polonoise, & se perd enfin dans le Borysthène. (D.J.)
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PSAISTE-MAZA | (Lexicog. Médec.) . Galien entend par psaiste-maza, le maza fait avec l'huile & le miel, & de la même maniere que se faisoit le psaista. Or le psaista n'étoit autre chose, selon Hésychius, que l'alphita humecté d'huile, ou comme dit Suidas, d'huile & de vin, dont on faisoit usage dans les sacrifices. (D.J.)
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PSALACANTHA | (Botan. anc.) ; Photius dit d'après Ptolomée Ephestion, que c'étoit une plante égyptienne, dont cet auteur raconte des choses fabuleuses, & finit par ajouter que quelques-uns la regardoient comme l'armoise, & d'autres comme le mélilot. Suidas nous apprend qu'un nommé Cytherius avoit aussi fait un poëme à la louange de cette plante. (D.J.)
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PSALACHANTHE | (Mytholog.) Nymphe amoureuse de Bacchus ; elle fit présent à ce Dieu d'une belle couronne à condition qu'il répondroit à sa passion ; mais elle s'en vit méprisée, & sa couronne passa sur la tête d'Ariadne sa rivale ; la nymphe se tua de désespoir, & fut changée par Bacchus en une plante qui porte son nom ; c'est la plante même qui a fait imaginer aux poëtes une nymphe de son nom. (D.J.)
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PSALMODIER | v. n. (Musiq.) C'est chanter ou reciter les pseaumes & l'office d'une maniere particuliere, qui tient le milieu entre le chant & la parole. C'est du chant, parce que la voix est soutenue ; c'est de la parole, parce qu'on garde toujours le même ton. (S)
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PSALTERION | instrument de musique fort en usage chez les Hébreux, qui l'appellent nebel. On ignore la forme précise du psalterion des anciens. Celui dont on use aujourd'hui est un instrument plat, qui a la figure d'un trapèze ou triangle tronqué par en haut. voyez les Pl. de Lutherie. Il est monté de treize rangs de cordes de fil de fer ou de laiton, accordées celles du même rang à l'unisson ou à l'octave, montées sur deux chevalets E F, G H qui sont aux deux côtés. On le touche avec une petite verge de fer, ou bâton recourbé ; ce qui fait que quelques uns le mettent au rang des instrumens de percussion. La table supérieure du psalterion est faite de sapin ou de cedre, comme celle des clavecins ; elle est collée comme celle de ces instrumens & percée pour placer une rose I. Les cordes, qui sont de fer ou de laiton, sont retenues par une de leurs extrêmités, par des pointes, ou crochets, fichées dans un des sommiers A C, & par l'autre extrêmité D B elles sont liées autour des chevilles de fer, au moyen desquelles on les tend pour les accorder. Voyez CLAVECIN. Papias appelle psalterion une espece d'orgue ou de flûte, dont on se sert à l'église pour accompagner le chant. En latin sambucus.
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PSAMATHUS | (Géog. anc.) ville de la Laconie, selon Pline l. IV. c. v. & qui avoit un port, selon Pausanias l. III. c. xxv. La Guilletiere dit dans son Athènes ancienne & nouvelle, qu'au pié du cap de Matapan, en tirant au nord-est, on voit un vieux château, & que ce sont les ruines de Psamathus. (D.J.)
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PSAMMISME | S. m. (Méd.) Un bain de sable sec & chaud, avec lequel on seche les piés d'un hydropique. Blancard.
Paul Eginete en fait mention dans la cure de l'hydropisie, liv. VII. ch. iij.
Ce remede est bon aussi pour dessécher les jambes oedémateuses & bouffies dans les convalescens. Voyez SABLE & BAIN.
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PSAPHON | S. m. (Mythol.) C'étoit un des dieux qu'adoroient les Lybiens, & qui dut sa divinité à un stratagème. Après avoir appris à quelques oiseaux à dire : Psaphon est un grand dieu, il les lâcha dans les bois, où ils repéterent si souvent ces paroles, qu'à la fin les peuples crurent qu'ils étoient inspirés des dieux & rendirent à Psaphon les honneurs divins après sa mort : delà vint le proverbe, les oiseaux de Psaphon. Ce conte, assez plaisant, est tiré d'Elien. (D.J.)
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PSARONIUM | (Hist. nat.) nom que Pline dit avoir été donné par les anciens, à un granite rouge. On l'appelloit aussi thebaïcum marmor, & pyropaecilon.
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PSATYRIEN | S. m. (Hist. eccl.) C'étoit une secte d'Ariens, qui soutinrent dans le concile d'Antioche de l'an 360, que le fils n'étoit point semblable au pere, quant à la volonté ; qu'il avoit été tiré du néant, ou fait de rien, comme Arius l'avoit dit d'abord ; & qu'enfin en Dieu la génération ne differoit point de la création. Voyez ARIEN.
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PSEAUME | S. m. (Théol.) cantique ou hymne sacré. Voyez CANTIQUE & HYMNE. Ce mot est dérivé du grec , je chante.
Les anciens, comme l'observe S. Augustin, ont mis cette différence entre pseaume & cantique, que ce dernier étoit simplement chanté, au lieu que dans le pseaume on accompagnoit la voix de quelqu'instrument.
Le livre des pseaumes est un des livres canoniques de l'ancien Testament. Il est appellé dans l'hébreu sepher tehillim, livre des hymnes. Dans l'Evangile, on le nomme quelquefois le livre des pseaumes, ; quelquefois simplement le prophete ou David, du nom de son principal auteur.
Les Hébreux partagent ordinairement le pseautier en cinq livres, dont le premier finit à notre quarantieme pseaume ; le second, au soixante & onzieme ; le troisieme, au quatre-vingt-huitieme ; le quatrieme, au cent cinquieme ; & le cinquieme, au cent cinquantieme. Eusebe dit que cette division se remarque dans l'original hébreu & dans les meilleures éditions des septante ; mais S. Augustin & S. Jérôme la rejettent, parce que le nouveau Testament ne cite le pseautier que sous le nom d'un seul livre.
Le nombre des pseaumes canoniques a toujours été fixé chez les Juifs, comme chez les Chrétiens, à cent cinquante ; car le cent cinquante-unieme qui se trouve dans le grec n'a jamais passé pour canonique. Mais les Juifs & les Chrétiens varient sur la maniere de partager ces pseaumes, & les Protestans suivent, à cet égard, la méthode des Juifs.
La tradition la plus générale & la plus suivie est qu'Esdras est le seul, ou du-moins le principal auteur de la collection du livre des pseaumes. Mais dès avant la captivité il y en avoit un recueil, puisqu'Ezéchias, en rétablissant le culte du Seigneur dans le temple, y fit chanter les pseaumes de David. Ce prince les avoit composés à l'occasion des divers événemens de sa vie, ou des solemnités qui se célébroient dans le culte divin, & pouvoit bien y avoir mis quelqu'ordre, soit chronologique, soit autre ; mais il y a grande apparence qu'Esdras n'y en mit point, puisqu'il est sûr que David avoit composé beaucoup plus de pseaumes qu'Esdras n'en a recueilli.
L'authenticité & la canonicité du livre des pseaumes ont toujours été reconnues par la synagogue & par l'Eglise. Il n'y a que les Nicolaïtes, les Gnostiques, les Manichéens, & quelques Anabaptistes qui en ayent nié l'inspiration. Mais on ne convient pas également si ces pseaumes sont l'ouvrage d'un ou de plusieurs écrivains, & qui est celui ou qui sont ceux qui les ont composés. Plusieurs peres, tels que S. Chrysostome, S. Ambroise, S. Augustin, Théodoret, Cassiodore, &c. & un grand nombre d'interpretes modernes les attribuent tous à David. S. Hilaire, l'auteur de la synopse attribuée à S. Athanase, & plusieurs autres commentateurs prétendent le contraire. Le premier de ces sentimens est fondé 1° sur ce que l'ancien & le nouveau Testament attribuent les pseaumes à David, & n'en parlent ou ne les citent que sous son nom. 2° Sur l'usage ancien, uniforme & perpétuel de l'Eglise, qui donne au pseautier le nom de pseaumes de David, & c'étoit aussi, selon Perez dans son commentaire, la créance commune de Josephe, du paraphraste Jonathan, & de tous les anciens Juifs, abandonnée par les thalmudistes & les rabbins.
Le sentiment contraire ne manque pas de preuves qui paroissent même plus convaincantes. S. Hilaire dit nettement que les pseaumes ont pour auteurs ceux dont ils portent le nom dans leur titre. S. Jérôme pense que c'est une erreur de dire que tous les pseaumes sont de David. S. Athanase ne compte que soixante-douze pseaumes de David, & dit dans la synopse qu'on lui attribue, qu'il y a des pseaumes d'Idithun, d'Asaph, des fils de Coré, d'Aggée, de Zacharie, d'Eman, qu'il y en a même qui sont de tous ces auteurs ensemble, comme ceux qui ont pour titre alleluia. Il ajoute que ce qui a fait donner au pseautier le nom de pseaumes de David, c'est que ce prince fut le premier auteur de ces sortes d'ouvrages, & qu'il régla l'ordre, le tems, les fonctions de quelques autres écrivains, dont on voit les noms à la tête des pseaumes. En effet, Eusebe de Cesarée, qui est du même sentiment, nous représente dans sa préface sur les pseaumes, David au milieu d'une troupe de musiciens tous inspirés, chantant tour-à-tour suivant que le S. Esprit les animoit, pendant que tous les autres, & David lui-même, demeuroient dans le silence, & se contentoient de répondre à la fin, alleluia. De plus il est visible qu'un assez grand nombre de pseaumes portent des caracteres de nouveauté, comme ceux qui parlent de la captivité de Babylone qui est de beaucoup postérieure à David. Athanas. in psalm. pag. 70. tom. II. nov. edit. Euseb. praefat. in psalm. pag. 7. & 8.
On dispute encore beaucoup sur les titres des pseaumes. Quelques-uns les regardent comme faisant partie de ces cantiques, & comme la clé du pseaume qu'ils précedent. D'autres les croyent ajoutés après coup, & de peu d'utilité pour l'intelligence du texte, parce qu'ils sont la plûpart si obscurs, que les plus habiles interpretes n'osent se flatter de les entendre. S. Augustin les a crus inspirés, & c'est aussi le sentiment de M. Bossuet dans sa dissertation sur les pseaumes, c. vj. à quoi l'on répond que l'Eglise ne s'est jamais fait une loi de chanter ces titres dans ses offices ; qu'elle n'a jamais décidé qu'ils fussent canoniques ; que les septante & autres grecs postérieurs ont ajouté des titres à certains pseaumes qui n'en ont point dans l'hébreu ; qu'à la vérité ceux qui sont des anciens auteurs ou prophetes, ou d'Esdras, sont inspirés & canoniques, mais que ceux qui ont été ajoutés depuis, ou qui sont contraires à l'histoire ou à l'esprit du pseaume, & il y en a de cette sorte, ne méritent pas ces titres. P. Alexandr. hist. veter. testam. dissert. 24. quaest. j. art. j. Dupin, préface sur les pseaumes. Calmet, dictionn. de la bibl. tome. III. lettre P, au mot pseaumes, p. 3. & suiv. Quant au style des pseaumes, voyez CANTIQUE, HYMNE, LYRIQUE, ODE, POESIE.
PSEAUMES GRADUELS, on donne ce nom à quinze pseaumes du pseautier, qui sont le 119 & les suivans jusqu'au 134 inclusivement. L'hébreu les nomme cantiques des montées, ce que la vulgate traduit par canticum graduum. Le chaldéen les nomme cantique qui fut chanté sur les degrés de l'abysme, mais sur une tradition fabuleuse.
Le sens de ce mot cantique des degrés ou des montées partage les interpretes de l'Ecriture. Les uns veulent qu'on ait ainsi nommé ces pseaumes, parce qu'on les chantoit sur les quinze degrés du temple ; d'autres, parce qu'on les chantoit sur une tribune qui étoit dans le parvis d'Israël, où les lévites lisoient quelquefois la loi ; d'autres enfin, parce qu'il y avoit différens degrés de dignités entre les prêtres qui les chantoient, ou enfin parce qu'on les chantoit sur différens tons ou modes plus élevés les uns que les autres ; mais toutes ces conjectures sont peu solides.
Le P. Calmet en propose une qui paroît mieux fondée, & traduit l'hébreu par cantique de la montée ou du retour de la captivité de Babylone, parce que l'Ecriture employe ordinairement le verbe monter lorsqu'elle parle de ce retour, comme dans Esdras, c. j. vers. 1, 3, 5. c. ij. vers. 2. c. vij. vers. 7. Ps. cxxj. Jérém. xxvij. 22. Ezéch. xxxix. 2.
D'où il conclut qu'il est fort naturel de nommer cantiques des montées les pseaumes qui ont été composés à l'occasion de la délivrance de la captivité de Babylone, soit pour la demander à Dieu, soit pour lui en rendre graces. Ils ont tous rapport à ce grand événement, ils en parlent en plusieurs endroits, & la plûpart ne peuvent s'expliquer sans cette hypothese, comme il est aisé de s'en convaincre en lisant ces pseaumes. Calmet, dictionn. de la bible.
PSEAUME, psalmus, (Littérat.) du latin psallere, chanter ; hymne ou cantique en l'honneur de la divinité.
Ce nom est demeuré affecté aux pieces que David composoit pour être chantées au son des instrumens par les lévites dans les cérémonies religieuses des Hébreux, & aux prieres qu'il composa pour louer, invoquer ou remercier Dieu dans les plus importantes circonstances de sa vie. Tous ceux qui sont contenus dans le livre de l'Ecriture intitulé, liber psalmorum, qu'on appelle autrement psalterium, ne sont pas de ce prince, quelques-uns sont postérieurs à son tems. Leurs titres ne sont pas non plus les mêmes dans la vulgate, la plûpart ont celui de psalmus David, d'autres ceux d'intellectus David, oratio David ; alleluia, canticum, psalmi ; canticum graduum, psalmus cantici, &c. selon leurs différens objets.
Ces pseaumes sont des cantiques & des odes sacrées, par lesquelles les enfans d'Israël célébroient au milieu de leurs assemblées, & dans le secret de leurs maisons, les louanges de Dieu, la sainteté de sa loi, les bienfaits qu'ils avoient reçus de sa bonté, les merveilles de sa puissance, la sagesse & la justice de toutes ses oeuvres.
Le style & toute l'économie des pseaumes est poëtique ; c'est ce style hardi qui s'affranchit quelquefois des liaisons ordinaires du discours, ce style nombreux qui ne forme pas moins des sons que des paroles, avec cette tendresse de la poësie qui pénétre jusqu'au fond de l'ame, avec toute la délicatesse des sentimens du coeur. C'est cette naïveté qui représente la nature dans ses mouvemens, dans ses saillies, dans ses transports ; & avec cette simplicité, c'est toute la sublimité & la force de l'éloquence, c'est une dignité d'expression qui répond à la grandeur du sujet. On n'y rencontre point de réflexions filées & subtilisées, mais c'est un mot plein d'énergie qui renferme tantôt une menace, tantôt une exhortation : un trait peint un événement & forme une instruction, une image présente tout-d'un-coup ce qu'une abondance de paroles n'exprimeroit pas. On peut dire cependant que l'onction fait le principal caractere des pseaumes.
" Il seroit difficile, dit M. Fourmont, de trouver chez les païens des ouvrages aussi beaux que les pseaumes, & S. Jérôme dit fort bien que le pseautier seul peut nous tenir lieu de toutes les pieces lyriques des profanes. David, Simonides noster, Pindarus, Alcaeus, Flaccus quoque, &c. ". Le même auteur pense que les pseaumes étoient écrits en vers, & même en vers rimés en quelques endroits. Voyez les mémoires de l'académie des Belles-Lettres, tome IV. p. 467. & suiv.
Les pseaumes seuls, dit M. Rollin, fournissent une infinité de traits admirables pour tous les genres d'éloquence, pour le style simple, le sublime, le tendre, le véhément, le pathétique. M. Bossuet, dans sa préface sur les pseaumes, a fait un chapitre de grandiloquentiâ & suavitate psalmorum, où il prouve par des exemples que David est plus véritablement poëte qu'Homere & que Virgile. Voyez M. Rollin, traité des études, tome II. p. 598.
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PSEAUTIER | S. m. (Théol.) collection des pseaumes que l'on attribue à David. Voyez PSEAUME. On donne aussi ce nom tant dans l'église grecque que dans la latine à ces mêmes pseaumes, divisés en plusieurs parties, que l'on chante dans l'office divin. Dans l'église latine, le pseautier est partagé pour être récité entier dans l'office d'une semaine. Les Grecs l'ont divisé en vingt parties, qu'ils nomment , c'est-à-dire session, & ils en récitent un certain nombre de sessions par jour dans leur office ; desorte que chaque semaine ils parcourent ainsi tout le pseautier. Pendant les six semaines du carême, ils le doublent, récitant tous les pseaumes deux fois chaque semaine, à l'exception de la semaine-sainte, où ils ne le disent qu'une fois, finissant leur office au mercredi-saint, & ne disant rien du pseautier depuis le jeudi-saint jusqu'au samedi d'après Pâques. Léo Allat. dissert. sur les livr. ecclés. des Grecs.
Il y a une infinité d'éditions du pseautier. Augustin Justiniani, dominicain & évêque de Nebo, publia un pseautier polyglotte à Gènes en 1516. Contarini en publia un autre en hébreu, en chaldéen, en arabe, avec des notes & des gloses latines. Voyez POLYGLOTTE.
Pseautier, chez quelques religieuses, se dit aussi d'un grand chapelet composé de 150 grains, pour égaler le nombre des pseaumes de David.
On tient que c'est S. Dominique qui en a été l'inventeur. Voyez CHAPELET, ROSAIRE.
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PSÉCAS | S. f. (Littérat.) les Romains nommoient psecades les femmes de chambre qui parfumoient la tête de leurs maîtresses avec des parfums liquides, qu'elles répandoient goutte-à-goutte, car le mot psécas vient du verbe grec , qui signifie dégoutter.
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PSÉLAPHIES | S. f. pl. psélaphia, (Médec. anc.) ce mot dans les anciens auteurs de Médecine signifie la friction avec les mains sur les parties malades, & alors c'étoit ce médecin lui-même qui faisoit la friction.
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PSELLION | S. m. (Littérat.) , ornement d'homme ou gourmette. Dans le premier sens, c'étoit une espece d'anneau ou de talisman pendu au cou, qui répond à l'occabus & au des Grecs, au circulus & à l'armilla des Latins.
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PSÉPHIS | (Géog. anc.) lieu de l'île Aegilium, dont Aristote fait mention ; c'est aujourd'hui Giglio, sur la côte de la Toscane. (D.J.)
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PSÉPHOPHORIE | S. f. (Littérat.) , l'art de calculer avec les pséphi, , c'est-à-dire de petites pierres ; chez les Grecs, ces petites pierres ainsi nommées étoient plates, polies, arrondies, & toutes de même couleur pour faire leurs calculs. Dans les scrutins, où il s'agissoit de donner le prix des jeux publics, elles étoient les unes blanches & les autres noires. L'auteur de l'Apocalypse exhortant les fideles à éviter les erreurs des Nicolaïtes, fait allusion à cet usage. Je donnerai, dit-il, à celui qui aura vaincu un jetton blanc, , sur lequel sera écrit un nom nouveau, que nul ne connoît que celui qui le reçoit.
Ces petites pierres, nommées par les Grecs , furent appellées calculi par les Romains ; & ce qui porte à croire que ceux-ci s'en servirent long-tems, c'est que parmi eux le mot lapillus se trouve quelquefois synonyme avec celui de calculus. Lorsque le luxe s'introduisit à Rome, on commença à employer des jettons d'ivoire, ce qui fait dire à Juvenal :
Adeo nulla uncia nobis
Est eboris, nec tessellae nec calculus eu hac.
Materiâ.
Il est vrai qu'il ne reste aujourd'hui dans les cabinets d'antiques aucune piece qu'on puisse soupçonner d'avoir servi de ; mais cent expressions, qui tenoient lieu de proverbes, prouvent que parmi les Romains la maniere de compter ainsi étoit très-ordinaire. Voyez JETTONS, Littérat. (D.J.)
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PSETITES | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à des pierres, sur lesquelles ils ont vu l'empreinte d'un turbot.
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PSEUDO-ARGYRON | (Hist. nat.) nom donné par Aristote à une composition métallique blanche, & semblable à de l'argent, qui se faisoit suivant lui, en faisant fondre du cuivre avec une terre.
On sait que l'arsenic a la propriété de blanchir le cuivre.
D'autres ont cru que le pseudo-argiron de Strabon étoit la pyrite arsénicale qui est blanche comme de l'argent.
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PSEUDO-ETOILE-FAUSSE | étoile, signifie en Astronomie, une sorte de météore ou de phénomene qui paroît pour la premiere fois dans le ciel, & qui ressemble à une étoile. Voyez PHENOMENE, METEORE.
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PSEUDOACACIA | S. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur papilionacée ; il sort du calice un pistil enveloppé d'une membrane frangée, qui devient dans la suite une silique applatie, & qui s'ouvre en deux parties ; cette silique renferme des semences faites en forme de rein. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles sont placées par paires le long d'une côte qui est terminée par une seule feuille. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Tournefort n'en connoissoit que trois especes : la commune, & deux autres d'Amérique ; mais nous verrons ailleurs qu'il y en a huit especes fort cultivées en Angleterre outre leurs variétés, & nous indiquerons en même tems leur culture ; actuellement il nous suffira d'observer que l'espece commune de Tournefort, pseudoacacia vulgaris, I. R. H. 649, est l'arbor siliquosa virginiensis, spinosa, lotus nostratibus dicta de Parkinson.
C'est un grand arbre qui, bien soigné, a fait & feroit encore, si nous le voulions, l'ornement de nos jardins par l'étendue de ses branches, & par l'odeur agréable de ses fleurs. Le premier de ces arbres en France a été planté, par les soins de M. Robin, au jardin du roi à Paris, où il réussit à merveille ; c'est le pere de tous les autres acacia qu'on a vus dans le royaume ; la nouveauté fit qu'on en éleva beaucoup dans d'autres jardins, & la légereté de notre nation a fait qu'on s'en est dégouté.
On est convenu qu'il croissoit fort vîte, qu'on en pouvoit former des berceaux, & qu'il produisoit de belles fleurs, très-odorantes ; mais on lui a reproché d'être sujet à se verser, d'avoir l'écorce raboteuse, & le feuillage trop petit. Il ne s'agit pas ici de prendre sa défense, c'est assez de dire que ses feuilles sont oblongues, rangées par paire sur une côte terminée par une seule feuille. Ses fleurs sont très-belles, longues, légumineuses, blanches, admirables par leur odeur qui répand au printems son parfum de toutes parts. Lorsqu'elles sont passées, il leur succede des gousses applaties, contenant des graines formées en petit rein. (D.J.)
M. Bohadsch, professeur de Médecine & d'Histoire naturelle à Prague, dans un mémoire allemand publié en 1758, a fait voir l'utilité que l'on pouvoit retirer de cet arbre. Des expériences réitérées lui ont fait connoître que sa feuille, tant fraîche que séchée, étoit une nourriture excellente pour les chevaux, les vaches, & tous les bestiaux qui en sont très-avides. Elle est plus nourrissante que le treffle, le sainfoin, & les autres plantes qu'on leur donne ordinairement : M. Bohadsch ayant nourri avec de la feuille du faux acacia des vaches qui fournissoient très-peu de lait, les a mis en trois ou quatre jours en état d'en donner une quantité beaucoup plus grande que celles qui en donnoient le plus par la nourriture ordinaire. D'ailleurs les bestiaux sont très-friands de cette feuille ; ainsi M. Bohadsch propose de multiplier la plantation des faux acacias ; par ce moyen on pourra remédier aux inconvéniens qui résultent de la disette de foins, dans les années ou trop pluvieuses ou trop seches. Cet arbre est très-facile à faire provigner ; il vient de semence aussi-bien que de boutures, & croît avec beaucoup de promtitude & de facilité. Il se plaît dans les endroits arides, sablonneux & montueux ; d'où l'on voit que l'on pourroit en garnir les champs en friche & les terreins qui sont entierement perdus pour la société ; il faut seulement éviter de le planter dans le voisinage des terres labourables, parce que ses racines courent & s'étendent au loin, ainsi que celles des ormes. Pour en faire la récolte, on n'aura qu'à se servir de croissans, afin d'en couper les feuilles qui reviendront promtement, & l'on pourra en faire facilement deux récoltes par année. Comme les rameaux de cet arbre sont garnis de piquans, il faudra ne donner aux bestiaux que les feuilles détachées des branches qui pourroient leur faire du mal. (-)
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PSEUDODICTAMNUS | S. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale & labiée, dont la levre supérieure est voûtée & découpée ordinairement en deux parties, & l'inférieure en trois. Le calice a la forme d'un entonnoir ; le pistil sort de ce calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences oblongues renfermées dans une capsule en forme d'entonnoir, qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.
C'est un genre de plante qui pousse de petites tiges menues, nouées, velues & blanchâtres. Ses feuilles sont presque rondes, revêtues d'une laine blanche. Ses fleurs sont en gueule, verticillées & disposées par anneaux autour des tiges ; chacune d'elles est un tuyau découpé par le haut en deux levres. Il leur succede après qu'elles sont tombées des semences oblongues. Sa racine est menue, ligneuse & fibreuse. Son calice est orbiculaire, ouvert, & contient des semences mûres sous un couvercle, comme dans une espece de capsule. On cultive cette plante dans les jardins ; elle fleurit au mois de Juillet, & n'a aucune des propriétés du vrai dictamne. Miller distingue cinq especes de pseudo-dictamnus, & dit qu'il se rencontre plusieurs autres variétés de ce même genre de plante qu'on multiplie fort aisément. (D.J.)
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PSEUDODIPTERE | S. m. (Architect. anc.) temple des anciens ; il avoit huit colonnes à la face de devant, autant à celle de derriere, & quinze à chaque côté, en comptant celles des coins. Ce mot vient du grec , faux, , deux ; & , aîle, parce que ce temple n'avoit point le second rang de colonnes en-dedans.
PSEUDOPERIPTERE, (Archit. anc.) temple où les colonnes des côtés étoient engagées dans les murs. Ce mot vient du grec , faux, , à l'entour, & , aîle, fausse aîle à l'entour.
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PSEUDONYME | S. m. (Théologie) nom que donnent les critiques à certains ouvrages qui paroissent sous un nom supposé. Ainsi les constitutions apostoliques que quelques-uns attribuent à S. Clément Pape, passent pour un ouvrage pseudonyme. Ce mot vient du grec , je feins, je trompe, & d', nom ; c'est-à-dire nom supposé.
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PSEUDORÉXIE | S. f. (Médecine) 1°. lorsqu'une personne a une faim demesurée produite par une cause morbifique, ensorte qu'ayant même l'estomac rempli d'alimens, elle a encore besoin d'en prendre de nouveaux, on dit qu'elle a une boulimie, une faim de cheval. On appelle ce même état faim canine, si ceux qui en sont attaqués revomissent à chaque fois qu'ils mangent. Un dégoût décidé pour de bons alimens, avec ce desir pour des choses bisarres, qu'ont souvent les femmes grosses, se nomme folle faim, faim dépravée.
2°. L'organe de la faim logé dans le ventricule venant à être touché par quelqu'humeur étrangere, cause la fausse faim, la pseudoréxie.
3°. Cette humeur morbifique se produit dans les maladies chroniques, dans la cacochymie, lorsqu'il y a des vers dans l'estomac, lorsque la bile, le suc pancréatique ou la salive, se trouvent viciés. Elle a encore lieu dans la mélancholie, dans la suppression des mois, dans la convalescence après de grandes maladies, dans les femmes enceintes, & dans les enfans.
4°. Ce qui arrive à la suite de la pseudoréxie tire sa naissance 1°. de sa cause productrice, 2°. de la trop grande quantité d'alimens qu'on a pris, 3°. des corps étrangers qui restent dans l'estomac & les intestins.
5°. Il faut éviter de se nourrir d'alimens contraires à la santé ; & l'on doit seulement avoir quelque légere indulgence pour l'appetit dépravé des femmes enceintes. La méthode curative est de recourir à un léger vomitif ou purgatif, pour évacuer les mauvaises humeurs. Mais on usera de ce remede avec beaucoup de prudence pour les femmes grosses. L'usage des stomachiques est excellent en tout tems, & pour tout le monde. (D.J.)
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PSILON | (Géog. anc.) Arrien dans son périple du Pont-Euxin, p. 21. donne ce nom à l'embouchure la plus septentrionale du Danube ; il la met à douze cent stades du port des Isiaci, & à soixante stades de la seconde embouchure du fleuve. Il ajoute qu'à l'embouchure du Psilon, il y avoit une île appellée par quelques-uns l'île d'Achille, & par d'autres la course d'Achille, & Leuca par d'autres.
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PSILOTHRON | terme de Médecine, qui est le même que dépilatoire ; c'est une sorte de remede externe pour faire tomber le poil. Voyez DEPILATOIRE.
Ce mot vient du grec , deglabro, je fais peler, & , le poil.
On se sert pour cela des lixiviels piquans & âcres, comme la chaux vive, les oeufs de fourmi, le sandarac, l'orpiment & l'arsenic.
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PSILTUCIS | ou SILLUTIS, (Géog. anc.) île de la mer des Indes. Plutarque en parle dans la vie d'Alexandre. Elle est appellée Cilluta par Arrien, & Quinte-Curce sans la nommer, dit qu'elle étoit à quarante stades de l'embouchure du fleuve Indus en pleine mer. (D.J.)
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PSOAS | S. m. en Anatomie ; c'est le nom de deux muscles. Le grand psoas est un muscle rond, dur, charnu, qui vient des parties latérales du corps de la derniere vertebre de l'os & des quatre supérieures des lombes & de leurs apophises transverses, & qui descendant sur la partie du côté supérieur de l'os pubis, s'insere dans la partie inférieure du petit trochanter. Voyez TROCHANTER.
Le petit psoas vient de la derniere vertebre de l'os & de la premiere des lombes, & embrasse le grand psoas par un tendon mince & large qui va s'insérer dans l'os innominé à l'endroit où le pubis & l'ilium se joignent ensemble. Quoique ce muscle soit ordinairement compté parmi ceux de la cuisse, il appartient néanmoins proprement au bas-ventre. Ce muscle ne s'observe pas toujours.
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PSOPHIS | (Géogr. anc.) ville du Péloponnèse en Arcadie, près de l'Erymanthe. On la nomma d'abord Erymanthus, ensuite Phegia. Cette ville, dit Pausanias, qui l'a mieux décrite que Polybe, est à trente stades de Sirce. Le fleuve Aroanius passe au-travers, & l'Erymanthe coule à un petit espace de la ville.
Il y a encore eu trois villes du nom de Psophis ; l'une dans l'Acarnanie, surnommée Paloea, c'est-à-dire la vieille ; l'autre dans l'Achaïe, & la derniere dans la Lybie. C'est Etienne le géographe qui fait mention de chacune d'elles.
Le tombeau d'Alcméon, fils d'Amphiaraüs & d'Eryphile, étoit à Psophis en Arcadie, & n'avoit aucun ornement ; mais il étoit entouré de cyprès si hauts, qu'ils pouvoient couvrir de leur ombre le côteau qui dominoit sur la ville. On ne coupoit point ces cyprès, parce qu'on les croyoit consacrés à Alcméon, & on les appelloit les pucelles.
Cette ville étoit la patrie d'Aglaüs, dont la vie, dit-on, fut toujours heureuse. La citadelle de Psophis fut renversée de fond en comble par Philippe. Il est vraisemblable que Demizana, ville de la Morée au bord de la riviere de même nom, a été bâtie sur les ruines de Psophis. (D.J.)
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PSORALEA | S. f. (Botan.) genre de plante qu'on caractérise ainsi, dans les mém. de l'acad. des Sciences, année 1744. Sa fleur est légumineuse, en épi, formée de plusieurs écailles ; son calice est découpé en cinq parties jusque vers le milieu ; quatre de ces parties sont égales, & la cinquieme ou inférieure est du double plus large que les autres, & ressemble à un cuilleron. Son fruit ou silicule est presque enfermé dans le calice de la fleur, qui lui sert d'enveloppe. Cette silicule contient une ou deux semences taillées en forme de rein.
On compte quatre especes de ce genre de plante ; la principale est nommée psoralea, pentaphylla, radice crassâ, hispanis contrayerva nova.
Sa racine, qui subsiste plusieurs années en terre, est le plus souvent simple, & ressemble à un petit navet fibreux ; elle est charnue, longue de trois pouces, épaisse d'un demi-pouce, quelquefois beaucoup plus grosse, extérieurement jaunâtre, intérieurement blanchâtre, d'une odeur un peu aromatique, & d'un goût piquant.
Les tiges qu'elle pousse sont simples, herbacées, tantôt droites, tantôt inclinées, longues d'un demi-pié, cendrées, velues, arrondies, & garnies par intervalles des feuille alternes, dont les queues, qui ont à leur base deux petites oreilles pointues, embrassent en partie la circonférence des tiges.
Ces queues sont longues de deux à quatre pouces, & soutiennent ordinairement cinq feuilles ovoïdes, cotonneuses, plissées & ondées. Chaque écaille porte une ou deux fleurs, qui ont chacune un calice à pédicules très-courts. Ce calice est bleuâtre, velu & découpé vers son milieu en cinq segmens, dont l'inférieur est creusé en cueilleron.
La fleur que ce calice renferme, a la figure d'un bouton qui, s'épanouissant, représente une vraie fleur légumineuse, d'un bleu pourpre. Ses pétales sont au nombre de cinq. Ses étamines forment une graine à pistil un peu courbé, qui, en mûrissant, devient une silicule membraneuse cassante, pointue, contenant une ou deux graines, brunes, solides, ridées, d'une saveur approchant de celle des fèves. La plante fraîche a une odeur bitumineuse, aromatique, & piquante au goût.
Elle vient au Paral dans la nouvelle Biscaye, province de l'Amérique septentrionale, d'où elle est envoyée à Mexico, à la Vera-cruz, & de-là à Cadix, à Seville & à Madrid.
Sa racine s'employe en Espagne, en poudre ou en infusion, dans les maladies contagieuses & dans les fievres malignes. Je crois que de bons médecins en feroient un tout autre usage. Cette racine a une odeur aromatique & un goût piquant, semblable à celui de l'ancien contrayerva. (D.J.)
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PSORE | (Médecine) maladie de la peau, appellée par les Latins scabies, & par les François gale. Voyez GALE.
Cette maladie est décrite par Celse, comme une dureté rougeâtre & une rougeur de peau, qui vient avec l'éruption de pustules, dont les unes sont séches, & les autres humides, remplies de matieres séreuses, qui occasionnent une démangeaison continuelle : les éruptions sont plus fréquentes aux jointures des membres, & entre les doigts, qu'ailleurs : quelquefois la gale se répand par tout le corps ; quelquefois elle passe promtement, & revient en certain tems de l'année dans les enfans ; quelquefois elle prévient & empêche les autres maladies qu'ils pourroient avoir : elle dégénere aussi quelquefois en lepre. Voyez LEPRE.
La gale séche est plus difficile à guérir que l'humide, qui vient du désordre des humeurs ou des visceres. Willis dit que cette maladie vient d'une âcreté & d'une humeur salée, qui occasionne la démangeaison. Il y a des médecins qui croyent que cette maladie est occasionnée par un nombre de petits animaux qui mangent la peau, & que c'est ce qui fait qu'elle est contagieuse. Willis prétend que cette maladie est comme la peste, qu'il conjecture venir de petits animaux.
Pour la guérir, Borelli recommande aux pauvres de se laver avec du savon noir. Le savon doit être mouillé, de peur qu'il n'excorie la peau.
Quand cette maladie est invétérée, il faut avoir recours à la salivation. Voyez SALIVATION.
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PSORICE | S. f. (Botan. anc.) nom donné par les anciens Botanistes grecs à la plante que nous appellons scabieuse. Ils l'ont heureusement & par grand hazard si bien décrite, que nous n'en pouvons guere douter ; outre qu'ils lui ont attribué les mêmes vertus, & l'ont prescrite dans les mêmes maladies que les médecins modernes ordonnent la scabieuse. Pélagonius recommande la psorice parmi quelques autres anti-scorbutiques connus dans un remede contre la gale, & semblables maladies de la peau. Aétius prescrit la même plante sous le nom de psora ; & c'est celle que les Grecs modernes appellent scampiusa. Quoique Fuchsius avoue qu'il n'entend point ce dernier mot ; il paroît néanmoins que c'est un terme barbare formé par les Grecs modernes sur celui de scabiosa, qui étoit le nom latin de la plante. C'étoit un usage assez commun aux Grecs de ces tems-là, de changer le b des Romains en mp, dans les mots qu'ils adoptoient de la langue latine. (D.J.)
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PSORIQUES | adj. (Médecine) ce sont des remedes bons contre la gale & les maladies de la peau, & surtout contre les démangeaisons. Voyez PSORA & GALE.
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PSOROPHTHALMIE | S. f. terme de Chirurgie ; maladie des paupieres, qui consiste dans l'inflammation de la membrane interne de ces parties vers le bord, accompagnée d'un écoulement de chassie âcre & prurigineuse, avec de petites pustules semblables à celles de la gale. Le mot de psorophthalmie est grec, & signifie proprement gale de l'oeil.
Cette maladie vient toujours de l'âcreté de la lymphe, elle est difficile à guerir, surtout dans les vieillards, & lorsqu'elle est invétérée.
Si les ulceres prurigineux n'occupent que le bord des paupieres, s'il y a peu d'inflammation, & qu'il n'y ait aucun indice de plénitude ni de cacochimie, on peut se contenter des remedes externes ; mais dans ce cas, la maladie des paupieres seroit la suite d'une autre maladie, telle que la petite-verole pour laquelle on auroit administré les remedes généraux. Hors des cas de cette nature, on doit prescrire au malade un régime doux & rafraîchissant pour tempérer la chaleur & l'acrimonie du sang : le saigner s'il y a pléthore ; faire usage des purgations suivant le besoin ; & avoir recours au cautere ou au seton, quand la maladie est violente ou habituelle. Les bains domestiques sont aussi très-indiqués, & généralement tous les remedes propres à humecter le sang, à fondre & à évacuer les humeurs, & à les détourner des paupieres.
Dans le soupçon ou la certitude de l'existence de quelques vices, comme le vénérien, le scrophuleux, le scorbutique, il seroit à-propos d'user des remedes les plus propres à détruire le principe virulent.
A l'égard des remedes topiques, on doit se servir d'abord des remedes qui humectent & adoucissent ; tels que la décoction de racines de guimauve, de fleurs de camomille, de mélilot ; il faut prendre garde de trop relâcher, de crainte que les vaisseaux ne deviennent variqueux, & que la membrane ne se boursouffle de plus en plus par la perte de son ressort. Quinze grains de sel de saturne dans un demi-septier de décoction susdite, forme une lotion adoucissante & dessicative. Quand les paupieres ne sont plus si dures ni si enflammées, on passe à des collyres détersifs & dessicatifs, tels que le donnent les eaux distillées de fenouil & de plantain, dans six onces desquelles on fait dissoudre un gros de sucre candi, & douze grains de vitriol blanc. L'onguent de tuthie est fort convenable dans ce cas. Les livres sont pleins de formules très-recommandées : ceux qui ont une vraie idée de la nature du mal & de son état, ne manquent point de remedes pour remplir les différentes indications qu'il peut présenter. (Y)
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PSUCHROTROPHRON | S. m. (Botaniq. anc.) nom donné par les anciens à une plante qu'ils ont souvent recommandée, & qui étoit appellée par les Grecs cestrum. Le nom de psuchrotrophron vient de ce qu'elle croît dans les lieux humides ; car en grec veut dire humide, & , nourrir ; mais nous n'en sommes pas plus avancés ; car nous ignorons quelle plante étoit le cestrum des Grecs. Dioscoride lui même n'a pas peu contribué à augmenter notre incertitude, en rapportant les divers noms que, selon lui, les Romains de son tems donnoient au cestrum, puisque les noms latins betonica, serratula & ros marinus, qu'il cite comme synonymes, désignent chez les modernes tout autant de plantes différentes. (D.J.)
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PSYCHAGOGES | S. m. (Hist. anc.) c'étoient chez les Grecs des prêtres consacrés au culte des manes, ou plutôt des magiciens qui faisoient profession d'évoquer les ombres des morts, & qui tiroient leur nom de , ame. Leur institution ne laissoit pourtant pas que d'avoir quelque chose d'imposant ou de respectable. Ils devoient être irréprochables dans leurs moeurs, n'avoir jamais eu de commerce avec les femmes, ni mangé des choses qui eussent eu vie, & ne s'être point souillés par l'attouchement d'aucun corps mort. Ils habitoient dans des lieux souterrains, où ils exerçoient leur art, nommé psychomancie ou divination, par les ames des morts. La Pythonisse d'Endor, qui fit paroître à Saül l'ombre de Samuel faisoit profession de cette espece de magie.
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PSYCHÉ | S. f. (Mythol.) les amours de Psyché & de Cupidon sont connus de tout le monde. Apulée & Fulgence en ont fait des descriptions fort agréables, mais la Fontaine a embelli leur roman, par les charmans épisodes qu'il y a joints, par le tour original qu'il lui a donné, & par les graces inimitables de son style.
Nous avons une planche, où le mariage de cette belle princesse est représenté ; cupidon marche à la droite de Psyché la tête couverte d'un voile qui descend jusqu'aux piés. C'étoit la coutume chez les anciens, que les personnes qui se marioient, portoient un semblable voile. Ces deux amans sont joints avec une chaîne, pour montrer qu'il n'y a point d'union plus intime que celle du mariage. Un des amours tient cette chaîne d'une main, & de l'autre un flambeau.
Pétrone fait un récit de la pompe nuptiale de ces deux amans. Déja, dit-il, on avoit voilé la tête de la jeune Psyché ; déja le conducteur la précédoit avec un flambeau ; déja une troupe de femmes échauffées des vapeurs du vin jettoient mille cris de joie, & accommodoient le lit des nouveaux mariés.
Psyché a des aîles de papillon attachées à ses épaules, & c'est ainsi qu'elle est dépeinte dans tous les monumens antiques. La raison qu'on peut donner de cette fiction, est que les anciens représentoient la nature & les propriétés de l'ame sous l'emblème de Psyché : le mot Psyché en grec signifie l'ame & le papillon, parce que les anciens concevoient l'ame comme un souffle que la légereté de ce foible volatil exprime assez bien.
La fable de Psyché, inventée par Apulée, est un charmant conte de fées, qui a peut-être servi de modele aux ouvrages de ce genre, si communs dans notre langue. (D.J.)
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PSYCHIUM | (Géog. anc.) ville de l'île de Crete, selon Ptolémée, l. III. c. xvij. sur la côte méridionale, entre les embouchures des fleuves Matalia & Electra. Elle est appellée Sichino, par Mercator. (D.J.)
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PSYCHOLOGI | (a), s. f. (Métaphysique) partie de la Philosophie, qui traite de l'ame humaine, qui en définit l'essence, & qui rend raison de ses opérations. On peut la diviser en Psychologie empirique, ou expérimentale, & Psychologie raisonnée. La premiere tire de l'expérience les principes, par lesquels elle explique ce qui se passe dans l'ame, & la Psychologie raisonnée, tirant de ces principes d'expérience une définition de l'ame, déduit, ensuite de cette définition, les diverses facultés & opérations qui conviennent à l'ame. C'est la double méthode à posteriori & à priori, dont l'accord produit la démonstration la plus exacte que l'on puisse prétendre. La Psychologie fournit des principes à diverses autres parties de la Philosophie, au droit naturel (b), à la Théologie naturelle (c), à la Philosophie pratique (d), & à la Logique (e). Rien de plus propre que l'étude de la Psychologie, pour remplir des plaisirs les plus vifs, un esprit qui aime les connoissances solides & utiles. C'est le plus grand bonheur dont l'homme soit susceptible ici bas, consistant dans la connoissance de la vérité, en tant qu'elle est liée avec la pratique de la vertu, on ne sauroit y arriver sans une connoissance préalable à l'ame, qui est appellée à acquérir ces connoissances, & à pratiquer ces vertus.
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PSYCHOMANCIE | S. f. (Divination) sorte de magie ou de divination, qui consistoit à évoquer les ames des morts.
Ce mot est formé du grec , ame, & , divination.
Les cérémonies usitées dans la psychomancie étoient les mêmes que celles qu'on pratiquoit dans la nécromancie. Voyez NECROMANCIE.
C'étoit ordinairement dans des caveaux souterreins & dans des antres obscurs qu'on faisoit ces sortes d'opérations, surtout quand on desiroit de voir les simulachres des morts, & de les interroger. Mais il y avoit encore une autre maniere de les consulter, & qu'on appelloit aussi psychomancie, dont toutefois l'appareil étoit moins effrayant. C'étoit de passer la nuit dans certains temples, de s'y coucher sur des peaux de bêtes, & d'attendre en dormant l'apparition & les réponses des morts. Les temples d'Esculape étoient surtout renommés pour cette cérémonie. Il étoit facile aux prêtres imposteurs de procurer de pareilles apparitions, & de donner des réponses ou satisfaisantes ou contraires, ou ambiguës.
Julien l'apostat, pour rendre odieuses les veilles que les premiers fideles faisoient aux tombeaux des martyrs, les accusoit d'y évoquer les morts. Il eût été facile à ceux-ci de récriminer : mais S. Cyrille répondit encore plus solidement, que ce qui avoit été interdit aux Juifs, comme une superstition diabolique, n'étoit point, à plus forte raison, pratiqué par les Chrétiens. Aussi est-ce des payens & des juifs idolâtres qu'Isaïe avoit dit : qui habitant in sepulchris & in delubris idolorum dormiunt. In delubris idolorum dormiebant, ubi stratis pellibus hostiarum incubare soliti erant ut somnis futura cognoscerent : dit S. Jerôme dans son commentaire sur cet endroit d'Isaïe ; & Delrio dit qu'on appelloit ces temples psychomantea, parce qu'on prétendoit que les dieux ou les ombres des morts y apparoissoient.
(a) PSYCHOLOGIE, dans les cours ordinaires, la doctrine de l'ame n'est qu'une partie de la Pneumatologie ou doctrine des esprits, qui n'est elle même qu'une partie de la Métaphysique. Mais M. Wolf dans la disposition philosophique de son cours, a fait de la Psychologie une partie distincte de la Philosophie, à laquelle il a consacré deux volumes ; l'un pour la Psychologie empyrique ; l'autre pour la Psychologie raisonnée, & il a placé cette tractation immédiatement après sa Cosmologie, parce qu'il en découle des principes pour presque toutes les autres parties, comme les notes suivantes le justifient.
(b) Au droit naturel. On démontre dans le droit naturel, quelles sont les bonnes & les mauvaises actions. Or la raison de cette qualification des actions, ne peut se deduire que de la nature humaine, & en particulier des propriétés de l'ame. La connoissance de l'ame doit précéder l'étude du droit naturel.
(c) A la Théologie naturelle. Nous ne pouvons arriver à la notion des attributs divins, qu'en dégageant la notion des propriétés de notre ame de ses imperfections & de ses limitations. Il faut donc commencer par acquérir dans la Psychologie, des idées distinctes de ce qui convient à notre ame, pour en abstraire les principes généraux, qui déterminent ce qui convient à tous les esprits, & par conséquent à Dieu.
(d) A la Philosophie pratique. L'Etique ou la Morale a pour objet principal d'engager les hommes à pratiquer les vertus, & à fuir les vices, c'est-à-dire, de déterminer en général les appétits de l'ame d'une maniere convenable. Qui ne voit donc que cette détermination des appétits demande qu'on se représente distinctement la substance dans laquelle ils résident ?
(e) A la Logique. Quoique par des raisons particulieres, on ait conservé à la Logique le premier rang entre les parties de la Philosophie, elle ne laisse pas d'être subordonnée à la Psychologie, entant qu'elle lui emprunte des principes sans lesquels elle ne pourroit faire sentir la différence des idées, ni établir les regles du raisonnement qui sont fondées sur la nature & les opérations de l'ame.
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PSYCHROMETRE | S. m. (Phys.) instrument servant à mesurer le degré de froid ; on l'appelle ordinairement thermometre. Voyez THERMOMETRE.
Ce mot est formé des mots grecs , froid, & , mesure.
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PSYCHRUS | (Géog. anc.) , c'est-à-dire, froid. On donna anciennement ce nom à un fleuve de la Thrace, à cause de l'extrême fraîcheur de ses eaux. Il couloit dans l'Assyritide, au territoire de Chalcis. Aristote, de animal. l. III. dit que si les brebis viennent à être couvertes après avoir bû de l'eau de ce fleuve, les agneaux qu'elles feront seront noirs. Psychrus est encore un nom commun à deux fleuves, l'un dans la Colchide, & l'autre dans la Sarmatie asiatique. (D.J.)
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PSYLAS | (Mythol.) c'est un surnom que les habitans d'Amiclée dans la Laconie donnoient à Bacchus, par une raison assez ingénieuse, dit Pausanias ; car psyla, en langage dorien, signifie la pointe de l'aîle d'un oiseau : or il semble, ajoute-t-il, que l'homme soit emporté & soutenu par une pointe de vin, comme un oiseau dans l'air par les aîles. (D.J.)
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PSYLLES LES | (Géog. anc. & Littérat.) peuples qui, dit-on, guérissoient la morsure des serpens ; & malgré leur célébrité, on ignore jusqu'à la situation de leur pays. Pline les place dans la grande Syrte, Solin au-dessus des Caramantes, & Ptolémée dans la Marmarique ; mais Strabon paroît en avoir donné la position plus exacte. Suivant sa description, les Psylles étoient situés au midi de la Cyrénaïque, entre les Nasamons peuple de brigands, qui ravageoient les côtes de la Lybie, & les Gétules nation belliqueuse & féroce : c'est dans ces climats infortunés, que le soleil ne répand d'autre lumiere qu'une lumiere brûlante, & qui ne produisent presque autre chose que des serpens.
Au milieu de ces monstres, dont les étrangers étoient la victime, les Psylles, s'il en faut croire presque tous les anciens, vivoient sans allarmes comme sans péril. Ils n'avoient rien à craindre des cérastes mêmes, c'est-à-dire des serpens les plus dangereux. Soit science naturelle, soit sympathie, ou privilége de la nature, ils en étoient seuls respectés ; & tel étoit leur ascendant sur tous les reptiles, que ceux-ci ne pouvoient pas même soutenir leur présence : on les voyoit tout-à-coup tomber dans un assoupissement mortel, ou s'affoiblir peu-à-peu, jusqu'au moment où les Psylles disparoissoient. Ce privilége si rare, & que suivant Dion, la nature n'accordoit qu'aux mâles, à l'exclusion des femelles, devoit en faire comme un peuple séparé des autres nations. Poursuivons leur histoire, je la trouve toute faite dans les mémoires de littérature.
Pour éprouver la fidélité de leurs femmes, les Psylles exposoient aux cérastes leurs enfans dès qu'ils étoient nés. Si ces enfans étoient un fruit de l'adultere, ils périssoient ; & s'ils étoient légitimes, ils étoient préservés par la vertu qu'ils avoient reçue avec la vie.
Cette même vertu éclata dans la personne d'Evagon, qui étoit un des ophiogènes de Chypre, lesquels avoient la même puissance que les Psylles. On enferma Evagon par ordre des consuls dans un tonneau plein de serpens, & les serpens par leurs caresses justifierent aux yeux de Rome entiere, le pouvoir dont elle avoit douté quand on ordonna cette épreuve.
Les Psylles prétendoient aussi guérir de la morsure des serpens avec leur salive, ou même par le seul attouchement. Caton en mena plusieurs à sa suite pour préserver son armée du venin de ces animaux.
Auguste ayant appris que Cléopatre pour se dérober à son triomphe, s'étoit fait mordre par un aspic, ou plutôt selon Galien, que s'étant piquée elle-même, elle avoit distillé du venin dans sa blessure ; il lui dépêcha des psylles, & les chargea d'employer toute leur industrie pour la guérir ; mais quand ils arriverent elle n'étoit déja plus.
Les anciens psylles, selon le témoignage d'Hérodote, ont péri dans la guerre insensée qu'ils entreprirent contre le vent du midi, étant indignés de voir leurs sources desséchées. Pline au contraire, attribue leur ruine aux Nasamons qui les taillerent en pieces, & s'emparerent de leurs demeures ; j'ajoute qu'il en échappa quelques-uns à la défaite générale, & que de son tems il y en avoit encore qui descendoient des anciens psylles. Voilà ce que l'antiquité nous a transmis de ce peuple extraordinaire ; voyons maintenant si le merveilleux qu'elle en a publié peut se soutenir.
Callias est le premier qui ait donné cours à ce que l'on raconte de ces peuples. Or Diodore de Sicile, & après lui Suidas, nous ont appris qu'il falloit extrêmement se défier de cet auteur, & que dans les faits les plus importans, il s'étoit joué de la vérité. D'ailleurs son témoignage même n'établit pas nettement cette vertu prétendue. Voici comme il s'explique dans Elien, Hist. anim. l. XVI. c. xviij. " Si un psylle est appellé à l'occasion de la morsure d'un serpent, & que la douleur de la plaie soit supportable, il y met seulement de la salive, & le mal cesse incontinent. Si la douleur est aiguë, il prend une certaine quantité d'eau, & l'ayant tenue quelque tems dans sa bouche, il la fait boire ensuite à la personne qui a été mordue ; que si le venin résiste, & qu'il ait fait de visibles progrès, le psylle en cette extrêmité se couche nud sur le malade aussi nud, & le guérit de la sorte infailliblement ".
Or pour les cas ordinaires, il n'est point question dans tout ce passage, d'une vertu qui soit simplement un privilége de la nature. On sent bien qu'en supposant la guérison véritable, elle étoit moins l'effet de la salive du psylle, ou de l'eau qu'il tenoit dans sa bouche, que des antidotes qu'il y avoit cachés auparavant.
Cependant comme il y a des auteurs judicieux, qui nient absolument l'existence de ces antidotes, nous pouvons avancer que les Psylles n'en connoissoient aucuns contre la morsure des serpens. Il y a eu des imposteurs en tous genres dans tous les siecles, & dans tous les pays. Tels furent autrefois les Marses qui habitoient cette partie de l'Italie que l'on nomme Ducato di Marsi, & qui s'attribuant la même vertu, les mêmes priviléges que les Psylles, pratiquoient aussi les mêmes cérémonies ; ils employoient comme eux des paroles prétendues magiques ; & c'est à quoi les poëtes latins font de si fréquentes allusions.
Tels furent, au rapport de Néarque dans Strabon, ces Indiens qui se picquoient de guérir par leurs charmes les morsures des serpens ; & tels sont aujourd'hui parmi les mêmes Indiens, ces charlatans dont parle Kaempfer : ils promenent par-tout une sorte de vipere très-dangereuse, qui s'agite au son de leur voix, comme si elle vouloit danser, & qui à les en croire, ne leur fait jamais aucun mal ; & ce double effet, ils veulent qu'on le rapporte à la force magique de leurs chansons, & à la vertu d'une racine qu'ils vendent au peuple, toujours dupe des impostures. Mais si cette vipere qu'ils appellent naja, & que les Portugais nomment cobras de cabelo, s'agite comme en cadence au son de leur voix ; c'est, selon le même Kaempfer, qui a vu dresser de ces animaux, l'unique effet de l'instruction dans le charlatan, & de la docilité dans la vipere même. Pour ce qui regarde la racine, sa prétendue vertu n'empêche pas qu'ils ne soient mordus quelquefois ; & si la morsure n'a point de suites funestes ; c'est qu'auparavant ils ont exprimé des gencives de la vipere le venin qui y résidoit.
Sans nous transporter en des climats ou des siecles éloignés, nous avons de pareils exemples dans le sein même du Christianisme. Les charlatans qu'en Italie on appelle sauveurs, ont empreinte sur leur chair la figure d'un serpent, & s'attribuent les mêmes prérogatives que s'attribuoient les Psylles & les Marses ; mais on a découvert que cette figure est un signe artificiel, & Pomponace nous apprend que tandis qu'il travailloit à son livre des enchantemens, un de ces sauveurs fut mordu par une vipere, & qu'il mourut ne pouvant se guérir lui-même.
A tant d'exemples anciens & modernes, si l'on ajoute l'autorité de Celse & celle de Démocrate, poëte & médecin antérieur à Celse même, on comprendra sans doute que les Psylles n'étoient que des imposteurs. Celse prétend qu'ils n'avoient aucune science ni vertu qui fût affectée à leur nation, & Démocrate soutient, comme en étant bien instruit, que malgré leur prétendu privilege, ils ne laissoient pas d'éprouver la dent des viperes ; c'étoient des sots, ils n'avoient qu'à l'arracher.
Tout ce que l'on peut conclure, en supposant la vérité du fait établi par ceux qui rapportent que les Psylles faisoient des guérisons, c'est qu'ils y parvenoient non par aucun art qui leur fût particulier, mais par le moyen de la suction ; & même les Grecs, selon le sentiment de Bochart, ne leur donnoient le nom de Psylles, que parce qu'ils suçoient le venin. On s'imaginera peut-être qu'ils risquoient leur vie dans cette opération ; mais on sera bien-tôt détrompé, si l'on fait réflexion que le venin des animaux n'est funeste qu'autant qu'il se communique à la masse du sang par quelque ulcere ou par leur morsure.
Mais après que les anciens ont eu transmis de siecle en siecle les prodiges opérés par les Psylles, les modernes n'ont osé les examiner, tant est puissant l'attrait du merveilleux. Que le faux se présente à lui revêtu de ce caractere, l'homme le saisit aussi-tôt, & ne l'abandonne jamais ; comment l'abandonneroit-il ? Il faudroit qu'il entrât dans quelque recherche, & l'amour du merveilleux en écarte jusqu'à l'idée : la discussion est triste & pénible ; la fable facile à recevoir, est plus agréable à l'imagination ; la Fontaine l'a dit fort joliment. (D.J.)
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PSYLLIUM | (Botan.) des quatre especes de psyllium que compte Tournefort, nous décrirons le psyllium vivace, psyllium majus supinum, I. R. H. 128.
Sa racine est longue, ligneuse, dure & fibreuse ; elle pousse des tiges sarmenteuses, rameuses, rampantes, chargées de feuilles oblongues, étroites, pointues, velues, d'un verd blanchâtre, qui forment une touffe d'un aspect agréable sur le gazon.
Ses sommités portent de petites têtes ou épis courts, auxquels sont attachées de petites fleurs lanugineuses d'un jaune pâle ; chacune de ses fleurs est un tuyau évasé par le haut, & découpé en quatre parties, disposées en croix.
Lorsque cette fleur est passée, il paroît en sa place un fruit ou une capsule membraneuse à deux loges, qui renferme quelques semences menues, oblongues, noirâtres, lisses, douces au toucher, luisantes & ressemblantes à des puces, tant pour la figure, que pour la couleur ; ce qui a fait donner à ce genre de plante, le nom d'herbe aux puces, & en anglois de même the flewort.
L'espece que nous venons de décrire, se trouve fréquemment aux environs de Montpellier, & dans les pays chauds, aux lieux incultes, sablonneux, & le long de la riviere. On la cultive dans les jardins ; elle fleurit en Juillet & Août ; on recueille sa semence en automne ; il faut la choisir récente, bien nourrie, & douce au toucher. Elle sert en médecine ; on en tire un mucilage avec l'eau de rose, de pourpier, de plantain, qu'on employe pour adoucir l'inflammation des yeux, les excoriations du palais, de la luette, & de toute autre partie ; c'est un mucilage rafraîchissant & adoucissant. (D.J.)
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PSYRA | (Géog. anc.) 1°, nom d'une île de Grece, voisine de celle de Chio, dont elle étoit éloignée de 50 stades, selon Etienne le géographe, qui lui donne 40 stades de circuit. Cicéron ad Atticum, l'appelle Psyria ; & son nom moderne, selon Ortelius est Psara.
2°. Isle sur la côte de la Doride, dans le golfe Céramique, selon Pline, l. V. c. xxxj. Homere, Odyss. l. III. v. 171. en parle, & la nomme Psyria. (D.J.)
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PSYTTALIA | (Géog. anc.) petite île du golfe Saronique, selon Etienne le géographe, qui la met près de celle de Salamine, dont elle étoit éloignée de cent vingt stades. Cette île étoit deserte & pleine de rochers ; quelques-uns l'avoient appellée le port de Pyrée. Elle étoit tellement située, que les vents y poussoient quelquefois les vaisseaux qui vouloient entrer dans le port d'Athènes ; ce qui les exposoit à se perdre. Il ne faut que lire Eschyle, pour se persuader combien cette île étoit dangereuse pour les vaisseaux qui cherchoient à entrer dans le port de Pirée. Voici la description qu'il en donne, Persis, vers. 447.
Insula quaedam est è regione Salaminis
Parva, statio carinis malefida, quam chorus gaudens
Pan incolit, super littore maris.
M. Spon, page 399, dans sa liste de l'Attique, ajoute : je ne mets pas l'île de Psyttalée entre les peuples de l'Attique, parce que, selon le témoignage de Strabon, c'étoit une île deserte : supposé même qu'elle ait été habitée en certains tems, elle étoit plutôt de la dépendance de l'île de Salamine ; dont elle est voisine, que du ressort de l'Attique.
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PTARMIQUE | S. f. Ptarmica, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur radiée : le disque de cette fleur est composé de plusieurs fleurons, & la couronne est formée par des demi-fleurons ; les fleurons & les demi-fleurons sont posés sur des embryons, & soutenus par un calice à plusieurs feuilles, disposées en écailles : les embryons deviennent dans la suite des semences minces. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles sont ou dentelées ou divisées en grandes pieces, & qu'elles n'ont pas de découpures comme celles de la mille-feuille. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
M. de Tournefort compte treize especes de ce genre de plante ; la plus commune, ptarmica vulgaris, folio longo, serrato, flore albo, I. R. H. 496. est haute d'une coudée, & quelquefois de deux & de trois coudées ; sa racine est plongée obliquement en terre ; elle est comme genouillée, garnie de grosses & longues fibres, d'une saveur âcre & brûlante. Sa tige est unique, cylindrique, lisse, fistuleuse, grêle, assez ferme ; ses feuilles sont alternes ou plutôt sans ordre ; semblables pour la forme & la grandeur à celle de l'olivier, mais crenelées tout-autour de dents aiguës & rudes ; leur couleur est d'un verd brun, leur saveur est brûlante, cependant bien moins vive que celle de la pyrethre.
La haut de la tige est un peu anguleux, velu, & partagé en plusieurs rameaux, qui portent en leurs sommets des fleurs disposées comme en parasol, blanches, radiées, deux ou trois fois plus grandes que celles de la mille-feuille vulgaire, d'une odeur qui en approche, mais plus foible.
Le disque de ces fleurs est formé de plusieurs fleurons entassés, & partagés en cinq segmens pointus ; leur couronne est composée de demi-fleurons découpés en trois, portés sur des embryons, & contenus dans un calice écailleux, plus court que celui de la mille-feuille. Ces embryons se changent en de petites graines.
Cette plante vient naturellement dans les prairies, & les marais, elle fleurit au mois de Juillet. Ses feuilles, & sur-tout sa racine ne sont d'usage étant séches, que pour exciter l'éternuement : c'est de-là que lui vient le nom d'herbe à éternuer. (D.J.)
PTARMIQUES, adj. (Médecine) ce sont des remedes qui excitent le ou l'éternuement. On les nomme aussi errhines & sternutatoires. Voyez ERRHINES & ETERNUEMENT.
On a nommé de ce nom une plante qui fait éternuer, qui fait une famille assez nombreuse ; c'est la ptarmique.
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PTELEA | S. f. (Botan.) genre de plante dans le système de Linnaeus, & qu'il caracterise ainsi ; le calice est l'enveloppe de la fleur, & se partage en quatre petites parties. La fleur est composée de quatre pétales ovoïdes, pointus, applatis, plus larges que les segmens du calice, & déployés. Les étamines sont quatre filets aigus ; leurs bossettes sont arrondies ; le germe du pistil est orbiculaire, mais en quelque maniere applati ; le style est court ; il y a deux stigma très-aigus. Le fruit est un feuillet membraneux, circulaire, placé perpendiculairement, avec une cavité dans le milieu, qui contient une seule semence oblongue. Le fruit de ce genre de plante est tout-à-fait semblable à celui de l'orme, mais les étamines sont totalement différentes. Linnaei, gen. plant. p. 49. (D.J.)
PTELEA, (Géog. anc.) c'est le nom d'une bourgade de l'Attique, dans la tribu Oeneide, & d'un lieu de l'île de Cos, où il croissoit de l'excellent vin.
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PTELEON | (Géog. anc.) ville de Thessalie ; elle a été connue d'Homère, vers. 697. qui dit dans le second livre de l'Iliade :
Herbosam Pteleum, pontoque antrona propinquam,
Tite-Live, liv. XLII. ch. lxvij. nous apprend que le consul P. Licinius ayant trouvé que les habitans avoient abandonné Pteleum, ruina cette ville de fond en comble. Il y a eu quatre autres villes de ce même nom ; l'une dans l'Ionie, les autres dans la Troade, dans le Péloponnèse, & dans la Béotie. (D.J.)
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PTERIA | (Géog. anc.) contrée & ville de la Cappadoce, près du Pont-Euxin, & au voisinage de la ville de Synope.
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PTÉROPHORE | S. m. (Antiq. rom.) on donnoit ce nom dans l'antiquité à ceux des couriers romains, qui venoient apporter la nouvelle de quelque déclaration de guerre, ou de quelque bataille perdue, de quelque échec qu'avoient eu les armées romaines ; on les appelloit ainsi, parce qu'ils portoient des plumes à la pointe de leurs piques ; ce mot vient du grec , une aîle, & , je porte. (D.J.)
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PTÉROPHORES | (Géog. anc.) contrée de la Scythie vers les monts Riphées ; ce nom qui veut dire qui produit des plumes, lui avoit été donné, selon Pline, liv. IV. ch. xij. à cause de la neige qui y tombe continuellement en gros flocons comme des plumes. Le P. Hardouin remarque que c'est ce qui avoit donné occasion à la fable qu'Ovide rapporte dans le quinzieme livre de ses Métamorphoses, vers. 356.
Esse viros fama est in hyperboreâ Palesse
Qui soleant levibus velari corpora plumis,
Cùm tritoniacam novies subiere paludem. (D.J.)
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PTÉROSPERMADENDRON | S. m. (Botan.) genre de plante établi par le D. Amman ; ce nom qu'il lui a donné est tiré des mots grecs , aîle, , semence, , arbre, pour exprimer un arbre dont les semences sont aîlées ; voici les caracteres de ce genre de plante.
La fleur est faite en rose, composée de divers pétales, disposés circulairement. Du calice de la fleur s'éleve le pistil avec un fruit ou embryon, qui devient finalement un vaisseau séminal de la figure d'une gousse, laquelle dans sa maturité s'ouvre au bout, & montre qu'elle est partagée en cinq loges qui contiennent des semences aîlées.
Le D. Amman a décrit deux especes de ce genre de plante ; la premiere a les feuilles semblables à celles du suber, le liege, anguleuses, & blanches pardessous ; ses fleurs sont aussi blanches. L'autre espece a les feuilles faites en forme d'oreille, les feuilles & le fruit sont plus grands. Il paroît que la premiere des especes est mentionnée dans le Museum de Petiver, n °. 349. sous le nom de l'arbre de Champana, à fruit ligneux, & à graines aîlées. La seconde espece semble être l'arbre appellé soldat dans le sixieme volume tab. 58. de l'Hortus malabaricus.
Le même D. Amman soupçonne, qu'outre ces deux especes, il y en a quatre autres qui n'ont pas encore été suffisamment examinées dans leurs différens états, pour décider si elles appartiennent proprement à ce genre de plante ou non. Ces quatre especes sont, 1°. l'arbre alcea à feuilles de peuplier nommé the green ebouy à Sainte-Helene, & par les Anglois blak-wood. Plukn. Mant. tab. 333. 2°. l'arbre alcea à grandes fleurs rouges, & à feuilles de peuplier noir, blanches en-dessous, appellé par les Anglois the red-wood, Plukn. Mant. ibid. 3°. l'arbre alcea de la Floride à cinq capsules, portant des feuilles de laurier légerement dentelées, & des graines aîlées ; 4°. l'arbre à fruit pentagone & à graines aîlées, recueillies par le D. Houston, à la Vera-crux. Act. Petropol. vol. 8°. p. 218. (D.J.)
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PTERYGION | S. m. terme de Chirurgie, maladie de l'oeil, excroissance membraneuse qui se forme sur la conjonctive. Voyez ONGLE DE L'OEIL.
Celse donne aussi ce nom à une excroissance charnue, qui vient aux ongles des piés & des mains, & qui les couvre en partie : , signifie petite aîle.
La cause de cette maladie vient de l'accroissement de l'ongle vers ses parties latérales, ce qui le fait entrer dans la chair, & cause une douleur continuelle, très-souvent accompagnée de fievre ; l'ongle du pouce du pié est le plus sujet à cette affection, & dans ce cas on ne peut marcher qu'avec beaucoup de peine.
On a observé que les religieux déchaussés ne sont point sujets à cette infirmité ; ceux qui négligent de se couper les ongles, & ceux qui portent des souliers trop étroits, ou dont le paton est trop dur, en sont incommodés, parce que l'ongle n'ayant pas la liberté de pousser en dehors, croît vers les côtés.
On tente de guérir cette maladie, en consommant la chair superflue par le moyen des cathérétiques, & en employant ensuite les dessicatifs : mais on travaille envain ; tant que les pointes de l'ongle subsistent, on ne peut guérir la maladie, & il faut en venir à l'opération.
Il faut d'abord faire tremper le pié dans l'eau chaude pour amollir l'ongle ; le chirurgien fait asseoir le malade sur une chaise plus haute que la sienne ; il met le pié du malade sur son genou, & avec un petit bistouri, il coupe en long la partie de l'ongle qu'il croit devoir ôter ; quand il l'a ainsi séparée du corps de l'ongle, il prend des pincettes pour saisir cette portion & la tirer le plus doucement qu'il lui est possible.
Il y a des petites pincettes incisives, fort commodes pour couper l'ongle. Voyez TENAILLES INCISIVES.
Si l'ongle étoit séparé du doigt, il ne faudroit point se servir du bistouri pour inciser l'ongle ; on le couperoit avec des ciseaux, en passant une des pointes dans le jour qui est entre le doigt & l'ongle, & coupant à plusieurs reprises, jusqu'à ce que l'on soit parvenu à la racine.
Cette opération est très-douloureuse, par rapport aux houpes nerveuses qui sont tiraillées. Voyez ONGLE.
Après l'opération, on enveloppera le doigt avec de la charpie ; une petite compresse circulaire, une croix de Malthe & une bandelette, comme nous avons dit au panaris, voyez PANARIS. On conseille au malade de rester plusieurs jours sans marcher, & on le panse tout simplement avec une compresse trempée dans l'eau-de-vie, ce qui suffit pour la guérison.
Pour empêcher les récidives du mal, il faut avoir soin de se couper l'ongle, & de le ratisser de tems à autre avec un morceau de verre ; en l'éminçant ainsi les sucs nourriciers se portent vers le milieu ; & l'ongle ne croît point sur les côtés. (Y)
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PTERYGO-PALATIN | en Anat. nom d'un trou formé par l'os du palais & l'apophyse pterygoïde de l'os sphénoïde, on l'appelle aussi spheno-palatin. Voyez SPHENOIDE & PALAIS.
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PTERYGO-SALPINGOIDIEN | en Anat. nom d'une paire de muscles de la luette, qui font partie du spheno-salpingo-staphylin. Winslow. Voyez SPHENO-SALPINGO-STAPHYLIN.
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PTÉRYGODÉES | S. m. (Léxicog. médicin.) Hippocrate appelle ainsi ceux, dont la poitrine & les parties voisines sont étroites & plates ; ensorte qu'ils ont les os des épaules prominens comme des aîles. Les personnes ainsi constituées ont toujours passé pour être sujettes à la phthisie. (D.J.)
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PTERYGOIDE | S. m. terme d'Anatomie, est le nom de deux apophyses de l'os sphenoïde, ainsi appellées, parce qu'elles sont faites comme des aîles de chauve-souris. Voyez SPHENOIDE.
Ce mot vient de , aîle, & , forme.
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PTERYGOIDIEN | NE, adj. en Anatomie, se dit de différentes parties relatives aux apophyses ptérygoïdes de l'os sphenoïde. Voyez SPHENOIDE.
Le trou pterygoïdien antérieur & le postérieur, sont les orifices d'un petit conduit situé à la partie supérieure & moyenne de l'apophyse ptérygoïde. Voyez PTERYGOIDE.
Le muscle pterygoïdien externe prend & s'attache à la face externe de l'aîle externe de l'apophyse pterygoïde, & se termine à l'échancrure qui est entre l'apophyse coracoïde & condiloïde de la machoire inférieure.
Le muscle pterygoïdien interne vient de la face interne de l'aîle externe de l'apophyse pterygoïde & s'insere à la face latérale interne de l'angle de la machoire inférieure. Voyez MACHOIRE.
PTERYGOIDIENNE ECHANCRURE, des aîles de l'apophyse pterygoïdienne de l'os sphénoïde. Voyez SPHENOIDE.
Portion pterygoïdienne de l'os du palais. Voyez PALAIS.
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PTERYGOPHARYNGIEN | terme d'Anat. est le nom d'une paire de muscles du pharynx, qui viennent de la partie inférieure de l'aîle interne des apophyses pterygoïdes. Ils ont quelques fibres charnues qui naissent de l'os de la machoire supérieure, derriere la derniere dent macheliere ; quelques-unes qui prennent leur origine des parties latérales de la langue, & d'autres de l'os hyoïde.
Ces fibres charnues passant en demi-cercle de ces différentes origines, vont rencontrer celle du côté opposé dans la ligne du milieu, sur la partie postérieure du pharynx en dehors.
A la surface intérieure du gosier est un autre ordre de fibres charnues, qui se croisent les unes les autres à angles aigus. Elles naissent des parties latérales de la luette & de la racine du cartilage, & descendent obliquement à leurs insertions, dans la membrane glanduleuse du pharynx.
Ce muscle sert à serrer le pharynx & à comprimer les amygdales pour en faire sortir la mucosité.
Les diverses origines des différentes parties de ce muscle, font qu'on le partage ordinairement en plusieurs muscles. Ainsi Valsalva appelle la partie qui prend son origine de la langue, le glossopharyngien ; celle qui est immédiatement au-dessous l'hyopharyngien ; une autre s'appelle cephalopharyngien ; une autre sphenopharyngien ; &c.
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PTERYGOSTAPHYLIN | en Anat. c'est le muscle interne de la luette, que Valsalva appelle novus tubae musculus, par la raison qu'il étoit inconnu aux anciens anatomistes.
Ce mot est formé de , aîle, & , luette.
C'est le même que le spheno-salpingo-staphylin. Voyez SPHENO-SALPINGO-STAPHYLIN.
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PTISANE | S. f. (Mat. méd. des anciens) en grec ; ce terme signifie en général une graine pilée & dépouillée de son écorce ; mais quand les anciens l'ordonnoient, ils ne se servoient pas simplement du mot de ptisane, ils ajoutoient encore le mot de la graine dont la ptisane devoit être composée ; c'est pourquoi ils disoient ptisane de froment, ptisane d'épeautre, ptisane de lentilles, ptisane de riz ; cependant ce même mot signifie proprement & particulierement de l'orge pilé & dont on a ôté l'écorce, & c'est ce que nous appellons de l'orge mondé ; mais leur méthode de monder l'orge étoit de le piler dans un mortier ; enfin le mot ptisana étoit employé dans une signification spéciale, pour désigner une décoction d'orge, une crême, un suc de ptisane, une bouillie d'orge.
La plus commune & la meilleure maniere de faire la ptisane chez les Grecs, étoit celle-ci : ils macéroient d'abord l'orge crud dans de l'eau ; ensuite, quand il étoit bien macéré, ils le frottoient dans les mains jusqu'à ce qu'il n'y restât plus d'écorce extérieure, ou bien ils le piloient dans un mortier avec un pilon de bois, jusqu'à ce qu'il fût dépouillé de son enveloppe, alors on le regardoit comme préparé. Lorsqu'ils vouloient avoir une ptisane détersive, ils faisoient bouillir l'orge entier avec son écorce, à un très grand feu qu'ils diminuoient par gradation, jusqu'à ce que la liqueur se changeât en une crême appellée jus, suc, ou lait ; voilà quelle étoit leur ptisane la plus simple, dont ils préféroient la boisson à toute autre boisson.
Dans les fiévres aiguës, ils soutenoient les forces par ce remede alimenteux ; ils aidoient la nature qui guérit les maladies, sans donner des armes à la maladie, & ils ne donnoient pas indifféremment de la crême d'orge ou de la ptisane prise pour le grain ; mais tantôt l'une tantôt l'autre : tantôt ils mêloient l'une avec l'autre à différentes proportions, selon qu'il convenoit d'en donner plus ou moins, eu égard au tems de la fievre ou à son caractere. Ils n'accordoient la ptisane à aucun malade attaqué de la fiévre, que deux jours après la crise, ou après la purgation. Ils ne donnoient point encore la crême épaissie quand la crise devoit arriver le quatrieme jour ; & quand ils croyoient qu'elle devoit arriver plus tard, & que les forces le permettoient, ils se contentoient de faire prendre de l'hydromel ou de l'apomélite, c'est-à-dire du miel ou des rayons de miel mêlés avec un peu de vinaigre & bouillis légerement dans de l'eau ; quand la maladie étoit terminée ou par la crise ou par la coction, on augmentoit la nourriture suivant les mêmes degrés qu'on l'avoit diminuée ; après la crise on ajoutoit à la crême d'orge, un peu de ptisana prise pour le grain ; on augmentoit la dose peu-à-peu, jusqu'à ce que le malade retournât aux alimens solides, en commençant par des oeufs, des petits poissons de riviere, ou les extrêmités de la volaille. Si dans le cours de la maladie il survenoit du dégoût pour la crême d'orge, on y substituoit quelque chose d'équivalent, comme de légeres panades.
On ne se servoit pas seulement d'orge pour nourrir les malades ; mais encore de différentes especes d'épeautres, ensuite d'alica préparée, de riz, de millet, & même de graines de légumes. On en faisoit diverses ptisanes, qui ne sont maintenant connues que de nom, & qui étoient si communes alors, que les anciens n'ont pas daigné les décrire ; on y ajoutoit quelquefois un peu de viande, seulement en qualité de remede ou d'assaisonnement : mais présentement nous n'avons que les vestiges de leurs liquides médicamenteux. La ptisane de notre siecle n'est qu'un nom vuide de sens, si ce n'est qu'on y met encore un peu d'orge, afin qu'il y ait quelque rapport entre le nom & la chose.
Les bouillons dans ce royaume ont pris la place des ptisanes, qui étoient autorisées par la pratique de tant de siecles ; mais ce qui paroîtra plus surprenant & plus contraire encore à toute raison, c'est que dans ces derniers tems, non-seulement on a anéanti les règles des anciens sur les crises, sur le choix, la mesure, la maniere, les intervalles auxquels on donnoit de la nourriture liquide ; sur l'augmentation, la diminution ou le retranchement, selon les forces, l'âge, la coutume & le cours de la maladie ; mais encore en introduisant l'usage des bouillons de viande, on en a fait une loi commune pour tous les tempéramens, les âges, les saisons, les fievres, quelque différentes qu'elles soient, au commencement, dans le progrès & dans l'état de la maladie : & cette loi consiste à donner des bouillons de trois heures en trois heures, ou de quatre heures en quatre heures. On sait le reste du traitement, il fait la honte de l'art ; ce ne sont que des saignées multipliées, le kermès, la manne, le sené & les vésicatoires : ces quatre ou cinq remedes marchent ensemble sans discontinuation des uns ou des autres, jusqu'à ce que la maladie ait fini par la mort ou par l'épuisement. Ce n'étoit pas ainsi que les Fernels & les Baillou pratiquoient la Médecine. (D.J.)
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PTOEMPHANAE | (Géog. anc.) peuples de l'Ethiopie, sous l'Egypte. Pline l. VI. c. xxx. dit qu'ils avoient un chien pour roi, & qu'ils lui obéissoient selon les mouvemens qu'il faisoit, & qu'ils prenoient pour des commandemens. C'est un bon conte, mais l'idée en est assez plaisante. (D.J.)
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PTOLÉMAIS | (Géog. anc.) nom commun à plusieurs villes. 1°. Ptolémaïs étoit une ville d'Egypte dans la Thébaïde. Strabon, l. XVII. p. 813. dit qu'elle étoit la plus grande ville de la Thébaïde, qu'elle ne le cédoit pas même à Memphis à cet égard, & que son gouvernement avoit été établi sur le modele des républiques de la Grece.
2°. Ptolémaïs ville d'Afrique dans la Cyrénaïque, que l'on appelloit auparavant Barce.
3°. Ptolémaïs, ville d'Ethiopie sur le golfe arabique. Elle est surnommée Epitheras par Pline, l. VI. c. xxjx. & Theron par Strabon, l. II. On la surnommoit aussi Troglodytica : ce dernier surnom avoit été occasionné par le pays des Troglodytes où on l'avoit bâtie ; & le premier & le second, dont l'un signifie pour la chasse, & l'autre des bêtes farouches, avoient rapport au dessein du fondateur qui avoit eû en vue la commodité de la chasse des éléphans. Ptolémaide, dit Strabon, l. XVI. fut bâtie dans le lieu de la chasse des éléphans par Eumède, à qui Philadelphe avoit ordonné d'aller prendre de ces animaux. Pline, l. VI. c. xxjx. qui la met sur le bord du lac Monoleus, dit qu'elle fut bâtie par Philadelphe. Il ajoûte, l. II. c. lxxv. qu'elle étoit à quatre mille huit cent vingt stades de Bérénice sur le bord de la mer Rouge.
4°. Ptolémaïs, ville de la Pamphylie.
5°. Enfin, Ptolémaïs en Phénicie, autrement nommée en Latin Acra, & en François S. Jean d'Acre. Elle est située à 66. 50'de longitude, & à 32. 40'de latitude. Elle est nommée Acco au liv. des Juges c. j. v. 31. Les écrivains romains l'appellent tous Ptolémaïs. On a une médaille de cette ville avec l'inscription Col. Caesarea Ptolemais ; l'Empereur Claudius l'avoit reparée, & c'est pour cette raison qu'elle eut le surnom de Caesarea. Josephe a décrit cette ville dans son histoire des Juifs.
Les Sarrasins s'en rendirent maîtres, & s'y maintinrent jusqu'à l'an 1105. Saladin en fut dépossedé l'an 1190. par les croisés qui étoient au nombre de trois cent mille combattans ; mais la discorde qui devoit nécessairement s'élever entre deux rivaux de gloire & d'intérêts, tels que Philippe Auguste & Richard surnommé coeur de lion, fit plus de mal que ces trois cent mille combattans ne firent d'exploits heureux. Ptolémaïs ne demeura qu'un siecle entre les mains des chrétiens. Devenue la retraite de bandits fameux par leurs crimes, elle ne put résister aux forces du soudan d'Egypte, Melaséraph ; il la prit en 1291, & la saccagea de maniere qu'elle ne s'est pas relevée. Tous ceux qui y étoient renfermés, furent exterminés ou réduits en esclavage. Alors, dit un célebre historien moderne, il ne resta plus dans toute l'Asie de traces des deux millions de chrétiens qui y avoient passé pendant le cours des croisades. (D.J.)
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PTOLÉMAITES | S. m. pl. (Hist. ecclés.) anciens sectaires gnostiques qui ont été ainsi nommés de Ptolémée leur chef. Cet homme, qui avoit beaucoup d'érudition, ajouta plusieurs réveries aux systèmes des gnostiques qui l'avoient précédé. Voyez GNOSTIQUES.
Saint Epiphane a parlé fort au long de ces Ptolémaïtes, & rapporte une lettre de Ptolémée à Flora, où cet hérétique expose ses visions. Il prétendoit que dans la loi de Moïse il falloit distinguer trois choses, n'étant pas toutes de la même main ; mais une partie, disoit-il, venoit de Dieu, une autre de Moïse, & il y avoit une troisieme partie qui n'étoit ni de Dieu ni de Moïse, mais qui consistoit en de pures traditions des anciens docteurs.
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PTOLIS | (Géograph. anc.) lieu d'Arcadie. On y voyoit du tems de Pausanias les ruines de la vieille Mantinée.
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PTOUS | (Géog. anc.) montagne de la Béotie, dont Plutarque parle dans la vie de Pélopidas. Pausanias, l. IX. c. xxiij. dit que la ville d'Acraephnium étoit bâtie sur cette montagne, & que presque à 15 stades de cette ville, sur la droite, on trouvoit le temple d'Apollon Ptous. Apollon, selon Plutarque, in Pelopide, étoit né dans ce lieu. Il y avoit du-moins un oracle. (D.J.)
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PTYALISME | S. m. terme de Médecine qui veut dire crachement fréquent & presque continuel, ou décharge successive de salive. C'est un symptome de la vérole, de la lepre, de la mélancholie, & une suite des frictions mercurielles. Hippocrate se sert souvent de ce mot. Ce symptome est produit par l'agacement des nerfs qui vont aux glandes salivaires. Voyez SALIVATION & VEROLE.
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PTYCHIA | (Géog. anc.) ville de l'île de Corcyre, selon Ptolémée, à l'orient de cette île. Niger dit que Ptychia n'est aujourd'hui qu'un village nommé Paléopoli. (D.J.)
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PU | (Hist. mod.) c'est ainsi que les Chinois nomment une mesure de 2400 pas géométriques, dont ils se servent pour compter les distances.
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PUANT | S. m. (Hist. nat.) animal quadrupede. Il est à-peu-près de la grandeur du putois, mais il a le museau un peu plus long. Il est noir, & il a sur le dos cinq bandes blanches, dont l'une s'étend le long du milieu du dos, depuis la tête jusqu'à la queue ; il y en a deux autres placées de chaque côté, & paralleles à celles du milieu. On trouve cet animal dans l'Amérique septentrionale. Reg. anim. par M. Brisson, qui lui a donné le nom de putois rayé. Il a été appellé puant, parce qu'en effet il a une odeur insupportable.
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PUANTEUR | S. f. (Gramm. & Médec.) est une odeur désagréable qui s'exhale de quelque corps corrompu ou autre, & qui porte au nez & au cerveau. Voyez ODEUR.
L'haleine puante est ordinairement causée par le poumon attaqué, ou des gencives scorbutiques, &c. Voyez FOETOR.
La puanteur du nez, foetor naris, vient d'un ulcere profond dans le nez qui produit des gales puantes, &c. Sa cause, suivant Galien, est une humeur âcre & putride qui tombe du cerveau dans les processus mamillaires. Les Jurisconsultes prétendent que c'est une des causes légitimes pour casser un mariage. Voyez PUNAIS.
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PUBERTÉ | S. f. (Physiol.) cet âge où la nature se renouvelle, & dans lequel elle ouvre la source du sentiment, saison des plaisirs, des graces & des amours. Mais plus cette saison est riante, moins elle est durable ; elle ne revient jamais quand une fois elle est passée. Il n'y a point de fontaine de jouvence ni de Jupiter qui puisse rajeunir nos Titons, ni peut-être d'Aurore qui daigne généreusement l'implorer pour le sien. Il seroit donc bien important de prolonger les jours de ce bel âge, qui a tant d'influence sur le bonheur ou le malheur du reste de la vie ; mais c'est alors précisément qu'on n'a ni prévoyance de l'avenir, ni expérience du passé, ni modération pour ménager le présent. Voilà les signes moraux qui caractérisent cet âge ; voyons ceux par lesquels la nature le développe : j'en emprunterai la description du physicien philosophe, à qui nous devons l'histoire naturelle de l'homme.
La puberté, dit-il dans cet ouvrage intéressant, accompagne l'adolescence, & précede la jeunesse : jusqu'alors la nature ne paroît avoir travaillé que pour la conservation & l'accroissement de son ouvrage, pour se nourrir & pour croître : il vit, ou plutôt il végete d'une vie particuliere, toujours foible, renfermée en lui-même, & qu'il ne peut communiquer ; mais bientôt les principes de vie se multiplient, il a non-seulement tout ce qui lui faut pour être, mais encore de quoi donner l'existence à d'autres. Cette surabondance de vie, source de la force & de la santé, ne pouvant plus être contenue au-dedans, cherche à se répandre au-dehors ; elle s'annonce par plusieurs signes.
Le premier signe de la puberté est une espece d'engourdissement aux aînes, qui devient plus sensible lorsque l'on marche, ou lorsque l'on plie le corps en avant. Souvent cet engourdissement est accompagné de douleurs assez vives dans toutes les jointures des membres : ceci arrive presque toujours aux jeunes gens qui tiennent un peu du rachitisme ; tous ont éprouvé auparavant, ou éprouvent en même tems une sensation jusqu'alors inconnue dans les parties qui caractérisent le sexe ; il s'y éleve une quantité de proéminences d'une couleur blanchâtre ; ces petits boutons sont les germes d'une nouvelle production de cette espece de cheveux qui doivent voiler ces parties. Le son de la voix change, il devient rauque & inégal pendant un espace de tems assez long, après lequel il se trouve plus plein, plus assuré, plus fort & plus grave qu'il n'étoit auparavant. Ce changement est très-sensible dans les garçons ; & s'il l'est moins dans les filles, c'est parce que le son de leur voix est naturellement plus aigu.
Ces signes de puberté sont communs aux deux sexes, mais il y en a de particuliers à chacun. L'éruption des menstrues, l'accroissement du sein pour les femmes ; la barbe & l'émission de la liqueur séminale pour les hommes. Il est vrai que ces signes ne sont pas aussi constans les uns que les autres. La barbe, par exemple, ne paroit pas toujours précisément au tems de la puberté ; il y a même des nations entieres où les hommes n'ont presque point de barbe, & il n'y a au contraire aucun peuple chez qui la puberté des femmes ne soit marquée par l'accroissement des mamelles.
Dans toute l'espece humaine, les femmes arrivent à la puberté plus tôt que les mâles ; mais chez les différens peuples l'âge de puberté est différent, & semble dépendre en partie de la température du climat, & de la qualité des alimens. Dans les villes, & chez les gens aisés, les enfans accoutumés à des nourritures succulentes & abondantes, arrivent plus tôt à cet état ; à la campagne, & dans le pauvre peuple, les enfans sont plus tardifs, parce qu'ils sont mal & trop peu nourris ; il leur faut deux ou trois années de plus. Dans toutes les parties méridionales de l'Europe, & dans les villes, la plûpart des filles sont puberes à 12 ans, & les garçons à 14 ; mais dans les provinces du nord & dans les campagnes, à peine les filles le sont-elles à 14, & les garçons à 16.
Si l'on demande pourquoi les filles arrivent plus tôt à l'état de puberté que les garçons, & pourquoi dans tous les climats froids ou chauds les femmes peuvent engendrer de meilleure heure que les hommes ; nous croyons pouvoir satisfaire à cette question, en répondant que comme les hommes sont beaucoup plus grands & plus forts que les femmes ; comme ils ont le corps plus solide, plus massif, les os plus durs, les muscles plus fermes, la chair plus compacte, on doit présumer que le tems nécessaire à l'accroissement de leur corps doit être plus long que le tems qui est nécessaire à l'accroissement de celui des femelles ; & comme ce ne peut être qu'après cet accroissement pris en entier, ou du-moins en grande partie, que le superflu de la nourriture organique commence à être renvoyé de toutes les parties du corps dans les parties de la génération des deux sexes, il arrive que dans les femmes la nourriture est renvoyée plus tôt que dans les hommes, parce que leur accroissement se fait en moins de tems, puisqu'en total il est moindre, & que les femmes sont réellement plus petites que les hommes.
Dans les climats les plus chauds de l'Asie, de l'Afrique, & de l'Amérique, la plûpart des filles sont puberes à 10 & même à 9 ans ; l'écoulement périodique, quoique moins abondant dans ces pays chauds, paroît cependant plus tôt que dans les pays froids : l'intervalle de cet écoulement est à-peu-près le même dans toutes les nations que de peuple à peuple ; car dans le même climat & dans la même nation, il y a des femmes qui tous les quinze jours sont sujettes au retour de cette évacuation naturelle, & d'autres qui ont jusqu'à cinq ou six semaines libres ; mais communément l'intervalle est d'un mois, à quelques jours près.
C'est ordinairement à l'âge de puberté que le corps acheve de prendre son accroissement en hauteur : les jeunes gens grandissent presque tout-à-coup de plusieurs pouces ; mais de toutes les parties du corps, celles où l'accroissement est le plus promt & le plus sensible, sont les parties de la génération dans l'un & l'autre sexe. Il est vrai que cet accroissement n'est dans les mâles qu'un développement, une augmentation de volume ; au lieu que dans les femelles il produit souvent un retrécissement auquel on a donné différens noms lorsqu'on a parlé des signes de la virginité. (D.J.)
PUBERTE, âge de, (Critiq. sacrée) c'étoit l'âge du mariage chez les Juifs ; ensorte que puberté & l'âge de se marier sont termes synonymes dans le vieux Testament. Si expectare velles, donec annos pubertatis impleant. Ruth j. 13. " Si vous vouliez attendre qu'ils fussent en âge de se marier ". Delà cette façon de parler, dux pubertatis virginis. " Le premier mari d'une jeune fille " Reliquit ducem pubertatis suae, Prov. ij. 17. " Elle a abandonné celui à qui elle a donné ses premieres inclinations ". Plange, quasi virgo accinta sacco super virum pubertatis suae. Joël, j. 8. " Pleurez comme une jeune femme qui, revêtue d'un sac, se lamente de la perte de son premier époux ". Confractae sunt mammae pubertatis tuae. Ezechiel, xxiij. 21. " Votre virginité a été corrompue ".
Chez les Hébreux, l'âge de puberté pour les garçons étoit à treize ans & demi ; avant ce tems ils étoient censés enfans : mais au-delà de ce terme ils étoient hommes soumis aux préceptes de la loi, & en particulier à l'obligation de se marier. L'âge de puberté pour les filles commençoit à douze ans & demi : alors elles étoient majeures, maîtresses de leur conduite, & pouvoient disposer d'elles sans le consentement de leurs parens. C'est pourquoi ils avoient coutume de les marier fort jeunes ; cet usage servit à multiplier prodigieusement la nation juive. (D.J.)
PUBERTE, (Hist. anc.) âge où l'on suppose que les deux sexes sont capables d'engendrer, & qu'on fixoit chez les Romains à 15 ou 17 ans pour les garçons, & à 12 ou 14 pour les filles. On faisoit à cette occasion parmi eux plusieurs cérémonies : on marquoit cette époque par un grand festin qu'on faisoit à sa famille & à ses amis, en réjouissance de ce que le jeune homme étoit en état de rendre service à la république ; & à la fin du festin on lui ôtoit la robe prétexte, pour le revêtir d'une autre toute blanche qu'on nommoit la robe virile : ensuite le pere accompagné de ses amis, le menoit au temple pour y faire les sacrifices ordinaires, & rendre graces aux dieux ; d'où on le conduisoit sur la place publique pour lui apprendre à quitter l'enfance, & à se comporter désormais en homme fait. On lui coupoit les cheveux, dont on jettoit une partie au feu en l'honneur d'Apollon, & l'autre dans l'eau, en l'honneur de Neptune, parce que les cheveux naissent de l'humidité & de la chaleur. On leur faisoit aussi la barbe, qu'on renfermoit dans une boîte précieuse, pour la consacrer à quelque divinité. Il étoit assez ordinaire de se faire raser pour la premiere fois en prenant la robe virile ; quelques-uns cependant attendoient plus tard, & c'étoit encore pour ceux-ci un autre festin & une nouvelle cérémonie, car on regardoit cette action comme un acte de religion. A l'égard des filles, lorsqu'elles étoient parvenues à l'âge nubile, on leur ôtoit la bulle, espece de petit coeur ou de boule d'or qui pendoit du col sur la poitrine, mais elles conservoient toujours la robe prétexte jusqu'à ce qu'on les mariât. Voyez PRETEXTE & BARBE.
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PUBIS | terme d'Anatomie, est une des trois pieces dont les os innominés sont composés dans les jeunes sujets ; il est situé à la partie antérieure & supérieure du bassin, voyez BASSIN. Voyez nos Pl. d'Anat. & leur explic. Voyez aussi INNOMINE, os.
On distingue dans le pubis un angle ou une tubérosité, & deux branches, dont l'une est fort épaisse, & s'appelle le corps de l'os ; l'autre est applatie. Il forme une partie de la cavité cotyloïde de l'os des isles, par son union avec l'ilium & l'ischion, & la partie supérieure du trou ovalaire par l'union de sa branche applatie avec celle de l'os ischion. Voyez ILIUM, ISCHION, &c.
PUBIS, os, (Ostéolog.) Les femmes chez les Hottentots ont une espece d'excroissance ou de peau dure & large qui leur vient au-dessus de l'os pubis, & qui descend jusqu'au milieu des cuisses en forme de tablier. Thevenot dit que les Egyptiennes ont une semblable excroissance, & qu'elles la brûlent avec un fer chaud. Quoi qu'il en soit du récit de Thevenot, les femmes originaires du Cap sont réellement sujettes à la monstrueuse difformité dont nous parlons, & elles la découvrent à ceux qui ont assez de curiosité ou d'intrépidité pour souhaiter de la voir ou de la toucher. Les Européennes n'ont rien d'approchant ; mais en 1745 une femme accoucha à Arras d'une fille qui avoit à l'endroit du pubis une excroissance charnue qu'on coupa un mois après, & l'enfant guérit fort bien. Cette excroissance, longue de quatre pouces, étoit composée d'une gaine très-ferme sans aucune partie charnue, & couverte de peau ; après l'avoir ouverte, on trouva un os de foetus semblable à l'humerus, avec son enveloppe membraneuse, ses épyphises, cartilages, & ses fibres molles comme dans les premiers tems de l'ostéogonie. (D.J.)
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PUBLIC | adj. (Jurisp.) Ce terme se prend quelquefois pour le corps politique que forment entre eux tous les sujets d'un état, quelquefois il ne se réfere qu'aux citoyens d'une même ville.
Le bien public ou l'intérêt public est la même chose que si on disoit l'intérêt du public, ce qui est avantageux au public ou à la société ; comme quand on dit que le public a intérêt que les villes soient remplies d'une race légitime.
Lorsque l'intérêt public se trouve en concurrence avec celui d'un ou de plusieurs particuliers, l'intérêt public est préférable. Ainsi lorsque le bien public demande que l'on dresse un chemin, & que pour le faire il faut abattre la maison de quelque particulier, cette maison doit être abattue de l'autorité du souverain, de quelque utilité que cette maison pût être à celui qui en étoit propriétaire ; sauf néanmoins à l'indemniser s'il y échet.
La conservation de l'intérêt public est confiée au souverain, & aux officiers qui sous ses ordres sont chargés de ce dépôt.
Dans les affaires qui intéressent le public, il faut des conclusions du ministere public ; autrement, & s'il n'y en avoit point eu dans un arrêt rendu en pareil cas, ce seroit un moyen de requête civile. Ordonn. de 1667, titre xxxv. article 34.
Ce terme public est aussi quelquefois joint à d'autres termes, pour désigner des choses qui ont rapport au public ; comme un chemin public, un dépôt public, le ministere public, un officier public, un passage public, une place publique. (A)
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PUBLICAIN | S. m. un fermier, un receveur des deniers publics, un homme attaché à la douanne, à une recette de certains droits odieux aux peuples.
Chez les Romains il y avoit deux sortes de fermiers ; les uns étoient des fermiers généraux, qui dans chaque province avoient des commis & des sous-fermiers qui levoient les tributs, les revenus du domaine, & les autres droits de l'empire, & rendoient compte à l'empereur. Ces fermiers du premier rang étoient fort considérés dans la république ; & Cicéron, dans son oraison pour Plancius, dit qu'on trouvoit parmi eux la fleur des chevaliers romains, l'ornement de la ville de Rome, & la force de la république. Son ami Atticus étoit, selon quelques-uns, du nombre de ces publicains. Mais les sous-fermiers, les commis, les publicains d'un moindre rang, étoient regardés comme des sangsues publiques. On demandoit à Théocrite quelle étoit la plus terrible de toutes les bêtes, il répondit : l'ours & le lion entre les animaux des montagnes, les publicains & les parasites entre ceux des villes.
Parmi les Juifs, le nom & la profession de publicain étoient en horreur plus qu'en aucun lieu du monde. Cette nation se piquoit particulierement de liberté, nemini servivimus unquam, disent-ils en saint Jean ch. viij. v. 33. Ils ne pouvoient voir qu'avec une extrême répugnance dans leur patrie les publicains qui exigeoient avec rigueur les droits & les impôts ordonnés par les Romains. Les Galiléens sur-tout, ou les Hérodiens, disciples de Judas le gaulonite, souffroient très-impatiemment cette servitude, & ne croyoient pas même qu'il fût permis de payer les tributs à une puissance étrangere, comme ils le témoignerent en demandant à Jésus-Christ, licet ne censum dare Caesari, an non ? En général les Juifs regardoient ceux qui entroient dans ces sortes d'emplois comme des payens, sit tibi sicut ethnicus & publicanus, Matth. xviij. 17. On dit même qu'ils ne leur donnoient point entrée dans leur temple, ni dans leurs synagogues, & ne les admettoient point à la participation de leurs prieres, ni dans leurs charges de judicature, ni à rendre témoignage en justice. Grotius ad Matth. xviij. Lightfoot hor. haebr. in Matth. Enfin, on assure qu'on ne recevoit point leurs présens au temple, non plus que le prix de la prostitution, & des autres choses de cette nature.
Il est certain par l'Evangile, qu'il y avoit plusieurs publicains dans la Judée du tems de notre Sauveur. Zachée étoit apparemment un des principaux fermiers, puisqu'il est appellé prince des publicains ; mais saint Matthieu étoit un simple commis ou publicain. Les Juifs reprochoient à J. C. qu'il étoit l'ami des publicains, & qu'il mangeoit avec eux ; ce qui prouve encore combien cette condition étoit odieuse aux Israélites. Calmet, dict. de la Bible, tome III. p. 317.
PUBLICAINS, ou POPLICAINS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que les occidentaux donnent à une branche des nouveaux Manichéens, qui dans le xj. siecle répandirent leurs erreurs dans la Guienne & dans les provinces voisines. Les orientaux les appelloient Pauliniens. Voyez MANICHEENS & PAULINIENS.
On croit que trente de ces hérétiques s'étant réfugiés en Angleterre en 1160, on leur y donna ce nom. Spelman en parle au second tome des ses conciles d'Angleterre, & leur attribue réellement trois des principales erreurs des Manichéens. Bossuet, hist. des variat. tom. II. liv. XI. n °. 43. pag. 146 & 147.
PUBLICAINS, s. m. pl. (Hist. anc.) c'étoient parmi les Romains, les fermiers des impôts, taxes & autres revenus publics. Il y a apparence qu'il y en avoit de diverses classes, puisque les chevaliers romains prenoient à ferme les revenus de la république, & avoient sous eux des commis & des receveurs pour en faire le recouvrement. Cicéron en parle comme d'une compagnie à qui la république étoit fort redevable, & dont la probité étoit si reconnue, qu'on les choisissoit pour mettre en dépôt les deniers des familles. Mais Tite-Live ni Plutarque n'en font pas un portrait si avantageux ; le dernier sur-tout rapporte, dans la vie de Lucullus, qu'ils avoient commis d'étranges abus & des exactions criantes en Asie, auxquelles ce général remédia par des réglemens ; mais il n'osa chasser les publicains de peur d'ôter à l'état les ressources assurées qu'ils lui fournissoient. Ils étoient sur-tout en horreur chez les Juifs, qui les regardoient comme des pécheurs & des scélérats. Les tributs, quelque légers qu'ils fûssent, paroissoient toujours trop onéreux à ce peuple jaloux de son ancienne gloire, & plusieurs mettoient en doute si l'on devoit payer le tribut à César, comme on le voit dans l'Evangile. Cette secte qu'on nommoit les Hérodiens, & qui dura jusqu'à la prise de Jérusalem, fut toujours la plus opposée aux publicains, & la plus acharnée contr'eux. S. Matthieu, quoique juif d'origine, étoit publicain, c'est-à-dire receveur d'un des bureaux des impôts pour les publicains romains ; aussi les Juifs blâmoient-ils hautement Jesus-Christ de recevoir de pareilles gens dans sa compagnie, de les fréquenter & de manger avec eux.
On a donné aussi le nom de publicains aux Arnaldistes & aux Albigeois.
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PUBLICANDIS | REGLE DE, (Jurisprud.) voyez au mot REGLE, l'article REGLE de publicandis.
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PUBLICATION | S. f. PUBLIER, verbe actif. (Grammaire & Jurisprudence) est l'action de rendre quelque chose publique, de la notifier à haute voix dans les assemblées & lieux publics, afin qu'elle soit connue de tous ceux qui peuvent y avoir intérêt ; comme de publier une loi, une coutume, une substitution ; de publier les biens des mineurs, sans quoi ils ne peuvent être vendus valablement : on fait aussi des ventes d'immeubles appartenans à des majeurs, sur trois publications, lorsque les biens sont trop modiques pour supporter les frais d'un decret. On fait au prône des messes paroissiales des publications de bans de mariages & de monitoires, & de mandemens & instructions pastorales. Voyez COUTUME, LOI, ORDONNANCE, SUBSTITUTION, MESSE DE PAROISSE, BANS DE MARIAGE, MONITOIRES, MANDEMENS, &c.
On publioit aussi autrefois les enquêtes, ce qui a été abrogé par l'ordonnance. (A)
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PUBLIQUES | CAUSES, (Jurisprud.) voyez au mot CHOSE, l'article CAUSES PUBLIQUES.
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PUCE | S. f. (Hist. nat.) pulex ; Pl. xxiij. fig. 5. insecte très-commun, qui vit sur le corps de plusieurs animaux, & même sur celui de l'homme ; les femmes & les enfans en sont les plus incommodés : il se nourrit de sang comme le pou, & sa piquûre est peut-être encore plus sensible. Il est d'une couleur brune ; il a la tête presque ronde & à-peu-près semblable à celle de la sauterelle ; l'extrêmité antérieure est pointue & terminée par un aiguillon long, rond, cannelé, & très-piquant. Les antennes sont situées sur le front, & composées de six pieces couvertes de poils ; le ventre est gros, sillonné & un peu velu. Les jambes sont au nombre de six. Cet insecte se sert des deux dernieres pour sauter ; elles sont beaucoup plus longues que les autres, & elles ont toutes à l'extrêmité deux crochets. Le dos paroît comme écailleux parce qu'il est composé de six anneaux couverts de poils. Les puces des chats & des chiens sont les mêmes que celles de l'homme.
Les puces, selon Diacinto Cestone italica, pondent des oeufs ou des lentes, qui sont rondes, lisses & unies : il sort de ces lentes de petits vers blancs, luisans & de couleur de perle, qui croissent beaucoup en quinze jours ; ils sont presque continuellement en mouvement, & pour peu qu'on les touche, ils se roulent en boule. Dès qu'ils sont nés, ils rampent avec beaucoup de vîtesse, comme les vers à soie ; lorsqu'ils ont pris tout leur accroissement, ils cherchent à se cacher ; ils se filent une petite coque arrondie, blanche en-dedans, & couverte de poussiere en-dehors ; ils restent pendant quinze jours enfermés dans leurs coques ; après ce tems ils se métamorphosent en puces, qui s'élancent par sauts avec beaucoup d'agilité, dès qu'elles sont sorties de leurs coques. Transact. philosop. n °. 249.
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PUCELAGE | PUCELAGE
PUCELAGE, s. m. état de virginité, voyez l'article HYMEN, (Anat.)
PUCELAGE, s. m. (terme d'Orfévre) c'étoit un agrément qui pendoit au demi-ceint d'argent, & qui étoit fait en maniere de petit vase. Mais aujourd'hui on ne met plus cet agrément aux demi-ceints d'orfévrerie.
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PUCELLE | S. f. (Langue françoise) vierge ; nos peres appelloient de bonne-foi pucelles, toutes les filles. Froissard, tome I. pag. 10. a dit ; " Et demoura ledit messire Jean de Haynaut, à la priere de la reine, à petite compagnie de ses gens entre les Anglois, qui toujours lui faisoient tout honneur & la compagnie qu'ils pouvoient ; & aussi faisoient les dames du pays, dont il y avoit grand foison, comtesses, & autres grandes dames & gentes pucelles ". Et dans le roman de la Rose :
Mouvoit adonc une pucelle
Qui étoit assez gente & belle.
(D.J.)
PUCELLE, on donne ce nom à l'alose lorsqu'elle est jeune, voyez ALOSE.
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PUCERON | S. m. (Hist. nat.) aphis, très-petit insecte dont il y a un très-grand nombre d'especes, qui se trouvent sur les feuilles, sur les rejettons, sur les tiges & même sur la racine des plantes. M. Linnaeus, fauna suec. n'en donne que seize especes ; selon M. de Réaumur, il y en a un bien plus grand nombre ; car chaque espece de plante a une espece particuliere de pucerons. Ils different principalement par la couleur ; la plûpart sont verds, & les différentes teintes de verd sont des caracteres distinctifs des diverses especes ; il y en a aussi de blancs, de bruns, de couleur de bronze, de rouges, de noirs, &c. Ils sont tous vivipares ; les uns ont des aîles, & d'autres n'en ont point : ils ne marchent que très rarement, & ne se meuvent guere qu'on ne les agite. Ils ont six pattes assez grandes & très-minces ; il y a sur la tête deux antennes plus ou moins longues ; dans quelques especes, elles excedent la longueur du corps ; alors le puceron les porte couchées sur le dos, & non pas dirigées en avant. La plûpart de ces insectes ont sur la face supérieure du corps près de son extrêmité, deux cornes beaucoup plus grosses & plus courtes que les antennes. M. de Réaumur a reconnu que ces deux cornes sont deux tuyaux creux & ouverts, d'où il sort une liqueur, qu'il soupçonne être les excrémens de l'insecte. La partie antérieure de la tête est terminée par une trompe qui a ordinairement à-peu-près le tiers de la longueur du corps. Les pucerons vivent en societé ; ils s'attachent aux différentes parties des plantes, comme il a déja été dit ; & ils sont quelquefois en si grand nombre, qu'ils couvrent des branches entieres sur toute leur circonférence. Ils percent de leur trompe la premiere membrane de la partie de la plante à laquelle ils sont attachés, & se nourrissent du suc qu'ils en tirent. Ils changent de peau plusieurs fois ; & lorsqu'ils ont subi la derniere métamorphose, les uns paroissent avec des aîles, & les autres sans aîle. On a cru d'abord que les pucerons aîlés étoient les mâles, mais on a reconnu depuis que les uns & les autres ont la faculté de se reproduire même sans s'accoupler : il y a cependant des individus qui s'accouplent & qui sont féconds ; les individus de la même espece qui ne s'accouplent pas sont également féconds. En pressant le ventre des pucerons qui ont pris leur dernier degré d'accroissement, on fait sortir de leur corps des embryons plus ou moins gros, & plus ou moins formés, soit qu'ils aient des aîles, soit qu'ils n'en aient point. Ces insectes causent beaucoup de dommage à de certaines plantes ; ceux qui s'attachent aux feuilles des pêchers, des pruniers, des chevre-feuilles, &c. & ceux qui vivent sur les jeunes pousses du tilleul, du groseillier, du saule, &c. sont très-nuisibles : au contraire, les feuilles de l'abricotier, du sycomore, ne sont nullement altérées des piquûres que font les pucerons qui se multiplient sur ces feuilles. Il y a plusieurs différentes sortes de vers, de scarabés qui se nourrissent de pucerons, & qui en détruisent une très-grande quantité. Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, par M. de Réaumur, tome III. mém. ix. Voyez INSECTE.
PUCERONS FAUX, M. de Réaumur a donné ce nom à des petits insectes qui ont beaucoup de ressemblance avec les pucerons, par leur petitesse, par leur inaction, par la maniere dont ils se nourrissent du suc de certaines plantes, par la nature des excrémens qu'ils rejettent, & même souvent par les poils cotonneux dont ils sont couverts. M. de Reaumur en a décrit deux especes ; l'une vit sur le figuier, & l'autre se trouve sur le buis : les pucerons de la premiere espece se tiennent dessous les feuilles de figuier, & quelquefois même sur les figues ; ils ne se réunissent pas en aussi grand nombre que les pucerons ; il y en a au plus une trentaine sous chaque feuille : les faux-pucerons du buis se trouvent dans les jeunes feuilles de l'année pliées en rond. Les faux-pucerons de l'une & de l'autre espece ont six jambes courtes, & toutes attachées au corcelet. Ils changent plusieurs fois de peau, & ensuite ils se métamorphosent tous en petits insectes aîlés : c'est en quoi ils different essentiellement des pucerons. Mémoires pour servir à l'hist. des insectes, par M. de Réaumur, tome III. mém. x. Voyez INSECTES.
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PUCHAMIAS | S. m. (Botan. exot.) nom vulgaire aux Indes d'un arbre de la Virginie, qui porte un fruit rouge semblable à la nêfle, fort astringent lorsqu'il n'est pas mûr, mais excellent dans sa maturité. C'est le mespilus aculeata, pyrifolia, denticulata, splendens, fructu insigni rutilo, virginiensis, Plukn. Phytog. nommé communément en anglois, the Virginian azarol with red fruit.
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PUCHER | v. n. en terme de Raffineur, c'est l'action de prendre avec le pucheur la cuite par exemple, ou la clairée, de la chaudiere où l'un & l'autre se sont faites, pour les verser dans des bassins. Voyez BASSINS. Tout ce qu'on prend de cette maniere, comme eau de chaux, eau, terre, &c. s'appelle pucher. Voyez EAU DE CHAUX & TERRE.
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PUCHEUR | S. m. n'est autre chose, dans la raffinerie de sucre, qu'un vase de cuivre qui a quelque profondeur, monté sur un manche de bois assez long. Il sert à verser la cuite dans le bassin pour la transporter dans le rafraîchoir, ou la clairée pour la passer. Voyez BASSIN, CLAIREE & PASSER. On appelle encore pucheur, l'ouvrier qui puche. Voyez les Pl.
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PUCHO | S. m. (Hist. nat. Botan.) c'est la même plante que quelques-uns nomment costus indicus, & les Arabes cost ou cast. Les Malabares lui donnent le nom de pucho. Cette plante produit des fleurs blanches, semblables à celles du sureau. C'est le bois & les racines dont on fait un grand commerce dans la Perse, l'Arabie & les autres parties du Levant, sous le nom de costus.
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PUCHOR | (Géog. mod.) petite ville de Hongrie, aux confins de la Transylvanie, sur la Drave, dans l'endroit où cette riviere continue à s'élargir, & où les montagnes s'applanissent pour faire des vallons fertiles.
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PUCHO | ou TROMBE, s. m. (Marine) voyez TROMBE, c'est un tourbillon de vent qui se forme dans une nue opaque trop ardemment échauffée par les rayons du soleil. On voit sortir de cette nue comme une trompe, composée de la matiere de la même nue, dans laquelle ce tourbillon est enfermé. Cette trompe descend en tournoyant, sans pourtant quitter la nue, jusqu'à tremper son extrêmité dans la mer, elle aspire & enleve plus gros qu'une maison d'eau, qu'elle porte si haut dans l'air, que si cette eau rencontroit un navire en retombant, il seroit en danger de périr. Les matelots craignent fort ce tourbillon ; & si-tôt qu'ils le découvrent, ils brouillent toutes les voiles jusqu'à ce qu'il soit passé. Dans ces occasions la piété des matelots catholiques leur fait dire l'évangile de saint Jean pour dissiper le puchot ; & pour les matelots protestans, ils croyent qu'il suffit de serrer les voiles. Ce puchot est ordinairement suivi de grandes pluies. Voyez POMPE DE MER & DRAGON. Puchot est un terme de matelots, c'est-à-dire un terme bas.
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PUDE | (Commerce) poids en usage dans l'empire russien. Un pude contient 70 livres d'Allemagne de 14 onces.
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PUDENDUM | est un terme dont on se sert quelquefois en Médecine, pour exprimer les parties naturelles, tant de l'homme que de la femme ; ainsi pudendum virile est synonyme à penis, & pudendum muliebre, à cunnus.
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PUDEUR | S. f. (Morale) c'est une honte naturelle, sage & honnête, une crainte secrette, un sentiment pour les choses qui peuvent apporter de l'infamie. Les femmes qui n'ont plus que le reste d'une pudeur ébranlée, ne font que de foibles efforts pour leur défense. Celles qui ont effacé de leur front jusqu'aux moindres traces de pudeur, l'éteignent bientôt entierement dans le fond de leur ame, & déposent sans retour le voile de l'honnêteté. La pudeur au contraire, fait passer une femme qui en est remplie par-dessus les outrages attentés contre son honneur ; elle aime mieux se taire sur ceux qui l'ont outragée, lorsqu'elle n'en peut parler qu'en mettant au jour des actions & des expressions qui seules allarment sa vertu.
L'idée de la pudeur n'est point une chimere, un préjugé populaire, une tromperie des lois & de l'éducation. Tous les peuples se sont également accordés à attacher du mépris à l'incontinence des femmes ; c'est que la nature a parlé à toutes les nations. Elle a établi la défense, elle a établi l'attaque, & ayant mis des deux côtés des desirs, elle a placé dans l'un la témérité, & dans l'autre la honte. Elle a donné aux individus pour se conserver de longs espaces de tems, & ne leur a donné pour se perpétuer que des momens. Quelles armes plus douces que la pudeur, eût pû donner cette même nature au sexe qu'elle destinoit à se défendre ?
Les desirs sont égaux, disent les disciples d'Antisthène ; mais, répond M. Rousseau, y a-t-il de part & d'autre mêmes raisons de les satisfaire ? Que deviendroit l'espece humaine, si l'ordre de l'attaque & de la défense étoit changé ? l'assaillant choisiroit au hasard des tems où la victoire seroit impossible ; l'assailli seroit laissé en paix, quand il auroit besoin de se rendre, & poursuivi sans relâche, quand il seroit trop foible pour succomber ; enfin le pouvoir & la volonté toujours en discorde, ne laissant jamais partager les desirs, l'amour ne seroit plus le soutien de la nature, il en seroit le destructeur & le fléau.
Si les deux sexes avoient également fait & reçu les avances, la vaine importunité n'eût point été sauvée ; des feux toujours languissans dans une ennuyeuse liberté, ne se fussent jamais irrités ; le plus doux de tous les sentimens eût à peine effleuré le coeur humain, & son objet eût été mal rempli. L'obstacle apparent qui semble éloigner cet objet, est au fond ce qui le rapproche. Les desirs voilés par la honte, n'en deviennent que plus séduisans ; en les gênant, la pudeur les enflamme ; ses craintes, ses détours, ses réserves, ses timides aveux, sa tendre & naïve finesse, disent mieux ce qu'elle croit taire, que la passion ne le dit sans elle ; c'est elle qui donne du prix aux faveurs & de la douceur aux refus. Le véritable amour possede en effet ce que la seule pudeur lui dispute ; ce mélange de foiblesse & de modestie, le rend plus touchant & plus tendre ; moins il obtient, plus la valeur de ce qu'il obtient en augmente, & c'est ainsi qu'il jouït à la fois de ses privations & de ses plaisirs.
Pourquoi, réplique-t-on, ce qui n'est pas honteux à l'homme le seroit-il à la femme ? pourquoi l'un des deux sexes se feroit-il un crime de ce que l'autre se croit permis ? Je réponds encore avec M. Rousseau, que les conséquences ne sont pas les mêmes des deux côtés. Les austeres devoirs de la femme dérivent de ce point qu'un enfant doit avoir un pere. J'ajoute enfin qu'ainsi l'a voulu la nature ; c'est un crime d'étouffer sa voix.
S'il est vrai que l'honnêteté est la crainte secrette de l'ignominie, & qu'en même-tems presque toutes les nations du monde anciennes & modernes ont cru devoir observer les regles de l'honnêteté & de la pudeur, il seroit bien absurde de les violer dans la punition des crimes, qui doit toujours avoir pour objet le rétablissement de l'ordre.
Les orientaux qui ont exposé des femmes à des éléphans dressés pour un abominable genre de supplice, ont-ils voulu faire violer la loi par la loi ?
Un ancien usage des Romains défendoit de faire mourir les filles qui n'étoient pas nubiles. Tibere trouva l'expédient de les faire violer par le bourreau avant que de les envoyer au supplice ; tyran subtil & cruel, il détruisoit les moeurs pour conserver les coutumes.
Lorsque la magistrature japonoise a fait exposer dans les places publiques les femmes nues, & les a obligées de marcher à la maniere des bêtes, elle a fait frémir la pudeur ; mais lorsqu'elle a voulu contraindre une mere, lorsqu'elle a voulu contraindre un fils... elle a fait frémir la nature.
Il y a d'autres pays où par le climat, le physique de l'amour a presque une force invincible, l'attaque y est sure, la résistance nulle. C'est ainsi que les choses se passent à Patane, à Bantam, & dans les petits royaumes de Guinée. Quand les femmes, dit M. Smith, y rencontrent un homme, elles le saisissent, & le menacent de le dénoncer à leur mari, s'il les méprise ; mais dans ce pays-là, les deux sexes ont perdu jusqu'à leurs propres lois. Il est heureux de vivre dans nos régions tempérées, où le sexe qui a le plus d'agrément embellit la société, & où les femmes pudiques se réservant aux plaisirs d'un seul, servent encore à l'amusement de tous. Barbeyrac. Esprit des lois. J. J. Rousseau. (D.J.)
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PUDIANO | S. m. (Icthyologie) poisson du Brésil de la grosseur d'une perche ordinaire, mais moins large. Sa tête est petite ; son nez est pointu, & sa mâchoire supérieure garnie de dents très-aiguës. Ses yeux sortent hors de tête, & la nageoire de son dos est garnie de pointes. Ses écailles sont aussi petites que serrées les unes sur les autres ; son corps est d'un jaune doré, mais la partie supérieure de la tête & du dos sont d'un très-beau pourpre. C'est un poisson d'un goût délicat. Marggrave, hist. Brasil.
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PUDICITÉ | S. f. (Mythol.) les Romains firent de cette vertu une déesse, qui avoit à Rome des temples & des autels. La bisarrerie de son culte est fort plaisante ; on distingua la Pudicité en patricienne, ou qui regardoit l'ordre sénatorial, & en plébéïenne, réservée pour le peuple. Cette derniere avoit son temple dans la rue de Rome, qu'on appelloit la longue, tandis que celui de la Pudicité patricienne étoit au marché aux boeufs. Tite-Live rapporte l'histoire de cette distinction. Virginia, de famille patricienne, épousa un homme du peuple nommé Volumnius. Les matrones patriciennes la chasserent du temple, parce qu'elle s'étoit mésalliée. Elle se plaignit hautement de l'insulte, disant qu'elle étoit vierge quand son mari l'épousa, qu'ils avoient vêcu depuis en gens d'honneur, & que son époux ne cédoit en rien pour le mérite, à aucun patricien. Elle fit mieux encore ; elle bâtit elle-même dans la rue longue, un temple à la Pudicité, qu'elle appella plébéienne, où les femmes qui n'étoient point de l'ordre sénatorial alloient en foule rendre leurs voeux.
La Pudicité étoit représentée sur les médailles par une femme assise qui porte la main droite & le doigt indice vers son visage, pour montrer que c'est principalement le visage, les yeux & le front, qu'une femme pudique doit composer. (D.J.)
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PUE | S. f. (Lainage) ce mot s'emploie dans les manufactures de lainage, & est particulierement usité dans celles de Poitou ; il se dit de l'arrangement & de la disposition des fils de diverses matieres, dans la chaîne des droguets, & autres étoffes. Savary.
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PUEBLA | (Géog. mod.) terme de la langue espagnole, qui peut se rapporter au mot vicus des anciens ; il signifie un bourg ou une bourgade, & désigne un lieu plus petit que lugar. Le mot pueblo a la même signification ; son diminutif pueblezuelo veut dire un petit village.
Il y a un bourg d'Espagne entre Saragosse & Lerida, qu'on nomme la Puébla.
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PUEMBO | S. m. (Diete) espece de liqueur fermentée, fort en usage chez les habitans du royaume de Mozambique en Afrique, elle se fait avec du millet. On la nomme aussi huyembo.
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PUENTE | PUENTE
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PUER | (Langue lat.) chez les Romains puer s'étendoit jusqu'à 17 ans & au-delà. Ciceron dit en parlant d'Octavius, qui avoit 18 ans, sed est planè puer ; à présent nos jeunes gens se croyent des hommes à 15 ou 16 ans, ce n'est pas certainement qu'ils soient plus tôt formés que ne l'étoient les Romains, mais c'est qu'ils entrent dans le monde avant que d'être formés. (D.J.)
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PUÉRIL | LE, adj. m. & f. (Gramm.) quelques auteurs, ainsi que l'académie françoise, manquent dans l'usage de cet adjectif, qu'ils écrivent puérile au masculin comme au féminin. Ce qui les a trompés, c'est qu'on dit aux deux genres, agile, utile, stérile, fragile, &c. mais voici la distinction qu'il faut faire. Les noms qui viennent du latin en ilis, & dont la terminaison latine est breve, font ile en françois pour le masculin & le féminin, comme sont ceux que je viens de rapporter qui se forment d'agilis, utilis, &c. Au contraire, les mots dont la terminaison latine est longue, font il au masculin, & ile au féminin, comme subtil, subtile ; civil civile ; vil, vile, &c. qui viennent de subtilis, civilis, vilis, &c. (D.J.)
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PUÉRILITÉ | S. f. (Gramm.) action ou discours d'enfant. La sottise des peres est, dit-on. de parler des puérilités de leurs enfans. Heureuse sottise qui montre combien ils y sont attachés, par la faute même qu'ils commettent, en mettant assez d'importance à leurs actions pour en entretenir les autres au hasard de les ennuyer. On tombe souvent dans la puérilité en cherchant à donner un air singulier & nouveau à ses pensées. Il y a de la puérilité dans le goût. Il y en a dans tout ce qui marque peu de raison & de jugement.
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PUERTO | PUERTO
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PUFFIN | S. m. (Hist. nat. Ornithol.) puffinus, Wil. anglorum ; oiseau qui surpasse en grosseur le pigeon domestique ; il a toute la face supérieure du corps noire, & la face inférieure blanche. Le bec est étroit & noir ; il a un pouce & demi de longueur au plus ; la piece supérieure est crochue à l'extrêmité ; il y a près de sa base comme dans le cormoran un espace dégarni de plumes & couvert de peau, où se trouvent les narines. Les aîles sont très-longues, & la queue a une palme de longueur ; cet oiseau a un doigt de derriere ; il niche dans les trous que font les lapins en terre. La femelle ne pond qu'un seul oeuf à chaque couvée. Le puffin reste toute la journée sur les eaux ; il ne retourne dans son nid qu'à la nuit, & il le quitte dès que le jour paroît. Rai. Synops. Meth. avium. Voyez OISEAU.
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PUGILAT | S. m. (Art gymnast.) le pugilat étoit un combat à coups de poings, d'où il tiroit son nom.
Les combattans ne se servoient d'abord que de ces armes naturelles. Ils s'armerent dans la suite d'armes offensives nommées cestes, & alors ils se couvrirent la tête d'une espece de calotte appellée amphotide, destinée à garantir sur-tout les tempes & les oreilles. Les cestes étoient une sorte de gantelets ou de mitaines, composées de plusieurs courroies ou bandes de cuir, dont les contours qui les attachoient au poignet & à l'avant-bras, ne montoient pas plus haut que le coude, & contribuoient à affermir les mains de l'athlete. On connoit quatre sortes de cestes ; ceux qu'on appelloit imantes, faits d'un simple cuir de boeuf non corroyé & desséché ; les myrmécos, garnis de plusieurs plaques ou bossettes de cuivre, de fer, ou de plomb ; les méiliques, faits de courroies fines & déliées, qui laissoient le poignet & les doigts à découvert ; enfin les cestes nommés sphaerae, dont on ignore la forme ; mais qui selon Henri Etienne, devoient être des balles de plomb cousues dans une bande de cuir de boeuf.
Souvent les athletes en venoient d'abord aux coups, & se chargeoient rudement dès l'entrée du combat ; souvent ils passoient des heures entieres à se harceler & à se fatiguer mutuellement par l'extension continuelle de leurs bras ; chacun frappant l'air de ses poings, & tâchant d'éviter par cette sorte d'escrime les approches de son adversaire. Lorsqu'ils se battoient à outrance, ils en vouloient sur-tout à la tête & au visage. L'un des athletes venoit-il de toute la roideur de son corps se lancer contre l'autre pour le frapper, il y avoit une adresse merveilleuse à esquiver le coup en se détournant légérement, ce qui faisoit tomber l'athlete par terre, & lui enlevoit la victoire. Quelqu'acharnés qu'ils fussent, l'épuisement où les jettoit une trop longue résistance, les obligeoit à faire de petites treves. Ils suspendoient donc le pugilat de concert, pour quelques momens, qu'ils employoient à se remettre de leurs fatigues, & à essuyer la sueur & le sang dont ils étoient couverts ; après quoi ils revenoient à la charge & continuoient à se battre, jusqu'à ce que l'un des deux laissant tomber ses bras de défaillance & de foiblesse, fît connoître qu'il succomboit à la douleur ou à l'extrême lassitude, & qu'il cédoit la palme à son concurrent.
Un des plus rudes & des plus pénibles combats gymniques, étoit assurément le pugilat, puisque outre le danger d'y être estropiés, les athletes y couroient risque de la vie. On les voyoit quelquefois tomber morts ou mourans sur l'arène ; cela n'arrivoit pourtant que lorsque le vaincu s'opiniâtroit trop long-tems à ne pas avouer sa défaite ; mais d'ordinaire, ils sortoient du combat tellement défigurés, qu'ils en étoient presque méconnoissables, remportant de tristes marques de leur vigoureuse résistance, telles que des bosses & des contusions énormes, un oeil hors de la tête, les dents & les mâchoires brisées, ou quelqu'autres fractures encore plus considérables ; ce qui faisoit qu'on estimoit peu cet exercice.
Les récompenses du pugilat se distribuoient avec une grande équité sans acception de personnes. Il y a plusieurs passages de Pausanias qui prouvent que le pugilat faisoit partie du pancrace. Il dit dans son voyage de l'Elide, que Théagenes fut couronné trois fois à Delphes, neuf à Némée, & dix à Corinthe, pour avoir également réussi au pugilat & au pancrace.
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PUGILE | S. m. (Art gymnast.) les pugiles étoient les athletes qui combattirent d'abord à coups de poings, & ensuite à coups de ceste. Le combat des pugiles étoit sanglant ; ils se donnoient de très-dangereux coups avec leurs cestes ou gantelets. On a des médailles curieuses qui les représentent ; entr'autres une médaille grecque de Commode, qui est dans le cabinet du roi. Cet empereur y est représenté sous la figure ordinaire d'Hercule avec sa massue. Les Samiens passoient parmi les Grecs pour les meilleurs pugiles. Aussi ce furent les Samiens qui frapperent la médaille de Commode dont il vient d'être parlé.
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PUGILLE | S. m. (Pharmacie) en latin pugillus ; mesure de fleurs, de feuilles, de graines, & d'autres choses semblables, contenant ce qu'on en peut prendre avec trois doigts, savoir le pouce & les deux doigts suivans. Les Médecins désignent le pugille dans leurs ordonnances par pug. j. mais le vrai mot françois est pincée. (D.J.)
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PUGLIENZA | (Géog. mod.) petite ville, ou pour mieux dire, bourg d'Espagne, sur la côte de l'île de Majorque, avec un assez bon port, près du cap la Pedra. On la nommoit anciennement Pollentia, & c'étoit une colonie romaine. (D.J.)
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PUGNIARA | ou PUGNIATAN, (Géog. mod.) île de la mer des Indes, au-devant du détroit de la Sonde, & à 16 lieues en-deçà de Sumatra. Les naturels de cette île sont de grande taille, & d'un teint jaune comme celui des Brésiliens ; ils portent de longs cheveux lisses, & vont absolument nuds. Latit. mérid. 5. 30.
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PUICELSY | (Géog. mod.) en latin du moyen âge Podium celsum, petite ville de France, dans le haut Languedoc, au diocèse d'Alby, sur une hauteur ; c'est une ancienne châtellenie qui est le siege d'un bailliage. Long. 19, 41. latit. 43, 49.
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PUISARD | S. m. (Archit.) c'est dans le corps d'un mur, ou dans le noyau d'un escalier à vis, une espece de puits avec un tuyau de plomb ou de bronze, par où s'écoulent les eaux des combles : c'est aussi au milieu d'une cour, un puits bâti à pierres seches, & recouvert d'une pierre ronde trouée, où se rendent les eaux pluviales qui se perdent dans la terre.
Puisards d'aqueduc, ce sont dans les aqueducs qui portent des conduits de fer ou de plomb, certains trous pour vuider l'eau qui peut s'échapper des tuyaux dans le canal. Il y a un de ces puisards à l'aqueduc de Maintenon.
Puisards de sources, ce sont certains puits qu'on fait d'espace en espace pour la recherche des sources, & qui se communiquent par des pierrées qui portent toutes leurs eaux dans un regard ou receptacle, d'où elles entrent dans un aqueduc. (D.J.)
PUISARD, s. m. (Minéralogie) c'est ainsi qu'on nomme dans les mines, des especes de réservoirs où vont se rendre les eaux que l'on rencontre dans les souterreins, d'où elles sont épuisées par le moyen des pompes qui les élevent jusqu'à la surface de la terre. Voyez l'article MINES.
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PUISAYE L | (Géog. mod.) petit pays de France, qui a l'Auxerrois à l'orient, le Gatinois au nord, le Berri au couchant, & le Nivernois au midi. Ce pays est entierement du diocèse d'Auxerre. Son nom latin du moyen âge est Podiacia, mot qui signifie pays de montagne ; il étoit anciennement couvert d'épaisses forêts, au point que M. le Beuf croit qu'il a dû être le centre des Gaules, où les Druïdes tenoient leurs assemblées annuelles. (D.J.)
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PUISEAUX | (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France dans l'Orléanois, élection de Pithiviers, sur les confins du Dunois. Une inondation en renversa la plus grande partie des maisons en 1698. (D.J.)
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PUISER | v. act. (Gram.) c'est enlever de l'eau d'un puits. On a généralisé l'expression ; on puise dans une riviere, dans un seau, dans un vase.... Il se prend au simple & au figuré. On puise dans les modernes & dans les anciens, on pardonne celui-ci, on blâme celui-là ; il faut toujours puiser dans les sources, &c.
PUISER par les sabords ou par les Dalots, (Marine) c'est quand l'eau entre dans un vaisseau qui cargue. Puiser l'eau du fond de cale avec des seilleaux, puiser par le haut ou par le bord, c'est quand le vaisseau cargue si fort que l'eau y entre par le côté.
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PUISNÉS | S. m. (Jurisprud.) ce sont tous les enfans qui sont nés depuis le premier qu'on appelle aîné.
Pour ce qui concerne les droits des puînés, voyez FIEF, PART, AVANTAGE, PARTAGE, PRECIPUT, QUINT DATIF, QUINT NATUREL. (A)
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PUISOIR | S. m. instrument de Salpétrier, c'est un instrument fait en forme de grande cuilliere, qui sert à tirer des chaudieres l'eau des cuites, lorsqu'elle a suffisamment bouilli, & qu'elle est en état de se crystalliser. Le puisoir est toujours de cuivre, garni de sa douille aussi de cuivre, & le manche est ordinairement de bois. (D.J.)
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PUISSANCE | S. f. en Méchanique, se dit d'une force, laquelle étant appliquée à une machine, tend à produire du mouvement, soit qu'elle le produise actuellement ou non. Voyez MACHINE.
Dans le premier cas, elle s'appelle puissance mouvante ou mobile ; & dans le second, elle est nommée puissance résistante.
Si la puissance est un homme ou un animal, elle est dite puissance animée.
Si c'est l'air, l'eau, le feu, la pesanteur, l'élasticité ou le ressort, on la nomme puissance inanimée.
Puissances conspirantes. Voyez CONSPIRANT.
Le mot puissance est aussi d'usage dans les méchaniques, pour exprimer quelqu'une des six machines simples, comme le levier, la vis, le plan incliné, le tour, le coin & la poulie, que l'on appelle particulierement puissances méchaniques ou forces mouvantes. Voyez PUISSANCES MECHANIQUES.
Voyez aussi chaque puissance à l'article qui lui est particulier, comme aux mots LEVIER, BALANCE, &c.
Il est à propos de remarquer que les puissances ou forces qui meuvent les corps, ne peuvent agir les unes sur les autres que par l'entremise des corps mêmes qu'elles tendent à mouvoir : d'où il s'ensuit que l'action mutuelle de ces puissances n'est autre chose que l'action même des corps animés par les vîtesses qu'elles leur donnent, ou qu'elles tendent à leur donner. On ne doit donc entendre par l'action des puissances, & même par le terme de puissance dont on ne sert communément en Méchanique, que le produit d'un corps par sa vîtesse ou par sa force accélératrice. De cette définition & des lois de l'équilibre & du mouvement des corps, on conclut aisément que deux puissances égales & directement opposées se font équilibre ; que deux puissances qui agissent en même sens, produisent un effet égal à la somme des effets de chacune ; que si trois puissances agissant sur un point commun sont en équilibre entr'elles, & qu'on fasse sur les directions de ces puissances un parallélogramme, la diagonale de ce parallélogramme sera dans la direction prolongée de la troisieme puissance, & que les rapports de ces trois puissances seront ceux de la diagonale aux côtés, &c. & plusieurs autres théorèmes semblables qui ne sont pas toujours démontrés dans la pratique avec toute la précision possible, parce qu'on y donne communément une notion un peu confuse du mot de puissance. Voyez dans les mém. de l'acad. de Petersbourg, tom. I. un écrit de M. Daniel Bernoulli, intitulé examen principiorum Mechanicae. (O)
PUISSANCE, en terme d'Arithmétique, se dit du produit d'un nombre ou d'une autre quantité multipliée par elle-même un certain nombre de fois. Voy. NOMBRE & QUANTITE.
Ainsi le produit du nombre 3 multiplié par lui-même, c'est-à-dire 9, est la seconde puissance de 3 ; le produit de 9 multiplié par 3 ou 27, est la troisieme puissance ; & le produit de 27 encore multiplié par 3 ou 81, est la quatrieme puissance, & ainsi à l'infini. Par rapport à ces produits ou à ces puissances, le nombre 3 est appellé la racine ou la premiere puissance. Voyez RACINE.
La seconde puissance s'appelle le quarré, dont 3 est la racine quarrée. Voyez QUARRE.
La puissance 27 est appellée le cube, dont 3 est la racine cubique. Voyez CUBE.
La quatrieme puissance 81 est appellée biquadratique ou quarré-quarré, dont 3 est la racine quarrée-quarrée.
Le nombre qui indique combien de fois la racine est multipliée par elle-même, pour former la puissance, ou combien de fois la puissance doit être divisée par sa racine, pour parvenir à cette racine, est appellé l'exposant de la puissance ; ainsi dans la seconde puissance 2 est l'exposant, 3 dans la troisieme. Remarquez que nous disons que ce nombre indique combien de fois la racine doit être multipliée par elle-même, & non pas que ce nombre exprime le nombre de fois que la racine doit être multipliée ; car dans la troisieme puissance, par exemple, la racine n'est multipliée que 2 & non 3 fois par elle-même, dans la seconde puissance, la racine n'est multipliée que 1 fois ; ainsi le nombre de fois que la racine doit être multipliée par elle-même, est égal à l'exposant diminué d'une unité. Voyez EXPOSANT.
Les modernes, après Descartes, se sont contentés de distinguer la plus grande partie des puissances par leurs exposans ; ainsi ils disoient premiere, seconde, troisieme puissance, &c. Ce sont les Arabes qui ont donné les premiers les noms particuliers des différentes puissances, comme quarré, cube, ou quarré-quarré, sur-solide, quarré-cube, second sur-solide, quarré-quarré-quarré, cube-cube, quarré-sur-solide, troisieme sur-solide, &c.
Ces noms qu'a donné Diophante, & qu'ont suivis Viete & Oughtred, sont le côté ou la racine, le quarré, le cube, le quarré de quarré, le quarré-cube, le cube-cube, le quarré-quarré-cube, le quarré cube-cube, le cube-cube-cube, &c.
Les caracteres avec lesquels on désigne les différentes puissances, suivant la maniere des Arabes & celle de Descartes, sont exposés dans les notes suivantes :
D'où il suit qu'élever une quantité à une puissance donnée, c'est la même chose que de trouver le produit qui vient en multipliant cette quantité, un certain nombre de fois par elle-même. Par exemple, élever 2 à la troisieme puissance, c'est la même chose que de trouver le produit 8, dont les facteurs ou les composans sont 2, 2, 2. Voyez QUARRE, CUBE, &c.
Les puissances du même degré sont l'une à l'autre dans le rapport de leurs racines multipliées autant de fois que leur exposant contient d'unités : ainsi les quarrés sont en raison doublée, les cubes en raison triplée ; les quarrés-quarrés ou les quatriemes puissances sont en raison quadruplée. Voyez RAISON & RAPPORT.
Les puissances des quantités proportionnelles sont aussi proportionnelles l'une à l'autre. Voyez PROPORTION.
D'une puissance donnée extraire la racine, c'est la même chose que de trouver un nombre, par exemple, 2, lequel multiplié un certain nombre de fois par lui-même, comme deux fois, produise la puissance donnée, telle que la troisieme puissance ou 8. Voyez RACINE.
Pour multiplier ou diviser une puissance quelconque par une autre puissance de même racine, voici la regle : 1°. Pour les multiplier, ajoutez les exposans des facteurs, la somme est l'exposant du produit ; ainsi qu'on le voit dans l'exemple suivant :
2°. Pour les diviser, ôtez l'exposant de la puissance du diviseur de l'exposant du dividende, le reste est l'exposant du quotient. Voyez les exemples suivans :
Commensurable en puissance se dit de deux quantités qui ne sont point commensurables, mais dont les quarrés ou quelqu'autre puissance le sont ; ainsi la diagonale d'un quarré & son côté sont commensurables en puissance, parce que le quarré de l'une est double du quarré de l'autre, mais la diagonale & le côté sont incommensurables. Voyez COMMENSURABLE & DIAGONALE.
Puissance d'une hyperbole équilatere dans les sections coniques, c'est le quarré de la ligne droite CI ou AI des coniq. fig. 20.
La puissance de l'hyperbole est la moitié du quarré du demi-axe. Voyez HYPERBOLE. (O)
PUISSANCES des lignes sont leurs quarrés, cubes, &c. ainsi la seconde puissance de la ligne a est représentée par le quarré a 2 fait sur cette ligne la troisieme puissance par le cube a 2 dont cette ligne est un côté, &c. (E)
PUISSANCE, s. f. (Droit natur. & polit.) ce mot se prend en différens sens ; 1°. il marque la supériorité & les droits qu'un individu a sur d'autres, alors c'est un synonyme de pouvoir ; c'est ainsi qu'on dit la puissance paternelle, la puissance maritale, la puissance souveraine, la puissance législative, &c. Voyez POUVOIR. 2°. Par puissance on entend la somme des forces d'un état ou d'une société politique ; c'est sous ce point de vue que nous allons la considérer.
La puissance d'un état est toujours relative à celle des états avec qui il a des rapports. Une nation est puissante lorsqu'elle peut maintenir son indépendance & son bien-être contre les autres nations qui sont à portée de lui nuire.
La puissance d'un état est encore relative au nombre de ses sujets, à l'étendue de ses limites, à la nature de ses productions, à l'industrie de ses habitans, à la bonté de son gouvernement ; de-là vient que souvent un petit état est beaucoup plus puissant qu'un état plus étendu, plus fertile, plus riche, plus peuplé, parce que le premier saura mettre à profit les avantages qu'il a reçus de la nature, ou compensera par ses soins ceux qui lui seront refusés.
La principale source de la puissance d'un état est sa population ; il lui faut des bras pour mettre ses champs en valeur, pour faire fleurir ses manufactures, sa navigation, son commerce ; il lui faut des armées proportionnées à celles que ses voisins peuvent mettre sur pié ; mais il ne faut point pour cela que l'agriculture & les autres branches de sa puissance souffrent. Un sol fertile, une situation favorable, un pays défendu par la nature contribueront beaucoup à la puissance d'un état. Enfin, il est essentiel qu'il jouisse de la tranquillité dans son intérieur ; jamais un peuple déchiré par des factions, en proie aux cabales, aux intrigues, à l'anarchie, à l'oppression, n'aura le degré de puissance qui lui est nécessaire pour repousser les entreprises de ses ennemis.
Mais c'est en vain qu'un empire jouira de tous ces avantages, si une mauvaise administration lui en fait perdre les fruits. Le souverain est l'ame qui donne le mouvement & la vie à l'état, c'est l'usage ou l'abus qu'il fait de ses forces qui décide de sa puissance ou de sa foiblesse. En vain commandera-t-il à des peuples nombreux ; en vain la nature lui aura-t-elle prodigué les richesses du sol ; en vain l'industrie de ses sujets lui amenera-t-elle les trésors du monde ; ces avantages seront perdus, si une bonne administration ne les met à profit. Les Ottomans commandent à de vastes états, qui jouissent du ciel le plus favorable ; depuis le Danube jusqu'à l'Euphrate tout reconnoît leurs lois ; cependant leur puissance n'approche point de celle d'un grand nombre d'états d'Europe, qui sont renfermés dans des bornes plus étroites que la plûpart des royaumes soumis à l'empire des sultans. L'Egypte, la Grece, qui font aujourd'hui les moindres parties de cet empire, avoient, sous leurs premiers maîtres, des forces auxquelles on ne peut point comparer la totalité de celles des despotes modernes qui ont asservi ces pays : ceux-ci commandent à de vils esclaves, accablés sous leurs fers, qui ne travaillent que pour satisfaire les caprices d'un tyran, d'un visir, d'un eunuque ; les premiers commandoient à des citoyens échauffés par l'amour de la patrie, de la liberté, de la gloire. Combien de fois la Grece a-t-elle ébranlé les trônes de ces monarques asiatiques, soutenus par des millions de bras ? Les armées innombrables des Xerxès, des Darius, sont venues briser leurs forces contre la puissance athénienne. Tous les efforts de la monarchie espagnole, soutenue par les richesses des deux mondes, ont échoué contre la vigueur des Hollandois généreux.
C'est de l'esprit dont un souverain sait animer ses peuples que dépend sa vraie puissance. S'il leur inspire l'amour de la vertu, de la gloire ; s'il leur rend chere la patrie par le bonheur dont il les y fait jouir ; s'il les excite aux grandes actions par des récompenses ; s'il effraie les mauvais citoyens par des peines, l'état sera puissant, il sera respecté de ses voisins, ses armées seront invincibles. Mais s'il souffre que le luxe & le vice corrompent les moeurs de ses sujets ; s'il permet que leur ardeur guerriere s'amollisse ; si la subordination, les lois, la discipline sont méprisées ; si l'on dégrade les ames des peuples par l'oppression ; alors l'avidité prendra la place de l'honneur ; l'amour des richesses succédera à celui de la patrie, de la gloire ; il n'y aura plus de citoyens ; chacun ne s'occupera que de ses intérêts particuliers ; on oubliera le bien général auquel toutes les volontés doivent concourir pour rendre une nation puissante. Alors ni le nombre des armées, ni l'immensité des trésors, ni la fertilité des champs ne pourront procurer à l'état une puissance réelle.
Ainsi que les hommes robustes, les nations sont souvent tentées d'abuser de leurs forces. Ceux qui les gouvernent font consister leur puissance à étendre leurs conquêtes ; à faire la loi à leurs voisins ; à entrer dans toutes les querelles qui agitent les autres peuples ; à entreprendre des guerres longues & sanglantes, auxquelles des passions injustes ou frivoles ont souvent plus de part que les intérêts de l'état ; ainsi, pour faire une vaine parade de puissance, on épuise des forces réelles qui devroient être réservées pour le soutien de la nation. Voyez PAIX.
PUISSANCE LEGISLATIVE, EXECUTRICE & DE JUGER, (Gouvernement politique) on nomme puissance dans un état la force établie entre les mains d'un seul, ou de plusieurs.
On distingue dans chaque état trois sortes de pouvoirs ou de puissance ; la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, autrement dite la puissance exécutrice de l'état, & la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.
Par la premiere, le prince ou l'état fait des lois pour un tems ou pour toujours, & corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sureté, prévient les invasions. Par la troisieme, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers, c'est pourquoi nous appellons cette derniere la puissance de juger.
La liberté doit s'étendre à tous les particuliers, comme jouissant également de la même nature ; si elle se borne à certaines personnes, il vaudroit mieux qu'il n'y en eût point, puisqu'elle fournit une triste comparaison qui aggrave le malheur de ceux qui en sont privés.
On ne risque pas tant de la perdre, lorsque la puissance législative est entre les mains de plusieurs personnes qui different par le rang & par leurs intérêts ; mais là où elle se trouve à la discrétion de ceux qui s'accordent en ces deux choses, le gouvernement n'est pas éloigné de tomber dans le despotisme de la monarchie. La liberté ne sauroit jamais être plus assurée que là où la puissance législative est confiée à diverses personnes si heureusement distinguées, qu'en travaillant à leur propre intérêt, elles avancent celui de tout le peuple ; ou pour me servir d'autres termes, que là où il n'y a pas une seule partie du peuple qui n'ait un intérêt commun, du moins avec une partie des législateurs.
S'il n'y a qu'un seul corps de législateurs, cela ne vaut guere mieux qu'une tyrannie ; s'il n'y en a que deux, l'un risque d'être englouti avec le tems, par les disputes qui s'éleveront entr'eux, & ils auront besoin d'un troisieme pour faire pancher la balance. Il y auroit le même inconvénient à quatre, & un plus grand nombre causeroit trop d'embarras. Je n'ai jamais pu lire un passage dans Polybe, & un autre dans Ciceron sur cet article, sans goûter un plaisir secret à l'appliquer au gouvernement d'Angleterre, auquel il se rapporte beaucoup mieux qu'à celui de Rome. Ces deux grands auteurs donnent la préférence au gouvernement composé de trois corps, du monarchique, de l'aristocratique, & du populaire. Ils avoient sans doute en vue la république romaine, où les consuls représentoient le roi, les sénateurs, les nobles ; & les tribuns le peuple. Ces trois puissances qu'on voyoit à Rome, n'étoient pas si distinctes & si naturelles qu'elles paroissent dans la forme du gouvernement de la Grande-Bretagne. Il y avoit cet abus dans le gouvernement de la plûpart des républiques anciennes, que le peuple étoit en même-tems & juge & accusateur. Mais dans le gouvernement dont nous parlons, le corps législatif y étant composé de deux parties, l'une enchaîne l'autre par sa faculté naturelle d'empêcher, & toutes les deux sont liées par la puissance exécutrice, qui l'est elle-même par la puissance législative. Voyez-en le détail dans l'ouvrage de l'esprit des lois, l. II. ch. vj. C'est assez pour moi de remarquer en général que la liberté politique est perdue dans un état, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple exercent les trois puissances, celle de faire des lois, celle d'exécuter les résolutions publiques, & celle de juger les crimes ou les différends des particuliers. (D.J.)
PUISSANCES de l'Europe, (Politiq.) c'est ainsi qu'on nomme les divers états souverains de cette partie du monde. L'intérêt forme leurs noeuds, l'intérêt les rompt. Aujourd'hui alliées, demain engagées dans une guerre funeste, dont les peuples payent le jeu. (D.J.)
PUISSANCE, (Jurisprud.) est le pouvoir que quelqu'un a sur la personne ou sur les biens d'autrui.
Toute puissance sur la terre a été établie de Dieu pour maintenir chaque chose dans l'ordre où elle doit être.
On distingue deux sortes de puissances, la spirituelle & la temporelle ou séculiere.
La puissance spirituelle est celle qui s'étend sur les personnes relativement aux choses purement spirituelles, telles que les sacremens. Celles-ci appartiennent aux ministres de l'Eglise, lesquels n'ont, pour se faire obéir, que les armes spirituelles. Voyez CENSURE, ÉGLISE, EXCOMMUNICATION, INTERDIT.
La puissance ecclésiastique, est celle qui appartient à l'Eglise ; elle comprend, outre la puissance spirituelle, celle que les princes ont donnée à l'Eglise dans certaines matieres qui ont quelque rapport aux choses spirituelles. Voyez JURISDICTION ECCLESIASTIQUE.
La puissance temporelle est celle qui s'étend sur les personnes & les biens relativement à des intérêts temporels.
On divise la puissance temporelle en puissance publique & particuliere de plusieurs especes ; savoir, la puissance paternelle & la puissance maritale, celle des tuteurs, curateurs, gardiens, & autres administrateurs ; celle des maîtres sur leurs esclaves & domestiques ; ces diverses sortes de puissances particulieres sont les plus anciennes de toutes : le gouvernement domestique étant aussi plus ancien que le gouvernement politique.
L'union de l'autorité avec les forces forme ce que l'on appelle puissance publique.
La puissance souveraine ou publique est celle qui a le gouvernement d'un état ; elle se subdivise en puissance monarchique, puissance aristocratique & puissance démocratique. Voyez MONARCHIQUE & ROYAUME, ARISTOCRATIE, ETAT & DEMOCRATIE.
L'objet de toute puissance publique est de procurer le bien de l'état au-dedans & au-dehors.
Les droits de la puissance publique consistent dans tous les droits de souveraineté.
Dans tous les états, celui ou ceux en qui réside la puissance publique, ne pouvant seuls en remplir tous les devoirs, ils sont obligés de se décharger sur différentes personnes d'une partie des fonctions attachées à cette puissance : tous les ordres émanent médiatement ou immédiatement de la puissance publique ; ainsi ceux qui exercent quelque portion du gouvernement militaire, ou de celui de justice ou de finances, sont autant de dépositaires d'une partie de la puissance publique, & qui agissent au nom de cette puissance.
Le devoir de tous ceux qui ont quelque part à la puissance publique, est de maintenir le bon ordre, de faire rendre à chacun ce qui lui appartient, d'empêcher les abus qui peuvent troubler l'harmonie politique. Voyez la loi 215. au digeste de verb. signific. Richerius, de potestate eccles. & politicâ ; les loix civiles, tome II. & les mots ETAT, GOUVERNEMENT, SOUVERAIN, SOUVERAINETE ; les mots PUISSANCE MARITALE, PATERNELLE, ROYALE, &c.
PUISSANCE DE FIEF, est le droit que le seigneur du fief dominant a sur le fief servant, tant pour le saisir féodalement, faute d'homme, droit & devoirs non-faits & non-payés, que pour le reprendre par droit de retrait féodal, en cas d'aliénation de la part du vassal. Voyez FIEF, RETRAIT FEODAL, SAISIE FEODALE, SEIGNEUR, VASSAL.
PUISSANCE DES MAITRES sur leurs domestiques, est l'autorité que les maîtres ont sur ceux qui les servent pour leur commander ou défendre de faire quelque chose. Les domestiques doivent avoir de la soumission & du respect pour leur maître, & ceux qui s'écartent du respect qu'ils leur doivent sont punis de la peine du carcan, ou autres peines plus séveres, selon la qualité du délit : les maîtres ne doivent point maltraiter leurs domestiques ; lorsqu'ils en reçoivent quelque sujet de mécontentement, ils ont seulement le droit de leur faire une réprimande, de leur ordonner de faire leur devoir : ils peuvent aussi les congédier quand bon leur semble, même rendre plainte contr'eux, s'il y échet ; mais ils ne peuvent pas se faire justice eux-mêmes.
Les domestiques sont aussi libres de quitter leurs maîtres, lorsqu'ils le jugent à-propos, sauf les dommages intérêts du maître, au cas qu'ils se fussent loués pour un certain tems, & que par l'inexécution de la convention, le maître souffrît un dommage réel. Voyez le réglement du parlement de Rouen du 26 Juin 1722. rapporté dans les pieces justificatives du code rural, tome II.
La puissance des maîtres sur les esclaves est plus étendue que celle qu'ils ont sur de simples domestiques. Voyez ce qui en a été dit ci-devant aux mots AFFRANCHISSEMENT, ESCLAVE, MANUMISSION.
PUISSANCE MARITALE, est celle que le mari a sur la personne, & les biens de sa femme.
La femme est naturellement & de droit divin dans la dépendance de l'homme : sub viri potestate eris, & ipse dominabitur tui. Genèse, c. iij. vers. 16.
Cette dépendance étoit telle chez les Romains, que la fille qui n'étoit plus sous la puissance paternelle & qui n'étoit pas encore mariée, demeuroit toujours sous la tutele, soit de ses proches, soit des tuteurs, qui lui avoient été donnés par le juge ; telle étoit la disposition de la loi des douze tables.
La loi attilia ordonnoit que le préteur & les tribuns donnassent des tuteurs aux femmes & aux pupilles.
Mais il y avoit cette différence entre les tuteurs des pupilles & ceux des filles ou femmes puberes, que les premiers avoient la gestion des biens, au lieu que les tuteurs des femmes interposoient seulement leur autorité.
Or, de même que la femme non-mariée étoit en la puissance d'un tuteur, la femme mariée étoit en la puissance de son mari ; cela s'appelloit être en la main du mari ; & cette puissance maritale s'établissoit en la forme indiquée par Ulpien, tit. de his qui in manu sunt, in manum convenire, venir en la main du mari.
La maniere la plus solemnelle & la plus parfaite de contracter mariage étoit celle où la femme passoit en la main de son mari ; elle étoit appellée mater familias, parce qu'elle étoit réputée de la famille de son mari, & y tenir la place d'héritier ; au lieu que celle qui étoit mariée autrement, étoit seulement qualifiée de matrone, matrona. On voit par ce qui vient d'être dit, que la puissance maritale ne différoit pas alors de la puissance paternelle.
Mais le dessein de faciliter le mariage, ou plutôt la liberté du divorce, ayant fait peu-à-peu tomber en non-usage les formalités par lesquelles la femme venoit en la main de son mari, la puissance maritale fut grandement diminuée.
Tout ce qui est resté de l'ancien droit, c'est que le mari est le maître de la dot, c'est-à-dire qu'il en a l'administration & qu'il fait les fruits siens ; car du reste il ne peut aliéner ni hypothéquer le fonds dotal, même du consentement de sa femme, si ce n'est dans le ressort du parlement de Paris, suivant l'édit du mois d'Avril 1664, qui permet au mari l'hypotheque & l'aliénation des biens dotaux, quand elle se fait conjointement avec son mari.
La femme est seulement maîtresse en pays de droit écrit de ses paraphernaux.
Les effets ordinaires de la puissance maritale en pays coutumier sont 1°. que la femme ne peut passer aucune obligation, ni contrat, sans l'autorité expresse du mari ; elle ne peut même accepter sans lui une donation, quand même elle seroit séparée de biens. 2°. Elle ne peut pas ester en jugement sans le consentement de son mari, à moins qu'elle ne soit autorisée ou par justice au refus de son mari, ou qu'elle ne soit séparée de biens, & la séparation exécutée. 3°. Le mari est le maître de la communauté, de maniere qu'il peut vendre, aliéner ou hypothéquer tous les meubles & conquêts immeubles sans le consentement de sa femme, pourvu que ce soit au profit de personne capable & sans fraude. Cout. de Paris, art. 223, 224 & 225. Voyez COMMUNAUTE, CONQUETS, DOT, MARI, FEMME, PARAPHERNAL, PROPRES, REMPLACER, VELLEIEN. (A)
PUISSANCE PAPALE, (Gouvern. ecclésiast.) l'autorité que l'on voudroit attribuer aux papes, ne paroît pas raisonnable à tout le monde. On ne sauroit considérer sans étonnement, que le chef de l'église, qui n'a que les armes spirituelles de la parole de Dieu, & qui ne peut fonder ses droits que sur l'Evangile, où tout prêche l'humilité & la pauvreté, ait pû aspirer à une domination absolue sur tous les rois de la terre : mais il est encore plus étonnant que ce dessein lui ait réussi. Tout le monde a fait cette observation ; mais Bayle l'a démontré contre l'auteur de l'Esprit des cours de l'Europe, qui prétendit, dans le dernier siecle, que la puissance papale n'est pas une chose bien merveilleuse, & que leurs conquêtes, dans certains tems, n'ont pas dû être difficiles. Rapportons ici ces raisons & les réponses de l'auteur du dictionnaire critique. On peut diviser en deux parties les réflexions de l'anonyme qui a mis au jour en 1699 le livre que j'ai cité. Il paroît que, dans la premiere partie, il se contente de railler finement la puissance papale ; mais dans la seconde, il établit sérieusement la facilité de s'aggrandir, qu'il suppose qu'ont eue les pontifes de Rome.
Les ironies ingénieuses de la premiere partie sont telles qu'un docteur ultramontain y pourroit être attrapé, & les employer tout de bon comme des preuves. C'est pourquoi il ne sera pas hors de propos de les discuter. " N'est-il pas dit (c'est l'anonyme qui parle) que tout genouil terrestre fléchira au nom du chef invisible ? Comment le chef visible ne terrassera-t-il pas tous ses ennemis ? Comment n'auroit-il pas confondu tous ceux qui ont osé lui résister ? Le chef visible n'agit que par le pouvoir du chef invisible : si le maître est toujours victorieux, il faut bien que le vicaire le soit aussi. Ce miracle est un article de foi : c'est trop peu dire, il est le grand mobile de la religion. La religion ne doit pas moins assujettir le corps que l'esprit à son empire : personne ne le dispute : elle a droit sur l'homme tout entier : comme les récompenses sont proposées à la substance matérielle, aussi-bien qu'à la spirituelle, l'une & l'autre doivent subir également le joug des lois, & les menaces regardent indifféremment toutes les deux. Ce principe une fois renversé, que deviendroit la sainte inquisition ? Ce divin tribunal n'auroit plus d'autre fondement qu'une cruauté barbare ; & cet arsenal sacré ne renfermeroit pas une arme qui n'eût été forgée au feu de l'enfer. Le pape est donc le maître des corps aussi-bien que des ames ; & comme son autorité sur les consciences n'a point de bornes, son pouvoir sur les corps doit être invincible ; d'ailleurs n'étoit-il pas de la juste économie du salut que la puissance ne fût pas moins étendue que la lumiere ? De quoi serviroit à un chef divinement établi de connoître tout, s'il n'avoit pas le pouvoir de disposer de tout ? Il seroit fort inutile à cet Hercule d'écraser les monstres de l'erreur, s'il n'avoit pas droit de terrasser les monstres de l'impiété : ce droit embrasse les rois & les empereurs, qui, pour commander à des peuples, ne sont pas moins les sujets de l'Eglise. Les papes ont tenu tête à ces premiers sujets toutes les fois qu'ils se sont révoltés contre cette bonne mere : ils leur ont opposé une puissance infinie ; comment les papes auroient-ils eû le dessous ? Et voilà le véritable dénouement des glorieux & inimaginables succès de la nouvelle monarchie romaine ".
Ce discours étant pris sans ironie, formeroit ce raisonnement sérieux ; que dès-là que les évêques de Rome ont été considérés comme les vicaires de Jesus-Christ, dont la puissance sur les corps & sur les ames n'a point de bornes, il a fallu que leur empire se soit établi facilement sur les peuples, & même sur le temporel des souverains. Une distinction suffira pour résoudre cette difficulté. Qu'on avance tant qu'on voudra que Jesus-Christ a établi un vicariat dans son Eglise, le bon sens, la droite raison ne laisseront pas de nous apprendre qu'il l'a établi, non pas en qualité de souverain maître, & de créateur de toutes choses, mais en qualité de médiateur entre Dieu & les hommes, ou en qualité de fondateur d'une religion qui montre aux hommes la voie du salut, qui promet le paradis aux fideles & qui menace de la colere de Dieu les impénitens. Voilà donc les bornes de la puissance du vicaire que Jesus-Christ auroit établi. Ce vicaire ne pourroit tout-au-plus que décider de la doctrine qui sauve ou qui damne. Il faudroit qu'après avoir annoncé les promesses du paradis & les menaces de l'enfer, & après les instructions, les censures, & telles autres voies de persuasion & de direction spirituelle, il laissât à Dieu l'exécution des menaces non-seulement à l'égard des peines à l'autre vie, mais aussi à l'égard des châtimens corporels dans ce monde-ci. Jesus-Christ lui-même n'en usoit pas autrement. Il suivit dans la derniere exactitude le véritable esprit de la religion, qui est d'éclairer & de sanctifier l'ame, & de la conduire au salut par les voies de la persuasion sans empiéter sur la politique, l'autorité de punir corporellement les opiniâtres & les incrédules, dont il trouvoit un nombre infini ; car il n'est pas vrai qu'à cet égard le chef & le maître de l'Eglise soit toujours victorieux.
Ainsi ceux-mêmes qui ont été le plus fortement persuadés que le pape est le vicaire de Jesus-Christ, ont dû regarder comme un abus du vicariat tout ce qui sentoit la jurisdiction temporelle & l'autorité de punir le corps. Et de-là devoient sortir naturellement une infinité d'obstacles aux principes contraires. Il n'est pas inutile de connoître tout, encore que l'on n'ait pas le pouvoir de disposer de tout. C'est assez que la religion fasse connoître sûrement ce qu'il faut croire, & ce qu'il faut faire ; c'est assez qu'elle puisse clairement réfuter l'erreur, & ce n'est qu'en ce sens-là que l'autorité de terrasser les monstres de l'hérésie & de l'impiété lui appartient. Si les hommes résistent à ses lumieres, c'est à Dieu à les en punir comme des inexcusables. Ce n'est point l'affaire de la religion, ni une partie du ministere établi par Jesus-Christ. Voici la seconde partie de la réflexion de l'anonyme.
" Ne volons pas si haut, & parlons plus humainement, il n'y a rien de si surprenant dans la grandeur des papes. A la faveur de quelques passages de l'Ecriture, des entousiastes ont persuadé le monde de leur divinité ; cela est-il nouveau ? Jusqu'où les hommes ne se laissent-ils pas entraîner en fait de religion ? Ils aiment sur-tout à diviniser leur semblable. Le Paganisme le démontre. Or posé une fois que les papes ayent pû facilement établir les divins privileges de leur charge, n'étoit-il pas naturel que les peuples se déclarassent pour eux contre toutes les autres puissances ? Pour moi, bien-loin d'être surpris de leur élévation, j'admire comment ils ont pû manquer la monarchie universelle : le nombre des princes qui ont secoué le joug romain me confond ; quand j'en cherche la raison, je ne puis me prendre qu'à ces deux causes si générales & si connues, que l'homme n'agit pas toujours conséquemment à ses principes, & que la vie présente fait de plus fortes impressions sur son coeur que celle qui est à venir ".
Laissons croire, dit M. Bayle, à l'auteur anonyme de l'Esprit des cours de l'Europe, à cet écrivain fin & subtil, que les papes ont pu aisément persuader qu'ils étoient des dieux en terre, c'est-à-dire qu'en qualité de chefs visibles de l'Eglise, ils pouvoient déclarer authentiquement, cela est hérétique, cela est orthodoxe, régler les cérémonies & commander à tous les évêques du monde chrétien. Résultera-t-il de-là qu'ils ayent pu aisément établir leur autorité sur les monarques, & les mettre sous leur joug avec la derniere facilité ? C'est ce que je ne vois point. Je vois au contraire que, selon les apparences, leur puissance spirituelle devoit courir de grands risques par l'ambition qu'ils avoient d'attenter sur le temporel des rois. Prenez garde, dit-on un jour aux Athéniens, que le soin du ciel ne vous fasse perdre la terre ; tout au rebours, on auroit dû dire aux papes : " Prenez garde que la passion d'acquérir la terre ne vous fasse perdre le ciel : on vous ôtera la puissance spirituelle, si vous travaillez à usurper la temporelle ". On sait que les princes les plus orthodoxes sont plus jaloux des intérêts de leur souveraineté que de ceux de la religion. Mille exemples anciens & modernes nous l'apprennent : il n'étoit donc point probable qu'ils souffriroient que l'Eglise s'emparât de leurs domaines & de leurs droits, & il étoit probable qu'ils travailleroient plutôt à amplifier leur autorité au préjudice de l'Eglise, qu'ils ne laisseroient amplifier la puissance de l'Eglise au préjudice de leur puissance temporelle.
Cette dispute devoit donc être fatale aux usurpateurs de l'autorité temporelle ; car il est aisé de montrer, & par des textes formels de l'Ecriture, & par l'esprit de l'Evangile, & par l'ancienne tradition, & par l'usage des premiers siecles, que les papes ne sont nullement fondés dans leurs prétentions de disposer des couronnes, & de partager en tant de choses les droits de la souveraineté. Cela peut même frayer le chemin à ébranler leur autorité spirituelle ; & en les mettant sur la défensive à l'égard de ce point-là, dans quel embarras les jette-t-on ? Quel péril ne leur fait-on pas courir par rapport même aux articles que les peuples s'étoient laissé persuader d'adopter ? Il ne faut pas compter pour peu de chose la disposition, qu'il est probable qu'auront à servir les princes, les ecclésiastiques, que la cour de Rome veut contraindre à ne se point marier. Le nombre de ceux qui trouvent ce joug trop dur, est innombrable : les incontinens honnêtes sont ceux qui ont le plus à coeur le privilege de se marier ; car, pour ceux qui n'ont guere de conscience, ils se dédommagent par le concubinage.
Mais lisons l'histoire des papes, nous verrons qu'ils n'ont avancé dans leur chemin & qu'ils n'ont gagné du terrein qu'en renversant des obstacles qu'ils ont rencontrés à chaque pas. On leur a opposé des armées & des livres, on les a combattus & par des prédications, & par des libelles & par des prophéties ; on a tout mis en usage pour arrêter leurs conquêtes, & tout s'est trouvé inutile. Mais pourquoi ? C'est à cause qu'ils se sont servi de tous les moyens imaginables. Les armes, les croisades, les tribunaux de l'inquisition ont secondé en leur faveur les foudres apostoliques ; la ruse, la violence, le courage & l'artifice ont concouru à les protéger. Leurs conquêtes ont couté la vie à autant de gens, ou peu s'en faut, que celles de la république romaine. On voit beaucoup d'écrivains qui appliquent à la nouvelle Rome, ce que Virgile a remarqué touchant l'ancienne.
Multa quoque & bello passus dùm conderet urbem
Inferretque deos latio.
Aeneïd. lib. I. vers. 3.
Concluons que la puissance où les papes sont parvenus est un des plus grands prodiges de l'histoire humaine, & l'une de ces choses qui n'arrivent pas deux fois. Si elle étoit à faire, je ne crois pas qu'elle se fît. Une singularité de tems aussi favorable dans cette entreprise ne se rencontreroit point dans les siecles à venir, comme elle s'est rencontrée dans les siecles passés ; & si ce grand édifice se détruisoit & que ce fût à recommencer, on n'en viendroit pas à bout. Tout ce que peut faire présentement la cour de Rome, avec la plus grande habileté politique qui se voie dans l'univers, ne va qu'à se maintenir : les acquisitions sont finies. Elle se garde bien d'oser excommunier une tête couronnée, & combien de fois faut-il qu'elle dissimule son ressentiment contre le parti catholique qui dispute aux papes l'infaillibilité, & qui fait brûler les livres qui lui sont les plus favorables ? Si elle tomboit aujourd'hui dans l'embarras de l'antipapat, je veux dire dans ces confusions de schismes où elle s'est trouvée tant de fois, & où l'on voyoit pape contre pape, concile contre concile, infestisque obvia signis signa, pares aquilas, & pila minantia pilis, elle n'en sortiroit pas avec avantage : elle échoueroit dans un siecle comme le nôtre avec toute sa dextérité : elle a perdu les plus beaux fleurons de sa couronne, & les autres sont bien endommagés. (D.J.)
PUISSANCE PATERNELLE, est un droit accordé par la loi au pere ou autre ascendant mâle & du côté paternel, sur la personne & les biens de leurs enfans & petits-enfans nés en légitime mariage, ou qui ont été légitimés, soit par mariage subséquent, ou par lettres du prince.
On entend quelquefois par puissance paternelle le droit de supériorité & de correction que les peres ont sur leurs enfans ; droit qui appartient également aux meres, avec cette différence seulement que l'autorité des meres est subordonnée à celle des peres, à cause de la prééminence du sexe masculin. Grotius, lib. I. Ic. v. n. 1.
La puissance des pere & mere, considérée sous ce point de vûe, est de droit naturel.
L'homme en naissant est si foible de corps, & sa raison est encore enveloppée de tant de nuages, qu'il est nécessaire que les pere & mere ayent autorité sur leurs enfans pour veiller à leur conservation, & pour leur apprendre à se conduire.
On peut donc regarder la puissance paternelle comme la plus ancienne puissance établie de Dieu sur la terre.
En effet, les premieres sociétés des hommes n'étoient composées que d'une même famille, & celui qui en étoit le chef en étoit tout-à-la-fois le pere, le juge ou arbitre, & le souverain ; & cette puissance des peres n'avoit aucune autre puissance humaine audessus d'elle, jusqu'à ce qu'il s'élevât quelques hommes ambitieux qui s'arrogeant une autorité nouvelle & jusqu'alors inconnue, sur plusieurs familles répandues dans une certaine étendue de pays, donnerent naissance à la puissance souveraine.
Ce n'est pas seulement ce droit naturel qui accorde aux pere & mere une certaine puissance sur leurs enfans, elle a été également admise par le droit des gens ; il n'est point de nation qui n'accorde aux pere & mere quelqu'autorité sur leurs enfans, & une autorité plus ou moins étendue, selon que les peuples se sont plus ou moins conformé à la loi naturelle.
Le droit divin est venu fortifier en nous ces principes ; le Décalogue apprend aux enfans qu'ils doivent honorer leurs pere & mere, ce qui annonce que ceux-ci ont autorité sur leurs enfans.
Mais comme les enfans ne restent pas toujours dans le même état, & que l'homme a ses différens âges, l'autorité des pere & mere a aussi ses différens degrés.
On doit relativement à la puissance paternelle distinguer trois âges.
Dans le premier, qui est celui de l'enfance où l'homme n'est pas encore capable de discernement, les pere & mere ont une autorité entiere ; & cette puissance est un pouvoir de protection & de défense.
Dans le second âge, que l'on peut fixer à la puberté, l'enfant commence à être capable de réflexion ; mais il est encore si volage, qu'il a besoin d'être dirigé : la puissance des pere & mere devient alors un pouvoir d'administration domestique & de direction.
Dans le troisieme âge, qui est celui où les enfans ont coutume de s'établir, soit par mariage, soit en travaillant pour leur compte particulier, ils doivent toujours se ressouvenir qu'ils doivent à leurs pere & mere la naissance & l'éducation ; ils doivent conséquemment les regarder toute leur vie comme leurs bienfaiteurs, & leur en marquer leur reconnoissance par tous les devoirs de respect, d'amitié & de considération dont ils sont capables : c'est sur ce respect & sur l'affection que les enfans doivent avoir pour leurs pere & mere, qu'est fondé le pouvoir que les pere & mere conservent encore sur leurs enfans dans le troisieme âge.
Le droit naturel, le droit des gens & le droit divin ne donnent point aux pere & mere d'autre puissance sur leurs enfans que celle qu'on vient d'expliquer ; tout ce qui est au-delà provient de la disposition des hommes, & est purement arbitraire.
Ainsi ce que l'on entend en droit par puissance paternelle, entant que cette puissance attribue au pere certains droits singuliers sur la personne & les biens des enfans, est une prérogative émanée du droit civil, & dont l'exercice plus ou moins étendu dépend des lois de chaque pays.
C'est par cette raison que Justinien observe que la puissance que les Romains avoient sur leurs enfans étoit particuliere à ces peuples, parce qu'en effet il n'y avoit aucune autre nation où les peres eussent un pouvoir aussi étendu.
Ce qui étoit de particulier aux Romains n'étoit pas l'autorité en général que les peres ont sur leurs enfans, mais cette même autorité modifiée & étendue telle qu'elle avoit lieu parmi eux, & que l'on peut dire n'avoir ni fin, ni bornes, du-moins suivant l'ancien droit.
Elle n'avoit point de fin, parce qu'elle duroit pendant toute la vie du fils de famille.
Elle n'avoit point de bornes, puisqu'elle alloit jusqu'au droit de vie & de mort, & que le pere avoit la liberté de vendre son enfant jusqu'à trois fois.
Le pere avoit aussi le droit de s'approprier tout ce que son fils acquéroit, sans distinction.
Ces différens droits furent dans la suite restraints & mitigés.
On ôta d'abord aux peres le droit de vie & de mort, & celui de vendre & aliéner leurs enfans ; il ne leur demeura à cet égard que le droit de correction modérée.
Le droit même d'acquérir par leurs enfans & de s'approprier tout ce qu'ils avoient, fut beaucoup restraint par l'exception que l'on fit en faveur des fils de famille de leurs pécules castrense, quasi castrense, & autres semblables. Voyez PECULE.
La puissance paternelle, telle qu'elle étoit réglée, suivant le dernier état du droit romain, a encore lieu dans tous les pays du droit écrit, sauf quelques différences qu'il y a dans l'usage de divers parlemens.
Le premier effet de la puissance paternelle, est que ceux qui sont soumis à cette puissance, & qu'on appelle enfans de famille, ne peuvent point s'obliger pour cause de prêt quoiqu'ils soient majeurs ; leurs obligations ne sont pas valables, même après la mort de leur pere. Voyez FILS DE FAMILLE & SENATUS CONSULTE MACEDONIEN.
Le 2d. effet de la puissance paternelle, est que les enfans de famille ne peuvent tester, même avec la permission de leur pere, & leur testament n'est pas valable, même après la mort de leur pere ; on excepte seulement de cette regle les pécules castrenses & quasi castrenses.
Le troisieme effet, est que le pere jouït des fruits de tous les biens de ses enfans étant en sa puissance, de quelque part que leur viennent ces biens, à l'exception pareillement des pécules castrenses & quasi castrenses.
Il y a aussi des cas où il n'a pas l'usufruit des biens adventifs ; savoir, 1°. lorsqu'il succede conjointement avec ses enfans à quelqu'un de ses enfans prédécédé, il ne jouït pas de l'usufruit des portions de ses enfans, parce qu'il a une virile en propriété : 2°. lorsqu'il refuse d'autoriser ses enfans pour accepter une succession, donation ou legs : 3°. il en est de même des biens donnés ou légués à ses enfans, à condition qu'il ne jouïra pas des fruits.
Le quatrieme effet de la puissance paternelle, est que tout ce que le fils de famille acquiert du profit des biens qu'il avoit en ses mains, appartenant au pere, est acquis au pere, non seulement en usufruit, mais aussi en pleine propriété, sur-tout si le fils faisoit valoir ce fonds aux risques du pere.
Le cinquieme effet, est que le pere ne peut faire aucune donation entre vifs & irrévocable, aux enfans qu'il a sous sa puissance, si ce n'est par le contrat de mariage du fils de famille.
Le sixieme, est que le pere qui marie son fils étant en sa puissance, est responsable de la dot de sa belle-fille, soit qu'il la reçoive lui-même, ou que son fils la reçoive.
Le septieme effet, est que le pere pour prix de l'émancipation de son fils, retient encore quelque droit sur ses biens. Suivant la loi de Constantin, il avoit le tiers des biens en propriété ; Justinien au-lieu de ce tiers lui donne la moitié en usufruit.
Enfin le huitieme effet, est que le pere a droit de jouïr en usufruit, d'une portion virile des biens qui écheoient à ses enfans par le décès de la mere, après leur émancipation. Les docteurs sont d'avis qu'il en est de même des biens qui écheoient d'ailleurs aux enfans.
Le pere ne peut pas renoncer en fraude de ses créanciers, à l'usufruit qu'il a par droit de puissance paternelle ; mais ses créanciers ne peuvent l'empêcher d'émanciper ses enfans sans aucune réserve d'usufruit.
L'émancipation est un des moyens qui font finir la puissance paternelle.
Nous ne parlerons point ici de la forme de l'émancipation, on peut voir ce qui en a été dit ci-devant à la lettre E.
Les autres moyens qui font finir la puissance paternelle, sont la mort naturelle ou civile du pere ou du fils, la profession religieuse de l'un ou de l'autre, les grandes dignités ; en droit il n'y avoit que la dignité de patrice qui exemptoit de la puissance paternelle, celle de sénateur n'avoit pas cet effet.
En France les premieres dignités de l'épée & de la cour émancipent, & dans la robe celles de président, procureur & avocats-généraux.
A l'égard des dignités ecclésiastiques, il n'y a que l'épiscopat qui fasse cesser la puissance paternelle, les dignités d'abbé, de prieur, de curé n'émancipent point.
L'habitation séparée ne fait pas seule finir la puissance paternelle, si ce n'est dans quelques endroits où il y a un usage singulier.
Pour ce qui est du mariage, il émancipe dans les pays de droit écrit du ressort du parlement de Paris, & dans toutes les coutumes, mais non pas dans les parlemens de droit écrit.
M. de Lauriere, sur la regle 37 de Loisel, employe de bonnes autorités pour prouver que dans toute la France coutumiere, les peres avoient anciennement une telle puissance sur leurs enfans qu'ils pouvoient les vendre ; mais que la barbarie s'étant abolie peu-à-peu sous les rois de la troisieme race, les enfans furent traités avec tant de douceur, qu'Accurse qui vivoit vers l'an 1200, écrit que de son tems ils étoient en France comme affranchis de la puissance paternelle, ut prorsus absolutos.
Quelques auteurs qui ont mal entendu ces termes d'Accurse, ont cru qu'il avoit nié que les François admissent la puissance paternelle, quoiqu'il ait seulement voulu dire qu'elle y étoit extrêmement mitigée.
Loisel parlant de l'usage du pays coutumier, dit que droit de puissance paternelle n'a lieu.
Coquille en son institution, dit qu'elle n'est que superficiaire en France, & que nos coutumes en ont retenu quelques petites marques avec peu d'effet.
Dumolin, §. 2. de l'anc. cout. glos. 2. dit que les François en usent en quelque sorte seulement quadamtenus tantum, & dans ses commentaires sur Decius, il ne fait consister cette puissance qu'en honneur dû au pere, & dans le droit d'assister ses enfans & de les autoriser pour agir & pour contracter.
Il est évident que cet auteur n'a entendu parler que de ce que la qualité de pere opere plus communément parmi nous.
En effet, nous avons plusieurs coutumes qui admettent expressément un droit de puissance paternelle, en vertu duquel le pere fait les fruits siens du bien de ses enfans.
Cette puissance, telle qu'elle a lieu présentement dans les pays de coutume, est un composé du droit des gens, du droit romain, dont les peuples, suivant leur goût, ont emprunté plus ou moins ; c'est un mélange de la tutele & du droit de garde.
Par exemple, dans la coutume de Berri, les enfans sont sous la puissance paternelle ; mais cette puissance ne dure que jusqu'à 25 ans, quand les enfans ne sont pas mariés, & finit plus tôt quand ils sont mariés avant cet âge. Les seuls effets de cette puissance sont que les enfans qui y sont encore soumis, ne peuvent ester en jugement, agir ni disposer. Du reste, ce n'est de la part du pere qu'un droit de protection, & une tutele naturelle ; car il ne gagne pas les fruits des biens de ses enfans, si ce n'est après le décès de sa femme, pendant qu'il est légitime administrateur. Mais cette administration, qui est commune à la mere, n'est proprement qu'un droit de garde ; elle ne dure que jusqu'à 18 ans pour les mâles, & 14 pour les filles ; au-lieu que la puissance paternelle dure jusqu'à 25 ans, quand les enfans ne sont pas mariés.
Dans la coutume de Montargis, les enfans sont en la puissance de leur pere, mais cette puissance cesse à 20 ans & un jour, & même plus tôt si les enfans sont mariés, ou si le pere ou la mere meurt ; alors les enfans tombent en garde, & s'ils sont nobles, la garde emporte perte de fruits : cette puissance n'est encore qu'un droit d'autorité & de protection.
Les coutumes de Châlons & de Rheims sont plus mélangées. Leurs dispositions sont émanées de différentes sources ; les enfans y sont en la puissance de leur pere, ce qui est du droit des gens ; mais ils cessent d'être en cette puissance dès qu'ils ont l'âge de 20 ans, ou qu'ils sont mariés, ou qu'ils tiennent maison & feu à-part au vû & au sçû de leur pere : ceci est du droit coutumier. Si pendant que cette puissance dure on donne à l'enfant quelque héritage, les fruits en appartiennent au pere : ceci est du droit romain. Si la mere meurt, la puissance du pere est convertie en tutele, ce qui est conforme au droit commun.
Les dispositions de la coutume de Bretagne sur la puissance paternelle, tiennent plus du droit romain. Le fils y est en la puissance du pere, fût-il âgé de 60 ans ; il n'y a que le mariage contracté du consentement du pere, ou une émancipation expresse, requise par l'enfant âgé de 20 ans, qui puisse les en faire sortir. Tout ce que l'enfant acquiert appartient au pere de plein droit ; mais pour les autres biens des enfans, le pere n'en jouït qu'à la charge de rendre compte quand ils ont atteint l'âge de 25 ans.
Dans la coutume de Poitou la puissance paternelle dure tant que le fils n'est point marié, pourvû que le pere lui-même ne se remarie point ; ensorte qu'un fils non marié, âgé de 30, 40 & 50 ans, est toujours sous la puissance du pere, lequel gagne les fruits des biens patrimoniaux de ses enfans jusqu'à ce qu'ils aient 25 ans, au cas qu'ils soient mariés, & indéfiniment lorsqu'ils ne le sont pas.
Mais les enfans quoique en la puissance de leur pere, peuvent acquérir ; & même s'ils ont alors 25 ans, le pere n'a rien dans ces acquêts ; s'ils acquierent audessous de 25 ans, les meubles appartiennent au pere avec l'usufruit des acquêts immeubles jusqu'à 25 ans.
L'enfant qui est en puissance, peut dans cette même coutume, disposer par testament ; savoir, pour les immeubles, les garçons à 20 ans, les filles à 18 ; & pour les meubles, les garçons à 17, & les filles à 15 ans accomplis, à moins qu'ils ne soient mariés plus tôt.
La coutume d'Auvergne tient beaucoup du droit romain sur cette matiere, ainsi que sur plusieurs autres. Le fils de famille y est sous la puissance du pere ; mais à 25 ans il peut ester en jugement, tant en demandant qu'en défendant, sans l'autorité ou licence du pere ; mais le jugement ne porte aucun préjudice au pere pour les droits qu'il a sur les biens de ses enfans ; car le pere est administrateur légitime de leurs biens maternels & adventifs, & fait les fruits fiens, & cette jouïssance dure nonobstant que l'enfant décede avant son pere.
Le statut de la puissance paternelle, en tant qu'il met le fils de famille dans une incapacité d'agir, de contracter & de tester, est un statut personnel dont l'effet se regle par la loi du lieu où le pere avoit son domicile au tems de la naissance du fils de famille, & ce statut étend son empire sur la personne du fils de famille, en quelque lieu que le pere ou le fils aillent dans la suite demeurer.
Mais ce même statut, en tant qu'il donne au pere la jouïssance des biens du fils de famille, est un statut réel, qui n'a conséquemment de pouvoir que sur les biens de son territoire. Voyez aux instit. le tit. de patria potestate ; Bretonnier en ses quest. Bodin dans sa république, livre I. chap. iv. Argou, Ferrieres, Boulenois, dissertations, xx. question, & les mots FILS DE FAMILLE, PERE, PECULE, SENATUS-CONSULTE MACEDONIEN.
PUISSANCE ROYALE, est l'autorité souveraine du roi. Dans le préambule des ordonnances, édits, déclarations & lettres-patentes, le roi met ordinairement ces mots, de notre certaine science, pleine puissance & autorité royale, nous avons dit, déclaré & ordonné, &c. Voyez ci-devant les mots AUTORITE, GOUVERNEMENT, MONARCHIE, PRINCE, & ci-après ROI, SOUVERAIN. (A)
PUISSANCE SACREE, (Hist. de Rome) nom qu'on donnoit à Rome au pouvoir des tribuns du peuple, parce que ces magistrats étoient sacrés ; ensorte que si quelqu'un les offensoit de parole ou d'action, il étoit regardé comme un impie, un sacrilege, & ses biens étoient confisqués. On sait d'ailleurs que les tribuns du peuple en vertu de la puissance sacrée dont ils étoient revêtus, s'opposoient non seulement à tout ce qui leur déplaisoit, comme aux assemblées par tribus, & à la levée des soldats ; mais ils pouvoient encore assembler, quand ils le vouloient, le sénat & le peuple, & semblablement en rompre les assemblées : en un mot, leur puissance sacrée étoit un pouvoir immense. (D.J.)
PUISSANCES, (Théolog.) terme usité dans les Peres, dans les Théologiens, & dans la liturgie de l'église romaine, pour exprimer les anges du second ordre, de la seconde hiérarchie. Voyez ANGE & HIERARCHIE.
On croit qu'ils sont ainsi nommés à cause du pouvoir qu'ils ont sur les anges inférieurs ; qu'ils restraignent la puissance des démons, & qu'ils veillent à la conservation du monde.
PUISSANCES HAUTES, (Hist. mod.) titre qui commença à être donné aux états des Provinces-unies des Pays-bas vers l'an 1644, pendant les conférences de la paix de Munster. Depuis que leur souveraineté a été établie & reconnue par l'Espagne, par le traité conclu en cette ville en 1648, les rois d'Angleterre & du Nord ont donné aux états-généraux le titre de hautes-puissances ; les électeurs & princes de l'empire les ont qualifiés de même, mais l'empereur & le roi d'Espagne se sont abstenus de leur accorder ce titre, excepté depuis que la branche d'Autriche étant éteinte en Espagne, celle qui subsistoit en Allemagne n'a pas cru devoir ménager les honneurs à une république dont l'alliance lui étoit nécessaire. Les rois de France, en traitant avec les Hollandois, les ont autrefois qualifiés de leurs états-généraux, & leur donnent maintenant le titre de seigneurs états-généraux ; mais l'Espagne qui ne les traite d'ailleurs que de seigneuries, leur a toujours constamment refusé le titre de hautes-puissances, apparemment pour ne pas paroître abandonner les anciens droits qu'elle prétend avoir sur eux.
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PUITS | S. m. (Architect. hydraul.) trou profond, fouillé au-dessous de la surface de l'eau, & revêtu de maçonnerie. Ce trou est ordinairement circulaire ; mais quand il sert à deux propriétaires dans un mur mitoyen, il est ovale, avec une languette de pierre dure, qui en fait la séparation, jusqu'à quelques piés au-dessous de la hauteur de son appui. On le construit de pierre, ou de moilon piqué en-dedans, & en-dehors de moilon émillé, & maçonné de mortier de chaux & de sable : voici comment cette construction se fait. Lorsqu'en creusant on est parvenu à l'eau, & qu'on en a cinq à six piés, on place dans le fond un rouet de bois de chêne de quatre piés de diamêtre, dans oeuvre, & de quatre à douze pouces de grosseur. Sur ce rouet on pose cinq ou six assises de pierre de taille, maçonnées avec mortier de ciment, & bien cramponées, par des crampons de fer coulés en plomb. On éleve le reste de la hauteur du puits, avec de la maçonnerie de briques ou de moilons, jusqu'à trois pouces audessous du rez-de-chaussée ; enfin trois assises de pierre de taille, faisant ensemble deux piés & demi, maçonnées en mortier de ciment, & cramponées comme celles du fond, achevent le puits qu'on équipe ensuite de tout ce qui est nécessaire pour en tirer de l'eau.
Le puits dans une maison, doit être éloigné des retraits, des étables, des fumiers, & des autres lieux qui peuvent communiquer à l'eau un goût désagréable. Sa meilleure situation est dans la cour du maître du logis. Il doit être là à découvert, quelque inconvénient qu'il y ait qu'il y soit de cette façon parce que l'eau en est meilleure, les vapeurs qui montent s'évaporant plus facilement, & l'air qui y circule librement la purifiant mieux.
Puits commun, c'est un puits plus large qu'un puits particulier, & qui est situé dans une rue, ou dans une place, pour l'usage du public.
Puits de carriere, ouverture ronde de douze à quinze piés de diamêtre, creusée à plomb, par où l'on tire les pierres d'une carriere avec une roue, & dans laquelle on descend par un escalier ou rancher.
Puit décoré, puits dont le profil de l'appui est en forme de balustre ou de cuve, & qui a deux ou trois colonnes, termes ou consoles, pour porter la traverse où la poulie est attachée. Il y a un puits de cette façon du dessein de Michel Ange, dans la cour de saint Pierre, in vincoli, aux liens, à Rome.
Puits forés, c'est un puits où l'eau monte d'elle-même jusques à une certaine hauteur, desorte qu'on n'a la peine que de puiser l'eau dans un bassin où elle se rend, sans qu'on soit obligé de la tirer ; cela est fort commode, mais on ne peut pas malheureusement faire de ces puits quand on veut. On en va juger par leur construction. On creuse d'abord un bassin dont le fond doit être plus bas que le niveau, auquel l'eau peut monter d'elle-même afin qu'elle s'y épanche. On perce ensuite avec des tarieres un trou de trois pouces de diamêtre, dans lequel on met un pilot garni de fer par les deux bouts. On enfonce ce pilot avec le mouton autant qu'il est possible, & on le perce avec une tariere de trois pouces de diamêtre, & environ un pié de gouge ; c'est par ce canal que doit venir l'eau, si l'on a enfoncé le pilot dans un bon endroit ; on la conduit de-là dans le bassin avec un tuyau de plomb.
On fait ainsi des puits forés en Flandre, en Allemagne, & en Italie ; M. Bélidor, dans sa science des Ingénieurs, dit en avoir vû un au monastere de Saint-André, à une demi-lieue d'Aire en Artois, où l'eau est si abondante qu'elle donne plus de cent tonneaux par heure. Cette eau s'éleve à dix ou douze piés audessus du rez-de-chaussée, & retombe dans un grand bassin par plusieurs fontaines qui font un bel effet.
En plusieurs endroits du territoire de Bologne en Italie il y a aussi des puits forés, mais on les construit différemment. On creuse jusqu'à l'eau, après quoi on fait un double revêtement dont on remplit l'entre-deux d'un corroi de glaise bien pétrie ; on continue de creuser plus avant, & de revêtir, comme dans la premiere opération, jusqu'à ce qu'on trouve des sources qui viennent en abondance ; alors on perce le fond avec une longue tariere, & le trou étant achevé, l'eau monte & remplit non-seulement le puits, mais se répand encore sur toute la campagne, qu'elle arrose continuellement.
Puits perdu, puits dont le fond est d'un sable si mouvant, qu'il ne retient pas son eau, & n'en a pas deux piés en été, qui est la moindre hauteur qu'il puisse y avoir pour puiser. Daviler. (D.J.)
PUITS, dans la guerre des siéges & dans l'Artillerie, sont les enfoncemens que les mineurs font en forme de puits, pour s'enterrer, autant qu'il est nécessaire, afin de chercher les galeries ou les mines de l'ennemi, pour les éventer ou pour construire des mines qui fassent fauter ses ouvrages, ses batteries, &c.
Lorsqu'on est parvenu à la troisieme parallele ou place d'armes, les mineurs s'enfoncent ou font des puits dans cette ligne d'où ils partent pour chercher les mines que l'ennemi peut avoir construit sous le chemin couvert, & pour les éventer ou les détruire par d'autres mines, &c.
Les puits sont encore des creux ou des especes de trous qu'on pratique quelquefois devant les lignes de circonvallation pour en empêcher l'accès à l'ennemi.
On avoit fait de ces puits à la circonvallation de Philipsbourg en 1734 ; ils avoient environ huit piés de diamêtre par le haut, & à-peu près quatre par le bas ; leur profondeur étoit de sept ou huit piés ; ces puits étoient placés entre l'avant-fossé de la circonvallation & celui de cette ligne ; ils étoient si près les uns des autres qu'on ne pouvoit guere passer entre leurs intervalles sans faire écrouler la terre & tomber dans le puits. Les Espagnols avoient fait quelque chose de semblable à la circonvallation d'Arras en 1654. Il y a beaucoup d'apparence que les Espagnols & les François doivent à César l'idée de cette espece de fortification, qu'il employa à la défense de ses lignes devant Alesia. Voyez ses Commentaires sur la guerre des Gaules, liv. VII. Voyez aussi la seconde édition des Elémens de la guerre des siéges. (Q)
PUITS, (Marine) c'est un espace fait exprès à fond de cale, pour puiser l'eau qui entreroit dans le vaisseau avec abondance, & qu'on ne pourroit vuider avec les pompes. Voyez ARCHIPOMPE.
Puits, c'est une grande profondeur qui se trouve à la mer dans un fonds uni.
PUITS, (Jardinage) est un ornement rond dont on se sert dans les plates-bandes coupées des parterres, pour y former des passages ; on s'en sert encore dans la broderie d'un tableau, pour remplir un petit espace au-dessus d'un fleuron ou d'une coquille.
PUITS DE PLOUGASTEL, (Hist. nat.) puits singulier en France, dans la Bretagne ; il est dans la cour du passage de Plougastel, entre Brest & Landernau. L'eau de ce puits monte quand la mer qui en est fort proche descend, & au-contraire descend quand la mer monte. Cela est si fort établi dans le pays comme un prodige, que M. Robelin, mathématicien, l'a cru digne qu'il l'examinât, & il en a envoyé à l'académie des Sciences une relation avec une explication fort simple. Le fond du puits est plus haut que le niveau de la basse-mer en quelque marée que ce soit ; de-là il arrive que l'eau du puits qui peut s'écouler s'écoule, ou que le puits descend tandis que la mer commence à monter, ce qui dure jusqu'à ce qu'elle soit arrivée au niveau du fond du puits ; après cela tant que la mer continue de monter, le puits monte avec elle. Quand la mer se retire, il y a encore un tems considérable pendant lequel un reste de l'eau de la mer qui est entré dans les terres les pénetre lentement, & tombe successivement dans le puits qui monte encore, quoique la mer descende. Cette eau se filtre si bien dans les terres, qu'elle y perd sa salure. Quand elle est épuisée, le puits commence à descendre, & la mer acheve de monter. Comme ce puits qui n'a pas été creusé jusqu'à l'eau vive, & qui n'est revêtu que d'un mur de pierre seche, reçoit aussi des eaux d'une montagne voisine quand la pluie a été abondante ; il faut avoir égard aux changemens que ces eaux peuvent apporter à ce qui ne dépend que de la mer. Elles l'empêchent de tarir entierement l'hiver quand la mer est basse. Il seche quelquefois en été faute de ce secours, & parce que toute l'eau de la mer est bûe par une terre trop aride. Hist. de l'acad. année 1717. (D.J.)
PUITS, (Critique sacrée) dans l'Arabie, où l'eau est très-rare, on cachoit & on cache encore soigneusement les puits, en couvrant leur bouche avec du sable, afin que les voyageurs ne les voyent point, & n'en tirent point d'eau. L'ange découvrit à Agar un de ces puits dans le désert, pour désaltérer son fils Ismaël qui mouroit de soif, Genes. xvj. 14. Il ne faut donc pas s'étonner s'il y avoit quelquefois pour un puits de très-grandes disputes chez les juifs de la Palestine ; l'Ecriture nous en fournit un exemple, entre les gens d'Abimélec, roi de Gérare, & ceux d'Isaac.
Comme ces puits étoient très-profonds, l'Ecriture, appelle le tombeau, le puits de la mort, & l'enfer, le puits de l'abyme. C'est par la même raison que puits se prend encore pour un grand malheur. Que le puits où l'on m'a jetté ne se ferme point sur moi, dit David, Ps. lxviij. 16. c'est-à-dire, que je ne sois point accablé par un surcroît d'afflictions. Mais comme l'eau d'un puits étoit fort précieuse, ce terme se prend ailleurs pour abondance de biens ; l'épouse est comparée à une source d'eaux vivantes qui découlent du Liban, puteus aquarum viventium quae fluunt de Libano, Cantiq. iv. 15. tandis que la femme étrangere cause la perte de ceux qui la recherchent ; c'est un puits étroit dont on ne peut sortir, dit Salomon, Prov. xxiij. 27. (D.J.)
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PUL | S. m. terme de relation, les Persans nomment ainsi en général toutes sortes d'especes de cuivre qui se fabriquent dans leurs monnoies, & qui ont cours dans leur empire. En particulier ils appellent kabesqui & demi-kabeski, deux petites monnoies de ce métal, dont l'une vaut environ dix-deniers de France, & l'autre la moitié. Ces especes ont d'un côté la devise ou l'hiéroglyphe de la Perse moderne, qui est un lion avec un soleil levant, & de l'autre l'année & le lieu de leur fabrication. (D.J.)
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PULAON | (Géog. mod.) île de la mer des Indes, vers l'ouest des Philippines. Elle est fertile en riz, en figues, cocos, cannes de sucre, gingembre, &c. Elle a son roi particulier, qui est tributaire de celui de Bornéo. Latit. nord 9d 30 '(D.J.)
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PULCHER-PORTUS | (Géogr. anc.) beau port. Il est dit dans les actes des apôtres, c. xxvij. que le vaisseau qui portoit saint Paul à Rome avec d'autres prisonniers, ayant pris au-dessous de l'île de Crête, & rangeant l'île, se vit en certain lieu nommé Beauport, autrement Bons-ports ; & que près de ce lieu étoit la ville de Thalassa, selon la vulgate. Le grec ordinaire, le syriaque, & les deux éditions arabes, au-lieu de Thalassa, portent Lasaia : on lit dans l'ancien manuscrit grec d'Alexandrie, Alassa ; mais tous ces lieux sont également inconnus aux Géographes. Saint Epiphane parle d'une montagne de l'île de Crête nommée Lasio ; & Pline, liv. IV. chap. xij. dit que Lasos est une ville de l'île de Crête, dans les terres. (D.J.)
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PULLARIUS | S. m. (Hist. anc.) celui d'entre les augures qui avoit le soin des poulets sacrés : on gardoit cette volaille prophétique dans des cages. On leur servoit de la pâtée ; s'ils sortoient gaiement, qu'ils mangeassent d'appétit, & que la mangeaille leur tombât du bec, bon augure. S'ils refusoient de sortir & de manger, s'ils crioient, s'ils battoient des aîles, s'ils rentroient dans leurs cages, mauvais augure. Le manger des poulets sacrés s'appelloit offa ; leur donner à manger, terraepavium ; laisser tomber la mangeaille du bec, terram pavire ; la joie d'un bon augure, tripudium solistimum.
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PULLINGI | (Géog. mod.) montagne de la Laponie suédoise, à 15 lieues de Torneo, sur le bord du fleuve ; l'accès n'en est pas facile ; on y monte par la forêt qui conduit jusqu'à environ la moitié de la hauteur ; la forêt est là interrompue par un grand amas de pierres escarpées & glissantes, après lequel on la retrouve, & elle s'étend jusques sur le sommet ; je dis elle s'étend, parce qu'on a fait abattre tous les arbres qui couvroient ce sommet. Le côté du nord-est est un précipice affreux de rochers, dans lesquels quelques faucons avoient fait leur nid ; c'est au pié de ce précipice que coule le Teuglio, qui tourne autour d'Aoasaxa, avant que de se jetter dans le fleuve Tornéa. De cette montagne la vûe est très-belle ; nul objet ne l'arrête vers le midi, & l'on découvre une vaste étendue du fleuve ; du côté de l'est elle poursuit le Teuglio jusques dans plusieurs lacs qu'il traverse ; du côté du nord, la vûe s'étend à 12 ou 15 lieues, où elle est arrêtée par une multitude de montagnes entassées les unes sur les autres, comme on représente le cahos. Mémoire de l'académie des Sciences. (D.J.)
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PULLULER | v. n. (Jardinage) signifie donner des rejettons en pié ; nos meres ont bien pullulé dans nos pepinieres.
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PULMENTARIA | (Langue latine) mot générique qui désigne les ragoûts les plus délicats ; originairement c'étoit une espece de bouillie, faite avec des féves, des pois, du ris, & quelques autres légumes. Les anciens Romains en faisoient grand usage ; c'étoit leur régal, & on pouvoit fort bien les appeller par raillerie pultiphagi ; ensuite on abandonna ces mets simples, & l'on appliqua néanmoins le mot pulmentaria, aux friandises les plus exquises. (D.J.)
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PULMONAIRE | S. m. (Hist. nat. Bot.) pulmonaria, genre de plante à fleur monopétale & en forme d'entonnoir. La partie supérieure de cette fleur est profondément découpée, & ressemble en quelque maniere à un bassin. Le calice est allongé en tuyau pentagone, & divisé en cinq parties. Le pistil sort de ce calice ; il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, entouré de quatre embrions, qui deviennent dans la suite autant de semences qui mûrissent dans le calice même ; alors ce calice est plus grand que lorsqu'il soutenoit la fleur. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.
Il faut donner maintenant le caractere de ce genre de plante dans le systême de Linnaeus. Son calice est une enveloppe cylindrique, pentagonale, consistant en une seule feuille, découpée en cinq quartiers sur les bords, & subsistant après que la fleur est tombée. La fleur est monopétale, divisée comme le calice ; les étamines forment cinq filets chevelus, situés à l'ouverture de la fleur ; les bossettes sont droites, le pistil a quatre germes. Le stile est délié, plus court que la fleur. Le stigma est obtus ; le calice tient lieu du fruit, & renferme quatre semences obtuses, arrondies.
Tournefort compte douze especes de ce genre de plante, dont la principale est la grande pulmonaire, pulmonaria vulgaris, ad buglossum accedens. I. R. H. 136. en anglois, the common spotted-pulmonaria ; & vulgairement the sage of Jerusalem.
Sa racine est blanche, fibrée, d'un goût visqueux. Elle pousse une ou plusieurs tiges à la hauteur d'environ un pié, anguleuses, velues, purpurines, ressemblantes à celles de la buglose. Ses feuilles sortent les unes de la racine, & sont couchées sur terre ; les autres sans queues, embrassent la tige ; toutes sont oblongues, larges, terminées en pointe, traversées par un nerf dans leur longueur, garnies d'un duvet mollet, & marbrées communément de taches blanchâtres.
Ses fleurs soutenues plusieurs ensemble par de courts pédicules aux sommets des tiges, sont autant de petits tuyaux évasés par le haut en bassinets, découpés chacun en cinq parties, de couleur tantôt purpurine, tantôt violette, quelquefois mixte ; elles sont renfermées dans un calice qui est un autre tuyau, dentelé le plus souvent de cinq pointes. Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede quatre semences presque rondes, enfermées dans le calice, & semblables à celles de la buglose.
Cette plante croît dans les forêts, aux lieux montagneux & ombrageux ; elle est commune dans les Alpes & les Pyrénées : on la cultive aussi dans les jardins ; elle sort de terre au printems, & donne incontinent la fleur ; quoique ses feuilles périssent en automne, sa racine est vivace. (D.J.)
PULMONAIRE, (Mat. médic.) grande pulmonaire, petite pulmonaire, & pulmonaire des François, ou herbe à l'épervier. Ces plantes, qu'on employe presqu'indifféremment, sont comptées parmi les vulnéraires cicatrisans. On les regarde d'ailleurs comme éminemment pectorales, comme douées d'une vertu spécifique dans les maladies de poitrine ; vertu dont elles tirent leur nom. On les fait entrer fort communément dans les tisanes & dans les bouillons qu'on emploie dans les maladies aiguës de la poitrine. On en fait aussi un syrop domestique & à mi-sucre, qu'on prescrit dans les mêmes cas. Ces usages lui sont à-peu-près communs avec la bourache & la buglose, qui leur sont parfaitement analogues.
Ces plantes sont éminemment nitreuses, & ne contiennent d'ailleurs aucun principe actif qui puisse empêcher d'estimer entierement leur action médicinale, par leur principe nitreux. Voyez NITRE, (Chimie & Mat. méd.)
Les feuilles de pulmonaire entrent dans le syrop de tortue résomptif ; & toute la plante dans le syrop de rossolis composé. (b)
PULMONAIRE de chêne, (Botan.) espece de lichen qui vient sur les troncs des vieux chênes, des hêtres, des sapins, & d'autres arbres sauvages dans les forêts épaisses ; elle est semblable à l'hépatique commune, mais elle est plus grande de toute maniere, elle est plus seche & plus rude. Ses feuilles sont fort entrelacées, & placées les unes sur les autres comme des écailles : leurs découpures sont extrêmement variées, & plus profondes que celles de l'hépatique ordinaire.
Cette plante est compacte & pliante comme du chamois, & elle représente en quelque maniere, par sa figure, un poumon desséché ; elle est blanchâtre du côté qu'elle est attachée aux écorces des arbres, verte de l'autre côté, d'une saveur amere, avec quelque astriction. On la trouve aussi sur les rochers à l'ombre. On recueille communément celle des chênes ; cependant quelques-uns préferent celle qui vient sur les vieux sapins, à cause de quelques parties résineuses qu'on pretend qu'elle tire de ces arbres. Elle croît dans les forêts de Saint-Germain & de Fontainebleau. La pulmonaire de chêne est d'un goût amer, astringent ; elle contient un sel essentiel, vitriolique & ammoniacal, enveloppé de beaucoup d'huile épaisse & de terre ; étant séchée, réduite en poudre, & appliquée sur les plaies, elle en arrête le sang qui coule. (D.J.)
PULMONAIRE, adj. (Anatom.) qui appartient au poumon. Il y a l'artere & la veine pulmonaire. Voyez POUMON.
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PULMONIE | PULMONIQUE, voyez POUMONIE, POUMONIQUE.
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PULO | (Géog.) terme espagnol qu'on prononce poulo, & qui veut dire île. Ainsi pulo-Canton, pulo-Condor, pulo-Lout, pulo-Timon, &c. veulent dire île de Canton, île de Condor, île de Lout, île de Timon, &c. Voyez ces mots.
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PULO-CANTON | (Géog. mod.) île d'Asie dans la mer des Indes, sur la côte orientale de la Cochinchine, vis-à-vis de Falin. Long. 126. 50. lat. 15. 10.
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PULO-CONDOR | (Géog. mod.) petit archipel de la mer des Indes, formé de huit ou dix tant îles que rochers. La plus grande de ces îles n'a que quatre lieues en longueur ; c'est la seule qui soit habitée, encore n'a-t-elle qu'un village dont les cabanes n'ont ni portes ni fenêtres, & ne sont qu'un assemblage informe de bambous couverts d'herbes.
Les habitans sont basanés, portent des cheveux qui descendent jusque sur les genoux, & vont presque tout nuds ; les dents les plus noires sont chez eux les plus belles. Il ne croît dans l'île que quelque racines & du riz ; la noix d'areque & la feuille de betel sont communes dans les montagnes, ainsi que les serpens & les lézards. Voyez les lettres édifiantes, & les observations du P. Souciet.
Pulo-Condor est à 15 lieues au midi de Camboge, & est soumise au roi de Camboge. Long. 125. 5. ou plutôt, selon le P. Gaubil, 124. 51. 30. lat. septent. 8. 36. La déclinaison de l'aimant y est d'un degré vers l'ouest. (D.J.)
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PULO-DINDING | (Géog. mod.) petite île de la mer des Indes, sur la côte de Malaca, entre Queda & Pera. La rade y est bonne du côté du levant, entre l'île & le continent ; l'eau y est assez profonde, & le havre est sûr. Les Hollandois, à qui elle appartient, y ont un fort du côté du levant. Outre le riz que cette île produit, on y trouve des mines d'étain, ce qui a attiré les Hollandois. Lat. 6. 30.
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PULO-LOUTH | ou PULO-LANDA, (Géog. mod.) île de la mer des Indes, entre celle de Bornéo, & celle des Célebes, à l'embouchure du détroit de Macassar. Elle a la figure d'un fer à cheval. Long. 132. 50. lat. mérid. 4.
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PULO-NIAS | (Géog. mod.) île peuplée de la mer des Indes, au couchant & près de Sumatra, entre l'île Baniao au nord, & celle de Pulo-Minton au midi. Latit. 1. 5.
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PULO-RONDO | (Géog. mod.) île de la mer des Indes, dépendante du royaume d'Achem, entre Pulo-Gomez & Pulo-Way. Elle a trois milles de circuit ; c'est la route des vaisseaux qui viennent de la côte de Coromandel. Lat. 5. 50. (D.J.)
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PULO-TIMON | (Géog. mod.) une des plus grandes îles qui sont situées près de la côte de Malaca. Elle est sous la domination du roi de Johor, & sur le continent de Malaca. Il y a établi deux orang-keys, qui la gouvernent, & demeurent aux deux bouts de l'île. Orang-key, dans la langue malaire, signifie maître des bois.
Les habitans sont des bandits qui vivent séparément les uns des autres dans des cabanes qui forment une chambre, avec une petite fenêtre & une porte pour y entrer. Ces cabanes n'ont que six piés de long, & deux ou trois de large. Pour tout meuble, il n'y a qu'un banc qui regne tout-autour de la chambre, pour s'asseoir ou pour se coucher. Comme cette île est pleine de précipices, ils cherchent à placer leurs cabanes au milieu d'un terrein plat, où ils puissent planter des pinnangs & d'autres arbres.
Les habitans sont un peu plus noirs que ceux de Java ; aussi se trouvent-ils plus près de la ligne : ils s'arrachent la barbe comme les habitans de Malaca, ce qui les fait ressembler à de vieilles femmes. Ils sont tous mahométans. Leurs habits consistent en un morceau d'étoffe faite de l'écorce d'un arbre, qui les ceint au milieu du corps ; ils portent un autre morceau de la même étoffe, entortillé autour de la tête : quelques-uns ont des chapeaux de feuilles de gabbe-gabbe, espece de palmier dont les Indiens font leur saga, qu'ils mangent au lieu de pain.
Toute cette île n'est autre chose qu'un amas de rochers & de montagnes escarpées, & cependant le haut de ces montagnes ne laisse pas d'être couvert d'arbres & de buissons. On grimpe sur les rochers qui sont sur les bords de la mer, pour découvrir un endroit propre à faire de l'eau. Les racines des arbres qui croissent au sommet, & qui s'étendent enbas de la longueur de dix ou vingt brasses, servent comme de cordes pour se tenir.
Tous les vaisseaux qui vont de Batavia à Siam, ont ordre de la compagnie de mouiller, s'il est possible, devant Pulo-Timon, pour faire de l'eau ; cette île est commodément située pour cela, se trouvant à environ la moitié du chemin. Long. 122. 15. lat. 3. 12. (D.J.)
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PULO-UBY | (Géog. mod.) île de la mer des Indes, au couchant de Pulo-Condor, à l'entrée de la baie de Siam. Elle a 8 lieues de circuit, & est remplie de bois. Latit. 8. 14.
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PULO-WAY | (Géog. mod.) île de la mer des Indes, près de Sumatra. Elle fait un demi-cercle d'environ 7 lieues de diamêtre, quoiqu'elle ne soit habitée que par des malheureux que leurs crimes ont fait exiler d'Achem. Longit. 113. 30. latit. 100. 45. (D.J.)
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PULPE | S. f. (Pharmac.) se dit de la partie moëlleuse des fruits, qui ressemble par sa consistance à de la bouillie, comme les pulpes de casse, de tamarins, de prunes.
Pulpe se dit aussi des plantes cuites & réduites en bouillie, pour en faire des cataplasmes.
Pour tirer les pulpes, on fait bouillir les fruits ou la plante jusqu'à ce qu'ils soient en pâte, ensuite on les passe par un tamis, puis on les employe ou on les aromatise, après les avoir fait cuire suffisamment pour les conserver. Ces pulpes sont sujettes à s'aigrir, & demandent à être souvent renouvellées.
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PULPERIAS | S. f. (Hist. mod.) C'est ainsi que l'on nomme sous la domination espagnole, des hôtelleries où l'on donne à manger. Le nombre en est fixé dans toutes les villes & les bourgs de la nouvelle Espagne. Celles qui excedent le nombre marqué, payent au roi un droit annuel de 40 piastres.
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PULPITUM | S. m. (Littérat. & Hist. anc.) parmi les Romains, c'étoit la partie du théâtre qu'ils nommoient autrement proscenium, & que nous appellons la scene, c'est-à-dire le lieu où s'avancent & se placent les acteurs pour déclamer leurs personnages ; & c'est ce qu'Horace a entendu, lorsqu'il a dit qu'Eschyle fut le premier qui fit paroître ses acteurs sur un théâtre exhaussé & stable.
Modicis instravit pulpita tignis. Art poét.
Quelques auteurs prétendent que par ce mot on doit entendre une espece d'élévation ou d'estrade pratiquée sur le théâtre, sur laquelle on plaçoit la musique, & où se faisoient les déclamations ; mais ceux qui ont fait les plus curieuses recherches sur le théâtre des anciens, & sur-tout M. Boindin, ne disent pas un mot de cette estrade. Voyez THEATRE.
Aujourd'hui nous traduisons le mot pulpitum par pupitre, c'est-à-dire une machine de bois ou de quelque autre matiere solide, & qui sert à soutenir un livre ; ils sont sur-tout en usage dans les églises, où les plus grands s'appellent lutrins. Voyez LUTRIN.
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PULPO | S. m. (Hist. nat. du Chily) nom que les habitans du Chily donnent à un animal de la mer du Sud. Quand cet animal ne se meut pas, on le prendroit pour un petit morceau de branche d'arbre couvert de son écorce. Il est de la grosseur du petit doigt, long de six à sept pouces, & divisé en quatre ou cinq articulations qui vont en diminuant du côté de la queue. Lorsqu'il déploie ses six jambes, & qu'il les tient rassemblées vers la tête, on le prendroit pour autant de racines, & la tête pour un pivot rompu. M. Frésier croit que cet animal est l'arumazia brasiliana de Marggrave, lib. VII.
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PULQUE | ou PULCRE, s. m. (Hist. nat. Diete) c'est le nom qu'on donne au Mexique à une espece de vin qui se tire d'une plante appellée metl ou maghey, voyez METL. Dans le commencement cette liqueur est douce comme du miel, mais les Indiens y mettent une racine qui la fait fermenter comme du vin, & qui lui donne beaucoup de force. L'usage immodéré que les Indiens & les Espagnols faisoient du pulque, engagea le gouvernement à le défendre en 1692, quoique les droits fussent d'un produit très-considérable ; mais quelques années ensuite la défense fut levée, & les droits rétablis. Cette liqueur fournit par la distillation une eau-de-vie ou liqueur spiritueuse très-forte.
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PULSATILLE | S. f. (Botan.) La pulsatille à grande fleur, pulsatilla folio crassiore, & majore folio, I. R. H. 284, est, entre quinze especes de ce genre de plante, celle qu'il suffira de décrire.
Sa racine est longue, & quelquefois grosse comme le doigt ; tantôt elle est simple, tantôt divisée en plusieurs têtes chevelues, soit dans sa partie supérieure ou au collet : elle est noire, d'un goût un peu amer, qui à la fin picote la langue par son acrimonie. Elle pousse des feuilles découpées, menues, velues, approchantes de celles du panais sauvage par leurs découpures & par leurs poils ; elles sont âcres & brûlantes au goût, attachées à des côtes longues, velues, & rougeâtres en-bas près de la terre.
Il s'éleve d'entre ces feuilles une petite tige à la hauteur d'environ un pié, ronde, creuse, couverte d'un duvet épais & mollet ; son sommet soutient une seule fleur à six grands pétales ; ces fleurs sont oblongues, pointues, disposées en rose, de couleur purpurine, velues en-dehors, glabres & sans poils en-dedans, ayant en leur milieu un pistil entouré d'étamines jaunes, d'une odeur foible qui n'est point désagréable. Après que cette fleur est tombée, le pistil devient un fruit formé en maniere de tête arrondie, chevelue, composée de plusieurs semences qui finissent par une queue barbue comme une plume.
Cette plante croît aux lieux pierreux, incultes, secs, montagneux ; mais comme sa fleur est belle, on la cultive dans les jardins. Elle fleurit au printems, vers Pâques, d'où vient que les Anglois l'appellent the pasque-flower, la fleur de Pâques. Sa fleur est d'une couleur plus ou moins foncée, suivant les lieux où elle croît. Dans les bois ombrageux elle est d'un pourpre clair, presque blanche, au lieu qu'elle est plus colorée, & d'une couleur violette dans les endroits exposés au soleil. C'est-là l'origine de plusieurs variétés de cette plante. (D.J.)
PULSATILLE, (Matiere médic.) voyez COQUELOURDE.
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PULSATION | S. f. (Physique) Les Physiciens se servent de ce mot pour signifier cette impression dont un milieu est affecté par le mouvement de la lumiere, du son, &c. M. Newton démontre dans ses principes phil. nat. princ. matth. prop. 48, que les vîtesses des pulsations dans un fluide quelconque, sont en raison composée de la sous-doublée de la force élastique directement, & de la sous-doublée de la densité réciproquement ; ensorte que dans un milieu dont l'élasticité est égale à la densité, toutes les pulsations auroient une égale vîtesse. (D.J.)
PULSATION, (Médec.) Toute agitation ordinaire du coeur & des arteres si violente, que quoiqu'elle réponde au pouls naturel, on puisse la sentir facilement dans les endroits où le pouls naturel est insensible au toucher dans les sujets sains, s'appelle pulsation.
Elle est produite, 1°. par l'augmentation du mouvement musculaire, sur-tout si elle est favorisée par la ténacité des humeurs, leur épaississement, la pituite, la lenteur de la circulation ; elle cesse dès que le corps demeure en repos. 2°. Elle est l'effet d'un stimulant appliqué à quelque partie interne qu'il faut éloigner ou rectifier. 3°. Elle est causée par l'inflammation ou l'érésipele de quelque partie. 4°. Par un mouvement de circulation trop rapide dans tout le corps, ou dans quelque ramification d'artere ; elle est souvent suivie d'hémorrhagie qui la dissipe, & qui indique la phlébotomie, comme dans les fievres aiguës & ardentes. 5°. Elle doit encore son existence à l'embarras des humeurs dans les extrêmités des arteres. 6°. Enfin elle doit sa naissance à la dégénération de ces mêmes humeurs, qui annonce une métastase dans les maladies aiguës, ainsi qu'une diminution de douleur dans une partie attaquée de la goutte.
De-là naissent différens accidens, 1°. suivant la différence des causes, 2°. suivant celle des lieux où la pulsation se fait sentir.
Il faut dans la guérison avoir égard aux causes & à la partie affectée. (D.J.)
PULSATION, (Horlogerie) Ce terme signifie l'avantage d'un levier pour en faire mouvoir un autre. Une roue qui engrene près du centre d'un pignon, a moins de pulsation que si elle agissoit sur un pignon d'un plus grand diamêtre. (D.J.)
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PULSILOGE | S. m. (Médecine) mot formé du latin pulsus, pouls, & du grec , discours, représentation, &c. par lequel on a désigné un instrument propre à représenter les différentes modifications du pouls ; Sanctorius s'est vanté de posséder un pareil instrument qui donnoit une idée très-exacte, nonseulement de la vîtesse des pulsations, mais de tous les autres caracteres, de toutes les inégalités quelque compliquées qu'elles fussent, qu'on pouvoit y trouver, ou y concevoir ; on ne voit dans aucun de ses ouvrages la description de ce pulsiloge, qui devoit être s'il a existé, une piece curieuse & en même tems très-utile, puisqu'elle mettoit les yeux & les oreilles en état de vérifier & de saisir les objets qui se présentoient sous le doigt, ou même ceux qui lui échappoient ; un pulsiloge fait d'après les nouvelles observations sur le pouls par rapport aux crises, & qui pût retracer les caracteres qu'on a plus solidement & plus utilement établi, seroit d'autant plus intéressant & préférable à celui de Sanctorius, que cette nouvelle doctrine l'emporte en certitude & en avantage sur l'autre. Un pareil ouvrage seroit bien digne d'attirer l'attention & les soins d'un habile méchanicien ; il seroit à souhaiter que le célebre artiste qui a déja si bien réussi à imiter l'homme & les animaux, essayât de représenter une de leurs principales fonctions ; il seroit sûr de réunir dans ce travail, l'utile à l'agréable, & de s'attirer la reconnoissance de tous les Médecins zélés pour l'avancement de leur profession. On peut prendre une légere idée de quelques inégalités du pouls dans les battemens qui expriment les quarts & les demi dans une montre à répétition : un pendule proportionné peut servir de pulsiloge assez exact pour mesurer & représenter les différens degrés de vîtesse du pouls ; on n'a qu'à en varier la longueur suivant les âges, les tailles & les maladies, mais ce pulsiloge très-facile à faire est moins utile, parce qu'il est très-facile de saisir & de graduer les variations qui se trouvent dans la fréquence des pulsations. Le pulsiloge de M. de Sauvages est fait sur ce modele. (m)
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PULSIMANTIE | S. f. (Médec. séméiotiq.) la signification de ce mot est conforme à son étymologie ; on l'a formé des deux mots, l'un latin pulsus, pouls, & l'autre grec , divination, prédiction ; on s'en sert pour exprimer cette partie de la séméiotique qui tire ses signes des différentes modifications du pouls, soit pour connoître les maladies présentes, soit pour lire dans l'avenir les changemens qui doivent arriver dans leurs cours ; cette partie est extrêmement intéressante & lumineuse ; de tout tems elle a été recommandée avec les plus grands éloges par les Médecins ; mais elle n'a pas été également suivie : Hippocrate l'a beaucoup négligée, Hérophile & Erasistrate l'ont mise en vogue. Galien s'y est particulierement attaché, & en a fait le sujet de plusieurs ouvrages très-diffus, qui contiennent du bon & du mauvais ; les Méchaniciens l'ont beaucoup exalté, mais aveugles dans leurs éloges, ils étoient inconséquens dans leur pratique. La pulsimantie est la base de la médecine chinoise, ou plutôt la seule source de leur diagnostic, de leurs présages & de leurs indications ; ils ont sur cette matiere des connoissances singulieres, dont l'origine se perd dans l'antiquité la plus reculée ; enfin, cette partie a été remise en honneur & sous un nouveau jour beaucoup plus brillant par les observations de Solano, de Nihell & de Bordeu, de façon qu'elle est devenue un des principaux ressorts de la médecine-pratique, qu'a fondé Hippocrate, & qu'ont adopté les Médecins les plus éclairés. Voyez à l'article POULS, les différens changemens qu'a essuyé la pulsimantie dans ces quatre époques principales.
De pulsimantie on a formé pulsimante, nom qu'on a donné aux Médecins, qui, convaincus de l'importance de cette partie, s'y sont particulierement appliqués, & que par dérision, l'ignorance & la jalousie ont transformé en celui de pulsimane, qui signifie qui extravague par le pouls.
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PULSION | S. f. (Phys.) est un terme dont M. Newton s'est servi pour désigner la propagation du mouvement dans un milieu fluide & élastique, comme l'air. Ce célebre auteur a démontré dans la proposition 47. liv. II. de ses principes, que les pulsions qui se font dans un fluide élastique, sont telles que les petites particules du fluide vont & viennent alternativement en sens contraires, en faisant de fort petites vibrations, & qu'elles accélerent & rallentissent leur mouvement, suivant la même loi qu'un pendule qui oscille ; que la vîtesse des pulsions est en raison composée de la sous-doublée directe de la force élastique du milieu, & de la sous-doublée inverse de la densité. Par le moyen de cette proposition, il enseigne à déterminer la vîtesse des pulsions dans un milieu, dont la force élastique est donnée aussi-bien que la densité.
M. Jean Bernoulli le fils, docteur en Droit dans l'université de Basle, a traité la même matiere dans son discours sur la propagation de la lumiere, qui a remporté le prix de l'académie des Sciences de Paris en 1736 ; il y donne les mêmes formules que M. Newton, & il est à remarquer que par le moyen de ces formules, on découvre assez exactement la vîtesse du son, telle que l'expérience nous l'a fait connoître, mais ces formules ne sont pas encore sans difficulté par rapport à la méthode dont l'auteur s'est servi pour y parvenir, comme je l'ai fait voir dans mon Traité des Fluides, Paris 1744. p. 181. Voyez ONDE & ONDULATION. (O)
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PULTAUSK | (Géog. mod.) petite ville de la grande Pologne, dans le palatinat de Mazovie, sur le Narew, à 3 lieues au-dessus de son confluent, avec le Boug. Long. 39. 22. lat. 52. 36. (D.J.)
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PULTAWA | (Géog. mod.) place fortifiée de l'Ukraine, sur la riviere de Vorskla, assez près d'une chaîne de montagnes qui la dominent au nord ; le côté de l'orient est un vaste désert, celui de l'occident est plus fertile. La Vorskla va se perdre à 15 grandes lieues au-dessous dans le Boristhène. Long. 53. 10. latit. 49. 2.
Charles XII. mit le siege devant cette ville au commencement de Mai 1709, & ce fut le terme de ses prospérités. Le czar Pierre arriva devant Pultawa le 15 Juin suivant, l'attaqua, & remporta une victoire complete .
La remarque la plus importante à faire sur cette bataille ; c'est que c'est la seule, qui, au lieu de ne produire que la destruction, ait servi à l'avantage du nord, puisqu'elle a procuré au czar la liberté de policer une grande partie de ses états.
Il s'est donné en Europe, dit M. de Voltaire, plus de deux cent batailles rangées depuis le commencement de ce siecle jusqu'à ce jour. Les victoires les plus signalées & les plus sanglantes, n'ont eu d'autres suites que la réduction de quelques petites provinces, cédées ensuite par des traités, & reprises par d'autres batailles. Des armées de cent mille hommes ont souvent combattu, mais les plus violens efforts n'ont eu que des succès foibles & passagers ; on a fait les plus petites choses avec les plus grands moyens. Il n'y a point d'exemple dans nos nations modernes, d'aucune guerre qui ait compensé par quelque peu de bien le mal qu'elle a fait ; mais il a résulté de la journée de Pultawa la félicité ou la sureté d'un vaste empire de la terre. (D.J.)
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PULTURE | S. f. (Jurisprud.) dans quelques livres de droit, est une épreuve qu'on faisoit subir aux postulans pour l'état monastique, avant que de les admettre dans le cloître ; cette épreuve étoit ainsi appellée, parce que jusqu'à leur admission, ils frappoient aux portes pendant plusieurs jours, pulsabant ad fores.
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PULVERAGE | S. m. (Jurisprud.) pulveraticum est un droit que certains seigneurs sont fondés à percevoir sur les troupeaux de moutons qui passent dans leurs terres, à cause de la poussiere qu'ils excitent. Voyez Salvaing, liv. I. des Droits seigneuriaux, ch. xxxiv. p. 143. (A)
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PULVERIN | S. m. terme d'Hydraulique, c'est ainsi qu'on nomme des gouttes d'eau fort menues & presque imperceptibles, qui s'écartent dans les chûtes des jets d'eau, aux cascades, & sauts des rivieres. (D.J.)
PULVERIN, s. m. terme de Gainier ; maniere d'étui couvert de cuir ou de velours, qui pend avec les charges à la bandouliere, & où l'on met la poudre fine qui n'est propre qu'à amorcer, & qu'on nomme aussi pulverin. (D.J.)
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PULVERISATION | S. f. (Chimie & Pharm.) c'est une opération de l'ordre de celles que nous avons appellées méchaniques, préparatoires & auxiliaires ; & qui opere la disgregation des sujets chimiques solides, en les réduisant en une multitude de molécules plus ou moins subtiles, si superficiellement adhérentes, qu'elles cedent au moindre effort, presque à la maniere des fluides, ou dont l'assemblage constitue cette espece de fluide imparfait, que tout le monde connoît sous le nom de poudre.
Les instrumens directs & ordinaires de la pulvérisation proprement dite, sont le mortier & le porphyre, auquel se rapporte la machine de Langelot. Voyez MORTIER & PORPHYRE & MACHINE DE LANGELOT. Celle qui s'exécute au moyen du premier instrument, retient le nom de pulvérisation, & s'appelle encore trituration. La derniere s'appelle encore lévigation, porphyrisation & alcoholisation.
Les poudres préparées par la pulvérisation proprement dite, c'est-à-dire au mortier, se passent ensuite au tamis, voyez TAMIS ; & la partie la plus grossiere qui est restée sur le tamis se pulvérise de nouveau pour être tamisée encore ; par ces deux manoeuvres alternatives, dont la suite entiere est comprise sous le nom général de pulvérisation, on réduit tout un corps solide en une poudre assez subtile ; mais jamais on ne la porte au degré de subtilité auquel on parvient par le moyen de la porphyrisation.
Ce ne sont cependant que les corps très-durs, les substances pierreuses, terreuses, & les chaux métalliques qui sont susceptibles de la porphyrisation ; car tous les autres corps solides végétaux & animaux, comme cornes, bois, gommes, résines, &c. se reduiroient plutôt en pâte qu'en poudre très-sublime sur le porphyre, parce que la chaleur qu'on exciteroit nécessairement par le frottement continu est capable de procurer une certaine mollesse à ces substances ; & la liqueur qu'on est obligé d'employer principalement pour prévenir l'excès de cette chaleur, pourroit en extraire aussi certains principes, avec lesquels elle formeroit une espece de colle absolument contraire au succès de l'opération ; en un mot, on ne porphyrise que les sujets très-secs & très-durs, & on a soin d'y employer une liqueur qui n'a aucune action menstruelle sur eux, ordinairement de l'eau.
Outre ce moyen, qu'on peut appeller simple & vulgaire, on employe encore en chimie la pulvérisation à l'eau, ou par le moyen de l'eau, qui s'exécute dans le mortier presque plein d'eau, & sur une petite quantité de matiére qui doit encore avoir nécessairement, & pour les mêmes raisons, les qualités que nous venons d'exiger dans les sujets de la porphyrisation. Le manuel de la pulvérisation à l'eau consiste à broyer & à agiter pendant un certain tems la matiere à pulvériser ; ensorte que l'eau employée en soit troublée ; à laisser reposer un instant cette eau trouble, afin que les molécules les plus grossieres tombent au fond, & à décanter ensuite doucement l'eau, qui n'est plus chargée que des parties les plus subtiles, qu'on en sépare ensuite, soit par la résidence, soit par la filtration. Voyez RESIDENCE & FILTRATION. Cette maniere de pulvériser, que quelques-uns appellent philosophique, fournit des poudres très-subtiles, & d'autant plus subtiles, qu'on a laissé reposer davantage l'eau dans le mortier avant de la décanter.
Les Chymistes connoissent, outre ces moyens de pulvérisation, celui qui constitue la vraie pulvérisation philosophique qui est la dissolution chymique, suivie de la précipitation. Les précipités & les magisteres, qui sont les produits de cette opération, lorsqu'ils sont faits à grande eau, sont des poudres très-subtiles. Voyez PRECIPITATION, CHYMIE & MAGISTERE. On voit assez qu'il n'y a que les corps susceptibles d'une dissolution absolue, comme les métaux, les terres, les résines, &c. qui soient susceptibles de cette pulvérisation.
La calcination, soit par le feu seul, soit par le secours du nitre & la sublimation en fleurs, sont encore, quant à leurs effets, des especes de pulvérisations. Elles different seulement de la pulvérisation proprement dite, aussi-bien que notre pulvérisation philosophique, par le moyen d'action, qui, dans ces trois opérations est chymique, au lieu que dans la pulvérisation vulgaire & proprement dite, il est méchanique. Voyez OPERATIONS CHYMIQUES.
Les regles particulieres de manuel sur la pulvérisation pharmaceutique peuvent se reduire à ces principales ; 1°. quand on veut mettre en poudre des corps très-durs, & cependant fragiles, comme les pierres vitrifiables, & quelques crystaux très-durs, quoique calcaires, &c. il est bon de rougir ces matieres au feu, & de les éteindre plusieurs fois dans l'eau froide ; cette manoeuvre commence à les ouvrir, les fait éclater, &c. Lemery dit, dans sa pharmacopée universelle, que quand on veut pulvériser le talc de Venise, il faut l'exposer environ un quart-d'heure à un feu de flamme, &c. Les naturalistes savent assez aujourd'hui que la plûpart des substances connues dans les boutiques sous le nom de talc, sont des especes de pierres spéculaires, & de la classe des pierres gypseuses. Or, un demi-quart d'heure de grand feu de flamme reduit une pierre gypseuse en plâtre, & par conséquent en matiere très-discontinue, très-disposée à être réduite en poudre ; ainsi, par le moyen indiqué par Lemery, on obtient plus que l'auteur ne promet. Au reste, c'est une chose assez inutile en pharmacie que du talc de Venise en poudre. 2°. Il faut par la limation ou par la raspation disposer à la pulvérisation les matieres qui ont une certaine flexibilité, comme cornes, ongles, bois, &c. Voyez LIMATURE (Chymie). 3°. Pour reduire en poudre les matieres végétales moins compactes, comme feuilles, petales de fleur, étamines, &c. comme ces matieres, quand même elles ont été très-bien séchées, sont sujettes à reprendre une certaine humidité qui les ramollit, & qui les rend par conséquent moins cassantes, il faut, avant de les jetter dans le mortier, les avoir fait sécher doucement au soleil ou au feu, soit à découvert, soit entre deux papiers, pour les matieres qui ont des couleurs tendres. Voyez DESSICATION. 4°. Pour mettre en poudre les gommes, résines & le camphre, il faut oindre légérement le mortier & le pilon avec de l'huile d'amandes douces ; ou, ce qui revient au même, piler quelques amandes dans le mortier qu'on destine à cette pulvérisation. Sans cette précaution, ces matieres s'attachent au mortier, & on a de la peine à les pulvériser ; & quand ce sont des résines qui ne sont pas très-friables, comme le mastic, par exemple, il faut, au lieu d'huile, employer un peu d'eau. 5°. Quant aux gommes proprement dites, telles que la gomme adragant, la gomme du Sénégal, la gomme arabique, &c. il suffit d'avoir chauffé le mortier, afin que ces matieres se dessechent de plus en plus pendant la pulvérisation ; car la moindre humidité l'empêcheroit. 6°. Plusieurs matieres qu'il est très-difficile de mettre en poudre séparément, telles que l'opium, le suc d'acacia, celui de réglisse, l'hypocistes, le galbanum, l'opopanax, le sagapenum, les semences froides, les amandes, les pignons, &c. se pulvérisent pourtant très-bien, lorsqu'elles sont mêlées à d'autres drogues très-seches, qui dominent considérablement dans le mêlange. Aussi les compositions pharmaceutiques bien entendues & exécutables, dans lesquelles on demande qu'on réduise en poudre ces substances très-difficiles à pulvériser, contiennent-elles toujours une plus grande quantité de matieres éminentes pulvérisables ; & c'est l'a, b, c, de l'art du pharmacien que de savoir introduire à-propos dans le mortier des proportions convenables des unes & des autres de ces matieres. Ce n'est pas pourtant une des opérations de pharmacie des moins difficiles que la préparation d'une poudre très-composée dans laquelle entrent ces ingrédiens rebelles. 7°. Pour prévenir la dissipation des parties les plus subtiles d'une poudre, soit lorsque ces parties sont précieuses, soit lorsqu'elles pourroient incommoder l'artiste ou le manoeuvre, & même les assistans, & principalement dans ce dernier cas, on doit avoir un grand morceau de peau taillée en rond, & portant dans son milieu une ouverture munie d'une espece de cou ou de tuyau fait de la même peau, & à travers laquelle puisse passer le pilon ; on doit lier fortement cette maniere de tuyau au pilon, au moyen de plusieurs tours de ficelle bien serrés, & lier la peau par sa circonférence à la bouche du mortier au moyen de plusieurs tours de ficelles ; or comme cette peau est supposée assez grande pour qu'elle se tienne d'une maniere très-lâche entre le pilon & les bords du mortier, cet appareil n'empêche point le jeu du pilon, ni par conséquent la pulvérisation. Cette manoeuvre est plus sûre que l'emploi de quelques gouttes d'huile, de vinaigre, d'eau distillée, &c. qui est recommandé dans la plûpart des livres de pharmacie, pour la pulvérisation de l'euphorbe, des cantharides, de la coloquinte, &c.
8°. Enfin, on doit choisir pour chaque pulvérisation des instrumens d'une matiere convenable ; le mortier de fer pour les matieres très-difficiles à pulvériser, celui de marbre pour les matieres moins dures ; & toujours une matiere telle que la substance qu'on y traite ne puisse agir sur elle chymiquement ; loi qui s'étend à tous les instrumens, à tous les vaisseaux chymiques. Voyez INSTRUMENT & VAISSEAU (Chymie) ; mais il est spécial à l'opération dont il s'agit d'éviter aussi, autant qu'il est possible, que les sujets auxquels on la fait subir, n'attaquent point méchaniquement les instrumens qu'on y emploie, comme on l'a observé plus au long à l'article MORTIER, instrument de Chymie, & à l'article PORPHYRE, instrument de Chymie. Voyez ces articles. (b)
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PULVINAR | (Littérat.) ou pulvinarium, petit lit dressé dans les temples des Romains, sur lesquels ils mettoient les statues de leurs dieux, en action de grace de quelque grande victoire. De-là vint cette expression latine, ad omnia pulvinaria supplicare, faire des processions générales dans tous les temples, où l'on descendoit les simulacres des dieux qu'on couchoit sur des lits. Enfin le mot pulvinar se prit pour les temples mêmes : ad omnia pulvinaria deorum vota facta, dit Cicéron ; on fit des voeux & des prieres dans tous les temples des dieux.
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PUMPER NICKEL | S. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme en Westphalie, un pain de seigle très-noir, très-compacte, & dont la croûte est si épaisse & si dûre, qu'il faut une hache pour le couper. On fait du pain de la même espece dans un grand nombre de provinces des Pays-bas ; il ne laisse pas d'avoir du goût, mais il est lourd, & difficile à digérer.
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PUNA | S. m. (Hist. nat. Botan.) arbre fort élevé des Indes orientales, qui produit un fruit rouge ; il renferme dans une écorce épaisse douze ou quinze grains de la grosseur des glands, & du goût des pignons ; on ne les mange que cuits. Cet arbre est si haut & si droit, que l'on peut en faire des mâts de vaisseaux.
PUNA, (Géog. mod.) île de la mer du Sud, dont la pointe la plus occidentale appellée Punta-arena, est à 7 lieues de l'île de Sainte-Claire. Sa longueur de l'est à l'ouest est à-peu-près de 14 lieues, & sa longueur de 4 ou 5. Il n'y a dans cette île qu'un bourg d'indiens, qui porte le nom de Puna, & dont les habitans sont tous matelots. Ce bourg est à 7 lieues de Guaiaquil ; on y mouille par cinq brasses d'eau, fond marécageux ; la mer monte à la hauteur de 14 ou 15 piés. Thomas Candish surprit cette île en 1587, & l'abandonna bientôt après, comme une conquête inutile. Lat. mérid. 3. 5. (D.J.)
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PUNAIS | S. m. ou adj. qui a le nez puant. Cette affection dépend ordinairement d'un ulcere fétide dans le nez. Voyez OZENE.
La puanteur du nez dans ce cas ne seroit qu'accidentelle ; mais il y a des gens qui puent naturellement : la lymphe excrémenteuse que fournit la membrane pituiteuse exhale en eux une odeur infecte, qu'on peut corriger par des moyens de propreté ; mais qu'il seroit peut-être aussi dangereux de faire passer, en se servant de fumigations balsamiques & dessicatives, qu'il l'est de chercher à faire passer la puanteur des piés par d'autres moyens que par l'extrême propreté. Quelques grains de cachou parfumés donnent dans la bouche une odeur, laquelle passant dans les narines, corrige celle que la morve a contractée. (Y)
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PUNAISE | S. f. (Hist. nat.) cimex, genre d'insecte qui comprend un très-grand nombre d'especes différentes. M. Linnaeus fait mention de quarante-trois especes de punaises qui se trouvent en Suede, dans les maisons, dans les jardins, dans les bois, dans les champs, &c. la plûpart sentent très-mauvais, & ont toutes des aîles, excepté la punaise domestique, c'est-à-dire celle qui reste dans les lits. Cet insecte est très-incommode à l'homme, non-seulement par sa piquure, mais encore par son odeur infecte. Il a la figure d'une lentille ; il est court, applati, presque rond, ou de forme rhomboïdale, & d'une consistance très-molle ; il a une couleur de canelle noir peu foncée ou rougeâtre ; on voit sur les côtés de la tête deux petits yeux bruns, & un peu saillans. Les antennes sont courtes, & composées chacune de trois articulations. Cet insecte a une trompe avec laquelle il suce le sang des personnes qui sont couchées ; cette trompe est renflée dans son milieu, & située à la partie antérieure de la tête ; elle se recourbe en-dessous, & dans l'état de repos, l'extrêmité se trouve placée entre les deux jambes de devant. Le corcelet n'est composé que d'un anneau un peu large, auquel sont attachées les jambes de la premiere paire ; les deux autres paires tiennent au corps qui a neuf anneaux : le premier est comme séparé en deux parties par une petite échancrure formée par une piece triangulaire qui joint le corps au corcelet. Chaque jambe a trois articulations ; le pié est armé d'un crochet pointu ressemblant à un hameçon. Les jambes de la seconde paire sont un peu plus grandes que celles de la premiere, & un peu plus courtes que les dernieres. Le corps est entierement lisse ; à l'aide du microscope on distingue seulement quelques poils courts autour de l'anus & sur les bords des derniers anneaux. Suite de la matiere médicale, tome I. du regne animal.
Les punaises fuient la lumiere & cherchent l'obscurité ; elles multiplient prodigieusement ; le grand froid les fait mourir, mais il n'empêche pas la fécondité des oeufs qu'elles déposent en grande abondance dans les endroits cachés où elles se retirent. Ces oeufs éclosent aux premieres chaleurs du printems ; l'insecte qui en sort est si petit qu'on le distingue à peine à l'oeil simple ; il marche & il court dès qu'il est né ; il grossit en très-peu de tems, s'il peut trouver quelque aliment convenable ; son volume augmente sensiblement à mesure qu'il suce le sang d'une personne endormie. Les punaises en sont fort avides ; quelques précautions que vous ayez, elles viennent toujours vous surprendre en dormant ; il vous est presqu'impossible de prévenir l'incommodité de ces insectes si votre chambre à coucher en est infectée. On se croiroit en sureté en se couchant au milieu de sa chambre sur un lit, ou simplement sur un matelas neuf, autour duquel on répandroit de l'eau pour les empêcher de passer, les punaises surmontent cet obstacle en grimpant au plancher pour se laisser tomber sur vous. On vient cependant à bout de les éloigner, & de les faire fuir pendant quelque tems en se parfumant tout le corps de quelque odeur lorsqu'on se met au lit ; mais bientôt pressées par la faim, elles surmontent la répugnance qu'elles ont pour les odeurs, & elles viennent vous sucer avec d'autant plus d'acharnement qu'il y a plus de tems qu'elles ne l'ont fait. La négligence de balayer souvent sous le lit, & de brosser de tems en tems les rideaux & les tapisseries qui l'environnent, ne contribue pas peu à leur grande multiplication. Les personnes qui ont le soin de faire souvent frotter avec de fortes brosses tous les endroits où les punaises peuvent déposer leurs oeufs, empêchent par ce moyen la reproduction d'un grand nombre de ces insectes, & obligent les autres à déserter en s'opposant continuellement à leur régénération, & en les privant par-là du plaisir de se reproduire, sentiment inné & commun à tous les êtres.
La vapeur du soufre fait mourir en moins d'une heure les punaises qui y sont exposées : si on en met dans des cornets faits d'un double papier, & fermés le plus exactement qu'il est possible, & si on place ces cornets dans différens endroits d'une armoire où on fait brûler du soufre, on trouve toutes les punaises mortes au bout d'une heure. On ne sait si cette vapeur attaque & détruit le germe des oeufs. En faisant brûler dans une chambre du soufre en assez grande quantité pour que la vapeur qui en sort remplisse toute la chambre, on parvient à tuer généralement tous les insectes qui y sont, même les vers des teignes ; on viendroit à bout par ce procédé de détruire entierement les punaises d'un appartement, si on réiteroit cette opération assez souvent pour que les punaises qui écloroient après la premiere fumigation n'eussent pas le tems de pondre leurs oeufs. Voyez INSECTE.
Pour détruire ces insectes sans inconvénient, M. Salberg propose la composition qui suit. Prenez une livre de térébenthine, d'alkali fixe ou de potasse une livre & demie ; de chaux vive une demi-livre ; de verd de gris un quarteron : on pulvérisera séparément chacune de ces matieres ; on les mêlera promtement dans un mortier de marbre, & on les mettra dans un matras de cuivre ; on versera par-dessus une pinte de bonne eau-de-vie ; on y adaptera un chapiteau, & pour boucher les jointures on y mettra de la vessie mouillée ; on distillera doucement en se servant d'un réfrigérant : on mettra la liqueur qui résulte dans une bouteille bien bouchée, au fond de laquelle on aura eu soin de mettre un peu de verd de gris : quand il s'y sera parfaitement dissout, la liqueur sera faite ; & pour tuer les punaises, on n'aura qu'à seringuer de cette liqueur dans les trous & les crevasses des murs où elles se logent communément, & en frotter les bois de lit ; elles en meurent sur le champ, & les oeufs ne peuvent plus éclorre. Voyez les mémoires de l'académie de Suede, année 1745.
PUNAISE AQUATIQUE, (Hist. des insect.) ajoutons, d'après M. Lyonnet, que les jambes antérieures des punaises aquatiques ne leur servent pas à marcher, elles leur tiennent lieu d'antennes & de griffes, pour tenir & saisir leur proie ; elles ont le long de ces jambes une cavité dans laquelle le pié ou la griffe peut se mettre depuis l'articulation jusqu'au bout : cette cavité ressemble à celle où s'enchâsse la lame d'un couteau de poche, & elle leur a été donnée pour empêcher que cette griffe ne s'émoussât, ou ne fût endommagée par quelque accident. (D.J.)
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PUNARU | S. m. (Hist. nat.) petit poisson du Brésil du genre de ceux que les Latins nommoient alaudae. Son corps est oblong, & sa tête finit en museau obtus. Sa mâchoire inférieure est garnie de deux dents pointues comme des aiguilles ; ses yeux sont fort hauts dans la tête, la prunelle en est noire, & l'iris jaune. Ses ouïes ont deux nageoires placées derriere. La nageoire du dos s'étend depuis la tête jusqu'à la queue. Sa peau & ses nageoires sont toutes brunes. Il habite dans les rocs, & s'établit quelquefois dans les coquilles des plus gros coquillages.
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PUNAY | (Ornith.) nom qu'on donne dans les îles Philippines à une des plus belles especes de tourterelles du monde, & qui est commune dans leurs bois ; elle est de la grosseur d'un petit perroquet, & est d'un très-beau verd diapré de blanc au bout des plumes de l'aîle ; la partie inférieure de son ventre est couleur de safran ; son bec est jaune. (D.J.)
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PUNCH | S. m. boisson angloise ; il s'en fait de plusieurs sortes qui different soit par la composition, ou par les ingrédiens dont on se sert. Le punch simple se fait avec une partie de rhum ou de taffia, & trois parties de limonade composée d'eau claire, de citron & de sucre ; on y met une petite croûte de pain brûlé, un peu de muscade rapée, & un morceau d'écorce de citron. On peut rendre le punch plus ou moins fort en augmentant ou diminuant la dose du rhum, suivant le goût des personnes ; cette boisson est fort agréable, mais il faut s'en méfier, sur-tout lorsqu'elle est chargée de liqueurs spiritueuses.
Le punch au rach ne differe du précédent que par l'espece de liqueur qu'on y met au lieu de rhum.
Pour faire un punch délicat, fort agréable, & dont les dames font grand cas, il faut, à la place des liqueurs précédentes, substituer de l'eau des barbades, ou de l'eau divine en quantité modérée ; passer le tout au-travers d'une mousseline très-propre, & y ajouter quelques gouttes d'essence de canelle & de l'eau de fleur d'orange.
Punch chaud. Pour le faire, on met dans un grand pot de terre vernissé & bien propre quatre ou cinq parties d'eau claire, & une partie de rhum ou de bonne eau-de-vie, du sucre à proportion, de la cannelle à volonté concassée en morceaux, un peu de muscade, & l'on fait bouillir le tout pendant cinq à six minutes. Le vase étant retiré de dessus le feu, il faut promtement casser un ou deux oeufs, & mettre le blanc & le jaune ensemble dans la liqueur, l'agitant fortement avec un moussoir à chocolat ; on la fait encore chauffer un peu sans cesser le mouvement du moussoir, ensuite de quoi on verse cette espece de brouet dans de grandes tasses de porcelaine pour le boire chaud ; c'est un très-bon restaurant dont on peut user après des veilles & des fatigues.
PUNCTA, s. m. (Hist. anc.) très-petite mesure d'eau pour les aqueducs. Elle se faisoit par pouces & par points. C'est ainsi qu'on connoissoit la quantité d'eau qu'on donnoit à chaque particulier qui en vouloit. On marquoit de points dans la main les soldats romains.
On marquoit de la même maniere les ouvriers engagés dans les manufactures.
Le point qu'on marquoit sur les tables à côté du nom d'un candidat, lui assuroit le suffrage de celui qui avoit fait le point ; de-là l'expression omne tulit punctum, avoir tous les points pour soi, avoir été élu d'un consentement unanime.
Puncta étoient aussi les coups d'un instrument pointu dont on frappoit le coupable dans un supplice inventé par Caligula. Les premiers coups se donnoient aux parties du corps les moins mortelles. Vitellius mourut de cette mort.
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PUNCTUM | (terme de Géométrie) voyez POINT.
Dans l'école, on distingue, 1°. punctum terminans, qui est l'extrêmité indivisible de la ligne, au-delà de laquelle la ligne ne s'étend pas. Voyez LIGNE.
2°. Punctum continuans, qui est une quantité indivisible par le moyen de laquelle les points d'une ligne sont joints les uns aux autres, & forment ainsi une ligne continue. Voyez CONTINUITE.
3°. Punctum initians, qui est l'extrêmité indivisible par laquelle la ligne commence. (E)
PUNCTUM ex comparatione, signifie dans les coniques d'Apollonius, l'un des deux foyers d'une ellipse, ou des hyperboles opposées. Voyez FOYER.
Punctum lineans, signifie, chez quelques auteurs, le point d'un cercle qui décrit une cycloïde, ou une épicycloïde. Voyez CYCLOÏDE & EPICYCLOÏDE. (O)
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PUND | S. f. (Poids) nom d'un poids de Moscovie dont on se sert communément à Archangel. Le pund est de quarante livres poids du pays, qui revient à trente-trois livres poids de France, le poids de Moscovie étant près de dix-huit livres par cent plus foible que celui de Paris.
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PUNDAGE | S. m. (Comm.) droit qui se leve en Angleterre sur les vaisseaux, à raison de tant de livres sterling, sur les marchandises dont ils sont chargés. Cet impôt se nomme pundage, parce que les Anglois appellent une livre sterling pundt. Voyez PUNDT.
Cet impôt fut accordé à Guillaume III. pour sa personne par acte de 1689. Il est différent du droit de tonnage, qui ne se leve que sur la quantité de tonneaux qui peuvent faire la charge de chaque vaisseau. Voyez TONNAGE. Dict. du Commerce.
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PUNDT | (Commerce) monnoie de compte d'Angleterre, qu'on appelle autrement livre sterling & piece. Voyez LIVRE, MONNOIE, STERLING.
Pundt est aussi le poids ou livre dont on se sert à Londres. Elle est de neuf par cent moins forte que celle de Paris ; ensorte que cent livres d'Angleterre n'en font que quatre-vingt onze de Paris. Voyez LIVRE.
Pundt, qu'on nomme plus ordinairement ponde, est un poids dont on se sert à Archangel & dans les autres états du czar de Moscovie. Diction. du Com.
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PUNIQUE | adj. (Hist. anc.) Les Romains qui étoient dans l'usage de corrompre les noms de toutes les nations étrangeres, appelloient les Carthaginois Poeni, vraisemblablement parce qu'ils tiroient leur origine de Phénicie ; & l'on nommoit punicus ou punique ce qui leur appartenoit. C'est ainsi qu'on appelloit bella punica ou guerres puniques, les trois guerres dans la derniere desquelles la république des Carthaginois, ainsi que la ville de Carthage furent totalement détruites & soumises par les Romains.
Les auteurs ont été assez partagés sur la nature de la langue punique, c'est-à-dire de celle que parloient les Carthaginois ; quelques-uns ont cru que la langue punique & la langue arabe étoient les mêmes ; il ne nous en reste que quelques fragmens qui ont été conservés dans la comédie de Plaute, appellée poenulus ou le petit carthaginois. Les Romains ont eu soin de détruire toutes les archives & les monumens historiques qui pouvoient conserver le souvenir d'une nation qui leur étoit odieuse. Des critiques très-célebres ont fait voir qu'originairement cette langue étoit la même que celle qui se parloit en Phénicie, c'est-à-dire à Tyr, d'où Didon avoit fui pour fonder sa nouvelle colonie de Carthage. Cependant cette langue s'altéra avec le tems, & ne conserva pas la pureté de la langue hébraïque ou phénicienne. Malgré ces variations on trouve une très-grande ressemblance entre la plûpart des noms propres des Carthaginois qui ont passé jusqu'à nous, & les noms hébreux ou phéniciens. C'est ainsi que les noms Carthaginois Sichaeus, Machaeus, Amilco ou Himilcon, Hamilcar, Hanno, Hannibal, Asdrubal, Mago, Anna, Adherbal &c. ont une très-grande ressemblance avec les noms hébreux & phéniciens Zachaeus, Michaeus, Amalec, Melchior, Hinnon ou Hanon, Hana-baal, Ezra-baal, Magog, Hannah, Adar-baal &c. Le nom même de Carthage paroît dérivé du mot phénicien charta, ville, & Aco nom propre, ce qui signifie la ville d'Aco. Il y avoit un port de ce nom près de Tyr.
Saint Augustin qui, étant évêque d'Hippone en Afrique, habitoit le pays occupé par les descendans des Carthaginois, nous apprend que la langue punique avoit de son tems quelque rapport avec le syriaque & le chaldéen. En 1718 M. Majus, professeur dans l'université de Giessen, publia une dissertation, dans laquelle il prouve que la langue que l'on parle aujourd'hui dans l'île de Malthe, a beaucoup de rapport avec la langue punique. Les matériaux dont il s'est servi pour faire cette dissertation, lui avoient été fournis par un jésuite maltois, appellé le P. Ribier ou Riviere de Gattis ; on y voit que les Carthaginois ont été très-long-tems maîtres de l'île de Malthe, & que leur langage, qui differe de toutes les autres langues connues, a conservé une très-forte teinture de l'ancienne langue punique. On démontre dans cette dissertation, que les nombres dont les Maltois se servent encore actuellement pour compter, sont les mêmes que dans le chaldéen ou le phénicien. D'un autre côté Jean Quintinius Heduus, auteur qui vivoit à Malthe dans le milieu du seizieme siecle, dit que l'on y parloit de son tems la langue africaine ou punique, que l'on voyoit encore dans l'île des piliers avec des inscriptions puniques, & que les Maltois entendoient très-bien les mots carthaginois qui se trouvent dans Plaute & dans Avicenne. Les Maltois ont encore dans leur langue un proverbe carthaginois, qui nous a été conservé par S. Augustin ; la peste a besoin d'une piece d'argent, donnez-lui en deux, elle vous quittera d'elle-même.
On voit par ce qui précede, que la langue punique avoit du rapport avec le phénicien, l'hébreu & le chaldéen ; langues qui ont beaucoup d'affinité entr'elles. On a trouvé des monnoies carthaginoises en Espagne & en Sicile ; les caracteres que l'on y voit ont assez de ressemblance avec ceux des Phéniciens & même des Hébreux & des Assyriens. Voyez l'hist. univ. d'une société de gens de Lettres, publiée en anglois, à l'article des Carthaginois. (-)
PUNIQUE guerre. Les guerres puniques font la partie la plus intéressante de l'histoire des Romains. Ils n'eurent pas plutôt soumis les Latins, les Toscans, les Samnites & leurs alliés, qu'ils songerent à passer la mer. Le secours donné par les Carthaginois aux Tarentins en fut le prétexte, & la conquête de la Sicile le véritable sujet. Rome & Carthage s'acharnerent l'une contre l'autre ; le voisinage & la jalousie de ces deux grandes républiques, firent naître ces guerres sanglantes que tout le monde sait par coeur. La seconde fut la plus célebre.
Quand on examine bien cette foule d'obstacles qui se présenterent devant Annibal, & que cet homme extraordinaire les surmonta tous, on a le plus beau spectacle que nous ait fourni l'antiquité. Ce fut dans cette guerre que ce grand capitaine fit éclater ces talens supérieurs qui lui donnerent tant d'avantage sur les généraux romains : toujours juste dans ses projets, des vues immenses, le génie admirable pour distribuer dans le tems l'exécution de ses desseins, toute l'adresse pour agir sans se laisser appercevoir ; infini dans les expédiens, aussi habile à se tirer du péril qu'à y jetter les autres ; du reste sans foi, sans religion, sans humanité, & cependant ayant su se donner tous les dehors de ces vertus autant qu'il convenoit à ses intérêts.
Tel étoit le fameux Annibal lorsqu'il forma le plus hardi projet que jamais aucun capitaine eut osé concevoir, & que l'événement justifia. Du fond de l'Espagne il résolut de porter la guerre en Italie & d'attaquer les Romains jusque dans le centre de leur domination, sans y avoir ni places, ni magasins, ni secours assurés, ni espérance de retraite ; il traverse l'Espagne & les Gaules, passe les Alpes, & vient camper fierement jusques sur les bords du Tésin, où se donna la premiere bataille l'an de Rome 535, & où les Romains furent défaits. On sait qu'ils le furent une seconde fois, près de la riviere de Trébie. La perte qu'essuya Flaminius près du lac de Trasymene fut encore plus grande ; & la déroute de Cannes, l'an 537, mit Rome à deux doigts de sa ruine. Elle fut un prodige de constance dans cette occasion ; car abandonnée de presque tous les peuples d'Italie, elle ne demanda point la paix. Il ne fut pas même permis aux femmes de verser des larmes après cette funeste journée ; enfin, le sénat refusa de racheter les prisonniers, & envoya les miserables restes de l'armée faire la guerre en Sicile, sans récompense, ni aucun honneur militaire, jusqu'à ce qu'Annibal fut chassé d'Italie.
Les conquêtes même d'Annibal commencerent à changer la fortune de cette guerre. Il n'avoit pas été envoyé en Italie par les magistrats de Carthage ; il recevoit très-peu de secours, soit par la jalousie d'un parti, soit par la trop grande confiance de l'autre. Pendant qu'il resta avec son armée réunie, il battit les Romains ; mais lorsqu'il fallut qu'il mît des garnisons dans les villes, qu'il défendit ses alliés, qu'il assiégeât les places, ou qu'il les empêchât d'être assiégées, ses forces se trouverent trop petites ; & il perdit en détail une grande partie de son armée. Les conquêtes sont aisées à faire, parce qu'on les fait avec toutes ses forces : elles sont difficiles à conserver, parce qu'on ne les défend qu'avec une partie de ses forces.
Comme les Carthaginois en Espagne, en Sicile, & en Sardaigne, n'opposoient aucune armée qui ne fût malheureuse ; Annibal, dont les ennemis se fortifioient sans cesse, se vit réduit à une guerre défensive. Cela donna aux Romains la pensée de porter la guerre en Afrique : Scipion y descendit. Les succès qu'il y eut obligerent les Carthaginois à rappeller d'Italie Annibal, qui pleura de douleur, en cédant aux Romains cette terre, où il les avoit tant de fois vaincus. Tout ce que peut faire un grand homme d'état & un grand capitaine, Annibal le fit pour sauver sa patrie ; n'ayant pu porter Scipion à la paix, il donna une bataille, où la fortune sembla prendre plaisir à confondre son habileté, son expérience & son bon sens.
Carthage reçut la paix, non pas d'un ennemi, mais d'un maître : elle s'obligea de payer dix mille talens en cinquante années, à donner des ôtages, à livrer ses vaisseaux & ses éléphans ; & pour la tenir toujours humiliée, on augmenta la puissance de Masinisse son éternel ennemi.
Enfin les Romains se rappellant encore le souvenir des batailles de Trasymene & de Cannes, résolurent de détruire Carthage. Ce fut le sujet de la troisieme guerre punique. Le jeune Scipion, fils de Paul Emile, & qui avoit été adopté par Scipion, fils de l'Africain, démolit cette ville superbe, qui avoit osé disputer avec Rome de l'empire du monde. On en dispersa les habitans, & Carthage ne fut plus qu'un vain nom.
Cette ville ruinée éleva le coeur des Romains, qui n'eurent plus que de petites guerres & de grandes victoires, au lieu qu'auparavant ils avoient eu de petites victoires, & de grandes guerres. Bientôt ils soumirent l'orient & l'occident, portant jusques chez les peuples les plus barbares la crainte de leurs armes & le respect de leur puissance. Leurs moeurs changerent avec la fortune ; le luxe de l'Orient passa à Rome avec les dépouilles des provinces. La douceur de vaincre & de dominer, corrompit cette exacte probité, auparavant estimée par leurs ennemis même. L'ambition prit la place de la justice dans leurs entreprises : une sordide avarice & la rapine succéderent à l'intérêt du bien public ; les guerres civiles s'allumerent, & l'état devint la proie du citoyen le plus ambitieux & le plus hardi. (D.J.)
PUNIQUE, PIERRE, (Hist. nat.) lapis punicus, nom donné par quelques auteurs à une pierre spongieuse, qui, pulvérisée, étoit un remede contre les maladies des yeux : il paroît que ce nom vient par corruption de pumex, pierre-ponce.
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PUNIR | CHATIER, (Synon.) on châtie celui qui a fait une faute, afin de l'empêcher d'y retomber ; on veut le rendre meilleur. On punit celui qui a fait un crime, pour le lui faire expier ; on veut qu'il serve d'exemple.
Les peres châtient leurs enfans ; les juges font punir les malfaiteurs. Le châtiment dit une correction, mais la punition ne dit précisément qu'une mortification faite à celui qu'on punit. Il est essentiel, pour bien corriger, que le châtiment ne soit ni ne paroisse être l'effet de la mauvaise humeur. Les lois doivent proportionner la punition au crime ; celui qui vole ne doit pas être puni comme l'assassin.
Le mot de châtier, porte toujours avec lui une idée de subordination, qui marque l'autorité, ou la supériorité de celui qui châtie sur celui qui est châtié. Mais le mot de punir n'enferme point cette idée dans sa signification ; on n'est pas toujours puni par ses supérieurs ; on l'est quelquefois par ses égaux, par soi-même, par ses inférieurs, par le seul événement des choses, par le hazard, ou par les suites même de la faute qu'on a commise.
Les parens que la tendresse empêche de châtier leurs enfans, sont souvent punis de leur folle amitié par l'ingratitude & le mauvais naturel de ces mêmes enfans.
Il n'est pas d'un bon maître de châtier son éleve pour toutes les fautes qu'il fait ; parce que les châtimens trop fréquens contribuent moins à corriger du vice, qu'à dégoûter de la vertu. La conservation de la société étant le motif de la punition des crimes, la justice humaine ne doit punir que ceux qui la dérangent, ou qui tendent à sa ruine.
Il est du devoir des ecclésiastiques de travailler à l'extirpation du vice par la voie de l'exhortation & de l'exemple ; mais ce n'est point à eux à châtier, encore moins à punir le pécheur. Girard.
Châtier & punir ont à-peu-près le même sens au figuré ; mais châtier se prend aussi pour corriger, polir un ouvrage ; le style de la Fontaine n'est pas toujours châtié, mais ses négligences sont aimables.
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PUNITION | S. f. (Jurisprud.) est l'action de punir quelqu'un. La punition des crimes & délits appartient au juge criminel ; celle des faits de police aux officiers de police ; celle des contraventions à la loi en matiere civile appartient aux juges civils.
On appelle punition exemplaire celle qui emporte quelque peine severe qui s'exécute en public pour servir d'exemple. Voyez PEINE. (A)
PUNITIONS MILITAIRES, (Hist. anc.) peines infligées aux généraux ou aux soldats qui n'ont pas fait leur devoir. Parmi les anciens, quelques nations ont porté ces punitions jusqu'à la barbarie, d'autres se sont contenues à cet égard dans les bornes d'une juste sévérité. Les Carthaginois faisoient crucifier les généraux qui avoient été défaits, & ceux même qui n'avoient pas pris toutes les mesures imaginables pour réussir. Chez les Gaulois, le soldat qui arrivoit le dernier de tous au rendez-vous général de l'armée, étoit mis à mort par les plus cruels supplices. Les Grecs & les Romains, quoique très-séveres, ne porterent point les punitions à cet excès.
A Athènes, le refus de porter les armes étoit puni par un interdit public, ou une espece d'excommunication, qui fermoit au coupable l'entrée aux assemblées du peuple & aux temples des dieux. Mais jetter son bouclier pour fuir, quitter son poste, déserter, c'étoient autant de crimes capitaux, & punis de mort. A Sparte, c'étoit une loi inviolable de ne jamais prendre la fuite, quelque supérieure en nombre que pût être l'armée ennemie, de ne jamais quitter son poste, ni de rendre les armes. Quiconque avoit manqué contre ces regles, étoit diffamé pour toujours, exclus de toutes sortes de charges & d'emplois, des assemblées & des spectacles. C'étoit un deshonneur que de s'allier avec eux par les mariages, & on leur faisoit des outrages en public, sans qu'ils pussent reclamer la protection des lois.
Chez les Romains les punitions militaires étoient toujours proportionnées aux infractions de la discipline militaire, & variées selon l'exigence des cas : on peut rapporter toutes celles qu'on connoît à deux genres, aux peines infâmantes, & aux peines corporelles. Les peines infâmantes étoient celles qui intéressoient l'honneur. Tantôt une parole de mépris suffisoit pour punir des troupes séditieuses ; ainsi César ayant appellé ses soldats mutinés quirites, comme qui diroit, messieurs, au lieu de milites ou commilitones, soldats ou camarades, titre qu'il avoit coutume de leur donner, ils se crurent dégradés, & n'omirent rien pour rentrer en grace. Tantôt on les punissoit en les privant de la part qu'ils auroient eue au butin. Quelquefois on les plaçoit à l'écart, & on refusoit leur service contre l'ennemi. Dans d'autres occasions, on les faisoit travailler aux retranchemens en simple tunique & sans ceinturon. Lorsque tout un corps de troupes avoit donné quelque marque de lâcheté, on lui ôtoit le froment, on le reduisoit pendant un tems à vivre d'orge ; on les faisoit camper hors de l'enceinte du camp exposés aux ennemis, & quelquefois sans épée. Pour des fautes légeres, on se contentoit de faire prendre aux soldats leur nourriture debout.
Mais la cassation ou la dégradation des armes étoient les châtimens ordinaires des séditions ou des actions lâches, soit pour les officiers ou les soldats, soit pour des corps entiers de troupes, comme des légions qu'on renvoyoit après les avoir désarmées, & surtout leur avoir ôté la ceinture militaire, d'où pendoit l'épée, ce qu'on appelloit exauctoratio. On dégradoit les chevaliers en leur ôtant le cheval & l'anneau ; & souvent on punissoit les soldats en ne leur comptant point le tems qu'ils avoient déja servi, & en les obligeant de recommencer tout de nouveau.
Les principales peines afflictives étoient les coups de bâton, ou de branche de sarment, que donnoient les centurions à tout soldat légionnaire qui s'écartoit des rangs ; & celle du fouet pour les alliés ou les barbares qui servoient en qualité d'auxiliaires. La bastonnade, appellée fustuarium, qui s'exécutoit ainsi. Le tribun prenant un bâton, ne faisoit qu'en toucher le criminel, & aussi-tôt tous les légionaires fondoient sur celui-ci à coups de bâton & de pierre, ensorte qu'il étoit souvent mis à mort : quiconque ne s'étoit point trouvé à son poste, ou l'avoit abandonné, ou s'y étoit laissé surprendre endormi dans les gardes de nuit, officier ou soldat étoit puni de la sorte, aussi-bien que ceux qui voloient dans le camp. Frontin rapporte, que du tems de Caton on coupoit la main droite aux soldats fripons, & qu'on se contentoit de tirer du sang aux principaux : cependant un tribun convaincu d'avoir volé ou détourné à son profit une partie du blé destiné aux soldats, étoit condamné à mort. Les déserteurs étoient battus de verges, & vendus comme esclaves. Les généraux mêmes n'étoient pas exempts de punition. On déposa du consulat Posthumius, après l'affaire des fourches Caudines, & il fut obligé de servir en qualité de lieutenant-général sous le dictateur, dans la même armée qu'il avoit si mal commandée en chef. Le consul Mancinus, pour un traité désavantageux fait avec les Numantins, leur fut renvoyé par le sénat piés & mains liés. Manlius fit décapiter son fils pour avoir combattu sans ordre du général. Enfin, la punition la plus sanglante étoit la décimation qui n'avoit guere lieu que dans le cas d'une rébellion de la part des troupes.
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PUNITOIRE | INTERET (Jurisprudence) Voyez INTERET.
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PUNTA-DEL-GUDA | (Géogr. mod.) ville capitale de l'île de Saint-Michel, une des Açores, avec un port & un château où les Portugais entretiennent une petite garnison. Long. 354. lat. 38.
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PUNTAS | PUNTAS
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PUNTZUMETI | (Hist. nat. Botan.) plante de la nouvelle Espagne. Sa tige n'a pas plus d'une coudée de haut, elle est ronde & unie ; ses feuilles ressemblent à celles de la vigne. Ses fleurs sont jaunes, & composées de petits filets déliés comme des cheveux ; elles donnent une semence noire. Ses racines ressemblent à celles de l'ellebore blanc ; elles ont une odeur de musc, & sont d'un goût âcre. Mise en poudre & prise dans du vin ou dans quelqu'autre breuvage, cette racine passe pour appaiser les douleurs des reins & de la néphrétique, pour fortifier l'estomac, faciliter la digestion, exciter les mois ; enfin pour être un puissant antidote contre toutes sortes de venins. Ximénès appelle cette plante, l'asarum du Mechoacan.
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PUPILLAIRE | adj. (Jurisprud.) se dit de ce qui appartient à un pupille, comme des deniers pupillaires. Voyez DENIERS & TUTEUR.
Substitution pupillaire. Voyez SUBSTITUTION.
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PUPILLARITÉ | S. f. (Jurisprud.) est l'état d'un pupille ; cet état dure depuis la naissance jusqu'à l'âge de puberté, qui est de quatorze ans pour les mâles & douze ans pour les filles. Voyez ci après PUPILLE.
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PUPILLE | S. f. terme d'Anatomie, qui signifie la même chose que ce qu'on appelle communément prunelle, est une petite ouverture dans le milieu de l'uvée & de l'iris de l'oeil, à-travers de laquelle les rayons de lumiere vont se briser dans le crystallin, & de-là se peindre sur la rétine & former ainsi la vision. Voyez OEIL & VISION.
Il est à remarquer que comme nous sommes obligés de pratiquer différentes ouvertures pour nos verres optiques, la nature a aussi observé la même précaution dans les yeux des animaux ; au moyen de quoi ils peuvent admettre autant & si peu de lumiere qu'il est nécessaire pour la vision, selon les différentes ouvertures de la pupille. Voyez OUVERTURE.
La structure de l'uvée & de l'iris est telle qu'elles peuvent contracter ou dilater la prunelle ; desorte que s'accommodant aux objets de la vision, elle admette plus ou moins de rayons, selon que l'objet est plus éclairé & plus proche, ou plus obscur & plus éloigné ; car c'est une loi constante que plus l'objet est lumineux ou plus il est proche, plus la prunelle s'étrécit ; & vice versâ. Voyez UVEE & RAYON.
Ce changement dans la pupille est opéré par certaines fibres musculaires qui sont en-dehors de l'uvée ; savoir un plan de fibres orbiculaires autour de sa circonférence, & un plan de fibres rayonnées attachées par un bout au plan orbiculaire, & par l'autre bout au grand bord de l'uvée. Les fibres longitudinales servent à dilater l'ouverture de la paupiere ; les autres, c'est-à-dire les orbiculaires, servent à l'étrécir.
Quelques auteurs cependant attribuent les mouvemens de la pupille au ligament ciliaire ; d'autres pensent que ce ligament & les fibres de l'uvée y contribuent. Le sieur Derham ajoute que tandis que la prunelle s'ouvre ou se ferme, le ligament ciliaire, dilate ou comprime le crystallin, & l'approche ou l'éloigne de la rétine, selon que les objets sont plus ou moins éloignés. Voyez CILIAIRE, &c.
La figure de la prunelle est variée merveilleusement dans les différens animaux, selon les différens usages qu'ils font de leurs yeux. Dans quelques-uns, dans l'homme par exemple, elle est ronde, forme très-convenable à la position de nos yeux & à celle des objets de notre vision.
Dans d'autres animaux elle est elliptique ou oblongue ; & dans quelques-uns de ceux-là, tels que le cheval, la brebis, le boeuf, &c. elle est transversale, & la fente assez large pour qu'ils puissent voir de côté, & même avec peu de lumiere ; & par-là être en état de ramasser leur mangeaille la nuit, & d'éviter ce qui pourroit leur nuire, soit à droite ou à gauche. Dans d'autres, tels par exemple que le chat, elle est située perpendiculairement, & est capable de s'élargir & de s'étrécir beaucoup ; au moyen de quoi cet animal peut y admettre les plus foibles rayons de lumiere, & par-là voir clair au milieu de la nuit ; ou n'y admettre pour ainsi dire qu'un seul rayon de lumiere, & par-là supporter la lumiere la plus vive, précaution admirable de la nature en faveur de ces animaux, dont l'organe de la vision devoit être ainsi construit afin qu'ils pussent, comme ils le font, guetter leur proie de jour & de nuit, voir en haut & en bas, grimper, descendre, &c. Voyez OEIL.
PUPILLE, s. f. (Jurisprud.) suivant le droit romain, est un fils ou une fille de famille qui n'a pas encore atteint l'âge de puberté, & qui est en tutele.
Dans les pays de droit écrit, on distingue conformément au droit romain, les pupilles d'avec les mineurs. On n'entend par ceux-ci que les enfans qui ont passé l'âge de puberté, mais qui n'ont pas encore atteint celui de majorité.
Une autre différence essentielle entre les pupilles & les mineurs en pays de droit écrit, c'est que les pupilles ne pouvant se conduire à cause de la foiblesse de leur âge, sont nécessairement sous la puissance d'un tuteur qui a autorité sur leur personne & sur leurs biens ; au lieu que les mineurs puberes n'ont point de tuteurs ; la tutele en pays de droit écrit finissant à l'âge de puberté, on leur donne seulement un curateur pour gérer & administrer leurs biens, encore faut-il qu'ils le demandent, car ils peuvent gérer leurs biens eux-mêmes, & n'ont besoin du curateur que pour ester en jugement, ou lorsqu'il s'agit de faire quelque acte qui excede la simple administration, & qui touche le fond.
En pays coutumier on confond les pupilles avec les mineurs ; & les uns & les autres sont ordinairement désignés sous le nom de mineurs, & sont en tutele jusqu'à l'âge de majorité, à-moins qu'ils soient émancipés plus tôt.
Le tuteur ne peut pas épouser sa pupille, ni la faire épouser à son fils, si ce n'est du consentement du pere de la pupille ; cette prohibition faite par rapport au mariage des pupilles, s'entend aussi du mariage des mineures.
Au surplus toutes les incapacités de s'obliger, de vendre ou aliéner qui se trouvent en la personne des mineurs, à cause de la foiblesse de leur âge, ont lieu à plus forte raison en la personne des pupilles, puisqu'ils sont dans un âge encore plus tendre que les mineurs. Voyez les lois citées dans le tresor de Brederode, au mot pupilla & pupillus, & les mots CURATEUR, EMANCIPATION, MINEUR, TUTEUR. (A)
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PUPINIA | (Géogr. anc.) contrée d'Italie, dont M. Varron, l. I. de Agricultura, parle en ces termes : In pupinia neque arbores prolixas, neque vites feraces, neque stramenta crassa, videre poteris. Valere Maxime, l. IV. c. iv. qui appelle ce canton Pupiniae solum, dit qu'il étoit stérile & brûlant, & que le bien de campagne de Q. Fabius y étoit situé. Tite-Live met Pupiniensis ager dans le Latium ; & Festus nous laisse entrevoir qu'il étoit au voisinage de Tusculum.
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PUPITRE | S. m. (terme de Menuisier) petit meuble de bois fait d'un ais incliné sur un rebord qui l'arrête par le bas ; il est propre à écrire ou à soutenir un livre. Il y a des pupitres portatifs, d'autres qui sont fixes, & d'autres qui tournent sur un pivot, & qui peuvent porter plusieurs volumes. Les lutrins d'église sont proprement de grands pupitres. Le mot vient du latin pulpitum. (D.J.)
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PUPUT | voyez HUPE.
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PUR | adj. (Phys.) se dit de ce qui n'est point altéré par le mêlange d'une matiere étrangere & hétérogene.
Hyperbole pure se dit d'une hyperbole, ou plutôt d'une courbe de genre hyperbolique, qui n'a ni ovale conjugué, ni point conjugué, ni point de rebroussement. Voyez COURBE.
Mathématiques pures se dit des parties de Mathématiques qui considerent en général les propriétés de la grandeur, sans aucune application, au moins nécessaire, à quelque sujet ou substance particuliere, comme l'Algebre, l'Arithmétique, la Géométrie, &c. dont la premiere enseigne le calcul de toutes sortes de grandeurs ; la seconde le calcul de toutes les grandeurs qui peuvent se compter ; la troisieme les propriétés de la grandeur étendue. Voyez MATHEMATIQUES. (O)
PUR, PURETE, (Critiq. sacrée) les mots pur, pureté, impur, impureté, ne regardent d'ordinaire que l'extérieur dans le vieux Testament. Il faut savoir que Moïse après avoir réglé le culte de la religion, se proposa sérieusement de pourvoir par d'autres ordonnances au maintien de la santé du peuple hébreu, qui habitoit un petit pays très-mal sain & très-peuplé ; c'est par ces considérations que le législateur des Juifs fit des lois détaillées sur la pureté & l'impureté par rapport aux hommes, aux animaux, aux maisons, aux habits, jusqu'aux ustensiles de ménage ; & pour remédier efficacement aux fautes qui pourroient se commettre à ces divers égards, il prescrivit différentes sortes de purifications ; c'étoit un plan bien ingénieux que d'employer pour peine, ce qui directement & par soi-même, étoit le seul remede à la transgression de la loi. Mais les chrétiens qui ont le bonheur de vivre sous des climats plus heureux que n'étoit la Judée, & d'être affranchis du joug de toute impureté légale, font consister la pureté dans l'innocence du coeur, & ne comptent pour souillures que celles qui tachent l'ame.
PUR, (Jurisprud.) signifie absolu & sans restriction, comme un billet pur & simple ; c'est-à-dire celui dont l'obligation ne dépend d'aucun événement ni condition ; de même une quittance pure & simple, est celle qui est donnée sans reserve ni protestation. Une main-levée pure & simple est celle qui est accordée sans aucune condition. Une chose qui demeure en pure perte pour quelqu'un, c'est lorsqu'il n'en retire rien & qu'il n'a point de recours. Voyez BILLET, MAIN-LEVEE, QUITTANCE, &c. (A)
PUR, (Jardinage) se dit pour exprimer parmi les fleurs, une couleur unie, qui n'a ni panaches, ni raies. On dit fort bien cet oeillet est devenu pur. Il y a des fleurs qui sont moitié pures & moitié panachées, & qui à la fin deviennent toutes pures.
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PURAN | POURAN, ou POURANUM, subst. m. (Hist. mod. superstit.) ce mot dans la langue des idolâtres de l'Indostan, signifie les poëmes ; ce sont des livres qui contiennent l'explication du livre appellé shaster, qui n'est lui-même qu'un commentaire du vedam, c'est-à-dire du livre sacré qui contient les dogmes de la religion des Bramines. Le puran comprend dix-huit livres qui renferment l'histoire sacrée & profane des anciens Indiens ou habitans de l'Indostan & du Malabar. C'est dans cet ouvrage que l'on trouve les légendes des rois, des héros, des prophetes & des pénitens, ainsi que celles des divinités inférieures. Il renferme le système de religion que les Bramines ont bien voulu communiquer au vulgaire, & est rempli de fictions absurdes & d'une mythologie romanesque ; cependant les prêtres prétendent avoir reçu le puran, ainsi que le shaster & le vedam de la divinité même. Il n'est permis au peuple de lire que le puran, que l'on nomme par excellence Harma-pouranum. Les Indiens & les Malabares donnent encore le nom de puran ou de poésie, à un grand nombre de poésies qui célebrent les exploits des dieux Vistnou, & Issuren ou Ruddiren ; on y donne l'histoire de la guerre des géans avec les dieux, les miracles opérés par ces derniers, la maniere de leur rendre un culte qui leur soit agréable. Il y a de ces poëmes qui ne parlent que des dieux particuliers à certains cantons des Indes & de la côte de Malabare. Voyez SHASTER & VEDAM. On trouvera des exemples de la théologie & des traditions contenues dans le pouran, aux articles RAM, VISTNOU & RUDIREN.
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PURAQUE | (Hist. nat.) espece de torpille des mers du Brésil, dont la forme approche de celle d'une raie ; on dit qu'elle engourdit comme la torpille, le bras dont on la touche par l'entremise même d'un bâton.
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PURBECK | pierre de, (Hist. nat.) nom donné par les Anglois à une pierre ou grais d'une couleur de cendre fort pesante, d'un tissu plus serré, qui peut être rendue assez unie, sans pourtant prendre de poli. Cette pierre ne fait point feu avec l'acier. On s'en sert pour le pavé & pour les édifices à Londres ; on la tire de l'île de Purbeck dans la province de Dorset. Voyez d'Acoste natur. hist. of fossils.
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PUREAU | S. m. (Tuil.) ou échantillon ; c'est ce qui paroît à découvert d'une ardoise, ou d'une tuile mise en oeuvre ; ainsi, quoiqu'une ardoise ait 15 ou 16 pouces de longueur, elle ne doit avoir que 4 ou 5 pouces de pureau, & la tuile 3 à 4 : ce qui est égal aux intervalles des lattes. (D.J.)
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PURETTE | S. f. (Hist. nat. Minéralogie) en Italie on donne le nom de puretta à un sable ferrugineux qui se trouve sur le bord de la mer méditerranée, dans le voisinage de la ville de Gènes ; cette substance est attirable par l'aimant dont on se sert pour la séparer du sable qui l'accompagne, & on l'emploie dans le pays pour répandre sur l'écriture. On trouve cette poudre sur les côtes, à la suite des tempêtes, & après que la mer a été fortement agitée ; il y a lieu de conjecturer que le mouvement violent des eaux détache cette poudre ferrugineuse de quelque mine de fer qui est au-dessous des eaux de la mer. On dit qu'au sortir de la mer, cette poudre ne noircit point les doigts ; mais si on l'écrase, elle noircit ; elle ne se rouille dans aucune liqueur ; l'eau-forte n'agit que peu, ou point du tout, sur elle ; enfin elle ne petille point comme la limaille d'acier, lorsqu'on la jette dans le feu, ou lorsqu'on la fait passer par la flamme d'une chandelle. Quelques auteurs ont cru, d'après ces phénomenes, que la purette étoit un aimant en poudre ; on pourroit soupçonner que c'est une mine de fer, dans laquelle ce métal est combiné avec quelque substance qui le garantit de l'action des acides & des liqueurs, sans pourtant empêcher qu'il ne soit attirable par l'aimant. (-)
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PURGATIF | PURGATIF
La purgation ou l'évacuation intestinale est donc devenue par l'usage la purgation par excellence, & même le remede par excellence ; & cet usage est très-ancien ; car de même que nous disons aujourd'hui dans le langage ordinaire, une médecine, au lieu d'un médicament purgatif, Hippocrate a dit plusieurs fois dans le même sens , médicament.
Les secours par les moyens desquels la purgation est produite, sont connus dans l'art sous le nom de purgatif, & sous celui de cathartique.
On peut avancer que de tous les remedes appellés universels, les purgatifs fournissent le remede le plus universel, soit qu'on déduise cette assertion de l'emploi presque infini de ce remede considéré indépendamment de son utilité réelle, soit qu'on l'appuie sur la considération de ses effets manifestes, considérables, très-variés, très-étendus.
La vérité de cette observation est établie au premier égard, en ce qu'une des manieres générales de traiter les maladies aiguës qui n'est pas la moins répandue, ne consiste presque en autre chose qu'à donner des purgatifs depuis le commencement de la maladie jusqu'à la fin. 2°. En ce qu'un très-grand nombre de maladies chroniques sont aussi traitées par l'administration fréquente des purgatifs ; & enfin que ce remede fournit le secours le plus usuel du traitement domestique des incommodités ; ensorte que c'est une espece de luxe que d'avoir une formule de médecine ordinaire, ou ce qu'on appelle communément avoir sa médecine.
Le second argument que nous avons proposé en faveur de l'université des vertus de purgatif ne sauroit être établi, comme le précédent, sur un simple énoncé ; il mérite bien au contraire d'être discuté avec soin comme un des points principaux & vraiment fondamentaux de l'art. Nous observerons d'abord, pour commencer par l'objet le moins grave, que les purgations appellées de précautions sont plus souvent superflues qu'utiles, à moins qu'elles ne soient indiquées par une incommodité habituelle grave qu'il s'agisse de prévenir, selon la méthode des anciens, qui plaçoient cette évacuation préservative principalement au printems ; c'est ainsi que Galien fait une regle générale d'affoiblir par des purgations naturelles au commencement du printems, ceux qui se portent bien, mais qui deviendroient infailliblement malades, si on n'usoit avec eux de cette précaution ; & venant ensuite au détail des affections dont on éloigne les accès par cette méthode, il compte la goutte, le rhumatisme, l'épilepsie, la passion mélancolique ou hypocondriaque, le cancer aux mamelles, la lepre commençante, l'asthme, & les fievres tierces d'été. Mais l'usage de se purger dans la vue de prévenir des incommodités ou imaginaires ou de peu de conséquence, faire ce qu'on appelle une boutique d'apothicaire de son corps, est certainement une chose très-pernicieuse ; & le même Galien que nous venons de citer, l'observe expressément.
2°. L'usage des purgatifs contre les incommodités actuelles qui dépendent du vice des digestions, est moins utile & moins commode que celui des émétiques. Voyez l'article VOMITIF & VOMISSEMENT ARTIFICIEL.
3°. Les purgatifs sont véritablement & éminemment utiles dans le traitement d'un grand nombre de maladies chroniques présentes ou actuelles, telles que toutes celles contre lesquelles nous avons admis leur usage prophylactique ou préservatif, & de plus contre toutes les affections cutanées opiniâtres & anciennes, parmi lesquelles il faut compter les ophthalmies & toutes les autres maladies lentes des parties extérieures du globe de l'oeil & des paupieres ; les hydropisies confirmées, la leucophlegmatie & toutes les maladies à serosâ colluvie, simples, exquises ou non compliqués avec une tension considérable du système général des solides ou de quelque organe en particulier ; les douleurs de tête invétérées ; les obstructions, bouffissures & autres restes des fievres intermittentes, & principalement des fievres quartes, les coliques minérales ou de poitou, & les coliques pituiteuses, & peut-être enfin dans toutes les especes d'éthisies (tabum) commençantes ; car si l'usage de l'eau de la mer réussit dans ces maladies aussi-bien que le prétend le D. Russell, qui leur donne le nom commun de tabes glandularis ; si, dis-je, l'eau de la mer réussit contre ces maladies, c'est vraisemblablement à titre de purgatif. Voyez tous les articles particuliers où il est traité de ces diverses maladies.
4°. Quant à l'emploi des purgatifs dans les maladies aiguës, la méthode curative a varié à cet égard presque d'un extrême à l'autre, c'est-à-dire, depuis l'administration la plus circonspecte de ce remede jusqu'à l'emploi le plus immodéré. Hippocrate & ses plus célebres sectateurs, qui dans tous les siecles ont été les vrais maîtres de l'art, ont fidelement observé la loi consignée dans le célebre aphorisme : concocta purganda, & movenda non cruda, neque in principiis nisi turgeant : plurima autem non turgent. Aph. Hipp. 22. sect. I. Voyez COCTION & CRUDITE, Médecine. Une secte assez moderne de médecins au contraire a professé la méthode de purger dans toutes les maladies aiguës au moins de deux jours l'un, alternis diebus ; mais il est sûr, incontestable, personne ne doute, hors du petit coin du monde médical, où on purge saltem alternis, que ce ne soit précisément à cette méthode curative des maladies aiguës que convient entierement la qualification d'ars sine arte. C'est dans cette secte seulement qu'il est possible de trouver de bons médecins, sans lettres, sans talens, sans esprit, & dans le pays où elle est resserrée, qu'on peut voir regner la croyance publique, que les connoissances, le génie, & même une dose très-commune d'esprit est non-seulement inutile, mais même nuisible au médecin : opinion en effet très-conséquente ; car certes il ne faut ni beaucoup de connoissances, ni beaucoup de talent pour purger alternis dans tous les cas, & même il est dangereux qu'avec des connoissances, du talent, & une ame honnête, on ne soit bientôt déserteur de la méthode exclusive des purgations.
Les anciens diviserent les purgatifs d'après leur système des quatre humeurs secondaires ou excrémenticielles, & d'après leur théorie des actions des purgatifs qu'ils déduisoient d'une espece d'analogie fort vaguement déterminée entre leurs diverses especes & quelques-unes de ces humeurs ; les anciens, disje, d'après ces notions purement théoriques, étayées de quelques observations plus mal entendues encore, diviserent les purgatifs en phlegmagogues ou evacuans de la pituite, en cholagogues ou évacuans de la bile, en ménalagogues ou évacuans de la mélancolie, & en hydragogues ou évacuans de la sérosité. Les modernes ont rejetté cette division qui n'a rien, ou du-moins qui n'a que très-peu de réel, voyez CHOLAGOGUE, pour n'admettre que celle qui distingue les purgatifs par les degrés d'activité, distinction très-légitime & à laquelle peut se rapporter ce que la division des anciens a de réel ; car en appellant bile avec eux une humeur mousseuse, un peu liée ou gluante, & jaunâtre, il est sûr que tous les purgatifs doux & tempérés évacuent communément une pareille humeur, & que tous les purgatifs violens évacuent une sérosité abondante : aussi les modernes ont-ils conservé à ceux-là le titre d'hydragogue, en rejettant tous les autres noms spéciaux de la division ancienne. Quant à la mélancolie, il arrive quelquefois en effet que les purgatifs évacuent une certaine humeur noirâtre, & qui a les autres qualités sensibles, par lesquelles les anciens l'ont désignée. Voyez HUMEUR. Médecine. Mais outre que ce produit des évacuations intestinales est fort rare, il n'est dépendant d'aucune espece de purgatif en particulier ; & quant à la pituite, on ne sait plus la distinguer de la sérosité ; à-moins cependant qu'on ne veuille entendre par-là cette humeur muqueuse ou glaireuse dont l'estomac & les intestins sont naturellement enduits, & que les purgatifs les plus doux peuvent évacuer.
Les purgatifs doux sont connus encore dans l'art sous le nom de purgatifs benins, & sous celui de benis, benedicta, qui est pourtant beaucoup moins usité ; & les plus doux d'entr'eux sous celui d'éccoprotiques, c'est-à-dire évacuans seulement les excrémens contenus dans les intestins, sans causer à cet organe la plus légere irritation. Les purgatifs doux, un peu plus actifs, sont appellés moyens, tempérés & minoratifs ; ceux-ci sont censés capables d'agir sur les intestins, d'augmenter leur mouvement péristaltique, & de déterminer une excrétion plus abondante que dans l'état naturel, des sucs fournis par les couloirs intestinaux, par le foye & par le pancréas ; & enfin, les purgatifs les plus énergiques, les plus actifs, sont appellés forts, violens, drastiques, & mocliques, du mot grec qui signifie levier ; expression figurée, qui, comme on voit, désigne une grande force. Ceux-ci sont censés capables de déterminer une fonte d'humeurs, ou d'attirer une humeur séreuse des parties les plus éloignées. Quelques auteurs ont donné le nom de panchymagogue, c'est-à-dire évacuant de tous les sucs ou humeurs, à de bons purgatifs, actifs, efficaces, & principalement à de pareils purgatifs composés, & qu'ils ont cru capables d'évacuer abondamment toutes les humeurs excrémenticielles & abdominales.
L'effet le plus léger, celui des eccoprotiques, si on l'estime à la rigueur ou littéralement, paroît admis fort gratuitement ; car la vertu expultrice ou le mouvement péristaltique des intestins, doit être au-moins réveillé, pour qu'une évacuation alvine quelconque soit déterminée ; & ce qu'on connoît certainement de l'économie animale, ne permet point de concevoir ce mouvement sans qu'il soit accompagné de quelque augmentation dans l'excrétion de l'humeur intestinale. Mais si on prend le mot d'eccoprotique dans un sens moins rigoureux, il est sûr que le moindre degré de purgation affecte à peine les intestins, & paroît se borner à délayer & à entraîner les matieres qu'ils contiennent. L'action des purgatifs tempérés & des purgatifs les plus forts, ne differe absolument que par le degré : c'est chez les uns & chez les autres une excrétion excitée plus ou moins efficacement.
Les médicamens purgatifs sont en très-grand nombre ; la meilleure maniere de les co-ordonner entre eux, c'est de les ranger par classes naturelles, c'est-à-dire, dont les divers sujets qui les composent ont entr'eux une suffisante analogie réelle ou chymique.
Tous les alimens mal digérés par quelque cause que ce soit, peuvent devenir purgatifs ; & la terminaison spontanée des indigestions légeres qui se fait par une évacuation abdominale est une véritable purgation. Cependant celle-là dépend d'une cause matérielle assez diverse des médicamens proprement dits, pour qu'on ne doive pas la mettre au rang des secours vraiment médicinaux, quoique des médecins, & sur-tout les anciens, ayent mis au rang des ressources diététiques ces indigestions procurées à dessein. On ne doit pas mettre non plus au rang des purgatifs les matieres qui excitent la purgation chez certaines personnes très-délicates, par la seule horreur qu'elles leur causent, soit par l'odorat, soit par la simple vue, soit même au seul souvenir.
Les médicamens purgatifs proprement dits, ceux qui sont d'un usage ordinaire, commun, selon l'art, sont principalement tirés du regne végétal, & sont 1°. les huiles par expression douces & récentes, soit proprement dites, & communément fluides, telles que l'huile d'amandes douces, & l'huile d'olive, ou naturellement concretes, comme le beurre de cacao. 2°. Tous les corps muqueux doux, soit doux exquis, comme miel, sucre, dattes, raisins secs, figues seches, jujubes, sebestes, réglisses, polipodes ; soit doux acidules, comme pruneaux noirs aigrelets, & tamarins, qui paroissent cependant participer un peu d'un principe purgatif caché, qui spécifie certains sujets de cette classe ; soit enfin ces sujets de cette classe, plus particulierement caractérisés par ce principe purgatif caché, tels que la manne & la casse. Voyez DOUX, (Chymie, Matiere médicale & Diete.) 3°. Quelques matieres composées d'un principe extractif gommeux, & d'un principe résineux chymiquement distincts, & simplement mêlangés ou confondus. Tels que le jalap, la scammonée, le turbith appellé gommeux, l'aloës, la gomme gutte, la racine d'esule, l'agaric.
4°. Certaines résines pures retirées par l'art chymique du jalap, de la scammonée, du turbith, de l'agaric, &c.
5°. De la classe des extractifs âcres ou amers fixes ; la rhubarbe, la coloquinte, le concombre sauvage, ou son extrait, plus connu encore sous le nom d'elaterium, le nerprun, le sureau, l'yeble, l'iris nostras.
6°. De la division chymique des extractifs, peu efficaces, ou du-moins dont la vertu purgative dépend en partie d'un principe volatil, le séné, les fleurs de pêcher, les roses soit pâles, soit musquées, l'ellébore noir, &c.
Du regne animal, 1°. la substance gélatineuse des jeunes animaux, telle qu'elle se trouve dans les décoctions connues dans l'art sous le nom d'eau de poulet & d'eau de veau ; 2°. le petit-lait ; 3°. une drogue fort inusitée, le crotin de souris, ou muscerda.
Du regne minéral. 1°. Plusieurs terres absorbantes, parmi lesquelles la magnésie blanche est regardée comme éminemment purgative. 2°. Quelques sels naturels, soit alkalis, soit neutres ; tels que le natrum, le sel marin, le sel de glauber, le sel d'epshom ou de seidlitz, & les eaux minérales imprégnées de ces différens sels ; enfin le nitre, qu'on peut placer ici, quoique son origine soit très-vraisemblablement toute végétale, & le sel ammoniac naturel. Enfin ; plusieurs produits chymiques, tous salins & retirés indistinctement de tous les regnes ; tels sont les tartres solubles, & principalement le sel végétal & le sel de seignette, le sel de glauber factice, les tartres vitriolés, tous les sels lixiviels, soit alkalis, soit neutres, le sel ammoniac factice, le borax, plusieurs sels neutres mercuriaux, & principalement le sublimé doux, la panacée mercurielle, le précipité blanc, le turbith minéral, pour ne pas parler des crystaux de lune, & de quelques autres sels métalliques intraitables, & dont l'usage est abandonné avec raison.
L'administration des purgatifs exige l'attention & les soins du médecin avant qu'on donne le remede, pendant qu'il agit, & après son action.
Avant, outre le jugement exact du cas où il convient, la déterminaison de la dose & de la forme du remede, choses qui doivent être déduites de ce que nous avons dit précédemment, & de ce qui est répandu dans les articles particuliers, reste encore le choix du tems lorsque la marche de la maladie ne le fixe pas précisément, & qu'on peut le déterminer à volonté, comme lorsqu'on les employe dans des vûes prophylactiques contre de légeres incommodités, & même contre la plûpart des maladies chroniques ; reste encore la préparation du sujet qu'on veut purger. Quant au choix du tems & à sa division la plus générale tirée des saisons, Hippocrate trouvoit que l'hiver étoit le tems le plus convenable ; d'autres anciens excluoient l'hiver & l'été ; les modernes purgent dans toutes les saisons, mais ils préferent un jour sec & un peu froid, le vent étant au nord. L'heure la plus ordinaire est celle du matin, & le malade étant à jeun : tous les remedes purgatifs dont l'action est promte, telle que celle des potions, se donnent dans ces circonstances ; mais on prend aussi le soir en se couchant & quelques heures après le souper, les purgatifs dont l'action est lente, tels que la plûpart des pilules, comme les aloétiques, les mercurielles, &c.
La préparation à la purgation est d'une utilité reconnue, & se pratique encore aujourd'hui d'après le dogme d'Hippocrate, qui prescrit de rendre fluxiles, fluxilia, c'est-à-dire relâchés, disposés aux excrétions, les corps qu'on veut purger. Il est utile dans cette vûe de prescrire à ceux qui doivent être purgés, un régime humectant & relâchant pendant les trois ou quatre jours qui précedent immédiatement celui où ils doivent être purgés ; de les remplir de tisane, & de leur donner un ou deux lavemens chaque jour.
Pendant l'effet de la médecine, il est non-seulement utile, mais même nécessaire de se conformer aux lois sages qu'ont prescrit les anciens, quoiqu'on doive avouer qu'ils étoient obligés de les observer plus séverement que nous, à cause de la violence des purgatifs qu'ils employoient. Ces lois défendent ; 1°. de rien avaler, ni de solide, ni de liquide pendant l'action du purgatif. Et on ne sauroit douter que l'usage généralement établi aujourd'hui, de prendre un bouillon ou quelque légere infusion de certaines plantes, une heure & demie ou deux heures après avoir pris une médecine, ne soit vicieuse & peu réfléchie, & qu'il ne valût mieux prendre cette liqueur, si elle étoit d'ailleurs nécessaire (comme elle peut l'être en effet pour rincer la houche, l'oesophage & l'orifice supérieur de l'estomac) immédiatement après avoir pris le purgatif. Il est plus essentiel encore, sans doute, de ne point prendre d'aliment solide avant que l'opération du purgatif soit achevée.
Cette regle est encore très-peu observée hors de l'état de fievre aiguë. On n'est pas d'accord sur la veille ou le sommeil pendant l'action d'une médecine ; mais l'on croit plus communément aujourd'hui, qu'il ne faut point dormir après avoir pris un purgatif. Mais ce précepte est trop général, & celui d'Hippocrate est plus raisonnable ; il veut que les sujets vigoureux veillent, & que les sujets foibles ou tous ceux qui ont pris un purgatif très-fort dorment. Il faut observer à-propos du sommeil, qu'il est ordinairement accompagné de deux circonstances qui méritent attention ; savoir, du repos & de la chaleur du lit. Or, s'il est douteux qu'un léger mouvement du corps, qu'une promenade lente dans la chambre aide l'action d'un purgatif ; il est très-clair qu'un léger degré de froid qu'on peut éprouver hors du lit & en se promenant très-lentement, contribue à l'effet du remede vraisemblablement en repercutant jusqu'à un certain point la transpiration, ou pour quelqu'autre cause : on peut deduire de cette derniere considération la maniere de gouverner les purgés par rapport à l'air. Un air trop chaud, soit qu'il se trouve dans leur chambre, soit qu'ils s'exposent à la chaleur du soleil d'été, diminue infailliblement la purgation ; & un air trop froid l'augmente au contraire, & quelquefois même trop : il est observé qu'il cause quelquefois des tranchées violentes, & même des accidens plus graves. Pour achever de parcourir les choses non naturelles, il est observé aussi que les secousses violentes & soudaines de l'ame, qu'une peur, qu'un accès de colere sont beaucoup plus funestes pendant l'opération d'une médecine, que dans un tems ordinaire : il est sûr encore que l'acte vénérien assurément très-déplacé pendant cette opération, a été suivi plus d'une fois des accidens les plus funestes, & même de la mort, & qu'un exercice trop considérable est aussi très-pernicieux. Mais la foiblesse, l'abattement, la flaccidité qui accompagnent ordinairement l'opération des purgatifs, même chez les sujets les plus vigoureux, met bon ordre à ce qu'on ne tombe pas bien communément dans ces deux derniers excès.
On peut sous un certain point de vûe, placer dans la classe des objets qui occupent le médecin, après l'opération d'un purgatif, le soin d'arrêter son action lorsqu'elle va trop loin, qu'elle est excessive, qu'elle produit la superpurgation. Les remedes généraux contre cet accident, sont les délayans & les adoucissans ; par exemple, la boisson abondante d'eau tiéde, soit pure, soit chargée de quelque mucilage leger, tel que celui de guimauve, de graine de lin, ou bien de quelques-uns des corps doux ci-dessus indiqués ; d'eau de poulet ; de petit-lait ; d'émulsion ; d'huile d'olive ou d'amandes-douces ; & en particulier pour les purgatifs résineux qui sont éminemment sujets à cet accident. L'eau chargée de sucre presqu'à consistance syrupeuse, & les jaunes d'oeuf battus, sans addition ; car ces corps sont des moyens d'union entre les humeurs intestinales, aqueuses, & les corps résineux, & une résine âcre, dissoute, ou au moins mouillée par un dissolvant approprié, ne produit plus l'effet qu'elle produisoit sous la forme de molécules, appliquées intérieurement au velouté des intestins. Voyez SUCRE, OEUF, & la fin de l'article EMULSION, SCAMMONEE, JALAP.
L'usage assez généralement suivi de prendre un ou plusieurs lavemens après l'opération d'une médecine, ne peut qu'être approuvé : ces lavemens qui sont ordinairement simplement délayans & adoucissans, & qui ne sont composés que d'eau simple & d'une cuillerée d'huile d'amande-douce, servent au moins à rincer les gros intestins, à les baigner, les humecter, & remédient par-là à la sécheresse & à l'augmentation de sensibilité que le purgatif y a nécessairement causé. (b)
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PURGATION | (Jurisprud.) on entend par ce terme, les différentes formes dont on usoit anciennement pour se justifier de quelque fait dont on étoit prévenu.
Il y avoit deux sortes de purgation, celle qu'on appelloit purgation vulgaire & la purgation canonique.
La purgation vulgaire consistoit en des épreuves superstitieuses, par l'eau froide, par l'eau bouillante, par le feu, par le fer ardent, par le combat en champ clos, par la croix, l'eucharistie, & par le pain d'orge & le fromage de brebis ; l'ignorance & la crédulité des peuples fit introduire ces preuves, & les juges peu éclairés eux-mêmes les adopterent ; elles acquirent tant d'autorité, qu'on les appella jugemens de Dieu. Voyez ci-devant COMBAT EN CHAMP CLOS, DUEL & EPREUVE.
La purgation canonique fut ainsi appellée, parce qu'elle étoit autorisée par les canons. Voyez l'article suivant.
PURGATION CANONIQUE, (Hist. mod.) cérémonie très-usitée depuis le huitieme jusqu'au douzieme siecle, pour se justifier, par serment, de quelqu'accusation en présence d'un nombre de personnes dignes de foi, qui affirmoient de leur côté, qu'ils croyoient le serment véritable.
On l'appelloit purgation canonique, parce qu'elle se faisoit suivant le droit canonique, & pour la distinguer de la purgation qui se faisoit par le combat, ou par les épreuves de l'eau & du feu. Voyez COMBAT & ÉPREUVE.
" Le serment, dit M. Duclos, dans une dissertation sur ce sujet, se faisoit de plusieurs manieres. L'accusé, qu'on appelloit jurator ou sacramentalis, prenant une poignée d'épis, les jettoit en l'air, en attestant le ciel de son innocence. Quelquefois, une lance à la main, il déclaroit qu'il étoit prêt à soutenir, par le fer, ce qu'il affirmoit par serment ; mais l'usage le plus ordinaire, & celui qui seul subsista dans la suite, étoit celui de jurer sur un tombeau, sur des reliques, sur l'autel ou sur les évangiles.
Quand il s'agissoit d'une accusation grave, formée par plusieurs témoins, mais dont le nombre étoit moindre que celui que la loi exigeoit, ils ne pouvoient former qu'une présomption plus ou moins grande, suivant le nombre des accusateurs. Ce cas étoit d'autant plus fréquent, que la loi, pour convaincre un accusé, exigeoit beaucoup de témoins. Il en falloit 72 contre un évêque, 40 contre un prêtre, plus ou moins contre un laïque, suivant la qualité de l'accusé, ou la gravité de l'accusation. Lorsque ce nombre n'étoit pas complet, l'accusé ne pouvoit être condamné, mais il étoit obligé de présenter plusieurs personnes, où le juge les nommoit d'office, & en fixoit le nombre suivant celui des accusateurs, mais ordinairement à 12. Cum duodecim juret, dit une loi des anciens Bourguignons, cap. viij. ces témoins attestoient l'innocence de l'accusé, ou, ce qu'il est plus raisonnable de penser, certifioient qu'ils le croyoient incapable du crime dont on l'accusoit, & par-là formoient en sa faveur une présomption d'innocence, capable de détruire ou de balancer l'accusation intentée contre lui. On trouve dans l'histoire un exemple bien singulier d'un pareil serment.
Gontran, roi de Bourgogne, faisant difficulté de reconnoître Clotaire II. pour fils de Chilperic son frere, Frédégonde, mere de Clotaire, non-seulement jura que son fils étoit légitime, mais fit jurer la même chose par trois évêques, & trois cent autres témoins : Gontran n'hésita plus à reconnoître Clotaire pour son neveu.
Quelques loix exigeoient que dans une accusation d'adultere, l'accusée fît jurer avec elle des témoins de son sexe. On trouve aussi plusieurs occasions où l'accusateur pouvoit présenter une partie des témoins qui devoient jurer avec l'accusé ; de façon cependant que celui-ci pût en recuser deux de trois. Il paroît d'abord contradictoire, qu'un accusé puisse fournir à son accusateur les témoins de son innocence. Pour résoudre cette difficulté, il suffit d'observer que les témoins qui s'unissoient au serment de l'accusé, juroient simplement qu'ils le croyoient innocent, & fortifioient leur affirmation de motifs plus ou moins forts, suivant la confiance qu'ils avoient en sa probité. Ainsi l'accusateur exigeoit que tels & tels qui étoient à portée de connoître les moeurs & le caractere de l'accusé fussent interrogés ; ou bien l'accusé étant sûr de son innocence & de sa réputation, & dans des cas où son accusateur n'avoit point de témoins, il le défioit d'en trouver, en se réservant toujours le droit de récusation.
Il est certain que la religion du serment étoit alors en grande vénération : on avoit peine à supposer qu'on osât être parjure ; mais en louant ce sentiment, on ne sauroit assez admirer, par quelles ridicules & basses pratiques on croyoit pouvoir en éluder l'effet.
Le roi Robert voulant exiger un serment de ses sujets, & craignant aussi de les exposer au châtiment du parjure, les fit jurer sur une châsse sans reliques ; comme si le témoignage de la conscience n'étoit pas le véritable serment dont le reste n'est que l'appareil.
Quelquefois, malgré le serment, l'accusateur persistoit dans son accusation : alors l'accusateur, pour preuve de la vérité, & l'accusé, pour preuve de son innocence, ou tous deux ensemble, demandoient le combat. Voyez COMBAT.
Lorsque dans les affaires douteuses, ajoute le même auteur, on déféroit le serment à l'accusé, il n'y avoit rien que de raisonnable & d'humain. Dans le risque de condamner un innocent, il étoit juste d'avoir recours à son affirmation, & de laisser à Dieu la vengeance du parjure. Cet usage subsiste encore parmi nous. Il est vrai que nous l'avons borné à des cas de peu d'importance, parce que notre propre dépravation nous ayant éclairé sur celle des autres, nous a fait connoître que la probité des hommes tient rarement contre de grands intérêts ". Mém. de l'Acad. tom. xv.
On n'appelle plus cette sorte de preuve en justice, purgation canonique, mais simplement preuve par le serment, ou affirmation ; & toute personne en est crue sur son affirmation, s'il n'y a point de titres ou de preuve testimoniale au contraire.
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PURGATOIRE | S. m. (Théol.) Selon les Théologiens catholiques, c'est l'état des ames qui étant sorties de cette vie sans avoir expié certaines souillures qui ne méritent pas la damnation éternelle, ou qui n'ont pas expié en cette vie les peines dues à leurs péchés, les expient par les peines que Dieu leur impose avant qu'elles jouissent de sa vue.
Quoique ce terme ne se trouve pas dans l'Ecriture, cependant la chose qu'il signifie y est clairement exprimée, l'utilité de la priere pour les morts étant recommandée dans le II. liv. des Macchabées, ch. xij. v. 43, & dans la II. épit. à Tim. ch. j. v. 18. D'ailleurs la tradition de l'église a solidement établi ce dogme que les Protestans rejettent. Les Grecs l'admettent aussi-bien que les Latins, & ne disputent que sur le nom du lieu où sont détenues ces ames, qu'ils appellent enfer, & que nous nommons purgatoire.
Les Juifs reconnoissent une sorte de purgatoire, qui dure pendant toute la premiere année qui suit la mort de la personne décédée. Selon eux, l'ame, pendant ces douze mois, a la liberté de venir visiter son corps, revoir les lieux & les personnes auxquelles elle a eu pendant la vie quelqu'attache particuliere. Ils nomment ce purgatoire, le sein d'Abraham, le trésor des vivans, le jardin d'Eden, la gehenne supérieure, par opposition à l'enfer, qu'ils appellent la gehenne inférieure. Le jour du sabbat est, selon eux, un jour de relâche pour les ames du purgatoire ; & au jour de l'expiation solemnelle, ils font beaucoup de prieres & d'oeuvres satisfactoires pour les soulager. Voyez EXPIATION. Leon de Modene cérém. des Juifs, part. V. ch. x.
Les Musulmans admettent aussi trois sortes de purgatoires ; le premier qu'ils nomment adhab-al-cabor, ou la peine du sépulcre, où les anges noirs, Munkir & Nekir, tourmentent les méchans. Voyez MUNKIR & NEKIR. Le second qu'ils appellent araf, est situé entre le paradis & l'enfer. On n'est pas d'accord, qui sont ceux qui demeurent dans cet araf. Les uns y placent les patriarches, les prophetes, les martyrs & les fideles les plus pieux ; mais d'autres docteurs n'y mettent que les Mahométans, dont la vie a été également mêlée de bonnes & de mauvaises actions : ils voyent de-là la béatitude céleste sans en jouir ; mais au jugement ils y seront admis, parce qu'alors les adorations qu'ils rendront à Dieu, détruiront cette égalité qui se trouvoit entre leurs bonnes & leurs mauvaises oeuvres, & feront donner récompense aux premieres. Enfin ils en ont un troisieme nommé barzak, c'est-à-dire l'espace de tems qui doit s'écouler entre la mort & la résurrection, & pendant ce tems il n'y a ni paradis ni enfer. D'Herbelot, bibliot. oriental. pag. 57, 122 & 191.
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PURGEOIRS | S. m. pl. (Architect.) On appelle purgeoirs, des bassins chargés de sable, par où les eaux des sources passent, & où elles se purifient avant que d'entrer dans les canaux. Dans tous les aqueducs, il doit y avoir des purgeoirs placés à distance, & il faut avoir le soin d'en renouveller le sable tous les ans. (D.J.)
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PURGER | v. act. (Gram.) Voyez PURGATIF & PURGATION.
PURGER, PURGE, (Marine) C'est racler & nettoyer les dehors pour enlever le goudron trop ancien, & en mettre de nouveau. On dit, dehors & ponts purgés par la racle de tout ancien goudron.
PURGER, en terme de Parfumeur, c'est un apprêt qu'on fait aux peaux pour les mettre en état d'être employées à tous ouvrages de ganterie, & de recevoir l'odeur qu'on veut leur donner. On purge les peaux en les foulant plusieurs fois dans de l'eau, & en les laissant tremper quelque tems dans de l'eau de melilot, qui est la meilleure pour cet effet.
PURGER le sucre, (Sucrerie) c'est en ôter toutes immondices, ou en faire couler les syrops qui ne peuvent pas se grener. Le sucre brut se purge dans des barriques ; les cassonnades & les sucres blancs dans des formes. (D.J.)
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PURGERIE | S. f. c'est un grand magasin peu élevé, plus ou moins considérable, suivant la quantité de sucre que l'on fabrique dans une habitation sucrerie. On en voit de cent à cent vingt piés de longueur, sur vingt-huit à trente piés de largeur, pouvant contenir seize à dix-huit cent formes de sucre placées sur leurs pots ; ce bâtiment doit être isolé, solidement bâti, & suffisamment éclairé de fenêtres qui puissent se fermer avec des contrevents. On construit quelquefois à l'une de ses extrêmités un fourneau de maçonnerie, sur lequel sont montées deux chaudieres de métal, servant à faire cuire & à raffiner les syrops provenant des pains de sucre que l'on a mis à égoutter, ainsi qu'on le dira en son lieu. Près de la purgerie on éleve des appentis, especes d'angards soutenus par des poteaux, pour mettre à couvert les canots ou grandes auges de bois servant à piler le sucre avant de l'enfermer dans des futailles. C'est aussi aux environs de la purgerie que sont placées deux cuves de pierre, dont l'une que l'on appelle bac à terrer, sert à préparer la terre qui doit être mise sur le sucre pour le blanchir, & l'autre étant remplie d'eau claire, reçoit les formes qu'il convient de faire tremper pendant vingt-quatre heures avant de les employer. Voyez SUCRE.
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PURGON | (Critiq. sacrée) Ce mot dans S. Luc, ch. xiv. 28, n'est pas ici aussi-bien traduit par une tour, comme il le seroit par un grand édifice ou un palais ; ainsi Horace dit que la mort frappe également les cabanes des pauvres & les tours des rois ; ce sont les palais des rois. Suétone, in Neron. ch. xxxviij. appelle le palais de Mécenas, turris Maeceniana. Aristophane donne le même nom à la maison de Timothée, in Plat. v. 180. (D.J.)
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PURIFICATION | S. f. cérémonie des Juifs ordonnée dans le Lévitique, ch. xij. par laquelle les femmes qui étoient accouchées d'un enfant mâle, étoient censées impures pendant quarante jours, & celles qui avoient mis au monde une fille, pendant quatre-vingt-jours, après lesquels elle se présentoit au temple pour pouvoir ensuite participer aux choses saintes.
Lorsque les jours de la purification étoient accomplis, elle portoit à l'entrée du tabernacle ou du temple, un agneau pour être offert en holocauste, & le petit d'un pigeon ou d'une tourterelle pour le péché. Les pauvres offroient deux tourterelles ou deux petits de colombe.
Par une autre loi énoncée dans l'Exode, Dieu vouloit qu'on lui offrît tous les premiers nés, qui seroient rachetés pour un certain prix ; c'étoit cinq sicles pour les garçons, & trois pour les filles. Voyez SICLE.
PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE, fête solemnelle que l'église romaine célebre tous les ans le 2 de Février, en mémoire de ce que la sainte Vierge, par humilité, se présenta au temple pour satisfaire à la loi de Moïse, dont nous avons parlé dans l'article précédent. On la nomme encore la fête de la présentation de Jésus-Christ & la chandeleur. Voyez CHANDELEUR.
Quelques-uns ont écrit que cette fête fut instituée sous l'empire de Justinien, l'an 542, à l'occasion d'une grande mortalité qui emporta cette année là presque tous les habitans de Constantinople ; mais on croit communément qu'elle est plus ancienne, & que ce prince ne fit qu'en fixer le jour au second Février, & ordonner qu'on la célébreroit d'une maniere uniforme dans tout l'empire. C'est la premiere fête de la Vierge qui ait été de précepte pour la cessation des oeuvres serviles. Elle l'étoit dejà en France du tems du roi Pepin. Bollandus & Baillet, vies des saints.
PURIFICATION DES TROMPETTES, (Hist. anc.) tubilustrium, étoit une fête chez les anciens romains. On appelloit ainsi le jour auquel ils faisoient la purification de leurs trompettes sacrées, & la cérémonie de cette purification s'appelloit de même, & se faisoit le cinquieme & le dernier jour de la fête de Minerve. Cette derniere fête s'appelloit quinquatrus ou quinquatria, & on la célébroit deux fois par an.
Ce mot est composé de tuba, trompette, & de lustro, je purifie.
PURIFICATION, (Chymie) opération chymique qui consiste à séparer un corps des substances étrangeres, auxquelles il n'étoit mêlé que superficiellement ou aggrégativement. C'est par cette derniere circonstance que la purification differe de la séparation chymique proprement dite. On purifie le nitre, par exemple, en le séparant de certains autres sels confondus ou constitués dans une espece d'aggrégation avec lui. Cette opération se fait par le moyen de la crystallisation ; car les crystaux distincts & bien formés de nitre, n'admettent point de ces sels, dont les uns, tels que le nitre à base terreuse, & le sel marin à base terreuse, sont incapables de crystallisation, & un autre, savoir, le sel marin crystallisé dans d'autres circonstances que le nitre. La rectification, la filtration, la despumation, la clarification, sont des especes de purification. Voyez ces articles.
La purification des sujets pharmaceutiques s'appelle dépuration. Voyez DEPURATION. (b)
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PURIM | S. m. nom qui en hébreu signifie sorts, & que les juifs modernes donnent à une de leurs fêtes qu'ils célebrent en mémoire d'Esther, parce que cette reine empêcha que les Juifs captifs à Babylone, ne fussent entierement exterminés par Aman. Ils ont ainsi appellé cette fête à cause des sorts dont il est fait mention dans le ix. chap. du livre d'Esther. Leon de Modene, dans son traité des cérémonies des Juifs, part. III. chap. x. dit que cette fête dure deux jours, dont le premier est le plus solemnel, & est précédé d'un jeûne. Pendant ces deux jours tout travail ou négoce est interdit. On lit le premier jour tout le livre d'Esther. Pendant la lecture, les auditeurs, lorsqu'on prononce le nom d'Aman, frappent des mains en signe de malédiction. On fait ce jour-là de grandes aumônes en public ; les parens s'envoyent réciproquement des présens ; les écoliers en font à leurs maîtres ; les chefs de famille à leurs domestiques, &c. Enfin la fête est signalée par des festins & d'autres marques de joye, à l'imitation de ce qui est rapporté au dernier chapitre du livre d'Esther, qu'en reconnoissance de leur délivrance, les Juifs firent des banquets, s'envoyerent des présens l'un à l'autre, & des dons aux pauvres. Le second jour se passe en un festin que chacun s'efforce de rendre le plus splendide qu'il lui est possible.
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PURISTE | S. m. (Gramm.) on nomme puriste, une personne qui affecte sans cesse une grande pureté de langage. Ces sortes de gens, dit la Bruyere, ont une fade attention à ce qu'ils disent, & l'on souffre avec eux dans la conversation de tout le travail de leur esprit ; ils sont comme paîtris de phrases, & de petits tours d'expression, concertés dans leur geste & dans tout leur maintien ; ils ne hasardent pas le moindre mot, quand il devroit faire le plus bel effet du monde ; rien d'heureux ne leur échappe ; rien chez eux ne coule de source & avec liberté : ils parlent proprement & ennuyeusement ; ils sont puristes. (D.J.)
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PURITAINS | S. m. pl. (Hist. ecclés. mod.) c'est ainsi que l'on nomma en Angleterre les partisans d'une secte de la religion protestante, qui faisoit profession d'une plus grande pureté que les autres dans la doctrine & dans les moeurs & qui sous ce prétexte, se livra à toute la fureur & les excès que le fanatisme puisse inspirer. Henri VIII. en se séparant de l'église romaine, avoit conservé presque tous les dogmes que cette église enseigne, ainsi que la plus grande partie des rits & des cérémonies que son culte prescrit. Sous Edouard VI. son fils, les ministres qui gouvernoient durant la minorité de ce prince, favorisant les opinions de la réforme, firent que la religion anglicane s'éloigna encore davantage de la foi catholique. Sous le regne de Marie, qui en conservant l'ancienne religion, avoit adopté les maximes sanguinaires de Philippe II. son époux, on chercha à rétablir par le fer & par le feu la religion primitive de l'Angleterre, qui avoit été considérablement altérée sous les regnes précédens. Les violentes persécutions de Marie obligerent un grand nombre de ceux qui avoient embrassé les nouvelles opinions, à chercher un asyle dans les pays étrangers. Là ils eurent occasion de fréquenter les sectateurs de Calvin & de sa réforme. La reine Elisabeth étant montée sur le trône, changea toutes les mesures prises par sa soeur pour le rétablissement de la religion catholique. Cette princesse accorda toute sa protection aux Protestans ; elle persécuta les Catholiques sans cesser pour cela de conserver un grand nombre de leurs cérémonies, ainsi que la hiérarchie des évêques, l'habillement des prêtres, &c. Alors les Protestans qui pendant le regne de Marie s'étoient retirés en France, à Genève & dans les Pays-bas, retournerent dans leur patrie, & y rapporterent avec eux les sentimens de Calvin, & le zele que la nouveauté inspire aux partisans d'une secte. Quelques écossois revinrent aussi dans leur pays, & y apporterent leurs opinions & leur fanatisme. Le plus bouillant de ces zélateurs écossois s'appelloit Jean Knox. Ce prédicateur insolent s'éleva avec une furie incroyable contre la fameuse reine Marie Stuart, qui professoit la religion catholique. Il ne lui donnoit d'autre nom que celui de Jezabel. Il cherchoit à soulever les peuples contre le gouvernement de cette princesse ; & cet apôtre fougueux, rempli de la lecture de l'ancien Testament, où il n'avoit puisé que l'indocilité & l'intolérance du peuple juif, ne rappelloit à ses auditeurs que les exemples d'Agag roi des Amalécites, tué par Samuël, des prêtres de Baal, égorgés par le prophete Elie, &c. Secondé par d'autres fanatiques aussi pervers que lui, & par des enthousiastes qui prenoient le ton des prophetes, Jean Knox parvint à allumer le zele féroce de ses compatriotes. Il fut cause de tous les malheurs de la reine d'Ecosse. Ils ne finirent que par la catastrophe sanglante qui lui fit perdre la tête sur un échafaud.
En Angleterre les Puritains n'avoient pas moins de fanatisme que leurs freres d'Ecosse, mais le gouvernement rigoureux de la reine Elisabeth, jalouse de ses prérogatives, ne leur permit point de l'exercer. Cette princesse allarmée des entreprises audacieuses des nouveaux sectaires, dont les opinions devenoient dangereuses pour son trône, crut devoir les réprimer. Peut-être l'eût-elle fait efficacement si ces fanatiques n'eussent trouvé parmi ses ministres des protecteurs cachés, qui paroient les coups que l'autorité vouloit leur porter. L'animosité de ces nouveaux sectaires contre la religion catholique, faisoit qu'ils ne trouvoient point la religion établie en Angleterre, assez éloignée de celle du pape. Ils appelloient cette derniere la religion de l'antechrist, la prostituée de Babylone, &c. L'ordre des évêques leur paroissoit odieux, il n'étoit à leurs yeux qu'un reste du papisme ; ils condamnoient l'usage du surplis dans les ecclésiastiques ; la confirmation des enfans ; le signe de la croix dans le baptême ; la coutume de donner un anneau dans les mariages ; l'usage de se mettre à genou en recevant la communion ; celui de faire la révérence en prononçant le nom de Jesus, &c. Tels étoient les objets de la haine des puritains. Ils sont bien propres à nous faire voir à quel point les plus petites cérémonies peuvent échauffer l'esprit des peuples, lorsqu'elles donnent matiere aux disputes des Théologiens.
Persécuter une secte, c'est la rendre intéressante. Si Marie n'eût point tourmenté les Protestans, il n'y eût peut-être jamais eu de puritains en Angleterre. Lorsqu'ils y revinrent sous Elisabeth, ils furent regardés comme des confesseurs de la foi ; ils ne tarderent point à faire des prosélytes, leur nombre augmenta journellement. Enfin sous les regnes suivans ils se rendirent formidables au souverain & à la religion établie dans le royaume. Charles I. en qualité de chef suprême de l'église anglicane, ayant voulu établir l'uniformité du culte en Ecosse comme en Angleterre, rencontra dans les puritains un obstacle invincible à ses desseins. Ces sectaires aveuglés par leur zele fougueux, exciterent dans la Grande-Bretagne des guerres civiles qui l'inonderent du sang de ses citoyens. Des ambitieux profiterent de l'égarement dans lequel le fanatisme avoit jetté les peuples ; ils mirent le comble à ces désordres par le supplice du roi, que Cromwel & ses adhérens firent périr sur un échafaud. Tels sont les effets de la persécution & du fanatisme ; telles sont les suites de l'importance que les souverains mettent dans les disputes théologiques. Elles entraînent presque toujours des animosités si cruelles qu'elles menacent de ruine les états les plus puissans. La mort de Charles I. fit tomber les Anglois sous la tyrannie de Cromwel. Cet usurpateur prit le titre fastueux de protecteur de la nation. Après le rétablissement de Charles II. le pouvoir des puritains qui avoient causé tant de maux à leur patrie, fut entierement anéanti. Ils sont connus aujourd'hui sous le nom de presbytériens, & quoiqu'ils n'admettent ni l'hiérarchie épiscopale, ni le surplis, ils sont maintenant sujets paisibles d'un état que leurs prédécesseurs ont ébranlé.
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PURLIEU | S. m. terme de Jurisprudence angloise, composé, comme l'on voit, des deux mots françois pur & lieu, est un morceau de terre contigu à une forêt royale à laquelle il avoit été joint par ordonnance d'un roi, mais de laquelle un autre roi postérieur l'a démembré, pour en faire jouir ceux à qui il en a octroyé la possession franchement & librement, & sans être assujettis aux lois & ordonnances concernant les forêts. Voyez FORET.
On définit le purlieu un espace de terre joignant une forêt, déterminé par des bornes invariables qui servent simplement de monument de ce qu'il a été autrefois ; lequel autrefois a fait partie de la forêt voisine, mais en a été depuis séparé après un acte de bornage préalablement fait pour distinguer la nouvelle forêt d'avec l'ancienne. Voyez BORNAGE.
Voici comment s'introduisirent les purlieux : Henri II. roi d'Angleterre, à son avénement à la couronne, prit tant de goût pour les forêts, que non content de celles qu'il trouva toutes plantées, quoiqu'en assez grand nombre & assez vastes, il commença à en aggrandir plusieurs, & y enclava les terres de ses sujets qui y étoient contiguës. Voyez ENFORESTER.
Richard I. son successeur, bien loin de rétablir les forêts de son domaine dans leurs anciennes limites, leur donna encore plus d'étendue ; & les choses resterent dans ce dernier état jusqu'à l'an 17 du roi Jean, que, la lésion étant notoire & indisposant toute la nation, les nobles & les plus notables sujets le supplierent de desenforester toutes les terres que ses prédécesseurs, que nous venons de nommer, & lui-même avoient enclavées dans leurs forêts ; & le roi, après beaucoup de sollicitations & d'instances, prit enfin sur lui de signer & de sceller les articles qu'on lui demandoit touchant la liberté des terres, lesquels se trouvent la plûpart dans l'ordonnance des forêts. Voyez FORET.
En conséquence on fit choix de plusieurs nobles, au nombre de vingt-cinq, pour veiller à ce que l'octroi desdites franchises accordées & confirmées par le roi, sortît son plein & entier effet.
Les choses étoient dans cet état lorsque le roi Jean mourut. Henri III. lui ayant succédé, on lui fit les mêmes instances qu'à son prédecesseur. Henri, pour terminer cette affaire, nomma des commissaires à l'effet de distraire les nouvelles forêts d'avec les anciennes ; il en fut dressé un état, & en conséquence beaucoup de bois & de terres furent desenforestées, avec faculté aux propriétaires de les convertir en terres labourables. Voyez DESENFORESTER.
Cette ordonnance rendue, on arpenta quelques-unes des terres nouvellement enforestées, & l'on dressa des procès-verbaux à l'effet de constater à perpétuité quelles terres étoient d'anciennes forêts, & quelles étoient des forêts neuves. Cependant il paroît que la plûpart des terres nouvellement enforestées subsisterent en cet état pendant tout le regne d'Henri III.
Sous Edouard I. nouvelles supplications furent faites ; & le nouveau roi nomma trois évêques, trois comtes & trois barons, à l'effet de faire & continuer les visites & recherches nécessaires, & en faire ensuite leur rapport à la cour de chancellerie, pour être en conséquence les anciennes forêts distinguées & fixées par des bornes invariables, à l'effet de constater pour toujours leur ancienneté.
Le roi fit aussi séparer des anciennes forêts les bois & les terres nouvellement enforestées, & en fit rapporter à la chancellerie un état par tenans & aboutissans, à l'effet de constater aussi à perpétuité la qualité de ces dernieres.
Voilà donc quelle a été l'origine des purlieux ; car tous les bois & les terres qui avoient été enforestés par Henri II. Richard I. & le roi Jean, & qui par un bornage furent ensuite distingués des anciennes forêts, commencerent à s'appeller purlieux, c'est-à-dire lieux séparés des forêts anciennes par le bornage.
Mais quoique les terres nouvellement enforestées fussent distraites des anciennes forêts par le bornage, & rendus purlieux, elles ne l'étoient pas à l'égard de toutes les personnes ; car en vertu de l'ordonnance des forêts, si le roi avoit enforesté les bois ou les terres de quelques-uns de ses sujets au préjudice des propriétaires, ces terres devoient être desenforestées sans délai, c'est-à-dire seulement en ce qui concernoit ceux à qui appartenoient les bois & les terres, lesquels pourroient comme propriétaires couper & abattre leurs bois selon leur bon plaisir, & sans en obtenir la permission du roi ; comme aussi convertir leurs prés & leurs pâturages en terres labourables, & en un mot en faire & disposer de la maniere qu'ils jugeroient la plus avantageuse ; ils peuvent même chasser sur ces terres jusqu'à la forêt. Mais cette permission de chasser sur les purlieux étoit accordée au propriétaire seul, & exclusivement à tout autre ; & rien ne l'empêchoit de laisser subsister son purlieu en bois : c'est même le parti que la plûpart ont jugé le plus expédient, parce qu'au moyen de ce ils ont la jouissance de la forêt, qui autrement leur seroit interdite. Si donc les bêtes s'échappent de la forêt du roi dans le purlieu, elles n'en appartiennent pas moins au roi exclusivement à tout autre, si ce n'est au propriétaire, à qui elles appartiennent aussi ratione soli, & qui peut lâcher ses chiens dessus, & les poursuivre jusqu'à la forêt, le tout sans fraude & sans surprise. Voyez CHASSE, SURPRISE, &c.
Outre cette premiere différence entre la forêt & le purlieu, il y en a encore une autre qui est que tous les bois & les terres qui sont enclavés dans la forêt en font partie, & sont sujets aux mêmes lois, aussi-bien pour le propriétaire même que pour toute autre personne : car qui que ce soit ne peut dans l'étendue de ce pourpris couper son bois ou améliorer sa terre en la changeant de nature, sans la permission du roi ou de son grand-maître des eaux & forêts. Personne ne peut même chasser sur sa propre terre ainsi enclavée, sans y être autorisé par le roi ou par son grand-maître des eaux & forêts.
Mais ceux dont les terres sont des purlieux, ne sont pas assujettis à ces servitudes ; cependant leurs bois & leurs terres, quoique purlieux, ne sont pas absolument francs de toute sujétion en ce qui concerne les bêtes égarées de la forêt, qui y ont établi leur repaire ; mais ils restent toujours, du-moins à cet égard, dans l'assujettissement où ils étoient lorsqu'ils faisoient partie de la forêt royale.
Le propriétaire du purlieu a titre & qualité pour chasser sur son purlieu, mais néanmoins avec quelques réserves.
Aux termes de l'ordonnance de Richard II. pour avoir droit de chasser sur son purlieu, il faut posséder en franc-fief dans le purlieu au-moins pour quarante chelins de revenu, de bois ou autres terres.
Aux termes de l'ordonnance de Jacques I. il faut avoir en fond patrimoniaux au-moins dix livres de revenu, ou des terres en franc-fief jusqu'à concurrence de 30 livres de rente, ou avoir en biens-fonds 290 livres de rente, ou être fils de chevalier, ou baron, ou d'un rang distingué, ou être fils & héritier présomptif d'un écuyer.
Mais par une ordonnance postérieure de Charles II. personne ne peut avoir des levriers dans un purlieu ou autre terre dans toute l'étendue de l'Angleterre ou de la province de Galles, s'il n'en a une permission expresse du roi, ou s'il n'est seigneur de fief, ou ne possede, soit de son chef, soit de celui de sa femme, 40 livres de revenu clair & liquide, toutes charges déduites, en terres seigneuriales ; ou, s'il n'a au-moins de revenu, en autres terres, soit de son chef, ou de celui de sa femme pour tout le tems de sa vie, ou de celle de l'un & l'autre, 80 livres, toutes charges déduites, ou la valeur de 400 livres en fonds de terres ou habitations. Voyez CHASSE & GIBIER.
Le droit de purlieu appartient donc exclusivement aux personnes que nous venons de désigner, & non à d'autres ; car le propriétaire d'un purlieu qui n'a pas quelqu'une des qualités que je viens de dire, peut bien, s'il trouve des bêtes de la forêt dans son purlieu, lâcher dessus de petits chiens domestiques, mais il ne lui est pas permis de les pourchasser avec des levriers ou autres chiens de chasse.
Et celui même qui a droit de chasse dans son purlieu, ne peut l'exercer qu'avec quelques restrictions & réserves : car,
1°. Il faut que le gibier se soit levé sur sa terre ; & quoique, ratione soli, il ait un droit exclusif à l'égard de toute autre personne que le roi sur le gibier qui se leve sur sa terre, ce droit se réduit à pouvoir lâcher ses chiens dessus, & le tuer tant qu'il est sur sa terre, mais non lorsqu'il est une fois sauvé dans la forêt. Dès que la bête a mis le pié dans la forêt, elle rentre dans la propriété de la forêt ou du propriétaire, quel qu'il soit, à qui elle appartient.
Mais quand le propriétaire de terres comprises dans un purlieu a fait lever une bête dans l'étendue de son fief, il la peut poursuivre sur toutes les terres voisines comprises dans le purlieu, pourvu qu'il n'entre pas dans la forêt.
2°. Si celui qui possede des terres dans un purlieu commence sa chasse sur la terre d'un voisin, que ses chiens atteignent la bête avant qu'elle soit rentrée dans la forêt, mais qu'elle les y entraîne & qu'ils l'y tuent, leur maître n'est pas en droit pour cela d'entrer dans la forêt & d'y prendre la bête que ses chiens ont tuée, parce que sa chasse étoit contre les régles dès le commencement, & que par conséquent il ne peut prétendre aucune propriété sur la bête ratione soli.
3°. Celui qui a droit de purlieu, ne peut y mener ou y envoyer chasser d'autres personnes que ses domestiques.
4°. Les ordonnances des forêts lui défendent de chasser sur ses propres terres plus de trois jours la semaine, desquels le dimanche est excepté.
5°. Personne ne doit poursuivre un cerf, quoiqu'il le rencontre dans son purlieu, dans les quarante jours après que le roi a fait une chasse générale dans la forêt voisine ; parce qu'en ce cas le gibier n'est pas venu de lui-même dans le purlieu, mais qu'il y a été poussé par les chasseurs, effrayé par leurs clameurs & par le son du cor, & ne s'y est retiré que comme en un lieu de réfuge.
6°. Personne ne pourra chasser plus près de la forêt qu'à sept milles de distance, même dans son purlieu, dans les quarante jours après que le roi aura déclaré qu'il a dessein de faire une chasse générale dans la forêt.
Ainsi les purlieux étant à cet égard demeurés en partie sujets aux ordonnances des forêts, il a fallu établir des officiers pour veiller à la conservation du gibier qui pourroit s'échapper de la forêt dans les purlieux ; faute de quoi les reglemens faits pour les purlieux seroient demeurés sans exécution, & les forêts auroient été bien-tôt détruites par les propriétaires des purlieux.
C'est pourquoi on établit des maîtres de venaison qui, sans être proprement forestiers, ne laissoient pas d'avoir quelque office dans la forêt ; car les forestiers ont inspection tout-à-la-fois sur les arbres & la venaison de la forêt, au lieu que le maître de venaison n'en a point sur les arbres, mais seulement sur le gibier qui passe de la forêt dans le purlieu. Son office est de le faire rentrer dans la forêt. Voyez MAITRE DE VENAISON.
Cet officier reçoit ses provisions du roi, ou du grand-maître des eaux & forêts, & a d'appointemens 20, 30 ou 40 livres, ou plus, lesquelles lui sont payées à la cour de l'échiquier, sans compter un droit qu'il a sur chaque cerf ou daim de la forêt.
Son emploi consiste à faire rentrer les bêtes dans la forêt, tout autant de fois qu'elles en sont sorties ; de dresser procès-verbaux des délits commis en matiere de chasse, soit dans les purlieux, soit dans la forêt même, & d'en faire leur rapport à la plus prochaine grurie ou cour forestiere.
Les maîtres de venaison ne sont établis que pour les terres qui ayant été enforestées autrefois, & désenforestées depuis, sont ainsi devenues des purlieux. C'est pourquoi, comme il y a des forêts en Angleterre qui n'ont jamais été aggrandies aux dépens des terres voisines, & autour desquelles par conséquent il ne s'est pas formé de purlieux, les maîtres de venaison n'y ont que faire.
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PURMEREN | ou PUMERENDE, (Géog. mod.) petite ville de Nort-Hollande, au midi du Beemster. On attribue les premiers commencemens de cette ville à Guillaume Eggar, trésorier de Guillaume le bavarois. Les états de Hollande l'acheterent en 1590 d'un comte d'Egmond, & l'unirent à leur domaine, avec trois villages qui en dépendoient ; on l'entoura de remparts en 1572. Cette petite ville a séance & voix dans l'assemblée des états de Hollande, & elle envoye tous les trois ans, alternativement avec la ville de Schoonhoven, un député à l'amirauté de Frise. Long. 22. 17. lat. 51. 54. (D.J.)
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PURPURARIAE | PURPURARIAE
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PURPURATI | (Hist. anc.) mot purement latin, & employé par les anciens historiens pour signifier les fils des empereurs ou des rois, selon Neubrig liv. III. & Malmesbur. liv. III. Nicetas dit qu'on donnoit ce nom aux enfans des empereurs de Constantinople, parce qu'en sortant du ventre de leur mere, on les recevoit dans un drap de pourpre ou dans des langes de pourpre, ce qu'il justifie par l'exemple de l'empereur Emmanuel Comnene. Voyez PORPHYROGENETE.
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PURPURIN | adj. qui tient de la couleur pourpre ; ainsi l'amaranthe est une fleur purpurine. Les feuilles de la chélidoine sont quelquefois marquetées de taches purpurines.
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PURPURITES | (Hist. nat.) nom que l'on donne aux coquilles de mer appellées pourpres lorsqu'elles sont pétrifiées ou fossiles.
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PURS | DIEUX, (Mythol.) à Pallantium, ville d'Arcadie, on voyoit sur une hauteur un temple bâti à ces divinités qu'ils appelloient pures, & par lesquelles on avoit coutume de jurer dans les plus importantes affaires : du reste, ces peuples ignoroient qui étoient ces dieux ; ou s'ils le savoient, c'étoit un secret qu'ils ne révéloient point, dit Pausanias. (D.J.)
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PURULENT | ENTE, adj. qui est mêlé de pus. Tels sont les crachats des phthisiques, les selles des dysentériques, les urines de ceux qui ont des ulceres aux reins ou à la vessie. Voyez PUS.
Les avis se partagent quelquefois dans les consultations sur le caractere des excrétions, que les uns disent être purulentes, & que les autres assurent n'être que puriformes. La connoissance précise de l'état des choses est néanmoins d'une très-grande conséquence pour juger de la nature du mal, & faire les remedes convenables.
L'épreuve qui sert à caractériser la purulence des crachats dans les maladies de poitrine, consiste à faire cracher les malades dans une jatte d'eau. Les vrais crachats surnagent, & le pus va au fond du vase. Les signes commémoratifs fournissent de grandes inductions ; l'état inflammatoire, les crachemens de sang qui avoient précédé, annoncent qu'il y a eu les symptomes qui doivent précéder la suppuration ou l'érosion, qui est toujours un état consécutif.
Les urines purulentes déposent une matiere blanche & fétide, qui s'étend dans de l'eau tiede, la rend laiteuse, & qui ne se coagule pas par le mêlange avec de l'esprit-de-vin : au contraire des matieres visqueuses & glaireuses, qui sont une expression des glandes mucilagineuses de la vessie, lesquelles nagent dans l'eau en paquets ou flocons.
Il y a des cas où une excrétion vraiment purulente suinte par les pores de la peau sans exulcération ; telle est la gonorrhée virulente, qui a son siege à la racine du gland, sur le prépuce. M. Quesnay, ancien professeur des écoles de Chirurgie, & depuis médecin consultant du roi, a publié en 1749, un traité de la suppuration purulente, ou suppuration louable, telle qu'on la trouve dans les abscès benins, ou qu'elle coule des ulceres qui sont de bon caractere ; voyez PUS. Le même auteur a promis un traité de la suppuration putride, matiere très-importante à connoître, & sur laquelle on n'a que des notions bien vagues & très superficielles. Voyez PUTRIDE. (Y)
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PURUS | (Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale, autrefois nommée Cuchivara, entre celles de Coari & de Madere. Elle n'est pas inférieure aux grandes rivieres qui grossissent l'Amazone. M. de la Condamine conjecture que c'est la même qui se nomme Beni dans le haut Pérou, ou plutôt dans les missions des Moxes.
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PUS | S. m. (Chirurg.) matiere liquide, épaisse, blanchâtre, qui s'engendre dans les abscès, ou qui sort des playes & des ulceres. La formation du pus, & son écoulement sont connus sous le nom de suppuration. Elle est louable lorsque le pus est de bonne qualité, d'une couleur uniforme, & sans mauvaise odeur. La suppuration est putride lorsque les sucs qui forment le pus sont viciés par quelque cause que ce soit. Voyez PUTRIDE & PURULENT.
Il n'y a que les tissus cellulaires qui suppurent. La suppuration est une terminaison d'un engorgement inflammatoire. Voyez INFLAMMATION. C'est l'action violente des arteres qui conjointement avec la chaleur extraordinaire qu'elle excite dans la partie, qui brise les vaisseaux, & mêle le sang, la lymphe & les sucs graisseux qui se produisent sous la forme de pus. A l'égard de celui qui est fourni par les playes & les ulceres, il n'est pas difficile de voir comment la nature produit cette liqueur, qu'on dit ne ressembler à aucune de celles du corps. Son excrétion me paroît un effet tout simple & tout naturel de la solution de continuité.
Le pus est produit par l'action organique des chairs qui forment le fonds de la playe ; mais ce n'est qu'un simple écoulement proportionné à la quantité des cellules graisseuses qui sont ouvertes dans la surface de la plaie. Ce n'est pas une sécrétion nouvelle dans la partie, comme on a pu le croire ; mais une excrétion des sucs qui, sans la solution de continuité, seroient déposés dans les cellules de la membrane adipeuse, & y auroient été modifiés différemment. On ne connoît, dira t-on, dans nos humeurs aucun suc qui soit de la nature du pus ? mais nous ne connoissons pas plus dans la masse générale la plûpart des liqueurs particulieres qui sont filtrées dans différens couloirs. Y reconnoissons-nous la salive & la mucosité du nez ; y distinguons-nous le suc pancréatique & l'humeur spermatique, &c ? On ne connoît ces humeurs qu'après qu'elles ont été formées & séparées dans les couloirs que la nature a destinés pour leur fonction. Le fond d'une plaie ne peut pas former un nouveau genre d'organe secrétoire, c'est-à-dire un organe composé & destiné à un genre particulier de secrétion. Le pus n'est donc que la liqueur qui auroit été filtrée & déposée dans les cellules de la membrane adipeuse, & qui s'écoule à-peu-près sous la même forme qu'elle auroit eue dans l'état naturel. Des sucs huileux mêlés intimement à une humeur séreuse qui leur sert de véhicule, & avec des sucs muqueux & lymphatiques, dont on ne peut savoir la proportion, forment le mêlange que nous appellons pus dans les playes & dans les ulceres. Voyez les indications curatives des plaies qui suppurent & des ulceres au mot DETERSIF, & au mot ULCERE ; sur la régénération des chairs, voyez l'article INCARNATION. (Y)
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PUSCHIAVO | (Géog. mod.) en allemand Pesclaf, communauté des pays des Grisons, dans la ligue de la Cadée ; le chef-lieu qui porte le même nom, est un gros bourg dans lequel se tiennent la régence & la communauté.
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PUSILLANIME | adj. PUSILLANIMITé, s. f. (Gramm.) foiblesse d'esprit, manque de courage. Il y a des hommes nés pusillanimes. Il y en a qui ont de la force dans l'esprit, du courage d'ame, & à qui un petit accès de fievre, un frisson du pouls ôte ces qualités ; alors ils ont de l'inquiétude, ils tremblent, ils craignent tout ce qui les environne, ils se croyent menacés de quelque accident imprévu. Il y a peu de personnes qui ne connoissent cet état.
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PUSQUAM | (Hist. nat. Botan.) nom sous lequel quelques indiens de la nouvelle Espagne désignent le Méchoacan. Voyez cet article.
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PUSSA | S. f. (Idolât. chinoise) déesse des Chinois, que les Chrétiens nomment la Cibele chinoise. On la représente assise sur une fleur d'alisier, au haut de la tige de l'arbre. Elle est couverte d'ornemens fort riches, & toute brillante de pierreries. Elle a seize bras qu'elle étend, huit à droite & huit à gauche ; chaque main est armée de quelque chose, comme d'une épée, d'un couteau, d'un livre, d'un vase, d'une roue, & d'autres figures symboliques. Hist. de la Chine.
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PUSTER | S. m. (Idolât. des Germains) nom propre d'une idole des anciens Germains. Plusieurs auteurs ont fait mention de cette idole, entr'autres Fabricius, dans son traité de rebus metallicis ; Théodore Zwinger, dans son theatrum vitae humanae ; Merian, dans sa description du cercle de la haute-Saxe ; André Toppius, dans celle de sonders hausen ; Henri Ernest, dans ses observations diverses ; Sagittarius, dans ses antiquités payennes ; Tollius, dans ses epistolae itinerariae ; Pretorius, dans sa magia divinatrix, &c. mais tout ce qu'ils nous en apprennent est plein de fables & de contradictions ; enfin, Jean-Philippe-Christian Staube a mieux débrouillé que personne ce qui regarde cet ancien monument des Germains idolâtres, dans une dissertation intitulée, Pusterus vetus Germanorum idolum, imprimée à Giessen en 1726, in-4 °. Le lecteur peut la consulter. (D.J.)
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PUSTO-OZERO | (Géogr. mod.) ou Pusto-Zerokoy, selon quelques cartes ; ville de l'empire russien, dans la province de Petzora, sur la rive droite du fleuve de même nom, proche son embouchure dans la mer Glaciale.
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PUSTULE | S. f. petite élevure, ou éruption de la peau, laquelle est pleine de pus, & qui se forme ordinairement dans la grande & petite vérole. Voyez EXANTHEME.
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PUT-PUT | voyez HUPE.
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PUTAIN | (Hist. mod.) voyez COURTISANNE & CONCUBINE.
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PUTANISME | S. m. (Grammaire) terme francisé de l'italien ; vie ou condition de putain ou de ribaud. Ce terme vient de l'italien putta, qui originairement signifioit simplement petite fille, on a fait en françois pute ; de puttana dérivé de putta, on a fait putain, & de puttanismo, putanisme.
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PUTATIF | adj. (Jurisprud.) se dit de celui qui est réputé avoir une qualité qu'il n'a pas réellement ; ainsi pere putatif est celui que l'on croit être le pere d'un enfant, quoiqu'il ne le soit pas en effet.
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PUTÉA | (Géogr. anc.) nom d'une ville de l'Afrique propre, & d'une ville de Syrie dans la Palmyrène, selon Ptolémée.
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PUTEAL | S. m. (Antiq. rom.) espece de puits couvert à Rome, sur lequel on avoit dressé un autel dans le lieu des comices, proche du tribunal où on rendoit la justice. C'étoit sur cet autel qu'on prêtoit le serment, en le touchant de la main. Ciceron, lib. I. Divinat. rapporte la formule des sermens, qui consistoit à attester Jupiter, & à le prier qu'il dépouillât de ses biens celui qui faisoit le serment, s'il juroit faux, comme il se dépouilloit d'une pierre qu'il tenoit à la main, & qu'il laissoit tomber : si ego te sciens fallo, ita me ejiciat Jupiter bonis, salvâ urbe & arce, ut ego hunc lapidem. " Si je vous trompe en le sachant, que Jupiter me dépouille de mes biens, comme je me défais de cette pierre ". Putéal vient du mot puteus, un puits.
Le putéal de Libon, puteal libonis, si célebre dans l'histoire romaine, étoit un rebord de puits avec un couvercle dans la place romaine, que Scribonius Libo avoit fait élever par ordre du sénat, sur un endroit où la foudre étoit tombée, suivant la coutume superstitieuse des Romains en pareilles occasions. Ce putéal étoit attenant le temple de Faustine, près des statues de Marsyas & de Janus ; il renfermoit dans son enceinte un autel, une chapelle, & tout-auprès étoit le tribunal d'un préteur, ou d'un centumvir, qui connoissoit des affaires concernant le commerce. Les banquiers se tenoient autour de ce puits couvert. On voit encore la figure de ce putéal dans quelques médailles, avec l'inscription puteal libon. (D.J.)
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PUTEOLI | (Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Campanie heureuse, aujourd'hui Pozzuolo, & par les François Poussol. Voyez POUSSOL.
Les Grecs nommerent cette ville ou , & c'est son plus ancien nom : Dicaearchia, dit Etienne le géographe, urbs Italiae quam Puteolos vocari aiunt. Festus & lui rendent raison du nom latin ; ils disent que le nom de Puteoli vient de la puanteur des eaux chaudes qui sont aux environs, ab aquae calidae putore ; Festus ajoute pourtant que, selon quelques-uns, ce nom a été occasionné par la grande quantité de puits qu'on avoit creusés à cause de ces eaux, à multitudine puteorum earumdem aquarum caussâ factorum.
Dès le tems de la guerre d'Annibal, Puteoli étoit une place forte, où les Romains tenoient une garnison de 6000 hommes qui résisterent aux efforts d'Annibal. Tite-Live, l. XXXIV. c. xlv. & Velleius Paterculus, l. I. c. xv. nous apprennent qu'après que cette guerre fut finie, les Romains firent de Puteoli une colonie romaine. Comme Tacite, l. XIV. c. xxv. dit qu'elle acquit le droit & le nom de colonie sous l'empereur Néron, il ne faut pas l'entendre du simple droit de colonie dont elle jouissoit il y avoit déja long-tems, mais du droit de colonie d'Auguste qui étoit plus considérable que le premier.
Puteoli fut bâtie par les Samiens l'an 4 de la lxiv. olympiade, qui étoit le 232 de Rome. Ils la nommerent, comme je l'ai déja dit, Dicaearchia, & les poëtes latins se sont servis de ce mot pour la désigner, lors même qu'elle eut changé de nom. Elle appartint quelque tems à ceux de Cumes qui en firent leur port. Les Romains la subjuguerent pendant la seconde guerre punique l'an 538 de Rome, & y mirent une bonne garnison. Ils l'érigerent en colonie vingt ans après, & lui changerent son nom en celui de Puteoli. Ce fut l'un des meilleurs ports qu'ils eussent sur cette mer là, & les navires marchands d'Alexandrie y avoient leur étape.
Elle devint très-considérable par la beauté des édifices publics que l'on y bâtit, je veux dire par ses temples, par ses cirques, par ses théâtres & par ses amphithéâtres. Les maisons de plaisance que les plus riches citoyens de Rome & Ciceron entr'autres firent élever dans son voisinage, contribuerent encore à la rendre illustre. Ses bains furent renommés, & le sont toujours.
Il y avoit aussi dans ses environs une fontaine célebre ; cette fontaine ne croissoit & ne diminuoit jamais, ni dans les tems de sécheresse, ni dans les tems de pluie. On avoit tant de vénération pour les nymphes qu'on croyoit y résider, qu'on bâtit à leur honneur un beau temple de pierre blanche, comme l'observe Philostrate.
Les dames romaines tiroient de cette ville une espece de vermillon où il entroit de la pourpre, & dont elles se fardoient, Puteolanum purpurissum è cretâ argentariâ. Enfin Auguste & Néron, pour soutenir l'éclat de Puteoli, y envoyerent de nouvelles colonies. Le lecteur peut consulter l'ouvrage de Scipione Mazella, intitulé Antichita di Pozzuolo, Neapoli 1606, auquel ouvrage on a joint le traité de Jean Elisius, médecin, de balneis Puteolanis. Voici la suite de l'histoire de Puteoli.
Elle fut réduite en cendres par Alaric l'an 410 de l'ere chrétienne, & par Genseric l'an 455 ; environ 90 ans après, elle fut prise par Totila, qui la saccagea & la fit démanteler au point qu'elle demeura sans habitans pendant seize années. Les Grecs l'ayant rebâtie, elle se rétablit peu-à-peu, desorte qu'elle étoit une bonne place lorsque Romuald II. du nom, duc de Benevent, s'en saisit l'an 715, & la désola par le fer & par le feu. Elle fut pillée par les Hongrois au x. siecle. Après plusieurs changemens de maîtres, elle tomba au pouvoir d'Alphonse d'Aragon, roi de Naples, dans le xv. siecle. Les tremblemens de terre ont fait aussi d'étranges ravages dans cette ville en divers tems, & sur-tout l'an 1538, au rapport de Gassendi. Enfin Poussol, dont il importe de lire l'article conjointement avec celui-ci, n'est plus qu'une ville misérable. Quoiqu'elle soit dans la plus agréable situation du monde & qu'elle ait le titre d'évêché, elle n'attire sur son passage que quelques voyageurs curieux de considérer les restes qui s'y trouvent de son ancien état.
Decimus Laberius, qui mourut à Puteoli en 711, étoit un poëte célebre dans ces especes de comédies boufonnes & licencieuses qu'on nommoit mimes, & qui se bornoient au pur amusement. Il prima longtems en ce genre de composition, & plut tellement à Jules César qu'il en obtint le rang de chevalier romain, & le droit de porter des anneaux d'or ; mais il eut dans Publius Syrus un rival dangereux, qui lui enleva enfin les applaudissemens de la scène. (D.J.)
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PUTICUL | ou PUTICULAE FOSSES, (Antiq. rom.) c'étoient des fosses faites en forme de puits entre le mont Esquilin, les murailles de la ville, & la rue qui alloit à la porte Querquetulane, où l'on enterroit les pauvres gens ; ce qui infectoit tous les quartiers d'alentour. Pour se délivrer de cette infection, Auguste, avec l'agrément du sénat & du peuple romain, donna ce terrein à Mécénas, qui y bâtit une maison magnifique, & y planta des jardins d'une grande étendue, comme nous l'apprenons d'Horace, sat. VIII. l. I.
Huc priùs angustis ejecta cadavera cellis
Conservus vili portanda locabat in arcâ.
Hoc miserae plebi stabat commune sepulchrum,
Nunc licet Esquiliis habitare salubribus, atque
Agere in aprico spatiari quo modo tristes
Albis informem spectabant ossibus agrum.
Les Esquilies sont devenues une demeure saine & agréable ; & au lieu où auparavant des monceaux d'ossemens desséchés n'offroient aux yeux qu'un spectacle affligeant, s'éleve aujourd'hui une terrasse découverte de toutes parts qui présente une promenade délicieuse. (D.J.)
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PUTNEY | (Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, province de Middlesex.
C'est dans ce bourg que naquit sous le regne de Henri VIII. Thomas Cromwel, fils d'un forgeron du lieu. La fortune prit plaisir de l'élever au faîte des grandeurs pour l'en précipiter tout-d'un-coup, & le faire périr d'une mort tragique. Il commença par servir chez les étrangers, & étoit soldat dans l'armée du duc de Bourbon en Italie, quand Rome fut saccagée. A son retour en Angleterre, il entra chez le cardinal Wolsey ; & après la chute de ce favori, le roi voulut bien le prendre à son service, à cause de la fidélité qu'il avoit marquée à son ancien maître. Il fut revêtu successivement des dignités de maître des rôles, de baron, de garde du sceau privé, de vicegérent du roi dans les affaires spirituelles, de chevalier de la Jarretiere, de comte d'Essex, de grand chambellan d'Angleterre. Il exécuta de grandes choses avec une extrême habileté, l'établissement de la suprématie du roi, & l'extirpation des moines ; mais enfin un malheureux mariage qu'il mit dans la tête de Henri VIII. n'étant plus agréable à ce prince, fut la cause de sa perte : comme Anne de Cleves devenoit plus complaisante pour le roi à mesure qu'il s'en dégoutoit davantage, il soupçonna que Cromwel engageoit cette princesse à avoir des manieres plus douces pour empêcher le divorce ; sur cela Cromwel tomba dans la disgrace du roi, fut accusé par Thomas Howard, duc de Norfolck, du crime de félonie & de trahison, & eut la tête tranchée en 1540. On dit que le roi pleura, mais trop tard, la mort de ce favori. Ce qu'il y a de certain, c'est que la maison de Norfolck essuya à son tour la colere de ce prince. (D.J.)
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PUTOIS | S. m. putorius, animal quadrupede de même grosseur que la fouine & la martre : sa queue est moins longue que celle de ces animaux, mais il leur ressemble par la forme du corps ; il en differe au contraire beaucoup par les couleurs du poil. Le tour de la bouche, les côtés du nez, le front, les tempes, la partie qui est entre l'oreille & le coin de la bouche, & le bord de la face intérieure de l'oreille, sont blancs ; tout le reste du corps est noir ou fauve. Cet animal a une très-mauvaise odeur qui lui a fait donner le nom de putois, putorius, dérivé du mot latin putor, puanteur : on l'appelle aussi puant & punaisot. Il ressemble à la fouine par le tempérament, par le naturel & par les habitudes ou les moeurs. Il s'approche des habitations ; il monte sur les toîts, se cache dans les granges & les greniers à foin ; il n'en sort que la nuit pour chercher sa proie dans les basse-cours ; il écrase la tête à toutes les volailles, & les emporte une à une. Mais lorsqu'il est entré par un trou qui n'est pas assez grand pour que les volailles puissent y passer, il leur mange la cervelle & emporte les têtes. Il est aussi fort avide de miel, & le cherche dans les ruches. Les putois s'accouplent au printems ; les mâles se battent sur les toîts pour se disputer la femelle ; ensuite ils la quittent & vont passer l'été à la campagne ou dans les bois. La femelle reste dans les habitations jusqu'à ce qu'elle ait mis bas, & n'emmene ses petits que vers le milieu ou vers la fin de l'été : elle en fait trois ou quatre. Les putois passent l'été dans des terriers de lapins, des fentes de rochers ou des troncs d'arbres creux ; ils n'en sortent que la nuit pour chercher les nids des perdrix, des alouettes & des cailles ; ils grimpent sur les arbres pour prendre ceux des autres oiseaux ; ils épient les rats, les taupes, les mulots ; ils entrent dans les trous des lapins : ces animaux ne peuvent pas leur échapper ; une famille de putois suffit pour détruire une garenne. Le cri du putois est plus obscur que celui de la fouine, qui est aigu & assez éclatant ; ils ont tous deux, aussi-bien que la martre & l'écureuil, un grognement d'un ton grave & colere, qu'ils répetent souvent lorsqu'on les irrite. Les chiens ne veulent point manger la chair du putois, à cause de sa mauvaise odeur. Sa peau quoique bonne, est à vil prix, parce qu'elle ne perd jamais entierement son odeur naturelle. Le putois paroît être un animal des pays tempérés : on n'en trouve guere qu'en Europe, depuis l'Italie jusqu'en Pologne. Hist. nat. génér. & particul. tome VII. Voyez QUADRUPEDE.
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PUTOMAY | ou IZA, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale, dans la province de Popayan. Elle a sa source dans les montagnes de la Cordeliere, &, après un cours d'environ 300 lieues, elle se perd dans la grande riviere des Amazones, au côté du nord, à 2 degrés 30' de latit. mérid. (D.J.)
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PUTRÉFACTION | S. f. PUTRÉFIER, v. neut. (Chimie) la putréfaction est le dernier degré de la fermentation, on la regarde presque généralement comme l'extrême dissolution des corps qui se corrompent. Stahl veut que ce soit le dernier état de division où les mixtes conservent leur combinaison, & approchent le plus d'être des individus. Stahl auroit sans doute expliqué cette idée dans une théorie particuliere de la putréfaction qu'il avoit promise, & qu'on ne peut que regretter.
Toutes les especes de fermentation peuvent être comprises sous la putréfaction ; c'est ainsi que les anciens disoient que le vin est produit par la putréfaction du moût, & que le vinaigre est un moût putréfié. La putréfaction peut être définie, ainsi que la fermentation prise en général, un mouvement intestin qui étant imprimé aux corps par le jeu du fluide aqueux, dérange la mixtion de leurs parties salines, grasses & terrestres, qui les sépare, les atténue, les transpose & les combine ensuite de nouveau. La putréfaction embrasse tous les sujets de la fermentation spiritueuse & acéteuse, celles-ci tendent toujours à se terminer par la putréfaction ; l'art seul les fixe, & les empêche d'y parvenir. Les sujets immédiats de la putréfaction sont tous les corps qui renferment trop peu de substance saline pour être disposés aux autres especes de fermentation, mais qui ont beaucoup de substance grasse, attenuée, & de terre muqueuse.
Dans les composés grossiers, tels que la paille, il entre un peu d'eau qui en fait mouvoir le sel, & qui en agite la substance grasse & attenuée que l'air enleve ensuite, & détache des parties terreuses ; une trop grande humidité affoiblit trop sans doute le peu de sel qui est dans ces composés, & l'empêche de réagir sur la partie grasse ; c'est par cette raison que des tas de paille qu'on entretient humides se réduisent presqu'entierement en poussiere dans quelques jours d'été.
La putréfaction détruit les saveurs & les odeurs, sépare entierement l'humidité en desséchant les corps, en donnant à l'eau une place destinée, & en précipitant au fond la matiere putréfiée sous la forme d'une terre noire & limoneuse qui renferme un principe gras. Les substances corrompues donnent la meilleure terre pour fertiliser les champs, sa légereté fait qu'elle est d'autant mieux pénétrée des principes de la fécondité, & qu'elle ne les retient pas trop longtems. Une autre cause qui rend le fumier si propre à la fécondité, c'est que, par la putréfaction, il acquiert une qualité saline qui le rend propre à altérer & à conserver l'humidité de l'air ; c'est là le principe qui rend plusieurs terres salines très-propres à fournir un excellent engrais.
A quelque point qu'on échauffe les concrets gras & huileux pour les faire putréfier, leur raréfaction n'est point du tout considérable à proportion, à-moins que la chaleur ne soit extrêmement fortifiée par la grande quantité de matiere qu'on fait fermenter à-la-fois ; c'est pourquoi les substances qui se putréfient ne demandent pas les mêmes précautions que celles qui fermentent, & ne font point craindre la rupture des vaisseaux où elles sont renfermées, cependant les sujets de la fermentation même écumeuse ont peu de chaleur ; & ceux de la putréfaction sont susceptibles d'un grand degré de chaleur qu'ils entretiennent long-tems.
Le fumier s'échauffe davantage en hiver : phénomene que Stahl explique ingénieusement, parce que les molécules agitées alors du mouvement circulaire autour de leur axe qui constitue la chaleur, & qu'elles se communiquent successivement, sont frappées dans le tems où elles tournoient par l'impulsion rectiligne que le froid donne à l'éther, & cette impulsion rarement dirigée par les centres de ces molécules doit fortifier leur mouvement verticilaire, ou augmenter leur chaleur.
D'un autre côté, un air sec retarde extrêmement la putréfaction ; c'est ainsi que les fruits d'hiver étant mis sur de la paille se conservent plus long tems, parce que leur tissu est continuellement serré par l'air libre qui pénetre entre les interstices de la paille. Un tems humide & chaud est de tous les états de l'athmosphere le plus favorable à la putréfaction.
L'air favorise le progrès de toutes les especes de fermentation, mais sur-tout la putréfaction ; il ne concourt même directement qu'à celle-ci, parce que s'il a un accès libre dans les liqueurs qui fermentent, il en enleve les parties sulphureuses, de même qu'il enleve celles des charbons dont l'union étroite avec la terre résiste à l'action du feu. Quelques-unes de ces parties sulphureuses qu'il met en mouvement se précipitent avec les feces, dans lesquelles la fermentation devient putride, & produit une véritable séparation des parties terrestres d'avec les huileuses, qui donne à celles-ci leur plus grande mobilité. Stahl croit que comme l'esprit ardent est le produit de la fermentation des substances végétales douces & qui tournent à l'acide, les autres substances qui tendent à la putréfaction, donnent un sel volatil, qui est une substance tenue fort mobile & plus saline que l'esprit ardent. Cette analogie est confirmée, parce que la gelée de corne de cerf, lorsqu'on la laisse putréfier pendant quelques semaines avant que de se distiller, fournit beaucoup moins d'huile, & une plus grande quantité de sel volatil. La mixtion grasse des feces d'une liqueur qui fermente, principalement du vin, est particulierement disposée à une combinaison plus intime de ses parties. Le feu est un instrument très-promt de ces combinaisons ; l'air l'opere successivement & lentement. On sait dans les cuisines que les décoctions des chairs sont naturellement salées d'un sel qui approche de la nature du sel commun. Il n'est point de substance animale dans laquelle le sel ammoniacal, dont la putréfaction produit un sel volatil, soit aussi développé que dans l'urine. Cela est prouvé par l'observation de Barchusen, qui n'a pu retirer du sel volatil par l'analyse d'autres excrémens que de ceux des oiseaux ; ce qu'il explique fort bien, parce que dans les oiseaux l'urine se confond avec les gros excrémens, & sort par la même issue. Le sel ammoniac dont nous parlons n'est autre que le sel microscomique de M. Marggraf, dans lequel il semble que le sel marin doit se changer dans toutes les matieres, tant végétales qu'animales, qui sont sujettes à la putréfaction, & qui peuvent en cette qualité fournir du phosphore, suivant Kunkel.
Par les progrès du mouvement de fermentation, l'acide animal ou végétal se combine avec le principe huileux, & forme le sel urineux volatil. Si on a ôté à ce sel ce qu'il a d'urineux, dit Stahl, il parvient aisément à l'état du sel universel ou d'acide pur, mais il passe plus ordinairement par l'état comme moyen du sel nitreux. Voyez NITRE.
Tous les mixtes dans lesquels le feu produit un sel volatil urineux, donnent le même sel dans la fermentation putride ; si l'on en excepte la suie, qui démontre néanmoins la nécessité du concours du principe gras pour la génération de ce sel. Le sel volatil est le dernier produit que donne par l'action du feu toute partie d'un animal récente & saine, ou bien l'urine qu'on n'a point fait putréfier. Le sel volatil ne peut être retiré des autres substances sans addition ; ou bien il est le premier produit qu'on en retire grace à la volatilité qui lui est propre, comme on voit dans la distillation des feces humides du moût, qu'on a laissé putréfier dans un vaisseau fermé lorsqu'on les distille.
Ainsi, suivant les principes de Stahl, il n'y a point d'alkali volatil formé par la nature, mais tous les sels de cette espece se produisent par le feu ou par la putréfaction. Wallerius, dans sa minéralogie, tome I. p. 345 & 346, objecte que dans ce système il pourroit y avoir encore un sel volatil naturel, puisqu'il y a du feu sous la terre ; qu'il se fait une putréfaction à sa surface & dans son sein, & que la destruction & l'altération des corps sont aussi naturelles que leur formation.
On a cru long-tems qu'il existoit un sel volatil tout formé, principalement dans les plantes antiscorbutiques ; mais Cartheuser, dans sa matiere médicale, tome I. p. 288. & suiv. a réfuté ce sentiment, il a remarqué que la vapeur âcre & piquante que ces plantes exhalent n'est point du tout celle des esprits urineux, mais qu'elle ressemble à l'odeur acide & légerement balsamique, que répand l'esprit de sucre lorsqu'il est récent. Il rapporte une expérience curieuse de M. Burghaut, qui, en mettant parties égales de suc de joubarbe & d'esprit de vin rectifié, obtient un coagulum ; de la comparaison duquel, avec l'offa de van Helmont, il concluoit que la joubarbe renferme un sel très-volatil semblable au sel urineux. Mais M. Cartheuser prouve par plusieurs expériences que le suc de joubarbe renferme un sel acidulé plus ou moins volatil, un peu enveloppé d'une substance tenace, muqueuse & gommeuse ; il reconnoît que le suc de joubarbe, mêlé avec l'esprit-de-vin, se coagule en une masse semblable à de la crême de lait, ou à de la pommade très-blanche, mais il assûre que le mêlange de ce suc avec une liqueur alkaline fixe, ou avec l'esprit de sel ammoniac, forme un coagulum semblable à quelques légeres différences près ; les liqueurs acides ne produisent point dans ce suc de précipitation, ni d'altération singuliere. M. Cartheuser ne dit rien de particulier sur la formation du coagulum de l'expérience de M. Burghaut, qui est un savon acide, puisqu'on ne peut admettre de qualité alkaline dans de l'esprit-de-vin ; & ce savon est très-remarquable par sa volatilité, qui l'emporte même, dit-on, sur celle du camphre.
Le dernier auteur qui a soutenu l'existence du sel alkali volatil tout formé dans certaines plantes, est M. Wallerius dans ses notes sur Hierne ; mais ses expériences sont niées par M. Vogel, inst. chim. n°. 605.
Nous avons supposé plus haut que le sel marin subit une véritable putréfaction ; elle est sensible dans l'expérience de Henckel, qui assure, intr. à la min. pag. 119, 120, qu'après avoir fait une décoction épaisse du kali geniculatum dans de l'eau, il en partit non-seulement une odeur semblable à celle des excrémens humains, mais encore il s'y forma des vers. Ces deux phénomenes prouvent assez une putréfaction, & par conséquent une volatilisation, dont il y a lieu de conclure que la cause a été le sel marin qui est abondamment contenu dans la soude. On sera moins surpris de la putrescibilité du sel marin, si l'on fait attention à celle des eaux les plus pures, qui est démontrée par les expériences de M. Marggraf rapportées à l'article EAU. M. Marggraf a observé que dans la putréfaction de la meilleure eau de pluie (putréfaction sensible au bout d'un mois, & qui suppose que cette eau renferme des parties huileuses & mucilagineuses), il se produit une grande quantité de limon verdâtre semblable à celui qui couvre la surface de l'eau, lorsqu'on dit qu'elle fleurit. Les effets de cette putréfaction sont très-sensibles dans les lacs dont on rapporte qu'ils fleurissent & verdissent en été. Lorsque cette matiere verdâtre est produite, les poissons sont malades, & meurent souvent ; & l'on remarque en même tems à la surface des eaux une matiere huileuse qu'on voit aussi sur la mer, & qui exposée au soleil est luisante, & forme comme des vagues sur cette surface. Voyez l'hydrologie de Wallerius, pag. 61.
Le sel ammoniac des substances animales est decomposé & dégagé par la coction de ses substances ; on conçoit par-là comment les chairs déja corrompues, & sur le point d'être dissoutes par la putréfaction, y tombent trois fois plus tard, si on vient à les cuire ; il n'est pas nécessaire de supposer que le miasme putride est forcé par la coction d'entrer dans une nouvelle mixtion ; ce miasme n'existe pas toujours, & son opération n'est pas aisée à concevoir.
On sait que le vin mis dans un vase infecté d'un peu d'autre vin corrompu, tombe très-vîte dans l'état de putréfaction, sans qu'on puisse l'en empêcher, & sans passer par l'état moyen de vinaigre. Pour rendre raison de ce phénomene, Stahl a recours à une analogie très-particuliere de mobilité qui fait que les particules du ferment putride s'attachent uniquement à celles qui leur ressemblent, & qui trouvent une égale résistance dans la figure des corpuscules qu'elles doivent rencontrer ; on voit que tout cela est fort obscur.
De ce que nous avons dit sur la putrescibilité du sel marin, on explique aisément pourquoi le sel marin en petite dose hâte manifestement & augmente la corruption, comme M. Pringle l'a observé d'après Beccher ; on sait que le sel marin arrête la putréfaction, lorsqu'on l'employe dans une plus grande proportion, quoique sa vertu antiseptique soit beaucoup moindre que celle des autres sels, comme M. Pringle l'a remarqué ; mais alors il agit par un effet différent qui est de durcir la chair.
Le même auteur a observé que les sels alkali-volatils, quoiqu'ils soient produits par la putréfaction, ont le pouvoir de la retarder de même que les alkalis fixes. Il faut remarquer que ceux-ci étant ajoutés en grande quantité à des matieres qui fermentent, en arrêtent la fermentation, sans doute parce qu'ils en absorbent l'acide, mais en même tems en alterent la nature, au point que ces matieres ne sont plus susceptibles d'une autre fermentation que de la putride. Voyez Boerhaave, chym. pag. 116. M. Pringle a très-bien fait connoître par ses expériences (traité sur les substances septiques & antiseptiques, pag. 222 & suivantes), que les substances putrides animales ont la vertu d'exciter une fermentation vineuse dans les végétaux ; on concevra aisément ce phénomene, si l'on considere que la différence du mouvement de fermentation d'avec celui de putréfaction, n'est que dans la nature du sujet même ; c'est ainsi, dit Stahl, que la même opération de la distillation ne retire point une eau pénétrante & spiritueuse d'un bois verd, ainsi que des aromates.
M. Pringle, ibid. pag. 291, n'explique pas heureusement la vertu septique de la craie & des substances testacées, lorsqu'il l'attribue à ce qu'elles absorbent l'acide des corps animaux ; car si cela étoit, les corps alkalis & la chaux devroient être bien plus septiques ; mais la vraie raison en est la même qui fait que le vin & le vinaigre concentrés se corrompent fort vîte, si on les édulcore avec de la craie. L'addition de cette terre maigre accélere la putréfaction en décomposant la mixtion saline, dont elle fortifie trop le principe terreux. Voyez Stahl, specimen becherianum, p. 228.
Rien n'est sans doute plus important que les applications que M. Pringle fait de ses expériences à la pratique de la Médecine ; mais M. Bordeu, dans ses theses sur les eaux minérales d'Aquitaine, these 31, a objecté contre l'application qu'il en fait à la gangrene, par exemple, que le sphacele se fait par un travail particulier de la nature qui ne ressemble point du tout à la putréfaction cadavéreuse ; car, dit-il, la foetidité de la gangrene n'appartient pas plus à la putréfaction que celle de la matiere foecale. Cependant on peut dire en faveur de M. Pringle, que Schvencke, après avoir observé que par les acides combinés avec du sel commun & des amers, on préserve en Allemagne, pendant plus d'un an, de la corruption les chairs des bêtes fauves, ajoute qu'il s'est servi des mêmes remedes avec le plus grand succès dans une gangrene spontanée au pié, qui survint à un sexagenaire. Hemotologiae p. 132.
PUTREFACTION des parties du corps humain vivant. Voyez GANGRENE.
La putréfaction des morts a été regardée comme le signe infaillible de leur état ; mais ce signe très-dangereux pour les survivans ne seroit admissible qu'autant qu'on n'auroit pas d'autres signes très-certains de la mort. On les a indiqués ailleurs. La putréfaction parfaite qui se manifesteroit en quelque partie, ne mettroit pas infailliblement à l'abri du danger affreux de donner la sépulture aux vivans. On voit tous les jours des personnes survivre à la perte de quelque membre dont la pourriture s'étoit emparée. Ainsi la pourriture pourroit attaquer de même un sujet dans l'état équivoque qui fait douter si une personne est morte ou vivante, c'est-à-dire, dans la situation où sans avoir perdu la vie, elle ne se manifeste néanmoins par aucune marque extérieure sensible aux personnes qui ne sont pas profondément instruites sur ce cas. C'est donc un précepte très-dangereux que de dire vaguement, que la putréfaction est le signe infaillible de la mort, & qu'on peut donner la sépulture à ceux en qui la putréfaction se manifeste.
Il auroit fallu distinguer du moins la pourriture qui attaque un corps vivant de celle qui s'empare d'un mort ; car chacune a des caracteres distinctifs qui lui sont propres. 1°. La gangrene seche n'a pas lieu sur un corps mort, parce qu'il n'y a ni la chaleur, ni l'action des vaisseaux par laquelle les sucs peuvent être durcis, & devenir avec les solides une masse homogene qui forme la croute solide qu'on nomme escare. La putréfaction propre aux morts est toujours une gangrene humide, & au contraire de ce qui se passe en pareille maladie sur les vivans, il n'y a sur les morts ni tension, ni rougeur inflammatoire qui trace une ligne de séparation entre le mort & le vif : l'épiderme se ride, la peau est d'abord pâle, elle devient d'une couleur blanche, grisâtre ; elle prend après des nuances plus foncées ; elle devient d'un bleu qui tire sur le verd, & ensuite d'un bleu noirâtre qu'on apperçoit à-travers la peau, qui prend elle-même enfin cette derniere couleur. Ces observations seroient bien importantes dans l'opinion que la pourriture est le signe infaillible de la mort, & elles n'ont point été faites par ceux qui se sont fait une sorte de réputation, en se déclarant les apôtres de cette fausse doctrine. (Y)
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PUTRIDE | en Chirurgie, se dit des sucs corrompus qui coulent d'une plaie ou d'un ulcere. On appelle suppuration putride les humeurs dépravées qui forment une suppuration désavantageuse, qui sans avoir aucune couleur ni consistance déterminées, sont tantôt glaireuses & épaisses, tantôt très-fluides & comme dissoutes ; qui quelquefois sont fort limpides, d'autres fois d'une couleur obscure : elles sont souvent sanguinolentes ; tous ces caracteres se trouvent quelquefois ensemble : ce qui fait voir la couleur & la consistance des matieres. Mais leurs caracteres les plus inséparables sont la puanteur & l'acrimonie qui dénotent une suppuration vicieuse, & atteinte de quelque degré de putréfaction.
Ces vices dépendent de l'état gangréneux des chairs. Voyez GANGRENE & ULCERE PUTRIDE. (Y)
PUTRIDE fievre, (Médec.) voyez SYNOQUE.
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PUTRIZ | (Hist. mod.) nom que l'on donne à la premiere femme du roi des Moluques ; ses enfans sont estimés plus nobles que ceux de ses autres femmes, qui ne leur contestent jamais le droit de succéder à la couronne.
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PUTURE | S. f. terme de Jurisprudence angloise, c'est un droit que prétendent les gardes des forêts, & quelquefois les baillifs des hundreds sur les habitans & propriétaires des terres dans l'enceinte de la forêt ou de l'hundred, qui consiste à exiger d'eux qu'ils le nourrissent, eux, leur cheval & leurs chiens. Voyez PURLIEU, ENCEINTE.
Il y a déja long-tems qu'on a échangé ce droit à Knaresbourg, en une redevance de quatre sous. La terre chargée de cette servitude s'appelle terra puturata, terre de puture.
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PUY | LE (Géog. mod.) ville de France dans le gouvernement du Languedoc, & la capitale du Vélay, à 14 lieues au nord-est de Mende, à 18 de Viviers, 58 au nord-est de Toulouse, & 112 de Paris. Elle est située près de la Borne & de la Loire, sur la petite montagne d'Anis, d'où elle a pris les noms d'Anicium & de Podium ; car le mot puig ou pueck, signifie en langue aquitanique, une montagne.
Le Puy est aujourd'hui une des plus grandes villes de Languedoc ; il y a sénéchaussée & présidial. Quand cette ville se fut accrue, on y transféra l'évêché de Ruescium, qui est aujourd'hui Saint-Paulien, bourg d'Auvergne dans l'élection de Brioude.
On prétend que Louis le Gros donna la seigneurie de cette ville à l'évêque en 1134. Cet évêché n'a que 129 paroisses ; il vaut au moins 36000 liv. de revenu, & ne releve que du saint siége ; mais pour la police intérieure, l'évêque du Puy est de la province ecclésiastique de Bourges. Son diocèse est renfermé dans une petite contrée appellée le Vélay. Le pape Clément IV. avoit été évêque du Puy ; mais avant qu'il eut embrassé l'état ecclésiastique, il avoit pris alternativement le parti des armes, celui de l'étude, de la jurisprudence, & s'étoit même marié. S. Louis le fit son secrétaire.
La ville du Puy est bâtie en amphithéatre, & a plusieurs communautés de l'un & de l'autre sexe. Sa cathédrale a vû dans les siecles de superstition, des princes, & même des souverains, s'y rendre en pélerinage. MM. de Saint-Sulpice ont le séminaire, & les Jésuites y tenoient un college. Long. 21. 33. 20. latit. 45. 25. 2.
Tardif (Guillaume) en latin Tardivus, naquit dans le quinzieme siecle au Puy. Il devint professeur en Belles-lettres & en éloquence au college de Navarre dans l'université de Paris. Il étoit outre cela lecteur, ou comme on s'exprimoit alors, liseur en titre d'office du roi Charles VIII. Il nous reste encore quelques écrits de sa composition, comme une grammaire latine, une rhétorique assez bonne, une édition de Solin, qu'il mit au jour en 1498, & l'art de Fauconnerie & des chiens de chasse, imprimé à Paris en 1492 in-folio. Ce dernier ouvrage a été réimprimé fort souvent dans la suite, comme en 1506 in-4°, en 1567, en 1606, & ensuite en latin à Bâle en 1578, & à Augsbourg en 1596 in-8°.
C'est aussi au Puy en Velay qu'est né en 1661, le cardinal Melchior de Polignac. Six mois après sa naissance, il fut exposé par sa nourrice qui étoit fille, & qu'une premiere faute n'avoit pas rendu plus sage. Frappée de ce qu'elle avoit à craindre dans cet état elle disparut après avoir porté l'enfant sur un fumier, où il passa toute la nuit. Heureusement c'étoit dans la belle saison ; on le retrouva le lendemain en bonne santé ; & comme son corps étoit formé par les graces, l'enfant devint après cette avanture encore plus cher à ses parens. Il fit ses études à Paris, & s'est illustré dans les lettres, dans l'église, dans le sacré college, & dans plusieurs négociations.
Etant envoyé en Pologne en 1694, il y devint un objet d'admiration & de crainte. Orné des dons du corps & de l'esprit, aimable courtisan, génie agréable, beau parleur, politique délié plus que profond, il n'étoit venu que pour l'ambassade, & on l'eût pris pour le premier ministre de Pologne. Avant son arrivée, les Allemands primoient à la cour ; les François prirent le dessus. Il étoit de tous les conseils secrets ; & pendant que le roi étoit obligé de penser à sa santé, il s'enfermoit souvent avec la reine. Les femmes & les courtisans oisifs en plaisantoient, sans penser que la reine avoit renoncé aux foiblesses des femmes pour les passions des hommes.
Quoi qu'il en soit, sa négociation ne réussit pas, & à son retour le roi l'exila pour quelque tems dans son abbaye de Bonport. Etant rentré en grace, il fut employé dans des négociations à la cour de Rome, & ensuite il fut nommé plénipotentiaire aux conférences d'Utrecht. Durant la régence, le cardinal de Polignac fut exilé dans son abbaye d'Anchin, d'où il ne fut rappellé qu'en 1721. Il mourut à Paris en 1741 âgé de 80 ans, membre de l'Académie françoise, de celle des Sciences, & de celle des Belles-Lettres.
Il aima toujours les beaux Arts & les Sciences. Il paroît dans son anti-Lucrece, aussi bon poëte qu'on peut l'être dans une langue morte. Malheureusement pour lui, en combattant Lucrece, il attaqua Newton. M. de Bougainville, secrétaire de l'académie des Belles-Lettres, a donné une traduction françoise de ce poëme du cardinal de Polignac ; mais déja peu de physiciens lisent le poëme même. (D.J.)
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PUY | ST. MARTIN DU (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade du Nivernois, sur les confins de la Bourgogne.
Magdelenet (Gabriel) poëte latin & françois, naquit dans ce bourg en 1587, & mourut à Auxerre en 1661, âgé d'environ 74 ans, sans avoir été marié. Il s'attacha principalement à la poësie latine, où il s'est acquis de la réputation par la correction de ses vers ; mais on n'a de lui qu'un fort petit volume de poësie sous ce titre : Gabrielis Magdeleneti carminum, libellus, Paris 1662 in-12, contenant 124 pages ; ce ne sont presque que des vers lyriques bien travaillés & bien limés, mais sans feu, sans étincelle de génie, & presque tous à la louange de Louis XIII, de Louis XIV, & de leurs ministres. L'auteur étoit sur sa personne comme dans ses vers, toujours propre en linge, en habits, & dans tout ce qui regardoit le soin de sa figure, sans affectation néanmoins, & sans airs.
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PUY | PUY
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PUY-DE-DOME | (Géogr. mod.) montagne de France en Auvergne, & la plus haute de la province. Elle a 810 toises de haut. M. Pascal y fit ses expériences sur la pesanteur de l'air.
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PUY-L'EVÊQUE | (Géogr. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France dans le Quercy, élection de Cahors. Long. 18. 54. lat. 44. 36.
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PUY-LAURENS | (Géogr. mod.) petite ville aujourd'hui bourg de France au Languedoc, dans le Lauragais, au diocèse de Lavaur. Cette petite ville fut érigée en duché par Louis XIII. en faveur de la niece du cardinal de Richelieu. Les calvinistes en ont été longtems les maîtres : ils y avoient érigé une académie qui a subsisté jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes. Long. 19. 40. lat. 43. 35.
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PUY-NOTRE-DAME | ou PUY-EN-ANJOU, (Géog. mod.) petite ville ou bourg de France dans l'Anjou, à une lieue sud-ouest de Montreuil-Bellay, quatre de Saumur, & soixante-trois de Paris. Il y a un chapitre fondé par le roi Louis XI. composé d'un doyen & de douze chanoines. Long. 17. 20. latit. 47. 8.
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PUYCERDA | (Géog. mod.) en latin du moyen âge, podium Ceretanum, ville d'Espagne dans la Catalogne, capitale de la Cerdaigne, entre les rivieres de Ségre & de Carol, au pié des Pyrénées, dans une belle plaine, à 21 lieues au couchant de Perpignan, & à 20 au nord-ouest de Barcelone ; elle est fortifiée, & a des eaux minérales. Long. 19. 25. lat. 42. 36.
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PYANEPSIES | S. f. pl. (Myth.) fête que célébroient les Athéniens dans le mois appellé chez eux Pyanepsion, qui selon le plus grand nombre des critiques, étoit le quatrieme mois, & répondoit à la fin de Septembre & au commencement d'Octobre. Voy. FETE.
Plutarque rapporte l'institution de cette fête à Thésée, qui à son retour de Crete fit un sacrifice à Apollon de tout ce qui restoit de provisions dans son vaisseau, les mettant toutes dans une grande chaudiere, les faisant bouillir pêle-mêle, & s'en régalant avec ses six compagnons ; coutume qui depuis fut observée religieusement lors de cette fête. Le scholiaste d'Aristophane dit que ce fut pour acquiter un voeu qu'il avoit fait à Apollon dans une tempête.
M. Baudelot écrit ce mot par u, puanepsia, & dit que cette fête fut instituée en mémoire de l'heureux retour de Thésée après la défaite du Minotaure. Voyez MINOTAURE.
Les auteurs grecs ne sont pas d'accord sur l'origine & la signification du mot pyanepsion, qui a donné le nom à cette fête. Harpocration l'appelle praeanopsia ; il ajoute que selon d'autres, elle se nomme panopsia, parce que lors de cette fête, on voit tous les fruits en maturité. Hesychius écrit pyanensia, & le fait venir de , feve, & , cuire, parce qu'à cette fête les Athéniens cueilloient leurs feves, & après en avoir fait cuire dans un grand vaisseau, en distribuoient à toute l'assemblée, en mémoire du repas que Thésée avoit fait avec ses compagnons à son retour de Crete. Dans cette même fête un jeune garçon portoit un rameau d'olivier, chargé d'olives de tous côtés, dans lequel étoient entortillés plusieurs flocons de laine, & le mettoit à la porte du temple d'Apollon comme une offrande.
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PYANEPSION | (Calendrier d'Athènes) mois attique, qui prit son nom de la fête en l'honneur d'Apollon, appellée pyanepsies. On n'est point d'accord si Pyanepsion est le quatrieme ou cinquieme mois des Athéniens, c'est-à-dire s'il répond au mois d'Octobre ou de Novembre. Scaliger est d'un avis, Pétau d'un autre, & Potter d'un troisieme. Le meilleur est de conserver le mot grec Pyanepsion, sans rien déterminer. (D.J.)
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PYCNOCOMON | S. m. (Botan.) ; plante qui suivant Dioscoride, a ses feuilles semblables à celle de la roquette, mais rudes, épaisses, & plus âcres ; sa tige est quarrée : sa fleur ressemble à celle du basilic, & sa semence à celle du marrube. Sa racine est noire, ronde, faite comme une petite pomme. Quelques botanistes croyent que c'est l'espece de morelle que C. Bauhin appelle solanum tuberosum esculentum ; & d'autres imaginent que c'est la succia glabra du même Bauhin, espece de scabieuse. La vérité est que nous ne reconnoissons plus la plûpart des plantes dont parlent les anciens.
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PYCNOSTYLE | S. m. (Archit.) c'est le moindre entrecolonnement de Vitruve, qui est d'un diamêtre & demi, ou de trois modules. Ce mot est fait du grec , serré, & , colonne. (D.J.)
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PYCNOTIQUES | adject. (Médecine) ou incrassans, médicamens d'une nature aqueuse, qui ont la vertu de rafraîchir & de condenser, ou d'épaissir les humeurs. Voyez CONDENSATION. Ce mot est francisé du grec , qui signifie épaississant, qui a la vertu d'épaissir.
Le pourpier, le nénuphar ou lys aquatique, le solanum, &c. sont des pycnotiques.
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PYCTA | (Gymn. des Grecs) , mot grec qui veut dire un athlete qui combattoit au pugilat ; mais il semble que ce mot désigne proprement celui qui remportoit le prix à cette espece de combat. (D.J.)
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PYDNA | (Géog. anc.) nom commun à trois villes, la premiere étoit une ville de Macédoine, dans la Piérie, selon Ptolémée, l. III. c. xiij. & Etienne le géographe, qui dit qu'on la nommoit aussi Cydna. Cette ville étoit sur la côte du golfe Chermaïque, maintenant golfe di Salonichi ; à quelques milles au nord de l'embouchure d'Aliacmon. Ce fut auprès de cette ville que les Romains gagnerent sur Persée la bataille qui mit fin au royaume de Macédoine. Diodore de Sicile, l. XIX. c. xliv. Tite-Live, l. XLIV. c. xliij. & Justin, l. XIV. c. vj. font aussi mention de cette ville. Les habitans sont nommés , par Etienne le géographe, & pydnaei, par Tite-Live, l. XLIV. c. xlv. La seconde Pydna est une ville des Rhodiens, selon Strabon, l. X. p. 472. La troisieme, selon le même auteur, est une ville & colline de Phrygie, au voisinage du mont Ida. (D.J.)
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PYGARGITES | S. f. (Lithol. des anc.) nom donné par Pline, & quelques autres anciens naturalistes, à la pierre d'aigle lorsqu'elle est tachetée de blanc à la maniere de la queue de l'espece d'aigle nommée pygargue. Quelques-uns ont appellé pygargites une pierre qui imite la couleur de celle de l'aigle, & qui par conséquent differe tout-à-fait de celle dont nous parlons ; il est arrivé de-là qu'on a confondu ensemble deux pierres entierement différentes ; mais comme les vertus qu'on attribue à l'une & à l'autre sont purement imaginaires, il importe fort peu de savoir les distinguer. (D.J.)
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PYGARGUE | S. m. (Hist. nat. Ornyth.) en latin pygargus, & par quelques auteurs albicilla, & ilianularia, espece d'aigle fiere, cruelle, & de la taille d'un gros coq. Son bec est jaune, crochu, & couvert à la base d'une membrane jaune. L'iris de son oeil est couleur de noisette, & la prunelle noire. Ses jambes sont jaunes, sans plumes ; ses serres sont extrêmement fortes & aiguës. Sa tête est blanche, chauve, & garnie seulement de quelques cheveux fins entre les yeux & les narines. La partie supérieure du cou est d'un brun rougeâtre. Le croupion est noir ; les aîles sont en partie noires, en partie cendrées. Tout le reste du corps est de couleur de rouille. Sa queue est longue, noire à l'extrêmité, & blanche dans la partie supérieure ; c'est de cette couleur blanche de la queue qu'elle a été nommée albicilla.
Les descriptions des trois ornithologistes varient sur cet oiseau ; par exemple, le pygargue d'Aldrovande, differe de celui qu'on vient de décrire ; & le pygargue prior de Belon paroît être le mâle de l'espece d'aigle particuliere nommée par les Anglois heu-harrier, en françois le pygargue-épervier. (D.J.)
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PYGELA | (Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans l'Ionie. Strabon dit que c'étoit une petite ville où il y avoit un temple de Diane munichienne. Selon Suidas, Pygela étoit sur la côte, & dans le lieu où l'on s'embarquoit pour passer dans l'île de Crête, mais au-lieu de Pygela il écrit Phygella.
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PYGMALION | S. m. (Mythol.) roi de Chypre, qui ayant fait une belle statue, en devint amoureux, jusqu'au point de prier Vénus de l'animer, afin qu'il en pût faire sa femme. Il obtint l'effet de sa priere, & l'ayant épousée, il en eut Paphus. On peut croire que ce prince trouva le moyen de rendre sensible quelque belle personne qui avoit la froideur d'une statue.
Il ne faut pas confondre, comme a fait Ovide, Pygmalion, roi de Chypre, avec Pygmalion, roi de Tyr, en Phénicie, dont on connoit la passion pour Elise, devenue si célebre sous le nom de Didon ; elle sortit de Tyr 247 ans après la prise de Troïe, ses sujets lui rendirent les honneurs divins, & lui établirent un culte religieux. (D.J.)
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PYGMÉES | S. m. pl. (Hist. anc.) peuples fabuleux qu'on disoit avoir existe en Thrace, & qu'on nommoit ainsi à cause de leur petite taille qu'on ne supposoit que d'une coudée, car en grec signifie le poing ou une coudée, & de ce mot on avoit fait , nain, personne d'une taille extrêmement petite.
Les Pygmées, selon la tradition fabuleuse, étoient des hommes qui n'avoient au plus qu'une coudée de haut. Leurs femmes accouchoient à 3 ans & étoient vieilles à huit. Leurs villes, leurs maisons n'étoient bâties que de coquilles d'oeufs ; à la campagne ils se retiroient dans des trous qu'ils faisoient sous terre & coupoient leurs blés avec des coignées, comme s'il se fût agi d'abattre des forêts. On raconte qu'une de leurs armées ayant attaqué Hercule endormi & l'assiégeant de toutes parts avec beaucoup d'ordre & de méthode, ce héros enveloppa tous les combattans dans sa peau de lion & les porta à Euristée ; on les fait encore combattre contre les grues leurs ennemis mortels, & on les arme à proportion de leur taille ; les modernes ont ressuscité cette fable dans celle des habitans de Lilliput, mais ils y ont semé beaucoup plus de morale que les anciens.
Les Grecs qui reconnoissoient des géans, c'est-à-dire des hommes d'une grandeur extraordinaire, pour faire le contraste parfait imaginerent ces petits hommes qu'ils appellerent Pygmées. Peut-être, dit M. l'abbé Banier, l'idée leur en vint de certains peuples d'Ethiopie appellés Pechiniens (nom qui a quelque analogie avec celui de pygmée), & ces peuples étoient d'une petite taille comme sont encore aujourd'hui les peuples de Nubie. Les Grecs se retirant tous les hivers dans les pays les plus méridionaux, ces peuples s'assembloient pour les chasser & les empêcher de gâter leurs semailles, & de-là la fiction du combat des Pygmées contre les grues. Plusieurs historiens ont parlé des Pygmées, mais on croit qu'ils n'ont été que les copistes ou les amplificateurs d'Homere, qui n'en avoit fait mention que dans un membre de comparaison qui ne peut jamais fonder une certitude historique.
PYGMEES, (Critiq. sacrée) il est souvent fait mention des Pygmées dans l'Ecriture. Le prophete Ezéchiel, c. xxvij. v. 11. après avoir parlé des avantages de la ville de Tyr, de ses forces & de ses armées, ajoute, suivant la vulgate, sed & Pigmaei, qui erant in turribus tuis, pharetras suas suspenderant in muris tuis per gyrum, ipsi compleverunt pulchritudinem tuam. Les interpretes ont paru fort embarrassés à expliquer ce passage, & la variété de leurs sentimens marque assez l'incertitude de leurs conjectures. Il semble, à les entendre, que les Pygmées obligés de céder à la guerre continuelle que leur faisoient les grues, s'étoient retirés sur les côtes de Phénicie pour se mettre au service des Tyriens, qui les placerent sur leurs tours, comme si de pareils soldats avoient pû faire l'ornement d'une ville, qui, selon le même prophete, avoit dans ses troupes des soldats de presque toutes les nations.
Il est vrai que le texte des Septante les nomme simplement , des gardes, & dans une autre leçon , les Medes. Le chaldéen a traduit ce mot par celui de Gaffadin, les Cappadociens ayant changé le M en ; mais l'hébreu s'est servi du mot de gammadin ; & comme gomed signifie une coudée, c'est ce qui a donné lieu à l'auteur de la vulgate, à saint Jérôme & à Aquila, de traduire ce mot par celui de pigmaei.
L'origine de l'équivoque est par-là bien prouvée ; mais il reste toujours à savoir qui étoient ces Gammadins qu'on avoit mis sur les tours de la ville de Tyr. étoit-ce de véritables Pygmées, comme Schottus, Bartholin, & quelques interpretes l'ont dit après R. Chimchi ? ou bien étoit-ce les habitans de Maggédo, ainsi que l'ont avancé d'autres savans, ou de simples gardes, comme le veut Forstérus, ou enfin les Gamaliens dont parle Pline ?
Un savant académicien de Paris, après avoir examiné ce passage avec attention, voyant que le prophete semble préférer les Gammadins aux Perses, aux Assyriens, aux Grecs, & à tous les autres peuples qui avoient pris parti dans les armées des Tyriens, & qu'ils faisoient l'ornement de leur ville, pense qu'il a voulu parler des divinités qu'on avoit placées sur les tours, avec leurs armes & leurs fleches, comme on mettoit les dieux pataïques sur la proue des vaisseaux, dont ils faisoient le principal ornement ; & que les uns & les autres, étoient représentés par de petites idoles, comme Hérodote le dit formellement de ces derniers, que Cambise trouva dans le temple de Vulcain en Egypte, & qui selon cet historien, ressembloient à des Pygmées.
Au reste, ce n'est là qu'une simple conjecture, mais suivant laquelle disparoissent les rêveries des rabbins & des commentateurs, qui sur la simple étymologie du mot gomed, avoient mis des Pygmées sur les tours de Tyr, au-lieu de trouver dans le passage d'Ezéchiel, ou un peuple de Phéniciens robuste, adroit à tirer de l'arc, & marqué à la suite des autres comme distingué, ou des dieux patrons d'une ville idolâtre, qui mettoit en eux toute sa confiance, & en faisoit son principal ornement. (D.J.)
PYGMEES, (Géog. anc.) peuples fabuleux, à qui les anciens ne donnoient qu'une coudée de hauteur ; ils ont mis de tels peuples dans l'Inde, dans l'Ethiopie, & à l'extrêmité de la Scythie. Des voyageurs modernes mettent à leur tour des Pygmées dans les parties les plus septentrionales de l'univers. Il est vrai que quelques nations qui habitent les terres arctiques, comme les Lapons & les Samoyedes, sont d'une petite taille ; mais quelque petite que soit leur taille, ils ont plus de deux coudées ; les Pygmées d'une coudée n'existent que dans les fables des Poëtes, dont les anciens écrivains s'amusoient, sans en croire un mot. Pline, liv. VI. ch. x. dit simplement, que quelques-uns avoient rapporté que les nations des Pygmées habitoient dans les marais où le Nil prenoit sa source. Strabon, liv. XVII. regarde absolument les Pygmées comme un peuple imaginaire, car il ajoute qu'aucune personne digne de foi ne soutenoit en avoir vû ; cependant l'abbé Danet, dans son dictionnaire, s'est avisé de prêter au même Strabon & à Pline, tous les contes d'enfans des autres auteurs. (D.J.)
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PYLACAEUM | (Géog. anc.) ville de la grande Phrygie. Ptolémée, liv. V. ch. ij. la place entre Themisonium & Salat.
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PYLAE | (Géog. anc.) ce mot latin vient du grec , qui signifie une porte ou une colonne, soit de pierre de taille, soit de brique. On entend communément dans l'ancienne géographie par le mot pylae, des passages étroits entre des montagnes ; & on appelle aussi ces passages portae, des portes, parce qu'elles sont comme les portes d'un logis, par lesquelles il faut nécessairement entrer & sortir.
Quelquefois ces passages sont l'ouvrage de la nature ; quelquefois ils sont faits de main d'hommes dans des montagnes que l'on a coupées ; ce qui répond au mot claustra des anciens, & à ce que nous appellons présentement un pas, un port, un col. Pline, liv. IV. ch. vj. nomme Pylae un lieu de l'Arcadie. Ptolémée, liv. IV. ch. viij. appelle aussi Pilae, des montagnes d'Ethiopie sous l'Egypte.
Pylae Persides ou Suziades, est un détroit célebre entre la Perside & la Suziane, ce qui fait qu'on l'appelle indifféremment du nom de l'une ou de l'autre de ces contrées. Diodore de Sicile dit Persides, & Arrien Suziades.
Pylae sarmatinae, est le mont Caucase, qui borne la Sarmatie au midi & la sépare des contrées voisines. Ptolémée, liv. V. ch. ix. distingue dans cette fameuse montagne deux passages étroits, dont l'un, qui donnoit entrée dans l'Ibérie, s'appelloit portae Caucasiae ; & l'autre qui donnoit entrée dans l'Albanie, se nommoit pylae Albaniae. (D.J.)
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PYLAEA | (Géog. anc.) ville de la Macédoine, dans la Trachinie ; elle étoit au pié du mont Oéta, & donnoit le nom au golfe Pylaïque, dont parle Strabon, liv. IX. pag. 430. (D.J.)
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PYLAGORES | S. m. (Hist. anc.) nom que les villes grecques donnoient aux députés qu'elles envoyoient à l'assemblée des amphyctions selon le droit qu'elles en avoient. Chacune y envoyoit un pylagore & un hieromnemon, avec plein pouvoir à celui-ci de traiter de toutes les matieres qui concernoient la religion, le pylagore n'étant chargé que des intérêts politiques. Cependant les grandes villes députerent quelquefois deux ou trois pylagores, & jamais qu'un hieromnemon ; mais dans ce cas-là même, ces quatre députés n'avoient toujours que deux voix. On choisissoit toujours les pylagores au sort, & ils étoient ordinairement pris d'entre les orateurs, parce que dans l'assemblée des amphyctions, ils étoient obligés de porter la parole ; ils délibéroient sur les affaires générales de la Grece, y formoient des decrets, dont ils représentoient des copies à leurs républiques respectives, auxquelles à leur retour ils rendoient compte de leur députation. On croit que ces decrets portoient en tête le nom de l'hieromnemon ; cependant il s'en trouve qui commencent par ces mots : il a paru à propos, il a plu aux pylagores & aux autres qui ont droit de séance à l'assemblée des amphyctions. M. de Valois pense néanmoins que les hieromnemons avoient la préséance : sur les hieromnemons, voyez HIEROMNEMON.
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PYLÉES | S. m. pl. (Antiq. grecq.) , nom donné à l'assemblée des amphyctions, soit qu'elle se tint à Delphes ou aux Thermopyles. Le concours de peuple étoit si grand à ces assemblées, que le mot pylées, pylaea, fut employé dans la suite pour désigner toute assemblée nombreuse, ou foule de peuple dans quelque endroit que ce fût. (D.J.)
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PYLENE | (Géog. anc.) ville de l'Etolie, selon Homere, Pline, l. IV. c. ij. la met sur le golfe de Corinthe ; & Strabon nous apprend qu'elle changea de nom, & prit celui de Proschium, quand on la changea de place, pour la bâtir sur les hauteurs du voisinage.
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PYLES | pylae, (Géog. anc.) , c'est-à-dire portes, passage de soixante pas de largeur, entre la Phocide & la Thessalie ; ce fameux passage est encore plus connu sous le nom de Thermopyles. Voyez THERMOPYLES, Géog. anc. (D.J.)
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PYLORE | S. m. (Anatomie) terme grec qui signifie portier ; le pylore est l'orifice inférieur de l'estomac, ou si l'on aime mieux, le cercle charnu de l'orifice inférieur de l'estomac ; c'est un rebord circulaire, large, & peu épais, qui laisse dans le milieu de son contour une ouverture plus ou moins arrondie.
Ce rebord est un repli ou redoublement de deux tuniques internes de l'estomac ; savoir, de la nerveuse & de la veloutée. Il est en partie formé par un paquet circulaire de fibres charnues, immédiatement emboîtées dans la duplicature nerveuse, & distinguées non-seulement des autres fibres charnues de l'extrêmité de l'estomac, mais aussi de celles du canal intestinal, par un cercle blanchâtre fort délié, qui paroît à-travers la tunique externe ou commune, autour de l'union de ces deux parties.
La figure du pylore est comme celle d'un anneau transversalement applati, dont le bord interne, qui est du côté du centre, est un peu enfoncé, & s'avance dans le canal intestinal en maniere d'une espece d'entonnoir large & tronqué. Il est naturellement plus ou moins plissé vers ce bord interne, à-peu-près comme l'ouverture d'une bourse presque fermée. Tout ceci est fort différent de ce que les figures ordinaires & les préparations seches représentent : c'est une espece de sphincter, qui par son action peut retrécir l'orifice inférieur de l'estomac, mais ne paroît pas pouvoir le retrécir entierement.
Il paroît que le pylore sert à retenir & à faire séjourner les alimens, jusqu'à ce qu'ils ayent acquis la fluidité suffisante pour passer sans effort par l'ouverture de cet orifice. Je dis sans effort ; car une irritation particuliere de la tunique charnue de l'estomac, & encore plus une contraction violente du diaphragme & des muscles du bas-ventre, pousseroient bientôt le contenu de l'estomac vers sa petite extrêmité, & lui feroient passage par le pylore.
Les mouvemens doux & alternatifs des fibres orbiculaires de la tunique charnue, peuvent aider à faire passer naturellement par l'orifice inférieur de l'estomac, ce qui y est suffisamment digéré. Ce mouvement est appellé mouvement vermiculaire, par ceux qui le croyent successivement réitéré, à-peu-près comme celui qu'on observe dans les vers de terre quand ils rampent.
La situation presque transversale de l'estomac aide sans doute à y faire séjourner les alimens ; mais André Lacuna paroît avoir remarqué le premier que le pylore est situé un peu au-dessous du fond de l'estomac ; cette situation fait que la partie des alimens qui n'est pas encore bien digérée, ne descend pas trop tôt dans les intestins.
Kerkring parle de deux faits bien étranges de sa connoissance ; l'un est de l'entier bouchement du pylore par un gros sol d'Hollande avalé accidentellement ; ce qui causa la mort au malade en peu de jours. Le second fait plus heureux, est d'une autre personne, qui avala une monnoie de cuivre, mais sans autres tristes effets, que de violentes nausées & des vomissemens. Le malade rendit au bout d'un mois, après quelques purgatifs, la piece de cuivre, mais si rongée par le suc gastrique, qu'elle étoit méconnoissable ; toutes les lettres & autres marques gravées avoient disparu sur l'une & l'autre face.
On n'éprouve presque jamais de douleurs particulieres au pylore : en échange, on croiroit en certains momens par les sensations vives dont l'estomac est susceptible, que l'ame habite dans ce viscere, & que van Helmont, en mettant son siége dans le pylore, ne se seroit trompé, qu'en prenant la partie pour le tout. (D.J.)
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PYLORIQUE | adj. en Anatomie, se dit des arteres & des veines qui se distribuent au pylore. Voyez PYLORE.
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PYLUS | (Géog. anc.) ville du Péloponnèse, dans la Messénie, & que Ptolémée, l. III. c. xvj. marque entre l'embouchure du fleuve Sela, & le promontoire Coryphasium.
Strabon, l. VIII. c. 539. connoît trois villes, appellées Pylus dans le Péloponnèse, c'est-à-dire dans le canton de la Morée occidentale appellée aujourd'hui Belvedere. L'une se trouvoit dans l'Elide, près du mont Scollis ; l'autre dans la Messénie, près du promontoire Coryphasium ; c'est apparemment le vieux Navarin, dans le golfe de Zonchio ; & la troisieme dans la Triphylie, aux confins de l'Arcadie.
Les habitans de chacune de ces villes soutenoient que c'étoit la leur qui avoit anciennement été nommée Emathaentus, & qui avoit été la patrie de Nestor : mais Strabon juge que la ville Pylus de la Triphylie, étoit la vraie patrie de Nestor, parce que le fleuve Alphée couloit dans la contrée où elle étoit bâtie. Il donne à cette Pylus les surnoms de Lepreaticus, Triphyliacus, & Arcadicus.
Pausanias, Eliac. II. c. xxij. dit qu'il ne connoissoit dans l'Arcadie aucune ville nommée Pylus, &, selon lui, la Pylus de Messénie est la même que la Nelea d'Homere. (D.J.)
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PYOULQUE | S. f. instrument de Chirurgie en forme de seringue, destiné à tirer de différentes cavités les matieres purulentes & sanieuses, qui ne sortiroient pas aisément. Paré en donne la figure à l'article des ulceres des oreilles.
Anel chirurgien françois, qui avoit vu dans les armées des soldats charlatans qui se font bien payer pour panser du secret, c'est-à-dire pour sucer les plaies faites par coups d'épée ; Anel, dis-je, qui avoit grande foi à cette succion, imagina une seringue ou pyoulque, qu'il a fait dessiner dans un traité qui a pour titre : l'art de sucer les plaies sans se servir de la bouche de l'homme. Son objet étoit de garantir les blessés de l'infection qui auroit pu leur être communiquée par le contract des levres d'un homme mal sain ; & réciproquement pour garantir les suceurs du danger qu'ils pouvoient courir à pomper le sang de la plaie d'un homme vérolé ou scorbutique, &c. (Y)
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PYRACANTHA | S. f. (Botan.) plante qu'on appelle vulgairement en françois buisson ardent : c'est l'espece de néflier nommé par Tournefort, mespilus aculeata pyri-folio I. R. H. 644. en anglois the prickly medlar.
Le pyracantha est un arbrisseau épineux, dont l'écorce est noirâtre ; ses feuilles ressemblent à celles du poirier ; elles sont oblongues, un peu pointues, & dentelées en leurs bords. Sa fleur est à plusieurs pétales disposés en rose, de couleur pâle & rougeâtre ; son fruit est gros à-peu-près comme celui du berberis, mais presque rond, d'un beau rouge, ayant une espece de couronne, aigrelet, renfermant des semences longuettes : cet arbrisseau croît dans les haies & dans les jardins. (D.J.)
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PYRAE | (Géog. anc.) 1°. ville d'Italie, dans le Latium, au-delà de la ville de Formies ; 2°. ville d'Egypte, où selon Pline, l. XXXVII. ch. x. on trouvoit la pierre aromatites, qui avoit une odeur de myrrhe. (D.J.)
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PYRAEIA | S. f. (Idolat. orient.) ou Pyrethea, nom que les Grecs ont donné à de grandes places découvertes, & dédiées au soleil chez les nations orientales de l'antiquité. C'étoit dans ces endroits qu'on conservoit un feu perpétuel en l'honneur de cet astre, qui étoit adoré par la plûpart des peuples orientaux. (D.J.)
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PYRAETHES LES | Pyraethi, (Géog. anc.) peuples de la Cappadoce. Ortélius qui cite Eustathe, dit que ces peuples allumoient des feux pour tirer des présages de l'avenir. (D.J.)
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PYRAMIDAL | adj. (Géom.) se dit d'une piece de bois ou d'autre matiere, large par un bout, & qui va en diminuant par gradation jusqu'à l'autre extrêmité, où elle se termine en pointe, comme les cônes & les pyramides. Voyez PYRAMIDE. (E)
PYRAMIDAL, nombres pyramidaux, sont les sommes des nombres polygones formés de la même maniere que les nombres polygones eux-mêmes sont formés des progressions arithmétiques. Voyez NOMBRE & POLYGONE, voyez aussi FIGURE.
On les appelle particulierement premiers pyramidaux : les sommes des premiers pyramidaux se nomment seconds pyramidaux. Les sommes de ceux-ci, troisiemes pyramidaux, &c. ainsi de suite à l'infini.
Ceux qui viennent de nombres triangulaires sont appellés particulierement premiers triangulaires pyramidaux, ceux qui viennent des nombres pentagones se nomment premiers pentagones pyramidaux, &c.
On appelle ordinairement du nom simple de pyramidaux les nombres, 1, 4, 10, 20, &c. qui sont formés par l'addition des nombres triangulaires 1, 3, 6, 10, &c. la formule générale pour trouver les nombres pyramidaux est n x (n + 1)/2 x (n + 2)/3, c'est-à-dire, que le quatrieme nombre pyramidal se trouvera en mettant dans cette formule 4 à la place de n, le cinquieme en mettant 5 à la place de n, &c. Voyez les sect. con. de M. de l'Hôpital, l. X. art. 471. & 472. voyez aussi FIGURE & POLYGONE. (O)
PYRAMIDAL, LE, adj. en Anatomie, se dit des parties qui ont quelque ressemblance avec une pyramide.
Les muscles pyramidaux du nez sont au nombre de deux ; ils viennent de la racine du nez, & sont quelquefois des productions du frontal, & s'étendant peu-à-peu sur les côtés du nez, ils s'inserent aux narines ; quelques-unes de leurs fibres se terminent à la lévre supérieure, & on leur donne le nom d'obliques du nez. Voyez OBLIQUE.
Le pyramidal du bas-ventre est un petit muscle situé au bas du muscle droit, à qui l'on a donné ce nom à cause de sa figure. Il est large & épais à son extrêmité inférieure qui est attachée au bord supérieur des os pubis, immédiatement devant l'attache des muscles droits. Il diminue peu-à-peu en largeur & en épaisseur de bas en haut, & se termine en pointe à la ligne blanche à quelque distance au-dessous du nombril. Voyez nos Pl. d'Anat. & leur explication.
Ce muscle est quelquefois seul & quelquefois accompagné. On a vu des sujets dans lesquels ils ne se trouvoient ni l'un, ni l'autre ; & d'autres dans lesquels il s'en est trouvé trois.
On donne encore ce nom au muscle de la cuisse, qui est aussi appellé pyriforme. Voyez PYRIFORME.
Le corps pyramidal est un plexus de vaisseaux sanguins situé sur le dos des testicules à qui on a donné ce nom à cause de sa forme. On l'appelle encore corps variqueux & pampiniforme. Voyez CORPS & VARIQUEUX.
Il consiste en un nombre infini de petites veines qui communiquent les unes avec les autres, & forment une espece de filet. Ces veines se joignent enfin, & aboutissent à une veine qui leur fournit tout le sang qu'elles contiennent.
Ce plexus tire son origine des veines spermatiques, qui, un peu au-dessus des testicules, se divisent en plusieurs branches, dont l'union plusieurs fois répétée, forme le corps pyramidal. Voyez TESTICULE & SPERMATIQUE.
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PYRAMIDALES | PAPILLES. Voyez PAPILLES.
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PYRAMIDAUX | MAMELONS, (Anat.) on appelle mamelons pyramidaux les extrêmités de tous les nerfs de la peau, dont chacun paroît couvert de deux ou trois enveloppes de forme pyramidale, & placées les unes sur les autres. On les apperçoit, & on les sépare sans peine dans la peau de l'éléphant, & dans celle des piés de quelques animaux. (D.J.)
Les corps pyramidaux sont quatre protubérances d'environ un pouce de long, dont deux sont situées à la partie moyenne & inférieure de l'extrêmité ou queue du cervelet entre les éminences olivaires, & deux autres sur les parties latérales une de chaque côté.
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PYRAMIDE | S. f. terme de Géométrie, c'est un solide terminé en pointe, & qui a pour base un triangle, ou en général un polygone quelconque ; ou, ce qui revient au même, c'est un corps dont la base est une figure rectiligne, & les côtés des triangles plans, dont les sommets aboutissent au même point. Voyez SOLIDE.
Euclide définit la pyramide, un solide composé de plusieurs triangles qui ont un même plan pour base, & un sommet commun.
Wolf la définit un solide borné par autant de triangles A D C, D C B & A D B, aboutissans au même point D, que la base A B C a de côtés. Pl. géométrique, fig. 78.
Une pyramide est appellée triangulaire, quarrée, pentagonale, &c. suivant que sa base est un triangle, un quarré, &c. Une pyramide, dont la base est un cercle, s'appelle cone. Voyez CONE.
Propriétés de la pyramide. 1°. Toutes les pyramides & les cones, qui ont même base & même hauteur, sont égaux.
2°. Une pyramide triangulaire est le tiers d'un prisme, qui a même base & même hauteur qu'elle. Voyez PRISME.
3°. D'où il suit que puisqu'on peut diviser une pyramide polygone en pyramide triangulaire, chaque pyramide sera le tiers d'un prisme de même base & de même hauteur.
4°. Si l'on coupe une pyramide par un plan a b c, parallele à sa base A B C, la figure a b c formée par cette section sera semblable à la base A B C.
5°. Les pyramides, les cones, &c. sont en raison composées de leurs bases & de leurs hauteurs ; d'où il suit que si leurs bases sont égales, elles sont proportionnelles à leurs hauteurs ; & que si leurs hauteurs sont égales, elles seront en raison de leurs bases.
6°. Les pyramides semblables, les cones semblables sont en raison triplée de leurs côtés homologues.
7°. Les pyramides égales sont en raison réciproque de leurs bases & de leur hauteur, c'est-à-dire, que la hauteur de l'une est à celle de l'autre, comme la base de celle-ci est à la hauteur de celle-là.
8°. Une sphere est égale à une pyramide, dont la base est égale à la surface de la sphere, & la hauteur à son rayon.
Mesurer la surface & la solidité d'une pyramide. Il ne s'agit que de trouver la solidité d'un prisme qui a même base & même hauteur que la pyramide donnée. Voyez PRISME. Et divisant cette solidité par trois, on aura la solidité de la pyramide. Ainsi, supposons que la solidité du prisme soit 67010328, celle de la pyramide sera 22336776.
On trouve la surface d'une pyramide en trouvant celle de la base A B C, & celles des triangles A C D, C B D, B D A, qui forment ses côtés. Voyez TRIANGLE. La somme de ces surfaces donnera celle de la pyramide.
La surface externe d'une pyramide droite, qui a pour base un polygone régulier, est égale à la hauteur d'un des triangles qui la composent, multipliée par la circonférence entiere de sa base.
Représenter une pyramide sur un plan. Représentez la base, par exemple, le triangle A B C (si l'on veut une pyramide triangulaire) sans exprimer le côté A B, que l'on suppose n'être point visible. 2°. Construisez sur A C & C B les triangles A D C & C B D, ensorte qu'ils se rencontrent en quelque point déterminé, par exemple en D ; menez les lignes A D, C D, B D, & vous aurez la représentation de la pyramide triangulaire A D B C.
Construire une pyramide avec du carton. Supposons, par exemple, que l'on veuille une pyramide triangulaire. 1°. Décrivez, avec le rayon A B, un arc B E, fig. 79. & appliquez dessus trois cordes égales B C, C D & D E ; 2°. construisez sur C D un triangle isoscele D F C, & menez les lignes A D & A C. Découpez ce carton suivant le contour de la figure, en pliant le carton suivant les lignes A C, A D, ensorte que A B & A E se joignent, & vous aurez une pyramide.
Pyramide tronquée, voyez TRONQUE. Chambers. (E)
PYRAMIDE, (Hydr.) est dans une fontaine une tige commune à plusieurs coupes de marbre, de pierre ou de plomb, qui vont en diminuant, & se terminent par un bouillon qui tombe sur la coupe du sommet, d'où il se répand sur les inférieures en formant des nappes jusques dans le bassin d'en-bas. (K)
PYRAMIDE, instrument de Chirurgie ; piece essentielle du trépan couronné. Voyez TREPAN. (Y)
PYRAMIDE DE PORSENNA, (Ant. rom.) ancien monument, en Italie, dans l'Etrurie, près de la ville de Clusium. Porsenna, roi d'Etrurie, fut, selon Varron, enterré hors de la ville de Clusium. On lui dressa un monument de pierre quarré. Chaque côté étoit de trois cent piés, & la hauteur de cinquante. Au-dessous de la base il y avoit un labyrinthe, dont on ne pouvoit sortir. Au haut on voyoit cinq pyramides, quatre sur les angles & une au milieu : elles avoient 75 piés par en-bas, 150 de hauteur, & finissoient en pointe. Sur le sommet étoit un cercle de bronze, auquel on avoit attaché une chaîne, qui portoit des sonnettes qu'on entendoit au moindre vent ; ce qui ressembloit au bruit que faisoient les chauderons de la forêt de Dodone. Enfin, Varron ajoute que sur chacune de ces plaques de bronze il y avoit quatre pyramides qui portoient un second plan, sur lequel étoient cinq autres pyramides, dont il ne donne point la hauteur. (D.J.)
PYRAMIDE, (Archit.) on nomme ainsi tout monument qui a une large base quarrée, & qui aboutit en pointe ; telle est la pyramide de Cestius, & les pyramides d'Egypte dont on parlera dans les articles suivans. Les pyramides qui sont fort étroites par le bas, se nomment aiguilles ou obélisques. Voyez OBELISQUES. (D.J.)
PYRAMIDE DE CESTIUS, (Antiq. rom.) Cette pyramide qu'on voit à Rome, est un monument singulier par son antiquité & par ses peintures. On érigea ce monument pour servir de mausolée à C. Cestius, l'un des sept officiers qu'on nommoit épulons ou traiteurs des dieux.
Elle est quarrée, & finit en pointe aiguë. Sa hauteur est de six vingt piés, & sa plus grande largeur de quatre-vingt-quatorze. La masse du monument est de brique, mais il est tout revêtu de marbre blanc. On entre dans ce mausolée par un passage bas & étroit, qui en traverse l'épaisseur jusqu'au milieu ; là on trouve une petite chambre voûtée, longue de dix-neuf piés, large de treize, & haute de quatorze. Cette chambre est enduite d'un stuc blanc & poli, sur lequel on voit encore quelques figures de femmes, plusieurs vases, & d'autres ornemens. Une de ces figures tient un vase dans lequel les uns mettent de l'eau lustrale, d'autres du vin ; une autre figure a de grandes flutes.
On est partagé sur le sujet de ces peintures ; les uns veulent que ce soit des préparatifs de funérailles, & d'autres que ce soit un banquet : ce qui semble favoriser ce dernier sentiment, c'est que les figures sont habillées de diverses couleurs ; ce qui ne s'accorde pas avec les cérémonies des funérailles qu'on pratiquoit sous Auguste, tems auquel on conjecture que Cestius vivoit : au reste, ces peintures sont en détrempe, & il y a des endroits qui ont encore beaucoup d'éclat : ce fut Alexandre VII. qui répara cette pyramide en 1673. (D.J.)
PYRAMIDES D'EGYPTE, (Antiq. d'Archit. égypt.) regum pecuniae otiosa ac stulta ostentatio, selon la définition de Pline.
En effet, quoique ce soit un ouvrage prodigieux d'architecture, c'est le plus inutile que les hommes ayent jamais exécuté ; cependant comme ce monument est le plus célebre de l'antiquité, que tous les historiens en ont parlé avec admiration, qu'il subsiste encore de nos jours, du moins en partie, & que nos voyageurs modernes, Thevenot, le Brun, Gréaves, le pere Vansleb, Gemelli & autres ont été exprès sur les lieux pour le décrire & le mesurer, il convient d'entrer ici dans des détails un peu étendus sur ces fameuses pyramides.
Les anciens tombent tous d'accord qu'elles ont été bâties, pour servir de tombeaux à ceux qui les ont élevées : Diodore de Sicile & Strabon le disent clairement : les Arabes le confirment, & le tombeau qu'on voit encore aujourd'hui dans la plus grande pyramide, met la chose hors de doute.
Si l'on cherche la raison qui porta les rois d'Egypte à entreprendre ces grands bâtimens, Aristote insinue que c'étoit un effet de leur tyrannie : Pline pense qu'ils les ont élevées en partie par ostentation, & en partie pour tenir leurs sujets occupés, & leur ôter les occasions de penser à quelque révolte. Mais, quoique ces raisons puissent y être entrées pour quelque chose, on croit trouver la principale dans la théologie même des Egyptiens. Servius, en expliquant cet endroit de Virgile,
animamque sepulcro
Condidimus.
assure que les Egyptiens croyoient que l'ame demeuroit attachée au corps, tant qu'il restoit en son entier ; ces peuples, dit ce savant commentateur, embaument leurs corps, afin que l'ame ne s'en sépare pas sitôt, pour passer dans un autre corps. C'est pour conserver les corps incorruptibles, qu'ils avoient inventé ces précieuses compositions dont ils les embaumoient, & qu'ils leur ont bâti de superbes monumens plus magnifiques que tous leurs palais. Ce fut par cette même raison, que les rois de Thebes en éleverent de pareils qui ont bravé tant de siecles ; & Diodore de Sicile nous apprend qu'il paroissoit par les commentaires sacrés des Egyptiens, qu'on comptoit quarante-sept de ces superbes tombeaux, mais qu'il n'en restoit plus que dix-sept du tems de Ptolomée Lagus. Ces tombeaux, que vit Strabon proche de Syene dans la haute Egypte, avoient été bâtis pour la même fin.
Long-tems après le regne des premiers rois de Thebes, ceux de Memphis s'étant trouvés les maîtres, & ayant la même croyance sur la résidence des ames auprès des corps, éleverent ces superbes pyramides, qui sont encore aujourd'hui l'admiration de l'univers. Les Egyptiens de moindre condition, au lieu de pyramides, faisoient creuser pour leurs tombeaux, de ces caves qu'on découvre tous les jours, & dans lesquelles on trouve des momies.
Si l'on cherche la raison de la figure qu'on donna aux pyramides, on trouvera sans peine qu'elles furent bâties de la sorte, parce que de toutes les figures qu'on peut donner aux édifices, celle-là est la plus durable, le haut ne chargeant point le bas, & la pluie qui ruine ordinairement les autres bâtimens, ne pouvant nuire à des pyramides, parce qu'elle ne s'y arrête pas. Peut-être aussi qu'ils ont voulu par-là représenter quelques-uns de leurs dieux ; car alors les Egyptiens représentoient leurs divinités par des colomnes & par des obélisques. Ainsi nous voyons dans Clément Alexandrin, que Callirhoé, prêtresse de Junon, mit au haut de la figure de sa déesse, des couronnes & des guirlandes ; car dans ce tems-là les statues des dieux avoient la figure de colomnes ou d'obélisques. Pausanias dit que dans la ville de Corinthe, Jupiter Melichius étoit représenté par une pyramide, & Diane par une colomne.
Les autres nations ont quelquefois imité ces ouvrages des Egyptiens, & ont dressé des pyramides pour leurs sépulcres. Sur ce passage de Virgile,
Fuit ingens monte sub alto
Regis Dercenni terreno ex agere bustum
Antiqui Laurentis opacâque ilice tectum.
Servius remarque qu'anciennement les personnes de condition se faisoient enterrer sous des montagnes, & qu'ils ordonnoient qu'on dressât sur leurs sépulcres des colomnes & des pyramides.
Le lieu où sont les pyramides, dit le P. Vansleb, qui fit le voyage d'Egypte en 1672, est un cimetiere, & sans doute un cimetiere de Memphis ; car tous les historiens arabes nous apprennent que cette ville étoit bâtie dans l'endroit où sont les pyramides, & vis-à-vis le vieux Caire.
Toutes ces pyramides ont une ouverture qui donne passage dans une allée basse fort longue, & qui conduit à une chambre, où les anciens Egyptiens mettoient les corps de ceux pour lesquels les pyramides étoient faites. Si l'on ne voit pas ces ouvertures dans toutes les pyramides, cela vient de ce qu'elles sont bouchées par le sable que le vent y a apporté. Sur quelques-unes on trouve des caracteres hiéroglyphiques assez bien conservés.
Toutes les pyramides étoient posées avec beaucoup de régularité. Chacune des trois grandes, qui subsistent encore, sont placées à la tête d'autres plus petites, que l'on ne peut néanmoins connoître que difficilement, parce qu'elles sont couvertes de sable ; toutes sont construites sur un rocher uni, caché sous du sable blanc ; & il y a quelque apparence que les pierres dont on les a bâties, ont été tirées sur le lieu même ; aucune de ces pyramides n'est égale, ni parfaitement quarrée. Toutes ont deux côtés plus longs que les deux autres.
Dans toutes les pyramides, il y a des puits profonds, quarrés & taillés dans le roc. Il y a aussi de ces puits dans les grottes qui sont au voisinage des pyramides ; ces grottes sont creusées au côté d'une roche en assez mauvais ordre, & sans symmétrie par-dehors, mais fort égales & bien proportionnées par-dedans. Le puits est le lieu où les Egyptiens mettoient les corps de ceux pour qui la grotte avoit été faite. Les murailles de quelques-unes ont des figures hiéroglyphiques, taillées aussi dans le roc, les unes plus grandes, les autres plus petites. Les trois principales pyramides connues des voyageurs sont à environ neuf milles du Caire.
La plus belle de toutes est située sur le haut d'une roche, dans le désert de sable d'Afrique, à un quart de lieue de distance, vers l'ouest des plaines d'Egypte. Cette roche s'éleve environ cent piés au-dessus du niveau de ces plaines, mais avec une rampe aisée, & facile à monter : elle contribue en quelque chose à la beauté & à la majesté de l'ouvrage ; & sa dureté fait un fondement proportionné à la masse de ce grand édifice.
Pour pouvoir visiter cette pyramide en-dedans, il faut ôter le sable qui en bouche l'entrée ; car le vent y en pousse continuellement avec violence une si grande quantité, qu'on ne voit ordinairement que le haut de cette ouverture ; il faut même, avant que de venir à cette porte, monter sur une petite colline, qui est vis-à-vis, tout auprès de la pyramide, & qui sans doute s'y est élevée du sable que le vent y a poussé, & qui ne pouvant être porté plus loin à cause de la pyramide qui l'arrêtoit, s'y est entassé de la sorte. Il faut aussi monter seize marches, avant que d'arriver à l'entrée de l'ouverture qui est du côté du nord.
On prétend qu'autrefois on la formoit après y avoir porté le corps mort, & que pour cet effet, il y avoit une pierre taillée si juste, que lorsqu'on l'y avoit remise, on ne la pouvoit discerner d'avec les autres pierres, mais qu'un bacha la fit emporter, afin qu'on n'eût plus le moyen de fermer la pyramide. Quoi qu'il en soit, cette entrée est quarrée, & elle a la même hauteur & la même largeur depuis le commencement jusqu'à la fin. La hauteur est d'environ trois piés & demi, & la largeur quelque chose de moins. La pierre qui est au-dessus en travers, a près de douze piés de longueur, & dix-huit piés de largeur. Le long de ce chemin, on trouve une grande chambre longue de dix-huit piés, & large de douze ; sa voûte est en dos-d'âne.
Quand on est venu jusqu'au bout de ce premier chemin, on rencontre une autre allée pareille, qui va un peu en montant ; elle est de la même largeur, mais si peu élevée, principalement dans l'endroit où ces deux chemins aboutissent, qu'il faut se coucher sur le ventre, & s'y glisser en avançant les deux mains, dans l'une desquelles on tient une chandelle allumée, pour s'éclairer dans cette obscurité. Les personnes qui ont de l'embonpoint, ne doivent pas se hasarder à y passer, puisque les plus maigres y parviennent avec assez de peine.
Quelques voyageurs racontent que ce passage a plus de cent piés de longueur, & que les pierres qui le couvrent, & qui font une espece de voute, ont vingt-cinq à trente paumes. Mais la fatigue que l'on essuie, & la poussiere qui étouffe presque, ne permettent guere d'observer ces dimensions.
Au commencement de ce chemin qui va en montant, on rencontre à main droite un grand trou, où l'on peut aller quelque tems en se courbant ; à la fin on éprouve de la résistance : ce qui fait croire que ce n'a jamais été un passage, mais que cette ouverture s'est faite par la longueur du tems. Après qu'on s'est glissé par ce passage étroit, on arrive à un espace où l'on peut se reposer, & l'on trouve deux autres chemins, dont l'un descend, & l'autre monte ; à l'entrée du premier il y a un puits, qui à ce qu'on dit, conduit dans une grotte à la distance de 67 piés, après quoi on trouve un chemin creusé dans le roc, plein de sable & d'ordures. Lorsqu'on est revenu de ce premier chemin qui est à main droite, on entre à gauche dans un second qui a 27 toises de long. Il y a des trous à chaque pas pour y mettre les piés.
Les curieux qui vont visiter les pyramides, doivent être obligés à ceux qui ont fait ces trous : sans cela il seroit impossible de monter au haut, & il faut encore être alerte pour en venir à bout, à l'aide du banc de pierre qu'on tient ferme d'une main, pendant que l'autre est occupée à tenir la chandelle. Outre cela il faut faire de fort grands pas, parce que les trous sont éloignés de six paumes l'un de l'autre. Cette montée, qu'on ne peut regarder sans admiration, peut passer pour ce qu'il y a de plus considérable dans les pyramides. Les pierres qui en font les murailles, sont unies comme une glace de miroir, & si bien jointes les unes aux autres, qu'on diroit que ce n'est qu'une seule pierre. Il en est de même du fond où l'on marche, & la voute est superbe.
Ce chemin, qui conduit à la chambre des sépulcres, persuade que ce n'est point là qu'étoit la véritable entrée de la pyramide : il faut que celle qui conduisoit à cette chambre soit plus aisée & plus large ; car si les pyramides étoient les tombeaux des anciens rois, il faut qu'on ait ménagé une route plus commode pour y porter les cadavres ; & comment les faire passer par un chemin où l'on ne peut marcher qu'en grimpant ? Si nous en croyons Strabon, on entroit dans la grande pyramide en levant la pierre qui est sur le sommet. A quarante stades de Memphis, dit-il, il y a une roche sur laquelle ont été bâties les pyramides & les monumens des anciens rois... L'une de ces pyramides est un peu plus grande que les autres ; sur son sommet il y a une pierre qui pouvant être aisément ôtée, découvre une entrée qui mene par une descente à vis jusqu'au tombeau : ainsi on pourroit avoir élevé cette tombe par le moyen de quelque machine, sur le haut de la pyramide, avant que les pierres qui la couvrent y fussent posées, & l'avoir fait descendre ensuite dans la chambre.
Au bout de la montée on entre dans cette chambre ; on y voit un sépulcre vuide taillé d'une seule pierre qui, lorsqu'on frappe dessus, rend un son comme une cloche. La largeur de ce sépulcre est de trois piés & un pouce ; la hauteur de trois piés & quatre pouces, & la longueur de sept piés & deux pouces. La pierre dont il est fait à plus de cinq pouces d'épaisseur ; elle est extraordinairement dure, bien polie, & ressemble à du porphyre. Les murailles de la chambre sont aussi incrustées de cette pierre.
Le sépulcre est tout nud, sans couverture, sans balustrade, soit qu'il ait été rompu, ou qu'il n'ait jamais été couvert. Le roi qui a fait bâtir cette pyramide, n'y a jamais été enterré. D'anciens auteurs disent que le fondateur de cette pyramide étoit Chemmis. Diodore de Sicile, en parlant de ce prince & de Cephren, qui a fait construire une des autres pyramides, dit que quoique ces deux rois ayent fait élever ces deux superbes monumens pour en faire leur sépulcre, il est vrai néanmoins qu'aucun d'eux n'y a été enterré.
Pour visiter la pyramide en-dehors, on monte en reprenant de tems en tems haleine. Environ à la moitié de la hauteur, à un des coins du côté du nord, qui est l'endroit où l'on peut monter avec moins de peine, on trouve une petite chambre quarrée où il n'y a rien à voir, & qui ne sert qu'à se reposer, ce qui n'est pas inutile. Quand on est parvenu au haut, on se trouve sur une plate-forme, d'où l'on a une agréable vûe sur le Caire & sur toute la campagne des environs, sur d'autres pyramides qu'on découvre, & sur la mer, que l'on a à main gauche.
La plate-forme qui, à la regarder d'en bas, semble finir en pointe, est de dix ou douze grosses pierres, & elle a à chaque côté qui est quarré seize à dix-sept piés. Quelques-unes de ces pierres sont un peu rompues ; & la principale de toutes, sur laquelle étoit la plûpart des noms de ceux qui avoient pris la peine de monter au haut de cette pyramide, a été jettée en bas par quelques voyageurs.
On ne peut descendre autrement que par le dehors ; quand on a bâti la pyramide on a tellement disposé les pierres les unes sur les autres, qu'après en avoir fait un rang avant que d'en poser un second, on a laissé un espace à se pouvoir tenir dessus, ou dumoins suffisant pour asseoir les piés fermes. Le Brun dit avoir compté deux cent dix rangs de pierres, les unes hautes de quatre paumes, les autres de cinq, & quelques-unes de six. Quant à la largeur, quelques-unes ont deux paumes, d'autres trois ; d'où il est aisé de comprendre qu'il doit être difficile de les monter.
Il est néanmoins encore plus mal-aisé de descendre, car quand on regarde du haut en bas, les cheveux dressent à la tête. C'est pourquoi le plus sûr est de descendre à reculons, & de ne regarder qu'à bien poser les piés à mesure que l'on descend. D'ailleurs de toutes les pierres dont la grande pyramide est faite, il n'y en a presque point qui soient entieres ; elles sont toutes rongées par le tems, ou écornées par quelqu'autre accident : desorte que quoiqu'on puisse monter de tous côtés jusqu'à la plate-forme, on ne trouve pourtant pas la même facilité à descendre.
En mesurant cette pyramide d'un coin à l'autre par le devant, le P. Vansleb a trouvé qu'elle avoit trois cent pas ; & ensuite ayant mesuré la même face avec une corde, il a trouvé cent vingt-huit brasses, qui font sept cent quatre piés. L'entrée n'est pas au milieu : le côté du soleil couchant est plus large d'environ soixante piés. La hauteur de la pyramide, en la mesurant par devant avec une corde, est, selon le même voyageur, de cent douze brasses, chacune de cinq piés & demi, ce qui revient à six cent seize piés. On ne peut pas néanmoins dire de combien elle est plus large que haute, parce que le sable empêche qu'on ne puisse mesurer le pié. Le côté de cette pyramide qui regarde le nord, est plus gâté que les autres, parce qu'il est beaucoup plus battu du vent du nord, qui est humide en Egypte.
La seconde pyramide ne peut être vûe que par-dehors, parce qu'on n'y peut entrer, étant entierement fermée. On ne peut pas non plus monter au haut, parce qu'elle n'a point de degrés comme celle qui vient d'être décrite. De loin, elle paroît plus haute que la premiere, parce qu'elle est bâtie dans un endroit plus élevé ; mais quand on est auprès, on se détrompe. M. Thevenot donne à chaque face six cent trente-un-piés. Elle paroît si pointue, qu'on diroit qu'un seul homme ne sauroit se tenir sur son sommet. Le côté du nord est aussi gâté par l'humidité.
La troisieme est petite, & de peu d'importance. On croit qu'elle a été autrefois revêtue de pierres, & semblables à celles du tombeau qui est dans la premiere pyramide. Ce qui donne lieu de le penser, c'est qu'on trouve aux environs une grande quantité de semblables pierres.
Pline parlant de ces pyramides, dit que celle qui est ouverte fut faite par 370000 ouvriers dans l'espace de 20 ans.
Au-devant de chacune de ces pyramides on voit encore des vestiges de bâtimens quarrés qui semblent avoir été autant de temples ; & à la fin du prétendu temple de la seconde pyramide, il y a un trou par lequel quelques-uns croyent qu'on descendoit du temple pour entrer dans l'idole, qui est éloignée de quelques pas de ce trou. Les Arabes appellent cette idole Abul-houl, c'est-à-dire pere Colomne. Pline la nomme Sphinx, & dit qu'elle servit de tombeau au roi Amasis. Il n'y a pas de difficulté à croire que ce Sphinx ait pu être un tombeau, parce que, premierement, il est dans un lieu qui étoit anciennement un cimetiere, & auprès des pyramides & des grottes, qui n'étoient autre chose que des tombeaux.
En second lieu, on le juge aussi de sa forme. Ce Sphinx a par-derriere une cave sous terre, d'une largeur proportionnée à la hauteur de la tête, & qui n'a pu servir qu'à y mettre le corps de quelque personne morte. C'est un buste taillé sur le lieu même dans le vif du roc, dont il n'a jamais été séparé, quoiqu'il semble être de cinq pierres ajustées les unes sur les autres ; mais quand on y regarde attentivement, on trouve que ces especes de jointures ne sont que des veines du roc. Ce buste représente une tête de femme, avec son cou & son sein, d'une prodigieuse taille ; car il a 26 piés de haut, & 16 piés depuis son oreille jusqu'à son menton.
Fisher a donné la figure des trois pyramides dont on vient de parler. De leur sommet on découvre une partie de l'Egypte, le désert sablonneux du pays de Baren, & ceux de la Thébaïde de l'autre côté.
La pyramide égyptienne nommée Rhodope, est dans le champ des momies, à 17 milles du Caire : c'est la plus considérable de celles qui sont dans ce champ, le tems ayant presqu'entierement détruit les autres, qui ne sont plus que des monceaux de sable, & n'ont que la figure de ce qu'elles étoient autrefois. Ce n'est point-là la Rhodope de Pline, qu'il décrit comme petite, car celle-ci est une des plus grandes qui soient en Egypte. Si elle avoit été achevée, elle ne céderoit point en beauté aux trois principales pyramides ; en montant au haut, on compte 148 degrés de grandes pierres, & tels que sont ceux de la grande pyramide.
La plate-forme qui est au sommet n'est pas unie, les pierres y étant posées sans aucun ordre : d'où il est aisé de juger qu'elle n'a point été achevée ; elle paroît beaucoup plus ancienne que les autres, car les pierres sont presque toutes mangées, & s'en vont pour ainsi dire en poudre ; elle a de chaque côté 643 piés. Son entrée est au quart de sa hauteur, & tournée vers le nord ; elle est à 316 piés de l'extrêmité orientale, & par conséquent à 327 piés de l'extrêmité occidentale. Il n'y a qu'une seule allée, qui a trois piés & demi de largeur, & quatre piés de hauteur ; elle va en descendant l'espace de 267 piés, & aboutit à une salle dont la voûte est faite en dos d'âne. Sa longueur est de 27 piés & demi, & sa largeur de onze piés.
Au coin de la salle il y a une autre allée parallele à l'horison, de trois piés de largeur, d'égale hauteur, & de 9 piés & demi de longueur ; elle conduit à une chambre qui a 21 piés de longueur, 11 de largeur, & dont la voûte, qui est faite en dos d'âne, est extrêmement haute. Cette chambre a du côté d'occident, où s'étend sa longueur, une fenêtre quarrée de 24 piés : par cette fenêtre on entre dans une allée assez large à hauteur d'homme, & qui a 13 piés deux pouces de longueur. Au bout de cette allée est une grande salle dont la voute est aussi faite en dos d'âne. Sa longueur est de 26 piés 8 pouces, & sa largeur de 24 piés un pouce. Le fond ou pavé est de roche vive, qui avance de tous côtés inégalement, & laisse seulement un peu d'espace uni dans le milieu, qui est entouré de tous côtés d'un rocher, & beaucoup plus bas que ne sont l'entrée de la salle & le bas de la muraille.
Il faut parler maintenant des différentes mesures qui ont été données des pyramides en piés & en stades.
Hérodote fait la largeur de la plus grande pyramide d'Egypte dans sa base, de 800 piés, & par conséquent d'un stade & un tiers ; & comme 60 est à 51, ainsi 800 est à 680 piés de Paris pour la largeur de la pyramide à sa base. En raison de 9 stades par mille, dont chacun a 510 piés, cette base auroit un stade & un tiers, comme par la dimension d'Hérodote. M. Chazelles a mesuré la base de cette pyramide par un cordeau, & l'a trouvée de 690 piés par un terrein inégal élevé par le milieu ; d'où il dit qu'il faut ôter quelque chose pour avoir la base juste. Si on ôte 10 piés, on aura la largeur de la base de 680 piés de Paris.
Gemelli, qui a fait le tour du monde, rapporte les mesures de cette pyramide, où il fut l'an 1693, comme il les eut du P. Fulgence de Tours, capucin mathématicien, qui trouva la largeur de cette pyramide de chaque côté de 682 piés de Paris, ce qui s'accorde à la mesure que nous venons de trouver, en raison de 9 stades pour mille. Les mesures qu'il en donne s'accordent avec celles que M. Jeaugeon a eu de M. de Nointel, ambassadeur du roi à la Porte, & qu'il a communiquées à l'académie. Cependant l'illustre Gréaves, mathématicien anglois, dans sa pyramidographie, a trouvé la base de cette grande pyramide mesurée par les triangles, de 683 piés anglois, qui sont au pié de Paris comme 15 à 16. A cette proportion ayant supposé la largeur de la pyramide de 680 piés de Paris, il faudroit qu'elle fût de 723 piés d'Angleterre ; d'où l'on peut voir les différences qu'il y a entre les mesures de la même grandeur prises par diverses personnes, & réduites au même pié.
Strabon même, dont on a comparé les mesures prises en France avec les nôtres, qui fut en Egypte avec Elius Gallus, vers l'époque de J. C. fait la largeur de cette pyramide d'un stade. Il fait donc le stade plus grand d'un tiers qu'Hérodote & que les géographes dont il a tiré les dimensions des côtes méridionales de la France.
Diodore de Sicile, qui fut en Egypte 60 ans avant l'époque de J. C. dit que la plus grande pyramide avoit chaque côté dans sa partie inférieure de sept arpens ; six arpens font un stade, suivant Hérodote : donc chaque côté de la base de la pyramide étoit d'un stade & un sixieme. On a donc trois différentes dimensions de la pyramide en stades, une d'un stade juste, une d'un stade & un sixieme, & une d'un stade & demi. La mesure des stades étoit donc aussi différente & aussi équivoque parmi les anciens, que la mesure des milles & des lieues parmi les modernes.
Pline donne 883 piés à la longueur de chaque côté de la base de la plus grande pyramide. Ce ne sont pas de ces piés de la mesure itinéraire que M. Cassini a trouvée par plusieurs comparaisons être au pié de Paris comme 11 à 12 ; car à cette proportion la base qui a été trouvée de 780 piés de Paris, devoit être de 702 piés de la mesure itinéraire ancienne, au lieu de 883 que Pline lui donne. Il y a donc une différence de 181 piés, qui fait plus de la quatrieme partie de 702 ; cette mesure est donc au pié itinéraire ancien comme 12 à 15, & un peu plus, & n'excede que d'un quinzieme le palme romain moderne, qui est au pié romain comme 12 à 16. Il y a donc apparence que le pié de Pline fut un pié d'architecte de mesure différente du pié & du palme romain.
Il y a encore une différence plus considérable dans la mesure de la place quarrée qui reste au sommet de cette pyramide. Pline fait sa largeur de 25 piés ; Gemelli la rapporte de 16 piés & deux tiers. A proportion des mesures de la base, comme 682, mesure de Gemelli, est à 883, mesure de Pline, ainsi 16 piés & deux tiers sont à 21 piés & 2/3, au lieu de 25 que Pline donne. Il y a une différence de trois piés & un tiers ; on pourroit l'attribuer à la démolition de la croûte de marbre dont cette pyramide devoit être revêtue du tems de Pline comme les autres pyramides, dont une reste encore présentement revêtue à la pointe, le reste ayant été démoli. L'épaisseur de cette croûte auroit été d'un pié & deux tiers de la mesure de Pline.
S'il est si difficile d'accorder ensemble les mesures de la même base qui subsiste toujours sans variation sensible, & que l'on peut mesurer exactement sans difficulté, on peut juger combien il est difficile de s'assurer des distances des villes qui n'ont pas été mesurées actuellement, mais ont été déterminées par l'estime grossiere du tems que l'on met ordinairement à aller de l'une à l'autre. Il faut néanmoins avoir les distances d'un lieu à deux autres dont la situation soit connue, pour déterminer à leur égard la position du troisieme par des triangles. Les erreurs inévitables se multiplient suivant la multitude des lieux, & il n'y reste de meilleure maniere de les corriger, que par les observations des astres faites dans des lieux fort éloignés les uns des autres. C'est le résultat que M. Cassini tire de tout ce détail dans les mémoires de l'acad. des Sciences, année 1702. (D.J.)
PYRAMIDE D'AMORTISSEMENT, (Archit.) petite pyramide qui termine quelque corps d'architecture, comme il y en a, par exemple, à l'église de S. Nicolas du Chardonnet à Paris, & au portail de sainte Marie del Orto à Rome. Il y a de ces pyramides qui servent d'enfaîtement, on les voit ainsi employées sur l'église des Invalides. (D.J.)
PYRAMIDE, terme de Ferblantier, c'est une piece de fer-blanc, d'environ un pié & demi plus large par le bas que par le haut, qui finit en pointe. Les limonadiers, les pâtissiers, les confiseurs, &c. s'en servent pour mettre tout-autour les glaces, les confitures, les biscuits, &c.
PYRAMIDE, s. f. terme de Gantier ; c'est un morceau de bois tourné en pommette, gros comme le bras, & haut d'un pié, dont on se sert pour élargir les gants à l'aide des bâtons à gant.
PYRAMIDE, s. f. terme de Plombier ; morceau de plomb formé en pyramide qu'on met sur les pavillons des maisons. (D.J.)
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PYRAMIDOIDE | S. m. (Géom.) que l'on appelle encore fuseau parabolique, est un solide formé par la révolution d'une parabole autour d'une de ses ordonnées.
On peut concevoir ce solide, comme composé d'une infinité de petits cylindres dont les diametres sont tous paralleles à l'axe de la parabole par la révolution de laquelle il a été formé.
Le fuseau parabolique est égal à 8/15 du cylindre qui lui est circonscrit.
En effet, nommant x les abscisses, & y les ordonnées de la parabole, & 2 n le rapport de la circonférence au rayon ; on aura - 2 n. (b - x) y d x pour l'élément du pyramidoïde, b étant la plus grande abscisse ; or x = , a étant le parametre d'où l'on voit que l'élément est - 2 n. () ; & si on suppose que y = e, lorsque x = b, on aura pour l'élément du pyramidoïde - n () x , dont l'intégrale est - x y3/3 + , plus la constante x e3/3 - , afin que le solide devienne = 0 lorsque y = b ; donc en faisant y = 0, on aura la pyramidoïde = = 8/15 x x e ; or = n b b, surface de la base du cylindre, & e est la hauteur. Donc, &c. (O)
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PYRAMUS | (Géog. anc.) fleuve de la Cilicie, selon Ptolémée, l. V. c. viij. & Pline, l. V. c. xxvij. Etienne le géographe dit qu'on l'appelloit anciennement Leucosirus. Le nom moderne, selon Niger, est Malmistra.
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PYRASUS | (Géog. anc.) ville de Grece, dans la Thessalie. Strabon dit qu'elle avoit un port commode, & qu'elle étoit à vingt stades de la ville de Thebes. On croit communément que c'est la même que Démétriade. (D.J.)
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PYRÉE | S. m. (Antiq. asiat.) ; les Grecs ont nommé pyrées, les temples dans lesquels des mages entretenoient un feu continuel, suivant le rit de la religion des Perses. Du tems de Strabon, la Cappadoce même étoit encore remplie de pyrées, quoique le magisme ne fût pas la religion dominante dans ce royaume du Pont, & que l'on y adorât diverses divinités particulieres, à qui on consacroit des statues.
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PYRENAEUS | PYRENAEUS
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PYRENE | (Hist. nat.) nom sous lequel on a désigné la pierre judaïque.
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PYRÉNE | (Géog. anc. & Mythol.) fontaine consacrée aux Muses, & célebre dans les écrits des poëtes ; c'est à cette fontaine que buvoit le cheval Pégaze, lorsque Bellérophon se saisit de lui par surprise, & monta dessus pour aller combattre la Chimere. Cette fontaine avoit sa source au bas de l'Acro-Corinthe, ou citadelle de Corinthe.
Les Mythologues ne sont point d'accord sur l'origine de cette fontaine. Les uns disent que Pyrene, inconsolable de la perte de Cenchrius son fils, tué malheureusement par Diane, en versa tant de larmes, que les dieux après sa mort, la changerent en une des plus belles fontaines, qui depuis porta son nom, & qui arrosoit la ville de Corinthe.
D'autres Mythologues veulent qu'Asope fit présent à Sisyphe de cette fontaine précieuse, pour savoir de lui ce qu'étoit devenue sa fille Egine, que Jupiter avoit enlevée. Sisyphe le lui découvrit, à condition qu'il donneroit de l'eau à la citadelle ; & c'est ainsi que le secret de Jupiter fut révélé ; la fontaine de Pyréne n'en eut que plus de réputation. (D.J.)
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PYRÉNÉES | LES (Géogr. anc.) Pyrenaei montes ; montagnes d'Europe aux frontieres de la France & de l'Espagne, dont elles font la séparation. Elles ont toujours été réputées la borne naturelle de ces deux états. Pline même, l. III. c. iij. nous marque jusqu'aux limites précises de cette séparation : Pyrenaei montes, dit-il, Hispanias, Galliasque disterminant, promontoriis in duo diversa maria projectis. Il veut parler du promontoire de Vénus, ou Aphrodisium, qui s'avance dans la mer Méditerranée, & du promontoire Olearso, ou Oeaso, qui avance dans l'Océan.
Diodore de Sicile dérive le mot Pyrénées du grec , qui signifie du feu, & prétend qu'il a été occasionné par un embrasement des bergers, en brûlant les forêts qui couvroient ces montagnes. Aristote parle de cet embrasement.
Quoi qu'il en soit de l'origine du nom, les monts Pyrénées s'étendent depuis la Méditerranée jusqu'à l'Océan, l'espace de 85 lieues en longueur. L'oeil qui croyoit d'abord les mesurer, découvre les montagnes derriere les montagnes, & se perd toujours davantage. Leur largeur est différente selon les endroits, & la plus grande est de 40 lieues.
Elles commencent au port de Vendres dans le Roussillon, sur la Méditerranée, & à Saint-Jean-de-Luz dans la Biscaye françoise, sur l'Océan, d'où elles s'étendent jusqu'à Saint-Sébastien, port de mer dans la Biscaye espagnole, à Pampelune dans la Navarre, à Venasque dans l'Aragon, à Lérida & à Tortose, dans la Catalogne. Tout le terrein que ces montagnes occupent est partagé aujourd'hui entre la France & l'Espagne. La France y a cinq petits pays, qui sont la Biscaye, la principauté de Béarn, & les comtés de Bigorre, de Comminges & de Roussillon. L'Espagne y possede quatre provinces, qui sont la Biscaye, la Navarre, l'Aragon & la Catalogne.
Ces montagnes ont divers noms, selon les divers lieux qu'elles avoisinent. Vers le Roussillon elles se partagent en deux branches, dont celle qui sépare ce comté du Languedoc, s'appelle anti-Pyrénée ; & celle qui le sépare de la Catalogne, se nomme col de Pertuis, quoique ce mot de col signifie proprement les passages étroits qui sont dans ces montagnes. Il y a du même côté monte-Canigo, sierra de Guara, col de la Prexa, col de l'Argentiere, & porto-de-Viella. Celles qu'on voit entre la Gascogne & l'Aragon, sont les montagnes de Jacca & de Sainte-Christine ; enfin celles qui s'étendent dans la Navarre s'appellent les montagnes d'Adula & de Ronceaux.
Les anciens ont cru que les Pyrénées s'étendoient par toute l'Espagne jusqu'à l'Océan atlantique, & ils ne se trompoient pas beaucoup ; toutes les montagnes de l'Espagne n'étant que des rameaux de celles-ci. Elles sont effroyablement hautes, & si serrées, qu'elles laissent à peine cinq routes étroites pour passer de France en Espagne. On n'y peut même aller qu'à pié, ou bien avec des mulets accoutumés à grimper sur ces hauteurs, où un cavalier peu expérimenté couroit risque mille fois de se rompre le cou. Toutes ces montagnes sont coupées par un grand nombre de vallées, & couvertes de hautes forêts, la plûpart de sapins.
Ces forêts immenses de sapins pourroient être extrêmement utiles à la France, si jamais elle songeoit à en tirer parti. Le bois en est d'une qualité aussi favorable pour la durée & la proportion, que les mâtures qu'elle tire du nord ; mais les mines de cuivre, de plomb, de fer, qui se trouvent dans les Pyrénées, produiroient encore de plus grands avantages. Il y a dans ces montagnes de quoi établir la meilleure fonderie de canon qui soit au monde ; & l'Adoure en porteroit à peu de frais les ouvrages à la mer. Enfin ces montagnes n'attendent que des mains industrieuses pour fournir à la France des matieres qu'elle paye chérement à l'étranger. (D.J.)
PYRENEES, traité des, (Hist. moderne de France) fameux traité de paix conclu le 7 Novembre 1659 entre le roi de France & le roi d'Espagne, par le cardinal Mazarin & par dom Louis de Haro, plénipotentiaires de ces deux puissances, dans l'île des Faisans, sur la riviere de Bidassoa.
Ce traité contenoit cent vingt-quatre articles. Les principaux étoient le mariage du roi avec l'infante Marie-Thérese, qui devoit avoir une dot de cinq cent mille écus, sous la condition de la renonciation à la succession d'Espagne. Le cardinal Mazarin promettoit de ne point donner de secours au roi de Portugal. On convint aussi du rétablissement de M. le Prince, & du duc de Lorraine. Il y eut plusieurs places rendues de part & d'autre. Le roi d'Espagne renonça à ses prétentions sur l'Alsace, & céda une partie de l'Artois ; mais le principal avantage que Mazarin retira de ce traité, étoit le mariage du roi avec l'infante, pour procurer à son maître par ce moyen des droits à la succession de la couronne d'Espagne.
M. de Voltaire a fait sur le traité des Pyrénées des reflexions trop judicieuses pour les passer sous silence ; les voici.
Quoique le mariage d'un roi de France & la paix générale fussent l'objet des conférences des deux plénipotentiaires, cependant dans les quatre mois qu'elles durerent, ils en employerent une partie à arranger les difficultés sur la préséance, & dom Louis de Haro trouva le moyen de mettre une égalité parfaite à cet égard entre l'Espagne & la France.
Telle est la vicissitude des choses humaines, que de ce fameux traité des Pyrénées il n'y a pas deux articles qui subsistent aujourd'hui. Le roi de France garda le Roussillon, qu'il eut toujours conservé sans cette paix ; mais à l'égard de la Flandre, la monarchie espagnole n'y a plus rien. Nous étions alors les amis nécessaires du Portugal. Nous ne le sommes plus ; nous lui faisons la guerre, tout est changé. Mais si dom Louis de Haro avoit dit que le cardinal Mazarin savoit tromper, on a dit depuis qu'il savoit prévoir. Il méditoit dès long-tems l'alliance de la France & de l'Espagne.
On cite cette fameuse lettre de lui, écrite pendant les négociations de Munster : " Si le roi très-chrétien pouvoit avoir les Pays-Bas & la Franche-Comté en dot, en épousant l'infante, alors nous pourrions aspirer à la succession d'Espagne, quelque renonciation qu'on fît faire à l'infante ; & ce ne seroit pas une attente fort éloignée, puisqu'il n'y a que la vie du prince son frere qui l'en peut exclure ". Ce prince étoit alors Balthasar, qui mourut en 1649.
Le cardinal se trompoit évidemment en pensant qu'on pourroit donner les Pays-Bas & la Franche-Comté en mariage à l'infante. On ne stipula pas une seule ville pour sa dot ; au contraire on rendit à la monarchie espagnole des villes considérables qu'on avoit conquises, comme Saint-Omer, Ypres, Menin, Oudenarde, & d'autres places : on en garda quelques-unes.
Le cardinal ne se trompa pas en croyant que la renonciation seroit un jour inutile ; mais ceux qui lui font honneur de cette prédiction, lui font donc prévoir que le prince dom Balthazar mourroit en 1649 ; qu'ensuite les trois enfans du second mariage seroient enlevés au berceau ; que Charles le cinquieme de tous ces enfans mâles, mourroit sans postérité, & que ce roi autrichien feroit un jour un testament en faveur d'un petit-fils de Louis XIV. Mais enfin le cardinal Mazarin prévit ce que vaudroient des renonciations en cas que la postérité mâle de Philippe IV. s'éteignit, & des événemens étrangers l'ont justifié après plus de cinquante années.
Marie-Thérese pouvant avoir pour dot les villes que la France rendoit, n'apporta par son contrat de mariage, que cinq cent mille écus d'or au soleil ; il en coûta davantage au roi pour l'aller recevoir sur la frontiere. Ces cinq cent mille écus, valant alors deux millions cinq cent mille livres, furent pourtant le sujet de beaucoup de contestations entre les deux ministres. Enfin la France n'en reçut jamais que cent mille francs.
Loin que ce mariage apportât aucun autre avantage présent & réel que celui de l'infante, elle renonça à tous les droits qu'elle pourroit jamais avoir sur aucune des terres de son pere, & Louis XIV. ratifia cette renonciation de la maniere la plus solemnelle, & la fit ensuite enregistrer au parlement.
Le duc de Lorraine, Charles IV. de qui la France & l'Espagne avoient beaucoup à se plaindre, ou plutôt qui avoit beaucoup à se plaindre d'elles, fut, comme on l'a dit, compris dans ce traité, mais en prince malheureux, qu'on punissoit parce qu'il ne pouvoit pas se faire craindre. La France lui rendit ses états, en démolissant Nancy, & en lui défendant d'avoir des troupes. Dom Louis de Haro obligea le cardinal Mazarin à faire recevoir en grace le prince de Condé, en menaçant de lui laisser en souveraineté Rocroi, le Catelet & d'autres places dont il étoit en possession. Ainsi la France gagna à la fois ces villes & le grand Condé. Il perdit sa charge de grand-maître de la maison du roi, & ne revint presque qu'avec sa gloire.
Charles II. roi titulaire d'Angleterre, plus malheureux alors que le duc de Lorraine, vint près des Pyrénées où l'on traitoit cette paix. Il implora le secours de dom Louis & de Mazarin. Il se flattoit que leurs rois ses cousins germains réunis, oseroient venger une cause commune à tous les souverains, puisqu'enfin Cromwel n'étoit plus ; il ne put seulement obtenir une entrevue, ni avec Mazarin, ni avec dom Louis. Lockhart, ambassadeur de Cromwel, étoit à S. Jean-de-Luz ; il se faisoit respecter encore même après la mort du protecteur ; & les deux ministres, dans la crainte de choquer cet anglois, refuserent de voir Charles II. Ils pensoient que son rétablissement étoit impossible, & que toutes les factions angloises, quoique divisées entr'elles, conspiroient également à ne jamais reconnoître de rois. Ils se tromperent : la fortune fit peu de mois après ce que ces deux ministres auroient pû avoir la gloire d'entreprendre. Essai sur l'hist. univ. (D.J.)
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PYRENEUM MAGNUM | (Hist. anc.) lieu de la Perse arménienne, selon Procope, Persicor. liv. II. c. xxiv. qui dit que les mages y gardoient un feu perpétuel, & y offroient des sacrifices. Strabon, liv. XV. pag. 733. qui nomme ce lieu Pyratheia, dit que c'étoit une grande enceinte au milieu de laquelle il y avoit un autel où les mages conservoient le feu perpétuel dont parle Procope. C'étoit un grand temple des mages.
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PYRENOIDE | éminence, terme d'Anatomie ; ce mot est grec , formé de , nucleus ; noyau ou baie, & , figure. C'est une apophyse de la seconde vertebre du cou, que l'on appelle aussi odontoïde à cause qu'elle a la figure d'une dent. Voyez VERTEBRE & ODONTOÏDE.
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PYRETHRE | S. f. (Botan. exot.) On trouve trois racines sous le nom de pyrethre chez les droguistes ; l'une est de la longueur & de la grosseur du doigt, en dehors d'un noir roussâtre, blanche en-dedans, d'un goût très-âcre & très-brûlant, sans odeur : on l'apporte seche du royaume de Tunis : l'autre est plus petite & moins âcre ; la troisieme vient d'Hollande en France.
La premiere est la racine d'une plante, qui s'appelle chamoemelum specioso flore, radice longâ, fervidâ, D. Shaw. catal. n°. 138. pyrethrum vulgo, & veteribus Arabibus, Guntass, ou buphthalmum creticum, cotulae facie, flore luteo & albo. Breyn, cent. 1. pag. 150. tab. 72. buphthalmum caulibus simplicissimis, unifloris, foliis pinnato multifidis, Linn. hort. cliff. pag. 414. En françois pyrethre, ou racine salivaire. Cette plante, dit Breyn, ressemble à la camomille ; elle a une racine blanche, garnie de plusieurs fibres menues & un peu tortueuses, dont le goût ne se fait pas sentir d'abord, mais qui pique la langue lorsqu'on la mâche un peu long-tems.
Du collet de cette racine sortent des feuilles qui se répandent en rond sur la terre ; elles sont légerement velues & tout-à-fait semblables à celles de la plante que l'on appelle pyrethrum bellidis flore C. B. P. soit par leur grandeur, leur découpure & leur forme. Du milieu de ces feuilles s'éleve une tige d'environ une coudée, & quelquefois d'un pié de hauteur, cylindrique, molle, plus ferme en vieillissant, d'un verd blanchâtre, à cause du velu dont elle est couverte. Elle est garnie de feuilles plus petites qui ont encore plus de rapport à celles de la camomille ; mais elles sont plus épaisses & divisées en de petits lobes plus larges : de l'aisselle de ces feuilles sortent des rameaux plus longs que la tige, & en si grande quantité principalement vers la racine, que la plante semble former un buisson épais & arrondi, à cause de la multitude de ses branches, qui se répandent obliquement & se couchent en tous sens.
Les fleurs qui sont environnées d'un calice écailleux, composé de trois rangs de petites écailles vertes & velues, ont assez de ressemblance aux fleurs du buphthalmum des Alpes, si ce n'est que leurs pétales ou demi-fleurons, qui pour l'ordinaire sont au nombre de treize, sont plus larges, plus courts, cannelés & comme plissés, d'un jaune plus clair, surtout lorsqu'ils sont prêts à tomber, & d'un jaune soufré à leur partie inférieure, placés autour d'un plus grand disque, formé de plusieurs fleurons jaunes & un peu creusés dans le milieu.
Les premieres fleurs commencent à paroître au mois de Juin sur la tige qui occupe le milieu de la plante ; ensuite d'autres aux extrêmités des plus longues branches, & enfin les dernieres sur les rameaux latéraux ; de maniere qu'en se succédant ainsi, cette plante paroît garnie de fleurs, non-seulement tout l'été, mais encore pendant toute l'automne.
Ces fleurs sont suivies d'une grande quantité de graines applaties, de couleur de pourpre foncé, placées entre des écailles minces, membraneuses, larges, qui deviennent par la suite d'un roux brun, & servent à multiplier cette plante chaque année dans nos jardins.
M. Shaw dit qu'on transporte à Constantinople & au grand Caire une grande quantité de cette racine, & qu'on la confit.
La seconde racine de pyrethre est celle d'une plante qui se nomme leucanthemum canariense, foliis chrysanthaemi, pyrethri sapore, I. R. H. 493. Chrysanthaemum fruticosum, foliis linearibus, dentato trifidis. Linn. H. cliff. 417. Chamoemelum canariense, ceratophyllum fruticosius, glauco folio crassiore, sapore fervido, magala ab incolis nominatum, Mor. hist. oxon. part. III. pag. 25. Cette racine est blanche, moins grosse & moins charnue, moins brûlante que la pyrethre ordinaire : elle pousse des tiges ligneuses, épaisses d'un pouce, couvertes d'une écorce blanche, de la hauteur d'une coudée & davantage, partagées en différens rameaux, garnis de feuilles placées sans ordre, semblables à celles de la camomille, mais découpées en lanieres plus larges, plus épaisses, plus obtuses, plus écartées, & colorées d'un bleu tirant sur le verd de mer.
Aux extrêmités des rameaux naissent de petites tiges nues, qui portent à leur sommet des fleurs composées de demi-fleurons blancs, placés autour d'un disque de fleurons jaunes, comme dans la camomille, & renfermées dans un calice écailleux, dont les écailles sont rondes, dures & saillantes. Toutes les graines sont applaties & bordées des deux côtés d'un feuillet tranchant.
Il y a une troisieme espece de pyrethre, pyrethrum umbelliferum, C. B. P. 148. on la nomme vulgairement en françois pié d'Alexandre ; elle nous vient de Hollande ; elle est longue d'un demi-pié, grise-brune à l'extérieur, noire en-dedans, d'un goût chaud & acrimonieux. Ses feuilles sont petites, & ses fleurs naissent par ombelles. Il leur succede des semences rondes & noirâtres. Le goût mordicant de cette pyrethre fait qu'on la substitue à la tunisienne.
La pyrethre, sur-tout la premiere qu'on a décrite au long, fait beaucoup cracher à cause de son acrimonie qui est violente, & qui ouvre les conduits salivaires ; c'est un remede qu'on employe quelquefois pour l'enflure oedémateuse de la langue causée par la pituite ; l'acrimonie de cette racine irritant les nerfs & les mamelons, dégorge les vaisseaux.
On se sert très-rarement de la pyrethre pour l'intérieur, si ce n'est en lavement dans les maladies soporeuses, comme dans la léthargie qui procede d'une surabondance d'humeurs froides. En ce cas on prend une once de racine de pyrethre qu'on fait bouillir dans une livre de décoction commune, & on ajoute à la colature une demi-once de nitre ou de sel gemme.
Enfin cette racine entre dans quelques préparations galéniques ; mais la plus grande consommation s'en fait par les vinaigriers, qui l'employent dans la composition de leurs vinaigres. Ils la choisissent grosse, nouvelle, bien nourrie, seche, mal-aisée à rompre, & d'un goût brûlant ; c'est aussi de-là que lui vient son nom. (D.J.)
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PYRETIQUES | adj. (Médec.) médicamens bons contre la fievre. C'est un mot francisé du grec dérivé de , fievre, lequel a pour racine , feu. Voyez FIEVRE.
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PYRGENSES | (Géogr. anc.) peuples du Péloponnèse dans l'Achaïe propre, selon Pline, liv. IV. c. vj. leur ville se nommoit Pyrgos.
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PYRGI | (Géog. anc.) ville d'Italie dans la Toscane, sur la côte, selon Pline, liv. III. c. v. Virgile, Aeneid. liv. X. v. 184. donne à cette ville le surnom de veteres :
Et Pyrgi veteres, intempestaeque craviscae.
Tite-Live, liv. XXXVI. c. iij. nous apprend que c'étoit une colonie romaine. Ptolémée, liv. III. c. j. la place entre Castrum novum, & Alsium. Quelques-uns croyent que le nom moderne est S. Marinello, parce que l'église de ce lieu s'appelle S. Maria de territorio Purgano. Il y a encore une ville de Messénie du nom de Pyrgi. (D.J.)
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PYRI-MONS | (Géogr. anc.) montagne de la Germanie, selon Ammien Marcellin, liv. XXVIII. ch. ij. François Junius pense que c'est la montagne Heyligberg, au voisinage de la ville de Heidelberg, & cette opinion s'accorde assez bien avec Ammien Marcellin, qui dit que Pyri-mons étoit au-delà du Rhin.
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PYRIFORME | ou PYRAMIDAL, (terme d'Anatomie) c'est un des muscles de la cuisse, à qui on a donné ce nom, à cause qu'il a la figure d'une poire. On l'appelle aussi iliaque externe, eu égard à sa situation. Voyez nos Pl. d'Anatomie & leur explication. Voyez aussi ILIAQUE. Il sort rond & charnu de la partie inférieure & interne de l'os sacrum, où il regarde le bassin, & descendant obliquement le long du grand sinus de l'os des iles, au-dessus de la tubérosité de l'ischion, & se joignant avec le moyen fessier, il va s'attacher par un tendon rond à la partie supérieure de la racine du grand trochanter.
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PYRIMACHUS | PYRIMACHUS
On a aussi donné le nom de pyrimachus ou pyromachus à la pyrite d'un jaune pâle, parce qu'elle donne aussi des étincelles lorsqu'on la frappe avec de l'acier.
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PYRIPHLÉGÉTON | S. m. (Mythol.) c'est un fleuve de la Thesprotie, qui se jette avec le Cocyte dans le marais Achéruse, & dont le nom signifie brûlant, ce qui en a fait faire un fleuve d'enfer, voyez PHLEGETON.
PYRIPHLEGETON, (Géog. anc.) fleuve d'Italie, que Strabon, liv. V. p. 244. place au voisinage de Cumes ; c'étoit peut-être les eaux sulphureuses de Putéoli.
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PYRIQUE | PYRIQUE
On doit cette idée & son heureuse exécution à MM. Ruggieri, artificiers bolonois. Comme on ne peut pas y faire jouer des feux d'artifice qui s'élevent en l'air, tels que des fusées volantes, des ballons, &c. on est contraint de n'y employer que des artifices fixes dans leur place, ou mobiles autour d'un centre : & ce n'est qu'en variant ces deux feux qu'on peut former un feu d'artifice dans un lieu couvert ; ce qui ne donne que des soleils, des girandoles, des pyramides, des berceaux, des fontaines en jets ou en cascades, des roues, des globes, des polygones en pointes, des étoiles, &c.
Tout cet assortiment ne demande que la connoissance de l'art des artifices & de l'intelligence. Il n'en est pas de même de la maniere de communiquer le feu des artifices fixes aux artifices mobiles. C'est un secret que MM. Ruggieri paroissoient s'être reservé, qui a été découvert par M. Perrinet d'Orval, & dont cet auteur a fait présent au public. Voici donc, d'après lui, en quoi consiste le fondement des feux qu'on a admirés sur le théâtre de la comédie italienne.
Le corps de la machine est une espece de roue de bois sans jantes, qui entre dans un long bâton cylindrique qui lui sert comme d'axe. Cet axe est en partie quarré & en partie rond. La partie ronde est bien polie & même graissée de savon. On attache cet axe par le moyen d'une croix de fer, & il est destiné à porter tout l'ensemble de la machine. La premiere roue de bois porte d'abord à un moyeu cylindrique, percé dans sa circonférence de douze mortaises. Dans ces mortaises sont logés douze rais, &c. Une autre piece entre dans ce moyeu, autour duquel elle peut tourner. Elle est destinée, cette piece, à porter une girandole pentagone, ou un soleil tournant. Un second soleil tournant est ajusté sur l'axe par le moyen d'un second moyeu.
Enfin un coulant sert à former & à contenir tous ces soleils dans l'axe où ils sont enfilés & ajustés. D'abord le premier est mobile, le second fixe, le troisieme mobile, &c. ainsi alternativement un mobile, & un fixe. Il ne s'agit plus pour faire jouer cet artifice, que de communiquer le feu des soleils fixes aux mobiles, ce qui s'exécute avec des étoupilles logées dans les raînures des rais, lesquelles lancent leur feu en finissant sur le fond du couvercle du tourniquet. De-là le feu se communique au bout des fusées des jets qui doivent faire pirouetter le soleil tournant, & cela par une étoupille qui partant du fond de la boëte, est conduite à couvert au bout des jets, crainte que le feu ne puisse être porté d'aucune part que par le canal de communication.
Par cet arrangement il est évident 1°. que les porte-feux ayant un de leurs bouts découverts, mais dans un enfoncement bien caché, ne courent pas risque de prendre feu trop tôt ; 2°. qu'ils ne peuvent manquer de communiquer leur feu à l'étoupille, qui est au fond opposé du moyeu du soleil tournant auquel ils ne touchent cependant point, parce qu'il n'y a que quatre ou cinq lignes d'intervalle. Ainsi on conçoit aisément que dans le spectacle pyrique, dont j'ai donné la description, la derniere fusée de la premiere piece, qui est un soleil tournant, venant à finir, porte par une raînure, le feu à deux porte-feux cachés sous une boëte qui engrene dans celle de la tête du moyeu d'un soleil fixe. Le premier soleil mobile finissant, le soleil fixe s'allume ; celui-ci fini, communique son feu à la boëte pratiquée dans la tête de son moyeu, & les porte-feux lancent leur flamme au fond de celle du second soleil tournant : ainsi de suite jusqu'à la derniere roue.
On conçoit après cela qu'en garnissant différemment ces soleils tournans & ces mobiles de divers artifices, & en colorant même les feux, cette variété de feu fixe & de feu mobile peut former un spectacle assez brillant : sur quoi on peut consulter l'Essai sur les feux d'artifice, par M. P. d'Orval, & le Traité de M. Frezier sur la même matiere. (D.J.)
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PYRISABORA | (Géog. anc.) grande ville d'Asie, dans la Perse propre, c'est-à-dire l'Assyrie, près du bras de l'Euphrate creusé de main d'homme, & nommé en syriaque Nahar malcha, c'est-à-dire fleuve-royal. Zosime la nomme Bersabora. Ammien Marcellin, l. XXIV, p. 286, dit qu'elle étoit fort peuplée & qu'elle avoit des fossés qui en faisoient comme une île ; ambitu insulari circumvallatam. Elle étoit outre cela revêtue d'une double enceinte de murailles flanquées de tours. L'empereur Julien fit le siege de cette grande ville l'an de J. C. 363, il la prit en trois jours & la ruina. (D.J.)
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PYRITE | S. f. (Hist. nat. Minéralogie) pyrites, marcassita ; c'est le nom qu'on donne à une substance minérale essentiellement composée de fer, de soufre, mais dans laquelle il entre quelquefois accidentellement du cuivre & de l'arsenic.
Les pyrites varient pour la figure extérieure & pour l'arrangement de leurs parties. En général on peut les diviser en sphériques & en anguleuses. Les pyrites sphériques sont ou rondes ou ovales ou mamellonnées ; en les cassant on voit qu'elles sont composées de stries ou de parties semblables à des aiguilles, qui vont du centre à la circonférence. Les pyrites anguleuses sont celles qui au lieu d'être arrondies sont d'une figure composée d'angles comme les pierres crystallisées ; ces sortes de pyrites se nomment communément marcassites ; elles ne different point de la pyrite pour la composition intérieure, ce n'est que par la figure anguleuse qui est purement accidentelle. On a dit à l'article marcassite les différentes figures que prend cette espece de pyrite, il seroit inutile de le répéter ici. Voyez MARCASSITE.
A l'égard de la couleur, la pyrite est d'un jaune d'or, ou d'un jaune clair, ou blanche. La premiere est un composé de fer, de soufre & d'une portion plus ou moins considérable de cuivre ; ce métal s'y trouve quelquefois en si grande abondance, qu'on l'appelle mine jaune de cuivre, & on la traite avec succès pour en tirer ce métal, c'est même la mine de cuivre la plus commune. C'est la couleur jaune de cette espece de pyrite, qui a donné lieu à l'erreur où sont tombés quelques naturalistes, qui ont prétendu que l'on trouvoit du cuivre jaune ou laiton tout formé dans le sein de la terre.
La pyrite d'un jaune pâle ne contient que du fer & du soufre, & très-peu ou point de cuivre. On la nomme quelquefois pyrite martiale.
La pyrite blanche, outre le fer & le soufre qui constitue toute pyrite, contient de l'arsenic en plus ou moins d'abondance, c'est pourquoi on l'appelle pyrite arsenicale, les Allemands la nomment mispikkel.
On donne encore différens noms aux pyrites, d'après leurs différens usages ; il y a des pyrites dont on tire le soufre par le grillage ou par la distillation, c'est pour cela que l'on les nomme quelquefois pyrites sulfureuses. Voyez SOUFRE.
Il y a des pyrites qui se décomposent à l'air après y avoir été quelque tems exposées, & alors elles donnent du vitriol, c'est pour cela qu'il y en a que l'on désigne sous le nom de pyrites vitrioliques. Voyez VITRIOL.
Quelques auteurs, sur-tout les alchimistes qui veulent trouver de l'or & de l'argent par-tout, en ont cherché dans les pyrites, & ils ont donné à quelques-unes le nom de pyrites d'or ou de pyrites auriferes ; mais c'est accidentellement que ces métaux précieux se trouvent joints à la pyrite, & M. Henckel a fait voir la vanité de ces prétentions dans son ouvrage allemand, qui a pour titre Pyritologie, ou histoire naturelle de la pyrite dont j'ai donné la traduction françoise en 1760. Ce savant naturaliste y examine à fond les différentes especes de pyrites, & son ouvrage doit être regardé comme le traité le plus parfait que nous ayons sur la minéralogie en général, d'autant plus qu'il y parle de toutes les substances du règne minéral. En effet la pyrite joue un très-grand rôle dans la nature, elle contribue à ses plus grands phénomènes, tels que sont sur-tout les volcans, les tremblemens de terre, les eaux thermales, les eaux minérales, &c. La pyrite se trouve par-tout & il n'y a point de minéral plus universellement répandu dans la nature ; elle contient du fer & du soufre, & c'est d'elle que l'on tire cette derniere substance si nécessaire ; elle donne du vitriol, soit avant soit après avoir éprouvé l'action du feu, d'où l'on voit que rien n'est plus intéressant à connoître que cette substance.
La pyrite, sur-tout celle qui est composée purement de fer & de soufre, est d'une très-grande utilité dans les travaux de la métallurgie ; en effet dans les fonderies où l'on traite les mines de cuivre ou de plomb, on leur joint des pyrites pour faciliter leur premiere fonte & pour produire ce qu'on appelle la matte, c'est-à-dire la matiere réguline qui résulte de la premiere fonte des mines. Voyez MATTE. Les pyrites qui contiennent de l'arsenic sont nuisibles dans cette opération.
La pyrite a la propriété de donner des étincelles lorsqu'on la frappe avec de l'acier, c'est pour cela que quelques auteurs l'ont désignée sous le nom de pyrimachus. On s'en servoit anciennement au lieu de pierre à fusil pour en garnir les carabines & les armes à feu.
Les différentes especes de pyrites se trouvent répandues dans un grand nombre de roches ou de pierres ; on les y trouve soit en petites particules déliées dont la pierre est pénétrée, soit en masses diversement crystallisées, soit formant des masses qui n'ont aucune figure déterminée, c'est dans ces différens états qu'on les rencontre jointes à presque toutes les mines métalliques. Souvent la pyrite forme une masse qui remplit entierement la capacité des filons ; quelquefois elle se trouve par masses isolées ou en marons, c'est ce qu'on appelle pyrites en roignons. Tantôt la pyrite pénetre entierement la substance des pierres ou des mines auxquelles elle est jointe, tantôt elle ne s'attache qu'à leur surface, & forme des incrustations plus ou moins épaisses autour d'elles ; on trouve souvent de ces incrustations pyriteuses qui se sont formées sur des crystallisations qu'elles ont recouvertes après que ces crystaux ont pris la forme réguliere qui leur est propre. On rencontre souvent dans le sein de la terre des corps étrangers au regne minéral, tels que du bois, des coquilles & des corps marins, qui sont ou pénétrés ou incrustés de pyrites, ce qui démontre invinciblement la formation postérieure de ces substances minérales.
Les écrivains qui semblent avoir eu peur que les substances du regne minéral manquassent de noms, en ont donné un grand nombre à la pyrite ; outre ceux de pyrites & de marcassita, ils lui ont encore donné ceux de hephoestius lapis ou de hephoestites, pierre de Vulcain ; on l'a aussi appellé urius, lapis igniarius, à cause de la propriété que la pyrite a de donner des étincelles. On l'a nommée par la même raison pyrobolus, pyropus, pyrimachus, lapis luminis, othonna ; d'autres lui ont donné les noms de syderites, syderopyrites, à cause du fer qu'elle contient. On a appellé chalcopyrites la pyrite cuivreuse ; on a appellé pierre atramentaire, lapis atramentarius, la pyrite qui se vitriolise, &c. Voyez la Pyritologie de Henckel, chap. II. (-)
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PYRMONT | (Géog. mod.) comté, montagne & bourg d'Allemagne dans la Westphalie ; le bourg est à deux lieues de Hamelen, ville du duché de Brunswick ; le comté est fort petit & appartient aux comtes de Waldeck ; il est bien connu cependant par ses eaux minérales. long. 27 8. latit. 52. 13. (D.J.)
PYRMONT, imitation des eaux de (Chimie) On peut imiter très-heureusement par art les eaux minérales de Pyrmont. En voici la maniere. Prenez deux pintes d'eau de fontaine pure & légére ; ajoutez-y trente gouttes d'une forte solution de fer faite dans de l'esprit de sel, une drachme d'huile de tartre par défaillance, & trente gouttes d'esprit de vitriol plus ou moins, autant qu'il sera besoin pour que l'alkali de l'huile de tartre ne domine que foiblement. Secouez le tout ensemble brusquement, & vous trouverez dans cette eau artificielle le même goût des eaux naturelles de Pyrmont.
Le fondement de cette imitation est l'analyse même des eaux minérales de Pyrmont. On a trouvé par cette analyse qu'elles contiennent un fluide aqueux subtil, un fer volatil, & un alkali un peu prédominant, le tout uni ensemble dans une eau spiritueuse, vive & piquante. Il en résulte que cette eau artificielle, faite avec soin dans les proportions des ingrédiens dont nous avons parlé, imite exactement l'eau minérale de Pyrmont, & produit les mêmes effets en qualité de remede. (D.J.)
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PYR | ou PYRNA, (Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la Misnie, avec un fort château nommé Sonnenstein. Elle est sur l'Elbe à quatre lieues de Dresde. C'est près de Pyrna que les Prussiens en 1756 bloquerent les Saxons qui étoient au nombre de quinze mille hommes & les obligerent par famine à se rendre à discrétion. Long. 31. 34. latit. 51. 6. (D.J.)
Cetzel, (Jean) dominicain & inquisiteur, naquit à Pyrna vers le milieu du xv siecle, & mourut en 1519. Il avoit été choisi par les chevaliers teutoniques, pour prêcher les indulgences, & s'acquitta très-bien de sa commission. Il disoit en vendant cette rémission de toutes les peines des péchés, que les peuples n'avoient qu'à la bien payer, parce que leurs montagnes deviendroient des mines d'argent.
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PYROBOLOGIE | S. f. (Chimie) c'est ainsi que quelques-uns nomment la partie de la chimie qui s'occupe des feux d'artifice. Voyez les articles ARTIFICES, FEUX, & PYROTECHNIE. Ce mot est dérivé de deux mots grecs , feu, & , je lance ; ainsi il signifie l'art de lancer des feux.
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PYROBOLUS | (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la pyrite, à cause de la propriété qu'elle a de faire feu, frappée avec l'acier.
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PYROFORE | S. m. (Antiq. grecq.) les pyrophores étoient chez les Grecs, des hommes qui marchoient à la tête de l'armée, & tenoient dans leurs mains des vases remplis de feu, comme le symbole d'une chose sacrée. Ils étoient si respectés, que c'eût été un grand crime, même aux ennemis, de les attaquer.
L'usage du feu dans les cérémonies de la religion, subsistoit avant la loi de Moïse, & même avant Abraham, parmi les Chaldéens. Cette coutume vint à la fin à dégénérer en superstition. On immola des victimes au Feu, on lui dressa des autels, on lui consacra des temples. L'histoire nous apprend la vénération que lui portoient tous les anciens peuples asiatiques, les Chaldéens, les Egyptiens, les Indiens, les Perses, les Grecs, & nous en avons donné cent exemples dans ce Dictionnaire. (D.J.)
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PYROLE | S. f. (Botan.) la principale des quatre especes de pyrole établies par Tournefort, est la grande à feuilles arrondies, pyrola rotundi folia major, I. R. H. 256. en anglois, the larger round winter-green, or pyrola.
Sa racine est flexible, deliée, fibreuse, traçante & blanchâtre. Elle pousse cinq ou six feuilles arrondies, semblables à celles du poirier, d'où elle tire son nom. Elles sont assez charnues, épaisses, d'un verd-brun, lisses, attachées à de longues queues, couchées à terre, lesquelles conservent leur verdure durant tout l'hiver. Il s'éleve d'entre ces feuilles une tige simple, à la hauteur d'environ un pié, anguleuse, garnie de quelques petites feuilles pointues. Cette tige porte en sa sommité des fleurs agréables à l'oeil, odorantes, composées chacune de cinq pétales disposés en rose, arrondies, de couleur blanche, avec dix étamines courtes, ayant en leur milieu un pistil recourbé par le bout d'en-haut en façon d'une trompe d'éléphant.
Après que la fleur est tombée, ce pistil devient un fruit ou bouton anguleux, à cinq pans arrondis, divisé intérieurement en cinq loges, remplies de semences roussâtres & menues, semblables à de la sciure de bois.
Toute la plante a un goût amer & astringent. Elle croît aux lieux montagneux, ombrageux, bois & forêts. On la trouve en plusieurs provinces de France, & particulierement dans la haute Champagne. Elle se plaît sur-tout dans les pays froids, & dédaigne la culture des jardins ; car elle y vient comme malgré elle, y est toujours malade, & à la fin elle y meurt. Elle fleurit en Juin & Juillet.
Rai observe d'après Clusius, qu'il y a souvent de la différence dans la fleur de la pyrole, & qu'elle est tantôt plus grande & mollette, tantôt plus petite & plus dure. (D.J.)
PYROLE, (Mat. méd.) cette plante est comptée parmi les vulnéraires les plus célebres & les plus employés. Elle entre assez communément dans les especes ou assemblages de diverses plantes, qui sont connues sous le nom de vulnéraires de Suisse, & sous celui de faltranck. Voyez FALTRANCK.
Le suc de pyrole entre dans l'emplâtre opodeltoch. (b)
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PYROMANCIE | S. f. divination qu'on exerçoit par le moyen du feu.
Ce mot vient du grec , feu, & , divination.
Il y avoit chez les anciens différentes especes de pyromancie, ou diverses manieres de pratiquer la pyromancie, dont voici les principales. Tantôt on jettoit sur le feu de la poix broyée, & si elle s'allumoit promtement on en tiroit un bon augure. Tantôt on allumoit des flambeaux enduits de poix, & l'on en observoit la flamme, si elle étoit réunie & ne formoit qu'une seule pointe, on auguroit bien de l'événement sur lequel on consultoit, & tout au contraire si elle se partageoit en deux ; mais quand elle montroit trois pointes, c'étoit le présage le plus favorable. Si elle s'écartoit à droite ou à gauche, c'étoit signe de mort pour un malade, ou de maladie pour ceux qui n'en étoient pas encore attaqués ; son pétillement annonçoit des malheurs, & son extinction les dangers les plus affreux. Quelquefois on jettoit une victime dans le feu, & l'on s'attachoit à considérer comment il l'environnoit & la consumoit ; si la flamme formoit une pyramide, ou si elle se divisoit : en un mot la couleur, l'éclat, la direction, la lenteur ou la vivacité de cet élément dans les sacrifices, tout étoit matiere à observation & à prophétie. On attribuoit l'origine de cette espece de pyromancie au devin Amphiaraüs qui périt au siege de Thebes ; d'autres la rapportent aux Argonautes. Dans quelques occasions on ajoutoit au feu d'autres matieres, par exemple, on prenoit un vaisseau plein d'urine, dont l'orifice étoit bouché avec un tampon de laine, on examinoit de quel côté le vaisseau crevoit, & là-dessus on regloit les augures. D'autres fois on les prenoit en observant le pétillement de la flamme ou de la lumiere d'une lampe. Il y avoit à Athènes dans le temple de Minerve Poliade, une lampe continuellement allumée, entretenue par des vierges qui observoient exactement tous les mouvemens de sa flamme. Mais ceci se rapporte plus directement à la Lampadomancie ou Lychnomancie. Voyez LAMPADOMANCIE & LYCHNOMANCIE.
Quelques auteurs mettent au nombre des especes de pyromancie, l'abominable & barbare coutume qu'avoient certains peuples orientaux, de faire passer leurs enfans par le feu en l'honneur de Moloch : coutume imitée par les Juifs quand ils s'abandonnerent à l'idolatrie. Delrio y comprend aussi la superstition de ceux qui examinoient les symptomes des feux qu'on a coutume d'allumer la veille de la S. Jean-Baptiste, & la pratique de danser autour ou de sauter par-dessus. Glycas rapporte aussi d'après Théodoret, que des femmes chrétiennes avoient coutume de passer un certain jour de l'année, au-travers d'un feu avec leurs enfans, pratique qu'il regarde avec raison comme un reste des lustrations du paganisme. Voyez LUSTRATION.
Delrio dit que les Lithuaniens pratiquoient encore de son tems une espece de pyromancie. " Pour connoître, dit-il, quelle sera l'issue d'une maladie, ils mettent le malade devant un grand feu. Si l'ombre formée par son corps est droite & directement opposée au feu, c'est selon eux un signe de guérison ; si au contraire elle paroît de côté, ils désesperent du malade & le tiennent pour mort ". Delrio, disquisit. magic. lib. IV. cap. ij. sect. j. quaest. vij. pag. 500 & 501.
On donnoit encore à la pyromancie le nom de pyroscopie, aussi dérivé de , feu, & de , j'examine, je considere.
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PYROMETRE | S. m. (Physiq.) instrument qui sert à mesurer l'action du feu sur les métaux & sur les autres corps solides. Ce mot vient de , feu, & , mesure.
Le pyrometre a été inventé par M. Musschenbroeck, qui s'en est servi pour faire des expériences sur la dilatation des corps par le feu. Voyez ses commentaires sur les expériences de l'académie del Cimento, imprimés à Leyde en 1731, in-4 °.
Cet instrument consiste en général en plusieurs leviers, tellement disposés que pour peu que l'on imprime le plus petit mouvement au premier de ces leviers, à celui contre lequel doit porter l'extrêmité du corps dont on veut mesurer la dilatation, le dernier des leviers fait beaucoup de chemin, & mene une portion de roue dentée, qui engrene dans un pignon, par le moyen duquel elle fait tourner une aiguille ; cette aiguille parcourt un cadran divisé en un grand nombre de parties égales.
Si donc on veut mesurer la dilatation d'une verge de fer, par exemple, que le feu peut occasionner, on place cette verge horisontalement sous plusieurs lampes, qui font partie du pyrometre, & on assujettit cette verge fixement par une de ses extrêmités, de maniere qu'elle ne puisse se dilater de ce côté-là. La chaleur des lampes porte donc toute la dilatation vers l'autre extrêmité, qui aboutit au levier dont nous avons parlé, & par le mouvement de l'aiguille on juge de la quantité de la dilatation. Voyez les leçons de Physique de M. l'abbé Nollet, tome IV. page 353. (O)
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PYRONIE | (Mythol.) Diane avoit un temple en Arcadie sur le mont Crathis, où les Argiens venoient en grande cérémonie chercher du feu pour leurs fêtes de Lerna, d'où cette déesse a pris son nom. (D.J.)
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PYROPAECILOS | (Hist. nat.) nom que les anciens naturalistes donnoient à une espece de granite rouge avec des taches foncées ou noirâtres. Pline le designe aussi sous le nom de sycnites. On l'appelloit aussi pharonium.
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PYROPHORE | (Chymie) on nomme pyrophore plusieurs composés de l'art, lesquels par la réaction de plusieurs substances les unes sur les autres, s'embrasent lorsqu'ils sont exposés à un air chargé de vapeurs aqueuses. On les distingue des phosphores, en ce que ces derniers brûlent & se consument sans avoir besoin de l'humidité de l'air qui leur est même préjudiciable ; leur distinction, en ce qu'ils ne s'enflamment pas comme les pyrophores par le simple contact de l'air, nous paroît équivoque. Voyez PHOSPHORE.
Nous rapporterons les différens pyrophores qui nous sont connus ; mais nous ne donnerons la maniere d'exécuter que ceux qui se sont acquis le plus de réputation, soit par leur utilité, soit par le jour qu'ils ont jetté sur la Physique.
Il est évident que suivant notre définition, nous devons rejetter du nombre des pyrophores celui de M. Geoffroy, qui résulte de la fusion du savon noir avec l'antimoine diaphorétique, & plusieurs autres de cette espece, comme celui qui est fait avec le régule d'antimoine, le nitre & le tartre ; celui qui résulte de l'union du foie de soufre fondu avec le fer, ou des alkalis fondus avec l'antimoine ou le fer ; ils sont plutôt des phosphores, semblables à ceux que nous avons rangés dans le quatrieme ordre, à la quatrieme division. Voyez PHOSPHORE.
Mais nous reconnoissons comme pyrophore, un amas de pyrites exposés à l'air, & qui s'y enflamment, les ignitions produites par la chaleur qui naît du mêlange de l'eau à la chaux vive. Et nous nommons proprement pyrophore, celui de M. Mender qui résulte de l'union des crystaux de lune, & d'une sublimation de fer & d'orpiment écrasé sur un papier : celui de M. le Fevre médecin d'Uzès, formé par l'union du fer & du soufre avec l'eau : celui de M. Homberg, qui se fait par une calcination de l'alun mêlé avec la matiere fécale, & tous les autres de cette espece, comme celui de M. Lemeri le cadet, qui à la matiere fécale substitue d'autres matieres végétales ou animales, propres à devenir charbon ; & ceux dans lesquels à la place de charbon l'on employe d'autres sels vitrioliques, & même le soufre, ainsi qu'il conste par les expériences consignées dans les actes des médecins de Berlin, tome I. mémoire, vj. & dans les mémoires des savans étrangers, tome III. mémoire xv. Avec ces derniers pyrophores nous détaillerons celui de M. le Fevre, parce que son procédé inséré dans les mémoires de l'académie, n'ayant pu être exécuté, & révoqué en doute par M. Lemeri, il en communiqua un second plus détaillé qu'il ne publia pas.
Pyrophore de M. le Fevre. Mêlez une drachme de soufre commun réduit en poudre fine, dans un mortier, avec 2 drachmes de limaille de fer non rouillé, mettez ce mêlange dans un figon, ou bouteille de verre pareille à celles où l'on enferme les pierres à cautere, & de la capacité d'une once d'eau, mettez autant d'eau que de poudre dans le figon, puis le placez dans une cuillere de fer, remplie de sable, qu'elle n'en touche pas le fond, & que le sable ne vienne qu'à la hauteur de l'eau, la cuillere sera posée sur les cendres chaudes pour être chauffée doucement, trop de chaleur feroit sortir la matiere du figon, ou la feroit durcir comme une pierre. Quand l'eau sera imbibée, rajoutez-en autant deux & même trois fois. Ayez soin à chaque imbibition de remuer la poudre, la matiere commencera à noircir, puis se séchera. Cette opération dure 12 heures ; quand elle en dureroit 16 elle n'en réussiroit pas moins, car tout dépend d'administrer une douce chaleur. L'opération est finie lorsque sondant doucement la matiere avec un fil de fer gros comme une ficelle, on la trouve presque seche ; alors on met le figon sur les cendres chaudes, & lorsqu'il ne donne plus de vapeurs, que la matiere n'est ni dure, ni grumelée, on le bouche exactement pour le laisser refroidir. Mettez de cette matiere de la grosseur de la moitié d'une noisette, sur un papier ou linge double, dans 5 ou 6 minutes elle s'échauffera, après 5 ou 6 autres minutes elle fumera & sentira fortement le soufre, & enfin prendra feu ; sur-tout, remarque M. le Fevre, si lors de la composition on a ajouté au mêlange 9 à 10 grains de poix résine : ce pyrophore est bon 12 ou 15 heures.
Pyrophore ordinaire. Mettez 3 gros d'alun calciné avec un gros de charbon quelconque, détrempez ce mêlange avec de l'eau, & le mettez dans une petite cornue ou matras, enterrée dans le sable pour être calcinée au point que le feu étant ménagé au commencement, est sur la fin poussé à faire rougir le vaisseau qui contient la matiere ; pour lors le vaisseau étant bouché & refroidi, la matiere doit être grumelée & non en masse. Le sel que l'expérience nous a appris pouvoir être substitué à l'alun plus avantageusement, est le sel de Glauber, tombé en efflorescence. Au-lieu d'employer les matériaux dejà calcinés, l'on peut calciner à un feu modéré, dans une poële de fer, un mêlange d'une once & demie d'alun, & demi-once de farine, en le remuant de tems en tems sans le laisser enflammer, puis procéder pour le reste ainsi qu'il a été dit ci-dessus.
Les doses varient suivant les sels & les substances que vous employez avec le sel de Glauber, qui n'a pas perdu l'eau de la crystallisation, il faut son poids égal de farine ; il faut au tartre vitriolé plus que son poids de farine. De tous les vitriols, le blanc est celui qui fait le meilleur pyrophore. Pour le faire par cette voie, on calcine partie égale de vitriol & de sel de tartre avec la moitié de leur poids de farine. Quand on le veut faire avec le soufre, il faut le fondre avec quatre fois son poids d'alkali fixe ; puis mêler le composé qui en résulte, avec un poids égal de farine : on calcine le tout dans une poële de fer doucement, en détachant la matiere, prenant garde qu'elle ne se brûle. Lorsqu'elle ne fume plus sensiblement, on la traite dans la cornue ou le matras, comme il est exposé ci-dessus. Ce pyrophore s'enflamme plus promtement que les autres, & garde long-tems son inflammabilité. On abrege l'opération & la difficulté, si on calcine l'alkali & la farine ensemble avant d'y ajouter le soufre ; ce mêlange ainsi fondu, n'a plus besoin que d'être calciné une demi-heure. Les autres calcinations doivent être poussées jusqu'à quatre. Tous les pyrophores qui après la calcination, restent en masse, n'en sont pas moins bons ; ils se conservent plus long-tems, mais s'allument plus difficilement. Il faut les couper en petits morceaux, & humecter le papier sur lequel on les pose. Si ces pyrophores ne sont pas bien bouchés, ou si on leur donne souvent de l'air, ils absorbent peu-à-peu l'humidité, & perdent la propriété de s'enflammer ; mais l'expérience nous a appris qu'une nouvelle & assez légere calcination leur redonnoit leur premiere qualité.
La théorie des phénomènes que présentent les pyrophores, est fondée sur les propriétés des substances qui les composent. Dans les uns, l'acide vitriolique uni au phlogistique forme du soufre ; dans les autres, on l'y employe tout formé. Le soufre s'enflamme à une chaleur moyenne, quoiqu'il ne soit pas en contact avec des matieres embrasées ; il devient capable alors d'allumer les matieres charbonneuses dans ceux des pyrophores où on a employé des matieres propres à les former. Dans les autres le soufre se consume seul. Mais qui produira cette chaleur suffisante pour allumer le soufre ? La terre calcaire de l'alun, les alkalis & les chaux métalliques chargées d'acides violemment calcinés, attirent l'humidité de l'air, mais ne s'échauffent pas assez avec elle pour produire cette chaleur. Croirons-nous avec M. Macquer & M. de Suvigny, auteur du mémoire dejà cité des savans étrangers, que cette chaleur peut être dûe à l'acide vitriolique qui n'entre pas en entier dans la formation du soufre, ou qui se dégage de ce même soufre dans les pyrophores où il est employé dejà formé ? A quelques expériences d'assez peu de poids, qui attestent la décomposition du soufre, nous voulons bien ajouter celle qui lui arrive lorsqu'on le distille avec des matieres absorbantes, dans laquelle opération on retire quelques gouttes d'acide ; il restera toujours que cet acide est un esprit sulphureux volatil, que tous les acides de cette espece attirent foiblement l'humidité de l'air, & se mêlent trop tranquillement avec les alkalis ou terres absorbantes, pour pouvoir produire de l'une ou de l'autre maniere, ou même de leur combinaison, une chaleur assez forte pour allumer le soufre, qui est formé dans le pyrophore, ou qu'on a employé dans sa construction.
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PYROPUS | (Hist. nat.) nom que quelques auteurs ont donné au rubis à cause de sa couleur de feu. Voyez RUBIS.
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PYROTECHNIE | art du feu ; mot composé de , feu, & , art. C'est un des noms que porte la Chymie en général (voyez CHYMIE), & l'art des feux d'artifice en particulier. Voyez ARTIFICE. (b)
PYROTECHNIE MILITAIRE, (la) est celle qui enseigne la maniere de faire toutes sortes d'artifices & d'armes à feu ; qui apprend la composition de tout ce qui est nécessaire pour battre une place, comme canons, mortiers, bombes, grenades, carcasses, mines, brûlots ; & comprend même la fabrication d'ouvrages à feu qui ne servent que pour le divertissement, comme les fusées, les pétards, les pots & les lances à feu. Voyez ARMES A FEU, &c.
Quelques-uns donnent à la Pyrotechnie le nom d'Artillerie, quoique ce dernier terme semble être consacré aux armes destinées aux usages de la guerre. Quelques-uns aiment mieux l'appeller Pyrobologie, comme qui diroit feux missiles, des mots grecs , feu, & , lancer, jetter.
Wolfius a traité de la Pyrotechnie en mathématicien. Il est vrai qu'il ne donne pas des démonstrations bien géométriques ; mais la matiere n'en est pas toujours susceptible. Voyez les élémens de la Pyrotechnie sous les noms de différens instrumens & opérations, tels que CANON, BOMBE, FUSEES, MORTIER, &c. Chambers.
L'ouvrage de S. Remy, intitulé mémoires d'Artillerie, est un traité fort étendu sur la Pyrotechnie militaire ; Casimir Siemienowicz, gentilhomme polonois, a aussi donné sur cette matiere un ouvrage imprimé en 1651, qui a pour titre le grand art d'Artillerie. On n'a que la premiere partie de ce grand ouvrage. Peut-être n'auroit-on rien à desirer sur ce sujet, dit M. Blondel dans son traité de l'art de jetter les bombes, si la seconde avoit été donnée au public. Casimir promettoit de donner une doctrine complete des mortiers, de leur origine, de leurs diverses figures, de leur usage ; mais cette derniere partie n'a point été imprimée. On trouve dans notre traité d'Artillerie, seconde édition, l'essentiel de tout ce qui concerne la Pyrotechnie militaire, & l'origine ou l'époque des différentes inventions de nos bouches à feu. (Q)
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PYROTIQUE | adj. (Médecine) qui a la vertu de brûler, de cautériser. Voyez CAUTERE, CAUSTIQUE, ESCHAROTIQUE ; & sur l'usage du feu dans les maladies chirurgicales. Voyez le mot FEU. (Y)
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PYRPILE | (Géogr. anc.) Pline, l. IV. c. xij. dit que c'est un des noms que l'on donna à l'île de Délos, parce que le feu y avoit été trouvé. Solin, c. xj. p. 30. ajoute que non-seulement le feu y fut trouvé, mais encore la maniere de le produire. Il écrit Pyrpole ; & c'est ainsi qu'il faut écrire ; car ce nom dérive du grec , qui veut dire allumer du feu.
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PYRRHA | (Géogr. anc.) nom commun à plusieurs villes : 1°. c'étoit une ville de l'île de Lesbos : 2°. une ville de l'Eubée : 3°. une ville de l'Ionie : 4°. une ville de la Phocide : 5°. une ville de la Magnésie : 6°. une ville de la Lycie : 7°. une ville de la Carie : 8°. une ville aux environs du Palus-Méotides, qui dès le tems de Pline avoit été submergée, & ne subsistoit plus.
Pyrrha dans l'île de Lesbos, étoit la patrie du poëte Leschée, qui fleurissoit 1650 ans avant l'ere chrétienne, plus ancien que Pindare, & un peu moins ancien qu'Archiloque. On le croit auteur de la petite Iliade, dont il ne nous reste que quelques fragmens, qui se trouvent cités dans quelques auteurs grecs, & sur-tout dans Pausanias.
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PYRRHICHÉE | S. m. (Littér.) dans la poësie grec que & latine, pié ou mesure de vers composé de deux breves, comme Ds, m. Il dominoit à cause de sa légéreté dans la danse appellée pyrrhique. Voyez PYRRHIQUE.
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PYRRHICUS | (Géogr. anc.) ville de la Laconie. Pausanias, l. III. c. xxj. la met au nombre des dixhuit villes libres de ce pays-là. Elle étoit à quelque distance de la mer, & à quarante stades du fleuve Scyras. Les uns vouloient que Pyrrhus fils d'Achille, lui eût donné son nom ; mais d'autres soutenoient qu'elle avoit pris celui de Pyrrhicus, l'un des dieux des Curètes. Dans la place publique de cette ville il y avoit un puits si nécessaire aux habitans, qu'ils souffroient beaucoup de la soif lorsqu'il venoit à tarir. La ville Pyrrhicus avoit dans son territoire un temple de Diane Astarté.
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PYRRHIQUE | LA (Orchestiq. grecq.) danse de gens armés, voici la description de cette danse si célebre dans les écrits des poëtes & des historiens.
Les danseurs étoient vêtus de tuniques d'écarlate, sur lesquelles ils portoient des ceinturons garnis d'acier, d'où pendoient l'épée & une espece de courte lance. Les musiciens outre cela, avoient le casque, orné d'aigrettes & de plumes.
Chaque bande étoit précédée par un maître de ballet, qui marquoit aux autres les pas & la cadence, & qui donnoit aux musiciens le ton & le mouvement, dont la vîtesse représentoit l'ardeur & la rapidité des combats.
Cette danse de gens armés s'appelloit la pyrrhique, soit qu'elle eût été inventée par Minerve, lorsque pour célébrer la victoire remportée sur les Titans, elle institua les danses, & dansa la premiere avec ses armes ; soit que remontant encore plus haut, les Curètes en soient les auteurs, dans le tems que par le cliquetis de leurs armes & les mouvemens de leurs cors, ils calmoient selon le témoignage de la fable, les cris de Jupiter au berceau.
Les auteurs donnent diverses interprétations de l'origine du terme pyrrhique. Les uns assurent qu'elle fut ainsi nommée de Pyrrhus de Cydon, qui le premier apprit aux Crétois cette maniere de danser avec leurs armes sur la cadence du pié pyrrhique, c'est-à-dire d'une cadence précipitée, parce que le pié pyrrhique étant composé de deux breves, en désigne la vîtesse. D'autres prétendent que Pyrrhus fils d'Achille, fut l'inventeur de cette danse, & qu'il fut le premier qui dansa armé devant le tombeau de son pere. Aristote en fait Achille même l'auteur.
Quoi qu'il en soit, cette danse étoit fort ancienne dans la Grece, comme Homere le justifie par sa description du bouclier d'Achille. Il y place deux villes ; l'une jouissant d'une profonde paix ; l'autre accablée des malheurs de la guerre. Dans la premiere qu'il éleve au-dessus de la seconde, & dont il représente l'heureuse destinée, il n'y fait voir que des jours de fêtes, que nôces & que festins, suite naturelle de la prospérité ; & il dit :
Dans ces lieux fortunés la charmante jeunesse
Au son des instrumens signale son adresse ;
Et sur leurs doux accords réglant ses mouvemens,
Du beau sexe à l'envi fait les amusemens.
Dans ce même bouclier, il décrit une danse de Crete, ciselée avec le même artifice ; il la compose de jeunes garçons & de jeunes filles, dont il parle ainsi :
Là sur l'acier poli par une main divine,
Brilloit de mille traits une troupe enfantine,
Dont le pas animé & le port gracieux,
Fait l'objet le plus doux des hommes & des dieux.
Quand il vient au récit de leurs habillemens, il remarque que les filles portoient des couronnes en dansant, & les garçons des épées.
Les filles en dansant, se couronnent de fleurs ;
Les garçons du plaisir, l'ame moins occupée,
D'un riche ceinturon font briller leur épée.
Il n'oublie pas ceux qui menoient la danse, & qui marquoient aux autres l'air & les pas, sur lesquels ils devoient se régler.
Tandis qu'à cette fête on court de toutes parts,
Contenter à loisir ses curieux regards ;
Les acteurs enchantés d'une telle affluence,
Redoublent leur ardeur, & raniment la danse ;
Deux maîtres en cet art, du geste & de la voix,
Mettent la troupe en branle, & prescrivent les loix.
Mais laissons le bouclier d'Achille pour décrire cet exercice militaire qu'on nommoit la danse pyrrhique.
Les jeunes soldats n'ayant que des armes & des boucliers de bouis, faisoient en dansant plusieurs tours, & divers mouvemens qui représentoient les différentes évolutions des bataillons. Ils exprimoient aussi par leurs gestes tous les devoirs des soldats dans la guerre ; comment il falloit attaquer l'ennemi, manier l'épée dans le combat, lancer un dard, ou tirer une fleche ; voilà l'objet de la danse pyrrhique. Cependant plusieurs joueurs animoient ces soldats par le son de leurs flûtes, & réjouissoient le peuple qui étoit présent à ce spectacle. Celui qui présidoit à ces jeux étoit une personne d'autorité qui avoit droit de châtier ceux qui manquoient à leur devoir. Quelquefois la pyrrhique étoit composée de deux partis ; l'un d'hommes & l'autre de femmes, comme on le voit par cette ancienne épigramme :
In spatio veneris simulantur praelia Martis
Cum sese adversum sexus uterque venit.
Faemineam manibus nam confert pyrrhica classem,
Et velut in mortem militis, arma movet ;
Quae tamen haud ullo chalybis sunt tecta rigore,
Sed solum reddunt buxea tela sonum.
Souvent aussi les enfans nobles se divertissoient à ces jeux que l'on appelloit castrenses, parce qu'ils se faisoient ordinairement dans le camp, pour l'exercice & pour le divertissement des soldats : c'étoient là les jeux pyrrhiques.
Les Lacédémoniens furent ceux d'entre les Grecs qui s'adonnerent le plus à cette danse ; & au rapport d'Athénée, ils y exerçoient leur jeunesse dès l'âge de cinq ans.
Xénophon rapporte qu'on donna une fête à un ambassadeur des Paphlagoniens, dans laquelle on le régala de toutes sortes de danses guerrieres ; ensuite un mysien pour lui plaire davantage, fit entrer une baladine, qui étant armée d'un leger bouclier, dansa la pyrrhique avec tant de perfection, que les Paphlagoniens demanderent si les femmes grecques alloient à la guerre ; on leur répondit que oui, & qu'elles avoient chassé le roi de Perse de son camp.
Le même historien dans la description du festin que Seuthe, prince de Thrace, fit aux Grecs, parle encore d'une autre espece de pyrrhique : " Après le repas, dit-il, entrerent des cérasontins qui sonnerent la charge avec des flûtes, & des trompettes de cuir de boeuf crud, sur lesquelles ils imitoient la cadence de la lyre ; & Seuthe lui-même se levant, se mit à danser avec autant de vîtesse & de légéreté, que s'il eût tâché d'éviter un dard. "
Comme cette ancienne pyrrhique étoit une danse pénible, elle reçut dans la suite divers adoucissemens ; il paroît que du tems d'Athénée, la pyrrhique étoit une danse consacrée à Bacchus, où l'on représentoit les victoires de ce dieu sur les Indiens, & où les danseurs, au lieu d'armes offensives, ne portoient que des thyrses, des roseaux & des flambeaux. C'est sans doute cette seconde espece de pyrrhique dont le même auteur veut parler, lorsqu'il en fait une des trois sortes de danses qui appartenoient à la poësie lyrique. La pyrrhique décrite par Apulée dans le X. livre de ses Milésiades, porte aussi le caractere d'une danse tout-à-fait pacifique.
Néron aimoit beaucoup la pyrrhique ; l'histoire rapporte qu'au sortir d'un spectacle qu'il venoit de donner au peuple, il honora de la bourgeoisie romaine tous les éphebes étrangers qui y avoient dansé cette danse. (D.J.)
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PYRRHONIENN | ou SCEPTIQUE PHILOSOPHIE, (Hist. de la Philosophie) les Grecs étoient fatigués de tant de disputes sur le vrai & le faux, sur le bien & le mal, sur le beau & sur le laid, lorsqu'il s'éleva parmi eux une secte qui fit en peu de tems beaucoup de prosélytes. Ce fut la pyrrhonienne ou sceptique. Dans les autres écoles, on avoit un systême reçu, des principes avoués, on prouvoit tout, on ne doutoit de rien : dans celle-ci, on suivit une méthode de philosopher toute opposée, on prétendit qu'il n'y avoit rien de démontré ni de démontrable ; que la science réelle n'étoit qu'un vain nom ; que ceux qui se l'arrogeoient n'étoient que des hommes ignorans, vains ou menteurs ; que toutes les choses dont un philosophe pouvoit disputer, restoient malgré ses efforts couvertes des ténébres les plus épaisses ; que plus on étudioit, moins on savoit, & que nous étions condamnés à flotter éternellement d'incertitudes en incertitudes, d'opinions en opinions, sans jamais trouver un point fixe d'où nous pussions partir & où nous pussions revenir & nous arrêter. D'où les sceptiques concluoient qu'il étoit ridicule de définir ; qu'il ne falloit rien assûrer ; que le sage suspendoit en tout son jugement ; qu'il ne se laisseroit point leurrer par la chimere de la vérité ; qu'il régleroit sa vie sur la vraisemblance, montrant par sa circonspection que si la nature des choses ne lui étoit pas plus claire qu'aux dogmatiques les plus décidés, du-moins l'imbecillité de la raison humaine lui étoit mieux connue. Le sceptique étoit donc un ennemi commun.
Pyrrhon, disciple d'Anaxarque de la secte éléatique, exerça le premier cette philosophie pusillanime & douteuse, qu'on appelle de son nom Pyrrhonisme, & de sa nature Scepticisme. Si l'on examine la méthode des académiciens, on ne la trouvera pas fort éloignée de celle de Pyrrhon.
Pyrrhon naquit à Elée de parens obscurs. Il fut mauvais peintre avant que d'être philosophe. Il eut pour premier maître Brison, fils de Stilpon, disciple de Clinomaque, qui l'instruisit de cette dialectique épineuse, particuliere aux Eristiques. Il entendit ensuite Anaxarque, disciple de Métrodore de Chio, & s'attacha à ce philosophe. Ils suivirent ensemble Alexandre dans l'Inde, & conférerent avec les Brachmanes & les Gymnosophistes. Il ne retint de la doctrine de ses maîtres que les principes qui favorisoient son penchant naturel à ce doute. Il débuta d'une maniere qui ne dut guere moins offenser que surprendre : il dit qu'il n'y avoit rien d'honnête ni de deshonnête, rien d'injuste ni de juste, rien de beau ni de laid, rien de vrai ni de faux, & ce furent ses premiers mots. L'éducation, l'usage commun, l'habitude étoient, selon lui, les seuls fondemens des actions & des assertions des hommes. On assûre que sa conduite fut conséquente à sa philosophie ; qu'il ne se précautionnoit contre rien ; qu'il ne se détournoit point ; qu'il alloit droit à un char, à un précipice, à un bucher, à une bête féroce ; qu'il bravoit dans les occasions les plus périlleuses le témoignage évident de ses sens, & que souvent il dut son salut à ses amis qui l'accompagnoient. Si cela est, il faut regarder Pyrrhon comme une de ces têtes qui naissent étonnées, & pour qui tout est confondu : mais il n'en est rien ; il raisonnoit comme un insensé, & se conduisoit comme tout le monde. On lui remarqua seulement plus d'indifférence, plus d'indulgence & plus de résignation. N'ayant point d'avis, il n'étoit pas difficile de le déterminer ; nulle notion du bien & du mal, comment pouvoit-on l'offenser ? de quoi se seroit plaint un homme qui ne distinguoit pas la peine & le plaisir ? La suprême tranquillité d'ame qu'il avoit acquise étonnoit Epicure. Ses concitoyens le créérent grand-prêtre. Quelle que fût sa philosophie, le bien étoit donc la regle de sa vie : il n'en faut pas douter. L'Acatalepsie de Pyrrhon ne s'étendoit pas au rapport des sens : c'étoit une arme qu'il avoit inventée contre l'orgueil des dogmatiques, & qu'il n'employoit qu'avec eux. Il avoit ses sentimens particuliers dans l'école, & la conduite commune dans la société. Il fleurit dans la cent dixieme olympiade ; il mourut âgé de 90 ans. Les Athéniens lui éleverent une statue auprès du portique : il eut aussi un monument dans sa patrie.
Pyrrhon avoit appris sous Démocrite qu'il n'y avoit rien de réel que les atomes ; que ce que nous regardons comme des qualités propres des corps n'étoient que des affections de notre entendement, des opinions, une disposition, un ordre, une perception ; dans l'école éléatique, que le témoignage des sens étoit trompeur ; sous Stilpon, l'art funeste de disputer pour & contre presqu'avec un même avantage ; c'étoit un homme d'un caractere dur ; il voyoit les philosophes répandus en une infinité d'écoles opposées, & les uns sous le lycée, les autres sous le portique, criant : " C'est moi qui possede la vérité ; c'est ici qu'on apprend à être sage ; venez, messieurs, donnez-vous la peine d'entrer : mon voisin n'est qu'un charlatan qui vous en imposera ". Et ces circonstances concoururent à le conduire au Scepticisme qu'il professa.
Pyrrhon eut beaucoup de sectateurs. Le premier dont on fasse mention est Euriloque : c'étoit un homme violent, dont la conduite rendit de tems en tems ridicule une secte qui prêchoit le doute dans la recherche de la vérité, & l'ataraxie dans l'usage des passions : il avoit gardé pour les sophistes la haine de son maître ; cependant ils le harcelerent tellement en Elide par leurs questions épineuses, que d'impatience Euriloque jetta par terre son manteau & se précipita dans l'Alphée, laissant un fleuve entr'eux & lui.
Il y eut un Pyrrhon d'Athènes, disciple de Pyrrhon d'Elée, aimant la solitude comme son maître, & fuyant aussi les disputes de l'école & le tumulte du monde.
Timon le Phliasien fut danseur avant que d'être sceptique ; mais dégouté de cet art frivole, il alla à Mégare étudier la dialectique sous Stilpon, & de Mégare en Elide, écouter Pyrrhon. Il aima la table : il se faisoit un honneur de bien boire : ses débauches le réduisirent à la mendicité ; alors il se mit à courir l'Hellespont & la Propontide, professant la Philosophie & prêchant la sobriété. Il se fit de la réputation dans ce voyage ; il rétablit ses affaires, & reparut dans Athènes où il demeura jusqu'à sa mort. Ce fut un homme de grande pénétration ; personne ne saisissoit plus rapidement & plus sûrement le vice d'un raisonnement, ni le foible d'un systême. Maître dans l'art de manier l'ironie, il accabloit de ridicule ceux qu'il avoit terrassés : il se plut à écrire des satyres. La calomnie & la médisance n'y étoient pas épargnées : il déchira les plus honnêtes gens, & n'en fut que plus agréable au peuple athénien. Il donna une des plus fortes preuves qu'on puisse exiger de la sincérité de son indifférence philosophique ; c'est qu'auteur d'ouvrages, il en soignoit si peu les copies, qu'elles étoient pourries, rongées des rats, perdues, & que souvent il étoit obligé de suppléer les endroits défectueux, de mémoire. Il mourut âgé de 90 ans.
La secte pyrrhonienne dura peu. Elle s'éteignit depuis Timon le Phliasien jusqu'à Enésideme, contemporain de Ciceron. En voici les principaux axiomes.
Le Scepticisme est l'art de comparer entr'elles les choses qu'on voit & qu'on comprend, & de les mettre en opposition.
On peut opposer ou les choses qu'on voit à celles qu'on voit, ou les choses qu'on entend à celles qu'on entend, ou les choses qu'on entend à celles qu'on voit.
L'Ataraxie est le but du Scepticisme.
Son grand axiome, c'est qu'il n'y a point de raison qui ne puisse être contrebalancée par une raison opposée & de même poids.
Le sceptique ne décide rien ; ce n'est pas qu'il ne soit affecté comme les autres hommes, & que la sensation n'entraîne son jugement ; mais il réserve son doute, pour l'opposer à l'orgueil des dogmatiques, pour qui tout est évident dans les sciences.
Sous ce point de vue, le sceptique ne forme point une secte ; toute secte supposant un systême de plusieurs dogmes liés entr'eux, & énonçant des choses conformes aux objets des sens.
C'est un sectaire, en ce qu'il y a des apparences d'après lesquelles il se croit obligé de régler sa conduite.
Il ne nie point les apparences, mais bien tout ce qu'on affirme de l'objet apparent.
Il a trois motifs qui le déterminent à acquiescer aux apparences ; l'instruction naturelle ; l'effort des passions ; les lois, les usages & la tradition des arts.
Celui qui prononcera qu'il y a quelque chose de bon ou de mauvais en soi, sera troublé toute sa vie, tantôt par l'absence du bon, tantôt par la présence du mauvais ; il cherchera à éloigner une chose, & en rapprocher une autre, & il sera tout à ce travail.
Le sceptique peut se promettre l'ataraxie, en saisissant l'opposition des choses qu'on apperçoit par le sens & de celles qu'on connoît par la raison, ou par la suspension du jugement lorsque l'opposition dont il s'agit ne peut être saisie.
Il y a dix lieux communs qui conduisent à la suspension du jugement.
Le premier, c'est que les images varient selon la différence des animaux.
Le second, c'est que les images varient selon la différence des hommes ; elles ne sont pas les mêmes d'un homme à un autre.
Le troisieme se tire de la différence des sens ; ce qui est agréable à l'odorat est souvent désagréable au goût.
Le quatrieme, des circonstances ; comme les habitudes, les dispositions, les conditions, le sommeil, la veille, l'âge, le mouvement, le repos, l'amour, la haine, la faim, la satiété, la confiance, la crainte, la joie, le chagrin. Toutes ces choses influent d'un homme à un autre dans le même moment, & d'un homme à lui-même en différens momens, où il est d'expérience que les images varient.
Le cinquieme, des positions, des tems, des lieux, & des intervalles.
Le sixieme, de la combinaison, car aucun objet ne tombe solitaire sous nos sens, peut-être pouvons-nous prononcer sur cette combinaison, mais non sur les objets combinés.
Le septieme, des quantités & des constitutions des sujets.
Le huitieme, des rapports.
Le neuvieme, de la fréquence & de la rareté des sensations.
Le dixieme, des constitutions, des coutumes, des lois, des superstitions, des préjugés, des dogmes qui présentent une foule d'oppositions qui doivent suspendre le jugement de tout homme circonspect, sur le fond.
A ces lieux des anciens sceptiques, ceux qui vinrent après en ajouterent cinq autres, la diversité des opinions du philosophe & du peuple, du philosophe au philosophe, du philosophe à l'homme du peuple, & de l'homme du peuple à l'homme du peuple ; le circuit des raisons à l'infini ; la condition de celui qui voit ou comprend relativement à l'objet vû ou compris ; les suppositions qu'on prend pour des principes démontrés, la pétition de principe dans laquelle on prouve une chose par une autre & celle-ci par la premiere.
Les étiologies des dogmatiques peuvent se réfuter de huit manieres ; en montrant 1° que l'espece de la cause assignée n'est pas de choses évidentes, ni une suite avouée de choses évidentes ; 2° qu'entre différens partis qu'on pourroit prendre, si l'on connoissoit toutes les raisons de se déterminer, on suit celui qu'il plaît aux dogmatiques qui celent ou qui ignorent les raisons qui rendroient perplexe ; 3° que tout ce qui est, est soumis à un ordre, & que leurs raisons n'en montrent point ; 4° qu'ils admettent les apparences comme elles se font, & qu'ils imaginent avoir conçu la maniere dont se font les non-apparens, tandis que les apparens & les non-apparens ont peut-être une même maniere d'être, peut-être une maniere particuliere & diverse ; 5° que presque tous rendent raison d'après des élémens supposés, & non d'après des lois générales, communes & avouées ; 6° qu'ils choisissent les phenomenes qui s'expliquent facilement d'après leurs suppositions, mais qu'ils ferment les yeux sur ceux qui les contredisent & les renversent ; 7° que les raisons qu'ils rendent répugnent quelquefois non-seulement aux apparences, mais à leurs propres hypothèses ; 8° qu'ils concluent des apparences à ce qui est en question, quoiqu'il n'y ait pas plus de clarté d'un côté que de l'autre.
Il est impossible d'apporter une raison qui convienne généralement à toutes les sectes de philosophes, aux sens, à la chose, aux apparences.
Le sceptique ne définit point son assentiment, il s'abstient même d'expressions qui caractérisent une négation ou une affirmation formelle. Ainsi il a perpétuellement à la bouche, " je ne définis rien, pas plus ceci que cela ; peut-être oui, peut-être non ; je ne sais si cela est permis ou non-permis, possible ou impossible ; qu'est-ce qu'on connoît ? être & voir est peut-être une même chose ".
Dans une question proposée par le dogmatique, le pour & le contre lui conviennent également.
Quand il dit qu'on ne comprend rien, cela signifie que de toutes les questions agitées entre les dogmatiques, il n'en a trouvé aucune parmi celles qu'il a examinées, qui soit compréhensible.
Il ne faut confondre le Scepticisme ni avec l'Héraclicisme, ni avec le Démocritisme, ni avec le systême de Protagoras, ni avec la philosophie de l'académie, ni avec l'empirisme.
Il n'y a aucun caractere théorétique du vrai & du faux, il y en a un pratique. Le caractere théorétique qu'on apporte du vrai & du faux, doit avoir le sien ; je raisonne de même de celui-ci, & ainsi à l'infini.
Le caractere théorétique du vrai ou du faux, dans celui qui juge, ou dans l'homme, ne se peut ni entendre ni démontrer.
Quel est entre tant d'avis opposés, celui auquel il faut se conformer.
Le caractere du vrai & du faux considéré relativement au sens & à l'entendement n'est pas moins obscur. L'homme ne juge pas par le sens seul, par l'entendement seul, ni par l'un & l'autre conjointement.
Le caractere du vrai & du faux relativement à l'imagination est trompeur ; car qu'est-ce que l'image ? Une impression faite dans l'entendement par l'objet apperçu. Comment arrive-t-il que ces impressions tombent successivement les unes sur les autres, & ne se brouillent point ? Quand d'ailleurs cette merveille s'expliqueroit, l'imagination prise comme une faculté de l'entendement ne se concevroit pas plus que l'entendement qui ne se conçoit point.
Quand nous conviendrions qu'il y a quelque caractere de la vérité, à quoi serviroit-il ? les dogmatiques nous disant que la vérité abstraite ne subsiste pas, elle n'est rien.
Une chose obscure n'a point de caractere qui démontre que cette chose soit plutôt cela qu'autre.
Mais la liaison dans le raisonnement ne se connoit pas plus que l'objet ; il faut toujours en venir à prouver une liaison par une autre, ou celle-ci par celle-là, ou procéder à l'infini, ou s'arrêter à quelque chose de non démontré.
D'où il s'ensuit qu'on ne sait pas même encore ce que c'est qu'une démonstration, car toutes les parties du raisonnement ne coexistent pas ensemble, ni la démonstration qui en résulte, ni la force conclusive, ni séparément.
Le syllogisme simple est vicieux ; on l'appuie sur une base ruineuse, ou des propositions universelles, dont la vérité est admise sur une induction faite des singuliers, ou des propositions singulieres, dont la vérité est admise sur une concession précédente de la vérité des universelles.
L'induction est impossible, car elle suppose l'exhaustion de tous les singuliers : or les singuliers sont infinis en nombre.
Les définitions sont inutiles ; car celui qui définit ne comprend pas la chose par la définition qu'il en donne, mais il applique la définition à une chose qu'il a comprise ; & puis si nous voulons tout définir, nous retomberons dans l'impossibilité de l'infini ; & si nous accordons qu'il y a quelque chose qu'on peut comprendre sans définition, il s'ensuivra qu'alors les définitions sont inutiles, & que par conséquent il n'y en a point de nécessaire.
Autre raison pour laquelle les définitions sont inutiles ; c'est qu'il faut commencer par établir la vérité des définitions, ce qui engage dans des discussions interminables.
Le genre ou l'espece sont ou des notions de l'entendement ou des substances. Si c'est le premier, il y a la même incertitude que s'il s'agissoit de l'entendement ; si c'est le second, les especes ne peuvent être comprises dans les genres, & il n'y a plus ni especes ni genres.
Des différens sophismes qu'on peut faire, la dialectique ne résout que ceux dont la solution est inutile ; ce n'est point le dialecticien, c'est l'homme versé dans l'art ou la science qui les résout.
Il en faut dire autant des amphibologies. Les distinctions du dialecticien sont utiles dans le cours de la vie ; c'est l'homme instruit de l'art ou de la science qui appercevra l'amphibologie qui tromperoit.
Si le sceptique ne voit que de l'incertitude dans la philosophie naturelle, croit-on que la philosophie morale lui soit moins suspecte ?
Il se conforme à la vie commune, & il dit avec le peuple, il y a des dieux, il faut les adorer, leur providence s'étend sur tout ; mais il dispute de ces choses contre le dogmatique, dont il ne peut supporter le ton décisif.
Entre les dogmatiques, les uns disent que Dieu est corporel, d'autres qu'il est incorporel ; les uns qu'il a forme, les autres qu'il n'en a point ; les uns qu'il est dans le lieu, les autres qu'il n'y est pas ; les uns qu'il est dans le monde, les autres qu'il est hors du monde : mais que peut-on prononcer sur un être dont la substance, la nature, la forme, & le lieu sont inconnus ?
Les preuves que les dogmatiques apportent de son existence sont mauvaises ; ou l'on procede par l'évident ou par l'obscur ; par l'évident, c'est une absurdité, car si l'on conçoit ce que l'on se propose de démontrer, la démonstration ne signifie rien ; par l'obscur, c'est une impossibilité.
On ne peut ni démontrer l'existence de Dieu, ni la reconnoître par la providence, car s'il se mêloit des choses d'ici bas, il n'y auroit ni mal physique ni mal moral.
Si Dieu ne se montre point par sa providence, si l'on ne remarque point des vestiges de son existence dans quelques effets ; si on ne le conçoit ni en lui, ni par quoi que ce soit hors de lui, d'où sait-on qu'il est ?
Il faut ou nier qu'il existe, ou le rendre auteur du mal qu'il n'a point empêché, s'il l'a pu, ou le rendre impuissant, s'il s'est fait sans qu'il pût l'empêcher. Le dogmatique est serré entre l'impuissance d'un côté, ou la mauvaise volonté de l'autre.
Il est vraisemblable qu'il y a cause ; car sans cause comment y auroit-il accroissement, décroissement, génération, corruption, mouvement, repos, effets. Mais d'un autre côté, on peut soutenir avec le même avantage & la même vraisemblance qu'il n'y a point de cause, car la cause ne se connoît que par l'effet ; l'effet ne se conçoit que par la cause : comment sortir de ce cercle ?
D'ailleurs puisqu'il s'agit de l'existence de la cause, dès le premier pas on sera forcé de remonter à la cause de cette cause, & à la cause de celle-ci, & ainsi de suite à l'infini : or ce progrès de causes à l'infini est impossible.
Les principes matériels ne se comprennent pas davantage ; les dogmatiques en parlent d'une infinité de manieres diverses ; il n'y a aucun caractere de vérité qui décide plutôt en faveur d'une opinion que d'une autre.
Le corps est incompréhensible par lui-même. Il n'est rien sans la longueur, la largeur, la profondeur, & l'impénétrabilité, & ces qualités ne sont rien sans le corps.
Voilà pour les corps simples ; l'incertitude est bien autre sur les composés. On ne sait ce que c'est que le contact, la combinaison, l'affinité, la simpathie, le mêlange ; & la diversité des opinions est infiniment plus grande encore. Ceux qui assurent qu'il y a mouvement ont pour eux l'expérience ; ceux qui le nient ont pour eux la raison. Comme homme qui juge d'après les apparences, le sceptique l'admet ; comme philosophe qui demande la démonstration de tout ce qu'il admet, il le rejette.
Le raisonnement qui suit, entr'autres, suspend surtout son jugement dans la question du mouvement. S'il y a quelque chose de mu, il l'est ou de lui-même ou par un autre. S'il est mu par un autre, celui-ci le sera ou de lui-même ou par un autre, & ainsi de suite jusqu'à-ce qu'on soit arrivé à un être mu de lui-même, ce qui ne se conçoit pas.
L'accroissement, la diminution, la soustraction, la translation offrent les mêmes difficultés que le mouvement.
Le tout ne se comprend point ; car qu'est-ce que le tout, sinon l'aggrégation de toutes les parties ? Toutes les parties ôtées, le tout se réduit à rien.
Mais les parties ou elles sont parties du tout, ou parties les unes des autres, ou parties d'elles-mêmes. Parties du tout, cela ne se peut, car le tout & ses parties c'est une même chose ; parties les unes des autres ou d'elles-mêmes, cela ne se peut.
Mais s'il n'y a notion certaine ni du tout ni de ses parties, il n'y aura notion certaine ni d'addition ni de soustraction, ni d'accroissement, ni de diminution, ni de corruption, ni de génération, ni d'aucun autre effet naturel.
Si la substance est fluxile, comme le prétendent les dogmatiques, & que sans-cesse il s'en échappe quelque chose, & que sans-cesse quelque chose s'y joigne, il n'y a point de corps en repos, aucun état permanent dans la substance.
Si le lieu est l'espace que le corps occupe, ou il a les dimensions mêmes du corps, ou il ne les a pas ; s'il les a, c'est la même chose que le corps ; s'il ne les a pas, le lieu & le corps sont inégaux.
Les dogmatiques ne savent ce que c'est que le lieu, l'espace & le vuide, sur-tout s'ils distinguent le lieu du vuide ; l'espace ayant des dimensions, il s'ensuit ou que des corps se pénetrent, ou que le corps est son propre espace.
A juger du tems par les apparences, c'est quelque chose ; par ce qu'en disent les dogmatiques, on ne sait plus ce que c'est.
La notion du tems est liée à celle du mouvement & du repos. Si de ces trois idées il y en a une d'incertaine, les autres le deviennent.
Le tems peut-il être triple ? Le passé & le futur ne sont pas : l'un n'est plus, l'autre n'est pas encore. Le présent s'échappe, & sa vîtesse le dérobe à notre conception.
Le sceptique compte dans la société, il sait ce que c'est que nombre quand il n'en dispute pas avec les dogmatiques ; mais il ne les a pas plutôt entendus sur ce sujet, que toutes ses notions se confondent.
Lorsque les dogmatiques rapportent le bien à ce qui excite notre desir, à ce qui nous est utile, à ce qui fait notre bonheur, ils spécifient bien les effets du bien, mais ils ne désignent point ce que c'est.
Chacun a son bien particulier. Il n'y a aucun bien qui soit bien & qui le soit de la même maniere pour deux individus : la notion du bien est donc aussi vague qu'aucune autre.
Le desir du bien n'est pas le bien, sans quoi nous aurions le bien que nous desirons ; ce n'est pas la chose desirée, car la chose desirée n'est en elle-même ni le bien ni le mal. Le bien n'est donc ni en nous, ni hors de nous : ce n'est donc rien.
Quand le sceptique établit entre les choses les distinctions de bien & de mal, de juste & d'injuste, il se conforme à l'usage, au-lieu que le dogmatique croit se conformer à l'évidence & à la raison.
Le sceptique est sans passion relativement à certaines choses, & très-modéré dans sa passion relativement à d'autres. Tout est affaire de convention pour lui. Il sait que ce qui est bien dans un moment & pour lui, dans le même moment est mal pour un autre, & dans le moment suivant sera mal pour lui ; que ce qui est estimé honnête ou deshonnête dans Athènes ou dans Rome, prend ailleurs le nom d'indifférent. Quoi qu'il voye, quoi qu'il entende, quoi qu'on fasse, il reste immobile ; tout lui paroît également bien ou mal, ou rien en soi.
Mais si le bien & le mal ne sont rien en soi, il n'y a plus de regle ni des moeurs ni de la vie.
La vertu est une habitude ; or on ne sait ce que c'est qu'une habitude ni en soi ni dans ses effets.
Les mots d'arts & de sciences sont pour le sceptique vuides de sens. Au reste, il ne soutient ces paradoxes que pour se détacher des choses, écarter les troubles de son ame, réduire ce qui l'environne à sa juste valeur, ne rien craindre, ne rien desirer, ne rien admirer, ne rien louer, ne rien blâmer, être heureux, & faire sentir au dogmatique sa misere & sa témérité.
D'où l'on voit que le doute avoit conduit le sceptique à la même conclusion que le stoïcien tenoit de la nécessité.
Que ces philosophes avoient rendu à la Philosophie un service très-important en découvrant les sources réelles de nos erreurs, & en marquant les limites de notre entendement.
Qu'au sortir de leur école on devoit prononcer avec beaucoup de circonspection sur les choses qu'on croyoit entendre le mieux.
Que leur doctrine indiquoit les objets sur lesquels nous étions dans les ténébres & que nous ne connoîtrions jamais.
Qu'elle tendoit à rendre les hommes indulgens les uns envers les autres, & tempérer en tous l'impétuosité des passions.
Et que la conclusion qu'on en tiroit, c'est qu'il y a dans l'usage de la raison une sorte de sobriété dont on ne s'écarte point impunément.
Il n'étoit pas possible qu'une secte qui ébranloit tout principe, qui disoit que le vice & la vertu étoient des mots sans idées, & qu'il n'y avoit rien en soi de vrai & de faux, de bon & de mauvais, de bien & de mal, de juste & d'injuste, d'honnête & de deshonnête, fît de grands progrès chez aucun peuple de la terre. Le sceptique avoit beau protester qu'il avoit une maniere de juger dans l'école & une autre dans la société, il est sûr que sa doctrine tendoit à avilir tout ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes. Nos opinions ont une influence trop immédiate sur nos actions, pour qu'on pût traiter le scepticisme avec indifférence. Cette philosophie cessa promtement dans Athènes ; elle fit peu de progrès dans Rome, sur-tout sous les empereurs. Auguste favorisa les Stoïciens & les Péripatéticiens ; ses courtisans étoient tous épicuriens ; le superstitieux Tibere inclina pour le pythagorisme & sa divination ; Caius, Claude, & Néron ne firent aucun cas de la Philosophie & des Philosophes ; les Pythagoriciens & les Stoïciens furent en honneur à la cour de Vespasien & de Tite ; Trajan & Adrien les aimerent tous indistinctement. Les Antonins professerent eux-mêmes la philosophie dogmatique & stoïcienne. Julie concilia la faveur de Sévere aux Platoniciens ; il parut cependant de tems-en-tems quelques sceptiques.
On donne ce nom à Claude Ptolémée. Il est sûr qu'il fit assez peu de cas de la raison & des lumieres de l'entendement. Corneille Celse avoit une érudition trop variée & trop superficielle pour être dogmatique. Nous ne dirons rien de Sextus Empiricus ; qui est-ce qui ne connoît pas ses hypotyposes ? Sextus Empiricus étoit africain. Il écrivit au commencement du troisieme siecle. Il eut pour disciple Saturninus, & pour sectateur Théodose Tripolite. Le sceptique Uranius parut sous le regne de Justinien.
Le Scepticisme s'assoupit depuis ce tems jusqu'en 1562, que naquit le portugais, François Sanchez. Il publia un ouvrage intitulé, de multùm nobili & primâ universali scientiâ quod nihil scitur. Ce fut une maniere adroite d'attaquer l'Aristotélisme sans se compromettre. Sanchez en vouloit aux erreurs qui regnoient de son tems. Jérôme Hirnhaym en vouloit à toute connoissance humaine, comme il paroît par le titre de son ouvrage, de tytho generis humani, sive scientiarum humanarum inani ac ventoso humore, difficultate, labilitate, falsitate, jactantiâ, praesumptione, incommodis & periculis, tractatus brevis, in quo etiam vera sapientia à falsa discernitur, & simplicitas mundo contempta extollitur, idiotis in solatium, doctis in cautelam conscriptus. Hirnhaym étoit chanoine de l'ordre de Prémontré, & abbé de Strahow en Boheme. Ce pieux sceptique poussa le doute aussi loin qu'il peut aller. Il n'y a pour lui aucun axiome de Philosophie qui soit infaillible. Il oppose la Philosophie à la Théologie, la révélation à la raison, la création à l'axiome ex nihilo nihil fit ; l'Eucharistie à l'axiome il est impossible qu'un même corps soit en plusieurs lieux à la fois ; la Trinité à l'axiome que un & un font deux, & deux & un font trois. Selon lui les apôtres qui ont vécu avec Jesus-Christ, qui l'ont vû, qui l'ont entendu, qui l'ont touché, avec qui ils ont mangé, ne sont sûrs de ces faits que par la foi, & non par le témoignage de leurs sens qui a pû les tromper. Il rapporte tout à l'infaillibilité de l'Eglise : le bon homme ne s'apperçoit pas que cette proposition, l'Eglise est infaillible, ne peut jamais acquérir l'évidence qu'il refuse à celle-ci ; il est impossible qu'une chose soit & ne soit pas en même tems ; le tout est plus grand que sa partie, & autres qu'il combat de bonne foi.
Le pyrrhonien, François la Mothe le Vayer, naquit à Paris en 1586 ; c'est le Plutarque françois. Il avoit beaucoup lu & beaucoup réfléchi. Il est sceptique dans son Horatius Tuberon, cynique dans son Hexameron rustique. Libre dans ses écrits & sévere dans ses moeurs, c'est un des exemples à objecter à ceux qui se hâtent de juger des actions des hommes par leurs discours.
Pierre-Daniel Huet marcha sur les traces de la Mothe le Vayer, & se montra parmi nous un très-hardi contempteur de la raison.
Huet naquit à Caën en 1630, ce fut un des hommes les plus savans que nous ayons eu ; les Lettres, la Philosophie, les Mathématiques, l'Astronomie, la Poësie, les langues hébraïque, grecque & latine, l'érudition, toutes les connoissances lui furent presque également familieres. Il eut les liaisons les plus étroites avec la plûpart des grands hommes de son siecle, Petau, Labbé, Cossart, Bochart, Vavassor, & Rapin. Il inclina de bonne heure au scepticisme, prenant la force de son esprit qu'il trouvoit souvent au-dessous des difficultés des questions, pour la mesure de l'étendue de l'esprit humain ; ce en quoi il y avoit bien peu d'hommes à qui il faisoit injustice, il en concluoit au dedans de lui-même, que nous ne sommes pas destinés à connoître la vérité. De jour en jour ce préjugé secret se fortifioit en lui, & il ne connut peut-être qu'il étoit sceptique, qu'au moment où il écrivit son ouvrage de la foiblesse de l'entendement humain. On arrive au Pyrrhonisme par deux voies tout-à-fait opposées, ou parce qu'on ne sait pas assez, ou parce qu'on sait trop. Huet suivit la derniere, & ce n'est pas la plus commune.
Mais parmi les sectateurs du Pyrrhonisme, nous avons oublié Michel de Montagne, l'auteur de ces essais qui seront lus tant qu'il y aura des hommes qui aimeront la vérité, la force, la simplicité. L'ouvrage de Montagne est la pierre de touche d'un bon esprit. Prononcez de celui à qui cette lecture déplaît, qu'il a quelque vice de coeur ou d'entendement ; il n'y a presqu'aucune question que cet auteur n'ait agitée pour & contre, & toujours avec le même air de persuasion. Les contradictions de son ouvrage, sont l'image fidele des contradictions de l'entendement humain. Il suit sans art l'enchaînement de ses idées ; il lui importe fort peu d'où il parte, comment il aille, ni où il aboutisse. La chose qu'il dit, c'est celle qui l'affecte dans le moment. Il n'est ni plus lié, ni plus décousu en écrivant, qu'en pensant ou en rêvant. Or il est impossible que l'homme qui pense ou qui rêve, soit tout-à-fait décousu. Il faudroit qu'un effet pût cesser sans cause, & qu'un autre effet pût commencer subitement & de lui-même. Il y a une liaison nécessaire entre les deux pensées les plus disparates ; cette liaison est, ou dans la sensation, ou dans les mots, ou dans la mémoire, ou au dedans, ou au dehors de l'homme. C'est une regle à laquelle les fous mêmes sont assujettis dans leur plus grand désordre de raison. Si nous avions l'histoire complete de tout ce qui se passe en eux, nous verrions que tout y tient, ainsi que dans l'homme le plus sage & le plus sensé. Quoique rien ne soit si varié que la suite des objets qui se présentent à notre Philosophe, & qu'ils semblent amenés par le hasard, cependant ils se touchent tous d'une ou d'autre maniere ; & quoi qu'il y ait bien loin de la matiere des coches publics, à la harangue que les Mexiquains firent aux Européens, quand ils mirent le pié pour la premiere fois dans le nouveau monde, cependant on arrive de Bordeaux à Cusco sans interruption ; mais à la vérité, par de bien longs détours. Chemin faisant, il se montre sous toutes sortes de faces, tantôt bon, tantôt dépravé, tantôt compatissant, tantôt vain, tantôt incrédule, tantôt superstitieux. Après avoir écrit avec force contre la vérité des miracles, il fera l'apologie des augures ; mais quelque chose qu'il dise, il intéresse & il instruit. Mais le Scepticisme n'eut ni chez les anciens, ni chez les modernes, aucun athlete plus redoutable que Bayle.
Bayle naquit dans l'année 1647. La nature lui donna l'imagination, la force, la subtilité, la mémoire, & l'éducation, tout ce qui peut contribuer à faire sortir les qualités naturelles. Il apprit les langues grecque & latine ; il se livra de bonne heure & presque sans relâche à toutes sortes de lectures & d'études. Plutarque & Montagne furent ses auteurs favoris. Ce fut-là qu'il prit ce germe de Pyrrhonisme, qui se développa dans la suite en lui d'une maniere si surprenante. Il s'occupa de la dialectique avant vingt ans. Il étoit bien jeune encore, lorsqu'il fit connoissance avec un ecclésiastique, qui profitant des incertitudes dans lesquelles il flottoit, lui prêcha la nécessité de s'en rapporter à quelque autorité qui nous décidât, & le détermina à abjurer publiquement la religion qu'il avoit reçue de ses parens. A peine eut-il fait ce pas, que l'esprit de proselitisme s'empara de lui. Bayle qui s'est tant déchaîné contre les convertisseurs, le devint ; & il ne tint pas à lui qu'il n'inspirât à ses freres, à ses parens & à ses amis, les sentimens qu'il avoit adoptés. Mais son frere, qui n'étoit pas un homme sans mérite, & qui exerçoit les fonctions de ministre parmi les réformés, le ramena au culte de sa famille. Le Catholicisme n'eut point à s'affliger, ni le Protestantisme à se glorifier de ce retour. Bayle ne tarda pas à connoître la vanité de la plûpart des systêmes religieux, & à les attaquer tous, sous prétexte de défendre celui qu'il avoit embrassé. Le séjour de la France l'eût exposé aux persécutions, il se retira à Geneve. Ce fut-là, que passant d'une premiere abjuration à une seconde, il quitta l'Aristotélisme pour le Cartésianisme, mais avec aussi peu d'attachement à l'une de ces doctrines, qu'à l'autre ; car on le vit dans la suite, opposer les sentimens des Philosophes les uns aux autres, & s'en jouer également. Nous ne pouvons nous empêcher de regretter ici le tems qu'il perdit à deux éducations dont il se chargea successivement. Celui qu'il passa à professer la Philosophie à Sedan, ne fut guere mieux employé. Ce fut dans ces circonstances que Poiret publia son ouvrage sur Dieu, sur l'ame & sur le mal. Bayle proposa ses difficultés à l'auteur ; celui-ci répondit, & cette controverse empoisonna la vie de l'un & de l'autre. Bayle traduisit Poiret comme un fou, & Poiret, Bayle comme un athée ; mais on est fou & non athée impunément. Poiret aimoit la Bourignon ; Bayle disoit que la Bourignon étoit une mauvaise cervelle de femme troublée ; & Poiret, que Bayle étoit un fauteur secret du Spinosisme. Poiret soupçonnoit Bayle d'avoir excité la sévérité des magistrats contre la Bourignon, & il se vengeoit par une accusation qui compromettoit à leurs yeux son adversaire d'une maniere beaucoup plus dangereuse. La Bourignon eût peut-être été renfermée, mais Bayle eût été brûlé. Le principe de Descartes qui constitue l'essence du corps dans l'étendue, l'engagea dans une autre dispute. En 1681, parut cette comete fameuse par sa grandeur, & plus peut-être encore par les pensées de Bayle, ouvrage où, à l'occasion de ce phénomene, & des terreurs populaires dont il étoit accompagné, notre philosophe agite les questions les plus importantes, sur les miracles, sur la nature de Dieu, sur la superstition. Il s'occupa ensuite à l'examen de l'histoire du Calvinisme, que Mainbourg avoit publiée. Mainbourg même louoit son ouvrage. Le grand Condé ne dédaigna pas de le lire ; tout le monde le dévoroit & le gouvernement le faisoit brûler. Il commença en 1684 sa république des Lettres. Engagé par ce genre de travail à lire toutes sortes d'ouvrages, à approfondir les matieres les plus disparates, à discuter des questions de Mathématiques, de Philosophie, de Physique, de Théologie, de Jurisprudence, d'histoire ; quel champ pour un pyrrhonien ! Le théosophe Malebranche parut alors sur la scene. Entre un grand nombre d'opinions qui lui étoient particulieres, il avoit avancé que toute volupté étoit bonne. Arnaud crut voir dans cette maxime le renversement de la morale, & l'attaqua. Bayle intervint dans cette querelle, expliqua les termes, & disculpa Malebranche de l'accusation d'Arnaud. Il lui étoit déja échappé dans quelques autres écrits, des principes favorables à la tolérance : il s'expliqua nettement sur ce sujet important, dans son commentaire philosophique. Cet ouvrage parut par parties. Il plut d'abord également à tous les partis ; il mécontenta ensuite les Catholiques, & continua de plaire aux Réformés ; puis il mécontenta également les uns & les autres, & ne conserva d'approbateurs constans, que les Philosophes : cet ouvrage est un chef d'oeuvre d'éloquence. Nous ne pouvons cependant dissimuler qu'il avoit été précédé d'une brochure, intitulée, Junii Bruti, poloni, vindiciae pro libertate religionis, qui contient en abregé tout ce que Bayle a dit. Si Bayle n'est pas l'auteur de ce discours anonyme, sa gloire se réduit à en avoir fait un commentaire excellent. Il y avoit longtems que le ministre Jurieu étoit jaloux de la réputation de Bayle. Il croyoit avoir des raisons particulieres de s'en plaindre. Il regardoit ses principes sur la tolérance, comme propres à inspirer l'indifférence en fait de religion. Il étoit dévoré d'une haine secrette, lorsque l'avis important aux réfugiés sur leur retour prochain en France, ouvrage écrit avec finesse, où l'on excusoit les vexations que la cour de France avoit ordonnées contre les Protestans, & où la conduite de ces transfuges n'étoit pas montrée sous un coup d'oeil bien favorable, excita dans toutes les églises réformées le plus grand scandale. On chercha à en découvrir l'auteur. On l'attribue aujourd'hui à Pelisson. Jurieu persuada à tout le monde qu'il étoit de Bayle, & cette imputation pensa le perdre. Bayle avoit formé depuis long-tems le plan de son dictionnaire historique & critique. Les disputes dans lesquelles il avoit misérablement vécu, commençant à s'appaiser, il s'en occupa nuit & jour, & il en publia le premier volume en 1697. On connoissoit son esprit, ses talens, sa dialectique, on connut alors l'immensité de son érudition, & son penchant décidé au Pyrrhonisme. En effet, quelles sont les questions de Politique, de Littérature, de Critique, de Philosophie ancienne & moderne, de Théologie, d'Histoire, de Logique & de Morale, qui n'y soient examinées pour & contre ? C'est-là qu'on le voit semblable au Jupiter d'Homere qui assemble les nuages ; au milieu de ces nuages on erre étonné & désespéré. Tout ce que Sextus Empiricus & Huet disent contre la raison, l'un dans ses hypotyposes, l'autre dans son traité de la foiblesse de l'entendement humain, ne vaut pas un article choisi du dictionnaire de Bayle. On y apprend bien mieux à ignorer ce que l'on croit savoir. Les ouvrages dont nous venons de rendre compte, ne sont pas les seuls que cet homme surprenant ait écrit ; & cependant il n'a vêcu que cinquante-neuf ans : il mourut en Janvier 1706.
Bayle eut peu d'égaux dans l'art de raisonner, peut-être point de supérieur. Personne ne sut saisir plus subtilement le foible d'un systême, personne n'en sut faire valoir plus fortement les avantages ; redoutable quand il prouve, plus redoutable encore quand il objecte : doué d'une imagination gaie & féconde, en même tems qu'il prouve, il amuse, il peint, il séduit. Quoiqu'il entasse doute sur doute, il marche toujours avec ordre : c'est un polype vivant qui se divise en autant de polypes qui vivent tous ; il les engendre les uns des autres. Quelle que soit la thèse qu'il ait à prouver, tout vient à son secours, l'histoire, l'érudition, la philosophie. S'il a la vérité pour lui, on ne lui résiste pas ; s'il parle en faveur du mensonge, il prend sous sa plume toutes les couleurs de la vérité : impartial ou non, il le paroit toujours ; on ne voit jamais l'auteur, mais la chose.
Quoi qu'on dise de l'homme de lettres, on n'a rien à reprocher à l'homme. Il eut l'esprit droit & le coeur honnête ; il fut officieux, sobre, laborieux, sans ambition, sans orgueil, ami du vrai, juste, même envers ses ennemis, tolérant, peu dévot, peu crédule, on ne peut moins dogmatique, gai, plaisant, conséquemment peu scrupuleux dans ses récits, menteur comme tous les gens d'esprit, qui ne balancent guere à supprimer ou à ajouter une circonstance légere à un fait, lorsqu'il en devient plus comique ou plus intéressant, souvent ordurier. On dit que Jurieu ne commença à être si mal avec lui, qu'après s'être apperçu qu'il étoit trop bien avec sa femme ; mais c'est une fable qu'on peut sans injustice croire ou ne pas croire de Bayle, qui s'est complu à en accréditer un grand nombre de pareilles. Je ne pense pas qu'il ait jamais attaché grand prix à la continence, à la pudeur, à la fidélité conjugale, & à d'autres vertus de cette classe ; sans quoi il eut été plus réservé dans ses jugemens. On a dit de ses écrits, quamdiu vigebunt, lis erit ; & nous finirons son histoire par ce trait.
Il suit de ce qui précede que les premiers sceptiques ne s'éleverent contre la raison que pour mortifier l'orgueil des dogmatiques ; qu'entre les sceptiques modernes, les uns ont cherché à décrier la philosophie, pour donner de l'autorité à la révélation ; les autres, pour l'attaquer plus sûrement, en ruinant la solidité de la base sur laquelle il faut l'établir, & qu'entre les sceptiques anciens & modernes, il y en a quelques-uns qui ont douté de bonne foi, parce qu'ils n'appercevoient dans la plûpart des questions que des motifs d'incertitude.
Pour nous, nous conclurons que tout étant lié dans la nature, il n'y a rien, à proprement parler, dont l'homme ait une connoissance parfaite, absolue, complete , pas même des axiomes les plus évidens, parce qu'il faudroit qu'il eût la connoissance de tout.
Tout étant lié, s'il ne connoit pas tout, il faudra nécessairement que de discussions en discussions, il arrive à quelque chose d'inconnu : donc en remontant de ce point inconnu, on sera fondé à conclure contre lui ou l'ignorance, ou l'obscurité, ou l'incertitude du point qui précede, & de celui qui précede celui-ci, & ainsi jusqu'au principe le plus évident.
Il y a donc une sorte de sobriété dans l'usage de la raison, à laquelle il faut s'assujettir, ou se résoudre à flotter dans l'incertitude ; un moment où sa lumiere qui avoit toujours été en croissant, commence à s'affoiblir, & où il faut s'arrêter dans toutes discussions.
Lorsque de conséquences en conséquences, j'aurai conduit un homme à quelque proposition évidente, je cesserai de disputer. Je n'écouterai plus celui qui niera l'existence des corps, les regles de la logique, le témoignage des sens, la distinction du vrai & du faux, du bien & du mal, du plaisir & de la peine, du vice & de la vertu, du décent & de l'indécent, du juste & de l'injuste, de l'honnête & du deshonnête. Je tournerai le dos à celui qui cherchera à m'écarter d'une question simple, pour m'embarquer dans des dissertations sur la nature de la matiere, sur celle de l'entendement, de la substance, de la pensée, & autres sujets qui n'ont ni rive ni fond.
L'homme un & vrai n'aura point deux philosophies, l'une de cabinet & l'autre de société ; il n'établira point dans la spéculation des principes qu'il sera forcé d'oublier dans la pratique.
Que dirai-je à celui qui prétendant que, quoi qu'il voye, quoi qu'il touche, qu'il entende, qu'il apperçoive, ce n'est pourtant jamais que sa sensation qu'il apperçoit : qu'il pourroit avoir été organisé de maniere que tout se passât en lui, comme il s'y passe, sans qu'il y ait rien au-dehors, & que peut-être il est le seul être qui soit ? Je sentirai tout-à-coup l'absurdité & la profondeur de ce paradoxe ; & je me garderai bien de perdre mon tems à détruire dans un homme une opinion qu'il n'a pas, & à qui je n'ai rien à opposer de plus clair que ce qu'il nie. Il faudroit pour le confondre, que je pusse sortir de la nature, l'en tirer, & raisonner de quelque point hors de lui & de moi, ce qui est impossible. Ce sophiste manque du moins à la bienséance de la conversation, qui consiste à n'objecter que des choses auxquelles on ajoute soi-même quelque solidité. Pourquoi m'époumonerai-je à dissiper un doute que vous n'avez pas ? Mon tems est-il de si peu de valeur à vos yeux ? En mettez-vous si peu au vôtre ? N'y a-t-il plus de vérités à chercher ou à éclaircir ? Occupons-nous de quelque chose de plus important ; ou si nous n'avons que de ces frivolités présentes, dormons & digérons.
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PYRROPOECILOS | S. m. (Lithol. des anc.) c'est ainsi que les anciens appellent le granit d'Arabie connu présentement sous le nom de granit oriental. Le mot pyrropoecilos est dérivé du grec , feu ou couleur de feu, & , tacheté ; comme les anciens donnoient au jaune l'épithete de couleur de flamme, ainsi qu'au rouge, quelques-uns ont imaginé que le granit doit être une pierre jaune ; mais il est évident que c'est une couleur rouge que les anciens entendent ici. (D.J.)
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PYRSE FETE DE | (Antiq. grecq.) fête chez les Argiens, en mémoire du signal que Lincée donna par le moyen des flambeaux à Hypermnestre qui étoit en lieu de sûreté. (D.J.)
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PYRSEPHORE | (Antiq. d'Athènes) ; c'étoit dans les éphesties d'Athènes, le même que celui qu'on nommoit dans d'autres fêtes lampadophorus, porte-torche, porte-flambeau. Voyez LAMPADOPHORE. (D.J.)
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PYSEC | ou PYSSECK, (Géog. mod.) petite ville du royaume de Boheme, dans le cercle de Pranchim, à 20 lieues au midi de Prague, sur la riviere d'Ottawa, près de la Muldow. Elle fut prise, pillée, & brûlée par les Impériaux en 1619. Long. 32. 20'. latit. 49. 15. (D.J.)
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PYTHAGORE | PYTHAGORE
On l'appella systême de Pythagore, parce que ce philosophe le soutint, & que ses disciples en firent de même après lui ; mais ce n'étoit pas qu'il en fût l'inventeur lui-même ; car ce systême étoit encore plus ancien. Voy. COPERNIC, SYSTEME & ASTRONOMIE. (O)
PYTHAGORE, (table de) qu'on appelle aussi table de multiplication, est un quarré, formé de cent autres petits quarrés ou cellules, contenant le produit des différens chiffres, ou nombres simples, multipliés les uns par les autres. Voyez MULTIPLICATION.
Comme il est absolument nécessaire que ceux qui apprennent l'Arithmétique, sachent par coeur les différentes multiplications contenues dans cette table, nous avons jugé à propos de la représenter ici, & d'y ajouter un exemple pour faire connoître la maniere dont il faut s'en servir.
Table pythagorique, ou table de multiplication.
Exemple. Supposé qu'il faille savoir le produit de 6 multipliés par 8, cherchez le chiffre 6 dans la premiere colonne horisontale, qui commence par 1 ; ensuite cherchez le chiffre 8, dans la premiere colonne perpendiculaire qui commence également par 1.
Le quarré ou la cellule de rencontre, c'est-à-dire où la colonne horisontale de 6 se rencontre avec la colonne perpendiculaire de 8, contient le produit qu'on cherche, savoir 48.
Le théorème de pythagore, est le 47e. du premier livre d'Euclide. Voyez TRIANGLE & HYPOTHENUSE. (E)
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PYTHAGORISME | ou PHILOSOPHIE DE PYTHAGORE, (Histoire de la Philosophie) voici la seconde tige de la philosophie sectaire de la Grece. Socrate avec la troupe de ses successeurs sortoit de l'école ionique ; Héraclite, Epicure, & Pyrrhon sortirent de l'école éléatique italique.
L'école éléatique s'appella italique, de l'endroit de son premier établissement, la partie inférieure de l'Italie. Cette contrée & les îles voisines étoient peuplées de colonies grecques ; ainsi la secte italique est encore une secte grecque ; elle est née dans le pays qu'on appelloit la grande Grece ; & il s'écoula du tems avant qu'elle prit le nom de Pythagorique.
Pythagore fut élevé par Phérécide, dont le nom est célebre parmi les philosophes de la Grece ; Phérécide naquit à Scyros, l'une des cyclades, dans la quarante-cinquieme olympiade. Il étudia la Théologie & la Philosophie en Egypte ; il est le premier qui ait entretenu les Grecs de l'immortalité de l'ame, & écrit en prose de la nature & des dieux jusqu'alors ; ce philosophe avoit été poëte. On montroit à Scyros une invention astronomique qui marquoit les solstices, les équinoxes, le lever & le coucher des étoiles, & qu'on attribuoit à Phérécide ; le reste de sa vie est un tissu de contes merveilleux. Si les peuples qu'il avoit éclairés ont cherché à honorer sa mémoire, les prêtres dont il avoit décrié la superstition & les mensonges, se sont occupés de leur côté à la flétrir. Mais en mettant quelque distinction entre les motifs qui ont animé les uns & les autres, il faut également rejetter le bien & le mal qu'ils en ont dit. L'ouvrage de Phérécide sur l'origine des choses, commençoit par ces mots : Jupiter, le Tems & la Masse, étoient un ; mais la Masse s'appella Terre, lorsque Jupiter l'eût douée. Il pensoit que la cause universelle, ordinatrice & premiere, étoit bonne ; il étoit dans l'opinion de la métempsycose ; l'obscurité qui régnoit dans ses livres les a fait négliger, & ils se sont perdus. Nous avons cru devoir exposer ce que nous savions de Phérécide, avant que de passer à l'histoire de Pythagore son disciple.
Pythagore a vécu dans des tems reculés ; il n'admettoit pas dans son école indistinctement toutes sortes d'auditeurs ; il ne se communiquoit pas ; il exigeoit le silence & le secret ; il n'a point écrit ; il voiloit sa doctrine ; il y avoit près d'un siecle qu'il n'étoit plus, lorsqu'on recueillit ce que ses disciples avoient laissé transpirer de ses principes, & ce que le peuple, ami de la fable & du merveilleux, débitoit de sa vie : comment discerner la vérité au milieu de ces ténébres ?
On savoit en général que Pythagore avoit été un philosophe du premier ordre ; qu'il avoit reconnu l'existence d'un Dieu ; qu'il admettoit la métempsycose ; qu'il avoit été profondément versé dans l'étude de la Physique, de l'Histoire naturelle, des Mathématiques, & de la Musique ; qu'il s'étoit fait un systême particulier de théologie ; qu'il avoit opéré des choses prodigieuses ; qu'il professoit la double doctrine ; qu'il rapportoit tout à la science des nombres. Lorsque les premiers ennemis du Christianisme lui supposerent des miracles, des livres, des voyages, des discours, & ne négligerent rien pour l'opposer avec avantage au fondateur de notre sainte religion ; voici quelle étoit la pensée scélérate & secrette d'Ammonius, de Jamblique, de Plotin, de Julien, & des autres. Ils disoient en eux-mêmes, ou l'on admettra indistinctement les prodiges de Jesus-Christ, d'Apollonius & de Pythagore ; ou l'on rejettera indistinctement les uns & les autres. Quel que soit le parti qu'on prenne, il nous convient ; en conséquence, ils répandirent que Pythagore étoit fils d'Apollon ; qu'un oracle avoit annoncé sa naissance ; que l'ame de Dieu étoit descendue du ciel, & n'avoit pas dédaigné d'animer son corps ; que l'Eternel l'avoit destiné à être le médiateur entre l'homme & lui ; qu'il avoit eu la connoissance de ce qui se passe dans l'univers ; qu'il avoit commandé aux élémens, aux tempêtes, aux eaux, à la mort & à la vie. En un mot, l'histoire véritable de Jesus-Christ n'offroit pas un événement prodigieux, qu'ils n'eussent parodié dans l'histoire mensongere de Pythagore. Ils citerent en leur faveur la tradition des peuples, les monumens de toute espece, les ouvrages des anciens & des modernes ; & ils embarrasserent la question de tant de difficultés, que quelques-uns des premiers peres virent moins d'inconvéniens à admettre les miracles du paganisme qu'à les nier ; & se retrancherent à montrer la supériorité de la puissance de Jesus-Christ sur toute autre.
Pythagore naquit à Samos, entre la quarante-troisieme & la cinquante-troisieme olympiade ; il parcourut la Grece, l'Egypte, l'Italie ; il s'arrêta à Crotone, où il fit un séjour fort long. Il épousa Théano, qui présida dans son école après sa mort ; il eut d'elle Mnésarque & Thélauge, & plusieurs filles ; Astrée & Zamolxis le législateur des Grecs, furent deux de ses esclaves ; mais il paroît que Zamolxis est fort antérieur à Pythagore : ce philosophe mourut entre la soixante huitieme & la soixante & dix-septieme olympiade. Les peuples qui sont toujours stupides, jaloux, & méchans, offensés de la singularité de ses moeurs & de sa doctrine, lui rendirent la vie pénible & conspirerent l'extinction de son école. On dit que ces féroces Crotoniates qui l'égorgerent à l'âge de cent quatre ans, le placerent ensuite au rang des dieux, & firent un temple de sa maison. La condition de sage est bien dangereuse : il n'y a presque pas une nation qui ne se soit souillée du sang de quelques-uns de ceux qui l'ont professée. Que faire donc ? Faut-il être insensé avec les insensés ? Non ; mais il faut être sage en secret, c'est le plus sûr. Cependant si quelque homme a montré plus de courage que nous ne nous en sentons, & s'il a osé pratiquer ouvertement la sagesse, décrier les préjugés, prêcher la vérité au péril de sa vie, le blâmerons-nous ? Non ; nous conformerons dès cet instant notre jugement à celui de la postérité, qui rejette toujours sur les peuples l'ignominie dont ils ont prétendu couvrir leurs philosophes. Vous lisez avec indignation la maniere avec laquelle les Athéniens en ont usé avec Socrate, les Crotoniates avec Pythagore ; & vous ne pensez pas que vous exciterez un jour la même indignation, si vous exercez contre leurs successeurs la même barbarie.
Pythagore professa la double doctrine, & il eut deux sortes de disciples ; il donna des leçons publiques, & il en donna de particulieres ; il enseigna dans les gymnases, dans les temples, & sur les places ; mais il enseigna aussi dans l'intérieur de sa maison. Il éprouvoit la discrétion, la pénétration, la docilité, le courage, la constance, le zele de ceux qu'il devoit un jour initier à ses connoissances secrettes, s'ils le méritoient, par l'exercice des actions les plus pénibles ; il exigeoit qu'ils se réduisissent à une pauvreté spontanée ; il les obligeoit au secret par le serment ; il leur imposoit un silence de deux ans, de trois ans, de cinq, de sept, selon que le caractere de l'homme le demandoit. Un voile partageoit son école en deux espaces, & déroboit sa présence à une partie de son auditoire. Ceux qui étoient admis en-deçà du voile l'entendoient seulement ; les autres le voyoient & l'entendoient ; sa philosophie étoit énigmatique & symbolique pour les uns ; claire, expresse, & dépouillée d'obscurités & d'énigmes pour les autres. On passoit de l'étude des Mathématiques, à celle de la nature, & de l'étude de la nature à celle de la Théologie, qui ne se professoit que dans l'intérieur de l'école, au-delà du voile ; il y eut quelques femmes à qui ce sanctuaire fut ouvert ; les maîtres, les disciples, leurs femmes, & leurs enfans, vivoient en commun ; ils avoient une regle à laquelle ils étoient assujettis ; on pourroit regarder les Pythagoriciens comme une espece de moines payens d'une observance très-austere ; leur journée étoit partagée en diverses occupations ; ils se levoient avec le soleil ; ils se disposoient à la sérénité par la Musique & par la Danse ; ils chantoient, en s'accompagnant de la lyre ou d'un autre instrument, quelques vers d'Hésiode ou d'Homere ; ils étudioient ensuite ; ils se promenoient dans les bois, dans les temples, dans les lieux écartés & déserts ; par-tout où le silence, la solitude, les objets sacrés, imprimoient à l'ame le frémissement, la touchoient, l'élevoient, & l'inspiroient. Ils s'exerçoient à la course ; ils conféroient ensemble ; ils s'interrogeoient ; ils se répondoient ; ils s'oignoient ; ils se baignoient ; ils se rassembloient autour de tables servies de pain, de fruits, de miel, & d'eau ; jamais on n'y buvoit de vin ; le soir on faisoit des libations ; on lisoit, & l'on se retiroit en silence.
Un vrai pythagoricien s'interdisoit l'usage des viandes, des poissons, des oeufs, des féves, & de quelques autres légumes ; & n'usoit de sa femme que très-modérément, & après des préparations relatives à la santé de l'enfant.
Il ne nous reste presque aucun monument de la doctrine de Pythagore ; Lysis & Archyppus, les seuls qui étoient absens de la maison, lorsque la faction cylonienne l'incendia, & fit périr par les flammes tous les autres disciples de Pythagore, n'en écrivirent que quelques lignes de reclame. La science se conserva dans la famille, se transmit des peres & meres aux enfans, mais ne se répandit point. Les commentaires abrégés de Lysis & d'Archyppus, furent supprimés & se perdirent ; il en restoit à peine un exemplaire au tems de Platon, qui l'acquit de Philolaüs. On attribua dans la suite des ouvrages & des opinions à Pythagore ; chacun interpreta comme il lui plut, le peu qu'il en savoit ; Platon & les autres philosophes corrompirent son systême ; & ce systême obscur par lui-même, mutilé, défiguré, s'avilit & fut oublié. Voici ce que des auteurs très-suspects nous ont transmis de la philosophie de Pythagore.
Principes généraux du Pythagorisme. Toi qui veux être philosophe, tu te proposeras de délivrer ton ame de tous les liens qui la contraignent ; sans ce premier soin, quelque usage que tu fasses de tes sens, tu ne sauras rien de vrai.
Lorsque ton ame sera libre, tu l'appliqueras utilement ; tu t'éleveras de connoissance en connoissance, depuis les objets les plus communs, jusqu'aux choses incorporelles & éternelles.
Arithmétique de Pythagore. L'objet des sciences mathématiques tient le milieu entre les choses corporelles & les incorporelles ; c'est un des degrés de l'échelle que tu as à parcourir.
Le mathématicien s'occupe ou du nombre, ou de la grandeur ; il n'y a que ces deux especes de quantité. La quantité numérique se considere ou en elle-même, ou dans un autre ; la quantité étendue est ou en repos ou en mouvement. La quantité numérique en elle-même est objet de l'Arithmétique, dans un autre ; comme le son, c'est l'objet de la Musique ; la quantité étendue en repos, est l'objet de la Géométrie ; en mouvement, de la Sphérique.
L'Arithmétique est la plus belle des connoissances humaines ; celui qui la sauroit parfaitement, posséderoit le souverain bien.
Les nombres sont ou intellectuels ou scientifiques.
Le nombre intellectuel subsistoit avant tout dans l'entendement divin ; il est la base de l'ordre universel, & le lien qui enchaîne les choses.
Le nombre scientifique est la cause génératrice de la multiplicité qui procede de l'unité & qui s'y résout.
Il faut distinguer l'unité de l'art ; l'unité appartient aux nombres ; l'art aux choses nombrables.
Le nombre scientifique est pair ou impair.
Il n'y a que le nombre pair qui souffre une infinité de divisions en parties toujours paires ; cependant l'impair est plus parfait.
L'unité est le symbole de l'identité, de l'égalité, de l'existence, de la conservation, & de l'harmonie générale.
Le nombre senaire est le symbole de la diversité, de l'inégalité, de la division, de la séparation, & des vicissitudes.
Chaque nombre, comme l'unité & le binaire, a ses propriétés qui lui donnent un caractere symbolique qui lui est particulier.
La monade ou l'unité est le dernier terme, le dernier état, le repos de l'état dans son décroissement.
Le ternaire est le premier des impair ; le quaternaire le plus parfait, la racine des autres.
Pythagore procede ainsi jusqu'à dix, attachant à chaque nombre des qualités arithmétiques, physiques, théologiques & morales.
Le nombre denaire contient, selon lui, tous les rapports numériques & harmoniques, & forme ou plutôt termine son abaque ou sa table.
Il y a une liaison entre les dieux & les nombres, qui constitue l'espece de divination appellée arithmomantie.
Musique de Pythagore. La musique est un concert de plusieurs discordans.
Il ne faut pas borner son idée aux sons seulement. L'objet de l'harmonie est plus général.
L'harmonie a ses régles invariables.
Il y a deux sortes de voix, la continue & la brisée. L'une est le discours, l'autre le chant. Le chant indique les changemens qui s'operent dans les parties du corps sonore.
Le mouvement des orbites célestes, qui emportent les sept planetes, forme un concert parfait.
L'octave, la quinte & la quarte sont les bases de l'arithmétique harmonique.
La maniere dont on dit que Pythagore découvrit les rapports en nombre de ces intervalles de sons marque que ce fut un homme de génie.
Il entendit des forgerons qui travailloient. Les sons de leurs marteaux rendoient l'octave, la quarte & la quinte. Il entra dans leur attelier. Il fit peser leurs marteaux. De retour chez lui, il appliqua aux cordes tendues par des poids l'expérience qu'il avoit faite, & il forma la gamme du genre diatonique, d'où il déduisit ensuite celles des genres chromatiques & enharmoniques, & il dit :
Il y a trois genres de musique, le diatonique, le chromatique & l'enharmonique.
Chaque genre a son progrès & ses degrés. Le diatonique procéde du semi-ton au ton, &c.
C'est par les nombres & non par le sens qu'il faut estimer la sublimité de la musique. Etudiez le monocorde.
Il y a des chants propres à chaque passion, soit qu'il s'agisse de les tempérer, soit qu'il s'agisse de les exciter.
La flûte est molle. Le philosophe prendra la lyre ; il en jouera le matin & le soir.
Géométrie de Pythagore. En géométrie, l'unité représentera le point ; le nombre binaire la ligne ; le ternaire la surface, & le quaternaire le solide.
Le point est l'unité donnée de position.
Le nombre binaire représente la ligne, parce qu'elle est la premiere dimension, engendrée d'un mouvement indivisible.
Le nombre ternaire représente la surface, parce qu'il n'y a point de surface qui ne puisse se réduire à des élémens de trois limites.
Le cercle, la plus parfaite des figures curvilignes, contient le triangle d'une maniere cachée ; & ce triangle est formé par le centre & une portion indéterminée de la circonférence.
Toute surface étant réductible au triangle, il est le principe de la génération & de la formation des corps. Les élémens sont triangulaires.
Le quarré est le symbole de l'essence divine.
Il n'y a point d'espace autour d'un point donné, qu'on ne puisse égaler à un triangle, à un quarré ou à un cercle.
Les trois angles internes d'un triangle sont égaux à deux angles droits.
Dans un triangle rectangle, le quarré du côté opposé à l'angle droit est égal au quarré des deux autres côtés.
On dit que Pythagore immola aux muses une hécatombe, pour les remercier de la découverte de ce dernier théoreme, ce qui prouve qu'il en connut toute la fécondité.
Astronomie de Pythagore. Il y a dans le ciel la sphere fixe ou le firmament ; la distance du firmament à la lune, & la distance de la lune à la terre. Ces trois espaces constituent l'univers.
Il y a dix spheres celestes. Nous n'en voyons que neuf, celles des étoiles fixes, des sept planetes & de la terre. La dixieme, qui se dérobe à nos yeux, est opposée à notre terre.
Pythagore appelle cette derniere l'anthictone.
Le feu occupe le centre du monde. Le reste se meut autour.
La terre n'est point immobile. Elle n'est point au centre. Elle est suspendue dans son lieu. Elle se meut sur elle-même. Ce mouvement est la cause du jour & de la nuit.
La révolution de Saturne est la grande année du monde ; elle s'acheve en trente ans. Celle de Jupiter en vingt. Celle de Mars en deux. Celle du Soleil en un. La révolution de Mercure, de Vénus & de la Lune est d'un mois.
Les planetes se meuvent de mouvemens qui sont entr'eux, comme les intervalles harmoniques.
Vénus, Hesper & Phosphorus sont un même astre.
La Lune & les autres planetes sont habitables.
Il y a des antipodes.
De la philosophie de Pythagore en général. La sagesse & la Philosophie sont deux choses fort différentes.
La sagesse est la science réelle.
La science réelle est celle des choses immortelles, éternelles, efficientes par elles-mêmes.
Les êtres qui participent seulement de ces premiers, qui ne sont appellés êtres qu'en conséquence de cette participation, qui sont matériels, corporels, sujets à génération & à corruption, ne sont pas proprement des êtres, ne peuvent être ni bien connus, ni bien définis, parce qu'ils sont infinis & momentanés dans leurs états, & il n'y a point de sagesse relative à eux.
La science des êtres réels entraîne nécessairement la science des êtres équivoques. Celui qui travaille à acquérir la premiere, s'appellera philosophe.
Le philosophe n'est pas celui qui est sage, mais celui qui est ami de la sagesse.
La Philosophie s'occupe donc de la connoissance de tous les êtres, entre lesquels les uns s'observent en tout & partout ; les autres souvent, certains seulement en des cas particuliers. Les premiers sont l'objet de la science générale ou philosophie premiere ; les seconds sont l'objet des sciences particulieres.
Celui qui sait résoudre tous les êtres en un seul & même principe, & tirer alternativement de ce principe un & seul, tout ce qui est, est le vrai sage, le sage par excellence.
La fin de la Philosophie est d'élever l'ame de la terre vers le ciel, de connoître Dieu, & de lui ressembler.
On parvient à cette fin par la vérité, ou l'étude des êtres éternels, vrais & immuables.
Elle exige encore que l'ame soit affranchie & purgée, qu'elle s'amende, qu'elle aspire aux choses utiles & divines, que la jouïssance lui en soit accordée, qu'elle ne craigne point la dissolution du corps, que l'éclat des incorporels ne l'éblouisse pas, qu'elle n'en détourne pas sa vue, qu'elle ne se laisse pas enchaîner par les liens des passions, qu'elle lutte contre tout ce qui tend à la déprimer, & à la ramener vers les choses corruptibles & de néant, & qu'elle soit infatigable & immuable dans sa lutte.
On n'obtiendra ce degré de perfection que par la mort philosophique, ou la cessation du commerce de l'ame avec le corps, état qui suppose qu'on se connoît soi-même, qu'on est convaincu que l'esprit est détenu dans une demeure qui lui est étrangere, que sa demeure & lui sont des êtres distincts, qu'il est d'une nature tout-à-fait diverse ; qu'on s'exerce à se recueillir, ou à séparer son ame de son corps, à l'affranchir de ses affections & de ses sensations, à l'élever au-dessus de la douleur, de la colere, de la crainte, de la cupidité, des besoins, des appetits, & à l'accoutumer tellement aux choses analogues à sa nature, qu'elle agisse, pour ainsi dire, séparément du corps, l'ame étant toute à son objet, & le corps se portant d'un mouvement automate & méchanique sans la participation de l'ame ; l'ame ne consentant ni ne se refusant à aucun de ses mouvemens vers les choses qui lui sont propres.
Cette mort philosophique n'est point une chimere. Les hommes accoutumés à une forte contemplation l'éprouvent pendant des intervalles assez longs. Alors ils ne sentent point l'existence de leur corps ; ils peuvent être blessés sans s'en appercevoir ; ils ont bû & mangé sans le savoir ; ils ont vécu dans un oubli profond de leur corps & de tout ce qui l'environnoit, & qui l'eût affecté dans une situation diverse.
L'ame affranchie par cet exercice habituel existera en elle ; elle s'élevera vers Dieu ; elle sera toute à la contemplation des choses éternelles & divines.
Il paroît par cet axiome que Pythagore, Socrate, & les autres contemplateurs anciens, comparoient le géomêtre, le moraliste, le philosophe profondement occupé de ses idées, &, pour ainsi dire, hors de ce monde, à Dieu dans son immensité ; avec cette seule différence, que les concepts du philosophe s'éteignoient en lui, & que ceux de Dieu se réalisoient hors de lui.
On ne s'éleve point au-dessus de soi, sans le secours de Dieu & des bons génies.
Il faut les prier ; il faut les invoquer, sur-tout son génie tutélaire.
Celui qu'ils auront exaucé ne s'étonnera de rien ; il aura remonté jusques aux formes & aux causes essentielles des choses.
Le philosophe s'occupe ou des vérités à découvrir, ou des actions à faire, & sa science est ou théorique, ou pratique.
Il faut commencer par la pratique des vertus. L'action doit précéder la contemplation.
La contemplation suppose l'oubli & l'abstraction parfaite des choses de la terre.
Le philosophe ne se déterminera pas inconsidérément à se mêler des affaires civiles.
La Philosophie considerée relativement à ses éleves est ou exotérique, ou esotérique : L'exotérique propose les vérités sous des symboles, les enveloppe, ne les démontre point. L'ésotérique les dépouille du voile, & les montre nues à ceux dont les yeux ont été disposés à les regarder.
Philosophie pratique de Pythagore. Il y a deux sortes de vertus. Des vertus privées qui sont relatives à nous-mêmes ; des vertus publiques qui sont relatives aux autres.
Ainsi, la Philosophie morale est pédeutique ou politique.
La pédeutique forme l'homme à la vertu, par l'étude, le silence, l'abstinence des viandes, le courage, la tempérance & la sagacité.
L'occupation véritable de l'homme est la perfection de la nature humaine en lui.
Il se perfectionne par la raison, la force & le conseil ; la raison voit & juge ; la force retient & modere ; le conseil éclaire, avertit.
L'énumération des vertus & la connoissance de la vertu en général dépendent de l'étude de l'homme. L'homme a deux facultés principales ; par l'une il connoît, par l'autre il desire. Ces facultés sont souvent opposées. C'est l'excès ou le défaut qui excite & entretient la contradiction.
Lorsque la partie qui raisonne commande & modere, la patience & la continence naissent. Lorsqu'elle obéit, la fureur & l'impatience s'élevent. Si elles sont d'accord, l'homme est vertueux & heureux.
Il faut considerer la vertu sous le même point de vue que les facultés de l'ame. L'ame a une partie raisonnable & une partie concupiscible. De-là naissent la colere & le desir. Nous nous vengeons, & nous nous défendons. Nous nous portons aux choses qui sont convenables à nos aises ou à notre conservation.
La raison fait la connoissance ; la colere dispose de la force ; le desir conduit l'appétit. Si l'harmonie s'établit entre ces choses, & que l'ame soit une, il y a vertu & bon sens. S'il y a discorde, & que l'ame soit double, il y a vice & malheur.
Si la raison domine les appétits, qu'il y ait tolérance & continence, on sera constant dans la peine, modéré dans le plaisir.
Si la raison domine les appétits, & qu'il y ait tempérance & courage, on sera borné dans son ressentiment.
S'il y a vertu ou harmonie en tout, il y aura justice.
La justice discerne les vertus & les vices. C'est par elle que l'ame est une, ou que l'homme est parfait & content.
Il ne faut se pallier le vice ni à soi-même, ni aux autres. Il faut le gourmander par-tout où il se montre, sans ménagement.
L'homme a ses âges, & chaque âge a ses qualités & ses défauts.
L'éducation de l'enfant doit se diriger à la probité, à la sobriété & à la force. Il faut en attendre les deux premieres vertus dans son enfance. Il montrera la seconde dans son adolescence & son état viril.
On ne permettra point à l'homme de faire tout ce qui lui plaît.
Il faut qu'il ait à côté de lui quelqu'un qui le commande, & à qui il obéisse, de-là la nécessité d'une puissance légitime & décente qui soumette tout citoyen.
Le philosophe ne se promettra aucun de ces biens qui peuvent arriver à l'homme, mais qui ne sont point à sa discrétion. Il apprendra à s'en passer.
Il est défendu de quitter son poste sans la volonté de celui qui commande. Le poste de l'homme est la vie.
Il faut éviter l'intempérance dans les choses nécessaires à la conservation ; l'excès en tout.
La tempérance est la force de l'ame ; l'empire sur les passions fait sa lumiere. Avoir la continence, c'est être riche & puissant.
La continence s'étend aux besoins du corps & à ses voluptés, aux alimens & à l'usage des femmes. Réprimez tous les appétits vains & superflus.
L'homme est mort dans l'ivresse du vin. Il est furieux dans l'ivresse de l'amour.
Il faut s'occuper de la propagation de l'espece en hiver ou au printems. Cette fonction est funeste en été, & nuisible en tout tems.
Quand l'homme doit-il approcher de la femme ? Lorsqu'il s'ennuyera d'être fort.
La volupté est la plus dangereuse des enchanteresses. Lorsqu'elle nous sollicite, voyons d'abord si la chose est bonne & honnête ; voyons ensuite si elle est utile & commode. Cet examen suppose un jugement qui n'est pas commun.
Il faut exercer l'homme dans son enfance à fuir ce qu'il devra toujours éviter, à pratiquer ce qu'il aura toujours à faire, à désirer ce qu'il devra toujours aimer, à mépriser ce qui le rendra en tout tems malheureux & ridicule.
Il y a deux voluptés, l'une commune, basse, vile & générale ; l'autre grande, honnête & vertueuse. L'une a pour objet les choses du corps ; l'autre les choses de l'ame.
L'homme n'est en sûreté que sous le bouclier de la sagesse, & il n'est heureux que quand il est en sureté.
Les points les plus importans de la politique se réduisent au commerce général des hommes entr'eux, à l'amitié, au culte des dieux, à la piété envers les morts, & à la législation.
Le commerce d'un homme avec un autre est ou agréable, ou fâcheux, selon la diversité de l'âge, de l'état, de la fortune, du mérite, & de tout ce qui différencie.
Qu'un jeune homme ne s'irrite jamais contre un vieillard. Qu'il ne le menace jamais.
Qu'aucun n'oublie la distinction que les dignités mettent entre lui & son semblable.
Mais comment prescrire les régles relatives à cette variété infinie d'actions de la vie ? Qui est-ce qui peut définir l'urbanité, la bienséance, la décence & les autres vertus de détail.
Il y a une amitié de tous envers tous.
Il faut bannir toute prétention de l'amitié, surtout de celle que nous devons à nos parens, aux vieillards, aux bienfaiteurs.
Ne souffrons pas qu'il y ait une cicatrice dans l'ame de notre ami.
Il n'y aura ni blessure, ni cicatrice dans l'ame de notre ami, si nous savons lui céder à-propos.
Que le plus jeune le céde toujours au plus âgé.
Que le vieillard n'use du droit de reprendre la jeunesse qu'avec ménagement & douceur. Qu'on voye de l'intérêt & de l'affection dans sa remontrance. C'est-là ce qui la rendra décente, honnête, utile & douce.
La fidélité que vous devez à votre ami est une chose sacrée, qui ne souffre pas même la plaisanterie.
Que l'infortune ne vous éloigne point de votre ami.
Une méchanceté sans ressource est le seul motif pardonnable de rupture. Il ne faut garder de haine invincible que pour les méchans. La haine qu'on porte au méchant doit perséverer autant que sa méchanceté.
Ne vous en rapportez point de la conversion du méchant à ses discours ; mais seulement à ses actions.
Evitez la discorde. Prévenez-en les sujets.
Une amitié qui doit être durable suppose des lois, des conventions, des égards, des qualités, de l'intelligence, de la décence, de la droiture, de l'ordre, de la bienfaisance, de la fermeté, de la fidélité, de la pudeur, de la circonspection.
Fuyez les amitiés étrangeres.
Aimez votre ami jusqu'au tombeau.
Rapportez les devoirs de l'amitié aux lois de la nature divine, & de la liaison de Dieu & de l'homme.
Toute la morale se rapporte à Dieu. La vie de l'homme est de l'imiter.
Il est un Dieu qui commande à tout. demandez-lui le bien. Il l'accorde à ceux qu'il aime.
Croyez qu'il est, qu'il veille sur l'homme, & qu'un animal enclin au mal a besoin de sa verge & de son frein.
Un être qui sent la vicissitude de sa nature, cherchera à établir quelque principe de constance en lui-même, en se proposant l'être immuable pour modele.
Ne prêtez point votre ressemblance aux dieux. Ne leur attachez point de figures. Regardez-les comme des puissances diffuses, présentes à tout, & n'ayant d'autre limite que l'univers.
Honorez-les par des initiations & des lustrations, par la pureté de l'ame, du corps & des vêtemens.
Chantez des hymnes à leur gloire, cherchez leur volonté dans les divinations, les sorts & toutes sortes de présages que le hasard vous offrira.
Vous n'immolerez point d'animaux.
Posez sur leurs autels de l'encens, de la farine & du miel.
La piété envers les dieux & la religion sont dans le coeur.
Vous n'égalerez point dans votre hommage les héros aux dieux.
Purifiez-vous par les expiations, les lustrations, les aspersions & les abstinences prescrites par ceux qui président aux mysteres.
Le serment est une chose juste & sacrée. Il y a un Jupiter jurateur.
Soyez lent à faire le serment, soyez promt à l'accomplir.
Ne brûlez point les corps des morts.
Après Dieu & les génies, que personne ne vous soit plus respectable sous le ciel que vos parens ; que votre obéissance soit de coeur & non d'apparence.
Soyez attaché aux lois & aux coutumes de votre pays. Ce n'est pas l'utilité publique que les innovateurs ont en vue.
Philosophie théorétique de Pythagore. La fin de la philosophie théorétique est de remonter aux causes, aux idées premieres, à la grande unité, & de ne rien admirer : l'admiration naît de l'imbécillité & de l'ignorance.
La philosophie théorétique s'occupe ou de Dieu ou de son ouvrage.
Théologie de Pythagore. Il est difficile d'entretenir le peuple de la divinité, il y a du danger, c'est un composé de préjugés & de superstitions ; ne profanons point les mysteres par un discours vulgaire.
Dieu est un esprit diffus dans toutes les parties de la matiere qu'il pénétre, auxquelles il est présent, c'est la vie de tous les animaux.
La nature des choses ou Dieu, c'est la même chose ; c'est la cause premiere du mouvement dans tout ce qui se meut par soi. C'est l'automatisme de tout.
Dieu, quant à son être corporel, ne se peut comparer qu'à la lumiere ; quant à son être immatériel, qu'à la vérité.
Il est le principe de tout ; il est impassible, invisible, incorruptible ; il n'y a que l'entendement qui le saisisse.
Au-dessous de Dieu, il y a des puissances subalternes divines, des génies & des héros.
Ces substances intelligibles subordonnées sont bonnes & méchantes, elles émanent du premier être, de la monade universelle ; c'est d'elle qu'elles tiennent leur immutabilité, leur simplicité.
L'air est habité de génies & de héros.
Ce sont eux qui versent sur nous les songes, les signes, la santé, les maladies, les biens & les maux ; on peut les appaiser.
La cause premiere réside principalement dans les orbes des cieux ; à mesure que les êtres s'en éloignent, ils perdent de leur perfection ; l'harmonie subsiste jusqu'à la lune ; au-dessous de la région sublunaire, elle s'éteint & tout est abandonné au désordre.
Le mal est assis sur la terre, elle en est le réceptacle.
Ce qui est au-dessus de la terre est enchaîné par les lois immuables de l'ordre, & s'exécute selon la volonté, la prévoyance & la sagesse de Dieu.
Ce qui est au-dessous de la lune est un conflict de quatre causes ; Dieu, le destin, l'homme & la fortune.
L'homme est un abrégé de l'univers, il a la raison par laquelle il tient à Dieu ; une puissance végétative, nutritive, réproductrice, par laquelle il tient aux animaux ; une substance inerte qui lui est commune avec la terre.
Il y a une divination, ou un art de connoître la volonté des dieux. Celui qui admet la divination, admet aussi l'existence des dieux ; celui qui la nie, nie aussi l'existence des dieux. La divination & l'existence des dieux sont à ses yeux deux folies.
Ce qui paroît résulte de ce qui n'est pas apparent.
Ce qui est composé n'est pas principe.
Le principe est le simple qui constitue le composé.
Il faut qu'il soit éternel. L'atome n'est donc pas le premier principe, car il ne suffit pas de dire qu'il est éternel ; il faut apporter la raison de son éternité.
Le nombre est avant tout, l'unité est avant tout nombre ; l'unité est donc le premier principe.
L'unité a tout produit par son extension.
C'est l'ordre qui regne dans l'universalité des choses, qui les a fait comprendre sous un même point de vue & qui a fait inventer le nom d'univers.
Dieu a produit le monde, non dans le tems, mais par la pensée.
Le monde est périssable, mais la providence divine le conservera.
Il a commencé par le feu & par un cinquieme élément.
La terre est cubique ; le feu, pyramidal ; l'air, octaëdre ; la sphere universelle, dodecaëdre.
Le monde est animé, intelligent, sphérique ; au delà du monde est le vuide dans lequel & par lequel le monde respire.
Le monde a sa droite & sa gauche ; sa droite ou son orient d'où le monde a commencé & se continue vers sa gauche ou son occident.
Le destin est la cause de l'ordre universel & de l'ordre de toutes ses parties.
L'harmonie du monde & celle de la musique ne different pas.
La cause premiere occupe la sphere suprême & la perfection, l'ordre & la constance des choses sont en raison inverse de leur distance à cette sphere.
L'air ambiant de la terre est immobile & mal-sain ; tout ce qu'il environne est périssable. L'air supérieur est pur & sain ; tout ce qu'il environne est immortel & divin.
Le soleil, la lune & les autres astres sont des dieux.
Qu'est-ce qu'un astre ? Un monde placé dans l'aether infini qui embrasse le tout.
Le soleil est sphérique, c'est l'interposition de la lune qui l'éclipse pour nous.
La lune est une terre habitée par des animaux plus beaux & plus parfaits, dix fois plus grands, exempts des excrétions naturelles.
La comete est un astre qui disparoît en s'éloignant de nous, mais qui a sa révolution fixée.
L'arc-en-ciel est une image du soleil.
Au-dessous des spheres célestes & de l'orbe de la lune est celui du feu ; au-dessous du feu est la région de l'air ; au-dessous de celui-ci celle de l'eau la plus basse est la terre.
La masse de tous les élémens est ronde, il n'y a que le feu qui soit conique.
Il y a génération & corruption, ou résolution d'un être en ses élémens.
La lumiere & les ténébres, le froid & le chaud, le sec & l'humide sont en quantités égale dans le monde. Où le chaud prédomine, il y a été ; hiver, si c'est le froid ; printems, si c'est balance égale du froid & du chaud ; automne, si le froid prédomine. Le jour même a ses saisons ; le matin est le printems du jour ; le soir en est l'automne, il est moins salubre.
Le rayon s'élance du soleil, traverse l'aether froid & aride, pénetre les profondeurs & vivifie toutes choses entant qu'elles participent de sa chaleur ; mais non entant qu'animées. L'ame est un extrait de l'aether chaud & froid ; elle différe de la vie ; elle est immortelle, parce qu'elle émane d'un principe immortel.
Il ne s'engendre rien de la terre ; les animaux ont leurs semences, le moyen de leur propagation.
L'espece humaine a toujours été & ne cessera jamais.
L'ame est un nombre, elle se meut d'elle-même.
L'ame se divise en raisonnable & irraisonnable ; l'irraisonnable est irascible & concupiscible ; la partie raisonnable est émanée de l'ame du monde, les deux autres sont composées des élémens.
Tous les animaux ont une ame raisonnable ; si elle ne se manifeste pas dans les actions des brutes, c'est par défaut de conformation & de langue.
Le progrès de l'ame se fait du coeur au cerveau ; elle est la cause des sensations ; sa partie raisonnable est immortelle ; les autres parties périssent ; elle se nourrit de sang ; les esprits produisent ses facultés.
L'ame & ses puissances sont invisibles, & l'aether ne s'apperçoit pas ; les nerfs, les veines & les artères sont ses liens.
L'intelligence descend dans l'ame, c'est une particule divine qui lui vient du dehors, c'est la base de son immortalité.
L'ame renferme en elle le nombre quaternaire.
Si les veines sont les liens de l'ame, le corps est sa prison.
Il y a huit organes de la connoissance ; le sens, l'imagination, l'art, l'opinion, la prudence, la science, la sagesse, l'intelligence ; les quatre derniers sont communs à l'homme & aux dieux ; les deux précédens, à l'homme & aux bêtes ; l'opinion lui est propre.
L'ame jettée sur la terre est vagabonde dans l'air, elle est sous la figure d'un corps.
Aucune ame ne périt ; mais après un certain nombre de révolutions, elle anime de nouveaux corps, & de transmigrations en transmigrations, elle redevient ce qu'elle a été.
La doctrine de Pythagore sur la transmigration des ames, a été bien connue & bien exposée par Ovide qui introduit ce philosophe, liv. XV. de ses Métamorphoses, parlant ainsi :
Morte carent animae, semperque priore relictâ
Sede, novis domibus habitant, vivuntque recepta.
Omnia mutantur ; nihil interit, errat & illinc,
Huc venit, hinc illuc & quoslibet occupat artus
Spiritus, èque feris humana in corpora transit,
Inque feras noster, nec tempore deperit ullo,
Utque novis fragilis signatur cera figuris,
Nec manet, ut fuerat, nec formas servat easdem,
Sed tamen ipsa eadem est ; animam sic semper eandem
Esse, sed in varias doceo migrare figuras.
Il n'y a qu'un certain nombre d'ames, elles ont été tirées de l'Esprit divin ; elles sont renfermées dans des corps qu'elles vivifient en certains tems ; le corps périt, & l'ame libre s'éleve aux régions supérieures ; c'est la région des manes, elle y séjourne, elle s'y purge ; delà, selon qu'elle est bonne, mauvaise ou détestable, elle se rejoint à son origine, ou elle vient animer le corps d'un homme ou d'un animal. C'est ainsi qu'elle satisfait à la justice divine.
De la médecine de Pythagore. La conservation de la santé consiste dans une juste proportion du travail, du repos & de la diete.
Il faut s'interdire les alimens flatueux, préférer ceux qui resserrent & fortifient l'habitude du corps.
Il faut s'interdire les alimens abjects aux yeux des dieux parce qu'ils en sont alienés.
Il faut s'interdire les mets sacrés, parce que c'est une marque de respect qu'on doit aux êtres auxquels ils sont destinés, que de les soustraire à l'usage commun des hommes.
Il faut s'interdire les mets qui suspendent la divination, qui nuisent à la pureté de l'ame, à la chasteté, à la sobrieté, à l'habitude de la vertu, à la sainteté, & qui mettent le desordre dans les images qui nous sont offertes en songe.
Il faut s'interdire le vin & les viandes.
Il ne faut se nourrir ni du coeur, ni de la cervelle, ni de la mauve, de la mûre, de la fêve, &c.
Il ne faut point manger de poissons.
Le pain & le miel, le pain de millet avec le chou crud ou cuit, voilà la nourriture du pythagoricien.
Il n'y a point de meilleur préservatif que le vinaigre.
On lui attribue l'observation des années climactériques & des jours critiques.
Il eut aussi sa pharmacie.
Il eut ses symboles. En voici quelques-uns.
Si tu vas adorer au temple, dans cet intervalle ne fait ni ne dis rien qui soit relatif à la vie.
Adore & sacrifie les piés nuds.
Laisse les grands chemins, suis les sentiers.
Adore l'haleine des vents.
Ne remue point le feu avec l'épée.
Ne fais point cuire le chevreau dans le lait de sa mere.
Prête l'épaule à celui qui est chargé.
Ne saute point par-dessus le joug.
Ne pisse point le visage tourné au soleil.
Nourris le coq, mais ne l'immole pas.
Ne coupe point de bois sur les chemins.
Ne reçois point d'hirondelles sous ton toît.
Plante la mauve dans ton jardin, mais ne la mange pas.
Touche la terre quand il tonne.
Prie à haute voix. &c.....
Il suit de ce qui précéde que Pythagore fut un des plus grands hommes de l'antiquité, & qu'il est difficile d'entendre sa définition de la musique, & de nier que les anciens n'aient connu le concert à plusieurs parties différentes.
Des disciples & des sectateurs de Pythagore. Aristée succéda dans l'école à Pythagore ; ce fut un homme très-versé dans les mathématiques, il professa trente-neuf ans & vêcut environ cent ans. Mnésarque, fils de Pythagore, succéda à Aristée ; Bulagoras à Mnésarque ; Tydas à Bulagoras ; Aresas à Tydas ; Diodore d'Aspende à Aresas ; Archytas à Diodore. Platon fut un des auditeurs d'Archytas. Outre ces pythagoriciens, il y en avoit d'autres dispersés dans la Sicile & l'Italie, entre lesquels on nomme Clinias, Philolaüs, Theorides, Euritus, Architas, Timée, & plusieurs femmes. On fait honneur à la même secte d'Hypodame, d'Euriphame, d'Hypparque, de Theages, de Métope, de Criton, de Diotogène, de Callicratidas, de Charondas, d'Empedocle, d'Epicarme, d'Ocellus, d'Ecphante, de Hypon, & autres.
Ecphante prétendit que l'homme ne pouvoit obtenir une vraie notion des choses ; que les vicissitudes perpétuelles de la matiere s'y opposoient ; que les premiers principes étoient de petits corps individuels, dont la grandeur, la forme & la puissance constituoient les différences ; que le nombre en étoit infini ; qu'il y avoit du vuide ; que les corps n'y descendirent ni par leur nature, ni par leur poids, ni par une impulsion, mais par un effort divin de l'esprit ; que le monde formé d'atomes étoit administré par un être prévoyant ; qu'il étoit animé ; qu'il étoit intelligent ; que la terre étoit au centre ; & qu'il tournoit sur elle-même d'orient en occident.
Hippon de Rhegium regarda le froid ou l'eau & la chaleur ou le feu comme les premiers principes. Selon lui, le feu émana de l'eau & forma le monde ; l'ame fut produite par l'humide, son germe distillant du cerveau ; tout, sans exception, périssoit ; il étoit incertain qu'il y eût quelques natures soustraites à cette loi.
On pourroit ajouter à ces philosophes Xénophane, fondateur de la secte éléatique & instituteur de Telauge, fils de Pythagore. La secte ne dura pas au-delà du tems d'Alexandre le Grand. Alors parurent Xénophile, Phanton, Echecrate, Dioclès & Polymneste, disciples de Phliasius, de Philolaüs & d'Euryte, que Platon visita à Tarente. Le Pythagorisme fut professé deux cent ans de suite. La hardiesse de ses principes, l'affectation de législateurs & de réformateurs des peuples dans ses sectateurs, le secret qui se gardoit entr'eux & qui rendit leurs sentimens suspects, le mépris des autres hommes qu'ils appelloient les morts, la haine de ceux qu'on excluoit de leurs assemblées, la jalousie des autres hommes, furent les causes principales de son extinction. Ajoutez la désertion générale, qui se fit au tems de Socrate, de toutes les écoles de Philosophie pour s'attacher à ce trop célebre & trop malheureux philosophe.
Empédocle naquit à Agrigente. Il fleurit dans la lxxxiv. olympiade : il se livra à la philosophie pythagoricienne ; cependant il ne crut pas devoir s'éloigner des affaires publiques. Il détermina ses concitoyens à l'égalité civile : il eût pû se rendre souverain, il dédaigna ce titre. Il employa son patrimoine à marier plusieurs filles qui manquoient de dot : il fut profondément versé dans la Poësie, l'art oratoire, la connoissance de la nature, & la Médecine. Il fit des choses surprenantes en elles-mêmes, auxquelles la tradition & la fiction qui corrompent tout donnerent un caractere merveilleux, tel que celui que les gestes d'Orphée, de Linus, de Musée, de Mélampe, d'Epiménide en avoient reçus. On dit qu'il commandoit aux vents nuisibles, parce que s'étant apperçu que celui qui passoit à-travers les fentes des montagnes & leurs cavernes ouvertes étoit mal-sain pour les contrées qui y étoient exposées, il les fit fermer. On dit qu'il changeoit la nature des eaux, parce qu'ayant conjecturé que la peste qui dévastoit une province, étoit occasionnée par les exhalaisons funestes d'une riviere dormante & bourbeuse, il lui donna de la rapidité & de la limpidité, en y conduisant deux rivieres voisines. On dit qu'il commandoit aux passions des hommes, parce qu'il excelloit dans l'art de la Musique, qui fut si puissant dans ces premiers tems. On dit qu'il ressuscitoit les morts, parce qu'il dissipa la léthargie d'une femme attaquée d'une suffocation utérine. La méchanceté des peuples s'acharne à tourmenter les grands hommes pendant leur vie ; après leur mort, elle croit réparer son injustice en exagérant leurs bienfaits ; & cette sottise ternit leur mémoire tantôt en faisant douter de leur existence, tantôt en les faisant passer pour des imposteurs. Empédocle brûla la plûpart de ses compositions poëtiques. On dit qu'il avoit été enlevé au ciel, parce qu'à l'exemple des philosophes de son tems, il avoit disparu, soit pour se livrer tout entier à la méditation dans quelque lieu desert, soit pour parcourir les contrées éloignées & conférer avec les hommes, qui y jouïssoient de quelque réputation. On croit qu'attiré sur le mont Etna par une curiosité dangereuse, mais bien digne d'un naturaliste, il périt dans les flammes qu'il vomissoit. Ce dernier trait de sa vie tant raconté par les anciens, & tant répété par les modernes, n'est peut-être qu'une fable. On prétend, & avec juste raison, que le peuple aime le merveilleux ; je crois cette maxime d'une vérité beaucoup plus générale, & que l'homme aime le merveilleux. Moi-même, je me surprends à tout moment sur le point de m'y livrer. Lorsqu'un fait aggrandit la nature humaine à mes yeux, lorsqu'il m'offre l'occasion de faire un éloge sublime de l'espece dont je suis un individu, je me soucie peu de le discuter ; il semble que j'aie une crainte secrette de le trouver faux ; je ne m'y détermine que quand on s'en sert comme d'une autorité contre ma raison, & ma liberté de penser. Alors je m'indigne, & tombant d'un excès dans un autre, je mets en oeuvre tous les ressorts de la dialectique, de la critique & du pyrrhonisme : & trop peu scrupuleux, je frappe à tort & à-travers d'une arme également propre à écarter le mensonge & à blesser la vérité. Aussi pourquoi me révolter ? pourquoi vouloir m'entraîner & me pousser par cette violence à me roidir contre le penchant qui me porte naturellement à croire de mes semblables les choses les plus extraordinaires ? Abandonne-moi à moi-même ; laisse-là ta menace, & j'irai tomber sans effort au pié de tes statues. Si tu fais gronder la foudre de Jupiter au-dessus de ma tête, je crierai à tous les peuples que Jupiter fut enterré dans la Crete, & j'indiquerai les tombeaux de ceux que tu places au haut des cieux.
Empédocle disoit qu'il faut juger des choses par la raison & non par les sens ; que c'est à elle à discuter leur témoignage ; qu'il y a deux principes, l'un actif ou la monade, l'autre passif ou la matiere ; que la monade est un feu intelligent ; que tout en émane & s'y résout ; que l'air est habité par des génies ; qu'il y a quelqu'union entre Dieu & nous, & même entre Dieu & les animaux ; qu'il est un esprit un, universel, présent à toutes les particules de l'univers qu'il anime, une ame commune qui les lie ; qu'il faut s'abstenir de la chair des animaux qui ont avec nous une affinité divine ; que le monde est un ; qu'il n'est pas tout ; qu'il n'est qu'une molécule d'une masse énorme, informe & inerte qui se développe sans cesse ; que ce développement a été & sera dans toute l'éternité l'ouvrage de l'esprit universel & un ; qu'il y a quatre élémens ; qu'ils ne sont pas simples, mais des fragmens d'une matiere antérieure ; que leurs qualités premieres sont l'antipathie & la concorde, l'antipathie qui sépare les uns, la concorde qui combine des autres ; que le mouvement qui les agite est de l'esprit universel, de la monade divine ; qu'ils ne sont pas seulement similaires, mais ronds & éternels ; que la nature n'est que l'union & la division des élémens ; qu'il y a quatre élémens, l'eau, la terre, l'air & le feu, ou Jupiter, Junon, Pluton & Nestis ; que la sphere solaire corrompt le monde ; que dans le développement premier l'éther parut d'abord, puis le feu, puis la terre qui bouillit, puis l'eau qui s'éleva, puis l'air qui se sépara de l'eau, puis les êtres particuliers se formerent ; que l'air cédant à l'effort du soleil, il y eut déclinaison dans les contrées septentrionales, élévation dans les contrées voisines, & affaissement dans les contrées australes, & que l'univers entier suivit cette loi ; que le monde a sa droite & sa gauche, sa droite au tropique du cancer, sa gauche au tropique du capricorne ; que le ciel est un corps solide, formé d'air & condensé en crystal par le feu ; que sa nature est aërienne & ignée dans l'un & l'autre hémisphere ; que les astres sont de ce feu qui se sépara originairement de la masse ; que les étoiles fixes sont attachées au firmament ; que les planetes sont errantes ; que le soleil est un globe de feu plus grand que la lune ; qu'il y a deux soleils, le feu primitif & l'astre du jour qui nous éclaire ; que la lune n'est qu'un disque deux fois plus éloigné du soleil que de la terre ; que l'homme a deux ames, l'une immortelle, divine, particule de l'ame universelle, renfermée dans la prison du corps pour l'expiation de quelque faute ; l'autre sensitive, périssable, composée d'élémens unis & séparables ; qu'un homme n'est qu'un génie châtié.
Fata jubent, stant haec decreta antiqua deorum ;
Si quid peccando longaevi daemones errant ;
Quisque luit poenas, coeloque extorris ab alto
Triginta horarum per terras millia oberrat,
Sic & ego nunc ipse vagor, divinitùs exul.
Que tous les animaux, toutes les plantes ont des ames ; que ces ames sont dans des transmigrations perpétuelles ; qu'elles errent & erreront jusqu'à ce que, restituées dans leur pureté originelle & premiere, elles rentreront dans le sein de la divinité, divines elles-mêmes.
Nam memini, fueram quandam puer atque puella,
Plantaque, & ignitus piscis, pernixque volucris.
Qu'il avoit été, & qu'il s'en souvenoit bien, jeune garçon, jeune fille, plante immobile, poisson phosphorique, oiseau léger, puis philosophe Empédocle.
Que les animaux n'ont pas toujours eu l'unité de conformation qu'on y remarque ; qu'ils ont eu les deux sexes ; qu'ils étoient un assemblage informe de membres & d'organes d'especes différentes, & qu'il reste encore dans quelques-uns des vestiges de ce desordre premier, dont les monstres sont apparemment des individus plus caractérisés.
Multa genus duplex referunt animalia membris
Pectore, vel capite, aut alis, sic ut videatur,
Ante viri retroque bovis forma aut vice versâ,
In pecore humanae quondam vestigia formae.
Le monstre est l'homme d'autrefois.
Que la mer est une sueur que l'ardeur du soleil exprime sans-cesse de la terre ; qu'il émane des corps des especes visibles par la lumiere du soleil qui les éclaire en s'y unissant ; que le son n'est qu'un ébranlement de l'air porté dans l'oreille où il y a un battant, & où le reste s'exécute comme dans une cloche ; que la semence du mâle contient certaines parties du corps organique à former, la semence de la femelle d'autres, & que de-là naît la pente des deux sexes, effet dans l'un & l'autre des molécules qui tendent à réformer un tout épars & séparé ; que l'action de la respiration commence dans la matrice, l'air s'y portant à mesure que l'humidité disparoît, la chaleur le repoussant à son tour, & l'air y retournant ; que la chair est un égal composé des quatre élémens ; qu'il en est des graines comme de la semence des animaux ; que la terre est une matrice où elles tombent, sont reçues & éclosent ; que la loi de nature est une loi éternelle, à laquelle il faut toujours obéir, &c....
Celui qui méditera avec attention cet abrégé de la vie & de la doctrine d'Empédocle, ne le regardera pas comme un homme ordinaire : il y remarquera des connoissances physiques, anatomiques, des vûes, de l'imagination, de la subtilité, de l'esprit, & une destination bien caractérisée à accélerer les progrès de l'esprit humain. Pour éclairer les hommes, il ne s'agit pas toujours de rencontrer la vérité, mais bien de les mettre en train de méditer par une tentative heureuse ou malheureuse. L'homme de génie est celui que la nature porte à s'occuper d'un sujet sur lequel le reste de l'espece est assoupi & aveugle.
Epicarme de Cos fut porté dans sa premiere enfance en Sicile : il y étudioit le Pythagorisme ; mais le peuple sot, comme en tout tems & par-tout, y étoit déchaîné contre la Philosophie, & la tyrannie toujours ennemie de la liberté de penser, parce qu'elle s'avoue secrettement à elle-même, qu'elle n'a pas de moyen plus sûr de maîtriser les hommes qu'en les réduisant à la condition des brutes, y fomentoit la haine du peuple, il se livra donc au genre théâtral. Il écrivit des comédies où quelques principes de sagesse pythagorique échappés par hasard, acheverent de rendre cette philosophie odieuse ; il fut versé dans la Morale, l'Histoire naturelle & la Médecine : il atteignit l'âge de 99 ans, & les brigands qui l'avoient persécuté lui éleverent une statue après sa mort. Son ombre ne fut-elle pas bien vaine de cet hommage ? Ces hommes étoient-ils meilleurs quand ils l'honoroient par un monument, que quand ils égorgerent son maître, & qu'ils brûlerent tous ses disciples. Epicarme disoit :
Il est impossible que quelque chose se soit fait de rien.
Donc il n'y a rien qui soit un premier être, rien qui soit un second être.
Les dieux ont toujours été, & n'ont jamais cessé d'être.
Le chaos a été le premier des dieux engendré : il se fait donc un changement dans la matiere.
Ce changement s'exécute incessamment. La matiere est à chaque instant diverse d'elle-même. Nous ne sommes point aujourd'hui ce que nous étions hier ; & demain, nous ne serons pas ce que nous sommes aujourd'hui.
La mort nous est étrangere : elle ne nous touche en rien ; pourquoi la craindre ?
Chaque homme a son caractere : c'est son génie bon ou mauvais.
L'homme de bien est noble, sa mere fût-elle éthiopienne.
Ocellus fut-il péripatéticien ou pythagoricien ? L'ouvrage de universo qu'on nous a transmis sous son nom est-il ou n'est-il pas de lui ? C'est ce dont on jugera par les principes de sa doctrine. Selon Ocellus,
L'instinct de la nature nous instruit de plusieurs choses, dont la raison ne nous fournit que des preuves légeres. Il y a donc la certitude du sentiment, & la conjecture de la raison.
L'univers a toujours été, & sera toujours.
C'est l'ordre qu'on y remarque qui l'a fait nommer univers.
Il y a une collection de toutes les natures, un enchaînement qui lie & les choses qui sont & celles qui surviennent : il n'y a rien hors de-là.
Les essences, les principes des choses ne se saisissent point par les sens ; elles sont absolues, énergiques par elles-mêmes, & parfaites.
Rien de ce qui est n'a été de rien, & ne se résout en rien.
Il n'y a rien hors de l'univers, aucune cause extérieure qui puisse le détruire.
La succession & la mort sont des choses accidentelles, & non des parties premieres.
Les premiers mobiles se meuvent d'eux-mêmes de la même maniere, & selon ce qu'ils sont.
Leur mouvement est circulaire.
Condensez le feu, & vous aurez de l'air ; l'air, & vous aurez l'eau ; l'eau & vous aurez la terre ; & la terre se résout en feu. L'homme se dissout, mais il ne revient pas. C'est un être accidentel ; le tout reste, mais les accidens passent.
Le monde est un globe : il se meut d'un mouvement analogue à sa figure. La durée est infinie ; la substance universelle ne peut être ni augmentée, ni diminuée, ni amendée, ni détériorée.
Il y a deux choses dans l'univers, la génération & sa cause.
La génération est le changement d'une chose en une autre. Il y a génération de celle-ci. La cause de la génération est la raison du changement ou de la production. La cause est efficiente & active. Le sujet est récipient & passif.
Le destin a voulu que ce monde fût divisé en deux régions que l'orbe de la lune distinguât ; & que la région qui est au-dessus de l'orbe lunaire fût celle de l'immutabilité & de l'impassibilité ; & celle qui est au-dessus, le séjour de la discorde, de la génération.
Il y a trois choses, le corps palpable, ou le récipient, ou le sujet passif des choses à venir, comme l'air qui doit engendrer le son, la couleur, les ténébres & la lumiere ; la contradiction sans laquelle les mutations ne se feroient pas. Les substances contraires, comme le feu, l'eau, l'air & la terre.
Il y a quatre qualités générales contraires, le froid & le chaud, causes efficientes ; le sec & l'humide, causes passives ; la matiere qui reçoit tout est un suppôt commun.
Entre les qualités & différences des corps, il y en a de premieres & de secondaires qui émanent des premieres. Les premieres sont le froid & la chaleur, la sécheresse & l'humidité. Les secondaires sont la pesanteur & la légereté, la rareté & la densité ; la dureté & la mollesse ; l'uni & l'inégalité ; la grosseur & la ténuité ; l'aigu & l'obtus.
Entre les élémens, le feu & la terre sont les extrêmes, l'air & l'eau les moyens. Le feu est chaud & sec ; l'air chaud & humide ; l'eau humide & froide ; la terre froide & seche.
Les élémens se convertissent sans-cesse les uns dans les autres ; l'un naît d'un autre. Dans cette décomposition, la qualité de l'élément qui passe, contraire à celle de l'élément qui naît, est détruite ; la qualité commune reste, & c'est ainsi que cette sorte de génération s'exécute.
Entre les causes efficientes, il y en a une placée dans la région haute du monde, le soleil dont la distance variable altere incessamment la constitution de l'air ; d'où naissent toutes les vicissitudes qui s'observent sur la terre. Cette bande oblique, demeure des signes, séjour passager du soleil, ornement de l'univers, qu'on appelle zodiaque, donne au soleil même la puissance, ou d'engendrer, ou de souffrir.
Le monde étant de toute éternité, ce qui fait sa beauté & son harmonie est aussi éternel ; le monde a toujours été, & chacune de ses parties ; la raison des générations & des corruptions, des vicissitudes, n'a point changé & ne change point.
Chaque partie du monde a toujours eu son animal ; les dieux ont été au ciel, les démons dans l'air, les hommes sur la terre. L'espece humaine n'a pas commencé.
Les parties de la terre sont sujettes à des vicissitudes & passent, mais la terre reste.
C'est la conservation de l'espece humaine, & non la volupté qu'il faut se proposer dans la production de l'homme.
Dieu a voulu que la suite des générations diverses fût infinie, afin que l'homme s'approchât nécessairement de la divinité.
L'homme est sur la terre, comme un hôte dans sa maison, un citoyen dans sa ville ; c'en est la partie la plus importante.
L'homme est le plus traitable des animaux ; aussi ses fonctions sont en vicissitude & variables.
La vie contient les corps ; l'ame est la cause de la vie ; l'harmonie contient le monde : Dieu est la cause de l'harmonie ; la concorde contient les familles & les cites ; la loi est la cause de la concorde.
Ce qui meut toujours, commande ; ce qui souffre toujours est commandé. Ce qui meut est antérieur à ce qui souffre ; l'un est divin, raisonnable, intelligent ; l'autre engendré, brute & périssable.
Timée le locrien, se distingua par la connoissance astronomique & par ses idées générales sur l'univers. Il nous reste de lui un ouvrage intitulé : de l'ame du monde, où il admet deux causes générales, éternelles, Dieu ou l'esprit ; la nécessité ou la matiere source des corps. Si l'on compare son systême avec le dialogue de Platon, on verra que le philosophe Athénien a souvent corrompu la physiologie du locrien.
Archytas naquit à Tarente ; il fut contemporain de Platon qu'il initia au Pythagorisme. Celui-ci qu'on peut appeller le jeune, ne vit point Pythagore ; car il y a eu un Archytas l'ancien qui étudia sous ce maître commun de tant d'hommes célébres. Celui de Tarente eut pour disciples, outre Platon, Philolaüs & Eudoxe ; il fleurit dans la quatre-vingt-seizieme olympiade ; ce fut un géomêtre de la premiere force, ainsi qu'il paroît par l'analyse de quelques problèmes que Laerce & Vitruve nous ont laissé de lui. Il s'immortalisa dans la méchanique ; il en posa le premier les principes rationnels qu'il appliqua en même tems à la pratique par l'invention des mouffles, des vis, des leviers & d'autres machines. Il fit une colombe qui voloit. Il eut encore les qualités qui constituent le grand homme d'état. Ses concitoyens lui conférerent sept fois le gouvernement de leur ville. Il commanda à l'armée avec des succès qui ne se démentirent point. L'envie qui le persécutoit le détermina à abdiquer toutes ses dignités ; mais les événemens malheureux ne tarderent pas à punir ses concitoyens de leur injustice ; le trouble s'éleva dans leur ville, & leurs armées furent défaites. A ses talens personnels, & à ses vertus publiques, ajoutez toutes les vertus domestiques, l'humanité, la modestie, la pudeur, la bienfaisance, l'hospitalité, & vous aurez le caractere d'Archytas ; il périt dans un naufrage sur les rivages de la Calabre ; c'est entre ce philosophe & un matelot, qu'Horace a institué ce beau dialogue qui commence par ces mots :
Le matelot.
Te maris & terrae, numeroque carentis arena
Mensuram cohibent, Archita,
Pulveris exigui, prope littus, parva, marinum
Munera ; nec quicquam tibi prodest
Aerias tentasse domos, animoque rotundum
Percurrisse polum, morituro.
Voyez le reste de l'ode ; rien n'est plus beau que la réponse d'Archytas ; lisez-la, & apprenez à mourir & à honorer la cendre de ceux qui ne sont plus.
Archytas pensoit que le tems étoit un nombre, un mouvement, où l'ordre de la nature entiere, que le mouvement universel se distribuoit en tout, selon une certaine mesure ; que le bonheur n'étoit pas toujours la récompense immédiate de la vertu ; qu'il n'y avoit d'heureux que l'homme de bien ; que Dieu possédoit dans son ouvrage une tranquillité & y introduisoit une magnificence qu'il n'étoit pas donné à l'homme d'atteindre ; qu'il y avoit des biens desirables par eux-mêmes ; des biens desirables pour d'autres, & des biens desirables sous l'un & l'autre aspect ; que l'homme de bien est celui qui se montre vertueux dans la prospérité, dans l'adversité, & dans l'état moyen ; que le bonheur n'étoit pas seulement d'une partie de l'homme, mais du tout, & qu'il étoit relatif à l'ame & au corps ; que la vertu ne pouvoit pécher par excès ; que le danger de la prospérité étoit encore plus grand que celui de l'adversité ; que le sage par excellence étoit celui, qui, dans l'explication des phenomenes remontoit à un seul principe général, & redescendoit de ce principe général aux choses particulieres ; que Dieu étoit le principe & le moyen, & la fin de tout ; que de toutes les sortes de contagions, la volupté étoit la principale, &c.
Alcmeon avoit entendu Pythagore sur la fin de sa vie. Il se fit un nom dans la suite par l'étude de la nature, & la pratique de la Médecine. Il est le premier qui ait disséqué des animaux. Il admit les principes opposés ; la divinité des astres, & l'immortalité de l'ame. Il attribua les éclipses à la révolution de la lune, qui nous présentoit une face tantôt concave, tantôt convexe. Il croyoit que les planetes se mouvoient d'un mouvement contraire à celui des étoiles fixes ; que le son étoit un retentissement de l'air dans la cavité de l'oreille ; que la tiédeur & l'humidité de la langue étoient les causes de la saveur ; que l'ame résidoit principalement dans le cerveau ; que dans le développement de l'embryon, la tête se formoit la premiere ; qu'il ressembloit à une éponge qui se nourrissoit par une suction diffuse dans toute sa masse ; que le mouvement du sang étoit le principe de la vie, sa stagnation dans les veines celui du sommeil, & son expansion celui de la veille ; que la santé consistoit dans la tempérie des qualités ; que s'il arrivoit au chaud, à l'humide, au sec, au doux ou à l'amer, de prédominer, l'animal étoit malade, &c.
Hypase dit que le feu étoit dieu, & le premier principe ; que l'ame en étoit une particule ; qu'en s'éteignant il formoit l'air, qui formoit l'eau en s'épaississant, qui formoit la terre en se condensant ; que l'univers finiroit par une déflagration générale ; qu'il avoit différentes périodes à remplir avant ce dernier événement ; qu'il étoit fini & toujours un.
Ce fut Philolaüs qui divulgua la doctrine de Pythagore. Il convenoit que la raison jugeoit sainement des choses, mais la raison cultivée. Il établissoit entr'elle & l'univers une sorte de similitude par laquelle l'entendement étoit applicable aux objets. Il admettoit l'infini & le fini dans la nature, le résultat de leur combinaison. Un de ses principes les plus singuliers, c'est que rien de ce qui peut être connu, n'est un principe. Le nombre étoit selon lui, comme selon tous les Pythagoriciens, la cause de l'ordre & de sa durée. Il expliquoit tout par l'unité & son extension. Il distinguoit différentes régions dans le monde, un milieu, une région haute & une région basse, un lieu de désordre, un lieu d'harmonie. Il plaçoit le feu au centre ; c'étoient-là les lois de l'univers, l'autel des dieux, le domicile de Jupiter, le balancier de la nature. Il regardoit la nécessité & l'harmonie comme les causes de tout. Il enseignoit deux grands derniers événemens ; l'un par un feu tombant du ciel, l'autre par un déluge d'eau versée de la lune. Il faisoit mouvoir la terre sur elle-même & autour du feu, d'un mouvement oblique. Il regardoit le soleil comme un miroir qui réflechissoit la lumiere universelle.
Eudoxe de Cnide, astronome, géomêtre, médecin & législateur, fut le dernier des anciens pythagoriciens. Il se livra à l'étude de la nature avec un tel enthousiasme, qu'il consentoit d'être consumé comme Phaëton, pourvû qu'il lui fût accordé de voir le soleil d'assez près pour le connoître. Il apprit la Géométrie d'Architas, & la Médecine de Philistion. Il alla à Athènes entendre Platon. Il avoit alors vingt-trois ans. L'extrême indigence le réduisit à faire alternativement le métier de philosophe & d'ouvrier sur les ports. Il voyagea avec le médecin Chrisippe. Agésilas le recommanda au roi Nectanebe. Il fréquenta les temples de l'Egypte. Il parcourut la Propontide & la Carie. Il vit Mausole & Denis le jeune. Il perfectionna l'Astronomie. On lui attribue l'invention de l'hypothese des cercles sur lesquels on a fait si long-tems mouvoir les corps célestes, les uns concentriques, les autres excentriques. Il mourut à l'âge de 53 ans, & la premiere ere de l'école de pythagore finit avec lui.
Du Pythagorisme renouvellé. Le Pythagorisme sortit de l'oubli où il étoit tombé sous les empereurs romains. Ce n'est pas qu'il eût des écoles, comme il en avoit eu autrefois ; aucune secte ne fit cette espece de fortune dans Rome. On n'y alloit guere entendre les Philosophes que les jours qu'il n'y avoit ni jeux, ni spectacles, ou qu'il faisoit mauvais tems, cum ludi intercalantur, cum aliquis pluvius intervenit dies. Mais quelques citoyens professerent quelques-uns des principes de Pythagore ; d'autres embrasserent ses moeurs & son genre de vie. Il y en eut qui portant dans les sciences l'esprit d'Eclectisme, se firent des systêmes mêlés de Pythagorisme, de Platonisme, de Péripatéticisme & de Stoïcisme. On nomme parmi cette sorte de restaurateurs de la philosophie dont il s'agit ici, Anaxilaüs de Larisse, Quintus Sextius, Sotion d'Alexandrie, Moderatus de Gades, Euxenus d'Héraclée, Apollonius de Thyane, Secondus d'Athènes & Nicomaque le gérasénien. Comme ces hommes n'ont pas été sans réputation, nous ne pouvons nous dispenser d'en dire un mot.
Anaxilaüs de Larisse vécut sous Auguste. Il se disoit pythagoriste, sur l'opinion commune dans ces tems que le philosophe de Samos ne s'étoit appliqué à l'étude de la nature que pour en déduire l'art d'opérer des choses merveilleuses. On en raconte plusieurs d'Anaxilaüs. Il ne tint pas à lui qu'on ne le prît pour sorcier. Il y réussit même au-delà de ses prétentions, puisqu'il se fit exiler par Auguste qui n'étoit ni un petit esprit, ni un homme ennemi des savans. Anaxilaüs lui parut apparemment un charlatan dangereux.
Quintus Sextius fut un autre homme. Appellé par sa naissance & par la considération dont il jouissoit, aux premieres dignités civiles, soit qu'il dédaignât d'administrer dans un état avili par la perte de la liberté, soit que la terre fumât encore du sang dont elle avoit été arrosée sous le triumvirat, & qu'il en fût effrayé, soit qu'il ne vît que du péril dans les dignités qu'on lui offroit, il les refusa, se livra à l'étude de la Philosophie, & fonda une secte nouvelle, qui ne fut ni Stoïcisme, ni Pythagorisme, mais un composé de l'un & de l'autre. Voici la maniere dont Séneque en parle. J'ai lû l'ouvrage de Sextius ; c'est un homme de la premiere force, & stoïcien quoi qu'on en dise. Quelle vigueur ! quelle ame ! Cela est d'une trempe qui n'est pas ordinaire même entre les Philosophes. Je ne vois que de grands noms & de petits livres. Ce n'est pas ici la même chose. Les autres instituent, disputent, plaisantent ; mais ils ne nous donnent point de chaleur, parce qu'ils n'en ont point. Mais lisez Sextius, & vous vous direz à vous-même, que suis-je devenu ? J'étois froid, & je me sens animé ; j'étois foible, & je me sens fort ; j'étois pusillanime, & je me sens du courage. Pour moi, en quelque situation d'esprit que je me trouve, à peine l'ai-je ouvert, que je puis défier tous les événemens ; que je m'écrierois volontiers : ô sort, que fais-tu ? que ne viens-tu sur moi ? arrive avec toutes tes terreurs. Je vous attends. Je prends l'ame de cet auteur : elle passe en moi. Je brûle de m'exercer contre l'infortune. Je m'indigne que l'occasion de montrer de la vertu ne se présente pas. Ce Sextius a cela d'admirable, que sans vous pallier l'importance & la difficulté d'obtenir le bonheur & le repos de la vie, il ne vous en ôte pas l'espoir. Il met la chose haut, mais non si haut qu'avec de la résolution on n'y puisse atteindre. Il vous montre la vertu sous un point-de-vûe qui vous étonne, mais qui vous enflamme. Sextius assied le sage à côté de Jupiter. La nuit, lorsqu'il étoit retiré, & que tout étoit en silence autour de lui, il s'interrogeoit & se disoit : de quel vice t'es-tu corrigé ? quel bien as-tu fait ? en quoi es-tu devenu meilleur ? Il avoit eu le pythagoricien Sotion pour instituteur. Celui-ci l'avoit déterminé à l'abstinence de la chair. En effet, n'y a-t-il pas assez d'autres alimens, sans user du sang ? N'est-ce pas encourager les hommes à la cruauté, que de leur permettre d'enfoncer le couteau dans la gorge des animaux ? Cependant ce régime austere étant devenu une espece de scandale sous le regne de Tibere, & ceux qui s'y conformerent se rendant suspects d'hétérodoxie, le pere de Sextius conseilla à son fils de mieux souper à l'avenir, s'il ne vouloit pas s'exposer à quelque affaire sérieuse. La tâche que Sextius s'étoit imposée, lui parut si forte à lui-même, que ne pouvant ni l'abandonner, ni y satisfaire, il fut quelquefois sur le point de se précipiter dans la mer. Il eut pour disciples Flavianus, Lucius Crassitius de Tarente, surnommé Paside, Pansa & Julius Antonius, fils du triumvir.
Le centon de maximes moitié pythagoriques, moitié stoïciennes & chrétiennes, qui portent le nom de Sextus ou de Sextius, n'est point de notre philosophe. C'est une de ces productions supposées, telles qu'il en parut tant pendant les premiers siecles de l'Eglise ; les Payens, les Chrétiens, les orthodoxes & les hérétiques, cherchant tous également à appuyer leurs sentimens de quelques grandes autorités.
Sotion parut sous les regnes d'Auguste & de Tibere. Il eut Séneque pour disciple. Sa doctrine fut pythagorico-stoïcienne, c'est-à-dire qu'il admit la métempsycose, & qu'il s'abstint du vin & de la chair des animaux.
Moderat vécut sous Néron. Il étoit de Gades, île de la mer Atlantique. Origene, Porphyre, Jamblique, & les autres philosophes de l'école d'Alexandrie, firent cas de ses ouvrages. Sa doctrine fut platonico-pythagorique.
On compte encore parmi les sectateurs du Pythagorisme renouvellé, Alexicrate, Eugene, Arcas, précepteur d'Auguste, & quelques autres.
Nous voici enfin parvenus à un des noms les plus célebres parmi les hommes ; c'est celui d'Apollonius de Thyane. On peut écrire des volumes de la vie de ce philosophe, ou l'expédier en quelques lignes, selon le parti qu'on prend, ou d'exposer le détail infini des fables qu'on a débitées sur son compte, ou de s'en tenir au peu de vérités qu'on en sait. Les philosophes eclectiques de l'école d'Alexandrie, les ennemis les plus violens que l'Eglise ait eu dans sa naissance, n'ont rien obmis pour l'opposer avec avantage à J. C. Il est né d'un dieu. Sa venue est annoncée par des prodiges. Il étoit destiné à être un jour le restaurateur du genre humain. Il paroît parmi les hommes. Son enfance, son adolescence, toute sa vie est marquée par des prodiges. Il a toutes les qualités possibles de l'ame & du corps. Il sait toutes les langues. Il parcourt toutes les contrées. Il est instruit de toutes les connoissances & de toute la sagesse des nations. Jamais on n'a fait tant de mensonges & si maladroitement. Peut-être Apollonius a-t-il en effet voyagé dans l'Orient, dans l'Inde, en Asie, dans les Gaules, dans l'Italie ; peut-être a-t-il vu & sçu beaucoup ; peut-être a-t-il été un grand philosophe, un génie très-extraordinaire. Mais on est parvenu à rendre tout également incroyable, par la puérilité, la sottise, les faussetés qui percent de toutes parts dans son histoire. On lui donne pour compagnon un certain Damis, le plus stupide personnage qu'on puisse imaginer ; & il a pour historien Philostrate, menteur d'une impudence qui ne se conçoit pas. Laissons donc là sa vie & ses prodiges, & parcourons rapidement quelques-uns des principes de sa philosophie. Apollonius disoit, à ce qu'on prétend, car il est plus facile encore de supposer à un homme des discours que des actions.
Le philosophe s'unira d'amitié avec le philosophe, il négligera le grammairien & le sophiste.
La vertu s'acquiert par l'exercice & par l'institution. La nature nous y dispose. Il faut tout entreprendre pour elle.
La connoissance de la vérité est la tâche du philosophe.
Le philosophe fuit les bains, sort peu, craint de souiller ses piés, cherche en tout la pureté, dans ses vêtemens mêmes, s'occupe de la divination, souffre les peines du corps, purge son ame du vice, mange seul, se tait volontiers, s'abstient du vin & de la chair des animaux, a peu de besoins, évite le méchant, a toujours un bon conseil à donner, sa bourse ouverte à ses amis, du sang à répandre pour sa patrie, & sa liberté à garder.
Comment ne mépriseroit-il pas la richesse ? tant d'autres l'ont fait par des motifs indignes de lui.
Il ne vendra point ses connoissances.
Il regardera l'univers comme sa patrie, & tous les hommes comme ses freres. Nous descendons tous de Dieu.
Qu'exigerez-vous du pythagoricien ? L'art de donner des lois aux peuples, la connoissance de la Géométrie, de l'Astronomie, de l'Arithmétique, de l'harmonie, de la Musique, de la Médecine, & de la Théurgie ? Vous en exigerez davantage encore, l'élévation de l'ame, la gravité, la constance, la bonne renommée, la vraie théologie, l'amitié sincere, l'assiduité, la frugalité, l'intégrité des sens, l'agilité, l'aisance, la tranquillité, la vertu, le bonheur.
Le magicien est le ministre des dieux. Celui qui ne croit point à la Magie est athée.
Ayez de la pudeur pour celui qui en manque, & voilez votre visage devant l'homme qui s'énorgueillit d'une sottise.
Qu'est-ce que la prudence, sans la force ? Qu'est-ce que la force, sans la prudence ?
L'ame ne se repose point.
Rien ne périt. Il n'y a que des apparences qui naissent & qui passent.
S'il y a passage de l'état d'essence à l'état de nature, il y a génération.
S'il y a passage de l'état de nature à l'état d'essence, il y a mort.
A proprement parler, il n'y a ni génération, ni corruption. Il y a succession d'états. Il y a apparence grossiere de nature, & ténuité d'essence. L'intervalle est occupé par ce qui change, paroît & disparoît. L'essence est toujours la même ; mais son mouvement & son repos different. Un tout se résout en parties. Des parties reforment un tout. Voilà l'automatisme général.
La matiere est contenue comme dans un vase éternel, où rien ne survient, & d'où rien ne s'échappe ; mais ou ce qui est sensible cesse de l'être, & ce qui ne l'étoit pas le devient, ou des choses tendent à la simplicité de l'unité, & d'autres se composent.
Entre les choses visibles, il n'y a nul mode commun à tous les individus, mais tout mode de ce qui est un, est mode d'une chose singuliere.
L'essence premiere, la seule qui fasse & souffre, qui est toute en tout, est le dieu éternel, qui perd son nom dans nos langues, par la multitude & la variété des êtres à désigner.
L'homme se divise en mourant : il change de mode, mais non de nature & d'essence. Il est donc mal de pleurer la mort ; il faut la révérer, & abandonner à Dieu l'être qui est parvenu à ce terme.
Il y a de l'ordre dans l'univers : Dieu y préside : le sage ne fera donc aucune chose, il croira que ce qui lui arrive est bien.
Cet ordre est nécessaire : s'il a destiné à l'empire un homme, & que cet homme périsse, il ressuscitera pour regner.
Celui qui a étudié cette chaîne des destinées, prédira l'avenir.
Ce qui est ne périt point, ou parce qu'il est par lui-même, & qu'il doit durer sans fin, ou il faut remonter à quelque chose qui se fasse de rien ; mais rien n'aboutit jamais qu'à rien.
Tant que nous vivons, nous sommes châtiés.
Il faut réunir l'art de guérir l'ame à celui de guérir le corps, pour posséder la médecine par excellence. L'animal sera-t-il sain, tant que sa portion la plus estimable sera malade.
Les dieux n'ont pas besoin de victimes. Avoir l'ame pure, faire le bien à ceux qui le méritent ; voilà ce qui rend agréable aux yeux de l'Eternel. Il n'y a que cela que l'athée ne puisse pas présenter au ciel.
Vous avez de l'affinité avec les animaux, n'en sacrifiez donc point.
Tous les êtres ont leur jeunesse & leur caducité, leurs périodes & leur consommation.
La richesse est une source d'inquiétudes ; pourquoi les hommes veulent-ils être riches ?
Il faut dans l'indigence se montrer ferme, humain dans l'opulence.
L'indiscrétion a bien des inconvéniens ; il est plus sûr de se taire.
Le sage se contente de peu : ce n'est pas qu'il ne sache distinguer une chose vile d'une chose précieuse, mais son étude est d'apprendre à se passer de celle-ci.
La colere est le germe de la folie ; si on ne prévient sa maturité, il n'y aura plus de remede.
N'être plus, ce n'est rien : être, c'est souffrir.
Il est doux d'avoir évalué les évenemens fâcheux, avant que d'avoir à les supporter.
Consolons-nous par la vue des miseres d'autrui.
Si nous commettons le crime, du moins n'accusons personne.
La vie est courte pour l'homme heureux ; l'infortune prolonge sa durée.
Il est impossible qu'Apollonius ait eu les maximes d'un sage & la vie d'un imposteur. Concluons donc qu'on l'a trop bien fait parler ou trop mal agir.
Secondus l'athénien, surnommé Epiurus ou la cheville de bois, de l'état de son pere, garda le silence du jour que sa mere trompée dans les desseins incestueux qu'elle avoit formés sur lui, mourut de tristesse & de honte. Il eut pour disciple Herodes Atticus. Le monde, disoit-il, est un assemblage incomprehensible, un édifice à contempler de l'esprit, une hauteur inaccessible à l'oeil, un spectacle formé de lui-même, une configuration variée sous une infinité de formes, une terreur éternelle, un éther fécond, un esprit multiplié, un dédale infini, un soleil, une lumiere, un jour, une nuit, des ténebres, des étoiles, une terre, un feu, une eau, de l'air : Dieu, un bien originel, une image multiforme, une hauteur invisible, une effigie variée, une question difficile, un esprit immortel, un être présent à tous, un oeil toujours ouvert, l'essence propre des choses, une puissance distinguée sous une multitude de dénominations, un bras tout-puissant, une lumiere intelligente, une puissance lumineuse : l'homme, un esprit revêtu de chair, un vase spirituel, un domicile sensible, un être d'un moment, une ame née pour la peine, un jouet du sort, une machine d'os, le jouet du tems, l'observateur de la vie, le transfuge de la lumiere, le dépôt de la terre : la terre, la base du ciel, une perspective sans fond, une racine aérienne, le gymnase de la vie, la veillée de la lune, un spectacle incompréhensible à la vue, le réservoir des pluies, la mere des fruits, le couvercle de l'enfer, la prison éternelle, l'espace de plusieurs souverainetés, la génération & le réservoir de toutes choses : la mort, un sommeil éternel, la dissolution du corps, le souhait du malheureux, la retraite de l'esprit, la fuite & l'abdication de la vie, la terreur du riche, le soulagement du pauvre, la résolution des membres, le pere du sommeil, le vrai terme fixe, la consommation de tout, & ainsi de plusieurs autres objets sur lesquels Secondus s'interroge & se répond. Nicomaque vécut dans l'intervalle des regnes d'Auguste & des Antonins. Il écrivit de l'Arithmétique & de l'Harmonie. Ses ouvrages ne sont pas parvenus jusqu'à nous : il ferma la seconde ere de la philosophie pythagorique.
De la philosophie pythagoreo-platonico-cabalistique. Cette secte parut vers le commencement du seizieme siecle. On commençoit à abandonner l'Aristotélisme ; on s'étoit retourné du côté de Platon ; la réputation que Pythagore avoit eue, s'étoit conservée ; on croyoit que cet ancien philosophe devoit aux Hébreux tout ce qu'il avoit enseigné de bonne doctrine. On fondit ces trois systèmes en un, & l'on fit ce monstre que nous appellons pythagoreo-platonico-cabaliste, & dont Pic de la Mirandole fut le pere. Pic eut pour disciple Capnion, & pour sectateurs Pierre Galatin, Paul Riccius & François de Georgiis, sans compter Corneille Agrippa. La pythagoreo-platonico-cabale ne fut pas plutôt désignée par ce nom, qu'elle fut avilie. Ce fut François Patricius qui la nomma. Nous allons parcourir rapidement l'histoire de ceux qui lui ont donné le peu de crédit dont elle a joui pendant sa courte durée. Jean Reuchlin se présente le premier.
Reuchlin naquit à Pforzen en Suisse, en 1455. La nature lui ayant donné un bel organe, on l'appliqua d'abord à la musique, ensuite à la grammaire. Il vint à Paris ; il y fréquenta les écoles les plus connues, & les hommes les plus célebres ; il se livra à l'érudition, & y fit de grands progrès ; il étudia la langue grecque, & il en peignoit si parfaitement les caracteres, que cette occupation lucrative suffisoit à tous ses besoins. De la connoissance du grec il passa à celle du latin ; il méprisa tous ces misérables commentateurs d'un philosophe qu'ils n'étoient pas en état de lire ; & il puisa la doctrine d'Aristote dans ses propres ouvrages ; il ne négligea ni l'art oratoire, ni la théologie. Il n'avoit pas vingt ans, qu'il y avoit peu d'hommes dans l'université de Paris qu'on pût lui comparer. Ce fut alors qu'il revint dans sa patrie. Il s'établit à Basle ; mais le dessein de s'instruire en la jurisprudence le ramena en France. Il fit quelque séjour à Orléans ; il revint en Allemagne. Eberard Barbatus se l'attacha, & le conduisit à sa suite en Italie où il fit connoissance avec Démétrius Chalcondile, Christophe Landinus, Marsile Ficin, Ange Politien, Pic de la Mirandole, & Laurent de Médicis qu'il falloit nommer le premier. Ce fut Hermolaüs Barbarus qui changea son nom de Reuchlin en celui de Capnion ; de retour de son voyage d'Italie, il parut à la cour de l'empereur Fréderic, où le juif Jehiel Loans lui inspira le goût de la langue hébraïque. Mais à la mort d'Eberhard, premier duc de Wirtemberg, qui l'avoit comblé d'honneurs, sa fortune changea ; accusé de la mauvaise administration du successeur d'Eberhard, & menacé de la perte de sa liberté, il échappa à la poursuite de l'empereur Maximilien, & trouva un asile & des amis à la cour palatine. Reuchlin ou Capnion, comme on voudra l'appeller, avoit de l'esprit & de la gaieté, il étoit jeune : il ignoroit encore les persécutions qu'on se prépare, en offensant les gens d'église : il ne s'en tint pas à mépriser leurs moeurs dissolues, leur ignorance & leur barbarie, il eut l'imprudence d'en faire une peinture très-vive dans une comédie, dont le ridicule principal tomboit sur les moines. Cet ouvrage parut, & devint la source des peines qui commencerent à ce moment, & qui durerent autant que sa vie. Cela ne l'empêcha pas d'être envoyé à Rome, à l'occasion du mariage du prince Rupert & de la fille de George, duc de Baviere. Ce fut dans ce second voyage qu'il acheva de se consommer dans la connoissance des lettres grecques & latines ; il parut dans l'école d'Argyropule, qui frappé de l'élégance & de la facilité avec laquelle Capnion interprétoit, se tourna vers ses auditeurs, & leur dit : ecce Graecia nostro exilio transvolavit alpes. Il prit des leçons d'hébreu du juif Obadias ben Jacob Sporno, qu'il n'étoit pas donné à tout le monde d'entendre, tant il se faisoit payer chérement. Le tems de sa députation écoulé, il revint en Allemagne ; il quitta la cour, & pressé de jouir du fruit de ses études, il chercha la retraite. Il fut cependant appellé dans les transactions les plus importantes de son tems. Or il arriva qu'un juif renegat s'efforçoit de persuader aux puissances séculieres & à l'empereur de brûler les livres des Juifs. Il s'étoit fait écouter : on avoit ramassé le plus d'ouvrages hébreux que l'on avoit pu : l'édit de Maximilien étoit prêt, & l'exécution alloit se faire à Francfort, lorsque les Juifs se plaignirent : l'empereur les écouta, & leur donna pour commissaire Reuchlin. Reuchlin distingue : il abandonne au sort qui leur étoit destiné, tous les auteurs impies ; mais il insiste sur la conservation des grammairiens, des médecins, des historiens, de tous ceux qui avoient traité des sciences & des arts, & qui pouvoient servir à l'intelligence d'une langue aussi essentielle à la religion chrétienne. Pfefferkorn (c'est le nom du juif) entre en fureur : il ameute les moines : on écrit contre Reuchlin : on s'assemble : on délibere : on le condamne ; il est appellé à la cour de l'empereur, & à celle du souverain pontife. Erasme & d'autres savans prennent sa défense. On revient sur le projet barbare d'anéantir en un jour les monumens les plus précieux de l'église chrétienne. On absout Reuchlin ; & l'ignorance & la superstition confondues n'en sont que plus violemment irritées. Cependant l'hérésie de Luther s'éleve : les peuples s'arment : le sang se répand : des villes se désertent, & Reuchlin perd son état, sa fortune, ses livres, tombe dans l'indigence, & est réduit à enseigner les langues pour vivre. Les troubles de sa vie dérangerent sa santé ; il devint languissant, & il mourut à Stutgard, âgé de soixante-sept ans. Il faut écrire son nom parmi les premiers restaurateurs des lettres dans nos contrées. Les erreurs dont l'Eglise étoit infectée, ne lui échapperent point ; il s'en expliqua quelquefois assez librement ; cependant il ne se sépara point de notre communion. Il professa la Philosophie pythagoreo-platonico-cabalistique, ainsi qu'il paroit par l'ouvrage qu'il a intitulé de arte cabalisticâ, & par celui qu'il a publié de verbo mirifico. Il dit ailleurs : Marsile Ficin a relevé la statue de Platon en Italie ; Faber celle d'Aristote en France ; il m'étoit réservé de restituer celle de Pythagore. Mais ce philosophe instruit par les Chaldéens, ne pouvoit être entendu sans l'étude de la cabale. C'est la clé de sa doctrine : je l'ai cherchée, & je l'ai trouvée. Qu'avoit-il découvert à l'aide de cette merveilleuse clé, & d'une application de vingt ans ? Que Baruch renfermoit l'explication de tous les noms ineffables, qu'ils s'appliquoient à Jesus-Christ sans exception, & que ces quatre lettres J, E, S, V étoient le grand tétragramme pythagorien. Reuchlin n'est pas le centieme d'entre les philosophes qui se sont livrés à des travaux incroyables pour illustrer un certain genre de folie. Celui-ci étudia la doctrine chaldaïque, égyptienne, thrace, hermétique, orphique & hébraïque ; mais l'école d'Alexandrie avoit tout corrompu. Reuchlin s'en rapporta au témoignage de Pic, & Pic ne distinguant rien, s'étoit confié indistinctement, & aux livres des anciens auteurs, & à ceux qui leur avoient été supposés. Qu'est-ce qu'il y avoit après cela de surprenant, lorsqu'il découvroit de tout côté des vestiges du christianisme, que son imagination excitée multiplia ensuite à l'infini ? d'où il arriva qu'il ne connut bien, ni le pythagorisme, ni le platonisme, ni la cabale, ni le christianisme.
François George le vénitien vivoit encore en 1532 ; ce fut un philosophe très-subtil, mais dont l'imagination égaroit le jugement. Il a laissé deux ouvrages : l'un, sur l'harmonie du monde : l'autre, sur des problèmes relatifs à l'intelligence de quelques points de l'Ecriture. C'est un mêlange de doctrine chrétienne & d'opinions rabbiniques, qui fut proscrit. Voici quelques-uns de ses principes.
Les nombres sont la cause de l'ordre universel ; ils s'élevent de la terre aux cieux, & redescendent des cieux à la terre, formant une chaîne d'émanations, par laquelle des natures diverses & des accidens opposés sont liés.
C'est aux hommes que Dieu a éclairés de son esprit, à nous instruire sur le monde. Entre ces hommes, il faut s'attacher particulierement aux hébreux, à ceux des autres nations qui ont connu le messie, Paul, Jean, Origene, d'un côté ; de l'autre, Platon, Pythagore, &c.
Il est un Dieu. La fécondité des êtres nous démontre la fécondité de Dieu : un Dieu réfléchisseur sur lui-même, a produit son fils ; le Saint Esprit, ou l'amour qui unit le pere & le fils, a procédé de l'un & de l'autre ; & le monde est émané de tous les trois.
Il y avoit si peu d'hommes purs & saints, dignes de connoître la vérité toute nue, qu'il a fallu la voiler d'énigmes, de symboles & d'emblèmes.
Quelque diversité d'opinions qu'il y ait entre les philosophes, on peut rapprocher d'un même système tous ceux qui admettront l'existence & la liberté d'un être seul créateur.
Les sages s'accordent à mesurer le tems de la création, & le renfermer dans l'espace de six jours, auquel on a ajouté un septieme jour de repos. En effet, le nombre six est très-parfait. Six fois un font six, trois fois deux font six, un, deux, trois font six, &c.
Je n'ai pas le courage de suivre cet auteur dans le détail de ses extravagances ; c'est une arithmétique corrompue, des propriétés de nombre imaginaires & mal vûes, appliquées au système des émanations.
Ce que j'y trouve de plus singulier, c'est que le méchant est animé de deux esprits, son ame & un mauvais génie qui est entré dans son corps au moment de la dépravation. Voilà de quoi étendre le système du P. Bougeant. Les mauvais anges ne seront pas seulement occupés à animer les animaux, mais encore à doubler, tripler, quadrupler les ames des méchans. On trouvera même dans l'Ecriture des passages favorables à cette opinion. Ainsi les Guignards, les Oldecorn, les Malagrida, les Damiens, & tous ceux qui ont été coupables ou qui sont suspects de monarchomachie, sont possédés d'une légion de mauvais génies qui se sont associés à leurs ames à mesure que leur dépravation s'accroissoit ; ensorte qu'on peut les regarder comme des sortes d'enfers ambulans. Les diables sont établis dans les corps des hommes ; ils y entrent, ils en sortent, selon qu'on amande ou qu'on empire.
Agrippa naquit à Nettesheym, dans le territoire de Cologne, à-peu-près en 1463. Il professa toutes sortes de conditions, soldat, politique, homme de lettres, philosophe, théologien, alchimiste, pyrrhonien, charlatan, voyageur, médecin, érudit, astrologue, riche, pauvre, méprisé, considéré ; que sais-je quoi encore ? Il n'est pas trop de notre objet de suivre cet homme divers sous toutes ses formes ; nous remarquerons seulement ici qu'il eut de commun avec la plûpart des philosophes, de connoître l'ignorance, l'hypocrisie, & la méchanceté des prêtres, de s'en expliquer quelquefois trop librement, & d'avoir par cette indiscrétion empoisonné toute sa vie. Un inquisiteur s'étoit emparé d'une pauvre femme qu'il avoit résolu de perdre ; Agrippa osa prendre sa défense, & le voilà lui-même accusé d'hérésie, & forcé de pourvoir à sa sureté. Il erre, mais par-tout il trouve des moines, par-tout il les déchire, & par-tout il en est persécuté. Il met lui-même le comble à son infortune, par son ouvrage de la vanité des sciences. Cette misérable production aliéna tous les esprits. Il tomba dans l'indigence : il emprunta ; ses créanciers le poursuivirent, & le firent emprisonner à Bruxelles. Il ne sortit des prisons de Bruxelles que pour tomber dans celles de Lyon. La cour de France, qu'il avoit irritée par des expressions peu ménagées sur la mere du roi régnant, crut devoir l'en châtier ; ce fut la derniere de ses peines. Il mourut en 1536, après avoir beaucoup couru, beaucoup étudié, beaucoup invectivé, beaucoup souffert, & peu vécu. Nous allons exposer quelques-uns des principes de cette philosophie qu'Agrippa & d'autres ont professée sous le nom d'occulte. Ils disoient :
Il y a trois mondes, l'élémentaire, le céleste & l'intellectuel.
Chaque monde subordonné est régi par le monde qui lui est supérieur.
Il n'est pas impossible de passer de la connoissance de l'un à la connoissance de l'autre, & de remonter jusqu'à l'archétype. C'est cette échelle qu'on appelle la magie.
La magie est une contemplation profonde qui embrasse la nature, la puissance, la qualité, la substance, les vertus, les similitudes, les différences, l'art d'unir, de séparer, de composer ; en un mot, le travail entier de l'univers.
Il y a quatre élémens, principes de la composition & de la décomposition, l'air, le feu, l'eau & la terre.
Ils sont triples chacun.
Le feu & la terre, l'un principe actif, l'autre principe passif, suffisent à la production des merveilles de la nature.
Le feu par lui-même, isolé de toute matiere à laquelle il soit uni, & qui serve à manifester sa présence & son action, est immense, invisible, mobile, destructeur, restaurateur, porté vers tout ce qui l'avoisine, flambeau de la nature, dont il éclaire les secrets. Les mauvais démons le fuient, les bons le cherchent ; ils s'en nourrissent.
La terre est le suppôt des élémens, le réservoir de toutes les influences célestes ; elle a en elle tous les germes & la raison de toutes les productions : les vertus d'en-haut la fécondent.
Les germes de tous les animaux sont dans l'eau.
L'air est un esprit vital qui pénetre les êtres, & leur donne la consistance & la vie, unissant, agitant, remplissant tout : il reçoit immédiatement les influences qu'il transmet.
Il s'échappe des corps des simulacres spirituels & naturels qui frappent nos sens.
Il y a un moyen de peindre des images, des lettres qui portées à-travers l'espace immense, peuvent être lûes sur le disque de la lune qui les éclaire, par quelqu'un qui sait & qui est prévenu.
Dans le monde archétype tout est en tout ; proportion gardée, c'est la même chose dans celui-ci.
Les élémens dans les mondes inférieurs, sont des formes grossieres, des amas immenses de matiere. Au ciel, ils sont d'une nature plus énergique, plus subtile, plus active, vertus dans les intelligences ; idées dans l'archétype.
Outre les qualités élémentaires que nous connoissons, les êtres en ont de particulieres, d'inconnues, d'innées, dont les effets nous étonnent : ce sont ces dernieres que nous appellons occultes.
Les vertus occultes émanent de Dieu, unes en lui, multiples dans l'ame du monde, infuses dans les esprits, unies ou séparées des corps, foibles ou fortes, selon la distance de l'être à l'archétype.
Les idées sont les causes de l'existence & de la spécification ; c'est d'elles que naissent les qualités qui passent dans la matiere en raison de son aptitude à les recevoir.
Dieu est la source des vertus ; il les confie aux anges ses ministres ; les anges les versent sur les cieux & les astres ; les astres les répandent sur les hommes, les plantes, les animaux, la terre, les élémens.
Voici donc l'ordre d'émanation des vertus : les idées, les intelligences, les cieux, les élémens, les êtres.
Aucun être n'est content de sa nature, s'il est privé de tout secours divin.
Les idées sont les causes premieres de la forme & des vertus.
Les vertus ne passent point des êtres supérieurs aux inférieurs sans l'intermede de l'ame du monde, qui est une cinquieme essence.
Il n'y a pas une molécule dans l'univers à laquelle une particule de cette ame du monde, ou de cet esprit universel ne soit présente.
Distribuée en tout & par-tout, elle ne l'est pas également. Il y a des êtres qui en prennent les uns plus, les autres moins.
Il y a antipathie & sympathie en tout : de-là une infinité de rapports, d'unions & d'aversions secrettes.
Les êtres en qui la vertu, la particule divine est moins embarrassée de matiere, ne cessent pas de produire des effets étonnans après leurs destructions.
Les choses inférieures sont dominées par les supérieures. Les moeurs des hommes dépendent des astres.
Le monde sublunaire est gouverné par les planetes, & le monde planétaire par celui des fixes.
Chaque astre a sa nature, sa propriété, sa condition, ses rayons qui vont imprimer sur les êtres un caractere, une signature distincte & particuliere.
Quelquefois les influences se confondent dans un même être ; elles y entrent selon des rapports déterminés par un grand nombre de causes, entre lesquelles la possession est une des principales.
Il y a une liaison continue de l'ame du monde à la matiere ; c'est en conséquence de cette liaison que l'ame du monde agit sur tout ce qui est.
On peut remonter des choses d'ici bas aux astres, des astres aux intelligences, des intelligences à l'archétype. C'est une corde qui touchée à un bout frémit à l'autre ; & la magie consiste à juger de la correspondance de ces mouvemens qui s'exécutent à des distances si éloignées. C'est une oreille fine qui saisit des résonnances fugitives, imperceptibles aux hommes ordinaires. L'homme ordinaire n'entend que dans un point. Celui qui a la science occulte, entend sur la terre, au ciel & dans l'intervalle.
Il y a de bons & de mauvais génies.
On s'unit aux bons génies par la priere & les sacrifices ; aux mauvais par des arts illicites.
Il y a des moyens d'attacher un esprit à un corps.
Il y a des suffumigations analogues à des influences, soit qu'il s'agisse de les attirer, soit qu'il s'agisse de les écarter.
La lumiere est un acte simple, une image divine imprimée dans tous les êtres, émanée du pere au fils, du fils à l'esprit saint, de l'esprit saint aux anges, des anges aux astres, des astres à la terre, aux hommes, aux plantes, aux animaux. Elle affecte le sens & l'imagination de l'homme.
L'imagination violemment émue peut changer le corps, lui donner de l'empire, de l'action & de la passion, l'approprier à certaines maladies, à certaines impressions, &c.
La contention violente de l'ame humaine, l'éleve, l'unit aux intelligences, l'éclaire, l'inspire, porte dans ses actions & ses concepts quelque chose de divin & de surnaturel.
L'ame humaine a en elle la vertu de changer, d'approcher, d'éloigner, de lier ; elle peut dominer & les choses & les esprits, par une énergie particuliere de sa vertu ou de ses passions.
Les noms des choses ont aussi leur pouvoir. L'art magique a sa langue : cette langue a ses vertus ; c'est une image des signatures. De-là l'effet des invocations, évocations, adjurations, conjurations, & autres formules.
Il paroît que le nombre est la raison premiere de l'enchaînement des choses.
Les nombres ont leur vertu, leur efficacité bien ou malfaisante.
L'unité est le principe & la fin de tout ; elle n'a ni fin ni principe.
Le nombre binaire est mauvais. Le dualisme est un démon malfaisant, ou il y a multitude matérielle.
Le ternaire représente Dieu, l'ame du monde, l'esprit de l'homme.
Le quaternaire est la base de tous les nombres.
Le quinaire a une force particuliere dans les expiations sacrées. Il est tout. Il arrête l'effet des venins. Il est redoutable aux mauvais génies.
Le septenaire est très-puissant, soit en bien soit en mal.
Dieu est la monade. Avant qu'elle ne s'étendît hors d'elle, & ne produisît les êtres, elle engendra en elle le nombre ternaire.
Le nombre denaire est la mesure de tout.
Les caracteres des mots ne sont pas sans vertu. On en peut tenir la connoissance des propriétés & des événemens.
L'harmonie analogue au concert des cieux, en provoque merveilleusement l'influence.
L'homme a tout en lui, le nombre, la mesure, le poids, le mouvement, les élémens, l'harmonie.
Il y a une cause sublime, secrette & nécessaire du sort. Il peut conduire à la vérité.
Le monde, les cieux, les astres ont des ames ; ces ames ne sont pas sans affinité avec la nôtre.
Le monde vit ; il a ses organes ; il a ses sens.
L'ame du monde a ses opérations intellectuelles ; elle tient de la nature divine.
Les imprécations ont leurs efficacités. Elles s'attachent sur les êtres, & les modifient.
La liaison universelle des choses constate la réalité & la certitude de la magie.
La magie est un art sacré qu'il ne faut pas divulguer.
Elle suppose une suspension du commerce de l'ame avec le corps, une absence entiere de toutes distractions, une union intime avec les intelligences. On l'obtient par les cérémonies religieuses, les expiations, les sacrifices, la priere, les consécrations, &c.
Il faut avoir sur-tout la foi, l'espérance & la charité : ce sont ces vertus qui levent le voile qui couvre le miroir divin, & qui permettent à l'oeil de l'homme de recevoir par réflexion la connoissance des états, des effets & des causes.
Quoique Dieu soit tout dans l'union essentielle des trois personnes, on peut cependant y considérer encore quelques qualités divines, quelques intelligences réelles que les philosophes des nations ont appellées divinités, les Hébreux sephiroth, & que nous appellons attributs.
Les différens noms de Dieu ne désignent point des essences divines, mais des propriétés analogues à ses bienfaits, à ses châtimens.
Dieu est le maître ; mais il a des ministres bien & malfaisans. Les astres sont aussi des instrumens de sa puissance : elle a encore d'autres canaux.
L'intelligence de Dieu est incorruptible, immortelle, insensible, présente à tout, influant sur tout.
Il y a trois classes de démons ; des esprits célestes, intelligens, sans corps. Leur fonction unique est de transmettre la lumiere de Dieu. Des esprits qui président à ce monde, & qui résident dans les astres. Des esprits qui nous sont attachés. Ils sont dans l'air, dans l'eau, dans le feu, dans la terre. Ils ont des corps ; ils sont susceptibles de passions. Leurs corps ne sont pas sensibles.
L'aspect des planetes au moment de la naissance de l'homme, indiquera la nature de son génie tutélaire.
L'homme est abandonné à trois démons ; l'un est divin, il préside à son ame ; l'autre est ou bien ou malfaisant, il domine à sa naissance ; le troisieme décide de son sort.
Les caracteres des esprits & leurs signatures, ne sont pas intelligibles à tous les yeux : c'est une lecture réservée à quelques hommes privilégiés.
On enchaîne les démons, & on leur commande par des moyens empruntés ou du monde élémentaire, ou du monde céleste, ou du monde intellectuel & divin.
Voici l'ordre des êtres animés. Dieu, les intelligences, les démons, les héros, les semi-dieux, les dieux mortels, les dieux terrestres, les hommes, les animaux.
L'esprit humain est corporel, mais sa substance est très-subtile, & d'une union facile avec la particule qui est en nous.
Le mal nait de la mauvaise disposition de ce qui reçoit, & non de la dépravation de ce qui influe.
L'ame qui sera souillée dans ce monde, sera punie après la dissolution du corps, par son union avec un autre corps formé de vapeurs élémentaires, où elle subira toute la gêne d'une prison.
Ces ames punies se précipitent quelquefois dans les corps des animaux, les tourmentent & les obsedent ; leur présence y opere à l'instar des démons.
Elles se plaisent à errer autour des cadavres ; elles en aiment la vapeur ; c'est un moyen de les évoquer. De-là la nécromancie.
Il y a dans l'homme le corps, l'esprit, la raison & l'idole. Ces trois derniers constituent l'ame qui est une. L'esprit éclaire la raison ; la raison s'occupe de l'idole ; l'idole vient des objets.
L'ame qui est de Dieu, ou qui émane du monde intelligible, est immortelle & éternelle.
Celui qui attend un oracle se disposera à le recevoir par la pureté, l'abstinence, les jeûnes, la continence, la solitude, la tranquillité, le silence & l'élévation.
La pénitence & l'aumône sont les deux grands moyens expiatoires.
Qui croiroit que des hommes instruits aient donné sérieusement dans ce tissu indigeste & ridicule de suppositions ? Qui croiroit que dans ce siecle même où l'esprit humain a fait de si grands progrès en tout genre, il y ait encore des gens qui n'en sont pas détrompés ? Le fait cependant n'est que trop vrai. C'est le désordre de l'imagination qui invente ces systèmes ; c'est la nouveauté qui les accrédite ; c'est l'intérêt qui les perpétue. S'il faut croire au diable, s'il faut s'y donner pour obtenir une dignité, jouir d'une femme, exterminer une rivale, connoître l'avenir, posséder un trésor, on y croira, on s'y donnera. Des femmes titrées, à l'entrée de la nuit, monteront dans leurs équipages, se feront conduire à l'extrêmité d'un fauxbourg, grimperont à un cinquieme étage, & iront interroger, sous les tuiles, quelque vieille indigente à qui elles persuaderont elles-mêmes que le présent, l'avenir & le passé sont ouverts à ses yeux, & qu'elle possede le livre du destin. Il n'y a aucun excès auquel les gens à sabbats ne puissent se porter ; ils ne seront effrayés ni du meurtre, ni du vol, ni du sacrilege. C'est en encourageant la philosophie qu'on réussira à éteindre dans un état toute confiance dans les arts occultes. Les prestigiateurs redoutent l'oeil du philosophe. Déja ces femmes qui se font aujourd'hui piétiner, donner des coups d'épée, crucifier, frapper à coups de buches, étendre sur des brasiers, ont exclu de leurs assemblées théurgiques les beaux esprits, les physiciens, les académiciens, les prêtres mêmes ; elles disent que ces gens retardent par leur présence l'opération de Dieu, & que leurs merveilles ne s'operent qu'en faveur des libertins, des gens du monde & des juifs ; ce sont en effet les seuls qu'elles admettent, & ceux dont les lumieres ne sont pas fort à craindre pour elles.
Le mot philosophie pythagoreo-platonico-cabalistique n'étoit pas plus odieux sous François Patrice, que le mot encyclopédie aujourd'hui, que le mot philosophie dans tous les tems. Que fit cet homme ? il coupa à ce monstre deux de ses têtes. Il réduisit le système au Platonisme pur, & s'occupa sérieusement à connoître cette doctrine, & à la répandre. Combien l'érudition, la critique, l'histoire, la philosophie, les lettres n'auroient-elles pas dû à Patrice, si sa vie n'avoit pas été pleine de distractions & de troubles ! L'Aristotélisme n'eut pas d'ennemi plus redoutable & plus adroit. Il l'attaqua sous cent formes diverses. Son nom est encore célebre dans l'histoire littéraire, quoiqu'il ait professé le Platonisme de l'école d'Alexandrie, qu'il ait cherché à concilier la doctrine de l'académie avec celle de l'Eglise, & qu'il ait prétendu que le philosophe athénien avoit connu la résurrection des morts, entrevu nos mysteres, & prédit la venue de Jesus-Christ. Il ne soupçonna pas la supposition de tous ces livres qui avoient été publiés dans les premiers tems du Christianisme sous les noms d'Hermès, d'Orphée, de Zoroastre, de Pythagore & d'autres ; il recueillit le poëmandre, le discours sacré, la clef, le discours à son fils, le discours à Asclépius, la Minerve du monde, & s'en fit éditeur ; il tenta même de rapprocher Aristote, Jesus-Christ & Platon. Voici le titre du plus rare de ses ouvrages : Nova de universis philosophia libris IV. comprehensa, in qua Aristotelem methodo non per motum, sed per lucem & lumina ad primam causam ascenditur ; deinde nova quaedam & peculiari methodo Platonica rerum universitas à Deo deducitur, autore Francisco Patricio, philosopho eminentissimo, & in celeberrimo romano gymnasio summa cum laude eandem philosophiam publicè interpretata. Quibus postremo sunt adjecta Zoroast... oracula cccxx. ex Platonicis collecta, Hermetis Trismegisti libellis & fragmenta quotcumque reperiuntur, ordine scientifico disposita. Asclepii discipuli tres libelli, mystica Aegyptiorum à Platone dictata, ab Aristotele excepta & perempta philosophia. Platonicorum dialogorum novus penitus à Francisco Patricio inventus ordo scientificus. Capita demum multa in quibus Plato concors, Aristoteles vero catholicae fidei adversarius ostenditur. Telesius renouvelloit alors la philosophie parménidiene, & Patricius profita de ses idées. Il dit, l'unité étoit avant tout ; tout procede de l'unité. L'unité est Dieu. Dieu est l'auteur des premieres monades ; les premieres monades, des autres monades ; celles-ci des essences ; les essences, des vies ; les vies, des intelligences ; les intelligences, des esprits ; les esprits, des natures ; les natures, des propriétés ; les propriétés, des especes ; les especes, des corps. Tout est dans l'espace, la chaleur & la lumiere. L'objet de la philosophie est de s'élever à Dieu. La sensation est le premier principe de la connoissance. La lumiere céleste est l'image de Dieu. Dieu est la lumiere primitive. La lumiere est présente à tout, vivifie tout, informe tout, &c... Il crut donner à toutes ces imaginations télésiennes, parménidienes & platoniciennes du relief par des expressions nouvelles ; mais le tems qui apprécie tout, a réduit son travail à rien, & nous regrettons qu'un homme aussi laborieux, aussi pénétrant, qui sut tant de choses, qui eut tant de talens, soit né dans des circonstances si malheureuses, qu'il étoit presque impossible qu'il en tirât un grand avantage. Il naquit en 1529 & vécut cinquante-un ans. Il eut une amie du premier mérite ; c'est la célebre Tarquinia Molza. Cette femme sut les langues grecque, latine & étrusque. Elle lisoit les historiens, les poëtes, les orateurs, les philosophes anciens comme s'ils avoient écrit dans son idiome maternel. Aristote, Pindare, Sophocle & Platon lui étoient familiers. Elle avoit étudié la logique. La morale, la physique & l'astrologie même ne lui étoient point étrangeres. Elle étoit musicienne jusqu'à étonner les premiers maîtres de l'Italie. Il y a peut-être plus de femmes qui se sont illustrées, que d'hommes qui se sont fait un nom, eu égard au petit nombre de celles qu'on éleve, & qu'on destine aux choses importantes. Quant à l'énergie de l'ame, elle a une mesure donnée dans la plus grande des terreurs, celle de la mort. Or combien ne compte-t-on pas de femmes qui ont bravé la mort. Tout être qui sait braver la mort, l'attendre sans se troubler, la voir sans pâlir, la souffrir sans murmurer, a la plus grande force d'ame, peut concevoir les idées les plus hautes, est capable du plus violent enthousiasme, & il n'y a rien qu'on n'en doive attendre, soit qu'il parle, soit qu'il agisse, sur-tout si une éducation convenable a ajouté aux qualités naturelles ce qu'elles ont coutume d'en recevoir.
Le Pythagoreo-platonico-cabalisme fit aussi quelques progrès en Angleterre. On y peut compter parmi ses sectateurs Théophile Gallé, Radulphe Cudworth & Henri Morus.
Gallé se fit un système théosophique, cartésien, platonicien, aristotélicien, mosaïque & rationnel. Confondant tout, il corrompit tout.
Cudworth fut atomiste & plastique en philosophie naturelle, & platonicien, selon l'école d'Alexandrie, en métaphysique & morale.
Morus passa successivement de l'aristotélisme au platonisme, du platonisme au scepticisme, du scepticisme au quiétisme, & du quiétisme à la théosophie & à la cabale.
Il suit de ce qui précede que ces derniers philosophes se sont tourmentés long-tems & inutilement pour restituer une philosophie dont il ne restoit aucune trace certaine ; qu'ils ont pris les visions de l'école d'Alexandrie pour la doctrine de Platon ; qu'ils ont méconnu la supposition des ouvrages attribués à Pythagore & à d'autres anciens philosophes ; qu'ils se sont perdus dans les ténébres de la cabale des Hébreux ; qu'ils ont fait le plus mauvais usage qu'il étoit possible des connoissances incroyables qu'ils avoient acquises, & qu'ils n'ont presque servi de rien au progrès de la véritable philosophie.
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PYTHIA | (Géog. anc.) lieu de Bithynie, où il y avoit des sources d'eau chaude. Procope, au cinquieme livre des édifices de Justinien, c. iij. dit que plusieurs personnes, & principalement les habitans de Constantinople, trouvoient dans ces eaux un soulagement notable à leurs maladies. L'empereur Justinien fit bâtir dans cet endroit un palais & un bain pour l'usage du public. De plus, il y fit conduire, par un nouveau canal, des eaux fraîches, afin de tempérer la chaleur des autres.
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PYTHIADE | S. f. (Antiq. grecq.) espace de quatre ans revolus depuis une célébration des jeux pythiques jusqu'à l'autre. Les Grecs comptoient quelquefois par pythiades, quoique ce fût ordinairement par olympiades. Les pythiades commencerent 580 ans avant Jesus-Christ. (D.J.)
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PYTHIE | S. f. (Hist. des Oracl.) prêtresse du temple d'Apollon à Delphes : elle fut ainsi nommée à cause du serpent Python que ce dieu avoit tué, ou plutôt du verbe grec , demander, à cause du dieu qu'on consultoit, & dont elle déclaroit la volonté : Pythia quae tripode ex Phaebi lauroque profatur, dit Lucrece, lib. I.
Dans les commencemens de la découverte de l'oracle de Delphes, plusieurs phrénétiques s'étant précipités dans l'abîme, on chercha les moyens de remédier à un pareil accident. On dressa sur le trou une machine qui fut appellée trépié, parce qu'elle avoit trois barres sur lesquelles elle étoit posée, & l'on commit une femme pour monter sur ce trépié, d'où elle pouvoit sans aucun risque recevoir l'exhalaison prophétique.
On éleva d'abord à ce ministere des jeunes filles encore vierges, à cause de leur pureté, dit Diodore de Sicile, à cause de leur conformité avec Diane, & enfin parce qu'on les jugeoit plus propres dans un âge tendre à garder les secrets des oracles.
On prenoit beaucoup de précautions dans le choix de la Pythie. Il falloit, comme on vient de le dire, qu'elle fût jeune & vierge ; mais il falloit encore qu'elle eût l'ame aussi pure que le corps. On vouloit qu'elle fût née légitimement, qu'elle eût été élevée simplement, & que cette simplicité parût jusque dans ses habits. Elle ne connoissoit, dit Plutarque, ni parfums ni essences, ni tout ce qu'un luxe raffiné a fait imaginer aux femmes. Elle n'usoit ni du cinamome, ni du laudanum. Le laurier & les libations de farine d'orge étoient tout son fard ; elle n'employoit point d'autre artifice. On la cherchoit ordinairement dans une maison pauvre, où elle eût vécu dans l'obscurité, & dans une ignorance entiere de toutes choses. On la vouloit telle que Xénophon souhaitoit que fût une jeune épouse lorsqu'elle entroit dans la maison de son mari ; c'est-à-dire qu'elle n'eût jamais rien vû, ni entendu. Pourvu qu'elle sût parler & répéter ce que le Dieu lui dictoit, elle en savoit assez.
La coutume de choisir les Pythies jeunes dura très-long-tems ; mais une Pythie extrêmement belle ayant été enlevée par un thessalien, on fit une loi qu'à l'avenir on n'éliroit, pour monter sur le trépié, que des femmes qui eussent passé cinquante ans ; & ce qui est singulier, c'est qu'afin de conserver au-moins la mémoire de l'ancienne pratique, on les habilloit comme de jeunes filles quel que fût leur âge.
On se contentoit dans les commencemens d'une seule Pythie, dans la suite lorsque l'oracle fut tout-à-fait accrédité, on en élut une seconde pour monter sur le trépié alternativement avec la premiere, & une troisieme pour lui subvenir, en cas de mort, ou de maladie. Enfin dans la décadence de l'oracle, il n'y en eut plus qu'une, encore n'étoit-elle pas fort occupée.
La Pythie ne rendoit ses oracles qu'une fois l'année, c'étoit vers le commencement du printems. Elle se préparoit à ses fonctions par plusieurs cérémonies ; elle jeûnoit trois jours, & avant de monter sur le trépié, elle se baignoit dans la fontaine de Castalie. Elle avaloit aussi une certaine quantité d'eau de cette fontaine, parce qu'on croyoit qu'Apollon lui avoit communiqué une partie de sa vertu. Après cela on lui faisoit mâcher des feuilles de laurier cueillies encore près de cette fontaine. Ces préambules achevés, Apollon avertissoit lui-même de son arrivée dans le temple qui trembloit jusque dans ses fondemens. Alors les prêtres conduisoient la Pythie dans le sanctuaire, & la plaçoient sur le trépié. Dès que la vapeur divine commençoit à l'agiter, on voyoit ses cheveux se dresser sur sa tête, son regard devenir farouche, sa bouche écumer, & un tremblement subit & violent s'emparer de tout son corps. Dans cet état elle faisoit des cris & des hurlemens qui remplissoient les assistans d'une sainte frayeur. Enfin ne pouvant plus résister au dieu qui l'agitoit, elle s'abandonnoit à lui, & proféroit par intervalles quelques paroles mal articulées que les prêtres recueilloient avec soin ; ils les arrangeoient ensuite, & leur donnoient avec la forme du vers, une liaison qu'elles n'avoient pas en sortant de la bouche de la Pythie. L'oracle prononcé, on la retiroit du trépié pour la conduire dans sa cellule, où elle étoit plusieurs jours à se remettre de ses fatigues. Souvent, dit Lucain, une mort promte étoit le prix ou la peine de son enthousiasme.
Cette vapeur divine qui agitoit la Pythie sur le trépié, n'avoit pas toujours la même vertu. Elle se perdit insensiblement. Sur quoi Ciceron dit : " Cette vapeur qui étoit dans l'exhalaison de la terre, & qui inspiroit la Pythie s'est donc évaporée avec le tems : vous diriez qu'ils parlent de quelque vin qui a perdu sa force. Quel tems peut consumer ou épuiser une vertu toute divine ? Or qu'y a-t-il de plus divin qu'une exhalaison de la terre qui fait un tel effet sur l'ame, qu'elle lui donne & la connoissance de l'avenir, & le moyen de s'en expliquer en vers " ?
Un jour cette prêtresse d'Apollon donna deux oracles opposés, l'un aux Ioniens, & l'autre aux Achéens, au sujet des statues qu'ils regardoient comme leurs dieux tutélaires ; ce qui jetta entre les peuples de même origine une semence de discorde affreuse. Dans un tems éclairé & bien policé, on auroit puni très-séverement la prêtresse d'Apollon pour se jouer ainsi des oracles.
Il ne faut pas confondre la Pythie avec la sybille de Delphes, vraie vagabonde, qui alloit de contrée en contrée débiter ses prédictions, qui ne montoit jamais sur le sacré trépié, & qui prophétisoit sans le secours des exhalaisons qui sortoient du sanctuaire de Delphes. Que Virgile peint bien la fureur de la Pythie !
Subito non vultus, non color unus,
Non comptae mansêre comae ; sed pectus anhelum
Et rabie fera corda tument....
At Phaebi nondum patiens, &c.
C'est là que Rousseau a puisé ces vives idées :
Ou tel que d'Apollon le ministre terrible
Impatient du dieu dont le souffle invincible
Agite tous ses sens,
Le regard furieux, la tête échevelée,
Du temple fait mugir la demeure ébranlée
Par ses cris impuissans.
Tel aux premiers accès d'une sainte manie,
Mon esprit allarmé redoute du génie
L'assaut victorieux ;
Il s'étonne, il combat l'ardeur qui le possede,
Et voudroit secouer du démon qui l'obsede
Le joug impérieux ;
Mais si-tôt que cédant à la fureur divine,
Il reconnoît enfin du dieu qui le domine
Les souveraines lois ;
Alors tout pénétré de sa vertu suprème
Ce n'est plus un mortel, c'est Apollon lui-même
Qui parle par ma voix.
(D.J.)
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PYTHIEN | (Littérature) la défaite du serpent Python, proche de la ville de Delphes, donna à Apollon le nom de Pythien, Pythius, & à la ville voisine de Delphes celui de Pytho. Horace appelle Apollon incola Pythius, pour marquer l'impression qu'il faisoit sur le coeur des prêtres dont il s'emparoit, pour prononcer ses oracles par leur organe : fraena furente concutit, dit Virgile, & stimulos sub pectore vertit Apollo. Voyez PYTHIE. (D.J.)
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PYTHIQUES | JEUX, (Antiq. grecq.) jeux institués à Delphes en l'honneur d'Apollon. Nous n'amuserons point le lecteur par les fables d'Ovide & d'Hygin sur l'origine de ces jeux ; nous nous en tiendrons au récit de Pausanias. Cet historien nous apprend que les jeux pythiques eurent pour instituteur Jason, ou Diomede, roi d'Etolie, & pour restaurateur le brave Eurylochus de Thessalie, à qui sa valeur & ses exploits acquirent le nom de nouvel Achille. Ce renouvellement des jeux pythiques par Euryloque, arriva la troisieme année de la quarante-huitieme olympiade, l'an du monde 3364, & 584 avant la naissance de Jesus-Christ ; depuis ce tems-là les Grecs comptoient quelquefois par pythiades, comme ils comptoient par olympiades.
On ne convient pas trop de l'étymologie du mot de pythiques ; les uns le tirent de Pythus, fils de Delphus, & petit-fils d'Apollon ; d'autres d'Apollon Pythique, , parce qu'on alloit l'interroger, c'est-à-dire le consulter ; ou de Delphes, qui s'appelloit autrement , ensorte qu'Apollon Pythique & Apollon de Delphes signifient la même chose ; plusieurs enfin veulent que le mot de jeux pythiques doive son origine à la victoire insigne qu'Apollon remporta sur l'énorme serpent Python.
Quoi qu'il en soit, les amphictions avoient dans ces jeux le titre de juges ou d'agonothétes. Philippe, nouvel amphiction, exerça tous leurs droits, & jouit de tous leurs privileges ; il en abusa même dans la suite & y présida par procureur. Lorsqu'il ne daigne pas nous honorer de sa présence, dit Démosthène dans sa troisieme philippique, il envoye présider ses esclaves, c'est-à-dire ses courtisans. Strabon détaille les exercices des jeux pythiques, & Pindare chanta leurs héros sur le même ton que ceux des olympiques.
On célébra d'abord les jeux pythiens tous les huit ans ; mais dans la suite ce fut tous les quatre ans, en la troisieme année de chaque olympiade, ensorte qu'ils servirent d'époque aux habitans de Delphes. Dans les commencemens ces jeux ne consistoient qu'en des combats de chant & de musique. Le prix se donnoit, dit Pausanias, à celui qui avoit fait & chanté la plus belle hymne en l'honneur du dieu, pour avoir délivré la terre d'un monstre qui la désoloit ; dans la suite on y admit les autres exercices du pancrace, tels qu'ils étoient aux jeux olympiques.
Les Romains, sur quelques vers de Martius, adopterent ces jeux l'an 642 de la fondation de leur ville, & leur donnerent le nom d'apollinaires. Si vous voulez vaincre l'ennemi, portoit la prédiction de ce devin, établissez des jeux en l'honneur d'Apollon. D'abord c'étoit le préteur qui étoit préposé à la représentation de ces jeux, mais ensuite on établit des quindecimvirs, qui en prirent soin, & qui devoient les donner à la maniere des Grecs. (D.J.)
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PYTHIUM | (Géog. anc.) nom d'une ville de Macédoine, d'un lieu de l'île de Crete, ou d'un lieu de Bithynie. (D.J.)
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PYTHON | S. m. (Théolog.) terme dont les septante & la vulgate se sont souvent servis pour exprimer les devins, les magiciens, les ventriloques, ou ceux qui parloient du ventre. Voyez DEVINS, MAGICIENS, &c.
Il y avoit dans toutes ces sortes de gens beaucoup de friponnerie, de souplesse, d'imagination, & quelquefois aussi de l'opération du démon. Dieu, dans l'ancienne loi, avoit défendu, sous peine de la vie, de consulter ces sortes de devins. Saül les chassa & les extermina des terres d'Israël, & cependant il eut après cela lui-même la foiblesse d'aller consulter une pythonisse. Moïse, Lévit. xx. 27. veut qu'on lapide ceux qui sont remplis de l'esprit de python. Les rois de Juda qui abandonnerent le Seigneur, comme Manassé, multiplierent les devins ; & les rois pieux, comme Josias, les exterminerent de leur pays. On lit, dans les actes des apôtres, ch. xvj. que S. Paul ayant trouvé dans la ville de Philippes en Macédoine, une fille payenne qui avoit un esprit de python, & qui procuroit un grand gain à ses maîtres en devinant, chassa ce mauvais esprit & en délivra la fille, ce qui irrita tellement ses maîtres qu'ils exciterent une violente sédition contre cet apôtre.
Le terme hébreu ob ou oboths, qu'on traduit par python, signifie aussi un outre ou vase de peau, où l'on mettoit des liqueurs. Peut-être a-t-on donné ce nom aux devins, parce que dans le moment qu'ils étoient remplis de leur enthousiasme, feint ou vrai, ils s'enfloient & se grossissoient comme un outre, & qu'on leur entendoit tirer leurs paroles comme du creux de leur estomac, d'où vient que les Latins les appelloient ventriloqui, & les Grecs , c'est-à-dire gens qui parlent du ventre. Isaïe, ch. xxix. v. 3. dit que Jérusalem affligée & humiliée parlera comme du creux de la terre, ainsi qu'une pythonisse ; qu'elle gémira & tirera ses paroles comme du fond d'une caverne.
L'apparition de Samuel à Saül, opérée par la pythonisse d'Endor, & rapportée dans le premier livre des Rois, ch. xxviij. donne lieu à une question importante, qui partage les anciens & les modernes, savoir si l'ame de Samuel a véritablement apparu à Saül, ou si tout ce qui est raconté à ce sujet n'est qu'un jeu ou une friponnerie de la pythonisse ou magicienne qui parla à Saül, & qu'il feignit de voir Samuel. On demande si cela arriva par la puissance du démon & par les forces de l'art magique, ou si Dieu permit que Samuel apparût par un effet miraculeux de sa puissance, & non par aucun effet de la magie.
Ceux qui tiennent pour la réalité de l'apparition de Samuel, comme saint Justin, Origene, Anastase d'Antioche, &c. ont cru que les démons avoient quelque pouvoir sur les ames des saints avant que Jesus-Christ descendît aux enfers ; & saint Augustin, de doct. Christ. liv. II. ch. xxxij. ne trouve aucun inconvénient à dire que le démon fit apparoître l'ame de Samuel, comme nous n'en trouvons point à dire que le démon transporta Jesus-Christ sur le pinacle du temple ; d'ailleurs le récit de l'Ecriture dit expressément que Samuel parut, qu'il parla, qu'il annonça au roi sa mort prochaine & la défaite de son armée.
Ceux qui soutiennent que Samuel n'apparut point à Saül, sont partagés entr'eux ; les uns, comme Tertullien, saint Basile, saint Grégoire de Nysse, croyent que le démon prit la forme de Samuel, & parla ainsi à Saül. Les autres, tels qu'Eustache d'Antioche, saint Cyrille d'Alexandrie, &c. tiennent que la magicienne ne vit rien, mais qu'elle feignit de voir le vrai Samuel ; qu'elle parla en son nom, & trompa ainsi Saül & tous les assistans ; d'autres enfin, comme saint Ambroise, Zénon de Vérone, saint Thomas, pensent que le démon ne parut point, & ne prit point la forme de Samuel, mais que Dieu, à l'occasion des évocations de la pythonisse, fit par sa propre vertu & indépendamment de l'art magique, paroître aux yeux de Saül une figure de Samuel, qui prononça à ce prince l'arrêt de sa mort & de sa perte entiere. Le rabbin Levi-Ben-Gerson veut que tout ceci se soit passé dans l'imagination de Saül. Ce prince frappé des menaces que Dieu lui avoit faites, & troublé par la vue du danger présent, s'imagina, dit-il, voir Samuel qui lui réitéroit ses menaces, & qui lui annonçoit sa mort prochaine.
Le pere Calmet, de qui nous empruntons ceci, croit que de tous ces sentimens, le mieux fondé est celui qui prétend que Samuel apparut véritablement à Saül ; non que ce fût par la force de la magie de la pythonisse, ni par la vertu du démon, mais par la vertu toute puissante de Dieu, qui pour punir Saül de sa vaine curiosité, permit qu'à l'occasion des évocations de la magicienne, le vrai Samuel lui apparût & lui découvrît son dernier malheur. Il renvoye à ce sujet aux notes de Leon Allatius sur le traité d'Eustathe, intitulé de Engastrimytho, & à sa dissertation particuliere sur ce sujet.
Or dans cette dissertation où il expose & refute fort savamment les divers sentimens que nous avons rapportés ci-dessus, il établit ensuite le sien principalement sur ce passage de l'Ecclésiastique, ch. xlvj. . 21. après cela Samuel mourut, & il déclara & fit connoître au roi que la fin de sa vie étoit proche. Il éleva sa voix du fond de la terre, & prophétisa pour détruire l'impiété de la nation : ce qu'il confirme par un autre des Paralipomenes où il est dit que, Saül mourut pour avoir consulté la pythonisse, & Samuel lui répondit (disent les septante), & il ne rechercha pas le Seigneur. Or en comparant ces paroles avec le texte sacré du vingt-huitieme chapitre du premier livre des Rois, il en résulte que Saül vit véritablement Samuel ; car 1°. la magicienne ne se fut pas plutôt mis en devoir d'évoquer les manes de celui que Saül demandoit, qu'elle vit Samuel, & jugeant par son air terrible & menaçant qu'il en vouloit à Saül, elle jette un grand cri & dit à ce prince, pourquoi m'avez-vous trompée, car vous êtes Saül ? Celui-ci demande à la pythonisse ce qu'elle voit, elle lui répond qu'elle voit des dieux, ou un juge, un prince, un magistrat qui sort du fond de la terre, & qui a la forme d'un vénérable vieillard revêtu d'un manteau. Saül reconnoit Samuel à cette description, le prophete lui déclare entr'autres choses d'une maniere précise, que Dieu le livrera lui & le camp d'Israël entre les mains des Philistins, & il ajoute, vous & vos fils serez demain avec moi. Dire que la pythonisse dans tout ceci contrefit la voix de Samuel, c'est supposer que Saül & aucun de ceux de sa suite n'auroient pû s'appercevoir de la supercherie ; & avancer que le démon fit des prédictions aussi certaines d'évenemens casuels, c'est lui attribuer le don de prédire certainement l'avenir, qu'il ne connoit tout-au-plus que par conjecture. Au reste, cet auteur reconnoit que l'Eglise n'ayant prononcé sur aucun de ces sentimens, il est libre d'embrasser celui qu'on croit le plus vraisemblable. Le sien a ces deux avantages, qu'il n'altere point le sens littéral, & qu'il ne déroge pas à la puissance de Dieu en n'attribuant pas un trop grand pouvoir au démon. Calmet, Dictionnaire de la Bibl. tom. III. pag. 327. & 465. & Dissertat. sur l'apparit. de Samuel à Saül, vers la fin.
PYTHON, s. m. (Mytholog.) les écrits des Poëtes ont rendu ce monstre très-célebre. On en raconte l'histoire bien diversement, & il n'est pas aisé de démêler ce qu'il peut y avoir de vrai dans le prodigieux amas de circonstances fabuleuses dont on l'a enveloppé. Je me garderai bien d'entrer dans ce détail. Je ne m'arrêterai pas davantage à recueillir les moralités qu'on a tirées de cette fable, ni les explications physiques que Macrobe & d'autres en ont données, ni moins encore les rêveries où les Alchimistes se sont abandonnés sur ce sujet. On auroit autant d'ennui à les lire, que j'en ai eu moi-même, & des esprits raisonnables n'adopteroient point des explications qui n'ont jamais eu de fondement que dans les fictions de l'imagination, ou dans le cerveau de quelques visionnaires qui vouloient faire des livres.
Pausanias en recherchant l'origine du nom de pytho, nous apprend que Delphus, petit-fils de Lycorus, eut un fils nommé Pythis, qui donna le nom de Pytho à la ville de Delphes. Nous trouvons dans ce Pythis le Typhon d'Homere, & le tyran dont parle Plutarque ; car Pausanias écrit à son sujet, que l'histoire qui avoit le plus de cours, étoit qu'il avoit été tué par Apollon à coups de traits, c'est-à-dire qu'on avoit attribué la cause de sa mort à la colere d'Apollon, dont il avoit voulu abolir le culte. On sait de quelle maniere Apollon vengea son prêtre Crysès de l'enlevement de Chryséis, & quels furent les traits qui firent périr tant de braves soldats de l'armée grecque. Pythis après sa mort, continue Pausanias, fut abandonné à la pourriture dans le lieu même où il avoit été tué. On ne pouvoit marquer plus de haine contre un homme après son décès, que de le priver des honneurs de la sépulture. Enfin Pausanias ajoute que les Poëtes avoient fait de ce Pythis un dragon que la terre avoit commis pour garder l'oracle, & pour empêcher qu'on n'en approchât. C'est ainsi que les premiers poëtes ont commencé à déguiser l'histoire de Python sous le voile de la fiction. Ceux qui les ont suivis y ont ajouté de nouvelles circonstances, qui ont achevé de la défigurer.
Il y a encore une autre tradition que le même Pausanias nous a conservée, qui a tous les caracteres de la vraisemblance, & qui est à-peu-près de la même date que la premiere. Un roi de l'île d'Eubée, nommé Crius, eut un fils qui fut un insigne scélérat ; il s'empara de Delphes, pilla le temple d'Apollon, & les maisons des plus riches particuliers, & s'en retourna chargé de butin. Il revint une seconde fois à Delphes, pour y commettre de nouveaux désordres ; les habitans eurent recours à Apollon, & le supplierent de les garantir du danger qui les menaçoit. Phémonoé, pour lors prêtresse d'Apollon, leur fit cette réponse de la part de son dieu : " Le moment fatal approche, Apollon va lancer ses traits sur le brigand du Parnasse. Les prêtres crétois ne souillent point leurs mains dans le sang humain. La mémoire de ce châtiment ne périra jamais ".
Plutarque, dans son traité du silence des oracles, rejette tout ce qu'on dit du combat d'Apollon contre Python, & de la fuite de Python. Il prétend que cette cabane de feuilles que l'on construisoit tous les neuf ans dans le temple d'Apollon, ne représentoit point la demeure d'un dragon, mais celle d'un tyran ou d'un roi, & que le reste de la cérémonie avoit rapport à quelque grand crime commis anciennement par ce tyran.
Si l'on veut prendre la peine de lire son traité d'Isis & d'Osiris, on y verra que la fable du combat d'Apollon contre Python a pris naissance chez les Egyptiens. Orus, fils d'Isis & d'Osiris, étoit parmi les Egyptiens le même qu'Apollon chez les Grecs. Tout ce que les Egyptiens contoient des combats d'Orus contre Typhon, & de son entiere défaite, étoit passé de l'Egypte dans la Grece, & avoit été appliqué au prétendu combat d'Apollon contre le tyran de Delphes, que Homere a appellé Typhon pour le rendre plus odieux ; car le nom de Typhon étoit en abomination chez les Egyptiens. Voyez TYPHON. (D.J.)
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PYTHONISSE | S. f. (Divinat.) femme possédée de l'esprit python. Voyez PYTHON.
PYTHONISSE D'ENDOR, (Critique sacrée) on sait qu'il y a trois opinions sur l'histoire de cette pythonisse d'Endor, que Saül alla consulter, I. Sam. c. xxiij. . 7. & suiv. Les uns croyent que l'ame de Samuel fut véritablement évoquée, & que ce fut l'ombre de ce prophete, ou ce prophete lui-même qui apparoissoit au roi, lui prédit sa défaite & sa mort comme certaine, . 18. & 19. Les autres prétendent que le diable prit la figure de Samuel. D'autres enfin soutiennent que le tout ne fut qu'une fourberie de la part de la devineresse d'Endor. Le lecteur peut embrasser l'opinion qu'il lui plaira ; car chacun de ces trois systèmes a des partisans. Nous remarquerons seulement que le dernier nous paroît le plus raisonnable, parce que c'est une maxime très-sage des Théologiens, de ne point multiplier les miracles sans nécessité ; & comme on ne prouvera jamais que Dieu eût un besoin indispensable ou de la résurrection de Samuel, ou de laisser agir le diable, pour apprendre à Saül qu'il seroit battu par les Philistins, ce seroit pécher contre un axiome reçu, que de recourir au merveilleux.
Les deux principaux acteurs de la scène d'Endor sont Saül & la pythonisse. Nous savons par le texte ce que la pythonisse pensoit de Saül : Voi si ta servante a fait, dit-elle ce que tu lui as demandé. Saül avoit demandé qu'elle lui devinât par l'Ob, & qu'elle lui fît monter celui qu'elle lui diroit. La conduite de Saül nous apprend ce qu'il pensoit : il compta fort peu sur la certitude de la prédiction ; doute qu'il n'auroit pas eu, s'il avoit été assuré qu'elle vînt de Dieu : aussi, dès qu'il fut en état de faire quelques réflexions, il la regarda comme une illusion, puisqu'il se hâta si fort d'aller donner bataille aux Philistins. Samuel est un personnage suspect à l'une des parties ; Saül & la pythonisse ne le sont point. Que demanda Saül à cette femme ? Je te prie, devine-moi par l'Ob, & fais monter vers moi celui que je te dirai. On voit par-là bien clairement que Saül avoit renoncé à consulter Dieu, qui, selon sa pensée, s'étoit retiré de lui. Qui veux-tu que je te fasse monter ? lui répond la pythonisse, c'est-à-dire, lequel des morts veux-tu consulter ? Fais monter Samuel, replique Saül ; après quoi la pythonisse se vante d'avoir fait ce qu'on lui a demandé.
Il est clair dans l'histoire sacrée, que l'Eternel avoit constamment refusé de répondre aux incertitudes de Saül. . 6. Or, l'opinion qui suppose que sans en avertir, Dieu change de conduite, jusqu'au point de ressusciter un prophete mort, pour fixer des doutes qu'il n'avoit pas daigné éclaircir par des songes, &c. attribue, en quelque sorte, à l'Etre suprème une conduite contradictoire, & conséquemment indigne de ses perfections infinies.
La pythonisse, qui connoissoit Saül, se conduisit avec beaucoup d'adresse, & feignit d'être effrayée quand elle vit Saül dans le trouble : " Et la femme voyant Samuel s'écria à haute voix en disant : Saül, pourquoi m'as-tu déçue ? car tu es Saül ". Mais en même tems qu'elle feint d'être effrayée, elle conserve toute la tranquillité nécessaire, & répond à toutes les questions du prince ; ensuite s'appercevant qu'il étoit fort troublé, elle lui dit pour le rassurer : " Voici, ta servante a écouté ta voix, & j'ai exposé ma vie, & j'ai obéi aux paroles que tu m'as dites ".
Ces paroles, j'ai exposé ma vie, n'ont pas besoin de commentaire ; tout le monde entend qu'elles sont relatives à l'art que cette femme exerçoit, & aux supplices que Saül avoit infligés à ceux de cette profession : il les avoit exterminés du pays. " Maintenant, ajoute-t-elle, je te prie que tu écoutes ce que sa servante te dira. Souffre que je mette devant toi une bouchée de pain, afin que tu manges & que tu ayes des forces pour t'en retourner par ton chemin : il le refusa, & dit : Je ne mangerai point. Mais ses serviteurs & la femme aussi le presserent tant, qu'il acquiesça à leurs sollicitations, & s'étant levé de terre, il s'assit sur un lit ".
Cette femme adroite " avoit un veau qu'elle engraissoit en sa maison ; elle se hâte de le tuer ; puis elle prit de la farine, la paîtrit, & en cuisit des pains sans levain, qu'elle mit devant Saül, &c. " Tout cela prouve que les deux personnages n'avoient pas été également affectés de la prétendue apparition, & que le prince tremblant étoit la dupe de la femme rusée, assurée & contente du succès de sa filouterie.
Cette femme avoit d'abord représenté à Saül les mauvais traitemens qu'il avoit faits aux personnes de sa profession. Elle connoissoit Saül de vue ; néanmoins, pour ne point se tromper sur la personne qui la venoit consulter, elle commence par lui dire : pourquoi tends-tu un piége à mon ame pour me faire mourir ? Il lui jure qu'il ne lui arrivera point de mal pour cela. Alors elle est parfaitement assurée de ne se pas tromper. Si Samuel s'étoit présenté vivant pendant cette conversation, Saül l'auroit vu comme la pythonisse ; mais de peur de rien voir, il se prosterne le visage contre terre.
Le but de la magicienne étoit son propre intérêt, & le plaisir de se venger du mal que Saül avoit fait à ses semblables. En lui prédisant d'heureux succès, la confiance auroit pu revenir à Saül, & elle auroit travaillé par-là à reculer des malheurs que vraisemblablement elle souhaitoit d'avancer, pour être plus tôt vengée. Les circonstances même forcerent la Pythonisse à parler comme elle parla. Ne doutons point que s'il eût été à son choix d'introduire quel personnage il lui eût plu pour jouer le rôle le plus commode, qu'elle n'en eût choisi un autre que Samuel. Mais Saül ayant souhaité qu'elle interrogeât ce prophete, comment le faire reconnoître à un prince qui craint de voir celui qu'il veut consulter, qu'en empruntant son langage, & lui faisant même rappeller ce qu'il avoit déja dit dans une autre occasion ? Saül crut donc que c'étoit Samuel qui lui parloit, par les discours qu'il lui tint. Il ne l'auroit pas cru, s'il lui en avoit tenu de flatteurs, Samuel n'ayant pas accoutumé Saül à en entendre de tels. Ainsi, tout concourut à favoriser la magicienne : ainsi tout est simple dans cette histoire, & rien ne requiert la supposition d'un miracle. (D.J.)
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PYTHOPOLIS | (Géog. anc.) ville de Bithynie, sur le fleuve Soloonte. Thésée en fut le fondateur, selon Plutarque, in Theseo. Il y a encore eu une ville de Carie nommée Pythopolis, & une autre du même nom dans la Mysie asiatique.
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PYTICUS | (Géog. anc.) fleuve de l'Asie mineure. Il vient de la Lydie, & se jette dans le golphe que les anciens nommoient Eleates-Sinus. A son embouchure étoit bâtie la ville Myrrina, patrie d'Agathias, comme il le témoigne lui-même dans le commencement de son histoire.
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PYXITES | (Géog. anc.) fleuve de la Cappadoce. Il avoit son embouchure dans le Pont-Euxin, près de la ville de Trapezunte, selon Pline, liv. VI. chap. iv. Le périple d'Arrien, p. 7, marque le Pyxites entre le Prytanis & l'Archabis, à quatre-vingt-dix stades de l'un & de l'autre. (D.J.)
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